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i
Légende Dorée
DE
JACQUES DE VORAGINE
NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS
INTRODUCTION, NOTICES, NOTES
Recherches sur les Sources
L'Am:J -13. M. ROZE
Chanoine hononirc de la Cathédrale d'Amiens
DEUXIEME PARTIE
PARIS
7IÎ, Rt(E IlE SKIN-E, 7fi
MDCCCCil
EDOUARD ROUYEYRE, Éditeur, rue de Seine, 76, PARIS
Publication honorée de la Souscription
du Ministère de V Instruction publique et des Beaux- Arts
OUVRAGE COMPLET EN DIX VOLUMES
Connaissances nécessaires
Accoiu|»agnées (le Notes critiques ' TTrj Tiih/innll if/>
et DocumeoU bibliographiques t* %^ tl XJlUIflU^IHlC
recueillis et publiés par
EDOUARD ROUVEYRE
Libnire-Aiitiqnaire et Éditeur, Ofll-ierde l'inslraction publique
CINQUIÈME EDITION
Dix volumes in 8* carré criX225), illustrés de 1800 figures
Prix : 80 fr.
SOMMAIRE DES DIX VOLUMES
Les volumes ne se vendent pas séparément
Premier Tolume : f i. Origine du livre. — Les amateurs, les bibliophiles,
iesbibliomanes. Etablissement d'une bibliothèque. — Conservation et entretien
des livres. ~ Deuxième Tolame : f 3. Du format des livres. — Les livres les
plus petits. — Les livres les plus grands. ~ Les livres imprimés ou calli-
eraphiés en caractères microscopiques. — f 3. Ducollationnementdos livres.—
Delà manière de procéder à cotte opération. — Ses diflicultés. — Ses ré-
sultats. — ^ 4. Abréviations usitées en bibliographie, ainsi que dans les ma-
nuscrits et les imprimes. — d' 5. Signes disiinctifs dos anciennes éditions. —
i 6. Des souscriptions et de la date.— Troisième volume : ^ 7. Du choix des
livres.— De la lecture.— De la connaissance des livres.— Leurs déitnitions.—
Caractères auxquels on distingue un livre rare, précieux ou curieux.— Cu (fui
en fait le prix.— La chasse aux livres.— Quatrième volume : i( 8. De la re-
liure ancienne et moderne.— Du goût et des styles dans la reliure. — Petit
musée de la reliure ancienne. — Cinquième volume : ^'0. Do la gravure et
de ses états. — De Tillustration et de la décoration intérieure des livres.— Les
livres gravés ou burinés.— Les livres avec gravures supprimées, épreuves à
l'état d eau forte ou avec remarques. —Les livres avec aquarelles, illustrations
ou ornements placés dans le texte ou sur les marges, etc.— Sixième volume :
LlO. Les reliures aux chiffres ou à monogrammes.— Les reliures aux armes.—
es EX'Libris. .^11. Les livres avec dédicaces ou annotations manuscrites, etc.
— Les livres de provenance curieuse ou illustre. — Septième volume : i li.
Les Manuscrits ^t la Peinture des livres. — Huitième volume : ti 13. Les en-
nemis du livre.— Moyens de préserver les livres des insectes.— Destruction des
livres et falsllication des gravures*. — Les voleurs et les équarrisseurs de li-
vres.—| li. Altérations et fraudes.— Nettoyage et encollage des livres et des
gravures. — Du dédoublage des gravures. — Réparation des manuscrits, des
piqûres de vers, des déchirures et des cassures du papier. — Restauration des
estampes et des reliures. — Les livres imprimés «ur peau vélin, papiers de
Chine, Japon. Whatman, vélin, vergé, etc. — Neuvième et dixième volumes:
j 15. De la classification systématique des livres, des autographes et des gra-
vures. — f 16. Lexique des termes relatifs à la Bibliographie, à l'Art typogra-
phique, etc., employés dans le cours des Connaissances néeetsaxres à un BibUopItile,
avec renvois aux tomes et aux pages de cette publication.
L.es sommaires DÉTAILLÉS des dix volumes sont adressés gratis
et franco. — En faire la demande.
EDOUARD ROUVETRE, Editeur, rue do Seine, 76, à Paris
HISTOIRE - PHILOSOPHIE — DOCUMENT
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Exemplaire en cartonnage artistique, non rogné Quarante Francs
ÉTUDES SUR LES FORMES ET LES DECORS
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Légende Dorée
Vingt-cinq exemplaires ont été imprimés
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PAPIER I>U JAPON DES MANUFACTURES IMPÉRIALES DE TOKIO
Tous droits de roproductioa et de traduction reserves pour tous pays,
y compris la Suède et la Norvège.
k
La
Légende Dorée
DE
JACQUES DE VORAGINE
NOUVELLEMENT TRADUITE EN FRANÇAIS
INTRODUCTION, NOTICES, NOTES
ET
RECHERCHES SUR LES SOURCES
l'Ail ,
LAbbé J.-B. m. ROZE
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DEUXIÈME PtRTIE
PARIS
EDOUARD ROUVEVRE, ÉDITEUR
76, RUE DE SEINE, 76
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MDCCCCll
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PUDUC LIDUAilT
390074B
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B 1M7 L
LA
LÉGENDE DORÉE
UNE VIERGE D'ANTIOCIIE*
Au IP livre des Vierges^ saint Ambroise raconte en
ces termes le martyre d'une vierge d'Antioche : Il y
eut naguère à Antioche une viers^e qui évitait de se
mruilrer en public ; mais plus elle se cachait, plus elle
enflammait les cœurs. La beaulé dont on a entendu
parler mais cpi'on n'a pas vue est recherchée avec
plus d'empressement à cause des deux stimulants
des passions, l'amour et la connaissance, car quand
on ne voit rien, rien ne saurait plaire; mais quand
on connaît une beauté, on pense qu'elle aura d'autant
plus à plaire. L'œil ne cherche pas à juger de ce qu'il
ne connaît pas, mais un cœur qui aime conçoit des
désirs. C'est pour cela que cette sainte vierge, afin d(^
ne point nourrir trop longtemps des espérances cou-
pables, décidée qu'elle était à sauvegarder sa pudeur,
nnit de telles entraves aux passions des méchants
* Celte lés^ende est copiée mot à mot dans saint Ambroise
au II« livre des Vierges, eh. iv.
n. 1
2 , LA LÉGtNDE DOREE
qu'elle attira rattentioii avant même d'être aimée.
Voici la persécution. Une jeune fille incapable de fuir,
timide par son âge, afin de ne pas tomber entre les
mains de ceux qui auraient attenté à sa pudeur,
arma son cœur de courage. Elle fut attachée à la reli-
gion au point de ne pas craindre la mort; chaste au
point de l'attendre : car le jour vint où elle devait
recevoir la couronne, jour attendu impatiemment par
tous; on fait comparaître une jeune fille qui déclare
vouloir défendre à la fois sa chasteté et sa religion.
Mais quand on vit sa constance dans son dessein, ses
craintes pour sa pudeur, sa résolution à souffrir les
tortures, la rougeur (jui lui montait au front dès
(|u'elle était regardée, on chercha comment on pour-
rait lui ôter la religion en lui laissant entrevoir qu'elle
garderait sa chasteté : car dès lors qu'on réussissait
à lui citer sa religion, regardée comme ce qu'il y avait
de plus important, on pourrait lui faire perdre encore
ce qu'on lui laissait.
On commanda à la vierge de sacrifier ou d'être
exposée dans un mauvais lieu. Quelle manière d'hono-
rer les dieux que de les venger ainsi ! Ou comment
vivent-ils ceux qui portent de semblables arrêts? La
jeune vierge, non pas parce qu'elle chancelait dans sa
foi, mais parce qu'elle tremblait pour sa pudeur, se dit
à elle-même : « Que faire aujourd'hui? Ou martyre ou
vierge; on veut me ravir une double couronne. Mais
celui-là ne connaît pas même le nom de vierge qui renie
l'auteur de la virginité : en effet, comment être vierge
et honorer une prostituée? comment être vierge et aimer
(les adultères? comment être vierge et rechercher l'a-
UNE VIERGE d'aNTIOCHE
mour? Mieux vaut garder son cœur vierge que sa chair.
Conserver Tun et l'autre, c'est un bien, quand on le
peut, mais puisque cela devient impossible, soyons
chaste aux yeux de Dieu et non par rapport aux hom-
mes. Raab fut une prostituée, mais après avoir eu foi
au Seigneur; elle trouva le salut. Judith s'orna pour
plaire à un adultère ; mais parce que le mobile de sa
conduite élait la religion et non Tamour, personne
ne la regardait comme une adultère. Ces exemples se
présentent heureusement : car si celle qui s'est con-
fiée à la religion a sauvé sa pudeur et sa patrie, moi
aussi, peut-être, en conservant ma religion, conserve-
rai-je encore ma chasteté. Que si Judith eiH voulu
préférer sa pureté à sa religion, en perdant sa patrie,
elle eiU encore perdu son honneur. » Alors éclairée
par ces exemples, et gardant dans le fond du cœur
ces paroles du Seigneur : « Quiconque perdra son
âme à cause de moi, la retrouvera », elle pleura, el se
tut, afin qu'un adultère ne IVnlendiU même pas parler.
Elle ne préféra pas sacrifier sa pudeur, mais en même
temps elle ne prétendit point faire injure à J.-C. Ju-
gez si elle pouvait être coupable d'adultère, en sou
corps, celle qui ne le fut pas même dans le ton de sa
voix.
Depuis longtemps déjà je mets une grande réserve
dans mes paroles, comme si je tremblais en entrant
dans Texposition d'une suite de faits honteux. PVr-r
mez les oreilles, .vierges de Dieu ! La jeune fille est
conduite au lupanar. Ouvrez maintenant les oreilles,
vierges de Dieu. Une vierge peut être livrée à la pros-
titution, et peut ne point pécher. En quelque lieu (jue
LA LÉGENDE DORÉE
soit une vierge de Dieu, là est toujours le temple de
Dieu. Les mauvais lieux ne diffament pas la chasteté,
mais la chasteté ôte à pareil lieu son infamie. Tous
les débauchés accourent en foule au lieu de prostitu-
tion. Vierges saintes, apprenez les miracles des mar-
tyrs, mais oubliez le langage de ces lieux. La colombe
est enfermée ; les oiseaux de proie crient au dehors :
c'est à qui sera le premier pour se jeter sur la proie.
Alors elle leva les mains au ciel comme si elle
était entrée dans un lieu de prière et non dans l'asile
de la débauche : « Seigneur Jésus, dit-elle, en faveur
de Daniel vierge, vous avez dompté des lions féroces,
vous pouvez encore dompter des hommes au cœur
farouche ; le feu tomba sur les Chaldéens ; par un effet
de votre miséricorde, et non pas par sa propre nature,
Feau resta suspendue pour fournir un passage aux
Juifs. Suzanne se mit à genoux en allant au supplice
et triompha des vieillards impudiques ; la main qui
osait violer les présents offerts à votre temple se dessé-
cha : en ce moment, c'est à votre temple lui-même
qu'on en veut : ne souffrez pas un inceste sacrilège,
vous qui n'avez pas laissé un vol impuni. Que votre
nom aussi soit béni, à celte heure, afin que, venue ici
pour être souillée, j*en sorte vierge. » A peine avait-
elle achevé sa prière, qu'un soldat, d'un aspect terrible,
entre avec précipitation. Comme cette vierge dut trem-
bler à la vue de celui qui avait fait reculer la foule
tremblante! Elle n'oublia pas toutefois les lectures
qu'elle avait faites. « Daniel, se dit-elle, était venu
pour être spectateur du supplice de Suzanne, et celle
que tout le peuple avait condamnée, un seul la fit
UNE VIERGE d'aNTIOCHE 5
absoudre. Peut-être encore, sous Textérieur d'un loup,
se cache-t-il une brebis? Le Christ a aussi ses soldats,
lui qui a des légions. Peul-étre encore est-ce le bour-
reau qui est entré ; allons, mon âme, ne crains pas ;
c'est celui qui fait les martyrs. » 0 vierge, votre foi
vous a sauvée! Le soldat lui dit : « Ne craignez rien,
je vous en prie, ma sœur. C'est un frère, venu ici
pour sauver votre àme et non pour la perdre. Sauvez-
moi, pour que vous-même vous soyez sauvée. Je suis
entré ici sous les dehors d'un adultère ; si vous voulez,
j'en sortirai martyr : changeons de vêtements; les
miens peuvent vous aller et les vôtres à moi; les uns
et les autres conviendront à J.-C. Votre habit fera de
moi un véritable soldat, et le mien fera de vous une
vierge. Vous serez bien revêtue, et moi je serai
assez dégarni pour que le persécuteur me reconnaisse.
Prenez un vêtement qui cachera la femme, donnez-
m'en un qui me sacrera martyr. Revêtez la chlamyde
qui déguisera entièrement la vierge et qui protégera
votre pudeur : prenez ce pileur *pour couvrir vos che-
veux et cacher votre visage. On rougit ordinairement
quand 0:1 est entré dans un mauvais lieu. Evitez,
lorsque vous serez sortie, de regarder en arrière ; en
vous rappelant la femme de Loth qui changea de
nature pour avoir regardé des impudiques, bien qu'avec
des yeux chastes : ne craignez point, le sacrifice sera
complet. Je m'offre en votre place comme hostie à
Dieu ; vous, vous serez en ma place un soldat de J.-C.
' Le pileur était un bonnet en feulrc (poil) que portaient
exclusivement les hommes.
II. 1'
6 LA LÉGENDE DOREE
et VOUS lui ferez bon service de chasteté; Téternilé
en sera la solde ; vous porterez la cuirasse de justice
qui couvre le corps d'un rempart spirituel; vous
aurez le bouclier de la foi, pour vous parer contre les
blessures, vous serez couverte du casque du salut. En
effet, où se trouve J.-C. là est notre défense. Puisque le
mari est le chef de l'épouse, J.-C. est le chef des
vierges. » En disant ces mots il s'est dépouillé de son
manteau qui lui donnait la tournure d'un persécuteur
et d'un adultère. La vierge présente la tête, le sol-
dat se met en devoir de lui offrir son manteau. Ouelle
pompe que celle-là ! quelle grâce ! ils luttent à qui
aura le martyre et cela dans un mauvais lieu ! Les
deux lutteurs sont un soldat et une vierge : c'est dire
qu'il n'y a pas parité de nature, mais la miséricorde
de Dieu les a rendus égaux. L'oracle est accompli :
« Alors les loups et les agneaux paflront ensemble *. »
Voyez, c'est la brebis, c'est le loup qui ne sont pas
seulement dans le même pâturage, mais qui sont sa-
crifiés ensemble. Que dirai-je encore? Les habits sont
échangés, la jeune fille s'envole du filet**, mais ce n'est
pas de ses propres ailes, puis(ju'elle est portée sur les
ailes spirituelles : et ce qu'aucun siècle n'a vu encore,
voici une vierge de J.-C. qui sort du lupanar. Mais
ceux-là (jui voyaient par les yeux, sans voir réelle-
ment, frémissent comme des ravisseurs en présence
d'une brebis, comme des loups devant leur proie. L'un
d'eux, plus emporté que les autres, entra ; mais dès
* Isaïe, Lxxv, 25.
** Il y a dans ce passade des allusions sans nombre aux
combats antiques.
>
UNE VIERGE D^ANTIOCHE
qu'il a constaté de ses yeux ce qui s'est passé : « Qu'est
ceci? dit-il; c'est une jeune fille qui est entrée, et ce
paraît être un homme. Ceci n'est pas une fable, c'est
la biche, à la place de la vierge * : mais ce qui est
certain, c'est une vierge qui est devenue un soldat. J'a-
vais bien entendu dire, mais je n'avais pas cru que
le Christ a changé, l'eau en vin; le voici qui change
même le sexe. Sortons d'ici pendant que nous sommes
encore ce que nous avons été. Ne serais-je point changé
aussi moi-même qui vois autre chose que je ne crois?
Je suis venu au lupanar, je vois quelqu'un qui repré-
sentera la condamnée ; et puis je sortirai changé aussi :
je m'en irai pur, moi qui suis entré coupable. Le fait
est constaté, la couronne est due à ce vainqueur émi-
nent. Celui qui est pris pour une vierge est condamné
à la place de la vierge. Ainsi ce n'est pas seulement
une vierge qui sort du lupanar, il en sort aussi des
martyrs.
On rapporte que la jeune fille courut au lieu du sup-
plice, et que tous les deux combattirent à qui subirait la
mort : Le soldat disait: « C'est moi qui suis condamné
à être tué ; la sentence vous absout, et elle m'atteint. »
La jeune fille s'écrie : « Je ne vous ai pas pris pour
être caution de ma mort; mais j'ai souhaité vous avoir
pour protéger ma pureté. Si c'est la pudeur qu'on
veut atteindre, mon sexe reste. Si l'on demande du
sang, je ne désire point de caution! J'ai de quoi me
libérer. La sentence est pour moi, puisqu'elle a été por-
* Une biche fut substituée à Iphiiçénie, quand Ae^amcm-
Don voulut sacrifier sa fille.
8 LA LÉGENDE DOREE
tée contre moi. Certes, si je vous avais donné pour
caution d'une somme d'argent, et qu'en mon absence
le juge vous eût fait payer ma dette au prêteur, vous
pourriez exiger par un arrêt que je vous satisfasse
au dépens de mon patrimoine. Si je m'y refusais, qui
ne jugerait ma déloyauté digne de mort ? à plus forte
raison dès qu'il s*agit d'une condajnnation à mort. Je
mourrai innocente, et ne prétends pas vous nuire par
ma mort. Aujourd'hui il n'y a pas de milieu : ou je ré-
pondrai de votre sang versé, ou je serai martyre avec
mon sang. Si je suis revenue aussitôt, qui oserait me
chasser? Si j'eusse tardé, qui oserait m'absoudre? La
loi doit m'alteiiulre, non seulement pour ma fuite,
mais aussi pour le meurtre d'aulrui. Si mes membres
ne pouvaient supporter le déshonneur, ils peuvent
supporter la mort. On peut trouver dans une vierge
un endroit oii on la frappera, quand elle n'en avait
pas pour être flétrie : j'ai fui l'opprobre et non le
martyre. Je vous ai bien cédé mon vêtement, mais je
n'ai pas changé de qualité. Que si vous m'enlevez la
mort vous ne m'avez pas rachetée, vous m'avez cir-
convenue. Gardez-vous de discuter, je vous prie, gar-
dez-vous de me contredire. Ne m'enlevez pas un bien-
fait que vous m'avez donné. En avançant que cette
dernière sentence n'ait pas été portée contre moi,
vous en faites revivre une autre. Une première sen-
tence est infirmée par une seconde. Si la dernière ne
m'atteint pas, la première m'atteint. Nous pouvons
exécuter l'une et l'autre, si vous me laissez être tour-
mentée tout d'abord. Sur vous on ne pourra exercer
un autre châtiment, mais sur une vierge la pudeur s'y
UNE VIERGE d'aNTIOCHE 9
oppose. Enfin vous retirerez plus de gloire pour faire
une martyre d'une adultère, que pour faire une adul-
tère d'une martyre. » — Quel dénouement attendez-
vous? Ils combattirent à deux et tous deux furent
vainqueurs. Au lieu d'une couronne à partager, deux
furent accordées. C'est ainsi que les saints martyrs se
secondaient mutuellement, l'une ouvrait à l'autre la
porte au martyre, celui-ci lui donna de le réaliser.
On porte aux nues, dans les écoles des philoso-
phes *, Damon et Pythias, de la secte de Pythagore.
L'un d'eux, condamné à mort, demanda le temps de
mettre ordre à ses affaires. Or, le tyran plein d'astuce,
pensant qu'on ne pourrait plus le retrouver, demanda
une caution qui serait frappée à sa place, s'il tardait à
revenir. Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer, ni
quelque chose de plus noble, de l'un qui trouve quel-
qu'un s'obligeant à le représenter pour mourir, ou de
l'autre venant s'offrir. Mais comme le condamné tar-
dait à se présenter au supplice, son répondant vint
avec un visage calme, et ne refusa pas de subir la mort.
On le conduisait au lieu de rexéculion, quand son ami
arrive; celui-ci vint se substituer à l'autre, et offrir sa
tète au bourreau. Alors le Ivran, vovant avec admi-
ration que les philosophes estimaient plus l'amitié que
la vie, demanda à être admis en tiers dans l'amitié de
ceux qu'il avait condamnés à mort. Tant la vertu a
d'attraits, puisqu'elle gagna un tyran! Ces faits méri-
tent des louanges, mais ils ne l'emportent pas sur
* C.icéron, De officih^ lib. III. — Valèrc-Mîixiiiie, liv. IV,
C. VII.
10 LA LÉGENDE DOREE
ceux que nous venons de raconter. Car dans ce der-
nier exemple, ce sont deux hommes, dans Tautre on
voit une vierge qui, tout d'abord, avait même son sexe
à vaincre. Ceux-ci étaient deux amis : ceux-là ne se
connaissaient point : ceux-ci se présentèrent devant
un seul tyran : ceux-là devantbeaucoup de tyrans et de
plus cruels encore. Le premier pardonna, les seconds
tuèrent. Entre les premiers, il y avait solidarité, dans
les seconds la volonté était libre. Il y eut plus de pru-
dence dans ceux-ci, parce qu'ils n'avaient qu'un but,
la conservation de l'amitié, ceux-là, ne tendaient qu'à
avoir la couronne du martyre. Ceux-ci combattirent
pour les hommes ; ceux-là pour le Seigneur. (Saint
Ambroise.)
SAINT PIERRE, MARTYR
Pierre signifie connaissant, ou déchaussant. Pierre peut
encore venir depetros, ferme. Par là on comprend les trois pri-
vilèjçes qui distinguèrent saint Pierre : Premièrement, car il
fut un prédicateur remarquable, de là la qualité de connais-
sant: parce qu'il posséda une connaissance parfaite des Ecri-
tures et qu'il connut dans sa prédication ce qui convenait à
chacun. Secondement, il fut vierge, très pur; ce qui le fait dire
déchaussant, parce qu*il se déchaussa et se dépouilla les pieds
de ses affections de tout amour mortel : de sorte qu'il fut vierge
non seulement de corps mais de cœur. Troisièmement, il fut
martyr glorieux du Seigneur ; d'où le nom de ferme, parce qu'il
supporta constamment le martyre pour la défense de la foi.
Pierre, le nouveau martyr de l'ordre des Prêcheurs,
champion distingué de la foi, fut originaire de la cité
SAINT PIERRE, MARTYR 11
de Vérone *. Tel qu'une lumière éclatante jaillissant de
la fumée, qu'un lys qui s'élance des ronces, qu'une rose
vermeille sortant du milieu des épines, il devint un
prédicateur pénétrant quoique né de parents aveu-
glés par l'erreur : il fit paraître une splendeur virgi-
nale de sainteté corporelle et spirituelle, en sortant
d'une souche corrompue, et du milieu des épines,
c'est-à-dire de ceux qui étaient destinés à Fenfer il
s'éleva pour être un noble martyr. En effet le B. Pierre
avait pour parents des infidèles et des hérétiques et
il se conserva entièrement pur de leurs erreurs. A Tâge
de sept ans, un jour qu'il revenait de l'école, un on-
cle hérétique lui demanda ce qu'il avait appris en
classe. Il répondit qu'il avait appris : « Je crois en
Dieu le père tout-puissant, créateur du ciel et de la
terre... Credo hi Deum. » «Ne dis pas, lui répliqua son
oncle, créateur du ciel et de la terre, puisqu'il n'est
pas le créateur des choses visibles, mais que c'est le
diable qui a créé toutes ces choses que Ton voit. »
Mais Fenfant lui soutenait qu'il préférait dire comme
il avait lu et croire comme il l'avait vu écrit. Alors son
oncle s'efforça de le convaincre par différentes auto-
rités : or, l'enfant, qui était rempli du Saint-Esprit, lui
* On comprend que le bienheureux Jac(jues de Voraginc ait
traité si longuement la vie d*un saint moine de sou ordre, que,
sans doute, il a connu lui-même, car saint Pierre fut assas-
siné en 1252. Or, Jacques de Voragine prit Thabil de domini-
cain en 1244. — Au reste les Bollandistes n*ont pas mis moins
de 23 pages in-folio pour rapporter les miracles du saint dont
la vie a été écrite par Thomas de Leontio, dominicain, puis
patriarche de Jérusalem, lequel a vécu longtemps à Vérone
avec le saint.
12 LA LKGENDE DORKE
rétorqua tous ses argumenls, le défit avec ses propres
armes et le réduisit au silence. Fort indiofué d'avoir
été confondu par un enfant, il alla rapporter au père
tout ce qui s'était passé entre eux, et il persuada à
celui-ci de retirer son enfant de l'école : « Car je crains,
ajoula-t-il, que quand ce petit Pierre aura été tout à fait
instruit, il ne tourne vers TEçlise romaine la prostituée,
et qu'ainsi il ne détruise et confonde notre croyance. »
Semblable à un autre Caïplie, il disait vrai sans le savoir,
quand il prophétisait que Pierre devait détruire la perfi-
die des hérétiques ; mais parce que tout est dirigé par
la main de Dieu, le père n'obtempéra pas aux conseils
de son frère ; il espérait, quand son fils aurait terminé
son cours de grammaire, le faire attirer à sa secte par
quelque hérésiarque. Mais le saint enfant, qui ne se
voyait pas en sûreté en habitant avec des scorpions,
renonça au monde et à ses parents pour entrer pur
dans Tordre des frères Prêcheurs. Il v vécut avec une
grande ferveur, au rapport du pape Innocent, qui dé-
clare dans une de ses lettres que le bienheureux Pierre,
dans son adolescence, pour éviter les prestiges du
monde, entra dans Tordre des frères Prêcheurs. Après
y avoir passé près de trente ans, il avait atteint au
comble de toutes les vertus. C'était la foi qui le di-
rigeait, Tespérance qui le fortifiait, la charité qui
Taccompagnait. Il fit tant de progrès pour se rendre
capable de défendre la foi dont il était embrasé, que
la lutte soutenue par lui avec intrépidité et chaleur
pour elle contre ses adversaires, était de tous les jours,
et (ju'il consomma ce combat sans interruption jus-
qu'au moment où il remporta heureusement la victoire
SAINT PIERRE, MARTYR 13
du martyre. Il conserva aussi toujours intacte la virgi-
nité de son cœur et de son corps : jamais il ne ressentit
les atteintes du péché mortel, coriTme on en a la preuve
par la déclaration fidèle de ses confesseurs : et parce
qu'un esclave délicatement nourri est insolent contre
son maître, il mortifia sa chair par une frugalité habi-
tuelle dans le boire et dans le manger. Pour n'être pas
pris au dépourvu par les attaques ennemies, il consa-
crait ses instants de loisir à méditer avec assiduité sur
les ordonnances pleines de justice de Dieu ; en sorte
qu'occupé entièrement à cet exercice salutaire, il n'avait
pas lieu de se livrer à des actions défendues et tou-
jours il était en garde contre les malices du démon.
Après avoir donné un court repos à ses membres fati-
gués, il passait ce qui restait de la nuit à étudier, à
lire, et à veiller. Il employait le jour aux besoins des
âmes, ou à la prédication, ou à entendre les confessions,
ou bien à réfuter par de solides raisons les dogmes
empoisonnés de l'hérésie ; et on a reconnu qu'il y excel-
lait par un don particulier de la grâce. Sa dévotion
était agréable, son humilité douce, son obéissance
calme, sa bonté tendre, sa piété compatissante, sa pa-
tience inébranlable, sa charité active, sa gravité de
mœurs était remarquable en tout : la bonne odeur
de ses vertus attirait à lui : il était attaché profondé-
ment à la foi, et comme il la {pratiquait avec zèle, il
en était le champion brûlant. 11 l'avait si profondément
gravée dans le cœur, et s'y soumettait de telle sorte
que chacune de ses œuvres, chacune de ses paroles
reflétaient cette vertu. Animé du désir de subir la
mort pour elle, il est prouvé que ses prières fréquentes
I
14 LA LÉGENDE DORÉE
et assidues, ses supplications ne tendaient qu'à obte-
nir du Seigneur de ne pas permettre qu'il quittât la
vie autrement qu'en*buvant pour lui le calice du mar-
tyre. Il ne fut pas trompé dans son espoir.
La vie de saint Pierre fut illustrée par de nombreux
miracles. Un jour, il examinait à Milan un évêque héré-
tique dont s'étaient saisis les fidèles. Or, beaucoup d*é-
vêques, et grand nombre de personnes de la ville se
trouvaient là ; l'examen s'élant prolongé fort longtemps
et la chaleur excessive accablant tout le monde, l'héré-
siarque dit en présence du peuple : « 0 méchant Pierre,
si tu es aussi saint que le prétend cette foule stupide,
pourquoi te laisses-tu mourir de la chaleur et ne pries-
tu pas le Seigneur d'interposer un nuage afin que ce
peuple insensé ne succombe pas sous ces feux ardents? »
Pierre lui répondit : « Si tu veux promettre d'abjurer
ton hérésie et d'embrasser la foi catholique, je prierai
le Seigneur, et il fera ce que tu dis. » Alors les fau-
teurs des hérétiques se mirent à criera l'envi : « Pro-
mets, promets, » car ils croyaient impossible que la
promesse de Pierre fût réalisable, d'autant qu'il n'y
avait pas en l'air l'apparence du moindre nuage. Les
catholiques furent attristés, dans la crainte que leur
foi n'en ressentît quelque déshonneur. Quoique l'héré-
tique n'eût pas voulu s'engager, saint Pierre dit avec
grande confiance : « Pour preuve que le vrai Dieu est
créateur des choses visibles et invisibles, pour la con-
solation des fidèles et la confusion des hérétiques, je
prie Dieu de faire monter un petit nuage qui vienne
s'interposer entre le soleil et le peuple. » Après avoir
fait le signe de la croix, il obtint ce qu'il avait demandé :
\
SAINT PIERRE, MARTYR 15
pendant Fespacc d'une grande heure, un léger nuage
couvrit le peuple qui se trouva abrité comme sous un
pavillon. — Un homme, nommé Asserbus, qui avait
les membres retirés depuis cinq ans, et qu'on traînait
par terre dans un boisseau, fut conduite saint Pierre,
à Milan. Le saint fit sur lui le signe de la croix, et le
guérit. — Le pape Innocent rapporte, dans la lettre
citée plus haut, quelques miracles opérés par rentre-
mise du saint. Le fils d'un noble avait dans le gosier
une tumeur d'une grosseur horrible ; elle Tempèchait
de parler et de respirer; le bienheureux leva les mains
au ciel, et fit le signe de la croix en même temps que
le malade s'était couvert du manteau de saint Pierre ;
ù rinstant il fut guéri. Le même noble, affligé plus tard
de violentes convulsions qu'il craignait devoir lui don-
ner la mort, se fit apporter avec révérence ce même
manteau qu'il avait conservé depuis lors ; il le mit
sur sa poitrine, et peu après il vomit un ver qui avait
deux têtes et était couvei^t de poils; sa guérison fut
complète. — Un jeune muet auquel il mit le doigt
dans la bouche reçut le bienfait de la parole; sa lan-
gue avait été déliée. Ces miracles et bien d'autres en-
core furent dus au saint auquel le Seigneur accorda
de les opérer, pendant sa vie.
Cependant comme la contagion de l'hérésie multi-
pliait ses ravages toujours croissants dans la province
de la Lombardie et dans un grand nombre de villes,
le souverain pontife, pour détruire cette peste diabo-
lique, délégua plusieurs inquisiteurs de Tordre des
frères Prêcheurs, dans lesditférentes partiesde la Lom-
bardie. Mais comme à Milan les hérétiques, nombreux
16 LA LÉGENDE DOREE
et appuyés sur la puissance séculière, avaient recours
à une éloquence frauduleuse et à une science diabo-
lique, le souverain pontife, connaissant pertinemment
saint Pierre dont le cœur magnanime ne se laissait pas
épouvanter par la multitude des ennemis, appréciant
en outre la constance de son courage qui le faisait ne
pas céder même dans les petites choses à la puissance
des adversaires, informé de son éloquence au moyen
de laquelle il démasquait avec facilité les ruses des
hérétiques, n'ignorant pas non plus la science pleine
et entière dans les choses divines avec laquelle il ré-
futait par ses raisonnements les paradoxes des héré-
tiques, l'établit dans Milan et dans son comté comme
un champion intrépide de la foi, et, de sa puissance
plénière, il l'institua son inquisiteur, comme un guer-
rier infatigable du Seigneur. Pierre se mit alors à
exercer ses fonctions avec soin, recherchant partout
les hérétiques auxquels il ne laissait aucun repos : il
les confondait tous merveilleusement; les repoussait
avec autorité, les convainquait avec adresse, en sorte
qu'ils ne pouvaient résister à la sagesse et à l'Esprit
qui parlait par sa bouche. Les hérétiques désolés pen-
sèrent à le faire mourir, dans l'espoir de vivre tran-
quilles, dès lors qu'ils seraient débarrassés d'un per-
sécuteur si puissant. Or, comme ce prédicateur intré-
pide, qui bientôt allait être un martyr, se dirigeait de
Cumes à Milan pour rechercher les hérétiques, il gagna,
dans ce trajet, la palme du martyre, ainsi que le pape
Innocent l'expose en ces termes : « En sortant de
Cumes, où se trouvait un prieuré de frères de son
ordre, pour aller à Milan afin d'exercer contre les héré-
SAINT PIERRE, MARTYR 17
tiques les fonctions d'inquisiteur qui lui avaient été
confiées par le Siège apostolique, selon qu'il l'avait
prédit dans une de ses prédications publiques, quel-
qu'un d'entre les hérétiques, gagné par prière et par
argent, se jeta avec fureur sur le saint voyageur.
C'était le loup contre l'agneau, le cruel contre l'homme
doux, l'impie contre le saint, la fureur contre le calme,
la frénésie contre la modestie, le profane contre le
saint ; il simule une insulte, il éprouve ses forces, il
fait des menaces de mort, il assène des coups atroces
sur le chef sacré de saint Pierre, il lui fait d'affreuses
blessures ; l'épée est toute ruisselante du sang de cet
homme vénérable qui ne cherche pas à éviter son
ennemi ; mais il s'offre de suite comme une hostie,
souffrant en patience les coups redoublés de son bour-
reau qui le laisse mort surla place (l'esprit du saint était
au ciel), et qui, dans sa fureur sacrilège, redouble ses
coups sur le ministre du Seigneur. Cependant le saint
ne poussait aucune plainte, aucun murmure ; il souf-
frait tout avec patience, recommandant son esprit au
Seigneur en disant : « In manns tuas.,. Seigneur, dans
vos mains, je remets mon esprit. » Il commença encore
à réciter le symbole de la foi, dont il avait été le
Hérault jusque-là, ainsi que l'ont rapporté par la suite
et le malheureux qui fut pris par les fidèles, et un
frère dominicain son compagnon, qui survécut quel-
ques jours aux coups dont il avait été frappé lui-
même. Mais comme le martyr du Seigneur palpitait
encore, le cruel bourreau saisit un poignard et le lui
enfonça dans le côté. Or, au jour de son martyre, il
mérita en quelque sorte d'être confesseur, martyr,
n. 2
18 LA LÉGENDE DOREE
prophète et docteur. Confesseur, en ce qu'il confessa
avec la plus éminente constance la foi de J.-C, au
milieu des tourments, et en ce que, ce jour-là même,
après avoir fait sa confession comme de coutume, il
offrit à Dieu un sacrifice de louange. Martj^r, en ce
qu'il versa son sang pour la défense de la foi. Pro-
phète, car il avait alors la fièvre quarte, et comme
ses compagnons lui disaient qu'ils ne pourraient pas
arriver jusqu'à Milan, il répondit : « Si nous ne pou-
vons parvenir jusqu'à la maison de nos frères, nous
pourrons recevoir l'hospitalité à Saint-Simplicien. »
Ce qui arriva : car, comme on portait son saint corps,
les frères, en raison de la foule extraordinaire de
peuple, ne purent le conduire jusqu'à la maison, mais
ils le déposèrent à Saint-Simplicien où il resta cette
nuit-là. Docteur, eji ce que pendant qu'il était attaqué,
il enseigna encore la vraie foi en récitant à haute
voix le svmbole de la foi.
Sa passion vénérable paraît encore avoir eu plu-
sieurs traits de ressemblance avec la passion de Noire-
Seigneur. En effet J.-G. souffrit pour la vérité qu'il
prêchait, Pierre pour la vérité de la foi qu'il défen-
dait. J.-C. souffrit la mort du peuple infidèle des Juifs,
Pierre, de la foule infidèle des hérétiques. J.-C. fut
crucifié au temps de Pâques, Pierre souffre le mar-
tyre dans le même temps. Le Christ souffrant disait :
« Seigneur, en vos mains, je remets mon âme » ;
Pierre qui était tué criait les mêmes paroles, J*.-C.
fut livré pour trente deniers afin qu'il fût crucifié,
Pierre fut vendu pour quarante livres de Pavie afin
qu'il fût tué. J.-C. par sa passion attira à la foi beau-
SAINT PIERRE, MARTYR 19^
coup de monde, Pierre par son martyre convertit une
foule d'hérétiques. Et quoique cet insigne docteur
el ce champion de la foi eût amplement déraciné la
croyance empoisonnée des hérétiques pendant sa vie,
après sa mort toutefois, par ses mérites et les miracles
éclatants, elle fut tellement extirpée que beaucoup
abandonnèrent Terreur pour retourner au giron de la
sainte Église. La ville de Milan et son comté, où se
trouvaient tant de conventicules de la secte, en furent
puisés de telle sorte que les uns ayant été chassés^
les autres convertis à la foi, il ne s'en trouva plus
aucun qui eût l'audace de se montrer nulle part. Plu-
sieurs même d'entre eux, devenus de très grands et
de fameux prédicateurs, sont entrés dans Tordre des
frères Prêcheurs et aujourd'hui encore, ils sont les ad-
versaires courageux des hérétiques et de leurs fau-
teurs. C'est pour nous un autre Samson qui tua plus
de Philistins en mourant, qu'il n'en avait occis étant
vivant. C'est le grain de froment tombé sur la terre
et ramassé par les mains des hérétiques, qui meurt
et rapporte une moisson abondante. C'est la grappe
foulée au pressoir qui rejaillit en une copieuse liqueur ;
c'est Tarome pilé dans le mortier qui en répand une
plus forte odeur ; c'est le grain de sénevé écrasé qui
offre des ressources sans nombre.
Après le glorieux triomphe du saint héros, Dieu le
rendit illustre par de nombreux miracles que le sou-
verain Pontife rapporte en petit nombre. Après sa
mort, les lampes appenducs à son tombeau s'allumè-
rent plusieurs fois d'elles-mêmes, miraculeusement,
sans Taide et le ministère de qui que ce fût : parce
f
20 LA LÉGENDE DOREE
qu'il convenait que pour celui qui avait brillé par le
feu et la lumière de la foi, il apparût un miracle de
feu et de lumière. — Un homme qui était à table
dépréciait sa sainteté et ses miracles, il prit, en témoi-
gnage de son dire, un morceau qu'il ne pourrait ava-
ler, s'il faisait mal en parlant ainsi : aussitôt il sentit
le morceau s'arrêter dans sa gorge sans pouvoir le rc
jeter ni l'avaler. Il se repentit de suite et son visage
changeait déjà de couleur, lorsque, sentant les appro-
ches de la mort, il fit vœu de ne plus proférer à l'a-
venir de semblables paroles. Il rejeta à l'instant ce
nu»rceau et fut guéri. — Une femme hydropique ame-
née par son mari au lieu où le saint avait été tué, y fit
sa prière et fut guérie tout à fait. — Il délivra des
possédés en leur faisant rejeter les démons avec des
flots de sang ; il chassa les fièvres, il guérit toutes sor-
tes de maladies. — Un homme qui avait un doigt de
la main gauche percé de plusieurs trous d'une fistule,
fut guéri miraculeusement. — Un enfant avait fait une
chute si grave qu'on le pleurait comme mort; le mou-
vement et le sentiment avaient disparu. On lui mit sur
la poitrine de la terre imprégnée du sang précieux du
niartvr, et il se leva tout sain. — Une femme encore
qui avait la chair rongée d'un cancer fut guérie, après
qu'on eut frotté ses plaies avec cette même terre. Bien
d'autres infirmes qui se firent porter au tombeau du
saint y recouvrèrent une parfaite santé et en revinrent
seuls.
Lorsque le souverain Pontife Innocent IV eut mis
saint Pierre au catalogue des saints, les frères Prê-
cheurs s'assemblèrent en chapitre à Milan : ils vou-
SAINT PIERRE, MARTYR 21
laient placer son corps dans un endroit plus élev»î, et
quoiqu'il fût resté plus d'une année sous terre, ils le
trouvèrent sain et entier, sans aucune mauvaise odeur,
comme s'il eût été enseveli ce jour-là même. Les frè-
res le mirent avec grande révérence sur une estrade
élevée à la même place, et il fut montré entier devant
tout le peuple qui l'invoqua avec supplications. Outre
les miracles racontés dans là lettre précitée du souve-
rain pontife, il y en eut encore plusieurs autres : car
souvent quelques religieux et d'autres personnes aper-
çurent visiblement, sur le lieu de son martyre, des
lumières descendant du ciel. Au milieu de ces lumiè-
res, ils rapportèrent qu'on distingua deux frères en
habitde frères Prêcheurs. — Un jeune homme no ramé
Gunfred, ou Guifred, de la ville de Cumes, possédait
un morceau de la tunique du saint ; un hérétique lui
dît, en forme de moquerie, que, s'il croyait à la sain-
teté de Pierre, il jetât ce morceau dans le feu ; s'il
ne brûlait point, certainement Pierre était saint, et lui-
même embrasserait la foi. Tout de suite Guifred jeta
le morceau sur des charbons ardents ; mais le feu le
rejeta en l'air ; ensuite le même morceau retomba sur
les charbons enflammés qui furent aussitôt éteints.
Alors l'incrédule dit : « Il en sera de même d'un mor-
ceau de ma tunique. » On mit donc d'un côté le mor-
ceau de la tunique de l'hérétique et d'un autre côté
le morceau de la tunique de saint Pierre. Or, le mor-
ceau de la tunique de l'hérétique n'eut pas plutôt senti
le feu, qu'il fut instantanément consumé, mais le mor-
ceau de celle de saint Pierre fut maître du feu, qui s'é-
ieignit, et pas un fil de ce drap ne fut endommagé. A
II. 2-
22 LA LÉGENDE DOREE
celte vue, Thérétique rentra dans le sentier de la vérité
et publia partout ce miracle. — A Florence, un jeune
homme, infecté de la corruption de l'hérésie, était de-
bout devant un tableau où était représenté le martyre
du saint, dans Téglise des frères de Florence ; en
voyant le malfaiteur qui le frappait avec son épée, il
dit à quelques jeunes gens qui se trouvaient avec lui :
« Si j'avais été là, .j'aurais encore frappé plus fort. »
Il n'eut pas plutôt parlé ainsi qu'il devint muet. Et
comme ses camarades lui demandaient ce qu'il avait,
et qu'il ne pouvait pas leur répondre, ils le recondui-
sirent chez lui. Mais ayant vu sur son chemin l'église
de saint Michel, il s'échappa des mains de ses compa-
gnons et entra dans l'église où il pria à genoux saint
Pierre, de tout son cœur, de lui pardonner, en faisant
vœu, comme il put, que s'il était délivré, il confesse-
rait ses péchés et abjurerait toute hérésie. Alors subi-
tement il recouvra la parole, vint à la maison des
frères, où après avoir abjuré l'hérésie, il se confessa,
en donnant la permission à son confesseur de dire
dans ses prédications ce qui lui était arrivé. Lui-même,
au milieu d'un sermon fait par un prêcheur, raconta
le fait devant toute l'assistance. — Un vaisseau, en
pleine mer, allait faire naufrage : il était furieusement
ballotté par les flots, la nuit était noire ; les matelots
se recommandaient à tous les saints ; mais ne vovant
pas d'espoir de salut ils craignaient fort d'être perdus,
quand l'un d'eux, qui était de Gênes, fit taire les au-
tres et parla ainsi : « Mes frères, est-ce que vous n'a-
vez pas entendu raconter qu'un frère de l'ordre des
Prêcheurs, appelé frère Pierre, a été tué parles héré-
SAINT PIERRE, MARTYR 23
tiques il nV a pas longtemps pour la défense delà foi
catholique, et que par son entremise le Seigneur opère
beaucoup de miracles. Eh bien ! en ce moment, im-
plorons sa protection avec grande piété, car j'espère
que nous ne serons pas déçus dans notre demande. »
Tous s'accordentà invoquer le secours de saint Pierre :
Et pendant qu'ils priaient, la vergue qui tient la voile
parut toute pleine de cierges allumés; l'obscurité dis-
paraît devant l'éclat de ces flambeaux et la nuit qui
était affreusement noire est changée en un jour très
clair. Comme ils regardaient en haut, ils virent un
homme en habit de frère Prêcheur debout sur la voile,
et il n'y eut aucun doute que ce ne filt saint Pierre.
Or, ces matelots arrivés sains et saufs à Gènes vinrent
à la maison des frères Prêcheurs où, après avoir rendu
grâces à Dieu et à saint Pierre, ils racontèrent tous
les détails de ce miracle. — Une femme de la Flandre
avait eu déjà trois enfants morts-nés, et son mari
l'avait prise en dédain ; elle pria saint Pierre de venir
à son aide. Elle mit au monde un quatrième fils qui
fut aussi trouvé mort. Sa mère le prit et supplia de
tout son cœur saint Pierre de vouloir rendre la vie
à son fils et d'exaucer ses ardentes prières. A peine
avait-elle terminé que l'enfant reprit la vie. On le
porta donc au baptême, et on convint de l'appeler
Jean ; mais le prêtre au moment de prononcer le nom
de l'enfant, sans le savoir, le nomma Pierre : ce qui
dans la suite lui fit avoir grande dévotion à ce saint.
Dans la province de Teulonie, à Ulrechl, des femmes,
occupées à filer sur la place, virent un grand concours
lie peuple à l'église des Frères Prêcheurs, en l'honneur
e
24 LA LÉGENDE DOREE
de saint Pierre, martyr. Elles dirent à ceux qui étaient
là : « Oh! ces Prêcheurs! ils savent tous les moyens de
gagner de Targenl; car pour en amasser une grosse
somme, et pour bâtir de grands palais, ils ont trouvé
un nouveau martyr. » En disant cela et autres choses
semblables, voici tout à coup que leur fil est tout cou-
vert de sang, et les doigts avec lesquels elles filaient
en sont tout couverts. A cette vue, elles furent éton-
nées et s'essuyèrent les doigts avec précaution dans
la crainte de s'y être fait quelque coupure : mais quand
elles virent tous leurs doigts entièrement sains, et le
fil ensanglanté de la sorte, elles eurent peur et se repen-
tirent : « Vraiment, dirent-elles, nous avons mal parlé
du sang d'un précieux martyr et c'est pour cela que
ce miracle si extraordinaire nous est arrivé. » Elles
coururent donc à la maison des Frères, et exposèrent
le tout au prieur en lui montrant le fil plein de sang.
Or, le prieur, à la sollicitation d'un grand nombre de
personnes, convoqua le peuple à un sermon solennel,
et rapporta en présence de son auditoire tout ce qui
était arrivé à ces femmes; il montra même le fil ensan-
glanté. Alors un maître de grammaire, qui assistait à
la prédication, se mit à se moquer beaucoup de ce fait
et à dire à ceux qui se trouvaient là : « Voyez donc,
comme ces frères trompent les cœurs des gens sim-
ples. Ils se sont entendus avec quelques femmelettes de
leurs amies, leur oui dit de teindre leur fil dans du
sang, et ils racontent cela comme un miracle. » A
peine il finissait de parler qu'il fut frappé par la ven-
geance divine : la fièvre le saisit vis-à-vis de tous,
d'une manière si violente que ses amis furent obligés
SAINT PIERRE, MARTYR 23
de le porter de l'églisie en sa maison. Mais là fièvre
devenant de plus en plus forte, il eut peur de mourir
de suite, fit appeler le susdit prieur, et après avoir
confessé sa faute, il fit vœu à Dieu et à saint Pierre
que si, par ses mérites, il recouvrait la santé, il au-
rait toujours envers lui une dévotion spéciale et qu'il
ne dirait jamais plus pareilles sottises. Chose merveil-
leuse! Il n'eut pas plutôt fait ce vœu qu'il fut entiè-
rement guéri. — Une fois, le sous-prieur de celte
même maison conduisait dans un bateau de magni-
fiques et grosses pierres pour la construction de la
dite église; le bateau toucha, à Timproviste, le rivage,
de sorte qu'on ne pouvait le dégager. Tous les mate-
lots étaient descendus et s'étaient mis ensemble à
pousser le bateau, mais sans pouvoir le remuer. Ils
croyaient le bâtiment perdu, quand le sous-prieur les
fit tous mettre de côté et approcha la main du bateau
qu'il poussa légèrement en disant : « Au nom de saint
Pierre martyr, pour l'honneur duquel nous portons
ces pierres, va. » Aussitôt le bateau s'ébranla avec vi-
tesse, s'éloigna du rivage. Les matelots tout joyeux
montèrent et gagnèrent leur chantier.
Dans la province de France, en la ville de Sens,
une jeune fille qui passait dans l'eau fut entraînée
par le courant, y tomba et resta longtemps dans la
rivière; enfin elle en fut retirée morte. Il y avait qua-
tre causes de mort : le long espace de temps, le corps
raide, froid et noir. Quelques personnes la portèrent
à l'église des Frères, firent un vœu à saint Pierre, et
aussitôt elle revint à la vie et à la santé. — Frère
Jean, Polonais, souffrait de la fièvre quarte à Bologne :
26 LA LÉGENDE DOREE
il devait, le jour de la fête de saint Pierre, adresser un
sermon au clergé ; comme il s'attendait à avoir son
accès cette nuit-là, d'après le cours ordinaire de la
fièvre, il eut grande peur de manquer le sermon qu'il
avait reçu ordre de prononcer. Mais ayant eu recours
aux suffrages de saint Pierre, à l'autel duquel il vint
prier afin de recevoir secours de celui dont il devait
publier la gloire, cette nuit-là même, la fièvre le quitta
et dans la suite il n'en éprouva plus jamais les atta-
ques. — Une (lame nommée Girolda, femme de Jac-
ques de Vausain, était obsédée depuis quatorze ans
par des esprits immondes : elle vint dire à un prêtre :
« Je suis démoniaque, et l'esprit malin me tourmente. »
A l'instant le prêtre saisi s'enfuit à la sacristie, y prit
le livre dans lequel se trouvent les cxorcismes, avec
une étole qu'il cacha sous sa coule : il revint avec
bonne société trouver la femme qui ne l'eut pas plutôt
aperçu qu'elle dit : « Larron infâme, où as-tu été?
Qu'est-ce que tu portes caché sous ta coule? » Mais
le prêtre faisait ses conjurations et n'apportait aucun
soulagement, cette femme alors vint trouver le bien-
heureux Pierre, car il vivait encore, et lui demander
secours. Il lui répondit en forme de prophétie : a Con-
fiance, ma fille, ne désespérez point; car si je ne puis
à présent faire ce que vous me demandez, il viendra
cependant un temps où ce que vous demandez de
moi, vous Tobtiendrez complètement. » Ce qui arriva
en effet : car, après son martyre, cette femme étant
venue à son tombeau, fut entièrement délivrée du tour-
ment de ces démons. — Une femme nommée Euphé-
mie de Corrion;^o, dans le diocèse de Milan, fut tour-
SAINT PIERRE, MARTYR 27
nientée du démon pendant sept ans. Quand on Tamena
au tombeau de saint Pierre; les démons se mirent à
l'agiter davantage, et à crier par sa bouche de manière
à être entendus de tous : « Mariole, Mariole, Pierrot,
Pierrot. » Alors les démons sortirent et la laissèrent
pour morte; mais elle se leva guérie un instant après.
Elle assurait que principalement les jours de diman-
che et de fête, et surtout lors de la célébration de la
messe, les démons la tourmentaient davantage. — Une
femme appelée Vérone, de Bérégno, fut tourmentée
pendant six ans par les démons ; elle fut conduite au
tombeau de saint Pierre, et c'était à peine que beau-
coup d'hommes pouvaient la contenir. Parmi eux se
trouvait un hérétique, nommé Conrad, de Ladriano,
venu là pour se rire des miracles de saint Pierre. Or,
comme il tenait cette femme avec les autres, les dé-
mons lui dirent par la bouche de la femme : « Pour-
quoi nous tiens-tu ? n'es-tu pas des nôtres? Ne t'avons-
nous pas porté à tel endroit où lu as commis tel homi-
cide? Ne t'avons-nous pas conduit en tel et tel lieu,
où tu as commis telle et telle infamie ? » Et comme
ils lui révélaient beaucoup de péchés que nul autre que
lui seul ne connaissait, il fut fort épouvanté. Alors
les démons écorchèrent le cou et la poitrine de la
femme qu'ils laissèrent à demi morte en sortant ; mais
vpeu après elle se leva guérie. Pour ce Conrad, quand
il vit cela, il en fut stupéfait et il se convertit à la foi
catholique.
Un hérétique, très fin raisonneur, d'une éloquence
singulière, discutait avec saint Pierre et exposait ses
erreurs avec subtilité et esprit ; il pressait audacieu-
28 LA LÉGENDE DOREE
sèment le saint de répondre à ses arguments. Celui-ci
demanda à réfléchir, et alla dans un oratoire qui était
proche prier Dieu de défendre la cause de sa foi, et
de réduire à la vérité ce parleur orgueilleux, ou de
le punir en le privant de Tusagc de la parole, de peur
qu'il ne s'enflât d'orgueil contre la vraie foi. Puis
revenant à Thérétique, il lui dit en présence de l'as-
semblée d'exposer ses raisons de nouveau. Mais cet
homme fut pris d'un tel mutisme qu'il ne put pro-
noncer un seul mot. Alors les hérétiques se reti-
rèrent confus et les catholiques rendirent grâces à
Dieu. — Un homme nommé Opiso, hérétique crédule,
était venu à Téglise des frères, à l'occasion d'une héré-
tique de ses cousines qui était forcenée. Arrivé au
tombeau de saint Pierre, il y vit deux deniers qu'il
prit en disant : « C'est bon, allons les boire » : et à
l^instant il fut saisi d'un tremblement tel qu'il ne put
en aucune manière se retirer de là. Effrayé, il remit
les deniers à leur place et s'en alla. Mais reconnaissant
la vertu de saint Pierre, il abandonna l'hérésie, et se
convertit à la foi catholique. — Il y avait en Alle-
magne, au monastère d'Octembach, diocèse de Cons-
tance, une religieuse de l'ordre de saint Sixte, qui,
depuis un an et plus, souffrait de la goutte au genou :
aucun remède ne l'avait pu guérir. Comme il lui était
impossible de visiter de corps le tombeau de saint
Pierre (car elle était sous obédience, et la maladie
très grave dont elle était atteinte l'en empêchait), elle
pensa du moins à visiter ledit tombeau par un pèle-
rinage mental avec une attentive dévotion. Elle apprit
qu'on pouvait aller en treize jours à Milan du lieu où
SAINT PIERRE, MARTYR 29
elle se trouvait; tous les jours, pour chaque journée
de voyage, elle récitait cent Pater noster en l'honneur
de saint Pierre. Manière mer\'eilleuse ! A mesure
qu'elle faisait ce pèlerinage mental, successivement,
toujours et peu à peu elle commença à se trouver
mieux. Quand elle eut atteint sa dernière journée et
qu'elle fut parvenue mentalement au tombeau, elle se
mit à genoux comme si réellement elle Teût eu devant
elle, récita tout le Psautier avec une très grande dévo-
tion. Sa lecture achevée, elle se sentit tellement déli-
vrée de son infirmité qu'elle n'en ressentait plus
presque rien. Elle revint de la même manière qu'elle
était allée et avant d'avoir terminé toutes ses journées,
elle fut complètement guérie. — Un homme de Cana-
picio de la villa Mazzati, nommé Rufin, tomba grave-
ment malade : il avait une veine rompue dans les
parties basses du devant, d'où il découlait sans cesse
du sang ; aucun médecin n'y avait pu apporter remède.
Or, après six jours et six nuits d'écoulement continu,
cet homme invoqua avec dévotion saint Pierre à son
secours : sa guérison fut si instantanée qu'entre sa
prière et sa délivrance, il ny eut presque aucun inter-
valle. Or, comme il s'endormait, il vil un frère en ha-
bit de frère Prêcheur, gros et brun de figure, qu'il
pensa être le compagnon de saint Pierre martyr, par-
ce qu'il avait réellement cette tournure. Ce frère lui
présentait ouvertes ses mains pleines de sang avec
un onguent d'agréable odeur, et disait : « Le sang
est encore frais : viens donc à ce sang tout frais de
saint Pierre. » Le malade à son réveil alla visiter le
tombeau du saint. — Certaines comtesses du château
30 LA légrndf: dorée
Massin, au diocèse d'Ypozença, avaient une dévotion
spéciale en saint Pierre ; elles jeûnaient la veille de sa
fête. Étant venues pour assister aux vêpres dans une
éçlise qui lui était dédiée, une d'elles mit brûler une
chandelle en l'honneur de saint Pierre martyr devant
un autel du saint apôtre. Quand elles furent rentrées
chez elles, le prêtre par avarice souffla et éteignit le
cierge ; mais tout de suite la lumière reprit et s'alluma
de nouveau. Il voulut l'éteindre une seconde et une
troisième fois, mais elle se ralluma toujours. Agacé
de cela, il entra dans le chœur et trouva devant le
maître-autel un cierge qu'y avait déposé un clerc en
l'honneur de saint Pierre, dont il passait la vigile en
jeûnant. Deux fois le prêtre voulut l'éteindre sans le
pouvoir. Le clerc irrité dit en voyant cela : « Diable !
est-ce que vous ne voyez pas là un miracle évident,
et que saint Pierre ne veut pas que vous éteigniez
son cierge? » Alors le prêtre et le clerc ébahis mon-
tèrent au château et racontèrent à tous ce miracle. —
Un homme du nom de Roba, de Méda, avait tout
perdu au jeu, jusqu'à ses habils : en revenant le soir
chez soi avec une lanterne allumée, il alla à son lit et
se voyant si mal vêtu après de si grandes pertes, il se
mit, de désespoir, à invoquer les démons et à se re-
commander à eux avec des paroles infâmes. Aussitôt
se présentèrent trois démons qui, jetant la lumière
allumée dans la chambre, le saisirent au cou où ils le
serrèrent si fort qu'il ne pouvait absolument pas par-
ler. Et comme ils le secouaient vivement, ceux qui
étaient à l'étage au-dessous montèrent chez lui et lui
dirent : a Qu'y a-t-il, que fais-tu, Roba? » Les démons
\
SAINT PIERRE, MARTYR 31
leur répondirent ; « Allez, soyez tranquilles, et cou-
chez-vous. » Ces personnes croyant que c'était la voix
de Roba se retirèrent tout aussitôt. Quand elles furent
parties, les démons recommencèrent à Tagiter plus
violemment encore. Les voisins, qui comprirent ce qui
se passait, allèrent de suite chercher un prêtre : celui-
ci n'eut pas plutôt adjuré les démons, au nom de saint
Pierre, que deux esprits malins sortirent à Tinstanl.
Le lendemain, on amena Roba au tombeau de saint
Pierre. Frère Guillaume de Verceil s'approcha et se
mit à faire des reproches au démon. Alors Roba, qui
n'avait jamais vu le frère, l'appela par son nom :
« Frère Guillaume, lui dit-il, ce ne sera pas toi qui
me feras jamais sortir, parce que cet homme est le
nôtre et fait nos œuvres, » Le frère lui ayant demandé
son nom : « Je m'appelle Balcéfas, lui répondit-il. »
Cependant, quand il eut été adjuré au nom de saint
Pierre, il jeta Roba par terre et s'en alla de suite. Roba
fut parfaitement délivré, et accepta une salutaire péni-
tence. — Le jour des Rameaux, saint Pierre prêchait
à Milan devant un auditoire très nombreux composé
d'hommes et de femmes : il dit publiquement et à
haute voix : « Je sais de science certaine que les héré-
tiques trament ma mort : déjà pour cela l'argent est
donné. Mais qu'ils fassent tout ce qu'ils peuvent, je
les persécuterai plus vivement mort que vif. » Ce
qui se réalisa. — A Florence, au monastère des Rives,
une religieuse était en oraison le jour que saint Pierre
souffrit la mort : elle vit la Sainte Vierge assise dans
la gloire sur un trône élevé, et deux frères de l'ordre
des Prêcheurs montant au ciel, qui furent placés de
i
32 LA LEGENDE DOREE
chaque côté de la Vierge Marie. Comme elle s'infor-
mait quels ils étaient, elle entendit une voix lui dire :
« C'est le frère Pierre qui monte glorieux comme un
parfum d'aromates en présence du Seigneur. » Et il
fut vérifié que saint Pierre fut tué ce jour-là même
que la religieuse eut cette vision. Or, comme depuis
longtemps elle souffrait d'une maladie grave, elle se
mit en dévotion à prier saint Pierre et reçut bientôt
santé entière. — Un écolier qui revenait de Mague-
lonne à Montpellier, en faisant un saut, se rompit à
Faine au point de se faire grand mal et de ne pouvoir
avancer un pas. Entendant dire qu'une femme avait
étendu de la terre arrosée du sang de saint Pierre sur
un cancer qui lui rongeait les chairs : « Seigneur
Dieu, dit-il, je n'ai point de cette terre, mais vous
avez donné tant de mérite à cette terre, vous pouvez
bien aussi en donner à celle-ci. » Il prit donc de la
terre, fit le signe de la croix, invoqua le martyr, et
la mit sur l'endroit malade et aussitôt il fut guéri. —
L'an du Seigneur 1239, il y avait à Compostelle un
homme nommé Benoît dont les jambes étaient enflées
comme des outres, le ventre comme celui d'une femme
enceinte, la figure horriblement bouffie, et tout le
corps gonflé de telle sorte qu'on eût cru voir un
monstre. Comme il avait peine à se soutenir sur un
bâton, il demanda l'aumône à une dame qui lui répon-
dit : « Tu aurais plus besoin d'une fosse que de tout autre
bien, mais suis mon conseil ; va au couvent des frères
Prêcheurs, confesse les péchés, et invoque le patro-
nage de saint Pierre. » Il vint donc le matin à la mai-
son des frères dont il trouva la porte fermée. II se
SAINT PHILIPPE, APOTRE 33
mit devant et s*endormît. Et voici qu'un homme véné-
rable, habillé comme les frères Prêcheurs, lui appa-
rut, le couvrit de son manteau et le fit entrer. Celui-
ci, à son réveil, se trouva être dans Téglîse et vit qu'il
était guéri parfaitement. L'admiration et la stupeur
furent générales quand on vit un homme près de
mourir, sitôt guéri d'une pareille infirmité.
SAINT PHILIPPE, APOTRE
Philippe sigQÎfîe bouche de lampe, ou bouche des mains :
ou bien il vient de philos, amour, et uper, au-dessus, qui aime
les choses supérieures. Par bouche de lampe, on entend sa
prédication brillante ; par bouche des mains, ses bonnes œuvres
continuelles ; par amour des choses supérieures, sa contem-
plation céleste.
Saint Philippe, apôtre, après avoir prêché vingt ans
en Scy thie, fut pris par les païens qui voulurent le for-
cer à sacrifier devant une statue de Mars. Mais aussitôt,
il s*élança de dessous le piédestal un dragon qui tua
le fils du pontife employé à porter le feu pour le sacri-
fice, deux tribuns dont les soldats tenaient Philippe
dans les chaînes : et son souffle empoisonna les autres
à tel point qu'ils tombèrent tous malades. Et Philippe
dit : (f Croyez-moi, brisez cette statue, et à sa place
adorez la croix du Seigneur, afin que vos malades
soient guéris et que les morts ressuscitent. » Mais
ceux qui étaient soufl'rants criaient : « Faites-nous
seulement guérir, et de suite nous briserons ce Mars. »
II. 3
•H LA LÉGENDE DOREE
l^hilippe commanda alors au dragon Je descendre au
désert, pour qu'il ne nuisît à qui que ce fût. Le mons-
tre se retira aussitôt, et disparut. Ensuite Philippe les
guérit tous et il obtint la vie pour les trois morts. Ce
fut ainsi que tout le monde crut. Pendant une année
entière il les prêcha, et après leur avoir ordonné des
prêtres et des diacres, il vint en Asie dans la ville de
Hiérapolis, où il éteignit Thérésie des Ebionites qui
enseignaient que J.-C. avait pris une chair fantasti-
que. Il avait là avec lui deux de ses filles, vierges très
saintes, par le moyen desquelles le Seigneur convertit
beaucoup de monde à la foi. Pour Philippe, sept jours
avant sa mort, il convoqua. les évêques et les prêtres,
et leur dit : « Lcf Seigneur m'a accordé ces sept jours
pour vous donner des avis. » Il avait alors 87 ans.
Après quoi les infidèles se saisirent de lui, et l'atta-
chèrent à la croix, comme le maître qu'il prêchait. 11
trépassa de cette manière heureusement au Seigneur.
A ses côtés furent ensevelies ses deux filles, l'une à sa
droite, et l'autre à sa gauche. Voici ce que dit Isidore
de ce Philippe dans le Livre de la Vie, de la naissance
et de la mort des saints * : « Philippe prêche J.-C.
aux Gaulois ; les nations barbares voisines, qui habi-
taient dans les ténèbres, sur les bords de l'océan fu-
rieux, il les conduit à la lumière de la science et au
port de la foi; enfin, crucifié à Hiérapolis, ville de la
province de Phrygie, et lapidé, il y mourut, et y re-
fuse avec ses filles. » Quant à Philippe qui fut un
des sept diacres, saint Jérôme dit, dans son martyro-
* CIl.XLV.
SAINTE APOLLONIE (APOLLINE) 35
loge, que le 8« des ides de juillet, il mourut à Cé-
sarée, illustre par ses miracles et ses prodiges ; à côté
de lui furent enterrées trois de ses filles, car la qua-
trième repose à Eplièse. Le premier Philippe est diffé-
rent de celui-ci, en ce que le premier fut apôtre, le
second diacre; Tapôtre repose à Hiérapolis, le diacre
à Césarée. Le premier eut deux filles prophétesses, le
second en eut quatre, bien que dans l'Histoire ecclé-
siastique * on paraisse dire que ce fut saint Philippe,
apôtre, qui eut quatre filles prophétesses : mais il vaut
mieux s'en rapporter à saint Jérôme.
SAINTE APOLLONIE (APOLLINE)
«*
Au temps de l'empereur Dèce, une affreuse persé-
cution s'éleva à Alexandrie contre les serviteurs de
Dieu. Un homme nommé Devin devança les ordres de
l'empereur, comme ministre des démons, en excitant,
contre les chrétiens, la superstition de la populace
qui dans son ardeur était dévorée de la soif du sany^
des justes. Tout d'abord on se saisit de quelques per-
sonnes pieuses de l'un et de l'autre sexe. Aux uns, on
déchirait le corps, membre après membre, à coups
de fouets ; à d'autres, on crevait les yeux avec des ro-
seaux pointus, ainsi que le visage, après quoi on les
chassait de la ville. Quelques-uns étaient traînés aux
pieds des idoles afin de les leur faire adorer; mais
* Eusèbe, Histoire ecclésiastique^ I. III, c. xxxi.
** Idem, Ibid., liv. VIIÏ. ch. xxxi.
36 LA LÉGENDE DORÉE
comme ils s'y refusaient avec horreur, ou leur liait les
pieds avec des chaînes, on les traînait à travers les
rues de toute la ville, et leurs corps étaient arraches
par lambeaux dans cet atroce et épouvantable supplice.
Or, il y avait, en ce temps-là, une vierge remarquable,
d'un âge fort avancé, nommée Apollonie, ornée des
fleurs de la chasteté, de la sobriété et de la pureté,
semblable à une colonne des plus solides, appuyée sur
Tesprit même du Seigneur, elle off^rait aux anges et
aux hommes le spectacle admirable de bonnes œuvres
inspirées par la foi et par une vertu céleste. La mul-
titude en fureur s'était donc ruée sur les maisons des
serviteurs de Dieu, brisant tout avec un acharnement
étrange ; on traîna d'abord au tribunal des méchants
la bienheureuse Apollonie, innocente de simplicité,
forte de sa vertu, et n'ayant pour se défendre que la
constance d'un cœur intrépide, et la pureté d'une cons-
cience sans tache; elle offrait avec grand dévouement
son âme a Dieu et abandonnait à ses persécuteurs son
corps tout chaste pour qu'il fût tourmenté. Lors donc
que cette bienheureuse vierge fut entre leurs mains, ils
eurent la cruauté de lui briser d*abord les dents; en-
suite, ils amassèrent du bois pour en dresser un grand
bikher, et la menacèrent de la brûler vive, si elle ne
disait avec eux certaines paroles impies. Mais la sainte
n'eut pas plutôt vu le bûcher en flammes, que, se re-
cueillant un instant, tout d'un coup, elle s'échappe des
mains des bourreaux, et se jette elle-même dans le
brasier dont on la menaçait. De là l'efl'roi des païens
cruels qui voyaient une femme plus pressée de rece-
voir la mort qu'eux de l'infliger. Eprouvée déjà par
SAINTE APOLLOME (aPOLLINE) 37
différents supplices, celle courageuse martyre ne se
laissa pas vaincre par la douleur des tourments qu'elle
subissait, ni par Tardeur des flammes, car son cœur
était l)ien autrement embrasé des rayons de la vérité.
Aussi ce feu matériel, attisé par la main des hommes,
ne put détruire dans son cœur intrépide Tardeur qu'y
avait déposée l'œuvre de Dieu. Oh ! la grande et l'admi-
rable lutte que celle de cette vierge, qui, par l'inspira-
tion de la grâce de Dieu, se livra aux flammes pour
ne pas brûler, et se consuma pour ne pas être consu-
mée ; comme si elle n'ei\t pas été la proie du feu, et
des supplices ! Elle était libre de se sauvegarder, mais
sans combat, elle ne pouvait acquérir de gloire. Celte
vierge et martyre intrépide de J,-C. méprise les déli-
ces mondaines, foule par ses mépris les joies d'ici-bas,
et sans autre désir que de plaire au Christ, son époux,
elle reste inébranlable dans sa résolution de garder
sa virginité, au milieu des tourments les plus violents.
Ses mérites éminents la font distinguer au milieu des
martyrs pour le glorieux triomphe qu'elle a heureuse-
ment remporté. Assurément il y eut dans celte femme
un courage viril, puisque la fragilité de son sexe
ne fléchit point dans une lutte si violente. Elle re-
foule la crainte humaine par l'amour de Dieu, elle
se saisit de la croix du (Christ comme d'un trophée;
elle combat et remporte plus promptement la victoire
avec les armes de la foi qu'elle n'aurait fait avec le
fer, aussi bien contre les passions que contre tous les
genres de supplices. Daigne nous accorder aussi cette
grâce celui qui avec le Père et le Saint-Esprit règne
dans les siècles des siècles.
u. 3'
38 LA LÉGENDE DORÉE
SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUR)
Jacques veut dire, qui renverse, qui supplante celui qui se
hâte, qui prépare. Ou bien il se tire de ta, qui signifie Dieu^
et cobar, charge, poids. Ou bien Jacques vient de yocu/t/m, jave-
lot, et cope, coupure, coupé par des javelots. Or, on le dit qui
renverse parce qu'il renversa le monde par le mépris qu'il en
fit : il supplanta le démon qui est toujours hâtif : il prépara
son corps à toutes sortes de bonnes œuvres. Les mauvaises
passions résident en nous par trois causes, ainsi que le dit
saint Grégoire de Nisse : par mauvaise éducation, ou conver-
sation, par mauvaise habitude du corps, ou par vice d'igno-
rance. Elles se guérissent, ajoute le même auteur, parla bonne
habitude, par le bon exercice, et par l'étude de bonne doc-
trine. Ce fut ainsi que saint Jacques se guérit et qu'il eut son
corps préparé à toutes sortes de bonnes œuvres. Il fut un poids
divin par la gravité de ses mœurs ; il fut coupé par le fer, en
souffrant le martyre.
Saint Jacques, apôtre^ est appelé Jacques d'Alphée,
c'est-à-dire fils d'Alphée, frère du Seigneur, Jacques
le mineur, et Jacques le Juste. On l'appelle Jacques
d'Alphée, noir seulement selon la chair, mais encore
selon l'interprétation du nom : car Alphée, veut dire
docte, document, fugitif, ou bien millième. Il est
nommé Jacques d' Alphée, parce qu'il fut docte, par
inspiration de science ; document, par l'instruction des
autres; fugitif, du monde qu'il méprisa; et millième,
par sa réputation d'humilité. On le nomme frère du
Seigneur, parce qu'il lui ressemblait au point que beau-
coup les prenaient Tun pour l'autre en les voyant. Ce
fut pour cela que lorsque les Juifs vinrent se saisir
de J.-C, de peurde prendre Jacques à sa place, Judas^
SAINT JACQUES, APOTRt: (lE MINEUR) - 39
qui vivant avec eux savait les distinguer, leur donna
pour signal le baiser. C'est encore le témoignage de
saint Ignace en son épttre à saint Jean Tévangéliste
où il dit : « Si cela m'est possible, je veux vous aller
joindre à Jérusalem, pour voir ce vénérable Jacques,
surnommé le juste, qu'on dit ressembler à J.-C. de
figure, de vie, et de manière d'être, comme s'ils avaient
été deux jumeaux de la même mère : ce Jacques dont
on dit : si je le vois, je vois en même temps J.-C.
dans chacun de ses membres. » On l'appelle encore
frère du Seigneur, parce que J.-C. et Jacques, qui des-
cendaient de deux sœurs, descendaient aussi, prélen-
dait-on, de deux frères, Joseph et Cléophas : car on
ne le nomme pas frère du Seigneur parce qu'il aurait
été le fils de Joseph, l'époux de Marie, mais d'une
autre femme, d'après certains témoignages, mais parce
qu'il était fils de Marie, fille de Cléophé : Et ce Cléophé
fut bien le frère de Joseph, époux de Marie, quoique
maître Jean Beleth (ch. cxxiv) dise que Alphée, père
<le Jacques dont nous parlons, fut frère de Joseph,
époux de Marie. Ce que personne ne croit. Or, les Juifs
appelaient frères ceux qui étaient parents des deux
souches : Ou bien encore on l'appelle frère du Seigneur
en raison de la prérogative et de l'excellence de sa
sainteté pour laquelle, de préférence aux autres apôtres,
il fut ordonné évêque de Jérusalem. On l'appelle en-
core Jacques le mineur, pour le distinguer de Jacques
le majeur, fils de Zébédée ; car quoique Jacques de
Zébédée eût été plus âgé, il fut cependant appelé après
lui. De là vient la coutume qui s'observe dans la
plupart des maisons religieuses que celui qui vient le
i
40 LA LÉGENDE DOREE
premier s'appelle major j et celui qui vient le dernier
s'appelle minov, quand bien même celui-ci serait plus
ancien d'âge ou plus digne par sa sainteté. On l'ap-
pelle aussi Jacques le Juste, à cause du mérite de son
excellenlissime sainteté : car, d'après saint Jérôme, il
fut en telle révérence et sainteté au peuple, que c'é-
tait à qui pourrait toucher le bord de son vêtement.
En parlant de sa sainteté, Hégésippe, qui vivait peu de
temps après les apôtres, écrit, selon les Histoires ecclé-^
siasliqnes : « Jacques, le frère du Seigneur, généra-
lement surnommé le Juste, fut chargé du soin de l'Eglise
depuis J.-C. jusqu'à nos jours. Il fut saint dès le sein
de sa mère ; il ne but ni vin, ni bière ; il ne mangea
jamais de viande ; le fer ne toucha pas sa tête ; il n'usa
jamais d'huile, ni de bain; il était toujours couvert
d'un? robe de lin. 11 s'agenouillait tant de fois pour
prier que la peau de ses genoux était endurcie comme
la plante des pieds. En raison de cet état de justice
extraordinaire et constante, il fut appelé juste et abha^
qui veut dire défense du peuple et justice. Seul de
tous les apôtres, à cause de cette éminente sainteté,
il avait la permission d'entrer dans le saint des saints. »
(Hégésippe.) On dit encore que ce fut le premier des
apôtres qui célébra la messe; car, j)our l'excellence de
sa sainteté, les apôtres lui firent cet honneur de cé-
lébrer, le premier d'entre eux, la messe à Jérusalem,
après l'ascension du Seigneur, même avant d'avoir
été élevé àl'épiscopat, puisqu'il est dit, dans les Actes,
qu'avant son ordination, les disciples persévéraient
dans la doctrine enseignée par les apôtres et dans la
communion de la fraction du pain, ce qui s'entend de
SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUr) 41
la célébration de la messe : ou bien peut-être, dit-on
qu'il a célébré le premier en habits pontificaux, comme
plus lard saint Pierre célébra la messe le premier
à Antioche, et saint Marc à Alexandrie. Sa virginité fui
perpétuelle, au témoig-nage de saint Jérôme en son li-
vre contre Jovinien. Selon que le rapportent Josèphe et
saint Jérôme, en son livre des Hommes ilUistres, le Sei-
gneur étant mort la veille du sabbat, saint Jacques fit
vœu de ne point manger avant de l'avoir vu ressus-
cité d'entre les morts; et le jour de la résurrection,
comme il n'avait pris jusque-là aucune nourriture, le
Seigneur lui apparut ainsi qu'à ceux qui étaient avec
lui, et dit : « Mettez la table et du pain. » Puis pre-
nant le pain, il le bénit et le donna à Jacques le Juste
en disant : « Lève-toi, mon frère, mange, car le fils
de l'homme est ressuscité des morts. » La septième
année de son épiscopat, les apôtres s'étant réunis à
Jérusalem, saint Jacques leur demanda quelles mer-
veilles le Seigneur avait opérées par eux devant le
peuple; ils les lui racontèrent. Saint Jacques et les
autres apôtres prêchèrent, pendant sept jours, dans
le temple, en présence de Caïphe et de quelques autres
Juifs qui étaient sur le point de consentir à recevoir le
baptême, lorsque tout à coup un homme entra dans
le temple et se mit à crier : « O Israélites, que faites-
vous? Pourquoi vous laissez-vous tromper par ces ma-
giciens?» Or, il émut si grandement le peuple, qu'on vou-
lait lapider les apôtres. Alors il monta sur les degrés
d'où prêchait saint Jacques, et le renversa par terre ;
depuis ce temps-là il boita beaucoup. Ceci arriva à saint
Jacqueslaseptièmeannée après l'ascension du Seigneur.
/
42 « LA LÉGENDE DOREE
La trentième année de son épiscopat, les Juifs n'ayant
pu luer saint Paul, parce qu'il en avait appelé à César
et qu'il avait été envoyé à Rome, tournèrent contre
saint Jacques leur tyrannie et leur persécution. Hégé-
sippe, contemporain des apôtres, raconte, et on le
trouve aussi dans V Histoire ecclésiastique *, que les
juifs cherchant l'occasion de le faire mourir, allèrent
le trouver et lui dire : « Nous t'en prions; détrompe
le peuple de la fausse opinion où il est que Jésus
est le Christ. Nous te conjurons de dissuader, au sujet
de Jésus, tous ceux ([ui se rassembleront le jour de
Pâques. Tous nous obtempérerons à ce que tu diras, et
nous, comme le peuple, nous rendrons de toi ce témoi-
gnage que lu es juste et que tu ne fais acception de
personne. » Ils le firent donc monter sur la plate-forme
du temple et lui dirent en criant à haute voix : « 0 le
plus juste des hommes, auquel nous devons tous
obéir, puisque le peuple se trompe au sujet de Jésus
qui a été crucifié, expose-nous ce qu'il t'en semble. »
Alors saint Jacques répondit d'une voix forte : « Pour-
quoi m'interrogez-vous touchant le Fils de l'homme :
voici qu'il est assis dans les cieux, à la droite de la
puissance souveraine, et qu'il doit venir pour juger
les vivants et les morts. » En entendant ces paroles,
les chrétiens furent remplis d'une grande joie et écou-
tèrent l'apôtre volontiers ; mais les Pharisiens et les
Scribes dirent : « Nous avons mal fait en provoquant
ce témoignage de Jésus; montons donc et nous le
précipiterons du haut en bas, afin que les autres
• Eusèbe, livre lï, ch, xxiii.
SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 43
effrayés n'aient pas la présomption de le croire. »
Et tous à la fois s'écrièrent avec force : « Oh ! oh !
le juste est aussi dans Terreur. » Ils montèrent et le
jetèrent en bas, après quoi, ils l'accablèrent sous une
grêle de pierres en disant : « Lapidons Jacques le
Juste. » II ne fut cependant pas tué de sa chute, mais
il se releva et se mettant sur ses genoux, il dit : « Je
vous en prie, Seigneur, pardonnez-leur, car ils ne sa-
vent ce qu'ils font. » Alors un des prêtres, qui était
des enfants deRahab, s'écria : « Arrêtez, je vous prie,
que faites-vous? C'est pour vous que prie ce juste,
et vous le lapidez ! » Or, l'un d'entre eux prit une per-
che de foulon, lui en asséna un violent coup sur la
tête et lui fit sauter la cervelle. C'est ce que raconte
Hégésippe. Et saint Jacques trépassa au Seigneur par
ce martyre sous Néron qui régna l'an 57 : il fut ense-
veli au même lieu auprès du temple. Or, comme le peu-
ple voulait venger sa mort,- prendre et punir ses meur-
triers, ceux-ci s'enfuirent aussitôt. — Josèphe rapporte
(lîv. VII) que ce fut en punition du péché de la mort
de Jacques le Juste qu'arrivèrent la ruine de Jérusalem
et la dispersion des Juifs : mais ce ne fut pas seule-
ment pour la mort de saint Jacques, mais principa-
lement pour la mort du Seigneur qu'advint cette des-
truction, selon que l'avait dit le Sauveur : « Ils ne te
laisseront pas pierre sur pierre, parce que tu n'as pas
connu le temps auquel Dieu t'a visitée. » Mais parce
que le Seigneur ne veut pas la mort du pécheur, et
afin que les Juifs n'eussent point d'excuses, pendant
40 ans, il attendit qu'ils fissent pénitence, et par les
apôtres, particulièrement par saint Jacques, frère du
44 LA LÉGENDE DORÉE
Seigneur, qui prêchait continuellementau milieu d'eux,
il les rappelait au repentir. Or, comme il ne pouvait les
rallier par ses avertissements, il voulut du moins les
effrayer par des prodiges : car, dans ces 40 ans qui leur
furent accordés pour faire pénitence, on vit des mons-
truosités et des prodiges. Josèplie les raconte ainsi :
Une étoile extraordinairement brillante, qui avait une
ressemblance frappante avec une épée, paraissait me-
nacer la ville qu'elle éclaira d'une lumière fatale pen-
dant une année entière. A une fêle des Azymes, sur
la neuvième heure de la nuit, une lueur si éclatante
entoura Tautel et le temple que Ton pensait qu'il fît
grand jour. A la même fête, une génisse que Ton
menait pour l'immoler mit au monde un agneau, au
moment où elle était entre les mains des ministres.
Quelques jours après, vers le coucher du soleil, on vil
des chars et des quadriges portés dans toute la région
de Tair, et des cohortes de gens armés s'entrechoquant
dans les nuages et cernant la ville de bataillons impro-
visés. En un autre jour de fête, qu'on appelle Pente-
cote, les prêtres, étant la nuit dans le temple intérieur
pour remplir le service ordinaire, ressentirent des
mouvements et un certain tumulte; en même temps,
ils entendirent des voix qui criaient : « Sortons de ces
diMneures. » Quatre ans avant la guerre, un homme
nommé Jésus, fils d'Ananias, venu à la fête des taber-
nacles, se mit tout à coup à crier : « Voix du côté de
Torienl; voix du côté de l'occident; voix du côté des
quatre vents ; voix contre Jérusalem et contre le tem-
ple; voix contre les époux et les épouses ; voix con-
tre tout le peuple. )) Cet homme est pris, battu, fouetté;
SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 4S
mais il ne savait dire autre chose, et plus on le frap-
pait, plus haut il criait. On le conduit alors au juge,
qui l'accable de cruels tourments; il le fait déchirer
au point qu'on voyait ses os : mais il n'eut ni une prière
ni une larme; à chaque coup qu'on lui assénait, il pous-
sait les mêmes cris avec un certain hurlement; à la
fin il ajouta : « Malheur! malheur à Jérusalem! »
(Récit de Josèphe.)
Or, comme les Juifs n'étaient pas convertis par ces
avertissements, et qu'ils ne s'épouvantaient point de
ces prodiges, quarante ans après, le Seigneur amena à
Jérusalem Vespasien et Tite qui détruisirent la ville de
fond en comble. Et voici ce qui les fit venir à Jérusa-
lem ; on le trouve dans une histoire apocryphe : Pi-
late, voyant qu'il avait condamné Jésus innocent, re-
douta la colère de l'empereur Tibère, et lui dépêcha,
pour porter ses excuses, un courrier du nom d'Albin :
or, à la même époque, Vespasien avait le gouverne-
ment de la Galatie au nom de Tibère César. Le cour-
rier fut poussé en Galatie par les vents contraires et
amené à Vespasien. C'était une coutume du pays que
quiconque faisait naufrage appartenait corps et biens
au gouverneur. Vespasien s'informa qui il était, d'où
il venait, et où il allait. « Je suis, lui répondit-il, ha-
bitant de Jérusalem : je viens de ce pays et j'allais à
Rome. » Vespasien lui dit : « Tu viens de la terre des
sages, tu connais la science de la médecine, tu es mé-
decin, tu dois me guérir. » En effet Vespasien, dès
son enfance, avait une espèce de vers dans le nez. De
là son nom de Vespasien. Cet homme lui répondit :
a Seigneur, je ne me connais pas en médecine, aussi
à
46 LA LÉGENDE DOREE
ne te puîs-je guérir. » Vespasien lui dit : « Si tu ne
me guéris, tu mourras. » Albin répondit : « Celui qui
a rendu la vue aux aveugles, chassé les démons, ressus-
cité les morts, celui-là sait que j'ignore Tart de gué-
rir. >) Et quel est, répliqua Vespasien, cet homme
dont tu racontes ces merveilles ? » Albin lui dit :
« (]'est Jésus de Nazareth que les Juifs ont tué par ja-
lousie; si tu crois en lui, tu obtiendras ta guérison. )>
Et Vespasien dit : « Je crois, car puisqu'il a ressuscité
les morts, il pourra aussi me délivrer de cette infir-
mité. » Et comme il parlait ainsi, des vers lui tom-
bèrent du nez et tout aussitôt il recouvra la santé.
Alors Vespasien, au comble de la joie, dit: « Je suis
certain qu'il fut le fils de Dieu celui qui a pu me
guérir. Eh bien ! J'en demanderai l'autorisation à
César : j'irai à main armée à Jérusalem anéantir tous
les traîtres et les meurtriers de Jésus. » Puis il dit à
Albin, le messager de Pilate : « Avec ma permission,
tu peux retourner chez toi, ta vie et tes biens saufs. »
Vespasien alla donc à Rome et obtint de Tibère-
César la permission de détruire la Judée et Jérusalem.
Alors pendant plusieurs années, il leva plusieurs corps
de troupes ; c'était au temps de l'empereur Néron,
quand les Juifs se furent révoltés contre l'empire. Ce
qui prouve, d'après les chroniques, qu'il ne le fit pas
[»ar zèle pour J.-C, mais parce que les Juifs avaient
secoué la domination des Romains. Vespasien arriva
donc à Jérusalem avec une nombreuse armée, et au
jour de Pâques, il investit la ville de toutes parts, et
y enferma une multitude infinie de Juifs venus pour
célébrer la fêle.
SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 47
Pendant un certain espace de temps, avant Tarri-
véc de Vespasien à Jérusalem, les fidèles qui s'y trou-
vaient, avertis par le Saint-Esprit de s'en aller, se
retirèrent dans une ville nommée Pella, au delà du
Jourdain, afin que les hommes saints ayant quitté la
cité, la justice divine pût exercer sa vengeance sur
ce pays sacrilège, et sur ce peuple maudit. La pre-
mière ville de la Judée attaquée fut celle de Jonapa-
tam, dont Josèphe était le.commandant et le chef ; mais
Josèphe opposa avec ses hommes une vigoureuse résis-
tanc>e. Cependant comme il voyait la ruine prochaine
de cette place, il prit onze Juifs avec lesquels il s'enfer-
ma dans un souterrain, où, après avoir éprouvé pen-
dant quatre jours les horreurs de la faim, ces Juifs,
malgré Josèphe, aimèrent mieux mourir que de se sou'-
mettre au joug de Vespasien : ils préféraient se tuer
les uns les autres et offrir leur sang en sacrifice à
Dieu. Or, parce que Josèphe était le plus élevé en di-
gnité parmi eux, ils voulaient le tuer le premier, afin
que Dieu fût plus vite apaisé par l'effusion de son
.sang, ou bien ils voulaient se tuer mutuellement (c'est
ce qu'on voit en une chronique), afin de ne pas se
rendre aux Romains. Mais Josèphe, en homme de pru-
dence qui ne voulait pas mourir, s'établit juge de la
mort et du sacrifice, et ordonna qu'on tirerait au sort
deux par deux, à qui serait tué le premier par l'autre.
On tira donc le sort qui livra à la mort tantôt l'un,
tantôt l'autre, jusqu'au dernier avec lequel Josèphe
avait à tirer lui-même. Alors Josèphe, qui était fort
et adroit, lui enleva son épée et lui demanda de
choisir la vie ou la mort en lui intimant l'ordre de se
48 LA LÉGENDE DOREE
prononcer sur-le-champ. Cet homme effrayé répon-
dît : « Je ne refuse pas de vivre, si, grâce à vous, je
puis conserver la vie. » Alors Josèphe parla en
secret à un des familiers de Vespasien, que lui-même
connaissait bien aussi, et demanda qu'on lui laissât la
vie. Et ce qu'il demanda, il l'obtint. Or, quand Josèphe
eut été amené devant Vespasien, celui-ci lui dit : « Tu
aurais mérité la mort, situ n'avais été délivré parles
sollicitations de cet homme. » « S'il y a eu quelque
chose de mal fait, répondit Josèphe, on peut le tour-
ner à bien. » Vespasien reprit ; « Un vaincu, que peut-il
faire ? » Josèphe lui dit : « Je puis faire quelque chose,
si je sais me faire écouter favorablement. » Vespa-
sien répondit : « Soit, parle convenablement, et si tu
dis quelque chose de bon, on t'écoutera tranquille-
ment. » Josèphe reprit : « L'empereur romain est
mort, et le Sénat t'a fait empereur. » « Puisque tu
es prophète, dit Vespasien, pourquoi n'as-tu pas pré-
dit à cette ville qu'elle devait tomber en mon pouvoir ? »
Je le lui ai prédit pendant quarante jours, répondit
Josèphe. » En même temps arrivent les députés ro-
mains, proclamant que Vespasien est élevé à l'empire,
et ils le conduisent à Rome. Eusèbe en sa chronique*
témoigne aussi que Josèphe prédit à Vespasien, et la
mort de l'empereur, et son élévation. Alors Vespa-
sien laissa Tite, son fils, au siège de Jérusalem. Or,
celui-ci, apprenant que son frère avait été proclamé
empereur (c'est ce qu'on lit dans la même histoire
apocryphe), fut rempli d'un tel transport de joie
* Lib. II, R. Dcccxx, p. 540 (MijLcno).
SAINT JACQUES, APOTRE (lE MINEUR) 49
qu'une contraction nerveuse le saisit à la suite d'une
fraîcheur et qu'il fut paralysé d'une jambe. Josèphe
apprenant que Tite était paralysé, rechercha avec un
soin extrême la cause et les circonstances de cette ma-
ladie. La cause, il ne la put découvrir, ni on ne put lui
dire de quelle nature était la maladie ; pour le temps
où elle s'est déclarée, il apprend que c'est en enten-
dant annoncer que son frère était élu empereur. En
homme prévoyant et sage Josèphe, avec ce peu de
renseignements, se livra à des conjectures qui lui
firent trouver la nature de la maladie, par la circons-
tance où elle s'était déclarée, savoir : que sa position
était le résultat d'un excès de joie et d'allégresse. Or,
ayant remarqué que les contraires se guérissent par
les contraires, sachant encore que ce qui est occa-
sionné par l'amour se détruit souvent par la douleur,
il se mit à chercher s'il ne se trouvait personne en
butte à l'inimitié de ce prince. 11 y avait un esclave tel-
lement à charge à Tite qu'il lui suffisait de le regarder
pour être tout bouleversé ; son nom, il ne le pouvait
même entendre prononcer. Josèphe dit alors à Tite :
« Si tu souhaites être guéri, accueille bien tous ceux
qui seront de ma compagnie. » Tite répondit : « Qui-
conque viendra en ta compagnie peut être certain
d'être bien reçu. » Aussitôt Josèphe fit préparer un
festin, plaça sa table vis-à-vis de celle de Tite, et fit
mettre l'esclave à sa droite. En le voyant, Tite con-
trarié frémit de mécontentement, et comme la joie
l'avait refroidi, la fureur où il se mit le réchauffa. Ses
nerfs se détendirent et il fut guéri. Après quoi Tite
rendit ses bonnes grâces à son esclave, et accorda
H. 4
à
50 L\ LÉGENDE DOREE
son amitié à Josèphe. Peut-on s'en rapporter à cette
histoire apocry'plie ? Est-elle ou non digne de récit ?
J'en laisse l'appréciation au lecteur.
Or, le siège de Jérusalem dura deux ans. Au norabre
des maux qui firent le plus souflFrir les assiégés, il
faut tenir compte d'une famine si affreuse que les pa-
rents arrachaient leur nourriture à leurs enfants, les
maris à leurs femmes, et les femmes à leurs maris,
non seulement d'entre les mains, mais même d'entre
les dents : les jeunes gens les plus robustes par l'àge,
semblables à des spectres errant par les rues, tom-
baient d'inanition tant ils étaient pressés par la faim.
Ceux qui ensevelissaient les morts tombaient souvent
morts sur les morts eux-mêmes. Comme on ne pou-
vait soutenir la puanteur des cadavres, on les fit en-
sevelir au dépens du trésor public. Et quand le trésor
fut épuisé, on jeta au-dessus des murs les cadavres
qui s'amoncelaient. Tite, en faisant le tour de la place,
vit les fossés remplis de corps morts dont la puan-
teur infectait le pays ; alors il leva les mains au ciel
en pleurant, et il dit : « 0 Dieu, tu le vois, ce n'est
pas moi qui en suis l'auteur. » Car la famine était si
grande dans Jérusalem qu'on y mangeait les chaus-
sures et les courroies. Pour comble d'horreur, une
dame de noble race et riche, ainsi qu'on le lit dans
V Histoire ecclésiastique, avait été dépouillée de tout
par des brigands qui se jetèrent sur sa maison, et ne
lui laissèrent absolument rien à manger. Elle prit
dans ses bras son fils encore à la mamelle, et lui dit :
« 0 fils, plus malheureux encore que la malheureuse
mère ! à quoi te réserverai-je ? sera-ce à la guerre ou
SAINT JACQUES, APOTRE (LE MINEUR] Kl
à la faim, ou encore au carnage? Viens donc à cette
heure, ô mon enfant ; sois la nourriture de ta mère,
le scandale des brigands, et l'entretien des siècles. »
Après avoir dit ces mots, elle égorgea son fils, le fit
cuire, en mangea une moitié et cacha l'autre. Et voici
que les brigands, qui sentaient Todeur de la viande
cuite, se ruent incontinent dans la maison, et me-
nacent cette femme de mort, si elle ne leur donne la
viande. Alors elle découvrit les membres de l'enfant :
« Voici, dit-elle, à vous a été réservée la meilleure-
part. » Mais ils furent saisis d'une horreur telle qu'ils.-
ne purent parler. « C'est mon fils, ajouta-t-elle, c'est
moi qui ai commis le crime ; mangez sans crainte ;
j'ai mangé la première de l'enfant que j'ai mis au
monde : n'ayez garde d'être plus- religieux qu'une
mère et plus délicats que des femmes : si la pitié vous
domine, et si vous éprouvez de l'horreur, je mange-
rai tout entier ce dont j'ai déjà mangé une moitié. »
Les brigands se retirèrent tout tremblants et effrayés.
Enfin la seconde année de l'empire de Vespasien, Tite
prit Jérusalem, la ruina, détruisit le temple jusque
dans ses fondements, et de même que les Juifs avaient
acheté J.-C. trente deniers, de même Tite fit vendre
trente Juifs pour un denier. D'après le récit de Jo-
sèphe, quatre-vingt-dix-sept mille Juifs furent vendus,
et onze cent mille périrent par la faim et par Tépée.
On lit encore que Tite, en entrant dans Jérusalem,
^-it un mur d'une grande épaisseur, et le fit creuser.
Quand on y eut percé un trou, on y Irouva dans l'in-
térieur un vieillard vénérable par son aspect et ses
cheveux blancs. Interrogé qui il était, il répondit qu'il
4
52 LA LÉGENDE DORÉE
était Joseph, de la ville de Judée nommée Arimathie,
qu'il avait été enfermé et muré là pour avoir enseveli
J.-C. : et il ajouta que depuis ce moment, il avait été
nourri d'un aliment céleste, et fortifié par une lumière
divine. Pourtant Tévanjçile de Nicodème dit que les
Juifs ayant reclus Joseph, J.-C. eu ressuscitant le tira
de là et le conduisit à Arimathie. On peut dire alors
qu'après sa délivrance, Josèphe ne cessa de prêcher
J.-C. et qu'il fut reclus une seconde fois. L'empereur
Vespasien étant mort, Tite, son fils, lui succéda à
Tempirc. Ce fut un prince rempli de clémence, d'une
;«;^énérosité et d'une bonté telles que, selon le dire d'Eu-
sèbc dans sa chronique et le témoignage de saint Jé-
rôme, un jour qu'il n'avait pas fait une bonne action,
ou qu'il n'avait rien donné, il dit : « Mes amis, j'ai
perdu ma journée. » Longtemps après, des Juifs vou-
lurent réédifier Jérusalem ; étant sortis de bon matin
ils trouvèrent plusieurs croix tracées par la rosée, et
ils s'enfuirent effrayés. Le lendemain matin, ditMilet
dans sa chronique, chacun d'eux trouva des croix de
sanç empreintes sur ses vêtements. Plus cflFrayés en-
core, ils prirent de nouveau la fuite, mais étant reve-
nus le troisième jour, ils furent consumés par une
vapiMir enflammée sortie des entrailles de la terre.
L'INVENTION DE LA SAINTE CROIX
l.ettc fête est appelée l'Invention de la Sainte Croix, parce
qu'on rapporte que la sainte croix fut trouvée à pareil jour.
Mais auparavant, elle avait été trouvée par Selh, fils d* Adam,
l'invention de la sainte croix S3
dans le paradis terrestre, comme il est raconte plus bas ; par*
SalomOD, sur le Liban ; par la reine de Saba, dans le temple
de Salomon ; par les Juifs, dans Teau de la piscine ; et en ce
jour par sainte Hélène, sur le mont du Calvaire.
L'Invention de la Sainte Croix eut lieu plus de deux
cents ans après la résurrection de J.-C. On lit dans
l'évangile de Nicodème (ch. xix) qu'Adam étant devenu
malade, Seth, son fils, alla à la porte du paradis et de-
manda de l'huile du bois de la miséricorde pour oindre
le corps de son père afin qu'il recouvrât la santé. L'ar-
change Michel lui apparut et lui dit : « Ne pleure pas et
ne te mets point en peine d'obtenir de Thuile du bois
de la miséricorde, car il te sera absolument impossible
d'en obtenir, avant que cinq mille cinq cents ans
soient révolus. Cependant on croit que d'Adam jus-
qu'à la passion du Seigneur il s'écoula seulement
5099 ans. On lit encore ailleurs que Tange lui offrit un
petit rameau et lui ordonna de le planter sur le mont
Liban. Mais on lit, dans une histoire apocryphe des
Grecs, que l'ange lui donna du bois de l'arbre par le
fruit duquel Adam avait péché, en l'informant que son
père serait guéri quand ce bois porterait du fruit. A
son retour, Seth trouva son père mort et il planta ce
rameau sur sa tombe. Cette branche plantée devint en
croissant un grand arbre qui subsista jusqu'au temps
de Salomon. (Mais il faut laisser au lecteur à juger
si ces choses sont vraies, puisqu'on n'en fait mention
clans aucune chronique, ni dans aucune histoire au-
thentique.) Or, Salomon considérant la beauté de cet
arbre le fit couper et mettre dans la maison du Bois *.
* Au in« livre des Kois, ch. vu, il est question de cette mai-
II. * 4-
54 LA LÉGENDE DOREE
Cependant, ainsi que le dit Jean Beleth (ch. cli), on
ne pouvait le mettre nulle part, et il n'y avait pas
moyen de lui trouver un endroit où il pût être em-
ployé convenablement : car il était tantôt trop long*,
tantôt trop court : si on l'avait raccourci dans les pro-
portions qu'exigeait la place où on le voulait employer,
il paraissait si court qu'on ne le regardait plus comme
bon à rien. En conséquence, les ouvriers, de dépit,
le rejetèrent et le mirent sur une pièce d'eau pour
qu'il servît de pont aux passants. Or, quand la reine
de Saba vint entendre la Sagesse de Salomon, et
voulut passer sur cette pièce, elle vit en esprit que le
Sauveur du monde devait être suspendu à ce bois,
et pour cela elle ne voulut point passer dessus, mais
aussitôt elle l'adora. Cependant dans VHisloire scho-
laslique (liv. III Rois, c. xxvi), on lit que la reine de
Saba vit cette pièce dans la maison du Bois, et en
revenant à son palais elle communiqua à Salomon que
sur ce bois devait être suspendu celui dont la mort
devrait être la cause de la destruction du royaume des
Juifs. C'est pourquoi Salomon le fît ôter du lieu où
il était, et enterrer dans les entrailles les plus profondes
de la terre. Dans la suite on y établit la Piscine Pro-
batique où les Nathinéens* lavaient les victimes, et
ce n'est pas seulement à la descente de l'ange, mais
son qui fut construite par Salomon. Elle reçut le nom de mai-
son du Bois, saillis, à cause de la quantité de cèdres qui entra
dans sa construction.
* C'étaient des Gabaonites qui étaient attachés au service
du temple depuis Josué. Cf. Paralipomènes, ix, 2; Sigonius,
De lîepub. Hebrœor., liv. IX, ch. vu.
l'invention de la sainte croix 55
encore à la vertu de ce bois que Ton attribue que l'eau
en était troublée et que les infirmes y étaient guéris.
Or, quand approcha le temps de la passion de J.-C, on
rapporte que cette pièce surnagea, et les Juifs, en la
voyant, la prirent pour en fabriquer la croix du Sei-
gneur. On dit encore que cette croix fut faite de quatre
essences de bois, savoir de palmier, de cyprès, d'oli-
vier et de cèdre. De là ce vers :
Ligna Crucis palma, cedrus, cupressus, oliva.
Car dans la croix, il y avait le bois qui servait de
montant droit, la traverse, la tablette de dessus, et le
tronc où était fixée la croix, ou bien, selon Grégoire
de Tours*, la tablette qui servait de support, sous
les pieds de J.-C. Par là on peut voir que chacune des
pièces pouvait être d'une de ces essences de bois
dont on vient de parler. Or, l'apôtre paraît avoir eu
en vue ces différentes sortes de bois quand il dit :
ce Afin que vous puissiez comprendre avec tous les
saints quelle est la largeur, la longueur, la hauteur et
la profondeur » (Ep. aux Ephés., c. ii, 18). Ces pa-
roles sont expliquées comme il suit par l'illustre doc-
teur saint Augustin : « La largeur de la croix du Sei-
gneur, dit-il, c'est la traverse, sur laquelle on a étendu
ses mains ; sa longueur allait depuis la terre jusqu'à
cette traverse en largeur sur quoi tout le corps de
iMl. fut attaché, moins les mains ; sa hauteur, c'est
à partir de cette largeur jusqu'à l'endroit de dessus
où se trouvait la tète ; sa profondeur, c'était la partie
* Afiracul.f liv. I, c. vi.
S6 LA LÉGENDE DOREE
cachée et enfoncée dans la terre. Dans la croix on
trouve décrites toutes les actions d'un homme chré-
tien, qui sont de faire de bonnes œuvres en J.-C, de
lui être persévéramment attaché, d'espérer les biens
célestes, et ne pas profaner les sacrements.
Ce bois précieux de la croix resta caché sous terre
deux cents ans et plus : mais il fut découvert ainsi
qu'il suit par Hélène, mère de l'empereur Constantin.
En ce temps-là, sur les rives du Danube, se rassem-
bla une multitude innombrable de barbares voulant
passer le fleuve, et soumettre à leur domination tous
les pays jusqu'à l'occident. Dès que l'empereur Cons-
tantin le sut, il décampa et vint se placer avec son
année sur le Danube. Mais la multitude des barbares
s'augmcntant, et passant déjà le fleuve, Constantin
fui frappé d'une grande terreur, en considérant qu'il
aurait à livrer bataille le lendemain. Or, la nuit sui-
vante, il est réveillé par un ange qui l'avertit de regar-
der en l'air. Il tourne les yeux vers le ciel et voit le
signe de la croix formée par une lumière fort resplen-
dissante, et portant écrite en lettres d'or cette inscrip-
tion : (( In hoc s'ujno vinces, parce signe tu vaincras. »
Réconforté par cette vision céleste, il fit faire une croix
semblable qu'il ordonna de porter à la tète de son ar-
mée: se précipitant alors sur les ennemis, il les mit en
fuite et en tua une multitude immense. Après quoi
Constantin convoqua tous les pontifes des temples et
s'informa avec beaucoup de soin de quel Dieu c'était
le signe. Sur leur réponse qu'ils l'ignoraient, vinrent
plusieurs chrétiens qui lui firent connaître le mystère
de la sainte croix et la foi de la Trinité. Constantin
l'invention de la sainte croix 57
crut alors parfaitement en J.-C. et reçut le saint bap-
tême des mains d'Eusèbe, pape, ou selon quelques
livres, évèque de Césçiréc. Mais dans ce récit, il y a
beaucoup de points contredits par ÏHisloire iriparliie
et par Y Ecclésiastique^ par la Vie de saint Silvestre
et les Gestes des pontifes romaiyis. D'après certains
auteurs, ce ne fut pas ce Constantin que le pape Sil-
vestre baptisa après sa conversion à la foi, comme
piaraissent l'insinuer plusieurs histoires, mais ce fut
Constantin, le père de ce Constantin, ainsi qu'on le
voit dans des historiens. En effet ce Constantin re-
çut la foi d'une autre manière rapportée dans la
légende de saint Silvestre, et ce n'est pas Eusèbe de
Césarée qui le baptisa, mais bien saint Silvestre. Après
la mort de son père, Constantin, qui n'avait pas perdu
le souvenir de la victoire remportée par la vertu de
la sainte croix, fit passer Hélène, sa mère, à Jérusa-
lem pour trouver cette croix, ainsi que nous le dirons
plus bas.
Voici maintenant un récit tout différent de cette
victoire, d'après VHistoire Ecclésiastique (ch. ix). Elle
rapporte donc que Maxence ayant envahi l'empire
romain, l'empereur Constantin vint lui présenter la
bataille \is-à-vis le pont Albin. Comme il était dans
une grande anxiété, et qu'il levait souvent les yeux au
ciel pour implorer son secours, il vit en songe, du
côté de l'orient dans le ciel, briller une croix, couleur
de feu : des anges se présentèrent devant lui et lui
dirent : « Constantin, par cela tu vaincras. » Et, selon
le témoignage de VHistoire tripavtite *, tandis que
• Liv. IX, c. IX.
58 LA LÉGENDE DOREE
Constantin s'étonnait de ce prodige, la nuit suivante,
J.-C. lui apparut avec le signe vu dans le ciel ; il lui
ordonna de faire des images pareilles qui lui porte-
raient bonheur dans les combats. Alors Constantin
fut rendu à la joie et assuré de la victoire ; il se mar-
qua le front du signe qu'il avait vu dans le ciel, fit
transformer les enseignes militaires sur le modèle de
la croix et prit à la main droite une croix d'or. Après
quoi il sollicita du Seigneur que cette droite, qu'il avait
munie du signe salutaire de la croix, ne fût ni ensan-
glantée, ni souillée du sang romain, mais qu'il rem-
portât la victoire sur le tyran sans effusion de sang.
Quant à Maxence, dans Tintention de tendre un piège,
il fit disposer des vaisseaux, fit couvrir le fleuve de
faux ponts. Or, Constantin s'étant approché du fleuve,
Maxence accourut à sa rencontre avec peu de monde,
après avoir donné ordre aux autres corps de le sui-
vre; mais il oublia lui-même qu'il avait fait construire
un faux pont, et s'y engagea avec une poignée de sol-
dats. Il fut pris au piège qu'il avait tendu lui-même,
car il tomba dans le fleuve qui était profond; alors
Constantin fut acclamé empereur à l'unanimité. D'après
ce qu'on lit dans une chronique assez authentique,
Constantin ne crut pas parfaitement dès ce moment;
il n'aurait même pas alors reçu le baptême; mais peu
(le temps après, il eut une vision de saint Pierre et de
saint Paul ; et quand il eut reçu la vie nouvelle du
baptême et obtenu la guérison de sa lèpre, il crut par-
faitement dans la suite en J.-C. Ce fut alors qu'il en-
voya sa mère Hélène à Jérusalem pour chercher la
croix du Seigneur. Cependant saint Ambroise, dans
l'invention de la sainte croix 59
la lettre où il rapporte la raorl de Théodose, et V His-
toire tripartile *, disent que Constantin reçut le bap-
tême seulement dans ses derniers moments; s'il le
différa jusque-là, ce fut pour pouvoir le recevoir dans
le fleuve du Jourdain. Saint Jérôme en dit autant dans
sa chronique. Or, il est certain qu'il fut fait chrétien
sous le pape saint Silvestre, quant à savoir s'il différa
son baptême, c'est douteux ; ce qui fait qu'en la légende
de saint Silvestre, il y a là-dessus, comme en d'autres
points, bien peu de certitude. Or, l'histoire de l'Inven-
tion de la sainte croix, telle qu*on la lit dans les his-.
toires ecclésiastiques conformes en cela aux chroniques,
paraît plus authentique de beaucoup que celle qu'on
récite dans les églises. Il est en effet constant qu'il
s'y trouve des endroits peu conformes à la vérité, si
ce n'est -qu'on veuille dire, comme ci-dessus, que ce
ne fut pas Constantin, mais son père qui portait le
même nom : ce qui du reste ne paraît pas très plau-
sible, quoique ce soit le récit de certaines histoires
d'outre-mer.
Hélène arrivée à Jérusalem fit réunir autour d'elle
les savants qu'on trouva dans toute la contrée. Or,
cette Hélène était d'abord restée dans une hôtellerie**,
mais épris de sa beauté, Constantin se l'attacha, selon
que saint Ambroise l'avance en disant : « On assure
qu'elle fut hôtelière, mais elle fut unie à Constantin
• Liv. III, ch. XII.
•• Le mol latin »tabularia voudrait dire servante de cour.
Saint Ambroise parait l'indiquer quelques lignes plus loin.
Nous avons mieux aimé donner un féminin au mot hôtelier,
h<)telière est un mot qui a vieilli.
60 LA LÉGENDE DORÉE
Tancieii qui, dans la suite, posséda l'empire. Bonne
hôtelière, qui chercha avec lant de soin la crèche du
Seigneur! Bonne hôtelière, qui connut cet hôtelier
dont les soins î^uérirent cet homme blessé par les bri-
gands * ! Bonne hôtelière, qui a regardé toutes choses
comme des ordures afin de gagner J.-C.**! Et pour
cela Dieu l'a tirée de Tordure pour l'élever sur un
trône » (saint Ambroise). D'autres affirment, et c'est l'o-
pinion émise dans une chronique assez authentique,
que cette Hélène était fille de Clohel, roi des Bretons ;
Constantin en venant dans la Bretagne la prit pour
femme, parce qu'elle élait fille unique. Delà vient que
l'île de Bretagne échut à Constantin après la mort
de Clohel. Les Bretons eux-mêmes l'attestent; on lit
pourtant ailleurs qu'elle était de Trêves. Or, les Juifs,
remplis de crainte, se disaient les uns aux autres :
« Pour quel motif pensez-vous que la Reine nous ait
convoqués auprès d'elle? » L'un d'eux nommé Judas
dit : « Je sais, moi, qu'elle veut apprendre de nous
l'endroit où se trouve le bois de la croix sur lequel le
Christ a été crucifié. Gardez-vous bien d'être assez
présomptueux pour le lui découvrir. Sinon tenez
pour très cerlai^ que notre loi sera détruite et que
toutes les traditions de nos pères seront totalement
abolies : car Zachée mon aïeul l'a prédit à mon père
Siméon et mon père m'a dit avant de mourir : « Fais
« attention, mon fils, à l'époque où l'on cherchera la
(( croix du Christ : dis où elle se trouve, avant d'être
* Allusion à la parabole du Samaritain de TEvangile.
** Expression de saint Paul dans l'Epître aux Philippiens,
c. III. 8.
l'invention de la sainte croix 61
« mis à la torture; car à dater de cet instant le pouvoir
<f des Juifs, à jamais aboli, passera entre les mains
« de ceux qui adorent le crucifié, parce que ce Christ
« était le filsde Dieu. » Alors j'ai répondu : « Mon père,
si vraiment nos ancêtres ont su que ce Christ était le
fils de Dieu, pourquoi Tont-ils attaché au gibet de la
croix? » « Le Seigneur est témoin, répondit-il, que je
n'ai jamais fait partie de leur conseil ; mais que sou-
vent je me suis opposé à leurs projets : or, c'est parce
que le Christ reprochait les vices des Pharisiens qu'ils
le firent crucifier : mais il est ressuscité le troisième
jour et il a monté au ciel à la vue de ses disciples. Mon
frère Etienne, que les Juifs en démence ont lapidé,
a cru en lui. Prends garde donc, mon fils, de n'oser
jamais blasphémer le Christ ni ses disciples. » — (Il
ne paraît cependant pas très probable que le père de
ce Judas ait existé au temps de la Passion de J.-C.,
puisque de la passion jusqu'au temps d'Hélène, sous
laquelle vécut Judas, il s'écoula plus de 270 ans; à
moins qu'on ne veuille dire qu'alors les hommes vi-
vaient plus longtemps qu'à présent.) — Cependant les
Juifs dirent à Judas: « Nous n'avons jamais entendu
dire choses semblables. Quoi qu'il en soit, si la Reine
l'interroge, aie soin de ne lui faire aucun aveu. » Lors
donc qu'ils furent en présence de la Reine, et qu'elle
leur eut demandé le lieu où le Seigneur avait été cru-
cifié, pas un d'eux ne consentit à le lui indiquer ;
alors elle les condamna tous à être brûlés. Ils furent
saisis d'effroi et signalèrent Judas, en disant : « Prin-
cesse, voici le fils d'un juste et d'un prophète qui a
connu parfaitement la loi ; demandez-lui tout ce que
62 LA LÉGENDE DORER
VOUS voulez, il vous l'indiquera. » Alors elle les con-
gédia tous à rexceplion de Judas qu'elle retint et au-
quel elle dit : « Je le propose la vie ou la mort ; choi-
sis ce que tu préfères. Montre-moi donc le lieu quî
s'appelle Golgotha, où le Seigneur a été crucifié, afin
que je puisse trouver sa croix. » Judas répondit :
« Comment puis-je le savoir, puisque deux cents ans
et plus se sont écoulés et que je n'étais pas né à cette
époque ? » La Reine lui dit : « Par le crucifié, je te
ferai mourir de faim, si tu ne me dis la vérité. » Elle
ordonna donc qu'il fill jelé dans un puits desséché
pour y endurer les horreurs de la faim. Or, après y
être resté six jours sans nourriture, le septième il de-
manda à sortir, en promettant de découvrir la croix.
On le retira. Quand il fut arrivé à l'endroit, après avoir
fait une prière, tout à coup la terre tremble, il se ré-
pandit une fumée d'aromates d'une admirable odeur ;
Judas lui-même, plein d'admiration, applaudissait des
deux mains et disait : « En vérité, ô Christ, vous êtes
le Sauveur du monde! » Or, d'après Y Histoire ecclé"
siasliquCy il y avait, en ce lieu, un temple de Vénus
construit autrefois par l'empereur Hadrien, afin que
si quelque chrétien eût voulu y adresser ses adora-
tions, il pariU adorer Vénus : et, pour ce motif, ce
lieu avait cessé d'être fréquenté et était presque entiè-
rement délaissé, mais la Reine fit détruire ce temple
jusque dans ses fondements et en fit labourer la place.
Après quoi Judas se ceignit et se mit à creuser avec
courage. Quand il eut atteint à la profondeur de vingt
pas, il trouva trois croix enterrées, qu'il porta incon-
tinent à la reine. Or, comme Ton ne savait pas dis-
l'invention dk la sainte croix 63
liiiçuer celle de J.-C. d'avec celles des larrons, ou
les plaça au milieu de la ville pour attendre que la
gloire de Dieu se manifestât. Sur la onzième heure,
passa le corps d'un jeune homme qu'on portait en
terre : Judas arrêta le cercueil, mit une première et
une seconde croix sur le cadavre du défunt, qui ne
ressuscita pas, alors on approcha la troisième croix du
corps et à l'instant il revint à la vie.
On litcependant, dans les histoires ecclésiastiques *,
qu'une femme des premiers rangs de la ville gisait
demi-morte, quand Macaire, évoque de Jérusalem, prit
la première et la deuxième croix, ce qui ne produisit au-
cun résultat : mais quand il posa sur elle la troisième,
cette femme rouvrit les yeux et fut guérie à l'instant.
Saint Ambroise dit, de son côté, que Macaire distin-
gua la croix du Seigneur, par le titre qu'avait fait
mettre Pilate, et dont l'évêque lut l'inscription qu'on
trouva aussi. Alors le diable se mit à vociférer en
•l'air : « 0 Judas, disait-il, pourquoi as-tu fait cela? Le
Judas qui est le mien a fait tout le contraire : car ce-
lui-ci, poussé par moi, fit la trahison, et loi, en me
reniant, tu as trouvé la croix de Jésus. Par lui, j'ai
gagné les âmes d'un grand nombre; par toi, je parais
perdre celles que j'ai gagnées : par lui, je régnais sur
le peuple; par toi, je suis chassé de mon royaume.
Toutefois je te rendrai la pareille, et je susciterai
contre loi un autre roi qui, abandonnant la foi du
crucifié, te fera renier dans les tourments le crucifié. »
* Sozomènc, — llist. erc/,, I. II, c. i; — Nicéph. cal.,1. XVII,
c. XIV, XV ; — Evagr., iv, iO.
64 LA LÉGENDE DOREE
Ceci paraît se rapporter à Tempereur Julien : celui-
ci, lorsque Judas fut devenu évêque de Jérusalem,
Faccabla de nombreux tourments et le fit mourir
martyr de J.-C. En entendant les vociférations du
diable, Judas ne craignit rien, mais il ne cessa de
maudire le diable en disant : «Que le Christ te damne
dans l'abîme du feu éternel ! » Après quoi Judas est
baptisé, reçoit le nom de Cyriaque, puis est ordonné
évêque de Jérusalem, quand le titulaire fut mort.
(Beleth, c. xxv). Mais comme la bienheureuse Hélène
ne possédait pas les clous du Seigneur, elle pria
Tévêque Cyriaque d'aller au Goiçotha et de les chei^
cher. Il y vint et aussitôt après avoir adressé des
prières à Dieu, les clous apparurent brillants dans la
terre, comme de Tor. Il les prit et les porta à la reine.
Or, celle-ci se mit à genoux par terre et, après avoir
incliné la tète, elle les adora avec grande révérence.
Hélène porta une partie de la croix à son fils, et ren-
ferma l'autre dans des châsses d'argent qu'elle laissa
à Jérusalem ; quant aux clous avec lesquels le corps
du Seigneur avait été attaché, elle les porta à son
fils. Au rapport d'Eusèbe de Césarée, elle en fit deux
freins dont Constantin se servait dans les batailles, et
elle mit les autres à son casque en guise d'armure. Quel-
ques auteurs, comme Grégoire de Tours*, assurent
que le corps du Seigneur fut attaché avec quatre clous :
Hélène en mit deux au frein du cheval de l'empereur, le
troisième à la statue de Constantin qui domine la ville
de Rome, et elle jeta le quatrième dans la mer Adria-
* Miracul., lib. I, ch. vi.
l'invention de la sainte croix 65
tique qui jusque-là avait été un gouffre pour les navi-
gateurs. Elle ordonna que cette fête de l'Invention de la
sainte croix fût célébrée chaque année solennellement.
Voici ce que dit saint Ambroise * : « Hélène chercha
les clous du Seigneur et les trouva. De Tun elle fit faire
des freins ; elle incrusta l'autre dans le diadème : belle
place que la tète pour ce clou ; c'est une couronne sur
le front, c'est une bride à la main : c'est l'emblème
de la prééminence du sentiment, de la lumière de
la foi, et de la puissance impériale. » Quant à l'évéque
saint Cyriaque, Julien l'apostat le fit mourir plus
tard, pour avoir trouvé la sainte croix dont partout
il prenait à tâche de détruire le signe. Avant de par-
tir contre les Perses, il fit inviter Cyriaque à sacri-
fier aux idoles : sur le refus du saint, Julien lui fit
couper le bras en disant : « Avec cette main il a écrit
beaucoup de lettres qui ont détourné bien du monde
de sacrifier aux dieux. » Cyriaque lui répondit :
« Chien insensé, tu m'as bien rendu service ; car
avant de croire à J.-C, trop souvent j'ai écrit des
lettres que j'adressais aux synagogues des Juifs afin
que personne ne crût en J.-C. et voilà que tu viens
de retrancher de mon corps ce qui en avait été le scan-
dale. » Alors Julien fit fondre du plomb qu'il ordonna
de lui verser dans la bouche ; ensuite il fit apporter
un lit en fer sur lequel Cyriaque fut étendu çt au-
dessous on mit des charbons ardents et de la graisse.
Comme Cyriaque restait immobile, Julien lui dit :
« Si tu ne veux pas sacrifier aux idoles, dis au moins
* De obitu Theod., nos 47-48.
II. 5
66 LA LI^GENDE DOREE
({ue lu n'es pas chrétien. » L'évèque s'y refusa avec
horreur. Julien fil creuser une fosse profonde nu'oii
fit remplir de serpents venimeux. Cyriaque y fut jeté,
mais les serpents moururent aussitôt. Julien ordonna
alors que Cyriaque fût jeté dans une chaudière pleine
d'huile bouillante. Or, comme le saint voulait y entrer
spontanément, il se signa, et pria le Seigneur de le
baptiser une seconde fois dans Teau du martyre, mais
Julien furieux lui fit percer la poitrine avec une épée.
Ce fut ainsi que saint Cyriaque mérita de consommer
Son martvre dans le Seiijrneur.
La grandeur de la vertu de la Croix est manifeste
dans ce notaire fidèle, trompé par un magicien qui
le conduisit en un lieu où il avait fait venir des dé-
mons, en lui promettant des richesses immenses. Il
vit un Ethiopien de haute stature, assis sur un trône
élevé, et entouré d'autres Ethiopiens debout, armés
de lances et de bâtons. Alors l'Ethiopien demanda à
re magicien : « Quel est cet enfant ? » Le magicien
répondit: « Seigneur, c'est votre serviteur. » Le dé-
mon dit au notaire : « Si tu veux m'adorer, être mon
serviteur, et renier ton Christ, je te ferai asseoir à
ma droite. » Mais le notaire se hâta de faire le signe
(le la croix et s'écria ([u'il était de toute son âme le
serviteur du Sauveur J.-C. Il n'eut pas plutôt fait le
si;^ne de la croix que toute cette multitude de démons
disparut. Peu de temps après, ce même notaire entra
un jour avec son maître dans le temple de Sainte-
Sophie; se trouvant ensemble devant une image du
Sauveur, le maître remarqua que cette image avait
les yeux fixés sur le notaire qu'elle regardait attentive-
\
SAINT JEAN, APOTRE, DEVANT LA PORTE LATINE 67
ment. Plein de surprise, le maître fit passer le jeune
homme à droite et vit que l'image avait encore tourné
les yeux de ce côté, en les dirigeant sur le notaire.
Il le fit de nouveau revenir à gauche, et voici que l'i-
mage tourna encore les yeux et se mit à regarder le
notaire comme auparavant. Alors le mattre te conjura
de lui dire ce qu'il avait fait à Dieu pour mériter que
l'image le regardât ainsi. Il répondit qu'il n'avait la
conscience d'aucune bonne action, si ce n'est qu'il
n'avait pas vouîu renier le Sauveur devant le diable^
SAINT JEAN, APOTRE,
DEVANT LA PORTE LATINE
Saint Jean, apôtre etévangéliste, prêchait à Ephèse
quand il fut pris par le proconsul, et invité à immo-
ler aux dieux. Comme il rejetait cette proposition, il
est mis en prison : on envoie alors à l'empereur Do-
initien une lettre dans laquelle saint Jean est signalé
comme un grand sacrilège, un contempteur des dieux
et un adorateur du crucifié. Par l'ordre de Domitien,
il est conduit à Rome, où, après lui avoir coupé tous
les cheveux par dérision, on lejelte dans une chau-
dière d'huile bouillante sous laquelle on entretenait
un feu ardent : c'était devant la porte de la ville qu'on
appelle Latine. Il n'en ressentit cependant aucune
douleur, et en sortit parfaitement sain. En ce lieu
donc, les chrétiens bâtirent une église, et ce jour est
solennisé comme le jour du martyre de saint Jean.
68 LA LÉGENDE DOREE
Or, comme le saint apôtre n'en continuait pas moins
à prêcher J.-C, il fut, par Tordre de Domilien, relégué
dans THe de Pathmos. Toutefois les empereurs ro-
mains, qui ne rejetaient aucun Dieu, ne persécutaient
pas les apôtres parce que ceux-ci prêchaient J.-C. )
mais parce que les apôtres proclamaient la divinité de
Jésus-Christ sans Tautorisation du Sénat qui avait
défendu que cela ne se fît de personne. — C'est pour-
quoi dans VHistoire ecclésiastiquey on lit que Pilate
envoya une fois une lettre à Tibère au sujet de Jésus-
Christ *. Tibère alors consentit à ce que la foi fût re-
çue par les Romains, mais le Sénat s'y opposa for-
mellement, parce que J.-C. n'avait pas été appelé
Dieu d'après son autorisation. Une autre raison rap-
portée par une chronique, c'est que J.-C. n'avait pas
tout d'abord apparu aux Romains. Un autre motif c'est
que J.-C. rejetait le culte de tous les dieux qu'hono-
raient les Romains. Un nouveau motif encore, c'est
que J.-C. enseignait le mépris du monde et que les
Romains étaient des avares et des ambitieux. M* Jean
Beleth assigne de son côté une autre cause pour la-
quelle les empereurs et le Sénat repoussaient J.-C. et
les apôtres : c'était que J.-C. leur paraissait un Dieu
trop orgueilleux et trop jaloux, puisqu'il ne daignait
pas avoir d'égal. Voici une autre raison donnée par
Orose (liv. VII, ch. iv) : « le Sénat vit avec peine que
c'était à Tibère et non pas à lui que Pilate avait écrit
au sujet des miracles de J.-C. et c'est sur ce prétexte
qu'il ne voulut pas le mettre au rang des dieux.
* Eusèbe, 1. II, c. ii.
LA LITAME MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 69
Aussi Tibère irrité fit périr un grand nombre de séna-
leurs, et en condamna d'autres à Texil. » — La mère
de Jean, apprenant que son fils était détenu à Rome,
el poussée par une compassion de mère, s'y rendit
|K>ur le visiter. Mais quand elle fut arrivée, elle ap-
prit qu'il avait été relégué en exil. Alors elle se retira
dans la ville de Vétulonia en Campanie, où elle ren-
dit son âme à Dieu. Son corps resta longtemps ense-
veli dans un antre, mais dans la suite, il fut révélé à
saint Jacques, son fils. Il répandit alors une grande
et suave odeur et opéra de nombreux et éclatants mi-
racles ; il fut transféré avec grand honneur dans la
ville qu'on vient de nommer.
LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE
MINEURE (les rogations)
Deux fois par an arrivent les litanies ; à la fête de
sjinl Marc, c'est la litanie majeure, et aux trois jours
qui précèdent Tascension du Seigneur, c'est la litanie
mineure. Litanie veut dire supplication, prière ou
rogation. La première a trois noms différents, qui
sont : litanie majeure, procession septiforme, et croix
n:>ires.
I. On rappelle litanie majeure pour trois motifs,
savoir ; à raison de celui qui l'institua, ce fut saint
(irégoire, le grand pape ; à raison du lieu où elle fut
instituée qui est Rome, la maîtresse et la capitale du
monde, parce qu'à Rome se trouvent le corps du prince
70 LA LÉGENDE DOREE
des apôtres et le saint siè^e apostolique ; à raison
de la cause pour laquelle elle fut instituée : ce fut une
grande et très grave épidémie. En effet les Romains,
après avoir passé le carême dans la continence, et
avoir reçu à Pâques le corps du Seigneur, s'adon-
naient sans frein à la débauche dans les repas, aux
jeux et à la luxure ; alors Dieu provoqué leur envoya
une épouvantable peste qu'on nomme inguinale, au<p
trement apostume ou enfle de Taîne. — Or, cette peste
était si violente que les hommes mouraient subite-
ment, dans les chemins, à table, au jeu, dans les réu-
nions, de sorte que, s'il arrivait, comme on dit, que
quelqu'un éternuâl, souvent alors il rendait l'âme.
Aussi entendait-on quelqu'un éternuer, aussitôt on
courait et on criait : « Dieu vous bénisse » et c'est là,
dit-on, l'origine de cette coutume de dire : Dieu vous
bénisse, à quelqu'un qui éternue.
Ou bien encore, d'après ce qu'on en rapporte, si
quelqu'un bâillait, il arrivait souvent qu'il mourait
tout de suite subitement. Aussi, dès qu'on se sentait
Tenvie de bâiller, tout de suite, on se hâtait de faire
sur soi le signe de la croix ; coutume encore en usage
depuis lors. On peut voir dans la vie de saint Grégoire
l'origine de cette peste.
II. On l'appelle procession septiforme, de la cou-
tume qu'avait établie saint Grégoire de partager en
sept ordres ou rangs les processions qu'il faisait de
son temps. Au premier rang était tout le clergé, au
second tous les moines et les religieux, au troisième
les religieuses, au quatrième tous les enfants, au cin-
quième tous les laïcs, au sixième toutes les veuves et
LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 71
les continentes, au septième toutes les personnes ma-
riées. Mais comme il n'est plus possible à présent
d'obtenir ces sept divisions de personnes, nous y
suppléons parle nombre des litanies; car on doit les
répéter sept fois avant de déposer les insignes.
III. On l'appelle les croix noires, parce que les
hommes se revêtaient d'habits noirs, en signe de deuil,
à cause de la mortalité, et comme pénitence, et c'est
peut-être aussi pour cela qu'on couvrait de noir les
croix et les autels. Les fidèles doivent aussi revêtir
alors des habits de pénitence.
On appelle litanie mineure, celle qui précède de
trois jours la fête de l'Ascension. Elle doit son insti-
tution à saint Mamert, évêque de Vienne, du temps
de l'empereur Léon qui commença à régner l'an du
Seigneur 458. Elle fut donc établie avant la litanie
majeure. Elle a reçu le nom de litanie mineure, de
rogations et de procession. On l'appelle litanie mineure
pour la distinguer de la première, parce qu'elle fut
établie par un moins grand évêque, dans un lieu in-
férieur et pour une maladie moindre. Voici la cause
de son institution : Vienne était affligée de fré-
quents et affreux tremblements de terre qui renver-
saient beaucoup de maisons et d'églises. Pendant la
nuit, on entendait, des bruits et des clameurs répé-
tés. Quelque chose de plus terrible encore arriva ;
le feu du ciel tomba le jour de Pâques et consuma
le palais royal tout entier. Il y eut un autre fait plus
merveilleux. De même que par la permission de
Dieu, des démons entrèrent autrefois dans des pour-
CL^aux, de même aussi par la permission de Dieu, pour
72 LA LÉGENDE DOREE
hs péchés des hommes, ils entraient dans des loups
et dans d'autres bêtes féroces et sans craindre per-
sDune, ils couraient en plein jour non seulement par
les chemins mais encore par la ville, dévorant çà ot
là des enfants, des vieillards et des femmes. Or,
comme ces malheurs arrivaient journellement, Icvsaint
évêque Mamert ordonna un jeûne de trois jours et
institua des litanies ; alors cette tribulation s'apaisa.
Dans la suite, cette pratique s'établit et fut approuvée
par l'Eglise ; de sorte qu'elle s'observe universellement.
— On l'appelle encore rogations, parce qu'alors nous
implorons les suffrages de tous les saints : et nous
avons raison d'observer celte pratique en ces temps-
ci, de prier les saints et de jeûner pour différents mo-
tifs : 1° pour que Dieu apaise le fléau de la guerre,
parce que c'est particulièrement au printemps qu'il
éclate; 2° pour qu'il daigne multiplier par leur con-
servation les fruits tendres encore ; 3° pour mortifier
chacun en soi les mouvements déréglés de la chair qui
sont plus excités à cette époque. Au printemps en
effet le sang a plus de chaleur et les mouvements dé-
réglés sont plus fréquents ; 4° afin que chacun se
dispose à la réception du Saint-Esprit ; car par le
jeûne, l'homme se rend plus habile, et parles prières
il devient plus digne. Maftre Guillaume d'Auxerrc
assigne deux autres raisons : i" comme Jésus-Christ
a dit en montant au ciel : « Demandez et vous rece-
vr.^z », l'Eglise doit adresser ses demandes avec plus
de confiance; 2° l'Eglise jeûne et prie afin de se dé-
pouiller de la chair par la mortification des sens, et
de s'acquérir des ailes à Taidede l'oraison ; car l'orai-
LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 73
son, ce sont les ailes au moyen desquelles rame s'en-
vole vers le ciel, pour ainsi suivre les traces de J.-C.
qui y est monté afin de nous ouvrir le chemin et qui
a volé sur les ailes des vents. En effet l'oiseau, dont
le corps est épais et les ailes petites, ne saurait bien
voler, comme cela est évident par l'autruche.
On l'appelle encore procession, parce qu'alors l'E-
çlise fait généralement la procession. Or, on y porte
la croix, on sonne les cloches, on porte la bannière ;
en quelques églises on porte un dragon avec une queue
énorme, et on implore spécialement le patronage de
tous les saints. Si l'on y porte la croix et si l'on sonne
les cloches, c'est pour que les démons effrayés pren-
nent la fuite. Car de même qu'à l'armée le roi a les
insignes royaux, qui sont les trompettes et les éten-
dardSy de même J.-C , le roi éternel dans son Eglise
militante, a les cloches pour trompettes et les croix
pour étendards ; et de même encore qu'un tyran se-
rait en grand émoi, s'il entendait sur son domaine les
trompettes d'un puissant roi son ennemi, et s'il en
voyait les étendards, de même les démons, qui sont
dans l'air ténébreux, sont saisis de crainte quand ils
sentent sonner les trompettes de J.-C, qui sont les
cloches, et qu'ils regardent les étendards qui sont les
croix. — Et c'est la raison qu'on donne de la coutume
de l'Église de sonner les cloches, quand on voit se for-
mer les tempêtes; les démons, qui en sont les auteurs,
entendant les trompettes du roi éternel, prennent alors
répouvante et la fuite, et cessent d'amonceler les
tempêtes : il y en a bien encore une autre raison,
c'est que les cloches, en cette occasion, avertissent les
74 L\ LKGRNDE DOREE
fidèles el les provoquent à se livrer à la prière dans
le péril qui les menace. La croix est réellement encore
l'étendard du roi éternel, selon ces paroles de l'Hymne :
Vexilla reg-is prodeunt ;
Fulisç'et Crucis mysterium
Quo carne carnis conditor
Suspensus est patibulo *.
Or, les démons ont une terrible peur de cet étendard,
selon le témoi;jnaçe de saint Chrysostome : « Partout
où les démons aperçoivent le signe du Seigneur, ils
fuient efFrayés le bâton qui leur a fait leurs blessures. »
C'est aussi la raison pour laquelle, en certaines égli-
ses, lors des tempêtes, on sort la croix de l'église et
on Texpose contre la tempête, afin que les démons,
voyant l'étendard du souverain roi, soient effrayés et
prennent la fuite. C'est donc pour cela que la croix
est portée à la procession, et que Ton sonne les clo-
ches, alors les démons qui habitent les airs pren-
nent l'épouvante et la fuite, et s'abstiennent de nous
incommoder**. Or, on y porte cet étendard pour re-
présenter la victoire de la Résurrection et celle de
* LV'Iendard du Roi apparaît; le mystère de la Croix éclate :
le créateur de Thommc, homme lui-même, est suspendu à un
jLCibet.
Ce sont les paroles de la Ire strophe de Thymne du temps
de la Passion, telle qu'elle se récitait avant la correction
exécutée avec plus ou moins de piété et de bonheur au
xviie siècle.
** Saint Paul, au ne chapitre de la Lettre aux Ephésiens,
appelle le démon, le Prince de la puissance de Tair, Princi-
pe m potentat is aeris hujus.
LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE 75
rAscension de J.-C. qui est monté aux cieux avec
un grand butin. Cet étendard qui s'avance dans les
airs, c'est J.-C. montant au ciel. Or, ainsi que Téten-
dard porté à la procession est suivi de la multitude
des fidèles, ainsi J.-C montant au ciel est accompagné
d'un cortège immense de saints. Le chant des proces-
sions représente les cantiques et les louanges des an-
ges accourant au-devant de J.-C. qui monte au ciel,
et l'accompagnant de leurs acclamations puissantes et
unanimes jusque dans le ciel.
Dans quelques églises encore, et principalement
dans les églises gallicanes, c'est la coutume de por-
ter, derrière la croix, un dragon avec une longue queue
remplie de paille ou de quelque autre matière sem-
blable, les deux premiers jours ; mais le troisième
jour cette queue est vide : ce qui signifie que le diable
a régné en ce monde au premier jour qui représente
le temps avant la loi et le second jour qui marque le
temps de la loi, mais au troisième jour c'est-à-dire,
au temps de la grâce, après la Passion de J.-C, il a
été expulsé de son royaume. En cette procession nous
réclamons encore le patronage de tous les saints.
Nous avons donné plus haut quelques-unes des
raisons pour lesquelles nous prions alors les saints.
II y en a encore d'autres générales pour lesquelles
Dieu nous a ordonné de le prier ; ce sont : notre indi-
gence, la gloire des saints et l'honneur de Dieu. En
effet les saints peuvent connaître les vœux de ceux qui
leur adressent des supplications; car dans ce miroir
éternel, il aperçoivent quelle joie c'est pour eux, et
quel secours c'est pour nous. La première raison donc
7ti LA LÉGENDE DOREE
c'est notre indigence : elle provient ou bien de ce que
nous méritons peu; quand donc ces mérites de notre
part sont insuffisants, nous nous aidons de ceux d'au-
trui : ou bien cette indigence se manifeste dans la
contemplation : Or, puisque nous ne pouvons conlem-
piiir la souveraine lumière en soi, nous prions de pou-
voir la regarder dans les saints : ou bien cette indi-
gence réside dans l'amour : parce que le plus souvent
riiomme étant imparfait ressent en soi-même plus
(raffcclion pour un saint en particulier que pour Dieu
même. La seconde raison, c'esl la gloire des saints :
car Dieu veut que nous les invoquions pour obtenir
par leurs suffrages ce que nous demandons, afin de
les glorifier eux-mêmes et en les glorifiant de les louer.
La troisième raison, c'est l'honneur de Dieu ; en sorte
(jue le pécheur qui a offensé Dieu, honteux, pour ainsi
dire, de s'adresser à Dieu personnellement, peut im-
plorer ainsi le patronage de ceux qui sont les amis
de Dieu. Dans ces sortes de processions on devrait répé-
ter souvent ce canticpie angélique : Suncie Deus, sancle
l'ortiSy sancle et inunoylalis^ miserere nobis. En effet
saint Jean Damascène, au livre III, rapporte que Ton
célébrait des litanies à Constantinople, à l'occasion de
certaines calamités, quand un enfant fut enlevé au ciel
du milieu du peuple ; revenu au milieu de la foule, il
chanta devant tout le monde ce canti(]ue qu'il avait
appris des anges et bientôt après cessa la calamité. Au
concile de r'Jialcédoine, ce cantique fut approuvé. Saint
Damascène conclut ainsi : « Pour nous, nous disons
([ue par ce cantique les démons sont éloignés. » Or, il
v a quatre motifs de louer et d'autoriser ce chant : 1°
SAINT BONIFACE, MARTYR 77
parce que ce fui un ange qui l'enseigna ; 2° parce
qu'en le récitant cette calamité s'apaisa; 3*» parce que
le concile de Chalcédoine l'approuva ; 4° parce que les
démons le redoutent *. »
SAINT BONIFACE, MARTYR *♦
Saint Bôniface souffrit le martyre, sous Dioclétien
et Maxiraien, dans la ville de Tarse ; mais il fut ense-
veli à Rome sur la voie latine. C'était l'intendant d'une
noble matrone appelée Aglaê. Ils vivaient criminelle-
ment ensemble; mais touchés l'un et l'autre par la
grâce de Dieu, ils décidèrent que Bôniface irait cher-
cher des reliques des martyrs dans l'espoir de méri-
ter, au moyen de leur intercession, le bonheur du sa-
lut, par les hommages et Thonneur qu'ils rendraient
à ces saints corps. — Après quelquesjours de marche,
Bôniface arriva dans la ville de Tarse et s'adressant
à ceux qui l'accompagnaient : « Allez, leur dit-il, cher-
cher où nous loger : pendant ce temps j'irai voir les
martyrs au combat ; c'est ce que je désire faire tout
d'abord. » Il alla en toute hâte au lieu des exécu-
tions : et il vit les bienheureux martyrs, l'un suspendu
par les pieds sur un foyer ardent, un autre étendu sur
* Une lettre du pape Félix III ; Marcel dans sa Chroni-
que; Nicëphore, liv. IV, eh. xlvi; le concile de C. P. racon-
tent le même fait.
•• Bréviaire; — Martyrologe d'Adon, au 5 juin. Ruinart a
donné ces actes dans son recueil.
78 LA LÉGENDE DOREE
quatre pièces de bois et soumis à un supplice lent,
un troisième labouré avec des ongles de fer, un qua-
trième auquel on avait coupé les mains, et le dernier
élevé en Tair et étranglé par des bûches attachées à
son cou. En considérant ces différents supplices dont
se rendait l'exécuteur un bourreau sans pitié, Boniface
sentit grandir son courage, et son amour pour J.-C
et s'écria : « Qu'il est grand le Dieu des saints mar-
tyrs! » Puis il courut se jeter à leurs pieds et em-
brasser leurs chaînes : « Courage, leur dit-il, martyrs
de J.-C. ; terrassez le démon, un peu de persévérance !
Le labeur est court, mais le repos sera long ensuite,
viendra le temps où vous serez rassasiés d'un bonheur
ineffable. Ces tourments que vous endurez pour l'a-
mour de Dieu n'ont qu'un temps ; ils vont cesser et
tout à l'heure, vous passerez à la joie d'une félicité
qui n'aura point de fin ; la vue de votre roi fera votre
bonheur; vous unirez vos voix au concert des chœurs
angéliques, et revêtus de la robe brillante de l'immor-
talité vous verrez du haut du ciel vos bourreaux im-
pies tourmentés tout vivants dans l'abîme d'une éter-
nelle misère. » — Le juge Simplicien, qui aperçut
Roniface, le fit approcher de son tribunal et lui de-
manda : (( Qui es-tu? » « Je suis chrétien, répondit-il,
et Boniface est mon nom. » Alors le juge en colère
le fit suspendre et ordonna de lui écorcher le corps avec
des ongles de fer, jusqu'à ce qu'on vît ses os à nu :
ensuite il fit enfoncer des roseaux aiguisés sous les
ondes de ses mains. Le saint martvr, les yeux levés
au ciel, supportait ses douleurs avec joie. A cette vue,
le juge farouche ordonna de lui verser du plomb fondu
SAINT BOMFACE, MARTYR 79
dans la bouche. Mais le saint martyr disait : « Grâces
v(ius soient rendues, Seigneur J.-C., Fils du Dieu vi-
vant. » Après quoi, Simplicien fit apporter une chau-
dière qu ou emplit de poix. On la fît bouillir et Boni-
face y fut jeté la tête la première. Le saint ne souffrit
rien ; alors le juge commanda de lui trancher la tète.
Aussitôt un affreux tremblement de terre se fit res-
sentir et beaucoup d'infidèles, qui avaient pu appré-
cier le courage de cet athlète, se convertirent. — Ce-
pendant les compagnons deBonifacele cherchant par-
tout et ne l'ayant point trouvé, se disaient entre eux :
(c II est quelque part dans un lieu de débauche, ou
occupé à faire bonne chère dans une taverne. » Or,
pendant qu'ils devisaient ainsi, ils rencontrèrent un
des geôliers. « N'as-lu pas vu, lui demandent-ils, un
étranger, un Romain? » « Hier, leur répondit-il, un
étranger a été décapité dans le cirque. » « Comment
était-il? » « C'était, ajoutèrent-ils, un homme carré de
taille, épais, à la chevelure abondante, et revêtu d'un
manteau écarlate. » « Eh bien ! répondit le geôlier,
celui que vous cherchez a terminé hier sa vie par le
martyre. » « Mais, reprirent-ils, l'homme que nous
cherchons est un débauché, un ivrogne. » « Venez le
voir, dit le geôlier. » Quand il leur eut montré le
tronc du bienheureux martyr et sa tête précieuse, ils
s'écrièrent : « C'est bien celui que nous cherchons :
\euillez nous le donner. » Le geôlier répondit : «Je ne
puis pas vous délivrer son corps gratuitement. » Ils
donnèrent alors cinq cents pièces d'or, et reçurent le
corps du saint martyr qu'ils embaumèrent et renfer-
mèrent dans des linges de prix ; puis l'ayant mis dans
i
80 LA LÉGENDE DOREB
une litière, ils revinrent pleins de joie et rendant gloire
à Dieu. Or, un ange du Seigneur apparut à Aglaé et
lui révéla ce qui était arrivé à Boniface. A l'instant elle
alla au-devant du saint corps et fit construire, en son
honneur, un tonibcau-digne de lui, à une distance de
Rome de cinq stades. Boniface fut donc martyrisé,
le 14 mai, à Tharse, métropole de la CiHcie, et ense-
veli à Rome le 9 juillet. — Quant à Aglaë, elle renonça
au monde et à ses pompes : après avoir distribué tous
ses biens aux pauvres et aux monastères, elle affran-
chit ses esclaves, et passa le reste de sa vie dans le
jeûne et la prière. Elle vécut encore douze ans sous
Fhabit de religieuse, dans la pratique continuelle des
bonnes œuvres et fut enterrée auprès de saint Boniface.
L'ASCENSION DE NOTRE-SEIGNEUR
Notre Seigneur monta au ciel quarante jours après
sa résurrection. Il y a sept considérations à établir
par rapport à l'Ascension : 1** le lieu où elle se fit ;
2° pourquoi J.-C. n'a pas monté au ciel de suite après
sa résurrection, mais pourquoi il a attendu quarante
jours; 3° de quelle manière il monta; 4* avec qui il
monta; 3° à quel litre il monta; 6"* où il monta ; 7<*
pourquoi il monta.
1. Ce fut du mont des Olives que J.-C. s'éleva aux
cieux. D'après une autre version, cette montagne a
reçu le nom de montagne des trois lumières; en efifet,
du côté de l'occident, elle était éclairée, la nuit, par
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 81
le feu du lemple, car un feu brûlait sans cesse sur
l'aulel, le matin, du cMé de Torienl, elle recevait les
premiers rayons du soleil, même avant la ville ;.il
y avait en outre sur cette iriontagne une quantité
d'oliviers dont Thuile sert d'aliment à la lumière, et
voilà pourquoi on l'appelle la montagne des trois lu-
mières. J.-C. commanda à ses disciples de se rendre à
cette montagne ; car le jour de l'ascension même, il
apparut deux fois : la première, aux onze apôtres qui
étaient à table dans le cénacle. Aussi bien les apôtres
que les autres disciples, ainsi que les femmes, tous
habitaient dans cette partie de Jérusalem appelée
Mello, ou montagne de Sion. David y avait construit
un palais ; et c'était là que se trouvait ce grand cénacle
tout meublé où J.-C. avait commandé qu'on lui pré-
parât la Pâques, et dans ce cénacle habitaient alors
les onze apôtres ; quant aux autres disciples avec les
saintes femmes, ils occupaient tout aulour différents
logements.
Comme ils étaient à table dans le cénacle, le Sei-
jgneur leur apparut et leur reprocha leur incrédulité :
et après qu'il eut mangé avec eux, et qu'il leur eut
ordonné d'aller à la montagne des Oliviers, du côté
de Béthanie, il leur apparut en cet endroit une seconde
fois, répondit à quelques questions indiscrètes; après
quoi il levades mains pour les bénir et de là, en leur
présence, il monta au ciel. Voici, sur ce lieu de l'as-
cension, ce que dit Sulpice, évêque de Jérusalem, et
après lui la Glose * : « Après qu'on eut bâti là une
• Extrait de Y Histoire schoiaslique de Pierre Coinestor.
II. '•>
82 LA LKGKNDE DOREE
église, le lieu où J.-C. montant au ciel posa les pieds,
ne put jamais éire recouvert par un pavé; il y a
plus, le marbre sautait à la figure de ceux qui le po-
saient. Une preuve que cet endroit avait été foulé par
les pieds de J.-C, c'est qu'on voit imprimés des ves-
tiges de pieds, et que la terre conserve encore une
figure qui ressemble à des pas qui y ont été gravés. »
II. Pourquoi J.-C. n'est-il pas monté de suiteaprès
sa résurrection, mais a-t-il voulu attendre pendant
(|uarantejours?Il y en a trois raisons : 1"* pour qu'on
ait la certitude de la résurrection. Il était en effet plus
difficile de prouver la vérité de la résurrection que
celle de la Passion : car, du preipier au troisième
jour, on pouvait prouver la vérité delà passion: mais
pour avoir la preuve certaine de la résurrection, il
fallait un plus grand nombre de témoignages ; et c'est
pour cela qu'il était nécessaire qu'il y eût plus de
temps entre la résurrection et l'ascension, qu'entre la
})assion et la résurrection. A ce sujet, saint Léon,
pape, sVwplique comme il suit dans un sermon sur
rascension : « Aujourd'hui est accompli le nombre
de quarante jours qui avait été disposé par un arran-
juement très sainl, et qui avait été dépensé au profit
de notre instruction. Le Seigneur, en prolongeant,
jusqu'à ce moment, l<» délai de sa présence corporelle,
voulait affermir la foi en la résurrection «par des té-
moignages authentiques. Rendons grâces à cette divine
économie et au retard nécessaire que subirent les saints
pères. Ils doutèrenl, eux, afin que nous, nous ne dou-
tassions pas. » 2^Pourconsoler les apùtres. Or, puisque
les consolations divines surpassent les tribulations et
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 83
qoe le temps de la passion fut celui delà tribulation des
apôtres, il devait donc y avoir plus de jours de conso-
lation que de jours de tribulation. 3* Pour une significa-
tion mystique : c'est pour donner à comprendre que les
consolations divines sont aux tribulations comme un
an est à un jour, comme un jour est à une heure,
comme une heure est à un moment. Il est clair que les
consolations divines sont aux tribulations comme un
an est à un jour par ce passage d'Isaïe (c. lxi) :
« Je dois prêcher l'année de la réconciliation du Sei-
gneur et le jour de la vengeance de notre Dieu. »
Voilà donc que pour un jour de tribulation, il rend
nne année de consolation. 11 est clair que les consola-
tions divines sont aux tribulations comme un jour est
à une heure, par ce fait que le Seigneur resta mort
pendant quarante heures; c'est le temps delà tribu-
lation : et qu'après être ressuscité, il apparut pendant
quarante jours à ses disciples, et c'était le temps de
la consolation. Ce qui fait dire à la Glose : « Il était
resté mort pendant quarante heures, c'est pour cela
qu'il confirmait, pendant quarante jours, la certitude
qu'il avait repris la vie. » Isaïe laisse à entendre que
les consolations sont aux tribulations comme une
heure est à un moment ; quand il dit (c. liv) : « J'ai
détourné mon visage de vous pour un moment, dans
le temps de ma colère; mais je vous ai regardés en-
suite avec une compassion qui ne finira jamais. »
HI. La manière dont il monta au ciel fut 1^ accom-
pagnée d'une grande puissance, selon ce que dit Isaïe
(lxiii) : « Quel est celui qui vient d'Edom, marchant
avec une force toute puissante? » Saint Jean dit aussi
84 LA LÉGENDE DOREE
(iir) : « Personne n'est monté au ciel, par sa propre
force, que celui qui est descendu du ciel, c'est-à-dire,
le Fils de Thomnie qui est dans le ciel. » Car quoiqu'il
fiU monté sur un groupe de nuages, cependant il
ne Ta point fait parce que ce groupe lui fût devenu
nécessaire, mais c'était pour montrer que toute créa-
ture est prête à obéir à son créateur. En effet il est
monté par la puissance de sa divinité, et c'est en
cela qu'est caractérisée la puissance ou le souverain
domaine, d'après ce qui est rapporté dans les his-
toires ecclésiastiques au sujet d'Enoch et d'£lie : car
Enoch fut transporté, Eliefut soulevé, tandis que J.-C.
a monté par sa puissance propre. « Le premier, dit
saint Grégoire, fut engendré et engendra, le second
fut engendré mais n'engendra pas, le troisième ne fut
pas engendré et n'engendra pas. » Il monta au ciel
2° publiquement, à la vue de ses disciples : aussi est-
il dit (Actes, i) : « Ils le virent s'élever. » (Saint Jean)
<( .levais à celui qui m'a envoyé et personne de vous ne
me demande : où allez-vous ? » la glose dit ici :
« C'est donc publiquement, afin qu'il ne vienne à la
pensée de personne de soulever des questions sur ce
(|ui se voit à l'œil nu. » 11 voulut monter, à la vue de
ses disciples, [)our qu'ils fussent eux-mêmes des té-
moins de l'ascension, qu'ils conçussent de la joie en
voyant la nature humaine portée au ciel, et qu'ils dé-
sirassent y suivre J.-C. Il monta au ciel 3" avec joie,
au milieu des concerts des anges. Le Psaume dit
(xLvi) : « Dieu est monté au mifieu des cris de joie. »
« Au moment de l'Ascension de J.-C, dit saint Augus-
tin, le ciel est tout stupéfait, les astres sont dansl'admi-
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 85
ration, les bataillons sacrés applaudissent, les trom-
pettes sonnent, et mêlent leur harmonie à celle des
choeurs joyeux. » — Il monta 4** avec rapidité. « 11
part avec ardeur, dit le Psalmiste, pour courir comme
un géant dans sa carrière ; » car en effet il monta avec
une extraordinaire vitesse puisqu'il parcourut un si
^prand espace comme en un moment. — Le rabbin
Moïse, très grand philosophe, avance que chaque
cercle, ou chaque ciel de quelque planète que ce soit,
a de profondeur un chemin de SOO ans, c'est-à-dire,
que l'espace en est si étendu qu'un homme mettrait
cinq cents ans à le parcourir sur un chemin uni : la
distance d'un ciel à un autre est de même, dit-il,
un chemin de 500 ans ; et comme il y a sept cieux, il
y aura, d'après lui, à partir du centre de la terre jus-
qu'aux profondeurs du ciel de Saturne, qui est le sep-
tième un chemin de sept mille ans; et jusqu'au point
W plus éloigné du ciel, sept mille cinq cents ans, c'est-
;'i-dire, un espace si grand que quelqu'un qui mar-
cherait sur une plaine mettrait 7300 ans à le parcou-
rir, s'il pouvait vivre assez. Or, l'année se trouve
composée de 363 jours, et le chemin qu'on fait en un
jour est de quarante milles, chaque mille a deux mille
pas ou coudées. » Voilà donc ce que dit le rabbin
Moyse. Or, s'il dit la vérité, Dieu le sait, car lui seul
connaît cette mesure puisqu'il a tout fait en nombre,
en poids et en mesure. C'est donc là le grand élan que
prit J.-C. de la terre au ciel. Et au sujet de cet élan
et de quelques autres que fit J.-C. citons les paroles
de saint Ambroise : « J.-C. prit son essor et vint
dans ce monde; il était avec son père et il vint dans
II. 6*
86 LA LÉGENDE DOREE
une Vierge, de la Vierge il passa dans le berceau ; il
descendit dans le Jourdain ; il monta sur la croix ;
il descendit dans le tombeau ; il ressuscita du tom-
beau et il est assis à la droite de son père. »
IV. Avec qui a-t-il monté? Il faut savoir qu'il
monta avec un grand butin d'hommes et une grande
multitude d'anges. Qu'il soit monté avec un nom-
breux butin d'hommes, cela est évident par ces pa-
roles du Psaume lxvii : « Vous êtes monté en haut ;
vous avez pris un grand nombre de captifs ; vous avez
fait des présents aux hommes. » Qu'il soit monté
avec une multitude d'anges, cela est évident, encore
par ces questions qu'adressèrent, lors de l'ascension
de Jésus-Christ, les anges d'un ordre inférieur à ceux
d'un ordre supérieur, ainsi qu'il se trouve dans Isaïe :
« Quel est celui qui vient d'Edom, de Bosra avec sa
robe teinte de rouge ? » La Glose dit ici que plu-
sieurs des anges qui n'avaient pas une pleine connais-
sance des mystères de Tincarnation, de la passion et
de la résurrection, en voyant monter au ciel le Sei-
gneur avec une multitude d'anges et de saints per-
sonnages, et cela par sa propre puissance, se mettent
à admirer ce mystère deTincarnalion et delà passion;
alors ils disent aux anges qui accompagnent le Sei-
gneur : (( Quel est celui-ci qui vient... etc. » et encore
avec le Psaume : « Quel est ce roi de gloire? » Saint
Denis, au livre de la Hiérarchie angélique (ch. vu),
semble insinuer que pendant que J.-C. montait, trois
questions furent adressées par les anges. La première
fut celle des anges majeurs les uns aux autres : la se-
conde fut celle des anges majeurs à J.-C. ; la troi-
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 87
sième fui adressée par les anges inférieurs à ceux d'un
ordre plus élevé. Les plus grands se demandent donc
les uns aux autres : « Quel est celui-ci qui vient
d'Edom, de Bosra, avec sa robe teinte de rouge? »
Edom veut dire sanglant meurtrier, Bosra signifie
fortifié, c'est comme s'ils se disaient : « Ouel est ce-
lui-ci qui vient de ce monde ensanglanté par le péché
et fortifié contre Dieu par la malice ? » Ou bien encore :
« Quel e^l celui-ci qui vient d'un monde meurtrier et
d'un enfer fortifié ? » Et le Seigneur répondit : « C'est
moi dont la parole est la parole de justice, et je suis
combattant pour sauver (Is., lxiii). » Saint Denis dit
ainsi : « C'est moi, dit-il, qui parle justice et jugement
pour le salut. » Dans la rédemption du genre humain,
il y eut justice, en tant que le créateur ramena la créa-
ture qui s'était éloignée, de son maître, et il y eut
jugement, en ce que J.-C, par sa puissance, chassa
le diable, usurpateur, de l'homme qu'il possédait.
Mais ici saint Denis pose cette question : u Puisque
les anges supérieurs sont le plus près de Dieu, et
qu'ils sont immédiatement illuminés par lui, pour-
quoi s'adressent-ils des questions, comme s'ils avaient
le désir de s'instruire mutuellement? » Saint Denis
répond lui-même et son commentateur expose que :
en s'interrogeant, ils montrent que la science a pour
eux de Tattrait; en se questionnant d'abord les uns
les autres, ils manifestent qu'ils n'osent pas d'eux-
mêmes devancer la procession divine. Ils commen-
cent donc par s'interroger tout d'abord pour ne pré-
venir, par aucune interrogation prématurée, l'illu-
in ination que Dieu opère en eux. Donc cette question
88 LA LEGENDE DOREE
n'est pas un examen de la doctrine, mais un aveu
d'içnorance. — La seconde question est celle qu'a-
dressèrent à J.-C. ces an^es de premier degré :
« Pourquoi donc, disent-ils, votre robe est-elle rou-
pie, et pourquoi vos vêtements sont-ils comme les
vêtements de ceux qui foulent dans le pressoir? » On
dit que le Seigneur avait un vêtement, c'est-à-dire, son
corps, rou'^e ou plein de sang, par la raison qu'en mon-
tant au ciel, il portait encore sur lui les cicatrices de
ses plaies : car il voulut conserver ces cicatrices en son
corps, pour cinq motifs ainsi énumérés par Bède dont
voici les paroles : « Le Seigneur conserva ses cicatrices
et il les doit conserver jusqu'au jugement, pour affer-
mir la foi en sa résurrection, pour les montrer à son père
alors qu'il le supplie en faveur des hommes, pour que
les bons voient avec quelle miséricorde ils ont été
rarrhetés, et les méchants reconnaissent avoir été jus-
tement damnés ; enfin pour porter les trophées au-
thentiques de la victoire éternelle qu'il a remportée. »
Donc à cette question le Seigneur répondit ainsi :
a J*ai été seul à fouler le vin, sans qu'aucun homme
dt^ tous les peuples fût avec moi. » La croix peut être
appelée un pressoir, sous la pression duquel il a telle-
ment été écrasé qu'il a répandu tout son sang. Ou
bien ce qu'il appelle pressoir, c'est le diable qui a
tellement enveloppé et étreint le genre humain dans
les liens du péché qu'il a exprimé tout ce qu'il y avait
en lui de spirituel, en sorte qu'il n'en reste que la
cape. Mais notre guerrier a foulé le pressoir, il a
rompu les liens des pécheurs, et après avoir monté
au ciel, il a ouvert la demeure du ciel et a répandu le
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 89
vin du Saint-Esprit. La troisième question est celle
qu'adressèrent les anges inférieurs aux supérieurs :
<c Quel est, dirent-ils, ce roi de gloire ? » Voici ce que
dit saint Augustin par rapport à cette question et à la
réponse qu'il était convenable d'y donner : « L'immen-
sité des airs est sanctifiée par le cortège divin, et
toute la troupe des démons qui vole dans l'air se hâte
de fuir à la vue de J.-C. qui s'élève. » Les anges accou-
rurent à sa rencontre et demandent : « Qui est ce roi de
gloire ? » D'autres anges leur répondent : « C'est ce-
lui qui est éclatant par sa blancheur et par sa couleur
de rose ; c'est celui qui n'a ni apparence, ni beauté :
il fut faible sur le bois, fort quand il partage le butin ;
il fut vil dans un corps chétif, et équipé au moment
du combat ; il fut hideux en sa mort, et beau dans sa
résurrection ; il reçut une blancheur éclatante de la
Vierge sa mère, et il était rouge de sang sur la croix :
sans éclat au milieu des opprobres, il brille dans le
ciel. »
V. A quel titre il monUi. Il en eut trois, répond
saint Jérôme, avec lé Psaume (xliv). La vérité, la
douceur et la justice. « La vérité, car vous avez
accompli ce que vous aviez promis par la bouche des
prophètes; la douceur, car vous vous êtes laissé immo-
ler comme une brebis pour la vie de votre peuple ;
la justice, parce que vous avez employé non pas la
puissance, mais la justice pour délivrer l'homme, et
la force de votre droite vous dirigera merveilleuse-
ment : la puissance, ou la force vous dirigera, vers
le ciel. »
VL Où il monta: Il faut savoir que J.-C. monta
90 LA LÉGENDE DOREE
au-dessus de tous les cieux, selon l'expression de
saint Paul dans son épître aux Ephésiens (iv) : o Celui
qui est descendu, c'est le même qui est monté au-des-
sus de tous les cieux, afin de remplir toutes choses. »
L'apôtre dit: « Au-dessus de tous les cieux », car il y
en a plusieurs au-dessus desquels il monta. Il y a le
ciel matériel, le rationnel, Finlellectuel et le supersubs-
tantiel. Le ciel matériel est multiple,* savoir : l'aérien,
l'éthéré, Tolympien, l'igné, le sidéral, le cristallin,
et l'empyrée. Le ciel rationnel, c'est l'homme juste
appelé ciel puisqu'il est l'habitation de Dieu ; car de
même que le ciel est le trône et Thabitation de Dieu,
selon cette expression d'Isaïe (lxvi) : « Le ciel est
mon trône » ; de même Tàme juste, d'après le livre
de la Sagesse, est le trône de la sagesse. L'homme
juste est encore appelé ciel, en raison des saintes habi-
tudes, parce que les saints par leur manière de vivre
et leurs désirs habitent dans le ciel, comme le di-
sait l'apôtre : « Notre conservation est dans les cieux. »
En raison encore des bonnes œuvres continuelles ;
parce que de même que le ciel roule par un mouve-
ment continu, de même aussi les saints se meuvent
continuellement dans les bonnes œuvres. Le ciel intel-
l(»ctuel, c'est l'ange. En effet l'ange est appelé ciel
parce ([ue, ainsi que les cieux, il est élevé à une très
haute dignité et excellence. Quant à cette dignité et
excellence, 1° Denys parle de cette manière dans son
livre des ^ums divins (chap. iv) : « Les esprits divins
sont au-dessus des autres êtres ; leur vie l'emporte
sur celle des autres créatures vivantes ; leur intelli-
gence et leur connaissance dépassent le sens et la rai-
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 91
son : mieux que tous les êtres, ils tendent au beau
et au bien et y participent. » 2' Ils sont extrêmement
beaux en raison de la nature et de la gloire. Saint De-
nys encore en parlant de leur beauté dit au même
livre : « L'ange est la manifestation de la lumière ca-
chée ; c'est un miroir pur, d'un éclat brillant, sans
tache aucune ni souillure, immaculé, recevant, s'il
esl permis de le dire, la beauté, la forme excellente
de la divinité. » 3^ Ils sont pleins de force en raison
de leur vertu et de leur puissance. Le Damascène
parle ainsi de leur force au livre II, chap. m : « Ils
sont forts et disposés à l'accomplissement de la vo-
lonté de Dieu; et partout on les trouve réunis, tout
aussitôt que, par un simple signe de Dieu, ils en per-
çoivent les ordres. » Le ciel possède hauteur, beauté
et force. L'Ecclésiastique dit au sujet des deux pre-
mières qualités (xliii) : « Le firmament est le lieu où
la beauté des corps les plus hauts parait avec éclat :
c'est l'ornement du ciel, c'est lui qui en fait luire la
gloire. » Au livre de Job il est dit (xxxviij par rap-
port à la force : « Vous avez peut-être formé avec lui
les cieux qui sont aussi solides que s'ils étaient d'ai-
rain fondu. » — Le ciel supersubstantiel, c'est le siège
de l'excellence divine, d'où J.-C. esl venu et jusqu'où
il remonta plus tard. Le Psaume l'indique par ces
paroles (vu) : « Il part de l'extrémité du ciel, et il va
jusqu'à l'autre extrémité. » Donc J.-C. monta au-
dessus de ces cieux jusqu'au ciel supersubslantiel. Le
Psaume porte qu'il monta au-dessus de tous les cieux
matériels quand il dit (viii) : « Seigneur, votre magni-
ficence a été élevée au-dessus des cieux. » H monta
92 LA LÉGENDE DOREE
au-dessus (le tous les cieux matériels jusqu'au ciel
empyrée lui-même, non pas comme Elie qui monta
clans un char de feu, jusqu*à la région sublunaire sans
la traverser, mais qui fut transporté dans le paradis
terrestre dont l'élévation est telle qu'il touche à la ré-
gion sublunaire (Rois, IV, ii ; Ecx:lé., viii), sans aller au
delà. C'est donc dans le ciel empyréeque réside J.-C. ;
c'est là sa propre et spéciale demeure avec les anges
et les autres saints. Et celte habitation convient à
ceux qui Toccupenl. Ce ciel en effet l'emporte sur les
autres en dignité, en priorité, en situation et en pro-
portions : c'est aussi pour cela que c'est une habita-
tion digne de J.-C, qui surpasse tous les cieux ration-
nels et intellectuels en dignité, en éternité, par son
état d'immutabilité et par les proportions de sa puis-
sance. De même aussi, c'est une habitation conve^
nable pour les Saints : car ce ciel est unifonne, im-
mobile, d'une splendeur parfaite et d'une capacité
immense : et cela convient bien aux anges et aux saints
qui ont été uniformes dans leurs œuvres, immobiles
dans leur amour, éclairés dans la foi ou la science,
et remplis du Saint-Esprit. Il est évident que J.-C.
monta au-dessus de tous les cieux rationnels, qui sont
tous les saints, par ces paroles du Cantique des can-
tiques (il) : « Le voici qui vient sautant sur les mon-
tagnes, passant par-dessus lt\s collines. » Par les mon-
tagnes on entend les anges, et par les collines les
hommes saints. Il est évident qu'il monta au-dessus
de tous les cieux intellectuels, qui sont les anges, par
ces mots du Psaume (cm) ; « Seigneur, vous moulez
sur les nuées et vous marchez sur les ailes des vents. ».
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 93
« II a monté au-dessus des chérubins, il a volé sur les
ailes des vents (xcviii). » Il est encore évident que Jé-
sus-Christ monta jusqu'au ciel supersubstantiel, c'est-
à-dire, jusqu'au siège de Dieu, par ces paroles de
saint Marc (xvi): « Et le Seigneur Jésus, après leur
avoir ainsi parlé, fut élevé dans le ciel ; et il y est
assis à la droite de Dieu. » La droite de Dieu, c'est
l'égalité en Dieu. Il a été singulièrement dit et donné
à mon Seigneur, par le Seigneur de siéger à la droite
de sa gloire, comme dans une gloire égale, dans une
essence consubstantielle, pour une génération semblable
en tout point, pour une majesté qui n'est pas infé-
rieure, et pour une éternité qui n'est pas postérieure.
On peut dire encore que J.-C. dans son ascension
atteignit quatre sortes de sublimités : celle du lieu, celle
de la récompense acquise, celle de la science, celle de
ia vertu. De la sublimité du lieu qui est la première, il
est dit aux Ephésiens (iv) : « Celui qui est descendu,
c'est le même qui a monté au-dessus de tous les cieux. »
De la sublimité de la récompense acquise qui est la se-
conde, on lit aux Philippiens (ii) : « Il s'est rendu obéis-
sant jusqu*à la mort et la mort de la croix : c'est pour-
quoi Dieu l'a élevé. » Saint Augustin dit sur ces pa-
roles : « L'humilité est le mérite de la distinction et
la distinction est la récompense de l'humilité. » De la
sublimité de la science, le Psaume (xcviii) dit : « II monta
au-dessus des chérubins » ; c'est autant dire, au-dessus
de toute plénitude de science. De la sublimité de la ver-
tu qui est la quatrième, il estdit aux Ephésiens : « Parce
qu'il a monté au-dessus des Séraphins. » (m) « L'amour
de J.-C. envers nous surpasse toute connaissance. »
94 LA LÉGENDE DOREE
VlI.Pourquoi J.-C, est-il monté au ciel. Il y a neuf
fruits ou avantages à retirer de l'Ascension. Le 1''
avantage, c'est l'acquisition de Famour de Dieu
(Saint Jean, xvi) :« Si je ne m'en vais pas, le Paraclel
ne viendra pas. » Ce qui fait dire à Saint Augustin :
« Si vous m'êtes attachés comme des hommes de chair,
vous ne serez pas capables de posséder le Saint-Es-
prit. » Le 2*^ avantage, c'est une plus grande connais-
sance de Dieu (Saint Jean, xiv): « Si vous m'aimiez,
vous vous réjouiriez certainement parce que je m'en
vais à mon Père ; car mon Père est plus grand que
moi. » Saint Augustin dit à ce propos: « Si je fais
disparaître cette forme et cette nature d'esclave, par
laquelle je suis inférieur à mon Père, c'est afin que
vous puissiez voir Dieu avec les yeux de l'esprit. » Le
3® avantage, c'est le mérite de la foi. A ce sujet saint
Léon s'exprime de la sorte dans son sermon 12* sur
l'Ascension : « C'esl alors que la foi plus éclairée com-
mence à comprendre à l'aide de la raison que le Fils
est égal au Père ; il ne lui est plus nécessaire de tou-
cher la substance corporelle de J.-C, par laquelle il
est inférieur à son Père, (-'est là le privilège des grands
esprits de croire, sans appréhension, ce que IVeil du
corps ne saurait apercevoir, et de s'attacher, par le
désir, à ce à quoi l'on ne peut atteindre par la vue. »
Saint Augustin dit au livre de ses Confessions : « Il a
bondi comme un géant pour fournir sa carrière. Il n'a
pas apporté de lenteur, mais il a couru en procla-
mant par ses paroles, par ses actions, par sa mort,
par sa vie ; en descendant sur la terre, en montant au
ciel, il crie pour que nous revenions à lui, et il a dis-
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR 95
paru aux yeux de ses apôtres, afin que nous rentrions
dans noire cœur pour Vy trouver. » Le 4® avantage,
c'est la sécurité, s'il est monté au ciel, c'est pour être
notre avocat auprès de son Père. Nous pouvons bien
être en sûreté, quand nous pensons avoir un pareil
avocat devant le Père. (Saint Jean, I, ii) : « Nous avons
pour avocat auprès du Père J.-C, qui est juste; car
c'est lui qui est la victime de propitiation pour nos
péchés. » Saint Bernard dit en parlant de cette sécu-
rité : « Tu as, ô homme, un accès assuré auprès de
Dieu : Tu v vois la mère devant le Fils, et le Fils de-
vaut le Père : cette mère montre à son fils sa poitrine
el ses mamelles ; le Fils montre à son Père son côté
et ses blessures. Il ne pourra donc y avoir de refus, là
où il y a tant de preuves de charité. » Le 5* avantage,
c'est notre dignité. Oui, notre dignité est extraordi-
nai rement grande, puisque notre nature a été élevée
jusqu'à la droite de Dieu. C'est pour cela que les anges,
en considération de celte dignité dans les hommes, se
sont désormais refusés à recevoir leurs adorations,
comme il est dit dans l'Apocalypse (xix) : « Et je nie
prosternai (c'est saint Jean qui parle) aux pieds de
l'ange pour l'adorer. Mais il me dit : gardez-vpus bien
de le faire ; je suis serviteur de Dieu comme vous, et
comme vos frères. » La Glose fait ici cette remarque :
^ Dans Tancienne loi, l'ange ne refusa pas l'adoration
de l'homme, mais après Tascension du Seigneur, quand
il eut vu que l'homme était élevé au-dessus de lui, il
appréhenda d'être adoré. » Saint Léon parle ainsi
dans son 2* sermon sur l'Ascension : « Aujourd'hui
la faiblesse de notre nature a été élevée en J.-C, au-
96 LA LÉGENDE DOREE
dessus de toutes les plus grandes puissances jusqu'au
trône où Dieu est assis. Ce qui rend plus admirable
la grâce de Dieu, c'est qu'en enlevant ainsi au regard
des hommes ce qui leur imprimait à juste titre un
respect sensible, elle empêche la foi de faillir, l'espé-
rance de chanceler et la charité de se refroidir. » —
Le 6* avantage, c'est la solidité de notre espérance.
Saint Paul dit aux Hébreux (iv) : « Ayant donc pour
grand pontife Jésus, Fils de Dieu, qui est monté au
plus haut des cieux, demeurons fermes dans la profes-
sion que nous avons faite d'espérer. » Et plus loin
(vi) : « Nous avons mis notre refuge dans la recherche
et l'acquisition des biens à nous proposés par Tespé*
rance, qui sert à notre âme comme une ancre ferme
et assurée laquelle pénètre jusqu'au dedans du voile où
Jésus, notre précurseur, est entré pour nous. » Saint
Léon dit encore à ce sujet : « L'Ascension de J.-C.
est le gage de notre élévation, d'autant que là où la
gloire du chef a précédé, le corps espère y parvenir. »
Le 7® avantage est de nous montrer le chemin. Le
prophète Michée dit (m) : « Il a monté pour nous ou-
vrir le chemin. » Saint Augustin ajoute : « Le Sau-
veur s'est fait lui-même notre voie. Levez-vous et
marchez, vous avez un chemin tout tracé ; gardez-
vous d'être lents. » Le huitième avantage, c'est de
nous ouvrir la porte du ciel : car de même que le pre-
mier Adam a ouvert les portes de l'enfer, de même le
second a ouvert les portes du paradis. Aussi TEglise
chanlc-l-elle : Tu deviclo movlis aculeo, etc. * : « Après
* Paroles du Te Deum.
LE SAINT-ESPRIT 97
avoir vaincu raidillon de la mort, vous avez ouvert
aux croyants le royaume des cieux. » Le 8® avantai^e,
c'est de nous préparer une place. « Je vais, dit J.-C.
dans saint Jean, je vais vous préparer une place. »
Saint Augustin commente ainsi ces paroles : « Sei-
gneur, préparez ce que vous préparez : car vous nous
préparez pour vous, et c'est vous-même que vous nous
préparez, quand vous préparez une place où nous ha-
biterons en vous et où vous habiterez en nous. »
LE SAINT-ESPRIT
Ainsi que l'atteste l'histoire sacrée des Actes, au-
jourd'hui le Saint-Esprit fut envoyé sur les Apôtres
sous la forme de langues de feu. Au sujet de cette
mission ou venue, il y a huit considérations à faire :
i® par qui il fut envoyé; 2° de combien de manières
il est ou il fut envoyé ; 3** en quel temps ; 4° combien
de fois; ?>** de quelle manière; 6^ sur qui; 7° pour-
quoi ; S'* par quel moyen il fut envoyé.
I. Par qui le Saint Esprit fut-il envoyé ? C'est le
Père qui envoya ce Saint-Esprit, c'est le fils aussi, et
le Saint-Esprit se donna lui-même et s'envoya. Ce fut
le Père, d'après ces paroles de J.-C. en saint Jean
ixiv) : « Le Paraclet qui est le Saint-Esprit, que le
Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes
choses. » Ce fut le fils : on lit au xvi*^ chap. de saint
Jean : « Mais si je m'en vais, je vous l'enverrai. »
En prenant un point de comparaison avec les choses
II. "
98 LA LÉGENDE DOREE
d'ici-bas, Teiivoyé a trois sortes de rapports avec
celui qui Teuvoie ; il lui donne Fêtre, comme le rayon
est envoyé par le soleil : il lui donne sa force, comme
la flèche envoyée par l'archer; il lui donne juridiction
ou autorité, comme un messager envoyé par son supé-
rieur. Sous ce triple point de vue, la mission peut
convenir au Saint-Esprit : car il est envoyé par le
Père et le Fils en qui résident l'être, la force et Tau-
torité dans leurs opérations. Néanmoins, l'Esprit-Sainl
lui-même s'est aussi donné et envoyé : ce qui est in-
sinué dans ces paroles de saint Jean (xvi) : « Quand
TEsprit de vérité sera venu. » En efl'et selon que le dit
saint Léon, pape, en son sermon de la Pentecôte :
(( La bienheureuse Trinité, l'incommutable divinité est
une en substance, ses opérations sont indivises, elle
est unie dans sa volonté, pareille en toute puissance,
égale en gloire : mais elle s'est partagée l'œuvre de
notre rédemption, cette miséricordieuse Trinité, de
sorte que le Père se laissa fléchir, le Fils se fil propî-
tiation et le Saint-Espi it nous embrasa de son amour. »
Or, puisrpie le Saint-Esprit est Dieu, on peut donc
dire avec vérité qu'il se donne lui-même. Saint Am-
hroisè prouve ainsi la divinité du Saint-Esprit dans
son livre Du Saint-Esprit : « La gloire de sa divinité
est manifestement prouvée par ces quatre moyens.
On connaît (pi'il est Dieu, ou bien parce qu'il est sans
péclié, ou bien parce qu'il pardonne le péché, ou bien
parce que ce n'est pas une créature, mais qu'il est
créateur, ou bien enfin parce (|u'il n'adore pas, mais
(ju'il est adoré. » H est évident par là que la Trinité
se donna toutt* à nous : « parce (pie, dit saint Augus-
LE SAINT-ESiPRIT 99
tîn, le Père nous a donné tout ce qu'il a ; il nous a
donné son Fils pour prix de noire rédemption, le Saint-
Esprit comme privilège de notre adoption, et il se ré-
serve lui-même tout entier comme l'héritage de notre
adoption. » De même aussi, le Fils s'est donné entiè-
rement à nous, selon ce mot de saint Bernard : « Il
est pasteur, il est pâture, il est rédemption. Il nous a
donné son âme pour rançon, son sang pour breuvage,
sa chair pour aliment et sa divinité pour récompense. »
De môme encore le Saint-Esprit nous a gratifiés et
nous gratifie de tous ses dons, parce qu'il est dit dans
la I'* épître aux Corinthiens (xii) : « L'un reçoit du
Saint-Esprit le don de parler avec sagesse, un autre
reçoit du même Esprit le don de parler avec science;
un autre reçoit le don de la foi par le même Esprit. »
Saint Léon, pape, ajoute : « C'est le Saint-Esprit qui
inspire la foi, qui enseigne la science : il est la source
de l'amour, le cachet de la chasteté et le principe de
tout salut. »
II. De combien de manières le Saint-Esprit est ou
fut envoyé. Il faut savoir que le Saint-Esprit est en-
vové d'une manière visible et d'une manière invisible.
Elle est invisible quand il pénètre dans les cœurs
saints : elle est visible quand il se montre sous un
signe visible. Saint Jean parle de sa mission invisible
quand il dit (m) : c< L'Esprit souffle où il veut et vous
entendez sa voix, mais vous ne savez ni d'où il vient,
ni où il va. » Cela n'a rien d'étonnant, parce que, se-
lon le mot de saint Bernard en parlant du Verbe in-
visible : « II n'est pas entré par les yeux, puisqu'il n'a
pas de couleur ; ni par les oreilles, parce qu'il n'a
390074E
iOO LA LÉGENDE DOREE
pas rendu de son ; ni par les narines, parce qu'il n'est
pas mêlé avec Fair, mais avec Tesprit, qu'il n'infecte
pas l'air mais qu'il le fait : il n'est pas entré par la
bouche, puisqu'il n'est ni mangé ni bu; ni par le tou-
cher du corps, puisqu'il n'est pas palpable. Vous de-
mandez donc, puisque ses voies sont si impénétrables,
comment je connais sa présence : je l'ai reconnue par
la crainte que j'éprouve en mon cœur : c'est par la
fuite du vice que j'ai remarqué la puissance de sa
force : je n'ai qu'à ouvrir les yeux et à examiner ;
alors j'admire la profondeur de sa sagesse : c'est par
le plus petit amendement dans mes mœurs que j'ai
ressenti la bonté de sa douceur ; c'est par la réforma-
tion et le renouvellement intérieur de mon âme que
j'ai aperçu, autant qu'il m'a été possible, l'éclat de sa
beauté ; c'est en vovant toutes ces merveilles à la
fois que j'ai été saisi devant son infinie grandeur. »
Une mission est visible quand elle est indiquée par
un signe visible. Or, le Saint-Esprit s'est montré sous
cinq formes visibles : 1^ sous la forme d'une colombe
au-dessus de J.-C. qui venait d'être baptisé. Saint
Luc dit (m) que le Saint-Esprit descendit sur lui
sous une forme corporelle semblable à une colombe ;
2^ sous la forme d'une nuée lumineuse au moment
de la transfiguration. Saint Mathieu dit (xvi) : «Lors-
qu'il parlait encore, une nuée lumineuse vint le cou-
vrir. » La glose ajoute : « Dans le baptême de N.-S.,
comme dans sa transfiguration glorieuse, le Saint-
Esprit a manifesté le mystère de la sainte Trinilé, là
dans une colombe, ici dans une nuée lumineuse » ;
3 " sous la forme d'un souffle. On lit dans saint Jean
LE SAINT-ESPRIT 101
(xx) : « Il souffla et leur dit : « Recevez le SaiiU-
« Esprit » ; 4* sous la forme de feu ; 5° sous la forme de
langue: et c'est sous cette double forme qu'il a apparu
en ce jour. Or, s'il s'est montré sous ces cinq formes,
c'est pour donner à comprendre qu'il en opère les
propriétés dans les cœurs oii il vient. P II s'est mon-
tré sous la forme d'une colombe. La colombe g^cmil
au lieu de chanter, elle n'a pas de fiel, elle se cache
dans les fentes des rochers. De même le Saint-Esprit
fait gémir sur leurs péchés ceux qu'il remplit. « Nous
rugissons tous comme des ours, dit Isaîe (lix), nous
gémissons et nous soupirons comme des colombes. »
« Le Saint-Esprit lui-même, dit saint Paul (Rom., viii),
prie pour nous, par des gémissements ineffables, »
c'est-à-dire qu'il nous fait prier et gémir. 2"^ Il n'y a
en lui ni fiel ni amertume. Et la Sagesse dit (xii) :
«< Seigneur, oh ! que votre Esprit est bon, et qu'il est
tloux en toute sa conduite I » (vu) « Ilesthumain,doux,
bon; parce qu'il rend doux, bon et humain; doux
dans les discours, bon de cœur et humain en action. »
3"* 11 habite dans les fentes du rocher, c'est-à-dire dans
les plaies de J.-C. « Levez-vous, est-il dit dans le Can-
tiijue (il), ma bien-aimée, mon épouse, et venez, vous
qui êtes ma colombe (la glose ajoute : vous qui ré-
chauffez mes poussins, par l'infusion du Sainl-Esprit),
qui habitez les creux de la pierre (la glose : dans les
blessures de J.-C). » Jérémie parle ainsi au chap. iv
des Lamenlaiioiis : « Le Christ, le Seigneur, l'esprit
de notre bouche a été pris à cause de nos péchés. »
Nous lui avons dit : « Nous vivrons sous votre ombre
parmi les nations. » C'est comme s'il disait : c< L'Es-
té
n. i
102 LA LÉGENDE DOREE
prit-Saint, qui est de notre bouche, et cette bouche,
c'est celle de N.-S. J.-C, parce qu'il est notre bouche
et notre chair, nous fait dire à J.-C. : « Nous vivrons
en ayant toujours à la mémoire votre ombre, c'est-à-
dire voire passion, dans laquelle le Christ fut envi-
ronné de ténèbres et méprisé. » La nuée est élevée
au-dessus de la terre, elle procure le rafratchissement
et engendre la pluie : ainsi fait le Saint-Esprit de
ceux qu'il remplit, il les élève au-dessus de la terre et
leur inspire le mépris des choses terrestres. Selon ces
paroles d'Ezéchiel : (vrii) « L'Esprit m'a élevé entre le
ciel et la terre. » (i) « Partout où allait l'Esprit, et où
l'Esprit s'élevait, les roues s'élevaient aussi, et le sui-
vaient, parce que l'Esprit de vie était dans les
roues. » Saint Grégoire dit de son côté : « Quand on a
goûté de l'Esprit, à l'instant toute chair devient insi-
pide. » L'Esprit-Saint refroidit contre les ardeurs du
vice. Aussi a-t-il été dit à Marie (saint Luc, i) : « Le
Saint-Esprit surviendra en vous, et la vertu du Très-
Haut vous couvrira de son ombre, » c'est-à-dire, elle
vous refroidira contre toutes les ardeurs du vice.
C'est pour cela que TEspril-Saint est appelé eau, parce
qu'il a une vertu régénérative. « Si quelqu'un croit
en moi, dit J.-C. (saint Jean, vu), il sortira de son
cœur des fleuves d'eau vive » — ce qu'il entendait de
l'Esprit-Saint que devaient recevoir ceux qui croiraient
en lui. Enfin rEs[)rlt-Saint engendre une pluie de
larmes. Le psaume (gxlvii) dit : a Son Esprit souf-
flera et les eaux couleront », c'est-à-dire les larmes.
3* Il s'est montré sous la forme d'un souffle. Le souf-
fle est agile, chaud, doux cl nécessaire pour la respi-
LE SAINT-ESPRIT 103
ration : de même aussi l'Esprit-Saint est agile, c'est-
à-dire prompt à se répandre ; il est plus actif que
toutes les substances agissantes. La glose explique
ainsi ces paroles des Actes : « On entendit tout d'un
coup un grand bruit, comme d'un vent impétueux, qui
venait du ciel », la grâce du Saint-Esprit, dit-elle, ne
connaît pas les obstacles d'un retard. En second
lieu, il est chaud pour embraser : «Je suis venu, est-
il dit en saint Luc (xii), apporter le feu sur la terre,
et que veux-je, sinon qu'il brûle. » Ce qui l'a fait
comparer dans le Cantique (xv) à l'auster qui est un
vent chaud : « Retirez-vous, aquilon, venez, vent du
midi, soufflez de toutes parts dans mon jardin et que
les parfums en découlent. » En troisième lieu, il est
doux poui* adoucir. Aussi pour indiquer sa douceur,
on donne le nom d'onction ; comme dans la r*^ épître
canonique de saint Jean (ii) : « Son onction vous en-
seigne toutes choses » ; 2'^ le nom de rosée. L'Eglise
chante en effet (i) : « Que l'Esprit-Sainl répande sa
rosée céleste pour rendre nos cœurs féconds en bon-
nes œuvres. Et sui roris intima aspersione fecundet, »
3'* Le nom de souffle léger. On lit au IIP livre des
Rois (xix) : « Après le feu, on entendit le souffle d'un
petit vent doux» et le Seigneur y était. En quatrième
lieu, il est nécessaire pour la respiration. Le souffle
est tellement nécessaire pour respirer, que s'il cessait
pendant une heure, l'homme mourrait aussitôt. Il
faut l'entendre aussi en ce sens du Saint-Esprit. D'oCi
vient que le psaume dit : « Vous leur ôterez l'esprit,
et ils tomberont dans la défaillance et retourneront
dans leur poussière. Envoyez votre Esprit et ils se-
104 LA LÉGENDE DORER
ront créés de nouveau, et vous renouvellerez la face
de la terre. » Saint Jean dit aussi (vi) : « C'est TEsprit
qui vivifie, la chair ne sert de rien. Les paroles que
je vous ai dites sont elles-mêmes esprit et vie. » i^
Il s'est montré sous la forme de feu. 5° Sous la forme
de langue, d'après ces paroles des Actes (ii) : « En
même temps ils (les disciples) virent paraître comme
des laniçuesde feu quiseparlaçèrent et qui s'arrêtèrent
sur chacun d'eux. » Plus bas se trouvera l'explication
de ces deux formes.
III. En quel temps fut-il envoyé? Ce fut le cinquan-
tième jour après Pâques, pour faire comprendre que
la perfection de la loi vient du Saint-Esprit, ainsi que
la récompense éternelle et la rémission des péchés. 1**
H est la perfection de la loi, en ce que, d'après la glose,
à dater du cinquantième jour où l'agneau avait été
immolé d'avance, la loi fut donnée au milieu du feu;
dans le Nouveau-Testament aussi, cinquante jours après
la Pâque de J.-C, le Saint-Esprit descendit au milieu du
feu. La loi, c'était sur le mont Sinaï, le Saint-Esprit, sur
le mont Sion. La loi fut donnée au sommet d'une mon-
tagne, le Saint-Esprit dans le cénacle; d'où il paraît
clairement que l'Espril-Saint lui-même est la perfec-
tion de la loi, parce que l'accomplissement de la loi,
c'est l'amour. 2® C'est la récompense éternelle. La
glose dit en effet : « De même que les quarante jours
pendant lesquels J.-C. conversa avec ses disciples,
désignent l'Eglise actuelle, de même le cinquantième
jour auquel est donné le Saint-Esprit veut dire le de-
nier de la récompense éternelle. » 3° C'est la rémission
des péchés. La glose ajoute au même endroit : « De
LS SAIXT- ESPRIT 10
o
même que dans la cinquantième année arrivait Tin-
dulg^nce du Jubilé, de même par le Saint-Esprit, les
péchés sont remis. » Ce qui suit se trouve encore dans
la Glose : « Dans ce jubilé spirituel, les accusés sont
relâchés, les dettes remises, les exilés rappelés dans
leur pairie, Théritage perdu est restitué, c'est-à-dire
que les hommes vendus au péché sont délivrés du joujj
de la servitude. » Les condamnés à mort sont relâchés
cl délivrés : c'est pour cela qu'il est dit dans Tépître
aux Romains (viii) : « La loi de l'esprit de vie qui
est en J.-C. m'a délivré de la loi du péché et de la
Hiort. » Les dettes des péchés sont remises; parce que
(saint Pierre, i, 4) « la charité couvre la multitude
des péchés. » Les exilés sont rappelés dans la patrie :
Il est dit dans le Psaume (cxlii) : « Votre esprit,
qui est bon, me conduira dans une terre unie. » L'hé-
ritage perdu est restitué : « L'Esprit, est-il dit dans
Tépître aux Romains (viii), rend témoignage à notre
espritque nous sommes enfants de Dieu. Si nous som-
mes enfants, nous sommes aussi héritiers. » Les escla-
ves sont délivrés du péché. Aux Corinthiens on trouve
(II, 4) : (( Où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté. »
IV. Combien de fois fut-il envoyé aux apôtres : Il
faut savoir, que, d'après la glose, il leur a été donné
trois fois : 1" avant la Passion, 2^ après la Résurrec-
tion, 3** et après l'Ascension : la première fois pour
faire des miracles, la seconde pour remettre les pé-
chés, la troisième pour affermir leurs cœurs. La pre-
mière fois, ce fut quand J.-C. les envoya prêcher, et
leur donna la puissance de chasser tous les démons et
de guérir les infirmités. Tous ces miracles sont l'œuvre
106 LA LÉGENDE DOREE
(lu saint- Esprit selon ces paroles de saint Mathieu
(xii) : « Si c'est par l'Esprit de Dieu que je chasse
les démons, le royaume de Dieu est donc venu jus-
qu'à vous. » Cependant, opérer des miracles n'est
pas une conséquence de la possession du Saint-Es-
pril, parce que selon la parole de saint Grégoire :
(( Les miracles ne font pas l'homme saint, mais ils le
montrent. » El parce que l'on fait des miracles ce n'est
pas une raison, pour avoir l'Esprit-Saint, puisque les
méchants eux-mêmes allèguent qu'ils ont fait des mi-
racles. (Sainl Mathieu, vu) : « Seigneur, n'avons-nous
pas prophétisé en votre nom ? N'avons-nous pas
chassé les démons en votre nom? et n'avons-nous pas
fait plusieurs miracles en votre nom? » Car Dieu fait
des miracles par son autorité, les anges par l'infé-
riorité de la matière, les démons, par des vertus natu-
relles qui résident dans les choses, les magiciens par
des contrats secrets avec les démons, les bons chré-
tiens par une justice manifeste, les mauvais chrétiens
par les apparences d'une justice reconnue. La seconde
fois que J.-C. donna le Saint-Esprit aux apôtres, ce fui
({uand il souffla sur eux en disant : « Recevez leSainl-
Espril, les péchés seront remis à ceux auxquels vous
les remettrez, et ils seront retenus à ceux auxquels vous
les retiendrez. » Cependant nul ne saurait remettre le
péché quant à la souillure qu'il produit et qui réside
dans l'dme, ni quant à la culpabilité qui engage à la
peine élernclle-; ni quant à l'offense faite à Dieu, toutes
misères qui sont remises seulement par l'infusion de
la grâce et en vertu de la contrition. On dit cependant
que le prêtre absout, tant parce qu'il déclare le péni-
LE SAINT-ESPRIT 107
teiit absous de la faule que parce qu'il change la peine
du purgatoire en une peine temporelle et qu'il remet
une partie elle-même de la peine temporelle. La troi-
sième fois qu'il donna le Saint-Esprit à ses apôtres,
ce fut aujourd'hui, alors que leurs cœurs étaient telle-
ment fortifiés qu'ils ne craignaient en rien les tour-
ments : selon le mot du Psalmiste (xxxii) : « C'est l'es-
prit (le souffle) de sa bouche qui a produit toute leur
force. » Et selon ces paroles de saint Augustin : « Telle
esl la grâce du Saint-Esprit que s'il trouve la tristesse,
il la dissipe, s*il trouve des désirs mauvais, il les con-
sume; s'il trouve la crainte, il la chasse. » Saint Léon,
pape, dit de son côté : « Si l'Esprit-Saint était Tobjet
de l'espoir des apôtres, ce n'était pas tout d'abord
pour habiter dans des cœurs sanctifiés, mais pour les
enflammer davantage après leur sanctification, pour
verser en eux une plus grande abondance de grâces.
II les comblait de ses dons, il ne commençait pas leur
conversion. Et cependant son œuvre n'était pas nou-
velle, parce qu'il était plus riche en largesses. »
V, De quelle manière fut-il envoyé? Il fut envoyé
avec bruit, en forme de langues de feu, et ces langues
apparurent en se posant. Le bruit fut subit, venant
du ciel, véhément et remplissant. Il fut subit parce que
le Saint-Esprit ne connaît pas les obstacles d'un relard :
il venait du ciel, parce qu'il rendit les apôtres célestes,
il fut véhément, mot qui signifie : détruisant le mal-
heur (vœ adimejis), soit parce qu'il détruit tout l'amour
charnel dans l'esprit, d'où vient véhément {veheiis
menlem) : Il fut remplissant, parce que l'Espril-Sainl
remplit tous les apôtres d'après ce texte des Actes :
i08 LA LÉfiENDr. DOREE
« Ils furent tous remplis du Saint-Esprit. » Il y a
trois signes auxquels on reconnaît la plénitude, et
ces trois signes se trouvent dans les apôtres. Le
premier c'est de ne pas rendre de son; par exemple
le tonneau plein ne rend aucun son. Quand Job
dit (vi) : « Le bœuf fait-il entendre ses mugissements
lorsqu'il est devant une crèche pleine? c'est comme
s'il disait : « Lorsque la crèche du cœur contient la
plénitude de la grâce, il ne saurait jeter des murmures
d'impatience. Les apôtres possédèrent ce signe, parce
qu'au milieu de leurs tribulations, ils ne rendirent aiï-
ciin son d'impatience ; il y a mieux : « Ils sortaient
(lu conseil tout remplis de joie de ce qu'ils avaient
été jugés dignes de souffrir des opprobres pour le
nom de Jésus (Act., v). » Le second signe, c'est de ne
pas pouvoir en contenir plus, et d'en posséder assez.
En effet quand un vase est plein, il ne peut contenir
autre chose ; comme aussi quand un homme est ras-
sasié, il n'a plus d'appétit: de même les saints qui ont
la plénitude de la grâce, ne peuvent recevoir aucun
goût pour les amours terrestres, a Tout cela m'est à
dégoût, est-il dit dans Isaïe (i). Je n'aime point les
holocaustes de vos béliers.» De même ceux qui ontgoûté
des douceurs divines n'ont pas soif des vanités ter-
n*stres. « Celui, dit saint Augustin, qui aura bu du
lleuve du paradis dont une goutte est plus grande que
Tocéan, peut être assuré que la soif de ce monde sera
étanchée en lui. » Les apôtres possédèrent ce signe,
car ils ne voulurent avoir rien en propre, mais ils
partagèrent tout en commun. Le troisième signe c'est
<le déborder, comme et» lleuve dont il est parlé dans
LE SAINT-ESPRIT 109
rEx:cIésiaslique (xxiv) : « Il répand la sagesse comme
lePhison répand ses eaux. » Ce qui signifie à la lettre :
Le propre de ce fleuve, c'est de déborder et d'arroser
tout ce qui l'entoure. Ainsi les apôtres commencèrent
à déborder, parce qu'ils se mirent à parler différentes
langues. C'est ici que la glose dit : a Voici le signe
de la plénitude : le vase plein se répand : le feu ne
peut rester caché en lui-même. » Ils commencèrent
donc à arroser ce qui les entourait : de là vient que
saint Pierre se mit à prêcher et convertit trois mille
personnes. » Secondement, il fut envoyé en forme de
langues de feu. Il y a là-dessus trois points à exami-
ner : 1** pourquoi en langues et en langues de feu tout
à la fois, 2** pourquoi en forme de feu plutôt qu'en
un autre élément; 3° pourquoi en forme de langue
plutôt que d'un autre membre. En premier lieu, il
faut savoir que c'est pour trois raisons qu'il apparut
en langues de feu : a) afin que les apôtres proférassent
des paroles de feu ; b) afin qu'ils prêchassent une loi de
feu, c'est-à-dire une loi d'amour. Voici les paroles de
saint Bernard sur ces deux premières raisons : « Le
Saint-Esprit est venu en langues de feu afin de dire
des paroles de feu dans les langues de toutes les na-
tions ; en sorte que ce furent des langues de feu qui
pn^chaient une loi de feu ; » c) afin que les apôtres
connussent que c'était par eux que parlait l'Esprit-
Saint qui est feu; afin qu'ils n'eussent aucune défiance
là-dessus ; afin qu'ils ne s'attribuassent pas les con-
versions des autres, et que tous écoutassent leurs pa-
roles comme celles de Dieu.
En second lieu, il fut envoyé sous la forme du feu
110 LA LÉGENDE DOREE
pour beaucoup de raisons. La 1'* se lire des sept es-
pèces de grâce qu'il donne : car TEspril, comme le
feu, abaisse les hauteurs par le don de crainte ; il
amollit les duretés par le don de piété ; il illumine les
lieux obscurs par la science ; il resserre les fluides par
le conseil ; il consolide les choses sans consistance par
la force ; il clarifie les métaux dont il ôte la rouille
par le don d'intelligence ; il se dirige en haut par le
don de sagesse. La 2® se tire de sa dignité et de son
excellence : en efl^et le feu l'emporte sur tous les élé-
ments, par son apparence, par son rang et par sa
force : par son apparence, en raison de la beauté qu'il
présente dans sa lumière ; par son rang, en raison de
la sublimité de sa position. L'Esprit-Saint aussi l'em-
porte surloutencesdiflFérentscas. Quant à l'apparence
TEsprit-Saint est appelé sans tache. Quanta son rang,
il renferme toutes les intelligences; quant à sa force, il
la possède en toute manière. La 3" se tire de ses diffé-
rentes propriétés. Raban expose ainsi cette raison : « Le
feu, desa nature, contient quatre propriétés : il brûle,
il purge, il échauffe et il éclaire. Pareillement le Saint-
Esprit brûle les péchés, purge les cœurs, chasse la
tiédeur et éclaire Tignorance. Il brûle les péchés, selon
cette parole du prophète Zacharie (xiii) : « Je les ferai
passer par le feu où je les épurerai comme on épure
l'argent. » C'était encore par ce feu que le prophète de-
mandait à être brûlé quand il disait (Ps. xxv) : «Brû-
lez mes reins et mon cœur. » II purge les cœurs, selon
ce mot d'Isaïe (iv) : « Ils seront appelés saints quand
le Seigneur aura lavé Jérusalem du sang qui est au
milieu d'elle, par un esprit de justice et un esprit d'ar-
LE SAINT-ESPRIT Hl
deur. » Il chasse la liédeur : c'est pour cela qu'il est
dit (Rom., xii) de ceux qui sont remplis du Saint-Es-
prit : « Conservez-vous dans la ferveur de l'esprit. »
Saint Grégoire dit aussi : <( Le Saint-Esprit est apparu
en forme de feu parce qu'il dissipe rengourdissement
de la froideur de tout cœur qu'il remplit, et qu'il l'en-
flamme du désir de son éternité, » II éclaire l'ignorance,
diaprés ces paroles du livre de la Sagesse (ix) : « Et
qui pourra connaître votre pensée, si vous ne donnez
vous-mértie la sagesse, et si vous n'envoyez votre Es-
prit-Saint du plus haut des cieux ? » Comme aussi
dans la T* épître aux Corinthiens (ii), on lit : « Or,
Dieu nous a révélé par l'Esprit-Saint. » La 4® se
prend de la nature de son amour : car l'amour a trois
points de ressemblance avec le feu. 1° Le feu est tou-
jours en mouvement, de même aussi l'amour du Saint-
Esprit fait que ceux qui en sont. remplis sont toujours
occupés à faire de bonnes œuvres ; et c'est la raison
pour laquelle saint Grégoire dit : « Jamais l'amour de
Dieu n'est oisif. S'il existe, il opère des merveilles ;
mais s'il néglige les bonnes œuvres, l'amour n'existe
pas. » 2® De tous les éléments le feu est celui qui con-
siste le plus dans la forme et qui tient le moins de la
matière. Il en est ainsi de l'amour du Saint-Esprit :
celui qui en est rempli est peu épris de l'amour des
choses terrestres et a beaucoup d'attachement pour
les choses célestes et spirituelles, de sorte qu'il n'aime
plus les choses charnelles d'une manière charnelle,
mais qu'il aime de préférence les choses spirituelles
«Tune façon spirituelle. Saint Bernard distingue quatre
sortes d'amours : l'amour de la chair pour la chair,
112 LA LKGENDE DORKE
l'amour de l'esprit pour la chair, l'amour de la chair
pour l'esprit, et l'amour de Tesprit pour l'esprit lui-
même, 3° Le feu abaisse ce qui s'élève, il tend à s'éle-
ver, il resserre et unit les fluides. C4es trois propriétés
font connaître les trois sortes de forces qui sont dans
l'amour, comme le dit saint Denys dans son livre des
Noms divins : « Il a une force inclinative, une force
élévativeet une force coordinative. Il abaisse les choses
supérieures au-dessous des inférieures, il élève les in-
férieures au-dessus des supérieures, il coordonne en-
semble les choses semblables. » On trouve ces trois
effets dans ceux que l'Esprit-Saint remplit : il les
abaisse par l'humilité et le mépris d'eux-mêmes ; il
les élève par le désir des choses supérieures, et il éta-
blit entre eux l'uniformité de mœurs. 3° Pourquoi le
Saint-Esprit apparaft-il sous la forme de langues,
plutôt que sous la forme d'un autre membre ? On en
donne trois raisons. En effet la langue est un membre
enflammé du feu de l'enfer, difficile à gouverner, et
utile quand on en fait un bon usage. Or, si la langue
était enflammée du feu de l'enfer, elle avait donc be-
soin du feu du Saint-Esprit (saint Jacques, m) : « La
langue est un feu », car elle se gouverne avec diffi-
culté : c'est pour cela qu'elle a, plus que les autres
membres, besoin de la grâce du Saint-Esprit. Saint
Jacques ajoute que la nature de l'homme est capable
de dompter et a dompté en effet toutes sortes d'ani-
maux. Si donc la langue est d'une telle utilité quand
elle est bien dirigée, il fut donc nécessaire qu'elle ciH
le Saint-Esprit pour guide. 11 apparut encore en forme
(le langue, pour signifier qu'il est d'une grande néces-
LE SAINT-ESPRIT 113
site à ceux qui prêchent. Il les fail parler avec chaleur
et intrépidité ; c'est pour cela qu'il fut envoyé en forme
de feu. « Le Saint-Esprit, dit saint Bernard, est venu
sur les apôtres en forme de langues de feu, afin qu'ils
parlassent avec feu, et que les langues de feu préchas-
sent une loi de feu. » Ils parlèrent avec confiance et
intrépidité : « Ils furent tous, disent les Actes (iv),
remplis du Saint-Esprit et se mirent à annoncer avec
confiance la parole de Dieu. » Ils parlèrent plusieurs
langues, selon que l'exigeait l'intelligence de leurs
auditeurs. Aussi lisons-nous dans les Actes (ii) qu'ils
se mirent à parler différentes langues. Leur prédica-
tion fut utile selon le besoin et pour l'édification de
tous. <« L'Esprit du Seigneur est sur moi, dil Isaïe
(lxi) : car le Seigneur m'a rempli de son onction, il
m'a envoyé pour annoncer sa parole à ceux qui sont
doux, pour guérir ceux qui ont le cœur brisé. » Troi-
sièmement, ces langues apparurent en se posant pour
donner à entendre que le Saint-Esprit était nécessaire
et à ceux qui président et à ceux qui jugent, parce
qu'il confère l'autorité de remettre les péchés. « Rece-
vez le Saint-Esprit, est-il dit dans l'évangile de saint
Jean (xx) : les péchés seront remis à ceux auxquels
vous les remettrez. » Il confère la science pour juger,
selon ces paroles d'Isaïe : « Je répandrai mon esprit
sur lui et il rendra la justice aux nations » (xui). Il
confère la douceur pour supporter : « Je prendrai, dit
le Seigneur à Moïse (Nombres, xi, 17), de l'Esprit
qui est en vous et je leur en donnerai (aux anciens
d'Israël) afin qu'ils soutiennent avec vous le fardeau
de ce peuple. » L'Esprit de Moïse était un esprit de
n. 8
114 LA LÉGENDE DORÉE
douceur, selon que le témoig'ne le livre des Nombres
(xii) : « Moïse était de tous les hommes le plus doux
qui fût sur la terre. » — Il confère l'ornement de la
sainteté pour embellir. Job dit (xxvi) : « L'Esprit du
Seigneur a orné les cieux. »
VI. Sur qui fut-il envoyé? Sur les disciples qui
étaient des réceptacles purs et préparés à recevoir le
Saint-Esprit, pour sept qualités qui se trouvèrent eu
eux. 1° Ils furent calmes d'esprit]; on le voit par ces
mots : « Quand les jours de la Pentecôte furent ac-
complis », c'est-à-dire les jours de repos. En effet
cette fête était consacrée au repos, a Sur qui reposera
mon esprit, dit Isaïe (lxvi), si ce n^est sur celui qui
est humble ? » 2^ Ils étaient unis par les liens de l'a-
mour, ce qui est indiqué par ces paroles : « Ils étaient
tous ensemble. » Il n'y avait en effet parmi eux qu'un
seul cœur et une seule âme : car de même que l'esprit
de l'homme ne vivifie les membres du corps qu'aUf-
tant qu'ils sont unis dans la vie, de même le Saint-
Esprit ne vivifie que les membres spirituels. Et comme
le feu s'éteint dès lors qu'on éloigne les morceaux de
bois, de même aussi l'Espril-Saint disparait où n'habite
pas la concorde. C'est pour cela que l'on chante dans
l'office des Apôtres * : « La divinité les a trouvés unis
par la charité, elle les a inondés de lumière. » 3® Ils
étaient renfermés dans un lieu. C'est pour cela qu'il
est dit aux Actes : « Ils étaient dans un même local »,
c'esl-à-dire, dans le cénacle. « Je la conduirai, est-il
dit dans Osée (ii), dans la solitude et je lui parlerai
* Nous n*avons pas trouvé ce texte dans la liturgie romaine.
LE SAINT-ESPRIT 115
au coeur. » 4^' Us étaienl assidus dans la prière, d'a-
près ces paroles des Actes (i) : « Ils persévéraient tous
unanimement en prière. Et nous chantons * : « Les
apôlres étaient en prière, alors qu'un bruit subit an-
nonce la venue de Dieu. » Or, pour recevoir le Saint-
Esprit, Toraison est nécessaire, comme le dit le livre
de la Sagesse (vn) : « J'ai prié et l'esprit de sagesse
est venu en moi » ; et dans saint Jean (xiv) : « Je
prierai mon Père, et il vous donnera un autre Para-
del. » 5® Ils étaient doués d'humilité, ce que veut
dire ce mot, ils étaient assis. Le Psaume dit : « Vous
envoyez les fontaines dans les vallées », c'est-à-dire,
TOUS donnez aux humbles la grâce du Saint Esprit :
ce qui est encore confirmé par ce texte : « Sur qui
reposera mon esprit, si ce n*est sur celui qui est
bamble ? » 6** Ils étaient en paix comme l'indiquent
ces mots : « Ils étaient dans Jérusalem », qui signi-
fie Vision de Paix. Saint Jean montre que la paix
est nécessaire pour recevoir le Saint-Esprit (saint
Jean, xx). Aussitôt qu'il leur eut souhaité la paix en di-
sant : « La paix soit avec vous », il souffla aussitôt sur
eux et dit : « Recevez le Saint-Esprit. » 7® Ils étaient
élevés en contemplation : ceci est marqué en ce qu'ils
reçurent le Saint-Esprit alors qu'ils se trouvaient dans
la partie supérieure du cénacle. La glose dit en cet
• Hymne des Matines de la Pentecôte.
" Hora dieî tertîa,
Apostolisorantibus,
Repente de cœlo sonus
Deum venire nuntiat.
Version antérieure à la correction des hymnes romaines.
116 LA LÉGENDE DOREE
endroit : « Celui qui désire le Saint-Esprit s'élève au-
dessus de la demeure de sa chair, qu'il foule par la
contemplation de son esprit. »
VII. Pourquoi fut-il envoyé? Le Saint-Esprit fut en-
voyé pour six causes. Le texte suivant est l'autorité
sur laquelle on s'appuie : « Mais le consolateur qui
est l'Esprit-Saint que mon Père enverra en mon nom,
vous enseignera toutes choses. » 1° Il fut envoyé pour
consoler les affligées. Paraclet veut dire consolateur.
Isaïe dit : « L'Esprit du Seigneur est sur moi, et il
ajoute, pour apporter de la consolation à ceux qui
pleurent dans Sion » (Isaïe, lxi), « L'Esprit-Saint, dit
saint Grégoire, est appelé consolateur, parce que
ceux qui gémissent d'avoir commis le péché sont pré-
parés par lui à l'espoir du pardon, La tristesse qui
s'était emparée de leur esprit affligé disparait ». 2^
Pour ressusciter les morts. Selon cette parole d'Ezé-
chiel (xxxvii) : « C'est l'Esprit qui vivifie : os arides,
écoutez la parole du Seigneur. Je ferai entrer en vous
l'Esprit et vous vivrez. » 3*^ Pour sanctifier ceux qui
sont immondes. Aussi on dit l'Esprit, parce qu'il vi-
vifie, et saint parce qu'il sanctifie et rend pur. Saint
et pur, c'est une môme chose. Le Psaume (xlv) porte :
« Un fleuve tranquille réjouit la cité de Dieu » ; ce
fleuve c'est la grâce du Saint-Esprit qui purifie et qui
ne tarit pas : la cité de Dieu, c'est l'Eglise de Dieu,
et par ce fleuve, le Très-Haut a sanctifié son taber-
nacle. 4** Pour affermir l'amour au milieu de ceux qui
sont désunis par la haine. « Mon Père lui-môme vous
aime » (saint Jean, xiii). Le Père, c'est celui qui nous
aime tout naturellement. S'il est notre Père, et que
SAINTS GORDIEN ET ÉPIMAQUE 117
nous sommes ses enfants^ et si nous sommes tous
frères à Fégard les uns des autres, qu'une amitié par-
fai.le règne entre les frères. 5° Pour sauver les justes.
Quand J.-C. dît : « Mon Père vous l'enverra en mon
nom », il rappelle l'idée de Sauveur renfermée dans
ce nom de Jésus. Donc c'est au nom de Jésus, c'est-
à-dire de Sauveur que le Père a envoyé le Saint-
Esprit afin de montrer qu'il est venu pour sauver les
nations. 6' Pour instruire les ignorants : « Il vous en-
seignera toutes choses, dit J.-C. »
VIII. Par quel moyen a-t-ilété donné? Ce fut 1° par
Toraison. Ainsi nous avons vu plus haut que c'était
alors que les apôtres priaient, et en saint Luc : « Alors
que Jésus priait, le Saint-Esprit descendit. » 2^ En
écoutant avec dévotion et attention la parole de Dieu.
« Pierre parlait encore que l'Espril-Saint tomba sur
eux » (Actes, x). 3° Par Tassiduité aux bonnes œuvres,
signifiée dans l'imposition des mains. « Alors ils
imposaient les mains sur eux... n (Actes, viii). L'im-
position des mains signifie encore l'absolution que l'on
donne à confesse.
SAINTS GORDIEN ET EPIMAQUE*
Gordien vient de geos, dogme ou maison, et dyan, brillant,
comme maison brillante dans laquelle habitait Dieu : ainsi
que saint Augustin le dit dans le livre de la Cité de Dieu.
a Une bonne maison est celle dont les parties sont relativement
* Tiré du Martyrologe d'Adon.
II. 8"
118 LA LÉGENDE DOREE
bien disposées^ amples et éclairées. » Il en fut ainsi de ce
saint qui fut disposé par l'imitation de la concorde, qui fut
ample en charité et brillant de vérité. Epimaque vient de épi,
sur et machin, roi, comme roi suprême ; il peut aussi venir
d*épi, sur et machos, combat, qui combat pour les choses d'en
haut.
Gordien, vicaire de l'empereur Julien, voulait for-
cer à sacrifier un chrétien nommé Janvier qui, par
ses prédications, le convertit à la foi avec son épouse
nommée Mariria et cinquante-trois autres hommes.
Julien, à cette nouvelle, envoya Janvier en exil, et
condamna Gordien à perdre la tête, s^il ne voulait
pas sacrifier. Le bienheureux Gordien fut donc déca-
pité et son corps fut jeté aux chiens. Mais comme il
était resté l'espace de huit jours, tout à fait intact, sa
famille le prit et l'ensevelit à un mille de la ville avec
saint Epimaque que Julien avait fait tuer depuis quel-
que temps. Ce fut vers l'an du Seigneur 360.
SAINTS NÉRÉE ET ACHILLÉE *
Nérée veut dire conseil de lumière : ou bien s'il vient de
Nerethy qui veut dire lumière, ett<«, qui se hâte; ou bien encore
de Ne et reus, non coupable. 11 fut donc un conseil de lumière
par la prédication de la virginité ; une lumière par sa manière
de vivre honorable; il se hâta d*aimcr le ciel; il ne fut point
coupable en raison de sa pureté de conscience. Achilleus vient
de achi^ qui veut dire mon frère, et césa, salut : salut de ses
frères. Leur martyre fut écrit par Eulhicès, Victorinus et
Macre ou Marce, serviteurs de J.-C.
* Bréviaire; — Martyrologes ; — Eusèbe, Ilist, Eccf,
SALNTS NÉRÉE ET ACHILLEE H 9
Nérée et AchîIIée, eunuques chambellans de Domi-
lillê, nièce de l'empereur Domitien, furent baptisés
par Tapôtre saint Pierre. Or, comme cette Domitille
était fiancée à Âurélien, fils d'un consul, et qu'elle
était couverte de pierreries et de vêlements de pourpre,
Nérée et Achillée lui prêchèrent la foi, et lui suggé-
rèrent une grande estime pour la virginité qu'ils lui
montrèrent comme approchant de Dieu, rendant sem-
blable aux anges, née avec Thomme, tandis qu'une
femme mariée était sous la sujétion de son mari,
qu'elle était frappée de coups de poing et de pied,
qu'elle mettait trop souvent au monde des enfants
clifTormes, supportant de plus avec peine les pieux
avis de leur mère, qu'enfin elle était forcée d'endurer
de grandes contrariétés de la part d'un époux. Do-
niitille leur répondit entre autres choses : « Je sais
que mon père fut jaloux et que ma mère eut à souf-
frir de sa part une foule de mauvais traitements :
mais celui que je dois avoir pour mari lui ressemble-
ra-t-il? » Ils lui dirent : « Tant que les hommes sont
seulement fiancés, ils paraissent doux ; mais dès qu'ils
sont mariés, ils deviennent cruels et impérieux : quel-
quefois ils préfèrent des suivantes à leurs dames. —
Toute sainteté perdue peut se recouvrer par la péni-
tence, il n'y a que la virginité qui ne se puisse recou-
vrer : car la culpabilité peut être effacée par la pénitence,
mais la virginité ne se peut réparer : elle ne saurait
prétendre à regagner l'état de sainteté qu'elle a per-
du. » Alors Flavie Domitille crut, fit vœu de virginité,
reçut le voile des mains de saint Clément. — A cette
nouvelle son fiancé se fit autoriser par Domitien à la
120 LA LÉGENDE DORÉE
reléguer dans l'île Pontia, avec les saints Nérée et
Âchîllée, dans la pensée qu'il pourrait ainsi la faire
revenir sur la résolution prise par elle de garder la
virginité. Quelque temps après, dans un voyage en
cette ile, il fit de riches présents h ces deux saints pour
les engager à influencer cette vierge : mais ils s'y re-
fusèrent absolument; et s'attachèrent à la fortifier dans
ses bonnes dispositions. Comme on les poussait à sa-
crifier, ils dirent qu'ayant été baptisés par l'apôtre
saint Pierre, rien ne pouvait les faire immoler aux
idoles. Ils furent décapités vers l'an du Seigneur 80,
et leurs corps furent ensevelis auprès du tombeau de
sainte Pétronille. Il y en eut d'autres, comme Victo-
rin, Euthicès et Maron qui étaient attachés à Domi-
tille, qu'Âurélien faisait travailler tout le jour comme
des esclaves dans ses domaines, et le soir il leur fai-
sait manger le pain des chiens. Enfin il ordonna de
fouetter Euthicès jusqu'à ce qu'il eût rendu l'âme ; il
fit étouffer Victorin dans des eaux fétides et écraser
Maron sous un énorme quartier de roche. Or, quand
on eut jeté sur lui cette pierre que soixante-dix
hommes pouvaient remuer à peine, il la prit sur les
épaules et la porta comme paille légère l'espace de
deux milles ; et comme un grand nombre de personnes
avaient alors embrassé la foi, le fils du consul le fit tuer.
Après quoi, il ramena Domitille de l'exil, et lui en-
voya deux vierges, Euphrosine et Théodora, ses sœurs
de lait, pour la faire changer de résolution : mais
Domitille les convertit à la foi. Alors Aurélien vint
avec les deux fiancés de ces jeunes personnes et trois
jongleurs pour célébrer ses noces, ou du moins, pour
SAINT PANCRACE 42!
la posséder par la violence. Mais comme Domitille
avait converti ces deux jeunes gens, Aurélien fit
entrer Domitille dans une chambre nuptiale, ordonna
à ses jongleurs déchanter et aux autres de se livrer à
la danse avec lui, dans la volonté de faire violence
ensuite à la sainte. Alors les baladins s'épuisèrent à
chanter et les autres à danser ; Aurélien lui-même ne
cessa de danser pendant deux jours, jusqu'à ce qu'ex-
ténué de fatigue, il expira. Son frère Luxurius solli-
cita la permission de tuer tous ceux qui avaient reçu
la foi, il mit le feu à l'appartement desdites vierges,
qui rendirent l'esprit en faisant leurs prières. Le len-
demain matin, saint Césaire ensevelit leurs corps qu'il
avait retrouvés intacts.
SAINT PANCRACE *
Pancrace vient de pan, qui sic^nifie tout, et gratus, ac^réablc,
et citius, vite, tout prompt à être agréable, car dès sa jeunesse
il le fut. Le Glossaire dit encore que Paneras veut dire rapine,
pancf'atiarius, soumis aux fouets, Paneras, pierre de différen-
tes couleurs : en effet, il ravit des captifs pour butin, il fut
soumis au tourment du fouet, et il fut décoré de toutes sor-
tes de vertus.
Pancrace, issu d'illustres parents, ayant perdu en
Phrygie son père et sa mère, resta confié aux soins
de Denys, son oncle paternel. Ils se rendirent tous
les deux à Rome où ils jouissaient d'un riche patri-
* Bréviaire; — Martyrologes.
122 LA LÉGENDE DORÉE
moine : dans leur quartier était caché, avec les fidèles,
le pape Corneille, qui convertit à la foi de J.-G. De-
nys et Pancrace. Denys mourut en paix, mais Pan-
crace fut pris et conduit par devant César. Il avait
alors environ quatorze ans. L'empereur Dioctétien
lui dit : (( Jeune enfant, je te conseille de ne pas te
laisser mourir de maie mort; car, jeune comme tu es,
tu peux facilement te laisser induire en erreur, et puis-
que ta noblesse est constatée et que tu es le fils d'un
de mes plus chers amis, je t'en prie, renonce à cette
folie, afin que je te puisse traiter comme mon enfant. »
Pancrace lui répondit : « Bien que je sois enfant
par le corps, je porte cependant en moi le cœur d'un
vieillard, et grâce à la puissance de mon Seigneur
J.-C. la terreur que tu nous inspires ne nous épou-
vante pas plus que ce tableau placé devant nous. Quant
à tes Dieux que tu m'exhortes à honorer, ce furent des
trompeurs, des corrupteurs de leurs belles-sœurs; ils
n'ont pas eu même derespect pour leurs père et mère :
que si aujourd'hui tu avais des esclaves qui leur res-
semblassent tu les ferais tuer incontinent. Je m'étonne
que tu ne rougisses pas d'honorer de tels dieux. » L'em-
pereur donc, se réputant vaincu par un enfant, le fît
décapiter sur la voie Aurélienne, vers l'an du Sei-
gneur 287. Son corps fut enseveli avec soin par Coca-
villa, femme d'un sénateur. Au rapport de Grégoire
de Tours *, si quelqu'un ose prêter un faux serment
sur le tombeau du martyr, avant qu'il soit arrivé au
chancel du chœur, il est aussitôt possédé du démon
* Âfiracu/orurrif lib. I, c. xxxix.
SAINT PANCRACE J23
et devient hors de lui, ou bien il tombe sur le pavé et
meurt. II s'était élevé un procès assez important entre
deux particuliers. Or, le juge connaissait parfaitement
le coupable. Le zèle de la justice le porta à les mener
tous les deux à Tautel de saint Pierre ; et là il força
celui qu'il savait avoir tort à confirmer par serment
sa prétendue innocence, en priant l'apôtre de venger
la vérité par une manifestation quelconque. Or, le
coupable ayant fait serment et n'ayant éprouvé aucun
accident, le juge, convaincu de la malice de cet homme,
et enflammé du zèle de la justice s'écria : « Ce vieux
Pierre est ou trop bas, ou bien il cède à moindre que
lui. Allons vers Pancrace; il est jeune, requérons de lui
ce qui en est. » On y alla; le coupable eut l'audace de
faire un faux serment sur le tombeau du martyr ; mais
il ne put en retirer sa main et expira bientôt sur place.
C'est de là que vient la pratique encore observée au-
jourd'hui de faire jurer, dans les cas difficiles, sur les
reliques de saint Pancrace.
i
124 LA LKGENDE DOREE
Des lètes qui tombent pendant le temps du
pèlerinage.
•
Après avoir parlé des fêtes qui arrivent pendant le temps de
la Réconciliation, temps reproduit par TEglise de Pâques à
Toctave de la Pentecôte^ il reste à s'occuper des fêtes qui arri-
vent dans le temps du pèlerinage ; TEglise le reproduit depuis
Toctavc (le la Pentecôte jusqu'à TAvent. Ce temps ne commence
pas toujours ici, car il varie d'après la fête de Pâques.
SAINT URBAIN *
Urbain vient d*urbanité, ou bien de ur, flambeau ou feu, et
de banal, réponse. Ce fut un flambeau par Thonnêteté de sa
conduite, un feu par son ardente charité, une réponse par sa
doctrine. 11 fut un flambeau ou une lumière, parce que la lu-
mière est agréable à la vue, immatérielle en essence, céleste
en situation, très utile pour agir. De même ce saint fut aimable
dans sa conversation, immatériel dans son mépris du monde,
céleste en contemplation, utile dans sa prédication.
Urbain succéda au pape Calixte. De son temps, il
s'éleva une très grande persécution contre les chré-
tiens. Enfin Alexandre devint empereur et sa mère
Mammée avait été convertie au christianisme parOri-
gène. Ses prières vraiment maternelles obtinrent de
son fils qu'il cesserait de persécuter les fidèles. — Ce-
pendant Almachius, préfet de la ville, qui avait fait
trancher la tête à sainte Cécile, sévissait avec fureur
contre les chrétiens; il fit donc rechercher avec soin
* Tiré des Actes de sainte Cécité,
SAINT URBAIN 123
saint Urbain, par le moyen d'un de ses officiers nommé
Carpasius ; on le trouva dans un antre avec trois prê-
tres et trois diacres. Tous furent jetés en prison.
Almachius fit comparaître Urbain devant son tribu-
nal, et lui reprocha d'avoir séduit cinq mille hommes
avec la sacrilège Cécile et les illustres personnages
Tiburce et Valérien : il lui réclama aussi les trésors
de Cécile.
Urbain lui répondit : « Ainsi que je le vois, c'est
plutôt la cupidité qui te porte à sévir contre les saints
que l'honneur des dieux. Le trésor de Cécile est
monté au ciel par les mains des pauvres, » Comme
saint Urbain et ses compagnons étaient fouettés avec
des lanières garnies de plomb, Urijain se mit à invo-
quer le nom du Seigneur en disant Elijon *. Le pré-
fet souriant : « Ce vieillard, dit-il, veut passer pour
savant, voilà pourquoi il parle de manière à ne pou-
voir être compris. » Or, comme on ne pouvait pas
les vaincre, ils furent reconduits en prison, où saint
Urbain donna le baptême à trois tribuns qui vinrent
le trouver, et au geôlier Anolin. Le préfet ayant appris
que ce dernier était devenu chrétien, le fit amener à
son tribunal et comme il refusa de sacrifier, il fut dé-
capité.
Quant à saint Urbain il fut traîné devant une idole
avec ses compagnons et forcé de lui offrir de l'en-
cens : alors le saint se mit en prières et l'idole tomba
* D'après saint Isidore de Séville (liv. Vil, ch. i, des Elymo-
logie»), ce mot hébreu est un des noms de Dieu et signifie
élevé, grand, le Très-Haut,
126 LA LÉGENDE DOR^E
CQ tuant vingt-deux prêtres chargés d'entretenir le
feu. On déchira cruellement les chrétiens, et on les
conduisit ensuite pour sacrifier : mais ils crachèrent
sar ridole, firent sur leur front le signe de la croix
et après s'être donné l'un à l'autre le baiser de paix,
ils reçurent la couronne du martyre en ayant la
tête coupée, sous l'empire d'Alexandre, vers Tan du
Seigneur 220. Carpasiusfut saisi aussitôt par le malin
esprit, blasphéma ses dieux, et malgré lui, il fit un
grand éloge des chrétiens; enfin il fut suffoqué par le
démon. A cette vue, sa femme Arménie reçut le
baptême, avec sa fille Lucine et toute sa famille, des
mains du saint prêtre Fortunat. Après quoi elle ense-
velit les corps des martyrs avec honneur.
SAINTE PÉTRONILLE*
Pétronîlle, dont saint Marcel a écrit la vie, était la
fille de l'apôtre saint Pierre. Elle était d'une beauté
extraordinaire et elle souffrait de la fièvre par la vo-
lontédc son père; or, un jour que les disciples logeaient
chez saint Pierre, Tite lui dit : « Puisque vous gué-
rissez tous les infirmes, pourquoi laissez-vous Pétro-
nille souffrante ? » « C'est, répondit saint Pierre, que
cela lui vaut mieux : néanmoins, pour que l'on ne
puisse pas conclure de mes paroles qu'il est impossible
de la guérir, il lui dit: « Lève-toi promptement, Pé-
• Martyrologe d'Adon.
SAINTE PÉTRONILLE 127
troniIle,et sers-nous. » Elle fut guérie aussitôt, se leva
et les servit. Quand elle eut fini de les servir saint
Pierre lui dit : « Pétronille, retourne à ton lit. » Elle
y revint aussitôt et la fièvre la reprit comme aupara-
vant : mais dès qu'elle eut eu acquis la perfection
dans Famour de Dieu, il la guérit complètement. Le
comte Flaccus vint la trouver afin de la prendre pour
femme à cause de sa beauté. Pétronille lui dit donc :
<f Si tu désires m'avoir pour épouse, fais-moi venir
des vierges qui me conduisent jusqu'à ta maison. »
Comme il s'en occupait, Pétronille se livra au jeûne et
à la prière, reçut le corps du Seigneur, se coucha et
trois jours après elle rendit son âme à Dieu. Flaccus,
se voyant déçu, s'adressa à Félicula, compagne de
Pétronille, et lui intima ou de Tépouser ou de sacrifier
aux idoles.
Comme elle refusait de consentir à aucune de ces
deux propositions, le préfet la fit mettre en prison
où elle n'eut ni à manger ni à boire pendant sept
jours ; après quoi il la fit tourmenter sur le chevalet,
la tua et jeta son corps dans un cloaque. Cependant
saint Nicodème Ten retira et lui donna la sépulture.
En conséquence, le comte Flaccus fit appeler Nico-
dème et comme celui-ci refusait de sacrifier, il le battit
avec des cordes chargées de plomb. Son corps fut jeté
dans le Tibre; mais son clerc Juste l'en ôta et l'ense-
velit avec honneur.
128 LA LÉGENDE DOREE
SAINT PIERRE, EXORCISTE,
ET SAINT MARCELLIN *
Pendant que saint Pierre, exorciste, était détenu en
prison par Archémius, la fille de ce dernier était tour-
mentée par le démon et comme c'était, pour ce père,
un sujet toujours nouveau de désolation, saint Pierre
lui dit que s'il croyait en J.-r^., à Tinstant la santé
serait rendue à sa fille. Archémius lui dit: « Je m'é-
tonne que ton Sei|S^neur puisse délivrer ma fille, quand
il ne peut te délivrer, toi qu'il laisse souffrir pour lui
de si grands tourments, w Pierre lui répondit : « Mon
Dieu a le pouvoir de m'arracher à votre joug, mais il
veut, par une souffrance passagère, nous faire parvenir
à une gloire éternelle. » « Si, reprit Archémius, après
que j'aurai doublé tes chaînes, ton Dieu te délivre et
guérit ma fille, dès lors je croirai en J.-G. » Les
chaînes furent doublées : saint Pierre apparut à Ar-
chémius, revêtu d'habits blancs et tenant à la main
une croix. Alors Archémius se jeta à ses pieds et sa
fille fut guérie. 11 reçut le baptême lui et tous les gens
de sa maison ; il permit aux prisonniers de se retirer
libres, s'ils voulaient se faire chrétiens. Beaucoup
d'entre eux, ayant accepté la foi, furent baptisés par le
bienheureux prêtre Marcellin. A cette nouvelle, le pré-
fet donna ordre de lui amener tous les prisonniers ;
Archémius les réunit donc, leur baisa les mains et leur
* Le récit est tire prescjuc tcxtiicllcinont du Martyrologe
d'Adon, 2 juin.
SAINT PIERRE, EXORCISTE, ET SAINT MARCELLIN 129
dit que si quelqu'un d'eux voulait aller au martyre,
il vînt avec intrépidité ; que s'il y en avait un qui ne le
voulût pas, il se retirât sain et sauf. Or, le juge ayant
découvert que Marcellin et Pierre les avaient baptisés,
il les manda tous les deux à son tribunal, et les fit en-
fermer chacun dans une prison séparée. Pour Mar-
cellin, il fut étendu tout nu sur du verre cassé ; on lui
refusa l'eau et le feu ; quant à Pierre, il fut enfermé
dans un autre cachot fort profond où on le mit dans
des entraves très serrées. Mais un ange du Seigneur
vînt voir Marcellin, le délia, puis il le ramena avec
Pierre dans la maison d'Archémius, en donnant Tor-
dre à tous les deux d'encourager le peuple pendant
sept jours, et de se présenter ensuite devant le juge.
Celui-ci ne les ayant donc pas trouvés dans la pri-
son, manda Archémius et sur le refus de celui-ci de
sacrifier, il le fit étouffer sous terre avec sa femme.
Marcellin et saint Pierre en ayant eu connaissance,
vinrent en cet endroit, et sous la protection des chr«»-
tiens, saint Marcellin célébra la mosse sept jours de
suite dans cette même crypte. Alors les saints dirent
aux incrédules : « Vous voyez que nous aurions pu dé-
livrer Archémius et nous cacher ; mais nous n'avons
voulu faire ni Tun ni Tautre. » Les gentils irrités
tuèrent Archémius par le glaive; quant à sa femmr et
à sa fille ils les écrasèrent à coups de pierres. Ils me-
nèrent Marcellin et Pierre à la forêt noire (qu'on a
depuis appelée blanche à raison de leur martyre) où
ils les décapitèrent du temps de Dioclétien, l'an du
Seigneur 287. Le bourreau appelé Dorothéus vil des
anges qui portaient au ciel leurs âmes revêtues de vè-
II. 1) .
é
430 LA LÉGENDE DOREE
lements spleiidides et ornées de pierres précieuses. En
conséquence, Dorothée se fil chrétien et mourut en paix
quelque temps après.
SAINT PRIME ET SALNT FÉLICIEN *
Prime veut dire souverain et grand, Félicien, vieillard
comblé de félicite. Le premier est souverain ets^rand en dignité
pour les souffrances de son martyre, en puissance pour ses
miracles, en sainteté pour la perfection de sa vie, en félicité
pour la gloire dont il jouit. Lesecondest appelé vieillard, non
à cause du long temps qu'il a vécu, mais pour le respect
quMnspire sa dignité, pour la maturité de sa sagesse et pour
la gravité de ses mœurs.
Prime et Félicien furent accusés auprès de Dioclé-
tien et de Maximien par les prêtres des idoles qui pré-
tendirent ne pouvoir obtenir aucun bienfait des dieux,
si on ne forçait ces deux saints à sacrifier. Par l'ordre
donc des empereurs, ils furent emprisonnés. Mais un
anjje les vint visiter, délia leurs chaînes ; alors ils se
promenèrent librement dans leur prison où ils louaient
le Seig^neur à haute voix. Peu de temps après on les
amena de nouveau devant les empereurs; et là ayant
persisté avec fermeté dans la foi, ils furent déchirés à
coups de fouets, puis séparés l'un de l'autre. Le prési-
dent dit à Félicien de tenir compte de sa vieillesse et
d'immoler aux dieux. Félicien lui répondit: « Me voici
parvenu à Vdy^i!^ de 80 ans, et il y en a 30 que je con-
* Bn'viaire; — Marlt/rolof/e d*Adon,
SAINT PRIME ET SAINT FELICIEN 131
liais la vérité et que j'ai choisi de vivre pour Dieu : ii
peut me délivrer de tes mains. » Alors le président
commanda de le lier et de l'attacher avec des clous
par les mains et par les pieds : « Tu resteras ainsi, lui
dît-il, jusqu'à ce que tu consentes à nous obéir. »
Comme le visaçe du martyr était toujours joyeux, le
président ordonna qu'on le torturât sur place et qu'on
ne lui sentît aucun aliment. Après cela, il se fit amener
saint Prime, et lui dit : « Eh bien ! ton frère a consenti
à obéir aux décrets des empereurs, en conséquence, il
est vénéré comme un i^and personnage dans un pa-
lais : fais donc comme lui. » « Quoique tu sois le fils
du Diable, répondit Prime, tu as dit la vérité en un
point, quand tu avançais que mon frère avait consenti
à exécuter les ordres de l'empereur du ciel. » Aussitôt
le président en colère lui fit briller les cotés et verser
du plomb fondu dans la bouche, sous les yeux de Fé-
licien, afin que la terreur s'emparât de ce dernier :
mais Prime but le plomb avec autant de plaisir que
de Veau fraîche. Le président irrité fit alors lâcher
deux lions contre eux, mais ces animaux vinrent se
jeter aussitôt à leurs pieds, et restèrent à côté d'eux
rx>mme desaçneaux pleins de douceur. 11 lâche encore
deux ours cruels qui deviennent doux comme les lions.
Il y avait plus de douze mille hommes qui assistaient
à ce spectacle. Cinq cents d'entre eux crurent au Sei-
g^neur. Le président fit alors décapiter les deux mar-
tyrs et jeter leurs corps aux chiens et aux oiseaux de
proie qui les laissèrent intacts. Les chrétiens leur don-
nèrent alors une honorable sépulture. Ils souffrirent
vers Tan du Seiçneur 287.
132 LA LÉGENDE DORÉS
SAINT BARNABE, APOTRE
Barnabe veut dire fils de celui qui vient, ou bien fils de
consolation, ou fils de prophète, ou fils qui enserre. Quatre
fois il a le titre de fils pour quatre sortes de filiation. L'écri-
ture donne ce nom de fils, en raison de la génération, de
rinstruction, de l'imitation, et de l'adoption. Or, il fut régé-
néré par J.-C. dans le baptême, il fut instruit dans l'évangile,
il imita le Seigneur par son martyre, et il en fut adopté par
la récompense céleste. Voilà pour ce qui le regarde lui-même.
Voici maintenant ce qui le concerne quant aux autres : il
fut arrivant, consolant, prophétisant et enserrant. Il fut arri-
vant, parce qu'il alla prêcher partout : ceci est clair, puisqu'il
fut le compagnon de saint Paul. Il consola les pauvres et les
affligés, les premiers en leur portant des aumônes, les second»
en leur adressant des lettres de la part des apôtres : Il pro-
phétisa puisqu'il fut illustre en annonçant les choses à venir;
il fut enserrant, c'est-à-dire qu'il réunit et rassembla dans la
foi une multitude de personnes; la preuve en est dans sa mis-
sion à Antioche. Ces quatre qualités sont indiquées dans le
livre des Actes (ii). C'était un homme y mais un homme de cou-
rage, ce qui a trait à la première qualité, bon^ c'est pour la
seconde, plein du Saint-Esprit, voilà pour la troisième, ei fidèle
ou plein de foi^ ceci regarde la quatrième ({ualité. Jean le même
que Marc son cousin compila son martyre. Il en est question
principalement à partir de la vision de ce Jean, jusque vers
la fin. On pense que Bède le traduisit du grec en latin *.
Saint Barnabe, lévite originaire de Chypre, l'un des
72 disciples du Seigneur, est souvent mentionné avec
de grands éloges dans l'histoire des Actes. II fut admi-
rablement formé et disposé en ce qui le regardait per-
'^ Bède est ici cité à tort, on ne trouve dans le Vénérable
rien de cette traduction.
SAINT BARNABE, APOTRE 133
sunnellement, par rapport à Dieu et par rapport au
prochain.
I. Pour ce qui était de lui, il était bien organisé
dans ses trois puissances, la rationnelle, la concupis-
cîble et l'irascible; 1° sa puissance rationnelle était
éclairée par la lumière de la connaissance : c'est pour
c«Ia qu'il est dit dans les Actes : a II y avait, dans
Véglise qui était à Anlioche, des prophètes et des doc-
leurs, entre lesquels étaient Barnabe, Simon, etc. »
(xiii) ; 2* sa puissance concupiscible était dégagée de
la poussière des affections mondaines : car il est dit
aux Actes (iv) que Joseph surnommé Barnabe vendit
uii fonds de terre qu'il possédait : il en apporta le prix
et le mit aux pieds des apôtres : c'est ici que la glose
ajoute : il donne une preuve qu'il faut se dépouiller
de ce à quoi il évite de toucher, et il enseigne à fouler
un or qu'il métaux pieds des apôtres ; 3" sa puissance
irascible était appuyée sur une grande probité, soit
qu*il entreprît avec ardeur des choses difficiles, soit
<|U*il mît de la persévérance dans des actes de courage,
suit qu'il fût constant à soutenir l'adversité. Il entre-
prit avec ardeur des choses difficiles, cela est évident
par ses travaux pour convertir cette immense cité d'An-
lioche, comme il est écrit au ix** chapitre des Actes :
eu effet saint Paul, après sa conversion, voulut venir
à Jérusalem et se joindre aux disciples ; et quand tout
le monde le fuyait comme les agneaux font du louj),
I^arnabé fut assez audacieux pour le prendre et le
mener aux apôtres. Il mit de la persévérance dans ses
actes de courage, en macérant son corps et er) le rédui-
sant par les jeûnes : aussi est-il dit aux Actes (xiri)
H. 9-
134 LA LÉGENDE DOREE
de Barnabe el de quelques autres : « Pendant qu'ils
rendaient leur culte au Seigneur et qu'ils jeûnaient,
le Saint-Esprit leur dit : Séparez-moi Paul et Barnabe
pour l'œuvre à laquelle je les ai destinés. » Il fut cons-
tant à soutenir l'adversité d'après le témoignage que
lui en rendent les apôtres en disant (Actes, xv) : « Nous
avons jugé à propos de vous envoyer des personnes
choisies, avec nos très chers Barnabe et Paul, hommes
qui ont exposé leur vie pcTur le nom de N.-S. J.-C, »
II. Il fut bien formé par rapport à Dieu. II déférait
à son autorité, comme aussi à sa majesté et à sa bonté.
1® Il déférait à l'autorité de Dieu, puisqu'il ne prit pas
de son chef la charge de la prédication, mais qu'il vou-
lut la recevoir de l'autorité divine, comme il est rap-
porté aux Actes (xiii). Le Saint-Esprit dit : « Séparez-
moi Paul et Barnabe pour l'œuvre à laquelle je les ai
destinés. » 2^ Il déférait à sa majesté. On lit en effet
au xiv« ch. des Actes que certaines personnes vou-
laient le traiter comme une majesté divine et lui immo-
ler des victimes comme on fait à Dieu, en l'appelant
Jupiter, parce qu'il paraissait le plus recommandable,
et en donnant à Paul le nom de Mercure, en raison
de sa prudence et de son éloquence ; aussitôt Bar-
nabe et Paul déchirèrent leurs vêlements et s'écrièrent :
« Mes amis, que voulez-vous faire? Nous sommes des
hommes mortels comme vous, qui vous annonçons de
quitter ces vaines idoles, pour vous convertir au Dieu
vivant. » V 11 déférait à la bonté de Dieu. En effet on
trouve dans les Actes (xv) que quelques-uns des Juifs
convertis voulaient rélrécir et diminuer la bonté de
la grAco de Dieu, bonté ([ui nous sauve gratuitement
SAINT BARNAB£y APOTRR i3i>
indépendamment de la loi, avançant que la grâce sans
la circoncision était tout à fait insuffisante ; Paul et
Barnabe leur résistèrent avec force, en montrant que
la bonté seule de Dieu suffisait sans les pratiques com-
mandées par la loi : en outre ils portèrent la question
au tribunal des apôtres dont ils obtinrent des lettres
qui proscrivaient ces erreurs.
III. Il fut admirablement disposé par rapport au
prochain, puisqu'il nourrit son troupeau par sa parole,
par son exemple et par ses bienfaits. 1^ Par sa parole,
en évangélisant avec grand soin la parole de Dieu. En
effet les Actes disent (xv) : « Paul et Barnabe demeu-
rèrent à Ântioche, où ils enseignaient et annonçaient
avec plusieurs autres la parole du Seigneur. » Ce qui
est évident encore par cette foule immense qu'il con-
vertit à Antioche ; de sorte que ce fut là que les dis-
ciples commencèrent à être appelés chrétiens. 2** Par
son exemple, puisque sa vie fut pour tous un miroir
de sainteté et un modèle de religion. Dans toutes ses
actions, en effet, il fut homme de cœur et religieux,
intrépide, distingué par la douceur de ses mœurs, tout
rempli de la grâce du Saint-Esprit et illustre en toutes
sortes de vertus et en foi. Ces quatre qualités sont
énumérées dans ces paroles des Actes (xv) : « Ils en-
voyèrent Barnabe à Antioche » ; et ailleurs (xi) : « Il
les exhortait tous à demeurer dans le service du Sei-
gneur avec un cœur ferme ; parce que c'était un homme
bon, rempli de l'Esprit-Saint et de foi. » 3® Par ses
bienfaits. Or, il y a deux sortes de bienfaits, deux au-
mônes, d'abord, la temporelle qui consiste à donner
le nécessaire, ensuite la spirituelle qui consiste à par-
136 LA LÉGENDE DORKB
donner les injures. Barnabe pratiquait la première
quand il porta Taumône aux frères qui étaient à Jéru-
silem, d'après le xi« ch. des Actes : « Une grande
famine, selon que l'avait prédit Agabus, étant survenue
sous le règ^ne de Claude, les disciples résolurent d'en-
voyer, chacun selon son pouvoir, quelques aumônes
aux frères qui demeuraient en Judée. Ils le firent en
effet, les adressant aux anciens, par les mains de Bar-
nabé et de Paul. » 11 pratiquait la seconde, puisqu'il
pardonna l'injure que lui avait faite Jean surnommé
Marc. Comme ce disciple avait quitté Barnabe et Paul,
Barnabe ne laissa pas cependant que d'être indulgent
pour lui, quand il revint avec repentir, et de le repren-
dre pour disciple. Paul ne le voulut pas recevoir, de
là le sujet de leur séparation. En cela l'un et Taulre
agissaient par des motifs et des intentions louables.
Barnabe, en le reprenant, par douceur et miséricorde ;
Paul ne le reçut pas par amour de la droiture. C'est
pour cela que la glose dit à ce propos (Actes, x v) : « Jean
avait résisté en face, tout en se montrant trop timide,
alors Paul eut raison de l'éloigner de peur que la con-
tagion du mauvais exemple de Jean ne corrompît la
vertu des autres. » Cette séparation ne se fit pas par
un emportement coupable, mais par l'inspiration du
Saint-Esprit qui les faisait s'éloigner afin qu'ils pré-
chassent à plus de monde ; et c'est ce qui arriva.
Car comme Barnabe était dans la ville d'Icône,
Jean, son cousin, dont on vient de parler, eut une
vision dans laquelle apparut un homme éclatant qui
hii dit : « Jean, aie de la constance, car bientôt ce
ne sera plus Jean, mais Elevé (excelsus).que tu seras
SAINT BARNABE, APOTRE 137
appelé. » Barnabe, informé de ce prodige par son cou-
sin, lui dit : « Garde-loi bien de révéler à personne
ce que tu as vu ; car le Seigneur m'a apparu aussi
cette nuit en me disant : a Barnabe, aie de la cons-
« tance, car tu recevras les récompenses élernelles,
« pour avoir quitté ton pays, et avoir livré ta vie pour
« mon nom. » Lors donc que Paul et Barnabe eurent
prêché pendant long-temps à Antioche, un ange du
Seigneur apparut aussi à Paul et lui dit : « Ilâte-toi
d*aller à Jérusalem, car quelqu'un des frères y attend
Ion arrivée. » Or, Barnabe voulant aller en Chypre
pour y visiter ses parents, et Paul se hâtant d*aller à
Jérusalem, ils se séparèrent par l'inspiration du Saint-
Esprit. Alors Paul communiqua à Barnabe ce que
Fange lui avait dit. Barnabe lui répondit : « Que la
volonté du Seigneur soit faite ; je vais aller en Chypre,
j'y finirai ma vie et je ne te verrai plus désormais. »
Et comme il se jetait humblement aux pieds de Paul
en pleurant, celui-ci, touché de compassion, lui dit :
« Ne pleurez pas; puisque c'est la volonté du Sei-
gneur; il m'est aussi apparu cette nuit et m'a dit:
« N'empêche pas Barnabe d'aller en Chypre ; car il y
éclairera beaucoup de monde et il y consommera son
« martyre, j» En allant donc en Chypre avec Jean, Bar-
u nabé porta avec lui FEvangile de saint Mathieu ; il le
posait sur les malades, et il en guérit beaucoup par
la puissance de Dieu. Sortis de Chypre, ils trou-
vèrent Elymas, le magicien que saint Paul avait privé
de la vue pour un certain temps : il leur fit de Top-
position et les empêcha d'entrer à Paphos. Un jour
Barnabe vil des hommes et des femmes nus qui cou-
i38 LA LÉGENDE DORÉE
raient ainsi pour célébrer leurs fêtes. Il en fut rempli
(l*indignation ; il maudit le temple, et à Tinstant il
s'en écroula une partie qui écrasa beaucoup d'infi-
dèles.
Enfin il vint à Salamine : ce fut là que le magicien
Elymas, dont on vient de parler, excita contre lui
une grande sédition. Les Juifs se saisirent donc de
Barnabe qu'ils accablèrent de nombreuses injures ;
ils le traînèrent en toute hâte au juge de la ville pour
le faire punir.
Mais quand les Juifs apprirent qu'Eusèbe, per-
sonnage important et fort puissant, de la famille
de Néron, était arrivé à Salamine, ils craignirent
qu'il ne leur arrachât des mains le saint apôtre,
et ne le laissât aller en liberté : alors ils lui lièrent
une corde au cou, le traînèrent hors de la porte
de la ville où ils se hâtèrent de le brûler. Enfin ces
Juifs impies, n'étant pas encore rassasiés de celte
cruauté, renfermèrent ses os dans un vase de plomb,
pour les jeter dans la mer: mais Jean, son disciple,
avec deux autres chrétiens, se leva durant la nuit, les
prit et les ensevelit en secret dans une crypte où ils
restèrent cachés, au rapport de Sigebert, jusqu'au
temps de l'empereur Zenon et du pape Gélase, en
l'année 500, qu'ils furent découverts par une révéla-
tion du saint lui-même. Le bienheureux Dorothée dit
que Barnabe prêcha d'abord J.-C. à Rome, et fut
évêque de Milan.
SAINT VITUS ET SAINT MODESTE 139
SAINT VITUS ET SAINT MODESTE*
Vitus est ainsi Domnié de rt> : or, saint Augustin dans son
livre de la Cité de Dieu** distingue trois genres de vie, savoir
une vie d'action, ce qui se rapporte à la vie active ; une vie de
loisir, ce qui se rapporte au loisir spirituel de la vie contem-
plative, et une troisième, composée des deux autres. Et ces
trois genres de vie résidèrent en saint Vitus. Ou bien Vilus
vient de vertu, vertueux.
Modeste, qui se tient dans un milieu, savoir, le milieu do la
vertu. Chaque vertu tient le milieu entre deux vices qui Tcn-
tourent comme deux extrêmes. Car la prudence a pourextrénics
la ruse et la sottise; les extrêmes de la tempérance sont Tac-
co m plissement des désirs de la chair et toute espèce d'afflic-
tion qu'on s'impose ; les extrêmes de la grandeur d'âme sont
la pusillanimité et la témérité ; la justice a pour extrêmes la
cruauté et l'indulgence.
Vitus, enfant distingué et fidèle, souffrit le martyre
en Sicile, à l'âge de douze ans. Il était souvent frappé
par son père pour mépriser les idoles et pour ne vouloir
pas les adorer. Le président Valérien, informé de cela,
fit venir Tenfant qu'il fit battre de verges, parce qu'il
refusait de sacrifier aux idoles. Mais aussitôt les bras
des bourreaux et la main du préfet se séchèrent. Et
ce dernier s'écria : « Malheur à moi ! car j'ai perdu
Tusage de ma main. » Vitus lui dit : « Que tes dieux
viennent te guérir, s'ils le peuvent. » Valérien lui ré-
pondit : « Est-ce que tu ne le pourrais pas ? » « Je le
puis, reprit Vitus, au nom de mon Seigneur. » Alors
* Martyrologe d'Adon.
Lib. XIX, II, 19.
i40 LA LKGKNDK DOREE
Teiifant se mil en prières et aussitôt le préfet fut
guéri. Et celui-ci dit au père : « Corrige ton enfant, de
peur qu'il ne périsse misérablement. » Alors le père
ramena son enfant chez soi, et s'efforça de changer
son cœur par la musique, par les jeux avec des jeunes
filles et par toutes sortes de plaisirs. Or, comme il
l'avait enfermé dans une chambre, il en sortit un par-
fum d'une odeur admirable qui embauma son père et
toute sa famille. Alors le père, regardant par la porte,
vit sept anges debout autour de l'enfant : « Les dieux,
dit-il, sont venus dans ma maison », aussitôt il fut
frappé de cécité. Aux cris qu'il poussa, toute la ville
de Lucana fut en émoi, au point que Valérien accou-
rut et demanda au père de Vitus quel malheur lui
était survenu. « J'ai vu, lui répondit-il, des dieux de
feu, et je n'ai pu supporter Téclat de leur visage. »
Alors on le conduit au temple de Jupiter, et pour re-
couvrer la vue il promet un taureau avec des cornes
dorées: mais comme il n'obtenaft rien, il pria son fils
de le guérir ; et par ses prières, il recouvra la vue. Or,
cette merveille elle-même ne lui ouvrait pas les yeux
à la foi, mais au contraire il pensait à tuer son fils; un
ange du Seigneur apparut alors à Modeste, son pré-
cepteur, et lui ordonna de monter à bord d'un navire
pour conduire l'enfant dans un pays étranger. II le fit ;
un aigle leur apportait là leur nourriture, et ils opé-
raient beaucoup de miracles. Sur ces entrefaites, le fils
<le l'empereur Dioclélien est saisi par le démon qui
déclare ne point sortir si Vitus de Lucana ne vient. On
cherche Vitus, et quand on Teul trouvé, on le mène à
rcmpereur. Dioclélien lui dit : a Enfant, peux-tu gué-
SAINT VITUS ET SAINT MODESTE 141
rir mon fils ? » « Ce n'est pas moi, dit Vitus, mais le
Seigneur. » Alors il impose les mains sur le possédé
et à rinstant le démon s*enfuil. Et Dioctétien lui dit :
<r Enfant, veille à tes intérêts et sacrifie aux dieux ,
pour ne pas mourir de malemort. » Comme Vitus
refusait de le faire, il fut jeté en prison avec Modeste.
Les fers dont on les avait garrottés tombèrent et le
cachot fut éclairé par une immense lumière : cela fut
rapporté à l'empereur, qui fit sortir et jeter le saint
dans une fournaise ardente, mais il s'en retira intact.
Alors on lâche, pour le dévorer, un lion furieux, qui fut
adouci par la foi de l'enfant. Enfin on l'attacha sur le
chevalet avec Modeste et Crescence, sa nourrice, qui
Tavait constamment suivi. Mais soudain l'air se trou-
ble, la terre tremble, les tonnerres grondent, les tem-
ples des idoles s'écroulent et écrasent beaucoup de
personnes ; l'empereur lui-même est effrayé; il fuit en
se frappant avec les poings et dit : « Malheur à moi !
puisque je suis vaincu par un seul enfant. » Quant aux
martyrs, un ange les délia aussitôt, et ils se trouvèrent
sur les bords d'un fleuve, où après s'être arrêtés quel-
que temps et avoir prié, ils rendirent leur âme au Sei-
gneur.
Leurs corps gardés par des aigles furent trouvés
par une illustre matrone nommée Florence à laquelle
saint Vitus en fit la révélation. Elle les prit et les en-
sevelit avec honneur. Ils souffrirent sous Dioclétien
qui commença à régner vers l'an du Seigneur 287.
142 LA LÉGENDE DORÉE
SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MÈRE •
Cyr, ou Quiricc, quèranl un arc ; il vient aussi de chisil, cou-
raa;e,ct cm*, noir, ce qui équivaut «^ courageux par vertu et noir
|>ar humiliation. Quiris veut aussi dire hache; quiriles, siège ;
en effet Quirice fut un arc, c'est-à-dire courbé par humiliation,
il fut fort dans les tourments qu'il endura ; il fut noir par le
mépris de lui-ménic; ce fut une hache dans son combat avec
Tennemi : il fut le siège de Dieu parce que Dieu habitait en
lui : caria grâce suppléa en lui à ce que Tàge lui déniait. Ju-
litte vient de jucans vita^ parce qu'elle vécut d'une vie spiri-
tuelle, et qu'ainsi elle fut utile à beaucoup de monde.
(Juirice était fils de Julitte, très illustre matrone
d'Icoiie. La persécution qu'elle voulut éviter la força
à venir à Tarse en Cilicie, avec sonfils,Quirice, âgéde
trois ans. Cependant on la fit comparaftre portant son
enfant dans ses bras, devant le président Alexandre.
Deux de ses femmes qui virent cela s'enfuirent aussitôt
et Tabandonnèrent. Le président prit donc l'enfant
dans ses bras, et fit cruellement frapper à coups de
nerfs la mère qui ne voulut pas sacrifier aux idoles.
Or, renfant,en voyant frapper sa mère, pleurait amère-
ment et poussait des cris lamentables. Mais le prési-
dent prenait le jeune Quirice tantôt entre ses bras,
tantôt sur ses jçenoux, le calmait par ses baisers et par
ses caresses, et Tenfanl, les yeux tournés sur sa mère,
repoussait avec horreur les embrassements du jug-e,
détournait la tète avec indignation et lui déchirait le
* Philippe (le llarvciiq, abbc de Honne-Espcrancc, a écrit la
passion de ces deux saints martyrs.
SAINT CYR ET SAINTE JULITTE, SA MERE 143
visage avec ses petits ongles; il semblait parler et dire
comme sa mère : « Et moi aussi, je suis chrélien. »
Enfin après s'être débattu longtemps, il mordit le pré-
sident à Tépaule. Celui-ci indigné et tourmenté par la
douleur jeta du haut en bas IVnfant sur les degrés du
tribunal qui fut couvert de sa petite cervelle ; alors
Julitle, joyeuse de voir son fils la précéder au royaume
du ciel, rendit des actions de grâces à Dieu. Elle fut
ensuite condamnée à cire écorchée, puis arrosée de
poix bouillante et enfin à avoir la tète tranchée. On
trouve cependant dans une légende que Quirice,nese
souciant pas des caresses ou des menaces du tyran,
confessait qu'il était chrétien. A l'âge qu'il avait, ce
petit enfant ne pouvait pas encore parler, mais c'était
l'Esprit-Saint qui parlait en lui. Comme le président
lui demandait qui l'avait instruit, il dit: « Président,
j^admire ta sottise ; tu vois combien je suis jeune, et lu
demandes à un enfant de trois ans quel est celui qui
lui a enseigné la sagesse divine? » Pendant qu'on le
frappait, il criait: « Je suis chrétien » ; et à chaque
cri, il recevait des forces pour supporter les lourmenls.
Alors le président fit couper par morceaux la mère et
l'enfant, et de peur que les chrétiens ne donnassent la
sépulture à ces tronçons, il ordonna qu'on les jetât
çà et là. Cependant un ange les recueillit et les chré-
tiens les ensevelirent pendant la nuit. Les corps de ces
martyrs furent découverts, du temps de Constantin le
(irand,par une des femmesde Julitle qui avait survécu
à sa maîtresse ; et tout le peuple les a en grande véné-
ration. Ils soulfrirenl vers l'an du Sei«^neur 230, sous
l'empereur Alexandre.
144 LA LÉGZNDE DOHKE
SAINTE MARINE, VIERGE
0(J PLUTOT SAINTE MARIE, VIERGE*
Marie était fille unique. Son père, étant entré dans
un monastère, changea sa fille d'habits afin qu'elle
passât pour un homme et qu'on ne s'aperçût pas
qu'elle fiU une femme, ensuite il pria l'abbé et les frè-
res de vouloir bien recevoir son fils unique. On se
rendit à ses prières. 11 fut reçu moine et appelé par
tous frère Marin. Elle pratiqua la vie religieuse avec
beaucoup de piété, et son obéissance était fort grande.
Comme son père se sentait près de mourir, il appela
sa fille (el\e avait vingt-sept ans), et après l'avoir af-
fermie dans sa résolution, il lui défendit de révéler
jamais son sexe à personne. Marin allait donc souvent
avec le chariot et les bœufs pour amener du bois au
monastère. 11 avait coutume de loger chez un homme
dont la fille était enceinte du fait d'un soldat. Aux
interrogations qu'on lui adressa, celle-ci répondit que
c'était le moine Marin qui lui avaitfait violence. Marin,
interrogé comment il avait commis un si grand crime,
avoua qu'il était coupable et demanda grâce. On le
chassa aussitôt du monastère, où il resta trois ans à
la porte en se sustentant d'une bouchée de pain. Peu
de temps après, l'enfant sevré fut amené à l'abbé. On
* L'édition princeps met, el avec raison, sainte Marie,
parce que c'était le nom qu'elle portait avant d'entrer dans le
monastère où son père la Ht recevoir sous le nom de Marin.
Cf. Vies des pères du désert^ traduites par Arnaud d'Andilly.
SAINT GRRVAIS ET SAINT PHOTATS 145
le donna à élever à Marin, et il resta deux ansavec lui
dans le mênne lieu. Marin acceptait ces épreuves avec
la plus jurande patience et en toutes choses il rendait
çrâces à Dieu. Enfin les frères, pleins de compassion
pour son humilité et sa patience, le reçoivent dans le
monastère, et le chargent des fonctions les plus viles :
mais il s'acquittait de tout avec joie, et chaque chose
était faite par lui avec patience et dévouement. Enfin
après avoir passé sa vie dans les bonnes œuvres, il tré-
passa dans le Seiçneur. Comme on lavait son corps et
qu'on se disposait à l'ensevelir dans un endroit peu
honorable, on remarqua que c'était réellement une
femme. Tous furent stupéfaits et effrayés, et on avoua
avoir manqué étrangement à l'égard delà ser\'anle de
Dieu. Tout le monde accourt à un speclarle si ex-
traordinaire, et on demande pardon de l'ignorance et
du péché qu'on a commis. Son corps fut donc déposé
dans l'église avec honneur. Quant à celle qui avait
déshonoré la servante de Dieu, elle est saisie par le
démon : alors elle confesse son crime et elle est déli-
vrée au tombeau de la vierge. On vient de tontes parts
à cette tombe et il s'y opère un grand nombre de mi-
racles. Elle mourut le 14 des calendes de juillet (18
juin).
SAINT GERVAIS ET SAINT PKOTAIS
(jcrvaistCiervasius) vienl de fjérar,i\u'i veut dire sacré el tic
ras^ vase, ou bien de gêna, ctraiiiçer el st/or, pelil. Comme si
Ton voulait dire qu'il fui sacré par le mérite de sa vie, vase
n. 10
146 LA LÉGENDE DOREE
parce qu'il contint toutes les vertus, étranger parce qu'il mé-
prisa le monde et petit parce qu'il se méprisa lui-même.
Protais (Protasius) vient deprothos, premier et syos, Dieu, ou
divin ; ou bien de pocul et stasis, qui se tient loin. Comme si
Ton voulait dire qu'il fut le premier par sa dignité, divin par
son amour, et éloigné des affections du monde. Saint Am-
broise trouva l'histoire de leur martyre dans un écrit placé
auprès de leur tète.
Gervais et Protais, frères jumeaux, étaient les en-
fants de saint Vital et de la bienheureuse Valérie.
Après avoir donné tous leurs biens aux pauvres, ils
demeurèrent avec saint Nazaire, qui construisait un
oratoire à Embrun, et un enfant appelé Celse lui ap-
portait les pierres (c'est anticiper sur les faits de dire
que saint Nazaire avait Celse à son service, car d'après
rhistoire du premier, ce fut longtemps après que Celse
lui fut offert). Or, commeon les conduisait tous ensem-
ble à Tempereur Néron, le jeune Celse les suivait en
poussant des cris lamentables : un des soldats ayant
donné des soufflets à l'enfant, Nazaire lui en fit des
reproches, mais les soldats irrités frappèrent Nazaire
à coups de pied, renfermèrent en prison avec les au-
tres et ensuite le précipitèrent dans la mer : ils menè-
rent à Milan (lervais et Protais. Quant à Nazaire, qui
avait été sauvé miraculeusement, il vint aussi dans
cette ville. Au même temps, survint Astase, général
d'armée qui partait pour faire la guerre aux Marco-
mans. Les idolâtres allèrent à sa rencontre et lui as-
surèrent que les dieux se garderaient de rendre leurs
oracles si Gervais et Prolais ne leur offraient d'abord
des sacrifices. On s'empare alors des deux frères et on
les invite à sacrifier. Comme Gervais disait à Astase
SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS 147
que toutes les idoles étaient sourdes et muettes, et que
le Dieu tout-puissant était seul capable de lui faire
remporter la victoire, le comte le fit frapper avec des
fouets garnis de plomb jusqu'à ce qu'il eût rendu Fes-
pril. Ensuite il fit comparaître Protais et lui dit : « Mi-
sérable, songe à vivre et ne cours pas, comme ton frère,
à une mort violente. » Protais reprit : « Quel est ici
le misérable? Est-ce moi qui ne te crains point, ou bien
toi qui donnes des preuves que tu me crains? » Astase
lui dit*: a Comment, misérable, ce serait moi qui le
craindrais, et comment? » « Tu prouves que tu crains
quelque dommage de ma part, reprit Protais, si je ne
sacrifie pas à tes dieux, car si tu ne craignais aucun
préjudice, jamais tu ne me forcerais à sacrifier aux
idoles. » Alors le général le fit suspendre au chevalet.
«Je ne m'irrite pas contre toi, général, lui dit Protais ;
je sais que les yeux de ton cœur sont aveuglés ; bien
au contraire, j'ai pitié de toi, car tu ne sais ce que tu
fais. » Achève ce que tu as commencé, afin que la bé-
nignité du Sauveur daigne m'accueillir avec mon frère.
Astase ordonna alors de lui trancher la tele. Un servi-
teur de J.-C. nommé Philippe, avec son fils, s'empara
de leurs corps qu'il ensevelit en secret en sa maison,
sous une voûte de pierre ; et il plaça à leur tète un
écrit contenant le récit de leur naissance, de leur vie
et de leur martyre. Ce fut sous Néron qu'ils souffrirent,,
vers l'an du Seigneur 37. Longtemps leurs corps res-
tèrent cachés, mais ils furent découverts au temps de
.saint Ambroise de la manière suivante : Saint Ambroise
était en oraison dans l'église des saints Nabor et Félix ;,
il n'était ni tout à fait éveillé, ni entièrement endormi,
148 LA LÉGENDE DOREE
lorsque lui apparurent deux jeunes gens de la plus
grande beauté, couverts de vêtements blancs composés
d'une tunique et d'un manteau, chaussés de petites
bottines, et priant avec lui les mains étendues* Saint
Ambroise pria, afin que si c'était une illusion, elle ne
se reproduisît plus, mais que si c'était une réalité, il
eût une seconde révélation. Les jeunes gens lui appa-
rurent de la même manière à l'heure du chant du coq,
et prièrent encore avec lui ; mais la troisième nuit, saint
Ambroise, étant tout éveillé (son corps était fatigué
par les jeûnes) fut saisi de voir apparaître une troi^
sième personne qui lui semblait être saint Paul, d'a-
près les portraits qu'il en avait vus. Les deux jeunes
gens se turent et l'apôtre dit à saint Ambroise: «Voici
ceux qui, suivant mes avis, n'ont désiré rien des cho-
ses terrestres; tu trouveras leurs corps dans le lieu où
tu es en ce moment ; à douze pieds de profondeur,
tu rencontreras une voûte recouverte de terre, et au-
près de leur tète un petit volume contenant le récit de
leur naissance et de leur mort. » Saint Ambroise con-
voqua donc ses frères, les évèques voisins ; il se mit le
premier à creuser la terre, et trouva le tout comme
lui avait dit saint Paul ; et bien que plus de trois cents
ans se fussent écoulés, les corps des saints furent dé-
couverts dans le même état que s'ils venaient d'être
ensevelis à l'heure même. Une odeur merveilleuse et
extraordiiiairement suave émanait du tombeau.
Or, un aveu^'^le, en touchant le cercueil des saints
martyrs, recouvra la vue, et beaucoup d'autres furent
guéris parleurs mérites. On célébrait cette solennité
iMi riioinieur des saints Martyrs quand* fut rétablie la
SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS 149
paix entre les Lombards et l'empire romain. Et c'est
pour cela que le pape saint Grégoire institua de chan-
ter pour introït de la messe ces paroles : Loquetuv DO"
minus pacem in plebem suam *. En outre les diffé-
rentes parties de i office en l'honneur de ces saints se
rapportent tantôt à eux, tantôt aux événements qui
survinrent à cette époque. Saint Augustin raconte, au
XX* livre de la Cité de DieUy qu'un aveugle recouvra
à Milan l'usage de la vue auprès des corps des saints
martyrs Gervais et Protais, et cela en sa présence,
devant Tempereur et une grande foule de peuple.
Estp<;e l'aveugle dont il a été question plus haut, est-ce
un autre, on l'ignore. Le même saint raconte encore,
dans le même ouvrage, qu'un jeune homme lavant un
cheval dans une rivière près de la villa Victorienne,
distante de trente milles d'Ilippone, aussitôt le diable
le tourmenta et le renversa comme mort dans le
fleuve. Or, pendant qu'on chantait les vêpres dans l'é-
glise dédiée sous l'invocation des saints Gervais et
Protais, église qui était près du fleuve, ce jeune homme,
comme frappé par l'éclat des voix qui chantaient, en-
tra dans un grand état d'agitation en l'église oii il
saisit l'autel, sans pouvoir s'en éloigner ; en sorte qu'il
paraissait y avoir été lié. Quand on fit des exorcismes
pour faire sortir le démon, celui-ci menaça de lui cou-
per les membres, en s'en allant. Après l'exorcisme le
liémon sortit, mais l'œil du jeune homme restait sus-
pendu par un petit vaisseau sur la joue. On le remit
* Ce sont encore le» paroles du Missel Roiiitiin à l'introït de
la messe de ces saints.
II. 10-
130 LA LÉGENDE DOREE
comme on put en sa place, et peu de jours après l'œil
fut guéri par les mérites de saint Gervais et de saint
Prolais. Saint Ambroise s'exprime ainsi dans la Pré-
face de ces saints : « Voici ceux qui, envolés sous le
drapeau du ciel, ont pris les armes victorieuses dont
parle Tapôtre : dégagés des liens qui les attachaient
au monde, ils vainquirent l'infernal ennemi avec ses
vices, poursuivre libres et tranquilles le Seigneur J.-C.
Oh ! les heureux frères, qui en s'attachant à la pratique
des paroles sacrées, ne purent être souillés par aucune
contagion ! Oh ! le glorieux motif pour lequel ils com-
battirent, ceux que le même sein maternel a mis au
monde, reçoivent tous les deux une couronne sembla-
ble. »
LA NATIVITE DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Saint Jean-Baptiste a beaucoup de noms : en effet il
est appelé prophète, ami de l'époux, lumière, ange,
voix, Hélie, Baptiste du Sauveur, héraut du juge et
précurseur du roi. Le nom de prophète indique le
privilège des connaissances; celui d'ami de l'époux, le
privilège de l'amour; celui de lumière ardente, le pri-
vilège de la sainteté; celui d'ange, le privilège delà
virginité; celui de voix, le privilège del'humililé; celui
d'Elie, le privilège de la ferveur ; celui de Baptiste,
le privilège d'un honneur merveilleux ; celui de héraut,
le privilège de la prédication ; celui de précurseur, le
privilè;5e de la préparation.
La naissance de saint Jean-Baplistefut ainsi annon-
LA NATIVITÉ DE SAINT JE.VN-BAPTÏSTE 151
cée par Tarchange. « Le roi David, d'après VHisioire
scliolaslique *j voulant donner plus d'extension au
culte de Dieu, institua vingt-quatre grands prêtres,
dont un seul supérieur aux autres était appelé le Prince
des Prêtres. II en établit seize de la lignée d'Eléazar et
huit de celle d'itliamar, et il donna par le sort à cha-
cun une seipaine à son tour ; or, à Abias échut la hui-
tième semaine, et Zacharie fut de sa race. » Zacharie
et sa femme étaient vieux et sans enfants. Zacharie
étant donc entré dans le temple pour offrir de Fen-
cens, et une multitude de peuple Tattendant à la porte,
Tarchange Gabriel lui apparut. Zacharie éprouva un
mouvement de crainte à sa vue ; mais l'ange lui dit :
« Ne crains pas, Zacharie, parce que ta prière a été
exaucée. » C'est le propre des bons anges, selon ce
que dit la glose, de consoler à Tinstant par une béni-
gne exhortation ceux qui s'effraient en les voyant; au
contraire, les mauvais anges, qui se transforment en
anges de lumière, dès lors qu'ils s'aperçoivent que
ceux auxquels ils s'adressent sont effrayés de leur
présence, augmentent encore l'horreur dont ils les ont
saisis. Gabriel annonce donc à Zacharie qu'il aura un
fils dont le nom serait Jean, qui ne boirait ni vin, ni
rien de ce qui peut enivrer, et qu'il marclierail devant
le Seigneur dans l'esprit et la vertu d'Elie. Jean est
appelé Elie en raison du lieu que tous les deux habi-
tèrent, savoir, le désert, en raison de leur habillement
extérieur, qui était grossier chez l'un comme chez l'au-
tre, en raison de leur nourriture qui était modique;
• ffigl. Evang.f ci.
152 LA LÉGENDE DOREE
en raison de leur ministère, parce que tous deux sont
précurseurs ; Elie du juge, Jean du Sauveur, en raison
de leur zèle, car les paroles de l'un et de l'autre brû-
laient comme un flambeau ardent. Or, Zacharie, en
considération de sa vieillesse et de la stérilité de sa
femme, se prit à douter et d'après la coutume des
Juifs, il demanda un signe à l'ange : alors l'ange,
frappa de mutisme Zacharie qui n'avait pas voulu
ajouter foi à ses paroles.
Souvent le doute existe et s'excuse par la grandeur
des choses promises, comme on le voit dans Abra-
ham. En effet quand Dieu lui eut promis que sa race
posséderait la terre de Chanaan, Abraham lui dit :
« Seigneur mon Dieu comment puis-je savoir que je
la posséderai ? » Dieu lui répondit (Gen., xv) : « Pre-
nez une vache de trois ans, etc. » Quelquefois on
conçoit un doute en considération de sa propre fra-
gilité, comme cela eut lieu dans Gédéon qui dit :
« Comment, je vous en prie, mon Seigneur, délivre-
rai-je Israël ? Vous savez que ma famille est la der-
nière de Manassé et que je suis le dernier dans la
maison de mon père. » A la suite de cela, il demanda
un signe et il le reçut. Quelquefois le doute est excusé
par rinipossibilité naturelle de Tévénement ; cela s'est
vu dans Sara. En effet quand le Seigneur eut dit:
(( Je vous reviendrai voir, et Sara aura un fils »,
Sara se mit à rire derrière la porte, en disant :
« Après que je suis devenue vieille et que mon sei-
gneur est vieux aussi, serait-il bien vrai que je pusse
avoir un enfant? » Zacharie aurait donc été frappé
seul d'un châtiment pour avoir douté, quand se trou-
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 153
vaient rencontrées et la grandeur de la chose promise,
et la considération de sa fragilité propre par laquelle
il se réputait indigne d'avoir un fils, et de plus Tim-
possibilité naturelle. Ce fut pour plus d'un motif
qu*il en arriva ainsi. 1° D'après Bède il parla comme
un incrédule ; c'est pour cela qu'il est condamné
à être muet, afin qu'en se taisant il appHt à croire.
2^ Il devint muet, afin que, dans la naissance de
son fils, apparût un grand miracle : car quand, à
la naissance de saint Jean, son père recouvra la pa-
role, ce fut miracle sur miracle. 3" Il était convenable
c|u'il perdît la voix, quand la voix naissait et venait
faire taire la loi. 4® Parce qu'il avait demandé un
signe au Seigneur et qu'il reçut comme signe d'être
privé de la parole. Car, quand Zacharie sortit du
temple et que le peuple se fut aperçu de son état de
mutisme, on découvrit par ses gestes qu'il avait eu
une vision dans le temple. Or, sa semaine étant ache-
vée, il alla à sa maison et Elisabeth conçut ; et elle se
cacha pendant cinq mois, parce que, selon ce que dit
saint Âmbroise, elle rougissait de mettre un enfant
au monde à son âge ; c'était en effet passer pour avoir
usé du mariage dans sa vieillesse ; et cependant elle
était heureuse d'être délivrée de l'opprobre de la sté-
rilité, puisque c'était pour les femmes un opprobre de
ne pas avoir de fruit de leur union : Voilà pourquoi les
noces sont des jours de fêles et l'acte du mariage ex-
cusé. Or, six mois après, la Sainte Vierge, qui déjà
avait conçu le Seigneur, vint, en qualité de vierge
féconde, féliciter sa cousine de ce que sa stérilité
avait été levée, et aider à sa vieillesse. Après qu'elle
154 LA LÉGENDE DOUEE
eut salué Elisabeth, le bienheureux Jean, rempli dès
lors du Saint-Esprit, sentit le Fils de Dieu venir à lui
et de joie il tressaillit dans le sein de sa mère, trépi-
gna et salua par ce mouvement celui qu'il ne pouvait
saluer de sa parole : car il tressaillit, comme trans-
porté, devant Fauteur du salut, et comme pour se
lever devant son Seigneur. La Sainte Vierge demeura
donc avec sa cousine pendant trois mois, elle la ser-
vait : ce fut elle qui de ses saintes mains reçut Tenfant
venant au monde, d'après le témoignage de VHistoire
scholasiique *, et qui remplit avec les plus grands
soins l'office de garder l'enfant.
Ce Précurseur du Seigneur fut ennobli spéciale-
ment et singulièrement par neuf privilèges : 11 est an-
noncé par le même ange qui annonça le Sauveur ; il
tressailUt dans le sein de sa mère ; c'est la mère du
Seigneur qui le reçoit en venant au monde ; il délie
la langue de son père; c'est le premier qui confère un
baptême ; il montre le Christ du doigt ; il baptise le
même J.-C. ; c'est lui que le Christ loue plus que
tous les autres; il annonce la venue prochaine de J.-C.
à ceux qui sont dans les limbes. C'est pour ces neuf
privilèges qu'il est appelé par le Seigneur prophète et
plus que prophète. Sur ce qu'il est appelé plus que
prophète, saint Jean Chrysostome s'exprime ainsi :
(( Un Prophète est celui qui reçoit de Dieu l'avantage
(le prophétiser, mais est-ce que le prophète donne à
Dieu le bienfait du baptême ? Un prophète a pour
mission de prédire les choses de Dieu, mais où trou-
flist. Ecany.y c. ii.
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 155
ver un prophèle dont Dieu lui-même prophétise ?
Tous les prophètes avaient prophétisé de J.-C. au lieu
que Jean ne prophétisa pas seulement de J.-C, mais
les autres prophètes prophétisèrent de lui : tous ont
été les porteurs de la parole, mais lui, c'est la voix
elle-même. Autant la voix approche de la parole, sans
cependant être la parole, autant Jean approche de
J.-C. sans cependant être J.-C. » D'après saint Ain-
broise, la g^loire de saint Jean se tire de cinq causes,
savoir de ses parents, de ses mœurs, de ses miracles,
des dons qu'il a reçus et de sa prédication. D'après
le même Père, la gloire qu'il reçoit de ses parents est
manifeste par cinq caractères : Voici ce que dit saint
Ambroise : « L'éloge est parfait, quand il comprend,
comme dans saint Jean, une naissance distinguée,
une conduite intègre, un ministère sacerdotal, l'obéis-
sance à la loi, et la preuve d'oeuvres pleines de jus-
lice. ») 2<* Les miracles : 11 y en eut avant sa concep-
tion, comme l'annonciation de l'ange, la désignation
de son nom, et la perte de la parole dans son père :
il y en eut dans sa conception, celle-ci fut surnatu-
relle ; sa sanctification dès le sein de sa mère, et l<*
don de prophétie dont il fut rempli. Il y en eut dès
sa naissance, savoir : le don de prophétie accordé à
son père et à sa mère, puisque sa mère sut son nom,
et que le père prononça un cantique : la langue du
|>ère déliée; le Saint-Esprit qui le remplit. Sur ces
paroles de l'Evangile : « Zacharie son père fut rempli
du Saint-Esprit », saint Ambroise s'exprime ainsi :
tt Regardez Jean : Quelle puissance dans son nom ! ('e
nom rend la parole à un muet, le dévoiiemenl à un
136 LA LÉIGENDK DOREE
père ; au peuple un prêtre. Tout à Theure, cette langue
était muette, ce père était stérile, ce prêtre était sans
fonctions ; mais aussitôt que Jean est né, à l'instant
le père est prophète, ce pontife recouvre Fusage de la
parole, son affection peut s'épancher sur son fils, le
prêtre est reconnu par les fonctions qu'il remplit. »
3^ Les mœurs. Sa vie fut d'une sainteté éminente.
Voici comme en parle saint Chrysostome: « A côté
de la vie de saint Jean, toutes les autres paraissent
coupables : car de même que quand vous voyez un
vêtement blanc, vous dites : ce vêtement est assez
blanc, mais si vous le mettez à côté de la neige, il
commence à vous paraître pâle, quoique vraiment il
n'en soit pas ainsi, de même à comparaison de saint
Jean, quelque homme que ce fût paraissait immonde. »
• Il reçut trois témoignages de sa sainteté. Le pre-
mier fut rendu par ceux qui sont au-dessus du ciel,
c'est-à-dire par la Trinité elle-même, l'* Par le Père
qui l'appelle Ange. Malachiedit (in) : « Voilà que j'enï-
voie mon ange qui préparera ma voie devant ma
face. » Ange est un nom qui désigne le ministère, mais
qui n'explique pas la nature de l'ange. Or, si saint Jean
est appelé ange, c'est pour marquer le ministère qu'il
a rempli, parce qu'il paraît avoir exercé le ministère
(le tous les anges. Il remplit celui des Séraphins : car
séraphin veut dire ardent, parce qu'ils nous rendent
ardents et qu'ils brûlent plus que d'autres d'amour
pour Dieu ; c'est pourquoi il est dit de Jean : « Elie
s'est élevé comme un feu, et ses paroles brûlaient
comme un flambeau ardent » (Ecclés., xLvni), « car il
est venu avec Tesprit et la vertu d*Elie. » 2' Il remplit le
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 157
niîuislère des Chérubins, car chérubins veut dire plé-
nitude de science: or, Jean est appelé Lucifer ou étoile
du malin, parce qu'il Fut le terme de la nuit de Tig^no-
rance, et le commencement de la lumière de la grâce.
3"^ Il remplit le ministère des Thrônes qui ont pour
mission de juger, et il est dit de Jean qu'il reprenait
Hérode en disant : a II ne vous est pas permis d^avoir
pour femme celle de votre frère. » 4** Il remplit le
ministère des Dominations qui nous enseignent à gou-
verner ceux qui nous sont sujets ; or, Jean était aimé
de ses inférieurs, et les rois le craignaient. 3° Il rem-
plit TofEce des Principautés qui nous apprennent à
respecter nos supérieurs et Jean disait en parlant de
lui-même : « Celui qui tire son origine de la terre est
de la terre, et ses paroles tiennent de la terre » ; et en
parlant de J.-C., il ajoute : « celui qui est venu du ciel
est au-dessus de tous. » Il dit encore : « Je ne suis
pas digne de délier les cordons de sa chaussure. »
6* Il remplit l'office des Puissances qui sont chargées
d'éloigner les puissances de l'air et du vice, lesquelles
ne purent jamais nuire à sa sainteté. 11 les repoussait
aussi loin de nous, lorsqu'il nous disposait au bap-
tême de la pénitence. 7'* Il remplit l'office des Vertus
par lesquelles s'opèrent les miracles : or, saint Jean
montra en sa personne de grandes merveilles, comme
manger du miel sauvage et des sauterelles, se couvrir
de peau de chameau, et autres semblables. 8° II rem-
plit l'office des Archanges, en révélant des mystères
auxquels on ne savait atteindre, comme, par exemple,
ce qui regarde notre rédemption lorsqu'il disait :
« Voici l'Agneau de Dieu, voici celui qui ôte les péchés
158 LA LÉGENDE DORÉE
du monde. » 9^ II remplit Toffice des Anges : quand
il annonçait des choses moins relevées, comme celles
qui ont trait aux mœurs ; par exemple : « Faites péni-
tence » ; ou bien : « N'usez point de violence ni de fraude
envers personne (Luc, m). » Le second témoignage
lui fut rendu par le Fils, comme on lit dans saint Ma-
thieu (il), où J.-C. le recommande souvent d*une ma-
nière étonnante, comme quand il dit entre autres cho-
ses : « Parmi les enfants des hommes, il n'y en a pas
de plus grand que Jean-Baptiste. » « Ces paroles, dit
saint Pierre Damien, renferment l'éloge de saint Jean,
proférées qu'elles sont par celui qui a posé les fonde-
ments de la terre, qui fait mouvoir les aslres et qui a
créé tous les éléments. » Le troisième témoignage lui
fut rendu par le Saint-Esprit, lorsqu'il dit par la bou-
che de son père Zacharie : « Et toi, enfant, tu seras
appelé le prophète du Très Haut. » — Le second té-
moignage de sainteté lui fut rendu par les anges et
les esprits célestes. Au premier chapitre de saint Luc,
l'ange témoigne pour lui une grande considération
quand il montre : I** sa dignité par rapport à Dieu :
« Il sera, dit-il, grand devant le Seigneur. » 2* Sa
sainteté propre, lorsqu'il ajoute : « Il ne boira pas de
vin ni de liqueur enivrante, et il sera rempli de l'Es-
prit-Saint dès le ventre de sa mère. » 3® Les grands
services qu'il rendra au prochain : « Et il convertira
beaucoup des enfants d'Israël. » Le troisième témoi-
gnage de sainteté lui fut rendu par ceux qui sont au-
dessous du ciel, c'est-à-dire, les hommes, témoin son
père, ses voisins, et ceux qui disaient : « Que pensez-
vous que sera cet enfant? »
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPtiSTE 159
Quatrièmemenl^ la glose de saint Jean se tire des
dons qu^il a reçus dans le sein de sa mère, à sa nais-
sance, dans sa vie et à sa mort. Dans le sein de sa
mère, il fut avantagé de trois dons admirables de la
grâce : 1' De la grâce par laquelle il fut sanctifié dès
ce moment ; puisqu'il fut saint avant que d'être né,
selon ces paroles de Jérémie (i) : « Je vous ai connu
avant que je vous eusse formé dans les entrailles de
votre mère. » 2* De la grâce d'être prophète, quand,
par son tressaillement dans le sein d'Elisabeth, il con-
imt que Dieu était devant lui. C'est pour cela que saint
Chrysostome, qui veut montrer que Jean-Baptiste a
été plus que prophète, dit : « Un prophète mérite par
la sainteté de sa vie et de sa foi de recevoir une pro-
phétie; mais est-ce que c'est l'ordinaire d'être prophète
avant d'être homme? » C'était une coutume d'oindre
les prophètes; et ce fut quand la Sainte Vierge salua
Elisabeth que J.-C. sacra en qualité de prophète Jean
dans les entrailles de sa mère, selon ces paroles de
saint Chrysostome : « J.-C. fit saluer Elisabeth par
Marie afin que sa parole sortie du sein de sa mère, sé-
jour du Seigneur, et reçue par l'ouïe d'Elisabeth, des-
cendît à Jean qui ainsi serait sacré prophète. » 3'^ Il
fut avantagé de la ffrâce par laquelle il mérita pour
sa mère de recevoir l'esprit de prophétie. Et saint
Chrysostome, qui voulait montrer que saint Jean fut
plus qu'un prophète, dit : « Quel est celui des pro-
phètes, qui tout prophète qu'il fût, ait pu faire un
prophète? » Hélie sacra bien Elisée comme prophète,
mais il ne lui conféra pas la grâce de prophétiser. Jean
cependant n'étant encore que dans le sein de sa mère
160 LA LÉGENDE DOREE
donna à sa mère la science de pénétrer dans les secrets
de Dîeu ; il lui ouvrit la bouche et elle confessa recon-
naître la dignité de celui dont elle ne voyait pas la
personne, quand elle dit : « D'où me vient ce bonheur
que la mère de mon Seigneur me vienne visiter? » Il
reçut trois sortes de grâces, au moment de sa nais-
sance : elle fut miraculeuse, sainte et accompagnée
de joie. En tant que miraculeuse, le défaut d'impuis-
sance est levé; en tant que sainte, disparaît la peine
de la coulpe ; en tant que accompagnée de joie, elle
fut exempte des pleurs de la misère. Selon M« Guil-
laume d'Auxerre, trois motifs font célébrer la nai»»
sance de saint Jean : l"" sa sanctification dans le sein
de sa mère ; 2" la dignité de son ministère, puisque
ce fut comme une étoile du matin qui nous annonça
la première les joies éternelles; 3® la joie qui raccom-
pagna : car Tange avait dit : « Il y en aura beaucoup
qui se réjouiront lors de sa naissance. » C'est donc
pour cela qu'il est juste que nous nous réjouissions
pareillement en ce jour. Dans le cours de sa vie, il
réunit de môme grand nombre de faveurs : et la preuve
qu'elles furent des plus grandes et de différentes sor-
tes, c'est qu'il réunit toutes les perfections. En effet
il fut prophète quand il dit : « Celui qui doit venir
après moi est plus grand que moi. » Il fut plus que
prophète quand il montra le Christ du doigt; il fut
apôtre, car il fut envoyé de Dieu ; apôtre et prophète
c'est tout un. Aussi il est dit de lui : « Il y eut un
homme envoyé de Dieu qui se nommait Jean. » Il
fut martyr, parce qu'il souffrit la mort pour la justice ;
il fut confesseur, parce qu'il confessa et ne nia pas ;
LA NATIVITE DE SAINT JEAN-BAPTISTE KM
îl fut vierge, el c'est en raison de sa virçînité qu'il est
appelé ange dans Malachie (n) : « Voici que j'envoie
mon ange. » En sortant du monde il reçut trois fa-
veurs : d'abord il fut un martyr invaincu. Il acquit
alors la palme du martyre ; il fut envoyé comme un
cnessager précieux, car il apporta ii ceux qui étaient
dans les limbes une nouvelle précieuse, la venue de
J.-C. et leur rédemption ; sa fin glorieuse est honorée
par tous ceux qui étaient descendus dans les limbes
et c'est l'objet spécial d'une glorieuse solennité dans
l'Église.
Cinquièmement, la gloire de saint Jean se tire de sa
prédication. L'ange en expose quatre motifs quand il
dit : « Il convertira plusieurs des enfants d'Israël au
Seigneur leur Dieu ; et îl marchera devant lui dans
l'esprit et la vertu d'Elie, pour réunir les cœurs des
pères avec leurs enfants, pour rappeler les incrédules
à la prudence des justes, et pour préparer au Seigneur
un peuple parfait. » Il touche quatre points, savoir le
fruit, Tordre, la vertu et la fin, d'après le texte lui-
même. La prédication de saint Jean fut triplement
recommaiidable. Elle fut en effet fervente, efficace et
prudente. C'est la ferveur qui lui faisait dire : « Race
de vipères, qui vous a avertis de fuir la colère à ve-
nir? Faites donc de dignes fruits de pénitence. »
('Luc, iii.)Or, cette ferveur était enflammée parla cha-
rité, parce qu'il était une lumière ardente ; et c'est lui
qui dit en la personne d'Isaïe (xux) : « Il a rendu
ma l>ouche comme une épée perçante. » Cette ferveur
tirait son origine de la vérité, car il était une lampe
ardente. C'est à ce propos qu'il est dit dans saint Jean
II. W
162 LA LÉGRNDG DOREE
(v) : « Vous avez envoyé à Jean ; et il a rendu lémoî-
ji^nage à la vérité. » Cette ferveur était dirigée par le
discernement ou la science : voilà pourquoi en par-
lant à la foule, aux publicains et aux soldats, il ensei-
gnait la loi, selon l'état de chacun. Celte ferveur était
ferme et constante, puisque sa prédication le mena à
perdre la vie. Telles sont les quatre qualités du zèle,
d'après saint Bernard : « Que votre zèle, dit-il, soit
enflammé par la charité, formé par la vérité, régi par
la science et affermi par la constance. » 2° II prêcha
avec efficace, puisque beaucoup se convertirent à ses
prédications. Il prêcha en parole et ne varia jamais
dans son enseignement. Il prêcha par l'exemple, car
sa vie fut sainte ; il prêcha et convertit par ses mé-
rites et ses prières ferventes. 3° Il prêcha avec pru-
dence ; et la prudence de wsa prédication consista en
trois points : 1** en ce qu'il usa de menaces afin d'ef-
frayer les méchants ; c'est alors qu'il disait : « Déjà
la cognée est à la racine de Farbre » ; 2® en usant de
promesses, pour gagner les bons, quand il dit : « Faites
pénitence : car le royaume des cieux approche » ; 3*
en usant de tempéraments pour attirer peu à peu les
faibles à la perfection. Aussi à la foule et aux soldats,
il imposait de légères obligations afin qu'ensuite il les
amenât à s'en imposer de plus sérieuses ; à la foule,
il conseillait les œuvres de miséricorde; aux publi-
cains, il recommandait de ne pas désirer le bien d'au-
trui ; aux soldats de n'user de violence envers per-
sonne, de ne pas calomnier et de se contenter de leur
paie.
Saint Jean TEvangéliste mourut à pareil jour ; mais
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE 163
l'E^Use célèbre sa fêle trois jours après la naissance
de J.-C. parce qu'alors eut lieu la dédicace de son
église, et la solennité de la naissance de saint Jean-
Baptiste conserva sa place par la raison qu'elle fut
déclarée un jour de joie par l'ange. Il ne faut pour-
tant pas prétendre que TEvangéliste ait fait place au
Baptiste, comme l'inférieur au supérieur; car il ne
convient pas de discuter quel est le plus grand des
deux : et ceci fut divinement prouvé par un exemple.
On lit qu'il y avait deux docteurs en théologie dont
Fnn préférait saint Jean-Baptiste et l'autre saint Jean
Tévangéliste. On fixa donc un jour pour une discus-
sion solennelle. Chacun n'avait d'autre soin que de
trouver des autorités et des raisons puissantes en fa-
veur du saint qu'il jugeait supérieur. Or, le jour de la
dispute étant proche, chacun des saints apparut à son
champion et lui dit : « Nous sommes bien d'accord
dans le ciel, ne dispute pas à notre sujet sur la terre, w
Alors ils se communiquèrent chacun sa vision, en
firent part à tout le peuple et bénirent Dieu. — Paul,
qui a écrit V Histoire des Lombards, diacre de l'Eglise
de Rome et moine du mont Cassin, devait une fois
faire la consécration du cierge, mais il fut pris d'un
enrouement qui l'empêcha de chanter ; afin de recou-
vrer sa voix qui était fort belle, il composa en l'hon-
neur de saint Jean-Baptiste l'hymne 17 queant Iaxis
resonare fibris mira gesiorum famuli tuorum, au com-
mencement de laquelle il demande que sa voix lui soit
rendue comme elle l'avait été à Zacharie. En ce jour
quelques personnes ramassent de tous côtés les os d'a-
nimaux morts pour les brûler : il y en a deux raisons,
164 LA LÉGENDE DORÉE
rapportées par Jean Beleth * : la première vient d'une
ancienne pratique : il y a certains animaux appelés dra-
gons, qui volent dans l'air, nagent dans les eaux et
courent sur la terre. Quelquefois quand ils sont dans
les airs, ils incitent à la luxure en jetant du sperme
dans les puits et les rivières ; il y avait alors dans
Tannée grande mortalité. Afin de se préserver, on in-
venta un remède qui fut de faire des os des animaux
un feu dont la fumée mettait ces monstres eu fuite ;
et parce que c'était, dans le temps, une coutume gé-
nérale, elle s'observe encore en certains lieux. La se-
conde raison est pour rappeler que les os de saint
Jean furent brûlés à Sébaste par les infidèles. On
{)orle aussi des torches brûlantes, parce que saint Jean
fut une torche brûlante et ardente ; on fait aussi tour-
ner une roue parce que le soleil à cette époque com-
mence à prendre son déclin, pour rappeler le témoi-
gnage que Jean rendit à J.-C. quand il dit : « II faut
qu'il croisse, et moi que je diminue. » Cette parole
est encore vérifiée, selon saint Augustin, à leur nativité
cl à leur mort : car à la nativité de saint Jean-Baptiste
les jours commencent à décroître, et à la Nativité de
J.-(]. ils commencent à croître, d'après ce vers : Sols-
iiliuni decimo Chrislum prœil alque Joanneni**. II en
fut ainsi à leur mort. Le corps de J.-C. fut élevé sur la
croix et celui de saint Jean fut privé de son chef.
Paul rapporte dans V Histoire des Lombards que Ro-
Cap. cxxxvii.
Dix jours avant le solstice, arrivent la Nativité du Sau-
veur et celle (le saiut Jean.
SAINT JEAN ET SAINT PAUL 163
charith, roi des Lombards, fui enseveli avec beaucoup
d'ornements précieux auprès d'une église de saint
Jean-Baptiste. Or, quelqu'un poussé par la cupidité,
ouTril de nuit le tombeau et emporta tout. Saint Jean
apparat au voleur et lui dit : « Quelle a été ton au-
dace de toucher à un dépôt qui m'était confié? tu ne
pourras plus désormais entrer dans mon église. » Et
il en fut ainsi ; car chaque fois que le larron voulait
entrer en cette église, il était frappé à la gorge comme
par un vigoureux athlète et il était jeté aussitôt à la
renverse *.
SAINT JEAN ET SAINT PAUL ♦♦
Jean et Paul furent prîroiciers et prévôts de Cons-
tance, fille de l'empereur Constantin. Or, en ce temps-
là, les Scythes occupaient la Dacîe et la Thrace et on
devait envoyer contre eux Gallican, général de l'armée
romaine. Pour récompense de ses travaux, il deman-
dait qu'on lui donnât en mariage Constance, fille de
Constantin ; faveur que les principaux Romains sol-
licitaient vivement aussi pourlui. Mais le père enétait
fort contristé, car il savait que sa fille, après avoirété
çuérie par sainte Agnès, avait fait vœu de virginité ;
et elle aurait été plutôt disposée à se laisser tuer qu'à
** Ce fait est aussi rapporté par Gezo, abbé de Dertono,
en 98-4, dans son livre du Corps et du sang de J.-C, ch. lxvh.
•• L'office du bréviaire est compilé d'après les actes de ces
saints rapportés ici. — Martyrologes.
II. il'
166 LA LÉGENDE DOREE
donner son consentemenf. Cependant cette vierge eut
confiance en Dieu et conseilla à son père de la pro-
mettre à Gallican, s'il revenait vainqueur.* Toutefois
elle voulait garder auprès de soi deux filles que Gal-
lican avait eues d'une première épouse qui était morte,
afin de pouvoir connaître par ces filles la conduite et
les désirs de leur père : en même temps elle lui don-
nerait ses deux prévôts, Jean et Paul, dans l'espérance
d'établir entre eux une plus étroite union ; elle priait
Dieu pour qu'il daignât convertir Gallican et ses filles.
Quand tout fut arrangé au gré de chacun, Gallican
prit Jean et Paul auprès de soi et partit avec une ar-
mée nombreuse; mais ses troupes furent mises en dé-
route par les Scythes et lui-même fut assiégé par les
ennemis dans une ville de Thrace. Alors Jean et Paul
vinrent le trouver et lui dirent : « Fais un vœu au Dieu
du ciel et tu auras le bonheur de vaincre. » Quand il
l'eut fait, apparut aussitôt un jeune homme portant
une croix sur l'épaule, et lui disant : « Prends ton
épée et suis-moi. » Il la prend, se rue au milieu du
camp ennemi, arrive jusqu'au roi, et le tue; la peur
seule lui fait soumettre toute l'armée : il rend les en-
nemis tributaires des Romains. Deux soldats revêtus
de leurs armes lui apparurent et le protégeaient de
droite et de gauche. Ayant été fait chrétien. Gallican
revint à Rome où il fut reçu avec de grands honneurs.
Il pria Auguste de l'excuser s'il n'épousait passa fille,
parce que son dessein était de vivre désormais dans
la continence en Tlionneur de J.-C. Cela plut singuliè-
rement à l'empereur : et les deux filles de Gallican ayant
été converties à J.-C. par la vierge Constance, Galli-
SAINT JEAN ET SAINT PAUL 167
can lui-même se démit de son commandement, donna
tous ses biens aux pauvres et servit J.-C. dans la pau-
vreté avec d'aulres serviteurs de Dieu. Il faisait un
grand nombre de miracles ; à sa vue seulement, les
démons s'enfuyaient des corps des obsédés. Sa répu-
tation de sainteté était tellement établie dans l'univers
qu'on venait de l'orient et de l'occident pour voir un
homme, de patrice devenu consul, laveries pieds des
pauvres, dresser leurs tables, leur verser de Teau sur
les mains, servir les malades avec sollicitude etremplir
toutes les fonctions d'un pieux serviteur. A la mort de
Constantin, Constance, fils de Constantin le Grand, in-
' feclé de l'hérésie d'Arius, prit en mains les rênes de
Tempire; mais Constance, frère de Constantin, laissait
deux fils, Galluset Julien : l'empereur Constance créa
Gallus césar, et l'envoya contre la Judée en révolte;
plus tard cependant, il le fit périr. Julien, craig^nant
d'éprouver de la part de Constance le même sort que
son frère, entra dans un monastère, où en affectant
une grande dévotion, il fut ordonné lecteur. Il fit con-
sulter le démon par un magicien : et il lui fut répondu
qu'il serait élevé à l'empire. Quelque temps après, des
affaires urgentes portèrent Constance à créer Julien
césar et à l'envoyer dans la Gaule où il se comporta vail-
lamment en toute occasion. Constance étant mort, Ju-
lien Tapostat, que ce même Constance avait élevé à
l'empire, ordonna à Gallican d'immoler aux dieux ou
de s'éloigner; car il n'osait faire mourir un person-
nage si distingué. Gallican alla donc à Alexandrie où
il reçut lacouronnedumartyre :les infidèles lui avaient
percé le cœur. Julien, dévoré par une cupidité sacri-
468 LA LÉGENDE DOREE
lège, colorait son avarice sous des prétextes qu'il trou-
vait dans TEvangile ; car il enlevait les biens des chré-
tiens en disant : « Votre Christ dit dans l'Evaugilc :
« Celui qui n'aura pas renoncé à tout ce qu'il possède
« ne peut être mon disciple. » Ayant appris que Jean et
Paul sustentaient les chrétiens pauvres avec les riches-
ses que la viergeConslanccavaitlaissées, il leurdonna
l'ordre de lui obéir en tout coinmeà Constantin. Mais
ils répondirent : <( Tant que les glorieux empereurs
Constantin et Constance, son fils, se faisaient honneur
d'être les serviteurs deJ.-C, nous les servions; mais
puisque tu as abandonné un« religion qui fait prati-
quer tant de vertus, nous nous sommes entièrement
éloignas de toi et nous refusons posi ti vement de t'obéir . »
Julien leur fit répondre : « J'ai été élevé à la cléri-
cature, et si je Tavais voulu, je serais parvenu au pre-
mier rang de l'Eglise, mais considérant que c'était chose
vaine de vivre dans la paresse et l'oisiveté, j'ai préféré
l'état militaire, et j'ai sacrifié aux dieux donf la pro-
tection m'a élevé à l'empire. C'est pour cela qu'ayant
été nourris à la cour, vous ne devez pas cesser de vi-
vre à mes côtés afin que je vous traite comme les pre-
miers dans mon palais. Si vous me méprisez, il faut de
toute nécessité que je fasse cesser cet état de choses. »
Ils répliquèrent: « Puisque nous préférons servirDieu
plutôt que toi, nous n'avons pas la moindre crainte de
tes menaces, de peur d'encourir la haine du roi éter-
nel. » A cela Julien reprit : « Si d'ici à dix jours vous
poussez le mépris jusqu'à ne pas vous rendre de plein
gré auprès de moi, vous ferez de force ce que vous
ne vous souciez pas de faire de bonne volonté. » Les
SAINT JEAN ET SAINT PAUL 169
saints lui répondirent: « Crois que les dix jours sont
déjà expirés, et fais aujourd'hui ce que tu menaces
d'exécuter alors. » « Vous pensez, dit Julien, que les
chrétiens feront de vous des martyrs ; si vous ne ni'o-
béissez, je vous ferai châtier non comme des martyrs,
mais comme des ennemis publics. » Alors Jean et
Paul employèrent les dix jours entiers à donner en au-
mônes tous leurs biens aux pauvres. Le terme expiré,
Térentien fut envoyé vers eux et leur dit : « Notre
seigneur Julien vous envoie une petite statue en or de
Jupiter pour que vous lui offriez de lencens, sinon,
vous périrez également tous les deux. » Les saints lui
répondirent: « Si ton seigneur est Julien, sois en paix
aveclui; quant à nous, nous n'avons d'autre Seigneur
que J.-G. » Alors il les fit décapiter en cachette, e(
ensevelir dans une fosse de la maison ; puis il fit ré-
pandre le bruit qu'ils avaient été envoyés en exil.
Après quoi le fils de Térentien fut saisi par le dé-
mon, et il se mit à crier par la maison que le diable le
tourmentait: à cette vue, Térentien confesse son crime,
se fait chrétien, écrit la relation du martyre des saints
et son fils est délivré. Ils souffrirent vers Tan du
Seigneur 364. Saint Grégoire rapporte dans son
Homélie sur l'Evangile : Si quis vult venire post me,
qu'une dame revenant de visiter l'église de ces mar-
tyrs où elle allait souvent, rencontra deux moines en
habit de pèlerin ; elle leur fit donner l'aumône ; mais
comme celui qui était chargé de la leur offrir se dispo-
sait à le faire, ils s'approchèrent de plus près et lui
dirent : « Tu nous aides maintenant, mais au jour du
jugement, nous te réclamerons et nous ferons pour
170 LA LÉGENDE DOREE
toi tout ce que nous pourrons. » Ayant dit ces mots
ils disparurent à leurs yeux. Saint Ambroise parle
ainsi de ces martyrs dans lu préface : « Les bienheu-
reux martyrs Jean et Paul ont véritablement accompli
ces paroles de David : « Ah ! que c'est une chose
(( bonne et agréable que les frères soient unis ensemble »
(Ps. cxxxii) ; le même sein leur donna le jour, la
même foi les unit, le môme martyre les couronna et
la même gloire est leur partage dans le même Sei-
gneur. »
SAINT LÉON, PAPE *
On lit dans le livre des Miracles de la Sainte Vierge
que saint Léon, pape, célébrant la messe le jour de
Pflques dans l'église de Sainte-Marie-Majeure, pendant
qu'il distribuait la communion aux fidèles, une dame
lui baisa la main, ce qui excita en lui une violente ten-
tation de la chair. Mais l'homme de Dieu exerça contre
soi-même une cruelle vengeance et ce jour-là, cette
main qui l'avait scandalisé, il se la coupa en secret et
Voici rintcrprélation du nom (!c saint Léon par M. Jchau
Batallier: <( Léon fut appelé proprement Lion : car tout ainsi
comme le propre lion faist il fit. Il est vrai que quand les en-
tans des lions naissent ils sont tous morts et ne se peuvent mou-
voir: et lors le lion cric tant et va cntour que par le cry do
luy il les vivifie, et leurs mcct la vie au corps par la chaleur
(io son alaîne,et tout ainsi saît Léon fist : car ceulx qui estaient
mors en pechie il cria et brayt tant que par sa saincte cùver-
sation et prédication il leur mist es corps lesperit de vraye foi :
cl les fist vivre en Dieu nostrc Seigneur Ihesucrist. »
SAINT LÉON, PAPE 17i
la jeta. Dans la suite, il s'éleva des murmures parmi
le peuple de ce que le souverain Pontife ne célébrait
plus comme de coutume les saints mystères. Alors
saint Léon s'adressa à la Sainte Vierge et s'en remit
entièrement à ce qu'elle voudrait. Elle lui apparut donc
et lui remit la main de ses très saintes mains, l'affer-
mi!, puis elle lui ordonna de paraître en public et
d'offrir le saint sacrifice à son Fils. Saint Léon apprit
à tout le peuple ce qui lui était arrivé, et il montra à
tous la main qui lui avait été rendue. Ce fut lui qui
célébra le concile de Chalcédoine oi^ il établit que les
vierges seules recevraient le voile ; et il y fut aussi
décidé que la vierge Marie serait appelée Mère de
Dieu. En ce temps-là encore, Attila ravageait l'Italie.
Saint Léon passa alors trois jours et trois nuits en
prières dans l'église des Apôtres; après quoi il dit aux
siens : « Qui veut me suivre, me suive. » Et quand il
fut arrivé auprès d'Attila, celui-ci n'eut pas plutôt vu
saint Léon qu'il descendit de cheval, se prosterna aux
pieds du saint et le pria de lui demander ce qu'il vou-
drait. Saint Léon lui demanda de quitter l'Italie et de
délivrer les captifs. Comme Attila recevait de la part
des siens des reproches de ce que celui qui avait
triomphé du monde se laissait vaincre par un prêtre,
il répondit : « J'ai pourvu à ma silreté et à la vôtre:
car j'ai vu à sa droite un guerrier redoutable tenant
uneépée nue à la main, qui me disait : « Si tu ne lui
obéis pas, tu périras avec tous les tiens*. » Quand le
bienheureux Léon écrivit la lettre à Fabien, évêquc
• Victor Tuomncnsîs, Prosp^r, \saio.
172 LA LKGENDE DORKR
de C.-P., contre Enlychès et Nestorius, il la posa sur
le tombeau de saint Pierre et après avoir passé quel-
que temps dans le jeûne et la prière, il dit : « Les
erreurs que je pourrais avoir commises comme homme
dans cette épître, corrigez-les et amendez-les, vous à
qui l'Eglise a été confiée. » Et quarante jours après,
comme il était en prières, saint Pierre lui apparut et
lui dit : « J'ai lu et amendé. » Saint Léon prit la lettre
<ju'il trouva corrigée et amendée de la main de Ta-
pcHre.Une autre fois, saint Léon passa quarante jours
en prières au tombeau de saint Pierre, et le conjura
de lui obtenir le pardon de ses péchés: saint Pierre
lui apparut et lui dit : « J'ai prié pour vous le Sei-
gneur, et il a pardonné tous vos péchés. Seulement
vous aurez à vous informer de ceux auxquels vous
avez imposé les mains, c'est-à-dire que vous aurez à
rendre compte si vous vous êtes bien ou mal acquitté
de cette fonction envers autrui*. » Il mourut vers Tan
du Seigneur 460.
SAINT PIERRE, APOTRE**
Pierre eut trois noms : il s'appela \' Simon Barjona. Siirion
veut (lire obéissant^ ou se ih'vant n la tristesse, Barjona, /î/s de
colombe^ en syrien bar veut dire fils, el en hébreu, Jona sii^nifie
"' Sophone, ch. cxlix.
'^* La ])lupart des faits qui ont rapport à saint Pierre et que
si Gênaient les livres saints sont eonsitj^nés iei. Le reste est tiré
d'un livre connu sous le nom iV Itinéraire de saint Clément^ re-
t^irdc comme apocryphe, mais cité par un çrand nombre
d'auteurs des [)remiers siècles.
SAINT PIERRE, APOTRE 173
colombe. En effet, il fut obéissant; quand J.-C, l'appela, il
obéit au premier mot d*ordredu Seigneur : il se livra à la tris-
tesse quand il renia J.-C. « Il sortit dehors et pleura amère-
ment. • Il fut fils de colombe parce qu'il servit Dieu avec
simplicité d'intention. 2'> Il fut appelé Céphas, qui signifie
chef ou pietTe, ou blâmant de bouche: chef, en raison qu'il eut
la primauté dans la prélature; pierre, en raison de la fermeté
dont il fit preuve dans sa passion ; blâmant de bouche, en raison
de la constance de sa prédication. 3** Il fut appelé Pierre, qui
veut dire connaissantf déchaussant, déliant : parce qu'il connut
la divinité de J.-C. quand il dit : « Vous êtes le Christ, le Fils
du Dieu vivant n ; il se dépouilla de toute affection pour les
siensy comme de toute œuvre morte et terrestre, lorsqu'il dit:
« Voilà que nous avons tout quitté pour vous suivre » ; il
nous délia des chaînes du péché par les clefs ([u'il reçut du
Seigneur. Il eut aussi trois surnoms : i» on l'appela Simon
Johanna, qui veut dire beauté du Seigneur;^^ Simon, fils de
Jean, qui veut dire à qui il a été donné ; 3® Simon Barjona, qui
veut dire fils de colombe. Par ces différents surnoms on doit
entendre qu'il posséda la beauté de mœurs, les dons des ver-
tus, l'abondance des larmes, car la colombe gémit au lieu de
chanter. Quant au nom de Pierre, ce fut J.-C. qui permit qu'on
le lui donnât puisqu'il dit (Jean, i) : « Vous vous appellerez
Géphas, qui veut dire Pierre. » t^ Ce fut encore J.-C. qui le lui
donna après le lui avoir promis, selon (|u'il est dit dans saint
Marc (m): « Et il donna à Simon le nom de Pierre. » S" Ce fut
J.-C. qui le lui confirma, puisqu'il ditdans saint Mathieu (xvi) :
« Et moi je vous dis que vous êtes Pierre et sur cette pierre
je bâtirai mon église. »> Son martyre fut écrit par saint Marcel,
par saint Lin, pape, par Hégésippe et par le pape Léon.
Saint Pierre, fut celui de tous les apôtres qui eut
]a plus grande ferveur: car il voulut connaître celui
qui trahissait le Seigneur, en sorte que s'il l'eiHconnu,
dit saint Augustin, il l'eût déchiré avec les dents : et
c'est pour cela que le Seigneur ne voulait pas révéler
le nom de ce traître. Saint Chrysostome dit aussi qui»
174 LA LÉGENDE DORÉE
si J.-C. avait prononcé son nom, Pierre aussitôt se
sérail levé et l'aurait massacré sur l'heure. Il marcha
sur la mer pour aller au-devant du Seigneur ; il fut
choisi pour être le témoin de la Transfiguration de son
maître et pour assistera la résurrection de la fille de
Jaîrc; il trouva, dans la bouche du poisson, la pièce
d'argent de quatre dragmes pour le tribut ; il reçut
du Seigneur les clefs du royaume des cieux; il eut la
commission de faire paître les brebis ; au jour de la
Pentecôte, par sa prédication, il convertit trois mille
hommes ; il prédit la mort d'Ananie et de Saphire ;
il guérit Enée de sa paralysie ; il baptisa Corneille ; il
ressuscita Tabithe ; il rendit la santé aux infirmes par
l'ombre de son corps ; mis en prison par Hérode, il
fut délivré par un ange. Pour sa nourriture et son vê-
tement, il nous témoigne lui-même quels ils furent,
au livre de saint Clément: « Je ne me nourris, dit-il,
que de pain avec des olives et raremen t avec des lé-
gumes ; quant à mon vêtement, vous le voyez, c'est une
tunique et un manteau, et avec cela je ne demande rien
autre chose. » On rapporte aussi qu'il portait toujours
dans son sein un suaire pour essuyer les larmes qu'il
versait fréquemment ; car quand la douce allocution
du Seigneur et la présence de Dieu lui venaient à la
mémoire, il ne pouvait retenir ses pleurs, tant était
grande la tendresse de son amour. Mais quand il se
rappelait la faute qu'il commit en reniant J.-C., il ré-
[)andait des torrents de larmes : il en contracta telle-
ment l'habitude de pleurer, que sa figure paraissait
(ouïe bnllée, selon l'expression de saint Clément. Le
même saint rapporte qu'en entendant le chant du coq.
SAINT PIERRE, APOTRE 175
saint Pierre avait coutume de se lever pour faire orai-
son et de pleurer abondamment. Saint Clément dit
encore, comme on le trouve dans VHisloire ecclésias-
tique *j que lorsqu'on menait au martyre la femme de
saint Pierre,celui-ci tressaillit d'une extraordinaire joie,
et l'appelant par son propre nom, il lui cria : « O ma
femme, souvenez-vous du Seigneur. » Une fois, saint
Pierre avait envoyé deux de ses disciples prêcher; après
avoir cheminé pendant vingt jours, Tun d'eux mounit,
et l'autre revint trouver saint Pierre, et lui raconter
Taccident qui était .arrivé (on dît que ce fut saint Mar-
tial, ou selon quelques autres, saint Materne. On lit
ailleurs que le premier fut saint Front, et que son com-
pagnon, celui qui était mort, c'est-à-dire le second, fui
le prêtre Georges). Alors saint Pierre lui donna son
bâton avec ordre d'aller retrouver son compagnon et
de poser ce bâton sur le cadavre. Quand il l'eut fait, ce
mort de quarante jours se leva tout vivant**.
En ce temps-là, il se trouvait à Jérusalem un magi-
cien, nommé Simon, qui se disait être la première véri-
té; il avançait que ceux qui croyaient en lui devenaient
immortels ; enfin il prétendait que rien ne lui était im-
possible. On lit aussi, dans le livre de saint Clément,
que Simon avait dit : « Je serai adoré comme un Dieu ;
on me rendra publiquement les honneurs divins, et
tout ce que j'aurai voulu faire, je le pourrai. Un jour
que ma mère Rachel m'ordonnait d'aller dans les
• Eusèbe, lib. III, c. xxx ; — Clément d*Alexand., I. VÏI.
Ses paroles à sa femme qu'on menait au martyre.
*• Harigarus, c. vi ; — Orton de Friocesque, Chronù/uey lïl,
XV ; — Pierre de Cluny, Contre iex Petrobnisiens.
176 Lv lk(;ende dorék
champs pour faire la moisson, je vîs une faux parterre
à laquelle je commandai de faucher d'elle-même : et
elle faucha dix fois plus que les autres moissonneurs. »
II ajouta, d'après saint Jérôme : « Je suis la parole de
Dieu ; je suis beau, je suis le paraclet, je suis tout-puis-
sant, je suis le tout de Dieu. » Il faisait aussi mouvoir
des serpents d'airain ; rire des statues de bronze ou
de pierre, et chanter des chiens. Simon donc, comme
le dit saint Lin, voulant discuter avec saint Pierre et
montrer qu'il était Dieu, saint Pierre vint le jour in-
diqué, au lieu de la conférence, et dit aux assistants :
« La paix soit avec vous, mes frères, qui aimez la vé-
rité. )) Simon lui dit : « Nous n'avons pas besoin de la
paix, nous: car si la paix et la concorde existentiel,
nous ne pourrons parvenir à trouver la vérité : ce sont
les larrons qui ont la paix entre eux ; n'invoque donc
pas la paix, mais la lutte : entre deux champions il y
aura paix, quand l'un aura été supérieur à l'autre. »
Et Pierre répondit : « Qu'as-tu à craindre d'entendre
parler de paix ? C'est du péché que naît la guerre, et
là on n'existe pas le péché, règne la paix. On trouve
In vérité dans les discussions et la justice dans les œu-
vres. » El Simon reprit : « Ce que lu avances n'a pas
de valeur, mais je le montrerai la puissance de ma di-
vinité afin que tu m'adores aussitôt. Je suis la pre-
mière vertu et je puis voler par les airs, créer de nou-
veaux arbres, changer les pierres en pain, rester dans
le feu sans en être endommagé et tout ce que je veux,
je le puis faire. » Saint Pierre donc discutait contre
lui et découvrait tous ses maléfices. Alors Simon,
voyant qu'il ne pouvait résister au saint apôtre, jeta
SAINT PIERRE, APOTRE 177
dans la mer tous ses livres de magie, de crainte d'ê-
tre dénoncé comme magicien ; et alla à Rome afin de
s'y faire passer pour Dieu. Aussitôt que saint Pierre
eut découvert cela, il le suivit et partit pour Rome.
La quatrième année de l'empire de Claude, saint
Pierre arriva à Rome, où il resta vingt-cinq ans. Et
il ordonna évéques Lin et Clet, pour être ses coadju-
teurs, Fun, comme le rapporte Jean Beleth *, dans l'in-
térieur de la ville, l'autre dans la partie qui était hors
des murs. En se livrant avec grand zèle à la prédica-
tion, il convertissait beaucoup de monde à la foi, et
guérissait la plupart des infirmes. Et comme dans ses
discours il louait et recommandait toujours de préfé-
rence la chasteté, il convertit les quatre concubines
d' Agrippa qui se refusèrent à retourner davantage au-
près de ce gouverneur. Alors celui-ci entra en fureur
et il cherchait l'occasion de nuire à l'Apôtre. Ensuite
le Seigneur apparut à saint Pierre et lui dit : « Simon
et Néron forment des projets contre ta personne ; mais
ne crains rien, car je suis avec toi pour te délivrer,
et je te donnerai la consolation d'avoir auprès de toi
mon serviteur Paul qui demain entrera dans Rome. »
Or, saint Pierre, sachant, comme le dit saint Lin, que
dans peu de temps il devait quitter sa tente, dansl'as-
semblée des frères, il prit la main de saint Clément,
l'ordonna évêque et le força à siéger en sa place dans
sa chaire. Après cela Paul arriva à Rome, ainsi que le
Seigneur l'avait prédit, et commença à prêcher J.-C.
avec^aint Pierre. Or, Néron avait un tel attacliement
• Cap. cxxxviii.
II. 12
178 LA LÉGENDE DORÉE
pour Simon qu'il le pensait certaînenrïent être le gar-
dien de sa vie, son salut, et celui de toute la ville. Un
jour donc, devant Néron (c'est ce qu'en dit saint Léon,
pape), sa fij^urc changeait subitement, et il paraissait
tantôt plus vieux et tantôt plus jeune. Néron, qui
voyait cela, le regardait comme étant vraiment le fils
de Dieu. C'est pourquoi Simon le magicien dit à Né-
ron, toujours d'après saint Léon : « Afin que tu saches,
illustre empereur, que je suis le fils de Dieu, fais-moi
décapiter et trois jours après je ressusciterai. » Néron
ordonna donc au bourreau qu'il eût à décapiter Simon.
Or, le bourreau, en croyant couper la tète à Simon,
coupa celle d'un bélier : grâce à la magie, Simon échappa
sain et entier, et ramassant les membres du bélier il
les cacha ; puis il se cacha pendant trois jours : or, le
sang du bélier resta coagulé dans la même place. El
le troisième jour Simon se montra à Néron et lui dit :
« Fais essuyer mon sang qui a été répandu ; car me
voici ressuscité trois jours après que j'ai été décollé,
comme je l'avais promis. » En le voyant Néron fut
stupéfait et le regarda comme le vrai fils de Dieu. Un
jour encore qu'il était dans une chambre avec Néron,
le démon qui avait pris sa forme parlait au peuple de-
hors : enfin les Romains l'avaient en si grande véné-
ration qu'ils lui élevèrent une statue sur laquelle ils
mirent cette inscription : Simoni Deo sancto*, A Si-
mon le Dieu saint.
Saint Pierre et saint Paul, au témoignage de saint
Léon, allèrent chez Néron et dévoilèrent tous les ma-
■ N'ovez Kiisrhc, lib. II, c. xiii, ol Tillcmont, l. Il, p. 482,
SAINT PIERRE, APOTRE 171)
léfîces de Simon, et saint Pierre ajouta que, de même
qu'il y a en J.-C. deux substances, savoir : celle de
Dieu et celle de Thomme, de même en ce magicien,
se trouvaient deux substances, celle de l'homme et
celle du diable.
Or, Simon dit, d'après le récit de Marcel et de
saint Léon* : « Je ne souffrirai pas plus longtemps
cet ennemi ; je commanderai à mes anges de me
venger de cet homme. » Pierre lui répondit : « Tes
anges, je ne les crains point, mais ce sont eux qui me
craignent. » Néron ajouta : « Tu ne crains pas Simon
qui prouve sa divinité par ses œuvres? » Pierre lui
répondit : « Si la divinité existe en lui, qu'il me dise
en ce moment ce que je pense ou ce que je fais : je
vais d'avance te dire tout bas à l'oreille quelle est ma
pensée pour qu'il n'ait pas l'audace de mentir. »
« Approche-loi, reprît Néron, et dis-moi ce que tu
penses. » Or, Pierre s'approchant dit à Néron tout bas :
H Ordonne qu'on m'apporte un pain d'orge et qu'on
me le donne en cachette. » Or, quand on le lui eut a[)-
porté, Pierre le bénit et le mit dans sa manche, et dit
ensuite : « Que Simon, qui s'est fait Dieu, dise ce que
j'ai pensé, ce que j'ai dit, ou ce qui s'est fait. » Simon
répondit : « Que Pierre dise plutôt ce que je pense moi-
même. » Et Pierre dit : « Ce que pense Simon, je prou-
verai que je le sais, pourvu que je fasse ce à quoi il a
pensé. » Alors Simon en colère s'écria : « Qu'il vienne
de grands chiens et qu'ils te dévorent. » Tout à coup
apparurent de très grands chiens qui se jetèrent sur
* Sigebert de Gcmblours, Trilhènie,CoDrad Gessner.
180 LA LÉGENDE DOREE
saint Pierre : mais celui-ci leur présenta le pain bénit,
et à l'instant, il les mit en fuite. Alors saint Pierre dît
à Néron : « Tu le vois, je t'ai montré que je savais ce
que Simon méditait contre moi, et ce ne fut point par
des paroles, mais par des actes : Car celui qui avait
promis qu'il viendrait des anges contre moi, a fait venir
<les chiens, afin de faire voir que les anges de Dieu,
ne sont autres que des chiens. » Simon dit alors :
w Écoutez, Pierre et Paul ; si je ne puis vous rien faire
ici, nous irons où il faut que je vous juge; mais pour
le moment, je veux bien vous épargner. »
Alors, selon que le rapportent Hégésippc et saint
Lin, Simon, enflé d'orgueil, osa se vanter de pouvoir
ressusciter des morts ; et il arriva qu'un jeune homme
mourut. On appela donc Pierre et Simon et de Tavis
de Simon on convint unanimement que celui-là serait
tué qui ne pourrait ressusciter le mort. Or, pendant
que Simon faisait ses enchantements sur le cadavre,
il sembla aux assistants que la tète du défunt s'agi-
tait. Alors tous se mirent à crier en voulant lapider
saint Pierre. Le saint apôtre put à peine obtenir le si-
lence qu'il réclama : (( Si le mort est vivant, dit-il, qu'il
se lève, qu'il se promène, qu'il parle : s'il en est autre-
ment, sachez que l'action d'agiter la tête du cadavre
est de la fantasmagorie. Qu'on éloigne Simon du lit
alin que les ruses du diable soient pleinement mises à
nu. » On éloigne donc Simon du lit, et l'enfant resta
inmiobile. Alors saint Pierre, se tenant éloigné, fit une
prière, puis élevant la voix : <( Jeune homme, s'é-
( ria-t-il, au nom de Jésus de Nazareth qui a été cru-
cifié, lève-loi et marche. » El à l'instant il se leva en
SAINT FIERHE, APOTRE 181
vie et marcha. Comme le peuple voulait lapider Simon
saint Pierre dit : « II est bien assez puni de se recon-
naître vaincu dans ses artifices; or, notre maître nous
a enseigné à rendre le bien pour le mal. » Alors Simon
dit : « Sachez, vous, Pierre et Paul, que vous n'obtien-
drez rien de ce que vous désirez ; car je ne daignerai
pas vous faire gagner la couronne du martyre. » Saint
Pierre reprit : « Qu'il nous arrive ce que nous dési-
rons : mais à toi il ne peut arriver rien de bon, car
chacune de tes paroles est un mensonge. » Saint Marcel
dit qu'alors Simon alla à la maison de son disciple
Marcel, cl qu'il y lia à la porte un chien énorme en
disant : « Je verrai à présent si Pierre, qui vient d'or-
dinaire chez toi, pourra entrer. )> Peu d'instants après
saint Pierre arriva, et en faisant le signe de la croix, il
délia le chien. Or, ce chien se mit à caresser tout le
monde, et ne poursuivait que Simon : il le saisit, le ren-
versa par terre, et il voulait l'étrangler, quand saint
Pierre accourut et cria au chien de ne point lui faire
de mal; or, cette bête, sans toucher son corps, lui ar-
racha tellement ses habits qu'elle le laissa nu sur la
terre. Alors le peuple et surtout les enfants coururent
après le chien en poursuivant Simon jusqu'à ce qu'ils
Feussent chassé bien loin de la ville, comme ils eussent
fait d'un loup. Simon ne pouvant supporter la honte
de cet affront resta un an sans reparaître. Marcel, en
vovant ces miracles, s'attacha désormais à saint Pierre.
Dans la suite, Simon revint et rentra de nouveau dans
les bonnes grâces de Néron. Simon donc, d'après saint
Léon, convoqua le peuple, et déclara qu'il avait été
outrageusement traité par les Galiléens, et pour ce
II. 12-
182 LA LÉGENDE DOREE
motif^ il dit vouloir quitter cette ville qu'il avait cou-
tume de protéger ; qu'il fixerait un jour où il monte-
rait au ciel, car il ne daignait plus rester davantage
sur la terre. Au jour fixé, il monta donc sur une tour
élevée, ou bien, d'après saint Lin, il monta au Capitole
et, couvert de laurier, il se jeta en l'air et se mit à vo-
ler. Or, saint Paul dit à saint Pierre : « C'est à moi de
prier et à vous de commander. » Néron dit alors : « Gel
homme est sincère, et vous n'êtes que des séducteurs. »
Or, saint Pierre dit à saint Paul : « Paul, levez la tête
et voyez. » Et quand Paul eut levé la tête et qu'il eut
vu Simon dans les airs, il dit à Pierre : « Pierre, que
tardez-vous? achevez ce que vous avez commencé :
déjà le Seigneur nous appelle. » Alors saint Pierre dit:
« Je vous adjure. Anges de Satan, qui le soutenez dans
les airs, par N.-S. J.-C, ne le portez plus davantage,
mais laissez-le tomber. » A l'instant il fut lâché, tomba ,
se brisa la cervelle, et expira *. Néron, à cette nou-
velle, fut très fâché d'avoir perdu, quant à lui, un pa-
reil homme et il dît aux apôtres : « Vous vous êtes
rendus suspects envers moi ; aussi vous punirai-je
d'une manière exemplaire. » Il les remit donc entre
les mains d'un personnage très illustre, appelé Paulin,
qui les fil enfermer dans la prison Mamertine sous la
ijarde de Processus et de Martinien, soldats que saint
Pierre convertit à la foi : ils ouvrirent la prison et lais-
sèrent aller les apôtres en liberté. C'est pour cela que,
* Ce fait (le la chute et de la mort de Simon le magicien
est constaté par les Constifutions apostoliques d'Arnobc, par
saint Cyrille de Jérusalem, saint Ambroise, saint Augustin,
Isidore de Peluse, Théodorat, Maxime de Turin, etc.
SAINT PIERRE, APOTRE 183
après le nftarlyrfedes apôtres, Paulin manda Processus
et Marlinien, et quand il eut découvert qu'ils étaient
chrétiens, on leur trancha la tête par ordre de Néron.
Or, les frères pressaient Pierre de s'en aller, et il ne le
fil qu'après avoir été vaincu par leurs instances. Saint
Léon et saint Lin assurent qu'arrivé à la porte où
est aujourd'hui Sainte-Marie ad passus *, Pierre vit
J.-C. venant à sa rencontre, et il lui dit : « Seigneur,
où allez-vous? » J.-C; répondit : « Je viens à Rome pour
V être crucifié encore une fois. » « Vous seriez crucifié
encore une fois, répartit saint Pierre. » « Oui, lui ré-
pondit le Seigneur. » Alors Pierre lui dit : « Seigneur,
je retournerai donc, pour être crucifié avec vous. » Et
après ces paroles, le Seigneur monta au ciel à la vue
de Pierre qui pleurait. Quand il comprit que c'était de
son martyre à lui-même que le Sauveur avait voulu
parler, il revint, et raconta aux frères ce qui venait
d*arriver. Alors il fut pris par les officiers de Néron et
mené au préfet Agrippa. Saint Lin dit que sa figure
devînt comme un soleil. Agrippa lui dit : « Es-tu donc
celui qui se glorifie dans les assemblées où ne se trou-
vent que la populace et de pauvres femmes que tu éloi-
gnes du lit de leurs maris? » L'apôtre le reprit en di-
sant qu'il ne se glorifiait que dans la croix du Seigneur.
Alors Pierre, en qualité d'étranger, fut condamné a
* Origène sur saint Jean, saint Ambroîsc, sermon 08, saint
Grégoire le Grand, sur le Psaume ci.
Celle église existe encore sur la voie Appiennc et est conniio
sous le nom Domine quo vadis.
Hetychius, De excidio HievosoL ; saint Athanase, De faya sua;
Innocent III, Pierre de Blois.
184 LA LÉGENDE DOREE
élre crucifié, mais Paul, en sa qualité de citoyen ro-
main, fut condamné à avoir la tête tranchée.
A l'occasion de cette sentence, Denys en son épître
à Timothée parle ainsi de la mort de saint Paul : « O
mon frère Timothée, si tu avais assisté aux derniers
moments de ces martvrs, tu aurais défailli de tristesse
et de douleur. Qui est-ce qui n'aurait pas pleuréquand
fut rendue la sentence qui condamnait Pierre à être
crucifié et Paul à être décapité ? Tu aurais alors vu la
foule des çentils et des Juifs les frapper et leur cracher
au visage. » Or, arrivé l'instant où ils devaient consom-
mer leur affreux martyre, on les sépara l'un de l'autre
et on lia ces colonnes du monde, non sans que les
frères fissent entendre des gémissements et des san-
glots. Alors Paul dit à Pierre : « La paix soit avec vous,
fondement des églises, pasteur des brebis et des
agneaux de J.-C. » Pierre dit à Paul : « Allez en paix,
prédicateur des bonnes mœurs, médiateur et guide
du salut des justes. » Or, quand on les eut éloignés
l'un de l'autre, je suivis mon maître; car on ne les
tua point dans le même quartier (saint Denys). Quand
saint Pierre fut arrivé à la croix, saint Léon et Mar-
cel rapportent qu'il dit : « Puisque mon maître est
descendu du ciel en terre, il fut élevé debout sur lia
croix ; pour moi qu'il daigne appeler de la terre au
ciel, ma croix doit montrer ma tête sur la terre et di-
riger mes pieds vers le ciel. Donc, parce que je ne
suis pas digne d'cHre sur la croix de la même manière
que mon Seigneur, retournez ma croix et crucifiez-moi
la tête en bas. » Alors on retourna la croix et on l'at-
tacha les pieds en haut et les mains en bas. Mais, en
SAINT PIERRE, APOTRE 185
ce moment, le peuple rempli de fureur voulait tuer
Néron el le gouverneur, ensuite délivrer Tapôtre qui
les priait de ne point empêcher qu'on le martyrisât.
Mais le Seigneur, ainsi que le disent Hégésippe et Lin,
leur ouvrit les yeux, et comme ils pleuraient, ils virent
des anges avec des couronnes composées de fleurs de
roses et de lys, et Pierre au milieu d'eux sur la croix
recevant un livre que lui présentait J.-C, et dans le-
quel il lisait les paroles qu'il proférait. Alors saint
Pierre, au témoignage du même Hégésippe, se mit à
dire sur la croix : « C'est vous. Seigneur, que j'ai
souhaité d'imiter ; mais je n'ai pas eu la présomption
d'être crucifié droit: c'est vous qui êtes toujours droit,
élevé et haut ; nous sommes les enfants du premier
homme qui a enfoncé sa tête dans la terre, et dont la
chute indique la manière avec laquelle l'homme vient
au monde ; nous naissons en effet de telle sorte que
nous paraissons être répandus sur la terre. Notre con-
dition a été renversée, el ce que le monde croit être à
droite est certainement à gauche. Vous, Seigneur, vous
me tenez lieu de tout ; tout ce que vous êtes, vous
Têtes pour moi, et il ny a rien autre que vous seul.
Je vous rends grâce de toute mon âme par laquelle jo
vis, par laquelle j'ai l'intelligence et par laquelle je
parle. » On connaît par là deux autres motifs pour les-
quels il ne voulut pas être crucifié droit. Et saint Pierre
voyant que les fidèles avaient été témoins de sa gloire,
rendit grâces à Dieu, lui recommanda les chrétiens el
rendit l'esprit. Alors Marcel el Apulée qui étaient
frères, disciples de saint Pierre, le descendirent de la
croix et l'ensevelirent en Tembaumanl avec divers aro-
186 LA LÉGENDE DOREE
mates. Isidore dans son livre deja Naissance et de la
Mort des Saints s'exprime ainsi : « Pierre après avoir
fondé l'église d'Antioche, vint à Rome, sous l'empe-
reur Claude, pour confondre Simon ; il prêcha l'Evan-
gile pendant vingt-cinq ans en cette ville dont il occupa
le siège pontifical^ et la trente-sixième année après la
Passion du Seigneur, il fut crucifié par Néron, la télé
en bas, ainsi qu'il l'avait voulu. Or, ce jour-là même,
saint Pierre et saint Paul apparurent à Denys, selon
qu'il le rapporte en ces termes dans la lettre citée plus
haut : « Ecoute le miracle, Timothée, mon frère, vois
le prodige, arrivé au jour de leur supplice : car j'étais
présent au moment de leur séparation. Après leur
mort, je les ai vus, se tenant par la main l'un et l'autre,
entrer par les portes de la ville, revêtus d'habits de
lumière, ornés de couronnes de clarté et de splendeur. »
Néron ne demeura pas impuni pour ce crime et
bien d'autres encore qu'il commit ; car il se tua de sa
propre main. Nous allons rapporter ici en peu de
mots quelques-uns de ses forfaits. On lit dans une
histoire apocryphe, toutefois, que Sénèque, son précep-
teur, espérait recevoir de lui une récompense digne
(le son labeur ; et Néron lui donna à choisir la
branche de l'arbre sur laquelle il préférait être pendu,
en lui disant que c'était là la récompense qu'il en de-
vait recevoir. Or, comme Sénèque lui demandait à
quel titre il avait mérité ce genre de supplice, Néron
fit vibrer plusieurs fois la pointe d'une épée au-dessus
de Sénèque qui baissait la tè(e pour échapper aux
coups dont il était menacé ; car il ne voyait point
sans effroi le moment où il allait recevoir la mort. El
SAINT PIERRE^ APOTRE 187
Néron lui dit : « Maître, pourquoi baisses-tu la tête
sous Tépée dont je te menace? » Sénèque lui répon-
dit : « Je suis homme, et voilà pourquoi je redoute
la mort, d'autant que je meurs malgré moi. » Néron
lui dit : « Je te crains encore comme je le faisais alors
que j'étais enfant : c'est pourquoi tant que tu vivras
je ne pourrai vivre tranquille. » Et Sénèque lui dit :
« S'il est nécessaire que je meure, accordez-moi au
moins de choisir le genre de mort que j'aurais voulu. »
« Choisis vite, répondit Néron, et ne tarde pas à mou-
rir. » Alors Sénèque fit préparer un bain où il se fit
ouvrir les veines de chaque bras et il finit ainsi sa vie
épuisé de sang. Son nom de Sénèque fut pour lui
comme un présage, se necans^ qui se tue soi-même : car
ce fut lui qui en quelque sorte se donna la mort, bien
qu'il y eût été forcé. On lit que ce même Sénèque eut
deux frères : le premier fut Julien Gallio, orateur
illustre qui se tua de sa propre main; le second fut
Mêla, père du poète Lucain ; lequel Lucain mourut
après avoir eu les veines ouvertes par Tordre de Néron,
d'après ce qu'on lit. On voit, dans la même histoire
apocryphe, que Néron, poussé par un transport infâme ;
fit tuer sa mère et la fit partager en deux pour voir
comment il était entretenu dans son sein. Les médecins
lui adressaient des remontrances par rapport au
meurtre de sa mère et lui disaient : « Les lois s'opposent
et l'équité défend qu'un fils tue sa mère : elle t'a en
fanté avec douleur et elle t'a élevé avec tant de labeur
et de sollicitude. » Néron leur dit : a Faites-moi conce-
voir un enfant et accoucher ensuite, afin que je puisse
savoir quelle a été la douleur de ma mère. )> Il avait
188 LA LÉGENDE DOREE
encore conyu cette volonté d'accoucher parce que, en
passant dans la ville, il avait entendu les cris d'une
femme en couches. Les médecins lui répondirent :
« Cela n'est pas possible ; c'est contre les lois de la
nature ; il n'y a pas moyen de faire ce qui n'est pas
d'accord avec la raison. » Néron leur dit donc: « Si
vous ne me faites pas concevoir et enfanter, je vous
ferai mourir tous d'une manière cruelle. » Alors les
médecins, dans des potions qu'ils lui administrèrent,
lui firent avaler une grenouille sans qu'il s'en aper-
(;0t, et, par artifice, ils la firent croîlre dans son
ventre : bientôt son ventre, qui ne pouvait souffrir cet
état contre nature, se gonfla, de sorte que Néron se
croyait gros d'un enfant ; et les médecins lui faisaient
observer un régime qu'ils savaient être propre à nour-
rir la grenouille, sous prétexte qu'il devait en user
ainsi en raison de la conception. Enfin tourmenté par
une douleur intolérable, il dit aux médecins: «Hâ-
tez le moment des couches, car c'est à peine si la
langueur où me met l'accouchement futur me donne
le pouvoir de respirer. » Alors ils lui firent prendre
une potion pour le faire vomir et il rendit une gre-
nouille affreuse à voir, imprégnée d'humeurs et cou-
verte de sang. Et Néron, regardant son fruit, en eut
horreur lui-même et admira une pareille monstruo-
sité : mais les médecins lui dirent qu'il n'avait produit
un fœtus aussi difforme que parce qu'il n'avait pas
voulu attendre le temps nécessaire. Et il dit : « Ai-je
été comme cela en sortant des flancs de ma mère? »
(( Oui, lui répondirent-ils. » 11 recommanda donc de
nourrir son fœtus et qu'on renfermât dans une pièce
SAINT PIERRE, APOTRE 189
voûtée pour l'y soigner. Mais ces clioses-là ne se
lisent pas dans les chroniques ; car elles sont apo-
cryphes. Ensuite s'étant émerveillé de la grandeur de
rincendie de Troie, il fit brûler Rome pendant sept
jours et sept nuits, spectacle qu*il regardait d'une
tour fort élevée, et tout joyeux de la beauté de cette
flamme, il chantait avec emphase les vers de VIliade.
On voit encore dans les chroniques qu'il péchait avec
des filets d'or, qu'il s'adonnait à l'étude de la mu-
sique, de manière à remporter sur les harpistes et les
comédiens : il se maria avec un homme, et cet homme
le prit pour femme, ainsi que le dit Orose *. Mais
les Romains, ne pouvant plus supporter davantage sa
folie, se soulevèrent contre lui et le chassèrent hors de
la ville. Lorsqu'il vit qu'il ne pouvait échapper, il af-
fila un bâton avec les dents et il se perça par le mi-
lieu du corps : et c'est ainsi qu il termina sa vie. On
lit cependant ailleurs qu'il fut dévoré par les loups.
A leur retour, les Romains trouvèrent la grenouille
cachée sous la voûte ; ils la poussèrent hors de la
ville et la brûlèrent : et cette partie de la ville où
avait été cachée la grenouille reçut, au dire de quel-
ques personnes, le nom de Latran {Latens raua)
(raine latente) **.
Du temps du pape saint Corneille, des chrétiens
*♦ ffist,, lib. m, cap. vu.
** Sulpice Sévère, Hist., liv. II, no iO, Dialo|Çiie II; — Saint
Augustin, Ciié de DieUy Hv. XX, chap.ix, rapportent des tradi-
tîoos étranges sur cet odieux personnaÉçe. Consultez une dis-
sertation du chanoine d'Amiens de L'Kstocq, sur l'auteur du
livre intitulé : De morte persecnforum.
190 LA lége;nde doréc
grecs volèrent les corps des apôtres et les emportè-
rent ; mais les démons, qui habitaient dans les idoles,
forcés par une vertu divine, criaient : « Romains, au
secours, on emporte vos dieux. » Les fidèles compri-
rent qu'il s'agissait des apôtres, et les gentils de leurs
dieux. Alors fidèles et infidèles, tout le monde se réu-
nit pour poursuivre les Grecs. Ceux-ci effrayés jetèrent
les corps des apôtres dans un puits auprès des cata-
combes ; mais dans la suite les fidèles les en ôtèrent.
Saint Grégoire raconte dans son Registre (liv. IV,
ép. XXX,) qu'alors il se fit un si affreux tonnerre et des
éclairs en telle quantité que tout le monde prit la fuite
de frayeur, et qu'on les laissa dans les catacombes.
Mais comme on ne savait pas distinguer les ossements
de saint Pierre de ceux de saint Paul, les fidèles, après
avoir eu recours aux prières et aux jeûnes, reçurent
celte réponse du ciel : « Les os les plus grands sont
ceux du prédicateur, les plus petits ceux du pécheur. »
Ils 'séparèrent ainsi les os les uns des autres et les pla-
cèrent dans les églises qui avaient été élevées à chacun
d'eux. D'autres cependant disent que saint Silvestre,
pape, voulant consacrer les églises, pesa avec un grand
respect les os grands et petits dans une balance et qu'il
en mit la moitié dans une église et la moitié dans l'autre.
Saint Grégoire rapporte dans son Dialogue* y qu'il y
avait, dans l'église où le corps de saint Pierre repose, un
saint homme d'une grande humilité, nommé Agontus :
et il se trouvait, dans cette même église, une jeune fille
paralytique qui y habitait; mais réduite à ramper sur
* I/iv. III, c. xxiv el XXV.
SAINT PIERRE, APOTRE 191
les mains, elle était obligée de se traîner, les reins et les
pieds par terre: et depuis longtemps elle demandait
la santé à saint Pierre ; il lui apparut dans une vision
et lui dît : « Va trouver Agontius, le custode, et il te
guérira lui-même. » Celte jeune fille se mît donc à se
traîner çà et là de tous côtés dans l'église, et à cher-
cher qui était cet Agontius : mais celui-ci se trouva
tout à coup au-devant d'elle : « Notre pasteur et nour-
ricier, lui dit-elle, le bienheureux Pierre, apôtre, m'a
envoyé vers vous, pour que vous me délivriez de mon
infirmité. » Il lui répondit : « Si tu as été envoyée par
lui, lè%e-toi. » El lui prenant la main, il la fit lever et
elle fui guérie sans qu'il lui restât la moindre trace
de sa maladie. Au même livre, saint Grégoire dit en-
core que Galla, jeune personne des plus nobles de
Rome, fille du consul el patrice Symmaque, se trouva
veuve après un an de mariage. Son âge et sa fortune
demandaient qu'elle convolât à de secondes noces ;
mais elle préféra s'unir à Dieu par une alliance spiri-
tuelle, dont les commencements se passent dans la
tristesse mais par laquelle on parvient au ciel, plutôt
que de se soumettre à des noces charnelles qui com-
mencent toujours par la joie pour finir dans la tristesse.
Or, comme elle était d'une constitution toute de feu, les
médecins prétendirent qup si elle n'avait plus de com-
merce avec un homme, celte ardeur intense lui ferait
pousser de la barbe contre l'ordinaire de la nature.
(le qui arriva en effet peu de temps après. Mais Galla
ne tint aucun compte de celle difformité extérieure,
puisqu'elle aimait la beauté intérieure : el elle n'ap-
[iréhenda point, malgré cette laideur, de n'être point
192 LA LÉGENDE DOREE
aimée de Tépoux céleste. Elle quitta donc ses habits
du monde, et se consacra dans le monastère élevé au-
près de l'église de saint Pierre, où elle servit Dieu avec
simplicité et passa de longues années dans l'exercice
de la prière et de l'aumône. Elle fut enfin attaquée
d'un cancer au sein. Comme deux flambeaux étaient
toujours allumés devant son lit, parce que, amie de la
lumière, elle avait en horreur les ténèbres spirituelles
comme lès corporelles, elle vit le bienheureux Pierre,
apôtre, au milieu de ces deux flambeaux, debout de-
vant son lit. Son amour lui fit concevoir de l'audace
et elle dit : « Qu'y a-t-îl, mon maître? Est-ce que mes
péchés me sont remis? » Saint Pierre inclina la tête
avec la plus grande bonté, et lui répondit : « Oui, ils
sont remis, viens. » Et elle dit : « Que sœur Benotte
vienne avec moi, je vous en prie. » Et il dit : « Non,
mais qu'une telle vienne avec toi. » Ce qu'elle fit con-
naître à l'abbesse qui mourut avec elle trois jours
après. — Saint Grégoire raconte encore dans le même
ouvrage, qu'un prêtre d'une grande sainteté réduit à
l'extrémité, se mit à crier avec grande liesse : « Bien,
mes seigneurs viennent ; bien, mes seigneurs vien-
nent; comment avez-vous daigné venir vers unsiché-
tif serv^iteur? Je viens, je viens, je vous remercie, je
vous remercie. » Et comme ceux qui étaient là lui de-
mandaient à qui il parlait de la sorte, il répondit avec
admiration : « Est-ce que vous ne voyez pas que les
saints apôtres Pierre et Paul sont venus ici ensem-
ble? » Et comme il répétait une seconde fois les pa-
roles rapportées plus haut, sa sainte âme fut délivrée
(le son corps. — H y a doute, chez quelques auteurs,
\.
SAINT PIERRE, APOTRE 193
si ce fut le même jour que saint Pierre et saint Paul
souffrirent. Quelques-uns ont avs^ncé que ce fut le
même jour, mais un an après. Or, saint Jérôme et pres-
que tous les saints qui traitent cette question s'accor-
dent à dire que ce fut le mêmejouret la même année,
comme cela reste évident d'après la lettre de saint De-
nysy et le récit de saint Léon (d'autres disent saint
Maxime), dans un sermon où il s'exprime comme il
suit : « Ce n'est pas sans raison qu'en un même jour
et dans le même lieu, ils reçurent leur sentence du
même tyran. Ils souffrirent le même jour afin d'aller
ensemble à J.-C. ; ce fut au même endroit, afin que
Rome les possédât tous les deux ; sous le même per-
sécuteur, afin qu'une égale cruauté les atteignit en-
semble.
Ce jour fut choisi pour célébrer leur mérite; le
lieu pour qu'ils y fussent entourés de gloire ; le même
persécuteur fait ressortir leur courage. » Bien qu'ils
aient souffert le même jour et à la même heure, ce ne
fut pourtant pas au même endroit, mais dans des
quartiers différents : et ce que dit saint Léon qu'ils
souffrirent au même endroit, doit s'entendre qu'ils
souffrirent tous les deux à Rome. C'est à ce sujet qu'un
poète composa ces vers :
Ense coronatur Paulus, cruce Petrus, eodem
Sub duce, luce, loco, dux Nero, Roma locus '*,
• Traduction de Jean Baiallier:
Pol fut couronné d'une épée;
Pierre eut la croix renversée.
Néron fut duc, si comme Ton nomme
Le lieu fui la cité de Rom me.
II. 13
194 LA LÉGENDE DORÉE
Un autre dit encore :
Ense sacrât Paulum, par lux, dux, urbs, cruce Petrum ♦.
Quoiqu'ils aient souffert le même jour, cependant
saint Grégoire ordonna qu'aujourd'hui on célébrerait,
quant à l'office, la solennité de saint Pierre, et que le
lendemain, on ferait la fête de la Commémoration de
saint Paul ; en voici les motifs : en ce jour fut dédiée
l'église de saint Pierre; il est plus grand en dignité;
il est le premier qui fut converti ; enfin il eut la pri-
mauté à Rome.
SAINT PAUL, APOTRE.
Paul signifie bouche de trompette, ou bouche de ceux, ou
élu admirable, ou miracle d'élection. Paul vient encore de
pâma, qui veut dire repos en hébreu, et en latin modique.
Par quoi Ton connaît les six prérogatives particulières à saint
Paul. La Ire est une lanfij^ue fructueuse, car il prêcha TEvan-
gile depuis Tlllyrie jusqu'à Jérusalem, de là le nom de bouche
de trompette. La 2® est un amour de mère, qui lui fait dire :
<« yui est faible, sans que je m'affaiblisse avec lui? (II, Cor.,
XI) » C'est pour cela que son nom veut dire bouche de ceux,
ou bouche de cœur, ainsi qu'il le dit lui-même (II, Cor., vi).
<« O Corinthiens, ma bouche s'ouvre, et mon cœur s'étend par
l'affection que je vous porte. » La 3* est une conversion mira-
culeuse, c'est pour cela qu'il est appelé élu admirable, parce
qu'il fut élu et converti merveilleusement. La \^ est le tra-
vail des mains, et voilà pourquoi il est nommé miracle d'élec-
* Paul est sacré par le cflaive. Pierre par la croix : à tous
deux, la même jçloire, le même bourreau, et Rome pour théA-
tre.
SAINT PAUL, APOTRE 495
lion : ce fot un grand miracle en lui que de préférer gagner
ce qui lui était nécessaire pour vivre et prêcher sans cesse.
La 5^ fut une contemplation délicieuse, parce qu'il fut élevé
jusqu'au troisième ciel ; de là le nom de repos du Seigneur;
car dans la contemplation, repos d'esprit est requis. La 6«
est son humilité, de là le nom de modique. H y a trois opi-
nions au sujet du nom de Paul. Origène veut qu'il ait toujours
en deux noms et qu'il ait été indifféremment appelé Saul et
Paul ; Raban veut qu'avant sa conversion il eut le nom de
Sauly du roi orgueilleux Saûl, mais qu'après il fut nommé
Paul, qui veut dire petit, en esprit et en humilité : et il donne
lui-même l'interprétation de son nom quand il dit : « Je suis
le plus petit des apôtres. » Bède enfin veut qu'il ait été appelé
Paul, de Sergius Paulus, proconsul, converti par lui à la foi.
Le martyre de saint Paul fut écrit par saint Lin, pape.
Paul, apôtre, après sa conversion, souffrit beaucoup
de persécutions énumérées en ces termes par saint
Hilaire : « Pau^ est fouetté de verges à Philippes ; il
est mis en prison ; il est attaché par les pieds à un
poteau ; il est lapidé à Lystra ; il est poursuivi d'Iconc
et de Thessalonique par les méchants ; à Ephèse, il
est livré aux bétes ; à Damas, on le descend du haut
d'un mur dans une corbeille ; à Jérusalem, il est arrêté,
battu, enchaîné, on lui tend des embûches; à Césarée,
il est emprisonné et incriminé. Il est en péril sur
mer, dans son voyage en Italie; arrivé à Rome, il est
jugé et meurt tué sous Néron. » Il reçut l'apostolat
en faveur des gentils ; il redressa un perclus à Lystra ;
il ressuscita un jeune homme qui, tombé d'une fe-
nêtre, avait rendu le dernier soupir, et fit grand
nombre d'autres miracles. Dans Tfle de Malte, une
vipère lui saisit la main, mais l'ayant secouée dans le
feu, il n'en reçut aucune atteinte. On rapporte que
196 LA LÉGENDE DORÉE
tous les descendants de celui qui donna l'hospitalité h
saint Paul ne ressentent aucun mal des bêtes veni-
meuses; et quand ils viennent au monde, le père met
des serpents dans leur berceau pour s'assurer s'ils
sont vraiment sa liçnée. On trouve encore quelquefois
que saint Paul est tantôt inférieur à saint Pierre, tan-
tôt plus grand, tantôt égal ; mais en réalité, il lui est
inférieur en dignité, supérieur dans la prédication et
égal en sainteté. Haymon rapporte que saint Paul se
livrait au travail des mains depuis le chant des poussins
jusqu'à la cinquième heure ; ensuite il vaquait à la
prédication, de telle sorte que le plus souvent, il pro-
longeait son discours jusqu'à la nuit : le reste du temps
lui suffisait pour ses repas, son sommeil et son oraison.
Quand il vint à Rome, Néron, qui n'était point encore
confirmé empereur, apprit qu'il s'était élevé une dis-
pute entre Paul et les Juifs au sujet delà loi judaïque
et de la foi des chrétiens : il ne s'en mit pas beaucoup
en peine, de sorte que saint Paul allait et prêchait li-
brement où il voulait. Saint Jérôme, en son livre des
Hommes illustres, dit que, « 25 ans après la Passion
du Seigneur, c'est-à-dire la 2® du règne de Néron,
saint Paul fut envoyé à Rome chargé de chaînes, et
que pendant deux ans il demeura libre sous une garde;
qu'il disputait contre les Juifs, et que relâché ensuite
par Néron, il prêcha l'Evangile dans l'Occident. L'an 14
de Néron, il fut décapité la même année et le même
jour que saint Pierre fut crucifié. » Sa sagesse et sa
religion étaient partout en renom et on le regardait
généralement comme un homme admirable. Il se fit
beaucoup d'amis dans la maison de l'empereur, et il
SAINT PAUL, APOTRE 197
les convertit à la foi de J.-C. Quelques-uns de ses
écrits furent lus devant le César ; tout le monde en
fit j^rand élog^e; le Sénat lui-même avait beaucoup
d'estime pour sa personne. Une fois que saint Paul
prêchait, vers le soir, sur une terrasse, un jeune
homme nommé Patrocle, échanson favori de Néron,
monta à une fenêtre pour entendre plus commodé-
ment le saint apôtre, à cause de la foule, et s'y étant
légèrement endormi, il tomba et se tua. Néron à cette
nouvelle eut beaucoup de chagrin de sa mort et aus-
sitôt il pourvut à son remplacement. Mais saint Paul,
qui en fut instruit par révélation, dit aux assistants
d* aller et de lui rapporter le cadavre de Patrocle,
Tami du César. On le lui apporta et saint Paul le res-
suscita, ensuite il l'envoya à César avec ses compa-
gnons. Comme Néron se lamentait sur la perte de son
favori, voilà qu'on lui annonce que Patrocle vivant
était à la porte. Néron informé que celui qu'il avait
cru mort tout à l'heure était en vie, fut extraordinai-
rement effrayé et refusa de le laisser entrer auprès de
l^ii ; mais enfin à la persuasion de ses amis, il permit
mi*on l'introduisît. Néron lui dit : <( Patrocle, tu vis? >x
El Patrocle répondit : « César, je vis. » Et Néron dit :
" Qui t'a fait vivre? » Patrocle reprit : « C'est Jésus-
^"risl, le roi de tous les siècles. » Néron se mil en
colère et dit : « Alors celui-ci régnera sur les siècles et
détruira donc les royaumes du monde ? » Patrocle lui
répliqua : « Oui, César. » Néron lui donna un soufflet
^^ disant : « Donc tu es au service de ce roi? » « Oui,
i'épondit Patrocle, je suis à son service, parce qu'il
ni a ressuscité d'entre les morts. » Alors cinq des offi-
II. 13-
198 LA LÉGKNDE DORÉE
ciers de l'empereur qui l'accompagnaient constamment
lui dirent : « Empereur, pourquoi frapper ce jeune
homme plein de prudence et qui répond la vérité? Et
nous aussi nous sommes au service de ce roi invin-
cible. » Néron, à ces mots, les fit enfermer en prison,
afin de tourmenter cruellement ceux qu'il avait aimés
jusqu'alors extraordinairement. Il fit en même temps
rechercher tous les chrétiens et il les fit punir tous sans
forme de procès.
Paul fut conduit, chargé de chaînes, avec les autres,
pardevant Néron qui lui dit : « O homme, le serviteur
du grand roi, mais cependant mon prisonnier, pour-
quoi m'enlèves-tu mes soldats et les prends-tu pour
toi? » c( Ce n'est pas seulement, répondit saint Paul,
dans le coin de la terre où tu vis que j'ai levé des
soldats, mais j'en ai enrôlé de l'univers entier : noire
Roi leur accordera des récompenses qui, loin de leur
manquer jamais, les mettront à l'abri du besoin. Toi,
si tu veux. lui être soumis, tu seras sauvé. Sa puissance
est si grande qu'il viendra juger tous les hommes et
qu'il dissoudra par le feu la figure de ce monde. »
Quand Néron, enflammé de colère, eut entendu dire
à saint Paul que le feu devait dissoudre la figure du
monde, il ordonna qu'on fît brûler tous les soldats de
J.-C. et de couper la tête à saint Paul, comme coupable
de lèse-majesté. Or, la foule de chrétiens qui furent
tués était si grande que le peuple romain se porta avec
violence au palais et se disposait à exciter une sédi-
tion contre Néron, en criant tout haut : « Arrête,
César, suspends le carnage et l'exécution de tes ordres.
Ceux que tu fais périr sont nos concitoyens; ce sont
SAINT PAUL, APOTRE 199
les soutiens de l'empire romain. » Néron eut peur et
modifia son édit en ce sens que personne ne mettrait
la main sur les chrétiens qu'autant que l'empereur
mieux informé les eût jugés. C'est pourquoi Paul fut
ramené et présenté de nouveau à Néron. Il ne l'eut pas
plutôt vu qu'il s'écria avec violence : « Emmenez ce
malfaiteur, décapitez cet imposteur ; ne laissez pas
vivre ce criminel ; défaites-vous de cet homme qui
égare les intelligences ; ôtez de dessus la terre ce sé-
ducteur des esprits. » Saint Paul lui dit : u Néron, je
souffrirai l'espace d'un instant, mais je vivrai éter-
nellement en Notre-SeigneurJ.-C. » Néron dit: «Tran-
chez-lui la tête afin qu'il apprenne que je suis plus
puissant que son roi, moi qui l'ai vaincu; et nous ver-
rons s'il pourra toujours vivre. » Saint Paul reprit :
« Afin que tu saches qu'après la mort de mon corps,
je vis éternellement, quand ma tète aura été coupée,
je t'apparaîtrai vivant, et tu pourras connaître alors
que J.-C. est le Dieu de la vie et non de la mort. »
Ayant parlé ainsi, il fut mené au lieu du supplice.
Dans le trajet, trois soldats qui le conduisaient lui
dirent : « Dis-nous, Paul, quel est celui que tu ap-
pelles votre roi, que vous aimez au point de préférer
mourir pour lui plutiH que de vivre ; et quelle récom-
pense vous recevrez de tout cela? » Alors saint Paul
leur parla du royaume de Dieu et des peines de l'enfer
de manière qu'il les convertit à la foi. Ils le prièrent
d'aller en liberté où il voudrait, mais il leur dit : « A
Dieu ne plaise, mes frères, que je prenne la fuite ; je
ne suis pas un transfuge, mais un véritable soldat de
J.-C. : car je sais que cette vie qui passe me conduira à
200 LA LÉGENDE DOREE
une vie éternelle ; tout à l'heure, quand j'aurai été
décapité, des hommes fidèles enlèveront mon corps.
Quant à vous, remarquez bien la place, et venez-y de-
main matin : vous trouverez auprès de mon sépulcre
deux hommes en prières, ce sera Tite et Luc ; quand
vous leur aurez dit pour quel motif je vous ai adressés
à eux, ils vous baptiseront et vous feront participants
et héritiers du royaume du ciel. » Il parlait encore
quand Néron envoya deux soldats pour voir s*il n'était
pas encore exécuté ; et comme saint Paul voulait les
convertir, ils dirent : « Lorsque tu seras mort et res-
suscité, alors nous croirons ce que tu dis ; pour le mo-
ment viens vite et reçois ce que tu as mérité. » Amené
au lieu du supplice, à la porte d'Ostie,il rencontra une
matrone nommée Plantille ou Lémobie, d'après saint
Denys (peut-être elle avait deux noms). Cette dame
se mit à pleurer et à se recommander aux prières de
saint Paul qui lui dit : « Va, Plantille, fille du salut
éternel, prête-moi le voile dont tu te couvres la tête,
je m'en banderai les yeux et ensuite je te le remet-
trai. » Et comme elle le lui donnait, les bourreaux se
moquaient d'elle en disant : « Qu'as-tu besoin de don-
ner à cet imposteur et à ce magicien un voile si pré-
cieux que tu perdras? » Paul étant donc venu au lieu
de l'exécution, se tourna vers l'Orient et pria très long-
temps dans sa langue maternelle, les mains étendues
vers le ciel et en versant des larmes, il rendit grâces.
Ensuite, ayant dit adieu aux frères, il se banda les
yeux avec le voile de Plantille, puis ayant fléchi les
deux genoux en terre, il présenta le cou et fut ainsi
décolle. Au moment où sa tête fut détachée du corps.
\
SAINT PAUL, APOTRE 201
il prononça distinctement en hébreu : « Jésus-Christ » ;
nom qui avait été d'une grande douceur pour lui dans
sa vie et qu'il avait répété si souvent. On dit en effet
que, dans ses Epttres, il répéta Christ, ou Jésus, ou
l'un et l'autre ensemble cinq cents fois. Du lait jaillit
du corps mutilé jusque sur les habits d'un soldat * ;
ensuite le sang coula : une lumière immense brilla
dans lair et une odeur des plus suaves émana de son
corps.
Saint Denys dans son épttre à Timothée s'exprime
ainsi sur la mort de saint Paul : « â cette heure pleine
de tristesse, mon frère chéri, quand le bourreau dit
à saint Paul : « Prépare ton cou », alors le bienheu-
reux apôtre leva les yeux au ciel, se munit le front et
/a poitrine du signe de la croix et dit : « Mon Sei-
« gneur J.-C., je remets mon esprit entre vos mains » :
et alors sans tristesse et sans contrainte, il présenta le
cou et reçut la couronne. » Au moment où le bourreau
frappait et tranchait la tétc de Paul, ce bienheureux,
en recevant le coup, détacha le voile, et reçut son pro-
pre sang dans ce voile, le lia, le plia et le rendit à
cette femme. Et quand le bourreau fut revenu, Lémo-
bic lui dit : « Où as-tu laissé mon maître Paul ? » Le
soldat répondit : « Il est étendu là-bas avec son com-
pagnon, dans la vallée du Pugilat, hors de la ville ;
et sa figure est couverte de ton voile. » Or, Lémobie
répondit : « Voici que Pierre et Paul viennent d'entrer
à l'instant, revêtus d'habits éclatants, portant sur la
tête des couronnes brillantes et rayonnantes de lu-
* Ce fait est rapporté par Grégoire de Tours.
202 LA LÉGENDE DOREE
inière. » Alors elle leur montra le voile tout ensan-
glanté : ce qui donna lieu à plusieurs de croire au
Seig^neur et de se faire chrétiens (saint Denys). Né-
ron, ayant appris ce qui était arrivé, eut une violente
peur et s'entretint de tout cela avec les philosophes et
avec ses favoris. Or, pendant la conversation saint Paul
vint les portes fermées ; et, debout devant César, il lui
dit : « César, voici Paul, le soldat du roi éternel et
invincible ; crois au moins maintenant que je ne suis
pas mort, mais que je vis et toi, misérable, tu mour-
ras d'une mort éternelle, parce que tu tues injustement
les saints de Dieu. » Ayant parlé ainsi, il disparut.
Alors Néron devint comme fou tant il avait été effrayé;
il ne savait ce qu'il faisait. Par le conseil de ses amis,
il délivra Palrocle et Barnabe avec les autres chrétiens
et leur permit d'aller librement où ils voudraient.
Quant aux soldats qui avaient conduit Paul au sup-
plice, savoir Longin, chef des soldats, et Acceste, ils
vinrent le matin au tombeau de saint Paul et ils y
virent deux hommes, Tile et Luc en prières, et Paul
debout au milieu d'eux. Tite et Luc, en voyant les sol-
dats, furent fort effrayés et prirent la fuite ; alors Paul
disparut. Mais Lon^in et Acceste leur crièrent : « Non,
ce n'est pas vous que nous poursuivons, ainsi que vous
le paraissez croire, mais nous voulons recevoir le bap-
tême de vos mains, comme nous l'a dit Paul que nous
venons de voir prier avec vous. » A ces mots, Tite et
Luc revinrent et les baptisèrent avec çrande joie. Or,
la tête de Paul fut jetée dans une vallée, et comme il
y en avait beaucoup qui avaient été tués et qu'on avait
j(*tés au même endroit, on ne put la retrouver. Mais
SAINT PAUL, AI'ÛTHE 203
on lit dans la même épîlre de saint Denys, qu'un jour
où l'on curait une fosse, on jeta la tête de saint Paul
avec les autres immondices. Un berger la prit avec
sa houlette et l'attacha sur la bergerie. Pendant trois
nuits consécutives, son maitre et lui virent une lumière
ineffable sur cette tête; on en fit part à Tévêque, et
on dit : a Vraiment, c*est la tète de saint Paul. »
L'évêque vint avec toute l'assemblée des fidèles ; ils
prirent cette tête, l'emportèrent et ils la mirent sur
une table d'or, ensuite ils essayaient de la réunir au
corps. Le patriarche leur dit : a Nous savons que beau-
coup de fidèles ont été tués et que leurs têtes furent
dispersées; c'est pourquoi je n'oserais mettre celle-ci
sur le corps de saint Paul; mais plaçons-la aux pieds
du corps et demandons au Dieu tout puissant, que si
c'est sa tête, le corps se tourne et se joigne à la tête.
Du consentement général, on plaça cette même tête
aux pieds du corps de saint Paul, et comme tout le
monde était en prière, on fut saisi de voir le corps se
tourner et se joindre exactement à la tête. Alors ou
bénit Dieu et on connut que c'était bien là véritablement
le chef de saint Paul (saint Denys). »
Saint Grégoire de Tours, qui vécut du temps de
Justin le jeune, rapporte* qu*un homme au désespoir
préparait un lacet pour se pendre, sans pourtant ces-
ser d'invoquer le nom de saint Paul, en disant: « Ve-
nez à mon secours, saint Paul. » Alors lui apparut
une ombre dégoûtante qui l'encourageait en disant :
« Allons, bon homme, fais ce que tu as à faire, ne
* Mirac^y lib. I, c. xxix ; — Vincent de B., Ilist., 1, X, c. xai.
204 LA LEGENDE DOREE
perds pas de temps. » Mais il disait toujours, en ap-
prêtant son lacet : « Bienheureux Paul, venez à mon
secours. » Quand le lacet fut achevé, une autre om-
bre lui apparut ; elle avait une forme humaine, et elle
dit à Tombrequi encourageait cet homme: « Fuis, mi-
sérable, car il a appelé saint Paul et le voilà qui vient. »
Alors Tombre dégoûtante s'évanouît et le malheureux
rentrant en lui-même jeta son lacet et fit une pénitence
convenable. » Il se fait grand nombre de miracles
avec les chaînes de saint Paul, et quand beaucoup de
personnes en demandent un peu de limaille, un prêtre
en détache avec une lime quelques parcelles si vite que
cela est fait à l'instant. Cependant il arrive que d'au-
tres personnes, qui en demandent, n'en peuvent obte-
nir, car c'est inutilement que l'on passe la lime ; elle
n'en peut rien détacher. — Dans la même épître citée
plus haut, saint Denys pleure la mort de saint Paul,
son maître, avec des expressions touchantes : « Qui
donnera de l'eau à mes yeux, et à mes paupières une
fontaine de larmes afin de pleurer, le jour et la nuit,
la lumière des Eglises qui vient de s'éteindre? Qui est-
ce qui ne pleurera et ne gémira pas? Quel est celui
qui ne prendra pas des habits de deuil et ne restera
pas muet d'effroi? Voici en effet que Pierre, le fonde-
ment des Eglises, la gloire des saints apôtres, s'est re-
lire de nous et nous a laissés orphelins; Paul aussi,
cet ami des gentils, le consolateur des pauvres, nous
fait défiiut, et il a disparu pour toujours celui qui fut
le père des pères, le docteur des docteurs, le pasteur
(les pasteurs. Cet abîme de sagesse, cette trompette re-
tentissante, ce prédicateur infatigable de la vérité, en
SAINT PAUL, APOTRE 205
un moty c'est de Paul le plus illustre des apôtres que je
parle. Cet ange de la terre, cet homme du ciel, cette
image de la divinité, cet esprit divin nous a délaissés
tous, nous dis-je, misérables et indignes, au milieu de
ce monde qui ne mérite que mépris et qui est rempli
de malice. Il est avec Dieu son maître et son ami :
hélas I mon frère Timothée, le chéri de mon cœur, où
est ton père, ton maître et ton ami ? Il ne t'adressera
donc plus de salut? Voilà que tu es devenu orphelin,
et que lu es resté seul ; il ne t'écrira plus, de sa très
saintemain,ces douces paroles : «Très cher fils ; viens,
« mon frère Timothée. » Que s'est-il passé ici de triste,
d'affreux, de pernicieux pour que nous soyons devenus
orphelins? Tu ne recevras plus de ses lettres où tu
pouvais lire ces paroles : « Paul, petit serviteur de
« J.-C. » Il n'écrira plus désormais de toi aux cités:
« Recevez mon fils chéri. » Ferme, mon frère, les li-
vres des prophètes; mets-y un sceau, parce que nous
n^avons plus personne pour nous en expliquer les pa-
raboles, les comparaisons et le texte. Le prophète
David pleurait son fils en s'écriant : « Malheur à moi,
« mon fils, malheur à moi ! » Et moi je m'écrie : Mal-
heur à moi, mon maître, oui, malheur à moi I Depuis
lors a cessé tout à fait cette affluence de tes disciples
qui venaient à Rome et qui demandaient à nous voir.
Personne ne dira plus : Allons trouver nos docteurs,
et interrogeons-les sur la direction à imprimer aux
Eglises qui nous sont confiées, et ils nous expliqueront
les paroles de Notre-Seigneur J.-C. et celles des pro-
phètes. Malheur, malheur à ces enfants, mon frère,
parce qu'ils sont privés de leurs pères spirituels, parce
206 LA LÉGENDE DORÉE
que le troupeau est abandonné ! Malheur à nousaussi,
frère, parce que nous sommes privés de nos mattres
spirituels qui possédaient l'intelligence et la science
de Tancienne et de la nouvelle loi fondues dans leurs
épîtres ! Où sont les courses de Paul elles vestiges
de ses saints pieds ? où est cette bouche éloquente,
cette langue qui donnait des avis si prudents ; cet es-
prit toujours en paix avec son Dieu ? Qui est-ce qui
ne pleurera pas et ne fera pas retentir Tair de cris ?
Car ceux qui ont mérité de recevoir de Dieu gloire et
honneur sont traînés à la mort comme des malfai*
teurs. Malheur à moi qui ai vu à cette heure ce corps
saint tout couvert d'un sang innocent ! Ah ! quel mal-
heur pour moi ! mon père, mon maître et mon doc-
teur, vous ne méritiez pas de mourir ainsi. Et main-
tenant donc, où irai-je vous chercher, vous la gloire
des chrétiens, l'honneur des fidèles? qui a fait taire
votre voix, vous qui faisiez entendre dans les églises
des paroles qui avaient la douceur de la flûte, et la
sonorité d'un instrumenta dix cordes ? Voilà que vous
êtes auprès du Seigneur votre Dieu que vous avez dé-
siré de posséder et après lequel vous avez soupiré
de tout votre cœur. Jérusalem et Rome, vous vous
êtes associées et unies pour faire le mal, Jérusalem a
crucifié Notre-Seigneur J.-C, et Rome a tué ses apô-
tres. Cependant Jérusalem a obéi à celui qu'elle avait
crucifié, comme Rome a établi une solennité pour
glorifier celui qu'elle a tué. El maintenant, mon frère
Timothée, ceux que vous aimiez et que vous regrettiez
de tout cœur, je parle du roi Saul, et de Jonathas, ils
n'ont été séparés ni dans la vie, ni dans la mort, et
SAINT PAUL, APOTRE 207
moi je ne fus séparé de mon seigneur et maf Ire que
quand des hommes aussi méchants qu'injustes nous
ont séparés. Or, l'heure de cette séparation n'aura qu'un
temps: son ftme connaît ses amis, sans que ceux-
ci lui parlent, et bien qu'ils soient loin d'elle ; mais au
jour de la résurrection, ce serait un bien grand dom-
ma^ d'en être séparé. » Saint Jean Chrysostome, dans
son livre de V Eloge de saint Pauly ne tarit pas quand
il parle de ce glorieux apôtre. Voici ses paroles : « Ce-
lui-là ne s'est pas trompé qui a appelé l'âme de saint
Paul un champ magnifique de vertus et un paradis
spirituel. Où trouver une langue digne de le louer, lui
dont l'âme possède à elle seule tous les biens qui se
peuvent rencontrer dans tous les hommes, et qui réu-
nit non seulement chacune des vertus humaines, mais,
ce qui vaut mieux encore, les vertus angéliques ? Loin
de nous arrêter, cette considération nous encourage à
parler. C'est faire le plus grand éloge d'un héros que
d'avouer que sa vertu et sa grandeur sont au-dessus
de tout ce qu'on en peut dire. 11 est glorieux pour un
vainqueur d'être ainsi vaincu. Par quoi donc pouvons-
nous mieux commencer ce discours qu'en disant qu'il
a possédé tous les biens ? »
On loue Abcl d'un sacrifice qu'il a offert à Dieu ;
mais si nous montrons toutes les victimes de Paul,
ii l'emportera de toute la hauteur qui sépare le ciel
de la terre ; puisque, chaque jour il s'immolait lui-
même par un double sacrifice, celui delà mortification
du coeur et celui du corps. Ce n'étaient ni des brebis,
ni des bœufs qu'il offrait, c'était lui-môme qui s'im-
molait doublement. Ce n'est pas encore assez au gré
208 LA LÉGENDE DOREE
•
de ses désirs ; il voulut offrir Tunivers en holocauste,
la terre, la mer, les Grecs, les barbares, tous les pays
éclairés par le soleil, qu*il parcourt avec la rapidité du
vol, où il trouve des hommes, ou, pour mieux dire,
des démons, qu'il élève à la dignité des anges. Où
rencontrer une hostie comparable à celle que Paul a
immolée avec le glaive de rEspritrSaint, et qu'il a of-
ferte sur un autel placé au-dessus du ciel ? Abel a péri
sous les coups d'un frère, Paul a été tué par ceux qu'il
souhaitait arracher à d'innombrables maux. Voulez-
vous que je vous compte tous les genres de morts de
Paul, autant vaut compter les jours qu'il a vécu? Noé
se sauva dans l'arche lui et ses enfants : saint Paul
construisit une arche pour sauver d'un déluge bien
autrement affeux, non pas en assemblant des pièces
de bois ; mais en composant ses épîtres, il a délivré le
monde en danger au milieu des flots. Or, cette arche
n'est pas portée sur des vagues qui battent un seul ri-
vage, elle va sur tout le globe. Ses tablettes ne sont en-
duites ni de poix ni de bitume,elles sont imprégnées du
parfum du Saint-Esprit : Il les écrit et par elles, de
ceux qui étaient, pour ainsi dire, plus insensés que les
êtres sans raison, il en fait les imitateurs des anges.
Il l'emporte encore sur l'arche qui reçut le corbeau et
ne rendit que le corbeau, qui avait renfermé le loup
sans lui faire perdre son naturel farouche : tandis que
Paul prend les vautours et les milans pour en faire
des colombes, pour inoculer la mansuétude de Tesprit
dans des cœurs féroces. On admire Abraham qui, par
Tordre de Dieu, abandonna sa patrie et ses parents ;
mais comment l'égaler à Paul. Il n'a pas seulement
SAINT PAUL, APOTRE 209
quitté son pays, ses parents, c'est le monde lui-même,
cesl plus encore, c'est le ciel, le ciel des cieux; il mé-
prise tout cela afin de servir J.-C, ne se réservant à
la place qu'une seule chose, la charité de Jésus. « Ni
les choses présentes, dit-il, ni celles qui sont à venir,
ni tout ce qu'il y a de plus haut ou de plus profond,
nullecréature enfin ne me pourra jamais séparer de Ta-
mourde Dieu qui est fondé en J.-C. N.-S. » Abraham
s'expose au danger pour délivrer de ses ennemis le fils
de son frère, mais Paul, afin d'arracher l'univers à la
puissance des démons, a affronté des périls sans nom-
bre et a mérité aux autres une pleine sécurité par la
mort qu'il souffrait tous les jours. Abraham encore a
voulu immoler son fils. Paul s'est immolé lui-même
des milliers de fois. Il s'en trouve qui admirent la pa-
tience d'Isaac laissant combler le puits creusé par ses
mains; mais ce n'étaient pas des puits que Paul lais-
sait couvrir de pierres, c'était son corps à lui, et ceux
qui l'écrasaient, il cherchait à les élever jusqu'au ciel.
Et plus cette fontaine était comblée, plus haut elle
jaillissait, plus elle débordait, au point de donner
naissance à plusieurs fleuves. L'écriture parle avec
admiration de la longanimité et de la patience de Jacob;
eh bien! trouvez une âme à la trempe de diamant qui
atteigne à la patience de Paul. Ce n'est pas pendant
sept ans, mais toute sa vie qu'il s'enchaîne à l'escla-
vage pour l'épouse de J.-C. Ce n'est pas seulement la
chaleur du jour ni le froid des nuits : ce sont mille
épreuves qui l'assaillent. Tantôt battu de verges, tan-
tôt accablé et broyé sous une grêle de pierres, toujours
il se relève pour arracher les brebis de la gueule des
n. li
210 LA LÉGENDE DOREE
démons. Joseph est illustre par sa pureté; mais j'au-
rais à craindre de tomber ici dans le ridicule en vou-
lant louer saint Paul, lui qui se crucifiait lui-même,
voyait toute la beauté du corps humain et tout ce qui
paraît brillant du même œil que nous regardons de la
fumée et de la cendre, semblable à un mort qui reste
immobile à côté d'un cadavre. Tout le monde est
effrayé de la conduite de Job. C'était en effet un mer-
veilleux athlète. Mais Paul n*eut pas à soutenir des
combats de quelques mois, son agonie dure des
années. Sans être réduit à racler ses plaies avec des
morceaux de vase, il sort éclatant de la gueule du lion
qui, dans la personne de Néron, s'est jeté sur lui coup
sur coup : et après des combats et des épreuves innom-
brables, il avait l'éclat de la pierre la mieux polie. Ce
n'était pas de trois ou quatre amis, mais de tous les
infidèles, de ses frères même, qu'il eut à endurer les
opprobres ; il fut conspué et maudit de tous. II exer-
çait cependant largement l'hospitalité ; il était plein de
sollicitude à l'égard des pauvres ; mais l'intérêt qu'il
portait aux infirmes, il retendait aux âmes souffrantes.
La maison de Job était ouverte à tout venant ; l'âme
de Paul renfermait le monde. Job possédait d'im-
menses troupeaux de bœufs et de brebis, il était libé-
ral envers les indigents : Paul ne possède rien que son
corps et il se partage en faveur des pauvres. « Ces
mains, dit-il, ont pourvu à mes besoins propres,
comme aux besoins de ceux qui étaient avec moi. »
Job rongé par les vers souffrait d'atroces douleurs;
mais comptez les coups reçus par Paul, calculez à
(|aelles angoisses l'ont réduit la faim, les chaînes et
SAINT PAUL, APOTRE 2 1 1
les périls qu'il a subis de la part de ses familiers,
comme des étrangers, de Tunivers entier, en un mot :
voyez la sollicitude qui le dévore pour toutes 1rs
Églises, le feu qui le brûle quand il sait quelqu'un
scandalisé, et vous comprendrez que son âme était
plus dure que la pierre, plus forte que le fer et que le
diamant.
Ce que Job souffrait dans ses membres, Paul le
souffrit en son ftme. Les chutes de chacun de ses
frères lui causaient des chagrins plus vifs que toutes
les douleurs; aussi coulait-il de ses yeux, le jour
comme la nuit, des fontaines de larmes. C'étaient les
étreintes d'une femme en travail : « Mes petits enfants,
s'écriait-il, je sens de nouveau pour vous les douleurs
de l'enfantement. » Moïse, pour le salut des Juifs,
s'offrit à être effacé du livre de vie : Moïse donc s'of-
frit à mourir avec les autres, mais Paul voulait mou-
rir pour les autres, non pas avec ceux qui devaient
périr, mais pour obtenir le salut d'autrui, il engageait
son salut éternel. Moïse résistait à Pharaon ; Paul
luttait tous les jours avec le démon ; le premier com-
battait pour une nation, le second pour l'univers,
non pas jusqu*à la sueur de son front, mais jusqu'à
donner son sang. Jean se nourrissait de sauterelles
et de miel sauvage, Paul au milieu du tourbillon du
monde comme le précurseur au milieu du désert,
n'avait pas même de sauterelles ni de miel. Il se con-
tentait de mets moins recherchés encore. Sa nour-
riture était le feu de la prédication. Toutefois devant
Néron, Jean fit preuve d'un grand courage, mais
ce ne fut pas un, ni deux, ni trois, mais des tyrans sans
212 LA LKGENDE DOREE
nombre, aussi haut placés et plus cruels encore que
Paul eut à reprendre.
Il me reste à comparer Paul avec les anges; sa part
n'est pas moins brillante, puisqu'il n'eut souci que
d'obéir à Dieu. Quand David s'écriait transporté d'ad-
miration : « Bénissez le Seigneur, vous tous qui êtes
ses anges, qui êtes puissants et remplis de force pour
faire ce qu'il vous dit, pour obéir à sa voix et à ses
ordres. Mon Dieu, dit-il ailleurs, vous rendez vos an-
ges légers comme le vent et vos ministres actifs comme
«les flammes ardentes. » Mais nous pouvons trouver
ces qualités dans Paul. Semblable à la flamme et au
vent il a parcouru l'univers, et, dans sa course, il l'a
purifié. Toutefois il n'était pas encore participant de
la béatitude céleste ; et c'est là le prodige qu'il ait tant
fait n'étant encore revêtu que d'une chair mortelle.
Quel sujet de condamnation pour nous de n'avoir point
à cœur d'imiter la moindre des qualités qui se trouvent
réunies dans un seul homme ! Sans avoir reçu ni une
autre nature ni une autre âme que nous, sans avoir
habité un autre monde, mais placé sur la même terre
et dans les mêmes régions, élevé sous l'empire des
mêmes lois et des mêmes usages, il a surpassé tous
les hommes de son siècle et ceux du siècle à venir.
Ce que je trouve d'admirable en lui, c'est que non
seulement dans l'ardeur de son zèle, il ne sentait pas
les peines qu'il essuyait pour la vertu, mais qu'il em-
brassa ce noble parti sans attendre aucune récompense,
l/attrait d'une rétribution ne nous engage point à en-
trer dans la lice où saint Paul courait avec empresse-
ment, saus qu'aucun prix vnit animer son courage et
SAINT PAUL, APOTRE 2i3
son amour ; et il acquérait chaque jour plus de force,
il montrait une ardeur toujours nouvelle au milieu des
périls. Menacé de la mort, il invitait les peuples à par-
tager la joie dont il était pénétré: « Réjouissez-vous,
leur disait-il, et félicitez-moi. » Il courait au-devant
des affronts et des outrages que lui attirait la prédi-
cation, beaucoup plus que nous ne cherchons la gloire
et les honneurs ; il désirait la mort beaucoup plus que
nous n'aimons la vie ; il chérissait beaucoup plus la
pauvreté que nous n'ambitionnons les richesses ; il
embrassait les travaux et les peines avec beaucoup
plus d'ardeur que nous ne désirons les voluptés et le re-
pos après les fatigues; il s'affligeait plus volontiers que
les autres ne se réjouissent; il priait pour ses ennemis
avec plus de zèle que les autres ne s'emportent contre
eux en imprécations. La seule chose devant laquelle il
reculait avec horreur, c'était d'offenser Dieu ; mais ce
qu'il désirait surtout, c'était de lui plaire. Aucun des
biens présents, je dis même aucun des biens futurs,
ne lui semblait désirable ; car ne me parlez pas de
villes, de nations, d'armées, de provinces, de riches-
ses, de puissance ; tout cela n'était à ses yeux que
des toiles d'araignée; mais considérez le bonheur qui
nous est promis dans le ciel, et alors vous verrez tout
l'excès de son amour pour Jésus. La dignité des anges
et des archanges, toute la splendeur céleste n'étaient
rien pour lui en comparaison de la douceur de cet
amour; l'amour de Jésus était pour lui plus que tout
le reste. Avec cet amour il se regardait comme le plus
heureux de tous les êtres ; il n'aurait pas voulu, sans
cet amour, habiter au milieu des Thrônes et des Domina-
II. 14-
214 LA LÉGENDE DOREE
lions, il aurait mieux aimé, avec la charité de Jésus,
être le dernier de la nature, se voir condamné aux plus
grandes peines, que, sans elle, en être le premier et ob-
tenir les plus magnifiques récompenses. Être privé de
celte charité était pour lui le seul supplice, le seul
tourment, le seul enfer, le comble de tous les maux ;
posséder cette même chariléétait pour lui la seulejouis-
sance ; c'était la vie, le monde, les anges, les choses pré-
sentes et futures, c'était le royaume, c'étaient les pro-
messes, c'était le comble de tous les biens; tous les objets
visibles, il les méprisait comme une herbe desséchée. Les
tyrans, les peuples furieux, ne lui paraissaient que des
insectes importuns ; la mort, les supplices, tous les
tourments imaginables, ne lui semblaient que des jeux
d'enfants, à moins qu'il ne fallût les souffrir pour l'a-
mour de J.-C, car alors il les embrassait avec joie, et il
se glorifiait de ses chaînes plus que Néron du diadème
qui décorait son front. Sa prison, c'était pour lui le ciel
même ; les coups de fouet et les blessures lui sem-
blaient préférables à la couronne de Tathlète vain-
queur. Il ne chérissait pas moins la récompense que
le travail qu'il regardait comme une récompense ; aussi
Tappelaît-il une grâce ; puisque ce qui cause en nous
de la tristesse lui procurait une satisfaction abondante.
11 gémissait sous le poids d'une peine continuelle, et
il disait : « Qui est scandalisé, sans que je brûle ?» A
moins qu'on ne dise que cette peine était assaisonnée
d'un certain plaisir. Ainsi, blessée du coup qui a tué
son fils, une mère éprouve quelque consolation à se
trouver seule avec sa douleur, tandis que son cœur
est j)lus oppressé lorsqu'elle ne peut donner un libre
SAINT PAUL, APOTRE 2i3
coOTS à s^s larmes. De même saint Paul recevait un
soulagement de pleurer nuit et jour ; car jamais per-
sonne ne déplora ses propres maux aussi vivement
que cet apôtre déplorait les maux d'autrui. Quelle était,
croyez-vous, sa douleur en voyant que c'en était fait
des Juifs, lui qui demandait d'être déchu de la gloire
céleste, pourvu qu'ils fussent sauvés ? A quoi donc
pourrait-on le comparer ? à quelle nature de fer ? à
quelle nature de diamant ? de quoi dirons-nous qu'é-
tait composée son âme? de diamant ou d'or? elle était
plus ferme que le plus dur diamant, plus précieuse que
l'or et que les pierreries du plus grand prix. A quoi
donc pourra-t-on comparer cette âme ? à rien de ce
qui existe. 11 y aurait peut-être une comparaison pos-
sible, si, par une heureuse alliance, on donnait à l'or
la force du diamant ou au diamant l'éclat de l'or. Mais
pourquoi le comparer à l'or et au diamant? mettez le
nionde entier dans la balance, et vous verrez que l'âme
^^ Paul l'emportera. Le monde et tout ce qu'il y a
dans le monde ne valent pas Paul. Mais si le monde
^^ le vaut pas, qu'est-ce qui le vaudra ? peut-être le
c'cl. Mais le ciel lui-même n'est rien en comparaison
^^ Paul ; car s'il a préféré lui-môme l'amour de Dieu
^" ciel et à tout ce qu'il renferme, comment le 6ei-
Ç'ïeur^ dont la bonté surpasse autant celle de Paul que
^^^Ontémême surpasse la malice, ne le préférerait-il
P^^ à tous les cieux? Dieu, oui. Dieu nous aime bien
'^"^ que nous ne l'aimons, et son amour surpasse le
^**€ plus qu'il n'est possible de l'exprimer. 11 Va ravi
. .'^^ le paradis, jusqu'au troisième ciel. Et cette faveur
'^tait due, puisqu'il marchaitsur la terre comme s'il
216 LA LÉGENDE DOREE
eût conversé avec les anges, puisque, enchaîné à un
corps mortel, il imitait leur pureté ; puisque, sujet à
mille besoins et à mille faiblesses, il s'efforçait de ne
pas se montrer inférieur aux puissances célestes. Il a
parcouru toute la terre comme s'il eût eu des ailes : il
était au-dessus des travaux et des périls, comme si déjà
il eût pris possession du ciel ; il était éveillé et atten-
tif comme s'il n'eût point eu de corps; et niéprisait les
choses de la terre comme s'il eût habité au milieu des
puissances incorporelles. Des nations diverses ont été
souvent confiées au soin des anges ; mais aucun d'eux
n'a dirigé la nation remise à sa garde comme Paul a
dirigé toute la terre. Comme un père qui voyant son
enfant égaré par la frénésie serait d'autant plus tou-
ché de son état, et verserait d'autant plus de larmes
que, dans les violences de ses transports, il lui épar-
gnerait moins les outrages et les coups ; ainsi le grand
apôtre prodiguait à ceux qui le maltraitaient tous les
soins d'une piété ardente. Souvent il gémissait sur le
sort de ceux qui l'avaient battu de verges cinq fois,
qui étaient altérés de son sang, il s'affligeait et priait
pour eux en disant : « Il est vrai, mes frères, que je
sens dans mon cœurune grande affection pour le salul
(l'Israël et que je le demande à Dieu par mes prières. »
En voyant leur réprobation, il était pénétréd'une dou-
leur excessive. Et comme le fer jeté dans le feu de-
vient feu tout entier, de môme Paul, enflammé du feu
de la charité, était devenu tout charité. Comme s'il eût
été le père commun de toute la terre, il imita, ou plu-
tôt il surpassa tous les pères, quels qu'ils fussent, pour
les soins temporels et spirituels. Car c'était chacun
SAINT PAUL, APOTRE 2i7
des hommes qu'il souhaitait présenter à Dieu, comme
si lui seul eût engendré le monde entier ; de telle sorte
qu'il avait hâte d'en introduire tous les habitants dans
le royaume de Dieu, se donnant corps et âme pour
eux qu'il chérissait. Cet homme ignoble, cet artisan
qui préparait des peaux acquit un tel courage qu'en
trente ans à peine, il soumit au joug de la vérité les
Romains et les Perses, les Parthes avec les Mèdes, les
Indiens et les Scythes, les Ethiopiens et les Sarmates,
les Sarrasins, enfin toutes les races humaines, et sem-
blable à du feu jeté dans la paille et le foin, il dévorait
foutes les œuvres des démons. Au son de sa voix,
tout disparaissait comme dans le plus violent incen-
die, tout cédait, et culte des idoles, et menaces des
tyrans, et embûches des faux frères. Comme au pre-
mier rayon du soleil les ténèbres fuient, les adultères
et les voleurs disparaissent, les homicides se cachent
dans les antres, le grand jour brille, tout est éclain^
de l'éclat de sa présence, de même et mieux encon»,
partout où Paul sème la bonne nouvelle, Terreur était
chassée, la vérité renaissait, les adultères et antres
abominations disparaissaient, ainsi que la paille jetée
au feu. Brillante comme la flamme, la vérité s'élevait
resplendissante jusqu'à la hauteur des cieux, soulevée,
pour ainsi dire, par ceux qui semblaient Tétoufl^er ; les
{>érils et les violences ne savent en arrêter la marche.
Telle est l'erreur qui, si elle ne rencontre pas d'obsta-
cles, s'use ou disparaît insensiblement, telle au con-
traire est la vérité, qui, sous les attaques de nombreux-
adversaires, renaît et s'étend. Or, puisque Dieu nous
a tellement ennoblis que par nos efforts nous pouvons
218 LA LÉGENDE DORÉE
parvenir à devenir semblables à lui^afin de nous ôler
le prétexte que pourrait suggérer notre faiblesse, nous
avons en commun avec lui le corps, l'âme, les ali-
ments, lé même créateur, et de plus son Dieu c'est no-
tre Dieu. Voulez-vous connaître les dons que le Sei-
gneur lui a départis? Ses vêtements étaient la terreur
des démons. Un prodige plus merveilleux encore, c'est
que quand il bravait les périls, on ne pouvait le taxer
de témérité, ni lui reprocher de la timidité lorsqu'ils
surgissaient. C'était pour avoir le temps d'instruire
qu'il aimait la vie présente, tandis qu'elle ne restait
qu'un sujet de mépris dès lors que par la sagesse qui
l'éclairait, il entrevoyait combien le monde est vil. En-
fin voyez-vous Paul s'échapper au péril ? gardez-vous
de l'en admirer moins que quand il a le plaisir de s'y
exposer. Cette conduite annonce autant de fermeté
d'une part, que de sagesse de l'autre. L'entendez-vous
parler de lui avec quelque satisfaction ? vous pouvez
l'admirer autant que lorsque vous le voyez se mépri-
ser. Ici c'est de la grandeur d'âme, là de Thumilité.
C'était un plus grand mérite à lui de parler de soi que
de taire ses louanges, car s'il ne les avait dîtes, il eût
été plus coupable que ceux qui se vantent à tout pro-
pos; en effet s'il n'eût pas été glorifié, il eût entraîné
dans la ruine ceux qui lui avaient été confiés, tandis
(ju'en s'humiliant, il les élevait. Paul a mérité plus eu
se glorifiant qu'un autre qui aurait caché ce qui le dis-
tingue : celui-ci, par l'humilité qui lui fait cacher ses
mérites, gagne moins que celui-là en les manifestant.
C'est un grand défaut de se vanter, c'est le fait d'un
extravagant de vouloir accaparer les louanges dès lors
SAJNT PAUL, APOTRE 219
qu'il n'y a aucune nécessité. Il est évident que Dieu
n'est pas là et que c'est folie ; quand bien même on
l'aurait gagnée à la sueur de son front^ on perd sa
récompense. S'élever au-dessus des autres dans ses
propos, se vanter avec ostentation n'appartient qu'à
un arrogant ; mais rapporter ce qui est d'essentielle
nécessité, c'est le propre d'un homme qui aime le bien,
qui cherche à se rendre utile. Telle fut laconduitede
Paul, qui, pris pour un fourbe, se crut obligé de don-
ner des preuves manifestes de sa dignité; toutefois, il
s'abstient de dévoiler bien des choses et de celles qui
étaient de nature à l'honorer le plus. « J'en viendrai
maintenant, dit-il, aux visions et aux révélations du
Seigneur », et il ajoute: « Mais je me retiens. » Pas
un prophète, pas un apôtre n'eut aussi souvent que
Paul des entretiens avec Dieu, et c'est ce qui le fait
s'humilier davantage. Il parut redouter les coups afin
de vous apprendre qu'il y avait en lui deux éléments :
sa volonté ne l'élevait pas seulement au-dessus du
commun des hommes, mais elle en faisait un ange.
Redouter les coups n'est pas un crime, c'est de com-
mettre une indignité par la peur qu'ils inspirent. Dès
lors qu'en les craignant, il sort victorieux delà lutte,
il est bien autrement admirable que celui que la peur
n'atteint pas ; comme ce n'est pas une faute de se plain-
dre mais de dire ou de faire par faiblesse ce qui dé-
plaît à Dieu. Nous voyons par là ce que fut Paul ; avec
les infirmités de la nature, il s'éleva au-dessus de la
nature, et s'il redouta la mort, il ne refusa pas de la
subir. Être l'esclave des infirmités, c'est un crime,
mais ce n'est pas d'être revêtu d'une nature qui y est
220 LA LÉGENDE DORÉE
sujette ; de telle sorte que c*est un titre de gloire pour
lui d'avoir, par force de volonté, surmonté la faiblesse
de la nature ; ainsi il se laissa enlever Paul surnommé
Marc. Ce fut ce qui l'anima dans tout le cours de sa
prédication, car ce ministère ne s'exerce pas avec mol-
lesse et irrésolution, mais bien avec une force et un
courage constamment égaux qui s'engage dans cette
fonction sublime doit être disposé à s'offrir mille fois
à la mort et aux dangers. S'il n'est pas animé par cette
pensée, son exemple perdra un bien grand nombre de
fidèles ; mieux vaudrait qu'il s*abstînt et qu'il s'occu-
pât uniquement de soi-même. Un pilote, un gladia-
teur, un homme qui combat les bêtes féroces, per-
sonne enfin n'est obligé d'avoir le cœur disposé au
danger et à la mort, comme celui qui s'est chargé
d'annoncer la parole de Dieu ; car celui-ci a à courir
de bien plus grands périls, et il doit combattre des
adversaires plus violents et d'une toute autre condi-
tion ; c'est avoir le ciel pour récompense ou l'enfer
pour son supplice. Si entre quelqu'un d'eux, il surgit
une contestation, ne regardez pas cela comme un
crime, il n'y a faute que quand la querelle est sans
prétexte et sans juste motif. Il faut y voir l'action de
la Providence qui veut réveiller de l'engourdissement
et de rinertie les ànies endormies et découragées.
Comme l'épée a son tranchant, l'âme aussi a reçu le
tranchant de la colère dont elle doit user au besoin.
La douceur est bonne en tout temps; cependant il faut
l'employer selon les circonstances, autrement elle de-
vient un défaut. Aussi Paul Va mise en pratique et
dans sa colère il valait mieux que ceux dont le langage
SAINT PAUL, APOTRE 221
ne respirait pas la modestie. Le merveilleux en lui était
que, chargé de chatnes, couvert de coups et de bles-
sures, il fut plus brillant que ceux qui sont ornés de
l'éclat de la pourpre et du diadème. Alors qu'il était
traîné chargé de chatnes à travers des mers immen-
ses, sa joie était aussi vive que si on l'eût mené prendre
possession d'un grand royaume. A peine est-il entré
dans Rome qu'il cherche à en sortir pour parcourir
l'Espagne. Il ne prend pas même un jour de repos; le
feu est moins actif que son zèle à évangéliscr; les pé-
rils, illes brave, les moqueries, il ne sait en rougir.
Ce qui met le comble à mon admiration, c'est qu'a-
vec une pareille audace, quand il était constamment
armé pour le combat, lorsqu'il ne respirait qu'une ar-
deur toute guerrière, il restait calme et prêt à tout. Il
vient de sévir, ou plutôt sa colère vient d'éclater quand
on lui commande d'aller à Tharse ; et il y va. On lui
dit qu'il faut descendre par la muraille dans une cor-
beille, il se laisse faire. Et pourquoi? pour évangéliser
encore et traîner à sa suite vers J.-C. une multitude
de croyants. Il ne redoutait qu'un malheur, c'était de
quitter la terre et de ne pas avoir sauvé le plus grand
nombre. Quand des soldats voient leur général cou-
vert de blessures, ruisselant de sang, sans que toute-
fois il cesse de tenir tète à l'ennemi, mais que tou-
jours il brandit sa lance, jonche le sol des cadavres qui
sont tombés sous ses coups, et qu'il ne compte pour
rien sa propre douleur, un pareil sang-froid les élec-
trise. Il en advint ainsi à Paul. Quand on le voyait
chargé de chaînes et préchant néanmoins dans sa pri-
son, quand on le voyait blessé et convertissant ceux
222 LA LÉGENDE DOREE
qui le frappaient, il y avait certes de quoi puiser une
grande confiance. 11 veut le faire entendre alors qu'il
dit que plusieurs de ses frères en Notre-Seigneur, se
rassurant par cet heureux succès de ses liens, ont conçu
une hardiesse nouvelle pour annoncer la parole de
Dieu sans aucune crainte. Il en concevait lui-même
une joie plus ferme, et son courage contre ses adver-
saires s'en augmentait d'autant. Comme du feu tom-
bant sur une grande sorte de matières se nourrit et
s'étend, de même le langage de Paul attire tous ceux
qui Técoutent. Ses adversaires deviennent la pâture de
ce feu, puisque, par eux, la flamme de l'Evangile aug-
mentait de plus en plus (saint Jean Chrysostome).
LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS
DE SAINTE FÉLICITÉ
Les sept frères étaient fils de sainte Félicité; leurs
noms sont : Janvier, Félix, Philippe, Silvain, Alexan-
dre, Vital et Martial. D'après l'ordre de l'empe-
reur Antonin, ils furent amenés tous avec leur mère
auprès du préfet Publius qui les avait mandés devant
lui, et qui exhorta la mère à avoir pitié d'elle et de
ses enfants : Elle dit : « Je ne me laiss^^rai ni gagner
par tes caresses, ni effrayer par tes menaces. Ma
confiance repose dans l'Esprit-Saint que je possède ;
vivante, je triompherai de toi, mais morte, ma vic-
toire sera encore plus grande. » Et se tournant vers
ses enfants, elle dit : « Mes enfants, levez la tête et
LES SEPT FRERES, FILS DE SAINTE FÉLICITÉ 223
regardez le ciel, mes très chers, car c'est là que J.-C.
nous attend. Combattez avec courage pour J.-C. et
persistez dans son amour. » Quand le préfet eut en-
tendu cela, il lui fit donner des soufflets. Et comme
la mère et ses fils paraissaient très constants dans la
foi, tous furent tués dans divers supplices sous les
yeux de leur mère qui les encourageait. Cette sainte
Félicité est appelée par saint Grégoire plus que mar-
tyre, parce qu'elle fut martyrisée sept fois dans ses
enfants et la huitième fois dans son propre corps. Le
même saint parle ainsi dans ses homélies : « Sainte
Félicité qui, par sa foi, fut la servante de J.-C, de-
vint aussi martyre du même J.-C. par sa prédication.
Elle craignait de laisser vivre, après elle, les sept en-
fants qu'elle avait, autant que les parents charnels
ont coutume de craindre de leur survivre. Elle en-
fanta dans l'esprit ceux qu'elle avait enfantés dans
la chair, afin de donner à Dieu par ses paroles ceux
<|u'elle avait donnés au monde par la chair. Ces en-
fants qu'elle savait être son sang, elle ne pouvait les
voir mourir sans douleur, mais elle avait dans le
cœur un amour si fort qu'elle put surmonter la dou-
leur corporelle. Aussi ai-jebien raison d'appeler cette
femme plus qu'une martyre, car elle mourut autant
de fois et avec tant de douleur qu'elle avait de fils.
Après avoir mérité tous ces martyres, elle obtint pour
elle aussi la palme victorieuse des martyrs ; car ce
ii*était pas assez pour l'amour qu'elle portait à J.-C.
que de mourir une seule fois. » — Ils souflFrirent vers
l'an du Seigneur HO.
224 LA LÉGENDE DORÉE
SAINTE THÉODORE *
L'interprétation de Saincte Théodore. — Théodore est dicte
atheos, c'est-à-dire Dieu. Et de oraison, et ce vault autant
adiré comme oraison a Dieu. Car elle oura et depria tant Dieu
que le pechie quelle avoit fait lui fust pardonne.
Théodore était une femme mariée et de noble ex-
traction. Du temps de l'empereur Zenon, elle habi-
tait Alexandrie avec son époux, homme riche et crai-
gnant Dieu. Or, le démon, jaloux de la sainteté de
Théodore, enflamma un riche de concupiscence pour
elle. Il la fatiguait de messages répétés et de présents
afin de la faire consentir à sa passion ; mais elle ren-
voyait ses messagers avec dédain et méprisait ses pré-
sents. Il la tourmentait au point de ne lui laisser au-
cun instant de repos et peu s'en fallut qu'elle en
perdît la vie. Enfin il lui adressa une magicienne, —
qui l'exhortait beaucoup à avoir pitié de cet homme
et à se rendre à ses désirs. Or, comme Théodore ré- y
pondait que jamais elle ne commettrait un péché si F
énorme sous les yeux de Dieu qui voit tout, la magi-
cienne ajouta : « Tout ce qu'on fait de jour, Dieu le
sait certainement et le voit, mais tout ce qui se passe
sur le soir et après le soleil couché. Dieu ne le voit
pas du tout. » Et la jeune femme dit à la magicienne :
« Est-ce que tu dis la vérité ? » « Oui, répondit-elle,
* II y avait une église du nom de celle sainte, à Paris, rue
des Postes. Sa vie est lirée de Mëlaj)lirasle. Surius et Lepo-
nianus Ki rapportent.
SAINTE THÉODORE 225
je disla vérité. » Théodore, trompée par les paroles
de cette femme, lui dit de faire venir Thomme chez
elle vers le soir et qu'elle accomplirait sa volonté. La
magicienne ayant rapporté cela, cet homme entra
dans des transports de joie ; il vint chez Théodore à
rheure qu'elle avait indiquée, commit un crime avec
elle et se retira. Mais Théodore rentrant en soi-même
versait des larmes très amères, et se frappait la fi-
^re en disant : « Âh ! malheur à moi ! j'ai perdu
mon âme ; j'ai détruit ce qui me rendait belle. » Son
mari, revenu à la maison, voyant sa femme dans la
désolation et dans les pleurs, sans en connaître la
cause, s'efforçait de la consoler : mais elle ne voulait
accepter aucune consolation. Le matin étant venu,
die alla à un monastère de religieuses et demanda à
Tabbesse si Dieu pouvait avoir connaissance d'un
crime grave qu'elle avait commis à la chute du jour.
L'abbesse lui répondit : « Rien ne peut être caché à
Dieu qui sait et voit tout ce qui se passe, à telle
heure que ce soit. » Théodore pleura amèrement et
dit: « Donnez-moi le livre du saint Evangile, afin que
moi-même je tire mon sort. » Et en ouvrant le livre,
elle trouva ces mots : « Quod scripsi, scripsi, ce que j'ai
écrit, je l'ai écrit. » Elle revint à sa maison et un jour,
pendant que son mari était absent, elle se coupa la
chevelure, prit les habits de son mari et alla en toute
hâte à un monastère de moines éloigné de huit milles ;
elle demanda à être reçue dans la communauté et
l'obtint. Quand on lui demanda son nom, elle répon-
dit qu'elle s'appelait Théodore. Elle s'acquittait en
toute humilité de ce qu'on lui donnait à faire, et son
II. ir»
226 LA LÉGENDE DOREE
service étail agréable à tout le inonde. Or, quelques
années après, Tabbé appela frère Théodore, et lui
commanda d'atteler les bœufs et d'aller chercher de
Thuile à la ville. Quant à son mari, il pleurait beau-
coup dans la crainte que sa femme ne fût partie avec
un autre homme. Et voici que l'ange du Seigneur lui
dit : « Lève-toi dès le matin ; reste dans la rue du
martyre de saint Pierre, apôtre, et celle qui viendra
au-devant de toi, ce sera ton épouse. » Après quoi,
Théodore vint avec des chameaux ; elle vit et recon-
nut alors son mari et se dit en elle-même. « Hélas !
mon bon mari, que de peines je me donne pour être
délivrée du péché que j'ai commis conJLre toi ! » El
((uand elle se fut approchée, elle le salua en disant :
« Joie à mon seigneur. » Or, il ne la reconnut point,
mais après avoir attendu très longtemps et s'être dit
qu'il avait été trompé, une voix se fit entendre qui
lui dit : « Celui qui t*a salué hier matin, était ton
épouse. »
La bienheureuse Théodore était d'une telle sainteté
qu'elle opérait beaucoup de miracles : car elle arracha
un homme de la gueule d'une bête féroce qui l'avait
lacéré, et le ressuscita par ses prières. Elle poursuivit
elle-même Tanimal, le maudit : et il tomba mort aus-
sitôt. Mais le diable qui ne voulait point supporter sa
sainteté lui apparut : « Prosliluée plus qu'aucune
autre, lui dit-il, adultère, tu as quitté ton mari pour
venir ici et me mépriser ; par toutes mes terribles
puissances, je te livrerai des combats, et si je ne te
fais renier le crucifié, tu pourras dire que ce n'est pas
moi qui t*attaque, » Mais elle fit le signe de la croix
SAINTE THÉODORE 227
sur elle et à Finstant le démon disparut. Une autre
fois, elle revenait de la ville avec des chameaux ; ayant
reçu rhospitalité dans un endroit, une jeune fille vint
la trouver la nuit et lui dit : « Dors avec moi. » Théo-
dore l'ayant repoussée avec dédain, cette fille en alla
trouver un autre qui était couché au même lieu. Or,
quand elle se vit enceinte, on lui demanda de qui elle
avait conçu, elle dit : « C'est le moine Théodore qui a
dormi avec moi, » L'enfant étant né, on le porta à
l'abbé du monastère. Celui-ci, après avoir tancé Théo-
dore qui réclamait son indulgence, lui mit l'enfant
sur les épaules et la chassa du monaslère. Or, elle
ï^la pendant sept ans hors du cloître, et elle nourrit
l'enfant du lait des troupeaux. Le diable, jaloux d'une
*ï grande patience, se présenta devant elle sous les
•rails de son mari : « Que faites-vous ici, ma dame?
lui dit-il. Voici que je languis pour vous, et ne puis
trouver aucune consolation ; venez donc, ma lumière ;
quand vous auriez fait le mal avec un autre homme,
J* vous le pardonne. » Mais celle-ci, persiiadée que
^^lait son mari, lui répondit : « Je ne demeurerai
plus désormais avec vous ; parce que le fils de Jean
le soldat a couché avec moi, et je veux faire pénitence
^ic la, faute que j'ai commise envers vous. » Puis elle
se mit en prières et aussitôt la vision disparut : elle
reconnut alors que c'était le démon. Une autre fois
encore le diable voulut TefFrayer; car les démons se
présentèrent à elle sous la forme de hètos terribles et
jly avait un homme qui les excitait en disant : « Man-
gez cette prostituée. » Mais elle pria et les bétes dis-
parurent. Une autre fois, c'était une troupe de sol-
228 LA LÉGENDE DOREE
dats qui venaient conduits par un prince que les autres
adoraient, et les soldats dirent à Théodore : « Lève-toi
et adore notre prince. » Elle répondit : « J'adore le
Seijçneur Dieu. » Lorsqu'on eut rapporté cela au
prince, il la fît amener et battre jusqu'à la croire
morte; après quoi toute la foule s'évanouit. Une autre
fois encore, elle vit auprès d'elle une quantité d'or;
mais elle prit la fuite en se signant et se recomman-
dant à Dieu. Un jour, elle vit un homme qui portait
une corbeille pleine de toutes sortes de mets et cet
homme lui dit: « Le prince qui t'a frappé m'a chargé
de te dire : Prends et mange, car il t'a maltraité par
ignorance. » Alors elle se signa et tout disparut. Après
sept ans révolus, l'abbé, en considération de sa pa-
tience, la réconcilia et la fit entrer dans le monastère
avec son enfant. Quand elle y eut passé deux ans, de
manière à ne mériter que des éloges, elle pritl'enfant^^
et s'enferma avec lui dans sa cellule. L'abbé, qui eiw^
fut informé, envoya quelques moines écouter avec I^
plus grande attention ce qu'elle pouvait dire avec c
enfant. Or, elle le serra dans ses bras et le baisa
disant: « Mon fils bien-aimé, le temps de ma vies'
écoulé, je te laisse à Dieu ; qu'il soit ton père et t
soutien, fils chéri ; vis dans la pratique du jeûne et
la prière, et sers tes frères avec dévouement. » En c//-
sant ces mots, elle rendit l'esprit et s'endormit heu-
reusement dans le Seigneur vers Tan de J.-C. 470. A
cette vue, l'enfant se mit à verser d'abondantes larmes.
Or, cette nuit-là môme, l'abbé du monastère eut la
vision suivante : On faisait des préparatifs pour des
noces magnifiques auxquelles se rendaient les ordres
SAINTE THÉODORE 220
des anges, des prophètes, des martyrs et de tous les
saints : au milieu d'eux, une femme marchait seule,
environnée d'une gloire ineffable : arrivée au lieu du
festin, elle s'assit sur un lit et tous les assistants
étaient pleins d'attention pour elle, quand se fit en-
tendre une voix qui disait : « Celui-ci est le père
Théodore qui a été accusé faussement d'avoir eu un
enfant. Sept ans se sont écoulés depuis cette époque;
et elle a été châtiée pour avoir souillé le lit de son
mari. » L'abbé, à son réveil, se hâta d'aller avec les
frères à la cellule de Théodore qu'il trouva déjà morte.
Après être entrés, ils la découvrirent et trouvèrent
que c'était une femme. Aussitôt l'abbé envoya cher-
cher le père de la fille qui avait sali la réputation de
Théodore et il lui dit : « L'homme de ta fille est mort » ;
et en dtant les vêtements, le père reconnut que c'était
uue femme.
Quand on apprit cela, il y eut uue grande et gé-
nérale frayeur; alors Tai^ge du Seigneur parla ainsi
à l'abbé : « Lève-toi vite, prends un cheval et cours
à la ville, et celui que tu rencontreras prends-le et
le ramène avec toi. » Il était sur le chemin, quand
un homme accourut au-^devan( de lui. L'abbé lui ayant
demandé où il allait, cet homme lui dit : « Ma femme
est morte et je vais la voir. » Et Tabbé fit monter à
cheval avec lui le mari de Théodore; quand ils furent
arrivés, ils pleurèrent beaucoup et ils Tensevelirent
avec de grands honneurs. Alors le mari de Théodore
prit la cellule de sa femme, où il resta jusqu'au mo-
ment qu'il s'endormit dans le Seigneur. L'enfant de
Théodore suivit les avis de sa nourrice et se fil remar-
n. 15-
230 LA LÉGENDE DORÉE
quer par une entière honnêteté de mœurs, de sorte
qu'à la mort de Tabbé, il fut élu à Tunanimité pour le
remplacer.
SAINT ALEXIS ♦
Alexis vient de a, qui veut dire beaucoup, et lexis, qui si-
gnifie sermon. De là Alexis, qui est très fort sur la parole de
Dieu.
Alexis fut le fils d'Euphémien, homme d'une haute
noblesse à Rome, et le premier à la cour de l'empe-
reur : il avait pour ser\âteurs trois mille jeunes esclaves
revêtus de ceintures d'or et d'habits de soie. Or, le
préfet Euphémien était rempli de miséricorde, et tous
les jours, dans sa maison, on dressait trois tables
pour les pauvres, les orphelins, les veuves et les pèle-
lins qu'il servait avec empressement ; et à l'heure de
none, il prenait lui-même son repas dans la crainte
(lu Seigneur avec des personnages religieux. Sa femme
nommée Aglaë avait la même dévotion et les mêmes
ijoûts. Or, comme ils n'avaient point d'enfant, à leurs
prières Dieu accorda un fils, après la naissance du-
(juel ils prirent la ferme résolution de vivre désormais
dans la chasteté. L'enfant fut instruit dans les sciences
libérales, et après avoir brillé dans tous les arts de la
philosophie, et avoir atteint Tâge de puberté, on luS
choisit une épouse de la maison de l'empereur et oi^
le maria. Arriva Thcure de la nuit où il alla avec soi m
* Sigcbcrt do Gemblours, Chron.an.y i05.
SAINT ALEXIS 231
^'pouse dans la chanibre nuptiale : alors le saint jeune
Homme commença par instruire cette jeune personne
de la crainte de Dieu, et à la porter à conserver la pu-
deur de la virginité. Ensuite il lui donna son anneau
d'or et le bout de la ceinture qu'il portait en lui disant
de les conserver : « Reçois ceci, el conserve-le lant
^|u*il plaira à Dieu, et que le Seigneur soit entre
nous. » Après quoi il prit de ses biens, alla à la mer
^t s'embarqua à la dérobée sur un vaisseau qui faisait
voile pour Laodicée, d'où il partit pour Edesse, ville
de Syrie, dans laquelle on conservait un portrait de
^otre-Seigneur J.-C. peint sur un linge sans que
' homme y ait mis la main. Quand il y fut arrivé, il
distribua aux pauvres tout ce qu'il avait apporté avec
^^iy puis se revêtant de mauvais habits, il commença
P^r se joindre aux autres pauvres qui restaient sous le
Perche de l'église de la Vierge Marie. 11 gardait des
^^*inônes ce qui pouvait lui suffire ; le reste, il ledon-
'^^U aux pauvres. Cependant, son père, inconsolable
^^ la disparition de son fils, envoya ses serviteurs
P^ï* tous pays, afin de le chercher avec soin. Quelques-
^^s vinrent à Edesse et Alexis les reconnut ; mais eux
^^ le reconnurent point, et même ils lui donnèrent
; ^U.mône comme aux autres pauvres. En l'acceptant,
" Rendit grâces à Dieu en disant : « Je vous rends
î'^^ces, dit-il, Seigneur, de ce que vous m'avez fait
'^^^cvoir l'aumône de mes serviteurs. » A leur retour,
^^ annoncèrent au père qu'on n'avait pu le trouver en
^^^un lieu. Quant à sa mère, à partir du jour de son
^J)art, elle étendit un sac sur le pavé de sa chambre,
^^* au milieu de ses veilles, elle poussait ces cris la-
k
^7
232 LA LÉGENDE DOilÉE
mentablcs : « Toujours je demeurerai ici dans le deuil,
jusqu'à ce que j'aie retrouvé mon fils, » Pour son
épouse, elle dît à sa belle-mère : » Jusqu'à ce quo
j'entende parler de mon très cher époux, semblable à
une tourterelle, je resterai dans la solitude avec vous. »
Or, la dix-septième année qu'Alexis demeurait dans
le service de Dieu sous le porche dont il a été question
plus haut, une image de la Sainte Vierge qui se trou-
vait là, dit enfin au custode de l'église : « Fais entrer
l'homme de Dieu, parce qu'il est digne duroyaumedu
ciel el l'Esprit divin repose sur lui : sa prière s'élève
comme Tencens en la présence de Dieu. » Et comme
le custode ne savait de qui la Vierge parlait, elle
ajouta : « C'est celui qui est assis dehors sous le por-
che. » Alors le custode se hâta de sortir et fit entrer
Alexis dans l'église. Ce fait étant venu à la connais-
sance du public, on se mit à lui donner des marques de
vénération ; mais Alexis, fuyant la vaine gloire, quitta
Edesse et vint à Laodicée, où il s'embarqua dans l'in-
tention d'aller à Tharse de Cilicie ; cependant Dieu en
disposa autrement, car le navire, poussé parle vent,
aborda an port do Rome. Quand Alexis eut vu cela, il
se dit (Ml lui-même : « Je resterai inconnu dans la
maison de mon p^ve. et je ne serai à charge à aucun
autre. » Il rencontra son père qui revenait du palais
entouré d'une multitude de gens obséquieux, et il se
mita lui crier : « Serviteur de Dieu, je suis un pèlerin,
fais-moi recevoir dans ta maison, el laisse-moi me
nourrir des miettes de ta table, afin que le Seigneur
daigne avoir pitié de toi, à ton tour, qui es pèlerin
aussi. » En entendant ces mots, le père, par amour
SAINT ALEXIS 233
pour son fils, riiitroduisit chez lui ; il lui donna un
lîea particulier dans sa maison, lui envoya de la nour-
riture de sa table ; en chargeant quelqu'un d'avoir
soin (le lui. Alexis persévérait dans la prière, macé-
rait son corps par les jertnes et par les veilles. Les
seniteurs de la maison se moquaient de lui à tout
instant; souvent ils lui jetaient sur la tête Teau qui
îivail servi, et l'accablaient d'injures : mais il suppor-
tait tout avec une grande patience. Il demeura donc
inconnu de la sorte pendant dix-sept ans dans la maison
(le son père.
Ayant vu en esprit que le terme de sa vie était pro-
che, il demanda du papier et de l'encre, et il écrivit
le récit de toute sa vie. Un jour de dimanche, après
la messe solennelle, une voix se fît entendre dans le
sanctuaire en disant : « Venez à moi, vous tous qui
travaillez et qui êtes fatigués et je vous soulagerai. »
Quand on entendit cela, on fut effrayé; tout le monde
se jeta la face contre terre, quand pour la seconde
fois, la voix se fit entendre et dit : « Cherchez l'homme
de Dieu afin qu'il prie pour Rome. » Les recherches
n'ayant abouti à rien, la voix dit de nouveau : « C'est
clans la maison d'Euphémien que vous devez cher-
cher. » On s'informa auprès de lui, et il dit qu'il ne
savait pas de qui on voulait parler. Alors les empe-
reurs Arcadius et Honorius vinrent avec le pape Inno-
cent à la maison d'Euphémien : et voilà que celui qui
rtait chargé d'Alexis vint trouver son maître et lui
(lire : « Voyez, Seigneur, si ce ne serait pas notre pèle-
rin ; car vraiment c'est un homme d'une grande pa-
lience. » Euphémien courut aussitôt, mais il le trouva
234 LA LÉGENDE DORÉE
mort : il vit sa figure toute resplendissante comme
celle d'un ange : ensuite il voulut prendre le papier
qu'il avait dans la main, mais il ne put l'ôter. En sor-
tant il raconta ces détails aux empereurs et aux pon-
tifes qui, étant entrés dans le lieu où gisait le pèle-
rin, dirent : « Quoique pécheurs, nous avons cependant
le gouvernement du royaume ; et l'un de nous a la
charge du gouvernement pastoral de TEglise univer-
selle, donne-nous donc ce papier afin que nous sa-
chions ce qui y est écrit. » Le pape s'approchant prit
le papier, que le défunt laissa aussitôt échapper, et il
le fit lire devant tout le peuple, en présence du père
lui-même. Alors Euphémien, qui entendait cela, fut
saisi d'une violente douleur; il perdit connaissance
et tomba pâmé sur la terre. Revenu un peu à lui, il
déchira ses vêtements, s'arracha les cheveux blanchis,
se tira la barbe, et se déchira lui-même de ses pro-
pres mains, puis se jetant sur le corps de son fils, il
criait : « Malheureux que je suis I pourquoi, mon fils,
pourquoi m'as-tu centriste de la sorte? pourquoi
pendant tant d'années m'as- tu plongé dans la dou-
leur et les gémissements ? Ah ! que je suis malheu-
reux de te voir, toi, le bâton de ma vieillesse, étendu
sur un grabat ! tu ne parles pas : ah I misérable que
je suis ! quelle consolation pourrai-je jamais goû-
ter maintenant?» Sa mère en entendant cela, sem-
blable à une lionne qui a brisé le piège où elle était
prise, s'arrache les vêtements, se rue échevelée, lève
les yeux au ciel, et comme la foule était si épaissi**
((u'elle ne pouvait arriver jusqu'au saint corps, elle*
(riait : « Laissez-moi passer, que je voie mon fils, que
SAINT ALEXIS 23S
je voie la consolation de mon âme, celui qui a sucé
roes mamelles. » Arrivée au corps, elle se jeta sur lui
en criant : « Quel malheur pour moi ! mon fils, la lu-
naièrede mes yeux, qu'as-tu fait là? pourquoi avoir
agi si cruellement envers nous? Tu voyais ton père et
ta malheureuse mère en larmes, et tu ne te faisais pas
connaître à nous ! Tes esclaves t'injuriaient et tu le
supportais ! » Et à chaque instant elle se jetait sur le
<^rps, tantôt étendant les bras sur lui, tantôt cares-
sant de ses mains ce visage angélique, tantôt l'embras-
ant : a Pleurez tous avec moi, s'écriait-elle ; puisque,
P^i)dant dix-sept ans, je l'ai eu dans ma maison et
J^ n'ai pas su que ce fût mon fils. Et encore il y avait
^^s esclaves qui l'insultaient et qui l'outrageaient en
^^ souffletant ! Suis-je malheureuse ! qui donnera à
''^^s yeux une fontaine de larmes pour pleurer nuit et
Jour celui qui est la douleur de mon âme ? » La femme
^ Alexis, vêtue d'habits de deuil, accourut baignée de
^''ïïies. « Quel malheur pour moi! quelle désolation!
^^ voici veuve, je n'ai plus personne à regarder et
' ^ï* lequel j'aie à lever les yeux. Mon miroir est brisé,
^tijet de mon espoir a péri. Aujourd'hui commence
^^Vtr moi une douleur qui n'aura point de fin. » Le
P^Viple témoin de ce spectacle versait d'abondantes
^^tnes. Alors le pontife et les empereurs avec lui pla-
^^^ent le corps sur un riche brancard, jet le conduisi-
^^it au milieu de la ville. On annonçait au peuple
*^'on avait trouvé l'homme de Dieu que tous les ci-
^^^ens recherchaient. Tout le monde courait au-devant
^^ saint. Y avait-il un infirme? il touchait ce très
^^int corps, et aussitôt il était guéri ; les aveugles re-
236 LA LÉGEND£ DOUEE
couvraient la vue, les possédés du démon étaient
délivrés ; tous ceux qui étaient souffrants de n'importe
quelle infirmité recevaient guérison. Les empereurs,
à la vue de tous ces prodiges, voulurent porter eux-
mêmes, avec le souverain pontife, le lit funèbre, pour
être sanctifiés aussi par ce corps saint. Alors lesempe-
reui's firent jeter une grande quantité d'or et d'argent
sur les places publiques, afin que la foule, attirée par
Tappât de celte monnaie, laissât parvenir le corps du
saint jusqu'à Téglise. Mais la populace qui ne tint au-
cun compte de l'argent, se portait de plus en plus au-
près du corps saint pour le toucher. Enfin ce fut après
de grandes difficultés qu'on parvint à le conduire à
l'église de saint Boniface, martyr; on l'y laissa sept
jours qui furent consacrés à la prière. Pendant ce temps
on éleva un tombeau avec de l'or et des pierres pré-
cieuses de toute nature, et on y plaça le saint corps
avec grande vénération. Il en émanait une odeur si
suave que toui le monde le pensait plein d'aromates.
Or, saint Alexis mourut le 16 des calendes d'août,
vers l'an 398.
SAINTE MARGUERITE
Mara^uerite est ainsi appelée d'une pierre précieuse blanche,
petite et remplie de vertus. Ainsi sainte Marguerite fui blan-
che par virginité, petite par humilité, vertueuse par ropéra-
lion des miracles. On dit que cette pierre a la vertu d'arrêter
le sang, de modérer les passions du cceur, et de conforter Tes-
prit. De même sainte Marjj^uerite eut vertu contre l'effusion
de son sang par constance, parce (Qu'elle posséda une grande
SAINTE MARGUERITE 337
constance daDS son martyre ; elle eut vertu contre les passions
du cœur, c'est-à-dire, contre la tentation du démon qui fut
vaiDca par elle : elle eut vertu pour conforter son esprit, par
la doctrine avec laquelle elle affermit le cœur de plusieurs et
les convertit à la foi. Théotime*, homme érudit^ a écrit sn
légende.
Marguerite, citoyenne d'Antioche, fut fille de Théo-
dose, alias iCdesius, patriarche des gentils. Elle fut
confiée à une nourrice; et quand elle eut atteint Tâge
de raison, elle fut baptisée et c'est pour cela qu'elle
était grandement haïe de son père. Parvenue à l'âge
de quinze ans, elle gardait un jour, avec d'autres jeunes
vierges, les brebis de sa nourrice, quand le préfet Oli-
brius, passant par là et voyant une jeune personne si
belle, s'éprit d*aniour pour elle et lui dépêcha ses es-
claves en disant : « Allez et saisissez-vous d'elle : si
elle est de condition libre, je la prendrai pour ma
femme; si elle est esclave, j'en ferai ma concubine. »
Quand elle eut été amenée en sa présence, il s'informa
de sa famille, de son nom et de sa religion. Or, elle
répondit qu'elle était noble de naissance, Marguerite
de nom, et chrétienne de religion. Le préfet lui dit :
« Les deux premières qualités te conviennent fort bien,
savoir: que tu sois noble, et que lu sois réellement une
très belle marguerite; mais la troisième ne te convient
pas, savoir : qu'une jeune personne si belle et si noble
ait pour Dieu un crucifié. » « D'où, sais-tu, répondit
* Ce Théotime aurait été, dit-on, témoin oculaire des faits
rapportés ici. Un bréviaire espagnol les raconte aussi sous le
aom de sainte Marine qui serait la même que sainte Margue-
rite (Cf. Bivar sur Dexter).
238 LA LÉGENDE DOREE
Marguerite, que le Christ a été crucifié? » Olibrius
reprit : « Je l'ai appris des livres des chrétiens. »
Marguerite lui dit : « Puisque tu as lu le châtiment et
la gloire de J.-C, pourquoi rougirais-tu de croire un
point et de rejeter l'autre? » Et comme Marguerite
avançait que J.-C. avait été crucifié de son plein gré
pour nous racheter, et qu'elle affirmait qu'il vivait
maintenant dans l'éternité, ce préfet en colère la fit
jeter en prison; mais le lendemain, il la fit appeler
en sa présence et lui dit : « Jeune fille frivole, aie pitié
de ta beauté, et adore nos Dieux pour que tu sois
heureuse. » Elle répondit : « J'adorecelui devant lequel
la terre tremble, la mer s'agite, et toutes les créatures
sont dans la crainte. » Le préfet lui dit : « Si tu ne
m'obéis, je ferai déchirer ton corps. » Marguerite ré-
pondit : « J.-C. s'est livré à la mort pour moi, eh bien !
je désire aussi mourir pour lui. » Alors le préfet la
fit suspendre au chevalet ; puis il la fit battre d'abord
avec des verges, ensuite avec des peignes de fer, si
cruellement, que ses os étaient dénudés, et que le
sang ruisselait de son corps comme de la fontaine la
plus limpide. Or, ceux qui étaient là pleuraient et di-
saient : (( 0 Marguerite, vraiment nous avons compas-
sion de toi, en voyant déchirer si cruellement ton
corps. Quelle beauté tu as perdue à cause de ton in-
crédulité! cependant il en est temps encore, crois, et
tu vivras. » Elle leur répondit : « O mauvais conseil-
lers, retirez-vous, et vous en allez; ce tourment de la
(liair est le sakit de l'âme », et elle dit au préfet :
« Chien impudent et lion insatiable, tu as pouvoir sur
l(» corps, mais J.-C. se réserve TAme. » Or, le préfet se
SAINTE MARGUERITE 239
couvrait la figure avec sa chlamyde, car il ne pouvait
supporter la vue d'une telle effusion de sang. II la fit
ensuite détacher et ordonna de l'enfermer dans une
prison, où une clarté merveilleuse se répandit. Pen-
dant qu'elle était dans son cachot, elle pria le Seigneur
de lui montrer, sous une forme visible, l'ennemi avec
lequel elle avait à combattre*; et voici qu'un dragon
effroyable lui apparut ; comme il s'élançait pour la
dévorer, elle fit un signe de croix, et le monstre dis-
parut : ou bien, d'après ce qu'on lit ailleurs, il lui mit
sa gueule sur la tête et la langue sur le talon et l'avala
à l'instant ; mais pendant qu'il voulait l'absorber, elle
se munit du signe de la croix, ce qui fit crever le dra-
gon, et la vierge sortit saine et sauve. Mais ce qu'on
rapporte du dragon qui la dévora et qui creva est re-
gardé comme apocryphe et de peu de valeur.
Le diable vint encore pour tromper Marguerite, en
prenant une forme humaine. A sa vue, elle se mit en
prières, et après s'être levée, le diable s'approcha d'elle
et lui prenant la main : « Tout ce que tu as fait, lui
dit-il, est bien suffisant : ne t'occupes plus donc de
ma personne. ») Mais Marguerite le prit par la tête,
le jeta par terre sous elle, et lui posant le pied droit
sur le crâne, elle dit : « Sois écrasé, superbe démon,
sous les pieds d'une femme. » Le démon criait : « 0
bienheureuse Marguerite, je suis vaincu ! si un jeune
homme l'avait emporté sur moi, je ne m'en serais pas
préoccupé ; mais me voici vaincu par une jeune fille ;
et j'en suis d'autant plus affligé que ton père et ta
mère ont été mes amis. » Alors elle le força à dire
pour quel motif il était verni. Il n'^pondil qu'il était
i
240 LA LÉGENDE DORÉE
venu pour lui conseiller d'obéir aux avis du président.
Elle le força encore à dire pourquoi il employait tant
de manières pour tenter les chrétiens. Il répondit qu'il
avait naturellement de la haine contre les hommes
vertueux, et bien qu'il en fût souvent repoussé, il était
acharné à les séduire : et comme il était jaloux, à
l'égard des hommes de la félicité qu'il avait perdue,
sans pouvoir la recouvrer, il n'avait cependant pour
'but que de la ravir aux autres. Et il ajouta que Sa-
lomon renferma une multitude infinie de démons dans
un vase, et qu*après sa mort ces esprits malins jetaient
du feu de ce vase ; les hommes, dans l'idée qu'un
grand trésor y était renfermé, le brisèrent : et les dé-
mons qui en sortirent remplirent les airs. Quand il
eut dit ces mots, la vierge leva le pied et lui dit : « Fuis,
misérable », et aussitôt le démon disparut. Marguerite
resta rassurée ; car puisqu'elle avait vaincu le chef,
elle aurait sans aucun doute le dessus sur le ministre.
Le lendemain, le peuple étant rassemblé, elle fut ame-
née en la présence du juge, et comme elle refusait
avec mépris de sacrifier, elle fut dépouillée, et son
corps fut brûlé avec des torches enflammées; de telle
sorte que tout le monde s'étonnait qu'une fille si déli-
cate pût supporter autant de tourments. Ensuite' il la
fit lier et jeter dans un bassin plein d'eau, afin que
ce changement de supplice augmentât la violence de
la douleur : mais à Tinstant la terre trembla et la
jeune fille en sortit saine, à la vue de tous. Alors cinq
mille hommes crurent et furent condamnés à être dé-
capités pour le nom de J.-C. Le préfet, dans la crainte
que les autres ne se convertissent, fit de suite couper
SAINTE PRAXÈDE 241
la tête à sainte Marguerite. Elle demanda alors un
instant pour prier: elelle pria pour elle-même, pour ses
bourreaux, et encore pour ceux qui feraient mémoire
d'elle et qui l'invoqueraient avec dévotion, ajoutant que
toute femme en couches qui se recommanderait à elle
enfanterait heureusement : et une voix se fit entendre
du ciel qui dit qu'elle pouvait être certaine d'avoir été
exaucée dans ses demandes. Elle se leva ensuite et
dit au bourreau : « Frère, prends ton épée et me
frappe. » D'un seul coup il abattit la tête de Margue-
rite, qui reçut ainsi la couronne du martyre. Or, elle
souffrit le 16 des calendes d'août, ainsi qu'on le trouve
en son histoire. On lit ailleurs que ce fut le 3 des ides
de juillet. Voici comment parle un saint de cette sainte
vierge: « La bienheureuse Marguerite fut remplie delà
crainte de Dieu, douée de justice, revêtue de religion,
inondée de componction, recommandable par son hon-
neur, et d'une patience insigne ; on ne trouvait en elle
rien de contraire à la religion chrétienne ; haïe par
son père elle était aimée de N.-S. J.-C.
SAINTE PRAXÈDE *
Fraxède viendrait de prasin, vert, elle verdit et porta fleur
àe virginité.
Sainte Praxède, vierge, fut la sœur de sainte Puden-
tienne, de saint Donat et de saint Timothée qui furent
• Bréviaire; — Martyrologes,
u. ir»
242 LA LÉGENDE DOREE
instruits dans la foi par les apôtres. Au milieu de la
fureur d'une persécution, ils ensevelirent les corps
d'un grand nombre de chrétiens, et donnèrent leurs
biens aux pauvres; enfin ils reposèrent en paix, vers
Tan du Seigneur 16S, sous Marc et Antoine le second.
SAINTE MARIE-M AGDELEINE *
Marie signifie mer amère, ou illuminatrice, ou illuminée.
Ces trois significations font comprendre les trois excellentes
parts qu*elle a choisies, savoir : la part de la pénitence, de la
contemplation intérieure et de la gloire céleste. C'est de ces
trois parts que le Seigneur a dit : « Marie a choisi une excel-
lente part qui ne lui sera pas enlevée. » La première part ne lui
sera pas enlevée à cause de la fin qu'elle se proposait d'acqué-
rir, la béatitude; ni la seconde à cause de la continuité, parce
que la contemplation de la vie est continuée par la contem-
plation de la patrie : ni la troisième en raison de son éternité.
Kn tant donc qu'elle a choisi rexcellenle part de pénitence,
elle est appelée mer anière, parce qu'elle y eut beaucoup d'a-
mertumes : ce (|ui est clair par l'abondance des larmes qu'elle
répandit et avec lesquelles elle lava les pieds du Seigneur.
Kn t^nt qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire céleste,
elle reçoit le nom d'illuminatrice, parce qu'elle y a reçu avec
avidité ce qu'elle a dans la suite rendu avec abondance : elle
y a reçu la lumière avec laquelle elle a plus tard éclairé les
autres. En tant qu'elle a choisi l'excellente part de la gloire
céhesle, elle est nommée illuminée, parce qu'elle est main-
tenant illuminée dans son esprit par la lumière de la parfaite
connaissance, et (jue, dans son corps, elle sera illuminée de
clarté. Madeleine veut dire restant coupable (monens rea) ou
bien encore munie, invaincue, magnifique, qualités qui indi-
quent ce qu'elle fut avant, pendant, et après sa conversion.
*,
Haban, .Maur, Bréviaires de Provence.
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 243
Avant sa conversion en effet, elle restait coupable et engagée
à la damnation éternelle ; pendant sa conversion, elle était
munie et invaincue, parce qu'elle était armée de pénitence ;
elle se munit donc excellemment de toutes les armes de la
pénitence ; car autant elle a eu de délectation, autant elle en
a fait l'objet de ses holocaustes. Après sa conversion elle fut
maf^nîfique par la surabondance de grâces, car où avait abondé
le péché, là a surabondé la grâce *.
Marie, surnommée Magdeleine, du château de Mag-
dalon, naquit des parents les plus illustres, puisqu'ils
descendaient de la race royale. Son père se nommait
Syrus et sa mère Eucharie. Marie possédait en com-
mun avec Lazare, son frère et Marthe, sa sœur, le châ-
teau de Magdalon, situé à deux milles de Génézareth,
Béthanie qui est proche de Jérusalem, et une grande
partie de Jérusalem. Ils se partagèrent cependant leurs
biens de cette manière : Marie eut Magdalon d'où elle
fut appelée Magdeleine, Lazare retint ce qui se trou-
vait à Jérusalem, et Marie posséda Béthanie. Mais
comme Magdeleine recherchait tout ce qui peut flatter
les sens, et que Lazare avait son temps employé au
service militaire, Marthe, qui était pleine de prudence,
/ii^ouvernait avec soin les intérêts de sa sœur et ceux
de son frère; en outre elle fournissait le nécessaire
• Pour la vie de sainte Marie-Majçdeleine, consulter les Mo-
numentâ de Vapoitolat, par M. Faillon, prêtre de Saint-Sulpice.
Cette publication extraordinaire confirme les faits de la lé-^
gende, à l'exception du pèlerinage du prince à Rome et à Jéru-
salem avec saint Pierre. Toutefois, M. Faillon ne paraît rejeter
c« fait qu'en s'appuyant sur l'impossibilité où le prince au-
rait pu d'être reconnu par saint Pierre à la croix qu'il portail
sur l'épaule. Ce qui ne paraît pas rigoureux.
i
244 LfL LÉGENDE DOREE
aux soldats, à ses serviteurs, et aux pauvres. Tonte-
fois ils vendirent tous leurs biens après l'ascension de
J.-C. et en apportèrent le prix aux apôtres. Comme
donc Magdeleine reg^orgeait de richesses et que la vo-
lupté est la compagne accoutumée de nombreuses pos-
sessions, plus elle brillait par ses richesses et sa
beauté, plus elle salissait son corps par la volupté;
aussi perdit-elle son nom propre pour ne plus porter
que celui de pécheresse. Comme J.-C. prêchait çà et
là, inspirée par la volonté divine, et ayant entendu
dire que J.-C. dînait chez Simon le lépreux, Magde-
leine y alla avec empressement, et n'osant pas, en sa
qualité de pécheresse, se mêler avec les justes, elle
resta aux pieds du Seigneur, qu'elle lava de ses larmes,
essuya avec ses cheveux et parfuma d'une essence
précieuse : car les habitants du pays, en raison de
l'extrême chaleur du soleil, usaient de parfums et de
bains. Comme Simon le pharisien pensait à part soi
que si J.-C. était un prophète, il ne se laisserait pas
toucher par une pécheresse, le Seigneur le reprit de
soTi orgueilleuse justice et remit à cette femme tous
ses péchés. C'est à cette Marie-Magdeleîne que le Sei-
gneur accorda tant de bienfaits et donna de si grandes
marques d'affection. Il chassa d'elle sept démons, il
IVmhrasa entièrement d'amour pour lui ; il en fit son
amie de préférence ; il était son hôte; c'était elle qui,
dans ses courses, pourvoyait à ses besoins, et en
tonte occasion il prenait sa défense. Il la disculpa au-
fjfès du pharisien qui la disait immonde, auprès de
sa sœur qui la traitait de paresseuse, auprès de Ju-
das qui l'appelait prodigue. En voyant ses larmes.
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 245
" ne put retenir les siennes. Par son amour, elle ob-
^^ni que son frère, mort depuis trois jours, fût res-
suscité ; ce fut à son amitié que Marthe, sa sœur, dut
d'êlre délivrée d'un flux de sang, dont elle était affli-
fî^e depuis sept ans; à ses mérites Martille, servante
"C sa sœur, dut d'avoir l'honneur de proférer ce mot
^' doux qu'elle dit en s'écriant : « Bienheureux le sein
Çwi vous a porté. » D'après saint Ambroise, en efi*et,
^ ®sl de Marthe et de sa servante qu'il est question en
^^' endroit. C'est elle, dis-je, qui lava les pieds du
^^gneurde ses larmes, qui les essuya avec ses che-
^'^^X, qui les parfuma d'essence, qui, le temps de la
gr^ce arrivé, fit tout d'abord une pénitence exemplaire,
U^i choisit la meilleure part, qui se tenant assise aux
P*^ds du Seigneur écouta sa parole, et lui parfuma la
^*^e, qui était auprès de la croix lors de la passion,
H^î prépara des aromates dans l'intention d'embau-
i^erson corps, qui ne quitta pas le sépulcre quand
les disciples se retirèrent ; ce fut à elle la première
i|ue J.-C. apparut lors de sa résurrection, et il la fit
/'apôtre des apôtres.
Après l'ascension du Seigneur, c'est-à-dire qua-
torze ans après la passion, les Juifs ayant massacré
depuis longtemps déjà saint Etienne et ayant chassé
les autres disciples de leur pays, ces derniers se reti-
rèrent dans les régions habitées par les gentils, pour
y semer la parole de Dieu. Il y avait pour lors avec
les apôtres saint Maximin, l'un des 72 disciples, au-
f|uel Marie-Magdeleine avait été spécialement recom-
mandée par saint Pierre. Au moment de cette dis-
persion, saint Maximin, Marie-Magdeleine, Lazare, son
n. X 16'
246 LA LÉGENDE DOREE
frère, Marthe, sa sœur, et Martille, suivante de Marthe,
et enfin le bienheureux Cédonius, Taveugle-né guéri
par le Seigneur, furent mis par les infidèles sur un
vaisseau tous ensemble avec plusieurs autres chré-
tiens encore, et abandonnés sur la mer sans aucun
pilote afin qu'ils fussent engloutis en même temps.
Dieu permit qu'ils abordassent à Marseille. N'ayant
trouvé là personne qui voulût les recevoir, ils restaient
sous le portique d'un temple élevé à la divinité du
pays. Or, comme sainte Marie-Magdeleine voyait le
peuple accourir pour sacrifier aux dieux, elle se leva
avec un visage tranquille, le regard serein, et par
des discours fort adroits, elle le détournait du culte
des idoles et lui prêchait sans cesse J.-G. Tous étaient
dans Tadmiration pour ses manières fort distinguées,
pour sa facilité à parler, et pour le charme de son élo-
quence. Ce n'était pas merveille si une bouche qui
avait embrassé avec autant de piété et de tendresse
les pieds du Sauveur, eût conservé mieux que les
autres le parfum de la parole de Dieu.
Alors arriva un prince du pays avec son épouse
qui venait sacrifier aux idoles pour obtenir un enfant.
Magdeleinc, en leur annonçant J.-C, les dissuada d'of-
frir des sacrifices. Quelques jours s'étant écoulés,
Maçdeleine, se montra dans une vision à cette dame cl
lui dit : « Pourquoi, vous qui vivez dans rabondancc,
laissez-vous les saints de Dieu mourir de faim et de
froid ? » Elle finit par la menacer que si elle ne per-
suadait pas cl son mari de venir au secours de la mi-
sère des saints, elle encourrait la colère du Dieu tout
puissant. Toutefois la princesse n'eut pas la force de
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 247
découvrir sa vîsîon à son mari. La nuit suivante Mag-
deleine lui apparut et lui dit la même chose; mais
^^tte femme négligea encore d'en faire part à son
*^pou,\. Une troisième fois, au milieu du silence de la
"^il, Marie apparut à Tun et à l'autre ; elle frémis-
^^H et le feu de sa colère jetait une lumière qui au-
^^ït fait croire que loute la maison était en flammes.
^* Dors-tu, tyran, dit-elle ? membre de Satan qui est
^n père, tu reposes avec cette vipère, la femme, qui
'^'a pas voulu te faire connaître ce que je lui ai dit :
Te reposes-tu, ennemi de la croix de J.-C. ? Quand
^on estomac est rempli d'aliments de toutes sortes, tu
laisses périr de faim et de soif les saints de Dieu. Tu
^s couché dans un palais ; autour de loi ce ne sont
^i^e tentures de soie, et tu les vois désolés et sans asile,
^^ tu passes oulre. Non, cela ne finira pas de cette
sorte : et ce ne sera pas impunément que tu auras
"■fféré de leur faire du bien. » Elle dit et se retira.
•^ «On réveil la femme, haletante et effrayée, dit à
''^'^ mari troublé comme elle : « Mon seigneur, avez-
^^s eu le même songe que moi? » « Oui, répondii-
^ ^l je ne puis m'empècher d'admirer et de craindre.
^^ ^Tons-nous donc à faire? » « Il vaut mieux pour
,. ti5^^ reprit la femme, nous conformer à ce qu'elle
^ ^ plutôt que d'encourir la colère de son Dieu dont
^ nous menace. » Ils reçurent donc les saints chez
^> et leur fournirent le nécessaire.
* ^r, un jour que Marie-Magdeleine prêchait, le prince
t on vient de parler lui dit : « Penses-tu pouvoir
- ^l^ifier la foi que tu prêches ? » « Oui, reprit-elle,
^uis prête à la défendre ; elle est confirmée par les
248 LA LÉGENDE DORÉE
miracles quotidiens et la prédication de mon maflre
saint Pierre, qui préside à Rome. Le prince et son
épouse lui dirent : « Nous voilà disposés à obtempé-
rer à tous tes dires, si tu nous obtiens un fils du Dieu
que tu prêches. » « Alors, dit M agdeleine, ce ne sera
pas moi qui serai un obstacle. » Et la bienheureuse
pria pour eux le Seigneur qu'il leur daignât accorder
un fils. Le Seigneur exauça ses prières et la dame
conçut. Alors son mari voulut partir pour aller trou-
ver saint Pierre, afin de s'assurer si ce qu'avait an-
noncé Magdeleine touchant J.-C. était réellement la
vérité. Sa femme lui dît: « Quoi ! monseigneur, pen-
sez-vous partir sans moi? Point du tout; si vous par-
tez, je partirai, si vous venez, je viendrai, si vous
restez, je resterai. » Son mari lui dit: « Il n'en sera
pas ainsi, ma dame ; car vous êtes enceinte et sur la
mer on court des dangers sans nombre ; vous pour-
riez donc facilement être exposée; vous resterez en re-
pos à la maison et vous veillerez sur nos possessions. »
Elle n'en persista pas moins, et obstinée comme l'est
une personne de son sexe, elle se jeta avec larmes
aux pieds d:* son mari qui obtempéra enfin à sa de-
mande. Alors Marie mit le signe de la croix sur leurs
épaules de crainte que Tantique ennemi ne leur nuisît
en route. Ils chargèrent un vaisseau de tout ce qui
leur était nécessaire, et après avoir laissé le reste àla
gardedeMarie-Madgdeleine, ils partirent. Ilsn'avaient
voyagé qu'un jour et une nuit quand la mer com-
mença à s'enfler, le vent à gronder, de sorte que tous
les passagers et principalement la dame enceinte et
débile, ballottés ainsi par les vagues, furent en proie
SAINTE MARIE-MÀGDELEINE 249
aux plus graves inquiétudes ; les douleurs de Tenfante-
ment saisirent la femme tout à coup, et au milieu de ses
souffrances et de la violence de la tempête, elle mil
un enfant au monde et expira. Or, le petit nouveau-né
palpitait éprouvant le besoin de se nourrir du lait de
sa mère qu'il semblait chercher en poussant des vagis-
sements pitoyables. Hélas ! quelle douleur ! En rece-
vant la vie, cet enfant avait donné la mort à sa mère,
il ne lui restait plus qu'à mourir lui-même puisqu'il
n'y avait personne pour lui administrer la nourri-
ture nécessaire à sa conservation. Que fera le pèlerin
envoyant sa femme morte, et son fils qui, par ses cris
plaintifs, exprimait le désir de prendre le sein? Il se
lamentait beaucoup en disant : « Hélas ! malheureux !
que feras-tu? Tu as souhaité un fils et tu as perdu la
mère qui lui donnait la vie. » Les matelots criaient :
rc Qu'on jette ce corps à la mer, avant que nous ne
soyons engloutis en même temps que lui, car tant
qu'il sera avec nous, cette tempête ne cessera pas. »
Et comme ils avaient pris le cadavre pour le jeter à
la mer : « Un instant, dit le pèlerin, un instant : si vous
ne voulez pas attendre ni pour la mère ni pour moi,
nyez pitié au moins de ce petit enfant qui crie ; at-
tendez un instant, peut-être que la mère a seulement
j>erdu connaissance dans sa douleur et qu'elle vit en-
core. )x Et voici que non loin du vaisseau apparut une
cx>Hine ; à cette vue, il pensa qu'il n'y avait rien de
mieux à faire que d'y transporter le corps de la mère
et l'enfant plutôt que de les jeter en pâture aux bêles
marines. Ce fut par prières et par argent qu'il parvint
à obtenir des matelots d'aborder. Et comme le rocher
230 LA LÉGENDE DOREE
était si dur qu'il ne put creuser une fosse, il plaça le
corps enveloppé d'un manteau dans un endroit des
plus écartés de la montagne et déposant son fils con-
tre son sein, il dit : « 0 Marie-Magdeleine ; c*est pour
mon plus grand malheur que tu as abordé à Marseille !
Pourquoi faut-il que j'aie eu le malheur d'entrepren-
dre ce voyage d'après tes avis? As-tu demandé à Dieu
que ma femme conçût afin qu'elle pérît ? Car voici
qu'elle a conçu et, en devenant mère, elle subit la mort;
son fruit est né et il faut qu'il meure, puisqu'il n'y a
personne pour le nourrir. Voici ce que j'ai obtenu par
ta prière, je t'ai confié tous mes biens, je les confie à
Ion Dieu. Si tu as quelque pouvoir, souviens-toi de
l'îime de la mère et à ta prière que Ion Dieu ait pitié
de l'enfant et ne le laisse pas périr. » Il enveloppa
alors dans son manteau le corps de sa femme et de son
fils et remonta sur le vaisseau.
Quand il fut arrivé chez saint Pierre, celui-ci vint
à sa rencontre, et en voyant le signe de la croix atta-
ché sur ses épaules il lui demanda qui il était et d'on
il venait. Le pèh^rln lui raconta tout ce qui s'était passé.
— Pierre lui dit : « La paix soit avec vous, vous avez
hicn fait de venir et vous avez été bien inspiré de
croire. Ne vous tourmentez pas si votre femme dori,
el si son enfant repose avec elle ; car le Seigneur a le
pouvoir de donner à qui il veut, de reprendre ce qu'il
a donné, de rendre ce qui a été enlevé, et de chan-
i^er votre douleur en joie. » Or, saint Pierre le condui
sit lui-même à Jérusalem et lui montra chacun des en
droits où J.-C. avait prêché, el avait fait des miracles
comme aussi le lieu où il avait souffert, el celui d'c
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 251
il était monté aux deux. Après avoir été instruit avec
soin dans la foi par saint Pierre, il remonta sur un
vaisseau après deux ans révolus, dans l'intention de
regagner sa patrie. Dieu permet que, dans le trajet,
ils passassent auprès de la colline où avait été déposé le
corps de sa femme avec le nouveau-né, et par prière
et par argent il obtint d'y débarquer. Or, le petit en-
fant, qui avait été gardé sain et sauf par sainte Marie-
Magdeleine, venait souvent sur le rivage, et comme
tous les enfants, il avait coutume de se jouer avec des
coquillages et des cailloux. En abordant, le pèlerin
vit donc un petit enfant qui s*amusait, comme on le
fait à son âge, avec des pierres ; il ne se lassait pas
d'admirer jusqu'à ce qu'il descendît de la nacelle. En
l'apercevant, Tenfant, qui n'avait jamais vu de sem-
Wable chose, eut peur, courut comme il avait cou-
tume de le faire au sein de sa mère sous le manteau
"<î laquelle il se cacha. Or, le pèlerin, pour mieux s'assu-
^^^ de ce qui se passait, s'approcha de cet endroit et y
trouva un très bel enfant qui prenait le sein de sa mère.
'' 'accueillit dans ses bras. « 0 bienheureuse Marie-
"3g*deleine, dit-il, quel bonheur pour moi ! comme
tout me réussirait, si ma femme vivait et pouvait re-
touï^^er avec moi dans notre patrie ! Je sais, oui, je
^*^» et je crois sans aucun doute que vous qui m'avez
doriné un enfant et qui l'avez nourri sur ce rocher
pci^dant deux ans, vous pourriez, par vos prières,
rendre à sa mère la santé dont elle a joui auparavant. »
X ces mots, la femme respira et dit comme si elle se
réveillait : « Votre mérite est grand, bienheureuse Ma-
ric-Magdeleine, vous êtes glorieuse, vous qui, dans les
232 LA LÉGENDE DORÉE
douleurs de l'enfantement, avez rempli pour moi Tof-
Hce de sage-femme, et qui en toute circonstance m'a-
vez rendu les bons soins d'une ser^'ante. )> En enten-
dant ces paroles, le pèlerin fut plein d'admiration»
« Vivez- vous, dit-il, ma chère épouse ? » « Oui, ré-
pondit-elle, je vis ; je viens d'accomplir le pèlerinage
<jue vous avez fait vous-même. C'est saint Pierre quL
vous a conduit à Jérusalem et qui vous a montré tous^
les lieux où J.-C. a souffert, est mort et a été ense—
veli, et beaucoup d'autres encore ; moi, c'est avec sainte^
Marie-Magdeleine pour compagne et pour guide que
j'ai vu chacun de ces lieux avec vous; j'en ai conGé le
souvenir à ma mémoire. » Alors elle énuméra tous les
endroits où J.-C. a souffert, raconta les miracles qui
avaient eu son mari pour témoin, sans la moindre hé-
sitation. Le pèlerin joyeux prit la mère et Tenfant,
s'embarqua et peu après ils abordèrent à Marseille,
où, étant entrés, ils trouvèrent sainte Marie-Magde-
leine annonçant la parole de Dieu avec ses disciples.
Us se jetèrent à ses pieds en pleurant, lui racontèrent
tout ce qui leur était arrivé, et reçurent le saint bap-
tême des mains du bienheureux Maximin. Alors ils
détruisirent dans Marseille tous les temples des idoles,
et élevèrent des églises en l'honneur de J.-C, ensuite
ils choisirent à l'unanimité le bienheureux Lazare
pourévêque de la cité. Enfin conduits par l'inspiration
de Dieu, ils vinrent à Aix dont ils convertirent la po-
pulation à la foi de J.-C. en faisant beaucoup de mi-
racles et où le bienheureux Maximin fut de son côté
ordonné évêque.
Cependant la bienheureuse Marie-Ma^deleine, qui
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 253
aspirait ardemment se livrer à la contemplation des
choses supérieures, se retira dans un désert aflFreux où
elle resta inconnue l'espace de trente ans, dans un en-
droit préparé par les mains des anges. Or, dans ce lieu,
il n'y avait aucune ressource, ni cours d'eau, ni arbres,
ni herbe, afin qu'il restât évident que notre Rédemp-
teur avait disposé de la rassasier, non pas de nourri-
tures terrestres, mais seulement des mets du ciel. Or,
chaque jour, à l'instant des sept heures canoniales,
elle était enlevée par les anges au ciel et elle y enten-
dait, même des oreilles du corps, les concerts charmants
des chœurs célestes. Il en résultait que, rassasiée cha-
que jour à cette table succulente, et ramenée par les
mêmes anges aux lieux qu'elle habitait, elle n'éprou-
vait pas le moindre besoin d'user d'aliments corporels.
^^ prêtre, qui désirait mener une vie solitaire, plaça
^ <*el]ule dans un endroit voisin de douze stades do
*^'lede Marie-Magdeleine. Un jour donc, le Seigneur
^^^ni les yeux de ce prêtre qui put voir clairement
comment les anijes descendaient dans le lieu où demeu-
^^^ la bienheureuse Marie, la soulevaient dans les airs
^^'3 rapportaient une heure après dans le même lieu,
^^ chantant les louanges du Seigneur. Alors le prêtre,
^'^anl s'assurer de la réalité de cette vision, après
^*tre recommandé par la prière à son créateur, se di-
^'çea avec dévotion et courage vers cet endroit ; il
'ïen était éloigné que d'un jet de pierre, quand ses
jambes commencèrent à fléchir, une crainte violente le
saisit et lui ôta la respiration : s'il revenait en arrière,
ses jambes et ses pieds reprenaient des forces pour
marcher, mais s'il rebroussait chemin pour tenter de
254 LA LÉGENDE DOREE
s'approcher du Heu en question, autant de fois la las-
situde s'emparait de son corps, et son esprit s'engour-
dissait. L'homme de Dieu conoprit donc qu'il y avait
h\ un secret du ciel auquel l'esprit humain ne pouvait
atteindre. Après avoir invoqué le nom du Sauveur il
s'écria : « Je t'adjure par le Seigneur, que si tu es
un homme ou bien une créature raisonnable habitant
cette caverne, tu me répondes et tu me dises la vérité.
« Et quand il eut répété ces mots par trois fois, la
bienheureuse Marie-Magdeleine lui répondit : « Ap-
prochez plus près, et vous pourrez connaître la vérité
de tout ce que votre âme désire. » Quand il se fut ap-
proché tout tremblant jusqu'au milieu de la voie à par-
courir, elle lui dit : « Vous souvenez-vous qu'il est
question, dans l'Évangile, de Marie, cette fameuse pé-
cheresse, qui lava de ses larmes les pieds du Sauveur,
et les essuya de ses cheveux, ensuite mérita le pardon
de ses fautes ? » Le prêtre lui répondit : « Je m'en
souviens, et depuis plus de trente ans la sainte église
croit et confesse ce fait. » « C'est moi, dit-elle, qui suis
celte femme. J'ai demeuré inconnue aux hommes l'es-
pace de trente ans, et comme il vous a été accordé
de le voir hier, chaque jour, je suis enlevée au ciel
[)ar les mains des anges, et j'ai eu le bonheur d'en-
tendre des oreilles du corps les admirables concerts
des cliœurs célestes, sept fois par chaque jour. Or,
{)uisqu'il m'a été révélé par le Seigneur que je dois
sortir de ce monde, allez trouver le bienheureux Ma-
ximin, et dites-lui que, le jour de Pâques prochain,
à riKMire qu'il a coutume de se lever pour aller à ma-
tines, il entre seul dans son oratoire et qu'il m'y trou-
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 25S
vera transportée par le ministère des anges. » Le
prêtre entendait sa voix, comme on aurait dit de celle
d*un ange, mais il ne voyait personne. Il se hâta donc
d'aller trouver saint Maximin, et lui raconta tous ces
détails. Saint Maximin, rempli d'une grande joie, ren-
dit alors au Sauveur d'immenses actions de grâce, et
au jour et à Theure qu'il lui avait été dit, en entrant
dans son oratoire, il voit la bienheureuse Marie-Mag-
deleine debout dans le chœur, au milieu des anges
qui l'avaient amenée. Elle était de deux coudées au-
dessus de terre, debout au milieu des anges et priant
I^ieu, les mains étendues. Or, comme le bienheureux
Maximin tremblait d'approcher auprès d'elle, Marie
dit en se tournant vers lui : « Approchez plus près ;
•»e fuyez pas votre fille, mon père. » En s'approchant,
'*^^'on qu'on le lit dans les livres de saint Maximin
'^^i-méme, il vit que le visage de la sainte rayonnait
"^* telle sorte par les continuelles et longues conimu-
'"cations avec les anges, que les rayons du soleil
^*taient moins éblouissants que sa face. Maximin con-
^^qua tout le clergé et le prêtre dont il vient d'être
P^rté. Marie -Magdeleine reçut le corps et le sang du
^*g»eur des mains de l'évêque, avec une grande
i^^Oiidance de larmes. S'étant ensuite prosternée devant
ï^ base de l'autel, sa très sainte âme passa au Seigneur :
i^l^rès qu'elle fut sortie de son corps, une odeur si suave
i'^^répanditdans le lieu même, que pendant près de sept
jours, ceux qui enlraientdans Toratoire la ressentaient.
Le bienheureux Maximin embauma le très saint corps
avec différents aromates, Tensevelit, et ordonna qu'on
l'ensevelît lui-même auprès d'elle après sa mort.
256 LA LÉGENDE DOREE
Hégésippe, ou bien Joseph, selon d'autres, est assez
d'accord avec celte histoire. Il dit, en effet, dans son
traité, que Marie-Magdeleine, après Tascension du
Seigneur, poussée par son amour envers J.-C. et par
Tennui qu'elle en avait, ne voulait plus jamais voir
face d'homme ; mais que dans la suite elle vint au
territoire d'Aix, s'en alla dans un désert où elle resta
inconnue l'espace de trente ans, et, d'après son récit,
chaque jour, elle était transportée dans le ciel pour
les sept heures canoniales. Il ajoute cependant qu'un
prêtre, étant venu chez elle, la trouva enfermée dans
sa cellule. Il lui donna un vêtement sur la demande
qu'elle lui en fit. Elle s'en revêtit, alla avec le prêtre
à l'église où après avoir reçu la communion, elle éleva
les mains pour prier et mourut en paix vis-à-vis Tau-
tel. — Du temps de Charlemagne, c'est-à-dire, l'an
du Seigneur 769, Gyrard, duc de Bourgogne, ne pou-
vant avoir de fils de son épouse, faisait de grandes
largesses aux pauvres, et construisait beaucoup d'é-
glises et de monastères. Ayant donc fait bâtir l'abbaye
de Vézelai, il envoya, de concert avec Tabbé de ce mo-
nastère, un moine avec une suite convenable, à la ville
d'Aix, pour en rapporter, s'il était possible, les reli-
ques de sainte Marie-Magdeleine. Ce moine arrivé à
Aix trouva la ville ruinée de fond en comble par les
païens ; le hasard lui fit découvrir un sépulcre dont
les sculptures en marbre lui prouvèrent que le corps
<le sainte Marie-Magdeleine était renfermé dans Tin-
térieiir; en effet riiisloire de la sainte était sculptée
avec un art merveilleux sur le tombeau. Une nuit
donc le moine le brisa, prit les reliques et les emporta-
k.
SAINTE MARIE-MAGDELEINC 2o7
à son hôtel. Or, cette nuit-là même, la bienheureuse
Marie-Magdeleine apparut à ce moine et lui dit de
n'avoir aucune crainte mais d'achever l'œuvre qu'il
avait entreprise.
A son retour, il était éloigné d'une deroi-lieue de
son monastère, quand il devint absolument impos-
sible de remuer les reliques, jusqu'à l'arrivée de l'abbé
avec les moines qui les reçurent en procession avec
çrand honneur. Un soldat qui avait l'habitude de venir
chaque année en pèlerinage au corps de la bienheureuse
Marie-Magdeleine, fut tué dans une bataille. On l'avait
mis dans le cercueil et ses parents en pleurs se plai-
gnaient avec confiance à sainte Magdeleine de ce qu'elle
avait laissé mourir, sans qu'il eût eu le temps de se
confesser et de faire pénitence, un homme qui lui avait
^té si dévot. Tout à coup, à la stupéfaction générale,
^'«i qui était mort ressuscita, demanda un prêtre, et
*près s'être dévotement confessé et avoir reçu le via-
^«e, il mourut en paix aussitôt. — Un navire sur
'^uel se trouvaient beaucoup d'hommes et de femmes
"^ Haufragre. Mais une femme enceinte, se vovant en
"^Hger de périr dans la mer, invoquait, autant qu'il
^^it en son pouvoir, sainte Magdeleine, et faisait vœu,
1^^ si, grâce à ses mérites, elle échappait au naufrage
^^ mettait un fils au monde, elle le dédierait à son mo-
^^stère. A l'instant, une femme d'un aspect et d'un
port vénérable lui apparut, la prit par le menton, et
'^ conduisit saine et sauve sur le rivage, quand tous
l^s autres périssaient *. Peu de temps après, elle mit au
♦ \y
Vincent de B., Hitt,, 1. XXIV, c. xxxv
n.
258 I^A LÉGENDE DORÉE
monde un fils, et accomplit fidèlement son vœu. — •
Il y en a qui disent que Marie-Magdeleine était fiancée
à saint Jean Tévançéliste, et qu'il allait l'épouser quand
.I.-C. l'appela au moment de ses noces. Indignée de
ce que le Seigneur lui avait enlevé son fiancé, Magde-
leine s'en alla et se livra tout à fait à la volupté. Mais
parce qu'il n'était pas convenable que la vocation de
Jean fût pour Magdeleine une occasion de se damner,
le Seigneur, dans sa miséricorde, la convertit à la pé-
nitence; et en l'arrachant aux plaisirs des sens, il la
combla des joies spirituelles qui se trouvent dans l'a-
mour de Dieu. Quelques-uns prétendent que si N.-S.
admit saint Jean dans une intimité plus grande que
les autres, ce fut parce qu'il l'arracha à l'amour de
Magdeleine. Mais ce sont choses fausses et frivoles ;
car frère Albert, dans le prologue sur l'Evangile de
saint Jean, pose en fait que cette fiancée dont saint
Jean fut séparé au moment de ses noces par la vo-
cation de J.-C, resta vierge, et s'attacha parla suite
à la sainte Vierge Marie, mère de J.-C. et qu'enfin elle
mourut saintement. — Un homme privé de la vue
vrnait au monastère de Vrzelai visiter le corps de
sainte Marie-Mat^deleine, quand son conducteur lui
dit qu'il rommenc^ait î\ apercevoir l'église. Alors l'a-
veiigle s'écria à haute voix : « 0 sainte Marie-Magde-
Idno ! que ne pnis-je avoir le bonheur de voir une
fois votre éq^lise ! » et à l'instant ses veux furent ou-
verts. — Un homme avait écrit ses péchés sur une
feuille qu'il posa sous la nappe de l'autel de sainte
Marie-Magdeleine, en la priant de lui en obtenir la ré-
r.iission. Peu de temps après il reprit sa feuille et
SAINTE MARIE-MAGDELEINE 2u0
tous les péchés en avaient été effacés. — Un homme
détenu en prison pour de l'argent qu'on exigeait d*^
lui invoquait à son secours sainte Marie-Magdeleine ; ol
voici qu'une nuit lui apparut une femme d'une beauté
remarquable qui, brisant ses chaînes et lui ouvrant
la porte, lui commanda de fuir. Ce prisonnier se voyant
délivré s'enfuit aussitôt *. — Un clerc de Flandre,
nommé Etienne, était tombé dans de si grands crimes,
en s'adonnant à toutes les scélératesses, qu'il ne vou-
lait pas plus entendre parler des choses qui regardent
le salut qu'il ne les pratiquait. Cependant il avait une
grande dévotion en sainte Marie-Magdeleine ; il jeûnait
ses vigiles et honorait le jour de sa fête. Une fois qu'il
visitait son tombeau, sainte Marie-Magdeleine lui appa-
rut, alors qu'il n'était ni tout à fait endormi, ni tout à
fait éveillé; elle avait la figure d'une belle femme ; ses
veux étaient tristes, et elle était soutenue à droite et
à ^uche par deux anges : alors elle lui dit : « Je t'en
prie, Etienne, pourquoi te livres-tu à des actions indi-
gnes de moi ? Pourquoi n'es-tu pas touché des paroles
pressantes que je t'adresse de ma propre bouche? dès
rinstant que tu as eu de la dévotion pour moi, j'ai
toujours prié d'une manière pressante le Seigneur
pour toi. Allons, courage, repens-toi, car je ne t'a-
bandonnerai pas que tu ne sois réconcilié avec Dieu. »
Et il se sentit inondé de tant de grâces que, renonçant
au monde, il entra en religion et mena une vie très
parfaite. A sa mort, on vit sainte Marie-Magdeleine
• Viacent de B., Hi$t.^ I. XXIV, c. xxxv, ms. de la Bible,
Bibliothèque nationale, u^ 5i96.
\
260 LA LÉGENDE DORÉE
apparaître avec des anges auprès de son cercueil, et
porter au ciel, avec des cantiques, son âme sous la
forme d'une colombe*.
SAINT APOLLINAIRE
Apollinaire vient de pollens, resplendissant^ et de ares, vertu >
resplendissant de vertus : ou bien de polio, qui signifie admi- u
rable et naris, narine ; par quoi l'on entend la discrétion
c'est comme si Ton disait : homme d'une discrétion admirable;
Il peut encore venir de a, sans, de polluo, souiller, et arei
vertu, homme vertueux non souillé par le vice.
Saint Apollinaire fut disciple de saint Pierre qi
renvoya de Rome à Ravenne où, après avoîr jSfuéri
femme du- tribun, il la baptisa avec son mari et sa f»t.
mille. Le juge en fut informé et Apollinaire fut mandl^
le premier pour comparaître devant lui. On le cou —
duisit au temple de Jupiter pour qu'ilsacrifiât. Comme ^
il disait aux prt^tres que For des idoles et Targent
qu'on y suspendait seraient mieux employés en les
donnant aux pauvres qu'à les exposer ainsi devant les
dfMnons, il fut saisi aussitôt et battu avec des fouets
jiiSfju'à rester à demi mort : mais il fut recueilli par
ses disciples et soigné pendant sept mois dans la mai-
son (riine veuve. De là il vint à Classe** pour y guérir
un noble qui était muet ***. Comme il entrait dans la
maison, une jeune fille possédée d'un esprit immonde
* Denys le Chartr., »S>rwo« iv, de sainte Marie-Magdeleine.
** Bourt!^ à 3/4 de lieue de Ravenne dont il est le port.
** Brèriaïrt' romain.
S\INT APOLLINAIRE 261
s^<:::ria : « Retîre-toi d'ici, serviteur de Dieu; sinon
•
je t.e ferai jeter hors de la ville les mains et les pieds
liés. » Saint Apollinaire la reprit aussitôt et força le
d^nnon à s'en aller. Après avoir invoqué le nom du
^îgneur sur le muet et l'avoir guéri, plus de cinq
^^ràts hommes reçurent le don de la foi. Cependant
'^s. païens l'accablèrent à coups de fouet pour Fem-
P^cher de nommer J.-C. : mais le saint étendu par
^ï*re criait que c'était le vrai Dieu. Alors ils le firent
^^Hir debout et nu-pieds sur des charbons ardents,
'^^is comme il prêchait encore J .-C. avec la plus grande
^^^Tïstance, ils le chassèrent hors de la ville*.
Dans le même temps, Rufus, patricien de Ravenne,
^Ont la fille était malade, avait appelé saint Apolli-
'^Bire pour la guérir : mais celui-ci était à peine entré
^l^ns la maison qu'elle mourut. Rufus lui dit : « Il eût
^lé à souhaiter que tu ne fusses pas entré chez moi,
^ar les grands dieux irrités n'ont pas voulu guérir ma
fille : mais toi, que lui pourras-tu faire? » « Ne crains
rien, lui répondit Apollinaire; seulement jure-moi
que si ta fille ressuscite, tu ne l'empêcheras pas de
s'attacher à son créateur. » 11 le promit et saint Apol-
linaire ayant fait une prière, la fille ressuscita. Elle
confessa le nom de J.-C, reçut le baptême avec sa
mère et une grande multitude de personnes, et elle
vécut dans la virginité**. Quand C4ésar apprit cela, il
écrivit au préfet du prétoire de faire sacrifier Apolli-
naire, ou de l'envoyer en exil. Apollinaire ayant refusé
* Bréviaire romain.
•• /bid.
n. 17
262 LA LÉGENDE DORÉE
de sacrifier, le préfet le fit fouetter et ordonna qu'on
rétendît au chevalet pour le torturerJ^e saint persistant
à confesser J.-C, il fit jeter de l'eau bouillante sur ses
plaies et voulut l'envoyer en exil après l'avoir garrotté
d'une masse énorme de fer. Les chrétiens, à la vue
d'une si grande impiété, s'enflammèrent contre les
païens, se jetèrent sur eux et eu tuèrent plus de deux
cents. Alors le préfet se cacha, jeta Apollinaire au
fond d'une prison très profonde, ensuite il le fit mettre
sur un vaisseau après l'avoir enchaîné, et le fit partir
en exil avec trois clercs qui suivaient le saint. Il s'é-
leva une tempête, et il n'y eut de sauvé que lui, les
deux clercs et deux soldats qu'il baptisa. Revenu en-
suite à Ravenne, où les païens le prirent et le condui-
sirent au temple d'Apollon, aussitôt qu'il eut aperçu
la statue de l'idole, il la maudit et tout aussitôt, elle
tomba. A cette vue, les prêtres le menèrent au juge
Taurus. Ce juge, après que le saint eut rendu l'usage
(le ses yeux à son fils qui était aveugle, se convertit à
la foi, et garda Apollinaire pendant quatre ans dans
son domaine. Les prêtres des faux dieux Payant accuse
à Vespasien, celui-ci répondit que quiconque insultait
les dieux devait sacrifier ou bien être chassé de la
ville : « II n'est pas juste, ajoutait-il, que nous ven-
gions les dieux ; mais, s'ils s'irritent, ils pourront se
venger eux-mêmes de leurs ennemis. » Alors le patrice
Démosthène, sur le refus que lui fit saint Apollinaire
de sacrifier, le confia à un centurion déjà chrétien.
Celui-ci demanda au saint de venir au quartier des lé-
preux pour y échapper à la fureur des gentils ; mais
le peuple l'y poursuivit et le frappa si longtemps qu'il
SAINT APOLLINAIRE 263
en mourut, après sept jours employés par lui à don-
ner des avis à ses disciples; il fut enseveli ensuite avec
les plus g^rands honneurs au même endroit par les
chrétiens, sous Tempire de Vespasien, Tan du Sei-
gneur 70. — Saint Ambroise s*exprime ainsi sur ce
martyr dans la préface : « Le très digne prélat Apol-
linaire est envoyé par le prince des apôtres Pierre à
Ravenne, annoncer aux incrédules le nom de Jésus.
Après y avoir opéré un grand nombre de miracles eu
faveur de ceux qui croyaient en J.-C, il fut souvent
accablé sous les coups de fouet; et son corps déjà
vieux fut soumis à des traitements horribles de la
part des impies. Mais afin que les fidèles ne fussent
pas ébranlés dans la foi en présence de pareils tour-
ments, il opérait des miracles comme les apôtres par
la puissance de N.-S. J.-C. Après ses supplices, il
ressuscite une jeune personne, il rend la vue aux aveu-
i^les, la parole aux muets, il délivre une possédée du
démon, il guérit un lépreux, il rend la sanlé à un
pestiféré dont les membres tombaient en dissolution ;
il renverse une idole et le temple qui Tabritait. 0 Pon-
tife le plus digne de toute admiralion et de tout éloge,
qui mérita de recevoir le pouvoir des apôtres avec la
dignité épiscopale ! 0 courageux athlète de J.-C,
sur le déclin et le froid des ans, il prêche au milieu
des tortures avec constance J.-C, le Rédempteur du
monde ! »
264 LA LÉGENDE DOREE
SAINTE CHRISTINE*
Christine, oinle du chrême ; elle eut en effet le baume de
bonne odeur dans son genre de vie, Thuile de dévotion «dans
le cœur, et la bénédiction à la bouche.
Sainte Christine ** naquit de parents très nobles, à
Tyr***, en Italie. Son père la mit dans une tour avec
douze suivantes; elle y avait des dieux d'argent et
d'or. Comme elle était fort belle et que plusieurs la re-
cherchaient en mariage, ses parents ne voulurent l'ac-
corder à personne afin qu'elle restât consacrée au culte
des dieux. Mais, instruite par le Saint-Esprit à avoir
en horreur les sacrifices des idoles, elle cachait dans
une fenêtre les encens avec lesquels on devait sacrifier.
Son père étant venu, les suivantes lui dirent : « Ta
fille, notre maîtresse, méprise nos divinités et refuse
de leur sacrifier ; elle dit au reste qu'elle est chré-
tienne. » Le père, par ses caresses, l'exhortait à ho-
norer 1;îs dieux, et elle lui dit: «Ne m'appelles pas ta
fille, mais bien celle de celui auquel on doit le sacrifice
de louantes ; car ce n'est pas à des dieux mortels, mais
au Dieu du ciel cjue j'offre des sacrifices. » Son père
lui répliqua: « Ma fille,'ne sacrifie pas seulement à un
'^ Alphauus, archevêque de Salerne en 1083, a donné les
actes (le celte sainte qui se trouvent ici en abrégé.
** Cette légende est un abrégé fidèle de la vie et du martyre
de sainte Christine écrite au xi* siècle par Alphanus, archevê-
que de Salcrne.
"'* Ville de Toscane engloutie dans le lac Bolsène.
SAINTE CHRISTINE 263
Dieu, de peur d'encourir la haine des autres, w Chris-
tine lui répondit : « Tu as bien parlé, tout en ne con-
naissant pas la vérité ; j'offre en effet des sacrifices au
Père, au Fils, et au Saint-Esprit. » Son père lui dit :
« Si tu adores trois dieux, pourquoi n'adores-tu pas
aussi les autres? » Elle répondît: « Ces trois ne font
qu'une seule divinité. » Après cela Christine brisa les
dieux de son père et en donna aux pauvres l'or et
l'argent. Quand le père revint pour adorer ses dieux,
<*t qu'il ne les trouva plus, en apprenant des suivan-
tes ce que Christine en avait fait, il devint furieux et
commanda qu'on la dépouillât et qu'elle fût fouettée
par douze hommes jusqu'à ce qu'ils fussent épuisés
eux-mêmes. Alors Christine dit à son père : « Homme
sans honneur et sans honte, abominable aux yeux de
Dieu ! ceux qui me fouettent s'épuisent ; demande
pour eux à tes dieux de la vigueur, si tu en as le cou-
rage! » Et son père la fit charger de chaînes et jeter en
prison. Quand la mère apprit cela, elle déchira ses
vêtements, alla trouver sa fille et se prosternant à ses
pieds, elle dit : « Ma fille Christine, lumière de mes
yeux, aie pitié de moi. » Christine lui répondit :
« Que m'appelez-vous votre fille ? ne savez- vous pas
c|ue je porte le nom de mon Dieu ? » Or, la mère, n'ayant
pu faire changer sa fille de résolution, revint trouver
son mari auquel elle déclara les réponses de Christine.
Alors le père la fit amener devant son tribunal et lui
(lit: (( Sacrifie aux dieux, sinon tu seras accablée dans
les supplices; tu ne seras plus appelée ma fille. )> Elle
lui répondit: « Vous m'avez fait grande grâce de ne
plus m'appeler maintenant fille du diable. Celui qui
266 LA LÉGENDE DOREE
naît de Satan est démon ; tu es le père de ce même Sa-
tan. » Son père ordonna qu'on lui raclAt les chairs avec
des peignes et que ses jeunes membres fussent dislo-
qués. Christine prit alors de sa chair qu'elle jeta à la
figure de son père en disant: «Tiens, tyran, mange la
chair que lu as engendrée. » Alors le père la fit pla-
cer sur une roue sous laquelle il fit allumer du feu
avec de Thuile; mais la flamme qui en jaillit fit périr
quinze cents personnes. Or, son père, qui attribuait
tout cela à la magie, la fit encore une fois renfermer
en prison, et quand la nuit fut venue, il commanda à
ses gens de lui lier une pierre énorme au cou et de la
jeter dans la mer. Ils le firent, mais aussitôt des an-
ges la prennent, J.-C. lui-même vient à elle et la bap-
tise dans la mer en disant : « Je te baptise en Dieu,
mon père, et en moi J.-C. son fils, et dans le Saint-
Esprit. » Et il la confia à Tarchange Michel qui l'a-
mena sur la terre. Le père, qui apprit cela, se frappa le
front en disant : « Par quels maléfices fais-tu cela, de
pouvoir ainsi exercer ta magie dans la mer ? » Chris-
tine lui répondit : « Malheureux insensé! c'est de J.-C.
([ue j'ai reçu cette grâce. » Alors il la renvoya dans lu
prison avec ordre de la décapiter le lendemain.
Or, cette nuit-là même, son père Urbain fut trouvé
mort. Il eut pour successeur un juge inique, appelé
Elias *, qui fit préparer une chaudière dans laquelle
on mit bouillir de l'huile, de la résine et de la poix pour
y jeter Christine. Quatre hommes agitaient la cuve
afin que la sainte fiU consumée plus vite. Alors elle
Alpha nus le nomme Idion.
SAINTE CHRISTINE 267
loua Dieu de ce qu'après avoir reçu une seconde nais-
sance, il voulait qu'elle fût bercée comme un petit en-
fant. Le juge irrité ordonna qu'on lui rasât la tête et
qu'on la menât nue à travers la ville jusqu'au temple
d'Apollon. Quand elle y fut arrivée, elle commanda à
ridole de tomber, ce qui la réduisit en poudre. A cette
nouvelle le juge s'épouvanta et rendit l'esprit. Julien
lui succéda : il fit chauffer une fournaise et y jeter
Christine ; et elle resta intacte pendant cinq jours *
qu'elle passa à chanter et à se promener avec des an-
ges. Julien, qui apprit cela et qui l'attribua à la magie,
fit jeter sur elle deux aspics, deux vipères et deux cou-
leuvres. Les serpents lui léchèrent les pieds, les aspics
ne lui firent aucun mal et s'attachèrent à ses mamelles,
et les couleuvres en se roulant autour de son cou lé-
chaient sa sueur. Alors Julien dit à un enchanteur :
« Est-ce que tu es aussi magicien ? irrite les bêtes. »
Et comme il le faisait, les serpents se jetèrent sur lui
et le tuèrent en un instant. Christine commanda en-
suite aux serpents, les envoya dans un désert et elle
ressuscita le mort. Julien aloi's ordonna de lui enlever
les mamelles, d'où il coula du lait au lieu de sang.
Ensuite il lui fit couper la langue; Christine n'en per-
dit pas l'usage de la parole ; elle ramassa sa langue et
la jeta à la figure de Julien, qui, atteint à l'œil, se
trouva aveuglé. Julien irrité lui envoya deux flèches au
cœur et une autre à son côté. En recevant ces coups
elle rendit son esprit à Dieu, vers l'an du Seigneur 287,
sous Dioclétien. Son corps repose dans un château
* Trois heures, d'après Alphanus.
1
268 LA LKGENDE DORKE
qu'on appelle Bolsène situé entre la Ville vieille et Vi-
terbe. La tour qui était vis-à-vis de ce château a été
renversée de fond en comble.
SAIiNT JACQUES LE MAJEUR*
Cet apùtre fut appelé Jacques, fils de Zébédée^ Jacques, frère
de Jean, Boanergès, c*est-à-dirc iils du tonnerre, et Jacques le
Majeur. On appelle Jacques, tils de Zébédée, non pas seulement
parce qu'il fut son fils selon la chair, mais pour faire com>
prendre son nom. Zébédée signifie donnant ou donné, et saint
Jacques se donna lui-même à J.-C. par sa mort qui fut un
martyre ; et il a été donné de Dieu pour être notre patron*''
spirituel. On l'appelle Jacques, frère de Jean, parce qu'il fut
son frère et selon la chair et selon la ressemblance de la con-
duite. Tous les deux en effet eurent le même zèle, le même,
désir de savoir, et tirent les mêmes souhaits. Ils eurent le
même zèle pour venger le Seigneur ; en effet comme les Sama-
ritains ne voulaient pas recevoir J -C., Jacques et Jean dirent :
« Voulez-vous que nous commandions que le feu du ciel des-
cende et qu'il consume ces gens-là ? » Ils eurent le même içoût
pour apprendre : ce furent eux principalement qui interro-
gèrent J.-C. au sujet du jour du jugement et des autres choses
à venir. Ils firent les mêmes souhaits, car tous les deux vou-
lurent avoir leur place pour s'asseoir l'un à la droite et l'autre
à la gauche de J.-C. Ou Tappelle Hls du tonnerre, en raison
(lu bruit que faisaient ses prédications, parce qu'il effrayait
1rs méchants, il excitait les paresseux, et il s'attirait Tadmi-
ration générale par la profondeur de ses paroles. Il en fut de
lui comme de saint Jean, dont Bède dit : « Il a retenti si haut
'■ Pour la légende de saint Jacijues, on peut consulter les
noies de Bivar sur la Chronique de Dexter. Les traditions des
«'•«j^lises d'Espagne s'y trouvent exposées fort au long.
" Le lecteur se rappelle que l'iuiteur s'appelle Jacques.
SAINT JACQUES LE MAJEUR 269
que s'il eût retenti un peu plus, le monde entier n'aurait pu
le contenir. » On l'appelle Jacques le Majeur comme l'autre est
appelé le Mineur : lo en raison de vocation ; car il fut appelé
le premier par J.-C; 2* en raison de familiarité; car J.-G.
paraît avoir été plus familier avec lui qu'avec l'autre ; on en
a la certitude, puisque le Sauveur l'admettait dans ses secrets ;
ainsi il l'admit à la résurrection de la jeune fille, et à sa glo-
rieuse transfiguration ; 3* en raison de sa passion ; car ce fut
le premier des apôtres qui souffrit le martyre. De même qu'on
rappelle majeur pour avoir été le premier à l'honneur de l'a-
postolat, de même on peut l'appeler majeur pour avoir été
appelé le premier à la gloire de l'éternité.
Saint Jacques, apôtre, fils de Zébédée, après Tas-
cension du Seigneur, prêcha en Judée et dans le pays
de Samarie ; il vint enfin en Espagne, pour y semer la
parole de Dieu ; mais comme il voyait que ses paroles
lie profitaient pas, et qu'il n'y avait gagné que neuf dis-
ciples, il en laissa deux seulement pour prêcher dans
le pays, et il revint avec Icg autres en Judée. Cepen-
dant maître Jean Belelh dit qu'il ne convertit qu'un
seul homme en Espagne. Pendant qu'il prêchait en
Judée la parole de pieu, un magicien nommé Hermo-
g^ène, d'accord avec les Pharisiens, envoya à saint Jac-
ques un de ses disciples, nommé Philétus, pour prouver
à l'apôtre que ce qu'il annonçait était faux. Mais l'apôtre
rayant convaincu devant une foule de personnes par
des preuves évidentes, et opéré en sa présence de
noitibreux miracles, Philétus revint trouver Hermo-
gène, en justifiant la doctrine de saint Jacques : il ra-
conta en outre les miracles opérés par le saint, déclara
vouloir devenir son disciple, et l'exhorta lui-même à
l'imiter. Mais Hermogène en colère le rendit tellement
270 LV LKGEXDE DORKK
immobile par sa magie quMl ne pouvait remuer un
seul membre : « Nous verrons, dit-il, si ton Jacques
te déliera. » Philétus informa Jacques de cela par son
valet, Tapôtre lui envoya son suaire et dit : « Qu'il
prenne ce suaire et qu'il dise : « Le Seigneur relève
(( ceux qui sont abattus ; il délie ceux qui sont encliaî-
« nés (Ps. cxLv). » Et aussitôt qu'on eut touché Philé-
tus avec le suaire, il fut délié de ses chaînes, se mo-
qua des sortilèges d'Hermogène et se hâta d'aller
trouver saint Jacques. Hermogène irrité convoqua les
démons, et leur ordonna de lui amener Jacques gar-
rollé avec Philétus, afin de se venger d'eux et qu'à
l'avenir les disciples de l'apôtre n'eussent plus l'au-
dace de l'insulter. Or, les démons qui vinrent vers
Jacques se mirent à hurler dans l'air en disant : « Jac-
ques, apôtre, ayez pitié de nous; car nous brûlons dès
avant que notre temps soit venu. » Saint Jacques
leur dit : « Pourquoi ètes-vous venus vers moi? » Ils
répondirent : « C'est Hermogène qui nous a envoyés
pour vous amener à lui, avec Philétus ; mais à peine
nous dirigions-nous vers vous que l'ange de Dieu nous
a liés avec des chaînes de feu et nous a beaucoup
lourmentés. » « Que l'ange du Seigneur vous délie,
reprit l'apôlre; retournez à Hermogène et amcnez-le-
inoi garroKé, mais sans lui faire de mal. » Ils s'en al-
lèrent donc prendre Hermogène, lui lièrent les mains
tlerrière le dos et l'amenèrent ainsi garrotté à saint
Jacques, en disant : <( Où tu nous as envoyés, nous
avons été brilles et horriblement tourmentés. » Et les
démons dirent à saint Jacques : « Mettez-le sous notre
puissance, afin que nous nous vengions des injures
SAINT JACQUES LE MAJEUR 271
que vous avez reçues et du feu qui nous a brûlés. »
Saint Jacques leur dit : « Voici Philétus devant vous,
pourquoi ne le tenez-vous pas ? » Les démons répon-
dirent : « Nous ne pouvons même pas toucher de la
main une fourmi qui est dans votre chambre. » Saint
Jacques alors dit à Philétus : « Afin de rendre le bien
pour le mal, selon que J.-C. nous l'a enseigné, Her-
inogène vous a liés ; vous, déliez-le. » Hermogène libre
resta confus et saint Jacques lui dit : « Va librement
ini tu voudras ; car nous n'avons pas pour principe de
convertir quelqu'un malgré soi. » Hermogène répon-
ilii : « Je connais trop la rage des démons : Si vous
ne me donnez un objet que je porte avec moi, ils me
tueront. » Saint Jacques lui donna son bâton : alors
Hermogène alla chercher tous ses livres de magie et
les apporta àTapôtre pour que celui-ci les brûlât. Mais
saint Jacques, de peur que l'odeur de ce feu n'in-
commodât ceux qui n'étaient point sur leur garde, lui
ordonna de jeter les livres dans la mer. Hermogène,
à son retour, se prosterna aux pieds de l'apôtre et lui
<iil : « Libérateur des âmes, accueillez un pénitent
que vous avez épargné jusqu'ici, quoique envieux et
calomniateur. » Dès lors il vécut dans la crainte de
Dieu, au point qu'il opéra une foule de prodiges.
Alors les Juifs, transportés de colère en voyant Her-
mogène converti, vinrent trouver saint Jacques et lui-
reprochèrent de prêcher Jésus crucifié. Mais il leur
prouva avec évidence par les Écritures la venue du
rihrist et sa passion, et plusieurs crurent*.
^ On peut voir, dans le transept sud de la cathédrale d'A-
niiens, des hauts reliefs reproduisant ce récit.
272 LA LÉGENDE DOREE
Or, Abiathar, qui était grand-prêtre celte année-là,
excita une sédition parmi le peuple; il fit conduire à
Hérode Agrippa l'apôtre, une corde au cou. Le prince
ordonna de décapiter saint Jacques et un paralytique
couché sur le chemin lui cria de le guérir. Saint Jac-
ques lui dit: « Au nom de J.-C. pour la foi duquel
on va me couper la têle, lève-toi guéri, et bénis ton
créateur. » A Tinstant il se leva guéri et bénit le Sei-
gneur. Or, un scribeappelé Josias, qui avait mis la corde
au cou de l'apôtre et qui le tirait, à la vue de ce mi-
racle, se jeta à ses pieds, lui adressa des excuses et
demanda à se faire chrétien. Abiathar à cette vue le
fit empoigner et lui dit: « Si tu ne maudis le nom du
Christ, lu seras décapité en même temps que Jacques. »
Josias reprit : « Maudit sois-tu toi-même, maudites
soient les années, mais que le nom du Seigneur J.-C.soit
béni dans les siècles. » Alors Abiathar lui fit frapper la
bouche à coups de poing et envoya demandera Hérode
l'autorisation de le décapiter avec Jacques*. Tous les
deux allaient être décapités quand saint Jacques de-
manda au bourreau un vase plein d'eau, et baptisa
Josias, immédiatement. L'un et Tautre consommèrent
leur martyre, un instant après, en ayant la têle tranchée.
Saint Jacques fut décollé le 8 des calendes d'avril**,
le jour de l'Annonciation du Seigneur; son corps fut
transporté à Composlelle, le 8 des calendes d'août***
* Ou bien, selon une autre version, le fit décapiter sans on
demander l'autorisation i\ Hérode.
** 25 mars.
♦** 25 juillet.
SAFXT JACQLES LE MAJEUU 273
^t enseveli le 3 des calendes de janvier*, parce que
»«i couslructîon de son tombeau dura de aoiUà janvier.
*^ Eglise établit qu'on célébrerait universellement wi
ftle au 8 des calendes d'août, qui est un temps plus
convenable. Or, après que saint Jacques eut été décollé,
ainsi que le rapporte Jean Beleth, qui a écrit avec soin
''iiîsloire de cette translation **, ses disciples enle-
vèrent son corps pendant la nuit par crainte des Juifs,
'c mirent sur un vaisseau ; et abandonnant à la divine
Providence le soin de sa sépulture, ils montèrent sur
ce navire dépourvu de gouvernail ; sous la conduite de
'^nge de Dieu, ils abordèrent en Galice, au royaume
Je Louve. Il y avait alors en Espagne une reine qui
portait réellement ce nom et qui le méritait. Les dis-
copies déchargèrent le corps et le posèrent sur une
P'crre énorme, qui, en se fondant comme de la cire
^^s le corps, se façonna merveilleusement en sarco-
P"age. Les disciples vinrent dire à Louve : « Le Sei-
8^eurJ.-C. t'envoie le corps de son disciple, afin que
^^ reçoives mort celui que tu n'as pas voulu recevoir
Vivant. » Ils lui racontèrent alors le miracle par lequel
'I avait abordé en son pays sans gouvernail, et lui de-
'najidèrent un lieu convenable pour sa sépulture. La
reine entendant cela, toujours selon Jean Beleth, les
adressa, par supercherie, à un homme très cruel, ou
bien, d'après d'autres auteurs, au roi d'Espagne, afin
d obtenir là-dessus son consentement; mais ce roi les
lit nietlre en prison. Or, pendant qu'il était à table.
'^ 30 décembre.
** Chap. <:xL.
II. 18
274 LA LÉGENDE DOREE
Tange du Seigneur ouvrit la prison et les laissa s'en
aller en liberté. Quand le roi l'eut appris, il envoya à
la hâte des soldats pour les ressaisir. Un pont sur le-
quel passaient les soldats vint à s'écrouler, et tous fu-
rent noyés dans le fleuve. A cette nouvelle, le roi, qui
regrettait ce qu'il avait fait et qui craignait pour soi et
pour les siens, envoya prier les disciples de revenir
chez lui et leur permit de lui demander tout ce qu'ils
voudraient. Ils revinrent donc et convertirent à la foi
tout le peuple de la cité. Louve fut très chagrinée en
apprenant ces faits ; et quand les disciples la vinrent
trouver pour lui présenter l'autorisation du roi, elle
répondit : « Prenez mes bœufs qui sont en tel endroit
ou sur la montagne ; attelez-les à un char, portez le
corps de votre maître, puis dans le lieu qu'il vous
plaira, bâtissez à votre goût. » Or, elle parlait en louve,
car elle savait que ces bœufs étaient des taureaux in-
domptés et sauvages ; c'est pour cela qu'elle pensa
qu'on ne pourrait ni les réunir, ni les atteler, ou bien
que si on pouvait les accoupler, ils courraient çà et
là, briseraient le char, renverseraient le corps et tue-
raient les conducteurs eux-mêmes. Mais il n'y a point
de sagesse contre Dieu (Prov.,xxi). Ceux-ci, ne soup-
çonnant pas malice, gravissent la montagne, où ils
rencontrent un dragon qui respirait du feu ; il allait
arriver sur eux, quand ils firent le signe de la croix
pour se défendre et coupèrent ce dragon par le mi-
lieu du ventre. Ils firent aussi le signe de la croix sur
les taureaux qui, instantanément, deviennent doux
comme des agneaux ; on les attelle ; et on met sur le
char le corps de saint Jacques avec la pierre sur la-
SAINT JACQUES LE MAJEUR 275
quelle il avait été déposé. Les bœufs alors, sans que
personne les dirigeât, amenèrent le corps au milieu du
palais de Louve qui, à cette vue, resta stupéfaite. Elle
crut et se fit chrétienne. Tout ce que les disciples de-
mandèrent, elle le leur accorda ; elle dédia en l'hon-
neur de saint Jacques son palais pour en faire une
église qu'elle dota magnifiquement ; puis elle finit sa
vie dans la pratique des bonnes œuvres. — Le pape
Calixte dit cpi'un homme du diocèse de Modène,
nommé Bernard, était captif et enchaîné au fond d'une
tour ; constamment il invoquait saint Jacques. Le saint
lui apparut : « Viens, lui dit-il, suis-moi en Galice » ;
puis il brisa ses chaînes et disparut ; alors le prison-
nier suspendit ses chaînes à son cou, monta au haut de
la tour d*où il ne fit qu'un saut sans se blesser, bien
que la tour eût soixante coudées de hauteur. — Un
homme, dit Bède, avait commis à plusieurs reprises un
fM^ché énorme; or, l'évêque, peu rassuré en l'absolvant
en confession, envoya cet homme à Saint-Jacques en
lui donnant une cédule sur laquelle ce péché avait été
écrit. Le pèlerin posa, le jour de la fête du saint, la cé-
dule sur l'autel et pria saint Jacques de lui remettre
le péché par ses mérites ; après quoi il ouvrit la cédule
et trouva tout effacé ; il rendit grâces à Dieu et à saint
Jacques et raconta publiquement le fait à toutle monde.
— Trente hommes de la Lorraine, au rapport de Hu-
bert de Besançon, allèrent vers Fan 1080 à Saint-Jac-
ques, et se donnèrent l'un à l'autre, un seul excepté, la
promesse de s'entr'aider. Or, l'un d'eux étant tombé
malade, ses compagnons l'attendirent pendant 1 5 jours;
mais enfin tous l'abandonnent à l'exception de celui-là
276 L.V LÉGENDE DOREE
seul qui ne s'était pas engaçé. Il le garda au pied du
mont Saint-Michel ; mais sur le soir le malade mourut.
Or, le survivant eut une grande peur occasionnée par
la solitude de l'endroit, par la présence du cadavre,
par la nuit qui menaçait d'être noire, enfin par la fé-
rocité des barbares du pays ; à l'instant saint Jacques
lui apparut sous la figure d'un chevalier et le consola
en disant : « Donne-moi ce mort, et toi, monte der-
rière moi sur le cheval. » Ce fut ainsi que, cette nuit-là,
avant le lever du soleil , ils firent quinze journées de che-
min et arrivèrent à Montjoie qui n'est qu'à une demi-
lieue de Saint-Jacques. Là le saint les mil à terre et
commanda de convoquer les chanoines de Saint- Jacques
pour ensevelir le pèlerin qui était mort, et de dire à ses
compagnons, que, pour avoir manqué à leur promesse,
leur pèlerinage ne vaudrait rien. Le pèlerin accomplit
ces ordres, et ses compagnons furent très saisis et
pour le chemin qu'il avait fait, et des paroles qu'il leur
rapporta avoir été dites par saint Jacques.
D'après le pape Calixle*, un Allemand, allant avec
son fils à Saint-Jacques, vers l'an du Seigneur 1090,
s'arrêta pour loger à Toulouse chez un hôte qui l'enivra
et cacha une coupe d'argent dans sa malle. Quand ils
furent partis le lendemain, Thôte les poursuivit comme
des voleurs et leur reprocha d'avoir volé sa coupe
(Tarifent. Comme ils lui disaient qu'il les fît punir s'il
pouvait trouver la coupe sur eux, on ouvrit leur malle
* Oïl parai! douter si ropusciile sur les miracles de saint
Jacques appartient au pape (^alixte. II est tiré tout entier de
N'iricent de Heauvais : Spécu/. ///>/., liv. XWH. — Césaire
d'Ilesterhach récite le fait qui suit, liv. Vïll, eh. i.viii.
SAINT JACQUES LE MAJEUR 277
el on trouva l'objet : on les traîna de suite chez le.
juge. Il y eut un jugement qui prononçait que tout
leur avoir fût adjugé à l'hôte, el que l'un des deux
serait pendu. Mais comme le père voulait mourir à
la place du fils et le fils à la place du père, le fils fut
|iendu et le père continua, tout chagrin, sa route v^s
Saint-Jacques. Or, vingt-six jours après, il revint, s'ar-
rêta auprès du corps de son fils et il poussait des cris
lamentables ; quand voici que le fils attaché à la potence
se mit à le consoler en disant : « Très doux père, ne
pleure pas; car je n'ai jamais été si bien; jusqu'à ce
jour saint Jacques m'a sustenté, et il me restaure
d'une douceur céleste. » En entendfint cela, le père
courut à la ville, le peuple vint, détacha le fils du pè-
lerin qui était sain et sauf, et pendit l'hôte. — Hu-
gues de Saint-Victor raconte qu'un pèlerin allait à
SaintrJacques, quand le démon lui apparut sous la
figure de ce saint et lui rappelant toutes les misères
de la vie présente, il ajouta qu'il serait heureux s'il se
tuait en son honneur. Le pèlerin saisit une épée et se
tua tout aussitôt. Et comme celui chez lequel il avait
reçu l'hospitaHté passait pour suspect et craignait
beaucoup de mourir, voilà que, à l'instant, le mort
ressuscite, et dit qu'au moment où le démon, à la per-
suasion duquel il s'étajt donné la mort, le conduisait
au supplice, le bienheureux Jacques était venu, l'avait
arraché des mains du démon et l'avait mené au trône
du souverain juge; et là, malgré les accusations du
démon, il avait obtenu d'être rendu à la vie. — Un
jeune homme du territoire de Lyon, selon le récit de
Hugues, abbé de Cluny, avait coutume d'aller sou-
u. 18-
278 LA LtGENDE DORÉe:
vent à Saint-Jacques et avec dévotion. Une fois, qu'il
y voulait aller, il tomba, cette nuit-là même, dans le
|iéché de fornication. II partit donc; et une nuit, le
diable lui apparut sous la figure de saint Jacques et
lui dit : « Sais-tu qui je suis? » Le jeune homme lui
demanda qui il était, et le diable lui dit : « Je suis
l'apôtre Jacques que tu as coutume de visiter chaque
année. Tu sauras que je me réjouissais beaucoup de ta
dévotion, mais dernièrement, en sortant de ta maison,
tu as commis une fornication et sans t'étre confessé,
tu as eu la présomption de l'approcher de moi, comme
si ton pèlerinaiçe pût plaire à Dieu et à moi. Cela n'esll
pas convenable : car quiconque désire venir à moi e
pèlerinage doit d'abord s'accuser de ses péchés, e
confession et ensuite faire le pèlerinage pour expi
ses péchés. » Après avoir dit ces mots, le démon dis-
parut. Alors le jeune homme tourmenté se dispo
à revenir chez lui, à se confesser, et ensuite à reco
mencer son voyage. Et voici que le diable lui ap
raissant de nouveau, sous la figure de l'apôtre, le A.
suada complètement de son projet, en l'assurant c
jamais son péché ne lui serait remis, s'il ne se c
pait radicalement les membres qui servent à la g&
ration, (|u'au reste il serait plus heureux, s'il voiil
se tuer et être martyr en son honneur et nom.
dant la nuit, et (|uand ses compagnons dormaient, te
jeune homme prit une épée, se coupa les membres r/e
la génération, ensuite il se perça le ventre avec le
même instrument. Ses compagnons à leur réveil,
voyant cela, eurent grande peur, et prirent aussiUM
la fuite de crainte de passer pour coupables de cel
SAINT JACQUES LE MAJEUR 279
homicide. Néanmoins pendant qu'on préparait sa fosse,
celui qui était mort revint à la vie. Tout le monde
s'enfuit épouvanté, et le pèlerin raconta ainsi ce qui
lui était arrivé : « Quand je me fus tué à la sugges-
tion du malin esprit, les démons me prirent ; et ils me
conduisaient vers Rome, quand voici saint Jacques
qui accourut après nous, en reprochant vivement ces
tromperies aux démons. Et après s'être disputés long-
temps, saint Jacques les y forçant, nous vînmes dans
un pré où la sainte Vierge s'entretenait avec un grand
nombre de saints. Jacques l'ayant implorée pour moi,
la sainte Vierge adressa des reproches sévères aux dé-
mons et ordonna que je revinsse à la vie. Alors saint
Jacques me prit et me ressuscita, comme vous voyez. »
Et trois jours après, il ne lui restait de ses blessures
que des cicatrices ; après quoi il se remit en roule, et
quand il eut rejoint ses compagnons, il leur raconta
tout ce qui s'était passé.
Un Français, ainsi que le raconte le pape Calixte,
allait, en Tan liOO, avec sa femme et ses fils, à Saint-
Jacques, tant pour éviter la mortalité sévissant en
France, que pour accomplir le désir de visiter saint
Jacques. Arrivé à Pampelune, sa femme mourut, et
sort hôte s'empara de tout son argent et du cheval qui
servait de monture à ses enfants. 11 s'en alla désolé
portant plusieurs de ses enfants sur ses épaules, et
menant les autres par la main. Un homme avec un
âne le rencontra et touché de compassion, il lui prêta
son âne, afin que les enfants montassent dessus. Quand
le pèlerin fut arrivé à Saint-Jacques, pendant qu'il
veillail et priait, le saint apôtre lui apparut et lui de-
280 LA LÉGENDE DORÉE
manda s'il le connaissait : et il répondit que non : alors
le saint lui dit : « Je suis i*apôtre Jacques qui t*ai prêté
mon âne et je te le prête encore pour ton retour : mais
tu sauras d'avance que ton hôte mourra en tombant
de l'étage de sa maison ; tu recouvreras alors tout ce
qu'il t'avait volé. » Les choses étant arrivées ainsi,
cet homme revint joyeux à sa maison ; et quand il
eut descendu ses enfants de dessus l'âne, cet animal
disparut. — Un marchand, injustement dépouillé par
un tyran, était détenu en prison, et invoquait saint
Jacques à son secours. Saint Jacques lui apparut en
présence de ses cardes, et le conduisit jusqu'au haut
de la tour qui s'abaissa aussitôt de telle sorte que le
sommet était au niveau de la terre : il en descendit
sans faire un saut et s'en alla délivré. Les gardes qu^
le poursuivaient passèrent auprès de lui, sans le voir
— Hubert de Besançon raconte que trois militairesi
du diocèse de Lyon, allaient à Saint- Jacques. L'u.^
d'eux, à la prière d'une pauvre femme qui le lui ava^
demandé pour Tamour de saint Jacques, portait sia
son cheval un petit sac qu'elle avait : plus loin, il ret
contra un homme malade et qui n'avait plus la forc^
de continuer sa route, il le mit encore sur son cheva?
quant à lui, il portait le bourdon du malade avec le
sac de la femme en suivant Tanimal : mais la chaleur
du soleil et la fatigue du chemin l'ayant accablé, à
son arrivée en Galice, il tomba très gravement malade :
et comme ses compagnons l'intéressaient au sahil de
son âme, il resta muet pendant trois jours ; mais au
quatrième, alors que ses compagnons attendaient le
moment de son trépas, il poussa un long soupir el
SAINT JACQUES hh MAJEUR 281
dit : <( Grâces soient rendues à Dieu et à saint Jacques,
aux mérites duquel je dois d'être délivré. Je voulais
bien faire ce que vous me recommandiez, mais les
démons sont venus m'étrangler si violemment que je
ne pouvais rien prononcer qui eût rapport au salut de
mon âme. Je vous entendais bien, mais je ne pouvais
nuUementrépondre. Cependant saint Jacques vienld'en-
trer ici portant à la main gauche le sac de la femme,
et à sa droite le bâton du pauvre auxquels j'avais prêté
aide en chemin, de sorte qu'il avait le bourddh en
guise de lame et le sac pour bouclier, il assaillit les
diables comme s'il eût été en colère, et en levant le
bâton, il les effraya et les mit en fuite. Maintenant c'est
s^râce à saint Jacques que je suis délivré et que la pa-
role m'a été rendue. Appelez-moi un prêtre, car je
ne puis plus être longtemps en vie. » Et se tournant
vers Pun deux, il lui dit : « Mon ami, ne reste plus
davantage au service de ton maître, car il est vraiment
damné et dans peu il mourra de malemort. » Quand
cet homme eut été enseveli, le soldat rapporta à son
maître ce qui avait été dit : celui-ci n'en tint compte,
et refusa de s'amender : mais peu de temps après il
mourut percé d'un coup de lance dans une bataille*.
Le pape Calixte rapporte qu'un homme de Vézelai,
dans un pèlerinage qu'il fit à Saint-Jacques, se trou-
vant à court d'argent, avait honte de mendier. En se
reposant sous un arbre, il songeait que saint Jacques
le nourrissait. Et à son réveil, il trouva près de sa tête
un pain cuit sous la cendre, avec lequel il vécut quinze
«
Saint Anselme, t. II, p. 335.
2S2 LA LKGENDG DOHKE
jours, tant qu'il arriva chez lui. Chaque jour il en
mangeait deux fois suffisamment, et le jour suivant, i
le retrouvait entier dans son sac. — Le pape Calixl<
raconte que vers Tan du Seigneur HOO, un cîtoyei
de Barcelone, venu à Saint-Jacques, se contenta d<
demander de ne plus tomber à l'avenir dans les maini
des ennemis. En revenant par la Sicile, il fut pris ei
mer par les Sarrasins et vendu plusieurs fois dans le
marchés, mais toujours les chaînes qui le liaient S'
brisaient. Ayant été vendu pour la treizième fois, i
fut garrotté avec des chaînes doubles. Alors il invoqu;
saint Jacques qui lui apparut et lui dit : <( Quand li
étais dans mon église, tu as demandé la délivranc
du corps au préjudice du salut de ton âme ; c'est pou
cela que tu es tombé dans ces périls ; mais parce qu
le Seigneur est miséricordieux, il m'a envoyé pour t
racheter. » A l'instant ses chaînes se rompirent, c
passant à travers le pays et les châteaux des Sarrasins
emportant avec lui une partie de sa chaîne pour témoi
gner du miracle, il arriva dans son pays, au vu et
l'admiration de tous. Lorsque ([uehju'un le voulait prei
dre, il n'avait qu'à montrer sa chaîne etTennemi s'ei
fuyait : et quand les lions et autres bétes féroces voi
laient se jeter sur lui, en passant dans les désert
seulement en voyant sa cliuhie, ils étaient saisis d'un
grande terreur et s'éloignaient. — L'an du Seignei
1238, la veille de saint Jacques, en un château appe
Prato situé entr^? Florence et Pistoie, un jeune homm<
(léçn, par une sini[)licité 4<^rossière, mit le feu aux hit
do son lutom* (|iii voulait usurper son bien. Pris (
convaincu, il lui ccuidauiur à être brillé, après avoi
SAr.NT cmusTOPHE 283
été traîné à la queue d'un cheval. H confessa son pé-
ché el se dévoua à saint Jacques. Après avoir été traîné
en chemise sur un terrain pierreux, il ne ressentit au-
cune blessure sur le corps et sa chemise ne fut pas
même déchirée. Enfin on le lie au poteau, on amasse
«lu bois autour; le feu est mis, le bois et les liens brû-
lent ; mais comme il ne cessait d'invoquer saint Jac-
ques, aucune tache de feu ne fut trouvée ni à sa che-
mise, ni à son corps. On voulait le jeter une seconde
fois dans le feu, le peuple l'en arracha, et Dieu fut
loué magnifiquement dans la personne de son saint
apôtre.
SAINT CHRISTOPHE *
Christophe, avant son haptéme, se nommait Réprouvé, mais
dans la suite il fut appelé Christophe, comme si on disait : qui
porte le Christ, parce qu'il porta le Christ en quatre maniè-
res: sur ses épaules, pour le faire passer ; dans son corps, par
la macération ; dans son cœur, par la dévotion et sur les lèvres,
par la confession ou prédication.
Christophe était Chananéen ; il avait une taille gigan-
tesque, un aspect terrible, et douze coudées de haut.
D'après ce qu'on lit en ses actes, un jour qu'il se trou-
vait auprès d'un roi des Chananéens, il lui vint à l'es-
prit de chercher quel était le plus grand prince du
monde, et de demeurer près de lui. II se présenta chez
un roi très puissant qui avait partout la réputation de
* L'hymne 0 béate mundi auctor, du bréviaire mozarabe fait
allusion, dans ses seize strophes, à tous les points de cette
légende.
284 LA LÉGENDE DOREE
n'avoir point d'égal en grandeur. Ce roi en le voyant
raccueillit avec bonté et le fit rester à sa cour. Or, un
jour, un jongleur chantait en présence du roi une chan-
son où revenait souvent le nom du diable ; le roi, qui
était chrétien, chaque fois qu* il entendait prononcer le
nom de quelque diable, faisait de suite le signe de croix
sur sa figure. Christophe, qui remarqua cela, était fort
étonné de cette action, et de ce que signifiait un pareil
acte. II interrogea le roi à ce sujet et celui-ci ne vou-
lant pas le lui découvrir, Christophe ajouta : « Si vous
ne me le dites, je ne resterai pas plus longtemps avec
vous. » C'est pourquoi le roi fut contraint de lui dire :
« Je me munis de ce signe, quelque diable que j'entende
nommer, dans la crainte qu'il ne prenne pouvoir sur
moi et ne me nuise. » Christophe lui répondît : « Si
vous craignez que le diable ne vous nuise, il est évi-
demment plus grand et plus puissant que vous ; la
preuve en est que vous en avez une terrible frayeur.
Je suis donc bien déçu dans mon attente ; je pensais
avoir trouvé le plus grand et le plus puissant seigneur
(lu monde; mais maintenant je vous fais mes adieux,
car je veux chercher le diable lui-même, afin de le
[)rendrc pour mon maître et devenir son serviteur. »
11 quitta ce roi et se mit en devoir de chercher le dia-
ble. Or, comme il marchait au milieu d'un désert, il
vit une grande multitude de soldats, dont l'un, à l'as-
pect fcroce^t terrible, vint vers lui et lui demanda oit
il allait. Christophe lui répondit: «Je vais chercher le
seigneur diable, afin de le prendre pour maître et
scii^neur. » Celui-ci lui dit : « Je suis celui que tu cher-
ches. » Christophe tout réjoui s'engagea pour être son
SAINT CIIRISTOPHK 285
serviteur à toujours et le prit pour son seigneur. Or,
comme ils marchaient ensemble, ils rencontrèrent une
croix élevée sur un chemin public. Aussitôt que le dia-
ble eut aperçu cette croix, il fut effrayé, prit la fuite et,
quittant le chemin, il conduisit Christophe à travers
un terrain à l'écart et raboteux, ensuite il le ramena
sur la route. Christophe émerveillé de voir cela lui de-
manda pourquoi il avait manifesté tant de crainte,
lorsqu'il quitta la voie ordinaire, pourfairc un détour,
et le ramener ensuite dans le chemin. Le diable ne
voulant absolument pas lui en donner le motif, Chris-
tophe dit : « Si vous ne me l'indiquez, je vous quitte
à l'instant. » Le diable fut forcé de lui dire : « Un
homme qui s'appelle Christ fut attaché à la croix ; dès
queje vois l'image de sa croix, j'entre dans une grande
peur, et m'enfuis effrayé. » Christophe lui dit : a Donc
ce Christ est plus grand et plus puissant que toi, puis-
que tu as une si grande frayeur en voyant l'image de
sa croix? J'ai donc travaillé en vain, et n'ai pas encore
trouvé le plus grand prince du monde. Adieu mainte-
nant, je veux te quitter et chercher ce Christ. »
Il chercha longtemps quelqu'un qui lui donnât des
renseignements sur le Christ; enfin il rencontra un
ermite qui lui prêcha J.-C. et qui l'instruisit soigneu-
sement de la foi. L'ermite dit <\ Christophe : « Ce roi
que tu désires servir réclame cette soumission : c'est
qu'il te faudra jeûner souvent. » Christophe lui répon-
dît : « Qu'il me demande autre chose, parce qu'il m'est
absolument impossible de faire cela. » « Il te faudra
encore, reprend l'ermite, lui adresser des prières. »
a Je ne sais ce quc*est, répondit Chrisl()[)he, et je ne
286 LA LÉGENDE DORÉE
piiis me soumettre à cette exigence. » L'ermite lui dit :
(( Connais-tu tel fleuve où bien des passants sont en
péril de perdre la vie? » « Oui, dit Christophe. L'er-
mite reprit : « Comme tu as une haute stature et que
tu es fort robuste, si tu restais auprès de ce fleuve, et
si tu passais tous ceux qui surviennent, tu ferais quel-
que chose de très agréable au roi J.-C. que tu désires
servir, et j'espère qu'il se manifesterait à toi en ce lieu. »
Christophe lui dit : « Oui, je puis bien remplir cet of-
fice, et je promets que je m'en acquitterai pour lui. » Il
alla donc au fleuve dont il était question, et s'y cons-
truisit un petit logement. Il portait à la main au lieu
de bâton une perche avec laquelle il se maintenait dans
l'eau ; et il passait sans relâche tous les voyageurs.
Bien des jours s'étaient écoulés, quand, une fois qu'il
se reposait dans sa petite maison, il entendit la voix
d'un petit enfant qui l'appelait en disant : 0 Christophe,
viens dehors et passe-moi. » Christophe se leva de
suite, mais ne trouva personne. Rentré chez soi, il en-
tendit la môme voix qui l'appelait. Il courut de-
hors de nouveau el ne trouva personne. Une troisième
fois il fut appelé comme auparavant, sortit et trouva
sur la rive du tlcuve un enfant qui le pria instamment
de le passer. Christophe leva donc Tenfant sur ses
épaules, prit son bâton et entra dans le fleuve pour
le traverser. Et voici que l'eau du fleuve se gonflait
peu à peu, l'enfant lui pesait comme une masse de
plomb; il avançait, et Teau gonflait toujours, l'enfant
écrasait de plus en plus les épaules de Christophe
(l'un ])oi(ls intolérable, de sorte que celui-ci se trou-
vait daiLS de grandes angoisses et craignait de périr.
SAINT GHHISTOPHE 287
1/ échappa à g^rand peine. Quand il eul franchi la ri-
f y'ière, il déposa l'enfanl sur la rive et lui dit : Enfant,
lu m'as exposé à un grand danger, et tu m'as tant
pesé que si j'avais eu le monde entier sur moi, je ne
sais si j'aurais eu plus lourd à porter. » L'enfant lui
répondit : « Ne t'en étonne pas, Christophe, tu n'as
pas eu seulement tout le monde sur toi, mais tu as
porté sur les épaules celui qui a créé le monde : car
je suis le Christ ton roi, auquel tu as en cela rendu
service ; et pour te prouver que je dis la vérité, quand
tu seras repassé, enfonce ton bâton en terre vis-à-vis
la petite maison, et le matin tu verras qu'il a fleuri et
porté des fruits. » A l'instant il disparut. En arrivant,
Christophe ficha donc son bâton en terre, et quand il
se leva le matin, il trouva que sa perche avait poussé
des feuilles et des dattes comme un palmier. Il vint
ensuite à Samos, ville de Lycie, où il ne comprit pas
la langue que parlaient les habitants, et il pria le Sei-
gneur de lui en donner l'intelligence. Tandis qu'il res-
tait en prières, les juges le prirent pour un insensé, et
le laissèrent. Christophe, ayant obtenu ce qu'il deman-
dait, se couvrit le visage, vint à l'endroit où combat-
taient les chrétiens, et il les affermissait au milieu de
leurs tourments. Alors un des juges le frappa au vi-
sage, et Christophe se découvrant la figure : « Si je
n'étais chrétien, dit-il, je me vengerais aussit(H de
cette injure. » Puis il ficha son bâton en terre en priant
le Seigneur de le faire reverdir pour convertir le peu-
ple. Or, comme cela se fit à Tinstant, huit mille hom-
mes devinrent croyants. Le roi envoya alors deux
cents soldats avec ordre d'amener Christophe par de-
288 I.A LKGENDE DORKK
vaut lui ; mais Tayaut trouvé eu oraisou ils craiî^ni-
reut de lui signifier cet ordre ; le roi envoya encore
un pareil nombre d'hommes, qui, eux aussi, se mirent
à prier avec Christophe. 11 se leva et leur dit : « Qui
cherchez-vous? » Quand ils eurent vu son visage; ils
dirent : « Le roi nous a envoyés pour te garrotter et
t'amènera lui. » Christophe leur dit : « Si je voulais,,
vous ne pourriez me conduire ni garrotté, ni libre, mc
Ils lui dirent : « Alors si tu ne veux pas, va librement
partout où bon te semblera, et nous dirons au rcr:
que nous ne t'avons pas trouvé. » « Non, il n'en serra
pas ainsi, dit-il ; j'irai avec vous. » Alors il les conver-
tit à la foi, se fit lier par eux les mains derrière
dos, et conduire au roi en cet état. A sa vue, le r— 3
fut effrayé et tomba à l'instant de son siège. Rele =
ensuite par ses serviteurs, il lui demanda son nom
sa patrie. Christophe lui répondit : a Avant mon hsm^j
tcme, je m'appelais Réprouvé, mais aujourd'hui je m
nomme Christophe. » Le roi lui dit : « Tu t'es donn^
un sot nom, en prenant celui du Christ crucifié, qu^
ne s'est fait aucun bien, et qui ne pourra t'en faire.
Maintenant donc, méchant Chananéen, pourquoi ne
sacrifies-tu pas à nos dieux? » Christophe lui dit :
« C'est à bon droit que tu t'appelles Dagnus*^ parce
que tu es la mort du monde, l'associé du diable; et
tes dieux sont l'ouvrage de la main des hommes. »
Le roi lui dit : « Tu as été élevé au milieu des bêtes
féroces; (u ne peux donc proférer que paroles sauva-
ges et choses inconnues des hommes. Or, maintenant,
* Damne uu danyeri ou plutôt dat^uo, |)oiguard ?
SAINT CHRISTOPHE 289
si tu veux sacrifier, tu obtiendras de moi de grands
honneurs, sinon, tu périras dans les supplices. )> Et
comme le saint ne voulut pas sacrifier, Dagnus le fit
mettre en prison ; quant aux soldats qui avaient été
envoyés à Christophe, il les fit décapiter pour le nom
de J.-C. Ensuite il fit renfermer avec Christophe dans
la prison deux filles très belles, dont Tune s^appelait
Nicée et l'autre Âquilinie, leur promettant de grandes
récompenses, si elles induisaient Christophe à pécher
avec elles. A cette vue, Christophe se mit tout de
»uUc en prière. Mais comme ces filles le tourmentaient
par leurs caresses et leurs embrassements, il se leva
et leur dit : « Que prétendez-vous et pour quel motif
avez-vous été introduites ici? » Alors elles furent
effrayées de l'éclat de son visage et dirent : « Ayez
pitié de nous, saint homme, afin que nous puissions
croire au Dieu que vous prêchez. » Le roi, informé de
cela, se fit amener ces femmes et leur dit : « Vous
avez donc aussi été séduites. Je jure par les dieux
fl^e si vous ne sacrifiez, vous périrez de malemorl. »
Elles répondirent : « Si tu veux que nous sacrifiions,
^ïnmande qu'on nettoie les places et que tout le
"^onde s'assemble au temple. » Quand cela fut fait, et
^^l'elles furent entrées dans le temple, elles dénouèrent
leurs ceintures, les mirent au cou des idoles qu'elles
firent tomber et qu'elles brisèrent ; puis elles dirent
aux assistants : « Allez appeler des médecins pour
fuérir vos dieux. » Alors par Tordre du roi, Aquili-
nie est pendue ; puis on attacha à ses pieds une pierre
énorme qui disloqua tous ses membres. Quand elle
eut rendu son âme au Seigneur, Nicée, sa sœur, fut
H. 19
290 LA LtGENDE DOKÉE
jetée dans le feu ; mais comme elle en sortit saine et
sauve, elle fut tout aussitôt après décapitée. Après
quoi Christophe est amené en présence du roi qui le
fait fouetter avec des verges de fer; un casque de fer
rougi au feu est mis sur sa tête ; le roi fait préparer
un banc en fer où il ordonne de lier Christophe et sous
lequel il fait allumer du feu qu'on alimente avec de la
poix. Mais le banc fond comme la cire, et le saint reste
sain et sauf. Ensuite le roi le fait lier à un poteau et
commande à quatre cents soldats de le percer de flè-
ches : mais toutes les flèches restaient suspendues en
Fuir, et aucune ne put le toucher. Or, le roi, pensant
qu'il avait été tué parles archers, se mit à l'insulter; tout
à coup une flèche se détache de l'air, vient retourner
sur le roi qu'elle frappe à l'œil, et qu'elle aveugle.
Christophe lui dit : « C'est demain que je dois con-
sommer mon sacrifice ; tu feras donc, tyran, de la boue
avec mon sang; tu t'en frotteras l'œil et lu seras guéri. »
Par ordre du roi on le mène au lieu où il devait être
décapité; et quand il eut fait sa prière, on lui trancha
la tête. Le roi prit un peu de son sang, et le mettant
sur son œil, il dit : a Au nom de Dieu et de saint
Christophe. » Et il fut guéri à Tinstant. Alors le roi
crut, et porta un édit par lequel quiconque blasphé-
merait Dieu et saint Christophe serait aussitôt puni
par le glaive. — Saint Ambroise parle ainsi de ce mar-
tyr dans sa préface : « Vous avez élevé. Seigneur,
saint Christophe, à un tel degré de vertu, et vous avez
donné une telle grâce à sa parole, que par lui vous
avez arraché à Terreur de la gentilité pour les amener
à la croyance chrétienne, quarante-huit mille hommes.
LES SEPT DORMANTS 29 i
Nîcée et Aquilinie qui depuis longtemps se livraient
publiquement à la prostitution, il les porta à prendre
des habitudes de chasteté, et leur enseigna à recevoir
la couronne. Bien que lié sur un banc de fer au mi-
lieu d'un bûcher ardent, il ne redouta pas d'être brûlé
par ce feu, et pendant une journée entière, il ne put
èlre percé par les flèches de toute une soldatesque.
Il y a plus, une de ces flèches crève l'œil d'un des bour-
reaux, et le sang du bienheureux martyr mêlé à la
terre lui rend la vue et en enlevant l'aveuglement du
corps, éclaire son esprit : car il obtint sa grâce auprès
de vous et il vous a prié avec supplication d'éloigner
les maladies et les infirmités*. »
'LES SEPT DORMANTS**
Les sept dormants étaient originaires d'Ephèse.
L'empereur Dèce qui persécutait les chrétiens, étant
*^Ces derniers mots nous expliquent le motif pour lequel
saint Christophe est représenté avec des proportions gigantes-
ques principalement aux portails des églises. On se croyait à
l'abri des maladies et des infirmités dès lors qu*on avait vu la
statue du saint, de là ces vers :
Christophore sancte, virtutes sunt tibi tantœ,
Qui te mane vident, nocturno tempore rident.
Christophore sancte, speciem quicumque tuetur,
Ista nempe die non morte mala morietur.
Christopnorum videas, postea tutus eas.
*• S* Grégoire de Tours, De gloria martyr, ^ I. 1, c. xcv ; Paul
diacre, 1. I, c. m ; Nicéphore, Cai. 1. XIV, c. xlv, rapportent
la légende des Sept Dormants qu'analyse J; de Voragine.
29â LA LÉGENDE DORÉE
venu en celte ville, fit construire des temples danj
Tenceinte de cette cité, afin que tous se réunissent i
lui pour sacrifier aux idoles. Or, il avait ordonné qu'oi
cherchât tous les chrétiens ; et quand ils avaient éU
pris, il les forçait à sacrifier ou à mourir ; on éprouvî
doDC généralement une si grande crainte des supplice!
que l'ami reniait son ami, le père son fils, et le fih
son père. Alors se trouvaient dans cette ville sept chré
tiens, qui furent saisis d'une gi*ande douleur quand ÎL
virent ce qui se passait. C'étaient Maximien, Malchus
Marcien, Denys, Jean, Sérapion et Constantin. Comncr
ils étaient les premiers officiers du palais, et qu'ils nk^
prisaient les sacrifices offerts aux idoles, ils restaie^
cachés dans leur maison, se livrant aux jeûnes et a^
oraisons. Accusés et traduits devant Dèce ; puis cc^
vaincus d'être chrétiens, on leur donna le temps
revenir à résipiscence et ils furent relâchés, jusqim*.
retour de Tempereur. Mais dans cet intervalle, ils dâ
tribuèrent leur patrimoine entre les pauvres, et pa
rent la résolution de se retirer sur le mont Célion, cz
ils se décidèrent à rester cachés. Pendant longtein{> -
Tim d'eux se procurait ce qui leur était nécessaire
rt chaque fois qu'il entrait dans la ville, il se déguisa J
en mendiant. Or, quand Dèce fut revenu dansEphèsc^j
il ordonna de les chercher pour les obliger à sacrifier-
Malchus, qui les servait, revint efTrayé trouver ses
compagnons et leur faire part de la fureur de l'empe-
reur. Ils furent saisis de crainte; alors Malchus leur
présenta les pains qu'il avait apportés, afin que, for-
tifiés par la nourriture, ils en devinssent plus braves
pour le combat. Après leur repas du soir, ils s'assiren
LES SEPT DORMANTS 293
^l s'eatretînrenl avec tristesse et larmes, et à l'instant,
par la volonté de Dieu, ils s'endormirent. Quand vint
le matin, on les chercha et on ne put les trouver. Or,
Dèce était désolé d'avoir perdu de pareils jeunes gens ;
on les accusa de s'être cachés jusqu'alors sur le mont
('élion, et de persister dans leur résolution : on ajouta
qu'ils avaient donné leurs biens aux pauvres. Dèce
ordonna donc de faire comparaître leurs parents qu'il
"Menaça de mort, s'ils ne déclaraient tout ce qui était
^enu à leur connaissance au sujet des absents. Leurs
Parents les accusèrent comme les autres et se plaigni-
ssent de ce qu'ils avaient distribué leurs richesses aux
pauvres. Alors Dèce réfléchit à la conduite qu'il tien-
drait à leur égard, et par l'inspiration de Dieu, il fit
Jucher avec des pierres l'entrée de la caverne afin
^^'y étant renfermés, ils y mourussent de faim et de
'Misère. On exécuta ses ordres et deux chrétiens, Théo-
^^re et Rufin, écrivirent la relation de leur martyre
^^*îls placèrent avec précaution entre les pierres. Or,
Q^Hnd Dèce et toute la génération qui existait alors
^^t disparu, trois cent soixante-douze ans après, la
^**^ntième année de l'empire de Théodose, se propagea
* hérésie de ceux qui niaient la résurrection des morts,
^^héodose, qui était un empereur très chrétien, fut
'^mpli de tristesse de voir la foi indignement attaquée.
'I se revêtit d'un cilice, et s'étant retiré dans l'intérieur
de son palais, il pleurait tous les jours. Dieu, qui vit
cela dans sa miséricorde, voulut consoler ces affligés
et affermir l'espérance de la résurrection des morts ;
il ouvrit les trésors de sa tendresse et ressuscita les
.sept niartyrs, comme il suit. Il inspira à un citoyen
II 19-
294 LA LÉGENDE DORÉE
d'Ephèse Tidée de faire construire sur le mont Célîon
des étables pour les bergers. Les maçons ayant ouvert
la grotte, les saints se levèrent et se saluèrent, dans
la pensée qu'ils n'avaient dormi qu'une nuit ; puis se
rappelant leur tristesse de la veille, ils demandèrent
à Malchus, qui les approvisionnait, ce que Dèce avait
décrété à leur égard. Il répondit : a Comme je vous
l'ai dit hier soir, on nous a cherchés pour nous con-
traindre à sacrifier aux idoles : voilà les pensées de
l'empereur par rapport à nous. » Maximien répondit :
<( Et Dieu sait que nous ne sacrifierons pas. » Après
avoir encouragé ses compagnons, il dit à Malchus de
descendre à la ville pour acheter du pain, en lui re-
commandant d'en prendre plus qu'il n'avait fait la
veille, et de leur communiquer à son retour les or-
donnances de l'empereur. Malchus prit cinq sols, sor-
tit de la caverne. En voyant les pierres il fut étonné ;
mais comme il pensait à autre chose, l'idée des pierres
fit peu d'impression sur lui. Alors qu'il arrivait, non
sans une certaine appréhension, à la porte de la ^^lle,
il fut singulièrement surpris de la voir surmontée du
signe de la croix ; de là il alla à une autre porte.
Quand il vil le même signe, il fut très étonné de voir
une croix au-dessus de toutes les portes, et de trouver
la ville changée ; il se signa, et revint à la première
porte en pensant qu'il rêvait. Enfin il se rassure, se
c^chc le visage et pénètre dans la ville. Comme il en-
trait chez les marchands de pain, il entendit qu'on
parlait de J.-C; il fut stupéfait : « Qu'est ceci, peu-
siil-il ? hier personne n'osait prononcer le nom de
J.-C, et aujourd'hui ils se confessent tous chrétiens ?
LES SEPT DORMANTS 295
Je *crois que ce n'est pas là la ville d'Ephèse : d'ail-
leurs elle est autrement bâtie ; c'est une autre ville,
mais je ne sais laquelle. » Alors il prit des informa-
lions : on lui répondit que c'était Ephèse. Se croyant
le jouet d'une erreur, il songea à venir retrouver ses
compagnons. Cependant il entra chez ceux qui ven-
daient du pain, et ayant donné son argent, les mar-
chands étonnés se disaient l'un à l'autre que ce jeune
homme avait trouvé un vieux trésor. Or, Malchus, en
les voyant se parler en particulier, pensait qu'ils
voulaient le mener à l'empereur, et, dans son effroi, il
les pria de le laisser aller et de garder les pains et les
pièces d'argent. Mais les boulangers le retinrent et
lui dirent : « D'où es-tu? puisque tu as trouvé des
trésors des anciens empereurs, indique-les-nous ; nous
partagerons avec toi et nous te cacherons, car autre-
ment tu ne peux t'en retirer.» Malchus ne savait quoi
leur répondre, tant il avait peur. Alors les marchands,
voyant qu'il se taisait, lui jetèrent une corde au cou,
le traînèrent par les rues jusqu'au milieu de la ville.
C'était une rumeur générale qu'un jeune homme avait
trouvé des trésors. Tout le monde s'assemblait autour
de lui, et le regardait avec admiration. Malchus vou-
lait faire comprendre qu'il n'avait rien trouvé. Il exa-
minait tout le monde et personne ne pouvait le con-
naître ; il regardait au milieu de la foule pour distin-
guer quelqu'un de ses parents (il les croyait vraiment
encore en vie), et ne trouvant personne, il restait
comme un hébété au milieu du peuple de la ville. Le
fait vint aux oreilles de saint Martin, évêque, et du
proconsul Antipaler, nouvellement arrivé dans la
296 LA LÉGliiNDE DORËB
ville. Ils commandèrent aux citoyens de leur amener
ce jeune homme avec précaution et d'apporter en
même temps son argent. Pendant que les officiers le
conduisaient à l'église, il pensait qu'on le menait à
Tempereur. L'évêque donc et l'empereur, surpris de
voir cet argent, lui demandèrent où il avait trouvé un
trésor inconnu. 11 répondit qu'il n'avait rien trouvé,
mais qu'il avait eu ces deniers dans la bourse de ses»
parents. On lui demanda alors de quelle ville il était»
Il répondit : « Je sais bien que je suis de cette ville^
si tant est que cette ville soit Ephèse. » Le proconsul
dit : « Fais venir tes parents, afin qu'ils répondent
pour toi. » Quand il eut cité leurs noms, personne ne
les connaissant, on lui dit qu'il mentait pour pouvoir
échapper, n'importe de quelle manière. « Comment te
croire, dit le proconsul ? tu prétends que cet aident
vient de tes parents, et l'inscription a plus de 377
ans ; elle date des premiers temps de l'empereur Dèce,
et ces pièces ne sont pas du tout pareilles à celles qui
ont cours chez nous. Et comment tes parents vivaient-
ils à cette époque, quand tu es si jeune? Tu veux
donc tromper les savants et les vieillards d*Ephèse ?
Eh bien ! je vais te livrer à la rigueur des lois, jus-
qu'à ce que tu fasses l'aveu de ta découverte. » Alors
Malchus se jeta à leurs pieds en disant : « Pour Dieu,
seigneurs, dites-moi ce que je vous demande, et je
vous dirai ce qui est dans mon cœur. L'empereur
Dèce, qui se trouvait dans cette ville, où est-il à pré-
sent? » L'évoque lui répondit : « Mon fils, il n'y a
plus aujourd'hui ici-bas d'empereur qui s'appelle
Dèce ; il y a longtemps qu'il l'était. » Mais Malchus
LES SEPT DORMANTS 297
^^^ i « C'est pour cela, seigneur, que je suis bien
**tonné et que personne ne me croit : or, suivez-moi,
^^ ie vous montrerai mes compagnons qui sont au
'•^^nt Célion, et vous les croirez. Ce que je sais, c'est
2^^ nous avons fui quand Dèce s'est présenté ici ; et,
^^r soir, j'ai vu entrer Dèce dans cette ville, si tant
^^'^t que ce soit Ephèse. » Alors Tévéque ayant réflé-
^*^î, dit au proconsul : « C'est une vision que Dieu
^^m montrer par le ministère de ce jeune homme. »
**s Je suivirent donc avec une grande multitude de
^Uoyens. Malchus pénétra le premier dans le lieu où
liaient ses compagnons : Tévêque, qui entra après
lui, trouva entre les pierres la relation scellée de deux
sceaux d'argent. Il assembla le peuple, la lut, à l'ad-
miration de tous ceux qui l'entendirent ; et en voyant
les saints de Dieu assis dans la caverne avec un
nsage qui avait la fraîcheur des roses, ils se proster-
nèrent en glorifiant Dieu. Aussitôt Tévêque et le pro-
consul envoyèrent prier l'empereur de venir de suite
voir les miracles qui venaient de s'opérer. Aussitôt
l'empereur quitta le sac qu'il portait, se leva et vint
de Constantinople à Ephèse en rendant gloire à Dieu.
On alla au-devant de lui et on l'accompagna à la
çrolte. Les saints n'eurent pas plutôt vu l'empe-
reur que leur visage brilla comme le soleil ; ensuite
l'empereur entra, se prosterna devant eux en glori-
fiant Dieu, se leva, les embrassa et pleura sur chacun
d'eux en disant : « Je vous vois, comme si je voyais
le Seigneur ressuscitant Lazare. » Alors saint Maxi-
mien lui dît : « Croyez-nous ; c'est pour vous que Dieu
nous a ressuscites avant le jour de la grande résurrec-
298 L\ LÉGENDE DORÉE
tion, afin que vous croyiez indubitablement à la
résurrection certaine des morts ; car nous sommes
vraiment ressuscites et nous vivons : or, de même
que l'enfant dans le sein de sa mère vit sans ressen-
tir de lésion, de même, nous aussi, nous avons été
vivants, reposant, dormant et n'éprouvant pas de
sensations. » Quand il eut dit ces mots, les sept hom-
mes inclinèrent la tête sur la terre, s'endormirent et
rendirent l'esprit selon l'ordre de Dieu. Alors l'empe-
reur se leva, se jeta sur eux avec larmes et les em-
brassa. Il ordonna ensuite de faire des cercueils d'or
pour les renfermer ; mais cette nuit-là même, ils lui
apparurent et lui dirent que jusqu'alors ils avaient
reposé sur la terre et qu'ils étaient ressuscites de des-
sus la terre, qu'il les y fallait laisser, jusqu'à ce que
le Seigneur les ressuscitât la seconde fois. L'empe-
reur ordonna donc qu'on ornât ce lieu de pierres
dorées, et que tous les évêques qui confessaient la
résurrection fussent absous. Qu'ils aient dormi 377
ans, comme on le dit, la chose peul être douteuse,
puisqu'ils ressuscitèrent Tan du Seigneur 448. Or,
Dèce régna seulement un an et trois mois, en l'an
2;j2 ; ainsi, ils ne dormirent que cent quatre-ving(-
seize ans.
SAINTS NAZAIRE ET CELSE
Nazaire vient de Nazaréen qui sijs^nifie consacré, pur, ^
séparé, fleuri, ou i^arJanl. Dans l'homme, on trouve cin«i j-
facultés : la pensée, l'affection, l'intention, Taclion et la parole. _
SAINTS NAZAIHE ET CELSE 299
Or, la pensée doit être sainte, TafiTection pure, l'intention
droite, raction juste, la parole modérée. Toutes ces qualités
se sont rencontrées dans le bienheureux saint Nazaire ; sa
pensée fut sainte, de là il est appelé consacré ; son affection
pure, et il est appelé pur; son intention droite, de là le nom
de séparé; car l'intention détermine les œuvres. Avec un œil
simple et pur tout le corps est éclairé, et avec un œil mauvais
et obscurci tout le corps est ténébreux. Ses actions furent
justes, c'est pour cela qu'il est nommé fleuri, car le juste fleu-
rira comme le lys; sa parole fut modérée, de là le nom de
gardant, parce qu'il garda ses voies afin de ne point pécher
par la langue.
Celse, exeelsuSy élevé, parce qu'il s'éleva au-dessus de lui-
même ; par la force de son courage il s'éleva au-dessus de la
faiblesse de son jeune âge. On dit que saint Ambroise trouva
la vie et la relation du martyre de ces deux saints dans le
livre des saints Gervais et Protais; mais on lit dans quelques
ouvrages qu'un philosophe plein de dévotion à saint Nazaire
a écrit son martyre que Cératius plaça à leur chevet en ense-
velissant les corps de ces saints *.
Nazaire était fils d'un personnaj^e très illustre, mais
juif nommé Âfricanus et de la bienheureuse Perpé-
tue, femme très chrétienne et d'une famille des plus
distinguées de Rome. Elle avait été baptisée par Tapô-
tre saint Pierre. A l'âge de neuf ans, Nazaire était fort
étonné de voir son père et sa mère apporter tant de
divergence dans leurs pratiques religieuses ; puisque
sa mère suivait la loi du baptême et son père la loi
du sabbat. Il balançait beaucoup sur le parti auquel
il se rattacherait, car l'un et l'autre de ses parents s'ef-
forçaient de l'attirer à sa croyance. Enfin Dieu permit
qu'il marchât sur les traces de sa mère, et il reçut le
saint baptême du bienheureux Lin, pape. Son père, en
* Bréviaire romain.
300 L.V LÉGENDE DOREB
avant été instruit, tenta de le détourner de sa sainte
résolution, en lui exposant, l'un après Tautre, les dif-
férents tourments qu'on infligeait aux chrétiens. Quant
au fait de son baptême qu'on dit lui avoir été conféré
par le pape saint Lin, Ton veut dire sans doute que
celui-ci devait être pape plus tard, car il ne Tétait pas
encore. Puisque, comme, il sera facile de s'en convaincre
pur la suite, saint Nazaire vécut nombre d*années
après son baptême et fut martyrisé par Néron qui fit
crucifier saint Pierre, la dernière année de son règne ;
or, saint Lin fut pape après la mort de saint Pierre.
Au lieu de céder aux instances de son père, Nazaire
prêchait J.-C. avec la plus grande constance ; alors
ses parents, qui craignaient beaucoup qu'il ne fût tué,
obtinrent par leurs prières qu'il sortirait de la ville de
Rome ; il prit donc sept sommiers chargés des riches-
ses de ses parents, parcourut les villes d'Italie et
donna tout aux pauvres. Dix ans après son départ, il
vint à Plaisance et de là à Milan où il trouva détenus
en prison saint Gervais et saint Protais. Or, quand on
apprit que Nazaire encourageait ces martyrs, on le
traîna aussitôt au préfet et comme il persistait à con-
fesser J.-C, il fut battu (le verges et chassé de la ville.
Tandis qu'il allait d'un lieu à un autre, sa mère, qui
était morte, lui apparut et après Tavoir encouragé, elle
l'avertit de se diriger > ers les Gaules. Quand il arriva
à une ville de la Gaule nommée Gemellus*, il y con-
vertit beaucoup de monde ; et une dame lui offrit son
fils nommé Celse qui était un charmant enfant, avec
' Tionôve.
SAINTS NAZAIRE ET CELSE 301
pnère de le baptiser et de Teminener avec lui. Quand
le préfet des Gaules apprit cela, il le fit prendre avec
^else; on lui lia les mains derrière le dos ; on lui at-
^^cha une chaîne au cou et on le jeta en prison afin
1"^ le lendemain il fût tourmenté dans les supplices.
^^is la femme du préfet envoya dire à son mari que
^^^lune injustice de condamner à mort des inno-
^^'^Is; el qu'il ne fallait pas se charger de la vengeance
^^ dieux tout-puissants. Le président se rendit à ces
P^^oies ; il renvoya les saints absous, en leur recom-
^^tidant expressément de ne pas prêcher dansla ville.
^^saire vint donc à Trêves où le premier il annonça
•MU. Après y avoir converti beaucoup de personnes à
^ foi, il s'y bâtit une église. Corneille, vicaire de Né-
*^, instruit de cela, le manda à cet empereur qui en-
^^ja cent hommes pour le prendre. Ils le trouvèrent à
^^té de l'oratoire qu'il s'était construit, lui lièrent les
*^sins et lui dirent : « Le grand Néron t'appelle. »
"^azaire leur répondit : « Un roi inconvenant a des sol-
^els inconvenants ; car à votre arrivée pourquoi ne
^'avez-vous pas dit honnêtement : Néron t'appelle ?
Je serais venu. » Ils le conduisirent donc enchaîné à
^éron. Quant au petit Çelse qui pleurait, ils lui don-
naient des soufflets pour le forcer de suivre. Néron, les
ayant vus, les fit mettre en prison, jusqu'à ce qu'il eût
réfléchi sur la manière de les faire périr. Dans cet
intervalle, une fois que Néron avait envoyé des chas-
seurs pour prendre des bêtes sauvages, une troupe de
ces animaux entra subitement dans le verger de ce
prince, où elle blessa beaucoup de personnes et en
tua nombre d'autres, au point que Néron effrayé prit
302 LA LÉGENDE DOREE
la fiiile et rentra dans son palaîs, après s'être fait une
blessure au pied. La douleur le retint de longues jour-
nées couché ; enfin il se souvint de Nazaire et de Celse ;
il pensa que les dieux étaientirritéscontre lui pour avoir
laissé vivre si longtemps ces prisonniers. Par Tordre
donc de l'empereur, des soldats firent sortir Nazaire
de la prison, en le chassant à coups de pied, et Celse
en le frappant, et ils les amenèrent devant l'empereur.
Néron, voyant la figure de Nazaire brillante comme le
soleil, se crut le jouet d'une illusion et lui ordonna de
cesser ses sortilèges, puis de sacrifier aux dieux. Na-
zaire ayant été conduit au temple, pria tout le monde
de se retirer, et pendant qu'il y faisait sa prière, toutes
les idoles furent brisées. A cette nouvelle, Néron or-
donna de le précipiter dans la mer, avec ordre de le
reprendre, s'il parvenait à s'échapper, de le faire mou-
rir ensuite dans les flammes et de jeter ses cendres
dans la mer. Nazaire donc et le jeune Celse sont em-
barqués sur un navire, et quand ils eurent atteint la
haute mer, ils furent précipités dans les flots. Mais
aussitôt il s'éleva autour du bâtiment une tempête
extraordinaire, quand le plus grand calme régnait au-
tour des saints. Les matelots craignaient de périr et
se repentaient dos méchancetés qu'ils avaient commi-
ses contre les martyrs, mais voici que Nazaire avec le
petit Celse leur apparaît marchant d'un air gai sur les
eaux, et monte sur le navire (Les matelots croyaient
déjà en Dieu.) Nazaire par une prière calma les flots,
l't vint de là avec eux débarquer auprès delà ville de
(iênes éloignée de six cents pas. Après y avoir prêché
longtemps, il vint enfin à Milan où il avait laissé saint
SAINTS NAZAIRE ET CELSE 303
Gervaîs et saint Protais. Lorsque le préfet Anolinus
l'eut appris, il l'envoya en exil et Celse resta dans la
maison d'une dame. Quanta Nazaireil revint à Rome
où il trouva son père déjà parvenu à la vieillesse et
chrétien. Il lui demanda comment il avait été converti .
Son pèrelui ditquesaint Pierre, apôtre,lui étaitapparu
et lui avait donné le conseil de suivre sa femme et son
fils qui l'avaient précédé dans la foi de J.-C. Ensuite
Nazaire, après avoir éprouvé de mauvais traitements,
à Milan, d'où il avait été envoyé à Rome, est forcé par
les prêtres des idoles de revenir et il y fut traduit de-
vant le président avec l'enfant. On le conduisit hors
de la porte de Rome dans un lieu appelé les Trois
Murs, et il fut décapité avec le jeune Celse. Les chré-
tiens enlevèrent leurs corps et les placèrent dans leurs
jardins; mais cette nuit-là même, les martyrs appa-
rurent à un saint homme nommé Cératius et lui recom-
mandèrent d'ensevelir leurs corps dans un endroit re-
tiré de sa maison, par rapport à Tcmpereur. Cératius
leur dit: « Je vous en prie, mes seigneurs, guérissez
auparavant ma fille paralytique. » Et comme elle fut
guérie à l'instant, il prit leurs corps et les ensevelit
comme ils le lui avaient recommandé. Longtemps après
le Seigneur révéla à saint Ambroise où se trouvaient
leurs restes. Celui-ci laissa Celse où il était. Le corps
de Nazaire fut trouvé avec son sang frais comme s'il
venait d'être enseveli, et répandant une merveilleuse
odeur ; il était entier, sans corruption, avec ses che-
veux et sa barbe. Il en fit la translation à l'église des
îipôtres et l'y ensevelit avec honneur. Dans la suite il
fit aussi l'élévation de saint Celse (ju'il plaça dans la
304 LA LÉGENDE DOREE
même église. Ils souffrirent sous Néron, qui commença
à régner vers Tan du Seigneur 57.
Au sujet de ce martyr, voici ce que saint Ambroise
dit dans la Préface : « Le sôint martyr Nazaire, illus-
tre par le sang généreux qu'il a répandu, a mérité de
monter au royaume du ciel. En souffrant tout ce que
les tourments ont de plus cruel, il surmontait la rage
des tyrans par sa constance ; et il ne céda jamais de-
vant les menaces des persécuteurs, car il avait pour
le soutenir au milijsu de ses combats N.-S. J-C. qui
combattait avec lui. Alors il est conduit au temple
pour immoler aux idoles profanes ; mais fort du se-
cours divin, il est à peine entré, que ces simulacres
sont réduits par lui en poussière. Pour ce fait, il est
conduit au milieu de la mer, et, soutenu par les anges,
il marche à pied sec sur les flots. 0 heureux et noble
combattant du Seigneur qui en attaquant le prince du
monde a rendu une multitude innombrable de peuple
participante de la vie éternelle ! 0 grand et ineffable
mystère, qu'il y ait plus de joie dans l'Église de
ce qu'ils ont mérité le salut, qu'il n y a d'allégresse
dans le monde pour les avoir punis ! 0 bienheureuse
mère qui tire de la gloire des tourments de ses en-
fants qu'elle conduit au tombeau sans pleurs et sans
gémissements, et sans cesser de célébrer leurs louan-
ges quand ils sont passés aux royaumes célestes ! O
témoin merveilleux, resplendissant d'un éclat céleste,
dont les vertus répandent une odeur plus pénétrante
et plus suave que les aromates de Saba ! » — Saint
Ambroise, lors de l'invention de ce saint, le pro-
posa comme patron, et médecin, comme le défen-
SAINT FELIX, PAPE 305
seur de la foi, et le champion des combats sacrés.
Elle était cachée depuis longtemps dans la pous-
sière cette dragme trouvée avec la lumière que te
prèle l'assistance merveilleuse du ciel : afin, ô Jésus !
que les récompenses que vous accordez à tous vos élus
soient manifestées et que Toeil de Thomme puisse voir
les visages des anges.
SAINT FÉLIX, PAPE
Félix fut élu et ordonné pape à la place de Libère,
qui, ne voulant pas approuver rhérésie arienne, fut, par
1 ordre de Constance, fils de Constantin, envoyé en
exil, où il resta trois ans. C'est pour cela que tout le
clergé romain ordonna Félix à sa place, du vouloir et
au consentement de Libère lui-même. Ce Félix, ayant
convoqué un concile, condamna, en présence de qua-
rante-huit évéques. Constance empereur arien héréti-
que et deux prêtres qui le soutenaient. Constance indi-
gné chassa Félix de son évéchéel rappela Libère à la
condition d'être en communion seulement avec Cons-
tantin et les autres que Félix avait condamnés. Libère,
accablé par les ennuis de l'exil, souscrivit à l'hérésie ;
et il en résulta que la persécution augmenta à tel
point que beaucoup de prêtres et de clercs furent tués
dansTéglise sans que Libère s*y opposât. Félix, chasse
de son évêché, habitait dans une terre d'où on l'arra-
cha pour le conduire au martyre qu'il subit, en ayant
la tête tranchée, vers l'an du Seigneur 340.
n.
20
306 LX LÉGENDE DOREE
SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN
Simplice et Faustîn tHaieiil frères ; ils refusèrent de
sacrifier, et endurèrent à Rome beaucoup de tour-
ments sous l'empereur Dioclétien. A la fin on porta
l'arrêt de leur condamnation ; ils furent décapités et
leurs corps jetés dans le Tibre : mais leur sœur nom-
mée Béatrice relira leurs dépouilles du fleuve et les
ensevelit honorablement. Lucréfius qui était préfet et
vicaire de Dioclétien passait autour de leur domaine,
la fit prendre et lui commanda de sacrifier aux idolesr
Sur son refus, Lucrétius la fit étrangler durant la nuit
par ses esclaves. La vierge Lucine enleva son corps
et l'ensevelit à côté de ses frères. Après quoi, le préfet
Lucrétius s'empara de leur maison, où au milieu d*un
repas qu'il donnait à ses amis, il se permît d'insulter
les martyrs ; alors un petit enfant encore à la mamelle
et enveloppé de langes, s'écria, dans les bras de sa
mère qui était présente, de sorte que tout le monde
l'entendit : a Ecoule, Lucrétius, tu as tué, tu as
usurpé, voici que tu es livré au pouvoir de l'ennemi. »
A l'instant Lucrétius saisi et tremblant est appré-
hendé par le démon qui le tourmenta si violemment
pendant trois heures qu'il mourut au milieu du repas.
Les assistants témoins de cela se convertirent à la foi :
ils racontaient à tous le martyre de sainte Béatrice qui
avait été vengée dans le repas. Or, ils souffrirent vers
l'an du Seigneur 287.
SAINTK MARTHE 307
SAINTE MARTHE
[L*interprétation du nom de saiocte Marthe. Marthe peut
^tre dicte ainsi côme sacrifiant ou amaigrissant : elle sacriHa
^ Ihùcrist quant elle le hostella : et luy administra le pain et
Uvin de quoy luy-mesme sacrifia son sainct corps: amai-
grissant, car elle amaigrit son corps par pénitence si côme
il sensuit après] *.
Marthe, qui donna l'hospitalité à J.-C., descendait
de race royale et avait pour père Synis et pour mère
Eucharie. Son père fut gouverneur de Syrie et de beau-
coup de pays, situés le long de la rner. Marthe possé-
dait avec sa sœur, et du chef de sa mère, trois chà-
^ux, savoir Magdalon, Béthanie et une partie de la
^Jede Jérusalem. On ne trouve nulle part qu'elle se
^'l mariée, ni qu'elle ait eu commerce avec aucun
^^ttinae. Or, cette noble hôtelière servait le Seigneur
^^ Voulait que sa sœur le servît aussi ; car il lui sem-
"'^t que ce n'était pas même trop du monde tout
^ï^lier pour le service d'un hôte si grand. Après l'as-
^'^sion du Seigneur, quand les apôtres se furent
^^persés, elle et son frère Lazare, sa sœur Marie-
^^gdeleine, ainsi que saint Maximin qui les avait
'^^ptisés et auquel elles avaient été confiées par l'Es-
Pril-Sainl, avec beaucoup d'autres encore, furent mis
par les infidèles sur un navire dont on enleva les
rames, les voiles et les gouvernails, ainsi que toute
espèce d'aliment. Sous la direction de Dieu, ils arri-
• Consulter les Monuments de l'apostolat de sainte Madeleine
et de sainte Marthe, par M. Paillon et le Bréviaire romain.
308 L\ LÉGENDE DOREE
vèrent à Marseille. De là ils allèrent au territoire d'Aix
où ils convertirent tout le peuple à la foi. Or, sainte
Marthe était très éloquente et gracieuse pour tous. Il
y avait, à cette époque, sur les rives du Rhône, dans
un bois entre Arles et Avignon, un dragon, moitié
animal, moitié poisson, plus épais qu'un bœuf, plus
long qu'un cheval, avec des dents semblables à des
épées et grosses comme des cornes, qui était armé de
chaque côté de deux boucliers ; il se cachait dans le
fleuve d'où il ôtaitla vie à tous les passants et submer-
geait les navires. Or, il était venu par mer de la Gala-
tie d'Asie, avait été engendré par Léviathan, serpent
très féroce qui vit dans l'eau, et d'un animal nommé
Onachum, qui natt dans la Galatie : contre ceux qui
le poursuivent, il jette, à la distance d'un arpent, sa
fiente comme un dard et tout ce qu'il touche, il le
brille comme si c'était du feu. A la prière des peuples,
Marthe alla dans le bois et l'y trouva mangeant un
homme. Elle jeta sur lui de l'eau bénite et lui montra
une croix. A l'instant le monstre dompté resta tran-
quille comme un agneau. Sainte Marthe le lia avec
sa ceinture et incontinent il fut tué par le peuple à
coups de lames et de pierres. Or, les habitants du pays
appelaient ce dragon Tarasque et en souvenir de cet
événement ce lieu s'appelle encore Tarascon au lieu
de Nerluc, qui signifie lieu noir, parce qu'il se trouvait
là des bois sombres et couverts. Ce fut en cet endroit
que sainte Marthe, avec l'autorisation de son maître
Maximin et de sa sœur, se fixa désormais et se livra
sans relâche à la prière et aux jeûnes. Plus tard après
avoir rassemblé un grand nombre de sœurs, elle bâtit
SAINTE MARTHE 309
Une basilique en l'honneur de la bienheureuse vierge
Marie. Elle y mena une vie assez dure, s'abstenant
d'aliments gras, d'œufs, de fromage et de vin, ne man-
geant qu'une fois par jour. Cent fois le jour et autant
de fois la nuit, elle fléchissait les genoux.
Elle prêchait un jour auprès d'Avignon, entre la
^'^'leel le fleuve du Rhône, et un jeune homme se
trouvait de l'autre côté du fleuve; jaloux d'entendre
^s paroles, mais dépourvu de barque pour passer, il
se dépouilla de ses vêtements et se jeta à la nage ;
^\x{ à coup il est emporté par la force du courant et
se noie aussitôt. Son corps fut à peine retrouvé, deux
jours après ; on l'apporta aux pieds de sainte Marthe
Powr qu'elle le ressuscitât. Elle se prosterna seule, les
*^*'ss étendus en forme de croix sur la terre et fit cette
prière : « O Adonay, Seigneur J.-C, qui avez autre-
fois ressuscité mon frère Lazare, votre ami, mon cher
*^^te, ayez égard à la foi de ceux qui m'entourent et
^^ssuscitez cet enfant. » Elle prit par la main ce
J^uiie homme qui se leva aussitôt et reçut le saint bap-
^^nie. Eusèbc rapporte au VIP livre de son Ilisloire
^^^lésiaslique*j que l'IIémorrhoïsse, après avoir été
S^*érie, fit élever dans sa cour ou son verger, une sta-
tue à la ressemblance de J.-C., avec une robe et sa
frange, comme elle l'avait vu, et elle avait pour cette
image une grande vénération. Or, les herbes croissant
aux pieds de la statue et qui n'étaient bonnes à rien
auparavant, dès lors qu'elles atteignaient à la frange,
* H revient sur ce récit dans son commentaire sur sair.t
Luc, mais sans prétendre que c'est Marthe. — Cf. Nicéphorc
Callixte, lib. X, xxx.
II. 20*
310 LA LÉGENDE DOREE
acquéraient une telle vertu que beaucoup d'infirmes
qui en faisaient usage étaient guéris. Cette Hémor-
rhoïsse que le Seigneur guérît, saint Ambroîse dît*
que ce fut sainte Marthe. Saint Jérôme de son côté
rapporte, et VHiaioire triparlile confirme **, que Ju-
lien Tapostat fit enlever la statue élevée par THémor-
rhoTsseet y substitua la sienne; mais la foudre la brisa.
Or, le Seigneur révéla un an d'avance à sainte Mar-
the le moment de sa mort : et pendant toute cette
année, la fièvre ne la quitta point. Huit jours avant
son trépas, elle entendit les chœurs des anges qui
portaient l'âme de sa sœur au ciel. Elle rassembla de
suite sa communauté de frères et de sœurs : « Mes
compagnons et très doux élèves, leur dit-elle, je vous
en prie, réjouissez-vous avec moi, parce que je vois
les chœurs des anges portant en triomphe l'âme de ma
sœur au trône qui lui a été promis. O très belle et bien-
aimée sœur ! vis avec ton maftre et mon hôte dans la
demeure bienheureuse! » Et aussitôt sainte Marthe,
pressentant sa mort prochaîne, avertit ses gens d'allu-
mer des flambeaux autour d'elle et de veiller jusqu'à
son trépas. Au milieu de la nuit qui précéda le jour de
sa mort, ceux qui la veillaient s'élant laissé appesantir
par le sommeil, un vent violent s'éleva et éteignit
toutes les lumières, et la sainte qui vit une foule d'es-
prits malins, prononça cette prière : « 0 Dieu, mon
père, mon hôte chéri, mes séducteurs se sont rassem-
blés pour me dévorer ; ils tiennent écrites à la main
* Sermon XL\'I.
*■ Li!). VI, c. xLi.
SAINTE MARTHE 311
les méchancetés que j'ai commises : mon Dieu, ne
vous éloignez pas de moi, mais venez à mon aide. »
Et voilà qu'elle vit sa sœur venir à elle ; elle tenait à
la main une torche avec laquelle elle alluma les flam-
beaux et les lampes : et tandis qu'elles s'appelaient
chacune par leur nom, voici que J.-C. vint et dit :
w Venez, hôtesse chérie, et où je suis, vous y serez
avec moi. Vous m'avez reçu dans votre maison, et
moi je vous recevrai dans mon paradis ; ceux qui vous
invoqueront, je les exaucerai par amour pour vous. »
L'heure de sa mort approchant, elle se fit transporter
^^hors, afin de pouvoir regarder le ciel ; et elle or-
^ionna qu'on la posât par terre sur de la cendre ; en-
suite qu'on lui tint une croix devant elle : et elle fit
celle prière : « Mon cher hôte, gardez votre pauvre
petite ser\'ante ; et comme vous avez daigné demeurer
^^*ec moi, recevez-moi de même dans votre céleste
^temeure. » Elle se fit ensuite lire la Passion selon
^*nt Luc, et quand on fut arrivé à ces mots : « Mon
père, je remets mon âme entre vos mains », elle rendit
'esprit. Le jour suivant qui était un dimanche, comme
on célébrait les laudes auprès de son corps, vers l'heure
de tierce, Notre-Seigneur apparut à saint Front qui
célébrait la messe à Périgueux, et qui, après Tépître,
s'était endormi sur sa chaire : « Mon cher Front, lui
dit-il, si vous voulez accomplir ce que vous avez au-
trefois promis à noire hôtesse, levez-vous vite et sui-
vez-moi. » Saint Front ayant obéi à cet ordre, ils vin-
rent ensemble en un instant à Tarascon où ils chantè-
rent des psaumes autour du corps de sainte Marthe
et firent tout l'office, les autres leur répondant ; en-
312 LA LEGENDE DORÉE
suite ils placèrent de leurs mains son corps dans le
tombeau. Mais à Pérîgueux, quand on eut terminé c^*
qui était à chanter, le diacre qui devait lire l'évangile,
ayant éveillé Tévéque en lui demandant la bénédiction,
celui-ci répondit à moitié endormi : « Mes frères, pour-
quoi me réveillez- vous? Notre-Seigneur J.-^C. m'a con-
duit où était le corps de Marthe, son hôtesse, et nous
lui avons donné la sépulture : envoyez-y vite des mes-
sagers pour nous rapporter notre anneau d'or et nos
gants gris que j'ai ôtés afin de pouvoir ensevelir le
corps, je les ai remis au sacriste et les ai laides par
oubli, car vous m'avez éveillé si vile ! » On envoya
donc des messagers qui trouvèrent tout ainsi que Té-
véque avait dit ; ils rapportèrent l'anneau et un seul
gant, car le sacriste retint l'autre comme preuve de ce
qui s'était passé. Saint Front ajouta encore : « Comme
nous sortions de l'église après l'inhumation, un frère
de ce lieu, qui était habile dans les lettres, nous suivi(
pour demander au Seigneur de quel nom il l'appelle-
rait. Le Seigneur ne lui répondit rien, mais il lui mon-
tra un livre qu'il tenait tout ouvert à la main, dans le-
quel rien autre chose n'était écrit que ce verset : « La
« mémoire de mon hôtesse qui a été pleine de juslict?
« sera éternelle; elle n'aura pas à craindre d'entendre
« des paroles mauvaises au dernier jour (Ps. m). » Le
frère, qui parcourut chaque feuillet du livre, y trouva
ces mots écrits à chaque page. Or, comme il s'opérait
beaucoup de miracles au tombeau de sainte Marthe,
Clovis, roi des Francs, qui s'était fait chrétien et qui
avait été baptisé par saint Remy, souffrait d'un grand
mal de reins ; il vint donc au tombeau de la sainte et
SAINT ABDON ET SAINT SENNEN 313
y oblinl une entière guérison. C'est pourquoi il dota ce
lieu, auquel il donna une terre d'un espace de trois
imlles à prendre autour sur chacune des rives du
Rhône, avec les métairies et les châteaux, en affran-
chissant le tout. Or, Martille, sa servante, écrivit sa
vie; ensuite elle alla dans TEsclavonie où, après avoir
prêché Tévangîle, elle mourut en paix dix ans après
le décès de sainte Marthe,
SAINT ABDON ET SAINT SENNEN*
Abdon et Sennen souffrirent le martyre sous l'em-
pereur Dèce, qui, après avoir soumis la Babylonie avec
d'autres provinces, et y avoir trouvé des chrétiens,les
emmena avec lui à la ville de Cordoue où il les fit
mourir par différents supplices. Deux vice-rois, Abdon
et Sennen, prirent leurs corps et les ensevelirent. On
les accusa de cette action auprès de Dèce qui les fit
comparaître devant lui. On les chargea de chaînes et
on les conduisit à Rome, où ils comparurent devant
l'empereur et devant le Sénat; on leur dit qu'ils
avaient ou à sacrifier et qu'alors ils rentreraient libres
dans leurs états, ou à se voir condamnés à être la pâ-
ture des bêtes féroces. Ils ne manifestèrent que du
mépris pour les idoles sur lesquelles ils crachèrent;
après quoi ils furent traînés à Tamphithéâtre où on
lâcha sur eux deux lions et quatre ours, qui, loin de
«
* Bréviaire romain. Ce récit est conforme aux actes publics
par les Bollandistes.
314 LA LÉGENDE DOREE
toucher ces saints^ en furent même les gardiens. On
les fit donc mourir par le glaive, après quoi on leur
lia les pieds et on les traîna jusqu'à l'idole du soleil
devant laquelle on les jeta. Au bout de trois jours, le
sous-diacre Quirinus vint les recueillir et les ensevelit
dans sa maison. Ils souffrirent vers Tan du Seigneur
253. Du temps de Constantin, ces martyrs révélèrent
oi^i étaient leurs corps que les chrétiens transférèrent
dans le cimetière de Pontieu. Par leur mérite Dieu
y accorde de nombreux bienfaits au peuple.
SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE
Germain vient de germe, et ana, qui veut dire en haut, c'est
donc un îçerme d'en haut. On trouve en effet trois qualités
dans le blé qui germe, savoir une chaleur naturelle, une hu-
midité nutritive, et un principe de semence. De là vient que
saint Germain est appelé une semence en germe : car il pos-
séda une chaleur produite par l'ardeur de son amour, une
humiditr qui développa sa dévotion, et un principede semence
puisque, par la force de sa prédication, il engendra beaucoup
dt' monde à la foi et aux bonnes mœurs. Le prêtre Constantin
écrivit sa vie qu'il adressa .^ saint Cinsurius, évèque d*Au-
xcrre *.
Germain naquit à Auxerre d'une famille des plus
nobles. Après de lon^^ues études consacrées aux arts
libéraux, il partit pour Rome afin de se former à la
science du droit. Il s'y acquit tant de considération
* Héricus, moine d'Auxerre, a écrit sa vie en vers et ses mi-
racles en prose.
SAINT GERMAIN, ÉVÉQUE 315
^vie le Sénat l'envoya dans les Gaules pour remplir
«es fonctions de gouverneur de toute la Bourgogne.
**^ Auxerre qu'il affectionnait, il possédait, au milieu
^G la ville, un pin aux branches duquel il suspendait,
pour qu'on les admirât, les têtes des bé tes fauves tuées
P^F lui à la chasse. Mais saint Amateur, évéque de
^cite ville, le gourmandait souvent de cette vanité, et
'*'*' conseillait même de faire abattre cet arbre dans la
^''^inle de quelque mauvais résultat pour les chrétiens.
^^> Germain n'y voulait absolument pas consentir.
-^^is un jour qu'il était absent, saint Amateur fit
^<^uper et brûler ce pin. Quand Germain Tapprit, il
^^i>lia les sentiments que lui inspirait la religion
^*"^tienne et revint à la ville avec des soldats, dans
^ clessein de faire mourir l'évéque : mais celui-ci, qui
^ ^"^^ît appris par révélation que Germain devait un jour
^^ succéder, céda devant sa fureur et gagna Autun.
^Vi après, il revint à Auxerre et ayant attiré Germain
^'•^s l'église, il le tonsura en lui prédisant qu'il devait
^ ^^« son successeur. Ce qui eut lieu : car quelque temps
ï^rès l'évéque mourut en saint et le peuple demanda
^ ^unanimité Germain pour évéque. Il distribua tous
^^s biens aux pauvres, traita sa femme comme si elle
^^t été sa sœur, et pendant trente ans, il mortifia tel-
lement son corps que jamais il n'usa de pain de fro-
ment, ni de vin, ni d'huile, ni de légumes, ne mangeant
même rien qui fût accommodé avec du sel. Deux fois
/'an cependant, savoir : à Pâques et à Noël, il prenait du
vin, encore il y mêlait tant d'eau qu'il n'y avait plus
goût de vin. Il commençait ses repas en prenant d'a-
bord de la cendre ; ensuite il mangeait du pain d'orge.
316 LA LÉGENDE DOREE
Son jeûne était continuel, car il ne mangeait jamais
que sur le soir. L'été comme l'hiver, il avait pour tout
vêtement un cilice et une coule. El quand il ne lui
arrivait pas de donner cet habit à quelqu'un, il le
portait jusqu'à ce qu'il fût tout usé et en lambeaux.
Les ornements de son lit, c'était la cendre, un cilice
et un sac : il n'avait pas de coussin pour tenir sa tête
plus élevée que les épaules, mais toujours dans les gé-
missements, il portait à son cou des reliques des
saints ; jamais il ne quittait son vêtement, rarement
sa chaussure et sa ceinture. Tout dans sa conduite
était au-dessus des.forces d'un homme. Sa vie fut telle
en effet qu'il eût été incroyable de la concevoir sans
miracles ; mais ils furent si nombreux qu'on les croi-
rait imaginés à plaisir, si les mérites qu'il avait acquis
n'avaient précédé ces prodiges.
Un jour qu'il avait reçu l'hospitalité dans un endroit,
il fut étonné de voir, après le souper, apprêter la ta-
ble, et il demanda pour qui on préparait un second
repas. Comme on lui disait que c'était pour les bon-
nes femmes qui voyagent pendant la nuit, saint Ger-
main prit la résolution de veiller celte nuit-là; et il vit
luie foule de démons qui venaient se mettre à table
sous la forme d'hommes et de femmes. Il leur défen-
dit de s'en aller, réveilla tous les membres delà mai-
son et leur demanda s'ils connaissaient ces personnes.
On lui répondit que c'étaient tous les voisins et voi-
sines ; alors en commandant aux démons de ne pas
s'en aller, il envoya au domicile de chacun d'eux, et'
on les trouva tous dans leur lit. Saint Germain les con-
jura ; et ils dirent qu'ils étaient des démons qui se
SAINT GERMAIN, évÊQUE 317
jouaient ainsi des hommes. En ce temps-là, florissait
le bienheureux saint Loup, évêque de Troyes. Quand
Attila attaquait cette ville, le bienheureux Loup lui
demanda de dessus la porte à haute voix qui il était
pour venir fondre ainsi sur eux. « Je suis, lui répon-
dit-il, Attila, le fléau de Dieu. » L'humble prélat lui ré-
pliqua avec gémissement : « Et moi je suis Loup ; hé-
las I je ravage le troupeau de Dieu et j'ai besoin d'être
frappé par le fléau de Dieu. » Et à l'instant il fit ou-
vrir les portes. Mais Dieu aveugla les ennemis qui pas-
sèrent d'une porte à l'autre, sans voir personne et sans
faire aucun mal. Le bienheureux Germain prit avec lui
saint Loup et partit pour les îles Britanniques où pullu-
laient les hérétiques; et comme ils étaient sur la mer,
une tempête extraordinaire s'élevaj; mais à la prière
de saint Germain, il se fit aussitôt un grand calme.
Ils furent reçus avec de grands honneurs par le peu-
ple ; leur arrivée avait été annoncée par les démons
que saint Germain avait chassés des obsédés. Après
qu'ils eurent convaincu les hérétiques, ils retournèrent
en leur propre pays.
Germain était couché malade dans un endroit,
quand soudain un incendie embrasa toute la bourgade.
On le priait de se laisser emporter pour échapper à
la flamme, mais il voulut rester exposé à l'incendie, et
le feu, qui consuma tout à droite et à gauche, ne tou-
cha pas à l'habitation où II se trouvait. Comme il
retournait une seconde fois en Bretagne pour confondre
les hérétiques, un de ses disciples, qui l'avait suivi en
toute hâte, tomba malade à Tonnerre et y mourut.
Saint Germain, revenant sur ses pas, fit ouvrir le se-
318 LA LÉGENDE DORÉE
pulcre et demanda au mort, en Tappélant par sori-
nom, ce qu'il faisait, s'il désirait encore combattra
avec lui. Celui-ci se leva sur son séant et répondit qu'il
goûtait des douceurs infinies et qu'il ne voulait pas
être rappelé désormais sur la terre. D'après le consen-
tement que lui donna saint Germain de rester dans le
repos, il déposa sa tête et se rendormit de nouveau
dans le Seigneur *. Pendant le cours de ses prédica-
tions, le roi delà Bretagne lui refusa l'hospitalité aussi
bien qu'à ses compagnons. Le porcher du roi, qui re-
venait de faire pattre ses bétes, en rapportant à sa
chaumière des provisions qu'il avait reçues au palais,
vit le bienheureux Germain et ses compagnons acca-
blés de faim et de froid ; il les accueillit avec bonté
dans sa maison, et commanda qu'on tuât pour ses
hôtes le seul veau qu'il possédât. Après le souper, saint
Germain fit disposer tous les os du veau sur sa peau
et à sa prière le veau se leva tout aussitôt. Le lende-
main, Germain se hâta de se rendre chez le roi et lui
demanda avec force pourquoi il lui avait refusé l'hos-
pitalité. Le roi grandement saisi ne put lui répon-
dre ; alors G/ermain lui dit : « Sors et cède le royaume
à meilleur que toi. » Et par un ordre qu'il reçut de
Dieu, Germain fit venir le porcher avec sa femme et en
présence de la multitude étonnée, il le constitua roi ;
et depuis lors ce sont les descendants du porcher qui
î^ouvernentla nation des Bretons**. Les Saxons étaient
en guerre avec les Bretons et se voyaient inférieurs
* Héricus, moine d'Auxerre, qui a écril la vie et les mira-
cles du saint.
** Ibid., c. VI 11.
SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE 319
<^n nombre, ils appelèrent alors les saints qui passaient
parla; ceux-ci les instruisirent et tous accoururent à
i'envi pour recevoir le baptême. Le jour de Pâques,
transportés par la ferveur de leur foi, ils jettent leurs
urines décote et se proposent de combattre avecgrand
<"ourage; les ennemis, à cette nouvelle, se ruent avec
audace contre des gens désarmés; mais Germain, qui
*^® tenait caché avec les siens, les avertit tous, que
^uand il crierait lui-même Alléluia, ils lui -répondis-
sent ensemble en poussant le même cri. Et quand ils
^^urentfait, une terreur tellement grande s'empara des
^•^ixemis qui se précipitaient sur eux, qu'ilsjetèrent
*e^i*s armes, dans la persuasion que non seulement les
'^oritagnes, mais encore le ciel s'écroulaient sur leur
^^^ ; alors ils prirent tous la fuite*. Une fois qu'il pas-
J^*t, par Âutun, il vint au tombeau de saint Cassien,
^ ^<jue, auquel il demanda comment il se trouvait. Ce-
^^^ci lui répondit de son cercueil ces mots qui furent
l
'^^«ndusde tous les assistants: a Je jouis d'un doux
^^^os, et j'attends la venue du rédempteur. » EtGer-
^^Hin lui dit : « Reposez encore longtemps en J.-C, et
^^^tercédez pour nous avec ferveur, afin que nous mé-
^Uions d'obtenir les joies de la sainte résurrection. »
A. son arrivée à Ravenne, il fut reçu avec honneur par
l'impératrice Placidieetpar son fils Valentinien. Quand
vint l'heure du repas, la reine lui envoya un magnifi-
que vase d'argent rempli de mets exquis ; il le reçut,
mais ce fut pour distribuer les mets à ceux qui rac-
compagnaient et pour donner aux pauvres l'argent du
Ibid.
320 LA LÉGENDE DORÉE
vase qu'il garda par devers lui. Pour tenir Heu de pré-
sent, il envoya à Timpératrice une écuellede boisdans
laquelle était un pain d'orge ; ce qu'elle reçut de bonne
grâce et dans la suite elle fit enchâsser cette écuelle
dans de l'argent.
Une fois encore, Timpéralrice l'invita à un dtner
que le saint accepta avec bonté. Or, comme il était
exténué par les jeûnes, la prière et les travaux, il se
fit conduire sur un âne depuis son logement jusqu'au
palais : mais pendant le repas, l'âne de saint Germaini
mourut. La reine, qui l'apprit, fit offrir à l'évêque ur
cheval extrêmement doux. Quand le saint l'eut vu, ià
dit : « Qu'on m'amène mon âne, parce que, comm^
il m'a amené, il me remènera. » Et allant vers ■
cadavre : « Lève-toi, dit-il, âne, retournons au logis.
Aussitôt l'âne se leva, se secoua, et comme s*"
n'avait éprouvé aucun mal, il porta Germain à scii
hôtellerie. Mais avant de sortir de Ravenne, Germa_
prédit qu'il n'avait plus longtemps à rester sur
terre. Peu de temps après, la fièvre le saisit et j
septième jour il s'endormit dans le Seigneur : soi
corps fut transporté dans les Gaules, selon qu'il l'ava/-
demandé à l'impératrice. 11 mourut vers l'an du
Seigneur 430.
Saint Germain avait promis à saint Eusèbe de con-
sacrer à sa place, quand il reviendrait, une église que le
saint évoque de Verceil avait fondée. Mais quand il eut
appris le trépas du bienheureux Germain, saint Eu-
sèbe fit allumer des cierges pour consacrer lui-même
son église. Or, plus on les allumait, plus ils s'étei-
gnaient. Eusèbe comprit par là que la dédicace devait
V
SAINT EUSÈBE 321
Are remise à une autre époque, ou bien qu'elle de-
^"aît être faite par un autre évêque. Mais lorsque le
^^orps de saint Germain fut amené à Verceil, et qu'on
' e^t fait entrer dans Téglise, à l'instant tous les
Cierges s'allumèrent par miracle. Alors saint Eusèbe
®^ souvînt de la promesse du bienheureux Germain,
^^ il comprit qu'il avait exécuté, après sa mort, ce
9* ^ ""il avait promis de faire étant en vie. Il ne faut pas
^*^*^ire qu'il soit ici question du grand Eusèbe de
rceil; celui-ci mourut du temps de Tempereur
lens, et il s*écoula plus de 50 ans depuis sa mort
J** -^^u'à celle de saint Germain. Ce fut sous un autre
*^^^ sèbe, qu'arriva ce qui vient d'être raconté.
SAIiNT EUSÈBE
eusèbe est ainsi appelé de eu, qui veut dire bien et, sebe,
■ signifie éloquence ou poste. Eusèbe s'interprète encore
a culte. En effet il fut rempli de bonté, en se sanctifiant,
loquence en défendant la foi, il resta à son poste en souf-
Qt le martyre avec constance ; et il rendit à Dieu un bon
Ite par le respect qu*il eut pour lui.
Eusèbe, qui conserva sa vir|çinité, n'était encore
^Ue catéchumène quand il fut baptisé par le pape
eusèbe qui lui donna son nom. A son baptême, on
"^it les mains des ançes le lever des fonts sacrés. Une
dame, qui s'était éprise de sa beauté, voulut entrer
dans sa chambre, mais elle en fut empêchée par les
anges qui le gardaient : alors elle vint le lendemain
matin se jeter à ses pieds et lui demander pardon.
II. 21
à
3ââ LA LÉGENDE DORÉE
Après avoir été ordonné prêtre, il brilla par une saii
teté telle que dans la solennité de la messe, on voya
les anges qui le servaient. En ce temps^à, cornu
rhérésie d'Ârius infectait Tltalie entière de ses po
sons, favorisée qu'elle était par l'empereur Com
tance, le pape Julien sacra Eusèbe évéque de Vei
ceil : c'était alors une des principales villes de l'Italie
A cette nouvelle, les hérétiques firent fermer tout
les portes de l'église ; mais Eusèbe étant entré da.
la ville, se mit à genoux à la porte de l'église prin -
pale dédiée à la bienheureuse Marie, et à l'instai
toutes les portes s'ouvrirent à sa prière, il chassa
son siège Maxence, évéque de Milan, qui était g-:^
par le poison de l'hérésie, et il établit en sa pbe
Denjs, fervent catholique. C'est ainsi qu'Eusèbe
Occident et Athanase eu Orient purgeaient l'Eglise
la peste des Ariens. Cet Arius était un prêtre d^-
lexandrio : il prétendait que le Christ était une pu
créature : il avançait ce qu'il était, quand il n'é€i
pas, et qu*il a été fait pour nous, afin que DieiE
servît de lui comme d'un instrument pour notre cré^
lion. Alors le grand Constantin fit célébrer le concîJ
de Nicée ou cette erreur fut condamnée. Arius fimX
quelque temps après, d'une mort misérable, car iî
rendit dans le lieu secret toutes ses entrailles et ses
intestins. * Constance, fils de Constantin, se laissa
corrompre aussi par l'hérésie ; c'est pour cela qu ir
rite grandement contre Eusèbe, il convoqua en concil
* Uurfiii, ///.s7. AVc/. liv. X; — Vincent de B., lîv. XV, c. xi
an 330.
SAINT EUSÊBE 323
«eaucoup d'évêques, et y manda Denys : il adressa
mainte et mainte lettres à Eusèbe qui, sachant que la
walice prévaut dans la multitude, refusa de venir et
s'excusa sur son grand âge. Alors pour lui enlever ce
prétexte, l'empereur décida que le concile serait célé-
brék Milan, qui était tout proche. Quand il vit que
Eiisèbe faisait encore défaut, il ordonna aux Ariens
de mettre par écrit leur croyance, il força Denys,
évêque de Milan, et trente-trois autres évoques de
souscrire à cette doctrine. Quand Eusèbe apprit cela,
ï' se décida à quitter sa ville pour venir à Milan et il
Pï'édit qu'il y serait exposé à souffrir beaucoup *.
Comme il était sur le chemin de Milan, il arriva
*^r le bord d'un fleuve ; une barque, qui était sur la
^^^e opposée, vint à lui, sur l'ordre qu'il lui en
^onna ; elle le transporta à l'autre rive, lui et ses
^^nipagnons, sans qu'il y eût aucun timonier. Alors
^^ysy dont il vient d'être question, alla à sa rencon-
^^ et se jeta à ses pieds pour lui demander pardon.
^^y comme Eusèbe ne se laissait fléchir ni par les me-
^^^es ni par les flatteries de l'empereur, il dit en
P^'^sence de toute l'assemblée : « Vous avancez que
'^ ï*^ils est inférieur au Père ; comment se fait-il donc
1^^ vous m'avez fait passer après mon fils et mon
d^^ciple? Or, le disciple n'est pas au-dessus du maître,
1^^ Vesclave plus que son seigneur, ni le fils au-dessus
à\x père. » Frappés par cette raison, ils lui présentè-
rent l'écrit qu'ils avaient fait et que Denys avait
^içné. Et il dit : « Je ne souscrirai pas après mon
* Bréviaire romain.
324 LA LÉGENDE DOREE
fils sur lequel je remporte en autorité ; mais brûlez
cet écrit y et faites-en un autre que je signerai, si vous
le voulez. » Et ce fut par une inspiration divine que
fut brûlé l'écrit que Denys et trente-trois autres évo-
ques avaient signé. Les Ariens écrivirent donc une
autre pièce, et la donnèrent à Eusèbe et aux autres
évèques pour la signer : mais sur ios exhortations
d'Eusèbe ils s'y refusèrent entièrement, et ils se féli-
citèrent de ce que la première pièce qu ils avaient été
forcés de souscrire eût été totalement brûlée. Cons-
tance irrité abandonna Eusèbe au bon plaisir des
Ariens. Alors ceux-ci le saisirent au milieu des évo-
ques, l'accablèrent de coups, et le traînèrent sur les
degrés du palais, du haut en bas, et depuis le bas
jusqu'en haut. Quoiqu'il perdît beaucoup de sang de
sa tète meurtrie, il n*en persista pas moins dans ses
refus ; alors, ils lui lièrent les mains derrière le dos
et le tirèrent par une corde attachée au cou. Quant à
lui, il rendait grâces à Dieu, en disant qu'il était prêt à
mourir pour confesser la foi catholique. Alors Cons-
tance fit conduire en exil le pape Libère, Denys,
Paulin cl tous les autres évèques qui avaient été en-
traînés i>ar l'exemple d'Eusèbe. Scylopolis, ville de la
Palestine, fut le lieu où les Ariens menèrent Eusèbe :
ils le renfermèrent dans une pièce si étroite qu'elle
était plus courte que sa taille, et plus resserrée que
son corps, en sorte qu'il était courbé au point de ne
pouvoir ni étendre les pieds, ni se tourner d'un côté
ou d'un autre. Sa tète restait baissée, et il pouvait
seulement remuer les épaules et les bras. Mais Cons-
tance étant mort, Julien, son successeur, désirant
LES SAINTS MACCHABÉES 325
plaire à tout le monde, fit rappeler les évêques exilés,
rouvrir les temples des dieux, et voulut que chacun
jouft de la paix sous la loi qu'il préférait choisir. Ce
Alt ainsi que Eusèbe, délivré de son cachot, vint trou-
ver Atlianase et lui exposer toutes les souffrances
qu*îl avait endurées. A la mort de Julien et sous
l'empire de Jovinien, les Ariens restant calmes, Eu-
sèbe revint à Verceil où le peuple le reçut avec des
(émoigpnages d*une vive allégresse. Mais sous le règne
de Valens, les Ariens, qui s'étaient multipliés de
nouveau, entourèrent la maison d^Eusèbe, l'en arra-
chèrent et après l'avoir traîné sur le dos, ils l'écrasè-
rent sous des pierres. Il mourut de celte manière
dans le Seigneur et fut enseveli dans l'église qu'il
avait construite. On rapporte encore que Eusèbe
obtint de Dieu par ses prières pour sa ville qu'aucun
Arien n'y pourrait vivre. D'après la chronique, il
vécut au moins 88 ans. Il florissait vers l'an du Soi-
t^neur 350.
LES SAINTS MACCHABEES
Les Macchabées furent sept frères, qui, avec leur
révérende mèreel leur père Eléazar. n'ayant pas voulu,
par respect pour la loi, manger de la viande de pour-
ceau, souffrirent des supplices inouïs, dont on [)eut
trouver un plus ample récit au 11^ livre des Maccha-
bées. Il faut remarquer que TEglise d'Orient célèbre
la fôte des saints de l'un et de l'autre Testament, tan-
dis que l'église d'Occident ne fait pas la fêle des
H. 21-
326 LA LÉGENDE DORÉE
saints de TAncien, par la raison qu'ils sont descen-
dus aux enfers. Il faut en excepter les Innocents,
parce que J.-C. a été tué dans chacun d'eux, et les
Macchabées. 11 y a quatre raisons pour lesquelles l'E-
glise fait la mémoire solennelle de ces derniers, bien
qu'ils fussent descendus aux enfers. La première est
qu'ils ont la prérogative du martyre. Ayant en effet
enduré des supplices inouïs parmi les saints de l'An-
cien Testament, il était juste qu'on célébrât la mémoire
de leur martyre. Cette raison est donnée dans Vllis-
ioire scholasiique. La deuxième est pour rappeler un
mystère. Le nombre septennaire est le nombre uni-
versel*. Dans les Macch'àbées sont représentés tous
les pères de l'Ancien Testament qui sont dignes de
réputation. En effet, bien que l'Eglise ne célèbre pas
leur fête, tant parce qu'ils sont descendus dans les
limbes, que parce qu'il est survenu une multitude de
nouveaux saints, cependant, dans ces sept martyrs,
elle montre le respect qu'elle a pour tous les autres,
puisque ce nombre sept, ainsi qu'il vient d'être dit,
est un nombre universel et général. La troisième est
pour offrir un exemple dans les tribulations. On les
propose comme un modèle aux fidèles, afin que la
constance de ces saints les anime de zèle pour la foi,
et les porte à souffrir pour la loi de l'Évangile,
■ X'oici ce que dit saiiil Augasliii au sujet du nombre sep-
tennaire (Cité de Dieu, lih. II, ch. xxxi). On pourrait s'étendre
beaucoup sur la perfection du nombre septennaire... Le pre-
mier nombre tout impair est trois, et le premier tout pair es!
«juatre; la summc des deux forme le nombre sept, qui est
souvent pris pour la t^éuéralilé des nombres.
SAINT PIERRE AUX LIENS 327
comme les Macchabées ont valeureusement combattu
pour la loi de Moïs^. La quatrième est tirée du motif
<ie leur martyre ; car ce fut pour la défense de leur loi
qu'ils endurèrent de pareils supplices, comme c'est
pour la défense de la loi évangélique que souffrent les
chrétiens. Ces trois dernières raisons sont celles que
M* Jean Beleth assigne dans sa Somme des offices,
chapitre v.
SAhNT PIERRE AUX LIENS *
La fétc qui est appelée de saint Pierre aux Liens fut, dil-ou,
instituée pourquatre raisons : i^ la délivrance de saint Pierre ;
2<* la délivrance d'Alexandre ; 3° pour rappeler la destruction
du rite des gentils et 4^ pour demander d'être délivré des liens
spirituels.
I. La délivrance de saint Pierre. D'après Vllisloire
scholastique**y Hérode Agrippa alla à Rome où il
vécut dans l'intimité deCaius, neveu de Tibère César.
Or, un jour, Hérode élant avec Caius sur un char,
dit en levant les mains au ciel : « Quel désir j'aurais
<ie voir mourir ce vieillard, pour que tu sois le maîtn»
de tout l'univers ! » Paroles qui furent entendues du
cocher d'Hérode et rapportées tout aussitôt par lui à
• Sur l'authenticité des chaînes de saint Pierre, conser-
vées à Rome dans Féglise de Saint-Pierre-aux-Liens, consul-
ter Cancellieri^ dans son ouvrage intitulé : De carcere Tulliano,
où sont consignés tous les témoignages sur lesquels repose
cette tradition.
** Actes, ch. Lvii.
328 LA LÉGENDE DOREE
Tibère. Tibère indigné fit en conséquence jeter Hérod*^'
en prison. Et un jour qu'il était appuyé contre un
arbre sur le feuillage duquel était perché un hibou ^
un de ses compagnons de captivité, habile dans la
science des augures, lui dit : « Ne crains rien, car
bientôt tu seras délivré, et tu seras élevé si haut que
tu exciteras contre toi l'envie de tes amis et tu mourras
dans cet état de prospérité. Mais quand tu verras au-
dessus de toi un animal de cette espèce, tu sauras dès
lors qu'il ne te reste que cinq jours à vivre*. » Quel-
que temps après Tibère meurt et Caius, élevé à l'em-
pire, délivra Hérode qu'il honora de la dignité de
roi de Judée. Quand celui-ci fut arrivé dans ce pays,
il employa son pouvoir à maltraiter quelques mem-
bres de l'Eglise. D'abord il fit mourir par l'épée Jac-
ques, frt*re de Jean, avant les jours de l'octave de
Pâques, ou l'on ne mangeait que des pains azymes.
Et voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit encore
prendre Pierre, dans le même temps, et le mit en pri-
son, avec le dessein de le faire mourir devant tout le
peuple, après la fête de Pâques. Mais l'ange du Sei-
gneur apparut miraculeusement à Pierre, le délivra
des chaînes qui le liaient et lui ordonna d'aller rem-
plir en toute liberté le ministère de la prédication.
Le lendemain, à l'occasion de l'évasion de saint Pierre,
Ilérode manda les gardes afin de les punir rigoureu-
sement. Il ne put cependant le faire, car la délivrance
de cet apôtre ne devait être pour qui que ce fût la
cause d'aucun mal; en effet, il fut obligé d'aller tout
* Histoire scholas tique.
SAINT PIERRE AUX LIENS 329
*le suite à Césaréé, où il expira sous le coup d'un
ange, Josèphe rapporte au XIX* livre des Antiquités
hdûïqiies, ch. viii, qu'arrivé à Césarée, où s'étaient
réunis les habitants de toute la province, Hérode,
revêtu d*un habillement magnifique, tissu d'or et d'ar-
çent, se rendit le lendemain au théâtre. Or, quand
'es rayons du soleil vinrent frapper sur son vêtement
'oui couvert d'argent, l'éclat du métal étincelant fai-
*^il vibrer, par la répercussion, sur les spectateurs,
*"ïe double lumière qui devait remplir d'effroi ceux
'f*Ji Tapercevaient, et par le moyen de cette artifi-
^*^Use erreur, on était porté à croire qu'il y avait en
**i quelque chose au-dessus de la nature humaine.
''^ l'instant, la foule des flatteurs se mit à s écrier :
^* ''xisqu'à présent, nous vous avions pris pour un
*^*Tinie, mais aujourd'hui nous déclarons que vous
^^^^ au-dessus de la nature humaine. » Or, tandis
*^*il se repaissait de ces flatteries, et qu'il acceptait
^^ieusement les honneurs divins qu'on lui voulait
^^dre, il leva la tête et vit assis sur une ficelle, au-
^ssus de sa tête un ange, c'est-à-dire un hibou, qui
^^ tîtait que le messager de sa mort prochaine. Alors
^^ se tourna vers le peuple et dit : « Moi, qui suis
^*olre Dieu, voici que je vais mourir. » Car il savait,
^l*après la prédiction de l'augure, qu'il mourrait dans
^inq jours. Alors il fut frappé, et pendant ces cinq
jours, il fut rongé par les vers et expira. Ce fut donc
en mémoire de la délivrance si miraculeuse du prince
(les apôtres, et de la vengeance si terrible qui fut in-
fligée immédiatement à ce tyran, que l'Église solen-
nise la fête de saint Pierre aux Liens. De là vient qu'à
330 LA LÉGENDE DOREE
la messe on chante Tépître où se trouve le récît de
cette délivrance ; il paraîtrait donc par là que Ton de-
vrait donner à cette fête le nom de saint Pierre des
Liens (c'est-à-dire délivré des liens).
Venons au second motif de l'institution de cette fête.
II. Le pape Alexandre qui gouverna TÉglise le
sixième après saint Pierre, et Hermès, préfet de la
ville de Rome, converti à la foi par Alexandre, étaient
détenus par le tribun Quirinus qui les enfermait en
des lieux différents : or, le tribun dit au préfet Her-
mès : « Je m'étonne qu'un homme, prudent comme
toi, renonce à Thonneur d'être préfet et rêve une autre
vie. » Hermès lui répondit : « Et moi aussi, il y a
quelques années, je me moquais de tout cela, et pen-
sais que cette vie est la seule. » Quirinus lui dit :
« Prouve-moi que tu es silr d'une autre vie et à l'ins-
tant, je serai un disciple de ta croyance. » Hermès
lui répondit : « Saint Alexandre, que tu retiens en
prison, l'enseignera cela lui-môme beaucoup mieux. »
Alors Ouirinus se mit à maudire Hermès et il ajouta :
« Je viens de te dire que tu me donnes des preuves
dt» ce (ju(* tu avances, et voici que tu me renvoies à
Alexandre que je retiens en prison à cause de ses
crimes. Pourtant, je doublerai le nombre de tes gardes
et de ceux d'Alexandre, et si je puis le trouver avec
toi ou bi(Mi loi avec lui, alors, j'ajouterai certainement
loi aux paroles et aux discours que vous me tiendrez
l'uTi el Taulre, » 11 fit ce ([u'il avait dit : or, Hermès en
prévint incoiUinent Alexandre. Celui-ci se mit donc
en prière; alors un aiii^e vint et le conduisit dans la
[>rison (rilermès. Quand Ouirinus les trouva ensemble.
SAINT PIERRE AUX LIENS 331
'J fui singulièrement surpris. Et Hermès racontant à
Quirinus comment Alexandre avait ressuscité son fils
qui était mort, Quirinus dit à Alexandre : « Ma fille
Balbine est goitreuse ; eh bien ! je te promets de me
soumettre à ta croyance, si tu peux obtenir la gué-
rison de ma fille. » « Va vite, lui répliqua Alexandre,
et amène-la-moi dans ma prison. » Quirinus lui dit :
« Puisque tu es ici, comment pourrai-je te trouver
dsiusta prison? » « Va vite, répartit Alexandre, parce
<iue celui qui m'a amené ici m'y ramènera lui-même
à Tinstant. » Quirinus alla donc mener sa fille à la
prison d'Alexandre, et en l'y trouvant, il se prosterna
à ses pieds. Alors sa fille se mit à baiser avec dévo-
tion les chaînes de saint Alexandre, afin qu'elle reçût
g^uérison. Alexandre lui dit : « Ma fille, cesse d'em-
brasser mes chaînes, mais cherche avec empressement
les carcans de saint Pierre, et en les baisant avec dé-
votion, tu seras guérie. » Quirinus fit donc chercher
avec soin les carcans dans la prison où saint Pierre
avait été détenu, et quand il les eut trouvés, il les
donna à baiser à sa fille. Elle ne l'eut pas plus tôt fait
qu'elle eut le bonheur d'être entièrement guérie. Qui-
rinus demanda pardon à Alexandre qu'il délivra de
prison, puis il reçut le baptême lui, sa famille -et beau-
coup d'autres encore. Saint Alexandre institua donc
cette fête aux calendes d'août, et il fit bâtir en l'hon-
neur de saint Pierre une église, où il déposa les chaînes
et la nomma l'église de Saint-Pierre-aux-Liens. En
cette solennité, il se fail un grand concours de peu|)le
à ladile église et on y baise ces chaînes.
III. D'après Bède, telle serait la troisième cause de
332 L\ LÉGENDE DOREE
i*instiiution de celte fêle. L'empereur Octave et An-
toine, qui étaient unis ensemble par alliance, se par-
tagèrent entre eux Fempire du monde entier; à Octave
échut, dans TOccident, Tltalie, la Gaule et TEspagne,
et Antoine, en Orient, eut l'Asie, le Pont et l'Afrique.
Or, Antoine qui était lascif et débauché, après avoir
épousé la sœur d'Octave, la répudia, pour épouser
C4léopâtre, reine d'Eg-ypte. Octave, indigné de cette
conduite, s'avança à main armée contre Antoine en
Asie et le défit partout. Alors Antoine et Cléopâtro,
vaincus, prirent la fuite, et poussés par le chagrin, ils
sp donnèrent la mort eux-mêmes. Octave abolit donc
le royaume d'Egypte et en fit une province romaine.
De là il alla à Alexandrie : il dépouilla cette ville de
toutes ses richesses et les fit transporter à Rome ; ce
qui apporta un tel bien-être dans la république que
l'on donnait pour un denier ce qui en valait quatre
auparavant. Et parce que les guerres civiles avaient
dévasté extraordinairement la ville, il la renouvela au
[)oint qu'il dit : « Je l'ai trouvée de briques, je la
laisse de marbre. » Il agrandit tellement la république
que ce fut le premier qui fui appelé Auguste, nom
<[ue retinrent ses successeurs à l'empire ; comme ce
fui encore de son oncle Jules-César que les empereurs
furent nommés César. Le peuple appela aussi de son
nom le mois d*aoûl, (jui auparavant se nommait Sex-
f ilis, car c'était le sixième mois depuis celui de mars-
Ce fut donc en mémoire et en Thonneur de la victoire?
qu'Auguste remporta le prenner août que tous les
Komains solennisaient ce jour, jusiju'à l'époque de
l'empereur Théodose (jui commença à régner l'an du
SAINT PIERRE AUX LIENS 333
Seigneur 426. Eudoxie, fille de ce Théodose et épouse
de Valentînîen, se rendit à Jérusalem pour accomplir
un vœu. Ce fut là qu'un Juif lui offrit, pour une somme
importante, les deux chaînes dont saint Pierre avait
été lié sous Hérode. Revenue à Rome aux calendes
d'août, et voyant les Romains célébrer une fête en
l'honneur d'un empereur qui était idolâtre, elle fut
affligée de ce qu'on rendait de si g^rands honneurs à
un homme damné : elle reconnut qu'il ne serait pas
facile d'abolir cette espèce de culte passé en coutume;
alors elle pensa à laisser subsister cet état de choses,
mais dans le but que la solennité aurait lieu en l'hon-
neur de saint Pierre, et que tout le peuple nommerait
ce jour la fêle de saint Pierre aux Liens. Après en
avoir conféré avec le saint pape Pelage, ils unirent
leurs efforts pour porter le peuple, par des exhorta-
tions flatteuses, à laisser dans l'oubli la mémoire du
prince des païens, pour faire une mémoire solennelle
du prince des apôtres. La proposition ayant obtenu
Tassentimcnt universel, Eudoxie fit connaître qu'elle
avait rapporté de Jérusalem les chaînes de saint Pierre
et les montra au peuple. Le pape, de son côté, produi-
sit la chaîne dont le même apôtre avait été lié sous
Néron. On les mit ensemble et alors eut Heu ce mi-
racle par lequel de ces trois chaînes, il s'en forma une
seule, comme si elle n'eût pas été composée de diffé-
rentes pièces*. En même temps, le pape et la reine
décidèrent que l'honneur rendu à un païen, qui était
damné, serait attribué à plus juste titre au prince des
• Bréviaire romain.
334 LA LÉGENDE DOREE
apôtres. Le pape donc avec la reine plaça les chaînes
dans Tëglise de Saint-Pierre-aux-Liens. Il rènrichlt de.
grands privilèges et institua que ce jour serait fêté
en tous lieux. Voilà ce que dit Bède. Sigebert rap-
porte la même chose*. On vit en Tan du Seigneur
969 combien grande était la puissance de cette chaîne :
car un comte, proche parent de l'empereur Othon,
fut saisi y aux yeux de tout le monde, par le diable d'une
façoii si cruelle, qu'il se déchirait avec les dents. L'em-
pereur ordonna alors qu'on le menât au pape Jean,
afin de lui entourer le cou avec la chahie de saint
Pierre. On lui mit d'abord au cou une autre chaîne
qui ne délivra pas le possédé, car il n'y avait en elle
aucune vertu ; enfin on prend la chaîne de saint Pierre
et on la met au cou dui furieux : mais le diable ne
put supporter le poids d'une si grande puissance, et
se retira aussitôt en jetant un cri affreux en présence
de tous les assistants **. Alors Théodose, évêque de
Metz, se saisit de la chaîne et assura qu'U ne la lâche-
rait qu'autant qu'on lui couperait les mains. Comme
il s'élevait à ce sujet une grave contestation entre
révoque et le pape avec les autres clercs, l'empereur
vint à bout d'apaiser le débat en demandant au pape
un anneau de cette chaîne pour l'évêque***. Miletus
raconte en sa chronique et le même fait se trouve
rapporté dans V Histoire tripartite **** y qix'ence temps
là, apparut en Épire un dragon énorme que Donal,
* Paul, diacre, fait aussi leméme récit dans une homélie.
*• Bréviaire romain.
*** Sigebert, Chronique.
**** Lib. IX, c. xLvi.
SAIXT PIERRE AUX LIENS 333
^véque d'une liaùle vertu, tua en lui crachant dans la
g^iieule : mais auparavant, le prélat avait fait avec les
doigis une forme de croix qu'il présenta aux yeux du
nionstre. Huit paires de bœufs purent à peine traîner
'e cadavre pour être brûlé ; car on craignait que Fair
'ï^ fût infesté par sa putréfaction. Le même auteur
"apporte au même endroit et on trouve aussi dans
t'IIistoire tripartile que le diable se montra dans la
^rète sous la figure de Moïse. Il rassembla de tous
^<^tés les Juifs qu'il conduisit vers un précipice affreux
^^près de la mer. Il leur promit qu'en se mettant d
^^^r tête, il allait les conduire à pied sec dans la terre
P**oinise, et en fit périr un nombre infini. D'où l'on
conjecture que le diable indigné se vengea ainsi d'eux,
parce que le Juif avait donné la chaîne de saint Pierre
* impératrice Eudoxie, et que les réjouissances faites
^"^ l'honneur d'Octave avaient été abolies. Bon nom-
^^ de ceux qui échappèrent reçurent avec empresse-
ment la grâce du baptême. Car comme ils roulaient
^^5 uns sur les autres du haut en bas de la montagne,
*^s premiers, déchirés sur les rochers à pic, furent
suffoqués en tombant dans la mer ; quant aux autres
qui voulaient les suivre, dans l'ignorance de ce qui était
arrivé aux premiers, des ptVheurs passant par là leur
apprirent l'accident qui avait fait pi»rir leurs frères,
et alors ils se convertirent. Ces faits sont tirés de
VUisloire tripartile.
IV. On peut encore assigner ici v\m quatrième cause
de l'institution de cette fêle. Le Seigneur délia mira-
culeusement saint Piern» de ses liens, et lui donna le
|)Ouvoir de lier et de déliîT : or, nous aussi nous soni-
336 LA LKGENDE DORÉE
mes retenus dans les liens du péché et nous ave
besoin d'être déliés. C'est la raison pour laquelle no
honorons le prince des Apôtres en celte solennité q
est dite aux liens, afin que comme il a mérité d'ét
délié de ses chaînes, et comme il a reçu du Seîgnei
le pouvoir de délier, de même aussi il nous délie dt
chaînes du péché. On peut se convaincre que ce fut 1
une raison de l'institution de cette fête pour peu qu'oi
remarque queTépître de la messe rappelle cette déli-
vrance, et que l'Évangile qu'on récite fait mémoire
du pouvoir accordé à saint Pierre de délier et d'ab-
soudre. En outre, dans l'oraison de la messe, on de-
mande, par rintercession de cet apôtre, que cette ab-
solution nous soit accordée. Par ce pouvoir des clefs
qu'il reçut, on voit qu'il délivre quelquefois ceux qui
mériteraient d'être damnés, ainsi que le rapporte le
livre des Miracles de la sainte Vierge. « Dans la ville
de Cologne, il y avait, au monastère de saint Pierre,
un moine léger, débauché et lascif. Une mort subite
le surprit, et les démons l'accusaient en faisant con-
naître ouvertement toutes les espèces de péchés qu'il
avait commis. Voici ce que l'un d'eux disait : « Je suis
la cupidité, par laquelle tu as souvent convoité contre
les commandements de Dieu. » Un autre criait : « Je
suis la vaine gloire par laquelle tu t'es élevé avec jac-
tance parmi les hommes. » Un autre : « Je suis le
mensonge et tu as commis le péché de mentir. » Et
ainsi des autres. D'un autre côté, quelques bonnes
œuvres qu'il avait faites l'excusaient en disant: « Je
suis robéissance que lu as témoignée à tes supérieurs
spirituels; je suis le chant des psaumes que tu assou-
SAINT ETIENNE, PAPE 337
'>?At chantés pour Dieu. » Alors saint Pierre, dont il
'ail le moine, vint trouver Dieu et intercéder pourlui.
c Seijsi^neur lui répondit : « Est-ce que ce n'est pas
oi qui ai inspiré le prophète lorsqu'il a dit : « Seigneur
qui est-ce qui habitera dans votre tabernacle ? C'est
oelui qui entre sans avoir de taches, etc. » Comment
lui-ci peut-il être sauvé, puisqu'il n'est pas entré ici
^Tis tache, puisqu'il n'a pas pratiqué la justice?»
lors saint Pierre se mit àprierpour lui avec la vierge
1ère, et le Seigneur porta cette sentence qu'il retour-
nerait dans son corps et qu'il y ferait pénitence. Aus-
sitôt donc, saint Pierre avec la clef qu'il tenait à la
iTiain effraya le diable et le mit en fuite. Il remit en-
suite Fâme de cet homme dans la main de quelqu'un
qui avait été moine dans le susdit monastère, avec l'or-
dre de la reconduire à son corps. Le moine lui demanda
'omme récompense de ce qu'il ramenait son âme, de
•éciter chaque jour le psaume Miserere meiy DeuSy et
le nettoyer souvent son tombeau des ordures qui s'y
rouvaient. Or, le moine, revenu à la vie, raconta à tout
e monde ce qui lui était arrivé.
SALNT ÉTIENxXE, PAPE*
Saint Etienne, pape, après avoir converti beaucoup
le gentils par ses discours et par ses exemples, et avoir
Jonné la sépulture à beaucoup de corps de martyrs,
* Bréviaire romain.
L'niVEMTION DE SAI.NT KTIKSSK, VHEMIER MARTYR 'i'Mi
talion et sa réunion. Son mvention eut lieu comme il
■uîl*; Un prêtre du territoire tic Jérusalem, appel-'î
laden, elle par Gennadc (cli. xlvi) au nombre des
hommes illustres, écrit lui-mâme qu'un vendredi,
comme il reposait à moitié endormi dans son lit, lui
apparut un vieillard, haut Je taille, beau de visage,
avec une longue barbe, revAlu d'un manteau bliim*.
aetBé de petites pierres précieusesencbiUssées dausl'or
en forme de croix, portant une chaussure recouverte
■ct'or à la surface. Il tenait à la main une bau;uette d'or
dont il toucha Lucien en disant: « Hftte-toi «le décou-
flltnr nos tombeaux, car nous avons été renfernu's dans
un endroit fort indécent. Va dire à Jean, évi^que de
Jérusalem, qu'il nous place dans un lieu honorable;
car, puisque la sécheresse et la tribulation désolent la
terre. Dieu, louché de nos prières, a décidé de pardon-
I ner au monde. » Le prêtre Lucien lui dit : u Seigneur.
qui êtes-vous ? h u Je suis, dit-il, Gamaliel qui ai
saint Paul, et qui lui ai ensci;^né la loi à mes
côté repose saint Etienne, qui a été lapidé
Juifs, hors de la ville, afin que son corps frtt dé-
ir les bêtes féroces cl les oiseaux. Mais celui
foi duquel ce saint martyr a versé son sang ne
lors avec grand res-
eiiseveli dau« ||^^^B||BU neuf que j'avais
ft avec moi, c'est
I trouver .I"'-
is de saint Pierre
indignes de
34() LA LEGENDE DORÉB
son action Tauraient tué, si les égards qu'ils avaient
pour nous ne les eussent retenus. Cependant ils lui
ravirent tous ses biens, le dépouillèrent de sa princi-
pauté du sacerdoce et le laissèrent à demi morl des
coups dont ils Taccablèrent. Alors je le menai dans
ma maison où il survécut quelques jours et quand il fut
mort, je le fis ensevelir aux pieds de saint Etienne. Il
y en a encore un troisième avec moi ; c'est Abibas,
mon propre fils, qui, à Tâge de 20 ans, reçut le bap-
tême en même temps que moi ; il vécut dans la virgi*
nité, et se livra à l'étude de la loi avec Paul, mon dis-
ciple. Quanta ma femme iEthéa et à mon fils Sélémias
qui ne voulurent pas croire en J.-C., ils n'ont pas été
digues de partager notre sépulture ; mais vous les trou-
verez ensevelis autre part, et leurs tombeaux sont
vides et nus. » A ces mots, Gamaliel disparut. Alors
Lucien s'éveillant pria le Seigneur que si cette vision
avait un fondement de vérité, elle se renouvelât une
seconde et une troisième fois. Or, le vendredi suivant,
Gamaliel lui apparut comme la première fois, et lui
demanda pourquoi il avait négligé de faire ce qu'il
lui avait recommandé : « Non, seigneur, répondit-il,
je ne l'ai pas négligé, mais j'ai prié le Seigneur que si
cette vision venait de Dieu, elle se renouvelât trois
fois. )) Et Gamaliel lui dit: « Puisque vous avez réflé-
chi à quel signe, si vous nous trouviez, vous pourriez
distinguer les reliques de chacun en particulier, je vais
vous donner un emblème au moyen duquel vous re-
connaîtrez noscercueils et nos rehques. » Etil lui mon-
tra trois corbeilles d'or et une quatrième d'argent,
dont l'une était pleine de roses rouges et deux autres
l'invention de saint ETIENNE, PREMIER MARTYR 341
de roses blanches. Il lui montra aussi la qualriènie
pleine de safran. Alors Gamaliel ajouta : Ces corbeilles
sont nos cercueils et ces roses sont nos reliques. La
corbeille pleine de roses rouges est le cercueil de saint
Etienne qui, seul d'entre nous, a mérité la couronne
du martyre ; les deux autres pleines de roses blanches
sont les cercueils deNicodèmeet de moi, comme ayant
persévéré d'un cœur sincère dans la confession de J.-C.
Pour la quatrième d'argent qui est pleine de safran,
c'est le cercueil d'Abibas, mon fils, dont la virginité fut
éclatante et qui sortit pur de ce monde. » Ayant dit
ces paroles, il disparut de nouveau. Le vendredi de la
semaine suivante, Gamaliel lui apparut avec un visage
irrité et le réprimanda gravement de ses délais et de
sa néghgence. Aussitôt Lucien alla à Jérusalem et ra-
conta à Tévèque Jean Tensemble de tout ce qu'il avait
vu. On fit venir d'autres évêques et on se dirigea vers
l'endroit indiqué à Lucien ; et dès qu'on se fut mis en
train de fouiller, la terre trembla et Ton ressentit une
odeur très suave, dont l'admirable parfum guérit, par
les mérites des saints, soixante et dix hommes affli-
içés de diverses maladies. Or, ce fut ainsi que Ton porta
en l'église de Sion de Jérusalem, et où saint Etienne
avait exercé ses fonctions d'archidiacre, les reliques de
ces saints au milieu de la joie publique, et qu'on les
y ensevelit avec les plus grands honneurs. A cette heure-
là même, il tomba une grande pluie. Bède, en sa chro-
nique, fait mention de cette vision et de cette invention.
Cette invention de saint Etienne eut lieu le jour
même qu'on célèbre son martyre et Ton dit ({ue ce
martyre arriva aujourd'hui. Mais ces fêtes furent chan-
342 LA LÉGENDE DOREE
gées de jour par l'Eglise pour deux motifs. Le pre-
mier, parce que J.-C. naquil ici-bas, afin que Thomme
naquit au ciel. Or, il était convenable que la nativité
de J.-C. fût suivie du natalice de saint Etienne qui le
premier souffrit le martyre pour J.-C, ce qui n'est au-
tre chose que naître au ciel, afin de montrer par là
que l'un était la conséquence de l'autre : aussi c'est la
raison pour laquelle l'Eglise chante dans l'office' de ce
jour* : « Hier, le Christ est né sur la terre, afin qu'au-
jourd'hui Etienne naquît dans le ciel. » Le second mo-
tif est que le jour de l'Invention se fêtait plus solen-
nellement que celui de son martyre, et cela par respect
pour le jour de Noël, et à cause des miracles nom-
breux que le Seigneur opéra lors de l'Invention. Mais
parce que le martyre l'emporte sur l'Invention, et
qu'iljdoit être célébré plus solennellement, c'est pour
cela que l'Eglise a transféré la fête du martyre à cette
époque où Ton pourrait lui rendre de plus grands
honneurs. — Saint Augustin rapporte que sa transla-
tion eut lieu comme il suit. Alexandre, sénateur de
Constantinople, alla avec sa femme à Jérusalem et fit
construire un oratoire magnifique en l'honneur de
saint Etienne, premier martyr ; il vouluty être enterré
auprès du corps de ce saint. Sept ans après sa mort,
Julienne, sa femme, ayant résolu de revenir dans sa
patrie à cause de certaines injures qu'elle endurait
(les princes, voulut remporter le corps de son mari.
Après bien des instances auprès de l'évêque, celui-ci
lui montra deux cercueils d'argent et lui dit : « Je ne
'' Leçons du 2« oocturoe.
I-'^NVENTION DE SAINT ETIENNE, PREMIER MARTYR 343
^aîs quel est celui de voire mari. » « Je le sais, répon-
dît-elle. » Et elle se jeta pour Tembrasser, mais elle
«nnbrassa le corps de saint Etienne, qu'elle prit pour
celui de son mari. Lorsqu'elle se fut embarquée avec
"^ corps, les anges font entendre des cantiques, une
odeur suave se répand, les démons crient et suscitent
**>^e tempête affreuse en disant : « Malheur à nous,
car le premier martyr Etienne passe et nous fait endu-
^^^ Un feu cruel! m Or, comme les matelots craignaient
"u naufrage, on invoqua saint Etienne qui apparut et
"*^ : « C'est moi, ne craignez point. » A Tinstant, un
K'^^ud calme s'ensuivit. Alors on entendit les voix des
"^Uîons qui criaient : « Prince impie, monte sur ce
^^isseau, parce que notre adversaire Etienne y est. »
Alors le prince des démons envoya cinq démons pour
"^^ttre le feu au vaisseau; mais Fange du Seigneur les
^''^S'ioutit au fond de la mer. Quand on fut arrivé à
■^^Icédoine les démons se mirent à crier : « Il arrive
^ Serviteur de Dieu, qui a été lapidé par les méchants
* '^^fs. » On arriva sain et sauf à Constantinople, et on
^^^evelit avec grand respect le corps de saint Etienne
"^^s une église. (Saint Augustin.) * — La réunion du
^^^s de saint Etienne avec celui de saint Laurent se
fi*-
comme il suit : Eudoxie, fille de l'empereur Théo-
^^^e, fut cruellement tourmentée par le démon. Or, ce
^Iheur fut annoncé à son père comme il étaitàCons-
^^tinople, et il s'y fit amener sa fille, afin qu'on la
^Vjchât aux reliques du très saint Etienne, premier
'^^rtyr. Mais le démon criait en elle : « Si Etienne ne
Martyrologe romain y au 7 mai.
344 LA LÉ6ENQE DOR^E
vient à Rome, Je ne sortirai pas, car telle est la volobté
de Pàpôtre. » Quand l'empereur apprit cela, 0 obtint
du clergé et du peuple de C. P. qu'ils donneraient
aux Romains le corps de saint Etienne et qu'ils rece-
vraient eux-mêmes le corps de saint Laurent. Alors
Fempereur écrivit à ce sujet au pape Pelage, qui, de
Tavis des cardinaux, consentit à la demande de Tem-
pereur. On envoya donc des cardinaux à C. P. pour
y porter le corps de saint Etienne, et des Grecs vinrent
à Rome pour recevoir celui de saint Laurent. Le corps
de saint Etienne arriva à Capoue, et sur les pieuses
prières des Capouans, on leur donna le bras droit du
saint en l'honneur duquel on bfttit Téglise métropoli-
taine. Quand on fut arrivé à Rome, et qu'on voulut
porter le saint corps à l'église de Saint-Pierre-aux-
liens, les porteurs s'arrêtent et ne peuvent avancer
plus loin ; alors le démon se mit à crier dans la jeune
fille : « Vous avez beau faire, ce n'est paâ là, mais
.c*est auprès de son frère Laurent qu'il a choisi sa
place. » On y porta donc le corps ; et quand Eudoxie
l'eut touché, elle fut délivrée du démon. Mais saint
Laurent, comme s'il se fût félicité de l'arrivée de son
frère, lui sourit et se retira de l'autre côté du tombeau
dont il laissa le milieu vide pour faire place à son
frère. Quand les Grecs se furent approchés pour em-
porter saint Laurent, ils tombèrent par terre comme
s'ils eussent été privés dévie : alors le pape, le clergé
et le peuple prièrent pour eux, et ce ne fut qu'à peine
si le soir, ils revinrent à eux-mêmes; tous cependant
moururent dans les dix jours suivants. LesLatinseux-
mémcs, qui avaient consenti à cela, tombèrent en fré-
i
^.'invention de saint étienxe, premier martyr 34"»
nësîe et ne purent être guéris qu'après que les corps
des saints eussent été ensevelis ensemble. Alors cette
*'oix du ciel se fit entendre : « O bienheureuse Rome,
<l^î i>ossèdes, dan.^ un même mausolée, ces précietix
restes, les corps de saint Laurent l'Espagnol, et de
s^îni Etienne de Jérusalem. » Cette réunion se fît aux
ï^ones de mai, vers l'an du Seigneur 423.
Saint Augustin, au livre XXII de la Cité de Dieu,
^^pporle la résurrection de six morts duc à l'invoca-
tion de saint Etienne. C'est d'abord un homme gisant
^ort, on lui avait déjà lié les pouces : on invoque sur
^^i le nom de saint Etienne, et à l'instant il ressuscite.
C'est encore un enfant écrasé par un char : sa mère
le porte à l'église de saint Etienne et elle le reçoit
vivant et sans trace de blessure. C'est une religieuse
qui étant à l'extrémité avait été portée à l'église de
saint Etienne ; elle y rendit le dernier soupir ; et voici
qu'aux yeux de tout le monde effrayé, elle ressuscite
guérie. A Hippone, c'est une jeune fille dont le père
avait apporté la robe à l'église de saint Etienne ; quel-
ques instants après il jette cette robe sur le corps de
celte jeune fille qui était morte ; et tout à coup elle est
rendue à la vie. C'est un jeune homme, dont le corps,
après avoir été oint dans de l'huile de saint Etienne,
ressuscite aussitôt. C'est un enfant qui fut porté mort
à Téglise de saint Etienne et quand on eut invocpié le
saint, à l'instant il est rendu à la vie. Voici comment
s'exprime saint Augustin au sujet de ce saint : <( Gama-
liel, à la brillante étole, révéla le corps de ce martyr,
Saul converti le loua, J.-C. enveloppé de langes l'en-
richit et lui mit une couronne de pierres précieuses. »
346 LA LÉGENDE DOREE
II dit ailleurs : « Dans Etienne brilla la beauté d
corps, la fleur de l'âge, l'éloquence de Torateur, 1
sagesse éclatante de Tesprit et l'opération divine, r^-
Il dit encore : « Cet homme de Dieu fort comme un
colonne, alors qu'il était retenu comme avec des tenail-
les au milieu de ceux qui le lapidaient de leurs mains,
était fortifié par la foi, et brûlait pour elle; on le
frappait et il s'élevait ; on l'étreignait, et il grandis-
sait; on le meurtrissait et ne se laissait pas vaincre. »
Sur ces paroles Dura cevvice (Actes) : « Il ne flatte
pas, mais il invective ; il ne touche pas, il provoque ;
il ne tremble pas, mais il excite », c'est encore saint
Augustin qui dit : « Considérez saint Etienne servi-
teur de Dieu au même titre que vous : c'était un
homme comme vous : il était de la race des pécheurs
comme vous ; il fut racheté au même prix que vous ;
et quand il fut diacre et qu'il lisait l'Évangile, le
même que vous lisez ou que vous écoutez il y trouva
ces mois : (( Aimez vos ennemis » ; maxime que l'étude
lui apprit et que l'obéissance lui fit pratiquer. »
SAINT DOMINIQUE *
Dominicus signifie gardien du Seigneur, ou bien gardé
par le Seigneur. Ou bien il s'appelle Dominique, selon l'éty-
• La vie de saint Dominique est rapportée ici telle que Tout
écrite cinq auteurs contemporains. Ce sont Thierry d*Apolda,
(Constantin, évêque d'Orvietto, Barthélemî, évèque de Trente,
le père Humbert, etc. Le père Mamachi a réuni dans le livre
des Annotes de son ordre les preuves des miracles racontés
en cette légende.
m SAINT DOMINIQUE 347
g ^ologie naturelle de ce nom qui est dominus, seigneur. Or, il
■ ^st appelé gardien du Seigneur, en trois manières : il fut gar^
I "ieii de l'honneur du Seigneur, et ceci regarde Dieu, il fut le
^ lydien de la vigne, ou du peuple du Seigneur et cela regarde
'^ J^Fochain; et il fut le gardien de la volonté du Seigneur,
^•* des préceptes du Seigneur, ce qui le regarde lui-même.
*^** second lieu, il est appelé Dominique, c'est-à-dire gardé
P^** le Seigneur, car le Seigneur le garda dans les trois étals
^^^^ il vécut. D'abord laïc, en second lieu, chanoine régulier ;
^^ ^n troisième lieu, homme apostolique : car dans le prc-
''^^ frétât, il fut gardé de Dieu qui le fit commencer de ma-
'^•^^^le à mériter des louanges; dans le second, il le fit avancer
"^ ^^s la ferveur, et dans le troisième., il le fit atteindre à la
P^ ^^'fection. En troisième lieu, Dominique vient de Dominus,
*^ ^ on l'étymologie naturelle. Or, Dominus, signifie qui donne
"^^*' menaces, ou qui donne moins, ou qui donne avec munifi-
^^^^=^. ce.De même saint Dominique donna, c'est-à-dire pardonna
le^^ menaces en ne tenant pas compte des injures qu'on lui
*^ ^^^essait ; il donna moins en se macérant le corps, parce
^^"-^ il donna toujours à son corps moins que le nécessaire. Il
^^-^ ■^na avec munificence, en engageant sa liberté, car non
f^ ^-^ lement il donna tous ses biens aux pauvres, mais encore
** "^'"oulut se vendre lui-même plusieurs fois.
iDominique, chef et fondateur illustre de Tordre des
ï^ **^res-Prêcheurs, naquit en Espagne, dans la ville
^^ Calaruega, au diocèse d'Osma. Son père se noni-
ï^^^it Félix et sa mère Jeanne. Avant sa naissance, sa
^^^re vit en songe qu'elle portait dans son sein un
'it chien tenant dans sa gueule une torche allu-
avec laquelle il embrasait tout Tunivers. Quand
^*le l'eut mis au monde, une dame qui l'avait levé des
^^nts sacrés du baptême crut voir sur le front du
p^tit Dominique une étoile très brillante qui éclairait
l^ule la terre. Tout petit enfant et confié aux soins
^'une nourrice, on le surprit souvent quitter son lit et
348 LA LÉGENDE DOREE
se coucher sur la lerre nue. Envoyé à Palerme pour
faire ses études, par amour de la science qu'il devait
acquérir, il ne goûta pas de vin pendant dix ans. Une
famine affreuse ravageant le pays, il vendit ses livres
ainsi que ses meubles et en donna l'argent aux pau-
vres. Sa renommée était déjà grande, quand l'évèque
(l'Osma le fit chanoine régulier dans son église, et
peu de temps après, devenu miroir de vie pour tous,
ses confrères le nommèrent sous-prieur. Or, le jour el
la nuit, il vaquait à la lecture et à l'oraison, priant
assidûment le Seigneur de daigner lui donner la grâce
de s'employer tout entier au salut du prochain. Il
lisait avec le plus grand zèle les conférences des Pè-
res, et atteignit par là au comble d'une haute perfec-
tion. En allant à Toulouse avec son évêque, il trouva
son hôte infecté du poison de l'hérésie, et il le conver-
tit à la foi de J.-C. Ce fut, pour ain§i dire, la pre-
mière gerbe de la moisson qu'il présenta au Seigneur.
On lit dans les Gestes du comte de Montforl*, qu'une
fois saint Dominique, ayant prêché contre les héréti-
([ues, mil par écrit le texte des autorités qu'il avait
ex[)osées, et donna ce papier à l'un d'eux afin qu'il pût
examiner les objections. Or, cette nuit-là, les hérétiques
s'élanl réunis auprès du feu, cet homme leur montra le
papier qu'il avait reçu. Ses compagnons lui dirent de
le jeter au feu, que s'il arrivait qu'il brûlât, leur créance,
ou plutôt leur perfidie serait véritable, et que si le
feu l'épargnait, ils proclameraient que la foi de l'Eglise
romaine est vraie. Lepapierest doncjetéau feu; quand
''' l*iorre de Vaux-Ceriiay, c. vu; — Thierry dWpolila.
SAINT DOMINIQUE 349
il fut resté quelques moments sur le brasier, il en
rejaillit de suite sans avoir été brûlé. Au milieu de la
surprise causée par ce prodige, un plus opiniâtre que
tous les autres dit : « Qu'on le jette une seconde fois,
de cette manière Texpérience sera pleinement confir-
mée et nous saurons sûrement de quel côté se trouve
la vérité. » On jette le papier une seconde fois, el
une seconde fois il rejaillit sans avoir été brûlé. Le
même auteur dit encore : « Qu'on le jette de nou-
veau, et alors nous connaîtrons un résultat qui ne
laissera plus place au doute. » On le jette une troi-
sième fois, et il rejaillit de nouveau entier et sans
trace de feu. Mais ces hérétiques restèrent dans leur
endurcissement et s'engagèrent, par les serments les
plus stricts, à ne pas publier le fait. Cependant, un
soldat qui se trouvait là et qui avait un certain alla-
chement pour notre foi, raconta ce miracle plus lard.
Or, ceci se passait à Montréal. On raconte que quel-
que chose de semblable arriva à Fangeaux, après une
discussion solennelle qui y eut lieu contre les héré-
tiques.
Les autres retournèrent chez eux, et Tévêque d'Osma
mourut; saint Dominique resta donc presque seul à
annoncer la parole de Dieu avec constance contre les
hérétiques*. Or, les adversaires de la vérité Tinsui-
taient, en jetant sur lui de la boue, des crachats et
autres ordures, et lui attachant par derrière de la
paille en signe de dérision. Et comme ils menaçaient
* Vincent de Beauvais, Hist., liv. XXX, c. x; — Constantin
d'Orviètc, Vie, n- 12.
350 LA LÉGENDE DOREE
(le lé tuef , il répondit avec intrépidité : « Je ne s
pas di^ne de la gloire du martyre; je n'ai pas enco
mérité ce genre de mort. » C'est pourquoi il pa
par le lieu où on lui avait dressé des embûches, et
marchait, non seulement sans crainte, mais en chan^
tant et avec un visage gai. Ses ennemis, étonnés, lu^
dirent : « Tu n'as donc pas peur de mourir? Qu'au-
rais-tu fait, si nous nous étions saisis de ta personne ? »
Dominique répondit : o Je vous aurais prié de ne pas
me porter, du premier coup, des blessures mortelles ;
mais de me mutiler tous les membres, un à un, en-
suite de placer sous mes yeux chacun des morceaux
que vous m'auriez coupés ; puis de m'arracher les
yeux, et en dernier lieu de laisser mon corps, à moitié
mort et tranché en lambeaux, se rouler dans son sang;
ou bien encore de me faire mourir comme il vous
aurait plu. » Ayant rencontré un homme qui, pressé
par une grande détresse, s'était uni aux hérétiques,
il résolut de se vendre lui-même, afin qu'avec cet
argent, qu'il aurait tiré de sa personne, il mît fin à
cet état de détresse, en même temps qu'il délivrerait
cet homme vendu à l'erreur. Et il eût exécuté son
dessein, si la miséricorde divine n'eût pourvu d'une
autre manière au soulagement de cette misère*. Une
autre fois encore, une femme vint lui exposer avec
larmes que son frère était retenu captif chez les Sar-
rasins, en lui faisant l'aveu qu'il ne lui restait aucun
moyen de le délivrer. Alors saint Dominique, touché
(Tune vive compassion, s'offrit lui-même pour être
Ibid,
SAINT DOMINIQUE 351
vendu afin de racheter le captif; mais Dieu ne li»
permît pas. Il avait prévu qu'il était plus nécessaire
pour le rachat spirituel d'un grand nombre de captifs.
H était logé dans les environs de Toulouse, chez cer-
taines femmes, qui, sous prétexte de paraître dévotes,
s étaient laissé séduire par les hérétiques ; alors Domi-
l^ique, afin de rabattre un .clou par un autre clou,
J^ûna, avec le compagnon qui lui était adjoint, pen-
<J^ni tout le carême, au pain et à Teau fraîche, se
*^vanl la nuit, et quand il était accablé par la fatigue,
s^ couchant sur une table nue. Il réussit, parce moyeu,
'^ ramener ces femmes à la connaissance de la vérité.
Peu après, il commença à songer à Tinstitution de
^n ordre, dont la mission devait être de parcourir le
'Donde en prêchant et de protéger la foi catholique
contre les attaques de l'hérésie. Après être resté dans
la province de Toulouse l'espace de dix ans, à comp-
ter de l'époque où il quitta l'évêque d'Osma, jusqu'au
concile de Lalran, il alla à Rome pour ce concile
général avec Foulques, évêque de Toulouse, et demanda
au souverain pontife Innocent III, pour lui et ses suc-
cesseurs, la confirmation de l'ordre qui serait appelé
et qui serait effectivement les Prêcheurs. Le pape se
montra d'abord un peu difficile; mais une nuit, il vil
en songe l'église de Latran menacée d'une ruine sou-
daine. Comme il regardait cela avec effroi, voilà saint
Dominique qui se présente de l'autre côté, soutenant
avec les épaules tout cet édifice chancelant. A son
réveil, le pontife comprit le sens de la vision et accueil-
lit avec joie la demande de Thomme de Dieu; puis il
Texhorta, quand il serait de retour auprès de ses
352 LA LEGENDE DOREE
frères, à choisir une des règles déjà approuva
qu'après cela il revînt le trouver et qu'il en obtiendi
la confirmation, comme il le désirait. A son retoi
Dominique communiqua à ses frères ce que lui avî
dit le Souverain Pontife. Or, les Frères étaient en^
ron au nombre de seize ; ils invoquèrent TEsprit-Saii
et choisirent, à l'unanimité, la règle de saint Augu^
lin, docteur et prédicateur éminent, puisque eux-mêm^^
devaient être des prédicateurs d'effet et de nom ; ils;^
ajoutèrent quelques pratiques de vie plus sévères "^
qu'ils résolurent d'observer sous forme de constitu-^ '
lion. Sur ces entrefaites, Innocent mourut, et Hono--^
rius, son successeur au souverain pontificat, confirma ^
l'ordre, l'an du Seigneur 1216. Comme saint Domi-^
nique priait à Rome dans une église de saint Pierre,
pour la dilatation de son ordre, il vit venir à lui les
glorieux princes des apôtres Pierre et Paul ; le pre-
mier, c'est-à-dire saint Pierre, semblait lui donner un
bâton, et saint Paul un livre, en lui disant : (c Va
prêcher, parce que tu as été choisi de Dieu pour rem-
plir ce ministère. » Et il lui sembla, en un clin d'œil,
qu'il voyait ses fils dispersés par tout l'univers, et
marchant deux à deux*. C'est pour cela qu'à son
retour à Toulouse, il envoya ses frères de côté et
d'autre, les uns en Espagne, quelques-uns à Paris,
et d'autres à Bologne. Quant à lui, il revint à Rome.
Avant l'institution de l'ordre des Prêcheurs, un
moine fut ravi en extase et vît la sainte Vierge à ge-
noux, les mains jointes, priant son Fils pour le genre
* Humbert, Vie, n« 26
SAINT DOMINIQUE 333
"Umaiii. Il repoussait bien souvent sa pieuse mère ;
^nfîn comme elle insistait, il lui parla ainsi : « Ma
Mère, que puîs-je et que dois-je faire de plus? J'ai
envoyé des patriarches et des prophètes, et peu
d'hommes se sont amendés. Je suis venu vers eux,
ensuite j'ai envoyé des apôtres, et ils m'ont tué et les
apôtres aussi. J'ai envoyé des martyrs, des confesseurs
et des docteurs, et ils n'ont point eu confiance en
eux: cependant comme il n'est pas juste que je vous
'"cfuse quoi que ce soit, je leur donnerai mes Prêcheurs,
par lesqufslsils pourront s'éclairer et se purifier ; sinon,
J^ viendrai contre eux. » Un autre eut une vision
semblable, dans le temps que douze abbés de l'ordre
d^ Citeaux furent envoyés à Toulouse contre les héré-
^•ques. Car le Fils ayant répondu à sa mère comme il
^■^ni d'être rapporté ci-dessus, la sainte Vierge dit:
^ Mon bon Fils, ce n'est pas d'après leur malice, mais
^ siprès votre miséricorde que vous devez agir. » Alors
'^ Pils vaincu par ces prières dit : « Je leur accorderai
^ï^core cette miséricorde selon votre désir ; je leur en-
^'^ï*rai mes Prêcheurs pour les avertir et les former ;
^^ s'ils ne se corrigent point, je ne les épargnerai plus
^^vantage.» Un frère Mineur, qui avait été longtemps
*^ <îoinpagnon de saint François, raconta ce qui suit à
plusieurs frères de l'ordre des Prêcheurs : A Tépoque
où Saint Dominique était à Rome en instance auprès
^^ pape pour obtenir la confirmation de son ordre,
^^^ nuit qu'il était en oraison, il vit en esprit J.-C.
daas les airs, tenant à la main trois lances qu'il bran-
dissait contre le monde. Sa mère s'empressa d'accourir,
cl lui demanda ce qu'il voulait faire. Et il dit: « Ce
H. 23
334 LA L.È
monde que voici estrempJitoutentierdfLniîsvicL-s: l'ur-
gueil, la concupùoence et l'avarice; voilà pourquoi jr
veux le détruire avec ces trois laiiocs. » Alors la Vicrirc
lui dit en se jetantà ses «enouv : « Très cber Fîia, ayez
pitié et tempérez votre justice par vuLre miséricorde. »
J.-C. reprit: « EsV<t que vous ne xoyez pas toutes
les injures dont on m'uulrH^c? » Elle lui dit : « Apaiser
votre fureur, mon fils, <■! attendez un peu ; car j*ai un
fidèle serviteur, un chumpton Intri^pidc? qui parcourra
le monde, le vaincra ri lo soumpllra i^ voire domi-
nation. Je lui donnerai misai un autre serviteur pou-^
l'aider et pour combattre lidèlemcnt avec lui. u Le Fift^-^
lui répondit: « Voici que je suis apaisé j j'ai rci^^u
favorablement votre rcqu(!le; mais je voudrais IW^^n
voir ceux que vous Voulez destiner à une si gran -~^e
entreprise. » Alors eUe préscnUi à J.-C. saint Dor— »ii.
nique. J.-C lui dit : « Vraiment, c'est un bon ei in-
trépide champion, et il s'acquittera avec zèle de ce c^ up
vous avez dit. » Elle lui présenta en même temps s» ïai
François et J.-C. lui accorda les mêmes éloges qii an
premier. Or, saint Dominique regarda attentivemeol
son compag'uon durant sa vision, et le lendemain
l'ayant trouvé dans l'église, sans l'avoir jamais vu,
sans le secours de personne pour le lui indiquer, il le
reconnut d'après son rêve. Alors se jetant dans ses
l)ras, il l'embrassa ave4- piété en disant : « Vous êtes
mon compagnon ; vous courrez la même carrière que
moi ; restons unis ensemble, et aucun adversaire ne
triomphera. » Saint François lui raconta qu'il avait
eu exactement la même vision : et depuis cet instant,
il n'y ent plus en eux qu'un seul cœur et une seule
SAINT DOMINIQrK 335
Unie ; union qu'ils recommandèrent à leurs descendants
d'observer à perpétuité *.
Il avait reçu dans l'ordre un novice de la Fouille:
Quelques-uns des compagnons de ce novice le perver-
tirent au point, qu'ayantrésolu de rentrer dans le siècle,
il demandait ses habits de toutes les manières qu'il
pouvait. Saint Dominique, qui en fut informé, se mit
aussitôt en prière. Or, comme on avait dépouillé ce
jeune homme de ses habits religieux et qu'on l'avait
déjà revêtu de sa chemise, il se mit à pousser de grands
cris et à dire : « Je brûle, je suis enflammé, je suis tout en
feu ; ôtez, ôtez cette chemise maudite qui me brûle de
Coûtes parts. » Il n'eut aucun repos qu'il ne se fût dé-
pouillé de la chemise et qu'il n'eût revêtu ses habits de
religieux, enfin qu'il ne fût rentré dans le cloître. Saint
Dominique était à Bologne quand, après la rentrée du
frère au dortoir, le diable se mit à tourmenter un con-
vers. Frère Reynier de Lausanne son maître en ayant
été informé, s'empressa d'en faire part à saint Domi-
nique. Alors celui-ci fit mener le frère à l'église devant
l'autel. Ce fut à peine si dix frères purent le trans-
porter. Saint Dominique lui dit: « Je t'adjure, misé-
rable, de me dire pourquoi tu tourmentes une créature
de Dieu; et pour quel motif, et comment tu es entré
ici. » Il répondit: « Je le tourmente parce qu'il l'a
mérité : car hier il a bu dans la ville, sans la permis-
sion du prieur, et avant de faire le signe de la croix.
Alors je suis entré en lui sous la forme d'un moucheron
ou plutôt il m'a avalé avec le vin. » Or, le fait est que cet
* (iëranl de Fr.iche!, I. î, c. i.
itCiti l.\ I.ÛiENDE nORÉE
liomnii' avail vraîmeiil hu. Sur ces eiilrcfaîlcs sunna le
[iri;iiiier coii[> de malines. En l'entendant, te diable,
qui parlait en lui, dit: « Maintenant je ne puis rester
plus longtemps ici, puisque voici les encapuchonnés
qui se lèvent. » Ce fut ainsi qu'il fut forcé de sortir
parla prière de saint Dominique. Un jour, il passait
un fleiive dans les environs de Toulouse; ses livTcs,
que personne ne soignait, tombèrent dans l'eau. Trois
jours après, un pêcheur, qui avail jeté son hameçon
au même endroit, croyant avoir pris un gros poisson,
ne ramena que ces livres; mais ils étaient intacts
comme s'ils eussent été gardés avec le plus grand soîn
dans une armoire. Il arriva à un monastère alors que ;
les frères reposaient, il ne voulut pas les troubler; ^
mais il fit une prière et il entra avec son compagnon,^
dans le raonaslère, les porles étant fermées*. Laas
même chose eut lieu une autre fois qu'il allait avein»
un convers cistercien pour combattre les hérétiques. ;
Arrivés sur le soir à une église, dont les portes étaîenV'
fermées, saint Dominique ayant fait une prière, ils se^
trouvèrent subitement dans l'intérieur de l'église, oiMl
ils passèrent toute la nuit enoraison. Après une longuir
marche, avant d'entrer dans l'hôlellerie, il avait cou-
tume d'apaiser sa soif  quelque fontaine, aBn qu'on
ne remarquât point dans la maison de son hôte qu'il
ait trop bu.
Un écolier d'un tempérament porté au péché de la
cliair vint, un jour de fête, pour entendre la messe
dans la maison des Frères de Bologne. Or, c'était
' Itodritfue de Cerrnl, n" 91.
SAINT DOMINIQUE 357
sailli Dominique qui célébrait. Quand on fut arrivé à
rofTrande, cet écolier s*approcha et baisa la main du
saint avec grande dévotion. Et quand il Teut baisé;
il sentit qu'il s'exhalait de cette main une si bonnt^
odeur, que jamais il n'en avait rencontré une si grande
«n sa vie : et dès ce moment, le feu de la passion
s'éteignit en lui merveilleusement, en sorte que ce
jeune homme, qui jusqu'alors avait été adonné à la
vanité et à la luxure, devint, dans la suite, continent
'i^t chaste. Oh ! la grande pureté qui régnait dans ce
corps dont Fodeur purifiait d'une manière si admi-
ï^ble les souillures de l'âme ! — Un prêtre, témoin
Je la ferveur avec laquelle saint Dominique et ses
frères s'adonnaient à la prédication, conçut le projet
"C se joindre à eux, dans le cas où il pourrait se pro-
^^ïrerun Nouveau-Testament qui lui était nécessaire
/^^^iirla prédication. Au moment où il pensait à cela,
* ^ présenta un jeune homme qui avait sous son habit
*^ Testament à vendre : le prêtre Tacheta avec une
^ ^^^nde joie; mais comme il hésitait encore un peu, il
. ^ une prière, et ayant tracé le signe de la croix sur
couvert du livre, il l'ouvrit et jeta les veux sur le
f| ^mier chapitre qui se présenta ; il tomba sur cet en-
^it des Actes des apôtres où il est dit à saint Pierre :
^ ^ève-toi, descends et va avec eux sans hésiter, car
^^slmoi qui les ai envoyés (xx). » A Tinstant, il alla
adjoindre à eux. — Un maître de théologie, qui en-
^çnait à Toulouse avec talent et réputation, prépa-
^^ ^t ses matières un matin avant le jour; accablé de
.^^ nimeil, il inclina légèrement la tête sur sa chaire et
^ui sembla qu'on lui présentait sept étoiles. Comme
II. 2:r
s -s
s«
358 LA l.tUI^MIE lltlKK^
il s'extasiait devant un pareil présent, luut aiissid'it ers
étoiles augmenlèrent eu lumière et eu gruiideiir. à tel
point qu'elles éclairaJeiU le momie enlier. A son réveil,
il s'étonnait beaucoup de ce que cela voulait dire ; et
voici qu'en entrant daus l'i^cole et en enseig^uanl sa
leçon, saint Dominique et six frères avec lui, qui por-
taient le tnAme habit, s'approchèrenl, avec humilité, du
mattre et lui déclarèrent qu'ils avaieut pris la résolu-
tion de suivre son cours. Alors se rappelant la vision
qu'il avait eue, il ne tit pas diflîculté de croire que
c'étaient là les sept i^loiles qui lui étaient apparues *.
— Saint Dominique *tait à Rome quaud y arriva avec
l'évèqne d'Orléans, pour s'embarquer, maflrc Reinier,
doyen de Saint-Aignan d'Orléans, qui avait enseigné
à Paris le Droit Canon pendant cinq ans. Depuis Iouk-
tempsdéjà il se proposait de tout quitter pour se livrer
à la prédication, mais il n'avait pas encore pris mm
parti sur le moyen à employer par lui pour exécuter
son projet. Un cardinal auquel il a%'ait fait part du
Son vœu, lui avait parié de l'InsliUit des Préclieurs ;
il avait donc fait appeler saint Dominique auquel il
manifesta ses intentions : ce fut alors qu'il se décida à
entrer dans son ordre; maisaussitôtune violente fièvre
le saisit et mit ses jours en danger. Alors saint Do-
minique ne cessa de faire des prières et de s'adresser
à la sainte Vierge, à laquelle il avait confié, comme à
une patronne spéciale, tout le soin de son ordre, en
lui demandiint de daigner lui accorder cet homme, ne
serait-ce que pour un court espace de temps, quand
' tlumbcn. Vie, tf 27,
SAINT noMiNiguE 339
Reinier qui veillait et qui attendait la mort, voit tout
à coup, à n'en pas douter, la Reine de miséricorde ve-
nir à lui en compagnie de deux jeunes personnes re-
marquablement belles, et lui adresser ces paroles d'un
visage caressant : « Demande-moi ce que tu veux et
je te le donnerai. » Il cherchait quoi demander quand
une des jeunes filles lui suggéra de ne demander rien,
mais de s'en remettre entièrement à la reine de misé-
ricorde. Ce qu'il fit. Alors la sainte Vierge étendant sa
main virginale, lui fit des onctions aux oreilles, aux
narines, aux mains et aux pieds avec une huile qu'elle
avait apportée, en prononçant une formule appropriée
à chaque onction. Aux reins, elle dit : « Soient étreints
ces reins du cordon de chasteté. » Aux pieds : « J'oins
tes pieds pour qu'ils soient préparés à porter l'Evan-
gile de paix. » Et elle ajouta : « Dans trois jours, je te
remettrai une ampoule qui le rendra une parfaite
santé. » Alors elle lui montra un habit de l'ordre :
c< Voici, lui dit-elle, un habit; c'esl celui de ton ordre. »
Or, saint Dominique qui était en prières eut une vi-
sion tout à fait semblable. Quand le matin fut arrivé,
saint Dominique vint le voir et le trouva guéri : en-
suite il écouta le récit que lui fit Reinier de sa vision :
après quoi celui-ci prit l'Iiabit que la Vierge lui avait .
montré, car auparavant les Frères se servaient de
surplis. Trois jours après, la mère de Dieu revint et
fit sur le corps de Reinier des onctions qui éteignirent
non seulement l'ardeur de la fièvre, mais encore le feu
de la concupiscence, à tel point que, d'après ce qu'il
confessa lui-même dans la suite, il ne s'éleva pas en
lui le moindre mouvement désordonné. La même vi-
â
360 l.\ LLtiP.NnF. DOKKF.
sion fut renouvelée, vis-à-vis saint Dominiiiiic. en fa- "
veUTil'uii reiiçiiMix de l'ordre des liospîtaliers qui en
fut stupéfait. AprèH la mort de Reiiiier, saint Domi-
nique raconta cotte apparition à un ^rand nombre de
firères. Reinier fut donc envoyé à Bologne, où il se
lÎTra avec ardeur A la prédication, et où le iionibrt'dcs
fr^s prit de l'accroissement. Ensuite on l'envoya à
Paris, où il mourut peu de jours après dans le Sei-
gneur *. Un jeune homme, qui était neveu du cardinal
Etienne de Fosse-Neuve, tomba avec son cheval dans
un précipice, et on l'en relira mort. On le présenta à
saint Dominique qui fil une prière el lui rendit la vie**.
— Un architecte, conduit parles frères sousune crypte
de l'église de Saint-Sixte, fut écrasé par un pan de
mur qui s'écrnula, et il fut étouffé sous les décombres ;
mais l'homme de Dieu, Dominique, fit enlever le corps
de la crypte, se le fit apporter et par le suffrai^e de ses
prières, il lui rendit la vie avec la sanlé •**. • — Dans
le même couvent de saint Sixte, où restaient eu\iron
quarante frères, il ne se trouva un jour qu'une très
petite quantité de pain; alors saint Dominique com-
manda qu'on la partageAt et qu'on la ser\-{t sur la
table ; et pendant que chacun mangeait avec joie celte
petite bouchée de pain, voici que deux jeunes gens
tout à fait ressemblants par leur habit et leur figure
entrèrent au réfectoire, portant des pains dans des ■
tahliers qui leur pendaient au cou. Ils les pesèrent
= Thierry d'Apolds.n'' 92.
-" Histoire ilr na vîr, passini.
'■'" ReliilioH lie In smir Cécile,
SAINT DOMINI()l K 3(>i
sans rien dire au bout de la table du serviteur de
Dieu Dominique, et se retirèrent si vite que personne
ne put savoir dans la suite d'où ils étaient venus, ni
comment ils étaient sortis. Alors saint Dominique éten-
dit les mains çà et là sur la communauté et dit :
« Maintenant, mes frères, mangez. » — Un jour, saint
Dominique était en chemin et il tombait une très forte
pluie; il fit le signe de la croix et il écarta la pluie toute
entière de lui et de son compagnon, de sorte que ce
fut comme s'il s'était couvert d'un pavillon avec la
croix : et alors que toute la terre était couverte d'eau,
il n'en tombait pas une goutte autour d'eux, à une
distance de trois coudées *. — Une fois que dans les
en\irons de Toulouse, il venait de traverser une ri-
vière dans une barque, le batelier lui demanda un de-
nier pour prix de son passage. Comme l'homme de
Dieu lui promettait le royaume des cieux pour récom-
pense, en ajoutant qu'il était le disciple de J.-C. et
qu'il ne portait avec lui ni or, ni argent, le batelier le
saisit par sa chape et lui dit : « Tu me donneras ta
chape ou un denier. » Alors l'homme de Dieu leva les
yeux au ciel, fit intérieurement une petite prière et
regardant à terre, et y voyant un denier qui, sans au-
cun doute, lui était envoyé par le bon Dieu : « Voici,
dit-il, mon frère, ce que vous me demandez, prenez
et laissez-moi aller en paix. » — Il arriva un jour que
saint Dominique étant en voyage s'associa avec un
religieux qui lui était bien connu par sa sainteté, mais
dont il n'entendait ni le lani.'^at.^e nila langue Contrarié
* llumbert, Vie, n"3«.
à
362 LA LKGKNDK DOREE
de ce qu'il ne pouvait pas conférer avec lui des choses
du ciel, il obtint de Dieu que l'un parlât la langue de
l'autre, de manière à se comprendre pendant les (rois
jours qu'ils avaient à voyager ensemble. — On lui pré-
senta une fois un homme obsédé d'un grand nombre
de démons ; il prit une étole qu'il se mit au cou, en-
suite il la serra autour du cou du démoniaque en lu'i
ordonnant de ne plus faire souffrir cet homme désor^
mais. Alors ces démons commencèrent à être tour*^
mentes dans le corps de l'obsédé, et crièrent : « Laisse--^
nous sortir, pourquoi nous forces tu à être tourmenté
ici? » Et saint Dominique dit: « Je ne vous laisserai
point partir, à moins que vous ne me donniez des ga-
rants qui me répondront que vous ne rentrerez plus
désormais. » « Quels garants, répondirent-ils, pour-
rons-nous te donner? » Et il reprit: « Les saints mar-
tyrs dont les corps reposent en cette église. » Et ils
dirent : « Nous ne le pouvons, car nos mérites sont en
contradiction, o « Il faut, vous dis-je, les donner, au-
trement je ne vous délivrerai jamais du tourment que
vous endurez. » Alors ils répondirent à cela qu'ils
sVn occuperaient : et peu après ils dirent: « Eh bien,
nous avons obtenu, quoique nous ne le méritions pas,
que les saints martyrs soient nos garants. » Or, saint
Dominique leur demandant un signe par lequel il
pourrait s'assurer de cela, les démons lui dirent :
« Allez à la châsse qui renferme les têtes des martyrs
et vous la trouverez renversée. » On y alla et l'on
trouva qu'il en était comme ils l'avaient assuré *.
Thiorrv d'Apolil.i.
SAINT UOMr.NigUE 303
Pendant une de ses prédications, des femmes qui
s'étaient laissé corrompre par les hérétiques vinrent
se jeter à ses pieds en lui disant ; « Serviteur de Dieu,
venez à notre aide; si ce que vous avez prêché aujour-
d'hui est vrai, depuis longtemps l'esprit d'erreur a
aveuglé nos cœurs. » Saint Dominique leur dit : « Soyez
constantes et attendez un peu afin de voir à quel maî-
tre vous vous êtes attachées. » Aussitôt elles virent
sauter du milieu d'elles un chat affreux qui avait les
proportions d'un grand chien avec des yeux gros et
flamboyants, une langue longue et large, injectée de
sang et qui allait jusqu'à son nombril ; sa queue courte
et relevée laissait voir toute la turpitude de son der-
rière, de quelque côté qu'il se tournât; et il s'en exha-
lait une puanteur insupportable. Après qu'il eut tourné
pendant un certain temps çà et là, autour de ces fem-
mes, il grimpa dans le clocher par la corde de la clo-
che et disparut, laissant après lui des traces dégoil-
tantes. Alors ces femmes, après avoir remercié Dieu,
se convertirent à la foi catholique *'. — Il avait con-
vaincu dans la province de Toulouse un certain nom-
bres d'hérétiques condamnés au bûcher; et il vit au
milieu d'eux un homme appelé Raymond ; alors il dit
aux bourreaux : « Conservez celui-ci,, et qu'on ne le
brûle pas avec les autres. » Puis se tournant vers lui :
ce Je sais, lui dit-il avec bonté, je sais, mon fils, que
vous serez un jour, quoique ce ne soit pas de sitôt,
un homme de bien, et un saint. » On relâcha donc cet
homme qui, pendant vingt ans encore, resta dans Thé-
* Thierry d'Apolda, ch. iv, n^ 54.
3(J4 L.V LÉGENDE DOREE
résie ; enfin s'étant converti, il entra dans l'ordre c^
frères Prêcheurs où il vécut saintement jusqu'à
mort. — Comme saint Dominique était en Espag
en compagnie de quelques frères, il lui apparut un d
gon épouvantable, qui s'efforçait d'engloutir les frèr
dans sa gueule. L'homme de Dieu, qui comprit le se
de cette vision, exhortait ses compagnons à résist
courageusement. Peu de temps après ils le quittère
tous à l'exception de frère Adam et de deux con-
vers. Il demanda donc à l'un d'eux s'il voulait s'eiT
aller comme les autres : « A Dieu ne plaise, mon père,^
répondit-il qu'en quittant la tête, je suive les pieds. »
Alors saint Dominique se mit en prière, et presque
tous furent convertis peu de temps après par le mé-
rite de cette prière. — Comme il se trouvait à Rome,
au couvent de saint Sixte, l'esprit de Dieu vint sur lui
soudainement et il rassembla les frères au chapitre :
alors il leur annonça que quatre d'entre eux devaient
mourir bientôt, deux de la mort du corps, et deux de
la mort de l'àme. En effet peu après deux frères s'en-
dormirent dans le Seigneur et deux autres se retirè-
rent de l'ordre *. — Lorsqu'il était à Bologne, se
trouvait en cette ville maître Conrad, Allemand, que
les frères souhaitaient fort de voir entrer dans l'ordre.
Or, saint Dominique étant en conversation, la veille de
la fête de l'Assomption de la sainte Vierge, avec le
prieur du monastère de Casa-Mariac de l'ordre de Ci-
teaux, il lui dit entre autres choses en forme de confi-
dence : « Je vous avoue, prieur, une chose que je n'ai
'' liiiiiiberl, II" r»().
SAINT DOMINIQUE *MM\
js^nnais découverte à personne jusqu'à présent, et que
^'ous ne révélerez pas vous-même à d'autres, de mon
^'î vant ; c'est que je n'ai jamais rien demandé ici-bas
je ne Taie obtenu selon mes désirs. » Comme le
our lui disait que peut-être il mourrait avant lui,
^iri.t Dominique lui dit en esprit prophétique qu'il vi-
vait longtemps après lui. La prédiction se réalisa.
'ors le prieur ajouta : « Demandez donc, mon père,
^'^^ Dieu vous donne pour votre ordre maître Conrad,
^ '-•tî vos frères paraissent désirer tant être des vôtres. »
^'^^^îs saint Dominique lui répondit : « Mon bon frère,
^"^^Us avez demandé là une chose difficile. » Après
plies, les frères étant allés se reposer, Dominique
dans l'église où il passa la nuit en prière comme
^ ^^•-ïiit sa coutume. Or, quand on vint chauler prime,
*^^ <inoment où le chantre entonnait riivmne Jam lacis
^**^o sidère, voici que celui qui devait être un nouvri
**«lre d'une nouvelle lumière, inattre Conrad, vient
^^^t à coup se prosterner aux pieds de saint Doniini-
^^^, et lui demander instamment l'habit de Tordre. Il
t^^ï*sévéra dans sa demande et fut reçu. Ce fut un zélé
^^'ig'îeux qui enseigna dans l'ordre à la grande satis-
*^^Uoii de tous. Il était près de mourir et avait déjà
•^ï*naé les yeux, de sorte qu'on le croyait mort, quand
^* '^egarda les frères qui étaient autour de lui et dit :
^^^ninus vobiscum. Quand on eut répondu : Et mm
^yirilu tuo, il ajouta : Fidelium animœ per misericor-
^hm Dei requiescanl in puce *. Et aussitôt il reposa
^^ paix dans le Seigneur.
* Cp sont les paroles par lesquelles {'Kefiise termine tous
'36B <\ LfT.ESUK nnlIKF,
Le servlli'ur de Dieu saint Dominique l'iail dou^
d'une ^^alité tlMme que rien n'ébrunlail, sinon quand
il étiiil Iroutiié par lii compassion et par ta mis^ri*
cordp; cl parce qu'un cœur coulent épanouit le visage
on voyait, A sa douceur extérieure, la paix qui régnail
au dodan» de lui. Dans le journée, personne n'était
plus simple que lui avec les frères et ses compagnons,
tout en observant les règles de la biensi'ance; la nuit
personne n'était plus exact aux oflices et à la prière.
Il consacrait le jour au prochain et la nuit à Dieu. Il
avait fait de ses jeux comme une fontaine de larmes.
Souvent quand on levait le corps du Seigneur à la
messe, il était ravi en esprit comme s'il avait vu pré-
sent J.-C. incarné : c'est pour cela que pendant lon^
temps, il n'assista pas à la messe avec les autres. Il
avait aussi la coutume de passer très souvent la nuit
dans l'éiçlise, en sorte qu'il semblait n'avoir pas on
presque pas de lieu tîxe pour prendre son repos : et
quand la nécessité de dormir \e surprenait à la suite
de ses fatigues, il se reposait ou bien devant l'autel,
ou bien la léte inclinée sur une pierre. Chaque nuit il
prenait lui-même trois fois la discipline avec une chaîne
de fer : une fois pour soi-même, une seconde fois
pour les pécheurs qui vivent dans le inonde, et une
troisième fois pour ceux qui souffrent dans le purga-
toire. Élu, un jour, à l'évêché de Couserans, d'autres
disent de Comminge, il refusa nettement, protestant
devoir plutôt quitter la terre que de consentir jamais
SCS ol'Hces : elles siginificnl : Qw pur la miséricorde de Dira, let
limes (In fidflei reposent en paix.
SAINT DOMrNlQl'E 307
à une élection dont il serait l'objet. — Ou lui ilemau-
clail un jour pourquoi il ne restait pas à Toulouse, ou
clans le diocèse de cette ville, plutôt que dans le dio-
cèse de Carcassonne, il répondit : « C'est parce que,
dans le diocèse de Toulouse, je rencontre bon nombre
de personnes qui m'honorent, et que à Carcassonne,
au contraire, tout le monde me fait la g-uerre. » Quel-
qu'un lui demandait dans quel livre il avait le plus
étudié : « C'est, dit-il, dans le livre de la charité. »
— Une fois qu'étant à Bologne il passait la nuit dans
l'église, le diable lui apparut sous la figure d'un frère.
Saint Dominique, croyant que c'en était un, lui faisait
signe d'aller se reposer comme les autres. Or, celui-là
lui répondait par signes comme s'il se moquait de lui.
Alors saint Dominique voulant savoir quel était celui
qui méprisait ainsi ses ordres, alluma une chandelle
à la lampe et regardant sa figure reconnut tout de suite
que c^était le diable. Le saint l'accabla de reproches
et le diable se mit à l'insulter pour avoir rompu le si-
lence ; alors saint Dominique lui déclarant qu'il lui
était permis de parler en sa qualité de maître des frères,
il le força de lui déclarer en quoi il tentait les frères
au chœur. Le diable lui répondit : « Je les fais arri-
ver tard et sortir tôt. » Il le conduisit ensuite au dor-
toir et lui demandant de quoi il y tentait les frères.
Il dit : « Je les fais trop dormir, se lever tard, et de
cflte manière, ils y restent pendant l'office et de tem[»s
en temps, je leur suggère de mauvaises pensées. »
Fuis il le mena au réfectoire, et lui demanda de quoi
il y tentait les frères; alors le démon se met à sauter
sur les tables, en répétant souvent ces paroles : (( Plus
3ti8 LA LÉGENDE DOREE
Cl inoilis, plus et moins. » El comme saint Dominique
lui demandait ce qu'il voulait dire par là, il répondît :
<( il y a quelques frères que je tente de mang-er plus,
cl par conséquent de manquer souvent à la règle
en mangeant trop : d'autres, de manger moins, afin
qu'ils deviennent sans force dans le service de Dieu
el dans la pratique de leurs règles. » De là il le con-
duisit au parloir, en s'informant de quoi il y tentait
les frères. Alors* le diable se mit à tourner la langue
dans sa bouche avec vitesse et faisait entendre un bruit
confus étrange. Saint Dominique lui demandant ce
que cela voulait dire, le diable répondît : « Ce lieu est
tout à moi : car quand les frères se rassemblent pour
parler, je m'applique à les tenter de parler sans ordre,
d'entremêler des paroles inutiles et de telle façon que
l'un n'attende pas l'autre. » Enfin saint Dominique
conduisit le diable au chapitre, mais quand il fut ar-
rivé à la porte, le démon n'y voulut absolument pas
entrer: « Ici, dit-il, je n'entrerai jamais; c'est pour
moi un lieu de malédiction et un enfer. Je perds ici
tout ce que j'ai gag-né ailleurs : car quand j'ai fait
tomber un frère en quelque négligence, il s'en purifie
de suite dans ce lieu de malédiction et s'avoue cou-
pable devant tout le monde : c'est ici qu'on leur donne
des avis, ici qu'ils se confessent, ici qu'ils s'accusent,
ici qu'ils sont frappés, ici qu'ils sont absous, et de
celte manière, je vois avec douleur que j'ai perdu tout
ce que je me réjouissais d'avoir gagné ailleurs. » Après
avoir dit ces mots, il disparut *.
" Thierry d'ApoIda, c. xv.
SAINT DOMINIQUE 369
«
Enfin le terme de son pèlerinage approchant, Do-
^^^inique, qui était à Bologne, commença à tomber en
^nçueur et en grande faiblesse; la dissolution de son
Orps lui fut montrée dans une vision : Un jeune
oncime d'une grande beauté lui apparut, et Tappela
I disant : « Viens, mon bien-aimé, viens à la joie,
îrms*. » Alors il fit venir douze des frères du cou.-
r^ 1 de Bologne, et pour ne pas les laisser déshérités
rphelins, il fit son testament en ces mots : « Voici
ue je vous laisse comme à mes enfants, afin que
s le possédiez à titre héréditaire : Ayez la charité,
^ez l'humilité, et possédez la pauvreté volon-
€**. » Mais ce qu'il défendit le plus expressément
il put, c'est que personne ne fît jamais entrer dans
ordre des biens temporels, menaçant de la malé-
^^lion du Dieu tout-puissant et de la sienne celui qui
^ enterait de salir l'ordre des Prêcheurs, de la pous-
^re des richesses terrestres. Comme ses frères se
^sciaient de sa perte, il leur dit avec bonté pour les
^ïisoler : « Mes enfants, que ma mort corporelle ne
^Ous trouble pas; et soyez certains que je vous serai
plus utile mort que vif. » Arriva ensuite son heure
dernière et il s'endormit dans le Seigneur, Tan 1221.
Le jour et l'heure de son trépas furent révélés, ainsi
qu'il suit, à frère Guali, alors prieur des frères Prêcheurs
de Brescia et par la suite évêque de la même ville. Il
dormait d'un léger sommeil, la tête appuyée sur le
clocher des frères, quand il vit le ciel ouvert et deux
échelles blanches qui en descendaient sur la terre ;
* Barthélémy de Tronic, u^ 13.
** Humbert, n<> 53.
II.
370 LA LKGENDE DOREE
•
J.-C. avec la mère en tenait le haut, et les anges y
montaient et descendaient en poussant des acclama-
tions de joie. En bas entre les deux échelles était placé
un siège sur lequel se trouvait assis un frère dont
la tête était couverte d'un voile. Or, Jésus et sa mère
tiraient les échelles en haut, jusqu'à ce que le frère
eut été élevé au ciel dont l'ouverture fut alors refer-
mée*. Le frère Guali étant venu de suite à Bolo-
gne, apprit que c'était en ce jour et à cette heure-là
même que le Père était trépassé. — Un frère, nomm^
Raon qui restait à Tihur, était à l'autel pour célèbre^
la messe au jour et à l'heure du trépas du Père. Comm^
il avait appris que le saint était malade à Bologne,^
quand il fut arrivé à l'endroit du canon où l'on a cou— ^
tume de faire mention des vivants, et qu'il voulait -
prier pour sa guérison, il tomba tout à coup en extase,
et il vit l'homme de Dieu Dominique ceint d'une cou-
ronne d'or, et tout resplendissant de lumière ; deux
personnages vénérables l'accompagnaient sur la route
royale hors de Bologne. Il prit note du jour et de l'heure
et il trouva que c'était alors que le serviteur de Dieu
Dominique était mort. Son corps étant resté sous terre
pendant un long espace de temps, et les miracles qui
s'opéraient à chaque instant devenant de plus en plus
nombreux, sa sainteté était devenue évidente ; alors
la piété des fidèles les porta à Iransporler son corps
dans un lieu plus élevé. Quand, après avoir brisé le
mortier avec des instruments de fer, on eut soulevé
la pierre, et ouvert le monument, il s'en échappa une
* AiHonr do sa vio.
SAINT DOMINIQUE 371
^eur tellement suave que c'était à croire qu'on n'avait
pas ouvert un tombeau, mais une chambre pleine
d'aromates*. Et cette odeur qui l'emportait sur celle
^^ tous les parfums ne semblait avoir rien de pareil
^^ns la nature : ce n'était pas seulement aux ossements
^^ à la poussière de ce saint corps qu'elle était inhé-
''^nte, ou même à la châsse, mais encore à la terre
d alentour, de sorte que transportée dans des pays
^'^igiiés elle gardait son parfum pendant longtemps.
*-^5$ mains des frères qui avaient touché quelque chose
Qe^ reliques, se trouvèrent tellement embaumées qu'on
^^'^îlbeau les laver et les frotter, elles conservèrent
^'^ftjlemps cette ppeuve de bonne odeur.
tians la province de Hongrie, un homme de noble
Ce vint avec sa femme et son fils encore tout jeune
P^^^tar visiter les reliques de saint Dominique qu'on avait
Si Ion ; mais ce fils y tomba malade et mourut. Alors
*^ père porta son corps devant l'autel de saint Domi-
^^*^i.ie et se mit à se lamenter et à dire : « Bienhcu-
ï'^\i>c Dominique, je suis venu vers vous plein de joie
^^ je m'en retourne plein de tristesse ; je suis venu
^'^'ec mon fils et j'en suis privé pour m'en aller ; ren-
d^z-moi, je vousen prie, rendez-moi mon fils ; rendez-
^'^oi la joie de mon cœur. » Et voici que vers le milieu
d^ la nuit, l'enfant ressuscita et se promena par l'é-
îÇiise. — Un jeune homme au service d'une dame iio-
We s'occupait à pécher dans la rivière; il tomba dans
\eau, y fut suffoqué et disparut. Ce fut longtemps
Siprès que son corps fut retiré du fond de la rivière.
* Jourdain de Saxe.
372 LA LÉGENDE DOREE
Sa maîtresse invoqua saint Dominique pour qu'il fût
ressuscité, et promit d'aller pieds nus à ses reliques et
de rendre la liberté à cet esclave s'il ressuscitait. A
l'instant ce jeune homme, qui était mort, fut rendu à
la vie et se leva au milieu de tout le monde qui se
trouvait présent. Sa maîtresse accomplit son vœu ainsi
qu'elle l'avait promis. — Dans cette même province de
Hongrie, un homme versait des larmes amères sur le
cadavre de son fils, et priait saint Dominique pourob-
tenir sa résurrection. Environ au moment où les coqs
chantent, cehii qui avait été mort ouvrit les yeux et
dit à son père : « Comment se fait-il, mon père, que j'aie
la fi«;ure ainsi mouillée ? » « Ce sont, lui répondit-il,
les larmes de ton père, car tu étais mort et j'étais resté
seul privé de toute joie. » Son fils lui dit : « Vous avez
beaucoup pIeuré,mon père, mais saint Dominique, com-
patissant à votre désolation, a obtenu par ses mérites
(jue je vous sois rendu vivant. » — Un homme, lan-
îj^uissant cl aveugle depuis dix-huit ans,avaitle désir de
visiter les rcli([ues de saint Domini(|ue ; il essaya de sor-
tir (le son lit, se leva, et ressentit venir en lui subitement
une force assez y^rande pour se mettre à marcher à pas
pressés; sa faibIess(Mie corps et sa cécité diminuaient
à mesure qu'il faisait chaque jour du chemin, jusqu'à
ce (ju'enfin, parverni au lieu ([u'il avait prispour but,
il rerut le bienfait d'uut» double e;'uérison complète.
— En la même [)r()viure de Hongrie, une dame qui
avait riuleution (le faire célébrer une messe en Thon-
iieur d(» saint Dominique ne trouva pas de prêtre à
l'heure qu'elle voulait ; alors elle eiiveloppa dans un
linge |)ro|)re les trois chandelles qu'elle avait destinées
SAINT DOmNIQUE 373
pour la messe et les serra dans un vase ; elle s'en alla
pour un instant et en revenant un moment, après elle
vit les chandelles brûler à grandes flammes. Tout le
monde accourut pour voir ce spectacle étrange, et resta
tremblant et priant jusqu'au moment où les chandel-
les furent entièrement brillées sans que le linge soit
endommagé.
A Bologne, un écolier nommé Nicolas souffrait
d'une telle douleur aux reins et aux genoux qu'il ne
pouvait se lever de son lit ; sa cuisse gauche s'était
desséchée au point qu'il n'y avait plus pour lui aucun
espoir de guérison. Se vouant à Dieu et à saint Domi-
nique, il se mesura de toute sa longueur avec un fil
dont on devait faire une chandelle ; après quoi il se mit
à se ceindre le corps, le cou et la poitrine. Au moment
où il entourait son genou du fil, comme il invoquait,
à chaque fois qu'il faisait un tour, le nom de Jésus et
de saint Dominique, aussitôt il se sentit soulagé et s'é-
cria : « Je suis délivré. » Il se lève en pleurant de joie
et vient sans l'aide de personne à l'église où reposait
le corps de saint Dominique. Dans la même ville de
Bologne, Dieu opéra un nombre infini de miracles par
son serviteur. — En la ville d'Augusta en Sicile, une
jeune fille, qui avait la pierre, devait être taillée. La
mère, à raison du péril que courait son enfant, la re-
commanda à Dieu et à saint Dominique. La nuit sui-
vante saint Dominique apparut à la jeune fille pendant
son sommeil, lui mit dans la main la pierre qui la fai-
sait souffrir. La jeune fille, à son réveil, se trouvant
guérie, donna cette pierre à sa mère et lui raconta la
vision qu'elle avait eue; la mère prit alors la pierre et
n. 24-
374 LA LRGENDR DORÉE
la porta au couvent des frères où elle la suspendit de-
vant l'image de saint Dominique, en mémoire d'un si
grand miracle. — Dans la ville d'Augusta, des dames
qui avaient assisté, en Téglise des frères, à la messe so-
lennelle le jour de la fête de la translation de saint
Dominique, virent en revenant chez elles une femme
occupée à filer devant la porte de sa maison ; elles se
mirent à la tancer de ce qu'elle n*avaitpas interrompu
son travail au jour de la fête de ce grand saint. Cette
femme indignée leur répondit: « Vous qui êtes les bi-
gotes * des frères, faites la fête de votre saint. » A
l'instant ses yeux s'enflèrent, et il en sortit de la pour-
riture et des vers ; de sorte qu'une de ses voisines en
compta dix-huit qu'elle lui ôta. Alors remplie de com-
ponction elle vint à Téglise des frères, y confessa ses
péchés et fit vœu de ne jamais parler mal de saint
Dominique et de célébrer sa fête avec dévotion. A
l'instant elle récupéra sa première santé.
Une religieuse nommé Marie, au monastère de la
Magdeleine, à Tripoli, souffrait des douleurs cuisantes.
Ayant reçu un coup à la jambe, elle était tourmentée
affreusement depuis cinq mois ; on attendait à chaque
instant l'heure de son trépas. Elle se recueillit en elle-
même et fit cette prière : « Mon Seigneur, je ne suis
digne ni de vous prier, ni d'être exaucée ; mais je prie
mon seigneur saint Dominique d'être médiateur entre
vous et moi, et de m'obtenir le bienfait de la santé. »
Or, comme elle priait longtemps en répandant des lar-
* Le texte porte BisotœcX Brixotœ, mot qui ne se trouve dans
aucun diclionnaire.
SAïNT DOMINIQUE 375
>^es, elle tomba en extase et vit saint Dominique en-
trer avec deux frères, soulever le rideau qui était
devant son lit, et lui dire : « Pourquoi désirez-vous tant
d'être guérie? » « Seigneur, répondit-elle, c'est afin de
pouvoir mieux servir Dieu. » Alors saint Dominique
*'*i^ de dessous sa chape un onguent d'une admira-
ble odeur avec lequel il fit des onctions à sa jambe et
elle fut guérie à l'instant ; puis il lui dit : « Cette onc-
^>on est bien précieuse, douce, et difficile. » Et comme
^ette femme lui demandait de lui expliquer le sens de
^^s paroles ; il répondit : « Cette onction est le signe
^^ 'amour, qui est précieux, parce qu'on ne peut l'a-
cneler avec de l'argent, et parce que de tous les dons
"^ ûieu il n'y en a point de préférable à son amour ;
^"^ est douce, car il n'y a rien de plus doux que la
charité ; elle est difficile parce qu'elle se perd vite si
^^ ne la conser\'e avec précaution. » Cette nuit-là même,
^* apparut à sa sœur qui reposait au dortoir et lui dit :
^^ J'ai guéri ta sœur. » Celle-ci accourut et trouva sa
^ur guérie.Or, comme Marie sentait qu'elle avait reçu
^neonction réelle, elle l'essuya très respectueusement
avec de la soie. Quand elle eut raconté tout à Tabbesse
etàson confesseur et qu'elle leur eut montré l'onction
qui était sur la soie elles furent frappées de sentir une
odeur si grande et si nouvelle pour eux qu'ils ne pou-
vaient la comparer à aucun parfum ; et ils conservè-
rent cette onction avec le plus grand esprit. — Pour
prou ver combien est agréable à Dieu l'endroit où repose
le très saint corps du bienheureux Domini([uc, il suf-
fira de choisir ici, entre mille, un miracle qui s'y
opéra.
376 LA LÉGENDE DUREE
Maître Alexandre, évêque de Vendôme *, rapporte
dans ses Apostilles sur ces paroles : Misericordia et ve*
ritas obviavevunt sibi (Ps. lxxxiv) qu'un écolier de Bo-
logne, adonné aux vanités du siècle, eut la vision sui-
vante : Il lui semblait être dans un vaste champ, et
une tempête extraordinaire allait fondre sur lui. Il se
mit à fuir pour Téviter et arriva à une maison qu'il
trouva fermée. Il frappa à la porte en priant qu'on lui
ouvrît. La personne qui habitait la maison lui répon-
dit : <( Je suis la justice ; c'est ici que j'habite, cette
maison est à moi ; or, parce que tu n'es pas juste, tu
ne peux y habiter. » En entendant ces paroles, il se
retira tout triste, et voyant plus loin une autre maison,
il y vint, et frappa en demandant qu'on l'y reçût.
Mais la personne qui restait à l'intérieur lui répondit:
« Je suis la vérité ; c'est ici que j'habite ; cette maison
est à moi ; mais je ne te donnerai pas l'hospitalité,
parce que la vérité ne préserve pas celui (pii ne l'aime
pas. » Alors il s'éloigna et vil une troisième maison
plus loin. Quand il y arriva, il supplia comme aupara-
vant qu'on l'y mît à l'abri delà tempête. La maîtresse
qui était à Tintéricur lui répondit: « Je suis la paix et
j'habite ici ; or, il n'y a pas de paix pour les impies,
mais pour les hommes de bonne volonté. Cependant
comme ni-^s pensées sont des pensées de paix et non
(rafUiction, je te donnerai un avis salutaire. Plus loin
habite ma sœur ; elle secourt toujours les misérables ;
va la trouver et fais ce qu'elle te dira. » Quand il y fut
' Il y a une variante dans le texte; l'une porte Vindonicensis
et l'autre Vîndoniensis.
SAINT SIXTE, PAPE 377
arrivé, celle qui était à Tiiitérieur lui répondit : « Je
suis la miséricorde, c'est ici ma maison. Si donc tu
désires être à Tabri contre la tempête qui te menace, va
à la maison qu'habitent les frères prêcheurs, tu y trou-
veras retable de la pénitence, la crèche de la conti-
nence, rherbede la doctrine, Tâne de la simplicité avec
le bœuf de la discrétion, Marie qui t'éclairera, Joseph
qui te parfera, et l'enfant Jésus qui te sauvera. » A
son réveil l'écolier vint à la maison des frères, et ra-
conta l'ensemble de sa vision; ensuite il prit et reçut
riiabit de Tordre *.
SAINT SIXTE, PAPE
Sixte vient de Sion qui veut dire Dieu, et de status, étal ;
comme on dirait état de Dieu. Ou bien sixtus vient de sisto,
assis; fixe, ferme dans la foi, dans son martyre et ses bonnes
tJBuvres**.
Le pape Sixte était d'Athènes; d*abord il fut phi-
losophe, et dans la suite disciplcde J.-G. Elu souverain
Pontife, il fut traduit devant Dèce et ValéritMi avec ses
deux diacres Félicissime et Agapil. Gomme Dèce ne
pouvait le faire céder par aucune considération, il le fit
conduire au temple de Mars, afin de l'y forcer à sacrifier,
sinon il serait enfermé dans la prison Mamertine. Or,
il refusa, et comme on le menait en prison, le bien-
heureux Laurent le suivait et lui disait: « Où allez-
* Cîéranl de Trachel, I. I, c. m.
•• Bréviaire romain .
378 LA LÉGENDE DOREE
VOUS sans votre fils, mon père? saint prêtre, où allez-
vous sans votre ministre? » Sixte lui répondit : « Je
ne te quitte pas, mon fils, je ne t'abandonne pas :mais
tu es réservé à de plus g^rands supplices pour la foi de
J.-C. Dans trois jours tu me suivras; le lévite suivra
le prêtre. D'ici là prends les trésors de l'Eglise et par-
tage-les à qui tu le jugeras à propos. » Quand il les
eut distribués aux chrétiens pauvres, le préfet Valérien
donna l'ordre de mener Sixte sacrifier au temple de
Mars : s'il refusait, il devait avoir la tête tranchée.
Pendant qu'on l'y conduisait, le bienheureux Laurent,
qui était derrière lui se mit à crier et à dire : « Soyez
assez bon, lui dit-il, pour ne pas m'abandonner, père
saint, parce que j'ai déjà dépensé les trésors que vous
m'avez confiés. Alors les soldats, entendant parler de
trésors, se saisirent de Laurent, et tranchèrent la tête
à saint Sixte ainsi qu'à Félicissime et à Agapit.
C'est aujourd'hui la fête de la Transfiguration du
Seigneur. Dans certaines églises on consacre le sang
de J.-G. avec du vin nouveau, si on peut en faire et
en trouver ; ou du moins on exprime, dans le calice,
un peu de jus d'une grappe de raisin mûr. En ce jour
encore, on bénit des grappes de raisin et le peuple eu
prend (comme du pain bénit*). La raison en est que
Xolrc-Seigneur dit à ses disciples le jour qu'il fît la
(lène : « Je ne boirai plus désormais de ce fruit de la
vigne jusqu'à ce jour où je le boirai de nouveau avec
vous dans le rovaumc de mon père. » (Matt., xxvi)
Or, celte Transdguration, et ces mots vin nouveau, que
•"(^'osl une (li's siu^aiticdlious liluri^ujues iIl» commun ico.
SAINT DOWAT 379
J.-(i. prononça, rappellent le glorieux renouvellement
qui s'opéra dans le Sauveur après sa résurrection. C'est
pour cela qu'en ce jour de la Transfiguration qui re-
présente la résurrection, on se sert de vin nouveau :
mais ce n'est pas parce que, selon quelques auteurs,
la Transfiguration eut lieu en ce jour, mais bien parce
que ce fut en ce jour que les Apôtres en donnèrent
connaissance. Car la Transfiguration eut lieu, dit-on,
vers le commencement du printemps; et ce fut par
respect pour la défense que les apôtres reçurent de
la publier, qu'ils la cachèrent si longtemps et qu'ils la
rendirent publique à pareil jour. C'est ce qu'on lit
dans le livre intitulé : Jtf//ra/^ * (Lib. IX, c. xxxviii).
SAINT DOXAT**
Donat, vient de Né de Dieu, et cela par régénération, par
infusion de grâce et par glorification ; celle-ci est triple, par
(génération, par esprit, et par Dieu. Car quand les saints
meurent, on dit qu'ils naissent; c'est pour cela que leur trépas
n'a pas le nom de mort, mais de natalice. En effet l'enfant
aspire à naître afin de recevoir plus d'espace pour sa demeure
une nourriture plus substantielle pour le manger, un air
plus spacieux pour respirer, et de la lumière pour voir. Les
saints, par leur mort, sortent des entrailles de l'Eglise, re-
çoivent ces quatre avantages à leur manière : c'est pour cela
* Cet ouvrage a été publié par M. le comte de l'Escalopier
dans la Patrologie de Miiçne. Il est de Sicardî, évocjue de Cré-
mone.
Saint Grégoire de Tours ; — Sozomcne ; — Bréviaire Romain,
380 LA LÉGENDE DOREE
qu*on dît qu'ils naissent. Ou bien il est appel<^ Donat, ce qui
signitierait donne par don de Dieu.
Douai fut élevé et nourri avec Tempereur Julien,
jusqu'au moment où il fut ordonné sous-diacre : maïs
quand Julien fut élevé à l'empire, il tua le père et la
mère de saint Donat. Alors Donat s'enfuit dans la
ville d'Arezzo, où il demeura avec le moine Hilaire et
fit beaucoup de miracles : carie préfetde la ville ayant
son fils démoniaque, il l'amena à Donat et l'esprit
immonde se mit à crier et à dire : « Au nom du Sei-
gneur J.-C, ne me tourmente pas pour que je sorte
de ma maison, ô Donat; pourquoi me forces-tu par
des tourments de sortir d'ici? » Mais saint Donat fit
une prière et l'enfant fut délivré aussitôt. — Un
homme nommé Eustache, receveur du fisc en Toscane,
laissa une somme d'argent qui appartenait au trésor
public, à la garde de sa femme nommée Euphrosine.
Comme la {)rovince était ravagée par les ennemis, cette
femme cacha l'argent; mais prévenue par une maladie,
elle mourut. Le mari, à son retour, n'ayant pas trouvé
son dépôt, était sur le point d'être traîné au supplice
avec ses enfaiils; il eut alors recours à saint Donat.
Or, celui-ci alla an tonihean de la femme avec le mari,
et après avoir fait une prière, il dit à intelligible voix:
« Euphrosine, je t'adjure par le Saint-Esprit de nous
(lin* on tu as déposé telle somme d'argent. » Et une
voix sortant du sépulcre dit: (( A l'entrée de ma
maison, c'est là que je Tai enterrée. » On y alla et on
l'y trouva coninie elle avait dit. Ouelques jours après,
l'évèque Satire s'endormit dans le Seit^neur et tout le
clergé élut Donat pour lui succéder. Saint Grégoire
SAINT DONAT 381
rapporte *, qu'un jour, après la célébration de la
messe, le peuple recevant la communion, et le diacre
présentant la coupe où était le sang de J.-C, les
païens se ruèrent dans l'église, renversèrent le diacre
qui brisa le saint calice. Comme il en était fort affli-
gé ainsi que tout le peuple, Donat recueillit les frag-
ments du calice, et ayant fait une prière, il le rétablit
dans sa forme première. Mais le diable en cacha un
morceau qui manqua au calice, c'est toutefois un témoi-
gnage du miracle. Les païens, à cette vue, se con-
vertirent et furent baptisés au nombre de quatre-
vingts. Il y avait une fontaine tellement infectée que
quiconque en buvait, mourait aussitôt. Or, comme
saint Donat allait, monté sur son âne, rendre cette
eau saine par ses prières, un dragon terrible s'élança
de l'eau, enroula sa queue autour des pieds de l'âne
el se dressa aussitôt contre Donat. Le saint le frappa
avec un fouet, ou, selon qu'on le lit autre part, lui
cracha dans la gueule ; ce qui le tua à l'instant: ensuite
il fit une prière et détruisit tout le venin de la fon-
taine**. Un jour que Donat et ses compagnons étaient
pressés par la soif, il fifjaillir une autre fontaine, à
l'endroit où ils se trouvaient.
La fille de l'empereur Théodose était tourmentée
par le démon, et on l'amena à saint Donat : « Sors,
lui dit-il, esprit immonde, et cesse d'habiter dans une
créature de Dieu. » Le démon lui répondit : «Donne-
moi un passage par où sortir et un endroit où je
Dialogues, 1. I, c. vu.
Sozomèae, ffist. trip.^ I. IX, c. xlvi,
^382 LA LÉGENDE DOREE
puisse aller. » Doiiat lui dit : « D'où es-tu venu ici?»
« Du désert, répondit le démon. » « Retournes-y,
reprit le saint. » Alors le démon lui dit : « Je vois sur
toi le signe de la croix d'où sort un feu contre moi,
et j*ai si peur que je ne sais où aller. Mais laisse-moi
sortir et je sors. » Donat lui dit: a Voici un passag-e,
retourne dans le lieu qui t'appartient. » Et il sortit en
ébranlant toute la maison. — On portait un mort en
terre, quand arriva quelqu'un avec un billet, attes-
tant que le mort lui devait 200 sols; et il ne permet-
tait pas qu'on l'ensevelisse. La veuve éplorée vint
informer saint Donat de ce qui se passait, en ajoutant
que cet homme avait été payé intégralement. Alors
saint Donat se leva pour venir au cercueil, et touchant
la main du mort, il lui dit : « Ecoute-moi. » Le défunt
répondit : « Me voici. » Alors saint Donat lui dit :
« Lève-toi, et vois ce que tu as à faire avec cet homme,
qui s'oppose à ce qu'on t'ensevelisse. » Alors le mort
se mit sur son séant, et en présence de tous les assis-
tants, il convainquit cet homme qu'il lui avait payé
sa dette ; puis prenant le billet avec la main, il le
déchira. Ensuite il dit à saint Donat : « Laissez-moi,
mon père, dormir de nouveau. » Saint Donat lui
répondit : « Va maintenant te reposer, mon fils. » —
Vers le même temps, il y avait trois ans qu'il n'avait
plu, et la stérilité était grande ; alors les infidèles vin-
rent trouver l'empereur Théodose et lui demandèrent
(le leur livrer Donat, (jui, par ses sortilèges, était l'au-
teur du mal. Sur les instances de Tempereur, Donat
étant sorti de sa maison, se mit en prières et le Sei-
neur envoya une [)luie abondante, et il rentra chez
SAINT CYRÎAQUE ET SES COMPAGNONS 383
lui sans recevoir une goutte de pluie, tandis que tous
les autres avaient leurs habits trempés. — A cette
époque, les Goths ravageaient l'Italie et beaucoup
abandonnaient la foi de J.-C. Evadracien, gouverneur,
fut repris de son apostasie par saint Donat et Hyla-
rin ; il les condamna à immoler à Jupiter. Mais s'étant
refusés à le faire, le gouverneur fit dépouiller Hylarin
et ordonna qu'on le fouettât jusqu'à ce qu'il eût rendu
Tesprit. Pour Donat, il le fit mettre en prison et déca-
piter ensuite, vers l'an du Seigneur 380*.
SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS ♦♦
Cyriaque, ordonné diacre par le pape Marcel, fut
pris et amené devant Maximien qui le condamna, avec
ses compagnons, à creuser la terre et à la porter sur
leurs épaules en un lieu où on construisait les Ther-
mes ; là se trouvait le saint vieillard Saturnin, que
Cyriaque et Sésumius aidaient à porter la terre. Enfin
le gouverneur fit amener devant lui Cyriaque, qui
avait été jeté au cachot. Au moment où Apronianus
le faisait sortir, tout à coup une voix, suivie d'une
lumière, vint du ciel et dit : « V^enez, les bénis de mon
père, posséder le royaume qui vous a été préparé
depuis le commencement du monde. » (Matt., xxv.)
* Bréviaire romain .
384 LA LiCBNDB DOrAb
Alors Apronien crut, se fit baptiser et vint confemer
J.-G. devant le §^oaveraeiir. Celui-ci lui dit : « Esl^-oe
que tu as été fait chrétien ? » Apronien réponifil :.
«r Malheur à moi, parce que j'ai pardu mes jours 1 »
Le gouverneur reprit : « Vraimàit oui, tu pwdras
tes jours. » Et il Tenvoya décapiter. Pour S^lomin
et ^simius qui ne voulaient pas sacrifier, on Usar fit
subir différents supplices, enfin ils forint décapilés*
Or, la fille de Dioclétien, nommée Arthànîe, était
tourmentée par le démon * qui criait en elle : « Je ne
sortirai pas à moins que le diacre Cyrîaque ne idenne. »
On lui amena donc Cyriaque, qui après avoir donné
ses ordres au démon, en reçut cette i^pcMoise : « Si tu
veux que je sorte, donne-moi un vase dans hqaxA je
me mette. » Cyriaque répondit : cr Voici mon corps,
si tu peux, entres-y. » Le démon lui dit : c Je ne puis
entrer dans ce vase, parce que il est scdlé et dos;
m^is si tu me chasses, je te ferai venir âms ïa Baby*
lonie. » Et quand il eut été contraint de sortir,
Arthémie s'écria qu'elle voyait le Dieu que Cyrîaque
prêchait. Alors Cyriaque baptisa Arthémie. Comme
il vivait tranquille dans une maison qu'il tenait de la
générosité de Dioclétien et de son épouse Sérène, un
ambassadeur vint demander, au nom du roi des Per-
ses, à Dioclétien de lui envoyer Cyriaque, parce que
sa fille était tourmentée par le démon**. Or, à la
prière de Dioclétien, Cyriaque s^embarqua avec Largue
et Samaraque sur un navire qui avait été pourvu du
• Bréviaire romain,
♦♦ /bid.
\
SAINT CYRIA^UE ET SES COMPAGNONS 383
nécessaire, et alla avec joie dans la Babylonie. Quand
il fut arrivé auprès de la jeune fille, le démon lui cria
par la bouche de cette personne : « Es-tu fatigué,
Cyriaque? » Cyriaque lui répondit : « Je ne suis point
fatiji^é, mais je me laisse mener en tout lieu par la
droite de Dieu. » Le démon dit : « Enfin, pour moi, je
Fai amené où j'ai voulu. » Alors Cyriaque dit au
démon : « Jésus te commande de sortir. » Le démon
sortit à rinstant et dit : « Oh! nom terrible, qui me
force de sortir! » Alors la jeune fille, guérie, fut bap-
tisée avec son père, sa mère et beaucoup d'autres.
Comme on offrait de nombreux présents à Cyriaque,
il ne les voulut pas accepter ; mais après être resté en
ce lieu quarante-cinq jours, jeilnant au pain et à
l'eau, il revint enfin à Rome. Deux mois après mou-
rut Dioclétien, auquel succéda Maximien, lequel, irrité
contre sa sœur Arthémie, fit saisir Cyriaque, qui fut
lié tout nu avec des chaînes, et traîné au devant de
son char. (Ce Maximien peut être appelé le fils de
Dioclétien, en tant qu'il fut son successeur et qu'il
épousa sa fille nommée Valériane). Il ordonna à Car-
pasius, son vicaire, de forcer le saint à sacrifier, ou de
le faire mourir dans les supplices. Carpasius, après
lui avoir fait verser de la poix sur la tête, le fit sus-
pendre au chevalet, ensuite il ordonna qu'on lui tran-
chât la tête ainsi qu'à tous ses compagnons. Après
quoi, Carpasius obtint la maison de Cyriaque, et
comme, par mépris pour les chrétiens, il se baignait
dans le lieu où ce saint administrait le baptême, et
qu'il y donnait un grand festin à dix-neuf de ses
amis, ils moururent tous subitement . Depuis ce moment
u. i5
/
3S6 LA LiaEUDtt DoaiB
on ferma ces bains et les gentils commenoèreo^ k
craindre et i vénérer les chrétiens.
SAINT LAURENT, MARTYR
Lauréat viendrait de tenant un lanri^. Ceat lia ariNre atae
les Jiranches duquel on tressait autrefois dea eouronaes doaA
on eeignait les vainqueurs. Il c»t remblème de la ▼ietoite; Ur
réjouit la vue par sa verdeur constante ; il répand une ûéimt:
agréable, et possède beaucoup de propriétés. Or, saint LmtcéI
est ainsi nommé de laurier, parce qu'il remporta la viêla&Ri
dans son martyre ; ce qui força Dèce à avouer avec eoalamMi:
« Je pense que nous voici vaincus *. »
Il posséda la verdeur dans la netteté et la pureté de son
corps ; ce qui lui a fait dire: « Ma nuit n'a plusriead*ebsear,
etc. » Il eut l'odeur parce que sa mémoire sera lamelle: de là
ces mots du Psaume m qui lui ont été appliqués : « Il a répanda
des biens sur les pauvres ; sa justice demeurera dans Ions les
siècles. » Saint Maxime dit : « Comment sa justiee n'aaraîtr
elle pas de durée, ses œuvres étaient animées par celte verta
qui lui a fait consommer son martyre. » Sa prédication fut
efficace, puisqu'il convainquit Lucille, Hippolyte et Romain.
Le laurier a la propriété de guérir de la pierre qu'il écrase,
de remédier à la surdité, et de détourner la foudre. De même
saint Laurent brise les cœurs endurcis, rend l'ouïe spirituelle,
et protège contre la foudre des sentences de la réprobation **,
Laurent, martyr et diacre, Espagnol de nation, fut
amené à Rome par saint Sixte. Car ainsi que le dit
*ll existe un poème sur saint Laurent dont tous les mots
commencent par L.
** La vie de saint Laurent est tirée des actes anciens et repro-
duits dans sou office au Bréviaire romain.
SAINT LAURENT, MARTYR 387
M* Jean Beleth*, Sixte, dans un voyage en Espaçne,
rencontra deux jeunes gens, Laurent et Vincent, son
cousin, distingués par leur honnêteté et remarquables
dans toute leur conduite : il les amena à Rome avec
lui. L'un d'eux, c'était Laurent, demeura à Rome auprès
de sa personne, et Vincent retourna en Espagne où il
termina sa vie par un glorieux martyre. Mais cette
opinion de M* Jean Beleth a contre elle le temps du
martyre de ces deux saints ; car Laurent souffrit sous
Dèce et Vincent, qui était jeune, sous Dioclétien et
Dacien. Or, entre Dèce et Dioclétien, il s'écoula environ
40 ans et il y eut entre eux sept empereurs, en sorte
que saint Vincent n'aurait pu être jeune. Saint
Sixte ordonna Laurent son archidiacre. En c(; temps-
là, l'empereur Philippe et son fils, qui portaient le
même nom, avaient reçu la foi et après être devenus
chrétiens, ils s'efforçaient de donner beaucoup d'im-
portance à l'Eglise. Ce Philippe fut le premier em-
pereur qui reçut la foi de J.-C. ; ce fut, dit-on, Origène
qui le convertît, quoiqu'on lise ailleurs que ce fut
saint Pontius. 11 régna l'an mille de la fondation de
Rome, afin que cette millième année filt consacrée à
J.-C. plutôt qu'aux idoles. Or, les Romains célébrèrent
cet anniversaire avec un grand appareil de jeux et de
spectacles. L'empereur Philippe avait auprès de sa
personne un soldat nommé Dèce qui était courageux
et renommé dans les combats. Vers cette époque, la
Gaule s'étant révoltée, l'empereur y envoya Dèce afin
de soumettre à la domination roniaine les Gaulois
* C. CXLV.
1)88 LA LÉGENDE DORER
rebelles. Dèce mena tout à bien et revint à Rome après
avoir remporté la victoire au gré de ses désirs. L'em-
pereur apprenant son arrivée voulut lui rendre de
grands honneurs et alla au-devant de lui jusqu'à Vé-
rone. Mais comme l'esprit des méchants s'enfle d'un
orgueil d'autant plus grand qu'ils se sentent honorés
davantage, Dèce exalté par l'ambition en vint jusqu'à
aspirer à l'empire et à comploter la mort de son mettre.
Il choisit le moment où l'empereur reposait sous son
pavillon pour y entrer en cachette et l'égorger pendant
qu'il dormait. Quant à l'armée venue avec l'empereur,
il se l'attacha par ses prières, par l'aident, par des
largesses et par des promesses, et alors il se hâta
d'aller à la capitale de l'empire à marches forcées. A
celte nouvelle, Philippe le jeune fut saisi de craintes,
et au rapport de Sicard dans sa chronique, il confia
les trésors entiers de son père et les siens à saint Sixte
et à saint Laurent, afin que, s'il venait à être tué lui-
même par Dèce, ils donnassent ces trésors aux églises
et aux pauvres. N'allez pas vous étonner si les trésors
distribués par saint Laurent ne sont pas appelés les
trésors de IVmpereur, mais bien ceux de l'Eglise, car
il put se faire cju'avec ces (résors de l'empereur Phi-
lippe, il eiU distribué en même temps quelques trésors
appartenant à rÉglise : ou bien encore, on peut les
apj)(*ler les trésors de l'Eglise, parce que Philippe les
avait laissés à l'Eglise pour qu'ils fussent partagés
entre les pauvres, quoique Ton doute avec certaine
raison (|iie ce fut Sixte (|ui existât alors, comme il sera
<lit plus bas. Ensuite Philippe s'enfuit et, pour ne point
lonibei* entre les mains Ac Dèce, à son retour, il se
S
SAINT LAURENT, MARTYR 389
cacha. Le Sénat alla donc au-devant de Dèce et le con-
Krma dans la possession de l'empire. Or, afin de paraître
avoir tué son mattre non par trahison, mais par zèle
pour le culte des idoles, il commença à persécuter les
chrétiens avec la plus affreuse cruauté, donnant Tordre
de les égorger sans aucune miséricorde. Dans cette
persécution périrent plusieurs milliers de martyrs,
parmi lesquels futcouronné Philippe le jeune. Ensuite,
Dèce se mit à la recherche du trésor de son maître.
Sixte lui fut présenté comme adorant J.-C. et comme
possédant les trésors de Tempereur. Or, saint Laurent
qui le suivait par derrière lui criait: « Où allez-vous,
sans votre fils, ô mon père ? saint prêtre, où allez-vous
sans votre diacre? Jamais vous n'aviez coutume d'oftnr
le sacrifice sans ministre. Qu'y a-t-il en moi qui ait pu
déplaire à votre cœur de père ? Avez-vous des preuves
que j'aie dégénéré ? Éprouvez de grâce, si vous avez
fait choix d'un assistant capable, quand vous m'avez
confié le soin de distribuer le sang du Seigneur. » Ce
n'est pas moi qui te quitte mon fils, ni qui t^abandonne,
reprit le saint Pontife ; mais de plus grands combats
pour la foi de J.-C, te sont réservés. Pour nous, en
quaUté de vieillard, nous n'avons à affronter que de
faibles dangers, toi qui es jeune, tu remporteras sur
le tyran un plus glorieux triomphe. Dans trois jours,
tu me suivras, c'est la distance qui doit séparer le
prêtre et le lévite. Et il lui remit tous les trésors, en
lui ordonnant d'en faire la distribution aux églises et
aux pauvres. Le bienheureux Laurent se mit donc
nuit et jour à la recherche des chrétiens et donna
à chacun selon ses besoins. Il vint à la maison d'une
r
3DU LA LtGENDE DOREE
veuve qui avait caché uu grand uombre de chrétiens
chez elle : depuis longtemps elle souffrait de maux de
tète. Saint Laurent lui imposa les mains et elle fut
guérie de sa douleur ; ensuite il lava les pieds des
pauvres et leur donna l'aumône. La même nuit, il vint
chez un chrétien et y rencontra un homme aveugle ;
par un signe de croix, il lui rendit la vue.
Or, comme le bienheureux Sixte ne voulait pas entrer
dans les vues de Fempereur, ni sacrifier aux idoles, il
fut condamné à avoir la télc tranchée. Accourut alors
saint Laurent qui se mit à crier à saint Sixte :
« Veuillez ne pas m'abandonner, père saint, parce que
déjà j'ai dépensé vos trésors que vous m'aviez confiés. »
Alors les soldats, en entendant parler de trésors, se
saisirent de Laurent et le livrèrent entre les mains
du tribun Parthénius. Celui-ci le présenta à Dèce.
Le césar Dèce lui dit : « Où sont les trésors de l'É-
glise que nous savons avoir été déposés chez loi ? »
Or, comme Laurent ne lui répondait pas, il le livra à
Valérien qui était préfet, afin de le forcer à livrer les
trésors et à sacrifier ensuite aux idoles, ou bien de le
faire périr dans des supplices et des tourments divers.
Valérien, de son colé, le mit entre les mains d'un offi-
cier noninié Hippolyte afin qu'il le gardât : et Laurent
fut enfermé en prison avec beaucoup d'autres. Il y
avait là sous les verrous un gentil nommé Lucillus
qui, à force de pleurer, avait perdu la vue. Comme
Laurent lui promettait de lui rendre l'usage de ses
yeux, s'il croyait en .l.-C. et s'il recevait le baptême,
cet homme demanda avec instance à être baptisé.
Laurent prit donc de Peau cl lui <lit : « Tout est lavé
SAINT LAURENT, MARTYR 391
dans la confession. »Et quand Laurent l'eut interrogé
avec précision sur les articles de foi et que Lucillùs
eut confessé qu'il les croyait tous, il lui versa de Teau
sur la tète et le baptisa au nom de J.-C. C'est pour
cela que beaucoup d'aveugles venaient trouver Laurent
et s'en retournaient guéris. Quand Hippolyte vit cela,
il lui dit : « Montre-moi les trésors. » Laurent lui
répondit : « O Hippolyte, pour peu que tu croies en
Notre-Seigneur J.-C, je te montre des trésors et je le
promets une vie éternelle. » Hippolyle lui dit: « Si lu
fais ce que lu dis, je ferai aussi ce à quoi tu m'exhortes. »
A la même heure, Hippolyte crut et reçut le saint
baptême avec sa famille. Quand il fut baptisé il dit :
« J'ai vu les âmes des innocents tressaillir de joie. »
Peu après, Valérien donna ordre à Hippolyte de lui
présenter Laurent. Celui-ci dit à Hippolyte : « Allons
tous les deux ensemble, car la gloire nous est réservée à
toi et à moi. » Ils viennent donc tous deux devant
le tribunal, et l'on s'enquiert encore du trésor. Lau-
rent demanda un délai de trois jours, ce à quoi Valé-
rien consentit en le laissant sous la garde d'Hippolyte.
Pendant ces trois jours, Laurent rassembla les pau-
vres, les boiteux et les aveugles et les présentant dans
le palais de Sallusle à Dèce: « Ce sont là, lui dit-il,
les trésors éternels qui ne diminuent jamais, mais qui
s'accroissent; ils sont répartis entre chacun et trouvés
entre les mains de tous; et ce sont leurs mains qui
ont porté les trésors dans le ciel. » Valérien dit devant
Dèce qui était présent: « Pourquoi tous ces détours?
Hâte-toi de ^sacrifier et renonce à la magie. » Laurent
lui dit : « Quel est celui ([u'on doil adorer? Est-ce le
392 LA LÉGENDE DORI%E
créateur ou la créature? » Dèce irrité le fit frapper
avec des fouets garnis de plomb, appelés scorpions, et
on lui mit devant les yeux tous les genres de tortures.
Comme l'empereur lui commandait de sacrifier afin
qu'il échappât à ces tourments, Laurent répondit :
« Malheureux ! ce sont des mets que j'ai toujours dé-
sirés. » Dèce lui dit : « Si ce sont des mets, fais-moi
connaître les profanes qui te ressemblent afin qu'ils
partagent ce festin avec toi. » Laurent répondit : « Ils
ont déjà donné leurs noms dan«; lescieux et c'est pour
cela que tu n'es pas digne de les voir. » Alors par
l'ordre de Dèce, il est dépouillé, battu de coups de
fouets et des lames ardentes lui sont appliquées sur
les côtés. « Seigneur J.-C., dit alors Laurent, Dieu
de Dieu, ayez pitié de votre serviteur, puisque quand
j'ai été accusé, je n'ai pas renié votre saint nom,
quand j'ai été interrogé, je vous ai confessé comme
mon Seigneur. » Et Dèce lui dit : « Je sais que c'est
par les secrets de la magie que tu te joues des tour-
ments, mais tu ne sauras te jouer longtemps de moi.
JVii atteste les dieux et les déesses ; si tu ne sacrifies,
tu périras dans des tourments sans nombre. » Alors
il commanda qu'on le frappât très longtemps avec des
fouets garnis de balles de plomb. Mais Laurent se mit
a ])ri(»r en disant : « Seigneur Jésus, recevez mon
esprit. )) Alors il se fit entendre une voix du ciel que
Dèce ouït aussi : « Tu as encore bien des combats à
soutenir. » Dèce rempli de fureur s'écria : « Romains,
vous avez entendu les démons consolant ce sacrilège,
qui n'adore pas nos dieux, ne craint pas les tour-
ments et ne sV'jiouvaute pas delà colère des princes. »
V
SAINT LAURENT, MARTYR 393
II ordonna une seconde fois qu'on le battît avec des
scorpions. Laurent se mit à sourire, remercia Dieu
et pria pour les assistants. Au même instant, un sol-
dat, nommé Romain, crut et dit à saint Laurent : « Je
vois debout en face de toi un très beau jeune homme
qui essuie tes membres avec un linge. Je t'en conjure,
au nom de Dieu, ne me délaisses pas, mais hâte-toi
de me baptiser. » Et Dèce dit à Valérien : « Je pense
que nous voici vaincus par la magie. » Il ordonna
donc de le détacher de la cathaste * à laquelle il était
attaché et de le renfermer sous la garde d'Hippolyte.
Alors Romain apporta un vase plein d'eau, se jeta aux
pieds de saint Laurent et reçut de ses mains le saint
baptême. Aussitôt que Dèce en fut informé, il fit
battre de verges Romain qui, s'étant déclaré chrétien
de plein gré, fut décapité par Tordre de l'empereur.
Cette nuit-là, Laurent fut amené à Dèce. Or, comme
Hippolyte pleurait et criait qu'il était chrétien, Lau-
rent lui dit : « Cache plutôt J.-C. au-dedans de ton
cœur, et quand j'aurai crié, prête l'oreille et viens. »
On apporta donc des instruments de supplices de tous
les genres. Alors Dèce dit à Laurent : « Ou tu vas sa-
crifier aux dieux, ou cette nuit finira avec tes sup-
plices. » Laurent lui répondit : « Ma nuit n'a pas
* La cathasta, d'après Kich, est tout simplement un s^ril de
fer au-dessous duquel on meUait du feu pour torturer les cri-
minels. Cet instrument était distingué du chevalet Ecuieus
ci avait la forme d'une échelle d'après ce passasse de Salvien:
Lib. 111, De Gubernat. Dei : Ad rœlestfs regiœ januam nxreu'
fientes scalas ttibi quodam modo de ecuieis cafastisquc fecerunt.
Iso Magister in Glossis catnstœ, genus tonnenti^ id eut, Iprli />'/■-
rei.
â
394 LA LÉGENDE DOREE
d'obscurités, mais lout pour moi est plein de lumière. »
El Dèce dit : « Qu'on apporte un lit de fer afin que
l'opiniâtre Laurent s'y repose. » Les bourreaux se
mirent donc en devoir de le dépouiller et retendirent
sur un gril de fer sous lequel on mit des charbons ar-
dents et ils foulaient le corps du martyr avec des four-
ches de fer. Alors Laurent dit à Valérien : « Apprends,
misérable, que tes charbons sont pour moi un rafraf-
chissement, mais qu'ils seront pour toi un supplice
dans l'éternité, parce que le Seigneur lui-même sait
que quand j'ai été accusé, je ne l'ai pas renié; quand
j'ai été interrogé, j'ai confessé J.-C. ; quand j'ai été
rôti, j'ai rendu des actions de grâces. » Et il dit à
Dèce d'un ton joyeux : « Voici, misérable, que tu as
rôti un côté, retourne l'autre et mange. » Puis remer-
ciant Dieu : « Je vous rends grâce, dit-il, Seigneur,
parce que j'ai mérité d'entrer dans votre demeure. »
C'est ainsi qu'il rendit l'espril. Dèce, tout confus, s'en
alla avec Valérien au palais de Tibère, laissant le corps
sur le feu. Le matin, HippolyteTenleva et, de concert
aver lo pnHrc Justin, il rensev«»lit avec des aromates
au champ Vrranus. Les chrétiens jeûnèrent, et pen-
dant trois j(Hirs célébrèrent ses vi^^iles, au milieu des
sani;h)ts e( en versant des torrents de larmes.
Esl-il certain (jut» saint Laurent ail souffert le mar-
tyre sous cel empereur Dèce ? Le fait est douteux
jM)ur beaucoup de monde, puisque dans les clironi-
(|nes, on lit (|ue Sixte vécut longtemps avant Dèce.
(Vcsl le sentiment d'Eutrope quand il dit : Dèce qui
suscita nnt* persécution cruitre les chrétiens fil tuer
<'ntre antres le hienluMireux lévite et martvr Laurent.
SAINT LAURENT, MARTYR 395
11 est rapporté dans une chronique assez aulhenlique
que ce ne fut pas sous Tempereur Dèce, successeur
de Philippe, mais sous un Dèce qui fut César, et non
pas empereur, que saint Laurent souffrit le martyre.
Car entre l'empereur Dèce et Dèce le jeune, sous
lequel on dit que saint Laurent fut martyrisé, il y
eut plusieurs empereurs ei plusieurs souverains pon-
tifes intermédiaires. En effet, il est dit dans le même
livre que après Gallus et Volusien son fils, successeur
de Dèce à l'empire, régnèrent Valérien et Gallien, et
que ces deux derniers créèrent César, Dèce le jeune,
mais sans le faire empereur. Car anciennement les
empereurs donnaient à quelques-uns la qualité de
Césars, sans cependant les créer Augustes ou empe-
reurs ; ainsi on lit dans les chroniques que Dioclétien
fit César Maximien, et que, dans la suite, de César il
le créa Auguste. Or, du temps de ces empereurs, c'est-
à-dire de Valérien et de Gallien, c'était Sixte qui
siégeait à Rome. Ce fut donc ce Dèce simple César,
mais non pas empereur qui martyrisa saint Laurent.
C'est pour cela que dans la légende de ce saint, Dèce
n'eçt pas appelé empereur, mais Dèce-César seulement.
Car l'empereur Dèce ne régna que deux ans, et nuir-
lyrisa le pape saint Fabien. A Fabien succéda Cor-
neille qui souffrit sous Volusien et Gallus. Après
Corneille vint Lucien, et Lucien eut pour successeur
Etienne qui souffrit sous Valérien et (îallien dont le
règne dura quinze ans. A Etienne succéda Sixte. Ce
qui précède est tiré de la chronique qui a été citée
ci-dessus. Cependant toutes les chroniques, tant d'Eu-
sèbe, que de Bède et d'Isidore s'accordent à dire <|uc
396 Ll iJbknde dukék
le pape Sixte ne vécut pas du temps ilc roiii|ii-rcaril
Dèoe,'iiiaiB bien de tSllK^n. Mais uii lit encure dancl
une autre dironiqae -({ue ce Uallien cul deux iioms*]
qu'il fut appelé Gallieu et Dèce, et ce fui sous lui qoe '
souffrirent Sixte et Laurent, vers Tau du Seigneur
257. Geoffiroy avance aussi dans son livre intitulé
Panthéon que Gallien se numma Dèce el que ce Fut^j
sous lui que souffrirent saint Sixte et saint Laurtrntd
Et si cet auteur est exact» es qu'avance Jean Beleltt'l
pourrait être véritable. — Saint Gh-^oire rapporte an
livre de ses DiaUiguet qu'une reltgiaifle, aomnlée
Sabine, conserva la continence sans pouvoir atodé-
rer l'intempérance de n lanj^ue; BÛe.fiU entorée .
dans r^ise de saint Laurent, devant l'autel du mar-
tyr; mais une partie de son corps fut coupée par le
démon et resta intacte, tandis que l'antre partie fat
brûlée : ceci fut constaté le lendanain matin. — Gré-
goire de Tours rapporte * qu'un prêtre jréparant une
église de saint Laurent, une poutre se teoavait être
trop courte; il pria le saint marljrrqui avait soutenu
les pauvres de venir au secours de son indigence ; la
poutre s'allon^ea-de telle sorte qu'elle était beaucoup
trop longue : le prêtre coupa alors cet excédent en
petites parties et s'en servit pour guérir beaucoup
d'infirmités. Ce fait est attesté par le bienheureux
Fortunat, et il eut lieu à Brione, cbAleau d'Italie. —
Un homme avait mal aux dents : on le toucha avec
un morceau de cette poutre et sa douleur disparut. —
Au rapport de saint Grégoire dans ses Dialogues **,
' Oc 'ilui-ia Marlyi-., \. I, c. xlii ; — Forlunst, I. ix, c. xii-.
SAINT LAURENT, MARTYR 397
un autre prêtre appelé Sanclutus, voulant réparer
une église de saint Laurent brûlée par les Lombards,
loua grand nombre d'ouvriers. Or, un jour qu'il
n'avait rien à leur donner à manger, il se mit en prière
et en regardant dans le four il y trouva un pain très
blanc qui ne paraissait cependant pas devoir suffire
à un repas pour trois personnes. Or, saint Laurent,
qui ne voulait pas que ses ouvriers manquassent de
rien, multiplia ce pain de telle sorte qu'il y en eut
assez pendant dix jours pour tous les ouvriers. —
Vincent de Beauvais rapporte, dans sa chronique,
qu'il y avait à Milan dans une église de saint Laurent
un calice de cristal d'une merveilleuse beauté. Dans
une solennité le diacre qui le portait à l'autel le laissa
échapper de ses mains, et en tombant par terre ce
calice se brisa en morceaux. Mais le diacre affligé en
rassembla les fragments, les mil sur l'autel, fit une
prière à saint Laurent, et il reprit le calice entier et
très solide. *
On lit encore dans le livre des Miracles de la sainte
Vierge^ qu'il y avait à Rome un juge nommé Etienn*»,
qui recevait volontiers des présents de grand nombre
de personnes, et violait souvent la justice. Il usurpa
par force trois maisons de l'église de saint Laurent
et un jardin de sainte Agnès, et resta en possession
de ce qu'il avait acquis injustement. Or, il arriva
qu'il mourut et qu'il fut mené au jugement de Dieu.
Saint Laurent s'approcha alors de lui, plein d'indi-
i^nation, et par trois fois il lui serra le bras pendant
• Grcg. de Tours, De (Uovia .\favtyr., I. I, c. xlvi.
398 I.A LÉGENDE DORI^.E
longtemps cl lui fit souffrir de cruelles douleurs. Mais
sainte Agnès avec les autres vierges ne voulut pas le
voir et détourna la tête. Alors le juge rendit son arrêt
en ces termes : « Parce qu'il a soustrait le bien d'au-
Irui, et qu'en recevant des présents, il a vendu la vé-
rité, qu'il soit trafné au lieu où est Judas le traître. »
Alors saint Prœjcct pour lequel Etienne avait eu beau-
coup de dévotion pendant sa vie, s'approchant de saint
Laurent et de sainte Agnès, demandait pardon pour ce
juge. 11 fut donc accordé à leurs prières unies à celles
de la sainte Vierge que son âme retournerait à son
corps pour y faire pénitence pendant trente jours. En
outre il reçut pour pénitence, de la part de la sainte
Vierge, de réciter chaquejour de sa vie le Psaume cxviir,
lîeati immaculati in via. Quand il revint à la vie,
son bras était noir et brûlé comme s'il eût réelle-
ment souffert dans son corps, et celte marque resta
sur lui tant qu'il vécut. 11 restitua donc le bien mal
acquis et fit pénitence, mais il trépassa dans le Sei-
gneur lo InMitiôme jour. — On lit dans la vie deTem-
penMir saint II(»nri (M de sainte Cunégonde, sa femme,
qu'ils vrcurontenseml)ledansla virginité; mais à l'ins-
tigation (lu diable, remporeur conçut des soupçons
sur son rpouse par rapp(»rt à un soldat, et il la fit mar-
rlier rui-pieds Tespare de !;> marches sur des socs de
charnio rougis an fou. En montant dessus elle dit :
(i Dt* nn^nie, StMgneur Jésus, que vous avez connais-
sance» (pio ni ITiMiri m* aucun autre ne m'a toucbée, de
mt^nic aussi venez à mon aide. » Mais Henri poussé
par la honte la Frappa au visae;*e : et une voix se fit
entendre à (Innégonde en lui disant : « La Vierge
SAINT LAURENT, MARTYR 399
Marie t'a prise sous sa protection, car tu es vierge. »
Elle marcha donc sur cette masse incandescente
sans ressentir aucune douleur. L'empereur venait de
mourir quand une multitude infinie de démons pas-
sant devant la cellule d'un ermite, celui-ci ouvrit sa
fenêtre et demanda au dernier passant qui ils étaient.
Et il répondit : « Nous sommes une légion de démons
qui nous hâtons d'aller à la mort du César afin de
voir si nous pourrons trouver en lui quelque chose qui
nous appartienne en propre. » L'ermite adjura le dia-
ble de revenir et celui-ci lui dit à son retour : « Nous
n'avons rien trouvé, car bien que le soupçon injuste
qu'avait conçu l'empereur, et ses autres péchés aient
été mis ainsi que ses bonnes œuvres dans la balance,
Laurent le grillé apporta un pot d'or d'un poids énorme,
quand nous pensions emporter César; cette chaudière
ayant été jetée sur la balance, l'autre côté l'emporta ;
alors, je fus irrité et j'arrachai une oreille de ce pot
d'or. 11 donnait le nom de pot à un calice que cet em-
pereur avait fait ciseler pour l'église d'Eichstat en
riionneur de saint Laurent envers lequel il avait une
dévotion particulière. A cause de sa grandeur, ce ca-
lice avait deux anses. Et il se trouva qu'au même mo-
ment l'empereur mourut et une anse du calice fut bri-
sée *. Saint Grégoire rapporte dans son Reyistve**^
* Ce fait se trouve sculpté eu relief sur le tombeau qui
renfermait les reliques de saint Henri et de sainte Cunc-
i^oode avant leur canonisation. On y voit un ange tenant d*unc
main une épée dégainée, de l'autre, une balance sur Pun drs
plateaux de laquelle est posé un calice. Chronic, Casin., 1. II,
C. XLIV.
•* Ep., 1. V, c. XXX.
400 LA LÉGENDE DORÉE
(ju'un de ses prédécesseurs voulait soulager quelqu'un
auprès du corps de saint Laurent, mais qu'il ne sa-
vait où le corps reposait ; quand tout à coup et sans
le savoir on découvre le tombeau, et tous ceux qui se
trouvaient là *, aussi bien les moines que ceux qui
étaient attachés à l'église, et qui avaient vu ces saintes
reliques, moururent dans l'espace de dix jours.
11 faut observer que le martyre de saint Laurent
paratt l'emporter sur ceux des autres saints marty
par quatre caractères qui lui sont propres et qu'o
trouve exposés dans les paroles de saint Maxime, évè
que, et de saint Augustin. Le premier, c'est la rigue
de ce martyre; le second, c'est le résultat ou l'utili
qu'il eut; le troisième, c'est la constance et le coura
du p:itient; le quatrième, c'est le combat admirab
en lui-même et le mode de sa victoire.
I. Le martyre de saint Laurent l'emporte sur I
antres par l'extrême rigueur des tourments. Voici co
ment s'en exprime le bienheureux évêque Maxime,
selon certains textes saint Ambroise : « Mes frères,
n'est pas un martyre ordinaire et de quelques insta
que saint Laurent eut à souffrir : car celui qui est frap» "MP^
du glaive, meurt une fois, celui qui est plongé dans 'm^^n
brasier de flammes, est délivré à l'instant; mais sai.ï ni
Laurent «*si tonririeiité par dt\s supplices longs et nr>M w-
breux, en sorte ({lie la mort ne ralentit pas sa souffrais ^^^^%
et lui manqua à la fin. N(»us lisons que des bienheur^ ^*x
enfants s»» [)r()in Miaient au niilieu des flammes ap[> ^ ♦'"
i.e loxh' pnrir M'in^ionarii. On appelail ainsi les toi-* s^n-
ciiTs <riin(» mais )n. (Jiiiiml il s'atj^il de ptM'sonnrs roli^ioi.* "= ^'*''-
c't'lai»Mi( «les oliaii(»iri('s vivaul en conniiiinauté.
SAINT LAURENT, MARTYR 401
lécî^ pour les faire souffrir el qu'ils foulèrent aux pieds
des$ ^nasses de feu. El cependant saint Laurent leur
^* t- ^ upérieur en gloire, parce que ceux-là se prome-
"^^i<^»it dans les flammes, et que lui fut couché sur le
fem_a même qui faisait son supplice. Ils foulèrent le feu
^^ l^urs pieds, tandis que lui en éteignit l'ardeur par
'^ I>osition qu'on avait fait prendre à son corps étendu
^*-* «" ses flancs. Ceux-là étaient debout et adressaient
*^^-* i:*s prières en levant les mains vers le Seigneur ; ce-
^'^î —ci étendu sur le gril priait pour ainsi dire le Sei-
§r*^ ^ ur avec chacun de ses membres. Il faut noter encore
ï^-*€^ saint Laurent vient le premier de tous les martyrs
* r^ »*ôs saint Etienne, non pas pour avoir supporté de
T^ ■ ^-a^ grands tourments que les autres martyrs puisque
*^^^ ticoup souffrirent des tourments égaux et quelque-
■^^î^ plus violents, mais c'est pour six motifs qui se
mavent ici réunis : 1® En raison du lieu où il a souf-
, c'est à Rome, la capitale du monde et où se trouve
^^iège apostolique. 2<* En raison de sa prédication,
1^ il s'y livra avec ardeur. 3° En raison des trésors
^***il distribua tout entiers avec sagesse aux pau-
^^^s. Ces trois raisons sont celles de maître Guillaume
^ -A^uxerre. 4<* Parce que son martyre est authentique
^^ C3ertain : car bien qu'on lise que les autres aient
^^iaffert de plus grands supplices, cependant cela n'est
P^s authentique et quelquefois il y a lieu d'en douter;
'p^îs le martyre de saint Laurent est très solennel dans
^^ïîse qui l'a approuvé, ainsi que nombre de saints
^o^ leurs discours. H^ Par la dignité à laquelle il fut
^^^•^ ; car il fut archidiacre du siège apostolique, et
^lui, il n'y eut plus à Rome d'archidiacre. 6®Pour
402 LA LÉGRNDE DOR^.E
la cruauté des lourmenls Hjui furent des plus atroces,
puisqu*il fut rôti sur un gril de fer. Ce qui a fait dire
de lui par saint Augustin : n On commanda d'exposer
sur le feu ses membres déchirés et coupés par les nom-
breux coups de fouet qu'il avait reçus, afin que sur ce
gril de fer sous lequel était entretenu un feu violent,
le tourment filt plus atroce etla souffrance plus longue
puisque Ton retournait Tun après l'autre chacun d^
ses membres.
11. Le martyre de saint Laurent l'emporte sur I
autres par ses résultats et son utilité. D'après sai
Augustin ou saint Maxime, l'àpreté du supplice a cck
vert saint Laurent de gloire, l'a rendu célèbre dans P
pinion publique, excite à la dévotion envers lui, et e
fait un modèle remarquable. 1** Elle le couvrit d^
gloire : ce qui fait dire à saint Augustin : « Tyran, Um
as sévi contre ce martyr ; tu as tressé, tu as embelli
sa couronne en accumulant les tourments. » Saint
Maxime ou saint Ambroise ajoute : « Quoique ses mem-
bres se disloquent sous Tardeur de la flamme, cepen-
dant la force de sa foi n'est pas ébranlée. Il perd son
cor[)s, mais il gay;^ne le salut. » Saint Augustin dit :
(( 0 l(* bienheureux r(»r|)s, dont les angoisses ne purent
lui faire perdre la foi, mais que la religion couronna
dans le ciel. » 2" Elle le rendit célèbre dans l'opinion
publi(|ue. Saint Maxime ou saint Ambroise dit : « Nous
pouvons comparer le bienheureux martyr Laurent au
grain de sénevé (pii, broyé de toutes manières, a mé-
rité de répandn* par tout l'univers une odeur mysté-
rieuse. Quand il était en vie, il fut humble, inconnu,
méprisé. A peine a-t-il été lourmenté, déchiré, brillé,
SAINT LAURENT, MARTYR 403
Hu'il répandit sur toutes les églises du monde un par-
^^m de noblesse. » Plus loin on lit: « C'est chose sainte
^^ agréable à Dieu que nous honorions avec une piété
^ute particulière le jour de la naissance de saint Lau-
'^"t : l'Église victorieuse de J.-C. brille en ce jour
^^ reflet de son bûcher, aux regards de l'univers. Ce
?<?Viéreux martyr a acquis une telle gloire dans son mar-
'^Te qu'il en éclaire le monde entier. » 3** Le martyre de
^'*>t Laurent nous excite à la dévotion pour lui. Saint
^^g-xistin donne trois motifs que nous avons de le louer
^^ ^«luijrémoigner notre dévotion. Nous devons mettre
^otit,e notre confiance dans ce bienheureux martyr,
^ '^tiord parce qu'il a répandu son précieux sang pour
*^*^^ii, ensuite parce qu'il a le privilège infini de nous
^t^Ontrer quelle doit être la foi du chrétien puisqu'il
^ eu tant d'imitateurs ; enfin, parce que toute sa vie
i^t si sainte qu'il mérita d'obtenir la couronne du mar-
tyre dans un temps de paix. 4° Le martyre a fait de
saint Laurent un modèle proposé à notre imitation.
Là-dessus saint Augustin s'exprime ainsi : « La cause
pour laquelle ce saint homme a été dévoué à la mort,
n'est que pour porter les autres à être ses imitateurs. >>
Or, nous avons trois motifs de Timiter : 1** la force avec
laquelle il souffrit : « Le peuple de Dieu, dit saint Au-
gustin, n'est jamais instruit d'une manière plus pro-
'fitable que par l'exemple des martyrs. Si l'éloquence
entraîne, le martyre persuade. Les exemples rem[)or-
lent sur les paroles, et les actions instruisent mieux
que les discours. Les persécuteurs de saint Laurent
ont pu apprécier eux-mêmes quelle dignité possédaient
les martyrs dans cette excellente manière d'instruire.
#
404 LA LEGENDE DOREE
puisque cette admirable force d'âme ne faiblissait pas,
mais fortifiait encore les autres en leur donnant un
modèle dans ses souffrances. » 2* La grandeur et Tar-
deur de sa foi : « En surmontant par la foi, dit saint
Maxime ou saint Ambroise, les flammes du persécu-
teur, il nous montre que, par le feu de la foi, on peut
surmonter les flammes de l'enfer, et avec l'amour de
J.-C, on n'a plus à craindre le jour du jugement. »
3' Son ardente dévotion : « Saint Laurent, dit encore
le môme auteur, a illuminé le monde entier avec cette
lumière qui le brilla lui-même, et de ces flammes dont
il supporta Tardeur, il échauffa les cœurs de tous les
chrétiens. Sur l'exemple de saint Laurent, nous sommes
excités à souffrir le martyre, nous sommes enflammés
pour la foi, et nous sommes échauffés par la dévo-
tion. »
III. Le troisième caractère qui distingue excellem-
ment son martyre, c'est sa constance, ou son courage.
Voici comme en parle saint Augustin : « Le bienheu-
reux Laurent demeura en J.-C. au milieu de ses
épreuves, [)en(laiit son inique inlerrogatoire, jusqu'aux
atroces menaces (ju'oii lui fit, et jusqu'à la mort. Dans
cette lon^jue mort, il avait bien mangé, bien bu, il
était rassasié de cette nourriture, et ivre de ce calice
de Dieu ; alors il ne ressentit pas les tourments, il ne
fut pas abattu, mais il monta au ciel. Il fut si cons-
tant et si ferme que non seulement, il ne succomba
])as aux tourments, mais, que ])ar ces tourments eux-
mêmes, il devint plus parfait dans la crainte, plus
frrviMit dans Faniour cl [)[us joyeux en ardeur. » i**
« On l'étend, dit saint Maxime, sur des charbons ar-
SAINT LAURENT, MARTYR 405
dents, on ne cesse de le tourner sur lui-même ; mais
plus il souffre de douleur, plus grande est la patience
avec laquelle il craint N.-S. J.-C. » 2** « Le grain de
sénevé, dit saint Maxime ou bien saint Ambroise,
quand il est broyé, s'échauffe. Laurent au milieu de
ses supplices s'enflamme. Chose admirable ! celui-ci
tourmente Laurent, ceux-là plus cruels encore perfec-
tionnent les tortures, mais plus les supplices sont
atroces plus ils rendent Laurent parfait dans son dé-
vouement. » 3** Son cœur était tellement fortifié par la
foi dans J.-C, que ne tenant aucun compte des tor-
tures infligées à son propre corps ; tout joyeux de son
triomphe sur les flammes qui le brûlaient, il insultait
à la cruauté de son bourreau.
IV. Le quatrième caractère de son martyre fut sa
lutte admirable et la manière dont il remporta la vic-
toire. Car, on peut recueillir des paroles de saint
Maxime et de saint Augustin^ que saint Laurent eut
à endurer en quelque sorte extérieurement cinq sortes
de feu, qu'il supporta avec courage et qu'il éteignit.
Le premier fut le feu de l'enfer, le second le matériel
de la flamme, le troisième fut celui de la concupis-
cence de la chair, le quatrième fut celui d'une violente
avarice, le cinquième fut le feu d'une rage insensée.
1® « Pouvait-il faiblir, dit saint Maxime, parce que son
corps était momentanément brûlé, celui dont la foi
éteignait le feu éternel de l'enfer? II passa à travers
un feu d'un instant de durée, et tout terrestre, mais
il échappa à la flamme de la géhenne qui brûle sans
cesse. » 2® « Son corps est brûlé, dit saint Maxime ou
saint Ambroise, mais Tamour divin éteignit cette com-
I. 20-
40(t LA LÉGENDE DORÉE
bustion matérielle. Un roi méchant mettra lui-même
le bois, il activera le foyer, mais le bienheureux Lau-
rent n'en sentira pas les effets, parce que Tardeur de
sa foi est encore plus vive. » « La charité de J,-C.,
dit saint Augustin, ne fut pas vaincue par la flamme,
et le feu qui brûle à l'extérieur est moins ardent que
celui qui brûle à Tintérieur. » 3*^ Saint Maxime dit en
parlant de l'extinction du feu de la concupiscence :
« Voici un feu par lequel saint Laurent passa, sans en
«Hre brûlé, puisqu'il en eut horreur; mais il n'en brille
pas moins d'un grand éclat : il a brûlé pour n'être point
enflammé, et pour ne point être brûlé, il endura d'être
brûlé. » 4<» L'avarice de ceux qui convoitaient des tré-
sors a été déçue, selon ces paroles de saint Aug'ustin :
« 11 s'arme d'une double torche cet homme cupide d'ar-
gent et ennemi de la vérité : c'est l'avarice pour ravir de
l'or, c'est l'impiété pour faire disparaître J.-C : mais tu
ne gagnes rien, tu ne retires aucun profit, homme cruel,
ce qui n'est que matière est soustrait à tes recherches;
Laurent monto au ciel, et tu péris avec tes flammes. »
o" La folie furieuse des persécuteurs a été frustrée et
aiuiihilée, comme le flil saint Maxime : quand il eut
vaincu les bourreaux (jui attisaient le foyer, il éteignit
l'incendie allumé parla f<»lie (|ui débordait de toutes
paris. Jusque-là le démon n'a obtenu qu'un résultat,
c'est (pie cet homme fidèle montât plein de gloire
jusqu'au trône de son maître, et que la cruauté de
ses persécuttHirs confondus fût engourdie avec leurs
f(Mix. » Il montre conduen fut ardente la folie des
bourreaux en disanl : « La fureur enflammée des
genlils ]»répare un gril ardent, afin de venger dans
SAINT LAURENT, MARTYR 407
les flammes l'ardeur de leur indignation. » Il n'y a
rien d'étonnant que saint Laurent ait surmonté ces
cinq sortes de feu extérieur, puisque d'après les
paroles, de saint Maxime, il y eut trois choses qui le
rafraîchirent intérieurement, et il porta dans son
cœur trois feux au moyen desquels il adoucit et mo-
déra entièrement le feu extérieur, qui fut ainsi vaincu
par une ardeur plus forte. Ce furent : 1® Le désir du
royaume du ciel, 2"* la méditation de la loi de Dieu,
3<* la pureté de conscience. Il refroidit et éteignit
ainsi tout feu extérieur. 1® le désir de la patrie cé-
leste. Saint Maxime ou saint Ambroise dit : « Le
bienheureux Laurent ne pouvait ressentir les tour-
ments du feu puisqu'il possédait dans ses membres
le désir du paradis qui refroidissait les flammes. —
Aux pieds du tyran, gît une chair brûlée, un corps
inanimé : mais il n'a rien perdu sur la terre, puisque
son âme demeure dans le ciel. 2^ La méditation de la
loi divine. Le même auteur s'exprime ainsi : « Tandis
que son esprit est occupé dans la méditation des
commandements de J.-C, tout ce qu'il soufl^re est
froid pour lui. » S*' La pureté de conscience. 11 est
dît à ce propos : « Ce n'est que feu autour des mem-
bres de ce généreux martyr, mais il ne pense qu'au
royaume de Dieu, et sa conscience rafraîchie le
fait sortir vainqueur du supplice. » Il posséda néan-
moins trois feux intérieurs qui lui firent surmonter
la violence des flammes extérieures. Le premier fut
la grandeur de sa foi, le second, son ardente chanté,
et le troisième, une véritable connaissance de Dieu,
qui l'a éclairé comme une flamme. « Plus sa foi est
408 LA LÉGENDE DOREE
ardente, dit saint Ambroîse, plus la flamme qui ^^^t,
brûle perd de sa force. La ferveur de la foi c'est 1
feu du Sauveur qui dit dans TEvangile : «Je suis ve-
rt nu vous apporter le feu sur la terre. » Saint Laurent ^
en était embrasé, il n'a donc pas ressenti Tardeur^ ^
des flammes. » 2° Saint Ambroise dit de sa charité : "^
« Il brillait au dehors ce saint martyr, parce que le ^
tyran l'avait mis sur un foyer violent, mais la flamme ^
de Tamour de Dieu qui le consumait était plus ^
forte encore. » S** Le même père parle ainsi de la
connaissance de Dieu : « Les flammes les plus cruel-
les n'ont pu vaincre cet invincible martyr, parce qu'il
avait l'esprit éclairé des rayons les plus pénétrants
de la vérité. Enflammé de haine pour le mal, et
d'amour pour la vérité, ou il ne sentit pas, ou il
vainquit la flamme qui le brûlait au dehors. L'office
de saint Laurent a trois privilèges dont ne jouissent
pas les autres martyrs. Le premier c'est la viçile ;
c'est le seul des martyrs qui en ait une. Mais les vigi-
les des saints ont été HMnplacées en ce jour par le
jeilne à caust» de certains désordres. M^ Jean Beleth
rapporte qiie c'était autrefois la coutume qu'aux fêles
des saints, les hommes, avec leurs femmes, et les
filles venaient à l'église où ils passaient la nuit à la
lumière des flambeaux ; mais parce qu'il en résultait
des adultères, il fut statué que la vigile serait con-
vertie en jeûne. Cependant on a conservé l'ancienne
dénomination, el on dit encore vigile et non pas
jeûne. Le second, c'est qu'il a une octave. C'est le
seul des martyrs avec saint Etienne qui ait une oc-
tave, comme saint Martin parmi les confesseurs. Le
SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS 409
troisième, c'est que les antiennes ont des réclames *,
cela ne lui est commun qu'avec saint Paul. Saint Paul
a ce privilège en raison de Texcellence de sa prédica-
tion et saint Laurent en raison de l'excellence de son
martyre.
SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS **
Hippolyte vient de hyper, au-dessus, et /t/Ao», pierre, comme
si on disait fondé sur la pierre, qui est J.-C. Ou bien de in,
dans, et polis, ville, ou bien il veut dire très poli. Il fut en effet
fondé solidement sur J.-C. qui est la pierre, en raison de sa
constance et de sa fermeté. Il fut de la cité d'en haut par le
désir et l'avidité : il fut bien poli par Tâpreté des tourments.
Hippolyte, après avoir enseveli le corps de saint
Laurent, vint à sa maison, et en donnant la paix à
sesesclaves et à ses servantes, il les communia *** tous
du sacrement de l'autel que le prêtre Justin avait
offert. Et quand on eut mis la table, avant qu'ils
eussent touché aux mets, vinrent des soldais qui
Tenlevèrent et le menèrent au César. Quand Dèce le
vil, il lui dit en souriant : « Est-ce que tu es devenu
magicien aussi, toi, qui as enlevé le corps de Lau-
rent. » Hippolyte lui répondit : <( Je n*ai pas fait cela
• Voyez le Sacramentaire de saint Gréjyi^oire. Dans la ré-
forme du Bréviaire romain, cet usatifc a disparu.
** Bréviaire romain; — Actes anciens de ces saints.
*** Ce ne fut que vers le xie siècle (ju'ou cessa de donner
les saintes espèces de l'Eucharistie aux H(lèlcs({ui se commu-
nièrent alors de leurjî propres mains.
410 LA LÉGENDE DOREE
comme magicien, mais en qualité de chrétien. » Alors
Dèce rempli de fureur commanda qu'on le dépouillât
de rtiabit qu'il portait en sa qualité de chrétien *,
et qu'on lui meurtrît la bouche à coups de pierres.
Hippolyte lui dit : « Tu ne m'as pas dépouillé, mais
tu m'as mieux vêtu. » Dèce lui répliqua : a Comment
es-tu devenu fou au point de ne pas rougir de ta
nudité? Sacrifie donc maintenant et tu vivras au lieu
de périr avec ton Laurent. » Que ne mérité-je, re-
prit Hippolyte, de devenir l'imitateur du bienheureux
Laurent dont tu as osé prononcer le nom de ta bou-
che impure ! » Alors Dèce le fit fouetter et déchirer
avec des peignes de fer. Pendant ce temps-là, Hippo-
lyte confessait à haute voix qu'il était chrétien ; et
comme il se riait des tourments qu'on lui infligeait,
Dèce le fit revêtir des habits de soldat qu'il portait
auparavant, en l'exhortant à rentrer dans son amitié
et à reprendre son ancienne profession de militaire.
Et comme Hippolyte lui disait qu'il était le soldat de
J.-C, Dèce outré de colère le livra au préfet Valérien
avec ordre de se saisir de tous ses biens et de le faire
périr dans les tourments les plus cruels. On décou-
vrit aussi que tous ses gens étaient chrétiens; alors
on les amena devant Valérien. Comme on les contrai-
gnait de sacrifier, Concordia, nourrice d'Hippolyte,
répondit pour tous les autres : « Nous aimons mieux
mourir chastement avec le Seigneur notre Dieu que
de vivre dans le désordre. » Valérien dit: « Cette race
' Hippolyte {)orluit donc encore la robe blanche dont on
rcvèlail les nouveaux baptisés.
SAINT HIPPOLYTR ET SES COMPAGNONS 4U
d'esclaves ne se corrige qu'avec les supplices. » Alors
en présence d'Hippolyle rempli de joie, il ordonna
qu'on la frappât avec des fouets garnis de plombs
jusqu'à ce qu'elle rendît l'esprit : « Je vous rends
grâces, Seigneur, dit Hippolyte, de ce que vous avez
envoyé ma nourrice la première dans l'assemblée des
saints. » Ensuite Valérien fit mener Hippolyte avec
les gens de sa maison hors de la porte de Tibur. Or,
Hippolyte les raffermissait tous : « Mes frères, leur
disait-il, ne craignez rien, parce que vous et moi,
nous avons un seul Dieu. » Et Valérien ordonna de
leur couper la tête à tous sous les yeux d'Hippolyte,
et ensuite il le fit lier par les pieds au cou de chevaux
indomptés afin qu'il fût traîné à travers les ronces et
les épines, jusqu'au moment où il rendit l'âme, vers
l'an du Seigneur 256. Le prêtre Justin put soustraire
leurs corps et les ensevelir à côté de celui de saint
Laurent. Quant aux restes de Concordia, il ne put
les trouver, car ils avaient été jetés dans un cloaque.
Or, un soldat nommé Porphyre, qui croyait que Con-
cordia avait dans ses vêtements de l'or et des pierres
précieuses, alla trouver un cureur de cloaques appelé
Irénée, qui était chrétien, sans être connu comme tel,
et lui dit : « Garde-moi le secret, et retire Concor-
dia, car mon espoir est qu'elle avait de l'or ou des
perles dans ses habits. » Irénée lui dit : « Montre-moi
l*endroit et je garde le secret ; alors si je trouve quel-
que chose, je t'en informerai. » Lors donc que le corps
eut été retiré, et qu'ils n'eurent rien trouvé, le soldat
s'enfuit aussitôt et 1 renée, ayant appelé un chrétien
nommé Habondus, porta le corps à saint Justin. Celui-
il 2 LA LEGENDE DOREE
ci le prit avec respect et Tensevelit à côté de saint
Hippolyte et des autres martyrs. Quand Valérien
apprit cela, il fil prendre Irénée et Habondus qu'il
ordonna de jeter tout vivants dans le cloaque : saint
Justin enleva aussi leurs corps et les ensevelit avec
les autres.
Après cela, Dèce monta avec Valérien sur un char
doré et ils allèrent tous deux à rAmphithéâtre pour
tourmenter les chrétiens. Alors Dèce fut saisi par le
démon et se mit à crier : « 0 Hippolyte, tu me tiens
lié avec des chaînes bien rudes. » Valérien criait de
son côté : « 0 Laurent, tu me traînes enlacé dans des
chaînes de feu. » Et à l'instant Valérien expira. Dèce
rentra chez lui, et pendant trois jours qu'il fut tour-
menté par le démon, il criait: « Laurent, je t'en con-
jure, cesse un instant de me tourmenter. » Et il mou-
rut ainsi misérablement. Triphonie, sa femme, qui était
d'un caractère cruel, quand elle vit cela, quitta tout
pour venir trouver saint Justin avec sa fille Cyrille, et
se fit baptiser par lui avec beaucoup d'autres person-
nes. Le jour suivant, comme Triphonie était en priè-
res, elle rendit l'esprit. Son corps fut enseveli par le
prêtre Justin à côté de celui de saint Hippolyte. Quand
on apprit que l'impératrice et sa fille s'étaient faites
chrétiennes, quarante-sept soldats vinrent avec leurs
femmes chez le prêtre Justin afin de recevoir le baj>-
tôme. Denys, qui succédait à saint Sixte, les baptisa
tous. Mais Claude, qui était empereur, fit égorger
Cyrille qui ne voulait pas sacrifier, et avec elle les
autres soldats. Leurs corps furent ensevelis avec les
autres dans le champ Véranus. 11 faut remarquer qu*il
SAINT HIPPOLYTE ET SES COMPAGNONS 413
est ici expressément question de Claude comme suc-
cesseur de Dèce qui fit martyriser saint Laurent et
saint Hippolyte. Or, Claude ne succéda pas à Dèce ; il
y a plus : d'après les chroniques, à Dèce succéda Vo-
lusien, à Volusien Gallien, et à celui-ci Claude. Il
paraît donc ici plausible de dire ou bien que Gallien
porta deux noms, eX qu'il s'appela Gallien et Dèce,
d'après Vincent dans sa chronique et Geoffroi dans
son livre, ou bien que Gallien a pris pour coadjuteur
un homme nommé Dèce qu'il aura fait César, sans
que pourtant ce dernier ait été empereur, selon le ré-
cit de Richard dans sa chronique. Saint Ambroise
s'exprime ainsi dans la préface de saint Hippolyte :
« Le bienheureux martyr Hippolyte, regardant J.-C,
comme son véritable chef, aima mieux être son sol-
dat que d'être le chef des soldats. Il ne persécuta pas
saint Laurent qui avait été confié à sa garde, mais il
le suivit. En cherchant les trésors de l'Eglise, il en
trouva un que le tyran ne lui ravirait point, mais que
la piété pouvait seule posséder. Il trouva un trésor
d'où découlaient toutes les richesses ; il méprisa la fu-
reur d'un tyran, afin d'être éprouvé avec la grâce du
roi éternel ; il ne craignît point d'avoir les membres
disloqués, afin de ne pas être broyé dans les liens
éternels. — Un bouvier nommé Pierre avait attelé ses
bœufs à son char, le jour de la fête de sainte Marie-
Magdeleirie ; il pressait son attelage en proférant des
malédictions, quand tout à coup ses bœufs et son char
furent consumés par lafoudrc. Quant au bouvier, qui
avait proféré ces imprécations, il était en proie à des
douleurs atroces; un feu le rongeait de telle sorte (|ue
414 LA LÉGENDE DOREE
les chairs et les nerfs de sa jambe tout entière ayant été
consumés, ses os paraissaient à découvert ; enfin sa
jambe finit par se séparer de sa jointure. Il alla alors
à une église dédiée à Notre-Dame, et cacha sa jambe
dans un trou de celte église en priant avec larmes la
Sainte Vierge de lui obtenir saguérison. Or, une nuit,
la Sainte Vierge lui apparut avec saint Hippolyte au-
quel elle demanda de guérir Pierre. Aussitôt saint
Hippolyte prit la jambe dans le trou où elle était et
en un instant il la replaça comme une greffe qu'on ente
sur un arbre. Mais au moment où le saint fit cela,
Pierre ressentit des douleurs si vives que par ses cris
il réveilla tous les gens de sa maison. Ils se lèvent,
allument de la lumière et trouvent Pierre avec ses deux
jambes et ses deux cuisses. Se croyant le jouet d'une
illusion, ils le palpaient de toutes les manières et re-
connaissaient qu'il avait des membres véritables. A
peine peuvent-ils Téveiller ; enfin ils s'informent auprès
de lui comment cela lui est arrivé. Il pense lui-même
qu'on se moque de lui ; mais enfin après avoir vu, il
finit par se convaincre de ce qui existait ; il en resta
stupéfait. Cependant sa cuisse noiivelle, plus faible que
l'autre pour supporter son corps, était en même temps
plus courte. Comme témoignage du miracle, il boita
pendant un an. Alors la Sainte Vierge lui apparut une
seconde fois avec saint Hippolyte auquel elle dit qu'il
devait achever cette cure. Il s'éveilla et se trouvant
entièrement guéri, il se fit reclus. Le diable lui appa-
raissait très fréquemment sous la forme d'une femme
nue rpii le portait au crime; plus il opposait de résis-
tance, plus l'impudence de cette femme augmentait.
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 415
Or, une foisqu'elle le loiirmentait beaucoup, Pierre en-
fin prit une étole de prêtre et la mil au cou du démon
qui, en se retirant, ne laissa là qu'un cadavre en pu-
tréfaction dont l'odeur était tellement infecte que de
tous ceux qui le virent, il n'y eut personne qui ne
pensât que ce fût le corps d'une femme morte que le
diable avait pris.
L'ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE
VIERGE MARIE
Un livre apocryphe, attribué à saint Jean l'évangé-
liste, nous apprend les circonstances de l'Assomption
de fa bienheureuse vierge Marie. Tandis que les apô-
tres parcouraient les différentes parties du monde
pour y prêcher, la bieftheureuse Vierge resta, dit-on,
dans une maison près de la montagne de Sion. Elle
visita, tant qu'elle vécut, avec une grande dévotion,
tous les endroits qui lui rappelaient son Fils, comme
les lieux témoins de son baptême, de son jeûne, de sa
prière, de sa passion, de sa sépulture, de sa résur-
rection et de son ascension, et d'après Epiphane, elle
survécutde vingt-quatre ans à l'ascension deson Fils. 11
rapporte donc que la Sainte Vierge était âgée de qua-
torze ans quand elle conçut J.-C, qu'elle le mit au
inonde à quinze, et qu'elle vécut avec lui trente-trois
ans, et vingt-quatre autres après la mort de J.-C. D'a-
près cela, elle avait soixantoJouzc ans quand elle
mourut. Toutefois ce qu'on litailleurs paraft plus pro-
41<) LA LÉGENDE DORÉE
bable, savoir, qu'elle survécut de douze ans à sonFils,
et qu'elle était sexagénaire, lors de son assomption,
puisque les apôtres employèrent douze ans à prêcher
dans la Judée et les pays d'alentour, selon le récit de
V Histoire ecclésiastique. Or, un jour que le cœur de fa
Vierge était fortement embrasé du regret de son Fils,
son esprit enflammé s'émeut et elle répand une grande
abondance de larmes. Comme elle ne pouvait facile-
ment se consoler de la perte de ce fils qui lui avait été
soustrait pour un temps, voici que lui apparut, envi-
ronné d'une grande lumière, un ange qui la salua en
ces termes, avec révérence, comme la mère du Sei-
gneur : « Salut, Marie qui êtes bénie ; recevez la bé-
nédiction de celui quia donné le salut à-Jacob. Or, voici
une branche de palmier que je vous ai apportée du
paradis comme à ma dame ; vous la ferez porter de-
vant le cercueil ; car dans trois jours, vous serez enle-
vée de votre corps ; votre FiFs attend sa révérende
mère. » Marie lui répondit : « Si j'ai trouvé grâce de-
vant vos yeux, je vous conjure de daigner me révéler
votre nom. Mais ce que je demande plus instamment
encore, c'est que mes fils et frères les apôtres soient
réunis auprès de moi, afin de les voir des yeux du
cor[)s, avant que je meure, et d'être ensevelie par eux
après que j'aurai rendu en leur présence mon esprit
au Seigneur. Il est encore une autre chose que je ré-
clame avec instance, c'est que mon âme, en sortant du
corps, ne voie aucun mauvais esprit, et que pas une
des puissances de Satan ne se présente sur mon pas-
sage. » I/ange lui dit : « Pourquoi, ô dame, désirez-
vous savoir mon nom qui est admirable et grand ?
SOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 4i7
nt aux apôtres, ils viendront tous et seront réunis
rès de vous ; ils feront de magnifiques funérailles
de votre trépas qui aura lieu en leur présence. Car
i qui autrefois a porté en un clin d'œil, par un
r^Tcu, le prophète de la Judée à Babylone, celui-là
durement pourra en un instant amener les apôtres
près de vous. Mais pourquoi craignez-vous de voir
s prit malin, puisque vous lui avez entièrement brisé
t-éte et que vous l'avez dépouillé de toute sa puis-
v^ce ? soit faite cependant votre volonté, afin que
*is ne les voyiez pas. » Après avoir dit ces mots,
ï^ge monta aux cieux au milieu d'une grande lu-
^re. Or, cette palme resplendissait d'un très grand
^ty et par sa verdure elle était en tout semblable à
^ branche; mais ses feuilles brillaient comme l'é-
'e du matin. Or, il arriva que, comme Jean était à
-cher à Ephèse, un coup de tonnerre éclata tout à
*p, et une nuée blanche l'enleva, et l'apporta devant
porte de Marie. Il frappa, entra dans l'intérieur de
■Maison, et avec grande révérence, l'apôtre vierge
*A^ la Vierge. L'heureuse Marie en le voyant fut sai-
d'une grande crainte et ne put retenir ses larmes,
^^ elle éprouva de joie. Alors elle lui dit : « Jean,
*> fils, aie souvenance des paroles de ton maître,
^rid il m'a confiée à toi comme un fils, et quand il
Cionfié à moi comme à une mère. Me voici appelée
** le Seigneur à payer le tribut à la condition hu-
^^ne, et je te recommande d'avoir un soin particu-
^ï* de mon corps. J'ai appris que les Juifs s'étaient
'tunis et avaient dit : a Attendons, concitoyens et frè-
« res, attendons jusqu'au moment où celle qui a porté
II. 27
il8 LA LÉGENDE DOREE
« Jésus subira la mort, aussitôt nous ravirons son coi^ J
« et nous le jetterons pour être la pâture du feu. »
feras porter alors cette palme devant mon cercue-
lorsque vous porterez mon corps au tombeau. »
Jean dit : « Oh ! plût à Dieu que tous les apôtres m^-
frères fussent ici, afin de pouvoir célébrer convenabl»
ment vos obsèques et vous rendre les honneurs doi
vous êtes digne. » Pendant qu'il parlait ainsi, toi
les apôtres sont enlevés sur des nuées, des endroil
où ils prêchaient et sont déposés devant la porte d^ ^
Marie. En se voyant réunis tous au même lieu, il^^
étaient rempHs d'admiration : « Quelle est, se disaient-^^
ils, la cause pour laquelle le Seigneur nous a rassem- ^
blés ici en même temps? » Alors Jean sortit et vint
les trouver pour les prévenir que leur dame allait tré-
passer; puis il ajouta: « Mes frères, quand elle sera
morte, que personne ne la pleure, de crainte que le
peuple témoin de cela ne se trouble et dise : « Voyez
comme ils craignent la mort, ces hommes qui prêchent
aux autres la résurrection. »
Denys, disciple de saint Paul, raconte les mêmes
faits dans son livre des Soms divins {ch, ni). Il dit qu'à
la mort de la Vierge, les apôtres furent réunis et y
assistèrent ensemble; ensuite que chacun d'eux fit un
discours en rhonneur de J.-C. et de la Vierge. Et
voici comme il s'exprime en parlant à Timolhée ; « Tu
as appris que nous et beaucoup de saints qui sont nos
frères, nous nous réunîmes pour voir le corps qui a
produit la vie et porté Dieu. Or, se trouvaient là
Jacques, le frère du Seigneur, et Pierre, coryphée et
chef suprême des théologiens. Ensuite il parut conve-
L* ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 419
nable que toutes les hiérarchies célébrassent, chacune
selon son pouvoir, la bonté toute-puissante de Dieu
c|ui s'était revêtu de notre infirmité. » Quand donc la
bienheureuse Marie eut vu tous les apôtres rassem-
blés, elle bénit le Seigneur, et s'assit au milieu d'eux,
après qu'on^ eut allumé des lampes et des flambeaux.
Or, vers la troisième heure de la nuit, Jésus arriva
avec les anges, l'assemblée des patriarches, la troupe
des martys, Farmée des confesseurs et les chœursdes
vierges. Tous se rangent devant le trône de la Vierge
et chantent à Tenvi de doux cantiques. On apprend
dans le livre attribué à saint Jean quelles ont été les
funérailles qui furent alors célébrées. Jésus commença
le premier et dit : « Venez, vous que j'ai choisie, et je
vous placerai sur mon trône parce que j'ai désiré
votre beauté. » Et Marie répondit : « Mon cœur est
prêt. Seigneur, mon cœur est prêt. » Alors tous ceux
qui étaient venus avec Jésus entonnèrent ces paroles
avec douceur : « C'est elle qui a conservé sa couche
pure et sans tache; elle recevra la récompense qui ap-
partient aux âmes saintes. » Ensuite la Vierge chanta
en disant d'elle-même : « Toutes les nations m'appel-
leront bienheureuse ; car le Tout-Puissant a fait de
g^randes choses en ma faveur : et son nom est saint. »
Enfin le chantre donna le ton à tous en prenant plus
haut: « Veriezdu Liban, mon épouse, venez du Liban,
vous serez couronnée. » Et Marie reprit : « Me voici,
je viens ; car il est écrit de moi dans tout le livre de
la loi : que je ferais votre volonté, ô mon Dieu, parce
que mon esprit est ravi de joie en Dieu mon Sauveur. »
C'est ainsi que Tâme de Marie sortit de son corps et
à
420 LA LÉGENDE DOREE
s'envola dans les bras de son Fils. Elle fut affranchie
de la douleur de la chair, comme elle avait été exempte
de la corruption. Et le Seigneur dit aux apôtres :
« Portez le corps de la Vierge-Mère dans la vallée de
Josaphat et renfermez-le dans un sépulcre neuf que
vous y trouverez. Après quoi, pendant trois jours,
vous m'attendrez jusqu'à ce que je vienne. » Aussitôt
les fleurs des roses l'environnèrent ; c'était l'assemblée
des martyrs, puis les lys des vallées qui sont les com-
pagnies des anges, des confesseurs et des vierges. Les
apôtres se mirent à s'écrier en s'adressant à elle : « Vierge
pleine de prudence, où dirigez-vous vos pas? Souve-
nez-vous de nous, ô notre Dame ! » Alors les chœurs
de ceux qui étaient restés au ciel, en entendant le con-
cert de ceux qui montaient, furent remplis d'admira-
tion et s'avancèrent à leur rencontre ; à la vue de leur
roi portant dans ses bras l'âme d'une femme qui s'ap-
puyait sur lui, ils furent stupéfaits et se mirent à crier :
« Quelle est celle-ci qui monte du désert, remplie de
délices, appuyée sur son bien-aimé ? ». Ceux qui l'ac-
compagnaient leur répondirent : « C'est celle qui est
belle au-dessus des filles de Jérusalem. Vous l'avez
déjà vue pleine de charité et d'amour. » Ainsi fut-elle
reçue toute pleine de joie dans le ciel et placée à la
droite de son Fils sur un trône de gloire. Quant aux
apôtres ils virent son âme éclatant d'une telle blan-
cheur qu'aucune langue humaine ne le pourrait ra-
conter.
Trois vierges qui se trouvaient là, dépouillèrent le
corps de Marie pour le laver. Aussitôt ce corps res-
plendit d'une si grande clarté qu'on pouvait bien le
l/ ASSOMPTION DR LA BIKNlIEdRErSE VIERGE 3fARIE 421
toucher, mais qu'il était impossible de le voir : cette
lumière brilla jusqu'à ce que le corps eût été entière-
ment lavé par les vierges. Alors les apôtres prirent ce
saint corps avec révérence et le placèrent sur un bran-
card. Et Jean dit à Pierre : « Pierre, vous porterez
cette palme devant le brancard ; car le Seigneur vous
a mis à notre tête et vous a ordonné le pasteur et le
prince de ses brebis. » Pierre lui répondit : « C'est
plutôt à vous à la porter ; vous avez été élu vierge
par le Seigneur, et il est digne que celui qui est vierge
porte la palme d'une vierge. Vous avez eu l'honneur
de reposer sur la poitrine du Seigneur, et vous y avez
puisé plus que les autres des torrents de sagesse et de
grâce, il paraît juste qu'ayant reçu plus de dons du
Fils, vous rendiez plus d'honneur à la Vierge. Vous
donc, devez porter celte palme de lumière aux obsè-
ques de la sainteté, puisque vous vous êtes enivré à la
coupe de la lumière, de la source de l'éternelle clarté.
Pour moi, je porterai ce saint corps avec le brancard
et nos autres frères qui seront à l'entour célébreront
la gloire de Dieu. » Alors Paul dit : <( Et moi qui suis
le plus petit d'entre vous tous, je le porterai avec
vous. » C'est pourquoi Pierre et Paul enlevèrent la
bière ; Pierre se mit à chanter : « Israël sortit de
l'Egypte, alléluia. » Puis les autres apôtres continuèrent
ce chant doucement. Or, le Seigneur enveloppa d'un
nuage le brancard et les apôtres, en sorte qu'on ne
voyait rien, seulement on les entendait chanter. Des
anges aussi unirent leurs voix à celle des apôtres et
remplirent toute la terre d'une mélodie pleine de
suavité. Tous les habitants furent réveillés par ces
H. 27-
422 LA LÉGENDE DORÉE
doux sons et celte mélodie : ils se précipitèrent hors
de ia ville en demandant avec empressement ce qu'il
y avait. Les uns dirent : « Ce sont les disciples de
Jésus qui portent Marie décédée. C'est autour d'elle
qu'ils chantent cette mélodie que vous entendez. »
Aussitôt ils courent aux armes, et s'excitent les uns
les autres en disant : « Venez, tuons tous les disciples
et livrons au feu ce corps qui a porté ce séducteur. »
Or, le prince des prêtres, en voyant cela, fut stupéfait
et il dit avec colère : « Voici le tabernacle de celui qui
a jeté le trouble parmi nous et dans notre race. Quelle
gloire il reçoit en ce moment ! » Or, en parlant ainsi
il leva les mains vers le lit funèbre avec la volonté de
le renverser et de le jeter par terre. Mais aussitôt ses
mains se séchèrent et s'attachèrent au brancard, en
sorte qu'il y était suspendu : il poussait des hurle-
ments lamentables, tant ses douleurs étaient atroces.
Le reste du peuple fut frappé d'aveuglement par les
anges qui étaient dans la nuée. Quant au prince des
prêtres, il criait en disant : « Saint Pierre, ne m'aban-
donnez pas dans la tribulation où je me trouve ; mais
je vous eu conjure, priez pour moi, car vous devez
vous rappeler qu'autrefois je vous suis venu en aide
et que je vous ai excusé lors de l'accusation de la ser-
vante. » Pierre lui répondit : « Nous sommes retenus
par les funérailles de Notre-Dame et nous ne pouvons
nous occuper de votre guérison : néanmoins si vous
vouliez croire en Notre-Seigneur J.-C. et en celle qui l'a
engendré et qui Ta porté, j'ai lieu d'espérer que vous
pourriez être guéri de suite. » Il répondit : « Je crois
que le Seigneur Jésus est vraiment le Fils de Dieu et
Li' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 423
que voilà sa très sainte mère. » A l*instant ses mains
se détachèrent du cercueil ; cependant ses bras res-
taient desséchés et ia douleur violente ne disparaissait
pas. Alors Pierre lui dit : « Baisez le cercueil et dites :
« Je crois en Dieu Jésus-Christ que celle-ci a porté dans
ses entrailles tout en restant vierge après Tenfante-
ment. » Quand il l'eut fait, il fut incontinent guéri. Alors
Pierre lui dit : « Prenez celte palme des mains de noire
frère Jean et vous la placerez sur ce peuple aveuglé :
quiconque voudra croire recouvrera la vue ; mais celui
qui ne voudra pas croire ne verra plus jamais. » Or,
les apôtres qui portaient Marie la mirent dans le tom-
beau, autour duquel ils s'assirent, ainsi que le Seigneur
l'avait ordonné. Le troisième jour, Jésus arriva avec
une multitude d'anges et les salua en disant : « La paix
soit avec vous. )> Ils répondirent : « Gloire à vous, ô
Dieu, qui seul failes des prodiges étonnants. » Et le
Seigneur dit*aux apôlres: « Quelle grâce et quel hon-
neur vous semble-t-il que je doive conférer aujourd'hui
à ma mère ? » « Il paraît juste, Seigneur, répondirent-
ils, à vos servileurs que, comme vous qui régnez dans
les siècles après avoir vaincu la mort, vous ressusci-
tiez, ô Jésus, le corps de votre mère et que vous le
placiez à votre droite pour Téternité. » Et il l'octroya:
alors l'archange Michel se présenta aussitôt et pré-
senta l'âme de Marie devant le Seigneur. Le Sauveur
lui parla ainsi : « Levez-vous, ma mère, ma colombe,
tabernacle de gloire, vase dévie, temple céleste ; et de
même que, lors de ma conception, vous n'avez pas
été souillée par la tache du crime, de même, dans le
sépulcre, vous ne subirez aucune dissolution du
/
424 LA LÉGENDE DORÉE
corps. » Et aussitôt l'âme de Marie s'approcha de son
corps qui sortit glorieux du tombeau. Ce fut ainsi
qu'elle fut enlevée au palais céleste dans la compagnie
d'une multitude d'anges. Or, Thomas n'était pas là,
et quand il vint, il ne voulut pas croire, quand tout à
coup, tomba de l'air la ceinture qui entourait la sainte
Vierge ; il la reçut tout entière afin qu'il comprît
ainsi qu'elle était montée tout entière au ciel.
Ce qui vient d'être raconté est apocryphe en tout
point ; et voici ce qu'en dit saint Jérôme dans sa let-
tre, ou autrement dit, son discours à Paul et à Eusto-
chium : « On doit regarder ce libelle comme entière-
ment apocryphe, à l'exception de quelques détails
dignes de croyance, paraissant jouir de l'approbation
de saints personnages et qui sont au nombre de neuf,
savoir : que toute espèce de consolation a été promise
et accordée à la Vierge ; que les apôtres furent tous
réunis ; qu'elle trépassa sans douleur ; qu'on disposa
sa sépulture dans la vallée de Josaphat ; que ses funé-
r»iilles se firent avec dévotion ; que J.-G. et toute la
cour céleste vint au-devant d'elle ; que les Juifs l'in-
sultèrent; (pril éclata des miracles en toute circons-
tance convenable; enfin qu'elle fut enlevée en corps
et en ànie. Mais il y a, dans ce récit, beaucoup de
circonstances con trouvées et qui s'éloignent de la
vérité, comme par exeinph*, Tabsence et Tincrédulilé
de saint Thomas, et antres semblables, qu'il faut
rejeter et taire. On dit (jne les vêlements de la sainte
Viert^e resicrent dans son tombeau pour servir de
consolation aux fidèles, et (|n'nne partie opéra le
miracle qui suit : Lors du sièi;e de la ville de Char-
L* ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 425
très par un général normand, l'évêque de cette ville
attacha à une lance, en forme de drapeau, la tunique
de la sainte Vierge, qui s'y conserve, et suivi de tout
le peuple, il s'avança sans crainte contre l'ennemi.
Aussitôt, l'armée des Normands fut frappée de dé-
mence et d'aveuglement, et elle restait tremblante ;
son cœur et son courage étaient paralysés. A cette
vue, les habitants de la ville entrent dans les vues du
jugement de Dieu, et font un horrible massacre des
ennemis. Ce qui parut déplaire à la bienheureuse
Marie; car aussitôt cette tunique disparut, et à l'ins-
tant les Normands recouvrèrent la vue. — On lit dans
les révélations de sainte Elisabeth qu'un jour, étant
ravie en esprit, elle vit, dans un lieu fort éloigné, un
sépulcre environné d'une grande lumière, et au-dedans,
comme l'apparence d'une femme entourée d'une foule
d'anges ; et peu d'instants après, elle fut enlevée du
sépulcre et élevée en l'air avec toute la multitude qui
se trouvait là. Et voici qu'un personnage admirable
et plein de gloire vint du ciel à sa rencontre, portant
en sa droite l'étendard de la croix, et avec lui, des
milliers d'anges. Ce fut au milieu des concerts d'allé-
gresse qu'ils la conduisirent jusqu'au ciel. Peu de
temps après, sainte Elisabeth demandait à un ange,
avec lequel elle avait de fréquents entretiens, l'expli-
cation de cette vision. L'ange lui répondit : « 11 t'a
été montré alors comment Notre Dame a été enlevée
au ciel en corps et en itme. )> Elle dit encore dans le
même livre, qu'il lui fut révélé (|ue la sainte Vierge
fut portée au ciel en son corps, quarante jours après
son trépas. Car la bienheureuse Marie lui dit en s'en-
426 LA LÉGENDE DOREE
tretenant avec elle : « Après l'ascension du Seig^neur,
j'ai vécu un an entier et tant de jours qu'il y en a,
depuis l'ascension jusqu'à mon assomption. Or, tous
les apôtres assistèrent à mon trépas et ensevelirent
honorablement mon corps ; mais quarante jours après»
je ressuscitai. » Et comme sainte Elisabeth lui deman-
dait si elle découvrirait ou si elle cèlerait cela, la
sainte Vierge lui dit : « Il ne faut pas le révéler aux
hommes charnels et aux incrédules, et il ne faut pas
le cacher aux personnes dévotes et fidèles. »
Observons que la glorieuse vierge Marie fut trans-
portée et élevée au ciel intégralement, honorablement,
joyeusement et excellemment. Elle fut transportée
intégralement en corps et en âme, selon une pieuse
croyance de l'Eglise. Un grand nombre de saints ne
se contentent pas de l'avancer, mais ils s'attachent à
en donner une quantité de preuves. Voici celle de
saint Bernard : « Dieu s'est plu singulièrement à
honorer les corps des saints. Ainsi, il a rendu les
dépouilles de s.'iint Pierre et de saint Jacques telle-
ment vénérables, et il les a décorées d'honneurs si
étonnants, (|nMI a choisi, [)Our leur rendre des hom-
niai^^es, un lieu vers le(juel accourt le monde entier.
Si donc on disait que le corps de Marie fût sur la terre
sans (lue la dévotion des fidèles s'y portât avec
afflucnce, et que ce lieu ne jouît d'aucun honneur, on
pourrait croire que J.-C. ne se serait point intéressé
à la g-loin» de sa mère, quand il honore ainsi sur l-^
terre les corps des autres saints. » Saint Jérôme avan c:i^
de son roté que la sainte Vierj^^^e monta au ciel le ^ V
des calendes de septembre. Quant à l'assompti
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 427
corporelle de Marie, il dit que TEglise se contente de
rester en suspens sans se prononcer. Plus loin, il s'at-
tache à en prouver la croyance de cette manière :
a S'il en est qui disent que dans ceux dont la résur-
rection a coïncidé avec celle de J.-C, la résurrection
soit accomplie pour toujours à leur égard, et s'il en
est un certain nombre qui croient que saint Jean, le
gardien de la sainte Vierge, jouisse du bonheur du
ciel avec J.-G. et dans sa chair qui a été glorifiée, à
plus forte raison doit-on le croire de la mère du Sau-
veur? Car celui qui a dit : « Honore ton père et ta
« mère », et qui a dit encore : « Je ne suis pas venu
« détruire la loi, mais l'accomplir » ; celui-là, certaine-
ment, a honoré sa mère, et ce n'est pas pour nous le
sujet d'une ombre de doute. » Saint Augustin ne l'af-
firme pas seulement, mais il en donne trois preuves.
La première, c'est que la chair de J.-C. et celle de la
Vierge ne font qu'une : « Puisque, dit-il, la nature
humaine est condamnée à la pourriture et aux vers, et
que d'ailleurs J.-C. ne fut pas exposé à cet outrage,
la nature de Marie en est donc exempte, car dans
elle, J.-C. a pris la sienne. » La seconde raison qu'il
en donne est tirée de la dignité de son corps : « C'est,
dit-il, le trône de Dieu, le lit nuptial du Seigneur, le
tabernacle de J.-C. doit être où il est lui-même. Il est
plus digne de conserver ce trésor dans le ciel que sur
la terre. » La troisième raison, c'est la parfaite inté-
grité de sa chair virginale. Voici ses paroles : « Ré-
jouissez-vous, ô Marie, d'une joie ineffable, dans
votre corps et dans votre àme, en J.-C^. votre propre
filsy avec votre propre fils et par votre propre fils :
428 LA LÉGENDE DOHKE
La i)eine de la corruption n'est pas le partai^^e de celle
qui n'a pas éprouvé de corruption dans son intégrité,
quand elle a cnî^endré son divin fils. Toujours elle
sera à l'abri de la corruption, celle qui a été comblée
de tant de çntces ; il faut quelle vive dans toute l'in-
léy^rité de sa nature, celle qui a mis au monde Fauteur
de la perfection et de la plénitude dans la vie; il faut
qu'elle demeure auprès de celui qu'elle a porté dans
ses entrailles ; il faut qu'elle soit à côté de celui qu'elle
a ençendré, qu'elle a réchauffé, qu'elle a nourri. C'est
Marie, .c'est la mère de Dieu, c'est la nourrice, c'fcsV
la servante de Dieu. Je n'oserais penser autremet^^^
et ce serait présomption de ma part de dire au-'^'^^
chose. » Un poète élé^nt s'en exprime comme il st-'^^ '
Scanditad -^iilthcra Elle monte au ciel
Virg-o pucrpera, La Vierg-e mère,
Virg-ula Jesse. La Vierge de Jessé.
Non sine corporc C'est avec son corps
Sed sine tempore, Et pour l'éternité, [^^qui cr^ /
Tendit ad esse. (Qu'elle s'élève jusqu'à cclf--'^
S(*çondemcnt. Elle fut transportée au ciel au milieu
de la joie. Gérard, évéque et martyr, dit à ce propos :
« En ce jour, les cieux ont reçu la bienheureuse Vierge
av(v joie. Les Anj^es se réjouissent, les Archan^çes jubi-
lent, les Troues s'animent, les Dominations la célèbrent
dans les canli(|ues, les Principautés unissent leurs
voix, les Puissances acconipatj^nent de leurs instru-
ments de nuisi(|ue, les Chérubins et les Séraphins
entonnent des hymnes. Tous la conduisent jusqu'au
souverain tribunal de la divine Majesté. »
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 429
Troisièmement elle fut élevée au ciel au milieu de
grands honneurs. Jésus lui-même et la milice céleste
vinrent au-devant d'elle. « Qui pourrait s'imaginer,
dit saint Jérôme, quelle fut la gloire dont la Reine du
inonde fut environnée lors de son passage ? Quel res-
pect affectueux! Quelle multitude de légions célestes
allant à sa rencontre ! Qu'ils étaient beaux les cantiques
qui l'accompagnèrent jusqu'à son trône ! Quelle ma-
jesté, quelle grandeur dans les divins embrassements
de son Fils qui la reçoit et l'élève au-dessus de toutes
les créatures ! » « Il est à croire, dit ailleurs le même
Père, que la milice des cieux alla en triomphe au-
devant de la mère de Dieu, et qu'elle l'environna
d'une immense lumière, qu'elle la conduisit en chan-
tant ses louanges et des cantiques jusqu'au trône de
Dieu. La milice de la Jérusalem céleste tressaille
d'une joie ineffable : elle est fière de tant d'amour et
de reconnaissance. Cette fête, qui n'arrive qu'une fois
pour nous dans le cours de Tannée, ne doit point avoir
eu de terme dans les cieux. On croit encore que le
Sauveur vint au-devant d'elle de sa personne, dans
cette fête, et qu'il la fit . asseoir plein de joie ayprès
de lui sur le trône. Autrement il n'eût point accompli
ce que lui-même a ordonné par cette loi : « Honore
ton père et ta mère. » Quatrièmement: Elle fut reçue
avec magnificence. » C'est le jour, dit saint Jérôme,
où la mère sans souillure, la Vierge s'avança jusqu'à
son trône élevé, où elle s'assit glorieuse auprès de
J.-C. » Voici comment le bienheureux Gérard montre
en ses homélies à quel degré de gloire et d'honneur
elle fut élevée: « N.-S. J.-C. a pu seul la grandir
430 LA LÉGENDE DOREE
comme il l'a fait pour qu'elle reçût de la majesté elle-
même la louange et l'honneur à toujours. Elle est en-
vironnée des chœurs angéliques, entourée des troupes
archançéliques, accompagnée des Trônes pleins d'al-
légresse, au milieu de l'enthousiasme des Dominations;
les Principautés la vénèrent: les Puissances lui ap-
plaudissent : elle est honorée par les Vertus, chantée
par les Chérubins et louée par les hymnes des Séra-
phins. La très ineffable Trinité lui applaudit elle-
même avec des transports qui n'ont point de fin, et
la gre^ce dont elle l'inonde lout entière fait que tous
ne pensent qu'à cette Reine. L'illustre compagnie des
Apôtres l'élève au-dessus de toute louange, la multi-
tude des martyrs est toute en suppliante autour d'une
si grande Maîtresse : l'innombrable armée des confes-
seurs lui adresse des chants magnifiques, le chœur
des Vierges aux vêtements blancs célèbre sa gloire
avec des accents ineffables : l'enfer lui-même hurle
de rage, et les démons insolents racclament*. » l'n
clerc très dévot à la Vierge Marie voulait pour ainsi
(lire consoler Notre-Dame au sujet des cinq plaies de
N.-S. J.-ï'., (Ml lui adressant tous les jours cette prière:
(( Réjouissez-vous, Mère de Dieu, Vierge immaculée;
réjouissez-vous, puisqu'un ange vous apporte la joie ;
réjouiss(»z-vous [)uisque vous avez enfanté la clarté de
la lumière éternelle ; réjouissez-vous, Mère ; réjouis-
sez-vous, Sainte Vierge, Mère de Dieu. Vous seule
êtes la Mère- Vierge : toutes créatures vous louent : O
mère de lumière, je vous eu prie, ne cessez d'inter-
' Saiul Pierre Dainicii, op. xxxiv.
l' ASSOMPTION I)K LA BIRNIÎEITREIISE VIERGE MARIE 43i
céder pour nous. » Atteint d'une î^rave maladie ce
clerc, réduit à rextréinilé, fut troublé par la frayeur.
Ka sainte Vierge lui apparut et lui dit : « Mon fils,
pourquoi une si grande crainte de ta part? toi qui si
souvent m'as annoncé la réjouissance. Réjouis-toi aussi
toi-même et pour te réjouir éternellement, viens avec
moi*. » l'n soldat fort puissant et riche avait dissipé
tout son bien en libéralités mal entendues. Il devint
si pauvre qu'après avoir donné avec profusion, il fut
réduit à manquer des moindres choses. Or, il avait
* On voyait dans Téglisc de Tabbaye de Marsilly (baronnie
de Boursfogne), où les seigneurs de Noyers avaient leur sépul-
ture, une inscription ainsi conçue : « En Tan mil deux cent,
sous le rei^fne de Philippe Dieu donné, un nommé Geoffroy
Lebrun, maistre d'hostel du roy, estant disgracié de la cour
et sans aucun moyen, comme il passait au travers de la forêt
Darnois, autrement Darnaux, le diable lui apparut qui luy
promit de grandes richesses, à condition qu*il luy livreroit sa
femme : ce que le dit Lebrun luy promit, et à cet effet luy en
donna une cédule signée de son sang. Ce que voulant exécuter
il monta à cheval, mit saditte femme en trousse, et se mit en
chemin pour s'en aller au rendez-vous, qui estoit dans la sus-
ditte forêt; et comme son chemin estoit de passer au-devant
de l'église de Nostre-Dame deMarcilly, la veille de TAssomp-
tion de N.-D., laditte femme entendit sonner une messe et
demanda à son mari d'entrer dans Téglise, et comme ledit
Lebrun voulut sortir pour achever son voyage, la Vierge prit
la figure de sa femme, monta sur la croupe de son cheval
derrière luy : — et estant au rendez-vous, on entendit un
grand bruit qui se faisoit dans la forcit, et en mesme temps la
Vierge enleva dans les bras du diable la ccdule dudit Lebrun
et la rendit à sa feinmo, la(}uclle fut trouvée tlans laditte
éjBj'Iise où elles'estoit endormie, et la Vicrii^c lui îiyant apparu
luy ordonna de prier pour la conversion de sou mari, et dis-
parut. » {Cahin. hist., t. I, [>. 1;)8).
/
432 LA LÉGENDE DORÉE
une femme très honnête et fort dévote à la bienheu-
reuse Vierge Marie. A l'approche d'une solennité où il
avait coutume de distribuer de grandes lai^esses,
comme il n'avait plus rien à donner, il fut poussé par
la honte et la confusion à se retirer, jusqu'à ce que
cette solennité fût passée, dans un lieu désert où il
pourrait soulager sa tristesse, pleurer les inconvénients •
de sa position et éviter la honte : tout à coup paraft .
un cheval fougueux sur lequel était monté un homme -
terrible qui s'approche de lui et lui demande le motif:
d'une tristesse si profonde. Le soldat lui ayant fait le ^
récit détaillé de tout ce qui lui était arrivé, le cavalier-"
lui dit : « Si tu veux te soumettre à un léger acte d'o-
béissance, tu auras de la gloire et des richesses en plus^
grande abondance que par le passé. » Il promet au
prince des ténèbres d'exécuter volontiers ce qu'il lui
commandera, pourvu qu'il accomplisse à son égard ce
qu'il a promis lui-môme. Et le diable lui dit : <c Va-t'en
chez toi, cherche dans tel endroit de ta maison, tu y
trouveras des masses d'or et d'argent en telle quantité
et tant de pierres précieuses : Mais aie soin tel jour
de in'amener ici ta femme. » Sur cette promesse le
soldat retourne à sa maison, et dans Tcndroit désigné,
il trouve tout ce qui lui avait été annoncé. Il achète
aussitôt des palais, il répand des largesses, il rachète
ses biens, il se procure des esclaves. Or, le jour fixé
étant proche, il appela sa femme et lui dit: « Montez
a cheval, car il vous faut aller avec moi en un lieu
assez éloigné. » La clame tremblante et effrayée, n'o-
sant pas aller contre ses ordres, se recommanda bien
dévotement à la bienheureuse Vier»];^e Marie et suivit
''ASSOMPTION DE M BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 433
^n époux. Parvenus assez loin, ils rencontrèrent une
^g'Iise sur leur chemin ; la femme descendit de son
-Ao val et entra, pendant que son mari attendait dehors.
'^Ile se recommandait avec dévotion à la bienheureuse
'^^fie, quand tout à coup elle s'endormit et la glo-
^us&e Vierge, semblable en tout à cette dame dans ses
^4>îts et dans ses manières, s'avança de l'autel, sortit
ïTTionta à cheval pendant que la dame elle-même
**t.ç^ii endormie dans l'église. Le mari persuadé que
^t.€iitsa femme continua son chemin. Quand ils furent
^^ixrésau lieu convenu, le prince des ténèbres accourut
^ Son côté avec grand fracas. A peine s'est-il approché
V^%i tout d'un coup il frémit et tremblant de stupeur il
^ Osa avancer. Alors il dit au soldat: « O le plus félon
^^s hommes, pourquoi m'as-tu joué ainsi et pourquoi
^ comportes-tu de cette manière quand je t'ai comblé
^e bienfaits? Je t'avais bien dit de m'amener ta femme
et lu m'as amené la mère du Seigneur. Je voulais ta
femme et tu as amené Marie, (lar ta femme ne cesse
de me faire tort ; je voulais me venger sur elle, et tu
m'as amené celle-là pour qu'elle me tourmentât et
qu'elle m'envoyât dans l'enfer. » En entendant ces
paroles, cet homme était stupéfait, la crainte et Téton-
nementl'empêchaient de parler. La bienheureuse Vierge
Marie dit alors : « Quelle a été ta témérité, esprit mé-
chant, d'oser nuire à une personne pleine de dévotion
pour moi? Tu ne l'auras pas fait impunément. Voici
maintenant la sentence que je lance contre toi : c'est
que tu descendes en enfer, et que tu n'aies plus dé-
sormais la présomption de nuire à quiconque m'invo-
quera avec dévotion. » El le diable se retira en pous-
n. 28
43i KA lf:c;ende dorer
saiit (le grands hurlements. Alors le mari, sautaiil à
bas de son cheval, se prosternsi aux pieds de la sainte
Vierge, qui le réprimanda et lui ordonna de retourner
vers sa femme encore endormie dans l'église et de se
dépouiller de toutes les richesses du démon. Et quand
il revint, il trouva sa femme qui dormait encore, la
réveilla et lui raconta ce qui lui était arrivé. Revenus
chez eux, ils jetèrent toutes les richesses du démon,
ne cessèrent d'adresser des louanges en l'honneur de
la sainte Vierge qui leur accorda dans la suite une
grande fortune.
Un homme accablé sous le poids du péché fut ravi
en vision au jugement de Dieu*. Et voilà que Satan
vint dire : « Il n'y a rien en cette âme qui vous appar-
tienne en propre ; elle est plutôt de mon domaine,
d'ailleurs j'ai un titre authentique. » Et le Seigneur
lui dit : « Où est ton titre? » Satan reprit : « J'ai un
titre; vous l'avez dicté de votre propre bouche, et
vous lui avez donné une sanction éternelle. Vous avez
dit en effet : « En même temps que vous en mangerez,
« vous mourrez très certainement. » Comme donc il est
de la racr de ceux (jiii ont mangé le fruit défendu, à
ce titre autheiitirjiie il doit tHve condamné à mourir
avec moi. » Alors le Seiij^neur dit : « O homme, il
tN»sl permis de te défeiulre. » Or, l'homme se tut. Le
démon ajouta : « l)'aill(uirs je Tai par prescription,
depuis ([-(Mlle ans je possède son àme, et il m'a sem
eoininc! un (»sclave (jiii est ma propriété, h ('et homme
Saint Anlonin rapporliMlaiis sa Somme un fait (jui n'offre
(jiruiu' h'tî^rre variante avor le texte de la Léij^cndc. Sttmmn,
■i'' ()arl.. lil. W, r. v, i^ I.
l' ASSOMPTION PE LA BIENHEUREL'SF: VIERGE MARIE 435
conlinua à se taire. Le démon reprit : « Cette âme est
à moi, car quand elle aurait fait quelque bien, ses
mauvaises actions l'emportent incomparablement sur
les bonnes. » Mais le Seigneur qui ne voulait pas
porter de suite une condamnation contre ce pécheur
lui assigna un délai de huit jours, afin que, ce terme
expiré, il comparût devant lui et s'expliquât sur tout
ce qui lui était reproché. Or, comme il s'en allait de
devant le Seigneur, tout tremblant et pleurant, il ren-
contra une personne qui lui demanda la cause d'une
tristesse aussi vive. Et comme il lui eut raconté tout
en détail, l'autre lui dit : « Ne crains rien, n'appré-
hende rien, car sur le premier point je t'aiderai for-
tement. » Le pécheur lui ayant demandé comment
il s'appelait, il lui fut répondu : « La Vérité est mon
nom. » 11 en trouva une seconde qui lui promit de
l'aide sur la deuxième accusation. Il lui demanda com-
ment elle s'appelait et il lui fut répondu : « Je suis
la Justice. » Or, le huitième jour, il comparut en juge-
ment et le démon lui objecta le premier chef d'accu-
sation ; la Vérité répondit : « Nous savons qu'il y
a deux sortes de mort, celle du corps et celle de l'en-
fer : Or, démon, ce titre que tu invoques en ta faveur
ne parle pas de la mort de l'enfer, mais de celle du
corps. Ce qui est évident, puisque tout le monde subit
cette sentence, c'est-à-dire que tous meurent corpo-
rellement, sans cependant que tous meurent des feux
de l'enfer. Quant à la mort du corps, oui, elle aura
toujours lieu ; mais (juarit à la mort de l'âme, rarrét
en a été révoqué par le sang de J.-C. » Alors le démon,
voyant qu'il avait succombé sur le premier chef, se
436 LA LEGENDE DORÉE
mit à lui objecter le second. Mais la Justice se présenta
et répondit ainsi pour cet homme : a Quoique tu aies
possédé cet homme comme ton esclave pendant nom-
bre d'années, cependant toujours la raison voulait le
contraire ; toujours la raison murmurait de servir un
si cruel maître. » A la troisième objection, il n'eut
personne pour le défendre. Et le Seigneur dit : « Qu'on
apporte une balance et qu'on pèse les bonnes actions
et toutes les mauvaises. Alors la Vérité et la Justice
dirent au pécheur : « Voici la mère de miséricorde
assise auprès du Seigneur, aie recours à elle de toute
ton âme et essaie de l'appeler à ton aide. » Quand il
l'eut fait, la sainte Vierge Marie vint à son secours et
elle mit la main sur la balance du côté où se trouvait
le peu de bien ; mais le diable s'efforçait de faire bais-
ser l'autre plateau ; cependant la mère de miséricorde
l'emporta et délivra le pécheur, ndui-ci, revenu alors
à lui, se corrigea.
Dans la ville de Bourges *, vers Tan du Seigneur
527, comme les chrétiens communiaient le jour de
Pûques, un enfant juif s'approcha de l'autel avec les
enfants des chrétiens et reçut comme eux le corps du
Seigneur. Revenu chez lui, son père lui ayant demandé
d'où il venait, l'enfant répondit qu'il avait été à l'église
avec les enfants chrétiens, écoliers comme lui, et qu'il
avait communié avec eux. Alors le père, rempli de
fureur, prit l'enfant et le jeta dans une fournaise ar-
dente qui se trouvait là. A l'instant la mère de Dieu
* ICvaiçre, Hittoire err/éa.^ I. IV, c. xxxv, rapporte un fait
semblable arrivé à C. I*.
L.' ASSOMPTION DR LA BIEMIEITREMSE VIERGE MARIE 437
se présenta à Tenfant sous les traits d'une image qu'il
avait vue sur Tautel, et le protégea contre le feu dont
il ne reçut aucune atteinte. Alors la mère de Tenfant
rassembla par ses clameurs un grand nombre de chré-
tiens et de juifs. En voyant dans la fournaise Tenfant
qui. n'avait éprouvé aucun accident, ils l'en retirèrent
et lui demandèrent comment il avait pu en échapper.
Il répondit : « C'est que cette révérende Dame qui
était sur l'autel m'a prêté du secours et a écarté de
moi tout le feu. » Les chrétiens, qui comprirent que
c'était de l'image de la sainte Vierge que l'enfant par-
lait, prirent le père de l'enfant et le jetèrent dans la
fournaise où il fut bnllé aussitôt et consumé entière-
ment. — Quelques moines étaient avant le jour auprès
d'un fleuve et s'entretenaient de bagatelles et de dis-
cours oiseux. Et voici qu'ils entendent des rameurs
"qui passaient sur le fleuve avec une grande rapidité.
Les moines leur dirent : « Oui étes-vous? » Et ils ré-
pondirent : « Nous sommes des démons, et nous por-
tons en enfer l'âme d'Ebroïn, prévôt du roi des Francs
qui a apostasie du monastère de Saint-Gall. » En en-
tendant cela, les moines furent saisis d'une très vio-
lente peur, et s'écrièrent de toutes leurs forces : « Sainte
Marie, priez pour nous. » Et les démons leur dirent :
« Vous avez bien fait d'invoquer Marie, car nous vou-
lions vous démembrer et vous noyer, parce que nous
vous trouvons à une heure indue vous livrant à des
conversations déréglées. » Alors les moines rentrèrent
au couvent et les démons se hâtèrent d'aller en enfer*.
• Gauthier de Cluny, Miracles de fa sainte Vierge, c. iv.
II. ' 28-
438 LA LKCÏENDR DOR^.E
— Il y avait uh moine fort lubrique, mais fort dévot
à la bienheureuse Vierge Marie. Une nuit qu'il allait
commettre son crime habituel, il passa devant un autel,
salua la sainte Vierge, et sortit de l'église. Comme il
voulait traverser un fleuve, il tomba dans l'eau et mou-
rut. Or, comme les démons s'étaient saisis de son ûfne,
vinrent des anges pour la délivrer. Les démons leur
dirent : « Pourquoi étes-vous venus ici ? vous n'avez
rien en cette âme. w Et aussitôt la bienheureuse Vierge
Marie se présenta et les reprit de ce qu'ils avaient osé
ravir l'âme du moine. Ils lui répondirent qu'ils l'avaient
trouvé au moment où il finissait sa vie dans de mau-
vaises œuvres. La sainte Vierge leur dit : « Ce que
vous dites est faux, car je sais que s*il allait quelque
part, il me saluait d'abord et à son retour, il en fai-
sait autant ; que si vous dites que l'on vous fait vio-
lence, posons la question au tribunal du souverain'
Juge. » Et comme on discutait devant le Seigneur, il
lui plut que l'âme retournerait à son corps et ferait
pénitence de ses actions. Pendant ce temps-là, les
frères voyant que Theure des matines s'écoulait sans
qu'on les sonnât* cherchent le sacristain; ils vont
jusqu'à ce fleuve et le trouv(înt noyé. Après avoir re-
tiré le corps <le l'eau, ils s'émerveillaient de cet acci-
dent, (piand tout à coup le moine revint à la vie et
raconta ce qui était arrivé. Il passa le reste de sa vie
dans (le bonnes œuvres. — Une femme souffrait une
foule d'im[)ortunilésde la part du démon qui lui appa-
raissait visiblement sous la forme d'un homme: elle
* Le moine était sonneur.
l'aSSOMPTION de la bienheureuse VIERCiE MARIE 439
employait quantité de moyens de se préserver; tantôt
c'était de Teaii bénite, tantôt une chose, tantôt une
autre, sans que le démon cessât de la tourmenter. Un
saint homme lui conseilla, quand le démon s'approche-
rait d'elle, de lever les mains et de crier aussitôt :
« Saticia Mana, adjuva vie. Sainte Marie, aidez-moi. »
Et quand elle l'eut fait, le diable, comme s'il eût été
frappé d'une pierre, s'arrêta effrayé ; après quoi il dit :
« Qu'un mauvais diable entre dans la bouche de ce-
lui qui t'a enseigné cela. » Et aussitôt il disparut et
il ne s'approcha plus d'elle dans la suite.
MODE DE l' ASSOMPTION DE LA SAINTE VIERGE MARIE
Le mode de l'Assomption de la très sainte Vierçe
Marie est rapporté dans un sermon compilé de divers
écrits des saints, qu'on lit solennellement dans plu-
sieurs églises, et où l'on trouve ce qui suit : « Tout
ce que j'ai pu rencontrer dans les récits des saints
Pères, du monde entier, touchant le vénérable trépas
de la Mère de Dieu, j'ai pris soin d'en faire mémoire
en son honneur. Saint Côme, surnommé Vestitor, rap-
porte des choses qu'il a apprises par une relation cer-
taine de la bouche des descendants de ceux qui en
ont été les témoins. Il faut en tenir compte. V^oici ses
paroles : Quand J.-C. eut décidé de faire venir auprès
(le soi la Mère de la vie, il lui fit annoncer par l'ange
qu'il lui avait déjà envoyé, comment elle devait s'en-
dormir *, de crainte que la mort survenant ino[)iné-
* On sVsl servi depuis les premiers siècles de i'Eij^lise, tant
440 LA LÉGENDE DOREE
ment ne lui apportât quelque trouble. Elle avait con-
juré son fils face à face, alors qu'il était encore sur la
terre avec elle, de ne lui laisser voir aucun des esprits
malins. Il envoya donc en avant un ange avec ordre
de lui parler ainsi : « Il est temps, ma mère, de vous
prendre auprès de moi. De même que vous avez rem-
pli la terre de joie, de même vous devez réjouir le
ciel. Rendez agréables les demeures de mon Père;
consolez les esprits de mes saints ; ne vous troublez
pas de quitter un monde corruptible avec toutes ses
vaines convoitises, puisque vous devez habiter le pa-
lais céleste. 0 ma Mère, que votre séparation de la
chair ne vous effraie pas, puisque vous êtes appelée
à une vie qui n^aura pas de fin, à une joie sans bor-
nes, au repos de la paix, à un genre de vie sûr, à un
repos qui n'aura aucun terme, à une lumière inacces-
sible, à un jour qui n*aura pas de soir, à une gloire
inénarrable, à moi-même votre Fils, le créateur de
l'univers ! Car je suis la vie éternelle, Tamour incom-
parable, la demeure ineffable, la lumière sans ombre,
la bonté inestimable. Rendez sans crainte à la terre ce
(|iii lui appartient. Jamais personne ne vous ravira de
ma main, puiscpie la terre, dans toute son étendue,
est en ma main. Donnez-moi votre corps, parce que
j'ai nns ma divinité dans votre sein. La mort ne tirera
ancun(? gloire de vous, parce» que vous avez enij;-endré
chez le^ Latins (jue chez los (irers dr rexprcssion fformilio pour
siufnifif'r le trépas^ v[ nièriic la fric do l'Assoinplion de l.i saiutr
Vicrti^c. On donna «'.nrorc à ce jour le nom de deposilio, pau-
salio, transihis. I/K^lisc d'orient n'eni[)Ioie (|ue le mol koirr-
sisj donnilio, soninieil.
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 441
la vie. L'obscurité ne vous enveloppera point de ses
ombres parce que vous avez mis au monde la lumière ;
vous ne subirez ni meurtrissure, ni brisure, car vous
avez raérilé d'être le vaisseau qui m'a reçu. Venez à
celui qui est né de vous afin de recevoir la récompense
qui vous est due pour l'avoir porté dans votre sein, pour
l'avoir nourri de votre lait ; venez habiter avec votre
Fils unique; hâtez-vous de vous réunir à lui. Je sais
qu'aucun autre amour que celui de votre Fils ne vous
tourmente. C'est comme vierge-mère que je vous ai pré-
sentée; je vous présente comme le mur qui soutient le
monde entier, comme l'arche de ceux qui doivent être
sauvés, la planche du naufragé, le bâton des faibles, l'é-
chelle de ceux qui montent au ciel, et la protectrice des
pécheurs. Alors j'amènerai auprès de vous les apôtres
qui vous enseveliront de leurs mains comme si c'é-
tait des miennes. Il convient en effet que les enfants
de ma lumière spirituelle, auxquels j*ai donné le Saint-
Esprit, ensevelissent votre corps et me remplacent à
vos admirables funérailles. » Après ce récit l'ange
donne pour gage à la Vierge une palme, cueillie dans
le paradis, afin de la rendre assurée de sa victoire
contre la corruption de la mort, il y ajoute des vête-
ments funèbres ; ensuite il regagne le ciel d'où il était
venu.
La Bienheureuse Vierge Marie convoqua ses amis et
ses parents et leur dit : « Je vous apprends qu'aujour-
d'hui je dois quitter la vie temporelle; il fautdonc veil-
ler, car au trépas de tout le inonde, viennent auprès du
lit du mourant la vertu divine des anges et les esprits
malins. » A ces mots, tous se mirent à pleurer et à
#
442 LA LÉGENDE DOREE
(lire : « Vous craiçnez, vous la présence des esprits ;
(|uand vous avez été diçne d'ôtre la mère de Fauteur
de toutes clioses, quand vous avez engendré celui qui
a dépouillé Tenfer, quand vous avez mérité d'avoir
un Irrtnc préparé au-dessus des chérubins et des sé-
raphins! Que ferons-nous donc, nous autres? com-
ment fuirons-nous? » Il y avait là une multitude de
femmes qui pleuraient et lui demandaient de ne pas
les laisser orphelines. Alors la sainte Vierge leur dit
pour les consoler : « Si vous qui êtes les mères d'en-
fants soumis à la corruption, vous ne pouvez suppor-
ter d'en être séparées pour un peu de temps, comment
donc moi qui suis mère et vierge ne désireraîs-je pas
d'aller trouver mon fils, le Fils unique de Dieu le
Père? Si chacune de vous quand elle a perdu quel-
(ju'un de ses fils, se console en celui qui survitou dans
celui qui doit naître, moi qui n'ai que ce fils, et qui
reste pure, comment ne me hâterai-je pas de mettre fin
à mes angoisses en allant à lui qui est la vie de tous ? o
Or, pendant (jue ceci se passait, saint Jean arrive et
s'informe (h* re qui a lieu. Quand la Vierge lui eut an-
noiic»'* son drparl pour le ciel, il se prosterna parterre
et s'écriîi c\\ pltMiranl : « Que sommes-nous, Seigneur,
puis(|ue v(Mis nous réservez de si grandes tribulations ?
IVninpioi plutôt ne m'avez-vous dépouillé de mon
corps? J'aurais mieux aimé être enseveli par la mère
de mon Scigiirur, (]U(» d'être obligé d'assister à ses fu-
nérailles. » Alors la sainte Vierge le mena tout en
pleurs dans sa cliandjre et lui montra la palme et les
vêlenKMits; après (jnoi elh* s'assit sur le lit (|ui avait
«'lé [)réparé pijur sa sépulture. Et voici qu'on entend
l'aSSOMPTION de la HIENIÏKfîRRITSF VIERGK MARTE 443
un violent coup de tonnerre; un tourbillon semblable
à une nuée blanche se forme, et les apôtres sont dé-
|>osés, comme la pluie qui tombe, devant la porte de
la maison de la sainte Vierije. Ils s'étonnent de ce qui
arrive, mais saint Jean vient à eux et leur révèle ce qui
a été annoncé par l'ange à la sainte Vierge: comme ils
pleuraient tous, saint Jean les consola. Ils essuyèrent
donc leurs larmes, entrèrent, et après avoir salué la
Bienheureuse Vierge avec respect, ils l'adorèrent.
Et elle dit : « Salut, les enfants de mon Fils unique. »
Après avoir écoulé le récit qu'ils lui firent de leur arri-
vée, elle leur manifesta tout. Les apôtres lui dirent :
a C'est en tournant nos regards vers vous, très hono-
rable Vierge comme vers notre maître lui-même et no-
tre Seigneur, que nous nous consolions ; c'était là
notre seule ressource d'espérer que nous vous avions
pour médiatrice auprès de Dieu. » Après qu'elle eut
salué Paul en l'appelant par son nom, celui-ci lui dit :
<c Je vous salue, reine de ma consolation ; car bien
que je n'aie pas vu J.-C. dans sa chair* cependant,
quand je vous vois, je suis consolé comme si je le
voyais lui-même. Jusqu'à ce jour je prêchais aux na-
tions que vous aviez engendré Dieu, maintenant j'en-
seignerai que vous êtes allée à lui. » Après quoi la
sainte Vierge montra ce que l'ange lui avait apporté,
et les avertit de ne point éteindre les lampes jusques
après son trépas. Il y avait lacent vingt vierges occu-
pées à la servir. Après quoi elle revêtit ses vêlements
funèbres et en disant adieu à tous, elle place son
corps sur son lit pour mourir; saint Pierre était
placé à la tête, saint Jean à ses pieds, les autres apô-
^
très autour du lit, adressant des lotinnçes » la i
de Dieu. Alors saint Pierre prit la parole en ces ter-
mes : « Réjouissez-voUR, i^pouse du lit réleste, candé-
labre i trois brandies de la lumière éclante, par qui
a été manifestée la clarté lîtemelle. » Saint Germain,
arcbevéque de Constant! iiople atteste nu«si que U-h
epâtres se raBBemblèrenl. pour le «ioniincil de la trAs
sainte Vier^, quand il dit : « 0 sainte Mère de Die»,
quoique vous a;ei été soumise à la mort que ne sau-
rait éviter aucune créature humaine, cependant votre
œil qui nous garde ne s'assoupira point ni ne s'endor-
mira point : car votre tri^pas n'eut pas lieu 'sans lé-
moins et Vùln Bunmeil est certain. Le cJel raconte la
gloire de ceux qui chanlf^renl sur votre di^pouille ; la
terre rend hommage à la véracité; les nuages proela-
ment les hommages que vous en avez reçus. Les angex
célèbrent les bons ofScei qui vous ont été rendus, en
ce que les apdtres se rassemblèrent auprès de votura
dans Jérusalem, u Le grand Denys l'aréopagile attestai
aussi la mëihe chose en disant : a Ainsi que tu le sais
bien, nous nous sommes rassemblés avec beaucoup
de nos frères pour voir le corps de celle qui a reçu le
Seigneur. » Or, se trouvaient là Jacques, frère de Dieu,
avec Pierre le souverain chef des Théologiens. Ensuite
il sembla bon, après ce qu'on avait vu, que tous les
souverains prêtres chantassent des hymnes, selon que
chacun avait en soi d'énergie, de bonté vivifiante ou
de faiblesse.
Saint Cosme poursuit ainsi sa narration ; « Après
cela, un fort coup de tonnerre ébranla la maison
entière, et un venl doux la remplit d'une odeur si
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 445
suave, qu'un sommeil profond s'empara de ceux qui
s y trouvaient, à l'exception des apôtres et de trois
vierges qui portaient des flambeaux ; car le Seigneur
descendit avec une multitude d'anges et enleva Tâme
de sa mère. Or, Téclat de cette âme était si resplen-
dissant qu'aucun des apc^tres ne la pouvait regarder.
Et le Seigneur dit à saint Pierre : « Ensevelissez le
cx>rps de ma mère avec le plus grand respect, et gar-
dez-le soigneusement pendant trois jours, car je vien-
drai alors, et le transporterai dans le lieu où n'existe
point la corruption ; ensuite je le revêtirai d'une clarté
semblable à la mienne, afin qu'il y ait union etaccord
entre ce qui a été reçu et ce qui a reçu. » Saint Cosme
rapporte encore un mystère étrange et merveilleux,
et qui ne souffre ni investigation curieuse, ni discus-
sion ordinaire : puisque tout ce qu'on dit de la mère
de Dieu est surnaturel, admirable, redoutable, plutôt
que sujet à discussion. « Car, dit-il, quand l'âme sor-
tit de son corps, ce corps prononça ces mots : « Je
vous rends grâces, Seigneur, car je suis digne de
votre gloire. Souvenez-vous de moi puisque je suis
votre œuvre, et que j'ai conservé ce que vous m'avez
confié. » Quand ceux qui dormaient furent éveillés,
continue saint Cosme, et qu'ils virent sans vie le corps
de la Vierge, ils se livrèrent à une grande tristesse et
poussèrent des gémissements. Les apôtres prirent
donc le corps qu'ils portèrtMit au monument, en mènie
temps que saint Pierre commcnra le Psaume : In
exila Israël de .Efjupio. Les chœurs <les anges louaient
la Vierge de telle sorte que Jérusalem fut émue à
l'occasion de cette grande gloire. Alors les grands-
i
446 hk LiGKNDK nomim
prttres envoient une mùltitndedê gens armés d'^téw
et de Mlons. Un d'eux se rue sur le ?raba[, avec
l'intention de jeter par terre le corps de Marie, m^rc
de Dieu. Mais parce qu'il l'ose toucher avec impiété,
il mérite d'être privé de l'usage de ses mains; elles
s'arrachent tontes les deux de sps bras, el restenl-
fluspenduesau lit funèbre; en même temps, il éprouve
des tourments horribles. Cependant, il implore son
pardon, et promet de s'amender. Pierre lui dit :
« Tu ne pourras jamais obtenir le pardon, si ta nVat-
brasses le coi^s de celle qui a toujours é\é vierge, et:
si tu ne confesses que J.-G., qui est né d'elle, est Ie<
Fils de Dieu. » Quand il l'eutfait, ses mains se rcjoi-'
gnirent aux coudes d'oA elles avaient été arrachées.
Et saint Pierre prit une datte de la palme et lui dit : '
a Va, rentre dans ta ville, et pose<la sur les infirmes, t
et tous ceux qui croiront recevront la s^nté*. » Quand-
les apdtres arrivèrent au champ de (jelhsémani, ils y
trouvèrent un sépulcre semblable au îr|nrieiix sépulcre'-
de J.-C. ; ils y déposèrent le corps avec beaucoup de
respect, sans oser toucher an très saint vaisseau de
Dieu, mais ils le prirent par les coins du suaire el le
placèrent dans le sépulcre, qu'ils scellèrent. Pendant
ce temps, les apôtres et les disciples du Seigneur res-
tèrent autour du tombeau, selon l'ordre qu'ils en
avaient reçu de leur mattre. Le troisième jour, une
nuée toute resplendissante l'environne, les voix angé-
liques se font entendre, une odeur ineffable se répand,
tous sont dans une immense stupeur ; alors, ils voient
• .Nicé|jhor<;<;a!lisle., ffiV., I. Il ; c. xxi.
l' ASSOMPTION DE LA BIRNURCIRErSK VIERGE MARIE 447
que le Seigneur est descendu, et qu'il transporte le
corps de la Vier;^e avec une gloire ineffable. Les apA-
tres embrassèrent le sépulcre et retournèrent chez
saint Jean l'évangéliste et le théologien, en le louant
d'avoir été le gardien delà sainte Vierge. Or, il y eut
un des apôtres qui n'assista pas à cette solennité.
Dans fadmiration où le jetait le récit de choses si
merveilleuses, il suppliait qu'on ouvrît le tombeau
pour s'assurer de la vérité. Les apôtres s'y refusaient
sous le prétexte que ce qu'ils lui racontaient devait
suffire, dans la crainte que si les infidèles en avaient
connaissance, ils publiassent que le corps avait été
%'olé. Mais Tapôtre contristé disait : « Pourquoi me
privez-vous de partager un trésor qui nous est com-
mun, quand je suis autant que vous? » Enfin, ils
ouvrirent le tombeau, où ils ne trouvèrent pas le corps,
mais seulement les vêtements et le suaire.
Au livre III, chap. xl de l'Histoire Euthimiatay
saint Germain, archevêque de Constantinople, dit
avoir découvert, et le grand Damascène l'atteste
comme lui, que, du temps de l'empereur Marcien,
l'impératrice Pulchérie, de sainte mémoire, après
avoir fait bâtir à C. P. beaucoup d'églises, en éleva
entre autres une admirable auprès des Blaquermes,
en l'honneur de la sainte Vierge. Elle convoqua Juvé-
nal, archevêque de Jérusalem, et d'autres évêques de
la Palestine, qui restaient alors dans le capitale pour
le concile qui se tint à Chalcédoiiie, et leur dit : a Nous
avons appris que le corps de la très sainte Vierge fut
enterré dans le champ de Ciethséinani ; nous voulons
donc, pour garder cette ville, y transporter ce corps
i
44S LA LÉGENDR DOREE
avec un respect convenable. » Or, comme Juvénal lui
eut répondu que ce corps, d'après ce qu'il en avail
appris dans les anciennes histoires, avait été trans-
porté dans la gloire et qu'il n'était resté dans le tom-
beau que les vêtements avec le suaire, le même Juvé-
nal envoya ces vêtements à C. P., où ils sont placés
avec honneur dans l'église dont on vient de parler *. »
Et que personne ne pense que j'aie forgé ce récit à
l'aide de mon imagination, mais j'ai raconté ce que
j'ai connu par l'enseignement, et d'après les recher-
ches de ceux qui ont appris ces faits de leurs devan-
ciers, par une tradition digne de toute créance. Ce qui
est rapporté jusqu'ici, se trouve dans le discours dont
il a été question plus haut. Or, saint Jean Damascène,
Grec d'origine, raconte plusieurs circonstances mer-
veilleuses au sujet de la très sainte assomption de la
sainte Vierge. Il dit donc dans ses sermons :
« Aujourd'hui la très sainte Vierge est transportée
dans le lit nuptial du ciel ; aujourd'hui cette arche
sainte et vivante qui a porté en soi celui qui l'a créée,
est placée dans un temple que n'a pas construit la
main des hommes ; aujourd'hui la très sainte colombe
pleine d'innocence et de simplicité, s'est envolée de
l'arche, c'est-à-dire de ce corps qui a reçu Dieu ;
elle a trouvé où poser les pieds ; aujourd'hui l'imma-
culée Vierge que n'ont pas souillée les passions ter-
restres, mais au contraire qui a été instruite par les
intelligences célestes, ne s'en est pas allée dans la
terre, mais appelée à juste raison, un ciel animé, elle
* Nicéphorc Callistr, flixt., 1. XV, ch. xiv.
SSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 449
bile dans les tabernacles célestes. Bien que votre
înheureuse âme soit séparée d'après la loi de la
ture de votre glorieux corps, et que ce corps soit
nfié à la sépulture, cependant il ne reste pas la pro-
iété de la mort, et il n'est pas dissous par la cor-
ption : car dans celle qui a enfanté, la virginité est
stée intacte ; dans^ celle qui meurt, le coips reste
Lijours indissoluble, et il passe à une meilleure et
is sainte vie ; la mort ne le détruit pas, car il doit
me durer éternellement. De même que ce soleil
atant, qui verse la lumière, paraît s'éclipser un
tant quand il est caché par un corps sublunaire,
s pourtant perdre rien de sa lumière intarissable,
même, vous, fontaine de vraie lumière, trésor
>uisable de vie, quoique condamnée à subir la
"t corporelle pour un court espace de temps, vous
tez cependant sur nous avec a'bondance la clarté
te lumière qui ne s'altère jamais. De là vient que
*e sommeil ne doit pas recevoir le nom de mort,
s de passage, de retraite, ou mieux encore d'arri-
En quittant votre corps, vous arrivez au ciel,
cinges et les archanges viennent au-devant de vous :
esprits immondes redoutent votre ascension. Bien-
ï^euse Vierge, vous n'avez pas été enlevée au ciel,
^ïne Elie, vous n'êtes pas montée comme Paul jus-
^\i troisième ciel, mais vous avez atteint au trône
Bil de votre Fils. On bénit la mort des autres saints
Ce qu'elle démontre qu'ils sont heureux, mais cela
ôste pas chez vous. Ni votre mort, ni votre béati-
e, ni votre trépas, ni votre départ, pas même votre
traite n'ajoutent rien à la sécurité de votre bonheur ;
u. 29
430 LA LÉGENDE DORÉE
car vous êtes le principe, le moyen et la fin de tous
les biens que ne saurait comprendre l'intelligence de
rhomme. Votre sécurité, votre avancement réel, votre
conception surnaturelle s*expliquent : vous êtes l'habi-
tation de Dieu. Aussi avez- vous dit avec vérité que
ce n*est pas à dater de votre mort, mais du moment
de votre conception que toutes les générations vous
béniraient. La mort ne vous a pas rendue heureuse,
mais vous-même vous avez ennobli la mort ; nonobs-
tant la tristesse qui l'accompagne, vous Tavez chan-
gée en joie. En effet si Dieu a dit : De crainte que
le premier homme n'étende la main et ne cueille du
fruit de l'arbre de vie et qu'il ne vive pour toujours ;
comment celle qui a porté la vie elle-même, la vie qui
n'a pas eu de commencement, la vie qui n'aura point
de fin, comment ne vivrait-^lle point dans le siècle
qui doit durer toujours? Dieu autrefois a chassé du
paradis les auteurs du genre humain endormis dans
la mort du péché, ensevelis dans les profondeurs de
la désobéissance, et qui déjà étaient gâtés par l'infec-
tion du péché ; il les a exilés ; mais aujourd'hui celle
qui a apporté la vie à tout le genre humain, qui a
< Ion né (les preuves de son obéissance à Dieu le Père,
qui a chassé toutes les impressions du vice, comment
le paradis ne la recevrait-il pas ? comment le ciel
joyeux ne lui ouvrirait-il pas ses portes? Eve a prêté
Toreille au serpent ; elle a avalé la coupe empoisonnée ;
elle se laisse allécher par la volupté ; elle enfante
dans la douleur: elle est condamnée avec Adam.
Mais c(»lle qui est vérilal)lenient bienheureuse, qui
prêta l'oreille à la voix de Dieu, qui fut remplie du
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 451
•
Saint-Esprit, qui porta la miséricorde du Père en son
sein, qui conçut sans l'entremise de l'homme, qui
enfanta sans douleur, comment la mort en fera-t-elle
sa proie ? comment la corruption osera-l-elle quelque
chose sur un corps qui a porté la vie elle-même? »
Le Damascène dit encore dans ses sermons : ce II
est vrai que, dispersés par toute la terre et occupés
à pécher des hommes, jetant le filet de la parole pour
les amener hors des ténèbres où ils étaient ensevelis
à la table céleste et aux noces solennelles du Père, les
apôtres furent rassemblés et réunis par Tordre de
Dieu, et furent apportés des confins du monde à Jéru-
salem, enveloppés dans une nuée comme dans un
filet. En ce moment nos premiers parents Adam et
Eve s'écrièrent : « Venez à nous, ô sacrée et salutaire
a nourriture, vous avez comblé notre joie ! » De son
côté la compagnie des saints qui se trouvait corpo-
rellement présente disait : « Demeurez avec nous ;
vous êtes notre consolation ; ne nous laissez pas orphe-
lins ; vous êtes notre soutien dans nos travaux, notre
rafraîchissement dans nos fatigues ; c'est notre gloire
de vivre ou de mourir avec vous : car la vie n'est
rien pour nous, si nous sommes privés de votre pré-
sence. » Je pense que ce furent ces paroles ou d'autres
semblables que les apôtres exprimaient au milieu des
sanglots de tous ceux qui composaient l'assemblée.
Marie se tournant vers son fils : « Soyez vous-même,
lui dit-elle, le consolateur de ceux qu'il vous a plu
appeler vos frères et qui sont dans la douleur à cause
de mon départ ; et ajoutez bénédiction sur bénédic-
tion à l'imposition des mains ({ue je vais faire sur
452 LA LÉGENDE DOREE
eux. » Ensuite elle étendit les mains et bénit le
lège des fidèles, puis elle ajouta : « Seigneur, \^
remets mon esprit entre vos mains : recevez mon âi^cmc
qui vous est si chère et que j'ai conservée pure. C'^^aesi
à vous et non à la terre que je confie' mon corpa^ '«s ;
conservez-le entier puisqu'il vous a plu rhabiti ■ ir.
Transportez- moi auprès de vous, afin que là où v
êtes, vous, le fruit de mes entrailles, j*y sois et
habite avec vous. » Ce fut alors que les fidèles ent
dirent ees paroles : « Levez-vous, venez, ô ma bi
aimée, à la plus belle des femmes ; vous êtes be
mon amie, et il n'y a pas de tache en vous. »
entendant ces paroles, la Vierge recommande
esprit aux soins de son Fils. Alors les apôtres
dent des torrents de larmes, et couvrent de bai
le tabernacle du Seigneur : le contact de ce sacré co
les remplit de bénédiction et de sainteté. Les m
dies disparaissent, les démons s'enfuient, l'air e
ciel sont sanctifiés par la présence de son esprit ^ui
s'élève, la terre l'est à son tour, parce que son coxps
y est défiosé ; comme aussi l'eau, par l'ablutiorm de
son corps. En effet, ce corps sacré est lavé dans une
eau très limpide qui n'a pu le nettoyer, mais qui en a
été sanctifiée. Ensuite le saint corps enveloppé d'un
suaire blanc est placé sur un lit, les lampes resp/^n-
disscnt, les parfums répaiuleiit leur douce odeur, e(
Tair retentit du chant des hymnes anjjéliques. Ce fui •! i,
au milieu du concert que les apôtres et les autres
saints qui se trouvaient là, faisaient entendre, en
chantant des canti(jues divins, (|ue Tarche du Seigneur,
soutenue sur les tètes sacrées <les apolres, est amenée
>5
i-'assomption de la bienheureuse vierge marie 4S3
de la montagne à la sainte terre de Gelhsémani. Les
an/^es la précèdent et la suivent, les autres étendent
des voiles sur le précieux corps, toute l'Eglise raccom-
pagne. Il s y trouva aussi des Juifs endurcis par le
vieux levain de la méchanceté. On raconte encore que
comme ceux qui portaiant le corps sacré de la mère
de Dieu descendaient de la montagne de Sion, un
hébreu, un instrument du diable, poussé par un mou-
Tcment téméraire et conduit par une inspiration
infernale s'approcha, en courant, du saint corps auprès
duquel les anges eux-mêmes tremblaient de s'appro-
cher, et comme un furieux, prit de ses deux mains le
lit funèbre qu'il renversa à terre. Mais on dit (ju'une
de ses mains se sécha comme bois et tomba. C'était
merveille de le voir semblable à un tronc inutile, tant
que la foi n'eut changé son cœur, et ne l'eut fait re-
pentir avec larmes de son crime. Alors ceux qui por-
taient le cercueil s'arrêtèrent, jusqu'à ce que le misé-
rable mettant sa main sur le très saint corps, reçut
une guérison complète à l'instant qu'il l'eut touché.
De là on arrive à Gethsémani, où le saint corps est
déposé dans un tombeau vénérable, après qu'il eut
reçu les baisers, les embrassements, les larmes des
fidèles couverts de sueur et chantant des hymnes
sacrés. Mais votre âme ne fut pas laissée dans l'enfer
et votre corps n'a pas été atteint par la corruption.
Il convenait que le sein de la terre ne retînt pas le
sanctuaire de Dieu, la fontaine qui n'a pas été creu-
sée, le champ vierge, la vigne qui n'avait pas reçu la
rosée, l'olivier fécond. Il fut convenable que la Mère
fût élevée par le Fils, afin qu'elle montât vers lui
II. 29-
434 LA LKGENDE DORÉE
comme il était descendu en elle, afin que celle qui a
conservé sa virginité dans son enfantement n'éprou-
vât pas les atteintes de la corruption en son corps,
et que celle qui a porté son créateur dans son sein
habitât les divins tabernacles. Le Père l'avait prise
pour épouse, elle doit être gardée dans le palais cé-
leste : la mère doit jouirde ce qui appartient au Fils. »
(Saint Jean Damascène.)
Saint Augustin s*étend aussi fort longuement dans
un sermon sur la très sainte Assomption de Marie
toujours vierge : « Avant, dit-il, de parler du très saint
corps de celle qui toujours a été vierge, et de Tas-
somption de sa bienheureuse âme, nous commençons
par dire que l'Ecriture ne parle pas d'elle après que le
Seigneur l'eut recommandée sur la croix au disciple,
si ce n*est ce que saint Luc rapporte dans les Actes des
apôtres : (c Ils étaient tous, dit-il, persévérants una-
« nimement dans la prière avec Marie, mère de Jésus
« (Actes, i). » Que dire donc de sa mort? Que dire de son
assomption? Puisque TEcriture se tait, il ne faut de-
mander à la raison que ce qui est conforme à la vérité.
Que la vérité donc suit notre autorité puisque sans
elle il n'y a même pas d autorité. Nous nous basons
sur la connaissance que nous avons de la condition
humaine quand nous n'hésitons pas à dire qu'elle a
souffert la mort leinporelie * ; mais si nous disons
qu'elle fut la pâture de la pourriture, des vers et de la
cendn», il faut examiner si cet état convient à la sain-
II paraît par ce passatj;"^ (jiie l'oraison Veneranda qui so
rrrilaif dans les lilinij^lrs niodrriics nu jour tic la fcle de PAs-
somplioii, est ti'uiie 1res haute anti(juité.
l' ASSOMPTION DE LA BIENHFATREIJSE VIERGE MARIE 453
teté qui la distingue et aux prérogatives qui appar-
tiennent à cette merveilleuse habitation de Dieu. Nous
savons bien qu'il a été dit à notre premier père : « Tu
a es poussière et tu retourneras en poussière. » La chair
de J.-C. ne subit pas cette condamnation puisqu'elle
ne fut pas soumise à la corruption. Donc elle fut
exceptée de la sentence générale la nature qui fut prise
de la Vierge. Le Seigneur dit aussi à la femme: « Je
« t'affligerai de nombreuses misères : tu enfanteras dans
« la douleur. » Marie a bien enduré les angoisses, puis-
qu'un glaive perça son âme ; cependant elle enfanta
sans douleur. Donc Marie, quoique partageant les an-
goisses d'Eve, ne les partagea pas en enfantant avec
douleur. Donc celle qui jouit d'une prérogative im-
mense est exceptée de la règle générale. Si donc l'on
dit qu'elle a souffert la mort sans cependant que la
mort l'ait retenue dans ses liens, serait-ce une impiété
de dire qu'il n'ait pas voulu préserver sa mère contre
les horreurs delà pourriture, quand il a voulu conser-
ver intacte la pudeur de sa virginité? Est-ce qu'il n'ap-
partenait pas à la bonté du Seigneur de conserver
rhonneur de sa mère, lui qui était venu non pour dé-
truire la loi, mais pour l'accomplir ? S'il Ta honorée
pendant sa vie plus que toute autre par la grâce qu'il
lui fit de le concevoir, c'est donc chose pieuse de croire
qu'il l'honora dans sa mort d'une préservation parti-
culière et d'une grâce spéciale. La pourriture et les
vers, c'est la honte <ic la condition humaine. Or,
comme J.-C. est exempt de cet opprobre, Marie en est
exempte aussi, puis(|ne J.-C. est né d'elle. Car la chair
de Jésus, c'est la chair de Marie, qu'il éleva au-dessus
i
456 ul LiacNoi oowbt
des astres, honorant psr li la nature tunûiae} naii
plus encore celle de sa mère. Si le fils a la natsie de
la mère, il est de toute convenance que la Aère 'pos-
sède la nature du Fils, non pas quant i 1*011114 dis la
personne, mais quant A l'unité de la nature oorporeUe.
Si la grilce peut feire qu'il y ail unité saits qu'il _v ait'
communauté de nature, A plus forte raison quand tl
y a nnilé en ^rice et naissance rorporeilc en particu-
lier. II y a unité de grAce comme celle des disciples
avec J.-G., selon qu'il en parle lui-même quand il dit:
« Afin qu'ils soient un comme nous sommes un » :
et ailleurs : « Mon père, je veux qu'ils soient avec moi
c partout oà je suis. « K donc J.-C. veut avoir avec soi
ceux qui, réunis par la foi en lui, sont oenaés ne Caire
qu'un avec lui, que penser, par rapport i sa mère, dn
lieu où elle soit di^ne de se trouver, sinon eo présence
de son Fils? Autant que je puis le comprendre, autant
que je puis le croire, l'Ame de Marie est hon(»te pv
son Fils d'une prérogative plus excellente eneore>pni»>
qu'elle possède en J.-C. le corps de ce Fils qu'elle a
engendré avec les caractères de la gloire. Et pourquoi
ce corps ne serait-il pas le sien, puisqu'elle le conçut
par lui ? S'il n'a pas été au-devant d'elle, je ne recon-
nais pas là son autorité. Oui, je crois que c'est par lui
qu'elle a engendré; car unes! g;rande sainteté est plus
digne du ciel que de la terre. Le trône de Dieu, le lit
de l'époux, la maison du Seigneur et le tabernacle de
J.-C. a le droit d'ôtre où il est lui-même. Le ciel est
plus digne que la terre de conserver un si précieux
Irésor. L'incorruptibilité et non la dissolution causée
par la pourriture est la conséquence directe d'une si
l' ASSOMPTION DE LA BIENHEUREUSE VIERGE MARIE 457
grande intégrité. Que ce très saint corps ait été aban-
donné aux vers comme à leur pâture, je rougirais de
le penser, j'aurais honte de le dire ! Les grâces incom-
parables qui lui ont été départies sont de nature à
me faire rejeter cette pensée. Plusieurs passages de
TEcriture viennent à Tappui de ce que j'avance. La
vérité a dit autrefois à ses ministres : « Où je suis, là
« aussi sera mon ministre. » Si cette sentence générale
regarde tous ceux qui servent J.-C. par leur croyance
et leurs œuvres, elle s'applique bien mieux encore à
Marie qui, sans le moindre doute, l'a aidé par toutes
ses œuvres. Elle l'a porté dans ses entrailles, elle Ta
mis au monde, elle l'a nourri, elle l'a réchauffé, elle
l'a couché dans la crèche, dans la fuite en Egypte elle
Ta caché, elle a guidé les pas de son enfance, elle Ta
suivi jusqu'à la croix. Elle ne pouvait douter qu'il fût
Dieu, puisqu'elle savait l'avoir conçu non par les voies
ordinaires, mais par l'aspiration divine. Elle n'hésite
pas à croire à sa puissance comme à la puissance
d'un dieu quand elle dit, lorsque le vin manquait :
ce Ils n'ont pas de vin. » Il accueillit sa demande par
un miracle; elle savait qu'il le pouvait faire. Donc, il
est clair que Marie par sa foi et par ses œuvres a aidé
J.-C. Mais si elle n'est pas où J.-G, veut que soient
ses ministres, où donc sera-t-elle ? Et si elle y est,
serait-ce à titre égal? Et si c'est à titre égal, où est
l'égalité devant Dieu s'il ne rend à chacun selon ses
mérites? Si c'est avec justice que la sainte Vierge a
reçu pendant sa vie une plus grande abondance de
grâces que les autres, pounjuoi donc lui soustraire
cette grâce quand elle est morte? Non certes! car si
488 LA hÉaEKDZ mmÈK
■la murt de tons les saints est précaire, 1a dhmI de
Marie est évidemmeat très précieuse. Je pense ikmc
■qu'il faut déclarer que Marie, élevée aux- jmes île
Péternité par la bonté de J.-O., a été reçue avec fins
d'honneur que les antres, puisqu'il l'a honorée de sa
frAce plus que tes aotrés.: et qu'elle n'a point eu i
subir après sa mort ce que les autres hommes au-
blssent, la pourriture, les vers et la ponsnire, puî»*
qu'Ole- a- etijfendré son Sauveur et celui de tons les
Jbomnies. Si la divine volonté a d;iii.'ité conserver intact»
^ milÏM des flammes les vt^lenjents des enfants,;
)H>on|a0i ne gsrderait-elle pa&, dans sa propre mèrej;
«e qu'il a gardé dans les vélrinenls des autres? L4
miséricorde seule a voulu conserver vivant Jouas daiK
le ventre de la baleine, et la gr^ce ne conservera pas
Marie contre la corruption? Daniel fui cnnservé mal-
•gri la faim dévorante des lions, et Marie ne se serait
pas conservée après que ses mérites l'ont élevée A une
si haute dignité? Puisque dans ce que nons venons de
dire, nous reconnaissons que tout a été fait contre les
lois de la nature, nons sommes certains aussi que la
grâce a plus fait que la nature pour l'intégrité de
Marie. Donc J,-C., comme fils de Marie, fait qu'elle
tire sa joie de lui-même dans son Âme et dans son
corps. II ne la soumet pas au supplice de la corruption,
puisqu'en enfantant ce divin fils, elle ne fut pas sou-
mise à la perte de sa virginité ; en sorte qu'elle est in-
corruptible en raison des grâces qui l'ont inondée,
qu'elle vit intégralement parce qu'elle a mis au monde
celui qui est la vie entière de tous. 0 Jésus, sî j'ai
parlé comme Je l'ai dil, approuvez-moi, vous et les
SAINT BERNARD 439
vôtres. Si j'ai parlé autrement que je ne le dois, je
vous en conjure, vous et les vôtres, pardonnez-le moi. »
SAINT BERNARD
Bernard vienl de ber, puits, fontaine, et de nani, plante, d'a-
près la Glose sur le Cantique des Cantiques. Humble, d'une na-
ture échauffante et odoriférante. En effet saint Bernard fut
échauffé d'un ferventamour ; il fut humble dans ses habitudes
et odoriférant par la suavité de sa réputation. Sa vie fut écrite
par Guillaume, al>bc de Saint-Thierry, compagnon du saint,
et parHernoId, abbé de Bonueval*.
Saint Bernard naquit au château de Fontaine, en
Bourgogne, de parents aussi nobles que religieux. Son
père Técelin était un chevalier plein de valeur et non
moins zélé pour Dieu; sa mère s'appelait Aaleth. Elle
eut sept enfants, six garçons et une fille ; les sept gar-
çons devaient tous ôlre moines et la fille religieuse.
Aussitôt qu'elle en avait mis un au monde, elle l'of-
frait à Dieu de ses propres mains. Elle refusa toujours
de faire nourrir ses enfants du lait d'une étranft»;ère,
comme si avec le lait maternel, elle dût les remplir de
tout ce qui pouvait se trouver de bon dans elle. Quand
ils avançaient en âge, tout le temps qu'elle les eut sous
la main, elle les élevait pour le désert plutôt que pour
la cour, leur donnant à manger des nourritures com-
munes et des plus grossières, comme s'ils devaient par-
* Jacques de Voragiue a écrit celle vie d'après le livre do
Guillaume, de Saint-Thierry.
/
460 LA LÉGENDE DORÉE
tir d'un instant à l'autre pour la solitude. Etant en-
ceinte de Bernard, son troisième fils, elle eut unsone^e
qui était un présaj^çe de l'avenir. Elle vil dans son sein
un petit chien blanc, tout roux sur le dos et qui
aboyait. Elle déclara son rêve à un homme de Dieu.
Celui-ci lui répondit d'une voix prophétique : « Vous
serez la mère d'un excellent petit chien, qui doit être
le gardien de la maison de Dieu; il jettera de grands
aboiements contre les ennemis de la foi ; car ce sera
un prédicateur distingué» qui guérira beaucoup de
monde par la vertu de sa langue. » Or, comme Bernaixl
était encore tout petit, et qu'il souffrait d'un grand
mal de tète, il repoussa et chassa, en criant avec une
extrême indignation, une femme qui venait pour sou-
lager sa douleur par des charmes; mais la miséricorde
de Dieu ne manqua pas de récompenser le zèle du
petit enfant ; en effet il se leva aussitôt et se trouva
guéri. Dans la très sainte nuit de la naissance du Sei-
gneur, comme le jeune Bernard attendait dans l'église
l'office des Matines, il désira savoir à quelle heure de
la nuit J.-G. était né. Alors le petit enfant Jésus lui
apparut comme s'il venait de naître du sein de sa
mère. Ce qui lui fit penser, tant qu'il vécut, que c'était
l'heure de la naissance du Seigneur. Dès ce moment
il lui fut donné, pour ce mystère, une intelligence plus
profonde et une éloquence plus riche. Aussi dans la
suite, il mit au jour, en l'honneur de la mère et du Fils
un opuscule remarquable parmi tous ses autres traités,
dans lequel il expliqua l'évangile Missus est Angélus
Gabriel. L'antique ennemi voyant des dispositions si
saintes dans cet enfant fui jaloux de la résolution
SAINT BERNARD 461
qu'il avait prise de garder la chasteté, et il tendit une
infinité de piètres pour le faire succomber à la tenta-
tion. En effet une fois que Bernard avait arrêté quel-
que temps les yeux sur une femme, à l'instant il rougit
de lui-même et exerça sur son corps une vengeance
très sévère; car il se jeta dans un étang dont leseaux
étaient glacées, où il resta jusqu'à être presque gelé,
et par la grâce de Dieu, il éteignit en soi toutes les
ardeurs de la concupiscence de la chair.
Vers le même temps, une fille poussée par le démon
se sflissa nue dans le lit oii il dormait. En la sentant,
il lui céda en toute paix et silence le côté du lit où
elle s'était placée, et se retournant de l'autre côté, il
s'endormit. Alors cette misérable resta quelques ins-
tants tranquille et attendit; enfin elle se mi ta le toucher
et à le remuer; enfin comme il restait immobile, cette
fille tout impudente qu'elle fût, se prit à rougir et
pleine d*une crainte étrange et d'admiration, elle se
leva et s'enfuit. Une autre fois, il avait reçu l'hospi-
talité chez une dame qui, en voyant un si beau jeune
homme, conçut pour lui des désirs brûlants. Comme
elle lui avait fait préparer un lit à l'écart, elle se leva
au milieu du silence de la nuit, et eut l'impudence de
venir le trouver. Bernard ne Teut pas plutôt sentie,
qu'il se mit à crier : « Au voleur, au voleur. » A ce
cri là femme fuit ; on allume une lampe ; on cherche
le voleur, mais il n'y a pas moyen de le trouver. Cha-
cun retourne à son lit, et repose, la misérable seule ne
repose pas, car elle se lève une seconde fois, va au lit
de Bernard qui s'écrie de nouveau : « Au voleur, au
voleur. » On cherche encore le larron, qui ne fut pas
462 LA LiSSHDB DORÉB
découvert par celiii^ft seul qtii le conneissait. Cette
méchante femme aÎDSÏ rebutée ne laissa pas de revenir
uae troisième fois ; enfio vaincue par la crainte ou le
désespoir, elle cessa à peioeses lenlalives. Or, le lende-
main, quand Bernard se fut remis en route, ses com-
pagnons de voyage lui demandèreitl, en lui adressant
des reproches, pourquoi il avait tant rêvé voleurs. If
leur dit: « Véritablement cette nuil, j'ai él<^ alUqué
par un voleur; car ThAtesse essayait de m'cnlever le
trésor de la chasteté qui.ne8e peut recouvrer. » Réflé-
chissant donc qu'il n'est pas sûr de demeurer avec un
serpent, il pensa à s'enfuir, et dés lors il résolut d'en-
trer dans l'ordre de CSteaoz. Lorsque ses frères en
furent instruits, ils voulurent le détourner de loutesles
manières d'exécuter son dessein ; mais le Sei^mcur lui
accorda une si grande grflce que non seuleinenl ritrn
ne s'opposa à sa conversion mais il j^a^na au Seigneur
pour entrer en religion tousses frères et beaucoup
d'autres encore. Gérard, son frère, militaire vaillani,
regardait comme vaines les paroles de Bernard, et re-
jelail absolument ses conseils ; alors Bernard, animé
d'une foi toute de feu, etlransporlédu zèle de la charité
pour le salut de son frère, lui dit : « Je sais, mon frère,
je sais qu'il n'y aura que le malheur qui puisse don-
ner à tes oreilles de comprendre. Puis mettant ledoigt
sur son côté ; « Le jour viendra dit-il, et il viendra
bienl(>t, qu'une lance perçant ce côié fera arriver jus-
qu'à ton cœur l'avis que tu rejettes, » Peu de jours
après Gérard, qui avait reçu un coup de lance à l'en-
droit où son frère avait posé le doigt, est fait prison-
nier et je[é dans les fers. Bernard vint pour le voir,
SAINT BERNARD 463
et comme on iic lui permettait pas de lui parler, illui
cria : « Je sais, mon frère Gérard, que dans peu nous
devons aller pour entrer au monastère. » Cette nuit-là
même, les chaînes qui retenaient Gérard par les pieds
tombèrent ; la porte de la prison s'ouvrit et il s'enfuit
plein de joie. Alors il fit connaître à son frère qu'il
avait changé de résolution et qu'il voulait se faire
moine.
L'an de l'Incarnation 1112, la quinzième année de-
puis l'établissement de la maison des cisterciens, le
serviteur de Dieu Bernard, âgé d'environ vingt-deux
ans, entra dans l'ordre de Citeaux avec plus de trente
de ses compagnons. Or, comme il sortait avec ses
frères de la maison paternelle. Guidon, l'aîné, voyant
Nivard, son tout petit frère, qui jouait sur la place avec
des enfants, lui dit : « Allons, mon frère Nivard, c'est
à toi seul qu'appartient toute la terre de noire héri-
tage. » Et l'enfant lui répondit non pas comme un
enfant : « Vous aurez donc le ciel, et à moi vous me
laissez seulement la terre? Ce partage n'a pas été fait
ex œquo, » Nivard resta donc quelque peu de temps
avec son père; mais dans la suite, il alla rejoindre
ses frères. Le serviteur de Dieu Bernard étant entré
dans cet ordre, s'adonna tellement à la contemplation
spirituelle et fut tellement occupé du service de Dieu,
qu'il ne se servait déjà plus d'aucun de ses sens cor-
porels; car il y avait un an qu'il était dans la cellule
des novices, qu'il ignorait encore si la maison avait
une voûte. Bien qu'il entrât souvent dans l'église et
qu'il en sortît, il pensait qu'il n'y avait qu'une fenêtre
au chevet, où il s'en trouvait trois. L'abbé de Citeaux
464 LA LÉGENDE DORÉE
envoya des frères pour fonder la maison de Clairvaux,
et ce fut Bernard qu'il leur proposa pour abbé. Il y
vécut longtemps dans une pauvreté excessive, et sou-
vent il n'avait que des feuilles de hêtre pour confec-
tionner le potage. Le serviteur de Dieu veillait au delà
de ce que peut la force d'un homme : et il avait cou-
tume de dire que le temps qu'il regrettait le plus était
celui qu'il passait à dormir; il trouvait que la com-
paraison qu*on fait entre le sommeil et la mort était
assez juste, puisque ceux qui sont morts semblent
dormir aux yeux des hommes comme ceux qui dor-
ment semblent morts aux yeux de Dieu. C'est pour-
quoi, s'il entendait un frère ronfler trop fort', ou bien
s'il le voyait couché avec peu de bienséance, il le sup-
portait avec peine, et prétendait qu'il dormait comme
un homme charnel ou bien comme un séculier. Il n'é-
tait porté à manger par aucun plaisir de contenter son
appétit ; c'était la crainte de défaillir qui le faisait se
mettre à table, comme à un lieu de supplice. Après
le repas, il avait constamment la coutume de penser à
la quantité de nourriture qu'il avait prise, et s'il s'a-
percevait avoir excédé seulement d'un peu sa ration
ordinaire, il ne laissait pas passer cela impunément.
II avait tellement dompté les attraits de la friandise
qu'il avait perdu en grande partie le sens du goût ;
car un jour qu'on lui avait versé de l'huile par mégarde,
il la but sans s'en apercevoir : et le fait serait resté
ignoré, si quelqu'un n'eilt remarqué avec étoimement
qu'il avait les lèvres couvertes d'huile. On sait que
pendant plusieurs jours, il fit usage de sang caillé qui
lui avait été servi pour du beurre. 11 ne trouvait de
SAINT BERNARD 465
saveur qu'à l'eau, parce que, en la prenant, disait-il,
elle lui rafraîchissait la bouche et la |^ori;^e. Il disait
ingénument que tout ce qu'il avait appris dans l'Écri-
ture sainte, il l'avait acquis par la méditation et la
prière dans les forêts et dans les champs ; et il répé-
tait souvent à ses amis qu'il n'avait jamais eu d'autres
maîtres que les chênes et les hêtres. Enfin il avoua
que c'était souvent dans la méditation et la prière que
toute la Sainte Écriture s'était présentée à lui sous son
véritable sens, et toute sa clarté. A une époque, rap-
porte-t-il dans le 82*^ sermon sur le Cantique des Can-
tiques, pendant qu'il parlait, il voulait retenir quelque
chose que le Saint-Esprit lui suggérait^ et se le réser-
ver pour une autre fois où il serait obligé de traiter le
même sujet, il lui sembla entendre une voix qui lui
disait : « Tant que vous retiendrez cela, vous ne rece-
vrez pas autre chose. » Il est certain qu'il ne le faisait
pas par un sentiment d'infidélité, quoiqu'il témoignât
manquer d'un peu de foi.
Dans ses vêtements la pauvreté lui plut toujours,
mais jamais la malpropreté, qu'il disait être la marque
d'un esprit négligent, ou plein d'un sot orgueil, ou
bien convoitant la gloire humaine. Souvent il citait
ce proverbe, que toujours il avait dans le cœur : « Qui
veut être remarqué, agit autrement qu'un autre. »
C'est pour cela qu'il porta un cilice plusieurs années,
tant que la chose put rester secrète ; mais quand il
s'aperçut qu'elle était découverte, il s'en dépouilla et
fit comme la communauté. S'il riait, c'était toujours
de telle sorte qu'il lui fallait faire des efforts pour rire
plutôt que pour réprimer des ris : il fallait qu'il les
II. 30
466 LA uteCKDB DORKE
exdtAt plutôt qu'il ne les reUat. Comme il avait cou-
tume de dire qu'il y avait trois genres de patienc«,
«avoir : 1° patience pour les paroles iiijuricusps, 2**
patience pour le dommage dan.s les biens, el 3° pa-
tience dans les maladies du corps, il prouva qu'il les
possédait tous par les exemples qui suivent : Il avait
écrit une lettre dans laquelle il donnait des avis à un
évAque en termes affectueux. L'éïdque outré de colère
lui réponditen style des plus amers cl commença ainsi sa
lettre: a Salut et non par esprit de blasphème u, comme
si saint Bernard lui eût écrit poussé par l'esprit de blas-
phème; mais celui-ci lui écrivît de nouveau en disant :
« Je ne crois pas avoir l'esprit de blasphème, et je ne
sache pas avoir maudit personne, ni avoir l'envie de le
faire & l'égard de qui que ce 8oit> mais surtout envers le
prince de mon peuple. » Unabbé lui envoya 600 marcs
d'ar^nt pour construire un monastère ; or, toute la
somme fut ravie en route par des voleurs. A cette
nouvelle, Bernard se contenta de dire ; n Béni soit
Dieu, qui nous a délivrés de ce fardeau ; il faut toute-
fois avoir pitié de ceux qui l'ont enlevé; car, d'une
part, c'était la cupiditt^ humaine qui les poussa; et
d'ailleurs celte grosse somme d'argent avait été l'oc-
casion d'une grande tentation. Un chanoine rég'ulier
vint le prier instamment de le recevoir au nombre des
moines, fïomme Bernard n'acquiesçait pas à sa de-
mande el lui conseillait de retourner à son église :
» Pourquoi donc, lui dit le chanoine, recommandez-
vous si fort la perfection dans vos écrits, si vous ne
l'offrez pas à ceux qui la désirent* Que ne puts-je les
tenir dans mes mains, vos livres, afin de les mettre en
SAINT BERNARD 467
morceaux ! » Bernard reprit : « Vous n'avez lu dans
aucun d'eux que vous ne pouviez pas être parfait
clans votre cloître : c'est la correction des mœurs, ce
n'est pas le changement de lieux que j'ai recommandé
dans tous mes livres. » Alors cet insensé se jeta sur
lui et le frappa si grièvement à la joue, que la rougeur
succéda au coup, et Tenfle à la rougeur. Déjà ceux qui
se trouvaient là se levaient contre le sacrilège^ mais le
serviteur de Dieu les prévint en criant et en les con-
jurant au nom de J.-C. de ne point le toucher et de
ne lui faire aucun mal. Il avait coutume de dire aux
novices qui voulaient entrer en religion : « Si vous
voulez avoir part à tout ce qui se fait dans l'intérieur
de cette maison, laissez à la porte le corps que vous
avez amené du siècle : l'esprit seul entre ici ; on n'y a
pas besoin de la chair. » Son père, qui était resté seul
à la maison, vint an monastère et y mourut après un
court espace de temps, dans une belle vieillesse.
Sa sœur, qui s'était mariée, vivaitexposée au danger
au sein des richesses et des délices du monde. Or, elle
vint une fois au monastère faire une visite à ses frères.
Et comme elle était arrivée avec une suite et un appareil
magnifique, Bernard en eut horreur comme du filet
dont se sert le diable pour prendre les âmes ; il refusa
absolument de sortir pour la voir. Comme aucun de
ses frères ne venailà sa rencontre, mais que Tun d'eux,
qui pour lors était portier, Tappclait fumier habillé,
elle fondit toute en larmes. « Bien que je sois une pé-
cheresse, dit-elle, c'est pour les gens de cette sorte que
J.-C. est mort: c'est parce que je sens être une péche-
resse que je recherche les avis et rentretien des per-
à
468 LA l.i:GIL\lyK DORÉE
soDDesde bien; et si mon friTc méprise mnn corps,
que -le servîtear de I>icu ne mi^prise pas mon Hnif.
Qu'il nenne, qa'ilordonne, et tout ce qu'il ordonnem,
je l'aocomplinti. » Ce ne lui qu'après c^tle promesse
-que saiot Bernard vint U\ trouver avec ses frères ; et
parce qu'il ne pouvait pns la séparer de son mnri, il
lut interdit d'abord toute la vaine ^oire dumondc. et '
illui proposa, pour modèle à imiter, la conduite de «il
mère ; B|Hrès quoi il la congédia . A son retour, il s'opéra. ^
en elle ûa changement si soudain, qu'au milieu de la
gloire du inonde, ^1e menait une vie érémîtique et
qu'elle se rendait absolument élran^nre à tout ce
qui tenait du siècletËniïnà Torcede prières, elle gagna J
son mari» et après avoir reçu l'autoriNalion de soi^
èvAque, elle entra dans un monastère. L'homme à»m
Dieu tomba malade, 'et on croyait qu'il allait rendra ■
te dernier soupir, quand il fui ravi en esprit et 11 hii I
parutqu'il était présenté au tribunal de Dieu: Satan y fut'l
aussi de son câté,etle pressait d'accusations inju»tes»f
Quand il eut tout articulé et que ce fut au tour de
l'homme de Dieu àparler,celui-ci dilsansse troubler
et sans s'effrayer : « Je l'avoue, je suis un indigne,
et je ne saurais, par mes propres mérites, obtenir le
royaume des cieux. Au reste mon Seigneur qui le
possède à double titre, savoir par héritage de son père,
et par le mérite de sa passion, se contente de l'un et
me donne l'autre .ce don, je le revendique pour moi,
et je ne saurais être confondu. » A cette parole l'en-
nemi fut confus, l'assemblée dissoute, et l'bomme de
Dieu revint à lui. Il atterra son corps par une absti-
nence excessive, par le travail, par les jeilnes, à tel
SAÎNT BERNARD 469
point qu'il était continuellement malade et languissant,
la fièvre le dévorait, et c'était à peine s'il pouvait
suivre les exercices du couvent. Une fois, il était très
gravement malade ; ses frères firent des prières pour
lui, et il se sentit revenir à la santé. Alors il convoqua
la communauté et dit : « Pourquoi retenez-vous un
misérable homme? vous êtes plus forts et vous l'avez
emporté. Grâce, je vous en prie, grâce, laissez-moi
m'en aller. » Plusieurs villes élurent l'homme de Dieu
pour évéque : ce furent en particulier Gènes et Milan.
A ceux qui le demandaient, il disait sans consentir,
comme aussi sans refuser avec dureté, qu'il ne s'ap-
partenait pas, mais qu'il était consacré au service des
autres. Au reste, les frères, d'après le conseil de
l'homme de Dieu, s'étaient pourvus et munis de Tau-
lorité du souverain Pontife pour que personne ne pût
leur ravir leur joie. A une époque ayant visité les
frères Chartreux, Bernard les édifia beaucoup en tous '
points. Il n'y eut qu'une chose qui frappa le prieur de
la Chartreuse, c'est que la selle qui portait le saint
abbé n'était pas sans quelque élégance et n'annonçait
pas la pauvreté. Le prieur en fit l'observation à un des
frères qui rapporta cela à l'homme de Dieu. Celui-ci
n'en fut pas moins étonné et s'informa de ce qu'était
cette selle : car de Clairvaux, il était venu à la Char-
treuse sans savoir comment elle pouvait être. Pendant
toute une journée, il chemina auprès du lacde Lausanne
sans le voir, ou bien il ne remarqua pas qu'il le voyait.
Le soir, comme ses compagnons parlaient de ce lac,
Bernard leur demanda où il se trouvait. En entendant
cela, ils restèrent dans l'admiration.
u. 30-
4?0 LA L^IRNHR IKini^K
L'hùmilïU de son coeur IVmpurtail en lui sur la
gloire de son nom, et le monde i*nlier ne parvenait
pas autant à l'élever qu'il se rabaissait lui-même. Tduh
le re^rdaient comme un tiomnif; extraordinaire, et
lui se considérait comme le dernier de tous : personne
ne lui trouvait son ^at el lui-môme ne se préférait a
personne. Enfin, d'après «es propres »vcu\, au milieu
des plus grands honneurs, et (juami il recevait dt-s
hommages universels, il se croyait être un personnHt;r
d'emprunt, ou bien il pensait rêver : mais où il ren-
contrait des frères plus simpk-s, il était joyeux de se
trouver jouir d'uae humilité qui lui était chère, et
d'fitre rendu àluï-^nâme. Or, toujours on le rencontrait
ou priant, ou lisant, ou écrivant, ou méditant, ou bien
édifiant tes frères par stt parole. Une fois qu'il prêchait
au peuple et que tous l'écoulaient avec attention et
dévotion, cette tentation se çlissa dans son esprit :
« Vraiment tu parles aujourd'hui admirablement ; les
hommes t'écoulenl volonlieis et tu passes généralement
pour un savant! » Mais l'homme de Dieu, qui se sentait
pressé par cette tentation, s'arrêta un instant, et se
mit à penser, s'il devait continuer ou finir son discours.
Et aussitôt, fortifié par le secours de Dieu, il répondit
tout bas au tentateur : « Ce n'est pas par toi que J'ai
commencé, ce n'est pas par toi que je cesserai. » El, sans
se troubler, il poursuivit sa prédication jusqu'à la fin.
Un moincqui, dans le siècle, avait été ribaud et Joueur,
fut tenté par le malinespritde rentrer dans le monde.
Or, comme Bernard ne le pouvait retenir, il lui de-
manda de quoi il vivrait. Celui-ci lui répondit : « Je
sais jouer au.\ dés et avec cela je pourrai vivre, u
"\
SAINT BKHNAHD 471
Bernard lui dit : « Si je te confie un capital, veux-tu
revenir tous les ans et parta^jer avec moi le bénéfice?»
Quand le moine entendit cette proposition, il fut tout
joyeux, et promit qu'il y viendrait volontiers. Bernard
commanda donc de lui donner vingt sols et cet homme
s'en alla avec cet argent. Or, le saint homme agissait
ainsi afin de pouvoir le faire revenir une seconde fois,
comme cela eut lieu plus tard. Ce malheureux s*en
alla donc, et perdit tout : puis il revint fort confus à
la porte. Quand l'homme de Dieu eut appris son ar-
rivée, il alla plein de joie vers lui, et tendit son giron
afin de partager le gain ensemble. Et l'autre dit:
« Rien, mon père, je n'ai rien gagné ; mais j'ai encore
perdu le capital : si vous voulez, recevez-moi pour notre
capital. » Bernard lui répondit avec bonté : « S'il en
est ainsi, dit-il, mieux vaut encore recevoir cela que
tout perdre ». Une fois saint Bernard voyageait monté
sur une jument; il rencontra un paysan, avec lequel
il vint àpafler et à gémir de la légèreté du cœur dans
la prière. Quand cet homme l'eut entendu, il le mé-
prisa aussitôt, et lui dit que quant à lui, dans ses
prières, il avait le cœur ferme et solide. Mais saint
Bernard voulant le convaincre et réprimer sa témérité
lui dit : a Eloignez-vous un peu de nous, et commencez
l'oraison dominicale avec toute l'attention dont vous
pouvez être capable. Si vous l'achevez sans aucune
distraction et sans vous tromper, je vous donne bien
certaincnuMit la jument sur laquelle je suis assis. Mais
vous allez me promettre consciencieusement aussi, que
si vous avez en même temps une distraction, vous vous
garderez bien de me le cacher. » Le paysan wichanté
473 LA lAqKNDK DOHl'^E
et qui se croTaîtdéjà avoir |^né la jument, Tul assez
téméraire pour se retirer, et après s'èlre recueilli, il
omnnieiiçâ i rédler ToraiflOD duminicale. Il avait i
peine achevé U nuritié du Paler, qu'une pensée le
toannente ; c^est de savoir s'il aura la selle avec la ju
ment. Alan s'étaot aperça de 6a distraction, î) revint
vile trouver saiat Bernard auquel il déclara ce qoi
l'avait inquiété pendant sa prière, et dans la suite, ît
fiit menas [H>ésomptaeuz de soî-mt'me.
Frère Robert, moine et parent de »aint Bernard* '
trompé dès son enfti'nce par Im discours de cerliiines^
personnes, s'en était allé à COnny. Or, le vénérable'
Père, après avoir gardé le silence à ce sujet pendant
un certain temps, prit la résolution de lui écrire pour
le faire rentrer. Et comme il était en plein nir, et
qu'un antre moïne écrivait en niéine temps sous la
dictée du saint, tout à coup, et sans qu'on s'y altendtl,
la pluie tomba avec impétnosité. Or, celui qui écrt- j
vaît voulait plier la feuille. « C'est œuvre de Dïeu^fl
lui dit Bernard, écrivez, et ne craignez rien. » Il écri-
vit donc la lettre au milieu de la pluie, sans en rece-
voir une goutte, car bien qu'il eâl plu de tout côté,
cependant la force de la charité suffit pour éloigner
l'incommodité de l'oraçe. — L'homme de Dieu avait
bâti un monastère, qui était envahi par une multitude
incroyable de mouches, en sorte que c'était une grande
gène pour tout le monde. Saint Bernard dit : « Je les
excommunie. » El le matin, on les trouva toutes
mortes. — Ayant été envoyé par le souverain pontife
à Milan, pour en réconcilier les habitants avec l'É-
glise, il était déjà de retour à Pavic, quand un homme
SAINT BERNARD 473
lui amena sa femme, qui était possédée. Aussitôt le
diable se mit à vomir contre le saint mille injures par
la bouche de cette misérable. II disait : « Ce mangeur
de poireaux, cet avaleur de choux, ne me chassera
point de ma petite vieille. » Mais Thomme de Dieu
l'envoya à Téiçlise de saint Syr. Saint Syr voulut le
céder à son hôte et ne fit aucun bien à cette femme.
On l'amena donc de nouveau à saint Bernard. Alors
le diable, par la bouche de la possédée, se mit à plai-
santer et à dire : « Ce ne sera pas Sirule, ce ne sera
pas Bernardinet qui me chassera. » A cela, le ser\'î-
teur de Dieu répondit : « Ni Syr, ni Bernard ne te
chassera, mais ce sera le Seigneur J.-C. » Et il ne se
fut pas plutôt mis en oraison, que le malin esprit dit :
« Que je sortirais volontiers de cette petite vieille!
Combien j'y suis tourmenté ! Que je sortirais volon-
tiers ! mais je ne le [>uis ; le grand Seigneur ne le veut
pas. » Le saint lui dit : « Et quel est le grand Sei-
gneur? » « (y est Jésus de Nazareth », répondit le diable.
« I/as-tu jamais vu ? » reprit Bernard. « Oui, » répon-
dit le malin. (( Où? » dit Bernard. L'autre lui répon-
dit : « Dans la gloire. » « Tu as donc été dans la
gloire ? » repartit Bernard. « Certainement, » dit le
démon. « Et comment en es-tu sorti ? » lui demanda
le saint. « C'est avec Lucifer que nous fûmes préci-
pités en grand nombre. » Or, l'esprit méchant disait
cela d'une voix lugubre, par la bouche de la vieille,
en présence de tout le monde (|ui l'entendait. Et
l'homme de Dieu lui dit : « Est-ce que tu ne voudrais
pas retourner dans cette gloire? » Et le démon se mit
à ricaner d'une certaine façon et dit : « C'est un peu
474 LA LÉGENDE DOREE
lard, à présent. » Alors, l'homme de Dieu fit une
prière, et le démon sortit de la femme. Mais quand
saint Bernard se fut retiré, le diable s'en empara de
nouveau. Alors son mari accourut dire à saint Ber-
nard ce qui était arrivé. Celui-ci ordonna de lier au
cou de la femme un papier sur lequel étaient écrits
ces mots : « Au nom de N.-S. J.-C., je te commande,
démon, de ne plus oser toucher cette femme à Tave-
nir. » Après quoi, le diable n'osa plus s'approcher
d'elle*. — Il y avait, dans FAquitaine, une misérable
femme tourmentée par un démon impudent et incube.
Pendant six ans, il abusa d'elle et la vexa par des
débauches incroyables. Quand l'homme de Dieu vint
en ce pays, le démon défendit à la possédée, avec des
menaces horribles, de s'approcher du saint, parce
qu'il ne pourrait lui rien faire de bien, et qu'aprèsson
départ, celui qui était son amant serait pour elle un
persécuteur acharné. Mais cette femme alla trouver
avec assurance l'homme de Dieu, et lui raconta avec
beaucoup de sançlots ce qu'elle souffrait. Saint Ber-
nard lui dit : (( Prenez mon bâton que voici, mettez-le
dans votre lit, et s'il peut faire quelque chose, qu'il le
fass(». » La femme le fit et se coucha ; mais aussitôt
Tautre vint et n'osa pas s'approcher du lit, ni enlre-
|)ren(lre ce qu'il avait coutume de faire. Alors il la
m(Miace vivement qu'aussitôt après le départ du saint,
il se venç^era d'elle d'une manière atroce. Ceci fut
rapporté à saint Bernard qui rassembla le peuph^,
* Hipanioulins ra|)|)orle ce fait dans la 2© partie des llislo-
riuritm Krrlesid' inediolnueitsis, pai^c 57 ((euvre de Loup île
Ferr., page 51 S.
SAINT BERNARD 475
commanda que chacun iUii une chandelle allumée à
la main, et, avec toute l'assemblée qui se trouvait là,
il excommunia le démon; ensuite il lui interdit tout
accès, soit auprès de cette femme, soit auprès d'au-
cune autre. Ce fut ainsi qu'elle fut délivrée entière-
ment d'une semblable illusion.
Dans la même province, le saint homme remplissait
les fonctions de légat, pour réconcilier à l'Église le
duc d'Aquitaine, qui refusait absolument de le faire.
Alors, l'homme de Dieu s'approcha de l'autel pour
célébrer les saints mystères, et le duc attendait à la
porte de l'église, comme excommunié. Quand saint
Bernard eut dit Pax Dominij il mit le corps de N.-S.
sur la patène et le prit avec lui, et alors, la figure
embrasée et les yeux flamboyants, il sort de l'église et
adresse au duc ces paroles terribles : a Nous t'avons
prié, dit-il, et tu nous as méprisés. Voici le Fils de la
Vierge qui vient à toi; c'est lui qui est le seigneur de
l'Église que lu persécutes. C'est ici ton juge au nom
duquel tout genou fléchit. C'est ici ton juge dans les
mains duquel ton âme viendra un jour. Est-ce que tu
le mépriseras aussi, lui, comme tu as méprisé ses ser-
viteurs? Résiste-lui, si tu l'oses. » Et aussitôt le duc
fut glacé, et comme si tous ses membres eussent été
disloqués, il se laissa tomber à l'instant aux pieds du
saint, qui, le poussant du Udon, lui ordonna de se
lever et d'écouter la sentence de Dieu. Le duc se leva
tout tremblant, et accomplit de suite ce que le saint
homme lui commandait. — Le serviteur de Dieu étant
venu en Allemagne pour apaiser une grande discorde,
l'archevêque de iMayence envoya au-devant de lui un
476 Là LiStNDB .DOKiB
derc vénérable. Celui-ci loi disait ttOlF'^^ÎPSC?™
eav<^ au-devant de lui par son sei^eur, et l'homme
de Dieu répondit : « Ceat on aotre Sei^L-ur qui voiu
a envoyé. « Celui-eî, étonné, lui assurait qu'il nv'ail
été envoyé par l'ardievéque, son nialire. De son c4té,'fl
le serviteuf de J.-C. disait : € \'ous vous trompe*,
mon fils, vous voua trompes; c'est un plus t^rand
mattrequi voua a envoyé; c^esl J.-(l. » Le clerc, qui
comprit : « Vous pensez, dit-il, que je veux me faire
moine ? Dieu m'en garde I Je n'y ai pas pensL' ; et cela
n'entre pas dans mes goûta, ii ('epcudani, dans le
même voyage, il dit adieu au «iècle el reçut l'Iiabit des
mains de l'homme de Dieo. —Le saint homme avait
accueilli dans son ordre un militaire d'une famiite
très noUe, lequel, étant resté un certain tempn avei-
saint Bernard, fut aux prises avec une tentation très
grave. Un des firères, qui le vil si triste, lui en
demanda la cause. Il lui répondit : c .le sais, dit-il, ji>
aais que désormais il n'y aura plus de joie pour moi. »
Le frère rapporta cette parole au serviteur de Dieu,
qui pria pour le militaire avec plus de ferveur. A l'ins-
tant, ce frère, qui avait été si grièvement tenté et qui
était si triste, parut aux frères aussi joyeux et aussi
gai qu'il avait paru désolé auparavant. Le frère lui
rappela le mot triste qu'il avait prononcé, alors, il
répondit : « Bien, que j'aie dit alors, je ne serai plus
jamais gai, je dis maintenant, je ne serai plus jamais
triste. »
Saint Malachie, évèque d'Irlande, dont saint Ber-
nard a écrit la vie pleine de vertus, étant trépassé
heureusement à J.-C. dans son monastère, l'homme
SAINT BERNARD 477
de Dieu offrît pour lui Thoslie salutaire; il connut
alors sa gloire par une révélation divine, et par inspi-
ration * il chang'ea la formule de la postcommunion
en disant avec une voix toute joyeuse : beus qui
Beatum Malachiam sanciorum ttiorum merilis coœ-
quaslij iribue^ quœsiimus, ut qui preliosœ morlis ejus
festa agimusy vitœ quoque imilemus exemyla. Per Do-
tninum...**. Le chantre lui faisant sii^ne qu'il se trom-
pait: « Non, dit-il, je ne me trompe pas; je sais ce
que je dis. » Ensuite il alla baiser les précieux restes
du saint. — A Tapproche du carême, il reçut la visite
d'un grand nombre d'étudiants qu'il pria de s'abstenir,
au moins dans ces saints jours, de leurs vanités et de
leurs débauches. Comme ils n'acquiesçaient pas à sa
prière, il leur fit servir du vin en disant : « Buvez la
boisson des âmes. » Quand ils eurent bu ils furent
subitement changés ; ils avaient tout à Theure refusé
de servir Dieu pendant un peu de temps, et ils lui
consacrèrent toute leur vie. — Enfin, saint Bernard
approchant heureusement de la mort, dit à ses frères :
rc Je vous laisse trois points à observer, et dans tout
le cours de ma vie je les ai pratiqués autant qu'il a
été en moi : je n'ai voulu donner de scandale à per-
sonne et s'il y en a eu, je l'ai caché comme je l'ai pu.
J'ai toujours cru moins à mon sentiment qu'à celui
d'autrui. Quand j'ai été offensé je n'ai jamais cherché
à me venger. Voici donc (|ue je vous laisse la charité,
• (iuill. de s. Tb., 1. \\\ c. xxi.
•• C'est la postcommuiiioii de la inessede saint (irciçoirc h-"",
pape, telle qu'elle se trouve dans le Hornaiii actuel» à rexce|)-
tion du mol moflin\u'i cslrenipiacé par rommemovalionis .
478 LA LioENtie dorer
fhumilîlé et la paUence. » Entin «près avoir on
grand nombre de miracles, construit IGO inunastèrcs,
composé beaucoup de livres et de traités, et avoir
vécu environ 63 ans, il sVndormît dans les bras di-
ses h^res, Tan duSeipieiir H33, Après son décès, il
manifesta sa gloire i beaucoup de personnes. Il a]>-
pamt en effet i l'abbé d'un monastère et l'ençagea &
le suivre. Comme cet abbé le suivait, l'homme de Dieu
lui dit: « Voici que nous allons à la montaf^itc du
liban. Pour vous, vous demeurerez ici et rnoi j'v
monterai, » L'abbé lai demanda paurquoi il vnuUîi
monter? « Ceat que je veux apprendre », dît-il. « Et
que voulez-vous apprendtc, mon Père, reprît ThLI»'-
étonné, vous dont nous ne connaissons pas «ujounl'iiuî
le pareil sur la terre en ce qui concerne la science ? »
Le saint lui répondit: «Iln'ya pas de science ici-bas,
il n'y a aucune connaissance du vrai. C'est là-haut
qu'est la plénitude de ta science, c't;st là-haut qu'est
la véritable connaissance de la vérité. » El en disant
ces mots, il disparut. L'abbé nota le jour, et il trouva
que c'était celui oi^ saint Bernard était mort. Dieu
opéra par son serviteur beaucoup d'autres miracles,
qu'il est presque impossible de compter.
SAINT TIMOTHÉE
Tinmtliéc vicndrail de limoi-em leneni, icnitot peur, ou ôe
timor, et Théos, crainle île Dieu. El selon le mol lie satui tiré-
itoire, le saint est ]iris ilf jicur en consiiléranl où il h été, iiù
il scru, où il est et où il n'csl pas. Où il a été, c'eslr-k-dire dans
SAINT SYMPHORIEN 479
le péché; où il sera, au jugement; où il est, dans la misère;
où il n*est pas, dans la gloire.
Timothée fut tourmenté à Rome sous Néron par le
préfet de la ville ; ses plaies furent arrosées de chaux
vive * et pendant qu'il souffrait ces supplices affreux,
il rendait grâces à Dieu. Deux anges lui apparurent
alors et lui dirent : « Lève la tête aux cieux et vois. »
En regardant il vit les cieux ouverts et J.-G. tenant une
couronne ornée de pierres précieuses qui lui disait :
« Tu la recevras de ma main. » Un homme nommé
Apollinaire, voyant cela, se fit baptiser. C'est pourquoi
le président ordonna que tous deux fussent décapités,
puisqu'ils persévéraient dans leur confession. Ce qui
arriva vers Tan du Seigneur 57.
SALNT SYMPHORIEN
Symphorien vient de symphonie. Car il fut comme un ins-
trument de musique qui rend des sons harmonieux de vertu.
Dans un instrument de musique il y a trois choses, comme
elles existèrent dans Symphorien. D'après Averroës, l'objet
qui résonne doit être dur à la résistance, doux pour la pro-
longation des sons et lar&^e quant à leur ampleur. De même
Symphorien fut comme un instrument de musique; il fut dur
à lui-même par austérité, doux aux aulrcs par mansuétude et
large à tous par grandeur de charité.
Symphorien était originaire delà ville d'Autun. Dès
sa jeunesse, il excellait par une telle gravité de mœurs
qu'il semblait prévenir la vieillesse. Les païens célé-
• Bréviaire romain.
i80 I-* LtolItDB DOBis.
braient une fête de Vénus et l'on porlail sa statut- iln-^
vantle préfet Héraclius. Syin|ihorit'ii (jui s'y Irouva ne
voulut pas l'adorer; alor» il fui hutlu longtemps et
jeté- eu prisOD. On le 6l sortir ensuite du cachot et
commeon le forçait i sacrifier et qu'on lui prometlail
de grandes récompensea, il dit : « Noire Dieu sait r»--
compenser le mérite, comme il siiil punir les péché». '
Cette vie que nous avons à payer à Ùiea comme une ~
dette, payons-la en' dévouement. On se repenl, lit^,
tard, d'avoir tremblé devant son juge. Vos présents
trompeurs qui paraissent avoir la douceur du iiii(.-i ne I
sont que poison i ceux dont l'esprit esl a.ssez crédule
pour les accepter. Votre cupidité,rn voulanl (oui poit-
séder, ne possède rien, parce que enlacée dans les ar-
tifices du démon, elle est retenue dans les entraves
d'un misérable gain : et vos joies, sendiiithles à nue ■
eau glacée, se brisent dès qu'elles reçoivent les rayons
du soleil. » Alors le juge, rempli décolère, porift une
sentence de mort contre Symphorien, On le conduùùt
à l'endroit de l'exécution, quand sa mère lui cria de
dessus le mur : « Mon fils, mon fils, souviens-toi de la
vie éternelle : regarde en liaut, et vois celui qui règne
dans le ciel. Ta vie n'esl point détruite, puisqu'elle esl
changée en une meilleure * m. Bienlôl après il fut dé-
capité, et son corps enlevé par les chrétiens fut ense-
veli honorablement. Il s'opérait tant de miracles à son
tombeau que les païens l'avitienl en grand honneur.
tJréiîoire de Tours i apporte ** qu'un chrétien ramassa
' Oe fl/or. Atari., I
SAINT BARTHKLEMY 481
trois pierres à l'endroit où son sang avait été répandu
el qu'il les renferma dans une boîte d'argent revêtue
de bois. Il la déposa dans un château qu'un incendie
dévora tout entier ; mais la boîte fut retirée intacte et
entière du milieu du foyer. Il pâtit vers l'an du Sei-
^leur 270.
SAINT BARTHÉLÉMY
Barthélémy signifie fils de celui qui suspend les eaux*, ou
fils de celui <iui se suspend. Ce mot vient de Bar, qui veut dire
fils, de (helos, sommité,etdc moy.t, eau. De là Barthélémy, c'est-
à-dire, le fils de celui qui suspend les eaux de Dieu ; donc,
qui élève Tesprit des docteurs en haut, afin qu'ils versent en
bas les eaux de la doctrine. C/cst un nom Syrien et non pas
Hébreu, il y a trois manières d'être suspendu, que notre saint
posséda. En effet il fut suspendu, c'est-à-dire élevé au-dessus
de l'amour du monde, porté à l'amour des choses du ciel, en-
tièrement appuyé sur lagrAce et le secours de Dieu, de sorte
que toute sa vie dépendit non de ses mérites mais de l'aide de
Dieu. Par la seconde étymologie,csl indiquée la profondeur de
sa sagesse dont saint Denys dit ce qui suit dans sa Théologie
mystique* : « Ledivin Barthélémy avance que la Théologie est
tout ensemble développée etbriève, l'évangile ample, abondant
et néanmoins concis. » Saint Barthélémy veut insinuer par là,
d'après l'opinion de Denys, (|ue la nature suprême de Dieu
s'élève au-dessus de tout, au-dessus de toute négation comme
de toute affirmation.
Saint Barthélémy, apAtre, en venant dans Tlnde**,
qui est située aux extrémités du mond<% entra dans
• Chapitre i, 3,
** Bréviaire romain ,
H. :u
^
483 LA téaCMDI DOBÉM
un temple où se trovvrit' oné idole nommte Astarodi»
et il s'y arrCta comme fecail un voyaçeiir. Dans «lie
idole hébîlut an démoa qui prélendail fuire du bi^ii
anx maUdes; or, il ne les irui^iissail pas, mais il sus-
pendait wulement lean soufFrances. Cependant cotnmc'
le teraf^e était rempli de malades et que, maljj^é les
«acrificee offerts toiia lot jours pour les infirmes des
paya les plus éloignés, an ne pouvait avoir aucune r^
'pense d'Astaroth, les malades allÈrenl à une autre
ville où l'on adorait une jilole nonnat^ Uéiilh. Ils dtv
mandèrent ft Bérilh pourquoi Aslarolli nedonnailpas
de répoûse, et il dit: « Noire Dieu est lié dans des
chalDCS de fea ; il n'ose ni respirer, ni parler, àdater
da momentoùest entréTapAire de Dieu Oarlhélemy.»
Ils lui disent: « Etqoel est ce Barthélémy? » Le dé-
mon répondit : « C'est l'nnii du Dieu tout-puissant ; il
est venu en cette pronncc pour chasser tous les dieux
de l'Inde. » Et ils dîreni : « Dis-nous à quels signcii
nous pourrions le trouTer. n Ledémon reprit: « Il u
les cheveux crépus et noirs, le teint pflle, les yeux
grands, le nez régulierct droit, la barbe longue etmè-
lée de quelques poils blancs, la taille bien prise; il est
revélu d'une robe sans manches avec des nœuds con-
leiirde pourpre, son manteau est blanc, garni de pier-
res précieuses couleur de pourpre à chaque coin. De-
puis vingt ans qu'il les porte, ses habits et ses sandales
ne s'usent ni ne se salissent. Chaque jour il flécbitles
genoux cent fois pour prier, cl autant pendant la nuit.
Les anges voyagent avec lui, et ils ne le laissent pas
se fatiguer, ni avoir faim. Son visage est toujours le
même, toujours il est joyeux et gai. Il prévoit tout, il
SAINT BARTHELEMY 483
sait tout. Il connaît et comprend les langues de tous
les pays, et ce que je vous dis en ce moment, il le sait
déjà ; quand vous le cherchez, s'il le veut, il se mon-
trera à vous, mais, s'il ne le veut pas, vous ne pourrez
le trouver. Or, je vous prie, quand vous l'aurez ren-
contré, conjurez-le de ne pas venir ici de peur que ses
anges ne me fassent ce qu'ils ont déjà fait à mon com-
pagnon. » Après donc qu'on l'eut cherché avec soin
pendant deux jours sans le trouver, un démoniaque
s'écria un jour : « Apôtre de Dieu, Barthélémy, tes
prières me brûlent. » L'apûtre lui dit : « Tais-toi, et
sors de cet homme. » A l'instant le possédé fiitdclivré.
En apprenant cela, le roi de ce pays, nommé Poli-
mius, qui avait une fille lunatique, envoya prier l'a-
pôtre de venir chez lui et de guérir sa fille. L'apôtre
étant venu chez le roi, et voyant sa fille enchaînée,
parce qu'elle déchirait par ses morsures ceux qui l'ap-
prochaient, ordonna de la délier; et comme les servi-
teurs n'osaient l'approcher, il dit : « Déjà je tiens en-
chatné le démon qui était en elle, et vous craignez ? »
On la délia et elle fut délivrée. Alors le roi fit charger
des chameaux d'or, d'argent et de pierres précieuses,
et fit chercher l'apôtre qu'on ne put rencontrer nulle
part. Le lendemain matin, cependant, le roi étant seul
dans sa chambre, Tapôtre lui apparut et lui dit : « Pour-
quoi m'as-tu cherché toute la journée avec de l'or, de
l'argent et des pierres précieuses ? Ces présents sont
utiles à ceux qui sont avides des biens de la terre;
quant à moi, je ne désire rien de terrestre, rien de
charnel. » Alors saint Barthélémy se mit àlui appren-
dre beaucoup de choses sur la manière dont nous avons
484 LA LÉGENDE DOREE
été rachetés ; il lui montra, entre autres, que J.-C.
avait vaincu le diable par convenance prodigieuse, par
puissance, par justice et parsagesse. 1°I1 fut convenable
en effet que celui qui avait vaincu le fils d'une vierge,
c'est-à-dire, Adam créé de la terre, alors qu'elle était
encore vierge, fût vaincu par le fils de la Vierge. 2* 11
le vainquit par puissance : comme le diable, en faisant
tomber l'homme, avait usurpé l'empire de Dieu, J.-C.
l'en chassa avec sa toute-puissance. Etcommelevain-
({ueur d'un tyran envoie ses compagnons de victoire
pour arborer ses drapeaux partout et pour abattre
ceux du tyran, de même J.-C. vainqueur envoie par-
tout ses messagers afin de renverser le culte du diable
et établir à la place le culte de J.-C. 3"* Il le vainquit
avec justice. Il était juste en effet que celui qui avait
vaincu l'homme par le manger, et qui le tenait encore
sous sa puissance, fût vaincu par le jeûne d'un homme,
et dépouillé de son usurpation. 4° Il le vainquit par
sagesse, puisque les artifices du diable furent déjoués
par l'habileté de J.-C. Tel fut Tarlifice du diable : comme
un épervier qui saisit un oiseau, il devait saisir J.-C.
dans le désert; si en jeûnant J.-C. n'avait pas faim,
il n'y aurait plus de doute qu'il fût Dieu; mais s'il
avait faim, il l'aurait vaincu lui-même par la gourman-
dise comme il avait fait du premier homme; mais Dieu
ne se fît pas connaître, parce qu'il eut faim ; il ne put
pas être vaincu, car il résista à sa tentation. Quand
donc il eut enseiLnié au roi les mvstères de la foi, il
ajouta que s'il voulait recevoir le baptême, il lui mon-
trerait son Dieu, chargé de chaînes.
Le lendemain, les pontifes offraient, vis-à-vis du pa-
SAINT BARTHKLEMY 48$
lais du roi, un sacrifice à Tidole, quand le déipon se
mil à crier en disant : « Cessez, misérables, de nj'of-
frir des sacrifices, de peur que vous ne souffriez pire
encore que moi qui suis lié de chaînes de feu parFangé
de J.-C., que les Juifs ont crucifié, avec la pensée qu'il
serait retenu par la mort : au lieu qu'il a enchaîné la
inorl elle-même, notre reine, et qu'il retient captif,
dans des chaînes de feu, notre prince, l'auteur de la
mort. » Aussitôt tous se mirent en œuvre d'attacher
des cordes pour renverser l'idole, mais ils ne le purent.
Alors l'apôtre commanda au démon de sortir de l'idole
en la brisant : et à l'instant le démon sortit et brisa
lui-même toutes les idoles du temple. Puis l'apôtre fit
une prière et tous les infirmes furent guéris. Alors
saint Barthélémy consacra le temple à Dieu et ordonna
au démon de s'en aller dans le désert. L'ange du Sei-
gneur apparut en cet endroit, et en volant autour du
temple, il grava le signe de la croix avec le doigt aux
quatre angles en disant : « Voici ce que dit le Seigneur :
Comme je vous ai purifiés de votre infirmité, de même
aussi ce temple sera purifié de toute souillure, et de la
présence de celui qui l'habitait, puisque Tapôtre l'a
fait s'en aller au désert. Mais auparavant, je vous le
ferai voir. Ne craignez pas en le regardant, mais faites
sur votre front un signe pareil à celui que j'ai sculpté
sur ces pierres. » Et il leur montra un Ethiopien plus
noir que la suie, à la figure anguleuse, avec une lon-
gue barbe, et des cheveux qui lui tombaient aux pieds,
des yeux enflammés et jetant des étincelles comme le
fer rouge ; des flammes couleur de soufre lui sortaient
de la bouche et des yeux, et il avait les mains liées
n. :h-
480 uk uteKNDE Doniç
derrière le dos arec des ehetnes de fea. Et f sofe in
dit: « Puisque tu aseaLeiidu l'ordre de l'apâtre, «1
que to as brisé toutes les idoles eu sorlaiu du tem^do,
je te délierai afin cjue tu puisses aller en tel eitdroîl
où tncun lumune n'balûte, et qiu> lu v restes jusigu'ac
jour du jugement. » Qoand il fut d<Mio il disparu! ei
buriaat et faisant nn ^^rand bruit : mais l'ange du Seï-
gêneur s'envola vers le ciel i la vue de tous les assi»^
tants. Alors le-roi avec son éponse. ses enfaniu et tout
le peuple reçut lé baptême : après quoi il quitta
royaiune pour se fain le disciple de l'apâlre.
Tous les pontifes des temples s'assemble rciU et hII^>
rent trouver le roi Astyage, sou frère. Ils portèrent
contre l'àpdtre des plaintes concernan l la perte de leur»
dieux, le profonation du tonple et la séduction magi*
que qu'on avait exercée contre le roi •. Alors le roi
Astyage indigné fil partir mille hommes armés pour
prendre l'apôtre. Quand il eut élé ameuéau roi, ccIuh'
ci lui dit : a Es-tu celui qui a |Jer^'e^ti mon frère t p
L'apdlre répondit : a Je ne l'ai pas perverti, mais je
l'ai converti. » Le roi lui dit : « De même que tu as
fait que mon frère abandonnât son Dieu pour croire
au tien, de même aussi je te ferai abandonner ton Oieu
pour sacrifier au mien. » L'apôtre repartit : « Le Dieu
qu'adorait ton frère, je l'ai lié, et je l'ai fait voir lié ;
après quoi je l'ai forcé à briser la statue de l'idole : si
tu parviens à en faire autant à mon Dieu, alors tu
pourras m'inviter à adorer la statue, sinon, de mon
côté, je briserai les dleu.x et tu croiras au mien. »
î
SAINT BARTHELEMY 487
Comme l'apôtre parlait encore, on annonce au roi que
son dieu Baldach s'était renversé et brisé en morceaux.
A cette nouvelle, le roi déchira la robe de pourpre
dont il était revêtu ; ensuite il fit fouetter l'apôtre avec
des verges, et commanda qu'on l'écorchât vif. Mais les
chrétiens enlevèrent son corps, et l'ensevelirent avec
honneur. Quant au roi Astyage, et aux pontifes des
temples, ils furent saisis par les démons et ils mouru-
rent : mais le roi Polimius fut ordonné évêque et après
avoir rempli avec honneur pendant vingt ans, le mi-
nistère épiscopal, il mourut en paix et plein de vertus.
— II y a différentes opinions sur le genre de la pas-
sion de saint Barthélémy : car le bienheureux Dorothée
dit qu'il fut crucifié. Voici ses paroles : « Barthélémy
prêcha aux Indiens et il traduisit dans leur langue l'É-
vangile selon saint Mathieu. Il s'endormit à Albane, ville
de la grande Arménie, et fut crucifié la tête en bas. » Mais
saint Théodore dit qu'il fut écorché. Cependant, dans
beaucoup de livres, on lit qu'il fut seulement décapité.
On peut concilier ces opinions différentes, en disant
qu'il fut d'abord crucifié, ensuite qu'il fut descendu
de la croix avant de mourir, et que pour ajouter à ses
tortures, il fut écorché et qu'en dernier lieu, il eut la
tête tranchée.
L'an du Seigneur 831, les Sarrasins, qui envahirent
la Sicile, ravagèrent l'île de Lipard, où reposait le
corps de saint Barthélémy, et brisant son tombeau,
ils dispersèrent ses ossements. Or, voici comme on
rapporte que son corps fut transporté de l'Inde dans
cette île. Ces païens voyant que son corps était en
grande vénération à cause de la quantité de miracles
i
188 U UtGBNDE DOXÉE
qi^if opéiyit, en'ftmuit remplis d'indi^nalion et ils (<
renfermèrent dana an coffre de plomb qu'ils jetèrent
dans la mer. Dieu permit qu'il abordât dans l'Ile .sus-
dite*; et comme les Sarrasins avaient di^pen^é ses
u, quand ils m forent i-ctiMs, le saint appurul à ini
mmne et loi dit : « Lèvt-toi, rassemble mes os qui ont
éti dispersés. » Le moine lui répondit : » Pour quelle
raison 4evon8-noiu ramasser vos os ou vous rendre
qnelqde bonneor, quand vous nous avez laissé extermî-
- ner sans nous secourirt » L'apiitre reprit : « Pendant
nnlongespaoedetemps, le Seigneur a i^pargn<^c« peu*
pie en vue de mes mérites ; mai-s ses péchés s'augincti-
tant de{âaaen {^uset criant jusqu'au ciel, je n'ai plus
pu fdttenir pardon pour lui. » Comme le moine lui de-
mandait comment il pourrait jamais trouver ses 03 qui
' étaient confondus avec beaucoup d'autres, l'apdtre lui
dit : « La nuit, tu Irae pour les rassembler, et ct-ux
que tu verras briller comme du feu, tu les enlèveras. « -
Le moine trouva tout ainsi qur; l'apôtre lui avait dit :V
il enleva les os, et, s'embarquant snr un vaisseau, il
les transporta à Bénévent, métropole de la Pouille.
Maintenant on dit qu'ils sont à Rome, quoique les
Bénévenlins assurent les posséder encore. — Une
femme avait apporté un vase plein d'huile qu'elle vou-
lait verser dans la lampe de saint Barthélémy, Mais
de quelque façon que l'on penchât le vase sur la lampe,
il ne pouvait rien en sortir, quoique en touchant l'huile
avec les doigts on la trouvât liquide. Alors quelqu'un
s'écria : « Je pense qu'il n'est pas ag^réable à l'apôtre
* Gréfç. de Tours, De Glor. Mariyr., I. I, c. xxxviii.
SAINT BARTHÉLÉMY 480
qu'on verse de cette huile dans sa lampe. » C/est pour-
quoi on versa dans une autre lampe cette huile qui
coula aussitôt.
Quand Pempereur Frédéric détruisît Bénévent, il
donna l'ordre de raser toutes les églises; car son in-
tention était de transporter la ville entière dans un
autre endroit. Alors un homme rencontra quelques
personnages revêtus d'aubes blanches, et resplendis-
sants, qui paraissaient parler ensemble et discuter
entre eux une question. Cet homme, rempli d'étonne-
ment, demanda qui ils étaient, et Tun d'eux répondit :
« Voici Tapôtre Barthélémy avec les autres saints dont
il se trouvait des églises dans la ville : ils se sont réu-
nis pour chercher et discuter quelle peine devra subir
celui qui les a chassés de leurs demeures : déjà ils ont
décidé entre eux et leur sentence est inviolable, que le
coupable sera traduit sans retard au tribunal de Dieu,
devant lequel il aura à répondre de tout cela. » Et de
vrai, peu après, ledit empereur mourut misérablement,
— On lit dans un livre des Miracles des Saints, qu'un
Docteur célébrait solennellement chaque année la fête
de saint Barthélémy. Un jour qu'ilpréchait, le diable
lui apparut sous l'apparence d'une jeune fille remar-
quablement belle : Le prédicateur jeta les yeux sur
elle et l'invita à dfner. Pendant le repas, elle faisait
tous ses efforts pour lui inspirer de l'amour. Saint
Barthélémy vint à la porte sous la figure d'un pèlerin
qui demanda avec instance qu'on le ftt entrer pour
l'amour de saint Barthélémy. La jeune fille s'y opposa
et on envoya au pèlerin un pain que celui-ci refusa
d'accepter. Alors, par le messager il envoya prier le
■im LA. LIÎGENDE DORÉE
iiin tlrf de lui dire ce qui était plus parliculièrement pro-
pre à riioinnit.'. Le matlre prétendail que c'était le lire,
tn&itjla jeune Bile répondit : •' Dites plutôt le péché, avec
lequel rUoinme estconçu,nak et vit.» Barthélémy répon-
dit que le ma lire avait bien parlé,niaîsquela femme a\-aît'
donné une réponse renTermânt un sens plus profond. Ea
seeondiien, le pèlerin envoya demander au mahre de
lui indiquer un endroit n'ayant qu'un pied d*élendue
oi'i Dieu avait manifesté les plus grandes mervcillest
Comme le maître disait que c'était l'endroit de la
croix dans lequel Dieu a opéré des miracles, lu femme-
dit : II C'est pluliït la tête de l'homme, dans laquelle'
existe comme un petit monde, n L'apôtre approuva la
sentence de l'un cl de l'autre. Troisièmement il d^
manda quelle distance il y avait depuis le haut du cîel,
jusqu'au bas du l'enfer. Comme te matlrc avouait qu'île
ne le savait pas, la femme dit : n Je vois mMintenant
que je suis surpassée : mais je le sais, moi, qui .•luig
tombée de l'un dans l'autre; et il faut que je te nioii>i
Ire rein. » Alors le diable en poussant un çrand hur-
lement se précipita dans l'ahlme. Or, quand od cfaer>
cha le pèlerin, on ne le trouva pas. On lit quelque
chose d'à peu près semblable de saint André.
Saint Ambroise dans la préface qu'il a composée
pour cet apôtre raconte ainsi sa légende en abrégé.
<r 0 Jésus, vous avez daigné manifester d'une manière
admirable votre majesté à ceux que vous avez chargés
de prêcher votre Trinité qui forme une seule divinité.
Parmi eux, c'est sur saint Barthélémy que vous avez
daia;n<! jeter les yeux pour l'envoyer prêcher un peu-
ple éloigné. Aussi l'avez-votis orné de toutes sortes de
SAINT BARTHELEMY 491
vertus. Ce peuple, bien que séparé du reste du monde,
vous a été acquis, et a été rapproché de vous par les
mérites de la prédication de votre apôtre. De quelles
louanges n'est pas digne cet homme merveilleux ! Ce
n'est pas assez pour lui de gagner à la foi les cœurs
de ceux qui l'environnent; il vole plutôt qu'il ne mar-
che vers les extrémités du monde habitées par les
Indiens. Une multitude innombrable de malades le
suit dans le temple du démon et à l'instant ce père du
mensonge ne donne plus de réponses. Oh ! combien
furent merveilleux les prodiges de sa vertu! Un so-
phiste veut argumenter contre lui ; l'apôtre ordonne
et le sophiste reste muet et épuisé. La fille du roi que
le démon tourmentait, il la délivre et la rend guérie
à son père. Oh ! prodige de sainteté ! il force le dé-
mon à réduire en poudre les idoles sous lesquelles
Tantique ennemi du genre humain se faisait adorer.
Il peut bien être compté dans l'armée du ciel celui au-
quel apparut un ange envoyé de la cour céleste afin
de rendre un témoignage certain à la vérité! Cet ange
montre le démon enchaîné, et grave sur la pierre le
signe de la croix qui a sauvé les hommes. Le roi et la
reine sont baptisés avec leur peuple, et les habitants de
douze villes vous confessent de corps et de cœur. En-
fin, sur la dénonciation des pontifes païens, un tyran,
le frère de Polémius encore néophyte, fait battre de
verges l'apôtre, et le fait écorcher et périr de la mort
la plus atroce. » Le bienheureux Théodore*, abbé et
docteur, dit entre autres ces paroles, au sujet de saint
** Cf. Anaslasr \c Biblioth., t. III, p. 732.
1!)2 LA LÉGKXUE noRi-^e
Iliirlliciciiij- : (c I.'aiHHre Barlhdlcmy prêcha pr«ini^
remciil en LjcBonie, iMwiiile dans l'Inde, enfin dans
Atbani-, ville di; la «raiide Arménie uù il fut d'abord
rnirrhé et enfin décapîlc ; il y fui aussi enseveli. Qirnnd
il reçut du SeijKiieur la mission de [tricher, j« pciisp
qu'il entendit qu'on lui adressuit ros mots : « Mon
« disciple, va prêcher, va au rombat : affronte le» pé-
« rils; j'ai acliev»^ i'reiivre rie mon (»ère; j'ai été témoin
i< le premier; accomplis la lâche qui l'est imposée;
« marche sur les pa» de Ion maître ; donne sang pour
(1 sang, chair pour chair; endure ee (jue j'aî enduré
« p;iiir loi dans mu passion. Que tes armes soient la bé-
<i nii^nité au milieu de les fati^^tics, et la douceur vis-ik-
« vis des méchants, et la pnlience dans celle vie qui
a passe. » L'ap6lre accepta, et comme un serviteur
fidèle, il acquiesça à l'ordre de son Seigneur; il s'a-
vance plein de joie comme la lumière du monde, afin
d'éclairer ceux qui vivaient dans les ténèbres : c'est le
sel de la terre qui conserve les peuples énervés; c'est
le Ial)Ourcur qui met la dernière main à la culture des
cteurs. L'apdlrc saint Pierre enseigne aussi les nations,
saint Barthélémy en fait autant : Pierre opère de grands
prodiges, Barthélémy fait des miracles éclatants;
Pierre est crucifié la tète en bas ; Barthélémy, après
îivoir été écorché vif, est décapité. Autant Pierre
conçoit de mystères, autant en pénètre Barthélémy.
Il féconde l'Eglise comme le prince des apôtres; les
grâces qu'ils ont reçues tous les deux se balancent. De
môme que la harpe produit des accords harmonieux,
de même Barthélémy, qui tient le milieu dans le mys-
térieux nombre douze, s'accorde avec ceux qui le pré-
\
SAINT BARTHELEMY 493
cèdent comme avec ceux qui le suivent pour produire
des sons mélodieux au moyen de la parole divine.
Tous les apôtres, en se partageant l'univers, ont été
établis les pasteurs du Roi des rois. L'Arménie qui s'é-
tend de Ejulath jusqu'à Gabaoth est la partie qui lui
échoit; aussi voyez-le se servir de sa langue comme
d'un soc pour labourer le champ de l'esprit des hom-
mes, dans les cœurs desquels il enfouit la parole de sa
foi; il plante les jardins et les vignes du Seigneur; il
greffe les remèdes qui guériront les passions de cha-
cun; il extirpe les épines nuisibles, il coupe le bois
de l'impiété; il entoure le dogme de défenses. Mais
qu'ont-ils gagné pour l'offrir au Créateur ! Au lieu des
honneurs, ils n'ont que déshonneur, au lieu de béné-
diction, malédiction, au lieu des récompenses, des
tourments; au lieu d'une vie de repos, la mort la plus
amère : car après avoir subi des supplices intoléra-
bles, Barthélémy fut écorché par» les impies comme
s'ils avaient prétendu en faire un sac et après sa sortie
de ce monde, il ne méprisa pas ceux qui l'avaient tué ;
mais ceux qui se perdaient, il les attirait par des mi-
racles, ceux qui étaient des adversaires, il les gagnait
par des prodiges. Cependant il n'y avait rien qu'il
n'employât pour calmer leur fureur aveugle, et pour
les éloigner du mal. Or, comment se comportent-ils
ensuite? Ils s'acharnent contre le corps du saint. Les
malades méprisent celui qui les voulait guérir ; les or-
phelins, celui qui les menait parla main, les aveugles,
leur conducteur, les naufragés, leur pilote, les morts,
celui qui leur rendait la vie. Et comment cela? En je-
tant ce corps saint dans la mer. »
49i LA LÉGENDE DORÉE
« Le flot poussa des rivajçes de TArménie le coffre
où étaient les ossements du saint avec quatre autres
coffres d'os de martyrs qui avaient été jetés aussi
dans la mer. Pendant tout le trajet, les quatre coffres
précédaient celui de l'apôtre auquel ils semblaient
faire cortège. Ils abordèrent ainsi, auprès de la Sicile,
dans une île appelée Lipari. Le prodige fut révélé
à l'évèque d'Ostie qui se trouvait présent. Ce tré-
sor inestimable vint dans un lieu très pauvre. Cette
pierre des plus précieuses vint aborder sur un rocher ;
cette lumière resplendissante se répandit dans un lieu
obscur. Les quatre autres coffres allèrent dans diffé-
rents pays et laissèrent le saint apôtre dans l'île citée
plus haut. En effet l'apôtre laissa les quatre martyrs
par derrière et envoya l'un, savoir : Papinus, dans une
ville de Sicile nommée Milas, un autre qui s'appelait
Lucien, à Messine ; les deux autres, il les fit aller dans
la Calabre, savoir: Grégoire dans la cité de Colonne, et
Acliatius dans la cité de Chale où jusque aujourd'hui
ils brillent par les faveurs qu'ils accordent. Le corps
de saint Barthélémy fut reçu au chant des hymnes, au
milieu des louanges ; on alla au-devant de lui avec
des flambeaux, et on éleva en son honneur un temple
magnifique. — Le mont Volcano, voisin de Tîle, causait
des dommages aux habitants parce qu'il jetait du
feu : il s'éloigna de sept stades sans qu'on le vît, et
s'arrêta au milieu de la mer, en sorte qu'aujourd'hui
encore on n'en aperçoit plus que comme l'apparence
(l'un feu qui s'échappe. Maintenant donc, salut, ô bien-
IhMireux des bienheureux! Trois fois heureux Barthé-
lémy, qui êtes la splendeur de la lumière divine, le
SAIXT AUGUSTIN 495
pèrheur de la saiiilc Eglise, l'hoiniTic habile à piendre
les poissons doués de raison, le doux fruil du pal-
mier vivace, rexlerminateur du diable occupé à bles-
ser le inonde par ses violences ! Gloire à vous, soleil
qui éclairez lout ce qu'il y a sur la terrj, bouche de
Dieu, langue de feu qui répand la sagesse, fontaine inta-
rissable de santé, qui avez sanctifié la mer dans votre
course, qui avez rougi la terre de la pourpre de votre
S4ing, qui êtes monté aux cieux, où vous brillez dans
l'armée divine, qui êtes environné d'un éclat, d'une
gloire incorruptible, et qui nagez dans des transports
d'un bonheur sans fin ! * »
SAINT AUGUSTIN
Augustin fut ainsi nommé, ou bien eu raison de rexcellcnce
ile sa dignité, ou bien pour Tardcur de son amour, ou bien
par la signiHcation étymologique de son nom. 1* L'excellence
lie sa dignité. Deméme(|u*Auguste excellait sur tous les rois,
(Je même Augustin excelle sur touslcs docteurs, selon cequ*en
dit Hemi. Daniel compare les autres docteurs ù des étoiles
quand il dit (xii) : « Ccuxqui enseignent aux autresia voie de la
justice luiront comme des étoiles dans toute réternité. » Mais
saint Augustin est comparéau soleil dans Tépltrcqu'on chante
en sa messe**. lia lui dans-le temple de Dieu comme un soleil
éclatant de lumière. 2" L'ardeur de son amour. De même que
le mois d*Augus(c (août) est très chaud, de même saint Au-
gustin brûla extraordinairement du feu de l*amour divin.
'Théodore Studito, traduit par Anastasc le Bibliothécaire.
•* C'était sans doute IVpître de la messe de saint Augustin
telle quVUe se lisait au xiii* siècle, et qui était prise du l*
chapitre de VKccléaiastique.
4M
U [.ÉGE>IOE OORÉK
Aawi dit-il de lui «u livre de sea Confruiont: u Vous av
pncé^ Bon etenr dea ftôches de votre charilé, elc. » Il dîl e
eondaasle mime oavraçe : « Quelquefois vous n^pandcx e
moi «Bedooeenrumrrveilleuse, les acatimeois quej'ripruuV
■aalaîextnoidinairMiiue, s'ils recevaient leur pcrf«ciiu
nrpaMenient lônt oe iiii'ou pentresseutirici-bas. » 3» L'él]
mologiede Mm nom. Augustin, vient de aygeo, augmenter
de miOn, Tille, et mtm, en haut. Augusiiu, c'eal doue celui (|ii
aagmenle la cité d'en haut. El c'est pour celii qu'on chanf
daoe aon offiee*: Qui prœvaluii ampUficare eieitalem. Vuit
comme il parie Ini^iCme de cette ville dans le livn; XI de 11
CM A iNm : « DaoB In Trioilé, la cité saiule a son origii
beaatéi>a béatitude. DcmuDdez-vous son auleur^C'cat Dî«i
qui l'a créée; — l'anicur de sa saçesse? C'est Dieu (]ui 1'^
dain ; — i'autear de aa félicité? I^'esi Dieu doul elle juuil
Dieu perf'Mtioa d« aou ^ire, lumière de sa contemplnlion, joi
de aa fidélité ; elle eat, elle voit, elle aime: elle vit dans \'i
terniléde Dieu-, elle lirille daus U vérité de Dieu ; elle joui
dana la bonté de Dieu. « — Ou bien selon te Gloseaire, Au|fin
,tin vent dire magaifii:|iie, beureux, lumineux ; car il fut ml
gniflqae dana aa rie, lumineuK ilnns »a dociriae, ei heuren
dana la glôin. Sa rie fut compilée par Poasidius. év^uo d
Catane, ainsi que le dit Cnssimlort'. ni son livre des Homnu
iïluitrtt**.
Aui^usliii, docK'ur émincnl, naquit dans la province
d'Afrique, en la ville de Carlhaj^e, de parents fort
distingutïs ; son père s'appelait Patrice et sa mère Mo-
nique. Il fut instruit dans les arts libéraux sufSsam-
ment pour être regardé comme un profond philosophe
et comme un rhéteur très habile. II lut et comprit seul
* Le bienheureux Jacques avait ui
Augustin sous les yeux, car ces paroli
dans lesSacramentairea.
** L^vie desaint Augustin
et le livre des Confestion».
office propre de saint
s ne se rencontrent pas
(i lée ici d'après Possid i us
\
SAINT AUGUSTIN 497
les ouvrages d'Arislole el tous les livres qui traitent
des arts libéraux ; il l'assure dans son livre des CoU'
fessions: « J'ai lu, dit-il, et compris, sans aucun se-
cours, tout ce que je pus lire traitant de ce qu'on a|>-
pelle les arts libéraux. Tout ce qui tient à l'art de par-
ler et de raisonner, aux dimensions des corps^ à la
musique, aux nombres, je l'ai appris sans beaucoup
de peines et sans le secours de personne ; vous le sa-
vez, ô Seigneur, mon Dieu, puisque cette vivacité de
conception, cette pénétration d'esprit sont des avanta-
ges que je tiens de vous, cependant je ne songeais pas
à vous en témoigner ma reconnaissance. » Mais parce
que la science isolée de la charité enfle sans édifier,
il tomba dans l'erreur des Manichéens qui affirment
que le corps deJ.-C. est fantastique et nient la résur-
rection de la chair. Et cela dura pendant l'espace de
neuf ans, c'esl-à-dire tout le temps de sa jeunesse, lien
vint au point de dire que le figuier pleurait quand on
en arrachait les feuilles ou le fruit. A l'âge de dix-neuf
ans, comme il lisait l'ouvrage d'un philosophe * dans
lequel on démontre (pi'il faut mépriser les vanités du
inonde et s'attacher a la philosophie, il fut contrarié
€lene pas rencontrer dans ce livre, qui l'ai tachai t. beau-
coup, le nom de J.-C qu'il avait sucé, pour ainsi dire,
avec le lait de sa mère. Quant à celle-ci, elle pleurait
beaucoup et s'efforçait de le ramener à l'unité de foi.
Un jour, dit-il au III* livre do ses Confessions, elle se
vit debout sur une règle en bois, fort affligée ; quand
vient à elle un jeune homme qui lui demanda la cause
• U Hortensius, de Ciccron,
II. :«2
4M
d'une â grande iristease. Quand elle lui eut répondu :
« Je déplore la paie de mon HIs », le jeune homme
répimdit: «t Coosoles-Toos, v<iy<:^z,il est uù vousétes.»
fit voici que tout à coup ellf vit sou fils à oMé d'elle.
Qaand dïeeut raconté sa lisimi h Aui^iistin, celui-ci
ditiH mire: « Vous vous lmiii{iez, ma mère, vous
vous trompez ; onoe vousa pas tliU'ela ; mais on vous
■ dit que vous étiet oà je suIh. m « Non, s'écria-t-elle,
non,,car l'on ne ra'a pas dit : n Vuum èltrs oii il est, mais
« 11 est oA voQfl êtes. • Cette mt^n- pleine de zèle priait
avec importunité, d'après les paroles île saint Augus-
tin dans-ses C(m/«ssi<VRS, un saint iivé(]ue de vouloir
bien intercéderpour son fils. Et cet hommcvaîncu en
cpidque sorte par ses instances lui répondit ces paro-
les prophétiques: « Allec/abyez Iranquille ; car il est
impossible qu'un fils ainsi pleuré périsse pour tou-
jours. » Après avoir enseigné pendant bien des an-
nées la rhétorique à Carthagc, il vint à Roi
.tement, ' sans en prévenir sa mère, et il v >
beaucoup de disciples. En elfel sa mère l'ayant 8
pa^né jusqu'au poripourle retenir ou pour aller avec
lui, il la trompa et partit celte nuit-là même & la dé-
robée. Le malin quand elle s'en aperçut, elle fit reten-
tir ses clameurs aux oreilles de Dieu. Or, chaque jour,
le matin et le soir, elle allait à l'église et priait pour
son fds. A cette époque, les habitants de Milon en-
voyèrent prier Symmaque, préfet de Rome, de leuren-
voyer un maître de rhétorique. C'étailalors saint Ani-
broise, un homme de Dieu, qui était évêque de Milan;
Augu.stin y fut envoyé. Mais sa mère, qui ne pouvait
pas goûter de repos, vini le joindre après de grandes
SAINT AUGUSTIN 499
difficultés; elle le trouva ni tout à fait manichéen, ni
•tout à fait catholique. Or, Augustin se prit à s'attacher
à saint Ambroise, et à écouter souvent ses prédica-
tions. Le saint évéque balançait beaucoup si dans ses
discours il parlerait pour ou contre le manichéisme.
Une fois pourtant Ambroise parla longtemps contre
cette hérésie, de sorte que par les raisons et par les
autorités avec lesquelles il la réfuta, celte erreur fut
extirpée entièrement du cœur d'Augustin.
Il raconte ainsi au livre de ses Confessions ce qui
lui arriva dans la suite : « A peine eus-je commencé
à vous connaître, la faiblesse de ma vue fut éblouie
par les flots de lumière que vous lançâtes alors sur
moi : une horreur mêlée d'amour fit frémir mon âme,
et je décoiivris que j'étais bien éloigné de vous, dans
une région qui vous est étrangère , il me semblait en-
tendre une voix qui me criait d'en haut : « Je suis la
« nourriture des forts; croissez et vous pourrez vous
« nourrir de moi. Vous ne me changerez point en votre
« propre substance, comme ces aliments dont votre
« chair se nourrit; maisc; sera vous qui serez changés
« en moi. » Or, comme il était bien aise de voir que le
Sauveur est lui-même la voie véritable, mais qu'il lui
répugnait encore de marcher dans ses étroits sentiers,
le Seigneur lui inspira la pensée d'aller trouver Sim-
plicien en qui brillait la lumière, c'est-à-dire la grâce
divine, et de lui révéler toutes ses agitations, de sorte
que le connaissant bien, il pût lui indicpier le moyen
le plus propre à le faire entrer dans la voie de Dieu,
où l'un marchait d'une façon et l'autre d'une autre. 11
avait pris en aversion la vie qui se menait dans le
. tOO LA LÉr.&NDR DORÉE
inondé, qjiuid il la comparait aux douceurs pI à la
betntéde la demeure céleste qu'il armait. Alors Sitit-
{riiâén se mît i l'exhorter eit lui disant : » Combien
d'anfonto'et de jpunes filles qui servent Dieu dan»i te
sein de ion Bglii^e ! Et vous ne pourrez pas ce qu'ont
pu cetix*ci et cellfs-lA? L'ont-ils pu par eux-mêmes
et non par le Seigneur leur Dieu? Pourquoi compter
mirTOS propres forées? N'avoir que vous-même pour
appui, e^est comme si vous n'en aviez point. Jetez-
-vons dans son sein, if vous recevra, il vous guérira. •
An milieu de œs entretiens, on vint à parler de Viclo-
rin; tà<ftn SUmplicien, enchanté, lui raconte comment
ce- vieillani n'étant encore que gentil, avait mérité, A
caose de sa sagesse, qu'on lui dressât une statue A
HiMnej sur le forum ; chose extraordinaire pour ce
lempa4àl et comment il ne cessait de se dire chré-
tien. Car eommi; Simplîeîen disait A Yictorîn : « Je
n'en croirai-rira, tant que je ne vous aurai pas vu
dans l'église. » Mais lui se moquait de celte ri'pnnse,
en disant: « Sont-cednnc les murailles qui font qu'un
homme soit chrétîfen? » Enfin Vîclorîn vint à l'église,
et comme on lui donnait, en cachette, dans la crainte
qu'il n'en rougFl,'le' livre qui contenait le symbole de
la foi afin de le lire tout hiiut, comme c'était alors la
coutume, il monta alors sur l'estrade et en prononça
à haute voix les paroles ; Rome en était dans l'admi-
ration et l'Eglise toute joyeuse. Sa présence avait sou-
dainement excité un frémissement et dans un trans-
port unanime suivi d'un profond silence, chacun
s'écria : a C'est Victorin ! c'est Victorin ! » Saint Augus-
tin reçut alors la visite d'un ami, nommé Pontilien,
SAINT AUGUSTIN 501
qui venait d'Afrique ; celui-ci lui raconta, la vie et les
miracles du grand Antoine qui venait de mourir en
Egypte sous l'empereur Constantin. Augustin embrasé
fortement par les exemples de ces personnages et en
proie à une agitation intérieure que trahissait l'expres-
sion de son visage, se tourna vers Alype, son com-
pagnon, et s'écria avec force : « Qu'attendons-nous ?
Qu'avez-vous entendu ? Voici des ignorants qui s'em-
pressent de ravir le ciel, et nous, avec notre science,
nous nous précipitons dans l'enfer ! Rougirions-nous
de marcher après eux, parce qu*ils ont pris le de-
vant, au lieu de rougir de n'avoir pas même le cou-
rage de les suivre ? » Alors il alla dans un jardin
s'étendre sous un figuier ; c'est encore lui qui le rap-
porte dans ses Confessions ; et là, en versant des
larmes amères, il poussait ces cris lamentables : « Jus-
qu'à quand? Jusqu'à quand? Demain et toujours de-
main? Tout à l'heure; encore un instant. » Mais cet
instant n'avait point de terme et ce court répit se pro-
longeait indéfiniment. Il se plaignait beaucoupde cette
lenteur qui l'engourdissait, selon ce qu'il en dit plus
tard dans le môme ouvrage : « O faiblesse de mon in-
telligence ! que vous êtes élevé, Seigneur, dans les
choses les plus élevées ! Que vous pénétrez profondé-
ment les plus profondes ! Jamais vous ne vous éloi-
gnez de nous, et cependant nous avons tant de peine
à retourner à vous. Agissez en nous. Seigneur, mettez-
vous à Tœuvre, réveillrz-nous et rappelez-nous ; en-
flammez-nous et entraînez-nous ; embrasez-nous, pé-
nétrez-nous de vos douceurs. » J'appréhendais de me
voir libre de toutes les entraves du momie autant qu'il
H. 32-
faàdraii craindre de i^y •wàit engagé. J'ai coinmcneél
bien' tard à tous mma, à bcMilé loujour» ancienne eLV
loDJoori Donvdle 1 J'ai comaienci^ bien tard ù roui-9
aimerl vous éUei ao-dedcns de moi ; maisj'élaîs hon
de moi ; ete'éteit li que jeTona cherchais : quand J'élai
mœ-mAme « diffonne i vos jeux ; je brillais pour c
beaatée qui sonl l'ouvrage de vos mains. Vous éûa
avec moi el je D'étaii'pas avec vous. Vous m'avez api
peM, vous avei crié et voiia «vez ouvert mes oreiilei
■oordea jusqu'alon. Vousavex frappé mon âme dcvw
éclaira; voua avez lancé vos ravons sur elle et met
jenx aveuglés se sont ouverts. Vous m'avez fait sentie
l'odeur de voa parfums et je respire, je soupire puuri
vous. Vous m'aves touché, «l mon ardeur s'est en- |
flammée pour jouir de votre pnix. » El comme il ^
sait des larmes amérea, il entendit une voix qui lui' I
dit : « Prenex et lisez ; prcnei et lisez, u Et il se bâta f
d'ouvrir le livre de l'apôtret «' '1 l"t '" chapitre sur le-
quel ses yeux ae portèrent d'abonl : <• Hevétez-voiis del
Notre-Seigneur J.-C. », et à l'instant furent dissipées
les ténèbres où ses doutes l'avaientplon^. Surces en-
trefaîtes, il fui lourmenlé d'un très violent mal de
dents, en sorte qu'il en serait presque venu à croire,
c'est lui qui le dit, à l'opinion du philosophe Corné-
lius, qui faisait consister le souverain bien de l'ftme
dans la sagesse el le souverain bien du corps dans
l'absence entière du sentiment de Ja douleur. Or, cette
douleur fut si violente qu'il en perdît la parole. Ce fut
alors, ainsi qu'il le rapporte dans ses Confessions,
qu'il écrivit sur des tablettes de cire que tous ses amis
priassent pour lui, afin que le Seigneur le guérit. Il se
SAINT AUGUSTIN 503
mit lui-même à genoux avec les autres, et à Tinstant
il se sentit guéri. Il écrivit donc au saint pontife Am-
broise pour lui confier ses intentions, en le priant de
lui indiquer ce qu'il devait lire, de préférence, dans les
Livres saints, pour le rendre plus digne de la foi ca-
tholique. L'évéque recommanda la lecture du prophète
Isaie, qui lui paraissait avoir prédit le plus clairement
rEvangile et la vocation des gentils. Mais Augustin
n'en comprenant pas le commencement et pensant
qu*il était partout obscur, Tabandonna, en se réser-
vant d'y revenir lorsque les saintes Ecritures lui se-
raient devenues plus familières. Or, quand l'époque
de Psl(]ues fut arrivée, Augustin, parvenu à l'âge de
trente ans, reçut, avec Alype, son ami, le saint baptême
ainsi que son fils Adéodat, enfant plein d'esprit, qu'il
avait eu dans sa jeunesse, alors qu'il était encore païen
et philosophe. Il devait ce bonheur aux mérites de sa
mère et à la prédication de saint Ambroise. Alors, dit^
on, saint Ambroise s'écria : Te Deum laudamus! et
Augustin répondit: Te Dominum confitemur. Et ce fut
ainsi que tous les deux composèrent, en se répondant
alternativement, cette hymne qu'ils chantèrent en en-
tier jusqu'à la fin. C'est ce qu'atteste encore Honorius
(d'Autun), Pairol. lal.y 172, dans son livre intitulé
Miroir de l'Eglise. Cependant dans quelques livres an-
ciens, le Te Deinn est intitulé ainsi : a Cantique compilé
par saint Ambroise et saint Augustin. » Tout aussitôt
après, Augustin fut aiTermi merveilleusement dans la
foi catholique ; il abandonna toutes les espérances
qu'il pouvait attendre du monde et renonça à donner
des leçons dans les écoles. Il raconte lui-même dans
504 LA LÉGENDE DOREE
ses Confessions l'abondance des douceurs que lui fai-
sait éprouver Tamour divin : « Vous aviez, dit-il , Sei-
gneur, percé mon cœur des traits de votre amour et je
portais vos paroles comme fixées au fond de mes en-
trailles ; les exemples de vos serviteurs qui étaient
passés, par votre secours, des ténèbres à la lumière et
de la mort à la vie, se pressaient en foule dans mon
esprit pour enflammer mon ardeur et dissiper ma lan-
guissante apathie. Je sortais de cette vallée de larmes
et je chantais le cantique des degrés *, blessé des flè-
ches aiguës et des charbons ardents qui venaient de
vous. Je trouvais une douceur infinie, dans ces pre-
miers jours, à considérer la profondeur de vos des-
seins sur le salut des hommes. Combien de larmes je
versai en prêtant Toreille à ce mélodieux concert des
hymnes et des cantiques qui retentissaient dans votre
église ! Pendant que mes oreilles cédaient au charme
de ces paroles, votre vérité se glissait par elles dans
mon cœur : mes larmes coulaient par torrents, et c'était
un bien pour moi de les répandre. Ce fut alors en
effet qu'on établit le chant des cantiques dans l'église
de Milan. Je m'écriais du fond de mon cœur : Oh! ce
sera dans la paix ! oh ! ce sera dans son sein (àli !
quelles paroles!) que je dormirai, que je me reposerai,
que je prendrai mon sommeil! car vous êtes bien cet
être qui ne change point: en vous je trouve le repos
qui fait oublier toutes les peines. Je lisais ce psaume
en entier ** et je brûlais, moi qui tout à l'heure n'étais
**
C'cst-à-dirc le psaume cxix, Ad te levavi.
Le psaume iv, Cum invocarem, exatulivit me Dewt,
SAINT AUGUSTIN 505
qu'un ennemi acharné, un aveugle el furieux détrao
leur de ces Ecritures qui distillent un miel céleste et
brillent de tout Téclat de votre lumière : je séchais de
douleur en pensant aux ennemis de ce divin Livre.
O Jésus, mon appui I Que soudain il me parut doux de
renoncer aux douceurs des vains amusements ! Ce que
j'avais tant redouté de perdre, je le quittai avec joie.
Car vous les chassiez loin de moi ces douceurs, vous,
la véritable et la souveraine douceur; vous les chassiez
pour prendre leur place, vous qui êtes plus suave que
toutes les voluptés, mais d'une suavité inconnue de la
chair et du sang; qui êtes plus brillant que toute lu-
mière, mais plus caché que ne l'est aucun secret ; qui
êtes plus élevé que toutes les dignités, mais non aux
yeux de ceux qui s'élèvent eux-mêmes, jd
Après quoi, il se prépara à revenir en Afrique
avec Nébrode, Evode et sa mère. Mais arrivés à Ostie,
sa pieuse mère mourut. Alors Augustin revint dans
ses propriétés, où se livrant, avec ceux qui lui étaient
attachés, aux jeûnes et à la prière, il écrivait des
livres et instruisait les ignorants. Sa réputation se
répandait partout : on le trouvait admirable dans
tous ses écrits et dans ses actions. Il avait soin de ne
point aller dans les villes où les sièges étaient vacants,
de peur qu'il ne fût exposé aux embarras de l'épis-
copat. Il y avait dans le même temps à Hippone
un homme jouissant d'une grande fortune qui envoya
dire à saint Augustin que, s'il venait le trouver et le
faire jouir de son entretien, il pourrait bien renoncer
au monde. A cette nouvelle, Augustin se hâta de venir.
Alors Valère, évêque d'Hippone, informé de sa repu-
B06 -La légende dorée
talion, fonhNÎDa prêtre de Sun église, malgré lout«s.
•es réùtancea. Quelques-uns altribuaicul ses larnies>
A aoa oiipiùlt et lui disaient, pour le consoler, que Im-
poste'qu'il occupait comme prêtre, bien qu'inférieur
ii-atm oaérite, étail un aclieminement vers l'épisc»
"pat. AiM^tAt Augustin établit un monaslôre de clerc^
ilaii^ leqtul if cooiiuen^-a à vivre selon la règle iusiU
tuée par les saints api!itres, et d'où il sortît au moins
dix évAques. Or, comme l'évêque Valère était grec de
naûsaDceet peu rersé dans les lettres et dans la lan-
gae latine, il donna à Aui^usliii le pouvoir de prAchcU
«a sâprésence dans l'église, ce qui était contre les us»
ges dé l'Orient : mais comme beaucoup d'évèques ne leii
saivaîent pas en ce point, il ne s'en înquîétD pEU^.
pourvu que le hitn i|u'il ne pouvait opérer se ffl par'
un autre que soi. Dans le même temps, il convainquît^
figOA et réfuta PurCunal, prêtre manichéen et d'att-
tres hérétiques, ])i'incipalement les rebapliscurs, lei
donalistes et les nianicliéens. Alors Valère commençi
i craindre qu'on ne lui enlevât Augustin el que quel-
que autre ville ne le demandât pour évéque. Et on
aurait bien pu le lui ravir, s'il n'eût pris garde de
l'envoyer dans un lieu retiré, de manière qu'on ne
putle trouver. Il demanda donc à l'archevêque de Car-
thagela permission de se démettre en faveur d'Augus-
tin qui serait promuàl'évêcliéd'Hippone. Mais Augus-
tin s'opposa de toutes ses forces à ce projet : en6n,
pressé et poussé, il fui obligé de céder, et il se chargea
du fardeau de l'épiscopat. Dans la suite, il dit et il
écrivit qu'on n'aurait pas dû l'ordonner évêque du
vivant de celui qu'il remplaçait. Il sut plus tard que
SAINT AUGUSTIN 507
cela était défendu par un concile général ; aussi ne
voulait-il pas faire pour d'autres ce qu'il regrettait
qu'on eût fait pour lui. Et il donna tous ses soins à
ce que dans les conciles des évéques il fût statué que
ceux qui conféraient les ordres intimassent toutes les
ordonnances des Pères à ceux qui devaient être ordon-
nés. On lit qu'il dit plus tard en parlant de lui-même :
(c Je n*ai jamais mieux reconnu que Dieu fût irrité
contre moi, que quand j'ai été placé au gouvernail de
l'Eglise, alors que je n'étais pas digne d'être mis au
nombre des rameurs. » Ses vêtements, sa chaussure
et ses autres ornements n'étaient ni trop brillants ni
trop négligés, toutefois ils étaient simples et conve-
nables. On lit en effet qu'il dit de soi : « Je l'avoue,
je rougis d'avoir un habit précieux ; c'est pour cela
que quand on m'en donne un, je le vends, afin de
pouvoir au moins en partager le produit, puisque je
ne puis partager l'habit. » Sa table était servie fru-
galement et simplement, et avec les herbes et les
légumes, il y avait le plus souvent de la viande pour
les infirmes et les hôtes. Pendant les repas, il goûtait
plus la lecture ou la discussion que les mets eux-
mêmes et il avait fait graver dans sa salle ce distique
contre le poison de la médisance :
Quisquis a mat dictis absentilm rodcre vitani,
Hanc mensam indignam noverit esse sibi*.
Aussi il arriva une fois que quelques-uns de ses
collègues dans Tépiscopat avec lesquels il vivait dans
* O vous qui des absents déchirez la conduite.
Sachez qu'aux détracteurs ma table est interdite.
808 1.A LI-^(iENDK DURKK
la Cimiliarité, sVtant pLTini» de mi^tlirr, il I»
doremeol, et dit que s'ils nu cessaient, ou bien il eflî
ceraU œs vers ou bien il allait quitter la table. Ayai
îarité on jour quelques intimes à un repati, l'un dVtutjîl
phi8 corieiu que les autres, entra dans la cuisine, oâ, J
a/ant trouvé tout refroitli, il demanda à son retour êM
aainl Aujiulin queU mets le père de famille »vail con^
mandé de servir. Augustin, qui ne s'oecupait pa^ <
cRosea pareitles, lui répondit: « Et je ne le s
plus iijne TOUB. <•
11 disait avoir appris trois chose» de saint Ambroisi
la première de ne demander Jamais de Temme )
qnehja'iln; la seconde, de ne jamais exciter persoruU^
qiiiT09lArs*en^a^ei' dans l'état militaire, à suivre e
parti; et la troisièmi?, de n'accepter aucune invilatioill
pour an repas. Quant à la première, c'était dons Nl'|
craints <pw les 4pou.\ ne se convinssent pas et se que<
rellasaent ; quant A la seconde, c'était de peur que a
les militaires se livraient A la calomnie, cela ne lin M^
reproché ; enlin, quant à la troisième, c'était pour i
point dépasser les bornes de la tempérance. Telle fut
sa pureté et son humilité, que même les péchés les
plus légers, qui parmi nous sont réputés nuls ou mi-
nimes, il les avoue dans le livre des Confessiotu et
s'en accuse en toute humilité devant Dieu; car il s'y
accuse qu'étant enfant, il jouait à la paume, au lieu
d'aller à l'école. Il s'accuse encore de ne vouloir ni
lire, ni s'appliquer, si son maître ou ses parents ne Vy
forçaient; de ce qu'étant enfant, il lisait volontiers les
fables des poètes, comme celle d'Enée, et qu'il pleurait
sur Uidon se tuant par amour; de dérober sur la
'^
SAINT AUGUSTIN 509
table ou dans le cellier quelque chose qu'il pût donner
aux enfants, ses compagnons de jeu; de les avoir
trompés quelquefois au jeu. Il s'accuse aussi d'avoir
volé, à l'âge de seize ans, des poires sur Tarbre de son
voisin.
Dans ce même livre de ses Confessions^ il s'accuse
d'une légère délectation qu'il éprouvait quelquefois
en mangeant: « Vous m'avez appris, dit-il. Seigneur,
à ne considérer les aliments que comme un remède,
et c'est dans cet esprit que je m'efforce de satis-
faire à ce besoin. Mais lorsque je passe de la dou-
leur que me cause la faim à cet état de quiétude qui
s'empare de moi quand elle est apaisée, alors la con-
cupiscence mî? tend des pièges. Cette transition est
vraiment une volupté, et il n'est pas d'autre voie pour
satisfaire à cette nécessité à laquelle nous sommes
réduits.
« En effet le boire et le manger étant nécessaires à
la conservation de notre existence, un certain plaisir
s'est attaché à cette nécessité comme une compagne
inséparable : mais bien souvent elle s'efforce de pren-
dre les devants, pour m'obligera faire pour elle-même
ce que je dois et ne veux faire seulement que pour ma
santé. Pour les excès du vin, j'en suis bien éloigné, et
j'espère que vous me ferez la grâce de n'y tomber ja-
mais. Après les repas, un certain engourdissement
peut s'emparer de quelqu'un des vôtres, vous me ferez
la grâce d'en être préservé. Quel est donc Tliomme, ô
mon Dieu, cpii n*est pas quelquefois entraîné au delà
des bornes que lui prescril la nécessité? Oh! celui-là
est grand ; cju'il glorifie votre nom. Mais ce n'est pas
SI»
'. OOHÉE
moi, aïoî qui suis un malheureux pécWur] » Un
croyaU pas exempt de fautes par rapport à l'odorat
ttû dtBaH : ir Quant aux plaisir» qu'excitent en nou»
Im odeurs, je m'en inquiète peu : je ne les rechercha
pas quand elles me manquent ; quand elles vieiineat
à moi, je ne les repousse pas, toujours disposé à m'en.
piinr pour toujours. C'est du moins, si je ne nu
ttorap^iCe que je crois ressentir; car nul ne doit être
dsosonc sécuritécomplèledanscette vie qu'à juste titre,
on peatappelerune tentation continuelle, puisque celui
qui de méchant est devenu bon, ne sait pas si de hoa
il ne deviendra pas plus méchant. » Voici ce qu'il dit
toochiril le sens de l'ouîe: << Les plaisirs de l'ouTe
■vaîeot pour moi, je l'avoue, plus de charmes et plua
ifattraits ; mais vous avez rompu ces liens et m'en avez
afhvDChi. S'il m'an'ivc d'être plus ému par la m^
lodie que par les paroles que l'on chante, alors je
Reconnais avoir péché et je préférerais ne poinlenteudri
chanter en cette occasion. ■ <
II s'accuse encore des péchés de la vue, comnM
quand U dît qu'il aimait trop Tolonlïers i voir ua
chien courir, qu'il prenait plaisir à regarder la chasse, '
quand il lui arrivait de passer dans la campa^e,
qu'il examina avec trop d'attention des araignées
enveloppant des mouches dans leurs toiles, alors qu'il
était chez lui. Il s'accuse de cela devant Dieu comme
de choses qui distraient dans les bonnes médita-
tions et qui troublent les prières. II s'accuse aussi
de désirer les louang;es et d'être entraîné par la vaine
gloire : n Celui, dit^il. Seigneur, qui ambitionne les
louanges des hommes, alors qu'il s'attire votre blâme.
SAINT AUGUSTIN 511
ne sera point défendu par les hoinmes lorsque vous
le jugerez, ni délivré par eux, lorsque vous le con-
damnerez.
Un homme que Ton félicite de quelque bienfait
qu'il a reçu de votre main; se complaît plus dans les
louanges qu'on lui donne, que dans la grâce qui les lui
a méritées. Nous sommes tous les jours exposés sans
relâche à ces sortes de tentation, et la langue de
l'homme est une fournaise où nous sommes mis jour-
nellement à répreuve. Néanmoins je ne voudrais pas
que le bon témoignage des autres n'ajoutât rien à la
satisfaction que j'éprouve du bien qui peut être en
moi ; mais il faut Tavouer non seulement ce bon té-
moignage^ raugmente, mais le blâme la diminue. Je
suis contristé des éloges que l'on me prodigue, soit
qu'ils se rapportent à des choses que je suis fâché de
trouver en moi, soit que l'on y estime de petites qua-
lités plus (ju'elles ne le méritent. »
Ce saint homme réfutait les hérétiques avec une si
grande énergie, qu'ils disaient entre eux publiquement
que ce n'était pas pécher de tuer Augustin qu'ils re-
gardaient comme un loup à égorger ; et ils affirmaient
aux assassins (|ue Dieu leur pardonnerait alors tous
leurs péchés.
Il eut à subir grand nombre d'embûches de leur
part quand il avait besoin de voyager; mais la provi-
dence de Dieu [>enneltait qu'ils se trompassent de che-
min et qu'ils ne le rencontrassent point. Pauvre lui-
même, il se souvenait toujours des pauvres, et il leur
donnait libéralement de tout ce qu'il pouvait avoir :
car il en vint jus(ju'à Taire briser et fondre les vases
512 LA LÉGENDE DORÉE
sacrés afin d'en donner la valeur aux pauvres, aux
captifs et aux indigents. Il ne voulut jamais acheter ni
champ, ni maison à la ville ou à la campagne. Il refusa
grand nombre d'héritages qui lui avaient été légués, par
la raison que cela devait appartenir de préférence aux
enfants ou aux parents des défunts. Quant aux biens
deTEglise, il n'y était pas attaché: ils ne lui donnaient
aucun tracas ; mais le jour et la nuit, il méditait les
Saintes Ecritures et les choses de Dieu. Jamais il ne
s'occupait de nouvelles constitutions qui auraient pu
lui embarrasser l'esprit que toujours il voulait conserver
exempt de tout tracas extérieur, afin de pouvoir se
livrer avec liberté à des méditations continuelles et à
des lectures assidues. Ce n'est pas qu'il empêchât
quelqu'un de bâtir, à moins qu'il ne s'aperçût qu'on
le fît sans mesure. Il louait aussi beaucoup ceux qui
avaient le désir de la mort, et il rapportait fort souvent
à ce sujet les exemples de trois évêques. C'était saint
Ambroise qui, au lit de la mort, répondit à ceux qui
lui demandaient d'obtenir pour soi, par ses prières, un
prolongement de vie : «Je n'ai pas vécu de manière à
rougir de vivre parmi vous, et je ne crains pas de
mourir, puisqui3 nous avons un bon maître. » Réponse
que saint Augustin vantail exlraordinairement. Il citait
encore l'exemple d'un autre évéque auquel on disait
qu'il était fort nécessaire à l'Eglise, et que cette raison
ferait que Dieu le délivrerait encore, et qui répondit:
« Si je ne devais jamais mourir, ce serait bien ; mais
si je dois mourir un jour, pourquoi pas maintenant ? »
11 rapportait encore ce que saint Cyprien racontait d'un
autre évéque qui, souffrant beaucoup, demandait le
SAINT AUGUSTIN 513
réiablissement de sa santé. Un jeune homme d'une
grande beauté lui apparut alors et lui dit avec un mou-
vement d'indignation : « Vous craignez de souffrir,
vous ne voulez pas mourir, que vous ferai-jeî » II ne
laissa demeurer avec lui aucune femme, pas même sa
soeur Germaine, ni les filles de son frère qui s'étaient
vouées ensemble au service de Dieu. Il disait que,
quand bien même on n'auraitaucun soupçon mauvais
par rapport à sa sœur et à ses nièces, cependant parce
que ces personnes auraient besoin des services d'autres
femmes, qui viendraient chez elles, avec d'autres, et?
pourrait être un sujet de tentation pour les faibles,
ou certainement une source de mauvais soupçons pour
les méchants. Jamais il ne voulait parler seul à seule
avec une femme, à moins qu'il ne se fût agi d'un secret.
II fit du bien à ses parents, non pas en leur procurant
des richesses, mais en les empêchant d'être dans la
gêne ou bien dans l'abondance. Il était rare qu*il s'en-
tremit en faveur de quelqu'un parleltres ou par paroles,
imitant en cela la conduite d*un philosophe qui par
amour de sa réputation ne rendit pas de grands ser-
vices à ses amis, et qui répétait souvent : « Presque
toujours, pouvoir qu'on demande, pèse. » Mais quand
il le faisait, il mesurait son style de manière à ne pas
être importun, mais à mériter d'être exaucé en faveur
de la politesse de sa demande.
II préférait avoir à juger les procès de ceux qui lui
étaient inconnus, plutôt que ceux de ses amis; et il
disait que parmi les premiers il pouvait distinguer le
coupable, sans avoir rien à craindre, et que de l'un
d'eux il s'en ferait un ami, mais qu'entre ses amis, il
II. 33
514 LA LÉGENDE DORAe
«n perdrait certainement ah, saTotr câui oontretequid
il prononcerait sa sentence. Beaucoup d^^i^tises I%m«
tèrent ; ii y prêchait la parole de Dieu et opérdil des
conrer^ions. Quelquefois, dans ses ' prédiàBttions, il
sortait du cadre qu'il s'était tracé ; alors il dintt'qiui
cela entrait dans le plan de Dieu prâr le aidtti de quel-
qu'un. Ce qui fut évident, par rapport i un hottune
d'affaires des manichéens, qui se convertit ai assis*
tant à une prédication où saint Augustin £t une
digression contre cette hérésie. En ce tempfr-li, les
Goths s*^taient emparés de Rome ; alors les idoUlIres
et les infidèles insultaient beaucoup les chrétiens ; à
cette occasion, saint Augustin composa son ItTfe de la
Cité de Dieu, pour démontrer qu'ici^bas les justes
doivent souffirir et les impies prospérer. Il j traite des
deux eitèsi, celle de Jérusalem et odle de Bàbylone c4
de leurs rois, parce que le roi de Jérusalem, c'^t J.«C«,
et le roi de Bàbylone, c'est le diable, «c Deux amours,*
dit4I, ont bâti ces deux cités, Famour de soi, alhml
jusqu'au mépris de Dieu, a bâti la cité du diable, et
Tamour de Dieu, allant jusqu'au mépris de soi, la
cité de Dieu. » Pendant qu'Augustin vivait eucore,
vers Tan du Seigneur 440, les Vandales s'emparèrent
de toute la province d'Afrique, ravageant tout, et n'é-
pargnant ni le sexe, ni le rang, ni l'âge. Quand ils
arrivèrent devant la ville d'Hippone, ils l'assiégèrent
vigoureusement. Au milieu de cette tribulation, saint
Augustin, plus que personne, passa les dernières
années de sa vie dans Famertume et la tristesse. Ses
larmes lui servaient de pain le jour et la nuit, en voyant
ceux-ci tués, ceux-là forcés de fuir, les églises veuves
SAINT AUGUSTIN 313
de leurs prêtres, et les villes détruites et sans habi-
tants. Au milieu de tant de maux, il se consolait par
cet adage d'un sage, qui disait : « Celui-là n^est pas
un grand homme qui regarde comme chose extraor-
dinaire que les arbres tombent, que les pierres s'é-
croulent et que les mortels meurent. » Mais il rassem-
bla ses frères et leur dit : « Oui, j'ai prié Dieu afin
qu'il nous délivre de ces périls, ou qu'il nous accorde
la patience, ou bien qu'il m'enlève de cette vie pour
n'être point forcé devoir tant de calamités. » Il n'ob-
tint que la troisième demande, car après trois mois
de siège, en février, la fièvre le prit, et il se mit au
lit. Comprenant que sa fin approchait, il se fit écrire
les sept Psaumes de la pénitence qu'il commanda d'at^
tacher à la muraille, à côté de son lit, d'où il les lisait,
en versant sans cesse des larmes abondantes ; et afin
de ne penser qu'à Dieu et de n'être gêné par personne,
dix jours avant sa mort, il défendit de laisser entrer
qui que ce fût dans sa chambre, si ce n'est le médecin,
ou bien celui qui lui apportait quelque nourriture.
Or, un malade vint le trouver, et le pria instam-
ment de lui imposer les mains et de le guérir. Augus-
tin lui répondit : « Que dis-tu là, mon fils ? Penses-tu
que si je pouvais faire chose pareille, je ne me l'ac-
corderais pas pour moi? » Mais le malade insistait, et
lui assurait que dans une vision qu'il avait eue, il lui
avait été ordonné de venir le trouver et qu'il serait
guéri. Alors Augustin, voyant sa foi, pria pour lui et
il fut guéri. Il délivra beaucoup d'énergumènes et fit
plusieurs autres miracles. Au livre XXII de la Cité de
Dietiy il rapporte, comme ayant été opérés par un
BI6 LA UfCE^nE
autre, deux mincies qu'il fit. « A ma connaissance,
dit-il, tme jeune powmne d'Hipponc, ayant répandit <
sur elle une huile où le pri^trc «jui priait pour elle
avait mél^ ses larmes, fut délivrt^c du démon. » 1] dît l
encore an ro£me endrmt : n II est aussi à ma connai»* i
sance que le démon quitta soudain un jeune |>09sédé ; ^
ua évique avait prié pour ce jeune homme sans le |
voir.,» Il n'y a aucun doute qu'il ne parle de lui-',
mtme, mais par humilité, il n'a pas voulu se noia> |
-iner. II. rapporte, dans ce même ouvrage, qu'uai
malade devait être taillé, el on craignait beaucoup]
qu'il ne mourtlt de cette opération. Le malade plia
IKeu avec abondance de larmes ; .\ugustin pria avec
lui et pour Uii, et sans aucnne incision, il re^-ut une
^érison parfeite. Enfin, à l'approclie de son Irépaa,
U laissa cet enseignemcnl mémorable, savoir qaa ,
l'homme, quelque excellent qu'il soil, ne doit pa*!
mourir sans confession, otsans recevoir l'Eucharistie. ^
Quand ses derniers instants furcui arrivés, jouissant I
de toutes ses facultés, la vue et l'ouïe encore saines,
à l'âge de 77 ans, et de son épiscopat la 40*, en pré-
sence de ses frères rassemblés et priant, il passa au
Seigneur. Il ne fit aucun testament, parce que ce
pauvre de J.-C. ne laissait rien qu'il pût léguer. Il
vivait vers l'an du Seigneur 400.
Augustin, cet astre éclatant de sagesse, cette forte-
resse de la vérité, ce rempart de la foi, l'emporta sans
comparaison sur tous les docteurs de l'Eglise, aussi
bien par son génie que par sa science : Il fut aussi
illustre par ses vertus que par sa doctrine. C'est ce
qui fait que le bienheureux Hemi, en parlant de saint
SAINT AUGUSTIN 5i7
Jérôme et de quelques autres docteurs, conclut ainsi :
« Saint Augustin les surpassa tous par le j^énie et par
la science. Car bien que saint Jérôme avoue avoir lu
les 6000 ouvrages d'Origène, cependant saint Augus-
tin en a tant écrit, que non seulement, personne, y
passât-il ses jours et ses nuits, ne saurait transcrire ses
livres, mais qu'il ne s'en rencontre pas même un qui
les ait lus en entier. » Vohisien, auquel saint Augus-
tin adressa une lettre, parle ainsi : « Cela ne se trouve
pas dans la loi de Dieu si saint Augustin l'ignore. »
Samt Jérôme dit dans une lettre écrite par lui à
saint Augustin : « Je n'ai encore pu répondre à vos
deux opuscules si pleins d'érudition et d'une éloquence
si brillante ; certes, tout ce qu'on peut dire, tout ce
à quoi peut atteindre le génie, et tout ce qu'on saurait
puiser dans les saintes Ecritures, vous Tavez traité,
vous l'avez épuisé : mais je prie Votre Révérence de
me permettre de donner à votre génie les éloges qu'il
mérite. » Dans son ouvrage des Douze Docteurs, saint
Jérôme écrit ces mois sur saint Augustin : « Saint
Augustin, évêque, est comme l'aigle qui plane sur le
sommet des montagnes : Il ne s'occupe pas de ce qui
se trouve au bas, mais il traite avec clarté de ce qu'il
y a de plus élevé dans les deux ; il embrasse d'un
coup d'œil la terre avec les eaux qui l'entourent. »
On peut juger du respect et de l'amour qu'éprouvait
saint Jérôme pour saint Augustin par les lettres que
celui-ci lui adressa. Il s'exprime ainsi dans Tune d'elles :
« Jérôme, au saint et très heureux seigneur pape,
salut. En tout temps, j'ai en le plus profond respect
pour votre béatitude, et j'ai chéri J,-C. notre Sau-
#
«18
venr ^ Inbtte ai voàB^.naM ma^fimrithm je vaux,
■TS «M ptMBMe, ajoalér ipialqoB ducefluon ot MM*
treleomnbfeiiMpeiMée; fi^eitqMJeaeaKpcniels
pMde fMBBV mène vne hean m^ «laôr voire îm»
préwAt i inoo oi^t. » Dus une maHn lettfe tpHà hà
enraie : « Tautt'en fiiut, dil-il, que j'ose toucher »
qwn que ce flmtdM ouvrages de votre béatitude ; j'ai
déji ueeS de corriger les miens, sans porter la main
sur ceàz da aatree. » Saint Grégoire s'exprime ainsi
dans une lettre écrite A Innoccnlius. préfet d'Afrique :
n HaaB nous réjonissons du désir que vous manifes-
lexde receTob'de noa^ l'exposition sur Job. Mais si
voos SOtthÛtei yons nssasier de quelque noiirrituru
délîdeoae, lÎBei les c^ascules de saint Aiivi^ustin, votn^
compatriote ; toob tnmverex que c'es^ on oompaiain
son de notre tme, de la fleur de Surine A cdié de
quelque chose de fort inftriear venant de nous. » Vomi
ce qu'il écrit dans acm Heghtre : « On Kl qiw saint
Augiutin ne conaentit pas même A habiter avec sK
sœur ; car, disait-il, celles qui sont avec ma sœur ne
sont pas mes sœurs. La précaution excessive de ce
grand docteur doit nous servir de leçon. On lit dans
la Préface Ambroisienne : « Nous adorons, Seigneur,
votre magnificence au jour de la mort de saint Au-
gustin : car votre force, qui opère dans tous, a fait
que cet homme embrasé de votre esprit, ne se laissa
pas vaincre par les promesses des attraits fallacieux :
vous l'aviez en effet rempli de tout genre de piété,
en sorte qu'il vous était tout à la fois, l'autel, le sacri-
fice, le prêtre et le temple, h Saint Prosper dans son
Traité de la vie contemplative (Julien Pomère, I. III),
SAINT AUGUSTIN 519
parle ainsi de saint Augustin : « Il avait un génie
pénétrant, une éloquence suave ; un grand fonds de
littérature classique ; il avait scruté les matières ecclé-
siastiques ; il était clair dans ses discussions de tous
les jours, grave dans son maintien, habile à résoudre
une question, attentif à réfuter les hérétiques, catho-
lique dans l'exposition du dogme, silr dans l'explica-
tion des écritures canoniques. )> Saint Bernard dit de
son côté : « Augustin, c'est le fléau le plus redoutable
des hérétiques. »
Après sa mort, les barbares ayant fait invasion dans
le pays, ils profanèrent les lieux saints ; alors les fidè-
les prirent le corps de saint Augustin et le transpor-
tèrent en Sardaigne. 280 ans s'étant écoulés depuis
sa mort, vers l'année du Seigneur 718, Luitprand,
pieux roi des Lombards, apprenant que la Sardaigne
avait été dépeuplée par les Sarrasins, fit partir des
messagtrs pour faire rapporter à Pavie les reliques
du saint docteur *. Au prix d'une somme considé-
rable, ils obtinrent le corps de saint Augustin et le
transportèrent jusqu'à Gènes. Le saint roi l'ayant
appris, il se fit un bonheur de venir à sa rencontre et
de le recevoir. Mais le lendemain matin, quand on
voulut reprendre le corps, on ne put le lever de l'en-
droit qu'il occupait, jusqu'au moment où le roi fit
voeu que si le saint se laissait emmener, il ferait bâtir,
au même lieu, une église qui serait dédiée en son
nom. Aussitôt on put prendre le corps sans difficulté.
• Vincent de Beau vais, ///,«/., 1. XXIII, c. cxlviii ; — Sitçe-
bcrt, an 721.
580 Là. ^Qàtmm nomim
*
Le roi tint sa promesse et fit oonslrmre i Gtees une
église en Plionnear de saint Angostin. Pàr^ minde
arriva le lendemain dans une TÎUa dn diocèse de
Tortone, nommée Casai, où Ton ocmsirmsii euDore
nue église ea Tlioniieur de saint At^jfostin. De plm,
Luilprand concéda cette même villa avec tontes ses
dépendances», pour être possédée & perpétuité par ceax
qui desserviraient PégUse. Or, comme le roi Toyaii
qu'il plaisait au saint qu'on lui âevfti une église par^
tout où il s'arrêtait) dans la crainte qu'il ne se cfaoistt
un autre lieu que celui où il voulait le mettre» partout
où on passait la nuit avec le saint ccMrps^ fl fondait
une é^ise ea son honneur. Ce fut amsi qu'on arriva
à Pavie dans des ùansports de joie, et que Ton plaça
les saints restes avec de grands luinMursdans l'^flise
de saint Pierre, appdée au Ciel dPw. -~ Un meunier j,
qui avait une déyotion toute i|)édale & saint Augus-
tin, souffhdt àlajambed'uœ tumaur nommée pliie^rma
sahum^ et il invoqumt pieusement saint Augustin à son
secours. Le saint, dans une vision, lui toucha la jambe
et le guérit. A son réveil, se trouvant délivré, il rendit
grâces à Dieu et à saint Augustin. — Un enfant avait
la pierre et de l'avis des médecins, il fallait le tailler.
La mère qui craignait que Tenfant ne mourût, s'adressa
dévolemenl à saint Augustin pour qu'il secourût son
fils. Elle n'eut pas plutôt fini sa prière que l'enfant
rendit la pierre en urinant et recouvra une parfaite
santé.
Dans un monastère, appelé Elémosina, un moine,
la veille de la fête de saint Augustin, fut ravi en extase
et vit une nuée lumineuse descendant du ciel, et sur
SAINT AUGUSTIN S2i
cette nuée saint Augustin assis revêtu de ses habits
pontificaux. Ses yeux étaient comme deux rayons de
soleil illuminant toute l'église qui était remplie d'une
odeur très suave. — Saint Bernard étant à Matines
s'assommeilla un peu, et pendant qu'on chantait une
leçon de saint Augustin, il vit un jeune homme très
beau qui se tenait debout, et de la bouche duquel sor-
tait une si grande abondance d'eau que toute l'église
paraissait devoir en être remplie. Saint Bernard ne
fit pas difficulté de penser que c'était saint Augustin
qui a fait couler dans l'Eglise entière des fontaines de
doctrine. — Un homme, qui aimait singulièrement
saint Augustin, donna beaucoup d'argent à un moine,
gardien du saint corps, pour avoir un doigt d'Augus-
tin. Le moine reçut bien l'argent, mais, à la place du
doigt de saint Augustin, il lui donna le doigt d'un
mort qu'il enveloppa dans de la soie. L'homme le reçut
avec respect et lui adressait sans cesje ses hommages
avec grande dévotion, le pressant sur sa bouche, sur
ses yeux et le suspendant à sa poitrine. Dieu, qui voyait
sa foi, lui donna d*une manière aussi miraculeuse que
miséricordieuse un doigt de saint Augustin ; l'autre
avait disparu. Cet homme étant rentré dans sa patrie,
il s'y fit beaucoup de miracles et le bruit en alla jus-
qu'à Pavie. Mais comme le moine assurait (jue c'était
le doigt d'un mort, on ouvrit le sépulcre et on trouva
qu'il manquait un des doigts du saint. L'abbé, qui sut
le fait, déposa le moine de son office et le punit sévè-
rement. — En Bourgogne*, dans un monastère nommé
• Herbert, De miraruiis, \. III, c. xxxviii ; — Opp. de saint
Bernait.
SSS LA lionn» noadi
Fontaines, viraît on mùne fféé HqfOM, trt> dénit
i nint AggMtin, dont il lisait ha oanagea amo bo»-
benr. II le foiait aoavent de ne pas permetlre qu'il
trépaMât de ce monde un autre jour que celui où l'on
Mdenniaaït sa fêta.- Quinze jours auparavant, la Ëèvre
le aaint ai Tiolemment que la veille de la fétc on le posa
par terre dans l'élise; comme un mourant. El voici
que {dttflieaFspersoiinEiu^es beaux et brillants, en aubes,
entfAreot processionnel lement dans l'église dudit mo-
nastère : à Imr faite venait un personnage vénérable
rerétn d'habits pontificau.v. Un moine qui était alors
dansl'4%liae fat saisi à cette vue; il demanda qui ils
étaient et oA ils allaient. L'un d'eux lut répondit que
Vêtait saint Angustin avec ses chanoines qui venait
assùtter & la mort de ce moine qui lui était dévot afin ".
de porter son Ame au royaume de la gloire. Ensuite
cette noble procession entra dans l'iniirinerie, et après
j être restée qaQlqœ temps, la sainte âmi> du moine
fut dtiirrée des liens de la chair. Son doox ami 1*
fortifia contre les erabllches des ennemis et l'intro-
duisit dans la joie du ciel. — On lit encore que, de son
vivant, saint Augustin, étant occupé à lire, vit passer
devant lui le démon portant un livre sur ses épaules.
Âussîlâl le saint l'adjura de lui ouvrir ce livre pour voir
ce qu'il contenait. Le démon lui répartit que c'étaient
les péchés des hommes qui s'y trouvaient écrits, pé-
chés qu'il avait recueillis de tous côtés et qu'il- y avait
couchés. El à l'instant saint Augustin lui commanda
que, s'il se trouvait porté quelqu'un de ses péchés, îl
le lui donnât à lire de suite. Le livre fut ouvert et saint
Augustin n'y trouva rien d'écrit, si ce n'est qu'une
SAINT AUGUSTIN 523
fois, il avait oublié de réciter compiles. Il commanda
au diable d'attendre son retour; il entra alors dans
réalise, récita les complies avec dévotion et après avoir
fait ses prières accoutumées, il revint et dit au démon
de lui montrer encore une fois l'endroit qu'il voulait
relire. Le diable, qui retournait toutes les feuilles avec
rapidité, finit par trouver la page, mais elle était
blanche : alors il dit tout en colère : « Tu m'as hon-
teusement déçu ; je me repens de t'avoir montré mon
livre, puisque tu as effacé ton péché par la vertu de
tes prières. » Ayant parlé ainsi, il disparut tout plein
de confusion.
Une femme avait à souffrir les injures de quelques
personnes pleines de malice : elle vint trouver saint
Augustin pour lui demander conseil. L'ayant trouvé
qui étudiait, et l'ayant salué avec respect, il ne la re-
garda ni ne lui répondit point. Elle pensa que peut-
être c'était par une sainteté extrême qu'il ne voulait
pas jeter les regards sur une femme : cependant elle
s'approcha et lui exposa son affaire avec soin. Mais
il ne se tourna pas vers elle, pas plus qu'il ne lui
adressa de réponse : alors elle se relira pleine de tris-
tesse. Un autre jour que saint Augustin célébrait la
messe et que cette femme y assistait, après Télévation,
elle se vit transportée devant le tribunal de la très
sainte Trinité où elle vit Augustin, la face inclinée,
discourant avec la plus grande attention et en termes
sublimes sur la gloire de la Trinité. Et une voix se*
fit entendre qui lui dit : « Quand tu as été chez Au-
gustin^ il était tellement occupé à réfléchir sur la
gloire de la sainte Trinité qu'il n'a pas remarqué que
8M lA LicENDE OORéR
ta MHS ▼einié le froavcr ; mais rclonnie chez lui avc-c
àMnrancé; In le tronreras nfTable el lu recevras un
aVis Milataire. »'EUe If fit et saint Au^slin l'écoiilA
mrtc bonté et loi donna un excellent conseil. — On
rapporta noMÎ qâ'an Mini homme étant ravi en esprit
daiù le ciel et ezamimiit tous les saints dans la gloire,
n'y Tc^nl pas nïnt An Justin, demanda à quelqu'un
dM bienhenrenx où Sitait. Il lui fui répondu : « \u-
gostih réside an jhn baut des cieux, où il mt'dite sur
la gloire de la tris excellente Trinité, a — Quelquett
habitants de Pavie étaient détenus en prison par le
marquis de Malaspina. Toute boisson leur fut refusée
afin de pouvoir en extorquer une grosse somme d'ar-
fràt. I^ plupart rendaient dt^'jà l'Éimc, quelques-uns
buvaient leur orine. Un jeune homme d'eutre eux. qui
avait une f^rande dévotion pour saint Au|j;uslin, ré-
clama son assistance. Alors au milieu de la nuil, saint
Augustin apparut à ce jeune homme, et comme s'il
lui prenait la main, U le ronduisii an fictive de (ira-
velon où avec une feuille de vigne trempée dans l'eaii,
il lui rafraîchit tellement la langue, que lui, qui aurait
souhaité boire de l'urine, n'aurait plus souhaité main-
tenant boire du nectar. — Le prévôt d'une église,
homme fort dévot envers saint Augustin, fut malade
pendant trois ans au point de ne pouvoir sortir du Ht.
La fête de saint Augustin était proche, et déjà on
sonnait les vêpres de la vigile, quand il se mit à prier
saint Augustin de tout cœur. Saint Augustin se
montra à lui revêtu d'habits blancs et en l'appelant
trois fois par son nom, il lui dit : « Me voîci, tu m'as
appelé assez longtemps, lève-toi de suite, et va me ce-
:\
SAINT AUGUSTIN 525
lébrer Toffice des Vêpres. » Il se leva guéri, et, à Té-
tonnemenl de tous, il entra dans l'église, où il assista
dévotement à tout l'office. — Un pasteur avait un
chancre affreux entre les épaules. Le mal s*accrut au
point de le laisser absolument sans forces. Comme il
priait saint Augustin, celui-ci lui apparut, posa la main
sur la partie malade et la guérit parfaitement. Le même
homme, dans la suite, perdit la vue. Il s'adressa avec
confiance à saint Augustin, qui, un jour sur le midi,
lui apparut, et en lui essuyant les yeux avec les mains,
il lui rendit la santé.
Vers Tan du Seigneur 912, des hommes gravement
malades, au nombre de plus de quarante, allaient à
Rome de l'Allemagne et de la Gaule pour visiter le
tombeau des apôtres. Les uns courbés se traînaient
par terre sur des sellettes, d'autres se soutenaient sur
des béquilles, ceux qui étaient aveugles se laissaient
traîner par ceux qui marchaient en avant, ceux-là en-
fin avaient les mains el les pieds paralysés. Ils passè-
rent une montagne el parvinrent à un endroit appelé
la Charbonnerie. Ils étaient près d*un lieu qui se nomme
Cana, à une distance de trois milles de Pavie, quand
saint Augustin revêtu de ses ornements pontificaux,
et sortant d'une église érigée en l'honneur des saints
Côme et Damien, leur apparut et leur demanda où ils
se dirigeaient. Ils lui répondirent qu'ils allaient à Rome ;
alors saint Augustin ajouta : « Allez à Pavie et de-
mandez le monastère de saint Pierre qui s'appelle Ciel
d'or, et là vous obtiendrez les miséricordes que vous
désirez. Et comme ils lui demandaient son nom, il dit :
« Je suis Augustin autrefois évèque de l'église d'Hip-
putic. u AussitiM il disparut à leurs regards. Ils se di-
riçf^renl donc vers Pavie, et étant arriv»îa au monas-
tère indiqué et apprenant que c'était là que reposait
le corps de saint Aui^ustin, ils se mirent tous à élever
la voix et à crier tous ensemble : « Saint Augustin,
aidez-nous, u Leurs clameurs émurent les citoyens et les
moines qui s'empressaient d'accourir à un spectacle
ai extraordinaire. Or, voilà que, par l'extension de leura
nerfs,une grande quantité desangse mit àcoulcr, de telle
sorte que depuis l'entrée du monastère, jusqu'au tom-
beau de saint .Augustin, la terre paraissait enétretoul«
couverte. Parvenus au tombeau, tous furent entière-
ment guéris, comme s'ils n'avaient jamais été cstropiéa.
Depuis ce moment, la renommée du saint se propagea
de plus en plus, et une multitude d'infirmes vint à
son tombeau, 01*1 tous recouvraient la santé, cl iais-
m'uml des gages de leur i^uéhson. Telle fut la quantité
de ces gages que tout l'oratoire de saint Augustin etf
le portique eu étaient pleins, en sorte que cela devinl^
la cause d'un grand embiirras pourentrer Pt pour sor**^
tir. La nécessité força les moines à les âter. — Il y a
trois choses qui sont l'objet des désirs des personnes
du monde, les richesses, les plaisirs et les honneurs.
Or, le saint atteignit à un tel degré de perfection qu'il
méprisa les richesses, qu'il repoussa les honneurs el
qu'il eut les plaisirs en aversion. Il méprisa les ri-
chesses ; c'est lui-même qui t'assure dans ses Soli!o-
ques, où la raison l'interroge el lui dit : « Est-ce que
tu ne désires pasde richesses? » Et Augustin répond:
'( Je ne saurais avouer ce premier point : j'ai trente
ans, et il y en a bien quatorze que j'ai cessé de les
SAINT AUGUSTIN . 527
désirer. Des richesses, je n'en désire que ce qu'il faut
pour me procurer ma nourriture. C'est un livre de
Cicéron qui m'a entièrement convaincu qu'il ne faut
en aucune manière souhaiter les richesses. » Il a re-
poussé les honneurs : il le témoigne dans le même
livre. «Que peusez-vous des honneurs? » lui demande
la raison. Et saint Augustin répond : (( Je Tavoue,
c'est seulement depuis peu de temps, presque de-
puis quelques jours que j'ai cessé de les ambition-
ner. » Les plaisirs et les richesses, il les méprisa, par
rapport à la chair et au goût. La raison lui de-
mande donc : « Quelle est votre opinion au sujet d'une
épouse? Ne vous plairait-elle pas, si elle était belle,
chaste, honnête, riche, et surtout si vous aviez la
certitude qu'elle ne vous serait pas à charge? » Et
saint Augustin répond : « Quelque bien ([ue vous la
vouliez peindre, quand vous la montreriez comblée dé
tous les dons, j'ai décidé que je n'avais rien tant à
craindre que le commerce avec une femme. » « Je ne
demande pas, reprend la raison, ce que vous avez
décidé, je vous demande si vous vous y sentez porté ? »
Et saint Augustin répond : « Je ne cherche, je ne dé-
sire rien à ce sujet : les souvenirs qui m'en restent
me sont à charge, affreux et détestables. » Pour ce
qui est du second point, la raison rinterroiç-e en di-
sant : « Et pour la nourriture, qu'avez-vous à dire? »
ce Pour ce qui est du boire, et du manger, des bains
el des autres plaisirs du corps, ne me demandez rien.
J'en prends ce qu'il me faut seulement, pour conser-
ver la santé. »
I
LA DÉGOLLATrON DE SAINT JEAN-BAPTISTft'J
La décollation de saint Jean-Baptiste se célèbre et
aélif instituée, paratl-il, pour quatre motifs, d'après
VOflice milral* : i" En raisonde sa décollation ; 2" A
. cause de la combustion et de la réunion de ses os ; 3°à
l'occasion de l'invention de son chef ; i' en mémoire
delà translation d'un de ses doigts, et de la dédicace
de son église. De là les différents noms attribués à cettef'
fête, savoir la décollation, la collection, l'invention eL|]
la dédicace,
l. On célèbre cette Kte â cause delà décollation. ËIL'
eiïel, selon le récit de l'tlisloire scholastique'*. Hé-
rode Anlipas, fils d'Hérode le Grand, en partant pour
Rome passa par chez son frère Philippe; alors eut lieu
un accord secret entre lui et Hérodiade, femme <le
Pliilipi»!-, et selon Joscplie, stcur d'Hérode A^ripp«^|
lie répudier sa propre femme à son retour et de se ma^|
rier avec cette même Hérodiade. Sa femme, fille d'A- ,
rétas, roi de Damas, eut connaissance de celte conven-
tion ; alors sans attendre le retour de son mari, elle
se hâta de rentrerdans sa pairie. En revenant, Hérode
enleva Hérodiade à Philippe et s'attira l'inimitié d'A-
' rélas, d'Hérode Agrippa et de Philippe tout à la fois.
Or, saint Jean le reprit, parce que, d'après la loi, il ne
lui était pas permis de prendre pour femme, ainsi qu'il
l'avait fait, l'épouse de son frèredu vivant de celui-ci.
• Cap. xLi.
" In Ecangel., cap. l\xii:.
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 529
Hérode voyant que saint Jean le reprenait si durement
pour ce crime, et que, d'un autre côté, saint Jean, au
rapport de Josèphe, à cause de sa prédication et de
son baptême, s'entourait d'une foule de inonde, le fit
jeter en prison, dans le désir de plaire à sa femme, et
dans la crainte d'un soulèvement populaire. Mais au-
paravant il voulut le faire mourir, mais il eut peur du
peuple. Hérodiade et Hérode désiraient également
trouver une occasion quelconque pour pouvoir tuer
Jean. Il paraît qu'ils convinrent secrèlement ensemble
qu'Hérode donnerait une fête aux principaux de la
Galilée et à ses officiers le jour anniversaire de sa nais-
sance; qu'il promettrait avec serment de donner à la
fille d'Hérodiade, quand elle danserait, tout ce qu'elle
demanderait; que cette jeune personne demandant la
télé de Jean, il serait de toute nécessité de la lui ac-
corder à raison de son serinent, dont il ferait semblant
d'être contristé. Qu'il ait poussé la feinte et la dissi-
mulation jusque-là, c'est ce que donne à entendre
VHisioire scholasUque où on lit ce qui suit : « 11
est à croire qu'Hérode convint secrètement avec sa
femme de faire tuer Jean, en se servant de cette cir-
constance. » Saint Jérôme est du même sentiment dans
la glose : « Hérode, dit-il, jura probablement, afin d'a-
voir le moyen de tuer Jean ; car si cette fille eùtdemandc
la mort d'un père ou d'une mère Hérode n'y eût cer-
tainement pas consenti. Le repas est prêt, la jeunefille
est là présente ; elle danse devant tous les convives:
elle ravit le monde ; le roi jure de lui donner tout ce
qu'elle demandera. Prévenue par sa nièn*, elle de-
mande la tête de Jean, maisrastucieux Hérode, à cause
n. 34
ftSft hk LiCMERIMB IKMUfai
de 800 senneat, simula la Imlease, parée qae» ommag
le dit Raban, il avait ea la tém^tté de jarer ce ^^M
loi fidlait tenir. Or, sa tristease était sedemeai anr aa
igurC) tandis qu'il avait la joie dans le coMir. flVeaiE-
cttse sur scmh serment afin de pouvoir être iaupie aoaa
rappareoce delà piété. Le bourreau est dmie eainifé,
la tète de Jean est tranchée, elle est donnée à la jeune
fUle» et celle-ci la présente à sa mère adultère, s Saint
Augustin, à propos de ce Serment, raconte Prrrf pir
suivant dans un sermon qu'il fit A la ÛécoHation àà
saint Jean*Baptiste.
' « YcMciun fait qui m'a été raconté par nuboauBeiaN
nocentetde bonne foi. Quelqu'un Itiiajant niénn prél
ou une (tette, il en fut ému et il le provo^pm A bire aw»
ment.Ledétnteur le fit et l'autre perdit. Lanuitanimualet
ce dernier se crut tratné devant le juge qui rinterrogea
en ces termes : « Pourqum as-tu provoqué tim défain
teur à faire serment, quand tu savais qu'il se paijttr»*
rail ?» Et Thomme répondit : « Il m'a nié monbten. a
« Il valait mieux, reprit le juge, perdre ton bien que
de tuer son âme par un faux serment. » On le fit
prosterner, et il fut condamné à être battu de verges ;
or, il le fut si rudement, qu'à son réveil, on lui voyait
encore la marque des coups sur le dos. Mais il lui fut
pardonné après qu'il eut fait pénitence. » Ce ne fut
cependant point à pareil jour que saint Jean fut dé-
collé, mais un an avant la Passion de J.-C, vers les
jours des azymes. Il a donc fallu, à cause des mys-
tères de Notre-Seigneur, que Tinférieur le cédât à son
supérieur. A ce sujet, saint Jean Chrysostome s'écrie :
« Jean, c'est l'école des vertus, la règle de vie, Tcx-
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 53 L
pression de la sainteté, le modèle de la justice, le
miroir de la virginité, le porte-étendard de la pudi-
diéy l'exemple delà chasteté, la voie de la pénitence,
le pardon des péchés, la doctrine de la foi. Jean est
plus grand qu*un homme, il est Tégal des anges, le
sommaire de la loi, la sanction de l'évangile, la voix
des apdtres, celui qui fait taire les prophètes, la
lumière du monde, le précurseur du souverain juge,
l'intermédiaire de la Trinité tout entière. Et cet
homme si éminent est donné à une incestueuse, il est
livré à une adultère;, il est accordé à une danseuse ! »
Hérode ne resta pas impuni, mais il fut condamné à
Texil. En eflFet, d'après ce qu'on trouve dans 17i/s-
toire scholastique, Hérode Agrippa, vaillant person-
nage, mais pauvre, se voyant réduit à l'extrémité,
s'enferma par désespoir dans une lour avec Tinten-
tion de s'y laisser mourir de faim. Hérodiade, sa
sceur, informée de celte résolution, supplia Hérode
Antipas, tétrarque, son mari, de le tirer de la tour et
de lui fournir ce qui lui était nécessaire. Il le fît, et
comme ils étaient tous les deux à table, Hérode,
tétrarque, échauffé par le vin, reprocha à Hérode
Agrippa les bienfaits dont il l'avait comblé lui-même.
Celui-ci en conçut un vif chagrin et partit pour Rome
où il fut bien accueilli par Caïus César, qui lui
accorda deux tiHrarchics, celle de Lisanias et celle du
pays d'Abilène; il lui plaça, en outre, le diadème sur
le front, avec l'intention de le faire roi de Judée.
Hérodiade, voyant que son frère avait le titre de roi,
pressait instamment son mari d'aller à Rome et de
solliciter aussi pour lui la même distinction. Mais,
I
SSâ LX LÉGEMtE IIOKÉE
t'Iaiil fort riclie, il ne voulait pas suivre le cr>nseil de
sa femme, car il préfi^rail le repos à des fonctions
lionorables. Vaincu enfin par ses prières, ÏI alla A
Rome avec elle. Agrippa, cjuî en eut connaissanre,
expédia à César des lettres pour l'informer qn'Hérodc
s'était assuré de l'amitié du roi des Parthes, et vou-
lait se révolter contre l'empire romain, et pour preuve,
il lui fît savoir qu'il avait dans ses places fortes d^
armes en assez grande quantité pour armer soixante-
dix mille soldais. CaTus, après avoir lu la lettre, s'in-
forma, comme s'il le tenait d'une autre source, auprès
d'Hérodc, sur sa position, et entre autres choses, il
lui demanda s'il était vrai, ainsi qu'il l'avait entendu
dire, qu'il ertt une si grande quantité de troupes sous
les armes, dans les villes de sa juridiction. Hérodene
Ht aui'une difficulté d'en convenir, Caïus, persuadé
alors de l'exactitude du rapport d'Hérode Agrippa,
l'envoya en exil ; quant à son épouse, qui était sœur
(le ce même Hérode Agrippa pour lequel il avait
beaucoup d'affection, il lui permit de retourner dans
son pays. Mais elle voulut accompagner son mari, en
disant que puisqu'elle avait partagé sa prospérité,
elle ne l'abandonnerait pas dans l'adversité. Ils furent
donc déportés à Lyon, où ils finirent leur vie dans la
misère. Ceci est lire de l'Histoire sckolastique.
II. Cette fêle est célébrée à cause de la combustion
et de la réunion des os de saint Jean ; car des auteurs
prétendent qu'on les brâla en ce jour, et que les res-
tes en furent recueillis par les fidèles. C'est, en quel-
que sorte, un second martyre que saint Jean souffre,
puisque il est bn1lé dans ses os, et c'est la raison
i
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 533
pour laquelle l'Eglise célèbre cette fête comme si elle
était son second martyre*. On lit donc au XII® livre
de VHisloire scholasiîque ou ecclésiastique y que les
disciples de saint Jean ensevelirent son corps auprès
de Sébaste, ville de Palestine^ entre Elisée et Âbclias.
Il se faisait de grands miracles à son tombeau ; mais,
par Tordre de Julien TAposlat, les gentils dis-
persèrent les os du saint ; et comme les miracles
continuaient toujours, on recueillit les os, on les
brûla, puis on les réduisit en une poussière que l'on
vanna dans les champs, toujours d'après VHisloire
scholastique. Mais le bienheureux Bède dit que les
os eux-mêmes furent ramassés et épars plus loin
encore. Saint Jean parut souffrir ainsi un second
martyre. (C'est ce que certaines gens imitent sans
savoir ce qu'ils font, quand, à la Nativité de saint
Jean, ils ramassent des os partout et les brûlent.) Or,
pendant qu'on les recueillait pour les brûler, d'après
VHisloire ecclésiastique et le témoignage de Bède, des
moines, venus de Jérusalem, se mêlèrent en cachette
à ceux qui étaient occupés à les recueillir, et en prirent
une grande partie. Ils portèrent alors ces ossements à
Philippe, évéque de Jérusalem, qui, plus tard, les
envoya à Alhanase, évêque d'Alexandrie. Dans la suite,
Théophile, évéque de cette ville, les mit dans un tem-
ple de Sérapis, purgé de ses ordures ; il le consacra
comme une basilique, en l'honneur de saint Jean. Mais
aujourd'hui, on les honore à Gènes, ainsi que Alexan-
• Eusèbe de Césarée, 1. II; — Jiist, ecclesiastit/ue, c. xxviii ; —
Sigebert, Chronique, an 39i.
II. 34-
534 LA LÉGENDE DORÉE
dre ni el Innocent IV l'ont approuvé par leurs privi-
lèges, après en avoir reconnu l'authenticiti!. De même
qu'Hérode, qui lit couper la tète ù saint Jean, subit le
châtiment de ses crimes, de même aussi, Julien l'Apos-
tat, qui fit brtller ses os, fut frappé par la vengeance
divine. On a l'histoire de la punition de ce dernier
dans la légende de saint Julien, après la conversion
de saint Paul *.
Mais, dans VHisloire IripariHe**, on trouve de
plus amples détails sur l'origine de Julien l'Apostat,
son régne, sa cruauté et sa mort. Constance, frère
du grand Constantin et descendant du même j>ère,
eut deux fils, Gallus et Julien. A la mort de Constan-
tin, Constance créa césar Gallus, son fils, que pour^
lent il tua par la suite. Alora Julien, plein ilc crainte,
se fit moine, et imagina de consulter les magiciens
pour savoir s'il pouvait avoir encore l'espérance de
parvenir an trône. Après quoi. Constance créa césar
Julien, qu'il envoya dans les Gaules, où il remporta
grand nombre de victoires. Une couronne d*or, sus-
pendue par un fit entre deux colonnes, tomba sur sa
tète, en s'y adaptant parfaitement, au moment où il
passait (le fil s'était rompu); tous s'écrièrent alors que
c'était un signe qu'il serait empereur. Comme les sol-
dats le proclamaient Auguste, et qu'il ne se trouvait
pas là de couronne, un des soldats prit un collier
qu'il avait au cou et le mit sur le front de Julien,
•Ou mi
suite de la
"■ Lib. VI, passim.
A
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 535
lequel fut ainsi créé empereur par les soldats. Dès
lors, il renonça aux pratiques du christianisme, qu'il
ne suivait que d'une manière hypocrite, ouvrit les
temples des idoles et leur y offrit des sacrifices. Il se
proclamait le Pontife des païens et faisait abattre par-
tout les images de la Croix. Une fois, la rosée tomba
sur ses vêtements et sur ceux des personnes qui rac-
compagnaient, et chaque goutte prit la forme d'une
croix. Dans le désir de plaire à tous, il voulut, après
la mort de Constance, que chacun suivît le culte qui
lui convînt; il chassa de sa cour les eunuques, les bar-
biers et les cuisiniers; les eunuques, parce qu'après la
mort de sa femme il ne s'était point remarié ; les cui-
siniers, parce qu'il ne faisait usage que des mets les
plus simples, et les barbiers, parce que, disait-il, un
seul était suffisant pour beaucoup de monde. Il com-
posa une foule d'ouvrages, dans lesquels il déchira
tous les princes, ses prédécesseurs. En chassant les
cuisiniers et les barbiers il faisait œuvre de philosophe,
mais non pas d'empereur; mais en critiquant et en
déférant des louanges, il ne se comporta ni en philo-
sophe ni en empereur. Un jour que Julien offrait un
sacrifice aux idoles, dans les entrailles de la brebis
qui venait d'être immolée, on lui montra le signe de
la croix entouré d'une couronne. A cette vue, les mi-
nistres eurent peur, et expliquèrent le fait en disant
qu'il viendrait un temps qui n'aurait pas de terme, et
où la croix serait victorieuse et uniqueincnl vénérée.
Julien les rassura et dit que cela indiquait qu'il fallait
réprimer le' christianisme et le resserrer dans un cer-
cle. Tandis que Julien offrait à Constanlinople un sa-
S3ê hk tiemmùm uomim
eriiqe à k Fortaae, Marâ, évèque dé GEhdMdoiiie,
mttqiHd la TÎeilleflfe arait &dt perdre la Toe, le viiil
trouver et Tappda impie et apoalal. Joliea hu dit.:
« Ton Galiléeii n'a doue pa te goérir^ Uât » Maria hn
répondit :« «Tim rends ginices à Dieu, ear il «*« privé
de la vue afin de ne pas te vcnr déppniBé de fêété. m
Jnliaii nt lui répondit rien et se retira. A Antioeha» il
fit ramasatf les vasM sacrés et les omenienla» pua les
jetant par terre, il s'assit dessu» et se perssft de les
salir« Mais à l'instant» il fut frappé à rendrait par où
il avait péché, en sorte que les vers 7 fonmllhâent et
rongeaient les chairs* Tant qa'il véent d^Mtoa» il ne
patsegoérir*
Julien le préfet qui, par Toidre de ranperenr^ aviait
enlevé les vases sacrés appartonant ans ^j^yaesydii en
les salissant de son urine : « Vojes dans qoda vaaea
on adminisire le fils de Marte« s ImmédialMieat sa
bouche est changée en anus : et ce fut aiosi qn^ asb»
tisfaisait les besoins de la nature. Pendantqne Psiposiat
Julien entrait dans le temple de la Fortune, les minis-
tres du temple aspergeaient avec de Feau ceux qui
arrivaient afin de les purifier : Valentinien vit une
goutte de cette eau sur sa chlamyde; plein d'indigna-
tion, il frappa du poing le minisire en disant qu'il
était sali plutôt que purifié. L'empereur, témoin de
cela, le fil mettre sous bonne garde et conduire dans
un désert. En effet, Valentinien était chrétien, et il
mérita pour récompense d'être élevé par la suite à
l'empire. Par haine encore contre les chrétiens, Julien
fit aussi réparer le temple des Juifs, auxquels il four-
nit des sommes énormes; mais quand ils eurent ras«-
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 337
semblé une grande quantité de pierres, un vent extra-
ordinaire s'éleva subitement et les dispersa toutes ;
ensuite il se fit un affreux tremblement de terre; en
dernier lieu, le feu sortit des fondements et brûla beau-
coup de monde *. Un autre jour, une croix apparut
dans le ciel et les habits des Juifs furent couverts de
croix de couleur noire. En allant chez les Perses, il
vînt à Ctésiphonte qu'il mit en état de siège. Le roi,
qiii s*y trouvait, lui offrit la moitié de son pays, s*il
voulait s'en aller. Mais Julien s'y refusa : car il avait
les idées dePythagorc et de Platon au sujet de la mu-
tation des corps, croyant posséder l'âme d'Alexandre,
ou plutôt qu'il était lui-même Alexandre dans un autre
corps. Mais tout à coup il reçut un dard qui s^enfonça
dans son côté ; cette blessure mit fin à sa vie. Qui
lança cette flèche? On l'ignore encore ; mais les uns
pensent que ce fut un des esprits invisibles, d'autres,
que ce fut un berger ismaélite : /]uelques-uns disent
que c'était la main d'un soldat abattu par la faim et
les fatigues de la route. Que ce soit un homme ou
bien un ange, il fut évidemment l'instrument de Dieu.
Calixte, un de ses familiers, dit qu'il fut frappé par le
démon.
Iir. L'institution de cette fête eut lieu à l'occasion
de l'invention du chef de saint Jean en ce jour. Au
XI* livre de Yllisloire eccl'siastiijue, il est écrit que
saint Jean fut détenu et dérapiti' dans un château de
l'Arabie nommé Machéronte. Mais Hérodiade fit ap-
porter la tète du saint à Jérusalem où elle la fil en-
• Socratc, Hist. ecclés., 1. III, c. xvu ; — Sozonirne ; Nicé-
phore, I. X, c. xxxii-xxxiii.
538 LA LÉGENDE DOREE
terrer avec soin auprès de la maison d'Hérode, dans
la crainte que ce prophète ne ressuscitât, si son chef
était enterré avec son corps. Or, du temps de Marcien,
en 453, saint Jean révéla où était sa tête à deux moines
venus à Jérusalem. Ils allèrent en toute hâte au palais
qui avait appartenu à Hérode, et trouvèrent le pré-
cieux chef enveloppé dans des sacs de poils de chèvre
provenant, je pense, des habits dont saint Jean était
revêtu dans le désert. Durant le trajet qu'ils firent pour
retourner en leur pays avec ce trésor, un potier de la
ville d'Emèse, vivant de son métier, se joig^nit à eux.
Or, tandis que cet homme portait la besace qu'on lui
avait confiée, et dans laquelle se trouvait le saint chef,
ce dont il avait été averti la nuit par saint Jean, il se
déroba de ses compagnons, et s'en vint à Emèse avec
cette relique, qu'il y garda avec respect dans un trou
profond tout le temps qu'il vécut : dès lors ses affaires
prospiVèreril exlraordinairement. Etant près de mou-
rir, il révéla son secret à sa s(i»ur en toute confiance,
cl ses héritiers en firent autant les uns aux autres.
Loiiti^temps après, saint Jean révéla à un saint moine,
nonuné Marcel, habitant la même caverne, que sa tête
s'y trouvait. Le fait se passa de la manière suivante :
Pendant son sommeil il lui semblait qu'une grande
foule s'avanrait et disait : « Voici que saint Jean-
Baptiste vient. » Il vit ensuite le saint conduit par
deuxpersonnaijes, \\\n à sa droite et l'autre à sa gau-
che. Or, tous ceux qui s'approchaient recevaient une
bénédiction. Marcel s'étant approché se prosterna à
ses pieds, mais le saint précurseur le fit lever, et le
prenant par le menton, il lui donna le baiser de paix.
LA DEGOLLATIOiN DE SAINT JEAN-BAPTISTE 539
Alors Marcel lui demanda : « Seigneur, d'où éles-vous
venu chez nous? » Saint Jean répondit : « De Sébaste. »
Quand Marcel fut éveillé, il fui fort étonné de cette
vision; mais une autre nuit qu'il dormait, quelqu'un
vint le réveiller; après quoi, il vit une étoile brillante
arrêtée sur la porte de sa petite cellule. Il se leva
et voulut la toucher, mais elle se posa ailleurs. Alors
il suivit l'étoile jusqu'à ce qu'elle se fût arrêtée à l'en-
droit où se trouvait la tête de Jean-Baptiste. Il y
fouilla, trouva une urne contenant ce saint trésor.
Quelqu'un, qui n'en croyait rien, mit la main sur l'urne,
mais à l'instant sa main se sécha et resta attachée au
vase. Alors ses compagnons s'étant mis en prières, il
put retirer sa main, mais elle resta paralysée. Or,
saint Jean lui apparut et lui dit: « Quand on déposera
mon chef dans l'église, tu toucheras l'urne et tu seras
guéri. » Il le fit, et fut guéri entièrement. Marcel rap-
porta ces événements à Julien, évêque d'Emèse. Ils
prirent la tête et la transportèrent dans la ville. A
partir de cette époque. Ton commença en cette ville
k célébrer la décollation de saint Jean au jour, où,
pensons-nous, le chef fut trouvé ou élevé, selon ce
qu'en dit VUistoire scholastique. Dans la suite on en
fit la translation à Constantinople.
D'après l'Histoire triparti te (I. IX, c. xliii), l'empe-
reur Valens ordonna que le saint chef fût mis sur un
char et transporté à Constantinople ; mais arrivé auprès
de Chalcédoine, on ne put faire avancer le char, ([uels
qu'aient été les moyens employés pour aii^uillonner et
presser les bœufs. On fut donc forcé de laisser là le
chef. Mais, dans la suite, comme Tliéodose voulait
S40 L,\ Léi;kKUK UOHIlE
, lViilever,il (iriji lavit;rg«,»iix soiiiH île laquelle 11 élait*
niiifîé, de lui i>or[iie{lre de IViiiporler. Elle y voulut
bien coniientir, (laiis la [lersuasiuii que, comme du
li-iiips de Vtticns, il ne tte laisscrail pas emporter^
Alortt le [lieux empereur enveloppa le chef dans delà
pourpre et le Irausporta à Conslaiilinople où il lui fit
hâtir la pluH belle des églises. De là, il fut peu de*
Icmps uprèif iransporté à Poitiers dans les Gaules, souaj
le règne de IVpin. Plusiirurs morts ^- furent ressusciléB,
par ses mérites. — Or, de même qu'Hérode. qui avait *
fait l'ouper la It^te à saint Jean et que Julien qui bnlls' ]
PL's os, fun^nl piiiiis, de même aussi Hérudiade,quî *
avait stiy^éiê n hii lille de demander la tète de JfEin, ,
reçut la paâitipn de son ernae, riiMi qae l« ftUe (fm
arâit hit la demande. Qudqaea-ttm (fiseot ^'Héro-
diade ne rnoonit pai en çudi oomne ette j andt été
eondamnée, mais alora qu'rile tàkait datu les maiils la
tète de aaiat Jean, elle se fit ko plaisfa^ de l'ioBalter;
or, par une permMskm de Keu, eette tèle riJe-méme
lui souffla au visage, et cette méchante femme mourut
aussitôt. C'est te récit du vulgaire ; mais ce' qui a été
rapporté plus haut, qu'elle périt misérablement en exil
avec Hérode, est aftirmé par les saints dans leurs
chroniques : et il faut s'y tenir. Quant à sa fille, elle
se promenait un jour sur une pièce d'eau gelée dont la
glace se brisa sous ses pieds, et elle fut étoulTée à
l'instant dans les eau.v. On lit cependant dans une
chronique (|u'elle fut engloutie toute vive dans la terre.
Ce qui peut s'entendi'e, comme quand on parle des
Egyptiens engloutis dans la mer Rouge, on dit avec
l'Ecriture sainte : n La terre les dévora, m
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE 54 i
IV. La translation de son doigt et la dédicace de
son église. On dit que le doigt avec lequel saint Jean
montra le Seigneur ne put être brûlé. C'est pour cela
que ce doigt fut trouvé par les moines dont il a été
parlé. Dans la suite sainte Thècle le porta au delà des
Alpes et le déposa dans une église dédiée à saint Mar-
tin*. Ceci est attesté par Jean Beleth qui dit que
sainte Thècle apporta ce doigt, qui n'avait pu être
brûlé, des pays d'outre-mer en Normandie** où elle
fit élever une église en l'honneur de saint Jean. On as-
sure que cette église fut dédiée à pareil jour. C'est ce
qui a porté le souverain Pontife à faire célébrer en ce
jour cette fête dans l'univers entier. — Dans une ville
des Gaules nommée Maurienne ***, se trouvait une
dame remplie de dévotion envers saint Jean-Baptiste;
elle priait Dieu avec les plus grandes instances pour
obtenir quelqu'une des reliques de saint Jean. Mais
comme elle voyait que ses prières n'étaient pas exau-
cées, elle prit la confiance de s'engager avec serment
à ne point manger jusqu'à ce qu'elle eût re^'u ce qu'elle
demandait.
Après avoir jeûné pendant quelques jours, elle
vit sur l'autel un pouce d'une admirable blancheur,
et elle recueillit avec joie ce don de Dieu. Trois évê-
ques étant accourus à l'église, chacun d'eux voulait
avoir une parcelle de ce pouce, quand ils furent saisis
de voir couler trois gouttes de sang sur le linge où
* Les éditions plus modernes disent saint Maxime.
•• J. Beleth dit la Mauritanie, c. cxlvh.
•** Saint-Jeau de Maurienne ainsi nommée à cause des mi-
racles de saint Jean-Baptiste.
us ^^^0 LA LÉUE.MIK DUIlÉE
41^ plÉale l> rd^œ, et Us s'estimèrenl heureux
d'flM «rbir oiitemi chïeim tuw *.
Théoicdiae, reine des Loi^enb, St éleTer et dote
i Jb^lM, prèi deH^n, wme gisnde lé^ûe en IIkhi-
wmar de hùbL Jewi-Biptiele. Dûs la fuite du temps,
f après le lémigaafB de Phnl **, Goostantin, auaà .
tien que Penpefenr CoosUnee» foolant soosiraire
nietie 4 la doninaUoD des Lombards, demanda i ua
saint faomme, doué de' Feeprit de pro|diétie» quelle
senit IlsRie de k fuerre. Celoi-d passe la miit ea
prière «t le lendemain malin, il répondît : « La reine
a bit construire nne église A anmt Jean-BapUste qm
- inlantde oos^at^eiiMnl ponr les Ltnubards, et c'est
pour'oda qa'fli ne-peavent être vaînctu. Il vioidra
cependant an temps que ce lieu sers méprisé et alors
les Lombards senwt vaineos. » Ce qui fiit acconqifi.
au temps de Charles. — H est rapporté par ssiot Gr^
goire ***, qu'un homme d'une grande aamteté, nommé
Ssnctalus, avait reçu en ta garde un dïaare pris .par
les Lombards, sous la condition qoe si ce diacre s'en-
fuyait, il sérail, lui, condamné à perdre la lète. Sano-
lulus Força tediacreà s'enfuir et à recouvrer la liberté.
Alors Sanctulus fut conduit au supplice; et pour l'exé-
cution on clioisil le bouiTeau le plus robuste qui pour-
rail, sans le moindre doute, trancher la (éle d'un seul
coup. Sanctulus avait présenté son cou et le bourreau
avait levé l'épée avec le bras de toute sa force, quand
le patient dit : « Sainl Jeun, recevez-le. m A l'înslanl,
" SaiDi GrcRoire de Tours, De gloria marlyr., 1. 1, c. xiv.
" Hiiloire det Lombai-di, I. V, c. vr.
•** Dialogues, 1. III, c. xxxvii.
SAINT FEUX ET SAINT ADAUCTE OU ADJOINT S4^
le liras du bourreau se roidit et resta immobile avec
Tépée en Tair; il fit alors le serment de ne frapper dé*
sormais plus aucun chrétien ; alors l'homme de Dieu
pria pour lui et aussitôt il put baisser le bras.
SAINT FÉLIX ET SAINT ADAUCTE
OU ADJOINT»
Félix, prêtre, et son frère, nommé aussi Félix et pré-
Ire comme lui, furent présentés à Dioclélien et à Ma-
ximien. L'aîné ayant été amené au temple de Sérapis
pour y sacrifier, souffla sur la statue qui tomba à
rinstant. Conduit ensuite à la statue de Mercure, il
souffla de la même manière et Tidole tomba aussitôt.
Traîné en troisième lieu à Timage de Diane, il en fit
autant. Il subit la torture du chevalet; il fut mené en
quatrième lieu à un arbre sacrilè;i^e, afin qu*il sacrifiât.
Alors il se mit à j^enoux, fit une prière et souffla sur
Tarbre qui fut déraciné et qui brisa eu tombant Tau-
tel et le temple. Le préfet, en ayant été informé, or-
donna qu'on le décapitât au môme endroit, et qu'on
abandonnât son corps aux loups et aux chiens. Aussi-
tôt un homme sortant dii milieu de la foule se déclara
de lui-même chrétien. Alors lesdeux confesseurs s'em-
brassèrent et furent décapités sur les lieux en même
temps. Or, les chrétiens, qui ignoraient le nom du der-
nier, l'appelèrent adjoint {Adancle) parce (ju'il s'était
* Bréviaire.
544 LA LÉGENDE DOREE
adjoint à saint Félix pour recevoir la couronne du
martyre. Les chrétiens les ensevelirent dans le trou
creusé par la chute de Tarbre, et les païens, qui vou-
lurent les en ôter, furent aussitôt saisis par le diable.
Ils pâtirent vers Tan du Seigneur 287.
SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE
Savinien et Savine étaientles enfants de Savin, per-
sonnage de grande noblesse, mais païen, qui, d'une
première femme, eut Savinien, et d'une seconde, Sa-
vine ; et il leur donna son nom à tous deux. Savinien
lisait ce verset: Asperges me, Domine, et cherchait la
signification de ces mots, sans pouvoir les compren-
dre. Alors il entra dans sa chambre, se prosterna sur
la cendre et le cilice et dit qu'il aimait mieux mourir
que de ne pas comprendre le sens de ce passage. Un
ange lui apparut et lui dit: « Ne te fais pas mourir de
chagrin, parce que lu as trouvé grâce devant Dieu.
Quand lu auras été baptisé, tu seras plus blanc que
la neige, et tu comprendras alors ce que tu cherches
à présent. » L'ange se retirant, Savinien devient joyeux,
et méprise les idoles qu'il n'honore plus ; son père lui
adressa de vifs reproches de sa conduite et lui dit :
« Mieux vaut, comme tu n'adores pas les dieux, que
tu périsses seul, que de nous envelopper tous dans ta
mort. » Savinien s'enfuit donc secrètement et vint dans
la ville de Troyes. Quand il fut arrivé auprès de la
Seine, et qu'il eut j)rié le Seigneur d'être baptisé de ses
SAINT SAVINIEN ET SAINTE SA VIN E 545
eaux ; il y reçut en effet le baptême. Alors le Seigneur
lui dit : « Tu as trouvé maintenant ce que tu as cher-
ché autrefois avec tant de labeur. » Aussitôt Savinieuf
enfonça son bâton en terre et après avoir fait* une
prière, sous les yeu;c des assistants réunis en grand
nombre, ce bâton produisit des feuilles et des fleurs,
en sorte qu'il y eut onze cent huit personnes qui cru-
rent au Seigneur. Quand l'empereur Aurélien apprit
cela, il envoya plusieurs soldats pour s'emparer de
Savinien. Or, comme ils le trouvèrent en prière, ils n'o-
sèrent s'approcher de lui. L'empereur en envoya d'au-
tres en plus grand nombre. Ils vinrent, s'unirent à ses
prières et se levèrent ensuite pour lui dire : « L'em-
pereur désire vous voir. » Le saint les suivit, mais
comme il ne voulait pas sacrifier, Auréhen lui fit lier
les mains et les pieds et ordonna de le frapper avec
des barres de fer. Savinien lui dit : « Aggrave les .tour-
ments, si tu peux. » Alors l'empereur le fit lier, au
milieu de la ville, sur un banc au-dessous duquel on
mit du bois afin de brûler le saint, puis on jeta de
rhuile dans le feu. En même temps le roi le vit debout
et priant au milieu desflammes.il fut stupéfait, tomba
sur la face et en se levant il dit à Savinien: «Méchante
bête, tu n'as pas encore assez des âmes que tu as dé-
çues ; voudrais-tu essayer de nous faire tomber dans
le piège à l'aide de ta magie. » Savinien lui répondit :
« 11 y a encore beaucoup d'âmes, et la tienne la pre-
mière que je dois faire croire au Seigneur. » Quand
Fempereur entendit cela, il en blasphéma le nom de
Dieu, et ordonna, pour le lendemain, que Savinien fût
attaché à un poteau et percé de flèches. Mais les flè-
II. X)
546 LA LÉGENDE DORÉE
ches restant suspendues en Tair à droite et à gauche,
aucune ne le blessa. Le lendemain, l'empereur le vint
^trouver et lui dit : « Où est ton Dieu ? qu'il vienne à
présent et qu'il te protège contre ces flèches. » Et à
l'instant Tune d'elles frappa le roi ^l'œilet le rendit tout
à fait aveugle. Le roi irrité fit reconduire Savinien en
prison pour être décapité le lendemain. Or, Savinien
pria d'être transporté à l'endroit où il avait été baptisé.
Alors ses chaînes se brisèrent, les portes s'ouvrirent
et il y vint en passant au milieu des soldats. A cette
nouvelle l'empereur ordonna de l'y poursuivre et de
lui couper la tête. Quand Savinien vit les soldats à sa
poursuite, il marcha sur l'eaucommesur de la pierre,
jusqu'à ce qu'il fût arrivé à l'endroit où il avait été bap-
tisé. Lors donc que les soldats eurent passé lé fleuve
comme à gué, ils eurent peur de le frapper, mais il
leur dit : « Frappez-moi avec une hache, ensuite por-
tez de mon sang à l'empereur afin qu'il recouvre la
lumière et qu'il reconnaisse la puissance de Dieu. » Il
re(;ut alors le coup, prit sa tète et la porta l'espace de
(juaranle-iieuf pas. Pour l'empereur, quand il eut tou-
ché son œil avec le sang du saint, il fut guéri aussitôt
et dit : « Il est véritablement bonet grand le Dieu des
clirétiens. » Une femme aveugle depuis quarante ans,
informée de ce miracle, se fit porter en cet endroit, et
après avoir fait une prière, elle recouvra incontinent
la vue. Or, saint Savinien souffrit vers l'an du Seigneur
279, aux calendes de février. Mais sa vie est insérée
ici afin qu'elle soit réunie à celle de sa sœur dont on
célèbre la fête principale en ce jour.
Savine, sa sceur, pleurait chaque jour le départ de
SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE 547
son frère, et suppliait pour lui les idoles. Enfin, pen-
dant son sommeil, un ange lui apparut et lui dit :
« Savine, cesse de pleurer, mais quitte tout ce que tu
possèdes et tu trouveras ton frère élevé au plus grand
honneur. » A son réveil, Savine dit à sa sœur de lait :
« Mon amie, n'as-tu rien senti ? » Celle-ci répondit :
« Oui, madame; j'ai vu un homme parlant avec toi,
mais je ne sais vraiment pas ce qu'il disait : « Tu ne
m'accuseras pas? » reprit Savine. « Tant s'en faut, ma-
dame, répondit la sœur de lait : tu peux faire tout ce
que tu veux ; seulement ne te tues pas. » Et le lendemain
elles partirent toutes deux. Le père, après l'avoir fait
chercher longtemps sans la trouver, dit en levant les
mains au ciel : « Dieu puissant, s'il en existe dans le
ciel, brise mes idoles qui n'ont pu sauver mes en-
fants. » Mais le Seigneur fit entendre son tonnerre,
brisa et réduisit toutes les idoles en morceaux. Alors
un grand nombre de témoins se convertirent à la foi.
Pour la bienheureuse Savine, elle vint à Rome, où
elle resta cinq ans, après avoir été baptisée par le pape
Eusèbe, et avoir guéri deux aveugles et deux paraly-
tiques. Un ange lui apparut pendant son sommeil, et
lui dit : « Savine, que fais-tu donc? tu as abandonné
les richesses et tu vis ici dans les délices? Lève-toi et
va dans la ville de Troyes pour y trouver ton frère. »
Savine dit alors à sa suivante : « Nous ne devons plus
habiter ici. » « OCi veux-tu aller? reprit celle-ci. Tu
vois que tout le monde te chérit, est-ce que tu veux
mourir en voyageant? » « Dieu nous gardera », répon-
dit Savine. Elle prit un pain d'orge et arriva î\ Ra-
venne. Elle se présenta à la maison d'un riche qui
LÀ LEGENDE L>On£E
picumit Ml (illc «■xpîrante, et elle y demanda l'hospi-
talili^ à uiip servante de l'hAtel (juJ lui dil : i' Madame,
comment pourras-tu loger ici, quand la Hlle de ma
itiaUrf^iHe se metirt, quand tout le monde est dans une
grande affltetrun. » i< (!e ne sera pas à cause de moi
qu'elle mourra ", r<?pondit Savine. Elle entra donc
dan.s Ih maison, et prenant la jeune HUe par la main,
elle la fit lever entièrement guérie. Comme on voulait
retenir Savine, elle ne voulut jamais y consentir. Ar-
rivée ô un mille de Troycs, elle dit à sa suivante qu'il
leur fallait prendre an peu de repos, quand un noble
personnage, nommi^ Licénus,qui venait de la ville, leur
dil : (I D'où étes-vous? n Savine lui répondit : « Je
i(iii!< d'ici, de cette ville. » <' Pourquoi mens-tu, reprit
Licérius, puiKque Ion langage indique que tu es une
étransçère ? » o Oui, seigneur, dît Savine, je suis étran-
gère et je cherclie mon frère Savînien qui est perdu
depui» longtemps. » Licérius reprit : « L'homme que
tu cherches a été décapité, il y a fort peu de temps
pour J.-C. et il est enseveli dans tel endroit. » Alors
Savine se prosterna à terre et fit cette prière : a Sei-
gneur qui m'avez toujours conservée chaste, ne per-
mettez pas que je continue à me fatiguer dans des
roules pénibles, ni que mon corps soit enlevé de ce
lieu désormais. Je vous recommande ma servante qui
a tant souffert pour moi. Faites que je mérite de voir
dans votre royaume, mon frère que je n'ai pu voir ici-
bas, n Après sa prière, elle trépassa au Seigneur. En
voyant cela, sa suivante se mit à pleurer parce qu'elle
n'avait pas le nécessaire pour l'ensevelir. Mais le
personnage dont il vient d'être question, envoya à la
SAINT LOUP 549
ville un Hérault pour qu'on vînt ensevelir une femme
étrangère en voyage. On vint et on l'ensevelit avec
honneur.
On fait encore, en ce jour, la fête de sainte Sabine,
épouse du soldat Valentin, qui ne voulant pas sacri-
fier, fut décapitée sous l'empereur Adrien.
SAINT LOUP
Saint Loup, né à Orléans de famille royale, res-
plendissait de toutes les vertus quand il fut élu arche-
vêque de Sens. 11 donnait presque tout aux pauvres,
et un jour qu'il avait invité beaucoup de personnes à
manger, il n'avait pas assez de vin pour suffire jus-
qu'au milieu du repas ; il dit alors à l'officier qui l'en
prévenait : « Je crois que Dieu, qui repaît les oiseaux,
viendra au secours de notre charité. » Et à l'instant se
présenta un messager qui annonça cent muîds de vin
à la porte. Les gens de la cour l'attaquaient vivement
d'aimer sans mesure une vierge, servante de Dieu, et
fille de son prédécesseur ; en présence de ses détrac-
teurs, il prit cette vierge et l'embrassa en disant :
« Les paroles d'autrui ne nuisent pas à celui auquel sa
propre conscience ne reproche rien. » En effet, comme
il savait que cette vierge aimait Dieu ardemment, il la
chérissait avec une intention très pure. Clotaire, roi
des Francs, entrant en Bourgogne, avait envoyé, contre
les habitants de Sens, son sénéchal qui se mit en de-
voir d'assiéger la ville, saint Loup entra dans Téglise
II. 35*
550 LA LÉGENDE DORÉE
de saint Etienne et se mit à sonner la cloche. En l'en-
tendant, les ennemis furent saisis d'une si grande
frayeur qu'ils crurent ne pouvoir échapper à la mort,
s'ils ne prenaient la fuite. Enfin après s'être rendu
maître du royaume de Bourgogne, le roi envoya un
autre sénéchal à Sens : et comme saint Loup n'était
pas venu au-devant de lui avec des présents, le séné-
chal outré le diffama auprès du roi afin que celui-ci
l'envoyât en exil. Saint Loup y brilla par sa doctrine
et par ses miracles. Pendant ce temps-là, les Sénonais
tuèrent un évèque usurpateur du siège de saint Loup
et demandèrent au roi de rappeler le saint de son exil.
Quand le roi vit revenir cet homme si mortifié. Dieu
permit qu'il fût changé, à son égard, au point de se
prosterner à ses pieds en lui demandant pardon. 11 le
combla de présents et le rétablit dans sa ville. — En
revenant par Paris, une grande foule de prisonniers
dont les cachots s'étaient ouverts et qui avaient été
délivrés de leurs fers, vint à sa rencontre. — Un di-
manche, pendant qu'il célébrait la messe, une pierre
précieuse tomba du ciel dans son saint calice, et le roi
la déposa avec ses autres reliques. — Le roi Clotaire
entendant que la cloche de Saint-Etienne avait des
sons admirablement doux, donna des ordres pour
qu'on la transportât à Paris afin de pouvoir Tentendre
plus souvent. Mais comme cela déplaisait à saint Loup,
aussitôt que la cloche eut été sortie de Sens, elle per-
dit le moelleux de ses sons. A cette nouvelle, le roi la
fit restituer à l'instant et aussitôt après elle rendit un
son qui fut entendu dans la ville d'où elle était éloi-
45^née de sept milles. C'est pourquoi saint Loup alla
SAINT LOUP 35 i
au-devant de ce qu'il regrettait d'avoir perdu et reçut
la cloche avec honneur. — Une nuit qu'il priait, le
démon lui fit ressentir une soif extraordinaire ; le saint
homme se fit apporter de l'eau froide; mais décou-
\Tant les ruses de l'ennemi, il mit son coussin sur le
vase où il renferma le diable qui se mit à hurler et à
crier pendant toute la nuit. Quand vint le matin, celui
qui avait choisi les ténèbres pour tenter le saint, s'en-
fuit tout confus en plein jour. — Une fois qu'il venait
de visiter, selon sa coutume, les églises de la ville,
en rentrant chez lui, il entendit ses clercs se disputer
parce qu'ils voulaient faire le mal avec des femmes. Il
entra alors dans l'église, pria pour eux, et à l'instant
l'aiguillon de la tentation cessa absolument de les tour-
menter : ils vinrent le trouver et lui demandèrent par-
don. Enfin après s'être rendu illustre, par une foule
de vertus, il reposa en paix, vers l'an du Seigneur 610,
du temps d'Héraclius.
TABLE DU TOME DEUXIEME
Une Vierge d'Anlioche 1
Saint Pierre, martyr 10
Saint Philippe, apôtre 33
Sainte ApoIIonie (Apolline) 35
Saint Jacques, apôtre (le Mineur) 38
L'Invention de la sainte Croix 5:2
Saint Jean, apôtre, devant la Porte Latine 67
La litanie majeure et la litanie mineure (les Rogations) 69
Saint Boni fa ce, martyr 77
L*ascension de Notre-Seigneur ... 80
Le Saint Ksprit . . 97
Saints Gordien et Kpimacjuc il7
Saints Nérée et Achillée il8
Saint Pancrace 121
Des fôtes qui tombent pendant le temps
du Pôlerina^e
Saint Urbain 124
Sainte Pélronille 126
Saint l^icrrc, exorciste et saint Marcellin 128
Saint Prime et saint Félicien 130
TABLE DU TOME DEUXIÈME 553
Saint Baroabé, apOtre i32
^int Vîtus et saint Modeste 139
^*nt Cyr et sainte Julitte, sa mère 142
^•ote Marine, vierge ou plutôt sainte Marie, vierge. . 144
^^*nt Ger\'ais et saint Protais 145
^ Nativité de saint Jean-Bapliste 150
^«*nt Jean et saint Paul 165
^^»ot Léon, pape 170
^«iot. Pierre, apôtre il±
'*^*^t Paul, apôtre 194
^^ ^ept frères qui furent les fils de sainte Félicité . . 222
^**^t« Théodore 224
*^*^t Alexis 230
*^*^ te Marguerite 230
te Praxède 241
^ *^te Marie-Magdelcine 242
^ ^^t Apollinaire 260
^ ^te Christine 264
^ ^t Jacques le Majeur 268
^ ^ ^t Christophe 283
sept dormants 291
^ nts Nazaire et Celse 298
înt Félix, pape 305
^^^ întSimplice et saint Faustin 30(>
^^inte Marthe 307
^^int Abdon et saint Sennen 313
^aint Germain, évéque 314
^«intEusèbe 321
Vies saints Macchabées . . 325
Saint Pierre ifux liens 327
Saint Etienne, pape 337
L'Invention de saint Etienne, premier martyr .... 338
Saint Dominique 316
Saint Sixte, pape 377
Îl5i LA LÉGENnE DORÉE
Saint Doaal 379
Saint Cyriai}ut> t^I ses compai^uoas ■ . . 383
Sainl Laurent, martyr 386
Saint tlippolyle cl ses rompattooDs 409
L'Assomption de lit bîcnbrureuse Vifrgc Marie . . . iiS
Saial BeraarJ 459
SaiDlTimoihée 478
Saint Symphorien 479
Saint QarlhpLemy 481
Sainl Augustin 495
La dâcollalioo de saiol Jean-Bapliste 538
Sainl Filin et saint Adnucte ou Adjoint 543
Sntol Ssvinien et sainte Savine 544
Sainl Loup 519
TOME DEUXIÈME
SOMMAIRES ANALYTIQUES
UNE VIERGE d'aNTIOCHE
Sa modestie et sa pudeur. — Résolution qu'elle prend pour
sauver sa virginité. — Elle est conduite dans un lieu de pros-
titution. — Elle se recommande à Jésus-Christ. — Un soldat
entre et propose à la vierge de changer leurs habits. — Elle
y consent. — Il ne manquera rien au sacrifice. — Elle sort du
mauvais lieu. — Un second personnage entre; sa déception.
— Le soldat est condamné à la place de la vierge. — Celle-ci
revient réclamer le martyre 1
SAINT PIERRE, MARTYR
Origine du saint. — Un de ses oncles veut le pervertir. —
Il entre dans une maison de Frères prêcheurs. — Sa pureté.
— Ses prédications. — Il commande à un nuage de s'inter-
poser entre le soleil et une assemblée. — Guérison d'un para-
lytique. — Mal de gorge disparu. -— La parole donnée à un
muet. — Il est nommé Inquisiteur par le Saint-Siège. — Son
zèle à détruire l'hérésie. — Il est tué par un hérétique. —
Conformité de sa passion avec celle de Jésus-Christ. — Mira-
cles qui suivirent sa mort; lampes qui s'allument d'clles-
mémes à son tombeau. — Mauvais propos d*uu mécréant ; mal
qui lui en advient ; sa guérison après son repentir. — Hydro-
pique guérie. — Fistule qui disparait. — Enfant rétabli après
r.b6
■
LA LÉGENDE DOR^B
1
H
>ior cbu
p. — Chu
eer détruil. -
- Son corps e
si irouv
entier
Bfirps Ha
canoûisa
ion. — Morce
u de la lunique du sa
ni pré-
serve d(-ux fois da
s un brasier.
— Mauvais pr
posde Temnies
contre c
e suint pu
nis .in^liér
ment. — Fil
nsangls
Dtc. —
Maître de grammg
i« incrédule
au miracle, sa
si parla
fièvre.
Sa gair
son. — Uateau prfserv^
- Fille noyé
ressus
ilée- —
PrédiCB
eur déliv
é de la Bi^vre
— Dame gué
ie de se
obses-
BÎons di
abdiques
— PoSSPltl^P
lu drmun dél
vrée. —
Démon
chassé <{
■une femi
ne. — tiérëlii
ue réduit au s
leacc. -
~ Relt-
gL=UM
çuërie en
faisant un p lerinage men
al BU tombeau
de BHiiit
Pierre. —
Chandelle qu
on nepeuléle
odre.—
Joueur
corrigé.
— Ssinl
Pierre prédit
son martyre.
-Unrc
liçieux
voit BOB
âme mon
1er au ciel. —
Ecolier guéri
— Hyd
opiqiK-
Kuêri d
L'n ti
10
sp,n chas
de Mars. - G
de Ions
ceux qu
e ledrago
n avait attein
s. — Ses filles
vierges
'aideul
fc la conversion des iufidéles.-
Sa morlàHiérapolis.
— Phi-
Hppe. u
u de» sept diacres, m
un à Césarèc
— Ses
quBtre
mies.
S»
tNTE APOLLONIE (apOLUME)
Supplices dilFérents des martyrs. — Marfyrede la :
-SAINT JACOUES, AI-OTRE (lE MINEUr)
Pourquoi il rsL appelé lilsd'Alphéc. — Jacques d'Alphée. —
Frère du Seigneur. — Jacques le Mineur. — Jacques le Juste.
— Ce fut lui qui célébra, le premier la messe à JëruHalem. —
Il fait vceu de ne pas manger avant d'avoir vu Jésus-Christ
ressuscité. — Sa prédication à Jérusalem. — Les Juifs vculcnl
le séduire. — Il leur résiste. —' Ils le précipitent du pinacle
[tu temple. — Il est tué. — Récit du siège de Jérusalem. — Pro-
diges qui se succèdent alors. — Comète cffrayaule. — Lumière
i|UJ éclaire le temple nu milieu de la nuil. — Génisse qui met
lias un .igne.iu. — (;hars aperçus dans les airs. — Tumulte
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES S57
dans le temple. — Gris de Jésus, fils d'Ananias. — Vespasien
elTite assiègent la ville. — Pilate envoie un messager à Home
pour se disculper du meurtre du Fils de Dieu. — Le messager
échoue sur une côte et est amené à Vespasien. — Origine du
Dom de Vespasien qui est guéri de ses vers. — Les fidèles se
retirent au delà du Jourdain. — Jonapatam défendue par José-
phe. — La ville est réduite à Textrémilé. — 11 entre en pour-
parlers avec Vespasien, auquel il annonce son élévation à
l'empire. — Tite reste seul en Judée, il a une jambe paralysée.
^ Sa guérison extraordinaire par Josèphc. — Continuation
du siège de Jérusalem. — Famine. — Une femme tue son en-
fant et le dévore. — Ruine de Jérusalem et du temple. — 97.000
juifs vendus un denier chacun. — Onze cent mille morts. —
Tite délivre Joseph d*Arimathie enfermé dans un mur et nourri
miraculeusement. — Bonté d'âme de Tite. — Les juifs essaient
en vain de reconstruire Jérusalem 38
INVENTION DE LA SAINTE CROIX
Invention de la Sainte Croix par Scth, par Salomon, par la
reine de Saba, par les Juifs, par sainte Hélène. — Scth va au
paradis terrestre^ saint Michel lui donne une branche de l'ar-
bre dont Adam avait mangé le fruit. — 11 la plante sur la
tombe d'Adam. — Salomon veut l'employer dans la construc-
tion du palais du Bois. — On ne peut le placer. — La reine
de Saba l'adore. — Il est jeté dans la piscine probatique. — De
quelles essences de bois était formée la croix. — Invention
par sainte Hélène. — Vision de Constantin. — Il remporte la
victoire. — Il se fait instruire et baptiser. — Autre récit de la
vision de Constantin d'après Ëusèbe. — Sa lutte avec Maxence.
— Après sa victoire il envoie Hélène sa mère à Jérusalem. —
Histoire d'Hélène. — Arrivée à Jérusalem elle convoque les
savants du pays. — Judas est signale comme instruit du lieu
où était cachée la croix. — On trouve trois croix. — Résur-
rection d'un mort. — Autre récit de ce qui se passa après l'in-
vention. — Fureur du démon. — Judas, baptisé sous le nom
de Cyriaque, est élu évêque de Jérusalem. — Invention des
5S8 LA LÉGENDE DORÉE
clous. — Nombre de ces clous. — Julien martyrise Cyriaque.
— Légende du notaire qui ne voulut pas renier le Christ de-
vant le diable • 52
SAINT JEAN, APOTRE, DEVANT LA PORTE LATINE
11 est jeté dans une chaudière d'huile bouillante. — Lettre
de Pilate à Tibère. — La mère de saint Jean vient à Rome et
se retire à Vétulonia où elle meurt 67
LA LITANIE MAJEURE ET LA LITANIE MINEURE
Pourquoi le nom de Litanie majeure. — Origine du « Dieu
vous bénisse! » adressé à ceux qui éternuent. — Pourquoi on
fait le signe de la croix quand on bâille. — Pourquoi le nom
de procession septiforme. — Pourquoi le nom de Croix noires.
— Litanie mineure. — Son établissement. — Rogations ;
d'où vient ce nom. — Procession. — Pourquoi on sonne les
cloches. — Pourquoi on porte la croix. — Motifs pour les-
quels on invoque les saints à ces processions. — Origine d'une
prière encore en usage le vendredi saint et entendue par
un enfant. — Enfant enlevé au ciel où il apprend un can-
tique . 69
SAINT BONIFACE, MARTYR
Boni face est envoyé par Aglaê chercher des reliques de mar-
tyrs. — Arrivé à Tarse il assiste au martyre des Chrétiens et
les encourage. — Le juge le fait saisir et martyriser. — Ses
compagnons le cherchent et obtiennent ses dépouilles du geô-
lier.— Ils le ramènent à Aglaë qui lui élève un tombeau. 77
l'ascension de NOTRE-SEIGNEUR
Explication du mystère. — Opinion du rabbin Moïse sur
l'étendue et la profondeur de chaque ciel. — Quels person-
nages accompagnèrent Jésus-Christ au ciel. — Différents
rieux 80
LE SAINT-ESPRIT
Explication du mystère. — Par qui le Saint-Esprit fut en-
voyé. — lo De combien de manières. — Postcommunion do
\
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES So9
la messe de la Penlccôte. — En quel temps le Sainl-Espril fut
envoyé. — Combien de fois. — De quelle manière. — Pour-
quoi en forme de langues de feu ? — Pourquoi en forme de
feu ? — Pourquoi en forme de langue ? — Sur qui fut-il en-
voyé ? — Par quel moyen a-t-il clé donné 97
SAINTS GORDIEN ET ÉPIMAQUE
F\écit de leur martyre Ii7
SAINTS NÉRÉE ET ACHILLEE
Les Saints exhortent Doinilille à rester vierge. — Inconvé-
nients du mariage. — Avantages de la virginité; Domitille ,
veut la conserver. — Elle est reléguée dans Tîle de Ponce avec
Nérée et Achillée qui raffermissent dans sa résolution. — Ils
sont martyrisés. — Autres martyrs. — Domitille est préservée
clans son honneur, malgré les ruses de celui qui la voulait
séduire. — Punition étrange. — Son martyre. ... ii8
SAINT PANCRACE
Pancrace à Rome où le pape Corneille le convertit. — Dio-
clétien veut le faire abjurer. — Il s'y refuse avec énergie. —
11 est décapité. — Origine de la coutume de faire jurer dans
les cas douteux sur les reliques d'un saint i21
SAINT URBAIN
Alniacliius fait chercher Urbain qui est trouvé dans un antre
par Carpasius. — Il comparait devant le Préfet. — Son mar-
tyre, — Punition de Carpasius 124
SAINTE PÉTRONILLE
Pétronillc, fille de Tapotre saint Pierre, est guérie pour ser-
vir les disciples. — Flaccus veut l'épouser. — Elle meurt. —
Fclicula sa compagne est martyrisée. — Nicodème qui Tense-
velit reçoit aussi le martyre i2G
SAINT PIERRE, EXORCISTE ET SAINT MARCELLIN
Saint Pierre guérit la fille d'Archémius, qui reçoit lui-même
le baptême. — Les Saints sont enfermés. — L^n ange lesdéli-
I
- Hu^n <'AtT*r»iM, 4c •• fesBc, de u 611e M d
K«x3n nuB ET %ujn feucie»
Actv^parks paéira in bai i(r«( tUwMjeiiar
— II ** ra CkTpw. — Uf U a SalamiDc, a« les Jaïb le Toot
•noftir. — n>'lelir4kal I3i
•km nnis cr ft*i!<i HObcnE
VilM* i ril^ ie 13 ■«• e«t lannnenté po«ir U taâ giar soa
pérc el f»r le préiiienl Valérieo. — Paaitioa île ce •lernier et
do bnarreau i)iii mdI çuérû par Viiiu, ainsi que sob p^r«.
— Modcalc, préceptear tle Vilas, le caadnît en pajs ilrtagrr.
— lU Kiot dimiitU |Hr ua aJf(te. — Oînclëtiea r>p]Mlle Vttus
|M«lr guérir aoa fiU posaédé. — ïllivde» ({ni aecompti^vcnt
Julitle
(ALVI CTft ET SAIXTE JL'LTTTE, SA HERE
imparall à Tharsc devant Alexaodre qai la Tait
A celle vue Cvr déchire le visaçe d'Alexandre, qui
■ i7i.i>n: sui' Ifs deçrés du tribu Dal. — Julilleala tète tran<
chée. — Hécil des réponses de saint Cvr el du martyre de la
mère cldu fils, d'aprrs uDeaulre légeode Hi
■. MARINE, VIERGE
m de Maria avec si
- Elle est I
filli^. — Elle reslc trois a
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 361
le petit enfant, dont elle passait pour le père. — A sa mort
on découvre que c*est une femme 144
SAINT GERVAIS ET SAINT PROTAIS
Genrais et Protais sont menés à Milan devant Néron. ^
Gervaîs dit au comte Astase que le Tout-Puissant pouvait lui
obtenir la victoire ; il est tué à coups d'escourgées. — Protais
comparait à son tour. — Sa défense. — On lui coupe la tt^te.
— Saint Ambroise découvre leurs corps par une révélation.—
Un aveugle recouvre la vue en touchant leur sépulcre. —
Hécit d'un iniracle opéré sur un possédé 145
LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Apparition de l'ange à Zacharie. — Doute de ce grand prê-
tre. — Eclaircissement au sujet des doutes élevés dans Tesprit
de certains personnages de l'ancien Testament. — Visite de
la sainte Vierge à Elisabeth. — Tressaillement de saint Jean
dans le sein de sa mère. — La sainte Vierge reçoit saint Jean
qui vient au monde. — Témoignages de sa sainteté. — D'où
saint Jean tire sa gloire. — Saint Jean l'Evangéliste meurt en
ce jour. — Deux docteurs veulent discuter sur la prééminence
de saint Jean, apôtre et de saint Jean-Baptiste. — Une vision
les en empêche. — Origine de l'hymne Ct queant laœis, —
Origine des feux d'os en ce jour. — Origine de la roue qu*on
fait tourner. — Un voleur qui veut dépouiller le tombeau de
Rocharith est frappé à la gorge i50
SAINT JEAN ET SAINT PAUL
Gallican est envoyé contre les Scythes avec promesse d'é-
pouser Constance, fille de Constantin, s'il revenait vainqueur.
— Le général prend avec lui Jean et Paul ; il est défait. —
Au milieu de la bataille Jean et Paul lui suggèrent d'avoir
recours à Dieu et la victoire revient à lui. — Gallican se con-
vertit et renonce à épouser Constance. — Julien l'apostat, par-
venu à l'empire, éloigne Gallican qui est martyrisé j\ Alexan-
II. 30
LA LiCtXDE DOBÉE
' et JulÛB, qoi (Ml forcer J«»i> et P«<il A
p*rla^«r m» ertraf». — Leur rrfs». — Us soul décapites par
l'anlK 6e Tércntiro dont le fib irricM fooêdé et <|DÎ se oi
kkun t-cir.t. rare
~ SbmI LioM pvNir «e punir J'aoe Iralatiun Ja U dwir
cmtpe ta mai»- — La sainte Vierge la lai remet (ptjrie. —
T» i U rrncuatte tTAUila iju'ane apparitioD Tarn â «urtîr
Jllalie. — Il dépose ddc lelire sur le LombeBii de ^nt E^err
qai la ri>rri|:c t^
Sca fait* el ^r»tr> tl'apr^ l'Evançile. — Sa DdarrilDre babâ-
luelle. — Sun naairepauresaDverM» larmes cod lin «elles. —
n donne «in bilun h saint Frool qai reMUscïte sun disciple. -
Fourtvrîes de Simna le Majçicîen à Jérusalem. — Lutte i
■aini Pierre arec Simon. — Siiuoo va a Rumc. — Saint Picn«
l'jr sali, sa prrdicatian suirie de succès. — Il ordonna sa
dénient. Mini Paul atrire à Home. — .\ccointance de Hét
Cl de Knon. — Les saints apfttrrs vont dévoiler à Némn les
(iniriterirs do ma^cien. — NouTelle lutte de saint Pierre d
de SîmAn par devant Néron. — Saint Pierre ressaseite on 4
jeouc h. 1 m lui- iine Sïniou u'avaii pu rend r* à la vie, — Simon
veut faire étrangler saint Pierre par un chien, Simon est
altaquê par celte bête- — SimoD veut monter au ciel. — Saint
Pierre le fait tomber. -- Saint Pierre ea prison- Sa déli-
vrance. — Saints Processus et Martiuien. — Saint Pierre veut
<]uiller Rome, J.-C. lui apparaît. — Il est condamné il être
crucifié. — Récîl du marlj-re de saint Pierre et saint Paul
par Denvs l'aréopagite. — Saint Pierre demande A être cru-
cifié la tête en bas. — Forfaits de -Nëroa. — Sg conduite envers
Sénèi|ue qu'il fait mourir. — Fin misérable des deux frères de
Sénèi[ue. — Néron fait tuer sa mère. — Il devient içros d'une
irrenouille. — Il fail briMer Rome. — Etymologie du nom de
Lntran. — Des (Irecs qui veutrut s'emparer du corps de saint
Pierre le Jclli'iit ilaii-% un putt:>. — On t'en relire. — Guérison
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 863
d'une paralytique. — Apparition de saint Pierre à Galla et à
un saint prêtre. — Discussion sur le jour et Tannée du mar-
tyre de saint Pierre et de Saint Paul ....... 172
SAINT PAUL, APOTRE
Récit de saint Hilaire au sujet de saint Paul. — Genre de
vie de Tapùtre. Sa prédication et ses miracles. — Saint Paul
ressuscite Patrocle, échanson de Néron. — Il comparait devant
Néron. — Il est condamné à avoir la tête tranchée. — Il con-
vertit trois soldats qui le menaient au supplice. — Il rec^oit la
mort en pronon<;ant le nom de Jésus-Christ. Du lait au lieu
de sang jaillit de sa blessure. — Récit de Denys Taréopagite.
— En recevant le coup il détache le voile et le rend plein de
son sang à Plantille. — Saint Paul apparaît h Néron qui dé-
livre les chrétiens. — Tête de saint Paul perdue et retrouvée.
— Eloge de saint Paul par Denys Taréopagite, et par saint
Jean Chrysostome 19i
LES SEPT FRÈRES QUI FURENT LES FILS DE SAINTE FÉLICITÉ
Après le discours de sainte Félicité à l'empereur et les
exhortations à ses fils tous sont martyrisés avec elle. — Eloge
de sainte Félicité par saint Grégoire le Grand. . , . 222
SAINTE THÉODORE
Après de longues résistances Théodore se laisse séduire. —
Ses regrets. — Elle prend les habits de son mari et s'enferme
dans un. monastère. — Elle rencontre son mari qui ne la
reconnaît pas. — Ses miracles. — Pièges que lui tend le dé-
mon. — Elle est accusée d'avoir séduit une fille et chassée du
monastère; elle nourrit l'enfant qu'on lui imputait. — Nou-
veaux pièges. — Après sept ans, elle est réintégrée avec son
prétendu fils dans le monastère. — Punition de la fille qui
avait calomnié la sainte. — Son mari vient occuper sa cel-
lule 22i
SAINT ALEXLS
Piété et bonnes œuvres des parents d'Alexis. — Education
du saint. — Son mariage. — Il quitte sa femme le jour de
fî6i LA LÉGENDE DOUÉE
ses nncrs. — Il vii lï Edessr. — Porlrail de Nolre-Seiçocur. —
II se- Tait meriHinut., — Recherches de s«s parents el leur
deuil. — Alexis reconnu comme un saini re*-ienl ù Roaif:, où il
habile inconnu d«ns ta mnÏHiin de son père. — Une voii
partie du sancluoire le f;iii découvrir au luunieni nù il vteol
de mourir. — Itcgri'lsde sespiirents. — Son inbumalion. £10
SAINTE M ARGUER lue
L.Vducalion de Margucrii»; elle se Tait baptiser. — Le
préfet OlyliriuH veut l'épouser; elle refuse. — Olybrius In fail
lorlurer. — Le diable lui apparaît dans sa prison aous la
foriue d'un dragon.— Sa discussion avec le démon. — DilTé-
ri-nr 4 supplices lut sunt inllii^és. — Elles la tèlc tranchée. 33U
SAINTS PHAXÈDE
l'HrculL-de .siiiute J'ruxêde. — Elle ensevelit le» chrétiens. Hi
SAINTE MAHtK HADEI.EI?(B
Ses bonnes œuvres. ~ — Kllc aborde A Marseille avec saints
Maxiiuicn, I^zare, Marthe, Marlelle et Cédonius, l'aveugle-aé
fiuén par le Seigneur. — Madeleine enseigne l'évangile. —
Arrivée du prince de la pruvince nvcc sa femme pour sacrifier
aux idoles. — Madeleine veut les convertir. — Madeleine
promet un enfant au prince, mayennaut i|u'il se convertisse.
— Le prince va h Home, s'assurer auprès de saint Pierre des
vérilés annoucées par Madeleine. — La mère meurt en met-
tant son enfant au monde sur un vaisseau. — On dépose te
cadavre avec l'eafani sur un rocher. — Pèlerinage du prince
h Jérusalem avec saint Pierre. — Le prince, à son retour,
passe auprès de l'Ile où il retrouve son fils encore en vie. —
Résurrection de lu mère, — Récit de la femme qui a été à
Jérusalem en compagnie de sainte Madeleine. — Leur con-
version et celle du peuple. — Madeleine se retire dans un
désert. — Elle est élevée au ciel par les auges. — Un prêtre
la découvre. — ■ Elle lui raconte sa vie. — Elle meurt. — Pré-
tendue Iranslalion de ses reliques d'Aix à Vèzelay. — Résui^
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 563
rection d'un soldat. — Uoe femme échappe aiu naufrage en
se recommandant à la sainte. — Fut-elle fiancée à saint Jean
rEvangélisteV — Un aveugle guéri. — Un prisonnier délivré.
— Un clerc corrigé 242
SAINT APOLLINAIRE
Apollinaire est envoyé prêcher TEvangile à Ravenne par
»aint Pierre. — Il est battu à coups de fouets. — 11 est chassé
de la ville après différents supplices endurés par lui géné-
reusement. — Il ressuscite la fille de Rufin. — On veut le
faire sacrifier aux idoles. Après ses refus il est tourmenté. •—
Révolte des chrétiens. — Apollinaire revient à Ravenne. —
Son martyre 260
SAINTE CHRISTINE
Elle brise les idoles de son père qui la fait jeter en prison.
— Reproches que lui adresse sa mère. — Son père lui fait
racler le corps avec des peignes de fer. — Puis elle est étendue
sur une roue. — Enfin jetée à la mer d'où les anges la
retirent. — Elle est jetée dans une chaudière bouillante. —
Elle passe trois heures dans une fournaise. — On lui coupe
les mamelles et la langue. — Elle meurt percée de trois
flèches ^ 264
SAINT JACQUES LE MAJEUR
Après avoir prêché en Judée et dans le pays de Samarie,
saint Jacques vient en Espagne. — 11 retourne en Judée. —
Hermogène et Philétus, magiciens. — Saint Jacques mené au
supplice guérit un paralytique et convertit celui qui le traî-
nait. — Il a la tête tranchée. — Translation de son corps en
Espagne. — Histoire de la reine Louve. — Saint Jacques ap-
paraît à un captif et le délivre. — Saint Jacques transporte un
pèlerin à Composlelle. — Un pendu conservé en vie par saint
Jacques. — \Sn pèlerin qui s'était tue est rendu à la vie. — Un
jeune homme que le diable avait fait suicider recouvre la
sa nié par les prières de saint Jacques. — Un voleur puni. —
II. 36'
566 LA LÉGENDE DOREE
Une tour s'abaisse pour laisser passer un prisonnier. — Cha-
rité récompensée. — Saint Jacques nourrit un pauvre pèlerin.
— Un homme toujours délivré par les mérites de saint Jac-
ques. -— Un incendiaire condamné se dévoue à saint Jacques
et ne peut être justicié. 208
SAINT CHRISTOPHE
Christophe à la recherche du plus puissant prince du monde.
— 11 se met au service du diable. — Il se fait chrétien. — Il
passe les voyageurs à travers un fleuve. — Jésus-Christ se pré-
sente à lui. — Son bâton. — Il arrive à Samos. — Il compa-
raît devant le roi. — Il est mis en prison à de dangereuses
épreuves. — Son martyre 283
LES SEPT DORMANTS
Pendant la persécution de Dèce sept chrétiens se cachent
dans une caverne et s*y endorment. — Ils sont découverts. 291
SAINTS NAZAIRE ET CELSE
Nazaire à l'exemple <de sa mère se fait baptiser. — Il quitte
Home et va à Milan. — De là à Genève où une dame lui confie
Celse, son fils. — Il comparaît avec Celse devant Néron. —
Ils sout précipités dans la mer, mais sauvés. — Ils sont dé-
capités à Rome 298
Saint félix, pape
Félix élu pape à la place de Libère. — Il condamne Constance
empereur arien hérétique. — Son martyre ..... 305
SAINT SIMPLICE ET SAINT FAUSTIN
Ils refusent de sacrifier aux idoles. — Ils sont décapités. —
Leur sœur les ensevelit honorablement. - Elle est étranglée
par ordre de Lucrétius. — Châtiment qui lui est réservée. 30(>
SAINTE MARTHE
Marthe accompagnée de son frère, de sa sœur et d'autres est
placée sur un navire sans agrès et aborde à Marseille. — Lé-
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 567
gendc de la Tarasque, ce que c'était que ce monstre, d'où il
était venu. — Elle s'adjoint des compagnes pour vivre en com-
munauté. — Elle ressuscite un jeune homme qui s'était noyé
pour venu* l'entendre. — On prétend que Marthe est l'hémor-
rhoïsse efuérie par Jésus-Christ. — Statue du Sauveur. Vertus
des plantes qui croissent au pied de l'image. — Sa mort ac-
compajçnée de circonstances miraculeuses. — Chandelles
allumées auprès de la mourante 307
SAINT ABDON ET SAINT SENNEN
Abdon et Sennen accusés d'ensevelir les Chrétiens sont traî-
nés à Rome. — Leur supplice 313
SAINT GERMAIN, ÉVÊQUE
Sa naissance, son éducation ; il est fait gouverneur de la
Bourgogne. — Sa vanité comme chasseur. Il est élu évéque
d'Auxcrre. — Ses austérités. — Il découvre les ruses du dé-
mon. — Saint Loup et Attila. — Saint Germain et saint Loup
vont évangéliser les îles britanniques. , — Saint Germain est
préservé dans un incendie. — Il rend la vie à un veau qu'un
pauvre avait préparé pour lui donner à manger. — Victoire
alléluiatique. — Honneurs que lui rend l'impératrice Placidic.
— Il rend la vie à son Ame. — Il consacre après sa mort l'église
de Verccil 314
SAINT EUSÈBE
Saint Eusèbe est gardé par les Anges. — Il entre à Verceil
malgré les ariens. — Erreur d'Arius ; sa mort. — Eusèbe va
combattre les Ariens ta Milan. Miracle de la barque. — Les
Ariens le torturent. — Il est lapidé 321
LES SAINTS MACCHABÉES
Pourquoi l'Eglise ne célèbre pas les fêles des saints de l'an-
cienne loi 325
SAINT PIERRE AUX LIENS
Motifs pour lesquels cette fête a été instituée. — Hérode
encourt TindisTnation de Tibère. — Sa mort lui est prédite. —
5(18 LA LÉfiKSDE UOHÉK
11 psl élevé ù la digniliî royale par Cn'ius. — Il rnil emprison-
ner saint Pierre qui est délivré pur un nnge. — Mort .l'Hërotli*.
— Le pape Alexandre recouvre les chaînes ilc sninl Pierre. —
Il institue la fèlc. — Autre orig-ine de cette T^te d'après Bède
et Si^liert. — Fêle célt^hrée à Home en mémoire de la <
toim remportée par Aui|;ub1(^ sur Antoine. — Eudoxie recouvra
les chaînes de saint Pierrt? b Ji-'rusiilen]. — I<«s chaînes de Ji-
rnsHlcni et de itnme se réiiiiissRnt. — Puissance des ctaninea
de saint l'ierre sur un possédé. — l'n anneau de 1b chaîne
est donné li un ^véqup de Meti. — Drus;on tué par Uonnl en
Bpirc. — Le diable apparaît en Crète snus la liçure de Ma
pour se ven^r des Juifs. — Un moine délivré au jugem
de Dieu par les prières de la sainte Vierçv et de sa
Pierre 3i7
SuLut Klicnoe fail écrouler le leuipte de Murs. — V'isii
dans lesquellea Ganialîel découvre au prèlre Lucien, ai
comment il trouvcrn les curpa des saints. — Translation dea
reliques de saint Etienne k Constantinople. — Réunion
ossements de saint Etienne avec ceux de saint Laurent. — Saio)
Augustin rapporte la résurreciion de six morts, due k aatnt
Etienne. — Paroles de saint AuRuslin en l'bonncur de saint
Etienne 337
Présages qui précèdent cl suivent la naissance de Domi-
nique. — Sa piété- — Papier qui ne brùIe pas dans le feu, —
Saint Dominique prèclie les hérétiques qui lui lendenl des
embûches. — Il veut se vendre pour racheter des captifs. —
Il va £i Rome pour faire approuver l'ordrequ'il veut instituer.
— Vision du pape. — Vision du saint. — Vision d'un moine.
— Rencontre de saint Dominique et de saint François. — Un
novice reste au couvent après avoir voulu en sortir. — Déli-
vrance d'un possédé. — Un pêcheur ramène les livres du saint
intacts du fond de l'eau. — Saint Dominique entre dans un
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 569
mouaslcre et dans une église les portes fermées. — Un écolier
préservé du péché de la chair en baisant la main de saint
Dominique. — Des personnages éminents s'unissent à lui. —
Il rend la vie avec la santé à deux personnes tuées par acci-
dent. — Don des langues communiqué. — Il convertit des
femmes séduites par les hérétiques en leur faisant voir le dia-
ble sous la forme d'un chien hideux. — Il sauve Raymond
du supplice. — Tentation de plusieurs frères surmontée. — Il
prédit sa mort. — Son caractère, sa piété, ses mortifications.
— Il refuse Tépiscopat. — Apparition du démon. — Sa mort
découverte à plusieurs frères absents. — Miracles opérés à
l'élévation de son corps. — Résurrection d'un enfant au tom-
beau du saint. — Un noyé rendu à la vie. — Autres miracles.
— Femme punie pour avoir insulté des personnes célébrant
la fête de saint Dominique. — Vision de la justice, de la vé-
rité et de la miséricorde 346
SAINT SIXTE, PAPE
Saint Sixte refuse de sacrifier. — Rencontre de saint Sixte
et de saint Laurent. — Usage de célébrer avec du vin nouveau
au jour de la transfiguration. — Pourquoi on célèbre en ce
jour la mémoire de la transfiguration 377
SAINT DONAT
Saint Donat s'enfuit à Arezzo après le meurtre de ses pa-
rents par l'empereur Julien. — II délivre un possédé. — Une
femme enterrée révèle l'endroit où a été déposée une somme
d'argent. — Un calice brisé et rétabli à l'exception d'un mor-
ceau. — Il tue un dragon qui infectait une fontaine. — Fon-
taine miraculeuse. — Il délivre du démon la fille de Théodose.
— Par son entremise un mort prouve qu'il a payé une dette.
— Pluie miraculeuse. — Martyre du saint 379
SAINT CYRIAQUE ET SES COMPAGNONS
(lyriaque est condamné à creuser la terre. — Conversion
d'Apronanius et son martyre. — Cyriaijuo délivre du démon
L.A LÉGKNQE DOHÉE
U lillf de Dicicli'liPLi
(ms-iiMi'c pnr le Jpii
S*I.1T LAURENT, HAATïn
Sainl Laurent esl-il venu d'Espagne avec saint Vinceol. —
PhUiji]W, le premier empereur chrélîca, l'an 1000 de In fonda-
linii de Home, est lue par Dèce. — Dèccpcrsccule les chrétiens.
— Martyre de sainl Sixle qui est rencontre par saint Laurent,
— Saint Laurent distribue aux pauvres les trésors de ré([Iise.
— I.Durent est nm^lé. — Eo prison il rend Is vue à un nveu-
ttle pnr le baptême. — 11 eonverlit Hipjiolyle. — U pirsenle
li?s pRuvres comme les trésors de l'Eglise. -> U est Trappe h
coups de scorpions. — Il est ëlcndu sur îm gril de fer. — Sa
uiorl, — Discussion sur l'époque du mnrlyre de soini Laurcnl,
— Une religieuse coupée en deux en punition de son inlem-
pv'mncc de langue. — Poutre allongée. — Mutliplicalion d'uD
puin. — Juge traîné au tribunal de Dieu et renvoyé sur la.
terre pour faire pénitence. — Stiinle Cuncgonde se justifie
auprès de saînl Henri qui la soupçonnait d'adultère. — Eloge
de Hjiul Laurent d'après tes Pères de l'Eglise .... 386
Sainl llippolylc après son baptême est saisi par l'ordre de
Déce. — 11 est fouetté et déchiré avec des peignes de fer. —
Concordia, nourrice d'Hippoljrlc, rei;oil le martyre. — Ses
gens sont décapités; il est Iratné par des chevaux indomptés
et meurt, — Comment on découvrit le corps de Concordia jeté
dnns un cloaque. — Punition de Dèce et de Valérien, — La
femme de Dèce est touchée et se convertit h la foi. — Martyre
d'autres chrétiens par l'ordre de Claude 409
altribui
e l'assomption de N.-D. d'après
i saint Jean l'Evangéliste. —
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 571
Un ange apporte à la sainte Vierge une branche de palmier.
— Promesse de Vange que les apôtres assisteront aux funé-
railles de la mère de Dieu. — Une nuée dépose saint Jean
devant la maison de Marie. — Précautions suggérées à saint
Jean par Marie. — Les apôtres amenés à la porte de la sainte
Vierge. — La sainte Vierge reçoit les apôtres. Arrivée de
J.-C. avec les chœurs célestes. Ses paroles à sa sainte Mère.
— L*âme de Marie s'envole dans les bras de son Fils. — Ra-
vissement des esprits bienheureux en voyant Marie entrer au
ciel. — Funérailles de Marie. — Les Juifs irrités. — Le prince
des prêtres veut renverser le lit funèbre, sa main y reste atta-
chée. — Il obtient sa guérison. — Apparition de J.-C. aux
apôtres le troisième jour. — Thomas absent et encore incré-
dule. — Tunique de la sainte Vierge conservée à Chartres.
Prodiges qu'elle opère. — Révélation faite à sainte Elisabeth.
— Age de la sainte Vierge. — Caractères de Tassomption de
Marie. — Légende du soldat dissipateur. — Enfant d'un Juif
jeté dans une fournaise par son père et protégé parla Madone.
— Diables qui portent aux enfers l'âme d'Ebroïn et qui
veulent se saisir de moines déréglés; la Vierge les protège.
— Moine dissolu, mais dév^ot à la sainte Vierge. — Femme
tourmentée par le démon et délivrée.
Du Mode de VAnomption de la Sainte Vierge Marie,
Récit de Côme Vestitor. — L'impératrice Pulchérie s'adresse
aux évêques de la Palestine pour obtenir le corps de la sainte
Vierge. — Vêtements et suaire laissés seuls dans le tombeau
et envoyés à Constantinople. — Récit de saint Jean Damascène.
— Sentiment de saint Augustin sur l'Assomption . . 415
SAINT BERNARD
Parents et naissance de saint Bernard. — Songe de sa mère
au moment où elle le portait dans son sein. - — Saint Bernard
apprend l'heure à laquelle J.-C. est venu au monde. — Pièges
tendus à la vertu de saint Bernard. — Il entre à Cîleaux, —
S72 LA I.iu<il!?<UE UOHtË
Belle n-JiuriKC rie Nivard, son rrèri-. — U foiiilp Clainaux. —
Ses austi^ritïS. — Il rcsoîl et convrriil s» sn-iir lic sa monda-
nité. — tl eol ravi devant le Iribuuiil lie Diru ; aceuaalion <lu
démon. Ré|>i)U8e du sainl. — Le moine joueur. — Pn^sau qui
ae peut réciler un /"o/f sana dislrsclion. — Saïol Hernanl
obitcul \v reiDur d'un parent à Clalrvaux. — [I exeoiBntunJs
les mnucbcs qui meurent aussitôt. — II délivre une femme
{mssédée. IubuIipb ilu déniun. — Autre possédée délivrée. —
il abat 1» tierlé du due d'Aquilaine. — Il obtient lu eonversion
de plusieurs étudinnts. — Trois recommandations [[u'il fait
avant de mourir. — Il manifeste sa (|;loire après ss mort. Vi9
SAINT TIMIVrilÉB
BAIKT STUPIIOnlGII
Il e!ii Uitiu l'I jeté on prison. — Paroles d'r n courage me a |
que lui ;i>lre-t«e s» mérc nlors qu'il nllnii être exécute. 179
SAINT HAItTllÉl.EMY
Ssiat ll«i-lhélemy dans rinde. — Se» prédications. — Pi.r-
Irait du saint. — Conversion du roi Poicmius et guérîson de
M fille lunatitiue. — Il consacre k Dieu un temple d'idoles. —
Les pontifes des idoles irrilenl contre l'aptitre le frère du rr)i.
— Il est écorché vif. — Ses reliques i Lipari. — Femme qui
ne peut verser son huile dans la lampe du saint. — Mort mi-
sérable de l'empereur Frédéric pour avoir rasé les églises de
Bénéveat. — Docteur préservé d'une violente tentation par
saint Bartbélcmy. — Parallèle entre saint Pierre et saint
Barthélémy 481
saint Augustin. — Son éducation. — Il tombe
'isme. — Chagrin et pleurs de sainte Monique,
ieiit ù Milan. — Ses angoisses. — Sa conver-
guéri d'un violent mal de dents. — Il se fait
n tils et Alypc. — Il renonce nu monde. — Il
1
TOME II, SOMMAIRES ANALYTIQUES 573
est ordonné prêtre à Hippone où il vît en communauté. — Ses
prédications. — Il est promu à Tépiscopat. — Sa tempérance.
— Ses confessions. — Animosité des hérétiques contre lui. —
Sa prudence par rapport aux personnes du sexe. — A quelle
occasion il composa son ouvrage de la Cité de Dieu, — Sa ma-
ladie. — Il guérit un malade. — Possédés délivrés. — Sa mort.
— Son éloge d'après les saints Pères. — Translation de son
corps à Pavie ; miracles opérés. — Mort d*un moine fort dévot
à saint Augustin. — Saint Augustin voit dans un livre du
Démon qu'il a oublié un jour de réciter les Complies. — Une
femme le voit en extase. — Autres miracles .... 495
LA DÉCOLLATION DE SAINT JEAN-BAPTISTE
Saint Jean a la tête tranchée. — Miracle rapporté par saint
Augustin. — Punition d*Hérode. — Les ossements du saint
brûlés. — Légende de Julien l'apostat. — Invention du chef
de saint Jean. — Punition d'Hérodiade 528
SAINT FÉLIX ET SAINT ADEUGTE OU ADJOINT
Félix renverse d'un souffle les idoles. — Son martyre. —
Un chrétien s'adjoint à lui • 543
SAINT SAVINIEN ET SAINTE SAVINE
Un ange apparaît à Savinien. — Il est baptisé. — Son bâton
fiché en terre produit des feuilles et des fruits. — L'empereur
le mande et le condamne à être percé de flèches. — Il a la
tête tranchée. — Savine à la recherche de son frère. — Elle
arrive à Troyjcs. — Sa mort 544
SAINT LOUP
Saint Loup est élu archevêque de Sens. — Il confond ses
calomniateurs singulièrement. — Il met les ennemis en fuite
en sonnant une cloche. — La cloche perd son harmonie quand
on l'enlève de l'église de Saint-Etienne. — Sa mort. . 549
. épQUÂRD ROUVEYRB, Éditeur, rue de Seine, 76, A Plis
(LECENDA AUREA)
LÉGENDE DORÉE
de
JAOQUEB DE VORAQINE
Nouvallement traduite en français, avec Notices, Notes
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Prix : 80 francs
MÉMOIRES DE FLEURY DE CHABOULON
Ex-Sccciitaice de l'Empereur Napolcon et de son Cabinet
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Manuscrits inédits de I
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