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Full text of "La Légende dorée de Jacques de Voragine; nouvellement traduite en francais, avec introduction, notices, notes et recherches sur les sources"

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i 


Légende  Dorée 

DE 

JACQUES  DE  VORAGINE 

NOUVELLEMENT    TRADUITE    EN    FRANÇAIS 
INTRODUCTION,   NOTICES,  NOTES 

Recherches  sur  les  Sources 


L'Am:J  -13.  M.  ROZE 

Chanoine  hononirc  de  la  Cathédrale  d'Amiens 


DEUXIEME  PARTIE 


PARIS 

7IÎ,     Rt(E     IlE    SKIN-E,    7fi 

MDCCCCil 


EDOUARD  ROUYEYRE,  Éditeur,  rue  de  Seine,  76,  PARIS 

Publication  honorée  de  la  Souscription 
du  Ministère  de  V Instruction  publique  et  des  Beaux- Arts 

OUVRAGE  COMPLET  EN  DIX  VOLUMES 

Connaissances  nécessaires 

Accoiu|»agnées  (le  Notes  critiques  '     TTrj    Tiih/innll  if/> 

et  DocumeoU  bibliographiques   t*    %^  tl  XJlUIflU^IHlC 

recueillis  et  publiés  par 

EDOUARD   ROUVEYRE 

Libnire-Aiitiqnaire  et  Éditeur,  Ofll-ierde  l'inslraction  publique 

CINQUIÈME  EDITION 
Dix  volumes  in  8*  carré  criX225),  illustrés  de  1800  figures 

Prix  :  80  fr. 

SOMMAIRE  DES  DIX  VOLUMES 

Les  volumes  ne  se  vendent  pas  séparément 

Premier  Tolume  :  f  i.  Origine  du  livre.  —  Les  amateurs,  les  bibliophiles, 
iesbibliomanes.  Etablissement  d'une  bibliothèque.  —  Conservation  et  entretien 
des  livres.  ~  Deuxième  Tolame  :  f  3.  Du  format  des  livres.  —  Les  livres  les 
plus  petits.  —  Les  livres  les  plus  grands.  ~  Les  livres  imprimés  ou  calli- 
eraphiés  en  caractères  microscopiques.  —  f  3.  Ducollationnementdos  livres.— 
Delà  manière  de  procéder  à  cotte  opération.  —  Ses  diflicultés.  —  Ses  ré- 
sultats. —  ^  4.  Abréviations  usitées  en  bibliographie,  ainsi  que  dans  les  ma- 
nuscrits et  les  imprimes.  —  d' 5.  Signes  disiinctifs  dos  anciennes  éditions.  — 
i  6.  Des  souscriptions  et  de  la  date.— Troisième  volume  :  ^  7.  Du  choix  des 
livres.—  De  la  lecture.—  De  la  connaissance  des  livres.—  Leurs  déitnitions.— 
Caractères  auxquels  on  distingue  un  livre  rare,  précieux  ou  curieux.—  Cu  (fui 
en  fait  le  prix.—  La  chasse  aux  livres.—  Quatrième  volume  :  i(    8.  De  la  re- 
liure ancienne  et  moderne.—  Du  goût  et  des  styles   dans  la  reliure.  —   Petit 
musée  de  la  reliure  ancienne.  —  Cinquième  volume  :  ^'0.    Do  la   gravure  et 
de  ses  états.  —  De  Tillustration  et  de  la  décoration  intérieure  des  livres.—  Les 
livres  gravés  ou  burinés.—  Les  livres  avec  gravures  supprimées,  épreuves  à 
l'état  d  eau  forte  ou  avec  remarques. —Les  livres  avec  aquarelles,  illustrations 
ou  ornements  placés  dans  le  texte  ou  sur  les  marges,  etc.— Sixième  volume  : 

LlO.  Les  reliures  aux  chiffres  ou  à  monogrammes.—  Les  reliures  aux  armes.— 
es  EX'Libris.  .^11.  Les  livres  avec  dédicaces  ou  annotations  manuscrites,  etc. 
—  Les  livres  de  provenance  curieuse  ou  illustre.  —  Septième  volume  :  i  li. 
Les  Manuscrits  ^t  la  Peinture  des  livres.  —  Huitième  volume  :  ti  13.  Les  en- 
nemis du  livre.—  Moyens  de  préserver  les  livres  des  insectes.—  Destruction  des 
livres  et  falsllication  des  gravures*.  —  Les  voleurs  et  les  équarrisseurs  de  li- 
vres.—|  li.  Altérations  et  fraudes.— Nettoyage  et  encollage  des  livres  et  des 
gravures.  —  Du  dédoublage  des  gravures.  —  Réparation  des  manuscrits,  des 
piqûres  de  vers,  des  déchirures  et  des  cassures  du  papier.  —  Restauration  des 
estampes  et  des  reliures.  —  Les  livres  imprimés  «ur  peau  vélin,  papiers  de 
Chine,  Japon.  Whatman,  vélin,  vergé,  etc.  —  Neuvième  et  dixième  volumes: 
j  15.  De  la  classification  systématique  des  livres,  des  autographes  et  des  gra- 
vures. —  f  16.  Lexique  des  termes  relatifs  à  la  Bibliographie,  à  l'Art  typogra- 
phique, etc.,  employés  dans  le  cours  des  Connaissances  néeetsaxres  à  un  BibUopItile, 
avec  renvois  aux  tomes  et  aux  pages  de  cette  publication. 

L.es  sommaires  DÉTAILLÉS  des  dix  volumes  sont  adressés  gratis 

et  franco.  —  En  faire  la  demande. 


EDOUARD  ROUVETRE,  Editeur,  rue  do  Seine,  76,  à  Paris 


HISTOIRE  -  PHILOSOPHIE  —  DOCUMENT 

Comment  discerner  les  Styles 

du  VI 11-  au  XLV  siùclc 

i»Aii  «  Publication  honorée  rte  la  Souscription  <tu  Miniitère 


L.  ROGER-MILËS  T^  de  V/nstrucUon  publique  et  des  Deaux-ArU 

ÉTUDES  SUR  LES  FORMES  ET  LES  VARIATIONS 

PROPRES    A    DÉTERMINER    LES   CARACTÈRES    DU  STYLE 

dans 

LE  COSTUME  ET  LA  MODE 

U  MODE  -  LES  SYMBOLES  —  LA  TRADITION 
Accompagnées  de  Deux  mille  Dessins  gravés  par  J.  Mauge 

D'APRÈS  les  TABLEAUX,  MANUSCRITS  cl  MONUMENTS  en  TOUS  GENRES 
existant  dans  les  Musées,  Dihliothèques  et  Collections  nationales  et  particnlières 

UN  FORT  VOLUME  IN-4  JÉSUS  (22X30) 
Exemplaire  en  cartonnage  artistique,  non  rogné    ....    Quarante  francs 

CARACTÈRES  et  MANIFESTATIONS  des  FORMES 

on 

Architecture  et  Décoration 

XVIIIe  SIÈCLE 

LA  RÉGENCE  —  ÉPOQUE  LOUIS  XV 

Accompagnés  de  Devur.  mille  Dessins  gravés  par  J,  Mauge 

D'APRÈS  LES  TABLKAUX,  MANUSCRITS  et   MONUMENTS  en  TOUS  GENRES 
existant  dans   les  Musées,  Dibliothèqucs  <>t  Collections  nationales    et   particulières 

UN  FORT  VOLUME  IN-4  JÉSUS  (22X30) 
Exemplaire  en  cartonnage  artistique,  non  rogné Quarante  Francs 

ÉTUDES  SUR  LES  FORMES  ET  LES  DECORS 

PROPRES  A  DÉTERMINER    LES  CARACTÈRES   DU   STYLE 

dans  les 

Objets  d'Art,  de  Curiosité, 
et  d'Ameublement 

ARMES  ET   ARMURES   BUOCTERIB   BRODERIE  CKRAMIQUE    —    UEN'TELLE 

ÉMAILLERIE  HORLOGERIE  —  JOAILLERIE  MEUBLES 

PEINTURE   SUR    VBLIN    ORFÈVRERIE     CIVILE    ET     RELIGIEUSE 

VERRERIE  —  TAPISSERIE 

Accompagnées  de  Deiur  mille  Dessins  gravés  par  J,  Mauge 

D'APRÈS  les  TABLEAUX,   MANUS'.RITS  et  MONUMENTS    en  TOUS    GENRES 
existent  dans  les  Musées,  Bibliothèques  et  Collections  nationales  et  particulières 

UN  FORT  VOLUME  IN-4  JÉSUS  (22X30) 
Exemplaire  en  cartonnage  artistique,  non  rogné     .    .    .    Quarante  francs 


Légende  Dorée 


Vingt-cinq  exemplaires  ont  été  imprimés 

SUR 

PAPIER    I>U   JAPON    DES    MANUFACTURES    IMPÉRIALES   DE    TOKIO 


Tous  droits  de  roproductioa  et  de  traduction   reserves  pour  tous  pays, 

y  compris  la  Suède  et  la  Norvège. 


k 


La 


Légende  Dorée 

DE 

JACQUES  DE  VORAGINE 

NOUVELLEMENT  TRADUITE  EN   FRANÇAIS 


INTRODUCTION,   NOTICES,   NOTES 

ET 

RECHERCHES  SUR   LES  SOURCES 

l'Ail     , 

LAbbé  J.-B.  m.  ROZE 

ChiDoiiic  lionorairi:  ilo  la  i-allii-ilnilu  J'Aïuicn!! 

DEUXIÈME  PtRTIE 


PARIS 

EDOUARD    ROUVEVRE,     ÉDITEUR 

76,   RUE    DE   SEINE,   76 

\  - 

MDCCCCll 


1 


THR  NBW  ¥eU 

PUDUC  LIDUAilT 

390074B 

««TOI,  LCKOX  Arm 

TUiMBN  flil  Ni>AÏI04^ 

B  1M7  L 


LA 


LÉGENDE   DORÉE 


UNE  VIERGE   D'ANTIOCIIE* 

Au  IP  livre  des  Vierges^  saint  Ambroise  raconte  en 
ces  termes  le  martyre  d'une  vierge  d'Antioche  :  Il  y 
eut  naguère  à  Antioche  une  viers^e  qui  évitait  de  se 
mruilrer  en  public  ;  mais  plus  elle  se  cachait,  plus  elle 
enflammait  les  cœurs.  La  beaulé  dont  on  a  entendu 
parler  mais  cpi'on  n'a  pas  vue  est  recherchée  avec 
plus  d'empressement  à  cause  des  deux  stimulants 
des  passions,  l'amour  et  la  connaissance,  car  quand 
on  ne  voit  rien,  rien  ne  saurait  plaire;  mais  quand 
on  connaît  une  beauté,  on  pense  qu'elle  aura  d'autant 
plus  à  plaire.  L'œil  ne  cherche  pas  à  juger  de  ce  qu'il 
ne  connaît  pas,  mais  un  cœur  qui  aime  conçoit  des 
désirs.  C'est  pour  cela  que  cette  sainte  vierge,  afin  d(^ 
ne  point  nourrir  trop  longtemps  des  espérances  cou- 
pables, décidée  qu'elle  était  à  sauvegarder  sa  pudeur, 
nnit  de   telles    entraves    aux    passions  des  méchants 

*  Celte  lés^ende  est  copiée   mot  à  mot  dans  saint  Ambroise 
au   II«  livre  des  Vierges,  eh.  iv. 

n.  1 


2  ,  LA    LÉGtNDE    DOREE 

qu'elle  attira  rattentioii  avant  même  d'être  aimée. 
Voici  la  persécution.  Une  jeune  fille  incapable  de  fuir, 
timide  par  son  âge,  afin  de  ne  pas  tomber  entre  les 
mains  de  ceux  qui  auraient  attenté  à  sa  pudeur, 
arma  son  cœur  de  courage.  Elle  fut  attachée  à  la  reli- 
gion au  point  de  ne  pas  craindre  la  mort;  chaste  au 
point  de  l'attendre  :  car  le  jour  vint  où  elle  devait 
recevoir  la  couronne,  jour  attendu  impatiemment  par 
tous;  on  fait  comparaître  une  jeune  fille  qui  déclare 
vouloir  défendre  à  la  fois  sa  chasteté  et  sa  religion. 
Mais  quand  on  vit  sa  constance  dans  son  dessein,  ses 
craintes  pour  sa  pudeur,  sa  résolution  à  souffrir  les 
tortures,  la  rougeur  (jui  lui  montait  au  front  dès 
(|u'elle  était  regardée,  on  chercha  comment  on  pour- 
rait lui  ôter  la  religion  en  lui  laissant  entrevoir  qu'elle 
garderait  sa  chasteté  :  car  dès  lors  qu'on  réussissait 
à  lui  citer  sa  religion,  regardée  comme  ce  qu'il  y  avait 
de  plus  important,  on  pourrait  lui  faire  perdre  encore 
ce  qu'on  lui  laissait. 

On  commanda  à  la  vierge  de  sacrifier  ou  d'être 
exposée  dans  un  mauvais  lieu.  Quelle  manière  d'hono- 
rer les  dieux  que  de  les  venger  ainsi  !  Ou  comment 
vivent-ils  ceux  qui  portent  de  semblables  arrêts?  La 
jeune  vierge,  non  pas  parce  qu'elle  chancelait  dans  sa 
foi,  mais  parce  qu'elle  tremblait  pour  sa  pudeur,  se  dit 
à  elle-même  :  «  Que  faire  aujourd'hui?  Ou  martyre  ou 
vierge;  on  veut  me  ravir  une  double  couronne.  Mais 
celui-là  ne  connaît  pas  même  le  nom  de  vierge  qui  renie 
l'auteur  de  la  virginité  :  en  effet,  comment  être  vierge 
et  honorer  une  prostituée?  comment  être  vierge  et  aimer 
(les  adultères?  comment  être  vierge  et  rechercher  l'a- 


UNE    VIERGE    d'aNTIOCHE 


mour?  Mieux  vaut  garder  son  cœur  vierge  que  sa  chair. 
Conserver  Tun  et  l'autre,  c'est  un  bien,  quand  on  le 
peut,  mais  puisque  cela  devient  impossible,  soyons 
chaste  aux  yeux  de  Dieu  et  non  par  rapport  aux  hom- 
mes. Raab  fut  une  prostituée,  mais  après  avoir  eu  foi 
au  Seigneur;  elle  trouva  le  salut.  Judith  s'orna  pour 
plaire  à  un  adultère  ;  mais  parce  que  le  mobile  de  sa 
conduite  élait  la  religion  et  non  Tamour,  personne 
ne  la  regardait  comme  une  adultère.  Ces  exemples  se 
présentent  heureusement  :  car  si  celle  qui  s'est  con- 
fiée à  la  religion  a  sauvé  sa  pudeur  et  sa  patrie,  moi 
aussi,  peut-être,  en  conservant  ma  religion,  conserve- 
rai-je  encore  ma  chasteté.  Que  si  Judith  eiH  voulu 
préférer  sa  pureté  à  sa  religion,  en  perdant  sa  patrie, 
elle  eiU  encore  perdu  son  honneur.  »  Alors  éclairée 
par  ces  exemples,  et  gardant  dans  le  fond  du  cœur 
ces  paroles  du  Seigneur  :  «  Quiconque  perdra  son 
âme  à  cause  de  moi,  la  retrouvera  »,  elle  pleura,  el  se 
tut,  afin  qu'un  adultère  ne  IVnlendiU  même  pas  parler. 
Elle  ne  préféra  pas  sacrifier  sa  pudeur,  mais  en  même 
temps  elle  ne  prétendit  point  faire  injure  à  J.-C.  Ju- 
gez si  elle  pouvait  être  coupable  d'adultère,  en  sou 
corps,  celle  qui  ne  le  fut  pas  même  dans  le  ton  de  sa 
voix. 

Depuis  longtemps  déjà  je  mets  une  grande  réserve 
dans  mes  paroles,  comme  si  je  tremblais  en  entrant 
dans  Texposition  d'une  suite  de  faits  honteux.  PVr-r 
mez  les  oreilles,  .vierges  de  Dieu  !  La  jeune  fille  est 
conduite  au  lupanar.  Ouvrez  maintenant  les  oreilles, 
vierges  de  Dieu.  Une  vierge  peut  être  livrée  à  la  pros- 
titution, et  peut  ne  point  pécher.  En  quelque  lieu  (jue 


LA    LÉGENDE    DORÉE 


soit  une  vierge  de  Dieu,  là  est  toujours  le  temple  de 
Dieu.  Les  mauvais  lieux  ne  diffament  pas  la  chasteté, 
mais  la  chasteté  ôte  à  pareil  lieu  son  infamie.  Tous 
les  débauchés  accourent  en  foule  au  lieu  de  prostitu- 
tion. Vierges  saintes,  apprenez  les  miracles  des  mar- 
tyrs, mais  oubliez  le  langage  de  ces  lieux.  La  colombe 
est  enfermée  ;  les  oiseaux  de  proie  crient  au  dehors  : 
c'est  à  qui  sera  le  premier  pour  se  jeter  sur  la  proie. 
Alors  elle  leva  les  mains  au  ciel  comme  si  elle 
était  entrée  dans  un  lieu  de  prière  et  non  dans  l'asile 
de  la  débauche  :  «  Seigneur  Jésus,  dit-elle,  en  faveur 
de  Daniel  vierge,  vous  avez  dompté  des  lions  féroces, 
vous  pouvez  encore  dompter  des  hommes  au  cœur 
farouche  ;  le  feu  tomba  sur  les  Chaldéens  ;  par  un  effet 
de  votre  miséricorde,  et  non  pas  par  sa  propre  nature, 
Feau  resta  suspendue  pour  fournir  un  passage  aux 
Juifs.  Suzanne  se  mit  à  genoux  en  allant  au  supplice 
et  triompha  des  vieillards  impudiques  ;  la  main  qui 
osait  violer  les  présents  offerts  à  votre  temple  se  dessé- 
cha :  en  ce  moment,  c'est  à  votre  temple  lui-même 
qu'on  en  veut  :  ne  souffrez  pas  un  inceste  sacrilège, 
vous  qui  n'avez  pas  laissé  un  vol  impuni.  Que  votre 
nom  aussi  soit  béni,  à  celte  heure,  afin  que,  venue  ici 
pour  être  souillée,  j*en  sorte  vierge.  »  A  peine  avait- 
elle  achevé  sa  prière,  qu'un  soldat,  d'un  aspect  terrible, 
entre  avec  précipitation.  Comme  cette  vierge  dut  trem- 
bler à  la  vue  de  celui  qui  avait  fait  reculer  la  foule 
tremblante!  Elle  n'oublia  pas  toutefois  les  lectures 
qu'elle  avait  faites.  «  Daniel,  se  dit-elle,  était  venu 
pour  être  spectateur  du  supplice  de  Suzanne,  et  celle 
que  tout  le  peuple  avait  condamnée,   un  seul   la  fit 


UNE    VIERGE    d'aNTIOCHE  5 

absoudre.  Peut-être  encore,  sous  Textérieur  d'un  loup, 
se  cache-t-il  une  brebis?  Le  Christ  a  aussi  ses  soldats, 
lui  qui  a  des  légions.  Peul-étre  encore  est-ce  le  bour- 
reau qui  est  entré  ;  allons,  mon  âme,  ne  crains  pas  ; 
c'est  celui  qui  fait  les  martyrs.  »  0  vierge,  votre  foi 
vous  a  sauvée!  Le  soldat  lui  dit  :  «  Ne  craignez  rien, 
je  vous   en  prie,  ma  sœur.  C'est  un  frère,   venu  ici 
pour  sauver  votre  àme  et  non  pour  la  perdre.  Sauvez- 
moi,  pour  que  vous-même  vous  soyez  sauvée.  Je  suis 
entré  ici  sous  les  dehors  d'un  adultère  ;  si  vous  voulez, 
j'en  sortirai  martyr  :  changeons  de  vêtements;  les 
miens  peuvent  vous  aller  et  les  vôtres  à  moi;  les  uns 
et  les  autres  conviendront  à  J.-C.  Votre  habit  fera  de 
moi  un  véritable  soldat,  et  le   mien  fera  de  vous  une 
vierge.    Vous  serez  bien    revêtue,    et   moi  je  serai 
assez  dégarni  pour  que  le  persécuteur  me  reconnaisse. 
Prenez  un  vêtement  qui  cachera  la  femme,  donnez- 
m'en  un  qui  me  sacrera  martyr.  Revêtez  la  chlamyde 
qui  déguisera  entièrement  la  vierge  et  qui  protégera 
votre  pudeur  :  prenez  ce  pileur  *pour  couvrir  vos  che- 
veux et  cacher  votre  visage.  On  rougit  ordinairement 
quand   0:1  est  entré  dans   un  mauvais  lieu.  Evitez, 
lorsque  vous  serez  sortie,  de  regarder  en  arrière  ;  en 
vous  rappelant  la  femme   de  Loth   qui   changea   de 
nature  pour  avoir  regardé  des  impudiques,  bien  qu'avec 
des  yeux  chastes  :  ne  craignez  point,  le  sacrifice  sera 
complet.  Je  m'offre  en  votre  place  comme  hostie  à 
Dieu  ;  vous,  vous  serez  en  ma  place  un  soldat  de  J.-C. 

'  Le  pileur  était   un   bonnet  en   feulrc  (poil)  que   portaient 
exclusivement  les  hommes. 

II.  1' 


6  LA    LÉGENDE    DOREE 

et  VOUS  lui  ferez  bon  service  de  chasteté;  Téternilé 
en  sera  la  solde  ;  vous  porterez  la  cuirasse  de  justice 
qui  couvre   le   corps    d'un   rempart   spirituel;  vous 
aurez  le  bouclier  de  la  foi,  pour  vous  parer  contre  les 
blessures,  vous  serez  couverte  du  casque  du  salut.  En 
effet,  où  se  trouve  J.-C.  là  est  notre  défense.  Puisque  le 
mari  est  le  chef  de  l'épouse,  J.-C.    est  le  chef  des 
vierges.  »  En  disant  ces  mots  il  s'est  dépouillé  de  son 
manteau  qui  lui  donnait  la  tournure  d'un  persécuteur 
et  d'un  adultère.  La  vierge  présente  la  tête,  le  sol- 
dat se  met  en  devoir  de  lui  offrir  son  manteau.  Ouelle 
pompe  que  celle-là  !  quelle  grâce  !  ils   luttent  à  qui 
aura  le  martyre  et  cela   dans  un   mauvais  lieu  !  Les 
deux  lutteurs  sont  un  soldat  et  une  vierge  :  c'est  dire 
qu'il  n'y  a  pas  parité  de  nature,  mais  la  miséricorde 
de  Dieu  les  a  rendus  égaux.  L'oracle  est  accompli  : 
«  Alors  les  loups  et  les  agneaux  paflront  ensemble  *.  » 
Voyez,  c'est  la  brebis,  c'est  le  loup  qui  ne  sont  pas 
seulement  dans  le  même  pâturage,  mais  qui  sont  sa- 
crifiés ensemble.  Que  dirai-je  encore?  Les  habits  sont 
échangés,  la  jeune  fille  s'envole  du  filet**,  mais  ce  n'est 
pas  de  ses  propres  ailes,  puis(ju'elle  est  portée  sur  les 
ailes  spirituelles  :  et  ce  qu'aucun  siècle  n'a  vu  encore, 
voici  une  vierge  de  J.-C.  qui  sort  du  lupanar.  Mais 
ceux-là  (jui   voyaient  par   les  yeux,  sans  voir  réelle- 
ment,  frémissent  comme  des  ravisseurs  en  présence 
d'une  brebis,  comme  des  loups  devant  leur  proie.  L'un 
d'eux,  plus  emporté   que  les  autres,  entra  ;  mais  dès 

*  Isaïe,  Lxxv,  25. 

**  Il  y   a  dans  ce   passade  des  allusions  sans  nombre  aux 
combats  antiques. 


> 


UNE    VIERGE    D^ANTIOCHE 


qu'il  a  constaté  de  ses  yeux  ce  qui  s'est  passé  :  «  Qu'est 
ceci?  dit-il;  c'est  une  jeune  fille  qui  est  entrée,  et  ce 
paraît  être  un  homme.  Ceci  n'est  pas  une  fable,  c'est 
la  biche,  à  la  place  de  la  vierge  *  :  mais  ce  qui  est 
certain,  c'est  une  vierge  qui  est  devenue  un  soldat.  J'a- 
vais bien  entendu  dire,  mais  je  n'avais  pas  cru  que 
le  Christ  a  changé,  l'eau  en  vin;  le  voici  qui  change 
même  le  sexe.  Sortons  d'ici  pendant  que  nous  sommes 
encore  ce  que  nous  avons  été.  Ne  serais-je  point  changé 
aussi  moi-même  qui  vois  autre  chose  que  je  ne  crois? 
Je  suis  venu  au  lupanar,  je  vois  quelqu'un  qui  repré- 
sentera la  condamnée  ;  et  puis  je  sortirai  changé  aussi  : 
je  m'en  irai  pur,  moi  qui  suis  entré  coupable.  Le  fait 
est  constaté,  la  couronne  est  due  à  ce  vainqueur  émi- 
nent.  Celui  qui  est  pris  pour  une  vierge  est  condamné 
à  la  place  de  la  vierge.  Ainsi  ce  n'est  pas  seulement 
une  vierge  qui  sort  du  lupanar,  il  en  sort  aussi  des 
martyrs. 

On  rapporte  que  la  jeune  fille  courut  au  lieu  du  sup- 
plice, et  que  tous  les  deux  combattirent  à  qui  subirait  la 
mort  :  Le  soldat  disait:  «  C'est  moi  qui  suis  condamné 
à  être  tué  ;  la  sentence  vous  absout,  et  elle  m'atteint.  » 
La  jeune  fille  s'écrie  :  «  Je  ne  vous  ai  pas  pris  pour 
être  caution  de  ma  mort;  mais  j'ai  souhaité  vous  avoir 
pour  protéger  ma  pureté.  Si  c'est  la  pudeur  qu'on 
veut  atteindre,  mon  sexe  reste.  Si  l'on  demande  du 
sang,  je  ne  désire  point  de  caution!  J'ai  de  quoi  me 
libérer.  La  sentence  est  pour  moi,  puisqu'elle  a  été  por- 


*  Une  biche  fut  substituée  à  Iphiiçénie,  quand    Ae^amcm- 
Don  voulut  sacrifier  sa  fille. 


8  LA   LÉGENDE    DOREE 

tée  contre  moi.  Certes,  si  je  vous  avais  donné  pour 
caution  d'une  somme  d'argent,  et  qu'en  mon  absence 
le  juge  vous  eût  fait  payer  ma  dette  au  prêteur,  vous 
pourriez  exiger  par  un  arrêt  que  je  vous  satisfasse 
au  dépens  de  mon  patrimoine.  Si  je  m'y  refusais,  qui 
ne  jugerait  ma  déloyauté  digne  de  mort  ?  à  plus  forte 
raison  dès  qu'il  s*agit  d'une  condajnnation  à  mort.  Je 
mourrai  innocente,  et  ne  prétends  pas  vous  nuire  par 
ma  mort.  Aujourd'hui  il  n'y  a  pas  de  milieu  :  ou  je  ré- 
pondrai de  votre  sang  versé,  ou  je  serai  martyre  avec 
mon  sang.  Si  je  suis  revenue  aussitôt,  qui  oserait  me 
chasser?  Si  j'eusse  tardé,  qui  oserait  m'absoudre?  La 
loi  doit  m'alteiiulre,  non  seulement  pour  ma  fuite, 
mais  aussi  pour  le  meurtre  d'aulrui.  Si  mes  membres 
ne  pouvaient  supporter  le  déshonneur,  ils  peuvent 
supporter  la  mort.  On  peut  trouver  dans  une  vierge 
un  endroit  oii  on  la  frappera,  quand  elle  n'en  avait 
pas  pour  être  flétrie  :  j'ai  fui  l'opprobre  et  non  le 
martyre.  Je  vous  ai  bien  cédé  mon  vêtement,  mais  je 
n'ai  pas  changé  de  qualité.  Que  si  vous  m'enlevez  la 
mort  vous  ne  m'avez  pas  rachetée,  vous  m'avez  cir- 
convenue. Gardez-vous  de  discuter,  je  vous  prie,  gar- 
dez-vous de  me  contredire.  Ne  m'enlevez  pas  un  bien- 
fait que  vous  m'avez  donné.  En  avançant  que  cette 
dernière  sentence  n'ait  pas  été  portée  contre  moi, 
vous  en  faites  revivre  une  autre.  Une  première  sen- 
tence est  infirmée  par  une  seconde.  Si  la  dernière  ne 
m'atteint  pas,  la  première  m'atteint.  Nous  pouvons 
exécuter  l'une  et  l'autre,  si  vous  me  laissez  être  tour- 
mentée tout  d'abord.  Sur  vous  on  ne  pourra  exercer 
un  autre  châtiment,  mais  sur  une  vierge  la  pudeur  s'y 


UNE    VIERGE    d'aNTIOCHE  9 

oppose.  Enfin  vous  retirerez  plus  de  gloire  pour  faire 
une  martyre  d'une  adultère,  que  pour  faire  une  adul- 
tère d'une  martyre.  »  —  Quel  dénouement  attendez- 
vous?  Ils  combattirent  à  deux  et  tous  deux  furent 
vainqueurs.  Au  lieu  d'une  couronne  à  partager,  deux 
furent  accordées.  C'est  ainsi  que  les  saints  martyrs  se 
secondaient  mutuellement,  l'une  ouvrait  à  l'autre  la 
porte  au  martyre,  celui-ci  lui  donna  de  le  réaliser. 

On  porte  aux  nues,  dans  les  écoles  des  philoso- 
phes *,  Damon  et  Pythias,  de  la  secte  de  Pythagore. 
L'un  d'eux,  condamné  à  mort,  demanda  le  temps  de 
mettre  ordre  à  ses  affaires.  Or,  le  tyran  plein  d'astuce, 
pensant  qu'on  ne  pourrait  plus  le  retrouver,  demanda 
une  caution  qui  serait  frappée  à  sa  place,  s'il  tardait  à 
revenir.  Je  ne  sais  ce  qu'on  doit  le  plus  admirer,  ni 
quelque  chose  de  plus  noble,  de  l'un  qui  trouve  quel- 
qu'un s'obligeant  à  le  représenter  pour  mourir,  ou  de 
l'autre  venant  s'offrir.  Mais  comme  le  condamné  tar- 
dait à  se  présenter  au  supplice,  son  répondant  vint 
avec  un  visage  calme,  et  ne  refusa  pas  de  subir  la  mort. 
On  le  conduisait  au  lieu  de  rexéculion,  quand  son  ami 
arrive;  celui-ci  vint  se  substituer  à  l'autre,  et  offrir  sa 
tète  au  bourreau.  Alors  le  Ivran,  vovant  avec  admi- 
ration  que  les  philosophes  estimaient  plus  l'amitié  que 
la  vie,  demanda  à  être  admis  en  tiers  dans  l'amitié  de 
ceux  qu'il  avait  condamnés  à  mort.  Tant  la  vertu  a 
d'attraits,  puisqu'elle  gagna  un  tyran!  Ces  faits  méri- 
tent des  louanges,   mais   ils   ne  l'emportent  pas  sur 


*  C.icéron,    De  officih^    lib.   III.  —   Valèrc-Mîixiiiie,    liv.  IV, 

C.  VII. 


10  LA    LÉGENDE    DOREE 

ceux  que  nous  venons  de  raconter.  Car  dans  ce  der- 
nier exemple,  ce  sont  deux  hommes,  dans  Tautre  on 
voit  une  vierge  qui,  tout  d'abord,  avait  même  son  sexe 
à  vaincre.  Ceux-ci  étaient  deux  amis  :  ceux-là  ne  se 
connaissaient  point  :  ceux-ci  se  présentèrent  devant 
un  seul  tyran  :  ceux-là  devantbeaucoup  de  tyrans  et  de 
plus  cruels  encore.  Le  premier  pardonna,  les  seconds 
tuèrent.  Entre  les  premiers,  il  y  avait  solidarité,  dans 
les  seconds  la  volonté  était  libre.  Il  y  eut  plus  de  pru- 
dence dans  ceux-ci,  parce  qu'ils  n'avaient  qu'un  but, 
la  conservation  de  l'amitié,  ceux-là,  ne  tendaient  qu'à 
avoir  la  couronne  du  martyre.  Ceux-ci  combattirent 
pour  les  hommes  ;  ceux-là  pour  le  Seigneur.  (Saint 
Ambroise.) 


SAINT  PIERRE,  MARTYR 

Pierre  signifie  connaissant,  ou  déchaussant.  Pierre  peut 
encore  venir  depetros,  ferme.  Par  là  on  comprend  les  trois  pri- 
vilèjçes  qui  distinguèrent  saint  Pierre  :  Premièrement,  car  il 
fut  un  prédicateur  remarquable,  de  là  la  qualité  de  connais- 
sant: parce  qu'il  posséda  une  connaissance  parfaite  des  Ecri- 
tures et  qu'il  connut  dans  sa  prédication  ce  qui  convenait  à 
chacun.  Secondement,  il  fut  vierge,  très  pur;  ce  qui  le  fait  dire 
déchaussant,  parce  qu*il  se  déchaussa  et  se  dépouilla  les  pieds 
de  ses  affections  de  tout  amour  mortel  :  de  sorte  qu'il  fut  vierge 
non  seulement  de  corps  mais  de  cœur.  Troisièmement,  il  fut 
martyr  glorieux  du  Seigneur  ;  d'où  le  nom  de  ferme,  parce  qu'il 
supporta  constamment  le  martyre  pour  la  défense  de  la  foi. 

Pierre,  le  nouveau  martyr  de  l'ordre  des  Prêcheurs, 
champion  distingué  de  la  foi,  fut  originaire  de  la  cité 


SAINT   PIERRE,    MARTYR  11 

de  Vérone  *.  Tel  qu'une  lumière  éclatante  jaillissant  de 
la  fumée,  qu'un  lys  qui  s'élance  des  ronces,  qu'une  rose 
vermeille  sortant  du  milieu  des  épines,  il  devint  un 
prédicateur  pénétrant  quoique  né  de  parents  aveu- 
glés par  l'erreur  :  il  fit  paraître  une  splendeur  virgi- 
nale de  sainteté  corporelle  et  spirituelle,  en  sortant 
d'une  souche  corrompue,  et  du  milieu  des  épines, 
c'est-à-dire  de  ceux  qui  étaient  destinés  à  Fenfer  il 
s'éleva  pour  être  un  noble  martyr.  En  effet  le  B.  Pierre 
avait  pour  parents  des  infidèles  et  des  hérétiques  et 
il  se  conserva  entièrement  pur  de  leurs  erreurs.  A  Tâge 
de  sept  ans,  un  jour  qu'il  revenait  de  l'école,  un  on- 
cle hérétique  lui  demanda  ce  qu'il  avait  appris  en 
classe.  Il  répondit  qu'il  avait  appris  :  «  Je  crois  en 
Dieu  le  père  tout-puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la 
terre...  Credo  hi  Deum.  »  «Ne  dis  pas,  lui  répliqua  son 
oncle,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre,  puisqu'il  n'est 
pas  le  créateur  des  choses  visibles,  mais  que  c'est  le 
diable  qui  a  créé  toutes  ces  choses  que  Ton  voit.  » 
Mais  Fenfant  lui  soutenait  qu'il  préférait  dire  comme 
il  avait  lu  et  croire  comme  il  l'avait  vu  écrit.  Alors  son 
oncle  s'efforça  de  le  convaincre  par  différentes  auto- 
rités :  or,  l'enfant,  qui  était  rempli  du  Saint-Esprit,  lui 

*  On  comprend  que  le  bienheureux  Jac(jues  de  Voraginc  ait 
traité  si  longuement  la  vie  d*un  saint  moine  de  sou  ordre,  que, 
sans  doute,  il  a  connu  lui-même,  car  saint  Pierre  fut  assas- 
siné en  1252.  Or,  Jacques  de  Voragine  prit  Thabil  de  domini- 
cain en  1244.  — Au  reste  les  Bollandistes  n*ont  pas  mis  moins 
de  23  pages  in-folio  pour  rapporter  les  miracles  du  saint  dont 
la  vie  a  été  écrite  par  Thomas  de  Leontio,  dominicain,  puis 
patriarche  de  Jérusalem,  lequel  a  vécu  longtemps  à  Vérone 
avec  le  saint. 


12  LA    LKGENDE    DORKE 

rétorqua  tous  ses  argumenls,  le  défit  avec  ses  propres 
armes  et  le  réduisit  au  silence.  Fort  indiofué  d'avoir 
été  confondu  par  un  enfant,  il  alla  rapporter  au  père 
tout  ce  qui  s'était  passé  entre  eux,  et  il  persuada  à 
celui-ci  de  retirer  son  enfant  de  l'école  :  «  Car  je  crains, 
ajoula-t-il,  que  quand  ce  petit  Pierre  aura  été  tout  à  fait 
instruit,  il  ne  tourne  vers  TEçlise  romaine  la  prostituée, 
et  qu'ainsi  il  ne  détruise  et  confonde  notre  croyance.  » 
Semblable  à  un  autre  Caïplie,  il  disait  vrai  sans  le  savoir, 
quand  il  prophétisait  que  Pierre  devait  détruire  la  perfi- 
die des  hérétiques  ;  mais  parce  que  tout  est  dirigé  par 
la  main  de  Dieu,  le  père  n'obtempéra  pas  aux  conseils 
de  son  frère  ;  il  espérait,  quand  son  fils  aurait  terminé 
son  cours  de  grammaire,  le  faire  attirer  à  sa  secte  par 
quelque  hérésiarque.  Mais  le  saint  enfant,  qui  ne  se 
voyait  pas  en  sûreté  en  habitant  avec  des  scorpions, 
renonça  au  monde  et  à  ses  parents  pour  entrer  pur 
dans  Tordre  des  frères  Prêcheurs.  Il  v  vécut  avec  une 
grande  ferveur,  au  rapport  du  pape  Innocent,  qui  dé- 
clare dans  une  de  ses  lettres  que  le  bienheureux  Pierre, 
dans  son  adolescence,  pour  éviter  les  prestiges  du 
monde,  entra  dans  Tordre  des  frères  Prêcheurs.  Après 
y  avoir  passé  près  de  trente  ans,  il  avait  atteint  au 
comble  de  toutes  les  vertus.  C'était  la  foi  qui  le  di- 
rigeait, Tespérance  qui  le  fortifiait,  la  charité  qui 
Taccompagnait.  Il  fit  tant  de  progrès  pour  se  rendre 
capable  de  défendre  la  foi  dont  il  était  embrasé,  que 
la  lutte  soutenue  par  lui  avec  intrépidité  et  chaleur 
pour  elle  contre  ses  adversaires,  était  de  tous  les  jours, 
et  (ju'il  consomma  ce  combat  sans  interruption  jus- 
qu'au moment  où  il  remporta  heureusement  la  victoire 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  13 

du  martyre.  Il  conserva  aussi  toujours  intacte  la  virgi- 
nité de  son  cœur  et  de  son  corps  :  jamais  il  ne  ressentit 
les  atteintes  du  péché  mortel,  coriTme  on  en  a  la  preuve 
par  la  déclaration  fidèle  de  ses  confesseurs  :  et  parce 
qu'un  esclave  délicatement  nourri  est  insolent  contre 
son  maître,  il  mortifia  sa  chair  par  une  frugalité  habi- 
tuelle dans  le  boire  et  dans  le  manger.  Pour  n'être  pas 
pris  au  dépourvu  par  les  attaques  ennemies,  il  consa- 
crait ses  instants  de  loisir  à  méditer  avec  assiduité  sur 
les  ordonnances  pleines  de  justice  de  Dieu  ;  en  sorte 
qu'occupé  entièrement  à  cet  exercice  salutaire,  il  n'avait 
pas  lieu  de  se  livrer  à  des  actions  défendues  et  tou- 
jours il  était  en  garde  contre  les  malices  du  démon. 
Après  avoir  donné  un  court  repos  à  ses  membres  fati- 
gués, il  passait  ce  qui  restait  de  la  nuit  à  étudier,  à 
lire,  et  à  veiller.  Il  employait  le  jour  aux  besoins  des 
âmes,  ou  à  la  prédication,  ou  à  entendre  les  confessions, 
ou  bien  à  réfuter  par  de  solides  raisons  les  dogmes 
empoisonnés  de  l'hérésie  ;  et  on  a  reconnu  qu'il  y  excel- 
lait par  un  don  particulier  de  la  grâce.  Sa  dévotion 
était  agréable,  son  humilité  douce,  son  obéissance 
calme,  sa  bonté  tendre,  sa  piété  compatissante,  sa  pa- 
tience inébranlable,  sa  charité  active,  sa  gravité  de 
mœurs  était  remarquable  en  tout  :  la  bonne  odeur 
de  ses  vertus  attirait  à  lui  :  il  était  attaché  profondé- 
ment à  la  foi,  et  comme  il  la  {pratiquait  avec  zèle,  il 
en  était  le  champion  brûlant.  11  l'avait  si  profondément 
gravée  dans  le  cœur,  et  s'y  soumettait  de  telle  sorte 
que  chacune  de  ses  œuvres,  chacune  de  ses  paroles 
reflétaient  cette  vertu.  Animé  du  désir  de  subir  la 
mort  pour  elle,  il  est  prouvé  que  ses  prières  fréquentes 


I 


14  LA    LÉGENDE    DORÉE 

et  assidues,  ses  supplications  ne  tendaient  qu'à  obte- 
nir du  Seigneur  de  ne  pas  permettre  qu'il  quittât  la 
vie  autrement  qu'en*buvant  pour  lui  le  calice  du  mar- 
tyre. Il  ne  fut  pas  trompé  dans  son  espoir. 

La  vie  de  saint  Pierre  fut  illustrée  par  de  nombreux 
miracles.  Un  jour,  il  examinait  à  Milan  un  évêque  héré- 
tique dont  s'étaient  saisis  les  fidèles.  Or,  beaucoup  d*é- 
vêques,  et  grand  nombre  de  personnes  de  la  ville  se 
trouvaient  là  ;  l'examen  s'élant  prolongé  fort  longtemps 
et  la  chaleur  excessive  accablant  tout  le  monde,  l'héré- 
siarque dit  en  présence  du  peuple  :  «  0  méchant  Pierre, 
si  tu  es  aussi  saint  que  le  prétend  cette  foule  stupide, 
pourquoi  te  laisses-tu  mourir  de  la  chaleur  et  ne  pries- 
tu  pas  le  Seigneur  d'interposer  un  nuage  afin  que  ce 
peuple  insensé  ne  succombe  pas  sous  ces  feux  ardents?  » 
Pierre  lui  répondit  :  «  Si  tu  veux  promettre  d'abjurer 
ton  hérésie  et  d'embrasser  la  foi  catholique,  je  prierai 
le  Seigneur,  et  il  fera  ce  que  tu  dis.  »  Alors  les  fau- 
teurs des  hérétiques  se  mirent  à  criera  l'envi  :  «  Pro- 
mets, promets,  »  car  ils  croyaient  impossible  que  la 
promesse  de  Pierre  fût  réalisable,  d'autant   qu'il  n'y 
avait  pas  en  l'air  l'apparence  du  moindre  nuage.  Les 
catholiques  furent  attristés,  dans  la  crainte  que  leur 
foi  n'en  ressentît  quelque  déshonneur.  Quoique  l'héré- 
tique n'eût  pas  voulu  s'engager,  saint  Pierre  dit  avec 
grande  confiance  :  «  Pour  preuve  que  le  vrai  Dieu  est 
créateur  des  choses  visibles  et  invisibles,  pour  la  con- 
solation des  fidèles  et  la  confusion  des  hérétiques,  je 
prie  Dieu  de  faire  monter  un  petit  nuage  qui  vienne 
s'interposer  entre  le  soleil  et  le  peuple.  »  Après  avoir 
fait  le  signe  de  la  croix,  il  obtint  ce  qu'il  avait  demandé  : 


\ 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  15 

pendant  Fespacc  d'une  grande  heure,  un  léger  nuage 
couvrit  le  peuple  qui  se  trouva  abrité  comme  sous  un 
pavillon.  —  Un  homme,  nommé  Asserbus,  qui  avait 
les  membres  retirés  depuis  cinq  ans,  et  qu'on  traînait 
par  terre  dans  un  boisseau,  fut  conduite  saint  Pierre, 
à  Milan.  Le  saint  fit  sur  lui  le  signe  de  la  croix,  et  le 
guérit.  —  Le  pape  Innocent  rapporte,  dans  la  lettre 
citée  plus  haut,  quelques  miracles  opérés  par  rentre- 
mise  du  saint.  Le  fils  d'un  noble  avait  dans  le  gosier 
une  tumeur  d'une  grosseur  horrible  ;  elle  Tempèchait 
de  parler  et  de  respirer;  le  bienheureux  leva  les  mains 
au  ciel,  et  fit  le  signe  de  la  croix  en  même  temps  que 
le  malade  s'était  couvert  du  manteau  de  saint  Pierre  ; 
ù  rinstant  il  fut  guéri.  Le  même  noble,  affligé  plus  tard 
de  violentes  convulsions  qu'il  craignait  devoir  lui  don- 
ner la  mort,  se  fit  apporter  avec  révérence  ce  même 
manteau  qu'il  avait  conservé  depuis  lors  ;  il  le  mit 
sur  sa  poitrine,  et  peu  après  il  vomit  un  ver  qui  avait 
deux  têtes  et  était  couvei^t  de  poils;  sa  guérison  fut 
complète.  —  Un  jeune  muet  auquel  il  mit  le  doigt 
dans  la  bouche  reçut  le  bienfait  de  la  parole;  sa  lan- 
gue avait  été  déliée.  Ces  miracles  et  bien  d'autres  en- 
core furent  dus  au  saint  auquel  le  Seigneur  accorda 
de  les  opérer,  pendant  sa  vie. 

Cependant  comme  la  contagion  de  l'hérésie  multi- 
pliait ses  ravages  toujours  croissants  dans  la  province 
de  la  Lombardie  et  dans  un  grand  nombre  de  villes, 
le  souverain  pontife,  pour  détruire  cette  peste  diabo- 
lique, délégua  plusieurs  inquisiteurs  de  Tordre  des 
frères  Prêcheurs,  dans  lesditférentes  partiesde  la  Lom- 
bardie. Mais  comme  à  Milan  les  hérétiques,  nombreux 


16  LA    LÉGENDE    DOREE 

et  appuyés  sur  la  puissance  séculière,  avaient  recours 
à  une  éloquence  frauduleuse  et  à   une  science  diabo- 
lique, le  souverain  pontife,  connaissant  pertinemment 
saint  Pierre  dont  le  cœur  magnanime  ne  se  laissait  pas 
épouvanter  par  la  multitude  des  ennemis,  appréciant 
en  outre  la  constance  de  son  courage  qui  le  faisait  ne 
pas  céder  même  dans  les  petites  choses  à  la  puissance 
des  adversaires,  informé  de  son  éloquence  au  moyen 
de  laquelle  il  démasquait  avec  facilité  les  ruses  des 
hérétiques,  n'ignorant  pas  non  plus  la  science  pleine 
et  entière  dans  les  choses  divines  avec  laquelle  il  ré- 
futait par  ses  raisonnements  les  paradoxes  des  héré- 
tiques, l'établit  dans  Milan  et  dans  son  comté  comme 
un  champion  intrépide   de  la  foi,  et,  de  sa  puissance 
plénière,  il  l'institua  son  inquisiteur,  comme  un  guer- 
rier infatigable   du  Seigneur.    Pierre  se  mit  alors  à 
exercer  ses  fonctions  avec  soin,  recherchant  partout 
les  hérétiques  auxquels  il  ne  laissait  aucun  repos  :  il 
les  confondait   tous  merveilleusement;  les  repoussait 
avec  autorité,  les  convainquait  avec  adresse,  en  sorte 
qu'ils  ne  pouvaient  résister  à  la  sagesse  et  à  l'Esprit 
qui  parlait  par  sa  bouche.  Les  hérétiques  désolés  pen- 
sèrent à  le  faire  mourir,  dans  l'espoir  de  vivre  tran- 
quilles, dès  lors  qu'ils  seraient  débarrassés  d'un  per- 
sécuteur si  puissant.  Or,  comme  ce  prédicateur  intré- 
pide, qui  bientôt  allait  être  un  martyr,  se  dirigeait  de 
Cumes  à  Milan  pour  rechercher  les  hérétiques,  il  gagna, 
dans  ce  trajet,  la  palme  du  martyre,  ainsi  que  le  pape 
Innocent  l'expose  en  ces  termes  :    «   En  sortant  de 
Cumes,  où  se  trouvait  un  prieuré  de  frères  de  son 
ordre,  pour  aller  à  Milan  afin  d'exercer  contre  les  héré- 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  17 

tiques  les  fonctions  d'inquisiteur  qui  lui  avaient  été 
confiées  par  le  Siège  apostolique,  selon  qu'il  l'avait 
prédit  dans  une  de  ses  prédications  publiques,  quel- 
qu'un d'entre  les  hérétiques,  gagné  par  prière  et  par 
argent,  se  jeta  avec  fureur  sur  le   saint  voyageur. 
C'était  le  loup  contre  l'agneau,  le  cruel  contre  l'homme 
doux,  l'impie  contre  le  saint,  la  fureur  contre  le  calme, 
la  frénésie  contre  la  modestie,   le  profane  contre  le 
saint  ;  il  simule  une  insulte,  il  éprouve  ses  forces,   il 
fait  des  menaces  de  mort,  il  assène  des  coups  atroces 
sur  le  chef  sacré  de  saint  Pierre,  il  lui  fait  d'affreuses 
blessures  ;  l'épée  est  toute  ruisselante  du  sang  de  cet 
homme  vénérable  qui  ne  cherche   pas  à  éviter  son 
ennemi  ;  mais  il  s'offre  de  suite  comme  une   hostie, 
souffrant  en  patience  les  coups  redoublés  de  son  bour- 
reau qui  le  laisse  mort  surla  place  (l'esprit  du  saint  était 
au  ciel),  et  qui,  dans  sa  fureur  sacrilège,  redouble  ses 
coups  sur  le  ministre  du  Seigneur.  Cependant  le  saint 
ne  poussait  aucune  plainte,  aucun  murmure  ;  il  souf- 
frait tout  avec  patience,  recommandant  son  esprit  au 
Seigneur  en  disant  :  «  In  manns  tuas.,.  Seigneur,  dans 
vos  mains,  je  remets  mon  esprit.  »  Il  commença  encore 
à  réciter  le  symbole  de   la  foi,   dont  il  avait   été   le 
Hérault  jusque-là,  ainsi  que  l'ont  rapporté  par  la  suite 
et  le  malheureux  qui  fut   pris  par  les  fidèles,  et  un 
frère  dominicain  son  compagnon,  qui  survécut  quel- 
ques jours  aux  coups   dont  il  avait  été   frappé  lui- 
même.  Mais  comme  le  martyr  du  Seigneur  palpitait 
encore,  le  cruel  bourreau  saisit  un  poignard  et  le  lui 
enfonça  dans  le  côté.  Or,  au  jour  de  son  martyre,  il 
mérita  en  quelque   sorte  d'être  confesseur,  martyr, 
n.  2 


18  LA    LÉGENDE    DOREE 

prophète  et  docteur.  Confesseur,  en  ce  qu'il  confessa 
avec  la  plus  éminente  constance  la  foi  de  J.-C,  au 
milieu  des  tourments,  et  en  ce  que,  ce  jour-là  même, 
après  avoir  fait  sa  confession  comme  de  coutume,  il 
offrit  à  Dieu  un  sacrifice  de  louange.  Martj^r,  en  ce 
qu'il  versa  son  sang  pour  la  défense  de  la  foi.  Pro- 
phète, car  il  avait  alors  la  fièvre  quarte,  et  comme 
ses  compagnons  lui  disaient  qu'ils  ne  pourraient  pas 
arriver  jusqu'à  Milan,  il  répondit  :  «  Si  nous  ne  pou- 
vons parvenir  jusqu'à  la  maison  de  nos  frères,  nous 
pourrons  recevoir  l'hospitalité  à  Saint-Simplicien.  » 
Ce  qui  arriva  :  car,  comme  on  portait  son  saint  corps, 
les  frères,  en  raison  de  la  foule  extraordinaire  de 
peuple,  ne  purent  le  conduire  jusqu'à  la  maison,  mais 
ils  le  déposèrent  à  Saint-Simplicien  où  il  resta  cette 
nuit-là.  Docteur,  eji  ce  que  pendant  qu'il  était  attaqué, 
il  enseigna  encore  la  vraie  foi  en  récitant  à  haute 
voix  le  svmbole  de  la  foi. 

Sa  passion  vénérable  paraît  encore  avoir  eu  plu- 
sieurs traits  de  ressemblance  avec  la  passion  de  Noire- 
Seigneur.  En  effet  J.-G.  souffrit  pour  la  vérité  qu'il 
prêchait,  Pierre  pour  la  vérité  de  la  foi  qu'il  défen- 
dait. J.-C.  souffrit  la  mort  du  peuple  infidèle  des  Juifs, 
Pierre,  de  la  foule  infidèle  des  hérétiques.  J.-C.  fut 
crucifié  au  temps  de  Pâques,  Pierre  souffre  le  mar- 
tyre dans  le  même  temps.  Le  Christ  souffrant  disait  : 
«  Seigneur,  en  vos  mains,  je  remets  mon  âme  »  ; 
Pierre  qui  était  tué  criait  les  mêmes  paroles,  J*.-C. 
fut  livré  pour  trente  deniers  afin  qu'il  fût  crucifié, 
Pierre  fut  vendu  pour  quarante  livres  de  Pavie  afin 
qu'il  fût  tué.  J.-C.  par  sa  passion  attira  à  la  foi  beau- 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  19^ 

coup  de  monde,  Pierre  par  son  martyre  convertit  une 
foule  d'hérétiques.  Et  quoique  cet  insigne  docteur 
el  ce  champion  de  la  foi  eût  amplement  déraciné  la 
croyance  empoisonnée  des  hérétiques  pendant  sa  vie, 
après  sa  mort  toutefois,  par  ses  mérites  et  les  miracles 
éclatants,  elle  fut  tellement  extirpée  que  beaucoup 
abandonnèrent  Terreur  pour  retourner  au  giron  de  la 
sainte  Église.  La  ville  de  Milan  et  son  comté,  où  se 
trouvaient  tant  de  conventicules  de  la  secte,  en  furent 
puisés  de  telle  sorte  que  les  uns  ayant  été  chassés^ 
les  autres  convertis  à  la  foi,  il  ne  s'en  trouva  plus 
aucun  qui  eût  l'audace  de  se  montrer  nulle  part.  Plu- 
sieurs même  d'entre  eux,  devenus  de  très  grands  et 
de  fameux  prédicateurs,  sont  entrés  dans  Tordre  des 
frères  Prêcheurs  et  aujourd'hui  encore,  ils  sont  les  ad- 
versaires courageux  des  hérétiques  et  de  leurs  fau- 
teurs. C'est  pour  nous  un  autre  Samson  qui  tua  plus 
de  Philistins  en  mourant,  qu'il  n'en  avait  occis  étant 
vivant.  C'est  le  grain  de  froment  tombé  sur  la  terre 
et  ramassé  par  les  mains  des  hérétiques,  qui  meurt 
et  rapporte  une  moisson  abondante.  C'est  la  grappe 
foulée  au  pressoir  qui  rejaillit  en  une  copieuse  liqueur  ; 
c'est  Tarome  pilé  dans  le  mortier  qui  en  répand  une 
plus  forte  odeur  ;  c'est  le  grain  de  sénevé  écrasé  qui 
offre  des  ressources  sans  nombre. 

Après  le  glorieux  triomphe  du  saint  héros,  Dieu  le 
rendit  illustre  par  de  nombreux  miracles  que  le  sou- 
verain Pontife  rapporte  en  petit  nombre.  Après  sa 
mort,  les  lampes  appenducs  à  son  tombeau  s'allumè- 
rent plusieurs  fois  d'elles-mêmes,  miraculeusement, 
sans  Taide  et  le  ministère  de  qui  que  ce  fût  :  parce 


f 


20  LA    LÉGENDE    DOREE 

qu'il  convenait  que  pour  celui  qui  avait  brillé  par  le 
feu  et  la  lumière  de  la  foi,  il  apparût  un  miracle  de 
feu  et  de  lumière.  —  Un  homme  qui  était  à  table 
dépréciait  sa  sainteté  et  ses  miracles,  il  prit,  en  témoi- 
gnage de  son  dire,  un  morceau  qu'il  ne  pourrait  ava- 
ler, s'il  faisait  mal  en  parlant  ainsi  :  aussitôt  il  sentit 
le  morceau  s'arrêter  dans  sa  gorge  sans  pouvoir  le  rc 
jeter  ni  l'avaler.  Il  se  repentit  de  suite  et  son  visage 
changeait  déjà  de  couleur,  lorsque,  sentant  les  appro- 
ches de  la  mort,  il  fit  vœu  de  ne  plus  proférer  à  l'a- 
venir de  semblables  paroles.  Il  rejeta  à  l'instant  ce 
nu»rceau  et  fut  guéri.  —  Une  femme  hydropique  ame- 
née par  son  mari  au  lieu  où  le  saint  avait  été  tué,  y  fit 
sa  prière  et  fut  guérie  tout  à  fait.  —  Il  délivra  des 
possédés  en  leur  faisant  rejeter  les  démons  avec  des 
flots  de  sang  ;  il  chassa  les  fièvres,  il  guérit  toutes  sor- 
tes de  maladies.  —  Un  homme  qui  avait  un  doigt  de 
la  main  gauche  percé  de  plusieurs  trous  d'une  fistule, 
fut  guéri  miraculeusement.  —  Un  enfant  avait  fait  une 
chute  si  grave  qu'on  le  pleurait  comme  mort;  le  mou- 
vement et  le  sentiment  avaient  disparu.  On  lui  mit  sur 
la  poitrine  de  la  terre  imprégnée  du  sang  précieux  du 
niartvr,  et  il  se  leva  tout  sain.  —  Une  femme  encore 
qui  avait  la  chair  rongée  d'un  cancer  fut  guérie,  après 
qu'on  eut  frotté  ses  plaies  avec  cette  même  terre.  Bien 
d'autres  infirmes  qui  se  firent  porter  au  tombeau  du 
saint  y  recouvrèrent  une  parfaite  santé  et  en  revinrent 
seuls. 

Lorsque  le  souverain  Pontife  Innocent  IV  eut  mis 
saint  Pierre  au  catalogue  des  saints,  les  frères  Prê- 
cheurs s'assemblèrent   en  chapitre  à  Milan  :  ils  vou- 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  21 

laient  placer  son  corps  dans  un  endroit  plus  élev»î,  et 
quoiqu'il  fût  resté  plus  d'une  année  sous  terre,  ils  le 
trouvèrent  sain  et  entier,  sans  aucune  mauvaise  odeur, 
comme  s'il  eût  été  enseveli  ce  jour-là  même.  Les  frè- 
res le  mirent  avec  grande  révérence  sur  une  estrade 
élevée  à  la  même  place,  et  il  fut  montré  entier  devant 
tout  le  peuple  qui  l'invoqua  avec  supplications.  Outre 
les  miracles  racontés  dans  là  lettre  précitée  du  souve- 
rain pontife,  il  y  en  eut  encore  plusieurs  autres  :  car 
souvent  quelques  religieux  et  d'autres  personnes  aper- 
çurent visiblement,  sur  le  lieu  de  son  martyre,  des 
lumières  descendant  du  ciel.  Au  milieu  de  ces  lumiè- 
res, ils  rapportèrent  qu'on  distingua  deux  frères  en 
habitde  frères  Prêcheurs.  —  Un  jeune  homme  no  ramé 
Gunfred,  ou  Guifred,  de  la  ville  de  Cumes,  possédait 
un  morceau  de  la  tunique  du  saint  ;  un  hérétique  lui 
dît,  en  forme  de  moquerie,  que,  s'il  croyait  à  la  sain- 
teté de  Pierre,  il  jetât  ce  morceau  dans  le  feu  ;  s'il 
ne  brûlait  point,  certainement  Pierre  était  saint,  et  lui- 
même  embrasserait  la  foi.  Tout  de  suite  Guifred  jeta 
le  morceau  sur  des  charbons  ardents  ;  mais  le  feu  le 
rejeta  en  l'air  ;  ensuite  le  même  morceau  retomba  sur 
les  charbons  enflammés  qui  furent  aussitôt  éteints. 
Alors  l'incrédule  dit  :  «  Il  en  sera  de  même  d'un  mor- 
ceau de  ma  tunique.  »  On  mit  donc  d'un  côté  le  mor- 
ceau de  la  tunique  de  l'hérétique  et  d'un  autre  côté 
le  morceau  de  la  tunique  de  saint  Pierre.  Or,  le  mor- 
ceau de  la  tunique  de  l'hérétique  n'eut  pas  plutôt  senti 
le  feu,  qu'il  fut  instantanément  consumé,  mais  le  mor- 
ceau de  celle  de  saint  Pierre  fut  maître  du  feu,  qui  s'é- 
ieignit,  et  pas  un  fil  de  ce  drap  ne  fut  endommagé.  A 
II.  2- 


22  LA    LÉGENDE  DOREE 

celte  vue,  Thérétique  rentra  dans  le  sentier  de  la  vérité 
et  publia  partout  ce  miracle.  — A  Florence,  un  jeune 
homme,  infecté  de  la  corruption  de  l'hérésie,  était  de- 
bout devant  un  tableau  où  était  représenté  le  martyre 
du  saint,  dans  Téglise  des  frères  de  Florence  ;  en 
voyant  le  malfaiteur  qui  le  frappait  avec  son  épée,  il 
dit  à  quelques  jeunes  gens  qui  se  trouvaient  avec  lui  : 
«  Si  j'avais  été  là,  .j'aurais  encore  frappé  plus  fort.  » 
Il  n'eut  pas  plutôt  parlé  ainsi  qu'il  devint  muet.  Et 
comme  ses  camarades  lui  demandaient  ce  qu'il  avait, 
et  qu'il  ne  pouvait  pas  leur  répondre,  ils  le  recondui- 
sirent chez  lui.  Mais  ayant  vu  sur  son  chemin  l'église 
de  saint  Michel,  il  s'échappa  des  mains  de  ses  compa- 
gnons et  entra  dans  l'église  où  il  pria  à  genoux  saint 
Pierre,  de  tout  son  cœur,  de  lui  pardonner,  en  faisant 
vœu,  comme  il  put,  que  s'il  était  délivré,  il  confesse- 
rait ses  péchés  et  abjurerait  toute  hérésie.  Alors  subi- 
tement il  recouvra  la  parole,  vint  à  la  maison  des 
frères,  où  après  avoir  abjuré  l'hérésie,  il  se  confessa, 
en  donnant  la  permission  à  son  confesseur  de  dire 
dans  ses  prédications  ce  qui  lui  était  arrivé.  Lui-même, 
au  milieu  d'un  sermon  fait  par  un  prêcheur,  raconta 
le  fait  devant  toute  l'assistance.  — Un  vaisseau,  en 
pleine  mer,  allait  faire  naufrage  :  il  était  furieusement 
ballotté  par  les  flots,  la  nuit  était  noire  ;  les  matelots 
se  recommandaient  à  tous  les  saints  ;  mais  ne  vovant 
pas  d'espoir  de  salut  ils  craignaient  fort  d'être  perdus, 
quand  l'un  d'eux,  qui  était  de  Gênes,  fit  taire  les  au- 
tres et  parla  ainsi  :  «  Mes  frères,  est-ce  que  vous  n'a- 
vez pas  entendu  raconter  qu'un  frère  de  l'ordre  des 
Prêcheurs,  appelé  frère  Pierre,  a  été  tué  parles  héré- 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  23 

tiques  il  nV  a  pas  longtemps  pour  la  défense  delà  foi 
catholique,  et  que  par  son  entremise  le  Seigneur  opère 
beaucoup  de  miracles.  Eh  bien  !  en  ce  moment,  im- 
plorons sa  protection  avec  grande  piété,  car  j'espère 
que  nous  ne  serons  pas  déçus  dans  notre  demande.  » 
Tous  s'accordentà  invoquer  le  secours  de  saint  Pierre  : 
Et  pendant  qu'ils  priaient,  la  vergue  qui  tient  la  voile 
parut  toute  pleine  de  cierges  allumés;  l'obscurité  dis- 
paraît devant  l'éclat  de  ces  flambeaux  et  la  nuit  qui 
était  affreusement  noire  est  changée  en  un  jour  très 
clair.  Comme  ils  regardaient  en  haut,  ils  virent  un 
homme  en  habit  de  frère  Prêcheur  debout  sur  la  voile, 
et  il  n'y  eut  aucun  doute  que  ce  ne  filt  saint  Pierre. 
Or,  ces  matelots  arrivés  sains  et  saufs  à  Gènes  vinrent 
à  la  maison  des  frères  Prêcheurs  où,  après  avoir  rendu 
grâces  à  Dieu  et  à  saint  Pierre,  ils  racontèrent  tous 
les  détails  de  ce  miracle.  —  Une  femme  de  la  Flandre 
avait  eu  déjà  trois  enfants  morts-nés,  et  son  mari 
l'avait  prise  en  dédain  ;  elle  pria  saint  Pierre  de  venir 
à  son  aide.  Elle  mit  au  monde  un  quatrième  fils  qui 
fut  aussi  trouvé  mort.  Sa  mère  le  prit  et  supplia  de 
tout  son  cœur  saint  Pierre  de  vouloir  rendre  la  vie 
à  son  fils  et  d'exaucer  ses  ardentes  prières.  A  peine 
avait-elle  terminé  que  l'enfant  reprit  la  vie.  On  le 
porta  donc  au  baptême,  et  on  convint  de  l'appeler 
Jean  ;  mais  le  prêtre  au  moment  de  prononcer  le  nom 
de  l'enfant,  sans  le  savoir,  le  nomma  Pierre  :  ce  qui 
dans  la  suite  lui  fit  avoir  grande  dévotion  à  ce  saint. 
Dans  la  province  de  Teulonie,  à  Ulrechl,  des  femmes, 
occupées  à  filer  sur  la  place,  virent  un  grand  concours 
lie  peuple  à  l'église  des  Frères  Prêcheurs,  en  l'honneur 


e 


24  LA    LÉGENDE    DOREE 

de  saint  Pierre,  martyr.  Elles  dirent  à  ceux  qui  étaient 
là  :  «  Oh!  ces  Prêcheurs!  ils  savent  tous  les  moyens  de 
gagner  de  Targenl;  car  pour  en  amasser  une  grosse 
somme,  et  pour  bâtir  de  grands  palais,  ils  ont  trouvé 
un  nouveau  martyr.  »  En  disant  cela  et  autres  choses 
semblables,  voici  tout  à  coup  que  leur  fil  est  tout  cou- 
vert de  sang,  et  les  doigts  avec  lesquels  elles  filaient 
en  sont  tout  couverts.  A  cette  vue,  elles  furent  éton- 
nées et  s'essuyèrent  les  doigts  avec  précaution  dans 
la  crainte  de  s'y  être  fait  quelque  coupure  :  mais  quand 
elles  virent  tous  leurs  doigts  entièrement  sains,  et  le 
fil  ensanglanté  de  la  sorte,  elles  eurent  peur  et  se  repen- 
tirent :  «  Vraiment,  dirent-elles,  nous  avons  mal  parlé 
du  sang  d'un  précieux  martyr  et  c'est  pour  cela  que 
ce  miracle  si  extraordinaire  nous  est  arrivé.  »  Elles 
coururent  donc  à  la  maison  des  Frères,  et  exposèrent 
le  tout  au  prieur  en  lui  montrant  le  fil  plein  de  sang. 
Or,  le  prieur,  à  la  sollicitation  d'un  grand  nombre  de 
personnes,  convoqua  le  peuple  à  un  sermon  solennel, 
et  rapporta  en  présence  de  son  auditoire  tout  ce  qui 
était  arrivé  à  ces  femmes;  il  montra  même  le  fil  ensan- 
glanté. Alors  un  maître  de  grammaire,  qui  assistait  à 
la  prédication,  se  mit  à  se  moquer  beaucoup  de  ce  fait 
et  à  dire  à  ceux  qui  se  trouvaient  là  :  «  Voyez  donc, 
comme  ces  frères  trompent  les  cœurs  des  gens  sim- 
ples. Ils  se  sont  entendus  avec  quelques  femmelettes  de 
leurs  amies,  leur  oui  dit  de  teindre  leur  fil  dans  du 
sang,  et  ils  racontent  cela  comme  un  miracle.  »  A 
peine  il  finissait  de  parler  qu'il  fut  frappé  par  la  ven- 
geance divine  :  la  fièvre  le  saisit  vis-à-vis  de  tous, 
d'une  manière  si  violente  que  ses  amis  furent  obligés 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  23 

de  le  porter  de  l'églisie  en  sa  maison.  Mais  là  fièvre 
devenant  de  plus  en  plus  forte,  il  eut  peur  de  mourir 
de  suite,  fit  appeler  le  susdit  prieur,  et  après  avoir 
confessé  sa  faute,  il  fit  vœu  à  Dieu  et  à  saint  Pierre 
que  si,  par  ses  mérites,  il  recouvrait  la  santé,  il  au- 
rait toujours  envers  lui  une  dévotion  spéciale  et  qu'il 
ne  dirait  jamais  plus  pareilles  sottises.  Chose  merveil- 
leuse! Il  n'eut  pas  plutôt  fait  ce  vœu  qu'il  fut  entiè- 
rement guéri.  —  Une  fois,  le  sous-prieur  de  celte 
même  maison  conduisait  dans  un  bateau  de  magni- 
fiques et  grosses  pierres  pour  la  construction  de  la 
dite  église;  le  bateau  toucha,  à  Timproviste,  le  rivage, 
de  sorte  qu'on  ne  pouvait  le  dégager.  Tous  les  mate- 
lots étaient  descendus  et  s'étaient  mis  ensemble  à 
pousser  le  bateau,  mais  sans  pouvoir  le  remuer.  Ils 
croyaient  le  bâtiment  perdu,  quand  le  sous-prieur  les 
fit  tous  mettre  de  côté  et  approcha  la  main  du  bateau 
qu'il  poussa  légèrement  en  disant  :  «  Au  nom  de  saint 
Pierre  martyr,  pour  l'honneur  duquel  nous  portons 
ces  pierres,  va.  »  Aussitôt  le  bateau  s'ébranla  avec  vi- 
tesse, s'éloigna  du  rivage.  Les  matelots  tout  joyeux 
montèrent  et  gagnèrent  leur  chantier. 

Dans  la  province  de  France,  en  la  ville  de  Sens, 
une  jeune  fille  qui  passait  dans  l'eau  fut  entraînée 
par  le  courant,  y  tomba  et  resta  longtemps  dans  la 
rivière;  enfin  elle  en  fut  retirée  morte.  Il  y  avait  qua- 
tre causes  de  mort  :  le  long  espace  de  temps,  le  corps 
raide,  froid  et  noir.  Quelques  personnes  la  portèrent 
à  l'église  des  Frères,  firent  un  vœu  à  saint  Pierre,  et 
aussitôt  elle  revint  à  la  vie  et  à  la  santé.  —  Frère 
Jean,  Polonais,  souffrait  de  la  fièvre  quarte  à  Bologne  : 


26  LA    LÉGENDE   DOREE 

il  devait,  le  jour  de  la  fête  de  saint  Pierre,  adresser  un 
sermon  au  clergé  ;  comme  il  s'attendait  à  avoir  son 
accès  cette  nuit-là,  d'après  le  cours  ordinaire  de  la 
fièvre,  il  eut  grande  peur  de  manquer  le  sermon  qu'il 
avait  reçu  ordre  de  prononcer.  Mais  ayant  eu  recours 
aux  suffrages  de  saint  Pierre,  à  l'autel  duquel  il  vint 
prier  afin  de  recevoir  secours  de  celui  dont  il  devait 
publier  la  gloire,  cette  nuit-là  même,  la  fièvre  le  quitta 
et  dans  la  suite  il  n'en  éprouva  plus  jamais  les  atta- 
ques. —  Une  (lame  nommée  Girolda,  femme  de  Jac- 
ques de  Vausain,  était  obsédée  depuis  quatorze  ans 
par  des  esprits  immondes  :  elle  vint  dire  à  un  prêtre  : 
«  Je  suis  démoniaque,  et  l'esprit  malin  me  tourmente.  » 
A  l'instant  le  prêtre  saisi  s'enfuit  à  la  sacristie,  y  prit 
le  livre  dans  lequel  se  trouvent  les  cxorcismes,  avec 
une  étole  qu'il  cacha  sous  sa  coule  :  il  revint  avec 
bonne  société  trouver  la  femme  qui  ne  l'eut  pas  plutôt 
aperçu  qu'elle  dit  :  «  Larron  infâme,  où  as-tu  été? 
Qu'est-ce  que  tu  portes  caché  sous  ta  coule?  »  Mais 
le  prêtre  faisait  ses  conjurations  et  n'apportait  aucun 
soulagement,  cette  femme  alors  vint  trouver  le  bien- 
heureux Pierre,  car  il  vivait  encore,  et  lui  demander 
secours.  Il  lui  répondit  en  forme  de  prophétie  :  a  Con- 
fiance, ma  fille,  ne  désespérez  point;  car  si  je  ne  puis 
à  présent  faire  ce  que  vous  me  demandez,  il  viendra 
cependant  un  temps  où  ce  que  vous  demandez  de 
moi,  vous  Tobtiendrez  complètement.  »  Ce  qui  arriva 
en  effet  :  car,  après  son  martyre,  cette  femme  étant 
venue  à  son  tombeau,  fut  entièrement  délivrée  du  tour- 
ment de  ces  démons.  —  Une  femme  nommée  Euphé- 
mie  de  Corrion;^o,  dans  le  diocèse  de  Milan,  fut  tour- 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  27 

nientée  du  démon  pendant  sept  ans.  Quand  on  Tamena 
au  tombeau  de  saint  Pierre;  les  démons  se  mirent  à 
l'agiter  davantage,  et  à  crier  par  sa  bouche  de  manière 
à  être  entendus  de  tous  :  «  Mariole,  Mariole,  Pierrot, 
Pierrot.  »  Alors  les  démons  sortirent  et  la  laissèrent 
pour  morte;  mais  elle  se  leva  guérie  un  instant  après. 
Elle  assurait  que  principalement  les  jours  de  diman- 
che et  de  fête,  et  surtout  lors  de  la  célébration  de  la 
messe,  les  démons  la  tourmentaient  davantage.  —  Une 
femme  appelée  Vérone,  de  Bérégno,  fut  tourmentée 
pendant  six  ans  par  les  démons  ;  elle  fut  conduite  au 
tombeau  de  saint  Pierre,  et  c'était  à  peine  que  beau- 
coup d'hommes  pouvaient  la  contenir.  Parmi  eux  se 
trouvait  un  hérétique,  nommé  Conrad,  de  Ladriano, 
venu  là  pour  se  rire  des  miracles  de  saint  Pierre.  Or, 
comme  il  tenait  cette  femme  avec  les  autres,  les  dé- 
mons lui  dirent  par  la  bouche  de  la  femme  :  «  Pour- 
quoi nous  tiens-tu  ?  n'es-tu  pas  des  nôtres?  Ne  t'avons- 
nous  pas  porté  à  tel  endroit  où  lu  as  commis  tel  homi- 
cide? Ne  t'avons-nous  pas  conduit  en  tel  et  tel  lieu, 
où  tu  as  commis  telle  et  telle  infamie  ?  »  Et  comme 
ils  lui  révélaient  beaucoup  de  péchés  que  nul  autre  que 
lui  seul  ne  connaissait,  il  fut  fort  épouvanté.  Alors 
les  démons  écorchèrent  le  cou  et  la  poitrine  de  la 
femme  qu'ils  laissèrent  à  demi  morte  en  sortant  ;  mais 
vpeu  après  elle  se  leva  guérie.  Pour  ce  Conrad,  quand 
il  vit  cela,  il  en  fut  stupéfait  et  il  se  convertit  à  la  foi 
catholique. 

Un  hérétique,  très  fin  raisonneur,  d'une  éloquence 
singulière,  discutait  avec  saint  Pierre  et  exposait  ses 
erreurs  avec  subtilité  et  esprit  ;  il  pressait  audacieu- 


28  LA    LÉGENDE    DOREE 

sèment  le  saint  de  répondre  à  ses  arguments.  Celui-ci 
demanda  à  réfléchir,  et  alla  dans  un  oratoire  qui  était 
proche  prier  Dieu  de  défendre  la  cause  de  sa  foi,  et 
de  réduire  à  la  vérité  ce  parleur  orgueilleux,  ou  de 
le  punir  en  le  privant  de  Tusagc  de  la  parole,  de  peur 
qu'il  ne  s'enflât  d'orgueil  contre  la  vraie  foi.  Puis 
revenant  à  Thérétique,  il  lui  dit  en  présence  de  l'as- 
semblée d'exposer  ses  raisons  de  nouveau.  Mais  cet 
homme  fut  pris  d'un  tel  mutisme  qu'il  ne  put  pro- 
noncer un  seul  mot.  Alors  les  hérétiques  se  reti- 
rèrent confus  et  les  catholiques  rendirent  grâces  à 
Dieu.  —  Un  homme  nommé  Opiso,  hérétique  crédule, 
était  venu  à  Téglise  des  frères,  à  l'occasion  d'une  héré- 
tique de  ses  cousines  qui  était  forcenée.  Arrivé  au 
tombeau  de  saint  Pierre,  il  y  vit  deux  deniers  qu'il 
prit  en  disant  :  «  C'est  bon,  allons  les  boire  »  :  et  à 
l^instant  il  fut  saisi  d'un  tremblement  tel  qu'il  ne  put 
en  aucune  manière  se  retirer  de  là.  Effrayé,  il  remit 
les  deniers  à  leur  place  et  s'en  alla.  Mais  reconnaissant 
la  vertu  de  saint  Pierre,  il  abandonna  l'hérésie,  et  se 
convertit  à  la  foi  catholique.  —  Il  y  avait  en  Alle- 
magne, au  monastère  d'Octembach,  diocèse  de  Cons- 
tance, une  religieuse  de  l'ordre  de  saint  Sixte,  qui, 
depuis  un  an  et  plus,  souffrait  de  la  goutte  au  genou  : 
aucun  remède  ne  l'avait  pu  guérir.  Comme  il  lui  était 
impossible  de  visiter  de  corps  le  tombeau  de  saint 
Pierre  (car  elle  était  sous  obédience,  et  la  maladie 
très  grave  dont  elle  était  atteinte  l'en  empêchait),  elle 
pensa  du  moins  à  visiter  ledit  tombeau  par  un  pèle- 
rinage mental  avec  une  attentive  dévotion.  Elle  apprit 
qu'on  pouvait  aller  en  treize  jours  à  Milan  du  lieu  où 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  29 

elle  se  trouvait;  tous  les  jours,  pour  chaque  journée 
de  voyage,  elle  récitait  cent  Pater  noster  en  l'honneur 
de  saint  Pierre.  Manière  mer\'eilleuse  !  A  mesure 
qu'elle  faisait  ce  pèlerinage  mental,  successivement, 
toujours  et  peu  à  peu  elle  commença  à  se  trouver 
mieux.  Quand  elle  eut  atteint  sa  dernière  journée  et 
qu'elle  fut  parvenue  mentalement  au  tombeau,  elle  se 
mit  à  genoux  comme  si  réellement  elle  Teût  eu  devant 
elle,  récita  tout  le  Psautier  avec  une  très  grande  dévo- 
tion. Sa  lecture  achevée,  elle  se  sentit  tellement  déli- 
vrée de  son  infirmité  qu'elle  n'en  ressentait  plus 
presque  rien.  Elle  revint  de  la  même  manière  qu'elle 
était  allée  et  avant  d'avoir  terminé  toutes  ses  journées, 
elle  fut  complètement  guérie.  —  Un  homme  de  Cana- 
picio  de  la  villa  Mazzati,  nommé  Rufin,  tomba  grave- 
ment malade  :  il  avait  une  veine  rompue  dans  les 
parties  basses  du  devant,  d'où  il  découlait  sans  cesse 
du  sang  ;  aucun  médecin  n'y  avait  pu  apporter  remède. 
Or,  après  six  jours  et  six  nuits  d'écoulement  continu, 
cet  homme  invoqua  avec  dévotion  saint  Pierre  à  son 
secours  :  sa  guérison  fut  si  instantanée  qu'entre  sa 
prière  et  sa  délivrance,  il  ny  eut  presque  aucun  inter- 
valle. Or,  comme  il  s'endormait,  il  vil  un  frère  en  ha- 
bit de  frère  Prêcheur,  gros  et  brun  de  figure,  qu'il 
pensa  être  le  compagnon  de  saint  Pierre  martyr,  par- 
ce qu'il  avait  réellement  cette  tournure.  Ce  frère  lui 
présentait  ouvertes  ses  mains  pleines  de  sang  avec 
un  onguent  d'agréable  odeur,  et  disait  :  «  Le  sang 
est  encore  frais  :  viens  donc  à  ce  sang  tout  frais  de 
saint  Pierre.  »  Le  malade  à  son  réveil  alla  visiter  le 
tombeau  du  saint.  —  Certaines  comtesses  du  château 


30  LA  légrndf:  dorée 

Massin,  au  diocèse  d'Ypozença,  avaient  une  dévotion 
spéciale  en  saint  Pierre  ;  elles  jeûnaient  la  veille  de  sa 
fête.  Étant  venues  pour  assister  aux  vêpres  dans  une 
éçlise  qui  lui  était  dédiée,  une  d'elles  mit  brûler  une 
chandelle  en  l'honneur  de  saint  Pierre  martyr  devant 
un  autel  du  saint  apôtre.  Quand  elles  furent  rentrées 
chez  elles,  le  prêtre  par  avarice  souffla  et  éteignit  le 
cierge  ;  mais  tout  de  suite  la  lumière  reprit  et  s'alluma 
de  nouveau.  Il  voulut  l'éteindre  une  seconde  et  une 
troisième  fois,  mais  elle  se  ralluma  toujours.  Agacé 
de  cela,  il  entra  dans  le  chœur  et  trouva  devant  le 
maître-autel  un  cierge  qu'y  avait  déposé  un  clerc  en 
l'honneur  de  saint  Pierre,  dont  il  passait  la  vigile  en 
jeûnant.  Deux  fois  le  prêtre  voulut  l'éteindre  sans  le 
pouvoir.  Le  clerc  irrité  dit  en  voyant  cela  :  «  Diable  ! 
est-ce  que  vous  ne  voyez  pas  là  un  miracle  évident, 
et  que  saint  Pierre  ne  veut  pas  que  vous  éteigniez 
son  cierge?  »  Alors  le  prêtre  et  le  clerc  ébahis  mon- 
tèrent au  château  et  racontèrent  à  tous  ce  miracle.  — 
Un  homme  du  nom  de  Roba,  de  Méda,  avait  tout 
perdu  au  jeu,  jusqu'à  ses  habils  :  en  revenant  le  soir 
chez  soi  avec  une  lanterne  allumée,  il  alla  à  son  lit  et 
se  voyant  si  mal  vêtu  après  de  si  grandes  pertes,  il  se 
mit,  de  désespoir,  à  invoquer  les  démons  et  à  se  re- 
commander à  eux  avec  des  paroles  infâmes.  Aussitôt 
se  présentèrent  trois   démons  qui,  jetant  la  lumière 
allumée  dans  la  chambre,  le  saisirent  au  cou  où  ils  le 
serrèrent  si  fort  qu'il  ne  pouvait  absolument  pas  par- 
ler. Et  comme  ils  le  secouaient  vivement,  ceux  qui 
étaient  à  l'étage  au-dessous  montèrent  chez  lui  et  lui 
dirent  :  a  Qu'y  a-t-il,  que  fais-tu,  Roba?  »  Les  démons 


\ 


SAINT    PIERRE,    MARTYR  31 

leur  répondirent  ;  «  Allez,  soyez  tranquilles,  et  cou- 
chez-vous. »  Ces  personnes  croyant  que  c'était  la  voix 
de  Roba  se  retirèrent  tout  aussitôt.  Quand  elles  furent 
parties,  les  démons  recommencèrent  à  Tagiter  plus 
violemment  encore.  Les  voisins,  qui  comprirent  ce  qui 
se  passait,  allèrent  de  suite  chercher  un  prêtre  :  celui- 
ci  n'eut  pas  plutôt  adjuré  les  démons,  au  nom  de  saint 
Pierre,  que  deux  esprits  malins  sortirent  à  Tinstanl. 
Le  lendemain,  on  amena  Roba  au  tombeau  de  saint 
Pierre.  Frère  Guillaume  de  Verceil  s'approcha  et  se 
mit  à  faire  des  reproches  au  démon.  Alors  Roba,  qui 
n'avait  jamais  vu  le  frère,  l'appela  par  son  nom  : 
«  Frère  Guillaume,  lui  dit-il,  ce  ne  sera  pas  toi  qui 
me  feras  jamais  sortir,  parce  que  cet  homme  est  le 
nôtre  et  fait  nos  œuvres,  »  Le  frère  lui  ayant  demandé 
son  nom  :  «  Je  m'appelle  Balcéfas,  lui  répondit-il.  » 
Cependant,  quand  il  eut  été  adjuré  au  nom  de  saint 
Pierre,  il  jeta  Roba  par  terre  et  s'en  alla  de  suite.  Roba 
fut  parfaitement  délivré,  et  accepta  une  salutaire  péni- 
tence. —  Le  jour  des  Rameaux,  saint  Pierre  prêchait 
à  Milan  devant  un  auditoire  très  nombreux  composé 
d'hommes  et  de  femmes  :  il  dit  publiquement  et  à 
haute  voix  :  «  Je  sais  de  science  certaine  que  les  héré- 
tiques trament  ma  mort  :  déjà  pour  cela  l'argent  est 
donné.  Mais  qu'ils  fassent  tout  ce  qu'ils  peuvent,  je 
les  persécuterai  plus  vivement  mort  que  vif.  »  Ce 
qui  se  réalisa.  —  A  Florence,  au  monastère  des  Rives, 
une  religieuse  était  en  oraison  le  jour  que  saint  Pierre 
souffrit  la  mort  :  elle  vit  la  Sainte  Vierge  assise  dans 
la  gloire  sur  un  trône  élevé,  et  deux  frères  de  l'ordre 
des  Prêcheurs  montant  au  ciel,   qui  furent  placés  de 


i 


32  LA    LEGENDE    DOREE 

chaque  côté  de  la  Vierge  Marie.  Comme  elle  s'infor- 
mait quels  ils  étaient,  elle  entendit  une  voix  lui  dire  : 
«  C'est  le  frère  Pierre  qui  monte  glorieux  comme  un 
parfum  d'aromates  en  présence  du  Seigneur.  »  Et  il 
fut  vérifié  que  saint  Pierre  fut  tué  ce  jour-là  même 
que  la  religieuse  eut  cette  vision.  Or,  comme  depuis 
longtemps  elle  souffrait  d'une  maladie  grave,  elle  se 
mit  en  dévotion  à  prier  saint  Pierre  et  reçut  bientôt 
santé  entière.  —  Un  écolier  qui  revenait  de  Mague- 
lonne  à  Montpellier,  en  faisant  un  saut,  se  rompit  à 
Faine  au  point  de  se  faire  grand  mal  et  de  ne  pouvoir 
avancer  un  pas.  Entendant  dire  qu'une  femme  avait 
étendu  de  la  terre  arrosée  du  sang  de  saint  Pierre  sur 
un  cancer  qui  lui  rongeait  les  chairs  :  «  Seigneur 
Dieu,  dit-il,  je  n'ai  point  de  cette  terre,  mais  vous 
avez  donné  tant  de  mérite  à  cette  terre,  vous  pouvez 
bien  aussi  en  donner  à  celle-ci.  »  Il  prit  donc  de  la 
terre,  fit  le  signe  de  la  croix,  invoqua  le  martyr,  et 
la  mit  sur  l'endroit  malade  et  aussitôt  il  fut  guéri.  — 
L'an  du  Seigneur  1239,  il  y  avait  à  Compostelle  un 
homme  nommé  Benoît  dont  les  jambes  étaient  enflées 
comme  des  outres,  le  ventre  comme  celui  d'une  femme 
enceinte,  la  figure  horriblement  bouffie,  et  tout  le 
corps  gonflé  de  telle  sorte  qu'on  eût  cru  voir  un 
monstre.  Comme  il  avait  peine  à  se  soutenir  sur  un 
bâton,  il  demanda  l'aumône  à  une  dame  qui  lui  répon- 
dit :  «  Tu  aurais  plus  besoin  d'une  fosse  que  de  tout  autre 
bien,  mais  suis  mon  conseil  ;  va  au  couvent  des  frères 
Prêcheurs,  confesse  les  péchés,  et  invoque  le  patro- 
nage de  saint  Pierre.  »  Il  vint  donc  le  matin  à  la  mai- 
son des  frères  dont  il  trouva  la  porte  fermée.  II  se 


SAINT   PHILIPPE,    APOTRE  33 

mit  devant  et  s*endormît.  Et  voici  qu'un  homme  véné- 
rable, habillé  comme  les  frères  Prêcheurs,  lui  appa- 
rut, le  couvrit  de  son  manteau  et  le  fit  entrer.  Celui- 
ci,  à  son  réveil,  se  trouva  être  dans  Téglîse  et  vit  qu'il 
était  guéri  parfaitement.  L'admiration  et  la  stupeur 
furent  générales  quand  on  vit  un  homme  près  de 
mourir,  sitôt  guéri  d'une  pareille  infirmité. 


SAINT  PHILIPPE,  APOTRE 

Philippe  sigQÎfîe  bouche  de  lampe,  ou  bouche  des  mains  : 
ou  bien  il  vient  de  philos,  amour,  et  uper,  au-dessus,  qui  aime 
les  choses  supérieures.  Par  bouche  de  lampe,  on  entend  sa 
prédication  brillante  ;  par  bouche  des  mains,  ses  bonnes  œuvres 
continuelles  ;  par  amour  des  choses  supérieures,  sa  contem- 
plation céleste. 

Saint  Philippe,  apôtre,  après  avoir  prêché  vingt  ans 
en  Scy  thie,  fut  pris  par  les  païens  qui  voulurent  le  for- 
cer à  sacrifier  devant  une  statue  de  Mars.  Mais  aussitôt, 
il  s*élança  de  dessous  le  piédestal  un  dragon  qui  tua 
le  fils  du  pontife  employé  à  porter  le  feu  pour  le  sacri- 
fice, deux  tribuns  dont  les  soldats  tenaient  Philippe 
dans  les  chaînes  :  et  son  souffle  empoisonna  les  autres 
à  tel  point  qu'ils  tombèrent  tous  malades.  Et  Philippe 
dit  :  (f  Croyez-moi,  brisez  cette  statue,  et  à  sa  place 
adorez  la  croix  du  Seigneur,  afin  que  vos  malades 
soient  guéris  et  que  les  morts  ressuscitent.  »  Mais 
ceux  qui  étaient  soufl'rants  criaient  :  «  Faites-nous 
seulement  guérir,  et  de  suite  nous  briserons  ce  Mars.  » 
II.  3 


•H  LA    LÉGENDE    DOREE 

l^hilippe  commanda  alors  au  dragon  Je  descendre  au 
désert,  pour  qu'il  ne  nuisît  à  qui  que  ce  fût.  Le  mons- 
tre se  retira  aussitôt,  et  disparut.  Ensuite  Philippe  les 
guérit  tous  et  il  obtint  la  vie  pour  les  trois  morts.  Ce 
fut  ainsi  que  tout  le  monde  crut.  Pendant  une  année 
entière  il  les  prêcha,  et  après  leur  avoir  ordonné  des 
prêtres  et  des  diacres,  il  vint  en  Asie  dans  la  ville  de 
Hiérapolis,  où  il  éteignit  Thérésie  des  Ebionites  qui 
enseignaient  que  J.-C.  avait  pris  une  chair  fantasti- 
que. Il  avait  là  avec  lui  deux  de  ses  filles,  vierges  très 
saintes,  par  le  moyen  desquelles  le  Seigneur  convertit 
beaucoup  de  monde  à  la  foi.  Pour  Philippe,  sept  jours 
avant  sa  mort,  il  convoqua. les  évêques  et  les  prêtres, 
et  leur  dit  :  «  Lcf  Seigneur  m'a  accordé  ces  sept  jours 
pour  vous  donner  des  avis.  »  Il  avait  alors  87  ans. 
Après  quoi  les  infidèles  se  saisirent  de  lui,  et  l'atta- 
chèrent à  la  croix,  comme  le  maître  qu'il  prêchait.  11 
trépassa  de  cette  manière  heureusement  au  Seigneur. 
A  ses  côtés  furent  ensevelies  ses  deux  filles,  l'une  à  sa 
droite,  et  l'autre  à  sa  gauche.  Voici  ce  que  dit  Isidore 
de  ce  Philippe  dans  le  Livre  de  la  Vie,  de  la  naissance 
et  de  la  mort  des  saints  *  :  «  Philippe  prêche  J.-C. 
aux  Gaulois  ;  les  nations  barbares  voisines,  qui  habi- 
taient dans  les  ténèbres,  sur  les  bords  de  l'océan  fu- 
rieux, il  les  conduit  à  la  lumière  de  la  science  et  au 
port  de  la  foi;  enfin,  crucifié  à  Hiérapolis,  ville  de  la 
province  de  Phrygie,  et  lapidé,  il  y  mourut,  et  y  re- 
fuse avec  ses  filles.  »  Quant  à  Philippe  qui  fut  un 
des  sept  diacres,   saint  Jérôme  dit,  dans  son  martyro- 

*  CIl.XLV. 


SAINTE    APOLLONIE   (APOLLINE)  35 

loge,  que  le  8«  des  ides  de  juillet,  il  mourut  à  Cé- 
sarée,  illustre  par  ses  miracles  et  ses  prodiges  ;  à  côté 
de  lui  furent  enterrées  trois  de  ses  filles,  car  la  qua- 
trième repose  à  Eplièse.  Le  premier  Philippe  est  diffé- 
rent de  celui-ci,  en  ce  que  le  premier  fut  apôtre,  le 
second  diacre;  Tapôtre  repose  à  Hiérapolis,  le  diacre 
à  Césarée.  Le  premier  eut  deux  filles  prophétesses,  le 
second  en  eut  quatre,  bien  que  dans  l'Histoire  ecclé- 
siastique *  on  paraisse  dire  que  ce  fut  saint  Philippe, 
apôtre,  qui  eut  quatre  filles  prophétesses  :  mais  il  vaut 
mieux  s'en  rapporter  à  saint  Jérôme. 


SAINTE  APOLLONIE  (APOLLINE) 


«* 


Au  temps  de  l'empereur  Dèce,  une  affreuse  persé- 
cution s'éleva  à  Alexandrie  contre  les  serviteurs  de 
Dieu.  Un  homme  nommé  Devin  devança  les  ordres  de 
l'empereur,  comme  ministre  des  démons,  en  excitant, 
contre  les  chrétiens,  la  superstition  de  la  populace 
qui  dans  son  ardeur  était  dévorée  de  la  soif  du  sany^ 
des  justes.  Tout  d'abord  on  se  saisit  de  quelques  per- 
sonnes pieuses  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  Aux  uns,  on 
déchirait  le  corps,  membre  après  membre,  à  coups 
de  fouets  ;  à  d'autres,  on  crevait  les  yeux  avec  des  ro- 
seaux pointus,  ainsi  que  le  visage,  après  quoi  on  les 
chassait  de  la  ville.  Quelques-uns  étaient  traînés  aux 
pieds  des  idoles  afin  de  les  leur  faire  adorer;  mais 

*  Eusèbe,  Histoire  ecclésiastique^  I.  III,  c.  xxxi. 
**  Idem,  Ibid.,  liv.  VIIÏ.  ch.  xxxi. 


36  LA    LÉGENDE    DORÉE 

comme  ils  s'y  refusaient  avec  horreur,  ou  leur  liait  les 
pieds  avec  des  chaînes,  on  les  traînait  à  travers  les 
rues  de  toute  la  ville,  et  leurs  corps  étaient  arraches 
par  lambeaux  dans  cet  atroce  et  épouvantable  supplice. 
Or,  il  y  avait,  en  ce  temps-là,  une  vierge  remarquable, 
d'un  âge  fort  avancé,  nommée  Apollonie,  ornée  des 
fleurs  de  la  chasteté,  de  la  sobriété  et  de  la  pureté, 
semblable  à  une  colonne  des  plus  solides,  appuyée  sur 
Tesprit  même  du  Seigneur,  elle  off^rait  aux  anges  et 
aux  hommes  le  spectacle  admirable  de  bonnes  œuvres 
inspirées  par  la  foi  et  par  une  vertu  céleste.  La  mul- 
titude en  fureur  s'était  donc  ruée  sur  les  maisons  des 
serviteurs  de  Dieu,  brisant  tout  avec  un  acharnement 
étrange  ;  on  traîna  d'abord  au  tribunal  des  méchants 
la  bienheureuse  Apollonie,  innocente  de  simplicité, 
forte  de  sa  vertu,  et  n'ayant  pour  se  défendre  que  la 
constance  d'un  cœur  intrépide,  et  la  pureté  d'une  cons- 
cience sans  tache;  elle  offrait  avec  grand  dévouement 
son  âme  a  Dieu  et  abandonnait  à  ses  persécuteurs  son 
corps  tout  chaste  pour  qu'il  fût  tourmenté.  Lors  donc 
que  cette  bienheureuse  vierge  fut  entre  leurs  mains,  ils 
eurent  la  cruauté  de  lui  briser  d*abord  les  dents;  en- 
suite, ils  amassèrent  du  bois  pour  en  dresser  un  grand 
bikher,  et  la  menacèrent  de  la  brûler  vive,  si  elle  ne 
disait  avec  eux  certaines  paroles  impies.  Mais  la  sainte 
n'eut  pas  plutôt  vu  le  bûcher  en  flammes,  que,  se  re- 
cueillant un  instant,  tout  d'un  coup,  elle  s'échappe  des 
mains  des  bourreaux,  et  se  jette  elle-même  dans  le 
brasier  dont  on  la  menaçait.  De  là  l'efl'roi  des  païens 
cruels  qui  voyaient  une  femme  plus  pressée  de  rece- 
voir la  mort   qu'eux  de  l'infliger.  Eprouvée  déjà  par 


SAINTE    APOLLOME    (aPOLLINE)  37 

différents  supplices,   celle   courageuse  martyre  ne  se 
laissa  pas  vaincre  par  la  douleur  des  tourments  qu'elle 
subissait,  ni  par  Tardeur  des  flammes,  car  son  cœur 
était  l)ien  autrement  embrasé  des  rayons  de  la  vérité. 
Aussi  ce  feu  matériel,  attisé  par  la  main  des  hommes, 
ne  put  détruire  dans  son  cœur  intrépide  Tardeur  qu'y 
avait  déposée  l'œuvre  de  Dieu.  Oh  !  la  grande  et  l'admi- 
rable lutte  que  celle  de  cette  vierge,  qui,  par  l'inspira- 
tion de  la  grâce  de  Dieu,  se  livra  aux  flammes  pour 
ne  pas  brûler,  et  se  consuma  pour  ne  pas  être  consu- 
mée ;  comme  si  elle  n'ei\t  pas  été  la  proie  du  feu,  et 
des  supplices  !  Elle  était  libre  de  se  sauvegarder,  mais 
sans  combat,  elle  ne  pouvait  acquérir  de  gloire.  Celte 
vierge  et  martyre  intrépide  de  J,-C.  méprise  les  déli- 
ces mondaines,  foule  par  ses  mépris  les  joies  d'ici-bas, 
et  sans  autre  désir  que  de  plaire  au  Christ,  son  époux, 
elle  reste  inébranlable  dans  sa  résolution  de  garder 
sa  virginité,  au  milieu  des  tourments  les  plus  violents. 
Ses  mérites  éminents  la  font  distinguer  au  milieu  des 
martyrs  pour  le  glorieux  triomphe  qu'elle  a  heureuse- 
ment remporté.  Assurément  il  y  eut  dans  celte  femme 
un   courage  viril,    puisque   la   fragilité    de  son  sexe 
ne  fléchit  point  dans  une  lutte  si  violente.    Elle  re- 
foule  la  crainte  humaine  par  l'amour  de  Dieu,  elle 
se  saisit  de  la  croix  du  (Christ  comme  d'un  trophée; 
elle  combat  et  remporte  plus  promptement  la  victoire 
avec  les  armes  de  la   foi  qu'elle  n'aurait  fait  avec  le 
fer,  aussi  bien  contre  les  passions  que  contre  tous  les 
genres  de  supplices.  Daigne  nous  accorder  aussi  cette 
grâce  celui  qui  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit  règne 
dans  les  siècles  des  siècles. 

u.  3' 


38  LA   LÉGENDE    DORÉE 


SAINT  JACQUES,  APOTRE  (LE  MINEUR) 

Jacques  veut  dire,  qui  renverse,  qui  supplante  celui  qui  se 
hâte,  qui  prépare.  Ou  bien  il  se  tire  de  ta,  qui  signifie  Dieu^ 
et  cobar,  charge,  poids.  Ou  bien  Jacques  vient  de yocu/t/m,  jave- 
lot, et  cope,  coupure,  coupé  par  des  javelots.  Or,  on  le  dit  qui 
renverse  parce  qu'il  renversa  le  monde  par  le  mépris  qu'il  en 
fit  :  il  supplanta  le  démon  qui  est  toujours  hâtif  :  il  prépara 
son  corps  à  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres.  Les  mauvaises 
passions  résident  en  nous  par  trois  causes,  ainsi  que  le  dit 
saint  Grégoire  de  Nisse  :  par  mauvaise  éducation,  ou  conver- 
sation, par  mauvaise  habitude  du  corps,  ou  par  vice  d'igno- 
rance. Elles  se  guérissent,  ajoute  le  même  auteur,  parla  bonne 
habitude,  par  le  bon  exercice,  et  par  l'étude  de  bonne  doc- 
trine. Ce  fut  ainsi  que  saint  Jacques  se  guérit  et  qu'il  eut  son 
corps  préparé  à  toutes  sortes  de  bonnes  œuvres.  Il  fut  un  poids 
divin  par  la  gravité  de  ses  mœurs  ;  il  fut  coupé  par  le  fer,  en 
souffrant  le  martyre. 

Saint  Jacques,  apôtre^  est  appelé  Jacques  d'Alphée, 
c'est-à-dire  fils  d'Alphée,  frère  du  Seigneur,  Jacques 
le  mineur,  et  Jacques  le  Juste.  On  l'appelle  Jacques 
d'Alphée,  noir  seulement  selon  la  chair,  mais  encore 
selon  l'interprétation  du  nom  :  car  Alphée,  veut  dire 
docte,  document,  fugitif,  ou  bien  millième.  Il  est 
nommé  Jacques  d' Alphée,  parce  qu'il  fut  docte,  par 
inspiration  de  science  ;  document,  par  l'instruction  des 
autres;  fugitif,  du  monde  qu'il  méprisa;  et  millième, 
par  sa  réputation  d'humilité.  On  le  nomme  frère  du 
Seigneur,  parce  qu'il  lui  ressemblait  au  point  que  beau- 
coup les  prenaient  Tun  pour  l'autre  en  les  voyant.  Ce 
fut  pour  cela  que  lorsque  les  Juifs  vinrent  se  saisir 
de  J.-C,  de  peurde  prendre  Jacques  à  sa  place,  Judas^ 


SAINT   JACQUES,   APOTRt:    (lE    MINEUR)  -  39 

qui  vivant  avec  eux  savait  les  distinguer,  leur  donna 
pour  signal  le  baiser.  C'est  encore  le  témoignage  de 
saint  Ignace  en  son  épttre  à  saint  Jean  Tévangéliste 
où  il  dit  :  «  Si  cela  m'est  possible,  je  veux  vous  aller 
joindre  à  Jérusalem,  pour  voir  ce  vénérable  Jacques, 
surnommé  le  juste,  qu'on  dit  ressembler  à  J.-C.  de 
figure,  de  vie,  et  de  manière  d'être,  comme  s'ils  avaient 
été  deux  jumeaux  de  la  même  mère  :  ce  Jacques  dont 
on  dit  :  si  je  le  vois,  je  vois  en  même  temps  J.-C. 
dans  chacun  de  ses  membres.  »  On  l'appelle  encore 
frère  du  Seigneur,  parce  que  J.-C.  et  Jacques,  qui  des- 
cendaient de  deux  sœurs,  descendaient  aussi,  prélen- 
dait-on,  de  deux  frères,  Joseph  et  Cléophas  :  car  on 
ne  le  nomme  pas  frère  du  Seigneur  parce  qu'il  aurait 
été  le  fils  de  Joseph,  l'époux  de  Marie,  mais  d'une 
autre  femme,  d'après  certains  témoignages,  mais  parce 
qu'il  était  fils  de  Marie,  fille  de  Cléophé  :  Et  ce  Cléophé 
fut  bien  le  frère  de  Joseph,  époux  de  Marie,  quoique 
maître  Jean  Beleth  (ch.  cxxiv)  dise  que  Alphée,  père 
<le  Jacques  dont  nous  parlons,  fut  frère  de  Joseph, 
époux  de  Marie.  Ce  que  personne  ne  croit.  Or,  les  Juifs 
appelaient  frères  ceux  qui  étaient  parents  des  deux 
souches  :  Ou  bien  encore  on  l'appelle  frère  du  Seigneur 
en  raison  de  la  prérogative  et  de  l'excellence  de  sa 
sainteté  pour  laquelle,  de  préférence  aux  autres  apôtres, 
il  fut  ordonné  évêque  de  Jérusalem.  On  l'appelle  en- 
core Jacques  le  mineur,  pour  le  distinguer  de  Jacques 
le  majeur,  fils  de  Zébédée  ;  car  quoique  Jacques  de 
Zébédée  eût  été  plus  âgé,  il  fut  cependant  appelé  après 
lui.  De  là  vient  la  coutume  qui  s'observe  dans  la 
plupart  des  maisons  religieuses  que  celui  qui  vient  le 


i 


40  LA    LÉGENDE    DOREE 

premier  s'appelle  major j  et  celui  qui  vient  le  dernier 
s'appelle  minov,  quand  bien  même  celui-ci  serait  plus 
ancien  d'âge  ou  plus  digne  par  sa  sainteté.  On  l'ap- 
pelle aussi  Jacques  le  Juste,  à  cause  du  mérite  de  son 
excellenlissime  sainteté  :  car,  d'après  saint  Jérôme,  il 
fut  en  telle  révérence  et  sainteté  au  peuple,  que  c'é- 
tait à  qui  pourrait  toucher  le  bord  de  son  vêtement. 
En  parlant  de  sa  sainteté,  Hégésippe,  qui  vivait  peu  de 
temps  après  les  apôtres,  écrit,  selon  les  Histoires  ecclé-^ 
siasliqnes  :  «  Jacques,  le  frère  du  Seigneur,  généra- 
lement surnommé  le  Juste,  fut  chargé  du  soin  de  l'Eglise 
depuis  J.-C.  jusqu'à  nos  jours.  Il  fut  saint  dès  le  sein 
de  sa  mère  ;  il  ne  but  ni  vin,  ni  bière  ;  il  ne  mangea 
jamais  de  viande  ;  le  fer  ne  toucha  pas  sa  tête  ;  il  n'usa 
jamais  d'huile,  ni  de  bain;  il  était  toujours  couvert 
d'un?  robe  de  lin.  11  s'agenouillait  tant  de  fois  pour 
prier  que  la  peau  de  ses  genoux  était  endurcie  comme 
la  plante  des  pieds.  En  raison  de  cet  état  de  justice 
extraordinaire  et  constante,  il  fut  appelé  juste  et  abha^ 
qui  veut  dire  défense  du  peuple  et  justice.  Seul  de 
tous  les  apôtres,  à  cause  de  cette  éminente  sainteté, 
il  avait  la  permission  d'entrer  dans  le  saint  des  saints.  » 
(Hégésippe.)  On  dit  encore  que  ce  fut  le  premier  des 
apôtres  qui  célébra  la  messe;  car,  j)our  l'excellence  de 
sa  sainteté,  les  apôtres  lui  firent  cet  honneur  de  cé- 
lébrer, le  premier  d'entre  eux,  la  messe  à  Jérusalem, 
après  l'ascension  du  Seigneur,  même  avant  d'avoir 
été  élevé  àl'épiscopat,  puisqu'il  est  dit,  dans  les  Actes, 
qu'avant  son  ordination,  les  disciples  persévéraient 
dans  la  doctrine  enseignée  par  les  apôtres  et  dans  la 
communion  de  la  fraction  du  pain,  ce  qui  s'entend  de 


SAINT    JACQUES,    APOTRE    (LE    MINEUr)  41 

la  célébration  de  la  messe  :  ou  bien  peut-être,  dit-on 
qu'il  a  célébré  le  premier  en  habits  pontificaux,  comme 
plus  lard  saint  Pierre  célébra  la  messe  le  premier 
à  Antioche,  et  saint  Marc  à  Alexandrie.  Sa  virginité  fui 
perpétuelle,  au  témoig-nage  de  saint  Jérôme  en  son  li- 
vre contre  Jovinien.  Selon  que  le  rapportent  Josèphe  et 
saint  Jérôme,  en  son  livre  des  Hommes  ilUistres,  le  Sei- 
gneur  étant  mort  la  veille  du  sabbat,  saint  Jacques  fit 
vœu  de  ne  point  manger  avant  de  l'avoir  vu  ressus- 
cité d'entre  les  morts;  et  le  jour  de  la  résurrection, 
comme  il  n'avait  pris  jusque-là  aucune  nourriture,  le 
Seigneur  lui  apparut  ainsi  qu'à  ceux  qui  étaient  avec 
lui,  et  dit  :  «  Mettez  la  table  et  du  pain.  »  Puis  pre- 
nant le  pain,  il  le  bénit  et  le  donna  à  Jacques  le  Juste 
en  disant  :  «  Lève-toi,  mon  frère,  mange,  car  le  fils 
de  l'homme  est  ressuscité  des  morts.  »  La  septième 
année  de  son  épiscopat,  les  apôtres  s'étant  réunis  à 
Jérusalem,  saint  Jacques  leur  demanda  quelles  mer- 
veilles le  Seigneur  avait  opérées  par  eux  devant  le 
peuple;  ils  les  lui  racontèrent.  Saint  Jacques  et  les 
autres  apôtres  prêchèrent,  pendant  sept  jours,  dans 
le  temple,  en  présence  de  Caïphe  et  de  quelques  autres 
Juifs  qui  étaient  sur  le  point  de  consentir  à  recevoir  le 
baptême,  lorsque  tout  à  coup  un  homme  entra  dans 
le  temple  et  se  mit  à  crier  :  «  O  Israélites,  que  faites- 
vous?  Pourquoi  vous  laissez-vous  tromper  par  ces  ma- 
giciens?» Or,  il  émut  si  grandement  le  peuple,  qu'on  vou- 
lait lapider  les  apôtres.  Alors  il  monta  sur  les  degrés 
d'où  prêchait  saint  Jacques,  et  le  renversa  par  terre  ; 
depuis  ce  temps-là  il  boita  beaucoup.  Ceci  arriva  à  saint 
Jacqueslaseptièmeannée  après  l'ascension  du  Seigneur. 


/ 


42  «  LA    LÉGENDE    DOREE 

La  trentième  année  de  son  épiscopat,  les  Juifs  n'ayant 
pu  luer  saint  Paul,  parce  qu'il  en  avait  appelé  à  César 
et  qu'il  avait  été  envoyé  à  Rome,  tournèrent  contre 
saint  Jacques  leur  tyrannie  et  leur  persécution.  Hégé- 
sippe,  contemporain  des  apôtres,  raconte,  et  on  le 
trouve  aussi  dans  V Histoire  ecclésiastique  *,  que  les 
juifs  cherchant  l'occasion  de  le  faire  mourir,  allèrent 
le  trouver  et  lui  dire  :  «  Nous  t'en  prions;  détrompe 
le  peuple  de  la  fausse  opinion  où  il  est  que  Jésus 
est  le  Christ.  Nous  te  conjurons  de  dissuader,  au  sujet 
de  Jésus,  tous  ceux  ([ui  se  rassembleront  le  jour  de 
Pâques.  Tous  nous  obtempérerons  à  ce  que  tu  diras,  et 
nous,  comme  le  peuple,  nous  rendrons  de  toi  ce  témoi- 
gnage que  lu  es  juste  et  que  tu  ne  fais  acception  de 
personne.  »  Ils  le  firent  donc  monter  sur  la  plate-forme 
du  temple  et  lui  dirent  en  criant  à  haute  voix  :  «  0  le 
plus  juste  des  hommes,  auquel  nous  devons  tous 
obéir,  puisque  le  peuple  se  trompe  au  sujet  de  Jésus 
qui  a  été  crucifié,  expose-nous  ce  qu'il  t'en  semble.  » 
Alors  saint  Jacques  répondit  d'une  voix  forte  :  «  Pour- 
quoi m'interrogez-vous  touchant  le  Fils  de  l'homme  : 
voici  qu'il  est  assis  dans  les  cieux,  à  la  droite  de  la 
puissance  souveraine,  et  qu'il  doit  venir  pour  juger 
les  vivants  et  les  morts.  »  En  entendant  ces  paroles, 
les  chrétiens  furent  remplis  d'une  grande  joie  et  écou- 
tèrent l'apôtre  volontiers  ;  mais  les  Pharisiens  et  les 
Scribes  dirent  :  «  Nous  avons  mal  fait  en  provoquant 
ce  témoignage  de  Jésus;  montons  donc  et  nous  le 
précipiterons  du    haut  en  bas,  afin  que  les  autres 

•  Eusèbe,  livre  lï,  ch,  xxiii. 


SAINT   JACQUES,    APOTRE    (lE    MINEUR)  43 

effrayés  n'aient  pas  la  présomption  de  le  croire.  » 
Et  tous  à  la  fois  s'écrièrent  avec  force  :  «  Oh  !  oh  ! 
le  juste  est  aussi  dans  Terreur.  »  Ils  montèrent  et  le 
jetèrent  en  bas,  après  quoi,  ils  l'accablèrent  sous  une 
grêle  de  pierres  en  disant  :  «  Lapidons  Jacques  le 
Juste.  »  II  ne  fut  cependant  pas  tué  de  sa  chute,  mais 
il  se  releva  et  se  mettant  sur  ses  genoux,  il  dit  :  «  Je 
vous  en  prie,  Seigneur,  pardonnez-leur,  car  ils  ne  sa- 
vent ce  qu'ils  font.  »  Alors  un  des  prêtres,  qui  était 
des  enfants  deRahab,  s'écria  :  «  Arrêtez,  je  vous  prie, 
que  faites-vous?  C'est  pour  vous  que  prie  ce  juste, 
et  vous  le  lapidez  !  »  Or,  l'un  d'entre  eux  prit  une  per- 
che de  foulon,  lui  en  asséna  un  violent  coup  sur  la 
tête  et  lui  fit  sauter  la  cervelle.  C'est  ce  que  raconte 
Hégésippe.  Et  saint  Jacques  trépassa  au  Seigneur  par 
ce  martyre  sous  Néron  qui  régna  l'an  57  :  il  fut  ense- 
veli au  même  lieu  auprès  du  temple.  Or,  comme  le  peu- 
ple voulait  venger  sa  mort,-  prendre  et  punir  ses  meur- 
triers, ceux-ci  s'enfuirent  aussitôt.  —  Josèphe  rapporte 
(lîv.  VII)  que  ce  fut  en  punition  du  péché  de  la  mort 
de  Jacques  le  Juste  qu'arrivèrent  la  ruine  de  Jérusalem 
et  la  dispersion  des  Juifs  :  mais  ce  ne  fut  pas  seule- 
ment pour  la  mort  de  saint  Jacques,  mais  principa- 
lement pour  la  mort  du  Seigneur  qu'advint  cette  des- 
truction, selon  que  l'avait  dit  le  Sauveur  :  «  Ils  ne  te 
laisseront  pas  pierre  sur  pierre,  parce  que  tu  n'as  pas 
connu  le  temps  auquel  Dieu  t'a  visitée.  »  Mais  parce 
que  le  Seigneur  ne  veut  pas  la  mort  du  pécheur,  et 
afin  que  les  Juifs  n'eussent  point  d'excuses,  pendant 
40  ans,  il  attendit  qu'ils  fissent  pénitence,  et  par  les 
apôtres,  particulièrement  par  saint  Jacques,  frère  du 


44  LA    LÉGENDE    DORÉE 

Seigneur,  qui  prêchait  continuellementau  milieu  d'eux, 
il  les  rappelait  au  repentir.  Or,  comme  il  ne  pouvait  les 
rallier  par  ses  avertissements,  il  voulut  du  moins  les 
effrayer  par  des  prodiges  :  car,  dans  ces  40  ans  qui  leur 
furent  accordés  pour  faire  pénitence,  on  vit  des  mons- 
truosités et  des  prodiges.  Josèplie  les  raconte  ainsi  : 
Une  étoile  extraordinairement  brillante,  qui  avait  une 
ressemblance  frappante  avec  une  épée,  paraissait  me- 
nacer la  ville  qu'elle  éclaira  d'une  lumière  fatale  pen- 
dant une  année  entière.  A  une  fêle  des  Azymes,  sur 
la  neuvième  heure  de  la  nuit,  une  lueur  si  éclatante 
entoura  Tautel  et  le  temple  que  Ton  pensait  qu'il  fît 
grand  jour.  A  la  même  fête,  une  génisse  que  Ton 
menait  pour  l'immoler  mit  au  monde  un  agneau,  au 
moment  où  elle  était  entre  les  mains  des  ministres. 
Quelques  jours  après,  vers  le  coucher  du  soleil,  on  vil 
des  chars  et  des  quadriges  portés  dans  toute  la  région 
de  Tair,  et  des  cohortes  de  gens  armés  s'entrechoquant 
dans  les  nuages  et  cernant  la  ville  de  bataillons  impro- 
visés. En  un  autre  jour  de  fête,  qu'on  appelle  Pente- 
cote,  les  prêtres,  étant  la  nuit  dans  le  temple  intérieur 
pour  remplir  le  service  ordinaire,  ressentirent  des 
mouvements  et  un  certain  tumulte;  en  même  temps, 
ils  entendirent  des  voix  qui  criaient  :  «  Sortons  de  ces 
diMneures.  »  Quatre  ans  avant  la  guerre,  un  homme 
nommé  Jésus,  fils  d'Ananias,  venu  à  la  fête  des  taber- 
nacles, se  mit  tout  à  coup  à  crier  :  «  Voix  du  côté  de 
Torienl;  voix  du  côté  de  l'occident;  voix  du  côté  des 
quatre  vents  ;  voix  contre  Jérusalem  et  contre  le  tem- 
ple; voix  contre  les  époux  et  les  épouses  ;  voix  con- 
tre tout  le  peuple.  ))  Cet  homme  est  pris,  battu,  fouetté; 


SAINT   JACQUES,    APOTRE    (lE   MINEUR)  4S 

mais  il  ne  savait  dire  autre  chose,  et  plus  on  le  frap- 
pait, plus  haut  il  criait.  On  le  conduit  alors  au  juge, 
qui  l'accable  de  cruels  tourments;  il  le  fait  déchirer 
au  point  qu'on  voyait  ses  os  :  mais  il  n'eut  ni  une  prière 
ni  une  larme;  à  chaque  coup  qu'on  lui  assénait,  il  pous- 
sait les  mêmes  cris  avec  un  certain  hurlement;  à  la 
fin  il  ajouta  :  «  Malheur!  malheur  à  Jérusalem!  » 
(Récit  de  Josèphe.) 

Or,  comme  les  Juifs  n'étaient  pas  convertis  par  ces 
avertissements,  et  qu'ils  ne  s'épouvantaient  point  de 
ces  prodiges,  quarante  ans  après,  le  Seigneur  amena  à 
Jérusalem  Vespasien  et  Tite  qui  détruisirent  la  ville  de 
fond  en  comble.  Et  voici  ce  qui  les  fit  venir  à  Jérusa- 
lem ;  on  le  trouve  dans  une  histoire  apocryphe  :  Pi- 
late,  voyant  qu'il  avait  condamné  Jésus  innocent,  re- 
douta la  colère  de  l'empereur  Tibère,  et  lui  dépêcha, 
pour  porter  ses  excuses,  un  courrier  du  nom  d'Albin  : 
or,  à  la  même  époque,  Vespasien  avait  le  gouverne- 
ment de  la  Galatie  au  nom  de  Tibère  César.  Le  cour- 
rier fut  poussé  en  Galatie  par  les  vents  contraires  et 
amené  à  Vespasien.  C'était  une  coutume  du  pays  que 
quiconque  faisait  naufrage  appartenait  corps  et  biens 
au  gouverneur.  Vespasien  s'informa  qui  il  était,  d'où 
il  venait,  et  où  il  allait.  «  Je  suis,  lui  répondit-il,  ha- 
bitant de  Jérusalem  :  je  viens  de  ce  pays  et  j'allais  à 
Rome.  »  Vespasien  lui  dit  :  «  Tu  viens  de  la  terre  des 
sages,  tu  connais  la  science  de  la  médecine,  tu  es  mé- 
decin, tu  dois  me  guérir.  »  En  effet  Vespasien,  dès 
son  enfance,  avait  une  espèce  de  vers  dans  le  nez.  De 
là  son  nom  de  Vespasien.  Cet  homme  lui  répondit  : 
a  Seigneur,  je  ne  me  connais  pas  en  médecine,  aussi 


à 


46  LA    LÉGENDE    DOREE 

ne  te  puîs-je  guérir.  »  Vespasien  lui  dit  :  «  Si  tu  ne 
me  guéris,  tu  mourras.  »  Albin  répondit  :  «  Celui  qui 
a  rendu  la  vue  aux  aveugles,  chassé  les  démons,  ressus- 
cité les  morts,  celui-là  sait  que  j'ignore  Tart  de  gué- 
rir. >)  Et  quel  est,  répliqua  Vespasien,  cet  homme 
dont  tu  racontes  ces  merveilles  ?  »  Albin  lui  dit  : 
«  (]'est  Jésus  de  Nazareth  que  les  Juifs  ont  tué  par  ja- 
lousie; si  tu  crois  en  lui,  tu  obtiendras  ta  guérison.  )> 
Et  Vespasien  dit  :  «  Je  crois,  car  puisqu'il  a  ressuscité 
les  morts,  il  pourra  aussi  me  délivrer  de  cette  infir- 
mité. »  Et  comme  il  parlait  ainsi,  des  vers  lui  tom- 
bèrent du  nez  et  tout  aussitôt  il  recouvra  la  santé. 
Alors  Vespasien,  au  comble  de  la  joie,  dit:  «  Je  suis 
certain  qu'il  fut  le  fils  de  Dieu  celui  qui  a  pu  me 
guérir.  Eh  bien  !  J'en  demanderai  l'autorisation  à 
César  :  j'irai  à  main  armée  à  Jérusalem  anéantir  tous 
les  traîtres  et  les  meurtriers  de  Jésus.  »  Puis  il  dit  à 
Albin,  le  messager  de  Pilate  :  «  Avec  ma  permission, 
tu  peux  retourner  chez  toi,  ta  vie  et  tes  biens  saufs.  » 
Vespasien  alla  donc  à  Rome  et  obtint  de  Tibère- 
César  la  permission  de  détruire  la  Judée  et  Jérusalem. 
Alors  pendant  plusieurs  années,  il  leva  plusieurs  corps 
de  troupes  ;  c'était  au  temps  de  l'empereur  Néron, 
quand  les  Juifs  se  furent  révoltés  contre  l'empire.  Ce 
qui  prouve,  d'après  les  chroniques,  qu'il  ne  le  fit  pas 
[»ar  zèle  pour  J.-C,  mais  parce  que  les  Juifs  avaient 
secoué  la  domination  des  Romains.  Vespasien  arriva 
donc  à  Jérusalem  avec  une  nombreuse  armée,  et  au 
jour  de  Pâques,  il  investit  la  ville  de  toutes  parts,  et 
y  enferma  une  multitude  infinie  de  Juifs  venus  pour 
célébrer  la  fêle. 


SAINT  JACQUES,  APOTRE  (lE  MINEUR)         47 

Pendant  un  certain  espace  de  temps,  avant  Tarri- 
véc  de  Vespasien  à  Jérusalem,  les  fidèles  qui  s'y  trou- 
vaient, avertis  par  le  Saint-Esprit  de  s'en  aller,  se 
retirèrent  dans  une  ville  nommée  Pella,  au  delà  du 
Jourdain,  afin  que  les  hommes  saints  ayant  quitté  la 
cité,  la  justice  divine  pût  exercer  sa  vengeance  sur 
ce  pays  sacrilège,  et  sur  ce  peuple  maudit.  La  pre- 
mière ville  de  la  Judée  attaquée  fut  celle  de  Jonapa- 
tam,  dont  Josèphe  était  le.commandant  et  le  chef  ;  mais 
Josèphe  opposa  avec  ses  hommes  une  vigoureuse  résis- 
tanc>e.  Cependant  comme  il  voyait  la  ruine  prochaine 
de  cette  place,  il  prit  onze  Juifs  avec  lesquels  il  s'enfer- 
ma dans  un  souterrain,  où,  après  avoir  éprouvé  pen- 
dant quatre  jours  les  horreurs  de  la  faim,  ces  Juifs, 
malgré  Josèphe,  aimèrent  mieux  mourir  que  de  se  sou'- 
mettre  au  joug  de  Vespasien  :  ils  préféraient  se  tuer 
les  uns  les  autres  et  offrir  leur  sang  en  sacrifice  à 
Dieu.  Or,  parce  que  Josèphe  était  le  plus  élevé  en  di- 
gnité parmi  eux,  ils  voulaient  le  tuer  le  premier,  afin 
que  Dieu  fût  plus  vite  apaisé  par  l'effusion  de  son 
.sang,  ou  bien  ils  voulaient  se  tuer  mutuellement  (c'est 
ce  qu'on  voit  en  une  chronique),  afin  de  ne  pas  se 
rendre  aux  Romains.  Mais  Josèphe,  en  homme  de  pru- 
dence qui  ne  voulait  pas  mourir,  s'établit  juge  de  la 
mort  et  du  sacrifice,  et  ordonna  qu'on  tirerait  au  sort 
deux  par  deux,  à  qui  serait  tué  le  premier  par  l'autre. 
On  tira  donc  le  sort  qui  livra  à  la  mort  tantôt  l'un, 
tantôt  l'autre,  jusqu'au  dernier  avec  lequel  Josèphe 
avait  à  tirer  lui-même.  Alors  Josèphe,  qui  était  fort 
et  adroit,  lui  enleva  son  épée  et  lui  demanda  de 
choisir  la  vie  ou  la  mort  en  lui  intimant  l'ordre  de  se 


48  LA    LÉGENDE    DOREE 

prononcer  sur-le-champ.  Cet  homme  effrayé  répon- 
dît :  «  Je  ne  refuse  pas  de  vivre,  si,  grâce  à  vous,  je 
puis  conserver  la  vie.  »  Alors  Josèphe  parla  en 
secret  à  un  des  familiers  de  Vespasien,  que  lui-même 
connaissait  bien  aussi,  et  demanda  qu'on  lui  laissât  la 
vie.  Et  ce  qu'il  demanda,  il  l'obtint.  Or,  quand  Josèphe 
eut  été  amené  devant  Vespasien,  celui-ci  lui  dit  :  «  Tu 
aurais  mérité  la  mort,  situ  n'avais  été  délivré  parles 
sollicitations  de  cet  homme.  »  «  S'il  y  a  eu  quelque 
chose  de  mal  fait,  répondit  Josèphe,  on  peut  le  tour- 
ner à  bien.  »  Vespasien  reprit  ;  «  Un  vaincu,  que  peut-il 
faire  ?  »  Josèphe  lui  dit  :  «  Je  puis  faire  quelque  chose, 
si  je  sais  me  faire  écouter  favorablement.  »  Vespa- 
sien répondit  :  «  Soit,  parle  convenablement,  et  si  tu 
dis  quelque  chose  de  bon,  on  t'écoutera  tranquille- 
ment. »  Josèphe  reprit  :  «  L'empereur  romain  est 
mort,  et  le  Sénat  t'a  fait  empereur.  »  «  Puisque  tu 
es  prophète,  dit  Vespasien,  pourquoi  n'as-tu  pas  pré- 
dit à  cette  ville  qu'elle  devait  tomber  en  mon  pouvoir  ?  » 
Je  le  lui  ai  prédit  pendant  quarante  jours,  répondit 
Josèphe.  »  En  même  temps  arrivent  les  députés  ro- 
mains, proclamant  que  Vespasien  est  élevé  à  l'empire, 
et  ils  le  conduisent  à  Rome.  Eusèbe  en  sa  chronique* 
témoigne  aussi  que  Josèphe  prédit  à  Vespasien,  et  la 
mort  de  l'empereur,  et  son  élévation.  Alors  Vespa- 
sien laissa  Tite,  son  fils,  au  siège  de  Jérusalem.  Or, 
celui-ci,  apprenant  que  son  frère  avait  été  proclamé 
empereur  (c'est  ce  qu'on  lit  dans  la  même  histoire 
apocryphe),   fut    rempli   d'un    tel    transport   de   joie 

*  Lib.  II,  R.  Dcccxx,  p.  540   (MijLcno). 


SAINT   JACQUES,    APOTRE    (lE    MINEUR)  49 

qu'une  contraction  nerveuse  le  saisit  à  la  suite  d'une 
fraîcheur  et  qu'il  fut  paralysé  d'une  jambe.  Josèphe 
apprenant  que  Tite  était  paralysé,  rechercha  avec  un 
soin  extrême  la  cause  et  les  circonstances  de  cette  ma- 
ladie. La  cause,  il  ne  la  put  découvrir,  ni  on  ne  put  lui 
dire  de  quelle  nature  était  la  maladie  ;  pour  le  temps 
où  elle  s'est  déclarée,   il  apprend  que  c'est  en  enten- 
dant annoncer  que  son  frère  était  élu  empereur.  En 
homme  prévoyant  et  sage  Josèphe,   avec  ce  peu  de 
renseignements,   se  livra  à  des  conjectures   qui  lui 
firent  trouver  la  nature  de  la  maladie,  par  la  circons- 
tance où  elle  s'était  déclarée,  savoir  :  que  sa  position 
était  le  résultat  d'un  excès  de  joie  et  d'allégresse.  Or, 
ayant  remarqué  que  les  contraires  se  guérissent  par 
les  contraires,  sachant  encore  que  ce  qui  est  occa- 
sionné par  l'amour  se  détruit  souvent  par  la  douleur, 
il  se  mit  à  chercher  s'il  ne  se  trouvait  personne  en 
butte  à  l'inimitié  de  ce  prince.  11  y  avait  un  esclave  tel- 
lement à  charge  à  Tite  qu'il  lui  suffisait  de  le  regarder 
pour  être  tout  bouleversé  ;  son  nom,  il  ne  le  pouvait 
même  entendre  prononcer.  Josèphe  dit  alors  à  Tite  : 
«  Si  tu  souhaites  être  guéri,  accueille  bien  tous  ceux 
qui  seront  de  ma  compagnie.  »  Tite  répondit  :  «  Qui- 
conque viendra  en  ta  compagnie  peut   être  certain 
d'être  bien  reçu.   »  Aussitôt  Josèphe  fit  préparer  un 
festin,  plaça  sa  table  vis-à-vis  de  celle  de  Tite,  et  fit 
mettre  l'esclave  à  sa  droite.  En  le  voyant,  Tite  con- 
trarié frémit  de  mécontentement,  et  comme   la  joie 
l'avait  refroidi,  la  fureur  où  il  se  mit  le  réchauffa.  Ses 
nerfs  se  détendirent  et  il  fut  guéri.  Après  quoi  Tite 
rendit  ses  bonnes  grâces  à  son  esclave,   et  accorda 

H.  4 


à 


50  L\   LÉGENDE    DOREE 

son  amitié  à  Josèphe.  Peut-on  s'en  rapporter  à  cette 
histoire  apocry'plie  ?  Est-elle  ou  non  digne  de  récit  ? 
J'en  laisse  l'appréciation  au  lecteur. 

Or,  le  siège  de  Jérusalem  dura  deux  ans.  Au  norabre 
des  maux  qui  firent  le  plus  souflFrir  les  assiégés,  il 
faut  tenir  compte  d'une  famine  si  affreuse  que  les  pa- 
rents arrachaient  leur  nourriture  à  leurs  enfants,  les 
maris  à  leurs  femmes,  et  les  femmes  à  leurs  maris, 
non  seulement  d'entre  les  mains,  mais  même  d'entre 
les  dents  :  les  jeunes  gens  les  plus  robustes  par  l'àge, 
semblables  à  des  spectres  errant  par  les  rues,  tom- 
baient d'inanition  tant  ils  étaient  pressés  par  la  faim. 
Ceux  qui  ensevelissaient  les  morts  tombaient  souvent 
morts  sur  les  morts  eux-mêmes.  Comme  on  ne  pou- 
vait soutenir  la  puanteur  des  cadavres,  on  les  fit  en- 
sevelir au  dépens  du  trésor  public.  Et  quand  le  trésor 
fut  épuisé,  on  jeta  au-dessus  des  murs  les  cadavres 
qui  s'amoncelaient.  Tite,  en  faisant  le  tour  de  la  place, 
vit  les  fossés  remplis  de  corps  morts  dont  la  puan- 
teur infectait  le  pays  ;  alors  il  leva  les  mains  au  ciel 
en  pleurant,  et  il  dit  :  «  0  Dieu,  tu  le  vois,  ce  n'est 
pas  moi  qui  en  suis  l'auteur.  »  Car  la  famine  était  si 
grande  dans  Jérusalem  qu'on  y  mangeait  les  chaus- 
sures et  les  courroies.  Pour  comble  d'horreur,  une 
dame  de  noble  race  et  riche,  ainsi  qu'on  le  lit  dans 
V Histoire  ecclésiastique,  avait  été  dépouillée  de  tout 
par  des  brigands  qui  se  jetèrent  sur  sa  maison,  et  ne 
lui  laissèrent  absolument  rien  à  manger.  Elle  prit 
dans  ses  bras  son  fils  encore  à  la  mamelle,  et  lui  dit  : 
«  0  fils,  plus  malheureux  encore  que  la  malheureuse 
mère  !  à  quoi  te  réserverai-je  ?  sera-ce  à  la  guerre  ou 


SAINT    JACQUES,    APOTRE    (LE    MINEUR]  Kl 

à  la  faim,  ou  encore  au  carnage?  Viens  donc  à  cette 
heure,  ô  mon  enfant  ;  sois  la  nourriture  de  ta  mère, 
le  scandale  des  brigands,  et  l'entretien  des  siècles.  » 
Après  avoir  dit  ces  mots,  elle  égorgea  son  fils,  le  fit 
cuire,  en  mangea  une  moitié  et  cacha  l'autre.  Et  voici 
que  les  brigands,  qui  sentaient  Todeur  de  la  viande 
cuite,  se  ruent  incontinent  dans  la  maison,  et  me- 
nacent cette  femme  de  mort,  si  elle  ne  leur  donne  la 
viande.  Alors  elle  découvrit  les  membres  de  l'enfant  : 
«  Voici,  dit-elle,  à  vous  a  été  réservée  la  meilleure- 
part.  »  Mais  ils  furent  saisis  d'une  horreur  telle  qu'ils.- 
ne  purent  parler.  «  C'est  mon  fils,  ajouta-t-elle,  c'est 
moi  qui  ai  commis  le  crime  ;  mangez  sans  crainte  ; 
j'ai  mangé  la  première  de  l'enfant  que  j'ai  mis  au 
monde  :  n'ayez  garde  d'être  plus-  religieux  qu'une 
mère  et  plus  délicats  que  des  femmes  :  si  la  pitié  vous 
domine,  et  si  vous  éprouvez  de  l'horreur,  je  mange- 
rai tout  entier  ce  dont  j'ai  déjà  mangé  une  moitié.  » 
Les  brigands  se  retirèrent  tout  tremblants  et  effrayés. 
Enfin  la  seconde  année  de  l'empire  de  Vespasien,  Tite 
prit  Jérusalem,  la  ruina,  détruisit  le  temple  jusque 
dans  ses  fondements,  et  de  même  que  les  Juifs  avaient 
acheté  J.-C.  trente  deniers,  de  même  Tite  fit  vendre 
trente  Juifs  pour  un  denier.  D'après  le  récit  de  Jo- 
sèphe,  quatre-vingt-dix-sept  mille  Juifs  furent  vendus, 
et  onze  cent  mille  périrent  par  la  faim  et  par  Tépée. 
On  lit  encore  que  Tite,  en  entrant  dans  Jérusalem, 
^-it  un  mur  d'une  grande  épaisseur,  et  le  fit  creuser. 
Quand  on  y  eut  percé  un  trou,  on  y  Irouva  dans  l'in- 
térieur un  vieillard  vénérable  par  son  aspect  et  ses 
cheveux  blancs.  Interrogé  qui  il  était,  il  répondit  qu'il 


4 


52  LA    LÉGENDE    DORÉE 

était  Joseph,  de  la  ville  de  Judée  nommée  Arimathie, 
qu'il  avait  été  enfermé  et  muré  là  pour  avoir  enseveli 
J.-C.  :  et  il  ajouta  que  depuis  ce  moment,  il  avait  été 
nourri  d'un  aliment  céleste,  et  fortifié  par  une  lumière 
divine.  Pourtant  Tévanjçile  de  Nicodème  dit  que  les 
Juifs  ayant  reclus  Joseph,  J.-C.  eu  ressuscitant  le  tira 
de  là  et  le  conduisit  à  Arimathie.  On  peut  dire  alors 
qu'après  sa  délivrance,  Josèphe  ne  cessa  de  prêcher 
J.-C.  et  qu'il  fut  reclus  une  seconde  fois.  L'empereur 
Vespasien  étant  mort,  Tite,  son  fils,  lui  succéda  à 
Tempirc.  Ce  fut  un  prince  rempli  de  clémence,  d'une 
;«;^énérosité  et  d'une  bonté  telles  que,  selon  le  dire  d'Eu- 
sèbc  dans  sa  chronique  et  le  témoignage  de  saint  Jé- 
rôme, un  jour  qu'il  n'avait  pas  fait  une  bonne  action, 
ou  qu'il  n'avait  rien  donné,  il  dit  :  «  Mes  amis,  j'ai 
perdu  ma  journée.  »  Longtemps  après,  des  Juifs  vou- 
lurent réédifier  Jérusalem  ;  étant  sortis  de  bon  matin 
ils  trouvèrent  plusieurs  croix  tracées  par  la  rosée,  et 
ils  s'enfuirent  effrayés.  Le  lendemain  matin,  ditMilet 
dans  sa  chronique,  chacun  d'eux  trouva  des  croix  de 
sanç  empreintes  sur  ses  vêtements.  Plus  cflFrayés  en- 
core, ils  prirent  de  nouveau  la  fuite,  mais  étant  reve- 
nus le  troisième  jour,  ils  furent  consumés  par  une 
vapiMir  enflammée  sortie  des  entrailles  de  la  terre. 


L'INVENTION  DE  LA  SAINTE  CROIX 

l.ettc  fête  est  appelée  l'Invention  de  la  Sainte  Croix,  parce 
qu'on  rapporte  que  la  sainte  croix  fut  trouvée  à  pareil  jour. 
Mais  auparavant,  elle  avait  été  trouvée  par  Selh,  fils  d* Adam, 


l'invention  de  la  sainte  croix  S3 

dans  le  paradis  terrestre,  comme  il  est  raconte  plus  bas  ;  par* 
SalomOD,  sur  le  Liban  ;  par  la  reine  de  Saba,  dans  le  temple 
de  Salomon  ;  par  les  Juifs,  dans  Teau  de  la  piscine  ;  et  en  ce 
jour  par  sainte  Hélène,  sur  le  mont  du  Calvaire. 

L'Invention  de  la  Sainte  Croix  eut  lieu  plus  de  deux 
cents  ans  après  la  résurrection  de  J.-C.  On  lit  dans 
l'évangile  de  Nicodème  (ch.  xix)  qu'Adam  étant  devenu 
malade,  Seth,  son  fils,  alla  à  la  porte  du  paradis  et  de- 
manda de  l'huile  du  bois  de  la  miséricorde  pour  oindre 
le  corps  de  son  père  afin  qu'il  recouvrât  la  santé.  L'ar- 
change Michel  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Ne  pleure  pas  et 
ne  te  mets  point  en  peine  d'obtenir  de  Thuile  du  bois 
de  la  miséricorde,  car  il  te  sera  absolument  impossible 
d'en  obtenir,  avant  que  cinq  mille  cinq  cents  ans 
soient  révolus.  Cependant  on  croit  que  d'Adam  jus- 
qu'à la  passion  du  Seigneur  il  s'écoula  seulement 
5099  ans.  On  lit  encore  ailleurs  que  Tange  lui  offrit  un 
petit  rameau  et  lui  ordonna  de  le  planter  sur  le  mont 
Liban.  Mais  on  lit,  dans  une  histoire  apocryphe  des 
Grecs,  que  l'ange  lui  donna  du  bois  de  l'arbre  par  le 
fruit  duquel  Adam  avait  péché,  en  l'informant  que  son 
père  serait  guéri  quand  ce  bois  porterait  du  fruit.  A 
son  retour,  Seth  trouva  son  père  mort  et  il  planta  ce 
rameau  sur  sa  tombe.  Cette  branche  plantée  devint  en 
croissant  un  grand  arbre  qui  subsista  jusqu'au  temps 
de  Salomon.  (Mais  il  faut  laisser  au  lecteur  à  juger 
si  ces  choses  sont  vraies,  puisqu'on  n'en  fait  mention 
clans  aucune  chronique,  ni  dans  aucune  histoire  au- 
thentique.) Or,  Salomon  considérant  la  beauté  de  cet 
arbre  le  fit  couper  et  mettre  dans  la  maison  du  Bois  *. 

*  Au  in«  livre  des  Kois,  ch.  vu,  il  est  question  de  cette  mai- 
II.       *  4- 


54  LA    LÉGENDE    DOREE 

Cependant,  ainsi  que  le  dit  Jean  Beleth  (ch.  cli),  on 
ne  pouvait  le  mettre  nulle  part,  et  il  n'y  avait  pas 
moyen  de  lui  trouver  un  endroit  où  il  pût  être  em- 
ployé convenablement  :  car  il  était  tantôt  trop  long*, 
tantôt  trop  court  :  si  on  l'avait  raccourci  dans  les  pro- 
portions qu'exigeait  la  place  où  on  le  voulait  employer, 
il  paraissait  si  court  qu'on  ne  le  regardait  plus  comme 
bon  à  rien.  En  conséquence,  les  ouvriers,  de  dépit, 
le  rejetèrent  et  le  mirent  sur  une  pièce  d'eau  pour 
qu'il  servît  de  pont  aux  passants.  Or,  quand  la  reine 
de  Saba  vint  entendre  la  Sagesse  de  Salomon,  et 
voulut  passer  sur  cette  pièce,  elle  vit  en  esprit  que  le 
Sauveur  du  monde  devait  être  suspendu  à  ce  bois, 
et  pour  cela  elle  ne  voulut  point  passer  dessus,  mais 
aussitôt  elle  l'adora.  Cependant  dans  VHisloire  scho- 
laslique  (liv.  III  Rois,  c.  xxvi),  on  lit  que  la  reine  de 
Saba  vit  cette  pièce  dans  la  maison  du  Bois,  et  en 
revenant  à  son  palais  elle  communiqua  à  Salomon  que 
sur  ce  bois  devait  être  suspendu  celui  dont  la  mort 
devrait  être  la  cause  de  la  destruction  du  royaume  des 
Juifs.  C'est  pourquoi  Salomon  le  fît  ôter  du  lieu  où 
il  était,  et  enterrer  dans  les  entrailles  les  plus  profondes 
de  la  terre.  Dans  la  suite  on  y  établit  la  Piscine  Pro- 
batique  où  les  Nathinéens*  lavaient  les  victimes,  et 
ce  n'est  pas  seulement  à  la  descente  de  l'ange,  mais 

son  qui  fut  construite  par  Salomon.  Elle  reçut  le  nom  de  mai- 
son du  Bois,  saillis,  à  cause  de  la  quantité  de  cèdres  qui  entra 
dans  sa  construction. 

*  C'étaient  des  Gabaonites  qui  étaient  attachés  au  service 
du  temple  depuis  Josué.  Cf.  Paralipomènes,  ix,  2;  Sigonius, 
De  lîepub.  Hebrœor.,  liv.  IX,  ch.  vu. 


l'invention  de  la  sainte  croix  55 

encore  à  la  vertu  de  ce  bois  que  Ton  attribue  que  l'eau 
en  était  troublée  et  que  les  infirmes  y  étaient  guéris. 
Or,  quand  approcha  le  temps  de  la  passion  de  J.-C,  on 
rapporte  que  cette  pièce  surnagea,  et  les  Juifs,  en  la 
voyant,  la  prirent  pour  en  fabriquer  la  croix  du  Sei- 
gneur. On  dit  encore  que  cette  croix  fut  faite  de  quatre 
essences  de  bois,  savoir  de  palmier,  de  cyprès,  d'oli- 
vier et  de  cèdre.  De  là  ce  vers  : 

Ligna  Crucis  palma,  cedrus,  cupressus,  oliva. 

Car  dans  la  croix,  il  y  avait  le  bois  qui  servait  de 
montant  droit,  la  traverse,  la  tablette  de  dessus,  et  le 
tronc  où  était  fixée  la  croix,  ou  bien,  selon  Grégoire 
de  Tours*,  la  tablette  qui  servait  de  support,  sous 
les  pieds  de  J.-C.  Par  là  on  peut  voir  que  chacune  des 
pièces  pouvait  être  d'une  de  ces  essences  de  bois 
dont  on  vient  de  parler.  Or,  l'apôtre  paraît  avoir  eu 
en  vue  ces  différentes  sortes  de  bois  quand  il  dit  : 
ce  Afin  que  vous  puissiez  comprendre  avec  tous  les 
saints  quelle  est  la  largeur,  la  longueur,  la  hauteur  et 
la  profondeur  »  (Ep.  aux  Ephés.,  c.  ii,  18).  Ces  pa- 
roles sont  expliquées  comme  il  suit  par  l'illustre  doc- 
teur saint  Augustin  :  «  La  largeur  de  la  croix  du  Sei- 
gneur, dit-il,  c'est  la  traverse,  sur  laquelle  on  a  étendu 
ses  mains  ;  sa  longueur  allait  depuis  la  terre  jusqu'à 
cette  traverse  en  largeur  sur  quoi  tout  le  corps  de 
iMl.  fut  attaché,  moins  les  mains  ;  sa  hauteur,  c'est 
à  partir  de  cette  largeur  jusqu'à  l'endroit  de  dessus 
où  se  trouvait  la  tète  ;  sa  profondeur,  c'était  la  partie 

*  Afiracul.f  liv.  I,  c.  vi. 


S6  LA    LÉGENDE    DOREE 

cachée  et  enfoncée  dans  la  terre.  Dans  la  croix  on 
trouve  décrites  toutes  les  actions  d'un  homme  chré- 
tien, qui  sont  de  faire  de  bonnes  œuvres  en  J.-C,  de 
lui  être  persévéramment  attaché,  d'espérer  les  biens 
célestes,  et  ne  pas  profaner  les  sacrements. 

Ce  bois  précieux  de  la  croix  resta  caché  sous  terre 
deux  cents  ans  et  plus  :  mais  il  fut  découvert  ainsi 
qu'il  suit  par  Hélène,  mère  de  l'empereur  Constantin. 
En  ce  temps-là,  sur  les  rives  du  Danube,  se  rassem- 
bla une  multitude  innombrable  de  barbares  voulant 
passer  le  fleuve,  et  soumettre  à  leur  domination  tous 
les  pays  jusqu'à  l'occident.  Dès  que  l'empereur  Cons- 
tantin le  sut,  il  décampa  et  vint  se  placer  avec  son 
année  sur  le  Danube.  Mais  la  multitude  des  barbares 
s'augmcntant,  et  passant  déjà  le  fleuve,  Constantin 
fui  frappé  d'une  grande  terreur,  en  considérant  qu'il 
aurait  à  livrer  bataille  le  lendemain.  Or,  la  nuit  sui- 
vante, il  est  réveillé  par  un  ange  qui  l'avertit  de  regar- 
der en  l'air.  Il  tourne  les  yeux  vers  le  ciel  et  voit  le 
signe  de  la  croix  formée  par  une  lumière  fort  resplen- 
dissante, et  portant  écrite  en  lettres  d'or  cette  inscrip- 
tion :  ((  In  hoc  s'ujno  vinces,  parce  signe  tu  vaincras.  » 
Réconforté  par  cette  vision  céleste,  il  fit  faire  une  croix 
semblable  qu'il  ordonna  de  porter  à  la  tète  de  son  ar- 
mée: se  précipitant  alors  sur  les  ennemis,  il  les  mit  en 
fuite  et  en  tua  une  multitude  immense.  Après  quoi 
Constantin  convoqua  tous  les  pontifes  des  temples  et 
s'informa  avec  beaucoup  de  soin  de  quel  Dieu  c'était 
le  signe.  Sur  leur  réponse  qu'ils  l'ignoraient,  vinrent 
plusieurs  chrétiens  qui  lui  firent  connaître  le  mystère 
de  la  sainte  croix  et  la  foi  de  la  Trinité.  Constantin 


l'invention  de  la  sainte  croix  57 

crut  alors  parfaitement  en  J.-C.  et  reçut  le  saint  bap- 
tême des  mains  d'Eusèbe,  pape,  ou  selon  quelques 
livres,  évèque  de  Césçiréc.  Mais  dans  ce  récit,  il  y  a 
beaucoup  de  points  contredits  par  ÏHisloire  iriparliie 
et  par  Y  Ecclésiastique^  par  la  Vie  de  saint  Silvestre 
et  les  Gestes  des  pontifes  romaiyis.  D'après  certains 
auteurs,  ce  ne  fut  pas  ce  Constantin  que  le  pape  Sil- 
vestre baptisa  après  sa  conversion  à  la  foi,  comme 
piaraissent  l'insinuer  plusieurs  histoires,  mais  ce  fut 
Constantin,  le  père  de  ce  Constantin,  ainsi  qu'on  le 
voit  dans  des  historiens.  En  effet  ce  Constantin  re- 
çut la  foi  d'une  autre  manière  rapportée  dans  la 
légende  de  saint  Silvestre,  et  ce  n'est  pas  Eusèbe  de 
Césarée  qui  le  baptisa,  mais  bien  saint  Silvestre.  Après 
la  mort  de  son  père,  Constantin,  qui  n'avait  pas  perdu 
le  souvenir  de  la  victoire  remportée  par  la  vertu  de 
la  sainte  croix,  fit  passer  Hélène,  sa  mère,  à  Jérusa- 
lem pour  trouver  cette  croix,  ainsi  que  nous  le  dirons 
plus  bas. 

Voici  maintenant  un  récit  tout  différent  de  cette 
victoire,  d'après  VHistoire  Ecclésiastique  (ch.  ix).  Elle 
rapporte  donc  que  Maxence  ayant  envahi  l'empire 
romain,  l'empereur  Constantin  vint  lui  présenter  la 
bataille  \is-à-vis  le  pont  Albin.  Comme  il  était  dans 
une  grande  anxiété,  et  qu'il  levait  souvent  les  yeux  au 
ciel  pour  implorer  son  secours,  il  vit  en  songe,  du 
côté  de  l'orient  dans  le  ciel,  briller  une  croix,  couleur 
de  feu  :  des  anges  se  présentèrent  devant  lui  et  lui 
dirent  :  «  Constantin,  par  cela  tu  vaincras.  »  Et,  selon 
le  témoignage   de  VHistoire  tripavtite  *,    tandis  que 

•  Liv.  IX,  c.  IX. 


58  LA   LÉGENDE    DOREE 

Constantin  s'étonnait  de  ce  prodige,  la  nuit  suivante, 
J.-C.  lui  apparut  avec  le  signe  vu  dans  le  ciel  ;  il  lui 
ordonna  de  faire  des  images  pareilles  qui  lui  porte- 
raient bonheur  dans  les  combats.  Alors  Constantin 
fut  rendu  à  la  joie  et  assuré  de  la  victoire  ;  il  se  mar- 
qua le  front  du  signe  qu'il  avait  vu  dans  le  ciel,  fit 
transformer  les  enseignes  militaires  sur  le  modèle  de 
la  croix  et  prit  à  la  main  droite  une  croix  d'or.  Après 
quoi  il  sollicita  du  Seigneur  que  cette  droite,  qu'il  avait 
munie  du  signe  salutaire  de  la  croix,  ne  fût  ni  ensan- 
glantée, ni  souillée  du  sang  romain,  mais  qu'il  rem- 
portât la  victoire  sur  le  tyran  sans  effusion  de  sang. 
Quant  à  Maxence,  dans  Tintention  de  tendre  un  piège, 
il  fit  disposer  des  vaisseaux,  fit  couvrir  le  fleuve  de 
faux  ponts.  Or,  Constantin  s'étant  approché  du  fleuve, 
Maxence  accourut  à  sa  rencontre  avec  peu  de  monde, 
après  avoir  donné  ordre  aux  autres  corps  de  le  sui- 
vre; mais  il  oublia  lui-même  qu'il  avait  fait  construire 
un  faux  pont,  et  s'y  engagea  avec  une  poignée  de  sol- 
dats. Il  fut  pris  au  piège  qu'il  avait  tendu  lui-même, 
car  il  tomba  dans  le  fleuve  qui  était  profond;  alors 
Constantin  fut  acclamé  empereur  à  l'unanimité.  D'après 
ce  qu'on  lit  dans  une  chronique  assez  authentique, 
Constantin  ne  crut  pas  parfaitement  dès  ce  moment; 
il  n'aurait  même  pas  alors  reçu  le  baptême;  mais  peu 
(le  temps  après,  il  eut  une  vision  de  saint  Pierre  et  de 
saint  Paul  ;  et  quand  il  eut  reçu  la  vie  nouvelle  du 
baptême  et  obtenu  la  guérison  de  sa  lèpre,  il  crut  par- 
faitement dans  la  suite  en  J.-C.  Ce  fut  alors  qu'il  en- 
voya sa  mère  Hélène  à  Jérusalem  pour  chercher  la 
croix  du  Seigneur.  Cependant  saint  Ambroise,  dans 


l'invention  de  la  sainte  croix  59 

la  lettre  où  il  rapporte  la  raorl  de  Théodose,  et  V His- 
toire tripartile  *,  disent  que  Constantin  reçut  le  bap- 
tême seulement  dans  ses  derniers  moments;  s'il  le 
différa  jusque-là,  ce  fut  pour  pouvoir  le  recevoir  dans 
le  fleuve  du  Jourdain.  Saint  Jérôme  en  dit  autant  dans 
sa  chronique.  Or,  il  est  certain  qu'il  fut  fait  chrétien 
sous  le  pape  saint  Silvestre,  quant  à  savoir  s'il  différa 
son  baptême,  c'est  douteux  ;  ce  qui  fait  qu'en  la  légende 
de  saint  Silvestre,  il  y  a  là-dessus,  comme  en  d'autres 
points,  bien  peu  de  certitude.  Or,  l'histoire  de  l'Inven- 
tion de  la  sainte  croix,  telle  qu*on  la  lit  dans  les  his-. 
toires  ecclésiastiques  conformes  en  cela  aux  chroniques, 
paraît  plus  authentique  de  beaucoup  que  celle  qu'on 
récite  dans  les  églises.  Il  est  en  effet  constant  qu'il 
s'y  trouve  des  endroits  peu  conformes  à  la  vérité,  si 
ce  n'est  -qu'on  veuille  dire,  comme  ci-dessus,  que  ce 
ne  fut  pas  Constantin,  mais  son  père  qui  portait  le 
même  nom  :  ce  qui  du  reste  ne  paraît  pas  très  plau- 
sible, quoique  ce  soit  le  récit  de  certaines  histoires 
d'outre-mer. 

Hélène  arrivée  à  Jérusalem  fit  réunir  autour  d'elle 
les  savants  qu'on  trouva  dans  toute  la  contrée.  Or, 
cette  Hélène  était  d'abord  restée  dans  une  hôtellerie**, 
mais  épris  de  sa  beauté,  Constantin  se  l'attacha,  selon 
que  saint  Ambroise  l'avance  en  disant  :  «  On  assure 
qu'elle  fut  hôtelière,  mais  elle  fut  unie  à  Constantin 

•  Liv.  III,  ch.  XII. 

••  Le  mol  latin  »tabularia  voudrait  dire  servante  de  cour. 
Saint  Ambroise  parait  l'indiquer  quelques  lignes  plus  loin. 
Nous  avons  mieux  aimé  donner  un  féminin  au  mot  hôtelier, 
h<)telière  est  un  mot  qui  a  vieilli. 


60  LA    LÉGENDE    DORÉE 

Tancieii  qui,  dans  la  suite,  posséda  l'empire.  Bonne 
hôtelière,  qui  chercha  avec  lant  de  soin  la  crèche  du 
Seigneur!  Bonne  hôtelière,  qui  connut  cet  hôtelier 
dont  les  soins  î^uérirent  cet  homme  blessé  par  les  bri- 
gands *  !  Bonne  hôtelière,  qui  a  regardé  toutes  choses 
comme  des  ordures  afin  de  gagner  J.-C.**!  Et  pour 
cela  Dieu  l'a  tirée  de  Tordure  pour  l'élever  sur  un 
trône  »  (saint  Ambroise).  D'autres  affirment,  et  c'est  l'o- 
pinion émise  dans  une  chronique  assez  authentique, 
que  cette  Hélène  était  fille  de  Clohel,  roi  des  Bretons  ; 
Constantin  en  venant  dans  la  Bretagne  la  prit  pour 
femme,  parce  qu'elle  élait  fille  unique.  Delà  vient  que 
l'île  de  Bretagne  échut  à  Constantin  après  la  mort 
de  Clohel.  Les  Bretons  eux-mêmes  l'attestent;  on  lit 
pourtant  ailleurs  qu'elle  était  de  Trêves.  Or,  les  Juifs, 
remplis  de  crainte,  se  disaient  les  uns  aux  autres  : 
«  Pour  quel  motif  pensez-vous  que  la  Reine  nous  ait 
convoqués  auprès  d'elle?  »  L'un  d'eux  nommé  Judas 
dit  :  «  Je  sais,  moi,  qu'elle  veut  apprendre  de  nous 
l'endroit  où  se  trouve  le  bois  de  la  croix  sur  lequel  le 
Christ  a  été  crucifié.  Gardez-vous  bien  d'être  assez 
présomptueux  pour  le  lui  découvrir.  Sinon  tenez 
pour  très  cerlai^  que  notre  loi  sera  détruite  et  que 
toutes  les  traditions  de  nos  pères  seront  totalement 
abolies  :  car  Zachée  mon  aïeul  l'a  prédit  à  mon  père 
Siméon  et  mon  père  m'a  dit  avant  de  mourir  :  «  Fais 
«  attention,  mon  fils,  à  l'époque  où  l'on  cherchera  la 
((  croix  du  Christ  :  dis  où  elle  se  trouve,  avant  d'être 

*  Allusion  à  la  parabole  du  Samaritain  de  TEvangile. 
**  Expression  de  saint  Paul  dans  l'Epître  aux  Philippiens, 
c.  III.  8. 


l'invention  de  la  sainte  croix  61 

«  mis  à  la  torture;  car  à  dater  de  cet  instant  le  pouvoir 
<f  des  Juifs,  à  jamais  aboli,  passera  entre  les  mains 
«  de  ceux  qui  adorent  le  crucifié,  parce  que  ce  Christ 
«  était  le  filsde  Dieu.  »  Alors  j'ai  répondu  :  «  Mon  père, 
si  vraiment  nos  ancêtres  ont  su  que  ce  Christ  était  le 
fils  de  Dieu,  pourquoi  Tont-ils  attaché  au  gibet  de  la 
croix?  »  «  Le  Seigneur  est  témoin,  répondit-il,  que  je 
n'ai  jamais  fait  partie  de  leur  conseil  ;  mais  que  sou- 
vent je  me  suis  opposé  à  leurs  projets  :  or,  c'est  parce 
que  le  Christ  reprochait  les  vices  des  Pharisiens  qu'ils 
le  firent  crucifier  :  mais  il  est  ressuscité  le  troisième 
jour  et  il  a  monté  au  ciel  à  la  vue  de  ses  disciples.  Mon 
frère  Etienne,  que  les  Juifs  en  démence  ont  lapidé, 
a  cru  en  lui.  Prends  garde  donc,  mon  fils,  de  n'oser 
jamais  blasphémer  le  Christ  ni  ses  disciples.  »  —  (Il 
ne  paraît  cependant  pas  très  probable  que  le  père  de 
ce  Judas  ait  existé  au  temps  de  la  Passion  de  J.-C., 
puisque  de  la  passion  jusqu'au  temps  d'Hélène,  sous 
laquelle  vécut  Judas,  il  s'écoula  plus  de  270  ans;  à 
moins  qu'on  ne  veuille  dire  qu'alors  les  hommes  vi- 
vaient plus  longtemps  qu'à  présent.)  — Cependant  les 
Juifs  dirent  à  Judas:  «  Nous  n'avons  jamais  entendu 
dire  choses  semblables.  Quoi  qu'il  en  soit,  si  la  Reine 
l'interroge,  aie  soin  de  ne  lui  faire  aucun  aveu.  »  Lors 
donc  qu'ils  furent  en  présence  de  la  Reine,  et  qu'elle 
leur  eut  demandé  le  lieu  où  le  Seigneur  avait  été  cru- 
cifié, pas  un  d'eux  ne  consentit  à  le  lui  indiquer  ; 
alors  elle  les  condamna  tous  à  être  brûlés.  Ils  furent 
saisis  d'effroi  et  signalèrent  Judas,  en  disant  :  «  Prin- 
cesse, voici  le  fils  d'un  juste  et  d'un  prophète  qui  a 
connu  parfaitement  la  loi  ;  demandez-lui  tout  ce  que 


62  LA    LÉGENDE    DORER 

VOUS  voulez,  il  vous  l'indiquera.  »  Alors  elle  les  con- 
gédia tous  à  rexceplion  de  Judas  qu'elle  retint  et  au- 
quel elle  dit  :  «  Je  le  propose  la  vie  ou  la  mort  ;  choi- 
sis ce  que  tu  préfères.  Montre-moi  donc  le  lieu  quî 
s'appelle  Golgotha,  où  le  Seigneur  a  été  crucifié,  afin 
que  je  puisse  trouver  sa  croix.  »  Judas  répondit  : 
«  Comment  puis-je  le  savoir,  puisque  deux  cents  ans 
et  plus  se  sont  écoulés  et  que  je  n'étais  pas  né  à  cette 
époque  ?  »  La  Reine  lui  dit  :  «  Par  le  crucifié,  je  te 
ferai  mourir  de  faim,  si  tu  ne  me  dis  la  vérité.  »  Elle 
ordonna  donc  qu'il  fill  jelé  dans  un  puits  desséché 
pour  y  endurer  les  horreurs  de  la  faim.  Or,  après  y 
être  resté  six  jours  sans  nourriture,  le  septième  il  de- 
manda à  sortir,  en  promettant  de  découvrir  la  croix. 
On  le  retira.  Quand  il  fut  arrivé  à  l'endroit,  après  avoir 
fait  une  prière,  tout  à  coup  la  terre  tremble,  il  se  ré- 
pandit une  fumée  d'aromates  d'une  admirable  odeur  ; 
Judas  lui-même,  plein  d'admiration,  applaudissait  des 
deux  mains  et  disait  :  «  En  vérité,  ô  Christ,  vous  êtes 
le  Sauveur  du  monde!  »  Or,  d'après  Y  Histoire  ecclé" 
siasliquCy  il  y  avait,  en  ce  lieu,  un  temple  de  Vénus 
construit  autrefois  par  l'empereur  Hadrien,  afin  que 
si  quelque  chrétien  eût  voulu  y  adresser  ses  adora- 
tions, il  pariU  adorer  Vénus  :  et,  pour  ce  motif,  ce 
lieu  avait  cessé  d'être  fréquenté  et  était  presque  entiè- 
rement délaissé,  mais  la  Reine  fit  détruire  ce  temple 
jusque  dans  ses  fondements  et  en  fit  labourer  la  place. 
Après  quoi  Judas  se  ceignit  et  se  mit  à  creuser  avec 
courage.  Quand  il  eut  atteint  à  la  profondeur  de  vingt 
pas,  il  trouva  trois  croix  enterrées,  qu'il  porta  incon- 
tinent à  la  reine.  Or,  comme  Ton  ne  savait  pas  dis- 


l'invention  dk  la  sainte  croix  63 

liiiçuer  celle  de  J.-C.  d'avec  celles  des  larrons,  ou 
les  plaça  au  milieu  de  la  ville  pour  attendre  que  la 
gloire  de  Dieu  se  manifestât.  Sur  la  onzième  heure, 
passa  le  corps  d'un  jeune  homme  qu'on  portait  en 
terre  :  Judas  arrêta  le  cercueil,  mit  une  première  et 
une  seconde  croix  sur  le  cadavre  du  défunt,  qui  ne 
ressuscita  pas,  alors  on  approcha  la  troisième  croix  du 
corps  et  à  l'instant  il  revint  à  la  vie. 

On  litcependant,  dans  les  histoires  ecclésiastiques  *, 
qu'une  femme  des  premiers  rangs  de  la  ville  gisait 
demi-morte,  quand  Macaire,  évoque  de  Jérusalem,  prit 
la  première  et  la  deuxième  croix,  ce  qui  ne  produisit  au- 
cun résultat  :  mais  quand  il  posa  sur  elle  la  troisième, 
cette  femme  rouvrit  les  yeux  et  fut  guérie  à  l'instant. 
Saint  Ambroise  dit,  de  son  côté,  que  Macaire  distin- 
gua la  croix  du  Seigneur,  par  le  titre  qu'avait  fait 
mettre  Pilate,  et  dont  l'évêque  lut  l'inscription  qu'on 
trouva  aussi.  Alors  le  diable  se  mit  à  vociférer  en 
•l'air  :  «  0  Judas,  disait-il,  pourquoi  as-tu  fait  cela?  Le 
Judas  qui  est  le  mien  a  fait  tout  le  contraire  :  car  ce- 
lui-ci, poussé  par  moi,  fit  la  trahison,  et  loi,  en  me 
reniant,  tu  as  trouvé  la  croix  de  Jésus.  Par  lui,  j'ai 
gagné  les  âmes  d'un  grand  nombre;  par  toi,  je  parais 
perdre  celles  que  j'ai  gagnées  :  par  lui,  je  régnais  sur 
le  peuple;  par  toi,  je  suis  chassé  de  mon  royaume. 
Toutefois  je  te  rendrai  la  pareille,  et  je  susciterai 
contre  loi  un  autre  roi  qui,  abandonnant  la  foi  du 
crucifié,  te  fera  renier  dans  les  tourments  le  crucifié.  » 


*  Sozomènc,  —  llist.  erc/,,  I.  II,  c.  i;  —  Nicéph.  cal.,1.  XVII, 
c.  XIV,  XV  ;  —  Evagr.,  iv,  iO. 


64  LA    LÉGENDE    DOREE 

Ceci  paraît  se  rapporter  à  Tempereur  Julien  :  celui- 
ci,  lorsque  Judas  fut  devenu  évêque  de  Jérusalem, 
Faccabla  de  nombreux  tourments  et  le  fit  mourir 
martyr  de  J.-C.  En  entendant  les  vociférations  du 
diable,  Judas  ne  craignit  rien,  mais  il  ne  cessa  de 
maudire  le  diable  en  disant  :  «Que  le  Christ  te  damne 
dans  l'abîme  du  feu  éternel  !  »  Après  quoi  Judas  est 
baptisé,  reçoit  le  nom  de  Cyriaque,  puis  est  ordonné 
évêque  de  Jérusalem,  quand  le  titulaire  fut  mort. 
(Beleth,  c.  xxv).  Mais  comme  la  bienheureuse  Hélène 
ne  possédait  pas  les  clous  du  Seigneur,  elle  pria 
Tévêque  Cyriaque  d'aller  au  Goiçotha  et  de  les  chei^ 
cher.  Il  y  vint  et  aussitôt  après  avoir  adressé  des 
prières  à  Dieu,  les  clous  apparurent  brillants  dans  la 
terre,  comme  de  Tor.  Il  les  prit  et  les  porta  à  la  reine. 
Or,  celle-ci  se  mit  à  genoux  par  terre  et,  après  avoir 
incliné  la  tète,  elle  les  adora  avec  grande  révérence. 
Hélène  porta  une  partie  de  la  croix  à  son  fils,  et  ren- 
ferma l'autre  dans  des  châsses  d'argent  qu'elle  laissa 
à  Jérusalem  ;  quant  aux  clous  avec  lesquels  le  corps 
du  Seigneur  avait  été  attaché,  elle  les  porta  à  son 
fils.  Au  rapport  d'Eusèbe  de  Césarée,  elle  en  fit  deux 
freins  dont  Constantin  se  servait  dans  les  batailles,  et 
elle  mit  les  autres  à  son  casque  en  guise  d'armure.  Quel- 
ques auteurs,  comme  Grégoire  de  Tours*,  assurent 
que  le  corps  du  Seigneur  fut  attaché  avec  quatre  clous  : 
Hélène  en  mit  deux  au  frein  du  cheval  de  l'empereur,  le 
troisième  à  la  statue  de  Constantin  qui  domine  la  ville 
de  Rome,  et  elle  jeta  le  quatrième  dans  la  mer  Adria- 

*  Miracul.,  lib.  I,  ch.  vi. 


l'invention  de  la  sainte  croix  65 

tique  qui  jusque-là  avait  été  un  gouffre  pour  les  navi- 
gateurs. Elle  ordonna  que  cette  fête  de  l'Invention  de  la 
sainte  croix  fût  célébrée  chaque  année  solennellement. 
Voici  ce  que  dit  saint  Ambroise  *  :  «  Hélène  chercha 
les  clous  du  Seigneur  et  les  trouva.  De  Tun  elle  fit  faire 
des  freins  ;  elle  incrusta  l'autre  dans  le  diadème  :  belle 
place  que  la  tète  pour  ce  clou  ;  c'est  une  couronne  sur 
le  front,  c'est  une  bride  à  la  main  :  c'est  l'emblème 
de  la  prééminence  du  sentiment,  de  la  lumière  de 
la  foi,  et  de  la  puissance  impériale.  »  Quant  à  l'évéque 
saint  Cyriaque,  Julien  l'apostat  le  fit  mourir  plus 
tard,  pour  avoir  trouvé  la  sainte  croix  dont  partout 
il  prenait  à  tâche  de  détruire  le  signe.  Avant  de  par- 
tir contre  les  Perses,  il  fit  inviter  Cyriaque  à  sacri- 
fier aux  idoles  :  sur  le  refus  du  saint,  Julien  lui  fit 
couper  le  bras  en  disant  :  «  Avec  cette  main  il  a  écrit 
beaucoup  de  lettres  qui  ont  détourné  bien  du  monde 
de  sacrifier  aux  dieux.  »  Cyriaque  lui  répondit  : 
«  Chien  insensé,  tu  m'as  bien  rendu  service  ;  car 
avant  de  croire  à  J.-C,  trop  souvent  j'ai  écrit  des 
lettres  que  j'adressais  aux  synagogues  des  Juifs  afin 
que  personne  ne  crût  en  J.-C.  et  voilà  que  tu  viens 
de  retrancher  de  mon  corps  ce  qui  en  avait  été  le  scan- 
dale. »  Alors  Julien  fit  fondre  du  plomb  qu'il  ordonna 
de  lui  verser  dans  la  bouche  ;  ensuite  il  fit  apporter 
un  lit  en  fer  sur  lequel  Cyriaque  fut  étendu  çt  au- 
dessous  on  mit  des  charbons  ardents  et  de  la  graisse. 
Comme  Cyriaque  restait  immobile,  Julien  lui  dit  : 
«  Si  tu  ne  veux  pas  sacrifier  aux  idoles,  dis  au  moins 

*  De  obitu  Theod.,  nos  47-48. 

II.  5 


66  LA    LI^GENDE    DOREE 

({ue  lu  n'es  pas  chrétien.  »  L'évèque  s'y  refusa  avec 
horreur.  Julien  fil  creuser  une  fosse  profonde  nu'oii 
fit  remplir  de  serpents  venimeux.  Cyriaque  y  fut  jeté, 
mais  les  serpents  moururent  aussitôt.  Julien  ordonna 
alors  que  Cyriaque  fût  jeté  dans  une  chaudière  pleine 
d'huile  bouillante.  Or,  comme  le  saint  voulait  y  entrer 
spontanément,  il  se  signa,  et  pria  le  Seigneur  de  le 
baptiser  une  seconde  fois  dans  Teau  du  martyre,  mais 
Julien  furieux  lui  fit  percer  la  poitrine  avec  une  épée. 
Ce  fut  ainsi  que  saint  Cyriaque  mérita  de  consommer 
Son  martvre  dans  le  Seiijrneur. 

La  grandeur  de  la  vertu  de  la  Croix  est  manifeste 
dans  ce  notaire  fidèle,  trompé  par  un  magicien  qui 
le  conduisit  en  un  lieu  où  il  avait  fait  venir  des  dé- 
mons, en  lui  promettant  des  richesses  immenses.  Il 
vit  un  Ethiopien  de  haute  stature,  assis  sur  un  trône 
élevé,  et  entouré  d'autres  Ethiopiens  debout,  armés 
de  lances  et  de  bâtons.  Alors  l'Ethiopien  demanda  à 
re  magicien  :  «  Quel  est  cet  enfant  ?  »  Le  magicien 
répondit:  «  Seigneur,  c'est  votre  serviteur.  »  Le  dé- 
mon dit  au  notaire  :  «  Si  tu  veux  m'adorer,  être  mon 
serviteur,  et  renier  ton  Christ,  je  te  ferai  asseoir  à 
ma  droite.  »  Mais  le  notaire  se  hâta  de  faire  le  signe 
(le  la  croix  et  s'écria  ([u'il  était  de  toute  son  âme  le 
serviteur  du  Sauveur  J.-C.  Il  n'eut  pas  plutôt  fait  le 
si;^ne  de  la  croix  que  toute  cette  multitude  de  démons 
disparut.  Peu  de  temps  après,  ce  même  notaire  entra 
un  jour  avec  son  maître  dans  le  temple  de  Sainte- 
Sophie;  se  trouvant  ensemble  devant  une  image  du 
Sauveur,  le  maître  remarqua  que  cette  image  avait 
les  yeux  fixés  sur  le  notaire  qu'elle  regardait  attentive- 


\ 


SAINT  JEAN,  APOTRE,  DEVANT  LA  PORTE  LATINE   67 

ment.  Plein  de  surprise,  le  maître  fit  passer  le  jeune 
homme  à  droite  et  vit  que  l'image  avait  encore  tourné 
les  yeux  de  ce  côté,  en  les  dirigeant  sur  le  notaire. 
Il  le  fit  de  nouveau  revenir  à  gauche,  et  voici  que  l'i- 
mage tourna  encore  les  yeux  et  se  mit  à  regarder  le 
notaire  comme  auparavant.  Alors  le  mattre  te  conjura 
de  lui  dire  ce  qu'il  avait  fait  à  Dieu  pour  mériter  que 
l'image  le  regardât  ainsi.  Il  répondit  qu'il  n'avait  la 
conscience  d'aucune  bonne  action,  si  ce  n'est  qu'il 
n'avait  pas  vouîu  renier  le  Sauveur  devant  le  diable^ 


SAINT  JEAN,  APOTRE, 
DEVANT  LA  PORTE  LATINE 

Saint  Jean,  apôtre  etévangéliste,  prêchait  à  Ephèse 
quand  il  fut  pris  par  le  proconsul,  et  invité  à  immo- 
ler aux  dieux.  Comme  il  rejetait  cette  proposition,  il 
est  mis  en  prison  :  on  envoie  alors  à  l'empereur  Do- 
initien  une  lettre  dans  laquelle  saint  Jean  est  signalé 
comme  un  grand  sacrilège,  un  contempteur  des  dieux 
et  un  adorateur  du  crucifié.  Par  l'ordre  de  Domitien, 
il  est  conduit  à  Rome,  où,  après  lui  avoir  coupé  tous 
les  cheveux  par  dérision,  on  lejelte  dans  une  chau- 
dière d'huile  bouillante  sous  laquelle  on  entretenait 
un  feu  ardent  :  c'était  devant  la  porte  de  la  ville  qu'on 
appelle  Latine.  Il  n'en  ressentit  cependant  aucune 
douleur,  et  en  sortit  parfaitement  sain.  En  ce  lieu 
donc,  les  chrétiens  bâtirent  une  église,  et  ce  jour  est 
solennisé  comme  le  jour  du   martyre  de   saint  Jean. 


68  LA    LÉGENDE    DOREE 

Or,  comme  le  saint  apôtre  n'en  continuait  pas  moins 
à  prêcher  J.-C,  il  fut,  par  Tordre  de  Domilien,  relégué 
dans  THe  de  Pathmos.   Toutefois  les  empereurs  ro- 
mains, qui  ne  rejetaient  aucun  Dieu,  ne  persécutaient 
pas  les  apôtres  parce  que  ceux-ci  prêchaient  J.-C.  ) 
mais  parce  que  les  apôtres  proclamaient  la  divinité  de 
Jésus-Christ  sans  Tautorisation  du  Sénat  qui  avait 
défendu  que  cela  ne  se  fît  de  personne.  —  C'est  pour- 
quoi dans  VHistoire  ecclésiastiquey  on  lit  que  Pilate 
envoya  une  fois  une  lettre  à  Tibère  au  sujet  de  Jésus- 
Christ  *.  Tibère  alors  consentit  à  ce  que  la  foi  fût  re- 
çue par  les  Romains,  mais  le  Sénat  s'y  opposa  for- 
mellement,  parce  que  J.-C.   n'avait  pas  été  appelé 
Dieu  d'après  son  autorisation.  Une  autre  raison  rap- 
portée par  une  chronique,  c'est  que  J.-C.  n'avait  pas 
tout  d'abord  apparu  aux  Romains.  Un  autre  motif  c'est 
que  J.-C.  rejetait  le  culte  de  tous  les  dieux  qu'hono- 
raient les  Romains.  Un  nouveau  motif  encore,  c'est 
que  J.-C.  enseignait  le  mépris  du  monde  et  que  les 
Romains  étaient  des  avares  et  des  ambitieux.  M*  Jean 
Beleth  assigne  de  son  côté  une  autre  cause  pour  la- 
quelle les  empereurs  et  le  Sénat  repoussaient  J.-C.  et 
les  apôtres  :  c'était  que  J.-C.  leur  paraissait  un  Dieu 
trop  orgueilleux  et  trop  jaloux,  puisqu'il  ne  daignait 
pas  avoir  d'égal.  Voici  une  autre  raison  donnée  par 
Orose  (liv.  VII,  ch.  iv)  :  «  le  Sénat  vit  avec  peine  que 
c'était  à  Tibère  et  non  pas  à  lui  que  Pilate  avait  écrit 
au  sujet  des  miracles  de  J.-C.  et  c'est  sur  ce  prétexte 
qu'il   ne  voulut  pas  le   mettre   au  rang  des  dieux. 

*  Eusèbe,  1.  II,  c.  ii. 


LA    LITAME    MAJEURE    ET    LA    LITANIE    MINEURE        69 

Aussi  Tibère  irrité  fit  périr  un  grand  nombre  de  séna- 
leurs,  et  en  condamna  d'autres  à  Texil.  »  —  La  mère 
de  Jean,  apprenant  que  son  fils  était  détenu  à  Rome, 
el  poussée  par  une  compassion  de  mère,  s'y  rendit 
|K>ur  le  visiter.  Mais  quand  elle  fut  arrivée,  elle  ap- 
prit qu'il  avait  été  relégué  en  exil.  Alors  elle  se  retira 
dans  la  ville  de  Vétulonia  en  Campanie,  où  elle  ren- 
dit son  âme  à  Dieu.  Son  corps  resta  longtemps  ense- 
veli dans  un  antre,  mais  dans  la  suite,  il  fut  révélé  à 
saint  Jacques,  son  fils.  Il  répandit  alors  une  grande 
et  suave  odeur  et  opéra  de  nombreux  et  éclatants  mi- 
racles ;  il  fut  transféré  avec  grand  honneur  dans  la 
ville  qu'on  vient  de  nommer. 


LA  LITANIE  MAJEURE  ET  LA  LITANIE 
MINEURE  (les  rogations) 

Deux  fois  par  an  arrivent  les  litanies  ;  à  la  fête  de 
sjinl  Marc,  c'est  la  litanie  majeure,  et  aux  trois  jours 
qui  précèdent  Tascension  du  Seigneur,  c'est  la  litanie 
mineure.  Litanie  veut  dire  supplication,  prière  ou 
rogation.  La  première  a  trois  noms  différents,  qui 
sont  :  litanie  majeure,  procession  septiforme,  et  croix 
n:>ires. 

I.  On  rappelle  litanie  majeure  pour  trois  motifs, 
savoir  ;  à  raison  de  celui  qui  l'institua,  ce  fut  saint 
(irégoire,  le  grand  pape  ;  à  raison  du  lieu  où  elle  fut 
instituée  qui  est  Rome,  la  maîtresse  et  la  capitale  du 
monde,  parce  qu'à  Rome  se  trouvent  le  corps  du  prince 


70  LA    LÉGENDE    DOREE 

des  apôtres  et  le  saint  siè^e  apostolique  ;  à  raison 
de  la  cause  pour  laquelle  elle  fut  instituée  :  ce  fut  une 
grande  et  très  grave  épidémie.  En  effet  les  Romains, 
après  avoir  passé  le  carême  dans  la  continence,  et 
avoir  reçu  à  Pâques  le  corps  du  Seigneur,  s'adon- 
naient sans  frein  à  la  débauche  dans  les  repas,  aux 
jeux  et  à  la  luxure  ;  alors  Dieu  provoqué  leur  envoya 
une  épouvantable  peste  qu'on  nomme  inguinale,  au<p 
trement  apostume  ou  enfle  de  Taîne.  — Or,  cette  peste 
était  si  violente  que  les  hommes  mouraient  subite- 
ment, dans  les  chemins,  à  table,  au  jeu,  dans  les  réu- 
nions, de  sorte  que,  s'il  arrivait,  comme  on  dit,  que 
quelqu'un  éternuâl,  souvent  alors  il  rendait  l'âme. 
Aussi  entendait-on  quelqu'un  éternuer,  aussitôt  on 
courait  et  on  criait  :  «  Dieu  vous  bénisse  »  et  c'est  là, 
dit-on,  l'origine  de  cette  coutume  de  dire  :  Dieu  vous 
bénisse,  à  quelqu'un  qui  éternue. 

Ou  bien  encore,  d'après  ce  qu'on  en  rapporte,  si 
quelqu'un  bâillait,  il  arrivait  souvent  qu'il  mourait 
tout  de  suite  subitement.  Aussi,  dès  qu'on  se  sentait 
Tenvie  de  bâiller,  tout  de  suite,  on  se  hâtait  de  faire 
sur  soi  le  signe  de  la  croix  ;  coutume  encore  en  usage 
depuis  lors.  On  peut  voir  dans  la  vie  de  saint  Grégoire 
l'origine  de  cette  peste. 

II.  On  l'appelle  procession  septiforme,  de  la  cou- 
tume qu'avait  établie  saint  Grégoire  de  partager  en 
sept  ordres  ou  rangs  les  processions  qu'il  faisait  de 
son  temps.  Au  premier  rang  était  tout  le  clergé,  au 
second  tous  les  moines  et  les  religieux,  au  troisième 
les  religieuses,  au  quatrième  tous  les  enfants,  au  cin- 
quième tous  les  laïcs,  au  sixième  toutes  les  veuves  et 


LA    LITANIE    MAJEURE    ET   LA    LITANIE   MINEURE        71 

les  continentes,  au  septième  toutes  les  personnes  ma- 
riées. Mais  comme  il  n'est  plus  possible  à  présent 
d'obtenir  ces  sept  divisions  de  personnes,  nous  y 
suppléons  parle  nombre  des  litanies;  car  on  doit  les 
répéter  sept  fois  avant  de  déposer  les  insignes. 

III.  On  l'appelle  les  croix  noires,  parce  que  les 
hommes  se  revêtaient  d'habits  noirs,  en  signe  de  deuil, 
à  cause  de  la  mortalité,  et  comme  pénitence,  et  c'est 
peut-être  aussi  pour  cela  qu'on  couvrait  de  noir  les 
croix  et  les  autels.  Les  fidèles  doivent  aussi  revêtir 
alors  des  habits  de  pénitence. 

On  appelle  litanie  mineure,  celle  qui  précède  de 
trois  jours  la  fête  de  l'Ascension.  Elle  doit  son  insti- 
tution à  saint  Mamert,  évêque  de  Vienne,  du  temps 
de  l'empereur  Léon  qui  commença  à  régner  l'an  du 
Seigneur  458.  Elle  fut  donc  établie  avant  la  litanie 
majeure.  Elle  a  reçu  le  nom  de  litanie  mineure,  de 
rogations  et  de  procession.  On  l'appelle  litanie  mineure 
pour  la  distinguer  de  la  première,  parce  qu'elle  fut 
établie  par  un  moins  grand  évêque,  dans  un  lieu  in- 
férieur et  pour  une  maladie  moindre.  Voici  la  cause 
de  son  institution  :  Vienne  était  affligée  de  fré- 
quents et  affreux  tremblements  de  terre  qui  renver- 
saient beaucoup  de  maisons  et  d'églises.  Pendant  la 
nuit,  on  entendait,  des  bruits  et  des  clameurs  répé- 
tés. Quelque  chose  de  plus  terrible  encore  arriva  ; 
le  feu  du  ciel  tomba  le  jour  de  Pâques  et  consuma 
le  palais  royal  tout  entier.  Il  y  eut  un  autre  fait  plus 
merveilleux.  De  même  que  par  la  permission  de 
Dieu,  des  démons  entrèrent  autrefois  dans  des  pour- 
CL^aux,  de  même  aussi  par  la  permission  de  Dieu,  pour 


72  LA    LÉGENDE    DOREE 

hs  péchés  des  hommes,  ils  entraient  dans  des  loups 
et  dans  d'autres  bêtes  féroces  et  sans  craindre  per- 
sDune,  ils  couraient  en  plein  jour  non  seulement  par 
les  chemins  mais  encore  par  la  ville,  dévorant  çà  ot 
là  des  enfants,  des  vieillards  et  des  femmes.  Or, 
comme  ces  malheurs  arrivaient  journellement,  Icvsaint 
évêque  Mamert  ordonna  un  jeûne  de  trois  jours  et 
institua  des  litanies  ;  alors  cette  tribulation  s'apaisa. 
Dans  la  suite,  cette  pratique  s'établit  et  fut  approuvée 
par  l'Eglise  ;  de  sorte  qu'elle  s'observe  universellement. 
—  On  l'appelle  encore  rogations,  parce  qu'alors  nous 
implorons  les  suffrages  de  tous  les  saints  :  et  nous 
avons  raison  d'observer  celte  pratique  en  ces  temps- 
ci,  de  prier  les  saints  et  de  jeûner  pour  différents  mo- 
tifs :  1°  pour  que  Dieu  apaise  le  fléau  de  la  guerre, 
parce  que  c'est  particulièrement  au  printemps  qu'il 
éclate;  2°  pour  qu'il  daigne  multiplier  par  leur  con- 
servation les  fruits  tendres  encore  ;  3°  pour  mortifier 
chacun  en  soi  les  mouvements  déréglés  de  la  chair  qui 
sont  plus  excités  à  cette  époque.  Au  printemps  en 
effet  le  sang  a  plus  de  chaleur  et  les  mouvements  dé- 
réglés sont  plus  fréquents  ;  4°  afin  que  chacun  se 
dispose  à  la  réception  du  Saint-Esprit  ;  car  par  le 
jeûne,  l'homme  se  rend  plus  habile,  et  parles  prières 
il  devient  plus  digne.  Maftre  Guillaume  d'Auxerrc 
assigne  deux  autres  raisons  :  i"  comme  Jésus-Christ 
a  dit  en  montant  au  ciel  :  «  Demandez  et  vous  rece- 
vr.^z  »,  l'Eglise  doit  adresser  ses  demandes  avec  plus 
de  confiance;  2°  l'Eglise  jeûne  et  prie  afin  de  se  dé- 
pouiller de  la  chair  par  la  mortification  des  sens,  et 
de  s'acquérir  des  ailes  à  Taidede  l'oraison  ;  car  l'orai- 


LA    LITANIE    MAJEURE    ET    LA    LITANIE    MINEURE        73 

son,  ce  sont  les  ailes  au  moyen  desquelles  rame  s'en- 
vole vers  le  ciel,  pour  ainsi  suivre  les  traces  de  J.-C. 
qui  y  est  monté  afin  de  nous  ouvrir  le  chemin  et  qui 
a  volé  sur  les  ailes  des  vents.  En  effet  l'oiseau,  dont 
le  corps  est  épais  et  les  ailes  petites,  ne  saurait  bien 
voler,  comme  cela  est  évident  par  l'autruche. 

On  l'appelle  encore  procession,  parce  qu'alors  l'E- 
çlise  fait  généralement  la  procession.  Or,  on  y  porte 
la  croix,  on  sonne  les  cloches,  on  porte  la  bannière  ; 
en  quelques  églises  on  porte  un  dragon  avec  une  queue 
énorme,  et  on  implore  spécialement  le  patronage  de 
tous  les  saints.  Si  l'on  y  porte  la  croix  et  si  l'on  sonne 
les  cloches,  c'est  pour  que  les  démons  effrayés  pren- 
nent la  fuite.  Car  de  même  qu'à  l'armée  le  roi  a  les 
insignes  royaux,  qui  sont  les  trompettes  et  les  éten- 
dardSy  de  même  J.-C  ,  le  roi  éternel  dans  son  Eglise 
militante,  a  les  cloches  pour  trompettes  et  les  croix 
pour  étendards  ;  et  de  même  encore  qu'un  tyran  se- 
rait en  grand  émoi,  s'il  entendait  sur  son  domaine  les 
trompettes  d'un  puissant  roi  son  ennemi,  et  s'il  en 
voyait  les  étendards,  de  même  les  démons,  qui  sont 
dans  l'air  ténébreux,  sont  saisis  de  crainte  quand  ils 
sentent  sonner  les  trompettes  de  J.-C,  qui  sont  les 
cloches,  et  qu'ils  regardent  les  étendards  qui  sont  les 
croix.  —  Et  c'est  la  raison  qu'on  donne  de  la  coutume 
de  l'Église  de  sonner  les  cloches,  quand  on  voit  se  for- 
mer les  tempêtes; les  démons, qui  en  sont  les  auteurs, 
entendant  les  trompettes  du  roi  éternel,  prennent  alors 
répouvante  et  la  fuite,  et  cessent  d'amonceler  les 
tempêtes  :  il  y  en  a  bien  encore  une  autre  raison, 
c'est  que  les  cloches,  en  cette  occasion,  avertissent  les 


74  L\    LKGRNDE    DOREE 

fidèles  el  les  provoquent  à  se  livrer  à  la  prière  dans 
le  péril  qui  les  menace.  La  croix  est  réellement  encore 
l'étendard  du  roi  éternel,  selon  ces  paroles  de  l'Hymne  : 

Vexilla  reg-is  prodeunt  ; 
Fulisç'et  Crucis  mysterium 
Quo  carne  carnis  conditor 
Suspensus  est  patibulo  *. 

Or,  les  démons  ont  une  terrible  peur  de  cet  étendard, 
selon  le  témoi;jnaçe  de  saint  Chrysostome  :  «  Partout 
où  les  démons  aperçoivent  le  signe  du  Seigneur,  ils 
fuient  efFrayés  le  bâton  qui  leur  a  fait  leurs  blessures.  » 
C'est  aussi  la  raison  pour  laquelle,  en  certaines  égli- 
ses, lors  des  tempêtes,  on  sort  la  croix  de  l'église  et 
on  Texpose  contre  la  tempête,  afin  que  les  démons, 
voyant  l'étendard  du  souverain  roi,  soient  effrayés  et 
prennent  la  fuite.  C'est  donc  pour  cela  que  la  croix 
est  portée  à  la  procession,  et  que  Ton  sonne  les  clo- 
ches, alors  les  démons  qui  habitent  les  airs  pren- 
nent l'épouvante  et  la  fuite,  et  s'abstiennent  de  nous 
incommoder**.  Or,  on  y  porte  cet  étendard  pour  re- 
présenter la  victoire  de  la  Résurrection  et  celle  de 

*  LV'Iendard  du  Roi  apparaît;  le  mystère  de  la  Croix  éclate  : 
le  créateur  de  Thommc,  homme  lui-même,  est  suspendu  à  un 
jLCibet. 

Ce  sont  les  paroles  de  la  Ire  strophe  de  Thymne  du  temps 
de  la  Passion,  telle  qu'elle  se  récitait  avant  la  correction 
exécutée  avec  plus  ou  moins  de  piété  et  de  bonheur  au 
xviie  siècle. 

**  Saint  Paul,  au  ne  chapitre  de  la  Lettre  aux  Ephésiens, 
appelle  le  démon,  le  Prince  de  la  puissance  de  Tair,  Princi- 
pe m  potentat  is  aeris  hujus. 


LA    LITANIE    MAJEURE    ET    LA    LITANIE    MINEURE        75 

rAscension  de  J.-C.  qui  est  monté  aux  cieux  avec 
un  grand  butin.  Cet  étendard  qui  s'avance  dans  les 
airs,  c'est  J.-C.  montant  au  ciel.  Or,  ainsi  que  Téten- 
dard  porté  à  la  procession  est  suivi  de  la  multitude 
des  fidèles,  ainsi  J.-C  montant  au  ciel  est  accompagné 
d'un  cortège  immense  de  saints.  Le  chant  des  proces- 
sions représente  les  cantiques  et  les  louanges  des  an- 
ges accourant  au-devant  de  J.-C.  qui  monte  au  ciel, 
et  l'accompagnant  de  leurs  acclamations  puissantes  et 
unanimes  jusque  dans  le  ciel. 

Dans  quelques  églises  encore,  et  principalement 
dans  les  églises  gallicanes,  c'est  la  coutume  de  por- 
ter, derrière  la  croix,  un  dragon  avec  une  longue  queue 
remplie  de  paille  ou  de  quelque  autre  matière  sem- 
blable, les  deux  premiers  jours  ;  mais  le  troisième 
jour  cette  queue  est  vide  :  ce  qui  signifie  que  le  diable 
a  régné  en  ce  monde  au  premier  jour  qui  représente 
le  temps  avant  la  loi  et  le  second  jour  qui  marque  le 
temps  de  la  loi,  mais  au  troisième  jour  c'est-à-dire, 
au  temps  de  la  grâce,  après  la  Passion  de  J.-C,  il  a 
été  expulsé  de  son  royaume.  En  cette  procession  nous 
réclamons  encore  le  patronage  de  tous  les  saints. 

Nous  avons  donné  plus  haut  quelques-unes  des 
raisons  pour  lesquelles  nous  prions  alors  les  saints. 
II  y  en  a  encore  d'autres  générales  pour  lesquelles 
Dieu  nous  a  ordonné  de  le  prier  ;  ce  sont  :  notre  indi- 
gence, la  gloire  des  saints  et  l'honneur  de  Dieu.  En 
effet  les  saints  peuvent  connaître  les  vœux  de  ceux  qui 
leur  adressent  des  supplications;  car  dans  ce  miroir 
éternel,  il  aperçoivent  quelle  joie  c'est  pour  eux,  et 
quel  secours  c'est  pour  nous.  La  première  raison  donc 


7ti  LA    LÉGENDE    DOREE 

c'est  notre  indigence  :  elle  provient  ou  bien  de  ce  que 
nous  méritons  peu;  quand  donc  ces  mérites  de  notre 
part  sont  insuffisants,  nous  nous  aidons  de  ceux  d'au- 
trui  :  ou  bien  cette  indigence  se  manifeste  dans  la 
contemplation  :  Or,  puisque  nous  ne  pouvons  conlem- 
piiir  la  souveraine  lumière  en  soi,  nous  prions  de  pou- 
voir la  regarder  dans  les  saints  :  ou  bien  cette  indi- 
gence réside  dans  l'amour  :  parce  que  le  plus  souvent 
riiomme  étant  imparfait  ressent  en  soi-même  plus 
(raffcclion  pour  un  saint  en  particulier  que  pour  Dieu 
même.  La  seconde  raison,  c'esl  la  gloire  des  saints  : 
car  Dieu  veut  que  nous  les  invoquions  pour  obtenir 
par  leurs  suffrages  ce  que  nous  demandons,  afin  de 
les  glorifier  eux-mêmes  et  en  les  glorifiant  de  les  louer. 
La  troisième  raison,  c'est  l'honneur  de  Dieu  ;  en  sorte 
(jue  le  pécheur  qui  a  offensé  Dieu,  honteux,  pour  ainsi 
dire,  de  s'adresser  à  Dieu  personnellement,  peut  im- 
plorer ainsi  le  patronage  de  ceux  qui  sont  les  amis 
de  Dieu.  Dans  ces  sortes  de  processions  on  devrait  répé- 
ter souvent  ce  canticpie  angélique  :  Suncie  Deus,  sancle 
l'ortiSy  sancle  et  inunoylalis^  miserere  nobis.  En  effet 
saint  Jean  Damascène,  au  livre  III,  rapporte  que  Ton 
célébrait  des  litanies  à  Constantinople,  à  l'occasion  de 
certaines  calamités,  quand  un  enfant  fut  enlevé  au  ciel 
du  milieu  du  peuple  ;  revenu  au  milieu  de  la  foule,  il 
chanta  devant  tout  le  monde  ce  canti(]ue  qu'il  avait 
appris  des  anges  et  bientôt  après  cessa  la  calamité.  Au 
concile  de  r'Jialcédoine,  ce  cantique  fut  approuvé.  Saint 
Damascène  conclut  ainsi  :  «  Pour  nous,  nous  disons 
([ue  par  ce  cantique  les  démons  sont  éloignés.  »  Or,  il 
v  a  quatre  motifs  de  louer  et  d'autoriser  ce  chant  :  1° 


SAINT    BONIFACE,    MARTYR  77 

parce  que  ce  fui  un  ange  qui  l'enseigna  ;  2°  parce 
qu'en  le  récitant  cette  calamité  s'apaisa;  3*»  parce  que 
le  concile  de  Chalcédoine  l'approuva  ;  4°  parce  que  les 
démons  le  redoutent  *.  » 


SAINT  BONIFACE,  MARTYR  *♦ 

Saint  Bôniface  souffrit  le  martyre,  sous  Dioclétien 
et  Maxiraien,  dans  la  ville  de  Tarse  ;  mais  il  fut  ense- 
veli à  Rome  sur  la  voie  latine.  C'était  l'intendant  d'une 
noble  matrone  appelée  Aglaê.  Ils  vivaient  criminelle- 
ment ensemble;  mais  touchés  l'un  et  l'autre  par  la 
grâce  de  Dieu,  ils  décidèrent  que  Bôniface  irait  cher- 
cher des  reliques  des  martyrs  dans  l'espoir  de  méri- 
ter, au  moyen  de  leur  intercession,  le  bonheur  du  sa- 
lut, par  les  hommages  et  Thonneur  qu'ils  rendraient 
à  ces  saints  corps. —  Après  quelquesjours  de  marche, 
Bôniface  arriva  dans  la  ville  de  Tarse  et  s'adressant 
à  ceux  qui  l'accompagnaient  :  «  Allez,  leur  dit-il,  cher- 
cher où  nous  loger  :  pendant  ce  temps  j'irai  voir  les 
martyrs  au  combat  ;  c'est  ce  que  je  désire  faire  tout 
d'abord.  »  Il  alla  en  toute  hâte  au  lieu  des  exécu- 
tions :  et  il  vit  les  bienheureux  martyrs,  l'un  suspendu 
par  les  pieds  sur  un  foyer  ardent,  un  autre  étendu  sur 

*  Une  lettre  du  pape  Félix  III  ;  Marcel  dans  sa  Chroni- 
que; Nicëphore,  liv.  IV,  eh.  xlvi;  le  concile  de  C.  P.  racon- 
tent le  même  fait. 

••  Bréviaire;  —  Martyrologe  d'Adon,  au  5  juin.  Ruinart  a 
donné  ces  actes  dans  son  recueil. 


78  LA    LÉGENDE    DOREE 

quatre  pièces  de  bois  et  soumis  à  un  supplice  lent, 
un  troisième  labouré  avec  des  ongles  de  fer,  un  qua- 
trième auquel  on  avait  coupé  les  mains,  et  le  dernier 
élevé  en  Tair  et  étranglé  par  des  bûches  attachées  à 
son  cou.  En  considérant  ces  différents  supplices  dont 
se  rendait  l'exécuteur  un  bourreau  sans  pitié,  Boniface 
sentit  grandir  son  courage,  et  son  amour  pour  J.-C 
et  s'écria  :  «  Qu'il  est  grand  le  Dieu  des  saints  mar- 
tyrs! »  Puis  il  courut  se  jeter  à  leurs  pieds  et  em- 
brasser leurs  chaînes  :  «  Courage,  leur  dit-il,  martyrs 
de  J.-C.  ;  terrassez  le  démon,  un  peu  de  persévérance  ! 
Le  labeur  est  court,  mais  le  repos  sera  long  ensuite, 
viendra  le  temps  où  vous  serez  rassasiés  d'un  bonheur 
ineffable.  Ces  tourments  que  vous  endurez  pour  l'a- 
mour de  Dieu  n'ont  qu'un  temps  ;  ils  vont  cesser  et 
tout  à  l'heure,  vous  passerez  à  la  joie  d'une  félicité 
qui  n'aura  point  de  fin  ;  la  vue  de  votre  roi  fera  votre 
bonheur;  vous  unirez  vos  voix  au  concert  des  chœurs 
angéliques,  et  revêtus  de  la  robe  brillante  de  l'immor- 
talité vous  verrez  du  haut  du  ciel  vos  bourreaux  im- 
pies tourmentés  tout  vivants  dans  l'abîme  d'une  éter- 
nelle misère.  »  —  Le  juge  Simplicien,  qui  aperçut 
Roniface,  le  fit  approcher  de  son  tribunal  et  lui  de- 
manda :  ((  Qui  es-tu?  »  «  Je  suis  chrétien,  répondit-il, 
et  Boniface  est  mon  nom.  »  Alors  le  juge  en  colère 
le  fit  suspendre  et  ordonna  de  lui  écorcher  le  corps  avec 
des  ongles  de  fer,  jusqu'à  ce  qu'on  vît  ses  os  à  nu  : 
ensuite  il  fit  enfoncer  des  roseaux  aiguisés  sous  les 
ondes  de  ses  mains.  Le  saint  martvr,  les  yeux  levés 
au  ciel,  supportait  ses  douleurs  avec  joie.  A  cette  vue, 
le  juge  farouche  ordonna  de  lui  verser  du  plomb  fondu 


SAINT    BOMFACE,    MARTYR  79 

dans  la  bouche.  Mais  le  saint  martyr  disait  :  «  Grâces 
v(ius  soient  rendues,  Seigneur  J.-C.,  Fils  du  Dieu  vi- 
vant. »  Après  quoi,  Simplicien  fit  apporter  une  chau- 
dière qu  ou  emplit  de  poix.  On  la  fît  bouillir  et  Boni- 
face  y  fut  jeté  la  tête  la  première.  Le  saint  ne  souffrit 
rien  ;  alors  le  juge  commanda  de  lui  trancher  la  tète. 
Aussitôt  un  affreux  tremblement  de  terre  se  fit  res- 
sentir et  beaucoup  d'infidèles,  qui  avaient  pu  appré- 
cier le  courage  de  cet  athlète,  se  convertirent.  —  Ce- 
pendant les  compagnons  deBonifacele  cherchant  par- 
tout et  ne  l'ayant  point  trouvé,  se  disaient  entre  eux  : 
(c  II  est  quelque  part  dans  un  lieu  de  débauche,  ou 
occupé  à  faire  bonne  chère  dans  une  taverne.  »  Or, 
pendant  qu'ils  devisaient  ainsi,  ils  rencontrèrent  un 
des  geôliers.  «  N'as-lu  pas  vu,  lui  demandent-ils,  un 
étranger,  un  Romain?  »  «  Hier,  leur  répondit-il,  un 
étranger  a  été  décapité  dans  le  cirque.  »  «  Comment 
était-il?  »  «  C'était,  ajoutèrent-ils,  un  homme  carré  de 
taille,  épais,  à  la  chevelure  abondante,  et  revêtu  d'un 
manteau  écarlate.  »  «  Eh  bien  !  répondit  le  geôlier, 
celui  que  vous  cherchez  a  terminé  hier  sa  vie  par  le 
martyre.  »  «  Mais,  reprirent-ils,  l'homme  que  nous 
cherchons  est  un  débauché,  un  ivrogne.  »  «  Venez  le 
voir,  dit  le  geôlier.  »  Quand  il  leur  eut  montré  le 
tronc  du  bienheureux  martyr  et  sa  tête  précieuse,  ils 
s'écrièrent  :  «  C'est  bien  celui  que  nous  cherchons  : 
\euillez  nous  le  donner.  »  Le  geôlier  répondit  :  «Je  ne 
puis  pas  vous  délivrer  son  corps  gratuitement.  »  Ils 
donnèrent  alors  cinq  cents  pièces  d'or,  et  reçurent  le 
corps  du  saint  martyr  qu'ils  embaumèrent  et  renfer- 
mèrent dans  des  linges  de  prix  ;  puis  l'ayant  mis  dans 


i 


80  LA    LÉGENDE    DOREB 

une  litière,  ils  revinrent  pleins  de  joie  et  rendant  gloire 
à  Dieu.  Or,  un  ange  du  Seigneur  apparut  à  Aglaé  et 
lui  révéla  ce  qui  était  arrivé  à  Boniface.  A  l'instant  elle 
alla  au-devant  du  saint  corps  et  fit  construire,  en  son 
honneur,  un  tonibcau-digne  de  lui,  à  une  distance  de 
Rome  de  cinq  stades.  Boniface  fut  donc  martyrisé, 
le  14  mai,  à  Tharse,  métropole  de  la  CiHcie,  et  ense- 
veli à  Rome  le  9  juillet.  —  Quant  à  Aglaë,  elle  renonça 
au  monde  et  à  ses  pompes  :  après  avoir  distribué  tous 
ses  biens  aux  pauvres  et  aux  monastères,  elle  affran- 
chit ses  esclaves,  et  passa  le  reste  de  sa  vie  dans  le 
jeûne  et  la  prière.  Elle  vécut  encore  douze  ans  sous 
Fhabit  de  religieuse,  dans  la  pratique  continuelle  des 
bonnes  œuvres  et  fut  enterrée  auprès  de  saint  Boniface. 


L'ASCENSION  DE  NOTRE-SEIGNEUR 

Notre  Seigneur  monta  au  ciel  quarante  jours  après 
sa  résurrection.  Il  y  a  sept  considérations  à  établir 
par  rapport  à  l'Ascension  :  1**  le  lieu  où  elle  se  fit  ; 
2°  pourquoi  J.-C.  n'a  pas  monté  au  ciel  de  suite  après 
sa  résurrection,  mais  pourquoi  il  a  attendu  quarante 
jours;  3°  de  quelle  manière  il  monta;  4*  avec  qui  il 
monta;  3°  à  quel  litre  il  monta;  6"*  où  il  monta  ;  7<* 
pourquoi  il  monta. 

1.  Ce  fut  du  mont  des  Olives  que  J.-C.  s'éleva  aux 
cieux.  D'après  une  autre  version,  cette  montagne  a 
reçu  le  nom  de  montagne  des  trois  lumières;  en  efifet, 
du  côté  de  l'occident,  elle  était  éclairée,  la  nuit,  par 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  81 

le  feu  du  lemple,    car  un  feu  brûlait   sans  cesse  sur 
l'aulel,    le  matin,  du  cMé  de  Torienl,  elle  recevait  les 
premiers   rayons  du  soleil,  même    avant  la   ville  ;.il 
y  avait  en    outre  sur    cette  iriontagne    une   quantité 
d'oliviers  dont  Thuile  sert  d'aliment  à  la  lumière,  et 
voilà  pourquoi  on  l'appelle  la  montagne  des  trois  lu- 
mières. J.-C.  commanda  à  ses  disciples  de  se  rendre  à 
cette  montagne  ;  car  le  jour  de  l'ascension  même,  il 
apparut  deux  fois  :  la  première,  aux  onze  apôtres  qui 
étaient  à  table  dans  le  cénacle.  Aussi  bien  les  apôtres 
que  les  autres  disciples,  ainsi  que  les  femmes,  tous 
habitaient   dans  cette   partie   de  Jérusalem    appelée 
Mello,  ou  montagne  de  Sion.  David  y  avait  construit 
un  palais  ;  et  c'était  là  que  se  trouvait  ce  grand  cénacle 
tout  meublé  où  J.-C.  avait  commandé  qu'on  lui  pré- 
parât la  Pâques,    et  dans  ce  cénacle  habitaient  alors 
les  onze  apôtres  ;  quant  aux  autres  disciples  avec  les 
saintes  femmes,  ils  occupaient  tout  aulour  différents 
logements. 

Comme  ils  étaient  à  table  dans  le  cénacle,  le  Sei- 
jgneur  leur  apparut  et  leur  reprocha  leur  incrédulité  : 
et  après  qu'il  eut  mangé  avec  eux,  et  qu'il  leur  eut 
ordonné  d'aller  à  la  montagne  des  Oliviers,  du  côté 
de  Béthanie,  il  leur  apparut  en  cet  endroit  une  seconde 
fois,  répondit  à  quelques  questions  indiscrètes;  après 
quoi  il  levades  mains  pour  les  bénir  et  de  là,  en  leur 
présence,  il  monta  au  ciel.  Voici,  sur  ce  lieu  de  l'as- 
cension, ce  que  dit  Sulpice,  évêque  de  Jérusalem,  et 
après  lui  la  Glose  *  :  «  Après  qu'on  eut  bâti  là  une 

•  Extrait  de  Y  Histoire  schoiaslique  de  Pierre  Coinestor. 

II.  '•> 


82  LA    LKGKNDE    DOREE 

église,  le  lieu  où  J.-C.  montant  au  ciel  posa  les  pieds, 
ne  put  jamais  éire  recouvert  par  un  pavé;  il  y  a 
plus,  le  marbre  sautait  à  la  figure  de  ceux  qui  le  po- 
saient. Une  preuve  que  cet  endroit  avait  été  foulé  par 
les  pieds  de  J.-C,  c'est  qu'on  voit  imprimés  des  ves- 
tiges de  pieds,  et  que  la  terre  conserve  encore  une 
figure  qui  ressemble  à  des  pas  qui  y  ont  été  gravés.  » 
II.  Pourquoi  J.-C.  n'est-il  pas  monté  de  suiteaprès 
sa  résurrection,  mais  a-t-il  voulu  attendre  pendant 
(|uarantejours?Il  y  en  a  trois  raisons  :  1"*  pour  qu'on 
ait  la  certitude  de  la  résurrection.  Il  était  en  effet  plus 
difficile  de  prouver  la  vérité  de  la  résurrection  que 
celle  de  la  Passion  :  car,  du  preipier  au  troisième 
jour,  on  pouvait  prouver  la  vérité  delà  passion:  mais 
pour  avoir  la  preuve  certaine  de  la  résurrection,  il 
fallait  un  plus  grand  nombre  de  témoignages  ;  et  c'est 
pour  cela  qu'il  était  nécessaire  qu'il  y  eût  plus  de 
temps  entre  la  résurrection  et  l'ascension,  qu'entre  la 
})assion  et  la  résurrection.  A  ce  sujet,  saint  Léon, 
pape,  sVwplique  comme  il  suit  dans  un  sermon  sur 
rascension  :  «  Aujourd'hui  est  accompli  le  nombre 
de  quarante  jours  qui  avait  été  disposé  par  un  arran- 
juement  très  sainl,  et  qui  avait  été  dépensé  au  profit 
de  notre  instruction.  Le  Seigneur,  en  prolongeant, 
jusqu'à  ce  moment,  l<»  délai  de  sa  présence  corporelle, 
voulait  affermir  la  foi  en  la  résurrection  «par  des  té- 
moignages authentiques.  Rendons  grâces  à  cette  divine 
économie  et  au  retard  nécessaire  que  subirent  les  saints 
pères.  Ils  doutèrenl,  eux,  afin  que  nous,  nous  ne  dou- 
tassions pas.  »  2^Pourconsoler  les  apùtres. Or,  puisque 
les  consolations  divines  surpassent  les  tribulations  et 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  83 

qoe  le  temps  de  la  passion  fut  celui  delà  tribulation  des 
apôtres,  il  devait  donc  y  avoir  plus  de  jours  de  conso- 
lation que  de  jours  de  tribulation.  3*  Pour  une  significa- 
tion mystique  :  c'est  pour  donner  à  comprendre  que  les 
consolations  divines  sont  aux  tribulations  comme  un 
an  est  à  un  jour,  comme  un  jour  est  à  une  heure, 
comme  une  heure  est  à  un  moment.  Il  est  clair  que  les 
consolations  divines  sont  aux  tribulations  comme  un 
an  est  à  un  jour  par  ce  passage  d'Isaïe  (c.  lxi)  : 
«  Je  dois  prêcher  l'année  de  la  réconciliation  du  Sei- 
gneur et  le  jour  de  la  vengeance  de  notre  Dieu.  » 
Voilà  donc  que  pour  un  jour  de  tribulation,  il  rend 
nne  année  de  consolation.  11  est  clair  que  les  consola- 
tions divines  sont  aux  tribulations  comme  un  jour  est 
à  une  heure,  par  ce  fait  que  le  Seigneur  resta  mort 
pendant  quarante  heures;  c'est  le  temps  delà  tribu- 
lation :  et  qu'après  être  ressuscité,  il  apparut  pendant 
quarante  jours  à  ses  disciples,  et  c'était  le  temps  de 
la  consolation.  Ce  qui  fait  dire  à  la  Glose  :  «  Il  était 
resté  mort  pendant  quarante  heures,  c'est  pour  cela 
qu'il  confirmait,  pendant  quarante  jours,  la  certitude 
qu'il  avait  repris  la  vie.  »  Isaïe  laisse  à  entendre  que 
les  consolations  sont  aux  tribulations  comme  une 
heure  est  à  un  moment  ;  quand  il  dit  (c.  liv)  :  «  J'ai 
détourné  mon  visage  de  vous  pour  un  moment,  dans 
le  temps  de  ma  colère;  mais  je  vous  ai  regardés  en- 
suite avec  une  compassion  qui  ne  finira  jamais.  » 

HI.  La  manière  dont  il  monta  au  ciel  fut  1^  accom- 
pagnée d'une  grande  puissance,  selon  ce  que  dit  Isaïe 
(lxiii)  :  «  Quel  est  celui  qui  vient  d'Edom,  marchant 
avec  une  force  toute  puissante?  »  Saint  Jean  dit  aussi 


84  LA    LÉGENDE    DOREE 

(iir)  :  «  Personne  n'est  monté  au  ciel,  par  sa  propre 
force,  que  celui  qui  est  descendu  du  ciel,  c'est-à-dire, 
le  Fils  de  Thomnie  qui  est  dans  le  ciel.  »  Car  quoiqu'il 
fiU  monté  sur  un  groupe  de  nuages,  cependant  il 
ne  Ta  point  fait  parce  que  ce  groupe  lui  fût  devenu 
nécessaire,  mais  c'était  pour  montrer  que  toute  créa- 
ture est  prête  à  obéir  à  son  créateur.  En  effet  il  est 
monté  par  la  puissance  de  sa  divinité,  et  c'est  en 
cela  qu'est  caractérisée  la  puissance  ou  le  souverain 
domaine,  d'après  ce  qui  est  rapporté  dans  les  his- 
toires ecclésiastiques  au  sujet  d'Enoch  et  d'£lie  :  car 
Enoch  fut  transporté,  Eliefut  soulevé,  tandis  que  J.-C. 
a  monté  par  sa  puissance  propre.  «  Le  premier,  dit 
saint  Grégoire,  fut  engendré  et  engendra,  le  second 
fut  engendré  mais  n'engendra  pas,  le  troisième  ne  fut 
pas  engendré  et  n'engendra  pas.  »  Il  monta  au  ciel 
2°  publiquement,  à  la  vue  de  ses  disciples  :  aussi  est- 
il  dit  (Actes,  i)  :  «  Ils  le  virent  s'élever.  »  (Saint  Jean) 
<(  .levais  à  celui  qui  m'a  envoyé  et  personne  de  vous  ne 
me  demande  :  où  allez-vous  ?  »  la  glose  dit  ici  : 
«  C'est  donc  publiquement,  afin  qu'il  ne  vienne  à  la 
pensée  de  personne  de  soulever  des  questions  sur  ce 
(|ui  se  voit  à  l'œil  nu.  »  11  voulut  monter,  à  la  vue  de 
ses  disciples,  [)our  qu'ils  fussent  eux-mêmes  des  té- 
moins de  l'ascension,  qu'ils  conçussent  de  la  joie  en 
voyant  la  nature  humaine  portée  au  ciel,  et  qu'ils  dé- 
sirassent y  suivre  J.-C.  Il  monta  au  ciel  3"  avec  joie, 
au  milieu  des  concerts  des  anges.  Le  Psaume  dit 
(xLvi)  :  «  Dieu  est  monté  au  mifieu  des  cris  de  joie.  » 
«  Au  moment  de  l'Ascension  de  J.-C,  dit  saint  Augus- 
tin, le  ciel  est  tout  stupéfait,  les  astres  sont  dansl'admi- 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  85 

ration,  les  bataillons  sacrés  applaudissent,  les  trom- 
pettes sonnent,  et  mêlent  leur  harmonie  à  celle  des 
choeurs  joyeux.  »  —  Il  monta  4**  avec  rapidité.  «  11 
part  avec  ardeur,  dit  le  Psalmiste,  pour  courir  comme 
un  géant  dans  sa  carrière  ;  »  car  en  effet  il  monta  avec 
une  extraordinaire  vitesse  puisqu'il  parcourut  un  si 
^prand  espace  comme  en  un  moment.  —  Le  rabbin 
Moïse,  très  grand  philosophe,  avance  que  chaque 
cercle,  ou  chaque  ciel  de  quelque  planète  que  ce  soit, 
a  de  profondeur  un  chemin  de  SOO  ans,  c'est-à-dire, 
que  l'espace  en  est  si  étendu  qu'un  homme  mettrait 
cinq  cents  ans  à  le  parcourir  sur  un  chemin  uni  :  la 
distance  d'un  ciel  à  un  autre  est  de  même,  dit-il, 
un  chemin  de  500  ans  ;  et  comme  il  y  a  sept  cieux,  il 
y  aura,  d'après  lui,  à  partir  du  centre  de  la  terre  jus- 
qu'aux profondeurs  du  ciel  de  Saturne,  qui  est  le  sep- 
tième un  chemin  de  sept  mille  ans;  et  jusqu'au  point 
W  plus  éloigné  du  ciel,  sept  mille  cinq  cents  ans,  c'est- 
;'i-dire,  un  espace  si  grand  que  quelqu'un  qui  mar- 
cherait sur  une  plaine  mettrait  7300  ans  à  le  parcou- 
rir, s'il  pouvait  vivre  assez.  Or,  l'année  se  trouve 
composée  de  363  jours,  et  le  chemin  qu'on  fait  en  un 
jour  est  de  quarante  milles,  chaque  mille  a  deux  mille 
pas  ou  coudées.  »  Voilà  donc  ce  que  dit  le  rabbin 
Moyse.  Or,  s'il  dit  la  vérité,  Dieu  le  sait,  car  lui  seul 
connaît  cette  mesure  puisqu'il  a  tout  fait  en  nombre, 
en  poids  et  en  mesure.  C'est  donc  là  le  grand  élan  que 
prit  J.-C.  de  la  terre  au  ciel.  Et  au  sujet  de  cet  élan 
et  de  quelques  autres  que  fit  J.-C.  citons  les  paroles 
de  saint  Ambroise  :  «  J.-C.  prit  son  essor  et  vint 
dans  ce  monde;  il  était  avec  son  père  et  il  vint  dans 
II.  6* 


86  LA    LÉGENDE    DOREE 

une  Vierge,  de  la  Vierge  il  passa  dans  le  berceau  ;  il 
descendit  dans  le  Jourdain  ;  il  monta  sur  la  croix  ; 
il  descendit  dans  le  tombeau  ;  il  ressuscita  du  tom- 
beau et  il  est  assis  à  la  droite  de  son  père.  » 

IV.  Avec  qui  a-t-il  monté?  Il  faut  savoir  qu'il 
monta  avec  un  grand  butin  d'hommes  et  une  grande 
multitude  d'anges.  Qu'il  soit  monté  avec  un  nom- 
breux butin  d'hommes,  cela  est  évident  par  ces  pa- 
roles du  Psaume  lxvii  :  «  Vous  êtes  monté  en  haut  ; 
vous  avez  pris  un  grand  nombre  de  captifs  ;  vous  avez 
fait  des  présents  aux  hommes.  »  Qu'il  soit  monté 
avec  une  multitude  d'anges,  cela  est  évident,  encore 
par  ces  questions  qu'adressèrent,  lors  de  l'ascension 
de  Jésus-Christ,  les  anges  d'un  ordre  inférieur  à  ceux 
d'un  ordre  supérieur,  ainsi  qu'il  se  trouve  dans  Isaïe  : 
«  Quel  est  celui  qui  vient  d'Edom,  de  Bosra  avec  sa 
robe  teinte  de  rouge  ?  »  La  Glose  dit  ici  que  plu- 
sieurs des  anges  qui  n'avaient  pas  une  pleine  connais- 
sance des  mystères  de  Tincarnation,  de  la  passion  et 
de  la  résurrection,  en  voyant  monter  au  ciel  le  Sei- 
gneur avec  une  multitude  d'anges  et  de  saints  per- 
sonnages, et  cela  par  sa  propre  puissance,  se  mettent 
à  admirer  ce  mystère  deTincarnalion  et  delà  passion; 
alors  ils  disent  aux  anges  qui  accompagnent  le  Sei- 
gneur :  ((  Quel  est  celui-ci  qui  vient...  etc.  »  et  encore 
avec  le  Psaume  :  «  Quel  est  ce  roi  de  gloire?  »  Saint 
Denis,  au  livre  de  la  Hiérarchie  angélique  (ch.  vu), 
semble  insinuer  que  pendant  que  J.-C.  montait,  trois 
questions  furent  adressées  par  les  anges.  La  première 
fut  celle  des  anges  majeurs  les  uns  aux  autres  :  la  se- 
conde fut  celle  des  anges   majeurs  à  J.-C.  ;  la  troi- 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  87 

sième  fui  adressée  par  les  anges  inférieurs  à  ceux  d'un 
ordre  plus  élevé.  Les  plus  grands  se  demandent  donc 
les  uns  aux  autres   :   «   Quel   est  celui-ci  qui   vient 
d'Edom,  de  Bosra,  avec  sa  robe  teinte  de  rouge?  » 
Edom  veut  dire  sanglant  meurtrier,   Bosra  signifie 
fortifié,  c'est  comme  s'ils  se  disaient  :  «  Ouel  est  ce- 
lui-ci  qui  vient  de  ce  monde  ensanglanté  par  le  péché 
et  fortifié  contre  Dieu  par  la  malice  ?  »  Ou  bien  encore  : 
«  Quel  e^l  celui-ci  qui  vient  d'un  monde  meurtrier  et 
d'un  enfer  fortifié  ?  »  Et  le  Seigneur  répondit  :  «  C'est 
moi  dont  la  parole  est  la  parole  de  justice,  et  je  suis 
combattant  pour  sauver  (Is.,  lxiii).  »  Saint  Denis  dit 
ainsi  :  «  C'est  moi,  dit-il,  qui  parle  justice  et  jugement 
pour  le  salut.  »  Dans  la  rédemption  du  genre  humain, 
il  y  eut  justice,  en  tant  que  le  créateur  ramena  la  créa- 
ture qui  s'était  éloignée,  de  son   maître,  et  il  y  eut 
jugement,  en  ce  que  J.-C,  par  sa  puissance,  chassa 
le    diable,    usurpateur,    de   l'homme   qu'il   possédait. 
Mais  ici   saint  Denis  pose  cette  question  :  u  Puisque 
les  anges  supérieurs   sont  le  plus   près   de   Dieu,  et 
qu'ils   sont  immédiatement   illuminés  par  lui,  pour- 
quoi s'adressent-ils  des  questions,  comme  s'ils  avaient 
le  désir  de  s'instruire  mutuellement?  »  Saint   Denis 
répond  lui-même  et  son  commentateur  expose  que  : 
en  s'interrogeant,  ils  montrent  que  la  science  a  pour 
eux  de  Tattrait;  en  se  questionnant  d'abord  les  uns 
les    autres,  ils    manifestent  qu'ils  n'osent  pas  d'eux- 
mêmes  devancer  la  procession  divine.  Ils   commen- 
cent donc  par  s'interroger  tout  d'abord  pour  ne  pré- 
venir, par   aucune  interrogation   prématurée,    l'illu- 
in ination  que  Dieu  opère  en  eux.  Donc  cette  question 


88  LA    LEGENDE    DOREE 

n'est  pas  un  examen  de  la  doctrine,  mais  un  aveu 
d'içnorance.  —  La  seconde  question  est  celle  qu'a- 
dressèrent à  J.-C.  ces  an^es  de  premier  degré  : 
«  Pourquoi  donc,  disent-ils,  votre  robe  est-elle  rou- 
pie, et  pourquoi  vos  vêtements  sont-ils  comme  les 
vêtements  de  ceux  qui  foulent  dans  le  pressoir?  »  On 
dit  que  le  Seigneur  avait  un  vêtement,  c'est-à-dire,  son 
corps,  rou'^e  ou  plein  de  sang,  par  la  raison  qu'en  mon- 
tant au  ciel,  il  portait  encore  sur  lui  les  cicatrices  de 
ses  plaies  :  car  il  voulut  conserver  ces  cicatrices  en  son 
corps,  pour  cinq  motifs  ainsi  énumérés  par  Bède  dont 
voici  les  paroles  :  «  Le  Seigneur  conserva  ses  cicatrices 
et  il  les  doit  conserver  jusqu'au  jugement,  pour  affer- 
mir la  foi  en  sa  résurrection,  pour  les  montrer  à  son  père 
alors  qu'il  le  supplie  en  faveur  des  hommes,  pour  que 
les  bons  voient  avec  quelle  miséricorde  ils  ont  été 
rarrhetés,  et  les  méchants  reconnaissent  avoir  été  jus- 
tement damnés  ;  enfin  pour  porter  les  trophées  au- 
thentiques de  la  victoire  éternelle  qu'il  a  remportée.  » 
Donc  à  cette  question  le  Seigneur  répondit  ainsi  : 
a  J*ai  été  seul  à  fouler  le  vin,  sans  qu'aucun  homme 
dt^  tous  les  peuples  fût  avec  moi.  »  La  croix  peut  être 
appelée  un  pressoir,  sous  la  pression  duquel  il  a  telle- 
ment été  écrasé  qu'il  a  répandu  tout  son  sang.  Ou 
bien  ce  qu'il  appelle  pressoir,  c'est  le  diable  qui  a 
tellement  enveloppé  et  étreint  le  genre  humain  dans 
les  liens  du  péché  qu'il  a  exprimé  tout  ce  qu'il  y  avait 
en  lui  de  spirituel,  en  sorte  qu'il  n'en  reste  que  la 
cape.  Mais  notre  guerrier  a  foulé  le  pressoir,  il  a 
rompu  les  liens  des  pécheurs,  et  après  avoir  monté 
au  ciel,  il  a  ouvert  la  demeure  du  ciel  et  a  répandu  le 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  89 

vin  du  Saint-Esprit.  La  troisième  question  est  celle 
qu'adressèrent  les  anges  inférieurs  aux  supérieurs  : 
<c  Quel  est,  dirent-ils,  ce  roi  de  gloire  ?  »  Voici  ce  que 
dit  saint  Augustin  par  rapport  à  cette  question  et  à  la 
réponse  qu'il  était  convenable  d'y  donner  :  «  L'immen- 
sité des  airs  est  sanctifiée  par  le  cortège  divin,  et 
toute  la  troupe  des  démons  qui  vole  dans  l'air  se  hâte 
de  fuir  à  la  vue  de  J.-C.  qui  s'élève.  »  Les  anges  accou- 
rurent à  sa  rencontre  et  demandent  :  «  Qui  est  ce  roi  de 
gloire  ?  »  D'autres  anges  leur  répondent  :  «  C'est  ce- 
lui qui  est  éclatant  par  sa  blancheur  et  par  sa  couleur 
de  rose  ;  c'est  celui  qui  n'a  ni  apparence,  ni  beauté  : 
il  fut  faible  sur  le  bois,  fort  quand  il  partage  le  butin  ; 
il  fut  vil  dans  un  corps  chétif,  et  équipé  au  moment 
du  combat  ;  il  fut  hideux  en  sa  mort,  et  beau  dans  sa 
résurrection  ;  il  reçut  une  blancheur  éclatante  de  la 
Vierge  sa  mère,  et  il  était  rouge  de  sang  sur  la  croix  : 
sans  éclat  au  milieu  des  opprobres,  il  brille  dans  le 
ciel.  » 

V.  A  quel  titre  il  monUi.  Il  en  eut  trois,  répond 
saint  Jérôme,  avec  lé  Psaume  (xliv).  La  vérité,  la 
douceur  et  la  justice.  «  La  vérité,  car  vous  avez 
accompli  ce  que  vous  aviez  promis  par  la  bouche  des 
prophètes;  la  douceur,  car  vous  vous  êtes  laissé  immo- 
ler comme  une  brebis  pour  la  vie  de  votre  peuple  ; 
la  justice,  parce  que  vous  avez  employé  non  pas  la 
puissance,  mais  la  justice  pour  délivrer  l'homme,  et 
la  force  de  votre  droite  vous  dirigera  merveilleuse- 
ment :  la  puissance,  ou  la  force  vous  dirigera,  vers 
le  ciel.  » 

VL  Où  il  monta:  Il  faut  savoir  que  J.-C.  monta 


90  LA    LÉGENDE    DOREE 

au-dessus  de  tous  les  cieux,  selon  l'expression  de 
saint  Paul  dans  son  épître  aux  Ephésiens  (iv)  :  o  Celui 
qui  est  descendu,  c'est  le  même  qui  est  monté  au-des- 
sus de  tous  les  cieux,  afin  de  remplir  toutes  choses.  » 
L'apôtre  dit:  «  Au-dessus  de  tous  les  cieux  »,  car  il  y 
en  a  plusieurs  au-dessus  desquels  il  monta.  Il  y  a  le 
ciel  matériel,  le  rationnel,  Finlellectuel  et  le  supersubs- 
tantiel. Le  ciel  matériel  est  multiple,*  savoir  :  l'aérien, 
l'éthéré,  Tolympien,  l'igné,  le  sidéral,  le  cristallin, 
et  l'empyrée.  Le  ciel  rationnel,  c'est  l'homme  juste 
appelé  ciel  puisqu'il  est  l'habitation  de  Dieu  ;  car  de 
même  que  le  ciel  est  le  trône  et  Thabitation  de  Dieu, 
selon  cette  expression  d'Isaïe  (lxvi)  :  «  Le  ciel  est 
mon  trône  »  ;  de  même  Tàme  juste,  d'après  le  livre 
de  la  Sagesse,  est  le  trône  de  la  sagesse.  L'homme 
juste  est  encore  appelé  ciel,  en  raison  des  saintes  habi- 
tudes, parce  que  les  saints  par  leur  manière  de  vivre 
et  leurs  désirs  habitent  dans  le  ciel,  comme  le  di- 
sait l'apôtre  :  «  Notre  conservation  est  dans  les  cieux.  » 
En  raison  encore  des  bonnes  œuvres  continuelles  ; 
parce  que  de  même  que  le  ciel  roule  par  un  mouve- 
ment continu,  de  même  aussi  les  saints  se  meuvent 
continuellement  dans  les  bonnes  œuvres.  Le  ciel  intel- 
l(»ctuel,  c'est  l'ange.  En  effet  l'ange  est  appelé  ciel 
parce  ([ue,  ainsi  que  les  cieux,  il  est  élevé  à  une  très 
haute  dignité  et  excellence.  Quant  à  cette  dignité  et 
excellence,  1°  Denys  parle  de  cette  manière  dans  son 
livre  des  ^ums  divins  (chap.  iv)  :  «  Les  esprits  divins 
sont  au-dessus  des  autres  êtres  ;  leur  vie  l'emporte 
sur  celle  des  autres  créatures  vivantes  ;  leur  intelli- 
gence et  leur  connaissance  dépassent  le  sens  et  la  rai- 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  91 

son  :  mieux  que  tous  les  êtres,  ils   tendent  au  beau 
et  au  bien  et  y  participent.  »  2'  Ils  sont  extrêmement 
beaux  en  raison  de  la  nature  et  de  la  gloire.  Saint  De- 
nys  encore  en  parlant  de  leur  beauté  dit  au  même 
livre  :  «  L'ange  est  la  manifestation  de  la  lumière  ca- 
chée ;  c'est  un   miroir  pur,  d'un  éclat  brillant,  sans 
tache   aucune  ni  souillure,  immaculé,  recevant,   s'il 
esl  permis  de  le  dire,  la  beauté,  la  forme  excellente 
de  la  divinité.  »  3^  Ils  sont  pleins  de  force  en  raison 
de   leur  vertu  et  de  leur  puissance.  Le  Damascène 
parle  ainsi  de  leur  force  au  livre  II,  chap.  m  :  «  Ils 
sont  forts  et  disposés  à  l'accomplissement  de  la  vo- 
lonté de  Dieu;  et  partout  on  les  trouve  réunis,  tout 
aussitôt  que,  par  un  simple  signe  de  Dieu,  ils  en  per- 
çoivent les  ordres.  »  Le  ciel  possède  hauteur,  beauté 
et  force.  L'Ecclésiastique  dit  au  sujet  des  deux  pre- 
mières qualités  (xliii)  :  «  Le  firmament  est  le  lieu  où 
la  beauté  des  corps  les  plus  hauts  parait  avec  éclat  : 
c'est  l'ornement  du  ciel,  c'est  lui  qui  en  fait  luire  la 
gloire.  »  Au  livre  de  Job  il  est  dit  (xxxviij  par  rap- 
port à  la  force  :  «  Vous  avez  peut-être  formé  avec  lui 
les  cieux  qui  sont  aussi  solides  que  s'ils  étaient  d'ai- 
rain fondu.  »  —  Le  ciel  supersubstantiel,  c'est  le  siège 
de  l'excellence  divine,  d'où  J.-C.  esl  venu  et  jusqu'où 
il  remonta  plus  tard.   Le  Psaume  l'indique  par  ces 
paroles  (vu)  :  «  Il  part  de  l'extrémité  du  ciel,  et  il  va 
jusqu'à  l'autre  extrémité.  »  Donc  J.-C.  monta  au- 
dessus  de  ces  cieux  jusqu'au  ciel  supersubslantiel.  Le 
Psaume  porte  qu'il  monta  au-dessus  de  tous  les  cieux 
matériels  quand  il  dit  (viii)  :  «  Seigneur,  votre  magni- 
ficence a  été  élevée  au-dessus  des  cieux.   »   H  monta 


92  LA    LÉGENDE    DOREE 

au-dessus  (le  tous  les  cieux  matériels  jusqu'au  ciel 
empyrée  lui-même,  non  pas  comme  Elie  qui  monta 
clans  un  char  de  feu,  jusqu*à  la  région  sublunaire  sans 
la  traverser,  mais  qui  fut  transporté  dans  le  paradis 
terrestre  dont  l'élévation  est  telle  qu'il  touche  à  la  ré- 
gion sublunaire  (Rois,  IV, ii  ;  Ecx:lé.,  viii),  sans  aller  au 
delà.  C'est  donc  dans  le  ciel  empyréeque  réside  J.-C.  ; 
c'est  là  sa  propre  et  spéciale  demeure  avec  les  anges 
et  les  autres  saints.  Et  celte  habitation  convient  à 
ceux  qui  Toccupenl.  Ce  ciel  en  effet  l'emporte  sur  les 
autres  en  dignité,  en  priorité,  en  situation  et  en  pro- 
portions :  c'est  aussi  pour  cela  que  c'est  une  habita- 
tion digne  de  J.-C,  qui  surpasse  tous  les  cieux  ration- 
nels et  intellectuels  en  dignité,  en  éternité,  par  son 
état  d'immutabilité  et  par  les  proportions  de  sa  puis- 
sance. De  même  aussi,  c'est  une  habitation  conve^ 
nable  pour  les  Saints  :  car  ce  ciel  est  unifonne,  im- 
mobile, d'une  splendeur  parfaite  et  d'une  capacité 
immense  :  et  cela  convient  bien  aux  anges  et  aux  saints 
qui  ont  été  uniformes  dans  leurs  œuvres,  immobiles 
dans  leur  amour,  éclairés  dans  la  foi  ou  la  science, 
et  remplis  du  Saint-Esprit.  Il  est  évident  que  J.-C. 
monta  au-dessus  de  tous  les  cieux  rationnels,  qui  sont 
tous  les  saints,  par  ces  paroles  du  Cantique  des  can- 
tiques (il)  :  «  Le  voici  qui  vient  sautant  sur  les  mon- 
tagnes, passant  par-dessus  lt\s  collines.  »  Par  les  mon- 
tagnes on  entend  les  anges,  et  par  les  collines  les 
hommes  saints.  Il  est  évident  qu'il  monta  au-dessus 
de  tous  les  cieux  intellectuels,  qui  sont  les  anges,  par 
ces  mots  du  Psaume  (cm)  ;  «  Seigneur,  vous  moulez 
sur  les  nuées  et  vous  marchez  sur  les  ailes  des  vents.  ». 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  93 

«  II  a  monté  au-dessus  des  chérubins,  il  a  volé  sur  les 
ailes  des  vents  (xcviii).  »  Il  est  encore  évident  que  Jé- 
sus-Christ monta  jusqu'au  ciel  supersubstantiel,  c'est- 
à-dire,  jusqu'au  siège  de  Dieu,  par  ces  paroles  de 
saint  Marc  (xvi):  «  Et  le  Seigneur  Jésus,  après  leur 
avoir  ainsi  parlé,  fut  élevé  dans  le  ciel  ;  et  il  y  est 
assis  à  la  droite  de  Dieu.  »  La  droite  de  Dieu,  c'est 
l'égalité  en  Dieu.  Il  a  été  singulièrement  dit  et  donné 
à  mon  Seigneur,  par  le  Seigneur  de  siéger  à  la  droite 
de  sa  gloire,  comme  dans  une  gloire  égale,  dans  une 
essence  consubstantielle,  pour  une  génération  semblable 
en  tout  point,  pour  une  majesté  qui  n'est  pas  infé- 
rieure, et  pour  une  éternité  qui  n'est  pas  postérieure. 
On  peut  dire  encore  que  J.-C.  dans  son  ascension 
atteignit  quatre  sortes  de  sublimités  :  celle  du  lieu,  celle 
de  la  récompense  acquise,  celle  de  la  science,  celle  de 
ia  vertu.  De  la  sublimité  du  lieu  qui  est  la  première,  il 
est  dit  aux  Ephésiens  (iv)  :  «  Celui  qui  est  descendu, 
c'est  le  même  qui  a  monté  au-dessus  de  tous  les  cieux.  » 
De  la  sublimité  de  la  récompense  acquise  qui  est  la  se- 
conde, on  lit  aux  Philippiens  (ii)  :  «  Il  s'est  rendu  obéis- 
sant jusqu*à  la  mort  et  la  mort  de  la  croix  :  c'est  pour- 
quoi Dieu  l'a  élevé.  »  Saint  Augustin  dit  sur  ces  pa- 
roles :  «  L'humilité  est  le  mérite  de  la  distinction  et 
la  distinction  est  la  récompense  de  l'humilité.  »  De  la 
sublimité  de  la  science,  le  Psaume  (xcviii)  dit  :  «  II  monta 
au-dessus  des  chérubins  »  ;  c'est  autant  dire,  au-dessus 
de  toute  plénitude  de  science.  De  la  sublimité  de  la  ver- 
tu qui  est  la  quatrième,  il  estdit  aux  Ephésiens  :  «  Parce 
qu'il  a  monté  au-dessus  des  Séraphins.  »  (m)  «  L'amour 
de  J.-C.  envers  nous  surpasse  toute  connaissance.  » 


94  LA    LÉGENDE    DOREE 

VlI.Pourquoi  J.-C,  est-il  monté  au  ciel.  Il  y  a  neuf 
fruits  ou  avantages  à  retirer  de  l'Ascension.  Le  1'' 
avantage,    c'est   l'acquisition    de    Famour    de    Dieu 
(Saint  Jean,  xvi)  :«  Si  je  ne  m'en  vais  pas,  le  Paraclel 
ne  viendra  pas.  »  Ce  qui  fait  dire  à  Saint  Augustin  : 
«  Si  vous  m'êtes  attachés  comme  des  hommes  de  chair, 
vous  ne  serez  pas  capables  de  posséder  le  Saint-Es- 
prit. »  Le  2*^  avantage,  c'est  une  plus  grande  connais- 
sance de  Dieu  (Saint  Jean,  xiv):  «  Si  vous  m'aimiez, 
vous  vous  réjouiriez  certainement  parce  que  je  m'en 
vais  à  mon  Père  ;  car  mon  Père  est  plus  grand  que 
moi.  »  Saint  Augustin  dit  à  ce  propos:  «  Si  je  fais 
disparaître  cette  forme  et  cette  nature  d'esclave,  par 
laquelle  je  suis  inférieur  à  mon  Père,  c'est  afin  que 
vous  puissiez  voir  Dieu  avec  les  yeux  de  l'esprit.  »  Le 
3®  avantage,  c'est  le  mérite  de  la  foi.  A  ce  sujet  saint 
Léon  s'exprime  de  la  sorte  dans  son  sermon  12*  sur 
l'Ascension  :  «  C'esl  alors  que  la  foi  plus  éclairée  com- 
mence à  comprendre  à  l'aide  de  la  raison  que  le  Fils 
est  égal  au  Père  ;  il  ne  lui  est  plus  nécessaire  de  tou- 
cher la  substance  corporelle  de  J.-C,  par  laquelle  il 
est  inférieur  à  son  Père,  (-'est  là  le  privilège  des  grands 
esprits  de  croire,  sans  appréhension,  ce  que  IVeil  du 
corps  ne  saurait  apercevoir,  et  de  s'attacher,  par  le 
désir,  à  ce  à  quoi  l'on  ne  peut  atteindre  par  la  vue.  » 
Saint  Augustin  dit  au  livre  de  ses  Confessions  :  «  Il  a 
bondi  comme  un  géant  pour  fournir  sa  carrière.  Il  n'a 
pas  apporté  de  lenteur,  mais  il  a  couru  en  procla- 
mant par  ses  paroles,  par  ses  actions,  par  sa  mort, 
par  sa  vie  ;  en  descendant  sur  la  terre,  en  montant  au 
ciel,  il  crie  pour  que  nous  revenions  à  lui,  et  il  a  dis- 


l'ascension    de    NOTRE-SEIGNEUR  95 

paru  aux  yeux  de  ses  apôtres,  afin  que  nous  rentrions 
dans  noire  cœur  pour  Vy  trouver.  »  Le  4®  avantage, 
c'est  la  sécurité,  s'il  est  monté  au  ciel,  c'est  pour  être 
notre  avocat  auprès  de  son  Père.  Nous  pouvons  bien 
être  en  sûreté,  quand  nous  pensons  avoir  un  pareil 
avocat  devant  le  Père.  (Saint  Jean,  I,  ii)  :  «  Nous  avons 
pour  avocat  auprès  du  Père  J.-C,  qui  est  juste;  car 
c'est  lui  qui  est  la  victime  de  propitiation  pour  nos 
péchés.  »  Saint  Bernard  dit  en  parlant  de  cette  sécu- 
rité :  «  Tu  as,  ô  homme,   un  accès  assuré  auprès  de 
Dieu  :  Tu  v  vois  la  mère  devant  le  Fils,  et  le  Fils  de- 
vaut  le  Père  :  cette  mère  montre  à  son  fils  sa  poitrine 
el  ses  mamelles  ;  le  Fils  montre  à  son  Père  son  côté 
et  ses  blessures.  Il  ne  pourra  donc  y  avoir  de  refus,  là 
où  il  y  a  tant  de  preuves  de  charité.  »  Le  5*  avantage, 
c'est  notre  dignité.  Oui,  notre  dignité  est  extraordi- 
nai rement  grande,  puisque  notre  nature  a  été  élevée 
jusqu'à  la  droite  de  Dieu.  C'est  pour  cela  que  les  anges, 
en  considération  de  celte  dignité  dans  les  hommes,  se 
sont  désormais   refusés  à  recevoir  leurs  adorations, 
comme  il  est  dit  dans  l'Apocalypse  (xix)  :  «  Et  je  nie 
prosternai    (c'est  saint  Jean  qui  parle)  aux  pieds  de 
l'ange  pour  l'adorer.  Mais  il  me  dit  :  gardez-vpus  bien 
de  le  faire  ;  je  suis  serviteur  de  Dieu  comme  vous,  et 
comme  vos  frères.  »  La  Glose  fait  ici  cette  remarque  : 
^  Dans  Tancienne  loi,  l'ange  ne  refusa  pas  l'adoration 
de  l'homme,  mais  après  Tascension  du  Seigneur,  quand 
il  eut  vu  que  l'homme  était  élevé  au-dessus  de  lui,  il 
appréhenda   d'être  adoré.    »  Saint  Léon  parle   ainsi 
dans  son  2*  sermon  sur  l'Ascension  :  «  Aujourd'hui 
la  faiblesse  de  notre  nature  a  été  élevée  en  J.-C,  au- 


96  LA    LÉGENDE    DOREE 

dessus  de  toutes  les  plus  grandes  puissances  jusqu'au 
trône  où  Dieu  est  assis.  Ce  qui  rend  plus  admirable 
la  grâce  de  Dieu,  c'est  qu'en  enlevant  ainsi  au  regard 
des  hommes  ce  qui  leur  imprimait  à  juste  titre  un 
respect  sensible,  elle  empêche  la  foi  de  faillir,  l'espé- 
rance de  chanceler  et  la  charité  de  se  refroidir.  »  — 
Le  6*  avantage,  c'est  la  solidité  de  notre  espérance. 
Saint  Paul  dit  aux  Hébreux  (iv)  :  «  Ayant  donc  pour 
grand  pontife  Jésus,  Fils  de  Dieu,  qui  est  monté  au 
plus  haut  des  cieux,  demeurons  fermes  dans  la  profes- 
sion que  nous  avons  faite  d'espérer.  »  Et  plus  loin 
(vi)  :  «  Nous  avons  mis  notre  refuge  dans  la  recherche 
et  l'acquisition  des  biens  à  nous  proposés  par  Tespé* 
rance,  qui  sert  à  notre  âme  comme  une  ancre  ferme 
et  assurée  laquelle  pénètre  jusqu'au  dedans  du  voile  où 
Jésus,  notre  précurseur,  est  entré  pour  nous.  »  Saint 
Léon  dit  encore  à  ce  sujet  :  «  L'Ascension  de  J.-C. 
est  le  gage  de  notre  élévation,  d'autant  que  là  où  la 
gloire  du  chef  a  précédé,  le  corps  espère  y  parvenir.  » 
Le  7®  avantage  est  de  nous  montrer  le  chemin.  Le 
prophète  Michée  dit  (m)  :  «  Il  a  monté  pour  nous  ou- 
vrir  le  chemin.  »  Saint  Augustin  ajoute  :  «  Le  Sau- 
veur s'est  fait  lui-même  notre  voie.  Levez-vous  et 
marchez,  vous  avez  un  chemin  tout  tracé  ;  gardez- 
vous  d'être  lents.  »  Le  huitième  avantage,  c'est  de 
nous  ouvrir  la  porte  du  ciel  :  car  de  même  que  le  pre- 
mier Adam  a  ouvert  les  portes  de  l'enfer,  de  même  le 
second  a  ouvert  les  portes  du  paradis.  Aussi  TEglise 
chanlc-l-elle  :  Tu  deviclo  movlis  aculeo,  etc.  *  :  «  Après 

*  Paroles  du  Te  Deum. 


LE  SAINT-ESPRIT  97 

avoir  vaincu  raidillon  de  la  mort,  vous  avez  ouvert 
aux  croyants  le  royaume  des  cieux.  »  Le  8®  avantai^e, 
c'est  de  nous  préparer  une  place.  «  Je  vais,  dit  J.-C. 
dans  saint  Jean,  je  vais  vous  préparer  une  place.  » 
Saint  Augustin  commente  ainsi  ces  paroles  :  «  Sei- 
gneur, préparez  ce  que  vous  préparez  :  car  vous  nous 
préparez  pour  vous,  et  c'est  vous-même  que  vous  nous 
préparez,  quand  vous  préparez  une  place  où  nous  ha- 
biterons en  vous  et  où  vous  habiterez  en  nous.  » 


LE  SAINT-ESPRIT 

Ainsi  que  l'atteste  l'histoire  sacrée  des  Actes,  au- 
jourd'hui le  Saint-Esprit  fut  envoyé  sur  les  Apôtres 
sous  la  forme  de  langues  de  feu.  Au  sujet  de  cette 
mission  ou  venue,  il  y  a  huit  considérations  à  faire  : 
i®  par  qui  il  fut  envoyé;  2°  de  combien  de  manières 
il  est  ou  il  fut  envoyé  ;  3**  en  quel  temps  ;  4°  combien 
de  fois;  ?>**  de  quelle  manière;  6^  sur  qui;  7°  pour- 
quoi ;  S'*  par  quel  moyen  il  fut  envoyé. 

I.  Par  qui  le  Saint  Esprit  fut-il  envoyé  ?  C'est  le 
Père  qui  envoya  ce  Saint-Esprit,  c'est  le  fils  aussi,  et 
le  Saint-Esprit  se  donna  lui-même  et  s'envoya.  Ce  fut 
le  Père,  d'après  ces  paroles  de  J.-C.  en  saint  Jean 
ixiv)  :  «  Le  Paraclet  qui  est  le  Saint-Esprit,  que  le 
Père  enverra  en  mon  nom,  vous  enseignera  toutes 
choses.  »  Ce  fut  le  fils  :  on  lit  au  xvi*^  chap.  de  saint 
Jean  :  «  Mais  si  je  m'en  vais,  je  vous  l'enverrai.  » 
En  prenant  un  point  de  comparaison  avec  les  choses 
II.  " 


98  LA    LÉGENDE    DOREE 

d'ici-bas,  Teiivoyé  a  trois  sortes  de  rapports  avec 
celui  qui  Teuvoie  ;  il  lui  donne  Fêtre,  comme  le  rayon 
est  envoyé  par  le  soleil  :  il  lui  donne  sa  force,  comme 
la  flèche  envoyée  par  l'archer;  il  lui  donne  juridiction 
ou  autorité,  comme  un  messager  envoyé  par  son  supé- 
rieur. Sous  ce  triple  point  de  vue,  la  mission  peut 
convenir  au  Saint-Esprit  :  car  il  est  envoyé  par  le 
Père  et  le  Fils  en  qui  résident  l'être,  la  force  et  Tau- 
torité  dans  leurs  opérations.  Néanmoins,  l'Esprit-Sainl 
lui-même  s'est  aussi  donné  et  envoyé  :  ce  qui  est  in- 
sinué dans  ces  paroles  de  saint  Jean  (xvi)  :  «  Quand 
TEsprit  de  vérité  sera  venu.  »  En  efl'et  selon  que  le  dit 
saint  Léon,  pape,  en  son  sermon  de  la  Pentecôte  : 
((  La  bienheureuse  Trinité,  l'incommutable  divinité  est 
une  en  substance,  ses  opérations  sont  indivises,  elle 
est  unie  dans  sa  volonté,  pareille  en  toute  puissance, 
égale  en  gloire  :  mais  elle  s'est  partagée  l'œuvre  de 
notre  rédemption,  cette  miséricordieuse  Trinité,  de 
sorte  que  le  Père  se  laissa  fléchir,  le  Fils  se  fil  propî- 
tiation  et  le  Saint-Espi  it  nous  embrasa  de  son  amour.  » 
Or,  puisrpie  le  Saint-Esprit  est  Dieu,  on  peut  donc 
dire  avec  vérité  qu'il  se  donne  lui-même.  Saint  Am- 
hroisè  prouve  ainsi  la  divinité  du  Saint-Esprit  dans 
son  livre  Du  Saint-Esprit  :  «  La  gloire  de  sa  divinité 
est  manifestement  prouvée  par  ces  quatre  moyens. 
On  connaît  (pi'il  est  Dieu,  ou  bien  parce  qu'il  est  sans 
péclié,  ou  bien  parce  qu'il  pardonne  le  péché,  ou  bien 
parce  que  ce  n'est  pas  une  créature,  mais  qu'il  est 
créateur,  ou  bien  enfin  parce  (|u'il  n'adore  pas,  mais 
(ju'il  est  adoré.  »  H  est  évident  par  là  que  la  Trinité 
se  donna  toutt*  à  nous  :  «  parce  (pie,  dit  saint  Augus- 


LE  SAINT-ESiPRIT  99 

tîn,  le  Père  nous  a  donné  tout  ce  qu'il  a  ;  il  nous  a 
donné  son  Fils  pour  prix  de  noire  rédemption,  le  Saint- 
Esprit  comme  privilège  de  notre  adoption,  et  il  se  ré- 
serve  lui-même  tout  entier  comme  l'héritage  de  notre 
adoption.  »  De  même  aussi,  le  Fils  s'est  donné  entiè- 
rement à  nous,  selon  ce  mot  de  saint  Bernard  :  «  Il 
est  pasteur,  il  est  pâture,  il  est  rédemption.  Il  nous  a 
donné  son  âme  pour  rançon,  son  sang  pour  breuvage, 
sa  chair  pour  aliment  et  sa  divinité  pour  récompense.  » 
De  môme  encore  le  Saint-Esprit  nous  a  gratifiés  et 
nous  gratifie  de  tous  ses  dons,  parce  qu'il  est  dit  dans 
la  I'*  épître  aux  Corinthiens  (xii)  :  «  L'un  reçoit  du 
Saint-Esprit  le  don  de  parler  avec  sagesse,  un  autre 
reçoit  du  même  Esprit  le  don  de  parler  avec  science; 
un  autre  reçoit  le  don  de  la  foi  par  le  même  Esprit.  » 
Saint  Léon,  pape,  ajoute  :  «  C'est  le  Saint-Esprit  qui 
inspire  la  foi,  qui  enseigne  la  science  :  il  est  la  source 
de  l'amour,  le  cachet  de  la  chasteté  et  le  principe  de 
tout  salut.  » 

II.  De  combien  de  manières  le  Saint-Esprit  est  ou 
fut  envoyé.  Il  faut  savoir  que  le  Saint-Esprit  est  en- 
vové  d'une  manière  visible  et  d'une  manière  invisible. 
Elle  est  invisible  quand  il  pénètre  dans  les  cœurs 
saints  :  elle  est  visible  quand  il  se  montre  sous  un 
signe  visible.  Saint  Jean  parle  de  sa  mission  invisible 
quand  il  dit  (m)  :  c<  L'Esprit  souffle  où  il  veut  et  vous 
entendez  sa  voix,  mais  vous  ne  savez  ni  d'où  il  vient, 
ni  où  il  va.  »  Cela  n'a  rien  d'étonnant,  parce  que,  se- 
lon le  mot  de  saint  Bernard  en  parlant  du  Verbe  in- 
visible :  «  II  n'est  pas  entré  par  les  yeux,  puisqu'il  n'a 
pas  de  couleur  ;    ni  par  les  oreilles,   parce  qu'il  n'a 


390074E 


iOO  LA    LÉGENDE    DOREE 

pas  rendu  de  son  ;  ni  par  les  narines,  parce  qu'il  n'est 
pas  mêlé  avec  Fair,  mais  avec  Tesprit,  qu'il  n'infecte 
pas  l'air  mais  qu'il  le  fait  :  il  n'est  pas  entré  par  la 
bouche,  puisqu'il  n'est  ni  mangé  ni  bu;  ni  par  le  tou- 
cher du  corps,  puisqu'il  n'est  pas  palpable.  Vous  de- 
mandez donc,  puisque  ses  voies  sont  si  impénétrables, 
comment  je  connais  sa  présence  :  je  l'ai  reconnue  par 
la  crainte  que  j'éprouve  en  mon  cœur  :  c'est  par  la 
fuite  du  vice  que  j'ai  remarqué  la  puissance  de  sa 
force  :  je  n'ai  qu'à  ouvrir  les  yeux  et  à  examiner  ; 
alors  j'admire  la  profondeur  de  sa  sagesse  :  c'est  par 
le  plus  petit  amendement  dans  mes  mœurs  que  j'ai 
ressenti  la  bonté  de  sa  douceur  ;  c'est  par  la  réforma- 
tion et  le  renouvellement  intérieur  de  mon  âme  que 
j'ai  aperçu,  autant  qu'il  m'a  été  possible,  l'éclat  de  sa 
beauté  ;  c'est  en  vovant  toutes  ces  merveilles  à  la 
fois  que  j'ai  été  saisi  devant  son  infinie  grandeur.  » 
Une  mission  est  visible  quand  elle  est  indiquée  par 
un  signe  visible.  Or,  le  Saint-Esprit  s'est  montré  sous 
cinq  formes  visibles  :  1^  sous  la  forme  d'une  colombe 
au-dessus  de  J.-C.  qui  venait  d'être  baptisé.  Saint 
Luc  dit  (m)  que  le  Saint-Esprit  descendit  sur  lui 
sous  une  forme  corporelle  semblable  à  une  colombe  ; 
2^  sous  la  forme  d'une  nuée  lumineuse  au  moment 
de  la  transfiguration.  Saint  Mathieu  dit  (xvi)  :  «Lors- 
qu'il parlait  encore,  une  nuée  lumineuse  vint  le  cou- 
vrir. »  La  glose  ajoute  :  «  Dans  le  baptême  de  N.-S., 
comme  dans  sa  transfiguration  glorieuse,  le  Saint- 
Esprit  a  manifesté  le  mystère  de  la  sainte  Trinilé,  là 
dans  une  colombe,  ici  dans  une  nuée  lumineuse  »  ; 
3  "  sous  la  forme  d'un  souffle.   On  lit  dans  saint  Jean 


LE    SAINT-ESPRIT  101 

(xx)  :   «   Il  souffla  et  leur  dit  :  «  Recevez  le  SaiiU- 
«  Esprit  »  ;  4*  sous  la  forme  de  feu  ;  5°  sous  la  forme  de 
langue:  et  c'est  sous  cette  double  forme  qu'il  a  apparu 
en  ce  jour.  Or,  s'il  s'est  montré  sous  ces  cinq  formes, 
c'est  pour  donner  à  comprendre  qu'il  en  opère  les 
propriétés  dans  les  cœurs  oii  il  vient.  P  II  s'est  mon- 
tré sous  la  forme  d'une  colombe.  La  colombe  g^cmil 
au  lieu  de  chanter,  elle  n'a  pas  de  fiel,  elle  se  cache 
dans  les  fentes  des  rochers.  De  même  le  Saint-Esprit 
fait  gémir  sur  leurs  péchés  ceux  qu'il  remplit.  «  Nous 
rugissons  tous  comme  des  ours,  dit  Isaîe  (lix),  nous 
gémissons  et  nous  soupirons  comme  des  colombes.  » 
«  Le  Saint-Esprit  lui-même,  dit  saint  Paul  (Rom.,  viii), 
prie  pour  nous,  par  des  gémissements   ineffables,  » 
c'est-à-dire  qu'il  nous  fait  prier  et  gémir.  2"^  Il  n'y  a 
en  lui  ni  fiel  ni  amertume.  Et  la  Sagesse  dit  (xii)  : 
«<   Seigneur,  oh  !  que  votre  Esprit  est  bon,  et  qu'il  est 
tloux  en  toute  sa  conduite  I  »  (vu)  «  Ilesthumain,doux, 
bon;  parce  qu'il  rend  doux,  bon  et  humain;  doux 
dans  les  discours,  bon  de  cœur  et  humain  en  action.  » 
3"*  11  habite  dans  les  fentes  du  rocher,  c'est-à-dire  dans 
les  plaies  de  J.-C.  «  Levez-vous,  est-il  dit  dans  le  Can- 
tiijue  (il),  ma  bien-aimée,  mon  épouse,  et  venez,  vous 
qui  êtes  ma  colombe  (la  glose  ajoute  :  vous  qui  ré- 
chauffez mes  poussins,  par  l'infusion  du  Sainl-Esprit), 
qui  habitez  les  creux  de  la  pierre  (la  glose  :  dans  les 
blessures  de  J.-C).   »  Jérémie  parle  ainsi  au  chap.  iv 
des  Lamenlaiioiis  :  «  Le  Christ,  le  Seigneur,  l'esprit 
de  notre  bouche  a  été  pris  à  cause  de  nos  péchés.  » 
Nous  lui  avons  dit  :  «  Nous  vivrons  sous  votre  ombre 

parmi  les  nations.  »  C'est  comme  s'il  disait  :  c<  L'Es- 
té 
n.  i 


102  LA   LÉGENDE    DOREE 

prit-Saint,  qui  est  de  notre  bouche,  et  cette  bouche, 
c'est  celle  de  N.-S.  J.-C,  parce  qu'il  est  notre  bouche 
et  notre  chair,  nous  fait  dire  à  J.-C.  :  «  Nous  vivrons 
en  ayant  toujours  à  la  mémoire  votre  ombre,  c'est-à- 
dire  voire  passion,  dans  laquelle  le  Christ  fut  envi- 
ronné de  ténèbres  et  méprisé.  »  La  nuée  est  élevée 
au-dessus  de  la  terre,  elle  procure  le  rafratchissement 
et  engendre  la  pluie  :  ainsi  fait  le  Saint-Esprit  de 
ceux  qu'il  remplit,  il  les  élève  au-dessus  de  la  terre  et 
leur  inspire  le  mépris  des  choses  terrestres.  Selon  ces 
paroles  d'Ezéchiel  :  (vrii)  «  L'Esprit  m'a  élevé  entre  le 
ciel  et  la  terre.  »  (i)  «  Partout  où  allait  l'Esprit,  et  où 
l'Esprit  s'élevait,  les  roues  s'élevaient  aussi,  et  le  sui- 
vaient, parce  que  l'Esprit  de  vie  était  dans  les 
roues.  »  Saint  Grégoire  dit  de  son  côté  :  «  Quand  on  a 
goûté  de  l'Esprit,  à  l'instant  toute  chair  devient  insi- 
pide. »  L'Esprit-Saint  refroidit  contre  les  ardeurs  du 
vice.  Aussi  a-t-il  été  dit  à  Marie  (saint  Luc,  i)  :  «  Le 
Saint-Esprit  surviendra  en  vous,  et  la  vertu  du  Très- 
Haut  vous  couvrira  de  son  ombre,  »  c'est-à-dire,  elle 
vous  refroidira  contre  toutes  les  ardeurs  du  vice. 
C'est  pour  cela  que  TEspril-Saint  est  appelé  eau,  parce 
qu'il  a  une  vertu  régénérative.  «  Si  quelqu'un  croit 
en  moi,  dit  J.-C.  (saint  Jean,  vu),  il  sortira  de  son 
cœur  des  fleuves  d'eau  vive  »  —  ce  qu'il  entendait  de 
l'Esprit-Saint  que  devaient  recevoir  ceux  qui  croiraient 
en  lui.  Enfin  rEs[)rlt-Saint  engendre  une  pluie  de 
larmes.  Le  psaume  (gxlvii)  dit  :  a  Son  Esprit  souf- 
flera et  les  eaux  couleront  »,  c'est-à-dire  les  larmes. 
3*  Il  s'est  montré  sous  la  forme  d'un  souffle.  Le  souf- 
fle est  agile,  chaud,  doux  cl  nécessaire  pour  la  respi- 


LE    SAINT-ESPRIT  103 

ration  :  de  même  aussi  l'Esprit-Saint  est  agile,  c'est- 
à-dire  prompt  à  se  répandre  ;  il  est  plus  actif  que 
toutes  les  substances    agissantes.  La  glose  explique 
ainsi  ces  paroles  des  Actes  :  «  On  entendit  tout  d'un 
coup  un  grand  bruit,  comme  d'un  vent  impétueux,  qui 
venait  du  ciel  »,   la  grâce  du  Saint-Esprit,  dit-elle,  ne 
connaît  pas   les  obstacles    d'un   retard.    En    second 
lieu,  il  est  chaud  pour  embraser  :  «Je  suis  venu,  est- 
il  dit  en  saint  Luc  (xii),  apporter  le  feu  sur  la  terre, 
et  que  veux-je,  sinon  qu'il   brûle.  »   Ce  qui   l'a  fait 
comparer  dans  le  Cantique  (xv)  à  l'auster  qui  est  un 
vent  chaud  :  «  Retirez-vous,  aquilon,  venez,  vent  du 
midi,  soufflez  de  toutes  parts  dans  mon  jardin  et  que 
les  parfums  en  découlent.  »  En  troisième  lieu,  il  est 
doux  poui*  adoucir.  Aussi  pour  indiquer  sa  douceur, 
on  donne  le  nom  d'onction  ;  comme  dans  la  r*^  épître 
canonique  de  saint  Jean  (ii)  :  «  Son  onction  vous  en- 
seigne toutes  choses  »  ;  2'^  le  nom  de  rosée.  L'Eglise 
chante  en  effet  (i)  :  «  Que  l'Esprit-Sainl  répande  sa 
rosée  céleste  pour  rendre  nos  cœurs  féconds  en  bon- 
nes œuvres.  Et  sui  roris  intima  aspersione  fecundet,  » 
3'*  Le   nom  de  souffle  léger.   On  lit  au  IIP  livre  des 
Rois  (xix)  :  «  Après  le  feu,  on  entendit  le  souffle  d'un 
petit  vent  doux»  et  le  Seigneur  y  était.  En  quatrième 
lieu,  il  est  nécessaire  pour  la  respiration.  Le  souffle 
est  tellement  nécessaire  pour  respirer,  que  s'il  cessait 
pendant  une    heure,    l'homme  mourrait   aussitôt.   Il 
faut  l'entendre  aussi  en  ce  sens  du  Saint-Esprit.  D'oCi 
vient  que  le  psaume  dit  :  «   Vous  leur  ôterez  l'esprit, 
et  ils  tomberont  dans  la  défaillance  et  retourneront 
dans  leur  poussière.  Envoyez  votre   Esprit  et  ils  se- 


104  LA    LÉGENDE    DORER 

ront  créés  de  nouveau,  et  vous  renouvellerez  la  face 
de  la  terre.  »  Saint  Jean  dit  aussi  (vi)  :  «  C'est  TEsprit 
qui  vivifie,  la  chair  ne  sert  de  rien.  Les  paroles  que 
je  vous  ai  dites  sont  elles-mêmes  esprit  et  vie.  »  i^ 
Il  s'est  montré  sous  la  forme  de  feu.  5°  Sous  la  forme 
de  langue,  d'après  ces  paroles  des  Actes  (ii)  :  «  En 
même  temps  ils  (les  disciples)  virent  paraître  comme 
des  laniçuesde  feu  quiseparlaçèrent  et  qui  s'arrêtèrent 
sur  chacun  d'eux.  »  Plus  bas  se  trouvera  l'explication 
de  ces  deux  formes. 

III.  En  quel  temps  fut-il  envoyé?  Ce  fut  le  cinquan- 
tième jour  après  Pâques,  pour  faire  comprendre  que 
la  perfection  de  la  loi  vient  du  Saint-Esprit,  ainsi  que 
la  récompense  éternelle  et  la  rémission  des  péchés.  1** 
H  est  la  perfection  de  la  loi,  en  ce  que,  d'après  la  glose, 
à  dater  du  cinquantième  jour  où  l'agneau  avait  été 
immolé  d'avance,  la  loi  fut  donnée  au  milieu  du  feu; 
dans  le  Nouveau-Testament  aussi,  cinquante  jours  après 
la  Pâque  de  J.-C,  le  Saint-Esprit  descendit  au  milieu  du 
feu.  La  loi,  c'était  sur  le  mont  Sinaï,  le  Saint-Esprit,  sur 
le  mont  Sion.  La  loi  fut  donnée  au  sommet  d'une  mon- 
tagne, le  Saint-Esprit  dans  le  cénacle;  d'où  il  paraît 
clairement  que  l'Espril-Saint  lui-même  est  la  perfec- 
tion de  la  loi,  parce  que  l'accomplissement  de  la  loi, 
c'est  l'amour.  2®  C'est  la  récompense  éternelle.  La 
glose  dit  en  effet  :  «  De  même  que  les  quarante  jours 
pendant  lesquels  J.-C.  conversa  avec  ses  disciples, 
désignent  l'Eglise  actuelle,  de  même  le  cinquantième 
jour  auquel  est  donné  le  Saint-Esprit  veut  dire  le  de- 
nier de  la  récompense  éternelle.  »  3°  C'est  la  rémission 
des  péchés.  La  glose  ajoute  au  même  endroit  :  «  De 


LS    SAIXT- ESPRIT  10 


o 


même  que  dans  la  cinquantième  année  arrivait  Tin- 
dulg^nce  du  Jubilé,  de  même  par  le  Saint-Esprit,  les 
péchés  sont  remis.  »  Ce  qui  suit  se  trouve  encore  dans 
la  Glose  :  «  Dans  ce  jubilé  spirituel,  les  accusés  sont 
relâchés,    les  dettes  remises,  les  exilés  rappelés  dans 
leur  pairie,  Théritage  perdu  est  restitué,  c'est-à-dire 
que  les  hommes  vendus  au  péché  sont  délivrés  du  joujj 
de  la  servitude.  »  Les  condamnés  à  mort  sont  relâchés 
cl  délivrés  :  c'est  pour  cela  qu'il  est  dit  dans  Tépître 
aux  Romains  (viii)  :  «  La  loi  de  l'esprit  de  vie  qui 
est  en  J.-C.  m'a  délivré  de  la  loi  du  péché  et  de  la 
Hiort.  »  Les  dettes  des  péchés  sont  remises;  parce  que 
(saint  Pierre,  i,  4)  «  la  charité  couvre  la  multitude 
des  péchés.  »  Les  exilés  sont  rappelés  dans  la  patrie  : 
Il  est  dit  dans    le  Psaume  (cxlii)  :   «  Votre  esprit, 
qui  est  bon,  me  conduira  dans  une  terre  unie.  »  L'hé- 
ritage perdu  est  restitué  :  «  L'Esprit,  est-il  dit  dans 
Tépître  aux  Romains  (viii),  rend  témoignage  à  notre 
espritque  nous  sommes  enfants  de  Dieu.  Si  nous  som- 
mes enfants,  nous  sommes  aussi  héritiers.  »  Les  escla- 
ves sont  délivrés  du  péché.  Aux  Corinthiens  on  trouve 
(II,  4)  :  ((  Où  est  l'Esprit  du  Seigneur,  là  est  la  liberté.  » 
IV.  Combien  de  fois  fut-il  envoyé  aux  apôtres  :  Il 
faut  savoir,  que,  d'après  la  glose,  il  leur  a  été  donné 
trois  fois  :  1"  avant  la  Passion,  2^  après  la  Résurrec- 
tion, 3**  et  après  l'Ascension  :  la  première   fois  pour 
faire  des  miracles,   la  seconde  pour  remettre  les  pé- 
chés, la  troisième  pour  affermir  leurs  cœurs.  La  pre- 
mière fois,  ce   fut  quand  J.-C.  les  envoya  prêcher,  et 
leur  donna  la  puissance  de  chasser  tous  les  démons  et 
de  guérir  les  infirmités.  Tous  ces  miracles  sont  l'œuvre 


106  LA    LÉGENDE    DOREE 

(lu  saint- Esprit  selon  ces  paroles  de  saint  Mathieu 
(xii)  :  «  Si  c'est  par  l'Esprit  de  Dieu  que  je  chasse 
les  démons,  le  royaume  de  Dieu  est  donc  venu  jus- 
qu'à vous.  »  Cependant,  opérer  des  miracles  n'est 
pas  une  conséquence  de  la  possession  du  Saint-Es- 
pril,  parce  que  selon  la  parole  de  saint  Grégoire  : 
((  Les  miracles  ne  font  pas  l'homme  saint,  mais  ils  le 
montrent.  »  El  parce  que  l'on  fait  des  miracles  ce  n'est 
pas  une  raison,  pour  avoir  l'Esprit-Saint,  puisque  les 
méchants  eux-mêmes  allèguent  qu'ils  ont  fait  des  mi- 
racles. (Sainl  Mathieu,  vu)  :  «  Seigneur,  n'avons-nous 
pas  prophétisé  en  votre  nom  ?  N'avons-nous  pas 
chassé  les  démons  en  votre  nom?  et  n'avons-nous  pas 
fait  plusieurs  miracles  en  votre  nom?  »  Car  Dieu  fait 
des  miracles  par  son  autorité,  les  anges  par  l'infé- 
riorité de  la  matière,  les  démons,  par  des  vertus  natu- 
relles qui  résident  dans  les  choses,  les  magiciens  par 
des  contrats  secrets  avec  les  démons,  les  bons  chré- 
tiens par  une  justice  manifeste,  les  mauvais  chrétiens 
par  les  apparences  d'une  justice  reconnue.  La  seconde 
fois  que  J.-C.  donna  le  Saint-Esprit  aux  apôtres,  ce  fui 
({uand  il  souffla  sur  eux  en  disant  :  «  Recevez  leSainl- 
Espril,  les  péchés  seront  remis  à  ceux  auxquels  vous 
les  remettrez,  et  ils  seront  retenus  à  ceux  auxquels  vous 
les  retiendrez.  »  Cependant  nul  ne  saurait  remettre  le 
péché  quant  à  la  souillure  qu'il  produit  et  qui  réside 
dans  l'dme,  ni  quant  à  la  culpabilité  qui  engage  à  la 
peine  élernclle-;  ni  quant  à  l'offense  faite  à  Dieu,  toutes 
misères  qui  sont  remises  seulement  par  l'infusion  de 
la  grâce  et  en  vertu  de  la  contrition.  On  dit  cependant 
que  le  prêtre  absout,  tant  parce  qu'il  déclare  le  péni- 


LE    SAINT-ESPRIT  107 

teiit  absous  de  la  faule  que  parce  qu'il  change  la  peine 
du  purgatoire  en  une  peine  temporelle  et  qu'il  remet 
une  partie  elle-même  de  la  peine  temporelle.  La  troi- 
sième fois  qu'il  donna  le  Saint-Esprit  à  ses  apôtres, 
ce  fut  aujourd'hui,  alors  que  leurs  cœurs  étaient  telle- 
ment fortifiés  qu'ils  ne  craignaient  en  rien  les  tour- 
ments :  selon  le  mot  du  Psalmiste  (xxxii)  :  «  C'est  l'es- 
prit (le  souffle)  de  sa  bouche  qui  a  produit  toute  leur 
force.  »  Et  selon  ces  paroles  de  saint  Augustin  :  «  Telle 
esl  la  grâce  du  Saint-Esprit  que  s'il  trouve  la  tristesse, 
il  la  dissipe,  s*il  trouve  des  désirs  mauvais,  il  les  con- 
sume; s'il  trouve  la  crainte,  il  la  chasse.  »  Saint  Léon, 
pape,  dit  de  son  côté  :  «  Si  l'Esprit-Saint  était  Tobjet 
de    l'espoir  des  apôtres,  ce  n'était  pas  tout  d'abord 
pour  habiter  dans  des  cœurs  sanctifiés,  mais  pour  les 
enflammer  davantage  après  leur  sanctification,   pour 
verser  en  eux  une  plus  grande  abondance  de  grâces. 
II  les  comblait  de  ses  dons,  il  ne  commençait  pas  leur 
conversion.  Et  cependant  son  œuvre  n'était  pas  nou- 
velle, parce  qu'il  était  plus  riche  en  largesses.  » 

V,  De  quelle  manière  fut-il  envoyé?  Il  fut  envoyé 
avec  bruit,  en  forme  de  langues  de  feu,  et  ces  langues 
apparurent  en  se  posant.  Le  bruit  fut  subit,  venant 
du  ciel,  véhément  et  remplissant.  Il  fut  subit  parce  que 
le  Saint-Esprit  ne  connaît  pas  les  obstacles  d'un  relard  : 
il  venait  du  ciel,  parce  qu'il  rendit  les  apôtres  célestes, 
il  fut  véhément,  mot  qui  signifie  :  détruisant  le  mal- 
heur (vœ  adimejis),  soit  parce  qu'il  détruit  tout  l'amour 
charnel  dans  l'esprit,  d'où  vient  véhément  {veheiis 
menlem)  :  Il  fut  remplissant,  parce  que  l'Espril-Sainl 
remplit  tous  les  apôtres  d'après  ce  texte  des  Actes  : 


i08  LA    LÉfiENDr.    DOREE 

«  Ils  furent  tous  remplis  du  Saint-Esprit.  »  Il  y  a 
trois  signes  auxquels  on  reconnaît  la  plénitude,  et 
ces  trois  signes  se  trouvent  dans  les  apôtres.  Le 
premier  c'est  de  ne  pas  rendre  de  son;  par  exemple 
le  tonneau  plein  ne  rend  aucun  son.  Quand  Job 
dit  (vi)  :  «  Le  bœuf  fait-il  entendre  ses  mugissements 
lorsqu'il  est  devant  une  crèche  pleine?  c'est  comme 
s'il  disait  :  «  Lorsque  la  crèche  du  cœur  contient  la 
plénitude  de  la  grâce,  il  ne  saurait  jeter  des  murmures 
d'impatience.  Les  apôtres  possédèrent  ce  signe,  parce 
qu'au  milieu  de  leurs  tribulations,  ils  ne  rendirent  aiï- 
ciin  son  d'impatience  ;  il  y  a  mieux  :  «  Ils  sortaient 
(lu  conseil  tout  remplis  de  joie  de  ce  qu'ils  avaient 
été  jugés  dignes  de  souffrir  des  opprobres  pour  le 
nom  de  Jésus  (Act.,  v).  »  Le  second  signe,  c'est  de  ne 
pas  pouvoir  en  contenir  plus,  et  d'en  posséder  assez. 
En  effet  quand  un  vase  est  plein,  il  ne  peut  contenir 
autre  chose  ;  comme  aussi  quand  un  homme  est  ras- 
sasié, il  n'a  plus  d'appétit:  de  même  les  saints  qui  ont 
la  plénitude  de  la  grâce,  ne  peuvent  recevoir  aucun 
goût  pour  les  amours  terrestres,  a  Tout  cela  m'est  à 
dégoût,  est-il  dit  dans  Isaïe  (i).  Je  n'aime  point  les 
holocaustes  de  vos  béliers.»  De  même  ceux  qui  ontgoûté 
des  douceurs  divines  n'ont  pas  soif  des  vanités  ter- 
n*stres.  «  Celui,  dit  saint  Augustin,  qui  aura  bu  du 
lleuve  du  paradis  dont  une  goutte  est  plus  grande  que 
Tocéan,  peut  être  assuré  que  la  soif  de  ce  monde  sera 
étanchée  en  lui.  »  Les  apôtres  possédèrent  ce  signe, 
car  ils  ne  voulurent  avoir  rien  en  propre,  mais  ils 
partagèrent  tout  en  commun.  Le  troisième  signe  c'est 
<le  déborder,  comme  et»  lleuve  dont  il  est  parlé  dans 


LE   SAINT-ESPRIT  109 

rEx:cIésiaslique  (xxiv)  :  «  Il  répand  la  sagesse  comme 
lePhison  répand  ses  eaux.  »  Ce  qui  signifie  à  la  lettre  : 
Le    propre  de  ce  fleuve,  c'est  de  déborder  et  d'arroser 
tout  ce  qui  l'entoure.  Ainsi  les  apôtres  commencèrent 
à  déborder,  parce  qu'ils  se  mirent  à  parler  différentes 
langues.  C'est  ici  que  la  glose  dit  :  a  Voici  le   signe 
de  la  plénitude  :  le  vase  plein  se  répand  :  le  feu  ne 
peut  rester  caché  en  lui-même.  »  Ils  commencèrent 
donc  à  arroser  ce  qui  les  entourait  :  de  là  vient  que 
saint  Pierre  se  mit  à  prêcher  et  convertit  trois  mille 
personnes.  »  Secondement,  il  fut  envoyé  en  forme  de 
langues  de  feu.  Il  y  a  là-dessus  trois  points  à  exami- 
ner :  1**  pourquoi  en  langues  et  en  langues  de  feu  tout 
à  la  fois,  2**  pourquoi  en  forme  de  feu  plutôt  qu'en 
un  autre  élément;  3°  pourquoi  en  forme  de  langue 
plutôt  que  d'un  autre  membre.   En  premier  lieu,  il 
faut  savoir  que  c'est  pour  trois  raisons  qu'il  apparut 
en  langues  de  feu  :  a)  afin  que  les  apôtres  proférassent 
des  paroles  de  feu  ;  b)  afin  qu'ils  prêchassent  une  loi  de 
feu,  c'est-à-dire  une  loi  d'amour.  Voici  les  paroles  de 
saint  Bernard  sur  ces  deux  premières  raisons  :  «  Le 
Saint-Esprit  est  venu  en  langues  de  feu  afin  de  dire 
des  paroles  de  feu  dans  les  langues  de  toutes  les  na- 
tions ;  en  sorte  que  ce  furent  des  langues  de  feu  qui 
pn^chaient  une  loi  de  feu  ;  »  c)  afin   que  les  apôtres 
connussent  que  c'était  par  eux  que  parlait  l'Esprit- 
Saint  qui  est  feu;  afin  qu'ils  n'eussent  aucune  défiance 
là-dessus  ;  afin  qu'ils  ne  s'attribuassent  pas  les  con- 
versions des  autres,  et  que  tous  écoutassent  leurs  pa- 
roles comme  celles  de  Dieu. 

En  second  lieu,  il  fut  envoyé  sous  la  forme  du  feu 


110  LA    LÉGENDE    DOREE 

pour  beaucoup  de  raisons.  La  1'*  se  lire  des  sept  es- 
pèces de  grâce  qu'il  donne  :  car  TEspril,  comme  le 
feu,   abaisse  les  hauteurs  par  le  don  de  crainte  ;  il 
amollit  les  duretés  par  le  don  de  piété  ;  il  illumine  les 
lieux  obscurs  par  la  science  ;  il  resserre  les  fluides  par 
le  conseil  ;  il  consolide  les  choses  sans  consistance  par 
la  force  ;  il  clarifie  les  métaux  dont  il  ôte  la  rouille 
par  le  don  d'intelligence  ;  il  se  dirige  en  haut  par  le 
don  de  sagesse.  La  2®  se  tire  de  sa  dignité  et  de  son 
excellence  :  en  efl^et  le  feu  l'emporte  sur  tous  les  élé- 
ments, par  son  apparence,  par  son  rang  et  par  sa 
force  :  par  son  apparence,  en  raison  de  la  beauté  qu'il 
présente  dans  sa  lumière  ;  par  son  rang,  en  raison  de 
la  sublimité  de  sa  position.  L'Esprit-Saint  aussi  l'em- 
porte surloutencesdiflFérentscas.  Quant  à  l'apparence 
TEsprit-Saint  est  appelé  sans  tache.  Quanta  son  rang, 
il  renferme  toutes  les  intelligences; quant  à  sa  force,  il 
la  possède  en  toute  manière.  La  3"  se  tire  de  ses  diffé- 
rentes propriétés.  Raban  expose  ainsi  cette  raison  :  «  Le 
feu,  desa  nature,  contient  quatre  propriétés  :  il  brûle, 
il  purge,  il  échauffe  et  il  éclaire.  Pareillement  le  Saint- 
Esprit   brûle  les  péchés,  purge  les  cœurs,  chasse   la 
tiédeur  et  éclaire  Tignorance.  Il  brûle  les  péchés,  selon 
cette  parole  du  prophète  Zacharie  (xiii)  :  «  Je  les  ferai 
passer  par  le  feu  où  je  les  épurerai  comme  on  épure 
l'argent.  »  C'était  encore  par  ce  feu  que  le  prophète  de- 
mandait à  être  brûlé  quand  il  disait  (Ps.  xxv)  :  «Brû- 
lez mes  reins  et  mon  cœur.  »  II  purge  les  cœurs,  selon 
ce  mot  d'Isaïe  (iv)  :  «  Ils  seront  appelés  saints  quand 
le  Seigneur  aura  lavé  Jérusalem   du  sang  qui  est  au 
milieu  d'elle,  par  un  esprit  de  justice  et  un  esprit  d'ar- 


LE    SAINT-ESPRIT  Hl 

deur.  »  Il  chasse  la  liédeur  :  c'est  pour  cela  qu'il  est 
dit  (Rom.,  xii)  de  ceux  qui  sont  remplis  du  Saint-Es- 
prit :  «  Conservez-vous  dans  la  ferveur  de  l'esprit.  » 
Saint  Grégoire  dit  aussi  :  <(  Le  Saint-Esprit  est  apparu 
en  forme  de  feu  parce  qu'il  dissipe  rengourdissement 
de  la  froideur  de  tout  cœur  qu'il  remplit,  et  qu'il  l'en- 
flamme du  désir  de  son  éternité,  »  II  éclaire  l'ignorance, 
diaprés  ces  paroles  du  livre  de  la  Sagesse  (ix)  :  «  Et 
qui  pourra  connaître  votre  pensée,  si  vous  ne  donnez 
vous-mértie  la  sagesse,  et  si  vous  n'envoyez  votre  Es- 
prit-Saint du  plus  haut  des  cieux  ?  »  Comme  aussi 
dans  la  T*  épître  aux  Corinthiens  (ii),  on  lit  :  «  Or, 
Dieu   nous  a   révélé   par  l'Esprit-Saint.  »   La  4®  se 
prend  de  la  nature  de  son  amour  :  car  l'amour  a  trois 
points  de  ressemblance  avec  le  feu.  1°  Le  feu  est  tou- 
jours en  mouvement,  de  même  aussi  l'amour  du  Saint- 
Esprit  fait  que  ceux  qui  en  sont. remplis  sont  toujours 
occupés  à  faire  de  bonnes  œuvres  ;  et  c'est  la  raison 
pour  laquelle  saint  Grégoire  dit  :  «  Jamais  l'amour  de 
Dieu  n'est  oisif.  S'il  existe,   il  opère  des  merveilles  ; 
mais  s'il  néglige  les  bonnes  œuvres,  l'amour  n'existe 
pas.  »  2®  De  tous  les  éléments  le  feu  est  celui  qui  con- 
siste le  plus  dans  la  forme  et  qui  tient  le  moins  de  la 
matière.  Il  en  est  ainsi  de  l'amour  du  Saint-Esprit  : 
celui  qui  en  est  rempli  est  peu  épris  de  l'amour  des 
choses  terrestres  et  a  beaucoup  d'attachement  pour 
les  choses  célestes  et  spirituelles,  de  sorte  qu'il  n'aime 
plus  les  choses  charnelles   d'une  manière  charnelle, 
mais  qu'il  aime  de  préférence  les  choses  spirituelles 
«Tune  façon  spirituelle.  Saint  Bernard  distingue  quatre 
sortes  d'amours  :  l'amour  de  la  chair  pour  la  chair, 


112  LA    LKGENDE    DORKE 

l'amour  de  l'esprit  pour  la  chair,  l'amour  de  la  chair 
pour  l'esprit,  et  l'amour  de  Tesprit  pour  l'esprit  lui- 
même,  3°  Le  feu  abaisse  ce  qui  s'élève,  il  tend  à  s'éle- 
ver, il  resserre  et  unit  les  fluides.  C4es  trois  propriétés 
font  connaître  les  trois  sortes  de  forces  qui  sont  dans 
l'amour,  comme  le  dit  saint  Denys  dans  son  livre  des 
Noms  divins  :  «  Il  a  une  force  inclinative,  une  force 
élévativeet  une  force  coordinative.  Il  abaisse  les  choses 
supérieures  au-dessous  des  inférieures,  il  élève  les  in- 
férieures au-dessus  des  supérieures,  il  coordonne  en- 
semble les  choses  semblables.  »  On  trouve  ces  trois 
effets  dans  ceux  que  l'Esprit-Saint  remplit  :  il  les 
abaisse  par  l'humilité  et  le  mépris  d'eux-mêmes  ;  il 
les  élève  par  le  désir  des  choses  supérieures,  et  il  éta- 
blit entre  eux  l'uniformité  de  mœurs.  3°  Pourquoi  le 
Saint-Esprit  apparaft-il  sous  la  forme  de  langues, 
plutôt  que  sous  la  forme  d'un  autre  membre  ?  On  en 
donne  trois  raisons.  En  effet  la  langue  est  un  membre 
enflammé  du  feu  de  l'enfer,  difficile  à  gouverner,  et 
utile  quand  on  en  fait  un  bon  usage.  Or,  si  la  langue 
était  enflammée  du  feu  de  l'enfer,  elle  avait  donc  be- 
soin du  feu  du  Saint-Esprit  (saint  Jacques,  m)  :  «  La 
langue  est  un  feu  »,  car  elle  se  gouverne  avec  diffi- 
culté :  c'est  pour  cela  qu'elle  a,  plus  que  les  autres 
membres,  besoin  de  la  grâce  du  Saint-Esprit.  Saint 
Jacques  ajoute  que  la  nature  de  l'homme  est  capable 
de  dompter  et  a  dompté  en  effet  toutes  sortes  d'ani- 
maux. Si  donc  la  langue  est  d'une  telle  utilité  quand 
elle  est  bien  dirigée,  il  fut  donc  nécessaire  qu'elle  ciH 
le  Saint-Esprit  pour  guide.  11  apparut  encore  en  forme 
(le  langue,  pour  signifier  qu'il  est  d'une  grande  néces- 


LE   SAINT-ESPRIT  113 

site  à  ceux  qui  prêchent.  Il  les  fail parler  avec  chaleur 
et  intrépidité  ;  c'est  pour  cela  qu'il  fut  envoyé  en  forme 
de  feu.  «  Le  Saint-Esprit,  dit  saint  Bernard,  est  venu 
sur  les  apôtres  en  forme  de  langues  de  feu,  afin  qu'ils 
parlassent  avec  feu,  et  que  les  langues  de  feu  préchas- 
sent une  loi  de  feu.  »  Ils  parlèrent  avec  confiance  et 
intrépidité  :  «  Ils  furent  tous,  disent  les  Actes  (iv), 
remplis  du  Saint-Esprit  et  se  mirent  à  annoncer  avec 
confiance  la  parole  de  Dieu.  »  Ils  parlèrent  plusieurs 
langues,  selon  que  l'exigeait  l'intelligence  de  leurs 
auditeurs.  Aussi  lisons-nous  dans  les  Actes  (ii)  qu'ils 
se  mirent  à  parler  différentes  langues.  Leur  prédica- 
tion fut  utile  selon  le  besoin  et  pour  l'édification  de 
tous.  <«  L'Esprit  du  Seigneur  est  sur  moi,  dil  Isaïe 
(lxi)  :  car  le  Seigneur  m'a  rempli  de  son  onction,  il 
m'a  envoyé  pour  annoncer  sa  parole  à  ceux  qui  sont 
doux,  pour  guérir  ceux  qui  ont  le  cœur  brisé.  »  Troi- 
sièmement, ces  langues  apparurent  en  se  posant  pour 
donner  à  entendre  que  le  Saint-Esprit  était  nécessaire 
et  à  ceux  qui  président  et  à  ceux  qui  jugent,  parce 
qu'il  confère  l'autorité  de  remettre  les  péchés.  «  Rece- 
vez le  Saint-Esprit,  est-il  dit  dans  l'évangile  de  saint 
Jean  (xx)  :  les  péchés  seront  remis  à  ceux  auxquels 
vous  les  remettrez.  »  Il  confère  la  science  pour  juger, 
selon  ces  paroles  d'Isaïe  :  «  Je  répandrai  mon  esprit 
sur  lui  et  il  rendra  la  justice  aux  nations  »  (xui).  Il 
confère  la  douceur  pour  supporter  :  «  Je  prendrai,  dit 
le  Seigneur  à  Moïse  (Nombres,  xi,  17),  de  l'Esprit 
qui  est  en  vous  et  je  leur  en  donnerai  (aux  anciens 
d'Israël)  afin  qu'ils  soutiennent  avec  vous  le  fardeau 
de  ce  peuple.  »  L'Esprit  de  Moïse  était  un  esprit  de 
n.  8 


114  LA   LÉGENDE    DORÉE 

douceur,  selon  que  le  témoig'ne  le  livre  des  Nombres 
(xii)  :  «  Moïse  était  de  tous  les  hommes  le  plus  doux 
qui  fût  sur  la  terre.  »  —  Il  confère  l'ornement  de  la 
sainteté  pour  embellir.  Job  dit  (xxvi)  :  «  L'Esprit  du 
Seigneur  a  orné  les  cieux.  » 

VI.  Sur  qui  fut-il  envoyé?  Sur  les  disciples  qui 
étaient  des  réceptacles  purs  et  préparés  à  recevoir  le 
Saint-Esprit,  pour  sept  qualités  qui  se  trouvèrent  eu 
eux.  1°  Ils  furent  calmes  d'esprit];  on  le  voit  par  ces 
mots  :  «  Quand  les  jours  de  la  Pentecôte  furent  ac- 
complis »,  c'est-à-dire  les  jours  de  repos.  En  effet 
cette  fête  était  consacrée  au  repos,  a  Sur  qui  reposera 
mon  esprit,  dit  Isaïe  (lxvi),  si  ce  n^est  sur  celui  qui 
est  humble  ?  »  2^  Ils  étaient  unis  par  les  liens  de  l'a- 
mour, ce  qui  est  indiqué  par  ces  paroles  :  «  Ils  étaient 
tous  ensemble.  »  Il  n'y  avait  en  effet  parmi  eux  qu'un 
seul  cœur  et  une  seule  âme  :  car  de  même  que  l'esprit 
de  l'homme  ne  vivifie  les  membres  du  corps  qu'aUf- 
tant  qu'ils  sont  unis  dans  la  vie,  de  même  le  Saint- 
Esprit  ne  vivifie  que  les  membres  spirituels.  Et  comme 
le  feu  s'éteint  dès  lors  qu'on  éloigne  les  morceaux  de 
bois,  de  même  aussi  l'Espril-Saint  disparait  où  n'habite 
pas  la  concorde.  C'est  pour  cela  que  l'on  chante  dans 
l'office  des  Apôtres  *  :  «  La  divinité  les  a  trouvés  unis 
par  la  charité,  elle  les  a  inondés  de  lumière.  »  3®  Ils 
étaient  renfermés  dans  un  lieu.  C'est  pour  cela  qu'il 
est  dit  aux  Actes  :  «  Ils  étaient  dans  un  même  local  », 
c'esl-à-dire,  dans  le  cénacle.  «  Je  la  conduirai,  est-il 
dit  dans  Osée  (ii),  dans  la  solitude  et  je  lui  parlerai 

*  Nous  n*avons  pas  trouvé  ce  texte  dans  la  liturgie  romaine. 


LE   SAINT-ESPRIT  115 

au  coeur.  »  4^'  Us  étaienl  assidus  dans  la  prière,  d'a- 
près ces  paroles  des  Actes  (i)  :  «  Ils  persévéraient  tous 
unanimement  en  prière.  Et  nous  chantons  *  :  «  Les 
apôlres  étaient  en  prière,  alors  qu'un  bruit  subit  an- 
nonce la  venue  de  Dieu.  »  Or,  pour  recevoir  le  Saint- 
Esprit,  Toraison  est  nécessaire,  comme  le  dit  le  livre 
de  la  Sagesse  (vn)  :  «  J'ai  prié  et  l'esprit  de  sagesse 
est  venu  en  moi  »  ;  et  dans  saint  Jean  (xiv)  :   «  Je 
prierai  mon  Père,  et  il  vous  donnera  un  autre  Para- 
del.  »  5®  Ils  étaient  doués  d'humilité,  ce  que  veut 
dire  ce  mot,  ils  étaient  assis.  Le  Psaume  dit  :  «  Vous 
envoyez  les  fontaines  dans  les  vallées  »,  c'est-à-dire, 
TOUS  donnez  aux  humbles  la  grâce  du  Saint  Esprit  : 
ce  qui  est  encore  confirmé  par  ce  texte  :  «  Sur  qui 
reposera  mon  esprit,  si  ce  n*est  sur  celui  qui    est 
bamble  ?  »  6**  Ils  étaient  en  paix  comme  l'indiquent 
ces  mots  :  «  Ils  étaient  dans  Jérusalem  »,  qui  signi- 
fie Vision  de  Paix.  Saint  Jean  montre  que  la  paix 
est  nécessaire  pour  recevoir   le   Saint-Esprit  (saint 
Jean,  xx). Aussitôt  qu'il  leur  eut  souhaité  la  paix  en  di- 
sant :  «  La  paix  soit  avec  vous  »,  il  souffla  aussitôt  sur 
eux  et  dit  :  «  Recevez  le  Saint-Esprit.  »  7®  Ils  étaient 
élevés  en  contemplation  :  ceci  est  marqué  en  ce  qu'ils 
reçurent  le  Saint-Esprit  alors  qu'ils  se  trouvaient  dans 
la  partie  supérieure  du  cénacle.   La  glose  dit  en  cet 


•  Hymne  des  Matines  de  la  Pentecôte. 

"  Hora  dieî  tertîa, 

Apostolisorantibus, 
Repente  de  cœlo  sonus 
Deum  venire  nuntiat. 

Version  antérieure  à  la  correction  des  hymnes  romaines. 


116  LA    LÉGENDE    DOREE 

endroit  :  «  Celui  qui  désire  le  Saint-Esprit  s'élève  au- 
dessus  de  la  demeure  de  sa  chair,  qu'il  foule  par  la 
contemplation  de  son  esprit.  » 

VII.  Pourquoi  fut-il  envoyé?  Le  Saint-Esprit  fut  en- 
voyé pour  six  causes.  Le  texte  suivant  est  l'autorité 
sur  laquelle  on  s'appuie  :  «  Mais  le  consolateur  qui 
est  l'Esprit-Saint  que  mon  Père  enverra  en  mon  nom, 
vous  enseignera  toutes  choses.  »  1°  Il  fut  envoyé  pour 
consoler  les  affligées.  Paraclet  veut  dire  consolateur. 
Isaïe  dit  :  «  L'Esprit  du  Seigneur  est  sur  moi,  et  il 
ajoute,  pour  apporter  de  la  consolation  à  ceux  qui 
pleurent  dans  Sion  »  (Isaïe,  lxi),  «  L'Esprit-Saint,  dit 
saint  Grégoire,  est  appelé  consolateur,  parce  que 
ceux  qui  gémissent  d'avoir  commis  le  péché  sont  pré- 
parés par  lui  à  l'espoir  du  pardon,  La  tristesse  qui 
s'était  emparée  de  leur  esprit  affligé  disparait  ».  2^ 
Pour  ressusciter  les  morts.  Selon  cette  parole  d'Ezé- 
chiel  (xxxvii)  :  «  C'est  l'Esprit  qui  vivifie  :  os  arides, 
écoutez  la  parole  du  Seigneur.  Je  ferai  entrer  en  vous 
l'Esprit  et  vous  vivrez.  »  3*^  Pour  sanctifier  ceux  qui 
sont  immondes.  Aussi  on  dit  l'Esprit,  parce  qu'il  vi- 
vifie, et  saint  parce  qu'il  sanctifie  et  rend  pur.  Saint 
et  pur,  c'est  une  môme  chose.  Le  Psaume  (xlv)  porte  : 
«  Un  fleuve  tranquille  réjouit  la  cité  de  Dieu  »  ;  ce 
fleuve  c'est  la  grâce  du  Saint-Esprit  qui  purifie  et  qui 
ne  tarit  pas  :  la  cité  de  Dieu,  c'est  l'Eglise  de  Dieu, 
et  par  ce  fleuve,  le  Très-Haut  a  sanctifié  son  taber- 
nacle. 4**  Pour  affermir  l'amour  au  milieu  de  ceux  qui 
sont  désunis  par  la  haine.  «  Mon  Père  lui-môme  vous 
aime  »  (saint  Jean,  xiii).  Le  Père,  c'est  celui  qui  nous 
aime  tout  naturellement.  S'il  est  notre  Père,  et  que 


SAINTS   GORDIEN   ET   ÉPIMAQUE  117 

nous  sommes  ses  enfants^  et  si  nous  sommes  tous 
frères  à  Fégard  les  uns  des  autres,  qu'une  amitié  par- 
fai.le  règne  entre  les  frères.  5°  Pour  sauver  les  justes. 
Quand  J.-C.  dît  :  «  Mon  Père  vous  l'enverra  en  mon 
nom  »,  il  rappelle  l'idée  de  Sauveur  renfermée  dans 
ce  nom  de  Jésus.  Donc  c'est  au  nom  de  Jésus,  c'est- 
à-dire  de  Sauveur  que  le  Père  a  envoyé  le  Saint- 
Esprit  afin  de  montrer  qu'il  est  venu  pour  sauver  les 
nations.  6'  Pour  instruire  les  ignorants  :  «  Il  vous  en- 
seignera toutes  choses,  dit  J.-C.   » 

VIII.  Par  quel  moyen  a-t-ilété  donné?  Ce  fut  1°  par 
Toraison.  Ainsi  nous  avons  vu  plus  haut  que  c'était 
alors  que  les  apôtres  priaient,  et  en  saint  Luc  :  «  Alors 
que  Jésus  priait,  le  Saint-Esprit  descendit.  »  2^  En 
écoutant  avec  dévotion  et  attention  la  parole  de  Dieu. 
«  Pierre  parlait  encore  que  l'Espril-Saint  tomba  sur 
eux  »  (Actes,  x).  3°  Par  Tassiduité  aux  bonnes  œuvres, 
signifiée  dans  l'imposition  des  mains.  «  Alors  ils 
imposaient  les  mains  sur  eux...  n  (Actes,  viii).  L'im- 
position des  mains  signifie  encore  l'absolution  que  l'on 
donne  à  confesse. 


SAINTS  GORDIEN  ET  EPIMAQUE* 

Gordien  vient  de  geos,  dogme  ou  maison,  et  dyan,  brillant, 
comme  maison  brillante  dans  laquelle  habitait  Dieu  :  ainsi 
que  saint  Augustin  le  dit  dans  le  livre  de  la  Cité  de  Dieu. 
a  Une  bonne  maison  est  celle  dont  les  parties  sont  relativement 

*  Tiré  du  Martyrologe  d'Adon. 

II.  8" 


118  LA   LÉGENDE    DOREE 

bien  disposées^  amples  et  éclairées.  »  Il  en  fut  ainsi  de  ce 
saint  qui  fut  disposé  par  l'imitation  de  la  concorde,  qui  fut 
ample  en  charité  et  brillant  de  vérité.  Epimaque  vient  de  épi, 
sur  et  machin,  roi,  comme  roi  suprême  ;  il  peut  aussi  venir 
d*épi,  sur  et  machos,  combat,  qui  combat  pour  les  choses  d'en 
haut. 

Gordien,  vicaire  de  l'empereur  Julien,  voulait  for- 
cer à  sacrifier  un  chrétien  nommé  Janvier  qui,  par 
ses  prédications,  le  convertit  à  la  foi  avec  son  épouse 
nommée  Mariria  et  cinquante-trois  autres  hommes. 
Julien,  à  cette  nouvelle,  envoya  Janvier  en  exil,  et 
condamna  Gordien  à  perdre  la  tête,  s^il  ne  voulait 
pas  sacrifier.  Le  bienheureux  Gordien  fut  donc  déca- 
pité et  son  corps  fut  jeté  aux  chiens.  Mais  comme  il 
était  resté  l'espace  de  huit  jours,  tout  à  fait  intact,  sa 
famille  le  prit  et  l'ensevelit  à  un  mille  de  la  ville  avec 
saint  Epimaque  que  Julien  avait  fait  tuer  depuis  quel- 
que temps.  Ce  fut  vers  l'an  du  Seigneur  360. 


SAINTS  NÉRÉE  ET  ACHILLÉE  * 

Nérée  veut  dire  conseil  de  lumière  :  ou  bien  s'il  vient  de 
Nerethy  qui  veut  dire  lumière,  ett<«,  qui  se  hâte;  ou  bien  encore 
de  Ne  et  reus,  non  coupable.  11  fut  donc  un  conseil  de  lumière 
par  la  prédication  de  la  virginité  ;  une  lumière  par  sa  manière 
de  vivre  honorable;  il  se  hâta  d*aimcr  le  ciel;  il  ne  fut  point 
coupable  en  raison  de  sa  pureté  de  conscience.  Achilleus  vient 
de  achi^  qui  veut  dire  mon  frère,  et  césa,  salut  :  salut  de  ses 
frères.  Leur  martyre  fut  écrit  par  Eulhicès,  Victorinus  et 
Macre  ou  Marce,  serviteurs  de  J.-C. 

*  Bréviaire;  —  Martyrologes  ;  —  Eusèbe,  Ilist,  Eccf, 


SALNTS    NÉRÉE    ET    ACHILLEE  H  9 

Nérée  et  AchîIIée,  eunuques  chambellans  de  Domi- 
lillê,  nièce  de  l'empereur  Domitien,  furent  baptisés 
par  Tapôtre  saint  Pierre.  Or,  comme  cette  Domitille 
était  fiancée  à  Âurélien,  fils  d'un  consul,  et  qu'elle 
était  couverte  de  pierreries  et  de  vêlements  de  pourpre, 
Nérée  et  Achillée  lui  prêchèrent  la  foi,  et  lui  suggé- 
rèrent une  grande  estime  pour  la  virginité  qu'ils  lui 
montrèrent  comme  approchant  de  Dieu,  rendant  sem- 
blable aux  anges,  née  avec  Thomme,  tandis  qu'une 
femme  mariée  était  sous  la  sujétion  de  son  mari, 
qu'elle  était  frappée  de  coups  de  poing  et  de  pied, 
qu'elle  mettait  trop  souvent  au  monde  des  enfants 
clifTormes,  supportant  de  plus  avec  peine  les  pieux 
avis  de  leur  mère,  qu'enfin  elle  était  forcée  d'endurer 
de  grandes  contrariétés  de  la  part  d'un  époux.  Do- 
niitille  leur  répondit  entre  autres  choses  :  «  Je  sais 
que  mon  père  fut  jaloux  et  que  ma  mère  eut  à  souf- 
frir de  sa  part  une  foule  de  mauvais  traitements  : 
mais  celui  que  je  dois  avoir  pour  mari  lui  ressemble- 
ra-t-il?  »  Ils  lui  dirent  :  «  Tant  que  les  hommes  sont 
seulement  fiancés,  ils  paraissent  doux  ;  mais  dès  qu'ils 
sont  mariés,  ils  deviennent  cruels  et  impérieux  :  quel- 
quefois ils  préfèrent  des  suivantes  à  leurs  dames.  — 
Toute  sainteté  perdue  peut  se  recouvrer  par  la  péni- 
tence, il  n'y  a  que  la  virginité  qui  ne  se  puisse  recou- 
vrer :  car  la  culpabilité  peut  être  effacée  par  la  pénitence, 
mais  la  virginité  ne  se  peut  réparer  :  elle  ne  saurait 
prétendre  à  regagner  l'état  de  sainteté  qu'elle  a  per- 
du. »  Alors  Flavie  Domitille  crut,  fit  vœu  de  virginité, 
reçut  le  voile  des  mains  de  saint  Clément.  —  A  cette 
nouvelle  son  fiancé  se  fit  autoriser  par  Domitien  à  la 


120  LA    LÉGENDE    DORÉE 

reléguer  dans  l'île  Pontia,  avec  les  saints  Nérée  et 
Âchîllée,  dans  la  pensée  qu'il  pourrait  ainsi  la  faire 
revenir  sur  la  résolution  prise  par  elle  de  garder  la 
virginité.  Quelque  temps  après,  dans  un  voyage  en 
cette  ile,  il  fit  de  riches  présents  h  ces  deux  saints  pour 
les  engager  à  influencer  cette  vierge  :  mais  ils  s'y  re- 
fusèrent absolument;  et  s'attachèrent  à  la  fortifier  dans 
ses  bonnes  dispositions.  Comme  on  les  poussait  à  sa- 
crifier, ils  dirent  qu'ayant  été  baptisés  par  l'apôtre 
saint  Pierre,  rien  ne  pouvait  les  faire  immoler  aux 
idoles.  Ils  furent  décapités  vers  l'an  du  Seigneur  80, 
et  leurs  corps  furent  ensevelis  auprès  du  tombeau  de 
sainte  Pétronille.  Il  y  en  eut  d'autres,  comme  Victo- 
rin,  Euthicès  et  Maron  qui  étaient  attachés  à  Domi- 
tille,  qu'Âurélien  faisait  travailler  tout  le  jour  comme 
des  esclaves  dans  ses  domaines,  et  le  soir  il  leur  fai- 
sait manger  le  pain  des  chiens.  Enfin  il  ordonna  de 
fouetter  Euthicès  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rendu  l'âme  ;  il 
fit  étouffer  Victorin  dans  des  eaux  fétides  et  écraser 
Maron  sous  un  énorme  quartier  de  roche.  Or,  quand 
on  eut  jeté  sur  lui  cette  pierre  que  soixante-dix 
hommes  pouvaient  remuer  à  peine,  il  la  prit  sur  les 
épaules  et  la  porta  comme  paille  légère  l'espace  de 
deux  milles  ;  et  comme  un  grand  nombre  de  personnes 
avaient  alors  embrassé  la  foi,  le  fils  du  consul  le  fit  tuer. 
Après  quoi,  il  ramena  Domitille  de  l'exil,  et  lui  en- 
voya deux  vierges,  Euphrosine  et  Théodora,  ses  sœurs 
de  lait,  pour  la  faire  changer  de  résolution  :  mais 
Domitille  les  convertit  à  la  foi.  Alors  Aurélien  vint 
avec  les  deux  fiancés  de  ces  jeunes  personnes  et  trois 
jongleurs  pour  célébrer  ses  noces,  ou  du  moins,  pour 


SAINT    PANCRACE  42! 

la  posséder  par  la  violence.  Mais  comme  Domitille 
avait  converti  ces  deux  jeunes  gens,  Aurélien  fit 
entrer  Domitille  dans  une  chambre  nuptiale,  ordonna 
à  ses  jongleurs  déchanter  et  aux  autres  de  se  livrer  à 
la  danse  avec  lui,  dans  la  volonté  de  faire  violence 
ensuite  à  la  sainte.  Alors  les  baladins  s'épuisèrent  à 
chanter  et  les  autres  à  danser  ;  Aurélien  lui-même  ne 
cessa  de  danser  pendant  deux  jours,  jusqu'à  ce  qu'ex- 
ténué de  fatigue,  il  expira.  Son  frère  Luxurius  solli- 
cita la  permission  de  tuer  tous  ceux  qui  avaient  reçu 
la  foi,  il  mit  le  feu  à  l'appartement  desdites  vierges, 
qui  rendirent  l'esprit  en  faisant  leurs  prières.  Le  len- 
demain matin,  saint  Césaire  ensevelit  leurs  corps  qu'il 
avait  retrouvés  intacts. 


SAINT  PANCRACE  * 

Pancrace  vient  de  pan,  qui  sic^nifie  tout,  et  gratus,  ac^réablc, 
et  citius,  vite,  tout  prompt  à  être  agréable,  car  dès  sa  jeunesse 
il  le  fut.  Le  Glossaire  dit  encore  que  Paneras  veut  dire  rapine, 
pancf'atiarius,  soumis  aux  fouets,  Paneras,  pierre  de  différen- 
tes couleurs  :  en  effet,  il  ravit  des  captifs  pour  butin,  il  fut 
soumis  au  tourment  du  fouet,  et  il  fut  décoré  de  toutes  sor- 
tes de  vertus. 

Pancrace,  issu  d'illustres  parents,  ayant  perdu  en 
Phrygie  son  père  et  sa  mère,  resta  confié  aux  soins 
de  Denys,  son  oncle  paternel.  Ils  se  rendirent  tous 
les  deux  à  Rome  où  ils  jouissaient  d'un  riche  patri- 

*  Bréviaire;  —  Martyrologes. 


122  LA    LÉGENDE    DORÉE 

moine  :  dans  leur  quartier  était  caché,  avec  les  fidèles, 
le  pape  Corneille,  qui  convertit  à  la  foi  de  J.-G.  De- 
nys  et  Pancrace.  Denys  mourut  en  paix,  mais  Pan- 
crace fut  pris  et  conduit  par  devant  César.  Il  avait 
alors  environ  quatorze  ans.  L'empereur  Dioctétien 
lui  dit  :  ((  Jeune  enfant,  je  te  conseille  de  ne  pas  te 
laisser  mourir  de  maie  mort;  car,  jeune  comme  tu  es, 
tu  peux  facilement  te  laisser  induire  en  erreur,  et  puis- 
que ta  noblesse  est  constatée  et  que  tu  es  le  fils  d'un 
de  mes  plus  chers  amis,  je  t'en  prie,  renonce  à  cette 
folie,  afin  que  je  te  puisse  traiter  comme  mon  enfant.  » 
Pancrace  lui  répondit  :  «  Bien  que  je  sois  enfant 
par  le  corps,  je  porte  cependant  en  moi  le  cœur  d'un 
vieillard,  et  grâce  à  la  puissance  de  mon  Seigneur 
J.-C.  la  terreur  que  tu  nous  inspires  ne  nous  épou- 
vante pas  plus  que  ce  tableau  placé  devant  nous.  Quant 
à  tes  Dieux  que  tu  m'exhortes  à  honorer,  ce  furent  des 
trompeurs,  des  corrupteurs  de  leurs  belles-sœurs;  ils 
n'ont  pas  eu  même  derespect  pour  leurs  père  et  mère  : 
que  si  aujourd'hui  tu  avais  des  esclaves  qui  leur  res- 
semblassent tu  les  ferais  tuer  incontinent.  Je  m'étonne 
que  tu  ne  rougisses  pas  d'honorer  de  tels  dieux.  »  L'em- 
pereur donc,  se  réputant  vaincu  par  un  enfant,  le  fît 
décapiter  sur  la  voie  Aurélienne,  vers  l'an  du  Sei- 
gneur 287.  Son  corps  fut  enseveli  avec  soin  par  Coca- 
villa,  femme  d'un  sénateur.  Au  rapport  de  Grégoire 
de  Tours  *,  si  quelqu'un  ose  prêter  un  faux  serment 
sur  le  tombeau  du  martyr,  avant  qu'il  soit  arrivé  au 
chancel  du  chœur,   il  est  aussitôt  possédé  du  démon 

*  Âfiracu/orurrif  lib.  I,  c.  xxxix. 


SAINT   PANCRACE  J23 

et  devient  hors  de  lui,  ou  bien  il  tombe  sur  le  pavé  et 
meurt.  II  s'était  élevé  un  procès  assez  important  entre 
deux  particuliers.  Or,  le  juge  connaissait  parfaitement 
le  coupable.  Le  zèle  de  la  justice  le  porta  à  les  mener 
tous  les  deux  à  Tautel  de  saint  Pierre  ;  et  là  il  força 
celui  qu'il  savait  avoir  tort  à  confirmer  par  serment 
sa  prétendue  innocence,  en  priant  l'apôtre  de  venger 
la  vérité  par  une  manifestation  quelconque.  Or,  le 
coupable  ayant  fait  serment  et  n'ayant  éprouvé  aucun 
accident,  le  juge,  convaincu  de  la  malice  de  cet  homme, 
et  enflammé  du  zèle  de  la  justice  s'écria  :  «  Ce  vieux 
Pierre  est  ou  trop  bas,  ou  bien  il  cède  à  moindre  que 
lui.  Allons  vers  Pancrace;  il  est  jeune,  requérons  de  lui 
ce  qui  en  est.  »  On  y  alla;  le  coupable  eut  l'audace  de 
faire  un  faux  serment  sur  le  tombeau  du  martyr  ;  mais 
il  ne  put  en  retirer  sa  main  et  expira  bientôt  sur  place. 
C'est  de  là  que  vient  la  pratique  encore  observée  au- 
jourd'hui de  faire  jurer,  dans  les  cas  difficiles,  sur  les 
reliques  de  saint  Pancrace. 


i 


124  LA    LKGENDE    DOREE 


Des  lètes  qui  tombent  pendant  le  temps  du 

pèlerinage. 

• 

Après  avoir  parlé  des  fêtes  qui  arrivent  pendant  le  temps  de 
la  Réconciliation,  temps  reproduit  par  TEglise  de  Pâques  à 
Toctave  de  la  Pentecôte^  il  reste  à  s'occuper  des  fêtes  qui  arri- 
vent dans  le  temps  du  pèlerinage  ;  TEglise  le  reproduit  depuis 
Toctavc  (le  la  Pentecôte  jusqu'à  TAvent.  Ce  temps  ne  commence 
pas  toujours  ici,  car  il  varie  d'après  la  fête  de  Pâques. 


SAINT  URBAIN  * 

Urbain  vient  d*urbanité,  ou  bien  de  ur,  flambeau  ou  feu,  et 
de  banal,  réponse.  Ce  fut  un  flambeau  par  Thonnêteté  de  sa 
conduite,  un  feu  par  son  ardente  charité,  une  réponse  par  sa 
doctrine.  11  fut  un  flambeau  ou  une  lumière,  parce  que  la  lu- 
mière est  agréable  à  la  vue,  immatérielle  en  essence,  céleste 
en  situation,  très  utile  pour  agir.  De  même  ce  saint  fut  aimable 
dans  sa  conversation,  immatériel  dans  son  mépris  du  monde, 
céleste  en  contemplation,  utile  dans  sa  prédication. 

Urbain  succéda  au  pape  Calixte.  De  son  temps,  il 
s'éleva  une  très  grande  persécution  contre  les  chré- 
tiens. Enfin  Alexandre  devint  empereur  et  sa  mère 
Mammée  avait  été  convertie  au  christianisme  parOri- 
gène.  Ses  prières  vraiment  maternelles  obtinrent  de 
son  fils  qu'il  cesserait  de  persécuter  les  fidèles.  —  Ce- 
pendant Almachius,  préfet  de  la  ville,  qui  avait  fait 
trancher  la  tête  à  sainte  Cécile,  sévissait  avec  fureur 
contre  les  chrétiens;  il   fit  donc  rechercher  avec  soin 

*  Tiré  des  Actes  de  sainte  Cécité, 


SAINT   URBAIN  123 

saint  Urbain,  par  le  moyen  d'un  de  ses  officiers  nommé 
Carpasius  ;  on  le  trouva  dans  un  antre  avec  trois  prê- 
tres et  trois  diacres.  Tous  furent  jetés  en  prison. 
Almachius  fit  comparaître  Urbain  devant  son  tribu- 
nal, et  lui  reprocha  d'avoir  séduit  cinq  mille  hommes 
avec  la  sacrilège  Cécile  et  les  illustres  personnages 
Tiburce  et  Valérien  :  il  lui  réclama  aussi  les  trésors 
de  Cécile. 

Urbain  lui  répondit  :  «  Ainsi  que  je  le  vois,  c'est 
plutôt  la  cupidité  qui  te  porte  à  sévir  contre  les  saints 
que  l'honneur  des  dieux.  Le  trésor  de  Cécile  est 
monté  au  ciel  par  les  mains  des  pauvres,  »  Comme 
saint  Urbain  et  ses  compagnons  étaient  fouettés  avec 
des  lanières  garnies  de  plomb,  Urijain  se  mit  à  invo- 
quer le  nom  du  Seigneur  en  disant  Elijon  *.  Le  pré- 
fet souriant  :  «  Ce  vieillard,  dit-il,  veut  passer  pour 
savant,  voilà  pourquoi  il  parle  de  manière  à  ne  pou- 
voir être  compris.  »  Or,  comme  on  ne  pouvait  pas 
les  vaincre,  ils  furent  reconduits  en  prison,  où  saint 
Urbain  donna  le  baptême  à  trois  tribuns  qui  vinrent 
le  trouver,  et  au  geôlier  Anolin.  Le  préfet  ayant  appris 
que  ce  dernier  était  devenu  chrétien,  le  fit  amener  à 
son  tribunal  et  comme  il  refusa  de  sacrifier,  il  fut  dé- 
capité. 

Quant  à  saint  Urbain  il  fut  traîné  devant  une  idole 
avec  ses  compagnons  et  forcé  de  lui  offrir  de  l'en- 
cens :  alors  le  saint  se  mit  en  prières  et  l'idole  tomba 


*  D'après  saint  Isidore  de  Séville  (liv.  Vil,  ch.  i,  des  Elymo- 
logie»),  ce  mot  hébreu  est  un  des  noms  de  Dieu  et  signifie 
élevé,  grand,  le  Très-Haut, 


126  LA    LÉGENDE   DOR^E 

CQ  tuant  vingt-deux  prêtres  chargés  d'entretenir  le 
feu.  On  déchira  cruellement  les  chrétiens,  et  on  les 
conduisit  ensuite  pour  sacrifier  :  mais  ils  crachèrent 
sar  ridole,  firent  sur  leur  front  le  signe  de  la  croix 
et  après  s'être  donné  l'un  à  l'autre  le  baiser  de  paix, 
ils  reçurent  la  couronne  du  martyre  en  ayant  la 
tête  coupée,  sous  l'empire  d'Alexandre,  vers  Tan  du 
Seigneur  220.  Carpasiusfut  saisi  aussitôt  par  le  malin 
esprit,  blasphéma  ses  dieux,  et  malgré  lui,  il  fit  un 
grand  éloge  des  chrétiens;  enfin  il  fut  suffoqué  par  le 
démon.  A  cette  vue,  sa  femme  Arménie  reçut  le 
baptême,  avec  sa  fille  Lucine  et  toute  sa  famille,  des 
mains  du  saint  prêtre  Fortunat.  Après  quoi  elle  ense- 
velit les  corps  des  martyrs  avec  honneur. 


SAINTE  PÉTRONILLE* 

Pétronîlle,  dont  saint  Marcel  a  écrit  la  vie,  était  la 
fille  de  l'apôtre  saint  Pierre.  Elle  était  d'une  beauté 
extraordinaire  et  elle  souffrait  de  la  fièvre  par  la  vo- 
lontédc  son  père;  or,  un  jour  que  les  disciples  logeaient 
chez  saint  Pierre,  Tite  lui  dit  :  «  Puisque  vous  gué- 
rissez tous  les  infirmes,  pourquoi  laissez-vous  Pétro- 
nille  souffrante  ?  »  «  C'est,  répondit  saint  Pierre,  que 
cela  lui  vaut  mieux  :  néanmoins,  pour  que  l'on  ne 
puisse  pas  conclure  de  mes  paroles  qu'il  est  impossible 
de  la  guérir,  il  lui  dit:  «  Lève-toi  promptement,  Pé- 

•  Martyrologe  d'Adon. 


SAINTE    PÉTRONILLE  127 

troniIle,et  sers-nous.  »  Elle  fut  guérie  aussitôt,  se  leva 
et  les  servit.  Quand  elle  eut  fini  de  les  servir  saint 
Pierre  lui  dit  :  «  Pétronille,  retourne  à  ton  lit.  »  Elle 
y  revint  aussitôt  et  la  fièvre  la  reprit  comme  aupara- 
vant :  mais  dès  qu'elle  eut  eu  acquis  la  perfection 
dans  Famour  de  Dieu,  il  la  guérit  complètement.  Le 
comte  Flaccus  vint  la  trouver  afin  de  la  prendre  pour 
femme  à  cause  de  sa  beauté.  Pétronille  lui  dit  donc  : 
<f  Si  tu  désires  m'avoir  pour  épouse,  fais-moi  venir 
des  vierges  qui  me  conduisent  jusqu'à  ta  maison.  » 
Comme  il  s'en  occupait,  Pétronille  se  livra  au  jeûne  et 
à  la  prière,  reçut  le  corps  du  Seigneur,  se  coucha  et 
trois  jours  après  elle  rendit  son  âme  à  Dieu.  Flaccus, 
se  voyant  déçu,  s'adressa  à  Félicula,  compagne  de 
Pétronille,  et  lui  intima  ou  de  Tépouser  ou  de  sacrifier 
aux  idoles. 

Comme  elle  refusait  de  consentir  à  aucune  de  ces 
deux  propositions,  le  préfet  la  fit  mettre  en  prison 
où  elle  n'eut  ni  à  manger  ni  à  boire  pendant  sept 
jours  ;  après  quoi  il  la  fit  tourmenter  sur  le  chevalet, 
la  tua  et  jeta  son  corps  dans  un  cloaque.  Cependant 
saint  Nicodème  Ten  retira  et  lui  donna  la  sépulture. 

En  conséquence,  le  comte  Flaccus  fit  appeler  Nico- 
dème et  comme  celui-ci  refusait  de  sacrifier,  il  le  battit 
avec  des  cordes  chargées  de  plomb.  Son  corps  fut  jeté 
dans  le  Tibre;  mais  son  clerc  Juste  l'en  ôta  et  l'ense- 
velit avec  honneur. 


128  LA    LÉGENDE    DOREE 

SAINT  PIERRE,  EXORCISTE, 
ET  SAINT  MARCELLIN  * 

Pendant  que  saint  Pierre,  exorciste,  était  détenu  en 
prison  par  Archémius,  la  fille  de  ce  dernier  était  tour- 
mentée par  le  démon  et  comme  c'était,  pour  ce  père, 
un  sujet  toujours  nouveau  de  désolation,  saint  Pierre 
lui  dit  que  s'il  croyait  en  J.-r^.,  à  Tinstant  la  santé 
serait  rendue  à  sa  fille.  Archémius  lui  dit:  «  Je  m'é- 
tonne que  ton  Sei|S^neur  puisse  délivrer  ma  fille,  quand 
il  ne  peut  te  délivrer,  toi  qu'il  laisse  souffrir  pour  lui 
de  si  grands  tourments,  w  Pierre  lui  répondit  :  «  Mon 
Dieu  a  le  pouvoir  de  m'arracher  à  votre  joug,  mais  il 
veut,  par  une  souffrance  passagère,  nous  faire  parvenir 
à  une  gloire  éternelle.  »  «  Si,  reprit  Archémius,  après 
que  j'aurai  doublé  tes  chaînes,  ton  Dieu  te  délivre  et 
guérit  ma  fille,  dès  lors  je  croirai  en  J.-G.  »  Les 
chaînes  furent  doublées  :  saint  Pierre  apparut  à  Ar- 
chémius, revêtu  d'habits  blancs  et  tenant  à  la  main 
une  croix.  Alors  Archémius  se  jeta  à  ses  pieds  et  sa 
fille  fut  guérie.  11  reçut  le  baptême  lui  et  tous  les  gens 
de  sa  maison  ;  il  permit  aux  prisonniers  de  se  retirer 
libres,  s'ils  voulaient  se  faire  chrétiens.  Beaucoup 
d'entre  eux,  ayant  accepté  la  foi,  furent  baptisés  par  le 
bienheureux  prêtre  Marcellin.  A  cette  nouvelle,  le  pré- 
fet donna  ordre  de  lui  amener  tous  les  prisonniers  ; 
Archémius  les  réunit  donc,  leur  baisa  les  mains  et  leur 

*  Le   récit   est    tire  prescjuc    tcxtiicllcinont   du  Martyrologe 
d'Adon,  2  juin. 


SAINT    PIERRE,    EXORCISTE,    ET    SAINT   MARCELLIN      129 

dit  que  si  quelqu'un  d'eux  voulait  aller  au  martyre, 
il  vînt  avec  intrépidité  ;  que  s'il  y  en  avait  un  qui  ne  le 
voulût  pas,  il  se  retirât  sain  et  sauf.  Or,  le  juge  ayant 
découvert  que  Marcellin  et  Pierre  les  avaient  baptisés, 
il  les  manda  tous  les  deux  à  son  tribunal,  et  les  fit  en- 
fermer chacun  dans  une  prison  séparée.  Pour  Mar- 
cellin, il  fut  étendu  tout  nu  sur  du  verre  cassé  ;  on  lui 
refusa  l'eau  et  le  feu  ;  quant  à  Pierre,  il  fut  enfermé 
dans  un  autre  cachot  fort  profond  où  on  le  mit  dans 
des  entraves  très  serrées.  Mais  un  ange  du  Seigneur 
vînt  voir  Marcellin,  le  délia,  puis  il  le  ramena  avec 
Pierre  dans  la  maison  d'Archémius,  en  donnant  Tor- 
dre à  tous  les  deux  d'encourager  le  peuple  pendant 
sept  jours,  et  de  se  présenter  ensuite  devant  le  juge. 
Celui-ci  ne  les  ayant  donc  pas  trouvés  dans  la  pri- 
son, manda  Archémius  et  sur  le  refus  de  celui-ci  de 
sacrifier,  il  le  fit  étouffer  sous  terre  avec  sa  femme. 
Marcellin  et  saint  Pierre  en  ayant  eu  connaissance, 
vinrent  en  cet  endroit,  et  sous  la  protection  des  chr«»- 
tiens,  saint  Marcellin  célébra  la  mosse  sept  jours  de 
suite  dans  cette  même  crypte.  Alors  les  saints  dirent 
aux  incrédules  :  «  Vous  voyez  que  nous  aurions  pu  dé- 
livrer Archémius  et  nous  cacher  ;  mais  nous  n'avons 
voulu  faire  ni  Tun  ni  Tautre.  »  Les  gentils  irrités 
tuèrent  Archémius  par  le  glaive;  quant  à  sa  femmr  et 
à  sa  fille  ils  les  écrasèrent  à  coups  de  pierres.  Ils  me- 
nèrent Marcellin  et  Pierre  à  la  forêt  noire  (qu'on  a 
depuis  appelée  blanche  à  raison  de  leur  martyre)  où 
ils  les  décapitèrent  du  temps  de  Dioclétien,  l'an  du 
Seigneur  287.  Le  bourreau  appelé  Dorothéus  vil  des 
anges  qui  portaient  au  ciel  leurs  âmes  revêtues  de  vè- 
II.  1)      . 


é 


430  LA    LÉGENDE    DOREE 

lements  spleiidides  et  ornées  de  pierres  précieuses.  En 
conséquence,  Dorothée  se  fil  chrétien  et  mourut  en  paix 
quelque  temps  après. 


SAINT  PRIME  ET  SALNT  FÉLICIEN  * 

Prime  veut  dire  souverain  et  grand,  Félicien,  vieillard 
comblé  de  félicite.  Le  premier  est  souverain  ets^rand  en  dignité 
pour  les  souffrances  de  son  martyre,  en  puissance  pour  ses 
miracles,  en  sainteté  pour  la  perfection  de  sa  vie,  en  félicité 
pour  la  gloire  dont  il  jouit.  Lesecondest  appelé  vieillard,  non 
à  cause  du  long  temps  qu'il  a  vécu,  mais  pour  le  respect 
quMnspire  sa  dignité,  pour  la  maturité  de  sa  sagesse  et  pour 
la  gravité  de  ses  mœurs. 

Prime  et  Félicien  furent  accusés  auprès  de  Dioclé- 
tien  et  de  Maximien  par  les  prêtres  des  idoles  qui  pré- 
tendirent ne  pouvoir  obtenir  aucun  bienfait  des  dieux, 
si  on  ne  forçait  ces  deux  saints  à  sacrifier.  Par  l'ordre 
donc  des  empereurs,  ils  furent  emprisonnés.  Mais  un 
anjje  les  vint  visiter,  délia  leurs  chaînes  ;  alors  ils  se 
promenèrent  librement  dans  leur  prison  où  ils  louaient 
le  Seig^neur  à  haute  voix.  Peu  de  temps  après  on  les 
amena  de  nouveau  devant  les  empereurs;  et  là  ayant 
persisté  avec  fermeté  dans  la  foi,  ils  furent  déchirés  à 
coups  de  fouets,  puis  séparés  l'un  de  l'autre.  Le  prési- 
dent dit  à  Félicien  de  tenir  compte  de  sa  vieillesse  et 
d'immoler  aux  dieux.  Félicien  lui  répondit:  «  Me  voici 
parvenu  à  Vdy^i!^  de  80  ans,  et  il  y  en  a  30  que  je  con- 

*  Bn'viaire;  —  Marlt/rolof/e  d*Adon, 


SAINT    PRIME    ET    SAINT    FELICIEN  131 

liais  la  vérité  et  que  j'ai  choisi  de  vivre  pour  Dieu  :  ii 
peut  me  délivrer  de  tes  mains.  »  Alors  le  président 
commanda  de  le  lier  et  de  l'attacher  avec  des  clous 
par  les  mains  et  par  les  pieds  :  «  Tu  resteras  ainsi,  lui 
dît-il,  jusqu'à  ce  que  tu  consentes  à  nous  obéir.  » 
Comme  le  visaçe  du  martyr  était  toujours  joyeux,  le 
président  ordonna  qu'on  le  torturât  sur  place  et  qu'on 
ne  lui  sentît  aucun  aliment.  Après  cela,  il  se  fit  amener 
saint  Prime,  et  lui  dit  :  «  Eh  bien  !  ton  frère  a  consenti 
à  obéir  aux  décrets  des  empereurs,  en  conséquence,  il 
est  vénéré  comme  un  i^and  personnage  dans  un  pa- 
lais :  fais  donc  comme  lui.  »  «  Quoique  tu  sois  le  fils 
du  Diable,  répondit  Prime,  tu  as  dit  la  vérité  en  un 
point,  quand  tu  avançais  que  mon  frère  avait  consenti 
à  exécuter  les  ordres  de  l'empereur  du  ciel.  »  Aussitôt 
le  président  en  colère  lui  fit  briller  les  cotés  et  verser 
du  plomb  fondu  dans  la  bouche,  sous  les  yeux  de  Fé- 
licien, afin  que  la  terreur  s'emparât  de  ce  dernier  : 
mais  Prime  but  le  plomb  avec  autant  de  plaisir  que 
de  Veau  fraîche.  Le  président  irrité  fit  alors  lâcher 
deux  lions  contre  eux,  mais  ces  animaux  vinrent  se 
jeter  aussitôt  à  leurs  pieds,  et  restèrent  à  côté  d'eux 
rx>mme  desaçneaux  pleins  de  douceur.  11  lâche  encore 
deux  ours  cruels  qui  deviennent  doux  comme  les  lions. 
Il  y  avait  plus  de  douze  mille  hommes  qui  assistaient 
à  ce  spectacle.  Cinq  cents  d'entre  eux  crurent  au  Sei- 
g^neur.  Le  président  fit  alors  décapiter  les  deux  mar- 
tyrs et  jeter  leurs  corps  aux  chiens  et  aux  oiseaux  de 
proie  qui  les  laissèrent  intacts.  Les  chrétiens  leur  don- 
nèrent alors  une  honorable  sépulture.  Ils  souffrirent 
vers  Tan  du  Seiçneur  287. 


132  LA    LÉGENDE    DORÉS 


SAINT  BARNABE,  APOTRE 

Barnabe  veut  dire  fils  de  celui  qui  vient,  ou  bien  fils  de 
consolation,  ou  fils  de  prophète,  ou  fils  qui  enserre.  Quatre 
fois  il  a  le  titre  de  fils  pour  quatre  sortes  de  filiation.  L'écri- 
ture donne  ce  nom  de  fils,  en  raison  de  la  génération,  de 
rinstruction,  de  l'imitation,  et  de  l'adoption.  Or,  il  fut  régé- 
néré par  J.-C.  dans  le  baptême,  il  fut  instruit  dans  l'évangile, 
il  imita  le  Seigneur  par  son  martyre,  et  il  en  fut  adopté  par 
la  récompense  céleste.  Voilà  pour  ce  qui  le  regarde  lui-même. 
Voici  maintenant  ce  qui  le  concerne  quant  aux  autres  :  il 
fut  arrivant,  consolant,  prophétisant  et  enserrant.  Il  fut  arri- 
vant, parce  qu'il  alla  prêcher  partout  :  ceci  est  clair,  puisqu'il 
fut  le  compagnon  de  saint  Paul.  Il  consola  les  pauvres  et  les 
affligés,  les  premiers  en  leur  portant  des  aumônes,  les  second» 
en  leur  adressant  des  lettres  de  la  part  des  apôtres  :  Il  pro- 
phétisa puisqu'il  fut  illustre  en  annonçant  les  choses  à  venir; 
il  fut  enserrant,  c'est-à-dire  qu'il  réunit  et  rassembla  dans  la 
foi  une  multitude  de  personnes;  la  preuve  en  est  dans  sa  mis- 
sion à  Antioche.  Ces  quatre  qualités  sont  indiquées  dans  le 
livre  des  Actes  (ii).  C'était  un  homme  y  mais  un  homme  de  cou- 
rage, ce  qui  a  trait  à  la  première  qualité,  bon^  c'est  pour  la 
seconde,  plein  du  Saint-Esprit,  voilà  pour  la  troisième,  ei  fidèle 
ou  plein  de  foi^  ceci  regarde  la  quatrième  ({ualité.  Jean  le  même 
que  Marc  son  cousin  compila  son  martyre.  Il  en  est  question 
principalement  à  partir  de  la  vision  de  ce  Jean,  jusque  vers 
la  fin.  On  pense  que  Bède  le  traduisit  du  grec  en  latin  *. 

Saint  Barnabe,  lévite  originaire  de  Chypre,  l'un  des 
72  disciples  du  Seigneur,  est  souvent  mentionné  avec 
de  grands  éloges  dans  l'histoire  des  Actes.  II  fut  admi- 
rablement formé  et  disposé  en  ce  qui  le  regardait  per- 


'^  Bède  est  ici  cité  à  tort,  on   ne  trouve   dans  le  Vénérable 
rien  de  cette  traduction. 


SAINT    BARNABE,    APOTRE  133 

sunnellement,  par  rapport  à  Dieu  et  par  rapport  au 
prochain. 

I.   Pour  ce  qui  était  de  lui,  il  était  bien  organisé 
dans  ses  trois  puissances,  la  rationnelle,  la  concupis- 
cîble   et  l'irascible;    1°  sa  puissance  rationnelle  était 
éclairée  par  la  lumière  de  la  connaissance  :  c'est  pour 
c«Ia  qu'il  est  dit   dans  les  Actes  :  a  II  y  avait,  dans 
Véglise  qui  était  à  Anlioche,  des  prophètes  et  des  doc- 
leurs,   entre  lesquels  étaient  Barnabe,  Simon,  etc.  » 
(xiii)  ;  2*  sa  puissance  concupiscible  était  dégagée  de 
la  poussière  des  affections  mondaines  :  car  il  est  dit 
aux  Actes  (iv)  que  Joseph  surnommé  Barnabe  vendit 
uii  fonds  de  terre  qu'il  possédait  :  il  en  apporta  le  prix 
et  le  mit  aux  pieds  des  apôtres  :  c'est  ici  que  la  glose 
ajoute  :  il  donne  une  preuve  qu'il  faut  se  dépouiller 
de  ce  à  quoi  il  évite  de  toucher,  et  il  enseigne  à  fouler 
un  or  qu'il  métaux  pieds  des  apôtres  ;  3"  sa  puissance 
irascible  était  appuyée  sur  une  grande  probité,  soit 
qu*il  entreprît  avec  ardeur  des  choses  difficiles,  soit 
<|U*il  mît  de  la  persévérance  dans  des  actes  de  courage, 
suit  qu'il  fût  constant  à  soutenir  l'adversité.  Il  entre- 
prit avec  ardeur  des  choses  difficiles,  cela  est  évident 
par  ses  travaux  pour  convertir  cette  immense  cité  d'An- 
lioche,  comme  il  est  écrit  au  ix**  chapitre  des  Actes  : 
eu  effet  saint  Paul,  après  sa  conversion,  voulut  venir 
à  Jérusalem  et  se  joindre  aux  disciples  ;  et  quand  tout 
le  monde  le  fuyait  comme  les  agneaux  font  du  louj), 
I^arnabé  fut  assez  audacieux  pour  le   prendre  et  le 
mener  aux  apôtres.  Il  mit  de  la  persévérance  dans  ses 
actes  de  courage,  en  macérant  son  corps  et  er)  le  rédui- 
sant par  les  jeûnes  :  aussi  est-il  dit  aux  Actes  (xiri) 
H.  9- 


134  LA    LÉGENDE    DOREE 

de  Barnabe  el  de  quelques  autres  :  «  Pendant  qu'ils 
rendaient  leur  culte  au  Seigneur  et  qu'ils  jeûnaient, 
le  Saint-Esprit  leur  dit  :  Séparez-moi  Paul  et  Barnabe 
pour  l'œuvre  à  laquelle  je  les  ai  destinés.  »  Il  fut  cons- 
tant à  soutenir  l'adversité  d'après  le  témoignage  que 
lui  en  rendent  les  apôtres  en  disant  (Actes,  xv)  :  «  Nous 
avons  jugé  à  propos  de  vous  envoyer  des  personnes 
choisies,  avec  nos  très  chers  Barnabe  et  Paul,  hommes 
qui  ont  exposé  leur  vie  pcTur  le  nom  de  N.-S.  J.-C,  » 
II.  Il  fut  bien  formé  par  rapport  à  Dieu.  II  déférait 
à  son  autorité,  comme  aussi  à  sa  majesté  et  à  sa  bonté. 
1®  Il  déférait  à  l'autorité  de  Dieu,  puisqu'il  ne  prit  pas 
de  son  chef  la  charge  de  la  prédication,  mais  qu'il  vou- 
lut la  recevoir  de  l'autorité  divine,  comme  il  est  rap- 
porté aux  Actes  (xiii).  Le  Saint-Esprit  dit  :  «  Séparez- 
moi  Paul  et  Barnabe  pour  l'œuvre  à  laquelle  je  les  ai 
destinés.  »  2^  Il  déférait  à  sa  majesté.  On  lit  en  effet 
au  xiv«  ch.  des  Actes  que  certaines  personnes  vou- 
laient le  traiter  comme  une  majesté  divine  et  lui  immo- 
ler des  victimes  comme  on  fait  à  Dieu,  en  l'appelant 
Jupiter,  parce  qu'il  paraissait  le  plus  recommandable, 
et  en  donnant  à  Paul  le  nom  de  Mercure,  en  raison 
de  sa  prudence  et  de  son  éloquence  ;  aussitôt  Bar- 
nabe et  Paul  déchirèrent  leurs  vêlements  et  s'écrièrent  : 
«  Mes  amis,  que  voulez-vous  faire?  Nous  sommes  des 
hommes  mortels  comme  vous,  qui  vous  annonçons  de 
quitter  ces  vaines  idoles,  pour  vous  convertir  au  Dieu 
vivant.  »  V  11  déférait  à  la  bonté  de  Dieu.  En  effet  on 
trouve  dans  les  Actes  (xv)  que  quelques-uns  des  Juifs 
convertis  voulaient  rélrécir  et  diminuer  la  bonté  de 
la  grAco  de  Dieu,  bonté  ([ui  nous  sauve  gratuitement 


SAINT    BARNAB£y    APOTRR  i3i> 

indépendamment  de  la  loi,  avançant  que  la  grâce  sans 
la  circoncision  était  tout  à  fait  insuffisante  ;  Paul  et 
Barnabe  leur  résistèrent  avec  force,  en  montrant  que 
la  bonté  seule  de  Dieu  suffisait  sans  les  pratiques  com- 
mandées par  la  loi  :  en  outre  ils  portèrent  la  question 
au  tribunal  des  apôtres  dont  ils  obtinrent  des  lettres 
qui  proscrivaient  ces  erreurs. 

III.  Il  fut  admirablement  disposé  par  rapport  au 
prochain,  puisqu'il  nourrit  son  troupeau  par  sa  parole, 
par  son  exemple  et  par  ses  bienfaits.  1^  Par  sa  parole, 
en  évangélisant  avec  grand  soin  la  parole  de  Dieu.  En 
effet  les  Actes  disent  (xv)  :  «  Paul  et  Barnabe  demeu- 
rèrent à  Ântioche,  où  ils  enseignaient  et  annonçaient 
avec  plusieurs  autres  la  parole  du  Seigneur.  »  Ce  qui 
est  évident  encore  par  cette  foule  immense  qu'il  con- 
vertit à  Antioche  ;  de  sorte  que  ce  fut  là  que  les  dis- 
ciples commencèrent  à  être  appelés  chrétiens.  2**  Par 
son  exemple,  puisque  sa  vie  fut  pour  tous  un  miroir 
de  sainteté  et  un  modèle  de  religion.  Dans  toutes  ses 
actions,  en  effet,  il  fut  homme  de  cœur  et  religieux, 
intrépide,  distingué  par  la  douceur  de  ses  mœurs,  tout 
rempli  de  la  grâce  du  Saint-Esprit  et  illustre  en  toutes 
sortes  de  vertus  et  en  foi.  Ces  quatre  qualités  sont 
énumérées  dans  ces  paroles  des  Actes  (xv)  :  «  Ils  en- 
voyèrent Barnabe  à  Antioche  »  ;  et  ailleurs  (xi)  :  «  Il 
les  exhortait  tous  à  demeurer  dans  le  service  du  Sei- 
gneur avec  un  cœur  ferme  ;  parce  que  c'était  un  homme 
bon,  rempli  de  l'Esprit-Saint  et  de  foi.  »  3®  Par  ses 
bienfaits.  Or,  il  y  a  deux  sortes  de  bienfaits,  deux  au- 
mônes, d'abord,  la  temporelle  qui  consiste  à  donner 
le  nécessaire,  ensuite  la  spirituelle  qui  consiste  à  par- 


136  LA    LÉGENDE    DORKB 

donner  les  injures.  Barnabe  pratiquait  la  première 
quand  il  porta  Taumône  aux  frères  qui  étaient  à  Jéru- 
silem,  d'après  le  xi«  ch.  des  Actes  :  «  Une  grande 
famine,  selon  que  l'avait  prédit  Agabus,  étant  survenue 
sous  le  règ^ne  de  Claude,  les  disciples  résolurent  d'en- 
voyer, chacun  selon  son  pouvoir,  quelques  aumônes 
aux  frères  qui  demeuraient  en  Judée.  Ils  le  firent  en 
effet,  les  adressant  aux  anciens,  par  les  mains  de  Bar- 
nabé  et  de  Paul.  »  11  pratiquait  la  seconde,  puisqu'il 
pardonna  l'injure  que  lui  avait  faite  Jean  surnommé 
Marc.  Comme  ce  disciple  avait  quitté  Barnabe  et  Paul, 
Barnabe  ne  laissa  pas  cependant  que  d'être  indulgent 
pour  lui,  quand  il  revint  avec  repentir,  et  de  le  repren- 
dre pour  disciple.  Paul  ne  le  voulut  pas  recevoir,  de 
là  le  sujet  de  leur  séparation.  En  cela  l'un  et  Taulre 
agissaient  par  des  motifs  et  des  intentions  louables. 
Barnabe,  en  le  reprenant,  par  douceur  et  miséricorde  ; 
Paul  ne  le  reçut  pas  par  amour  de  la  droiture.  C'est 
pour  cela  que  la  glose  dit  à  ce  propos  (Actes,  x v)  :  «  Jean 
avait  résisté  en  face,  tout  en  se  montrant  trop  timide, 
alors  Paul  eut  raison  de  l'éloigner  de  peur  que  la  con- 
tagion du  mauvais  exemple  de  Jean  ne  corrompît  la 
vertu  des  autres.  »  Cette  séparation  ne  se  fit  pas  par 
un  emportement  coupable,  mais  par  l'inspiration  du 
Saint-Esprit  qui  les  faisait  s'éloigner  afin  qu'ils  pré- 
chassent à  plus  de  monde  ;  et  c'est  ce  qui  arriva. 

Car  comme  Barnabe  était  dans  la  ville  d'Icône, 
Jean,  son  cousin,  dont  on  vient  de  parler,  eut  une 
vision  dans  laquelle  apparut  un  homme  éclatant  qui 
hii  dit  :  «  Jean,  aie  de  la  constance,  car  bientôt  ce 
ne  sera  plus  Jean,  mais  Elevé  (excelsus).que  tu  seras 


SAINT  BARNABE,  APOTRE  137 

appelé.  »  Barnabe,  informé  de  ce  prodige  par  son  cou- 
sin, lui  dit  :  «  Garde-loi  bien  de  révéler  à  personne 
ce  que  tu  as  vu  ;  car  le  Seigneur  m'a  apparu  aussi 
cette  nuit  en  me  disant  :  a  Barnabe,  aie  de  la  cons- 
«  tance,  car  tu  recevras  les  récompenses  élernelles, 
«  pour  avoir  quitté  ton  pays,  et  avoir  livré  ta  vie  pour 
«  mon  nom.  »  Lors  donc  que  Paul  et  Barnabe  eurent 
prêché  pendant  long-temps  à  Antioche,  un  ange  du 
Seigneur  apparut  aussi  à  Paul  et  lui  dit  :  «  Ilâte-toi 
d*aller  à  Jérusalem,  car  quelqu'un  des  frères  y  attend 
Ion  arrivée.  »  Or,  Barnabe  voulant  aller  en  Chypre 
pour  y  visiter  ses  parents,  et  Paul  se  hâtant  d*aller  à 
Jérusalem,  ils  se  séparèrent  par  l'inspiration  du  Saint- 
Esprit.  Alors  Paul  communiqua  à  Barnabe  ce  que 
Fange  lui  avait  dit.  Barnabe  lui  répondit  :  «  Que  la 
volonté  du  Seigneur  soit  faite  ;  je  vais  aller  en  Chypre, 
j'y  finirai  ma  vie  et  je  ne  te  verrai  plus  désormais.  » 
Et  comme  il  se  jetait  humblement  aux  pieds  de  Paul 
en  pleurant,  celui-ci,  touché  de  compassion,  lui  dit  : 
«  Ne  pleurez  pas;  puisque  c'est  la  volonté  du  Sei- 
gneur; il  m'est  aussi  apparu  cette  nuit  et  m'a  dit: 
«  N'empêche  pas  Barnabe  d'aller  en  Chypre  ;  car  il  y 
éclairera  beaucoup  de  monde  et  il  y  consommera  son 
«  martyre,  j»  En  allant  donc  en  Chypre  avec  Jean,  Bar- 
u  nabé  porta  avec  lui  FEvangile  de  saint  Mathieu  ;  il  le 
posait  sur  les  malades,  et  il  en  guérit  beaucoup  par 
la  puissance  de  Dieu.  Sortis  de  Chypre,  ils  trou- 
vèrent Elymas,  le  magicien  que  saint  Paul  avait  privé 
de  la  vue  pour  un  certain  temps  :  il  leur  fit  de  Top- 
position  et  les  empêcha  d'entrer  à  Paphos.  Un  jour 
Barnabe  vil  des  hommes  et  des  femmes  nus  qui  cou- 


i38  LA    LÉGENDE    DORÉE 

raient  ainsi  pour  célébrer  leurs  fêtes.  Il  en  fut  rempli 
(l*indignation  ;  il  maudit  le  temple,  et  à  Tinstant  il 
s'en  écroula  une  partie  qui  écrasa  beaucoup  d'infi- 
dèles. 

Enfin  il  vint  à  Salamine  :  ce  fut  là  que  le  magicien 
Elymas,  dont  on  vient  de  parler,  excita  contre  lui 
une  grande  sédition.  Les  Juifs  se  saisirent  donc  de 
Barnabe  qu'ils  accablèrent  de  nombreuses  injures  ; 
ils  le  traînèrent  en  toute  hâte  au  juge  de  la  ville  pour 
le  faire  punir. 

Mais  quand  les  Juifs  apprirent  qu'Eusèbe,  per- 
sonnage important  et  fort  puissant,  de  la  famille 
de  Néron,  était  arrivé  à  Salamine,  ils  craignirent 
qu'il  ne  leur  arrachât  des  mains  le  saint  apôtre, 
et  ne  le  laissât  aller  en  liberté  :  alors  ils  lui  lièrent 
une  corde  au  cou,  le  traînèrent  hors  de  la  porte 
de  la  ville  où  ils  se  hâtèrent  de  le  brûler.  Enfin  ces 
Juifs  impies,  n'étant  pas  encore  rassasiés  de  celte 
cruauté,  renfermèrent  ses  os  dans  un  vase  de  plomb, 
pour  les  jeter  dans  la  mer:  mais  Jean,  son  disciple, 
avec  deux  autres  chrétiens,  se  leva  durant  la  nuit,  les 
prit  et  les  ensevelit  en  secret  dans  une  crypte  où  ils 
restèrent  cachés,  au  rapport  de  Sigebert,  jusqu'au 
temps  de  l'empereur  Zenon  et  du  pape  Gélase,  en 
l'année  500,  qu'ils  furent  découverts  par  une  révéla- 
tion du  saint  lui-même.  Le  bienheureux  Dorothée  dit 
que  Barnabe  prêcha  d'abord  J.-C.  à  Rome,  et  fut 
évêque  de  Milan. 


SAINT    VITUS    ET    SAINT    MODESTE  139 


SAINT  VITUS  ET  SAINT  MODESTE* 

Vitus  est  ainsi  Domnié  de  rt>  :  or,  saint  Augustin  dans  son 
livre  de  la  Cité  de  Dieu**  distingue  trois  genres  de  vie,  savoir 
une  vie  d'action,  ce  qui  se  rapporte  à  la  vie  active  ;  une  vie  de 
loisir,  ce  qui  se  rapporte  au  loisir  spirituel  de  la  vie  contem- 
plative, et  une  troisième,  composée  des  deux  autres.  Et  ces 
trois  genres  de  vie  résidèrent  en  saint  Vitus.  Ou  bien  Vilus 
vient  de  vertu,  vertueux. 

Modeste, qui  se  tient  dans  un  milieu,  savoir,  le  milieu  do  la 
vertu.  Chaque  vertu  tient  le  milieu  entre  deux  vices  qui  Tcn- 
tourent  comme  deux  extrêmes.  Car  la  prudence  a  pourextrénics 
la  ruse  et  la  sottise;  les  extrêmes  de  la  tempérance  sont  Tac- 
co  m  plissement  des  désirs  de  la  chair  et  toute  espèce  d'afflic- 
tion qu'on  s'impose  ;  les  extrêmes  de  la  grandeur  d'âme  sont 
la  pusillanimité  et  la  témérité  ;  la  justice  a  pour  extrêmes  la 
cruauté  et  l'indulgence. 

Vitus,  enfant  distingué  et  fidèle,  souffrit  le  martyre 
en  Sicile,  à  l'âge  de  douze  ans.  Il  était  souvent  frappé 
par  son  père  pour  mépriser  les  idoles  et  pour  ne  vouloir 
pas  les  adorer.  Le  président  Valérien, informé  de  cela, 
fit  venir  Tenfant  qu'il  fit  battre  de  verges,  parce  qu'il 
refusait  de  sacrifier  aux  idoles.  Mais  aussitôt  les  bras 
des  bourreaux  et  la  main  du  préfet  se  séchèrent.  Et 
ce  dernier  s'écria  :  «  Malheur  à  moi  !  car  j'ai  perdu 
Tusage  de  ma  main.  »  Vitus  lui  dit  :  «  Que  tes  dieux 
viennent  te  guérir,  s'ils  le  peuvent.  »  Valérien  lui  ré- 
pondit :  «  Est-ce  que  tu  ne  le  pourrais  pas  ?  »  «  Je  le 
puis,  reprit  Vitus,  au  nom  de  mon  Seigneur.  »  Alors 

*  Martyrologe  d'Adon. 
Lib.  XIX,  II,  19. 


i40  LA    LKGKNDK    DOREE 

Teiifant  se  mil  en  prières  et  aussitôt  le  préfet  fut 
guéri.  Et  celui-ci  dit  au  père  :  «  Corrige  ton  enfant,  de 
peur  qu'il  ne  périsse  misérablement.  »  Alors  le  père 
ramena  son  enfant  chez  soi,  et  s'efforça  de  changer 
son  cœur  par  la  musique,  par  les  jeux  avec  des  jeunes 
filles  et  par  toutes  sortes  de  plaisirs.  Or,  comme  il 
l'avait  enfermé  dans  une  chambre,  il  en  sortit  un  par- 
fum d'une  odeur  admirable  qui  embauma  son  père  et 
toute  sa  famille.  Alors  le  père,  regardant  par  la  porte, 
vit  sept  anges  debout  autour  de  l'enfant  :  «  Les  dieux, 
dit-il,  sont  venus  dans  ma  maison  »,  aussitôt  il  fut 
frappé  de  cécité.  Aux  cris  qu'il  poussa,  toute  la  ville 
de  Lucana  fut  en  émoi,  au  point  que  Valérien  accou- 
rut et  demanda  au  père  de  Vitus  quel  malheur  lui 
était  survenu.  «  J'ai  vu,  lui  répondit-il,  des  dieux  de 
feu,  et  je  n'ai  pu  supporter  Téclat  de  leur  visage.  » 
Alors  on  le  conduit  au  temple  de  Jupiter,  et  pour  re- 
couvrer la  vue  il  promet  un  taureau  avec  des  cornes 
dorées:  mais  comme  il  n'obtenaft  rien,  il  pria  son  fils 
de  le  guérir  ;  et  par  ses  prières,  il  recouvra  la  vue.  Or, 
cette  merveille  elle-même  ne  lui  ouvrait  pas  les  yeux 
à  la  foi, mais  au  contraire  il  pensait  à  tuer  son  fils; un 
ange  du  Seigneur  apparut  alors  à  Modeste,  son  pré- 
cepteur, et  lui  ordonna  de  monter  à  bord  d'un  navire 
pour  conduire  l'enfant  dans  un  pays  étranger.  II  le  fit  ; 
un  aigle  leur  apportait  là  leur  nourriture,  et  ils  opé- 
raient beaucoup  de  miracles.  Sur  ces  entrefaites,  le  fils 
<le  l'empereur  Dioclélien  est  saisi  par  le  démon  qui 
déclare  ne  point  sortir  si  Vitus  de  Lucana  ne  vient.  On 
cherche  Vitus,  et  quand  on  Teul  trouvé,  on  le  mène  à 
rcmpereur.  Dioclélien  lui  dit  :  a  Enfant,  peux-tu  gué- 


SAINT    VITUS    ET    SAINT   MODESTE  141 

rir  mon  fils  ?  »  «  Ce  n'est  pas  moi,  dit  Vitus,  mais  le 
Seigneur.  »  Alors  il  impose  les  mains  sur  le  possédé 
et  à  rinstant  le  démon  s*enfuil.  Et  Dioctétien  lui  dit  : 
<r  Enfant,  veille  à  tes  intérêts  et  sacrifie  aux  dieux , 
pour  ne  pas  mourir  de  malemort.  »  Comme  Vitus 
refusait  de  le  faire,  il  fut  jeté  en  prison  avec  Modeste. 
Les  fers  dont  on  les  avait  garrottés  tombèrent  et  le 
cachot  fut  éclairé  par  une  immense  lumière  :  cela  fut 
rapporté  à  l'empereur,  qui  fit  sortir  et  jeter  le  saint 
dans  une  fournaise  ardente,  mais  il  s'en  retira  intact. 
Alors  on  lâche,  pour  le  dévorer,  un  lion  furieux,  qui  fut 
adouci  par  la  foi  de  l'enfant.  Enfin  on  l'attacha  sur  le 
chevalet  avec  Modeste  et  Crescence,  sa  nourrice,  qui 
Tavait  constamment  suivi.  Mais  soudain  l'air  se  trou- 
ble, la  terre  tremble,  les  tonnerres  grondent,  les  tem- 
ples des  idoles  s'écroulent  et  écrasent  beaucoup  de 
personnes  ;  l'empereur  lui-même  est  effrayé;  il  fuit  en 
se  frappant  avec  les  poings  et  dit  :  «  Malheur  à  moi  ! 
puisque  je  suis  vaincu  par  un  seul  enfant.  »  Quant  aux 
martyrs,  un  ange  les  délia  aussitôt,  et  ils  se  trouvèrent 
sur  les  bords  d'un  fleuve,  où  après  s'être  arrêtés  quel- 
que temps  et  avoir  prié,  ils  rendirent  leur  âme  au  Sei- 
gneur. 

Leurs  corps  gardés  par  des  aigles  furent  trouvés 
par  une  illustre  matrone  nommée  Florence  à  laquelle 
saint  Vitus  en  fit  la  révélation.  Elle  les  prit  et  les  en- 
sevelit avec  honneur.  Ils  souffrirent  sous  Dioclétien 
qui  commença  à  régner  vers  l'an  du  Seigneur  287. 


142  LA    LÉGENDE    DORÉE 


SAINT  CYR  ET  SAINTE  JULITTE,  SA  MÈRE  • 

Cyr,  ou  Quiricc,  quèranl  un  arc  ;  il  vient  aussi  de  chisil,  cou- 
raa;e,ct  cm*,  noir,  ce  qui  équivaut  «^  courageux  par  vertu  et  noir 
|>ar  humiliation.  Quiris  veut  aussi  dire  hache;  quiriles,  siège  ; 
en  effet  Quirice  fut  un  arc,  c'est-à-dire  courbé  par  humiliation, 
il  fut  fort  dans  les  tourments  qu'il  endura  ;  il  fut  noir  par  le 
mépris  de  lui-ménic;  ce  fut  une  hache  dans  son  combat  avec 
Tennemi  :  il  fut  le  siège  de  Dieu  parce  que  Dieu  habitait  en 
lui  :  caria  grâce  suppléa  en  lui  à  ce  que  Tàge  lui  déniait.  Ju- 
litte  vient  de  jucans  vita^  parce  qu'elle  vécut  d'une  vie  spiri- 
tuelle, et  qu'ainsi  elle  fut  utile  à  beaucoup  de  monde. 

(Juirice  était  fils  de  Julitte,  très  illustre  matrone 
d'Icoiie.  La  persécution  qu'elle  voulut  éviter  la  força 
à  venir  à  Tarse  en  Cilicie,  avec  sonfils,Quirice,  âgéde 
trois  ans.  Cependant  on  la  fit  comparaftre  portant  son 
enfant  dans  ses  bras,  devant  le  président  Alexandre. 
Deux  de  ses  femmes  qui  virent  cela  s'enfuirent  aussitôt 
et  Tabandonnèrent.  Le  président  prit  donc  l'enfant 
dans  ses  bras,  et  fit  cruellement  frapper  à  coups  de 
nerfs  la  mère  qui  ne  voulut  pas  sacrifier  aux  idoles. 
Or,  renfant,en  voyant  frapper  sa  mère,  pleurait  amère- 
ment et  poussait  des  cris  lamentables.  Mais  le  prési- 
dent prenait  le  jeune  Quirice  tantôt  entre  ses  bras, 
tantôt  sur  ses  jçenoux,  le  calmait  par  ses  baisers  et  par 
ses  caresses,  et  Tenfanl,  les  yeux  tournés  sur  sa  mère, 
repoussait  avec  horreur  les  embrassements  du  jug-e, 
détournait  la   tète  avec  indignation  et  lui  déchirait  le 

*  Philippe  (le  llarvciiq,  abbc  de  Honne-Espcrancc,  a  écrit  la 
passion  de  ces  deux  saints  martyrs. 


SAINT    CYR    ET    SAINTE    JULITTE,    SA    MERE  143 

visage  avec  ses  petits  ongles;  il  semblait  parler  et  dire 
comme  sa  mère  :  «  Et  moi  aussi,  je  suis  chrélien.  » 
Enfin  après  s'être  débattu  longtemps,  il  mordit  le  pré- 
sident à  Tépaule.  Celui-ci  indigné  et  tourmenté  par  la 
douleur  jeta  du  haut  en  bas  IVnfant  sur  les  degrés  du 
tribunal  qui  fut  couvert  de  sa  petite  cervelle  ;  alors 
Julitle,  joyeuse  de  voir  son  fils  la  précéder  au  royaume 
du  ciel,  rendit  des  actions  de  grâces  à  Dieu.  Elle  fut 
ensuite  condamnée  à  cire  écorchée,  puis  arrosée  de 
poix  bouillante  et  enfin  à  avoir  la  tète  tranchée.  On 
trouve  cependant  dans  une  légende  que  Quirice,nese 
souciant  pas  des  caresses  ou  des  menaces  du  tyran, 
confessait  qu'il  était  chrétien.  A  l'âge  qu'il  avait,  ce 
petit  enfant  ne  pouvait  pas  encore  parler,  mais  c'était 
l'Esprit-Saint  qui  parlait  en  lui.  Comme  le  président 
lui  demandait  qui  l'avait  instruit,  il  dit:  «  Président, 
j^admire  ta  sottise  ;  tu  vois  combien  je  suis  jeune,  et  lu 
demandes  à  un  enfant  de  trois  ans  quel  est  celui  qui 
lui  a  enseigné  la  sagesse  divine?  »  Pendant  qu'on  le 
frappait,  il  criait:  «  Je  suis  chrétien  »  ;  et  à  chaque 
cri,  il  recevait  des  forces  pour  supporter  les  lourmenls. 
Alors  le  président  fit  couper  par  morceaux  la  mère  et 
l'enfant,  et  de  peur  que  les  chrétiens  ne  donnassent  la 
sépulture  à  ces  tronçons,  il  ordonna  qu'on  les  jetât 
çà  et  là.  Cependant  un  ange  les  recueillit  et  les  chré- 
tiens les  ensevelirent  pendant  la  nuit.  Les  corps  de  ces 
martyrs  furent  découverts,  du  temps  de  Constantin  le 
(irand,par  une  des  femmesde  Julitle  qui  avait  survécu 
à  sa  maîtresse  ;  et  tout  le  peuple  les  a  en  grande  véné- 
ration. Ils  soulfrirenl  vers  l'an  du  Sei«^neur  230,  sous 
l'empereur  Alexandre. 


144  LA    LÉGZNDE    DOHKE 


SAINTE  MARINE,  VIERGE 

0(J    PLUTOT    SAINTE    MARIE,    VIERGE* 

Marie  était  fille  unique.  Son  père,  étant  entré  dans 
un  monastère,  changea  sa  fille  d'habits  afin  qu'elle 
passât  pour  un  homme  et  qu'on  ne  s'aperçût  pas 
qu'elle  fiU  une  femme,  ensuite  il  pria  l'abbé  et  les  frè- 
res de  vouloir  bien  recevoir  son  fils  unique.  On  se 
rendit  à  ses  prières.  11  fut  reçu  moine  et  appelé  par 
tous  frère  Marin.  Elle  pratiqua  la  vie  religieuse  avec 
beaucoup  de  piété,  et  son  obéissance  était  fort  grande. 
Comme  son  père  se  sentait  près  de  mourir,  il  appela 
sa  fille  (el\e  avait  vingt-sept  ans),  et  après  l'avoir  af- 
fermie dans  sa  résolution,  il  lui  défendit  de  révéler 
jamais  son  sexe  à  personne.  Marin  allait  donc  souvent 
avec  le  chariot  et  les  bœufs  pour  amener  du  bois  au 
monastère.  11  avait  coutume  de  loger  chez  un  homme 
dont  la  fille  était  enceinte  du  fait  d'un  soldat.  Aux 
interrogations  qu'on  lui  adressa,  celle-ci  répondit  que 
c'était  le  moine  Marin  qui  lui  avaitfait  violence.  Marin, 
interrogé  comment  il  avait  commis  un  si  grand  crime, 
avoua  qu'il  était  coupable  et  demanda  grâce.  On  le 
chassa  aussitôt  du  monastère,  où  il  resta  trois  ans  à 
la  porte  en  se  sustentant  d'une  bouchée  de  pain.  Peu 
de  temps  après,  l'enfant  sevré  fut  amené  à  l'abbé.  On 

*  L'édition  princeps  met,  el  avec  raison,  sainte  Marie, 
parce  que  c'était  le  nom  qu'elle  portait  avant  d'entrer  dans  le 
monastère  où  son  père  la  Ht  recevoir  sous  le  nom  de  Marin. 
Cf.    Vies  des  pères  du  désert^  traduites  par  Arnaud  d'Andilly. 


SAINT   GRRVAIS    ET    SAINT    PHOTATS  145 

le  donna  à  élever  à  Marin,  et  il  resta  deux  ansavec  lui 
dans  le  mênne  lieu.  Marin  acceptait  ces  épreuves  avec 
la  plus  jurande  patience  et  en  toutes  choses  il  rendait 
çrâces  à  Dieu.  Enfin  les  frères,  pleins  de  compassion 
pour  son  humilité  et  sa  patience,  le  reçoivent  dans  le 
monastère,  et  le  chargent  des  fonctions  les  plus  viles  : 
mais  il  s'acquittait  de  tout  avec  joie,  et  chaque  chose 
était  faite  par  lui  avec  patience  et  dévouement.  Enfin 
après  avoir  passé  sa  vie  dans  les  bonnes  œuvres,  il  tré- 
passa dans  le  Seiçneur.  Comme  on  lavait  son  corps  et 
qu'on  se  disposait  à  l'ensevelir  dans  un  endroit  peu 
honorable,  on   remarqua  que  c'était  réellement  une 
femme.  Tous  furent  stupéfaits  et  effrayés,  et  on  avoua 
avoir  manqué  étrangement  à  l'égard  delà  ser\'anle  de 
Dieu.  Tout  le  monde  accourt  à   un  speclarle  si  ex- 
traordinaire, et  on  demande  pardon  de  l'ignorance  et 
du  péché  qu'on  a  commis.  Son  corps  fut  donc  déposé 
dans  l'église  avec  honneur.  Quant  à  celle  qui  avait 
déshonoré  la  servante  de  Dieu,  elle  est  saisie  par  le 
démon  :  alors  elle  confesse  son  crime  et  elle  est  déli- 
vrée au  tombeau  de  la  vierge.  On  vient  de  tontes  parts 
à  cette  tombe  et  il  s'y  opère  un  grand  nombre  de  mi- 
racles. Elle  mourut  le  14  des  calendes  de  juillet  (18 
juin). 


SAINT  GERVAIS  ET  SAINT  PKOTAIS 

(jcrvaistCiervasius)  vienl  de  fjérar,i\u'i  veut  dire  sacré  el  tic 
ras^  vase,  ou  bien  de  gêna,  ctraiiiçer  el  st/or,  pelil.  Comme  si 
Ton  voulait  dire  qu'il  fui  sacré  par  le   mérite  de  sa  vie,  vase 

n.  10 


146  LA    LÉGENDE    DOREE 

parce  qu'il  contint  toutes  les  vertus,  étranger  parce  qu'il  mé- 
prisa le  monde  et  petit  parce  qu'il  se  méprisa  lui-même. 

Protais  (Protasius)  vient  deprothos,  premier  et  syos,  Dieu,  ou 
divin  ;  ou  bien  de  pocul  et  stasis,  qui  se  tient  loin.  Comme  si 
Ton  voulait  dire  qu'il  fut  le  premier  par  sa  dignité,  divin  par 
son  amour,  et  éloigné  des  affections  du  monde.  Saint  Am- 
broise  trouva  l'histoire  de  leur  martyre  dans  un  écrit  placé 
auprès  de  leur  tète. 

Gervais  et  Protais,  frères  jumeaux,  étaient  les  en- 
fants de  saint  Vital  et  de  la  bienheureuse  Valérie. 
Après  avoir  donné  tous  leurs  biens  aux  pauvres,  ils 
demeurèrent  avec  saint  Nazaire,  qui  construisait  un 
oratoire  à  Embrun,  et  un  enfant  appelé  Celse  lui  ap- 
portait les  pierres  (c'est  anticiper  sur  les  faits  de  dire 
que  saint  Nazaire  avait  Celse  à  son  service,  car  d'après 
rhistoire  du  premier,  ce  fut  longtemps  après  que  Celse 
lui  fut  offert).  Or,  commeon  les  conduisait  tous  ensem- 
ble à  Tempereur  Néron,  le  jeune  Celse  les  suivait  en 
poussant  des  cris  lamentables  :  un  des  soldats  ayant 
donné  des  soufflets  à  l'enfant,  Nazaire  lui  en  fit  des 
reproches,  mais  les  soldats  irrités  frappèrent  Nazaire 
à  coups  de  pied,  renfermèrent  en  prison  avec  les  au- 
tres et  ensuite  le  précipitèrent  dans  la  mer  :  ils  menè- 
rent à  Milan  (lervais  et  Protais.  Quant  à  Nazaire,  qui 
avait  été  sauvé  miraculeusement,  il  vint  aussi  dans 
cette  ville.  Au  même  temps,  survint  Astase,  général 
d'armée  qui  partait  pour  faire  la  guerre  aux  Marco- 
mans.  Les  idolâtres  allèrent  à  sa  rencontre  et  lui  as- 
surèrent que  les  dieux  se  garderaient  de  rendre  leurs 
oracles  si  Gervais  et  Prolais  ne  leur  offraient  d'abord 
des  sacrifices.  On  s'empare  alors  des  deux  frères  et  on 
les  invite  à  sacrifier.   Comme  Gervais  disait  à  Astase 


SAINT   GERVAIS    ET    SAINT    PROTAIS  147 

que  toutes  les  idoles  étaient  sourdes  et  muettes,  et  que 
le  Dieu   tout-puissant  était  seul  capable  de  lui  faire 
remporter  la  victoire,  le  comte  le  fit  frapper  avec  des 
fouets  garnis  de  plomb  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rendu  Fes- 
pril.  Ensuite  il  fit  comparaître  Protais  et  lui  dit  :  «  Mi- 
sérable,  songe  à  vivre  et  ne  cours  pas,  comme  ton  frère, 
à  une  mort  violente.  »  Protais  reprit  :  «  Quel  est  ici 
le  misérable?  Est-ce  moi  qui  ne  te  crains  point,  ou  bien 
toi  qui  donnes  des  preuves  que  tu  me  crains?  »  Astase 
lui  dit*:  a  Comment,  misérable,  ce  serait  moi  qui  le 
craindrais,  et  comment?  »  «  Tu  prouves  que  tu  crains 
quelque  dommage  de  ma  part,  reprit  Protais,  si  je  ne 
sacrifie  pas  à  tes  dieux,  car  si  tu  ne  craignais  aucun 
préjudice,  jamais  tu  ne   me  forcerais  à  sacrifier  aux 
idoles.  »  Alors  le  général  le  fit  suspendre  au  chevalet. 
«Je  ne  m'irrite  pas  contre  toi,  général,  lui  dit  Protais  ; 
je  sais  que  les  yeux  de  ton  cœur  sont  aveuglés  ;  bien 
au  contraire,  j'ai  pitié  de  toi,  car  tu  ne  sais  ce  que  tu 
fais.  »  Achève  ce  que  tu  as  commencé,  afin  que  la  bé- 
nignité du  Sauveur  daigne  m'accueillir  avec  mon  frère. 
Astase  ordonna  alors  de  lui  trancher  la  tele.  Un  servi- 
teur de  J.-C.  nommé  Philippe,  avec  son  fils,  s'empara 
de  leurs  corps  qu'il  ensevelit  en  secret  en  sa  maison, 
sous  une  voûte  de  pierre  ;  et  il  plaça  à  leur  tète  un 
écrit  contenant  le  récit  de  leur  naissance,  de   leur  vie 
et  de  leur  martyre.  Ce  fut  sous  Néron  qu'ils  souffrirent,, 
vers  l'an  du  Seigneur  37.  Longtemps  leurs  corps  res- 
tèrent cachés,  mais  ils  furent  découverts  au  temps  de 
.saint  Ambroise  de  la  manière  suivante  :  Saint  Ambroise 
était  en  oraison  dans  l'église  des  saints  Nabor  et  Félix  ;, 
il  n'était  ni  tout  à  fait  éveillé,  ni  entièrement  endormi, 


148  LA    LÉGENDE    DOREE 

lorsque  lui  apparurent  deux  jeunes  gens  de  la  plus 
grande  beauté,  couverts  de  vêtements  blancs  composés 
d'une  tunique  et  d'un  manteau,  chaussés  de  petites 
bottines,  et  priant  avec  lui  les  mains  étendues*  Saint 
Ambroise  pria,  afin  que  si  c'était  une  illusion,  elle  ne 
se  reproduisît  plus,  mais  que  si  c'était  une  réalité,  il 
eût  une  seconde  révélation.  Les  jeunes  gens  lui  appa- 
rurent de  la  même  manière  à  l'heure  du  chant  du  coq, 
et  prièrent  encore  avec  lui  ;  mais  la  troisième  nuit,  saint 
Ambroise,  étant  tout  éveillé  (son  corps  était  fatigué 
par  les  jeûnes)  fut  saisi  de  voir  apparaître  une  troi^ 
sième  personne  qui  lui  semblait  être  saint  Paul,  d'a- 
près les  portraits  qu'il  en  avait  vus.  Les  deux  jeunes 
gens  se  turent  et  l'apôtre  dit  à  saint  Ambroise:  «Voici 
ceux  qui,  suivant  mes  avis,  n'ont  désiré  rien  des  cho- 
ses terrestres;  tu  trouveras  leurs  corps  dans  le  lieu  où 
tu  es  en  ce  moment  ;  à  douze  pieds  de  profondeur, 
tu  rencontreras  une  voûte  recouverte  de  terre,  et  au- 
près de  leur  tète  un  petit  volume  contenant  le  récit  de 
leur  naissance  et  de  leur  mort.  »  Saint  Ambroise  con- 
voqua donc  ses  frères,  les  évèques  voisins  ;  il  se  mit  le 
premier  à  creuser  la  terre,  et  trouva  le  tout  comme 
lui  avait  dit  saint  Paul  ;  et  bien  que  plus  de  trois  cents 
ans  se  fussent  écoulés,  les  corps  des  saints  furent  dé- 
couverts dans  le  même  état  que  s'ils  venaient  d'être 
ensevelis  à  l'heure  même.  Une  odeur  merveilleuse  et 
extraordiiiairement  suave  émanait  du  tombeau. 

Or,  un  aveu^'^le,  en  touchant  le  cercueil  des  saints 
martyrs,  recouvra  la  vue,  et  beaucoup  d'autres  furent 
guéris  parleurs  mérites.  On  célébrait  cette  solennité 
iMi  riioinieur  des  saints  Martyrs  quand*  fut  rétablie  la 


SAINT    GERVAIS    ET    SAINT    PROTAIS  149 

paix  entre  les  Lombards  et  l'empire  romain.  Et  c'est 
pour  cela  que  le  pape  saint  Grégoire  institua  de  chan- 
ter pour  introït  de  la  messe  ces  paroles  :  Loquetuv  DO" 
minus  pacem  in  plebem  suam  *.  En  outre  les  diffé- 
rentes parties  de  i  office  en  l'honneur  de  ces  saints  se 
rapportent  tantôt  à  eux,  tantôt  aux  événements  qui 
survinrent  à  cette  époque.  Saint  Augustin  raconte,  au 
XX*  livre  de  la  Cité  de  DieUy  qu'un  aveugle  recouvra 
à  Milan  l'usage  de  la  vue  auprès  des  corps  des  saints 
martyrs  Gervais  et  Protais,   et  cela  en  sa  présence, 
devant  Tempereur  et  une   grande  foule  de   peuple. 
Estp<;e  l'aveugle  dont  il  a  été  question  plus  haut,  est-ce 
un  autre,  on  l'ignore.  Le  même  saint  raconte  encore, 
dans  le  même  ouvrage,  qu'un  jeune  homme  lavant  un 
cheval  dans  une  rivière  près  de  la  villa  Victorienne, 
distante  de  trente  milles  d'Ilippone,  aussitôt  le  diable 
le    tourmenta  et   le  renversa   comme    mort    dans  le 
fleuve.  Or,  pendant  qu'on  chantait  les  vêpres  dans  l'é- 
glise dédiée   sous  l'invocation  des   saints  Gervais  et 
Protais,  église  qui  était  près  du  fleuve,  ce  jeune  homme, 
comme  frappé  par  l'éclat  des  voix  qui  chantaient,  en- 
tra dans  un  grand  état  d'agitation  en  l'église  oii  il 
saisit  l'autel,  sans  pouvoir  s'en  éloigner  ;  en  sorte  qu'il 
paraissait  y  avoir  été  lié.  Quand  on  fit  des  exorcismes 
pour  faire  sortir  le  démon,  celui-ci  menaça  de  lui  cou- 
per les  membres,  en  s'en  allant.  Après  l'exorcisme  le 
liémon  sortit,   mais  l'œil  du  jeune  homme  restait  sus- 
pendu par  un  petit  vaisseau  sur  la  joue.  On  le  remit 

*  Ce  sont  encore  le»  paroles  du  Missel  Roiiitiin  à  l'introït  de 
la  messe  de  ces  saints. 

II.  10- 


130  LA    LÉGENDE    DOREE 

comme  on  put  en  sa  place,  et  peu  de  jours  après  l'œil 
fut  guéri  par  les  mérites  de  saint  Gervais  et  de  saint 
Prolais.  Saint  Ambroise  s'exprime  ainsi  dans  la  Pré- 
face de  ces  saints  :  «  Voici  ceux  qui,  envolés  sous  le 
drapeau  du  ciel,  ont  pris  les  armes  victorieuses  dont 
parle  Tapôtre  :  dégagés  des  liens  qui  les  attachaient 
au  monde,  ils  vainquirent  l'infernal  ennemi  avec  ses 
vices,  poursuivre  libres  et  tranquilles  le  Seigneur  J.-C. 
Oh  !  les  heureux  frères,  qui  en  s'attachant  à  la  pratique 
des  paroles  sacrées,  ne  purent  être  souillés  par  aucune 
contagion  !  Oh  !  le  glorieux  motif  pour  lequel  ils  com- 
battirent, ceux  que  le  même  sein  maternel  a  mis  au 
monde,  reçoivent  tous  les  deux  une  couronne  sembla- 
ble. » 


LA  NATIVITE  DE  SAINT  JEAN-BAPTISTE 

Saint  Jean-Baptiste  a  beaucoup  de  noms  :  en  effet  il 
est  appelé  prophète,  ami  de  l'époux,  lumière,  ange, 
voix,  Hélie,  Baptiste  du  Sauveur,  héraut  du  juge  et 
précurseur  du  roi.  Le  nom  de  prophète  indique  le 
privilège  des  connaissances;  celui  d'ami  de  l'époux,  le 
privilège  de  l'amour;  celui  de  lumière  ardente,  le  pri- 
vilège de  la  sainteté;  celui  d'ange,  le  privilège  delà 
virginité;  celui  de  voix,  le  privilège  del'humililé;  celui 
d'Elie,  le  privilège  de  la  ferveur  ;  celui  de  Baptiste, 
le  privilège  d'un  honneur  merveilleux  ;  celui  de  héraut, 
le  privilège  de  la  prédication  ;  celui  de  précurseur,  le 
privilè;5e  de  la  préparation. 

La  naissance  de  saint  Jean-Baplistefut  ainsi  annon- 


LA    NATIVITÉ    DE    SAINT    JE.VN-BAPTÏSTE  151 

cée  par  Tarchange.  «  Le  roi  David,  d'après  VHisioire 
scliolaslique  *j  voulant   donner  plus  d'extension  au 
culte  de  Dieu,  institua  vingt-quatre  grands  prêtres, 
dont  un  seul  supérieur  aux  autres  était  appelé  le  Prince 
des  Prêtres.  II  en  établit  seize  de  la  lignée  d'Eléazar  et 
huit  de  celle  d'itliamar,  et  il  donna  par  le  sort  à  cha- 
cun une  seipaine  à  son  tour  ;  or,  à  Abias  échut  la  hui- 
tième semaine,  et  Zacharie  fut  de  sa  race.  »  Zacharie 
et  sa  femme  étaient  vieux  et  sans  enfants.  Zacharie 
étant  donc  entré  dans  le  temple  pour  offrir  de  Fen- 
cens,  et  une  multitude  de  peuple  Tattendant  à  la  porte, 
Tarchange  Gabriel  lui  apparut.  Zacharie  éprouva  un 
mouvement  de  crainte  à  sa  vue  ;   mais  l'ange  lui  dit  : 
«  Ne  crains  pas,  Zacharie,  parce  que  ta  prière  a  été 
exaucée.  »  C'est  le  propre  des  bons  anges,  selon  ce 
que  dit  la  glose,  de  consoler  à  Tinstant  par  une  béni- 
gne exhortation  ceux  qui  s'effraient  en  les  voyant;  au 
contraire,  les  mauvais  anges,  qui  se  transforment  en 
anges  de   lumière,  dès   lors  qu'ils  s'aperçoivent  que 
ceux  auxquels   ils  s'adressent  sont  effrayés  de  leur 
présence,  augmentent  encore  l'horreur  dont  ils  les  ont 
saisis.  Gabriel  annonce  donc  à  Zacharie  qu'il  aura  un 
fils  dont  le  nom  serait  Jean,  qui  ne  boirait  ni  vin,  ni 
rien  de  ce  qui  peut  enivrer,  et  qu'il  marclierail  devant 
le  Seigneur  dans  l'esprit  et  la  vertu  d'Elie.  Jean  est 
appelé  Elie  en  raison  du  lieu  que  tous  les  deux  habi- 
tèrent, savoir,  le  désert,  en  raison  de  leur  habillement 
extérieur,  qui  était  grossier  chez  l'un  comme  chez  l'au- 
tre, en  raison  de  leur  nourriture  qui  était  modique; 

•  ffigl.  Evang.f  ci. 


152  LA    LÉGENDE    DOREE 

en  raison  de  leur  ministère,  parce  que  tous  deux  sont 
précurseurs  ;  Elie  du  juge,  Jean  du  Sauveur,  en  raison 
de  leur  zèle,  car  les  paroles  de  l'un  et  de  l'autre  brû- 
laient comme  un  flambeau  ardent.  Or,  Zacharie,  en 
considération  de  sa  vieillesse  et  de  la  stérilité  de  sa 
femme,  se  prit  à  douter  et  d'après  la  coutume  des 
Juifs,  il  demanda  un  signe  à  l'ange  :  alors  l'ange, 
frappa  de  mutisme  Zacharie  qui  n'avait  pas  voulu 
ajouter  foi  à  ses  paroles. 

Souvent  le  doute  existe  et  s'excuse  par  la  grandeur 
des  choses  promises,  comme  on  le  voit  dans  Abra- 
ham. En  effet  quand  Dieu  lui  eut  promis  que  sa  race 
posséderait  la  terre  de  Chanaan,  Abraham  lui  dit  : 
«  Seigneur  mon  Dieu  comment  puis-je  savoir  que  je 
la  posséderai  ?  »  Dieu  lui  répondit  (Gen.,  xv)  :  «  Pre- 
nez une  vache  de  trois  ans,  etc.  »  Quelquefois  on 
conçoit  un  doute  en  considération  de  sa  propre  fra- 
gilité, comme  cela  eut  lieu  dans  Gédéon  qui  dit  : 
«  Comment,  je  vous  en  prie,  mon  Seigneur,  délivre- 
rai-je  Israël  ?  Vous  savez  que  ma  famille  est  la  der- 
nière de  Manassé  et  que  je  suis  le  dernier  dans  la 
maison  de  mon  père.  »  A  la  suite  de  cela,  il  demanda 
un  signe  et  il  le  reçut.  Quelquefois  le  doute  est  excusé 
par  rinipossibilité  naturelle  de  Tévénement  ;  cela  s'est 
vu  dans  Sara.  En  effet  quand  le  Seigneur  eut  dit: 
((  Je  vous  reviendrai  voir,  et  Sara  aura  un  fils  », 
Sara  se  mit  à  rire  derrière  la  porte,  en  disant  : 
«  Après  que  je  suis  devenue  vieille  et  que  mon  sei- 
gneur est  vieux  aussi,  serait-il  bien  vrai  que  je  pusse 
avoir  un  enfant?  »  Zacharie  aurait  donc  été  frappé 
seul  d'un  châtiment  pour  avoir  douté,  quand  se  trou- 


LA    NATIVITÉ     DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  153 

vaient  rencontrées  et  la  grandeur  de  la  chose  promise, 
et  la  considération  de  sa  fragilité  propre  par  laquelle 
il  se  réputait  indigne  d'avoir  un  fils,  et  de  plus  Tim- 
possibilité  naturelle.   Ce  fut  pour  plus    d'un    motif 
qu*il  en  arriva  ainsi.  1°  D'après  Bède  il  parla  comme 
un    incrédule  ;    c'est   pour  cela   qu'il  est  condamné 
à  être  muet,  afin  qu'en  se  taisant  il  appHt  à  croire. 
2^    Il  devint  muet,   afin  que,  dans  la   naissance    de 
son   fils,    apparût  un  grand  miracle  :  car  quand,  à 
la  naissance  de  saint  Jean,  son  père  recouvra  la  pa- 
role, ce  fut  miracle  sur  miracle.  3"  Il  était  convenable 
c|u'il  perdît  la  voix,  quand  la  voix  naissait  et  venait 
faire   taire  la  loi.  4®  Parce  qu'il  avait  demandé  un 
signe  au  Seigneur  et  qu'il  reçut  comme  signe  d'être 
privé  de  la  parole.   Car,  quand  Zacharie  sortit  du 
temple  et  que  le  peuple  se  fut  aperçu  de  son  état  de 
mutisme,  on  découvrit  par  ses  gestes  qu'il  avait  eu 
une  vision  dans  le  temple.  Or,  sa  semaine  étant  ache- 
vée, il  alla  à  sa  maison  et  Elisabeth  conçut  ;  et  elle  se 
cacha  pendant  cinq  mois,  parce  que,  selon  ce  que  dit 
saint  Âmbroise,  elle   rougissait  de  mettre  un  enfant 
au  monde  à  son  âge  ;  c'était  en  effet  passer  pour  avoir 
usé  du  mariage  dans  sa  vieillesse  ;  et  cependant  elle 
était  heureuse  d'être  délivrée  de  l'opprobre  de  la  sté- 
rilité, puisque  c'était  pour  les  femmes  un  opprobre  de 
ne  pas  avoir  de  fruit  de  leur  union  :  Voilà  pourquoi  les 
noces  sont  des  jours  de  fêles  et  l'acte  du  mariage  ex- 
cusé. Or,  six  mois  après,  la  Sainte  Vierge,  qui  déjà 
avait  conçu  le  Seigneur,  vint,  en   qualité  de  vierge 
féconde,   féliciter   sa  cousine  de   ce  que   sa  stérilité 
avait  été  levée,  et  aider  à  sa  vieillesse.  Après  qu'elle 


154  LA    LÉGENDE    DOUEE 

eut  salué  Elisabeth,  le  bienheureux  Jean,  rempli  dès 
lors  du  Saint-Esprit,  sentit  le  Fils  de  Dieu  venir  à  lui 
et  de  joie  il  tressaillit  dans  le  sein  de  sa  mère,  trépi- 
gna et  salua  par  ce  mouvement  celui  qu'il  ne  pouvait 
saluer  de  sa  parole  :  car  il  tressaillit,  comme  trans- 
porté, devant  Fauteur  du  salut,  et  comme  pour  se 
lever  devant  son  Seigneur.  La  Sainte  Vierge  demeura 
donc  avec  sa  cousine  pendant  trois  mois,  elle  la  ser- 
vait :  ce  fut  elle  qui  de  ses  saintes  mains  reçut  Tenfant 
venant  au  monde,  d'après  le  témoignage  de  VHistoire 
scholasiique  *,  et  qui  remplit  avec  les  plus  grands 
soins  l'office  de  garder  l'enfant. 

Ce  Précurseur  du  Seigneur  fut  ennobli  spéciale- 
ment et  singulièrement  par  neuf  privilèges  :  11  est  an- 
noncé par  le  même  ange  qui  annonça  le  Sauveur  ;  il 
tressailUt  dans  le  sein  de  sa  mère  ;  c'est  la  mère  du 
Seigneur  qui  le  reçoit  en  venant  au  monde  ;  il  délie 
la  langue  de  son  père;  c'est  le  premier  qui  confère  un 
baptême  ;  il  montre  le  Christ  du  doigt  ;  il  baptise  le 
même  J.-C.  ;  c'est  lui  que  le  Christ  loue  plus  que 
tous  les  autres;  il  annonce  la  venue  prochaine  de  J.-C. 
à  ceux  qui  sont  dans  les  limbes.  C'est  pour  ces  neuf 
privilèges  qu'il  est  appelé  par  le  Seigneur  prophète  et 
plus  que  prophète.  Sur  ce  qu'il  est  appelé  plus  que 
prophète,  saint  Jean  Chrysostome  s'exprime  ainsi  : 
((  Un  Prophète  est  celui  qui  reçoit  de  Dieu  l'avantage 
(le  prophétiser,  mais  est-ce  que  le  prophète  donne  à 
Dieu  le  bienfait  du  baptême  ?  Un  prophète  a  pour 
mission  de  prédire  les  choses  de  Dieu,  mais  où  trou- 

flist.  Ecany.y  c.  ii. 


LA    NATIVITÉ    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  155 

ver    un    prophèle  dont   Dieu   lui-même   prophétise  ? 
Tous  les  prophètes  avaient  prophétisé  de  J.-C.  au  lieu 
que  Jean  ne  prophétisa  pas  seulement  de  J.-C,  mais 
les  autres  prophètes  prophétisèrent  de  lui  :  tous  ont 
été  les  porteurs  de  la  parole,  mais  lui,  c'est  la  voix 
elle-même.  Autant  la  voix  approche  de  la  parole,  sans 
cependant  être  la  parole,  autant  Jean  approche  de 
J.-C.  sans  cependant  être  J.-C.  »  D'après  saint  Ain- 
broise,  la  g^loire  de  saint  Jean  se  tire  de  cinq  causes, 
savoir  de  ses  parents,  de  ses  mœurs,  de  ses  miracles, 
des  dons  qu'il  a  reçus  et  de  sa  prédication.  D'après 
le  même  Père,  la  gloire  qu'il  reçoit  de  ses  parents  est 
manifeste  par  cinq  caractères  :  Voici  ce  que  dit  saint 
Ambroise  :  «  L'éloge  est  parfait,  quand  il  comprend, 
comme  dans  saint  Jean,   une  naissance  distinguée, 
une  conduite  intègre,  un  ministère  sacerdotal,  l'obéis- 
sance à  la  loi,  et  la  preuve  d'oeuvres  pleines  de  jus- 
lice.  »)  2<*  Les  miracles  :  11  y  en  eut  avant  sa  concep- 
tion, comme  l'annonciation  de  l'ange,   la  désignation 
de  son  nom,  et  la  perte  de  la  parole  dans  son  père  : 
il  y  en  eut  dans  sa  conception,   celle-ci  fut  surnatu- 
relle ;  sa  sanctification  dès  le  sein  de  sa  mère,  et  l<* 
don  de  prophétie  dont  il  fut  rempli.  Il  y  en  eut  dès 
sa  naissance,  savoir  :  le  don  de  prophétie  accordé  à 
son  père  et  à  sa  mère,  puisque  sa  mère  sut  son  nom, 
et  que  le  père  prononça  un  cantique  :  la  langue  du 
|>ère  déliée;  le  Saint-Esprit  qui   le  remplit.   Sur  ces 
paroles  de  l'Evangile  :  «  Zacharie  son  père  fut  rempli 
du  Saint-Esprit   »,  saint  Ambroise  s'exprime  ainsi  : 
tt  Regardez  Jean  :  Quelle  puissance  dans  son  nom  !  ('e 
nom  rend  la  parole  à  un  muet,  le  dévoiiemenl  à  un 


136  LA    LÉIGENDK    DOREE 

père  ;  au  peuple  un  prêtre.  Tout  à  Theure,  cette  langue 
était  muette,  ce  père  était  stérile,  ce  prêtre  était  sans 
fonctions  ;  mais  aussitôt  que  Jean  est  né,  à  l'instant 
le  père  est  prophète,  ce  pontife  recouvre  Fusage  de  la 
parole,  son  affection  peut  s'épancher  sur  son  fils,  le 
prêtre  est  reconnu  par  les  fonctions  qu'il  remplit.  » 
3^  Les  mœurs.  Sa  vie  fut  d'une  sainteté  éminente. 
Voici  comme  en  parle  saint  Chrysostome:  «  A  côté 
de  la  vie  de  saint  Jean,  toutes  les  autres  paraissent 
coupables  :  car  de  même  que  quand  vous  voyez  un 
vêtement  blanc,  vous  dites  :  ce  vêtement  est  assez 
blanc,  mais  si  vous  le  mettez  à  côté  de  la  neige,  il 
commence  à  vous  paraître  pâle,  quoique  vraiment  il 
n'en  soit  pas  ainsi,  de  même  à  comparaison  de  saint 
Jean,  quelque  homme  que  ce  fût  paraissait  immonde.  » 
•  Il  reçut  trois  témoignages  de  sa  sainteté.  Le  pre- 
mier fut  rendu  par  ceux  qui  sont  au-dessus  du  ciel, 
c'est-à-dire  par  la  Trinité  elle-même,  l'*  Par  le  Père 
qui  l'appelle  Ange.  Malachiedit  (in)  :  «  Voilà  que  j'enï- 
voie  mon  ange  qui  préparera  ma  voie  devant  ma 
face.  »  Ange  est  un  nom  qui  désigne  le  ministère,  mais 
qui  n'explique  pas  la  nature  de  l'ange.  Or,  si  saint  Jean 
est  appelé  ange,  c'est  pour  marquer  le  ministère  qu'il 
a  rempli,  parce  qu'il  paraît  avoir  exercé  le  ministère 
(le  tous  les  anges.  Il  remplit  celui  des  Séraphins  :  car 
séraphin  veut  dire  ardent,  parce  qu'ils  nous  rendent 
ardents  et  qu'ils  brûlent  plus  que  d'autres  d'amour 
pour  Dieu  ;  c'est  pourquoi  il  est  dit  de  Jean  :  «  Elie 
s'est  élevé  comme  un  feu,  et  ses  paroles  brûlaient 
comme  un  flambeau  ardent  »  (Ecclés.,  xLvni),  «  car  il 
est  venu  avec  Tesprit  et  la  vertu  d*Elie.  »  2'  Il  remplit  le 


LA    NATIVITÉ    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  157 

niîuislère  des  Chérubins,  car  chérubins  veut  dire  plé- 
nitude de  science:  or,  Jean  est  appelé  Lucifer  ou  étoile 
du  malin,  parce  qu'il  Fut  le  terme  de  la  nuit  de  Tig^no- 
rance,  et  le  commencement  de  la  lumière  de  la  grâce. 
3"^  Il  remplit  le  ministère  des  Thrônes  qui  ont  pour 
mission  de  juger,  et  il  est  dit  de  Jean  qu'il  reprenait 
Hérode  en  disant  :  a  II  ne  vous  est  pas  permis  d^avoir 
pour  femme  celle  de  votre  frère.   »  4**  Il  remplit  le 
ministère  des  Dominations  qui  nous  enseignent  à  gou- 
verner ceux  qui  nous  sont  sujets  ;  or,  Jean  était  aimé 
de  ses  inférieurs,  et  les  rois  le  craignaient.  3°  Il  rem- 
plit TofEce  des  Principautés  qui  nous  apprennent  à 
respecter  nos  supérieurs  et  Jean  disait  en  parlant  de 
lui-même  :  «  Celui  qui  tire  son  origine  de  la  terre  est 
de  la  terre,  et  ses  paroles  tiennent  de  la  terre  »  ;  et  en 
parlant  de  J.-C.,  il  ajoute  :  «  celui  qui  est  venu  du  ciel 
est  au-dessus  de  tous.   »   Il  dit  encore  :  «  Je  ne  suis 
pas  digne  de  délier  les  cordons  de  sa  chaussure.    » 
6*  Il  remplit  l'office  des  Puissances  qui  sont  chargées 
d'éloigner  les  puissances  de  l'air  et  du  vice,  lesquelles 
ne  purent  jamais  nuire  à  sa  sainteté.  11  les  repoussait 
aussi  loin  de  nous,  lorsqu'il  nous  disposait  au  bap- 
tême de  la  pénitence.  7'*  Il  remplit  l'office  des  Vertus 
par  lesquelles  s'opèrent  les  miracles  :  or,  saint  Jean 
montra  en  sa  personne  de  grandes  merveilles,  comme 
manger  du  miel  sauvage  et  des  sauterelles,  se  couvrir 
de  peau  de  chameau,  et  autres  semblables.  8°  II  rem- 
plit l'office  des  Archanges,  en  révélant  des  mystères 
auxquels  on  ne  savait  atteindre,  comme,  par  exemple, 
ce   qui  regarde    notre  rédemption    lorsqu'il    disait  : 
«  Voici  l'Agneau  de  Dieu,  voici  celui  qui  ôte  les  péchés 


158  LA    LÉGENDE    DORÉE 

du  monde.  »  9^  II  remplit  Toffice  des  Anges  :  quand 
il  annonçait  des  choses  moins  relevées,  comme  celles 
qui  ont  trait  aux  mœurs  ;  par  exemple  :  «  Faites  péni- 
tence »  ;  ou  bien  :  «  N'usez  point  de  violence  ni  de  fraude 
envers  personne  (Luc,  m).  »  Le  second  témoignage 
lui  fut  rendu  par  le  Fils,  comme  on  lit  dans  saint  Ma- 
thieu (il),  où  J.-C.  le  recommande  souvent  d*une  ma- 
nière étonnante,  comme  quand  il  dit  entre  autres  cho- 
ses :  «  Parmi  les  enfants  des  hommes,  il  n'y  en  a  pas 
de  plus  grand  que  Jean-Baptiste.  »  «  Ces  paroles,  dit 
saint  Pierre  Damien,  renferment  l'éloge  de  saint  Jean, 
proférées  qu'elles  sont  par  celui  qui  a  posé  les  fonde- 
ments de  la  terre,  qui  fait  mouvoir  les  aslres  et  qui  a 
créé  tous  les  éléments.  »  Le  troisième  témoignage  lui 
fut  rendu  par  le  Saint-Esprit,  lorsqu'il  dit  par  la  bou- 
che de  son  père  Zacharie  :  «  Et  toi,  enfant,  tu  seras 
appelé  le  prophète  du  Très  Haut.  »  —  Le  second  té- 
moignage de  sainteté  lui  fut  rendu  par  les  anges  et 
les  esprits  célestes.  Au  premier  chapitre  de  saint  Luc, 
l'ange  témoigne  pour  lui  une  grande  considération 
quand  il  montre  :  I**  sa  dignité  par  rapport  à  Dieu  : 
«  Il  sera,  dit-il,  grand  devant  le  Seigneur.  »  2*  Sa 
sainteté  propre,  lorsqu'il  ajoute  :  «  Il  ne  boira  pas  de 
vin  ni  de  liqueur  enivrante,  et  il  sera  rempli  de  l'Es- 
prit-Saint  dès  le  ventre  de  sa  mère.  »  3®  Les  grands 
services  qu'il  rendra  au  prochain  :  «  Et  il  convertira 
beaucoup  des  enfants  d'Israël.  »  Le  troisième  témoi- 
gnage de  sainteté  lui  fut  rendu  par  ceux  qui  sont  au- 
dessous  du  ciel,  c'est-à-dire,  les  hommes,  témoin  son 
père,  ses  voisins,  et  ceux  qui  disaient  :  «  Que  pensez- 
vous  que  sera  cet  enfant?  » 


LA    NATIVITÉ    DE    SAINT   JEAN-BAPtiSTE  159 

Quatrièmemenl^  la  glose  de  saint  Jean  se  tire  des 
dons  qu^il  a  reçus  dans  le  sein  de  sa  mère,  à  sa  nais- 
sance, dans  sa  vie  et  à  sa  mort.  Dans  le  sein  de  sa 
mère,  il  fut  avantagé  de  trois  dons  admirables  de  la 
grâce  :  1'  De  la  grâce  par  laquelle  il  fut  sanctifié  dès 
ce   moment  ;  puisqu'il  fut  saint  avant  que  d'être  né, 
selon  ces  paroles  de  Jérémie  (i)  :  «  Je  vous  ai  connu 
avant  que  je  vous  eusse  formé  dans  les  entrailles  de 
votre  mère.  »  2*  De  la  grâce  d'être  prophète,  quand, 
par  son  tressaillement  dans  le  sein  d'Elisabeth,  il  con- 
imt  que  Dieu  était  devant  lui.  C'est  pour  cela  que  saint 
Chrysostome,  qui  veut  montrer  que  Jean-Baptiste  a 
été  plus  que  prophète,  dit  :  «  Un  prophète  mérite  par 
la  sainteté  de  sa  vie  et  de  sa  foi  de  recevoir  une  pro- 
phétie; mais  est-ce  que  c'est  l'ordinaire  d'être  prophète 
avant  d'être  homme?  »  C'était  une  coutume  d'oindre 
les  prophètes;  et  ce  fut  quand  la  Sainte  Vierge  salua 
Elisabeth  que  J.-C.  sacra  en  qualité  de  prophète  Jean 
dans  les  entrailles  de  sa  mère,  selon  ces  paroles  de 
saint  Chrysostome  :  «  J.-C.  fit  saluer   Elisabeth  par 
Marie  afin  que  sa  parole  sortie  du  sein  de  sa  mère,  sé- 
jour du  Seigneur,  et  reçue  par  l'ouïe  d'Elisabeth,  des- 
cendît à  Jean  qui  ainsi  serait  sacré  prophète.  »  3'^  Il 
fut  avantagé  de  la  ffrâce  par  laquelle  il  mérita  pour 
sa   mère  de  recevoir  l'esprit  de  prophétie.   Et  saint 
Chrysostome,  qui  voulait  montrer  que  saint  Jean  fut 
plus  qu'un  prophète,  dit  :   «  Quel  est  celui  des  pro- 
phètes, qui   tout  prophète  qu'il  fût,  ait  pu  faire  un 
prophète?  »  Hélie  sacra  bien  Elisée  comme  prophète, 
mais  il  ne  lui  conféra  pas  la  grâce  de  prophétiser.  Jean 
cependant  n'étant  encore  que  dans  le  sein  de  sa  mère 


160  LA    LÉGENDE    DOREE 

donna  à  sa  mère  la  science  de  pénétrer  dans  les  secrets 
de  Dîeu  ;  il  lui  ouvrit  la  bouche  et  elle  confessa  recon- 
naître la  dignité  de  celui  dont  elle  ne  voyait  pas  la 
personne,  quand  elle  dit  :  «  D'où  me  vient  ce  bonheur 
que  la  mère  de  mon  Seigneur  me  vienne  visiter?  »  Il 
reçut  trois  sortes  de  grâces,  au  moment  de  sa  nais- 
sance :  elle  fut  miraculeuse,  sainte  et  accompagnée 
de  joie.  En  tant  que  miraculeuse,  le  défaut  d'impuis- 
sance est  levé;  en  tant  que  sainte,  disparaît  la  peine 
de  la  coulpe  ;  en  tant  que  accompagnée  de  joie,  elle 
fut  exempte  des  pleurs  de  la  misère.  Selon  M«  Guil- 
laume d'Auxerre,  trois  motifs  font  célébrer  la  nai»» 
sance  de  saint  Jean  :  l""  sa  sanctification  dans  le  sein 
de  sa  mère  ;  2"  la  dignité  de  son  ministère,  puisque 
ce  fut  comme  une  étoile  du  matin  qui  nous  annonça 
la  première  les  joies  éternelles;  3®  la  joie  qui  raccom- 
pagna :  car  Tange  avait  dit  :  «  Il  y  en  aura  beaucoup 
qui  se  réjouiront  lors  de  sa  naissance.  »  C'est  donc 
pour  cela  qu'il  est  juste  que  nous  nous  réjouissions 
pareillement  en  ce  jour.  Dans  le  cours  de  sa  vie,  il 
réunit  de  môme  grand  nombre  de  faveurs  :  et  la  preuve 
qu'elles  furent  des  plus  grandes  et  de  différentes  sor- 
tes, c'est  qu'il  réunit  toutes  les  perfections.  En  effet 
il  fut  prophète  quand  il  dit  :  «  Celui  qui  doit  venir 
après  moi  est  plus  grand  que  moi.  »  Il  fut  plus  que 
prophète  quand  il  montra  le  Christ  du  doigt;  il  fut 
apôtre,  car  il  fut  envoyé  de  Dieu  ;  apôtre  et  prophète 
c'est  tout  un.  Aussi  il  est  dit  de  lui  :  «  Il  y  eut  un 
homme  envoyé  de  Dieu  qui  se  nommait  Jean.  »  Il 
fut  martyr,  parce  qu'il  souffrit  la  mort  pour  la  justice  ; 
il  fut  confesseur,  parce  qu'il  confessa  et  ne  nia  pas  ; 


LA    NATIVITE    DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE  KM 

îl  fut  vierge,  el  c'est  en  raison  de  sa  virçînité  qu'il  est 
appelé  ange  dans  Malachie  (n)  :  «  Voici  que  j'envoie 
mon   ange.  »  En  sortant  du  monde  il  reçut  trois  fa- 
veurs :   d'abord  il  fut  un  martyr  invaincu.  Il  acquit 
alors  la  palme  du  martyre  ;  il  fut  envoyé  comme  un 
cnessager  précieux,  car  il  apporta  ii  ceux  qui  étaient 
dans  les  limbes  une  nouvelle  précieuse,  la  venue  de 
J.-C.  et  leur  rédemption  ;  sa  fin  glorieuse  est  honorée 
par  tous  ceux  qui  étaient  descendus  dans  les  limbes 
et  c'est  l'objet  spécial  d'une  glorieuse  solennité  dans 
l'Église. 

Cinquièmement,  la  gloire  de  saint  Jean  se  tire  de  sa 
prédication.  L'ange  en  expose  quatre  motifs  quand  il 
dit  :  «  Il  convertira  plusieurs  des  enfants  d'Israël  au 
Seigneur  leur  Dieu  ;  et  îl  marchera  devant  lui  dans 
l'esprit  et  la  vertu  d'Elie,  pour  réunir  les  cœurs  des 
pères  avec  leurs  enfants,  pour  rappeler  les  incrédules 
à  la  prudence  des  justes,  et  pour  préparer  au  Seigneur 
un  peuple  parfait.  »  Il  touche  quatre  points,  savoir  le 
fruit,  Tordre,  la  vertu  et  la  fin,  d'après  le  texte  lui- 
même.  La   prédication  de  saint  Jean  fut  triplement 
recommaiidable.  Elle  fut   en  effet  fervente,  efficace  et 
prudente.  C'est  la  ferveur  qui  lui  faisait  dire  :  «  Race 
de  vipères,  qui  vous  a  avertis  de  fuir  la  colère  à  ve- 
nir?  Faites  donc    de   dignes  fruits    de   pénitence.  » 
('Luc,  iii.)Or,  cette  ferveur  était  enflammée  parla  cha- 
rité,  parce  qu'il  était  une  lumière  ardente  ;  et  c'est  lui 
qui    dit   en    la  personne  d'Isaïe  (xux)  :  «  Il  a  rendu 
ma  l>ouche  comme  une  épée  perçante.  »  Cette  ferveur 
tirait  son  origine  de   la  vérité,  car  il  était  une  lampe 
ardente.  C'est  à  ce  propos  qu'il  est  dit  dans  saint  Jean 
II.  W 


162  LA    LÉGRNDG    DOREE 

(v)  :  «  Vous  avez  envoyé  à  Jean  ;  et  il  a  rendu  lémoî- 
ji^nage  à  la  vérité.  »  Cette  ferveur  était  dirigée  par  le 
discernement  ou  la  science  :  voilà  pourquoi  en  par- 
lant à  la  foule,  aux  publicains  et  aux  soldats,  il  ensei- 
gnait la  loi,  selon  l'état  de  chacun.  Celte  ferveur  était 
ferme  et  constante,  puisque  sa  prédication  le  mena  à 
perdre  la  vie.  Telles  sont  les  quatre  qualités  du  zèle, 
d'après  saint  Bernard  :  «  Que  votre  zèle,  dit-il,  soit 
enflammé  par  la  charité,  formé  par  la  vérité,  régi  par 
la  science  et  affermi  par  la  constance.  »  2°  II  prêcha 
avec  efficace,  puisque  beaucoup  se  convertirent  à  ses 
prédications.  Il  prêcha  en  parole  et  ne  varia  jamais 
dans  son  enseignement.  Il  prêcha  par  l'exemple,  car 
sa  vie  fut  sainte  ;  il  prêcha  et  convertit  par  ses  mé- 
rites et  ses  prières  ferventes.  3°  Il  prêcha  avec  pru- 
dence ;  et  la  prudence  de  wsa  prédication  consista  en 
trois  points  :  1**  en  ce  qu'il  usa  de  menaces  afin  d'ef- 
frayer les  méchants  ;  c'est  alors  qu'il  disait  :  «  Déjà 
la  cognée  est  à  la  racine  de  Farbre  »  ;  2®  en  usant  de 
promesses,  pour  gagner  les  bons,  quand  il  dit  :  «  Faites 
pénitence  :  car  le  royaume  des  cieux  approche  »  ;  3* 
en  usant  de  tempéraments  pour  attirer  peu  à  peu  les 
faibles  à  la  perfection.  Aussi  à  la  foule  et  aux  soldats, 
il  imposait  de  légères  obligations  afin  qu'ensuite  il  les 
amenât  à  s'en  imposer  de  plus  sérieuses  ;  à  la  foule, 
il  conseillait  les  œuvres  de  miséricorde;  aux  publi- 
cains, il  recommandait  de  ne  pas  désirer  le  bien  d'au- 
trui  ;  aux  soldats  de  n'user  de  violence  envers  per- 
sonne, de  ne  pas  calomnier  et  de  se  contenter  de  leur 
paie. 
Saint  Jean  TEvangéliste  mourut  à  pareil  jour  ;  mais 


LA    NATIVITÉ    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  163 

l'E^Use  célèbre  sa  fêle  trois  jours  après  la  naissance 
de  J.-C.  parce   qu'alors  eut  lieu  la  dédicace  de  son 
église,  et  la  solennité  de  la  naissance  de  saint  Jean- 
Baptiste  conserva  sa   place  par  la  raison  qu'elle  fut 
déclarée  un  jour  de  joie  par  l'ange.  Il  ne  faut  pour- 
tant pas  prétendre  que  TEvangéliste  ait  fait  place  au 
Baptiste,  comme  l'inférieur  au  supérieur;  car  il  ne 
convient  pas  de  discuter  quel  est  le  plus  grand  des 
deux  :  et  ceci  fut  divinement  prouvé  par  un  exemple. 
On  lit  qu'il  y  avait  deux  docteurs  en  théologie  dont 
Fnn  préférait  saint  Jean-Baptiste  et  l'autre  saint  Jean 
Tévangéliste.  On  fixa  donc  un  jour  pour  une  discus- 
sion solennelle.  Chacun  n'avait  d'autre  soin  que  de 
trouver  des  autorités  et  des  raisons  puissantes  en  fa- 
veur du  saint  qu'il  jugeait  supérieur.  Or,  le  jour  de  la 
dispute  étant  proche,  chacun  des  saints  apparut  à  son 
champion  et  lui  dit  :  «  Nous  sommes  bien  d'accord 
dans  le  ciel,  ne  dispute  pas  à  notre  sujet  sur  la  terre,  w 
Alors  ils  se  communiquèrent  chacun  sa   vision,   en 
firent  part  à  tout  le  peuple  et  bénirent  Dieu.  —  Paul, 
qui  a  écrit  V Histoire  des  Lombards,  diacre  de  l'Eglise 
de  Rome  et  moine  du  mont  Cassin,  devait  une  fois 
faire  la  consécration  du  cierge,  mais  il  fut  pris  d'un 
enrouement  qui  l'empêcha  de  chanter  ;  afin  de  recou- 
vrer sa  voix  qui  était  fort  belle,  il  composa  en  l'hon- 
neur de  saint  Jean-Baptiste  l'hymne  17  queant  Iaxis 
resonare  fibris  mira  gesiorum  famuli  tuorum,  au  com- 
mencement de  laquelle  il  demande  que  sa  voix  lui  soit 
rendue  comme  elle  l'avait  été  à  Zacharie.  En  ce  jour 
quelques  personnes  ramassent  de  tous  côtés  les  os  d'a- 
nimaux morts  pour  les  brûler  :  il  y  en  a  deux  raisons, 


164  LA    LÉGENDE    DORÉE 

rapportées  par  Jean  Beleth  *  :  la  première  vient  d'une 
ancienne  pratique  :  il  y  a  certains  animaux  appelés  dra- 
gons, qui  volent  dans  l'air,  nagent  dans  les  eaux  et 
courent  sur  la  terre.  Quelquefois  quand  ils  sont  dans 
les  airs,  ils  incitent  à  la  luxure  en  jetant  du  sperme 
dans  les  puits  et  les  rivières  ;  il  y  avait  alors  dans 
Tannée  grande  mortalité.  Afin  de  se  préserver,  on  in- 
venta un  remède  qui  fut  de  faire  des  os  des  animaux 
un  feu  dont  la  fumée  mettait  ces  monstres  eu  fuite  ; 
et  parce  que  c'était,  dans  le  temps,  une  coutume  gé- 
nérale, elle  s'observe  encore  en  certains  lieux.  La  se- 
conde raison  est  pour  rappeler  que  les  os  de  saint 
Jean  furent  brûlés  à  Sébaste  par  les  infidèles.  On 
{)orle  aussi  des  torches  brûlantes,  parce  que  saint  Jean 
fut  une  torche  brûlante  et  ardente  ;  on  fait  aussi  tour- 
ner une  roue  parce  que  le  soleil  à  cette  époque  com- 
mence à  prendre  son  déclin,  pour  rappeler  le  témoi- 
gnage que  Jean  rendit  à  J.-C.  quand  il  dit  :  «  II  faut 
qu'il  croisse,  et  moi  que  je  diminue.  »  Cette  parole 
est  encore  vérifiée,  selon  saint  Augustin,  à  leur  nativité 
cl  à  leur  mort  :  car  à  la  nativité  de  saint  Jean-Baptiste 
les  jours  commencent  à  décroître,  et  à  la  Nativité  de 
J.-(].  ils  commencent  à  croître,  d'après  ce  vers  :  Sols- 
iiliuni  decimo  Chrislum  prœil  alque  Joanneni**.  II  en 
fut  ainsi  à  leur  mort.  Le  corps  de  J.-C.  fut  élevé  sur  la 
croix  et  celui  de  saint  Jean  fut  privé  de  son  chef. 
Paul  rapporte  dans  V Histoire  des  Lombards  que  Ro- 


Cap.  cxxxvii. 

Dix  jours  avant  le  solstice,  arrivent  la  Nativité   du  Sau- 
veur et  celle  (le  saiut  Jean. 


SAINT    JEAN    ET    SAINT    PAUL  163 

charith,  roi  des  Lombards,  fui  enseveli  avec  beaucoup 
d'ornements    précieux  auprès   d'une  église  de  saint 
Jean-Baptiste.  Or,  quelqu'un  poussé  par  la  cupidité, 
ouTril  de  nuit  le  tombeau  et  emporta  tout.  Saint  Jean 
apparat  au  voleur  et  lui  dit  :  «  Quelle  a  été  ton  au- 
dace de  toucher  à  un  dépôt  qui  m'était  confié?  tu  ne 
pourras  plus  désormais  entrer  dans  mon  église.  »  Et 
il  en  fut  ainsi  ;  car  chaque  fois  que  le  larron  voulait 
entrer  en  cette  église,  il  était  frappé  à  la  gorge  comme 
par  un   vigoureux  athlète  et  il  était  jeté  aussitôt  à  la 
renverse  *. 


SAINT  JEAN  ET  SAINT  PAUL  ♦♦ 

Jean  et  Paul  furent  prîroiciers  et  prévôts  de  Cons- 
tance, fille  de  l'empereur  Constantin.  Or,  en  ce  temps- 
là,  les  Scythes  occupaient  la  Dacîe  et  la  Thrace  et  on 
devait  envoyer  contre  eux  Gallican,  général  de  l'armée 
romaine.  Pour  récompense  de  ses  travaux,  il  deman- 
dait qu'on  lui  donnât  en  mariage  Constance,  fille  de 
Constantin  ;  faveur  que  les  principaux  Romains  sol- 
licitaient vivement  aussi  pourlui.  Mais  le  père  enétait 
fort  contristé,  car  il  savait  que  sa  fille,  après  avoirété 
çuérie  par  sainte  Agnès,  avait  fait  vœu  de  virginité  ; 
et  elle  aurait  été  plutôt  disposée  à  se  laisser  tuer  qu'à 

**  Ce   fait    est  aussi    rapporté  par  Gezo,  abbé  de  Dertono, 
en  98-4,  dans  son  livre  du  Corps  et  du  sang  de  J.-C,  ch.  lxvh. 
••  L'office  du    bréviaire  est  compilé  d'après  les  actes  de  ces 
saints  rapportés  ici. —  Martyrologes. 

II.  il' 


166  LA   LÉGENDE    DOREE 

donner  son  consentemenf.  Cependant  cette  vierge  eut 
confiance  en  Dieu  et  conseilla  à  son  père  de  la  pro- 
mettre à  Gallican,  s'il  revenait  vainqueur.*  Toutefois 
elle  voulait  garder  auprès  de  soi  deux  filles  que  Gal- 
lican avait  eues  d'une  première  épouse  qui  était  morte, 
afin  de  pouvoir  connaître  par  ces  filles  la  conduite  et 
les  désirs  de  leur  père  :  en  même  temps  elle  lui  don- 
nerait ses  deux  prévôts,  Jean  et  Paul,  dans  l'espérance 
d'établir  entre  eux  une  plus  étroite  union  ;  elle  priait 
Dieu  pour  qu'il  daignât  convertir  Gallican  et  ses  filles. 
Quand  tout  fut  arrangé  au  gré  de  chacun,  Gallican 
prit  Jean  et  Paul  auprès  de  soi  et  partit  avec  une  ar- 
mée nombreuse;  mais  ses  troupes  furent  mises  en  dé- 
route par  les  Scythes  et  lui-même  fut  assiégé  par  les 
ennemis  dans  une  ville  de  Thrace.  Alors  Jean  et  Paul 
vinrent  le  trouver  et  lui  dirent  :  «  Fais  un  vœu  au  Dieu 
du  ciel  et  tu  auras  le  bonheur  de  vaincre.  »  Quand  il 
l'eut  fait,  apparut  aussitôt  un  jeune  homme  portant 
une  croix  sur  l'épaule,  et  lui  disant  :  «  Prends  ton 
épée  et  suis-moi.  »  Il  la  prend,  se  rue  au  milieu  du 
camp  ennemi,  arrive  jusqu'au  roi,  et  le  tue;  la  peur 
seule  lui  fait  soumettre  toute  l'armée  :  il  rend  les  en- 
nemis tributaires  des  Romains.  Deux  soldats  revêtus 
de  leurs  armes  lui  apparurent  et  le  protégeaient  de 
droite  et  de  gauche.  Ayant  été  fait  chrétien.  Gallican 
revint  à  Rome  où  il  fut  reçu  avec  de  grands  honneurs. 
Il  pria  Auguste  de  l'excuser  s'il  n'épousait  passa  fille, 
parce  que  son  dessein  était  de  vivre  désormais  dans 
la  continence  en  Tlionneur  de  J.-C.  Cela  plut  singuliè- 
rement à  l'empereur  :  et  les  deux  filles  de  Gallican  ayant 
été  converties  à  J.-C.  par  la  vierge  Constance,  Galli- 


SAINT  JEAN  ET  SAINT  PAUL  167 

can  lui-même  se  démit  de  son  commandement,  donna 
tous  ses  biens  aux  pauvres  et  servit  J.-C.  dans  la  pau- 
vreté avec  d'aulres  serviteurs  de  Dieu.  Il  faisait  un 
grand  nombre  de  miracles  ;  à  sa  vue  seulement,  les 
démons  s'enfuyaient  des  corps  des  obsédés.  Sa  répu- 
tation de  sainteté  était  tellement  établie  dans  l'univers 
qu'on  venait  de  l'orient  et  de  l'occident  pour  voir  un 
homme,  de  patrice  devenu  consul,  laveries  pieds  des 
pauvres,  dresser  leurs  tables,  leur  verser  de  Teau  sur 
les  mains,  servir  les  malades  avec  sollicitude  etremplir 
toutes  les  fonctions  d'un  pieux  serviteur.  A  la  mort  de 
Constantin,  Constance,  fils  de  Constantin  le  Grand,  in- 
'  feclé  de  l'hérésie  d'Arius,  prit  en  mains  les  rênes  de 
Tempire;  mais  Constance,  frère  de  Constantin, laissait 
deux  fils,  Galluset  Julien  :  l'empereur  Constance  créa 
Gallus  césar,  et  l'envoya  contre  la  Judée  en  révolte; 
plus  tard  cependant,  il  le  fit  périr.  Julien,  craig^nant 
d'éprouver  de  la  part  de  Constance  le  même  sort  que 
son  frère,  entra  dans  un  monastère,  où  en  affectant 
une  grande  dévotion,  il  fut  ordonné  lecteur.  Il  fit  con- 
sulter le  démon  par  un  magicien  :  et  il  lui  fut  répondu 
qu'il  serait  élevé  à  l'empire.  Quelque  temps  après,  des 
affaires  urgentes  portèrent  Constance  à  créer  Julien 
césar  et  à  l'envoyer  dans  la  Gaule  où  il  se  comporta  vail- 
lamment en  toute  occasion.  Constance  étant  mort,  Ju- 
lien Tapostat,  que  ce  même  Constance  avait  élevé  à 
l'empire,  ordonna  à  Gallican  d'immoler  aux  dieux  ou 
de  s'éloigner;  car  il  n'osait  faire  mourir  un  person- 
nage si  distingué.  Gallican  alla  donc  à  Alexandrie  où 
il  reçut  lacouronnedumartyre  :les  infidèles  lui  avaient 
percé  le  cœur.  Julien,  dévoré  par  une  cupidité  sacri- 


468  LA    LÉGENDE    DOREE 

lège,  colorait  son  avarice  sous  des  prétextes  qu'il  trou- 
vait dans  TEvangile  ;  car  il  enlevait  les  biens  des  chré- 
tiens en  disant  :  «  Votre  Christ  dit  dans  l'Evaugilc  : 
«  Celui  qui  n'aura  pas  renoncé  à  tout  ce  qu'il  possède 
«  ne  peut  être  mon  disciple.  »  Ayant  appris  que  Jean  et 
Paul  sustentaient  les  chrétiens  pauvres  avec  les  riches- 
ses que  la  viergeConslanccavaitlaissées,  il  leurdonna 
l'ordre  de  lui  obéir  en  tout  coinmeà  Constantin.  Mais 
ils  répondirent  :  <(  Tant  que  les  glorieux  empereurs 
Constantin  et  Constance,  son  fils,  se  faisaient  honneur 
d'être  les  serviteurs  deJ.-C,  nous  les  servions;  mais 
puisque  tu  as  abandonné  un«  religion  qui  fait  prati- 
quer tant  de  vertus,  nous  nous  sommes  entièrement 
éloignas  de  toi  et  nous  refusons  posi  ti vement  de  t'obéir .  » 
Julien  leur  fit  répondre  :  «  J'ai  été  élevé  à  la  cléri- 
cature,  et  si  je  Tavais  voulu,  je  serais  parvenu  au  pre- 
mier rang  de  l'Eglise,  mais  considérant  que  c'était  chose 
vaine  de  vivre  dans  la  paresse  et  l'oisiveté,  j'ai  préféré 
l'état  militaire,  et  j'ai  sacrifié  aux  dieux  donf  la  pro- 
tection m'a  élevé  à  l'empire.  C'est  pour  cela  qu'ayant 
été  nourris  à  la  cour,  vous  ne  devez  pas  cesser  de  vi- 
vre à  mes  côtés  afin  que  je  vous  traite  comme  les  pre- 
miers dans  mon  palais.  Si  vous  me  méprisez,  il  faut  de 
toute  nécessité  que  je  fasse  cesser  cet  état  de  choses.  » 
Ils  répliquèrent:  «  Puisque  nous  préférons  servirDieu 
plutôt  que  toi,  nous  n'avons  pas  la  moindre  crainte  de 
tes  menaces,  de  peur  d'encourir  la  haine  du  roi  éter- 
nel. »  A  cela  Julien  reprit  :  «  Si  d'ici  à  dix  jours  vous 
poussez  le  mépris  jusqu'à  ne  pas  vous  rendre  de  plein 
gré  auprès  de  moi,  vous  ferez  de  force  ce  que  vous 
ne  vous  souciez  pas  de  faire  de  bonne  volonté.  »  Les 


SAINT    JEAN    ET    SAINT    PAUL  169 

saints  lui  répondirent:  «  Crois  que  les  dix  jours  sont 
déjà  expirés,  et  fais  aujourd'hui  ce  que  tu  menaces 
d'exécuter  alors.  »  «  Vous  pensez,  dit  Julien,  que  les 
chrétiens  feront  de  vous  des  martyrs  ;  si  vous  ne  ni'o- 
béissez,  je  vous  ferai  châtier  non  comme  des  martyrs, 
mais  comme  des  ennemis  publics.  »  Alors  Jean  et 
Paul  employèrent  les  dix  jours  entiers  à  donner  en  au- 
mônes tous  leurs  biens  aux  pauvres.  Le  terme  expiré, 
Térentien  fut  envoyé  vers  eux  et  leur  dit  :  «  Notre 
seigneur  Julien  vous  envoie  une  petite  statue  en  or  de 
Jupiter  pour  que  vous  lui  offriez  de  lencens,  sinon, 
vous  périrez  également  tous  les  deux.  »  Les  saints  lui 
répondirent:  «  Si  ton  seigneur  est  Julien,  sois  en  paix 
aveclui;  quant  à  nous,  nous  n'avons  d'autre  Seigneur 
que  J.-G.  »  Alors  il  les  fit  décapiter  en  cachette,  e( 
ensevelir  dans  une  fosse  de  la  maison  ;  puis  il  fit  ré- 
pandre le  bruit  qu'ils  avaient  été  envoyés  en  exil. 

Après  quoi  le  fils  de  Térentien  fut  saisi  par  le  dé- 
mon, et  il  se  mit  à  crier  par  la  maison  que  le  diable  le 
tourmentait:  à  cette  vue,  Térentien  confesse  son  crime, 
se  fait  chrétien,  écrit  la  relation  du  martyre  des  saints 
et  son  fils  est  délivré.  Ils  souffrirent  vers  Tan  du 
Seigneur  364.  Saint  Grégoire  rapporte  dans  son 
Homélie  sur  l'Evangile  :  Si  quis  vult  venire  post  me, 
qu'une  dame  revenant  de  visiter  l'église  de  ces  mar- 
tyrs où  elle  allait  souvent,  rencontra  deux  moines  en 
habit  de  pèlerin  ;  elle  leur  fit  donner  l'aumône  ;  mais 
comme  celui  qui  était  chargé  de  la  leur  offrir  se  dispo- 
sait à  le  faire,  ils  s'approchèrent  de  plus  près  et  lui 
dirent  :  «  Tu  nous  aides  maintenant,  mais  au  jour  du 
jugement,  nous  te   réclamerons  et  nous  ferons  pour 


170  LA    LÉGENDE    DOREE 

toi  tout  ce  que  nous  pourrons.  »  Ayant  dit  ces  mots 
ils  disparurent  à  leurs  yeux.  Saint  Ambroise  parle 
ainsi  de  ces  martyrs  dans  lu  préface  :  «  Les  bienheu- 
reux martyrs  Jean  et  Paul  ont  véritablement  accompli 
ces  paroles  de  David  :  «  Ah  !  que  c'est  une  chose 
((  bonne  et  agréable  que  les  frères  soient  unis  ensemble  » 
(Ps.  cxxxii)  ;  le  même  sein  leur  donna  le  jour,  la 
même  foi  les  unit,  le  môme  martyre  les  couronna  et 
la  même  gloire  est  leur  partage  dans  le  même  Sei- 
gneur. » 


SAINT  LÉON,  PAPE  * 

On  lit  dans  le  livre  des  Miracles  de  la  Sainte  Vierge 
que  saint  Léon,  pape,  célébrant  la  messe  le  jour  de 
Pflques  dans  l'église  de  Sainte-Marie-Majeure,  pendant 
qu'il  distribuait  la  communion  aux  fidèles,  une  dame 
lui  baisa  la  main,  ce  qui  excita  en  lui  une  violente  ten- 
tation de  la  chair.  Mais  l'homme  de  Dieu  exerça  contre 
soi-même  une  cruelle  vengeance  et  ce  jour-là,  cette 
main  qui  l'avait  scandalisé,  il  se  la  coupa  en  secret  et 

Voici  rintcrprélation  du  nom  (!c  saint  Léon  par  M.  Jchau 
Batallier:  <(  Léon  fut  appelé  proprement  Lion  :  car  tout  ainsi 
comme  le  propre  lion  faist  il  fit.  Il  est  vrai  que  quand  les  en- 
tans  des  lions  naissent  ils  sont  tous  morts  et  ne  se  peuvent  mou- 
voir: et  lors  le  lion  cric  tant  et  va  cntour  que  par  le  cry  do 
luy  il  les  vivifie,  et  leurs  mcct  la  vie  au  corps  par  la  chaleur 
(io  son  alaîne,et  tout  ainsi  saît  Léon  fist  :  car  ceulx  qui  estaient 
mors  en  pechie  il  cria  et  brayt  tant  que  par  sa  saincte  cùver- 
sation  et  prédication  il  leur  mist  es  corps  lesperit  de  vraye  foi  : 
cl  les  fist  vivre  en  Dieu  nostrc  Seigneur  Ihesucrist.  » 


SAINT    LÉON,    PAPE  17i 

la  jeta.  Dans  la  suite,  il  s'éleva  des  murmures  parmi 
le  peuple  de  ce  que  le  souverain  Pontife  ne  célébrait 
plus  comme  de  coutume  les  saints  mystères.  Alors 
saint  Léon  s'adressa  à  la  Sainte  Vierge  et  s'en  remit 
entièrement  à  ce  qu'elle  voudrait.  Elle  lui  apparut  donc 
et  lui  remit  la  main  de  ses  très  saintes  mains,  l'affer- 
mi!, puis  elle  lui  ordonna  de  paraître  en  public  et 
d'offrir  le  saint  sacrifice  à  son  Fils.  Saint  Léon  apprit 
à  tout  le  peuple  ce  qui  lui  était  arrivé,  et  il  montra  à 
tous  la  main  qui  lui  avait  été  rendue.  Ce  fut  lui  qui 
célébra  le  concile  de  Chalcédoine  oi^  il  établit  que  les 
vierges  seules  recevraient  le  voile  ;  et  il  y  fut  aussi 
décidé  que  la  vierge  Marie  serait  appelée  Mère  de 
Dieu.  En  ce  temps-là  encore,  Attila  ravageait  l'Italie. 
Saint  Léon  passa  alors  trois  jours  et  trois  nuits  en 
prières  dans  l'église  des  Apôtres;  après  quoi  il  dit  aux 
siens  :  «  Qui  veut  me  suivre,  me  suive.  »  Et  quand  il 
fut  arrivé  auprès  d'Attila,  celui-ci  n'eut  pas  plutôt  vu 
saint  Léon  qu'il  descendit  de  cheval,  se  prosterna  aux 
pieds  du  saint  et  le  pria  de  lui  demander  ce  qu'il  vou- 
drait. Saint  Léon  lui  demanda  de  quitter  l'Italie  et  de 
délivrer  les  captifs.  Comme  Attila  recevait  de  la  part 
des  siens  des  reproches  de  ce  que  celui  qui  avait 
triomphé  du  monde  se  laissait  vaincre  par  un  prêtre, 
il  répondit  :  «  J'ai  pourvu  à  ma  silreté  et  à  la  vôtre: 
car  j'ai  vu  à  sa  droite  un  guerrier  redoutable  tenant 
uneépée  nue  à  la  main,  qui  me  disait  :  «  Si  tu  ne  lui 
obéis  pas,  tu  périras  avec  tous  les  tiens*.  »  Quand  le 
bienheureux  Léon  écrivit  la   lettre  à  Fabien,   évêquc 

•  Victor  Tuomncnsîs,  Prosp^r,  \saio. 


172  LA    LKGENDE    DORKR 

de  C.-P.,  contre  Enlychès  et  Nestorius,  il  la  posa  sur 
le  tombeau  de  saint  Pierre  et  après  avoir  passé  quel- 
que temps  dans  le  jeûne  et  la  prière,  il  dit  :  «  Les 
erreurs  que  je  pourrais  avoir  commises  comme  homme 
dans  cette  épître,  corrigez-les  et  amendez-les,  vous  à 
qui  l'Eglise  a  été  confiée.  »  Et  quarante  jours  après, 
comme  il  était  en  prières,  saint  Pierre  lui  apparut  et 
lui  dit  :  «  J'ai  lu  et  amendé.  »  Saint  Léon  prit  la  lettre 
<ju'il  trouva  corrigée  et  amendée  de  la  main  de  Ta- 
pcHre.Une  autre  fois,  saint  Léon  passa  quarante  jours 
en  prières  au  tombeau  de  saint  Pierre,  et  le  conjura 
de  lui  obtenir  le  pardon  de  ses  péchés:  saint  Pierre 
lui  apparut  et  lui  dit  :  «  J'ai  prié  pour  vous  le  Sei- 
gneur, et  il  a  pardonné  tous  vos  péchés.  Seulement 
vous  aurez  à  vous  informer  de  ceux  auxquels  vous 
avez  imposé  les  mains,  c'est-à-dire  que  vous  aurez  à 
rendre  compte  si  vous  vous  êtes  bien  ou  mal  acquitté 
de  cette  fonction  envers  autrui*.  »  Il  mourut  vers  Tan 
du  Seigneur  460. 


SAINT  PIERRE,  APOTRE** 

Pierre  eut  trois  noms  :  il  s'appela  \'  Simon  Barjona.  Siirion 
veut  (lire  obéissant^  ou  se  ih'vant  n  la  tristesse,  Barjona, /î/s  de 
colombe^  en  syrien  bar  veut  dire  fils,  el  en  hébreu,  Jona  sii^nifie 

"'  Sophone,  ch.  cxlix. 
'^*  La  ])lupart  des  faits  qui  ont  rapport  à  saint  Pierre  et  que 
si  Gênaient  les  livres  saints  sont  eonsitj^nés  iei.  Le  reste  est  tiré 
d'un  livre  connu  sous  le  nom  iV Itinéraire  de  saint  Clément^  re- 
t^irdc  comme  apocryphe,  mais  cité  par  un  çrand  nombre 
d'auteurs  des  [)remiers  siècles. 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  173 

colombe.  En  effet,  il  fut  obéissant;  quand  J.-C,  l'appela,  il 
obéit  au  premier  mot  d*ordredu  Seigneur  :  il  se  livra  à  la  tris- 
tesse quand  il  renia  J.-C.  «  Il  sortit  dehors  et  pleura  amère- 
ment. •  Il  fut  fils  de  colombe  parce  qu'il  servit  Dieu  avec 
simplicité  d'intention.  2'>  Il  fut  appelé  Céphas,  qui  signifie 
chef  ou  pietTe,  ou  blâmant  de  bouche:  chef,  en  raison  qu'il  eut 
la  primauté  dans  la  prélature;  pierre,  en  raison  de  la  fermeté 
dont  il  fit  preuve  dans  sa  passion  ;  blâmant  de  bouche,  en  raison 
de  la  constance  de  sa  prédication.  3**  Il  fut  appelé  Pierre,  qui 
veut  dire  connaissantf  déchaussant,  déliant  :  parce  qu'il  connut 
la  divinité  de  J.-C.  quand  il  dit  :  «  Vous  êtes  le  Christ,  le  Fils 
du  Dieu  vivant  n  ;  il  se  dépouilla  de  toute  affection  pour  les 
siensy  comme  de  toute  œuvre  morte  et  terrestre,  lorsqu'il  dit: 
«  Voilà  que  nous  avons  tout  quitté  pour  vous  suivre  »  ;  il 
nous  délia  des  chaînes  du  péché  par  les  clefs  ([u'il  reçut  du 
Seigneur.  Il  eut  aussi  trois  surnoms  :  i»  on  l'appela  Simon 
Johanna,  qui  veut  dire  beauté  du  Seigneur;^^  Simon,  fils  de 
Jean,  qui  veut  dire  à  qui  il  a  été  donné  ;  3®  Simon  Barjona,  qui 
veut  dire  fils  de  colombe.  Par  ces  différents  surnoms  on  doit 
entendre  qu'il  posséda  la  beauté  de  mœurs,  les  dons  des  ver- 
tus, l'abondance  des  larmes,  car  la  colombe  gémit  au  lieu  de 
chanter.  Quant  au  nom  de  Pierre,  ce  fut  J.-C.  qui  permit  qu'on 
le  lui  donnât  puisqu'il  dit  (Jean,  i)  :  «  Vous  vous  appellerez 
Géphas,  qui  veut  dire  Pierre.  »  t^  Ce  fut  encore  J.-C.  qui  le  lui 
donna  après  le  lui  avoir  promis,  selon  (|u'il  est  dit  dans  saint 
Marc  (m):  «  Et  il  donna  à  Simon  le  nom  de  Pierre.  »  S"  Ce  fut 
J.-C.  qui  le  lui  confirma,  puisqu'il  ditdans  saint  Mathieu  (xvi)  : 
«  Et  moi  je  vous  dis  que  vous  êtes  Pierre  et  sur  cette  pierre 
je  bâtirai  mon  église.  »>  Son  martyre  fut  écrit  par  saint  Marcel, 
par  saint  Lin,  pape,  par  Hégésippe  et  par  le  pape  Léon. 

Saint  Pierre,  fut  celui  de  tous  les  apôtres  qui  eut 
]a  plus  grande  ferveur:  car  il  voulut  connaître  celui 
qui  trahissait  le  Seigneur,  en  sorte  que  s'il  l'eiHconnu, 
dit  saint  Augustin,  il  l'eût  déchiré  avec  les  dents  :  et 
c'est  pour  cela  que  le  Seigneur  ne  voulait  pas  révéler 
le  nom  de  ce  traître.  Saint  Chrysostome  dit  aussi  qui» 


174  LA   LÉGENDE    DORÉE 

si  J.-C.  avait  prononcé  son  nom,  Pierre  aussitôt  se 
sérail  levé  et  l'aurait  massacré  sur  l'heure.  Il  marcha 
sur  la  mer  pour  aller  au-devant  du  Seigneur  ;  il  fut 
choisi  pour  être  le  témoin  de  la  Transfiguration  de  son 
maître  et  pour  assistera  la  résurrection  de  la  fille  de 
Jaîrc;  il  trouva,  dans  la  bouche  du  poisson,  la  pièce 
d'argent  de  quatre  dragmes  pour  le  tribut  ;  il  reçut 
du  Seigneur  les  clefs  du  royaume  des  cieux;  il  eut  la 
commission  de  faire  paître  les  brebis  ;  au  jour  de  la 
Pentecôte,  par  sa  prédication,  il  convertit  trois  mille 
hommes  ;  il  prédit  la  mort  d'Ananie  et  de  Saphire  ; 
il  guérit  Enée  de  sa  paralysie  ;  il  baptisa  Corneille  ;  il 
ressuscita  Tabithe  ;  il  rendit  la  santé  aux  infirmes  par 
l'ombre  de  son  corps  ;  mis  en  prison  par  Hérode,  il 
fut  délivré  par  un  ange.  Pour  sa  nourriture  et  son  vê- 
tement, il  nous  témoigne  lui-même  quels  ils  furent, 
au  livre  de  saint  Clément:  «  Je  ne  me  nourris,  dit-il, 
que  de  pain  avec  des  olives  et  raremen  t  avec  des  lé- 
gumes ;  quant  à  mon  vêtement,  vous  le  voyez,  c'est  une 
tunique  et  un  manteau,  et  avec  cela  je  ne  demande  rien 
autre  chose.  »  On  rapporte  aussi  qu'il  portait  toujours 
dans  son  sein  un  suaire  pour  essuyer  les  larmes  qu'il 
versait  fréquemment  ;  car  quand  la  douce  allocution 
du  Seigneur  et  la  présence  de  Dieu  lui  venaient  à  la 
mémoire,  il  ne  pouvait  retenir  ses  pleurs,  tant  était 
grande  la  tendresse  de  son  amour.  Mais  quand  il  se 
rappelait  la  faute  qu'il  commit  en  reniant  J.-C.,  il  ré- 
[)andait  des  torrents  de  larmes  :  il  en  contracta  telle- 
ment l'habitude  de  pleurer,  que  sa  figure  paraissait 
(ouïe  bnllée,  selon  l'expression  de  saint  Clément.  Le 
même  saint  rapporte  qu'en  entendant  le  chant  du  coq. 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  175 

saint  Pierre  avait  coutume  de  se  lever  pour  faire  orai- 
son et  de  pleurer  abondamment.  Saint  Clément  dit 
encore,  comme  on  le  trouve  dans  VHisloire  ecclésias- 
tique *j  que  lorsqu'on  menait  au  martyre  la  femme  de 
saint  Pierre,celui-ci  tressaillit  d'une  extraordinaire  joie, 
et  l'appelant  par  son  propre  nom,  il  lui  cria  :  «  O  ma 
femme,  souvenez-vous  du  Seigneur.  »  Une  fois,  saint 
Pierre  avait  envoyé  deux  de  ses  disciples  prêcher;  après 
avoir  cheminé  pendant  vingt  jours,  Tun  d'eux  mounit, 
et  l'autre  revint  trouver  saint  Pierre,  et  lui  raconter 
Taccident  qui  était  .arrivé  (on  dît  que  ce  fut  saint  Mar- 
tial, ou  selon  quelques  autres,  saint  Materne.  On  lit 
ailleurs  que  le  premier  fut  saint  Front,  et  que  son  com- 
pagnon, celui  qui  était  mort,  c'est-à-dire  le  second,  fui 
le  prêtre  Georges).  Alors  saint  Pierre  lui  donna  son 
bâton  avec  ordre  d'aller  retrouver  son  compagnon  et 
de  poser  ce  bâton  sur  le  cadavre.  Quand  il  l'eut  fait,  ce 
mort  de  quarante  jours  se  leva  tout  vivant**. 

En  ce  temps-là,  il  se  trouvait  à  Jérusalem  un  magi- 
cien, nommé  Simon,  qui  se  disait  être  la  première  véri- 
té; il  avançait  que  ceux  qui  croyaient  en  lui  devenaient 
immortels  ;  enfin  il  prétendait  que  rien  ne  lui  était  im- 
possible. On  lit  aussi,  dans  le  livre  de  saint  Clément, 
que  Simon  avait  dit  :  «  Je  serai  adoré  comme  un  Dieu  ; 
on  me  rendra  publiquement  les  honneurs  divins,  et 
tout  ce  que  j'aurai  voulu  faire,  je  le  pourrai.  Un  jour 
que  ma    mère  Rachel    m'ordonnait  d'aller   dans  les 

•  Eusèbe,  lib.  III,  c.   xxx  ;  —  Clément  d*Alexand.,  I.  VÏI. 
Ses  paroles  à  sa  femme  qu'on  menait  au  martyre. 

*•  Harigarus,  c.  vi  ;  —  Orton  de  Friocesque,  Chronù/uey  lïl, 
XV  ;  —  Pierre  de  Cluny,  Contre  iex  Petrobnisiens. 


176  Lv  lk(;ende  dorék 

champs  pour  faire  la  moisson,  je  vîs  une  faux  parterre 
à  laquelle  je  commandai  de  faucher  d'elle-même  :  et 
elle  faucha  dix  fois  plus  que  les  autres  moissonneurs.  » 
II  ajouta,  d'après  saint  Jérôme  :  «  Je  suis  la  parole  de 
Dieu  ;  je  suis  beau,  je  suis  le  paraclet,  je  suis  tout-puis- 
sant, je  suis  le  tout  de  Dieu.  »  Il  faisait  aussi  mouvoir 
des  serpents  d'airain  ;  rire  des  statues  de  bronze  ou 
de  pierre,  et  chanter  des  chiens.  Simon  donc,  comme 
le  dit  saint  Lin,  voulant  discuter  avec  saint  Pierre  et 
montrer  qu'il  était  Dieu,  saint  Pierre  vint  le  jour  in- 
diqué, au  lieu  de  la  conférence,  et  dit  aux  assistants  : 
«  La  paix  soit  avec  vous,  mes  frères,  qui  aimez  la  vé- 
rité. ))  Simon  lui  dit  :  «  Nous  n'avons  pas  besoin  de  la 
paix,  nous:  car  si  la  paix  et  la  concorde  existentiel, 
nous  ne  pourrons  parvenir  à  trouver  la  vérité  :  ce  sont 
les  larrons  qui  ont  la  paix  entre  eux  ;  n'invoque  donc 
pas  la  paix,  mais  la  lutte  :  entre  deux  champions  il  y 
aura  paix,  quand  l'un  aura  été  supérieur  à  l'autre.  » 
Et  Pierre  répondit  :  «  Qu'as-tu  à  craindre  d'entendre 
parler  de  paix  ?  C'est  du  péché  que  naît  la  guerre,  et 
là  on  n'existe  pas   le  péché,  règne  la  paix.  On  trouve 
In  vérité  dans  les  discussions  et  la  justice  dans  les  œu- 
vres. »  El  Simon  reprit  :  «  Ce  que  lu  avances  n'a  pas 
de  valeur,  mais  je  le  montrerai  la  puissance  de  ma  di- 
vinité afin  que  tu    m'adores  aussitôt.  Je  suis  la  pre- 
mière vertu  et  je  puis  voler  par  les  airs,  créer  de  nou- 
veaux arbres,  changer  les  pierres  en  pain,  rester  dans 
le  feu  sans  en  être  endommagé  et  tout  ce  que  je  veux, 
je  le  puis  faire.  »  Saint  Pierre  donc  discutait  contre 
lui   et   découvrait    tous  ses    maléfices.  Alors  Simon, 
voyant  qu'il  ne  pouvait  résister  au  saint  apôtre,  jeta 


SAINT   PIERRE,    APOTRE  177 

dans  la  mer  tous  ses  livres  de  magie,  de  crainte  d'ê- 
tre dénoncé  comme  magicien  ;  et  alla  à  Rome  afin  de 
s'y  faire  passer  pour  Dieu.  Aussitôt  que  saint  Pierre 
eut  découvert  cela,  il  le  suivit  et  partit  pour  Rome. 

La  quatrième  année  de  l'empire  de  Claude,  saint 
Pierre  arriva  à  Rome,  où  il  resta  vingt-cinq  ans.  Et 
il  ordonna  évéques  Lin  et  Clet,  pour  être  ses  coadju- 
teurs,  Fun,  comme  le  rapporte  Jean  Beleth  *,  dans  l'in- 
térieur de  la  ville,  l'autre  dans  la  partie  qui  était  hors 
des  murs.  En  se  livrant  avec  grand  zèle  à  la  prédica- 
tion,  il  convertissait  beaucoup  de  monde  à  la  foi,  et 
guérissait  la  plupart  des  infirmes.  Et  comme  dans  ses 
discours  il  louait  et  recommandait  toujours  de  préfé- 
rence la  chasteté,  il  convertit  les  quatre  concubines 
d' Agrippa  qui  se  refusèrent  à  retourner  davantage  au- 
près de  ce  gouverneur.  Alors  celui-ci  entra  en  fureur 
et  il  cherchait  l'occasion  de  nuire  à  l'Apôtre.  Ensuite 
le  Seigneur  apparut  à  saint  Pierre  et  lui  dit  :  «  Simon 
et  Néron  forment  des  projets  contre  ta  personne  ;  mais 
ne  crains  rien,  car  je  suis  avec  toi  pour  te  délivrer, 
et  je  te  donnerai  la  consolation  d'avoir  auprès  de  toi 
mon  serviteur  Paul  qui  demain  entrera  dans  Rome.  » 
Or,  saint  Pierre,  sachant,  comme  le  dit  saint  Lin,  que 
dans  peu  de  temps  il  devait  quitter  sa  tente,  dansl'as- 
semblée  des  frères,  il  prit  la  main  de  saint  Clément, 
l'ordonna  évêque  et  le  força  à  siéger  en  sa  place  dans 
sa  chaire.  Après  cela  Paul  arriva  à  Rome,  ainsi  que  le 
Seigneur  l'avait  prédit,  et  commença  à  prêcher  J.-C. 
avec^aint  Pierre.  Or,  Néron  avait  un  tel  attacliement 

•  Cap.  cxxxviii. 

II.  12 


178  LA  LÉGENDE    DORÉE 

pour  Simon  qu'il  le  pensait  certaînenrïent  être  le  gar- 
dien de  sa  vie,  son  salut,  et  celui  de  toute  la  ville.  Un 
jour  donc,  devant  Néron  (c'est  ce  qu'en  dit  saint  Léon, 
pape),  sa  fij^urc  changeait  subitement,  et  il  paraissait 
tantôt  plus  vieux  et  tantôt  plus  jeune.  Néron,  qui 
voyait  cela,  le  regardait  comme  étant  vraiment  le  fils 
de  Dieu.  C'est  pourquoi  Simon  le  magicien  dit  à  Né- 
ron, toujours  d'après  saint  Léon  :  «  Afin  que  tu  saches, 
illustre  empereur,  que  je  suis  le  fils  de  Dieu,  fais-moi 
décapiter  et  trois  jours  après  je  ressusciterai.  »  Néron 
ordonna  donc  au  bourreau  qu'il  eût  à  décapiter  Simon. 
Or,  le  bourreau,  en  croyant  couper  la  tète  à  Simon, 
coupa  celle  d'un  bélier  :  grâce  à  la  magie, Simon  échappa 
sain  et  entier,  et  ramassant  les  membres  du  bélier  il 
les  cacha  ;  puis  il  se  cacha  pendant  trois  jours  :  or,  le 
sang  du  bélier  resta  coagulé  dans  la  même  place.  El 
le  troisième  jour  Simon  se  montra  à  Néron  et  lui  dit  : 
«  Fais  essuyer  mon  sang  qui  a  été  répandu  ;  car  me 
voici  ressuscité  trois  jours  après  que  j'ai  été  décollé, 
comme  je  l'avais  promis.  »  En  le  voyant  Néron  fut 
stupéfait  et  le  regarda  comme  le  vrai  fils  de  Dieu.  Un 
jour  encore  qu'il  était  dans  une  chambre  avec  Néron, 
le  démon  qui  avait  pris  sa  forme  parlait  au  peuple  de- 
hors :  enfin  les  Romains  l'avaient  en  si  grande  véné- 
ration qu'ils  lui  élevèrent  une  statue  sur  laquelle  ils 
mirent  cette  inscription  :  Simoni  Deo  sancto*,  A  Si- 
mon le  Dieu  saint. 

Saint  Pierre  et  saint  Paul,  au  témoignage  de  saint 
Léon,  allèrent  chez  Néron  et  dévoilèrent  tous  les  ma- 

■   N'ovez  Kiisrhc,  lib.  II,  c.  xiii,  ol  Tillcmont,  l.  Il,  p.  482, 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  171) 

léfîces  de  Simon,  et  saint  Pierre  ajouta  que,  de  même 
qu'il  y  a  en  J.-C.  deux  substances,  savoir  :  celle  de 
Dieu  et  celle  de  Thomme,  de  même  en  ce  magicien, 
se  trouvaient  deux  substances,  celle  de  l'homme  et 
celle  du  diable. 

Or,   Simon  dit,  d'après  le  récit  de  Marcel  et  de 
saint  Léon*  :  «  Je  ne  souffrirai  pas  plus  longtemps 
cet  ennemi  ;   je   commanderai  à  mes  anges  de  me 
venger  de  cet  homme.  »  Pierre  lui  répondit  :  «  Tes 
anges,  je  ne  les  crains  point,  mais  ce  sont  eux  qui  me 
craignent.  »  Néron  ajouta  :  «  Tu  ne  crains  pas  Simon 
qui  prouve  sa  divinité  par  ses  œuvres?  »  Pierre  lui 
répondit  :  «  Si  la  divinité  existe  en  lui,  qu'il  me  dise 
en  ce  moment  ce  que  je  pense  ou  ce  que  je  fais  :  je 
vais  d'avance  te  dire  tout  bas  à  l'oreille  quelle  est  ma 
pensée   pour  qu'il   n'ait   pas   l'audace  de   mentir.    » 
«  Approche-loi,   reprît  Néron,  et  dis-moi  ce  que  tu 
penses.  »  Or,  Pierre  s'approchant  dit  à  Néron  tout  bas  : 
H  Ordonne  qu'on  m'apporte  un  pain  d'orge  et  qu'on 
me  le  donne  en  cachette.  »  Or,  quand  on  le  lui  eut  a[)- 
porté,  Pierre  le  bénit  et  le  mit  dans  sa  manche,  et  dit 
ensuite  :  «  Que  Simon,  qui  s'est  fait  Dieu,  dise  ce  que 
j'ai  pensé,  ce  que  j'ai  dit,  ou  ce  qui  s'est  fait.  »  Simon 
répondit  :  «  Que  Pierre  dise  plutôt  ce  que  je  pense  moi- 
même.  »  Et  Pierre  dit  :  «  Ce  que  pense  Simon,  je  prou- 
verai que  je  le  sais,  pourvu  que  je  fasse  ce  à  quoi  il  a 
pensé.  »  Alors  Simon  en  colère  s'écria  :  «  Qu'il  vienne 
de  grands  chiens  et  qu'ils  te  dévorent.  »  Tout  à  coup 
apparurent  de  très  grands  chiens  qui  se  jetèrent  sur 

*  Sigebert  de  Gcmblours,  Trilhènie,CoDrad  Gessner. 


180  LA   LÉGENDE    DOREE 

saint  Pierre  :  mais  celui-ci  leur  présenta  le  pain  bénit, 
et  à  l'instant,  il  les  mit  en  fuite.  Alors  saint  Pierre  dît 
à  Néron  :  «  Tu  le  vois,  je  t'ai  montré  que  je  savais  ce 
que  Simon  méditait  contre  moi,  et  ce  ne  fut  point  par 
des  paroles,  mais  par  des  actes  :  Car  celui  qui  avait 
promis  qu'il  viendrait  des  anges  contre  moi,  a  fait  venir 
<les  chiens,  afin  de  faire  voir  que  les  anges  de  Dieu, 
ne  sont  autres  que  des  chiens.  »  Simon  dit  alors  : 
w  Écoutez,  Pierre  et  Paul  ;  si  je  ne  puis  vous  rien  faire 
ici,  nous  irons  où  il  faut  que  je  vous  juge;  mais  pour 
le  moment,  je  veux  bien  vous  épargner.  » 

Alors,  selon  que  le  rapportent  Hégésippc  et  saint 
Lin,  Simon,  enflé  d'orgueil,  osa  se  vanter  de  pouvoir 
ressusciter  des  morts  ;  et  il  arriva  qu'un  jeune  homme 
mourut.  On  appela  donc  Pierre  et  Simon  et  de  Tavis 
de  Simon  on  convint  unanimement  que  celui-là  serait 
tué  qui  ne  pourrait  ressusciter  le  mort.  Or,  pendant 
que  Simon  faisait  ses  enchantements  sur  le  cadavre, 
il  sembla  aux  assistants  que  la  tète  du  défunt  s'agi- 
tait. Alors  tous  se  mirent  à  crier  en  voulant  lapider 
saint  Pierre.  Le  saint  apôtre  put  à  peine  obtenir  le  si- 
lence qu'il  réclama  :  ((  Si  le  mort  est  vivant,  dit-il,  qu'il 
se  lève,  qu'il  se  promène,  qu'il  parle  :  s'il  en  est  autre- 
ment, sachez  que  l'action  d'agiter  la  tête  du  cadavre 
est  de  la  fantasmagorie.  Qu'on  éloigne  Simon  du  lit 
alin  que  les  ruses  du  diable  soient  pleinement  mises  à 
nu.  »  On  éloigne  donc  Simon  du  lit,  et  l'enfant  resta 
inmiobile.  Alors  saint  Pierre,  se  tenant  éloigné,  fit  une 
prière,  puis  élevant  la  voix  :  <(  Jeune  homme,  s'é- 
(  ria-t-il,  au  nom  de  Jésus  de  Nazareth  qui  a  été  cru- 
cifié, lève-loi  et  marche.  »  El  à  l'instant  il  se  leva  en 


SAINT    FIERHE,    APOTRE  181 

vie  et  marcha.  Comme  le  peuple  voulait  lapider  Simon 
saint  Pierre  dit  :  «  II  est  bien  assez  puni  de  se  recon- 
naître vaincu  dans  ses  artifices;  or,  notre  maître  nous 
a  enseigné  à  rendre  le  bien  pour  le  mal.  »  Alors  Simon 
dit  :  «  Sachez,  vous,  Pierre  et  Paul,  que  vous  n'obtien- 
drez rien  de  ce  que  vous  désirez  ;  car  je  ne  daignerai 
pas  vous  faire  gagner  la  couronne  du  martyre.  »  Saint 
Pierre  reprit  :  «  Qu'il  nous  arrive  ce  que  nous  dési- 
rons :  mais  à  toi  il  ne  peut  arriver  rien  de  bon,  car 
chacune  de  tes  paroles  est  un  mensonge.  »  Saint  Marcel 
dit  qu'alors  Simon  alla  à  la  maison  de  son  disciple 
Marcel,  cl  qu'il  y  lia  à  la  porte  un  chien  énorme  en 
disant  :  «  Je  verrai  à  présent  si  Pierre,  qui  vient  d'or- 
dinaire chez  toi,  pourra  entrer.  )>  Peu  d'instants  après 
saint  Pierre  arriva,  et  en  faisant  le  signe  de  la  croix,  il 
délia  le  chien.  Or,  ce  chien  se  mit  à  caresser  tout  le 
monde,  et  ne  poursuivait  que  Simon  :  il  le  saisit,  le  ren- 
versa par  terre,  et  il  voulait  l'étrangler,  quand  saint 
Pierre  accourut  et  cria  au  chien  de  ne  point  lui  faire 
de  mal;  or,  cette  bête,  sans  toucher  son  corps,  lui  ar- 
racha tellement  ses  habits  qu'elle  le  laissa  nu  sur  la 
terre.  Alors  le  peuple  et  surtout  les  enfants  coururent 
après  le  chien  en  poursuivant  Simon  jusqu'à  ce  qu'ils 
Feussent  chassé  bien  loin  de  la  ville,  comme  ils  eussent 
fait  d'un  loup.  Simon  ne  pouvant  supporter  la  honte 
de  cet  affront  resta  un  an  sans  reparaître.  Marcel,  en 
vovant  ces  miracles,  s'attacha  désormais  à  saint  Pierre. 
Dans  la  suite,  Simon  revint  et  rentra  de  nouveau  dans 
les  bonnes  grâces  de  Néron.  Simon  donc,  d'après  saint 
Léon,  convoqua  le  peuple,  et  déclara  qu'il  avait  été 
outrageusement   traité   par  les  Galiléens,  et  pour  ce 
II.  12- 


182  LA    LÉGENDE  DOREE 

motif^  il  dit  vouloir  quitter  cette  ville  qu'il  avait  cou- 
tume de  protéger  ;  qu'il  fixerait  un  jour  où  il  monte- 
rait au  ciel,  car  il  ne  daignait  plus  rester  davantage 
sur  la  terre.  Au  jour  fixé,  il  monta  donc  sur  une  tour 
élevée,  ou  bien,  d'après  saint  Lin,  il  monta  au  Capitole 
et,  couvert  de  laurier,  il  se  jeta  en  l'air  et  se  mit  à  vo- 
ler. Or,  saint  Paul  dit  à  saint  Pierre  :  «  C'est  à  moi  de 
prier  et  à  vous  de  commander.  »  Néron  dit  alors  :  «  Gel 
homme  est  sincère,  et  vous  n'êtes  que  des  séducteurs.  » 
Or,  saint  Pierre  dit  à  saint  Paul  :  «  Paul,  levez  la  tête 
et  voyez.  »  Et  quand  Paul  eut  levé  la  tête  et  qu'il  eut 
vu  Simon  dans  les  airs,  il  dit  à  Pierre  :  «  Pierre,  que 
tardez-vous?  achevez  ce  que  vous  avez  commencé  : 
déjà  le  Seigneur  nous  appelle.  »  Alors  saint  Pierre  dit: 
«  Je  vous  adjure.  Anges  de  Satan,  qui  le  soutenez  dans 
les  airs,  par  N.-S.  J.-C,  ne  le  portez  plus  davantage, 
mais  laissez-le  tomber.  »  A  l'instant  il  fut  lâché,  tomba , 
se  brisa  la  cervelle,  et  expira  *.  Néron,  à  cette  nou- 
velle, fut  très  fâché  d'avoir  perdu,  quant  à  lui,  un  pa- 
reil homme  et  il  dît  aux  apôtres  :  «  Vous  vous  êtes 
rendus  suspects  envers  moi  ;  aussi  vous  punirai-je 
d'une  manière  exemplaire.  »  Il  les  remit  donc  entre 
les  mains  d'un  personnage  très  illustre,  appelé  Paulin, 
qui  les  fil  enfermer  dans  la  prison  Mamertine  sous  la 
ijarde  de  Processus  et  de  Martinien,  soldats  que  saint 
Pierre  convertit  à  la  foi  :  ils  ouvrirent  la  prison  et  lais- 
sèrent aller  les  apôtres  en  liberté.  C'est  pour  cela  que, 

*  Ce  fait  (le  la  chute  et  de  la  mort  de  Simon  le  magicien 
est  constaté  par  les  Constifutions  apostoliques  d'Arnobc,  par 
saint  Cyrille  de  Jérusalem,  saint  Ambroise,  saint  Augustin, 
Isidore  de  Peluse,  Théodorat,  Maxime  de  Turin,  etc. 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  183 

après  le  nftarlyrfedes  apôtres,  Paulin  manda  Processus 
et  Marlinien,  et  quand  il  eut  découvert  qu'ils  étaient 
chrétiens,  on  leur  trancha  la  tête  par  ordre  de  Néron. 
Or,  les  frères  pressaient  Pierre  de  s'en  aller,  et  il  ne  le 
fil  qu'après  avoir  été  vaincu  par  leurs  instances.  Saint 
Léon  et  saint  Lin  assurent  qu'arrivé  à  la  porte  où 
est  aujourd'hui  Sainte-Marie  ad  passus  *,  Pierre  vit 
J.-C.  venant  à  sa  rencontre,  et  il  lui  dit  :  «  Seigneur, 
où  allez-vous?  »  J.-C;  répondit  :  «  Je  viens  à  Rome  pour 
V  être  crucifié  encore  une  fois.  »  «  Vous  seriez  crucifié 
encore  une  fois,  répartit  saint  Pierre.  »  «  Oui,  lui  ré- 
pondit le  Seigneur.  »  Alors  Pierre  lui  dit  :  «  Seigneur, 
je  retournerai  donc,  pour  être  crucifié  avec  vous.  »  Et 
après  ces  paroles,  le  Seigneur  monta  au  ciel  à  la  vue 
de  Pierre  qui  pleurait.  Quand  il  comprit  que  c'était  de 
son  martyre  à  lui-même  que  le  Sauveur  avait  voulu 
parler,  il  revint,  et  raconta  aux  frères  ce  qui  venait 
d*arriver.  Alors  il  fut  pris  par  les  officiers  de  Néron  et 
mené  au  préfet  Agrippa.  Saint  Lin  dit  que  sa  figure 
devînt  comme  un  soleil.  Agrippa  lui  dit  :  «  Es-tu  donc 
celui  qui  se  glorifie  dans  les  assemblées  où  ne  se  trou- 
vent que  la  populace  et  de  pauvres  femmes  que  tu  éloi- 
gnes du  lit  de  leurs  maris?  »  L'apôtre  le  reprit  en  di- 
sant qu'il  ne  se  glorifiait  que  dans  la  croix  du  Seigneur. 
Alors  Pierre,  en  qualité  d'étranger,  fut  condamné  a 

*  Origène  sur  saint  Jean,  saint  Ambroîsc,  sermon  08,  saint 
Grégoire  le  Grand,  sur  le  Psaume  ci. 

Celle  église  existe  encore  sur  la  voie  Appiennc  et  est  conniio 
sous  le  nom  Domine  quo  vadis. 

Hetychius,  De  excidio  HievosoL  ;  saint  Athanase,  De  faya  sua; 
Innocent  III,  Pierre  de  Blois. 


184  LA    LÉGENDE    DOREE 

élre  crucifié,  mais  Paul,  en  sa  qualité  de  citoyen  ro- 
main, fut  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée. 

A  l'occasion  de  cette  sentence,  Denys  en  son  épître 
à  Timothée  parle  ainsi  de  la  mort  de  saint  Paul  :  «  O 
mon  frère  Timothée,  si  tu  avais  assisté  aux  derniers 
moments  de  ces  martvrs,  tu  aurais  défailli  de  tristesse 
et  de  douleur. Qui  est-ce  qui  n'aurait  pas  pleuréquand 
fut  rendue  la  sentence  qui  condamnait  Pierre  à  être 
crucifié  et  Paul  à  être  décapité  ?  Tu  aurais  alors  vu  la 
foule  des  çentils  et  des  Juifs  les  frapper  et  leur  cracher 
au  visage.  »  Or,  arrivé  l'instant  où  ils  devaient  consom- 
mer leur  affreux  martyre,  on  les  sépara  l'un  de  l'autre 
et  on  lia  ces  colonnes  du  monde,  non  sans  que  les 
frères  fissent  entendre  des  gémissements  et  des  san- 
glots. Alors  Paul  dit  à  Pierre  :  «  La  paix  soit  avec  vous, 
fondement  des  églises,  pasteur  des  brebis  et  des 
agneaux  de  J.-C.  »  Pierre  dit  à  Paul  :  «  Allez  en  paix, 
prédicateur  des  bonnes  mœurs,  médiateur  et  guide 
du  salut  des  justes.  »  Or,  quand  on  les  eut  éloignés 
l'un  de  l'autre,  je  suivis  mon  maître;  car  on  ne  les 
tua  point  dans  le  même  quartier  (saint  Denys).  Quand 
saint  Pierre  fut  arrivé  à  la  croix,  saint  Léon  et  Mar- 
cel rapportent  qu'il  dit  :  «  Puisque  mon  maître  est 
descendu  du  ciel  en  terre,  il  fut  élevé  debout  sur  lia 
croix  ;  pour  moi  qu'il  daigne  appeler  de  la  terre  au 
ciel,  ma  croix  doit  montrer  ma  tête  sur  la  terre  et  di- 
riger mes  pieds  vers  le  ciel.  Donc,  parce  que  je  ne 
suis  pas  digne  d'cHre  sur  la  croix  de  la  même  manière 
que  mon  Seigneur,  retournez  ma  croix  et  crucifiez-moi 
la  tête  en  bas.  »  Alors  on  retourna  la  croix  et  on  l'at- 
tacha les  pieds  en  haut  et  les  mains  en  bas.  Mais,  en 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  185 

ce  moment,  le  peuple  rempli  de  fureur  voulait  tuer 
Néron  el  le  gouverneur,  ensuite  délivrer  Tapôtre  qui 
les  priait  de  ne  point  empêcher  qu'on  le  martyrisât. 
Mais  le  Seigneur,  ainsi  que  le  disent  Hégésippe  et  Lin, 
leur  ouvrit  les  yeux,  et  comme  ils  pleuraient,  ils  virent 
des  anges  avec  des  couronnes  composées  de  fleurs  de 
roses  et  de  lys,  et  Pierre  au  milieu  d'eux  sur  la  croix 
recevant  un  livre  que  lui  présentait  J.-C,  et  dans  le- 
quel  il  lisait  les  paroles  qu'il  proférait.  Alors  saint 
Pierre,  au  témoignage  du  même  Hégésippe,  se  mit  à 
dire  sur  la  croix  :  «  C'est  vous.   Seigneur,  que  j'ai 
souhaité  d'imiter  ;  mais  je  n'ai  pas  eu  la  présomption 
d'être  crucifié  droit:  c'est  vous  qui  êtes  toujours  droit, 
élevé  et  haut  ;   nous  sommes  les  enfants  du  premier 
homme  qui  a  enfoncé  sa  tête  dans  la  terre,  et  dont  la 
chute  indique  la  manière  avec  laquelle  l'homme  vient 
au  monde  ;  nous  naissons  en  effet  de  telle  sorte  que 
nous  paraissons  être  répandus  sur  la  terre.  Notre  con- 
dition a  été  renversée,  el  ce  que  le  monde  croit  être  à 
droite  est  certainement  à  gauche.  Vous,  Seigneur,  vous 
me  tenez  lieu  de  tout  ;  tout  ce  que  vous  êtes,  vous 
Têtes  pour  moi,  et  il  ny  a  rien  autre  que  vous  seul. 
Je  vous  rends  grâce  de  toute  mon  âme  par  laquelle  jo 
vis,  par  laquelle  j'ai  l'intelligence  et  par  laquelle  je 
parle.  »  On  connaît  par  là  deux  autres  motifs  pour  les- 
quels il  ne  voulut  pas  être  crucifié  droit.  Et  saint  Pierre 
voyant  que  les  fidèles  avaient  été  témoins  de  sa  gloire, 
rendit  grâces  à  Dieu,  lui  recommanda  les  chrétiens  el 
rendit  l'esprit.  Alors  Marcel   el    Apulée  qui  étaient 
frères,  disciples  de  saint  Pierre,  le  descendirent  de  la 
croix  et  l'ensevelirent  en  Tembaumanl  avec  divers  aro- 


186  LA    LÉGENDE    DOREE 

mates.  Isidore  dans  son  livre  deja  Naissance  et  de  la 
Mort  des  Saints  s'exprime  ainsi  :  «  Pierre  après  avoir 
fondé  l'église  d'Antioche,  vint  à  Rome,  sous  l'empe- 
reur Claude,  pour  confondre  Simon  ;  il  prêcha  l'Evan- 
gile pendant  vingt-cinq  ans  en  cette  ville  dont  il  occupa 
le  siège  pontifical^  et  la  trente-sixième  année  après  la 
Passion  du  Seigneur,  il  fut  crucifié  par  Néron,  la  télé 
en  bas,  ainsi  qu'il  l'avait  voulu.  Or,  ce  jour-là  même, 
saint  Pierre  et  saint  Paul  apparurent  à  Denys,  selon 
qu'il  le  rapporte  en  ces  termes  dans  la  lettre  citée  plus 
haut  :  «  Ecoute  le  miracle,  Timothée,  mon  frère,  vois 
le  prodige,  arrivé  au  jour  de  leur  supplice  :  car  j'étais 
présent  au  moment  de  leur   séparation.  Après  leur 
mort,  je  les  ai  vus,  se  tenant  par  la  main  l'un  et  l'autre, 
entrer  par  les  portes  de  la  ville,  revêtus  d'habits  de 
lumière,  ornés  de  couronnes  de  clarté  et  de  splendeur.  » 
Néron  ne  demeura  pas  impuni   pour  ce  crime  et 
bien  d'autres  encore  qu'il  commit  ;  car  il  se  tua  de  sa 
propre  main.  Nous  allons  rapporter  ici  en  peu    de 
mots   quelques-uns  de  ses  forfaits.  On  lit  dans  une 
histoire  apocryphe,  toutefois,  que  Sénèque,  son  précep- 
teur, espérait  recevoir  de   lui   une  récompense  digne 
(le  son  labeur  ;   et    Néron    lui   donna   à   choisir  la 
branche  de  l'arbre  sur  laquelle  il  préférait  être  pendu, 
en  lui  disant  que  c'était  là  la  récompense  qu'il  en  de- 
vait recevoir.  Or,  comme  Sénèque  lui   demandait   à 
quel  titre  il  avait  mérité  ce  genre  de  supplice,  Néron 
fit  vibrer  plusieurs  fois  la  pointe  d'une  épée  au-dessus 
de  Sénèque  qui   baissait  la  tè(e   pour  échapper  aux 
coups  dont  il   était  menacé  ;  car   il   ne  voyait  point 
sans  effroi  le  moment  où  il  allait  recevoir  la  mort.  El 


SAINT    PIERRE^    APOTRE  187 

Néron  lui  dit  :   «   Maître,  pourquoi  baisses-tu  la  tête 
sous  Tépée  dont  je  te  menace?  »  Sénèque  lui  répon- 
dit :  «   Je  suis  homme,  et  voilà  pourquoi  je  redoute 
la  mort,  d'autant  que  je  meurs  malgré  moi.  »  Néron 
lui  dit  :  «  Je  te  crains  encore  comme  je  le  faisais  alors 
que  j'étais  enfant  :  c'est  pourquoi  tant  que  tu  vivras 
je  ne  pourrai  vivre  tranquille.  »  Et  Sénèque  lui  dit  : 
«  S'il  est  nécessaire  que  je  meure,  accordez-moi  au 
moins  de  choisir  le  genre  de  mort  que  j'aurais  voulu.  » 
«  Choisis  vite,  répondit  Néron,  et  ne  tarde  pas  à  mou- 
rir. »   Alors  Sénèque  fit  préparer  un  bain  où  il  se  fit 
ouvrir  les  veines  de  chaque  bras  et  il  finit  ainsi  sa  vie 
épuisé  de  sang.  Son  nom   de  Sénèque  fut  pour  lui 
comme  un  présage,  se  necans^  qui  se  tue  soi-même  :  car 
ce  fut  lui  qui  en  quelque  sorte  se  donna  la  mort,  bien 
qu'il  y  eût  été  forcé.  On  lit  que  ce  même  Sénèque  eut 
deux  frères  :  le  premier  fut  Julien  Gallio,  orateur 
illustre  qui  se  tua  de  sa  propre  main;  le  second  fut 
Mêla,  père  du  poète  Lucain  ;  lequel  Lucain  mourut 
après  avoir  eu  les  veines  ouvertes  par  Tordre  de  Néron, 
d'après  ce  qu'on  lit.  On  voit,  dans  la  même  histoire 
apocryphe,  que  Néron,  poussé  par  un  transport  infâme  ; 
fit  tuer  sa  mère  et  la  fit  partager  en  deux  pour  voir 
comment  il  était  entretenu  dans  son  sein.  Les  médecins 
lui    adressaient    des  remontrances   par    rapport   au 
meurtre  de  sa  mère  et  lui  disaient  :  «  Les  lois  s'opposent 
et  l'équité  défend  qu'un  fils  tue  sa  mère  :  elle  t'a  en 
fanté  avec  douleur  et  elle  t'a  élevé  avec  tant  de  labeur 
et  de  sollicitude.  »  Néron  leur  dit  :  a  Faites-moi  conce- 
voir un  enfant  et  accoucher  ensuite,  afin  que  je  puisse 
savoir  quelle  a  été  la  douleur  de  ma  mère.  )>  Il  avait 


188  LA    LÉGENDE    DOREE 

encore  conyu  cette  volonté  d'accoucher  parce  que,  en 
passant  dans  la  ville,  il  avait  entendu  les  cris  d'une 
femme  en  couches.  Les  médecins  lui  répondirent  : 
«  Cela  n'est  pas  possible  ;  c'est  contre  les  lois  de  la 
nature  ;  il  n'y  a  pas  moyen  de  faire  ce  qui  n'est  pas 
d'accord  avec  la  raison.  »  Néron  leur  dit  donc:  «  Si 
vous  ne  me  faites  pas  concevoir  et  enfanter,  je  vous 
ferai  mourir  tous  d'une  manière  cruelle.  »  Alors  les 
médecins,  dans  des  potions  qu'ils  lui  administrèrent, 
lui  firent  avaler  une  grenouille  sans  qu'il  s'en  aper- 
(;0t,  et,  par  artifice,  ils  la  firent  croîlre  dans  son 
ventre  :  bientôt  son  ventre,  qui  ne  pouvait  souffrir  cet 
état  contre  nature,  se  gonfla,  de  sorte  que  Néron  se 
croyait  gros  d'un  enfant  ;  et  les  médecins  lui  faisaient 
observer  un  régime  qu'ils  savaient  être  propre  à  nour- 
rir la  grenouille,  sous  prétexte  qu'il  devait  en  user 
ainsi  en  raison  de  la  conception.  Enfin  tourmenté  par 
une  douleur  intolérable,  il  dit  aux  médecins:  «Hâ- 
tez le  moment  des  couches,  car  c'est  à  peine  si  la 
langueur  où  me  met  l'accouchement  futur  me  donne 
le  pouvoir  de  respirer.  »  Alors  ils  lui  firent  prendre 
une  potion  pour  le  faire  vomir  et  il  rendit  une  gre- 
nouille affreuse  à  voir,  imprégnée  d'humeurs  et  cou- 
verte de  sang.  Et  Néron,  regardant  son  fruit,  en  eut 
horreur  lui-même  et  admira  une  pareille  monstruo- 
sité :  mais  les  médecins  lui  dirent  qu'il  n'avait  produit 
un  fœtus  aussi  difforme  que  parce  qu'il  n'avait  pas 
voulu  attendre  le  temps  nécessaire.  Et  il  dit  :  «  Ai-je 
été  comme  cela  en  sortant  des  flancs  de  ma  mère?  » 
((  Oui,  lui  répondirent-ils.  »  11  recommanda  donc  de 
nourrir  son  fœtus  et  qu'on  renfermât  dans  une  pièce 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  189 

voûtée  pour  l'y   soigner.  Mais   ces  clioses-là   ne  se 
lisent  pas  dans  les  chroniques  ;  car  elles  sont  apo- 
cryphes. Ensuite  s'étant  émerveillé  de  la  grandeur  de 
rincendie  de  Troie,  il  fit  brûler  Rome  pendant  sept 
jours  et  sept  nuits,   spectacle  qu*il  regardait  d'une 
tour  fort  élevée,  et  tout  joyeux  de  la  beauté  de  cette 
flamme,  il  chantait  avec  emphase  les  vers  de  VIliade. 
On  voit  encore  dans  les  chroniques  qu'il  péchait  avec 
des  filets  d'or,  qu'il  s'adonnait  à  l'étude  de  la  mu- 
sique, de  manière  à  remporter  sur  les  harpistes  et  les 
comédiens  :  il  se  maria  avec  un  homme,  et  cet  homme 
le  prit  pour  femme,  ainsi  que  le  dit  Orose  *.  Mais 
les  Romains,  ne  pouvant  plus  supporter  davantage  sa 
folie,  se  soulevèrent  contre  lui  et  le  chassèrent  hors  de 
la  ville.  Lorsqu'il  vit  qu'il  ne  pouvait  échapper,  il  af- 
fila un  bâton  avec  les  dents  et  il  se  perça  par  le  mi- 
lieu du  corps  :  et  c'est  ainsi  qu  il  termina  sa  vie.  On 
lit  cependant  ailleurs  qu'il  fut  dévoré  par  les  loups. 
A  leur  retour,  les  Romains  trouvèrent  la  grenouille 
cachée  sous  la  voûte  ;  ils   la  poussèrent  hors  de  la 
ville  et  la  brûlèrent  :  et  cette  partie  de   la  ville  où 
avait  été  cachée  la  grenouille  reçut,  au  dire  de  quel- 
ques   personnes,   le   nom    de  Latran  {Latens  raua) 
(raine  latente)  **. 

Du  temps  du   pape  saint   Corneille,  des  chrétiens 

*♦  ffist,,  lib.  m,  cap.  vu. 
**  Sulpice  Sévère,  Hist.,  liv.  II,  no  iO,  Dialo|Çiie  II;  —  Saint 
Augustin,  Ciié  de  DieUy  Hv.  XX,  chap.ix,  rapportent  des  tradi- 
tîoos  étranges  sur  cet  odieux  personnaÉçe.  Consultez  une  dis- 
sertation du  chanoine  d'Amiens  de  L'Kstocq,  sur  l'auteur  du 
livre  intitulé  :  De  morte  persecnforum. 


190  LA  lége;nde  doréc 

grecs  volèrent  les  corps  des  apôtres  et  les  emportè- 
rent ;  mais  les  démons,  qui  habitaient  dans  les  idoles, 
forcés  par  une  vertu  divine,  criaient  :  «  Romains,  au 
secours,  on  emporte  vos  dieux.  »  Les  fidèles  compri- 
rent qu'il  s'agissait  des  apôtres,  et  les  gentils  de  leurs 
dieux.  Alors  fidèles  et  infidèles,  tout  le  monde  se  réu- 
nit pour  poursuivre  les  Grecs.  Ceux-ci  effrayés  jetèrent 
les  corps  des  apôtres  dans  un  puits  auprès  des  cata- 
combes ;  mais  dans  la  suite  les  fidèles  les  en  ôtèrent. 
Saint  Grégoire   raconte  dans   son  Registre  (liv.  IV, 
ép.  XXX,)  qu'alors  il  se  fit  un  si  affreux  tonnerre  et  des 
éclairs  en  telle  quantité  que  tout  le  monde  prit  la  fuite 
de  frayeur,  et  qu'on  les  laissa  dans  les  catacombes. 
Mais  comme  on  ne  savait  pas  distinguer  les  ossements 
de  saint  Pierre  de  ceux  de  saint  Paul,  les  fidèles,  après 
avoir  eu  recours  aux  prières  et  aux  jeûnes,  reçurent 
celte  réponse  du  ciel  :  «  Les  os  les  plus  grands  sont 
ceux  du  prédicateur,  les  plus  petits  ceux  du  pécheur.  » 
Ils 'séparèrent  ainsi  les  os  les  uns  des  autres  et  les  pla- 
cèrent dans  les  églises  qui  avaient  été  élevées  à  chacun 
d'eux.  D'autres  cependant  disent  que  saint  Silvestre, 
pape,  voulant  consacrer  les  églises,  pesa  avec  un  grand 
respect  les  os  grands  et  petits  dans  une  balance  et  qu'il 
en  mit  la  moitié  dans  une  église  et  la  moitié  dans  l'autre. 
Saint  Grégoire  rapporte  dans  son  Dialogue* y  qu'il  y 
avait,  dans  l'église  où  le  corps  de  saint  Pierre  repose,  un 
saint  homme  d'une  grande  humilité,  nommé  Agontus  : 
et  il  se  trouvait,  dans  cette  même  église,  une  jeune  fille 
paralytique  qui  y  habitait;  mais  réduite  à  ramper  sur 

*  I/iv.  III,  c.  xxiv  el  XXV. 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  191 

les  mains,  elle  était  obligée  de  se  traîner,  les  reins  et  les 
pieds  par  terre:  et  depuis  longtemps  elle  demandait 
la  santé  à  saint  Pierre  ;  il  lui  apparut  dans  une  vision 
et  lui  dît  :  «  Va  trouver  Agontius,  le  custode,  et  il  te 
guérira  lui-même.  »  Celte  jeune  fille  se  mît  donc  à  se 
traîner  çà  et  là  de  tous  côtés  dans  l'église,  et  à  cher- 
cher qui  était  cet  Agontius  :   mais  celui-ci  se  trouva 
tout  à  coup  au-devant  d'elle  :  «  Notre  pasteur  et  nour- 
ricier, lui  dit-elle,  le  bienheureux  Pierre,  apôtre,  m'a 
envoyé  vers  vous,  pour  que  vous  me  délivriez  de  mon 
infirmité.  »  Il  lui  répondit  :  «  Si  tu  as  été  envoyée  par 
lui,  lè%e-toi.  »  El  lui  prenant  la  main,  il  la  fit  lever  et 
elle  fui  guérie   sans  qu'il  lui  restât  la  moindre  trace 
de  sa  maladie.  Au  même  livre,  saint  Grégoire  dit  en- 
core que  Galla,  jeune  personne  des  plus  nobles  de 
Rome,  fille  du  consul  el  patrice  Symmaque,  se  trouva 
veuve  après  un  an  de  mariage.  Son  âge  et  sa  fortune 
demandaient   qu'elle  convolât  à  de  secondes  noces  ; 
mais  elle  préféra  s'unir  à  Dieu  par  une  alliance  spiri- 
tuelle, dont  les  commencements   se   passent  dans  la 
tristesse  mais   par  laquelle  on  parvient  au  ciel,  plutôt 
que  de  se  soumettre  à  des  noces  charnelles  qui  com- 
mencent toujours  par  la  joie  pour  finir  dans  la  tristesse. 
Or,  comme  elle  était  d'une  constitution  toute  de  feu,  les 
médecins  prétendirent  qup  si  elle  n'avait  plus  de  com- 
merce avec  un  homme,  celte  ardeur  intense  lui  ferait 
pousser  de  la  barbe  contre  l'ordinaire  de  la  nature. 
(le  qui  arriva  en  effet  peu  de  temps  après.  Mais  Galla 
ne  tint  aucun  compte  de  celle  difformité  extérieure, 
puisqu'elle  aimait  la   beauté  intérieure  :  el  elle  n'ap- 
[iréhenda  point,  malgré  cette  laideur,  de  n'être  point 


192  LA    LÉGENDE    DOREE 

aimée  de  Tépoux  céleste.  Elle  quitta  donc  ses  habits 
du  monde,  et  se  consacra  dans  le  monastère  élevé  au- 
près de  l'église  de  saint  Pierre,  où  elle  servit  Dieu  avec 
simplicité  et  passa  de  longues  années  dans  l'exercice 
de  la  prière  et  de  l'aumône.  Elle  fut  enfin  attaquée 
d'un  cancer  au  sein.  Comme  deux  flambeaux  étaient 
toujours  allumés  devant  son  lit,  parce  que,  amie  de  la 
lumière,  elle  avait  en  horreur  les  ténèbres  spirituelles 
comme  lès  corporelles,  elle  vit  le  bienheureux  Pierre, 
apôtre,  au  milieu  de  ces  deux  flambeaux,  debout  de- 
vant son  lit.  Son  amour  lui  fit  concevoir  de  l'audace 
et  elle  dit  :  «  Qu'y  a-t-îl,  mon  maître?  Est-ce  que  mes 
péchés  me  sont  remis?  »  Saint  Pierre  inclina  la  tête 
avec  la  plus  grande  bonté,  et  lui  répondit  :  «  Oui,  ils 
sont  remis,  viens.  »  Et  elle  dit  :  «  Que  sœur  Benotte 
vienne  avec  moi,  je  vous  en  prie.  »  Et  il  dit  :  «  Non, 
mais  qu'une  telle  vienne  avec  toi.  »  Ce  qu'elle  fit  con- 
naître à  l'abbesse  qui  mourut  avec  elle  trois  jours 
après.  —  Saint  Grégoire  raconte  encore  dans  le  même 
ouvrage,  qu'un  prêtre  d'une  grande  sainteté  réduit  à 
l'extrémité,  se  mit  à  crier  avec  grande  liesse  :  «  Bien, 
mes  seigneurs  viennent  ;  bien,  mes  seigneurs  vien- 
nent; comment  avez-vous  daigné  venir  vers  unsiché- 
tif  serv^iteur?  Je  viens,  je  viens,  je  vous  remercie,  je 
vous  remercie.  »  Et  comme  ceux  qui  étaient  là  lui  de- 
mandaient à  qui  il  parlait  de  la  sorte,  il  répondit  avec 
admiration  :  «  Est-ce  que  vous  ne  voyez  pas  que  les 
saints  apôtres  Pierre  et  Paul  sont  venus  ici  ensem- 
ble? »  Et  comme  il  répétait  une  seconde  fois  les  pa- 
roles rapportées  plus  haut,  sa  sainte  âme  fut  délivrée 
(le  son  corps.  —  H  y  a  doute,  chez  quelques  auteurs, 


\. 


SAINT    PIERRE,    APOTRE  193 

si  ce  fut  le  même  jour  que  saint  Pierre  et  saint  Paul 
souffrirent.  Quelques-uns  ont  avs^ncé  que  ce  fut  le 
même  jour,  mais  un  an  après.  Or,  saint  Jérôme  et  pres- 
que tous  les  saints  qui  traitent  cette  question  s'accor- 
dent à  dire  que  ce  fut  le  mêmejouret  la  même  année, 
comme  cela  reste  évident  d'après  la  lettre  de  saint  De- 
nysy  et  le  récit  de  saint  Léon  (d'autres  disent  saint 
Maxime),  dans  un  sermon  où  il  s'exprime  comme  il 
suit  :  «  Ce  n'est  pas  sans  raison  qu'en  un  même  jour 
et  dans  le  même  lieu,  ils  reçurent  leur  sentence  du 
même  tyran.  Ils  souffrirent  le  même  jour  afin  d'aller 
ensemble  à  J.-C.  ;  ce  fut  au  même  endroit,  afin  que 
Rome  les  possédât  tous  les  deux  ;  sous  le  même  per- 
sécuteur, afin  qu'une  égale  cruauté  les  atteignit  en- 
semble. 

Ce  jour  fut  choisi  pour  célébrer  leur  mérite;  le 
lieu  pour  qu'ils  y  fussent  entourés  de  gloire  ;  le  même 
persécuteur  fait  ressortir  leur  courage.  »  Bien  qu'ils 
aient  souffert  le  même  jour  et  à  la  même  heure,  ce  ne 
fut  pourtant  pas  au  même  endroit,  mais  dans  des 
quartiers  différents  :  et  ce  que  dit  saint  Léon  qu'ils 
souffrirent  au  même  endroit,  doit  s'entendre  qu'ils 
souffrirent  tous  les  deux  à  Rome.  C'est  à  ce  sujet  qu'un 
poète  composa  ces  vers  : 

Ense  coronatur  Paulus,  cruce  Petrus,  eodem 
Sub  duce,  luce,  loco,  dux  Nero,  Roma  locus  '*, 

•  Traduction  de  Jean  Baiallier: 

Pol  fut  couronné  d'une  épée; 
Pierre  eut  la  croix  renversée. 
Néron  fut  duc,  si  comme  Ton  nomme 
Le  lieu  fui  la  cité  de  Rom  me. 

II.  13 


194  LA   LÉGENDE   DORÉE 

Un  autre  dit  encore  : 
Ense  sacrât  Paulum,  par  lux,  dux,  urbs,  cruce  Petrum  ♦. 

Quoiqu'ils  aient  souffert  le  même  jour,  cependant 
saint  Grégoire  ordonna  qu'aujourd'hui  on  célébrerait, 
quant  à  l'office,  la  solennité  de  saint  Pierre,  et  que  le 
lendemain,  on  ferait  la  fête  de  la  Commémoration  de 
saint  Paul  ;  en  voici  les  motifs  :  en  ce  jour  fut  dédiée 
l'église  de  saint  Pierre;  il  est  plus  grand  en  dignité; 
il  est  le  premier  qui  fut  converti  ;  enfin  il  eut  la  pri- 
mauté à  Rome. 


SAINT  PAUL,  APOTRE. 

Paul  signifie  bouche  de  trompette,  ou  bouche  de  ceux,  ou 
élu  admirable,  ou  miracle  d'élection.  Paul  vient  encore  de 
pâma,  qui  veut  dire  repos  en  hébreu,  et  en  latin  modique. 
Par  quoi  Ton  connaît  les  six  prérogatives  particulières  à  saint 
Paul.  La  Ire  est  une  lanfij^ue  fructueuse,  car  il  prêcha  TEvan- 
gile  depuis  Tlllyrie  jusqu'à  Jérusalem,  de  là  le  nom  de  bouche 
de  trompette.  La  2®  est  un  amour  de  mère,  qui  lui  fait  dire  : 
<«  yui  est  faible,  sans  que  je  m'affaiblisse  avec  lui?  (II,  Cor., 
XI)  »  C'est  pour  cela  que  son  nom  veut  dire  bouche  de  ceux, 
ou  bouche  de  cœur,  ainsi  qu'il  le  dit  lui-même  (II, Cor.,  vi). 
<«  O  Corinthiens,  ma  bouche  s'ouvre,  et  mon  cœur  s'étend  par 
l'affection  que  je  vous  porte.  »  La  3*  est  une  conversion  mira- 
culeuse, c'est  pour  cela  qu'il  est  appelé  élu  admirable,  parce 
qu'il  fut  élu  et  converti  merveilleusement.  La  \^  est  le  tra- 
vail des  mains,  et  voilà  pourquoi  il  est  nommé  miracle  d'élec- 

*  Paul  est  sacré  par  le  cflaive.  Pierre  par  la  croix  :  à  tous 
deux,  la  même  jçloire,  le  même  bourreau,  et  Rome  pour  théA- 
tre. 


SAINT   PAUL,    APOTRE  495 

lion  :  ce  fot  un  grand  miracle  en  lui  que  de  préférer  gagner 
ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  vivre  et  prêcher  sans  cesse. 
La  5^  fut  une  contemplation  délicieuse,  parce  qu'il  fut  élevé 
jusqu'au  troisième  ciel  ;  de  là   le  nom  de  repos  du  Seigneur; 
car    dans  la  contemplation,  repos  d'esprit  est  requis.  La  6« 
est  son  humilité,  de  là  le  nom   de  modique.  H  y  a  trois  opi- 
nions au  sujet  du  nom  de  Paul.  Origène  veut  qu'il  ait  toujours 
en  deux  noms  et  qu'il  ait  été  indifféremment  appelé  Saul  et 
Paul  ;  Raban  veut  qu'avant  sa  conversion  il  eut  le  nom  de 
Sauly  du   roi  orgueilleux  Saûl,  mais  qu'après  il  fut  nommé 
Paul,  qui  veut  dire  petit,  en  esprit  et  en  humilité  :  et  il  donne 
lui-même  l'interprétation  de  son  nom  quand  il  dit  :  «  Je  suis 
le  plus  petit  des  apôtres.  »  Bède  enfin  veut  qu'il  ait  été  appelé 
Paul,  de  Sergius  Paulus,  proconsul,  converti  par  lui  à  la  foi. 
Le  martyre  de  saint  Paul  fut  écrit  par  saint  Lin,  pape. 

Paul,  apôtre,  après  sa  conversion,  souffrit  beaucoup 
de  persécutions  énumérées  en  ces  termes  par  saint 
Hilaire  :  «  Pau^  est  fouetté  de  verges  à  Philippes  ;  il 
est  mis  en  prison  ;  il  est  attaché  par  les  pieds  à  un 
poteau  ;  il  est  lapidé  à  Lystra  ;  il  est  poursuivi  d'Iconc 
et  de  Thessalonique  par  les  méchants  ;  à  Ephèse,  il 
est  livré  aux  bétes  ;  à  Damas,  on  le  descend  du  haut 
d'un  mur  dans  une  corbeille  ;  à  Jérusalem,  il  est  arrêté, 
battu, enchaîné, on  lui  tend  des  embûches;  à  Césarée, 
il  est  emprisonné  et  incriminé.  Il  est  en  péril  sur 
mer,  dans  son  voyage  en  Italie;  arrivé  à  Rome,  il  est 
jugé  et  meurt  tué  sous  Néron.  »  Il  reçut  l'apostolat 
en  faveur  des  gentils  ;  il  redressa  un  perclus  à  Lystra  ; 
il  ressuscita  un  jeune  homme  qui,  tombé  d'une  fe- 
nêtre, avait  rendu  le  dernier  soupir,  et  fit  grand 
nombre  d'autres  miracles.  Dans  Tfle  de  Malte,  une 
vipère  lui  saisit  la  main,  mais  l'ayant  secouée  dans  le 
feu,  il  n'en  reçut  aucune  atteinte.  On  rapporte  que 


196  LA    LÉGENDE    DORÉE 

tous  les  descendants  de  celui  qui  donna  l'hospitalité  h 
saint  Paul  ne  ressentent  aucun  mal  des  bêtes  veni- 
meuses; et  quand  ils  viennent  au  monde,  le  père  met 
des  serpents  dans  leur  berceau  pour  s'assurer  s'ils 
sont  vraiment  sa  liçnée.  On  trouve  encore  quelquefois 
que  saint  Paul  est  tantôt  inférieur  à  saint  Pierre,  tan- 
tôt plus  grand,  tantôt  égal  ;  mais  en  réalité,  il  lui  est 
inférieur  en  dignité,  supérieur  dans  la  prédication  et 
égal  en  sainteté.  Haymon  rapporte  que  saint  Paul  se 
livrait  au  travail  des  mains  depuis  le  chant  des  poussins 
jusqu'à  la  cinquième  heure  ;  ensuite  il  vaquait  à  la 
prédication,  de  telle  sorte  que  le  plus  souvent,  il  pro- 
longeait son  discours  jusqu'à  la  nuit  :  le  reste  du  temps 
lui  suffisait  pour  ses  repas,  son  sommeil  et  son  oraison. 
Quand  il  vint  à  Rome,  Néron,  qui  n'était  point  encore 
confirmé  empereur,  apprit  qu'il  s'était  élevé  une  dis- 
pute entre  Paul  et  les  Juifs  au  sujet  delà  loi  judaïque 
et  de  la  foi  des  chrétiens  :  il  ne  s'en  mit  pas  beaucoup 
en  peine,  de  sorte  que  saint  Paul  allait  et  prêchait  li- 
brement où  il  voulait.  Saint  Jérôme,  en  son  livre  des 
Hommes  illustres,  dit  que,  «  25  ans  après  la  Passion 
du  Seigneur,  c'est-à-dire  la  2®  du  règne  de  Néron, 
saint  Paul  fut  envoyé  à  Rome  chargé  de  chaînes,  et 
que  pendant  deux  ans  il  demeura  libre  sous  une  garde; 
qu'il  disputait  contre  les  Juifs,  et  que  relâché  ensuite 
par  Néron,  il  prêcha  l'Evangile  dans  l'Occident.  L'an  14 
de  Néron,  il  fut  décapité  la  même  année  et  le  même 
jour  que  saint  Pierre  fut  crucifié.  »  Sa  sagesse  et  sa 
religion  étaient  partout  en  renom  et  on  le  regardait 
généralement  comme  un  homme  admirable.  Il  se  fit 
beaucoup  d'amis  dans  la  maison  de  l'empereur,  et  il 


SAINT    PAUL,    APOTRE  197 

les  convertit  à  la  foi  de  J.-C.    Quelques-uns  de  ses 
écrits  furent  lus  devant  le  César  ;  tout  le  monde  en 
fit  j^rand  élog^e;   le  Sénat  lui-même  avait  beaucoup 
d'estime  pour  sa  personne.  Une  fois  que  saint  Paul 
prêchait,  vers  le  soir,   sur  une  terrasse,   un  jeune 
homme  nommé  Patrocle,  échanson  favori  de  Néron, 
monta  à  une  fenêtre  pour  entendre  plus  commodé- 
ment le  saint  apôtre,  à  cause  de  la  foule,  et  s'y  étant 
légèrement  endormi,  il  tomba  et  se  tua.  Néron  à  cette 
nouvelle  eut  beaucoup  de  chagrin  de  sa  mort  et  aus- 
sitôt il  pourvut  à  son  remplacement.  Mais  saint  Paul, 
qui  en  fut  instruit  par  révélation,  dit  aux  assistants 
d* aller  et  de  lui  rapporter  le  cadavre   de    Patrocle, 
Tami  du  César.  On  le  lui  apporta  et  saint  Paul  le  res- 
suscita, ensuite  il  l'envoya  à  César  avec  ses  compa- 
gnons. Comme  Néron  se  lamentait  sur  la  perte  de  son 
favori,  voilà  qu'on  lui  annonce  que  Patrocle  vivant 
était  à  la  porte.  Néron  informé  que  celui  qu'il  avait 
cru  mort  tout  à  l'heure  était  en  vie,  fut  extraordinai- 
rement  effrayé  et  refusa  de  le  laisser  entrer  auprès  de 
l^ii  ;  mais  enfin  à  la  persuasion  de  ses  amis,  il  permit 
mi*on  l'introduisît.  Néron  lui  dit  :  <(  Patrocle,  tu  vis?  >x 
El  Patrocle  répondit  :  «  César,  je  vis.  »  Et  Néron  dit  : 
"  Qui  t'a  fait  vivre?  »  Patrocle  reprit  :  «  C'est  Jésus- 
^"risl,  le  roi  de   tous  les  siècles.  »  Néron  se  mil  en 
colère  et  dit  :  «  Alors  celui-ci  régnera  sur  les  siècles  et 
détruira  donc  les  royaumes  du  monde  ?  »  Patrocle  lui 
répliqua  :  «  Oui,  César.  »  Néron  lui  donna  un  soufflet 
^^  disant  :  «  Donc  tu  es  au  service  de  ce  roi?  »  «  Oui, 
i'épondit  Patrocle,  je  suis  à  son  service,  parce  qu'il 
ni  a  ressuscité  d'entre  les  morts.  »  Alors  cinq  des  offi- 
II.  13- 


198  LA    LÉGKNDE    DORÉE 

ciers  de  l'empereur  qui  l'accompagnaient  constamment 
lui  dirent  :  «  Empereur,  pourquoi  frapper  ce  jeune 
homme  plein  de  prudence  et  qui  répond  la  vérité?  Et 
nous  aussi  nous  sommes  au  service  de  ce  roi  invin- 
cible. »  Néron,  à  ces  mots,  les  fit  enfermer  en  prison, 
afin  de  tourmenter  cruellement  ceux  qu'il  avait  aimés 
jusqu'alors  extraordinairement.  Il  fit  en  même  temps 
rechercher  tous  les  chrétiens  et  il  les  fit  punir  tous  sans 
forme  de  procès. 

Paul  fut  conduit,  chargé  de  chaînes,  avec  les  autres, 
pardevant  Néron  qui  lui  dit  :  «  O  homme,  le  serviteur 
du  grand  roi,  mais  cependant  mon  prisonnier,  pour- 
quoi m'enlèves-tu  mes  soldats  et  les  prends-tu  pour 
toi?  »  c(  Ce  n'est  pas  seulement,  répondit  saint  Paul, 
dans  le  coin  de  la  terre  où  tu  vis  que  j'ai  levé  des 
soldats,  mais  j'en  ai  enrôlé  de  l'univers  entier  :  noire 
Roi  leur  accordera  des  récompenses  qui,  loin  de  leur 
manquer  jamais,  les  mettront  à  l'abri  du  besoin.  Toi, 
si  tu  veux. lui  être  soumis,  tu  seras  sauvé.  Sa  puissance 
est  si  grande  qu'il  viendra  juger  tous  les  hommes  et 
qu'il  dissoudra  par  le  feu  la  figure  de  ce  monde.  » 
Quand  Néron,  enflammé  de  colère,  eut  entendu  dire 
à  saint  Paul  que  le  feu  devait  dissoudre  la  figure  du 
monde,  il  ordonna  qu'on  fît  brûler  tous  les  soldats  de 
J.-C.  et  de  couper  la  tête  à  saint  Paul,  comme  coupable 
de  lèse-majesté.  Or,  la  foule  de  chrétiens  qui  furent 
tués  était  si  grande  que  le  peuple  romain  se  porta  avec 
violence  au  palais  et  se  disposait  à  exciter  une  sédi- 
tion contre  Néron,  en  criant  tout  haut  :  «  Arrête, 
César,  suspends  le  carnage  et  l'exécution  de  tes  ordres. 
Ceux  que  tu  fais  périr  sont  nos  concitoyens;  ce  sont 


SAINT    PAUL,    APOTRE  199 

les  soutiens  de  l'empire  romain.  »  Néron  eut  peur  et 
modifia  son  édit  en  ce  sens  que  personne  ne  mettrait 
la  main  sur  les  chrétiens  qu'autant  que  l'empereur 
mieux  informé  les  eût  jugés.  C'est  pourquoi  Paul  fut 
ramené  et  présenté  de  nouveau  à  Néron.  Il  ne  l'eut  pas 
plutôt  vu  qu'il  s'écria  avec  violence  :   «  Emmenez  ce 
malfaiteur,  décapitez  cet  imposteur  ;  ne  laissez  pas 
vivre  ce  criminel  ;   défaites-vous  de  cet  homme  qui 
égare  les  intelligences  ;  ôtez  de  dessus  la  terre  ce  sé- 
ducteur des  esprits.  »  Saint  Paul  lui  dit  :  u  Néron,  je 
souffrirai  l'espace  d'un  instant,  mais  je  vivrai  éter- 
nellement en  Notre-SeigneurJ.-C.  »  Néron  dit:  «Tran- 
chez-lui la  tête   afin  qu'il  apprenne  que  je  suis  plus 
puissant  que  son  roi,  moi  qui  l'ai  vaincu;  et  nous  ver- 
rons s'il  pourra  toujours  vivre.  »  Saint  Paul  reprit  : 
«  Afin  que  tu  saches  qu'après  la  mort  de  mon  corps, 
je  vis  éternellement,  quand  ma  tète  aura  été  coupée, 
je  t'apparaîtrai  vivant,  et  tu  pourras  connaître  alors 
que  J.-C.  est  le  Dieu  de  la  vie  et  non  de  la  mort.  » 
Ayant  parlé  ainsi,   il  fut  mené  au  lieu  du  supplice. 
Dans  le  trajet,  trois  soldats  qui  le  conduisaient  lui 
dirent  :    «  Dis-nous,  Paul,  quel  est  celui  que  tu  ap- 
pelles votre  roi,  que  vous  aimez  au  point  de  préférer 
mourir  pour  lui  plutiH  que  de  vivre  ;  et  quelle  récom- 
pense vous  recevrez  de  tout  cela?  »  Alors  saint  Paul 
leur  parla  du  royaume  de  Dieu  et  des  peines  de  l'enfer 
de  manière  qu'il  les  convertit  à  la  foi.  Ils  le  prièrent 
d'aller  en  liberté  où  il  voudrait,  mais  il  leur  dit  :  «  A 
Dieu  ne  plaise,  mes  frères,  que  je  prenne  la  fuite  ;  je 
ne  suis  pas  un  transfuge,  mais  un  véritable  soldat  de 
J.-C.  :  car  je  sais  que  cette  vie  qui  passe  me  conduira  à 


200  LA    LÉGENDE    DOREE 

une  vie  éternelle  ;  tout  à  l'heure,  quand  j'aurai  été 
décapité,  des  hommes  fidèles  enlèveront  mon  corps. 
Quant  à  vous,  remarquez  bien  la  place,  et  venez-y  de- 
main matin  :  vous  trouverez  auprès  de  mon  sépulcre 
deux  hommes  en  prières,  ce  sera  Tite  et  Luc  ;  quand 
vous  leur  aurez  dit  pour  quel  motif  je  vous  ai  adressés 
à  eux,  ils  vous  baptiseront  et  vous  feront  participants 
et  héritiers  du  royaume  du  ciel.  »  Il  parlait  encore 
quand  Néron  envoya  deux  soldats  pour  voir  s*il  n'était 
pas  encore  exécuté  ;  et  comme  saint  Paul  voulait  les 
convertir,  ils  dirent  :  «  Lorsque  tu  seras  mort  et  res- 
suscité, alors  nous  croirons  ce  que  tu  dis  ;  pour  le  mo- 
ment viens  vite  et  reçois  ce  que  tu  as  mérité.  »  Amené 
au  lieu  du  supplice,  à  la  porte  d'Ostie,il  rencontra  une 
matrone  nommée  Plantille  ou  Lémobie,  d'après  saint 
Denys  (peut-être  elle  avait  deux  noms).  Cette  dame 
se  mit  à  pleurer  et  à  se  recommander  aux  prières  de 
saint  Paul  qui  lui  dit  :  «  Va,  Plantille,  fille  du  salut 
éternel,  prête-moi  le  voile  dont  tu  te  couvres  la  tête, 
je  m'en  banderai  les  yeux  et  ensuite  je  te  le  remet- 
trai. »  Et  comme  elle  le  lui  donnait,  les  bourreaux  se 
moquaient  d'elle  en  disant  :  «  Qu'as-tu  besoin  de  don- 
ner à  cet  imposteur  et  à  ce  magicien  un  voile  si  pré- 
cieux que  tu  perdras?  »  Paul  étant  donc  venu  au  lieu 
de  l'exécution,  se  tourna  vers  l'Orient  et  pria  très  long- 
temps dans  sa  langue  maternelle,  les  mains  étendues 
vers  le  ciel  et  en  versant  des  larmes,  il  rendit  grâces. 
Ensuite,  ayant  dit  adieu  aux  frères,  il  se  banda  les 
yeux  avec  le  voile  de  Plantille,  puis  ayant  fléchi  les 
deux  genoux  en  terre,  il  présenta  le  cou  et  fut  ainsi 
décolle.  Au  moment  où  sa  tête  fut  détachée  du  corps. 


\ 


SAINT    PAUL,    APOTRE  201 

il  prononça  distinctement  en  hébreu  :  «  Jésus-Christ  »  ; 
nom  qui  avait  été  d'une  grande  douceur  pour  lui  dans 
sa  vie  et  qu'il  avait  répété  si  souvent.  On  dit  en  effet 
que,  dans  ses  Epttres,  il  répéta  Christ,  ou  Jésus,  ou 
l'un  et  l'autre  ensemble  cinq  cents  fois.  Du  lait  jaillit 
du  corps  mutilé  jusque  sur  les  habits  d'un  soldat  *  ; 
ensuite  le  sang  coula  :  une  lumière  immense  brilla 
dans  lair  et  une  odeur  des  plus  suaves  émana  de  son 
corps. 

Saint  Denys  dans  son  épttre  à  Timothée  s'exprime 
ainsi  sur  la  mort  de  saint  Paul  :  «  â  cette  heure  pleine 
de  tristesse,  mon  frère  chéri,  quand  le  bourreau  dit 
à  saint  Paul  :  «  Prépare  ton  cou  »,  alors  le  bienheu- 
reux apôtre  leva  les  yeux  au  ciel,  se  munit  le  front  et 
/a  poitrine  du  signe  de  la  croix  et  dit  :   «  Mon  Sei- 
«  gneur  J.-C.,  je  remets  mon  esprit  entre  vos  mains  »  : 
et  alors  sans  tristesse  et  sans  contrainte,  il  présenta  le 
cou  et  reçut  la  couronne.  »  Au  moment  où  le  bourreau 
frappait  et  tranchait  la  tétc  de  Paul,  ce  bienheureux, 
en  recevant  le  coup,  détacha  le  voile,  et  reçut  son  pro- 
pre sang  dans  ce  voile,  le  lia,  le  plia  et  le  rendit  à 
cette  femme.  Et  quand  le  bourreau  fut  revenu,  Lémo- 
bic  lui  dit  :  «  Où  as-tu  laissé  mon  maître  Paul  ?  »  Le 
soldat  répondit  :  «  Il  est  étendu  là-bas  avec  son  com- 
pagnon, dans  la  vallée  du  Pugilat,  hors  de  la  ville  ; 
et  sa  figure  est  couverte  de  ton  voile.  »  Or,  Lémobie 
répondit  :  «  Voici  que  Pierre  et  Paul  viennent  d'entrer 
à  l'instant,  revêtus  d'habits  éclatants,  portant  sur  la 
tête  des  couronnes  brillantes  et  rayonnantes  de  lu- 

*  Ce  fait  est  rapporté  par  Grégoire  de  Tours. 


202  LA    LÉGENDE    DOREE 

inière.  »  Alors  elle  leur  montra  le  voile  tout  ensan- 
glanté :  ce  qui  donna  lieu  à  plusieurs  de  croire  au 
Seig^neur  et  de  se  faire  chrétiens  (saint  Denys).  Né- 
ron, ayant  appris  ce  qui  était  arrivé,  eut  une  violente 
peur  et  s'entretint  de  tout  cela  avec  les  philosophes  et 
avec  ses  favoris.  Or,  pendant  la  conversation  saint  Paul 
vint  les  portes  fermées  ;  et,  debout  devant  César,  il  lui 
dit  :  «  César,  voici  Paul,  le  soldat  du  roi  éternel  et 
invincible  ;  crois  au  moins  maintenant  que  je  ne  suis 
pas  mort,  mais  que  je  vis  et  toi,  misérable,  tu  mour- 
ras d'une  mort  éternelle,  parce  que  tu  tues  injustement 
les  saints  de  Dieu.  »  Ayant  parlé  ainsi,  il  disparut. 
Alors  Néron  devint  comme  fou  tant  il  avait  été  effrayé; 
il  ne  savait  ce  qu'il  faisait.  Par  le  conseil  de  ses  amis, 
il  délivra  Palrocle  et  Barnabe  avec  les  autres  chrétiens 
et  leur  permit  d'aller  librement  où  ils  voudraient. 
Quant  aux  soldats  qui  avaient  conduit  Paul  au  sup- 
plice, savoir  Longin,  chef  des  soldats,  et  Acceste,  ils 
vinrent  le  matin  au  tombeau  de  saint  Paul  et  ils  y 
virent  deux  hommes,  Tile  et  Luc  en  prières,  et  Paul 
debout  au  milieu  d'eux.  Tite  et  Luc,  en  voyant  les  sol- 
dats, furent  fort  effrayés  et  prirent  la  fuite  ;  alors  Paul 
disparut.  Mais  Lon^in  et  Acceste  leur  crièrent  :  «  Non, 
ce  n'est  pas  vous  que  nous  poursuivons,  ainsi  que  vous 
le  paraissez  croire,  mais  nous  voulons  recevoir  le  bap- 
tême de  vos  mains,  comme  nous  l'a  dit  Paul  que  nous 
venons  de  voir  prier  avec  vous.  »  A  ces  mots,  Tite  et 
Luc  revinrent  et  les  baptisèrent  avec  çrande  joie.  Or, 
la  tête  de  Paul  fut  jetée  dans  une  vallée,  et  comme  il 
y  en  avait  beaucoup  qui  avaient  été  tués  et  qu'on  avait 
j(*tés  au  même  endroit,  on  ne  put  la  retrouver.  Mais 


SAINT    PAUL,    AI'ÛTHE  203 

on  lit  dans  la  même  épîlre  de  saint  Denys,  qu'un  jour 
où  l'on  curait  une  fosse,  on  jeta  la  tête  de  saint  Paul 
avec  les  autres  immondices.  Un  berger  la  prit  avec 
sa  houlette  et  l'attacha  sur  la  bergerie.  Pendant  trois 
nuits  consécutives,  son  maitre  et  lui  virent  une  lumière 
ineffable  sur  cette  tête;  on  en  fit  part  à  Tévêque,  et 
on  dit  :  a  Vraiment,  c*est  la  tète  de  saint  Paul.  » 
L'évêque  vint  avec  toute  l'assemblée  des  fidèles  ;  ils 
prirent  cette  tête,  l'emportèrent  et  ils  la  mirent  sur 
une  table  d'or,  ensuite  ils  essayaient  de  la  réunir  au 
corps.  Le  patriarche  leur  dit  :  a  Nous  savons  que  beau- 
coup de  fidèles  ont  été  tués  et  que  leurs  têtes  furent 
dispersées;  c'est  pourquoi  je  n'oserais  mettre  celle-ci 
sur  le  corps  de  saint  Paul;  mais  plaçons-la  aux  pieds 
du  corps  et  demandons  au  Dieu  tout  puissant,  que  si 
c'est  sa  tête,  le  corps  se  tourne  et  se  joigne  à  la  tête. 
Du  consentement  général,  on  plaça  cette  même  tête 
aux  pieds  du  corps  de  saint  Paul,  et  comme  tout  le 
monde  était  en  prière,  on  fut  saisi  de  voir  le  corps  se 
tourner  et  se  joindre  exactement  à  la  tête.  Alors  ou 
bénit  Dieu  et  on  connut  que  c'était  bien  là  véritablement 
le  chef  de  saint  Paul  (saint  Denys).  » 

Saint  Grégoire  de  Tours,  qui  vécut  du  temps  de 
Justin  le  jeune,  rapporte*  qu*un  homme  au  désespoir 
préparait  un  lacet  pour  se  pendre,  sans  pourtant  ces- 
ser d'invoquer  le  nom  de  saint  Paul,  en  disant:  «  Ve- 
nez à  mon  secours,  saint  Paul.  »  Alors  lui  apparut 
une  ombre  dégoûtante  qui  l'encourageait  en  disant  : 
«  Allons,  bon  homme,  fais  ce  que  tu  as  à  faire,  ne 

*  Mirac^y  lib.  I,  c.  xxix  ;  —  Vincent  de  B.,  Ilist.,  1,  X,  c.  xai. 


204  LA    LEGENDE    DOREE 

perds  pas  de  temps.  »  Mais  il  disait  toujours,  en  ap- 
prêtant son  lacet  :  «  Bienheureux  Paul,  venez  à  mon 
secours.  »  Quand  le  lacet  fut  achevé,  une  autre  om- 
bre lui  apparut  ;  elle  avait  une  forme  humaine,  et  elle 
dit  à  Tombrequi  encourageait  cet  homme:  «  Fuis, mi- 
sérable, car  il  a  appelé  saint  Paul  et  le  voilà  qui  vient.  » 
Alors  Tombre  dégoûtante  s'évanouît  et  le  malheureux 
rentrant  en  lui-même  jeta  son  lacet  et  fit  une  pénitence 
convenable.  »  Il  se  fait  grand  nombre  de  miracles 
avec  les  chaînes  de  saint  Paul,  et  quand  beaucoup  de 
personnes  en  demandent  un  peu  de  limaille,  un  prêtre 
en  détache  avec  une  lime  quelques  parcelles  si  vite  que 
cela  est  fait  à  l'instant.  Cependant  il  arrive  que  d'au- 
tres personnes,  qui  en  demandent,  n'en  peuvent  obte- 
nir, car  c'est  inutilement  que  l'on  passe  la  lime  ;  elle 
n'en  peut  rien  détacher.  —  Dans  la  même  épître  citée 
plus  haut,  saint  Denys  pleure  la  mort  de  saint  Paul, 
son  maître,  avec  des  expressions  touchantes  :  «  Qui 
donnera  de  l'eau  à  mes  yeux,  et  à  mes  paupières  une 
fontaine  de  larmes  afin  de  pleurer,  le  jour  et  la  nuit, 
la  lumière  des  Eglises  qui  vient  de  s'éteindre?  Qui  est- 
ce  qui  ne  pleurera  et  ne  gémira  pas?  Quel  est  celui 
qui  ne  prendra  pas  des  habits  de  deuil  et  ne  restera 
pas  muet  d'effroi?  Voici  en  effet  que  Pierre,  le  fonde- 
ment des  Eglises,  la  gloire  des  saints  apôtres,  s'est  re- 
lire de  nous  et  nous  a  laissés  orphelins;  Paul  aussi, 
cet  ami  des  gentils,  le  consolateur  des  pauvres,  nous 
fait  défiiut,  et  il  a  disparu  pour  toujours  celui  qui  fut 
le  père  des  pères,  le  docteur  des  docteurs,  le  pasteur 
(les  pasteurs.  Cet  abîme  de  sagesse,  cette  trompette  re- 
tentissante, ce  prédicateur  infatigable  de  la  vérité,  en 


SAINT    PAUL,    APOTRE  205 

un  moty  c'est  de  Paul  le  plus  illustre  des  apôtres  que  je 
parle.  Cet  ange  de  la  terre,  cet  homme  du  ciel,  cette 
image  de  la  divinité,  cet  esprit  divin  nous  a  délaissés 
tous,  nous  dis-je,  misérables  et  indignes,  au  milieu  de 
ce  monde  qui  ne  mérite  que  mépris  et  qui  est  rempli 
de  malice.  Il  est  avec  Dieu  son  maître  et  son  ami  : 
hélas  I  mon  frère  Timothée,  le  chéri  de  mon  cœur,  où 
est  ton  père,  ton  maître  et  ton  ami  ?  Il  ne  t'adressera 
donc  plus  de  salut?  Voilà  que  tu  es  devenu  orphelin, 
et  que  lu  es  resté  seul  ;  il  ne  t'écrira  plus,  de  sa  très 
saintemain,ces  douces  paroles  :  «Très  cher  fils  ;  viens, 
«  mon  frère  Timothée.  »  Que  s'est-il  passé  ici  de  triste, 
d'affreux,  de  pernicieux  pour  que  nous  soyons  devenus 
orphelins?  Tu  ne  recevras  plus  de  ses  lettres  où  tu 
pouvais  lire  ces  paroles  :  «  Paul,  petit  serviteur  de 
«  J.-C.  »  Il  n'écrira  plus  désormais  de  toi  aux  cités: 
«  Recevez  mon  fils  chéri.  »  Ferme,  mon  frère,  les  li- 
vres des  prophètes;  mets-y  un  sceau,  parce  que  nous 
n^avons  plus  personne  pour  nous  en  expliquer  les  pa- 
raboles, les  comparaisons  et  le  texte.  Le  prophète 
David  pleurait  son  fils  en  s'écriant  :  «  Malheur  à  moi, 
«  mon  fils,  malheur  à  moi  !  »  Et  moi  je  m'écrie  :  Mal- 
heur à  moi,  mon  maître,  oui,  malheur  à  moi  I  Depuis 
lors  a  cessé  tout  à  fait  cette  affluence  de  tes  disciples 
qui  venaient  à  Rome  et  qui  demandaient  à  nous  voir. 
Personne  ne  dira  plus  :  Allons  trouver  nos  docteurs, 
et  interrogeons-les  sur  la  direction  à  imprimer  aux 
Eglises  qui  nous  sont  confiées,  et  ils  nous  expliqueront 
les  paroles  de  Notre-Seigneur  J.-C.  et  celles  des  pro- 
phètes. Malheur,  malheur  à  ces  enfants,  mon  frère, 
parce  qu'ils  sont  privés  de  leurs  pères  spirituels,  parce 


206  LA    LÉGENDE   DORÉE 

que  le  troupeau  est  abandonné  !  Malheur  à  nousaussi, 
frère,  parce  que  nous  sommes  privés  de  nos  mattres 
spirituels  qui  possédaient  l'intelligence  et  la  science 
de  Tancienne  et  de  la  nouvelle  loi  fondues  dans  leurs 
épîtres  !  Où  sont  les  courses  de  Paul  elles  vestiges 
de  ses  saints  pieds  ?  où  est  cette  bouche  éloquente, 
cette  langue  qui  donnait  des  avis  si  prudents  ;  cet  es- 
prit toujours  en  paix  avec  son  Dieu  ?  Qui  est-ce  qui 
ne  pleurera  pas  et  ne  fera  pas  retentir  Tair  de  cris  ? 
Car  ceux  qui  ont  mérité  de  recevoir  de  Dieu  gloire  et 
honneur  sont  traînés  à  la  mort  comme  des  malfai* 
teurs.  Malheur  à  moi  qui  ai  vu  à  cette  heure  ce  corps 
saint  tout  couvert  d'un  sang  innocent  !  Ah  !  quel  mal- 
heur pour  moi  !  mon  père,  mon  maître  et  mon  doc- 
teur, vous  ne  méritiez  pas  de  mourir  ainsi.  Et  main- 
tenant donc,  où  irai-je  vous  chercher,  vous  la  gloire 
des  chrétiens,  l'honneur  des  fidèles?  qui  a  fait  taire 
votre  voix,  vous  qui  faisiez  entendre  dans  les  églises 
des  paroles  qui  avaient  la  douceur  de  la  flûte,  et  la 
sonorité  d'un  instrumenta  dix  cordes  ?  Voilà  que  vous 
êtes  auprès  du  Seigneur  votre  Dieu  que  vous  avez  dé- 
siré de  posséder  et  après  lequel  vous  avez  soupiré 
de  tout  votre  cœur.  Jérusalem  et  Rome,  vous  vous 
êtes  associées  et  unies  pour  faire  le  mal,  Jérusalem  a 
crucifié  Notre-Seigneur  J.-C,  et  Rome  a  tué  ses  apô- 
tres. Cependant  Jérusalem  a  obéi  à  celui  qu'elle  avait 
crucifié,  comme  Rome  a  établi  une  solennité  pour 
glorifier  celui  qu'elle  a  tué.  El  maintenant,  mon  frère 
Timothée,  ceux  que  vous  aimiez  et  que  vous  regrettiez 
de  tout  cœur,  je  parle  du  roi  Saul,  et  de  Jonathas,  ils 
n'ont   été  séparés  ni  dans  la  vie,  ni  dans  la  mort,  et 


SAINT    PAUL,    APOTRE  207 

moi  je  ne  fus  séparé  de  mon  seigneur  et  maf  Ire  que 
quand  des  hommes  aussi  méchants  qu'injustes  nous 
ont  séparés.  Or,  l'heure  de  cette  séparation  n'aura  qu'un 
temps: son  ftme    connaît  ses   amis,   sans  que  ceux- 
ci  lui  parlent,  et  bien  qu'ils  soient  loin  d'elle  ;  mais  au 
jour  de  la  résurrection,  ce  serait  un  bien  grand  dom- 
ma^  d'en  être  séparé.  »  Saint  Jean  Chrysostome,  dans 
son  livre  de  V Eloge  de  saint  Pauly  ne  tarit  pas  quand 
il  parle  de  ce  glorieux  apôtre.  Voici  ses  paroles  :  «  Ce- 
lui-là ne  s'est  pas  trompé  qui  a  appelé  l'âme  de  saint 
Paul  un  champ  magnifique  de  vertus  et  un  paradis 
spirituel.  Où  trouver  une  langue  digne  de  le  louer,  lui 
dont  l'âme  possède  à  elle  seule  tous  les  biens  qui  se 
peuvent  rencontrer  dans  tous  les  hommes,  et  qui  réu- 
nit non  seulement  chacune  des  vertus  humaines,  mais, 
ce  qui  vaut  mieux  encore,  les  vertus  angéliques  ?  Loin 
de  nous  arrêter,  cette  considération  nous  encourage  à 
parler.  C'est  faire  le  plus  grand  éloge  d'un  héros  que 
d'avouer  que  sa  vertu  et  sa  grandeur  sont  au-dessus 
de  tout  ce  qu'on  en  peut  dire.  11  est  glorieux  pour  un 
vainqueur  d'être  ainsi  vaincu.  Par  quoi  donc  pouvons- 
nous  mieux  commencer  ce  discours  qu'en  disant  qu'il 
a  possédé  tous  les  biens  ?  » 

On  loue  Abcl  d'un  sacrifice  qu'il  a  offert  à  Dieu  ; 
mais  si  nous  montrons  toutes  les  victimes  de  Paul, 
ii  l'emportera  de  toute  la  hauteur  qui  sépare  le  ciel 
de  la  terre  ;  puisque,  chaque  jour  il  s'immolait  lui- 
même  par  un  double  sacrifice,  celui  delà  mortification 
du  coeur  et  celui  du  corps.  Ce  n'étaient  ni  des  brebis, 
ni  des  bœufs  qu'il  offrait,  c'était  lui-môme  qui  s'im- 
molait doublement.  Ce  n'est  pas  encore  assez  au  gré 


208  LA  LÉGENDE    DOREE 

• 

de  ses  désirs  ;  il  voulut  offrir  Tunivers  en  holocauste, 
la  terre,  la  mer,  les  Grecs,  les  barbares,  tous  les  pays 
éclairés  par  le  soleil,  qu*il  parcourt  avec  la  rapidité  du 
vol,  où  il  trouve  des  hommes,  ou,  pour  mieux  dire, 
des  démons,  qu'il  élève  à  la  dignité  des  anges.  Où 
rencontrer  une  hostie  comparable  à  celle  que  Paul  a 
immolée  avec  le  glaive  de  rEspritrSaint,  et  qu'il  a  of- 
ferte sur  un  autel  placé  au-dessus  du  ciel  ?  Abel  a  péri 
sous  les  coups  d'un  frère,  Paul  a  été  tué  par  ceux  qu'il 
souhaitait  arracher  à  d'innombrables  maux.  Voulez- 
vous  que  je  vous  compte  tous  les  genres  de  morts  de 
Paul,  autant  vaut  compter  les  jours  qu'il  a  vécu?  Noé 
se  sauva  dans  l'arche  lui  et  ses  enfants  :  saint  Paul 
construisit  une  arche  pour  sauver  d'un  déluge  bien 
autrement  affeux,  non  pas  en  assemblant  des  pièces 
de  bois  ;  mais  en  composant  ses  épîtres,  il  a  délivré  le 
monde  en  danger  au  milieu  des  flots.  Or,  cette  arche 
n'est  pas  portée  sur  des  vagues  qui  battent  un  seul  ri- 
vage, elle  va  sur  tout  le  globe.  Ses  tablettes  ne  sont  en- 
duites ni  de  poix  ni  de  bitume,elles  sont  imprégnées  du 
parfum  du  Saint-Esprit  :  Il  les  écrit  et  par  elles,  de 
ceux  qui  étaient,  pour  ainsi  dire,  plus  insensés  que  les 
êtres  sans  raison,  il  en  fait  les  imitateurs  des  anges. 
Il  l'emporte  encore  sur  l'arche  qui  reçut  le  corbeau  et 
ne  rendit  que  le  corbeau,  qui  avait  renfermé  le  loup 
sans  lui  faire  perdre  son  naturel  farouche  :  tandis  que 
Paul  prend  les  vautours  et  les  milans  pour  en  faire 
des  colombes,  pour  inoculer  la  mansuétude  de  Tesprit 
dans  des  cœurs  féroces.  On  admire  Abraham  qui,  par 
Tordre  de  Dieu,  abandonna  sa  patrie  et  ses  parents  ; 
mais  comment  l'égaler  à  Paul.  Il  n'a  pas  seulement 


SAINT    PAUL,    APOTRE  209 

quitté  son  pays,  ses  parents,  c'est  le  monde  lui-même, 
cesl  plus  encore,  c'est  le  ciel,  le  ciel  des  cieux;  il  mé- 
prise tout  cela  afin  de  servir  J.-C,  ne  se  réservant  à 
la  place  qu'une  seule  chose,  la  charité  de  Jésus.  «  Ni 
les  choses  présentes,  dit-il,  ni  celles  qui  sont  à  venir, 
ni  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  haut  ou  de  plus  profond, 
nullecréature  enfin  ne  me  pourra  jamais  séparer  de  Ta- 
mourde  Dieu  qui  est  fondé  en  J.-C.  N.-S.  »  Abraham 
s'expose  au  danger  pour  délivrer  de  ses  ennemis  le  fils 
de  son  frère,  mais  Paul,  afin  d'arracher  l'univers  à  la 
puissance  des  démons,  a  affronté  des  périls  sans  nom- 
bre et  a  mérité  aux  autres  une  pleine  sécurité  par  la 
mort  qu'il  souffrait  tous  les  jours.  Abraham  encore  a 
voulu  immoler  son  fils.  Paul  s'est  immolé  lui-même 
des  milliers  de  fois.  Il  s'en  trouve  qui  admirent  la  pa- 
tience d'Isaac  laissant  combler  le  puits  creusé  par  ses 
mains;  mais  ce  n'étaient  pas  des  puits  que  Paul  lais- 
sait couvrir  de  pierres,  c'était  son  corps  à  lui,  et  ceux 
qui  l'écrasaient,  il  cherchait  à  les  élever  jusqu'au  ciel. 
Et  plus  cette  fontaine  était  comblée,   plus  haut  elle 
jaillissait,  plus  elle  débordait,  au  point   de  donner 
naissance  à  plusieurs  fleuves.   L'écriture  parle  avec 
admiration  de  la  longanimité  et  de  la  patience  de  Jacob; 
eh  bien!  trouvez  une  âme  à  la  trempe  de  diamant  qui 
atteigne  à  la  patience  de  Paul.  Ce  n'est  pas  pendant 
sept  ans,  mais  toute  sa  vie  qu'il  s'enchaîne  à  l'escla- 
vage pour  l'épouse  de  J.-C.  Ce  n'est  pas  seulement  la 
chaleur  du  jour  ni   le  froid  des  nuits  :  ce  sont  mille 
épreuves  qui  l'assaillent.  Tantôt  battu  de  verges,  tan- 
tôt accablé  et  broyé  sous  une  grêle  de  pierres,  toujours 
il  se  relève  pour  arracher  les  brebis  de  la  gueule  des 
n.  li 


210  LA    LÉGENDE    DOREE 

démons.  Joseph  est  illustre  par  sa  pureté;  mais  j'au- 
rais à  craindre  de  tomber  ici  dans  le  ridicule  en  vou- 
lant louer  saint  Paul,  lui  qui  se  crucifiait  lui-même, 
voyait  toute  la  beauté  du  corps  humain  et  tout  ce  qui 
paraît  brillant  du  même  œil  que  nous  regardons  de  la 
fumée  et  de  la  cendre,  semblable  à  un  mort  qui  reste 
immobile  à  côté  d'un   cadavre.   Tout  le  monde  est 
effrayé  de  la  conduite  de  Job.  C'était  en  effet  un  mer- 
veilleux athlète.  Mais  Paul  n*eut  pas  à  soutenir  des 
combats   de   quelques    mois,  son    agonie  dure    des 
années.  Sans  être  réduit  à  racler  ses  plaies  avec  des 
morceaux  de  vase,  il  sort  éclatant  de  la  gueule  du  lion 
qui,  dans  la  personne  de  Néron,  s'est  jeté  sur  lui  coup 
sur  coup  :  et  après  des  combats  et  des  épreuves  innom- 
brables, il  avait  l'éclat  de  la  pierre  la  mieux  polie.  Ce 
n'était  pas  de  trois  ou  quatre  amis,  mais  de  tous  les 
infidèles,  de  ses  frères  même,  qu'il  eut  à  endurer  les 
opprobres  ;  il  fut  conspué  et  maudit  de  tous.  II  exer- 
çait cependant  largement  l'hospitalité  ;  il  était  plein  de 
sollicitude  à  l'égard  des  pauvres  ;  mais  l'intérêt  qu'il 
portait  aux  infirmes,  il  retendait  aux  âmes  souffrantes. 
La  maison  de  Job  était  ouverte  à  tout  venant  ;  l'âme 
de  Paul  renfermait  le    monde.  Job  possédait  d'im- 
menses troupeaux  de  bœufs  et  de  brebis,  il  était  libé- 
ral envers  les  indigents  :  Paul  ne  possède  rien  que  son 
corps  et  il  se  partage  en  faveur  des  pauvres.  «  Ces 
mains,   dit-il,    ont   pourvu  à   mes    besoins   propres, 
comme  aux  besoins  de  ceux  qui  étaient  avec  moi.  » 
Job  rongé  par  les  vers  souffrait  d'atroces  douleurs; 
mais  comptez  les  coups  reçus  par   Paul,  calculez  à 
(|aelles  angoisses  l'ont  réduit  la  faim,  les  chaînes  et 


SAINT    PAUL,    APOTRE  2 1  1 

les  périls  qu'il  a  subis  de  la  part  de  ses  familiers, 
comme  des  étrangers,  de  Tunivers  entier,  en  un  mot  : 
voyez  la  sollicitude  qui  le  dévore  pour  toutes  1rs 
Églises,  le  feu  qui  le  brûle  quand  il  sait  quelqu'un 
scandalisé,  et  vous  comprendrez  que  son  âme  était 
plus  dure  que  la  pierre,  plus  forte  que  le  fer  et  que  le 
diamant. 

Ce  que  Job  souffrait  dans  ses  membres,  Paul  le 
souffrit  en  son  ftme.  Les  chutes  de  chacun  de  ses 
frères  lui  causaient  des  chagrins  plus  vifs  que  toutes 
les  douleurs;  aussi  coulait-il  de  ses  yeux,  le  jour 
comme  la  nuit,  des  fontaines  de  larmes.  C'étaient  les 
étreintes  d'une  femme  en  travail  :  «  Mes  petits  enfants, 
s'écriait-il,  je  sens  de  nouveau  pour  vous  les  douleurs 
de  l'enfantement.  »  Moïse,  pour  le  salut  des  Juifs, 
s'offrit  à  être  effacé  du  livre  de  vie  :  Moïse  donc  s'of- 
frit à  mourir  avec  les  autres,  mais  Paul  voulait  mou- 
rir pour  les  autres,  non  pas  avec  ceux  qui  devaient 
périr,  mais  pour  obtenir  le  salut  d'autrui,  il  engageait 
son  salut  éternel.  Moïse  résistait  à  Pharaon  ;  Paul 
luttait  tous  les  jours  avec  le  démon  ;  le  premier  com- 
battait pour  une  nation,  le  second  pour  l'univers, 
non  pas  jusqu*à  la  sueur  de  son  front,  mais  jusqu'à 
donner  son  sang.  Jean  se  nourrissait  de  sauterelles 
et  de  miel  sauvage,  Paul  au  milieu  du  tourbillon  du 
monde  comme  le  précurseur  au  milieu  du  désert, 
n'avait  pas  même  de  sauterelles  ni  de  miel.  Il  se  con- 
tentait de  mets  moins  recherchés  encore.  Sa  nour- 
riture était  le  feu  de  la  prédication.  Toutefois  devant 
Néron,  Jean  fit  preuve  d'un  grand  courage,  mais 
ce  ne  fut  pas  un,  ni  deux,  ni  trois,  mais  des  tyrans  sans 


212  LA   LKGENDE    DOREE 

nombre,  aussi  haut  placés  et  plus  cruels  encore  que 
Paul  eut  à  reprendre. 

Il  me  reste  à  comparer  Paul  avec  les  anges;  sa  part 
n'est  pas  moins  brillante,  puisqu'il  n'eut  souci  que 
d'obéir  à  Dieu.  Quand  David  s'écriait  transporté  d'ad- 
miration :  «  Bénissez  le  Seigneur,  vous  tous  qui  êtes 
ses  anges,  qui  êtes  puissants  et  remplis  de  force  pour 
faire  ce  qu'il  vous  dit,  pour  obéir  à  sa  voix  et  à  ses 
ordres.  Mon  Dieu,  dit-il  ailleurs,  vous  rendez  vos  an- 
ges légers  comme  le  vent  et  vos  ministres  actifs  comme 
«les  flammes  ardentes.  »  Mais  nous  pouvons  trouver 
ces  qualités  dans  Paul.  Semblable  à  la  flamme  et  au 
vent  il  a  parcouru  l'univers,  et,  dans  sa  course,  il  l'a 
purifié.  Toutefois  il  n'était  pas  encore  participant  de 
la  béatitude  céleste  ;  et  c'est  là  le  prodige  qu'il  ait  tant 
fait  n'étant  encore  revêtu  que  d'une  chair  mortelle. 
Quel  sujet  de  condamnation  pour  nous  de  n'avoir  point 
à  cœur  d'imiter  la  moindre  des  qualités  qui  se  trouvent 
réunies  dans  un  seul  homme  !  Sans  avoir  reçu  ni  une 
autre  nature  ni  une  autre  âme  que  nous,  sans  avoir 
habité  un  autre  monde,  mais  placé  sur  la  même  terre 
et  dans  les  mêmes  régions,  élevé  sous  l'empire  des 
mêmes  lois  et  des  mêmes  usages,  il  a  surpassé  tous 
les  hommes  de  son  siècle  et  ceux  du  siècle  à  venir. 
Ce  que  je  trouve  d'admirable  en  lui,  c'est  que  non 
seulement  dans  l'ardeur  de  son  zèle,  il  ne  sentait  pas 
les  peines  qu'il  essuyait  pour  la  vertu,  mais  qu'il  em- 
brassa ce  noble  parti  sans  attendre  aucune  récompense, 
l/attrait  d'une  rétribution  ne  nous  engage  point  à  en- 
trer dans  la  lice  où  saint  Paul  courait  avec  empresse- 
ment, saus  qu'aucun  prix  vnit  animer  son  courage  et 


SAINT    PAUL,    APOTRE  2i3 

son  amour  ;  et  il  acquérait  chaque  jour  plus  de  force, 
il  montrait  une  ardeur  toujours  nouvelle  au  milieu  des 
périls.  Menacé  de  la  mort,  il  invitait  les  peuples  à  par- 
tager la  joie  dont  il  était  pénétré:  «  Réjouissez-vous, 
leur  disait-il,  et  félicitez-moi.  »  Il  courait  au-devant 
des  affronts  et  des  outrages  que  lui  attirait  la  prédi- 
cation, beaucoup  plus  que  nous  ne  cherchons  la  gloire 
et  les  honneurs  ;  il  désirait  la  mort  beaucoup  plus  que 
nous  n'aimons  la  vie  ;  il  chérissait  beaucoup  plus  la 
pauvreté  que  nous  n'ambitionnons  les  richesses  ;  il 
embrassait  les  travaux  et  les  peines  avec  beaucoup 
plus  d'ardeur  que  nous  ne  désirons  les  voluptés  et  le  re- 
pos après  les  fatigues;  il  s'affligeait  plus  volontiers  que 
les  autres  ne  se  réjouissent;  il  priait  pour  ses  ennemis 
avec  plus  de  zèle  que  les  autres  ne  s'emportent  contre 
eux  en  imprécations.  La  seule  chose  devant  laquelle  il 
reculait  avec  horreur,  c'était  d'offenser  Dieu  ;  mais  ce 
qu'il  désirait  surtout,  c'était  de  lui  plaire.  Aucun  des 
biens  présents,  je  dis  même  aucun  des  biens  futurs, 
ne  lui  semblait  désirable  ;  car  ne  me  parlez  pas  de 
villes,  de  nations,  d'armées,  de  provinces,  de  riches- 
ses,   de  puissance  ;  tout  cela  n'était  à  ses  yeux  que 
des  toiles  d'araignée;  mais  considérez  le  bonheur  qui 
nous  est  promis  dans  le  ciel,  et  alors  vous  verrez  tout 
l'excès  de  son  amour  pour  Jésus.  La  dignité  des  anges 
et  des  archanges,  toute  la  splendeur  céleste  n'étaient 
rien  pour  lui  en    comparaison  de  la  douceur  de  cet 
amour;  l'amour  de  Jésus  était  pour  lui  plus  que  tout 
le  reste.  Avec  cet  amour  il  se  regardait  comme  le  plus 
heureux  de  tous  les  êtres  ;  il  n'aurait  pas   voulu,  sans 
cet  amour,  habiter  au  milieu  des  Thrônes  et  des  Domina- 
II.  14- 


214  LA    LÉGENDE    DOREE 

lions,  il  aurait  mieux  aimé,  avec  la  charité  de  Jésus, 
être  le  dernier  de  la  nature,  se  voir  condamné  aux  plus 
grandes  peines,  que,  sans  elle,  en  être  le  premier  et  ob- 
tenir les  plus  magnifiques  récompenses.  Être  privé  de 
celte  charité  était  pour  lui  le  seul  supplice,  le  seul 
tourment,  le  seul  enfer,  le  comble  de  tous  les  maux  ; 
posséder  cette  même  chariléétait  pour  lui  la  seulejouis- 
sance  ;  c'était  la  vie,  le  monde,  les  anges,  les  choses  pré- 
sentes et  futures,  c'était  le  royaume,  c'étaient  les  pro- 
messes, c'était  le  comble  de  tous  les  biens;  tous  les  objets 
visibles,  il  les  méprisait  comme  une  herbe  desséchée.  Les 
tyrans,  les  peuples  furieux,  ne  lui  paraissaient  que  des 
insectes  importuns  ;  la  mort,  les  supplices,  tous  les 
tourments  imaginables,  ne  lui  semblaient  que  des  jeux 
d'enfants,  à  moins  qu'il  ne  fallût  les  souffrir  pour  l'a- 
mour de  J.-C,  car  alors  il  les  embrassait  avec  joie,  et  il 
se  glorifiait  de  ses  chaînes  plus  que  Néron  du  diadème 
qui  décorait  son  front.  Sa  prison,  c'était  pour  lui  le  ciel 
même  ;  les  coups  de  fouet  et  les  blessures  lui  sem- 
blaient préférables  à  la  couronne  de  Tathlète  vain- 
queur. Il  ne  chérissait  pas  moins  la  récompense  que 
le  travail  qu'il  regardait  comme  une  récompense  ;  aussi 
Tappelaît-il  une  grâce  ;  puisque  ce  qui  cause  en  nous 
de  la  tristesse  lui  procurait  une  satisfaction  abondante. 
11  gémissait  sous  le  poids  d'une  peine  continuelle,  et 
il  disait  :  «  Qui  est  scandalisé,  sans  que  je  brûle  ?»  A 
moins  qu'on  ne  dise  que  cette  peine  était  assaisonnée 
d'un  certain  plaisir.  Ainsi,  blessée  du  coup  qui  a  tué 
son  fils,  une  mère  éprouve  quelque  consolation  à  se 
trouver  seule  avec  sa  douleur,  tandis  que  son  cœur 
est  j)lus  oppressé  lorsqu'elle  ne  peut  donner  un  libre 


SAINT    PAUL,    APOTRE  2i3 

coOTS  à  s^s  larmes.  De  même  saint  Paul  recevait  un 
soulagement  de  pleurer  nuit  et  jour  ;  car  jamais  per- 
sonne ne  déplora  ses  propres  maux  aussi  vivement 
que  cet  apôtre  déplorait  les  maux  d'autrui.  Quelle  était, 
croyez-vous,  sa  douleur  en  voyant  que  c'en  était  fait 
des  Juifs,  lui  qui  demandait  d'être  déchu  de  la  gloire 
céleste,  pourvu  qu'ils  fussent  sauvés  ?  A  quoi  donc 
pourrait-on  le  comparer  ?  à  quelle  nature  de  fer  ?  à 
quelle  nature  de  diamant  ?  de  quoi  dirons-nous  qu'é- 
tait composée  son  âme?  de  diamant  ou  d'or?  elle  était 
plus  ferme  que  le  plus  dur  diamant,  plus  précieuse  que 
l'or  et  que  les  pierreries  du  plus  grand  prix.  A  quoi 
donc  pourra-t-on  comparer  cette  âme  ?  à  rien  de  ce 
qui  existe.  11  y  aurait  peut-être  une  comparaison  pos- 
sible, si,  par  une  heureuse  alliance,  on  donnait  à  l'or 
la  force  du  diamant  ou  au  diamant  l'éclat  de  l'or.  Mais 
pourquoi  le  comparer  à  l'or  et  au  diamant?  mettez  le 
nionde  entier  dans  la  balance,  et  vous  verrez  que  l'âme 
^^  Paul  l'emportera.  Le  monde  et  tout  ce  qu'il  y  a 
dans  le  monde  ne  valent  pas  Paul.  Mais  si  le  monde 
^^  le  vaut  pas,  qu'est-ce  qui  le  vaudra  ?  peut-être  le 
c'cl.  Mais  le  ciel  lui-même  n'est  rien  en  comparaison 
^^  Paul  ;  car  s'il  a  préféré  lui-môme  l'amour  de  Dieu 
^"  ciel  et  à  tout  ce  qu'il  renferme,  comment  le  6ei- 

Ç'ïeur^  dont  la  bonté  surpasse  autant  celle  de  Paul  que 
^^^Ontémême  surpasse  la  malice,  ne  le  préférerait-il 

P^^  à  tous  les  cieux?  Dieu,  oui.  Dieu  nous  aime  bien 

'^"^  que  nous  ne  l'aimons,  et  son  amour  surpasse  le 

^**€  plus  qu'il  n'est  possible  de  l'exprimer.  11  Va  ravi 

.  .'^^  le  paradis,  jusqu'au  troisième  ciel.  Et  cette  faveur 

'^tait  due,  puisqu'il  marchaitsur  la  terre  comme  s'il 


216  LA   LÉGENDE    DOREE 

eût  conversé  avec  les  anges,  puisque,  enchaîné  à  un 
corps  mortel,  il  imitait  leur  pureté  ;  puisque,  sujet  à 
mille  besoins  et  à  mille  faiblesses,  il  s'efforçait  de  ne 
pas  se  montrer  inférieur  aux  puissances  célestes.  Il  a 
parcouru  toute  la  terre  comme  s'il  eût  eu  des  ailes  :  il 
était  au-dessus  des  travaux  et  des  périls,  comme  si  déjà 
il  eût  pris  possession  du  ciel  ;  il  était  éveillé  et  atten- 
tif comme  s'il  n'eût  point  eu  de  corps;  et  niéprisait  les 
choses  de  la  terre  comme  s'il  eût  habité  au  milieu  des 
puissances  incorporelles.  Des  nations  diverses  ont  été 
souvent  confiées  au  soin  des  anges  ;  mais  aucun  d'eux 
n'a  dirigé  la  nation  remise  à  sa  garde  comme  Paul  a 
dirigé  toute  la  terre.  Comme  un  père  qui  voyant  son 
enfant  égaré  par  la  frénésie  serait  d'autant  plus  tou- 
ché de  son  état,  et  verserait  d'autant  plus  de  larmes 
que,  dans  les  violences  de  ses  transports,  il  lui  épar- 
gnerait moins  les  outrages  et  les  coups  ;  ainsi  le  grand 
apôtre  prodiguait  à  ceux  qui  le  maltraitaient  tous  les 
soins  d'une  piété  ardente.  Souvent  il  gémissait  sur  le 
sort  de  ceux  qui  l'avaient  battu  de  verges  cinq  fois, 
qui  étaient  altérés  de  son  sang,  il  s'affligeait  et  priait 
pour  eux  en  disant  :  «  Il  est  vrai,  mes  frères,  que  je 
sens  dans  mon  cœurune  grande  affection  pour  le  salul 
(l'Israël  et  que  je  le  demande  à  Dieu  par  mes  prières.  » 
En  voyant  leur  réprobation,  il  était  pénétréd'une  dou- 
leur excessive.  Et  comme  le  fer  jeté  dans  le  feu  de- 
vient feu  tout  entier,  de  môme  Paul,  enflammé  du  feu 
de  la  charité,  était  devenu  tout  charité.  Comme  s'il  eût 
été  le  père  commun  de  toute  la  terre,  il  imita,  ou  plu- 
tôt il  surpassa  tous  les  pères,  quels  qu'ils  fussent,  pour 
les  soins  temporels  et  spirituels.   Car  c'était  chacun 


SAINT    PAUL,    APOTRE  2i7 

des  hommes  qu'il  souhaitait  présenter  à  Dieu,  comme 
si  lui  seul  eût  engendré  le  monde  entier  ;  de  telle  sorte 
qu'il  avait  hâte  d'en  introduire  tous  les  habitants  dans 
le  royaume  de  Dieu,  se  donnant  corps  et  âme  pour 
eux  qu'il  chérissait.  Cet  homme  ignoble,  cet  artisan 
qui  préparait  des  peaux  acquit  un  tel  courage  qu'en 
trente  ans  à  peine,  il  soumit  au  joug  de  la  vérité  les 
Romains  et  les  Perses,  les  Parthes  avec  les  Mèdes,  les 
Indiens  et  les  Scythes,  les  Ethiopiens  et  les  Sarmates, 
les  Sarrasins,  enfin  toutes  les  races  humaines,  et  sem- 
blable à  du  feu  jeté  dans  la  paille  et  le  foin,  il  dévorait 
foutes  les  œuvres  des  démons.  Au  son  de  sa  voix, 
tout  disparaissait  comme  dans  le  plus  violent  incen- 
die, tout  cédait,  et  culte  des  idoles,  et  menaces  des 
tyrans,  et  embûches  des  faux  frères.  Comme  au  pre- 
mier rayon  du  soleil  les  ténèbres  fuient,  les  adultères 
et  les  voleurs  disparaissent,  les  homicides  se  cachent 
dans  les  antres,  le  grand  jour  brille,  tout  est  éclain^ 
de  l'éclat  de  sa  présence,  de  même  et  mieux  encon», 
partout  où  Paul  sème  la  bonne  nouvelle,  Terreur  était 
chassée,  la  vérité  renaissait,  les  adultères  et  antres 
abominations  disparaissaient,  ainsi  que  la  paille  jetée 
au  feu.  Brillante  comme  la  flamme,  la  vérité  s'élevait 
resplendissante  jusqu'à  la  hauteur  des  cieux,  soulevée, 
pour  ainsi  dire,  par  ceux  qui  semblaient  Tétoufl^er  ;  les 
{>érils  et  les  violences  ne  savent  en  arrêter  la  marche. 
Telle  est  l'erreur  qui,  si  elle  ne  rencontre  pas  d'obsta- 
cles, s'use  ou  disparaît  insensiblement,  telle  au  con- 
traire est  la  vérité,  qui,  sous  les  attaques  de  nombreux- 
adversaires,  renaît  et  s'étend.  Or,  puisque  Dieu  nous 
a  tellement  ennoblis  que  par  nos  efforts  nous  pouvons 


218  LA    LÉGENDE    DORÉE 

parvenir  à  devenir  semblables  à  lui^afin  de  nous  ôler 
le  prétexte  que  pourrait  suggérer  notre  faiblesse,  nous 
avons  en  commun  avec  lui  le  corps,  l'âme,  les  ali- 
ments, lé  même  créateur,  et  de  plus  son  Dieu  c'est  no- 
tre Dieu.  Voulez-vous  connaître  les  dons  que  le  Sei- 
gneur lui  a  départis?  Ses  vêtements  étaient  la  terreur 
des  démons.  Un  prodige  plus  merveilleux  encore,  c'est 
que  quand  il  bravait  les  périls,  on  ne  pouvait  le  taxer 
de  témérité,  ni  lui  reprocher  de  la  timidité  lorsqu'ils 
surgissaient.  C'était  pour  avoir  le  temps  d'instruire 
qu'il  aimait  la  vie  présente,  tandis  qu'elle  ne  restait 
qu'un  sujet  de  mépris  dès  lors  que  par  la  sagesse  qui 
l'éclairait,  il  entrevoyait  combien  le  monde  est  vil.  En- 
fin voyez-vous  Paul  s'échapper  au  péril  ?  gardez-vous 
de  l'en  admirer  moins  que  quand  il  a  le  plaisir  de  s'y 
exposer.  Cette  conduite  annonce  autant  de  fermeté 
d'une  part,  que  de  sagesse  de  l'autre.  L'entendez-vous 
parler  de  lui  avec  quelque  satisfaction  ?  vous  pouvez 
l'admirer  autant  que  lorsque  vous  le  voyez  se  mépri- 
ser. Ici  c'est  de  la  grandeur  d'âme,  là  de  Thumilité. 
C'était  un  plus  grand  mérite  à  lui  de  parler  de  soi  que 
de  taire  ses  louanges,  car  s'il  ne  les  avait  dîtes,  il  eût 
été  plus  coupable  que  ceux  qui  se  vantent  à  tout  pro- 
pos; en  effet  s'il  n'eût  pas  été  glorifié,  il  eût  entraîné 
dans  la  ruine  ceux  qui  lui  avaient  été  confiés,  tandis 
(ju'en  s'humiliant,  il  les  élevait.  Paul  a  mérité  plus  eu 
se  glorifiant  qu'un  autre  qui  aurait  caché  ce  qui  le  dis- 
tingue :  celui-ci,  par  l'humilité  qui  lui  fait  cacher  ses 
mérites,  gagne  moins  que  celui-là  en  les  manifestant. 
C'est  un  grand  défaut  de  se  vanter,  c'est  le  fait  d'un 
extravagant  de  vouloir  accaparer  les  louanges  dès  lors 


SAJNT    PAUL,    APOTRE  219 

qu'il  n'y  a  aucune  nécessité.  Il  est  évident  que  Dieu 
n'est  pas  là  et  que  c'est  folie  ;  quand  bien  même  on 
l'aurait  gagnée  à  la  sueur  de  son  front^  on  perd  sa 
récompense.  S'élever  au-dessus  des  autres  dans  ses 
propos,  se  vanter  avec  ostentation  n'appartient  qu'à 
un  arrogant  ;  mais  rapporter  ce  qui  est  d'essentielle 
nécessité,  c'est  le  propre  d'un  homme  qui  aime  le  bien, 
qui  cherche  à  se  rendre  utile.  Telle  fut  laconduitede 
Paul,  qui,  pris  pour  un  fourbe,  se  crut  obligé  de  don- 
ner des  preuves  manifestes  de  sa  dignité;  toutefois,  il 
s'abstient  de  dévoiler  bien  des  choses  et  de  celles  qui 
étaient  de  nature  à  l'honorer  le  plus.  «  J'en  viendrai 
maintenant,  dit-il,  aux  visions  et  aux  révélations  du 
Seigneur  »,  et  il  ajoute:  «  Mais  je  me  retiens.  »  Pas 
un  prophète,  pas  un  apôtre  n'eut  aussi  souvent  que 
Paul  des  entretiens  avec  Dieu,  et  c'est  ce  qui  le  fait 
s'humilier  davantage.  Il  parut  redouter  les  coups  afin 
de  vous  apprendre  qu'il  y  avait  en  lui  deux  éléments  : 
sa   volonté  ne  l'élevait  pas  seulement  au-dessus  du 
commun  des  hommes,  mais  elle  en  faisait  un  ange. 
Redouter  les  coups  n'est  pas  un  crime,  c'est  de  com- 
mettre une  indignité  par  la  peur  qu'ils  inspirent.  Dès 
lors  qu'en  les  craignant,  il  sort  victorieux  delà  lutte, 
il  est  bien  autrement  admirable  que  celui  que  la  peur 
n'atteint  pas  ;  comme  ce  n'est  pas  une  faute  de  se  plain- 
dre mais  de  dire  ou  de  faire  par  faiblesse  ce  qui  dé- 
plaît à  Dieu.  Nous  voyons  par  là  ce  que  fut  Paul  ;  avec 
les  infirmités  de  la  nature,  il  s'éleva  au-dessus  de  la 
nature,  et  s'il  redouta  la  mort,  il  ne  refusa  pas  de  la 
subir.   Être  l'esclave  des  infirmités,  c'est  un   crime, 
mais  ce  n'est  pas  d'être  revêtu  d'une  nature  qui  y  est 


220  LA    LÉGENDE   DORÉE 

sujette  ;  de  telle  sorte  que  c*est  un  titre  de  gloire  pour 
lui  d'avoir,  par  force  de  volonté,  surmonté  la  faiblesse 
de  la  nature  ;  ainsi  il  se  laissa  enlever  Paul  surnommé 
Marc.  Ce  fut  ce  qui  l'anima  dans  tout  le  cours  de  sa 
prédication,  car  ce  ministère  ne  s'exerce  pas  avec  mol- 
lesse et  irrésolution,  mais  bien  avec  une  force  et  un 
courage  constamment  égaux  qui  s'engage  dans  cette 
fonction  sublime  doit  être  disposé  à  s'offrir  mille  fois 
à  la  mort  et  aux  dangers.  S'il  n'est  pas  animé  par  cette 
pensée,  son  exemple  perdra  un  bien  grand  nombre  de 
fidèles  ;  mieux  vaudrait  qu'il  s*abstînt  et  qu'il  s'occu- 
pât uniquement  de  soi-même.  Un  pilote,  un  gladia- 
teur, un  homme  qui  combat  les  bêtes  féroces,  per- 
sonne enfin  n'est  obligé  d'avoir  le  cœur  disposé  au 
danger  et  à  la  mort,  comme  celui  qui  s'est  chargé 
d'annoncer  la  parole  de  Dieu  ;  car  celui-ci  a  à  courir 
de  bien  plus  grands  périls,  et  il  doit  combattre  des 
adversaires  plus  violents  et  d'une  toute  autre  condi- 
tion ;  c'est  avoir  le  ciel  pour  récompense  ou  l'enfer 
pour  son  supplice.  Si  entre  quelqu'un  d'eux,  il  surgit 
une  contestation,  ne  regardez  pas  cela  comme  un 
crime,  il  n'y  a  faute  que  quand  la  querelle  est  sans 
prétexte  et  sans  juste  motif.  Il  faut  y  voir  l'action  de 
la  Providence  qui  veut  réveiller  de  l'engourdissement 
et  de  rinertie  les  ànies  endormies  et  découragées. 
Comme  l'épée  a  son  tranchant,  l'âme  aussi  a  reçu  le 
tranchant  de  la  colère  dont  elle  doit  user  au  besoin. 
La  douceur  est  bonne  en  tout  temps;  cependant  il  faut 
l'employer  selon  les  circonstances,  autrement  elle  de- 
vient un  défaut.  Aussi  Paul  Va  mise  en  pratique  et 
dans  sa  colère  il  valait  mieux  que  ceux  dont  le  langage 


SAINT    PAUL,    APOTRE  221 

ne  respirait  pas  la  modestie.  Le  merveilleux  en  lui  était 
que,  chargé  de  chatnes,  couvert  de  coups  et  de  bles- 
sures, il  fut  plus  brillant  que  ceux  qui  sont  ornés  de 
l'éclat  de  la  pourpre  et  du  diadème.  Alors  qu'il  était 
traîné  chargé  de  chatnes  à  travers  des  mers  immen- 
ses, sa  joie  était  aussi  vive  que  si  on  l'eût  mené  prendre 
possession  d'un  grand  royaume.  A  peine  est-il  entré 
dans  Rome  qu'il  cherche  à  en  sortir  pour  parcourir 
l'Espagne.  Il  ne  prend  pas  même  un  jour  de  repos;  le 
feu  est  moins  actif  que  son  zèle  à  évangéliscr;  les  pé- 
rils, illes  brave,  les  moqueries,  il  ne  sait  en  rougir. 
Ce  qui  met  le  comble  à  mon  admiration,  c'est  qu'a- 
vec une  pareille  audace,  quand  il  était  constamment 
armé  pour  le  combat,  lorsqu'il  ne  respirait  qu'une  ar- 
deur toute  guerrière,  il  restait  calme  et  prêt  à  tout.  Il 
vient  de  sévir,  ou  plutôt  sa  colère  vient  d'éclater  quand 
on  lui  commande  d'aller  à  Tharse  ;  et  il  y  va.  On  lui 
dit  qu'il  faut  descendre  par  la  muraille  dans  une  cor- 
beille, il  se  laisse  faire.  Et  pourquoi?  pour  évangéliser 
encore  et  traîner  à  sa  suite  vers  J.-C.  une  multitude 
de  croyants.  Il  ne  redoutait  qu'un  malheur,  c'était  de 
quitter  la  terre  et  de  ne  pas  avoir  sauvé  le  plus  grand 
nombre.  Quand  des  soldats  voient  leur  général  cou- 
vert de  blessures,  ruisselant  de  sang,  sans  que  toute- 
fois il  cesse  de  tenir  tète  à  l'ennemi,  mais  que  tou- 
jours il  brandit  sa  lance,  jonche  le  sol  des  cadavres  qui 
sont  tombés  sous  ses  coups,  et  qu'il  ne  compte  pour 
rien  sa  propre  douleur,  un  pareil  sang-froid  les  élec- 
trise.  Il  en  advint  ainsi  à  Paul.  Quand  on  le  voyait 
chargé  de  chaînes  et  préchant  néanmoins  dans  sa  pri- 
son, quand  on  le  voyait  blessé  et  convertissant  ceux 


222  LA    LÉGENDE    DOREE 

qui  le  frappaient,  il  y  avait  certes  de  quoi  puiser  une 
grande  confiance.  11  veut  le  faire  entendre  alors  qu'il 
dit  que  plusieurs  de  ses  frères  en  Notre-Seigneur,  se 
rassurant  par  cet  heureux  succès  de  ses  liens,  ont  conçu 
une  hardiesse  nouvelle  pour  annoncer  la  parole  de 
Dieu  sans  aucune  crainte.  Il  en  concevait  lui-même 
une  joie  plus  ferme,  et  son  courage  contre  ses  adver- 
saires s'en  augmentait  d'autant.  Comme  du  feu  tom- 
bant sur  une  grande  sorte  de  matières  se  nourrit  et 
s'étend,  de  même  le  langage  de  Paul  attire  tous  ceux 
qui  Técoutent.  Ses  adversaires  deviennent  la  pâture  de 
ce  feu,  puisque,  par  eux,  la  flamme  de  l'Evangile  aug- 
mentait de  plus  en  plus  (saint  Jean  Chrysostome). 


LES  SEPT  FRÈRES  QUI    FURENT  LES  FILS 

DE  SAINTE  FÉLICITÉ 

Les  sept  frères  étaient  fils  de  sainte  Félicité;  leurs 
noms  sont  :  Janvier,  Félix,  Philippe,  Silvain,  Alexan- 
dre, Vital  et  Martial.  D'après  l'ordre  de  l'empe- 
reur Antonin,  ils  furent  amenés  tous  avec  leur  mère 
auprès  du  préfet  Publius  qui  les  avait  mandés  devant 
lui,  et  qui  exhorta  la  mère  à  avoir  pitié  d'elle  et  de 
ses  enfants  :  Elle  dit  :  «  Je  ne  me  laiss^^rai  ni  gagner 
par  tes  caresses,  ni  effrayer  par  tes  menaces.  Ma 
confiance  repose  dans  l'Esprit-Saint  que  je  possède  ; 
vivante,  je  triompherai  de  toi,  mais  morte,  ma  vic- 
toire sera  encore  plus  grande.  »  Et  se  tournant  vers 
ses  enfants,  elle  dit  :  «  Mes  enfants,  levez  la  tête  et 


LES    SEPT   FRERES,    FILS    DE    SAINTE    FÉLICITÉ       223 

regardez  le  ciel,  mes  très  chers,  car  c'est  là  que  J.-C. 
nous  attend.  Combattez  avec  courage  pour  J.-C.  et 
persistez  dans  son  amour.  »  Quand  le  préfet  eut  en- 
tendu cela,  il  lui  fit  donner  des  soufflets.  Et  comme 
la  mère  et  ses  fils  paraissaient  très  constants  dans  la 
foi,  tous  furent  tués  dans  divers  supplices  sous  les 
yeux  de  leur  mère  qui  les  encourageait.  Cette  sainte 
Félicité  est  appelée  par  saint  Grégoire  plus  que  mar- 
tyre, parce  qu'elle  fut  martyrisée  sept  fois  dans  ses 
enfants  et  la  huitième  fois  dans  son  propre  corps.  Le 
même  saint  parle  ainsi  dans  ses  homélies  :  «  Sainte 
Félicité  qui,  par  sa  foi,  fut  la  servante  de  J.-C,  de- 
vint aussi  martyre  du  même  J.-C.  par  sa  prédication. 
Elle  craignait  de  laisser  vivre,  après  elle,  les  sept  en- 
fants qu'elle  avait,  autant  que  les  parents  charnels 
ont  coutume  de  craindre  de  leur  survivre.  Elle  en- 
fanta dans  l'esprit  ceux  qu'elle  avait  enfantés  dans 
la  chair,  afin  de  donner  à  Dieu  par  ses  paroles  ceux 
<|u'elle  avait  donnés  au  monde  par  la  chair.  Ces  en- 
fants qu'elle  savait  être  son  sang,  elle  ne  pouvait  les 
voir  mourir  sans  douleur,  mais  elle  avait  dans  le 
cœur  un  amour  si  fort  qu'elle  put  surmonter  la  dou- 
leur corporelle.  Aussi  ai-jebien  raison  d'appeler  cette 
femme  plus  qu'une  martyre,  car  elle  mourut  autant 
de  fois  et  avec  tant  de  douleur  qu'elle  avait  de  fils. 
Après  avoir  mérité  tous  ces  martyres,  elle  obtint  pour 
elle  aussi  la  palme  victorieuse  des  martyrs  ;  car  ce 
ii*était  pas  assez  pour  l'amour  qu'elle  portait  à  J.-C. 
que  de  mourir  une  seule  fois.  »  —  Ils  souflFrirent  vers 
l'an  du  Seigneur  HO. 


224  LA    LÉGENDE    DORÉE 


SAINTE  THÉODORE  * 

L'interprétation  de  Saincte  Théodore. —  Théodore  est  dicte 
atheos,  c'est-à-dire  Dieu.  Et  de  oraison,  et  ce  vault  autant 
adiré  comme  oraison  a  Dieu.  Car  elle  oura  et  depria  tant  Dieu 
que  le  pechie  quelle  avoit  fait  lui  fust  pardonne. 

Théodore  était  une  femme  mariée  et  de  noble  ex- 
traction. Du  temps  de  l'empereur  Zenon,  elle  habi- 
tait Alexandrie  avec  son  époux,  homme  riche  et  crai- 
gnant Dieu.  Or,  le  démon,  jaloux  de  la  sainteté  de 
Théodore,  enflamma  un  riche  de  concupiscence  pour 
elle.  Il  la  fatiguait  de  messages  répétés  et  de  présents 
afin  de  la  faire  consentir  à  sa  passion  ;  mais  elle  ren- 
voyait ses  messagers  avec  dédain  et  méprisait  ses  pré- 
sents. Il  la  tourmentait  au  point  de  ne  lui  laisser  au- 
cun instant  de  repos  et  peu  s'en  fallut  qu'elle  en 
perdît  la  vie.  Enfin  il  lui  adressa  une  magicienne,  — 
qui  l'exhortait  beaucoup  à  avoir  pitié  de  cet  homme 
et  à  se  rendre  à  ses  désirs.  Or,  comme  Théodore  ré-  y 
pondait  que  jamais  elle  ne  commettrait  un  péché  si  F 
énorme  sous  les  yeux  de  Dieu  qui  voit  tout,  la  magi- 
cienne ajouta  :  «  Tout  ce  qu'on  fait  de  jour,  Dieu  le 
sait  certainement  et  le  voit,  mais  tout  ce  qui  se  passe 
sur  le  soir  et  après  le  soleil  couché.  Dieu  ne  le  voit 
pas  du  tout.  »  Et  la  jeune  femme  dit  à  la  magicienne  : 
«  Est-ce  que  tu  dis  la  vérité  ?  »  «  Oui,  répondit-elle, 

*  II  y  avait  une  église  du  nom  de  celle  sainte,  à  Paris,  rue 
des  Postes.  Sa  vie  est  lirée  de  Mëlaj)lirasle.  Surius  et  Lepo- 
nianus  Ki  rapportent. 


SAINTE    THÉODORE  225 

je  disla  vérité.  »  Théodore,  trompée  par  les  paroles 
de  cette  femme,  lui  dit  de  faire  venir  Thomme  chez 
elle  vers  le  soir  et  qu'elle  accomplirait  sa  volonté.  La 
magicienne  ayant   rapporté  cela,    cet  homme  entra 
dans  des  transports  de  joie  ;  il  vint  chez  Théodore  à 
rheure  qu'elle  avait  indiquée,  commit  un  crime  avec 
elle  et  se  retira.  Mais  Théodore  rentrant  en  soi-même 
versait  des  larmes  très  amères,  et  se  frappait  la  fi- 
^re  en  disant  :  «  Âh  !  malheur  à  moi  !  j'ai  perdu 
mon  âme  ;  j'ai  détruit  ce  qui  me  rendait  belle.  »  Son 
mari,  revenu  à  la  maison,  voyant  sa  femme  dans  la 
désolation  et  dans  les   pleurs,  sans  en  connaître  la 
cause,  s'efforçait  de  la  consoler  :  mais  elle  ne  voulait 
accepter  aucune  consolation.   Le  matin  étant  venu, 
die  alla  à  un  monastère  de  religieuses  et  demanda  à 
Tabbesse  si   Dieu  pouvait  avoir  connaissance  d'un 
crime  grave  qu'elle  avait  commis  à  la  chute  du  jour. 
L'abbesse  lui  répondit  :  «  Rien  ne  peut  être  caché  à 
Dieu  qui  sait  et  voit  tout  ce  qui  se  passe,  à  telle 
heure  que  ce  soit.  »  Théodore  pleura  amèrement  et 
dit:  «  Donnez-moi  le  livre  du  saint  Evangile,  afin  que 
moi-même  je  tire  mon  sort.  »  Et  en  ouvrant  le  livre, 
elle  trouva  ces  mots  :  «  Quod  scripsi,  scripsi,  ce  que  j'ai 
écrit,  je  l'ai  écrit.  »  Elle  revint  à  sa  maison  et  un  jour, 
pendant  que  son  mari  était  absent,  elle  se  coupa  la 
chevelure,  prit  les  habits  de  son  mari  et  alla  en  toute 
hâte  à  un  monastère  de  moines  éloigné  de  huit  milles  ; 
elle  demanda  à  être  reçue  dans  la  communauté  et 
l'obtint.  Quand  on  lui  demanda  son  nom,  elle  répon- 
dit qu'elle  s'appelait  Théodore.   Elle  s'acquittait  en 
toute  humilité  de  ce  qu'on  lui  donnait  à  faire,  et  son 
II.  ir» 


226  LA    LÉGENDE    DOREE 

service  étail  agréable  à  tout  le  inonde.  Or,  quelques 
années  après,  Tabbé  appela  frère  Théodore,  et  lui 
commanda  d'atteler  les  bœufs  et  d'aller  chercher  de 
Thuile  à  la  ville.  Quant  à  son  mari,  il  pleurait  beau- 
coup dans  la  crainte  que  sa  femme  ne  fût  partie  avec 
un  autre  homme.  Et  voici  que  l'ange  du  Seigneur  lui 
dit  :  «  Lève-toi  dès  le  matin  ;  reste  dans  la  rue  du 
martyre  de  saint  Pierre,  apôtre,  et  celle  qui  viendra 
au-devant  de  toi,  ce  sera  ton  épouse.  »  Après  quoi, 
Théodore  vint  avec  des  chameaux  ;  elle  vit  et  recon- 
nut alors  son  mari  et  se  dit  en  elle-même.  «  Hélas  ! 
mon  bon  mari,  que  de  peines  je  me  donne  pour  être 
délivrée  du  péché  que  j'ai  commis  conJLre  toi  !  »  El 
((uand  elle  se  fut  approchée,  elle  le  salua  en  disant  : 
«  Joie  à  mon  seigneur.  »  Or,  il  ne  la  reconnut  point, 
mais  après  avoir  attendu  très  longtemps  et  s'être  dit 
qu'il  avait  été  trompé,  une  voix  se  fit  entendre  qui 
lui  dit  :  «  Celui  qui  t*a  salué  hier  matin,  était  ton 
épouse.  » 

La  bienheureuse  Théodore  était  d'une  telle  sainteté 
qu'elle  opérait  beaucoup  de  miracles  :  car  elle  arracha 
un  homme  de  la  gueule  d'une  bête  féroce  qui  l'avait 
lacéré,  et  le  ressuscita  par  ses  prières.  Elle  poursuivit 
elle-même  Tanimal,  le  maudit  :  et  il  tomba  mort  aus- 
sitôt. Mais  le  diable  qui  ne  voulait  point  supporter  sa 
sainteté  lui  apparut  :  «  Prosliluée  plus  qu'aucune 
autre,  lui  dit-il,  adultère,  tu  as  quitté  ton  mari  pour 
venir  ici  et  me  mépriser  ;  par  toutes  mes  terribles 
puissances,  je  te  livrerai  des  combats,  et  si  je  ne  te 
fais  renier  le  crucifié,  tu  pourras  dire  que  ce  n'est  pas 
moi  qui  t*attaque,  »    Mais  elle  fit  le  signe  de  la  croix 


SAINTE    THÉODORE  227 

sur  elle  et  à  Finstant  le  démon  disparut.  Une  autre 
fois,  elle  revenait  de  la  ville  avec  des  chameaux  ;  ayant 
reçu  rhospitalité  dans  un  endroit,  une  jeune  fille  vint 
la  trouver  la  nuit  et  lui  dit  :  «  Dors  avec  moi.  »  Théo- 
dore l'ayant  repoussée  avec  dédain,  cette  fille  en  alla 
trouver  un  autre  qui  était  couché  au  même  lieu.  Or, 
quand  elle  se  vit  enceinte,  on  lui  demanda  de  qui  elle 
avait  conçu,  elle  dit  :  «  C'est  le  moine  Théodore  qui  a 
dormi  avec  moi,  »  L'enfant  étant  né,   on  le  porta  à 
l'abbé  du  monastère.  Celui-ci,  après  avoir  tancé  Théo- 
dore qui  réclamait  son  indulgence,  lui  mit  l'enfant 
sur  les  épaules  et  la  chassa  du  monaslère.  Or,  elle 
ï^la  pendant  sept  ans  hors  du  cloître,  et  elle  nourrit 
l'enfant  du  lait  des  troupeaux.  Le  diable,  jaloux  d'une 
*ï  grande   patience,  se  présenta  devant  elle  sous  les 
•rails  de  son  mari  :   «  Que  faites-vous  ici,  ma  dame? 
lui  dit-il.  Voici  que  je  languis  pour  vous,   et  ne  puis 
trouver  aucune  consolation  ;  venez  donc,  ma  lumière  ; 
quand  vous  auriez  fait  le  mal  avec  un  autre  homme, 
J*  vous  le  pardonne.  »   Mais  celle-ci,  persiiadée  que 
^^lait  son  mari,  lui  répondit  :    «  Je  ne  demeurerai 
plus  désormais  avec  vous  ;  parce  que  le  fils  de  Jean 
le  soldat  a  couché  avec  moi,  et  je  veux  faire  pénitence 
^ic  la,  faute  que  j'ai  commise  envers  vous.  »  Puis  elle 
se  mit  en  prières  et  aussitôt  la  vision  disparut  :  elle 
reconnut  alors  que  c'était  le  démon.  Une  autre  fois 
encore  le  diable  voulut  TefFrayer;  car  les  démons  se 
présentèrent  à  elle  sous  la  forme  de  hètos  terribles  et 
jly  avait  un  homme  qui  les  excitait  en  disant  :  «  Man- 
gez cette  prostituée.  »  Mais  elle  pria  et  les  bétes  dis- 
parurent. Une  autre  fois,   c'était  une   troupe  de  sol- 


228  LA    LÉGENDE    DOREE 

dats  qui  venaient  conduits  par  un  prince  que  les  autres 
adoraient,  et  les  soldats  dirent  à  Théodore  :  «  Lève-toi 
et  adore  notre  prince.  »  Elle  répondit  :  «  J'adore  le 
Seijçneur   Dieu.  »    Lorsqu'on  eut   rapporté  cela  au 
prince,  il  la  fît  amener  et  battre  jusqu'à  la   croire 
morte;  après  quoi  toute  la  foule  s'évanouit.  Une  autre 
fois  encore,  elle  vit  auprès  d'elle  une  quantité  d'or; 
mais  elle  prit  la  fuite  en  se  signant  et  se  recomman- 
dant à  Dieu.  Un  jour,  elle  vit  un  homme  qui  portait 
une  corbeille  pleine  de  toutes  sortes  de  mets  et  cet 
homme  lui  dit:  «  Le  prince  qui  t'a  frappé  m'a  chargé 
de  te  dire  :  Prends  et  mange,  car  il  t'a  maltraité  par 
ignorance.  »  Alors  elle  se  signa  et  tout  disparut.  Après 
sept  ans  révolus,  l'abbé,  en  considération  de  sa  pa- 
tience, la  réconcilia  et  la  fit  entrer  dans  le  monastère 
avec  son  enfant.  Quand  elle  y  eut  passé  deux  ans,  de 
manière  à  ne  mériter  que  des  éloges,  elle  pritl'enfant^^ 
et  s'enferma  avec  lui  dans  sa  cellule.  L'abbé,  qui  eiw^ 
fut  informé,  envoya   quelques  moines  écouter  avec  I^ 
plus  grande  attention  ce  qu'elle  pouvait  dire  avec  c 
enfant.  Or,  elle  le  serra  dans  ses  bras  et  le  baisa 
disant:  «  Mon  fils  bien-aimé,  le  temps  de  ma  vies' 
écoulé,  je  te  laisse  à  Dieu  ;   qu'il  soit  ton  père  et  t 
soutien,  fils  chéri  ;  vis  dans  la  pratique  du  jeûne  et 
la  prière,  et  sers  tes  frères  avec  dévouement.  »  En  c//- 
sant  ces  mots,  elle  rendit  l'esprit  et  s'endormit  heu- 
reusement dans  le  Seigneur  vers  Tan  de  J.-C.  470.  A 
cette  vue,  l'enfant  se  mit  à  verser  d'abondantes  larmes. 
Or,  cette   nuit-là  môme,  l'abbé  du  monastère  eut  la 
vision  suivante  :  On  faisait  des  préparatifs  pour  des 
noces  magnifiques  auxquelles  se  rendaient  les  ordres 


SAINTE    THÉODORE  220 

des  anges,  des  prophètes,  des  martyrs  et  de  tous  les 
saints  :  au  milieu  d'eux,  une  femme  marchait  seule, 
environnée  d'une  gloire  ineffable  :  arrivée  au  lieu  du 
festin,  elle  s'assit  sur  un  lit  et  tous  les  assistants 
étaient  pleins  d'attention  pour  elle,  quand  se  fit  en- 
tendre une  voix  qui  disait  :  «  Celui-ci  est  le  père 
Théodore  qui  a  été  accusé  faussement  d'avoir  eu  un 
enfant.  Sept  ans  se  sont  écoulés  depuis  cette  époque; 
et  elle  a  été  châtiée  pour  avoir  souillé  le  lit  de  son 
mari.  »  L'abbé,  à  son  réveil,  se  hâta  d'aller  avec  les 
frères  à  la  cellule  de  Théodore  qu'il  trouva  déjà  morte. 
Après  être  entrés,  ils  la  découvrirent  et  trouvèrent 
que  c'était  une  femme.  Aussitôt  l'abbé  envoya  cher- 
cher le  père  de  la  fille  qui  avait  sali  la  réputation  de 
Théodore  et  il  lui  dit  :  «  L'homme  de  ta  fille  est  mort  »  ; 
et  en  dtant  les  vêtements,  le  père  reconnut  que  c'était 
uue  femme. 

Quand  on  apprit  cela,  il  y  eut  uue  grande  et  gé- 
nérale frayeur;  alors  Tai^ge  du  Seigneur  parla  ainsi 
à  l'abbé  :  «  Lève-toi  vite,  prends  un  cheval  et  cours 
à  la  ville,  et  celui  que  tu  rencontreras  prends-le  et 
le  ramène  avec  toi.  »  Il  était  sur  le  chemin,  quand 
un  homme  accourut  au-^devan(  de  lui.  L'abbé  lui  ayant 
demandé  où  il  allait,  cet  homme  lui  dit  :  «  Ma  femme 
est  morte  et  je  vais  la  voir.  »  Et  Tabbé  fit  monter  à 
cheval  avec  lui  le  mari  de  Théodore;  quand  ils  furent 
arrivés,  ils  pleurèrent  beaucoup  et  ils  Tensevelirent 
avec  de  grands  honneurs.  Alors  le  mari  de  Théodore 
prit  la  cellule  de  sa  femme,  où  il  resta  jusqu'au  mo- 
ment qu'il  s'endormit  dans  le  Seigneur.  L'enfant  de 
Théodore  suivit  les  avis  de  sa  nourrice  et  se  fil  remar- 
n.  15- 


230  LA    LÉGENDE    DORÉE 

quer  par  une  entière  honnêteté  de  mœurs,  de  sorte 
qu'à  la  mort  de  Tabbé,  il  fut  élu  à  Tunanimité  pour  le 
remplacer. 


SAINT  ALEXIS  ♦ 

Alexis  vient  de  a,  qui  veut  dire  beaucoup,  et  lexis,  qui  si- 
gnifie sermon.  De  là  Alexis,  qui  est  très  fort  sur  la  parole  de 
Dieu. 

Alexis  fut  le  fils  d'Euphémien,  homme  d'une  haute 
noblesse  à  Rome,  et  le  premier  à  la  cour  de  l'empe- 
reur :  il  avait  pour  ser\âteurs  trois  mille  jeunes  esclaves 
revêtus  de  ceintures  d'or  et  d'habits  de  soie.  Or,  le 
préfet  Euphémien  était  rempli  de  miséricorde,  et  tous 
les  jours,  dans  sa  maison,  on  dressait  trois  tables 
pour  les  pauvres,  les  orphelins,  les  veuves  et  les  pèle- 
lins  qu'il  servait  avec  empressement  ;  et  à  l'heure  de 
none,  il  prenait  lui-même  son  repas  dans  la  crainte 
(lu  Seigneur  avec  des  personnages  religieux.  Sa  femme 
nommée  Aglaë  avait  la  même  dévotion  et  les  mêmes 
ijoûts.  Or,  comme  ils  n'avaient  point  d'enfant,  à  leurs 
prières  Dieu  accorda  un  fils,  après  la  naissance  du- 
(juel  ils  prirent  la  ferme  résolution  de  vivre  désormais 
dans  la  chasteté.  L'enfant  fut  instruit  dans  les  sciences 
libérales,  et  après  avoir  brillé  dans  tous  les  arts  de  la 
philosophie,  et  avoir  atteint  Tâge  de  puberté,  on  luS 
choisit  une  épouse  de  la  maison  de  l'empereur  et  oi^ 
le  maria.  Arriva  Thcure  de  la  nuit  où  il  alla  avec  soi  m 

*  Sigcbcrt  do  Gemblours,  Chron.an.y  i05. 


SAINT    ALEXIS  231 

^'pouse  dans  la  chanibre  nuptiale  :  alors  le  saint  jeune 
Homme  commença  par  instruire  cette  jeune  personne 
de  la  crainte  de  Dieu,  et  à  la  porter  à  conserver  la  pu- 
deur de  la  virginité.  Ensuite  il  lui  donna  son  anneau 
d'or  et  le  bout  de  la  ceinture  qu'il  portait  en  lui  disant 
de  les  conserver  :   «  Reçois  ceci,  el  conserve-le  lant 
^|u*il  plaira  à  Dieu,    et  que  le  Seigneur  soit  entre 
nous.  »  Après  quoi  il  prit  de  ses  biens,  alla  à  la  mer 
^t  s'embarqua  à  la  dérobée  sur  un  vaisseau  qui  faisait 
voile  pour  Laodicée,  d'où  il  partit  pour  Edesse,  ville 
de  Syrie,  dans  laquelle  on  conservait  un  portrait  de 
^otre-Seigneur  J.-C.    peint  sur   un  linge  sans  que 
'  homme  y  ait  mis  la  main.  Quand  il  y  fut  arrivé,  il 
distribua  aux  pauvres  tout  ce  qu'il  avait  apporté  avec 
^^iy  puis  se  revêtant  de  mauvais  habits,  il  commença 
P^r  se  joindre  aux  autres  pauvres  qui  restaient  sous  le 
Perche  de  l'église  de  la  Vierge  Marie.  11  gardait  des 
^^*inônes  ce  qui  pouvait  lui  suffire  ;  le  reste,  il  ledon- 
'^^U  aux  pauvres.  Cependant,  son  père,  inconsolable 
^^    la  disparition  de  son  fils,  envoya  ses  serviteurs 
P^ï*  tous  pays,  afin  de  le  chercher  avec  soin.  Quelques- 
^^s  vinrent  à  Edesse  et  Alexis  les  reconnut  ;  mais  eux 
^^   le  reconnurent  point,  et  même  ils  lui   donnèrent 
;  ^U.mône  comme  aux  autres  pauvres.  En  l'acceptant, 
"   Rendit  grâces  à  Dieu  en  disant  :  «  Je  vous  rends 
î'^^ces,  dit-il,  Seigneur,  de  ce  que  vous  m'avez  fait 
'^^^cvoir  l'aumône  de  mes  serviteurs.  »  A  leur  retour, 
^^    annoncèrent  au  père  qu'on  n'avait  pu  le  trouver  en 
^^^un  lieu.  Quant  à  sa  mère,  à  partir  du  jour  de  son 
^J)art,  elle  étendit  un  sac  sur  le  pavé  de  sa  chambre, 
^^*  au  milieu  de  ses  veilles,  elle  poussait  ces  cris  la- 


k 


^7 


232  LA    LÉGENDE    DOilÉE 

mentablcs  :  «  Toujours  je  demeurerai  ici  dans  le  deuil, 
jusqu'à  ce  que  j'aie  retrouvé  mon  fils,  »  Pour  son 
épouse,  elle  dît  à  sa  belle-mère  :  »  Jusqu'à  ce  quo 
j'entende  parler  de  mon  très  cher  époux,  semblable  à 
une  tourterelle,  je  resterai  dans  la  solitude  avec  vous.  » 
Or,  la  dix-septième  année  qu'Alexis  demeurait  dans 
le  service  de  Dieu  sous  le  porche  dont  il  a  été  question 
plus  haut,  une  image  de  la  Sainte  Vierge  qui  se  trou- 
vait là,  dit  enfin  au  custode  de  l'église  :  «  Fais  entrer 
l'homme  de  Dieu, parce  qu'il  est  digne  duroyaumedu 
ciel  el  l'Esprit  divin  repose  sur  lui  :  sa  prière  s'élève 
comme  Tencens  en  la  présence  de  Dieu.  »  Et  comme 
le  custode  ne  savait  de  qui  la  Vierge  parlait,  elle 
ajouta  :  «  C'est  celui  qui  est  assis  dehors  sous  le  por- 
che. »  Alors  le  custode  se  hâta  de  sortir  et  fit  entrer 
Alexis  dans  l'église.  Ce  fait  étant  venu  à  la  connais- 
sance du  public,  on  se  mit  à  lui  donner  des  marques  de 
vénération  ;  mais  Alexis,  fuyant  la  vaine  gloire,  quitta 
Edesse  et  vint  à  Laodicée,  où  il  s'embarqua  dans  l'in- 
tention d'aller  à  Tharse  de  Cilicie  ;  cependant  Dieu  en 
disposa  autrement,  car  le  navire,  poussé  parle  vent, 
aborda  an  port  do  Rome.  Quand  Alexis  eut  vu  cela,  il 
se  dit  (Ml  lui-même  :  «  Je  resterai  inconnu  dans  la 
maison  de  mon  p^ve.  et  je  ne  serai  à  charge  à  aucun 
autre.  »  Il  rencontra  son  père  qui  revenait  du  palais 
entouré  d'une  multitude  de  gens  obséquieux,  et  il  se 
mita  lui  crier  :  «  Serviteur  de  Dieu, je  suis  un  pèlerin, 
fais-moi  recevoir  dans  ta  maison,  el  laisse-moi  me 
nourrir  des  miettes  de  ta  table,  afin  que  le  Seigneur 
daigne  avoir  pitié  de  toi,  à  ton  tour,  qui  es  pèlerin 
aussi.  »  En   entendant  ces  mots,  le  père,  par  amour 


SAINT    ALEXIS  233 

pour  son  fils,  riiitroduisit  chez  lui  ;  il  lui  donna  un 
lîea  particulier  dans  sa  maison,  lui  envoya  de  la  nour- 
riture de  sa  table  ;  en  chargeant  quelqu'un  d'avoir 
soin  (le  lui.  Alexis  persévérait  dans  la  prière,  macé- 
rait son  corps  par  les  jertnes  et  par  les  veilles.  Les 
seniteurs  de  la  maison  se  moquaient  de  lui  à  tout 
instant;  souvent  ils  lui  jetaient  sur  la  tête  Teau  qui 
îivail  servi,  et  l'accablaient  d'injures  :  mais  il  suppor- 
tait tout  avec  une  grande  patience.  Il  demeura  donc 
inconnu  de  la  sorte  pendant  dix-sept  ans  dans  la  maison 
(le  son  père. 

Ayant  vu  en  esprit  que  le  terme  de  sa  vie  était  pro- 
che, il  demanda  du  papier  et  de  l'encre,  et  il  écrivit 
le  récit  de  toute  sa  vie.  Un  jour  de  dimanche,  après 
la  messe  solennelle,  une  voix  se  fît  entendre  dans  le 
sanctuaire  en  disant  :  «  Venez  à  moi,  vous  tous  qui 
travaillez  et  qui  êtes  fatigués  et  je  vous  soulagerai.  » 
Quand  on  entendit  cela,  on  fut  effrayé;  tout  le  monde 
se  jeta  la  face  contre  terre,  quand  pour  la  seconde 
fois,  la  voix  se  fit  entendre  et  dit  :  «  Cherchez  l'homme 
de  Dieu  afin  qu'il  prie  pour  Rome.  »  Les  recherches 
n'ayant  abouti  à  rien,  la  voix  dit  de  nouveau  :  «  C'est 
clans  la  maison  d'Euphémien  que  vous  devez  cher- 
cher. »  On  s'informa  auprès  de  lui,  et  il  dit  qu'il  ne 
savait  pas  de  qui  on  voulait  parler.  Alors  les  empe- 
reurs Arcadius  et  Honorius  vinrent  avec  le  pape  Inno- 
cent à  la  maison  d'Euphémien  :  et  voilà  que  celui  qui 
rtait  chargé  d'Alexis  vint  trouver  son  maître  et  lui 
(lire  :  «  Voyez,  Seigneur,  si  ce  ne  serait  pas  notre  pèle- 
rin ;  car  vraiment  c'est  un  homme  d'une  grande  pa- 
lience.  »  Euphémien  courut  aussitôt,  mais  il  le  trouva 


234  LA    LÉGENDE    DORÉE 

mort  :  il  vit  sa  figure  toute  resplendissante  comme 
celle  d'un  ange  :  ensuite  il  voulut  prendre  le  papier 
qu'il  avait  dans  la  main,  mais  il  ne  put  l'ôter.  En  sor- 
tant il  raconta  ces  détails  aux  empereurs  et  aux  pon- 
tifes qui,  étant  entrés  dans  le  lieu  où  gisait  le  pèle- 
rin, dirent  :  «  Quoique  pécheurs,  nous  avons  cependant 
le  gouvernement  du  royaume  ;  et  l'un  de  nous  a  la 
charge  du  gouvernement  pastoral  de  TEglise  univer- 
selle, donne-nous  donc  ce  papier  afin  que  nous  sa- 
chions ce  qui  y  est  écrit.  »  Le  pape  s'approchant  prit 
le  papier,  que  le  défunt  laissa  aussitôt  échapper,  et  il 
le  fit  lire  devant  tout  le  peuple,  en  présence  du  père 
lui-même.  Alors  Euphémien,  qui  entendait  cela,  fut 
saisi  d'une  violente  douleur;  il  perdit  connaissance 
et  tomba  pâmé  sur  la  terre.  Revenu  un  peu  à  lui,  il 
déchira  ses  vêtements,  s'arracha  les  cheveux  blanchis, 
se  tira  la  barbe,  et  se  déchira  lui-même  de  ses  pro- 
pres mains,  puis  se  jetant  sur  le  corps  de  son  fils,  il 
criait  :  «  Malheureux  que  je  suis  I  pourquoi,  mon  fils, 
pourquoi  m'as-tu  centriste  de  la  sorte?  pourquoi 
pendant  tant  d'années  m'as- tu  plongé  dans  la  dou- 
leur et  les  gémissements  ?  Ah  !  que  je  suis  malheu- 
reux de  te  voir,  toi,  le  bâton  de  ma  vieillesse,  étendu 
sur  un  grabat  !  tu  ne  parles  pas  :  ah  I  misérable  que 
je  suis  !  quelle  consolation  pourrai-je  jamais  goû- 
ter maintenant?»  Sa  mère  en  entendant  cela,  sem- 
blable à  une  lionne  qui  a  brisé  le  piège  où  elle  était 
prise,  s'arrache  les  vêtements,  se  rue  échevelée,  lève 
les  yeux  au  ciel,  et  comme  la  foule  était  si  épaissi** 
((u'elle  ne  pouvait  arriver  jusqu'au  saint  corps,  elle* 
(riait  :  «  Laissez-moi  passer,  que  je  voie  mon  fils,  que 


SAINT    ALEXIS  23S 

je  voie  la  consolation  de  mon  âme,  celui  qui  a  sucé 
roes  mamelles.  »  Arrivée  au  corps,  elle  se  jeta  sur  lui 
en  criant  :  «  Quel  malheur  pour  moi  !  mon  fils,  la  lu- 
naièrede  mes  yeux,   qu'as-tu  fait  là?  pourquoi  avoir 
agi  si  cruellement  envers  nous?  Tu  voyais  ton  père  et 
ta  malheureuse  mère  en  larmes,  et  tu  ne  te  faisais  pas 
connaître  à  nous  !  Tes  esclaves  t'injuriaient  et  tu  le 
supportais  !  »  Et  à  chaque  instant  elle  se  jetait  sur  le 
<^rps,  tantôt  étendant  les  bras  sur  lui,  tantôt  cares- 
sant de  ses  mains  ce  visage  angélique,  tantôt  l'embras- 
ant :  a  Pleurez  tous  avec  moi,  s'écriait-elle  ;  puisque, 
P^i)dant  dix-sept  ans,  je  l'ai  eu   dans  ma  maison  et 
J^  n'ai  pas  su  que  ce  fût  mon  fils.  Et  encore  il  y  avait 
^^s  esclaves  qui  l'insultaient  et  qui  l'outrageaient  en 
^^   souffletant  !   Suis-je  malheureuse  !  qui  donnera  à 
''^^s  yeux  une  fontaine  de  larmes  pour  pleurer  nuit  et 
Jour  celui  qui  est  la  douleur  de  mon  âme  ?  »  La  femme 
^  Alexis,  vêtue  d'habits  de  deuil,  accourut  baignée  de 
^''ïïies.  «  Quel  malheur  pour  moi!  quelle  désolation! 
^^    voici  veuve,  je  n'ai  plus  personne  à  regarder  et 
'  ^ï*  lequel  j'aie  à  lever  les  yeux.  Mon  miroir  est  brisé, 
^tijet  de  mon  espoir  a  péri.  Aujourd'hui  commence 
^^Vtr  moi  une  douleur  qui  n'aura  point  de  fin.  »  Le 
P^Viple  témoin  de  ce  spectacle  versait  d'abondantes 
^^tnes.  Alors  le  pontife  et  les  empereurs  avec  lui  pla- 
^^^ent  le  corps  sur  un  riche  brancard,  jet  le  conduisi- 
^^it  au  milieu  de  la  ville.  On  annonçait  au  peuple 
*^'on  avait  trouvé  l'homme  de  Dieu  que  tous  les  ci- 
^^^ens  recherchaient.  Tout  le  monde  courait  au-devant 
^^  saint.    Y  avait-il  un  infirme?  il  touchait  ce  très 
^^int  corps,  et  aussitôt  il  était  guéri  ;  les  aveugles  re- 


236  LA    LÉGEND£    DOUEE 

couvraient  la  vue,  les  possédés  du  démon  étaient 
délivrés  ;  tous  ceux  qui  étaient  souffrants  de  n'importe 
quelle  infirmité  recevaient  guérison.  Les  empereurs, 
à  la  vue  de  tous  ces  prodiges,  voulurent  porter  eux- 
mêmes,  avec  le  souverain  pontife,  le  lit  funèbre,  pour 
être  sanctifiés  aussi  par  ce  corps  saint.  Alors  lesempe- 
reui's  firent  jeter  une  grande  quantité  d'or  et  d'argent 
sur  les  places  publiques,  afin  que  la  foule,  attirée  par 
Tappât  de  celte  monnaie,  laissât  parvenir  le  corps  du 
saint  jusqu'à  Téglise.  Mais  la  populace  qui  ne  tint  au- 
cun compte  de  l'argent,  se  portait  de  plus  en  plus  au- 
près du  corps  saint  pour  le  toucher.  Enfin  ce  fut  après 
de  grandes  difficultés  qu'on  parvint  à  le  conduire  à 
l'église  de  saint  Boniface,  martyr;  on  l'y  laissa  sept 
jours  qui  furent  consacrés  à  la  prière.  Pendant  ce  temps 
on  éleva  un  tombeau  avec  de  l'or  et  des  pierres  pré- 
cieuses de  toute  nature,  et  on  y  plaça  le  saint  corps 
avec  grande  vénération.  Il  en  émanait  une  odeur  si 
suave  que  toui  le  monde  le  pensait  plein  d'aromates. 
Or,  saint  Alexis  mourut  le  16  des  calendes  d'août, 
vers  l'an  398. 


SAINTE  MARGUERITE 

Mara^uerite  est  ainsi  appelée  d'une  pierre  précieuse  blanche, 
petite  et  remplie  de  vertus.  Ainsi  sainte  Marguerite  fui  blan- 
che par  virginité,  petite  par  humilité,  vertueuse  par  ropéra- 
lion  des  miracles.  On  dit  que  cette  pierre  a  la  vertu  d'arrêter 
le  sang,  de  modérer  les  passions  du  cceur,  et  de  conforter  Tes- 
prit.  De  même  sainte  Marjj^uerite  eut  vertu  contre  l'effusion 
de  son  sang  par  constance,  parce  (Qu'elle   posséda  une  grande 


SAINTE   MARGUERITE  337 

constance  daDS  son  martyre  ;  elle  eut  vertu  contre  les  passions 
du  cœur,  c'est-à-dire,  contre  la  tentation  du  démon  qui  fut 
vaiDca  par  elle  :  elle  eut  vertu  pour  conforter  son  esprit,  par 
la  doctrine  avec  laquelle  elle  affermit  le  cœur  de  plusieurs  et 
les  convertit  à  la  foi.  Théotime*,  homme  érudit^  a  écrit  sn 
légende. 

Marguerite,  citoyenne  d'Antioche,  fut  fille  de  Théo- 
dose, alias  iCdesius,  patriarche  des  gentils.  Elle  fut 
confiée  à  une  nourrice;  et  quand  elle  eut  atteint  Tâge 
de  raison,  elle  fut  baptisée  et  c'est  pour  cela  qu'elle 
était  grandement  haïe  de  son  père.  Parvenue  à  l'âge 
de  quinze  ans,  elle  gardait  un  jour,  avec  d'autres  jeunes 
vierges,  les  brebis  de  sa  nourrice,  quand  le  préfet  Oli- 
brius, passant  par  là  et  voyant  une  jeune  personne  si 
belle,  s'éprit  d*aniour  pour  elle  et  lui  dépêcha  ses  es- 
claves en  disant  :  «  Allez  et  saisissez-vous  d'elle  :  si 
elle  est  de  condition  libre,  je  la  prendrai  pour  ma 
femme;  si  elle  est  esclave,  j'en  ferai  ma  concubine.  » 
Quand  elle  eut  été  amenée  en  sa  présence,  il  s'informa 
de  sa  famille,  de  son  nom  et  de  sa  religion.  Or,  elle 
répondit  qu'elle  était  noble  de  naissance,  Marguerite 
de  nom,  et  chrétienne  de  religion.  Le  préfet  lui  dit  : 
«  Les  deux  premières  qualités  te  conviennent  fort  bien, 
savoir: que  tu  sois  noble,  et  que  lu  sois  réellement  une 
très  belle  marguerite;  mais  la  troisième  ne  te  convient 
pas,  savoir  :  qu'une  jeune  personne  si  belle  et  si  noble 
ait  pour  Dieu  un  crucifié.  »  «  D'où,  sais-tu,  répondit 

*  Ce  Théotime  aurait  été,  dit-on,  témoin  oculaire  des  faits 
rapportés  ici.  Un  bréviaire  espagnol  les  raconte  aussi  sous  le 
aom  de  sainte  Marine  qui  serait  la  même  que  sainte  Margue- 
rite (Cf.  Bivar  sur  Dexter). 


238  LA    LÉGENDE    DOREE 

Marguerite,  que  le  Christ  a  été  crucifié?  »  Olibrius 
reprit  :  «  Je  l'ai  appris  des  livres  des  chrétiens.  » 
Marguerite  lui  dit  :  «  Puisque  tu  as  lu  le  châtiment  et 
la  gloire  de  J.-C,  pourquoi  rougirais-tu  de  croire  un 
point  et  de  rejeter  l'autre?  »  Et  comme  Marguerite 
avançait  que  J.-C.  avait  été  crucifié  de  son  plein  gré 
pour  nous  racheter,  et  qu'elle  affirmait  qu'il  vivait 
maintenant  dans  l'éternité,  ce  préfet  en  colère  la  fit 
jeter  en  prison;  mais  le  lendemain,  il  la  fit  appeler 
en  sa  présence  et  lui  dit  :  «  Jeune  fille  frivole,  aie  pitié 
de  ta  beauté,  et  adore  nos  Dieux  pour  que  tu  sois 
heureuse.  »  Elle  répondit  :  «  J'adorecelui  devant  lequel 
la  terre  tremble,  la  mer  s'agite,  et  toutes  les  créatures 
sont  dans  la  crainte.  »  Le  préfet  lui  dit  :  «  Si  tu  ne 
m'obéis,  je  ferai  déchirer  ton  corps.  »  Marguerite  ré- 
pondit :  «  J.-C.  s'est  livré  à  la  mort  pour  moi,  eh  bien  ! 
je  désire  aussi  mourir  pour  lui.  »  Alors  le  préfet  la 
fit  suspendre  au  chevalet  ;  puis  il  la  fit  battre  d'abord 
avec  des  verges,  ensuite  avec  des  peignes  de  fer,  si 
cruellement,  que  ses  os  étaient  dénudés,  et  que  le 
sang  ruisselait  de  son  corps  comme  de  la  fontaine  la 
plus  limpide.  Or,  ceux  qui  étaient  là  pleuraient  et  di- 
saient :  ((  0  Marguerite,  vraiment  nous  avons  compas- 
sion de  toi,  en  voyant  déchirer  si  cruellement  ton 
corps.  Quelle  beauté  tu  as  perdue  à  cause  de  ton  in- 
crédulité! cependant  il  en  est  temps  encore,  crois,  et 
tu  vivras.  »  Elle  leur  répondit  :  «  O  mauvais  conseil- 
lers, retirez-vous,  et  vous  en  allez;  ce  tourment  de  la 
(liair  est  le  sakit  de  l'âme  »,  et  elle  dit  au  préfet  : 
«  Chien  impudent  et  lion  insatiable,  tu  as  pouvoir  sur 
l(»  corps,  mais  J.-C.  se  réserve  TAme.  »  Or,  le  préfet  se 


SAINTE    MARGUERITE  239 

couvrait  la  figure  avec  sa  chlamyde,  car  il  ne  pouvait 
supporter  la  vue  d'une  telle  effusion  de  sang.  II  la  fit 
ensuite  détacher  et  ordonna  de  l'enfermer  dans  une 
prison,  où  une  clarté  merveilleuse  se  répandit.  Pen- 
dant qu'elle  était  dans  son  cachot,  elle  pria  le  Seigneur 
de  lui  montrer,  sous  une  forme  visible,  l'ennemi  avec 
lequel  elle  avait  à  combattre*;  et  voici  qu'un  dragon 
effroyable  lui  apparut  ;  comme  il  s'élançait  pour  la 
dévorer,  elle  fit  un  signe  de  croix,  et  le  monstre  dis- 
parut :  ou  bien,  d'après  ce  qu'on  lit  ailleurs,  il  lui  mit 
sa  gueule  sur  la  tête  et  la  langue  sur  le  talon  et  l'avala 
à  l'instant  ;  mais  pendant  qu'il  voulait  l'absorber,  elle 
se  munit  du  signe  de  la  croix,  ce  qui  fit  crever  le  dra- 
gon, et  la  vierge  sortit  saine  et  sauve.  Mais  ce  qu'on 
rapporte  du  dragon  qui  la  dévora  et  qui  creva  est  re- 
gardé comme  apocryphe  et  de  peu  de  valeur. 

Le  diable  vint  encore  pour  tromper  Marguerite,  en 
prenant  une  forme  humaine.  A  sa  vue,  elle  se  mit  en 
prières,  et  après  s'être  levée,  le  diable  s'approcha  d'elle 
et  lui  prenant  la  main  :  «  Tout  ce  que  tu  as  fait,  lui 
dit-il,  est  bien  suffisant  :  ne  t'occupes  plus  donc  de 
ma  personne.  »)  Mais  Marguerite  le  prit  par  la  tête, 
le  jeta  par  terre  sous  elle,  et  lui  posant  le  pied  droit 
sur  le  crâne,  elle  dit  :  «  Sois  écrasé,  superbe  démon, 
sous  les  pieds  d'une  femme.  »  Le  démon  criait  :  «  0 
bienheureuse  Marguerite,  je  suis  vaincu  !  si  un  jeune 
homme  l'avait  emporté  sur  moi,  je  ne  m'en  serais  pas 
préoccupé  ;  mais  me  voici  vaincu  par  une  jeune  fille  ; 
et  j'en  suis  d'autant  plus  affligé  que  ton  père  et  ta 
mère  ont  été  mes  amis.  »  Alors  elle  le  força  à  dire 
pour  quel  motif  il  était  verni.   Il  n'^pondil  qu'il   était 


i 


240  LA    LÉGENDE    DORÉE 

venu  pour  lui  conseiller  d'obéir  aux  avis  du  président. 
Elle  le  força  encore  à  dire  pourquoi  il  employait  tant 
de  manières  pour  tenter  les  chrétiens.  Il  répondit  qu'il 
avait  naturellement  de  la  haine  contre  les  hommes 
vertueux,  et  bien  qu'il  en  fût  souvent  repoussé,  il  était 
acharné  à  les  séduire  :  et  comme  il  était  jaloux,  à 
l'égard  des  hommes  de  la  félicité  qu'il  avait  perdue, 
sans  pouvoir  la  recouvrer,  il  n'avait  cependant  pour 
'but  que  de  la  ravir  aux  autres.  Et  il  ajouta  que  Sa- 
lomon  renferma  une  multitude  infinie  de  démons  dans 
un  vase,  et  qu*après  sa  mort  ces  esprits  malins  jetaient 
du  feu  de  ce  vase  ;  les  hommes,  dans  l'idée  qu'un 
grand  trésor  y  était  renfermé,  le  brisèrent  :  et  les  dé- 
mons qui  en  sortirent  remplirent  les  airs.  Quand  il 
eut  dit  ces  mots,  la  vierge  leva  le  pied  et  lui  dit  :  «  Fuis, 
misérable  »,  et  aussitôt  le  démon  disparut.  Marguerite 
resta  rassurée  ;  car  puisqu'elle  avait  vaincu  le  chef, 
elle  aurait  sans  aucun  doute  le  dessus  sur  le  ministre. 
Le  lendemain,  le  peuple  étant  rassemblé,  elle  fut  ame- 
née en  la  présence  du  juge,  et  comme  elle  refusait 
avec  mépris  de  sacrifier,  elle  fut  dépouillée,  et  son 
corps  fut  brûlé  avec  des  torches  enflammées;  de  telle 
sorte  que  tout  le  monde  s'étonnait  qu'une  fille  si  déli- 
cate pût  supporter  autant  de  tourments.  Ensuite' il  la 
fit  lier  et  jeter  dans  un  bassin  plein  d'eau,  afin  que 
ce  changement  de  supplice  augmentât  la  violence  de 
la  douleur  :  mais  à  Tinstant  la  terre  trembla  et  la 
jeune  fille  en  sortit  saine,  à  la  vue  de  tous.  Alors  cinq 
mille  hommes  crurent  et  furent  condamnés  à  être  dé- 
capités pour  le  nom  de  J.-C.  Le  préfet,  dans  la  crainte 
que  les  autres  ne  se  convertissent,  fit  de  suite  couper 


SAINTE    PRAXÈDE  241 

la  tête  à  sainte  Marguerite.  Elle  demanda  alors  un 
instant  pour  prier:  elelle  pria  pour  elle-même,  pour  ses 
bourreaux,  et  encore  pour  ceux  qui  feraient  mémoire 
d'elle  et  qui  l'invoqueraient  avec  dévotion,  ajoutant  que 
toute  femme  en  couches  qui  se  recommanderait  à  elle 
enfanterait  heureusement  :  et  une  voix  se  fit  entendre 
du  ciel  qui  dit  qu'elle  pouvait  être  certaine  d'avoir  été 
exaucée  dans  ses  demandes.  Elle  se  leva  ensuite  et 
dit  au  bourreau  :  «  Frère,  prends  ton  épée  et  me 
frappe.  »  D'un  seul  coup  il  abattit  la  tête  de  Margue- 
rite, qui  reçut  ainsi  la  couronne  du  martyre.  Or,  elle 
souffrit  le  16  des  calendes  d'août,  ainsi  qu'on  le  trouve 
en  son  histoire.  On  lit  ailleurs  que  ce  fut  le  3  des  ides 
de  juillet.  Voici  comment  parle  un  saint  de  cette  sainte 
vierge:  «  La  bienheureuse  Marguerite  fut  remplie  delà 
crainte  de  Dieu,  douée  de  justice,  revêtue  de  religion, 
inondée  de  componction,  recommandable  par  son  hon- 
neur, et  d'une  patience  insigne  ;  on  ne  trouvait  en  elle 
rien  de  contraire  à  la  religion  chrétienne  ;  haïe  par 
son  père  elle  était  aimée  de  N.-S.  J.-C. 


SAINTE  PRAXÈDE  * 

Fraxède  viendrait  de  prasin,  vert,  elle  verdit  et  porta  fleur 
àe  virginité. 

Sainte  Praxède,  vierge,  fut  la  sœur  de  sainte  Puden- 
tienne,  de  saint  Donat  et  de  saint  Timothée  qui  furent 

•  Bréviaire;  —  Martyrologes, 

u.  ir» 


242  LA    LÉGENDE    DOREE 

instruits  dans  la  foi  par  les  apôtres.  Au  milieu  de  la 
fureur  d'une  persécution,  ils  ensevelirent  les  corps 
d'un  grand  nombre  de  chrétiens,  et  donnèrent  leurs 
biens  aux  pauvres;  enfin  ils  reposèrent  en  paix,  vers 
Tan  du  Seigneur  16S,  sous  Marc  et  Antoine  le  second. 


SAINTE  MARIE-M AGDELEINE  * 

Marie  signifie  mer  amère,  ou  illuminatrice,  ou  illuminée. 
Ces  trois  significations  font  comprendre  les  trois  excellentes 
parts  qu*elle  a  choisies,  savoir  :  la  part  de  la  pénitence,  de  la 
contemplation  intérieure  et  de  la  gloire  céleste.  C'est  de  ces 
trois  parts  que  le  Seigneur  a  dit  :  «  Marie  a  choisi  une  excel- 
lente part  qui  ne  lui  sera  pas  enlevée.  »  La  première  part  ne  lui 
sera  pas  enlevée  à  cause  de  la  fin  qu'elle  se  proposait  d'acqué- 
rir, la  béatitude;  ni  la  seconde  à  cause  de  la  continuité,  parce 
que  la  contemplation  de  la  vie  est  continuée  par  la  contem- 
plation de  la  patrie  :  ni  la  troisième  en  raison  de  son  éternité. 
Kn  tant  donc  qu'elle  a  choisi  rexcellenle  part  de  pénitence, 
elle  est  appelée  mer  anière,  parce  qu'elle  y  eut  beaucoup  d'a- 
mertumes :  ce  (|ui  est  clair  par  l'abondance  des  larmes  qu'elle 
répandit  et  avec  lesquelles  elle  lava  les  pieds  du  Seigneur. 
Kn  t^nt  qu'elle  a  choisi  l'excellente  part  de  la  gloire  céleste, 
elle  reçoit  le  nom  d'illuminatrice,  parce  qu'elle  y  a  reçu  avec 
avidité  ce  qu'elle  a  dans  la  suite  rendu  avec  abondance  :  elle 
y  a  reçu  la  lumière  avec  laquelle  elle  a  plus  tard  éclairé  les 
autres.  En  tant  qu'elle  a  choisi  l'excellente  part  de  la  gloire 
céhesle,  elle  est  nommée  illuminée,  parce  qu'elle  est  main- 
tenant illuminée  dans  son  esprit  par  la  lumière  de  la  parfaite 
connaissance,  et  (jue,  dans  son  corps,  elle  sera  illuminée  de 
clarté.  Madeleine  veut  dire  restant  coupable  (monens  rea)  ou 
bien  encore  munie,  invaincue,  magnifique,  qualités  qui  indi- 
quent ce  qu'elle  fut  avant,  pendant,  et  après  sa   conversion. 


*, 


Haban,  .Maur,  Bréviaires  de  Provence. 


SAINTE    MARIE-MAGDELEINE  243 

Avant  sa  conversion  en  effet,  elle  restait  coupable  et  engagée 
à  la  damnation  éternelle  ;  pendant  sa  conversion,  elle  était 
munie  et  invaincue,  parce  qu'elle  était  armée  de  pénitence  ; 
elle  se  munit  donc  excellemment  de  toutes  les  armes  de  la 
pénitence  ;  car  autant  elle  a  eu  de  délectation,  autant  elle  en 
a  fait  l'objet  de  ses  holocaustes.  Après  sa  conversion  elle  fut 
maf^nîfique  par  la  surabondance  de  grâces,  car  où  avait  abondé 
le  péché,  là  a  surabondé  la  grâce  *. 

Marie,  surnommée  Magdeleine,  du  château  de  Mag- 
dalon,  naquit  des  parents  les  plus  illustres,  puisqu'ils 
descendaient  de  la  race  royale.  Son  père  se  nommait 
Syrus  et  sa  mère  Eucharie.  Marie  possédait  en  com- 
mun avec  Lazare,  son  frère  et  Marthe,  sa  sœur,  le  châ- 
teau de  Magdalon,  situé  à  deux  milles  de  Génézareth, 
Béthanie  qui  est  proche  de  Jérusalem,  et  une  grande 
partie  de  Jérusalem.  Ils  se  partagèrent  cependant  leurs 
biens  de  cette  manière  :  Marie  eut  Magdalon  d'où  elle 
fut  appelée  Magdeleine,  Lazare  retint  ce  qui  se  trou- 
vait à  Jérusalem,  et  Marie  posséda  Béthanie.  Mais 
comme  Magdeleine  recherchait  tout  ce  qui  peut  flatter 
les  sens,  et  que  Lazare  avait  son  temps  employé  au 
service  militaire,  Marthe,  qui  était  pleine  de  prudence, 
/ii^ouvernait  avec  soin  les  intérêts  de  sa  sœur  et  ceux 
de  son  frère;  en  outre  elle  fournissait  le  nécessaire 

•  Pour  la  vie  de  sainte  Marie-Majçdeleine,  consulter  les  Mo- 
numentâ  de  Vapoitolat,  par  M.  Faillon,  prêtre  de  Saint-Sulpice. 
Cette  publication  extraordinaire  confirme  les  faits  de  la  lé-^ 
gende,  à  l'exception  du  pèlerinage  du  prince  à  Rome  et  à  Jéru- 
salem avec  saint  Pierre.  Toutefois,  M.  Faillon  ne  paraît  rejeter 
c«  fait  qu'en  s'appuyant  sur  l'impossibilité  où  le  prince  au- 
rait pu  d'être  reconnu  par  saint  Pierre  à  la  croix  qu'il  portail 
sur  l'épaule.  Ce  qui  ne  paraît  pas  rigoureux. 


i 


244  LfL   LÉGENDE    DOREE 

aux  soldats,  à  ses  serviteurs,  et  aux  pauvres.  Tonte- 
fois  ils  vendirent  tous  leurs  biens  après  l'ascension  de 
J.-C.  et  en  apportèrent  le  prix  aux  apôtres.  Comme 
donc  Magdeleine  reg^orgeait  de  richesses  et  que  la  vo- 
lupté est  la  compagne  accoutumée  de  nombreuses  pos- 
sessions, plus  elle  brillait  par  ses  richesses  et  sa 
beauté,  plus  elle  salissait  son  corps  par  la  volupté; 
aussi  perdit-elle  son  nom  propre  pour  ne  plus  porter 
que  celui  de  pécheresse.  Comme  J.-C.  prêchait  çà  et 
là,  inspirée  par  la  volonté  divine,  et  ayant  entendu 
dire  que  J.-C.  dînait  chez  Simon  le  lépreux,  Magde- 
leine y  alla  avec  empressement,  et  n'osant  pas,  en  sa 
qualité  de  pécheresse,  se  mêler  avec  les  justes,  elle 
resta  aux  pieds  du  Seigneur,  qu'elle  lava  de  ses  larmes, 
essuya  avec  ses  cheveux  et  parfuma  d'une  essence 
précieuse  :  car  les  habitants  du  pays,  en  raison  de 
l'extrême  chaleur  du  soleil,  usaient  de  parfums  et  de 
bains.  Comme  Simon  le  pharisien  pensait  à  part  soi 
que  si  J.-C.  était  un  prophète,  il  ne  se  laisserait  pas 
toucher  par  une  pécheresse,  le  Seigneur  le  reprit  de 
soTi  orgueilleuse  justice  et  remit  à  cette  femme  tous 
ses  péchés.  C'est  à  cette  Marie-Magdeleîne  que  le  Sei- 
gneur accorda  tant  de  bienfaits  et  donna  de  si  grandes 
marques  d'affection.  Il  chassa  d'elle  sept  démons,  il 
IVmhrasa  entièrement  d'amour  pour  lui  ;  il  en  fit  son 
amie  de  préférence  ;  il  était  son  hôte;  c'était  elle  qui, 
dans  ses  courses,  pourvoyait  à  ses  besoins,  et  en 
tonte  occasion  il  prenait  sa  défense.  Il  la  disculpa  au- 
fjfès  du  pharisien  qui  la  disait  immonde,  auprès  de 
sa  sœur  qui  la  traitait  de  paresseuse,  auprès  de  Ju- 
das  qui    l'appelait  prodigue.    En  voyant  ses  larmes. 


SAINTE    MARIE-MAGDELEINE  245 

"  ne  put  retenir  les  siennes.  Par  son  amour,  elle  ob- 
^^ni  que  son   frère,  mort  depuis  trois  jours,  fût  res- 
suscité ;  ce  fut  à  son  amitié  que  Marthe,  sa  sœur,  dut 
d'êlre  délivrée  d'un  flux  de  sang,  dont  elle  était  affli- 
fî^e  depuis  sept  ans;  à  ses  mérites  Martille,  servante 
"C  sa  sœur,  dut  d'avoir  l'honneur  de  proférer  ce  mot 
^'  doux  qu'elle  dit  en  s'écriant  :  «  Bienheureux  le  sein 
Çwi  vous  a  porté.  »  D'après  saint  Ambroise,  en  efi*et, 
^  ®sl  de  Marthe  et  de  sa  servante  qu'il  est  question  en 
^^'  endroit.  C'est  elle,  dis-je,   qui  lava   les  pieds  du 
^^gneurde  ses  larmes,  qui  les  essuya  avec  ses  che- 
^'^^X,  qui  les  parfuma  d'essence,  qui,  le  temps  de  la 
gr^ce  arrivé,  fit  tout  d'abord  une  pénitence  exemplaire, 
U^i  choisit  la  meilleure  part,  qui  se  tenant  assise  aux 
P*^ds  du  Seigneur  écouta  sa  parole,  et  lui  parfuma  la 
^*^e,  qui  était  auprès  de  la  croix  lors  de  la  passion, 
H^î  prépara  des  aromates  dans  l'intention  d'embau- 
i^erson  corps,  qui  ne  quitta  pas  le  sépulcre  quand 
les  disciples  se  retirèrent  ;  ce  fut  à  elle  la  première 
i|ue  J.-C.  apparut  lors  de  sa  résurrection,  et  il  la  fit 
/'apôtre  des  apôtres. 

Après  l'ascension  du  Seigneur,  c'est-à-dire  qua- 
torze ans  après  la  passion,  les  Juifs  ayant  massacré 
depuis  longtemps  déjà  saint  Etienne  et  ayant  chassé 
les  autres  disciples  de  leur  pays,  ces  derniers  se  reti- 
rèrent dans  les  régions  habitées  par  les  gentils,  pour 
y  semer  la  parole  de  Dieu.  Il  y  avait  pour  lors  avec 
les  apôtres  saint  Maximin,  l'un  des  72  disciples,  au- 
f|uel  Marie-Magdeleine  avait  été  spécialement  recom- 
mandée par  saint  Pierre.  Au  moment  de  cette  dis- 
persion, saint  Maximin,  Marie-Magdeleine,  Lazare,  son 
n.  X  16' 


246  LA    LÉGENDE    DOREE 

frère,  Marthe,  sa  sœur,  et  Martille,  suivante  de  Marthe, 
et  enfin  le  bienheureux  Cédonius,  Taveugle-né  guéri 
par  le  Seigneur,  furent  mis  par  les  infidèles  sur  un 
vaisseau  tous  ensemble  avec  plusieurs  autres  chré- 
tiens encore,  et  abandonnés  sur  la  mer  sans  aucun 
pilote  afin  qu'ils  fussent  engloutis  en  même  temps. 
Dieu  permit  qu'ils  abordassent  à  Marseille.  N'ayant 
trouvé  là  personne  qui  voulût  les  recevoir,  ils  restaient 
sous  le  portique  d'un  temple  élevé  à  la  divinité  du 
pays.  Or,  comme  sainte  Marie-Magdeleine  voyait  le 
peuple  accourir  pour  sacrifier  aux  dieux,  elle  se  leva 
avec  un  visage  tranquille,  le  regard  serein,  et  par 
des  discours  fort  adroits,  elle  le  détournait  du  culte 
des  idoles  et  lui  prêchait  sans  cesse  J.-G.  Tous  étaient 
dans  Tadmiration  pour  ses  manières  fort  distinguées, 
pour  sa  facilité  à  parler,  et  pour  le  charme  de  son  élo- 
quence. Ce  n'était  pas  merveille  si  une  bouche  qui 
avait  embrassé  avec  autant  de  piété  et  de  tendresse 
les  pieds  du  Sauveur,  eût  conservé  mieux  que  les 
autres  le  parfum  de  la  parole  de  Dieu. 

Alors  arriva  un  prince  du  pays  avec  son  épouse 
qui  venait  sacrifier  aux  idoles  pour  obtenir  un  enfant. 
Magdeleinc,  en  leur  annonçant  J.-C,  les  dissuada  d'of- 
frir des  sacrifices.  Quelques  jours  s'étant  écoulés, 
Maçdeleine,  se  montra  dans  une  vision  à  cette  dame  cl 
lui  dit  :  «  Pourquoi,  vous  qui  vivez  dans  rabondancc, 
laissez-vous  les  saints  de  Dieu  mourir  de  faim  et  de 
froid  ?  »  Elle  finit  par  la  menacer  que  si  elle  ne  per- 
suadait pas  cl  son  mari  de  venir  au  secours  de  la  mi- 
sère des  saints,  elle  encourrait  la  colère  du  Dieu  tout 
puissant.  Toutefois  la  princesse  n'eut  pas  la  force  de 


SAINTE   MARIE-MAGDELEINE  247 

découvrir  sa  vîsîon  à  son  mari.  La  nuit  suivante  Mag- 

deleine  lui  apparut  et  lui  dit  la  même  chose;  mais 

^^tte   femme  négligea  encore  d'en  faire  part  à  son 

*^pou,\.  Une  troisième  fois,  au  milieu  du  silence  de  la 

"^il,  Marie  apparut  à  Tun  et  à  l'autre  ;  elle  frémis- 

^^H  et  le  feu  de  sa  colère  jetait  une  lumière  qui  au- 

^^ït  fait  croire  que  loute  la  maison  était  en  flammes. 

^*  Dors-tu,  tyran,  dit-elle  ?  membre  de  Satan  qui  est 

^n  père,  tu  reposes  avec  cette  vipère,  la  femme,  qui 

'^'a  pas  voulu  te  faire  connaître  ce  que  je  lui  ai  dit  : 

Te  reposes-tu,  ennemi  de  la  croix  de  J.-C.  ?  Quand 

^on  estomac  est  rempli  d'aliments  de  toutes  sortes,  tu 

laisses  périr  de  faim  et  de  soif  les  saints  de  Dieu.  Tu 

^s  couché  dans  un  palais  ;  autour  de  loi  ce  ne  sont 

^i^e  tentures  de  soie,  et  tu  les  vois  désolés  et  sans  asile, 

^^    tu  passes  oulre.  Non,  cela  ne  finira  pas  de  cette 

sorte  :  et  ce  ne  sera  pas  impunément  que  tu  auras 

"■fféré  de  leur  faire  du  bien.  »  Elle  dit  et  se  retira. 

•^    «On  réveil  la  femme,  haletante  et  effrayée,  dit  à 

''^'^  mari  troublé  comme  elle  :  «  Mon  seigneur,  avez- 

^^s  eu  le  même  songe  que  moi?  »    «  Oui,  répondii- 

^  ^l  je  ne  puis  m'empècher  d'admirer  et  de  craindre. 

^^  ^Tons-nous  donc  à  faire?  »   «  Il  vaut  mieux  pour 

,.  ti5^^  reprit  la  femme,  nous  conformer  à  ce  qu'elle 

^  ^     plutôt  que  d'encourir  la  colère  de  son  Dieu  dont 

^    nous  menace.  »  Ils  reçurent  donc  les  saints  chez 

^>  et  leur  fournirent  le  nécessaire. 


*       ^r,  un  jour  que  Marie-Magdeleine  prêchait,  le  prince 


t  on  vient  de  parler  lui  dit  :  «  Penses-tu  pouvoir 
-     ^l^ifier  la  foi  que  tu  prêches  ?  »  «  Oui,  reprit-elle, 
^uis  prête  à  la  défendre  ;  elle  est  confirmée  par  les 


248  LA    LÉGENDE    DORÉE 

miracles  quotidiens  et  la  prédication  de  mon  maflre 
saint  Pierre,  qui  préside  à  Rome.  Le  prince  et  son 
épouse  lui  dirent  :  «  Nous  voilà  disposés  à  obtempé- 
rer à  tous  tes  dires,  si  tu  nous  obtiens  un  fils  du  Dieu 
que  tu  prêches.  »  «  Alors,  dit  M agdeleine,  ce  ne  sera 
pas  moi  qui  serai  un  obstacle.  »  Et  la  bienheureuse 
pria  pour  eux  le  Seigneur  qu'il  leur  daignât  accorder 
un  fils.  Le  Seigneur  exauça  ses  prières  et  la  dame 
conçut.  Alors  son  mari  voulut  partir  pour  aller  trou- 
ver saint  Pierre,  afin  de  s'assurer  si  ce  qu'avait  an- 
noncé Magdeleine  touchant  J.-C.  était  réellement  la 
vérité.  Sa  femme  lui  dît:  «  Quoi  !  monseigneur,  pen- 
sez-vous partir  sans  moi?  Point  du  tout;  si  vous  par- 
tez, je  partirai,  si  vous  venez,  je  viendrai,  si  vous 
restez,  je  resterai.  »  Son  mari  lui  dit:  «  Il  n'en  sera 
pas  ainsi,  ma  dame  ;  car  vous  êtes  enceinte  et  sur  la 
mer  on  court  des  dangers  sans  nombre  ;  vous  pour- 
riez donc  facilement  être  exposée;  vous  resterez  en  re- 
pos à  la  maison  et  vous  veillerez  sur  nos  possessions.  » 
Elle  n'en  persista  pas  moins,  et  obstinée  comme  l'est 
une  personne  de  son  sexe,  elle  se  jeta  avec  larmes 
aux  pieds  d:*  son  mari  qui  obtempéra  enfin  à  sa  de- 
mande. Alors  Marie  mit  le  signe  de  la  croix  sur  leurs 
épaules  de  crainte  que  Tantique  ennemi  ne  leur  nuisît 
en  route.  Ils  chargèrent  un  vaisseau  de  tout  ce  qui 
leur  était  nécessaire,  et  après  avoir  laissé  le  reste  àla 
gardedeMarie-Madgdeleine,  ils  partirent.  Ilsn'avaient 
voyagé  qu'un  jour  et  une  nuit  quand  la  mer  com- 
mença à  s'enfler,  le  vent  à  gronder,  de  sorte  que  tous 
les  passagers  et  principalement  la  dame  enceinte  et 
débile,  ballottés  ainsi  par  les  vagues,  furent  en  proie 


SAINTE    MARIE-MÀGDELEINE  249 

aux  plus  graves  inquiétudes  ;  les  douleurs  de  Tenfante- 
ment  saisirent  la  femme  tout  à  coup,  et  au  milieu  de  ses 
souffrances  et  de  la  violence  de  la  tempête,  elle  mil 
un  enfant  au  monde  et  expira.  Or,  le  petit  nouveau-né 
palpitait  éprouvant  le  besoin  de  se  nourrir  du  lait  de 
sa  mère  qu'il  semblait  chercher  en  poussant  des  vagis- 
sements pitoyables.  Hélas  !  quelle  douleur  !  En  rece- 
vant la  vie,  cet  enfant  avait  donné  la  mort  à  sa  mère, 
il  ne  lui  restait  plus  qu'à  mourir  lui-même  puisqu'il 
n'y  avait  personne  pour  lui  administrer  la  nourri- 
ture nécessaire  à  sa  conservation.  Que  fera  le  pèlerin 
envoyant  sa  femme  morte,  et  son  fils  qui,  par  ses  cris 
plaintifs,  exprimait  le  désir  de  prendre  le  sein?  Il  se 
lamentait  beaucoup  en  disant  :  «  Hélas  !  malheureux  ! 
que  feras-tu?  Tu  as  souhaité  un  fils  et  tu  as  perdu  la 
mère  qui  lui  donnait  la  vie.  »  Les  matelots  criaient  : 
rc  Qu'on  jette  ce  corps  à  la  mer,  avant  que  nous  ne 
soyons  engloutis  en  même  temps  que  lui,  car  tant 
qu'il  sera  avec  nous,  cette  tempête  ne  cessera  pas.  » 
Et  comme  ils  avaient  pris  le  cadavre  pour  le  jeter  à 
la  mer  :  «  Un  instant,  dit  le  pèlerin,  un  instant  :  si  vous 
ne  voulez  pas  attendre  ni  pour  la  mère  ni  pour  moi, 
nyez  pitié  au  moins  de  ce  petit  enfant  qui  crie  ;  at- 
tendez un  instant,  peut-être  que  la  mère  a  seulement 
j>erdu  connaissance  dans  sa  douleur  et  qu'elle  vit  en- 
core. )x  Et  voici  que  non  loin  du  vaisseau  apparut  une 
cx>Hine  ;  à  cette  vue,  il  pensa  qu'il  n'y  avait  rien  de 
mieux  à  faire  que  d'y  transporter  le  corps  de  la  mère 
et  l'enfant  plutôt  que  de  les  jeter  en  pâture  aux  bêles 
marines.  Ce  fut  par  prières  et  par  argent  qu'il  parvint 
à  obtenir  des  matelots  d'aborder.  Et  comme  le  rocher 


230  LA    LÉGENDE    DOREE 

était  si  dur  qu'il  ne  put  creuser  une  fosse,  il  plaça  le 
corps  enveloppé  d'un  manteau  dans  un  endroit  des 
plus  écartés  de  la  montagne  et  déposant  son  fils  con- 
tre son  sein,  il  dit  :  «  0  Marie-Magdeleine  ;  c*est  pour 
mon  plus  grand  malheur  que  tu  as  abordé  à  Marseille  ! 
Pourquoi  faut-il  que  j'aie  eu  le  malheur  d'entrepren- 
dre ce  voyage  d'après  tes  avis?  As-tu  demandé  à  Dieu 
que  ma  femme  conçût  afin  qu'elle  pérît  ?  Car  voici 
qu'elle  a  conçu  et,  en  devenant  mère,  elle  subit  la  mort; 
son  fruit  est  né  et  il  faut  qu'il  meure,  puisqu'il  n'y  a 
personne  pour  le  nourrir.  Voici  ce  que  j'ai  obtenu  par 
ta  prière,  je  t'ai  confié  tous  mes  biens,  je  les  confie  à 
Ion  Dieu.  Si  tu  as  quelque  pouvoir,  souviens-toi  de 
l'îime  de  la  mère  et  à  ta  prière  que  Ion  Dieu  ait  pitié 
de  l'enfant  et  ne  le  laisse  pas  périr.  »  Il  enveloppa 
alors  dans  son  manteau  le  corps  de  sa  femme  et  de  son 
fils  et  remonta  sur  le  vaisseau. 

Quand  il  fut  arrivé  chez  saint  Pierre,  celui-ci  vint 
à  sa  rencontre,  et  en  voyant  le  signe  de  la  croix  atta- 
ché sur  ses  épaules  il  lui  demanda  qui  il  était  et  d'on 
il  venait.  Le  pèh^rln  lui  raconta  tout  ce  qui  s'était  passé. 
—  Pierre  lui  dit  :  «  La  paix  soit  avec  vous,  vous  avez 
hicn  fait  de  venir  et  vous  avez  été  bien  inspiré  de 
croire.  Ne  vous  tourmentez  pas  si  votre  femme  dori, 
el  si  son  enfant  repose  avec  elle  ;  car  le  Seigneur  a  le 
pouvoir  de  donner  à  qui  il  veut,  de  reprendre  ce  qu'il 
a  donné,  de  rendre  ce  qui  a  été  enlevé,  et  de  chan- 
i^er  votre  douleur  en  joie.  »  Or,  saint  Pierre  le  condui 
sit  lui-même  à  Jérusalem  et  lui  montra  chacun  des  en 
droits  où  J.-C.  avait  prêché,  el  avait  fait  des  miracles 
comme  aussi  le  lieu  où  il  avait  souffert,  el  celui  d'c 


SAINTE   MARIE-MAGDELEINE  251 

il  était  monté  aux  deux.  Après  avoir  été  instruit  avec 
soin  dans  la  foi  par  saint  Pierre,  il  remonta  sur  un 
vaisseau  après  deux  ans  révolus,  dans  l'intention  de 
regagner  sa  patrie.  Dieu  permet  que,  dans  le  trajet, 
ils  passassent  auprès  de  la  colline  où  avait  été  déposé  le 
corps  de  sa  femme  avec  le  nouveau-né,  et  par  prière 
et  par  argent  il  obtint  d'y  débarquer.  Or,  le  petit  en- 
fant, qui  avait  été  gardé  sain  et  sauf  par  sainte  Marie- 
Magdeleine,  venait  souvent  sur  le  rivage,  et  comme 
tous  les  enfants,  il  avait  coutume  de  se  jouer  avec  des 
coquillages  et  des  cailloux.  En  abordant,   le  pèlerin 
vit  donc  un  petit  enfant  qui  s*amusait,  comme  on  le 
fait  à  son  âge,  avec  des  pierres  ;  il  ne  se  lassait  pas 
d'admirer  jusqu'à  ce  qu'il  descendît  de  la  nacelle.  En 
l'apercevant,  Tenfant,  qui  n'avait  jamais  vu  de  sem- 
Wable  chose,   eut  peur,  courut  comme  il  avait  cou- 
tume de  le  faire  au  sein  de  sa  mère  sous  le  manteau 
"<î laquelle  il  se  cacha.  Or,  le  pèlerin,  pour  mieux  s'assu- 
^^^  de  ce  qui  se  passait,  s'approcha  de  cet  endroit  et  y 
trouva  un  très  bel  enfant  qui  prenait  le  sein  de  sa  mère. 
''  'accueillit  dans  ses  bras.  «  0  bienheureuse  Marie- 
"3g*deleine,  dit-il,  quel  bonheur  pour  moi  !  comme 
tout  me  réussirait,  si  ma  femme  vivait  et  pouvait  re- 
touï^^er  avec  moi  dans  notre  patrie  !  Je  sais,  oui,  je 
^*^»  et  je  crois  sans  aucun  doute  que  vous  qui  m'avez 
doriné  un  enfant  et   qui   l'avez  nourri  sur  ce  rocher 
pci^dant  deux  ans,  vous  pourriez,   par   vos  prières, 
rendre  à  sa  mère  la  santé  dont  elle  a  joui  auparavant.  » 
X  ces  mots,  la  femme  respira  et  dit  comme  si  elle  se 
réveillait  :  «  Votre  mérite  est  grand,  bienheureuse  Ma- 
ric-Magdeleine,  vous  êtes  glorieuse,  vous  qui,  dans  les 


232  LA   LÉGENDE    DORÉE 

douleurs  de  l'enfantement,  avez  rempli  pour  moi  Tof- 
Hce  de  sage-femme,  et  qui  en  toute  circonstance  m'a- 
vez rendu  les  bons  soins  d'une  ser^'ante.  )>  En  enten- 
dant ces  paroles,  le  pèlerin  fut  plein  d'admiration» 
«  Vivez- vous,  dit-il,  ma  chère  épouse  ?  »   «  Oui,  ré- 
pondit-elle, je  vis  ;  je  viens  d'accomplir  le  pèlerinage 
<jue  vous  avez  fait  vous-même.  C'est  saint  Pierre  quL 
vous  a  conduit  à  Jérusalem  et  qui  vous  a  montré  tous^ 
les  lieux  où  J.-C.  a  souffert,  est  mort  et  a  été  ense— 
veli,  et  beaucoup  d'autres  encore  ;  moi,  c'est  avec  sainte^ 
Marie-Magdeleine  pour  compagne  et  pour  guide  que 
j'ai  vu  chacun  de  ces  lieux  avec  vous;  j'en  ai  conGé  le 
souvenir  à  ma  mémoire.  »  Alors  elle  énuméra  tous  les 
endroits  où  J.-C.  a  souffert,  raconta  les  miracles  qui 
avaient  eu  son  mari  pour  témoin,  sans  la  moindre  hé- 
sitation. Le  pèlerin  joyeux  prit  la  mère  et  Tenfant, 
s'embarqua  et  peu  après  ils  abordèrent  à  Marseille, 
où,  étant  entrés,   ils  trouvèrent  sainte  Marie-Magde- 
leine  annonçant  la  parole  de  Dieu  avec  ses  disciples. 
Us  se  jetèrent  à  ses  pieds  en  pleurant,  lui  racontèrent 
tout  ce  qui  leur  était  arrivé,  et  reçurent  le  saint  bap- 
tême des  mains  du  bienheureux  Maximin.  Alors  ils 
détruisirent  dans  Marseille  tous  les  temples  des  idoles, 
et  élevèrent  des  églises  en  l'honneur  de  J.-C,  ensuite 
ils   choisirent  à    l'unanimité  le   bienheureux  Lazare 
pourévêque  de  la  cité.  Enfin  conduits  par  l'inspiration 
de  Dieu,  ils  vinrent  à  Aix  dont  ils  convertirent  la  po- 
pulation à  la  foi  de  J.-C.  en  faisant  beaucoup  de  mi- 
racles et  où  le  bienheureux   Maximin  fut  de  son  côté 
ordonné  évêque. 

Cependant  la  bienheureuse  Marie-Ma^deleine,  qui 


SAINTE    MARIE-MAGDELEINE  253 

aspirait  ardemment  se  livrer  à  la  contemplation  des 
choses  supérieures,  se  retira  dans  un  désert  aflFreux  où 
elle  resta  inconnue  l'espace  de  trente  ans,  dans  un  en- 
droit préparé  par  les  mains  des  anges.  Or,  dans  ce  lieu, 
il  n'y  avait  aucune  ressource,  ni  cours  d'eau,  ni  arbres, 
ni  herbe,  afin  qu'il  restât  évident  que  notre  Rédemp- 
teur avait  disposé  de  la  rassasier,  non  pas  de  nourri- 
tures terrestres,  mais  seulement  des  mets  du  ciel.  Or, 
chaque  jour,  à  l'instant  des  sept  heures  canoniales, 
elle  était  enlevée  par  les  anges  au  ciel  et  elle  y  enten- 
dait, même  des  oreilles  du  corps,  les  concerts  charmants 
des  chœurs  célestes.  Il  en  résultait  que,  rassasiée  cha- 
que jour  à  cette  table  succulente,  et  ramenée  par  les 
mêmes  anges  aux  lieux  qu'elle  habitait,  elle  n'éprou- 
vait pas  le  moindre  besoin  d'user  d'aliments  corporels. 
^^  prêtre,  qui  désirait  mener  une  vie  solitaire,  plaça 
^  <*el]ule  dans  un  endroit  voisin  de  douze  stades  do 
*^'lede  Marie-Magdeleine.  Un  jour  donc,  le  Seigneur 
^^^ni  les  yeux  de  ce  prêtre  qui  put  voir  clairement 
comment  les  anijes  descendaient  dans  le  lieu  où  demeu- 
^^^  la  bienheureuse  Marie,  la  soulevaient  dans  les  airs 
^^'3  rapportaient  une  heure  après  dans  le  même  lieu, 
^^  chantant  les  louanges  du  Seigneur.  Alors  le  prêtre, 
^'^anl  s'assurer  de  la  réalité  de  cette  vision,  après 
^*tre  recommandé  par  la  prière  à  son  créateur,  se  di- 
^'çea  avec  dévotion  et  courage  vers  cet  endroit  ;  il 
'ïen  était  éloigné  que  d'un  jet  de  pierre,  quand  ses 
jambes  commencèrent  à  fléchir,  une  crainte  violente  le 
saisit  et  lui  ôta  la  respiration  :  s'il  revenait  en  arrière, 
ses  jambes  et  ses  pieds  reprenaient  des  forces  pour 
marcher,  mais  s'il  rebroussait  chemin  pour  tenter  de 


254  LA    LÉGENDE    DOREE 

s'approcher  du  Heu  en  question,  autant  de  fois  la  las- 
situde s'emparait  de  son  corps,  et  son  esprit  s'engour- 
dissait. L'homme  de  Dieu  conoprit  donc  qu'il  y  avait 
h\  un  secret  du  ciel  auquel  l'esprit  humain  ne  pouvait 
atteindre.  Après  avoir  invoqué  le  nom  du  Sauveur  il 
s'écria  :  «  Je  t'adjure  par  le  Seigneur,  que  si  tu  es 
un  homme  ou  bien  une  créature  raisonnable  habitant 
cette  caverne,  tu  me  répondes  et  tu  me  dises  la  vérité. 
«  Et  quand  il  eut  répété  ces  mots  par  trois  fois,  la 
bienheureuse  Marie-Magdeleine  lui  répondit  :  «  Ap- 
prochez plus  près,  et  vous  pourrez  connaître  la  vérité 
de  tout  ce  que  votre  âme  désire.  »  Quand  il  se  fut  ap- 
proché tout  tremblant  jusqu'au  milieu  de  la  voie  à  par- 
courir, elle  lui  dit  :  «  Vous  souvenez-vous  qu'il  est 
question,  dans  l'Évangile,  de  Marie,  cette  fameuse  pé- 
cheresse, qui  lava  de  ses  larmes  les  pieds  du  Sauveur, 
et  les  essuya  de  ses  cheveux,  ensuite  mérita  le  pardon 
de  ses  fautes  ?  »  Le  prêtre  lui  répondit  :  «  Je  m'en 
souviens,  et  depuis  plus  de  trente  ans  la  sainte  église 
croit  et  confesse  ce  fait.  »  «  C'est  moi,  dit-elle,  qui  suis 
celte  femme.  J'ai  demeuré  inconnue  aux  hommes  l'es- 
pace de  trente  ans,  et  comme  il  vous  a  été  accordé 
de  le  voir  hier,  chaque  jour,  je  suis  enlevée  au  ciel 
[)ar  les  mains  des  anges,  et  j'ai  eu  le  bonheur  d'en- 
tendre des  oreilles  du  corps  les  admirables  concerts 
des  cliœurs  célestes,  sept  fois  par  chaque  jour.  Or, 
{)uisqu'il  m'a  été  révélé  par  le  Seigneur  que  je  dois 
sortir  de  ce  monde,  allez  trouver  le  bienheureux  Ma- 
ximin,  et  dites-lui  que,  le  jour  de  Pâques  prochain, 
à  riKMire  qu'il  a  coutume  de  se  lever  pour  aller  à  ma- 
tines, il  entre  seul  dans  son  oratoire  et  qu'il  m'y  trou- 


SAINTE   MARIE-MAGDELEINE  25S 

vera  transportée  par  le  ministère  des  anges.   »  Le 
prêtre  entendait  sa  voix,  comme  on  aurait  dit  de  celle 
d*un  ange,  mais  il  ne  voyait  personne.  Il  se  hâta  donc 
d'aller  trouver  saint  Maximin,  et  lui  raconta  tous  ces 
détails.  Saint  Maximin,  rempli  d'une  grande  joie,  ren- 
dit alors  au  Sauveur  d'immenses  actions  de  grâce,  et 
au  jour  et  à  Theure  qu'il  lui  avait  été  dit,  en  entrant 
dans  son  oratoire,  il  voit  la  bienheureuse  Marie-Mag- 
deleine  debout  dans  le  chœur,  au  milieu  des  anges 
qui  l'avaient  amenée.  Elle  était  de  deux  coudées  au- 
dessus  de  terre,  debout  au  milieu  des  anges  et  priant 
I^ieu,  les  mains  étendues.  Or,  comme  le  bienheureux 
Maximin  tremblait  d'approcher  auprès  d'elle,  Marie 
dit  en  se  tournant  vers  lui  :  «  Approchez  plus  près  ; 
•»e  fuyez  pas  votre  fille,  mon  père.  »  En  s'approchant, 
'*^^'on  qu'on  le  lit  dans  les  livres  de  saint  Maximin 
'^^i-méme,  il  vit  que  le  visage  de  la  sainte  rayonnait 
"^*  telle  sorte  par  les  continuelles  et  longues  conimu- 
'"cations  avec  les  anges,   que  les  rayons  du  soleil 
^*taient  moins  éblouissants  que  sa  face.  Maximin  con- 
^^qua  tout  le  clergé  et  le  prêtre  dont  il  vient  d'être 
P^rté.  Marie -Magdeleine  reçut  le  corps  et  le  sang  du 
^*g»eur  des  mains  de  l'évêque,    avec  une  grande 
i^^Oiidance  de  larmes.  S'étant  ensuite  prosternée  devant 
ï^  base  de  l'autel,  sa  très  sainte  âme  passa  au  Seigneur  : 
i^l^rès  qu'elle  fut  sortie  de  son  corps,  une  odeur  si  suave 
i'^^répanditdans  le  lieu  même,  que  pendant  près  de  sept 
jours,  ceux  qui  enlraientdans  Toratoire  la  ressentaient. 
Le  bienheureux  Maximin  embauma  le  très  saint  corps 
avec  différents  aromates,  Tensevelit,  et  ordonna  qu'on 
l'ensevelît  lui-même  auprès  d'elle  après  sa  mort. 


256  LA    LÉGENDE    DOREE 

Hégésippe,  ou  bien  Joseph,  selon  d'autres,  est  assez 
d'accord  avec  celte  histoire.  Il  dit,  en  effet,  dans  son 
traité,  que  Marie-Magdeleine,  après  Tascension  du 
Seigneur,  poussée  par  son  amour  envers  J.-C.  et  par 
Tennui  qu'elle  en  avait,  ne  voulait  plus  jamais  voir 
face  d'homme  ;  mais  que  dans  la  suite  elle  vint  au 
territoire  d'Aix,  s'en  alla  dans  un  désert  où  elle  resta 
inconnue  l'espace  de  trente  ans,  et,  d'après  son  récit, 
chaque  jour,  elle  était  transportée  dans  le  ciel  pour 
les  sept  heures  canoniales.  Il  ajoute  cependant  qu'un 
prêtre,  étant  venu  chez  elle,  la  trouva  enfermée  dans 
sa  cellule.  Il  lui  donna  un  vêtement  sur  la  demande 
qu'elle  lui  en  fit.  Elle  s'en  revêtit,  alla  avec  le  prêtre 
à  l'église  où  après  avoir  reçu  la  communion,  elle  éleva 
les  mains  pour  prier  et  mourut  en  paix  vis-à-vis  Tau- 
tel.  —  Du  temps  de  Charlemagne,  c'est-à-dire,  l'an 
du  Seigneur  769,  Gyrard,  duc  de  Bourgogne,  ne  pou- 
vant avoir  de  fils  de  son  épouse,  faisait  de  grandes 
largesses  aux  pauvres,  et  construisait  beaucoup  d'é- 
glises et  de  monastères.  Ayant  donc  fait  bâtir  l'abbaye 
de  Vézelai,  il  envoya,  de  concert  avec  Tabbé  de  ce  mo- 
nastère, un  moine  avec  une  suite  convenable,  à  la  ville 
d'Aix,  pour  en  rapporter,  s'il  était  possible,  les  reli- 
ques de  sainte  Marie-Magdeleine.  Ce  moine  arrivé  à 
Aix  trouva  la  ville  ruinée  de  fond  en  comble  par  les 
païens  ;  le  hasard  lui  fit  découvrir  un  sépulcre  dont 
les  sculptures  en  marbre  lui  prouvèrent  que  le  corps 
<le  sainte  Marie-Magdeleine  était  renfermé  dans  Tin- 
térieiir;  en  effet  riiisloire  de  la  sainte  était  sculptée 
avec  un  art  merveilleux  sur  le  tombeau.  Une  nuit 
donc  le  moine  le  brisa,  prit  les  reliques  et  les  emporta- 


k. 


SAINTE    MARIE-MAGDELEINC  2o7 

à  son  hôtel.  Or,  cette  nuit-là  même,  la  bienheureuse 
Marie-Magdeleine  apparut  à  ce  moine  et  lui  dit  de 
n'avoir  aucune  crainte  mais  d'achever  l'œuvre  qu'il 
avait  entreprise. 

A  son  retour,  il  était  éloigné  d'une  deroi-lieue  de 
son  monastère,  quand  il  devint  absolument  impos- 
sible de  remuer  les  reliques,  jusqu'à  l'arrivée  de  l'abbé 
avec  les  moines  qui  les  reçurent  en  procession  avec 
çrand  honneur.  Un  soldat  qui  avait  l'habitude  de  venir 
chaque  année  en  pèlerinage  au  corps  de  la  bienheureuse 
Marie-Magdeleine,  fut  tué  dans  une  bataille.  On  l'avait 
mis  dans  le  cercueil  et  ses  parents  en  pleurs  se  plai- 
gnaient avec  confiance  à  sainte  Magdeleine  de  ce  qu'elle 
avait  laissé  mourir,  sans  qu'il  eût  eu  le  temps  de  se 
confesser  et  de  faire  pénitence,  un  homme  qui  lui  avait 
^té  si  dévot.  Tout  à  coup,  à  la  stupéfaction  générale, 
^'«i  qui  était  mort  ressuscita,  demanda  un  prêtre,  et 
*près  s'être  dévotement  confessé  et  avoir  reçu  le  via- 
^«e,  il  mourut  en  paix  aussitôt.  —  Un  navire  sur 
'^uel  se  trouvaient  beaucoup  d'hommes  et  de  femmes 
"^  Haufragre.  Mais  une  femme  enceinte,  se  vovant  en 
"^Hger  de  périr  dans  la  mer,  invoquait,  autant  qu'il 
^^it  en  son  pouvoir,  sainte  Magdeleine,  et  faisait  vœu, 
1^^  si,  grâce  à  ses  mérites,  elle  échappait  au  naufrage 
^^  mettait  un  fils  au  monde,  elle  le  dédierait  à  son  mo- 
^^stère.  A  l'instant,  une  femme  d'un  aspect  et  d'un 
port  vénérable  lui  apparut,  la  prit  par  le  menton,  et 
'^  conduisit  saine  et  sauve  sur  le  rivage,  quand  tous 
l^s  autres  périssaient  *.  Peu  de  temps  après,  elle  mit  au 


♦  \y 


Vincent  de  B.,  Hitt,,  1.  XXIV,  c.  xxxv 
n. 


258  I^A    LÉGENDE    DORÉE 

monde  un  fils,  et  accomplit  fidèlement  son  vœu.  — • 
Il  y  en  a  qui  disent  que  Marie-Magdeleine  était  fiancée 
à  saint  Jean  Tévançéliste,  et  qu'il  allait  l'épouser  quand 
.I.-C.  l'appela  au  moment  de  ses  noces.  Indignée  de 
ce  que  le  Seigneur  lui  avait  enlevé  son  fiancé,  Magde- 
leine  s'en  alla  et  se  livra  tout  à  fait  à  la  volupté.  Mais 
parce  qu'il  n'était  pas  convenable  que  la  vocation  de 
Jean  fût  pour  Magdeleine  une  occasion  de  se  damner, 
le  Seigneur,  dans  sa  miséricorde,  la  convertit  à  la  pé- 
nitence; et  en  l'arrachant  aux  plaisirs  des  sens,  il  la 
combla  des  joies  spirituelles  qui  se  trouvent  dans  l'a- 
mour de  Dieu.  Quelques-uns  prétendent  que  si  N.-S. 
admit  saint  Jean  dans  une  intimité  plus  grande  que 
les  autres,  ce  fut  parce  qu'il  l'arracha  à  l'amour  de 
Magdeleine.  Mais  ce  sont  choses  fausses  et  frivoles  ; 
car  frère  Albert,  dans  le  prologue  sur  l'Evangile  de 
saint  Jean,  pose  en  fait  que  cette  fiancée  dont  saint 
Jean  fut  séparé  au  moment  de  ses  noces  par  la  vo- 
cation de  J.-C,  resta  vierge,  et  s'attacha  parla  suite 
à  la  sainte  Vierge  Marie,  mère  de  J.-C.  et  qu'enfin  elle 
mourut  saintement.  —  Un  homme  privé  de  la  vue 
vrnait  au  monastère  de  Vrzelai  visiter  le  corps  de 
sainte  Marie-Mat^deleine,  quand  son  conducteur  lui 
dit  qu'il  rommenc^ait  î\  apercevoir  l'église.  Alors  l'a- 
veiigle  s'écria  à  haute  voix  :  «  0  sainte  Marie-Magde- 
Idno  !  que  ne  pnis-je  avoir  le  bonheur  de  voir  une 
fois  votre  éq^lise  !  »  et  à  l'instant  ses  veux  furent  ou- 
verts.  —  Un  homme  avait  écrit  ses  péchés  sur  une 
feuille  qu'il  posa  sous  la  nappe  de  l'autel  de  sainte 
Marie-Magdeleine,  en  la  priant  de  lui  en  obtenir  la  ré- 
r.iission.  Peu    de   temps  après  il    reprit  sa  feuille  et 


SAINTE    MARIE-MAGDELEINE  2u0 

tous  les  péchés  en  avaient  été  effacés.  —  Un  homme 
détenu  en  prison  pour  de  l'argent  qu'on  exigeait  d*^ 
lui  invoquait  à  son  secours  sainte  Marie-Magdeleine  ;  ol 
voici  qu'une  nuit  lui  apparut  une  femme  d'une  beauté 
remarquable  qui,  brisant  ses  chaînes  et  lui  ouvrant 
la  porte,  lui  commanda  de  fuir.  Ce  prisonnier  se  voyant 
délivré  s'enfuit  aussitôt  *.  —  Un  clerc  de  Flandre, 
nommé  Etienne,  était  tombé  dans  de  si  grands  crimes, 
en  s'adonnant  à  toutes  les  scélératesses,  qu'il  ne  vou- 
lait pas  plus  entendre  parler  des  choses  qui  regardent 
le  salut  qu'il  ne  les  pratiquait.  Cependant  il  avait  une 
grande  dévotion  en  sainte  Marie-Magdeleine  ;  il  jeûnait 
ses  vigiles  et  honorait  le  jour  de  sa  fête.  Une  fois  qu'il 
visitait  son  tombeau,  sainte  Marie-Magdeleine  lui  appa- 
rut, alors  qu'il  n'était  ni  tout  à  fait  endormi,  ni  tout  à 
fait  éveillé;  elle  avait  la  figure  d'une  belle  femme  ;  ses 
veux  étaient  tristes,  et  elle  était  soutenue  à  droite  et 
à  ^uche  par  deux  anges  :  alors  elle  lui  dit  :  «  Je  t'en 
prie,  Etienne,  pourquoi  te  livres-tu  à  des  actions  indi- 
gnes de  moi  ?  Pourquoi  n'es-tu  pas  touché  des  paroles 
pressantes  que  je  t'adresse  de  ma  propre  bouche?  dès 
rinstant  que  tu  as  eu  de  la  dévotion  pour  moi,  j'ai 
toujours  prié  d'une  manière  pressante  le  Seigneur 
pour  toi.  Allons,  courage,  repens-toi,  car  je  ne  t'a- 
bandonnerai pas  que  tu  ne  sois  réconcilié  avec  Dieu.  » 
Et  il  se  sentit  inondé  de  tant  de  grâces  que,  renonçant 
au  monde,  il  entra  en  religion  et  mena  une  vie  très 
parfaite.  A  sa  mort,  on  vit  sainte  Marie-Magdeleine 

•  Viacent  de  B.,   Hi$t.^  I.  XXIV,    c.  xxxv,  ms.  de  la  Bible, 
Bibliothèque  nationale,  u^  5i96. 


\ 


260  LA   LÉGENDE    DORÉE 

apparaître  avec  des  anges  auprès  de  son  cercueil,  et 
porter  au  ciel,  avec  des  cantiques,  son  âme  sous  la 
forme  d'une  colombe*. 


SAINT  APOLLINAIRE 

Apollinaire  vient  de  pollens,  resplendissant^  et  de  ares,  vertu    > 
resplendissant  de  vertus  :  ou  bien  de  polio,  qui  signifie  admi-  u 
rable  et  naris,  narine  ;  par  quoi  l'on  entend  la  discrétion 
c'est  comme  si  Ton  disait  :  homme  d'une  discrétion  admirable; 
Il  peut  encore  venir  de  a,  sans,  de  polluo,  souiller,  et  arei 
vertu,  homme  vertueux  non  souillé  par  le  vice. 


Saint  Apollinaire  fut  disciple  de  saint  Pierre  qi 
renvoya  de  Rome  à  Ravenne  où,  après  avoîr  jSfuéri 
femme  du- tribun,  il  la  baptisa  avec  son  mari  et  sa  f»t. 
mille.  Le  juge  en  fut  informé  et  Apollinaire  fut  mandl^ 
le  premier  pour  comparaître  devant  lui.  On  le  cou — 
duisit  au  temple  de  Jupiter  pour  qu'ilsacrifiât.  Comme  ^ 
il  disait  aux  prt^tres  que  For  des  idoles  et  Targent 
qu'on  y  suspendait   seraient  mieux  employés  en  les 
donnant  aux  pauvres  qu'à  les  exposer  ainsi  devant  les 
dfMnons,   il  fut  saisi  aussitôt  et  battu  avec  des  fouets 
jiiSfju'à  rester  à  demi  mort  :  mais  il  fut  recueilli  par 
ses  disciples  et  soigné  pendant  sept  mois  dans  la  mai- 
son (riine  veuve.  De  là  il  vint  à  Classe**  pour  y  guérir 
un  noble  qui  était  muet  ***.  Comme  il  entrait  dans  la 
maison,  une  jeune  fille  possédée  d'un  esprit  immonde 

*  Denys  le  Chartr.,  »S>rwo«  iv, de  sainte  Marie-Magdeleine. 
**  Bourt!^  à  3/4  de  lieue  de  Ravenne  dont  il  est  le  port. 
**  Brèriaïrt'  romain. 


S\INT    APOLLINAIRE  261 

s^<:::ria  :  «  Retîre-toi   d'ici,  serviteur  de  Dieu;  sinon 

• 

je  t.e  ferai  jeter  hors  de  la  ville  les  mains  et  les  pieds 
liés.  »  Saint  Apollinaire  la  reprit  aussitôt  et  força  le 
d^nnon  à  s'en  aller.  Après  avoir  invoqué  le  nom  du 
^îgneur  sur  le  muet  et  l'avoir  guéri,  plus  de  cinq 
^^ràts  hommes  reçurent  le  don  de  la  foi.  Cependant 
'^s.  païens  l'accablèrent  à  coups  de  fouet  pour  Fem- 
P^cher  de  nommer  J.-C.  :  mais  le  saint  étendu  par 
^ï*re  criait  que  c'était  le  vrai  Dieu.  Alors  ils  le  firent 
^^Hir  debout  et  nu-pieds  sur  des  charbons  ardents, 
'^^is comme  il  prêchait  encore  J .-C.  avec  la  plus  grande 
^^^Tïstance,  ils  le  chassèrent  hors  de  la  ville*. 

Dans  le  même  temps,  Rufus,  patricien  de  Ravenne, 
^Ont  la  fille  était  malade,  avait  appelé  saint  Apolli- 
'^Bire  pour  la  guérir  :  mais  celui-ci  était  à  peine  entré 
^l^ns  la  maison  qu'elle  mourut.  Rufus  lui  dit  :  «  Il  eût 
^lé  à  souhaiter  que  tu  ne  fusses  pas  entré  chez  moi, 
^ar  les  grands  dieux  irrités  n'ont  pas  voulu  guérir  ma 
fille  :  mais  toi, que  lui  pourras-tu  faire?  »  «  Ne  crains 
rien,   lui    répondit  Apollinaire;   seulement  jure-moi 
que  si  ta  fille  ressuscite,  tu  ne  l'empêcheras  pas  de 
s'attacher  à  son  créateur.  »  11  le  promit  et  saint  Apol- 
linaire ayant  fait  une  prière,  la  fille  ressuscita.  Elle 
confessa  le  nom  de  J.-C,  reçut  le  baptême  avec  sa 
mère  et  une  grande  multitude  de  personnes,  et  elle 
vécut  dans  la  virginité**.  Quand  C4ésar  apprit  cela,  il 
écrivit  au  préfet  du  prétoire  de  faire  sacrifier  Apolli- 
naire, ou  de  l'envoyer  en  exil.  Apollinaire  ayant  refusé 


*  Bréviaire  romain. 
••  /bid. 

n.  17 


262  LA    LÉGENDE    DORÉE 

de  sacrifier,  le  préfet  le  fit  fouetter  et  ordonna  qu'on 
rétendît  au  chevalet  pour  le  torturerJ^e  saint  persistant 
à  confesser  J.-C,  il  fit  jeter  de  l'eau  bouillante  sur  ses 
plaies  et  voulut  l'envoyer  en  exil  après  l'avoir  garrotté 
d'une  masse  énorme  de  fer.  Les  chrétiens,  à  la  vue 
d'une  si  grande  impiété,  s'enflammèrent  contre  les 
païens,  se  jetèrent  sur  eux  et  eu  tuèrent  plus  de  deux 
cents.  Alors  le  préfet  se  cacha,  jeta  Apollinaire  au 
fond  d'une  prison  très  profonde,  ensuite  il  le  fit  mettre 
sur  un  vaisseau  après  l'avoir  enchaîné,  et  le  fit  partir 
en  exil  avec  trois  clercs  qui  suivaient  le  saint.  Il  s'é- 
leva une  tempête,  et  il  n'y  eut  de  sauvé  que  lui,  les 
deux  clercs  et  deux  soldats  qu'il  baptisa.  Revenu  en- 
suite à  Ravenne,  où  les  païens  le  prirent  et  le  condui- 
sirent au  temple  d'Apollon,  aussitôt  qu'il  eut  aperçu 
la  statue  de  l'idole,  il  la  maudit  et  tout  aussitôt,  elle 
tomba.  A  cette  vue,  les  prêtres  le  menèrent  au  juge 
Taurus.  Ce  juge,  après  que  le  saint  eut  rendu  l'usage 
(le  ses  yeux  à  son  fils  qui  était  aveugle,  se  convertit  à 
la  foi,  et  garda  Apollinaire  pendant  quatre  ans  dans 
son  domaine.  Les  prêtres  des  faux  dieux  Payant  accuse 
à  Vespasien,  celui-ci  répondit  que  quiconque  insultait 
les  dieux  devait  sacrifier  ou  bien  être  chassé  de  la 
ville  :  «   II  n'est  pas  juste,  ajoutait-il,  que  nous  ven- 
gions les  dieux  ;  mais,  s'ils  s'irritent,  ils  pourront  se 
venger  eux-mêmes  de  leurs  ennemis.  »  Alors  le  patrice 
Démosthène,  sur  le  refus  que  lui  fit  saint  Apollinaire 
de  sacrifier,  le  confia  à  un  centurion  déjà  chrétien. 
Celui-ci  demanda  au  saint  de  venir  au  quartier  des  lé- 
preux pour  y  échapper  à  la  fureur  des  gentils  ;  mais 
le  peuple  l'y  poursuivit  et  le  frappa  si  longtemps  qu'il 


SAINT   APOLLINAIRE  263 

en  mourut,  après  sept  jours  employés  par  lui  à  don- 
ner des  avis  à  ses  disciples;  il  fut  enseveli  ensuite  avec 
les  plus  g^rands  honneurs  au  même  endroit  par  les 
chrétiens,  sous  Tempire  de  Vespasien,  Tan  du  Sei- 
gneur 70.  —  Saint  Ambroise  s*exprime  ainsi  sur  ce 
martyr  dans  la  préface  :  «  Le  très  digne  prélat  Apol- 
linaire est  envoyé  par  le  prince  des  apôtres  Pierre  à 
Ravenne,  annoncer  aux  incrédules  le  nom  de  Jésus. 
Après  y  avoir  opéré  un  grand  nombre  de  miracles  eu 
faveur  de  ceux  qui  croyaient  en  J.-C,  il  fut  souvent 
accablé  sous  les  coups  de  fouet;  et  son  corps  déjà 
vieux  fut  soumis  à  des  traitements  horribles  de  la 
part  des  impies.  Mais  afin  que  les  fidèles  ne  fussent 
pas  ébranlés  dans  la  foi  en  présence  de  pareils  tour- 
ments, il  opérait  des  miracles  comme  les  apôtres  par 
la  puissance  de  N.-S.  J.-C.  Après  ses  supplices,  il 
ressuscite  une  jeune  personne,  il  rend  la  vue  aux  aveu- 
i^les,  la  parole  aux  muets,  il  délivre  une  possédée  du 
démon,  il  guérit  un  lépreux,  il  rend  la  sanlé  à  un 
pestiféré  dont  les  membres  tombaient  en  dissolution  ; 
il  renverse  une  idole  et  le  temple  qui  Tabritait.  0  Pon- 
tife le  plus  digne  de  toute  admiralion  et  de  tout  éloge, 
qui  mérita  de  recevoir  le  pouvoir  des  apôtres  avec  la 
dignité  épiscopale  !  0  courageux  athlète  de  J.-C, 
sur  le  déclin  et  le  froid  des  ans,  il  prêche  au  milieu 
des  tortures  avec  constance  J.-C,  le  Rédempteur  du 
monde  !  » 


264  LA    LÉGENDE    DOREE 


SAINTE  CHRISTINE* 

Christine,  oinle  du  chrême  ;  elle  eut  en  effet  le  baume  de 
bonne  odeur  dans  son  genre  de  vie,  Thuile  de  dévotion  «dans 
le  cœur,  et  la  bénédiction  à  la  bouche. 

Sainte  Christine  **  naquit  de  parents  très  nobles,  à 
Tyr***,  en  Italie.  Son  père  la  mit  dans  une  tour  avec 
douze  suivantes;  elle  y  avait  des  dieux  d'argent  et 
d'or.  Comme  elle  était  fort  belle  et  que  plusieurs  la  re- 
cherchaient en  mariage,  ses  parents  ne  voulurent  l'ac- 
corder à  personne  afin  qu'elle  restât  consacrée  au  culte 
des  dieux.  Mais,  instruite  par  le  Saint-Esprit  à  avoir 
en  horreur  les  sacrifices  des  idoles,  elle  cachait  dans 
une  fenêtre  les  encens  avec  lesquels  on  devait  sacrifier. 
Son  père  étant  venu,  les  suivantes  lui  dirent  :  «  Ta 
fille,  notre  maîtresse,  méprise  nos  divinités  et  refuse 
de  leur  sacrifier  ;  elle  dit  au  reste  qu'elle  est  chré- 
tienne. »  Le  père,  par  ses  caresses,  l'exhortait  à  ho- 
norer 1;îs  dieux,  et  elle  lui  dit:  «Ne  m'appelles  pas  ta 
fille,  mais  bien  celle  de  celui  auquel  on  doit  le  sacrifice 
de  louantes  ;  car  ce  n'est  pas  à  des  dieux  mortels,  mais 
au  Dieu  du  ciel  cjue  j'offre  des  sacrifices.  »  Son  père 
lui  répliqua:  «  Ma  fille,'ne  sacrifie  pas  seulement  à  un 

'^  Alphauus,   archevêque  de  Salerne  en   1083,  a  donné  les 
actes  (le  celte  sainte  qui  se  trouvent  ici  en  abrégé. 

**  Cette  légende  est  un  abrégé  fidèle  de  la  vie  et  du  martyre 
de  sainte  Christine  écrite  au  xi*  siècle  par  Alphanus,  archevê- 
que de  Salcrne. 
"'*  Ville  de  Toscane  engloutie  dans  le  lac  Bolsène. 


SAINTE    CHRISTINE  263 

Dieu,  de  peur  d'encourir  la  haine  des  autres,  w  Chris- 
tine lui  répondit  :  «  Tu  as  bien  parlé,  tout  en  ne  con- 
naissant pas  la  vérité  ;  j'offre  en  effet  des  sacrifices  au 
Père,  au  Fils,  et  au  Saint-Esprit.  »  Son  père  lui  dit  : 
«  Si  tu  adores  trois  dieux,  pourquoi  n'adores-tu  pas 
aussi  les  autres?  »  Elle  répondît:  «  Ces  trois  ne  font 
qu'une  seule  divinité.  »  Après  cela  Christine  brisa  les 
dieux  de  son  père  et  en  donna  aux  pauvres  l'or  et 
l'argent.  Quand  le  père  revint  pour  adorer  ses  dieux, 
<*t  qu'il  ne  les  trouva  plus,  en  apprenant  des  suivan- 
tes ce  que  Christine  en  avait  fait,  il  devint  furieux  et 
commanda  qu'on  la  dépouillât  et  qu'elle  fût  fouettée 
par  douze  hommes  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  épuisés 
eux-mêmes.  Alors  Christine  dit  à  son  père  :  «  Homme 
sans  honneur  et  sans  honte,  abominable  aux  yeux  de 
Dieu  !  ceux  qui  me  fouettent  s'épuisent  ;  demande 
pour  eux  à  tes  dieux  de  la  vigueur,  si  tu  en  as  le  cou- 
rage! »  Et  son  père  la  fit  charger  de  chaînes  et  jeter  en 
prison.  Quand  la  mère  apprit  cela,  elle  déchira  ses 
vêtements,  alla  trouver  sa  fille  et  se  prosternant  à  ses 
pieds,  elle  dit  :  «  Ma  fille  Christine,  lumière  de  mes 
yeux,  aie  pitié  de  moi.  »  Christine  lui  répondit  : 
«  Que  m'appelez-vous  votre  fille  ?  ne  savez- vous  pas 
c|ue  je  porte  le  nom  de  mon  Dieu  ?  »  Or,  la  mère,  n'ayant 
pu  faire  changer  sa  fille  de  résolution,  revint  trouver 
son  mari  auquel  elle  déclara  les  réponses  de  Christine. 
Alors  le  père  la  fit  amener  devant  son  tribunal  et  lui 
(lit:  ((  Sacrifie  aux  dieux,  sinon  tu  seras  accablée  dans 
les  supplices;  tu  ne  seras  plus  appelée  ma  fille.  )>  Elle 
lui  répondit:  «  Vous  m'avez  fait  grande  grâce  de  ne 
plus  m'appeler  maintenant  fille  du  diable.  Celui  qui 


266  LA   LÉGENDE    DOREE 

naît  de  Satan  est  démon  ;  tu  es  le  père  de  ce  même  Sa- 
tan. »  Son  père  ordonna  qu'on  lui  raclAt  les  chairs  avec 
des  peignes  et  que  ses  jeunes  membres  fussent  dislo- 
qués. Christine  prit  alors  de  sa  chair  qu'elle  jeta  à  la 
figure  de  son  père  en  disant:  «Tiens,  tyran,  mange  la 
chair  que  lu  as  engendrée.  »  Alors  le  père  la  fit  pla- 
cer sur  une  roue  sous  laquelle  il  fit  allumer  du  feu 
avec  de  Thuile;  mais  la  flamme  qui  en  jaillit  fit  périr 
quinze  cents  personnes.  Or,  son  père,  qui  attribuait 
tout  cela  à  la  magie,  la  fit  encore  une  fois  renfermer 
en  prison,  et  quand  la  nuit  fut  venue,  il  commanda  à 
ses  gens  de  lui  lier  une  pierre  énorme  au  cou  et  de  la 
jeter  dans  la  mer.  Ils  le  firent,  mais  aussitôt  des  an- 
ges la  prennent,  J.-C.  lui-même  vient  à  elle  et  la  bap- 
tise dans  la  mer  en  disant  :  «  Je  te  baptise  en  Dieu, 
mon  père,  et  en  moi  J.-C.  son  fils,  et  dans  le  Saint- 
Esprit.  »  Et  il  la  confia  à  Tarchange  Michel  qui  l'a- 
mena sur  la  terre.  Le  père,  qui  apprit  cela,  se  frappa  le 
front  en  disant  :  «  Par  quels  maléfices  fais-tu  cela,  de 
pouvoir  ainsi  exercer  ta  magie  dans  la  mer  ?  »  Chris- 
tine lui  répondit  :  «  Malheureux  insensé!  c'est  de  J.-C. 
([ue  j'ai  reçu  cette  grâce.  »  Alors  il  la  renvoya  dans  lu 
prison  avec  ordre  de  la  décapiter  le  lendemain. 

Or,  cette  nuit-là  même,  son  père  Urbain  fut  trouvé 
mort.  Il  eut  pour  successeur  un  juge  inique,  appelé 
Elias  *,  qui  fit  préparer  une  chaudière  dans  laquelle 
on  mit  bouillir  de  l'huile,  de  la  résine  et  de  la  poix  pour 
y  jeter  Christine.  Quatre  hommes  agitaient  la  cuve 
afin  que  la  sainte  fiU  consumée  plus  vite.   Alors  elle 

Alpha  nus  le  nomme  Idion. 


SAINTE   CHRISTINE  267 

loua  Dieu  de  ce  qu'après  avoir  reçu  une  seconde  nais- 
sance, il  voulait  qu'elle  fût  bercée  comme  un  petit  en- 
fant. Le  juge  irrité  ordonna  qu'on  lui  rasât  la  tête  et 
qu'on  la  menât  nue  à  travers  la  ville  jusqu'au  temple 
d'Apollon.  Quand  elle  y  fut  arrivée,  elle  commanda  à 
ridole  de  tomber,  ce  qui  la  réduisit  en  poudre.  A  cette 
nouvelle  le  juge  s'épouvanta  et  rendit  l'esprit.  Julien 
lui  succéda  :  il  fit  chauffer  une  fournaise  et  y  jeter 
Christine  ;  et  elle  resta  intacte  pendant  cinq  jours  * 
qu'elle  passa  à  chanter  et  à  se  promener  avec  des  an- 
ges. Julien,  qui  apprit  cela  et  qui  l'attribua  à  la  magie, 
fit  jeter  sur  elle  deux  aspics,  deux  vipères  et  deux  cou- 
leuvres. Les  serpents  lui  léchèrent  les  pieds,  les  aspics 
ne  lui  firent  aucun  mal  et  s'attachèrent  à  ses  mamelles, 
et  les  couleuvres  en  se  roulant  autour  de  son  cou  lé- 
chaient sa  sueur.  Alors  Julien  dit  à  un  enchanteur  : 
«  Est-ce  que  tu  es  aussi  magicien  ?  irrite  les  bêtes.  » 
Et  comme  il  le  faisait,  les  serpents  se  jetèrent  sur  lui 
et  le  tuèrent  en  un  instant.  Christine  commanda  en- 
suite aux  serpents,  les  envoya  dans  un  désert  et  elle 
ressuscita  le  mort.  Julien  aloi's  ordonna  de  lui  enlever 
les  mamelles,  d'où  il  coula  du  lait  au  lieu  de  sang. 
Ensuite  il  lui  fit  couper  la  langue;  Christine  n'en  per- 
dit pas  l'usage  de  la  parole  ;  elle  ramassa  sa  langue  et 
la  jeta  à  la  figure  de  Julien,  qui,  atteint  à  l'œil,  se 
trouva  aveuglé.  Julien  irrité  lui  envoya  deux  flèches  au 
cœur  et  une  autre  à  son  côté.  En  recevant  ces  coups 
elle  rendit  son  esprit  à  Dieu,  vers  l'an  du  Seigneur 287, 
sous  Dioclétien.  Son  corps  repose  dans  un  château 

*  Trois  heures,  d'après  Alphanus. 


1 


268  LA    LKGENDE    DORKE 

qu'on  appelle  Bolsène  situé  entre  la  Ville  vieille  et  Vi- 
terbe.  La  tour  qui  était  vis-à-vis  de  ce  château  a  été 
renversée  de  fond  en  comble. 


SAIiNT  JACQUES  LE  MAJEUR* 

Cet  apùtre  fut  appelé  Jacques,  fils  de  Zébédée^  Jacques,  frère 
de  Jean,  Boanergès,  c*est-à-dirc  iils  du  tonnerre,  et  Jacques  le 
Majeur.  On  appelle  Jacques,  tils  de  Zébédée,  non  pas  seulement 
parce  qu'il  fut  son  fils  selon  la  chair,  mais  pour  faire  com> 
prendre  son  nom.  Zébédée  signifie  donnant  ou  donné,  et  saint 
Jacques  se  donna  lui-même  à  J.-C.  par  sa  mort  qui  fut  un 
martyre  ;  et  il  a  été  donné  de  Dieu  pour  être  notre  patron*'' 
spirituel.  On  l'appelle  Jacques,  frère  de  Jean,  parce  qu'il  fut 
son  frère  et  selon  la  chair  et  selon  la  ressemblance  de  la  con- 
duite. Tous  les  deux  en  effet  eurent  le  même  zèle,  le  même, 
désir  de  savoir,  et  tirent  les  mêmes  souhaits.  Ils  eurent  le 
même  zèle  pour  venger  le  Seigneur  ;  en  effet  comme  les  Sama- 
ritains ne  voulaient  pas  recevoir  J  -C.,  Jacques  et  Jean  dirent  : 
«  Voulez-vous  que  nous  commandions  que  le  feu  du  ciel  des- 
cende et  qu'il  consume  ces  gens-là  ?  »  Ils  eurent  le  même  içoût 
pour  apprendre  :  ce  furent  eux  principalement  qui  interro- 
gèrent J.-C.  au  sujet  du  jour  du  jugement  et  des  autres  choses 
à  venir.  Ils  firent  les  mêmes  souhaits,  car  tous  les  deux  vou- 
lurent avoir  leur  place  pour  s'asseoir  l'un  à  la  droite  et  l'autre 
à  la  gauche  de  J.-C.  Ou  Tappelle  Hls  du  tonnerre,  en  raison 
(lu  bruit  que  faisaient  ses  prédications,  parce  qu'il  effrayait 
1rs  méchants,  il  excitait  les  paresseux,  et  il  s'attirait  Tadmi- 
ration  générale  par  la  profondeur  de  ses  paroles.  Il  en  fut  de 
lui  comme  de  saint  Jean,  dont  Bède  dit  :  «  Il  a  retenti  si  haut 

'■   Pour  la  légende  de  saint  Jacijues,  on  peut  consulter  les 
noies  de  Bivar  sur  la  Chronique  de  Dexter.  Les  traditions  des 
«'•«j^lises  d'Espagne  s'y  trouvent  exposées  fort  au  long. 
"  Le  lecteur  se  rappelle  que  l'iuiteur  s'appelle  Jacques. 


SAINT   JACQUES    LE    MAJEUR  269 

que  s'il  eût  retenti  un  peu  plus,  le  monde  entier  n'aurait  pu 
le  contenir.  »  On  l'appelle  Jacques  le  Majeur  comme  l'autre  est 
appelé  le  Mineur  :  lo  en  raison  de  vocation  ;  car  il  fut  appelé 
le  premier  par  J.-C;  2*  en  raison  de  familiarité;  car  J.-G. 
paraît  avoir  été  plus  familier  avec  lui  qu'avec  l'autre  ;  on  en 
a  la  certitude,  puisque  le  Sauveur  l'admettait  dans  ses  secrets  ; 
ainsi  il  l'admit  à  la  résurrection  de  la  jeune  fille,  et  à  sa  glo- 
rieuse transfiguration  ;  3*  en  raison  de  sa  passion  ;  car  ce  fut 
le  premier  des  apôtres  qui  souffrit  le  martyre.  De  même  qu'on 
rappelle  majeur  pour  avoir  été  le  premier  à  l'honneur  de  l'a- 
postolat, de  même  on  peut  l'appeler  majeur  pour  avoir  été 
appelé  le  premier  à  la  gloire  de  l'éternité. 

Saint  Jacques,  apôtre,  fils  de  Zébédée,  après  Tas- 
cension  du  Seigneur,  prêcha  en  Judée  et  dans  le  pays 
de  Samarie  ;  il  vint  enfin  en  Espagne,  pour  y  semer  la 
parole  de  Dieu  ;  mais  comme  il  voyait  que  ses  paroles 
lie  profitaient  pas,  et  qu'il  n'y  avait  gagné  que  neuf  dis- 
ciples, il  en  laissa  deux  seulement  pour  prêcher  dans 
le  pays,  et  il  revint  avec  Icg  autres  en  Judée.  Cepen- 
dant maître  Jean  Belelh  dit  qu'il  ne  convertit  qu'un 
seul  homme  en  Espagne.  Pendant  qu'il  prêchait  en 
Judée  la  parole  de  pieu,  un  magicien  nommé  Hermo- 
g^ène,  d'accord  avec  les  Pharisiens,  envoya  à  saint  Jac- 
ques un  de  ses  disciples,  nommé  Philétus,  pour  prouver 
à  l'apôtre  que  ce  qu'il  annonçait  était  faux. Mais  l'apôtre 
rayant  convaincu  devant  une  foule  de  personnes  par 
des  preuves  évidentes,  et  opéré  en  sa  présence  de 
noitibreux  miracles,  Philétus  revint  trouver  Hermo- 
gène,  en  justifiant  la  doctrine  de  saint  Jacques  :  il  ra- 
conta en  outre  les  miracles  opérés  par  le  saint,  déclara 
vouloir  devenir  son  disciple,  et  l'exhorta  lui-même  à 
l'imiter.  Mais  Hermogène  en  colère  le  rendit  tellement 


270  LV    LKGEXDE    DORKK 

immobile  par  sa  magie  quMl  ne  pouvait  remuer  un 
seul  membre  :  «  Nous  verrons,  dit-il,  si  ton  Jacques 
te  déliera.  »  Philétus  informa  Jacques  de  cela  par  son 
valet,  Tapôtre  lui  envoya  son  suaire  et  dit  :  «  Qu'il 
prenne  ce  suaire  et  qu'il  dise  :  «  Le  Seigneur  relève 
((  ceux  qui  sont  abattus  ;  il  délie  ceux  qui  sont  encliaî- 
«  nés  (Ps.  cxLv).  »  Et  aussitôt  qu'on  eut  touché  Philé- 
tus avec  le  suaire,  il  fut  délié  de  ses  chaînes,  se  mo- 
qua des   sortilèges  d'Hermogène   et  se  hâta  d'aller 
trouver  saint  Jacques.  Hermogène  irrité  convoqua  les 
démons,   et  leur  ordonna  de  lui  amener  Jacques  gar- 
rollé  avec  Philétus,  afin  de  se  venger  d'eux  et  qu'à 
l'avenir  les  disciples  de  l'apôtre  n'eussent  plus  l'au- 
dace de  l'insulter.  Or,  les  démons  qui  vinrent  vers 
Jacques  se  mirent  à  hurler  dans  l'air  en  disant  :  «  Jac- 
ques, apôtre,  ayez  pitié  de  nous;  car  nous  brûlons  dès 
avant  que  notre  temps  soit  venu.   »   Saint  Jacques 
leur  dit  :  «  Pourquoi  ètes-vous  venus  vers  moi?  »  Ils 
répondirent  :  «  C'est  Hermogène  qui  nous  a  envoyés 
pour  vous  amener  à  lui,  avec  Philétus  ;  mais  à  peine 
nous  dirigions-nous  vers  vous  que  l'ange  de  Dieu  nous 
a  liés  avec  des  chaînes  de   feu   et  nous  a  beaucoup 
lourmentés.  »    «  Que  l'ange  du  Seigneur  vous  délie, 
reprit  l'apôlre;  retournez  à  Hermogène  et  amcnez-le- 
inoi  garroKé,  mais  sans  lui  faire  de  mal.  »  Ils  s'en  al- 
lèrent donc  prendre  Hermogène,  lui  lièrent  les  mains 
tlerrière  le  dos  et  l'amenèrent  ainsi  garrotté  à  saint 
Jacques,  en  disant  :    <(  Où  tu  nous  as  envoyés,  nous 
avons  été  brilles  et  horriblement  tourmentés.  »  Et  les 
démons  dirent  à  saint  Jacques  :  «  Mettez-le  sous  notre 
puissance,  afin  que  nous  nous  vengions  des  injures 


SAINT    JACQUES   LE    MAJEUR  271 

que  vous  avez  reçues  et  du  feu  qui  nous  a  brûlés.  » 
Saint  Jacques  leur  dit  :  «  Voici  Philétus  devant  vous, 
pourquoi  ne  le  tenez-vous  pas  ?  »  Les  démons  répon- 
dirent :  «  Nous  ne  pouvons  même  pas  toucher  de  la 
main  une  fourmi  qui  est  dans  votre  chambre.  »  Saint 
Jacques  alors  dit  à  Philétus  :  «  Afin  de  rendre  le  bien 
pour  le  mal,  selon  que  J.-C.  nous  l'a  enseigné,  Her- 
inogène  vous  a  liés  ;  vous,  déliez-le.  »  Hermogène  libre 
resta  confus  et  saint  Jacques  lui  dit  :  «  Va  librement 
ini  tu  voudras  ;  car  nous  n'avons  pas  pour  principe  de 
convertir  quelqu'un  malgré  soi.  »  Hermogène  répon- 
ilii  :  «  Je  connais  trop  la  rage  des  démons  :  Si  vous 
ne  me  donnez  un  objet  que  je  porte  avec  moi,  ils  me 
tueront.  »  Saint  Jacques  lui  donna  son  bâton  :  alors 
Hermogène  alla  chercher  tous  ses  livres  de  magie  et 
les  apporta  àTapôtre  pour  que  celui-ci  les  brûlât.  Mais 
saint  Jacques,  de  peur  que  l'odeur  de  ce  feu  n'in- 
commodât ceux  qui  n'étaient  point  sur  leur  garde,  lui 
ordonna  de  jeter  les  livres  dans  la  mer.  Hermogène, 
à  son  retour,  se  prosterna  aux  pieds  de  l'apôtre  et  lui 
<iil  :  «  Libérateur  des  âmes,  accueillez  un  pénitent 
que  vous  avez  épargné  jusqu'ici,  quoique  envieux  et 
calomniateur.  »  Dès  lors  il  vécut  dans  la  crainte  de 
Dieu,  au  point  qu'il  opéra  une  foule  de  prodiges. 
Alors  les  Juifs,  transportés  de  colère  en  voyant  Her- 
mogène converti,  vinrent  trouver  saint  Jacques  et  lui- 
reprochèrent  de  prêcher  Jésus  crucifié.  Mais  il  leur 
prouva  avec  évidence  par  les  Écritures  la  venue  du 
rihrist  et  sa  passion,  et  plusieurs  crurent*. 

^  On  peut  voir,  dans  le  transept  sud  de  la   cathédrale  d'A- 
niiens,  des  hauts  reliefs  reproduisant  ce  récit. 


272  LA    LÉGENDE    DOREE 

Or,  Abiathar,  qui  était  grand-prêtre  celte  année-là, 
excita  une  sédition  parmi  le  peuple;  il  fit  conduire  à 
Hérode  Agrippa  l'apôtre,  une  corde  au  cou.  Le  prince 
ordonna  de  décapiter  saint  Jacques  et  un  paralytique 
couché  sur  le  chemin  lui  cria  de  le  guérir.  Saint  Jac- 
ques lui  dit:  «  Au  nom  de  J.-C.  pour  la  foi  duquel 
on  va  me  couper  la  têle,  lève-toi  guéri,  et  bénis  ton 
créateur.  »  A  Tinstant  il  se  leva  guéri  et  bénit  le  Sei- 
gneur. Or,  un  scribeappelé  Josias,  qui  avait  mis  la  corde 
au  cou  de  l'apôtre  et  qui  le  tirait,  à  la  vue  de  ce  mi- 
racle, se  jeta  à  ses  pieds,  lui  adressa  des  excuses  et 
demanda  à  se  faire  chrétien.  Abiathar  à  cette  vue  le 
fit  empoigner  et  lui  dit:  «  Si  tu  ne  maudis  le  nom  du 
Christ,  lu  seras  décapité  en  même  temps  que  Jacques.  » 
Josias  reprit  :  «  Maudit  sois-tu  toi-même,  maudites 
soient  les  années,  mais  que  le  nom  du  Seigneur  J.-C.soit 
béni  dans  les  siècles.  »  Alors  Abiathar  lui  fit  frapper  la 
bouche  à  coups  de  poing  et  envoya  demandera  Hérode 
l'autorisation  de  le  décapiter  avec  Jacques*.  Tous  les 
deux  allaient  être  décapités  quand  saint  Jacques  de- 
manda au  bourreau  un  vase  plein  d'eau,  et  baptisa 
Josias,  immédiatement.  L'un  et  Tautre  consommèrent 
leur  martyre, un  instant  après,  en  ayant  la  têle  tranchée. 

Saint  Jacques  fut  décollé  le  8  des  calendes  d'avril**, 
le  jour  de  l'Annonciation  du  Seigneur;  son  corps  fut 
transporté  à  Composlelle,  le  8  des  calendes  d'août*** 


*  Ou  bien,  selon  une  autre  version,  le  fit  décapiter  sans  on 
demander  l'autorisation  i\  Hérode. 
**  25  mars. 
♦**  25  juillet. 


SAFXT    JACQLES    LE    MAJEUU  273 

^t  enseveli  le  3  des  calendes  de  janvier*,  parce  que 
»«i  couslructîon  de  son  tombeau  dura  de  aoiUà  janvier. 
*^  Eglise  établit  qu'on  célébrerait  universellement  wi 
ftle  au  8  des  calendes  d'août,  qui  est  un  temps  plus 
convenable.  Or,  après  que  saint  Jacques  eut  été  décollé, 
ainsi  que  le  rapporte  Jean  Beleth,  qui  a  écrit  avec  soin 
''iiîsloire  de  cette   translation  **,   ses  disciples  enle- 
vèrent son  corps  pendant  la  nuit  par  crainte  des  Juifs, 
'c  mirent  sur  un  vaisseau  ;  et  abandonnant  à  la  divine 
Providence  le  soin  de  sa  sépulture,  ils  montèrent  sur 
ce  navire  dépourvu  de  gouvernail  ;  sous  la  conduite  de 
'^nge  de  Dieu,  ils  abordèrent  en  Galice,  au  royaume 
Je  Louve.  Il  y  avait  alors  en  Espagne  une  reine  qui 
portait  réellement  ce  nom  et  qui  le  méritait.  Les  dis- 
copies  déchargèrent  le  corps  et  le  posèrent  sur  une 
P'crre  énorme,  qui,  en  se  fondant  comme  de  la  cire 
^^s  le  corps,  se  façonna  merveilleusement  en  sarco- 
P"age.  Les  disciples  vinrent  dire  à  Louve  :  «  Le  Sei- 
8^eurJ.-C.  t'envoie  le  corps  de  son  disciple,  afin  que 
^^  reçoives  mort  celui  que  tu  n'as  pas  voulu  recevoir 
Vivant.  »  Ils  lui  racontèrent  alors  le  miracle  par  lequel 
'I  avait  abordé  en  son  pays  sans  gouvernail,  et  lui  de- 
'najidèrent  un  lieu  convenable  pour  sa  sépulture.  La 
reine  entendant  cela,  toujours  selon  Jean  Beleth,  les 
adressa,  par  supercherie,  à  un  homme  très  cruel,  ou 
bien,  d'après  d'autres  auteurs,  au  roi  d'Espagne,  afin 
d  obtenir  là-dessus  son  consentement;  mais  ce  roi  les 
lit  nietlre  en  prison.  Or,  pendant  qu'il  était  à  table. 


'^  30  décembre. 
**  Chap.  <:xL. 

II.  18 


274  LA   LÉGENDE    DOREE 

Tange  du  Seigneur  ouvrit  la  prison  et  les  laissa  s'en 
aller  en  liberté.  Quand  le  roi  l'eut  appris,  il  envoya  à 
la  hâte  des  soldats  pour  les  ressaisir.  Un  pont  sur  le- 
quel passaient  les  soldats  vint  à  s'écrouler,  et  tous  fu- 
rent noyés  dans  le  fleuve.  A  cette  nouvelle,  le  roi,  qui 
regrettait  ce  qu'il  avait  fait  et  qui  craignait  pour  soi  et 
pour  les  siens,  envoya  prier  les  disciples  de  revenir 
chez  lui  et  leur  permit  de  lui  demander  tout  ce  qu'ils 
voudraient.  Ils  revinrent  donc  et  convertirent  à  la  foi 
tout  le  peuple  de  la  cité.  Louve  fut  très  chagrinée  en 
apprenant  ces  faits  ;  et  quand  les  disciples  la  vinrent 
trouver  pour  lui  présenter  l'autorisation  du  roi,  elle 
répondit  :  «  Prenez  mes  bœufs  qui  sont  en  tel  endroit 
ou  sur  la  montagne  ;  attelez-les  à  un  char,  portez  le 
corps  de  votre  maître,  puis  dans  le  lieu  qu'il  vous 
plaira,  bâtissez  à  votre  goût.  »  Or,  elle  parlait  en  louve, 
car  elle  savait  que  ces  bœufs  étaient  des  taureaux  in- 
domptés et  sauvages  ;  c'est  pour  cela  qu'elle  pensa 
qu'on  ne  pourrait  ni  les  réunir,  ni  les  atteler,  ou  bien 
que  si  on  pouvait  les  accoupler,  ils  courraient  çà  et 
là,  briseraient  le  char,  renverseraient  le  corps  et  tue- 
raient les  conducteurs  eux-mêmes.  Mais  il  n'y  a  point 
de  sagesse  contre  Dieu  (Prov.,xxi).  Ceux-ci,  ne  soup- 
çonnant pas  malice,  gravissent  la  montagne,  où  ils 
rencontrent  un  dragon  qui  respirait  du  feu  ;  il  allait 
arriver  sur  eux,  quand  ils  firent  le  signe  de  la  croix 
pour  se  défendre  et  coupèrent  ce  dragon  par  le  mi- 
lieu du  ventre.  Ils  firent  aussi  le  signe  de  la  croix  sur 
les  taureaux  qui,  instantanément,  deviennent  doux 
comme  des  agneaux  ;  on  les  attelle  ;  et  on  met  sur  le 
char  le  corps  de  saint  Jacques  avec  la  pierre  sur   la- 


SAINT   JACQUES    LE    MAJEUR  275 

quelle  il  avait  été  déposé.  Les  bœufs  alors,  sans  que 
personne  les  dirigeât,  amenèrent  le  corps  au  milieu  du 
palais  de  Louve  qui,  à  cette  vue,  resta  stupéfaite.  Elle 
crut  et  se  fit  chrétienne.  Tout  ce  que  les  disciples  de- 
mandèrent, elle  le  leur  accorda  ;  elle  dédia  en  l'hon- 
neur de  saint  Jacques  son  palais  pour  en  faire  une 
église  qu'elle  dota  magnifiquement  ;  puis  elle  finit  sa 
vie  dans  la  pratique  des  bonnes  œuvres.  —  Le  pape 
Calixte  dit  cpi'un  homme  du  diocèse  de  Modène, 
nommé  Bernard,  était  captif  et  enchaîné  au  fond  d'une 
tour  ;  constamment  il  invoquait  saint  Jacques.  Le  saint 
lui  apparut  :  «  Viens,  lui  dit-il,  suis-moi  en  Galice  »  ; 
puis  il  brisa  ses  chaînes  et  disparut  ;  alors  le  prison- 
nier suspendit  ses  chaînes  à  son  cou,  monta  au  haut  de 
la  tour  d*où  il  ne  fit  qu'un  saut  sans  se  blesser,  bien 
que  la  tour  eût  soixante  coudées  de  hauteur.  —  Un 
homme,  dit  Bède,  avait  commis  à  plusieurs  reprises  un 
fM^ché  énorme;  or,  l'évêque,  peu  rassuré  en  l'absolvant 
en  confession,  envoya  cet  homme  à  Saint-Jacques  en 
lui  donnant  une  cédule  sur  laquelle  ce  péché  avait  été 
écrit.  Le  pèlerin  posa,  le  jour  de  la  fête  du  saint,  la  cé- 
dule sur  l'autel  et  pria  saint  Jacques  de  lui  remettre 
le  péché  par  ses  mérites  ;  après  quoi  il  ouvrit  la  cédule 
et  trouva  tout  effacé  ;  il  rendit  grâces  à  Dieu  et  à  saint 
Jacques  et  raconta  publiquement  le  fait  à  toutle  monde. 
—  Trente  hommes  de  la  Lorraine,  au  rapport  de  Hu- 
bert de  Besançon,  allèrent  vers  Fan  1080  à  Saint-Jac- 
ques, et  se  donnèrent  l'un  à  l'autre,  un  seul  excepté,  la 
promesse  de  s'entr'aider.  Or,  l'un  d'eux  étant  tombé 
malade,  ses  compagnons  l'attendirent  pendant  1 5  jours; 
mais  enfin  tous  l'abandonnent  à  l'exception  de  celui-là 


276  L.V    LÉGENDE    DOREE 

seul  qui  ne  s'était  pas  engaçé.  Il  le  garda  au  pied  du 
mont  Saint-Michel  ;  mais  sur  le  soir  le  malade  mourut. 
Or,  le  survivant  eut  une  grande  peur  occasionnée  par 
la  solitude  de  l'endroit,  par  la  présence  du  cadavre, 
par  la  nuit  qui  menaçait  d'être  noire,  enfin  par  la  fé- 
rocité des  barbares  du  pays  ;  à  l'instant  saint  Jacques 
lui  apparut  sous  la  figure  d'un  chevalier  et  le  consola 
en  disant  :  «  Donne-moi  ce  mort,  et  toi,  monte  der- 
rière moi  sur  le  cheval.  »  Ce  fut  ainsi  que,  cette  nuit-là, 
avant  le  lever  du  soleil ,  ils  firent  quinze  journées  de  che- 
min et  arrivèrent  à  Montjoie  qui  n'est  qu'à  une  demi- 
lieue  de  Saint-Jacques.  Là  le  saint  les  mil  à  terre  et 
commanda  de  convoquer  les  chanoines  de  Saint- Jacques 
pour  ensevelir  le  pèlerin  qui  était  mort,  et  de  dire  à  ses 
compagnons,  que,  pour  avoir  manqué  à  leur  promesse, 
leur  pèlerinage  ne  vaudrait  rien.  Le  pèlerin  accomplit 
ces  ordres,  et  ses  compagnons  furent  très  saisis  et 
pour  le  chemin  qu'il  avait  fait,  et  des  paroles  qu'il  leur 
rapporta  avoir  été  dites  par  saint  Jacques. 

D'après  le  pape  Calixle*,  un  Allemand,  allant  avec 
son  fils  à  Saint-Jacques,  vers  l'an  du  Seigneur  1090, 
s'arrêta  pour  loger  à  Toulouse  chez  un  hôte  qui  l'enivra 
et  cacha  une  coupe  d'argent  dans  sa  malle.  Quand  ils 
furent  partis  le  lendemain,  Thôte  les  poursuivit  comme 
des  voleurs  et  leur  reprocha  d'avoir  volé  sa  coupe 
(Tarifent.  Comme  ils  lui  disaient  qu'il  les  fît  punir  s'il 
pouvait  trouver  la  coupe  sur  eux,  on  ouvrit  leur  malle 

*  Oïl  parai!  douter  si  ropusciile  sur  les  miracles  de  saint 
Jacques  appartient  au  pape  (^alixte.  II  est  tiré  tout  entier  de 
N'iricent  de  Heauvais  :  Spécu/.  ///>/.,  liv.  XWH.  —  Césaire 
d'Ilesterhach  récite  le  fait  qui  suit,  liv.  Vïll,  eh.  i.viii. 


SAINT    JACQUES    LE    MAJEUR  277 

el  on  trouva  l'objet  :  on  les  traîna  de  suite  chez  le. 
juge.  Il  y  eut  un  jugement  qui  prononçait  que  tout 
leur  avoir  fût  adjugé  à  l'hôte,  el  que  l'un  des  deux 
serait  pendu.  Mais  comme  le  père  voulait  mourir  à 
la  place  du  fils  et  le  fils  à  la  place  du  père,  le  fils  fut 
|iendu  et  le  père  continua,  tout  chagrin,  sa  route  v^s 
Saint-Jacques.  Or,  vingt-six  jours  après,  il  revint,  s'ar- 
rêta auprès  du  corps  de  son  fils  et  il  poussait  des  cris 
lamentables  ;  quand  voici  que  le  fils  attaché  à  la  potence 
se  mit  à  le  consoler  en  disant  :  «  Très  doux  père,  ne 
pleure  pas;  car  je  n'ai  jamais  été  si  bien;  jusqu'à  ce 
jour  saint  Jacques  m'a  sustenté,  et  il  me  restaure 
d'une  douceur  céleste.  »  En  entendfint  cela,  le  père 
courut  à  la  ville,  le  peuple  vint,  détacha  le  fils  du  pè- 
lerin qui  était  sain  et  sauf,  et  pendit  l'hôte.  —  Hu- 
gues  de  Saint-Victor  raconte  qu'un  pèlerin  allait  à 
SaintrJacques,  quand  le  démon  lui  apparut  sous  la 
figure  de  ce  saint  et  lui  rappelant  toutes  les  misères 
de  la  vie  présente,  il  ajouta  qu'il  serait  heureux  s'il  se 
tuait  en  son  honneur.  Le  pèlerin  saisit  une  épée  et  se 
tua  tout  aussitôt.  Et  comme  celui  chez  lequel  il  avait 
reçu  l'hospitaHté  passait  pour  suspect  et  craignait 
beaucoup  de  mourir,  voilà  que,  à  l'instant,  le  mort 
ressuscite,  et  dit  qu'au  moment  où  le  démon,  à  la  per- 
suasion duquel  il  s'étajt  donné  la  mort,  le  conduisait 
au  supplice,  le  bienheureux  Jacques  était  venu,  l'avait 
arraché  des  mains  du  démon  et  l'avait  mené  au  trône 
du  souverain  juge;  et  là,  malgré  les  accusations  du 
démon,  il  avait  obtenu  d'être  rendu  à  la  vie.  —  Un 
jeune  homme  du  territoire  de  Lyon,  selon  le  récit  de 
Hugues,  abbé  de  Cluny,  avait  coutume  d'aller  sou- 
u.  18- 


278  LA    LtGENDE    DORÉe: 

vent  à  Saint-Jacques  et  avec  dévotion.  Une  fois,  qu'il 
y  voulait  aller,  il  tomba,  cette  nuit-là  même,  dans  le 
|iéché  de  fornication.  II  partit  donc;  et  une  nuit,  le 
diable  lui  apparut  sous  la  figure  de  saint  Jacques  et 
lui  dit  :  «  Sais-tu  qui  je  suis?  »  Le  jeune  homme  lui 
demanda  qui   il  était,  et  le  diable  lui  dit  :  «  Je  suis 
l'apôtre  Jacques  que  tu  as  coutume  de  visiter  chaque 
année.  Tu  sauras  que  je  me  réjouissais  beaucoup  de  ta 
dévotion,  mais  dernièrement,  en  sortant  de  ta  maison, 
tu  as  commis  une  fornication  et  sans  t'étre  confessé, 
tu  as  eu  la  présomption  de  l'approcher  de  moi,  comme 
si  ton  pèlerinaiçe  pût  plaire  à  Dieu  et  à  moi.  Cela  n'esll 
pas  convenable  :  car  quiconque  désire  venir  à  moi  e 
pèlerinage  doit  d'abord  s'accuser  de  ses  péchés,  e 
confession  et  ensuite  faire  le  pèlerinage  pour  expi 
ses  péchés.  »  Après  avoir  dit  ces  mots,  le  démon  dis- 
parut. Alors  le  jeune  homme  tourmenté  se  dispo 
à  revenir  chez  lui,  à  se  confesser,  et  ensuite  à  reco 
mencer  son  voyage.  Et  voici  que  le  diable  lui  ap 
raissant  de  nouveau,  sous  la  figure  de  l'apôtre,  le  A. 
suada  complètement  de  son  projet,  en  l'assurant  c 
jamais  son  péché  ne  lui  serait  remis,  s'il  ne  se  c 
pait  radicalement  les  membres  qui  servent  à  la  g& 
ration,  (|u'au  reste  il  serait  plus  heureux,  s'il  voiil 
se  tuer  et  être  martyr  en  son  honneur  et  nom. 
dant  la  nuit,  et  (|uand  ses  compagnons  dormaient,  te 
jeune  homme  prit  une  épée,  se  coupa  les  membres  r/e 
la  génération,    ensuite  il  se   perça   le   ventre  avec  le 
même    instrument.   Ses    compagnons    à   leur  réveil, 
voyant  cela,  eurent  grande  peur,   et  prirent  aussiUM 
la  fuite  de  crainte  de  passer  pour  coupables  de  cel 


SAINT   JACQUES    LE    MAJEUR  279 

homicide.  Néanmoins  pendant  qu'on  préparait  sa  fosse, 
celui  qui  était  mort  revint  à  la  vie.  Tout  le  monde 
s'enfuit  épouvanté,  et  le  pèlerin  raconta  ainsi  ce  qui 
lui  était  arrivé  :  «  Quand  je  me  fus  tué  à  la  sugges- 
tion du  malin  esprit,  les  démons  me  prirent  ;  et  ils  me 
conduisaient  vers  Rome,  quand  voici  saint  Jacques 
qui  accourut  après  nous,  en  reprochant  vivement  ces 
tromperies  aux  démons.  Et  après  s'être  disputés  long- 
temps, saint  Jacques  les  y  forçant,  nous  vînmes  dans 
un  pré  où  la  sainte  Vierge  s'entretenait  avec  un  grand 
nombre  de  saints.  Jacques  l'ayant  implorée  pour  moi, 
la  sainte  Vierge  adressa  des  reproches  sévères  aux  dé- 
mons et  ordonna  que  je  revinsse  à  la  vie.  Alors  saint 
Jacques  me  prit  et  me  ressuscita,  comme  vous  voyez.  » 
Et  trois  jours  après,  il  ne  lui  restait  de  ses  blessures 
que  des  cicatrices  ;  après  quoi  il  se  remit  en  roule,  et 
quand  il  eut  rejoint  ses  compagnons,  il  leur  raconta 
tout  ce  qui  s'était  passé. 

Un  Français,  ainsi  que  le  raconte  le  pape  Calixte, 
allait,  en  Tan  liOO,  avec  sa  femme  et  ses  fils,  à  Saint- 
Jacques,  tant  pour  éviter  la  mortalité  sévissant  en 
France,  que  pour  accomplir  le  désir  de  visiter  saint 
Jacques.  Arrivé  à  Pampelune,  sa  femme  mourut,  et 
sort  hôte  s'empara  de  tout  son  argent  et  du  cheval  qui 
servait  de  monture  à  ses  enfants.  11  s'en  alla  désolé 
portant  plusieurs  de  ses  enfants  sur  ses  épaules,  et 
menant  les  autres  par  la  main.  Un  homme  avec  un 
âne  le  rencontra  et  touché  de  compassion,  il  lui  prêta 
son  âne,  afin  que  les  enfants  montassent  dessus.  Quand 
le  pèlerin  fut  arrivé  à  Saint-Jacques,  pendant  qu'il 
veillail  et  priait,  le  saint  apôtre  lui  apparut  et  lui  de- 


280  LA    LÉGENDE    DORÉE 

manda  s'il  le  connaissait  :  et  il  répondit  que  non  :  alors 
le  saint  lui  dit  :  «  Je  suis  i*apôtre  Jacques  qui  t*ai  prêté 
mon  âne  et  je  te  le  prête  encore  pour  ton  retour  :  mais 
tu  sauras  d'avance  que  ton  hôte  mourra  en  tombant 
de  l'étage  de  sa  maison  ;  tu  recouvreras  alors  tout  ce 
qu'il  t'avait  volé.  »  Les  choses  étant  arrivées  ainsi, 
cet  homme  revint  joyeux  à  sa  maison  ;  et  quand  il 
eut  descendu  ses  enfants  de  dessus  l'âne,  cet  animal 
disparut.  —  Un  marchand,  injustement  dépouillé  par 
un  tyran,  était  détenu  en  prison,  et  invoquait  saint 
Jacques  à  son  secours.  Saint  Jacques  lui  apparut  en 
présence  de  ses  cardes,  et  le  conduisit  jusqu'au  haut 
de  la  tour  qui  s'abaissa  aussitôt  de  telle  sorte  que  le 
sommet  était  au  niveau  de  la  terre  :  il  en  descendit 
sans  faire  un  saut  et  s'en  alla  délivré.  Les  gardes  qu^ 
le  poursuivaient  passèrent  auprès  de  lui,  sans  le  voir 
—  Hubert  de  Besançon  raconte  que  trois  militairesi 
du  diocèse  de  Lyon,  allaient  à  Saint- Jacques.  L'u.^ 
d'eux,  à  la  prière  d'une  pauvre  femme  qui  le  lui  ava^ 
demandé  pour  Tamour  de  saint  Jacques,  portait  sia 
son  cheval  un  petit  sac  qu'elle  avait  :  plus  loin,  il  ret 
contra  un  homme  malade  et  qui  n'avait  plus  la  forc^ 
de  continuer  sa  route,  il  le  mit  encore  sur  son  cheva? 
quant  à  lui,  il  portait  le  bourdon  du  malade  avec  le 
sac  de  la  femme  en  suivant  Tanimal  :  mais  la  chaleur 
du  soleil  et  la  fatigue  du  chemin  l'ayant  accablé,  à 
son  arrivée  en  Galice,  il  tomba  très  gravement  malade  : 
et  comme  ses  compagnons  l'intéressaient  au  sahil  de 
son  âme,  il  resta  muet  pendant  trois  jours  ;  mais  au 
quatrième,  alors  que  ses  compagnons  attendaient  le 
moment  de  son  trépas,  il   poussa  un  long  soupir  el 


SAINT    JACQUES    hh    MAJEUR  281 

dit  :  <(  Grâces  soient  rendues  à  Dieu  et  à  saint  Jacques, 
aux  mérites  duquel  je  dois  d'être  délivré.  Je  voulais 
bien  faire  ce  que  vous  me  recommandiez,  mais  les 
démons  sont  venus  m'étrangler  si  violemment  que  je 
ne  pouvais  rien  prononcer  qui  eût  rapport  au  salut  de 
mon  âme.  Je  vous  entendais  bien,  mais  je  ne  pouvais 
nuUementrépondre.  Cependant  saint  Jacques  vienld'en- 
trer  ici  portant  à  la  main  gauche  le  sac  de  la  femme, 
et  à  sa  droite  le  bâton  du  pauvre  auxquels  j'avais  prêté 
aide  en  chemin,  de  sorte  qu'il  avait  le  bourddh  en 
guise  de  lame  et  le  sac  pour  bouclier,  il  assaillit  les 
diables  comme  s'il  eût  été  en  colère,  et  en  levant  le 
bâton,  il  les  effraya  et  les  mit  en  fuite.  Maintenant  c'est 
s^râce  à  saint  Jacques  que  je  suis  délivré  et  que  la  pa- 
role m'a  été  rendue.  Appelez-moi  un  prêtre,  car  je 
ne  puis  plus  être  longtemps  en  vie.  »  Et  se  tournant 
vers  Pun  deux,  il  lui  dit  :  «  Mon  ami,  ne  reste  plus 
davantage  au  service  de  ton  maître,  car  il  est  vraiment 
damné  et  dans  peu  il  mourra  de  malemort.  »  Quand 
cet  homme  eut  été  enseveli,  le  soldat  rapporta  à  son 
maître  ce  qui  avait  été  dit  :  celui-ci  n'en  tint  compte, 
et  refusa  de  s'amender  :  mais  peu  de  temps  après  il 
mourut  percé  d'un  coup  de  lance  dans  une  bataille*. 
Le  pape  Calixte  rapporte  qu'un  homme  de  Vézelai, 
dans  un  pèlerinage  qu'il  fit  à  Saint-Jacques,  se  trou- 
vant à  court  d'argent,  avait  honte  de  mendier.  En  se 
reposant  sous  un  arbre,  il  songeait  que  saint  Jacques 
le  nourrissait.  Et  à  son  réveil,  il  trouva  près  de  sa  tête 
un  pain  cuit  sous  la  cendre,  avec  lequel  il  vécut  quinze 


« 


Saint  Anselme,  t.  II,  p.  335. 


2S2  LA    LKGENDG    DOHKE 

jours,  tant  qu'il  arriva  chez  lui.  Chaque  jour  il  en 
mangeait  deux  fois  suffisamment,  et  le  jour  suivant,  i 
le  retrouvait  entier  dans  son  sac.  —  Le  pape  Calixl< 
raconte  que  vers  Tan  du  Seigneur  HOO,  un  cîtoyei 
de  Barcelone,  venu  à  Saint-Jacques,  se  contenta  d< 
demander  de  ne  plus  tomber  à  l'avenir  dans  les  maini 
des  ennemis.  En  revenant  par  la  Sicile,  il  fut  pris  ei 
mer  par  les  Sarrasins  et  vendu  plusieurs  fois  dans  le 
marchés,  mais  toujours  les  chaînes  qui  le  liaient  S' 
brisaient.  Ayant  été  vendu  pour  la  treizième  fois,  i 
fut  garrotté  avec  des  chaînes  doubles.  Alors  il  invoqu; 
saint  Jacques  qui  lui  apparut  et  lui  dit  :  <(  Quand  li 
étais  dans  mon  église,  tu  as  demandé  la  délivranc 
du  corps  au  préjudice  du  salut  de  ton  âme  ;  c'est  pou 
cela  que  tu  es  tombé  dans  ces  périls  ;  mais  parce  qu 
le  Seigneur  est  miséricordieux,  il  m'a  envoyé  pour  t 
racheter.  »  A  l'instant  ses  chaînes  se  rompirent,  c 
passant  à  travers  le  pays  et  les  châteaux  des  Sarrasins 
emportant  avec  lui  une  partie  de  sa  chaîne  pour  témoi 
gner  du  miracle,  il  arriva  dans  son  pays,  au  vu  et 
l'admiration  de  tous.  Lorsque  ([uehju'un  le  voulait  prei 
dre,  il  n'avait  qu'à  montrer  sa  chaîne  etTennemi  s'ei 
fuyait  :  et  quand  les  lions  et  autres  bétes  féroces  voi 
laient  se  jeter  sur  lui,  en  passant  dans  les  désert 
seulement  en  voyant  sa  cliuhie,  ils  étaient  saisis  d'un 
grande  terreur  et  s'éloignaient.  —  L'an  du  Seignei 
1238,  la  veille  de  saint  Jacques,  en  un  château  appe 
Prato  situé  entr^?  Florence  et  Pistoie,  un  jeune  homm< 
(léçn,  par  une  sini[)licité  4<^rossière,  mit  le  feu  aux  hit 
do  son  lutom*  (|iii  voulait  usurper  son  bien.  Pris  ( 
convaincu,  il  lui  ccuidauiur  à  être  brillé,  après  avoi 


SAr.NT  cmusTOPHE  283 

été  traîné  à  la  queue  d'un  cheval.  H  confessa  son  pé- 
ché el  se  dévoua  à  saint  Jacques.  Après  avoir  été  traîné 
en  chemise  sur  un  terrain  pierreux,  il  ne  ressentit  au- 
cune blessure  sur  le  corps  et  sa  chemise  ne  fut  pas 
même  déchirée.  Enfin  on  le  lie  au  poteau,  on  amasse 
«lu  bois  autour;  le  feu  est  mis,  le  bois  et  les  liens  brû- 
lent ;  mais  comme  il  ne  cessait  d'invoquer  saint  Jac- 
ques, aucune  tache  de  feu  ne  fut  trouvée  ni  à  sa  che- 
mise, ni  à  son  corps.  On  voulait  le  jeter  une  seconde 
fois  dans  le  feu,  le  peuple  l'en  arracha,  et  Dieu  fut 
loué  magnifiquement  dans  la  personne  de  son  saint 
apôtre. 


SAINT  CHRISTOPHE  * 

Christophe,  avant  son  haptéme,  se  nommait  Réprouvé,  mais 
dans  la  suite  il  fut  appelé  Christophe,  comme  si  on  disait  :  qui 
porte  le  Christ,  parce  qu'il  porta  le  Christ  en  quatre  maniè- 
res: sur  ses  épaules,  pour  le  faire  passer  ;  dans  son  corps,  par 
la  macération  ;  dans  son  cœur,  par  la  dévotion  et  sur  les  lèvres, 
par  la  confession  ou  prédication. 

Christophe  était  Chananéen  ;  il  avait  une  taille  gigan- 
tesque, un  aspect  terrible,  et  douze  coudées  de  haut. 
D'après  ce  qu'on  lit  en  ses  actes,  un  jour  qu'il  se  trou- 
vait auprès  d'un  roi  des  Chananéens,  il  lui  vint  à  l'es- 
prit de  chercher  quel  était  le  plus  grand  prince  du 
monde,  et  de  demeurer  près  de  lui.  II  se  présenta  chez 
un  roi  très  puissant  qui  avait  partout  la  réputation  de 

*  L'hymne  0  béate  mundi  auctor,  du  bréviaire  mozarabe  fait 
allusion,  dans  ses  seize  strophes,  à  tous  les  points  de  cette 
légende. 


284  LA    LÉGENDE    DOREE 

n'avoir  point  d'égal  en  grandeur.  Ce  roi  en  le  voyant 
raccueillit  avec  bonté  et  le  fit  rester  à  sa  cour.  Or,  un 
jour,  un  jongleur  chantait  en  présence  du  roi  une  chan- 
son où  revenait  souvent  le  nom  du  diable  ;  le  roi,  qui 
était  chrétien,  chaque  fois  qu* il  entendait  prononcer  le 
nom  de  quelque  diable,  faisait  de  suite  le  signe  de  croix 
sur  sa  figure.  Christophe,  qui  remarqua  cela,  était  fort 
étonné  de  cette  action,  et  de  ce  que  signifiait  un  pareil 
acte.  II  interrogea  le  roi  à  ce  sujet  et  celui-ci  ne  vou- 
lant pas  le  lui  découvrir,  Christophe  ajouta  :  «  Si  vous 
ne  me  le  dites,  je  ne  resterai  pas  plus  longtemps  avec 
vous.  »  C'est  pourquoi  le  roi  fut  contraint  de  lui  dire  : 
«  Je  me  munis  de  ce  signe,  quelque  diable  que  j'entende 
nommer,  dans  la  crainte  qu'il  ne  prenne  pouvoir  sur 
moi  et  ne  me  nuise.  »  Christophe  lui  répondît  :  «  Si 
vous  craignez  que  le  diable  ne  vous  nuise,  il  est  évi- 
demment plus  grand  et  plus  puissant  que  vous  ;  la 
preuve  en  est  que  vous  en  avez  une  terrible  frayeur. 
Je  suis  donc  bien  déçu  dans  mon  attente  ;  je  pensais 
avoir  trouvé  le  plus  grand  et  le  plus  puissant  seigneur 
(lu  monde;  mais  maintenant  je  vous  fais  mes  adieux, 
car  je  veux  chercher  le  diable  lui-même,  afin  de  le 
[)rendrc  pour  mon  maître  et  devenir  son  serviteur.  » 
11  quitta  ce  roi  et  se  mit  en  devoir  de  chercher  le  dia- 
ble. Or,  comme  il  marchait  au  milieu  d'un  désert,  il 
vit  une  grande  multitude  de  soldats,  dont  l'un,  à  l'as- 
pect fcroce^t  terrible,  vint  vers  lui  et  lui  demanda  oit 
il  allait.  Christophe  lui  répondit:  «Je  vais  chercher  le 
seigneur  diable,  afin  de  le  prendre  pour  maître  et 
scii^neur.  »  Celui-ci  lui  dit  :  «  Je  suis  celui  que  tu  cher- 
ches. »  Christophe  tout  réjoui  s'engagea  pour  être  son 


SAINT    CIIRISTOPHK  285 

serviteur  à  toujours  et  le  prit  pour  son  seigneur.  Or, 
comme  ils  marchaient  ensemble,  ils  rencontrèrent  une 
croix  élevée  sur  un  chemin  public.  Aussitôt  que  le  dia- 
ble eut  aperçu  cette  croix,  il  fut  effrayé,  prit  la  fuite  et, 
quittant  le  chemin,  il  conduisit  Christophe  à  travers 
un  terrain  à  l'écart  et  raboteux,  ensuite  il  le  ramena 
sur  la  route.  Christophe  émerveillé  de  voir  cela  lui  de- 
manda pourquoi  il  avait  manifesté  tant  de  crainte, 
lorsqu'il  quitta  la  voie  ordinaire,  pourfairc  un  détour, 
et  le  ramener  ensuite  dans  le  chemin.  Le  diable  ne 
voulant  absolument  pas  lui  en  donner  le  motif,  Chris- 
tophe dit  :  «  Si  vous  ne  me  l'indiquez,  je  vous  quitte 
à  l'instant.  »  Le  diable  fut  forcé  de  lui  dire  :  «  Un 
homme  qui  s'appelle  Christ  fut  attaché  à  la  croix  ;  dès 
queje  vois  l'image  de  sa  croix,  j'entre  dans  une  grande 
peur,  et  m'enfuis  effrayé.  »  Christophe  lui  dit  :  a  Donc 
ce  Christ  est  plus  grand  et  plus  puissant  que  toi,  puis- 
que tu  as  une  si  grande  frayeur  en  voyant  l'image  de 
sa  croix?  J'ai  donc  travaillé  en  vain,  et  n'ai  pas  encore 
trouvé  le  plus  grand  prince  du  monde.  Adieu  mainte- 
nant, je  veux  te  quitter  et  chercher  ce  Christ.  » 

Il  chercha  longtemps  quelqu'un  qui  lui  donnât  des 
renseignements  sur  le  Christ;  enfin  il  rencontra  un 
ermite  qui  lui  prêcha  J.-C.  et  qui  l'instruisit  soigneu- 
sement de  la  foi.  L'ermite  dit  <\  Christophe  :  «  Ce  roi 
que  tu  désires  servir  réclame  cette  soumission  :  c'est 
qu'il  te  faudra  jeûner  souvent.  »  Christophe  lui  répon- 
dît :  «  Qu'il  me  demande  autre  chose,  parce  qu'il  m'est 
absolument  impossible  de  faire  cela.  »  «  Il  te  faudra 
encore,  reprend  l'ermite,  lui  adresser  des  prières.  » 
a   Je  ne  sais  ce  quc*est,  répondit  Chrisl()[)he,  et  je  ne 


286  LA    LÉGENDE    DORÉE 

piiis  me  soumettre  à  cette  exigence.  »  L'ermite  lui  dit  : 
((  Connais-tu  tel  fleuve  où  bien  des  passants  sont  en 
péril  de  perdre  la  vie?  »  «  Oui,  dit  Christophe.  L'er- 
mite reprit  :  «  Comme  tu  as  une  haute  stature  et  que 
tu  es  fort  robuste,  si  tu  restais  auprès  de  ce  fleuve,  et 
si  tu  passais  tous  ceux  qui  surviennent,  tu  ferais  quel- 
que chose  de  très  agréable  au  roi  J.-C.  que  tu  désires 
servir,  et  j'espère  qu'il  se  manifesterait  à  toi  en  ce  lieu.  » 
Christophe  lui  dit  :  «  Oui,  je  puis  bien  remplir  cet  of- 
fice, et  je  promets  que  je  m'en  acquitterai  pour  lui.  »  Il 
alla  donc  au  fleuve  dont  il  était  question,  et  s'y  cons- 
truisit un  petit  logement.  Il  portait  à  la  main  au  lieu 
de  bâton  une  perche  avec  laquelle  il  se  maintenait  dans 
l'eau  ;  et  il  passait  sans  relâche  tous  les  voyageurs. 
Bien  des  jours  s'étaient  écoulés,  quand,  une  fois  qu'il 
se  reposait  dans  sa  petite  maison,  il  entendit  la  voix 
d'un  petit  enfant  qui  l'appelait  en  disant  :  0  Christophe, 
viens  dehors  et  passe-moi.  »  Christophe  se  leva  de 
suite,  mais  ne  trouva  personne.  Rentré  chez  soi,  il  en- 
tendit la  môme  voix  qui  l'appelait.  Il  courut  de- 
hors de  nouveau  el  ne  trouva  personne.  Une  troisième 
fois  il  fut  appelé  comme  auparavant,  sortit  et  trouva 
sur  la  rive  du  tlcuve  un  enfant  qui  le  pria  instamment 
de  le  passer.  Christophe  leva  donc  Tenfant  sur  ses 
épaules,  prit  son  bâton  et  entra  dans  le  fleuve  pour 
le  traverser.  Et  voici  que  l'eau  du  fleuve  se  gonflait 
peu  à  peu,  l'enfant  lui  pesait  comme  une  masse  de 
plomb;  il  avançait,  et  Teau  gonflait  toujours,  l'enfant 
écrasait  de  plus  en  plus  les  épaules  de  Christophe 
(l'un  ])oi(ls  intolérable,  de  sorte  que  celui-ci  se  trou- 
vait daiLS  de  grandes  angoisses  et  craignait  de  périr. 


SAINT    GHHISTOPHE  287 

1/  échappa  à  g^rand  peine.  Quand  il  eul  franchi  la  ri- 
f       y'ière,  il  déposa  l'enfanl  sur  la  rive  et  lui  dit  :  Enfant, 
lu  m'as  exposé  à  un  grand  danger,   et  tu  m'as  tant 
pesé  que  si  j'avais  eu  le  monde  entier  sur  moi,  je  ne 
sais  si  j'aurais  eu  plus  lourd  à  porter.  »  L'enfant  lui 
répondit  :  «  Ne  t'en  étonne  pas,  Christophe,  tu  n'as 
pas  eu  seulement  tout  le  monde  sur  toi,  mais  tu  as 
porté  sur  les  épaules  celui  qui  a  créé  le  monde  :  car 
je  suis  le  Christ  ton  roi,  auquel  tu  as  en  cela  rendu 
service  ;  et  pour  te  prouver  que  je  dis  la  vérité,  quand 
tu  seras  repassé,  enfonce  ton  bâton  en  terre  vis-à-vis 
la  petite  maison,  et  le  matin  tu  verras  qu'il  a  fleuri  et 
porté  des  fruits.  »  A  l'instant  il  disparut.  En  arrivant, 
Christophe  ficha  donc  son  bâton  en  terre,  et  quand  il 
se  leva  le  matin,  il  trouva  que  sa  perche  avait  poussé 
des  feuilles  et  des  dattes  comme  un  palmier.  Il  vint 
ensuite  à  Samos,  ville  de  Lycie,  où  il  ne  comprit  pas 
la  langue  que  parlaient  les  habitants,  et  il  pria  le  Sei- 
gneur de  lui  en  donner  l'intelligence.  Tandis  qu'il  res- 
tait en  prières,  les  juges  le  prirent  pour  un  insensé,  et 
le  laissèrent.  Christophe,  ayant  obtenu  ce  qu'il  deman- 
dait, se  couvrit  le  visage,  vint  à  l'endroit  où  combat- 
taient les  chrétiens,  et  il  les  affermissait  au  milieu  de 
leurs  tourments.  Alors  un  des  juges  le  frappa  au  vi- 
sage, et  Christophe  se  découvrant  la  figure  :  «  Si  je 
n'étais  chrétien,  dit-il,  je  me  vengerais  aussit(H  de 
cette  injure.  »  Puis  il  ficha  son  bâton  en  terre  en  priant 
le  Seigneur  de  le  faire  reverdir  pour  convertir  le  peu- 
ple. Or,  comme  cela  se  fit  à  Tinstant,  huit  mille  hom- 
mes devinrent  croyants.    Le  roi   envoya  alors  deux 
cents  soldats  avec  ordre  d'amener  Christophe  par  de- 


288  I.A    LKGENDE    DORKK 

vaut  lui  ;   mais  Tayaut  trouvé  eu  oraisou  ils  craiî^ni- 
reut  de  lui   signifier  cet  ordre  ;  le  roi   envoya  encore 
un  pareil  nombre  d'hommes,  qui,  eux  aussi,  se  mirent 
à  prier  avec  Christophe.  11  se  leva  et  leur  dit  :  «  Qui 
cherchez-vous?  »  Quand  ils  eurent  vu  son  visage;  ils 
dirent  :  «  Le  roi  nous  a  envoyés  pour  te  garrotter  et 
t'amènera  lui.  »  Christophe  leur  dit  :  «  Si  je  voulais,, 
vous  ne  pourriez  me  conduire  ni  garrotté,  ni  libre,  mc 
Ils  lui  dirent  :  «  Alors  si  tu  ne  veux  pas,  va  librement 
partout  où  bon    te  semblera,    et  nous  dirons  au  rcr: 
que  nous  ne  t'avons  pas  trouvé.  »  «  Non,  il  n'en  serra 
pas  ainsi,  dit-il  ;  j'irai  avec  vous.  »  Alors  il  les  conver- 
tit à  la  foi,  se  fit  lier  par  eux  les  mains  derrière 
dos,  et  conduire  au  roi  en  cet  état.  A  sa  vue,  le  r— 3 
fut  effrayé  et  tomba  à  l'instant  de  son  siège.  Rele   = 
ensuite  par  ses  serviteurs,  il  lui  demanda  son  nom 
sa  patrie.  Christophe  lui  répondit  :  a  Avant  mon  hsm^j 
tcme,  je  m'appelais  Réprouvé,  mais  aujourd'hui  je  m 
nomme  Christophe.  »  Le  roi  lui  dit  :  «  Tu  t'es  donn^ 
un  sot  nom,  en  prenant  celui  du  Christ  crucifié,  qu^ 
ne  s'est  fait  aucun  bien,  et  qui  ne  pourra  t'en  faire. 
Maintenant  donc,   méchant  Chananéen,  pourquoi  ne 
sacrifies-tu    pas  à  nos  dieux?  »  Christophe   lui  dit  : 
«  C'est  à  bon  droit  que  tu  t'appelles  Dagnus*^  parce 
que  tu  es  la  mort  du  monde,  l'associé  du  diable;  et 
tes  dieux  sont  l'ouvrage  de  la  main   des  hommes.  » 
Le  roi  lui  dit  :  «  Tu  as  été  élevé  au  milieu  des  bêtes 
féroces;  (u  ne  peux  donc  proférer  que  paroles  sauva- 
ges et  choses  inconnues  des  hommes.  Or,  maintenant, 

*  Damne  uu  danyeri  ou  plutôt  dat^uo,  |)oiguard  ? 


SAINT    CHRISTOPHE  289 

si  tu  veux  sacrifier,  tu  obtiendras  de  moi  de  grands 
honneurs,  sinon,  tu  périras  dans  les  supplices.  )>  Et 
comme  le  saint  ne  voulut  pas  sacrifier,  Dagnus  le  fit 
mettre  en  prison  ;  quant  aux  soldats  qui  avaient  été 
envoyés  à  Christophe,  il  les  fit  décapiter  pour  le  nom 
de  J.-C.  Ensuite  il  fit  renfermer  avec  Christophe  dans 
la  prison  deux  filles  très  belles,  dont  Tune  s^appelait 
Nicée  et  l'autre  Âquilinie,  leur  promettant  de  grandes 
récompenses,  si  elles  induisaient  Christophe  à  pécher 
avec  elles.   A  cette  vue,  Christophe  se  mit  tout  de 
»uUc  en  prière.  Mais  comme  ces  filles  le  tourmentaient 
par  leurs  caresses  et  leurs  embrassements,  il  se  leva 
et  leur  dit  :  «  Que  prétendez-vous  et  pour  quel  motif 
avez-vous   été  introduites  ici?  »  Alors   elles  furent 
effrayées  de  l'éclat  de  son  visage  et  dirent  :  «  Ayez 
pitié  de  nous,  saint  homme,  afin  que  nous  puissions 
croire  au  Dieu  que  vous  prêchez.  »  Le  roi,  informé  de 
cela,  se  fit  amener  ces  femmes  et  leur  dit  :  «  Vous 
avez  donc  aussi  été  séduites.   Je  jure  par  les  dieux 
fl^e  si  vous  ne  sacrifiez,  vous  périrez  de  malemorl.  » 
Elles  répondirent  :  «  Si  tu  veux  que  nous  sacrifiions, 
^ïnmande  qu'on   nettoie  les  places  et  que  tout  le 
"^onde  s'assemble  au  temple.  »  Quand  cela  fut  fait,  et 
^^l'elles  furent  entrées  dans  le  temple,  elles  dénouèrent 
leurs  ceintures,    les  mirent  au  cou  des  idoles  qu'elles 
firent  tomber  et   qu'elles  brisèrent  ;  puis  elles  dirent 
aux  assistants  :   «  Allez  appeler  des  médecins  pour 
fuérir  vos  dieux.  »  Alors  par  Tordre  du  roi,  Aquili- 
nie est  pendue  ;  puis  on  attacha  à  ses  pieds  une  pierre 
énorme  qui  disloqua  tous  ses  membres.  Quand  elle 
eut  rendu  son  âme  au  Seigneur,  Nicée,  sa  sœur,  fut 

H.  19 


290  LA    LtGENDE    DOKÉE 

jetée  dans  le  feu  ;  mais  comme  elle  en  sortit  saine  et 
sauve,  elle  fut  tout  aussitôt  après  décapitée.  Après 
quoi  Christophe  est  amené  en  présence  du  roi  qui  le 
fait  fouetter  avec  des  verges  de  fer;  un  casque  de  fer 
rougi  au  feu  est  mis  sur  sa  tête  ;  le  roi  fait  préparer 
un  banc  en  fer  où  il  ordonne  de  lier  Christophe  et  sous 
lequel  il  fait  allumer  du  feu  qu'on  alimente  avec  de  la 
poix.  Mais  le  banc  fond  comme  la  cire,  et  le  saint  reste 
sain  et  sauf.  Ensuite  le  roi  le  fait  lier  à  un  poteau  et 
commande  à  quatre  cents  soldats  de  le  percer  de  flè- 
ches :  mais  toutes  les  flèches  restaient  suspendues  en 
Fuir,  et  aucune  ne  put  le  toucher.  Or,  le  roi,  pensant 
qu'il  avait  été  tué  parles  archers,  se  mit  à  l'insulter;  tout 
à  coup  une  flèche  se  détache  de  l'air,  vient  retourner 
sur  le  roi  qu'elle  frappe  à  l'œil,  et  qu'elle  aveugle. 
Christophe  lui  dit  :  «  C'est  demain  que  je  dois  con- 
sommer mon  sacrifice  ;  tu  feras  donc,  tyran,  de  la  boue 
avec  mon  sang;  tu  t'en  frotteras  l'œil  et  lu  seras  guéri.  » 
Par  ordre  du  roi  on  le  mène  au  lieu  où  il  devait  être 
décapité;  et  quand  il  eut  fait  sa  prière,  on  lui  trancha 
la  tête.  Le  roi  prit  un  peu  de  son  sang,  et  le  mettant 
sur  son  œil,  il  dit  :  a  Au  nom  de  Dieu  et  de  saint 
Christophe.  »  Et  il  fut  guéri  à  Tinstant.  Alors  le  roi 
crut,  et  porta  un  édit  par  lequel  quiconque  blasphé- 
merait Dieu  et  saint  Christophe  serait  aussitôt  puni 
par  le  glaive.  —  Saint  Ambroise  parle  ainsi  de  ce  mar- 
tyr dans  sa  préface  :  «  Vous  avez  élevé.  Seigneur, 
saint  Christophe,  à  un  tel  degré  de  vertu,  et  vous  avez 
donné  une  telle  grâce  à  sa  parole,  que  par  lui  vous 
avez  arraché  à  Terreur  de  la  gentilité  pour  les  amener 
à  la  croyance  chrétienne,  quarante-huit  mille  hommes. 


LES    SEPT    DORMANTS  29  i 

Nîcée  et  Aquilinie  qui  depuis  longtemps  se  livraient 
publiquement  à  la  prostitution,  il  les  porta  à  prendre 
des  habitudes  de  chasteté,  et  leur  enseigna  à  recevoir 
la  couronne.  Bien  que  lié  sur  un  banc  de  fer  au  mi- 
lieu d'un  bûcher  ardent,  il  ne  redouta  pas  d'être  brûlé 
par  ce  feu,  et  pendant  une  journée  entière,  il  ne  put 
èlre  percé  par  les  flèches  de  toute  une  soldatesque. 
Il  y  a  plus,  une  de  ces  flèches  crève  l'œil  d'un  des  bour- 
reaux, et  le  sang  du  bienheureux  martyr  mêlé  à  la 
terre  lui  rend  la  vue  et  en  enlevant  l'aveuglement  du 
corps,  éclaire  son  esprit  :  car  il  obtint  sa  grâce  auprès 
de  vous  et  il  vous  a  prié  avec  supplication  d'éloigner 
les  maladies  et  les  infirmités*.  » 


'LES  SEPT  DORMANTS** 

Les  sept  dormants  étaient  originaires  d'Ephèse. 
L'empereur  Dèce  qui  persécutait  les  chrétiens,  étant 

*^Ces  derniers  mots  nous  expliquent  le  motif  pour  lequel 
saint  Christophe  est  représenté  avec  des  proportions  gigantes- 
ques principalement  aux  portails  des  églises.  On  se  croyait  à 
l'abri  des  maladies  et  des  infirmités  dès  lors  qu*on  avait  vu  la 
statue  du  saint,  de  là  ces  vers  : 

Christophore  sancte,  virtutes  sunt  tibi  tantœ, 
Qui  te  mane  vident,  nocturno  tempore  rident. 
Christophore  sancte,  speciem  quicumque  tuetur, 
Ista  nempe  die  non  morte  mala  morietur. 
Christopnorum  videas,  postea  tutus  eas. 

*•  S*  Grégoire  de  Tours,  De  gloria  martyr, ^  I.  1,  c.  xcv  ;  Paul 
diacre,  1.  I,  c.  m  ;  Nicéphore,  Cai.  1.  XIV,  c.  xlv,  rapportent 
la  légende  des  Sept  Dormants  qu'analyse  J;  de  Voragine. 


29â  LA    LÉGENDE   DORÉE 

venu  en  celte  ville,  fit  construire  des  temples  danj 
Tenceinte  de  cette  cité,  afin  que  tous  se  réunissent  i 
lui  pour  sacrifier  aux  idoles.  Or,  il  avait  ordonné  qu'oi 
cherchât  tous  les  chrétiens  ;  et  quand  ils  avaient  éU 
pris,  il  les  forçait  à  sacrifier  ou  à  mourir  ;  on  éprouvî 
doDC  généralement  une  si  grande  crainte  des  supplice! 
que  l'ami  reniait  son  ami,  le  père  son  fils,  et  le  fih 
son  père.  Alors  se  trouvaient  dans  cette  ville  sept  chré 
tiens,  qui  furent  saisis  d'une  gi*ande  douleur  quand  ÎL 
virent  ce  qui  se  passait.  C'étaient  Maximien,  Malchus 
Marcien,  Denys,  Jean,  Sérapion  et  Constantin.  Comncr 
ils  étaient  les  premiers  officiers  du  palais,  et  qu'ils  nk^ 
prisaient  les  sacrifices  offerts  aux  idoles,  ils  restaie^ 
cachés  dans  leur  maison,  se  livrant  aux  jeûnes  et  a^ 
oraisons.  Accusés  et  traduits  devant  Dèce  ;  puis  cc^ 
vaincus  d'être  chrétiens,  on  leur  donna  le  temps 
revenir  à  résipiscence  et  ils  furent  relâchés,  jusqim*. 
retour  de  Tempereur.  Mais  dans  cet  intervalle,  ils  dâ 
tribuèrent  leur  patrimoine  entre  les  pauvres,  et  pa 
rent  la  résolution  de  se  retirer  sur  le  mont  Célion,  cz 
ils  se  décidèrent  à  rester  cachés.  Pendant  longtein{>  - 
Tim  d'eux  se  procurait  ce  qui  leur  était  nécessaire 
rt  chaque  fois  qu'il  entrait  dans  la  ville,  il  se  déguisa  J 
en  mendiant.  Or,  quand  Dèce  fut  revenu  dansEphèsc^j 
il  ordonna  de  les  chercher  pour  les  obliger  à  sacrifier- 
Malchus,  qui  les  servait,  revint  efTrayé  trouver  ses 
compagnons  et  leur  faire  part  de  la  fureur  de  l'empe- 
reur. Ils  furent  saisis  de  crainte;  alors  Malchus  leur 
présenta  les  pains  qu'il  avait  apportés,  afin  que,  for- 
tifiés par  la  nourriture,  ils  en  devinssent  plus  braves 
pour  le  combat.  Après  leur  repas  du  soir,  ils  s'assiren 


LES   SEPT    DORMANTS  293 

^l  s'eatretînrenl  avec  tristesse  et  larmes,  et  à  l'instant, 
par  la  volonté  de  Dieu,  ils  s'endormirent.  Quand  vint 
le  matin,  on  les  chercha  et  on  ne  put  les  trouver.  Or, 
Dèce était  désolé  d'avoir  perdu  de  pareils  jeunes  gens  ; 
on  les  accusa  de  s'être  cachés  jusqu'alors  sur  le  mont 
('élion,  et  de  persister  dans  leur  résolution  :  on  ajouta 
qu'ils  avaient  donné  leurs  biens  aux  pauvres.  Dèce 
ordonna  donc  de  faire  comparaître  leurs  parents  qu'il 
"Menaça  de  mort,  s'ils  ne  déclaraient  tout  ce  qui  était 
^enu  à  leur  connaissance  au  sujet  des  absents.  Leurs 
Parents  les  accusèrent  comme  les  autres  et  se  plaigni- 
ssent de  ce  qu'ils  avaient  distribué  leurs  richesses  aux 
pauvres.  Alors  Dèce  réfléchit  à  la  conduite  qu'il  tien- 
drait à  leur  égard,  et  par  l'inspiration  de  Dieu,  il  fit 
Jucher  avec  des  pierres  l'entrée  de  la  caverne  afin 
^^'y  étant  renfermés,  ils  y  mourussent  de  faim  et  de 
'Misère.  On  exécuta  ses  ordres  et  deux  chrétiens,  Théo- 
^^re  et  Rufin,  écrivirent  la  relation  de  leur  martyre 
^^*îls  placèrent  avec  précaution  entre  les  pierres.  Or, 
Q^Hnd  Dèce  et  toute  la  génération  qui  existait  alors 
^^t  disparu,  trois  cent  soixante-douze  ans  après,  la 
^**^ntième  année  de  l'empire  de  Théodose,  se  propagea 
*  hérésie  de  ceux  qui  niaient  la  résurrection  des  morts, 
^^héodose,  qui  était  un  empereur  très  chrétien,  fut 
'^mpli  de  tristesse  de  voir  la  foi  indignement  attaquée. 
'I  se  revêtit  d'un  cilice,  et  s'étant  retiré  dans  l'intérieur 
de  son  palais,  il  pleurait  tous  les  jours.  Dieu,  qui  vit 
cela  dans  sa  miséricorde,  voulut  consoler  ces  affligés 
et  affermir  l'espérance  de  la  résurrection  des  morts  ; 
il  ouvrit  les  trésors  de  sa  tendresse  et  ressuscita  les 
.sept  niartyrs,  comme  il  suit.  Il  inspira  à  un  citoyen 
II  19- 


294  LA    LÉGENDE   DORÉE 

d'Ephèse  Tidée  de  faire  construire  sur  le  mont  Célîon 
des  étables  pour  les  bergers.  Les  maçons  ayant  ouvert 
la  grotte,  les  saints  se  levèrent  et  se  saluèrent,  dans 
la  pensée  qu'ils  n'avaient  dormi  qu'une  nuit  ;  puis  se 
rappelant  leur  tristesse  de  la  veille,  ils  demandèrent 
à  Malchus,  qui  les  approvisionnait,  ce  que  Dèce  avait 
décrété  à  leur  égard.  Il  répondit  :  a  Comme  je  vous 
l'ai  dit  hier  soir,  on  nous  a  cherchés  pour  nous  con- 
traindre à  sacrifier  aux  idoles  :  voilà  les  pensées  de 
l'empereur  par  rapport  à  nous.  »  Maximien  répondit  : 
<(  Et  Dieu  sait  que  nous  ne  sacrifierons  pas.  »  Après 
avoir  encouragé  ses  compagnons,  il  dit  à  Malchus  de 
descendre  à  la  ville  pour  acheter  du  pain,  en  lui  re- 
commandant d'en  prendre  plus  qu'il  n'avait  fait  la 
veille,  et  de  leur  communiquer  à  son  retour  les  or- 
donnances de  l'empereur.  Malchus  prit  cinq  sols,  sor- 
tit de  la  caverne.  En  voyant  les  pierres  il  fut  étonné  ; 
mais  comme  il  pensait  à  autre  chose,  l'idée  des  pierres 
fit  peu  d'impression  sur  lui.  Alors  qu'il  arrivait,  non 
sans  une  certaine  appréhension,  à  la  porte  de  la  ^^lle, 
il  fut  singulièrement  surpris  de  la  voir  surmontée  du 
signe  de  la  croix  ;  de  là  il  alla  à  une  autre  porte. 
Quand  il  vil  le  même  signe,  il  fut  très  étonné  de  voir 
une  croix  au-dessus  de  toutes  les  portes,  et  de  trouver 
la  ville  changée  ;  il  se  signa,  et  revint  à  la  première 
porte  en  pensant  qu'il  rêvait.  Enfin  il  se  rassure,  se 
c^chc  le  visage  et  pénètre  dans  la  ville.  Comme  il  en- 
trait chez  les  marchands  de  pain,  il  entendit  qu'on 
parlait  de  J.-C;  il  fut  stupéfait  :  «  Qu'est  ceci,  peu- 
siil-il  ?  hier  personne  n'osait  prononcer  le  nom  de 
J.-C,  et  aujourd'hui  ils  se  confessent  tous  chrétiens  ? 


LES   SEPT    DORMANTS  295 

Je  *crois  que  ce  n'est  pas  là  la  ville  d'Ephèse  :  d'ail- 
leurs elle  est  autrement  bâtie  ;  c'est  une  autre  ville, 
mais  je  ne  sais  laquelle.  »  Alors  il  prit  des  informa- 
lions  :  on  lui  répondit  que  c'était  Ephèse.  Se  croyant 
le  jouet  d'une  erreur,  il  songea  à  venir  retrouver  ses 
compagnons.  Cependant  il  entra  chez  ceux  qui  ven- 
daient du  pain,  et  ayant  donné  son  argent,  les  mar- 
chands étonnés  se  disaient  l'un  à  l'autre  que  ce  jeune 
homme  avait  trouvé  un  vieux  trésor.  Or,  Malchus,  en 
les  voyant  se  parler   en  particulier,    pensait   qu'ils 
voulaient  le  mener  à  l'empereur,  et,  dans  son  effroi,  il 
les  pria  de  le  laisser  aller  et  de  garder  les  pains  et  les 
pièces  d'argent.  Mais  les  boulangers  le  retinrent  et 
lui  dirent  :  «  D'où  es-tu?  puisque  tu  as  trouvé  des 
trésors  des  anciens  empereurs,  indique-les-nous  ;  nous 
partagerons  avec  toi  et  nous  te  cacherons,  car  autre- 
ment tu  ne  peux  t'en  retirer.»  Malchus  ne  savait  quoi 
leur  répondre,  tant  il  avait  peur.  Alors  les  marchands, 
voyant  qu'il  se  taisait,  lui  jetèrent  une  corde  au  cou, 
le  traînèrent  par  les  rues  jusqu'au  milieu  de  la  ville. 
C'était  une  rumeur  générale  qu'un  jeune  homme  avait 
trouvé  des  trésors.  Tout  le  monde  s'assemblait  autour 
de  lui,  et  le  regardait  avec  admiration.  Malchus  vou- 
lait faire  comprendre  qu'il  n'avait  rien  trouvé.  Il  exa- 
minait tout  le  monde  et  personne  ne  pouvait  le  con- 
naître ;  il  regardait  au  milieu  de  la  foule  pour  distin- 
guer quelqu'un  de  ses  parents  (il  les  croyait  vraiment 
encore  en  vie),   et  ne  trouvant  personne,   il  restait 
comme  un  hébété  au  milieu  du  peuple  de  la  ville.  Le 
fait  vint  aux  oreilles  de  saint  Martin,  évêque,  et  du 
proconsul  Antipaler,    nouvellement  arrivé   dans    la 


296  LA    LÉGliiNDE    DORËB 

ville.  Ils  commandèrent  aux  citoyens  de  leur  amener 
ce  jeune  homme  avec   précaution  et  d'apporter  en 
même  temps  son  argent.  Pendant  que  les  officiers  le 
conduisaient  à  l'église,  il  pensait  qu'on  le  menait  à 
Tempereur.  L'évêque  donc  et  l'empereur,  surpris  de 
voir  cet  argent,  lui  demandèrent  où  il  avait  trouvé  un 
trésor  inconnu.  11  répondit  qu'il  n'avait  rien  trouvé, 
mais  qu'il  avait  eu  ces  deniers  dans  la  bourse  de  ses» 
parents.  On  lui  demanda  alors  de  quelle  ville  il  était» 
Il  répondit  :  «  Je  sais  bien  que  je  suis  de  cette  ville^ 
si  tant  est  que  cette  ville  soit  Ephèse.  »  Le  proconsul 
dit  :  «  Fais  venir  tes  parents,  afin  qu'ils  répondent 
pour  toi.  »  Quand  il  eut  cité  leurs  noms,  personne  ne 
les  connaissant,  on  lui  dit  qu'il  mentait  pour  pouvoir 
échapper,  n'importe  de  quelle  manière.  «  Comment  te 
croire,  dit  le  proconsul  ?  tu  prétends  que  cet  aident 
vient  de  tes  parents,  et  l'inscription  a  plus  de  377 
ans  ;  elle  date  des  premiers  temps  de  l'empereur  Dèce, 
et  ces  pièces  ne  sont  pas  du  tout  pareilles  à  celles  qui 
ont  cours  chez  nous.  Et  comment  tes  parents  vivaient- 
ils  à  cette  époque,  quand   tu  es  si  jeune?  Tu  veux 
donc  tromper  les  savants  et  les  vieillards  d*Ephèse  ? 
Eh  bien  !  je  vais  te  livrer  à  la  rigueur  des  lois,  jus- 
qu'à ce  que  tu  fasses  l'aveu  de  ta  découverte.  »  Alors 
Malchus  se  jeta  à  leurs  pieds  en  disant  :  «  Pour  Dieu, 
seigneurs,  dites-moi  ce  que  je   vous  demande,  et  je 
vous  dirai  ce  qui  est   dans  mon  cœur.   L'empereur 
Dèce,  qui  se  trouvait  dans  cette  ville,  où  est-il  à  pré- 
sent? »  L'évoque  lui  répondit  :  «  Mon  fils,  il   n'y  a 
plus  aujourd'hui    ici-bas    d'empereur    qui    s'appelle 
Dèce  ;  il  y  a  longtemps  qu'il  l'était.  »  Mais  Malchus 


LES    SEPT    DORMANTS  297 

^^^   i    «  C'est  pour  cela,  seigneur,  que  je  suis  bien 
**tonné  et  que  personne  ne  me  croit  :  or,  suivez-moi, 
^^  ie   vous  montrerai  mes  compagnons  qui  sont  au 
'•^^nt  Célion,  et  vous  les  croirez.  Ce  que  je  sais,  c'est 
2^^  nous  avons  fui  quand  Dèce  s'est  présenté  ici  ;  et, 
^^r  soir,  j'ai  vu  entrer  Dèce  dans  cette  ville,  si  tant 
^^'^t  que  ce  soit  Ephèse.  »  Alors  Tévéque  ayant  réflé- 
^*^î,  dit  au  proconsul  :   «  C'est  une  vision  que  Dieu 
^^m  montrer  par  le  ministère  de  ce  jeune  homme.  » 
**s  Je  suivirent  donc  avec  une  grande  multitude  de 
^Uoyens.  Malchus  pénétra  le  premier  dans  le  lieu  où 
liaient  ses  compagnons  :  Tévêque,  qui  entra  après 
lui,  trouva  entre  les  pierres  la  relation  scellée  de  deux 
sceaux  d'argent.  Il  assembla  le  peuple,  la  lut,  à  l'ad- 
miration de  tous  ceux  qui  l'entendirent  ;  et  en  voyant 
les  saints  de  Dieu  assis  dans   la  caverne  avec   un 
nsage  qui  avait  la  fraîcheur  des  roses,  ils  se  proster- 
nèrent en  glorifiant  Dieu.  Aussitôt  Tévêque  et  le  pro- 
consul envoyèrent  prier  l'empereur  de  venir  de  suite 
voir  les  miracles  qui  venaient  de  s'opérer.   Aussitôt 
l'empereur  quitta  le  sac  qu'il  portait,  se  leva  et  vint 
de  Constantinople  à  Ephèse  en  rendant  gloire  à  Dieu. 
On  alla  au-devant  de   lui  et  on  l'accompagna   à  la 
çrolte.   Les    saints  n'eurent  pas  plutôt  vu    l'empe- 
reur que  leur  visage  brilla  comme  le  soleil  ;  ensuite 
l'empereur  entra,  se  prosterna  devant  eux  en  glori- 
fiant Dieu,  se  leva,  les  embrassa  et  pleura  sur  chacun 
d'eux  en  disant  :  «  Je  vous  vois,  comme  si  je  voyais 
le  Seigneur  ressuscitant  Lazare.  »  Alors  saint  Maxi- 
mien lui  dît  :  «  Croyez-nous  ;  c'est  pour  vous  que  Dieu 
nous  a  ressuscites  avant  le  jour  de  la  grande  résurrec- 


298  L\  LÉGENDE    DORÉE 

tion,  afin  que  vous  croyiez  indubitablement  à  la 
résurrection  certaine  des  morts  ;  car  nous  sommes 
vraiment  ressuscites  et  nous  vivons  :  or,  de  même 
que  l'enfant  dans  le  sein  de  sa  mère  vit  sans  ressen- 
tir de  lésion,  de  même,  nous  aussi,  nous  avons  été 
vivants,  reposant,  dormant  et  n'éprouvant  pas  de 
sensations.  »  Quand  il  eut  dit  ces  mots,  les  sept  hom- 
mes inclinèrent  la  tête  sur  la  terre,  s'endormirent  et 
rendirent  l'esprit  selon  l'ordre  de  Dieu.  Alors  l'empe- 
reur se  leva,  se  jeta  sur  eux  avec  larmes  et  les  em- 
brassa. Il  ordonna  ensuite  de  faire  des  cercueils  d'or 
pour  les  renfermer  ;  mais  cette  nuit-là  même,  ils  lui 
apparurent  et  lui  dirent  que  jusqu'alors  ils  avaient 
reposé  sur  la  terre  et  qu'ils  étaient  ressuscites  de  des- 
sus la  terre,  qu'il  les  y  fallait  laisser,  jusqu'à  ce  que 
le  Seigneur  les  ressuscitât  la  seconde  fois.  L'empe- 
reur ordonna  donc  qu'on  ornât  ce  lieu  de  pierres 
dorées,  et  que  tous  les  évêques  qui  confessaient  la 
résurrection  fussent  absous.  Qu'ils  aient  dormi  377 
ans,  comme  on  le  dit,  la  chose  peul  être  douteuse, 
puisqu'ils  ressuscitèrent  Tan  du  Seigneur  448.  Or, 
Dèce  régna  seulement  un  an  et  trois  mois,  en  l'an 
2;j2  ;  ainsi,  ils  ne  dormirent  que  cent  quatre-ving(- 
seize  ans. 


SAINTS  NAZAIRE  ET  CELSE 

Nazaire   vient  de    Nazaréen    qui    sijs^nifie     consacré,     pur,  ^ 

séparé,  fleuri,   ou   i^arJanl.   Dans    l'homme,   on   trouve  cin«i  j- 

facultés  :  la  pensée,  l'affection,  l'intention,  Taclion  et  la  parole.  _ 


SAINTS    NAZAIHE    ET    CELSE  299 

Or,  la  pensée  doit  être  sainte,  TafiTection  pure,  l'intention 
droite,  raction  juste,  la  parole  modérée.  Toutes  ces  qualités 
se  sont  rencontrées  dans  le  bienheureux  saint  Nazaire  ;  sa 
pensée  fut  sainte,  de  là  il  est  appelé  consacré  ;  son  affection 
pure,  et  il  est  appelé  pur;  son  intention  droite,  de  là  le  nom 
de  séparé;  car  l'intention  détermine  les  œuvres.  Avec  un  œil 
simple  et  pur  tout  le  corps  est  éclairé,  et  avec  un  œil  mauvais 
et  obscurci  tout  le  corps  est  ténébreux.  Ses  actions  furent 
justes,  c'est  pour  cela  qu'il  est  nommé  fleuri,  car  le  juste  fleu- 
rira comme  le  lys;  sa  parole  fut  modérée,  de  là  le  nom  de 
gardant,  parce  qu'il  garda  ses  voies  afin  de  ne  point  pécher 
par  la  langue. 

Celse,  exeelsuSy  élevé,  parce  qu'il  s'éleva  au-dessus  de  lui- 
même  ;  par  la  force  de  son  courage  il  s'éleva  au-dessus  de  la 
faiblesse  de  son  jeune  âge.  On  dit  que  saint  Ambroise  trouva 
la  vie  et  la  relation  du  martyre  de  ces  deux  saints  dans  le 
livre  des  saints  Gervais  et  Protais;  mais  on  lit  dans  quelques 
ouvrages  qu'un  philosophe  plein  de  dévotion  à  saint  Nazaire 
a  écrit  son  martyre  que  Cératius  plaça  à  leur  chevet  en  ense- 
velissant les  corps  de  ces  saints  *. 

Nazaire  était  fils  d'un  personnaj^e  très  illustre,  mais 
juif  nommé  Âfricanus  et  de  la  bienheureuse  Perpé- 
tue, femme  très  chrétienne  et  d'une  famille  des  plus 
distinguées  de  Rome.  Elle  avait  été  baptisée  par  Tapô- 
tre  saint  Pierre.  A  l'âge  de  neuf  ans,  Nazaire  était  fort 
étonné  de  voir  son  père  et  sa  mère  apporter  tant  de 
divergence  dans  leurs  pratiques  religieuses  ;  puisque 
sa  mère  suivait  la  loi  du  baptême  et  son  père  la  loi 
du  sabbat.  Il  balançait  beaucoup  sur  le  parti  auquel 
il  se  rattacherait,  car  l'un  et  l'autre  de  ses  parents  s'ef- 
forçaient de  l'attirer  à  sa  croyance.  Enfin  Dieu  permit 
qu'il  marchât  sur  les  traces  de  sa  mère,  et  il  reçut  le 
saint  baptême  du  bienheureux  Lin,  pape.  Son  père,  en 

*  Bréviaire  romain. 


300  L.V    LÉGENDE    DOREB 

avant  été  instruit,  tenta  de  le  détourner  de  sa  sainte 
résolution,  en  lui  exposant,  l'un  après  Tautre,  les  dif- 
férents tourments  qu'on  infligeait  aux  chrétiens.  Quant 
au  fait  de  son  baptême  qu'on  dit  lui  avoir  été  conféré 
par  le  pape  saint  Lin,  Ton  veut  dire   sans  doute  que 
celui-ci  devait  être  pape  plus  tard,  car  il  ne  Tétait  pas 
encore.  Puisque,  comme,  il  sera  facile  de  s'en  convaincre 
pur  la  suite,  saint   Nazaire  vécut  nombre  d*années 
après  son  baptême  et  fut  martyrisé  par  Néron  qui  fit 
crucifier  saint  Pierre,  la  dernière  année  de  son  règne  ; 
or,  saint  Lin  fut  pape  après  la  mort  de  saint  Pierre. 
Au  lieu  de  céder  aux  instances  de  son  père,  Nazaire 
prêchait  J.-C.  avec  la  plus  grande  constance  ;  alors 
ses  parents,  qui  craignaient  beaucoup  qu'il  ne  fût  tué, 
obtinrent  par  leurs  prières  qu'il  sortirait  de  la  ville  de 
Rome  ;  il  prit  donc  sept  sommiers  chargés  des  riches- 
ses de  ses  parents,   parcourut    les  villes  d'Italie  et 
donna  tout  aux  pauvres.  Dix  ans  après  son  départ,  il 
vint  à  Plaisance  et  de  là  à  Milan  où  il  trouva  détenus 
en  prison  saint  Gervais  et  saint  Protais.  Or,  quand  on 
apprit  que  Nazaire   encourageait  ces   martyrs,  on   le 
traîna  aussitôt  au  préfet  et  comme  il  persistait  à  con- 
fesser J.-C,  il  fut  battu  (le  verges  et  chassé  de  la  ville. 
Tandis  qu'il  allait  d'un  lieu  à  un  autre,  sa  mère,  qui 
était  morte,  lui  apparut  et  après  Tavoir  encouragé,  elle 
l'avertit  de  se  diriger  >  ers  les  Gaules.  Quand  il  arriva 
à  une  ville  de  la  Gaule    nommée  Gemellus*,  il  y  con- 
vertit beaucoup  de  monde  ;  et  une  dame  lui  offrit  son 
fils  nommé  Celse  qui  était  un  charmant  enfant,  avec 

'   Tionôve. 


SAINTS   NAZAIRE    ET    CELSE  301 

pnère  de  le  baptiser  et  de  Teminener  avec  lui.  Quand 

le  préfet  des  Gaules  apprit  cela,  il  le  fit  prendre  avec 

^else;  on  lui  lia  les  mains  derrière  le  dos  ;  on  lui  at- 

^^cha  une  chaîne  au  cou  et  on  le  jeta  en  prison  afin 

1"^  le  lendemain  il  fût  tourmenté  dans  les  supplices. 

^^is  la  femme  du  préfet  envoya  dire  à  son  mari  que 

^^^lune  injustice  de  condamner  à  mort  des  inno- 

^^'^Is;  el  qu'il  ne  fallait  pas  se  charger  de  la  vengeance 

^^  dieux  tout-puissants.  Le  président  se  rendit  à  ces 

P^^oies  ;  il  renvoya  les  saints  absous,  en  leur  recom- 

^^tidant  expressément  de  ne  pas  prêcher  dansla  ville. 

^^saire  vint  donc  à  Trêves  où  le  premier  il  annonça 

•MU.  Après  y  avoir  converti  beaucoup  de  personnes  à 

^   foi,  il  s'y  bâtit  une  église.  Corneille,  vicaire  de  Né- 


*^,  instruit  de  cela,  le  manda  à  cet  empereur  qui  en- 
^^ja  cent  hommes  pour  le  prendre.  Ils  le  trouvèrent  à 
^^té  de  l'oratoire  qu'il  s'était  construit,  lui  lièrent  les 
*^sins  et  lui  dirent  :  «  Le  grand  Néron  t'appelle.  » 
"^azaire  leur  répondit  :  «  Un  roi  inconvenant  a  des  sol- 
^els  inconvenants  ;  car  à  votre  arrivée  pourquoi  ne 
^'avez-vous   pas  dit  honnêtement  :  Néron  t'appelle  ? 
Je  serais  venu.  »  Ils  le  conduisirent  donc  enchaîné  à 
^éron.  Quant  au  petit  Çelse  qui  pleurait,  ils  lui  don- 
naient des  soufflets  pour  le  forcer  de  suivre.  Néron,  les 
ayant  vus,  les  fit  mettre  en  prison,  jusqu'à  ce  qu'il  eût 
réfléchi  sur  la  manière  de    les  faire  périr.  Dans  cet 
intervalle,  une  fois  que  Néron  avait  envoyé  des  chas- 
seurs pour  prendre  des  bêtes  sauvages,  une  troupe  de 
ces  animaux  entra  subitement  dans  le  verger  de  ce 
prince,   où  elle  blessa  beaucoup  de  personnes  et  en 
tua  nombre  d'autres,  au  point  que  Néron  effrayé  prit 


302  LA    LÉGENDE    DOREE 

la  fiiile  et  rentra  dans  son  palaîs,  après  s'être  fait  une 
blessure  au  pied.  La  douleur  le  retint  de  longues  jour- 
nées couché  ;  enfin  il  se  souvint  de  Nazaire  et  de  Celse  ; 
il  pensa  que  les  dieux  étaientirritéscontre  lui  pour  avoir 
laissé  vivre  si  longtemps  ces  prisonniers.  Par  Tordre 
donc  de  l'empereur,  des  soldats  firent  sortir  Nazaire 
de  la  prison,  en  le  chassant  à  coups  de  pied,  et  Celse 
en  le  frappant,  et  ils  les  amenèrent  devant  l'empereur. 
Néron,  voyant  la  figure  de  Nazaire  brillante  comme  le 
soleil,  se  crut  le  jouet  d'une  illusion  et  lui  ordonna  de 
cesser  ses  sortilèges,  puis  de  sacrifier  aux  dieux.  Na- 
zaire ayant  été  conduit  au  temple,  pria  tout  le  monde 
de  se  retirer,  et  pendant  qu'il  y  faisait  sa  prière,  toutes 
les  idoles  furent  brisées.  A  cette  nouvelle,  Néron  or- 
donna de  le  précipiter  dans  la  mer,  avec  ordre  de  le 
reprendre,  s'il  parvenait  à  s'échapper,  de  le  faire  mou- 
rir ensuite  dans  les  flammes  et  de  jeter  ses  cendres 
dans  la  mer.  Nazaire  donc  et  le  jeune  Celse  sont  em- 
barqués sur  un  navire,  et  quand  ils  eurent  atteint  la 
haute  mer,  ils  furent  précipités  dans  les  flots.  Mais 
aussitôt  il   s'éleva  autour  du  bâtiment  une  tempête 
extraordinaire,  quand  le  plus  grand  calme  régnait  au- 
tour des   saints.  Les  matelots  craignaient  de  périr  et 
se  repentaient  dos  méchancetés  qu'ils  avaient  commi- 
ses contre  les  martyrs,  mais  voici  que  Nazaire  avec  le 
petit  Celse  leur  apparaît  marchant  d'un  air  gai  sur  les 
eaux,  et  monte  sur  le  navire  (Les  matelots  croyaient 
déjà  en  Dieu.)  Nazaire  par  une  prière  calma  les  flots, 
l't  vint  de  là  avec  eux  débarquer  auprès  delà  ville  de 
(iênes  éloignée  de  six  cents  pas.  Après  y  avoir  prêché 
longtemps,  il  vint  enfin  à  Milan  où  il  avait  laissé  saint 


SAINTS   NAZAIRE    ET    CELSE  303 

Gervaîs  et  saint  Protais.  Lorsque  le  préfet  Anolinus 
l'eut  appris,  il  l'envoya  en  exil  et  Celse  resta  dans  la 
maison  d'une  dame.  Quanta  Nazaireil  revint  à  Rome 
où  il  trouva  son  père  déjà  parvenu  à  la  vieillesse  et 
chrétien.  Il  lui  demanda  comment  il  avait  été  converti . 
Son  pèrelui  ditquesaint  Pierre,  apôtre,lui  étaitapparu 
et  lui  avait  donné  le  conseil  de  suivre  sa  femme  et  son 
fils  qui  l'avaient  précédé  dans  la  foi  de  J.-C.  Ensuite 
Nazaire,  après  avoir  éprouvé  de  mauvais  traitements, 
à  Milan,  d'où  il  avait  été  envoyé  à  Rome,  est  forcé  par 
les  prêtres  des  idoles  de  revenir  et  il  y  fut  traduit  de- 
vant le  président  avec  l'enfant.  On  le  conduisit  hors 
de  la  porte  de  Rome  dans  un  lieu  appelé  les  Trois 
Murs,  et  il  fut  décapité  avec  le  jeune  Celse.  Les  chré- 
tiens enlevèrent  leurs  corps  et  les  placèrent  dans  leurs 
jardins;  mais  cette  nuit-là  même,  les  martyrs  appa- 
rurent à  un  saint  homme  nommé  Cératius  et  lui  recom- 
mandèrent d'ensevelir  leurs  corps  dans  un  endroit  re- 
tiré de  sa  maison,  par  rapport  à  Tcmpereur.  Cératius 
leur  dit:  «  Je  vous  en  prie,  mes  seigneurs,  guérissez 
auparavant  ma  fille  paralytique.  »  Et  comme  elle  fut 
guérie  à  l'instant,  il  prit  leurs  corps  et  les  ensevelit 
comme  ils  le  lui  avaient  recommandé.  Longtemps  après 
le  Seigneur  révéla  à  saint  Ambroise  où  se  trouvaient 
leurs  restes.  Celui-ci  laissa  Celse  où  il  était.  Le  corps 
de  Nazaire  fut  trouvé  avec  son  sang  frais  comme  s'il 
venait  d'être  enseveli,  et  répandant  une  merveilleuse 
odeur  ;  il  était  entier,  sans  corruption,  avec  ses  che- 
veux et  sa  barbe.  Il  en  fit  la  translation  à  l'église  des 
îipôtres  et  l'y  ensevelit  avec  honneur.  Dans  la  suite  il 
fit  aussi  l'élévation  de  saint  Celse  (ju'il  plaça  dans  la 


304  LA    LÉGENDE    DOREE 

même  église.  Ils  souffrirent  sous  Néron,  qui  commença 
à  régner  vers  Tan  du  Seigneur  57. 

Au  sujet  de  ce  martyr,  voici  ce  que  saint  Ambroise 
dit  dans  la  Préface  :  «  Le  sôint  martyr  Nazaire,  illus- 
tre par  le  sang  généreux  qu'il  a  répandu,  a  mérité  de 
monter  au  royaume  du  ciel.  En  souffrant  tout  ce  que 
les  tourments  ont  de  plus  cruel,  il  surmontait  la  rage 
des  tyrans  par  sa  constance  ;  et  il  ne  céda  jamais  de- 
vant les  menaces  des  persécuteurs,  car  il  avait  pour 
le  soutenir  au  milijsu  de  ses  combats  N.-S.  J-C.  qui 
combattait  avec  lui.  Alors  il  est  conduit  au  temple 
pour  immoler  aux  idoles  profanes  ;  mais  fort  du  se- 
cours divin,  il  est  à  peine  entré,  que  ces  simulacres 
sont  réduits  par  lui  en  poussière.  Pour  ce  fait,  il  est 
conduit  au  milieu  de  la  mer,  et,  soutenu  par  les  anges, 
il  marche  à  pied  sec  sur  les  flots.  0  heureux  et  noble 
combattant  du  Seigneur  qui  en  attaquant  le  prince  du 
monde  a  rendu  une  multitude  innombrable  de  peuple 
participante  de  la  vie  éternelle  !  0  grand  et  ineffable 
mystère,  qu'il  y  ait  plus  de  joie  dans  l'Église  de 
ce  qu'ils  ont  mérité  le  salut,  qu'il  n  y  a  d'allégresse 
dans  le  monde  pour  les  avoir  punis  !  0  bienheureuse 
mère  qui  tire  de  la  gloire  des  tourments  de  ses  en- 
fants qu'elle  conduit  au  tombeau  sans  pleurs  et  sans 
gémissements,  et  sans  cesser  de  célébrer  leurs  louan- 
ges quand  ils  sont  passés  aux  royaumes  célestes  !  O 
témoin  merveilleux,  resplendissant  d'un  éclat  céleste, 
dont  les  vertus  répandent  une  odeur  plus  pénétrante 
et  plus  suave  que  les  aromates  de  Saba  !  »  —  Saint 
Ambroise,  lors  de  l'invention  de  ce  saint,  le  pro- 
posa comme  patron,   et  médecin,  comme  le  défen- 


SAINT    FELIX,    PAPE  305 

seur  de  la  foi,   et  le  champion  des  combats  sacrés. 
Elle  était  cachée  depuis  longtemps  dans  la  pous- 
sière cette  dragme  trouvée  avec  la  lumière  que   te 
prèle  l'assistance  merveilleuse  du  ciel  :  afin,  ô  Jésus  ! 
que  les  récompenses  que  vous  accordez  à  tous  vos  élus 
soient  manifestées  et  que  Toeil  de  Thomme  puisse  voir 
les  visages  des  anges. 


SAINT  FÉLIX,  PAPE 

Félix  fut  élu  et  ordonné  pape  à  la  place  de  Libère, 
qui,  ne  voulant  pas  approuver  rhérésie  arienne,  fut,  par 
1  ordre  de  Constance,  fils  de  Constantin,  envoyé  en 
exil,  où  il  resta  trois  ans.  C'est  pour  cela  que  tout  le 
clergé  romain  ordonna  Félix  à  sa  place,  du  vouloir  et 
au  consentement  de  Libère  lui-même.  Ce  Félix,  ayant 
convoqué  un  concile,  condamna,  en  présence  de  qua- 
rante-huit évéques.  Constance  empereur  arien  héréti- 
que et  deux  prêtres  qui  le  soutenaient.  Constance  indi- 
gné chassa  Félix  de  son  évéchéel  rappela  Libère  à  la 
condition  d'être  en  communion  seulement  avec  Cons- 
tantin et  les  autres  que  Félix  avait  condamnés.  Libère, 
accablé  par  les  ennuis  de  l'exil,  souscrivit  à  l'hérésie  ; 
et  il  en  résulta  que  la  persécution  augmenta  à  tel 
point  que  beaucoup  de  prêtres  et  de  clercs  furent  tués 
dansTéglise  sans  que  Libère  s*y  opposât.  Félix,  chasse 
de  son  évêché,  habitait  dans  une  terre  d'où  on  l'arra- 
cha pour  le  conduire  au  martyre  qu'il  subit,  en  ayant 
la  tête  tranchée,  vers  l'an  du  Seigneur  340. 


n. 


20 


306  LX    LÉGENDE    DOREE 


SAINT  SIMPLICE  ET  SAINT  FAUSTIN 

Simplice  et  Faustîn  tHaieiil  frères  ;  ils  refusèrent  de 
sacrifier,  et  endurèrent  à  Rome  beaucoup  de  tour- 
ments sous  l'empereur  Dioclétien.  A  la  fin  on  porta 
l'arrêt  de  leur  condamnation  ;  ils  furent  décapités  et 
leurs  corps  jetés  dans  le  Tibre  :  mais  leur  sœur  nom- 
mée Béatrice  relira  leurs  dépouilles  du  fleuve  et  les 
ensevelit  honorablement.  Lucréfius  qui  était  préfet  et 
vicaire  de  Dioclétien  passait  autour  de  leur  domaine, 
la  fit  prendre  et  lui  commanda  de  sacrifier  aux  idolesr 
Sur  son  refus,  Lucrétius  la  fit  étrangler  durant  la  nuit 
par  ses  esclaves.  La  vierge  Lucine  enleva  son  corps 
et  l'ensevelit  à  côté  de  ses  frères.  Après  quoi,  le  préfet 
Lucrétius  s'empara  de  leur  maison,  où  au  milieu  d*un 
repas  qu'il  donnait  à  ses  amis,  il  se  permît  d'insulter 
les  martyrs  ;  alors  un  petit  enfant  encore  à  la  mamelle 
et  enveloppé  de  langes,  s'écria,  dans  les  bras  de  sa 
mère  qui  était  présente,  de  sorte  que  tout  le  monde 
l'entendit  :  a  Ecoule,  Lucrétius,  tu  as  tué,  tu  as 
usurpé,  voici  que  tu  es  livré  au  pouvoir  de  l'ennemi.  » 
A  l'instant  Lucrétius  saisi  et  tremblant  est  appré- 
hendé par  le  démon  qui  le  tourmenta  si  violemment 
pendant  trois  heures  qu'il  mourut  au  milieu  du  repas. 
Les  assistants  témoins  de  cela  se  convertirent  à  la  foi  : 
ils  racontaient  à  tous  le  martyre  de  sainte  Béatrice  qui 
avait  été  vengée  dans  le  repas.  Or,  ils  souffrirent  vers 
l'an  du  Seigneur  287. 


SAINTK    MARTHE  307 


SAINTE  MARTHE 

[L*interprétation  du  nom  de  saiocte  Marthe.  Marthe  peut 
^tre  dicte  ainsi  côme  sacrifiant  ou  amaigrissant  :  elle  sacriHa 
^  Ihùcrist  quant  elle  le  hostella  :  et  luy  administra  le  pain  et 
Uvin  de  quoy  luy-mesme  sacrifia  son  sainct  corps:  amai- 
grissant, car  elle  amaigrit  son  corps  par  pénitence  si  côme 
il  sensuit  après]  *. 

Marthe,  qui  donna  l'hospitalité  à  J.-C.,  descendait 
de  race  royale  et  avait  pour  père  Synis  et  pour  mère 
Eucharie.  Son  père  fut  gouverneur  de  Syrie  et  de  beau- 
coup de  pays,  situés  le  long  de  la  rner.  Marthe  possé- 
dait avec  sa  sœur,  et  du  chef  de  sa  mère,  trois  chà- 
^ux,  savoir  Magdalon,  Béthanie  et  une  partie  de  la 
^Jede  Jérusalem.  On  ne  trouve  nulle  part  qu'elle  se 
^'l  mariée,  ni  qu'elle  ait  eu  commerce  avec  aucun 
^^ttinae.  Or,  cette  noble  hôtelière  servait  le  Seigneur 
^^  Voulait  que  sa  sœur  le  servît  aussi  ;  car  il  lui  sem- 
"'^t  que  ce  n'était  pas  même  trop  du  monde  tout 
^ï^lier  pour  le  service  d'un  hôte  si  grand.  Après  l'as- 
^'^sion  du   Seigneur,  quand   les   apôtres  se  furent 
^^persés,  elle  et  son  frère  Lazare,  sa  sœur  Marie- 
^^gdeleine,   ainsi  que  saint  Maximin   qui  les  avait 
'^^ptisés  et  auquel  elles  avaient  été  confiées  par  l'Es- 
Pril-Sainl,  avec  beaucoup  d'autres  encore,  furent  mis 
par  les  infidèles  sur  un    navire  dont  on  enleva  les 
rames,  les  voiles  et  les  gouvernails,  ainsi  que  toute 
espèce  d'aliment.  Sous  la  direction  de  Dieu,  ils  arri- 

•  Consulter  les  Monuments  de  l'apostolat  de  sainte  Madeleine 
et  de  sainte  Marthe,  par  M.  Paillon  et  le  Bréviaire  romain. 


308  L\    LÉGENDE    DOREE 

vèrent  à  Marseille.  De  là  ils  allèrent  au  territoire  d'Aix 
où  ils  convertirent  tout  le  peuple  à  la  foi.  Or,  sainte 
Marthe  était  très  éloquente  et  gracieuse  pour  tous.  Il 
y  avait,  à  cette  époque,  sur  les  rives  du  Rhône,  dans 
un  bois  entre  Arles  et  Avignon,  un  dragon,  moitié 
animal,  moitié  poisson,  plus  épais  qu'un  bœuf,  plus 
long  qu'un  cheval,  avec  des  dents  semblables  à  des 
épées  et  grosses  comme  des  cornes,  qui  était  armé  de 
chaque  côté  de  deux  boucliers  ;  il  se  cachait  dans  le 
fleuve  d'où  il  ôtaitla  vie  à  tous  les  passants  et  submer- 
geait les  navires.  Or,  il  était  venu  par  mer  de  la  Gala- 
tie  d'Asie,  avait  été  engendré  par  Léviathan,  serpent 
très  féroce  qui  vit  dans  l'eau,  et  d'un  animal  nommé 
Onachum,  qui  natt  dans  la  Galatie  :  contre  ceux  qui 
le  poursuivent,  il  jette,  à  la  distance  d'un  arpent,  sa 
fiente  comme  un  dard  et  tout  ce  qu'il  touche,  il  le 
brille  comme  si  c'était  du  feu.  A  la  prière  des  peuples, 
Marthe  alla  dans  le  bois  et  l'y  trouva  mangeant  un 
homme.  Elle  jeta  sur  lui  de  l'eau  bénite  et  lui  montra 
une  croix.  A  l'instant  le  monstre  dompté  resta  tran- 
quille comme  un  agneau.  Sainte  Marthe  le  lia  avec 
sa  ceinture  et  incontinent  il  fut  tué  par  le  peuple  à 
coups  de  lames  et  de  pierres.  Or,  les  habitants  du  pays 
appelaient  ce  dragon  Tarasque  et  en  souvenir  de  cet 
événement  ce  lieu  s'appelle  encore  Tarascon  au  lieu 
de  Nerluc,  qui  signifie  lieu  noir,  parce  qu'il  se  trouvait 
là  des  bois  sombres  et  couverts.  Ce  fut  en  cet  endroit 
que  sainte  Marthe,  avec  l'autorisation  de  son  maître 
Maximin  et  de  sa  sœur,  se  fixa  désormais  et  se  livra 
sans  relâche  à  la  prière  et  aux  jeûnes.  Plus  tard  après 
avoir  rassemblé  un  grand  nombre  de  sœurs,  elle  bâtit 


SAINTE    MARTHE  309 

Une  basilique  en  l'honneur  de  la  bienheureuse  vierge 
Marie.  Elle  y  mena  une  vie  assez  dure,  s'abstenant 
d'aliments  gras,  d'œufs,  de  fromage  et  de  vin,  ne  man- 
geant qu'une  fois  par  jour.  Cent  fois  le  jour  et  autant 
de  fois  la  nuit,  elle  fléchissait  les  genoux. 

Elle  prêchait  un  jour  auprès  d'Avignon,  entre  la 
^'^'leel  le  fleuve  du   Rhône,   et  un  jeune  homme  se 
trouvait  de  l'autre  côté  du  fleuve;  jaloux  d'entendre 
^s  paroles,  mais  dépourvu  de  barque  pour  passer,  il 
se  dépouilla  de  ses  vêtements  et  se  jeta  à  la  nage  ; 
^\x{  à  coup  il  est  emporté  par  la  force  du  courant  et 
se   noie  aussitôt.  Son  corps  fut  à  peine  retrouvé,  deux 
jours  après  ;  on  l'apporta  aux  pieds  de  sainte  Marthe 
Powr  qu'elle  le  ressuscitât.  Elle  se  prosterna  seule,  les 
*^*'ss  étendus  en  forme  de  croix  sur  la  terre  et  fit  cette 
prière  :  «  O  Adonay,  Seigneur  J.-C,  qui  avez  autre- 
fois ressuscité  mon  frère  Lazare,  votre  ami,  mon  cher 
*^^te,  ayez  égard  à  la  foi  de  ceux  qui  m'entourent  et 
^^ssuscitez  cet  enfant.  »   Elle  prit  par  la   main  ce 
J^uiie  homme  qui  se  leva  aussitôt  et  reçut  le  saint  bap- 
^^nie.  Eusèbc  rapporte  au  VIP  livre  de  son  Ilisloire 
^^^lésiaslique*j  que  l'IIémorrhoïsse,  après  avoir  été 
S^*érie,  fit  élever  dans  sa  cour  ou  son  verger,  une  sta- 
tue à  la  ressemblance  de  J.-C.,  avec  une   robe  et  sa 
frange,  comme  elle  l'avait  vu,  et  elle  avait  pour  cette 
image  une  grande  vénération.  Or,  les  herbes  croissant 
aux  pieds  de  la  statue  et  qui  n'étaient  bonnes  à  rien 
auparavant,  dès  lors  qu'elles  atteignaient  à  la  frange, 

*  H  revient  sur  ce  récit  dans  son  commentaire  sur  sair.t 
Luc,  mais  sans  prétendre  que  c'est  Marthe.  —  Cf.  Nicéphorc 
Callixte,  lib.  X,  xxx. 

II.  20* 


310  LA    LÉGENDE    DOREE 

acquéraient  une  telle  vertu  que  beaucoup  d'infirmes 
qui  en  faisaient  usage  étaient  guéris.  Cette  Hémor- 
rhoïsse  que  le  Seigneur  guérît,  saint  Ambroîse  dît* 
que  ce  fut  sainte  Marthe.  Saint  Jérôme  de  son  côté 
rapporte,  et  VHiaioire  triparlile  confirme  **,  que  Ju- 
lien Tapostat  fit  enlever  la  statue  élevée  par  THémor- 
rhoTsseet  y  substitua  la  sienne;  mais  la  foudre  la  brisa. 
Or,  le  Seigneur  révéla  un  an  d'avance  à  sainte  Mar- 
the le  moment  de  sa  mort  :  et  pendant  toute  cette 
année,  la  fièvre  ne  la  quitta  point.  Huit  jours  avant 
son  trépas,  elle  entendit  les  chœurs  des  anges  qui 
portaient  l'âme  de  sa  sœur  au  ciel.  Elle  rassembla  de 
suite  sa  communauté  de  frères  et  de  sœurs  :  «  Mes 
compagnons  et  très  doux  élèves,  leur  dit-elle,  je  vous 
en  prie,  réjouissez-vous  avec  moi,  parce  que  je  vois 
les  chœurs  des  anges  portant  en  triomphe  l'âme  de  ma 
sœur  au  trône  qui  lui  a  été  promis.  O  très  belle  et  bien- 
aimée  sœur  !  vis  avec  ton  maftre  et  mon  hôte  dans  la 
demeure  bienheureuse!  »  Et  aussitôt  sainte  Marthe, 
pressentant  sa  mort  prochaîne,  avertit  ses  gens  d'allu- 
mer des  flambeaux  autour  d'elle  et  de  veiller  jusqu'à 
son  trépas.  Au  milieu  de  la  nuit  qui  précéda  le  jour  de 
sa  mort,  ceux  qui  la  veillaient  s'élant  laissé  appesantir 
par  le  sommeil,  un  vent  violent  s'éleva  et  éteignit 
toutes  les  lumières,  et  la  sainte  qui  vit  une  foule  d'es- 
prits malins,  prononça  cette  prière  :  «  0  Dieu,  mon 
père,  mon  hôte  chéri,  mes  séducteurs  se  sont  rassem- 
blés pour  me  dévorer  ;  ils  tiennent  écrites  à  la  main 


*  Sermon  XL\'I. 
*■   Li!).  VI,  c.  xLi. 


SAINTE    MARTHE  311 

les  méchancetés  que  j'ai  commises  :    mon  Dieu,  ne 
vous  éloignez  pas  de  moi,  mais  venez  à  mon  aide.  » 
Et  voilà  qu'elle  vit  sa  sœur  venir  à  elle  ;  elle  tenait  à 
la  main  une  torche  avec  laquelle  elle  alluma  les  flam- 
beaux et  les  lampes  :  et  tandis  qu'elles  s'appelaient 
chacune  par  leur  nom,  voici  que  J.-C.  vint  et  dit  : 
w  Venez,  hôtesse  chérie,  et  où  je  suis,  vous  y  serez 
avec  moi.  Vous  m'avez  reçu  dans  votre  maison,  et 
moi  je  vous  recevrai  dans  mon  paradis  ;  ceux  qui  vous 
invoqueront,  je  les  exaucerai  par  amour  pour  vous.  » 
L'heure  de  sa  mort  approchant,  elle  se  fit  transporter 
^^hors,  afin  de  pouvoir  regarder  le  ciel  ;  et  elle  or- 
^ionna  qu'on  la  posât  par  terre  sur  de  la  cendre  ;  en- 
suite qu'on  lui  tint  une  croix  devant  elle  :  et  elle  fit 
celle  prière  :  «  Mon  cher  hôte,  gardez  votre  pauvre 
petite  ser\'ante  ;  et  comme  vous  avez  daigné  demeurer 
^^*ec  moi,  recevez-moi  de  même  dans  votre  céleste 
^temeure.  »   Elle  se  fit  ensuite  lire  la  Passion  selon 
^*nt  Luc,  et  quand  on  fut  arrivé  à  ces  mots  :  «  Mon 
père,  je  remets  mon  âme  entre  vos  mains  »,  elle  rendit 
'esprit.  Le  jour  suivant  qui  était  un  dimanche,  comme 
on  célébrait  les  laudes  auprès  de  son  corps,  vers  l'heure 
de  tierce,  Notre-Seigneur  apparut  à  saint  Front  qui 
célébrait  la  messe  à  Périgueux,  et  qui,  après  Tépître, 
s'était  endormi  sur  sa  chaire  :  «  Mon  cher  Front,  lui 
dit-il,  si  vous  voulez  accomplir  ce  que  vous  avez  au- 
trefois promis  à  noire  hôtesse,  levez-vous  vite  et  sui- 
vez-moi. »  Saint  Front  ayant  obéi  à  cet  ordre,  ils  vin- 
rent ensemble  en  un  instant  à  Tarascon  où  ils  chantè- 
rent des  psaumes  autour  du  corps  de  sainte  Marthe 
et  firent  tout  l'office,  les  autres  leur  répondant  ;  en- 


312  LA    LEGENDE    DORÉE 

suite  ils  placèrent  de  leurs  mains  son  corps  dans  le 
tombeau.  Mais  à  Pérîgueux,  quand  on  eut  terminé  c^* 
qui  était  à  chanter,  le  diacre  qui  devait  lire  l'évangile, 
ayant  éveillé  Tévéque  en  lui  demandant  la  bénédiction, 
celui-ci  répondit  à  moitié  endormi  :  «  Mes  frères,  pour- 
quoi me  réveillez- vous?  Notre-Seigneur  J.-^C.  m'a  con- 
duit où  était  le  corps  de  Marthe,  son  hôtesse,  et  nous 
lui  avons  donné  la  sépulture  :  envoyez-y  vite  des  mes- 
sagers pour  nous  rapporter  notre  anneau  d'or  et  nos 
gants  gris  que  j'ai  ôtés  afin  de  pouvoir  ensevelir  le 
corps,  je  les  ai  remis  au  sacriste  et  les  ai  laides  par 
oubli,  car  vous  m'avez  éveillé  si  vile  !  »  On  envoya 
donc  des  messagers  qui  trouvèrent  tout  ainsi  que  Té- 
véque  avait  dit  ;  ils  rapportèrent  l'anneau  et  un  seul 
gant,  car  le  sacriste  retint  l'autre  comme  preuve  de  ce 
qui  s'était  passé.  Saint  Front  ajouta  encore  :  «  Comme 
nous  sortions  de  l'église  après  l'inhumation,  un  frère 
de  ce  lieu,  qui  était  habile  dans  les  lettres,  nous  suivi( 
pour  demander  au  Seigneur  de  quel  nom  il  l'appelle- 
rait. Le  Seigneur  ne  lui  répondit  rien,  mais  il  lui  mon- 
tra un  livre  qu'il  tenait  tout  ouvert  à  la  main,  dans  le- 
quel rien  autre  chose  n'était  écrit  que  ce  verset  :  «  La 
«  mémoire  de  mon  hôtesse  qui  a  été  pleine  de  juslict? 
«  sera  éternelle;  elle  n'aura  pas  à  craindre  d'entendre 
«  des  paroles  mauvaises  au  dernier  jour  (Ps.  m).  »  Le 
frère,  qui  parcourut  chaque  feuillet  du  livre,  y  trouva 
ces  mots  écrits  à  chaque  page.  Or,  comme  il  s'opérait 
beaucoup  de  miracles  au  tombeau  de  sainte  Marthe, 
Clovis,  roi  des  Francs,  qui  s'était  fait  chrétien  et  qui 
avait  été  baptisé  par  saint  Remy,  souffrait  d'un  grand 
mal  de  reins  ;  il  vint  donc  au  tombeau  de  la  sainte  et 


SAINT   ABDON    ET    SAINT   SENNEN  313 

y  oblinl  une  entière  guérison.  C'est  pourquoi  il  dota  ce 
lieu,  auquel  il  donna  une  terre  d'un  espace  de  trois 
imlles  à  prendre  autour  sur  chacune  des  rives  du 
Rhône,  avec  les  métairies  et  les  châteaux,  en  affran- 
chissant le  tout.  Or,  Martille,  sa  servante,  écrivit  sa 
vie;  ensuite  elle  alla  dans  TEsclavonie  où,  après  avoir 
prêché  Tévangîle,  elle  mourut  en  paix  dix  ans  après 
le  décès  de  sainte  Marthe, 


SAINT  ABDON  ET  SAINT  SENNEN* 

Abdon  et  Sennen  souffrirent  le  martyre  sous  l'em- 
pereur Dèce,  qui,  après  avoir  soumis  la  Babylonie  avec 
d'autres  provinces,  et  y  avoir  trouvé  des  chrétiens,les 
emmena  avec  lui  à  la  ville  de  Cordoue  où  il  les  fit 
mourir  par  différents  supplices.  Deux  vice-rois,  Abdon 
et  Sennen,  prirent  leurs  corps  et  les  ensevelirent.  On 
les  accusa  de  cette  action  auprès  de  Dèce  qui  les  fit 
comparaître  devant  lui.  On  les  chargea  de  chaînes  et 
on  les  conduisit  à  Rome,  où  ils  comparurent  devant 
l'empereur  et  devant  le  Sénat;  on  leur  dit  qu'ils 
avaient  ou  à  sacrifier  et  qu'alors  ils  rentreraient  libres 
dans  leurs  états,  ou  à  se  voir  condamnés  à  être  la  pâ- 
ture des  bêtes  féroces.  Ils  ne  manifestèrent  que  du 
mépris  pour  les  idoles  sur  lesquelles  ils  crachèrent; 
après  quoi  ils  furent  traînés  à  Tamphithéâtre  où  on 
lâcha  sur  eux  deux  lions  et  quatre  ours,  qui,  loin  de 

« 

*  Bréviaire  romain.  Ce  récit  est  conforme  aux  actes  publics 
par  les  Bollandistes. 


314  LA   LÉGENDE    DOREE 

toucher  ces  saints^  en  furent  même  les  gardiens.  On 
les  fit  donc  mourir  par  le  glaive,  après  quoi  on  leur 
lia  les  pieds  et  on  les  traîna  jusqu'à  l'idole  du  soleil 
devant  laquelle  on  les  jeta.  Au  bout  de  trois  jours,  le 
sous-diacre  Quirinus  vint  les  recueillir  et  les  ensevelit 
dans  sa  maison.  Ils  souffrirent  vers  Tan  du  Seigneur 
253.  Du  temps  de  Constantin,  ces  martyrs  révélèrent 
oi^i  étaient  leurs  corps  que  les  chrétiens  transférèrent 
dans  le  cimetière  de  Pontieu.  Par  leur  mérite  Dieu 
y  accorde  de  nombreux  bienfaits  au  peuple. 


SAINT  GERMAIN,  ÉVÊQUE 

Germain  vient  de  germe,  et  ana,  qui  veut  dire  en  haut,  c'est 
donc  un  îçerme  d'en  haut.  On  trouve  en  effet  trois  qualités 
dans  le  blé  qui  germe,  savoir  une  chaleur  naturelle,  une  hu- 
midité nutritive,  et  un  principe  de  semence.  De  là  vient  que 
saint  Germain  est  appelé  une  semence  en  germe  :  car  il  pos- 
séda une  chaleur  produite  par  l'ardeur  de  son  amour,  une 
humiditr  qui  développa  sa  dévotion,  et  un  principede  semence 
puisque,  par  la  force  de  sa  prédication,  il  engendra  beaucoup 
dt'  monde  à  la  foi  et  aux  bonnes  mœurs.  Le  prêtre  Constantin 
écrivit  sa  vie  qu'il  adressa  .^  saint  Cinsurius,  évèque  d*Au- 
xcrre  *. 

Germain  naquit  à  Auxerre  d'une  famille  des  plus 
nobles.  Après  de  lon^^ues  études  consacrées  aux  arts 
libéraux,  il  partit  pour  Rome  afin  de  se  former  à  la 
science  du  droit.  Il   s'y  acquit  tant  de  considération 

*  Héricus,  moine  d'Auxerre,  a  écrit  sa  vie  en  vers  et  ses  mi- 
racles en  prose. 


SAINT    GERMAIN,    ÉVÉQUE  315 

^vie  le  Sénat  l'envoya  dans  les  Gaules  pour   remplir 
«es  fonctions  de  gouverneur  de  toute  la  Bourgogne. 
**^  Auxerre  qu'il  affectionnait,  il  possédait,  au  milieu 
^G  la  ville,  un  pin  aux  branches  duquel  il  suspendait, 
pour  qu'on  les  admirât,  les  têtes  des  bé tes  fauves  tuées 
P^F  lui  à  la  chasse.  Mais  saint  Amateur,  évéque   de 
^cite  ville,  le  gourmandait  souvent  de  cette  vanité,  et 
'*'*'  conseillait  même  de  faire  abattre  cet  arbre  dans  la 
^''^inle  de  quelque  mauvais  résultat  pour  les  chrétiens. 
^^>  Germain  n'y  voulait  absolument   pas  consentir. 
-^^is  un  jour  qu'il    était  absent,  saint  Amateur   fit 
^<^uper  et  brûler   ce  pin.  Quand  Germain  Tapprit,  il 
^^i>lia    les   sentiments   que   lui  inspirait  la  religion 
^*"^tienne  et  revint  à  la  ville  avec  des  soldats,  dans 
^     clessein  de  faire  mourir  l'évéque  :  mais  celui-ci,  qui 
^  ^"^^ît  appris  par  révélation  que  Germain  devait  un  jour 
^^    succéder,  céda  devant  sa  fureur  et  gagna  Autun. 
^Vi  après,  il  revint  à  Auxerre  et  ayant  attiré  Germain 
^'•^s  l'église,  il  le  tonsura  en  lui  prédisant  qu'il  devait 
^  ^^«  son  successeur.  Ce  qui  eut  lieu  :  car  quelque  temps 
ï^rès  l'évéque  mourut  en  saint  et  le  peuple  demanda 
^  ^unanimité  Germain  pour  évéque.  Il  distribua  tous 
^^s  biens  aux  pauvres,  traita  sa  femme  comme  si  elle 
^^t  été  sa  sœur,  et  pendant  trente  ans,  il  mortifia  tel- 
lement son  corps  que  jamais  il  n'usa  de  pain  de  fro- 
ment, ni  de  vin,  ni  d'huile,  ni  de  légumes,  ne  mangeant 
même  rien  qui  fût  accommodé  avec  du  sel.  Deux  fois 
/'an  cependant,  savoir  :  à  Pâques  et  à  Noël,  il  prenait  du 
vin,  encore  il  y  mêlait  tant  d'eau  qu'il  n'y  avait   plus 
goût  de  vin.  Il  commençait  ses  repas  en  prenant  d'a- 
bord de  la  cendre  ;  ensuite  il  mangeait  du  pain  d'orge. 


316  LA    LÉGENDE    DOREE 

Son  jeûne  était  continuel,  car  il  ne  mangeait  jamais 
que  sur  le  soir.  L'été  comme  l'hiver,  il  avait  pour  tout 
vêtement  un  cilice  et  une  coule.  El  quand  il  ne  lui 
arrivait  pas  de  donner  cet  habit  à  quelqu'un,  il  le 
portait  jusqu'à  ce  qu'il  fût  tout  usé  et  en  lambeaux. 
Les  ornements  de  son  lit,  c'était  la  cendre,  un  cilice 
et  un  sac  :  il  n'avait  pas  de  coussin  pour  tenir  sa  tête 
plus  élevée  que  les  épaules,  mais  toujours  dans  les  gé- 
missements, il  portait  à  son  cou  des  reliques  des 
saints  ;  jamais  il  ne  quittait  son  vêtement,  rarement 
sa  chaussure  et  sa  ceinture.  Tout  dans  sa  conduite 
était  au-dessus  des.forces  d'un  homme.  Sa  vie  fut  telle 
en  effet  qu'il  eût  été  incroyable  de  la  concevoir  sans 
miracles  ;  mais  ils  furent  si  nombreux  qu'on  les  croi- 
rait imaginés  à  plaisir,  si  les  mérites  qu'il  avait  acquis 
n'avaient  précédé  ces  prodiges. 

Un  jour  qu'il  avait  reçu  l'hospitalité  dans  un  endroit, 
il  fut  étonné  de  voir,  après  le  souper,  apprêter  la  ta- 
ble, et  il  demanda  pour  qui  on   préparait  un  second 
repas.  Comme  on  lui  disait  que  c'était  pour  les  bon- 
nes femmes  qui  voyagent  pendant  la  nuit,  saint  Ger- 
main prit  la  résolution  de  veiller  celte  nuit-là;  et  il  vit 
luie  foule  de  démons  qui  venaient   se  mettre  à  table 
sous  la  forme  d'hommes  et  de  femmes.  Il  leur  défen- 
dit de  s'en  aller,  réveilla  tous  les  membres  delà  mai- 
son et  leur  demanda  s'ils  connaissaient  ces  personnes. 
On  lui  répondit  que  c'étaient  tous  les  voisins  et  voi- 
sines ;  alors  en  commandant  aux  démons  de  ne  pas 
s'en  aller,  il  envoya  au  domicile  de  chacun  d'eux,  et' 
on  les  trouva  tous  dans  leur  lit.  Saint  Germain  les  con- 
jura ;  et  ils   dirent  qu'ils  étaient  des   démons  qui  se 


SAINT   GERMAIN,    évÊQUE  317 

jouaient  ainsi  des  hommes.  En  ce  temps-là,  florissait 
le  bienheureux  saint  Loup,  évêque  de  Troyes.  Quand 
Attila  attaquait  cette  ville,  le  bienheureux  Loup  lui 
demanda  de  dessus  la  porte  à  haute  voix  qui  il  était 
pour  venir  fondre  ainsi  sur  eux.  «  Je  suis,  lui  répon- 
dit-il, Attila,  le  fléau  de  Dieu.  »  L'humble  prélat  lui  ré- 
pliqua avec  gémissement  :  «  Et  moi  je  suis  Loup  ;  hé- 
las I  je  ravage  le  troupeau  de  Dieu  et  j'ai  besoin  d'être 
frappé  par  le  fléau  de  Dieu.  »  Et  à  l'instant  il  fit  ou- 
vrir les  portes.  Mais  Dieu  aveugla  les  ennemis  qui  pas- 
sèrent d'une  porte  à  l'autre,  sans  voir  personne  et  sans 
faire  aucun  mal.  Le  bienheureux  Germain  prit  avec  lui 
saint  Loup  et  partit  pour  les  îles  Britanniques  où  pullu- 
laient les  hérétiques;  et  comme  ils  étaient  sur  la  mer, 
une  tempête  extraordinaire  s'élevaj;  mais  à  la  prière 
de  saint  Germain,  il  se  fit  aussitôt  un  grand  calme. 
Ils  furent  reçus  avec  de  grands  honneurs  par  le  peu- 
ple ;  leur  arrivée  avait  été  annoncée  par  les  démons 
que  saint  Germain  avait  chassés  des  obsédés.  Après 
qu'ils  eurent  convaincu  les  hérétiques,  ils  retournèrent 
en  leur  propre  pays. 

Germain  était  couché  malade  dans  un  endroit, 
quand  soudain  un  incendie  embrasa  toute  la  bourgade. 
On  le  priait  de  se  laisser  emporter  pour  échapper  à 
la  flamme,  mais  il  voulut  rester  exposé  à  l'incendie,  et 
le  feu,  qui  consuma  tout  à  droite  et  à  gauche,  ne  tou- 
cha pas  à  l'habitation  où  II  se  trouvait.  Comme  il 
retournait  une  seconde  fois  en  Bretagne  pour  confondre 
les  hérétiques,  un  de  ses  disciples,  qui  l'avait  suivi  en 
toute  hâte,  tomba  malade  à  Tonnerre  et  y  mourut. 
Saint  Germain,  revenant  sur  ses  pas,  fit  ouvrir  le  se- 


318  LA   LÉGENDE    DORÉE 

pulcre  et  demanda  au  mort,  en  Tappélant  par  sori- 
nom,  ce  qu'il  faisait,  s'il  désirait  encore  combattra 
avec  lui.  Celui-ci  se  leva  sur  son  séant  et  répondit  qu'il 
goûtait  des  douceurs  infinies  et  qu'il  ne  voulait  pas 
être  rappelé  désormais  sur  la  terre.  D'après  le  consen- 
tement que  lui  donna  saint  Germain  de  rester  dans  le 
repos,  il  déposa  sa  tête  et  se  rendormit  de  nouveau 
dans  le  Seigneur  *.  Pendant  le  cours  de  ses  prédica- 
tions, le  roi  delà  Bretagne  lui  refusa  l'hospitalité  aussi 
bien  qu'à  ses  compagnons.  Le  porcher  du  roi,  qui  re- 
venait de  faire  pattre  ses  bétes,  en  rapportant  à  sa 
chaumière  des  provisions  qu'il  avait  reçues  au  palais, 
vit  le  bienheureux  Germain  et  ses  compagnons  acca- 
blés de  faim  et  de  froid  ;  il  les  accueillit  avec  bonté 
dans  sa  maison,  et  commanda  qu'on  tuât  pour  ses 
hôtes  le  seul  veau  qu'il  possédât.  Après  le  souper,  saint 
Germain  fit  disposer  tous  les  os  du  veau  sur  sa  peau 
et  à  sa  prière  le  veau  se  leva  tout  aussitôt.  Le  lende- 
main, Germain  se  hâta  de  se  rendre  chez  le  roi  et  lui 
demanda  avec  force  pourquoi  il  lui  avait  refusé  l'hos- 
pitalité. Le  roi  grandement  saisi  ne  put  lui  répon- 
dre ;  alors  G/ermain  lui  dit  :  «  Sors  et  cède  le  royaume 
à  meilleur  que  toi.  »  Et  par  un  ordre  qu'il  reçut  de 
Dieu,  Germain  fit  venir  le  porcher  avec  sa  femme  et  en 
présence  de  la  multitude  étonnée,  il  le  constitua  roi  ; 
et  depuis  lors  ce  sont  les  descendants  du  porcher  qui 
î^ouvernentla  nation  des  Bretons**.  Les  Saxons  étaient 
en  guerre  avec  les  Bretons  et  se  voyaient  inférieurs 

*  Héricus,  moine  d'Auxerre,  qui  a  écril  la  vie  et  les  mira- 
cles du  saint. 
**  Ibid.,  c.  VI 11. 


SAINT    GERMAIN,    ÉVÊQUE  319 

<^n  nombre,  ils  appelèrent  alors  les  saints  qui  passaient 
parla;  ceux-ci  les  instruisirent  et  tous  accoururent  à 
i'envi  pour  recevoir  le  baptême.   Le  jour  de  Pâques, 
transportés  par  la  ferveur  de  leur  foi,  ils  jettent  leurs 
urines  décote  et  se  proposent  de  combattre  avecgrand 
<"ourage;  les  ennemis,  à  cette  nouvelle,  se  ruent  avec 
audace  contre  des  gens  désarmés;  mais  Germain,  qui 
*^®  tenait  caché  avec  les  siens,  les  avertit  tous,   que 
^uand  il  crierait  lui-même  Alléluia,  ils  lui -répondis- 
sent ensemble  en  poussant  le  même  cri.  Et  quand  ils 
^^urentfait,  une  terreur  tellement  grande  s'empara  des 
^•^ixemis  qui  se  précipitaient  sur  eux,  qu'ilsjetèrent 
*e^i*s  armes,  dans  la  persuasion  que  non  seulement  les 
'^oritagnes,  mais  encore  le  ciel  s'écroulaient  sur  leur 
^^^  ;  alors  ils  prirent  tous  la  fuite*.  Une  fois  qu'il  pas- 
J^*t,  par  Âutun,  il  vint  au  tombeau  de  saint  Cassien, 


^  ^<jue,  auquel  il  demanda  comment  il  se  trouvait.  Ce- 
^^^ci  lui  répondit  de  son  cercueil  ces  mots  qui  furent 


l 


'^^«ndusde  tous  les  assistants:  a  Je  jouis  d'un  doux 
^^^os,  et  j'attends  la  venue  du  rédempteur.  »  EtGer- 
^^Hin  lui  dit  :  «  Reposez  encore  longtemps  en  J.-C,  et 
^^^tercédez  pour  nous  avec  ferveur,  afin  que  nous  mé- 
^Uions  d'obtenir  les  joies  de  la  sainte  résurrection.  » 
A.  son  arrivée  à  Ravenne,  il  fut  reçu  avec  honneur  par 
l'impératrice  Placidieetpar  son  fils  Valentinien.  Quand 
vint  l'heure  du  repas,  la  reine  lui  envoya  un  magnifi- 
que vase  d'argent  rempli  de  mets  exquis  ;  il  le  reçut, 
mais  ce  fut  pour  distribuer  les  mets  à  ceux  qui  rac- 
compagnaient et  pour  donner  aux  pauvres  l'argent  du 


Ibid. 


320  LA    LÉGENDE    DORÉE 

vase  qu'il  garda  par  devers  lui.  Pour  tenir  Heu  de  pré- 
sent, il  envoya  à  Timpératrice  une  écuellede  boisdans 
laquelle  était  un  pain  d'orge  ;  ce  qu'elle  reçut  de  bonne 
grâce  et  dans  la  suite  elle  fit  enchâsser  cette  écuelle 
dans  de  l'argent. 

Une  fois  encore,  Timpéralrice  l'invita  à  un  dtner 
que  le  saint  accepta  avec  bonté.  Or,  comme  il  était 
exténué  par  les  jeûnes,  la  prière  et  les  travaux,  il  se 
fit  conduire  sur  un  âne  depuis  son  logement  jusqu'au 
palais  :  mais  pendant  le  repas,  l'âne  de  saint  Germaini 
mourut.  La  reine,  qui  l'apprit,  fit  offrir  à  l'évêque  ur 
cheval  extrêmement  doux.  Quand  le  saint  l'eut  vu,  ià 
dit  :  «  Qu'on  m'amène  mon  âne,  parce  que,  comm^ 
il  m'a  amené,   il   me  remènera.  »   Et  allant  vers  ■ 
cadavre  :  «  Lève-toi,  dit-il,  âne,  retournons  au  logis. 
Aussitôt   l'âne    se  leva,    se   secoua,  et   comme   s*" 
n'avait  éprouvé  aucun  mal,  il  porta  Germain  à  scii 
hôtellerie.  Mais  avant  de  sortir  de  Ravenne,  Germa_ 
prédit  qu'il  n'avait  plus  longtemps  à  rester  sur 
terre.   Peu  de   temps  après,  la  fièvre  le  saisit  et     j 
septième  jour  il  s'endormit  dans  le  Seigneur  :  soi 
corps  fut  transporté  dans  les  Gaules,  selon  qu'il  l'ava/- 
demandé    à    l'impératrice.    11    mourut   vers   l'an   du 
Seigneur  430. 

Saint  Germain  avait  promis  à  saint  Eusèbe  de  con- 
sacrer à  sa  place,  quand  il  reviendrait,  une  église  que  le 
saint  évoque  de  Verceil  avait  fondée.  Mais  quand  il  eut 
appris  le  trépas  du  bienheureux  Germain,  saint  Eu- 
sèbe fit  allumer  des  cierges  pour  consacrer  lui-même 
son  église.  Or,  plus  on  les  allumait,  plus  ils  s'étei- 
gnaient. Eusèbe  comprit  par  là  que  la  dédicace  devait 


V 


SAINT    EUSÈBE  321 

Are  remise  à  une  autre  époque,  ou  bien  qu'elle  de- 

^"aît  être  faite  par  un  autre  évêque.  Mais  lorsque  le 

^^orps  de  saint  Germain  fut  amené  à  Verceil,  et  qu'on 

'  e^t  fait    entrer   dans   Téglise,  à   l'instant  tous  les 

Cierges  s'allumèrent  par  miracle.  Alors  saint  Eusèbe 

®^     souvînt  de  la  promesse  du  bienheureux  Germain, 

^^      il  comprit  qu'il  avait  exécuté,  après  sa  mort,  ce 

9* ^  ""il  avait  promis  de  faire  étant  en  vie.  Il  ne  faut  pas 

^*^*^ire  qu'il  soit  ici  question   du  grand   Eusèbe   de 

rceil;  celui-ci    mourut   du   temps   de   Tempereur 

lens,  et  il  s*écoula  plus  de  50  ans  depuis  sa  mort 

J**  -^^u'à  celle  de  saint  Germain.  Ce  fut  sous  un  autre 

*^^^  sèbe,  qu'arriva  ce  qui  vient  d'être  raconté. 


SAIiNT  EUSÈBE 

eusèbe  est  ainsi  appelé  de  eu,  qui  veut  dire  bien  et,  sebe, 
■  signifie  éloquence  ou  poste.  Eusèbe  s'interprète  encore 
a  culte.  En  effet  il  fut  rempli  de  bonté,  en  se  sanctifiant, 
loquence  en  défendant  la  foi,  il  resta  à  son  poste  en  souf- 
Qt  le  martyre  avec  constance  ;  et  il  rendit  à  Dieu  un  bon 

Ite  par  le  respect  qu*il  eut  pour  lui. 

Eusèbe,  qui  conserva    sa  vir|çinité,   n'était    encore 

^Ue  catéchumène  quand   il  fut  baptisé  par  le  pape 

eusèbe  qui  lui  donna  son  nom.  A  son  baptême,  on 

"^it  les  mains  des  ançes  le  lever  des  fonts  sacrés.  Une 

dame,  qui  s'était  éprise  de  sa  beauté,  voulut  entrer 

dans  sa  chambre,  mais  elle  en  fut  empêchée  par  les 

anges  qui  le  gardaient  :  alors  elle  vint  le  lendemain 

matin  se  jeter  à  ses  pieds  et  lui  demander  pardon. 

II.  21 


à 


3ââ  LA  LÉGENDE   DORÉE 

Après  avoir  été  ordonné  prêtre,  il  brilla  par  une  saii 
teté  telle  que  dans  la  solennité  de  la  messe,  on  voya 
les  anges  qui  le  servaient.  En  ce  temps^à,  cornu 
rhérésie  d'Ârius  infectait  Tltalie  entière  de  ses  po 
sons,  favorisée  qu'elle  était  par  l'empereur  Com 
tance,  le  pape  Julien  sacra  Eusèbe  évéque  de  Vei 
ceil  :  c'était  alors  une  des  principales  villes  de  l'Italie 
A  cette  nouvelle,  les  hérétiques  firent  fermer  tout 
les  portes  de  l'église  ;  mais  Eusèbe  étant  entré  da. 
la  ville,  se  mit  à  genoux  à  la  porte  de  l'église  prin  - 
pale  dédiée  à  la  bienheureuse  Marie,  et  à  l'instai 
toutes  les  portes  s'ouvrirent  à  sa  prière,  il  chassa 
son  siège  Maxence,  évéque  de  Milan,  qui  était  g-:^ 
par  le  poison  de  l'hérésie,  et  il  établit  en  sa  pbe 
Denjs,  fervent  catholique.  C'est  ainsi  qu'Eusèbe 
Occident  et  Athanase  eu  Orient  purgeaient  l'Eglise 
la  peste  des  Ariens.  Cet  Arius  était  un  prêtre  d^- 
lexandrio  :  il  prétendait  que  le  Christ  était  une  pu 
créature  :  il  avançait  ce  qu'il  était,  quand  il  n'é€i 
pas,  et  qu*il  a  été  fait  pour  nous,  afin  que  DieiE 
servît  de  lui  comme  d'un  instrument  pour  notre  cré^ 
lion.  Alors  le  grand  Constantin  fit  célébrer  le  concîJ 
de  Nicée  ou  cette  erreur  fut  condamnée.  Arius  fimX 
quelque  temps  après,  d'une  mort  misérable,  car  iî 
rendit  dans  le  lieu  secret  toutes  ses  entrailles  et  ses 
intestins.  *  Constance,  fils  de  Constantin,  se  laissa 
corrompre  aussi  par  l'hérésie  ;  c'est  pour  cela  qu  ir 
rite  grandement  contre  Eusèbe,  il  convoqua  en  concil 

*  Uurfiii, ///.s7.  AVc/.  liv.  X;  —  Vincent  de  B.,  lîv.  XV,  c.  xi 
an  330. 


SAINT    EUSÊBE  323 

«eaucoup  d'évêques,  et  y  manda  Denys  :  il  adressa 

mainte  et  mainte  lettres  à  Eusèbe  qui,  sachant  que  la 

walice  prévaut  dans  la  multitude,  refusa  de  venir  et 

s'excusa  sur  son  grand  âge.  Alors  pour  lui  enlever  ce 

prétexte,  l'empereur  décida  que  le  concile  serait  célé- 

brék  Milan,  qui  était  tout  proche.  Quand  il  vit  que 

Eiisèbe  faisait  encore  défaut,  il  ordonna  aux  Ariens 

de   mettre  par  écrit  leur  croyance,  il   força  Denys, 

évêque  de  Milan,  et  trente-trois  autres  évoques  de 

souscrire  à  cette  doctrine.  Quand  Eusèbe  apprit  cela, 

ï'  se  décida  à  quitter  sa  ville  pour  venir  à  Milan  et  il 

Pï'édit  qu'il  y  serait  exposé  à  souffrir  beaucoup  *. 

Comme  il  était  sur  le  chemin  de  Milan,  il  arriva 
*^r  le  bord  d'un  fleuve  ;  une  barque,  qui  était  sur  la 
^^^e  opposée,    vint  à  lui,    sur  l'ordre  qu'il   lui   en 
^onna  ;   elle  le  transporta  à   l'autre  rive,   lui  et  ses 
^^nipagnons,  sans  qu'il  y  eût  aucun  timonier.  Alors 
^^ysy  dont  il  vient  d'être  question,  alla  à  sa  rencon- 
^^  et  se  jeta  à  ses  pieds  pour  lui  demander  pardon. 
^^y  comme  Eusèbe  ne  se  laissait  fléchir  ni  par  les  me- 
^^^es  ni  par  les  flatteries  de  l'empereur,   il   dit  en 
P^'^sence  de  toute  l'assemblée  :  «  Vous  avancez  que 
'^  ï*^ils  est  inférieur  au  Père  ;  comment  se  fait-il  donc 
1^^  vous  m'avez  fait  passer  après  mon  fils  et  mon 
d^^ciple?  Or,  le  disciple  n'est  pas  au-dessus  du  maître, 
1^^  Vesclave  plus  que  son  seigneur,  ni  le  fils  au-dessus 
à\x  père.  »  Frappés  par  cette  raison,  ils  lui  présentè- 
rent l'écrit   qu'ils   avaient  fait    et  que   Denys  avait 
^içné.  Et  il  dit  :  «  Je  ne  souscrirai  pas  après  mon 

*  Bréviaire  romain. 


324  LA   LÉGENDE  DOREE 

fils  sur  lequel  je  remporte  en  autorité  ;  mais  brûlez 
cet  écrit  y  et  faites-en  un  autre  que  je  signerai,  si  vous 
le  voulez.  »  Et  ce  fut  par  une  inspiration  divine  que 
fut  brûlé  l'écrit  que  Denys  et  trente-trois  autres  évo- 
ques avaient  signé.  Les  Ariens  écrivirent  donc  une 
autre  pièce,  et  la  donnèrent  à  Eusèbe  et  aux  autres 
évèques  pour  la  signer  :  mais  sur  ios  exhortations 
d'Eusèbe  ils  s'y  refusèrent  entièrement,  et  ils  se  féli- 
citèrent de  ce  que  la  première  pièce  qu  ils  avaient  été 
forcés  de  souscrire  eût  été  totalement  brûlée.  Cons- 
tance irrité  abandonna  Eusèbe  au  bon  plaisir  des 
Ariens.  Alors  ceux-ci  le  saisirent  au  milieu  des  évo- 
ques, l'accablèrent  de  coups,  et  le  traînèrent  sur  les 
degrés  du  palais,  du  haut  en  bas,  et  depuis  le  bas 
jusqu'en  haut.  Quoiqu'il  perdît  beaucoup  de  sang  de 
sa  tète  meurtrie,  il  n*en  persista  pas  moins  dans  ses 
refus  ;  alors,  ils  lui  lièrent  les  mains  derrière  le  dos 
et  le  tirèrent  par  une  corde  attachée  au  cou.  Quant  à 
lui,  il  rendait  grâces  à  Dieu,  en  disant  qu'il  était  prêt  à 
mourir  pour  confesser  la  foi  catholique.  Alors  Cons- 
tance fit  conduire  en  exil  le  pape  Libère,  Denys, 
Paulin  cl  tous  les  autres  évèques  qui  avaient  été  en- 
traînés i>ar  l'exemple  d'Eusèbe.  Scylopolis,  ville  de  la 
Palestine,  fut  le  lieu  où  les  Ariens  menèrent  Eusèbe  : 
ils  le  renfermèrent  dans  une  pièce  si  étroite  qu'elle 
était  plus  courte  que  sa  taille,  et  plus  resserrée  que 
son  corps,  en  sorte  qu'il  était  courbé  au  point  de  ne 
pouvoir  ni  étendre  les  pieds,  ni  se  tourner  d'un  côté 
ou  d'un  autre.  Sa  tète  restait  baissée,  et  il  pouvait 
seulement  remuer  les  épaules  et  les  bras.  Mais  Cons- 
tance   étant    mort,   Julien,  son  successeur,   désirant 


LES   SAINTS    MACCHABÉES  325 

plaire  à  tout  le  monde,  fit  rappeler  les  évêques  exilés, 
rouvrir  les  temples  des  dieux,  et  voulut  que  chacun 
jouft  de  la  paix  sous  la  loi  qu'il  préférait  choisir.  Ce 
Alt  ainsi  que  Eusèbe,  délivré  de  son  cachot,  vint  trou- 
ver Atlianase  et  lui  exposer  toutes  les  souffrances 
qu*îl  avait  endurées.   A   la  mort  de  Julien  et    sous 
l'empire  de  Jovinien,  les  Ariens  restant  calmes,  Eu- 
sèbe revint  à  Verceil  où  le  peuple  le  reçut  avec  des 
(émoigpnages  d*une  vive  allégresse.  Mais  sous  le  règne 
de    Valens,  les   Ariens,  qui   s'étaient  multipliés   de 
nouveau,  entourèrent  la  maison  d^Eusèbe,  l'en  arra- 
chèrent et  après  l'avoir  traîné  sur  le  dos,  ils  l'écrasè- 
rent  sous  des   pierres.  Il  mourut  de  celte   manière 
dans  le  Seigneur  et  fut  enseveli  dans  l'église  qu'il 
avait  construite.   On    rapporte   encore   que    Eusèbe 
obtint  de  Dieu  par  ses  prières  pour  sa  ville  qu'aucun 
Arien  n'y  pourrait  vivre.   D'après  la  chronique,   il 
vécut  au  moins  88  ans.  Il  florissait  vers  l'an  du  Soi- 
t^neur  350. 


LES  SAINTS  MACCHABEES 

Les  Macchabées  furent  sept  frères,  qui,  avec  leur 
révérende  mèreel  leur  père  Eléazar.  n'ayant  pas  voulu, 
par  respect  pour  la  loi,  manger  de  la  viande  de  pour- 
ceau, souffrirent  des  supplices  inouïs,  dont  on  [)eut 
trouver  un  plus  ample  récit  au  11^  livre  des  Maccha- 
bées. Il  faut  remarquer  que  TEglise  d'Orient  célèbre 
la  fôte  des  saints  de  l'un  et  de  l'autre  Testament,  tan- 
dis que  l'église  d'Occident  ne  fait  pas  la  fêle  des 
H.  21- 


326  LA    LÉGENDE    DORÉE 

saints  de  TAncien,  par  la  raison  qu'ils  sont  descen- 
dus aux  enfers.  Il  faut  en  excepter  les  Innocents, 
parce  que  J.-C.  a  été  tué  dans  chacun  d'eux,  et  les 
Macchabées.  11  y  a  quatre  raisons  pour  lesquelles  l'E- 
glise fait  la  mémoire  solennelle  de  ces  derniers,  bien 
qu'ils  fussent  descendus  aux  enfers.  La  première  est 
qu'ils  ont  la  prérogative  du  martyre.  Ayant  en  effet 
enduré  des  supplices  inouïs  parmi  les  saints  de  l'An- 
cien Testament,  il  était  juste  qu'on  célébrât  la  mémoire 
de  leur  martyre.  Cette  raison  est  donnée  dans  Vllis- 
ioire  scholasiique.  La  deuxième  est  pour  rappeler  un 
mystère.  Le  nombre  septennaire  est  le  nombre  uni- 
versel*. Dans  les  Macch'àbées  sont  représentés  tous 
les  pères  de  l'Ancien  Testament  qui  sont  dignes  de 
réputation.  En  effet,  bien  que  l'Eglise  ne  célèbre  pas 
leur  fête,  tant  parce  qu'ils  sont  descendus  dans  les 
limbes,  que  parce  qu'il  est  survenu  une  multitude  de 
nouveaux  saints,  cependant,  dans  ces  sept  martyrs, 
elle  montre  le  respect  qu'elle  a  pour  tous  les  autres, 
puisque  ce  nombre  sept,  ainsi  qu'il  vient  d'être  dit, 
est  un  nombre  universel  et  général.  La  troisième  est 
pour  offrir  un  exemple  dans  les  tribulations.  On  les 
propose  comme  un  modèle  aux  fidèles,  afin  que  la 
constance  de  ces  saints  les  anime  de  zèle  pour  la  foi, 
et   les   porte   à   souffrir    pour    la   loi    de   l'Évangile, 

■  X'oici  ce  que  dit  saiiil  Augasliii  au  sujet  du  nombre  sep- 
tennaire (Cité  de  Dieu,  lih.  II,  ch.  xxxi).  On  pourrait  s'étendre 
beaucoup  sur  la  perfection  du  nombre  septennaire...  Le  pre- 
mier nombre  tout  impair  est  trois,  et  le  premier  tout  pair  es! 
«juatre;  la  summc  des  deux  forme  le  nombre  sept,  qui  est 
souvent  pris  pour  la  t^éuéralilé  des  nombres. 


SAINT    PIERRE    AUX    LIENS  327 

comme  les  Macchabées  ont  valeureusement  combattu 
pour  la  loi  de  Moïs^.  La  quatrième  est  tirée  du  motif 
<ie  leur  martyre  ;  car  ce  fut  pour  la  défense  de  leur  loi 
qu'ils  endurèrent  de  pareils  supplices,  comme  c'est 
pour  la  défense  de  la  loi  évangélique  que  souffrent  les 
chrétiens.  Ces  trois  dernières  raisons  sont  celles  que 

M*  Jean  Beleth  assigne  dans  sa  Somme  des  offices, 
chapitre  v. 


SAhNT  PIERRE  AUX  LIENS  * 

La  fétc  qui  est  appelée  de  saint  Pierre  aux  Liens  fut,  dil-ou, 
instituée  pourquatre  raisons  :  i^  la  délivrance  de  saint  Pierre  ; 
2<*  la  délivrance  d'Alexandre  ;  3°  pour  rappeler  la  destruction 
du  rite  des  gentils  et  4^  pour  demander  d'être  délivré  des  liens 
spirituels. 

I.  La  délivrance  de  saint  Pierre.  D'après  Vllisloire 
scholastique**y  Hérode  Agrippa  alla  à  Rome  où  il 
vécut  dans  l'intimité  deCaius,  neveu  de  Tibère  César. 
Or,  un  jour,  Hérode  élant  avec  Caius  sur  un  char, 
dit  en  levant  les  mains  au  ciel  :  «  Quel  désir  j'aurais 
<ie  voir  mourir  ce  vieillard,  pour  que  tu  sois  le  maîtn» 
de  tout  l'univers  !  »  Paroles  qui  furent  entendues  du 
cocher  d'Hérode  et  rapportées  tout  aussitôt  par  lui  à 

•  Sur  l'authenticité  des  chaînes  de  saint  Pierre,  conser- 
vées à  Rome  dans  Féglise  de  Saint-Pierre-aux-Liens,  consul- 
ter Cancellieri^  dans  son  ouvrage  intitulé  :  De  carcere  Tulliano, 
où  sont  consignés  tous  les  témoignages  sur  lesquels  repose 
cette  tradition. 

**  Actes,  ch.  Lvii. 


328  LA    LÉGENDE    DOREE 

Tibère.  Tibère  indigné  fit  en  conséquence  jeter  Hérod*^' 
en  prison.  Et  un  jour  qu'il  était  appuyé  contre  un 
arbre  sur  le  feuillage  duquel  était  perché  un  hibou  ^ 
un  de  ses  compagnons  de  captivité,  habile  dans  la 
science  des  augures,  lui  dit  :  «  Ne  crains  rien,  car 
bientôt  tu  seras  délivré,  et  tu  seras  élevé  si  haut  que 
tu  exciteras  contre  toi  l'envie  de  tes  amis  et  tu  mourras 
dans  cet  état  de  prospérité.  Mais  quand  tu  verras  au- 
dessus  de  toi  un  animal  de  cette  espèce,  tu  sauras  dès 
lors  qu'il  ne  te  reste  que  cinq  jours  à  vivre*.  »  Quel- 
que temps  après  Tibère  meurt  et  Caius,  élevé  à  l'em- 
pire, délivra  Hérode   qu'il  honora  de  la  dignité  de 
roi  de  Judée.  Quand  celui-ci  fut  arrivé  dans  ce  pays, 
il  employa  son  pouvoir  à  maltraiter   quelques  mem- 
bres de  l'Eglise.  D'abord  il  fit  mourir  par  l'épée  Jac- 
ques, frt*re  de  Jean,  avant  les  jours  de  l'octave  de 
Pâques,  ou  l'on  ne  mangeait  que  des  pains  azymes. 
Et  voyant  que  cela  plaisait  aux  Juifs,  il  fit  encore 
prendre  Pierre,  dans  le  même  temps,  et  le  mit  en  pri- 
son, avec  le  dessein  de  le  faire  mourir  devant  tout  le 
peuple,  après  la  fête  de  Pâques.  Mais  l'ange  du  Sei- 
gneur apparut  miraculeusement  à  Pierre,  le  délivra 
des  chaînes  qui  le  liaient  et  lui  ordonna  d'aller  rem- 
plir en   toute   liberté  le  ministère  de  la  prédication. 
Le  lendemain,  à  l'occasion  de  l'évasion  de  saint  Pierre, 
Ilérode  manda  les  gardes  afin  de  les  punir  rigoureu- 
sement. Il  ne  put  cependant  le  faire,  car  la  délivrance 
de  cet  apôtre  ne  devait  être  pour  qui  que  ce  fût  la 
cause  d'aucun  mal;  en  effet,  il  fut  obligé  d'aller  tout 

*  Histoire  scholas tique. 


SAINT    PIERRE    AUX    LIENS  329 

*le  suite  à  Césaréé,  où  il  expira  sous  le  coup  d'un 
ange,  Josèphe  rapporte  au  XIX*  livre  des  Antiquités 
hdûïqiies,  ch.  viii,  qu'arrivé  à  Césarée,  où  s'étaient 
réunis  les  habitants  de   toute  la  province,   Hérode, 
revêtu  d*un  habillement  magnifique,  tissu  d'or  et  d'ar- 
çent,  se  rendit  le  lendemain  au  théâtre.  Or,  quand 
'es  rayons  du  soleil  vinrent  frapper  sur  son  vêtement 
'oui  couvert  d'argent,  l'éclat  du  métal  étincelant  fai- 
*^il  vibrer,  par  la  répercussion,  sur  les  spectateurs, 
*"ïe  double   lumière  qui  devait  remplir  d'effroi  ceux 
'f*Ji  Tapercevaient,  et  par  le  moyen   de  cette  artifi- 
^*^Use  erreur,  on  était  porté  à  croire  qu'il  y  avait  en 
**i  quelque   chose  au-dessus  de  la  nature  humaine. 
''^    l'instant,   la  foule  des  flatteurs  se  mit  à  s  écrier  : 
^*    ''xisqu'à  présent,   nous    vous  avions   pris  pour  un 
*^*Tinie,  mais  aujourd'hui  nous  déclarons  que  vous 
^^^^  au-dessus  de  la   nature  humaine.  »    Or,  tandis 
*^*il  se  repaissait  de  ces  flatteries,  et  qu'il  acceptait 
^^ieusement  les  honneurs   divins    qu'on   lui  voulait 
^^dre,  il  leva  la  tête  et  vit  assis  sur  une  ficelle,  au- 
^ssus  de  sa  tête  un  ange,  c'est-à-dire  un  hibou,  qui 
^^  tîtait  que  le  messager  de  sa  mort  prochaine.  Alors 
^^    se  tourna  vers  le  peuple  et  dit  :    «  Moi,  qui  suis 
^*olre  Dieu,  voici  que  je  vais  mourir.  »  Car  il  savait, 
^l*après  la  prédiction  de  l'augure,  qu'il  mourrait  dans 
^inq  jours.  Alors  il  fut  frappé,   et  pendant  ces  cinq 
jours,  il  fut  rongé  par  les  vers  et  expira.  Ce  fut  donc 
en  mémoire  de  la  délivrance  si  miraculeuse  du  prince 
(les  apôtres,  et  de  la  vengeance  si  terrible  qui  fut  in- 
fligée immédiatement  à  ce  tyran,  que  l'Église  solen- 
nise  la  fête  de  saint  Pierre  aux  Liens.  De  là  vient  qu'à 


330  LA    LÉGENDE    DOREE 

la  messe  on  chante  Tépître  où  se  trouve  le  récît  de 
cette  délivrance  ;  il  paraîtrait  donc  par  là  que  Ton  de- 
vrait donner  à  cette  fête  le  nom  de  saint  Pierre  des 
Liens  (c'est-à-dire  délivré  des  liens). 

Venons  au  second  motif  de  l'institution  de  cette  fête. 

II.    Le  pape  Alexandre    qui  gouverna  TÉglise   le 
sixième  après   saint  Pierre,  et  Hermès,  préfet  de  la 
ville  de  Rome,  converti  à  la  foi  par  Alexandre,  étaient 
détenus  par  le  tribun  Quirinus  qui  les  enfermait  en 
des  lieux  différents  :  or,  le  tribun  dit  au  préfet  Her- 
mès :   «  Je  m'étonne  qu'un  homme,  prudent  comme 
toi,  renonce  à  Thonneur  d'être  préfet  et  rêve  une  autre 
vie.  »  Hermès  lui  répondit  :   «  Et  moi  aussi,   il  y  a 
quelques  années,  je  me  moquais  de  tout  cela,  et  pen- 
sais que  cette  vie   est  la  seule.    »  Quirinus  lui  dit  : 
«  Prouve-moi  que  tu  es  silr  d'une  autre  vie  et  à  l'ins- 
tant, je  serai  un  disciple  de  ta  croyance.  »  Hermès 
lui  répondit  :    «   Saint  Alexandre,  que  tu  retiens  en 
prison,  l'enseignera  cela  lui-môme  beaucoup  mieux.  » 
Alors  Ouirinus  se  mit  à  maudire  Hermès  et  il  ajouta  : 
«  Je  viens  de  te  dire  que  tu  me  donnes  des  preuves 
dt»  ce  (ju(*  tu  avances,   et  voici  que  tu  me  renvoies  à 
Alexandre  que  je   retiens  en  prison  à  cause   de   ses 
crimes.  Pourtant,  je  doublerai  le  nombre  de  tes  gardes 
et  de  ceux  d'Alexandre,  et  si  je  puis  le  trouver  avec 
toi  ou  bi(Mi  loi  avec  lui,  alors,  j'ajouterai  certainement 
loi  aux  paroles  et  aux  discours  que  vous  me  tiendrez 
l'uTi  el  Taulre,  »  11  fit  ce  ([u'il  avait  dit  :  or,  Hermès  en 
prévint  incoiUinent  Alexandre.  Celui-ci  se  mit  donc 
en  prière;  alors  un  aiii^e  vint  et  le  conduisit  dans  la 
[>rison  (rilermès.  Quand  Ouirinus  les  trouva  ensemble. 


SAINT    PIERRE    AUX    LIENS  331 

'J  fui  singulièrement  surpris.  Et  Hermès  racontant  à 
Quirinus  comment  Alexandre  avait  ressuscité  son  fils 
qui  était  mort,  Quirinus  dit  à  Alexandre  :  «  Ma  fille 
Balbine  est  goitreuse  ;  eh  bien  !  je  te  promets  de  me 
soumettre  à  ta  croyance,  si  tu  peux  obtenir  la  gué- 
rison  de  ma  fille.  »  «  Va  vite,  lui  répliqua  Alexandre, 
et  amène-la-moi  dans  ma  prison.  »  Quirinus  lui  dit  : 
«  Puisque  tu  es  ici,  comment  pourrai-je  te  trouver 
dsiusta  prison?  »  «  Va  vite,  répartit  Alexandre,  parce 
<iue  celui  qui  m'a  amené  ici  m'y  ramènera  lui-même 
à  Tinstant.  »  Quirinus  alla  donc  mener  sa  fille  à  la 
prison  d'Alexandre,  et  en  l'y  trouvant,  il  se  prosterna 
à  ses  pieds.  Alors  sa  fille  se  mit  à  baiser  avec  dévo- 
tion les  chaînes  de  saint  Alexandre,  afin  qu'elle  reçût 
g^uérison.  Alexandre  lui  dit  :  «  Ma  fille,  cesse  d'em- 
brasser mes  chaînes,  mais  cherche  avec  empressement 
les  carcans  de  saint  Pierre,  et  en  les  baisant  avec  dé- 
votion, tu  seras  guérie.  »  Quirinus  fit  donc  chercher 
avec  soin  les  carcans  dans  la  prison  où  saint  Pierre 
avait  été  détenu,  et  quand  il  les  eut  trouvés,  il  les 
donna  à  baiser  à  sa  fille.  Elle  ne  l'eut  pas  plus  tôt  fait 
qu'elle  eut  le  bonheur  d'être  entièrement  guérie.  Qui- 
rinus demanda  pardon  à  Alexandre  qu'il  délivra  de 
prison,  puis  il  reçut  le  baptême  lui,  sa  famille -et  beau- 
coup d'autres  encore.  Saint  Alexandre  institua  donc 
cette  fête  aux  calendes  d'août,  et  il  fit  bâtir  en  l'hon- 
neur de  saint  Pierre  une  église,  où  il  déposa  les  chaînes 
et  la  nomma  l'église  de   Saint-Pierre-aux-Liens.   En 
cette  solennité,  il  se  fail  un  grand  concours  de  peu|)le 
à  ladile  église  et  on  y  baise  ces  chaînes. 

III.  D'après  Bède,  telle  serait  la  troisième  cause  de 


332  L\    LÉGENDE    DOREE 

i*instiiution  de  celte  fêle.  L'empereur  Octave  et  An- 
toine, qui  étaient  unis  ensemble  par  alliance,  se  par- 
tagèrent entre  eux  Fempire  du  monde  entier;  à  Octave 
échut,  dans  TOccident,  Tltalie,  la  Gaule  et  TEspagne, 
et  Antoine,  en  Orient,  eut  l'Asie,  le  Pont  et  l'Afrique. 
Or,  Antoine  qui  était  lascif  et  débauché,  après  avoir 
épousé  la  sœur  d'Octave,  la  répudia,  pour  épouser 
C4léopâtre,  reine  d'Eg-ypte.  Octave,  indigné  de  cette 
conduite,  s'avança  à  main  armée  contre  Antoine  en 
Asie  et  le  défit  partout.  Alors  Antoine  et  Cléopâtro, 
vaincus,  prirent  la  fuite,  et  poussés  par  le  chagrin,  ils 
sp  donnèrent  la  mort  eux-mêmes.  Octave  abolit  donc 
le  royaume  d'Egypte  et  en  fit  une  province  romaine. 
De  là  il  alla  à  Alexandrie  :  il  dépouilla  cette  ville  de 
toutes  ses  richesses  et  les  fit  transporter  à  Rome  ;  ce 
qui  apporta  un  tel  bien-être  dans  la  république  que 
l'on  donnait  pour  un  denier  ce  qui  en  valait  quatre 
auparavant.  Et  parce  que  les  guerres  civiles  avaient 
dévasté  extraordinairement  la  ville,  il  la  renouvela  au 
[)oint  qu'il  dit  :  «  Je  l'ai  trouvée  de  briques,  je  la 
laisse  de  marbre.  »  Il  agrandit  tellement  la  république 
que  ce  fut  le  premier  qui  fui  appelé  Auguste,  nom 
<[ue  retinrent  ses  successeurs  à  l'empire  ;  comme  ce 
fui  encore  de  son  oncle  Jules-César  que  les  empereurs 
furent  nommés  César.  Le  peuple  appela  aussi  de  son 
nom  le  mois  d*aoûl,  (jui  auparavant  se  nommait  Sex- 
f  ilis,  car  c'était  le  sixième  mois  depuis  celui  de  mars- 
Ce  fut  donc  en  mémoire  et  en  Thonneur  de  la  victoire? 
qu'Auguste  remporta  le  prenner  août  que  tous  les 
Komains  solennisaient  ce  jour,  jusiju'à  l'époque  de 
l'empereur  Théodose  (jui  commença  à  régner  l'an  du 


SAINT    PIERRE    AUX    LIENS  333 

Seigneur  426.  Eudoxie,  fille  de  ce  Théodose  et  épouse 
de  Valentînîen,  se  rendit  à  Jérusalem  pour  accomplir 
un  vœu.  Ce  fut  là  qu'un  Juif  lui  offrit,  pour  une  somme 
importante,  les  deux  chaînes  dont  saint  Pierre  avait 
été  lié  sous  Hérode.  Revenue  à  Rome  aux  calendes 
d'août,  et  voyant  les  Romains  célébrer  une  fête  en 
l'honneur  d'un  empereur  qui  était  idolâtre,  elle  fut 
affligée  de  ce  qu'on  rendait  de  si  g^rands  honneurs  à 
un  homme  damné  :  elle  reconnut  qu'il  ne  serait  pas 
facile  d'abolir  cette  espèce  de  culte  passé  en  coutume; 
alors  elle  pensa  à  laisser  subsister  cet  état  de  choses, 
mais  dans  le  but  que  la  solennité  aurait  lieu  en  l'hon- 
neur de  saint  Pierre,  et  que  tout  le  peuple  nommerait 
ce  jour  la  fêle  de  saint  Pierre  aux  Liens.  Après  en 
avoir  conféré  avec  le  saint  pape  Pelage,  ils  unirent 
leurs  efforts  pour  porter  le  peuple,  par  des  exhorta- 
tions flatteuses,  à  laisser  dans  l'oubli  la  mémoire  du 
prince  des  païens,  pour  faire  une  mémoire  solennelle 
du  prince  des  apôtres.  La  proposition  ayant  obtenu 
Tassentimcnt  universel,  Eudoxie  fit  connaître  qu'elle 
avait  rapporté  de  Jérusalem  les  chaînes  de  saint  Pierre 
et  les  montra  au  peuple.  Le  pape,  de  son  côté,  produi- 
sit la  chaîne  dont  le  même  apôtre  avait  été  lié  sous 
Néron.  On  les  mit  ensemble  et  alors  eut  Heu  ce  mi- 
racle par  lequel  de  ces  trois  chaînes,  il  s'en  forma  une 
seule,  comme  si  elle  n'eût  pas  été  composée  de  diffé- 
rentes pièces*.  En  même  temps,  le  pape  et  la  reine 
décidèrent  que  l'honneur  rendu  à  un  païen,  qui  était 
damné,  serait  attribué  à  plus  juste  titre  au  prince  des 

•  Bréviaire  romain. 


334  LA   LÉGENDE  DOREE 

apôtres.  Le  pape  donc  avec  la  reine  plaça  les  chaînes 
dans  Tëglise  de  Saint-Pierre-aux-Liens.  Il  rènrichlt  de. 
grands  privilèges  et  institua  que  ce  jour  serait  fêté 
en  tous  lieux.  Voilà  ce  que  dit  Bède.  Sigebert  rap- 
porte la  même  chose*.  On  vit  en  Tan  du  Seigneur 
969  combien  grande  était  la  puissance  de  cette  chaîne  : 
car  un  comte,  proche  parent  de  l'empereur  Othon, 
fut  saisi  y  aux  yeux  de  tout  le  monde,  par  le  diable  d'une 
façoii  si  cruelle,  qu'il  se  déchirait  avec  les  dents.  L'em- 
pereur ordonna  alors  qu'on  le  menât  au  pape  Jean, 
afin  de  lui  entourer  le  cou  avec  la  chahie  de  saint 
Pierre.  On  lui  mit  d'abord  au  cou  une  autre  chaîne 
qui  ne  délivra  pas  le  possédé,  car  il  n'y  avait  en  elle 
aucune  vertu  ;  enfin  on  prend  la  chaîne  de  saint  Pierre 
et  on  la  met  au  cou  dui  furieux  :  mais  le  diable  ne 
put  supporter  le  poids  d'une  si  grande  puissance,  et 
se  retira  aussitôt  en  jetant  un  cri  affreux  en  présence 
de  tous  les  assistants  **.  Alors  Théodose,  évêque  de 
Metz,  se  saisit  de  la  chaîne  et  assura  qu'U  ne  la  lâche- 
rait qu'autant  qu'on  lui  couperait  les  mains.  Comme 
il  s'élevait  à  ce  sujet  une  grave  contestation  entre 
révoque  et  le  pape  avec  les  autres  clercs,  l'empereur 
vint  à  bout  d'apaiser  le  débat  en  demandant  au  pape 
un  anneau  de  cette  chaîne  pour  l'évêque***.  Miletus 
raconte  en  sa  chronique  et  le  même  fait  se  trouve 
rapporté  dans  V Histoire  tripartite  **** y  qix'ence  temps 
là,  apparut  en  Épire  un  dragon  énorme  que  Donal, 

*  Paul,  diacre,  fait  aussi  leméme  récit  dans  une  homélie. 
*•  Bréviaire  romain. 
***  Sigebert,  Chronique. 
****  Lib.  IX,  c.  xLvi. 


SAIXT    PIERRE    AUX    LIENS  333 

^véque  d'une  liaùle  vertu,  tua  en  lui  crachant  dans  la 
g^iieule  :  mais  auparavant,  le  prélat  avait  fait  avec  les 
doigis  une  forme  de  croix  qu'il  présenta  aux  yeux  du 
nionstre.  Huit  paires  de  bœufs  purent  à  peine  traîner 
'e  cadavre  pour  être  brûlé  ;  car  on  craignait  que  Fair 
'ï^    fût  infesté  par  sa  putréfaction.   Le  même  auteur 
"apporte  au  même  endroit  et  on  trouve  aussi  dans 
t'IIistoire  tripartile  que  le  diable  se  montra  dans  la 
^rète  sous  la  figure  de  Moïse.  Il  rassembla  de  tous 
^<^tés  les  Juifs  qu'il  conduisit  vers  un  précipice  affreux 
^^près  de  la  mer.  Il  leur  promit  qu'en  se  mettant  d 
^^^r  tête,  il  allait  les  conduire  à  pied  sec  dans  la  terre 
P**oinise,  et  en  fit  périr  un  nombre  infini.  D'où  l'on 
conjecture  que  le  diable  indigné  se  vengea  ainsi  d'eux, 
parce  que  le  Juif  avait  donné  la  chaîne  de  saint  Pierre 
*  impératrice  Eudoxie,  et  que  les  réjouissances  faites 
^"^  l'honneur  d'Octave  avaient  été  abolies.  Bon  nom- 
^^  de  ceux  qui  échappèrent  reçurent  avec  empresse- 
ment la  grâce  du  baptême.  Car  comme  ils  roulaient 
^^5  uns  sur  les  autres  du  haut  en  bas  de  la  montagne, 
*^s  premiers,  déchirés  sur  les  rochers  à   pic,  furent 
suffoqués  en  tombant  dans  la  mer  ;  quant  aux  autres 
qui  voulaient  les  suivre,  dans  l'ignorance  de  ce  qui  était 
arrivé  aux  premiers,  des  ptVheurs  passant  par  là  leur 
apprirent  l'accident  qui  avait  fait  pi»rir  leurs  frères, 
et  alors  ils  se  convertirent.  Ces  faits  sont  tirés  de 
VUisloire  tripartile. 

IV.  On  peut  encore  assigner  ici  v\m  quatrième  cause 
de  l'institution  de  cette  fêle.  Le  Seigneur  délia  mira- 
culeusement saint  Piern»  de  ses  liens,  et  lui  donna  le 
|)Ouvoir  de  lier  et  de  déliîT  :  or,  nous  aussi  nous  soni- 


336  LA    LKGENDE    DORÉE 

mes  retenus  dans  les  liens  du  péché  et  nous  ave 
besoin  d'être  déliés.  C'est  la  raison  pour  laquelle  no 
honorons  le  prince  des  Apôtres  en  celte  solennité  q 
est  dite  aux  liens,  afin  que  comme  il  a  mérité  d'ét 
délié  de  ses  chaînes,  et  comme  il  a  reçu  du  Seîgnei 
le  pouvoir  de  délier,  de  même  aussi  il  nous  délie  dt 
chaînes  du  péché.  On  peut  se  convaincre  que  ce  fut  1 
une  raison  de  l'institution  de  cette  fête  pour  peu  qu'oi 
remarque  queTépître  de  la  messe  rappelle  cette  déli- 
vrance, et  que  l'Évangile  qu'on  récite  fait  mémoire 
du  pouvoir  accordé  à  saint  Pierre  de  délier  et  d'ab- 
soudre. En  outre,  dans  l'oraison  de  la  messe,  on  de- 
mande, par  rintercession  de  cet  apôtre, que  cette  ab- 
solution nous  soit  accordée.  Par  ce  pouvoir  des  clefs 
qu'il  reçut,  on  voit  qu'il  délivre  quelquefois  ceux  qui 
mériteraient  d'être  damnés,  ainsi  que  le  rapporte  le 
livre  des  Miracles  de  la  sainte  Vierge.  «  Dans  la  ville 
de  Cologne,  il  y  avait,  au  monastère  de  saint  Pierre, 
un  moine  léger,  débauché  et  lascif.  Une   mort  subite 
le  surprit,  et  les  démons  l'accusaient  en  faisant  con- 
naître ouvertement  toutes  les  espèces  de  péchés  qu'il 
avait  commis.  Voici  ce  que  l'un  d'eux  disait  :  «  Je  suis 
la  cupidité,  par  laquelle  tu  as  souvent  convoité  contre 
les  commandements  de  Dieu.  »  Un  autre  criait  :  «  Je 
suis  la  vaine  gloire  par  laquelle  tu  t'es  élevé  avec  jac- 
tance parmi  les   hommes.  »  Un  autre  :  «  Je  suis  le 
mensonge  et  tu  as  commis  le   péché  de  mentir.  »   Et 
ainsi  des  autres.  D'un  autre  côté,   quelques  bonnes 
œuvres  qu'il  avait   faites  l'excusaient  en  disant:  «  Je 
suis  robéissance  que  lu  as  témoignée  à  tes  supérieurs 
spirituels;  je  suis  le  chant  des  psaumes  que  tu  assou- 


SAINT    ETIENNE,    PAPE  337 

'>?At  chantés  pour  Dieu.  »  Alors  saint  Pierre,  dont  il 
'ail  le  moine,  vint  trouver  Dieu  et  intercéder  pourlui. 
c  Seijsi^neur  lui  répondit  :  «  Est-ce  que  ce  n'est  pas 
oi  qui  ai  inspiré  le  prophète  lorsqu'il  a  dit  :  «  Seigneur 
qui  est-ce  qui  habitera  dans  votre  tabernacle  ?  C'est 
oelui  qui  entre  sans  avoir  de  taches,  etc.  »  Comment 
lui-ci  peut-il  être  sauvé,  puisqu'il  n'est  pas  entré  ici 
^Tis  tache,  puisqu'il  n'a  pas  pratiqué  la  justice?» 
lors  saint  Pierre  se  mit  àprierpour  lui  avec  la  vierge 
1ère,  et  le  Seigneur  porta  cette  sentence  qu'il  retour- 
nerait dans  son  corps  et  qu'il  y  ferait  pénitence.  Aus- 
sitôt donc,  saint  Pierre  avec  la  clef  qu'il  tenait  à  la 
iTiain  effraya  le  diable  et  le  mit  en  fuite.  Il  remit  en- 
suite Fâme  de  cet  homme  dans  la  main  de  quelqu'un 
qui  avait  été  moine  dans  le  susdit  monastère,  avec  l'or- 
dre de  la  reconduire  à  son  corps.  Le  moine  lui  demanda 
'omme  récompense  de  ce  qu'il  ramenait  son  âme,  de 
•éciter  chaque  jour  le  psaume  Miserere  meiy  DeuSy  et 
le  nettoyer  souvent  son  tombeau  des  ordures  qui  s'y 
rouvaient.  Or,  le  moine,  revenu  à  la  vie,  raconta  à  tout 
e  monde  ce  qui  lui  était  arrivé. 


SALNT  ÉTIENxXE,  PAPE* 

Saint  Etienne,  pape,  après  avoir  converti  beaucoup 
le  gentils  par  ses  discours  et  par  ses  exemples,  et  avoir 
Jonné  la  sépulture  à  beaucoup  de  corps  de  martyrs, 

*  Bréviaire  romain. 


L'niVEMTION    DE   SAI.NT    KTIKSSK,    VHEMIER    MARTYR      'i'Mi 

talion  et  sa  réunion.  Son  mvention  eut  lieu  comme  il 
■uîl*;  Un  prêtre  du  territoire  tic  Jérusalem,  appel-'î 
laden,  elle  par  Gennadc  (cli.  xlvi)  au  nombre  des 
hommes  illustres,  écrit  lui-mâme  qu'un  vendredi, 
comme  il  reposait  à  moitié  endormi  dans  son  lit,  lui 
apparut  un  vieillard,  haut  Je  taille,  beau  de  visage, 
avec  une  longue  barbe,  revAlu  d'un  manteau  bliim*. 
aetBé  de  petites  pierres  précieusesencbiUssées  dausl'or 
en  forme  de  croix,  portant  une  chaussure  recouverte 
■ct'or  à  la  surface.  Il  tenait  à  la  main  une  bau;uette  d'or 
dont  il  toucha  Lucien  en  disant:  «  Hftte-toi  «le  décou- 
flltnr  nos  tombeaux,  car  nous  avons  été  renfernu's  dans 
un  endroit  fort  indécent.  Va  dire  à  Jean,  évi^que  de 
Jérusalem,  qu'il  nous  place  dans  un  lieu  honorable; 
car,  puisque  la  sécheresse  et  la  tribulation  désolent  la 
terre.  Dieu,  louché  de  nos  prières,  a  décidé  de  pardon- 
I  ner  au  monde.  »  Le  prêtre  Lucien  lui  dit  :  u  Seigneur. 
qui  êtes-vous  ?  h  u  Je  suis,  dit-il,  Gamaliel  qui  ai 
saint  Paul,  et  qui  lui  ai  ensci;^né  la  loi  à  mes 
côté  repose  saint  Etienne,  qui  a  été  lapidé 
Juifs,  hors  de  la  ville,  afin  que  son  corps  frtt  dé- 
ir  les  bêtes  féroces  cl  les  oiseaux.  Mais  celui 
foi  duquel  ce  saint  martyr  a  versé  son  sang  ne 
lors  avec  grand  res- 
eiiseveli  dau«  ||^^^B||BU  neuf  que  j'avais 
ft  avec  moi,  c'est 
I  trouver  .I"'- 
is  de  saint  Pierre 
indignes  de 


34()  LA  LEGENDE  DORÉB 

son  action  Tauraient  tué,  si  les  égards  qu'ils  avaient 
pour  nous  ne  les  eussent  retenus.  Cependant  ils  lui 
ravirent  tous  ses  biens,  le  dépouillèrent  de  sa  princi- 
pauté du  sacerdoce  et  le  laissèrent  à  demi  morl  des 
coups  dont  ils  Taccablèrent.  Alors  je  le  menai  dans 
ma  maison  où  il  survécut  quelques  jours  et  quand  il  fut 
mort,  je  le  fis  ensevelir  aux  pieds  de  saint  Etienne.  Il 
y  en  a  encore  un  troisième  avec  moi  ;  c'est  Abibas, 
mon  propre  fils,  qui,  à  Tâge  de  20  ans,  reçut  le  bap- 
tême en  même  temps  que  moi  ;  il  vécut  dans  la  virgi* 
nité,  et  se  livra  à  l'étude  de  la  loi  avec  Paul,  mon  dis- 
ciple. Quanta  ma  femme  iEthéa  et  à  mon  fils  Sélémias 
qui  ne  voulurent  pas  croire  en  J.-C.,  ils  n'ont  pas  été 
digues  de  partager  notre  sépulture  ;  mais  vous  les  trou- 
verez ensevelis  autre  part,  et  leurs  tombeaux  sont 
vides  et  nus.  »  A  ces  mots,  Gamaliel  disparut.  Alors 
Lucien  s'éveillant  pria  le  Seigneur  que  si  cette  vision 
avait  un  fondement  de  vérité,  elle  se  renouvelât  une 
seconde  et  une  troisième  fois.  Or,  le  vendredi  suivant, 
Gamaliel  lui  apparut  comme  la  première  fois,  et  lui 
demanda  pourquoi  il  avait  négligé  de  faire  ce  qu'il 
lui  avait  recommandé  :  «  Non,  seigneur,  répondit-il, 
je  ne  l'ai  pas  négligé,  mais  j'ai  prié  le  Seigneur  que  si 
cette  vision  venait  de  Dieu,   elle  se  renouvelât  trois 
fois.  ))  Et  Gamaliel  lui  dit:  «  Puisque  vous  avez  réflé- 
chi à  quel  signe,  si  vous  nous  trouviez,  vous  pourriez 
distinguer  les  reliques  de  chacun  en  particulier,  je  vais 
vous  donner  un  emblème  au  moyen  duquel  vous  re- 
connaîtrez noscercueils  et  nos  rehques.  »  Etil  lui  mon- 
tra trois  corbeilles  d'or  et  une  quatrième  d'argent, 
dont  l'une  était  pleine  de  roses  rouges  et  deux  autres 


l'invention    de   saint    ETIENNE,    PREMIER    MARTYR       341 

de  roses  blanches.  Il  lui  montra  aussi  la  qualriènie 
pleine  de  safran.  Alors  Gamaliel  ajouta  :  Ces  corbeilles 
sont  nos  cercueils  et  ces  roses  sont  nos  reliques.  La 
corbeille  pleine  de  roses  rouges  est  le  cercueil  de  saint 
Etienne  qui,  seul  d'entre  nous,  a  mérité  la  couronne 
du  martyre  ;  les  deux  autres  pleines  de  roses  blanches 
sont  les  cercueils  deNicodèmeet  de  moi,  comme  ayant 
persévéré  d'un  cœur  sincère  dans  la  confession  de  J.-C. 
Pour  la  quatrième  d'argent  qui  est  pleine  de  safran, 
c'est  le  cercueil  d'Abibas,  mon  fils,  dont  la  virginité  fut 
éclatante  et  qui  sortit  pur  de  ce  monde.  »  Ayant  dit 
ces  paroles,  il  disparut  de  nouveau.  Le  vendredi  de  la 
semaine  suivante,  Gamaliel  lui  apparut  avec  un  visage 
irrité  et  le  réprimanda  gravement  de  ses  délais  et  de 
sa  néghgence.  Aussitôt  Lucien  alla  à  Jérusalem  et  ra- 
conta à  Tévèque  Jean  Tensemble  de  tout  ce  qu'il  avait 
vu. On  fit  venir  d'autres  évêques  et  on  se  dirigea  vers 
l'endroit  indiqué  à  Lucien  ;  et  dès  qu'on  se  fut  mis  en 
train  de  fouiller,  la  terre  trembla  et  Ton  ressentit  une 
odeur  très  suave,  dont  l'admirable  parfum  guérit,  par 
les  mérites  des  saints,  soixante  et  dix  hommes  affli- 
içés  de  diverses  maladies.  Or,  ce  fut  ainsi  que  Ton  porta 
en  l'église  de  Sion  de  Jérusalem,  et  où  saint  Etienne 
avait  exercé  ses  fonctions  d'archidiacre,  les  reliques  de 
ces  saints  au  milieu  de  la  joie  publique,  et  qu'on  les 
y  ensevelit  avec  les  plus  grands  honneurs.  A  cette  heure- 
là  même,  il  tomba  une  grande  pluie.  Bède,  en  sa  chro- 
nique, fait  mention  de  cette  vision  et  de  cette  invention. 
Cette  invention  de  saint  Etienne  eut  lieu  le  jour 
même  qu'on  célèbre  son  martyre  et  Ton  dit  ({ue  ce 
martyre  arriva  aujourd'hui.  Mais  ces  fêtes  furent  chan- 


342  LA   LÉGENDE    DOREE 

gées  de  jour  par  l'Eglise  pour  deux  motifs.  Le  pre- 
mier, parce  que  J.-C.  naquil ici-bas,  afin  que Thomme 
naquit  au  ciel.  Or,  il  était  convenable  que  la  nativité 
de  J.-C.  fût  suivie  du  natalice  de  saint  Etienne  qui  le 
premier  souffrit  le  martyre  pour  J.-C,  ce  qui  n'est  au- 
tre chose  que  naître  au  ciel,  afin  de  montrer  par  là 
que  l'un  était  la  conséquence  de  l'autre  :  aussi  c'est  la 
raison  pour  laquelle  l'Eglise  chante  dans  l'office'  de  ce 
jour*  :  «  Hier,  le  Christ  est  né  sur  la  terre,  afin  qu'au- 
jourd'hui Etienne  naquît  dans  le  ciel.  »  Le  second  mo- 
tif est  que  le  jour  de  l'Invention  se  fêtait  plus  solen- 
nellement que  celui  de  son  martyre,  et  cela  par  respect 
pour  le  jour  de  Noël,  et  à  cause  des  miracles  nom- 
breux que  le  Seigneur  opéra  lors  de  l'Invention.  Mais 
parce  que  le   martyre  l'emporte   sur  l'Invention,  et 
qu'iljdoit  être  célébré  plus  solennellement,  c'est  pour 
cela  que  l'Eglise  a  transféré  la  fête  du  martyre  à  cette 
époque  où  Ton  pourrait  lui  rendre  de  plus  grands 
honneurs.  —  Saint  Augustin  rapporte  que  sa  transla- 
tion eut   lieu  comme  il  suit.  Alexandre,  sénateur  de 
Constantinople,  alla  avec  sa  femme  à  Jérusalem  et  fit 
construire  un   oratoire  magnifique  en  l'honneur   de 
saint  Etienne,  premier  martyr  ;  il  vouluty  être  enterré 
auprès  du  corps  de  ce  saint.  Sept  ans  après  sa  mort, 
Julienne,  sa  femme,  ayant  résolu  de  revenir  dans  sa 
patrie  à  cause  de  certaines  injures  qu'elle  endurait 
(les  princes,  voulut  remporter  le  corps  de  son  mari. 
Après  bien  des  instances  auprès  de  l'évêque,  celui-ci 
lui  montra  deux  cercueils  d'argent  et  lui  dit  :  «  Je  ne 

''  Leçons  du  2«  oocturoe. 


I-'^NVENTION   DE    SAINT    ETIENNE,    PREMIER   MARTYR       343 

^aîs  quel  est  celui  de  voire  mari.  »  «  Je  le  sais,  répon- 
dît-elle. »  Et  elle  se  jeta  pour  Tembrasser,  mais  elle 
«nnbrassa  le  corps  de  saint  Etienne,  qu'elle  prit  pour 
celui  de  son  mari.  Lorsqu'elle  se  fut  embarquée  avec 
"^  corps,  les  anges  font  entendre  des  cantiques,  une 
odeur  suave  se  répand,  les  démons  crient  et  suscitent 
**>^e  tempête  affreuse  en  disant  :  «  Malheur  à  nous, 
car  le  premier  martyr  Etienne  passe  et  nous  fait  endu- 
^^^  Un  feu  cruel!  m  Or,  comme  les  matelots  craignaient 
"u  naufrage,  on  invoqua  saint  Etienne  qui  apparut  et 
"*^  :  «  C'est  moi,  ne  craignez  point.  »  A  Tinstant,  un 
K'^^ud  calme  s'ensuivit.  Alors  on  entendit  les  voix  des 
"^Uîons  qui  criaient  :  «  Prince  impie,  monte  sur  ce 
^^isseau,  parce  que  notre  adversaire  Etienne  y  est.  » 
Alors  le  prince  des  démons  envoya  cinq  démons  pour 
"^^ttre  le  feu  au  vaisseau;  mais  Fange  du  Seigneur  les 
^''^S'ioutit  au  fond  de  la  mer.  Quand  on  fut  arrivé  à 
■^^Icédoine  les  démons  se  mirent  à  crier  :  «  Il  arrive 
^  Serviteur  de  Dieu,  qui  a  été  lapidé  par  les  méchants 
*  '^^fs.  »  On  arriva  sain  et  sauf  à  Constantinople,  et  on 
^^^evelit  avec  grand  respect  le  corps  de  saint  Etienne 
"^^s  une  église.  (Saint  Augustin.)  * —  La  réunion  du 

^^^s  de  saint  Etienne  avec  celui  de  saint  Laurent  se 
fi*- 

comme  il  suit  :  Eudoxie,  fille  de  l'empereur  Théo- 

^^^e,  fut  cruellement  tourmentée  par  le  démon.  Or,  ce 

^Iheur  fut  annoncé  à  son  père  comme  il  étaitàCons- 

^^tinople,  et  il  s'y  fit  amener  sa  fille,  afin  qu'on  la 

^Vjchât  aux  reliques  du  très  saint  Etienne,  premier 

'^^rtyr.  Mais  le  démon  criait  en  elle  :  «  Si  Etienne  ne 


Martyrologe  romain  y  au  7  mai. 


344  LA   LÉ6ENQE   DOR^E 

vient  à  Rome,  Je  ne  sortirai  pas,  car  telle  est  la  volobté 
de  Pàpôtre.  »  Quand  l'empereur  apprit  cela,  0  obtint 
du  clergé  et  du  peuple  de  C.  P.  qu'ils  donneraient 
aux  Romains  le  corps  de  saint  Etienne  et  qu'ils  rece- 
vraient eux-mêmes  le  corps  de  saint  Laurent.  Alors 
Fempereur  écrivit  à  ce  sujet  au  pape  Pelage,  qui,  de 
Tavis  des  cardinaux,  consentit  à  la  demande  de  Tem- 
pereur.  On  envoya  donc  des  cardinaux  à  C.  P.  pour 
y  porter  le  corps  de  saint  Etienne,  et  des  Grecs  vinrent 
à  Rome  pour  recevoir  celui  de  saint  Laurent.  Le  corps 
de  saint  Etienne  arriva  à  Capoue,  et  sur  les  pieuses 
prières  des  Capouans,  on  leur  donna  le  bras  droit  du 
saint  en  l'honneur  duquel  on  bfttit  Téglise  métropoli- 
taine. Quand  on  fut  arrivé  à  Rome,  et  qu'on  voulut 
porter  le  saint  corps  à  l'église  de  Saint-Pierre-aux- 
liens,  les  porteurs  s'arrêtent  et  ne  peuvent  avancer 
plus  loin  ;  alors  le  démon  se  mit  à  crier  dans  la  jeune 
fille  :  «  Vous  avez  beau  faire,  ce  n'est  paâ  là,  mais 
.c*est  auprès  de  son  frère  Laurent  qu'il  a  choisi  sa 
place.  »  On  y  porta  donc  le  corps  ;  et  quand  Eudoxie 
l'eut  touché,  elle  fut  délivrée  du  démon.  Mais  saint 
Laurent,  comme  s'il  se  fût  félicité  de  l'arrivée  de  son 
frère,  lui  sourit  et  se  retira  de  l'autre  côté  du  tombeau 
dont  il  laissa  le  milieu  vide  pour  faire  place  à  son 
frère.  Quand  les  Grecs  se  furent  approchés  pour  em- 
porter saint  Laurent,  ils  tombèrent  par  terre  comme 
s'ils  eussent  été  privés  dévie  :  alors  le  pape,  le  clergé 
et  le  peuple  prièrent  pour  eux,  et  ce  ne  fut  qu'à  peine 
si  le  soir,  ils  revinrent  à  eux-mêmes;  tous  cependant 
moururent  dans  les  dix  jours  suivants.  LesLatinseux- 
mémcs,  qui  avaient  consenti  à  cela,  tombèrent  en  fré- 


i 


^.'invention  de  saint  étienxe,  premier  martyr    34"» 

nësîe  et  ne  purent  être  guéris  qu'après  que  les  corps 
des  saints  eussent  été  ensevelis  ensemble.  Alors  cette 
*'oix  du  ciel  se  fit  entendre  :  «  O  bienheureuse  Rome, 
<l^î  i>ossèdes,  dan.^  un  même  mausolée,  ces  précietix 
restes,  les  corps  de  saint  Laurent  l'Espagnol,  et  de 
s^îni  Etienne  de  Jérusalem.  »  Cette  réunion  se  fît  aux 
ï^ones  de  mai,  vers  l'an  du  Seigneur  423. 

Saint  Augustin,  au  livre  XXII  de  la  Cité  de  Dieu, 
^^pporle  la  résurrection  de  six  morts  duc  à  l'invoca- 
tion de  saint  Etienne.  C'est  d'abord  un  homme  gisant 
^ort,  on  lui  avait  déjà  lié  les  pouces  :  on  invoque  sur 
^^i  le  nom  de  saint  Etienne,  et  à  l'instant  il  ressuscite. 
C'est  encore  un  enfant  écrasé  par  un  char  :  sa  mère 
le  porte  à  l'église  de  saint  Etienne  et  elle  le  reçoit 
vivant  et  sans  trace  de  blessure.  C'est  une  religieuse 
qui  étant  à  l'extrémité  avait  été  portée  à  l'église  de 
saint  Etienne  ;  elle  y  rendit  le  dernier  soupir  ;  et  voici 
qu'aux  yeux  de  tout  le  monde  effrayé,  elle  ressuscite 
guérie.  A  Hippone,  c'est  une  jeune  fille  dont  le  père 
avait  apporté  la  robe  à  l'église  de  saint  Etienne  ;  quel- 
ques instants  après  il  jette  cette  robe  sur  le  corps  de 
celte  jeune  fille  qui  était  morte  ;  et  tout  à  coup  elle  est 
rendue  à  la  vie.  C'est  un  jeune  homme,  dont  le  corps, 
après  avoir  été  oint  dans  de  l'huile  de  saint  Etienne, 
ressuscite  aussitôt.  C'est  un  enfant  qui  fut  porté  mort 
à  Téglise  de  saint  Etienne  et  quand  on  eut  invocpié  le 
saint,  à  l'instant  il  est  rendu  à  la  vie.  Voici  comment 
s'exprime  saint  Augustin  au  sujet  de  ce  saint  :  <(  Gama- 
liel,  à  la  brillante  étole,  révéla  le  corps  de  ce  martyr, 
Saul  converti  le  loua,  J.-C.  enveloppé  de  langes  l'en- 
richit et  lui  mit  une  couronne  de  pierres  précieuses.  » 


346  LA    LÉGENDE    DOREE 

II  dit  ailleurs  :  «  Dans  Etienne  brilla  la  beauté  d 
corps,  la  fleur  de  l'âge,  l'éloquence  de  Torateur,  1 
sagesse  éclatante  de  Tesprit  et  l'opération  divine,  r^- 
Il  dit  encore  :  «  Cet  homme  de  Dieu  fort  comme  un 
colonne,  alors  qu'il  était  retenu  comme  avec  des  tenail- 
les au  milieu  de  ceux  qui  le  lapidaient  de  leurs  mains, 
était  fortifié  par  la  foi,  et  brûlait  pour  elle;  on  le 
frappait  et  il  s'élevait  ;  on  l'étreignait,  et  il  grandis- 
sait; on  le  meurtrissait  et  ne  se  laissait  pas  vaincre.  » 
Sur  ces  paroles  Dura  cevvice  (Actes)  :  «  Il  ne  flatte 
pas,  mais  il  invective  ;  il  ne  touche  pas,  il  provoque  ; 
il  ne  tremble  pas,  mais  il  excite  »,  c'est  encore  saint 
Augustin  qui  dit  :  «  Considérez  saint  Etienne  servi- 
teur de  Dieu  au  même  titre  que  vous  :  c'était  un 
homme  comme  vous  :  il  était  de  la  race  des  pécheurs 
comme  vous  ;  il  fut  racheté  au  même  prix  que  vous  ; 
et  quand  il  fut  diacre  et  qu'il  lisait  l'Évangile,  le 
même  que  vous  lisez  ou  que  vous  écoutez  il  y  trouva 
ces  mois  :  ((  Aimez  vos  ennemis  »  ;  maxime  que  l'étude 
lui  apprit  et  que  l'obéissance  lui  fit  pratiquer.  » 


SAINT  DOMINIQUE  * 

Dominicus  signifie   gardien    du  Seigneur,  ou   bien  gardé 
par  le  Seigneur.  Ou  bien  il  s'appelle  Dominique,  selon  l'éty- 

•  La  vie  de  saint  Dominique  est  rapportée  ici  telle  que  Tout 
écrite  cinq  auteurs  contemporains.  Ce  sont  Thierry  d*Apolda, 
(Constantin,  évêque  d'Orvietto,  Barthélemî,  évèque  de  Trente, 
le  père  Humbert,  etc.  Le  père  Mamachi  a  réuni  dans  le  livre 
des  Annotes  de  son  ordre  les  preuves  des  miracles  racontés 
en  cette  légende. 


m  SAINT    DOMINIQUE  347 

g  ^ologie  naturelle  de  ce  nom  qui  est  dominus,  seigneur.  Or,  il 

■  ^st  appelé  gardien  du  Seigneur,  en  trois  manières  :  il  fut  gar^ 

I  "ieii  de  l'honneur  du  Seigneur,  et  ceci  regarde  Dieu,  il  fut  le 

^ lydien  de  la  vigne,  ou  du  peuple  du  Seigneur  et  cela  regarde 

'^  J^Fochain;  et  il  fut  le  gardien  de  la  volonté  du  Seigneur, 

^•*     des  préceptes  du  Seigneur,  ce  qui    le  regarde   lui-même. 

*^**     second  lieu,  il  est  appelé  Dominique,  c'est-à-dire  gardé 

P^**  le  Seigneur,  car  le  Seigneur  le  garda  dans  les  trois  étals 

^^^^      il  vécut.  D'abord  laïc,  en  second  lieu,  chanoine  régulier  ; 

^^     ^n  troisième  lieu,  homme  apostolique  :  car  dans  le  prc- 

''^^  frétât,  il  fut  gardé  de  Dieu  qui  le  fit  commencer  de  ma- 

'^•^^^le  à  mériter  des  louanges;  dans  le  second,  il  le  fit  avancer 

"^  ^^s  la  ferveur,  et  dans  le  troisième.,  il  le  fit  atteindre  à  la 

P^  ^^'fection.  En  troisième  lieu,  Dominique    vient  de  Dominus, 

*^  ^  on  l'étymologie  naturelle.  Or,  Dominus,  signifie  qui  donne 

"^^*'   menaces,  ou  qui  donne  moins,  ou  qui  donne  avec  munifi- 

^^^^=^.  ce.De  même  saint  Dominique  donna,  c'est-à-dire  pardonna 

le^^      menaces  en  ne  tenant  pas  compte  des  injures  qu'on    lui 

*^  ^^^essait  ;  il  donna    moins  en    se  macérant  le    corps,    parce 

^^"-^     il  donna  toujours  à  son    corps  moins  que  le  nécessaire.  Il 

^^-^  ■^na  avec   munificence,  en    engageant  sa   liberté,  car  non 

f^  ^-^  lement  il  donna   tous  ses  biens  aux  pauvres,  mais  encore 

**    "^'"oulut  se  vendre  lui-même  plusieurs  fois. 

iDominique,  chef  et  fondateur  illustre  de  Tordre  des 
ï^  **^res-Prêcheurs,  naquit  en  Espagne,  dans  la  ville 
^^  Calaruega,  au  diocèse  d'Osma.  Son  père  se  noni- 
ï^^^it  Félix  et  sa  mère  Jeanne.  Avant  sa  naissance,  sa 
^^^re  vit  en  songe  qu'elle  portait  dans  son  sein  un 
'it  chien  tenant  dans  sa  gueule  une  torche  allu- 
avec  laquelle  il  embrasait  tout  Tunivers.  Quand 
^*le  l'eut  mis  au  monde,  une  dame  qui  l'avait  levé  des 
^^nts  sacrés  du  baptême  crut  voir  sur  le  front  du 
p^tit  Dominique  une  étoile  très  brillante  qui  éclairait 
l^ule  la  terre.  Tout  petit  enfant  et  confié  aux  soins 
^'une  nourrice,  on  le  surprit  souvent  quitter  son  lit  et 


348  LA    LÉGENDE    DOREE 

se  coucher  sur  la  lerre  nue.  Envoyé  à  Palerme  pour 
faire  ses  études,  par  amour  de  la  science  qu'il  devait 
acquérir,  il  ne  goûta  pas  de  vin  pendant  dix  ans.  Une 
famine  affreuse  ravageant  le  pays,  il  vendit  ses  livres 
ainsi  que  ses  meubles  et  en  donna  l'argent  aux  pau- 
vres. Sa  renommée  était  déjà  grande,  quand  l'évèque 
(l'Osma  le  fit  chanoine  régulier  dans  son  église,  et 
peu  de  temps  après,  devenu  miroir  de  vie  pour  tous, 
ses  confrères  le  nommèrent  sous-prieur.  Or,  le  jour  el 
la  nuit,  il  vaquait  à  la  lecture  et  à  l'oraison,  priant 
assidûment  le  Seigneur  de  daigner  lui  donner  la  grâce 
de  s'employer  tout  entier  au  salut  du  prochain.  Il 
lisait  avec  le  plus  grand  zèle  les  conférences  des  Pè- 
res, et  atteignit  par  là  au  comble  d'une  haute  perfec- 
tion. En  allant  à  Toulouse  avec  son  évêque,  il  trouva 
son  hôte  infecté  du  poison  de  l'hérésie,  et  il  le  conver- 
tit à  la  foi  de  J.-C.  Ce  fut,  pour  ain§i  dire,  la  pre- 
mière gerbe  de  la  moisson  qu'il  présenta  au  Seigneur. 
On  lit  dans  les  Gestes  du  comte  de  Montforl*,  qu'une 
fois  saint  Dominique,  ayant  prêché  contre  les  héréti- 
([ues,  mil  par  écrit  le  texte  des  autorités  qu'il  avait 
ex[)osées,  et  donna  ce  papier  à  l'un  d'eux  afin  qu'il  pût 
examiner  les  objections.  Or,  cette  nuit-là,  les  hérétiques 
s'élanl  réunis  auprès  du  feu,  cet  homme  leur  montra  le 
papier  qu'il  avait  reçu.  Ses  compagnons  lui  dirent  de 
le  jeter  au  feu,  que  s'il  arrivait  qu'il  brûlât,  leur  créance, 
ou  plutôt  leur  perfidie  serait  véritable,  et  que  si  le 
feu  l'épargnait,  ils  proclameraient  que  la  foi  de  l'Eglise 
romaine  est  vraie.  Lepapierest  doncjetéau  feu;  quand 

'''  l*iorre  de  Vaux-Ceriiay,  c.  vu;  —  Thierry  dWpolila. 


SAINT    DOMINIQUE  349 

il  fut  resté  quelques  moments  sur  le  brasier,  il  en 
rejaillit  de  suite  sans  avoir  été  brûlé.  Au  milieu  de  la 
surprise  causée  par  ce  prodige,  un  plus  opiniâtre  que 
tous  les  autres  dit  :  «  Qu'on  le  jette  une  seconde  fois, 
de  cette  manière  Texpérience  sera  pleinement  confir- 
mée et  nous  saurons  sûrement  de  quel  côté  se  trouve 
la  vérité.  »  On  jette  le  papier  une  seconde  fois,  el 
une  seconde  fois  il  rejaillit  sans  avoir  été  brûlé.  Le 
même  auteur  dit  encore  :  «  Qu'on  le  jette  de  nou- 
veau, et  alors  nous  connaîtrons  un  résultat  qui  ne 
laissera  plus  place  au  doute.  »  On  le  jette  une  troi- 
sième fois,  et  il  rejaillit  de  nouveau  entier  et  sans 
trace  de  feu.  Mais  ces  hérétiques  restèrent  dans  leur 
endurcissement  et  s'engagèrent,  par  les  serments  les 
plus  stricts,  à  ne  pas  publier  le  fait.  Cependant,  un 
soldat  qui  se  trouvait  là  et  qui  avait  un  certain  alla- 
chement  pour  notre  foi,  raconta  ce  miracle  plus  lard. 
Or,  ceci  se  passait  à  Montréal.  On  raconte  que  quel- 
que chose  de  semblable  arriva  à  Fangeaux,  après  une 
discussion  solennelle  qui  y  eut  lieu  contre  les  héré- 
tiques. 

Les  autres  retournèrent  chez  eux,  et  Tévêque  d'Osma 
mourut;  saint  Dominique  resta  donc  presque  seul  à 
annoncer  la  parole  de  Dieu  avec  constance  contre  les 
hérétiques*.  Or,  les  adversaires  de  la  vérité  Tinsui- 
taient,  en  jetant  sur  lui  de  la  boue,  des  crachats  et 
autres  ordures,  et  lui  attachant  par  derrière  de  la 
paille  en  signe  de  dérision.  Et  comme  ils  menaçaient 

*  Vincent  de  Beauvais,  Hist.,  liv.  XXX,  c.  x;  — Constantin 
d'Orviètc,  Vie,  n- 12. 


350  LA    LÉGENDE    DOREE 

(le  lé  tuef ,  il  répondit  avec  intrépidité  :  «  Je  ne  s 
pas  di^ne  de  la  gloire  du  martyre;  je  n'ai  pas  enco 
mérité  ce  genre  de  mort.  »  C'est  pourquoi  il  pa 
par  le  lieu  où  on  lui  avait  dressé  des  embûches,  et 
marchait,  non  seulement  sans  crainte,  mais  en  chan^ 
tant  et  avec  un  visage  gai.  Ses  ennemis,  étonnés,  lu^ 
dirent  :  «  Tu  n'as  donc  pas  peur  de  mourir?  Qu'au- 
rais-tu fait,  si  nous  nous  étions  saisis  de  ta  personne  ?  » 
Dominique  répondit  :  o  Je  vous  aurais  prié  de  ne  pas 
me  porter,  du  premier  coup,  des  blessures  mortelles  ; 
mais  de  me  mutiler  tous  les  membres,  un  à  un,  en- 
suite de  placer  sous  mes  yeux  chacun  des  morceaux 
que  vous  m'auriez  coupés  ;  puis  de  m'arracher  les 
yeux,  et  en  dernier  lieu  de  laisser  mon  corps,  à  moitié 
mort  et  tranché  en  lambeaux,  se  rouler  dans  son  sang; 
ou  bien  encore  de  me  faire  mourir  comme  il  vous 
aurait  plu.  »  Ayant  rencontré  un  homme  qui,  pressé 
par  une  grande  détresse,  s'était  uni  aux  hérétiques, 
il  résolut  de  se  vendre  lui-même,  afin  qu'avec  cet 
argent,  qu'il  aurait  tiré  de  sa  personne,  il  mît  fin  à 
cet  état  de  détresse,  en  même  temps  qu'il  délivrerait 
cet  homme  vendu  à  l'erreur.  Et  il  eût  exécuté  son 
dessein,  si  la  miséricorde  divine  n'eût  pourvu  d'une 
autre  manière  au  soulagement  de  cette  misère*.  Une 
autre  fois  encore,  une  femme  vint  lui  exposer  avec 
larmes  que  son  frère  était  retenu  captif  chez  les  Sar- 
rasins, en  lui  faisant  l'aveu  qu'il  ne  lui  restait  aucun 
moyen  de  le  délivrer.  Alors  saint  Dominique,  touché 
(Tune  vive   compassion,  s'offrit   lui-même  pour  être 


Ibid, 


SAINT    DOMINIQUE  351 

vendu  afin  de  racheter  le  captif;  mais  Dieu   ne  li» 
permît  pas.  Il  avait  prévu  qu'il  était  plus  nécessaire 
pour  le  rachat  spirituel  d'un  grand  nombre  de  captifs. 
H  était  logé  dans  les  environs  de  Toulouse,  chez  cer- 
taines femmes,  qui,  sous  prétexte  de  paraître  dévotes, 
s  étaient  laissé  séduire  par  les  hérétiques  ;  alors  Domi- 
l^ique,  afin  de  rabattre  un  .clou  par  un  autre  clou, 
J^ûna,  avec  le  compagnon  qui  lui  était  adjoint,  pen- 
<J^ni  tout  le  carême,  au  pain  et  à  Teau  fraîche,  se 
*^vanl  la  nuit,  et  quand  il  était  accablé  par  la  fatigue, 
s^  couchant  sur  une  table  nue.  Il  réussit,  parce  moyeu, 
'^  ramener  ces  femmes  à  la  connaissance  de  la  vérité. 
Peu  après,   il  commença  à  songer  à   Tinstitution  de 
^n  ordre,  dont  la  mission  devait  être  de  parcourir  le 
'Donde  en  prêchant  et  de  protéger  la  foi  catholique 
contre  les  attaques  de  l'hérésie.  Après  être  resté  dans 
la  province  de  Toulouse  l'espace  de  dix  ans,  à  comp- 
ter de  l'époque  où  il  quitta  l'évêque  d'Osma,  jusqu'au 
concile  de  Lalran,   il  alla   à   Rome  pour    ce  concile 
général  avec  Foulques,  évêque  de  Toulouse,  et  demanda 
au  souverain  pontife  Innocent  III,  pour  lui  et  ses  suc- 
cesseurs, la  confirmation  de  l'ordre  qui  serait  appelé 
et  qui  serait  effectivement  les  Prêcheurs.  Le  pape  se 
montra  d'abord  un  peu  difficile;  mais  une  nuit,  il  vil 
en  songe  l'église  de  Latran  menacée  d'une  ruine  sou- 
daine. Comme  il  regardait  cela  avec  effroi,  voilà  saint 
Dominique  qui  se  présente  de  l'autre  côté,  soutenant 
avec  les  épaules  tout  cet  édifice  chancelant.   A   son 
réveil,  le  pontife  comprit  le  sens  de  la  vision  et  accueil- 
lit avec  joie  la  demande  de  Thomme  de  Dieu;  puis  il 
Texhorta,   quand  il  serait   de  retour  auprès   de  ses 


352  LA    LEGENDE    DOREE 

frères,  à  choisir   une  des   règles   déjà   approuva 
qu'après  cela  il  revînt  le  trouver  et  qu'il  en  obtiendi 
la  confirmation,  comme  il  le  désirait.  A  son  retoi 
Dominique  communiqua  à  ses  frères  ce  que  lui  avî 
dit  le  Souverain  Pontife.  Or,  les  Frères  étaient  en^ 
ron  au  nombre  de  seize  ;  ils  invoquèrent  TEsprit-Saii 
et  choisirent,  à  l'unanimité,  la  règle  de  saint  Augu^ 
lin,  docteur  et  prédicateur  éminent, puisque  eux-mêm^^ 
devaient  être  des  prédicateurs  d'effet  et  de  nom  ;  ils;^ 
ajoutèrent   quelques   pratiques   de   vie  plus  sévères  "^ 
qu'ils  résolurent  d'observer  sous  forme  de  constitu-^  ' 
lion.  Sur  ces  entrefaites,  Innocent  mourut,  et  Hono--^ 
rius,  son  successeur  au  souverain  pontificat,  confirma  ^ 
l'ordre,   l'an  du  Seigneur  1216.  Comme  saint  Domi-^ 
nique  priait  à  Rome  dans  une  église  de  saint  Pierre, 
pour  la  dilatation  de  son  ordre,  il  vit  venir  à  lui  les 
glorieux  princes  des  apôtres  Pierre  et  Paul  ;  le  pre- 
mier, c'est-à-dire  saint  Pierre,  semblait  lui  donner  un 
bâton,  et  saint  Paul  un  livre,  en  lui  disant  :  (c  Va 
prêcher,  parce  que  tu  as  été  choisi  de  Dieu  pour  rem- 
plir ce  ministère.  »  Et  il  lui  sembla,  en  un  clin  d'œil, 
qu'il  voyait  ses  fils   dispersés  par  tout  l'univers,  et 
marchant  deux  à  deux*.  C'est  pour  cela   qu'à  son 
retour  à  Toulouse,  il  envoya  ses  frères  de  côté  et 
d'autre,  les  uns  en  Espagne,   quelques-uns  à  Paris, 
et  d'autres  à  Bologne.  Quant  à  lui,  il  revint  à  Rome. 
Avant   l'institution  de   l'ordre  des  Prêcheurs,  un 
moine  fut  ravi  en  extase  et  vît  la  sainte  Vierge  à  ge- 
noux, les  mains  jointes,  priant  son  Fils  pour  le  genre 

*  Humbert,  Vie,  n«  26 


SAINT    DOMINIQUE  333 

"Umaiii.  Il  repoussait  bien  souvent  sa  pieuse  mère  ; 
^nfîn  comme  elle    insistait,  il  lui  parla  ainsi  :  «  Ma 
Mère,  que  puîs-je   et   que  dois-je  faire   de  plus?  J'ai 
envoyé    des   patriarches  et    des  prophètes,  et  peu 
d'hommes  se  sont  amendés.  Je  suis  venu   vers  eux, 
ensuite  j'ai  envoyé  des  apôtres,  et  ils  m'ont  tué  et  les 
apôtres  aussi.  J'ai  envoyé  des  martyrs,  des  confesseurs 
et    des  docteurs,  et  ils  n'ont  point  eu   confiance   en 
eux:  cependant  comme  il  n'est  pas  juste  que  je  vous 
'"cfuse  quoi  que  ce  soit,  je  leur  donnerai  mes  Prêcheurs, 
par  lesqufslsils  pourront  s'éclairer  et  se  purifier  ;  sinon, 
J^  viendrai  contre   eux.  »  Un  autre  eut  une  vision 
semblable,  dans  le  temps  que  douze  abbés  de  l'ordre 
d^  Citeaux  furent  envoyés  à  Toulouse  contre  les  héré- 
^•ques.  Car  le  Fils  ayant  répondu  à  sa  mère  comme  il 
^■^ni  d'être  rapporté  ci-dessus,  la  sainte  Vierge  dit: 
^     Mon  bon  Fils,  ce  n'est  pas  d'après  leur  malice,  mais 
^  siprès  votre  miséricorde  que  vous  devez  agir.  »  Alors 
'^    Pils  vaincu  par  ces  prières  dit  :  «  Je  leur  accorderai 
^ï^core  cette  miséricorde  selon  votre  désir  ;  je  leur  en- 
^'^ï*rai  mes  Prêcheurs  pour  les  avertir  et  les  former  ; 
^^  s'ils  ne  se  corrigent  point,  je  ne  les  épargnerai  plus 
^^vantage.»  Un  frère  Mineur,  qui  avait  été  longtemps 
*^  <îoinpagnon  de  saint  François,  raconta  ce  qui  suit  à 
plusieurs  frères  de  l'ordre  des  Prêcheurs  :  A  Tépoque 
où  Saint  Dominique  était  à  Rome  en  instance  auprès 
^^  pape   pour  obtenir  la  confirmation  de  son  ordre, 
^^^  nuit  qu'il  était  en  oraison,  il  vit  en  esprit  J.-C. 
daas  les  airs,  tenant  à  la  main  trois  lances  qu'il  bran- 
dissait contre  le  monde.  Sa  mère  s'empressa  d'accourir, 
cl  lui  demanda  ce  qu'il  voulait  faire.  Et  il  dit:  «  Ce 
H.  23 


334  LA  L.È 

monde  que  voici  estrempJitoutentierdfLniîsvicL-s:  l'ur- 
gueil,  la  concupùoence  et  l'avarice;  voilà  pourquoi  jr 
veux  le  détruire  avec  ces  trois  laiiocs.  »  Alors  la  Vicrirc 
lui  dit  en  se  jetantà  ses  «enouv  :  «  Très  cber  Fîia,  ayez 
pitié  et  tempérez  votre  justice  par  vuLre  miséricorde.  » 
J.-C.   reprit:  «  EsV<t  que  vous  ne  xoyez  pas    toutes 
les  injures  dont  on  m'uulrH^c?  »  Elle  lui  dit  :  «  Apaiser 
votre  fureur,  mon  fils,  <■!  attendez  un  peu  ;  car  j*ai  un 
fidèle  serviteur,  un  chumpton  Intri^pidc?  qui  parcourra 
le  monde,  le  vaincra  ri  lo  soumpllra  i^   voire  domi- 
nation. Je  lui  donnerai  misai  un  autre  serviteur  pou-^ 
l'aider  et  pour  combattre  lidèlemcnt  avec  lui.  u  Le  Fift^-^ 
lui  répondit:  «  Voici  que  je  suis  apaisé  j  j'ai   rci^^u 
favorablement  votre  rcqu(!le;  mais  je  voudrais  IW^^n 
voir  ceux  que  vous  Voulez  destiner  à  une  si  gran  -~^e 
entreprise.  »  Alors  eUe  préscnUi  à  J.-C.  saint  Dor— »ii. 
nique.  J.-C  lui  dit  :  «  Vraiment,  c'est  un  bon  ei  in- 
trépide champion,  et  il  s'acquittera  avec  zèle  de  ce  c^  up 
vous  avez  dit.  »  Elle  lui  présenta  en  même  temps  s»  ïai 
François  et  J.-C.  lui  accorda  les  mêmes  éloges  qii  an 
premier.  Or,  saint  Dominique  regarda  attentivemeol 
son    compag'uon   durant  sa   vision,  et   le   lendemain 
l'ayant    trouvé  dans  l'église,  sans  l'avoir  jamais  vu, 
sans  le  secours  de  personne  pour  le  lui  indiquer,  il  le 
reconnut  d'après  son  rêve.  Alors  se  jetant  dans  ses 
l)ras,  il  l'embrassa  ave4- piété  en  disant  :  «  Vous  êtes 
mon  compagnon  ;  vous  courrez  la  même  carrière  que 
moi  ;  restons  unis  ensemble,  et  aucun  adversaire  ne 
triomphera.  »  Saint  François  lui  raconta  qu'il  avait 
eu  exactement  la  même  vision  :  et  depuis  cet  instant, 
il   n'y  ent  plus  en  eux    qu'un  seul  cœur  et  une  seule 


SAINT    DOMINIQrK  335 

Unie  ;  union  qu'ils  recommandèrent  à  leurs  descendants 
d'observer  à  perpétuité  *. 

Il  avait  reçu  dans  l'ordre  un  novice  de  la  Fouille: 
Quelques-uns  des  compagnons  de  ce  novice  le  perver- 
tirent au  point,  qu'ayantrésolu  de  rentrer  dans  le  siècle, 
il  demandait  ses  habits  de  toutes  les  manières  qu'il 
pouvait.  Saint  Dominique,  qui  en  fut  informé,  se  mit 
aussitôt  en  prière.  Or,  comme  on  avait  dépouillé  ce 
jeune  homme  de  ses  habits  religieux  et  qu'on  l'avait 
déjà  revêtu  de  sa  chemise,  il  se  mit  à  pousser  de  grands 
cris  et  à  dire  :  «  Je  brûle,  je  suis  enflammé,  je  suis  tout  en 
feu  ;  ôtez,  ôtez  cette  chemise  maudite  qui  me  brûle  de 
Coûtes  parts.  »  Il  n'eut  aucun  repos  qu'il  ne  se  fût  dé- 
pouillé de  la  chemise  et  qu'il  n'eût  revêtu  ses  habits  de 
religieux,  enfin  qu'il  ne  fût  rentré  dans  le  cloître.  Saint 
Dominique  était  à  Bologne  quand,  après  la  rentrée  du 
frère  au  dortoir,  le  diable  se  mit  à  tourmenter  un  con- 
vers.  Frère  Reynier  de  Lausanne  son  maître  en  ayant 
été  informé,  s'empressa  d'en  faire  part  à  saint  Domi- 
nique. Alors  celui-ci  fit  mener  le  frère  à  l'église  devant 
l'autel.  Ce  fut  à  peine  si  dix  frères  purent  le   trans- 
porter. Saint  Dominique  lui  dit:  «  Je  t'adjure,  misé- 
rable, de  me  dire  pourquoi  tu  tourmentes  une  créature 
de  Dieu;  et  pour  quel  motif,  et  comment  tu  es  entré 
ici.  »  Il  répondit:  «  Je  le  tourmente   parce  qu'il   l'a 
mérité  :  car  hier  il  a  bu  dans  la  ville,  sans  la  permis- 
sion du  prieur,  et  avant  de  faire  le  signe  de  la  croix. 
Alors  je  suis  entré  en  lui  sous  la  forme  d'un  moucheron 
ou  plutôt  il  m'a  avalé  avec  le  vin.  »  Or,  le  fait  est  que  cet 

*  (iëranl  de  Fr.iche!,  I.  î,  c.  i. 


itCiti  l.\    I.ÛiENDE    nORÉE 

liomnii'  avail  vraîmeiil  hu.  Sur  ces  eiilrcfaîlcs  sunna  le 
[iri;iiiier  coii[>  de  malines.  En  l'entendant,  te  diable, 
qui  parlait  en  lui,  dit:  «  Maintenant  je  ne  puis  rester 
plus  longtemps  ici,  puisque  voici  les  encapuchonnés 
qui  se  lèvent.   »  Ce  fut  ainsi  qu'il  fut  forcé  de  sortir 
parla  prière  de  saint  Dominique.  Un  jour,  il  passait 
un  fleiive  dans  les  environs  de  Toulouse;  ses  livTcs, 
que  personne  ne  soignait,  tombèrent  dans  l'eau.  Trois 
jours  après,  un   pêcheur,  qui  avail  jeté  son  hameçon 
au  même  endroit,  croyant  avoir  pris  un  gros  poisson, 
ne   ramena   que   ces    livres;  mais  ils  étaient    intacts 
comme  s'ils  eussent  été  gardés  avec  le  plus  grand  soîn 
dans  une  armoire.  Il  arriva  à  un  monastère  alors  que    ; 
les  frères  reposaient,  il  ne  voulut  pas  les  troubler;  ^ 
mais  il  fit  une  prière  et  il  entra  avec  son  compagnon,^ 
dans    le  raonaslère,   les   porles   étant   fermées*.    Laas 
même  chose  eut  lieu  une  autre  fois  qu'il  allait  avein» 
un  convers  cistercien  pour  combattre  les  hérétiques.  ; 
Arrivés  sur  le  soir  à  une  église,  dont  les  portes  étaîenV' 
fermées,  saint  Dominique  ayant  fait  une  prière,  ils  se^ 
trouvèrent  subitement  dans  l'intérieur  de  l'église,  oiMl 
ils  passèrent  toute  la  nuit  enoraison.  Après  une  longuir 
marche,  avant  d'entrer  dans  l'hôlellerie,  il  avait  cou- 
tume d'apaiser  sa  soif  Â  quelque  fontaine,  aBn  qu'on 
ne  remarquât  point  dans  la  maison  de  son  hôte  qu'il 
ait  trop  bu. 

Un  écolier  d'un  tempérament  porté  au  péché  de  la 
cliair  vint,  un  jour  de  fête,  pour  entendre  la  messe 
dans  la  maison  des  Frères  de  Bologne.  Or,  c'était 

'  Itodritfue  de  Cerrnl,  n"  91. 


SAINT    DOMINIQUE  357 

sailli  Dominique  qui  célébrait.  Quand  on  fut  arrivé  à 

rofTrande,  cet  écolier  s*approcha  et  baisa  la  main  du 

saint  avec  grande  dévotion.  Et  quand  il  Teut  baisé; 

il  sentit  qu'il  s'exhalait  de  cette  main  une  si  bonnt^ 

odeur,  que  jamais  il  n'en  avait  rencontré  une  si  grande 

«n  sa  vie  :  et  dès  ce  moment,  le  feu   de  la  passion 

s'éteignit   en  lui  merveilleusement,  en  sorte  que  ce 

jeune  homme,  qui  jusqu'alors  avait  été  adonné  à  la 

vanité  et  à  la  luxure,  devint,  dans  la  suite,  continent 

'i^t  chaste.  Oh  !  la  grande  pureté  qui  régnait  dans  ce 

corps  dont  Fodeur  purifiait  d'une  manière  si  admi- 

ï^ble  les  souillures  de  l'âme  !  —  Un  prêtre,  témoin 

Je  la  ferveur  avec  laquelle  saint  Dominique  et  ses 

frères  s'adonnaient  à  la  prédication,  conçut  le  projet 

"C  se  joindre  à  eux,  dans  le  cas  où  il  pourrait  se  pro- 

^^ïrerun  Nouveau-Testament  qui  lui  était  nécessaire 

/^^^iirla  prédication.  Au  moment  où  il  pensait  à  cela, 

*  ^    présenta  un  jeune  homme  qui  avait  sous  son  habit 

*^   Testament  à  vendre  :  le  prêtre   Tacheta  avec  une 

^  ^^^nde  joie;  mais  comme  il  hésitait  encore  un  peu,  il 

.    ^      une  prière,  et  ayant  tracé  le  signe  de  la  croix  sur 

couvert  du  livre,  il   l'ouvrit  et  jeta  les  veux  sur  le 

f|         ^mier  chapitre  qui  se  présenta  ;  il  tomba  sur  cet  en- 

^it  des  Actes  des  apôtres  où  il  est  dit  à  saint  Pierre  : 

^      ^ève-toi,  descends  et  va  avec  eux  sans  hésiter,  car 

^^slmoi  qui  les  ai  envoyés  (xx).  »  A  Tinstant,  il  alla 

adjoindre  à  eux.  —  Un  maître  de  théologie,  qui  en- 

^çnait  à  Toulouse  avec  talent  et  réputation,  prépa- 

^^  ^t  ses  matières  un  matin  avant  le  jour;  accablé  de 

.^^  nimeil,  il  inclina  légèrement  la  tête  sur  sa  chaire  et 

^ui  sembla  qu'on  lui  présentait  sept  étoiles.  Comme 

II.  2:r 


s       -s 

s« 


358  LA    l.tUI^MIE    lltlKK^ 

il  s'extasiait  devant  un  pareil  présent,  luut  aiissid'it  ers 
étoiles  augmenlèrent  eu  lumière  et  eu  gruiideiir.  à  tel 
point  qu'elles  éclairaJeiU  le  momie  enlier.  A  son  réveil, 
il  s'étonnait  beaucoup  de  ce  que  cela  voulait  dire  ;  et 
voici  qu'en  entrant  daus  l'i^cole  et  en  enseig^uanl  sa 
leçon,  saint  Dominique  et  six  frères  avec  lui,  qui  por- 
taient le  tnAme  habit,  s'approchèrenl,  avec  humilité,  du 
mattre  et  lui  déclarèrent  qu'ils  avaieut  pris  la  résolu- 
tion de  suivre  son  cours.  Alors  se  rappelant  la  vision 
qu'il  avait  eue,  il  ne  tit  pas  diflîculté  de  croire  que 
c'étaient  là  les  sept  i^loiles  qui  lui  étaient  apparues  *. 
—  Saint  Dominique  *tait  à  Rome  quaud  y  arriva  avec 
l'évèqne  d'Orléans,  pour  s'embarquer,  maflrc  Reinier, 
doyen  de  Saint-Aignan  d'Orléans,  qui  avait  enseigné 
à  Paris  le  Droit  Canon  pendant  cinq  ans.  Depuis  Iouk- 
tempsdéjà  il  se  proposait  de  tout  quitter  pour  se  livrer 
à  la  prédication,  mais  il  n'avait  pas  encore  pris  mm 
parti  sur  le  moyen  à  employer  par  lui  pour  exécuter 
son  projet.  Un  cardinal  auquel  il  a%'ait  fait  part  du 
Son  vœu,  lui  avait  parié  de  l'InsliUit  des  Préclieurs  ; 
il  avait  donc  fait  appeler  saint  Dominique  auquel  il 
manifesta  ses  intentions  :  ce  fut  alors  qu'il  se  décida  à 
entrer  dans  son  ordre;  maisaussitôtune  violente  fièvre 
le  saisit  et  mit  ses  jours  en  danger.  Alors  saint  Do- 
minique ne  cessa  de  faire  des  prières  et  de  s'adresser 
à  la  sainte  Vierge,  à  laquelle  il  avait  confié,  comme  à 
une  patronne  spéciale,  tout  le  soin  de  son  ordre,  en 
lui  demandiint  de  daigner  lui  accorder  cet  homme,  ne 
serait-ce  que  pour  un  court  espace  de  temps,  quand 

'  tlumbcn.  Vie,  tf  27, 


SAINT  noMiNiguE  339 

Reinier  qui  veillait  et  qui  attendait  la  mort,  voit  tout 
à  coup,  à  n'en  pas  douter,  la  Reine  de  miséricorde  ve- 
nir à  lui  en  compagnie  de  deux  jeunes  personnes  re- 
marquablement belles,  et  lui  adresser  ces  paroles  d'un 
visage  caressant  :  «  Demande-moi  ce  que  tu  veux  et 
je  te  le  donnerai.  »  Il  cherchait  quoi  demander  quand 
une  des  jeunes  filles  lui  suggéra  de  ne  demander  rien, 
mais  de  s'en  remettre  entièrement  à  la  reine  de  misé- 
ricorde. Ce  qu'il  fit.  Alors  la  sainte  Vierge  étendant  sa 
main  virginale,   lui  fit  des  onctions  aux  oreilles,  aux 
narines,  aux  mains  et  aux  pieds  avec  une  huile  qu'elle 
avait  apportée,  en  prononçant  une  formule  appropriée 
à  chaque  onction.  Aux  reins,  elle  dit  :  «  Soient  étreints 
ces  reins  du  cordon  de  chasteté.  »  Aux  pieds  :  «  J'oins 
tes  pieds  pour  qu'ils  soient  préparés  à  porter  l'Evan- 
gile de  paix.  »  Et  elle  ajouta  :  «  Dans  trois  jours,  je  te 
remettrai  une  ampoule   qui    le  rendra  une  parfaite 
santé.  »  Alors  elle  lui   montra  un  habit  de  l'ordre  : 
c<  Voici,  lui  dit-elle,  un  habit;  c'esl  celui  de  ton  ordre.  » 
Or,  saint  Dominique  qui  était  en  prières  eut  une  vi- 
sion tout  à  fait  semblable.  Quand  le  matin  fut  arrivé, 
saint  Dominique  vint  le  voir  et  le  trouva  guéri  :  en- 
suite il  écouta  le  récit  que  lui  fit  Reinier  de  sa  vision  : 
après  quoi  celui-ci  prit  l'Iiabit  que  la  Vierge  lui  avait . 
montré,  car  auparavant  les  Frères   se  servaient  de 
surplis.  Trois  jours  après,  la  mère  de  Dieu  revint  et 
fit  sur  le  corps  de  Reinier  des  onctions  qui  éteignirent 
non  seulement  l'ardeur  de  la  fièvre,  mais  encore  le  feu 
de  la  concupiscence,  à  tel  point  que,  d'après  ce  qu'il 
confessa  lui-même  dans  la  suite,  il  ne  s'éleva  pas  en 
lui  le  moindre  mouvement  désordonné.  La  même  vi- 


â 


360  l.\    LLtiP.NnF.    DOKKF. 

sion  fut  renouvelée,  vis-à-vis  saint  Dominiiiiic.  en  fa-  " 
veUTil'uii  reiiçiiMix  de  l'ordre  des  liospîtaliers  qui  en 
fut  stupéfait.  AprèH  la  mort  de  Reiiiier,  saint  Domi- 
nique raconta  cotte  apparition  à  un  ^rand  nombre  de 
firères.  Reinier  fut  donc  envoyé  à  Bologne,  où  il  se 
lÎTra  avec  ardeur  A  la  prédication,  et  où  le  iionibrt'dcs 
fr^s  prit  de  l'accroissement.  Ensuite  on  l'envoya  à 
Paris,  où  il  mourut  peu  de  jours  après  dans  le  Sei- 
gneur *.  Un  jeune  homme,  qui  était  neveu  du  cardinal 
Etienne  de  Fosse-Neuve,  tomba  avec  son  cheval  dans 
un  précipice,  et  on  l'en  relira  mort.  On  le  présenta  à 
saint  Dominique  qui  fil  une  prière  el  lui  rendit  la  vie**. 
—  Un  architecte, conduit  parles  frères sousune  crypte 
de  l'église  de  Saint-Sixte,  fut  écrasé  par  un  pan  de 
mur  qui  s'écrnula,  et  il  fut  étouffé  sous  les  décombres  ; 
mais  l'homme  de  Dieu,  Dominique,  fit  enlever  le  corps 
de  la  crypte,  se  le  fit  apporter  et  par  le  suffrai^e  de  ses 
prières,  il  lui  rendit  la  vie  avec  la  sanlé  •**.  • —  Dans 
le  même  couvent  de  saint  Sixte,  où  restaient  eu\iron 
quarante  frères,  il  ne  se  trouva  un  jour  qu'une  très 
petite  quantité  de  pain;  alors  saint  Dominique  com- 
manda qu'on  la  partageAt  et  qu'on  la  ser\-{t  sur  la 
table  ;  et  pendant  que  chacun  mangeait  avec  joie  celte 
petite  bouchée  de  pain,  voici  que  deux  jeunes  gens 
tout  à  fait  ressemblants  par  leur  habit  et  leur  figure 
entrèrent  au  réfectoire,  portant  des  pains  dans  des  ■ 
tahliers  qui  leur  pendaient  au  cou.  Ils  les  pesèrent 


=  Thierry  d'Apolds.n'' 92. 
-"  Histoire  ilr  na  vîr,  passini. 
'■'"  ReliilioH  lie  In  smir  Cécile, 


SAINT    DOMINI()l  K  3(>i 

sans  rien  dire  au  bout  de  la  table  du  serviteur  de 
Dieu  Dominique,  et  se  retirèrent  si  vite  que  personne 
ne  put  savoir  dans  la  suite  d'où  ils  étaient  venus,  ni 
comment  ils  étaient  sortis.  Alors  saint  Dominique  éten- 
dit les  mains  çà  et  là  sur  la  communauté  et  dit  : 
«  Maintenant,  mes  frères,  mangez.  »  —  Un  jour,  saint 
Dominique  était  en  chemin  et  il  tombait  une  très  forte 
pluie;  il  fit  le  signe  de  la  croix  et  il  écarta  la  pluie  toute 
entière  de  lui  et  de  son  compagnon,  de  sorte  que  ce 
fut  comme  s'il  s'était  couvert  d'un  pavillon  avec  la 
croix  :  et  alors  que  toute  la  terre  était  couverte  d'eau, 
il  n'en  tombait  pas  une  goutte  autour  d'eux,  à  une 
distance  de  trois  coudées  *.  —  Une  fois  que  dans  les 
en\irons  de  Toulouse,  il  venait  de  traverser  une  ri- 
vière dans  une  barque,  le  batelier  lui  demanda  un  de- 
nier pour  prix  de  son  passage.  Comme  l'homme  de 
Dieu  lui  promettait  le  royaume  des  cieux  pour  récom- 
pense, en  ajoutant  qu'il  était  le  disciple  de  J.-C.  et 
qu'il  ne  portait  avec  lui  ni  or,  ni  argent,  le  batelier  le 
saisit  par  sa  chape  et  lui  dit  :  «  Tu  me  donneras  ta 
chape  ou  un  denier.  »  Alors  l'homme  de  Dieu  leva  les 
yeux  au  ciel,  fit  intérieurement  une  petite  prière  et 
regardant  à  terre,  et  y  voyant  un  denier  qui,  sans  au- 
cun doute,  lui  était  envoyé  par  le  bon  Dieu  :  «  Voici, 
dit-il,  mon  frère,  ce  que  vous  me  demandez,  prenez 
et  laissez-moi  aller  en  paix.  »  —  Il  arriva  un  jour  que 
saint  Dominique  étant  en  voyage  s'associa  avec  un 
religieux  qui  lui  était  bien  connu  par  sa  sainteté,  mais 
dont  il  n'entendait  ni  le  lani.'^at.^e  nila  langue  Contrarié 

*  llumbert,  Vie,  n"3«. 


à 


362  LA    LKGKNDK    DOREE 

de  ce  qu'il  ne  pouvait  pas  conférer  avec  lui  des  choses 
du  ciel,  il  obtint  de  Dieu  que  l'un  parlât  la  langue  de 
l'autre,  de  manière  à  se  comprendre  pendant  les  (rois 
jours  qu'ils  avaient  à  voyager  ensemble.  —  On  lui  pré- 
senta une  fois  un  homme  obsédé  d'un  grand  nombre 
de  démons  ;  il  prit  une  étole  qu'il  se  mit  au  cou,  en- 
suite il  la  serra  autour  du  cou  du  démoniaque  en  lu'i 
ordonnant  de  ne  plus  faire  souffrir  cet  homme  désor^ 
mais.  Alors  ces  démons  commencèrent  à  être   tour*^ 
mentes  dans  le  corps  de  l'obsédé,  et  crièrent  :  «  Laisse--^ 
nous  sortir,  pourquoi  nous  forces  tu  à  être  tourmenté 
ici?  »  Et  saint  Dominique  dit:  «  Je  ne  vous  laisserai 
point  partir,  à  moins  que  vous  ne  me  donniez  des  ga- 
rants qui  me  répondront  que  vous  ne  rentrerez  plus 
désormais.  »  «  Quels  garants,  répondirent-ils,  pour- 
rons-nous te  donner?  »  Et  il  reprit:  «  Les  saints  mar- 
tyrs dont  les  corps  reposent  en  cette  église.  »  Et  ils 
dirent  :  «  Nous  ne  le  pouvons,  car  nos  mérites  sont  en 
contradiction,  o  «  Il  faut,  vous  dis-je,  les  donner,  au- 
trement je  ne  vous  délivrerai  jamais  du  tourment  que 
vous  endurez.   »    Alors  ils  répondirent  à  cela  qu'ils 
sVn  occuperaient  :  et  peu  après  ils  dirent:  «  Eh  bien, 
nous  avons  obtenu,  quoique  nous  ne  le  méritions  pas, 
que  les  saints  martyrs  soient  nos  garants.  »  Or,  saint 
Dominique   leur    demandant  un   signe  par  lequel  il 
pourrait   s'assurer    de  cela,   les   démons    lui  dirent  : 
«  Allez  à  la  châsse  qui  renferme  les  têtes  des  martyrs 
et  vous  la   trouverez  renversée.  »    On  y  alla  et   l'on 
trouva  qu'il  en  était  comme  ils  l'avaient  assuré  *. 

Thiorrv  d'Apolil.i. 


SAINT    UOMr.NigUE  303 

Pendant  une  de  ses  prédications,  des  femmes  qui 
s'étaient  laissé  corrompre  par  les  hérétiques  vinrent 
se  jeter  à  ses  pieds  en  lui  disant  ;  «  Serviteur  de  Dieu, 
venez  à  notre  aide;  si  ce  que  vous  avez  prêché  aujour- 
d'hui est  vrai,  depuis  longtemps  l'esprit  d'erreur  a 
aveuglé  nos  cœurs.  »  Saint  Dominique  leur  dit  :  «  Soyez 
constantes  et  attendez  un  peu  afin  de  voir  à  quel  maî- 
tre vous  vous  êtes  attachées.  »  Aussitôt  elles  virent 
sauter  du  milieu  d'elles  un  chat  affreux  qui  avait  les 
proportions  d'un  grand  chien  avec  des  yeux  gros  et 
flamboyants,  une  langue  longue  et  large,  injectée  de 
sang  et  qui  allait  jusqu'à  son  nombril  ;  sa  queue  courte 
et  relevée  laissait  voir  toute  la  turpitude  de  son  der- 
rière, de  quelque  côté  qu'il  se  tournât;  et  il  s'en  exha- 
lait une  puanteur  insupportable.  Après  qu'il  eut  tourné 
pendant  un  certain  temps  çà  et  là,  autour  de  ces  fem- 
mes, il  grimpa  dans  le  clocher  par  la  corde  de  la  clo- 
che et  disparut,  laissant  après  lui  des  traces  dégoil- 
tantes.  Alors  ces  femmes,  après  avoir  remercié  Dieu, 
se  convertirent  à  la  foi  catholique  *'.  —  Il  avait  con- 
vaincu dans  la  province  de  Toulouse  un  certain  nom- 
bres d'hérétiques  condamnés  au  bûcher;  et  il  vit  au 
milieu  d'eux  un  homme  appelé  Raymond  ;  alors  il  dit 
aux  bourreaux  :  «  Conservez  celui-ci,,  et  qu'on  ne  le 
brûle  pas  avec  les  autres.  »  Puis  se  tournant  vers  lui  : 
ce  Je  sais,  lui  dit-il  avec  bonté,  je  sais,  mon  fils,  que 
vous  serez  un  jour,  quoique  ce  ne  soit  pas  de  sitôt, 
un  homme  de  bien,  et  un  saint.  »  On  relâcha  donc  cet 
homme  qui,  pendant  vingt  ans  encore,  resta  dans  Thé- 

*  Thierry  d'Apolda,  ch.  iv,  n^  54. 


3(J4  L.V    LÉGENDE    DOREE 

résie  ;  enfin  s'étant  converti,  il  entra  dans  l'ordre  c^ 
frères  Prêcheurs  où  il  vécut  saintement  jusqu'à 
mort.  —  Comme  saint  Dominique  était  en  Espag 
en  compagnie  de  quelques  frères,  il  lui  apparut  un  d 
gon  épouvantable,  qui  s'efforçait  d'engloutir  les  frèr 
dans  sa  gueule.  L'homme  de  Dieu,  qui  comprit  le  se 
de  cette  vision,  exhortait  ses  compagnons  à  résist 
courageusement.  Peu  de  temps  après  ils  le  quittère 
tous  à  l'exception  de  frère  Adam  et  de  deux  con- 
vers.  Il  demanda  donc  à  l'un  d'eux  s'il  voulait  s'eiT 
aller  comme  les  autres  :  «  A  Dieu  ne  plaise,  mon  père,^ 
répondit-il  qu'en  quittant  la  tête,  je  suive  les  pieds.  » 
Alors  saint  Dominique  se  mit  en  prière,  et  presque 
tous  furent  convertis  peu  de  temps  après  par  le  mé- 
rite de  cette  prière.  —  Comme  il  se  trouvait  à  Rome, 
au  couvent  de  saint  Sixte,  l'esprit  de  Dieu  vint  sur  lui 
soudainement  et  il  rassembla  les  frères  au  chapitre  : 
alors  il  leur  annonça  que  quatre  d'entre  eux  devaient 
mourir  bientôt,  deux  de  la  mort  du  corps,  et  deux  de 
la  mort  de  l'àme.  En  effet  peu  après  deux  frères  s'en- 
dormirent dans  le  Seigneur  et  deux  autres  se  retirè- 
rent de  l'ordre  *.  —  Lorsqu'il  était  à  Bologne,  se 
trouvait  en  cette  ville  maître  Conrad,  Allemand,  que 
les  frères  souhaitaient  fort  de  voir  entrer  dans  l'ordre. 
Or,  saint  Dominique  étant  en  conversation,  la  veille  de 
la  fête  de  l'Assomption  de  la  sainte  Vierge,  avec  le 
prieur  du  monastère  de  Casa-Mariac  de  l'ordre  de  Ci- 
teaux,  il  lui  dit  entre  autres  choses  en  forme  de  confi- 
dence :  «  Je  vous  avoue,  prieur,  une  chose  que  je  n'ai 

''  liiiiiiberl,  II"  r»(). 


SAINT    DOMINIQUE  *MM\ 

js^nnais  découverte  à  personne  jusqu'à  présent,  et  que 
^'ous  ne  révélerez  pas  vous-même  à  d'autres,  de  mon 
^'î  vant  ;  c'est  que  je  n'ai  jamais  rien  demandé  ici-bas 
je  ne  Taie  obtenu  selon  mes  désirs.  »  Comme  le 
our  lui  disait  que  peut-être  il  mourrait  avant  lui, 
^iri.t  Dominique  lui  dit  en  esprit  prophétique  qu'il  vi- 
vait longtemps  après  lui.   La  prédiction  se   réalisa. 
'ors  le  prieur  ajouta  :  «  Demandez  donc,  mon  père, 
^'^^  Dieu  vous  donne  pour  votre  ordre  maître  Conrad, 
^  '-•tî   vos  frères  paraissent  désirer  tant  être  des  vôtres.  » 
^'^^^îs  saint  Dominique  lui  répondit  :  «  Mon  bon  frère, 
^"^^Us  avez  demandé  là  une  chose  difficile.  »  Après 
plies,  les  frères  étant  allés  se  reposer,  Dominique 
dans  l'église  où  il  passa  la  nuit  en  prière  comme 
^  ^^•-ïiit  sa  coutume.  Or,  quand  on  vint  chauler  prime, 
*^^   <inoment  où  le  chantre  entonnait  riivmne  Jam  lacis 
^**^o   sidère,  voici  que  celui  qui  devait  être  un  nouvri 
**«lre  d'une  nouvelle  lumière,  inattre  Conrad,  vient 
^^^t  à  coup  se  prosterner  aux  pieds  de  saint  Doniini- 
^^^,  et  lui  demander  instamment  l'habit  de  Tordre.  Il 
t^^ï*sévéra  dans  sa  demande  et  fut  reçu.  Ce  fut  un  zélé 
^^'ig'îeux  qui  enseigna  dans  l'ordre  à  la  grande  satis- 
*^^Uoii  de  tous.  Il  était  près  de  mourir  et  avait  déjà 
•^ï*naé  les  yeux,  de  sorte  qu'on  le  croyait  mort,  quand 
^*  '^egarda  les  frères  qui  étaient  autour  de  lui  et  dit  : 
^^^ninus  vobiscum.  Quand  on  eut  répondu  :  Et  mm 
^yirilu  tuo,  il  ajouta  :  Fidelium  animœ  per  misericor- 
^hm  Dei  requiescanl  in  puce  *.  Et  aussitôt  il  reposa 
^^  paix  dans  le  Seigneur. 

*  Cp  sont  les  paroles  par  lesquelles  {'Kefiise   termine   tous 


'36B  <\    LfT.ESUK    nnlIKF, 

Le  servlli'ur  de  Dieu  saint  Dominique  l'iail  dou^ 
d'une  ^^alité  tlMme  que  rien  n'ébrunlail,  sinon  quand 
il  étiiil  Iroutiié  par  lii  compassion  et  par  ta  mis^ri* 
cordp;  cl  parce  qu'un  cœur  coulent  épanouit  le  visage 
on  voyait,  A  sa  douceur  extérieure,  la  paix  qui  régnail 
au  dodan»  de  lui.  Dans  le  journée,  personne  n'était 
plus  simple  que  lui  avec  les  frères  et  ses  compagnons, 
tout  en  observant  les  règles  de  la  biensi'ance;  la  nuit 
personne  n'était  plus  exact  aux  oflices  et  à  la  prière. 
Il  consacrait  le  jour  au  prochain  et  la  nuit  à  Dieu.  Il 
avait  fait  de  ses  jeux  comme  une  fontaine  de  larmes. 
Souvent  quand  on  levait  le  corps  du  Seigneur  à  la 
messe,  il  était  ravi  en  esprit  comme  s'il  avait  vu  pré- 
sent J.-C.  incarné  :  c'est  pour  cela  que  pendant  lon^ 
temps,  il  n'assista  pas  à  la  messe  avec  les  autres.  Il 
avait  aussi  la  coutume  de  passer  très  souvent  la  nuit 
dans  l'éiçlise,  en  sorte  qu'il  semblait  n'avoir  pas  on 
presque  pas  de  lieu  tîxe  pour  prendre  son  repos  :  et 
quand  la  nécessité  de  dormir  \e  surprenait  à  la  suite 
de  ses  fatigues,  il  se  reposait  ou  bien  devant  l'autel, 
ou  bien  la  léte  inclinée  sur  une  pierre.  Chaque  nuit  il 
prenait  lui-même  trois  fois  la  discipline  avec  une  chaîne 
de  fer  :  une  fois  pour  soi-même,  une  seconde  fois 
pour  les  pécheurs  qui  vivent  dans  le  inonde,  et  une 
troisième  fois  pour  ceux  qui  souffrent  dans  le  purga- 
toire. Élu,  un  jour,  à  l'évêché  de  Couserans,  d'autres 
disent  de  Comminge,  il  refusa  nettement,  protestant 
devoir  plutôt  quitter  la  terre  que  de  consentir  jamais 

SCS  ol'Hces  :  elles  siginificnl  :  Qw  pur  la  miséricorde  de  Dira,  let 

limes  (In  fidflei  reposent  en  paix. 


SAINT    DOMrNlQl'E  307 

à  une  élection  dont  il  serait  l'objet.  —  Ou  lui  ilemau- 
clail  un  jour  pourquoi  il  ne  restait  pas  à  Toulouse,  ou 
clans  le  diocèse  de  cette  ville,  plutôt  que  dans  le  dio- 
cèse de  Carcassonne,  il  répondit  :  «  C'est  parce  que, 
dans  le  diocèse  de  Toulouse,  je  rencontre  bon  nombre 
de  personnes  qui  m'honorent,  et  que  à  Carcassonne, 
au  contraire,  tout  le  monde  me  fait  la  g-uerre.  »  Quel- 
qu'un lui  demandait  dans  quel  livre  il  avait  le  plus 
étudié  :  «  C'est,  dit-il,  dans  le  livre  de  la  charité.  » 
—  Une  fois  qu'étant  à  Bologne  il  passait  la  nuit  dans 
l'église,  le  diable  lui  apparut  sous  la  figure  d'un  frère. 
Saint  Dominique,  croyant  que  c'en  était  un,  lui  faisait 
signe  d'aller  se  reposer  comme  les  autres.  Or,  celui-là 
lui  répondait  par  signes  comme  s'il  se  moquait  de  lui. 
Alors  saint  Dominique  voulant  savoir  quel  était  celui 
qui  méprisait  ainsi  ses  ordres,  alluma  une  chandelle 
à  la  lampe  et  regardant  sa  figure  reconnut  tout  de  suite 
que  c^était  le  diable.  Le  saint  l'accabla  de  reproches 
et  le  diable  se  mit  à  l'insulter  pour  avoir  rompu  le  si- 
lence ;  alors  saint  Dominique  lui  déclarant  qu'il  lui 
était  permis  de  parler  en  sa  qualité  de  maître  des  frères, 
il  le  força  de  lui  déclarer  en  quoi  il  tentait  les  frères 
au  chœur.  Le  diable  lui  répondit  :  «  Je  les  fais  arri- 
ver tard  et  sortir  tôt.  »  Il  le  conduisit  ensuite  au  dor- 
toir et  lui  demandant  de  quoi  il  y  tentait  les  frères. 
Il  dit  :  «  Je  les  fais  trop  dormir,  se  lever  tard,  et  de 
cflte  manière,  ils  y  restent  pendant  l'office  et  de  tem[»s 
en  temps,  je  leur  suggère  de  mauvaises  pensées.   » 
Fuis  il  le  mena  au  réfectoire,  et  lui  demanda  de  quoi 
il  y  tentait  les  frères;  alors  le  démon  se  met  à  sauter 
sur  les  tables,  en  répétant  souvent  ces  paroles  :  ((  Plus 


3ti8  LA    LÉGENDE    DOREE 

Cl  inoilis,  plus  et  moins.  »  El  comme  saint  Dominique 
lui  demandait  ce  qu'il  voulait  dire  par  là,  il  répondît  : 
<(  il  y  a  quelques  frères  que  je  tente  de  mang-er  plus, 
cl  par  conséquent  de  manquer  souvent  à  la  règle 
en  mangeant  trop  :  d'autres,  de  manger  moins,  afin 
qu'ils  deviennent  sans  force  dans  le  service  de  Dieu 
el  dans  la  pratique  de  leurs  règles.  »  De  là  il  le  con- 
duisit au  parloir,  en  s'informant  de  quoi  il  y  tentait 
les  frères.  Alors*  le  diable  se  mit  à  tourner  la  langue 
dans  sa  bouche  avec  vitesse  et  faisait  entendre  un  bruit 
confus  étrange.  Saint  Dominique  lui  demandant  ce 
que  cela  voulait  dire,  le  diable  répondît  :  «  Ce  lieu  est 
tout  à  moi  :  car  quand  les  frères  se  rassemblent  pour 
parler,  je  m'applique  à  les  tenter  de  parler  sans  ordre, 
d'entremêler  des  paroles  inutiles  et  de  telle  façon  que 
l'un  n'attende  pas  l'autre.  »  Enfin  saint  Dominique 
conduisit  le  diable  au  chapitre,  mais  quand  il  fut  ar- 
rivé à  la  porte,  le  démon  n'y  voulut  absolument  pas 
entrer:  «  Ici,  dit-il,  je  n'entrerai  jamais;  c'est  pour 
moi  un  lieu  de  malédiction  et  un  enfer.  Je  perds  ici 
tout  ce  que  j'ai  gag-né  ailleurs  :  car  quand  j'ai  fait 
tomber  un  frère  en  quelque  négligence,  il  s'en  purifie 
de  suite  dans  ce  lieu  de  malédiction  et  s'avoue  cou- 
pable devant  tout  le  monde  :  c'est  ici  qu'on  leur  donne 
des  avis,  ici  qu'ils  se  confessent,  ici  qu'ils  s'accusent, 
ici  qu'ils  sont  frappés,  ici  qu'ils  sont  absous,  et  de 
celte  manière,  je  vois  avec  douleur  que  j'ai  perdu  tout 
ce  que  je  me  réjouissais  d'avoir  gagné  ailleurs.  »  Après 
avoir  dit  ces  mots,  il  disparut  *. 

"   Thierry  d'ApoIda,  c.  xv. 


SAINT    DOMINIQUE  369 

« 

Enfin  le  terme  de  son  pèlerinage  approchant,  Do- 
^^^inique,  qui  était  à  Bologne,  commença  à  tomber  en 
^nçueur  et  en  grande  faiblesse;  la  dissolution  de  son 
Orps  lui  fut  montrée  dans  une  vision  :  Un  jeune 
oncime  d'une  grande  beauté  lui  apparut,  et  Tappela 
I     disant  :  «  Viens,   mon  bien-aimé,  viens  à  la  joie, 
îrms*.  »  Alors  il  fit  venir  douze  des  frères  du  cou.- 
r^  1  de  Bologne,  et  pour  ne  pas  les  laisser  déshérités 
rphelins,  il  fit  son  testament  en  ces  mots  :  «  Voici 
ue  je  vous  laisse  comme  à  mes  enfants,  afin  que 
s  le  possédiez  à  titre  héréditaire  :  Ayez  la  charité, 
^ez    l'humilité,    et  possédez  la  pauvreté    volon- 
€**.  »  Mais  ce  qu'il  défendit  le  plus  expressément 
il  put,  c'est  que  personne  ne  fît  jamais  entrer  dans 
ordre  des  biens  temporels,  menaçant  de  la  malé- 
^^lion  du  Dieu  tout-puissant  et  de  la  sienne  celui  qui 
^ enterait  de  salir  l'ordre  des  Prêcheurs,  de  la  pous- 
^re  des  richesses  terrestres.  Comme  ses  frères  se 
^sciaient  de  sa  perte,  il  leur  dit  avec  bonté  pour  les 
^ïisoler  :  «  Mes  enfants,  que  ma  mort  corporelle  ne 
^Ous  trouble  pas;  et  soyez  certains  que  je  vous  serai 
plus  utile  mort  que  vif.  »  Arriva  ensuite  son  heure 
dernière  et  il  s'endormit  dans  le  Seigneur,  Tan  1221. 
Le  jour  et  l'heure  de  son  trépas  furent  révélés,  ainsi 
qu'il  suit,  à  frère  Guali,  alors  prieur  des  frères  Prêcheurs 
de  Brescia  et  par  la  suite  évêque  de  la  même  ville.  Il 
dormait  d'un  léger  sommeil,  la  tête  appuyée  sur  le 
clocher  des  frères,  quand  il  vit  le  ciel  ouvert  et  deux 
échelles  blanches  qui  en  descendaient  sur  la  terre  ; 

*  Barthélémy  de  Tronic,  u^  13. 
**  Humbert,  n<>  53. 

II. 


370  LA    LKGENDE    DOREE 

• 

J.-C.  avec  la  mère  en  tenait  le  haut,  et  les  anges  y 
montaient  et  descendaient  en  poussant  des  acclama- 
tions de  joie.  En  bas  entre  les  deux  échelles  était  placé 
un  siège  sur  lequel   se  trouvait  assis  un  frère  dont 
la  tête  était  couverte  d'un  voile.  Or,  Jésus  et  sa  mère 
tiraient  les  échelles  en  haut,  jusqu'à  ce  que  le  frère 
eut  été  élevé  au  ciel  dont  l'ouverture  fut  alors  refer- 
mée*. Le  frère  Guali   étant   venu  de  suite  à   Bolo- 
gne, apprit  que  c'était  en  ce  jour  et  à  cette  heure-là 
même  que  le  Père  était  trépassé.  —  Un  frère,  nomm^ 
Raon  qui  restait  à  Tihur,  était  à  l'autel  pour  célèbre^ 
la  messe  au  jour  et  à  l'heure  du  trépas  du  Père.  Comm^ 
il  avait  appris  que  le  saint  était  malade  à  Bologne,^ 
quand  il  fut  arrivé  à  l'endroit  du  canon  où  l'on  a  cou— ^ 
tume  de  faire  mention  des  vivants,  et  qu'il  voulait  - 
prier  pour  sa  guérison,  il  tomba  tout  à  coup  en  extase, 
et  il  vit  l'homme  de  Dieu  Dominique  ceint  d'une  cou- 
ronne d'or,  et  tout  resplendissant  de  lumière  ;  deux 
personnages  vénérables  l'accompagnaient  sur  la  route 
royale  hors  de  Bologne.  Il  prit  note  du  jour  et  de  l'heure 
et  il  trouva  que  c'était  alors  que  le  serviteur  de  Dieu 
Dominique  était  mort.  Son  corps  étant  resté  sous  terre 
pendant  un  long  espace  de  temps,  et  les  miracles  qui 
s'opéraient  à  chaque  instant  devenant  de  plus  en  plus 
nombreux,  sa  sainteté  était  devenue  évidente  ;  alors 
la  piété  des  fidèles  les  porta  à  Iransporler  son  corps 
dans  un  lieu  plus  élevé.  Quand,  après  avoir  brisé  le 
mortier  avec  des  instruments  de  fer,  on  eut  soulevé 
la  pierre,  et  ouvert  le  monument,  il  s'en  échappa  une 

*  AiHonr  do  sa  vio. 


SAINT    DOMINIQUE  371 

^eur  tellement  suave  que  c'était  à  croire  qu'on  n'avait 

pas  ouvert   un  tombeau,   mais  une  chambre  pleine 

d'aromates*.  Et  cette  odeur  qui  l'emportait  sur  celle 

^^  tous  les  parfums  ne  semblait  avoir  rien  de  pareil 

^^ns  la  nature  :  ce  n'était  pas  seulement  aux  ossements 

^^  à  la  poussière  de  ce  saint  corps  qu'elle  était  inhé- 

''^nte,  ou  même  à  la  châsse,  mais  encore  à  la  terre 

d  alentour,  de  sorte  que  transportée  dans  des  pays 

^'^igiiés  elle  gardait  son  parfum  pendant  longtemps. 

*-^5$  mains  des  frères  qui  avaient  touché  quelque  chose 

Qe^  reliques,  se  trouvèrent  tellement  embaumées  qu'on 

^^'^îlbeau  les  laver  et  les  frotter,  elles  conservèrent 

^'^ftjlemps  cette  ppeuve  de  bonne  odeur. 

tians  la  province  de  Hongrie,  un  homme  de  noble 

Ce  vint  avec  sa  femme  et  son  fils  encore  tout  jeune 

P^^^tar  visiter  les  reliques  de  saint  Dominique  qu'on  avait 

Si  Ion  ;  mais  ce  fils  y  tomba  malade  et  mourut.  Alors 

*^     père  porta  son  corps  devant  l'autel  de  saint  Domi- 

^^*^i.ie  et  se  mit  à  se  lamenter  et  à  dire  :  «  Bienhcu- 

ï'^\i>c  Dominique,  je  suis  venu  vers  vous  plein  de  joie 

^^    je   m'en   retourne  plein  de  tristesse  ;  je  suis  venu 

^'^'ec  mon  fils  et  j'en  suis  privé  pour  m'en  aller  ;  ren- 

d^z-moi,  je  vousen  prie,  rendez-moi  mon  fils  ;  rendez- 

^'^oi  la  joie  de  mon  cœur.  »  Et  voici  que  vers  le  milieu 

d^  la  nuit,   l'enfant  ressuscita  et  se  promena  par  l'é- 

îÇiise.  —  Un  jeune  homme  au  service  d'une  dame  iio- 

We  s'occupait  à  pécher  dans  la  rivière;  il  tomba  dans 

\eau,  y  fut  suffoqué  et   disparut.   Ce   fut  longtemps 

Siprès  que  son  corps  fut  retiré  du  fond  de  la  rivière. 

*  Jourdain  de  Saxe. 


372  LA    LÉGENDE    DOREE 

Sa  maîtresse  invoqua  saint  Dominique  pour  qu'il  fût 
ressuscité,  et  promit  d'aller  pieds  nus  à  ses  reliques  et 
de  rendre  la  liberté  à  cet  esclave  s'il  ressuscitait.  A 
l'instant  ce  jeune  homme,  qui  était  mort,  fut  rendu  à 
la  vie  et  se  leva  au  milieu  de  tout  le  monde  qui  se 
trouvait  présent.  Sa  maîtresse  accomplit  son  vœu  ainsi 
qu'elle  l'avait  promis.  —  Dans  cette  même  province  de 
Hongrie,  un  homme  versait  des  larmes  amères  sur  le 
cadavre  de  son  fils,  et  priait  saint  Dominique  pourob- 
tenir  sa  résurrection.  Environ  au  moment  où  les  coqs 
chantent,  cehii  qui  avait  été  mort  ouvrit  les  yeux  et 
dit  à  son  père  :  «  Comment  se  fait-il,  mon  père,  que  j'aie 
la  fi«;ure  ainsi  mouillée  ?  »  «  Ce  sont,  lui  répondit-il, 
les  larmes  de  ton  père,  car  tu  étais  mort  et  j'étais  resté 
seul  privé  de  toute  joie.  »  Son  fils  lui  dit  :  «  Vous  avez 
beaucoup  pIeuré,mon  père, mais  saint  Dominique,  com- 
patissant à  votre  désolation,  a  obtenu  par  ses  mérites 
(jue  je  vous  sois  rendu  vivant.  »  —  Un  homme,  lan- 
îj^uissant  cl  aveugle  depuis  dix-huit  ans,avaitle  désir  de 
visiter  les  rcli([ues  de  saint  Domini(|ue  ;  il  essaya  de  sor- 
tir (le  son  lit,  se  leva,  et  ressentit  venir  en  lui  subitement 
une  force  assez  y^rande  pour  se  mettre  à  marcher  à  pas 
pressés;  sa  faibIess(Mie  corps  et  sa  cécité  diminuaient 
à  mesure  qu'il  faisait  chaque  jour  du  chemin,  jusqu'à 
ce  (ju'enfin,  parverni  au  lieu  ([u'il  avait  prispour  but, 
il  rerut  le  bienfait  d'uut»  double  e;'uérison  complète. 
—  En  la  même  [)r()viure  de  Hongrie,  une  dame  qui 
avait  riuleution  (le  faire  célébrer  une  messe  en  Thon- 
iieur  d(»  saint  Dominique  ne  trouva  pas  de  prêtre  à 
l'heure  qu'elle  voulait  ;  alors  elle  eiiveloppa  dans  un 
linge  |)ro|)re  les  trois  chandelles  qu'elle  avait  destinées 


SAINT    DOmNIQUE  373 

pour  la  messe  et  les  serra  dans  un  vase  ;  elle  s'en  alla 
pour  un  instant  et  en  revenant  un  moment,  après  elle 
vit  les  chandelles  brûler  à  grandes  flammes.  Tout  le 
monde  accourut  pour  voir  ce  spectacle  étrange,  et  resta 
tremblant  et  priant  jusqu'au  moment  où  les  chandel- 
les furent  entièrement  brillées  sans  que  le  linge  soit 
endommagé. 

A  Bologne,  un  écolier  nommé  Nicolas  souffrait 
d'une  telle  douleur  aux  reins  et  aux  genoux  qu'il  ne 
pouvait  se  lever  de  son  lit  ;  sa  cuisse  gauche  s'était 
desséchée  au  point  qu'il  n'y  avait  plus  pour  lui  aucun 
espoir  de  guérison.  Se  vouant  à  Dieu  et  à  saint  Domi- 
nique, il  se  mesura  de  toute  sa  longueur  avec  un  fil 
dont  on  devait  faire  une  chandelle  ;  après  quoi  il  se  mit 
à  se  ceindre  le  corps,  le  cou  et  la  poitrine.  Au  moment 
où  il  entourait  son  genou  du  fil,  comme  il  invoquait, 
à  chaque  fois  qu'il  faisait  un  tour,  le  nom  de  Jésus  et 
de  saint  Dominique,  aussitôt  il  se  sentit  soulagé  et  s'é- 
cria :  «  Je  suis  délivré.  »  Il  se  lève  en  pleurant  de  joie 
et  vient  sans  l'aide  de  personne  à  l'église  où  reposait 
le  corps  de  saint  Dominique.  Dans  la  même  ville  de 
Bologne,  Dieu  opéra  un  nombre  infini  de  miracles  par 
son  serviteur.  —  En  la  ville  d'Augusta  en  Sicile,  une 
jeune  fille,  qui  avait  la  pierre,  devait  être  taillée.  La 
mère,  à  raison  du  péril  que  courait  son  enfant,  la  re- 
commanda à  Dieu  et  à  saint  Dominique.  La  nuit  sui- 
vante saint  Dominique  apparut  à  la  jeune  fille  pendant 
son  sommeil,  lui  mit  dans  la  main  la  pierre  qui  la  fai- 
sait souffrir.  La  jeune  fille,  à  son  réveil,  se  trouvant 
guérie,  donna  cette  pierre  à  sa  mère  et  lui  raconta  la 
vision  qu'elle  avait  eue;  la  mère  prit  alors  la  pierre  et 
n.  24- 


374  LA    LRGENDR    DORÉE 

la  porta  au  couvent  des  frères  où  elle  la  suspendit  de- 
vant l'image  de  saint  Dominique,  en  mémoire  d'un  si 
grand  miracle.  —  Dans  la  ville  d'Augusta,  des  dames 
qui  avaient  assisté,  en  Téglise  des  frères,  à  la  messe  so- 
lennelle le  jour  de  la  fête  de  la  translation  de  saint 
Dominique,  virent  en  revenant  chez  elles  une  femme 
occupée  à  filer  devant  la  porte  de  sa  maison  ;  elles  se 
mirent  à  la  tancer  de  ce  qu'elle  n*avaitpas  interrompu 
son  travail  au  jour  de  la  fête  de  ce  grand  saint.  Cette 
femme  indignée  leur  répondit:  «  Vous  qui  êtes  les  bi- 
gotes *  des  frères,  faites  la  fête  de  votre  saint.  »  A 
l'instant  ses  yeux  s'enflèrent,  et  il  en  sortit  de  la  pour- 
riture et  des  vers  ;  de  sorte  qu'une  de  ses  voisines  en 
compta  dix-huit  qu'elle  lui  ôta.  Alors  remplie  de  com- 
ponction elle  vint  à  Téglise  des  frères,  y  confessa  ses 
péchés  et  fit  vœu  de  ne  jamais  parler  mal  de  saint 
Dominique  et  de  célébrer  sa  fête  avec  dévotion.  A 
l'instant  elle  récupéra  sa  première  santé. 

Une  religieuse  nommé  Marie,  au  monastère  de  la 
Magdeleine,  à  Tripoli,  souffrait  des  douleurs  cuisantes. 
Ayant  reçu  un  coup  à  la  jambe,  elle  était  tourmentée 
affreusement  depuis  cinq  mois  ;  on  attendait  à  chaque 
instant  l'heure  de  son  trépas.  Elle  se  recueillit  en  elle- 
même  et  fit  cette  prière  :  «  Mon  Seigneur,  je  ne  suis 
digne  ni  de  vous  prier,  ni  d'être  exaucée  ;  mais  je  prie 
mon  seigneur  saint  Dominique  d'être  médiateur  entre 
vous  et  moi,  et  de  m'obtenir  le  bienfait  de  la  santé.  » 
Or,  comme  elle  priait  longtemps  en  répandant  des  lar- 


*  Le  texte  porte  BisotœcX  Brixotœ,  mot  qui  ne  se  trouve  dans 
aucun  diclionnaire. 


SAïNT    DOMINIQUE  375 

>^es,  elle  tomba  en  extase  et  vit  saint  Dominique  en- 
trer avec  deux  frères,  soulever  le  rideau   qui   était 
devant  son  lit,  et  lui  dire  :  «  Pourquoi  désirez-vous  tant 
d'être  guérie?  »  «  Seigneur,  répondit-elle,  c'est  afin  de 
pouvoir  mieux  servir  Dieu.  »  Alors  saint  Dominique 
*'*i^  de  dessous  sa  chape  un  onguent  d'une  admira- 
ble odeur  avec  lequel  il  fit  des  onctions  à  sa  jambe  et 
elle  fut  guérie  à  l'instant  ;  puis  il  lui  dit  :  «  Cette  onc- 
^>on  est  bien  précieuse,  douce,  et  difficile.  »  Et  comme 
^ette  femme  lui  demandait  de  lui  expliquer  le  sens  de 
^^s  paroles  ;  il  répondit  :  «  Cette  onction  est  le  signe 
^^ 'amour,  qui  est  précieux,  parce  qu'on  ne  peut  l'a- 
cneler  avec  de  l'argent,  et  parce  que  de  tous  les  dons 
"^  ûieu  il  n'y  en  a  point  de  préférable  à  son  amour  ; 
^"^  est  douce,  car  il  n'y  a  rien  de  plus  doux  que  la 
charité  ;  elle  est  difficile  parce  qu'elle  se  perd  vite  si 
^^  ne  la  conser\'e  avec  précaution.  »  Cette  nuit-là  même, 
^*  apparut  à  sa  sœur  qui  reposait  au  dortoir  et  lui  dit  : 
^^  J'ai  guéri  ta  sœur.  »  Celle-ci  accourut  et  trouva  sa 
^ur  guérie.Or,  comme  Marie  sentait  qu'elle  avait  reçu 
^neonction  réelle,  elle  l'essuya  très  respectueusement 
avec  de  la  soie.  Quand  elle  eut  raconté  tout  à  Tabbesse 
etàson  confesseur  et  qu'elle  leur  eut  montré  l'onction 
qui  était  sur  la  soie  elles  furent  frappées  de  sentir  une 
odeur  si  grande  et  si  nouvelle  pour  eux  qu'ils  ne  pou- 
vaient la  comparer  à  aucun  parfum  ;  et  ils  conservè- 
rent cette  onction  avec  le  plus  grand  esprit.  — Pour 
prou  ver  combien  est  agréable  à  Dieu  l'endroit  où  repose 
le  très  saint  corps  du  bienheureux  Domini([uc,  il  suf- 
fira   de  choisir  ici,  entre   mille,  un    miracle  qui  s'y 
opéra. 


376  LA    LÉGENDE    DUREE 

Maître  Alexandre,  évêque  de  Vendôme  *,  rapporte 
dans  ses  Apostilles  sur  ces  paroles  :  Misericordia  et  ve* 
ritas  obviavevunt  sibi  (Ps.  lxxxiv)  qu'un  écolier  de  Bo- 
logne, adonné  aux  vanités  du  siècle,  eut  la  vision  sui- 
vante :  Il  lui  semblait  être  dans  un  vaste  champ,  et 
une  tempête  extraordinaire  allait  fondre  sur  lui.  Il  se 
mit  à  fuir  pour  Téviter  et  arriva  à  une  maison  qu'il 
trouva  fermée.  Il  frappa  à  la  porte  en  priant  qu'on  lui 
ouvrît.  La  personne  qui  habitait  la  maison  lui  répon- 
dit :  <(  Je  suis  la  justice  ;  c'est  ici  que  j'habite,  cette 
maison  est  à  moi  ;  or,  parce  que  tu  n'es  pas  juste,  tu 
ne  peux  y  habiter.  »  En  entendant  ces  paroles,  il  se 
retira  tout  triste,  et  voyant  plus  loin  une  autre  maison, 
il  y  vint,   et  frappa  en  demandant  qu'on  l'y    reçût. 
Mais  la  personne  qui  restait  à  l'intérieur  lui  répondit: 
«  Je  suis  la  vérité  ;  c'est  ici  que  j'habite  ;  cette  maison 
est  à  moi  ;  mais  je  ne  te  donnerai  pas  l'hospitalité, 
parce  que  la  vérité  ne  préserve  pas  celui  (pii  ne  l'aime 
pas.  »  Alors  il  s'éloigna  et  vil  une  troisième  maison 
plus  loin.  Quand  il  y  arriva,  il  supplia  comme  aupara- 
vant qu'on  l'y  mît  à  l'abri  delà  tempête.  La  maîtresse 
qui  était  à  Tintéricur  lui  répondit:  «  Je  suis  la  paix  et 
j'habite  ici  ;  or,  il    n'y  a  pas  de  paix  pour  les  impies, 
mais  pour  les  hommes  de  bonne   volonté.  Cependant 
comme  ni-^s  pensées  sont  des  pensées  de  paix  et  non 
(rafUiction,  je  te  donnerai  un  avis  salutaire.   Plus  loin 
habite  ma  sœur  ;  elle  secourt  toujours  les  misérables  ; 
va  la  trouver  et  fais  ce  qu'elle  te  dira.  »  Quand  il  y  fut 


'   Il  y  a  une  variante  dans  le  texte;  l'une  porte  Vindonicensis 
et  l'autre  Vîndoniensis. 


SAINT    SIXTE,    PAPE  377 

arrivé,  celle  qui  était  à  Tiiitérieur  lui  répondit  :  «  Je 
suis  la  miséricorde,  c'est  ici  ma  maison.  Si  donc  tu 
désires  être  à  Tabri  contre  la  tempête  qui  te  menace,  va 
à  la  maison  qu'habitent  les  frères  prêcheurs,  tu  y  trou- 
veras retable  de  la  pénitence,  la  crèche  de  la  conti- 
nence, rherbede  la  doctrine,  Tâne  de  la  simplicité  avec 
le  bœuf  de  la  discrétion,  Marie  qui  t'éclairera,  Joseph 
qui  te  parfera,  et  l'enfant  Jésus  qui  te  sauvera.  »  A 
son  réveil  l'écolier  vint  à  la  maison  des  frères,  et  ra- 
conta l'ensemble  de  sa  vision;  ensuite  il  prit  et  reçut 
riiabit  de  Tordre  *. 


SAINT  SIXTE,  PAPE 

Sixte  vient  de  Sion  qui  veut  dire  Dieu,  et  de  status,  étal  ; 
comme  on  dirait  état  de  Dieu.  Ou  bien  sixtus  vient  de  sisto, 
assis;  fixe,  ferme  dans  la  foi,  dans  son  martyre  et  ses  bonnes 
tJBuvres**. 

Le  pape  Sixte  était  d'Athènes;  d*abord  il  fut  phi- 
losophe, et  dans  la  suite  disciplcde  J.-G.  Elu  souverain 
Pontife,  il  fut  traduit  devant  Dèce  et  ValéritMi  avec  ses 
deux  diacres  Félicissime  et  Agapil.  Gomme  Dèce  ne 
pouvait  le  faire  céder  par  aucune  considération,  il  le  fit 
conduire  au  temple  de  Mars,  afin  de  l'y  forcer  à  sacrifier, 
sinon  il  serait  enfermé  dans  la  prison  Mamertine.  Or, 
il  refusa,  et  comme  on  le  menait  en  prison,  le  bien- 
heureux Laurent  le  suivait  et  lui  disait:  «  Où  allez- 


*  Cîéranl  de  Trachel,  I.  I,  c.  m. 
••  Bréviaire  romain . 


378  LA   LÉGENDE    DOREE 

VOUS  sans  votre  fils, mon  père?  saint  prêtre,  où  allez- 
vous  sans  votre  ministre?  »  Sixte  lui  répondit  :  «  Je 
ne  te  quitte  pas,  mon  fils,  je  ne  t'abandonne  pas  :mais 
tu  es  réservé  à  de  plus  g^rands  supplices  pour  la  foi  de 
J.-C.  Dans  trois  jours  tu  me  suivras;  le  lévite  suivra 
le  prêtre.  D'ici  là  prends  les  trésors  de  l'Eglise  et  par- 
tage-les à  qui  tu  le  jugeras  à  propos.  »  Quand  il  les 
eut  distribués  aux  chrétiens  pauvres,  le  préfet  Valérien 
donna  l'ordre  de  mener  Sixte  sacrifier  au  temple  de 
Mars  :  s'il  refusait,  il  devait  avoir  la  tête  tranchée. 
Pendant  qu'on  l'y  conduisait,  le  bienheureux  Laurent, 
qui  était  derrière  lui  se  mit  à  crier  et  à  dire  :  «  Soyez 
assez  bon,  lui  dit-il,  pour  ne  pas  m'abandonner,  père 
saint,  parce  que  j'ai  déjà  dépensé  les  trésors  que  vous 
m'avez  confiés.  Alors  les  soldats,  entendant  parler  de 
trésors,  se  saisirent  de  Laurent,  et  tranchèrent  la  tête 
à  saint  Sixte  ainsi  qu'à  Félicissime  et  à  Agapit. 

C'est  aujourd'hui  la  fête  de  la  Transfiguration  du 
Seigneur.  Dans  certaines  églises  on  consacre  le  sang 
de  J.-G.  avec  du  vin  nouveau,  si  on  peut  en  faire  et 
en  trouver  ;  ou  du  moins  on  exprime,  dans  le  calice, 
un  peu  de  jus  d'une  grappe  de  raisin  mûr. En  ce  jour 
encore,  on  bénit  des  grappes  de  raisin  et  le  peuple  eu 
prend  (comme  du  pain  bénit*).  La  raison  en  est  que 
Xolrc-Seigneur  dit  à  ses  disciples  le  jour  qu'il  fît  la 
(lène  :  «  Je  ne  boirai  plus  désormais  de  ce  fruit  de  la 
vigne  jusqu'à  ce  jour  où  je  le  boirai  de  nouveau  avec 
vous  dans  le  rovaumc  de  mon  père.  »  (Matt.,  xxvi) 
Or,  celte  Transdguration,  et  ces  mots  vin  nouveau,  que 

•"(^'osl  une  (li's  siu^aiticdlious  liluri^ujues  iIl»  commun ico. 


SAINT    DOWAT  379 

J.-(i.  prononça,  rappellent  le  glorieux  renouvellement 
qui  s'opéra  dans  le  Sauveur  après  sa  résurrection.  C'est 
pour  cela  qu'en  ce  jour  de  la  Transfiguration  qui  re- 
présente la  résurrection,  on  se  sert  de  vin  nouveau  : 
mais  ce  n'est  pas  parce  que,  selon  quelques  auteurs, 
la  Transfiguration  eut  lieu  en  ce  jour,  mais  bien  parce 
que  ce  fut  en  ce  jour  que  les  Apôtres  en  donnèrent 
connaissance.  Car  la  Transfiguration  eut  lieu,  dit-on, 
vers  le  commencement  du  printemps;  et  ce  fut  par 
respect  pour  la  défense  que  les  apôtres  reçurent  de 
la  publier,  qu'ils  la  cachèrent  si  longtemps  et  qu'ils  la 
rendirent  publique  à  pareil  jour.  C'est  ce  qu'on  lit 
dans  le  livre  intitulé  :  Jtf//ra/^  *  (Lib.  IX,  c.  xxxviii). 


SAINT  DOXAT** 


Donat,  vient  de  Né  de  Dieu,  et  cela  par  régénération,  par 
infusion  de  grâce  et  par  glorification  ;  celle-ci  est  triple,  par 
(génération,  par  esprit,  et  par  Dieu.  Car  quand  les  saints 
meurent,  on  dit  qu'ils  naissent;  c'est  pour  cela  que  leur  trépas 
n'a  pas  le  nom  de  mort,  mais  de  natalice.  En  effet  l'enfant 
aspire  à  naître  afin  de  recevoir  plus  d'espace  pour  sa  demeure 
une  nourriture  plus  substantielle  pour  le  manger,  un  air 
plus  spacieux  pour  respirer,  et  de  la  lumière  pour  voir.  Les 
saints,  par  leur  mort,  sortent  des  entrailles  de  l'Eglise,  re- 
çoivent ces  quatre  avantages  à  leur  manière  :  c'est  pour  cela 

*  Cet  ouvrage  a  été  publié  par  M.  le  comte  de  l'Escalopier 
dans  la  Patrologie  de  Miiçne.  Il  est  de  Sicardî,  évocjue  de  Cré- 
mone. 

Saint  Grégoire  de  Tours  ;  — Sozomcne  ;  — Bréviaire  Romain, 


380  LA    LÉGENDE    DOREE 

qu*on  dît  qu'ils  naissent.  Ou  bien  il  est  appel<^  Donat,  ce  qui 
signitierait  donne  par  don  de  Dieu. 

Douai  fut  élevé  et  nourri  avec  Tempereur  Julien, 
jusqu'au  moment  où  il  fut  ordonné  sous-diacre  :  maïs 
quand  Julien  fut  élevé  à  l'empire,  il  tua  le  père  et  la 
mère  de  saint  Donat.  Alors  Donat  s'enfuit  dans  la 
ville  d'Arezzo,  où  il  demeura  avec  le  moine  Hilaire  et 
fit  beaucoup  de  miracles  :  carie  préfetde  la  ville  ayant 
son  fils  démoniaque,  il  l'amena  à  Donat  et  l'esprit 
immonde  se  mit  à  crier  et  à  dire  :  «  Au  nom  du  Sei- 
gneur J.-C,  ne  me  tourmente  pas  pour  que  je  sorte 
de  ma  maison,  ô  Donat;  pourquoi  me  forces-tu  par 
des  tourments  de  sortir  d'ici?  »  Mais  saint  Donat  fit 
une  prière  et  l'enfant  fut  délivré  aussitôt.  —  Un 
homme  nommé  Eustache,  receveur  du  fisc  en  Toscane, 
laissa  une  somme  d'argent  qui  appartenait  au  trésor 
public,  à  la  garde  de  sa  femme  nommée  Euphrosine. 
Comme  la  {)rovince  était  ravagée  par  les  ennemis,  cette 
femme  cacha  l'argent;  mais  prévenue  par  une  maladie, 
elle  mourut.  Le  mari,  à  son  retour,  n'ayant  pas  trouvé 
son  dépôt,  était  sur  le  point  d'être  traîné  au  supplice 
avec  ses  enfaiils;  il  eut  alors  recours  à  saint  Donat. 
Or,  celui-ci  alla  an  tonihean  de  la  femme  avec  le  mari, 
et  après  avoir  fait  une  prière,  il  dit  à  intelligible  voix: 
«  Euphrosine,  je  t'adjure  par  le  Saint-Esprit  de  nous 
(lin*  on  tu  as  déposé  telle  somme  d'argent.  »  Et  une 
voix  sortant  du  sépulcre  dit:  ((  A  l'entrée  de  ma 
maison,  c'est  là  que  je  Tai  enterrée.  »  On  y  alla  et  on 
l'y  trouva  coninie  elle  avait  dit.  Ouelques  jours  après, 
l'évèque  Satire  s'endormit  dans  le  Seit^neur  et  tout  le 
clergé  élut   Donat  pour  lui  succéder.  Saint  Grégoire 


SAINT    DONAT  381 

rapporte  *,  qu'un  jour,  après  la  célébration  de  la 
messe,  le  peuple  recevant  la  communion,  et  le  diacre 
présentant  la  coupe  où  était  le  sang  de  J.-C,  les 
païens  se  ruèrent  dans  l'église,  renversèrent  le  diacre 
qui  brisa  le  saint  calice.  Comme  il  en  était  fort  affli- 
gé ainsi  que  tout  le  peuple,  Donat  recueillit  les  frag- 
ments du  calice,  et  ayant  fait  une  prière,  il  le  rétablit 
dans  sa  forme  première.  Mais  le  diable  en  cacha  un 
morceau  qui  manqua  au  calice,  c'est  toutefois  un  témoi- 
gnage du  miracle.  Les  païens,  à  cette  vue,  se  con- 
vertirent et  furent  baptisés  au  nombre  de  quatre- 
vingts.  Il  y  avait  une  fontaine  tellement  infectée  que 
quiconque  en  buvait,  mourait  aussitôt.  Or,  comme 
saint  Donat  allait,  monté  sur  son  âne,  rendre  cette 
eau  saine  par  ses  prières,  un  dragon  terrible  s'élança 
de  l'eau,  enroula  sa  queue  autour  des  pieds  de  l'âne 
el  se  dressa  aussitôt  contre  Donat.  Le  saint  le  frappa 
avec  un  fouet,  ou,  selon  qu'on  le  lit  autre  part,  lui 
cracha  dans  la  gueule  ;  ce  qui  le  tua  à  l'instant:  ensuite 
il  fit  une  prière  et  détruisit  tout  le  venin  de  la  fon- 
taine**. Un  jour  que  Donat  et  ses  compagnons  étaient 
pressés  par  la  soif,  il  fifjaillir  une  autre  fontaine,  à 
l'endroit  où  ils  se  trouvaient. 

La  fille  de  l'empereur  Théodose  était  tourmentée 
par  le  démon,  et  on  l'amena  à  saint  Donat  :  «  Sors, 
lui  dit-il,  esprit  immonde,  et  cesse  d'habiter  dans  une 
créature  de  Dieu.  »  Le  démon  lui  répondit  :  «Donne- 
moi   un  passage  par  où  sortir  et   un   endroit  où  je 


Dialogues,  1.  I,  c.  vu. 

Sozomèae,  ffist.  trip.^  I.  IX,  c.  xlvi, 


^382  LA    LÉGENDE    DOREE 

puisse  aller.  »  Doiiat  lui  dit  :  «  D'où  es-tu  venu  ici?» 
«  Du  désert,  répondit  le  démon.  »  «  Retournes-y, 
reprit  le  saint.  »  Alors  le  démon  lui  dit  :  «  Je  vois  sur 
toi  le  signe  de  la  croix  d'où  sort  un  feu  contre  moi, 
et  j*ai  si  peur  que  je  ne  sais  où  aller.  Mais  laisse-moi 
sortir  et  je  sors.  »  Donat  lui  dit:  a  Voici  un  passag-e, 
retourne  dans  le  lieu  qui  t'appartient.  »  Et  il  sortit  en 
ébranlant  toute  la  maison.  —  On  portait  un  mort  en 
terre,  quand  arriva  quelqu'un  avec  un  billet,  attes- 
tant que  le  mort  lui  devait  200  sols;  et  il  ne  permet- 
tait pas  qu'on  l'ensevelisse.  La  veuve  éplorée  vint 
informer  saint  Donat  de  ce  qui  se  passait,  en  ajoutant 
que  cet  homme  avait  été  payé  intégralement.  Alors 
saint  Donat  se  leva  pour  venir  au  cercueil,  et  touchant 
la  main  du  mort,  il  lui  dit  :  «  Ecoute-moi.  »  Le  défunt 
répondit  :  «  Me  voici.  »  Alors  saint  Donat  lui  dit  : 
«  Lève-toi,  et  vois  ce  que  tu  as  à  faire  avec  cet  homme, 
qui  s'oppose  à  ce  qu'on  t'ensevelisse.  »  Alors  le  mort 
se  mit  sur  son  séant,  et  en  présence  de  tous  les  assis- 
tants, il  convainquit  cet  homme  qu'il  lui  avait  payé 
sa  dette  ;  puis  prenant  le  billet  avec  la  main,  il  le 
déchira.  Ensuite  il  dit  à  saint  Donat  :  «  Laissez-moi, 
mon  père,  dormir  de  nouveau.  »  Saint  Donat  lui 
répondit  :  «  Va  maintenant  te  reposer,  mon  fils.  »  — 
Vers  le  même  temps,  il  y  avait  trois  ans  qu'il  n'avait 
plu,  et  la  stérilité  était  grande  ;  alors  les  infidèles  vin- 
rent trouver  l'empereur  Théodose  et  lui  demandèrent 
(le  leur  livrer  Donat,  (jui,  par  ses  sortilèges,  était  l'au- 
teur du  mal.  Sur  les  instances  de  Tempereur,  Donat 
étant  sorti  de  sa  maison,  se  mit  en  prières  et  le  Sei- 
neur  envoya  une  [)luie  abondante,  et  il   rentra  chez 


SAINT    CYRÎAQUE    ET    SES    COMPAGNONS  383 

lui  sans  recevoir  une  goutte  de  pluie,  tandis  que  tous 
les  autres  avaient  leurs  habits  trempés.  —  A  cette 
époque,  les  Goths  ravageaient  l'Italie  et  beaucoup 
abandonnaient  la  foi  de  J.-C.  Evadracien,  gouverneur, 
fut  repris  de  son  apostasie  par  saint  Donat  et  Hyla- 
rin  ;  il  les  condamna  à  immoler  à  Jupiter.  Mais  s'étant 
refusés  à  le  faire,  le  gouverneur  fit  dépouiller  Hylarin 
et  ordonna  qu'on  le  fouettât  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rendu 
Tesprit.  Pour  Donat,  il  le  fit  mettre  en  prison  et  déca- 
piter ensuite,  vers  l'an  du  Seigneur  380*. 


SAINT  CYRIAQUE  ET  SES  COMPAGNONS  ♦♦ 

Cyriaque,  ordonné  diacre  par  le  pape  Marcel,  fut 
pris  et  amené  devant  Maximien  qui  le  condamna,  avec 
ses  compagnons,  à  creuser  la  terre  et  à  la  porter  sur 
leurs  épaules  en  un  lieu  où  on  construisait  les  Ther- 
mes ;  là  se  trouvait  le  saint  vieillard  Saturnin,  que 
Cyriaque  et  Sésumius  aidaient  à  porter  la  terre.  Enfin 
le  gouverneur  fit  amener  devant  lui  Cyriaque,  qui 
avait  été  jeté  au  cachot.  Au  moment  où  Apronianus 
le  faisait  sortir,  tout  à  coup  une  voix,  suivie  d'une 
lumière,  vint  du  ciel  et  dit  :  «  V^enez,  les  bénis  de  mon 
père,  posséder  le  royaume  qui  vous  a  été  préparé 
depuis  le  commencement  du  monde.  »  (Matt.,  xxv.) 


*  Bréviaire  romain . 


384  LA  LiCBNDB  DOrAb 

Alors  Apronien  crut,  se  fit  baptiser  et  vint  confemer 
J.-G.  devant  le  §^oaveraeiir.  Celui-ci  lui  dit  :  «  Esl^-oe 
que  tu  as  été  fait  chrétien  ?  »  Apronien  réponifil  :. 
«r  Malheur  à  moi,  parce  que  j'ai  pardu  mes  jours  1  » 
Le  gouverneur  reprit  :  «  Vraimàit  oui,  tu  pwdras 
tes  jours.  »  Et  il  Tenvoya  décapiter.  Pour  S^lomin 
et  ^simius  qui  ne  voulaient  pas  sacrifier,  on  Usar  fit 
subir  différents  supplices,  enfin  ils  forint  décapilés* 
Or,  la  fille  de  Dioclétien,  nommée  Arthànîe,  était 
tourmentée  par  le  démon  *  qui  criait  en  elle  :  «  Je  ne 
sortirai  pas  à  moins  que  le  diacre  Cyrîaque  ne  idenne.  » 
On  lui  amena  donc  Cyriaque,  qui  après  avoir  donné 
ses  ordres  au  démon,  en  reçut  cette  i^pcMoise  :  «  Si  tu 
veux  que  je  sorte,  donne-moi  un  vase  dans  hqaxA  je 
me  mette.  »  Cyriaque  répondit  :  cr  Voici  mon  corps, 
si  tu  peux,  entres-y.  »  Le  démon  lui  dit  :  c  Je  ne  puis 
entrer  dans  ce  vase,  parce  que  il  est  scdlé  et  dos; 
m^is  si  tu  me  chasses,  je  te  ferai  venir  âms  ïa  Baby* 
lonie.  »  Et  quand  il  eut  été  contraint  de  sortir, 
Arthémie  s'écria  qu'elle  voyait  le  Dieu  que  Cyrîaque 
prêchait.  Alors  Cyriaque  baptisa  Arthémie.  Comme 
il  vivait  tranquille  dans  une  maison  qu'il  tenait  de  la 
générosité  de  Dioclétien  et  de  son  épouse  Sérène,  un 
ambassadeur  vint  demander,  au  nom  du  roi  des  Per- 
ses, à  Dioclétien  de  lui  envoyer  Cyriaque,  parce  que 
sa  fille  était  tourmentée  par  le  démon**.  Or,  à  la 
prière  de  Dioclétien,  Cyriaque  s^embarqua  avec  Largue 
et  Samaraque  sur  un  navire  qui  avait  été  pourvu  du 

•  Bréviaire  romain, 
♦♦  /bid. 


\ 


SAINT    CYRIA^UE    ET    SES    COMPAGNONS  383 

nécessaire,  et  alla  avec  joie  dans  la  Babylonie.  Quand 
il  fut  arrivé  auprès  de  la  jeune  fille,  le  démon  lui  cria 
par  la  bouche  de  cette  personne  :  «  Es-tu  fatigué, 
Cyriaque?  »  Cyriaque  lui  répondit  :  «  Je  ne  suis  point 
fatiji^é,  mais  je  me  laisse  mener  en  tout  lieu  par  la 
droite  de  Dieu.  »  Le  démon  dit  :  «  Enfin,  pour  moi,  je 
Fai  amené  où  j'ai  voulu.  »  Alors  Cyriaque  dit  au 
démon  :  «  Jésus  te  commande  de  sortir.  »  Le  démon 
sortit  à  rinstant  et  dit  :  «  Oh!  nom  terrible,  qui  me 
force  de  sortir!  »  Alors  la  jeune  fille,  guérie,  fut  bap- 
tisée avec  son  père,  sa  mère  et  beaucoup  d'autres. 
Comme  on  offrait  de  nombreux  présents  à  Cyriaque, 
il  ne  les  voulut  pas  accepter  ;  mais  après  être  resté  en 
ce  lieu  quarante-cinq  jours,  jeilnant  au  pain  et  à 
l'eau,  il  revint  enfin  à  Rome.  Deux  mois  après  mou- 
rut Dioclétien,  auquel  succéda  Maximien,  lequel,  irrité 
contre  sa  sœur  Arthémie,  fit  saisir  Cyriaque,  qui  fut 
lié  tout  nu  avec  des  chaînes,  et  traîné  au  devant  de 
son  char.  (Ce  Maximien  peut  être  appelé  le  fils  de 
Dioclétien,  en  tant  qu'il  fut  son  successeur  et  qu'il 
épousa  sa  fille  nommée  Valériane).  Il  ordonna  à  Car- 
pasius,  son  vicaire,  de  forcer  le  saint  à  sacrifier,  ou  de 
le  faire  mourir  dans  les  supplices.  Carpasius,  après 
lui  avoir  fait  verser  de  la  poix  sur  la  tête,  le  fit  sus- 
pendre au  chevalet,  ensuite  il  ordonna  qu'on  lui  tran- 
chât la  tête  ainsi  qu'à  tous  ses  compagnons.  Après 
quoi,  Carpasius  obtint  la  maison  de  Cyriaque,  et 
comme,  par  mépris  pour  les  chrétiens,  il  se  baignait 
dans  le  lieu  où  ce  saint  administrait  le  baptême,  et 
qu'il  y  donnait  un  grand  festin  à  dix-neuf  de  ses 
amis,  ils  moururent  tous  subitement .  Depuis  ce  moment 
u.  i5 


/ 


3S6  LA  LiaEUDtt  DoaiB 

on  ferma  ces  bains  et  les  gentils  commenoèreo^  k 
craindre  et  i  vénérer  les  chrétiens. 


SAINT  LAURENT,  MARTYR 

Lauréat  viendrait  de  tenant  un  lanri^.  Ceat  lia  ariNre  atae 
les  Jiranches  duquel  on  tressait  autrefois  dea  eouronaes  doaA 
on  eeignait  les  vainqueurs.  Il  c»t  remblème  de  la  ▼ietoite;  Ur 
réjouit  la  vue  par  sa  verdeur  constante  ;  il  répand  une  ûéimt: 
agréable,  et  possède  beaucoup  de  propriétés.  Or,  saint  LmtcéI 
est  ainsi  nommé  de  laurier,  parce  qu'il  remporta  la  viêla&Ri 
dans  son  martyre  ;  ce  qui  força  Dèce  à  avouer  avec  eoalamMi: 
«  Je  pense  que  nous  voici  vaincus  *.  » 

Il  posséda  la  verdeur  dans  la  netteté  et  la  pureté  de  son 
corps  ;  ce  qui  lui  a  fait  dire:  «  Ma  nuit  n'a  plusriead*ebsear, 
etc.  »  Il  eut  l'odeur  parce  que  sa  mémoire  sera  lamelle: de  là 
ces  mots  du  Psaume  m  qui  lui  ont  été  appliqués  :  «  Il  a  répanda 
des  biens  sur  les  pauvres  ;  sa  justice  demeurera  dans  Ions  les 
siècles.  »  Saint  Maxime  dit  :  «  Comment  sa  justiee  n'aaraîtr 
elle  pas  de  durée,  ses  œuvres  étaient  animées  par  celte  verta 
qui  lui  a  fait  consommer  son  martyre.  »  Sa  prédication  fut 
efficace,  puisqu'il  convainquit  Lucille,  Hippolyte  et  Romain. 
Le  laurier  a  la  propriété  de  guérir  de  la  pierre  qu'il  écrase, 
de  remédier  à  la  surdité,  et  de  détourner  la  foudre.  De  même 
saint  Laurent  brise  les  cœurs  endurcis,  rend  l'ouïe  spirituelle, 
et  protège  contre  la  foudre  des  sentences  de  la  réprobation  **, 

Laurent,  martyr  et  diacre,  Espagnol  de  nation,  fut 
amené  à  Rome  par  saint  Sixte.  Car  ainsi  que   le  dit 

*ll  existe  un  poème  sur  saint  Laurent  dont  tous  les  mots 
commencent  par  L. 

**  La  vie  de  saint  Laurent  est  tirée  des  actes  anciens  et  repro- 
duits dans  sou  office  au  Bréviaire  romain. 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  387 

M*  Jean  Beleth*,  Sixte,  dans  un  voyage  en  Espaçne, 
rencontra  deux  jeunes  gens,  Laurent  et  Vincent,  son 
cousin,  distingués  par  leur  honnêteté  et  remarquables 
dans  toute  leur  conduite  :  il  les  amena  à  Rome  avec 
lui.  L'un  d'eux,  c'était  Laurent,  demeura  à  Rome  auprès 
de  sa  personne,  et  Vincent  retourna  en  Espagne  où  il 
termina  sa  vie  par  un  glorieux  martyre.  Mais  cette 
opinion  de  M*  Jean  Beleth  a  contre  elle  le  temps  du 
martyre  de  ces  deux  saints  ;  car  Laurent  souffrit  sous 
Dèce  et  Vincent,  qui  était  jeune,  sous  Dioclétien  et 
Dacien.  Or,  entre  Dèce  et  Dioclétien,  il  s'écoula  environ 
40  ans  et  il  y  eut  entre  eux  sept  empereurs,  en  sorte 
que  saint  Vincent  n'aurait  pu  être  jeune.  Saint 
Sixte  ordonna  Laurent  son  archidiacre.  En  c(;  temps- 
là,  l'empereur  Philippe  et  son  fils,  qui  portaient  le 
même  nom,  avaient  reçu  la  foi  et  après  être  devenus 
chrétiens,  ils  s'efforçaient  de  donner  beaucoup  d'im- 
portance à  l'Eglise.  Ce  Philippe  fut  le  premier  em- 
pereur qui  reçut  la  foi  de  J.-C.  ;  ce  fut,  dit-on,  Origène 
qui  le  convertît,  quoiqu'on  lise  ailleurs  que  ce  fut 
saint  Pontius.  11  régna  l'an  mille  de  la  fondation  de 
Rome,  afin  que  cette  millième  année  filt  consacrée  à 
J.-C.  plutôt  qu'aux  idoles.  Or,  les  Romains  célébrèrent 
cet  anniversaire  avec  un  grand  appareil  de  jeux  et  de 
spectacles.  L'empereur  Philippe  avait  auprès  de  sa 
personne  un  soldat  nommé  Dèce  qui  était  courageux 
et  renommé  dans  les  combats.  Vers  cette  époque,  la 
Gaule  s'étant  révoltée,  l'empereur  y  envoya  Dèce  afin 
de   soumettre  à   la  domination  roniaine  les    Gaulois 

*  C.   CXLV. 


1)88  LA    LÉGENDE    DORER 

rebelles.  Dèce  mena  tout  à  bien  et  revint  à  Rome  après 
avoir  remporté  la  victoire  au  gré  de  ses  désirs.  L'em- 
pereur apprenant  son  arrivée  voulut  lui  rendre  de 
grands  honneurs  et  alla  au-devant  de  lui  jusqu'à  Vé- 
rone. Mais  comme  l'esprit  des  méchants  s'enfle  d'un 
orgueil  d'autant  plus  grand  qu'ils  se  sentent  honorés 
davantage,  Dèce  exalté  par  l'ambition  en  vint  jusqu'à 
aspirer  à  l'empire  et  à  comploter  la  mort  de  son  mettre. 
Il  choisit  le  moment  où  l'empereur  reposait  sous  son 
pavillon  pour  y  entrer  en  cachette  et  l'égorger  pendant 
qu'il  dormait.  Quant  à  l'armée  venue  avec  l'empereur, 
il  se  l'attacha  par  ses  prières,  par  l'aident,  par  des 
largesses  et  par  des  promesses,  et  alors  il  se  hâta 
d'aller  à  la  capitale  de  l'empire  à  marches  forcées.  A 
celte  nouvelle,  Philippe  le  jeune  fut  saisi  de  craintes, 
et  au  rapport  de  Sicard  dans  sa  chronique,  il  confia 
les  trésors  entiers  de  son  père  et  les  siens  à  saint  Sixte 
et  à  saint  Laurent,  afin  que,  s'il  venait  à  être  tué  lui- 
même  par  Dèce,  ils  donnassent  ces  trésors  aux  églises 
et  aux  pauvres.  N'allez  pas  vous  étonner  si  les  trésors 
distribués  par  saint  Laurent  ne  sont  pas  appelés  les 
trésors  de  IVmpereur,  mais  bien  ceux  de  l'Eglise,  car 
il  put  se  faire  cju'avec  ces  (résors  de  l'empereur  Phi- 
lippe, il  eiU  distribué  en  même  temps  quelques  trésors 
appartenant  à  rÉglise  :  ou  bien  encore,  on  peut  les 
apj)(*ler  les  trésors  de  l'Eglise,  parce  que  Philippe  les 
avait  laissés  à  l'Eglise  pour  qu'ils  fussent  partagés 
entre  les  pauvres,  quoique  Ton  doute  avec  certaine 
raison  (|iie  ce  fut  Sixte  (|ui  existât  alors,  comme  il  sera 
<lit  plus  bas.  Ensuite  Philippe  s'enfuit  et,  pour  ne  point 
lonibei*  entre  les  mains   Ac  Dèce,  à  son  retour,  il    se 


S 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  389 

cacha.  Le  Sénat  alla  donc  au-devant  de  Dèce  et  le  con- 

Krma  dans  la  possession  de  l'empire.  Or,  afin  de  paraître 

avoir  tué  son  mattre  non  par  trahison,  mais  par  zèle 

pour  le  culte  des  idoles,  il  commença  à  persécuter  les 

chrétiens  avec  la  plus  affreuse  cruauté,  donnant  Tordre 

de  les  égorger  sans  aucune  miséricorde.  Dans  cette 

persécution  périrent  plusieurs  milliers   de  martyrs, 

parmi  lesquels  futcouronné  Philippe  le  jeune.  Ensuite, 

Dèce  se  mit  à  la  recherche  du  trésor  de  son  maître. 

Sixte  lui  fut  présenté  comme  adorant  J.-C.  et  comme 

possédant  les  trésors  de  Tempereur.  Or,  saint  Laurent 

qui  le  suivait  par  derrière  lui  criait:  «  Où  allez-vous, 

sans  votre  fils,  ô  mon  père  ?  saint  prêtre,  où  allez-vous 

sans  votre  diacre?  Jamais  vous  n'aviez  coutume  d'oftnr 

le  sacrifice  sans  ministre.  Qu'y  a-t-il  en  moi  qui  ait  pu 

déplaire  à  votre  cœur  de  père  ?  Avez-vous  des  preuves 

que  j'aie  dégénéré  ?  Éprouvez  de  grâce,  si  vous  avez 

fait  choix  d'un  assistant  capable,  quand  vous  m'avez 

confié  le  soin  de  distribuer  le  sang  du  Seigneur.  »  Ce 

n'est  pas  moi  qui  te  quitte  mon  fils,  ni  qui  t^abandonne, 

reprit  le  saint  Pontife  ;  mais  de  plus  grands  combats 

pour  la  foi  de  J.-C,  te  sont  réservés.  Pour  nous,  en 

quaUté  de  vieillard,  nous  n'avons  à  affronter  que  de 

faibles  dangers,  toi  qui  es  jeune,  tu  remporteras  sur 

le  tyran  un  plus  glorieux  triomphe.  Dans  trois  jours, 

tu  me  suivras,  c'est  la  distance  qui   doit  séparer  le 

prêtre  et  le  lévite.  Et  il  lui  remit  tous  les  trésors,  en 

lui  ordonnant  d'en  faire  la  distribution  aux  églises  et 

aux   pauvres.  Le  bienheureux   Laurent  se  mit  donc 

nuit  et  jour  à  la  recherche  des  chrétiens   et  donna 

à  chacun  selon  ses  besoins.  Il  vint  à  la  maison  d'une 


r 


3DU  LA    LtGENDE    DOREE 

veuve  qui  avait  caché  uu  grand  uombre  de  chrétiens 
chez  elle  :  depuis  longtemps  elle  souffrait  de  maux  de 
tète.  Saint  Laurent  lui  imposa  les  mains  et  elle  fut 
guérie  de  sa  douleur  ;  ensuite  il  lava  les  pieds  des 
pauvres  et  leur  donna  l'aumône.  La  même  nuit,  il  vint 
chez  un  chrétien  et  y  rencontra  un  homme  aveugle  ; 
par  un  signe  de  croix,  il  lui  rendit  la  vue. 

Or,  comme  le  bienheureux  Sixte  ne  voulait  pas  entrer 
dans  les  vues  de  Fempereur,  ni  sacrifier  aux  idoles,  il 
fut  condamné  à  avoir  la  télc  tranchée.  Accourut  alors 
saint  Laurent  qui  se  mit  à  crier  à  saint  Sixte  : 
«  Veuillez  ne  pas  m'abandonner,  père  saint,  parce  que 
déjà  j'ai  dépensé  vos  trésors  que  vous  m'aviez  confiés.  » 
Alors  les  soldats,  en  entendant  parler  de  trésors,  se 
saisirent  de  Laurent  et  le  livrèrent  entre  les  mains 
du  tribun  Parthénius.  Celui-ci  le  présenta  à  Dèce. 
Le  césar  Dèce  lui  dit  :  «  Où  sont  les  trésors  de  l'É- 
glise que  nous  savons  avoir  été  déposés  chez  loi  ?  » 
Or,  comme  Laurent  ne  lui  répondait  pas,  il  le  livra  à 
Valérien  qui  était  préfet,  afin  de  le  forcer  à  livrer  les 
trésors  et  à  sacrifier  ensuite  aux  idoles,  ou  bien  de  le 
faire  périr  dans  des  supplices  et  des  tourments  divers. 
Valérien,  de  son  colé,  le  mit  entre  les  mains  d'un  offi- 
cier noninié  Hippolyte  afin  qu'il  le  gardât  :  et  Laurent 
fut  enfermé  en  prison  avec  beaucoup  d'autres.  Il  y 
avait  là  sous  les  verrous  un  gentil  nommé  Lucillus 
qui,  à  force  de  pleurer,  avait  perdu  la  vue.  Comme 
Laurent  lui  promettait  de  lui  rendre  l'usage  de  ses 
yeux,  s'il  croyait  en  .l.-C.  et  s'il  recevait  le  baptême, 
cet  homme  demanda  avec  instance  à  être  baptisé. 
Laurent  prit  donc  de  Peau  cl  lui  <lit  :  «  Tout  est  lavé 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  391 

dans  la  confession.  »Et  quand  Laurent  l'eut  interrogé 
avec  précision  sur  les  articles  de  foi  et  que  Lucillùs 
eut  confessé  qu'il  les  croyait  tous,  il  lui  versa  de  Teau 
sur  la  tète  et  le  baptisa  au  nom  de  J.-C.  C'est  pour 
cela  que  beaucoup  d'aveugles  venaient  trouver  Laurent 
et  s'en  retournaient  guéris.  Quand  Hippolyte  vit  cela, 
il  lui  dit  :  «  Montre-moi  les  trésors.  »  Laurent  lui 
répondit  :  «  O  Hippolyte,  pour  peu  que  tu  croies  en 
Notre-Seigneur  J.-C,  je  te  montre  des  trésors  et  je  le 
promets  une  vie  éternelle.  »  Hippolyle  lui  dit:  «  Si  lu 
fais  ce  que  lu  dis,  je  ferai  aussi  ce  à  quoi  tu  m'exhortes.  » 
A  la  même  heure,  Hippolyte  crut  et  reçut  le  saint 
baptême  avec  sa  famille.  Quand  il  fut  baptisé  il  dit  : 
«  J'ai  vu  les  âmes  des  innocents  tressaillir  de  joie.  » 
Peu  après,  Valérien  donna  ordre  à  Hippolyte  de  lui 
présenter  Laurent.  Celui-ci  dit  à  Hippolyte  :  «  Allons 
tous  les  deux  ensemble,  car  la  gloire  nous  est  réservée  à 
toi  et  à  moi.  »  Ils  viennent  donc  tous  deux  devant 
le  tribunal,  et  l'on  s'enquiert  encore  du  trésor.  Lau- 
rent demanda  un  délai  de  trois  jours,  ce  à  quoi  Valé- 
rien consentit  en  le  laissant  sous  la  garde  d'Hippolyte. 
Pendant  ces  trois  jours,  Laurent  rassembla  les  pau- 
vres, les  boiteux  et  les  aveugles  et  les  présentant  dans 
le  palais  de  Sallusle  à  Dèce:  «  Ce  sont  là,  lui  dit-il, 
les  trésors  éternels  qui  ne  diminuent  jamais,  mais  qui 
s'accroissent;  ils  sont  répartis  entre  chacun  et  trouvés 
entre  les  mains  de  tous;  et  ce  sont  leurs  mains  qui 
ont  porté  les  trésors  dans  le  ciel.  »  Valérien  dit  devant 
Dèce  qui  était  présent:  «  Pourquoi  tous  ces  détours? 
Hâte-toi  de  ^sacrifier  et  renonce  à  la  magie.  »  Laurent 
lui  dit  :  «  Quel  est  celui  ([u'on  doil  adorer?  Est-ce  le 


392  LA    LÉGENDE    DORI%E 

créateur  ou  la  créature?  »  Dèce  irrité  le  fit  frapper 
avec  des  fouets  garnis  de  plomb,  appelés  scorpions,  et 
on  lui  mit  devant  les  yeux  tous  les  genres  de  tortures. 
Comme  l'empereur  lui  commandait  de  sacrifier  afin 
qu'il  échappât  à  ces  tourments,  Laurent  répondit  : 
«  Malheureux  !  ce  sont  des  mets  que  j'ai  toujours  dé- 
sirés. »  Dèce  lui  dit  :  «  Si  ce  sont  des  mets,  fais-moi 
connaître  les  profanes  qui  te  ressemblent  afin  qu'ils 
partagent  ce  festin  avec  toi.  »  Laurent  répondit  :  «  Ils 
ont  déjà  donné  leurs  noms  dan«;  lescieux  et  c'est  pour 
cela  que  tu  n'es  pas  digne  de  les  voir.  »  Alors  par 
l'ordre  de  Dèce,  il  est  dépouillé,  battu  de  coups  de 
fouets  et  des  lames  ardentes  lui  sont  appliquées  sur 
les  côtés.  «  Seigneur  J.-C.,  dit  alors  Laurent,  Dieu 
de  Dieu,  ayez  pitié  de  votre  serviteur,  puisque  quand 
j'ai  été  accusé,  je  n'ai  pas  renié  votre  saint  nom, 
quand  j'ai  été  interrogé,  je  vous  ai  confessé  comme 
mon  Seigneur.  »  Et  Dèce  lui  dit  :  «  Je  sais  que  c'est 
par  les  secrets  de  la  magie  que  tu  te  joues  des  tour- 
ments, mais  tu  ne  sauras  te  jouer  longtemps  de  moi. 
JVii  atteste  les  dieux  et  les  déesses  ;  si  tu  ne  sacrifies, 
tu  périras  dans  des  tourments  sans  nombre.  »  Alors 
il  commanda  qu'on  le  frappât  très  longtemps  avec  des 
fouets  garnis  de  balles  de  plomb.  Mais  Laurent  se  mit 
a  ])ri(»r  en  disant  :  «  Seigneur  Jésus,  recevez  mon 
esprit.  ))  Alors  il  se  fit  entendre  une  voix  du  ciel  que 
Dèce  ouït  aussi  :  «  Tu  as  encore  bien  des  combats  à 
soutenir.  »  Dèce  rempli  de  fureur  s'écria  :  «  Romains, 
vous  avez  entendu  les  démons  consolant  ce  sacrilège, 
qui  n'adore  pas  nos  dieux,  ne  craint  pas  les  tour- 
ments et  ne  sV'jiouvaute  pas  delà  colère  des  princes.  » 


V 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  393 

II  ordonna  une  seconde  fois  qu'on  le  battît  avec  des 
scorpions.  Laurent  se  mit  à  sourire,  remercia  Dieu 
et  pria  pour  les  assistants.  Au  même  instant,  un  sol- 
dat, nommé  Romain,  crut  et  dit  à  saint  Laurent  :  «  Je 
vois  debout  en  face  de  toi  un  très  beau  jeune  homme 
qui  essuie  tes  membres  avec  un  linge.  Je  t'en  conjure, 
au  nom  de  Dieu,  ne  me  délaisses  pas,  mais  hâte-toi 
de  me  baptiser.  »  Et  Dèce  dit  à  Valérien  :  «  Je  pense 
que  nous  voici  vaincus  par  la  magie.  »  Il  ordonna 
donc  de  le  détacher  de  la  cathaste  *  à  laquelle  il  était 
attaché  et  de  le  renfermer  sous  la  garde  d'Hippolyte. 
Alors  Romain  apporta  un  vase  plein  d'eau,  se  jeta  aux 
pieds  de  saint  Laurent  et  reçut  de  ses  mains  le  saint 
baptême.  Aussitôt  que  Dèce  en  fut  informé,  il  fit 
battre  de  verges  Romain  qui,  s'étant  déclaré  chrétien 
de  plein  gré,  fut  décapité  par  Tordre  de  l'empereur. 
Cette  nuit-là,  Laurent  fut  amené  à  Dèce.  Or,  comme 
Hippolyte  pleurait  et  criait  qu'il  était  chrétien,  Lau- 
rent lui  dit  :  «  Cache  plutôt  J.-C.  au-dedans  de  ton 
cœur,  et  quand  j'aurai  crié,  prête  l'oreille  et  viens.  » 
On  apporta  donc  des  instruments  de  supplices  de  tous 
les  genres.  Alors  Dèce  dit  à  Laurent  :  «  Ou  tu  vas  sa- 
crifier aux  dieux,  ou  cette  nuit  finira  avec  tes  sup- 
plices. »    Laurent  lui   répondit  :  «  Ma  nuit  n'a  pas 

*  La  cathasta,  d'après  Kich,  est  tout  simplement  un  s^ril  de 
fer  au-dessous  duquel  on  meUait  du  feu  pour  torturer  les  cri- 
minels. Cet  instrument  était  distingué  du  chevalet  Ecuieus 
ci  avait  la  forme  d'une  échelle  d'après  ce    passasse  de  Salvien: 

Lib.  111,  De  Gubernat.  Dei  :  Ad  rœlestfs  regiœ  januam nxreu' 

fientes  scalas  ttibi  quodam  modo  de  ecuieis  cafastisquc  fecerunt. 
Iso  Magister  in  Glossis  catnstœ,  genus  tonnenti^  id  eut,  Iprli  />'/■- 
rei. 


â 


394  LA    LÉGENDE    DOREE 

d'obscurités,  mais  lout  pour  moi  est  plein  de  lumière.  » 
El  Dèce  dit  :  «  Qu'on  apporte  un  lit  de  fer  afin  que 
l'opiniâtre  Laurent  s'y  repose.  »  Les  bourreaux  se 
mirent  donc  en  devoir  de  le  dépouiller  et  retendirent 
sur  un  gril  de  fer  sous  lequel  on  mit  des  charbons  ar- 
dents et  ils  foulaient  le  corps  du  martyr  avec  des  four- 
ches de  fer.  Alors  Laurent  dit  à  Valérien  :  «  Apprends, 
misérable,  que  tes  charbons  sont  pour  moi  un  rafraf- 
chissement,  mais  qu'ils  seront  pour  toi  un  supplice 
dans  l'éternité,  parce  que  le  Seigneur  lui-même  sait 
que  quand  j'ai  été  accusé,  je  ne  l'ai  pas  renié;  quand 
j'ai  été  interrogé,  j'ai  confessé  J.-C.  ;  quand  j'ai  été 
rôti,  j'ai  rendu  des  actions  de  grâces.  »  Et  il  dit  à 
Dèce  d'un  ton  joyeux  :  «  Voici,  misérable,  que  tu  as 
rôti  un  côté,  retourne  l'autre  et  mange.  »  Puis  remer- 
ciant Dieu  :  «  Je  vous  rends  grâce,  dit-il,  Seigneur, 
parce  que  j'ai  mérité  d'entrer  dans  votre  demeure.  » 
C'est  ainsi  qu'il  rendit  l'espril.  Dèce,  tout  confus,  s'en 
alla  avec  Valérien  au  palais  de  Tibère,  laissant  le  corps 
sur  le  feu.  Le  matin,  HippolyteTenleva  et,  de  concert 
aver  lo  pnHrc  Justin,  il  rensev«»lit  avec  des  aromates 
au  champ  Vrranus.  Les  chrétiens  jeûnèrent,  et  pen- 
dant trois  j(Hirs  célébrèrent  ses  vi^^iles,  au  milieu  des 
sani;h)ts  e(  en  versant  des  torrents  de  larmes. 

Esl-il  certain  (jut»  saint  Laurent  ail  souffert  le  mar- 
tyre sous  cel  empereur  Dèce  ?  Le  fait  est  douteux 
jM)ur  beaucoup  de  monde,  puisque  dans  les  clironi- 
(|nes,  on  lit  (|ue  Sixte  vécut  longtemps  avant  Dèce. 
(Vcsl  le  sentiment  d'Eutrope  quand  il  dit  :  Dèce  qui 
suscita  nnt*  persécution  cruitre  les  chrétiens  fil  tuer 
<'ntre  antres  le  hienluMireux  lévite  et  martvr  Laurent. 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  395 

11  est  rapporté  dans  une  chronique  assez  aulhenlique 
que  ce  ne  fut  pas  sous  Tempereur  Dèce,  successeur 
de  Philippe,  mais  sous  un  Dèce  qui  fut  César,  et  non 
pas  empereur,  que  saint  Laurent  souffrit  le  martyre. 
Car  entre  l'empereur  Dèce  et  Dèce  le  jeune,  sous 
lequel  on  dit  que  saint  Laurent  fut  martyrisé,  il  y 
eut  plusieurs  empereurs  ei  plusieurs  souverains  pon- 
tifes intermédiaires.  En  effet,  il  est  dit  dans  le  même 
livre  que  après  Gallus  et  Volusien  son  fils,  successeur 
de  Dèce  à  l'empire,  régnèrent  Valérien  et  Gallien,  et 
que  ces  deux  derniers  créèrent  César,  Dèce  le  jeune, 
mais  sans  le  faire  empereur.  Car  anciennement  les 
empereurs  donnaient  à  quelques-uns  la  qualité  de 
Césars,  sans  cependant  les  créer  Augustes  ou  empe- 
reurs ;  ainsi  on  lit  dans  les  chroniques  que  Dioclétien 
fit  César  Maximien,  et  que,  dans  la  suite,  de  César  il 
le  créa  Auguste.  Or,  du  temps  de  ces  empereurs,  c'est- 
à-dire  de  Valérien  et  de  Gallien,  c'était  Sixte  qui 
siégeait  à  Rome.  Ce  fut  donc  ce  Dèce  simple  César, 
mais  non  pas  empereur  qui  martyrisa  saint  Laurent. 
C'est  pour  cela  que  dans  la  légende  de  ce  saint,  Dèce 
n'eçt  pas  appelé  empereur,  mais  Dèce-César  seulement. 
Car  l'empereur  Dèce  ne  régna  que  deux  ans,  et  nuir- 
lyrisa  le  pape  saint  Fabien.  A  Fabien  succéda  Cor- 
neille qui  souffrit  sous  Volusien  et  Gallus.  Après 
Corneille  vint  Lucien,  et  Lucien  eut  pour  successeur 
Etienne  qui  souffrit  sous  Valérien  et  (îallien  dont  le 
règne  dura  quinze  ans.  A  Etienne  succéda  Sixte.  Ce 
qui  précède  est  tiré  de  la  chronique  qui  a  été  citée 
ci-dessus.  Cependant  toutes  les  chroniques,  tant  d'Eu- 
sèbe,  que  de  Bède  et  d'Isidore  s'accordent  à  dire  <|uc 


396  Ll  iJbknde   dukék 

le  pape  Sixte  ne  vécut  pas  du  temps  ilc  roiii|ii-rcaril 
Dèoe,'iiiaiB  bien  de  tSllK^n.  Mais  uii  lit  encure  dancl 
une  autre  dironiqae -({ue  ce  Uallien  cul  deux  iioms*] 
qu'il  fut  appelé  Gallieu  et  Dèce,  et  ce  fui  sous  lui  qoe  ' 
souffrirent  Sixte  et  Laurent,  vers  Tau  du  Seigneur 
257.  Geoffiroy  avance  aussi  dans  son  livre  intitulé 
Panthéon  que  Gallien  se  numma  Dèce  el  que  ce  Fut^j 
sous  lui  que  souffrirent  saint  Sixte  et  saint  Laurtrntd 
Et  si  cet  auteur  est  exact»  es  qu'avance  Jean  Beleltt'l 
pourrait  être  véritable.  —  Saint  Gh-^oire  rapporte  an 
livre  de  ses  DiaUiguet  qu'une  reltgiaifle,  aomnlée 
Sabine,  conserva  la  continence  sans  pouvoir  atodé- 
rer  l'intempérance  de  n  lanj^ue;  BÛe.fiU  entorée  . 
dans  r^ise  de  saint  Laurent,  devant  l'autel  du  mar- 
tyr; mais  une  partie  de  son  corps  fut  coupée  par  le 
démon  et  resta  intacte,  tandis  que  l'antre  partie  fat 
brûlée  :  ceci  fut  constaté  le  lendanain  matin.  —  Gré- 
goire de  Tours  rapporte  *  qu'un  prêtre  jréparant  une 
église  de  saint  Laurent,  une  poutre  se  teoavait  être 
trop  courte;  il  pria  le  saint  marljrrqui  avait  soutenu 
les  pauvres  de  venir  au  secours  de  son  indigence  ;  la 
poutre  s'allon^ea-de  telle  sorte  qu'elle  était  beaucoup 
trop  longue  :  le  prêtre  coupa  alors  cet  excédent  en 
petites  parties  et  s'en  servit  pour  guérir  beaucoup 
d'infirmités.  Ce  fait  est  attesté  par  le  bienheureux 
Fortunat,  et  il  eut  lieu  à  Brione,  cbAleau  d'Italie.  — 
Un  homme  avait  mal  aux  dents  :  on  le  toucha  avec 
un  morceau  de  cette  poutre  et  sa  douleur  disparut.  — 
Au  rapport  de  saint  Grégoire  dans  ses  Dialogues  **, 
'  Oc  'ilui-ia  Marlyi-.,  \.  I,  c.  xlii  ;  —  Forlunst,    I.   ix,  c.  xii-. 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  397 

un  autre  prêtre  appelé  Sanclutus,  voulant  réparer 
une  église  de  saint  Laurent  brûlée  par  les  Lombards, 
loua  grand  nombre  d'ouvriers.  Or,  un  jour  qu'il 
n'avait  rien  à  leur  donner  à  manger,  il  se  mit  en  prière 
et  en  regardant  dans  le  four  il  y  trouva  un  pain  très 
blanc  qui  ne  paraissait  cependant  pas  devoir  suffire 
à  un  repas  pour  trois  personnes.  Or,  saint  Laurent, 
qui  ne  voulait  pas  que  ses  ouvriers  manquassent  de 
rien,  multiplia  ce  pain  de  telle  sorte  qu'il  y  en  eut 
assez  pendant  dix  jours  pour  tous  les  ouvriers.  — 
Vincent  de  Beauvais  rapporte,  dans  sa  chronique, 
qu'il  y  avait  à  Milan  dans  une  église  de  saint  Laurent 
un  calice  de  cristal  d'une  merveilleuse  beauté.  Dans 
une  solennité  le  diacre  qui  le  portait  à  l'autel  le  laissa 
échapper  de  ses  mains,  et  en  tombant  par  terre  ce 
calice  se  brisa  en  morceaux.  Mais  le  diacre  affligé  en 
rassembla  les  fragments,  les  mil  sur  l'autel,  fit  une 
prière  à  saint  Laurent,  et  il  reprit  le  calice  entier  et 
très  solide.  * 

On  lit  encore  dans  le  livre  des  Miracles  de  la  sainte 
Vierge^  qu'il  y  avait  à  Rome  un  juge  nommé  Etienn*», 
qui  recevait  volontiers  des  présents  de  grand  nombre 
de  personnes,  et  violait  souvent  la  justice.  Il  usurpa 
par  force  trois  maisons  de  l'église  de  saint  Laurent 
et  un  jardin  de  sainte  Agnès,  et  resta  en  possession 
de  ce  qu'il  avait  acquis  injustement.  Or,  il  arriva 
qu'il  mourut  et  qu'il  fut  mené  au  jugement  de  Dieu. 
Saint  Laurent  s'approcha  alors  de  lui,  plein  d'indi- 
i^nation,  et  par   trois  fois  il  lui  serra  le    bras  pendant 

•  Grcg.  de  Tours,  De  (Uovia  .\favtyr.,  I.  I,  c.  xlvi. 


398  I.A    LÉGENDE    DORI^.E 

longtemps  cl  lui  fit  souffrir  de  cruelles  douleurs.  Mais 
sainte  Agnès  avec  les  autres  vierges  ne  voulut  pas  le 
voir  et  détourna  la  tête.  Alors  le  juge  rendit  son  arrêt 
en  ces  termes  :  «  Parce  qu'il  a  soustrait  le  bien  d'au- 
Irui,  et  qu'en  recevant  des  présents,  il  a  vendu  la  vé- 
rité, qu'il  soit  trafné  au  lieu  où  est  Judas  le  traître.  » 
Alors  saint  Prœjcct  pour  lequel  Etienne  avait  eu  beau- 
coup de  dévotion  pendant  sa  vie,  s'approchant  de  saint 
Laurent  et  de  sainte  Agnès,  demandait  pardon  pour  ce 
juge.  11  fut  donc  accordé  à  leurs  prières  unies  à  celles 
de  la  sainte  Vierge  que  son  âme  retournerait  à  son 
corps  pour  y  faire  pénitence  pendant  trente  jours.  En 
outre  il  reçut  pour  pénitence,  de  la  part  de  la  sainte 
Vierge,  de  réciter  chaquejour  de  sa  vie  le  Psaume  cxviir, 
lîeati  immaculati  in  via.    Quand  il  revint  à  la  vie, 
son   bras  était  noir  et  brûlé  comme  s'il  eût  réelle- 
ment souffert  dans  son  corps,  et  celte  marque  resta 
sur  lui  tant  qu'il  vécut.  11  restitua  donc  le  bien  mal 
acquis  et  fit  pénitence,  mais  il  trépassa  dans  le  Sei- 
gneur lo  InMitiôme  jour.  —  On  lit  dans  la  vie  deTem- 
penMir  saint  II(»nri  (M  de  sainte Cunégonde,  sa  femme, 
qu'ils  vrcurontenseml)ledansla  virginité;  mais  à  l'ins- 
tigation  (lu  diable,   remporeur  conçut  des  soupçons 
sur  son  rpouse  par  rapp(»rt  à  un  soldat,  et  il  la  fit  mar- 
rlier  rui-pieds  Tespare  de  !;>  marches  sur  des  socs  de 
charnio  rougis   an  fou.   En  montant  dessus  elle  dit  : 
(i  Dt*  nn^nie,  StMgneur  Jésus,  que  vous  avez  connais- 
sance» (pio  ni  ITiMiri  m*  aucun  autre  ne  m'a  toucbée,  de 
mt^nic  aussi  venez  à  mon  aide.  »  Mais  Henri  poussé 
par  la  honte  la   Frappa  au  visae;*e  :  et  une  voix  se  fit 
entendre   à  (Innégonde  en  lui  disant    :   «  La  Vierge 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  399 

Marie  t'a  prise  sous  sa  protection,  car  tu  es  vierge.  » 
Elle  marcha  donc  sur  cette  masse  incandescente 
sans  ressentir  aucune  douleur.  L'empereur  venait  de 
mourir  quand  une  multitude  infinie  de  démons  pas- 
sant devant  la  cellule  d'un  ermite,  celui-ci  ouvrit  sa 
fenêtre  et  demanda  au  dernier  passant  qui  ils  étaient. 
Et  il  répondit  :  «  Nous  sommes  une  légion  de  démons 
qui  nous  hâtons  d'aller  à  la  mort  du  César  afin  de 
voir  si  nous  pourrons  trouver  en  lui  quelque  chose  qui 
nous  appartienne  en  propre.  »  L'ermite  adjura  le  dia- 
ble de  revenir  et  celui-ci  lui  dit  à  son  retour  :  «  Nous 
n'avons  rien  trouvé,  car  bien  que  le  soupçon  injuste 
qu'avait  conçu  l'empereur,  et  ses  autres  péchés  aient 
été  mis  ainsi  que  ses  bonnes  œuvres  dans  la  balance, 
Laurent  le  grillé  apporta  un  pot  d'or  d'un  poids  énorme, 
quand  nous  pensions  emporter  César;  cette  chaudière 
ayant  été  jetée  sur  la  balance,  l'autre  côté  l'emporta  ; 
alors,  je  fus  irrité  et  j'arrachai  une  oreille  de  ce  pot 
d'or.  11  donnait  le  nom  de  pot  à  un  calice  que  cet  em- 
pereur avait  fait  ciseler  pour  l'église  d'Eichstat  en 
riionneur  de  saint  Laurent  envers  lequel  il  avait  une 
dévotion  particulière.  A  cause  de  sa  grandeur,  ce  ca- 
lice avait  deux  anses.  Et  il  se  trouva  qu'au  même  mo- 
ment l'empereur  mourut  et  une  anse  du  calice  fut  bri- 
sée *.  Saint  Grégoire  rapporte  dans  son  Reyistve**^ 

*  Ce  fait  se  trouve  sculpté  eu  relief  sur  le  tombeau  qui 
renfermait  les  reliques  de  saint  Henri  et  de  sainte  Cunc- 
i^oode  avant  leur  canonisation.  On  y  voit  un  ange  tenant  d*unc 
main  une  épée  dégainée,  de  l'autre,  une  balance  sur  Pun  drs 
plateaux  de  laquelle  est  posé  un  calice.  Chronic,  Casin.,  1.  II, 

C.  XLIV. 

•*  Ep.,  1.  V,  c.  XXX. 


400  LA    LÉGENDE    DORÉE 

(ju'un  de  ses  prédécesseurs  voulait  soulager  quelqu'un 
auprès  du  corps  de  saint  Laurent,  mais  qu'il  ne  sa- 
vait où  le  corps  reposait  ;  quand  tout  à  coup  et  sans 
le  savoir  on  découvre  le  tombeau,  et  tous  ceux  qui  se 
trouvaient  là  *,  aussi  bien  les  moines  que  ceux  qui 
étaient  attachés  à  l'église,  et  qui  avaient  vu  ces  saintes 
reliques,  moururent  dans  l'espace  de  dix  jours. 

11  faut  observer  que  le  martyre  de  saint  Laurent 
paratt  l'emporter  sur  ceux  des  autres  saints  marty 
par  quatre  caractères  qui   lui   sont  propres  et  qu'o 
trouve  exposés  dans  les  paroles  de  saint  Maxime,  évè 
que,  et  de  saint  Augustin.  Le  premier,  c'est  la  rigue 
de  ce  martyre;  le  second,  c'est  le  résultat  ou  l'utili 
qu'il  eut;  le  troisième,  c'est  la  constance  et  le  coura 
du  p:itient;  le  quatrième,  c'est  le  combat  admirab 
en  lui-même  et  le  mode  de  sa  victoire. 

I.  Le  martyre  de  saint  Laurent  l'emporte  sur  I 
antres  par  l'extrême  rigueur  des  tourments.  Voici  co 
ment  s'en  exprime  le  bienheureux  évêque  Maxime, 
selon  certains  textes  saint  Ambroise  :  «  Mes  frères, 
n'est  pas  un  martyre  ordinaire  et  de  quelques  insta 
que  saint  Laurent  eut  à  souffrir  :  car  celui  qui  est  frap»  "MP^ 
du  glaive,  meurt  une  fois,  celui  qui  est  plongé  dans     'm^^n 
brasier  de  flammes,  est  délivré  à  l'instant;  mais  sai.ï   ni 
Laurent  «*si  tonririeiité  par  dt\s  supplices  longs  et  nr>M  w- 
breux,  en  sorte  ({lie  la  mort  ne  ralentit  pas  sa  souffrais  ^^^^% 
et  lui  manqua  à  la  fin.  N(»us  lisons  que  des  bienheur^  ^*x 
enfants  s»»  [)r()in  Miaient  au  niilieu  des  flammes  ap[>  ^    ♦'" 

i.e  loxh'  pnrir  M'in^ionarii.  On  appelail  ainsi  les  toi-*  s^n- 
ciiTs  <riin(»  mais  )n.  (Jiiiiml  il  s'atj^il  de  ptM'sonnrs  roli^ioi.*  "=  ^'*''- 
c't'lai»Mi(  «les  oliaii(»iri('s  vivaul  en  conniiiinauté. 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  401 

lécî^     pour  les  faire  souffrir  el  qu'ils  foulèrent  aux  pieds 
des$    ^nasses  de  feu.   El  cependant  saint  Laurent  leur 
^*  t-     ^  upérieur  en  gloire,  parce  que  ceux-là  se  prome- 
"^^i<^»it  dans  les  flammes,  et  que  lui  fut  couché  sur  le 
fem_a    même  qui  faisait  son  supplice.  Ils  foulèrent  le  feu 
^^     l^urs  pieds,  tandis  que  lui  en  éteignit  l'ardeur  par 
'^     I>osition  qu'on  avait  fait  prendre  à  son  corps  étendu 
^*-*  «"      ses  flancs.  Ceux-là  étaient  debout  et  adressaient 
*^^-*  i:*s  prières  en  levant  les  mains  vers  le  Seigneur  ;  ce- 
^'^î  —ci  étendu  sur  le  gril  priait  pour  ainsi  dire  le  Sei- 
§r*^  ^  ur  avec  chacun  de  ses  membres.  Il  faut  noter  encore 
ï^-*€^    saint  Laurent  vient  le  premier  de  tous  les  martyrs 
*  r^  »*ôs  saint  Etienne,  non  pas  pour  avoir  supporté  de 
T^  ■  ^-a^  grands  tourments  que  les  autres  martyrs  puisque 
*^^^  ticoup  souffrirent  des  tourments  égaux  et  quelque- 
■^^î^  plus  violents,  mais  c'est  pour  six  motifs  qui  se 
mavent  ici  réunis  :  1®  En  raison  du  lieu  où  il  a  souf- 
,  c'est  à  Rome,  la  capitale  du  monde  et  où  se  trouve 
^^iège  apostolique.  2<*  En  raison  de  sa  prédication, 
1^   il  s'y  livra  avec  ardeur.  3°  En  raison  des  trésors 
^***il  distribua   tout   entiers   avec  sagesse  aux  pau- 
^^^s.  Ces  trois  raisons  sont  celles  de  maître  Guillaume 
^  -A^uxerre.  4<*  Parce  que  son  martyre  est  authentique 
^^    C3ertain  :  car  bien  qu'on  lise  que  les  autres  aient 
^^iaffert  de  plus  grands  supplices,  cependant  cela  n'est 
P^s  authentique  et  quelquefois  il  y  a  lieu  d'en  douter; 
'p^îs  le  martyre  de  saint  Laurent  est  très  solennel  dans 
^^ïîse  qui  l'a  approuvé,  ainsi  que  nombre  de  saints 
^o^   leurs  discours.  H^  Par  la  dignité  à  laquelle  il  fut 
^^^•^  ;  car  il  fut  archidiacre  du  siège  apostolique,  et 
^lui,  il  n'y  eut  plus  à  Rome  d'archidiacre.  6®Pour 


402  LA    LÉGRNDE    DOR^.E 

la  cruauté  des  lourmenls  Hjui  furent  des  plus  atroces, 
puisqu*il  fut  rôti  sur  un  gril  de  fer.  Ce  qui  a  fait  dire 
de  lui  par  saint  Augustin  :  n  On  commanda  d'exposer 
sur  le  feu  ses  membres  déchirés  et  coupés  par  les  nom- 
breux coups  de  fouet  qu'il  avait  reçus,  afin  que  sur  ce 
gril  de  fer  sous  lequel  était  entretenu  un  feu  violent, 
le  tourment  filt  plus  atroce  etla  souffrance  plus  longue 
puisque  Ton  retournait  Tun  après  l'autre  chacun  d^ 
ses  membres. 

11.  Le  martyre  de  saint  Laurent  l'emporte  sur  I 
autres  par  ses  résultats  et  son  utilité.  D'après  sai 
Augustin  ou  saint  Maxime,  l'àpreté  du  supplice  a  cck 
vert  saint  Laurent  de  gloire,  l'a  rendu  célèbre  dans  P 
pinion  publique,  excite  à  la  dévotion  envers  lui,  et  e 
fait  un  modèle  remarquable.   1**  Elle  le  couvrit  d^ 
gloire  :  ce  qui  fait  dire  à  saint  Augustin  :  «  Tyran,  Um 
as  sévi  contre  ce  martyr  ;  tu  as  tressé,  tu  as  embelli 
sa  couronne  en   accumulant  les  tourments.  »   Saint 
Maxime  ou  saint  Ambroise  ajoute  :  «  Quoique  ses  mem- 
bres se  disloquent  sous  Tardeur  de  la  flamme,  cepen- 
dant la  force  de  sa  foi  n'est  pas  ébranlée.  Il  perd  son 
cor[)s,  mais  il  gay;^ne  le  salut.  »  Saint  Augustin  dit  : 
((  0  l(*  bienheureux  r(»r|)s,  dont  les  angoisses  ne  purent 
lui  faire  perdre  la  foi,  mais  que  la  religion  couronna 
dans  le  ciel.  »  2"  Elle  le  rendit  célèbre  dans  l'opinion 
publi(|ue.  Saint  Maxime  ou  saint  Ambroise  dit  :  «  Nous 
pouvons  comparer  le  bienheureux  martyr  Laurent  au 
grain  de  sénevé  (pii,  broyé  de  toutes  manières,  a  mé- 
rité de  répandn*  par  tout  l'univers  une  odeur  mysté- 
rieuse. Quand  il  était  en  vie,  il  fut  humble,  inconnu, 
méprisé.  A  peine  a-t-il  été  lourmenté,  déchiré,  brillé, 


SAINT   LAURENT,    MARTYR  403 

Hu'il  répandit  sur  toutes  les  églises  du  monde  un  par- 
^^m  de  noblesse.  »  Plus  loin  on  lit:  «  C'est  chose  sainte 
^^  agréable  à  Dieu  que  nous  honorions  avec  une  piété 
^ute  particulière  le  jour  de  la  naissance  de  saint  Lau- 
'^"t  :  l'Église  victorieuse  de  J.-C.  brille  en  ce  jour 
^^  reflet  de  son  bûcher,  aux  regards  de  l'univers.  Ce 
?<?Viéreux  martyr  a  acquis  une  telle  gloire  dans  son  mar- 
'^Te  qu'il  en  éclaire  le  monde  entier.  »  3**  Le  martyre  de 
^'*>t  Laurent  nous  excite  à  la  dévotion  pour  lui.  Saint 
^^g-xistin  donne  trois  motifs  que  nous  avons  de  le  louer 
^^  ^«luijrémoigner  notre  dévotion.  Nous  devons  mettre 
^otit,e  notre  confiance  dans  ce  bienheureux  martyr, 
^  '^tiord  parce  qu'il  a  répandu  son  précieux  sang  pour 
*^*^^ii,  ensuite  parce  qu'il  a  le  privilège  infini  de  nous 
^t^Ontrer  quelle  doit  être  la  foi  du  chrétien  puisqu'il 
^  eu  tant  d'imitateurs  ;  enfin,  parce  que  toute  sa  vie 
i^t  si  sainte  qu'il  mérita  d'obtenir  la  couronne  du  mar- 
tyre dans  un  temps  de  paix.  4°  Le  martyre  a  fait  de 
saint  Laurent  un  modèle  proposé  à  notre  imitation. 
Là-dessus  saint  Augustin  s'exprime  ainsi  :  «  La  cause 
pour  laquelle  ce  saint  homme  a  été  dévoué  à  la  mort, 
n'est  que  pour  porter  les  autres  à  être  ses  imitateurs.  >> 
Or,  nous  avons  trois  motifs  de  Timiter  :  1**  la  force  avec 
laquelle  il  souffrit  :  «  Le  peuple  de  Dieu,  dit  saint  Au- 
gustin, n'est  jamais  instruit  d'une  manière  plus  pro- 
'fitable  que  par  l'exemple  des  martyrs.  Si  l'éloquence 
entraîne,  le  martyre  persuade.  Les  exemples  rem[)or- 
lent  sur  les  paroles,  et  les  actions  instruisent  mieux 
que  les  discours.   Les  persécuteurs  de  saint  Laurent 
ont  pu  apprécier  eux-mêmes  quelle  dignité  possédaient 
les  martyrs  dans  cette  excellente  manière  d'instruire. 


# 


404  LA   LEGENDE    DOREE 

puisque  cette  admirable  force  d'âme  ne  faiblissait  pas, 
mais  fortifiait  encore  les  autres  en  leur  donnant  un 
modèle  dans  ses  souffrances.  »  2*  La  grandeur  et  Tar- 
deur  de  sa  foi  :  «  En  surmontant  par  la  foi,  dit  saint 
Maxime  ou  saint  Ambroise,  les  flammes  du  persécu- 
teur, il  nous  montre  que,  par  le  feu  de  la  foi,  on  peut 
surmonter  les  flammes  de  l'enfer,  et  avec  l'amour  de 
J.-C,  on  n'a  plus  à  craindre  le  jour  du  jugement.  » 
3'  Son  ardente  dévotion  :  «  Saint  Laurent,  dit  encore 
le  môme  auteur,  a  illuminé  le  monde  entier  avec  cette 
lumière  qui  le  brilla  lui-même,  et  de  ces  flammes  dont 
il  supporta  Tardeur,  il  échauffa  les  cœurs  de  tous  les 
chrétiens.  Sur  l'exemple  de  saint  Laurent,  nous  sommes 
excités  à  souffrir  le  martyre,  nous  sommes  enflammés 
pour  la  foi,  et  nous  sommes  échauffés  par  la  dévo- 
tion. » 

III.  Le  troisième  caractère  qui  distingue  excellem- 
ment son  martyre,  c'est  sa  constance,  ou  son  courage. 
Voici  comme  en  parle  saint  Augustin  :  «  Le  bienheu- 
reux Laurent  demeura  en  J.-C.  au  milieu  de  ses 
épreuves,  [)en(laiit  son  inique  inlerrogatoire,  jusqu'aux 
atroces  menaces  (ju'oii  lui  fit,  et  jusqu'à  la  mort.  Dans 
cette  lon^jue  mort,  il  avait  bien  mangé,  bien  bu,  il 
était  rassasié  de  cette  nourriture,  et  ivre  de  ce  calice 
de  Dieu  ;  alors  il  ne  ressentit  pas  les  tourments,  il  ne 
fut  pas  abattu,  mais  il  monta  au  ciel.  Il  fut  si  cons- 
tant et  si  ferme  que  non  seulement,  il  ne  succomba 
])as  aux  tourments,  mais,  que  ])ar  ces  tourments  eux- 
mêmes,  il  devint  plus  parfait  dans  la  crainte,  plus 
frrviMit  dans  Faniour  cl  [)[us  joyeux  en  ardeur.  »  i** 
«  On  l'étend,  dit  saint  Maxime,  sur  des  charbons  ar- 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  405 

dents,  on  ne  cesse  de  le  tourner  sur  lui-même  ;  mais 
plus  il  souffre  de  douleur,  plus  grande  est  la  patience 
avec  laquelle  il  craint  N.-S.  J.-C.  »  2**  «  Le  grain  de 
sénevé,  dit  saint  Maxime  ou  bien  saint  Ambroise, 
quand  il  est  broyé,  s'échauffe.  Laurent  au  milieu  de 
ses  supplices  s'enflamme.  Chose  admirable  !  celui-ci 
tourmente  Laurent,  ceux-là  plus  cruels  encore  perfec- 
tionnent les  tortures,  mais  plus  les  supplices  sont 
atroces  plus  ils  rendent  Laurent  parfait  dans  son  dé- 
vouement. »  3**  Son  cœur  était  tellement  fortifié  par  la 
foi  dans  J.-C,  que  ne  tenant  aucun  compte  des  tor- 
tures infligées  à  son  propre  corps  ;  tout  joyeux  de  son 
triomphe  sur  les  flammes  qui  le  brûlaient,  il  insultait 
à  la  cruauté  de  son  bourreau. 

IV.  Le  quatrième  caractère  de  son  martyre  fut  sa 
lutte  admirable  et  la  manière  dont  il  remporta  la  vic- 
toire. Car,  on  peut  recueillir  des  paroles  de  saint 
Maxime  et  de  saint  Augustin^  que  saint  Laurent  eut 
à  endurer  en  quelque  sorte  extérieurement  cinq  sortes 
de  feu,  qu'il  supporta  avec  courage  et  qu'il  éteignit. 
Le  premier  fut  le  feu  de  l'enfer,  le  second  le  matériel 
de  la  flamme,  le  troisième  fut  celui  de  la  concupis- 
cence de  la  chair,  le  quatrième  fut  celui  d'une  violente 
avarice,  le  cinquième  fut  le  feu  d'une  rage  insensée. 
1®  «  Pouvait-il  faiblir,  dit  saint  Maxime,  parce  que  son 
corps  était  momentanément  brûlé,  celui  dont  la  foi 
éteignait  le  feu  éternel  de  l'enfer?  II  passa  à  travers 
un  feu  d'un  instant  de  durée,  et  tout  terrestre,  mais 
il  échappa  à  la  flamme  de  la  géhenne  qui  brûle  sans 
cesse.  »  2®  «  Son  corps  est  brûlé,  dit  saint  Maxime  ou 
saint  Ambroise,  mais  Tamour  divin  éteignit  cette  com- 
I.  20- 


40(t  LA    LÉGENDE    DORÉE 

bustion  matérielle.  Un  roi  méchant  mettra  lui-même 
le  bois,  il  activera  le  foyer,  mais  le  bienheureux  Lau- 
rent n'en  sentira  pas  les  effets,  parce  que  Tardeur  de 
sa  foi  est  encore  plus  vive.  »  «  La  charité  de  J,-C., 
dit  saint  Augustin,  ne  fut  pas  vaincue  par  la  flamme, 
et  le  feu  qui  brûle  à  l'extérieur  est  moins  ardent  que 
celui  qui  brûle  à  Tintérieur.  »  3*^  Saint  Maxime  dit  en 
parlant  de  l'extinction  du  feu  de  la  concupiscence  : 
«  Voici  un  feu  par  lequel  saint  Laurent  passa,  sans  en 
«Hre brûlé,  puisqu'il  en  eut  horreur;  mais  il  n'en  brille 
pas  moins  d'un  grand  éclat  :  il  a  brûlé  pour  n'être  point 
enflammé,  et  pour  ne  point  être  brûlé,  il  endura  d'être 
brûlé.  »  4<»  L'avarice  de  ceux  qui  convoitaient  des  tré- 
sors a  été  déçue,  selon  ces  paroles  de  saint  Aug'ustin  : 
«  11  s'arme  d'une  double  torche  cet  homme  cupide  d'ar- 
gent et  ennemi  de  la  vérité  :  c'est  l'avarice  pour  ravir  de 
l'or,  c'est  l'impiété  pour  faire  disparaître  J.-C  :  mais  tu 
ne  gagnes  rien,  tu  ne  retires  aucun  profit,  homme  cruel, 
ce  qui  n'est  que  matière  est  soustrait  à  tes  recherches; 
Laurent  monto  au  ciel,  et  tu  péris  avec  tes  flammes.  » 
o"  La  folie  furieuse  des  persécuteurs  a  été  frustrée  et 
aiuiihilée,  comme  le  flil  saint  Maxime  :  quand  il  eut 
vaincu  les  bourreaux  (jui  attisaient  le  foyer,  il  éteignit 
l'incendie  allumé  parla  f<»lie  (|ui  débordait  de  toutes 
paris.  Jusque-là  le  démon  n'a  obtenu  qu'un  résultat, 
c'est  (pie  cet  homme  fidèle  montât  plein  de  gloire 
jusqu'au  trône  de  son  maître,  et  que  la  cruauté  de 
ses  persécuttHirs  confondus  fût  engourdie  avec  leurs 
f(Mix.  »  Il  montre  conduen  fut  ardente  la  folie  des 
bourreaux  en  disanl  :  «  La  fureur  enflammée  des 
genlils   ]»répare  un  gril  ardent,  afin  de  venger  dans 


SAINT    LAURENT,    MARTYR  407 

les  flammes  l'ardeur  de  leur  indignation.  »  Il  n'y  a 
rien  d'étonnant  que  saint  Laurent  ait  surmonté  ces 
cinq  sortes  de  feu  extérieur,  puisque  d'après  les 
paroles,  de  saint  Maxime,  il  y  eut  trois  choses  qui  le 
rafraîchirent  intérieurement,  et  il  porta  dans  son 
cœur  trois  feux  au  moyen  desquels  il  adoucit  et  mo- 
déra entièrement  le  feu  extérieur,  qui  fut  ainsi  vaincu 
par  une  ardeur  plus  forte.  Ce  furent  :  1®  Le  désir  du 
royaume  du  ciel,  2"*  la  méditation  de  la  loi  de  Dieu, 
3<*  la  pureté  de  conscience.  Il  refroidit  et  éteignit 
ainsi  tout  feu  extérieur.  1®  le  désir  de  la  patrie  cé- 
leste. Saint  Maxime  ou  saint  Ambroise  dit  :  «  Le 
bienheureux  Laurent  ne  pouvait  ressentir  les  tour- 
ments du  feu  puisqu'il  possédait  dans  ses  membres 
le  désir  du  paradis  qui  refroidissait  les  flammes.  — 
Aux  pieds  du  tyran,  gît  une  chair  brûlée,  un  corps 
inanimé  :  mais  il  n'a  rien  perdu  sur  la  terre,  puisque 
son  âme  demeure  dans  le  ciel.  2^  La  méditation  de  la 
loi  divine.  Le  même  auteur  s'exprime  ainsi  :  «  Tandis 
que  son  esprit  est  occupé  dans  la  méditation  des 
commandements  de  J.-C,  tout  ce  qu'il  soufl^re  est 
froid  pour  lui.  »  S*'  La  pureté  de  conscience.  11  est 
dît  à  ce  propos  :  «  Ce  n'est  que  feu  autour  des  mem- 
bres de  ce  généreux  martyr,  mais  il  ne  pense  qu'au 
royaume  de  Dieu,  et  sa  conscience  rafraîchie  le 
fait  sortir  vainqueur  du  supplice.  »  Il  posséda  néan- 
moins trois  feux  intérieurs  qui  lui  firent  surmonter 
la  violence  des  flammes  extérieures.  Le  premier  fut 
la  grandeur  de  sa  foi,  le  second,  son  ardente  chanté, 
et  le  troisième,  une  véritable  connaissance  de  Dieu, 
qui  l'a   éclairé  comme  une  flamme.  «  Plus  sa  foi  est 


408  LA    LÉGENDE    DOREE 

ardente,  dit  saint   Ambroîse,  plus  la  flamme  qui  ^^^t, 
brûle  perd  de  sa  force.  La  ferveur  de  la  foi  c'est  1 
feu  du  Sauveur  qui  dit  dans  TEvangile  :  «Je  suis  ve- 
rt nu  vous  apporter  le  feu  sur  la  terre.  »  Saint  Laurent  ^ 
en  était  embrasé,  il  n'a  donc  pas  ressenti  Tardeur^  ^ 
des  flammes.  »  2°  Saint  Ambroise  dit  de  sa  charité  :  "^ 
«  Il  brillait  au  dehors  ce  saint  martyr,  parce  que  le    ^ 
tyran  l'avait  mis  sur  un  foyer  violent,  mais  la  flamme     ^ 
de    Tamour    de    Dieu  qui    le    consumait   était  plus      ^ 
forte  encore.  »  S**  Le  même  père  parle   ainsi  de  la 
connaissance  de  Dieu  :  «  Les  flammes  les  plus  cruel- 
les n'ont  pu  vaincre  cet  invincible  martyr,  parce  qu'il 
avait  l'esprit  éclairé  des  rayons  les  plus  pénétrants 
de    la  vérité.    Enflammé   de    haine  pour  le  mal,  et 
d'amour  pour  la  vérité,  ou  il   ne  sentit  pas,  ou   il 
vainquit  la  flamme  qui  le  brûlait  au  dehors.  L'office 
de  saint  Laurent  a  trois  privilèges  dont  ne  jouissent 
pas  les  autres  martyrs.  Le   premier  c'est  la  viçile  ; 
c'est  le  seul  des  martyrs  qui  en  ait  une.  Mais  les  vigi- 
les  des  saints   ont  été   HMnplacées  en  ce  jour  par  le 
jeilne  à  caust»  de  certains  désordres.  M^  Jean  Beleth 
rapporte  qiie  c'était  autrefois  la  coutume  qu'aux  fêles 
des  saints,  les    hommes,    avec  leurs  femmes,  et  les 
filles  venaient  à   l'église  où  ils  passaient  la  nuit  à  la 
lumière  des  flambeaux  ;  mais  parce  qu'il  en  résultait 
des  adultères,  il  fut  statué  que  la  vigile  serait  con- 
vertie en  jeûne.  Cependant  on  a  conservé  l'ancienne 
dénomination,   el   on   dit   encore   vigile    et  non    pas 
jeûne.  Le   second,  c'est  qu'il   a  une  octave.   C'est  le 
seul  des  martyrs  avec  saint  Etienne  qui  ait  une   oc- 
tave, comme  saint  Martin  parmi  les  confesseurs.  Le 


SAINT   HIPPOLYTE    ET    SES    COMPAGNONS  409 

troisième,  c'est  que  les  antiennes  ont  des  réclames  *, 
cela  ne  lui  est  commun  qu'avec  saint  Paul.  Saint  Paul 
a  ce  privilège  en  raison  de  Texcellence  de  sa  prédica- 
tion et  saint  Laurent  en  raison  de  l'excellence  de  son 
martyre. 


SAINT  HIPPOLYTE  ET  SES  COMPAGNONS  ** 

Hippolyte  vient  de  hyper,  au-dessus,  et /t/Ao»,  pierre,  comme 
si  on  disait  fondé  sur  la  pierre,  qui  est  J.-C.  Ou  bien  de  in, 
dans,  et  polis,  ville,  ou  bien  il  veut  dire  très  poli.  Il  fut  en  effet 
fondé  solidement  sur  J.-C.  qui  est  la  pierre,  en  raison  de  sa 
constance  et  de  sa  fermeté.  Il  fut  de  la  cité  d'en  haut  par  le 
désir  et  l'avidité  :  il  fut  bien  poli  par  Tâpreté  des  tourments. 

Hippolyte,  après  avoir  enseveli  le  corps  de  saint 
Laurent,  vint  à  sa  maison,  et  en  donnant  la  paix  à 
sesesclaves  et  à  ses  servantes,  il  les  communia  ***  tous 
du  sacrement  de  l'autel  que  le  prêtre  Justin  avait 
offert.  Et  quand  on  eut  mis  la  table,  avant  qu'ils 
eussent  touché  aux  mets,  vinrent  des  soldais  qui 
Tenlevèrent  et  le  menèrent  au  César.  Quand  Dèce  le 
vil,  il  lui  dit  en  souriant  :  «  Est-ce  que  tu  es  devenu 
magicien  aussi,  toi,  qui  as  enlevé  le  corps  de  Lau- 
rent. »  Hippolyte  lui  répondit  :  <(  Je  n*ai  pas  fait  cela 

•  Voyez  le  Sacramentaire    de  saint   Gréjyi^oire.  Dans  la  ré- 
forme du  Bréviaire  romain,  cet  usatifc  a  disparu. 

**  Bréviaire  romain;  —  Actes  anciens  de  ces  saints. 
***  Ce  ne  fut  que  vers  le  xie  siècle  (ju'ou   cessa  de  donner 
les  saintes  espèces  de  l'Eucharistie  aux  H(lèlcs({ui  se  commu- 
nièrent alors  de  leurjî  propres  mains. 


410  LA    LÉGENDE    DOREE 

comme  magicien,  mais  en  qualité  de  chrétien.  »  Alors 
Dèce  rempli  de  fureur  commanda  qu'on  le  dépouillât 
de  rtiabit  qu'il  portait  en  sa  qualité  de  chrétien  *, 
et  qu'on  lui  meurtrît  la  bouche  à  coups  de  pierres. 
Hippolyte  lui  dit  :  «  Tu  ne  m'as  pas  dépouillé,  mais 
tu  m'as  mieux  vêtu.  »  Dèce  lui  répliqua  :  a  Comment 
es-tu  devenu  fou  au  point  de  ne  pas  rougir  de  ta 
nudité?  Sacrifie  donc  maintenant  et  tu  vivras  au  lieu 
de  périr  avec  ton  Laurent.  »  Que  ne  mérité-je,  re- 
prit Hippolyte,  de  devenir  l'imitateur  du  bienheureux 
Laurent  dont  tu  as  osé  prononcer  le  nom  de  ta  bou- 
che impure  !  »  Alors  Dèce  le  fit  fouetter  et  déchirer 
avec  des  peignes  de  fer.  Pendant  ce  temps-là,  Hippo- 
lyte confessait  à  haute  voix  qu'il  était  chrétien  ;  et 
comme  il  se  riait  des  tourments  qu'on  lui  infligeait, 
Dèce  le  fit  revêtir  des  habits  de  soldat  qu'il  portait 
auparavant,  en  l'exhortant  à  rentrer  dans  son  amitié 
et  à  reprendre  son  ancienne  profession  de  militaire. 
Et  comme  Hippolyte  lui  disait  qu'il  était  le  soldat  de 
J.-C,  Dèce  outré  de  colère  le  livra  au  préfet  Valérien 
avec  ordre  de  se  saisir  de  tous  ses  biens  et  de  le  faire 
périr  dans  les  tourments  les  plus  cruels.  On  décou- 
vrit aussi  que  tous  ses  gens  étaient  chrétiens;  alors 
on  les  amena  devant  Valérien.  Comme  on  les  contrai- 
gnait de  sacrifier,  Concordia,  nourrice  d'Hippolyte, 
répondit  pour  tous  les  autres  :  «  Nous  aimons  mieux 
mourir  chastement  avec  le  Seigneur  notre  Dieu  que 
de  vivre  dans  le  désordre.  »  Valérien  dit:  «  Cette  race 


'    Hippolyte  {)orluit  donc  encore   la  robe  blanche  dont    on 
rcvèlail  les  nouveaux  baptisés. 


SAINT    HIPPOLYTR    ET    SES    COMPAGNONS  4U 

d'esclaves  ne  se  corrige  qu'avec  les  supplices.  »  Alors 
en  présence  d'Hippolyle  rempli  de  joie,  il  ordonna 
qu'on  la  frappât  avec  des  fouets  garnis  de  plombs 
jusqu'à  ce  qu'elle  rendît  l'esprit  :  «  Je  vous  rends 
grâces,  Seigneur,  dit  Hippolyte,  de  ce  que  vous  avez 
envoyé  ma  nourrice  la  première  dans  l'assemblée  des 
saints.  »  Ensuite  Valérien  fit  mener  Hippolyte  avec 
les  gens  de  sa  maison  hors  de  la  porte  de  Tibur.  Or, 
Hippolyte  les  raffermissait  tous  :  «  Mes  frères,  leur 
disait-il,  ne  craignez  rien,  parce  que  vous  et  moi, 
nous  avons  un  seul  Dieu.  »  Et  Valérien  ordonna  de 
leur  couper  la  tête  à  tous  sous  les  yeux  d'Hippolyte, 
et  ensuite  il  le  fit  lier  par  les  pieds  au  cou  de  chevaux 
indomptés  afin  qu'il  fût  traîné  à  travers  les  ronces  et 
les  épines,  jusqu'au  moment  où  il  rendit  l'âme,  vers 
l'an  du  Seigneur  256.  Le  prêtre  Justin  put  soustraire 
leurs  corps  et  les  ensevelir  à  côté  de  celui  de  saint 
Laurent.  Quant  aux  restes  de  Concordia,  il  ne  put 
les  trouver,  car  ils  avaient  été  jetés  dans  un  cloaque. 
Or,  un  soldat  nommé  Porphyre,  qui  croyait  que  Con- 
cordia avait  dans  ses  vêtements  de  l'or  et  des  pierres 
précieuses,  alla  trouver  un  cureur  de  cloaques  appelé 
Irénée,  qui  était  chrétien,  sans  être  connu  comme  tel, 
et  lui  dit  :  «  Garde-moi  le  secret,  et  retire  Concor- 
dia, car  mon  espoir  est  qu'elle  avait  de  l'or  ou  des 
perles  dans  ses  habits.  »  Irénée  lui  dit  :  «  Montre-moi 
l*endroit  et  je  garde  le  secret  ;  alors  si  je  trouve  quel- 
que chose,  je  t'en  informerai.  »  Lors  donc  que  le  corps 
eut  été  retiré,  et  qu'ils  n'eurent  rien  trouvé,  le  soldat 
s'enfuit  aussitôt  et  1  renée,  ayant  appelé  un  chrétien 
nommé  Habondus,  porta  le  corps  à  saint  Justin.  Celui- 


il 2  LA    LEGENDE    DOREE 

ci  le  prit  avec  respect  et  Tensevelit  à  côté  de  saint 
Hippolyte  et  des  autres  martyrs.  Quand  Valérien 
apprit  cela,  il  fil  prendre  Irénée  et  Habondus  qu'il 
ordonna  de  jeter  tout  vivants  dans  le  cloaque  :  saint 
Justin  enleva  aussi  leurs  corps  et  les  ensevelit  avec 
les  autres. 

Après  cela,  Dèce  monta  avec  Valérien  sur  un  char 
doré  et  ils  allèrent  tous  deux  à  rAmphithéâtre  pour 
tourmenter  les  chrétiens.  Alors  Dèce  fut  saisi  par  le 
démon  et  se  mit  à  crier  :  «  0  Hippolyte,  tu  me  tiens 
lié  avec  des  chaînes  bien  rudes.  »  Valérien  criait  de 
son  côté  :  «  0  Laurent,  tu  me  traînes  enlacé  dans  des 
chaînes  de  feu.  »  Et  à  l'instant  Valérien  expira.  Dèce 
rentra  chez  lui,  et  pendant  trois  jours  qu'il  fut  tour- 
menté par  le  démon,  il  criait:  «  Laurent,  je  t'en  con- 
jure, cesse  un  instant  de  me  tourmenter.  »  Et  il  mou- 
rut ainsi  misérablement.  Triphonie,  sa  femme,  qui  était 
d'un  caractère  cruel,  quand  elle  vit  cela,  quitta  tout 
pour  venir  trouver  saint  Justin  avec  sa  fille  Cyrille,  et 
se  fit  baptiser  par  lui  avec  beaucoup  d'autres  person- 
nes. Le  jour  suivant,  comme  Triphonie  était  en  priè- 
res, elle  rendit  l'esprit.  Son  corps  fut  enseveli  par  le 
prêtre  Justin  à  côté  de  celui  de  saint  Hippolyte.  Quand 
on  apprit  que  l'impératrice  et  sa  fille  s'étaient  faites 
chrétiennes,  quarante-sept  soldats  vinrent  avec  leurs 
femmes  chez  le  prêtre  Justin  afin  de  recevoir  le  baj>- 
tôme.  Denys,  qui  succédait  à  saint  Sixte,  les  baptisa 
tous.  Mais  Claude,  qui  était  empereur,  fit  égorger 
Cyrille  qui  ne  voulait  pas  sacrifier,  et  avec  elle  les 
autres  soldats.  Leurs  corps  furent  ensevelis  avec  les 
autres  dans  le  champ  Véranus.  11  faut  remarquer  qu*il 


SAINT    HIPPOLYTE    ET    SES    COMPAGNONS  413 

est  ici  expressément  question  de  Claude  comme  suc- 
cesseur de  Dèce  qui  fit  martyriser  saint  Laurent  et 
saint  Hippolyte.  Or,  Claude  ne  succéda  pas  à  Dèce  ;  il 
y  a  plus  :  d'après  les  chroniques,  à  Dèce  succéda  Vo- 
lusien,  à  Volusien  Gallien,  et  à  celui-ci  Claude.  Il 
paraît  donc  ici  plausible  de  dire  ou  bien  que  Gallien 
porta  deux  noms,  eX  qu'il  s'appela  Gallien  et  Dèce, 
d'après  Vincent  dans  sa  chronique  et  Geoffroi  dans 
son  livre,  ou  bien  que  Gallien  a  pris  pour  coadjuteur 
un  homme  nommé  Dèce  qu'il  aura  fait  César,  sans 
que  pourtant  ce  dernier  ait  été  empereur,  selon  le  ré- 
cit de  Richard  dans  sa  chronique.  Saint  Ambroise 
s'exprime  ainsi  dans  la  préface  de  saint  Hippolyte  : 
«  Le  bienheureux  martyr  Hippolyte,  regardant  J.-C, 
comme  son  véritable  chef,  aima  mieux  être  son  sol- 
dat que  d'être  le  chef  des  soldats.  Il  ne  persécuta  pas 
saint  Laurent  qui  avait  été  confié  à  sa  garde,  mais  il 
le  suivit.  En  cherchant  les  trésors  de  l'Eglise,  il  en 
trouva  un  que  le  tyran  ne  lui  ravirait  point,  mais  que 
la  piété  pouvait  seule  posséder.  Il  trouva  un  trésor 
d'où  découlaient  toutes  les  richesses  ;  il  méprisa  la  fu- 
reur d'un  tyran,  afin  d'être  éprouvé  avec  la  grâce  du 
roi  éternel  ;  il  ne  craignît  point  d'avoir  les  membres 
disloqués,  afin  de  ne  pas  être  broyé  dans  les  liens 
éternels. —  Un  bouvier  nommé  Pierre  avait  attelé  ses 
bœufs  à  son  char,  le  jour  de  la  fête  de  sainte  Marie- 
Magdeleirie  ;  il  pressait  son  attelage  en  proférant  des 
malédictions,  quand  tout  à  coup  ses  bœufs  et  son  char 
furent  consumés  par  lafoudrc.  Quant  au  bouvier,  qui 
avait  proféré  ces  imprécations,  il  était  en  proie  à  des 
douleurs  atroces;  un  feu  le  rongeait  de  telle  sorte  (|ue 


414  LA    LÉGENDE    DOREE 

les  chairs  et  les  nerfs  de  sa  jambe  tout  entière  ayant  été 
consumés,  ses  os  paraissaient  à  découvert  ;  enfin  sa 
jambe  finit  par  se  séparer  de  sa  jointure.  Il  alla  alors 
à  une  église  dédiée  à  Notre-Dame,  et  cacha  sa  jambe 
dans  un  trou  de  celte  église  en  priant  avec  larmes  la 
Sainte  Vierge  de  lui  obtenir  saguérison.  Or,  une  nuit, 
la  Sainte  Vierge  lui  apparut  avec  saint  Hippolyte  au- 
quel elle  demanda  de  guérir  Pierre.  Aussitôt  saint 
Hippolyte  prit  la  jambe  dans  le  trou  où  elle  était  et 
en  un  instant  il  la  replaça  comme  une  greffe  qu'on  ente 
sur  un  arbre.  Mais  au  moment  où  le  saint  fit  cela, 
Pierre  ressentit  des  douleurs  si  vives  que  par  ses  cris 
il  réveilla  tous  les  gens  de  sa  maison.  Ils  se  lèvent, 
allument  de  la  lumière  et  trouvent  Pierre  avec  ses  deux 
jambes  et  ses  deux  cuisses.  Se  croyant  le  jouet  d'une 
illusion,  ils  le  palpaient  de  toutes  les  manières  et  re- 
connaissaient qu'il  avait  des  membres  véritables.  A 
peine  peuvent-ils  Téveiller  ;  enfin  ils  s'informent  auprès 
de  lui  comment  cela  lui  est  arrivé.  Il  pense  lui-même 
qu'on  se  moque  de  lui  ;  mais  enfin  après  avoir  vu,  il 
finit  par  se  convaincre  de  ce  qui  existait  ;  il  en  resta 
stupéfait.  Cependant  sa  cuisse  noiivelle,  plus  faible  que 
l'autre  pour  supporter  son  corps,  était  en  même  temps 
plus  courte.  Comme  témoignage  du  miracle,  il  boita 
pendant  un  an.  Alors  la  Sainte  Vierge  lui  apparut  une 
seconde  fois  avec  saint  Hippolyte  auquel  elle  dit  qu'il 
devait  achever  cette  cure.  Il  s'éveilla  et  se  trouvant 
entièrement  guéri,  il  se  fit  reclus.  Le  diable  lui  appa- 
raissait très  fréquemment  sous  la  forme  d'une  femme 
nue  rpii  le  portait  au  crime;  plus  il  opposait  de  résis- 
tance, plus  l'impudence  de  cette  femme  augmentait. 


l' ASSOMPTION    DE   LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      415 

Or,  une  foisqu'elle  le  loiirmentait  beaucoup,  Pierre  en- 
fin prit  une  étole  de  prêtre  et  la  mil  au  cou  du  démon 
qui,  en  se  retirant,  ne  laissa  là  qu'un  cadavre  en  pu- 
tréfaction dont  l'odeur  était  tellement  infecte  que  de 
tous  ceux  qui  le  virent,  il  n'y  eut  personne  qui  ne 
pensât  que  ce  fût  le  corps  d'une  femme  morte  que  le 
diable  avait  pris. 


L'ASSOMPTION  DE  LA  BIENHEUREUSE 

VIERGE  MARIE 

Un  livre  apocryphe,  attribué  à  saint  Jean  l'évangé- 
liste,  nous  apprend  les  circonstances  de  l'Assomption 
de  fa  bienheureuse  vierge  Marie.  Tandis  que  les  apô- 
tres parcouraient  les  différentes  parties  du  monde 
pour  y  prêcher,  la  bieftheureuse  Vierge  resta,  dit-on, 
dans  une  maison  près  de  la  montagne  de  Sion.  Elle 
visita,  tant  qu'elle  vécut,  avec  une  grande  dévotion, 
tous  les  endroits  qui  lui  rappelaient  son  Fils,  comme 
les  lieux  témoins  de  son  baptême,  de  son  jeûne,  de  sa 
prière,  de  sa  passion,  de  sa  sépulture,  de  sa  résur- 
rection et  de  son  ascension,  et  d'après  Epiphane,  elle 
survécutde  vingt-quatre  ans  à  l'ascension  deson  Fils.  11 
rapporte  donc  que  la  Sainte  Vierge  était  âgée  de  qua- 
torze ans  quand  elle  conçut  J.-C,  qu'elle  le  mit  au 
inonde  à  quinze,  et  qu'elle  vécut  avec  lui  trente-trois 
ans,  et  vingt-quatre  autres  après  la  mort  de  J.-C.  D'a- 
près cela,  elle  avait  soixantoJouzc  ans  quand  elle 
mourut.  Toutefois  ce  qu'on  litailleurs  paraft  plus  pro- 


41<)  LA    LÉGENDE    DORÉE 

bable,  savoir,  qu'elle  survécut  de  douze  ans  à  sonFils, 
et  qu'elle  était  sexagénaire,  lors  de  son  assomption, 
puisque  les  apôtres  employèrent  douze  ans  à  prêcher 
dans  la  Judée  et  les  pays  d'alentour,  selon  le  récit  de 
V Histoire  ecclésiastique.  Or,  un  jour  que  le  cœur  de  fa 
Vierge  était  fortement  embrasé  du  regret  de  son  Fils, 
son  esprit  enflammé  s'émeut  et  elle  répand  une  grande 
abondance  de  larmes.  Comme  elle  ne  pouvait  facile- 
ment se  consoler  de  la  perte  de  ce  fils  qui  lui  avait  été 
soustrait  pour  un  temps,  voici  que  lui  apparut,  envi- 
ronné d'une  grande  lumière,  un  ange  qui  la  salua  en 
ces  termes,  avec  révérence,  comme  la  mère  du  Sei- 
gneur :  «  Salut,  Marie  qui  êtes  bénie  ;  recevez  la  bé- 
nédiction de  celui  quia  donné  le  salut  à-Jacob.  Or,  voici 
une  branche  de  palmier  que  je  vous  ai  apportée  du 
paradis  comme  à  ma  dame  ;  vous  la  ferez  porter  de- 
vant le  cercueil  ;  car  dans  trois  jours,  vous  serez  enle- 
vée de  votre  corps  ;  votre  FiFs  attend  sa  révérende 
mère.  »  Marie  lui  répondit  :  «  Si  j'ai  trouvé  grâce  de- 
vant vos  yeux,  je  vous  conjure  de  daigner  me  révéler 
votre  nom.  Mais  ce  que  je  demande  plus  instamment 
encore,  c'est  que  mes  fils  et  frères  les  apôtres  soient 
réunis  auprès  de  moi,  afin  de  les  voir  des  yeux  du 
cor[)s,  avant  que  je  meure,  et  d'être  ensevelie  par  eux 
après  que  j'aurai  rendu  en  leur  présence  mon  esprit 
au  Seigneur.  Il  est  encore  une  autre  chose  que  je  ré- 
clame avec  instance,  c'est  que  mon  âme,  en  sortant  du 
corps,  ne  voie  aucun  mauvais  esprit,  et  que  pas  une 
des  puissances  de  Satan  ne  se  présente  sur  mon  pas- 
sage. »  I/ange  lui  dit  :  «  Pourquoi,  ô  dame,  désirez- 
vous  savoir  mon   nom   qui  est  admirable  et  grand  ? 


SOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      4i7 


nt  aux  apôtres,  ils  viendront  tous  et  seront  réunis 
rès  de  vous  ;  ils  feront  de  magnifiques  funérailles 
de  votre  trépas  qui  aura  lieu  en  leur  présence.  Car 
i  qui  autrefois  a  porté  en  un  clin  d'œil,  par  un 
r^Tcu,  le  prophète  de  la  Judée  à  Babylone,  celui-là 
durement  pourra  en  un  instant  amener  les  apôtres 
près  de  vous.  Mais  pourquoi  craignez-vous  de  voir 
s  prit  malin,  puisque  vous  lui  avez  entièrement  brisé 
t-éte  et  que  vous  l'avez  dépouillé  de  toute  sa  puis- 
v^ce  ?  soit  faite  cependant  votre  volonté,  afin  que 
*is  ne  les  voyiez  pas.  »  Après  avoir  dit  ces  mots, 
ï^ge  monta  aux  cieux  au  milieu  d'une  grande  lu- 
^re.  Or,  cette  palme  resplendissait  d'un  très  grand 
^ty  et  par  sa  verdure  elle  était  en  tout  semblable  à 
^  branche;  mais  ses  feuilles  brillaient  comme  l'é- 
'e  du  matin.  Or,  il  arriva  que,  comme  Jean  était  à 
-cher  à  Ephèse,  un  coup  de  tonnerre  éclata  tout  à 
*p,  et  une  nuée  blanche  l'enleva,  et  l'apporta  devant 
porte  de  Marie.  Il  frappa,  entra  dans  l'intérieur  de 
■Maison,  et  avec  grande  révérence,  l'apôtre  vierge 
*A^  la  Vierge.  L'heureuse  Marie  en  le  voyant  fut  sai- 
d'une  grande  crainte  et  ne  put  retenir  ses  larmes, 
^^  elle  éprouva  de  joie.  Alors  elle  lui  dit  :  «  Jean, 
*>  fils,  aie  souvenance  des  paroles  de  ton  maître, 
^rid  il  m'a  confiée  à  toi  comme  un  fils,  et  quand  il 
Cionfié  à  moi  comme  à  une  mère.  Me  voici  appelée 
**  le  Seigneur  à  payer  le  tribut  à  la  condition  hu- 
^^ne,  et  je  te  recommande  d'avoir  un  soin  particu- 
^ï*  de  mon  corps.  J'ai  appris  que  les  Juifs  s'étaient 
'tunis  et  avaient  dit  :  a  Attendons,  concitoyens  et  frè- 
«  res,  attendons  jusqu'au  moment  où  celle  qui  a  porté 
II.  27 


il8  LA    LÉGENDE    DOREE 

«  Jésus  subira  la  mort,  aussitôt  nous  ravirons  son  coi^  J 
«  et  nous  le  jetterons  pour  être  la  pâture  du  feu.  » 
feras  porter  alors  cette  palme  devant  mon  cercue- 
lorsque  vous  porterez  mon  corps  au   tombeau.  » 
Jean  dit  :  «  Oh  !  plût  à  Dieu  que  tous  les  apôtres  m^- 
frères  fussent  ici,  afin  de  pouvoir  célébrer  convenabl» 
ment  vos  obsèques  et  vous  rendre  les  honneurs  doi 
vous  êtes  digne.  »  Pendant  qu'il  parlait  ainsi,  toi 
les  apôtres  sont  enlevés  sur  des  nuées,  des  endroil 
où  ils  prêchaient  et  sont  déposés  devant  la  porte  d^  ^ 
Marie.  En  se  voyant   réunis  tous  au  même  lieu,  il^^ 
étaient  rempHs  d'admiration  :  «  Quelle  est,  se  disaient-^^ 
ils,  la  cause  pour  laquelle  le  Seigneur  nous  a  rassem-  ^ 
blés  ici  en   même  temps?  »  Alors  Jean  sortit  et  vint 
les  trouver  pour  les  prévenir  que  leur  dame  allait  tré- 
passer; puis  il  ajouta:  «  Mes  frères,  quand  elle  sera 
morte,  que  personne  ne  la  pleure,  de  crainte   que  le 
peuple  témoin  de  cela  ne  se  trouble  et  dise  :  «  Voyez 
comme  ils  craignent  la  mort,  ces  hommes  qui  prêchent 
aux  autres  la  résurrection.  » 

Denys,  disciple  de  saint  Paul,  raconte  les  mêmes 
faits  dans  son  livre  des  Soms  divins  {ch,  ni).  Il  dit  qu'à 
la  mort  de  la  Vierge,  les  apôtres  furent  réunis  et  y 
assistèrent  ensemble;  ensuite  que  chacun  d'eux  fit  un 
discours  en  rhonneur  de  J.-C.  et  de  la  Vierge.  Et 
voici  comme  il  s'exprime  en  parlant  à  Timolhée  ;  «  Tu 
as  appris  que  nous  et  beaucoup  de  saints  qui  sont  nos 
frères,  nous  nous  réunîmes  pour  voir  le  corps  qui  a 
produit  la  vie  et  porté  Dieu.  Or,  se  trouvaient  là 
Jacques,  le  frère  du  Seigneur,  et  Pierre,  coryphée  et 
chef  suprême  des  théologiens.  Ensuite  il  parut  conve- 


L* ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      419 

nable  que  toutes  les  hiérarchies  célébrassent,  chacune 
selon  son  pouvoir,  la  bonté  toute-puissante  de  Dieu 
c|ui  s'était  revêtu  de  notre  infirmité.  »  Quand  donc  la 
bienheureuse  Marie  eut  vu  tous  les  apôtres  rassem- 
blés, elle  bénit  le  Seigneur,  et  s'assit  au  milieu  d'eux, 
après  qu'on^  eut  allumé  des  lampes  et  des  flambeaux. 
Or,  vers  la  troisième  heure  de  la  nuit,  Jésus  arriva 
avec  les  anges,  l'assemblée  des  patriarches,  la  troupe 
des  martys,  Farmée  des  confesseurs  et  les  chœursdes 
vierges.  Tous  se  rangent  devant  le  trône  de  la  Vierge 
et  chantent  à  Tenvi  de  doux  cantiques.  On  apprend 
dans  le  livre  attribué  à  saint  Jean  quelles  ont  été  les 
funérailles  qui  furent  alors  célébrées.  Jésus  commença 
le  premier  et  dit  :  «  Venez,  vous  que  j'ai  choisie,  et  je 
vous  placerai  sur  mon  trône  parce  que  j'ai  désiré 
votre  beauté.  »  Et  Marie  répondit  :  «  Mon  cœur  est 
prêt.  Seigneur,  mon  cœur  est  prêt.  »  Alors  tous  ceux 
qui  étaient  venus  avec  Jésus  entonnèrent  ces  paroles 
avec  douceur  :  «  C'est  elle  qui  a  conservé  sa  couche 
pure  et  sans  tache;  elle  recevra  la  récompense  qui  ap- 
partient aux  âmes  saintes.  »  Ensuite  la  Vierge  chanta 
en  disant  d'elle-même  :  «  Toutes  les  nations  m'appel- 
leront bienheureuse  ;  car  le  Tout-Puissant  a  fait  de 
g^randes  choses  en  ma  faveur  :  et  son  nom  est  saint.  » 
Enfin  le  chantre  donna  le  ton  à  tous  en  prenant  plus 
haut:  «  Veriezdu Liban,  mon  épouse, venez  du  Liban, 
vous  serez  couronnée.  »  Et  Marie  reprit  :  «  Me  voici, 
je  viens  ;  car  il  est  écrit  de  moi  dans  tout  le  livre  de 
la  loi  :  que  je  ferais  votre  volonté,  ô  mon  Dieu,  parce 
que  mon  esprit  est  ravi  de  joie  en  Dieu  mon  Sauveur.  » 
C'est  ainsi  que  Tâme  de  Marie  sortit  de  son  corps  et 


à 


420  LA   LÉGENDE    DOREE 

s'envola  dans  les  bras  de  son  Fils.  Elle  fut  affranchie 
de  la  douleur  de  la  chair,  comme  elle  avait  été  exempte 
de  la  corruption.  Et  le  Seigneur  dit  aux  apôtres  : 
«  Portez  le  corps  de  la  Vierge-Mère  dans  la  vallée  de 
Josaphat  et  renfermez-le  dans  un  sépulcre  neuf  que 
vous  y  trouverez.  Après  quoi,  pendant  trois  jours, 
vous  m'attendrez  jusqu'à  ce  que  je  vienne.  »  Aussitôt 
les  fleurs  des  roses  l'environnèrent  ;  c'était  l'assemblée 
des  martyrs,  puis  les  lys  des  vallées  qui  sont  les  com- 
pagnies des  anges,  des  confesseurs  et  des  vierges.  Les 
apôtres  se  mirent  à  s'écrier  en  s'adressant  à  elle  :  «  Vierge 
pleine  de  prudence,  où  dirigez-vous  vos  pas?  Souve- 
nez-vous de  nous,  ô  notre  Dame  !  »  Alors  les  chœurs 
de  ceux  qui  étaient  restés  au  ciel,  en  entendant  le  con- 
cert de  ceux  qui  montaient,  furent  remplis  d'admira- 
tion et  s'avancèrent  à  leur  rencontre  ;  à  la  vue  de  leur 
roi  portant  dans  ses  bras  l'âme  d'une  femme  qui  s'ap- 
puyait sur  lui,  ils  furent  stupéfaits  et  se  mirent  à  crier  : 
«  Quelle  est  celle-ci  qui  monte  du  désert,  remplie  de 
délices,  appuyée  sur  son  bien-aimé  ?  ».  Ceux  qui  l'ac- 
compagnaient leur  répondirent  :  «  C'est  celle  qui  est 
belle  au-dessus  des  filles  de  Jérusalem.  Vous  l'avez 
déjà  vue  pleine  de  charité  et  d'amour.  »  Ainsi  fut-elle 
reçue  toute  pleine  de  joie  dans  le  ciel  et  placée  à  la 
droite  de  son  Fils  sur  un  trône  de  gloire.  Quant  aux 
apôtres  ils  virent  son  âme  éclatant  d'une  telle  blan- 
cheur qu'aucune  langue  humaine  ne  le  pourrait  ra- 
conter. 

Trois  vierges  qui  se  trouvaient  là,  dépouillèrent  le 
corps  de  Marie  pour  le  laver.  Aussitôt  ce  corps  res- 
plendit d'une  si  grande  clarté  qu'on  pouvait  bien  le 


l/ ASSOMPTION    DR    LA    BIKNlIEdRErSE    VIERGE    3fARIE      421 

toucher,  mais  qu'il  était  impossible  de  le  voir  :  cette 
lumière  brilla  jusqu'à  ce  que  le  corps  eût  été  entière- 
ment lavé  par  les  vierges.  Alors  les  apôtres  prirent  ce 
saint  corps  avec  révérence  et  le  placèrent  sur  un  bran- 
card. Et  Jean  dit  à  Pierre  :  «  Pierre,  vous  porterez 
cette  palme  devant  le  brancard  ;  car  le  Seigneur  vous 
a  mis  à  notre  tête  et  vous  a  ordonné  le  pasteur  et  le 
prince  de  ses  brebis.  »   Pierre  lui  répondit  :  «  C'est 
plutôt  à  vous  à  la  porter  ;  vous  avez  été  élu  vierge 
par  le  Seigneur,  et  il  est  digne  que  celui  qui  est  vierge 
porte  la  palme  d'une  vierge.  Vous  avez  eu  l'honneur 
de  reposer  sur  la  poitrine  du  Seigneur,  et  vous  y  avez 
puisé  plus  que  les  autres  des  torrents  de  sagesse  et  de 
grâce,  il  paraît  juste  qu'ayant  reçu  plus  de  dons  du 
Fils,  vous  rendiez  plus  d'honneur  à  la  Vierge.  Vous 
donc,  devez  porter  celte  palme  de  lumière  aux  obsè- 
ques de  la  sainteté,  puisque  vous  vous  êtes  enivré  à  la 
coupe  de  la  lumière,  de  la  source  de  l'éternelle  clarté. 
Pour  moi,  je  porterai  ce  saint  corps  avec  le  brancard 
et  nos  autres  frères  qui  seront  à  l'entour  célébreront 
la  gloire  de  Dieu.  »  Alors  Paul  dit  :  <(  Et  moi  qui  suis 
le  plus  petit  d'entre  vous   tous,  je  le  porterai  avec 
vous.  »  C'est  pourquoi  Pierre  et  Paul  enlevèrent  la 
bière  ;   Pierre  se  mit  à  chanter  :   «  Israël  sortit  de 
l'Egypte,  alléluia.  »  Puis  les  autres  apôtres  continuèrent 
ce  chant  doucement.  Or,  le  Seigneur  enveloppa  d'un 
nuage  le  brancard  et  les  apôtres,  en  sorte  qu'on  ne 
voyait  rien,  seulement  on  les  entendait  chanter.  Des 
anges  aussi  unirent   leurs  voix  à  celle  des  apôtres  et 
remplirent    toute   la   terre  d'une    mélodie   pleine  de 
suavité.  Tous  les  habitants  furent  réveillés  par  ces 
H.  27- 


422  LA    LÉGENDE    DORÉE 

doux  sons  et  celte  mélodie  :  ils  se  précipitèrent  hors 
de  ia  ville  en  demandant  avec  empressement  ce  qu'il 
y  avait.  Les  uns  dirent  :  «  Ce  sont  les  disciples  de 
Jésus  qui  portent  Marie  décédée.  C'est  autour  d'elle 
qu'ils  chantent  cette  mélodie  que  vous  entendez.  » 
Aussitôt  ils  courent  aux  armes,  et  s'excitent  les  uns 
les  autres  en  disant  :  «  Venez,  tuons  tous  les  disciples 
et  livrons  au  feu  ce  corps  qui  a  porté  ce  séducteur.  » 
Or,  le  prince  des  prêtres,  en  voyant  cela,  fut  stupéfait 
et  il  dit  avec  colère  :  «  Voici  le  tabernacle  de  celui  qui 
a  jeté  le  trouble  parmi  nous  et  dans  notre  race.  Quelle 
gloire  il  reçoit  en  ce  moment  !  »  Or,  en  parlant  ainsi 
il  leva  les  mains  vers  le  lit  funèbre  avec  la  volonté  de 
le  renverser  et  de  le  jeter  par  terre.  Mais  aussitôt  ses 
mains  se  séchèrent  et  s'attachèrent  au  brancard,  en 
sorte  qu'il  y  était  suspendu  :   il  poussait  des  hurle- 
ments lamentables,  tant  ses  douleurs  étaient  atroces. 
Le  reste  du  peuple  fut  frappé  d'aveuglement  par  les 
anges  qui  étaient  dans  la  nuée.  Quant  au  prince  des 
prêtres,  il  criait  en  disant  :  «  Saint  Pierre,  ne  m'aban- 
donnez pas  dans  la  tribulation  où  je  me  trouve  ;  mais 
je  vous  eu  conjure,   priez  pour  moi,  car  vous  devez 
vous  rappeler  qu'autrefois  je  vous  suis  venu  en  aide 
et  que  je  vous  ai  excusé  lors  de  l'accusation  de  la  ser- 
vante. »  Pierre  lui  répondit  :  «  Nous  sommes  retenus 
par  les  funérailles  de  Notre-Dame  et  nous  ne  pouvons 
nous  occuper  de  votre  guérison  :  néanmoins   si  vous 
vouliez  croire  en  Notre-Seigneur  J.-C.  et  en  celle  qui  l'a 
engendré  et  qui  Ta  porté,  j'ai  lieu  d'espérer  que  vous 
pourriez  être  guéri  de  suite.  »  Il  répondit  :  «  Je  crois 
que  le  Seigneur  Jésus  est  vraiment  le  Fils  de  Dieu  et 


Li' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE   MARIE     423 

que  voilà  sa  très  sainte  mère.  »  A  l*instant  ses  mains 
se  détachèrent  du  cercueil  ;  cependant  ses  bras  res- 
taient desséchés  et  ia  douleur  violente  ne  disparaissait 
pas.  Alors  Pierre  lui  dit  :  «  Baisez  le  cercueil  et  dites  : 
«  Je  crois  en  Dieu  Jésus-Christ  que  celle-ci  a  porté  dans 
ses  entrailles  tout  en  restant  vierge  après  Tenfante- 
ment.  »  Quand  il  l'eut  fait,  il  fut  incontinent  guéri.  Alors 
Pierre  lui  dit  :  «  Prenez  celte  palme  des  mains  de  noire 
frère  Jean  et  vous  la  placerez  sur  ce  peuple  aveuglé  : 
quiconque  voudra  croire  recouvrera  la  vue  ;  mais  celui 
qui  ne  voudra  pas  croire  ne  verra  plus  jamais.  »  Or, 
les  apôtres  qui  portaient  Marie  la  mirent  dans  le  tom- 
beau, autour  duquel  ils  s'assirent,  ainsi  que  le  Seigneur 
l'avait  ordonné.  Le  troisième  jour,  Jésus  arriva  avec 
une  multitude  d'anges  et  les  salua  en  disant  :  «  La  paix 
soit  avec  vous.  )>  Ils  répondirent  :  «  Gloire  à  vous,  ô 
Dieu,  qui  seul  failes  des  prodiges  étonnants.  »  Et  le 
Seigneur  dit*aux  apôlres:  «  Quelle  grâce  et  quel  hon- 
neur vous  semble-t-il  que  je  doive  conférer  aujourd'hui 
à  ma  mère  ?  »  «  Il  paraît  juste,  Seigneur,  répondirent- 
ils,  à  vos  servileurs  que,  comme  vous  qui  régnez  dans 
les  siècles  après  avoir  vaincu  la  mort,  vous  ressusci- 
tiez, ô  Jésus,  le  corps  de  votre  mère  et  que  vous  le 
placiez  à  votre  droite  pour  Téternité.  »  Et  il  l'octroya: 
alors  l'archange  Michel  se  présenta  aussitôt  et  pré- 
senta l'âme  de  Marie  devant  le  Seigneur.  Le  Sauveur 
lui  parla  ainsi  :  «  Levez-vous,  ma  mère,  ma  colombe, 
tabernacle  de  gloire,  vase  dévie,  temple  céleste  ;  et  de 
même  que,  lors  de  ma  conception,  vous  n'avez  pas 
été  souillée  par  la  tache  du  crime,  de  même,  dans  le 
sépulcre,    vous    ne   subirez    aucune    dissolution  du 


/ 


424  LA    LÉGENDE    DORÉE 

corps.  »  Et  aussitôt  l'âme  de  Marie  s'approcha  de  son 
corps  qui  sortit  glorieux  du  tombeau.  Ce  fut  ainsi 
qu'elle  fut  enlevée  au  palais  céleste  dans  la  compagnie 
d'une  multitude  d'anges.  Or,  Thomas  n'était  pas  là, 
et  quand  il  vint,  il  ne  voulut  pas  croire,  quand  tout  à 
coup,  tomba  de  l'air  la  ceinture  qui  entourait  la  sainte 
Vierge  ;  il  la  reçut  tout  entière  afin  qu'il  comprît 
ainsi  qu'elle  était  montée  tout  entière  au  ciel. 

Ce  qui  vient  d'être  raconté  est  apocryphe  en  tout 
point  ;  et  voici  ce  qu'en  dit  saint  Jérôme  dans  sa  let- 
tre, ou  autrement  dit,  son  discours  à  Paul  et  à  Eusto- 
chium  :  «  On  doit  regarder  ce  libelle  comme  entière- 
ment apocryphe,  à  l'exception  de  quelques  détails 
dignes  de  croyance,  paraissant  jouir  de  l'approbation 
de  saints  personnages  et  qui  sont  au  nombre  de  neuf, 
savoir  :  que  toute  espèce  de  consolation  a  été  promise 
et  accordée  à  la  Vierge  ;  que  les  apôtres  furent  tous 
réunis  ;  qu'elle  trépassa  sans  douleur  ;  qu'on  disposa 
sa  sépulture  dans  la  vallée  de  Josaphat  ;  que  ses  funé- 
r»iilles  se  firent  avec  dévotion  ;  que  J.-G.  et  toute  la 
cour  céleste  vint  au-devant  d'elle  ;  que  les  Juifs  l'in- 
sultèrent; (pril  éclata  des  miracles  en  toute  circons- 
tance convenable;  enfin  qu'elle  fut  enlevée  en  corps 
et  en  ànie.  Mais  il  y  a,  dans  ce  récit,  beaucoup  de 
circonstances  con trouvées  et  qui  s'éloignent  de  la 
vérité,  comme  par  exeinph*,  Tabsence  et  Tincrédulilé 
de  saint  Thomas,  et  antres  semblables,  qu'il  faut 
rejeter  et  taire.  On  dit  (jne  les  vêlements  de  la  sainte 
Viert^e  resicrent  dans  son  tombeau  pour  servir  de 
consolation  aux  fidèles,  et  (|n'nne  partie  opéra  le 
miracle  qui  suit  :  Lors  du  sièi;e  de   la  ville   de  Char- 


L* ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      425 

très  par  un  général  normand,  l'évêque  de  cette  ville 
attacha  à  une  lance,  en  forme  de  drapeau,  la  tunique 
de  la  sainte  Vierge,  qui  s'y  conserve,  et  suivi  de  tout 
le  peuple,  il  s'avança  sans  crainte  contre  l'ennemi. 
Aussitôt,  l'armée  des  Normands  fut  frappée  de  dé- 
mence et  d'aveuglement,  et  elle  restait  tremblante  ; 
son  cœur  et  son  courage  étaient  paralysés.  A  cette 
vue,  les  habitants  de  la  ville  entrent  dans  les  vues  du 
jugement  de  Dieu,  et  font  un  horrible  massacre  des 
ennemis.  Ce  qui  parut  déplaire  à  la  bienheureuse 
Marie;  car  aussitôt  cette  tunique  disparut,  et  à  l'ins- 
tant les  Normands  recouvrèrent  la  vue.  —  On  lit  dans 
les  révélations  de  sainte  Elisabeth  qu'un  jour,  étant 
ravie  en  esprit,  elle  vit,  dans  un  lieu  fort  éloigné,  un 
sépulcre  environné  d'une  grande  lumière,  et  au-dedans, 
comme  l'apparence  d'une  femme  entourée  d'une  foule 
d'anges  ;  et  peu  d'instants  après,  elle  fut  enlevée  du 
sépulcre  et  élevée  en  l'air  avec  toute  la  multitude  qui 
se  trouvait  là.  Et  voici  qu'un  personnage  admirable 
et  plein  de  gloire  vint  du  ciel  à  sa  rencontre,  portant 
en  sa  droite  l'étendard  de  la  croix,  et  avec  lui,  des 
milliers  d'anges.  Ce  fut  au  milieu  des  concerts  d'allé- 
gresse qu'ils  la  conduisirent  jusqu'au  ciel.  Peu  de 
temps  après,  sainte  Elisabeth  demandait  à  un  ange, 
avec  lequel  elle  avait  de  fréquents  entretiens,  l'expli- 
cation de  cette  vision.  L'ange  lui  répondit  :  «  11  t'a 
été  montré  alors  comment  Notre  Dame  a  été  enlevée 
au  ciel  en  corps  et  en  itme.  )>  Elle  dit  encore  dans  le 
même  livre,  qu'il  lui  fut  révélé  (|ue  la  sainte  Vierge 
fut  portée  au  ciel  en  son  corps,  quarante  jours  après 
son  trépas.  Car  la  bienheureuse  Marie  lui  dit  en  s'en- 


426  LA    LÉGENDE    DOREE 

tretenant  avec  elle  :  «  Après  l'ascension  du  Seig^neur, 
j'ai  vécu  un  an  entier  et  tant  de  jours  qu'il  y  en  a, 
depuis  l'ascension  jusqu'à  mon  assomption.  Or,  tous 
les  apôtres  assistèrent  à  mon  trépas  et  ensevelirent 
honorablement  mon  corps  ;  mais  quarante  jours  après» 
je  ressuscitai.  »  Et  comme  sainte  Elisabeth  lui  deman- 
dait si  elle  découvrirait  ou  si  elle  cèlerait  cela,  la 
sainte  Vierge  lui  dit  :  «  Il  ne  faut  pas  le  révéler  aux 
hommes  charnels  et  aux  incrédules,  et  il  ne  faut  pas 
le  cacher  aux  personnes  dévotes  et  fidèles.  » 

Observons  que  la  glorieuse  vierge  Marie  fut  trans- 
portée et  élevée  au  ciel  intégralement,  honorablement, 
joyeusement  et  excellemment.    Elle  fut  transportée 
intégralement  en  corps  et  en  âme,  selon  une  pieuse 
croyance  de  l'Eglise.  Un  grand  nombre  de  saints  ne 
se  contentent  pas  de  l'avancer,  mais  ils  s'attachent  à 
en   donner  une  quantité  de  preuves.   Voici   celle  de 
saint  Bernard  :   «    Dieu  s'est   plu  singulièrement   à 
honorer  les  corps  des    saints.  Ainsi,  il  a  rendu  les 
dépouilles  de  s.'iint  Pierre  et  de   saint  Jacques  telle- 
ment  vénérables,  et  il   les  a  décorées  d'honneurs  si 
étonnants,  (|nMI  a  choisi,  [)Our  leur  rendre  des  hom- 
niai^^es,  un  lieu  vers  le(juel  accourt  le  monde  entier. 
Si  donc  on  disait  que  le  corps  de  Marie  fût  sur  la  terre 
sans    (lue    la    dévotion   des    fidèles    s'y    portât    avec 
afflucnce,  et  que  ce  lieu  ne  jouît  d'aucun  honneur,  on 
pourrait  croire  que  J.-C.  ne  se  serait  point  intéressé 
à  la  g-loin»  de  sa   mère,  quand  il   honore  ainsi  sur  l-^ 
terre  les  corps  des  autres  saints.  »  Saint  Jérôme  avan  c:i^ 
de  son  roté  que  la  sainte  Vierj^^^e  monta  au  ciel  le      ^  V 
des   calendes    de   septembre.   Quant    à    l'assompti 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE   VIERGE   MARIE     427 

corporelle  de  Marie,  il  dit  que  TEglise  se  contente  de 
rester  en  suspens  sans  se  prononcer.  Plus  loin,  il  s'at- 
tache à  en  prouver  la  croyance  de  cette  manière  : 
a  S'il  en  est  qui  disent  que  dans  ceux  dont  la  résur- 
rection a  coïncidé  avec  celle  de  J.-C,  la  résurrection 
soit  accomplie  pour  toujours  à  leur  égard,  et  s'il  en 
est  un  certain  nombre  qui  croient  que  saint  Jean,  le 
gardien  de  la  sainte  Vierge,  jouisse  du  bonheur  du 
ciel  avec  J.-G.  et  dans  sa  chair  qui  a  été  glorifiée,  à 
plus  forte  raison  doit-on  le  croire  de  la  mère  du  Sau- 
veur? Car  celui  qui  a  dit  :   «  Honore  ton  père  et  ta 
«  mère  »,  et  qui  a  dit  encore  :  «  Je  ne  suis  pas  venu 
«  détruire  la  loi,  mais  l'accomplir  »  ;  celui-là,  certaine- 
ment, a  honoré  sa  mère,  et  ce  n'est  pas  pour  nous  le 
sujet  d'une  ombre  de  doute.  »  Saint  Augustin  ne  l'af- 
firme pas  seulement,  mais  il  en  donne  trois  preuves. 
La  première,  c'est  que  la  chair  de  J.-C.  et  celle  de  la 
Vierge  ne  font  qu'une  :  «  Puisque,  dit-il,   la  nature 
humaine  est  condamnée  à  la  pourriture  et  aux  vers,  et 
que  d'ailleurs  J.-C.  ne  fut  pas  exposé  à  cet  outrage, 
la  nature  de  Marie  en  est  donc  exempte,  car  dans 
elle,  J.-C.  a  pris  la  sienne.  »   La  seconde  raison  qu'il 
en  donne  est  tirée  de  la  dignité  de  son  corps  :  «  C'est, 
dit-il,  le  trône  de  Dieu,  le  lit  nuptial  du  Seigneur,  le 
tabernacle  de  J.-C.  doit  être  où  il  est  lui-même.  Il  est 
plus  digne  de  conserver  ce  trésor  dans  le  ciel  que  sur 
la  terre.  »  La  troisième  raison,  c'est  la  parfaite  inté- 
grité de  sa  chair  virginale.  Voici  ses  paroles  :  «  Ré- 
jouissez-vous,   ô    Marie,   d'une  joie   ineffable,    dans 
votre  corps  et  dans  votre  àme,  en  J.-C^.  votre  propre 
filsy  avec  votre  propre  fils  et  par  votre  propre  fils  : 


428  LA    LÉGENDE    DOHKE 

La  i)eine  de  la  corruption  n'est  pas  le  partai^^e  de  celle 
qui  n'a  pas  éprouvé  de  corruption  dans  son  intégrité, 
quand  elle  a  cnî^endré  son  divin  fils.  Toujours  elle 
sera  à  l'abri  de  la  corruption,  celle  qui  a  été  comblée 
de  tant  de  çntces  ;  il  faut  quelle  vive  dans  toute  l'in- 
léy^rité  de  sa  nature,  celle  qui  a  mis  au  monde  Fauteur 
de  la  perfection  et  de  la  plénitude  dans  la  vie;  il  faut 
qu'elle  demeure  auprès  de  celui  qu'elle  a  porté  dans 
ses  entrailles  ;  il  faut  qu'elle  soit  à  côté  de  celui  qu'elle 
a  ençendré,  qu'elle  a  réchauffé,  qu'elle  a  nourri.  C'est 
Marie,  .c'est  la  mère  de  Dieu,  c'est  la  nourrice,  c'fcsV 
la  servante  de  Dieu.  Je  n'oserais  penser  autremet^^^ 
et  ce  serait  présomption  de  ma  part  de    dire  au-'^'^^ 
chose.  »  Un  poète  élé^nt  s'en  exprime  comme  il  st-'^^  ' 

Scanditad  -^iilthcra  Elle  monte  au  ciel 

Virg-o  pucrpera,  La  Vierg-e  mère, 

Virg-ula  Jesse.  La  Vierge  de  Jessé. 

Non  sine  corporc  C'est  avec  son  corps 

Sed  sine  tempore,  Et  pour  l'éternité,  [^^qui  cr^  / 

Tendit  ad  esse.  (Qu'elle    s'élève    jusqu'à  cclf--'^ 

S(*çondemcnt.  Elle  fut  transportée  au  ciel  au  milieu 
de  la  joie.  Gérard,  évéque  et  martyr,  dit  à  ce  propos  : 
«  En  ce  jour,  les  cieux  ont  reçu  la  bienheureuse  Vierge 
av(v  joie.  Les  Anj^es  se  réjouissent,  les  Archan^çes  jubi- 
lent, les  Troues  s'animent,  les  Dominations  la  célèbrent 
dans  les  canli(|ues,  les  Principautés  unissent  leurs 
voix,  les  Puissances  acconipatj^nent  de  leurs  instru- 
ments de  nuisi(|ue,  les  Chérubins  et  les  Séraphins 
entonnent  des  hymnes.  Tous  la  conduisent  jusqu'au 
souverain  tribunal  de  la  divine  Majesté.  » 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE   VIERGE   MARIE     429 

Troisièmement  elle  fut  élevée  au  ciel  au  milieu  de 
grands  honneurs.  Jésus  lui-même  et  la  milice  céleste 
vinrent  au-devant  d'elle.  «  Qui  pourrait  s'imaginer, 
dit  saint  Jérôme,  quelle  fut  la  gloire  dont  la  Reine  du 
inonde  fut  environnée  lors  de  son  passage  ?  Quel  res- 
pect affectueux!  Quelle  multitude  de  légions  célestes 
allant  à  sa  rencontre  !  Qu'ils  étaient  beaux  les  cantiques 
qui  l'accompagnèrent  jusqu'à  son  trône  !  Quelle  ma- 
jesté, quelle  grandeur  dans  les  divins  embrassements 
de  son  Fils  qui  la  reçoit  et  l'élève  au-dessus  de  toutes 
les  créatures  !  »  «  Il  est  à  croire,  dit  ailleurs  le  même 
Père,  que  la  milice  des  cieux  alla  en  triomphe  au- 
devant  de  la  mère  de  Dieu,  et  qu'elle  l'environna 
d'une  immense  lumière,  qu'elle  la  conduisit  en  chan- 
tant ses  louanges  et  des  cantiques  jusqu'au  trône  de 
Dieu.  La  milice  de  la  Jérusalem  céleste  tressaille 
d'une  joie  ineffable  :  elle  est  fière  de  tant  d'amour  et 
de  reconnaissance.  Cette  fête,  qui  n'arrive  qu'une  fois 
pour  nous  dans  le  cours  de  Tannée,  ne  doit  point  avoir 
eu  de  terme  dans  les  cieux.  On  croit  encore  que  le 
Sauveur  vint  au-devant  d'elle  de  sa  personne,  dans 
cette  fête,  et  qu'il  la  fit .  asseoir  plein  de  joie  ayprès 
de  lui  sur  le  trône.  Autrement  il  n'eût  point  accompli 
ce  que  lui-même  a  ordonné  par  cette  loi  :  «  Honore 
ton  père  et  ta  mère.  »  Quatrièmement:  Elle  fut  reçue 
avec  magnificence.  »  C'est  le  jour,  dit  saint  Jérôme, 
où  la  mère  sans  souillure,  la  Vierge  s'avança  jusqu'à 
son  trône  élevé,  où  elle  s'assit  glorieuse  auprès  de 
J.-C.  »  Voici  comment  le  bienheureux  Gérard  montre 
en  ses  homélies  à  quel  degré  de  gloire  et  d'honneur 
elle  fut  élevée:  «  N.-S.  J.-C.  a    pu  seul   la  grandir 


430  LA    LÉGENDE    DOREE 

comme  il  l'a  fait  pour  qu'elle  reçût  de  la  majesté  elle- 
même  la  louange  et  l'honneur  à  toujours.  Elle  est  en- 
vironnée des  chœurs  angéliques,  entourée  des  troupes 
archançéliques,  accompagnée  des  Trônes  pleins  d'al- 
légresse, au  milieu  de  l'enthousiasme  des  Dominations; 
les  Principautés  la  vénèrent:  les  Puissances  lui  ap- 
plaudissent :  elle  est  honorée  par  les  Vertus,  chantée 
par  les  Chérubins  et  louée  par  les  hymnes  des   Séra- 
phins. La  très   ineffable  Trinité   lui   applaudit  elle- 
même  avec  des  transports  qui  n'ont  point  de  fin,  et 
la  gre^ce  dont  elle  l'inonde  lout  entière  fait  que  tous 
ne  pensent  qu'à  cette  Reine.  L'illustre  compagnie  des 
Apôtres  l'élève  au-dessus  de  toute  louange,  la  multi- 
tude des  martyrs  est  toute  en  suppliante  autour  d'une 
si  grande  Maîtresse  :  l'innombrable  armée  des  confes- 
seurs   lui  adresse  des  chants  magnifiques,  le  chœur 
des  Vierges  aux  vêtements  blancs  célèbre  sa  gloire 
avec  des  accents   ineffables  :  l'enfer  lui-même    hurle 
de  rage,  et  les  démons  insolents  racclament*.  »  l'n 
clerc  très  dévot  à  la  Vierge  Marie  voulait  pour  ainsi 
(lire  consoler  Notre-Dame  au  sujet  des  cinq  plaies  de 
N.-S.  J.-ï'.,  (Ml  lui  adressant  tous  les  jours  cette  prière: 
((  Réjouissez-vous,  Mère  de  Dieu,  Vierge  immaculée; 
réjouissez-vous,  puisqu'un  ange  vous  apporte  la  joie  ; 
réjouiss(»z-vous  [)uisque  vous  avez  enfanté  la  clarté  de 
la  lumière  éternelle  ;  réjouissez-vous,  Mère  ;   réjouis- 
sez-vous, Sainte    Vierge,   Mère  de  Dieu.  Vous  seule 
êtes  la  Mère- Vierge  :  toutes  créatures  vous  louent  :  O 
mère  de  lumière,  je  vous  eu  prie,  ne  cessez  d'inter- 

'   Saiul  Pierre  Dainicii,  op.  xxxiv. 


l' ASSOMPTION    I)K    LA    BIRNIÎEITREIISE    VIERGE    MARIE      43i 

céder  pour  nous.  »  Atteint  d'une  î^rave  maladie  ce 
clerc,  réduit  à  rextréinilé,  fut  troublé  par  la  frayeur. 
Ka  sainte  Vierge  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Mon  fils, 
pourquoi  une  si  grande  crainte  de  ta  part? toi  qui  si 
souvent  m'as  annoncé  la  réjouissance.  Réjouis-toi  aussi 
toi-même  et  pour  te  réjouir  éternellement,  viens  avec 
moi*.  »  l'n  soldat  fort  puissant  et  riche  avait  dissipé 
tout  son  bien  en  libéralités  mal  entendues.  Il  devint 
si  pauvre  qu'après  avoir  donné  avec  profusion,  il  fut 
réduit  à  manquer  des  moindres  choses.  Or,  il   avait 

*  On  voyait  dans  Téglisc  de  Tabbaye  de  Marsilly  (baronnie 
de  Boursfogne),  où  les  seigneurs  de  Noyers  avaient  leur  sépul- 
ture, une  inscription  ainsi  conçue  :  «  En  Tan  mil  deux  cent, 
sous  le  rei^fne  de  Philippe  Dieu  donné,  un  nommé  Geoffroy 
Lebrun,  maistre  d'hostel  du  roy,  estant  disgracié  de  la  cour 
et  sans  aucun  moyen,  comme  il  passait  au  travers  de  la  forêt 
Darnois,  autrement  Darnaux,  le  diable  lui  apparut  qui  luy 
promit  de  grandes  richesses,  à  condition  qu*il  luy  livreroit  sa 
femme  :  ce  que  le  dit  Lebrun  luy  promit,  et  à  cet  effet  luy  en 
donna  une  cédule  signée  de  son  sang.  Ce  que  voulant  exécuter 
il  monta  à  cheval,  mit  saditte  femme  en  trousse,  et  se  mit  en 
chemin  pour  s'en  aller  au  rendez-vous,  qui  estoit  dans  la  sus- 
ditte  forêt;  et  comme  son  chemin  estoit  de  passer  au-devant 
de  l'église  de  Nostre-Dame  deMarcilly,  la  veille  de  TAssomp- 
tion  de  N.-D.,  laditte  femme  entendit  sonner  une  messe  et 
demanda  à  son  mari  d'entrer  dans  Téglise,  et  comme  ledit 
Lebrun  voulut  sortir  pour  achever  son  voyage,  la  Vierge  prit 
la  figure  de  sa  femme,  monta  sur  la  croupe  de  son  cheval 
derrière  luy  :  —  et  estant  au  rendez-vous,  on  entendit  un 
grand  bruit  qui  se  faisoit  dans  la  forcit,  et  en  mesme  temps  la 
Vierge  enleva  dans  les  bras  du  diable  la  ccdule  dudit  Lebrun 
et  la  rendit  à  sa  feinmo,  la(}uclle  fut  trouvée  tlans  laditte 
éjBj'Iise  où  elles'estoit  endormie,  et  la  Vicrii^c  lui  îiyant  apparu 
luy  ordonna  de  prier  pour  la  conversion  de  sou  mari,  et  dis- 
parut. »  {Cahin.  hist.,  t.  I,  [>.  1;)8). 


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432  LA  LÉGENDE    DORÉE 

une  femme  très  honnête  et  fort  dévote  à  la  bienheu- 
reuse Vierge  Marie.  A  l'approche  d'une  solennité  où  il 
avait  coutume  de  distribuer  de  grandes   lai^esses, 
comme  il  n'avait  plus  rien  à  donner,  il  fut  poussé  par 
la  honte  et  la  confusion  à  se  retirer,  jusqu'à  ce  que 
cette  solennité  fût  passée,  dans  un  lieu  désert  où  il 
pourrait  soulager  sa  tristesse,  pleurer  les  inconvénients    • 
de  sa  position  et  éviter  la  honte  :  tout  à  coup  paraft    . 
un  cheval  fougueux  sur  lequel  était  monté  un  homme    - 
terrible  qui  s'approche  de  lui  et  lui  demande  le  motif: 
d'une  tristesse  si  profonde.  Le  soldat  lui  ayant  fait  le  ^ 
récit  détaillé  de  tout  ce  qui  lui  était  arrivé,  le  cavalier-" 
lui  dit  :  «  Si  tu  veux  te  soumettre  à  un  léger  acte  d'o- 
béissance, tu  auras  de  la  gloire  et  des  richesses  en  plus^ 
grande  abondance  que  par  le  passé.  »  Il  promet  au 
prince  des  ténèbres  d'exécuter  volontiers  ce  qu'il  lui 
commandera,  pourvu  qu'il  accomplisse  à  son  égard  ce 
qu'il  a  promis  lui-môme.  Et  le  diable  lui  dit  :  <c  Va-t'en 
chez  toi,  cherche  dans  tel  endroit  de  ta  maison,  tu  y 
trouveras  des  masses  d'or  et  d'argent  en  telle  quantité 
et  tant  de  pierres  précieuses  :  Mais  aie  soin  tel  jour 
de  in'amener  ici  ta  femme.   »  Sur  cette  promesse  le 
soldat  retourne  à  sa  maison,  et  dans  Tcndroit  désigné, 
il  trouve  tout  ce  qui  lui  avait  été  annoncé.  Il   achète 
aussitôt  des  palais,  il  répand  des  largesses,  il  rachète 
ses  biens,  il  se  procure  des  esclaves.  Or,  le  jour  fixé 
étant  proche,  il  appela  sa  femme  et  lui  dit:  «  Montez 
a  cheval,  car  il  vous  faut  aller  avec  moi  en  un   lieu 
assez  éloigné.  »  La  clame  tremblante  et  effrayée,  n'o- 
sant pas  aller  contre  ses  ordres,  se  recommanda  bien 
dévotement  à  la  bienheureuse  Vier»];^e  Marie  et  suivit 


''ASSOMPTION    DE    M    BIENHEUREUSE  VIERGE    MARIE      433 

^n  époux.  Parvenus  assez  loin,  ils  rencontrèrent  une 
^g'Iise  sur  leur  chemin  ;  la  femme  descendit  de  son 
-Ao  val  et  entra,  pendant  que  son  mari  attendait  dehors. 
'^Ile  se  recommandait  avec  dévotion  à  la  bienheureuse 
'^^fie,  quand  tout  à  coup  elle  s'endormit  et  la  glo- 
^us&e  Vierge,  semblable  en  tout  à  cette  dame  dans  ses 
^4>îts  et  dans  ses  manières,  s'avança  de  l'autel,  sortit 
ïTTionta  à  cheval  pendant  que  la    dame  elle-même 
**t.ç^ii  endormie  dans  l'église.  Le  mari  persuadé  que 
^t.€iitsa  femme  continua  son  chemin.  Quand  ils  furent 
^^ixrésau  lieu  convenu,  le  prince  des  ténèbres  accourut 
^  Son  côté  avec  grand  fracas.  A  peine  s'est-il  approché 
V^%i    tout  d'un  coup  il  frémit  et  tremblant  de  stupeur  il 
^  Osa  avancer.  Alors  il  dit  au  soldat:  «  O  le  plus  félon 
^^s  hommes,  pourquoi  m'as-tu  joué  ainsi  et  pourquoi 
^  comportes-tu  de  cette  manière  quand  je  t'ai  comblé 
^e  bienfaits?  Je  t'avais  bien  dit  de  m'amener  ta  femme 
et  lu  m'as  amené  la  mère  du  Seigneur.  Je  voulais  ta 
femme  et  tu  as  amené  Marie,  (lar  ta  femme  ne  cesse 
de  me  faire  tort  ;  je  voulais  me  venger  sur  elle,  et  tu 
m'as  amené   celle-là  pour  qu'elle   me  tourmentât  et 
qu'elle  m'envoyât  dans  l'enfer.  »  En  entendant  ces 
paroles,  cet  homme  était  stupéfait,  la  crainte  et  Téton- 
nementl'empêchaient  de  parler.  La  bienheureuse  Vierge 
Marie  dit  alors  :   «  Quelle  a  été  ta  témérité,  esprit  mé- 
chant, d'oser  nuire  à  une  personne  pleine  de  dévotion 
pour  moi?  Tu  ne  l'auras  pas  fait  impunément.  Voici 
maintenant  la  sentence  que  je  lance  contre  toi  :  c'est 
que  tu  descendes  en  enfer,  et  que  tu   n'aies  plus  dé- 
sormais la  présomption  de  nuire  à  quiconque  m'invo- 
quera avec  dévotion.  »  El  le  diable  se  retira  en  pous- 
n.  28 


43i  KA  lf:c;ende  dorer 

saiit  (le  grands  hurlements.  Alors   le  mari,  sautaiil  à 
bas  de  son  cheval,  se  prosternsi  aux  pieds  de  la  sainte 
Vierge,  qui  le  réprimanda  et  lui  ordonna  de  retourner 
vers  sa  femme  encore  endormie  dans  l'église  et  de  se 
dépouiller  de  toutes  les  richesses  du  démon.  Et  quand 
il  revint,  il   trouva  sa  femme  qui  dormait  encore,  la 
réveilla  et  lui  raconta  ce  qui  lui  était  arrivé.  Revenus 
chez  eux,  ils  jetèrent  toutes  les  richesses  du  démon, 
ne  cessèrent  d'adresser  des  louanges  en  l'honneur  de 
la  sainte    Vierge  qui  leur  accorda  dans  la  suite  une 
grande  fortune. 

Un  homme  accablé  sous  le  poids  du  péché  fut  ravi 
en  vision  au  jugement  de  Dieu*.  Et  voilà  que  Satan 
vint  dire  :  «  Il  n'y  a  rien  en  cette  âme  qui  vous  appar- 
tienne en  propre  ;  elle  est  plutôt  de  mon  domaine, 
d'ailleurs  j'ai  un  titre  authentique.  »  Et  le  Seigneur 
lui  dit  :  «  Où  est  ton  titre?  »  Satan  reprit  :  «  J'ai  un 
titre;  vous  l'avez  dicté  de  votre  propre  bouche,  et 
vous  lui  avez  donné  une  sanction  éternelle.  Vous  avez 
dit  en  effet  :  «  En  même  temps  que  vous  en  mangerez, 
«  vous  mourrez  très  certainement.  »  Comme  donc  il  est 
de  la  racr  de  ceux  (jiii  ont  mangé  le  fruit  défendu,  à 
ce  titre  autheiitirjiie  il  doit  tHve  condamné  à  mourir 
avec  moi.  »  Alors  le   Seiij^neur  dit  :    «    O  homme,  il 
tN»sl  permis  de  te  défeiulre.  »  Or,  l'homme  se  tut.  Le 
démon  ajouta  :   «  l)'aill(uirs  je  Tai  par  prescription, 
depuis  ([-(Mlle  ans  je  possède  son  àme,  et  il  m'a  sem 
eoininc!  un  (»sclave  (jiii  est  ma  propriété,  h  ('et  homme 

Saint  Anlonin  rapporliMlaiis  sa  Somme  un  fait  (jui  n'offre 
(jiruiu'  h'tî^rre  variante  avor  le  texte  de  la  Léij^cndc.  Sttmmn, 
■i''  ()arl..  lil.  W,  r.  v,  i^  I. 


l' ASSOMPTION    PE    LA    BIENHEUREL'SF:    VIERGE    MARIE      435 

conlinua  à  se  taire.  Le  démon  reprit  :  «  Cette  âme  est 
à  moi,  car  quand  elle  aurait  fait  quelque  bien,  ses 
mauvaises  actions  l'emportent  incomparablement  sur 
les  bonnes.   »   Mais  le  Seigneur  qui  ne  voulait  pas 
porter  de  suite  une  condamnation  contre  ce  pécheur 
lui  assigna  un  délai  de  huit  jours,  afin  que,  ce  terme 
expiré,  il  comparût  devant  lui  et  s'expliquât  sur  tout 
ce  qui  lui  était  reproché.  Or,  comme  il  s'en  allait  de 
devant  le  Seigneur,  tout  tremblant  et  pleurant,  il  ren- 
contra une  personne  qui  lui  demanda  la  cause  d'une 
tristesse  aussi  vive.  Et  comme  il  lui  eut  raconté  tout 
en  détail,  l'autre  lui  dit  :  «  Ne  crains  rien,  n'appré- 
hende rien,  car  sur  le  premier  point  je  t'aiderai  for- 
tement. »   Le  pécheur  lui  ayant  demandé  comment 
il  s'appelait,  il  lui  fut  répondu  :  «  La  Vérité  est  mon 
nom.  »  11  en  trouva  une  seconde  qui  lui  promit  de 
l'aide  sur  la  deuxième  accusation.  Il  lui  demanda  com- 
ment elle  s'appelait  et  il  lui  fut  répondu  :  «  Je  suis 
la  Justice.  »  Or,  le  huitième  jour,  il  comparut  en  juge- 
ment et  le  démon  lui  objecta  le  premier  chef  d'accu- 
sation ;  la  Vérité  répondit  :  «  Nous  savons  qu'il  y 
a  deux  sortes  de  mort,  celle  du  corps  et  celle  de  l'en- 
fer :  Or,  démon,  ce  titre  que  tu  invoques  en  ta  faveur 
ne  parle  pas  de  la  mort  de  l'enfer,  mais  de  celle  du 
corps.  Ce  qui  est  évident,  puisque  tout  le  monde  subit 
cette  sentence,  c'est-à-dire  que  tous  meurent  corpo- 
rellement,  sans  cependant  que  tous  meurent  des  feux 
de  l'enfer.  Quant  à  la  mort  du  corps,  oui,  elle  aura 
toujours  lieu  ;  mais  (juarit  à  la  mort  de  l'âme,  rarrét 
en  a  été  révoqué  par  le  sang  de  J.-C.  »  Alors  le  démon, 
voyant  qu'il  avait  succombé  sur  le  premier  chef,  se 


436  LA    LEGENDE    DORÉE 

mit  à  lui  objecter  le  second.  Mais  la  Justice  se  présenta 
et  répondit  ainsi  pour  cet  homme  :  a  Quoique  tu  aies 
possédé  cet  homme  comme  ton  esclave  pendant  nom- 
bre d'années,  cependant  toujours  la  raison  voulait  le 
contraire  ;  toujours  la  raison  murmurait  de  servir  un 
si  cruel  maître.  »  A  la  troisième  objection,  il  n'eut 
personne  pour  le  défendre.  Et  le  Seigneur  dit  :  «  Qu'on 
apporte  une  balance  et  qu'on  pèse  les  bonnes  actions 
et  toutes  les  mauvaises.  Alors  la  Vérité  et  la  Justice 
dirent  au  pécheur  :  «  Voici  la  mère  de  miséricorde 
assise  auprès  du  Seigneur,  aie  recours  à  elle  de  toute 
ton  âme  et  essaie  de  l'appeler  à  ton  aide.  »  Quand  il 
l'eut  fait,  la  sainte  Vierge  Marie  vint  à  son  secours  et 
elle  mit  la  main  sur  la  balance  du  côté  où  se  trouvait 
le  peu  de  bien  ;  mais  le  diable  s'efforçait  de  faire  bais- 
ser l'autre  plateau  ;  cependant  la  mère  de  miséricorde 
l'emporta  et  délivra  le  pécheur,  ndui-ci,  revenu  alors 
à  lui,  se  corrigea. 

Dans  la  ville  de  Bourges  *,  vers  Tan  du  Seigneur 
527,  comme  les  chrétiens  communiaient  le  jour  de 
Pûques,  un  enfant  juif  s'approcha  de  l'autel  avec  les 
enfants  des  chrétiens  et  reçut  comme  eux  le  corps  du 
Seigneur.  Revenu  chez  lui,  son  père  lui  ayant  demandé 
d'où  il  venait,  l'enfant  répondit  qu'il  avait  été  à  l'église 
avec  les  enfants  chrétiens,  écoliers  comme  lui,  et  qu'il 
avait  communié  avec  eux.  Alors  le  père,  rempli  de 
fureur,  prit  l'enfant  et  le  jeta  dans  une  fournaise  ar- 
dente qui  se  trouvait  là.  A  l'instant  la  mère  de  Dieu 


*  ICvaiçre,   Hittoire  err/éa.^   I.  IV,    c.  xxxv,  rapporte   un    fait 
semblable  arrivé  à  C.  I*. 


L.' ASSOMPTION    DR    LA    BIEMIEITREMSE    VIERGE    MARIE      437 

se  présenta  à  Tenfant  sous  les  traits  d'une  image  qu'il 
avait  vue  sur  Tautel,  et  le  protégea  contre  le  feu  dont 
il  ne  reçut  aucune  atteinte.  Alors  la  mère  de  Tenfant 
rassembla  par  ses  clameurs  un  grand  nombre  de  chré- 
tiens et  de  juifs.  En  voyant  dans  la  fournaise  Tenfant 
qui. n'avait  éprouvé  aucun  accident,  ils  l'en  retirèrent 
et  lui  demandèrent  comment  il  avait  pu  en  échapper. 
Il  répondit  :  «  C'est  que  cette  révérende  Dame  qui 
était  sur  l'autel  m'a  prêté  du  secours  et  a  écarté  de 
moi  tout  le  feu.  »  Les  chrétiens,  qui  comprirent  que 
c'était  de  l'image  de  la  sainte  Vierge  que  l'enfant  par- 
lait, prirent  le  père  de  l'enfant  et  le  jetèrent  dans  la 
fournaise  où  il  fut  bnllé  aussitôt  et  consumé  entière- 
ment. —  Quelques  moines  étaient  avant  le  jour  auprès 
d'un  fleuve  et  s'entretenaient  de  bagatelles  et  de  dis- 
cours oiseux.  Et  voici  qu'ils  entendent  des  rameurs 
"qui  passaient  sur  le  fleuve  avec  une  grande  rapidité. 
Les  moines  leur  dirent  :  «  Oui  étes-vous?  »  Et  ils  ré- 
pondirent  :  «  Nous  sommes  des  démons,  et  nous  por- 
tons en  enfer  l'âme  d'Ebroïn,  prévôt  du  roi  des  Francs 
qui  a  apostasie  du  monastère  de  Saint-Gall.  »  En  en- 
tendant cela,  les  moines  furent  saisis  d'une  très  vio- 
lente peur,  et  s'écrièrent  de  toutes  leurs  forces  :  «  Sainte 
Marie,  priez  pour  nous.  »  Et  les  démons  leur  dirent  : 
«  Vous  avez  bien  fait  d'invoquer  Marie,  car  nous  vou- 
lions vous  démembrer  et  vous  noyer,  parce  que  nous 
vous  trouvons  à  une  heure  indue  vous  livrant  à  des 
conversations  déréglées.  »  Alors  les  moines  rentrèrent 
au  couvent  et  les  démons  se  hâtèrent  d'aller  en  enfer*. 

•  Gauthier  de  Cluny,  Miracles  de  fa  sainte  Vierge,  c.  iv. 

II.  '  28- 


438  LA    LKCÏENDR    DOR^.E 

—  Il  y  avait  uh  moine  fort  lubrique,  mais  fort  dévot 
à  la  bienheureuse  Vierge  Marie.  Une  nuit  qu'il  allait 
commettre  son  crime  habituel,  il  passa  devant  un  autel, 
salua  la  sainte  Vierge,  et  sortit  de  l'église.  Comme  il 
voulait  traverser  un  fleuve,  il  tomba  dans  l'eau  et  mou- 
rut. Or,  comme  les  démons  s'étaient  saisis  de  son  ûfne, 
vinrent  des  anges  pour  la  délivrer.  Les  démons  leur 
dirent  :  «  Pourquoi  étes-vous  venus  ici  ?  vous  n'avez 
rien  en  cette  âme.  w  Et  aussitôt  la  bienheureuse  Vierge 
Marie  se  présenta  et  les  reprit  de  ce  qu'ils  avaient  osé 
ravir  l'âme  du  moine.  Ils  lui  répondirent  qu'ils  l'avaient 
trouvé  au  moment  où  il  finissait  sa  vie  dans  de  mau- 
vaises œuvres.  La  sainte  Vierge  leur  dit  :  «  Ce  que 
vous  dites  est  faux,  car  je  sais  que  s*il  allait  quelque 
part,  il  me  saluait  d'abord  et  à  son  retour,  il  en  fai- 
sait autant  ;  que  si  vous  dites  que  l'on  vous  fait  vio- 
lence, posons  la  question  au  tribunal  du  souverain' 
Juge.  »  Et  comme  on  discutait  devant  le  Seigneur,  il 
lui  plut  que  l'âme  retournerait  à  son  corps  et  ferait 
pénitence  de  ses  actions.  Pendant  ce  temps-là,  les 
frères  voyant  que  Theure  des  matines  s'écoulait  sans 
qu'on  les  sonnât*  cherchent  le  sacristain;  ils  vont 
jusqu'à  ce  fleuve  et  le  trouv(înt  noyé.  Après  avoir  re- 
tiré le  corps  <le  l'eau,  ils  s'émerveillaient  de  cet  acci- 
dent, (piand  tout  à  coup  le  moine  revint  à  la  vie  et 
raconta  ce  qui  était  arrivé.  Il  passa  le  reste  de  sa  vie 
dans  (le  bonnes  œuvres.  —  Une  femme  souffrait  une 
foule  d'im[)ortunilésde  la  part  du  démon  qui  lui  appa- 
raissait visiblement  sous  la  forme  d'un  homme:   elle 

*  Le  moine  était  sonneur. 


l'aSSOMPTION    de    la    bienheureuse    VIERCiE    MARIE      439 

employait  quantité  de  moyens  de  se  préserver;  tantôt 
c'était  de  Teaii  bénite,  tantôt  une  chose,  tantôt  une 
autre,  sans  que  le  démon  cessât  de  la  tourmenter.  Un 
saint  homme  lui  conseilla,  quand  le  démon  s'approche- 
rait d'elle,  de  lever  les  mains  et  de  crier  aussitôt  : 
«  Saticia  Mana,  adjuva  vie.  Sainte  Marie,  aidez-moi.  » 
Et  quand  elle  l'eut  fait,  le  diable,  comme  s'il  eût  été 
frappé  d'une  pierre,  s'arrêta  effrayé  ;  après  quoi  il  dit  : 
«  Qu'un  mauvais  diable  entre  dans  la  bouche  de  ce- 
lui qui  t'a  enseigné  cela.  »  Et  aussitôt  il  disparut  et 
il  ne  s'approcha  plus  d'elle  dans  la  suite. 


MODE  DE  l' ASSOMPTION    DE  LA  SAINTE   VIERGE  MARIE 


Le  mode  de  l'Assomption  de  la  très  sainte  Vierçe 
Marie  est  rapporté  dans  un  sermon  compilé  de  divers 
écrits  des  saints,  qu'on  lit  solennellement  dans  plu- 
sieurs églises,  et  où  l'on  trouve  ce  qui  suit  :  «  Tout 
ce  que  j'ai  pu  rencontrer  dans  les  récits  des  saints 
Pères,  du  monde  entier,  touchant  le  vénérable  trépas 
de  la  Mère  de  Dieu,  j'ai  pris  soin  d'en  faire  mémoire 
en  son  honneur.  Saint  Côme,  surnommé  Vestitor,  rap- 
porte des  choses  qu'il  a  apprises  par  une  relation  cer- 
taine de  la  bouche  des  descendants  de  ceux  qui  en 
ont  été  les  témoins.  Il  faut  en  tenir  compte.  V^oici  ses 
paroles  :  Quand  J.-C.  eut  décidé  de  faire  venir  auprès 
(le  soi  la  Mère  de  la  vie,  il  lui  fit  annoncer  par  l'ange 
qu'il  lui  avait  déjà  envoyé,  comment  elle  devait  s'en- 
dormir *,  de  crainte  que  la  mort  survenant  ino[)iné- 

*  On  sVsl  servi  depuis  les  premiers  siècles  de  i'Eij^lise,  tant 


440  LA    LÉGENDE    DOREE 

ment  ne  lui  apportât  quelque  trouble.  Elle  avait  con- 
juré son  fils  face  à  face,  alors  qu'il  était  encore  sur  la 
terre  avec  elle,  de  ne  lui  laisser  voir  aucun  des  esprits 
malins.  Il  envoya  donc  en  avant  un  ange  avec  ordre 
de  lui  parler  ainsi  :  «  Il  est  temps,  ma  mère,  de  vous 
prendre  auprès  de  moi.  De  même  que  vous  avez  rem- 
pli la  terre  de  joie,  de  même  vous  devez  réjouir  le 
ciel.  Rendez  agréables  les  demeures  de  mon  Père; 
consolez  les  esprits  de  mes  saints  ;  ne  vous  troublez 
pas  de  quitter  un  monde  corruptible  avec  toutes  ses 
vaines  convoitises,  puisque  vous  devez  habiter  le  pa- 
lais céleste.  0  ma  Mère,  que  votre  séparation  de  la 
chair  ne  vous  effraie  pas,  puisque  vous  êtes  appelée 
à  une  vie  qui  n^aura  pas  de  fin,  à  une  joie  sans  bor- 
nes, au  repos  de  la  paix,  à  un  genre  de  vie  sûr,  à  un 
repos  qui  n'aura  aucun  terme,  à  une  lumière  inacces- 
sible, à  un  jour  qui  n*aura  pas  de  soir,  à  une  gloire 
inénarrable,  à  moi-même  votre  Fils,  le  créateur  de 
l'univers  !  Car  je  suis  la  vie  éternelle,  Tamour  incom- 
parable, la  demeure  ineffable,  la  lumière  sans  ombre, 
la  bonté  inestimable.  Rendez  sans  crainte  à  la  terre  ce 
(|iii  lui  appartient.  Jamais  personne  ne  vous  ravira  de 
ma  main,  puiscpie  la  terre,  dans  toute  son  étendue, 
est  en  ma  main.  Donnez-moi  votre  corps,  parce  que 
j'ai  nns  ma  divinité  dans  votre  sein.  La  mort  ne  tirera 
ancun(?  gloire  de  vous,  parce»  que  vous  avez  enij;-endré 

chez  le^  Latins  (jue  chez  los  (irers  dr  rexprcssion  fformilio  pour 
siufnifif'r  le  trépas^  v[  nièriic  la  fric  do  l'Assoinplion  de  l.i  saiutr 
Vicrti^c.  On  donna  «'.nrorc  à  ce  jour  le  nom  de  deposilio,  pau- 
salio,  transihis.  I/K^lisc  d'orient  n'eni[)Ioie  (|ue  le  mol  koirr- 
sisj  donnilio,  soninieil. 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      441 

la  vie.  L'obscurité  ne  vous  enveloppera  point  de  ses 
ombres  parce  que  vous  avez  mis  au  monde  la  lumière  ; 
vous  ne  subirez  ni  meurtrissure,  ni  brisure,  car  vous 
avez  raérilé  d'être  le  vaisseau  qui  m'a  reçu.  Venez  à 
celui  qui  est  né  de  vous  afin  de  recevoir  la  récompense 
qui  vous  est  due  pour  l'avoir  porté  dans  votre  sein,  pour 
l'avoir  nourri  de  votre  lait  ;  venez  habiter  avec  votre 
Fils  unique;  hâtez-vous  de  vous  réunir  à  lui.  Je  sais 
qu'aucun  autre  amour  que  celui  de  votre  Fils  ne  vous 
tourmente.  C'est  comme  vierge-mère  que  je  vous  ai  pré- 
sentée; je  vous  présente  comme  le  mur  qui  soutient  le 
monde  entier,  comme  l'arche  de  ceux  qui  doivent  être 
sauvés,  la  planche  du  naufragé,  le  bâton  des  faibles,  l'é- 
chelle de  ceux  qui  montent  au  ciel,  et  la  protectrice  des 
pécheurs.  Alors  j'amènerai  auprès  de  vous  les  apôtres 
qui  vous  enseveliront  de  leurs  mains  comme  si  c'é- 
tait des  miennes.  Il  convient  en  effet  que  les  enfants 
de  ma  lumière  spirituelle,  auxquels  j*ai  donné  le  Saint- 
Esprit,  ensevelissent  votre  corps  et  me  remplacent  à 
vos  admirables  funérailles.  »  Après  ce  récit  l'ange 
donne  pour  gage  à  la  Vierge  une  palme,  cueillie  dans 
le  paradis,  afin  de  la  rendre  assurée  de  sa  victoire 
contre  la  corruption  de  la  mort,  il  y  ajoute  des  vête- 
ments funèbres  ;  ensuite  il  regagne  le  ciel  d'où  il  était 
venu. 

La  Bienheureuse  Vierge  Marie  convoqua  ses  amis  et 
ses  parents  et  leur  dit  :  «  Je  vous  apprends  qu'aujour- 
d'hui je  dois  quitter  la  vie  temporelle; il  fautdonc  veil- 
ler, car  au  trépas  de  tout  le  inonde,  viennent  auprès  du 
lit  du  mourant  la  vertu  divine  des  anges  et  les  esprits 
malins.  »  A  ces  mots,   tous  se  mirent  à  pleurer  et  à 


# 


442  LA    LÉGENDE    DOREE 

(lire  :  «  Vous  craiçnez,  vous  la  présence  des  esprits  ; 
(|uand  vous  avez  été  diçne  d'ôtre  la  mère  de  Fauteur 
de  toutes  clioses,  quand  vous  avez  engendré  celui  qui 
a  dépouillé  Tenfer,  quand  vous  avez  mérité  d'avoir 
un  Irrtnc  préparé  au-dessus  des  chérubins  et  des  sé- 
raphins! Que  ferons-nous  donc,  nous  autres?  com- 
ment fuirons-nous?  »  Il  y  avait  là  une  multitude  de 
femmes  qui  pleuraient  et  lui  demandaient  de  ne  pas 
les  laisser  orphelines.  Alors  la  sainte  Vierge  leur  dit 
pour  les  consoler  :  «  Si  vous  qui  êtes  les  mères  d'en- 
fants soumis  à  la  corruption,  vous  ne  pouvez  suppor- 
ter d'en  être  séparées  pour  un  peu  de  temps,  comment 
donc  moi  qui  suis  mère  et  vierge  ne  désireraîs-je  pas 
d'aller  trouver  mon  fils,  le  Fils  unique  de  Dieu  le 
Père?  Si  chacune  de  vous  quand  elle  a  perdu  quel- 
(ju'un  de  ses  fils,  se  console  en  celui  qui  survitou  dans 
celui  qui  doit  naître,  moi  qui  n'ai  que  ce  fils,  et  qui 
reste  pure,  comment  ne  me  hâterai-je  pas  de  mettre  fin 
à  mes  angoisses  en  allant  à  lui  qui  est  la  vie  de  tous  ?  o 
Or,  pendant  (jue  ceci  se  passait,  saint  Jean  arrive  et 
s'informe  (h*  re  qui  a  lieu.  Quand  la  Vierge  lui  eut  an- 
noiic»'*  son  drparl  pour  le  ciel,  il  se  prosterna  parterre 
et  s'écriîi  c\\  pltMiranl  :  «  Que  sommes-nous,  Seigneur, 
puis(|ue  v(Mis  nous  réservez  de  si  grandes  tribulations  ? 
IVninpioi  plutôt  ne  m'avez-vous  dépouillé  de  mon 
corps?  J'aurais  mieux  aimé  être  enseveli  par  la  mère 
de  mon  Scigiirur,  (]U(»  d'être  obligé  d'assister  à  ses  fu- 
nérailles. »  Alors  la  sainte  Vierge  le  mena  tout  en 
pleurs  dans  sa  cliandjre  et  lui  montra  la  palme  et  les 
vêlenKMits;  après  (jnoi  elh*  s'assit  sur  le  lit  (|ui  avait 
«'lé  [)réparé  pijur  sa  sépulture.  Et  voici  qu'on  entend 


l'aSSOMPTION    de    la    HIENIÏKfîRRITSF    VIERGK    MARTE      443 

un  violent  coup  de  tonnerre;  un  tourbillon  semblable 
à  une  nuée  blanche  se  forme,  et  les  apôtres  sont  dé- 
|>osés,  comme  la  pluie  qui  tombe,  devant  la  porte  de 
la  maison  de  la  sainte  Vierije.  Ils  s'étonnent  de  ce  qui 
arrive,  mais  saint  Jean  vient  à  eux  et  leur  révèle  ce  qui 
a  été  annoncé  par  l'ange  à  la  sainte  Vierge:  comme  ils 
pleuraient  tous,  saint  Jean  les  consola.  Ils  essuyèrent 
donc  leurs  larmes,  entrèrent,  et  après  avoir  salué  la 
Bienheureuse  Vierge  avec  respect,  ils  l'adorèrent. 
Et  elle  dit  :  «  Salut,  les  enfants  de  mon  Fils  unique.  » 
Après  avoir  écoulé  le  récit  qu'ils  lui  firent  de  leur  arri- 
vée, elle  leur  manifesta  tout.  Les  apôtres  lui  dirent  : 
a  C'est  en  tournant  nos  regards  vers  vous,  très  hono- 
rable Vierge  comme  vers  notre  maître  lui-même  et  no- 
tre Seigneur,  que  nous  nous  consolions  ;  c'était  là 
notre  seule  ressource  d'espérer  que  nous  vous  avions 
pour  médiatrice  auprès  de  Dieu.  »  Après  qu'elle  eut 
salué  Paul  en  l'appelant  par  son  nom,  celui-ci  lui  dit  : 
<c  Je  vous  salue,  reine  de  ma  consolation  ;  car  bien 
que  je  n'aie  pas  vu  J.-C.  dans  sa  chair*  cependant, 
quand  je  vous  vois,  je  suis  consolé  comme  si  je  le 
voyais  lui-même.  Jusqu'à  ce  jour  je  prêchais  aux  na- 
tions que  vous  aviez  engendré  Dieu,  maintenant  j'en- 
seignerai que  vous  êtes  allée  à  lui.  »  Après  quoi  la 
sainte  Vierge  montra  ce  que  l'ange  lui  avait  apporté, 
et  les  avertit  de  ne  point  éteindre  les  lampes  jusques 
après  son  trépas.  Il  y  avait  lacent  vingt  vierges  occu- 
pées à  la  servir.  Après  quoi  elle  revêtit  ses  vêlements 
funèbres  et  en  disant  adieu  à  tous,  elle  place  son 
corps  sur  son  lit  pour  mourir;  saint  Pierre  était 
placé  à  la  tête,  saint  Jean  à  ses  pieds,   les  autres  apô- 


^ 


très  autour  du  lit,  adressant  des  lotinnçes  »  la  i 
de  Dieu.  Alors  saint  Pierre  prit  la  parole  en  ces  ter- 
mes :  «  Réjouissez-voUR,  i^pouse  du  lit  réleste,  candé- 
labre i  trois  brandies  de  la  lumière  éclante,  par  qui 
a  été  manifestée  la  clarté  lîtemelle.  »  Saint  Germain, 
arcbevéque  de  Constant! iiople  atteste  nu«si  que  U-h 
epâtres  se  raBBemblèrenl.  pour  le  «ioniincil  de  la  trAs 
sainte  Vier^,  quand  il  dit  :  «  0  sainte  Mère  de  Die», 
quoique  vous  a;ei  été  soumise  à  la  mort  que  ne  sau- 
rait éviter  aucune  créature  humaine,  cependant  votre 
œil  qui  nous  garde  ne  s'assoupira  point  ni  ne  s'endor- 
mira point  :  car  votre  tri^pas  n'eut  pas  lieu  'sans  lé- 
moins  et  Vùln  Bunmeil  est  certain.  Le  cJel  raconte  la 
gloire  de  ceux  qui  chanlf^renl  sur  votre  di^pouille  ;  la 
terre  rend  hommage  à  la  véracité;  les  nuages  proela- 
ment  les  hommages  que  vous  en  avez  reçus.  Les  angex 
célèbrent  les  bons  ofScei  qui  vous  ont  été  rendus,  en 
ce  que  les  apdtres  se  rassemblèrent  auprès  de  votura 
dans  Jérusalem,  u  Le  grand  Denys  l'aréopagile  attestai 
aussi  la  mëihe  chose  en  disant  :  a  Ainsi  que  tu  le  sais 
bien,  nous  nous  sommes  rassemblés  avec  beaucoup 
de  nos  frères  pour  voir  le  corps  de  celle  qui  a  reçu  le 
Seigneur.  »  Or,  se  trouvaient  là  Jacques,  frère  de  Dieu, 
avec  Pierre  le  souverain  chef  des  Théologiens.  Ensuite 
il  sembla  bon,  après  ce  qu'on  avait  vu,  que  tous  les 
souverains  prêtres  chantassent  des  hymnes,  selon  que 
chacun  avait  en  soi  d'énergie,  de  bonté  vivifiante  ou 
de  faiblesse. 

Saint  Cosme  poursuit  ainsi  sa  narration  ;  «  Après 
cela,  un  fort  coup  de  tonnerre  ébranla  la  maison 
entière,  et  un  venl  doux  la  remplit  d'une  odeur  si 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE     445 

suave,  qu'un  sommeil  profond  s'empara  de  ceux  qui 
s  y  trouvaient,  à  l'exception  des  apôtres  et  de  trois 
vierges  qui  portaient  des  flambeaux  ;  car  le  Seigneur 
descendit  avec  une  multitude  d'anges  et  enleva  Tâme 
de  sa  mère.  Or,  Téclat  de  cette  âme  était  si  resplen- 
dissant qu'aucun  des  apc^tres  ne  la  pouvait  regarder. 
Et  le  Seigneur  dit  à  saint  Pierre  :  «  Ensevelissez  le 
cx>rps  de  ma  mère  avec  le  plus  grand  respect,  et  gar- 
dez-le soigneusement  pendant  trois  jours,  car  je  vien- 
drai alors,  et  le  transporterai  dans  le  lieu  où  n'existe 
point  la  corruption  ;  ensuite  je  le  revêtirai  d'une  clarté 
semblable  à  la  mienne,  afin  qu'il  y  ait  union  etaccord 
entre  ce  qui  a  été  reçu  et  ce  qui  a  reçu.  »  Saint  Cosme 
rapporte  encore  un  mystère  étrange  et  merveilleux, 
et  qui  ne  souffre  ni  investigation  curieuse,  ni  discus- 
sion ordinaire  :  puisque  tout  ce  qu'on  dit  de  la  mère 
de  Dieu  est  surnaturel,  admirable,  redoutable,  plutôt 
que  sujet  à  discussion.  «  Car,  dit-il,  quand  l'âme  sor- 
tit de  son  corps,  ce  corps  prononça  ces  mots  :  «  Je 
vous  rends  grâces,  Seigneur,  car  je  suis  digne  de 
votre  gloire.  Souvenez-vous  de  moi  puisque  je  suis 
votre  œuvre,  et  que  j'ai  conservé  ce  que  vous  m'avez 
confié.  »  Quand  ceux  qui  dormaient  furent  éveillés, 
continue  saint  Cosme,  et  qu'ils  virent  sans  vie  le  corps 
de  la  Vierge,  ils  se  livrèrent  à  une  grande  tristesse  et 
poussèrent  des  gémissements.  Les  apôtres  prirent 
donc  le  corps  qu'ils  portèrtMit  au  monument,  en  mènie 
temps  que  saint  Pierre  commcnra  le  Psaume  :  In 
exila  Israël  de  .Efjupio.  Les  chœurs  <les  anges  louaient 
la  Vierge  de  telle  sorte  que  Jérusalem  fut  émue  à 
l'occasion  de  cette  grande  gloire.  Alors  les  grands- 


i 


446  hk  LiGKNDK  nomim 

prttres  envoient  une  mùltitndedê  gens  armés  d'^téw 
et  de  Mlons.  Un  d'eux  se  rue  sur  le  ?raba[,  avec 
l'intention  de  jeter  par  terre  le  corps  de  Marie,  m^rc 
de  Dieu.  Mais  parce  qu'il  l'ose  toucher  avec  impiété, 
il  mérite  d'être  privé  de  l'usage  de  ses  mains;  elles 
s'arrachent  tontes  les  deux  de  sps  bras,  el  restenl- 
fluspenduesau  lit  funèbre;  en  même  temps,  il  éprouve 
des  tourments  horribles.  Cependant,  il  implore  son 
pardon,  et  promet  de  s'amender.  Pierre  lui  dit  : 
«  Tu  ne  pourras  jamais  obtenir  le  pardon,  si  ta  nVat- 
brasses  le  coi^s  de  celle  qui  a  toujours  é\é  vierge,  et: 
si  tu  ne  confesses  que  J.-G.,  qui  est  né  d'elle,  est  Ie< 
Fils  de  Dieu.  »  Quand  il  l'eutfait,  ses  mains  se  rcjoi-' 
gnirent  aux  coudes  d'oA  elles  avaient  été  arrachées. 
Et  saint  Pierre  prit  une  datte  de  la  palme  et  lui  dit  :  ' 
a  Va,  rentre  dans  ta  ville,  et  pose<la  sur  les  infirmes,  t 
et  tous  ceux  qui  croiront  recevront  la  s^nté*.  »  Quand- 
les  apdtres  arrivèrent  au  champ  de  (jelhsémani,  ils  y 
trouvèrent  un  sépulcre  semblable  au  îr|nrieiix  sépulcre'- 
de  J.-C.  ;  ils  y  déposèrent  le  corps  avec  beaucoup  de 
respect,  sans  oser  toucher  an  très  saint  vaisseau  de 
Dieu,  mais  ils  le  prirent  par  les  coins  du  suaire  el  le 
placèrent  dans  le  sépulcre,  qu'ils  scellèrent.  Pendant 
ce  temps,  les  apôtres  et  les  disciples  du  Seigneur  res- 
tèrent autour  du  tombeau,  selon  l'ordre  qu'ils  en 
avaient  reçu  de  leur  mattre.  Le  troisième  jour,  une 
nuée  toute  resplendissante  l'environne,  les  voix  angé- 
liques  se  font  entendre,  une  odeur  ineffable  se  répand, 
tous  sont  dans  une  immense  stupeur  ;  alors,  ils  voient 

•  .Nicé|jhor<;<;a!lisle.,  ffiV.,  I.  Il  ;  c.  xxi. 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIRNURCIRErSK    VIERGE    MARIE      447 

que  le  Seigneur  est  descendu,  et  qu'il  transporte  le 
corps  de  la  Vier;^e  avec  une  gloire  ineffable.  Les  apA- 
tres  embrassèrent  le  sépulcre  et  retournèrent  chez 
saint  Jean  l'évangéliste  et  le  théologien,  en  le  louant 
d'avoir  été  le  gardien  delà  sainte  Vierge.  Or,  il  y  eut 
un  des  apôtres  qui  n'assista  pas  à  cette  solennité. 
Dans  fadmiration  où  le  jetait  le  récit  de  choses  si 
merveilleuses,  il  suppliait  qu'on  ouvrît  le  tombeau 
pour  s'assurer  de  la  vérité.  Les  apôtres  s'y  refusaient 
sous  le  prétexte  que  ce  qu'ils  lui  racontaient  devait 
suffire,  dans  la  crainte  que  si  les  infidèles  en  avaient 
connaissance,  ils  publiassent  que  le  corps  avait  été 
%'olé.  Mais  Tapôtre  contristé  disait  :  «  Pourquoi  me 
privez-vous  de  partager  un  trésor  qui  nous  est  com- 
mun, quand  je  suis  autant  que  vous?  »  Enfin,  ils 
ouvrirent  le  tombeau,  où  ils  ne  trouvèrent  pas  le  corps, 
mais  seulement  les  vêtements  et  le  suaire. 

Au  livre  III,  chap.  xl  de  l'Histoire  Euthimiatay 
saint  Germain,  archevêque  de  Constantinople,  dit 
avoir  découvert,  et  le  grand  Damascène  l'atteste 
comme  lui,  que,  du  temps  de  l'empereur  Marcien, 
l'impératrice  Pulchérie,  de  sainte  mémoire,  après 
avoir  fait  bâtir  à  C.  P.  beaucoup  d'églises,  en  éleva 
entre  autres  une  admirable  auprès  des  Blaquermes, 
en  l'honneur  de  la  sainte  Vierge.  Elle  convoqua  Juvé- 
nal,  archevêque  de  Jérusalem,  et  d'autres  évêques  de 
la  Palestine,  qui  restaient  alors  dans  le  capitale  pour 
le  concile  qui  se  tint  à  Chalcédoiiie,  et  leur  dit  :  a  Nous 
avons  appris  que  le  corps  de  la  très  sainte  Vierge  fut 
enterré  dans  le  champ  de  Ciethséinani  ;  nous  voulons 
donc,  pour  garder  cette  ville,  y  transporter  ce  corps 


i 


44S  LA    LÉGENDR    DOREE 

avec  un  respect  convenable.  »  Or,  comme  Juvénal  lui 
eut  répondu  que  ce  corps,  d'après  ce  qu'il  en  avail 
appris  dans  les  anciennes  histoires,  avait  été  trans- 
porté dans  la  gloire  et  qu'il  n'était  resté  dans  le  tom- 
beau que  les  vêtements  avec  le  suaire,  le  même  Juvé- 
nal envoya  ces  vêtements  à  C.  P.,  où  ils  sont  placés 
avec  honneur  dans  l'église  dont  on  vient  de  parler  *.  » 
Et  que  personne  ne  pense  que  j'aie  forgé  ce  récit  à 
l'aide  de  mon  imagination,  mais  j'ai  raconté  ce  que 
j'ai  connu  par  l'enseignement,  et  d'après  les  recher- 
ches de  ceux  qui  ont  appris  ces  faits  de  leurs  devan- 
ciers, par  une  tradition  digne  de  toute  créance.  Ce  qui 
est  rapporté  jusqu'ici,  se  trouve  dans  le  discours  dont 
il  a  été  question  plus  haut.  Or,  saint  Jean  Damascène, 
Grec  d'origine,  raconte  plusieurs  circonstances  mer- 
veilleuses au  sujet  de  la  très  sainte  assomption  de  la 
sainte  Vierge.  Il  dit  donc  dans  ses  sermons  : 

«  Aujourd'hui  la  très  sainte  Vierge  est  transportée 
dans  le  lit  nuptial  du  ciel  ;  aujourd'hui  cette  arche 
sainte  et  vivante  qui  a  porté  en  soi  celui  qui  l'a  créée, 
est  placée  dans  un  temple  que  n'a  pas  construit  la 
main  des  hommes  ;  aujourd'hui  la  très  sainte  colombe 
pleine  d'innocence  et  de  simplicité,  s'est  envolée  de 
l'arche,  c'est-à-dire  de  ce  corps  qui  a  reçu  Dieu  ; 
elle  a  trouvé  où  poser  les  pieds  ;  aujourd'hui  l'imma- 
culée Vierge  que  n'ont  pas  souillée  les  passions  ter- 
restres, mais  au  contraire  qui  a  été  instruite  par  les 
intelligences  célestes,  ne  s'en  est  pas  allée  dans  la 
terre,  mais  appelée  à  juste  raison,  un  ciel  animé,  elle 

*  Nicéphorc  Callistr,  flixt.,  1.  XV,  ch.  xiv. 


SSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE     449 

bile  dans  les  tabernacles  célestes.  Bien  que  votre 
înheureuse  âme  soit  séparée  d'après  la  loi  de  la 
ture  de  votre  glorieux  corps,  et  que  ce  corps  soit 
nfié  à  la  sépulture,  cependant  il  ne  reste  pas  la  pro- 
iété  de  la  mort,  et  il  n'est  pas  dissous  par  la  cor- 
ption  :  car  dans  celle  qui  a  enfanté,  la  virginité  est 
stée  intacte  ;  dans^  celle  qui  meurt,  le  coips  reste 
Lijours  indissoluble,  et  il  passe  à  une  meilleure  et 
is  sainte  vie  ;  la  mort  ne  le  détruit  pas,  car  il  doit 
me  durer  éternellement.  De  même  que  ce  soleil 
atant,  qui  verse  la  lumière,  paraît  s'éclipser  un 
tant  quand  il  est  caché  par  un  corps  sublunaire, 
s  pourtant  perdre  rien  de  sa  lumière  intarissable, 
même,  vous,  fontaine  de  vraie  lumière,  trésor 
>uisable  de  vie,  quoique  condamnée  à  subir  la 
"t  corporelle  pour  un  court  espace  de  temps,  vous 
tez  cependant  sur  nous  avec  a'bondance  la  clarté 
te  lumière  qui  ne  s'altère  jamais.  De  là  vient  que 
*e  sommeil  ne  doit  pas  recevoir  le  nom  de  mort, 
s  de  passage,  de  retraite,  ou  mieux  encore  d'arri- 

En  quittant  votre  corps,  vous  arrivez  au  ciel, 
cinges  et  les  archanges  viennent  au-devant  de  vous  : 
esprits  immondes  redoutent  votre  ascension.  Bien- 
ï^euse  Vierge,  vous  n'avez  pas  été  enlevée  au  ciel, 
^ïne  Elie,  vous  n'êtes  pas  montée  comme  Paul  jus- 
^\i  troisième  ciel,  mais  vous  avez  atteint  au  trône 
Bil  de  votre  Fils.  On  bénit  la  mort  des  autres  saints 
Ce  qu'elle  démontre  qu'ils  sont  heureux,  mais  cela 
ôste  pas  chez  vous.  Ni  votre  mort,  ni  votre  béati- 
e,  ni  votre  trépas,  ni  votre  départ,  pas  même  votre 
traite  n'ajoutent  rien  à  la  sécurité  de  votre  bonheur  ; 

u.  29 


430  LA    LÉGENDE    DORÉE 

car  vous  êtes  le  principe,  le  moyen  et  la  fin  de  tous 
les  biens  que  ne  saurait  comprendre  l'intelligence  de 
rhomme.  Votre  sécurité,  votre  avancement  réel,  votre 
conception  surnaturelle  s*expliquent  :  vous  êtes  l'habi- 
tation de  Dieu.  Aussi  avez- vous  dit  avec  vérité  que 
ce  n*est  pas  à  dater  de  votre  mort,  mais  du  moment 
de  votre  conception  que  toutes  les  générations  vous 
béniraient.  La  mort  ne  vous  a  pas  rendue  heureuse, 
mais  vous-même  vous  avez  ennobli  la  mort  ;  nonobs- 
tant la  tristesse  qui  l'accompagne,  vous  Tavez  chan- 
gée en  joie.  En  effet  si  Dieu  a  dit  :  De  crainte  que 
le  premier  homme  n'étende  la  main  et  ne  cueille  du 
fruit  de  l'arbre  de  vie  et  qu'il  ne  vive  pour  toujours  ; 
comment  celle  qui  a  porté  la  vie  elle-même,  la  vie  qui 
n'a  pas  eu  de  commencement,  la  vie  qui  n'aura  point 
de  fin,  comment  ne  vivrait-^lle  point  dans  le  siècle 
qui  doit  durer  toujours?  Dieu  autrefois  a  chassé  du 
paradis  les  auteurs  du  genre  humain  endormis  dans 
la  mort  du  péché,  ensevelis  dans  les  profondeurs  de 
la  désobéissance,  et  qui  déjà  étaient  gâtés  par  l'infec- 
tion du  péché  ;  il  les  a  exilés  ;  mais  aujourd'hui  celle 
qui  a  apporté  la  vie  à  tout  le  genre  humain,  qui  a 
<  Ion  né  (les  preuves  de  son  obéissance  à  Dieu  le  Père, 
qui  a  chassé  toutes  les  impressions  du  vice,  comment 
le  paradis  ne  la  recevrait-il  pas  ?  comment  le  ciel 
joyeux  ne  lui  ouvrirait-il  pas  ses  portes?  Eve  a  prêté 
Toreille  au  serpent  ;  elle  a  avalé  la  coupe  empoisonnée  ; 
elle  se  laisse  allécher  par  la  volupté  ;  elle  enfante 
dans  la  douleur:  elle  est  condamnée  avec  Adam. 
Mais  c(»lle  qui  est  vérilal)lenient  bienheureuse,  qui 
prêta  l'oreille  à  la  voix  de  Dieu,  qui  fut  remplie  du 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE      451 

• 

Saint-Esprit,  qui  porta  la  miséricorde  du  Père  en  son 
sein,  qui  conçut  sans  l'entremise  de  l'homme,  qui 
enfanta  sans  douleur,  comment  la  mort  en  fera-t-elle 
sa  proie  ?  comment  la  corruption  osera-l-elle  quelque 
chose  sur  un  corps  qui  a  porté  la  vie  elle-même?  » 

Le  Damascène  dit  encore  dans  ses  sermons  :  ce  II 
est  vrai  que,  dispersés  par  toute  la  terre  et  occupés 
à  pécher  des  hommes,  jetant  le  filet  de  la  parole  pour 
les  amener  hors  des  ténèbres  où  ils  étaient  ensevelis 
à  la  table  céleste  et  aux  noces  solennelles  du  Père,  les 
apôtres  furent  rassemblés  et  réunis  par  Tordre  de 
Dieu, et  furent  apportés  des  confins  du  monde  à  Jéru- 
salem, enveloppés  dans  une  nuée  comme  dans  un 
filet.  En  ce  moment  nos  premiers  parents  Adam  et 
Eve  s'écrièrent  :  «  Venez  à  nous,  ô  sacrée  et  salutaire 
a  nourriture,  vous  avez  comblé  notre  joie  !  »  De  son 
côté  la  compagnie  des  saints  qui  se  trouvait  corpo- 
rellement  présente  disait  :  «  Demeurez  avec  nous  ; 
vous  êtes  notre  consolation  ;  ne  nous  laissez  pas  orphe- 
lins ;  vous  êtes  notre  soutien  dans  nos  travaux,  notre 
rafraîchissement  dans  nos  fatigues  ;  c'est  notre  gloire 
de  vivre  ou  de  mourir  avec  vous  :  car  la  vie  n'est 
rien  pour  nous,  si  nous  sommes  privés  de  votre  pré- 
sence. »  Je  pense  que  ce  furent  ces  paroles  ou  d'autres 
semblables  que  les  apôtres  exprimaient  au  milieu  des 
sanglots  de  tous  ceux  qui  composaient  l'assemblée. 
Marie  se  tournant  vers  son  fils  :  «  Soyez  vous-même, 
lui  dit-elle,  le  consolateur  de  ceux  qu'il  vous  a  plu 
appeler  vos  frères  et  qui  sont  dans  la  douleur  à  cause 
de  mon  départ  ;  et  ajoutez  bénédiction  sur  bénédic- 
tion à  l'imposition  des   mains  ({ue  je  vais  faire  sur 


452  LA    LÉGENDE    DOREE 

eux.  »  Ensuite  elle  étendit  les  mains  et  bénit  le 
lège  des  fidèles,  puis  elle  ajouta  :  «  Seigneur,         \^ 
remets  mon  esprit  entre  vos  mains  :  recevez  mon  âi^cmc 
qui  vous  est  si  chère  et  que  j'ai  conservée  pure.  C'^^aesi 
à  vous  et  non  à  la  terre  que  je  confie'  mon  corpa^  '«s  ; 
conservez-le   entier   puisqu'il   vous  a  plu    rhabiti    ■  ir. 
Transportez- moi  auprès  de  vous,  afin  que  là  où  v 
êtes,  vous,  le  fruit  de  mes  entrailles,  j*y  sois  et 
habite  avec  vous.  »  Ce  fut  alors  que  les  fidèles  ent 
dirent  ees  paroles  :  «  Levez-vous,  venez,  ô  ma  bi 
aimée,  à  la  plus  belle  des  femmes  ;  vous  êtes  be 
mon  amie,  et  il  n'y  a  pas  de  tache  en  vous.  » 
entendant  ces  paroles,   la  Vierge  recommande 
esprit  aux  soins  de  son  Fils.  Alors  les  apôtres 
dent  des  torrents  de  larmes,  et  couvrent  de  bai 
le  tabernacle  du  Seigneur  :  le  contact  de  ce  sacré  co 
les  remplit  de  bénédiction  et  de  sainteté.  Les  m 
dies  disparaissent,  les  démons  s'enfuient,  l'air  e 
ciel  sont  sanctifiés  par  la  présence  de  son  esprit     ^ui 
s'élève,  la  terre  l'est  à  son  tour,  parce  que  son  coxps 
y  est  défiosé  ;  comme  aussi  l'eau,  par  l'ablutiorm    de 
son  corps.  En  effet,  ce  corps  sacré  est  lavé  dans  une 
eau  très  limpide  qui  n'a  pu  le  nettoyer,  mais  qui  en  a 
été  sanctifiée.  Ensuite  le  saint  corps  enveloppé  d'un 
suaire  blanc  est  placé  sur  un  lit,  les  lampes  resp/^n- 
disscnt,  les  parfums  répaiuleiit  leur  douce  odeur,  e( 
Tair  retentit  du  chant  des  hymnes  anjjéliques.  Ce  fui       •!  i, 
au  milieu  du  concert  que  les  apôtres  et   les  autres 
saints   qui   se   trouvaient  là,    faisaient  entendre,  en 
chantant  des  canti(jues  divins,  (|ue  Tarche  du  Seigneur, 
soutenue  sur  les  tètes  sacrées  <les  apolres,  est  amenée 


>5 


i-'assomption  de  la  bienheureuse  vierge  marie    4S3 

de  la  montagne  à  la  sainte  terre  de  Gelhsémani.  Les 
an/^es  la  précèdent  et  la  suivent,  les  autres  étendent 
des  voiles  sur  le  précieux  corps,  toute  l'Eglise  raccom- 
pagne. Il  s  y  trouva  aussi  des  Juifs  endurcis  par  le 
vieux  levain  de  la  méchanceté.  On  raconte  encore  que 
comme  ceux  qui  portaiant  le  corps  sacré  de  la  mère 
de  Dieu  descendaient  de  la  montagne  de  Sion,  un 
hébreu,  un  instrument  du  diable,  poussé  par  un  mou- 
Tcment   téméraire   et   conduit   par   une   inspiration 
infernale  s'approcha,  en  courant,  du  saint  corps  auprès 
duquel  les  anges  eux-mêmes  tremblaient  de  s'appro- 
cher, et  comme  un  furieux,  prit  de  ses  deux  mains  le 
lit  funèbre  qu'il  renversa  à  terre.  Mais  on  dit  (ju'une 
de  ses  mains  se  sécha  comme  bois  et  tomba.  C'était 
merveille  de  le  voir  semblable  à  un  tronc  inutile,  tant 
que  la  foi  n'eut  changé  son  cœur,  et  ne  l'eut  fait  re- 
pentir avec  larmes  de  son  crime.  Alors  ceux  qui  por- 
taient le  cercueil  s'arrêtèrent,  jusqu'à  ce  que  le  misé- 
rable mettant  sa  main  sur  le  très  saint  corps,  reçut 
une  guérison  complète  à  l'instant  qu'il  l'eut  touché. 
De  là  on  arrive  à  Gethsémani,  où  le  saint  corps  est 
déposé  dans  un  tombeau  vénérable,  après  qu'il  eut 
reçu  les  baisers,  les  embrassements,  les  larmes  des 
fidèles  couverts  de  sueur  et  chantant  des  hymnes 
sacrés.  Mais  votre  âme  ne  fut  pas  laissée  dans  l'enfer 
et  votre  corps  n'a  pas  été  atteint  par  la  corruption. 
Il  convenait  que  le  sein  de  la  terre  ne  retînt  pas  le 
sanctuaire  de  Dieu,  la  fontaine  qui  n'a  pas  été  creu- 
sée, le  champ  vierge,  la  vigne  qui  n'avait  pas  reçu  la 
rosée,  l'olivier  fécond.  Il  fut  convenable  que  la  Mère 
fût  élevée  par  le  Fils,   afin   qu'elle  montât  vers  lui 
II.  29- 


434  LA    LKGENDE    DORÉE 

comme  il  était  descendu  en  elle,  afin  que  celle  qui  a 
conservé  sa  virginité  dans  son  enfantement  n'éprou- 
vât pas  les  atteintes  de  la  corruption  en  son  corps, 
et  que  celle  qui  a  porté  son  créateur  dans  son  sein 
habitât  les  divins  tabernacles.  Le  Père  l'avait  prise 
pour  épouse,  elle  doit  être  gardée  dans  le  palais  cé- 
leste :  la  mère  doit  jouirde  ce  qui  appartient  au  Fils.  » 
(Saint  Jean  Damascène.) 

Saint  Augustin  s*étend  aussi  fort  longuement  dans 
un  sermon  sur  la  très  sainte  Assomption  de  Marie 
toujours  vierge  :  «  Avant,  dit-il,  de  parler  du  très  saint 
corps  de  celle  qui  toujours  a  été  vierge,  et  de  Tas- 
somption  de  sa  bienheureuse  âme,  nous  commençons 
par  dire  que  l'Ecriture  ne  parle  pas  d'elle  après  que  le 
Seigneur  l'eut  recommandée  sur  la  croix  au  disciple, 
si  ce  n*est  ce  que  saint  Luc  rapporte  dans  les  Actes  des 
apôtres  :  (c  Ils  étaient  tous,  dit-il,  persévérants  una- 
«  nimement  dans  la  prière  avec  Marie,  mère  de  Jésus 
«  (Actes,  i).  »  Que  dire  donc  de  sa  mort?  Que  dire  de  son 
assomption?  Puisque  TEcriture  se  tait,  il  ne  faut  de- 
mander à  la  raison  que  ce  qui  est  conforme  à  la  vérité. 
Que  la  vérité  donc  suit  notre  autorité  puisque  sans 
elle  il  n'y  a  même  pas  d  autorité.  Nous  nous  basons 
sur  la  connaissance  que  nous  avons  de  la  condition 
humaine  quand  nous  n'hésitons  pas  à  dire  qu'elle  a 
souffert  la  mort  leinporelie  *  ;  mais  si  nous  disons 
qu'elle  fut  la  pâture  de  la  pourriture, des  vers  et  de  la 
cendn»,  il  faut  examiner  si  cet  état  convient  à  la  sain- 

II  paraît  par  ce  passatj;"^  (jiie  l'oraison  Veneranda  qui  so 
rrrilaif  dans  les  lilinij^lrs  niodrriics  nu  jour  tic  la  fcle  de  PAs- 
somplioii,  est   ti'uiie  1res  haute  anti(juité. 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHFATREIJSE    VIERGE    MARIE     453 

teté  qui  la  distingue  et  aux  prérogatives  qui  appar- 
tiennent à  cette  merveilleuse  habitation  de  Dieu.  Nous 
savons  bien  qu'il  a  été  dit  à  notre  premier  père  :  «  Tu 
a  es  poussière  et  tu  retourneras  en  poussière.  »  La  chair 
de  J.-C.  ne  subit  pas  cette  condamnation  puisqu'elle 
ne  fut  pas  soumise  à  la  corruption.  Donc  elle  fut 
exceptée  de  la  sentence  générale  la  nature  qui  fut  prise 
de  la  Vierge.  Le  Seigneur  dit  aussi  à  la  femme:  «  Je 
«  t'affligerai  de  nombreuses  misères  :  tu  enfanteras  dans 
«  la  douleur.  »  Marie  a  bien  enduré  les  angoisses,  puis- 
qu'un glaive  perça  son  âme  ;  cependant  elle  enfanta 
sans  douleur.  Donc  Marie,  quoique  partageant  les  an- 
goisses d'Eve,  ne  les  partagea  pas  en  enfantant  avec 
douleur.  Donc  celle  qui  jouit  d'une  prérogative  im- 
mense est  exceptée  de  la  règle  générale.  Si  donc  l'on 
dit  qu'elle  a  souffert  la  mort  sans  cependant  que  la 
mort  l'ait  retenue  dans  ses  liens,  serait-ce  une  impiété 
de  dire  qu'il  n'ait  pas  voulu  préserver  sa  mère  contre 
les  horreurs  delà  pourriture,  quand  il  a  voulu  conser- 
ver intacte  la  pudeur  de  sa  virginité?  Est-ce  qu'il  n'ap- 
partenait pas  à  la  bonté  du  Seigneur  de  conserver 
rhonneur  de  sa  mère,  lui  qui  était  venu  non  pour  dé- 
truire la  loi,  mais  pour  l'accomplir  ?  S'il  Ta  honorée 
pendant  sa  vie  plus  que  toute  autre  par  la  grâce  qu'il 
lui  fit  de  le  concevoir,  c'est  donc  chose  pieuse  de  croire 
qu'il  l'honora  dans  sa  mort  d'une  préservation  parti- 
culière et  d'une  grâce  spéciale.  La  pourriture  et  les 
vers,  c'est  la  honte  <ic  la  condition  humaine.  Or, 
comme  J.-C.  est  exempt  de  cet  opprobre,  Marie  en  est 
exempte  aussi,  puis(|ne  J.-C.  est  né  d'elle.  Car  la  chair 
de  Jésus,  c'est  la  chair  de  Marie,  qu'il  éleva  au-dessus 


i 


456  ul  LiacNoi  oowbt 

des  astres,  honorant  psr  li  la  nature  tunûiae}  naii 
plus  encore  celle  de  sa  mère.  Si  le  fils  a  la  natsie  de 
la  mère,  il  est  de  toute  convenance  que  la  Aère  'pos- 
sède la  nature  du  Fils,  non  pas  quant  i  1*011114  dis  la 
personne,  mais  quant  A  l'unité  de  la  nature  oorporeUe. 
Si  la  grilce  peut  feire  qu'il  y  ail  unité  saits  qu'il  _v  ait' 
communauté  de  nature,  A  plus  forte  raison  quand  tl 
y  a  nnilé  en  ^rice  et  naissance  rorporeilc  en  particu- 
lier. II  y  a  unité  de  grAce  comme  celle  des  disciples 
avec  J.-G.,  selon  qu'il  en  parle  lui-même  quand  il  dit: 
«  Afin  qu'ils  soient  un  comme  nous  sommes  un  »  : 
et  ailleurs  :  «  Mon  père,  je  veux  qu'ils  soient  avec  moi 
c  partout  oà  je  suis.  «  K  donc  J.-C.  veut  avoir  avec  soi 
ceux  qui,  réunis  par  la  foi  en  lui,  sont  oenaés  ne  Caire 
qu'un  avec  lui,  que  penser,  par  rapport  i  sa  mère,  dn 
lieu  où  elle  soit  di^ne  de  se  trouver,  sinon  eo  présence 
de  son  Fils?  Autant  que  je  puis  le  comprendre,  autant 
que  je  puis  le  croire,  l'Ame  de  Marie  est  hon(»te  pv 
son  Fils  d'une  prérogative  plus  excellente  eneore>pni»> 
qu'elle  possède  en  J.-C.  le  corps  de  ce  Fils  qu'elle  a 
engendré  avec  les  caractères  de  la  gloire.  Et  pourquoi 
ce  corps  ne  serait-il  pas  le  sien,  puisqu'elle  le  conçut 
par  lui  ?  S'il  n'a  pas  été  au-devant  d'elle,  je  ne  recon- 
nais pas  là  son  autorité.  Oui,  je  crois  que  c'est  par  lui 
qu'elle  a  engendré;  car  unes!  g;rande  sainteté  est  plus 
digne  du  ciel  que  de  la  terre.  Le  trône  de  Dieu,  le  lit 
de  l'époux,  la  maison  du  Seigneur  et  le  tabernacle  de 
J.-C.  a  le  droit  d'ôtre  où  il  est  lui-même.  Le  ciel  est 
plus  digne  que  la  terre  de  conserver  un  si  précieux 
Irésor.  L'incorruptibilité  et  non  la  dissolution  causée 
par  la  pourriture  est  la  conséquence  directe  d'une  si 


l' ASSOMPTION    DE    LA    BIENHEUREUSE    VIERGE    MARIE     457 

grande  intégrité.  Que  ce  très  saint  corps  ait  été  aban- 
donné aux  vers  comme  à  leur  pâture,  je  rougirais  de 
le  penser,  j'aurais  honte  de  le  dire  !  Les  grâces  incom- 
parables qui  lui  ont  été  départies  sont  de  nature  à 
me  faire  rejeter  cette  pensée.  Plusieurs  passages  de 
TEcriture  viennent  à  Tappui  de  ce  que  j'avance.  La 
vérité  a  dit  autrefois  à  ses  ministres  :  «  Où  je  suis,  là 
«  aussi  sera  mon  ministre.  »  Si  cette  sentence  générale 
regarde  tous  ceux  qui  servent  J.-C.  par  leur  croyance 
et  leurs  œuvres,  elle  s'applique  bien  mieux  encore  à 
Marie  qui,  sans  le  moindre  doute,  l'a  aidé  par  toutes 
ses  œuvres.  Elle  l'a  porté  dans  ses  entrailles,  elle  Ta 
mis  au  monde,  elle  l'a  nourri,  elle  l'a  réchauffé,  elle 
l'a  couché  dans  la  crèche,  dans  la  fuite  en  Egypte  elle 
Ta  caché,  elle  a  guidé  les  pas  de  son  enfance,  elle  Ta 
suivi  jusqu'à  la  croix.  Elle  ne  pouvait  douter  qu'il  fût 
Dieu,  puisqu'elle  savait  l'avoir  conçu  non  par  les  voies 
ordinaires,  mais  par  l'aspiration  divine.  Elle  n'hésite 
pas  à  croire  à  sa  puissance  comme  à  la  puissance 
d'un  dieu  quand  elle  dit,  lorsque  le  vin  manquait  : 
ce  Ils  n'ont  pas  de  vin.  »  Il  accueillit  sa  demande  par 
un  miracle;  elle  savait  qu'il  le  pouvait  faire.  Donc,  il 
est  clair  que  Marie  par  sa  foi  et  par  ses  œuvres  a  aidé 
J.-C.  Mais  si  elle  n'est  pas  où  J.-G,  veut  que  soient 
ses  ministres,  où  donc  sera-t-elle  ?  Et  si  elle  y  est, 
serait-ce  à  titre  égal?  Et  si  c'est  à  titre  égal,  où  est 
l'égalité  devant  Dieu  s'il  ne  rend  à  chacun  selon  ses 
mérites?  Si  c'est  avec  justice  que  la  sainte  Vierge  a 
reçu  pendant  sa  vie  une  plus  grande  abondance  de 
grâces  que  les  autres,  pounjuoi  donc  lui  soustraire 
cette  grâce  quand  elle  est  morte?  Non  certes!  car  si 


488  LA  hÉaEKDZ  mmÈK 

■la  murt  de  tons  les  saints  est  précaire,  1a  dhmI  de 
Marie  est  évidemmeat  très  précieuse.  Je  pense  ikmc 
■qu'il  faut  déclarer  que  Marie,  élevée  aux-  jmes  île 
Péternité  par  la  bonté  de  J.-O.,  a  été  reçue  avec  fins 
d'honneur  que  les  antres,  puisqu'il  l'a  honorée  de  sa 
frAce  plus  que  tes  aotrés.:  et  qu'elle  n'a  point  eu  i 
subir  après  sa  mort  ce  que  les  autres  hommes  au- 
blssent,  la  pourriture,  les  vers  et  la  ponsnire,  puî»* 
qu'Ole- a- etijfendré  son  Sauveur  et  celui  de  tons  les 
Jbomnies.  Si  la  divine  volonté  a  d;iii.'ité  conserver  intact» 
^  milÏM  des  flammes  les  vt^lenjents  des  enfants,; 
)H>on|a0i  ne  gsrderait-elle  pa&,  dans  sa  propre  mèrej; 
«e  qu'il  a  gardé  dans  les  vélrinenls  des  autres?  L4 
miséricorde  seule  a  voulu  conserver  vivant  Jouas  daiK 
le  ventre  de  la  baleine,  et  la  gr^ce  ne  conservera  pas 
Marie  contre  la  corruption?  Daniel  fui  cnnservé  mal- 
•gri  la  faim  dévorante  des  lions,  et  Marie  ne  se  serait 
pas  conservée  après  que  ses  mérites  l'ont  élevée  A  une 
si  haute  dignité?  Puisque  dans  ce  que  nons  venons  de 
dire,  nous  reconnaissons  que  tout  a  été  fait  contre  les 
lois  de  la  nature,  nons  sommes  certains  aussi  que  la 
grâce  a  plus  fait  que  la  nature  pour  l'intégrité  de 
Marie.  Donc  J,-C.,  comme  fils  de  Marie,  fait  qu'elle 
tire  sa  joie  de  lui-même  dans  son  Âme  et  dans  son 
corps.  II  ne  la  soumet  pas  au  supplice  de  la  corruption, 
puisqu'en  enfantant  ce  divin  fils,  elle  ne  fut  pas  sou- 
mise à  la  perte  de  sa  virginité  ;  en  sorte  qu'elle  est  in- 
corruptible en  raison  des  grâces  qui  l'ont  inondée, 
qu'elle  vit  intégralement  parce  qu'elle  a  mis  au  monde 
celui  qui  est  la  vie  entière  de  tous.  0  Jésus,  sî  j'ai 
parlé  comme  Je  l'ai  dil,  approuvez-moi,  vous  et  les 


SAINT    BERNARD  439 

vôtres.  Si  j'ai  parlé  autrement  que  je  ne   le  dois,  je 
vous  en  conjure,  vous  et  les  vôtres,  pardonnez-le  moi.  » 


SAINT  BERNARD 

Bernard  vienl  de  ber,  puits,  fontaine,  et  de  nani,  plante,  d'a- 
près la  Glose  sur  le  Cantique  des  Cantiques.  Humble,  d'une  na- 
ture échauffante  et  odoriférante.  En  effet  saint  Bernard  fut 
échauffé  d'un  ferventamour  ;  il  fut  humble  dans  ses  habitudes 
et  odoriférant  par  la  suavité  de  sa  réputation.  Sa  vie  fut  écrite 
par  Guillaume,  al>bc  de  Saint-Thierry,  compagnon  du  saint, 
et  parHernoId,  abbé  de  Bonueval*. 

Saint  Bernard  naquit  au  château  de  Fontaine,  en 
Bourgogne,  de  parents  aussi  nobles  que  religieux.  Son 
père  Técelin  était  un  chevalier  plein  de  valeur  et  non 
moins  zélé  pour  Dieu;  sa  mère  s'appelait  Aaleth.  Elle 
eut  sept  enfants,  six  garçons  et  une  fille  ;  les  sept  gar- 
çons devaient  tous  ôlre  moines  et  la  fille  religieuse. 
Aussitôt  qu'elle  en  avait  mis  un  au  monde,  elle  l'of- 
frait à  Dieu  de  ses  propres  mains.  Elle  refusa  toujours 
de  faire  nourrir  ses  enfants  du  lait  d'une  étranft»;ère, 
comme  si  avec  le  lait  maternel,  elle  dût  les  remplir  de 
tout  ce  qui  pouvait  se  trouver  de  bon  dans  elle.  Quand 
ils  avançaient  en  âge,  tout  le  temps  qu'elle  les  eut  sous 
la  main,  elle  les  élevait  pour  le  désert  plutôt  que  pour 
la  cour,  leur  donnant  à  manger  des  nourritures  com- 
munes et  des  plus  grossières,  comme  s'ils  devaient  par- 

*  Jacques  de  Voragiue  a  écrit  celle  vie  d'après  le  livre  do 
Guillaume,  de  Saint-Thierry. 


/ 


460  LA    LÉGENDE    DORÉE 

tir  d'un  instant  à  l'autre  pour  la  solitude.  Etant  en- 
ceinte de  Bernard,  son  troisième  fils,  elle  eut  unsone^e 
qui  était  un  présaj^çe  de  l'avenir.  Elle  vil  dans  son  sein 
un  petit  chien  blanc,  tout  roux  sur  le  dos  et  qui 
aboyait.  Elle  déclara  son  rêve  à  un  homme  de  Dieu. 
Celui-ci  lui  répondit  d'une  voix  prophétique  :  «  Vous 
serez  la  mère  d'un  excellent  petit  chien,  qui  doit  être 
le  gardien  de  la  maison  de  Dieu;  il  jettera  de  grands 
aboiements  contre  les  ennemis  de  la  foi  ;  car  ce  sera 
un  prédicateur  distingué»  qui  guérira  beaucoup  de 
monde  par  la  vertu  de  sa  langue.  »  Or,  comme  Bernaixl 
était  encore  tout  petit,  et  qu'il  souffrait  d'un  grand 
mal  de  tète,  il  repoussa  et  chassa,  en  criant  avec  une 
extrême  indignation,  une  femme  qui  venait  pour  sou- 
lager sa  douleur  par  des  charmes;  mais  la  miséricorde 
de  Dieu  ne  manqua  pas  de  récompenser  le  zèle  du 
petit  enfant  ;  en  effet  il  se  leva  aussitôt  et  se  trouva 
guéri.  Dans  la  très  sainte  nuit  de  la  naissance  du  Sei- 
gneur, comme  le  jeune  Bernard  attendait  dans  l'église 
l'office  des  Matines,  il  désira  savoir  à  quelle  heure  de 
la  nuit  J.-G.  était  né.  Alors  le  petit  enfant  Jésus  lui 
apparut  comme  s'il  venait  de  naître  du  sein  de  sa 
mère.  Ce  qui  lui  fit  penser,  tant  qu'il  vécut,  que  c'était 
l'heure  de  la  naissance  du  Seigneur.  Dès  ce  moment 
il  lui  fut  donné,  pour  ce  mystère,  une  intelligence  plus 
profonde  et  une  éloquence  plus  riche.  Aussi  dans  la 
suite,  il  mit  au  jour,  en  l'honneur  de  la  mère  et  du  Fils 
un  opuscule  remarquable  parmi  tous  ses  autres  traités, 
dans  lequel  il  expliqua  l'évangile  Missus  est  Angélus 
Gabriel.  L'antique  ennemi  voyant  des  dispositions  si 
saintes  dans  cet  enfant   fui   jaloux  de  la   résolution 


SAINT    BERNARD  461 

qu'il  avait  prise  de  garder  la  chasteté,  et  il  tendit  une 
infinité  de  piètres  pour  le  faire  succomber  à  la  tenta- 
tion. En  effet  une  fois  que  Bernard  avait  arrêté  quel- 
que temps  les  yeux  sur  une  femme,  à  l'instant  il  rougit 
de  lui-même  et  exerça  sur  son  corps  une  vengeance 
très  sévère;  car  il  se  jeta  dans  un  étang  dont  leseaux 
étaient  glacées,  où  il  resta  jusqu'à  être  presque  gelé, 
et  par  la  grâce  de  Dieu,  il  éteignit  en  soi  toutes  les 
ardeurs  de  la  concupiscence  de  la  chair. 

Vers  le  même  temps,  une  fille  poussée  par  le  démon 
se  sflissa  nue  dans  le  lit  oii  il  dormait.  En  la  sentant, 
il  lui  céda  en  toute  paix  et  silence  le  côté  du  lit  où 
elle  s'était  placée,  et  se  retournant  de  l'autre  côté,  il 
s'endormit.  Alors  cette  misérable  resta  quelques  ins- 
tants tranquille  et  attendit;  enfin  elle  se  mi  ta  le  toucher 
et  à  le  remuer;  enfin  comme  il  restait  immobile,  cette 
fille  tout  impudente  qu'elle  fût,  se  prit  à  rougir  et 
pleine  d*une  crainte  étrange  et  d'admiration,  elle  se 
leva  et  s'enfuit.  Une  autre  fois,  il  avait  reçu  l'hospi- 
talité chez  une  dame  qui,  en  voyant  un  si  beau  jeune 
homme,  conçut  pour  lui  des  désirs  brûlants.  Comme 
elle  lui  avait  fait  préparer  un  lit  à  l'écart,  elle  se  leva 
au  milieu  du  silence  de  la  nuit,  et  eut  l'impudence  de 
venir  le  trouver.  Bernard  ne   Teut  pas  plutôt  sentie, 
qu'il  se  mit  à  crier  :  «  Au  voleur,  au  voleur.  »  A  ce 
cri  là  femme  fuit  ;  on  allume  une  lampe  ;  on  cherche 
le  voleur,  mais  il  n'y  a  pas  moyen  de  le  trouver.  Cha- 
cun retourne  à  son  lit,  et  repose,  la  misérable  seule  ne 
repose  pas,  car  elle  se  lève  une  seconde  fois,  va  au  lit 
de  Bernard  qui  s'écrie  de  nouveau  :  «  Au  voleur,  au 
voleur.  »  On  cherche  encore  le  larron,  qui  ne  fut  pas 


462  LA  LiSSHDB  DORÉB 

découvert  par  celiii^ft  seul  qtii  le  conneissait.  Cette 
méchante  femme  aÎDSÏ  rebutée  ne  laissa  pas  de  revenir 
uae  troisième  fois  ;  enfio  vaincue  par  la  crainte  ou  le 
désespoir,  elle  cessa  à  peioeses  lenlalives.  Or,  le  lende- 
main, quand  Bernard  se  fut  remis  en  route,  ses  com- 
pagnons de  voyage  lui  demandèreitl,  en  lui  adressant 
des  reproches,  pourquoi  il  avait  tant  rêvé  voleurs.  If 
leur  dit:  «  Véritablement  cette  nuil,  j'ai  él<^  alUqué 
par  un  voleur;  car  ThAtesse  essayait  de  m'cnlever  le 
trésor  de  la  chasteté  qui.ne8e  peut  recouvrer.  »  Réflé- 
chissant donc  qu'il  n'est  pas  sûr  de  demeurer  avec  un 
serpent,  il  pensa  à  s'enfuir,  et  dés  lors  il  résolut  d'en- 
trer dans  l'ordre  de  CSteaoz.  Lorsque  ses  frères  en 
furent  instruits, ils  voulurent  le  détourner  de  loutesles 
manières  d'exécuter  son  dessein  ;  mais  le  Sei^mcur  lui 
accorda  une  si  grande  grflce  que  non  seuleinenl  ritrn 
ne  s'opposa  à  sa  conversion  mais  il  j^a^na  au  Seigneur 
pour  entrer  en  religion  tousses  frères  et  beaucoup 
d'autres  encore.  Gérard,  son  frère,  militaire  vaillani, 
regardait  comme  vaines  les  paroles  de  Bernard,  et  re- 
jelail  absolument  ses  conseils  ;  alors  Bernard,  animé 
d'une  foi  toute  de  feu,  etlransporlédu  zèle  de  la  charité 
pour  le  salut  de  son  frère,  lui  dit  :  «  Je  sais,  mon  frère, 
je  sais  qu'il  n'y  aura  que  le  malheur  qui  puisse  don- 
ner à  tes  oreilles  de  comprendre.  Puis  mettant  ledoigt 
sur  son  côté  ;  «  Le  jour  viendra  dit-il,  et  il  viendra 
bienl(>t,  qu'une  lance  perçant  ce  côié  fera  arriver  jus- 
qu'à ton  cœur  l'avis  que  tu  rejettes,  »  Peu  de  jours 
après  Gérard,  qui  avait  reçu  un  coup  de  lance  à  l'en- 
droit où  son  frère  avait  posé  le  doigt,  est  fait  prison- 
nier et  je[é  dans  les  fers.  Bernard  vint  pour  le  voir, 


SAINT    BERNARD  463 

et  comme  on  iic  lui  permettait  pas  de  lui  parler,  illui 
cria  :  «  Je  sais,  mon  frère  Gérard,  que  dans  peu  nous 
devons  aller  pour  entrer  au  monastère.  »  Cette  nuit-là 
même,  les  chaînes  qui  retenaient  Gérard  par  les  pieds 
tombèrent  ;  la  porte  de  la  prison  s'ouvrit  et  il  s'enfuit 
plein  de  joie.  Alors  il  fit  connaître  à  son  frère  qu'il 
avait  changé  de  résolution  et  qu'il  voulait  se  faire 
moine. 

L'an  de  l'Incarnation  1112,  la  quinzième  année  de- 
puis l'établissement  de  la  maison  des  cisterciens,  le 
serviteur  de  Dieu  Bernard,  âgé  d'environ  vingt-deux 
ans,  entra  dans  l'ordre  de  Citeaux  avec  plus  de  trente 
de  ses  compagnons.  Or,  comme  il  sortait  avec  ses 
frères  de  la  maison  paternelle.  Guidon,  l'aîné,  voyant 
Nivard,  son  tout  petit  frère,  qui  jouait  sur  la  place  avec 
des  enfants,  lui  dit  :  «  Allons,  mon  frère  Nivard,  c'est 
à  toi  seul  qu'appartient  toute  la  terre  de  noire  héri- 
tage. »  Et  l'enfant  lui  répondit  non  pas  comme  un 
enfant  :  «  Vous  aurez  donc  le  ciel,  et  à  moi  vous  me 
laissez  seulement  la  terre?  Ce  partage  n'a  pas  été  fait 
ex  œquo,  »  Nivard  resta  donc  quelque  peu  de  temps 
avec  son  père;  mais  dans  la  suite,  il  alla  rejoindre 
ses  frères.  Le  serviteur  de  Dieu  Bernard  étant  entré 
dans  cet  ordre,  s'adonna  tellement  à  la  contemplation 
spirituelle  et  fut  tellement  occupé  du  service  de  Dieu, 
qu'il  ne  se  servait  déjà  plus  d'aucun  de  ses  sens  cor- 
porels; car  il  y  avait  un  an  qu'il  était  dans  la  cellule 
des  novices,  qu'il  ignorait  encore  si  la  maison  avait 
une  voûte.  Bien  qu'il  entrât  souvent  dans  l'église  et 
qu'il  en  sortît,  il  pensait  qu'il  n'y  avait  qu'une  fenêtre 
au  chevet,  où  il  s'en  trouvait  trois.  L'abbé  de  Citeaux 


464  LA    LÉGENDE    DORÉE 

envoya  des  frères  pour  fonder  la  maison  de  Clairvaux, 
et  ce  fut  Bernard  qu'il  leur  proposa  pour  abbé.  Il  y 
vécut  longtemps  dans  une  pauvreté  excessive,  et  sou- 
vent il  n'avait  que  des  feuilles  de  hêtre  pour  confec- 
tionner le  potage.  Le  serviteur  de  Dieu  veillait  au  delà 
de  ce  que  peut  la  force  d'un  homme  :  et  il  avait  cou- 
tume de  dire  que  le  temps  qu'il  regrettait  le  plus  était 
celui  qu'il  passait  à  dormir;  il  trouvait  que  la  com- 
paraison qu*on  fait  entre  le  sommeil  et  la  mort  était 
assez  juste,  puisque  ceux  qui  sont  morts  semblent 
dormir  aux  yeux  des  hommes  comme  ceux  qui  dor- 
ment semblent  morts  aux  yeux  de  Dieu.  C'est  pour- 
quoi, s'il  entendait  un  frère  ronfler  trop  fort',  ou  bien 
s'il  le  voyait  couché  avec  peu  de  bienséance,  il  le  sup- 
portait avec  peine,  et  prétendait  qu'il  dormait  comme 
un  homme  charnel  ou  bien  comme  un  séculier.  Il  n'é- 
tait porté  à  manger  par  aucun  plaisir  de  contenter  son 
appétit  ;  c'était  la  crainte  de  défaillir  qui  le  faisait  se 
mettre  à  table,  comme  à  un  lieu  de  supplice.  Après 
le  repas,  il  avait  constamment  la  coutume  de  penser  à 
la  quantité  de  nourriture  qu'il  avait  prise,  et  s'il  s'a- 
percevait avoir  excédé  seulement  d'un  peu  sa  ration 
ordinaire,  il  ne  laissait  pas  passer  cela  impunément. 
II  avait  tellement  dompté  les  attraits  de  la  friandise 
qu'il  avait  perdu  en  grande  partie  le  sens  du  goût  ; 
car  un  jour  qu'on  lui  avait  versé  de  l'huile  par  mégarde, 
il  la  but  sans  s'en  apercevoir  :  et  le  fait  serait  resté 
ignoré,  si  quelqu'un  n'eilt  remarqué  avec  étoimement 
qu'il  avait  les  lèvres  couvertes  d'huile.  On  sait  que 
pendant  plusieurs  jours,  il  fit  usage  de  sang  caillé  qui 
lui  avait  été  servi  pour  du  beurre.  11  ne  trouvait  de 


SAINT    BERNARD  465 

saveur  qu'à  l'eau,  parce  que,  en  la  prenant,  disait-il, 
elle  lui  rafraîchissait  la  bouche  et  la  |^ori;^e.  Il  disait 
ingénument  que  tout  ce  qu'il  avait  appris  dans  l'Écri- 
ture sainte,  il  l'avait  acquis  par  la  méditation  et  la 
prière  dans  les  forêts  et  dans  les  champs  ;  et  il  répé- 
tait souvent  à  ses  amis  qu'il  n'avait  jamais  eu  d'autres 
maîtres  que  les  chênes  et  les  hêtres.  Enfin  il  avoua 
que  c'était  souvent  dans  la  méditation  et  la  prière  que 
toute  la  Sainte  Écriture  s'était  présentée  à  lui  sous  son 
véritable  sens,  et  toute  sa  clarté.  A  une  époque,  rap- 
porte-t-il  dans  le  82*^  sermon  sur  le  Cantique  des  Can- 
tiques, pendant  qu'il  parlait,  il  voulait  retenir  quelque 
chose  que  le  Saint-Esprit  lui  suggérait^  et  se  le  réser- 
ver pour  une  autre  fois  où  il  serait  obligé  de  traiter  le 
même  sujet,  il  lui  sembla  entendre  une  voix  qui  lui 
disait  :  «  Tant  que  vous  retiendrez  cela,  vous  ne  rece- 
vrez pas  autre  chose.  »  Il  est  certain  qu'il  ne  le  faisait 
pas  par  un  sentiment  d'infidélité,  quoiqu'il  témoignât 
manquer  d'un  peu  de  foi. 

Dans  ses  vêtements  la  pauvreté  lui  plut  toujours, 
mais  jamais  la  malpropreté,  qu'il  disait  être  la  marque 
d'un  esprit  négligent,  ou  plein  d'un  sot  orgueil,  ou 
bien  convoitant  la  gloire  humaine.  Souvent  il  citait 
ce  proverbe,  que  toujours  il  avait  dans  le  cœur  :  «  Qui 
veut  être  remarqué,  agit  autrement  qu'un  autre.  » 
C'est  pour  cela  qu'il  porta  un  cilice  plusieurs  années, 
tant  que  la  chose  put  rester  secrète  ;  mais  quand  il 
s'aperçut  qu'elle  était  découverte,  il  s'en  dépouilla  et 
fit  comme  la  communauté.  S'il  riait,  c'était  toujours 
de  telle  sorte  qu'il  lui  fallait  faire  des  efforts  pour  rire 
plutôt  que  pour  réprimer  des  ris  :  il  fallait  qu'il  les 
II.  30 


466  LA   uteCKDB  DORKE 

exdtAt  plutôt  qu'il  ne  les  reUat.  Comme  il  avait  cou- 
tume de  dire  qu'il  y  avait  trois  genres  de  patienc«, 
«avoir  :  1°  patience  pour  les  paroles  iiijuricusps,  2** 
patience  pour  le  dommage  dan.s  les  biens,  el  3°  pa- 
tience dans  les  maladies  du  corps,  il  prouva  qu'il  les 
possédait  tous  par  les  exemples  qui  suivent  :  Il  avait 
écrit  une  lettre  dans  laquelle  il  donnait  des  avis  à  un 
évAque  en  termes  affectueux.  L'éïdque  outré  de  colère 
lui  réponditen  style  des  plus  amers  cl  commença  ainsi  sa 
lettre:  a  Salut  et  non  par  esprit  de  blasphème  u,  comme 
si  saint  Bernard  lui  eût  écrit  poussé  par  l'esprit  de  blas- 
phème; mais  celui-ci  lui  écrivît  de  nouveau  en  disant  : 
«  Je  ne  crois  pas  avoir  l'esprit  de  blasphème,  et  je  ne 
sache  pas  avoir  maudit  personne,  ni  avoir  l'envie  de  le 
faire  &  l'égard  de  qui  que  ce  8oit>  mais  surtout  envers  le 
prince  de  mon  peuple.  »  Unabbé  lui  envoya  600  marcs 
d'ar^nt  pour  construire  un  monastère  ;  or,  toute  la 
somme  fut  ravie  en  route  par  des  voleurs.  A  cette 
nouvelle,  Bernard  se  contenta  de  dire  ;  n  Béni  soit 
Dieu,  qui  nous  a  délivrés  de  ce  fardeau  ;  il  faut  toute- 
fois avoir  pitié  de  ceux  qui  l'ont  enlevé;  car,  d'une 
part,  c'était  la  cupiditt^  humaine  qui  les  poussa;  et 
d'ailleurs  celte  grosse  somme  d'argent  avait  été  l'oc- 
casion d'une  grande  tentation.  Un  chanoine  rég'ulier 
vint  le  prier  instamment  de  le  recevoir  au  nombre  des 
moines,  fïomme  Bernard  n'acquiesçait  pas  à  sa  de- 
mande el  lui  conseillait  de  retourner  à  son  église  : 
»  Pourquoi  donc,  lui  dit  le  chanoine,  recommandez- 
vous  si  fort  la  perfection  dans  vos  écrits,  si  vous  ne 
l'offrez  pas  à  ceux  qui  la  désirent*  Que  ne  puts-je  les 
tenir  dans  mes  mains,  vos  livres,  afin  de  les  mettre  en 


SAINT    BERNARD  467 

morceaux  !  »  Bernard  reprit  :  «  Vous  n'avez  lu  dans 
aucun  d'eux  que  vous  ne  pouviez  pas  être  parfait 
clans  votre  cloître  :  c'est  la  correction  des  mœurs,  ce 
n'est  pas  le  changement  de  lieux  que  j'ai  recommandé 
dans  tous  mes  livres.  »  Alors  cet  insensé  se  jeta  sur 
lui  et  le  frappa  si  grièvement  à  la  joue,  que  la  rougeur 
succéda  au  coup,  et  Tenfle  à  la  rougeur.  Déjà  ceux  qui 
se  trouvaient  là  se  levaient  contre  le  sacrilège^  mais  le 
serviteur  de  Dieu  les  prévint  en  criant  et  en  les  con- 
jurant au  nom  de  J.-C.  de  ne  point  le  toucher  et  de 
ne  lui  faire  aucun  mal.  Il  avait  coutume  de  dire  aux 
novices  qui  voulaient  entrer  en  religion  :  «  Si  vous 
voulez  avoir  part  à  tout  ce  qui  se  fait  dans  l'intérieur 
de  cette  maison,  laissez  à  la  porte  le  corps  que  vous 
avez  amené  du  siècle  :  l'esprit  seul  entre  ici  ;  on  n'y  a 
pas  besoin  de  la  chair.  »  Son  père,  qui  était  resté  seul 
à  la  maison,  vint  an  monastère  et  y  mourut  après  un 
court  espace  de  temps,  dans  une  belle  vieillesse. 

Sa  sœur,  qui  s'était  mariée,  vivaitexposée  au  danger 
au  sein  des  richesses  et  des  délices  du  monde.  Or,  elle 
vint  une  fois  au  monastère  faire  une  visite  à  ses  frères. 
Et  comme  elle  était  arrivée  avec  une  suite  et  un  appareil 
magnifique,  Bernard  en  eut  horreur  comme  du  filet 
dont  se  sert  le  diable  pour  prendre  les  âmes  ;  il  refusa 
absolument  de  sortir  pour  la  voir.  Comme  aucun  de 
ses  frères  ne  venailà  sa  rencontre,  mais  que  Tun  d'eux, 
qui  pour  lors  était  portier,  Tappclait  fumier  habillé, 
elle  fondit  toute  en  larmes.  «  Bien  que  je  sois  une  pé- 
cheresse, dit-elle,  c'est  pour  les  gens  de  cette  sorte  que 
J.-C.  est  mort:  c'est  parce  que  je  sens  être  une  péche- 
resse que  je  recherche  les  avis  et  rentretien  des  per- 


à 


468  LA   l.i:GIL\lyK    DORÉE 

soDDesde  bien;  et  si  mon  friTc  méprise  mnn  corps, 
que -le  servîtear  de  I>icu  ne  mi^prise  pas  mon   Hnif. 
Qu'il  nenne,  qa'ilordonne,  et  tout  ce  qu'il  ordonnem, 
je  l'aocomplinti.  »  Ce  ne  lui  qu'après  c^tle  promesse 
-que  saiot  Bernard  vint  U\  trouver  avec  ses  frères  ;  et 
parce  qu'il  ne  pouvait  pns  la  séparer  de  son  mnri,  il 
lut  interdit  d'abord  toute  la  vaine  ^oire  dumondc.  et    ' 
illui  proposa,  pour  modèle  à  imiter,  la  conduite  de  «il 
mère  ;  B|Hrès  quoi  il  la  congédia .  A  son  retour,  il  s'opéra.  ^ 
en  elle  ûa  changement  si  soudain,  qu'au  milieu  de  la 
gloire  du  inonde,  ^1e   menait  une  vie  érémîtique   et 
qu'elle  se  rendait  absolument  élran^nre   à  tout  ce 
qui  tenait  du  siècletËniïnà  Torcede  prières,  elle  gagna  J 
son  mari»  et  après  avoir  reçu  l'autoriNalion  de  soi^ 
èvAque,  elle  entra  dans  un  monastère.  L'homme  à»m 
Dieu  tomba  malade, 'et  on  croyait  qu'il  allait  rendra  ■ 
te  dernier  soupir,  quand  il  fui  ravi  en  esprit  et    11  hii  I 
parutqu'il  était  présenté  au  tribunal  de  Dieu:  Satan  y  fut'l 
aussi  de  son  câté,etle  pressait  d'accusations  inju»tes»f 
Quand  il  eut  tout  articulé  et  que  ce  fut  au  tour  de 
l'homme  de  Dieu  àparler,celui-ci  dilsansse  troubler 
et  sans  s'effrayer  :  «  Je  l'avoue,  je  suis  un  indigne, 
et  je  ne  saurais,  par  mes  propres  mérites,  obtenir  le 
royaume  des  cieux.  Au  reste  mon  Seigneur  qui    le 
possède  à  double  titre,  savoir  par  héritage  de  son  père, 
et  par  le  mérite  de  sa  passion,  se  contente  de  l'un  et 
me  donne  l'autre  .ce  don, je  le  revendique  pour  moi, 
et  je  ne  saurais  être  confondu.  »  A  cette  parole  l'en- 
nemi fut  confus,  l'assemblée  dissoute,  et  l'bomme  de 
Dieu  revint  à  lui.  Il  atterra  son  corps  par  une  absti- 
nence excessive,  par  le  travail,  par  les  jeilnes,  à  tel 


SAÎNT    BERNARD  469 

point  qu'il  était  continuellement  malade  et  languissant, 
la  fièvre  le  dévorait,  et  c'était  à  peine  s'il  pouvait 
suivre  les  exercices  du  couvent.  Une  fois,  il  était  très 
gravement  malade  ;  ses  frères  firent  des  prières  pour 
lui,  et  il  se  sentit  revenir  à  la  santé.  Alors  il  convoqua 
la  communauté  et  dit  :  «  Pourquoi  retenez-vous  un 
misérable  homme?  vous  êtes  plus  forts  et  vous  l'avez 
emporté.  Grâce,  je  vous  en  prie,  grâce,  laissez-moi 
m'en  aller.  »  Plusieurs  villes  élurent  l'homme  de  Dieu 
pour  évéque  :  ce  furent  en  particulier  Gènes  et  Milan. 
A  ceux  qui  le  demandaient,  il  disait  sans  consentir, 
comme  aussi  sans  refuser  avec  dureté,  qu'il  ne  s'ap- 
partenait pas,  mais  qu'il  était  consacré  au  service  des 
autres.  Au  reste,  les  frères,  d'après  le  conseil  de 
l'homme  de  Dieu,  s'étaient  pourvus  et  munis  de  Tau- 
lorité  du  souverain  Pontife  pour  que  personne  ne  pût 
leur  ravir  leur  joie.  A  une  époque  ayant  visité  les 
frères  Chartreux,  Bernard  les  édifia  beaucoup  en  tous  ' 
points.  Il  n'y  eut  qu'une  chose  qui  frappa  le  prieur  de 
la  Chartreuse,  c'est  que  la  selle  qui  portait  le  saint 
abbé  n'était  pas  sans  quelque  élégance  et  n'annonçait 
pas  la  pauvreté.  Le  prieur  en  fit  l'observation  à  un  des 
frères  qui  rapporta  cela  à  l'homme  de  Dieu.  Celui-ci 
n'en  fut  pas  moins  étonné  et  s'informa  de  ce  qu'était 
cette  selle  :  car  de  Clairvaux,  il  était  venu  à  la  Char- 
treuse sans  savoir  comment  elle  pouvait  être.  Pendant 
toute  une  journée,  il  chemina  auprès  du  lacde  Lausanne 
sans  le  voir,  ou  bien  il  ne  remarqua  pas  qu'il  le  voyait. 
Le  soir,  comme  ses  compagnons  parlaient  de  ce  lac, 
Bernard  leur  demanda  où  il  se  trouvait.  En  entendant 
cela,  ils  restèrent  dans  l'admiration. 

u.  30- 


4?0  LA   L^IRNHR    IKini^K 

L'hùmilïU  de  son  coeur  IVmpurtail  en  lui  sur  la 
gloire  de  son  nom,  et  le  monde  i*nlier  ne  parvenait 
pas  autant  à  l'élever  qu'il  se  rabaissait  lui-même.  Tduh 
le  re^rdaient  comme  un  tiomnif;  extraordinaire,  et 
lui  se  considérait  comme  le  dernier  de  tous  :  personne 
ne  lui  trouvait  son  ^at  el  lui-môme  ne  se  préférait  a 
personne.  Enfin,  d'après  «es  propres  »vcu\,  au  milieu 
des  plus  grands  honneurs,  et  (juami  il  recevait  dt-s 
hommages  universels,  il  se  croyait  être  un  personnHt;r 
d'emprunt,  ou  bien  il  pensait  rêver  :  mais  où  il  ren- 
contrait des  frères  plus  simpk-s,  il  était  joyeux  de  se 
trouver  jouir  d'uae  humilité  qui  lui  était  chère,  et 
d'fitre  rendu  àluï-^nâme.  Or,  toujours  on  le  rencontrait 
ou  priant,  ou  lisant,  ou  écrivant,  ou  méditant,  ou  bien 
édifiant  tes  frères  par  stt  parole.  Une  fois  qu'il  prêchait 
au  peuple  et  que  tous  l'écoulaient  avec  attention  et 
dévotion,  cette  tentation  se  çlissa  dans  son  esprit  : 
«  Vraiment  tu  parles  aujourd'hui  admirablement  ;  les 
hommes t'écoulenl  volonlieis et  tu  passes  généralement 
pour  un  savant!  »  Mais  l'homme  de  Dieu,  qui  se  sentait 
pressé  par  cette  tentation,  s'arrêta  un  instant,  et  se 
mit  à  penser,  s'il  devait  continuer  ou  finir  son  discours. 
Et  aussitôt,  fortifié  par  le  secours  de  Dieu,  il  répondit 
tout  bas  au  tentateur  :  «  Ce  n'est  pas  par  toi  que  J'ai 
commencé,  ce  n'est  pas  par  toi  que  je  cesserai.  »  El,  sans 
se  troubler,  il  poursuivit  sa  prédication  jusqu'à  la  fin. 
Un  moincqui,  dans  le  siècle,  avait  été  ribaud  et  Joueur, 
fut  tenté  par  le  malinespritde rentrer  dans  le  monde. 
Or,  comme  Bernard  ne  le  pouvait  retenir,  il  lui  de- 
manda de  quoi  il  vivrait.  Celui-ci  lui  répondit  :  «  Je 
sais  jouer  au.\  dés    et   avec  cela   je  pourrai  vivre,  u 


"\ 


SAINT    BKHNAHD  471 

Bernard  lui  dit  :  «  Si  je  te  confie  un  capital,  veux-tu 
revenir  tous  les  ans  et  parta^jer  avec  moi  le  bénéfice?» 
Quand  le  moine  entendit  cette  proposition,  il  fut  tout 
joyeux,  et  promit  qu'il  y  viendrait  volontiers.  Bernard 
commanda  donc  de  lui  donner  vingt  sols  et  cet  homme 
s'en  alla  avec  cet  argent.  Or,  le  saint  homme  agissait 
ainsi  afin  de  pouvoir  le  faire  revenir  une  seconde  fois, 
comme  cela  eut  lieu  plus   tard.  Ce  malheureux  s*en 
alla  donc,  et  perdit  tout  :  puis  il  revint  fort  confus  à 
la  porte.  Quand  l'homme  de  Dieu  eut  appris  son  ar- 
rivée, il  alla  plein  de  joie  vers  lui,  et  tendit  son  giron 
afin  de  partager  le  gain   ensemble.   Et  l'autre  dit: 
«  Rien,  mon  père,  je  n'ai  rien  gagné  ;  mais  j'ai  encore 
perdu  le  capital  :  si  vous  voulez,  recevez-moi  pour  notre 
capital.  »  Bernard  lui  répondit  avec  bonté  :  «  S'il  en 
est  ainsi,  dit-il,  mieux  vaut  encore  recevoir  cela  que 
tout  perdre  ».  Une  fois  saint  Bernard  voyageait  monté 
sur  une  jument;  il  rencontra  un  paysan,  avec  lequel 
il  vint  àpafler  et  à  gémir  de  la  légèreté  du  cœur  dans 
la  prière.  Quand  cet  homme  l'eut  entendu,  il  le  mé- 
prisa aussitôt,  et  lui   dit  que  quant  à  lui,  dans  ses 
prières,  il  avait  le  cœur  ferme  et  solide.  Mais   saint 
Bernard  voulant  le  convaincre  et  réprimer  sa  témérité 
lui  dit  :  a  Eloignez-vous  un  peu  de  nous,  et  commencez 
l'oraison  dominicale  avec  toute  l'attention  dont  vous 
pouvez  être  capable.  Si  vous  l'achevez  sans  aucune 
distraction  et  sans  vous  tromper,  je  vous  donne  bien 
certaincnuMit  la  jument  sur  laquelle  je  suis  assis.  Mais 
vous  allez  me  promettre  consciencieusement  aussi,  que 
si  vous  avez  en  même  temps  une  distraction,  vous  vous 
garderez  bien  de  me  le  cacher.  »  Le  paysan  wichanté 


473  LA   lAqKNDK    DOHl'^E 

et  qui  se  croTaîtdéjà  avoir  |^né  la  jument,  Tul  assez 
téméraire  pour  se  retirer,  et  après  s'èlre  recueilli,  il 
omnnieiiçâ  i  rédler  ToraiflOD  duminicale.  Il  avait  i 
peine  achevé  U  nuritié  du  Paler,  qu'une  pensée  le 
toannente  ;  c^est  de  savoir  s'il  aura  la  selle  avec  la  ju 
ment.  Alan  s'étaot  aperça  de  6a  distraction,  î)  revint 
vile  trouver  saiat  Bernard  auquel  il  déclara  ce  qoi 
l'avait  inquiété  pendant  sa  prière,  et  dans  la  suite,  ît 
fiit  menas  [H>ésomptaeuz  de  soî-mt'me. 

Frère  Robert,  moine  et  parent  de  »aint  Bernard*  ' 
trompé  dès  son  enfti'nce  par  Im  discours  de  cerliiines^ 
personnes,  s'en  était  allé  à  COnny.  Or,  le  vénérable' 
Père,  après  avoir  gardé  le  silence  à  ce  sujet  pendant 
un  certain  temps,  prit  la  résolution  de  lui  écrire  pour 
le  faire  rentrer.  Et  comme  il  était  en  plein  nir,  et 
qu'un  antre  moïne  écrivait  en  niéine  temps  sous  la 
dictée  du  saint,  tout  à  coup,  et  sans  qu'on  s'y  altendtl, 
la  pluie  tomba  avec  impétnosité.  Or,  celui  qui  écrt- j 
vaît  voulait  plier  la  feuille.  «  C'est  œuvre  de  Dïeu^fl 
lui  dit  Bernard,  écrivez,  et  ne  craignez  rien.  »  Il  écri- 
vit donc  la  lettre  au  milieu  de  la  pluie,  sans  en  rece- 
voir une  goutte,  car  bien  qu'il  eâl  plu  de  tout  côté, 
cependant  la  force  de  la  charité  suffit  pour  éloigner 
l'incommodité  de  l'oraçe.  —  L'homme  de  Dieu  avait 
bâti  un  monastère,  qui  était  envahi  par  une  multitude 
incroyable  de  mouches,  en  sorte  que  c'était  une  grande 
gène  pour  tout  le  monde.  Saint  Bernard  dit  :  «  Je  les 
excommunie.  »  El  le  matin,  on  les  trouva  toutes 
mortes.  —  Ayant  été  envoyé  par  le  souverain  pontife 
à  Milan,  pour  en  réconcilier  les  habitants  avec  l'É- 
glise, il  était  déjà  de  retour  à  Pavic,  quand  un  homme 


SAINT    BERNARD  473 

lui  amena  sa  femme,  qui  était  possédée.  Aussitôt  le 
diable  se  mit  à  vomir  contre  le  saint  mille  injures  par 
la  bouche  de  cette  misérable.  II  disait  :  «  Ce  mangeur 
de  poireaux,  cet  avaleur  de  choux,  ne  me  chassera 
point  de  ma  petite  vieille.  »  Mais  Thomme  de  Dieu 
l'envoya  à  Téiçlise  de  saint  Syr.  Saint  Syr  voulut  le 
céder  à  son  hôte  et  ne  fit  aucun  bien  à  cette  femme. 
On  l'amena  donc  de  nouveau  à  saint  Bernard.  Alors 
le  diable,  par  la  bouche  de  la  possédée,  se  mit  à  plai- 
santer et  à  dire  :  «  Ce  ne  sera  pas  Sirule,  ce  ne  sera 
pas  Bernardinet  qui  me  chassera.  »  A  cela,  le  ser\'î- 
teur  de  Dieu  répondit  :  «  Ni  Syr,  ni  Bernard  ne  te 
chassera,  mais  ce  sera  le  Seigneur  J.-C.  »  Et  il  ne  se 
fut  pas  plutôt  mis  en  oraison,  que  le  malin  esprit  dit  : 
«  Que  je  sortirais  volontiers  de  cette  petite  vieille! 
Combien  j'y  suis  tourmenté  !  Que  je  sortirais  volon- 
tiers !  mais  je  ne  le  [>uis  ;  le  grand  Seigneur  ne  le  veut 
pas.  »  Le  saint  lui  dit  :  «  Et  quel  est  le  grand  Sei- 
gneur? »  «  (y est  Jésus  de  Nazareth  »,  répondit  le  diable. 
«  I/as-tu  jamais  vu  ?  »  reprit  Bernard.  «  Oui,  »  répon- 
dit le  malin.  ((  Où?  »  dit  Bernard.  L'autre  lui  répon- 
dit :  «  Dans  la  gloire.  »  «  Tu  as  donc  été  dans  la 
gloire  ?  »  repartit  Bernard.  «  Certainement,  »  dit  le 
démon.  «  Et  comment  en  es-tu  sorti  ?  »  lui  demanda 
le  saint.  «  C'est  avec  Lucifer  que  nous  fûmes  préci- 
pités en  grand  nombre.  »  Or,  l'esprit  méchant  disait 
cela  d'une  voix  lugubre,  par  la  bouche  de  la  vieille, 
en  présence  de  tout  le  monde  (|ui  l'entendait.  Et 
l'homme  de  Dieu  lui  dit  :  «  Est-ce  que  tu  ne  voudrais 
pas  retourner  dans  cette  gloire?  »  Et  le  démon  se  mit 
à  ricaner  d'une  certaine  façon  et  dit  :  «  C'est  un  peu 


474  LA    LÉGENDE    DOREE 

lard,  à  présent.  »  Alors,  l'homme  de  Dieu  fit  une 
prière,  et  le  démon  sortit  de  la  femme.  Mais  quand 
saint  Bernard  se  fut  retiré,  le  diable  s'en  empara  de 
nouveau.  Alors  son  mari  accourut  dire  à  saint  Ber- 
nard ce  qui  était  arrivé.  Celui-ci  ordonna  de  lier  au 
cou  de  la  femme  un  papier  sur  lequel  étaient  écrits 
ces  mots  :  «  Au  nom  de  N.-S.  J.-C.,  je  te  commande, 
démon,  de  ne  plus  oser  toucher  cette  femme  à  Tave- 
nir.  »  Après  quoi,  le  diable  n'osa  plus  s'approcher 
d'elle*.  —  Il  y  avait,  dans  FAquitaine,  une  misérable 
femme  tourmentée  par  un  démon  impudent  et  incube. 
Pendant  six  ans,  il  abusa  d'elle  et  la  vexa  par  des 
débauches  incroyables.  Quand  l'homme  de  Dieu  vint 
en  ce  pays,  le  démon  défendit  à  la  possédée,  avec  des 
menaces  horribles,  de  s'approcher  du  saint,  parce 
qu'il  ne  pourrait  lui  rien  faire  de  bien,  et  qu'aprèsson 
départ,  celui  qui  était  son  amant  serait  pour  elle  un 
persécuteur  acharné.  Mais  cette  femme  alla  trouver 
avec  assurance  l'homme  de  Dieu,  et  lui  raconta  avec 
beaucoup  de  sançlots  ce  qu'elle  souffrait.  Saint  Ber- 
nard lui  dit  :  ((  Prenez  mon  bâton  que  voici,  mettez-le 
dans  votre  lit,  et  s'il  peut  faire  quelque  chose,  qu'il  le 
fass(».  »  La  femme  le  fit  et  se  coucha  ;  mais  aussitôt 
Tautre  vint  et  n'osa  pas  s'approcher  du  lit,  ni  enlre- 
|)ren(lre  ce  qu'il  avait  coutume  de  faire.  Alors  il  la 
m(Miace  vivement  qu'aussitôt  après  le  départ  du  saint, 
il  se  venç^era  d'elle  d'une  manière  atroce.  Ceci  fut 
rapporté  à   saint  Bernard  qui   rassembla  le  peuph^, 

*  Hipanioulins  ra|)|)orle  ce  fait  dans  la  2©  partie  des  llislo- 
riuritm  Krrlesid'  inediolnueitsis,  pai^c  57  ((euvre  de  Loup  île 
Ferr.,  page  51  S. 


SAINT    BERNARD  475 

commanda  que  chacun  iUii  une  chandelle  allumée  à 
la  main,  et,  avec  toute  l'assemblée  qui  se  trouvait  là, 
il  excommunia  le  démon;  ensuite  il  lui  interdit  tout 
accès,  soit  auprès  de  cette  femme,  soit  auprès  d'au- 
cune autre.  Ce  fut  ainsi  qu'elle  fut  délivrée  entière- 
ment d'une  semblable  illusion. 

Dans  la  même  province,  le  saint  homme  remplissait 
les  fonctions  de  légat,  pour  réconcilier  à  l'Église  le 
duc  d'Aquitaine,  qui  refusait  absolument  de  le  faire. 
Alors,  l'homme  de  Dieu  s'approcha  de  l'autel  pour 
célébrer  les  saints  mystères,  et  le  duc  attendait  à  la 
porte  de  l'église,  comme  excommunié.  Quand  saint 
Bernard  eut  dit  Pax  Dominij  il  mit  le  corps  de  N.-S. 
sur  la  patène  et  le  prit  avec  lui,  et  alors,  la  figure 
embrasée  et  les  yeux  flamboyants,  il  sort  de  l'église  et 
adresse  au  duc  ces  paroles  terribles  :  a  Nous  t'avons 
prié,  dit-il,  et  tu  nous  as  méprisés.  Voici  le  Fils  de  la 
Vierge  qui  vient  à  toi;  c'est  lui  qui  est  le  seigneur  de 
l'Église  que  lu  persécutes.  C'est  ici  ton  juge  au  nom 
duquel  tout  genou  fléchit.  C'est  ici  ton  juge  dans  les 
mains  duquel  ton  âme  viendra  un  jour.  Est-ce  que  tu 
le  mépriseras  aussi,  lui,  comme  tu  as  méprisé  ses  ser- 
viteurs? Résiste-lui,  si  tu  l'oses.  »  Et  aussitôt  le  duc 
fut  glacé,  et  comme  si  tous  ses  membres  eussent  été 
disloqués,  il  se  laissa  tomber  à  l'instant  aux  pieds  du 
saint,  qui,  le  poussant  du  Udon,  lui  ordonna  de  se 
lever  et  d'écouter  la  sentence  de  Dieu.  Le  duc  se  leva 
tout  tremblant,  et  accomplit  de  suite  ce  que  le  saint 
homme  lui  commandait.  —  Le  serviteur  de  Dieu  étant 
venu  en  Allemagne  pour  apaiser  une  grande  discorde, 
l'archevêque  de  iMayence  envoya  au-devant  de  lui  un 


476  Là  LiStNDB  .DOKiB 

derc  vénérable.  Celui-ci  loi  disait  ttOlF'^^ÎPSC?™ 
eav<^  au-devant  de  lui  par  son  sei^eur,  et  l'homme 
de  Dieu  répondit  :  «  Ceat  on  aotre  Sei^L-ur  qui  voiu 
a  envoyé.  «  Celui-eî,  étonné,  lui  assurait  qu'il  nv'ail 
été  envoyé  par  l'ardievéque,  son  nialire.  De  son  c4té,'fl 
le  serviteuf  de  J.-C.  disait  :  €  \'ous  vous  trompe*, 
mon  fils,  vous  voua  trompes;  c'est  un  plus  t^rand 
mattrequi  voua  a  envoyé;  c^esl  J.-(l.  »  Le  clerc,  qui 
comprit  :  «  Vous  pensez,  dit-il,  que  je  veux  me  faire 
moine  ?  Dieu  m'en  garde  I  Je  n'y  ai  pas  pensL' ;  et  cela 
n'entre  pas  dans  mes  goûta,  ii  ('epcudani,  dans  le 
même  voyage,  il  dit  adieu  au  «iècle  el  reçut  l'Iiabit  des 
mains  de  l'homme  de  Dieo.  —Le  saint  homme  avait 
accueilli  dans  son  ordre  un  militaire  d'une  famiite 
très  noUe,  lequel,  étant  resté  un  certain  tempn  avei- 
saint  Bernard,  fut  aux  prises  avec  une  tentation  très 
grave.  Un  des  firères,  qui  le  vil  si  triste,  lui  en 
demanda  la  cause.  Il  lui  répondit  :  c  .le  sais,  dit-il,  ji> 
aais  que  désormais  il  n'y  aura  plus  de  joie  pour  moi.  » 
Le  frère  rapporta  cette  parole  au  serviteur  de  Dieu, 
qui  pria  pour  le  militaire  avec  plus  de  ferveur.  A  l'ins- 
tant, ce  frère,  qui  avait  été  si  grièvement  tenté  et  qui 
était  si  triste,  parut  aux  frères  aussi  joyeux  et  aussi 
gai  qu'il  avait  paru  désolé  auparavant.  Le  frère  lui 
rappela  le  mot  triste  qu'il  avait  prononcé,  alors,  il 
répondit  :  «  Bien,  que  j'aie  dit  alors,  je  ne  serai  plus 
jamais  gai,  je  dis  maintenant,  je  ne  serai  plus  jamais 
triste.  » 

Saint  Malachie,  évèque  d'Irlande,  dont  saint  Ber- 
nard a  écrit  la  vie  pleine  de  vertus,  étant  trépassé 
heureusement  à  J.-C.  dans  son  monastère,   l'homme 


SAINT    BERNARD  477 

de  Dieu  offrît  pour  lui  Thoslie  salutaire;  il  connut 
alors  sa  gloire  par  une  révélation  divine,  et  par  inspi- 
ration *  il  chang'ea  la  formule  de  la  postcommunion 
en  disant  avec  une   voix  toute  joyeuse  :   beus  qui 
Beatum  Malachiam  sanciorum  ttiorum  merilis  coœ- 
quaslij  iribue^  quœsiimus,  ut  qui  preliosœ  morlis  ejus 
festa  agimusy  vitœ  quoque  imilemus  exemyla.  Per  Do- 
tninum...**.  Le  chantre  lui  faisant  sii^ne  qu'il  se  trom- 
pait: «  Non,  dit-il,  je  ne  me  trompe  pas;  je  sais  ce 
que  je  dis.  »  Ensuite  il  alla  baiser  les  précieux  restes 
du  saint.  —  A  Tapproche  du  carême,  il  reçut  la  visite 
d'un  grand  nombre  d'étudiants  qu'il  pria  de  s'abstenir, 
au  moins  dans  ces  saints  jours,  de  leurs  vanités  et  de 
leurs  débauches.  Comme  ils  n'acquiesçaient  pas  à  sa 
prière,  il  leur  fit  servir  du  vin  en  disant  :  «  Buvez  la 
boisson  des  âmes.  »  Quand  ils  eurent  bu  ils  furent 
subitement  changés  ;  ils  avaient  tout  à  Theure  refusé 
de  servir  Dieu  pendant  un  peu  de  temps,  et  ils  lui 
consacrèrent  toute  leur  vie.  —  Enfin,  saint  Bernard 
approchant  heureusement  de  la  mort,  dit  à  ses  frères  : 
rc  Je  vous  laisse  trois  points  à  observer,  et  dans  tout 
le  cours  de  ma  vie  je  les  ai  pratiqués  autant  qu'il  a 
été  en  moi  :  je  n'ai  voulu  donner  de  scandale  à  per- 
sonne et  s'il  y  en  a  eu,  je  l'ai  caché  comme  je  l'ai  pu. 
J'ai  toujours  cru  moins   à  mon  sentiment  qu'à  celui 
d'autrui.  Quand  j'ai  été  offensé  je  n'ai  jamais  cherché 
à  me  venger.  Voici  donc  (|ue  je  vous  laisse  la  charité, 

•  (iuill.  de  s.  Tb.,  1.  \\\  c.  xxi. 

••  C'est  la  postcommuiiioii  de  la  inessede  saint  (irciçoirc  h-"", 
pape,  telle  qu'elle  se  trouve  dans  le  Hornaiii  actuel»  à  rexce|)- 
tion  du  mol  moflin\u'i  cslrenipiacé  par  rommemovalionis . 


478  LA  LioENtie  dorer 

fhumilîlé  et  la  paUence.  »  Entin  «près  avoir  on 
grand  nombre  de  miracles,  construit  IGO  inunastèrcs, 
composé  beaucoup  de  livres  et  de  traités,  et  avoir 
vécu  environ  63  ans,  il  sVndormît  dans  les  bras  di- 
ses h^res,  Tan  duSeipieiir  H33,  Après  son  décès,  il 
manifesta  sa  gloire  i  beaucoup  de  personnes.  Il  a]>- 
pamt  en  effet  i  l'abbé  d'un  monastère  et  l'ençagea  & 
le  suivre.  Comme  cet  abbé  le  suivait,  l'homme  de  Dieu 
lui  dit:  «  Voici  que  nous  allons  à  la  montaf^itc  du 
liban.  Pour  vous,  vous  demeurerez  ici  et  rnoi  j'v 
monterai,  »  L'abbé  lai  demanda  paurquoi  il  vnuUîi 
monter?  «  Ceat  que  je  veux  apprendre  »,  dît-il.  «  Et 
que  voulez-vous  apprendtc,  mon  Père,  reprît  ThLI»'- 
étonné,  vous  dont  nous  ne  connaissons  pas  «ujounl'iiuî 
le  pareil  sur  la  terre  en  ce  qui  concerne  la  science  ?  » 
Le  saint  lui  répondit:  «Iln'ya  pas  de  science  ici-bas, 
il  n'y  a  aucune  connaissance  du  vrai.  C'est  là-haut 
qu'est  la  plénitude  de  ta  science,  c't;st  là-haut  qu'est 
la  véritable  connaissance  de  la  vérité.  »  El  en  disant 
ces  mots,  il  disparut.  L'abbé  nota  le  jour,  et  il  trouva 
que  c'était  celui  oi^  saint  Bernard  était  mort.  Dieu 
opéra  par  son  serviteur  beaucoup  d'autres  miracles, 
qu'il  est  presque  impossible  de  compter. 


SAINT  TIMOTHÉE 

Tinmtliéc  vicndrail  de  limoi-em  leneni,  icnitot  peur,  ou  ôe 
timor,  et  Théos,  crainle  île  Dieu.  El  selon  le  mol  lie  satui  tiré- 
itoire,  le  saint  est  ]iris  ilf  jicur  en  consiiléranl  où  il  h  été,  iiù 
il  scru,  où  il  est  et  où  il  n'csl  pas.  Où  il  a  été,  c'eslr-k-dire  dans 


SAINT    SYMPHORIEN  479 

le  péché;  où  il  sera,  au  jugement;  où  il   est,  dans  la  misère; 
où  il  n*est  pas,  dans  la  gloire. 

Timothée  fut  tourmenté  à  Rome  sous  Néron  par  le 
préfet  de  la  ville  ;  ses  plaies  furent  arrosées  de  chaux 
vive  *  et  pendant  qu'il  souffrait  ces  supplices  affreux, 
il  rendait  grâces  à  Dieu.  Deux  anges  lui  apparurent 
alors  et  lui  dirent  :  «  Lève  la  tête  aux  cieux  et  vois.  » 
En  regardant  il  vit  les  cieux  ouverts  et  J.-G.  tenant  une 
couronne  ornée  de  pierres  précieuses  qui  lui  disait  : 
«  Tu  la  recevras  de  ma  main.  »  Un  homme  nommé 
Apollinaire,  voyant  cela,  se  fit  baptiser.  C'est  pourquoi 
le  président  ordonna  que  tous  deux  fussent  décapités, 
puisqu'ils  persévéraient  dans  leur  confession.  Ce  qui 
arriva  vers  Tan  du  Seigneur  57. 


SALNT  SYMPHORIEN 

Symphorien  vient  de  symphonie.  Car  il  fut  comme  un  ins- 
trument de  musique  qui  rend  des  sons  harmonieux  de  vertu. 
Dans  un  instrument  de  musique  il  y  a  trois  choses,  comme 
elles  existèrent  dans  Symphorien.  D'après  Averroës,  l'objet 
qui  résonne  doit  être  dur  à  la  résistance,  doux  pour  la  pro- 
longation des  sons  et  lar&^e  quant  à  leur  ampleur.  De  même 
Symphorien  fut  comme  un  instrument  de  musique;  il  fut  dur 
à  lui-même  par  austérité,  doux  aux  aulrcs  par  mansuétude  et 
large  à  tous  par  grandeur  de  charité. 

Symphorien  était  originaire  delà  ville  d'Autun.  Dès 
sa  jeunesse,  il  excellait  par  une  telle  gravité  de  mœurs 
qu'il  semblait  prévenir  la  vieillesse.  Les  païens  célé- 

•  Bréviaire  romain. 


i80  I-*  LtolItDB  DOBis. 

braient  une  fête  de  Vénus  et  l'on  porlail  sa  statut-  iln-^ 
vantle  préfet  Héraclius.  Syin|ihorit'ii  (jui  s'y  Irouva  ne 
voulut  pas  l'adorer;  alor»  il  fui  hutlu  longtemps  et 
jeté- eu  prisOD.  On  le  6l  sortir  ensuite  du  cachot  et 
commeon  le  forçait  i  sacrifier  et  qu'on  lui  prometlail 
de  grandes  récompensea,  il  dit  :  «  Noire  Dieu  sait  r»-- 
compenser  le  mérite,  comme  il  siiil  punir  les  péché».  ' 
Cette  vie  que  nous  avons  à  payer  à  Ùiea  comme  une  ~ 
dette,  payons-la  en'  dévouement.  On  se  repenl,  lit^, 
tard,  d'avoir  tremblé  devant  son  juge.  Vos  présents 
trompeurs  qui  paraissent  avoir  la  douceur  du  iiii(.-i  ne  I 
sont  que  poison  i  ceux  dont  l'esprit  esl  a.ssez  crédule 
pour  les  accepter.  Votre cupidité,rn  voulanl  (oui  poit- 
séder,  ne  possède  rien,  parce  que  enlacée  dans  les  ar- 
tifices du  démon,  elle  est  retenue  dans  les  entraves 
d'un  misérable  gain  :  et  vos  joies,  sendiiithles  à  nue  ■ 
eau  glacée,  se  brisent  dès  qu'elles  reçoivent  les  rayons 
du  soleil.  »  Alors  le  juge,  rempli  décolère,  porift  une 
sentence  de  mort  contre  Symphorien,  On  le  conduùùt 
à  l'endroit  de  l'exécution,  quand  sa  mère  lui  cria  de 
dessus  le  mur  :  «  Mon  fils,  mon  fils,  souviens-toi  de  la 
vie  éternelle  :  regarde  en  liaut,  et  vois  celui  qui  règne 
dans  le  ciel.  Ta  vie  n'esl  point  détruite,  puisqu'elle  esl 
changée  en  une  meilleure  *  m.  Bienlôl  après  il  fut  dé- 
capité, et  son  corps  enlevé  par  les  chrétiens  fut  ense- 
veli honorablement.  Il  s'opérait  tant  de  miracles  à  son 
tombeau  que  les  païens  l'avitienl  en  grand  honneur. 
tJréiîoire  de  Tours  i  apporte  **  qu'un  chrétien  ramassa 


'  Oe  fl/or.  Atari.,  I 


SAINT    BARTHKLEMY  481 

trois  pierres  à  l'endroit  où  son  sang  avait  été  répandu 
el  qu'il  les  renferma  dans  une  boîte  d'argent  revêtue 
de  bois.  Il  la  déposa  dans  un  château  qu'un  incendie 
dévora  tout  entier  ;  mais  la  boîte  fut  retirée  intacte  et 
entière  du  milieu  du  foyer.  Il  pâtit  vers  l'an  du  Sei- 
^leur  270. 


SAINT  BARTHÉLÉMY 

Barthélémy  signifie  fils  de  celui  qui  suspend  les  eaux*,  ou 
fils  de  celui  <iui  se  suspend.  Ce  mot  vient  de  Bar,  qui  veut  dire 
fils,  de  (helos,  sommité,etdc  moy.t,  eau.  De  là  Barthélémy,  c'est- 
à-dire,  le  fils  de  celui  qui  suspend  les  eaux  de  Dieu  ;  donc, 
qui  élève  Tesprit  des  docteurs  en  haut,   afin  qu'ils  versent  en 
bas  les  eaux  de  la  doctrine.  C/cst  un  nom  Syrien  et  non  pas 
Hébreu,  il  y  a  trois  manières  d'être  suspendu,  que  notre  saint 
posséda.  En  effet  il  fut  suspendu,  c'est-à-dire   élevé  au-dessus 
de  l'amour  du  monde,  porté  à  l'amour  des  choses  du  ciel,  en- 
tièrement appuyé  sur  lagrAce  et  le  secours  de  Dieu,  de  sorte 
que  toute  sa  vie  dépendit  non  de  ses  mérites  mais  de  l'aide  de 
Dieu.  Par  la  seconde  étymologie,csl  indiquée  la  profondeur  de 
sa  sagesse  dont  saint  Denys  dit  ce  qui  suit  dans  sa  Théologie 
mystique*  :  «  Ledivin  Barthélémy  avance  que  la  Théologie  est 
tout  ensemble  développée  etbriève,  l'évangile  ample,  abondant 
et  néanmoins  concis.  »  Saint  Barthélémy  veut  insinuer  par  là, 
d'après  l'opinion  de  Denys,  (|ue   la  nature  suprême  de  Dieu 
s'élève  au-dessus  de  tout,  au-dessus  de  toute  négation  comme 
de  toute  affirmation. 

Saint  Barthélémy,  apAtre,  en  venant  dans  Tlnde**, 
qui  est  située  aux  extrémités   du    mond<%  entra  dans 

•  Chapitre  i,  3, 
**  Bréviaire  romain , 

H.  :u 


^ 


483  LA  téaCMDI    DOBÉM 

un  temple  où  se  trovvrit'  oné  idole  nommte  Astarodi» 
et  il  s'y  arrCta  comme  fecail  un  voyaçeiir.  Dans  «lie 
idole  hébîlut  an  démoa  qui  prélendail  fuire  du  bi^ii 
anx  maUdes;  or,  il  ne  les  irui^iissail  pas,  mais  il  sus- 
pendait wulement lean soufFrances.  Cependant  cotnmc' 
le  teraf^e  était  rempli  de  malades  et  que,  maljj^é  les 
«acrificee  offerts  toiia  lot  jours  pour  les  infirmes  des 
paya  les  plus  éloignés,  an  ne  pouvait  avoir  aucune  r^ 
'pense  d'Astaroth,  les  malades  allÈrenl  à  une  autre 
ville  où  l'on  adorait  une  jilole  nonnat^  Uéiilh.  Ils  dtv 
mandèrent  ft  Bérilh  pourquoi  Aslarolli  nedonnailpas 
de  répoûse,  et  il  dit:  «  Noire  Dieu  est  lié  dans  des 
chalDCS  de  fea  ;  il  n'ose  ni  respirer,  ni  parler,  àdater 
da  momentoùest  entréTapAire  de  Dieu  Oarlhélemy.» 
Ils  lui  disent:  «  Etqoel  est  ce  Barthélémy?  »  Le  dé- 
mon répondit  :  «  C'est  l'nnii  du  Dieu  tout-puissant  ;  il 
est  venu  en  cette  pronncc  pour  chasser  tous  les  dieux 
de  l'Inde.  »  Et  ils  dîreni  :  «  Dis-nous  à  quels  signcii 
nous  pourrions  le  trouTer.  n  Ledémon  reprit:  «  Il  u 
les  cheveux  crépus  et  noirs,  le  teint  pflle,  les  yeux 
grands,  le  nez  régulierct  droit,  la  barbe  longue  etmè- 
lée  de  quelques  poils  blancs,  la  taille  bien  prise;  il  est 
revélu  d'une  robe  sans  manches  avec  des  nœuds  con- 
leiirde  pourpre,  son  manteau  est  blanc,  garni  de  pier- 
res précieuses  couleur  de  pourpre  à  chaque  coin.  De- 
puis vingt  ans  qu'il  les  porte,  ses  habits  et  ses  sandales 
ne  s'usent  ni  ne  se  salissent.  Chaque  jour  il  flécbitles 
genoux  cent  fois  pour  prier,  cl  autant  pendant  la  nuit. 
Les  anges  voyagent  avec  lui,  et  ils  ne  le  laissent  pas 
se  fatiguer,  ni  avoir  faim.  Son  visage  est  toujours  le 
même,  toujours  il  est  joyeux  et  gai.  Il  prévoit  tout,  il 


SAINT    BARTHELEMY  483 

sait  tout.  Il  connaît  et  comprend  les  langues  de  tous 
les  pays,  et  ce  que  je  vous  dis  en  ce  moment,  il  le  sait 
déjà  ;  quand  vous  le  cherchez,  s'il  le  veut,  il  se  mon- 
trera à  vous,  mais,  s'il  ne  le  veut  pas,  vous  ne  pourrez 
le  trouver.  Or,  je  vous  prie,  quand  vous  l'aurez  ren- 
contré, conjurez-le  de  ne  pas  venir  ici  de  peur  que  ses 
anges  ne  me  fassent  ce  qu'ils  ont  déjà  fait  à  mon  com- 
pagnon. »  Après  donc  qu'on  l'eut  cherché  avec  soin 
pendant  deux  jours  sans  le  trouver,  un  démoniaque 
s'écria  un  jour  :  «  Apôtre  de  Dieu,  Barthélémy,  tes 
prières  me  brûlent.  »  L'apûtre  lui  dit  :  «  Tais-toi,  et 
sors  de  cet  homme.  »  A  l'instant  le  possédé  fiitdclivré. 
En  apprenant  cela,  le  roi  de  ce  pays,  nommé  Poli- 
mius,  qui  avait  une  fille  lunatique,  envoya  prier  l'a- 
pôtre de  venir  chez  lui  et  de  guérir  sa  fille.  L'apôtre 
étant  venu  chez  le  roi,  et  voyant  sa  fille  enchaînée, 
parce  qu'elle  déchirait  par  ses  morsures  ceux  qui  l'ap- 
prochaient, ordonna  de  la  délier;  et  comme  les  servi- 
teurs n'osaient  l'approcher,  il  dit  :  «  Déjà  je  tiens  en- 
chatné  le  démon  qui  était  en  elle,  et  vous  craignez  ?  » 
On  la  délia  et  elle  fut  délivrée.  Alors  le  roi  fit  charger 
des  chameaux  d'or,  d'argent  et  de  pierres  précieuses, 
et  fit  chercher  l'apôtre  qu'on  ne  put  rencontrer  nulle 
part.  Le  lendemain  matin,  cependant,  le  roi  étant  seul 
dans  sa  chambre,  Tapôtre  lui  apparut  et  lui  dit  :  «  Pour- 
quoi m'as-tu  cherché  toute  la  journée  avec  de  l'or,  de 
l'argent  et  des  pierres  précieuses  ?  Ces  présents  sont 
utiles  à  ceux  qui  sont  avides  des  biens  de  la  terre; 
quant  à  moi,  je  ne  désire  rien  de  terrestre,  rien  de 
charnel.  »  Alors  saint  Barthélémy  se  mit  àlui  appren- 
dre beaucoup  de  choses  sur  la  manière  dont  nous  avons 


484  LA    LÉGENDE    DOREE 

été  rachetés  ;  il  lui  montra,  entre  autres,  que  J.-C. 
avait  vaincu  le  diable  par  convenance  prodigieuse,  par 
puissance,  par  justice  et  parsagesse.  1°I1  fut  convenable 
en  effet  que  celui  qui  avait  vaincu  le  fils  d'une  vierge, 
c'est-à-dire,  Adam  créé  de  la  terre,  alors  qu'elle  était 
encore  vierge,  fût  vaincu  par  le  fils  de  la  Vierge.  2*  11 
le  vainquit  par  puissance  :  comme  le  diable,  en  faisant 
tomber  l'homme,  avait  usurpé  l'empire  de  Dieu,  J.-C. 
l'en  chassa  avec  sa  toute-puissance.  Etcommelevain- 
({ueur  d'un  tyran  envoie  ses  compagnons  de  victoire 
pour  arborer  ses  drapeaux  partout  et  pour  abattre 
ceux  du  tyran,  de  même  J.-C.  vainqueur  envoie  par- 
tout ses  messagers  afin  de  renverser  le  culte  du  diable 
et  établir  à  la  place  le  culte  de  J.-C.  3"*  Il  le  vainquit 
avec  justice.  Il  était  juste  en  effet  que  celui  qui  avait 
vaincu  l'homme  par  le  manger,  et  qui  le  tenait  encore 
sous  sa  puissance,  fût  vaincu  par  le  jeûne  d'un  homme, 
et  dépouillé  de  son  usurpation.  4°  Il  le  vainquit  par 
sagesse,  puisque  les  artifices  du  diable  furent  déjoués 
par  l'habileté  de  J.-C.  Tel  fut  Tarlifice  du  diable  :  comme 
un  épervier  qui  saisit  un  oiseau,  il  devait  saisir  J.-C. 
dans  le  désert;  si  en  jeûnant  J.-C.  n'avait  pas  faim, 
il  n'y  aurait  plus  de  doute  qu'il  fût  Dieu;  mais  s'il 
avait  faim,  il  l'aurait  vaincu  lui-même  par  la  gourman- 
dise comme  il  avait  fait  du  premier  homme;  mais  Dieu 
ne  se  fît  pas  connaître,  parce  qu'il  eut  faim  ;  il  ne  put 
pas  être  vaincu,  car  il  résista  à  sa  tentation.  Quand 
donc  il  eut  enseiLnié  au  roi  les  mvstères  de  la  foi,  il 
ajouta  que  s'il  voulait  recevoir  le  baptême,  il  lui  mon- 
trerait son  Dieu,  chargé  de  chaînes. 
Le  lendemain,  les  pontifes  offraient,  vis-à-vis  du  pa- 


SAINT    BARTHKLEMY  48$ 

lais  du  roi,  un  sacrifice  à  Tidole,  quand  le  déipon  se 
mil  à  crier  en  disant  :  «  Cessez,  misérables,  de  nj'of- 
frir  des  sacrifices,  de  peur  que  vous  ne  souffriez  pire 
encore  que  moi  qui  suis  lié  de  chaînes  de  feu  parFangé 
de  J.-C.,  que  les  Juifs  ont  crucifié,  avec  la  pensée  qu'il 
serait  retenu  par  la  mort  :  au  lieu  qu'il  a  enchaîné  la 
inorl  elle-même,  notre  reine,  et  qu'il  retient  captif, 
dans  des  chaînes  de  feu,  notre  prince,  l'auteur  de  la 
mort.  »  Aussitôt  tous  se  mirent  en  œuvre  d'attacher 
des  cordes  pour  renverser  l'idole,  mais  ils  ne  le  purent. 
Alors  l'apôtre  commanda  au  démon  de  sortir  de  l'idole 
en  la  brisant  :  et  à  l'instant  le  démon  sortit  et  brisa 
lui-même  toutes  les  idoles  du  temple.  Puis  l'apôtre  fit 
une  prière  et  tous  les  infirmes  furent  guéris.  Alors 
saint  Barthélémy  consacra  le  temple  à  Dieu  et  ordonna 
au  démon  de  s'en  aller  dans  le  désert.  L'ange  du  Sei- 
gneur apparut  en  cet  endroit,  et  en  volant  autour  du 
temple,  il  grava  le  signe  de  la  croix  avec  le  doigt  aux 
quatre  angles  en  disant  :  «  Voici  ce  que  dit  le  Seigneur  : 
Comme  je  vous  ai  purifiés  de  votre  infirmité,  de  même 
aussi  ce  temple  sera  purifié  de  toute  souillure,  et  de  la 
présence  de  celui  qui  l'habitait,  puisque  Tapôtre  l'a 
fait  s'en  aller  au  désert.  Mais  auparavant,  je  vous  le 
ferai  voir.  Ne  craignez  pas  en  le  regardant,  mais  faites 
sur  votre  front  un  signe  pareil  à  celui  que  j'ai  sculpté 
sur  ces  pierres.  »  Et  il  leur  montra  un  Ethiopien  plus 
noir  que  la  suie,  à  la  figure  anguleuse,  avec  une  lon- 
gue barbe,  et  des  cheveux  qui  lui  tombaient  aux  pieds, 
des  yeux  enflammés  et  jetant  des  étincelles  comme  le 
fer  rouge  ;  des  flammes  couleur  de  soufre  lui  sortaient 
de  la  bouche  et  des  yeux,  et  il  avait  les  mains  liées 

n.  :h- 


480  uk  uteKNDE  Doniç 

derrière  le  dos  arec  des  ehetnes  de  fea.  Et  f sofe  in 
dit:  «  Puisque  tu  aseaLeiidu  l'ordre  de  l'apâtre,  «1 
que  to  as  brisé  toutes  les  idoles  eu  sorlaiu  du  tem^do, 
je  te  délierai  afin  cjue  tu  puisses  aller  en  tel  eitdroîl 
où  tncun  lumune  n'balûte,  et  qiu>  lu  v  restes  jusigu'ac 
jour  du  jugement.  »  Qoand  il  fut  d<Mio  il  disparu!  ei 
buriaat  et  faisant  nn  ^^rand  bruit  :  mais  l'ange  du  Seï- 
gêneur  s'envola  vers  le  ciel  i  la  vue  de  tous  les  assi»^ 
tants.  Alors  le-roi  avec  son  éponse.  ses  enfaniu  et  tout 
le  peuple  reçut  lé  baptême  :  après  quoi  il  quitta 
royaiune  pour  se  fain  le  disciple  de  l'apâlre. 

Tous  les  pontifes  des  temples  s'assemble rciU  et  hII^> 
rent  trouver  le  roi  Astyage,  sou  frère.  Ils  portèrent 
contre  l'àpdtre  des  plaintes  concernan  l  la  perte  de  leur» 
dieux,  le  profonation  du  tonple  et  la  séduction  magi* 
que  qu'on  avait  exercée  contre  le  roi  •.  Alors  le  roi 
Astyage  indigné  fil  partir  mille  hommes  armés  pour 
prendre  l'apôtre.  Quand  il  eut  élé  ameuéau  roi,  ccIuh' 
ci  lui  dit  :  a  Es-tu  celui  qui  a  |Jer^'e^ti  mon  frère  t  p 
L'apdlre  répondit  :  a  Je  ne  l'ai  pas  perverti,  mais  je 
l'ai  converti.  »  Le  roi  lui  dit  :  «  De  même  que  tu  as 
fait  que  mon  frère  abandonnât  son  Dieu  pour  croire 
au  tien,  de  même  aussi  je  te  ferai  abandonner  ton  Oieu 
pour  sacrifier  au  mien.  »  L'apôtre  repartit  :  «  Le  Dieu 
qu'adorait  ton  frère,  je  l'ai  lié,  et  je  l'ai  fait  voir  lié  ; 
après  quoi  je  l'ai  forcé  à  briser  la  statue  de  l'idole  :  si 
tu  parviens  à  en  faire  autant  à  mon  Dieu,  alors  tu 
pourras  m'inviter  à  adorer  la  statue,  sinon,  de  mon 
côté,  je  briserai  les  dleu.x  et  tu  croiras  au  mien.    » 


î 


SAINT    BARTHELEMY  487 

Comme  l'apôtre  parlait  encore,  on  annonce  au  roi  que 
son  dieu  Baldach  s'était  renversé  et  brisé  en  morceaux. 
A  cette  nouvelle,  le  roi  déchira  la  robe  de  pourpre 
dont  il  était  revêtu  ;  ensuite  il  fit  fouetter  l'apôtre  avec 
des  verges,  et  commanda  qu'on  l'écorchât  vif.  Mais  les 
chrétiens  enlevèrent  son  corps,  et  l'ensevelirent  avec 
honneur.  Quant  au  roi  Astyage,  et  aux  pontifes  des 
temples,  ils  furent  saisis  par  les  démons  et  ils  mouru- 
rent :  mais  le  roi  Polimius  fut  ordonné  évêque  et  après 
avoir  rempli  avec  honneur  pendant  vingt  ans,  le  mi- 
nistère épiscopal,  il  mourut  en  paix  et  plein  de  vertus. 
—  II  y  a  différentes  opinions  sur  le  genre  de  la  pas- 
sion de  saint  Barthélémy  :  car  le  bienheureux  Dorothée 
dit  qu'il  fut  crucifié.  Voici  ses  paroles  :  «  Barthélémy 
prêcha  aux  Indiens  et  il  traduisit  dans  leur  langue  l'É- 
vangile selon  saint  Mathieu.  Il  s'endormit  à  Albane,  ville 
de  la  grande  Arménie,  et  fut  crucifié  la  tête  en  bas.  »  Mais 
saint  Théodore  dit  qu'il  fut  écorché.  Cependant,  dans 
beaucoup  de  livres,  on  lit  qu'il  fut  seulement  décapité. 
On  peut  concilier  ces  opinions  différentes,  en  disant 
qu'il  fut  d'abord  crucifié,  ensuite  qu'il  fut  descendu 
de  la  croix  avant  de  mourir,  et  que  pour  ajouter  à  ses 
tortures,  il  fut  écorché  et  qu'en  dernier  lieu,  il  eut  la 
tête  tranchée. 

L'an  du  Seigneur  831,  les  Sarrasins,  qui  envahirent 
la  Sicile,  ravagèrent  l'île  de  Lipard,  où  reposait  le 
corps  de  saint  Barthélémy,  et  brisant  son  tombeau, 
ils  dispersèrent  ses  ossements.  Or,  voici  comme  on 
rapporte  que  son  corps  fut  transporté  de  l'Inde  dans 
cette  île.  Ces  païens  voyant  que  son  corps  était  en 
grande  vénération  à  cause  de  la  quantité  de  miracles 


i 


188  U   UtGBNDE    DOXÉE 

qi^if  opéiyit,  en'ftmuit  remplis  d'indi^nalion  et  ils  (< 
renfermèrent  dana  an  coffre  de  plomb  qu'ils  jetèrent 
dans  la  mer.  Dieu  permit  qu'il  abordât  dans  l'Ile  .sus- 
dite*; et  comme  les  Sarrasins  avaient  di^pen^é  ses 
u,  quand  ils  m  forent  i-ctiMs,  le  saint  appurul  à  ini 
mmne  et  loi  dit  :  «  Lèvt-toi,  rassemble  mes  os  qui  ont 
éti  dispersés.  »  Le  moine  lui  répondit  :  »  Pour  quelle 
raison  4evon8-noiu  ramasser  vos  os  ou  vous  rendre 
qnelqde  bonneor, quand  vous  nous  avez  laissé  extermî- 

-  ner  sans  nous  secourirt  »  L'apiitre  reprit  :  «  Pendant 
nnlongespaoedetemps,  le  Seigneur  a  i^pargn<^c«  peu* 
pie  en  vue  de  mes  mérites  ;  mai-s  ses  péchés  s'augincti- 
tant  de{âaaen  {^uset  criant  jusqu'au  ciel,  je  n'ai  plus 
pu  fdttenir  pardon  pour  lui.  »  Comme  le  moine  lui  de- 
mandait comment  il  pourrait  jamais  trouver  ses  03  qui 

'  étaient  confondus  avec  beaucoup  d'autres,  l'apdtre  lui 
dit  :  «  La  nuit,  tu  Irae  pour  les  rassembler,  et  ct-ux 
que  tu  verras  briller  comme  du  feu,  tu  les  enlèveras.  «  - 
Le  moine  trouva  tout  ainsi  qur;  l'apôtre  lui  avait  dit  :V 
il  enleva  les  os,  et,  s'embarquant  snr  un  vaisseau,  il 
les  transporta  à  Bénévent,  métropole  de  la  Pouille. 
Maintenant  on  dit  qu'ils  sont  à  Rome,  quoique  les 
Bénévenlins  assurent  les  posséder  encore.  —  Une 
femme  avait  apporté  un  vase  plein  d'huile  qu'elle  vou- 
lait verser  dans  la  lampe  de  saint  Barthélémy,  Mais 
de  quelque  façon  que  l'on  penchât  le  vase  sur  la  lampe, 
il  ne  pouvait  rien  en  sortir,  quoique  en  touchant  l'huile 
avec  les  doigts  on  la  trouvât  liquide.  Alors  quelqu'un 
s'écria  :  «  Je  pense  qu'il  n'est  pas  ag^réable  à  l'apôtre 

*  Gréfç.  de  Tours,  De  Glor.  Mariyr.,  I.  I,  c.  xxxviii. 


SAINT    BARTHÉLÉMY  480 

qu'on  verse  de  cette  huile  dans  sa  lampe.  »  C/est  pour- 
quoi on  versa  dans  une  autre  lampe  cette  huile  qui 
coula  aussitôt. 

Quand  Pempereur  Frédéric  détruisît  Bénévent,  il 
donna  l'ordre  de  raser  toutes  les  églises;  car  son  in- 
tention était  de  transporter  la  ville  entière  dans  un 
autre  endroit.  Alors  un  homme  rencontra  quelques 
personnages  revêtus  d'aubes  blanches,  et  resplendis- 
sants, qui  paraissaient  parler  ensemble  et  discuter 
entre  eux  une  question.  Cet  homme,  rempli  d'étonne- 
ment,  demanda  qui  ils  étaient,  et  Tun  d'eux  répondit  : 
«  Voici  Tapôtre  Barthélémy  avec  les  autres  saints  dont 
il  se  trouvait  des  églises  dans  la  ville  :  ils  se  sont  réu- 
nis pour  chercher  et  discuter  quelle  peine  devra  subir 
celui  qui  les  a  chassés  de  leurs  demeures  :  déjà  ils  ont 
décidé  entre  eux  et  leur  sentence  est  inviolable,  que  le 
coupable  sera  traduit  sans  retard  au  tribunal  de  Dieu, 
devant  lequel  il  aura  à  répondre  de  tout  cela.  »  Et  de 
vrai,  peu  après,  ledit  empereur  mourut  misérablement, 
—  On  lit  dans  un  livre  des  Miracles  des  Saints,  qu'un 
Docteur  célébrait  solennellement  chaque  année  la  fête 
de  saint  Barthélémy.  Un  jour  qu'ilpréchait,  le  diable 
lui  apparut  sous  l'apparence  d'une  jeune  fille  remar- 
quablement belle  :  Le  prédicateur  jeta  les  yeux  sur 
elle  et  l'invita  à  dfner.  Pendant  le  repas,  elle  faisait 
tous  ses  efforts  pour  lui  inspirer  de  l'amour.  Saint 
Barthélémy  vint  à  la  porte  sous  la  figure  d'un  pèlerin 
qui  demanda  avec  instance  qu'on  le  ftt  entrer  pour 
l'amour  de  saint  Barthélémy.  La  jeune  fille  s'y  opposa 
et  on  envoya  au  pèlerin  un  pain  que  celui-ci  refusa 
d'accepter.  Alors,  par  le  messager  il  envoya  prier  le 


■im  LA.   LIÎGENDE    DORÉE 

iiin tlrf  de  lui  dire  ce  qui  était  plus  parliculièrement  pro- 
pre à  riioinnit.'.  Le  matlre  prétendail  que  c'était  le  lire, 
tn&itjla  jeune  Bile  répondit  :  •'  Dites  plutôt  le  péché,  avec 
lequel  rUoinme  estconçu,nak  et  vit.»  Barthélémy  répon- 
dit que  le  ma  lire  avait  bien  parlé,niaîsquela  femme  a\-aît' 
donné  une  réponse  renTermânt  un  sens  plus  profond.  Ea 
seeondiien,  le  pèlerin  envoya  demander  au  mahre  de 
lui  indiquer  un  endroit  n'ayant  qu'un  pied  d*élendue 
oi'i  Dieu  avait  manifesté  les  plus  grandes  mervcillest 
Comme  le  maître  disait  que  c'était  l'endroit  de  la 
croix  dans  lequel  Dieu  a  opéré  des  miracles,  lu  femme- 
dit  :  II  C'est  pluliït  la  tête  de  l'homme,  dans  laquelle' 
existe  comme  un  petit  monde,  n  L'apôtre  approuva  la 
sentence  de  l'un  cl  de  l'autre.  Troisièmement  il  d^ 
manda  quelle  distance  il  y  avait  depuis  le  haut  du  cîel, 
jusqu'au  bas  du  l'enfer.  Comme  te  matlrc  avouait  qu'île 
ne  le  savait  pas,  la  femme  dit  :  n  Je  vois  mMintenant 
que  je  suis  surpassée  :  mais  je  le  sais,  moi,  qui  .•luig 
tombée  de  l'un  dans  l'autre;  et  il  faut  que  je  te  nioii>i 
Ire  rein.  »  Alors  le  diable  en  poussant  un  çrand  hur- 
lement se  précipita  dans  l'ahlme.  Or,  quand  od  cfaer> 
cha  le  pèlerin,  on  ne  le  trouva  pas.  On  lit  quelque 
chose  d'à  peu  près  semblable  de  saint  André. 

Saint  Ambroise  dans  la  préface  qu'il  a  composée 
pour  cet  apôtre  raconte  ainsi  sa  légende  en  abrégé. 
<r  0  Jésus,  vous  avez  daigné  manifester  d'une  manière 
admirable  votre  majesté  à  ceux  que  vous  avez  chargés 
de  prêcher  votre  Trinité  qui  forme  une  seule  divinité. 
Parmi  eux,  c'est  sur  saint  Barthélémy  que  vous  avez 
daia;n<!  jeter  les  yeux  pour  l'envoyer  prêcher  un  peu- 
ple éloigné.  Aussi  l'avez-votis  orné  de  toutes  sortes  de 


SAINT    BARTHELEMY  491 

vertus.  Ce  peuple,  bien  que  séparé  du  reste  du  monde, 
vous  a  été  acquis,  et  a  été  rapproché  de  vous  par  les 
mérites  de  la  prédication  de  votre  apôtre.  De  quelles 
louanges  n'est  pas  digne  cet  homme  merveilleux  !  Ce 
n'est  pas  assez  pour  lui  de  gagner  à  la  foi  les  cœurs 
de  ceux  qui  l'environnent;  il  vole  plutôt  qu'il  ne  mar- 
che vers  les  extrémités  du  monde  habitées  par  les 
Indiens.  Une  multitude  innombrable  de  malades  le 
suit  dans  le  temple  du  démon  et  à  l'instant  ce  père  du 
mensonge  ne  donne  plus  de  réponses.  Oh  !  combien 
furent  merveilleux  les  prodiges  de  sa  vertu!  Un  so- 
phiste veut  argumenter  contre  lui  ;  l'apôtre  ordonne 
et  le  sophiste  reste  muet  et  épuisé.  La  fille  du  roi  que 
le  démon  tourmentait,  il  la  délivre  et  la  rend  guérie 
à  son  père.  Oh  !  prodige  de  sainteté  !  il  force  le  dé- 
mon à  réduire  en  poudre  les  idoles  sous  lesquelles 
Tantique  ennemi  du  genre  humain  se  faisait  adorer. 
Il  peut  bien  être  compté  dans  l'armée  du  ciel  celui  au- 
quel apparut  un  ange  envoyé  de  la  cour  céleste  afin 
de  rendre  un  témoignage  certain  à  la  vérité!  Cet  ange 
montre  le  démon  enchaîné,  et  grave  sur  la  pierre  le 
signe  de  la  croix  qui  a  sauvé  les  hommes.  Le  roi  et  la 
reine  sont  baptisés  avec  leur  peuple,  et  les  habitants  de 
douze  villes  vous  confessent  de  corps  et  de  cœur.  En- 
fin, sur  la  dénonciation  des  pontifes  païens,  un  tyran, 
le  frère  de  Polémius  encore  néophyte,  fait  battre  de 
verges  l'apôtre,  et  le  fait  écorcher  et  périr  de  la  mort 
la  plus  atroce.  »  Le  bienheureux  Théodore*,  abbé  et 
docteur,  dit  entre  autres  ces  paroles,  au  sujet  de  saint 

**  Cf.  Anaslasr  \c  Biblioth.,  t.  III,  p.  732. 


1!)2  LA    LÉGKXUE   noRi-^e 

Iliirlliciciiij-  :  (c  I.'aiHHre  Barlhdlcmy  prêcha  pr«ini^ 
remciil  en  LjcBonie,  iMwiiile  dans  l'Inde,  enfin  dans 
Atbani-,  ville  di;  la  «raiide  Arménie  uù  il  fut  d'abord 
rnirrhé  et  enfin  décapîlc  ;  il  y  fui  aussi  enseveli.  Qirnnd 
il  reçut  du  SeijKiieur  la  mission  de  [tricher,  j«  pciisp 
qu'il  entendit  qu'on  lui  adressuit  ros  mots  :  «  Mon 
«  disciple,  va  prêcher,  va  au  rombat  :  affronte  le»  pé- 
«  rils;  j'ai  acliev»^  i'reiivre  rie  mon  (»ère;  j'ai  été  témoin 
i<  le  premier;  accomplis  la  lâche  qui  l'est  imposée; 
«  marche  sur  les  pa»  de  Ion  maître  ;  donne  sang  pour 
(1  sang,  chair  pour  chair;  endure  ee  (jue  j'aî  enduré 
«  p;iiir  loi  dans  mu  passion.  Que  tes  armes  soient  la  bé- 
<i  nii^nité  au  milieu  de  les  fati^^tics,  et  la  douceur  vis-ik- 
«  vis  des  méchants,  et  la  pnlience  dans  celle  vie  qui 
a  passe.  »  L'ap6lre  accepta,  et  comme  un  serviteur 
fidèle,  il  acquiesça  à  l'ordre  de  son  Seigneur;  il  s'a- 
vance plein  de  joie  comme  la  lumière  du  monde,  afin 
d'éclairer  ceux  qui  vivaient  dans  les  ténèbres  :  c'est  le 
sel  de  la  terre  qui  conserve  les  peuples  énervés;  c'est 
le  Ial)Ourcur  qui  met  la  dernière  main  à  la  culture  des 
cteurs.  L'apdlrc  saint  Pierre  enseigne  aussi  les  nations, 
saint  Barthélémy  en  fait  autant  :  Pierre  opère  de  grands 
prodiges,  Barthélémy  fait  des  miracles  éclatants; 
Pierre  est  crucifié  la  tète  en  bas  ;  Barthélémy,  après 
îivoir  été  écorché  vif,  est  décapité.  Autant  Pierre 
conçoit  de  mystères,  autant  en  pénètre  Barthélémy. 
Il  féconde  l'Eglise  comme  le  prince  des  apôtres;  les 
grâces  qu'ils  ont  reçues  tous  les  deux  se  balancent.  De 
môme  que  la  harpe  produit  des  accords  harmonieux, 
de  même  Barthélémy,  qui  tient  le  milieu  dans  le  mys- 
térieux nombre  douze,  s'accorde  avec  ceux  qui  le  pré- 


\ 


SAINT    BARTHELEMY  493 

cèdent  comme  avec  ceux  qui  le  suivent  pour  produire 
des  sons  mélodieux  au  moyen  de  la  parole  divine. 
Tous  les  apôtres,  en  se  partageant  l'univers,  ont  été 
établis  les  pasteurs  du  Roi  des  rois.  L'Arménie  qui  s'é- 
tend de  Ejulath  jusqu'à  Gabaoth  est  la  partie  qui  lui 
échoit;  aussi  voyez-le  se  servir  de  sa  langue  comme 
d'un  soc  pour  labourer  le  champ  de  l'esprit  des  hom- 
mes, dans  les  cœurs  desquels  il  enfouit  la  parole  de  sa 
foi;  il  plante  les  jardins  et  les  vignes  du  Seigneur;  il 
greffe  les  remèdes  qui  guériront  les  passions  de  cha- 
cun; il  extirpe  les  épines  nuisibles,  il  coupe  le  bois 
de  l'impiété;  il  entoure  le  dogme  de  défenses.  Mais 
qu'ont-ils  gagné  pour  l'offrir  au  Créateur  !  Au  lieu  des 
honneurs,  ils  n'ont  que  déshonneur,  au  lieu  de  béné- 
diction, malédiction,  au  lieu  des  récompenses,  des 
tourments;  au  lieu  d'une  vie  de  repos,  la  mort  la  plus 
amère  :  car  après  avoir  subi  des  supplices  intoléra- 
bles, Barthélémy  fut  écorché  par»  les  impies  comme 
s'ils  avaient  prétendu  en  faire  un  sac  et  après  sa  sortie 
de  ce  monde,  il  ne  méprisa  pas  ceux  qui  l'avaient  tué  ; 
mais  ceux  qui  se  perdaient,  il  les  attirait  par  des  mi- 
racles, ceux  qui  étaient  des  adversaires,  il  les  gagnait 
par  des  prodiges.  Cependant  il  n'y  avait  rien  qu'il 
n'employât  pour  calmer  leur  fureur  aveugle,  et  pour 
les  éloigner  du  mal.  Or,  comment  se  comportent-ils 
ensuite?  Ils  s'acharnent  contre  le  corps  du  saint.  Les 
malades  méprisent  celui  qui  les  voulait  guérir  ;  les  or- 
phelins, celui  qui  les  menait  parla  main,  les  aveugles, 
leur  conducteur,  les  naufragés,  leur  pilote,  les  morts, 
celui  qui  leur  rendait  la  vie.  Et  comment  cela?  En  je- 
tant ce  corps  saint  dans  la  mer.  » 


49i  LA    LÉGENDE    DORÉE 

«  Le  flot  poussa  des  rivajçes  de  TArménie  le  coffre 
où  étaient  les  ossements  du  saint  avec  quatre  autres 
coffres  d'os  de  martyrs  qui  avaient  été  jetés  aussi 
dans  la  mer.  Pendant  tout  le  trajet,  les  quatre  coffres 
précédaient  celui  de  l'apôtre  auquel  ils  semblaient 
faire  cortège.  Ils  abordèrent  ainsi,  auprès  de  la  Sicile, 
dans  une  île  appelée  Lipari.  Le  prodige  fut  révélé 
à  l'évèque  d'Ostie  qui  se  trouvait  présent.  Ce  tré- 
sor inestimable  vint  dans  un  lieu  très  pauvre.  Cette 
pierre  des  plus  précieuses  vint  aborder  sur  un  rocher  ; 
cette  lumière  resplendissante  se  répandit  dans  un  lieu 
obscur.  Les  quatre  autres  coffres  allèrent  dans  diffé- 
rents pays  et  laissèrent  le  saint  apôtre  dans  l'île  citée 
plus  haut.  En  effet  l'apôtre  laissa  les  quatre  martyrs 
par  derrière  et  envoya  l'un,  savoir  :  Papinus,  dans  une 
ville  de  Sicile  nommée  Milas,  un  autre  qui  s'appelait 
Lucien,  à  Messine  ;  les  deux  autres,  il  les  fit  aller  dans 
la  Calabre,  savoir:  Grégoire  dans  la  cité  de  Colonne,  et 
Acliatius  dans  la  cité  de  Chale  où  jusque  aujourd'hui 
ils  brillent  par  les  faveurs  qu'ils  accordent.  Le  corps 
de  saint  Barthélémy  fut  reçu  au  chant  des  hymnes,  au 
milieu  des  louanges  ;  on  alla  au-devant  de  lui  avec 
des  flambeaux,  et  on  éleva  en  son  honneur  un  temple 
magnifique.  — Le  mont  Volcano,  voisin  de  Tîle,  causait 
des  dommages  aux  habitants  parce  qu'il  jetait  du 
feu  :  il  s'éloigna  de  sept  stades  sans  qu'on  le  vît,  et 
s'arrêta  au  milieu  de  la  mer,  en  sorte  qu'aujourd'hui 
encore  on  n'en  aperçoit  plus  que  comme  l'apparence 
(l'un  feu  qui  s'échappe.  Maintenant  donc,  salut,  ô  bien- 
IhMireux  des  bienheureux!  Trois  fois  heureux  Barthé- 
lémy, qui   êtes  la   splendeur  de  la  lumière  divine,  le 


SAIXT    AUGUSTIN  495 

pèrheur  de  la  saiiilc  Eglise,  l'hoiniTic  habile  à  piendre 
les  poissons  doués  de  raison,  le  doux  fruil  du  pal- 
mier vivace,  rexlerminateur  du  diable  occupé  à  bles- 
ser le  inonde  par  ses  violences  !  Gloire  à  vous,  soleil 
qui  éclairez  lout  ce  qu'il  y  a  sur  la  terrj,  bouche  de 
Dieu,  langue  de  feu  qui  répand  la  sagesse,  fontaine  inta- 
rissable de  santé,  qui  avez  sanctifié  la  mer  dans  votre 
course,  qui  avez  rougi  la  terre  de  la  pourpre  de  votre 
S4ing,  qui  êtes  monté  aux  cieux,  où  vous  brillez  dans 
l'armée  divine,  qui  êtes  environné  d'un  éclat,  d'une 
gloire  incorruptible,  et  qui  nagez  dans  des  transports 
d'un  bonheur  sans  fin  !  *  » 


SAINT  AUGUSTIN 

Augustin  fut  ainsi  nommé,  ou  bien  eu  raison  de  rexcellcnce 
ile  sa  dignité,  ou  bien  pour  Tardcur  de  son  amour,  ou  bien 
par  la  signiHcation  étymologique  de  son  nom.  1*  L'excellence 
lie  sa  dignité.  Deméme(|u*Auguste  excellait  sur  tous  les  rois, 
(Je  même  Augustin  excelle  sur  touslcs  docteurs,  selon  cequ*en 
dit  Hemi.  Daniel  compare  les  autres  docteurs  ù  des  étoiles 
quand  il  dit  (xii)  :  «  Ccuxqui  enseignent  aux  autresia  voie  de  la 
justice  luiront  comme  des  étoiles  dans  toute  réternité.  »  Mais 
saint  Augustin  est  comparéau  soleil  dans  Tépltrcqu'on  chante 
en  sa  messe**.  lia  lui  dans-le temple  de  Dieu  comme  un  soleil 
éclatant  de  lumière.  2"  L'ardeur  de  son  amour.  De  même  que 
le  mois  d*Augus(c  (août)  est  très  chaud,  de  même  saint  Au- 
gustin  brûla  extraordinairement   du   feu  de  l*amour  divin. 

'Théodore  Studito,  traduit  par  Anastasc  le  Bibliothécaire. 
•*  C'était  sans  doute  IVpître  de  la  messe  de  saint  Augustin 
telle  quVUe  se  lisait  au   xiii*  siècle,  et  qui  était  prise  du  l* 
chapitre  de  VKccléaiastique. 


4M 


U    [.ÉGE>IOE    OORÉK 


Aawi  dit-il  de  lui  «u  livre  de  sea  Confruiont:  u  Vous  av 
pncé^  Bon  etenr  dea  ftôches  de  votre  charilé,  elc.  »  Il  dîl  e 
eondaasle  mime  oavraçe  :  «  Quelquefois  vous  n^pandcx  e 
moi  «Bedooeenrumrrveilleuse,  les  acatimeois  quej'ripruuV 
■aalaîextnoidinairMiiue,  s'ils  recevaient  leur  pcrf«ciiu 
nrpaMenient  lônt  oe  iiii'ou  pentresseutirici-bas.  »  3»  L'él] 
mologiede  Mm  nom.  Augustin,  vient  de  aygeo,  augmenter 
de  miOn,  Tille,  et  mtm,  en  haut.  Augusiiu,  c'eal  doue  celui  (|ii 
aagmenle  la  cité  d'en  haut.  El  c'est  pour  celii  qu'on  chanf 
daoe  aon  offiee*:  Qui  prœvaluii  ampUficare  eieitalem.  Vuit 
comme  il  parie  Ini^iCme  de  cette  ville  dans  le  livn;  XI  de  11 
CM  A  iNm  :  «  DaoB  In  Trioilé,  la  cité  saiule  a  son  origii 
beaatéi>a  béatitude.  DcmuDdez-vous  son  auleur^C'cat  Dî«i 
qui  l'a  créée;  — l'anicur  de  sa  saçesse?  C'est  Dieu  (]ui  1'^ 
dain ;  —  i'autear  de  aa  félicité?  I^'esi  Dieu  doul  elle  juuil 
Dieu  perf'Mtioa  d«  aou  ^ire,  lumière  de  sa  contemplnlion,  joi 
de  aa  fidélité  ;  elle  eat,  elle  voit,  elle  aime:  elle  vit  dans  \'i 
terniléde  Dieu-,  elle  lirille  daus  U  vérité  de  Dieu  ;  elle  joui 
dana  la  bonté  de  Dieu.  «  —  Ou  bien  selon  te  Gloseaire,  Au|fin 
,tin  vent  dire  magaifii:|iie,  beureux,  lumineux  ;  car  il  fut  ml 
gniflqae  dana  aa  rie,  lumineuK  ilnns  »a  dociriae,  ei  heuren 
dana  la  glôin.  Sa  rie  fut  compilée  par  Poasidius.  év^uo  d 
Catane,  ainsi  que  le  dit  Cnssimlort'.  ni  son  livre  des  Homnu 
iïluitrtt**. 


Aui^usliii,  docK'ur  émincnl,  naquit  dans  la  province 
d'Afrique,  en  la  ville  de  Carlhaj^e,  de  parents  fort 
distingutïs  ;  son  père  s'appelait  Patrice  et  sa  mère  Mo- 
nique.  Il  fut  instruit  dans  les  arts  libéraux  sufSsam- 
ment  pour  être  regardé  comme  un  profond  philosophe 
et  comme  un  rhéteur  très  habile.  II  lut  et  comprit  seul 

*  Le  bienheureux  Jacques  avait  ui 
Augustin  sous  les  yeux,  car  ces  paroli 
dans  lesSacramentairea. 

**  L^vie  desaint  Augustin 
et  le  livre  des  Confestion». 


office  propre   de  saint 
s  ne  se  rencontrent  pas 

(i  lée  ici  d'après  Possid  i  us 


\ 


SAINT    AUGUSTIN  497 

les  ouvrages  d'Arislole  el  tous  les  livres  qui  traitent 
des  arts  libéraux  ;  il  l'assure  dans  son  livre  des  CoU' 
fessions:  «  J'ai  lu,  dit-il,  et  compris,  sans  aucun  se- 
cours, tout  ce  que  je  pus  lire  traitant  de  ce  qu'on  a|>- 
pelle  les  arts  libéraux.  Tout  ce  qui  tient  à  l'art  de  par- 
ler et  de  raisonner,  aux  dimensions  des  corps^  à  la 
musique,  aux  nombres,  je  l'ai  appris  sans  beaucoup 
de  peines  et  sans  le  secours  de  personne  ;  vous  le  sa- 
vez, ô  Seigneur,  mon  Dieu,  puisque  cette  vivacité  de 
conception,  cette  pénétration  d'esprit  sont  des  avanta- 
ges que  je  tiens  de  vous,  cependant  je  ne  songeais  pas 
à  vous  en  témoigner  ma  reconnaissance.  »  Mais  parce 
que  la  science  isolée  de  la  charité  enfle  sans  édifier, 
il  tomba  dans  l'erreur  des  Manichéens  qui  affirment 
que  le  corps  deJ.-C.  est  fantastique  et  nient  la  résur- 
rection de  la  chair.  Et  cela  dura  pendant  l'espace  de 
neuf  ans,  c'esl-à-dire  tout  le  temps  de  sa  jeunesse,  lien 
vint  au  point  de  dire  que  le  figuier  pleurait  quand  on 
en  arrachait  les  feuilles  ou  le  fruit.  A  l'âge  de  dix-neuf 
ans,  comme  il  lisait  l'ouvrage  d'un  philosophe  *  dans 
lequel  on  démontre  (pi'il  faut  mépriser  les  vanités  du 
inonde  et  s'attacher  a  la  philosophie,  il  fut  contrarié 
€lene  pas  rencontrer  dans  ce  livre,  qui  l'ai  tachai  t.  beau- 
coup, le  nom  de  J.-C  qu'il  avait  sucé,  pour  ainsi  dire, 
avec  le  lait  de  sa  mère.  Quant  à  celle-ci,  elle  pleurait 
beaucoup  et  s'efforçait  de  le  ramener  à  l'unité  de  foi. 
Un  jour,  dit-il  au  III*  livre  do  ses  Confessions,  elle  se 
vit  debout  sur  une  règle  en  bois,  fort  affligée  ;  quand 
vient  à  elle  un  jeune  homme  qui  lui  demanda  la  cause 

•  U Hortensius,  de  Ciccron, 

II.  :«2 


4M 

d'une  â  grande  iristease.  Quand  elle  lui  eut  répondu  : 
«  Je  déplore  la  paie  de  mon  HIs  »,  le  jeune  homme 
répimdit:  «t  Coosoles-Toos,  v<iy<:^z,il  est  uù  vousétes.» 
fit  voici  que  tout  à  coup  ellf  vit  sou  fils  à  oMé  d'elle. 
Qaand  dïeeut  raconté  sa  lisimi  h  Aui^iistin,  celui-ci 
ditiH  mire:  «  Vous  vous  lmiii{iez,  ma  mère,  vous 
vous  trompez  ;  onoe  vousa  pas  tliU'ela  ;  mais  on  vous 
■  dit  que  vous  étiet  oà  je  suIh.  m  «  Non,  s'écria-t-elle, 
non,,car  l'on  ne  ra'a  pas  dit  :  n  Vuum  èltrs  oii  il  est,  mais 
«  11  est  oA  voQfl  êtes.  •  Cette  mt^n-  pleine  de  zèle  priait 
avec  importunité,  d'après  les  paroles  île  saint  Augus- 
tin dans-ses  C(m/«ssi<VRS,  un  saint  iivé(]ue  de  vouloir 
bien  intercéderpour  son  fils.  Et  cet  hommcvaîncu  en 
cpidque  sorte  par  ses  instances  lui  répondit  ces  paro- 
les prophétiques:  «  Allec/abyez  Iranquille  ;  car  il  est 
impossible  qu'un  fils  ainsi  pleuré  périsse  pour  tou- 
jours. »  Après  avoir  enseigné  pendant  bien  des  an- 
nées la  rhétorique  à  Carthagc,  il  vint  à  Roi 
.tement,  '  sans  en  prévenir  sa  mère,  et  il  v  > 
beaucoup  de  disciples.  En  elfel  sa  mère  l'ayant  8 
pa^né  jusqu'au  poripourle  retenir  ou  pour  aller  avec 
lui,  il  la  trompa  et  partit  celte  nuit-là  même  &  la  dé- 
robée. Le  malin  quand  elle  s'en  aperçut,  elle  fit  reten- 
tir ses  clameurs  aux  oreilles  de  Dieu.  Or,  chaque  jour, 
le  matin  et  le  soir,  elle  allait  à  l'église  et  priait  pour 
son  fds.  A  cette  époque,  les  habitants  de  Milon  en- 
voyèrent prier  Symmaque,  préfet  de  Rome,  de  leuren- 
voyer  un  maître  de  rhétorique.  C'étailalors  saint  Ani- 
broise,  un  homme  de  Dieu,  qui  était  évêque  de  Milan; 
Augu.stin  y  fut  envoyé.  Mais  sa  mère,  qui  ne  pouvait 
pas  goûter  de  repos,  vini  le  joindre  après  de  grandes 


SAINT    AUGUSTIN  499 

difficultés;  elle  le  trouva  ni  tout  à  fait  manichéen,  ni 
•tout  à  fait  catholique.  Or,  Augustin  se  prit  à  s'attacher 
à  saint  Ambroise,  et  à  écouter  souvent  ses  prédica- 
tions. Le  saint  évéque  balançait  beaucoup  si  dans  ses 
discours  il  parlerait  pour  ou  contre  le  manichéisme. 
Une  fois  pourtant  Ambroise  parla  longtemps  contre 
cette  hérésie,  de  sorte  que  par  les  raisons  et  par  les 
autorités  avec  lesquelles  il  la  réfuta,  celte  erreur  fut 
extirpée  entièrement  du  cœur  d'Augustin. 

Il  raconte  ainsi  au  livre  de  ses  Confessions  ce  qui 
lui  arriva  dans  la  suite  :  «  A  peine  eus-je  commencé 
à  vous  connaître,  la  faiblesse  de  ma  vue  fut  éblouie 
par  les  flots  de  lumière  que  vous  lançâtes  alors  sur 
moi  :  une  horreur  mêlée  d'amour  fit  frémir  mon  âme, 
et  je  décoiivris  que  j'étais  bien  éloigné  de  vous,  dans 
une  région  qui  vous  est  étrangère ,  il  me  semblait  en- 
tendre une  voix  qui  me  criait  d'en  haut  :  «  Je  suis  la 
«  nourriture  des  forts;  croissez  et  vous  pourrez  vous 
«  nourrir  de  moi.  Vous  ne  me  changerez  point  en  votre 
«  propre  substance,  comme  ces  aliments  dont  votre 
«  chair  se  nourrit;  maisc;  sera  vous  qui  serez  changés 
«  en  moi.  »  Or,  comme  il  était  bien  aise  de  voir  que  le 
Sauveur  est  lui-même  la  voie  véritable,  mais  qu'il  lui 
répugnait  encore  de  marcher  dans  ses  étroits  sentiers, 
le  Seigneur  lui  inspira  la  pensée  d'aller  trouver  Sim- 
plicien  en  qui  brillait  la  lumière,  c'est-à-dire  la  grâce 
divine,  et  de  lui  révéler  toutes  ses  agitations,  de  sorte 
que  le  connaissant  bien,  il  pût  lui  indicpier  le  moyen 
le  plus  propre  à  le  faire  entrer  dans  la  voie  de  Dieu, 
où  l'un  marchait  d'une  façon  et  l'autre  d'une  autre.  11 
avait  pris  en  aversion  la  vie  qui  se  menait  dans  le 


.   tOO  LA    LÉr.&NDR    DORÉE 

inondé,  qjiuid  il  la  comparait  aux  douceurs  pI  à  la 
betntéde  la  demeure  céleste  qu'il  armait.  Alors  Sitit- 
{riiâén  se  mît  i  l'exhorter  eit  lui  disant  :  »  Combien 
d'anfonto'et  de  jpunes  filles  qui  servent  Dieu  dan»i  te 
sein  de  ion  Bglii^e  !  Et  vous  ne  pourrez  pas  ce  qu'ont 
pu  cetix*ci  et  cellfs-lA?  L'ont-ils  pu  par  eux-mêmes 
et  non  par  le  Seigneur  leur  Dieu?  Pourquoi  compter 
mirTOS  propres  forées?  N'avoir  que  vous-même  pour 
appui,  e^est  comme  si  vous  n'en  aviez  point.  Jetez- 
-vons  dans  son  sein,  if  vous  recevra,  il  vous  guérira.  • 
An  milieu  de  œs  entretiens,  on  vint  à  parler  de  Viclo- 
rin;  tà<ftn  SUmplicien,  enchanté,  lui  raconte  comment 
ce- vieillani  n'étant  encore  que  gentil,  avait  mérité,  A 
caose  de  sa  sagesse,  qu'on  lui  dressât  une  statue  A 
HiMnej  sur  le  forum  ;  chose  extraordinaire  pour  ce 
lempa4àl  et  comment  il  ne  cessait  de  se  dire  chré- 
tien. Car  eommi;  Simplîeîen  disait  A  Yictorîn  :  «  Je 
n'en  croirai-rira,  tant  que  je  ne  vous  aurai  pas  vu 
dans  l'église.  »  Mais  lui  se  moquait  de  celte  ri'pnnse, 
en  disant:  «  Sont-cednnc  les  murailles  qui  font  qu'un 
homme  soit  chrétîfen?  »  Enfin  Vîclorîn  vint  à  l'église, 
et  comme  on  lui  donnait,  en  cachette,  dans  la  crainte 
qu'il  n'en  rougFl,'le'  livre  qui  contenait  le  symbole  de 
la  foi  afin  de  le  lire  tout  hiiut,  comme  c'était  alors  la 
coutume,  il  monta  alors  sur  l'estrade  et  en  prononça 
à  haute  voix  les  paroles  ;  Rome  en  était  dans  l'admi- 
ration et  l'Eglise  toute  joyeuse.  Sa  présence  avait  sou- 
dainement excité  un  frémissement  et  dans  un  trans- 
port unanime  suivi  d'un  profond  silence,  chacun 
s'écria  :  a  C'est  Victorin  !  c'est  Victorin  !  »  Saint  Augus- 
tin reçut  alors  la  visite  d'un  ami,  nommé  Pontilien, 


SAINT    AUGUSTIN  501 

qui  venait  d'Afrique  ;  celui-ci  lui  raconta,  la  vie  et  les 
miracles  du  grand  Antoine  qui  venait  de  mourir  en 
Egypte  sous  l'empereur  Constantin.  Augustin  embrasé 
fortement  par  les  exemples  de  ces  personnages  et  en 
proie  à  une  agitation  intérieure  que  trahissait  l'expres- 
sion de  son  visage,  se  tourna  vers  Alype,  son  com- 
pagnon, et  s'écria  avec  force  :  «  Qu'attendons-nous  ? 
Qu'avez-vous  entendu  ?  Voici  des  ignorants  qui  s'em- 
pressent de  ravir  le  ciel,  et  nous,  avec  notre  science, 
nous  nous  précipitons  dans  l'enfer  !  Rougirions-nous 
de  marcher  après  eux,  parce  qu*ils  ont  pris  le  de- 
vant, au  lieu  de  rougir  de  n'avoir  pas  même  le  cou- 
rage de  les  suivre  ?  »  Alors  il  alla  dans  un  jardin 
s'étendre  sous  un  figuier  ;  c'est  encore  lui  qui  le  rap- 
porte dans  ses  Confessions  ;  et  là,  en  versant  des 
larmes  amères,  il  poussait  ces  cris  lamentables  :  «  Jus- 
qu'à quand?  Jusqu'à  quand?  Demain  et  toujours  de- 
main? Tout  à  l'heure;  encore  un  instant.  »  Mais  cet 
instant  n'avait  point  de  terme  et  ce  court  répit  se  pro- 
longeait indéfiniment.  Il  se  plaignait  beaucoupde  cette 
lenteur  qui  l'engourdissait,  selon  ce  qu'il  en  dit  plus 
tard  dans  le  môme  ouvrage  :  «  O  faiblesse  de  mon  in- 
telligence !  que  vous  êtes  élevé,  Seigneur,  dans  les 
choses  les  plus  élevées  !  Que  vous  pénétrez  profondé- 
ment les  plus  profondes  !  Jamais  vous  ne  vous  éloi- 
gnez de  nous,  et  cependant  nous  avons  tant  de  peine 
à  retourner  à  vous.  Agissez  en  nous.  Seigneur,  mettez- 
vous  à  Tœuvre,  réveillrz-nous  et  rappelez-nous  ;  en- 
flammez-nous et  entraînez-nous  ;  embrasez-nous,  pé- 
nétrez-nous de  vos  douceurs.  »  J'appréhendais  de  me 
voir  libre  de  toutes  les  entraves  du  momie  autant  qu'il 
H.  32- 


faàdraii  craindre  de  i^y  •wàit  engagé.  J'ai  coinmcneél 
bien'  tard  à  tous  mma,  à  bcMilé  loujour»  ancienne  eLV 
loDJoori  Donvdle  1  J'ai  comaienci^  bien  tard  ù  roui-9 
aimerl  vous  éUei  ao-dedcns  de  moi  ;  maisj'élaîs  hon 
de  moi  ;  ete'éteit  li  que  jeTona  cherchais  :  quand  J'élai 
mœ-mAme  «  diffonne  i  vos  jeux  ;  je  brillais  pour  c 
beaatée  qui  sonl  l'ouvrage  de  vos  mains.  Vous  éûa 
avec  moi  el  je  D'étaii'pas  avec  vous.  Vous  m'avez  api 
peM,  vous  avei  crié  et  voiia  «vez  ouvert  mes  oreiilei 
■oordea  jusqu'alon.  Vousavex  frappé  mon  âme  dcvw 
éclaira;  voua  avez  lancé  vos  ravons  sur  elle  et  met 
jenx  aveuglés  se  sont  ouverts.  Vous  m'avez  fait  sentie 
l'odeur  de  voa  parfums  et  je  respire,  je  soupire  puuri 
vous.  Vous  m'aves  touché,  «l  mon  ardeur  s'est  en-  | 
flammée  pour  jouir  de  votre  pnix.  »  El  comme  il  ^ 
sait  des  larmes  amérea,  il  entendit  une  voix  qui  lui'  I 
dit  :  «  Prenex  et  lisez  ;  prcnei  et  lisez,  u  Et  il  se  bâta  f 
d'ouvrir  le  livre  de  l'apôtret  «'  '1  l"t  '"  chapitre  sur  le- 
quel ses  yeux  ae  portèrent  d'abonl  :  <•  Hevétez-voiis  del 
Notre-Seigneur  J.-C.  »,  et  à  l'instant  furent  dissipées 
les  ténèbres  où  ses  doutes  l'avaientplon^.  Surces  en- 
trefaîtes,  il  fui  lourmenlé  d'un  très  violent  mal  de 
dents,  en  sorte  qu'il  en  serait  presque  venu  à  croire, 
c'est  lui  qui  le  dit,  à  l'opinion  du  philosophe  Corné- 
lius, qui  faisait  consister  le  souverain  bien  de  l'ftme 
dans  la  sagesse  el  le  souverain  bien  du  corps  dans 
l'absence  entière  du  sentiment  de  Ja  douleur.  Or,  cette 
douleur  fut  si  violente  qu'il  en  perdît  la  parole.  Ce  fut 
alors,  ainsi  qu'il   le  rapporte  dans  ses  Confessions, 
qu'il  écrivit  sur  des  tablettes  de  cire  que  tous  ses  amis 
priassent  pour  lui,  afin  que  le  Seigneur  le  guérit.  Il  se 


SAINT    AUGUSTIN  503 

mit  lui-même  à  genoux  avec  les  autres,  et  à  Tinstant 
il  se  sentit  guéri.  Il  écrivit  donc  au  saint  pontife  Am- 
broise  pour  lui  confier  ses  intentions,  en  le  priant  de 
lui  indiquer  ce  qu'il  devait  lire,  de  préférence,  dans  les 
Livres  saints,  pour  le  rendre  plus  digne  de  la  foi  ca- 
tholique. L'évéque  recommanda  la  lecture  du  prophète 
Isaie,  qui  lui  paraissait  avoir  prédit  le  plus  clairement 
rEvangile  et  la  vocation  des  gentils.  Mais  Augustin 
n'en  comprenant  pas  le  commencement  et  pensant 
qu*il  était  partout  obscur,  Tabandonna,  en  se  réser- 
vant d'y  revenir  lorsque  les  saintes  Ecritures  lui  se- 
raient devenues  plus  familières.  Or,  quand  l'époque 
de  Psl(]ues  fut  arrivée,  Augustin,  parvenu  à  l'âge  de 
trente  ans,  reçut,  avec  Alype,  son  ami,  le  saint  baptême 
ainsi  que  son  fils  Adéodat,  enfant  plein  d'esprit,  qu'il 
avait  eu  dans  sa  jeunesse,  alors  qu'il  était  encore  païen 
et  philosophe.  Il  devait  ce  bonheur  aux  mérites  de  sa 
mère  et  à  la  prédication  de  saint  Ambroise.  Alors,  dit^ 
on,  saint  Ambroise  s'écria  :  Te  Deum  laudamus!  et 
Augustin  répondit:  Te  Dominum  confitemur.  Et  ce  fut 
ainsi  que  tous  les  deux  composèrent,  en  se  répondant 
alternativement,  cette  hymne  qu'ils  chantèrent  en  en- 
tier jusqu'à  la  fin.  C'est  ce  qu'atteste  encore  Honorius 
(d'Autun),  Pairol.  lal.y  172,  dans  son  livre  intitulé 
Miroir  de  l'Eglise.  Cependant  dans  quelques  livres  an- 
ciens, le  Te  Deinn  est  intitulé  ainsi  :  a  Cantique  compilé 
par  saint  Ambroise  et  saint  Augustin.  »  Tout  aussitôt 
après,  Augustin  fut  aiTermi  merveilleusement  dans  la 
foi  catholique  ;  il  abandonna  toutes  les  espérances 
qu'il  pouvait  attendre  du  monde  et  renonça  à  donner 
des  leçons  dans  les  écoles.  Il  raconte  lui-même  dans 


504  LA    LÉGENDE   DOREE 

ses  Confessions  l'abondance  des  douceurs  que  lui  fai- 
sait éprouver  Tamour  divin  :  «  Vous  aviez,  dit-il ,  Sei- 
gneur, percé  mon  cœur  des  traits  de  votre  amour  et  je 
portais  vos  paroles  comme  fixées  au  fond  de  mes  en- 
trailles ;  les  exemples  de  vos  serviteurs  qui  étaient 
passés,  par  votre  secours,  des  ténèbres  à  la  lumière  et 
de  la  mort  à  la  vie,  se  pressaient  en  foule  dans  mon 
esprit  pour  enflammer  mon  ardeur  et  dissiper  ma  lan- 
guissante apathie.  Je  sortais  de  cette  vallée  de  larmes 
et  je  chantais  le  cantique  des  degrés  *,  blessé  des  flè- 
ches aiguës  et  des  charbons  ardents  qui  venaient  de 
vous.  Je  trouvais  une  douceur  infinie,  dans  ces  pre- 
miers jours,  à  considérer  la  profondeur  de  vos  des- 
seins sur  le  salut  des  hommes.  Combien  de  larmes  je 
versai  en  prêtant  Toreille  à  ce  mélodieux  concert  des 
hymnes  et  des  cantiques  qui  retentissaient  dans  votre 
église  !  Pendant  que  mes  oreilles  cédaient  au  charme 
de  ces  paroles,  votre  vérité  se  glissait  par  elles  dans 
mon  cœur  :  mes  larmes  coulaient  par  torrents,  et  c'était 
un  bien  pour  moi  de  les  répandre.  Ce  fut  alors  en 
effet  qu'on  établit  le  chant  des  cantiques  dans  l'église 
de  Milan.  Je  m'écriais  du  fond  de  mon  cœur  :  Oh!  ce 
sera  dans  la  paix  !  oh  !  ce  sera  dans  son  sein  (àli  ! 
quelles  paroles!)  que  je  dormirai,  que  je  me  reposerai, 
que  je  prendrai  mon  sommeil!  car  vous  êtes  bien  cet 
être  qui  ne  change  point:  en  vous  je  trouve  le  repos 
qui  fait  oublier  toutes  les  peines.  Je  lisais  ce  psaume 
en  entier  **  et  je  brûlais,  moi  qui  tout  à  l'heure  n'étais 


** 


C'cst-à-dirc  le  psaume  cxix,  Ad  te  levavi. 

Le  psaume  iv,  Cum  invocarem,  exatulivit  me  Dewt, 


SAINT    AUGUSTIN  505 

qu'un  ennemi  acharné,  un  aveugle  el  furieux  détrao 
leur  de  ces  Ecritures  qui  distillent  un  miel  céleste  et 
brillent  de  tout  Téclat  de  votre  lumière  :  je  séchais  de 
douleur  en  pensant  aux  ennemis  de  ce  divin  Livre. 
O  Jésus,  mon  appui  I  Que  soudain  il  me  parut  doux  de 
renoncer  aux  douceurs  des  vains  amusements  !  Ce  que 
j'avais  tant  redouté  de  perdre,  je  le  quittai  avec  joie. 
Car  vous  les  chassiez  loin  de  moi  ces  douceurs,  vous, 
la  véritable  et  la  souveraine  douceur;  vous  les  chassiez 
pour  prendre  leur  place,  vous  qui  êtes  plus  suave  que 
toutes  les  voluptés,  mais  d'une  suavité  inconnue  de  la 
chair  et  du  sang;  qui  êtes  plus  brillant  que  toute  lu- 
mière, mais  plus  caché  que  ne  l'est  aucun  secret  ;  qui 
êtes  plus  élevé  que  toutes  les  dignités,  mais  non  aux 
yeux  de  ceux  qui  s'élèvent  eux-mêmes,  jd 

Après  quoi,  il  se  prépara  à  revenir  en  Afrique 
avec  Nébrode,  Evode  et  sa  mère.  Mais  arrivés  à  Ostie, 
sa  pieuse  mère  mourut.  Alors  Augustin  revint  dans 
ses  propriétés,  où  se  livrant,  avec  ceux  qui  lui  étaient 
attachés,  aux  jeûnes  et  à  la  prière,  il  écrivait  des 
livres  et  instruisait  les  ignorants.  Sa  réputation  se 
répandait  partout  :  on  le  trouvait  admirable  dans 
tous  ses  écrits  et  dans  ses  actions.  Il  avait  soin  de  ne 
point  aller  dans  les  villes  où  les  sièges  étaient  vacants, 
de  peur  qu'il  ne  fût  exposé  aux  embarras  de  l'épis- 
copat.  Il  y  avait  dans  le  même  temps  à  Hippone 
un  homme  jouissant  d'une  grande  fortune  qui  envoya 
dire  à  saint  Augustin  que,  s'il  venait  le  trouver  et  le 
faire  jouir  de  son  entretien,  il  pourrait  bien  renoncer 
au  monde.  A  cette  nouvelle,  Augustin  se  hâta  de  venir. 
Alors  Valère,  évêque  d'Hippone,  informé  de  sa  repu- 


B06  -La  légende  dorée 

talion,  fonhNÎDa  prêtre  de  Sun  église,  malgré  lout«s. 
•es  réùtancea.  Quelques-uns  altribuaicul  ses  larnies> 
A  aoa  oiipiùlt  et  lui  disaient,  pour  le  consoler,  que  Im- 
poste'qu'il  occupait  comme  prêtre,  bien  qu'inférieur 
ii-atm  oaérite,  étail  un  aclieminement  vers  l'épisc» 
"pat.  AiM^tAt  Augustin  établit  un  monaslôre  de  clerc^ 
ilaii^  leqtul  if  cooiiuen^-a  à  vivre  selon  la  règle  iusiU 
tuée  par  les  saints  api!itres,  et  d'où  il  sortît  au  moins 
dix  évAques.  Or,  comme  l'évêque  Valère  était  grec  de 
naûsaDceet  peu  rersé  dans  les  lettres  et  dans  la  lan- 
gae  latine,  il  donna  à  Aui^usliii  le  pouvoir  de  prAchcU 
«a  sâprésence  dans  l'église,  ce  qui  était  contre  les  us» 
ges  dé  l'Orient  :  mais  comme  beaucoup  d'évèques  ne  leii 
saivaîent  pas  en  ce  point,  il  ne  s'en  înquîétD  pEU^. 
pourvu  que  le  hitn  i|u'il  ne  pouvait  opérer  se  ffl  par' 
un  autre  que  soi.  Dans  le  même  temps,  il  convainquît^ 
figOA  et  réfuta  PurCunal,  prêtre  manichéen  et  d'att- 
tres  hérétiques,  ])i'incipalement  les  rebapliscurs,  lei 
donalistes  et  les  nianicliéens.  Alors  Valère  commençi 
i  craindre  qu'on  ne  lui  enlevât  Augustin  el  que  quel- 
que autre  ville  ne  le  demandât  pour  évéque.  Et  on 
aurait  bien  pu  le  lui  ravir,  s'il  n'eût  pris  garde  de 
l'envoyer  dans  un  lieu  retiré,  de  manière  qu'on  ne 
putle  trouver.  Il  demanda  donc  à  l'archevêque  de  Car- 
thagela  permission  de  se  démettre  en  faveur  d'Augus- 
tin qui  serait  promuàl'évêcliéd'Hippone.  Mais  Augus- 
tin s'opposa  de  toutes  ses  forces  à  ce  projet  :  en6n, 
pressé  et  poussé,  il  fui  obligé  de  céder,  et  il  se  chargea 
du  fardeau  de  l'épiscopat.  Dans  la  suite,  il  dit  et  il 
écrivit  qu'on  n'aurait  pas  dû  l'ordonner  évêque  du 
vivant  de  celui  qu'il  remplaçait.  Il  sut  plus  tard  que 


SAINT    AUGUSTIN  507 

cela  était  défendu  par  un  concile  général  ;  aussi  ne 
voulait-il  pas  faire  pour  d'autres  ce  qu'il  regrettait 
qu'on  eût  fait  pour  lui.  Et  il  donna  tous  ses  soins  à 
ce  que  dans  les  conciles  des  évéques  il  fût  statué  que 
ceux  qui  conféraient  les  ordres  intimassent  toutes  les 
ordonnances  des  Pères  à  ceux  qui  devaient  être  ordon- 
nés. On  lit  qu'il  dit  plus  tard  en  parlant  de  lui-même  : 
(c  Je  n*ai  jamais  mieux  reconnu  que  Dieu  fût  irrité 
contre  moi,  que  quand  j'ai  été  placé  au  gouvernail  de 
l'Eglise,  alors  que  je  n'étais  pas  digne  d'être  mis  au 
nombre  des  rameurs.  »  Ses  vêtements,  sa  chaussure 
et  ses  autres  ornements  n'étaient  ni  trop  brillants  ni 
trop  négligés,  toutefois  ils  étaient  simples  et  conve- 
nables. On  lit  en  effet  qu'il  dit  de  soi  :  «  Je  l'avoue, 
je  rougis  d'avoir  un  habit  précieux  ;  c'est  pour  cela 
que  quand  on  m'en  donne  un,  je  le  vends,  afin  de 
pouvoir  au  moins  en  partager  le  produit,  puisque  je 
ne  puis  partager  l'habit.  »  Sa  table  était  servie  fru- 
galement et  simplement,  et  avec  les  herbes  et  les 
légumes,  il  y  avait  le  plus  souvent  de  la  viande  pour 
les  infirmes  et  les  hôtes.  Pendant  les  repas,  il  goûtait 
plus  la  lecture  ou  la  discussion  que  les  mets  eux- 
mêmes  et  il  avait  fait  graver  dans  sa  salle  ce  distique 
contre  le  poison  de  la  médisance  : 

Quisquis  a  mat  dictis  absentilm  rodcre  vitani, 
Hanc  mensam  indignam  noverit  esse  sibi*. 

Aussi  il  arriva  une  fois    que  quelques-uns  de  ses 
collègues  dans  Tépiscopat  avec  lesquels  il  vivait  dans 

*  O  vous  qui  des  absents  déchirez  la  conduite. 
Sachez  qu'aux  détracteurs  ma  table  est  interdite. 


808  1.A    LI-^(iENDK    DURKK 

la  Cimiliarité,  sVtant  pLTini»  de  mi^tlirr,  il  I» 
doremeol,  et  dit  que  s'ils  nu  cessaient,  ou  bien  il  eflî 
ceraU  œs  vers  ou  bien  il  allait  quitter  la  table.  Ayai 
îarité  on  jour  quelques  intimes  à  un  repati,  l'un  dVtutjîl 
phi8  corieiu  que  les  autres,  entra  dans  la  cuisine,  oâ,  J 
a/ant  trouvé  tout  refroitli,  il  demanda  à  son  retour  êM 
aainl  Aujiulin  queU  mets  le  père  de  famille  »vail  con^ 
mandé  de  servir.  Augustin,  qui  ne  s'oecupait  pa^  < 
cRosea  pareitles,  lui  répondit:  «  Et  je  ne  le  s 
plus  iijne  TOUB.  <• 

11  disait  avoir  appris  trois  chose»  de  saint  Ambroisi 
la  première  de  ne  demander  Jamais  de  Temme  ) 
qnehja'iln;  la  seconde,  de  ne  jamais  exciter  persoruU^ 
qiiiT09lArs*en^a^ei' dans  l'état  militaire,  à  suivre  e 
parti;  et  la  troisièmi?,  de  n'accepter  aucune  invilatioill 
pour  an  repas.  Quant  à  la  première,  c'était  dons  Nl'| 
craints  <pw  les  4pou.\  ne  se  convinssent  pas  et  se  que< 
rellasaent  ;  quant  A  la  seconde,  c'était  de  peur  que  a 
les  militaires  se  livraient  A  la  calomnie,  cela  ne  lin  M^ 
reproché  ;  enlin,  quant  à  la  troisième,  c'était  pour  i 
point  dépasser  les  bornes  de  la  tempérance.  Telle  fut 
sa  pureté  et  son  humilité,  que  même  les  péchés  les 
plus  légers,  qui  parmi  nous  sont  réputés  nuls  ou  mi- 
nimes, il  les  avoue  dans  le  livre  des  Confessiotu  et 
s'en  accuse  en  toute  humilité  devant  Dieu;  car  il  s'y 
accuse  qu'étant  enfant,  il  jouait  à  la  paume,  au  lieu 
d'aller  à  l'école.  Il  s'accuse  encore  de  ne  vouloir  ni 
lire,  ni  s'appliquer,  si  son  maître  ou  ses  parents  ne  Vy 
forçaient;  de  ce  qu'étant  enfant,  il  lisait  volontiers  les 
fables  des  poètes,  comme  celle  d'Enée,  et  qu'il  pleurait 
sur  Uidon  se  tuant  par  amour;  de  dérober  sur  la 


'^ 


SAINT    AUGUSTIN  509 

table  ou  dans  le  cellier  quelque  chose  qu'il  pût  donner 
aux  enfants,  ses  compagnons  de  jeu;  de  les  avoir 
trompés  quelquefois  au  jeu.  Il  s'accuse  aussi  d'avoir 
volé,  à  l'âge  de  seize  ans,  des  poires  sur  Tarbre  de  son 
voisin. 

Dans  ce  même  livre  de  ses  Confessions^  il  s'accuse 
d'une  légère  délectation  qu'il  éprouvait  quelquefois 
en  mangeant:  «  Vous  m'avez  appris,  dit-il.  Seigneur, 
à  ne  considérer  les  aliments  que  comme  un  remède, 
et  c'est  dans  cet  esprit  que  je  m'efforce  de  satis- 
faire à  ce  besoin.  Mais  lorsque  je  passe  de  la  dou- 
leur que  me  cause  la  faim  à  cet  état  de  quiétude  qui 
s'empare  de  moi  quand  elle  est  apaisée,  alors  la  con- 
cupiscence mî?  tend  des  pièges.  Cette  transition  est 
vraiment  une  volupté,  et  il  n'est  pas  d'autre  voie  pour 
satisfaire  à  cette  nécessité  à  laquelle  nous  sommes 
réduits. 

«  En  effet  le  boire  et  le  manger  étant  nécessaires  à 
la  conservation  de  notre  existence,  un  certain  plaisir 
s'est  attaché  à  cette  nécessité  comme  une  compagne 
inséparable  :  mais  bien  souvent  elle  s'efforce  de  pren- 
dre les  devants,  pour  m'obligera  faire  pour  elle-même 
ce  que  je  dois  et  ne  veux  faire  seulement  que  pour  ma 
santé.  Pour  les  excès  du  vin,  j'en  suis  bien  éloigné,  et 
j'espère  que  vous  me  ferez  la  grâce  de  n'y  tomber  ja- 
mais. Après  les  repas,  un  certain  engourdissement 
peut  s'emparer  de  quelqu'un  des  vôtres,  vous  me  ferez 
la  grâce  d'en  être  préservé.  Quel  est  donc  Tliomme,  ô 
mon  Dieu,  cpii  n*est  pas  quelquefois  entraîné  au  delà 
des  bornes  que  lui  prescril  la  nécessité?  Oh!  celui-là 
est  grand  ;  cju'il  glorifie  votre  nom.  Mais  ce  n'est  pas 


SI» 


'.  OOHÉE 


moi,  aïoî  qui  suis  un  malheureux  pécWur]  »  Un 
croyaU  pas  exempt  de  fautes  par  rapport  à  l'odorat 
ttû  dtBaH  :  ir  Quant  aux  plaisir»  qu'excitent  en  nou» 
Im  odeurs,  je  m'en  inquiète  peu  :  je  ne  les  rechercha 
pas  quand  elles  me  manquent  ;  quand  elles  vieiineat 
à  moi,  je  ne  les  repousse  pas,  toujours  disposé  à  m'en. 
piinr  pour  toujours.  C'est  du  moins,  si  je  ne  nu 
ttorap^iCe  que  je  crois  ressentir;  car  nul  ne  doit  être 
dsosonc  sécuritécomplèledanscette  vie  qu'à  juste  titre, 
on  peatappelerune  tentation  continuelle,  puisque  celui 
qui  de  méchant  est  devenu  bon,  ne  sait  pas  si  de  hoa 
il  ne  deviendra  pas  plus  méchant.  »  Voici  ce  qu'il  dit 
toochiril  le  sens  de  l'ouîe:  <<  Les  plaisirs  de  l'ouTe 
■vaîeot  pour  moi,  je  l'avoue,  plus  de  charmes  et  plua 
ifattraits  ;  mais  vous  avez  rompu  ces  liens  et  m'en  avez 
afhvDChi.  S'il  m'an'ivc  d'être  plus  ému  par  la  m^ 
lodie  que  par  les  paroles  que  l'on  chante,  alors  je 
Reconnais  avoir  péché  et  je  préférerais  ne  poinlenteudri 
chanter  en  cette   occasion.  ■  < 

II  s'accuse  encore  des  péchés  de  la  vue,  comnM 
quand  U  dît  qu'il  aimait  trop  Tolonlïers  i  voir  ua 
chien  courir,  qu'il  prenait  plaisir  à  regarder  la  chasse,  ' 
quand  il  lui  arrivait  de  passer  dans  la  campa^e, 
qu'il  examina  avec  trop  d'attention  des  araignées 
enveloppant  des  mouches  dans  leurs  toiles,  alors  qu'il 
était  chez  lui.  Il  s'accuse  de  cela  devant  Dieu  comme 
de  choses  qui  distraient  dans  les  bonnes  médita- 
tions et  qui  troublent  les  prières.  II  s'accuse  aussi 
de  désirer  les  louang;es  et  d'être  entraîné  par  la  vaine 
gloire  :  n  Celui,  dit^il.  Seigneur,  qui  ambitionne  les 
louanges  des  hommes,  alors  qu'il  s'attire  votre  blâme. 


SAINT    AUGUSTIN  511 

ne  sera  point  défendu  par  les  hoinmes  lorsque  vous 
le  jugerez,  ni  délivré  par  eux,  lorsque  vous  le  con- 
damnerez. 

Un  homme  que  Ton  félicite  de  quelque  bienfait 
qu'il  a  reçu  de  votre  main;  se  complaît  plus  dans  les 
louanges  qu'on  lui  donne,  que  dans  la  grâce  qui  les  lui 
a  méritées.  Nous  sommes  tous  les  jours  exposés  sans 
relâche  à  ces  sortes  de  tentation,  et  la  langue  de 
l'homme  est  une  fournaise  où  nous  sommes  mis  jour- 
nellement à  répreuve.  Néanmoins  je  ne  voudrais  pas 
que  le  bon  témoignage  des  autres  n'ajoutât  rien  à  la 
satisfaction  que  j'éprouve  du  bien  qui  peut  être  en 
moi  ;  mais  il  faut  Tavouer  non  seulement  ce  bon  té- 
moignage^ raugmente,  mais  le  blâme  la  diminue.  Je 
suis  contristé  des  éloges  que  l'on  me  prodigue,  soit 
qu'ils  se  rapportent  à  des  choses  que  je  suis  fâché  de 
trouver  en  moi,  soit  que  l'on  y  estime  de  petites  qua- 
lités plus  (ju'elles  ne  le  méritent.  » 

Ce  saint  homme  réfutait  les  hérétiques  avec  une  si 
grande  énergie,  qu'ils  disaient  entre  eux  publiquement 
que  ce  n'était  pas  pécher  de  tuer  Augustin  qu'ils  re- 
gardaient comme  un  loup  à  égorger  ;  et  ils  affirmaient 
aux  assassins  (|ue  Dieu  leur  pardonnerait  alors  tous 
leurs  péchés. 

Il  eut  à  subir  grand  nombre  d'embûches  de  leur 
part  quand  il  avait  besoin  de  voyager;  mais  la  provi- 
dence de  Dieu  [>enneltait  qu'ils  se  trompassent  de  che- 
min et  qu'ils  ne  le  rencontrassent  point.  Pauvre  lui- 
même,  il  se  souvenait  toujours  des  pauvres,  et  il  leur 
donnait  libéralement  de  tout  ce  qu'il  pouvait  avoir  : 
car  il  en  vint  jus(ju'à  Taire  briser  et  fondre  les  vases 


512  LA   LÉGENDE    DORÉE 

sacrés  afin  d'en  donner  la  valeur  aux  pauvres,  aux 
captifs  et  aux  indigents.  Il  ne  voulut  jamais  acheter  ni 
champ,  ni  maison  à  la  ville  ou  à  la  campagne.  Il  refusa 
grand  nombre  d'héritages  qui  lui  avaient  été  légués,  par 
la  raison  que  cela  devait  appartenir  de  préférence  aux 
enfants  ou  aux  parents  des  défunts.  Quant  aux  biens 
deTEglise,  il  n'y  était  pas  attaché:  ils  ne  lui  donnaient 
aucun  tracas  ;  mais  le  jour  et  la  nuit,  il  méditait  les 
Saintes  Ecritures  et  les  choses  de  Dieu.  Jamais  il  ne 
s'occupait  de  nouvelles  constitutions  qui  auraient  pu 
lui  embarrasser  l'esprit  que  toujours  il  voulait  conserver 
exempt  de  tout  tracas  extérieur,  afin  de  pouvoir  se 
livrer  avec  liberté  à  des  méditations  continuelles  et  à 
des  lectures  assidues.  Ce  n'est  pas  qu'il  empêchât 
quelqu'un  de  bâtir,  à  moins  qu'il  ne  s'aperçût  qu'on 
le  fît  sans  mesure.  Il  louait  aussi  beaucoup  ceux  qui 
avaient  le  désir  de  la  mort,  et  il  rapportait  fort  souvent 
à  ce  sujet  les  exemples  de  trois  évêques.  C'était  saint 
Ambroise  qui,  au  lit  de  la  mort,  répondit  à  ceux  qui 
lui  demandaient  d'obtenir  pour  soi,  par  ses  prières,  un 
prolongement  de  vie  :  «Je  n'ai  pas  vécu  de  manière  à 
rougir  de  vivre  parmi  vous,  et  je  ne  crains  pas  de 
mourir,  puisqui3  nous  avons  un  bon  maître.  »  Réponse 
que  saint  Augustin  vantail  exlraordinairement.  Il  citait 
encore  l'exemple  d'un  autre  évéque  auquel  on  disait 
qu'il  était  fort  nécessaire  à  l'Eglise,  et  que  cette  raison 
ferait  que  Dieu  le  délivrerait  encore,  et  qui  répondit: 
«  Si  je  ne  devais  jamais  mourir,  ce  serait  bien  ;  mais 
si  je  dois  mourir  un  jour,  pourquoi  pas  maintenant  ?  » 
11  rapportait  encore  ce  que  saint  Cyprien  racontait  d'un 
autre  évéque  qui,  souffrant  beaucoup,  demandait    le 


SAINT    AUGUSTIN  513 

réiablissement  de  sa  santé.  Un  jeune  homme  d'une 
grande  beauté  lui  apparut  alors  et  lui  dit  avec  un  mou- 
vement d'indignation  :  «  Vous  craignez  de  souffrir, 
vous  ne  voulez  pas  mourir,  que  vous  ferai-jeî  »  II  ne 
laissa  demeurer  avec  lui  aucune  femme,  pas  même  sa 
soeur  Germaine,  ni  les  filles  de  son  frère  qui  s'étaient 
vouées  ensemble  au  service  de  Dieu.  Il  disait  que, 
quand  bien  même  on  n'auraitaucun  soupçon  mauvais 
par  rapport  à  sa  sœur  et  à  ses  nièces,  cependant  parce 
que  ces  personnes  auraient  besoin  des  services  d'autres 
femmes,  qui  viendraient  chez  elles,  avec  d'autres,  et? 
pourrait  être  un  sujet  de  tentation  pour  les  faibles, 
ou  certainement  une  source  de  mauvais  soupçons  pour 
les  méchants.  Jamais  il  ne  voulait  parler  seul  à  seule 
avec  une  femme,  à  moins  qu'il  ne  se  fût  agi  d'un  secret. 
II  fit  du  bien  à  ses  parents,  non  pas  en  leur  procurant 
des  richesses,  mais  en  les  empêchant  d'être  dans  la 
gêne  ou  bien  dans  l'abondance.  Il  était  rare  qu*il  s'en- 
tremit en  faveur  de  quelqu'un  parleltres  ou  par  paroles, 
imitant  en  cela  la  conduite  d*un  philosophe  qui  par 
amour  de  sa  réputation  ne  rendit  pas  de  grands  ser- 
vices à  ses  amis,  et  qui  répétait  souvent  :  «  Presque 
toujours,  pouvoir  qu'on  demande,  pèse.  »  Mais  quand 
il  le  faisait,  il  mesurait  son  style  de  manière  à  ne  pas 
être  importun,  mais  à  mériter  d'être  exaucé  en  faveur 
de  la  politesse  de  sa  demande. 

II  préférait  avoir  à  juger  les  procès  de  ceux  qui  lui 
étaient  inconnus,  plutôt  que  ceux  de  ses  amis;  et  il 
disait  que  parmi  les  premiers  il  pouvait  distinguer  le 
coupable,  sans  avoir  rien  à  craindre,  et  que  de  l'un 
d'eux  il  s'en  ferait  un  ami,  mais  qu'entre  ses  amis,  il 
II.  33 


514  LA  LÉGENDE   DORAe 

«n  perdrait  certainement  ah,  saTotr  câui  oontretequid 
il  prononcerait  sa  sentence.  Beaucoup  d^^i^tises  I%m« 
tèrent  ;  ii  y  prêchait  la  parole  de  Dieu  et  opérdil  des 
conrer^ions.  Quelquefois,  dans  ses  '  prédiàBttions,  il 
sortait  du  cadre  qu'il  s'était  tracé  ;  alors  il  dintt'qiui 
cela  entrait  dans  le  plan  de  Dieu  prâr  le  aidtti  de  quel- 
qu'un.  Ce  qui  fut  évident,  par  rapport  i  un  hottune 
d'affaires  des  manichéens,  qui  se  convertit  ai  assis* 
tant  à  une  prédication  où  saint  Augustin  £t  une 
digression  contre  cette  hérésie.  En  ce  tempfr-li,  les 
Goths  s*^taient  emparés  de  Rome  ;  alors  les  idoUlIres 
et  les  infidèles  insultaient  beaucoup  les  chrétiens  ;  à 
cette  occasion,  saint  Augustin  composa  son  ItTfe  de  la 
Cité  de  Dieu,  pour  démontrer  qu'ici^bas  les  justes 
doivent  souffirir  et  les  impies  prospérer.  Il  j  traite  des 
deux  eitèsi,  celle  de  Jérusalem  et  odle  de  Bàbylone  c4 
de  leurs  rois,  parce  que  le  roi  de  Jérusalem,  c'^t  J.«C«, 
et  le  roi  de  Bàbylone,  c'est  le  diable,  «c  Deux  amours,* 
dit4I,  ont  bâti  ces  deux  cités,  Famour  de  soi,  alhml 
jusqu'au  mépris  de  Dieu,  a  bâti  la  cité  du  diable,  et 
Tamour  de  Dieu,  allant  jusqu'au  mépris  de  soi,  la 
cité  de  Dieu.  »  Pendant  qu'Augustin  vivait  eucore, 
vers  Tan  du  Seigneur  440,  les  Vandales  s'emparèrent 
de  toute  la  province  d'Afrique,  ravageant  tout,  et  n'é- 
pargnant ni  le  sexe,  ni  le  rang,  ni   l'âge.   Quand  ils 
arrivèrent  devant  la  ville  d'Hippone,  ils  l'assiégèrent 
vigoureusement.  Au  milieu  de  cette  tribulation,  saint 
Augustin,  plus    que  personne,    passa   les  dernières 
années  de  sa  vie  dans  Famertume  et  la  tristesse.  Ses 
larmes  lui  servaient  de  pain  le  jour  et  la  nuit,  en  voyant 
ceux-ci  tués,  ceux-là  forcés  de  fuir,  les  églises  veuves 


SAINT    AUGUSTIN  313 

de  leurs  prêtres,  et  les  villes  détruites  et  sans  habi- 
tants. Au  milieu  de  tant  de  maux,  il  se  consolait  par 
cet  adage  d'un  sage,  qui  disait  :  «  Celui-là  n^est  pas 
un  grand  homme  qui  regarde  comme  chose  extraor- 
dinaire que  les  arbres  tombent,  que  les  pierres  s'é- 
croulent et  que  les  mortels  meurent.  »  Mais  il  rassem- 
bla ses  frères  et  leur  dit  :  «  Oui,  j'ai  prié  Dieu  afin 
qu'il  nous  délivre  de  ces  périls,  ou  qu'il  nous  accorde 
la  patience,  ou  bien  qu'il  m'enlève  de  cette  vie  pour 
n'être  point  forcé  devoir  tant  de  calamités.  »  Il  n'ob- 
tint que  la  troisième  demande,  car  après  trois  mois 
de  siège,  en  février,  la  fièvre  le  prit,  et  il  se  mit  au 
lit.  Comprenant  que  sa  fin  approchait,  il  se  fit  écrire 
les  sept  Psaumes  de  la  pénitence  qu'il  commanda  d'at^ 
tacher  à  la  muraille,  à  côté  de  son  lit,  d'où  il  les  lisait, 
en  versant  sans  cesse  des  larmes  abondantes  ;  et  afin 
de  ne  penser  qu'à  Dieu  et  de  n'être  gêné  par  personne, 
dix  jours  avant  sa  mort,  il  défendit  de  laisser  entrer 
qui  que  ce  fût  dans  sa  chambre,  si  ce  n'est  le  médecin, 
ou  bien  celui  qui  lui  apportait  quelque  nourriture. 

Or,  un  malade  vint  le  trouver,  et  le  pria  instam- 
ment de  lui  imposer  les  mains  et  de  le  guérir.  Augus- 
tin lui  répondit  :  «  Que  dis-tu  là,  mon  fils  ?  Penses-tu 
que  si  je  pouvais  faire  chose  pareille,  je  ne  me  l'ac- 
corderais pas  pour  moi?  »  Mais  le  malade  insistait,  et 
lui  assurait  que  dans  une  vision  qu'il  avait  eue,  il  lui 
avait  été  ordonné  de  venir  le  trouver  et  qu'il  serait 
guéri.  Alors  Augustin,  voyant  sa  foi,  pria  pour  lui  et 
il  fut  guéri.  Il  délivra  beaucoup  d'énergumènes  et  fit 
plusieurs  autres  miracles.  Au  livre  XXII  de  la  Cité  de 
Dietiy  il    rapporte,    comme   ayant  été  opérés   par  un 


BI6  LA    UfCE^nE 


autre,  deux  mincies  qu'il  fit.  «  A  ma  connaissance, 
dit-il,  tme  jeune powmne  d'Hipponc,  ayant  répandit  < 
sur  elle  une  huile  où  le  pri^trc  «jui  priait  pour  elle 
avait  mél^  ses  larmes,  fut  délivrt^c  du  démon.  »  1]  dît  l 
encore  an  ro£me  endrmt  :  n  II  est  aussi  à  ma  connai»*  i 
sance  que  le  démon  quitta  soudain  un  jeune  |>09sédé  ;  ^ 
ua  évique  avait  prié  pour  ce  jeune  homme  sans  le  | 
voir.,»  Il  n'y  a  aucun  doute  qu'il  ne  parle  de  lui-', 
mtme,  mais  par  humilité,  il  n'a  pas  voulu  se  noia>  | 
-iner.  II.  rapporte,  dans  ce  même  ouvrage,  qu'uai 
malade  devait  être  taillé,  el  on  craignait  beaucoup] 
qu'il  ne  mourtlt  de  cette  opération.  Le  malade  plia 
IKeu  avec  abondance  de  larmes  ;  .\ugustin  pria  avec 
lui  et  pour  Uii,  et  sans  aucnne  incision,  il  re^-ut  une 
^érison  parfeite.  Enfin,  à  l'approclie  de  son  Irépaa, 
U  laissa  cet  enseignemcnl  mémorable,  savoir  qaa  , 
l'homme,  quelque  excellent  qu'il  soil,  ne  doit  pa*! 
mourir  sans  confession,  otsans  recevoir  l'Eucharistie.  ^ 
Quand  ses  derniers  instants  furcui  arrivés,  jouissant  I 
de  toutes  ses  facultés,  la  vue  et  l'ouïe  encore  saines, 
à  l'âge  de  77  ans,  et  de  son  épiscopat  la  40*,  en  pré- 
sence de  ses  frères  rassemblés  et  priant,  il  passa  au 
Seigneur.  Il  ne  fit  aucun  testament,  parce  que  ce 
pauvre  de  J.-C.  ne  laissait  rien  qu'il  pût  léguer.  Il 
vivait  vers  l'an  du  Seigneur  400. 

Augustin,  cet  astre  éclatant  de  sagesse,  cette  forte- 
resse de  la  vérité,  ce  rempart  de  la  foi,  l'emporta  sans 
comparaison  sur  tous  les  docteurs  de  l'Eglise,  aussi 
bien  par  son  génie  que  par  sa  science  :  Il  fut  aussi 
illustre  par  ses  vertus  que  par  sa  doctrine.  C'est  ce 
qui  fait  que  le  bienheureux  Hemi,  en  parlant  de  saint 


SAINT    AUGUSTIN  5i7 

Jérôme  et  de  quelques  autres  docteurs,  conclut  ainsi  : 
«  Saint  Augustin  les  surpassa  tous  par  le  j^énie  et  par 
la  science.  Car  bien  que  saint  Jérôme  avoue  avoir  lu 
les  6000  ouvrages  d'Origène,  cependant  saint  Augus- 
tin en  a  tant  écrit,  que  non  seulement,  personne,  y 
passât-il  ses  jours  et  ses  nuits,  ne  saurait  transcrire  ses 
livres,  mais  qu'il  ne  s'en  rencontre  pas  même  un  qui 
les  ait  lus  en  entier.  »  Vohisien,  auquel  saint  Augus- 
tin adressa  une  lettre,  parle  ainsi  :  «  Cela  ne  se  trouve 
pas  dans  la  loi  de  Dieu  si  saint  Augustin  l'ignore.  » 
Samt  Jérôme  dit  dans  une  lettre  écrite  par  lui  à 
saint  Augustin  :  «  Je  n'ai  encore  pu  répondre  à  vos 
deux  opuscules  si  pleins  d'érudition  et  d'une  éloquence 
si  brillante  ;  certes,  tout  ce  qu'on  peut  dire,  tout  ce 
à  quoi  peut  atteindre  le  génie,  et  tout  ce  qu'on  saurait 
puiser  dans  les  saintes  Ecritures,  vous  Tavez  traité, 
vous  l'avez  épuisé  :  mais  je  prie  Votre  Révérence  de 
me  permettre  de  donner  à  votre  génie  les  éloges  qu'il 
mérite.  »  Dans  son  ouvrage  des  Douze  Docteurs,  saint 
Jérôme  écrit  ces  mois  sur  saint  Augustin  :  «  Saint 
Augustin,  évêque,  est  comme  l'aigle  qui  plane  sur  le 
sommet  des  montagnes  :  Il  ne  s'occupe  pas  de  ce  qui 
se  trouve  au  bas,  mais  il  traite  avec  clarté  de  ce  qu'il 
y  a  de  plus  élevé  dans  les  deux  ;  il  embrasse  d'un 
coup  d'œil  la  terre  avec  les  eaux  qui  l'entourent.  » 
On  peut  juger  du  respect  et  de  l'amour  qu'éprouvait 
saint  Jérôme  pour  saint  Augustin  par  les  lettres  que 
celui-ci  lui  adressa.  Il  s'exprime  ainsi  dans  Tune  d'elles  : 
«  Jérôme,  au  saint  et  très  heureux  seigneur  pape, 
salut.  En  tout  temps,  j'ai  en  le  plus  profond  respect 
pour   votre   béatitude,  et  j'ai  chéri  J,-C.    notre  Sau- 


# 


«18 

venr  ^  Inbtte ai  voàB^.naM  ma^fimrithm  je  vaux, 
■TS  «M  ptMBMe,  ajoalér  ipialqoB  ducefluon  ot  MM* 
treleomnbfeiiMpeiMée;  fi^eitqMJeaeaKpcniels 
pMde  fMBBV  mène  vne  hean  m^  «laôr  voire  îm» 
préwAt  i  inoo  oi^t.  »  Dus  une  maHn  lettfe  tpHà  hà 
enraie  :  «  Tautt'en  fiiut,  dil-il,  que  j'ose  toucher  » 
qwn  que  ce  flmtdM  ouvrages  de  votre  béatitude  ;  j'ai 
déji  ueeS  de  corriger  les  miens,  sans  porter  la  main 
sur  ceàz  da  aatree.  »  Saint  Grégoire  s'exprime  ainsi 
dans  une  lettre  écrite  A  Innoccnlius.  préfet  d'Afrique  : 
n  HaaB  nous  réjonissons  du  désir  que  vous  manifes- 
lexde  receTob'de  noa^  l'exposition  sur  Job.  Mais  si 
voos  SOtthÛtei  yons  nssasier  de  quelque  noiirrituru 
délîdeoae,  lÎBei  les  c^ascules  de  saint  Aiivi^ustin,  votn^ 
compatriote  ;  toob  tnmverex  que  c'es^  on  oompaiain 
son  de  notre  tme,  de  la  fleur  de  Surine  A  cdié  de 
quelque  chose  de  fort  inftriear  venant  de  nous.  »  Vomi 
ce  qu'il  écrit  dans  acm  Heghtre  :  «  On  Kl  qiw  saint 
Augiutin  ne  conaentit  pas  même  A  habiter  avec  sK 
sœur  ;  car,  disait-il,  celles  qui  sont  avec  ma  sœur  ne 
sont  pas  mes  sœurs.  La  précaution  excessive  de  ce 
grand  docteur  doit  nous  servir  de  leçon.  On  lit  dans 
la  Préface  Ambroisienne  :  «  Nous  adorons,  Seigneur, 
votre  magnificence  au  jour  de  la  mort  de  saint  Au- 
gustin :  car  votre  force,  qui  opère  dans  tous,  a  fait 
que  cet  homme  embrasé  de  votre  esprit,  ne  se  laissa 
pas  vaincre  par  les  promesses  des  attraits  fallacieux  : 
vous  l'aviez  en  effet  rempli  de  tout  genre  de  piété, 
en  sorte  qu'il  vous  était  tout  à  la  fois,  l'autel,  le  sacri- 
fice, le  prêtre  et  le  temple,  h  Saint  Prosper  dans  son 
Traité  de  la  vie  contemplative  (Julien  Pomère,  I.  III), 


SAINT   AUGUSTIN  519 

parle  ainsi  de  saint  Augustin  :  «  Il  avait  un  génie 
pénétrant,  une  éloquence  suave  ;  un  grand  fonds  de 
littérature  classique  ;  il  avait  scruté  les  matières  ecclé- 
siastiques ;  il  était  clair  dans  ses  discussions  de  tous 
les  jours,  grave  dans  son  maintien,  habile  à  résoudre 
une  question,  attentif  à  réfuter  les  hérétiques,  catho- 
lique dans  l'exposition  du  dogme,  silr  dans  l'explica- 
tion des  écritures  canoniques.  )>  Saint  Bernard  dit  de 
son  côté  :  «  Augustin,  c'est  le  fléau  le  plus  redoutable 
des  hérétiques.  » 

Après  sa  mort,  les  barbares  ayant  fait  invasion  dans 
le  pays,  ils  profanèrent  les  lieux  saints  ;  alors  les  fidè- 
les prirent  le  corps  de  saint  Augustin  et  le  transpor- 
tèrent en  Sardaigne.  280  ans  s'étant  écoulés  depuis 
sa  mort,  vers  l'année  du  Seigneur  718,  Luitprand, 
pieux  roi  des  Lombards,  apprenant  que  la  Sardaigne 
avait  été  dépeuplée  par  les  Sarrasins,  fit  partir  des 
messagtrs  pour  faire  rapporter  à  Pavie  les  reliques 
du  saint  docteur  *.  Au  prix  d'une  somme  considé- 
rable, ils  obtinrent  le  corps  de  saint  Augustin  et  le 
transportèrent  jusqu'à  Gènes.  Le  saint  roi  l'ayant 
appris,  il  se  fit  un  bonheur  de  venir  à  sa  rencontre  et 
de  le  recevoir.  Mais  le  lendemain  matin,  quand  on 
voulut  reprendre  le  corps,  on  ne  put  le  lever  de  l'en- 
droit qu'il  occupait,  jusqu'au  moment  où  le  roi  fit 
voeu  que  si  le  saint  se  laissait  emmener,  il  ferait  bâtir, 
au  même  lieu,  une  église  qui  serait  dédiée  en  son 
nom.  Aussitôt  on  put  prendre  le  corps  sans  difficulté. 

•  Vincent  de  Beau  vais,  ///,«/.,  1.  XXIII,  c.  cxlviii  ;  —  Sitçe- 
bcrt,  an  721. 


580  Là.  ^Qàtmm  nomim 

* 

Le  roi  tint  sa  promesse  et  fit  oonslrmre  i  Gtees  une 
église  en  Plionnear  de  saint  Angostin.  Pàr^  minde 
arriva  le  lendemain  dans  une  TÎUa  dn  diocèse  de 
Tortone,  nommée  Casai,  où  Ton  ocmsirmsii  euDore 
nue  église  ea  Tlioniieur  de  saint  At^jfostin.  De  plm, 
Luilprand  concéda  cette  même  villa  avec  tontes  ses 
dépendances»,  pour  être  possédée  &  perpétuité  par  ceax 
qui  desserviraient  PégUse.  Or,  comme  le  roi  Toyaii 
qu'il  plaisait  au  saint  qu'on  lui  âevfti  une  église  par^ 
tout  où  il  s'arrêtait)  dans  la  crainte  qu'il  ne  se  cfaoistt 
un  autre  lieu  que  celui  où  il  voulait  le  mettre»  partout 
où  on  passait  la  nuit  avec  le  saint  ccMrps^  fl  fondait 
une  é^ise  ea  son  honneur.  Ce  fut  amsi  qu'on  arriva 
à  Pavie  dans  des  ùansports  de  joie,  et  que  Ton  plaça 
les  saints  restes  avec  de  grands  luinMursdans  l'^flise 
de  saint  Pierre,  appdée  au  Ciel  dPw.  -~  Un  meunier j, 
qui  avait  une  déyotion  toute  i|)édale  &  saint  Augus- 
tin, souffhdt  àlajambed'uœ  tumaur  nommée  pliie^rma 
sahum^  et  il  invoqumt  pieusement  saint  Augustin  à  son 
secours.  Le  saint,  dans  une  vision,  lui  toucha  la  jambe 
et  le  guérit.  A  son  réveil,  se  trouvant  délivré,  il  rendit 
grâces  à  Dieu  et  à  saint  Augustin.  —  Un  enfant  avait 
la  pierre  et  de  l'avis  des  médecins,  il  fallait  le  tailler. 
La  mère  qui  craignait  que  Tenfant  ne  mourût,  s'adressa 
dévolemenl  à  saint  Augustin  pour  qu'il  secourût  son 
fils.  Elle  n'eut  pas  plutôt  fini  sa  prière  que  l'enfant 
rendit  la  pierre  en  urinant  et  recouvra  une  parfaite 
santé. 

Dans  un  monastère,  appelé  Elémosina,  un  moine, 
la  veille  de  la  fête  de  saint  Augustin,  fut  ravi  en  extase 
et  vit  une  nuée  lumineuse  descendant  du  ciel,  et  sur 


SAINT    AUGUSTIN  S2i 

cette  nuée  saint  Augustin  assis  revêtu  de  ses  habits 
pontificaux.  Ses  yeux  étaient  comme  deux  rayons  de 
soleil  illuminant  toute  l'église  qui  était  remplie  d'une 
odeur  très  suave.  —  Saint  Bernard  étant  à  Matines 
s'assommeilla  un  peu,  et  pendant  qu'on  chantait  une 
leçon  de  saint  Augustin,  il  vit  un  jeune  homme  très 
beau  qui  se  tenait  debout,  et  de  la  bouche  duquel  sor- 
tait une  si  grande  abondance  d'eau  que  toute  l'église 
paraissait  devoir  en  être  remplie.  Saint  Bernard  ne 
fit  pas  difficulté  de  penser  que  c'était  saint  Augustin 
qui  a  fait  couler  dans  l'Eglise  entière  des  fontaines  de 
doctrine.  —  Un  homme,  qui  aimait  singulièrement 
saint  Augustin,  donna  beaucoup  d'argent  à  un  moine, 
gardien  du  saint  corps,  pour  avoir  un  doigt  d'Augus- 
tin. Le  moine  reçut  bien  l'argent,  mais,  à  la  place  du 
doigt  de  saint  Augustin,  il  lui  donna  le  doigt  d'un 
mort  qu'il  enveloppa  dans  de  la  soie.  L'homme  le  reçut 
avec  respect  et  lui  adressait  sans  cesje  ses  hommages 
avec  grande  dévotion,  le  pressant  sur  sa  bouche,  sur 
ses  yeux  et  le  suspendant  à  sa  poitrine. Dieu,  qui  voyait 
sa  foi,  lui  donna  d*une  manière  aussi  miraculeuse  que 
miséricordieuse  un  doigt  de  saint  Augustin  ;   l'autre 
avait  disparu.  Cet  homme  étant  rentré  dans  sa  patrie, 
il  s'y  fit  beaucoup  de  miracles  et  le  bruit  en  alla  jus- 
qu'à Pavie.  Mais  comme  le  moine  assurait  (jue  c'était 
le  doigt  d'un  mort,  on  ouvrit  le  sépulcre  et  on  trouva 
qu'il  manquait  un  des  doigts  du  saint.  L'abbé,  qui  sut 
le  fait,  déposa  le  moine  de  son  office  et  le  punit  sévè- 
rement. —  En  Bourgogne*,  dans  un  monastère  nommé 

•  Herbert,  De  miraruiis,    \.   III,  c.  xxxviii  ;  —  Opp.  de  saint 
Bernait. 


SSS  LA  lionn»  noadi 

Fontaines,  viraît  on  mùne  fféé  HqfOM,  trt>  dénit 
i  nint  AggMtin,  dont  il  lisait  ha  oanagea  amo  bo»- 
benr.  II  le  foiait  aoavent  de  ne  pas  permetlre  qu'il 
trépaMât  de  ce  monde  un  autre  jour  que  celui  où  l'on 
Mdenniaaït  sa  fêta.-  Quinze  jours  auparavant,  la  Ëèvre 
le  aaint  ai  Tiolemment  que  la  veille  de  la  fétc  on  le  posa 
par  terre  dans  l'élise;  comme  un  mourant.  El  voici 
que  {dttflieaFspersoiinEiu^es  beaux  et  brillants,  en  aubes, 
entfAreot  processionnel lement  dans  l'église  dudit  mo- 
nastère :  à  Imr  faite  venait  un  personnage  vénérable 
rerétn  d'habits  pontificau.v.  Un  moine  qui  était  alors 
dansl'4%liae  fat  saisi  à  cette  vue;  il  demanda  qui  ils 
étaient  et  oA  ils  allaient.  L'un  d'eux  lut  répondit  que 
Vêtait  saint  Angustin  avec  ses  chanoines  qui  venait 
assùtter  &  la  mort  de  ce  moine  qui  lui  était  dévot  afin  ". 
de  porter  son  Ame  au  royaume  de  la  gloire.  Ensuite 
cette  noble  procession  entra  dans  l'iniirinerie,  et  après 
j  être  restée  qaQlqœ  temps,  la  sainte  âmi>  du  moine 
fut  dtiirrée  des  liens  de  la  chair.  Son  doox  ami  1* 
fortifia  contre  les  erabllches  des  ennemis  et  l'intro- 
duisit dans  la  joie  du  ciel.  —  On  lit  encore  que,  de  son 
vivant,  saint  Augustin,  étant  occupé  à  lire,  vit  passer 
devant  lui  le  démon  portant  un  livre  sur  ses  épaules. 
Âussîlâl  le  saint  l'adjura  de  lui  ouvrir  ce  livre  pour  voir 
ce  qu'il  contenait.  Le  démon  lui  répartit  que  c'étaient 
les  péchés  des  hommes  qui  s'y  trouvaient  écrits,  pé- 
chés qu'il  avait  recueillis  de  tous  côtés  et  qu'il-  y  avait 
couchés.  El  à  l'instant  saint  Augustin  lui  commanda 
que,  s'il  se  trouvait  porté  quelqu'un  de  ses  péchés,  îl 
le  lui  donnât  à  lire  de  suite.  Le  livre  fut  ouvert  et  saint 
Augustin  n'y  trouva  rien  d'écrit,  si  ce  n'est  qu'une 


SAINT    AUGUSTIN  523 

fois,  il  avait  oublié  de  réciter  compiles.  Il  commanda 
au  diable  d'attendre  son  retour;  il  entra  alors  dans 
réalise,  récita  les  complies  avec  dévotion  et  après  avoir 
fait  ses  prières  accoutumées,  il  revint  et  dit  au  démon 
de  lui  montrer  encore  une  fois  l'endroit  qu'il  voulait 
relire.  Le  diable,  qui  retournait  toutes  les  feuilles  avec 
rapidité,  finit  par  trouver  la  page,  mais  elle  était 
blanche  :  alors  il  dit  tout  en  colère  :  «  Tu  m'as  hon- 
teusement déçu  ;  je  me  repens  de  t'avoir  montré  mon 
livre,  puisque  tu  as  effacé  ton  péché  par  la  vertu  de 
tes  prières.  »  Ayant  parlé  ainsi,  il  disparut  tout  plein 
de  confusion. 

Une  femme  avait  à  souffrir  les  injures  de  quelques 
personnes  pleines  de  malice  :  elle  vint  trouver  saint 
Augustin  pour  lui  demander  conseil.  L'ayant  trouvé 
qui  étudiait,  et  l'ayant  salué  avec  respect,  il  ne  la  re- 
garda ni  ne  lui  répondit  point.  Elle  pensa  que  peut- 
être  c'était  par  une  sainteté  extrême  qu'il  ne  voulait 
pas  jeter  les  regards  sur  une  femme  :  cependant  elle 
s'approcha  et  lui  exposa  son  affaire  avec  soin.  Mais 
il  ne  se  tourna  pas  vers  elle,  pas  plus  qu'il  ne  lui 
adressa  de  réponse  :  alors  elle  se  relira  pleine  de  tris- 
tesse. Un  autre  jour  que  saint  Augustin  célébrait  la 
messe  et  que  cette  femme  y  assistait,  après  Télévation, 
elle  se  vit  transportée  devant  le  tribunal  de  la  très 
sainte  Trinité  où  elle  vit  Augustin,  la  face  inclinée, 
discourant  avec  la  plus  grande  attention  et  en  termes 
sublimes  sur  la  gloire  de  la  Trinité.  Et  une  voix  se* 
fit  entendre  qui  lui  dit  :  «  Quand  tu  as  été  chez  Au- 
gustin^ il  était  tellement  occupé  à  réfléchir  sur  la 
gloire  de  la  sainte  Trinité  qu'il  n'a  pas  remarqué  que 


8M  lA  LicENDE    OORéR 

ta  MHS  ▼einié  le  froavcr  ;  mais  rclonnie  chez  lui  avc-c 
àMnrancé;  In  le  tronreras  nfTable  el  lu  recevras  un 
aVis  Milataire.  »'EUe  If  fit  et  saint  Au^slin  l'écoiilA 
mrtc  bonté  et  loi  donna  un  excellent  conseil.  —  On 
rapporta  noMÎ  qâ'an  Mini  homme  étant  ravi  en  esprit 
daiù  le  ciel  et  ezamimiit  tous  les  saints  dans  la  gloire, 
n'y  Tc^nl  pas  nïnt  An  Justin,  demanda  à  quelqu'un 
dM  bienhenrenx  où  Sitait.  Il  lui  fui  répondu  :  «  \u- 
gostih  réside  an  jhn  baut  des  cieux,  où  il  mt'dite  sur 
la  gloire  de  la  tris  excellente  Trinité,  a  —  Quelquett 
habitants  de  Pavie  étaient  détenus  en  prison  par  le 
marquis  de  Malaspina.  Toute  boisson  leur  fut  refusée 
afin  de  pouvoir  en  extorquer  une  grosse  somme  d'ar- 
fràt.  I^  plupart  rendaient  dt^'jà  l'Éimc,  quelques-uns 
buvaient  leur  orine.  Un  jeune  homme  d'eutre  eux.  qui 
avait  une  f^rande  dévotion  pour  saint  Au|j;uslin,  ré- 
clama son  assistance.  Alors  au  milieu  de  la  nuil,  saint 
Augustin  apparut  à  ce  jeune  homme,  et  comme  s'il 
lui  prenait  la  main,  U  le  ronduisii  an  fictive  de  (ira- 
velon  où  avec  une  feuille  de  vigne  trempée  dans  l'eaii, 
il  lui  rafraîchit  tellement  la  langue,  que  lui,  qui  aurait 
souhaité  boire  de  l'urine,  n'aurait  plus  souhaité  main- 
tenant boire  du  nectar.  —  Le  prévôt  d'une  église, 
homme  fort  dévot  envers  saint  Augustin,  fut  malade 
pendant  trois  ans  au  point  de  ne  pouvoir  sortir  du  Ht. 
La  fête  de  saint  Augustin  était  proche,  et  déjà  on 
sonnait  les  vêpres  de  la  vigile,  quand  il  se  mit  à  prier 
saint  Augustin  de  tout  cœur.  Saint  Augustin  se 
montra  à  lui  revêtu  d'habits  blancs  et  en  l'appelant 
trois  fois  par  son  nom,  il  lui  dit  :  «  Me  voîci,  tu  m'as 
appelé  assez  longtemps,  lève-toi  de  suite,  et  va  me  ce- 


:\ 


SAINT    AUGUSTIN  525 

lébrer  Toffice  des  Vêpres.  »  Il  se  leva  guéri,  et,  à  Té- 
tonnemenl  de  tous,  il  entra  dans  l'église,  où  il  assista 
dévotement  à  tout  l'office.  —  Un  pasteur  avait  un 
chancre  affreux  entre  les  épaules.  Le  mal  s*accrut  au 
point  de  le  laisser  absolument  sans  forces.  Comme  il 
priait  saint  Augustin,  celui-ci  lui  apparut,  posa  la  main 
sur  la  partie  malade  et  la  guérit  parfaitement.  Le  même 
homme,  dans  la  suite,  perdit  la  vue.  Il  s'adressa  avec 
confiance  à  saint  Augustin,  qui,  un  jour  sur  le  midi, 
lui  apparut,  et  en  lui  essuyant  les  yeux  avec  les  mains, 
il  lui  rendit  la  santé. 

Vers  Tan  du  Seigneur  912,  des  hommes  gravement 
malades,  au  nombre  de  plus  de  quarante,  allaient  à 
Rome  de  l'Allemagne  et  de  la  Gaule  pour  visiter  le 
tombeau  des  apôtres.  Les  uns  courbés  se  traînaient 
par  terre  sur  des  sellettes,  d'autres  se  soutenaient  sur 
des  béquilles,  ceux  qui  étaient  aveugles  se  laissaient 
traîner  par  ceux  qui  marchaient  en  avant,  ceux-là  en- 
fin avaient  les  mains  el  les  pieds  paralysés.  Ils  passè- 
rent une  montagne  el  parvinrent  à  un  endroit  appelé 
la  Charbonnerie.  Ils  étaient  près  d*un  lieu  qui  se  nomme 
Cana,  à  une  distance  de  trois  milles  de  Pavie,  quand 
saint  Augustin  revêtu  de  ses  ornements  pontificaux, 
et  sortant  d'une  église  érigée  en  l'honneur  des  saints 
Côme  et  Damien,  leur  apparut  et  leur  demanda  où  ils 
se  dirigeaient.  Ils  lui  répondirent  qu'ils  allaient  à  Rome  ; 
alors  saint  Augustin  ajouta  :  «  Allez  à  Pavie  et  de- 
mandez le  monastère  de  saint  Pierre  qui  s'appelle  Ciel 
d'or,  et  là  vous  obtiendrez  les  miséricordes  que  vous 
désirez.  Et  comme  ils  lui  demandaient  son  nom,  il  dit  : 
«  Je  suis  Augustin  autrefois  évèque  de  l'église  d'Hip- 


putic.  u  AussitiM  il  disparut  à  leurs  regards.  Ils  se  di- 
riçf^renl  donc  vers  Pavie,  et  étant  arriv»îa  au  monas- 
tère indiqué  et  apprenant  que  c'était  là  que  reposait 
le  corps  de  saint  Aui^ustin,  ils  se  mirent  tous  à  élever 
la  voix  et  à  crier  tous  ensemble  :  «  Saint  Augustin, 
aidez-nous,  u  Leurs  clameurs  émurent  les  citoyens  et  les 
moines  qui  s'empressaient  d'accourir  à  un  spectacle 
ai  extraordinaire.  Or, voilà  que,  par  l'extension  de  leura 
nerfs,une  grande  quantité  desangse  mit  àcoulcr, de  telle 
sorte  que  depuis  l'entrée  du  monastère,  jusqu'au  tom- 
beau de  saint  .Augustin,  la  terre  paraissait  enétretoul« 
couverte.  Parvenus  au  tombeau,  tous  furent  entière- 
ment guéris,  comme  s'ils  n'avaient  jamais  été  cstropiéa. 
Depuis  ce  moment,  la  renommée  du  saint  se  propagea 
de  plus  en  plus,  et  une  multitude  d'infirmes  vint  à 
son  tombeau,  01*1  tous  recouvraient  la  santé,  cl  iais- 
m'uml  des  gages  de  leur  i^uéhson.  Telle  fut  la  quantité 
de  ces  gages  que  tout  l'oratoire  de  saint  Augustin  etf 
le  portique  eu  étaient  pleins,  en  sorte  que  cela  devinl^ 
la  cause  d'un  grand  embiirras  pourentrer  Pt  pour  sor**^ 
tir.  La  nécessité  força  les  moines  à  les  âter.  —  Il  y  a 
trois  choses  qui  sont  l'objet  des  désirs  des  personnes 
du  monde,  les  richesses,  les  plaisirs  et  les  honneurs. 
Or,  le  saint  atteignit  à  un  tel  degré  de  perfection  qu'il 
méprisa  les  richesses,  qu'il  repoussa  les  honneurs  el 
qu'il  eut  les  plaisirs  en  aversion.  Il  méprisa  les  ri- 
chesses ;  c'est  lui-même  qui  t'assure  dans  ses  Soli!o- 
ques,  où  la  raison  l'interroge  el  lui  dit  :  «  Est-ce  que 
tu  ne  désires  pasde  richesses?  »  Et  Augustin  répond: 
'(  Je  ne  saurais  avouer  ce  premier  point  :  j'ai  trente 
ans,  et  il  y  en  a  bien  quatorze  que  j'ai  cessé  de  les 


SAINT    AUGUSTIN     .  527 

désirer.  Des  richesses,  je  n'en  désire  que  ce  qu'il  faut 
pour  me  procurer  ma  nourriture.  C'est  un  livre  de 
Cicéron  qui  m'a  entièrement  convaincu  qu'il  ne  faut 
en  aucune  manière  souhaiter  les  richesses.  »  Il  a  re- 
poussé les  honneurs  :  il  le  témoigne  dans  le  même 
livre.  «Que  peusez-vous  des  honneurs?  »  lui  demande 
la  raison.  Et  saint  Augustin  répond  :  ((  Je  Tavoue, 
c'est  seulement  depuis  peu  de  temps,  presque  de- 
puis quelques  jours  que  j'ai  cessé  de  les  ambition- 
ner. »  Les  plaisirs  et  les  richesses,  il  les  méprisa,  par 
rapport  à  la  chair  et  au  goût.  La  raison  lui  de- 
mande donc  :  «  Quelle  est  votre  opinion  au  sujet  d'une 
épouse?  Ne  vous  plairait-elle  pas,  si  elle  était  belle, 
chaste,  honnête,  riche,  et  surtout  si  vous  aviez  la 
certitude  qu'elle  ne  vous  serait  pas  à  charge?  »  Et 
saint  Augustin  répond  :  «  Quelque  bien  ([ue  vous  la 
vouliez  peindre,  quand  vous  la  montreriez  comblée  dé 
tous  les  dons,  j'ai  décidé  que  je  n'avais  rien  tant  à 
craindre  que  le  commerce  avec  une  femme.  »  «  Je  ne 
demande  pas,  reprend  la  raison,  ce  que  vous  avez 
décidé,  je  vous  demande  si  vous  vous  y  sentez  porté  ?  » 
Et  saint  Augustin  répond  :  «  Je  ne  cherche,  je  ne  dé- 
sire rien  à  ce  sujet  :  les  souvenirs  qui  m'en  restent 
me  sont  à  charge,  affreux  et  détestables.  »  Pour  ce 
qui  est  du  second  point,  la  raison  rinterroiç-e  en  di- 
sant :  «  Et  pour  la  nourriture,  qu'avez-vous  à  dire?  » 
ce  Pour  ce  qui  est  du  boire,  et  du  manger,  des  bains 
el  des  autres  plaisirs  du  corps,  ne  me  demandez  rien. 
J'en  prends  ce  qu'il  me  faut  seulement,  pour  conser- 
ver la  santé.  » 


I 


LA  DÉGOLLATrON   DE   SAINT  JEAN-BAPTISTft'J 

La  décollation  de  saint  Jean-Baptiste  se  célèbre  et 
aélif  instituée,  paratl-il,  pour  quatre  motifs,  d'après 
VOflice  milral*  :  i"  En  raisonde  sa  décollation  ;  2"  A 
.  cause  de  la  combustion  et  de  la  réunion  de  ses  os  ;  3°à 
l'occasion  de  l'invention  de  son  chef  ;  i'  en  mémoire 
delà  translation  d'un  de  ses  doigts,  et  de  la  dédicace 
de  son  église.  De  là  les  différents  noms  attribués  à  cettef' 
fête,  savoir  la  décollation,  la  collection,  l'invention  eL|] 
la  dédicace, 

l.  On  célèbre  cette  Kte  â  cause  delà  décollation. ËIL' 
eiïel,  selon  le  récit  de  l'tlisloire  scholastique'*.  Hé- 
rode  Anlipas,  fils  d'Hérode  le  Grand,  en  partant  pour 
Rome  passa  par  chez  son  frère  Philippe;  alors  eut  lieu 
un  accord  secret  entre  lui  et  Hérodiade,  femme  <le 
Pliilipi»!-,  et  selon  Joscplie,  stcur  d'Hérode  A^ripp«^| 
lie  répudier  sa  propre  femme  à  son  retour  et  de  se  ma^| 
rier  avec  cette  même  Hérodiade.  Sa  femme,  fille  d'A-  , 
rétas,  roi  de  Damas,  eut  connaissance  de  celte  conven- 
tion ;  alors  sans  attendre  le  retour  de  son  mari,  elle 
se  hâta  de  rentrerdans  sa  pairie.  En  revenant,  Hérode 
enleva  Hérodiade  à  Philippe  et  s'attira  l'inimitié  d'A- 
'  rélas,  d'Hérode  Agrippa  et  de  Philippe  tout  à  la  fois. 
Or,  saint  Jean  le  reprit,  parce  que,  d'après  la  loi,  il  ne 
lui  était  pas  permis  de  prendre  pour  femme,  ainsi  qu'il 
l'avait  fait,  l'épouse  de  son  frèredu  vivant  de  celui-ci. 

•  Cap.  xLi. 
"  In  Ecangel.,  cap.  l\xii:. 


LA   DÉCOLLATION    DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE         529 

Hérode  voyant  que  saint  Jean  le  reprenait  si  durement 
pour  ce  crime,  et  que,  d'un  autre  côté,  saint  Jean,  au 
rapport  de  Josèphe,  à  cause  de  sa  prédication  et  de 
son  baptême,  s'entourait  d'une  foule  de  inonde,  le  fit 
jeter  en  prison,  dans  le  désir  de  plaire  à  sa  femme,  et 
dans  la  crainte  d'un  soulèvement  populaire.  Mais  au- 
paravant il  voulut  le  faire  mourir,  mais  il  eut  peur  du 
peuple.  Hérodiade  et  Hérode  désiraient  également 
trouver  une  occasion  quelconque  pour  pouvoir  tuer 
Jean.  Il  paraît  qu'ils  convinrent  secrèlement  ensemble 
qu'Hérode  donnerait  une  fête  aux  principaux  de  la 
Galilée  et  à  ses  officiers  le  jour  anniversaire  de  sa  nais- 
sance; qu'il  promettrait  avec  serment  de  donner  à  la 
fille  d'Hérodiade,  quand  elle  danserait,  tout  ce  qu'elle 
demanderait;  que  cette  jeune  personne  demandant  la 
télé  de  Jean,  il  serait  de  toute  nécessité  de  la  lui  ac- 
corder à  raison  de  son  serinent,  dont  il  ferait  semblant 
d'être  contristé.  Qu'il  ait  poussé  la  feinte  et  la  dissi- 
mulation jusque-là,  c'est  ce  que  donne  à  entendre 
VHisioire  scholasUque  où  on  lit  ce  qui  suit  :  «  11 
est  à  croire  qu'Hérode  convint  secrètement  avec  sa 
femme  de  faire  tuer  Jean,  en  se  servant  de  cette  cir- 
constance. »  Saint  Jérôme  est  du  même  sentiment  dans 
la  glose  :  «  Hérode,  dit-il,  jura  probablement,  afin  d'a- 
voir le  moyen  de  tuer  Jean  ;  car  si  cette  fille  eùtdemandc 
la  mort  d'un  père  ou  d'une  mère  Hérode  n'y  eût  cer- 
tainement pas  consenti.  Le  repas  est  prêt,  la  jeunefille 
est  là  présente  ;  elle  danse  devant  tous  les  convives: 
elle  ravit  le  monde  ;  le  roi  jure  de  lui  donner  tout  ce 
qu'elle  demandera.  Prévenue  par  sa  nièn*,  elle  de- 
mande la  tête  de  Jean,  maisrastucieux  Hérode,  à  cause 
n.  34 


ftSft  hk  LiCMERIMB  IKMUfai 


de  800  senneat,  simula  la  Imlease,  parée  qae»  ommag 
le  dit  Raban,  il  avait  ea  la  tém^tté  de  jarer  ce  ^^M 
loi  fidlait  tenir.  Or,  sa  tristease  était  sedemeai  anr  aa 
igurC)  tandis  qu'il  avait  la  joie  dans  le  coMir.  flVeaiE- 
cttse  sur  scmh  serment  afin  de  pouvoir  être  iaupie  aoaa 
rappareoce  delà  piété.  Le  bourreau  est  dmie  eainifé, 
la  tète  de  Jean  est  tranchée,  elle  est  donnée  à  la  jeune 
fUle»  et  celle-ci  la  présente  à  sa  mère  adultère,  s  Saint 
Augustin,  à  propos  de  ce  Serment,  raconte  Prrrf  pir 
suivant  dans  un  sermon  qu'il  fit  A  la  ÛécoHation  àà 
saint  Jean*Baptiste. 

'  «  YcMciun  fait  qui  m'a  été  raconté  par  nuboauBeiaN 
nocentetde  bonne  foi.  Quelqu'un  Itiiajant  niénn  prél 
ou  une  (tette,  il  en  fut  ému  et  il  le  provo^pm  A  bire  aw» 
ment.Ledétnteur  le  fit  et  l'autre  perdit.  Lanuitanimualet 
ce  dernier  se  crut  tratné  devant  le  juge  qui  rinterrogea 
en  ces  termes  :  «  Pourqum  as-tu  provoqué  tim  défain 
teur  à  faire  serment,  quand  tu  savais  qu'il  se  paijttr»* 
rail  ?»  Et  Thomme  répondit  :  «  Il  m'a  nié  monbten.  a 
«  Il  valait  mieux,  reprit  le  juge,  perdre  ton  bien  que 
de  tuer  son  âme  par  un  faux  serment.  »  On  le  fit 
prosterner,  et  il  fut  condamné  à  être  battu  de  verges  ; 
or,  il  le  fut  si  rudement,  qu'à  son  réveil,  on  lui  voyait 
encore  la  marque  des  coups  sur  le  dos.  Mais  il  lui  fut 
pardonné  après  qu'il  eut  fait  pénitence.  »  Ce  ne  fut 
cependant  point  à  pareil  jour  que  saint  Jean  fut  dé- 
collé, mais  un  an  avant  la  Passion  de  J.-C,  vers  les 
jours  des  azymes.  Il  a  donc  fallu,  à  cause  des  mys- 
tères de  Notre-Seigneur,  que  Tinférieur  le  cédât  à  son 
supérieur.  A  ce  sujet,  saint  Jean  Chrysostome  s'écrie  : 
«  Jean,  c'est  l'école  des  vertus,  la  règle  de  vie,  Tcx- 


LA    DÉCOLLATION    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  53  L 

pression  de  la  sainteté,  le  modèle  de  la  justice,  le 
miroir  de  la  virginité,  le  porte-étendard  de  la  pudi- 
diéy  l'exemple  delà  chasteté,  la  voie  de  la  pénitence, 
le  pardon  des  péchés,  la  doctrine  de  la  foi.  Jean  est 
plus  grand  qu*un  homme,  il  est  Tégal  des  anges,  le 
sommaire  de  la  loi,  la  sanction  de  l'évangile,  la  voix 
des  apdtres,    celui  qui   fait   taire  les   prophètes,   la 
lumière  du  monde,  le  précurseur  du  souverain  juge, 
l'intermédiaire   de   la   Trinité    tout    entière.    Et    cet 
homme  si  éminent  est  donné  à  une  incestueuse,  il  est 
livré  à  une  adultère;,  il  est  accordé  à  une  danseuse  !  » 
Hérode  ne  resta  pas  impuni,  mais  il  fut  condamné  à 
Texil.  En  eflFet,  d'après  ce  qu'on  trouve  dans  17i/s- 
toire  scholastique,  Hérode  Agrippa,  vaillant  person- 
nage, mais  pauvre,  se  voyant  réduit  à  l'extrémité, 
s'enferma  par  désespoir  dans  une   lour  avec  Tinten- 
tion   de  s'y  laisser  mourir  de  faim.    Hérodiade,  sa 
sceur,  informée  de  celte  résolution,   supplia  Hérode 
Antipas,  tétrarque,  son  mari,  de  le  tirer  de  la  tour  et 
de  lui  fournir  ce  qui  lui  était  nécessaire.   Il  le  fît,  et 
comme  ils   étaient    tous   les  deux    à   table,  Hérode, 
tétrarque,  échauffé  par  le  vin,   reprocha  à    Hérode 
Agrippa  les  bienfaits  dont  il  l'avait  comblé  lui-même. 
Celui-ci  en  conçut  un  vif  chagrin  et  partit  pour  Rome 
où  il  fut   bien   accueilli    par    Caïus    César,    qui    lui 
accorda  deux  tiHrarchics,  celle  de  Lisanias  et  celle  du 
pays  d'Abilène;  il  lui  plaça,  en  outre,  le  diadème  sur 
le  front,  avec  l'intention  de    le   faire   roi   de  Judée. 
Hérodiade,  voyant  que  son  frère  avait  le  titre  de  roi, 
pressait  instamment  son   mari  d'aller  à  Rome  et  de 
solliciter  aussi  pour  lui  la  même  distinction.    Mais, 


I 


SSâ  LX    LÉGEMtE   IIOKÉE 

t'Iaiil  fort  riclie,  il  ne  voulait  pas  suivre  le  cr>nseil  de 
sa  femme,  car  il  préfi^rail  le  repos  à  des  fonctions 
lionorables.  Vaincu  enfin  par  ses  prières,  ÏI  alla  A 
Rome  avec  elle.  Agrippa,  cjuî  en  eut  connaissanre, 
expédia  à  César  des  lettres  pour  l'informer  qn'Hérodc 
s'était  assuré  de  l'amitié  du  roi  des  Parthes,  et  vou- 
lait se  révolter  contre  l'empire  romain,  et  pour  preuve, 
il  lui  fît  savoir  qu'il  avait  dans  ses  places  fortes  d^ 
armes  en  assez  grande  quantité  pour  armer  soixante- 
dix  mille  soldais.  CaTus,  après  avoir  lu  la  lettre,  s'in- 
forma, comme  s'il  le  tenait  d'une  autre  source,  auprès 
d'Hérodc,  sur  sa  position,  et  entre  autres  choses,  il 
lui  demanda  s'il  était  vrai,  ainsi  qu'il  l'avait  entendu 
dire,  qu'il  ertt  une  si  grande  quantité  de  troupes  sous 
les  armes,  dans  les  villes  de  sa  juridiction.  Hérodene 
Ht  aui'une  difficulté  d'en  convenir,  Caïus,  persuadé 
alors  de  l'exactitude  du  rapport  d'Hérode  Agrippa, 
l'envoya  en  exil  ;  quant  à  son  épouse,  qui  était  sœur 
(le  ce  même  Hérode  Agrippa  pour  lequel  il  avait 
beaucoup  d'affection,  il  lui  permit  de  retourner  dans 
son  pays.  Mais  elle  voulut  accompagner  son  mari,  en 
disant  que  puisqu'elle  avait  partagé  sa  prospérité, 
elle  ne  l'abandonnerait  pas  dans  l'adversité.  Ils  furent 
donc  déportés  à  Lyon,  où  ils  finirent  leur  vie  dans  la 
misère.  Ceci  est  lire  de  l'Histoire  sckolastique. 

II.  Cette  fêle  est  célébrée  à  cause  de  la  combustion 
et  de  la  réunion  des  os  de  saint  Jean  ;  car  des  auteurs 
prétendent  qu'on  les  brâla  en  ce  jour,  et  que  les  res- 
tes en  furent  recueillis  par  les  fidèles.  C'est,  en  quel- 
que sorte,  un  second  martyre  que  saint  Jean  souffre, 
puisque  il  est  bn1lé  dans  ses  os,  et  c'est  la  raison 


i 


LA    DÉCOLLATION    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  533 

pour  laquelle  l'Eglise  célèbre  cette  fête  comme  si  elle 
était  son  second  martyre*.  On  lit  donc  au  XII®  livre 
de  VHisloire  scholasiîque  ou  ecclésiastique  y  que  les 
disciples  de  saint  Jean  ensevelirent  son  corps  auprès 
de  Sébaste,  ville  de  Palestine^  entre  Elisée  et  Âbclias. 
Il  se  faisait  de  grands  miracles  à  son  tombeau  ;  mais, 
par  Tordre  de  Julien  TAposlat,  les  gentils  dis- 
persèrent les  os  du  saint  ;  et  comme  les  miracles 
continuaient  toujours,  on  recueillit  les  os,  on  les 
brûla,  puis  on  les  réduisit  en  une  poussière  que  l'on 
vanna  dans  les  champs,  toujours  d'après  VHisloire 
scholastique.  Mais  le  bienheureux  Bède  dit  que  les 
os  eux-mêmes  furent  ramassés  et  épars  plus  loin 
encore.  Saint  Jean  parut  souffrir  ainsi  un  second 
martyre.  (C'est  ce  que  certaines  gens  imitent  sans 
savoir  ce  qu'ils  font,  quand,  à  la  Nativité  de  saint 
Jean,  ils  ramassent  des  os  partout  et  les  brûlent.)  Or, 
pendant  qu'on  les  recueillait  pour  les  brûler,  d'après 
VHisloire  ecclésiastique  et  le  témoignage  de  Bède,  des 
moines,  venus  de  Jérusalem,  se  mêlèrent  en  cachette 
à  ceux  qui  étaient  occupés  à  les  recueillir,  et  en  prirent 
une  grande  partie.  Ils  portèrent  alors  ces  ossements  à 
Philippe,  évéque  de  Jérusalem,  qui,  plus  tard,  les 
envoya  à  Alhanase,  évêque  d'Alexandrie.  Dans  la  suite, 
Théophile,  évéque  de  cette  ville,  les  mit  dans  un  tem- 
ple de  Sérapis,  purgé  de  ses  ordures  ;  il  le  consacra 
comme  une  basilique,  en  l'honneur  de  saint  Jean.  Mais 
aujourd'hui,  on  les  honore  à  Gènes,  ainsi  que  Alexan- 

•  Eusèbe  de  Césarée,  1.  II;  —  Jiist,  ecclesiastit/ue,  c.  xxviii  ;  — 
Sigebert,  Chronique,  an  39i. 

II.  34- 


534  LA    LÉGENDE    DORÉE 

dre  ni  el  Innocent  IV  l'ont  approuvé  par  leurs  privi- 
lèges, après  en  avoir  reconnu  l'authenticiti!.  De  même 
qu'Hérode,  qui  lit  couper  la  tète  ù  saint  Jean,  subit  le 
châtiment  de  ses  crimes,  de  même  aussi,  Julien  l'Apos- 
tat, qui  fit  brtller  ses  os,  fut  frappé  par  la  vengeance 
divine.  On  a  l'histoire  de  la  punition  de  ce  dernier 
dans  la  légende  de  saint  Julien,  après  la  conversion 
de  saint  Paul  *. 

Mais,  dans  VHisloire  IripariHe**,  on  trouve  de 
plus  amples  détails  sur  l'origine  de  Julien  l'Apostat, 
son  régne,  sa  cruauté  et  sa  mort.  Constance,  frère 
du  grand  Constantin  et  descendant  du  même  j>ère, 
eut  deux  fils,  Gallus  et  Julien.  A  la  mort  de  Constan- 
tin, Constance  créa  césar  Gallus,  son  fils,  que  pour^ 
lent  il  tua  par  la  suite.  Alora  Julien,  plein  ilc  crainte, 
se  fit  moine,  et  imagina  de  consulter  les  magiciens 
pour  savoir  s'il  pouvait  avoir  encore  l'espérance  de 
parvenir  an  trône.  Après  quoi.  Constance  créa  césar 
Julien,  qu'il  envoya  dans  les  Gaules,  où  il  remporta 
grand  nombre  de  victoires.  Une  couronne  d*or,  sus- 
pendue par  un  fit  entre  deux  colonnes,  tomba  sur  sa 
tète,  en  s'y  adaptant  parfaitement,  au  moment  où  il 
passait  (le  fil  s'était  rompu);  tous  s'écrièrent  alors  que 
c'était  un  signe  qu'il  serait  empereur.  Comme  les  sol- 
dats le  proclamaient  Auguste,  et  qu'il  ne  se  trouvait 
pas  là  de  couronne,  un  des  soldats  prit  un  collier 
qu'il  avait  au  cou  et  le  mit  sur  le  front  de  Julien, 

•Ou  mi 

suite  de  la 

"■  Lib.  VI,  passim. 


A 


LA    DÉCOLLATION    DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE         535 

lequel  fut  ainsi  créé  empereur  par  les  soldats.  Dès 
lors,  il  renonça  aux  pratiques  du  christianisme,  qu'il 
ne  suivait  que  d'une  manière  hypocrite,  ouvrit  les 
temples  des  idoles  et  leur  y  offrit  des  sacrifices.  Il  se 
proclamait  le  Pontife  des  païens  et  faisait  abattre  par- 
tout les  images  de  la  Croix.  Une  fois,  la  rosée  tomba 
sur  ses  vêtements  et  sur  ceux  des  personnes  qui  rac- 
compagnaient, et  chaque  goutte  prit  la  forme  d'une 
croix.  Dans  le  désir  de  plaire  à  tous,  il  voulut,  après 
la  mort  de  Constance,  que  chacun  suivît  le  culte  qui 
lui  convînt;  il  chassa  de  sa  cour  les  eunuques,  les  bar- 
biers et  les  cuisiniers;  les  eunuques,  parce  qu'après  la 
mort  de  sa  femme  il  ne  s'était  point  remarié  ;  les  cui- 
siniers, parce  qu'il  ne  faisait  usage  que  des  mets  les 
plus  simples,  et  les  barbiers,  parce  que,  disait-il,  un 
seul  était  suffisant  pour  beaucoup  de  monde.  Il  com- 
posa une  foule  d'ouvrages,  dans  lesquels  il  déchira 
tous  les  princes,  ses  prédécesseurs.  En  chassant  les 
cuisiniers  et  les  barbiers  il  faisait  œuvre  de  philosophe, 
mais  non  pas  d'empereur;  mais  en  critiquant  et  en 
déférant  des  louanges,  il  ne  se  comporta  ni  en  philo- 
sophe ni  en  empereur.  Un  jour  que  Julien  offrait  un 
sacrifice  aux  idoles,  dans  les  entrailles  de  la  brebis 
qui  venait  d'être  immolée,  on  lui  montra  le  signe  de 
la  croix  entouré  d'une  couronne.  A  cette  vue,  les  mi- 
nistres eurent  peur,  et  expliquèrent  le  fait  en  disant 
qu'il  viendrait  un  temps  qui  n'aurait  pas  de  terme,  et 
où  la  croix  serait  victorieuse  et  uniqueincnl  vénérée. 
Julien  les  rassura  et  dit  que  cela  indiquait  qu'il  fallait 
réprimer  le'  christianisme  et  le  resserrer  dans  un  cer- 
cle. Tandis  que  Julien  offrait  à  Constanlinople  un  sa- 


S3ê  hk  tiemmùm  uomim 

eriiqe  à  k  Fortaae,  Marâ,  évèque  dé  GEhdMdoiiie, 
mttqiHd  la  TÎeilleflfe  arait  &dt  perdre  la  Toe,  le  viiil 
trouver  et  Tappda  impie  et  apoalal.  Joliea  hu  dit.: 
«  Ton  Galiléeii  n'a  doue  pa  te  goérir^  Uât  »  Maria  hn 
répondit  :«  «Tim  rends  ginices  à  Dieu,  ear  il  «*«  privé 
de  la  vue  afin  de  ne  pas  te  vcnr  déppniBé  de  fêété.  m 
Jnliaii  nt  lui  répondit  rien  et  se  retira.  A  Antioeha»  il 
fit  ramasatf  les  vasM  sacrés  et  les  omenienla»  pua  les 
jetant  par  terre,  il  s'assit  dessu»  et  se  perssft  de  les 
salir«  Mais  à  l'instant»  il  fut  frappé  à  rendrait  par  où 
il  avait  péché,  en  sorte  que  les  vers  7  fonmllhâent  et 
rongeaient  les  chairs*  Tant  qa'il  véent  d^Mtoa»  il  ne 
patsegoérir* 

Julien  le  préfet  qui,  par  Toidre  de  ranperenr^  aviait 
enlevé  les  vases  sacrés  appartonant  ans  ^j^yaesydii  en 
les  salissant  de  son  urine  :  «  Vojes  dans  qoda  vaaea 
on  adminisire  le  fils  de  Marte«  s  ImmédialMieat  sa 
bouche  est  changée  en  anus  :  et  ce  fut  aiosi  qn^  asb» 
tisfaisait  les  besoins  de  la  nature.  Pendantqne  Psiposiat 
Julien  entrait  dans  le  temple  de  la  Fortune,  les  minis- 
tres du  temple  aspergeaient  avec  de  Feau  ceux  qui 
arrivaient  afin  de  les  purifier  :  Valentinien  vit  une 
goutte  de  cette  eau  sur  sa  chlamyde;  plein  d'indigna- 
tion, il  frappa  du  poing  le  minisire  en  disant  qu'il 
était  sali  plutôt  que  purifié.  L'empereur,  témoin  de 
cela,  le  fil  mettre  sous  bonne  garde  et  conduire  dans 
un  désert.  En  effet,  Valentinien  était  chrétien,  et  il 
mérita  pour  récompense  d'être  élevé  par  la  suite  à 
l'empire.  Par  haine  encore  contre  les  chrétiens,  Julien 
fit  aussi  réparer  le  temple  des  Juifs,  auxquels  il  four- 
nit des  sommes  énormes;  mais  quand  ils  eurent  ras«- 


LA    DÉCOLLATION    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  337 

semblé  une  grande  quantité  de  pierres,  un  vent  extra- 
ordinaire s'éleva  subitement  et  les  dispersa  toutes  ; 
ensuite  il  se  fit  un  affreux  tremblement  de  terre;  en 
dernier  lieu,  le  feu  sortit  des  fondements  et  brûla  beau- 
coup de  monde  *.  Un  autre  jour,  une  croix  apparut 
dans  le  ciel  et  les  habits  des  Juifs  furent  couverts  de 
croix  de  couleur  noire.  En  allant  chez  les  Perses,  il 
vînt  à  Ctésiphonte  qu'il  mit  en  état  de  siège.  Le  roi, 
qiii  s*y  trouvait,  lui  offrit  la  moitié  de  son  pays,  s*il 
voulait  s'en  aller.  Mais  Julien  s'y  refusa  :  car  il  avait 
les  idées  dePythagorc  et  de  Platon  au  sujet  de  la  mu- 
tation des  corps,  croyant  posséder  l'âme  d'Alexandre, 
ou  plutôt  qu'il  était  lui-même  Alexandre  dans  un  autre 
corps.  Mais  tout  à  coup  il  reçut  un  dard  qui  s^enfonça 
dans  son  côté  ;  cette  blessure  mit  fin  à  sa  vie.  Qui 
lança  cette  flèche?  On  l'ignore  encore  ;  mais  les  uns 
pensent  que  ce  fut  un  des  esprits  invisibles,  d'autres, 
que  ce  fut  un  berger  ismaélite  :  /]uelques-uns  disent 
que  c'était  la  main  d'un  soldat  abattu  par  la  faim  et 
les  fatigues  de  la  route.  Que  ce  soit  un  homme  ou 
bien  un  ange,  il  fut  évidemment  l'instrument  de  Dieu. 
Calixte,  un  de  ses  familiers,  dit  qu'il  fut  frappé  par  le 
démon. 

Iir.  L'institution  de  cette  fête  eut  lieu  à  l'occasion 
de  l'invention  du  chef  de  saint  Jean  en  ce  jour.  Au 
XI*  livre  de  Yllisloire  eccl'siastiijue,  il  est  écrit  que 
saint  Jean  fut  détenu  et  dérapiti'  dans  un  château  de 
l'Arabie  nommé  Machéronte.  Mais  Hérodiade  fit  ap- 
porter la  tète  du  saint  à  Jérusalem  où  elle  la  fil  en- 

•  Socratc,  Hist.  ecclés.,   1.  III,  c.  xvu  ;  —   Sozonirne  ;    Nicé- 
phore,  I.  X,  c.   xxxii-xxxiii. 


538  LA    LÉGENDE    DOREE 

terrer  avec  soin  auprès  de  la  maison  d'Hérode,  dans 
la  crainte  que  ce  prophète  ne  ressuscitât,  si  son  chef 
était  enterré  avec  son  corps.  Or,  du  temps  de  Marcien, 
en  453,  saint  Jean  révéla  où  était  sa  tête  à  deux  moines 
venus  à  Jérusalem.  Ils  allèrent  en  toute  hâte  au  palais 
qui  avait  appartenu  à  Hérode,  et  trouvèrent  le  pré- 
cieux chef  enveloppé  dans  des  sacs  de  poils  de  chèvre 
provenant,  je  pense,  des  habits  dont  saint  Jean  était 
revêtu  dans  le  désert.  Durant  le  trajet  qu'ils  firent  pour 
retourner  en  leur  pays  avec  ce  trésor,  un  potier  de  la 
ville  d'Emèse,  vivant  de  son  métier,  se  joig^nit  à  eux. 
Or,  tandis  que  cet  homme  portait  la  besace  qu'on  lui 
avait  confiée,  et  dans  laquelle  se  trouvait  le  saint  chef, 
ce  dont  il  avait  été  averti  la  nuit  par  saint  Jean,  il  se 
déroba  de  ses  compagnons,  et  s'en  vint  à  Emèse  avec 
cette  relique,  qu'il  y  garda  avec  respect  dans  un  trou 
profond  tout  le  temps  qu'il  vécut  :  dès  lors  ses  affaires 
prospiVèreril  exlraordinairement.  Etant  près  de  mou- 
rir, il  révéla  son  secret  à  sa  s(i»ur  en  toute  confiance, 
cl  ses  héritiers  en  firent  autant  les  uns  aux  autres. 
Loiiti^temps  après,  saint  Jean  révéla  à  un  saint  moine, 
nonuné  Marcel,  habitant  la  même  caverne,  que  sa  tête 
s'y  trouvait.  Le  fait  se  passa  de  la  manière  suivante  : 
Pendant  son  sommeil  il  lui  semblait  qu'une  grande 
foule  s'avanrait  et  disait  :  «  Voici  que  saint  Jean- 
Baptiste  vient.  »  Il  vit  ensuite  le  saint  conduit  par 
deuxpersonnaijes,  \\\n  à  sa  droite  et  l'autre  à  sa  gau- 
che. Or,  tous  ceux  qui  s'approchaient  recevaient  une 
bénédiction.  Marcel  s'étant  approché  se  prosterna  à 
ses  pieds,  mais  le  saint  précurseur  le  fit  lever,  et  le 
prenant  par  le  menton,  il  lui  donna  le  baiser  de  paix. 


LA   DEGOLLATIOiN    DE    SAINT    JEAN-BAPTISTE  539 

Alors  Marcel  lui  demanda  :  «  Seigneur,  d'où  éles-vous 
venu  chez  nous?  »  Saint  Jean  répondit  :  «  De  Sébaste.  » 
Quand  Marcel  fut  éveillé,  il  fui  fort  étonné  de  cette 
vision;  mais  une  autre  nuit  qu'il  dormait,  quelqu'un 
vint  le  réveiller;  après  quoi,  il  vit  une  étoile  brillante 
arrêtée  sur  la  porte  de  sa  petite  cellule.  Il  se  leva 
et  voulut  la  toucher,  mais  elle  se  posa  ailleurs.  Alors 
il  suivit  l'étoile  jusqu'à  ce  qu'elle  se  fût  arrêtée  à  l'en- 
droit où  se  trouvait  la  tête  de  Jean-Baptiste.  Il  y 
fouilla,  trouva  une  urne  contenant  ce  saint  trésor. 
Quelqu'un,  qui  n'en  croyait  rien,  mit  la  main  sur  l'urne, 
mais  à  l'instant  sa  main  se  sécha  et  resta  attachée  au 
vase.  Alors  ses  compagnons  s'étant  mis  en  prières,  il 
put  retirer  sa  main,  mais  elle  resta  paralysée.  Or, 
saint  Jean  lui  apparut  et  lui  dit:  «  Quand  on  déposera 
mon  chef  dans  l'église,  tu  toucheras  l'urne  et  tu  seras 
guéri.  »  Il  le  fit,  et  fut  guéri  entièrement.  Marcel  rap- 
porta ces  événements  à  Julien,  évêque  d'Emèse.  Ils 
prirent  la  tête  et  la  transportèrent  dans  la  ville.  A 
partir  de  cette  époque.  Ton  commença  en  cette  ville 
k  célébrer  la  décollation  de  saint  Jean  au  jour,  où, 
pensons-nous,  le  chef  fut  trouvé  ou  élevé,  selon  ce 
qu'en  dit  VUistoire  scholastique.  Dans  la  suite  on  en 
fit  la  translation  à  Constantinople. 

D'après  l'Histoire  triparti  te  (I.  IX,  c.  xliii),  l'empe- 
reur Valens  ordonna  que  le  saint  chef  fût  mis  sur  un 
char  et  transporté  à  Constantinople  ;  mais  arrivé  auprès 
de  Chalcédoine,  on  ne  put  faire  avancer  le  char,  ([uels 
qu'aient  été  les  moyens  employés  pour  aii^uillonner  et 
presser  les  bœufs.  On  fut  donc  forcé  de  laisser  là  le 
chef.  Mais,   dans  la   suite,   comme  Tliéodose  voulait 


S40  L,\    Léi;kKUK    UOHIlE 

,  lViilever,il  (iriji  lavit;rg«,»iix  soiiiH  île  laquelle  11  élait* 
niiifîé,  de  lui  i>or[iie{lre  de  IViiiporler.  Elle  y  voulut 
bien  coniientir,  (laiis  la  [lersuasiuii  que,  comme  du 
li-iiips  de  Vtticns,  il  ne  tte  laisscrail  pas  emporter^ 
Alortt  le  [lieux  empereur  enveloppa  le  chef  dans  delà 
pourpre  et  le  Irausporta  à  Conslaiilinople  où  il  lui  fit 
hâtir  la  pluH  belle  des  églises.  De  là,  il  fut  peu  de* 
Icmps  uprèif  iransporté  à  Poitiers  dans  les  Gaules,  souaj 
le  règne  de  IVpin.  Plusiirurs  morts ^- furent  ressusciléB, 
par  ses  mérites.  —  Or,  de  même  qu'Hérode.  qui  avait  * 
fait  l'ouper  la  It^te  à  saint  Jean  et  que  Julien  qui  bnlls'  ] 
PL's  os,  fun^nl  piiiiis,  de  même  aussi  Hérudiade,quî  * 
avait  stiy^éiê  n  hii  lille  de  demander  la  tète  de  JfEin,  , 
reçut  la  paâitipn  de  son  ernae,  riiMi  qae  l«  ftUe  (fm 
arâit  hit  la  demande.  Qudqaea-ttm  (fiseot  ^'Héro- 
diade  ne  rnoonit  pai  en  çudi  oomne  ette  j  andt  été 
eondamnée,  mais  alora  qu'rile  tàkait  datu  les  maiils  la 
tète  de  aaiat  Jean,  elle  se  fit  ko  plaisfa^  de  l'ioBalter; 
or,  par  une  permMskm  de  Keu,  eette  tèle  riJe-méme 
lui  souffla  au  visage,  et  cette  méchante  femme  mourut 
aussitôt.  C'est  te  récit  du  vulgaire  ;  mais  ce'  qui  a  été 
rapporté  plus  haut,  qu'elle  périt  misérablement  en  exil 
avec  Hérode,  est  aftirmé  par  les  saints  dans  leurs 
chroniques  :  et  il  faut  s'y  tenir.  Quant  à  sa  fille,  elle 
se  promenait  un  jour  sur  une  pièce  d'eau  gelée  dont  la 
glace  se  brisa  sous  ses  pieds,  et  elle  fut  étoulTée  à 
l'instant  dans  les  eau.v.  On  lit  cependant  dans  une 
chronique  (|u'elle  fut  engloutie  toute  vive  dans  la  terre. 
Ce  qui  peut  s'entendi'e,  comme  quand  on  parle  des 
Egyptiens  engloutis  dans  la  mer  Rouge,  on  dit  avec 
l'Ecriture  sainte  :  n  La  terre  les  dévora,  m 


LA   DÉCOLLATION    DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE  54  i 

IV.  La  translation  de  son  doigt  et  la  dédicace  de 
son  église.  On  dit  que  le  doigt  avec  lequel  saint  Jean 
montra  le  Seigneur  ne  put  être  brûlé.  C'est  pour  cela 
que  ce  doigt  fut  trouvé  par  les  moines  dont  il  a  été 
parlé.  Dans  la  suite  sainte  Thècle  le  porta  au  delà  des 
Alpes  et  le  déposa  dans  une  église  dédiée  à  saint  Mar- 
tin*. Ceci  est  attesté  par  Jean  Beleth  qui  dit  que 
sainte  Thècle  apporta  ce  doigt,  qui  n'avait  pu  être 
brûlé,  des  pays  d'outre-mer  en  Normandie**  où  elle 
fit  élever  une  église  en  l'honneur  de  saint  Jean.  On  as- 
sure que  cette  église  fut  dédiée  à  pareil  jour.  C'est  ce 
qui  a  porté  le  souverain  Pontife  à  faire  célébrer  en  ce 
jour  cette  fête  dans  l'univers  entier.  —  Dans  une  ville 
des  Gaules  nommée  Maurienne  ***,  se  trouvait  une 
dame  remplie  de  dévotion  envers  saint  Jean-Baptiste; 
elle  priait  Dieu  avec  les  plus  grandes  instances  pour 
obtenir  quelqu'une  des  reliques  de  saint  Jean.  Mais 
comme  elle  voyait  que  ses  prières  n'étaient  pas  exau- 
cées, elle  prit  la  confiance  de  s'engager  avec  serment 
à  ne  point  manger  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  re^'u  ce  qu'elle 
demandait. 

Après  avoir  jeûné  pendant  quelques  jours,  elle 
vit  sur  l'autel  un  pouce  d'une  admirable  blancheur, 
et  elle  recueillit  avec  joie  ce  don  de  Dieu.  Trois  évê- 
ques  étant  accourus  à  l'église,  chacun  d'eux  voulait 
avoir  une  parcelle  de  ce  pouce,  quand  ils  furent  saisis 
de  voir  couler  trois   gouttes  de  sang  sur  le  linge  où 

*  Les  éditions  plus  modernes  disent  saint  Maxime. 
••  J.  Beleth  dit  la  Mauritanie,  c.  cxlvh. 
•**  Saint-Jeau  de  Maurienne  ainsi  nommée  à  cause  des  mi- 
racles de  saint  Jean-Baptiste. 


us     ^^^0  LA    LÉUE.MIK    DUIlÉE 

41^  plÉale  l>  rd^œ,  et  Us  s'estimèrenl  heureux 
d'flM  «rbir  oiitemi  chïeim  tuw  *. 

Théoicdiae,  reine  des  Loi^enb,  St  éleTer  et  dote 
i  Jb^lM,  prèi  deH^n,  wme  gisnde  lé^ûe  en  IIkhi- 
wmar  de  hùbL  Jewi-Biptiele.  Dûs  la  fuite  du  temps, 
f après  le  lémigaafB  de  Phnl  **,  Goostantin,  auaà . 
tien  que  Penpefenr  CoosUnee»  foolant  soosiraire 
nietie  4  la  doninaUoD  des  Lombards,  demanda  i  ua 
saint  faomme,  doué  de'  Feeprit  de  pro|diétie»  quelle 
senit  IlsRie  de  k  fuerre.  Celoi-d  passe  la  miit  ea 
prière  «t  le  lendemain  malin,  il  répondît  :  «  La  reine 
a  bit  construire  nne  église  A  anmt  Jean-BapUste  qm 
-  inlantde  oos^at^eiiMnl  ponr  les  Ltnubards,  et  c'est 
pour'oda  qa'fli  ne-peavent  être  vaînctu.  Il  vioidra 
cependant  an  temps  que  ce  lieu  sers  méprisé  et  alors 
les  Lombards  senwt  vaineos.  »  Ce  qui  fiit  acconqifi. 
au  temps  de  Charles.  —  H  est  rapporté  par  ssiot  Gr^ 
goire  ***,  qu'un  homme  d'une  grande  aamteté,  nommé 
Ssnctalus,  avait  reçu  en  ta  garde  un  dïaare  pris  .par 
les  Lombards,  sous  la  condition  qoe  si  ce  diacre  s'en- 
fuyait, il  sérail,  lui,  condamné  à  perdre  la  lète.  Sano- 
lulus  Força  tediacreà  s'enfuir  et  à  recouvrer  la  liberté. 
Alors  Sanctulus  fut  conduit  au  supplice;  et  pour  l'exé- 
cution on  clioisil  le  bouiTeau  le  plus  robuste  qui  pour- 
rail,  sans  le  moindre  doute,  trancher  la  (éle  d'un  seul 
coup.  Sanctulus  avait  présenté  son  cou  et  le  bourreau 
avait  levé  l'épée  avec  le  bras  de  toute  sa  force,  quand 
le  patient  dit  :   «  Sainl  Jeun,  recevez-le.  m  A  l'înslanl, 

"  SaiDi  GrcRoire  de  Tours,  De  gloria  marlyr.,  1.  1,  c.  xiv. 
"  Hiiloire  det  Lombai-di,  I.  V,  c.  vr. 
•**  Dialogues,  1.  III,  c.  xxxvii. 


SAINT   FEUX    ET   SAINT   ADAUCTE  OU    ADJOINT       S4^ 

le  liras  du  bourreau  se  roidit  et  resta  immobile  avec 
Tépée  en  Tair;  il  fit  alors  le  serment  de  ne  frapper  dé* 
sormais  plus  aucun  chrétien  ;  alors  l'homme  de  Dieu 
pria  pour  lui  et  aussitôt  il  put  baisser  le  bras. 


SAINT  FÉLIX  ET  SAINT  ADAUCTE 
OU  ADJOINT» 

Félix,  prêtre,  et  son  frère,  nommé  aussi  Félix  et  pré- 
Ire  comme  lui,  furent  présentés  à  Dioclélien  et  à  Ma- 
ximien. L'aîné  ayant  été  amené  au  temple  de  Sérapis 
pour  y  sacrifier,  souffla  sur  la  statue  qui  tomba  à 
rinstant.  Conduit  ensuite  à  la  statue  de  Mercure,  il 
souffla  de  la  même  manière  et  Tidole  tomba  aussitôt. 
Traîné  en  troisième  lieu  à  Timage  de  Diane,  il  en  fit 
autant.  Il  subit  la  torture  du  chevalet;  il  fut  mené  en 
quatrième  lieu  à  un  arbre  sacrilè;i^e,  afin  qu*il  sacrifiât. 
Alors  il  se  mit  à  j^enoux,  fit  une  prière  et  souffla  sur 
Tarbre  qui  fut  déraciné  et  qui  brisa  eu  tombant  Tau- 
tel  et  le  temple.  Le  préfet,  en  ayant  été  informé,  or- 
donna qu'on  le  décapitât  au  môme  endroit,  et  qu'on 
abandonnât  son  corps  aux  loups  et  aux  chiens.  Aussi- 
tôt un  homme  sortant  dii  milieu  de  la  foule  se  déclara 
de  lui-même  chrétien.  Alors  lesdeux  confesseurs  s'em- 
brassèrent et  furent  décapités  sur  les  lieux  en  même 
temps.  Or,  les  chrétiens,  qui  ignoraient  le  nom  du  der- 
nier, l'appelèrent  adjoint  {Adancle)  parce  (ju'il  s'était 

*  Bréviaire. 


544  LA   LÉGENDE    DOREE 

adjoint  à  saint  Félix  pour  recevoir  la  couronne  du 
martyre.  Les  chrétiens  les  ensevelirent  dans  le  trou 
creusé  par  la  chute  de  Tarbre,  et  les  païens,  qui  vou- 
lurent les  en  ôter,  furent  aussitôt  saisis  par  le  diable. 
Ils  pâtirent  vers  Tan  du  Seigneur  287. 


SAINT  SAVINIEN  ET  SAINTE  SAVINE 

Savinien  et  Savine  étaientles enfants  de  Savin,  per- 
sonnage de  grande  noblesse,  mais  païen,  qui,  d'une 
première  femme,  eut  Savinien,  et  d'une  seconde,  Sa- 
vine ;  et  il  leur  donna  son  nom  à  tous  deux.  Savinien 
lisait  ce  verset:  Asperges  me,  Domine,  et  cherchait  la 
signification  de  ces  mots,  sans  pouvoir  les  compren- 
dre. Alors  il  entra  dans  sa  chambre,  se  prosterna  sur 
la  cendre  et  le  cilice  et  dit  qu'il  aimait  mieux  mourir 
que  de  ne  pas  comprendre  le  sens  de  ce  passage.  Un 
ange  lui  apparut  et  lui  dit:  «  Ne  te  fais  pas  mourir  de 
chagrin,  parce  que  lu  as  trouvé  grâce  devant  Dieu. 
Quand  lu  auras  été  baptisé,  tu  seras  plus  blanc  que 
la  neige,  et  tu  comprendras  alors  ce  que  tu  cherches 
à  présent.  »  L'ange  se  retirant,  Savinien  devient  joyeux, 
et  méprise  les  idoles  qu'il  n'honore  plus  ;  son  père  lui 
adressa  de  vifs  reproches  de  sa  conduite  et  lui  dit  : 
«  Mieux  vaut,  comme  tu  n'adores  pas  les  dieux,  que 
tu  périsses  seul,  que  de  nous  envelopper  tous  dans  ta 
mort.  »  Savinien  s'enfuit  donc  secrètement  et  vint  dans 
la  ville  de  Troyes.  Quand  il  fut  arrivé  auprès  de  la 
Seine,  et  qu'il  eut  j)rié  le  Seigneur  d'être  baptisé  de  ses 


SAINT    SAVINIEN    ET    SAINTE    SA  VIN  E  545 

eaux  ;  il  y  reçut  en  effet  le  baptême.  Alors  le  Seigneur 
lui  dit  :  «  Tu  as  trouvé  maintenant  ce  que  tu  as  cher- 
ché autrefois  avec  tant  de  labeur.  »  Aussitôt  Savinieuf 
enfonça  son   bâton  en  terre  et  après  avoir  fait*  une 
prière,  sous  les  yeu;c  des  assistants  réunis  en  grand 
nombre,  ce  bâton  produisit  des  feuilles  et  des  fleurs, 
en  sorte  qu'il  y  eut  onze  cent  huit  personnes  qui  cru- 
rent au  Seigneur.  Quand  l'empereur  Aurélien  apprit 
cela,  il  envoya  plusieurs  soldats   pour  s'emparer  de 
Savinien.  Or,  comme  ils  le  trouvèrent  en  prière,  ils  n'o- 
sèrent s'approcher  de  lui.  L'empereur  en  envoya  d'au- 
tres en  plus  grand  nombre.  Ils  vinrent,  s'unirent  à  ses 
prières  et  se  levèrent  ensuite  pour  lui  dire  :  «  L'em- 
pereur désire  vous  voir.  »  Le  saint  les  suivit,  mais 
comme  il  ne  voulait  pas  sacrifier,  Auréhen  lui  fit  lier 
les  mains  et  les  pieds  et  ordonna  de  le  frapper  avec 
des  barres  de  fer.  Savinien  lui  dit  :  «  Aggrave  les  .tour- 
ments, si  tu  peux.  »  Alors  l'empereur  le  fit  lier,  au 
milieu  de  la  ville,  sur  un  banc  au-dessous  duquel  on 
mit  du  bois  afin  de  brûler  le  saint,  puis  on  jeta  de 
rhuile  dans  le  feu.  En  même  temps  le  roi  le  vit  debout 
et  priant  au  milieu  desflammes.il  fut  stupéfait,  tomba 
sur  la  face  et  en  se  levant  il  dit  à  Savinien:  «Méchante 
bête,  tu  n'as  pas  encore  assez  des  âmes  que  tu  as  dé- 
çues ;  voudrais-tu  essayer  de  nous  faire  tomber  dans 
le  piège  à  l'aide  de  ta  magie.  »  Savinien  lui  répondit  : 
«  11  y  a  encore  beaucoup  d'âmes,  et  la  tienne  la  pre- 
mière que  je  dois  faire  croire  au  Seigneur.  »  Quand 
Fempereur  entendit  cela,  il  en  blasphéma  le  nom  de 
Dieu,  et  ordonna,  pour  le  lendemain,  que  Savinien  fût 
attaché  à  un  poteau  et  percé  de  flèches.  Mais  les  flè- 
II.  X) 


546  LA    LÉGENDE    DORÉE 

ches  restant  suspendues  en  Tair  à  droite  et  à  gauche, 
aucune  ne  le  blessa.  Le  lendemain,  l'empereur  le  vint 
^trouver  et  lui  dit  :  «  Où  est  ton  Dieu  ?  qu'il  vienne  à 
présent  et  qu'il  te  protège  contre  ces  flèches.  »  Et  à 
l'instant  Tune  d'elles  frappa  le  roi  ^l'œilet  le  rendit  tout 
à  fait  aveugle.  Le  roi  irrité  fit  reconduire  Savinien  en 
prison  pour  être  décapité  le  lendemain.  Or,  Savinien 
pria  d'être  transporté  à  l'endroit  où  il  avait  été  baptisé. 
Alors  ses  chaînes  se  brisèrent,  les  portes  s'ouvrirent 
et  il  y  vint  en  passant  au  milieu  des  soldats.  A  cette 
nouvelle  l'empereur  ordonna  de  l'y  poursuivre  et  de 
lui  couper  la  tête.  Quand  Savinien  vit  les  soldats  à  sa 
poursuite,  il  marcha  sur  l'eaucommesur  de  la  pierre, 
jusqu'à  ce  qu'il  fût  arrivé  à  l'endroit  où  il  avait  été  bap- 
tisé. Lors  donc  que  les  soldats  eurent  passé  lé  fleuve 
comme  à  gué,    ils  eurent  peur  de  le  frapper,  mais  il 
leur  dit  :  «  Frappez-moi  avec  une  hache,  ensuite  por- 
tez de  mon   sang  à  l'empereur  afin  qu'il  recouvre  la 
lumière  et  qu'il  reconnaisse  la  puissance  de  Dieu.  »  Il 
re(;ut  alors  le  coup,  prit  sa  tète  et  la  porta  l'espace  de 
(juaranle-iieuf  pas.  Pour  l'empereur,  quand  il  eut  tou- 
ché son  œil  avec  le  sang  du  saint,  il  fut  guéri  aussitôt 
et  dit  :  «  Il  est  véritablement  bonet  grand  le  Dieu  des 
clirétiens.  »  Une  femme  aveugle  depuis  quarante  ans, 
informée  de  ce  miracle,  se  fit  porter  en  cet  endroit,  et 
après  avoir  fait  une  prière,  elle  recouvra  incontinent 
la  vue.  Or,  saint  Savinien  souffrit  vers  l'an  du  Seigneur 
279,  aux  calendes  de  février.  Mais  sa  vie  est  insérée 
ici  afin  qu'elle  soit  réunie  à  celle  de  sa  sœur  dont  on 
célèbre  la  fête  principale  en  ce  jour. 

Savine,  sa  sceur,  pleurait  chaque  jour  le  départ  de 


SAINT    SAVINIEN    ET    SAINTE    SAVINE  547 

son  frère,  et  suppliait  pour  lui  les  idoles.  Enfin,  pen- 
dant son  sommeil,  un  ange  lui  apparut  et  lui  dit  : 
«  Savine,  cesse  de  pleurer,  mais  quitte  tout  ce  que  tu 
possèdes  et  tu  trouveras  ton  frère  élevé  au  plus  grand 
honneur.  »  A  son  réveil,  Savine  dit  à  sa  sœur  de  lait  : 
«  Mon  amie,  n'as-tu  rien  senti  ?  »  Celle-ci  répondit  : 
«  Oui,  madame;  j'ai  vu  un  homme  parlant  avec  toi, 
mais  je  ne  sais  vraiment  pas  ce  qu'il  disait  :  «  Tu  ne 
m'accuseras  pas?  »  reprit  Savine.  «  Tant  s'en  faut,  ma- 
dame, répondit  la  sœur  de  lait  :  tu  peux  faire  tout  ce 
que  tu  veux  ;  seulement  ne  te  tues  pas.  »  Et  le  lendemain 
elles  partirent  toutes  deux.  Le  père,  après  l'avoir  fait 
chercher  longtemps  sans  la  trouver,  dit  en  levant  les 
mains  au  ciel  :  «  Dieu  puissant,  s'il  en  existe  dans  le 
ciel,  brise  mes  idoles  qui  n'ont  pu  sauver  mes  en- 
fants. »  Mais  le  Seigneur  fit  entendre  son  tonnerre, 
brisa  et  réduisit  toutes  les  idoles  en  morceaux.  Alors 
un  grand  nombre  de  témoins  se  convertirent  à  la  foi. 
Pour  la  bienheureuse  Savine,  elle  vint  à  Rome,  où 
elle  resta  cinq  ans,  après  avoir  été  baptisée  par  le  pape 
Eusèbe,  et  avoir  guéri  deux  aveugles  et  deux  paraly- 
tiques. Un  ange  lui  apparut  pendant  son  sommeil,  et 
lui  dit  :  «  Savine,  que  fais-tu  donc?  tu  as  abandonné 
les  richesses  et  tu  vis  ici  dans  les  délices?  Lève-toi  et 
va  dans  la  ville  de  Troyes  pour  y  trouver  ton  frère.  » 
Savine  dit  alors  à  sa  suivante  :  «  Nous  ne  devons  plus 
habiter  ici.  »  «  OCi  veux-tu  aller?  reprit  celle-ci.  Tu 
vois  que  tout  le  monde  te  chérit,  est-ce  que  tu  veux 
mourir  en  voyageant?  »  «  Dieu  nous  gardera  »,  répon- 
dit Savine.  Elle  prit  un  pain  d'orge  et  arriva  î\  Ra- 
venne.  Elle  se  présenta  à  la  maison  d'un  riche  qui 


LÀ    LEGENDE    L>On£E 


picumit  Ml  (illc  «■xpîrante,  et  elle  y  demanda  l'hospi- 
talili^  à  uiip  servante  de  l'hAtel  (juJ  lui  dil  :  i'  Madame, 
comment  pourras-tu  loger  ici,  quand  la  Hlle  de  ma 
itiaUrf^iHe  se  metirt,  quand  tout  le  monde  est  dans  une 
grande  affltetrun.  »  i<  (!e  ne  sera  pas  à  cause  de  moi 
qu'elle  mourra  ",  r<?pondit  Savine.  Elle  entra  donc 
dan.s  Ih  maison,  et  prenant  la  jeune  HUe  par  la  main, 
elle  la  fit  lever  entièrement  guérie.  Comme  on  voulait 
retenir  Savine,  elle  ne  voulut  jamais  y  consentir.  Ar- 
rivée ô  un  mille  de  Troycs,  elle  dit  à  sa  suivante  qu'il 
leur  fallait  prendre  an  peu  de  repos,  quand  un  noble 
personnage,  nommi^  Licénus,qui  venait  de  la  ville,  leur 
dil  :  (I  D'où  étes-vous?  n  Savine  lui  répondit  :  «  Je 
i(iii!<  d'ici,  de  cette  ville.  »  <'  Pourquoi  mens-tu,  reprit 
Licérius,  puiKque  Ion  langage  indique  que  tu  es  une 
étransçère  ?  »  o  Oui,  seigneur,  dît  Savine,  je  suis  étran- 
gère et  je  cherclie  mon  frère  Savînien  qui  est  perdu 
depui»  longtemps.  »  Licérius  reprit  :  «  L'homme  que 
tu  cherches  a  été  décapité,  il  y  a  fort  peu  de  temps 
pour  J.-C.  et  il  est  enseveli  dans  tel  endroit.  »  Alors 
Savine  se  prosterna  à  terre  et  fit  cette  prière  :  a  Sei- 
gneur qui  m'avez  toujours  conservée  chaste,  ne  per- 
mettez pas  que  je  continue  à  me  fatiguer  dans  des 
roules  pénibles,  ni  que  mon  corps  soit  enlevé  de  ce 
lieu  désormais.  Je  vous  recommande  ma  servante  qui 
a  tant  souffert  pour  moi.  Faites  que  je  mérite  de  voir 
dans  votre  royaume,  mon  frère  que  je  n'ai  pu  voir  ici- 
bas,  n  Après  sa  prière,  elle  trépassa  au  Seigneur.  En 
voyant  cela,  sa  suivante  se  mit  à  pleurer  parce  qu'elle 
n'avait  pas  le  nécessaire  pour  l'ensevelir.  Mais  le 
personnage  dont  il  vient  d'être  question,  envoya  à  la 


SAINT   LOUP  549 

ville  un  Hérault  pour  qu'on  vînt  ensevelir  une  femme 
étrangère  en  voyage.  On  vint  et  on  l'ensevelit  avec 
honneur. 

On  fait  encore,  en  ce  jour,  la  fête  de  sainte  Sabine, 
épouse  du  soldat  Valentin,  qui  ne  voulant  pas  sacri- 
fier, fut  décapitée  sous  l'empereur  Adrien. 


SAINT  LOUP 

Saint  Loup,  né  à  Orléans  de  famille  royale,  res- 
plendissait de  toutes  les  vertus  quand  il  fut  élu  arche- 
vêque de  Sens.  11  donnait  presque  tout  aux  pauvres, 
et  un  jour  qu'il  avait  invité  beaucoup  de  personnes  à 
manger,  il  n'avait  pas  assez  de  vin  pour  suffire  jus- 
qu'au milieu  du  repas  ;  il  dit  alors  à  l'officier  qui  l'en 
prévenait  :  «  Je  crois  que  Dieu,  qui  repaît  les  oiseaux, 
viendra  au  secours  de  notre  charité.  »  Et  à  l'instant  se 
présenta  un  messager  qui  annonça  cent  muîds  de  vin 
à  la  porte.  Les  gens  de  la  cour  l'attaquaient  vivement 
d'aimer  sans  mesure  une  vierge,  servante  de  Dieu,  et 
fille  de  son  prédécesseur  ;  en  présence  de  ses  détrac- 
teurs, il  prit  cette  vierge  et  l'embrassa  en  disant  : 
«  Les  paroles  d'autrui  ne  nuisent  pas  à  celui  auquel  sa 
propre  conscience  ne  reproche  rien.  »  En  effet,  comme 
il  savait  que  cette  vierge  aimait  Dieu  ardemment,  il  la 
chérissait  avec  une  intention  très  pure.  Clotaire,  roi 
des  Francs,  entrant  en  Bourgogne,  avait  envoyé,  contre 
les  habitants  de  Sens,  son  sénéchal  qui  se  mit  en  de- 
voir d'assiéger  la  ville,  saint  Loup  entra  dans  Téglise 
II.  35* 


550  LA    LÉGENDE    DORÉE 

de  saint  Etienne  et  se  mit  à  sonner  la  cloche.  En  l'en- 
tendant, les  ennemis  furent  saisis  d'une  si  grande 
frayeur  qu'ils  crurent  ne  pouvoir  échapper  à  la  mort, 
s'ils  ne  prenaient  la  fuite.  Enfin  après  s'être  rendu 
maître  du  royaume  de  Bourgogne,  le  roi  envoya  un 
autre  sénéchal  à  Sens  :  et  comme  saint  Loup  n'était 
pas  venu  au-devant  de  lui  avec  des  présents,  le  séné- 
chal outré  le  diffama  auprès  du  roi  afin  que  celui-ci 
l'envoyât  en  exil.  Saint  Loup  y  brilla  par  sa  doctrine 
et  par  ses  miracles.  Pendant  ce  temps-là,  les  Sénonais 
tuèrent  un  évèque  usurpateur  du  siège  de  saint  Loup 
et  demandèrent  au  roi  de  rappeler  le  saint  de  son  exil. 
Quand  le  roi  vit  revenir  cet  homme  si  mortifié.  Dieu 
permit  qu'il  fût  changé,  à  son  égard,  au  point  de  se 
prosterner  à  ses  pieds  en  lui  demandant  pardon.  11  le 
combla  de  présents  et  le  rétablit  dans  sa  ville.  —  En 
revenant  par  Paris,  une  grande  foule  de  prisonniers 
dont  les  cachots  s'étaient  ouverts  et  qui  avaient  été 
délivrés  de  leurs  fers,  vint  à  sa  rencontre.  —  Un  di- 
manche, pendant  qu'il  célébrait  la  messe,  une  pierre 
précieuse  tomba  du  ciel  dans  son  saint  calice,  et  le  roi 
la  déposa  avec  ses  autres  reliques.  —  Le  roi  Clotaire 
entendant  que  la  cloche  de  Saint-Etienne  avait  des 
sons  admirablement  doux,  donna  des  ordres  pour 
qu'on  la  transportât  à  Paris  afin  de  pouvoir  Tentendre 
plus  souvent.  Mais  comme  cela  déplaisait  à  saint  Loup, 
aussitôt  que  la  cloche  eut  été  sortie  de  Sens,  elle  per- 
dit le  moelleux  de  ses  sons.  A  cette  nouvelle,  le  roi  la 
fit  restituer  à  l'instant  et  aussitôt  après  elle  rendit  un 
son  qui  fut  entendu  dans  la  ville  d'où  elle  était  éloi- 
45^née  de  sept  milles.  C'est  pourquoi  saint  Loup  alla 


SAINT    LOUP  35  i 

au-devant  de  ce  qu'il  regrettait  d'avoir  perdu  et  reçut 
la  cloche  avec  honneur.  —  Une  nuit  qu'il  priait,  le 
démon  lui  fit  ressentir  une  soif  extraordinaire  ;  le  saint 
homme  se  fit  apporter  de  l'eau  froide;  mais  décou- 
\Tant  les  ruses  de  l'ennemi,  il  mit  son  coussin  sur  le 
vase  où  il  renferma  le  diable  qui  se  mit  à  hurler  et  à 
crier  pendant  toute  la  nuit.  Quand  vint  le  matin,  celui 
qui  avait  choisi  les  ténèbres  pour  tenter  le  saint,  s'en- 
fuit tout  confus  en  plein  jour.  —  Une  fois  qu'il  venait 
de  visiter,  selon  sa  coutume,  les  églises  de  la  ville, 
en  rentrant  chez  lui,  il  entendit  ses  clercs  se  disputer 
parce  qu'ils  voulaient  faire  le  mal  avec  des  femmes.  Il 
entra  alors  dans  l'église,  pria  pour  eux,  et  à  l'instant 
l'aiguillon  de  la  tentation  cessa  absolument  de  les  tour- 
menter :  ils  vinrent  le  trouver  et  lui  demandèrent  par- 
don. Enfin  après  s'être  rendu  illustre,  par  une  foule 
de  vertus,  il  reposa  en  paix,  vers  l'an  du  Seigneur  610, 
du  temps  d'Héraclius. 


TABLE  DU  TOME  DEUXIEME 


Une  Vierge  d'Anlioche 1 

Saint  Pierre,  martyr 10 

Saint  Philippe,  apôtre 33 

Sainte  ApoIIonie  (Apolline) 35 

Saint  Jacques,  apôtre  (le  Mineur) 38 

L'Invention  de  la  sainte  Croix 5:2 

Saint  Jean,  apôtre,  devant  la  Porte  Latine 67 

La  litanie  majeure  et  la  litanie  mineure  (les  Rogations)  69 

Saint  Boni  fa  ce,  martyr 77 

L*ascension  de  Notre-Seigneur ...  80 

Le  Saint  Ksprit    .     .           97 

Saints  Gordien  et  Kpimacjuc il7 

Saints  Nérée  et  Achillée il8 

Saint  Pancrace 121 


Des  fôtes  qui  tombent  pendant  le  temps 
du  Pôlerina^e 

Saint  Urbain 124 

Sainte  Pélronille 126 

Saint  l^icrrc,  exorciste  et  saint  Marcellin 128 

Saint  Prime  et  saint  Félicien 130 


TABLE    DU    TOME    DEUXIÈME  553 

Saint  Baroabé,  apOtre i32 

^int  Vîtus  et  saint  Modeste 139 

^*nt  Cyr  et  sainte  Julitte,  sa  mère 142 

^•ote  Marine,  vierge  ou  plutôt  sainte  Marie,  vierge.     .  144 

^^*nt  Ger\'ais  et  saint  Protais 145 

^  Nativité  de  saint  Jean-Bapliste 150 

^«*nt  Jean  et  saint  Paul 165 

^^»ot  Léon,  pape 170 

^«iot.  Pierre,  apôtre il± 

'*^*^t  Paul,  apôtre 194 

^^    ^ept  frères  qui  furent  les  fils  de  sainte  Félicité  .     .  222 

^**^t«  Théodore 224 

*^*^t  Alexis 230 

*^*^  te  Marguerite 230 


te  Praxède 241 

^  *^te  Marie-Magdelcine 242 

^  ^^t  Apollinaire 260 

^  ^te  Christine 264 

^  ^t  Jacques  le  Majeur 268 

^  ^  ^t  Christophe 283 


sept  dormants 291 

^  nts  Nazaire  et  Celse 298 

înt  Félix,  pape 305 

^^^  întSimplice  et  saint  Faustin 30(> 

^^inte  Marthe 307 

^^int  Abdon  et  saint  Sennen 313 

^aint  Germain,  évéque 314 

^«intEusèbe 321 

Vies  saints  Macchabées .     .          325 

Saint  Pierre  ifux  liens 327 

Saint  Etienne,  pape 337 

L'Invention  de  saint  Etienne,  premier  martyr  ....  338 

Saint  Dominique 316 

Saint  Sixte,  pape 377 


Îl5i  LA    LÉGENnE    DORÉE 

Saint  Doaal 379 

Saint  Cyriai}ut>  t^I  ses  compai^uoas ■     .     .  383 

Sainl  Laurent,  martyr 386 

Saint  tlippolyle  cl  ses  rompattooDs 409 

L'Assomption  de  lit  bîcnbrureuse  Vifrgc  Marie   .      .     .  iiS 

Saial  BeraarJ 459 

SaiDlTimoihée 478 

Saint  Symphorien 479 

Saint  QarlhpLemy 481 

Sainl  Augustin 495 

La  dâcollalioo  de  saiol  Jean-Bapliste 538 

Sainl  Filin  et  saint  Adnucte  ou  Adjoint 543 

Sntol  Ssvinien  et  sainte  Savine 544 

Sainl  Loup 519 


TOME  DEUXIÈME 


SOMMAIRES  ANALYTIQUES 


UNE    VIERGE    d'aNTIOCHE 


Sa  modestie  et  sa  pudeur.  —  Résolution  qu'elle  prend  pour 
sauver  sa  virginité.  —  Elle  est  conduite  dans  un  lieu  de  pros- 
titution. —  Elle  se  recommande  à  Jésus-Christ.  —  Un  soldat 
entre  et  propose  à  la  vierge  de  changer  leurs  habits.  —  Elle 
y  consent.  —  Il  ne  manquera  rien  au  sacrifice.  —  Elle  sort  du 
mauvais  lieu.  —  Un  second  personnage  entre;  sa  déception. 

—  Le  soldat  est  condamné  à  la  place  de  la  vierge.  —  Celle-ci 
revient  réclamer  le  martyre 1 

SAINT    PIERRE,    MARTYR 

Origine  du  saint.  —  Un  de  ses  oncles  veut  le  pervertir.  — 
Il  entre  dans  une  maison  de  Frères  prêcheurs.  —  Sa  pureté. 

—  Ses  prédications.  —  Il  commande  à  un  nuage  de  s'inter- 
poser entre  le  soleil  et  une  assemblée.  —  Guérison  d'un  para- 
lytique. —  Mal  de  gorge  disparu.  -—  La  parole  donnée  à  un 
muet.  —  Il  est  nommé  Inquisiteur  par  le  Saint-Siège.  —  Son 
zèle  à  détruire  l'hérésie.  —  Il  est  tué  par  un  hérétique.  — 
Conformité  de  sa  passion  avec  celle  de  Jésus-Christ.  —  Mira- 
cles qui  suivirent  sa  mort;  lampes  qui  s'allument  d'clles- 
mémes  à  son  tombeau.  —  Mauvais  propos  d*uu  mécréant  ;  mal 
qui  lui  en  advient  ;  sa  guérison  après  son  repentir.  —  Hydro- 
pique guérie.  —  Fistule  qui  disparait.  —  Enfant  rétabli  après 


r.b6 

■ 

LA    LÉGENDE    DOR^B 

1 

H 

>ior  cbu 

p.  —  Chu 

eer  détruil.  - 

-  Son  corps  e 

si  irouv 

entier 

Bfirps  Ha 

canoûisa 

ion.  — Morce 

u  de  la  lunique  du  sa 

ni  pré- 

serve  d(-ux  fois  da 

s  un  brasier. 

—  Mauvais  pr 

posde  Temnies 

contre  c 

e  suint  pu 

nis  .in^liér 

ment.  —  Fil 

nsangls 

Dtc.  — 

Maître  de  grammg 

i«  incrédule 

au  miracle,  sa 

si  parla 

fièvre. 

Sa  gair 

son.  —  Uateau  prfserv^ 

-  Fille  noyé 

ressus 

ilée-  — 

PrédiCB 

eur  déliv 

é  de  la  Bi^vre 

—  Dame  gué 

ie  de  se 

obses- 

BÎons  di 

abdiques 

—  PoSSPltl^P 

lu  drmun  dél 

vrée. — 

Démon 

chassé  <{ 

■une  femi 

ne.  —  tiérëlii 

ue  réduit  au  s 

leacc.  - 

~  Relt- 

gL=UM 

çuërie  en 

faisant  un  p  lerinage   men 

al  BU   tombeau 

de  BHiiit 

Pierre.  — 

Chandelle  qu 

on  nepeuléle 

odre.— 

Joueur 

corrigé. 

—  Ssinl 

Pierre  prédit 

son  martyre. 

-Unrc 

liçieux 

voit  BOB 

âme  mon 

1er  au  ciel.  — 

Ecolier  guéri 

—  Hyd 

opiqiK- 

Kuêri  d 
L'n  ti 

10 

sp,n  chas 

de  Mars.  -  G 

de  Ions 

ceux  qu 

e  ledrago 

n  avait  attein 

s. —  Ses  filles 

vierges 

'aideul 

fc  la  conversion  des  iufidéles.- 

Sa  morlàHiérapolis. 

—  Phi- 

Hppe.  u 

u  de»  sept  diacres,  m 

un  à  Césarèc 

—  Ses 

quBtre 

mies. 

S» 

tNTE  APOLLONIE  (apOLUME) 

Supplices  dilFérents  des  martyrs.  —  Marfyrede  la  : 

-SAINT    JACOUES,    AI-OTRE    (lE    MINEUr) 

Pourquoi  il  rsL appelé  lilsd'Alphéc.  —  Jacques  d'Alphée.  — 
Frère  du  Seigneur.  —  Jacques  le  Mineur.  —  Jacques  le  Juste. 
—  Ce  fut  lui  qui  célébra, le  premier  la  messe  à  JëruHalem.  — 
Il  fait  vceu  de  ne  pas  manger  avant  d'avoir  vu  Jésus-Christ 
ressuscité.  —  Sa  prédication  à  Jérusalem.  —  Les  Juifs  vculcnl 
le  séduire.  —  Il  leur  résiste.  —'  Ils  le  précipitent  du  pinacle 
[tu  temple. —  Il  est  tué.  —  Récit  du  siège  de  Jérusalem. —  Pro- 
diges qui  se  succèdent  alors.  —  Comète  cffrayaule.  —  Lumière 
i|UJ  éclaire  le  temple  nu  milieu  de  la  nuil.  —  Génisse  qui  met 
lias  un   .igne.iu.  — (;hars  aperçus  dans   les  airs.    —  Tumulte 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  S57 

dans  le  temple. —  Gris  de  Jésus,  fils  d'Ananias.  — Vespasien 
elTite  assiègent  la  ville.  —  Pilate  envoie  un  messager  à  Home 
pour  se  disculper  du  meurtre  du  Fils  de  Dieu.  —  Le  messager 
échoue  sur  une  côte  et  est  amené  à  Vespasien.  —  Origine  du 
Dom  de  Vespasien  qui  est  guéri  de  ses  vers.  —  Les  fidèles  se 
retirent  au  delà  du  Jourdain.  —  Jonapatam  défendue  par  José- 
phe.  —  La  ville  est  réduite  à  Textrémilé.  —  11  entre  en  pour- 
parlers avec  Vespasien,  auquel  il  annonce  son  élévation  à 
l'empire.  —  Tite  reste  seul  en  Judée,  il  a  une  jambe  paralysée. 
^  Sa  guérison  extraordinaire  par  Josèphc.  —  Continuation 
du  siège  de  Jérusalem.  —  Famine.  —  Une  femme  tue  son  en- 
fant et  le  dévore.  —  Ruine  de  Jérusalem  et  du  temple.  —  97.000 
juifs  vendus  un  denier  chacun.  —  Onze  cent  mille  morts.  — 
Tite  délivre  Joseph  d*Arimathie  enfermé  dans  un  mur  et  nourri 
miraculeusement.  —  Bonté  d'âme  de  Tite.  —  Les  juifs  essaient 
en  vain  de  reconstruire  Jérusalem 38 

INVENTION    DE    LA    SAINTE    CROIX 

Invention  de  la  Sainte  Croix  par  Scth,  par  Salomon,  par  la 
reine  de  Saba,  par  les  Juifs,  par  sainte  Hélène.  —  Scth  va  au 
paradis  terrestre^  saint  Michel  lui  donne  une  branche  de  l'ar- 
bre dont  Adam  avait  mangé  le  fruit.  —  11  la  plante  sur  la 
tombe  d'Adam.  —  Salomon  veut  l'employer  dans  la  construc- 
tion du  palais  du  Bois.  —  On  ne  peut  le  placer.  —  La  reine 
de  Saba  l'adore.  —  Il  est  jeté  dans  la  piscine  probatique. —  De 
quelles  essences  de  bois  était  formée  la  croix.  —  Invention 
par  sainte  Hélène.  —  Vision  de  Constantin.  —  Il  remporte  la 
victoire.  —  Il  se  fait  instruire  et  baptiser.  —  Autre  récit  de  la 
vision  de  Constantin  d'après  Ëusèbe.  —  Sa  lutte  avec  Maxence. 
—  Après  sa  victoire  il  envoie  Hélène  sa  mère  à  Jérusalem.  — 
Histoire  d'Hélène.  —  Arrivée  à  Jérusalem  elle  convoque  les 
savants  du  pays.  —  Judas  est  signale  comme  instruit  du  lieu 
où  était  cachée  la  croix.  —  On  trouve  trois  croix.  —  Résur- 
rection d'un  mort.  —  Autre  récit  de  ce  qui  se  passa  après  l'in- 
vention. —  Fureur  du  démon.  —  Judas,  baptisé  sous  le  nom 
de  Cyriaque,  est  élu  évêque  de  Jérusalem.  — Invention  des 


5S8  LA   LÉGENDE   DORÉE 

clous.  —  Nombre  de  ces  clous.  —  Julien  martyrise  Cyriaque. 

—  Légende  du  notaire  qui  ne  voulut  pas  renier  le  Christ  de- 
vant le  diable • 52 

SAINT  JEAN,  APOTRE,  DEVANT  LA  PORTE  LATINE 

11  est  jeté  dans  une  chaudière  d'huile  bouillante.  —  Lettre 
de  Pilate  à  Tibère.  —  La  mère  de  saint  Jean  vient  à  Rome  et 
se  retire  à  Vétulonia  où  elle  meurt 67 

LA    LITANIE    MAJEURE   ET   LA   LITANIE   MINEURE 

Pourquoi  le  nom  de  Litanie  majeure.  —  Origine  du  «  Dieu 
vous  bénisse!  »  adressé  à  ceux  qui  éternuent. —  Pourquoi  on 
fait  le  signe  de  la  croix  quand  on  bâille.  —  Pourquoi  le  nom 
de  procession  septiforme.  —  Pourquoi  le  nom  de  Croix  noires. 

—  Litanie  mineure.  —  Son  établissement.  —  Rogations  ; 
d'où  vient  ce  nom.  —  Procession.  —  Pourquoi  on  sonne  les 
cloches.  —  Pourquoi  on  porte  la  croix.  —  Motifs  pour  les- 
quels on  invoque  les  saints  à  ces  processions.  —  Origine  d'une 
prière  encore  en  usage  le  vendredi  saint  et  entendue  par 
un  enfant.  —  Enfant  enlevé  au  ciel  où  il  apprend  un  can- 
tique      .         69 

SAINT    BONIFACE,    MARTYR 

Boni  face  est  envoyé  par  Aglaê  chercher  des  reliques  de  mar- 
tyrs. —  Arrivé  à  Tarse  il  assiste  au  martyre  des  Chrétiens  et 
les  encourage.  —  Le  juge  le  fait  saisir  et  martyriser.  —  Ses 
compagnons  le  cherchent  et  obtiennent  ses  dépouilles  du  geô- 
lier.—  Ils  le  ramènent  à  Aglaë  qui  lui  élève  un  tombeau.         77 

l'ascension    de   NOTRE-SEIGNEUR 

Explication  du  mystère.  —  Opinion  du  rabbin  Moïse  sur 
l'étendue  et  la  profondeur  de  chaque  ciel.  —  Quels  person- 
nages accompagnèrent  Jésus-Christ  au  ciel.  —  Différents 
rieux 80 

LE    SAINT-ESPRIT 

Explication  du  mystère.  —  Par  qui  le  Saint-Esprit  fut  en- 
voyé.  —   lo   De  combien  de  manières.  —  Postcommunion  do 


\ 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  So9 

la  messe  de  la  Penlccôte.  —  En  quel  temps  le  Sainl-Espril  fut 
envoyé.  —  Combien  de  fois.  —  De  quelle  manière.  —  Pour- 
quoi en  forme  de  langues  de  feu  ?  —  Pourquoi  en  forme  de 
feu  ?  —  Pourquoi  en  forme  de  langue  ?  —  Sur  qui  fut-il  en- 
voyé ?  —  Par  quel  moyen  a-t-il  clé  donné 97 

SAINTS    GORDIEN    ET    ÉPIMAQUE 

F\écit  de  leur  martyre Ii7 

SAINTS    NÉRÉE    ET    ACHILLEE 

Les  Saints  exhortent  Doinilille  à  rester  vierge.  —  Inconvé- 
nients du  mariage.  —  Avantages  de  la  virginité;  Domitille  , 
veut  la  conserver.  —  Elle  est  reléguée  dans  Tîle  de  Ponce  avec 
Nérée  et  Achillée  qui  raffermissent  dans  sa  résolution.  — Ils 
sont  martyrisés.  —  Autres  martyrs.  —  Domitille  est  préservée 
clans  son  honneur,  malgré  les  ruses  de  celui  qui  la  voulait 
séduire.  —  Punition  étrange.  —  Son  martyre.     ...       ii8 

SAINT    PANCRACE 

Pancrace  à  Rome  où  le  pape  Corneille  le  convertit.  —  Dio- 
clétien  veut  le  faire  abjurer.  —  Il  s'y  refuse  avec  énergie.  — 
11  est  décapité.  —  Origine  de  la  coutume  de  faire  jurer  dans 
les  cas  douteux  sur  les  reliques  d'un  saint i21 

SAINT  URBAIN 

Alniacliius  fait  chercher  Urbain  qui  est  trouvé  dans  un  antre 
par  Carpasius.  —  Il  comparait  devant  le  Préfet.  —  Son  mar- 
tyre, —  Punition  de  Carpasius 124 

SAINTE    PÉTRONILLE 

Pétronillc,  fille  de  Tapotre  saint  Pierre,  est  guérie  pour  ser- 
vir les  disciples.  —  Flaccus  veut  l'épouser.  —  Elle  meurt.  — 
Fclicula  sa  compagne  est  martyrisée.  —  Nicodème  qui  Tense- 
velit  reçoit  aussi  le  martyre i2G 

SAINT    PIERRE,    EXORCISTE    ET    SAINT    MARCELLIN 

Saint  Pierre  guérit  la  fille  d'Archémius, qui  reçoit  lui-même 
le  baptême.  —  Les  Saints  sont  enfermés.  —  L^n  ange  lesdéli- 


I 


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K«x3n  nuB  ET  %ujn  feucie» 
Actv^parks  paéira  in  bai  i(r«(  tUwMjeiiar 


—  II  **  ra  CkTpw.  —  Uf  U  a  SalamiDc,  a«  les  Jaïb  le   Toot 
•noftir.  —  n>'lelir4kal I3i 

•km  nnis  cr  ft*i!<i  HObcnE 

VilM*  i  ril^  ie  13  ■«•  e«t  lannnenté  po«ir  U  taâ  giar  soa 
pérc  el  f»r  le  préiiienl  Valérieo.  —  Paaitioa  île  ce  •lernier  et 
do  bnarreau  i)iii  mdI  çuérû  par  Viiiu,  ainsi  que  sob  p^r«. 

—  Modcalc,  préceptear  tle  Vilas,  le  caadnît  en  pajs  ilrtagrr. 

—  lU  Kiot  dimiitU  |Hr  ua  aJf(te.  —  Oînclëtiea  r>p]Mlle  Vttus 
|M«lr  guérir  aoa  fiU  posaédé.  —  ïllivde»  ({ni  aecompti^vcnt 


Julitle 


(ALVI    CTft    ET    SAIXTE   JL'LTTTE,    SA    HERE 

imparall  à  Tharsc  devant  Alexaodre  qai  la  Tait 
A  celle  vue  Cvr déchire  le  visaçe  d'Alexandre,  qui 
■  i7i.i>n:  sui' Ifs  deçrés  du  tribu Dal.  —  Julilleala  tète  tran< 
chée.  —  Hécil  des  réponses  de  saint  Cvr  el  du  martyre  de  la 
mère  cldu  fils,  d'aprrs  uDeaulre  légeode Hi 


■.    MARINE,    VIERGE 

m  de  Maria  avec  si 


-  Elle   est   I 
filli^.  —  Elle  reslc  trois  a 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  361 

le  petit  enfant,  dont  elle   passait  pour  le  père.  —  A  sa  mort 
on  découvre  que  c*est  une  femme 144 


SAINT   GERVAIS    ET    SAINT   PROTAIS 

Genrais  et  Protais  sont  menés  à  Milan  devant  Néron.  ^ 
Gervaîs  dit  au  comte  Astase  que  le  Tout-Puissant  pouvait  lui 
obtenir  la  victoire  ;  il  est  tué  à  coups  d'escourgées. —  Protais 
comparait  à  son  tour.  —  Sa  défense.  —  On  lui  coupe  la  tt^te. 

—  Saint  Ambroise  découvre  leurs  corps  par  une  révélation.— 
Un  aveugle  recouvre  la  vue  en  touchant  leur  sépulcre.  — 
Hécit  d'un  iniracle  opéré  sur  un  possédé 145 

LA    NATIVITÉ   DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE 

Apparition  de  l'ange  à  Zacharie.  —  Doute  de  ce  grand  prê- 
tre. —  Eclaircissement  au  sujet  des  doutes  élevés  dans  Tesprit 
de  certains  personnages  de  l'ancien  Testament.  —  Visite  de 
la  sainte  Vierge  à  Elisabeth.  — Tressaillement  de  saint  Jean 
dans  le  sein  de  sa  mère.  —  La  sainte  Vierge  reçoit  saint  Jean 
qui  vient  au  monde.  —  Témoignages  de  sa  sainteté.  —  D'où 
saint  Jean  tire  sa  gloire.  —  Saint  Jean  l'Evangéliste  meurt  en 
ce  jour.  —  Deux  docteurs  veulent  discuter  sur  la  prééminence 
de  saint  Jean,  apôtre  et  de  saint  Jean-Baptiste.  —  Une  vision 
les  en  empêche.  —  Origine  de  l'hymne  Ct  queant  laœis,  — 
Origine  des  feux  d'os  en  ce  jour.  —  Origine  de  la  roue  qu*on 
fait  tourner.  —  Un  voleur  qui  veut  dépouiller  le  tombeau  de 
Rocharith  est  frappé  à  la  gorge i50 

SAINT   JEAN    ET    SAINT    PAUL 

Gallican  est  envoyé  contre  les  Scythes  avec  promesse  d'é- 
pouser Constance,  fille  de  Constantin,  s'il  revenait  vainqueur. 

—  Le  général  prend  avec  lui  Jean  et  Paul  ;  il  est  défait.  — 
Au  milieu  de  la  bataille  Jean  et  Paul  lui  suggèrent  d'avoir 
recours  à  Dieu  et  la  victoire  revient  à  lui.  —  Gallican  se  con- 
vertit et  renonce  à  épouser  Constance.  —  Julien  l'apostat,  par- 
venu à  l'empire,  éloigne  Gallican  qui  est  martyrisé  j\  Alexan- 

II.  30 


LA  LiCtXDE  DOBÉE 
'  et  JulÛB,  qoi  (Ml  forcer  J«»i>  et  P«<il  A 
p*rla^«r  m»  ertraf».  —  Leur  rrfs».  —  Us  soul  décapites  par 
l'anlK  6e  Tércntiro  dont  le  fib  irricM  fooêdé  et  <|DÎ  se  oi 


kkun  t-cir.t.  rare 
~  SbmI  LioM  pvNir  «e  punir  J'aoe  Iralatiun  Ja  U  dwir 
cmtpe  ta  mai»-  —  La  sainte  Vierge  la  lai  remet  (ptjrie.  — 
T»  i  U  rrncuatte  tTAUila  iju'ane  apparitioD  Tarn  â  «urtîr 
Jllalie.  —  Il  dépose  ddc  lelire  sur  le  LombeBii  de  ^nt  E^err 
qai  la  ri>rri|:c t^ 


Sca  fait*  el  ^r»tr> tl'apr^  l'Evançile.  — Sa  DdarrilDre  babâ- 
luelle.  —  Sun  naairepauresaDverM»  larmes  cod  lin  «elles.  — 
n  donne  «in  bilun  h  saint  Frool  qai  reMUscïte  sun  disciple.  - 
Fourtvrîes  de  Simna  le  Majçicîen  à  Jérusalem.  —  Lutte  i 
■aini  Pierre  arec  Simon.  —  Siiuoo  va  a  Rumc.  —  Saint  Picn« 
l'jr  sali,  sa  prrdicatian  suirie  de  succès.  —  Il  ordonna  sa 
dénient.  Mini  Paul  atrire  à  Home.  —  .\ccointance  de  Hét 
Cl  de  Knon.  —  Les  saints  apfttrrs  vont  dévoiler  à  Némn  les 
(iniriterirs  do  ma^cien.  —  NouTelle  lutte  de  saint  Pierre  d 
de  SîmAn  par  devant  Néron.  —  Saint  Pierre  ressaseite  on  4 
jeouc  h.  1  m  lui-  iine  Sïniou  u'avaii  pu  rend  r*  à  la  vie,  —  Simon 
veut  faire  étrangler  saint  Pierre  par  un  chien,  Simon  est 
altaquê  par  celte  bête-  —  SimoD  veut  monter  au  ciel.  —  Saint 
Pierre  le  fait  tomber.  --  Saint  Pierre  ea  prison-  Sa  déli- 
vrance. —  Saints  Processus  et  Martiuien.  —  Saint  Pierre  veut 
<]uiller  Rome,  J.-C.  lui  apparaît.  —  Il  est  condamné  il  être 
crucifié.  —  Récîl  du  marlj-re  de  saint  Pierre  et  saint  Paul 
par  Denvs  l'aréopagite.  —  Saint  Pierre  demande  A  être  cru- 
cifié la  tête  en  bas.  —  Forfaits  de  -Nëroa. —  Sg  conduite  envers 
Sénèi|ue  qu'il  fait  mourir.  —  Fin  misérable  des  deux  frères  de 
Sénèi[ue.  —  Néron  fait  tuer  sa  mère.  —  Il  devient  içros  d'une 
irrenouille.  —  Il  fail  briMer  Rome.  —  Etymologie  du  nom  de 
Lntran.  —  Des  (Irecs  qui  veutrut  s'emparer  du  corps  de  saint 
Pierre  le  Jclli'iit  ilaii-%  un  putt:>.  —  On  t'en  relire.  —  Guérison 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  863 

d'une  paralytique.  —  Apparition  de  saint  Pierre  à  Galla  et  à 
un  saint  prêtre.  —  Discussion  sur  le  jour  et  Tannée  du  mar- 
tyre de  saint  Pierre  et  de  Saint  Paul  .......       172 

SAINT    PAUL,    APOTRE 

Récit  de  saint  Hilaire  au  sujet  de  saint  Paul.  —  Genre  de 
vie  de  Tapùtre.  Sa  prédication  et  ses  miracles.  —  Saint  Paul 
ressuscite  Patrocle,  échanson  de  Néron.  —  Il  comparait  devant 
Néron.  —  Il  est  condamné  à  avoir  la  tête  tranchée.  —  Il  con- 
vertit trois  soldats  qui  le  menaient  au  supplice.  —  Il  rec^oit  la 
mort  en  pronon<;ant  le  nom  de  Jésus-Christ.  Du  lait  au  lieu 
de  sang  jaillit  de  sa  blessure.  —  Récit  de  Denys  Taréopagite. 

—  En  recevant  le  coup  il  détache  le  voile  et  le  rend  plein  de 
son  sang  à  Plantille.  —  Saint  Paul  apparaît  h  Néron  qui  dé- 
livre les  chrétiens.  —  Tête  de  saint  Paul  perdue  et  retrouvée. 

—  Eloge  de  saint  Paul  par  Denys  Taréopagite,  et  par  saint 
Jean  Chrysostome 19i 

LES  SEPT  FRÈRES  QUI  FURENT  LES    FILS  DE  SAINTE  FÉLICITÉ 

Après  le  discours  de  sainte  Félicité  à  l'empereur  et  les 
exhortations  à  ses  fils  tous  sont  martyrisés  avec  elle.  —  Eloge 
de  sainte  Félicité  par  saint  Grégoire  le  Grand.     .     ,     .       222 

SAINTE    THÉODORE 

Après  de  longues  résistances  Théodore  se  laisse  séduire.  — 
Ses  regrets.  —  Elle  prend  les  habits  de  son  mari  et  s'enferme 
dans  un.  monastère.  —  Elle  rencontre  son  mari  qui  ne  la 
reconnaît  pas.  —  Ses  miracles.  —  Pièges  que  lui  tend  le  dé- 
mon. —  Elle  est  accusée  d'avoir  séduit  une  fille  et  chassée  du 
monastère;  elle  nourrit  l'enfant  qu'on  lui  imputait.  —  Nou- 
veaux pièges.  —  Après  sept  ans,  elle  est  réintégrée  avec  son 
prétendu  fils  dans  le  monastère.  —  Punition  de  la  fille  qui 
avait  calomnié  la  sainte.  —  Son  mari  vient  occuper  sa  cel- 
lule   22i 

SAINT    ALEXLS 

Piété  et  bonnes  œuvres  des  parents  d'Alexis.  —  Education 
du  saint.  —  Son  mariage.  —  Il  quitte  sa    femme   le  jour  de 


fî6i  LA    LÉGENDE    DOUÉE 

ses  nncrs.  —  Il  vii  lï  Edessr.  —  Porlrail  de  Nolre-Seiçocur.  — 
II  se-  Tait  meriHinut.,  —  Recherches  de  s«s  parents  el  leur 
deuil.  —  Alexis  reconnu  comme  un  saini  re*-ienl  ù  Roaif:,  où  il 
habile  inconnu  d«ns  ta  mnÏHiin  de  son  père.  —  Une  voii 
partie  du  sancluoire  le  f;iii  découvrir  au  luunieni  nù  il  vteol 
de  mourir.  —  Itcgri'lsde  sespiirents.  —  Son  inbumalion.       £10 

SAINTE  M  ARGUER  lue 

L.Vducalion  de  Margucrii»;  elle  se  Tait  baptiser.  —  Le 
préfet  OlyliriuH  veut  l'épouser;  elle  refuse.  —  Olybrius  In  fail 
lorlurer.  —  Le  diable  lui  apparaît  dans  sa  prison  aous  la 
foriue  d'un  dragon.— Sa  discussion  avec  le  démon.  —  DilTé- 
ri-nr 4 supplices  lut  sunt  inllii^és.  —  Elles  la  tèlc  tranchée.       33U 

SAINTS    PHAXÈDE 

l'HrculL-de  .siiiute  J'ruxêde. —  Elle  ensevelit  le»  chrétiens.  Hi 

SAINTE    MAHtK    HADEI.EI?(B 

Ses  bonnes  œuvres.  ~ —  Kllc  aborde  A  Marseille  avec  saints 
Maxiiuicn,  I^zare,  Marthe,  Marlelle  et  Cédonius,  l'aveugle-aé 
fiuén  par  le  Seigneur.  —  Madeleine  enseigne  l'évangile.  — 
Arrivée  du  prince  de  la  pruvince  nvcc  sa  femme  pour  sacrifier 
aux  idoles.  —  Madeleine  veut  les  convertir.  —  Madeleine 
promet  un  enfant  au  prince,  mayennaut  i|u'il  se  convertisse. 
—  Le  prince  va  h  Home,  s'assurer  auprès  de  saint  Pierre  des 
vérilés  annoucées  par  Madeleine.  —  La  mère  meurt  en  met- 
tant son  enfant  au  monde  sur  un  vaisseau.  —  On  dépose  te 
cadavre  avec  l'eafani  sur  un  rocher.  —  Pèlerinage  du  prince 
h  Jérusalem  avec  saint  Pierre.  —  Le  prince,  à  son  retour, 
passe  auprès  de  l'Ile  où  il  retrouve  son  fils  encore  en  vie.  — 
Résurrection  de  lu  mère,  —  Récit  de  la  femme  qui  a  été  à 
Jérusalem  en  compagnie  de  sainte  Madeleine.  —  Leur  con- 
version et  celle  du  peuple.  —  Madeleine  se  retire  dans  un 
désert.  —  Elle  est  élevée  au  ciel  par  les  auges.  —  Un  prêtre 
la  découvre.  — ■  Elle  lui  raconte  sa  vie.  —  Elle  meurt.  —  Pré- 
tendue Iranslalion  de  ses  reliques  d'Aix  à  Vèzelay.  —  Résui^ 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  563 

rection  d'un  soldat.  —  Uoe  femme  échappe  aiu  naufrage  en 
se  recommandant  à  la  sainte.  —  Fut-elle  fiancée  à  saint  Jean 
rEvangélisteV  —  Un  aveugle  guéri.  —  Un  prisonnier  délivré. 

—  Un  clerc  corrigé 242 

SAINT    APOLLINAIRE 

Apollinaire  est  envoyé  prêcher  TEvangile  à  Ravenne  par 
»aint  Pierre.  —  Il  est  battu  à  coups  de  fouets.  — 11  est  chassé 
de  la  ville  après  différents  supplices  endurés  par  lui  géné- 
reusement. —  Il  ressuscite  la  fille  de  Rufin.  —  On  veut  le 
faire  sacrifier  aux  idoles.  Après  ses  refus  il  est  tourmenté.  •— 
Révolte  des  chrétiens.  —  Apollinaire  revient  à  Ravenne.  — 
Son  martyre 260 

SAINTE    CHRISTINE 

Elle  brise  les  idoles  de  son  père  qui  la  fait  jeter  en  prison. 

—  Reproches  que  lui  adresse  sa  mère.  —  Son  père  lui  fait 
racler  le  corps  avec  des  peignes  de  fer.  — Puis  elle  est  étendue 
sur  une  roue.  —  Enfin  jetée  à  la  mer  d'où  les  anges  la 
retirent.  —  Elle  est  jetée  dans  une  chaudière  bouillante.  — 
Elle  passe  trois  heures  dans  une  fournaise.  —  On  lui  coupe 
les  mamelles  et  la  langue.  —  Elle  meurt  percée  de  trois 
flèches ^ 264 

SAINT   JACQUES    LE   MAJEUR 

Après  avoir  prêché  en  Judée  et  dans  le  pays  de  Samarie, 
saint  Jacques  vient  en  Espagne.  —  11  retourne  en  Judée.  — 
Hermogène  et  Philétus,  magiciens.  —  Saint  Jacques  mené  au 
supplice  guérit  un  paralytique  et  convertit  celui  qui  le  traî- 
nait. —  Il  a  la  tête  tranchée.  —  Translation  de  son  corps  en 
Espagne.  —  Histoire  de  la  reine  Louve.  —  Saint  Jacques  ap- 
paraît à  un  captif  et  le  délivre.  —  Saint  Jacques  transporte  un 
pèlerin  à  Composlelle.  —  Un  pendu  conservé  en  vie  par  saint 
Jacques.  —  \Sn  pèlerin  qui  s'était  tue  est  rendu  à  la  vie. —  Un 
jeune  homme  que  le  diable  avait  fait  suicider  recouvre  la 
sa  nié  par  les  prières  de  saint  Jacques.  —  Un  voleur  puni.  — 

II.  36' 


566  LA   LÉGENDE    DOREE 

Une  tour  s'abaisse  pour  laisser  passer  un  prisonnier.  —  Cha- 
rité récompensée.  —  Saint  Jacques  nourrit  un  pauvre  pèlerin. 

—  Un  homme  toujours  délivré  par  les  mérites  de  saint  Jac- 
ques. -—  Un  incendiaire  condamné  se  dévoue  à  saint  Jacques 
et  ne  peut  être  justicié. 208 

SAINT    CHRISTOPHE 

Christophe  à  la  recherche  du  plus  puissant  prince  du  monde. 

—  11  se  met  au  service  du  diable.  —  Il  se  fait  chrétien.  —  Il 
passe  les  voyageurs  à  travers  un  fleuve.  —  Jésus-Christ  se  pré- 
sente à  lui.  —  Son  bâton.  —  Il  arrive  à  Samos.  —  Il  compa- 
raît devant  le  roi.  —  Il  est  mis  en  prison  à  de  dangereuses 
épreuves.  —  Son  martyre 283 

LES    SEPT    DORMANTS 

Pendant  la  persécution  de  Dèce  sept  chrétiens  se  cachent 
dans  une  caverne  et  s*y  endorment.  —  Ils  sont  découverts.  291 

SAINTS    NAZAIRE    ET    CELSE 

Nazaire  à  l'exemple  <de  sa  mère  se  fait  baptiser.  —  Il  quitte 
Home  et  va  à  Milan.  —  De  là  à  Genève  où  une  dame  lui  confie 
Celse,  son  fils.  —  Il  comparaît  avec  Celse  devant  Néron.  — 
Ils  sout  précipités  dans  la  mer,  mais  sauvés.  —  Ils  sont  dé- 
capités à  Rome 298 

Saint  félix,  pape 

Félix  élu  pape  à  la  place  de  Libère.  —  Il  condamne  Constance 
empereur  arien  hérétique.  —  Son  martyre  .....       305 

SAINT  SIMPLICE  ET  SAINT  FAUSTIN 

Ils  refusent  de  sacrifier  aux  idoles.  —  Ils  sont  décapités.  — 
Leur  sœur  les  ensevelit  honorablement.  -  Elle  est  étranglée 
par  ordre  de  Lucrétius.  —  Châtiment  qui  lui  est  réservée.       30(> 

SAINTE    MARTHE 

Marthe  accompagnée  de  son  frère,  de  sa  sœur  et  d'autres  est 
placée  sur  un  navire  sans  agrès  et  aborde  à  Marseille.  —  Lé- 


TOME    II,    SOMMAIRES   ANALYTIQUES  567 

gendc  de  la  Tarasque,  ce  que  c'était  que  ce  monstre,  d'où  il 
était  venu.  —  Elle  s'adjoint  des  compagnes  pour  vivre  en  com- 
munauté. —  Elle  ressuscite  un  jeune  homme  qui  s'était  noyé 
pour  venu*  l'entendre.  —  On  prétend  que  Marthe  est  l'hémor- 
rhoïsse  efuérie  par  Jésus-Christ.  —  Statue  du  Sauveur.  Vertus 
des  plantes  qui  croissent  au  pied  de  l'image.  —  Sa  mort  ac- 
compajçnée  de  circonstances  miraculeuses.  —  Chandelles 
allumées  auprès  de  la  mourante 307 

SAINT  ABDON  ET    SAINT  SENNEN 

Abdon  et  Sennen  accusés  d'ensevelir  les  Chrétiens  sont  traî- 
nés à  Rome.  —  Leur  supplice 313 

SAINT  GERMAIN,  ÉVÊQUE 

Sa  naissance,  son  éducation  ;  il  est  fait  gouverneur  de  la 
Bourgogne.  —  Sa  vanité  comme  chasseur.  Il  est  élu  évéque 
d'Auxcrre.  —  Ses  austérités.  —  Il  découvre  les  ruses  du  dé- 
mon. —  Saint  Loup  et  Attila.  —  Saint  Germain  et  saint  Loup 
vont  évangéliser  les  îles  britanniques.  , —  Saint  Germain  est 
préservé  dans  un  incendie.  —  Il  rend  la  vie  à  un  veau  qu'un 
pauvre  avait  préparé  pour  lui  donner  à  manger.  —  Victoire 
alléluiatique.  —  Honneurs  que  lui  rend  l'impératrice  Placidic. 
—  Il  rend  la  vie  à  son  Ame.  —  Il  consacre  après  sa  mort  l'église 
de  Verccil 314 

SAINT    EUSÈBE 

Saint  Eusèbe  est  gardé  par  les  Anges.  —  Il  entre  à  Verceil 
malgré  les  ariens.  —  Erreur  d'Arius  ;  sa  mort.  —  Eusèbe  va 
combattre  les  Ariens  ta  Milan.  Miracle  de  la  barque.  —  Les 
Ariens  le  torturent.  —  Il  est  lapidé 321 

LES    SAINTS    MACCHABÉES 

Pourquoi  l'Eglise  ne  célèbre  pas  les  fêles  des  saints  de  l'an- 
cienne loi 325 

SAINT   PIERRE  AUX  LIENS 

Motifs  pour  lesquels  cette  fête  a  été  instituée.  —  Hérode 
encourt  TindisTnation  de  Tibère.  —  Sa  mort  lui  est  prédite. — 


5(18  LA    LÉfiKSDE    UOHÉK 

11  psl  élevé  ù  la  digniliî  royale  par  Cn'ius.  —  Il  rnil  emprison- 
ner saint  Pierre  qui  est  délivré  pur  un  nnge.  —  Mort  .l'Hërotli*. 
—  Le  pape  Alexandre  recouvre  les  chaînes  ilc  sninl  Pierre.  — 
Il  institue  la  fèlc.  —  Autre  orig-ine  de  cette  T^te  d'après  Bède 
et  Si^liert.  —  Fêle  célt^hrée  à  Home  en  mémoire  de  la  < 
toim  remportée  par  Aui|;ub1(^  sur  Antoine.  —  Eudoxie  recouvra 
les  chaînes  de  saint  Pierrt?  b  Ji-'rusiilen].  —  I<«s  chaînes  de  Ji- 
rnsHlcni  et  de  itnme  se  réiiiiissRnt.  —  Puissance  des  ctaninea 
de  saint  l'ierre  sur  un  possédé.  —  l'n  anneau  de  1b  chaîne 
est  donné  li  un  ^véqup  de  Meti.  —  Drus;on  tué  par  Uonnl  en 
Bpirc.  —  Le  diable  apparaît  en  Crète  snus  la  liçure  de  Ma 
pour  se  ven^r  des  Juifs.  —  Un  moine  délivré  au  jugem 
de  Dieu  par  les  prières  de  la  sainte  Vierçv  et  de  sa 
Pierre 3i7 


SuLut  Klicnoe  fail  écrouler  le  leuipte  de  Murs.  —  V'isii 
dans  lesquellea  Ganialîel  découvre  au  prèlre  Lucien,  ai 
comment  il  trouvcrn  les  curpa  des  saints.  —  Translation  dea 
reliques  de  saint  Etienne  k  Constantinople.  —  Réunion 
ossements  de  saint  Etienne  avec  ceux  de  saint  Laurent.  —  Saio) 
Augustin  rapporte  la  résurreciion  de  six  morts,  due  k  aatnt 
Etienne.  —  Paroles  de  saint  AuRuslin  en  l'bonncur  de  saint 
Etienne 337 

Présages  qui  précèdent  cl  suivent  la  naissance  de  Domi- 
nique. —  Sa  piété-  —  Papier  qui  ne  brùIe  pas  dans  le  feu,  — 
Saint  Dominique  prèclie  les  hérétiques  qui  lui  lendenl  des 
embûches.  —  Il  veut  se  vendre  pour  racheter  des  captifs.  — 
Il  va  £i  Rome  pour  faire  approuver  l'ordrequ'il  veut  instituer. 

—  Vision  du  pape.  —  Vision  du  saint.  —  Vision  d'un  moine. 

—  Rencontre  de  saint  Dominique  et  de  saint  François.  —  Un 
novice  reste  au  couvent  après  avoir  voulu  en  sortir.  —  Déli- 
vrance d'un  possédé.  —  Un  pêcheur  ramène  les  livres  du  saint 
intacts  du   fond  de  l'eau.  —  Saint  Dominique  entre  dans  un 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  569 

mouaslcre  et  dans  une  église  les  portes  fermées.  —  Un  écolier 
préservé  du  péché  de  la  chair  en  baisant  la  main  de  saint 
Dominique.  —  Des  personnages  éminents  s'unissent  à  lui.  — 
Il  rend  la  vie  avec  la  santé  à  deux  personnes  tuées  par  acci- 
dent. —  Don  des  langues  communiqué.  —  Il  convertit  des 
femmes  séduites  par  les  hérétiques  en  leur  faisant  voir  le  dia- 
ble sous  la  forme  d'un  chien  hideux.  —  Il  sauve  Raymond 
du  supplice.  —  Tentation  de  plusieurs  frères  surmontée. —  Il 
prédit  sa  mort.  —  Son  caractère,  sa  piété,  ses  mortifications. 

—  Il  refuse  Tépiscopat.  —  Apparition  du  démon.  —  Sa  mort 
découverte  à  plusieurs  frères  absents.  —  Miracles  opérés  à 
l'élévation  de  son  corps.  —  Résurrection  d'un  enfant  au  tom- 
beau du  saint.  —  Un  noyé  rendu  à  la  vie.  — Autres  miracles. 

—  Femme  punie  pour  avoir  insulté  des  personnes  célébrant 
la  fête  de  saint  Dominique.  —  Vision  de  la  justice,  de  la  vé- 
rité et  de  la  miséricorde 346 

SAINT    SIXTE,    PAPE 

Saint  Sixte  refuse  de  sacrifier.  —  Rencontre  de  saint  Sixte 
et  de  saint  Laurent.  —  Usage  de  célébrer  avec  du  vin  nouveau 
au  jour  de  la  transfiguration.  —  Pourquoi  on  célèbre  en  ce 
jour  la  mémoire  de  la  transfiguration 377 

SAINT    DONAT 

Saint  Donat  s'enfuit  à  Arezzo  après  le  meurtre  de  ses  pa- 
rents par  l'empereur  Julien.  —  II  délivre  un  possédé.  —  Une 
femme  enterrée  révèle  l'endroit  où  a  été  déposée  une  somme 
d'argent.  —  Un  calice  brisé  et  rétabli  à  l'exception  d'un  mor- 
ceau. —  Il  tue  un  dragon  qui  infectait  une  fontaine.  —  Fon- 
taine miraculeuse.  —  Il  délivre  du  démon  la  fille  de  Théodose. 

—  Par  son  entremise  un  mort  prouve  qu'il  a  payé  une  dette. 

—  Pluie  miraculeuse.  —  Martyre  du  saint 379 

SAINT    CYRIAQUE    ET    SES    COMPAGNONS 

(lyriaque  est  condamné  à  creuser  la  terre.  —  Conversion 
d'Apronanius  et  son  martyre.   —  Cyriaijuo  délivre  du  démon 


L.A    LÉGKNQE    DOHÉE 


U  lillf  de  Dicicli'liPLi 

(ms-iiMi'c   pnr  le  Jpii 


S*I.1T  LAURENT,    HAATïn 

Sainl  Laurent  esl-il  venu  d'Espagne  avec  saint  Vinceol.  — 
PhUiji]W,  le  premier  empereur  chrélîca,  l'an  1000  de  In  fonda- 
linii  de  Home,  est  lue  par  Dèce. —  Dèccpcrsccule  les  chrétiens. 

—  Martyre  de  sainl  Sixle  qui  est  rencontre  par  saint  Laurent, 

—  Saint  Laurent  distribue  aux  pauvres  les  trésors  de  ré([Iise. 

—  I.Durent  est  nm^lé.  —  Eo  prison  il  rend  Is  vue  à  un  nveu- 
ttle  pnr  le  baptême.  —  11  eonverlit  Hipjiolyle.  —  U  pirsenle 
li?s  pRuvres  comme  les  trésors  de  l'Eglise.  ->  U  est  Trappe  h 
coups  de  scorpions.  —  Il  est  ëlcndu  sur  îm  gril  de  fer.  —  Sa 
uiorl,  —  Discussion  sur  l'époque  du  mnrlyre  de  soini  Laurcnl, 

—  Une  religieuse  coupée  en  deux  en  punition  de  son  inlem- 
pv'mncc  de  langue.  —  Poutre  allongée.  —  Mutliplicalion  d'uD 
puin.  —  Juge  traîné  au  tribunal  de  Dieu  et  renvoyé  sur  la. 
terre  pour  faire  pénitence.  —  Stiinle  Cuncgonde  se  justifie 
auprès  de  saînl  Henri  qui  la  soupçonnait  d'adultère.  —  Eloge 
de  Hjiul  Laurent  d'après  tes  Pères  de  l'Eglise  ....       386 


Sainl  llippolylc  après  son  baptême  est  saisi  par  l'ordre  de 
Déce.  —  11  est  fouetté  et  déchiré  avec  des  peignes  de  fer.  — 
Concordia,  nourrice  d'Hippoljrlc,  rei;oil  le  martyre.  —  Ses 
gens  sont  décapités;  il  est  Iratné  par  des  chevaux  indomptés 
et  meurt,  —  Comment  on  découvrit  le  corps  de  Concordia  jeté 
dnns  un  cloaque.  —  Punition  de  Dèce  et  de  Valérien,  —  La 
femme  de  Dèce  est  touchée  et  se  convertit  h  la  foi.  —  Martyre 
d'autres  chrétiens  par  l'ordre  de  Claude 409 


altribui 


e  l'assomption  de  N.-D.  d'après 
i   saint  Jean    l'Evangéliste.    — 


TOME    II,    SOMMAIRES    ANALYTIQUES  571 

Un  ange  apporte  à  la  sainte  Vierge  une  branche  de  palmier. 

—  Promesse  de  Vange  que  les  apôtres  assisteront  aux  funé- 
railles de  la  mère  de  Dieu.  —  Une  nuée  dépose  saint  Jean 
devant  la  maison  de  Marie.  —  Précautions  suggérées  à  saint 
Jean  par  Marie.  —  Les  apôtres  amenés  à  la  porte  de  la  sainte 
Vierge.  —  La  sainte  Vierge  reçoit  les  apôtres.  Arrivée  de 
J.-C.  avec   les  chœurs  célestes.  Ses  paroles  à  sa  sainte  Mère. 

—  L*âme  de  Marie  s'envole  dans  les  bras  de  son  Fils.  —  Ra- 
vissement des  esprits  bienheureux  en  voyant  Marie  entrer  au 
ciel. —  Funérailles  de  Marie.  —  Les  Juifs  irrités.  —  Le  prince 
des  prêtres  veut  renverser  le  lit  funèbre,  sa  main  y  reste  atta- 
chée. —  Il  obtient  sa  guérison.  —  Apparition  de  J.-C.  aux 
apôtres  le  troisième  jour.  —  Thomas  absent  et  encore  incré- 
dule. —  Tunique  de  la  sainte  Vierge  conservée  à  Chartres. 
Prodiges  qu'elle  opère.  —  Révélation  faite  à  sainte  Elisabeth. 

—  Age  de  la  sainte  Vierge.  —  Caractères  de  Tassomption  de 
Marie.  —  Légende  du  soldat  dissipateur.  —  Enfant  d'un  Juif 
jeté  dans  une  fournaise  par  son  père  et  protégé  parla  Madone. 

—  Diables  qui  portent  aux  enfers  l'âme  d'Ebroïn  et  qui 
veulent   se   saisir  de  moines  déréglés;  la  Vierge  les  protège. 

—  Moine  dissolu,  mais  dév^ot  à  la  sainte  Vierge.  —  Femme 
tourmentée  par  le  démon  et  délivrée. 

Du  Mode  de  VAnomption  de  la  Sainte  Vierge  Marie, 

Récit  de  Côme  Vestitor.  —  L'impératrice  Pulchérie  s'adresse 
aux  évêques  de  la  Palestine  pour  obtenir  le  corps  de  la  sainte 
Vierge.  —  Vêtements  et  suaire  laissés  seuls  dans  le  tombeau 
et  envoyés  à  Constantinople.  —  Récit  de  saint  Jean  Damascène. 

—  Sentiment  de  saint  Augustin  sur  l'Assomption    .     .      415 

SAINT    BERNARD 

Parents  et  naissance  de  saint  Bernard.  —  Songe  de  sa  mère 
au  moment  où  elle  le  portait  dans  son  sein.  - —  Saint  Bernard 
apprend  l'heure  à  laquelle  J.-C.  est  venu  au  monde. —  Pièges 
tendus  à  la  vertu  de  saint  Bernard.  —  Il  entre  à  Cîleaux,  — 


S72  LA    I.iu<il!?<UE    UOHtË 

Belle  n-JiuriKC  rie  Nivard,  son  rrèri-.  —  U  foiiilp  Clainaux.  — 
Ses  austi^ritïS.  —  Il  rcsoîl  et  convrriil  s»  sn-iir  lic  sa  monda- 
nité. —  tl  eol  ravi  devant  le  Iribuuiil  lie  Diru  ;  aceuaalion  <lu 
démon.  Ré|>i)U8e  du  sainl.  —  Le  moine  joueur.  —  Pn^sau  qui 
ae  peut  réciler  un  /"o/f  sana  dislrsclion.  —  Saïol  Hernanl 
obitcul  \v  reiDur  d'un  parent  à  Clalrvaux.  —  [I  exeoiBntunJs 
les  mnucbcs  qui  meurent  aussitôt.  —  II  délivre  une  femme 
{mssédée.  IubuIipb  ilu  déniun.  —  Autre  possédée  délivrée.  — 
il  abat  1»  tierlé  du  due  d'Aquilaine. — Il  obtient  lu  eonversion 
de  plusieurs  étudinnts.  —  Trois  recommandations  [[u'il  fait 
avant  de  mourir. —  Il  manifeste  sa  (|;loire  après  ss  mort.       Vi9 

SAINT     TIMIVrilÉB 


BAIKT    STUPIIOnlGII 

Il  e!ii  Uitiu  l'I  jeté  on  prison.  —  Paroles  d'r  n  courage  me  a  | 
que  lui  ;i>lre-t«e  s»  mérc  nlors  qu'il  nllnii  être  exécute.       179 

SAINT  HAItTllÉl.EMY 
Ssiat  ll«i-lhélemy  dans  rinde.  —  Se»  prédications.  —  Pi.r- 
Irait  du  saint.  —  Conversion  du  roi  Poicmius  et  guérîson  de 
M  fille  lunatitiue.  —  Il  consacre  k  Dieu  un  temple  d'idoles.  — 
Les  pontifes  des  idoles  irrilenl  contre  l'aptitre  le  frère  du  rr)i. 
—  Il  est  écorché  vif.  —  Ses  reliques  i  Lipari.  —  Femme  qui 
ne  peut  verser  son  huile  dans  la  lampe  du  saint.  —  Mort  mi- 
sérable de  l'empereur  Frédéric  pour  avoir  rasé  les  églises  de 
Bénéveat.  —  Docteur  préservé  d'une  violente  tentation  par 
saint  Bartbélcmy.  —  Parallèle  entre  saint  Pierre  et  saint 
Barthélémy 481 


saint  Augustin.  —  Son  éducation.  —  Il  tombe 
'isme.  —  Chagrin  et  pleurs  de  sainte  Monique, 
ieiit  ù  Milan.  —  Ses  angoisses.  —  Sa  conver- 
guéri  d'un  violent  mal  de  dents.  —  Il  se  fait 
n  tils  et  Alypc.  —  Il  renonce  nu  monde.  —  Il 


1 


TOME    II,    SOMMAIRES   ANALYTIQUES  573 

est  ordonné  prêtre  à  Hippone  où  il  vît  en  communauté.  —  Ses 
prédications.  —  Il  est  promu  à  Tépiscopat.  —  Sa  tempérance. 

—  Ses  confessions.  —  Animosité  des  hérétiques  contre  lui.  — 
Sa  prudence  par  rapport  aux  personnes  du  sexe.  —  A  quelle 
occasion  il  composa  son  ouvrage  de  la  Cité  de  Dieu,  —  Sa  ma- 
ladie. —  Il  guérit  un  malade.  — Possédés  délivrés.  — Sa  mort. 

—  Son  éloge  d'après  les  saints  Pères.  —  Translation  de  son 
corps  à  Pavie  ;  miracles  opérés.  —  Mort  d*un  moine  fort  dévot 
à  saint  Augustin.  —  Saint  Augustin  voit  dans  un  livre  du 
Démon  qu'il  a  oublié  un  jour  de  réciter  les  Complies.  — Une 
femme  le  voit  en  extase.  —  Autres  miracles    ....       495 

LA    DÉCOLLATION    DE    SAINT   JEAN-BAPTISTE 

Saint  Jean  a  la  tête  tranchée.  —  Miracle  rapporté  par  saint 
Augustin.  —  Punition  d*Hérode.  —  Les  ossements  du  saint 
brûlés.  —  Légende  de  Julien  l'apostat.  —  Invention  du  chef 
de  saint  Jean.  —  Punition  d'Hérodiade 528 

SAINT    FÉLIX    ET    SAINT    ADEUGTE    OU    ADJOINT 

Félix  renverse  d'un  souffle  les  idoles.  —  Son  martyre.  — 
Un  chrétien  s'adjoint  à  lui • 543 

SAINT    SAVINIEN    ET    SAINTE    SAVINE 

Un  ange  apparaît  à  Savinien.  —  Il  est  baptisé.  —  Son  bâton 
fiché  en  terre  produit  des  feuilles  et  des  fruits.  —  L'empereur 
le  mande  et  le  condamne  à  être  percé  de  flèches.  —  Il  a  la 
tête  tranchée.  —  Savine  à  la  recherche  de  son  frère.  —  Elle 
arrive  à  Troyjcs.  —  Sa  mort 544 

SAINT    LOUP 

Saint  Loup  est  élu  archevêque  de  Sens.  —  Il  confond  ses 
calomniateurs  singulièrement.  —  Il  met  les  ennemis  en  fuite 
en  sonnant  une  cloche. —  La  cloche  perd  son  harmonie  quand 
on  l'enlève  de  l'église  de  Saint-Etienne.  —  Sa  mort.     .       549 


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Manuscrits  inédits  de  I 


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