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Full text of "L'alliance anglo-yankee-japonaise, maitresse de l'Indo-Chine"

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Henri MOREAU 



L'ALLIANCE 



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Librairie A. CHARLES, 8, rue Monsieur-le-Prince 

1904 
(Tous droits déposés) 



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L'ALLIANCE 

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MAITRESSE 



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L'INDO-CHINE 



L'auteur et les éditeurs déclarent réserver 
leurs droits de reproduction et de traduction 
en France et dans tous les pays étrang-ers y 
compris la Suède et la Norvège. 

Cette brochure a été déposée au Ministère 
de l'Intérieur (section de la librairie) en 
Mars 190i. 



OUVRAGES DU MÊME AUTEUR 



La Fédération Anglo-Saxonne. 

Publié à Montréal 



La Fédération Ibero-Américaine, 

Publié à Mexico 



Sir Wilfrid Laurier. 

PREMIER MINISTRE DE CANADA 
Chez Pion à Paris 3 fr. 5C 



POUR PARAITRE PROCHAINEMENT 

Les 
Elections Municipales et le Gaz Américi 

Le Bloc Yankee. 



EN PRÉPARATION 

Figures Poitevines. 
Brest et l'Amérique. 



t- 



AUX LECTEURS 



Ceci n'est pas une plaidoirie historique tendancieuse, 
c'est la mise au point d'une question intéressant au premier 
chef tous les français ayant également scellés au cœur l'hon- 
neur de la France et l'avenir de la Plus Grande France. 

Cette assertion d'une Triplice vivace de rêve et d'ambi- 
tion, ostensiblement dirigée contre l'Europe Continentale 
et bientôt maîtresse de l'Indo-Chine est grave, mais pour 
grave qu'elle soit, la digression explicative qu'elle appelle 
ne saurait être longue. Cette Triplice anglo-yankee-japo- 
naise^ on la pressent dans les récits de l'histoire récente, on 
la voit s'estomper dans le spectacle des événements de 
l'heure présente. Elle était hier dans le domaine des prévi- 
sions, elle est aujourd'hui dans le domaine des faits, elle 
sera demain dans le domaine des actes. L'exercice d'un droit 
m'autorise à en rappeler le sens ainsi qu'à en dégager le 
caractère. L'exécution d'un devoir m'oblige à la fixer avec 
précision devant l'opinion publique. 

Lorsque l'on apprécie sa puissance combative, lorsque 
l'on considère la pression de sa constante hostilité, on aime 
à se rattacher à l'espérance que l'urgence même du péril 
qu'elle implique a promptement soudé Paris, St-Pétersbourg, 
Vienne et Berlin dans une immédiate et commune défensive. 
C'est dire que l'union européenne est l'impérieuse nécessité du 
jour; c'est comprendre, que demain, peut-être, l'Europe 
doit se tenir prête à jeter au besoin dans l'arène le poids de 
ses décisions, de son influence et de son épée. 

Henri Moreau. 
Pi^Hs, le i®^ mars igo4. 



1uNIVER51Ty\ 



PRÉFACE 



Lorsque Ton cherche à surprendre le secret des grandes 
évolutions internationales, est-il suffisant d'analyser scrupuleu- 
sement les éléments tangibles de chaque problème mondial, d'en 
peser avec une attention soutenue le pour et le contre, le fort et 
le faible, d'en contrôler avec perspicacité les tenants et les 
aboutissants. 

Certes, non. Quelque sérieux qu'il puisse être, ce travail ne 
suffit pas. 

Discerner avec exactitude le jeu complexe des intérêts d'une 
nation, nécessite de longs séjours parmi le peuple dont on 
s'essaie à diagnostiquer les desseins. Faute de ce faire, on en 
est réduit à juger d'après les lunettes d'autrui, avec la perspec- 
tive de n'infuser aucun sang nouveau à des appréciations parfois 
contestables et souvent contestées.. On en épouse nécessairement 
les erreurs et l'on se trouve, du même coup, condamné à ne 
disposer d'aucune autorité, à n'aboutir à aucune consécration. 

Elle fleurit néanmoins en France cette coterie de diplomates, 
qui arguent, supputent, rédigent, déclament et conférencient au 
hasard d'une luxuriante inspiration également éloquente et 
fantaisiste. 

Ils sont nombreux en France, ils sont légion à Paris, ces 
architectes en combinaisons diplomatiques, qui, sans avoir jamais 
quitté le sol de la Ville Lumière, tranchent d'une voix majes- 
tueuse des problèmes internationaux qu'ils ignorent de bout en 
bout. 

Dans son rapport sur le budget des Affaires Etrangères, 
M. F. de Pressensé critique bien à i)ropos cette nation française, 
qui en matière de politique extcrieure ne demande pas à sa 
presse^ l'abondance des i7iforinatio7is , la rigîcetùr de la critique,., 
la liaison fnêîne des idées. 

Mais à côté de ces patients et bénévoles vivisecteurs en 
diplomatie, prend place un groupe dont les manifestations abso- 



— Ô — 

lument vaines au point de vue matériel, sont des plus dange- 
reuses au point de vue moral ; nous le voyons représenté par 
des éléments dont le patriotisme est le moindre défaut et le 
patrimoine national le dernier des soucîs. 

Cette école, qui s*est faite Tâme d'une véritable conspiration 
contre les intérêts coloniaux de notre patrie, obéit en toute 
évidence à un mot d'ordre de politique obscure, dont il serait 
inutile de chercher le secret en deçà des frontières françaises. 

Elle nous fait entendre une gamme dont il est aisé de démon- 
trer Tinanité, mais qui se réclame d'un objectif entre tous 
alléchant : le désarmement. 

Le désarmement : stérile rêverie d'un parti tout imbu de pas- 
torales et de billevesées, et^ dont les élucubrations marquées au 
coin d'une éloquence de mauvais aloi, exploitent consciemment 
la crédulité nationale. 

« Le bon sens, a dit Guizot, c'est le génie de l'humanité, 
malheureusement, il ne régit pas en matière de politique exté- 
rieure, le plus crédule et le plus sentimental de tous les peuples I 
le peuple français. » 

Peuple assez étrange, tout feu ou tout découragement, peu 
apte à poursuivre assidûment un dessein de longue haleine, peu 
enclin à la patience persévétante, mais peuple philanthrope et 
plein d'illusions dans ses magnifiques projets pour le bonheur 
de l'humanité. 

N'a-t-il pas en moins d'un siècle et demi, aimé d'amour tendre 
et souvent enthousiaste, à peu près toute la lyre humaine. N'a-t-il 
pas tenté de délivrer la Pologne . N'a-t-il pas^ poussant l'huma- 
nitarisme jusqu'aux limites les plus extravagantes, créé les Etats- 
Unis au prix de son or et de son sang. Les Grecs, les Turcs, les 
Italiens, n'ont-ils pas tour à tour joui et bénéficié de ses effusions. 

Avons-nous jamais faibli dans cette mission de proclamer sans 
relâche les droits des peuples. Toujours opiniâtres champions des 
faibles, de quel prix avons-nous payé ces diverses tentatives. 

Au prix de suspicions, de jalousies et de craintes que nous 
trouvons encore vivaces^ et qui sont la plus grande difficulté de 
notre politique. 

Ce sont là rêveries suprêmement dangereuses, qui expliquent 
la popularité du peuple français, mais qui lui ont valu plus d'un 
mécompte, plus d'une humiliation, plus d'un désastre, qu'il se 



— 7 — 

fut certainement épargné avec moins d'émotion, moins de fan- 
taisie, et avec un peu plus de réflexion. 

C*est grâce à cette traditionnelle exaltation si bien accli- 
matée sous notre beau ciel, que nous avons failli toucher le fond 
de l'abîme. 

Force nous est donc d'affirmer que ces tirades sophistiques 
où la raison cède le trône à Timagination, où Tutopie, souvent 
outrancière^ triomphe de l'expérience, font œuvre malsaine ; que 
cette dextérité oratoire, qui trempe son pinceau dans les eaux 
troubles de l'internationalisme, est un gaz délétère. 

L'utopie, comme l'ambition, a ses hallucinations et ses dé- 
mences. Elle a, de même, ses châteaux en Espagne, que de très 
hautes influences socialistes se plaisent à construire. 

Mais, dame réalité abhorre ces fragiles échafaudages pompeu- 
sement édifiés en l'honneur de la solidarité internationale. 

Elle a, contre ses protagonistes de l'irréalisable, des rébellions 
irréductibles, et, dans ses bonds puissants, emporte, comme des 
fétus, les fantômes d'idées et les sonorités bruyantes de ces fabri- 
cants de chimères, lamentablement sourds aux grandes crises 
qui transforment le monde selon l'inexorable loi du Temps. 

L'écho nous apporte sans répit maints discours saturés d'élo- 
quence et combien suggestifs, où les grands prêtres de l'amour 
universel et les quelques panneaux décoratifs qui leur servent de 
satellites, se complaisent à ignorer les traditions de notre poli- 
tique extérieure et à faire sciemment fi des liens qui unissent la 
France d'Europe à la France d'Asie. 

Rien de plus hilarant que les perspectives de ce parti en 
proie au plus néfaste aveuglement. — « Qui terre a, guerre a! » 
lui sert de refrain obligé, et son grand premier rôle^ orateur 
d'abondance^ compose, à ses moments perdus, la marche funèbre 
qu'il lui plairait d'entendre résonner aux funérailles — qu'il 
espère prochaines — de notre Empire Colonial. 

On feint d'ignorer, au sein de ce groupe encenseur de l'âme 
agrandie, qu'une aussi indécente propagande n'est pas loin de 
ressembler à une coupable complaisance et qu'il n'y a qu'un pas 
de la complaisance à la complicité. 

Elles sont incessantes les sornettes de ces gens qui préconi- 
sent l'amour des noirs, l'alliance des jaunes, l'affection des Anglo- 
Saxons. 

Leur esprit, exempt de toute inquiétude, ne voit dans les 



français ayant également scellé au cœur l'honneur de la France 
et l'avenir de la Plus Grande France. 

Cette assertion d'une Triplice vivace de sève et d'ambition, 
ostensiblement dirigée contre l'Europe Continentale et bientôt 
maîtresse de l'Indo-Chine, est grave, mais pour grave qu'elle soit, 
la digression explicative qu'elle appelle ne saurait être longue. 
Cette Triplice anglo-yankee-japonaise, on la pressent dans les 
récits de l'histoire récente, on la voit s'estomper dans le spectacle 
des événements contemporains. Elle était hier dans le domaine 
des prévisions, elle est aujourd'hui dans le domaine des faits, elle 
sera demain dans le domaine des actes. 

L'exercice d'un droit m'autorise à en rappeler le sens ainsi 
qu'à en dégager le caractère. L'exécution d'un devoir m'oblige à 
la fixer avec précision devant l'opinion publique. 

Et ce, d'autant plus que sur le rapport de la défense maritime 
de ses colonies, la France est une fois de plus conduite dans 
l'arène les yeux fermés, abusée jusqu'au dernier moment par un 
clan de — Non Responsables — qu'on ne saurait flétrir trop éner- 
gîquement (i). 



(1) Il est impossible de prendre connaissance, sans une profonde émotion 
du résumé des dépositions — autant de témoig-nag-es accablants — de hautes 
personnalités, devint la Commission du Budget. 

JDe M, Etienne, — Il faut reconnaître qu'en Indo-Chine nous sommes loin 

de pouvoir résister à une attaque sérieuse En Indo-Chine, où la défense 

mobile est de toute nécessité, pas une unité n'a été expédiée. Sous le coup 
des événements qui viennent de se proAiire, le ministère vient de donner des 
ordres pour Tenvoî de torpilleurs et de contre-torpilleurs. D'une façon géné- 
rale, la défense de nos colonies est insuffisante et lamentable. Il n'est que 
temps d'aviser et de regagner, s'il est possible et si les événements le permet- 
tent, le temps perdu. 

De M, Chaumet, — Relativement à la situation de l'escadre d'Extrême- 
Orient, M. Chaumet expose les mesures prises par M. de Lanessan, pour 
accroître nos forces navales dans les mers orientales et indique que M. Pelle- 
tan rapporta les mesures qui avaient été prises en conformité des décisions du 
Conseil supérieur de la Marine. Ce Conseil, d'ailleurs, M. Pelletan a toujours 
négligé de le consulter. 

De M. Lockroy, — On a désorganisé systématiquement nos forces navales. 
Tous nos bons officiers cherchent à s'évader de la marine et à fuir les injus- 
tices dont ils sont l'objet. Nous sommes à la veille d'événements graves, et 
voilà deux ans que nous n'avons pas un chef d'état-major. 

Quel réquisitoire bien propre à frapper d'une cruelle inquiétude, le patrio- 
tisme de toute âme française. 



- 10 - 

Exposée à une puissante attaque maritime menacée d'être 
envahie par le Siam et TAngleterre, sujette à être prise en écharpe 
paf la pesante masse chinoise, Tlndo-Chine subit l'anxiété de sa 
situation et sent le terrain se dérober sous ses pas. 

Nous percevons son investissement par les escadres combinées 
de l'Angleterre, des Etats-Unis et du Japon. Nous prévoyons sa 
capture. Nous évoquons avec insistance ce désastre qui menace 
la France Asiatique et Dieu fasse que nous ne prêchions point 
dans le désert. 

Elles sont notoires, l'inertie, la routine l'imprévoyance de 
ceux — Non Responsables — qui ayant charge d'assurer la défense 
navale de l'Indo-Chine, s'obstinent dans l'ornière de l'insouciance. 

Il n'est pas possible de se jouer plus cavalièrement des plus 
graves responsabilités. 

Les intrigues se croisent multiples autour de l'Indo-Chine, 
sans que ces gens, fermés aux hautes conceptions qui savent éga- 
lement prévoir et agir, se donnent la peine d'en démêler les mys- 
tères et les complications. 

Et s'il n'est pas suffisant de leur faire entendre un dramatique 
avertissement^ souhaitons pour l'honneur de la France asiatique 
qu'un verdict de déchéance les cloue au plus tôt, et sans espoir 
de réhabilitation, au pilori de l'opinion nationale. « 

Comment alors sauver l'Indo-Chine, si ce n'est par l'union de 
l'Europe Continentale qui devant la prépondérance anglo-saxonne 
ressent déjà le besoin de se concentrer dans un gigantesque effort 
de défense. 

SeUl^ l'accord européen, normalement résolu, peut garantir le 
domaine colonial du vieux Monde contre cette coalition qui menace 
d'enserrer le globe dans ses puissantes tentacules ; je veux en ce 
moment parler de Taccord offensif et défensif de l'Angleterre, des 
Etats-Unis et du Japon, 

C'est une question d'actualité brûlante que l'alliance Anglo- 
Yai k^e japonaise. 

Qui donc en France semble s'en SDucier.^ 

Qui donc en discute? 

Qui donc en France a pris conscience de cette épée de Damo- 
clès suspendue sur notre Empire Indo-Chinois? 

Si j'excepte quelques hautes personnalités, expérimentées et 



— 11 — / 

clairvoyantes, qui^ chemin faisant, sèment leurs avertissements 
de vues justes et pénétrantes, le silence est sur ce point presque 
complet. 

Les réputations consacrées ou qui travaillent à l'être vatici- 
nent en d'autres domaines. 

Il parle d'or, M. F. de Pressensé, lorsqu'il ouvre son rapport 
sur le budget des Affaires Etrangères, en ces termes : 

II y a longtemps que Ton a constaté Tespèce d'indifférence avec 
laquelle le Parlement français envisage les questions de politique exté- 
rieure. Dans cette attitude il ne reflète que trop exactement l'état d'âme 
d'un pays à qui de cruelles et nombreuses leçons n'ont pas réussi à 
apprendre l'intérêt capital de ces problèmes. 

Et pourtant, s'écrie M. Etienne, au banquet du Comité de 
l'Asie Française : 

L'heure est venue pour la France d'avoir une politique asiatique 
certaine, consciente d'elle-même. La crise Chinoise ne fait que s'ouvrir... 
et dans ce cas il importe à la puissance maîtresse de l'Indo-Chine, de 
savoir clairement et d'avance ce dont elle doit s'assurer pour garantir 
les approches de sa colonie. 

On pourrait tout aussi justement dire que cette heure décisive 
est également venue pour l'Europe Continentale. 

Toutes les nations évoluant sur les mers, ont jusqu'à ce jour, 
rencontré l'Angleterre invariablement prête à leur barrer le 
chemin. Ont-elles jamais eu raison de se féliciter de cette 
rencontre ? 

Certainement non. 

Elles auront dorénavant devant elles, non plus l'Angleterre 
seule, mais de plus les Etats-Unis et le Japon ; triple collectivité 
représentative de trois continents. 

La Triplice Intercontinentale. 

Une alliance Anglo- Yankee-Japonaise , voilà qui sonnera 
d'étrange façon au milieu des idées actuellement en cours. 

Hypothèse chimérique que cette nouvelle manière d'envisager 
le thème des relations internationales susurreront les graves 
esprits et les solennels conférenciers. 

Hypothèse chimérique encore que ce blocus de l'Indo-Chîne 
par les adversaires de l'Europe Continentale. 

N'en déplaise à qies contradicteurs, c'est pourtant cette hypo- 
thèse que l'ardente ambition de la race Anglo-Saxonne tend 
visiblement de jour en jour à transformer en réalité. 



— 12 — 

Inutile de se perdre en conjectures sur les mobiles de cette 
Triple Alliance branchée sur trois continents. 

Sa portée internationale, stratégique et navale est indiscu- 
table ; dans son sillage on voit poindre une politique militante 
prête à ouvrir Tère des complications dans ce coin mondial, dont 
Henri d'Orléans disait éloquemment : C'est en Asie que se déci- 
deront les destinées du Monde ; en Asie se créeront^ se grandi- 
ront ou se fortifieront les Empires , et celui qui saura Jaire 
écouter sa voix en Extrême-Orient ^ pourra aussi parler bien 
haut en Europe, 

Les données de cette étude sont fort délicates, et, les conclu- 
sions qui en résultent, sont, je le reconnais, suggestives de spécu- 
lations. 

Mais, à l'homme qui se propose un but, elles importent peu les 
contradictions de certaines personnalités dont la marotte consiste 
à exploiter la crédulité française en substituant la légende à 
l'histoire et le mirage à la réalité. 

Sans me piquer de prophétie j'espère montrer du doigt à la 
France le point noir de la coalition Anglo- Yankee-Japonaise. 

Il ne saurait être question, en quelques pages, d'en étudier 
minutieusement la redoutable importance, d'en disséquer l'action, 
d'en sonder à fond les desseins et les convoitises (i), mais je 
compte tout au moins lever le voile qui la masque, et je désire 
vivement que cette ébauche incite des plumes plus autorise e 5 
que la mienne^ à diffuser les considérations que je présente et le 
péril que j'évoque. 



(1) V. L'Alliance Anglo-Yankee-Japonaise, par Henri Moreau. 



LA TRIPLICE 

ANGLO- YANKEE -JAPONAISE 



Discuter certaines perspectives sur la race anglo-saxonne et 
sur l'évolution de sa descendance prochaine ; «ittirer l'attention sur 
les immenses desseins que nourrissent l'Angleterre, les Etats-Unis 
et le Japon ; s'enhardir à mettre à nu leurs convoitises et à dévoiler 
leurs communs et vindicatifs agissements ; c'est là de l'histoire 
anticipée de nature délicate, car il est rare que les calculs 
humains, même les plus réfléchis^ aient une prescience exacte des 
événements ultérieurs. 

La politique extérieure des nations est, en eflFet, de par son 
essence impressionnable à l'excès, chose essentiellement on- 
doyante, exposée qu'elle se trouve à d'incessantes voltes-faces, 
à de subits changements. 



*% 



L'histoire de la race anglo-saxonne est la manifestation d'une 
volonté ferme qu'aucune difficulté n'effraie, et, cette histoire est, 
en tous points et en tous lieux l'étonnante révélation de ses 
qualités maîtresses. 

Consciente d'elle-même, consciente de sa puissance, orgueil- 
leuse de ses convoitises, tout lui semble possible et dès lors tout 
lui paraît permis 

Chacun de ses pas fait en avant, en provoque un autre ; 
chacun de ses bonds, parfois mesurés, mais toujours puissants, en 
précède un second. Ses anciennes obligations ne sont aucun 
obstacle à des décisions toujours prises avec résolution, et n'in- 
voquant jamais le bénéfice des circonstances atténuantes. 

N'admettant à aucun prix d'être contrôlée ou surveillée dans 
l'usage de sa puissance, elle pratique l'annexion par étapes suc- 
cessives et c'est peu à peu, mais sûrement, qu'elle étend sa 
domination sur le monde. 



- 14.— 

C'est la race aux ailes de vautour dont les coups manquent 
trop souvent de mesure et d'équîté, et, dont la politique cupide 
et faite d'une implacable âpreté, éclate en traits multiples aux 
quatre points cardinaux. 

Race de sang-froid qui — quels que soient les moyens dont 
elle dispose — pèse mûrement ses actions, mais dont TefFort vital 
souvent prodigieux et toujours irrésistible^ s'accompagne inva- 
riablement d'une infatuation qui nous excède, d'un langage 
hautain qui nous irrite. 

Race qui excelle à retirer son épingle du jeu, à rentrer ses 
griffes, à faire patte de velours quand elle a manqué sa proie et 
dont le sens pratiqua ne dédaigne aucune de ces portes basses 
par lesquelles on pénètre en sourdine au cœur des plaees les 
mieux fortifiées. 

Race qui, dans sa stupéfiante persévérance et son intéres- 
sante ténacité à asservir les mers, à étendre son influence, et à 
conquérir des marchés pour ses produits, a rarement obéi à la 
voix des scrupules, et s'est, non moins rarement embarrassé, des 
exigences de la justice. 

Race qui vise le monopole absolu par l'accaparement universel, 
. car elle se sait forte et, partant, ne croit qu'à la force. 

Race qui, politiquement parlant, n'a jamais fait montre d'une 
illusion, qui ne fut un aimable baiser de Judas masquant de 
tortueuses arrière-pensées. Ses actions — écrit M. de Vogué — 
consternent parfois les sentiments de justice et de pitié innés dans 
nos cœurs. 

Et cette race prodige de sécheresse et d'égoïsme, nous la voyons 
s'estimer prétentieusement « le peuple chef », l'inventeur de la 
civilisation moderne, le missionnaire de cette civilisation. 

Grotesque, en vérité, lorsque l'histoire diplomatique nous la 
montre ne pouvant se défendre d'une sorte de satisfaction mali- 
gne à la vue des malheurs d'autrui ; paralysant en refroidissant 
tout effort pacifique, mettant le feu à toute mèche, allumant les 
incendies qui embrasent le monde, et malgré cela, se présentant 
avec une comique gravité comme modératrice suprême, exempte 
de toutes les passions qu'elle a déchaînées. 

Aussi rhumanité se sent-elle profondément affectée par les 
agissements d'une collectivité aussi puissante^ véritable c phare à 
feux tournants > dont les facettes changent au gré des évène- 



- 15 - 

ments, mais dont les lumières sont toujours anti-slaves, anti-lati- 
nes, anti-germaines. 

C'eit la race du jour, qui possède derrière elle le lien moral 
d'un siècle d'histoire victorieuse, mais peut-être est-ce encore 
plus la race de demain. 

L'Angleterre et les Etats-Unis, qui en sont les piliers, abor- 
dent les problèmes internationaux avec de similaires prétentions 
et d'identiques exigences. 

Partout John Bull et Oncle Sam coopèrent activement et enlè- 
vent « les vents des voiles > de leurs adversaires. 

Ces deux cousins compères, rapprochés par leurs tendances, 
se préservent réciproquement des mauvais pas et pratiquent en 
toute occurence^ une ligne de conduite caractérisant à merveille 
le rôle qu'ils s'adjugent et les aspirations qu'ils s'attribuent. 

L'action anglo-américaine peut exciter les plus légitimes 
inquiétudes car elle ouvre à l'Europe un horizon bien sombre. 

Et combien dangereuse l'action de cette collectivité anglo- 
saxonne exempte de toute sentimentalité et partant de toute géné- 
rosité , 

Œil pour œil, dent pour dent, tel est le sens de son bréviaire. 
Maîtresse de l'Amérique, de l'Australie elle veut avoir un genou 
sur l'Afrique, une main sur l'Asie et sa griffe sur l'Europe. 

Elle considère le droit de coloniser comme son privilège, son 
monopole; toute entreprise extra-européenne, lui apparaît comme 
une atteinte à sa puissance coloniale, elle use alors de tous les 
subterfuges, accumule tous les obstacles, et fait feu de tous les 
expédients pour faire échouer ce qu'elle tient comme contraire 
à ses desseins. 

La race anglo-saxonne, après s'être assurée la disponibilité 
japonaise, se prépare à jeter le gant à l'Europe dans l'espoir de 
la mater, et cette impertinente outrecuidance germée dans son 
cerveau, prend avec une nette et brutale simplicité, un rapide et 
continu développement. Elle encourage encore des appétits qui 
se sont toujours montrés insatiables, et quoique la puissance euro- 
péenne ne soit guère une fiction qu'on puisse détruire ou vio- 
lenter aisément, les anglo-américains tiennent déjà l'Europe pour 
un ennemi à terre. 

Pour faciliter leur marche ascensionnelle, anglais et yankee ont 
jugé bon de s'assurer la coopération d'une puissance asiatique. 
L'Empire du Mikado était le tiers tout indiqué. C'est alors que 



— 16 — 

sous la pression des événements, et Tun suivant l'autre, Londres 
et Washington se sont successivement rapprochés de Tokîo. Ces 
parties intéressées se sont adjoint le Japon en prêtant une atten- 
tion suffisante à sa mauvaise humeur, en exploitant habilement 
ses rancunes, et, ainsi prémunies de tout ce qui constitue une for- 
midable puisssancé navale, disposant grâce à Tadhésion mikade- 
nale, non seulement d'un précieux supplément d'unités comba- 
tives, mais encore de huit bassins de radoub et de cinq arsenaux 
aux abords du Petchili, elles agissent avec l'objectif avoué d'éta- 
blir un concert d'action extrême-oriental, propre à contrecarrer 
l'Europe dans son évolution asiatique. 

C'est ainsi qu'au cours du temps, l'association Anglo- Améri- 
caine qui errait comme un fantôme aux abords de l'Europe 
Continental^ et Coloniale, a fini par prendre corps sous les préoc- 
cupations qu'éveille l'Extrême-Orient comme théâtre d'opéra- 
tions navales. 

Elle s'est muée en l'Alliance Anglo- Yankee-Japonaise. 

En raison de la force maritime dont elle dispose^ elle peut 
simultanément jouer plusieurs parties. 

Faire le guet en Océanie, surveiller la route des Indes, 
enserrer Tlndo-Chine d'un collier de fer, accabler les forces 
navales russes dans le Nord-Pacifique et pousser des pointes 
agressives contre les Antilles Européennes. 

L'Alliance Anglo- Yankee-Japonaise, n'est pas un de ces 
grands hasards qui font parfois l'histoire ; c'est l'expression d'une 
pensée réfléchie et calculée, dont la règle fixe, immuable. 
Inflexible est : 



L'Abaissement de l'Europe. 

Il est intéressant de dégager publiquement pourquoi ce 
concert Anglo-Yankee-Japonais s'agite, vers quel but il marche, 
ce à quoi il vise, et en présence de menées qui parlent si clair, de 
dissiper les illusions qu'on pourrait s'en faire en cette France où 
les sentimentalistes têtus expriment encore des vœux ingénus à 
la veille d'un des plus formidables brouhahas mondiaux. 

Cette formidable coalition est, sans contredit, le produit de la 



— 17 — 

diplomatie britannique, extrêmement mobile, difficile à suivre, 
ambiguë à Texcès, déroutante au summum, impossible à prévoir ; 
c*est là sans conteste, le chef-d'œuvre diabolique de l'Angleterre, 
« chancelante sous le poids de ses destinées » de l'Angleterre 
véritable « Deus ex machina » de ce redoutable appareil de 
guerre, en lequel les Anglo-Américains voient un moyen de 
représailles contre l'Europe Continentale et une arme à deux 
tranchants contre l'Indo-Chine et Madagascar. 

L'Alliance Anglo- Yankee-Japonaise, ou caractéristiquement 
la Trïplïce Intet continentale^ c'est là un cliché assez neuf (jui 
ajourne aux calendes grecques tout accès de cet utopisme têtu, 
dont la France débonnaire est friande au possible. 

Elle n'a été ni avouée, ni proclamée, mais elle s'est déjà 
imposée à l'attention de l'Europe dans la guerre de Chine. 

Rien, au cours de l'intervention nécessitée par les excès des 
Boxeurs et le siège des légations, ne fut plus significatif que 
l'entente ininterrompue, de l'Angleterre, des États-Unis et du 
Japon, sur tous les points, non-seulement entre les diplomates, 
mais entre les Etats-Majors, entre les militaires gradés ou non 
des trois pays. 

Devant un tel déploiement de forces, prélude d'un embrase- 
ment général, le tocsin du vieux Monde peut sonner l'alarme et 
appeler Paris^ Saint Pétersbourg, Vienne, Berlin, Rome et Madrid 
au Conseil des Anciens. 

Nous entrevoyons les illusions de l'Europe — telle des feuilles 
m(?rtes — joncher bientôt notre sol continental. 

La politique des grands États, disait Napoléon I«% est dans 
leur géographie. 

C'est la géographie qui crée pour l'Angleterre, les États-Unis 
et le Japon, l'obligation de la prépondérance maritime. 

(De là trois accords, trois pactes qui préparent les péripéties 
de ce drame qu'on pourrait appeler le drame des agrandissements 
Anglo-Saxons, le drame aux trois actes sanglants : 
La guerre Anglo-Boer. 
La guerre Hispano-Américaîne. 

Et bientôt : 
La guerre Mondiale. 

L*ébauche aura pris place en Afrique, le prologue aura été 
joué aux Antilles, et c'est le Pacifique qui sera le théâtre de la 
pièce elle-même. 



— 18 — 

Dire que cette triple entente — véritable croisade Anglo- 
Saxonne — pèse sur le présent et oppresse Tavenir, c'est révéler 
l'appréhension de tous les esprits soucieux des intérêts généraux 
de TEurope, que ce triple arrangement, préparé de longue 
main, trouble et inquiète à juste raison. 

Cette alliance constitue une belle et bonne complicité d'action 
propre à démontrer à TEurope quels intérêts sont en jeu dans cet 
Extrême-Orient, où les événements se précipitent avec une décon- 
certante rapidité, et souvent gagnent de vitesse les plus immé- 
diates prévisions. 

L'œuvre entreprise en Extrême-Orient par la Triplice sur une 
base si largement Anglo-Saxonne est toute d'agression. 

Cette alliance apparaît là telle qu'elle est, et^ sans le moindre 
déguisement. Aucune tentative de donner le change ne l'incom- 
mode en ces parages. 

Au gré de ses menées, elle saisit ardemment chaque grief 
nouveau pour susciter quelque immédiate entrave à des adver- 
saires qui ne semblent pas avoir pris conscience de leur force ; 
elle tire argument des moindres pas en avant de l'Europe pour 
revendiquer des positions privilégiées et s'adjuger les plus vastes 
compensations. 

Elle provoque à plaisir des règlements de litiges pour en 
extraire des bénéfices conformes à ses prétentions et à ses 
appétits. 

En un mot, à toute occasion propice, elle rouvre comme une 
vieille blessure, cette plaie vive de la question asiatique et la 
complique à loisir. 

Ainsi, de quelque façon qu'on juge les choses, apparaît en 
Extrême-Orient, l'extension progressive d'une influence Anglo- 
Saxonne intéressée, grâce à laquelle ne peut que tendre à s'éva- 
nouir, l'influence européenne Continentale. 

La question d'Extrême-Orient, c'est le gibet auquel on veut 
accrocher le vieux monde. En raison des intrigues qui s'enche- 
vêtrent dans son sein, de l'aigreur croissante des relations Russo- 
Japonaises, de la mésintelligence de plus en plus vive entre l'Em- 
pire Moscovite et l'Empire du Soleil Levant, en raison de toutes 
questions épineuses qui grondent dans son orbite, elle semble 
devoir être fatalement désastreuse pour la paix et remplira, sans 
aucun doute, ime partie du XX® siècle de ses vicissitudes. 

L'ingéniosité des diplomates européens, pourra-t-elle jamais 



— 19 - 

débrouiller cet écheveau, liquider cette immense affaire qui 
comporte le maximum de périls pour le repos universel, car en 
sus du conflit Tokio-Saint-Pétersbourg, elle menace d'entraîner 
dans son tourbillon le monde civilisé actuellement partagé en 
deux camps, constamment sous les armes et prêts de part et 
d'autre à s'entrechoquer. 

A la considérer, fût-ce même sous son jour le moins orageux, 
les esprits réfléchis ne peuvent se soustraire à l'appréhension 
d'une issue belliqueuse. 

Quand on regarde au fond de toute agitation asiatique, quand 
on médite sur cette grande question de la politique générale qui 
s'est révélée comme le plus important et l'un des plus difficiles 
problèmes que le monde ait à résoudre, il semble qu'on aperçoive 
la race blanche scindée en deux tronçons et s'engouflErant dans 
une voie qui n'a qu'une issue : la guerre. 

L'antagonisme Anglo-Saxon-Européen se poursuit, en effet, 
sur toutes les rives asiatiques de l'Extrême-Orient. 

L'Empereur Napoléon I®' prévoyait déjà que l'activité du 
génie du vieux Monde se porterait progressivement ver^ l'Asie, 
et que les Colonies orientales deviendraient un élément considé- 
rable de l'équilibre européen. 

Le Pacifique devient de plus en plus le champ ouvert aux riva- 
lités du monde et l'acuité de l'œil Anglo-Saxon s'y révèle dans la 
surveillance anxieuse, d'une prédominance qui entend n'être pas 
contestée. 

C'est sur les eaux de ce grandiose océan un duel permanent. 
Le développement normal des destins de l'Europe s'y cantonne 
dans ime attitude réfractaire à l'extension du cycle des préten- 
tions de souche Anglo-Saxonne. 

En somme, sans préjudice de l'inimitié vivace entre ces deux 
colossales puissances asiatiques, que sont l'Angleterre et la Russie, 
la crise Extrême-Orientale y couve une nichée de périls. 

Lutte ostensible ou dissimulée, mais incessante , que des 
concessions apparentes, peuvent momentanément limiter, mais 
qui reprend bientôt en s'alimentant de tous les griefs que formu- 
lent des ambitions et des convoitises contraires. 

L'Alliance Anglo-Yankee-Japonaise vise spécialement l'Ex- 
trême-Orient ; le couronnement de l'effort qui entraîne cette 
triple fraternité d'armes vers ce point du globe est, en effet, dans 
la possession des approches maritimes de la Chine, autant que 



— 20 - 

dans l'excitation du bloc des Célestes à se rebeller contre Tétreinte 
européenne. 

La Russie^ la France et l'Allemagne d'une part, le Japon, les 
États-Unis et l'Angleterre de l'autre rivalisent d'intelligence et 
d'activité pour se tailler dans la grouillante masse chinoise qui 
rumine béatement dans l'immensité de l'Asie, des sphères d'in- 
térêt, des sphères d'exploitation appuyées sur des gages territo- 
riaux. 

La politique de la Triplice Intercontinentale, toujours un 
exemple de duplicité, parfois même un modèle de perfidie, 
revendique, au sein de l'Empire Chinois, le plein exercice de 
ses artifices de langage. 

Elle se montre onctueuse dans ses frottements avec Pékin où 
elle travaille visiblement à faire apprécier le prix d'un concours 
qui pourrait devenir effectif avant peu. 

A en juger par les encouragements que les ambassades d'An- 
gleterre, des États-Unis et du Japon prodiguent aux Célestes 
contre la Russie, on peut se rendre compte des desseins mis en 
œuvre pour inciter l'Empire du Milieu à ne point se laisser 
enclaver entre le marteau russe et l'enclume française. 

Le Tifnes disait en février 1902 : « L'entente Anglo-Japonaise, 
» qui ne peut manquer d'ajouter beaucoup au poids des avis des 
» Anglais et des Japonais à Pékin, est faite pour avoir l'effet le 
» plus heureux sur la situation delà Chine, » 

L'Angleterre suit là, une véritable tradition. Depuis plus de 
vingt ans la diplomatie britannique cherche à liguer la Chine et 
le Japon contre la Russie. En 1885 elle parut sur le point d'y 
parvenir, mais l'orgueil des Tartares de Pékin déjoua ses efforts : 
les choses dérivèrent alors vers la situation d'où est sortie la guerre 
Sino-Japonaise de 1894. Mais depuis lors, dame Albion a repris 
sa politique antérieure, qui était aussi celle que préférait le 
Japon. 

On a vu le ministre anglais à Pékin, sir E. Satow, y travailler 
avec un zèle digne d'une meilleure cause. 

Peut-être est-ce même sous ses auspices que les vice-rois du 
Yang-Tse convient un nombre grandissant d'officiers Japonais à 
réorganiser les troupes de leurs provinces. 

L'Europe ne demeure pas spectatrice insensible de cette rivale 
ambition qui tend invariablement à être démesurée ; elle ne 
demeure point les bras croisés devant des intrigues adverses et 



- 21 - 

dispute à ses adversaires le haut de l'échelle dans TEmpire du 
Milieu, 

A l'instar des européens, les anglo-yanke japonais n'ont, ea 
somme, qu'un but, faire de cette immense contrée un débouché 
pour les produits de leurs industries ; ces coureurs d'espaces et 
chercheurs d'horizons, blancs ou olivâtres, avec leurs capitaux, 
leur puissance de main-d'œuvre, leur énorme production à bon 
marché prétendent accaparer le commerce de la Chine. 

La question « qui exploitera la Chine » étant définitivement 
posée, la Triplice Intercontinentale ne tient pas à se laisser dis-" 
tancer ; elle ne cherche plus qu'à brusquer la question d'Extrême- 
Orient. 

Il y a déjà longtemps que le problème de l'Extrême-Orient 
— flamme ïncendiaïre de la paix mondiale — toujours inquiétant 
par cet amas d'éléments explosifs qu'il recèle, est devenu la 
préoccupation des chancelleries. Entre tous les problèmes exis- 
tant, il en est peu qui aient pris une aussi large place dans les 
Conseils de la politique internationale. Voilà 9 ans qu'il a été 
brusquement posé par l'effondrement de la Chine devant la 
puissance militaire du Japon. 

Le Japonais marchant de succès en succès avec une vitesse 
qui surprenait 'leurs propres espénmces, allaient eux-mêmes 
détruire, sans coup férir, l'équilibre maintenu à grand peine aux 
confins du Pacifique, lorsque l'intervention commune de trois 
grandes puissances européennes vint heureusrtnent résoudre la 
plus délicate des situations. 

Il s'agite toujours dans les polémiques, son règlement pour- 
rait signifier la paix du monde, mais n'est-il pas de l'intérêt 
anglo-ainérîcain de créer aux solutions éventuelles des obstacles 
constamment rejjouvelés, de susciter sournoisement des querelles, 
de faire naître des imbroglios suspects, propices à la marée 
montante de l'anglo-saxonisme. 

Féconde matière à discussions aigre-douces et à négociations 
promptement envenimées, ce problême extrême-oriental se 
trouve bien près d'avoir uu terrible réveil ; la gravité des intérêts 
débattus est telle qu'elle paraît devoir être prochainement solu- 
tionnée sur le champ de bataille. 

C'est donc en ce carrefour du monde, où, peut-être demain, 
sera seule prise en considération la puissance du canon, que la 



— 22 ~ 

Triplice anglo-yankee- japonaise veut engager et conclure victo- 
rieusement les premières actions décisives. 

C'est en vue d y maîtriser prompt ement les rivalités en jeu, 
aujourd'hui plus ardentes que jamais, les compétitions quotidien- 
nement avivées, qu'elle a solidement établi les bases de sa supré- 
matie navale actuelle en tenant prêt à l'action un formidable 
instrument d'agression contre le domaine colonial de l'Europe 
continentale. 

A l'heure où la France, la Russie et l'Allemagne attachant un 
prix d'autant plus grand à leurs possessions asiatiques que la 
gigantesque réalisation du Transsibérien est pour elles synonyme 
d'affermissement et de prépondérance ; à l'heure où elles coor- 
donnent leurs efforts pour boucher toute fissure ouverte en Asie 
aux racines de l'arbre étouffant qui grandit sur le continent nord 
américain, l'Angleterre, les Etats-Unis et le Japon, affirment leurs 
volontés d'être partout traitées à l'égal des nations du vieux 
Monde. 

Mieux outillées pour la lutte maritime, ces trois dernières 
puissances se flattent de vaincre partout où elles entreront, et 
elles veulent entrer partout. 

Et, pour ce faire, ce trio intercontinental cherche à galvaniser 
l'Empire du Milieu, à l'arracher à sa torpeur séculaire et à le 
précipiter contre l'Europe. 

C'est ainsi que se prépare pour le globe une secousse formi- 
dable, peut-être un bouleversement inouï, en fin de compte une 
de ces grandes convulsions où^ non plus seulement des peuples, 
mais des continents s'entrechoqueront. 

La Triplice intercontinentale est ainsi le produit de la pré- 
voyante sagacité d'une association anglo-américaine prépccupée 
au summum de barrer la route aux activités russes, allemandes 
et françaises en Extrême-Orient. 

Ses perspectives sont la mutilation de notre domaine extra- 
européen et le démembrement de l'empire colorlial de l'Europe. 

La Triplice anglo-yankee-japonaise^ en raison de ses tradi- 
tions et de ses instincts hautement proférés par ses actes, accuse 
une nette offensive. Elle prépare fatalement la guerre par les 
déplacements de puissance qu'elle détermine ; par les animosités 
qu'elle entretient et les méfiances qu'elle avive ; par les conditions 
d'antagonisme où elle place l'Europe l'Asie et l'Amérique. 

Elle a pour piédestal l'alliance anglo-japonaise ; elle a comme 



— 23 - 

tremplins Tentente anglo-américaine et Taccord yankee-japonais. 
Pour en mesurer Timportance, abordons ces trois conceptions 
diplomatiques, fort inquiétantes par les suggestions qu'elles pro- 
voquent ; précisons ces trois pactes, dont^ deux, censés secrets 
s'éclaireront bientôt aux lumières de Tactualité. 



ALLIANCE ANGLO-JAPONAISE 



Si la France e?t la terre d'élection de 
l'Elite intellectuelle, de son côté la 
race anglaise est et demeure l'Edite 
de la force brutale. 

Henri Moreau. 

Après avoir longtemps fui toute responsabilité contractuelle^ 
évité toute intimité spéciale, s'être détournée de tout engagement 
à longue portée, après avoir érigé en dogme la politique des 
f9tains libres^ l'Angleterre, dans une sorte de révolution diploma- 
tique, vient d'adopter le système des mains liées ^ et d'introduire 
du même coup, l'Empire du Soleil Levant dans le cénacle des 
grandes puissances. 

Les annales de cette personnalité vigoureuse autant que très 
dominatrice et très riche, de cette race essentiellement réaliste 
dans ses actes, attestent en cela une grave innovation — une fois 
n'est pas coutume. 

C'est le 30 janvier 1902 qu'une convention grosse d'engage- 
ments, d'obligations, d'éventualités et de responsabilités a uni 
dans une alliance offensive et défensive le Japon et la Grande- 
Bretagne. * 

Ce ne pouvait être qu'une raison majeure, qui faisait sortir 
l'Angleterre de son « splendid isolement », la contraignait à 
déposer entre les mains du Mikado une double clef de sa politique 
asiatique et l'obligeait à mettre sa signature au bas d'un pacte à 
longue échéance, d'une convention positive formulant des condi- 
tions définies et fixant un délai précis. 

C'est, qu'à la vision du prévient mise en regard du passé, l'An- 



- 24 - 

gleterre a eu le sentiment secret d'une déchéance graduelle. Scru- 
t"ânt les intentions de ses adversaires sur le terrain exact où ils se 
•meuvent, prévoyant d'ultérieurs conflits avec quelqu'une des 
puissances qui, après lui avoir longtemps abandonné la suprématie 
coloniale, se refuse aujourd'hui à lui laisser plus longtemps la 
haute main, cette colossale puissance qui enlace le globe de ses 
multiples tentacules, n'a rien eu de plus pressé que de s'adjoindre 
un supplément appréciable de forces combatives. 

Elle s'est vue sur la pente fatale^ et, retrouvant la notion de 
l'obstacle jadis égarée au point culminant de sa grandeur, elle a 
voulu masquer une infériorité croissante, bientôt susceptible de; 
l'obliger à des concessions, de l'acculer peut-être à de pénibles 
déconvenues. 

Craignant avec raison de se trouver tout à fait isolée contre 
la coalition de ses nombreux ennemis, elle a pris son parti avec 
résolution et contracte une alliance. 

* * 

L'Angleterre faisait autrefois la police de l'Europe. Sa diplo- 
matie contrariante si habile à prolonger, à nourrir, à aiguillon- 
ner tous mécontentements, si experte à compliquer toute question, 
avait un pied dans tous les Cabinets européens, exploitant la 
crainte des uns, exerçant sur les autres l'empire de la persuasion. 

Sa dictature, gênait, comprimait, énervait tour à tour Paris, 
Berlin, Vienne, Rome, S t-Pétersbourg, Bruxelles-, Madrid, etc., etc. 

Départ et d'autre on était à sa merci, les intérêts des uns et 
des autres restaient en souffrance, mais l'Angleterre était mai- 
tresse ; elle exultait à enfreindre également conventions, pactes et 
traités. 

Sa moindre parole était alors commentée d'un bout à l'autre 
de l'Europe, et lorsqu'elle se taisait, le Continent prêtait em^ore 
l'oreille pour écouter son silence. 

Sa politique traditionnelle: 

Divfdit ut intperet 

était consacrée par le succès à travers les siècles. Conserver la 
prédominance économique et maritime était le but qu'elle avait 
poursuivi, atteint et maintenu la conquête. Le passé nous 
l'exhibe jouant avec audace le rôle prédominant, que lui octroyait 
la respectueuse tolérance des puissances continentales. 

Elle prenait alors l'Europe pour champ d'expérience, fabrî- 



— 25 — 

quant selon son bon plaisir, des nuages artificiels qu elle lançait 
à tout propos sur le continent ; jouant des coudes avec âpreté ; ne 
reculant jamais devant l'emploi des procédés les plus tortueux; 
faisant bon visage aux vainqueurs, mais, profitant des moindres 
défaillances des vaincus pour s'agrandir à leurs dépens. 

Et, toujours, elle s'imposait, grâce autant à sa souplesse 
avisée, qu'à ses qualités de combativité dont un inaltérable sang- 
froid lui facilita incessamment l'usage. 

Mais le destin s'est offert une de ces ironies dont il est cou- 
tumier, et, aujourd'hui, il n'en est plus ainsi. 

Après avoir commandé sans mesure, après avoir frappé près 
d'un siècle à son effigie, l'Angleterre ne voit plus s'accomplir 
en Europe ce qui lui plaît, ce qui lui convient, et, contemple 
jalousement les puissances du vieux Monde sceller peu à peu à 
son détriment le concert européen. 

Elle n'est plus la puissance quasiment intangible qu'elle appa- 
raissait dans les dernières années du XIX® siècle. Elle s'est vu 
graduellement écarter des Conseils européens, et tenue en sus- 
picieuse quarantaine, ne trouve plus sur le Continent d'alliance 
conforme aux nécessités de sa politique. 

C'est de moins en moins, qu'elle réussit à diviser une Europe 
qui, enfin lasse de l'orgueil et des prétentions de son grand 
courtier maritime, met peu à peu fin à son insupportable Hégé- 
monie. 

Dans son isolement insulaire, le lion britannique peut être à 
Tabri des revendications de l'Europe, mais il est esseulé; l'édi- 
fice de sa puissance est lézardé et sa fortune repose dans le mau- 
vais plateau de la balance. 

Par surcroît, le Royaume-Uni a vu l'Europe entière, entrer 
peu à peu dans la phase de l'exportation à outrance ; elle a 
entendu les cris d'alarme de tous ses consuls, signalant son 
éviction lente du commerce du monde; au cours des années, 
elle en a constaté de plus en plus les effets visibles. 

Que faire contre ces adversaires continentaux, bien résolus à 
lui enlever sa clientèle mondiale î 

Que faire contre la perspective désespérante d'un blocus 
commercial ? 

Que faire pour maintenir sa suprématie ? 

Que faire ? Question de vie ou de mort pour l'Angleterre. 

La Grande-Bretagne vient d'aviser. 



Far une de ces fortes conceptions qui lui sont coutumièreSi 
elle s'est subitement armée contre les redoutables éventualités. 

Elle a donné une entorse à sa tradition d'élection et mis une 
sourdine aux sentiments qui l'avaient émancipée de toute ligature 
diplomatique. 

Nous venons de la voir, deux ans passés, notifier solennelle- 
ment à Tunivers, qu'un poids de plus était jeté dans la balance 
mondiale et que l'alliance anglo-japonaise était réalisée. 

Même changement de front aux confins de l'Asie. La réclusion 
volontaire dans laquelle le Japon s'était confiné jusqu'à présent, 
n'était plus désormais qu'une légende ; l'Empire du Soleil Levant 
s'enrégimentait bénévolement dans l'escouade anglo-yankee- 
australienne. 

Le Japon, qui depuis 1895, s'était recueilli pour méditer sur 
les fautes commises, et, pour en conjurer les -conséquences, pen- 
sait à la fois assouvir un ressentiment incurable et jouer sa partie 
dans le concert international, en jetant son poids dans le plateau 
anglo-saxon de la balance intercontinentale. 

Bonne aubaine pour le syndicat anglo-yankee-australieri. 

A la clarté des faits accomplis, il y avait, désormais, partie 
liée entre deux empires insulaires, dont l'un accroissait son 
influence, affermissait la base de son action, en introduisant dans 
l'aréopage mondial un intrus mystérieux, à l'allure souple et 
glissante, à l'œil oblique et luisant. 

Et voici l'acte de cette association qui fut l'objet de polé- 
miques sans fin, et de commentaires tant agressifs que justi- 
ficatifs. 

Accord entre la Grande-Bretagne et le Japon, 
signô à Londres, le 30 janvier 1902. 

Le gouvernement de la Grande-Bretagne et le gouvernement du Japoot 
uniquement animés du désir de maintenir le statu quo et la paix générale en 
Extrême-Orient, et étant, en outré, {)lus spécialement intéressés à maintenir 
l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'empire de Chine et de Tempire 
de Corée et à assurer au commerce et à l'industrie de toutes les nations les 
mêmes avantages dans ces deux pays, conviennent ce qui suit : 

Article Premier. — Les parties contractantes ci-dessus, ayant 
reconnu de part et d'autre l'indépendance de la Chine et de la Corée, 
déclarent n'avoir absolument aucune visée agressive contre l'un ou l'autre de 
ces deux pays. 

Étant donnés cependant leurs intérêts spéciaux, ceux de la Grande* 
Bretagne se rapportant principalement à la Chine, tandis que le Japon, 



— 27 — 

indépendamment des intérêts qu'il possède en Chine, a, tant politiquement que 
commercialement et industriellement, des intérêts particuliers en Corée, les 
parties contractantes conviennent qu'il sera admissible de part et d'autre de 
prendre les mesures qui pourront être indispensables afin de sauvegarder ces 
intérêts, dans le cas où lesdits intérêts seront menacés soit par l'action agres- 
sive d'une autre puissance quelconque, ou par des troubles se produisant en 
Chine et en Corée et nécessitant l'intervention de l'une ou de l'autre des 
parties contractantes pour protéger les vies et les biens de leurs sujets. 

Art. 2. — Au cas où la Grande-Bretagne ou le Japon, dans un but de 
défense de leurs intérêts respectifs, comme il a été indiqué ci-dessus, se 
trouveraient engagés dans une guerre avec une autre puissance, l'autre partie 
contractante restera rigoureusement neutre et s'emploiera de toutes ses forces 
à empêcher d'autres puissances de se joindre aux hostilités entreprises contre 
son allié. 

Art. 3. — Si, dans le cas précité, une ou plusieurs puissances, s'asso- 
ciaient aux hostilités contre cet allié, l'autre partie contractante viendrait à 
son secours et mènerait la guerre de concert avec lui, pour ne conclure 1.^ 
paix qu'après accord mutuel. 

Art. 4. — Les parties contractantes conviennent qu'aucune d'elles, sans 
se consulter avec l'autre, ne contractera, avec une autre puissance quelconque, 
des arrangements préjudiciables aux intérêts ci dessus indiqués. 

Art. 5. — Lorsque, de l'avis de la Grande Bretagne ou du Japon, les 
intérêts ci-dessus énoncés paraîtront en danger, les deux gouvernements 
communiqueront l'un avec l'autre franchement et pleinement. 

Art. 6. — L'accord actuel doit entrer en vigueur immédiatement après 
la date de la signature de l'accord et doit rester en vigueur pendant cinq ans 
à partir de cette date. 

Dans le cas où ni l'une ni l'autre des deux parties contractantes n'aurait 
notifié, douze mois avant l'expiration de ladite période de cinq ans, l'intention 
de rompre l'accord, ledit accord resterait en vigueur jusqu'à expiration d'un 
an, à partir de la date ou l'une ou l'autre des deux parties contractantes 
l'aurait dénoncé. 

D'autre part, dans le cas où, à la date fixée pour l'expiration de l'accord, 
l'un des alliés se trouverait en état de guerre, l'alliance devrait ipso facto se 
prolonger jusqu'au moment de la conclusion de la paix. 

En témoignage de quoi les soussignés, dûment autorisés par leurs gouver- 
nements respectifs ont signé cet accord et y ont apposé leurs sceaux. 

Fait en double, à Londres, 30 janvier 1902. 

L'Angleterre est ainsi assurée de l'appui du Japon qui s'est 
rais entre les mains des anglo-américains sans prévoir que 
Londres demeurera l'arbitre du pacte et le véritable maître de la 
maison. 

Le petit homme jaune, aux grandes courbettes, à la voix 
criarde, aux intonations enfantines, affublé de nippes occiden- 
tales, semble enchanté des lisières anglo-saxonnes. 

Grand bien lui fasse. 



- 28 - 

A l'Angleterre, cette alliance accorde — en cas de difficultés ■ 
surgissant entre elle et quelqu'une des puissances ayant en 
Extrême-Orient des intérêts et des possessions — le moyen 
d'agir sur les unes et sur les autres d'une façon énergique et 
directe. Elle accroît son influence, affermit et décuple l'intensité 
de ses volontés en ce point de l'étroit damier dévolu à la race 
humaine. 

Ce sont là jeux d'escrime diplomatique, dont nul ne peut 
mesurer les limites ou le retentissement. 

Le Japon cherchait un appui à Londres contre la Russie. L'An- 
gleterre le lui a accordé. Pleine de condescendance, Lady Albion, 
dame de haut lignage, ambitieuse douairière, a daigné s'huma- 
niser avec ce jeune parvenu de peau jaune à la vigueur nerveuse, 
manifestement promu à de hautes destinées. 

En sa prévoyante sollicitude, elle a bien voulu acquérir le 
moyen de. disposer des forces du Japon; recueillir le bénéfice de 
sa combativité, de ses arsenaux et de sa fonction stratégique. 

Heureux Japon. 

Et son appui, Londres l'a accordé d'autant plus volontiers, 
que son intérêt sur ce point était identique à celui de l'Empire 
du Mikado, et que la formation sur les côtes chinoises et au 
cœur mcma de la Chine, d'une influence européenne capable de 
tenir en échec l'anglo-saxonisme, a toujours paru aux politiques 
anglais, le plus grand danger qui puisse menacer l'ambition 
britannique aux Indes et dans la vallée du Yang-Tsé-Kiang. 

L'avènement au zénith de la politique internationale de ce 
Japon qui, durant si longtemps, s'était systématiquement ribstenu 
de s'y mêler, son changement de front inattendu en 1902, alors 
qu'il se jetait dans les bras de l'Angleterre, est un fait dont les 
conséquences ont, pour l'avenir colonial de l'Europe, une portée 
incalculable. 

Ce rapprochement ne surprendra personne. Depuis long- 
temps il se préparait. Sans préjudice de ses finances épuisées 
dans la poursuite de ses espérances, de son budget en progres- 
sion constante, la guerre sino-japonaise avait prouvé au Japon 
les dangers de Tisolement. 

L'intervention de la France, de la Russie et de l'Allemagne, 
en lui disputant les fruits de sa victoire, avait été pour lui une 
leçon laissant dans son esprit une impression ineffaçable de bn4ial 



— 29 - 

contact. Ce coup si rude pour son amour-propre, il n'en a pas 
encore, àTheure actuelle, digéré Tafifront (i). 

De cette mutilation de son triomphe, il avait gardé avec un 
secret ressentiment la résolution de rompre sa solitude. 

Après avoir assisté en 1895, la tête basse et l'arme au bras, 
au morcellement de ses espérances, il lui devenait indispensable 
de prendre un parti et de trouver en quelque endroit du globe, 
lé contre-poids à l'influence Russe en Extrême-Orient, et ce, au 
plus tôt, sous peine de voir s'envoler en fumée, les hautes con- 
ceptions de politique générale qui fermentaient dans son cerveau. 

C'est en cherchant, sans se laisser détourner de son but, à 
prévenir le retour de semblables événements, qu'il devait dégager 
le programme qu'il a si brillamment rempli. 

Depuis 1895, il s'absorbait dans cette seule pensée, tendait 
vers ce seul but tous les ressorts de son esprit et de sa volonti. 

L'effacement voulu de l'Angleterre lors du traité de Simono- 
saki, laissait entrevoir à Tokio, que c'était à Londres que se 
trouverait l'allié espéré. 

C'est alors que, sous le masque d'un missionnaire d'alliance, le 
marquis Ito se rendait en Angleterre. 

Nous n'avons pas, ici, à raconter ses négociations. 

Silence, rapidité, discrétion, furent les caractéristiques de 
pourparlers dont le traité du 30 janvier 1902 précisa la solution. 

Dame Albion, point rebelle aux doucereuses suggestions du 
ministre japonais, marquait sa bienveillance pour l'Empire du 
Soleil Levant, en lui assignant la défense des intérêts anglais 
dans le Nord Pacifique. 

En échange de ses bons offices et du sang de ses sujets, elle 
lui ouvrait ses bras et sa caisse ; elle le comblait ainsi de faveurs, 
isolait la Russie et desservait la France. 

L'alliance anglo-japonaise se trouvait créée de toutes pièces, 
prête à donner en Chine, le signal des prises de compensations 
définitives. 

La convention Hayashi-Lansdowne était signée le 30 jan- 
vier 1902, et en octobre suivant, le Japon contractait à Londres 
un emprunt de 125 millions. 

La Grande-Bretagne avait acheté l'Empire du Soleil Levant. 

(1) Le traité de Simonosaki ne laissa au Japon que l'île de Formose et une 
indemnité de guerre de 200 mi. lions de taels, plus 30 millions de taels pour la 
rétrocession de la presqu'île du Laotong-. 



— 30 — 

Le traité anglo-japonais, dénouement depuis longtemps pour-' 
suivi à Tokio, y provoquait l'enthousiasme le plus vif, la joie la 
moins déguisée. 

Dans leur hostilité à Tégard des étrangers, les japonais sem- 
blent faire une exception en faveur des anglais — écrit M. G. Bur- 
ghard, lors de son voyage au Japon en 1900. — Leurs journaux, en 
rapportant les désastres subis par Farmée anglaise au Transvaal, 
se montrent plutôt sympathiques à TAngleterre. La raison de 
cette sympathie, est, sans doute, que japonais et anglais ont un 
adversaire commun : la Russie, et, c'est précisément contre ce 
dernier pays, que l'opinion publique au Japon est le plus excitée 
à l'heure actuelle. 

En 1895, i^ Japon tirait, pour les autres, les marrons du feu; 
en 1902, il regagnait le terrain perdu ; en 1904, sa politique ultra- 
audacieuse ne[sollicite ni les exemples, ni les « conseils amicaux ». 

Ce traité est bien fait pour persuader au Japon qu'il n'a plus 
à craindre le renouvellement d'une coalition diplomatique telle 
que celle qui fit reviser le traité de Simonosaki. 

Cela panse ses blessures d'amour-propre que de voir ainsi 
précisé par un acte positif, la supériorité de sa situation géogra- 
phique doublée de la puissance de ses forces navales. 

A ses yeux, si l'alliance de l'Angleterre aliène son indépen- 
dance, elle fonde sa grandeur en mettant un frein à l'action mos- 
covite, véritable cauchemar, qui, pour toute âme japonaise empri- 
sonne le présent, et projette sur l'avenir, l'ombre haïssable du 
traité de Simonosaki. 

Dans la balance des profits et pertes, qui est la base même des 
combinaisons internationales, le Japon ne peut inscrire dans la pre- 
mière colonne que la satisfaction morale de n'être plus seul et de 
se sentir agrégé à un système diplomatique. 

Actuellement ledit système lui permet l'espoir de participer 
avec plus ou moins de chance de succès au grand conflit asiatique 
de demain, mais par contre, il dirige visiblement la pente de 
son action politique, et l'associe aux risques de guerre possible 
entre l'Angleterre et le Continent ; la Grande-Bretagne devant 
forcément avoir — en raison du jeu des alliances — plus d'un adver- 
saire contre elle. 

« Le traité anglo-japonais — dit le Temps — est à la fois le 
terme logique, naturel et prévu d'une longue évolution diploma- 



— 31 — 

tique, et, Tune des plus graves innovations, le point de départ en 
un sens d'une nouvelle ère internationale. » 

C'est un pronostic qui éveille nos méditations touchant les 
multiples aventures auxquelles ce pacte donnera naissance. Au 
seuil de 1904, sa démonstration est sur le point d'apparaître lumi- 
neuse, décisive, écrasante. 

En effet, cette négociation entre blancs et jaunes est une mani- 
festation qui n'a rien de pacifique, elle marque l'origine d'arme- 
ments obligatoires et d'attitudes défiantes; les différentes inter- 
prétations que ses stipulations comportent , convergent obstiné- 
ment vers ce mot : spoliation. 

Les principes dont elle se réclame, sont : 1« souci de la paix 
générale, le maintien du statu quOy l'indépendance de la Chine et 
de la Corée. Ses clauses essentielles sont : l'humiliation définitive 
de l'ennemi héréditaire du Mikado, et l'abaissement de l'Europe 
au profit des anglo-américains-australiens. 

Sans prendre au tragique un traité qui, au mérite de la nou- 
veauté, joint celui de ne pouvoir être contesté, nous devons 
prendre acte que l'alliance anglo-japonaise est une menace directe 
pour notre empire colonial, car elle implique l'Empire du Soleil- 
Levant dans tout conflit mis en œuvre par Dame Albion. 

Ce pacte Londres-Tokio mis en activité au profit exclusif de 
la famille anglo-saxonne, l'Europe en a pris connaissance avec un 
déplaisir extrême. Un sentiment très vif de mécontentement, a 
régné dans certaines chancelleries spécialement visées par une 
alliance destinée à bannir leur influence des mers d'Asie. 

On nous représente ironiquement à Londres, l'alliance anglo- 
japonaise, comme une force purement conservatrice du statu quo 
en Extrême-Orient. 

N'est-ce pas ajouter la dérision à l'hostilité? 

L'histoire appréciera les motifs de cette ironie qui s'essaye à 
nous masquer le sentiment d'une quasi-impuissance. 

Voilà un point dont il faut demeurer bien assuré. 

Il est évident que les conséquences que l'on tire à Londres de 
ce traité, sont réfléchies après avoir été résolues ; qu'elles tendent 
toutes à l'activité d'un système dont l'Angleterre détient le levier 
entre ses mains, dont elle fait mouvoir à son gré les fils dans 
l'unité d'une direction puissante, et, que pour la réussite de ce 
-système destiné principalement à contenir la puissance moscovite 
dans les bornes les plus étroites qu'il sera possible, on prépare à 



— 32 - 

Loidres et à Tokio tous les moyens usités en similaire occur- 
rence. 

Dans l'alliance japonaise, l'Angleterre cherchait une force 
immédiatement opposable à la Russie, elle s'associe donc pleine- 
ment aux vues du Japon dont la fanfare belliqueuse, implique 
Yion seulement un plan plus vaste qu'on pourrait le croire de 
prime abord, mais, par surcroît, la certitude d'être encadrée par 
l'Angleterre, dans toute lutte à soutenir. 

Et cet encadrement est impératif. Le Japon et l'Angleterre 
coordonneraient-ils l'action même de leur diplomatie en Asie que 
si, au moment de la lutte, l'Em^re du Mikado demeurait seul en 
présence des forces russes, le résultat ne différerait guère de ce 
qui suit : 

i<* Léger dommage causé à l'escadre russe du Pacifique et 
bombardem^eni prolongé de Port-Athur et de Vladivostok. 

2«> Désastres subis par l'armée Japonaise. 

3<* Coup funeste porté irréTnédialement à rïnfluence du 
Japon en Chine. 

4^ Ruine éconotnique du Japon. 

5« Occupation définitive de la Mandchoiirie et de la Corée 
par la Russie. 

6"* Frais de guerre énormes supportés indirectetnent par 
t Angleterre. 

On peut également, dans ce traité Anglo-Japonais, discerner 
de la part de l'Angleterre, une intelligente économie. 

Les côtes Japonaises, très appropriées à la tactique navale 
moderne, sont munies de cinq arsenaux et de huit bassins de 
radoub ; la Grande-Bretagne est donc assurée d'y trouver pour 
sa flotte, toutes les ressources et tous les abris voulus. 

En somme, le traité entre Tokio et Londres peut être considéré 
comme une trahison du monde occidental allègrement accomplie 
par TAngleterre. C'est façon de faire qui mérite une sévère 
appréciation des chancelleries autorisées. 

• 

C'est une innovation considérable, que l'apparition au rang 
des grands Etats de ce dernier venu de la famille des grandes 
puissances. Il n'y a pas de changement magique plus verti- 
gineux, plus étourdissant, que celui qui s'est opéré — dans tous 
les domaines — au cours de quelques générations japonaises. 



'— 33 — 

D'empire féodal à deux fêles; devenu Etat constitutionnel, passé, de la 
condition de la France au temps où les Pépin et les Karl jetaient comme 
maires du palais des derniers Mérovingiens les fondements de la grandeur 
Carlovingienne, au régime parlementaire ; initié brusquement à la culture, 
aux sciences, au scepticisme, à la stratégie, à la production fiévreuse, à la 
concurrence à mort de TEurope, le Japon a pris place en bon rang parmi les 
puissances (1). 

Il revendique de suivre comme elle la route du progrès, dans 
rîncessant désir de prouver que le progrès n'est point l'apanage 
exclusif de la race blanche. 

Après avoir emprunté au vieux Monde ses principes comba- 
tifs, et ce, avec cette facilité d'adaptation qui lui est propre, il a 
promptement suivi la filière des évolutions graduées, fait en un 
demi-siècle des pas de géant, et, rapidement pris conscience de sa 
personnalité. 

Assis^il y a cinquante ans, dans l'ombre de la mort, parmi les plus fermées, 
les plus exclusives des nations barbares, enfoncé dans un isolement treute fois 
séculaire, il a, depuis que les canons de la civilisation, ces singuliers 
précurseurs, ont tonné devant ses capitales, rattrapé à grandes enjambées 
l'Occident (2). 

Le Japon est désormais en excellente posture militaire et 
marititne ; mais son ascension n'est-elle pas anormale, et, pour 
avoir monté trop vite, ne redescendra-t-il pas de même. 

Le Japon grandit. Après l'avoir tenu sur les fonds baptis- 
maux, l'Europe aujourd'hui le contemple, dorénavant affranchi 
de la tutelle d'Occident, prêt à retourner contre elle les armes 
qu'elle lui mit jadis en main. 

Il compte aujourd'hui parmi les nations de premier rang et 
lorsqu'on compare le point d'où il est parti et celui où il est 
arrivé, il est impossible de ne pas admirer qu'un aussi grand 
espace ait été franchi en si peu de temps. 

Il veut être grand, puissant, formidable et s'y préj^are avec 
acharnement: il est dévoré d'ambition et son ambition s'élance 
hardiment dans toutes les voies. 

Cette collectivité famélique ne se nourrit que de la contem- 
plation des bateaux de guerre, des uniformes et des canons ; 
aujourd'hui, organisée à l'européenne, elle possède des armées 
permanentes, munies d'une artillerie supérieure, des vaisseaux 

(1) Le Temps, 

(2) Le Temps, 



-M- 

cuirassés, des torpilleurs, tout un essemble de formidables 
engins. 

Ivre de sa grandeur, ce peuple, qui se qualifie lui-même 
^Anglais de V Extrême-Orient^ ne dissimule plus des ambi- 
tions où Taversion de l'Europe se mêle à la chimère des grandes 
destinées. Il lui semble que plus rien n'est impossible à la volonté 
Japonaise. Il s'infatue d'une puissance qui, effectivement, se pré- 
sente aujourd'hui à nous comme un fait accompli. 

Il ne veut point demeurer spectateur immobile des accroisse- 
ments d'influence obtenus en Asie par l'intelligence et l'énergie 
des peuples avec lesquels il aspire marcher de pair. Sur les champs 
de bataille, sur terre comme sur mer, il a fait ses preuves. Il 
s'essaye maintenant aux combats économiques. Déjàil peut opposer 
ses filatures et ses tissages aux industries similaires européennes, 
et comme courriers de mer, dans cette industrie ou l'orgueilleux 
armateur de Londres ou de Lîverpool se croyait sans rival, le 
japonais transporte de Bombay à Londres même à 50 0/0 meilleur 
marché que son concurrrent. 

Quant à ce qui concerne l'armement propre à consolider sa 
puissance, à donner à son influence tout le développement qu'elle 
peut comporter, le Japon n'a rien négligé ; sur ce point, il s'est 
hardiment et largement frayé sa voie. 

L'aiguillon anglo-saxon est d'ailleurs là qui s'attache à ses 
flancs afin d'inciter son impérieux instinct combatif à faire flèche 
de tout bois pour acquérir la puissance qui convient à un allié de 
la Grande-Bretagne. 

Sur les conseils de Londres, l'Empire du Soleil Levant à com- 
pris sans tarder, qu'une flotte est un instrument de conquête, un 
moyen matériel de domination, et qu'il lui devenait indispen- 
sable, d'en posséder une de premier ordre, à l'instar des grandes 
puissances occidentales. 

Il a forgé depuis des années un puissant instrument naval et 
militaire pour défendre efficacement ses intérêts vitaux. En pre- 
mier lieu il s'adressait aux chantiers anglais, américains et euro- 
péens ; il est peu à peu devenu son propre fournisseur ; il répare 
et construit actuellement la plupart de ses navires. 

Cette création maritime, faite sous cette double impression: 
r évidence de l'intérêt et le cri de la nécessité^ a été développée 
avec l'incessant souci de la .*-^dre invincible, avec l'incessante 



— 35 — 

préoccupation qu*eUe serait appelée à accomplir de grandes 
choses en servant de vastes desseins. 

Elle s'explique par le rôle que le Japon a rextrême désir de 
jouer aux confins de rAsie,en s'abritant sous le prestige de Tin- 
vincibilité maritime anglo-américaine. 

Comme tous les peuples jeunes, en sortant d'un long sommeil, 
l'Empire Mikadonal a voulu faire bien et grand. Il y a ample- 
ment réussi et se félicite d'avoir suivi à la lettre les avis et les 
exhortations de ceux qui ont conçu et presque dicté ses des- 
seins. C'est ainsi qu'il possède aujourd'hui une superbe flotte 
créée sur un plan d'ensemble bien arrêté et formée des unités 
modernes les plus perfectionnées. 

C'est une marine offensive servie par des équipages fiers et 
belliqueux ; marine d'opérations actives à l'initiative librement 
développée, ayant, au surplus, déjà donné la triple preuve de 
son sang-froid, de la justesse de ses tirs, de la promptitude de 
ses décisions; en un mot, une marine qui appliquera, sans aucun 
doute, l'axiome célèbre: « Faire la guerre, c'est attaquer ». 

Le traité anglo-japonais. C'est là un événement considérable 
qui marque l'entrée en scène du Japon dans la politique univer- 
selle, événement qui précise et définit un état de choses existant ; 
il aggravera, si elles éclatent, les difficultés extrême-orientales. 

La diplomatie doit, en effet, compter un facteur nouveau qui a 
naturellement la volonté de jouer un rôle international à la hau- 
teur de sa position dans la société des nations et qui aborde ce 
rôle en prenant position contre : 

La Russie en Corée et en Mandchourie, 

Contre la France en Indo-Chine. 

Pense-t-on, en Europe, que le Japon tout féru de sa nouvelle 
politique va limiter ses ambitions au théâtre où il portait quel- 
ques années plus tôt la guerre. 

Lisez les discours de ses hommes d'Etat, de son Ministre des 
Affaires Etrangères. Suivez son action en Corée, en Mandchourie, 
à Pékin, au Siam, en Indo-Chine et vous discernerez avec stupé- 
faction l'ambition qui gît au fond de l'àme japonaise. 

Sa situation géographique l'intéresse vivement aux destinées 
du Céleste Empire. Il estime que cette région de l'Asie étant en 
quelque sorte prédestinée à subir son influence tôt ou tard, il ne 
saurait se résigner à un rôle purement passif. 

S'inspirant de la perspective d'une intimité diplomatique entre 



- 36 - 

Pékin et Tokio, l'Empire du Mikado se montre très enclin à rou- 
couler sous le balcon d'une Chine vaincue, humiliée par les 
barbares occidentaux; de la consoler de successives disgrâces; 
au fin mot, de se placer très avant dans ses bonnes grâces et 
dans une situation assez propice pour nouer avec quelques 
chances de succès et solutionner à la barbe de l'Europe : 
la Sainte Alliance Si no-Japonaise (i). 

Le Japon qui s'est appliqué à devenir une puissance de pre- 
mier ordre veut contrôler l'avenir de la presqu'île coréenne; proie 
désignée aux conquêtes alternatives (2). 

Au travers de la Méditerranée asiatique qu'il considère comme 
sa mer nationale, le Japon a toujours entretenu avec la côte 
coréenne des relations étroites et suivies. 

La Corée apparaît aux yeux des patriotes japonais, comme 
un prolongement de leur propre patrie, soumis à leur influence 
^t réservé à leur autorité. Or, de plus en plus cette ambition tra- 

(i) Désirée violemment par les sociétés secrètes chinoises, voulue passion- 
nément par le Japon, 1 1 Sainte Alliance Sino -Japonaise va devenir le point de 
mire de l'Univers. L* ]apon est prêt à prendre le gouvernail de ce grand 
réservoir de forces silencieuses aujourd'h li, demain sauvages et démentes. 
Le déchaînement de cette colossale masse sur la sjène da Monde marquera 
le signal d'un long et sanglant cartel entre l'Europe blanche et l'Asie jaune. 
Les craintes ne sont que trop précises à cet égard et les nouvelles de l'Ex- 
irème-Orient donnent une apparence de plus en plus angoissante à ce péril 
jaune dont les inconscients peuvent seuls oublier ou nier l'implacable gra- 
vité. 

D'ores et déjà, la Sainte Alliance Sino -Japonaise est une tranchante épée 
de Damoclès suspendue sur la paix du Monde. Bien menu est le fil qui la 
soutient. Malheur aux diplomates qui ne veulent ni voir ni comprendre ; ils 
préparent à l'Europe Continentale de tragiques éventualités. 

Grâ:e à leur criminelle insouciance, la civilisation européenne sera avant 
peu en jeu ; le compte sera long à régler avec la croisade jaune et les sacri- 
fices les plus considérables, tant humains que financiers, auront seuls raison 
du soulèvement asiatique, que nous préparent le cordial mépris et la haine 
latente des Anglo Américains. Henri Moreau. 

(2) La Corée, également connue sous le nom de Royaume SoHiaire ou 
à' Empire du Matin Calme ^ est une importante péninsule asiatiq le. Un c4mat 
sibérien en hiver, une chaleur torride en été, rendent son séjour détestable 
aux habitants des zones tempérées. S 3n' indépendance reste singulièremeot 
problématique. C'est une proie que le Japon convoite ; après avoir été son 
premier rêve de victorieux, elle demeure pour lui le point fixe et invariable, 
le pivot d'une stratégie poursuivie avec une tenace et prévoyante fix'té. 

Henri Moreau. 



— 37 — 

ditionnelle voit se dresser en face d'elle Tambition similaire de la 
Russie. 

La Corée disait récemment, à ce propos, le journal japonais 
le Asaht\ est comme un vêtement pourri^ qu'il faut renoncer à 
raccommoder, car chaque tentative que Ton fait pour boucher un 
trou, en ouvre un autre. i 

Néanmoins le Japon y dévoile, par son attitude, le sens de ses 
desseins, les preuves qu'il lui donne ne sont pas celles du désin- 
téressement ; il lui tarde de résoudre par les armes cette éternelle 
question de la Corée, dont rien ne garantit l'intégrité. Il s y 
emploie passionnément, monte la garde sur ses frontières, et s'ap- 
plique ardemment à organiser de toutes pièces un système défensif 
de ses approches maritimes, car il lui faut compter avec le puis- 
sant adversaire sibérien qui revendique en ces mêmes parages et 
avec la ferme résolution de le maintenir, le plein exercice de ses 
visées. 

L'ours moscovite n'est pas un danger imaginaire et, les entre- 
tiens confidentiels de Tokio et de Londres autorisent à penser 
que dans l'état actuel des choses, l'action russe est devenue un 
véritable cauchemar pour les petits hommes jaunes et leurs amis 
à longues dents. - 

La Corée est un « poing tendu en plein visage de la Chine » 
et, ce poing, les sujets du Mikado voudraient bien en faire jouer 
les muscles. La possession de la Corée sera le couronnement de 
l'œuvre japonaise. Toute la tradition héroïque et légendaire du 
Japon — écrit M. Gabriel Hanotaux — ses origines, ses progrès, 
sa civilisation, son histoire y sa pensée^ sont pendus à la Corée 
comme à la mamelle, I^as une imagination juvénile^ chez cette 
race si fortement ifnaginative^ qui ne soit tournée vers les rayons 
radieux illuminant l'Em^pire du « Matin Calm^ ». 

Dans un rapport sur le Budget général des Affaires étrangères> 
M. F. de Pressensé en parle ainsi : 

Au Japon, il existe un très vif sentiment d'orgueil national; une sorte de 
hantise de. Tidée ambitieuse d'une grande guerre triomphale, une confiance 
absolue dans la valeur de l'armée et dan? la supériorité de la flotte. 

Si l'on ajoute à tous ces éléments le lien traditionnel qui rattache la Corée 
au [apon, Tespèce d'hypothèque que l'esprit japonais a prise, le dévolu qu'il 
a jeté sur le pays, débouché naturel des produits et du surplus des bras du 
lapon, satellite destiné à graviter dans l'orbite de l'Empire du Soleil-Levant; 
on se rendra compte du danger réel de la situation. 

Le Japon n'estime nullement que l'île de Formose épuise son activité; au 



- 38 — 

contraire, il y voit une preuve de ses capacités administratives, un titre nou- 
veau à l'expansion de ses domaines. En Corée, il possède traditionnellement 
et de temps immémorial, des droits fort étendus. Il n'entend pas en céder une 
parcelle ni même tolérer l'installation à ses côtés d'une puissance rivale. 

Ses appétits sont considérables. 

Il n'a fait qu'une bouchée de Formose. Il rêve de jouer à l'égard de 1 im- 
mense masse inorganique de la Chine, le rôle de la Prusse en Allemagne ; du 
Piémont en Italie. Il a porté ses espoirs et ses combinaisons jusqu'au Siam 
lointain. 

Enrégimenter, les Coréens sous le ^i^apeau mikadonal est une 
tejitative qui se conçoit, et les japonais brûlent de consommer ce 
larcin, et de prévenir par cet acte de secrets desseins adverses. 

Sans compter que son ambition pourra bien quelque jour se 
donner carrière aux dépens de la France coloniale. Ce sont peut- 
être là des vues un peu lointaines, mais n'oublions pas que la plus 
solide naïveté régit aujourd'hui les espérances d*un Japon grisé 
par un impudent orgueil qui n'est pas le moindre désagrément de 
son commerce. 

Cet empire qui à Tautre extrémité du monde, s'est assimilé 
tous les progrès européens de l'art militaire, et qui en fait usage 
avec une précision parfaite, donne à plein collier dans le sens des 
convoitises anglo-saxonnes. 

Par son alliance — soi-disant défensive — mais surtout offen- 
sive, avec une nation qui, alors qu'elle foule aux pieds les prin- 
cipes les plus élémentaires du droit des gens, ne manque jamais 
d'en invoquer les plus rigoureux, le Japon aime à croire son avenir 
assuré. 

^nsi devenu le poing de l'opulente mais avide Angleterre, il 
est entré dans l'ère des effusions de sang, des commotions et dts 
accès de fièvre qui perdent parfois les nations les plus fortes. 

Le Japon a pu remporter des succès en 1895^ son entreprise 
fut heureuse; mais il est de ces succès que l'on change en reveis 
en voulant les pousser à bout. 

Aujourd'hui, le gendarme de la Grande-Bretagne va se trouver 
embarqué dans une guerre à la remorque dés anglo-américains, et 
ce, dans des conditions dont la collectivité japonaise ne sera ni 
juge, ni maîtresse. 

L'histoire impartiale, en enregistrant cette main-mise de l'An- 
gleterre sur le Japon, la tiendra comme la véritable préface du 
grand drame anglo-saxon-européen. 



ENTENTE 

ANGLO-AMÉRICAINE 



Ce qui remue violemment le cœur de John 
Bull, laisse toujours une trace profonde dans 
l'âme d'Oncle Sam. 

Henri Moreau 

Quand on écrira l'histoire du Monde, ces deux noms : Angle- 
terre et Etats-Unis, demeureront accolés. — Cette assertion a en 
vérité, sa logique et son histoire. 

Spontanément sortie de l'instinct et du vouloir de la collec- 
tivité anglo-saxonne, Tentente anglo-yankee — qui nous est 
violemment hostile — ne réunit pas seulement deux chancelleries, 
mais également deux peuples qui, sans avoir tout à fait le même 
sang, ont le même héritage de caractère et de tempéramment, de 
volonté, d'audace et d'arrogance. 

Cette entente n'est pas seulement une idée de gouvernement, 
c'est une idée de race. Elle a intéressé l'ambition anglaise aux 
succès de l'ambition américaine et aux claquements du pavillon 
yankee dont la Grande-Bretagne admire la fortune comme son 
propre ouvrage et en conçoit un vif orgueil. 

Les Etats-Unis sont dans l'âge de l'orgueil et de l'espérance. 
Us en sont à cette heure fortunée où les flots et les vents se f^nt 
dociles à leurs désirs et les entraînent à l'envi vers la supré- 
matie. 

Portés par l'ascendant de l'audace, ils sont décidés à épuiser 
les faveurs de la fortune. 

On sent en cette nation une force menaçante. 

Ce peuple qui affiche, avec une impétuosité si confiante, sa fol 
en lui-même, et, qui prenant de plein droit la tête de U race 
anglo-saxonne, se réclame avec orgueil de sa robuste vitalité, 
trouve sans cesse en lui, avec des appétits toujours plus grands. 



- 40 -- 

une source inépuisable de forces nouvelles, promesses répétées 
d'un avenir de richesse et de puissance. 

Cette nation qui, telle l'Angleterre^, révère avec candeur le 
dieu de la Force, fatigue de son nom les échos de TUnivers, et sa 
politique menace de nous oppresser à l'égal d'un cauchemar. 

Dans la fièvre d'annexion qui la pousse à tous les horizons, 
cette collectivité s'arme, se crée et se réserve des appuis, non 
p\s pour conserver ce qu'elle a, mais pour usurper ce qu'elle 
convoite. Au sein de ce peuple, une fièvre d'accaparement s'est 
emparée de tous les esprits, et, avec l'énergique persévérance du 
génie anglais, il s'apprête à refaire la carte du Monde. 

Jaloux des lauriers moissonnés par l'Angleterre, il s'imagine 
pouvoir tout, et cette ambition de pouvoir tout le conduit par 
une impertinente logique, à tout désirer. 

Systématiquement, hostile à tous intérêts européens, sa virile 
confiance se laisse enivrer par un heureux optimisme, le Nouveau 
Monde est un simple artichaut, qu'il semble naturel à ses 
robustes et décisives facultés de cueillir feuille à feuille. 

Les grandes passions — a dit Carnot — font les grandes 
nations. 

C'est ainsi que le peuple yankee traverse l'Histoire, avec une 
attitude d'énergie intime^ de solidité, de résolution, de persé- 
vérant acharnement, qui en fait le digne héritier de ce peuple 
anglais qui a fortement construit l'avenir de sa race^ de cette race 
anglo-saxonne, dont l'histoire singulièrement significative, a pour 
cacactère dominant, le dédain des faibles et l'extermination des 
petits. 

On ferait trop d'honneur à sa politique en la supposant 
capable d'un scrupule susceptible de l'obséder. 

' Après avoir déployé en Amérique Centrale, en Afrique 
Australe, comm^î partout ailleurs et avec une remarquable 
ténacité, les multiples ressources de son art astucieux et subtil, 
la diplomatie anglo-américaine a, de nouveau, jeté son dévoln 
sur l'Extrême-Orient, où, fidèle à ses procédés habituels, elle 
espère sans trop d'efforts, lasser l'énergie des puissances euro- 
péennes, et décourager leurs fermes résolutions. 

Elle y est en excellente posture, car la nation qui possède 
Manille — autrefois entrepôt des marchandises de l'Inde et de la 
Chine — est appelée à jouer un rôle important dans l'histoire 
politique et commerciale de l'extrême Asie. 



- 41 — 

Cest près des Philippines, s'écriait en i902^1e_célèbrç contre- 
amiral Melville, qu'il faudra livrer nos futures bataille^. 

De toutes les conséquences probables de la guerre hispano- 
américaine, la plus grave, celle qui préoccupe le plus l'ppinion 
des hommes d'Etat européens, c'est l'établissement des yankees 
aux Philippines, parce qu'un nouveau concurrent, jusqu'à présent 
éloigné et discret en apparence, venait s'installer aux portes de 
la Chine et s'ajouter à ceux qui en guettent déjà les dépouilles. 

On sait, entre parenthèses, que le formidable appétit des con- 
citoyens du Président Roosevelt, n'a pas été rassasié de leur pre- 
mier coup de deri^t dans les eaux. asiatiques. 

Le yankee a pris le miel et l'essence de la doctrine anglaise ; 
à l'instar de Londres, Washington égrène incessamment son cha- 
pelet de revendications, se souvenant, à propos du mot de 
Machiavel : « Les revendications longtemps affirmées^ finissent 
par constituer des droits, » 

Si Uncle Sam n'a pas inventé la diplomatie du Foreign 
Office^ tout au moins l'incarne-t-il avec éclat, ce qui revient à pré- 
dire, que dans la poursuite de desseins réprouvés par la conscience 
universelle, il encourra en Asie comme en autres lieux le désaveu 
du Monde. 

En matière diplomatique l'Angleterre possède un entraîne- 
ment professionnel et des connaissances spéciales qu'elle a mises 
à la disposition des Etats-Unis [apparemment fort dociles ; et c'est 
ainsi que si Londres a beaucoup de tours dans son sac, Washing- 
ton n'en a pas moins et des meilleurs. 

L'histoire du dernier quart de siècle, dépeint admirablement 
le mécanisme de cette diplomatie anglo-saxonne qui excelle à 
jeter un faux vernis d'équité sur une politique imbue d'évidente 
partialité. 

Je parle de cette diplomatie peu scrupuleuse et fertile e^ 
expédients, excellant dans l'art de pénétrer les intentions d au- 
trui sans découvrir les siennes, et d'arriver à son but sans avoir 
l'air de le poursuivre; diplomatie dont une souplesse insinuante 
est la primordiale qualité, et dont les appétits exorbitants, se 
cachent toujours derrière le masque de la justice, de l'humanité 
et de la civilisation. 

Mul n'est plus diplomate que l'anglo-saxon. Nul ne pratique 
aussi bien la dissimulation et ne déjoue mieux les calculs de ceux 
dont il trompe l'attente. 



- 42 - 

Nul n'a mieux rintelligence des mobiles qui font agir les 
hommes et le discernement des ressorts cachés qui déterminent le 
cours des événements. 

Nul, en un mot, ne possède à un plus haut degré la science 
de la diplomatie et de ses manèges, que cette race à prompte et 
virile détermination. 

La politique des Etats-Unis est en somme le calque de la poli- 
tique britannique, quoique des deux, la première tende à être 
encore plus encombrante, mais, néanmoins, sans jamais dévier de 
cette ligne traditionnelle anglo-saxonne qui s'est constituée l'ini- 
tiatrice de tous les peuples de la langue anglaise. 

L'on conçoit d'ailleurs, que ce soit à Washington que l'exemple 
de Londres ait le mieux profité. 

Et Washington est fière de posséder à fond le bréviaire natio- 
nal anglo-saxon . 



La sympathie s'étoile sur les rapports des deux nations 
anglaise et américaine qui ont tout à gagner à être unies, tout à 
perdre à ne l'être pas. Elle est en quelque sorte naturelle l'attrac- 
tion que doivent mutuellement éprouver deux peuples si étroite- 
ment apparentés. 

L'attention anglaise s'est déjà portée avec une nuance de res- 
pect attendri sur les Etats-Unis ; elle éprouve à l'égard de cette 
fraction puissante de la collectivité anglo-saxonne une très vive 
sollicitude. Les relations entre Londres et Washington sont pour 
le Foreïgn O/Jz'ce l'objet d'une constante attention ; il évite tout 
ce qui pourrait y jeter un trouble, même passager, il multiplie les 
concessions, il se fait en un mot caressant et obséquieux à 
plaisir . 

Anglais et yankees, sont, il est vrai, demi-frères. En l'un 
comme en l'autre, prime une intelligence que l'ensorcellement du 
succès raidit en orgueilleuses formules. 

Jamais deux peuples ne se sont mieux entendus que ces anglais 
et ces yankees, qui, chacun sur leur continent, marchent du pas 
le plus rapide dans le chemin de l'accroissement territorial. Il peut 
y avoir entre eux des malentendus, il n'y a pas de dissentiment 
véritable. 

Rapprochés par la conformité de leurs animosités, par la con- 
cordance de leurs inimitiés ; ils ont des antipathies qui les servent, 



-13 - ' 

de communs ressentiments qui les unissent ; ils n*ont point de 
sympathies qui les gênent, point de faiblesses qui troublent leur 
âme. 

Les souvenirs qui enflent le cœur de John Bull ne manquent 
pas de chatouiller Torgueîl d'Uncle Sam qui brûle de Tenvie de 
posséder sa puissance en égalant sa gloire. 

Aux yeux de l'anglais, le yankee est le symbole altier de sa 
force de caractère ; le glorieux rejeton qui possède au souverain 
degré, ses vertus typiques ; le vrai fruit de ses entrailles ; le fils 
vraiment fait à son image ; sa personnification complète. 

Le yankee s'impose à tous les raisonnements comme l'expres- 
sion même du génie anglo-saxon dans le double domaine de 
l'action et de l'ambition. 

Comparez John Bull et Uncle Sam ; le langage irritant de l'un 
cadre bien avec les allures cassantes de l'autre ; l'arrogance 
anglaise est bien sœur jumelle de la morgue yankee. Pénétrez 
leurs sentiments et vous observerez que ce qui remue violemment 
le cœur de l'un, laisse toujours une trace profonde dans l'âme de 
l'autre. 

Sur les bords de l'Hudson, comme sur les bords de la Tamise, 
la communauté des intérêts se fortifie de la communauté de race 
pour souligner, de part et d'autre, le caractère d'une fraternité 
latente. 

Partout l'anglais prête au yankee — et vice versa — son con- 
cours moral, fait cause commune avec lui : l'intimicé anglo-amé- 
ricaine durant la guerre de 1898 en est la preuve la moins équi- 
voque. 

Entre ces deux leviers qui ont mis en commun leurs convic- 
tions, leur clairvoyance et leurs prévisions^ s'est imposée l'idée, 
d'appeler au service de leur influence, les bienfaits du groupe- 
ment. 

L'agissante affinité qui les unit, les a conduits à une instinc- 
tive entente oftensive et défensive ; entente basée sur une compré- 
hension réciproque dei intérêts. Entente remarquable aujourd'hui 
par son opportunité, brillante demain par ses résultats. 

Que l'Angleterre, écrit M. de Lanessan, ancien gouverneur de 
l'Indo-Chine, se mette d'accord avec les Etats-Unis, déjà maîtres 
des Philippines, et, elle aura, dans les parties centrale et méri- 
dionale des mers de Chine, une situation au moins égale à celle 
que la Russie occupe dans la région septentrionale de ces mers. 



' - 44 — 

L'entente anglo^américaine voyez-la s'exercer, toujours en 
quête d'une spoliation nouvelle ; le domaine colonial de l'Europe 
excite ses convoitises, éveille ses jalousies, alimente ainsi une 
double haine désireuse de fraterniser sur les champs de bataille. 

Voyez-la, en Extrême-Orient, où Talliance franco-russe lui 
est redevable d'incessantes inquiétudes. 

Voyez-la en tous lieux, s'exercer de façon significative. 

Partout où il y a une cause Anglo-Saxonne à défendre, les 
bannières de l'Angleterre et des Etats-Unis se solidarisent, sinon 
toujours ostensiblement, tout au moins toujours efficacement. 

Vous en trouverez la plus forte expression : à Hong-Kong, où 
l'Angleterre ravitaille en charbon la flotte de l'amiral Dewey. 

A Cavité, où, durant la guerre Hispano- Américaine, l'Angle- 
terre fut à tous moments prête à mettre son enjeu dans la 
partie. 

A Shanghaï où l'aigle yankee et le lion britannique font 
quotidiennement un touchant étalage de leur chaleureuse cama- 
raderie. 

A Suez, où durant ladite guerre Hispano- Américaine, le 
gouvernement Anglo-Egytien refuse à l'escadre Espagnole le 
charbon nécessaire pour gagner les Antilles et combattre les 
Yankees. 

Tout ceci, à l'entière satisfaction des intérêts Anglo-Saxons. 

Jusqu'en Ethiopie, où l'envoyé extraordinaire américain, 
s'unit à l'Angleterre, pour contrebalancer les influences Russes et 
Françaises. 

Touchant accord à peine déguisé dans son agressive malveil- 
lance. 

Cette entente conciliatrice de trois sortes d'intérêts : l'intérêt 
de nationalité, l'intérêt stratégique, et l'intérêt d'équilibre, a été 
reconnue, avouée, en Amérique, dans les termes les mieux saisis 
sables. Ecrivains professionnels, politiciens, sénateurs, hommes 
d'Etat, ont tour à tour précisé son existence et revendiqué le 
bénéfice de sa sollicitude pour les intérêts Anglo- Américains des 
cinq parties du monde. 

L'entente Anglo-Américaine ; le bruit discret en est à peine 
arrivé en France comme par des bouffées de chuchotement. C'est 
assurément là, une fort belle réalité pour la race Anglo-Saxonne. 

Cecil Rhodes ne sacrifiait-il pas l'Angleterre aux destinées 
de la race Anglo-Saxonne. « La réunion de toutes les nattons de 



- 45 — 

langue anglaise^ disait-il, est en elle-ntênie un but si grand quelle 
peut justifier même le sacrifice des intérêts distincts et de 
l'existence indépendante de l'Angleterre, > 

La Terre promise des « Anglais de Dieu », comme les appe- 
lait Milton, est aujourd'hui la Terre Yankee, où la griffe de 
rimpérialîsme fructifie sans entraves ; où les grandes ambitions 
mondiales, jouissent d*un tremplin aux ressorts irrésistibles. 

Certes, aux Etats-Unis, plus encore qu'en Angleterre, l'impé- 
rialisme est le palladium des aspirations nationales. 

L'ogre Anglo-Saxon s'en flatte, et le donne à entendre, à 
chaque usurpation nouvelle. 

Retenons à cet égard l'opinion de M. d'Estournelle de 
Constant. 

« Le péril américain s'avance sur l'Europe avec l'inexorable 
» tranquillité du rouleau à écraser le macadam^, » 

C'est un fait acquis, que ce péril portera les fruits qu'on en 
doit attendre. 

M. Edouard Rod le juge avec une égale appréhension : 
c( En Amérique, j'étais rempli de l'inquiétante grandeur de ce 
» spectacle si nouveau pour un flâneur de nos villages européens. 
» Je sentais fortement qu'il se prépare là une nouvelle conquête du 
» Monde, > 

Celle-ci ne se bornera pas à des territoires isolés, elle englobera 
la terre entière, non-seulement avec ses richesses visibles, mais 
avec les forces intimes et mystérieuses des cieux et des vents, et 
sous sa pression formidable, disparaîtra notre civilisation, comme 
disparut la civilisation romaine, sous la pression des barbares. 

Sans doute elle respectera les monuments, mats elle en détruira 
l'esprit. 

Cette impression, si alarmiste soit-elle, je défie quiconque a 
voyagé à travers le monde, de ne pas en avoir été nille fois 
imprégné, mille fois saisi, mille fois bouleversé. 

Cet envahissement moral et matériel, poursuivi avec tant de 
ténacité et de suite dans les idées, donne aux nations continen- 
tales-européennes une éloquente leçon d'énergie réfléchie. L'inten- 
sité de cette œuvre de conquête et d'expansion réside surtout 
dans ce fait qu'en Amérique la population animée des mêmes 
ambitions que son gouvernement — très accessible lui-même aux 
passions nationales — est, en toutes occurrences, prête à associer 



— 40 — 

son industrie, son commerce, ses capitaux, à la réalisation de ses 
projets. 

•*• 
Quand on prend du terrain, on n'en saurait trop prendre, 
c'est ce que révèlent des prétentions incommensurables émises 
chaque année, chaque jour, chaque heure qui s'écoule. 

Malheur à qui barre la route ??? 

il faut des terres pour la race anglo-saxonne, encore des terres, 
toujours des terres. 

Le Pan-Anglo-saxonisme dont les États-Unis et l'Angleterre 
sont les grands prêtres, revendique comme terre d'empire, toutes 
les contrées où se sont fixés des pionniers anglais ou yankees. 

De même que les modestes fils de Dame Albion, les Nord- 
Américains appellent à eux d'une voix persuasive, tous les terri- 
toires qui, par lent position ou leurs richesses, semblent devoir 
favoriser l'expansion ou accroître la puissance de l'empire 
anglo-saxon. 

Dans ces Terres Promises le Pan-Anglo-saxonisme élargit 
sans relâche ses relations commerciales, multiplie ses résidents, 
fortifie son influence avec l'espérance avouée de finir par se 
trouver insensiblement chez lui. 

C'est un chant que la sirène britannique et la sirène yankee 
font entendre à l'envi. Ceux qui ne se laissent pas circonvenir 
par des insinuations à voix basse, par des instances multipliées, 
par d'adroites suggestions rehaussées de théories attrayantes, 
par des amorces présentées sous une forme discrète et engageante, 
on s'apprête à les contraindre par force exigences agressives, à 
les réduire par des revendications léonines. 

Ainsi, à la conception européenne du maintien de la vieille 
Chine, s'oppose la conception anglo-saxonne d'une Chine moder- 
nisée, militairement outillée et financièrement organisée. 

Conception très compréhensible. L'Angleterre est insulaire 
et le Pacifique sépare la Chine des Etats-Unis ; donc, aucune 
appréhension du péril jaune ; aucune crainte de l'invasion chi- 
noise fonçant sur Londres ou Liverpool, sur New- York du San- 
Francisco. 

Et dans ce cas spécial comme dans tous autres également 
diplomatiques, le facteur yankee, exerce son activité, dans le 
même sens que le facteur britannique. 



— 47 — 

Ce qu il y a de périlleux pour TEurope, dans cette solidarité 
anglo-saxonne, dans ce pacte liant Londres et Washington au 
cours de toute conjecture éventuelle, ne semble point nous pas- 
sionner outre mesure, et, c'est pourtant là, ce que j'appelle une 
des faces les plus graves du problème mondial. 

Le souci de l'avenir s'unit au souvenir du passé pour resserrer 
cette solidarité, car John Bull a besoin d'Uncle Sam, pour jeter 
la confusion dans le Monde en portant un grand coup à l'Europe. 

L'Angleterre a posé son masque devant ce confident intime 
qui a hérité de ses plus brillantes qualités ainsi que de ses plus 
graves défauts ; elle s'est liée à lui par la promesse d'une action 
commune, et, de par cette entente qui est son œuvre, elle espère 
assurer la gloire de sa race. 

J'affirme que la Grande-Bretagne a comme alliée virtuelle la 
République des États-Unis, et ce, dans le cas ou quelque compli- 
cation surgirait entre l'Empire Britannique d'une part, et la 
Russie, la France et l'Allemagne d'autre part. 

J'affirme que l'Europe en 

dupe d'une véritable comédie 

et que les divergences — voulues — ostensibles entre Londres et 
Washington, masquent une entente certaine. 

Ce bloc anglo-saxon que les événements et les perspectives 
ont également constitué, reflète une croyance inébranlable en son 
avenir, et se passionne au suprême degré, pour le développement 
de sa puissance dans le Monde. 

Il entasse prétextes sur prétextes, et imagine chaque jour de 
nouveaux stratagèmes pour mettre en lambeaux la solidarité 
européenne. 

Nous aurons à le combattre ce bloc anglo-saxon, car en dépit 
des hypocrites protestations — d'ailleurs de plus en plus espa- 
cées — de ses trois éléments, il menace l'ordre européen, et, 
souhaite de nous infliger tôt ou tard un de ces échecs où sombrent 
les plus résistantes collectivités. 

Considérons-le donc comme un tout formidable, dont il nous 
appartient de frapper d'impuissance les efforts, les tendances et 
les prétentions. 



- 48 



ACCORD 

YANKEE-JAPONAIS 



Cet homme de paille qu'est le Japon, 
marionnf'tte olivâtre à la solde et à la 
dévotion de Londres, est aujourd'hui le 
commis-voyag'eur de l'influence anglo- 
saxonne en Extrême-Orient. 

Henri Moreau. 

Sî le demî-sîècle qui vient de s'écouler a été fécond pour les 
Etats-Unis dont Tadmirable vitalité natîonale a brillamment mar- 
qué une étape mémorable, il ne Ta pas moins été pour le Japon 
ouvertement inféodé à l'Angleterre, devenu en Extrême-Orient 
le satellite de la race anglo-saxonne et pourvu aujourd'hui d'une 
flotte redoutable, d'une artillerie supérieure et d'une armée qui a 
fait ses preuves de vaillance et d'endurance. 

Que les Etats-Unis aient ou non un pacte tacite avec le Japon, 
il n'en est pas moins certain que leur génie pratique et dévorant, 
le prise comme une excellente autant qu'indispensable recrue, 
qu'un intérêt sans égal leur commande d'avoir toujours à leur dis- 
position. 

C'est l'Amérique qui a guidé les premiers pas du Japon vers la 
civilisation et qui fut toujours son amie sur le terrain politique. 

Le Japon, écrit Rising Sun (i), est destiné à devenir une 
gigantesque colonie industrielle des Etats-Unis. Ceux-ci s'infil- 
trent partout dans l'Empire du Soleil-Levant, engagent des capi- 
taux dans les compagnies et sociétés en crise, créent de nouvelles 
entreprises sous des noms japonais, mais strictement américaines 
au point de vue financier; ils ont des pétroles, des mines, guident 
la trustification des industries de la soie et du coton dans le but 
de les absorber plus facilement par des hypothèques globales ou 

(1) Rising Sun, Questions Diplontitiques et Coloniales, 



— -49 — 

des catastrophes financières qu'ils auront rhabileté. et la force de 
provoquer en temps opportun. 

Le déplacement vers l'Ouest de Taxe économique des Etats- 
Unis, la prodigieuse croissance de leurs exportations, le perce- 
ment ducanaî de Panama, le développement des lignes de navi- 
gation américaine à destination de l'Asie et de l'Océanie, en font 
de plus en plus une puissance du Pacifique. 

Les intérêts de l'union américaine en Corée, sa frontière dans 
la mer de Behring, son acquisition des Philippines qui l'implique 
étroitement dans toute crise asiatique, l'obligent à des relations 
étroites avec le Japon et décèlent, avec une claire évidence, la 
certitude de l'entente concertée entre les Cabinets de Washington 
et de Tokio. 

Elle apporte d'ailleurs aux Yankees un appoint considérable 
de force et d'autorité dans le Pacifique où les américains sont 
appelés à jouer un rôle grandissant à même de justifier les paroles 
récemment prononcées par le Président Roosevelt : « Au cours 
du nouveau siècle qui commence^ le Pacifique^ où les Etats-Unis 
occupent déjà une position prépondérante^ doit passer sous notre 
influence commerciale, » 

N'y eût-il que ce résultat à porter à l'actif du pacte yankee- 
japonais, que l'entrée en ménage de ces nouveaux époux en 
acquerrait une réelle puissance leur permettant de tenir un rang 
sur des eaux où les nations vont se trouver obligées de mettre à 
contribution tous leurs éléments combatifs. 

Les Etats-Unis ne font pas mystère de leur tendresse pour le 
Royaume du Soleil-Levant. 

Il y a deux ans, l'opinion yankee se prononçait manifestement 
en faveur de l'alliance anglo-japonaise. Au surplus, à la signature 
du traité Hayashi-Lansdowne ^ on exprimait ouvertement l'opinion 
dans les cercles diplomatiques, que les Etats-Unis en bénéficie- 
raient le plus, car il leur assurait le maintien de leur politique de 
la porte ouverte. Cette opinion se trouvait officiellement corro- 
borée par la dépêche du secrétaire d'Etat américain à l'ambassa- 
deur des Etats-Unis à Londres, le chargeant de notifier au gou- 
vernement britannique l* adhésion des Etais-Unis' 2i la politique 
générale indiquée dans le traité anglo-japonais. 

N'est-ce pas là déjà un symptôme significatif? 

De même, durant la guerre sino-japonaise, la destruction de 



— 50 — 

l'Empire Chinois était journellement recommandée par la presse 
américaine. 

Quant aux sentiments russophobes, ils ne sont plus un secret 
que pour les politiciens vieux répertoire. Le Temps lui-même 
daigne en convenir : 

Le temps n'est plus — dit cet austère quotidien — où une curieuse et para- 
doxale sympathie unissait la Grande République à l'empire des tzars. Force 
nuag-es ont surg-i. Il y a quelque incompatibilité d'humeur entre les deux 
nations. 

Le monde officiel russe n'a pas pardonné au Président Roosevelt la trans- 
mission de la protestation des Beni-Brith contre les massacres antisémites de 
Kichinev. Malgré de méritoires eflForts, l'ambassadeur du Tzar à Washington» 
le comte Cassini, n'est pas per sonna grata auprès d'un gouvernement et d'un 
peuple qui l'accusent de trop user d'un moyen peu en usage dans' sa patrie, 
de la presse. 

Surtout en Extrême-Orient, il y a antagonisme d'intérêts entre les deux 
pays. Les Etats-Unis veulent la porte ouverte en Chine. La Russie n'y con- 
tredit pas» mais elle entend en avoir la garde» en être le concierge, en tirer ou 
en refuser le cordon à son gré. 

Le conflit a éclaté à propos de la Mandchourie et du traité de .commerce 
sino- américain; dix mois durant, M. de Lessar a su conjurer les efforts du 
Président Roosevelt, de M. Hay, de M. Conza. Finalement le traité a été 
signé. 

Il vient d'être ratifié, et pour réparer le temps perdu, l'échange des ratifi- 
cations s'est fait télégraphiquement. 

Le traité de commerce sino- japonais, signé le 9 octobre à Shan- 
ghaï^ contient l'engagement formel de la part de la Chine d'ouvrir 
au commerce international, les villes de Moukden et de Takou- 
shan, situées en Mandchourie. 

Cette clause fut introduite afin de permettre aux Etats-Unis 
d'agir effectivement dans la question de l'évacuation de la pro- 
vince mandchourienne. 

Le traité sino-américain stipule de similaires obligations. 

Il est visible à tous, que les Yankees ont voué aux sujets du 
Mikado toute leur bienveillance contre les Russes. Us le sou- 
tiennent et l'aiguillonnent dans cette querelle russo-japonaise, qui 
menace d'ébranler le monde. 

L'opinion de la presse américaine est flagrante à cet égard. 
Ils ont, d'ailleurs, fait part dernièrement à la Russie, qu'ils appuie- 
ront le Japon dans sa demande d'ouverture de la Mandchourie, 
au commerce du Monde. 

Les sentiments mêmes de la Maison-Blanche et du Départe- 



— 51 — 

ment d'Etat sont à un assez haut diapason, pour que M. Roose- 
velt et M. Hay affirment dans leurs conversations, que c la Russie 
est absolument dénuée éC honneur national y>. 

Un accord yankee-japonais ? 

Mais, objecteront les esprits pondérés, sur quoi «e base cette 
présomption, et comment un accord d'une importance historique 
aussi manifeste, a-t-il pu demeurer ignoré. 

Ce bail tacite est le corollaire de Talliance anglo-japonaise et 
de l'entente anglo-yankee. L' « Aigle yankee » escorte ainsi la 
« Baleine anglaise », déjà convoyée du « Requin japonais >. 

Altière et féroce trinité dépéceuse de continents. 

Rien de plus intelligible que cette convention — aux yeux de 
ceux qui puisent leurs renseignements aux bonnes sources, et 
suivent avec un intérêt bien justifié la politique mikadonale. 

Rien de plus compréhensible que cet accord yankee-japonais 
— en dépit même de l'affectation que met Washington à éviter 
tout ce qui aurait l'air d'entretenir à un degré quelconque, une 
entente avec Tokio. 

Il serait imprudent de vouloir l'amoindrir en raison de ce qu'i 
s'est traité à huis clos, car les événements en présentent une 
explication plus que suffisante. 

Et, d'ailleurs, les mariages de raison sont-ils rares en po- 
litique ? 

N'y sont-ils pas souvent justifiés ? 

Quoi d'étonnant à ce que le Japon s'entende intimement avec 
les Etats-Unis, et ajoute ainsi une seconde corde à son arc, dans 
l'espoir de se hausser d'emblée au premier rôle et au premier 
rang. 

Il ne nous semble pas nécessaire de soulever mystérieusement 
les voiles du sanctuaire de la diplomatie, pas plus que d'être dans 
le secret des dieux, pour se rendre compte que les marines alliées 
de ces deux Etats, essentiellement maritimes, ont toutes chances 
d'avoir la haute main, dans des eaux qui ne sont pas précisément 
appelées à devenir le suprême refuge de la concorde interna- 
tionale. 

Leur association jaillit, en somme, spontanément, et naturel- 
lement, de la communauté de leurs intérêts. 

En réalité, l'existence d'un accord yankee-japonais, explicite- 
ment libellé contre l'Europe, est depuis longtemps pressentie des 



— 52 - 

gens très sûrement informés ; on le discerne dans la coulisse, prêt 
à paraître sur la scène, et ce, sans être instruit de sa teneur, sans 
en connaître exactement les conditions essentielles. 

Cet accord étonne, à la manière de toutes les choses que la 
masse a quelque peine à s'expliquer. 

Il détient certainement des droits, à Tétonnement de ces talen- 
tueux écrivains français qui disposent imperturbablement de la 
politique internationale, sous les plafonds inspirateurs de notre 
merveilleuse Bibliothèque Nationale, mais il ne saurait surprendre 
aucun publiciste, aucun voyageur, aucun diplomate, qui, sous 
les cieux mêmes du Japon et des Etats-Unis, ont personnellement 
vu se préciser les motifs plausibles et les causes suffisantes de 
cette transaction politique demeurée jusqu'ici secrète. 

Un accord Yankee-Japonais. 

Mais, sans même enregistrer toutes les secrètes pensées, 
toutes les oscillations mentales de ses contractants, on en dis- 
tingue aisément la pensée. 

C'est de plus avec toute la netteté possible qu'on en élucide la 
cause et l'objectif. 

Si les détails de l'accord y ankee-japonais demeurent enveloppés 
de mystères, ses causes premières sont facilement déterminables. 
Peu de pactes sont aussi importants dans leurs conséquences, aucun 
ne comporte un thème où les intérêts ont plus clairement parlé en 
toute spontanéité. 

En convoitant le patronage de la race jaune, en prétendant 
devenir le professeur et le maître d'une Chine régénérée, en nour- 
rissant le secret espoir de prendre la direction politique de la 
Cour de Pékin et d'associer par des liens étroits d'intérêts com- 
muns à l'égard des étrangers, les destinées du Céleste Empire à 
celles de l'Empire du Soleil-Levant, le Japon cède à un esprit 
d'aventures qui ne l'autorise point à se confiner dans l'isolement. 

Or, dans la société chaque jour plus serrée des nations, l'iso- 
lement n'a plus sa raison d'être, l'individualisme politique est 
vieux jeu. 

L'association a ses charges, ses inconvénients, mais elle jouît 
en letour de bénéfices et d'avantages efficaces qui la justifient 
amplement. 

En ce cas l'amitié et l'appui des Etats-Unis avaient pour le 
Mikado un trop grand prix pour qu'il ne mît pas un véritable 



- 53 — 

empressement à répondre aux avances ayant pu être esquissées à 
son égard. 

La vérité est que cette nation qui, il y a à peine .^un 
tiers de siècle, refusait l'entrée de ses ports à tout étranger, a 
maintenant l'intelligence et l'œil ouverts sur les problèmes de la 
politique universelle, de la politique mondiale; plus ouverts 
même que bien des nations européennes. 

Plus le Japon élargit le champ de ses ambitions, plus il incline 
à devenir le cœur et la tête de la race jaune. Plus il devient puis- 
sant, plus le maintien de l'équilibre en Extrême-Orient se fait 
instable et devient problématique. 

On conçoit aisément qu'incités par l'espoir que l'avenir récom- 
pensera leur prévoyante duplicité, les Japonais et les Yankees se 
soient unis pour solidariser leurs intérêts dans le Pacifique et met- 
tre à l'abri de toute atteinte européenne l'équilibre nouveau qu'ils 
s'essayent à fonder en Chine au détriment de la France, de l'Alle- 
magne et de la Russie. 

L'intervention intime de ces deux grandes puissances n'a donc 
rien qui puisse nous surprendre, car si depuis bien des années les 
Etats-Unis ont pour pensée la maîtrise du Pacifique, c'est égale- 
ment ce grand océan qui ti ent au cœur des Japonais, et de ce côté 
là, les sujets du Mikado ont dirigé une partie de leurs efforts. 

L'àpreté toujpurs croissante de l'Europe à se partager l'Asie 
avait provoqué l'alliance anglo- japonaise, le rush incessant de ces 
mêmes ambitions vers l'Extrême-Orient a déterminé l'accord 
yankee-japonais ainsi devenu le corollaire du traité Hayashi- 
Lansdowne, c'est uniquement dans la pensée d'atteindre les inté- 
rêts de tous ordres de l'Europe, que les prétendus protecteurs 
de la Chine ont imaginé et organisé le Concert anglo -yankee- 
japonais. 

• 

Si accord il y a ; quel est-il ? 

Que peuvent bien être ces négociations discrètement conduites 
et adroitement résolues. 

Ceci demeure pour le moment le secret des contractants ; 
mais, qui exige de la discrétion, n'impose pas le silence. Il y a 
touchant la politique extérieure des secrets, et, bien des demi- 
secrets dans les milieux officiels. 

D'après les déclarations en février 1902 de Lord Cransborne 
sous -secrétaire parlement aire aux Affaires Etrangères , à la Chambre 



-64 — 

des Communes, la substance de Taccord anglo-japonais avait été 
communiquée aux Etats-Unis avant la publication du traité. 

En retour, les Cabinets de Tokio et de Washington, ne se 
sont certainement pas aventurés dans cette négociation sans avoir 
respectivement fait la confidence à celui de Londres qui semble 
en être demeuré Tunique dépositaire. 

II n'a en effet, guère été commenté, et encore moins exacte 
ment pesé, ce pacte, entre riverains du Pacifique^ qui par ses 
conséquences, ne mérite guère de passer inaperçu au milieu de 
l'inattention des gouvernements et des peuples. 

Le silence qui entoure cette convention conclue par les 
yankees et japonais pour la garantie réciproque de leurs intérêts 
en Extrême-Orient, est aisément explicable. 

L*Empire du Soleil-Levant et la Grande République anglo- 
saxonne ont justement pensé que proclamer à son de trompe une 
^entente déterminée et clairement productrice de conséquences 
fâcheuses pour l'Occident, répandrait quelque alarme autour de 
son berceau. 

Devant une situation aussi peu désirable pour ses intérêts 
asiatiques, TEurope naturellement chatouilleuse en ce qui con- 
cerne le Pacifique, se serait demandée dans quel énigmatique 
dessein elle avait été formée. 

On aurait prétendu qu'une alliance entre dei;x peuples aussi 
dissemblables pour ne pas dire aussi opposés, ne pourrait dériver 
que d'intentions équivoques. 

Mystère de la politique que cette union entre peiu jaune et 
peau blanche contre peau blanche elle-même. Elle est parfois 
déconoertante cette logique étrange qui gouverne les actes de la 
diplomatie ; mais au fait, ce n'est ni la première et ce n'est 
apparemment pas la dernière fois qu'une grande puissance de la 
collectivité blanche, s'adjuge la licence de pactiser avec les 
adversaires de la race dont elle se réclame. 

Le partenaire choisi par les Américains est hors de ce qu'on 
appelait jadis la République chrétienne. 

Pour avoir au seizième siècle — en un moment de détresse 
extrême qui légitimait la hardiesse de cette innovation — conclu 
un accord du m^me genre avec le Turc, le pauvre roi de France 
se vît traiter de renégat par une bonne moitié de l'Europe. 

Nous avons fait du chemin depuis lors. On ne se représente 
pas bien le Tzar où l'Empereur Guillaume provoquant en duel le 



- 55 — 

Président Roosevelt pour le punir de son alliance avec le Mikado 
— comme Charles Quint provoqua authentiquement François P*^ 
dans un accès de la pieuse indignation qu'avait excitée en lui le 
spectacle de l'intimité sacrilège du Roi très chrétien et cm Com 
mandeur des croyants. 

En tout cas, pour n'être plus à notre époque qualifié de scan- 
dale, l'accord Yankee généreusement oflFert au Japon et pris en 
due considération par lui, contribue — nous en aurons prochaine ■ 
ment la preuve — à lier étroitement en vue d'une éventualité 
peut-être imminente deux nations que certaines rivalités d'in- 
fluence économique pouvaient séparer, mais que des intérêts 
supérieurs communs viennent dç réunir. 

En raison des facilités avec lesquelles elle peut devenir offen- 
sive, cette négociation volontairement laissée sous le manteau, 
est une sensible malveillance à l'égard de l'Europe. 

Après s'être inquiétée directement de l'alliance Anglo-Japo- 
naise, cette dernière doit se préoccuper spécialement de l'accord 
Yankee-Japonais, autre réalité tangible, dont il n'est plus 
permis de ne pas tenir compte. Elle se présente comme la seconde 
sanction de la gravité du problème infiniment complexe de 
l'Extrême-Orient. 

On en demandera, il est vrai, la preuve matérielle, on objectera 
que cent centièmes de preuves n'en constituent pas une entière, 
et les commentaires ironiques iront leur train jusqu'à ce que 
quelque trait de lumière la dévoile spontanément. • 

A l'instar de l'alliance Anglo-Japonaise qu'elle rappelle d'une 
manière très instructive, et, dont, à vrai dire, elle découle, 
l'association Yankee-Japonaise ouvre la porte à une étroite poli- 
tique d'intérêts spéciaux et menace ainsi l'équilibre même qu'elle 
semble vouloir établir. 

Les signataires du traité Anglo-Japonais demandaient l'étran- 
glement de la politique russe en Mandchourie ; les contractants 
de l'accord Yankee ont, de leur côté, l'intention de les y tra- 
casser, de les y contrecarrer d'une manière dangereuse pour la 
paix. 

Marchant selon leurs respectives aptitudes, mais toujours 
d'intelligence, ils donneront certainement à l'engagement qui les 
unit, l'interprétation la plus irritante qu'elle soit susceptible de 
recevoir. 

Se garnir les mains ; prendre nombre de gages matériels ; 



— 56 — 

pratiquer des mainmises territoriales ; jeter à propos Thuile sur 
le feu ; mettre à leur guise le feu aux poudres ; peser avec l'An- 
gleterre dans les Conseils du Fils du Ciel; reprendre en sous- 
oeuvre 1 msD.leaceet l'jiostilité anglaises envers rEurope ; voilà les 
visées que nos deux partenaires — avec leur sens pratique — se 
donnent aujourd'hui la peine de voiler, afin de mieux garantir le 
triomphe de l'objectif défendu en commun, objectif synonyme de 
poignantes péripéties dans l'histoire du Monde. 

D'ores et déjà l'accord Yankee-Japonais peut être taxé comme 
une menace ; nous en acquerrons sous peu une plus ample, sinon 
complète connaissance, qui mettra en lumière des incidents 
demeurés jusqu'ici obscurs, et qui aura surtout son prix comme 
avertissement salutaire. 

Le texte de cet accord est une provocation dont le bruit 
commence à bourdonner aux oreilles des chancelleries euro- 
péennes ; il ne comporte autrement aucune ambiguïté. 

L'obligation de se prêter une assistance réciproque, tant dans 
les mers de Chine que dans les mers des Indes et d'Europe, entrera 
immédiatement en vigueur quand le moment de recourir à la 
force leur semblera propice. 

Soyons certains que les complications, susceptibles de surgir 
dans le Pacifique ainsi que sur tous autres océans, et sujettes à 
devenir motifs à dissidences ultérieures, ont été également sou- 
pesées à Tokio et à Washington. 

Soyons certains qu'en se liant les uns aux autres en une 
redoutable entente, Yankees et Japonais ont envisagé tous malen- 
tendus probables, toute éventualité possible ; qu'ils ont établi 
— d'un commun accord — un bilan très exact des avantages et. 
des inconvénients qui en résulteraient pour eux, et surtout qu'ils 
ont étudié avec une pénétrante sollicitude le rôle qu'auraient à rem- 
plir, en ca3 de guerre immédiate, les escadres unies du Japon et 
de la République Nord- Américaine. 

La convention particulière active qui prévoit et règle l'action 
combinée de l'Empire du Soleil-Levant et des Etats-Upis en 
Extrême-Orient peut du jour au lendemain prendre les formes 
d'une alliance d'un effet immédiat. 

N'est-ce pas même l'alliance définitive de demain; et' si ce 
demain se trouve être la guerre contre l'Europe Continentale, il 
trouvera dans les Chancelleries de Tokio et de Washington .un 
égal empressement à sceller par un traité en bonne forme la soli- 



- 57 - 

darîté ofFeasive et défensive de leurs actes en Extrême-Orient. 

C'est donc là guerre que prévoit cet accord, prêt à jeter le 
grappin sur Tlndo-Chine ; c'est la guerre à date prochaine, à 
brève échéance, qui prend place dans ses perspectives. L'exten- 
sion nationale et la suprématie politique, avenues naturelles de 
Timpéralisme, sont ainsi à tous les points cardinaux, nourricières 
d'envahissements et de conquêtes. 

Le Japon jouit aujourd'hui de la faveur Yankee, il tiendra à 
honneur de s'en montrer digne, surexcité tout comme son parte- 
naire, par des arrière-pensées d'agrandissements territoriaux. 

Cet accord aux prétentions léonines, peu rassurant pour nos 
intérêts Test encore moins pour les ambitions de l'Empire Mos- 
covite en Extrême-Orient. 

Il était désirable pour les Yankees qui savent admirablement 
mêler la politique aux affaires productives ; ils ont atteint là, 
le sommet de leur habileté ; ils trouvent, en effet, dans cet arran- 
gement intime le double moyen de se concilier un rival en convoi- 
tises, et de supplanter une partie de l'influence européenne au 
sein de l'Empire du Milieu. Lord Salisbury disait lui-même au 
lendemain de la guerre Hispano- Américaine que : « L'avènement 
» des Américains à la politique mondiale, ne serait peut-être pas 
» favorable à la paix du Monde. » 

Quant au Japon n'a-t-il pas signé en cette circonstance un 
pacte dé servage; n'a-t-il pas aliéné une part de sa liberté dans 
des conditions de réciprocité inégale. 

Qu'obtiendra-t-il en retour d'une assistance qui confère en 
Extrême-Orient une sensible plus-value aux forces Anglo- 
Américaines ? 

Il court les mêmes risques et la même fortune que ses parte- 
naires, mais recueillera-t-il de son double pacte tous les avantages 
qu'il en souhaite, tous les fruits qu'il en espère. 

Le japonais considère l'alliance des Etats-Unis comme une 
bonne fortune destinée à vivre de longs jours, il oublie son cor- 
tège de dépenses extraordinaires avec l'immixtion de l'état- 
major yankee, avec l'obligation d'augmenter ses unités militaires 
et ses unités flottantes ; il oublie le déficit qu'elle appelle et qui 
menace de régner bientôt en maître sur l'Empire du Mikado ; il 
oublie les lourds sacrifices qu'elle nécessite et leur constante 
progression qu'elle engendre. 

Il oublie tout, les charges, les impôts, les emprunts, pour se 



— 58- 

nourrir de promesses qu'il interprète au gré de ses espérances. 
Il prend pour argent comptant l'assurance que la Russie ne fera 
pas de nouvelle conquête en Extrême-Orient sans qu'il soit 
fondé à réclamer sa part. 

A la vérité, les Etats-Unis se dédommageront amplement des 
concessions qu'ils peuvent faire au Japon en paiement de son 
concours armé. C'est là une constante façon de faire à laquelle 
est en partie attaché le secret de la grandeur américaine. 

L'intérêt yankee, dès qu'on lui rend la bride, se dégage au 
mieux possible des obligations qui le gênent. L'Américain ne 
saurait s'imposer un pacte quelconque, sans prétendre en être le 
principal bénéficiaire. Toute affaire qu'il orne de sa griffe lui 
semble impolitique s'il n'en extrait pas la meilleure part. Calcu- 
lateur avisé, dès qu'il juge opportun de clore une entente, c'est 
avec désinvolture qu'il secoue le poids de toute gratitude suscep- 
tible de le lier momentanément ; toute alliance qui lui devient 
un fardeau, il s'en dégage d'un cœur léger, se sépare irrémissi- 
blement de l'allié de la veille, dût-il par son acte, en tarir les 
ressources, ou même en mutiler les espérances. 

Voilà ce qu'est, sans parti pris, le second partenaire du Japon. 

Mais rien ne désillera les yeux du petit homme jaune qui tient 
à se ranger du côté de celui qu'il estime être le plus fort, et, en 
cela, il ne fait que suivre cette maxime bien orientale : 

Aie soin de défendre qui te parait le maître. 

Il y a certes des différences dans le degré de cordialité au 
sein de cette Triple Alliance Intercontinentale que nous pouvons 
considérer comme la flèche homicide jaillie des entrailles mêmes de 
la diplomatie anglo-saxonne ; mais, le pressentiment de l'hégémo- 
nie européenne aidant, la balance d'intérêts est en somme facile 
à maintenir. 

Les fonctions respectives s'y déterminent très nettement. 

L'Angleterre toujours aussi sensible aux rêves de domination 
et ne pouvant renoncer à l'habitude invétérée d'élargir son champ 
d'action, d'envoyer par le monde le trop plein de sa force, le 
surplus de ses citoyens, vise au couronnement d'une œuvre dont 
nous connaissons les tenants et les aboutissants. 

On pressent le jeu et la main d'hommes d'Etat de trempe 
britannique dans ce plan de coopération dont les menaçantes spé- 



- 59 — 

culatîons ne s'étoilent d'aucune apparence de désarmement, d'au- 
cune perspective de paix. 

Le lion britannique est le levier dirigeant de la coalition 
anglaise^ américaine^ ausiralienftey japonaise dont le vieux 
Monde peut à tout moment supposer et craindre l'exécution. 

Les États-Unis imprimant à la Triplice Intercontinentale un 
caractère militant : à l'exemple de leur proche parenté anglaise, 
ils l'envisagent comme une contre-partie nécessaire au dévelop- 
pement colonial du vieux Monde. 

Noli me tangere, Nihil hutnani a me alienum : Je f interdis 
le Nouveau Monde car il est à moi seul, et je m'implante 
dans le reste de V Univers car le genre humain est mon 
domaine. 

Une prospérité matérielle sans précédent, une grande guerre 
maritime favorable, une marine militaire appelée à devenir formi- 
dable lui ont assuré un tout premier rôle dans ce nouveau concert 
intercontinental qui menace de faire écrouler un large pan de la 
Chine. 

Le chauvinisme yankee jouit, de voir pour la seconde fois 
s'ouvrir devant lui, un nouveau champ de conquête ; il affirme 
par ses préparatifs guerriers l'irrévocable intention de fournir un 
glorieux pendant à la guerre hispano-américaine, et attend, que 
l'avenir après lui avoir fourni l'occasion d'une guerre maritime 
mondiale, lui en réserve l'honneur. 

Les Etats-Unis — écrit M. Chaillez Bert — le jour où ils 
viendront chercher querelle à l'Europe, tout permet de supposer 
cju'ils débuteront par la France. 

Et cette opinion, nous la tenons comme indiscutable vérité. 
En cas de conflit yankee européen, l'attaque et la destruction des 
ports français sera le premier point du programme d'Uncle Sam. 

Durant la guerre hispano-américaine nous l'avons entendu 
tenir avec jactance — à notre égard — des propos de gascogne 
qui prirent trop souvent l'allure d'injonctions impératives. Mal- 
heureusement ils ne sont pas connus en France. Nous nous 
proposons de les exposer avant peu devant l'opinion publique 
française (i). 

Quant à l'Empire du Mikado, il a assumé une situation qui 
nous ordonne de nous couvrir contre son agression. 

(1) Pour paraître prochainement Le Bloc Yankee, 



— 60 — 

Achetée par son emprunt de Londres, captée par les pro- 
messes de Washington, la duplicité intéressée de Tokio — 
rompue aux intrigues de ses deux partenaires — embrasse dans 
la lutte mondiale une cause contraire à la France. 

Le Japon agrégé au faisceau de la grande famille anglo- 
yankee-australienne, s*est constitué son champion dans les sphères 
Nord- Asiatiques. Ayant consenti à devenir son vassal, il lui fait 
largement Taumône de ses forces militaires et navales, enrôlant 
ses bataillons et ses escadres au service d'insatiables convoitises 
dont il devient bénévolement l'instrument. 

Bourré d'ambitions, le belliqueux Empire du Soleil-Levant 
piétine d'empressement à rentrer dans la lice. Il envisage avec 
fermeté l'éventualité d'une guerre mondiale ; son instinctive 
aversion des Russes, aversion que les anglo-américains se gardent 
bien d'atténuer ; son tenace ressentiment contre les associés de 
Saint-Pétersbourg en 1895, ressentiment que Londres et Was- 
hington s'appliquent à attiser^ afin de tenir le Japon dans un 
continuel état d'inquiétude et d'agressive surexcitation anti- 
européenne ; sont autant de causes qui font de l'empire insulaire 
d'Extrême-Orient, l'implacable adversaire de l'Europe Conti- 
nentale. 

La perspective d'un appel aux armes et d'une lutte opiniâtre 
contre trois puissances dont M garde un amer et pénible souvenir, 
ne lui cause aucune répugnance. Rien ne lui semble plus à 
souhaiter que de voir le tuteur et le pupille du tête à tête 
anglo-japonais, subir côte à côte sur les eaux du Pacifique, 
Tépreùve de la solidarité et le baptême du feu. 

Ne peut-il raisonnablement espérer, que sa marine s'y mon- 
trera à la hauteur de ses meilleurs jours. 

Le Japon n'a pu se dissimuler un instant cette considération, 
qu'entre trois alliés, le dernier mot, les résolutions décisives n'ap- 
partiennent jamais au plus faible, qui une fois lié, relève de la 
volonté du plus fort. 

Comme il n'y a pas d'alliance où la race anglo-saxonne ne 
soit entrée en maîtresse, choisissant son rôle et sa place à son 
gré, soit pour attendre, soit pour agir, il est bien à penser que 
Londres et Washington, auront la conduite et la direction de 
toutes les opérations navales et militaires, assigneront les rôles 
à remplir. Sur ce point on sera intraitable sur les deux bords 
de l'Atlantique. 



- 61 — 

Le Japon tient donc dans cette combinaison, le rang- de 
comparse, aidant ses deux puissants mais avisés partenaires à 
mettre en échec l'influence européenne. 

Tout en supposant assouvir sa haine personnelle contre la 
Russie, tout en croyant faire son jeu, il sert les intérêts de la 
diplomatie anglo-américaine. 

Le Japon fournira du matériel en quantité, de la chair à 
canon à foison ; en échange de ses bons offices, les anglo- 
américains lèveront les cartes et encaisseront les bénéfices. 

Voilà donc TEmpire qui s'étend du cap Lopatka au sud de 
Formose, le voilà donc ce peuple olivâtre qui occupe dans le 
Pacifique un certain nombre de Gibraltars, assis dans la galère 
des conflits sous les auspices du Foreign Office et de la Maison 
Blanche. 

Gîté dans la commune haine du Continent Européen et flanqué 
des deux entraîneurs les plus dangereux, John Bull et Uncle Sam, 
il est lancé dans le fameux champ de courses des conquêtes, où 
rivalisent en se stimulant respectivement, les convoitises crois- 
santes et les audaces conquérantes. 

La race anglo-saxonne, devenue son guide et son mentor, 
usera de ses ressources ; elle le tiendra en forme, toujours dispo- 
nible, prêt à entrer en ligne à son heure, mais, elle-même, n'aura 
garde de se mettre à son service. Il lui faudra être docile aux 
discrets avis de Londres et de Washington, se montrer complai 
sant. Mais de tout cela, quelle sera la juste récompense. 

That ts the question ? 

L'alliance anglaise a promu le Japon au premier rang, l'accord 
yankee l'a rendu redoutable, mais, par la même occasion, les 
anglo-saxons se fortifient d'un concours puissant contre toute 
tentative annexatrice de Paris, Saint-Pétersbourg, Rome ou Berlin 
sur le sol asiatique. 

En somme, le Japon est à la remorque de l'association anglo- 
américaine qui le tient dans l'orbite de son influence directe. 

A la solde et à la dévotion de Washington, de Londres^ l'Em- 
pire du Soleil-Levant n'est plus qu'une forteresse maritime anglo- 
saxonne; une barque dans le sillage d'un vaisseau de haut bord, 
dont les anglo-américains tiennent le gouvernail et commandent 
la manœuvre. 

Cette marionnette olivâtre est, au xx« siècle, passée au rang 



- 62 - 

d'homme de paille de l'Angleterre, de commis- voyageur de Tin- 
1luer.ce yankee en Extrême-Orient. 

Derrière Técran mikadonal, les anglo-américains épuisant la 
mesure de tous les imbroglios possibles, attendent l'occasion de 
lever le masque, de jeter à terre leur déguisement, et d'assaillir 
avec avantage les éléments européens. 

L*Empire du Mikado n'est-il donc fondé que pour servir de 
marchepied à la grandeur anglo-saxonne, et pour livrer le monde 
à la convoitise de ces deux inséparables compères : 

Le Lion Britannique 

et 

L'Aigle Yanicee 

*\ 

Pour la race anglo-saxonne, l'hégémonie mondiale est dévolue 
d'avance à qui sera le plus tôt prêt ; aussi met-on en œuvre dans 
les trois camps : anglais, yankees et japonais, tout l'arsenal des 
mesures possibles. 

Les événements qui vont se succéder ne seront assurément 
que le développement fidèle du programme de la Trîplice Inter- 
continentale. Aussitôt les batteries anglo-yankee-japonaises 
démasquées, nous retrouverons dans des actes calculés, ce qu'il y a 
d'irrévocablement arrêté dans les Conseils d'Outre-Mer, ce qu'il 
y a de résolutions mûrement fixées et de desseins longuement 
prévus. 

La police des océans, elle s'apprête à la revendiquer comme 
ayant le plus puissant intérêt à la sécurité des routes maritimes. 

Maîtresse de nombreuses escales fortifiées ; assise sur une base 
d'opérations aussi large qu'assurée ; n'ayant à craindre ni manque 
de subsistances, ni pénurie de charbon, ni obstacle dans ses com- 
munications transocéaniques, elle prétend compter à son actif la 
maîtrise du Pacifique. Ses contractants ont également barre sur 
maintes stations navales européennes et africaines. 

Dans le but de commander ultérieurement le plus court chemin 
d'Europe au Pacifique, la république des Etats-Unis, puissance 
coopérante de la Triplice Intercontinentale, vient de subtiliser 
Panama : la clef dtc Pacijique. 

La race anglo-saxonne et l'Europe représentent deux ordres 
d'intérêts bien distincts, dont la rivalité porte sur des points con- 
sidérés comme essentiels. 



63 - 

En conséquence, si TEurope veut conserver son rang, n'est 
elle pas condamnée à se déplacer avec les événements; à suivre 
ses intérêts là où ils l'appellent ; à porter ses forces partout où les 
entraîne la concurrence des anglo-yankee-japonais. 

En face de cette levée de boucliers que représentent la collec- 
tivité anglo-américaine et Tessaim jaune attaché à sa fortune^ le 
primordial devoir de la communauté européenne est de ne montrer 
aucune incertitude, aucune hésitation, pouvant être taxée de 
regrettable impuissance. 

Que l'Europe surveille cette Triplice Intercontinentale qui 
s'exerce à faire des arpèges sur le clavier de la diplomatie, qu'elle 
fasse contrepoids à cette charpente politique dont les madriers 
sont de fer et les assises de béton. 

Cette masse puissante et vindicative sème eflfrontément en 
Extrême-Orient la haine de tout ce qui est allemand, russe ou 
français. Elle est impatiente de nuire à l'Europe, par surprise, 
par guet-apens si possible. Au seuil du xx® siècle, mettant les 
choses à point et à son gré, grâce à une complication étudiée et 
froidement solutionnée, elle arrache à la France les clefs du canal 
interocéanique. 

En réalité, une sorte de concours est ouvert entre l'Empire 
du Soleil-Levant et les deux grandes collectivités Anglo-Saxonnes, 
et, c'est à qui — dans le conflit préparé peut-être avec un empres- 
sement téméraire — aura l'honneur de porter à l'Europe égale- 
ment abhorrée, les coups les plus décisifs. 

La Trinité Anglo- Yankee-Japonaise a beau dissimuler ses des- 
seins, elle a beau employer des circonvolutions diplomatiques 
pour masquer la brutalité des transactions qui consistent dans le 
partage amiable du bien d'autrui ; les lois naturelles de son 
développement, sont là pour nous instruire, et l'âpreté de ses 
appétits déchaînés se révèle en Asie, en Afrique, en Amérique, 
en Océanie. 

Cette Triplice intercontinentale est un feu couvert dont jail- 
lira l'étincelle néfaste à l'humanité. 

L'œuvre pétrie de ses mains a conquis d'emblée l'attention 
de ceux qui jugent que c'est aujourd'hui la race Anglo-Saxonne 
qui veut stupéfier le monde par son ingratitude, après l'avoir 
invariablement étonné par son égoïsnie. 

Trois fois puissante, puisqu'elle possède la marine, la houille 



— 04 - 

et la richesse ; elle veut être la dominatrice du siècle : c*est son 
idée directrice. 

Il y a dans ce bloc de trois peuples issus de deux races, 
l'étoffe d'une implacable ennemie. 

La Triplice Intercontinentale, c'est la force qui parle, la force 
qui ne compte naturellement pas sur la peur pour être obéie, 
mais^ qui escompte les premiers coups d'uii brutal attentat pour 
frapper l'Europe coloniale au défaut de la cuirasse. 

Ses tentacules visqueuses s^ apprêtent à étreiridre'le domaine 
extra-européen du vieux Monde dans un mortel enlacement. 

Elle a pris un tel soin de préparer ses filets, qu'on ne peut 
aujourd'hui circuler dans la- Manche, dans la Méditerranée, dans 
rOcéan Indien, sans se trouver sous la surveillance plus ou moins 
directe de ses canons et de ses torpilles ; qu'on ne peut sillonner 
le Pacifique ou mers de Chine, sans passer dans son rayon 
d'action. 

En vue d'éventualités exceptionnelles, elle a méthodiquement 
organisé la plus grande flotte de l'Univers, à laquelle elle tient 
pour certain d'assurer les plus beaux états de services. Elle 
compte ainsi avoir coupé court aux ambitions d'autruî et capté les 
vents contraires. 

Nous en sommes ainsi à la veillée des armes ; quelque jour le 
dé va être jeté et les tenants du duel extrême oriental vont en 
venir aux mains. Le drame de la guerre tant de fois joué avec des 
dénouements divers, sera répété avant peu sur le Pacifique que 
sillonnent — parées à courir au combat — de puissantes escadres. 

A Londres, à Tokio, à Washington, veille une haine ardente 
dont l'Europe Continentale est l'unique objet ; elle a coagulé 
dans une soif d'agression tous les éléments d'une coalition redou- 
table dont la propagande prend de jour en jour une tournure plus 
envahissante. 

L'Alliance Anglo-Yankee-Japonaise est pour Paris, Saint-Pé- 
tersbourg, Rome et Berlin le plus redoutable et le plus troublant 
des problèmes ; elle doit être le grand souci des Chancelleries 
Continentales ; la souveraine obsession des esprits dirigeants du 
vieux Monde. 

Quelles que soient les dispositions tacites qui régissent cette 
force et réglementent ce groupement, on peut et on doit les consi- 



— 65 — 

<lérer comme imposant avec plus de responsabilité que jamais^ 
raccord entre la France, la Russie, TAllemagne, l'Autriche, 
l'Espagne et Tltalie. 

En présence de cette inquiétante Trinité, qui, ayant pesé les 
chances, prévu les alternatives, et sondé les périls d'un conflit 
général, s'est empressée d'aiguiser Tépée qu'elle suppose devoir 
lui assurer la victoire à l'heure où elle abordera la solution 
suprême, l'Europe se trouve incontestablement à l'aube des plus 
graves complications. 

Lorsque l'on apprécie sa puissance combattive, lorsque l'on 
considère la pression de sa constante hostilité, on aime à se 
rattacher à l'espérance, que l'urgence même du péril qu'elle 
implique, a promptement soudé Paris, Saint-Pétersbourg, Rome, 
Vienne et Berlin, dans une immédiate et commune défensive. 

C'est dire que l'union Européenne est l'impérieuse nécessité 
du jour ; c'est comprendre que demain peut être, l'Europe doit se 
tenir prête à jeter au besoin dans les événements, le poids de ses 
-décisions, de son influence et de son épée. 



LA GUERRE 



Par ce temps de politique mondiale, une- 
lutte entre deux pays est une par^e où tou» 
les peuples ont des enjeux. 

G%*li. Valtour. 

C'est une ixnpressionnaate pensée^ qui se propa^ rapidement 
aujourd'hui^ que la gravité, encore récemment insoupçonnée, du 
Conflit extrême-oriental précède une tourmente générale — avec 
tendance au cataclysme. — Secousses, bouleversements, convul- 
sions où des peuples entiers peuvent disparaître, où des puis- 
sances anciennes peuvent être anéanties, où la justice est lettre 
morte et la pitié sans espérances, voilà la perspective ; elle est 
peu engageante pour les esprits baignés dans l'optimisme à 
longue échéance. 

Que la paix du Monde et le repos de TEurope — écrit M. René 
Pinon — puissent un jour dépendre d'une décision prise à Tokio 
par le Mikado et ses ministres, c'est à coup sûr ce que Napoléon I®"^ 
n'eût jamais imaginé. 

C'est pourtant aujourd'hui une menaçante réalité. — L'Al- 
liance Anglo-Yankee-Japonaise porte les fruits qu'on devait en 
attendre, et, l'Europe n'a pas encore eu le temps de se remettre 
de sa surprise, 'que deux nations en sont venues aux mains, 
engageant une partie^redoutable qui tracera un ineffaçable sillon 
dans les annales du XX® siècle. 

Un signe de Tokio et l'Empire Moscovite s'est subitement 
réveillé avec une escadre japonaise sur ses côtes et plusieurs 
unités navales hors de combat. 

La ténacité des ambitions, l'âpreté des agrandissements terri- 
toriaux, la rancune^ voire même la haine, toutes passions égale- 
ment nourricières de l'œuvre de mort, ont réduit à néant les plus 
solides remparts de la paix qui se puissent imaginer. — Dans les 
mers de Chine, le fracas du canon, le sifflement de la mitraille* 



-^ 67 — 

viennent de se faire entendre. En ce coin du monde, les combats 
se succèdent, alors qu*en tous autres lieux la paix n'apparaît plus 
que rhypocrisie de la guerre. 

Aux approches du Pacifique, le branle-bas de combat est à 
l'ordre du jour ; les mers qui baignent le continent jaune sont 
déjà teintées de sang et le monde attend, sous les armes, une série 
d'éventualités qu'aucune diplomatie ne se fait forte d'enrayer. 

Aux alentours de la Corée, ironiquement dénommée l'Empire 
du Matin-Calme, de rAprès-Midi-Tranquille, le procès des races 
vient de s'ouvrir devant le tribunal de la Force. — Le choc des 
•cuirassés, l'éclat des torpilles, le cliquetis des baïonnettes vibrent 
de pair avec la lutte des yens et des roubles, cependant que de 
pompeuses éloquence^ se complaisent en des rêves de chimérique 
fraternité et, qu'en revanche, la mélinite dépèce promptement 
de ci, de là, des milliers d'êtres humains. 

Après avoir réglé le choix et la mesure de ses alliances, éva- 
lué le chiflfre des risques à courir, l'Empire Insulaire qui s'étend 
du Cap Lopatka au sud de Forraose, s'en remet au dieu des 
combats pour déterminer les conditions auxquelles sa rancune se 
déclarera assouvie, son ambition satisfaite, et décider, en fin de 
compte, de la prééminence de race sur les rives asiatiques du 
Pacifique. 

Considérons-nous heureux si cette fièvre guerrière ne fait 
point tache d'huile et si le conflit russo-japonais, gagnant l'Uni- 
vers, ne se mue point, comme suprême et sanglante conclusion, 
en une mêlée générale. 

Depuis l'humiliante pression du traité de Simonosaki, depuis 
cette capitulation, de mémoire abhorrée en pays mikadonal, le 
Japon, hanté par des pensées de revanche, mettait une sourdine 
à des revendications longuement prémiditées. 

Entraîné dans l'orbite de cette formidable race anglo-saxonne 
qui domine à la fois par son active énergie et sa puissance mari- 
time, il édifiait, en sa silencieuse persévérance, une marine de 
guerre dont l'efficacité fut probante durant ces quelques dernières 
semaines. 

Ses actes et ses manœuvres se réclament également des prin- 
cipes stratégiques les plus rigoureux et des méthodes combatives 
les plus audacieuses. En cette occurrence, le bréviaire japonais 
et le credo anglo-yankee, respectivement dédaigneux du péril, 
«^autorisent d'une égale vaillance. — Les nettes et rapides déci- 



sîons des derniers combats révèlent une tactique toute d'^offen- 
sive, soigneusement étayée d'un vigilant outillage d'informations 
ayant sondé à fond les points vulnérables de l'adversaire. 

L'Europe vient d'éprouver quelle puissance destructive pouvait 
surgir de la race jaune rehaussée scientifiquement au niveau de 
la race blanche. Les marins du Mikado ont marqué les premiers 
coups en combattants de tout premier ordre. 

Depuis peu, on tend à démêler l'influence subie, à discerner 
quelle peut être l'épine dorsale de l'action japonaise, à percevoir 
qui, dans la coulisse, tire les ficelles, quels intérêts solidarisés, ea 
somme, visent à détenir la maîtrise du Pacifique où toute nation, 
qui aspire à jouer un rôle en Extrême-Orient, possède, par cela 
même, un intérêt pressant. Le contre-coup des événements qui 
s'y déroulent ne peut, en conséquence, manquer d'atteindre les 
peuples qui en sont les plus éloignés. 

Pour que l'Europe puisse exercer sur ce grand Océan une 
influence quelconque et s'y assurer un libre accès, il importe que 
ses forces navales y égalent en valeur et en quantité celles du 
Japon, de l'Angleterre et des Etats-Unis 

La prépondérance dans le Pacifique est au premier rang des 
préoccupations du peuple yankee dont les espérances de jadis, 
si ambitieuses fussent-elles, semblent aujourd'hui magnifique- 
ment dépassées. Il faut noter, pour l'intelligence de ses actes 
ultérieurs, que la conscience de ce peuple arriviste lui répond 
invariablement ce qu'il désire entendre. 

Et, par surcroît, les peuples anglo-saxons n'ont-ils point, au 
suprême degré, la vocation maritime; leurs paquebots et leurs 
câbles sillonnent les plaines liquides de l'Univers ; au croisement 
de toutes les routes maritimes, ils ont su s'adjuger la possession 
d'escales fortifiées, excellentes bases de défensive et d'offen- 
sive. 

L'essor de la puissance japonaise a octroyé une impulsion 
décisive à l'expansion des peuples de langue anglaise dans ce 
Grand Océan, appelé à devenir un des foyers de l'activité 
humaine. 

Le petit homme jaune, à l'aspect menu, vainqueur de son 
cousin à longue tresse, est devenu le redoutable rival d'aujour- 
d'hui, la cuisante épine enfoncée dans la chair moscovite, la 
pierre d'achoppement du prestige européen. 

Les Etats européens et les Anglo- Américains se trouvent, 



bon gré mal gré, en sourde mésintelligence sur le Pacifique où 
les camps sont assez tranchés, les hostilités trop préparées pour 
que l'avenir n^apparaisse fertile en périls. 

L'Angleterre, les Etats-Unis, la Russie, la France, TAUe- 
magne, la Hollande se réclament de positions laborieusement 
acquises autour de cette arène liquide, de ce champ de bataille 
de demain. 

Les grands intértês qui s'y entrecroisent, sur le point de s'y 
entrechoquer, précèdent de peu les grands conflits et leur cor- 
tège habituel d'holocaustes humains. 

L'Europe voit dérouler devant elle un plan qui ne vise rien 
moins qu'à joncher le Pacifique d'épaves européennes, qu'à 
changer la face des suprématies. Ce plan, c'est une destinée 
nationale qui se dégage ; elle se meut dans l'orbite de l'astre dont 
elle s'est faite, le 30 janvier 1902, le satellite officiel ; elle acquiert 
au détriment de la Russie et de Tlndo-Chine une dangereuse 
influence dans les Conseils de Pékin et sa forte assiette territo- 
riale, en un coin du Grand Océan, explique aisément une ardeur 
belliqueuse prompte à tout trancher à l'emporte-pièce. 

Battu en brèche par une concurrence triomphante, le fragile 
échafaudage de la paix s'est écroulé de toutes pièces. — Dans le 
duel depuis longtemps pressenti, les Jaunes ont eu l'avantage du 
choc initial et ce semi-succès leur a conquis d'emblée les suffrages 
intéressés. Grâce aux germes explosifs qu'il enferme en son sein, 
le conflit extrême -oriental prend donc un aspect redoutable 
autant que redouté : celui du conflit mondial. 

La prééminence navale , l'empire maritime du monde en est 
l'enjeu. 

A qui le Trident de Neptune ? 

C'est ainsi que l'Europe navigue dans une passe semée de 
récifs, où ses meilleurs pilotes ne devront avancer que la sonde 
en main. De grands événements se préparent entre l'Extrême- 
Orient des Européens et le Far- West des Yankees. — L'axe du 
Monde sera prochainement transporté au sein de cette grandiose 
nappe liquide dont la prise de possession sera violente et dont la 
dominatio 1 est dévolue au plus fort. 

Tenons prêtes toutes nos forces, toute notre vitalité, toutes 
nos ressources pour tenir debout contre vents et marées. 

La concorde et l'harmonie ne sont que chimères, lorsque les 
intérêts sont violemment en cause ; la mêlée générale est possible, 



— 70 — 

maintenant que la plus grande compétition du siècle qui naît, est 
ouverte par un peuple parvenu au plein épanouissement de sa 
force ; par un peuple qui, après avoir fait le compte de ses idées 
et orienté ses méthodes^ les dramatise en s'installant définitive- 
ment dans le rôle d'agresseur de la race slave. 

Elle est d'autant plus probable, cette mêlée générale, que 
l'homme jaune ou blanc ne serait plus l'homme^ s'il lui fallait 
réfréner ses ambitions, répudier ses espoirs et arracher de son 
cœur le droit de disposer des traditions qu'il nourrit à l'ombre 
du drapeau national. 



- 71 



L'INDO-CHINE 

L'ALLIANCE ANGLO-JAPONAISE 



La France Coloniale doit être protég^ée; 
elle veut des actes émanant de la saine raison 
et non des hymnes à la solidarité internatio- 
nale. La plus éloquente « chaleur communi- 
cttifc des lHmic)uets » ne vaut pas pour elle 
le aonidre fKtk torpilleur. 

Henri Moreau. 

Ce n*est pas en vertu d*iiiie sainte ampoule quelconque; que 
la France possède rindo-Chînc, S3mibole vivant de ses espérances 
asiatiques et Tune des plus ^^lorienses pakgGS de son histoire colo- 
niale. 

Cet empire Indo-Chiaois, le {dos mtércssamt et le plus flatteur 
des spectacles cokMiiaiix que puisse s^ofiErtr notre patrie, est animé 
d'une intense activité ; enclavé dans le cercle d'une civilisation 
dont la France s''honore, il est en passe d^une fortune rapide. 
Œuvre jadis tracée à son vouloir et, vraiment menée à bien, elle 
concourt aujourd'hui au rayonnement de son influence. 

« Ce n'est pas une colonie que nous venons d'acquérir à la 
France, c'est un royaume», s'écriait en 1862, le ministre français 
qui venait de présider à l'expédition de Cochinchine. La France 
l'a teinté de son sang", autant qu'illustré de son héroïsme, ce 
domaine colonial contiguau Siam, limitrophe de la Chine, devenu 
avec le temps colonie de peuplement et d'exploitation. 

Elle y a fait, au cours des ans, de considérables sacrifices 
financiers, qui légitiment son dessein d'y jouir en sécoarité des 
Éruits de son initiative et de ses largesses. 

L Indo-Chine, pays riche, i>euplé et essentiellement agricole 
couvre 230.000 kilomètres carrés de plus que la France. 

En ce coin de l'Asie s'élabore un avenir brillant. 

En cette presqu'île asiatique, la nation française a profondé- 
ment -creusé le sillon de son activité personnelle, elle s^est im- 
plantée fortement, elle s'est enracinée au sol, gratifiant sa colonie 
d'une vîe féconde et productive. 



— 72 — 

Dans les deltas du Fleuve rouge et du Mékong, et, le long des 
côtes de TAnnam — dit le rapport sur le budget des Colonies de 
M. Dubîef — on trouve des populations denses, laborieuses, 
pratiquant des cultures régulières. Les produits du sol y sont déjà 
l'objet d'un commerce important, soit avec la Métropole, soit avec 
les autres pays de TEurope^ soit, pour une grande part, avec la 
Chine et les colonies étrangères de l'Extrême-Orient, et, ce pays 
offre déjà aux industries nationales des débouchés importants ; 




M. Doumergue, Ministre des Colonies 

c'est une colonie de consommation, apte dès maintenant à recevoir 
le plus large développement . 

De plus, si la pacification s'y est faite lentement, elle existe 
aujourd'hui d'une manière telle, que Ton a le droit de la juger 
définitive, car le Haut-Tonkin, l'Annam, le Cambodge sont occu- 
pés, administrés et soudés entre eux de manière à former avec la 
Cochinchîne un ensemble solide qu'anime une même vie. 

Telle qu'elle a été puissamment organisée par son dernier 
gouverneur général, l'Indo-Chine, vaste et cohérente, jouit de 
toutes les promesses d'un brillant avenir économique. Les finan- 
ces ont prospéré sous l'énergique impulsion que leur a imprimée 



- 73 — 

raction éclairée de M. Doumer ; grâce à ce Français d'incontes- 
table vouloir et de ferme intelligence, elle a fait double étape sur 
la route de la colonisation. 

Jusqu'à ce jour, nous dît en eflfet le rapport de M. Dubief, nos 
colonies ne se sont préoccupées que de leurs'dépenses civiles ;i 
mesure que leurs ressources augmentaient, elles les employaient 
à développer leurs établissements, leur administration ou leur 
outillage. Seule, Tlndo-Chine a tenu à prendre sa part des dépen- 
ses militaires; elle a payé une contibution de 7.850.000 francs 




M. Doumer, Député de l'Aisne, 
Ancien Gouverneur de l'Indo-Ohine. 



en 1899; de 9.720.000 francs en 1900; de 11.688.000 francs en 
1902 ; de 12.305.000 francs en 1903. 

Il est difficile de parler de Tlndo-Chine et de la politique 
française en Extrême-Orient, sans rencontrer à tout instant, le 
nom de Thomme d'Etat qui a mis la République en si bonne pos- 
ture en Asie, et qui a fait Tlndo-Chine moderne. Etudier celle- 
ci, c'est donc pour une part appréciable, raconter ce qu'il a fait. 

C'est M. Paul Doumer, aujourd'hui député du département de 
l'Aisne à la Chambre Française et, Président de la Commission du 
budget qui pendant ses cinq années de Gouvernement Général, 



— 71 - 

de janvier 1897 ^ février 1902 ^ (i) a donné à rittdo-Chme son 
org^anisation actuelle, fait de ses cinq régions désormais unies, un 
Etat colonial assez riche pour payer ses propres dépenses, déchar- 
ger la Métropole d'une notable partie des frais d'occuipation , 
entreprendre un grand programme de travaux publics, ouvrir à 
Tactivité française un champ très étendu dans notre possession, 
et la servir encoore au-delà pacifiquement et utilement en 
Asie. (2) 

Aux yeux des coloniaux, M. Doumer est « le Gouverneur Gé- 
néral qui a su tirer ^Indo-Chine^ de Tornière où elle risquait de 
^ rester enlisée et la mettre en marche vers les grandes destinées 
que lui assurent sa situation géographique et ses immenses res- 
sources naturelles. » 

Il est véritablement aux yeux de tous, Thomme de résolution, 
doué de cœur à son œuvre, l'homrae d'énergique patience qui a 
donné à notre Empire Indo-Chinoîs un essor et une place nullement 
à dédaigner, même au regard des plus vieux empires coloniaux. 

Nous voyons en lui, dit la Quinzaine Coloniale, « l'homme qui 
a consolidé l'unité politique et morale de notre empire d'Extrême- 
Orient, qui a su, à une heure difficile, la préserver de toute 
atteinte du côté de la Chine, a clos dans ce pays l'ère des défi- 
cits chroniques pour y substituer celle des excédents d'année en 
année plus élevés, a obtenu de la confiance du Parlement le vote 
d'un emprunt de 200 millions destinés à doter notre grande colo- 
nie asiatique d'un outillage économique approprié à ses besoins ; 
celui qui, enfin, a amorcé dans cette colonie la construction 
d'un vaste réseau ferré qui y portera partout la vie et Tacti- 
vîté. 

Notre domaine asiatique est, aujourd'hui, l'un des plus beaux 
champs d'expansion commerciale et agricole. Il vit glorieux avec 
un orgueil croissant. Doué de tous les organes nécessaires à son 
développement, il continue consciencieusement son travail de 
perfectionnement. 

Sa prospérité en confirmant bien des espérances, a dépassé 
bien des prévisions. 

(i) Le décret du 1"^ juillet 1902 a confié le poste de Gouverneur Général 
de l'Indo-Cbine à M. Beau, ancien ministre de la République française auprès 
de la cour de Pékin. 

(2) L'Indo-Chine par Louis Salauo. 



— 75 — 

Il offre à la Métropole un croissant marché, et les richesses 
encore latentes qu'il renferme, lui seront une magnifique réserve, 
à l'heure où il lui sera donné d'atteindre la plénitude de sa vie 
économique. 

Mais ce n'est pas seulement par l'activité de sa production et 
de sa consonunation — nous fait remarquer M. Dubief — que 
rindo-Chine est utile à la France. A l'heure où tous les regards 
commencent à se tourner vers le vieil empire chinois, arraché à 
son isolement séculaire et passé vers de nouvelles destinées, 
nous devons nous féliciter que l'Indo-Chine ait fait de nous, une 
grande puissance asiatique. 

L'Empire Indo-Chinois — dont le Japon nourrît le secret 
espoir de s'emparer — est à proprement parler un des deux 
grands « dynamomètres » où se mesure la vitalité de notre chère 
France ; c'est un foyer d'appel de plus en plus actif, de plus en 
plus puissant ; un témoin justement qualifié de notre puissance 
financière. 

Dans le colossal domaine colonial d'aujourd'hui, l'Indo-Chîne 
est le trésor incomparable, écrit le commandant Bernard (i), et 
combien juste à tous les points de vue, est, et demeure, cette judi- 
cieuse qualification. 

Et, c'est ainsi, que le temps a marché, et, poussé au premier 
rang de la scène du Monde l'Indo-Chîne, effort heureux de la 
France, pas décisif de sa civilisation en Extrême-Orient. 

Est-il dans sa destinée de suivre le chemin des Indes ou 
l'exemple du Canada, et, la perdrons-nous avant l'heure de la défi- 
nitive moisson. 

Ses rivages font face aux Philippines, ou régnent les Etats- 
Unis, à Formose où les japonais fourbissent leurs armes, à Bomeo 
et Hong-Kong où commande l'Angleterre, à la presqu'île Malaise 
que régit encore la Grande-Bretagne. 

Partout des ennemis, aux yeux constamment fixés sur l'embra- 
sure du cap St- Jacques, aux instincts en quête de perpétuelles 
agressions , aux convoitises en expectative de prochaines 
curées ; de ces ennemis, en un mot, qui aspirent violemment à 
réduire a néant tout ce que notre pavillon couvre de droits, d'inté- 
rêts et d'influences. 

C'est en Extrême Orient, que se jouera quelque jour, la par- 

(1) L'Inda-Chine^ par le commandant Bernard. 



— 76 — 

tie suprême des destinées européennes, et c*est en Indo-Chine 
que la lutte se poursuivra, implacable, tenace, et meurtrière. 

Et le cœur de la France, dut-il en être attristé, pourquoi ne 
discuterions nous pas sur un lendemain qui paraît loin d'être 
assuré ; sur un lendemain dont la première phase précise et vio- 
lente, mettra crûment en lumière cette hardiesse constante que 
possède au summum la race anglo-saxonne, d*aborder de front 
les projets les plus téméraires, et les résolutions les plus auda- 
cieuses. 

L' Indo-Chine « où l'avenir fermenté sous le grand soleil, dans 
des deltas surpeuplés », l'Indo-Chine artère vitale du prestige 
français en Extrême-Orient, n'est pas l'unique préoccupation de 
la Triplice, mais elle en est tout au moins la première. 

Il est dûment établi que l'Alliance Anglo- Yankee-Japonaise 
contient des dispositions visant particulièrement l'Indo-Chiné, il 
est certain que le jour du grand conflit asiatique, notre empire 
Indo-Chinois sera le siège d'une action anglo-yankee-japonaise 
et si la France tardait tant soit peu à couvrir les approches de sa 
colonie, les funestes conséquences d'une aussi impardonnable 
erreur ne tarderaient pas à se révéler. 

Cette triplice anglo-yankee-japonaise qui consacre un événe- 
ment politique de premier ordre, ne se cache plus dans les pro- 
fondeurs de l'histoire, elle flotte à sa surface, et son omnipotence, 
dans la hantise de se conférer l'Empire de la Puissance, va se 
hâter de faire œuvre de force . 

Il est d'ailleurs inutile de se perdre en conjectures pour devi- 
ner quels mobiles influent sur ces trois puissances et se rendre 
ainsi compte de leur arrière-pensée. Il suffit — a dit Henri d'Orléans 
— de jeter les yeux sur une carte d' Asie et d'interroger le cœur 
humain. 

Ce puissant adversaire attend de l'avenir plus d'une perspec- 
tive glorieuse ; c'est donc en lui un très vif désir, un dessein très 
arrêté, d'en appeler aussitôt que possible à la fortune des armes. 

Que ses préparatifs maritimes soient terminés, qu'une occa» 
sion se présente et ses prétentions seront vite incommode^, ses 
exigences promptement intolérables, et, en raison d'un plan 
préconçu et longuement mûri, nous verrons l'épilogue brutal de 
quelque guet-apens diplomatique, provoquer un embrasemeirt 
général. 



-11 — 

Ce triple ennemi que le goût des témérités pousse à prendre 
notre place au soleil d'Extrême-Orient, caresse le désir d'un acte 
de violence, et, médite un coup de force sur Haïphong et Saïgon 
afin d'en disposer plus à son aise. 

Autour de ce gage qui lui convient à merveille s'entrecroi- 
sent ses ambitions, s'enroulent ses intrigues et s'échafaudent ses 
<:ombinaisons. 

La succession française en Asie, est ainsi âprement convoitée 
de gens dont la puissance envahissante est une menace constant e 
pour quiconque les avoisine. 

Lorsque le texte du traité anglo-japonais a été divulgué, la 
presse européenne presque toute entière a prétendu qu'il était 
dirigé contre la Russie; la presse anglaise en particulier a déclaré 
que la France n'avait pas à en prendre ombrage. 

Nous prétendons hautement le contraire, et cette prétention 
est loin d'être synonyme de spéculation ; toutes ses bases ressor- 
tent du domaine des faits. 

En Extrême-Orient, de la France et de la Russie, la France 
seule est très vulnérable. Il est donc naturel de considérer l'alliance 
anglo-japonaise comme bien plus redoutable pour nous que pour 
toute autre puissance. Les assurances fournies à cet égard par la 
Presse d'Outre-Manche doivent être considérées comme nulle et 
non avenues. 

La Russie d'Extrême-Orient prolongement continental de la 
Russie d'Europe, réunie à la mère-patrie par le long câble du 
Transsibérien est sous la surveillance directe de Saint-Péters- 
bourg; son activité militaire peut se déployer sans obstacles des 
monts Ourals à Port-Arthur ; il n'en est pas de même de l'Indo- 
Chine si distante de la métropole, qui serait dans la première 
phase du conflit, le but d'une offensive combinée excessivement 
redoutable. 

Pour tout observateur qui regarde le Monde aux lumières de 
l'expérience, pour tout homme libéré du néfaste cliché de l'ami- 
tié franco-anglaise, l'Indo-Chine française est en péril, menacée 
par Palliance offensive et défensive de l'Angleterre, des Etats- 
Uiûs et du Japon. 

C'est là le péril qui n'a pas cessé d'être, c'est le péril nette- 
ment reconnu et nullement contesté, si ce n'est par quelque diplo- 
mate en chambre cuirassé de systèmes aussi abracadabrants 
qu'infaillibles- 



— 78 — 

De ce côté là, l'orage est imminent, puîsse-t-îl concentrer les 
inquiétudes de Tintelligence nationale, et inciter à des mesures 
aussi amples, aussi prompte que possibles. 

C'est d'ailleurs pour prévenir les conséquences de ces velléités 
conquérantes, que nous verrions avec satisfaction la France, la 
Russie, TAUemagne, l'Autriche et l'Italie, se mettre d*accord 
pour asseoir les bases d'une entente complète des cinq peuples 
dans le Pacifique. 

La France sait de quel côté sont à craindre les violences et 
les conquêtes, aussi doit-elle envisager comme agressives, des 
dispositions susceptibles de diminuer la sécurité de cette impor- 
tante colonie que lui a légué l'opiniâtre courage de Jules Ferry. 

Ce serait une merveilleuse prise que la clef de voûte de la pré- 
pondérance française en Extrême-Orient, et la Triplice Intercon- 
tinentale juge que ce but où elle aspire si violemment vaut bien 
un duel à mort. Une hostilité traîtresse à peine déguisée nous en 
avertit d'ores et déjà. 

Si conflit il y a, il est de toute certitude que Talliance anglo- 
yankee-japonaîse en sera de propos délibéré l'instigatrice. 

Et, devant nous se dresse, en nous pénétrant d'effroi, le 
fantôme d'une invasion anglo-américaine lancée de concert avec 
le Japon et de connivence avec le Siam. 

Dans cette coalition anglo-yankee-japonaise il nous faut voir 
un ennemi que l'attrait d'une tentative hardie et pleine d'éclat 
peut toujours séduire. Il noua faut percevoir les escadres Tri- 
pliciennes défilant le long des côtes de l'Indo-Chine, se rendre 
maîtresses des bouches des Deltas et clore à Saigon le chemin de 
la liberté en lui fermant le chemin de la mer. 

La défense de l'Indo-Chine, lourde tâche recelant une 
pesante responsabilité, est donc un sujet aussi grave que délicat^ 
qui éveille les plus fâcheux pressentiments quand on se prend à 
réfléchir à quelles mains elle est actuellement confiée. 

Le temps des coups de foudre n'est point passé, la Triplice 
Intercontinentale en tient en réserve qu'elle destine à l'Europe 
Continentale. Elle fera souche d'outrages et d'agressions colo- 
niales, et si elle fait honneur à ses visées^ si elle atteint son 
objectif, elle frappera l'Europe au défaut de sa cuirasse et bles- 
sera la France en plein cœur 

Est-il une autre appréhension, susceptible de donner à noa 



— 79- 

jrouYeriiants une conscience plus forte des devoirs qui leur 
incombent # 

L'esprit de décision qui nous a si hardiment implantés sur le 
sol Indo<^hinots ne doit pas cesser de nous inspirer dans la 
résolution mûrie de défendre notre bien contre les vautours qui 
en convoitent la jouissance. 

La France obéirait donc aux plus sérieux instincts de défense 
en {^-enant des mesures préparatoires contre Fennemi qui s attache 
aux flancs d'une colonie qui détient une action prépondérante et 
maudissante sur la politique française en Extrême^^Orient. 

Telle la Corée» Tlndo-Chine est un enjeu. 

Possédant de nombreux appâts ; une place enviée sur les rives 
asiatiques ; de vastes gisements de minerai (i) et de houille sur 
son territoire ; des ressources illimitées en vivres en son arrière- 
pays ; elle est le point de mire de maints oiseaux de proie qui la 
veulent rayer du rang de colonie française. 

Tout porte à croire sa sécurité menacée ; tout laisse à penser 
son avenir compromis, car les desseins les mieux et les plus hardi- 
ment conçus, ne dépassent ni le courage, ni l'intelligence des 
anglo-américains. 

Quelque jour peu lointain, les Anglo-Yankee-Japonais tenant 
en réserve quelque casus bellï tout prêt, fondront inopinément 
sur notre domaine asiatique, dont ils convoitent de longue date 
la capture. * 

Il est admis que le caractère distinctif des prochaines hostilités 
maritimes sera leur soudaineté et leur imprévu. 

C'est ainsi que l'offensive de l'alliance anglo-yankee-japo- 
naise sera rapide, et ses coups de mains foudroyants contre la 
proie désirée et sur le terrain choisi par çUe. 

Son attaque sera subite, sans délai de préparation, peut-être 
même sans avis préalable ; ses premiers actes de guerre pren- 
dront place à l'instant précis de la déclaration officielle de 
guerre, si même ils n'en tiennent pas lieu. , 

Force nous est donc de nous en tenir au domaine des hypo- 
thèses belliqueuses. 

(1) L'élément indispensable de Tindustrie, le charbon existe en Indo- 
Chine. Il est déjà exploité à Hong^ay-Kebao, Ûong-Trien, Tourane. L'étain, 
le cuivre, l'or, l'antimoine, l'amiante s'y rencontrent également . Le fer se 
rencontre sur bien des points. 



— 80 — 

L'Indo-Chîne forme l'un des côtés de l'échiquier stratégique 
possible du conflit prévu entre l'Europe continentale et le bloc 
anglo-yankee-japonais. 

Et, c'est entre V Extrême-Orient des européens et l'ancien 
Far West des yankees, qu'est placé cet échiquier stratégique 
où se joueront les destinées du Monde. 

Il a nom Océan Pacifique. 

C'est en ce vaste champ clos qu'est fixé le rendez-vous pro- 
chain des flottes internationales. 

On y trouve d'ores et déjà un superbe lot de bâtiments de 
guerre. 

Les Etats-Unis Y comptant 2^ unités — cuirassés, croiseurs 
cuirassés, canonnières, concentrés à Manille. 

L'Angleterre : 4 cuirassés, 9 croiseurs, 19 canonnières, 
6 torpilleurs de haute mer, et ce, sans compter V escadre austra- 
lienne. 

Le Japon / Tout le matériel de l'empire, une flotte lourde^ 
de construction récente^ bien homogène, comprenant 6 cuirassés 
de i4,ooo à 15,000 tonneaux et 6 croiseurs cuirassés; 8 vieux 
cuirassés pris en 1895 aux Chinois ; 17 croiseurs protégés ^ 

3 croiseurs sans protection, 19 contre-torpilleurs et 70 torpilleurs. 

Deux cuirassés argentins achetés par le Japon ont rejoint 
ce puissant ensemble guerrier. 

La Russie y a rassemblé la plupart de ses plus puissantes 
unités de combat ; 7 cuirassés de 11,000 à 13,000 tonneaux; 

4 croiseurs cuirassés ; 10 croiseurs protégés ; 2 croiseurs sans 
protection ; 5 canonnières ; 2 canonnières cuirassées ; 2 transports 
de torpilles ; 32 contre-torpilleurs ; une vingtaine de torpilleurs. 

C'est entre ces éléments déjà formidables, et, en ce coin du 
globe, que se jouera la grosse partie qui haussera la race anglo- 
saxonne au pinacle où la jettera dans l'abîme. 

Au cours de cette lutte formidable où se heurteront les 
appétits commerciaux et coloniaux des peuples, que semble avoir 
rindo-Chine à redouter : 

1° Un blocus suivi de débarquement ; 
2^ Un envahissement par le Siam ; 
3^ Une invasion chinoise. 

On voit que le triple danger contre lequel il importe à notre 



— 81 — 

Empire indo-chinois de se prémunir est immense. Immense est 
également de ce fait, la somme de sacrifices que la Mère-Patrie 
doit patriotiquement s'imposer pour la mettre, si possible, à 
l'abri de multiples agressions. 

Pour un adversaire détenant la maîtrise de la mer, un débar- 
quement en Indo-Chine^ peut être mené à bien, et effectué, grâce 
à de nombreuses bases adverses qui sont un bien dangereux voi- 
sinage pour notre colonie. 

Elles forment un demi-cercle de terres insulaires autour des 
2,600 kilomètres de notre domaine asiatique. 

Singapour, Bornéo, Manille, Formose, Hong-Kong, autant de 
pointes agressives dirigées contre le cœur de la Plus Grande 
France. 

Et par surcroît, dans le Pacifique, la marine anglo-yankee- 
japonaise de beaucoup supérieure à la marine européenne, y dis- 
pose de chantiers considérables, ce qui renforce d'autant plus 
son indéniable supériorité. 

Dans le Pacifique elle ne rencontre aucun obstacle pour faire 
venir de ses magasins, de ses arsenaux, du sein de la Mère-Patrie, 
des approvisionnements, des armements, des troupes de renfort, 
ce qui ajoute encore à une situation déjà singulièrement forte. 

Trois points stratégiques menacent l'Indo-Chine : Formose, 
Hong-Kong et Singapour. 

Formose, point d'appui d'exceptionnelle importance, est occu- 
pée par le Japon. 

Hong-Kong et Singapour sont situés aux portes de notre 
grande colonie asiatique. — L'Angleterre y est établie en force. 

Formose^ où le Japon entretient normalement 25.000 hommes, 
est à quarante-huit heures à peine de notre nouvel établissement 
de Quang-Tcheou, et à moins de quatre-vingts heures de Haï- 
phong. Cette île, reliée par câble au Japon, constitue donc une 
base d'opérations merveilleuses contre l'Indo-Chine. D'autre part, 
les Pescadores qui l'avoisinept, fournissent d'admirables abris aux 
armées navales et faciliteraient ainsi, dans une importante mesure, 
la concentration des flottes de transport. 

Hong-Kong^ à l'abri de tout bombardement et de tout coup 
de main, peut être considéré comme le Spithead de l'Extrême- 
Orient. 

Ce mouillage de premier ordre, possède trois grands docks 
avec ateliers de constructions et de réparations — les outils et les 



— sa ~ 

machioesles plus perfectionnés pour les travaux eu fer et en bois» 
y sont réunis à Tarsenal de Victoria. 

Le dépôt de charbon y est cotisidérable et capable de fournir 
â toutes les demandes. 

De plus, Hongf-Kon^ peut être considéré comme un centre 
parfait de communications téléphoniques avec le monde entier. 

La race anglo<>saxonne, qui dispose des c routes liquides )», 
enserre la planète dans le filet de ses câbles et noue autour de ses 
flancs ta ceinture électrique où circule sa pensée* 

Huit de ces câbles sous^marins qui transmettent, d'^un contir 
nent à Tautre, les impressions et, pour ainsi dire, les pulsations 
d*un peuple, atterrissent à H[cmg-Kongr qui se trouve relié direc- 
tement à Londres. — Tel, est son système défensif, que la cai>r 
ture de Hong-Kong- est la dernière des hypothèses admissibles. 
On conçoit aisément sa valeur stratégique et son importance 
maritime. Admirablement placée, cette base solide, îmxMrenable, 
est considérée par T Angle terre, comme le centre et le pivot de 
tout agression contre Tlndo-Chine. Cest de là que les croiseurs 
britanniques couvent des yeux Quang-Tcheou^ jalon français, 
poste de grand-garde en avant du Tonkin, dont il est supposé 
— ' sans un seul torpilleur — défendre les avenues. 

Singapour^ dont la puissance grandit de jour en jour, et dont 
l'influence prédomine en Extrême-Orient, est le pistolet chargé 
qui vise Saigon, cœur de l'Indo-Chine. 

L'île de Singapour, est la clef de V Indo-Chine ^ a dit avec 
prescience, M. René Pinon. Le Malacca Britannique jouera, en 
effets un rôle important dans ce jeu serré et suivi, que 1* Angleterre 
ne cesse de mener autour des colonies françaises. Il constitue déjà 
un bloc solide, une base de ravitaillement et d*opérations, une 
avant-garde à peine détachée de l'empire des Indes, sur la route 
de l'Extrême-Orient. 

La puissance anglo-saxonne, a donc une formidable assiette 
aux abords de Tlndo-Chine. Singapour et Hong-Kong sont les 
deux pivots de tout mouvement offensif préparé contre notre 
empire indo-chinois; ils sont, à cet égard^ l'objet des soins parti- 
culiers de la puissance qui la détient. 

C'est un véritable péril pour nous que la proximité de ces 
deux formidables points d'appui. 

Il n'est pas nécessaire d'attendre les événements pour en déter- 
miner la portée exacte. Et cette portée est assez inquiétante pour 



— 83 — 

créer de vives préoccupations à tous ceux qui perçoivent que 
l'aberration de — Nos Responsables — va bientôt porter ses fruits 
naturels. 

Il ne s'agit pas ici, d'impressions personnelles plus ou moins 
pessimistes, il s'agît de faits ; il s'agit d une insouciance, que tout 
français peut froidement taxer de criminelle. 

Rien n'étant plus dangereux que de se faire illusion sur ses 
forces, il faut faire la lumière, sur une gestion funeste à notre 
domaine colonial. 

En présence des éventualités qui nous menacent dans la guerre 
navale de demain, nous devons être préparés pour le pire. 

Quelque douleur que puissent donc causer à des cœurs fran- 
çais de si désespérantes prédictions, la discussion des plus 
pénibles conjectures s'impose. 

Si sobre de prédictions d'avenir qu'il importe d'être, on ne 
peut dissimuler que nous courons sciemment à un désastre colo- 
nial, et que nos rêves de France asiatique menacent de s'éva-^ 
nouir au premier cliquetis des armes, comme la brume du matin 
aux premiers rayons du soleil levant. 

C'est une hypothèse, dîra-t-on. Mais une hypothèse est sou- 
vent le chemin de la vérité, et, dans cette occurrence, elle est la 
vérité même. 

C'est une présomption, ajouteront les séides des « Non 
Responsables ». C'est une présomption, mais elle est fondée 
jusqu'à l'évidence. 

C'est une présomption dont la réalisation surprendra bientôt 
dans le flagrant délit d'une inconcevable inconséquence, ceux, 
dont les idées singulièrement rétrécies et les actes volontaire- 
ment désorganisateurs, sont un danger quotidien pour la Plus 
Grande France. 

• 

Dans quel état de défense maritime. et militaire se trouve 
l'Indo-Chine ? 

Le sujet est grave, il faut pourtant l'aborder, car il est capital 
de se rendre compte si notre Empire Indo-Chinois peut poursuivre 
sans tragédie le cours de ses destinées. 

Mais avant d'examiner et de méditer le danger, avant de 
BOUS rendre compte comment on a essayé sinon de le prévoir, 
tout au moins d'y répondre, avant de demander : 



— 84 -^ 

Où sa flotte ! 

Où sa défense mobile ! 

Où ses forts ! 

Où ses arsenaux ! 

Prenons d'abord connaissance du rapport officiel de M. Dou- 
mern. Il nous éclairera. 

Voici ce qu'offre à nos méditations Tancien Gouverneur géné- 
ral de rindo-Chine. 

Pendant que Tlndo-Chine s'org'anisait, que des routes, des chemins de fer, 
des canaux, des ports étaient mis en construction, qu'elle se développait 
économiquement dans les conditions exceptionnellement heureuses qui 
viennent d'être exposées, un égal effort était fait pour assurer sa défense et 
accroître ses forces militaires. 

Dans cette voie, de notables progrès ont été accomplis, au cours des cinq 
dernières années, grâce au concours dévoué, à la collaboration active que le 
gouvernement général a trouvé dans les commandants en chef, les généraux 
Bichot, Borgnis-Desbordes et Dodds, les amiraux de Beaumont et Pottier, et 
les officiers placés sous leurs ordres. Des ouvrages défensifs permettant à la 
flotte de s'abriter, de se ravitailler, d'agir au loin appuyée sur une base 
d'opération solide, ont été construits, améliorés et complétés, de 1897 à 1901. 
Les troupes d'occupation de l'Indo-Chine ont été renforcées ; des unités nou 
velles et des corps nouveaux ont été formés ; une armée a été constituée ainsi, 
avec ses principaux organes, et mise en état d'assurer la défense du pays et 
d'agir au dehors s'il était nécessaire. 

• 
• • 

Jusqu'en 1897, les troupes de l'Indo-Chine, presque tout entières concen- 
trées au Tonkin et en Annam, étaient occupées à réprimer la piraterie, à 
maintenir la paix et l'ordre dans nos possessions. Il parut, au début de cette 
année, que la pacification était suffisante déjà pour renoncer aux opérations 
militaires, aux lourdes colonnes, souvent plus à craindre pour les {x>pulations 
pacifiques qui avaient à assurer leur marche et leur ravitaillement, que pour 
les pirates ou les rebelles qu'on voulait frapper et dont l'extrême mobilité 
rendait le contact même des plus difficiles. Des opérations de {X>Hce active- 
ment menées, suivant un plan concerté et suivi par les autorités administra- 
tives, aussi bien des provinces civiles que des territoires militaireSi furent 
jugées suffisantes pour en terminer avec la piraterie et la rébellion. 

L'armée devenait ainsi libre de se consacrer à sa tâche normale, de porter 
tout son effort sur la préparation à la défense de la colonie contre un agres- 
seur étranger. Ce n'était plus vers l'intérieur qu'il fallait tourner ses forces, 
mais vers la mer et les points vulnérables des frontières de terre. Toutes les 
préoccupations, toute l'action militaire ont été, depuis lors, dirigées de ce 
côté. 

Au mois d'avril 1897, la situation politique du pays bien connue et le pro- 
gramme de son développement économique fixé dans ses grandes lignes, le 



— 85 — 

Conseil de défense de Tlndo-Chine était appelé à se réunir pour délibérer sur 
la situation militaire et arrêter un plan d'org^anisation et de défense. C'est ce 
qui fut fait dans la séance du 3 mai ; et c'est le plan, sorti ce jour là des déli- 
bérations du Conseil, qui a pu être complété depuis sur divers points, mais 
dont l'ensemble a été maintenu et dont l'exécution a été poursuivie jus qu'à ce 
jour, avec vigueur et esprit de suite. Le haut commandement, les généraux 
de brigade, commandants de l'artillerie et directeurs des travaux ont changé 
souvent depuis 18Q7 ; les crédits de la Métropole sont arrivés bien des fois fort 
en retard ou ne sont pas arrivés du tout; le plan de défense n'en a pas moins 
été exécuté sans changements, sans à-coups, sans ralentissement même. Le 
programme de défense adopté et basé sur l'établissement de deux points 
d'appui de la flotte : un point d'appui complet.au Sud, comprenant la forte- 
resse du Cap-Saint-Jacques, la rivière et les établissements de la marine de 
Saigon ; un point d'appui secondaire, au Nord, dans la baie d'Along, au port 
de Hongay. L'avis du Conseil de Défense fut que les travaux de construction 
du point d'appui principal devaient être exécutés d'urgence et avant tous 
autres. 

*** 

Les travaux de fortification du Cap-Saint-Jacques avaient été décidés six 
ou sept ans plus tôt, et la construction de quatre grosses batteries de côte 
était prévue et depuis longtemps commencée. Mais les travaux étaient menés 
avec une telle lenteur, qu'au début de 1897, une seule batterie était achevée ; 
encore lui manquait-il ses appareils de ravitaillement, ses approvisionnements 
en munitions. De plus, ses affûts défectueux étaient à changer, et sa position 
adossée à la montagne et sans protection, la rendait intenable sous le feu 
nourri des navires voulant forcer la passe. 

Les travaux du Cap-Saint-Jacques furent poussés, dès ce moment, avec 
une grande activité. La main-d'œuvre pénale et des crédits empruntés aux 
ressources locales furent mis à la disposition de la Direction d'Artillerie de 
Saïgon ou commandait un officier de haute valeur, le colonel Teillard 
d'Eyrie. La brigade de Cochinchine avait, à ce moment, pour chef, le général 
Archinard. L'intelligente bonne volonté et l'ardeur patriotique de tous furent 
telles que, moins de dix- huit mois plus tard, quand la France sembla sur le 
point d'avoir à soutenir une guerre, sept batteries de position étaient cons- 
truites et armées, et l'entrée de la rivière de Saïgon désormais interdite à 
une flotte ennemie. 

Notre point d'appui, si incomplet qu'il fut alors, était créé; l'escadre 
française d'Extrême-Orient avait un refuge contre les atteintes d'un ennemi 
supérieur en forces ; elle était en état d'agir et de combattre aux heures 
propices. 

Parallèlement aux travaux du Cap-Saint-Jacqnes, ceux du port de Hongay 
étaient entrepris. La construction des batteries commençait et un dépôt de 
charbon était établi dans la rade intérieure. 

Au commencement de l'année 1899, le général Borgnis-Desbordes, nou- 
vellement nommé commandant en chef des troupes de l'Indo-Chine, et le 
général Delambre, de l'arme du Génie, envoyés en mission, firent en commun 
l'étude complète de la mise en état de défense de la colonie. 

Le Conseil de défense, réuni dès que ce travail fut achevé, eût à prendre 



de nouvelles décisions. L'opinioa avait, en efiet, prévalu au nûmstère de la 
Marine^ de faire de Hoog-ay, non pas seiUeinent le point d'appui secondaire 
proposé en Indo-Chine deux ans plus tôt, mais un point d'appui de premier 
ordre, é|^al à celui de Saîgon-Cap-Saint- Jacques* L'avis du Conseil fut de 
maintenir sans chang'ement, conformément aux conclusions des généraux 
Desbordes et Deiambre, le plan de 1897 et a'en tenir, pour Hongay, à l'éta- 
blissement d'un point d'appui de second ordre» simple dépôt de charbon pro- 
tégé par des batteries et une défense motnle, où, en cas de guerre, des 
bateaux français pourraient se réfugier et se ravitailler. 

Les batteries construites ou projetées au Cap-Saint-] acques reçurent 
l'approbation des deux généraux qui proposèrent des adjonctions et des 
compléments de défense du front de mer rendant le passage, pour une 
escadre ennemie, plus dangereuse encore et le blocus de la baie et de la 
rivière à peu près impossible. 

Un programme d'organisation de la défense, du côté de terre, fut égale- 
meut arrêté. Ces travaux complémentaires, adoptés par le Conseil, ont été 
exécutés depuis, en même temps que se construisaient les importants caserne- 
ments de la garnison. Les défenses du Cap-Saint -Jacques seraient à peu près 
achevées, si U matéri^l^ réclamû depuis longtemps en France^ ne faisaU pas 
toujours défauts 

♦** 

Dans la réunion du Conseil de défense de 1609 dont il vient d'être parlé» 
la question suivante fut posée et résolue : 

Puisque la Marine jugeait utile d'avoir» au Nord de nos possessions, un 
second point d'appui, équivalent, comme force et comme moyens de ravitail- 
lement et de réparations, au point d'appui de Saïgon-Cap-Saint-Jacques, et 
puisque Hongay ne pouvait pas jouer ce rôle, il y avait lieu de se demander 
si la baie de Quang-Tchéou, nouvellement acquise par la France, n'était pas 
propre à recevoir l'établissement projeté. 

La discussion qui eut lieu, basée sur les études précédemment faites par 
l'amiral de Beaumont, le général Borgnis-Desbordes et le général Delambre» 
avec le concours du directeur des 1 ravaux publics de l'Indo-Chine, fut abso- 
lument concluante en faveur de Quang-Tchéou. La baie pouvait être rendue 
accessible tous les jours et à toute heure aux grands navires; elle était facile 
à défendre et à aménager pour des établissements maritimes importants. La 
position dans la mer de Chine fournissait, en outre, une raison déterminante ; 
c'était le second point d'appui de la flotte qu'il fallait à la France. 

Depuis plus de deux années que cet avis du Conseil de défense a été émis» 
il a rallié à peu près tout le monde. Le point d'appui de Quang-Tchéou sera 
certainement constitué. Les études préliminaires sont faites; il importe main- 
tenant de passer sans retard à l'exécution du projet. 

**♦ 

En même temps que les études et les travaux de fortification destinés à 
garantir l'Iodo-Chine contre des forces maritimes ennemies étaient exécutés, 
l'armée était réoiiganisée et renforcée. Les garnisons disséminées dans les 
territoires militaires du Tonkin étaient réduites ; elles étaient groupées pour 
faciliter leur instruction et leur mobilisation éventuelle. La brigade de Codiiflb- 
chine recevait de nouvelles unités d'infanterie et d'artillerie. 



— 87 — 

A Panden programme, qui coBsistaft à réduire aobol que fxissible les 
cffcctifit des troupes de riiidc>Chine,. pcmr rédoire les dépenses de la Métro 
pôle, en était substitué un nouveau qui pouvait être appliqué dès 18i8 : Ta 
diminution des charges du budget métropolitain était bien poursuivie et avec 
plus de vigtreur et de résultats que par le passé, maw ce n'était plus au prix 
'd^afte dimioatio» des forces militaires. CcWes-cî étaient, au cozitraire, augmen- 
tées, et les ressources locales vetootent combler la diftêresuse. 

Par cette méthode qui donnait pleine satisfaction à la Métropole, en même 
temps qu'elle {permettait à la Coloniei des initiathres et des décisions qtri lui 
étaient interdites autrefois, les progrès purent être rapidement obtenus. H 
serait trop long d'en fournir ici le détail, et la simple énmnératîon des prin- 
cipales créations faites doit suffire. 

Des décisions locales constituèrent des corps de tirailleurs cambodgiens 
et de tirailleurs chinois. 

L^artîllerie fut de même réorganisée ; des batteries mixtes composées par 
moitié sur le pied de paix d'artilleurs européens et dindigènes, furent formées 
en 189t. Elles permirent de porter les forces d'artillerie de llndo-Chine, de 
neof à quatorze batteries. L'emploi qu'on a feît de ces unités, dans les opé- 
rations du Petchili, a permis de juger de leur valeur et de montrer Texcef- 
fence de la réforme. 

La même année, un arrêté pris en Conseil supérieur de Tlndo-Chine, 
institua et organisa les réserves militaires, qui donneraient, en cas de guerre, 
un surcroît de force appréciable. 

Depuis, ont été successivement créés : un escadroM de cavalerie indigène, 
avec des officiers et des sous-officiers français qui est l'embryon du corps de 
cavalerie indo chinoise dont la formation est nécessaire ; puis, un peloton de 
cavaliers de remonte et une compagnie du train des équipages. 

Les troupes de l'Indo-Chine sont ainsi, peu à peu, constituées en véritable 
armée ayant toute la force et la mobilité désirables. 

On a bien vu, au moment où ont éclaté en 1900, les événements de Chine, 
quelle utilité il y avait pour la France à trouver dans nos possessions, une 
armée suffisamment forte et pourvue de tous ses moyens d'action. 

Malgré les attaques qui pouvaient se produire d'un moment à l'autre sur 
les frontières coomiunes du Tonkin et de la Chine méridionale, venant des 
provinces troublées du Quanq-si et du Quang-ton, le Gouvernement général 
a pu offrir à la Métropole, dès les premiers incidents, l'envoi de troupes dans 
le Nord. De fait, il est parti successivement de l'Indo-Chîne, tant pour le 
Petchili que pour Shanghaï, cinq bataillons d'infanterie française et quatre 
batteries d'artillerie. Des bataillons de tirailleurs indigènes avaient égale- 
ment été offerts et ont été» pendant un temps, tenus mobilisés^ On peut 
regretter qu'ils n'aient pas été employés au Petchili, où ils auraient rendu les 
plus grands services dans les opérations des mois de juillet et août. 

A cette époque, et en plus des troupes expédiées dans le nord de la Chine, 
des corps d'infanterie et d'artillerie furent tenus constamment prêts, en vue 
des éventualités qu'il fallait prévoir et qui fïouvarent nous obliger à agir du 
côté du Yunnam. ou sur les côtes du Qoaog-ton. Le Gouvernement métro- 
politain savait qu'il n'avait qu'un ordre à donner pour les mettre aussitôt en 



marche. L'Indo-Chine a montré dans ces circonstances, qu'elle était préparée 
à jouer le rôle qui lui appartient, de sentinelle avancée de la France vers 
rOrient. 

Ce rapport paraîtra à tous singulièrement explicite. 
A un dîner de l'Union Coloniale, M. Doumer exposait récem- 
ment de nouveau l'œuvre de la défense nationale. 

La mise en Tétat de défense de la Colonie a été Tune de ses constantes 
préoccupations. D'accord avec les généraux dont Taide lui fut précieuse, il a 
examiné la possibilité d'une conquête du pays à la suite d'un débarquement, 
et, cette étude, a démontré combien une pareille opération serait hasardeuse 
en face de troupes organisées à l'européenne, telles que celles que nous possé- 
dons à l'heure actuelle. 

En dehors des troupes actives le gouvernement général a créé des réserves 
sur lesquelles on peut compter, il est inutile d'aller au-delà ; une armée ne 
consiste pas seulement en hommes munis de fusils ou de canons, elle exige 
toute une organisation fort complexe qui ne s'improvise pas; c'est la force orga- 
nisée dès le temps de paix, qui, seule, a sa valeur militaire. 

Du côté de la mer la défense a été également assurée par des batteries de 
canons destinés à empêcher le stationnement des escadres ennemies dans le 
voisinag-e de points importants. 

Notre flotte doit trouver dans tous les points d'appui toutes les ressources 
qui lui sont nécessaires pour accomplir sa mission en haute mer. 

En Indo-Chine, le point dénommé Saïgon -Cap-Saint-Jacques a été préparé 
dans toute la mesure du possible. 

Voyons maintenant à titre de second document significatif, le 
rapport du général Dodds sur cette importants question : 
L'Indo-Chine offre à l'assaillant trois objectifs principaux : 

!• La Cochinchine, pays très riche, qui paraît devoir être une proie facile 
pour un ennemi maître de la mer et possédant en quantité suffisante des ca- 
nonnières de rivières. 

Très vrai, d'autant plus que Saïgon à Tembouchure de Tun des 
plus beaux fleuves asiatiques, au sein d'un des bassins de produc- 
tion les plus riches du monde, Saïgon point de concentration et de 
ravitaillement de nos forces asiatiques, Saïgon riche de site et 
riche de transît, vaste débouché, porte d'entrée et de sortie de 
toute une région, point naturel de toute opération navale oflfen- 
sive, serait l'objectif certain de toute agression mûrie, ou de tout 
raid des destroyers ennemis. 

Il y a d'ailleurs plus d'un précédent. Déjà en 1857, lorsque 
l'Amiral Rigault de Genouilly eut à s'emparer de Saïgon, le 
Donnaï était garni de forts et d'estacades reliés par des barres 
de fer et armés de batteries. 



— 89 — 

L'Amîral français eût tôt fait de briser successivement ces 
obstacles ingénieusement échelonnés. 

Le Conseil de défense a résolu d'en faire un point d'appui important de 
la flotte et d'interdire Taccès des rivières menant à Saîg-ondont la chute serait 
grosse de conséquences pour nous, à cause de son importance comme ville, 
comme arsenal et comme capitale de la Cochinchine. ^ 

2* La baie de Tourane a une grande valeur parce qu'elle est le point de 
débarquement pour se porter sur Hué, la capitale de l'Annam. H est bien 
certain qu'un ennemi, maître de Hué pourrait nous attirer de graves désa- 
gréments s'il arrivait à capter la confiance du roi et à soulever le pays. 

Ceci est on ne peut plus exact. Rappelons qu'au moment du 
guet-apens du Ménam en 1893, Tescadre anglaise qui s'était con- 
centrée à Hong-Kong et prenait ses dispositions pour une action 
imminente avait pour ordre d'opérer un débarquement à Tourane 
et de faire main-basse sur Hué. C'est également à Tourane qu'en 
1857 l'armée française, sous les ordres de l'Amiral Rigault de 
Genouilly, mettait le pied en Indo-Chine. Tourane, à cette 
époque, était défendu par deux forts dont nous eûmes à nous em- 
parer. Malgré cela : 

Le Conseil ne s'arrête pas au projet d'y élever des ouvrages,^ en raison 
des difficultés qui seraient créées au corps de débarquement pour atteindre Hué 
à une centaine de kilomètres. 

3* Quant au Tonkin, il ofire plusieurs points de débarquement dont les deux 
principaux sont Haïphong et Hongay (Port Courbet). 

Mais après avoir débarqué l'ennemi tomberait dans le réseau inextricable 
de cours d'eau et d'arroyos du Delta. 

Il était donc moins nécessaire et, par conséquent, moins urgent de fortifier 
immédiatement le Tonkin que la Cochinchine. Néanmoins il y avait lieu de 
déterminer un point d'appui secondaire pour notre flotte au Tonkin. 

On décida donc, en 1897, la création d'un point d'appui principal au Cap 
Saint-Jacques et d'un point d'appui secondaire à Hongay. 

Les hauteurs du Cap Saint -Jacques, qui se dressent comme une vigie me- 
naçante à l'entrée de la rivière de Saigon, commandent au loin la mer et le 
Delta de la Cochinchine. 

Il a donc été prescrit de faire du Cap Saint-Jacques une forteresse de 
premier ordre en l'armant de : 

Batteries de rupture par tir direct ; 

Batteries de bombardement par tir courbe. 

Il fallait également empêcher l'ennemi de prendre à revers nos ouvrages, 
ce qui lui eut été facile, en débarquant sur la plage de Tirvan, située à leur 
opposé. Il fallait créer une série d'ouvrages destinés à rendre impossible toute 
tentative de débarquement et doubler par conséquent notre ligne de front de 
mer d'une ligne de front de terre. 



— •0 — 

Ëo l'état adueii oa peut déjà comidérer le poiot d'appiai du Cap Saint- 
Jacques comme hors d'atteinte des insuUes de rcanemi. 

Mais si le Cap Saint Jacques est une menace pour toute flotte qui tenterait 
de forcer Tembouchure du Donnai» il a*a auciue actioa sur le Soirap par 
lequel <m peut, «d âuiyaat ensuite le Miabé» remonter sur Saiygoa ; et q[ae, 
d'antre part, par le Soirap et le Vaico, rennemi peut débarquer à courte 
distance de Saigon, et se porter «ur cette ville par une «arche rapide. 

Les rivières seront dépendues par des batteries de rupture avec battieries de 
soutien placées aux extrémités du Nhabé. De plus des batteries de caaoos-révol- 
vers prot^eroat les lignes de tospiUes mouillées dans les rivières, Ënfia use 
batterie de rapture avec batterie de soutien, battra le Soirap et le cours iaié- 
rieur du Vaico. 

Quant à la ville de Saigon, on projette de Tealourer de seiae ouvrages 
détachés. 

Ce rapport qui en dit long ajoute que : 

Port-Courbet ne fera jamais qu'un point d'appui médiocre. C'est un port 
sans étendue, Inaccessible aux gros navires. Sa position au fond de la baie 
d'Along, dont on ne peut sortir que par un petit nombre de passes faciles 
à bloquer, se prête mal à uœ organisatioo offensive directe, et encore moins 
à la conservation de la liberté de manœuvres, pour une flotte <^ s'y aérait 
volontairement abritée pour compléter ses approvisionnements. 

Il sied néanmoins de protéger ce point, à cause des ses charbonnag-es, si 
utiles à notre marine en cas de guerre. 

Le Conseil de défense adopte la conclusion qu'il y a lieu de créer un poixA 
d'appui véritable à Quang-Tcheou, dont la baie offre une étendue de mouil- 
lage parfaitement sûre« et, qui permet aux plus grandes flottes du monde de 
trouver un abri et de manœuvrer à l'aise. 

Elle possède, par surcroit, trois sorties distinctes, permettant aux torpil- 
leur, destroyers, de menacer dans toutes les directions, une escadre ennemie 
qui viendrait croiser dans le goulet. 

Quant au corps d'occupation, le général Borgnis Desbordes a établi dans 
un mémoire d'une logi^^ue serrée et irréfutable, le nombre mioimum de ba- 
taillons d'infanterie européenne et indigène et de batteries decaxBp^qgaeet de 
forteresse qu'il fallait à l'Indo^Uiine pour assurer l'autonomie de sa défense. 

Il reste aujourd'hui à faire un cEort r^/a^ivemânt caMSidsraàU poar doter 
rindo-Chine de toute l'inianterie qui lui est nécessaire. 

Ce rapport signé du général Dodds, reconnaît la nécessité pour 
les troupes Indo-Chinoises de se tenir constamment prêtes à faire 
face à l'attaque d'une armée organisée à l'Européenne. 

Il constate, et quelle plume le ferait avec plus d'autorité, que 
doter rindo-Chîne de Tarmée qui lui est nécessaire exige un 
ejfort considérable. 

Sans commentaires ! 
Terminons par l'exposé de la défense nationale de l*Indo- 



— »i — 

Chine, présenté par M. Beau, gouverneur général à Touverture 
de la session ordinaire du Conseil Supérieur de Tlndo-Chine, le 
23 août 1903. 

C'est une loi générale que les dépenses d'assurances croissent avec les 
richesses qu'elles ont à garantir. 

Grâce à l'heureuse initiative prise par M. le Ministre des Colonies, Hndo- 
-Qûne va recevoir prochainement d'importants renforts. 

Par suite du vote de la loi sur la nouvelle répartition des troupes coloniales, 
la garnison de la Cochinchine, dont Vinsuffisance était depuis longtemps dé^ 
montrée^ comprendra cinq bataillons d'infanterie coloniale, un bataillon de 
tirailleurs annamites et dix batteries. 

C'est là, un ensemble important qui, complété par les réservistes français 
dont le nombre s'accroît chaque jour et par les réserves indigènes, permet 
d'envisager avec confiance toutes les éventualités. 

Le programme arrêté en 1897 pour la défense de la colonie, se poursuit 
régulièrement ; des canons plus puissants renforcent l'armement du Cap 
Saint-Jacques. D'autres ouvrages défendront le Cap du côté de terre. On 
prévoit également un renforcement de troupes destinées à garder cet ensem- 
ble important. . 

On ne saurait, en effet, trop fortifier la défensive de cette sen- 
tinelle de Saïgon. Au lendemain même de l'ouverture des hostili- 
tés, le Cap Saint-Jacques, assailli par des forces supérieures, sera le 
premier but offert au canon de l'ennemi qui cherchera à éteindre 
les feux de ses ouvrages défensifs. 

Au cours de leur démonstration au large de Cangio, les anglo- 
yankee-japonais ne manqueront pas de jeter un corps de débar- 
quement sur les flancs du fort Saint-Jacques, du côté où les 
ouvrages de son front de terre n'ont encore reçu qu'un commen- 
cement d'exécution. 

La sécurité, ajoute le gouverneur général — sera-t-elle augmentée en 
proportion des dépenses considérables faites et à faire, tant en fortifications 
qu'en hommes. 

Ce n'est pas à penser comme semble le craindre M. Beau. 

Le Cap garde une des portes de la Cochinchine, la plus petite à coup 
sûr. 

Et le gouverneur termine ainsi par ces paroles qui devraient 
être le credo des «qui de droit» en matière de défense maritime 
coloniale : 

L'ennemi que l'Indo-Chine peut redouter, ne menace pas ses frontières 
terrestres. 



- 92 - 

Cest par mer que peut venir V invasion , C est donc une défense navale 
qui s^ impose de toute évidence. 

Pour nous garder contre les entreprises d'une puissance, qui, maîtresse de 
la mer, serait libre de choisir l'heure et le lieu de son débarquement, nos 
Nos côtes de Cochinchine et du Cambodg-e, du Sud-Annam et du Tonkin 
se prêtent admirablement à l'organisation d'une puissante défense mobile, faite 
de canonnières, de torpilleurs et de sous-marins. 

Que ces dires sont donc sensés et quels pressentiments ils 
éveillent dans l'intuition plus ou moins confuse d'éventualités 
menaçantes. 



Dans la défense d'une Colonie déployant une large façade de 
2.600 kilomètres sur l'Océan, la question primordiale est celle de 
la Tfiarine militaire. 

Au deuxième plan peuvent venir les défenses locales, mais 
elles ne sont relativement qu'accessoires. 

Toute opération de débarquement ne saurait, en eflEet, 
s'accomplir qu'après complet bloquement des escadres françaises 
et annihilement des dépenses mobiles. 

Puisqu'il en est ainsi, quelle est cette marine qui défend nos 
intérêts en Extrême-Orient. 

Quelle est sa valeur, portée sur le terrain de combat } 

Est-elle à même d'arrêter les démonstrations adressées et de 
répondre aux tentatives de débarquement ? 

Y a-t-il en Indo-Chine, escadre active et escadre de réserve, et, 
que représente de puissance combative cette force navale 
autonome. 

Hélas ! trois fois hélas ! notre organisation maritime en Indo- 
Chine est manifestement incapable d'assurer contre un ennemi 
extérieur la défense maritime de ce domaine colonial que sa 
situation géographique expose spécialement aux entreprises de 
mer. 

Qu'un conflit éclate et l'Indo-Chine se trouvera prompte- 
ment prise dans un filet aux mailles progressivement resserrées ; 
toute offensive de son matériel flottant se fondra dans la nasse 
tendue autour de ses côtes par les escadres Tripliciennes. 

Lorsqu'on a créé l'empire Indo-Chinois, on s'est promis de 
l'entourer de toutes les précautions possibles, mais malgré les 
rapports pressants de M. Doumer, on les a négligées à peu près 
toutes. Criminelle imprévoyance, qu'il est inutile de déguiser 



- 93 - 

plus longtemps, d'autant plus que nous serions seuls à la mécon- 
naître. 

Le plus sage est de l'envisager résolument, de dévoiler cette 
pénurie de ressources, de stig^matiser les auteurs d'une perni- 
cieuse insouciance aussi préjudiciable à la France. 

Où en est la défense maritime de T Indo-Chine ? 

Quels sont les moyens défenaifs de son littoral ? demandent 
ceux qui, voulant la fin, préconisent les moyens. 

La défense maritime de flndo-Chine^ elle n'existe nulle part. 

Voilà ce qu'affirme le rapport sur le budget général des 
Colonies. 

Et ajoute le rapporteur, M. Dubief : des plus insuffisantes pour 
le rôle qu'elles auraient à remplir, les unités qui la représentent, 
offriraient à l'ennemi une proie facile, si, dès le début, elles ne se 
réfugiaient dans une baie quelconque, abandonnant 'forcément 
la protection de centres vitaux, tels que Saigon, Hué, Haïphong, 
Hanoï, etc., etc. 

Hermétiquement bloquées dans leurs bases d'opérations , ou 
coulées par une puissante artillerie adverse, voilà leur sort, si ces 
médiocres potentats que sont Messieurs les « Non Responsables » 
ne changent rien aux malencontreux errements qu'ils pratiquent 
avec un zèle de pandours grotesques. 

Nous n'avons — s'en vante-ton en haut lieu — rien ou pres- 
que rien, qui puisse gêner et retarder un débarquement ; rien qui 
puisse porterie trouble dans les flottes de transports, empêcher 
les ravitaillements, couper l'ennemi dans ses communications, 

Saigon, l'âme de l'Indo-Chine, le grand foyer de la vie indo- 
chinoise, bat sous un flanc découvert, que ne protège aucune 
armure. 

Mytho à 23 milles de la mer ; Pnom-Penh, la capitale du 
Cambodge, n'ont également qu'une défense rudimentaire ; rien ne 
peut les soustraire à la brutalité des petits soldats jaunes à l'as- 
tuce profonde et à l'orgueil démesuré ; ces deux importantes 
villes sont à la merci d'une situation où le succès ne s'achète pas 
par le courage. 

M. Le Myre de Vilers, ancien gouverneur de l'Indo-Chine, 
signale ainsi l'absence de tout moyen de défense à l'embouchure 
du Mékong : 

Les autorités compétentes, dit-il, song-ent uniquement à fortifier le Cap 



— 94 - 

Saint-Jacques pour protég-er Saison, comme si Ton ne pouvait pas pénétrer 
en lado- Chine par une autre voie. 

Après quarante années d'occupation, on n'a pas encore voulu se rendre 
compte que la Colonie courrait les plus g-rands dangers, sî des navires de 
guerre ennemis, d'assez faible tirant d'eau, ]>énétraient à marée haute dans le 
Mékong, s'emparaient de Mytho et y débarquaient des troupes. 

De quelle utilité seraient les forts du Cap Saint-Jacques, si ces troupes 
ennemies s'avançaient contre Saigon qui est une ville ouverte. 

On nous vante les fortifications du Cap Saînt-Jacques, nous 
admettons certaînement que ses approches soient dangereuses 
pour Tennemî, mais, au lieu de contourner les plages de Cangio, 
n'est-il pas aisé à des unités ennemies de pénétrer dans le Soîrap 
loin de la portée des feux qui défendent la baie de Ganh-Rai et 
l'entrée du Donnai*. 

Le Soîrap offre en général une profondeur de 7 à 8 mètres et 
communique avec la rivière de Saigon par des arroyos dans 
lesquels il n'est pas rare de trouver des sondes de 10 mètres. 

C'est bien mal connaître l'audace et l'habileté des marins 
Anglo-Saxons que de ne pas se rendre compte qu'ils utiliseront 
au plus tôt cette seconde porte de Saigon. 

L'exemple si récent et si frappant de l'Espagne ne nous aura 
pas servi d'expérience concluante. 

Voilà où nous en sommes, provisoirement, de par cette poli- 
tique de faux calculs, dont l'Indo-Chine peut être la cruelle 
rançon. 

Aussi l'Alliance Anglo-Yankee-Japonaise^ très au courant de 
nos mouvements, très bien renseignée sur des actes qu'elle suit de 
très près, fonde-t-elle sa certitude de victoire moins dans la force 
de ses escadres que dans la faiblesse de la nôtre. 

Pauvre Indo-Chine, ton avenir est aux prises avec l'apathie 
de politiciens qui solidement assis dans le confortable de l'assiette 
au beurre pratiquent avec une scrupuleuse désinvolture la 
majesté du repos et des moments perdus. 

Grâce à leurs néfaste insouciance, notre Empire Asiatique est 
une ville offerte à l'ennemi. 

Ces gens « Non Responsables » nous rendent décidément înévî- 
table une bien terrible épreuve. 

Leur culpabilité s'accroît d'heure en heure, de ces artifices 
répétés qui créent les situations précaires, elle s'aggrave de cet 
étrange système qui conduit la défense de l'Asie Française de 



«die fiiçooqa*aii pratier signal de s^Krre notre escadre asiatique 
s'effondrera comme un château de cartes. 

- C'est là aae situation pleiae de périls et on en éraloe d'autant 
plos h sramé^ q«i*eUe se coaiplique visiUeaent de redoutables 
malentendus entre la Marine et les Colonies. 

I^ possession desgraodes voies de cofamunication est Tunique 
base de la sécurité des colonies et la faculté de détnaire tout 
adversaiie flottant est le prunier tnit a atteindre. 

Que fait-on dans ce sens en Extrême-Orient? Rien. U faudra 
Inentôt nous incliner devant l'insolence des faits accomplis. 

C'est la liberté des oters — s'écriait M. Lockroy, ministre de 
fat marine — cja'il êuU conserver aujourd'hui; malgré la multipli- 
cité des marines rivales* 

<^el pays phis que la France a besoin de la maîtrise de la 
mer? Ne saute-t-il pas aux yeux que la grandeur et la diversité de 
notre empire colonial^ réloignem^it de nos possessions, leur 
situation CMise sur la caxte du Monde, nous obligent à la lutte 
navale et nous forcent à âôre respecter notre pavillon sur toutes 
les mets! 

Mais pour garder la maîtrise de la mer lodo-Chinoise, il faut 
des bâtiments de combat, des unités de premier ordre, des croi- 
seurs à grande vitesse capables de se porter avec lapidité sur un 
point menacé et de lutter de vitesse avec les meilleurs bâtiments 
des edcadresXViplâciennes. £t nous en possédons tout juste trois, 

II faudrait doter Saigon, Mythe, Hué, Tourane, H^phoog, 
Quang-Tcheou, de groupes de torpilleurs de haute mer choisi 
parmi les types les plxis récents. Et nous en avons un seul au Cap 
Saint-Jacqvies. 

Le cxmcximts de quelques sous-marins permettrait à notre 
escadre de rfeister victorieusement à un ennemi supérieur en 
nombxe. 

Et nous n'en avons pas un seul en Indo-Chine. 

Mieux que tous les raisonnements, l'énumération de nos unités 
d'Exitrème-Qrient dionnera la mesure de notre détresse navale 
e^fître Hong-JCiwig et Singapour^ là où se dérouleront les opéra- 
tions futures. 

Ce qui suit est, en toute indépendance, un tableau tristement 
fidèle de la défense maritime de rindo-Chine. 

Voici dans quel état elle se trouve au lendemain de Talliance 



-96- 

anglo-japonaise, et à la veille d'un conflit mondial dans le Paci- 
fique. 

Il est impossible de le passer sous silence, et de là notre opi- 
nion que les circonstances ont fait naître et qu elles ne justifieront 
ultérieurement que' trop. 

Les années, les mois, se marquent en quelque sorte par une 
traînée d'incidents susceptibles à tout moment d'allumer un conflit. 
Le moindre prétexte suffit pour donner le signal de l'explosion. 

Les éléments des conflagrations existent et s'accumulent.jTout 
se dispose dans une sorte de mystère menaçant pour un terrible 
choc, qui peut porter à l'Europe un profond ébranlement d'équi- 
libre, peut-être suivi d'accablants revers. , 

Une guerre maritime va s'ouvrir dans le Pacifique, sans qu'une 
simple escadrille de contre-torpilleurs, sans qu'une simple paire 
de sous-marins puissent sur les côtes indo-chinoises répondre de 
nos intérêts. 

C'est, dans toute sa splendeur, le système du laissez- f aire ^ 
du laissez-aller. Une désastreuse indifférence règne en maîtresse 
qui méconnaît outrageusement nos intérêts vitaux, et cette situa- 
tion devient tous les jours plus inquiétante par l'importance du 
temps perdu. En cette affaire, le temps travaille contre nous. 

A faire ainsi table rase de toute préoccupation, on joue au 
bord de l'abîme où menace de tomber l'Indo-Chine. 

On se désarme volontairement devant l'imprévu^ on se met 
hors d'état de surveiller les événements, de les contenir ou d'en 
profiter. 

C'est ainsi que la défense maritime de notre empire Indo-Chi- 
nois se trouve notoirement dans des conditions d'infériorité scan- 
daleuses. Elle est au-dessous de tout ce qu'on peut imaginer. 

Si on dégage, par un examen individuel, de chacune de ses 
unités, ce qui constitue la substance de cette force navale, on 
constate que sa « mise en bouteille » par la flotte ennemie, compte 
toutes les chances de succès. 

Qu'on en juge : 

Voici, telle qu'elle, notre escadre d'Extrême-Orient. L'instru- 
ment répond-il à la situation, est-il ajusté à la taille des événe- 
ments : 

Monicalm 
Croiseurs cuirassés { Gueydon 

Sully 



— 97 — 

C'est là le véritable noyau de notre défense navale. 

Le Monicalm date de mars 1900 ; le Gtieydon^ de septembre 
1899. Mais nous n'avons, effectivement, en Extrême-Orient, que 
deux croiseurs cuirassés, le Stdly n'y étant pas encore arrivé. 

Leur vitesse prévue est de 2 1 nœuds ; leur déplacement d'en- 
viron 10.000 tonnes. Leur armement se compose de canons en 
tourelles fermées. Ils ont une ceinture légère et un pont cuirassé. 
Leur puissance offensive doit être estimée comme considérable. 

En ce qui concerne l'égalité de vitesse et l'analogie d'arme- 
ment, c'est un trio bien homogène ; 

iChâteaurenault 
Pascal 
Bugeaud 

De ces trois croiseurs protégés, seul le Châteaurenault y est 
dans de bonnes conditions pour se mesurer avantageusement avec 
des bâtiments cuirassés. C'est un croiseur de i'® classe, entière- 
ment protégé, de 8.300 tonnes; vitesse, 23 nœuds; pont cuirassé. 
Malgré la faiblesse numérique de son artillerie, on doit le consi- 
dérer comme un bon croiseur corsaire. 

Le Pascal et le Bugeaud sont deux croiseurs protégés de 
2« classe, d'environ 4.000 tonnes; vitesse 19 nœuds. Leur protec- 
tion insignifiante se réduit à un pont cuirassé, et pourtant ils 
forment le dessus du panier de la défense maritime d'une colonie 
dont le pourtour est semé de chausses-trappes. 

Ces six unités représentent le cœur et la moelle de notre flotte 
en Extrême-Orient. Unique appoint de notre puissance navale 
dans le Pacifique, ils sont le plus solide espoir de nos succès mari- 
times sur les rives asiatiques. 

Ces six bâtiments de combat sont seuls de véritables navires 
de défensive, seuls capables de rendre des services militaires. Ce 
qu'ils traînent à leur suite n'esta en effet, qu'une série de bateaux 
hospitalisés, conservés et réparés à grands frais ; qu'une paire de 
vieux pontons, dénommés « cuirassés de croisière », motivant des 
dépenses considérables, et ne servant qu'à encombrer l'hôpital 
maritime Indo-Chinois. 

Mais ces six unités peuvent -elles suffire aux éventualités les 
plus extrêmes , et couvrir de leurs feux , comme d'un inexpu- 
gnable rempart, l'indépendance de l'Indo-Chine, et l'honneur de 
la France ? 



I 



D'accord, avec le plus simple bon sens naval. Non. Nous pou- 
vons donc prétendre que la défense maritime de llndo-Chine est 
à créer. 

L'horizon est manifestement trop sombre pour ne pas se rendre 
compte que l'on interprète — quelque part, en haut lieu — une 
véritable comédie, où se joue l'existence de notre colonie Indo- 
Chinoise. 

Cinq croiseurs pour représenter la France dans le Pacifique, 
dans les mers de Chine et par surcïoît défendre 2 .600 kilomètres- . 
de côtes coloniales! 

N'est-ce pas une sinistre ironie? 

Comment, une aussi minime force navale, sera-t-elle en mesure 
de prendre, dans ces mers lointaines, une part active à la lutte. 

Comment lui sera-t-îl possible de présenter un semblant de 
résistance à une formidable flotte ennemie, se rendant sur notre 
littoral asiatique pour y faire oeuvre de guerre. 

Demandez-le à « Qui de droit », 

Mais soyez certain qu'il n'aura cure de votre anxiété ce « Quî 
de droit », car il se gausse d'être pratique, rationnel et prévoyant, 
comme il se gausse d'ailleurs des intérêts les plus sacrés et des 
responsabilités les plus graves. 

Il lui importe peu, à ce « Qui de droit », que par des fautes- 
incompatibles avec la saine raison, que, par l'imprévoyance s.ins 
excuse de gens tristement incapables, l'Indo-Chine soit aujour- 
d'hui presque à demi-livrée aux convoitises qui la guettent. 

Et pourtant, ce « Qui de droit non responsable », intoxiqué 
de suffisance, affecte^ au vu et au su de tous, une sereine dé;sin- 
voilure. 

Passons à la défense mobile, et nous constatons une impériiie- 
plus grande encore. 

La faiblesse en est telle, que le mot d'inconscience vient instinc- 
tivement sous la plume de tout français qui pressent l'amertunEke 
du calice que le fameux comité des « Non Responsables » se pré- 
pare à nous faire absorber. 

Au moment où toutes les nations concentrent des forces navales 
dans le Pacifique, l'Indo-Chlne qui ne possède aucun centre d'ac- 
tion inviolable, n'a pour sa défense mobile qu'un seul contre-tor- 
pilleur. 

Le Takou: 

Pris aux Chinois. 



— 99 — 

t 

L'action morale d*un seul contre-torpilleur n'est pas suffisante 
pour fournir à la défense de l'Indo-Chine un supplément de forces 
appréciables. 

Il faut au Takou joindre comme mémoire trois torpilleurs de 
I'® classe en construction à Saigon. Deux ne sont pas encore 
armés ; un seul est en essai. Ajoutons- à ce contre-torpilleur soli- 
taire trois torpilleurs de 3® classe, qui valent moins que rien et 
<ju'il faut se hâter d'éliminer. 

Ce sont des bateaux passablement défraîchis qui, néanmoins, 
iîgurent sur la liste de la défense mobile. Ce matériel, oublié par 
le temps et condamné par la raison, peut être considéré comme 
incapable de figurer honorablement. 

Tout compte fait, de déduction en déduction, nous comptons, 
pour la défense de Saigon, Hué, Haïphong, cinq croiseurs et un 
contre-torpilleur. Voilà sur quoi peut tabler, pour la défendre 
contre un adversaire audacieux la capitale de Tlndo-Chine, notre 
seul arsenal colonial. 

Cinq croiseurs cuirassés et un contre-torpilleur, voilà ce qu'est 
la défense maritime de Tlndo-Chîne débarrassée des non-valeurs 
qui figurent sur la liste officielle pour faire nombre et, surtout, 
faire illusion à l'opinion nationale. 

Ce chiffre parle de lui-même, c'est assez flagrant comme împé- 
ritie voulue ; c'est, en un mot, déplorable d'inconséquence. 

Il est des avertissements qu'on serait coupable de négliger et 
celui-là est du nombre. — Ce n'est certainement pas, quoiqu'on 
dise, l'érection de quelques forts en certains points stratégiques 
qui compensera rinfériorité numérique de nos unités de combat. 

Notons, en plus, pour être impartiaux : 

Le Bengali^ 

Aviso de 2® classe, lancé en 1887. — Navire en bois et à 
roues. Très vulnérable et sans aucune valeur militaire. 
Puis plusieurs canonnières. 

Parmi lesquelles : 

La Décidée^ 

Seule est susceptible de service, ayant quelque artillerie avec 
oanon de chasse et canon de retraite. 

Les autres : 



— 100 — 

Lïon^ 
Comète^ 
ArguSy 
Vigilante^ 

Sont de vieux bâtiments en boîs ayant dépassé la limite d'âge. 

Sans valeur guerrière, sans vitesse, sans aucune protection^ 
ils sont voués à la destruction ou à l'incendie. 

Qu'importe la lutte si l'espoir de vaincre soutient, mais en 
envoyant nos marins au combat sur de tels outils, on les condamne 
à la défaite assurée. — L'équipage d'un vieux navire a beau faire 
montre de tout l'héroïsme possible, de toutes les qualités voulues, 
il est voué à une perte certaine. — Cet équipage, c'est de la chair 
à canon. 

La mise en service de types aussi arriérés que Le Lion^ La 
Comète^ etc., etc., est plus qu'inutile, elle est dangereuse, car la 
coque en bois de ces canonnières les expose à tous les dangers 
dans le moindre combat d'artillerie. 

La plus jeune est à Teau depuis 19 ans, la plus vieille est hors 
âge. 

Et, la moins mauvaise de toutes, est-elle seulement capable 
de faire quelque figure. — C'est une véritable indignité de les 
inscrire sur une liste d'éléments actifs. 

A détailler ces bâtiments de piètre mine, qui portent ostensi- 
blement les marques de la vétusté et de l'usure, on en arrive à 
supposer qu'on sacrifie en France à l'archéologie navale, et que 
l'Indo- Chine est devenue un hôpital maritime pour carcasses flot- 
tantes. 

A ce piteux ensemble, qui éveille les plus sombres perspec- 
tives, additionnons quelques antiquités démodées. 

Ce sont des canonnières de rivière arrivées à un état d'usure 
qui les oblige à se traîner péniblement le long des arroyos de la 
Cochinchine ou du Tonkin. 

On les nomme : 

La Baïonnette ; 
La Caronnade; 
Le Henri-Rivière ; 
Le Jacquin. 

Dans ce fouillis, qui appelle un pressant désarmement, les 



— 101 — 

vieux amants de la vieille marine trouveraient aisément leur 
compte. 

Cette archaïque série de canonnières atteintes d'un similaire 
vice redhibîtoire clôt Tensemble — dît ach'f — de la défense 
maritime de Tlndo-Chine. 

Inspectons maintenant Tescadre de réserve qui se dandine 
mollement dans des eaux pour le moment tranquilles. 

Si la flotte active n*a, à vrai dire, qu'une valeur plus que mé- 
diocre, sa réserve, assemblage bizarre de vieilles coques inutili- 
sables, est un trompe-l'œil. 

Impossible de passer sous silence ces malheureux navires, 
vieux bateaux poussifs, rossignols sans utilité, ne répondant nul- 
lement aux nécessités de la nouvelle guerre navale. 

Le cuirassé Le Redoutable. 

Gloire d'antan, le plus ancien de nos cuirassés actuellement 
existants, ouvre la marche de cette réserve, ce qui lui est d'ail- 
leurs infiniment plus aisé que d'ouvrir le feu contre un ennemi 
respectable. 

Impotent rossignol de 28 ans d'âge. — Son unique hélice le 
pousse péniblement. — Durant la marche ses hélices basses s'é- 
chauffent à un tel point que la vie à bord devient intenable. 

C'est un engin sans utilité, placé hors de tout service actif. 

Le cuirassé de croisière Le Vauban. 

Bâtiment hors d'âge, sans protection pour l'artillerie . — On 
peut le mettre de pair avec Le Redoutable ; ils suent également 
la moississure. 

A eux deux, ils nous coûtent annuellement 300.000 francs ; ce 
qui équivaut à du gaspillage. 

On éprouve quelque honte à voir le petit pavillon carré des 
bâtiments militaires flotter à l'avant de telles carcasses, la flamme 
de guerre pendre à leurs mâts tremblants. 

^ .. . , ( L'A cher 071 

Canonnières cujrassees { _. ^^ 

( Le Styx 

Deux canonnières de pacotille qui n'ont du bâtiment de guerre 
que l'étiquette. 

Ces deux échantillons d'un type de bâtiment qu'on a appelé 
€ poussière de cuirassé » sont aussi mal conçus que mal venus. 



\ 

i 



— 102 — 

— Mauvais marcheurs, d'un cuirassement médiocre et, par sur- 
croît, fort coûteux, ils ont une commune histoiire. 

Mis à flot en 1882, L*Achéron comme Le Styx^ furent reconnus 
comme tenant au plus râal la mer. Leur équilibre, faisant abso- 
lument défaut, on dut les décuirasser. 

L^Achéron^ innavigable, « monument de la sottise des ingé- 
nieurs », penchait à l'avant, si bien qu'on dut remplacer son 
blindage par de la cellulose. Avec les remaniements qu'on lui a 
fait subij, L* Achéron coûte aujourd'hui cinq millions et ne vaut 
pas un sou. 

Il peut à peine naviguer, n'a ni vitesse, ni facilité d'évolution ; 
toute sa puissance offensive réside dans un seul canon qu*il est 
impossible de tirer sans compromettre la partie de la coque qui 
le supporte. 

Comme canonnières, nous en comptons trois. 

V Aspic . 
La Surprise. 
La Vipère. 

La Surprise^ quoique sans protection, est seule à peu près 
potable ; ses deux compagnes, reliques en bois, sans vitesse, 
avec une artillerie restreinte méritent une prompe retraite. 

Comme aviso de 2® classe. 

L' Alouette, 

Antiquaille en bois, comptant 22 ans d'existence. 

Quand on pense que l'armement et l'entretien de tous ces 
bâtiments entraînent une dépense annuelle de plus de trois mil- 
lions, et que, par corître, nous n'avons pas un seul torpilleur à 
Tourane, à Haïphong, à Hongay, à Quang-Tcheou ; on est en 
droit d'affirmer que la défense maritime de notre colonie asia- 
tique n'existe qu'à l'état embryonnaire. 

Sans compter, ajoute M. Dubief, dans son très intéressant 
rapport général, qu'il règne actuellement dans les points d'appui 
de la flotte la plus étrange et la plus absurde dualité. 

Voilà énuméré dans sa brutale nudité, Fensemble d'une 
escadre dont le rôle est tracé dans ce seul mot : nul. 

Ce semblant de flotte que nous venons de passer en revue, 
n'est pas une muraille derrière laquelle l'Indo-Chine peut se 
sentir en sûreté : c'est encore moins une force combative, à 



— 103 — 

laquelle, elle peut demander l'inviolabilité de son front mari- 
time ; aussi cette faiblesse de notre matériel flottant — parfaite- 
ment connue de rivaux, qui seront bientôt des envahisseurs — 
est-elle le principal atout que Talliance anglo-yankee-japonaise, 
ait entre les mains. 

Si affligeante que pouvait être cette énumération, il importait 
de la diffuser, ne fut ce que pour stigmatiser ceux qui — respon- 
sables ou non — laissent volontairement en suspens les intérêts 
les plus immédiats de la défense nationale. 

Cette impotente défense maritime est une défaillance ; et^ 
cette défaillance — véritable crime national — elle est écrite en 
traits palpables, précis comme des chiffres, dans cet examen de la 
défense maritime de l'Asie Française, examen révélant la plus 
étonnante manifestation d'inconscience. 

Tout n'est-il pas surprenant en cette question. 

La défense maritime de T Indo-Chine est confiée à une autorité 
Non Responsable qui seule décide. 

Comprenons bien la valeur et les conséquences de ce mot 
Non Responsable et percevons qu'elle étrange aberration a pré- 
sidé, en haut lieu, à l'élaboration d'une œuvre qui n'aurait du être 
mise en pratique qu'avec la complète garantie de la préparation 
la plus consciencieuse. 

Puisqu'il en est ainsi, puisiqu'il est des gens dont l'impéritie^ 
l'imprévoyance et l'inconséquence préparent ou plutôt rendent 
inévitable la décapitation de notre Empire Colonial, comment se 
fait-il qu'on ne leur demande pas compte de leur gestion et qu'on 
n'instruise point leur procès. 

Comment se peut-il trouver en France, des dirigeants assez 
visionnaires, pour endormir l'opinion dans une trompeuse sécu- 
rité, et se prêter consciemment ou non à une défaillance qui 
désarme leur patrie, et peut, dans ses conséquences, l'atteindre 
en plein cœur. 

La France coloniale doit être protégée : elle veut des actes 
émanant de la saine raison et non dts hymnes à la solidarité 
internationale. La plus éloquente « chaleur communicative des 
banquets » ne vaut pas pour elle le moindre petit torpilleur. 

L'Indo-Chine veut en terminer avec ce provisoire, avec cette 
fiction navale qu'un adversaire actif peut écraser ou violenter 
aisément. 

Nous avons une puissante marine; l'Indo-Chine demande 



— 104 — 

qu'on en utilise un nombre raisonnable d'unités à son profit qui 
est toujours en fin de compte celui de la métropole. 

L'Indo-Chine demande — et qui donc incriminerait son désir 
— que les forces navales françaises cessent d'être un vain mot 
sur son front maritime. 

Nous avons des torpilleurs en France ; pourquoi n'en serait-il 
pas attaché quelques-uns à Saigon^ Tourane, Hué, Haïphong, 
Quang-Tcheou. 

Nos espérances coloniales nous ordonnent d'agir d'une manière 
urgente, mais arriverons -nous à nos fins si nous n'exécutons pas 
sans rémission ces exécrables insouciants — fussent-ils pourvus 
des meilleurs antécédents socialistes — qui semblent n'occuper 
des postes officiels que pour parodier, s'encrasser dans une rou- 
tine hors de saison, s'entêter dans les méprises qui préparent les 
débâcles ; qui paraissent ne détenir des portefeuilles, que pour 
faire le plus de mal possible, que pour mettre en scène une igno- 
rance qui n'aboutit qu'au désarroi et à la confusion; que pour 
émietter enfin notre puissance navale par des procédés systéma- 
tiquement désorganisateurs. 



Le moindre coup-d'œil jeté sur une carte, la moindre étude 
suffisent pour reconnaître que ce beau territoire français qui a 
atteint de si bonne heure, un si rare degré de cohésion et d'unité, 
a besoin d'être fortement garanti sur un front de mer. 

Bon gré mal gré, les conditions d'existence de l'Indo-Chine 
lui sont imposées par sa géographie. 

Il y a là une fatalité à laquelle il lui est impossible d'échapper. 
Elle peut seulement en atténuer les conséquences par une bonne 
politique. 

Est-ce donc, alors, une bonne politique que de laisser sub- 
sister un tel danger maritime, surtout quand un si long dévelop- 
pement de côtes se prête facilement à toutes les attaques venant 
de la mer. 

Sur la vaste étendue des rives asiatiques, tout est distant, et 
rien n'est prêt, au moment où la question d'Extrême-Orient prend 
un nouveau degré d'acuité. 

L'unique apparence de défense est à Saïgon. Et cette appa- 
rence seule est destinée à lui valoir tôt ou tard les honneurs 
d'une occupation anglo-yankee-japonaise. 



i 



— 105 - 

Qu*y a-t-il donc à Saigon pour soutenir une attaque de vive 
force. 

Le port de Saigon qui doit jouer un rôle si prépondérant 
dans l'avenir de la France est-il à la hauteur de sa mission ? 

Y maintient-on les cuirassés de station, garde-côtes, torpil- 
leurs, nécessaires pour parer à l'isolement absolu de ce port situé 
à trois mille lieues de la Mère-Patrie, dont il est au surplus 
séparé par plusieurs lignes anglaises ? 

Sous la pression d'événements imminents, et en son état 
actuel, peut-il faire face aux besoins de ravitaillement de navires 
de guerre de toutes dimensions et d'un mouvement actif de 
transports ? 

Est-il organisé et outillé pour réparer nos divisions navales 
des mers de Chine et d'Indo-Chine, et ce, sans le concours des 
ressources de la Mère-Patrie, pendant toute la durée d'une guerre 
navale ? 

Possède-t-il un arsenal de premier ordre capable théorique- 
ment de construire et par conséquent de réparer de grands 
bateaux ? 

Saigon, la Gia-Dink des Annamites, a vu le jour et grandi 
sur des couches de vase et d'argile accumulées au cours des 
siècles. 

Située à l'estuaire d'un des grands fleuves asiatiques, centre 
de l'afflux ininterrompu des denrées indo-chinoises ; cette cité 
fluviale et maritime est un port naissant de cet Extrême-Orient 
dont elle jalonne si heureusement la route. 

Mais jusqu'à présent des travaux à peine suffisants y ont été 
faits pour transformer la rivière et la rendre accessible au tonnage 
qui s'y presse. En 1901, faute de place, on a dû refuser des 
navires. Très souvent la circulation y est fort difficile ; il faudra 
encore du temps et de l'argent pour le mettre à la hauteur du 
mouvement maritime moderne. 

Snïgon possède un bassin de radoub de guerre mais point de 
commercial et les nombreux steamers ayant besoin d'un carénage 
sont obligés de se rendre à Singapour et à Hong-Kong, privant 
ainsi la capitale indo-chinoise d'un gain inévitable. 

Il n'y existe pas non plus de grand parc à charbon. 

Situé à l'intérieur des terres, son entrée qui appelle un coup 
de main de l'ennemi est défendue au cap Saint-Jacques par un 



— lOo — 

système de batteries assez fort, malheureusement facile à tourner, 
ou même à éviter par ui adversaire audacieux ayant comme 
objectif le cœur de l'Asie française. 

Arrivé sous ses murs, Tadversaire aurait facilement raison 
des quelques milliers de soldats chargés de le défendre et se ren- 
drait vite inexpugnable dans cette position stratégique qui n'est 
esrtainement pas assez fortifiée pour faire réfléchir un ennemi 
résolu à s'en emparer. 

Il y a un arsenal à Saïgon. Cet « élément de vie » aussi 
nécessaire à la flotte que les vaisseaux eux-mêmes, contient 
cartoucherie et atelier de chargement pour les munitions et le 
projectile. 

Mais point de poudrière et de manufacture pour confec- 
tionner des balles et des obus ; point de personnel technique que 
l'expérience acquise rende capable d'élargir à volonté son effet. 

Non seulement cet arsenal ne fabrique pas les armes et 
munitions nécessaires au corps d'occupation mais — point rigou- 
rewiement véridiqiie — les approvisionnements de guerre venus 
de la Métropole seraient insuftisints pour une campagne de 
quatre mois. 

Nous n'avons en somme presque rien en Indo-Chine pour 
réparer nos propres brèches, et, qui pis est, notre flotte est 
condamnée à laisser à l'armée toites les charges de la défense. 

L'offensive, et même, à vrai dire, la défensive, sont donc pour 
nous moins un dessein que d^s rêves. 

Au moment du conflit qu'aurions-nous à opposer aux forces 
ennemies ? 

Peu, bien peu. 

Cet état de flagrante infériorité met en question l'avenir de 
notre grande colonie indo-chinoise tout autant que l'influence 
française en Extrême-Orient. 

Cette faiblesse dans la défense maritime incite Taction de la 
TripHce anglo-yankee-japonaise, provoque son initiative agres- 
sive et lui montre d'avance les places où il faut frapper. 

L'Indo-Chine est une proie tentante pour des ennemis déter- 
minés, maîtres de la mer et possesseurs d'énormes moyens de 
transport. 

Facile est un débarquement et rien ne pourra empêcher ce 
viol de nos frontières par des soldats aguerris et des marins 
expérimentés. 



— 107 — 

Le Japon a pris des mesures permanentes pour pouvoir 
réaliser à tout instant le transport d'un corps expéditionnaire ; 
quant aux vaisseaux américains ils ont un entraînement spécial 
acquis des Etats-Unis aux Philippines et vice versa, 

La flotte à vapeur japonaise, elle-même, compte aujourd'hui 
plus de 500,000 tonneaux. 

Grâce à la puissance actuelle de ses moyens de transport, le 
Japon a pu, en juillet 1900, expédier rapidement, et sans à-coup, 
un corps de 25,000 hommes dans le Petchili. Ce mouvement 
s'est fait sans désarroi dans le service de ses grandes lignes 
subventionnées. 

Il faut aussi des navires en quantité suffisante pour accom- 
pagner les convois et appuyer les débarquements. 

Les Etats-Unis et l'Angleterre ont les ressources suffisantes 
en bâtiments de combat. 

Que la guerre éclate, et les steamers nippons mobilisés pour 
la circonstance, porteront sous la protection des escadres alliées 
de 80,000 à 100,000 hommes en Indo-Chine. 

Quelle défense possédons-nous, qui puisse retarder les actes 
et annihiler les desseins d'un tel déplacement de forces. 

Nous ne sommes pas les premiers à le dire, le péril est pres- 
sant et bien imprudents sont ceux qui ferment les yeux pour ne 
pas le voir et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les 
cris d'alarme qui se succèdent de plus en plus intensifs. 

A un ennemi formant un bloc bien homogène, qu'opposera la 
défense Indo-Chinoise, débordée par la complexité de l'attaque, 
affaibli par l'étendue des secteurs à protéger. 

Une riposte courageuse certes, mais bientôt rompue par l'élan 
de l'attaque et la puissance numérique de l'adversaire. 

Nos troupes feront vaillamment leur devoir, mais assaillies 
par de multiples difficultés, la victoire leur sera interdite et la 
résistance leur tiendra lieu de plus belle espérance. 

On n'a pas pour elles visé l'offensive, c'est la défensive, qu'on 
leur assigne dans les calculs. On s'est préoccupé uniquement, 
exclusivement, de cette défensive, mais n'est-elle pas illusoire 
sur une frontière dont on n'a ni prévu, ni sérieusement organisé 
la défense mobile, ce qui laisse apercevoir que tout débarquement 
ennemi ne sera qu'une question de temps. 

Cette opération demande aux marins, comme aux soldats des 
alliés, de l'ordre et de l'énergie. Mais ne les possèdent-ils pas. 



— 108 - 

Le transport maritime d'un corps d'armée, comporte un 
grand nombre de bateaux sans défense et dure longtemps. La 
présence de ces impedimenta est une gène pour Tescadre qui 
Tescorte, une cause de faiblesse dans le combat. 

Mais rien ne viendra troubler cette traversée et les escadres 
tripliciennes n'auront pas à conquérir par une bataille navale, la 
maîtrise au moins momentanée de la mer. 

L'infériorité manifeste de nos unités de combat leur interdi- 
sant de sortir à leur honneur d'un engagement quelconque, les 
escadres alliées, auront le champ libre, et en profiteront pour 
porter leurs coups sur tous les points vulnérables et vitaux qu'il 
leur plaira de choisir. 

De Chantaboum à Quang-Tcheou, nous pouvons nous atten- 
dre à être attaqués avec une rapidité foudroyante. L'ennemi ne 
cache point ses projets. 

Les principaux actes de cette campagne en perspective, les 
actes décisifs en cette occurrence ont été déjà résolus. Certains 
indices, à cet égard, décèlent un danger permanent auquel par une 
économie mal avisée, nous n'avons à opposer que des forces 
maritimes insuffisantes, que des forces de terre sensiblement trop 
faibles. 

L'attaque, aura comme toujours, d'immenses avantages sur la 
défense. Les assaillants ont leur plan ; ils choisiront leur moment, 
leur objectif, les conditions atmosphériques, les plus favorables 
pour eux, ils jetteront vers leur but, leurs meilleurs officiers, 
leurs plus audacieux soldats, leurs plus vaillants marins, formant 
de ce chef^ une force entreprenante et facile à diriger. 

Pour opérer un débarquement, il faut être maître de la mer, 
afin que l'opération ne puisse être exposée au désarroi, à la 
confusion, au moment oà elle s'effectue. 

Dans ce cas, aucune surprise pour Londres, Washington et 
Tokio. Sur toute la frontière maritime de l'Indo-Chine, Saigon et 
Haïphong sont les seuls points défendus : là seulement existe 
quelque obstacle aux attaques du large. Partout ailleurs la côte 
peut être impunément abordée, et l'arrière pays ravagé. 

D'ailleurs les forces navales tripliciennes destinées à couvrir 
toute opération de débarquement sont calculées de manière à 
s'assurer la supériorité. 

L'ordre des convois, leur objectif, tout a été prévu ; les 
plans d'une telle expédition, ont été minutieusement préparés. 



— 109 — 

Les Anglo-Yankee-Japonais pourront donc entrer immédiate- 
ment dans la période active du programme tracé. 

Point de contre-torpilleurs à éviter^ point de sous-marins à 
•détruire ; les escadres adverses seront donc archi-suffisantes, pour 
forcer nos six croiseurs (cinq en réalité), à chercher dans la baie 
<i*Along ou derrière le Cap Saint-Jacques, un refuge immédiat^ et 
à ouvrir ainsi, aux convois alliés, un chemin non disputé. 

Dans ces conditions, la mer n'est plus un rempart, c'est une 
menace, et le Cap Saint-Jacques, fut-il hérissé des plus puis- 
santes batteries de côte, que cela ne compenserait en rien notre 
pénurie de bâtiments de combat. 

Nos quelques unités flottantes vivement refoulées et bloquées 
<ians la baie de Gan-Rai, la flotte triplicienne, achèvera, en un 
tour de main, l'investissement de l'Indo-Chine. 

Ainsi investie, et privée de toute communication avec la 
Métropole, l'Asie Française sera promptement rendue intenable 
pour les armes françaises, et ce, grâce à la supériorité énorme 
obtenue dans les mers de Chine et du Golfe de Siam par la 
réunion des unités Anglaises, Américaines et Japonaises. 

A 2.300 lieues de France, notre domaine asiatique, se trouvera 
dès le premier jour du conflit isolé de la mère patrie, il ne 
pourra en recevoir le moindre secours, le moindre renfort en 
hommes et en munitions. — 

Livrée à ses seules ressources, l'Indo-Chine ne devra sa sauve- 
garde qu'à ses propres moyens. 

Comment fera-t-elle face à tous les points de l'horizon du 
moment. 

Comment résistera-t-elle aux 100.000 Japonais que les trans- 
ports de la Triplice Intercontinentale pourront jeter, soit à 
Tourane, soit aux environs du Cap Saint-Jacques^ soit aux 
abords de la baie d'Along. 

En moins de 15 jours," la flotte Anglo-Yankee-Japonaise peut 
•en effet, débarquer sur les côtes Indo-Chinoises une armée 
mikadonale à même de lutter contre la nôtre. 

L'Angleterre appuierait au surplus ce mouvement en enva- 
hissant avec une partie de ses forces stationnées en Birmanie, le 
Muong-Sing, qui n'offrirait aucune résistance. 

Menacée par des forces supérieures, appuyées elles-mêmes sur 
l'arsenal largement approvisionné de Hong-Kong, notre division 
d'Extrême-Orient, ne trouvant aucun port où se pouvoir ravi- 



- 110 - 

tailler, n'aurait d'autres alternatives, que de ^'immobiliser dans- 
un abri quelconque, ou de périr glorieusement en accomplissant 
quelque action d'éclat sans portée. 

De Hong-Kong, de Cavité, Singapour, de Bornéo, les croi- 
seurs Anglo- Yankee-Japonais cingleront vers les rives Indo -Chi- 
noises, avec l'objectif de paralyser nos moyens d'action ; tandisque 
le gros de la flotte Triplicienne ayant forcé l'entrée du Donnai ou 
du Soïrap, foudroiera les dépenses de Saïgon, sans grand danger,, 
et partant sans grand honneur. 

Nous serions^ en somme, attaqués de tous côtés sans la moin-- 
dre chance d'être approvisionnés, et, les munitions manqueraient 
vite, car, lacune des plus graves, toutes les colonies les reçoivent 
de France, et l'Indo-Chine elle-même, n'est pas outillée pour ea 
fabriquer. 

Nous aurions devant notre front de mer asiatique l'escadre 
anglaise se ravitaillant a Singapour, l'escadre yankee des Philip- 
pines se ravitaillant à Cavité et à Guam ; l'escadre japonaise et 
l'escadre australienne se ravitaillant à Hong-Kong. 

Véritable rideau de fer que cette flotte de blocus, qui, maîtresse 
de la mer, serait régulièrement alimentée de ressources lui assu- 
rant une constante puissance de résistance et de renouvelle- 
ment. 

Impossible, au surplus, d'espérer le moindre secours de Port- 
Arthur^ la division russe ayant à guerroyer contre les forces 
unies de l'Angleterre, des Etats-Unis et du Japon qui bloque- 
raient le golfe du Petchili ; ces bâtiments tripliciens se munition- 
nant à volonté dans les ports japonais. 

Et comment, au premier écho d'une complication toujours 
possible et toujours imminente, arriver en Indo-Chine ; comment 
passer sous le feu des croisières adverses à la fois agressives et 
inquisitoriales 'ï 

Quelle voie, peut nous rester ouverte à une lointaine diver- 
sion navale ? 

Aucune. 

Toutes facilités pour expédier nos transports et nos troupes 
jusqu'à Saïgon, pour alimenter sur leur route nos navires en chatr 
bon, pour les réparer et les ravitailler, nous seront supprimées^ 
dès l'ouverture des hostilités. 

L'Angleterre prévoyante a échelonné sur la route du Pacifique 



— m — 

Mn véritable chapelet d escales fortifiées égrenées sans solution 
-de continuité de Londres à Shanghaï. 

GïbrcUlar, Malte^ SfuZy Perim, Mascate^ Columbo, Pointe de 
Galles^ Singapour^ Bornéo^ Hong-Kong. 

Si ta voie de Suez n'est pas au pis aller obstruée, elle sera 
immédiatement fermée à nos escadres par Tarmée anglo-égyp- 
tienne. L'Angleterre n'attache en effet un si grand prix à 
Toccupation de l'Egypte, qu'en raison de sa situation géogra- 
phique, qui en fait la clef de la route la plus courte des Indes et 
de l'Extrême-Orient. 

De Mahé et de Pondichéry nous pourrons d'avance faire notre 
deuil ; ces deux points de relâche dans les eaux indiennes, seront 
<:apturés sans coup férir. 

Le Japon, l'Angleterre et les Etats-Unis, seront — par le jeu 
normal de leurs forces — les maîtres absolus, sinon de droit, du 
moins de fait, de la mer où nous ne pouvons risquer le moindre 
convoi sous peine d'en faire don à nos adversaires. 

Disposant d'une force très mobile, très agissante, ils se don- 
neront pour mission de faire vite et, d'obvier à tous inconvé- 
nients. 

Apprêtons-nous à. le constater après l'avoir pressenti. 

L'amiral Bourgeois s'exprime en ces termes, relativement à la 
défense des frontières maritimes. 

Pour assurer complètement la sécurité des froTitières maritimes, trois sys- 
tème? de défense sont nécessaires. 

Au large, en première lijfne, U flotte de combat pour lutter contre les 
forces navales ennemies, dominer la mer, et transpK)rter ce théâtre de la 
guerre loin des côtes que cette flotte a mission de protéger. 

En seconde ligne, les forts et les batteries sur le littoral, les torpilles dans 
ies passes, les torpilleurs et les navires garde-côtes dans les rades et les 
ports, pour les défendre, et s'opposer aux débarquements. 

Enfin, en troisième ligne, les corps de troupes réunis sur des points straté- 
giques, dans les grands ports ; ou en arrière du littoral, pour se porter rapi- 
dement au devant de l'ennemi qui tenterait de débarquer, l'arrêter s'il a 
réussi, le combattre et le jeter à la mer. 

Cette opinion — d'un homme autorisé entre tous — souligne 
l'importance de trois éléments \ chacun d'eux étant le complé- 
ment indispensable des deux autres. 

A les considérer séparément, notre flotte apparaît comme 
réduite à sa plus simple expression* 



— 112 T- 

Notre défense mobile n'est pas mieux partagée ; Saïgon 
englobe la seule apparence de défensive existant en Indo-Chine • 

Quant au corps d'occupation, son faible effectif soutiendrait 
difficilement le choc de plusieurs attaques simultanées. 

Des flotilles de torpilleurs et de sous-marins ne suffisent pas, 
expose le rapport de M. Dubief. Si l'ennemi parvient à débar- 
quer, il faut pouvoir l'arrêter, lui disputer le terrain, l'user par 
une lutte où nous aurons l'avantage d'une connaissance parfaite 
du pays et de l'accoutumance au climat. 

Cela est certain. Pour protéger l'Indo-Chine, ce n'est pas 
trop du concours énergique de la défense sur mer et sur terre se 
prêtant un mutuel appui. 

En ce qui concerne la défense sur terre, nous sommes dépour- 
vus de moyens sérieux de résistance. 

Les troupes affectées à la défense de notre Empire Indo- 
Chinois sont notoirement insuffisantes. 

Trente-deux mille hommes en tout. 

Une division en Cochînchine et deux au Tonkin. 

Si nous examinons l'artillerie, nous nous trouvons en face 
des mêmes déceptions. 

Il est de claire évidence que nous nous trouvons dans une 
fâcheuse situation ; aucune décision n'est prise pour y remédier^ 
notre grand tort étant de toujours compter sur un héroïsme 
capable de faire reculer l'ennemi et de forcer la victoire. 

En défendant Haïphong et Saigon, l'Indo-Chine reste désar- 
mée contre l'imprévu qui peut l'assaillir de tous côtés. 

Elle a derrière son front terrestre trois voisins immédiats 
qu'elle ne peut ni oublier, ni négliger. Il lui faut se tenir en 
garde contre l'invasion chinoise et l'envahissement siamois qui 
se prépare tous les jours sous le couvert d'une politique lou- 
voyante qui en prend à son aise à Bankok. 

La main des Indes et de ses quatre corps d'armée n'est pas 
sans peser également sur la France d'Asie. 

L'Indo-Chine, écrit M. Louis Salaun, est par le Tonkin étroi- 
tement associée au monde chinois , par la vallée du Mékong, elle 
est intéressée de très près à la vie siatnoise. 

L'immense « éponge chinoise » d'un côté ; de l'autre, le Siam, 
frayant la voie aux Japonais pour qui Saigon, constitue un 
objectif à souhait. 

Voilà la réalité dans sa frappante simplicité. 



— 113 - 

Elle n'est guère avenante, car toute illusion en est exclue. 

Evidemment, les couleurs de ce tableau étant moins que bril- 
lantes, on nous accusera — à tort — de broyer du noir ; mais 
nous avons le plus grand intérêt à bien connaître des ennemis, 
qui visent ostensiblement Téclipse de la puissance française en 
Asie. 

Considérons l'offensive japonaise, soit à la suite d'un débar- 
quement sur la frontière maritime, soit à la suite de l'envahisse- 
ment par le Siam, avec sa connivence et celle de l'Angleterre. Il 
ne faut pas en effet perdre de vue, que Bangkok annexe de Lon- 
dres facilite les embûches du Foreign Ojfice et jouera dans toute 
crise ultérieure un rôle où l'astuce ne cédera le pas qu'à l'activité* 



Sous le rapport militaire le Japon pays essentiellement guer- 
rier égale aujourd'hui tous ses modèles. Dans le règlement de 
tout conflit maritime l'Empire du Mikado constitue, nul ne le con- 
teste, un facteur de tout premier ordre (i). 

Consacré grande puissance, conscient de son admirable situa- 
tion en Extrême-Orient, de la force et de l'autorité que lui ino- 
culent l'alliance anglaise et l'accord yankee, il n'est point de 
projets que son incommensurable orgueil ne caresse et n'essaye 
de résoudre. 

Tel son vaste programme d'expansion vers le sud. 

Depuis qu'il s'est imposé des frais d'armement considérables, 
depuis qu'il possède une flotte pourvue de tout l'outillage moderne 
il poursuit un double but : l'annexion de la Corée et la conquête 
de rindo-Chine. 

L'inéluctable nécessité où il se trouve d'acquérir un empire 
colonial l'a bien vite amené à porter ses vues sur notre grande 
colonie asiatique — qu'une assez faible distance sépare de For- 
mose — et, dont la possession lui paraît digne d'occuper son 
attention, ses efforts, et son intelligence. 

Nul ne devient grand dans r histoire, sans avoir recueilli un 
grand héritage^ et l'héritage du Japon c'est la France d'Asie. 

C'est pour ce pays surpeuplé, l'exutoire rêvé. 

On considère à Tokio que la sphère d'action du Japon est 
dans le sud de la Chine, aussi l'intérêt que les fils du « Soleil- 

(1) La guerre russo-japonaise nous le démontre. 



— 114 — 

T^evant » portent à notre empire indo-chinois croît-il de jour 

-en jour, attirés qu'ils sont par ses richesses naturelles. 

Certains qu'ils sont du consentement de TAnglet^rre, des 

encouragements des Etats-Unis, de l'appui du Siam, délibéré- 
ment devenu notre ennemi, ils songent avec insistance à la 

-conquête de cette immense presqu'île dont le Siam fait physique- 
ment partie et que l'on nomme avec raison le grenier à riz de 
l'Extrême-Orient. 

Nous sommes donc appelés dans les Deltas de l'Indo-Chine et 
<iu Tonkin à combattre un ennemi fortement organisé, capable 
de mettre en ligne de puissantes unités, corps d'armée, divisions 
ou brigades, et, il importe que nous puissions avoir autre chose 
que des éléments réduits à opposer à une agression prévue qu'on 
ne peut plus se flatter de conjurer. 

En ce qui concerne notre domaine asiatique, les Japonais ont 
une solution exempte de tergiversations ; ils considèrent comme 
devant faire partie de leur légitime sphère d'influence == Saigon, 
Hué, Hanoï, etc., et, ce n'est pas sans raison qu'ils y ont envoyé 
à plusieurs reprises des missions, qui, sous prétexte d'y étudier 
la colonisation^ s'y livraient à tous autres exercices. 

Il est surtout fait allusion à ia mission militaire dirigée par le chef d'état- 
mijor général en personne, le général Kawakamt, et qui séjourna quelques 
semaines au Tonkin, il y a trois ans. Quant à ceux qui auraient encore des 
illusions sur l'état de défense de nos colonies d'Indo Chine, je les prie de se 
reporter à la correspondance da général B îrgnis-Desbordes, ancien com- 
mandant en chef, qui fut publiée il y a cinq ou six mois, après la mort de ce 
.général. Je puis ajouter, en toute connaissance dé cause, que ML Doumer a 
adressé maintes fois au gouvernement sur ce sujet des rapports, regrettant 
€ii termes très pres<îants l'insuffisance de moyens de défense en lado- Chine. 

Pendant plusieurs années, en effet, le gouvernement du 
Mikado a envoyé en Indo-Chine des missions commerciales et 
militaires qui ont reconnu les côtes et l'extérieur de notre 
• possession. 

Elles ont sillonné la presqu'île en tous sens, avec notre auto- 
risation, remonté le Fleuve Rouge et le Mékong, visité leê 
principaux centres, les ports militaires importants, relevé les 
routes, etc., etc. 

Elles trouvaient d'ailleurs le meilleur accueil auprès des 
autorités; ce n'est qu'à la longue, que notre gouvernement, naïf 



— 115 — 

oh combien, a décliné l'honneur de ces visites plus que 
suspectes. 

Mais, en dignes apprentis de la souplesse britannique, ils sont 
tenaces, les insinuants Japonais. Ces petits hommes jaunes, aux 
paupières fendues en amande, à Tair très subtil et à la main 
menue, intrus mystérieux aux visées astucieuses, viennent alors 
officieusement au lieu de venir officiellement. 

Les fils du Japon ont établi leurs preuves sur les champs de 
bataille ; sur terre et sur mer ils ont fait un si judicieux emploi 
d'un armement supérieur que nos compétences militaires elles- 
mêmes en ont pu tirer des leçons. 

Mais, d'autre part, ils sont passés maîtres en l'art de l'espion- 
nage, ils l'exercent avec une rare habileté qui procure d'abon- 
dants sujets de réconfort à la pudique Albion. 

Bien entendu, au cours de leurs visites en Indo-Chine, et, on 
le comprend aisément, ces éphèbes au teint couleur de citron, se 
tiennent au courant de tout ce qui se passe, et notent soigneuse- 
ment tout ce qui peut les intéresser. Ils déploient, pour ce faire, 
une adresse surprenante. 

A l'heure actuelle, écrit M. F. Mury, Vlndo-Chùte est litté- 
ralement envahie par une nuée de sujets fap07tais^ dont un 
certaùt nombre appartiennent à 1'arm.ée comfne sojcs-officters, 
voire comme officiers. 

Les uns sont commerçants dans les grandes villes. Les autres 
parcourent les campagnes en qualité de commis-voyageurs, 
offrant aux indigènes les produits du Japon, au grand désespoir 
des Célestes qui avaient jusqu'ici le monopole de ce commerce 
et servaient seuls d'intermédiaires entre les agriculteurs anna- 
mites et les gros exportateurs. 

Quant au Siam, il se joue de nos décisions et de nos protes- 
tations ; avec l'agrément de l'Angleterre, il ne nous épargne- 
aucune vexation quand il ne va pas jusqu'à l'insulte. Sous l'égide 
du Foreign Office qui l'encourage à multiplier ses tracasseries, à 
nous chercher noise, à nous prodiguer les heurts et les froisse- 
ments, la cour de Bangkok se permet impunément toutes les 
insolences. 

Le Siam est un coin au cœur de notre empire extrême oriental,, 
et ce coin est complètement acquis à la duplicité britannique. 
Preuves : la guerre d'influence que nous fait l'Angleterre dans- 
la vallée du Menam où elle voit nos progrès d'un œil défavo— 



— 116 — 

rable ; les soldats du Royaume-Unî qui occupent Bangkok sous 
prétexte de police, et enfin, dangereuse perspective, Tintrusion 
■des Japonais dans les questions franco-siamoises, intrusion jugée 
nécessaire par l'Angleterre , désireuse de se procurer des armes 
pour Tavenir. 

C'est une géniale combinaison britannique que cette constante 
introduction du Japon, son alliée, dans la place siamoise. 

Là, abritée derrière les nationaux de TEmpire du Soleil- 
Levant, elle ne perd aucune occasion de saper nos prétentions 
<ie prédominance dans ce coin asiatique ; elle ne laisse échapper 
aucune circonstance d'intervenir à l'encontre de nos objectifs. 

Le Japon est, pour dame Albion, là comme ailleurs^ le solide 
plastron derrière lequel elle prend solidement pied sur le sol 
birman et pratique la mainmise sur les Etats malais dont elle 
escompte l'absorption, 

A considérer sans illusion des actes qui ne laissent pas Tombre 
d'un doute sur les arrière-pensées qu'il personnifient, il saute aux 
yeux, qu'Anglais, Yankee, Japonais et Siamois, obéissent à une 
même pensée, convergent vers un même but : 

Annihiler la France en Extrême-Orient, 
démembrer notre Empire colonial, le déca- 
piter si possible. 

Le cœur et le cerveau sont à Londres et à Washington, les bras 
«ont à Bangkok et à Tokio. 

Bangkok et Tokio dont les prétentions illégitimes s'emploient 
à biffer d'un trait le prestige français sur les rives asiatiques. 
Bangkok et Tokio, peuplés de petits Machiavels olivâtres qui 
se figurent être de profonds diplomates parce qu'ils vont cher- 
cher leur providence sur les bords de l'Hudson ou de la Tamise ; 
roquets jaunes mués en courtiers marrons que stipendie la race 
anglo-saxonne pour aboyer sur les talons de la France. 

Bangkok et Tokio, fourvoyés dans la galère anglo-américaine, 
vont se rapprochant sous les auspices de leurs cornacs du 
Foreign Office. 

L'évolution, d'après conseils ou ordres, qui se produit dans 
les relations du Siam et du Japon, révèle tous les indices, non 
d'un rapprochement siamois-japonais, ces deux Etats n'ayant 
jamais été séparés, mais d'un resserrement très ostensible des 
liens qui unissaient les deux puissances extrême-orientales. 



— 117 — 

Depuis 1895, rinfluence japonaise n'a pas cessé de grandir 
au Sîam, et depuis la conclusion du traité anglo-Japonais, Bangkok 
répond plus que jamais aux avances de Tokio. 

Actuellement, S. M. Chula-long-Korn ne prend aucune déci- 
sion importante sans Tassentiment du Mikado ; deux hauts magis- 
trats japonais remplissent à ses côtés les fonctions de conseillers 
juridiques. 

Les Japonais déploient au Siam une activité d'investigation 
dont on peut difficilement se faire une idée; elle va d'ailleurs 
s'amplifiant parce que les causes qui l'ont provoquée n'ont cessé 
d'agir et prennent au contraire une force nouvelle du traité anglo- 
japonais. 

La splendide vallée que féconde le large Menam aux eaux 
vivantes, est le théâtre de leurs menées clandestines, et pourtant 
ce riche grenier d'abondance est indispensable à la prospérité et 
à la sécurité future de notre Empire indo-chinois. 

Cette immigration est telle qu'en Juin 1902^ M. Klobukoski, 
notre dernier ministre à Bangkok — et ministre énergique — est 
obligé de protester contre les concessions accordées aux Japonais 
dans la vallée du Semoun où ils abondent, aux portes mêmes de 
notre colonie. 

En 1899, le gouvernement de Tokio a installé une légation à 
Bangkok, pour stirvei lier les intérêts de ses nationaux. La créa- 
tion d'une société anonyme japonaise a immédiatement suivi, qui 
s'occupe de prêts hypothécaires et qui, sous le couvert de ses 
opérations, a obtenu d'importantes concessions de terres aux 
environs de la capitale. 

Sous les auspices de l'envoyé japonais, on a vu se créer à 
Bangkok une Ecole enseignant la langue des sujets du Mikado. 
— Une Société amicale siamo-japonaise s'est également consti- 
tuée, véritable succursale de la ligue « Kokumin-Domei-Kdai » 
dont l'organe Le Thoyo insérait, dans son premier numéro, 
qu'au Japon se trouve dévolu le rôle de déjenseur du Siam, 

Les Allemands, Suédois, Danois, qui commandaient précé- 
demment l'armée siamoise, font peu à peu place à des instruc- 
teurs japonais. — Les enrôlements multiples de ces alliés 
de l'Angleterre nous furent révélés vers 1 900-1 901 ; et, lors de 
l'incursion que les Siamois firent en 1902 sur les bords du Mékong 
et qui faillit amener un conflit, ils avaient, au nombre de leurs 
gradés, de nombreux officiers japonais. 



- 118 - 

Tout nous laisse présager Torganisation prochaine de la 
marine siamoise par les officiers des navires mikadoniens, qui 
tenteront de transformer en marins les pêchenrs du Ménam. 

Enfin, en 1903, le Siam a envoyé son héritier présomptif à 
Tokio. — Ce voyage — écrit M. Francis Mury — avait pour 
but secret de solliciter la protection du Mikado et de fêter ies 
premières bases d'une alliance. 

L'accueil empressé fait à ce jeune prince, les honneurs extraor- 
dinaires qui lui ont été prodigués ; son union projetée avec une 
fille du Mikado, prouvent surabondamment que T intervention 
japonaise est proche en Indo-Chine. 

En somme, cette infiltration japonaise, favorisée par la connî^ 
vence directe du Siam et la complicité indirecte de TAngleterre, 
justifie — pour la défense de l'Indo-Chine — toute mesure propre 
à parer au plus pressé. 

A voir les Japonais si remuants et partant si redoutables aux: 
portes de Saigon, on juge de la dernière imprudence une organi- 
sation militaire aussi restreinte que celle qui a pour mission de 
défendre le delta cochinchinois. 

On ne saurait s'affranchir de la pensée, que rien ne protège 
notre colonie indo-chinoise contre une attaque sérieuse venant 
du Siam ; de ce pays, formellement hostile à nos espoirs, devenu 
peu à peu pour le Japon un propice terrain de culture anti-fran- 
çaise ; de ce pays, où Anglais, Yankee et Japonais se concertent 
et conspirent à l'envie contre le crédit de la France en Extrême- 
Orient et, dont la commune arrogance à l'égard de nos intérêts^ 
décèle l'àpreté du duel futur. * 

Il y a bien le Mékong, mais un fleuve, quelle que soit sa lar- 
geur, n'a jamais été une ligne de défense efficace. — La fron- 
tière, déterminée en 1893, est purement idéale. — Aucun fort n'jr 
a été élevé. — Une armée peut arriver, presque sans coup férirj 
au cœur même de la Cochinchine. Elle ne trouverait devant elle 
que les poitrines de nos soldats. 

Et que deviendrait notre brigade de l'Indo-Chine avec son 
effectif restreint, si elle se trouvait en présence de troupes sia- 
moises commandées par des officiers japonais et soutenues par un 
corps d'armée du Mikado. 

Le danger n'est pas moindre du côté du Céleste-Empire. 

Pourrions-nous tenir contre les troupes chinoises^ contre cette 
nouvelle muraille de Chine mouvante et irrésistible, dévalant sur 



— 119 — 

tios riches contrées des Deltas, jonchant le sol de ruines et mar- 
•quant son passage par de longs sillons de feu. 

Cette pensée seule inflige la plus douloureuse perplexité à 
tous ceux qui tiennent pour prévue et impossible à conjurer 
cette intervention armée d'un peuple qui nombre 400 millions 
d'habitants. 

Qui donc, se flattant d'avoir surpris les vœux encore muets 
-de cette masse profonde, étroitement serrée sur un conti- 
nent massif, se hasarderait à prédire que la Chine ne bougera pas 
et que les mailles de l'armée chinoise ne se resserreront pas 
autour du Delta en un réseau impénétrable. 

Les moyens ne font pas défaut à l'Empire du Milieu, la volonté 
^eule —7 l'iniative peut-être — lui manque. 

Mais la Chine a des amis empressés, qui se sont constitués ses 
bergers, ses soutiens moraux, ses directeurs de conscience. 

Tour à tour, les Anglais, les Yankees, les Japonais se sont 
■découvert d'ardentes et loyales sympathies pour les Célestes. 

Leur action indirecte, dissimulée, mais néanmoins énergi- 
que aigrit et envenime par des insinuations tendancieuses, des 
nouvelles erronées, toutes dissidences sino-françaises. 

Et non seulement cette politique anglo-saxonne, qui « se 
grandit sur les ruines de tous », développe en Chine une force 
-capable de faire contrepoids au prestige européen, mais elle 
endigue, de son mieux, la vitalité asiatique pour la déverser sur 
rindo-Chine et Tengloutir. 

Si la pression de l'Angleterre, des Etats-Unis et du Japon a 
porté ses fruits et que la Chine se fasse solidaire de leurs agis- 
sements, son attitude hostile ne peut manquer de se manifester 
par des actes qui deviendront de suite un péril extrême pour 
notre colonie. 

C'est alors Tlndo-Chine enserrée dans un étau et bientôt isolée 
<ie toute communication terrestre extérieure. 

C'est là une hypothèse extrême qu'il n'est certainement pas 
prématuré d'envisager. 

M. Etienne en a justement rappelé la menace en ces termes : 

L'heure est venue pour la France d'avoir une politique asiatique certaine, 
<:onsctf;nte d'elle même. La crise chinoise, qui ne fait que s'ouvrir, ne man- 
quera pas de modifier profoidément, en bien ou en maly l.i situation des peu- 
'ples ayant des intérêts en A-^ie. l£lle ^)cut aboutir à un partage plus ou moins 
net de la Chine en sphère d'infl i-cne, et dms ce cas, il importe à la puissance 



- 120 — 

maîtresse de l'Indo-Chine, de savoir clairement et d'avance, ce dont elle doit 
s'assurer pour g^arantir les approches de sa colonie. 

Elle peut, au contraire, laisser le g^rand corps chinois intact, mais travaillé 
par un mouvement de transformation que les influences étrangères essaient 
d'orienter à leur profit. 

Cette évolution redoutable fera peut être de la Chine un admirable marché 
pacifique, mais il n'est pas non plus impossible qu'elle fasse de la masse chi- 
noise transformée, 

rinstrument irrésistible de ia ruine de notre empire 
Indo-Chinois. 

On voit combien il importe que nous discernions, que nous utilisions, dans 
la mesure du possible, les forces intérieures et étrangère?, capables d'influer 
sur l'évolution de la Chine. 

Le rôle des forces terrestres, en Indo-Chîne, paraît donc loin 
d'être négligeable en présence de la nécessité de défendre avec 
acharnement un domaine dont la richesse augmente chaque jour, 
et qui chaque jour excite les convoitises plus grandes de loups 
cerviers désireux de se l'adjuger d'une façon effective. 

Le corps d'occupation de l'Indo-Chine est tout à fait insuffi- 
sant, un renforcement s'impose immédiat, qui naît des nécessités 
mêmes de la situation. 

L'Indo-Chine peut à peine mettre en ligne 32.000 hommes, 
et tandis qu'elle tenterait lentement d'accroître cette force, l'en* 
nemi aurait tout le loisir de la détruire avec la sienne. 

Le rapport du Général en chef des troupes îndo-chînoîses la 
reconnaît en termes explicites, cette faiblesse de notre division 
militaire. 

La guerre de Chine — écrit le général Do Jds — a permis à l'Indo-Chine 
de prouver, à la Mère-Patrie, que celle-ci avait en elle une sentinelle vigilante 
prête à ne rien laisser sacrifier de la France en Extrême-Orient. La colonie 
et son armée marchent parallèlement dans la voie du progrès, et l'Indo-Chine 
dont on ne saurait se lasser de dire qu'elle est le plus beau fleuron de notre 
couronne coloniale, pourra envisager sans crainte une agression étrangère^ 
le jour qu'il faut espérer prochain^ où aura été accompli V effort final q» 
donnera à son armée le minimum de puissmce nécessaire. 

Le jour qît*ïl faut espérer prochain est significatif sous la 
plume du Commandant en chef des troupes Indo-Chinoises. Il 
serait intéressant de savoir quand ce jour est appelé à prendre 
place. Mais personne ne semble avoir la curiosité de s'eninformer. 

Et le Mùtimum de puissance nécessaire. Ce n*est pas en 



— 121 -, 

somme trop demander. Obtenir un minimum en déployant toutes 
les ressources dont on dispsse. 

Voilà le fait tangible : à Theure actuelle, Tlndo-Chine n*est 
pas sérieusement défendue et sa capture apparaît, en somme, 
comme relativement facile. 

Aussi est-elle envisagée à Londres, à Washington et princi- 
palement à Tokio, avec une certaine complaisance. Elle est^ 
d'ailleurs, depuis longtemps considérée comme une perspective 
attrayante par ces trois chancelleries, très au courant de ce qui 
peut intéresser les forces et les moyens de notre empire indo- chi- 
nois. 

L'Indo-Chine est à découvert entre trois feux croisés, et pour 
permettre d'en discerner les conséquences, faut-il montrer l'An- 
gleterre et les Etats-Unis impatients d'ambition et de domination, 
l'équilibre de l'Europe près de disparaître dans une convulsion de 
la force, et au bout de ce phénomène effrayant, un nouvel empire 
anglo-saxon. 

L'Indo- Chine est dénuée de protection sur le chemin des 
flottes ennemies, sur le grand chemin commercial et stratégique 
du Pacifique, entre ces deux bornes casematées, Hong-Kong et 
Singapour. 

Sur terre, des soldats français la défendent, mais leur héroïsme 
ne saurait compenser leur infériorité numérique; sur mer, quel- 
ques croiseurs soutiennent son honneur, mais ils sont encadrés 
d'antiquités poussives et de rossignols sans valeur. 

Elle n'est donc pas à l'abri d'un coup de main et cette consta- 
tation nous reporte mentalement en 1898, où les événements nous 
surprirent en flagrant délit d'infériorité défensive. ^ 

Rappelons-nous, qu'au lendemain de Fachoda, le gouverner 
ment fut contraint d'engager de son chef, de son autorité, sans le 
consentement préalable de la Chambre, une dépense de plus de 
60 millions. 

N'est-ce pas là un symptôme alarmant, l'indice irréfutable que 
la défense maritime de notre domaine colonial était au-dessous de 
toute raison. 

Et pourtant, n'avons nous pas entendu, au Parlement, des 
marins comme l'amiral Pérou, l'amiral Krantz, affirmer : 

10 Que nous étions prêts à l'offensive dans la Méditerranée, et 
à la défensive dans la Manche ; 

2® Que nous pouvions dormir tranquilles. 



— 122 — 

Et, quelques semaines plus tard, alors que confiants dans la 
parole de ces deux hommes autorisés, nous dormions sur nos deux 
oreilles, nous étions subitement réveillés par une demande de 
65 millions de crédit. 

Le réveil était dur, et l'ahurissement bien compréhensible. 

Et les souvenirs de Tannée terrible se représentaient à Tesprit; 
Thistoire du « bouton de guêtre » de 1870, était rééditée. 

La défense maritime des colonies, telle qu'elle existe actuelle- 
ment, suscite les jugements les plus sévères. 

Ecoutons, en 1899, M. Fleury-Ravarin dénoncer la funeste 
impéritie qui la régit : 

Comment, dit-il, ne pas être frappé des incohérences, des contradictions» 
du chaos qui présideat à la mise en œuvre de nos forces militaires, qu'il 
s'ag-isse de la défense du littoral, ou-qu'il s'agisse de la défense de nos colo* 
nies. 

Retraçons le tableau bien triste, en vérité, qui en est fait en 
1898, par le général Borgnis-Desbordes. 

La France peut se réveiller tout à coup mêlée, malgré elle, à l'une des 
plus formidables luttes maritimes des temps modernes. 

En face d'éventualités menaçantes, renoncer à organiser rapidement tant 
en matériel qu'en personnel, les points d'appui de la flotte à rextérieur, c'est 
abdiquer notre rôle colonial; c'est également abdiquer notre rôle commercial 
dans le Monde, car la force reste la sauvegarde du droit ; c'est dire aux puis- 
SAQces étrang'ères qui nous jalousent et nous obser/ent : Nos colonies^ noire 
marine marchande^ notre commerce y vous pouves en faire ce que vous vou-- 
dresy sans quil vous en coîUe un effort sérieux. 

Si la France veut remplir dans le monde le rôle maritime important que 
lui asisignent ses traditions, elle n'a pas un moment à perdre. 

A 1 heure actuelle, les colonies ne sont pas sérieusement défendues. 

En dépit de tous ces avertissements, de tous ces cris d'alarme,, 
ceux qui ont charge de cette défense maritime, ne paraissent 
nullement émus, ils gardent un calme olympien et, cependant que 
la situation va sans cesse s'aggravant, l'inertie chez eux, reste à 
Tordre du jour (i). 

(1) L'enquête sur la marine que révèle-t-elle, ces jours ci : 
Que le Conseil supérieur de la marine n'est pas convoqué. 
Que l'autorité de l'ttat-major est visiblement annihilée. 
Que la marine obéit aux impulsions capricieuses d'une volonté déaor 
donnée. 

Que la cohésion de notre armée navale est compromise. 
Que la marioe française est désorganisée par une inertie calculée et 
qu'a-ijourd'hui, en 1904, la sécurité nationale n'est plus qu'un mot. . - 



1 
■A 



— 123 — 

Voilà ce à quoi la France devrait avoir hâte de mettre ordre. 
— Ses intérêts en Extrême-Orient sont, en effet, de ceux qui né 
peuvent manquer de frapper tous les esprits avec la clarté de l'évi- 
dence. — L'Europe elle même doit seconder la France, car nous 
ne saurions perdre l'Indo-Chine, sans qu'il en résulte des pertur- 
bations profondes, modifiant gravement l'équilibre des forces mon- 
diales en Asie. 

La question de la défense maritime de notre Empire indo- 
-chinois intéresse donc au plus haut point les puissance continen- 
tales du vieux monde. 

Pourquoi, en ce cas, le groupe européen, ne constituerait-il 
pas une accumulation de moyens d'action permettant de résister 
avec chance d'efficacité au bloc anglo-américain, bloc de toutes 
les audaces, bloc de toutes les convoitises. 

Une concentration navale serait nécessaire sur les positions 
naturelles de combat. Les escadres franco austro-italo-allemandes 
pourraient se réunir à Saïgon. Là, pourrait être appréciée la 
puissance effective des forces maritimes disposées à combattre 
pour la prépondérance de l'Europe. 

• • 

Si nous voulons demeurer en Indo-Chine avec la volonté for- 
melle d'en rester les maîtres, d'en disposer en toute liberté, sa 
mise en état de défense complète s'impose de suite. 

La France n'a pas, au début de 1904, d'intérêt plus urgent à 
sauvegarder. 

• 

• • 

Sous quelque point de vue qui l'on se place, l'état de tension 
des rivalités internationales est de mauvais présage ; les bruits les 
plus alarmants se propagent avec persistance, ils grossissent 
d'heure en heure ; la sécurité est dangereusement hypothétique, 
le conflit mondial peut éclater à l'improvîste. 

Tout prend en Extrême-Orient un aspect de sombra augure ; 
les plus sombres nuages s'amoncellent sur l'Indo-Chine. 

En tous lieux, les perspectives sont loin d'être pacifiques, et 
M. Doumer l'a pressenti, en disant que le xx® siècle, ne s'écou- 
lera pas sans que de graves événements se produisent en Ex- 
trême-Orient. 

La plus élémentaires prudence nous oblige donc à prendre des 
mesures pour nous garer de l'avalanche asiatique ; elle nous fait 
un devoir impérieux de protéger notre riche possession, et de 



- 124 — 

la soustraire aux entreprises dont elle sera certainement Tobjet . 

La défense maritime de Tlndo-Chine. 

Quelle pesante responsabilité. 

Ne doit-elle pas donner à réfléchir à ceux à quî incombe la 
charge d'y présider. 

Erreur profonde. 

En présence des événements, qu'a fait et que faît encore « Quî 
de droit » pour la défense maritime de notre admirable posses- 
sion asiatique. 

La guerre est dans Tair, et ceux qui doivent agir n'ont pas 
retrouvé la conscience de leurs devoirs, depuis trop longtemps 
perdue. 

Auxiliaires inconscients de nos pires ennemis, Messieurs les 
« Non Responsables » jouent un rôle de sphynx assistant avec 
apparence d'impassibilité aux complications croissantes qui s'ad- 
ditionnent près des frontières de l'Indo-Chine ; aux préparatifs 
de combat qui se dessinent et se resserrent d'heure en heure, 
entre la Russie ayant la France pour alliée, et le Japon s'ap- 
puyant sur l'Angleterre et les Etats-Unis étroitement liés à sa 
cause. 

Tiennent-ils seulement compte des éventualités dans leurs 
calculs, et prévoient-ils qu'elle conduite suivre, dans le cas où 
elles se réaliseraient. 

Messieurs les «Non Responsable » occupés à effriter nos forces 
navales, ont complètement perdu la notion de leur mission 
exacte. 

Soit qu'ils demeurent plongés en léthargie ; soit qu'ils pro- 
mènent leur éloquence et leur « chaleur communicative » au gré 
de distantes et successives inaugurations, leur cœur demeure 
léger, d'un optimisme insouciant. 

Leur raisonnement consiste à invoquer des prétexte qui n'ont 
rien de sérieux. 

Ils délaissent — entre temps — les plus vulgaires sûretés 
envers un conflit que tout concourt à faire pressentir comme 
l'œuvre calculée et violente d'une triple volonté résolue à ne re- 
culer devant rien, et à procéder c par le fer et par le feu > dans 
l'intérêt des ambitions anglo-saxonnes. 

Cet état de choses, est une constante menace. 

En effet, à moins d'une prompte alliance entre les puissances 



— 125 — 

continentales, nous ne pouvons compter sur aucun hasard heureux,. 
pour nous ouvrir quelque perspective imprévue. 

Il ne sert à rien d*espérer quelque coup de fortune, d'attendre 
une inspiration du ciel, avec la résignation du musulman fataliste. 

Il faut agir. 

Llndo-Chine doit être incessamment mise sur un pied sérieux 
de défense, dut la pesanteur de ce fardeau financier inévitable,, 
puisque dicté par les circonstances, paraître quelque peu lourd à 
la Métropole. 

On doit par d'énergiques dispositions qui sont d'avance ap- 
puyées par le sentiment national, constituer à notre Empire indo- 
chinois, une armure qui la préserve de tout aléa, et ce, avec la 
promptitude qu'inspire le sentiment d'un péril pressant. 

L'Indo-Chine doit être mise en mesure de soutenir un blocus 
maritime. 

Il y a là, un intérêt si grave, si important, que nous serons 
obligés d'aller jusqu'au bout pour le sauvegarder. 

Fortifier l'Indo-Chine sur son front de mer, est une œuvre qui 
suppose des efforts énergiques et de la suite dans les décisions 
prises. , 

Cette question n'est pas de celles qui se résolvent par un trait 
de génie. Elle demande infiniment de persévérance et non moins 
de perspicacité. 

Notre vigilance en ce qui concerne notre Empire asiatique doit 
être une ligne de conduite tenace, s'efforçant de réaliser l'unité 
dans la direction et dans l'action ; se préservant également des 
folles ardeurs, et des défaillances qui ne manquent jamais de les. 
suivre. 

En matière de défense maritime, comme en matière de succès^ 
on n'improvise pas. 

Une sécurité sérieuse et durable ne peut être achetée que par 
des efforts continus convergeant vers un même but. 

On ne s'assure des conditions favorables que par une longue 
et active prévoyance. 

Le temps n'est plus des retranchements de Jerre hâtivement 
improvisés. 

On ne peut rien établir à la hâte, rien réaliser fiévreusement ;, 
les convulsions et les soubresauts appartiennent à un passé qui ne 
renaîtra pas ; l'ère nouvelle répugne à Téparpillement des forces, 
vives d'un pays ; si elle appelle l'effort sensé, l'effort raisonné- 



— 126 - 

pour conseiller et pour guide, elle fait de la cohésion le premier 
souci de ses entreprises. 

Il ne s'agit pas quand il n'est plus temps de prétendre réparer 
l'irréparable. 

Nous en avons été instruits au lendemain des événements de 
1870 et de 1898 ; tous frémissants de stupeur et d'anxiété, nous 
avons vu se dérouler les rapides péripéties qui, dévoilant notre 
insuffisante préparation, balayaient nos espérances et nous 
acculaient aux plus cruelles déceptions. 

Le passé nous apprend, qu'en ces terribles phases, les Fran- 
çais passent successivement des ordres aux contre-ordres, de 
l'irrésolution à la fièvre, et de la fièvre à l'irrésolution ; que les 
volte-faces se font nombreuses et inquiétantes. 

Que la guerre éclate demain, et dans un emportement 
fiévreux, dans une sorte de vertige, la France verra l'escouade des 
« Non Responsables » aggraver les légèretés de la veille par les 
fautes du lendemain ; elle se retrouvera bientôt face à face avec 
le désespoir des malheurs inattendus, des malheurs sans remèdes. 

De crainte que le réveil ne soit trop douloureux, gratifions 
immédiatement notre colonie, de tout ce qui lui est* nécessaire, 
pour qu'elle puisse se suffire à elle-même en cas de guerre. 

Il s'agit de ressources à bref délai car, le cis échéant nous ne 
saurions gagner de vitesse les forces de ceux qui se disposent à 
nous combattre. 

Avant tout, nous dit M. Dubief, dans son rapport sur le Budget 
des Colonies, il faut évidemment empêcher ou retarder un 
débarquement. En France, les voies de communications ont pris 
un tel développement, que l'on peut avoir la certitude d'opposer 
à l'ennemi, au bout de quelques heures, des troupes suffisantes 
pour l'arrêter. 

Aux Colonies^ il n'eit est pas ainsi ^ et c'est pourquoi la 
déjense des cotes y est plus nécessaire encore que dans la 
Métropole, 

Ce n'est pas non plus après l'ouverture des hostilités qu'il 
faudra songer à expédier des bâtiments de guerre, des troupes et 
des approvisionnements dans une possession aussi lointaine. 

L'Indo-Chine n'a accès, soit à l'Europe, soit à l'Extrême- 
Orient, qu'en passant par l'un ou l'autre des grands ports — * 
anglais naturellement — de Singapour et de Hong-Kong placés 



— 127 — 

chacun à deux ou trois jours de mer de Saigon et admirablement 
positionnés pour surveiller la grande presqu'île asiatique. 

L'Indo-Chine ne peut donc se soustraire aux événements qui^ 
dans le Pacifique, affectent son voisinage, et dans le Pacifique qui 
est son champ d'opérations habituel, Talliance anglo-yankee- 
japonaise est chez elle ; elle a ses stations navales, ses arsenaux 
pour réparer ses avaries de combat, ses approvisionnements et 
ses réserves ; son réseau télégraphique y est merveilleusement 
développé ce qui est encore pour elle un surcroît de puissance. 

Il en résulte que la création immédiate d'une forte escadre 
indo-chinoise s'impose péremptoirement ; en différer l'organisa- 
tion et la.mise en activité est plus qu'une imprudence, c'est un 
suicide (i). 

-- Et puisque Saigon est le point indiqué, par sa situation géo- 
graphique et les ressources illimitées qu'il peut tirer de l'Indo- 
Chine, pour être le pivot de toute opération navale en Extrême- 
Orient, il faut y constituer une puissante division de réserve 
n'ayant rien de commun avec le noyau vermoulu qui se pourrît 
aujourd'hui dans les eaux du Delta. 

Pour protéger l'immense étendue des côtes de Quang-Tcheou 
à Chantaboum, on doit, au plus tôt, cesser de faire fond sur des 
bâtiments de rebut, de faiblesse dérisoire. N'oublions pas que 
l'Angleterre a mis sa marine sur le pied nécessaire pour pouvoir 
faire reculer sa frontière maritime jusqu'à la limite des eaux: 
territoriales de ses adversaires. 

A notre flotte d'Extrême-Orient, il importe de n'affecter que 
des navires de première classe, de ces bâtiments de combat qui 
sont la raison d'être de toute escadre militaire, de ces unités à 
même de riposter vigoureusement à la première attaque. 
A offensive mobile, défensive mobile. 
Donnons en conséquence sur nos rives asiatiques à tout ce 
qui est mobile, une part prépondérante dans la défense. 

Il faut précipitamment doter les côtes iiido-chinoises de 
torpilleurs et de quelques sous-marins qu'elles attendent ; en les 
distribuant judicieusement sur le littoral, nous aurons avisé 
efficacement au plus pressé. 

Nous avons en France 235 torpilleurs de première et de 



(l) Voir actuellement la Commissioa du budget et le miniritre de la marine ►^ 



- 128 - 

deuxième classes dont la plupart sont en réserve et nous dispo- 
serons prochainement de 52 submersibles ou sous-marins. 

Il est donc aisé, sans compromettre la défense de notre terri- 
toire — défense que nos troupes métropolitaines suffisent du reste 
à assurer — d*envoyer en Indo-Chine, une trentaine de ces 
bâtiments. 

Concentrés sur les points les plus importants, où l'ennemi est 
susceptible de porter ses coups les plus redoutables, quelques 
contre-torpilleurs pouvant étendre à la haute mer leur rayon 
d'action et leur champ d'opération, constitueraient le rempart le 
plus sûr contre toute agression maritime. 

Cette flottille de torpilleurs et de sous-marins, purgeant le 
front maritime indo-chinois de tous éléments hostiles, nous ren- 
drait en cas de guerre d'incalculables services, tout en coûtant 
moitié moins cher que la flotte à peu près hors de service que nous 
entretenons bénévolement en Extrême-Orient. 

De même est-il au plus haut point nécessaire de chercher à 
tirer le meilleur parti possible des points stratégiques côtiers 
qu'offre Tlndo-Chine. Ce sont là accessoires indispensables de 
toute action maritime offensive ou défensive. 

Les torpilleurs considérés comme de redoutables engins de 
destruction sont impuissants à se défendre eux-mêmes. Ils doi- 
vent pour agir être généralement protégés par des croiseurs sous 
la sauvegarde desquels^ ils sont à même de déployer leurs 
moyens. 

Mais ce qu'ils ont le plus besoin de trouver à proximité de 
leurs évolutions, ce sont des abris sûrs et bien défendus. 

En Indo-Chine, cet appoint si nécessaire à Tefficaci^é de leur 
offensive, sans faire complètement défaut, est gravement insuf- 
fisant. 

La guerre hispano-américaine, la guerre de Chine, la guerre 
actuelle russo-japonaise, nous fournissent tels enseignements que 
deux flottes également bien commandées et entraînées doivent, 
après un combat, et pat suite de leurs avaries, abandonner natu- 
rellement la mer pour aller se réparer au plus vite dans leurs 
arsenaux respectifs. 

En présence d'une telle éventualité — déclare sir Charles 
Beresford — il faut de nombreux arsenaux pour diviser le travail 
des réparations, il faut de grandes réserves de munitions et de 
charbons en des points choisis dès le temps de paix. 



— 129 — 

Aussi les points d'appui de l'Angleterre ont-ils été déterminés 
avec une rare intelligence de la guerre navale, car la marine 
moderne ne supporterait guère plus d'un engagement disputé. 

Ce sont au croisement de toutes les routes maritimes autant 
de repaires d'où les vaisseaux anglais peuvent s'élancer sur 
l'adversaire. Sans points d'appuis a-t-on très logiquement écrit, 
les navires sont comme des oiseaux dont on a coupé les ailes. 

L'étude des stations navales et des câbles sous-marins du 
Pacifique met en lumière la facilité énorme de réparation, de 
charbonnages et de communications que trouverait en cas de 
guerre une flotte anglo-yankee-japonaîse. 

L'Europe aurait, au contraire, à soutenir la plus grave des 
difficultés. Tandis que la flotte anglo-yankee-japonaise trouverait 
autour d'elle tous ses points d'appui : Singapour, Hong-Kong, 
Bornéo, Manille, Guam, San-Francisco, Honolulu, Sydney, Mel- 
bourne et tous les ports japonais où se ravitailleraient les escadres 
tripliciennes, Port-Arthur et Saigon devraient être considérés 
comme bloqués. 

Il faut bien se convaincre de l'importance des points d'appui, 
a dit M. Lockroy — il en est, au demeurant, des navires comme 
des trains de chemins de fer. Les navires sont des machines qui 
flottent au lieu d'être des machines qui roulent, et cela revient 
au même. Et de même que sur la route des trains de chemins de 
fer on est obligé de placer des stations où les locomotives se 
ravitaillent d'eau douce et de charbon, on est obligé sur la route 
des vaisseaux de placer des ports où ils peuvent se ravitailler. 
C'est ce que l'Angleterre a compris admirablement. 

Les Anglais se sont attachés à la construction de leurs points 
d'appui qu'ils ont munis d'une artillerie formidable, de dépôts de 
charbon considérables, permettant aux grands croiseurs et aux 
navires modernes de s'y réparer. 

Une nécessité s'impose, claire, évidente, incontestée, c'est 
d'avoir sur les côtes indo-chinoises, plusieurs bases d'opérations, 
plusieurs points de réparation et de refuge. 

C'est le comble de l'illogisme de n'avoir qu'un point d'appui 
sérieux sur les rives asiatiques. C'est à croire que le clan des 
4C Non Responsables » a pour unique mobile de ses actes, le désir 
de plaire aux anglo-yankee-japonais. 

C'est en quelque sorte réduire l'Indo-Chine à la situation d'une 
place assiégée qui n'aurait qu'un pont-levis de fortifié. 

4 



— 130 — 

Saigon, Tourane, Haïphong, Quang-Tchéou, Cam-Ranh etc.^ 
autant de positions stratégiques, qui, comjenablement armées^ 
peuvent assurer en cas de conflit, la vitalité d une flotte sur le 
sillage de guerre. 

La baie de Cam-Ranh entre autres à égale distance de Hong-^ 
Kong et de Singapour ; à 690 milles du premier, à 698 milles du 
second ; de même, également éloignée de Tourane et de Saïgoa 
dont elle est à 230 milles ; située à 690 milles de Manille. 

Merveilleux poste avancé stratégiquement parlant, c'est égale- 
ment un point commercial de premier ordre*; la baie offre des 
fonds de dix à quinze mètres, Tamiral Courbet disait qu'on pour- 
rait y abriter deux flottes. On y trouve une considérable réserve 
d'eau douce, grâce à un lac de 30 hectares qui offre toutes les 
conditions requises, et semble avoir été placé là par la nature^ 
pour attirer la navigation. 

En ce port naturel du Sud-Annam, la défense brille par son 
absence; c'est une imprévoyance qui est la digne suite de celle 
qui fait de Tourane une rade ouverte à tous venants et, à elles 
deux, elles sont le couronnement de toutes les autres. 

Elle est, en effet phénoménale, l'inconséquence qui laisse sans 
la moindre protection une baie qui borde la grande route du tour 
du Monde, et se trouve être le meilleur mouillage de la côte Sud- 
Annam. 

De même qu'avec ses prétentions sur la Chine, avec la néces- 
sité de lutter contre Singapour et de résister à Hong-Kong, la 
France ne peut se contenter d'un seul arsenal en Extrême- 
Orient. 

Non seulement l'arsenal de Saigon doit être tenu à la hauteur 
des derniers progrès de l'artillerie, du cuirassement et de la balis- 
tique, mais il est de première obligation que Tarsenal de 
Haïphong, qui ne peut encore réparer que des canonnières soit 
organisé^ outillé, muni de tous services nécessaires et de tous 
éléments essentiels à la remise en état des bâtiments de guerre^ 
Et, puisqu'en cas de conflit, il y aura obligatoirement mobili- 
sation sur place, puisqu'il faudra après avoir armé les hommes, 
les munitionner en balles et en obus, la création d'une ou plu- 
sieurs fabriques de munitions s'impose. 

11 nous faut de la poudre prismatique expressément fabriquée 
pour tel modèle d'artillerie ; des boulets ayant une certaine 
trempe, des formes particulières, un montage et un ajustage 



— 131 — 

parfaits, des obus chargés avec des substances explosives d'une 
manipulation délicate, des cartouches spéciales pour les canons à 
tîr rapide ; enfin, pour toutes les armes, pour tous les engins 
mécaniques, hydrauliques, électriques, un outillage délicat exi- 
geant un important personnel technique doué d'une expérience 
professionnelle soigneusement entretenue. 

L'organisation parfaite, tout au moins de deux arsenaux, se 
présente comme une condition impérieuse de sécurité dans 
l'avenir pour nos établissements des Deltas de Cochinchine et du 
Tonkin. 

De même que pour être complète, ladite sécurité ne doit 
s'appuyer que sur des établissements militaires entièrement à 
l'abri de toute ingérence étrangère. 

Pour nous résumer, c'est avec célérité et décision que la 
France doit conférer à l'Indo-Chine, sentinelle avancée du pres- 
tige français en Extrême-Orient, la disponibilité |>ermanente de 
forces militaires et maritimes suffisantes, non pas pour porter la 
lutte hors de ses frontières, mais bien pour se défendre elle-même 
contre la voracité brutale des uns et l'ambition sournoise des 
autres. 

En Asie et sur le Pacifique, en ce carrefour du monde, l'Indo- 
Chine représente la France; dès lors, aucun sacrifice ne doit être 
négligé pour la mettre à la hauteur de l'importante mission que 
lui confère la mère-patrie. 

M. Etienne le jugeait avec pénétration lorsqu'il écrivait 
en 1901 : 

Dans le vaste problème asiatique, nous avons plus spécialement à résoudre 
la question de Caire de notre Indo-Chine un organisme muni d'une vie propre, 
pouvant au besoin survivre par lui-même, sans avoir besoin de recourir à la 
Métropole d'une manière épuisante pour cette dernière, et, sa$^ doute inef- 
Jicace au moment décisif. 

L'Indo-Chine française ne sauradt durer si elle ne devient une force 
vivante autonome ^^ capable de faire équilibre aux autres forces qui vont 
naître et grandir peu à peu dans la transformation de l'Extrême-Orient, 

Pooir que l'empire asiatique de la France subsiste — nous dit 
M. Robert du Caix — z'I Jaut quïl marche du même pas que les 
puissances voisines ^ et quil devienne^ ett luz-m^me^ une puis- 
sance dont on hésiterait à s attirer l'hostilité. 

Et ces paroles de M. Paul Doumer* 

Varm^e en Indo-Chine est préparée à défendre le pays contre 



— 132 - 

totcs les adversaires qtie la France pourrait rencontrer en 
Extrême-Orient, 

Ainsi les hommes les plus autorisés, dans la claire vision des 
dangers qui menacent l'Indo-Çhine, nourrissent les mêmes con- 
ceptions et préconisent une commune solution; lucides et pré- 
voyants patriotes ils sont unanimes à se récrier contre une défense 
maritime indo-chinoise dont la vulnérabilité changerait le moindre 
échec en un irréparable désastre. 

Alors que l'influence anglo-yankee-japonaise se fait progressi- 
vement entreprenante, alors qu'elle s'étend et se fortifie par 
bonds, la défense de l'Indo-Chine ne peut impunément planer au- 
dessus de tous les défis. 

Tel est notre avis. 

Le meilleur argument à opposer à l'ennemi c'est de le battre^ 
et, pour ce faire, nul ne peut avoir la prétention d'apporter une 
solution nouvelle. 

Plusieurs idées pratiques ont été émises par des hommes com- 
pétents, il s'agit principalement en les coordonnant de protéger 
rindo-Chine contre le fléau qui la menace, de telle sorte qu'elle 
ne puisse être victime d'une défaillance funeste. 

Entre autres idées sainement conçues et heureusement appli- 
quées, M. de Lanessan avait organisé une escadre de 12 croiseurs 
remarquable par une unité, qui, sur mer plus encore que sur terre 
est un gage de puissance. 

Affectée aux mers orientales et comptant comme point d'ap- 
pui' le Cap St-Jacques et Quang-Tcheou, cette importante divi- 
sion navale de 12 navires formés en un faisceau solide, sous une 
direction unique, et, de ce chef, essentiellement désirable, impo- 
sait de Singapour à Shanghaï le respect du pavillon français. 

De par ses 12 bâtiments de guerre à effectif pleins, parés à 
courir au combat, elle constituait un bloc homogène redoutable 
par sa vitesse et son armement. 

Une telle innovation, en groupant un matériel flottant repré- 
sentant une véritable valeur militaire, restreignait le préjudi- 
ciable éparpillement des unités de combat. 

Mais une si heureuse idée, ne pouvait complaire au succes- 
seur de M. de Lanessan. Elle était trop propice à nos intérêts 
maritimes, trop guidée par le simple bon sens, trop au profit de 



- 133 — 

notre influence asiatique pour ne pas attirer les foudres du com«té 
des « Non Responsables ». 

L'exécution ne tardait guère. 

Le décret du 30 décembre 1902 rapportait la mesure prise par 
M. de Lanessan et le rapport l'accompagnant donnait la raison 
de cette suppression par des motifs simplement absurdes, déno- 
tant une incompréhension complète de la stratégie maritime. 

Cette coupable décision — due à l'anémie cérébrale des « Non 
Responsables » a passé trop inaperçue. 

Nous avons le devoir d'insister sur une telle violence faite à la 
raison, sur un tel accroc au patriotisme ; d'en montrer l'haïssable 
inanité. 

Nous avons le devoir de faire quelque publicité sur l'inepte 
application à la défense nationale d'idées personnelles qui méri- 
tent la réprobation générale et que tout ce que la France compte 
de sensé, doit juger avec une impitoyable rigueur. 

L'avenir de l'Indo-Chine nous en fait une loi. 

La France est en effet fondée à s'émouvoir, que certains 
« Non Responsables » dédaigneux de ses espérances coloniales, 
jouissent d'une telle facilité à prescrire des dispositions propres à 
occire tôt ou tard notre influence asiatique. 

La France est fondée à s'inquiéter, que dans ce cas comme 
dans maints autres, une sorte de mauvais génie veille assidûment 
à effriter sa puissance navale, à désorganiser ses dépenses mari- 
times. 

Messieurs les « Non Responsables » se montrent vraiment 
trop peu préoccupés des intérêts dont ils sont momentanément 
dépositaires. La légèreté et l'a peu près régissent leurs décisions. 

Leur optimisme dénie des visées qui se sont affirmées de la 
manière la plus claire, et la Patrie inavertie ne soupçonne pas, ce 
qui peut au seuil même de la Guerre éclater en traits foudroyants 

Les avertissements les plus impérieux, les paroles les plus 
graves, les prédictions les plus pessimistes, sont à cet égard, 
tombés des lèvres des français les plus qualifiés ; les événements 
eux-mêmes ne nous ont épargnés aucune leçon, et, malgré cela, 
rien n'a pu nous mettre en garde contre une confiance impru- 
dente, contre une impérit ie dont l'avenir déterminera le poids, 
qui d'ailleurs pourrait bien se trouver assez lourd. 

Faut-il donc que des incidents graves démontrent l'insuffi- 



- 134 — 

sance d'une piètre défense maritime, condamnée à s*évanouir au 
premier contact des réalités. 

La révélation d'une force de guerre, telle que peut en mettre 
à flot la Triplice anglo-yankee-japonaise et le sentiment du dan- 
ger formidable qu'elle implique, conduisent à un examen de cons- 
cience plein d'anxiété. 

On se sent sous le poids d'un feu roulant de péripéties dont 
on ne saurait discerner la rapidité. On prévoit un conflit mari- 
time pour lequel on sent qu'il se fait de toutes parts, d'immenses 
efforts. 

La guerre entre l'Europe Continentale et l'Alliance Anglo- 
Yankee-Japonaise paraît imminente. 

C'est un duel à mort qui se prépare, une série de savants artî 
fices anglo-saxons l'a rendu inévitable. L'incident inattendu et 
toujours attendu, peut naître, et la guerre sera partout, car tout 
en Extrême-Orient dérive vers la guerre. 

Ce duel durera jusqu'à épuisement ; une guerre de plusieurs 
années n'ayant rien qui puisse faire reculer deux nations aussi 
riches et aussi puissantes que l'Angleterre et les Etats-Unis. 

L'issue en sera disputée, car pour engager la terrible partie 
qu'elle médite, le conflit aux courtes illusions qu'elle prépare, 
l'alliance anglo-yankee-japonaise n'a rien négligé, rien laissé au 
hasard. 

Duel Sans merci : les étapes en sont marquées avec une singu- 
lière précision. 

C'est par le triple investissement de Saigon, Tourane, Haï- 
phong ; c'est par une triple effraction de leurs fronts de mer que 
s'ouvrira le conflit en Extrême-Orient. 

Ce sera pour la Triplice Intercontinentale le succès de la 
netteté des conceptions, de la sûreté d'exécution, sur l'impré- 
voyance et l'impéritie qui ne nous auront ainsi assuré pour la 
première phase du drame extrême-oriental qu'un triple viol de 
l'Indo-Chine... 

La lumière, sur ce point, ne semble pas se faire dans l'esprit 
des « Non Responsables ». Leur conscience ne s'éclaire même 
pas d'une lueur tardive. La néfaste infériorité de l'escadre indo- 
chinoise en est l'irrécusable témoignage. 

C'est un fait dont la brutalité prime tout. 

Que penser en présence de cet optimisme d'apparat, que les 
événements démentent à Tenvi, sinon qu'en nous égarant sans 



— 135 — 

vergogne, la mémoire de ces pachas de hasard endosse une 
effrayante culpabilité. 

S'occupe-t-on en haut lieu de préserver la France asiatique 
d'une surprise maritime ? 

Que non pas. 

En haut lieu, lorsqu'il n'y a plus une faute à commettre» plus 
un instant à perdre, on défie la fortune. 

En haut lieu, c'est inouï, mais c'est ainsi, on rend le ministre 
des colonies responsable de la défense de l'Indo-Chine, mais, en 
retour, on ne lui donae pas les moyens d'assurer cette défense. 

C'est ainsi qu'en haut lieu régnent les plus dangereuses 
conceptions. 

Toutes les fautes que l'imprévoyance et la légèreté peuvent 
dicter, s'accumulent dans les eaux chinoises, nous y rendant 
vulnérables à plaisir. 

On y fait, en un mot, œuvre de lèse-patrie, en nous bernant 
au sujet de l'Indo-Chine dans un rêve de sécurité trompeuse. 

Quel réveil nous prépare cette incurable myopie. Et quel 
français, sous l'empire de son patriotisme outragé, ne sentirait 
gronder en lui comme une orageuse révolte et ne couvrirait de 
malédictions l'inconscience qui, au sein des « Non Responsables », 
préside à la défense du patrimoine national. 

Ce ne sont point là banalités chauvines. 

Ce sont là paroles d'alarme. Ce qui les suggère, c'est l'étrange 
détachement, je dirais mieux, la cynique indifférence avec 
laquelle quelques impudents politiciens regardent et commentent 
une situation qui cause à la France un malaise, un pressentiment, 
une anxieuse angoisse. 

Et la France, les yeux grands ouverts, laisserait l'Indo-Chine 
courir à l'abîme, la condamnerait à une ruine certaine. 

Elle compromettrait son propre ouvrage, arrêterait l'essor de 
sa colonie et annihilerait ses espérances d'agrandissement terri- 
torial. 

Cela ne saurait être. 

Nous en écartons la pensée comme un mauvais rêve. 

Non pas, la France ne se prêtera pas complaisamment ou 
inconsciemment aux desseins du trio anglo-yankee-japonais. 

La Triplice Intercontinentale ne plantera pas ses crocs dans 
une colonie qui se réclame d'être la pierre angulaire de notre 
influence en Asie. 



— 136 — 

La situation en Extrême-Orient ne permet aucun calcul à 
longue échéance. 

On croit déjà entendre le glas funèbre qui nous annoncera 
le blocus de l'Indo-Chine et la prise de Saigon. Que la fusée soit 
allumée en un point quelconque du globe et quelques semaines 
seront peut-être à peine écoulées que ce cauchemar sera devenu 
uue désastreuse réalité. 

La perte de l'Indo-Chine est, d'avance, racontée par celle de 
Cuba et des Philippines. 

Les chocs de Manille et de Santiago nous laissent à penser 
ce que seront les batailles de Haïphong et du Cap Saint- 
Jacques. 

Donc, à moins de laisser l'Asie française choir dans l'abîme, 
il faut que d'urgence la mère-patrie prenne les résolutions qui se 
précisent vitales. 

C'est l'œuvre la plus méritoire qui puisse être imposée à 
ceux qui modèlent les destinées de la Plus Grande France. 

Une Triplice Intercontinentale nous menace, qui n'a rien 
d'éphémère et de factice. 

Se confier à la tranquilité du jour en oubliant les sacrifices de 
la veille et les périls du lendemain serait insigne folie. 

Ce sont, aujourd'hui, et sans retard^ les nécessités immédiates 
qui doivent primer. Une nation ayant reçu du passé un dépôt tel 
que l'Indo-Chine, ne peut en négliger l'héritage. 

La France qui pense, qui agit, qui espère, demande des actes, 
des mesures promptement réalisables, car la sécurité actuelle de 
sa colonie asiatique n'a qu'une base fragile, qu'une assise mou- 
vante. 

Aux hommes qui veulent, comme aux hommes qui valent, 
de s'en rendre compte, et, conscients d'un devoir supérieur, 
d'exécuter sans pitié ceux qui s'abusent en nous abusant, ceux 
qui d'un cœur léger nous préparent la défaite, ceux qui d'un 
cœur haineux donnent à la France un rôle de dupe qui sera 
demain pour elle un rôle de victime. 

Espérons donc que patriotiquement soutenue, la crise de 
demain ne se fera pas accablante pour la France. Une heure 
critique va ponctuer l'histoire de l'Asie française, espérons que 
ce ne sera pas une heure tragique et que la pomme de Tlndo- 
Chine ne se détachera pas de l'arbre français pour tomber sur la 
terre japonaise. 



137 



CONCLUSION 



En attendant la suprême constitution des 

Etats-Unis d'Europe, chaque peuple a la 

main sur la g'arde de son épée, autrement 

il pourrait disparaître avant le grand jour, 

Kant. 

Ce que nous appelons l'Europe, a connu depuis les temps 
historiques jusqu'à nos jours, bien des divisions, bien des que- 
relles, bien des morcellements arbitraires ; son histoire est en 
somme celle d'une série presque ininterrompue de conflits meur- 
triers qui se prolonge à travers les siècles. 

La paix tranquille, la paix susceptible d'influence bienfai- 
sante, seule assise de l'entente européenne, a subi bien des fatalités 
auxquelles elle n'a pu se dérober, elle a successivement enregistré 
des hauts et des bas, des essors et des plongeons. 

Est-il à présumer pour cela, qu'il y ait entre les puissances 
européennes une hostilité foncière et irréductible, et doit-on 
finalement craindre que chaque étape séculaire ne leur réserve de 
npuvelles épreuves, que les haines accumulées ne les séparent à 
jamais, et, que le canon ne reste indéfiniment Vultïfna ratïo des 
peuples du vieux Monde. 

L'Europe doit-elle demeurer dans cette situation fatalement 
indécise, obligée de rester sur ses gardes et de veiller sans cesse 
sur elle-même. 

Fondre toujours de nouveaux canons, créer sans cesse de 
nouveaux bataillons, inventer des moyens perfectionnés de jeter 
partout la terreur et la mort, multiplier les engins de destruction, 
accumuler les explosifs formidables, c'est donner à la lutte des 
millions contre les millions la suprême et sanglante conclusion 
de la guerre. 

Quiconque s'applique à discerner l'avenir, suppute combien 
de temps encore les peuples se livreront à la culture intensive des 
armements, et s'épuiseront à en supporter les charges indéfini- 
ment extensives. 



— 138 — 

Qniconque saît réfléchir se demande où s'arrêtera cette insîg-ne 
et écrasante folie d'une concurrence sans merci, qui jette sans 
compter, la fortune publique de l'Europe dans l'urne sans fond 
des budgets militaires. 

A l'heure, où la raison, ordonne de ne plus s'occuper unique- 
ment du présent et de regarder vers l'avenir afin de se créer 
d'utiles relations. A l'heure, où s'éveillent plus âprement que 
jamais les préoccupations de la destinée, ne peut-on renoncer à 
un passé qui imposant à tous les États la dure obligation de créer 
un maximum de puissance militaire, fit de la force brutale l'unique 
arbitre du Monde. 

Ne peut-on chercher d'un commun accord soit une solution 
équitable pour consolider la paix, soit une transaction acceptable 
accommodée aux nécessités contemporaines, qui soit en elle- 
même un acheminement vers cette paix, devenu le vœu général ; 
paix aujourd'hui débile, et toujours chancelante, puisqu'elle 
repose uniquement sur des chances adverses qui se contrebalan- 
cent à tour de rôle. 

Qui donc préconisera dans un esprit pratique les mesures 
nécessaires à l'entente définitive des peuples européens ? 

Qui donc atténuera les dissidences susceptibles d'accommode- 
ment, et transformera en accord de longue haleine les concilia- 
tions momentanées. 

Existe-t-il un secret pour dénouer heureusement le conflit 
continu entre les chances de guerre et les chances de paix, qu'on 
s'essaye à prolonger. 

Y-a-t-il quelque espoir que les"** fâcheux dissentiments ne se 
reproduisent pas, que les divergences escortées de plus ou moins 
d'acrimonie ne s'enfièvrent à nouveau. 

Où découvrir la poudre de Perlinpin, qui, simplifiant et allé- 
geant la marche des choses, sera susceptible de frapper en ce 
sens l'intellect des collectivités nationales. 

Où se procurer la recette merveilleuse qui mettra un terme 
final aux incertitudes doctrinales de la diplomatie contemporaine, 
et résoudra pacifiquement les conflits internationaux, souvent 
germes d'une fortune parfois étrangement sévère. 

Mais, peu à peu, en présence de ce désolant état, où des 
groupes belligérants, dits civilisés, se condamnent à vivre, où ils 
épuisent leur vitalité dans une marche ascendante de leurs 



— 139 — 

charges financières, où leurs forces intellectuelles et physiques 
sont en majeure partie détournées de leurs applications naturelles 
et consommées improductivement. 

En présence de ce régime qui étreint depuis si longtemps 
l'Europe et pèse d'un formidable poids sur l'activité agricole, 
commerciale et industrielle du vieux Continent. 

En présence de cet état de paix armée où les efforts et les 
sacrifices sont à l'ordre du jour, une prudente réserve anime 
progressivement les gouvernements, qui reconnaissent les dan- 
gers de nouveaux conflits hâtivement et légèrement provoqués. 

Les conséquences indiscutables d'une grande guerre hantent 
l'imagination des dirigeants de nos destinées, et les animent 
d'une incessante disposition à des concessions réciproques. 

Eviter de se donner les torts d'une première agression, est le 
mot d'ordre européen, et les tendances pacifiques s'appliquent à 
solutionner les désaccords et les difficultés pendantes. 

Les calamités d'une guerre possible, font frémir ceux qui 
témoins des horreurs passées en prévoient de pires pour l'avenir, 
et les débats conciliants sont de plus en plus recherchés de diplo- 
mates n'osant assumer les lourdes responsabilités d'une conflgra- 
tion. 

De plus en plus, en Europe, on cherche a s'entendre, à agir 
en commun pour régler les causes présentes de discordes futures. 
L'accord européen s'accroît et se fortifie ainsi d'enseignements 
dont on saurait trop apprécier et diffuser l'utilité primordiale. 

C'est en Europe l'égoïsme de chacun qui fait le péril de tous. 
Devenu la loi commune de toutes les chancelleries, quel trouble 
n'a-t-il pas déjà jeté dans son sein. 

Reportons-nous seulement en 1898, alors que l'Europe sous 
l'influence de suspicions habilement entretenues par Londres, 
méconnaissait la nécessité de répondre à. l'appel que lui adres- 
sait dans son désespoir, un peuple écrasé par l'audace Anglo- 
Saxonne. 

Depuis lors, l'honneur et les intérêts européens n'ont pas 
cessé de souffrir de cet incompréhensible abandon qui causa la 
déchéance coloniale de l'Espagne. 

Cet égoïsme, qui lui servait autrefois de conscience, aujour- 
d'hui de responsabilité, demain peut-être de châtiment, qu'elle le 
rejette au loin, qu'elle le bannisse de ses conseils, car l'intérêt 



- 140 - 

général du vieux Monde le désavoue et le condamne sans rémis- 
sion. 

C'est à se regarder les unes et les autres de travers, c'est à 
cultiver une intime méfiance réciproque, que les puissances ne 
prêtent qu'une oreille distraite aux échos de l'entente anglo-amé- 
ricaine et de l'accord yankee-japonais. 

L'Europe moderne en est arrivée à naviguer au seuil du 
XX® siècle dans un océan d'écueils. Elle ne peut rester immobile 
au-dessus des nuages, et dans l'ensemble complexe des difficultés 
qui pèsent sur elle, il lui faut mettre en commun toutes ses forces, 
toutes ses énergies, si elle veut éviter de se trouver acculée aux 
pires déchéances. 

Problème redoutable, qui, en raison de ce qu'il s'inspire des 
plus sévères réalités, ne se résout pas avec des chimères, des mots 
décevants ou des rêveries humanitaires. 

Fermer les yeux devant l'outrecuidance anglaise, l'omnipo- 
tence yankee, la présomption japonaise, serait bénévolement 
consolider la conquête anglo-saxonne et sanctionner ses empiéte- 
ments. 

Il ne s'agit pas de s'inspirer uniquement des convenances du 
moment, à l'instant où, matériellement et moralement soutenus 
par l'Angleterre avisée, les Etats-Unis et le Japon croissent en 
vigueur, en vitalité, et développent avec la plus redoutable acti- 
vité leur marine militaire. 

Il est utile de renoncer aux vagues pourparlers, et de prendre 
une décision pratique, si l'on veut éviter que la formation d'un 
Concert Européen, librement consenti, ne se trouve devancé par 
les événements. 

La politique de la France comme celle de l'Europe conti- 
nentale, doit être, à tout prix, la restriction des visées anglo- 
saxonnes. 

L'attitude qu'elles doivent adopter, si elles veulent empêcher 
que l'Asie orientale ne devienne pour elles une nouvelle Amé- 
rique, est claire à concevoir. 

En cette occurrence, l'union de la Duplice Franco-Russe et de 
la Triplice Austro-Italo-Germanie^ apparaît comme Tunique 
champion autorisé de la défense commune des grands intérêts 
généraux européens. 

Dans cette fédération de puissances continentales, toutes ont 



— 141 — 

\in devoir étendu ; la France, elle, a par surcroît un devoir cons- 
tant, rindo-Chine est là pour le lui rappeler. 

Et qu'on ne se récrie point, qu'on ne taxe point de chimé- 
rique cette conception des Etats-Unis d'Europe, jadis si chère à 
Victor-Hugo. 

Ce n'est point une utopie, tout travaille en eflFet à Tunité 
morale du vieux Monde ; la matière et l'intelligence, les chemins 
de fer, les télégraphes, la presse^ la publicité, l'échange des pro- 
duits, la circulation des idées. 

L'Europe, peu à peu, devient une par l'esprit. Les différences 
naturelles s'effacent insensiblement; les ressemblances s'accrois- 
sent de même ; les aspirations ethniques — sans aller jusqu'à se 
fondre — se resserrent, menacées qu'elles sont, par une agressivité 
anti-continentale. 

Du temps que nous sommes en France, nous pensons en fran- 
çais ; du temps que l'allemand vit en Allemagne, il sent en véri- 
table teuton ; du temps que le russe égrène les ans sous le ciel de 
Russie, il argue et agit en véritable sujet du Tzar ; mais les uns 
ou les autres, quittons le sol du vieux Monde et abordons des con- 
tinents divers, là nous penserons, nous sentirons, nous discuterons 
en européens. 

Et cela revient à dire que : « Quoique diversement développée, 
la civilisation européenne est cependant partout la même, elle a 
la même origine et elle tend aux mêmes résultats. Vienne l'heure 
du pérïl^ elle retronvera l'îinitè qui est devenue une condition 
nécessaire du salut commun » (i). 

La conception des Etats-Unis d'Europe peut être considérée 
comme viable, car elle répond aux intérêts des diverses nations 
européennes, implique une mission politique de l'Europe et pré- 
conise sa souveraineté fédérale dans les grandes questions mon- 
diales. 

Les plus réfléchis des diplomates, les plus obstinés à fouiller 
les problèmes de l'avenir, admettent eux-mêmes, qu'aucune des 
puissances continentales ne se trouve aflFranchie de prendre part 
à ce pacte défensif, qui leur permette enfin de vivre dans la 
quiétude indispensable au développemeut de leur prospérité. 

Certes le passé a légué à l'Europe des ferments inapaisés qui 



(1) Juvigny. 



- 142 - 

lui font une existence incertaine et semblent lui prédire un avenir 
agité. 

Mais tour ne doit-il pas — sinon s'effacer — tout au moins se 
prêter à solution, quand l'existence de l'industrie et du commerce 
européens est en jeu, en danger d'être évincée d'une partie da 
globe. 

En face d'un péril d'une tangible imminence, ne peut-elle,, 
après avoir pris racine, se développer normalement cette jeune 
pousse du Concert Européen. Avec le temps qui ne respecte que 
les œuvres où il a eu sa part, cet arbuste de la première he^ire ne 
doit-il pas se transformer en un tronc vigoureux dont les larges 
rameaux abriteront les Etats-Unis d'Europe. 

Est-il donc impossible que les puissances continentales ne 
passent outre aux fantaisies d'une race insulaire, dont le mauvais- 
génie a jusqu'à présent contrecarré les plus généreux eflforis 
tentés vers la conciliation européenne. 

Est-il donc impossible qu'elles ne s'assemblent dans un senti- 
ment de cordialité, et, ne se donnent fraternellement la main, 
quand les intérêts se révèlent immédiats et que les craintes se 
font pressantes. 

Dans les calculs diplomatiques, l'instant paraît propice pour 
un rapprochement pratique intéressant la protection commune 
des intérêts économiques et extra-territoriaux de l'Europe. 

Et sur quel pivot repose donc ce rapprochement tant sou- 
haité ? 

Sur l'entente franco-allemande. 

Les circonstances sont difficiles et la défense de l'Europe 
oblige les puissances intéressées à se couvrir efficacement même 
au prix de certains sacrifices. Il leur importe, en présence des 
accès de sommeil persistants de la conscience anglo-saxonne, de 
hâter effectivement la solution de toutes questions continentales 
qui, par leur nature épineuse incitent certaines nations à tenir la. 
main sur la garde de leur épée. 

Rien ne pourrait en effet mieux servir la puissance de l*Europe 
que la réconciliation de l'Allemagne et de la France. 

Ce serait le plus grand pas possible vers l'Europe unie, forte 
et prépondérante. 

Pourquoi l'accord franco-allemand ne solulionneraît-îl pas,. 
tant au point de vue de l'honneur que de l'intérêt des deux. 



— 143 — 

nations, cette situation de paix armée qui pèse comme un cau- 
chemar sur l'Europe. 

Dans la séance du 4 décembre 1886 au Reichstag, le maréchal 
•de Molkte prononçait les paroles suivantes : 

« L Europe entière attend en armes ; où que nous regardions^ 
nous voyons nos voisins de droite et de gauche artnés et surchargés 
par un attirail de guerre dont le poids est difficile à supporter, 
ntinte pour un. pays riche. Cette situation ne peut iudéfininient 
se prolonger. 

Ce lamentable état de permanente terreur et de ruine, que 
toute raison décisive considère, en raison de son exagération, 
comme menant à un cataclysme, peut être résolu ; ce triste spec- 
tacle qui va directement à Tencontre de l'évolution nécessaire 
aux groupements des peuples européens, est susceptible de 
remède ; ce permanent et épuisant système d'organisation mili- 
taire, synonyme d'impôts écrasants et d'emprunts fantastiques, 
peut avoir une fin. Ce réseau inextricable de difficultés peut se 
dénouer par une libre adhésion de deux peuples à la concorde et 
à l'harmonie devenues obligatoires en présence de l'alliance 
anglo-yankee-japonaise. 

Une solution favorable à tous est réalisable à condition que 
le problème des relations futures entre le vainqueur et le vaincu 
du traité de Francfort, soit abordé avec un profond sentiment de 
conciliation. 

La France ne doit pas être considérée comme l'ennemie héré- 
ditaire de l'Allemagne. Avant la guerre de 1870, le peuple alle- 
mand avait la sympathie du peuple français, et ce dernier favo- 
risait de ses vœux l'œuvre de l'unité allemande. 

L'accord de la France et de l'Allemagne n'est pas impossible ; 
d'aptitudes et de tempéraments différents, ces deux peuples 
égaux au point de vue de la science et du progrès se complètent. 
Lorsque la France et V Allemagne seront unies^ disait un jour 
M. de Bismarck, elles seront maîtresses du Monde. Que serait-ce 
donc, si les adversaires de l'Europe trouvaient un jour devant 
eux non pas la double alliance de la France et de l'Allemagne, 
mais la triple alliance de la France, de l'Allemagne et de la 
Russie. 

On en parle rarement, mais on y pense ; peu à peu les spé- 
-cialistes clairvoyants s'adonneront à diffuser cette conception^ et 
pour le bien de l'Europe, pour le repos qu'elle convoite et les 



— 144 — 

débouchés coloniaux auxquels elle aspire, s'efforceront de la 
rendre populaire et sympathique aux masses. 

Il faut vraiment être obsédé par une influence contraire, ou 
dirigé par un courant adverse, pour ne pas souhaiter vivement 
une détente dans les rapports politiques des nations française et 
allemande. 

On a beau chercher, on ne saurait trouver une seule bonne 
raison, pour maintenir une cloison étanche entre TAUemag^ne et 
la France. 

Et qu'on ne vienne pas dire que toute entente entre ces deux 
nations est à jamais impossible. 

Paroles en Tair que celles -là ? 

Nous avons déjà, par deux fois, constaté le contraire en 
Extrême Orient. 

En 1891, au moment où l'Angleterre se préparaît à soutenir le 
Siam contre la France ; puis, en 1895, lorsque laTriplice momen- 
tanée franco-russo-allemande mettait un frein salutaire aux pré- 
tentions japonaises. 

Il faut^ quoiqu'il doive advenir, — écrit M. René Pinon — 
bien voir que la question d'Extrême-Orient a pris dans la poli- 
tique générale l'une des premières places, bientôt peut-être la 
première. 

On peut, sans conteste, ajouter que^ cette première place, elle 
l'a déjà certainement prise de par ses conséquences^ en diminuant' 
le malaise du corps européen qui persistait à s'entre-haïr, à s'user 
dans des rivalités infécondes. 

C'est en Extrême-Orient que, pour la première fois, l'alliance 
franco-russe s'est pratiquement manifestée. 

C'est également en Asie que, pour la première fois depuis 1870, 
la France et l'Allemagne — faisant trêve à une hostilité perma- 
nente — ont spontanément, librement et ostensiblement marché 
d'accord. 

Nous maintenons que la volonté persévérante d'une bonne 
harmonie franco-allemande aurait immédiatement son contre-coup 
à Londres, à Washington et à Tokio. 

S'il est vrai qu'un pacte entre les belligérants, d'il y a 33 ans, 
heurterait de front certains souvenirs cruels, il serait^ par contre, 
d'un apport considérable, pour la mise au point de la Fédération 
européenne. 

Il ne soulèverait aucun préjugé parmi ceux qui, conscients 



— 145 — 

des nécessités présentes et à venir, contestent les prétentions de 
la race anglo-saxonne à la domination universelle des mers. 

En dehors de TEurope, Français et Allemands ont le même 
adversaire: TAnglo- Américain. — Un appui réciproque, dans les 
eaux extra-européennes, est inestimable pour Tun et Tautre. 

Etayées de la puissante Russie, la France et l'Allemagne for- 
meront, avec TEspagne, l'Autriche et l'Italie, un bloc intangible, 
consolidant d'inébranlable façon le prestige de l'Europe. 

Cet horizon s'est déjà laissé entrevoir, ce dispositif d'action 
s'est déjà dessiné et certains de nos hommes d'Etat, pénétrés de 
l'importance de la question, appellent de leurs vœux un accord 
franco-allemand qui serait un obstacle de plus au développe- 
ment illimité de la puissance britannique. 

Que la réussite de cette combinaison soit de nature à imposer 
l'hégémonie de l'Europe, c'est ce dont nul ne saurait douter. 

Il y aurait, de Brest aux montagnes de l'Oural, une agglomé- 
ration de millions d'hommes^ capables d'imposer la paix au 
Monde, le concours additionnel de l'Allemagne, de l'Autriche et 
de l'Italie suffisant à mettre en balance la coopération anglo- 
yankee-japonaise. 

Quel immense bienfait en résulterait. 

Ce serait premièrement un terme à l'épuisante prodigalité de 
nations engloutissant sans relâche d'immenses capitaux ; usant 
sans trêve leurs forces vitales dans des armements toujours crois- 
sants; développant, dans des proportions insensées, leurs forces 
militaires et continuant à les accroître sans reculer devant aucun 
sacrifice. 

Et, au point de vue mondial, quelle ne serait pas sa puissance 
si, embrassant dans une prévision d'avenir les intérêts légitimes 
des puissances contractantes, l'Europe cessait d'être divisée et 
faisait face d'un bloc au monde anglo-saxon. 

Former l'union européenne et la maintenir sans heurts, à la 
satisfaction et pour le profit de tous, c'est œuvre difficile, mais 
œuvre capitale à laquelle il est dévolu de tenir en échec l'alliance 
anglo-yankee-japonaise. 

Jamais œuvre n'a mérité à un plus haut degré le concours 
des bonnes volontés européennes, la ratification des chancelleries 
intére^ées. 

N'y a-t-il pas une vérité qui éclate à tous les yeux, c'est l'im- 
périeuse urgence de sortir de la crise existante, crise trop aiguë 



- 146 - 

pour se prolonger sans péril, crise trop redoutable pour qu'on 
puisse en différer le dénouement. 

Evidemment, ce n'est pas à l'impromptu qu'on crée, de toutes 
pièces, un ordre de choses aussi délicat dans ses rouages com- 
plexes et, rompant délibéremment avec cet écrasant état de paix 
armée jusqu'ici en vigueur. 

Evidemment, on n'impose pas de but en blanc à des éléments, 
combatifs par excellence, un système les orientant — fût-ce même 
par gradations — vers un horizon pacifique. 

Evidemment, on ne supprime pas, sans transition^ des oppo- 
sitions latrintes nées de transitions différentes ; des rivalités 
incessantes issues d'aspirations contraires et surtout d'intérêts 
divergents; des difficultés multiples, germes de revendications 
territoriales. 

Et, cependant, à moins qu'ils ne consentent à succomber ulté- 
rieurement et infailliblement, il faut que les Etats européens 
s'astreignent à mettre au rancart toute question provocatrice de 
^désunion, — C'est formel, il n'y a pas à se le dissimuler ; il n*y 
a pas à différer ce qui s'impose comme le seul moyen de protéger 
sur tous les points du globe, et surtout en Extrê^ne Orient, les 
intérêts primordiaux de l'Europe commerciale et de l'Europe 
politique. — Sinon, le bloc anglo-yankee-japonais réserve au 
Vieux Monde, toutes les variétés de la déchéance internatio- 
nale. 

Et, comme ce groupement adverse se dessine de plus en plus, 
comme il élargit graduellement le champ de sa vision, de ses 
convoitises et de son action, comme il ne montre aucune mesure 
«et n'ajourne aucune décision aux calendes grecques, la stabilité 
•de l'équilibre mondial a toutes chances d'être prochainement 
rompue, si les Cabinets européens s'attardent à prendre les dispo- 
sitions nécessaires. 

*** 

L'Europe, telle que la connue l'a plus grande partie du siècle 
dernier, n'existe plus. Avec la période séculaire qui vient de 
disparaître, tout un système s'cmiette. D'autres générations ont 
envahi la scène. 

L'Europe mue, et, à moins que des causes plus fortes que la 
volonté humaine n'interviennent, rien ne l'arrêtera d^s son 
inévitable évolution. 

L'ancien système d'alliances, le groupement des forces selon 



- 147 — 

les coQseils de Londres, qui ne donnait qu'une stabilité précaire 
à ce grand ensemble, Tordre européen en un mot, a été modifié. 

De quelque manière qu'on veuille l'expliquer, le fait rayonne' 
avec une évidence saisissable. 

Chacune des grandes puissances est toujours aux prises avec 
quelque redoutable problème qu'elle s'essaye à résoudre, mais 
depuis que l'Angleterre, courtisane du succès, est quelque peu 
mise au rancart des conseils européens, nous voyons de moins en 
moins ces indéfinissables nuages, interposés entre les peuples, 
grâce aux étranges conseils de la diplomatie britannique ouvrant 
toujours une issue aux diversions inopportunes et faussant à 
plaisir la politique du Continent. 

L'Europe, en un mot, semble se dégager de ce système de 
ligatures qui fit honneur à la souplesse avisée de l'habileté 
britannique. 

Après tant d'événements accablants et d'épreuves cruelles et,^ 
surtout^ depuis qu'elle n'est plus sous la garde jalouse de la 
diplomatie du Foreign Office, l'Europe jouit d'un repos relatif 
qu'elle a rencontré dans la fixité des idées et dans l'ascendant 
d'une résolution ferme. Après s'être immobilisée et consumée 
dans la politique des vains conflits ; après avoir jeté dans ses 
débats plus de bruit que de raison, la vieille Europe prend goût 
à une trêve où elle se tranquillise et se fortifie. 

Depuis 1870, elle n'a pas été troublée de commotions trop 
violentes ; les intrigues anglo-saxonnes ayant moins libre jeu à 
Paris, à Berlin et à Saint-Pétersbourg, il y a de ce fait émancipation 
des lisières britanniques et, partant, plus de garantie de tran- 
quilité matérielle. 

Dans la méfiance de plus en plus accentuée de Londres, de 
nouvelles relations se sont formées qui répondent à de nouveaux 
intérêts, ou, mieux à dire, à des intérêts antérieurement négligés» 

Des nations exposées aux mêmes dangers et faites pour mar- 
cher à l'avenir en se prêtant un mutuel appui, ayant cessé d'être 
aigries, ont cessé d'être divisées. Ainsi conseillé avec instance 
par l'appréhension d'un péril commun, cet élan de bon augure 
s'est propagé dans ce qu'il a d'heureux et de prudent. 

Aux alentours du XX® siècle, on reconnait au sein du vieux 
monde, la nécessité de donner le pas aux grandes questions 
européennes sur les querelles intestines; on abandonne, autant 
que faire se peut, la politique de la mésintelligence agressive oa 



- 148 — 

passive; on cesse d'argumenter avec des armes qui sont parfois 
blessantes, avec des propos qui ne prouvent rien ; qui ne condui- 
sent surtout à rien, si ce n*est à raviver perpétuellement des 
suspicions qu'il faudrait plutôt éteindre. 

D'abord indifférente ou soupçonneuse, l'Europe en vient à se 
prêter peu à peu aux concessions requises pour arriver à l'union ; 
elle comprend, et vaut mieux tard que jamais, que c'est une 
œuvre de régénération recelant des avantages positifs dont elle 
retirera honneur et profit ; elle pressent que là est sa vraie sécu- 
rité et, que le moment n'est plus de pratiquer la politique des 
taquineries et des coups d'épingles et de se prodiguer dans les 
aventures aléatoires, onéreuses, affaiblissantes et néfastes parce 
que oublieuses de l'attitude comminatoire d'une Trîplice 
Intercontinentale. 

N'est-ce pas une victoire que ce rapprochement de nations mar- 
chant d'intelligence dans une honorable union bientôt transformée 
en cordiale solidarité. 

Puissent les intrigues britanniques avoir enfin perdu leur der- 
nière chance de résurrection. 

Cette trêve ne signifie pas sans doute qu'il ne puisse y avoir 
des rechutes, des défaillances, des irruptions sous-cutanées de 
l'intrigue anglaise toujours portée à jeter des brandons de dis- 
corde au milieu de l'oeuvre pacificatrice ; cette trêve signifie sim- 
plement^ qu'il se crée un instinct supérieur, qu'il se forme par 
degrés une situation où la première pensée est de faire les affaires 
de l'Europe, et dans ce but, d'aller droit aux questions essen- 
tielles, en écartant toutes divergences promptes à s'envenimer^ en 
ménageant toutes susceptibilités promptes à s'exaspérer. 

Il y a certes aujourd'hui à la surface du Continent, un courant 
visiblement pacifique, formé de tous les intérêts primordiaux das 
peuples ; une solidarité qui les unit plus ou moins, à l'heure, où il 
leur devient plus que jamais nécessaire, de s'assurer une part du 
gâteau colonial que la race anglo-saxonne prétend s'adjuger. 

*** 

Au gré des événements pleins d'amertume pour les uns favo- 
rable pour les autres, le terrain de la lutte humaine s^élairgit dé- 
mesurément devant nous. 

Les conflits ne s'élèveront plus principalement entre peuples, 
mais entre continents. Il y a désormais deux groupes de puis- 



— 149 — 

sances directrices dans la planète ; ils évoluent suivant des ambi- 
tions adverses et leurs intérêts sont bien tranchés. 

Le groupe européen affaibli jusqu'ici par les divisions, et le 
groupe anglo-yankee-japonais ou groupe intercontinental qui ne 
se fait pas faute de trancher dogmatiquement les intérêts du 
vieux Monde et conspire à rendre nul son rôle politique. 

Il en résulte que le gouvernement du globe est devenu Tenjeu 
d'un prochain et formidable conflit maritime. Point n'est besoin 
d'esprit divinateur pour l'annoncer ; il se discerne avec netteté 
pour quiconque a sous ses yeux la carte de l'univers et dans son 
esprit l'histoire du dernier quart de siècle. 

L'Europe n'est plus assez grande pour suffire aux aspirations 
des collectivités qui la peuplent et, de ce fait, la politique d'ex- 
pansion coloniale devient la question d'actualité, la question pré- 
dominante. 

Le grand problême de notre temps, étant économique, ce qui 
préoccupe avant tout les nations, c'est de savoir comment se ré- 
partiront les richesses mondiales ; l'allure des affaires européennes 
en est ainsi arrivée à se régler sur la fluctuation des intérêts 
coloniaux, et de ce chef, la politique coloniale est en train de 
renforcer heureusement l'objectif du groupe européen qu'elle soli- 
difie contre les convoitises d'une race aspirant au quasi-protec- 
torat du globe. 

Il existe — disait récemment M. Paul Beau — une sorte de 
solidarité continentale des confins de la Bretagne jusqu'à l'extré- 
mité de la Sibérie. On a vu le Japon tirer une épée qu'on croyait 
impuissante, et en frapper la Chine de coups décisifs et fou- 
droyants. L'Europe aussitôt a senti qu il y avait là une menace 
pour elle-ntêfnt. 

Il est toujours une heure où soudainement et simultanément 
mis en lumière, le péril et le devoir effacent divergences et res- 
sentiments. 

A cette heure^ les puissances maintenues par des sentiments 
divers dans une neutralité inquiète, pressentent les coalitions 
adverses et concevant les complications soudaines s'unissent danâ 
l'intérêt suprême du prestige européen. 

Des événements et des faits qui en découlent, il ressort que si 
rUnivers Uni fait partie du domaine des desiderata irréalisables, 
(. par contre l'Europe Unie est une possibilité chaque jour enrichie 
\ d'exemples. 



— 150 — 

Il est, d'ailleurs, unanimement reconnu qu'au moment où le 
Monde attend sa destinée d'un conflit sans limites, l'entente est 
devenue pour Paris, Berlin, Saint-Pétersbourg, Vienne, Rome et 
Madrid, une condition sine qua non de vitalité, et que leur 
devoir, est d'aller actuellement aux questions essentielles en 
écartant les divisions, les agitations stériles, les querelles acri- 
monieuses qui sont autant de points vulnérables. 

Aujourd'hui l'expérience a tranché la question ; dans le monde 
tel qu'il est constitué le droit sans la force ne prévaut point, et 
la maxime « Malheur aux vaincus » devient plus vraie que 
jamais. 

Par l'accord de ses chancelleries écartant toute éventualité 
menaçante en son sein, le groupe européen acquiert assez de 
puissance pour briser toute résistance à ses volontés et frapper 
d'impuissance les trames ourdies contre son domaine colonial. 

Donner de la stabilité à l'équilibre européen, et ce, sur de» 
bases équitables, chercher à résoudre les difficultés plutôt qu'à 
les éluder, suggérer les solutions propres à assurer l'harmonie, 
faire prévaloir enfin les formes possibles d'une entente continue, 
ce doit être l'objectif qui s'impose aux pilotes qui modèlent les 
deux puissants groupements du vieux Monde. 

Un si puissant motif est bien propre à inciter les esprits diri- 
geants, à mettre tout en usage pour surmonter à son profit, obsta- 
cles, difficultés et réticences. 

Quelle gloire pour eux si ce pcuvait en être enfin fait des 
inimitiés sanglantes, des antagonismes rancuniers, d^s armements 
ruineux qui se résolvent en hécatombes humaines, réceptacle^ 
d'innombrables deuils. 

^\ 

L'entente européenne doit prendre avec le temps, une forme de 
plus en plus définie ; de telle sorte que son influence s'aflFermis- 
sant, les réalité» prouvent sans peine la puissance de ses inten- 
tions. 

Il faut que le développement mystérieux de Thistoire trouve 
le groupe européen, non point résolu à sauvegarder l'avenir qu'il 
peut raisonnablement exiger, mais prêt à profiter d'avantageff 
qu'il ne s'assurera certainement qu'à la condition d'être fort et 
d'agir par la force. 

La Triplice Anglo-Yankee-Japonaise ne lui laisse point 
d'autre choix. 



— 151 — 

Elle lui impose, toute affaire cessante, d'être aussi fort que son 
intérêt l'exige et que sa puissance le comporte. 

Qu'elle se solidarise, qu'elle adopte un régime se prêtant à 
cette concorde salutaire et l'Europe pourra disputer à l'Alliance 
Intercontinentale le sceptre des mers. 

Il ne s'agit pour elle^que de s'unir avec cette discipline qui 
fait la force des groupements ; elle ne saurait se dérober à ce 
devoir sous peine de prononcer bientôt elle-même la déchéance 
de ses plus légitimes revendications. 

En dehors de ses frontières, l'Europe doit faire fi des propos 
tendres et des manifestât ions affectueuses ; aussi bien dans l'intérêt 
de sa prépondérance économique, que pour garantir son domaine 
colonial laborieusement acquis, elle doit se constituer une force 
navale en mesure de conquérir et de retenir le succès. 

Que dans cette intervention collective, aucune des puissances 
contractantes n'apporte d'arrière-pensée. 

II ne faut pas que chaque nation arme à sa guise, à son heure, 
à son caprice, mais que des armements maritimes parallèles et 
progressifs soient la règle loyalement adoptée et rigoureusement 
suivie. 

Qu'à la première alerte, l'Europe, dans un langage conforme 
à sa dignité, demande des explications à qui de droit, et que, 
si elles ne sont pas de son goût, qu'elle s'arrange pour en obtenir 
de plus explicites, les armes à la main. 

Le seul moyen efficace d'action réside dans la sommation, puis 
le cas échéant, dans le prompt passage des menaces aux actes, 
des formules de chancellerie à la démonstration comminatoire. 

II importe d'agir du tic au tac et l'on a dit avec raison que 
« la politique anglaise indique une stratégie de violences brus- 
» ques^ de guet-apens, de coups de force. 

» De tout temps la stratégie de V Angleterre fut offensive ; cette 
» puissance a pour métltode de déclarer la guerre en la faisant, » 

L'occasion ne tardera certainement pas qui permettra à 
l'Europe de corroborer son action morale par un avertissement 
plus solennel et de frapper au cœur la Triplice Angio- Yankee- 
Japonaise . 

Mettre l'Alliance Intercontinentale en présencedu fait accompli, 
et l'obliger à rester dans les voies de la justice, tel doit être 
l'objectif du concert européen. 



— 152 — 

Il a pris la première place dans Thistoire du xx»* siècle, et son- 
dernier mot a bien peu de chances de demeurer inconnu. 

Européens que nous sommes, unissons-nous sous peine de nous 
voir enserrer dans l'étau Anglo-Saxon , sous peine de voir la 
France perdre l'Indo-Chine et Madagascar : TAllemagne, ses 
possessions Africaines et Bornéo ; le Danemarck, ses Antilles ; la 
Hollande, Java ; le Portugal, les Açores, Delagoa-Bay ; la Russie, 
ses territoires Asiatiques. 

Qui que nous soyons. Français, Russes, Allemands, Italiens, 
Autrichiens ou Espagnols, chérissons au fond du cœur la Mère 
Patrie, mais dans nos raisonnements et dans nos actes demeurons 
toujours européens (i). 

Soyons Européens, c'est, a-t-on dit, l'ultime cri de ralliement 
de ceux qui, au-delà des limites où se meuvent les intérêts natio- 
naux, veulent apercevoir la sphère plus large des intérêts collec- 
tifs latins, slaves et germains. 

Ceux-là qui parlent ainsi, ne sont pas des produits de serre 
chaude, des esprits rétrécis, amoureux du médiocre train-train, 
tels qu'en voit fleurir à foison, notre beau ciel de France. 

Ce ne sont pas plus des rêveurs, des naïfs, des hâbleurs^ des 
intrigants, des ignorantins ; ce sont des hommes qui n'ont pas 
pensé jouir en paix de l'automatique addition des années ; des 
hommes réfractaires aux mesquines corvées d'une existence 
confinée ; des hommes qui ont parcouru le monde en scrutateurs 
expérimentés ; des hommes dont les convictions forgées au 
contact étroit et prolongé des peuples, ont saisi à leur source 
même, l'enchaînement et la signification des événements. 

Mais de tels hommes, l'inconscience heureuse des Français se 
soucie médiocrement, absorbée qu'elle est, à se repaître de 

(1) Et voici maintenant les g^uerres lointaines... Un nouveau pays les États 
Unis, une autre race, la race Jaune entrent brusquement et violemment en 
scène. Nous les avions oubliés dans notre éloignement : ils nous rappellent" 
tout à coup que notre vieille « Europe » n'est pas « le Monde », qu'elle n'est 
après tout que le plus petit des cinq continents et qu il nous faudra en sortir 
pour la défendre, nous en aller batailler sur les mers ou dans les plaines de 
l'Asie. Nous nous trouvons en présence de forces inconnues, à la veille de 
conflits imprévus, entraînés dans une période de luttes nouvelles ; nous 
reconnaissons soudain que pour conserver les prérogatives de notre race, 
la suprématie de notre Continent^ il s'agira de résister à des ennemis formi- 
dables qui s'org-anisent, qui ont le nombre, contre lesquels nous allons avoir 
à bander nos énergies prêtes à se relâcher. Edouard Rod. 



— 153 — 



fantasmagories pompeuses , de 
littérature théâtrale à luxueux 
décors et à frivolités malsaines. 
De tels hommes, de leurs 
prévisions et du bon sens qui 
dicte leurs dires, Paris n'en a 
cure. Paris qui n'ennoblit et ne 
sanctifie que les appelés de Tart 
et les élus de la fortune, Paris, 
dont l'atmosphère n'est propice 
qu'aux surfaces éblouissantes, 
qu'aux brillantes apparences , 
qu'aux splendeurs artificielles, 
qu'aux richesses ostentatoires, 
Paris qui ouvre une voie triom- 
phale à l'emphase prétentieuse 
des courtisans de la puissance populaire. Paris, demeure indiffé- 
rent aux luttes qui absorbent le monde et la France elle-même 
tient pour suspects ceux dont les inquiétantes prophéties impa- 
tientent j ses sentiments, et creusent, ne fût-ce qu'un seul pli, au 
front de son inaltérable, mais hélas ! imprévoyant optimisme. 




HENRI MOREAU 
Publicistc 



FI N 



INDEX 



D 



Pages 

Aux Lecteurs 4 

Préface 

La Triplice Anglo-Yankee-Japonaise 13 

Alliance Anglo-Japonaise 23 

Entente Anglo-Américaine 39 

Accord Yankee-Japonais 48 

La Guerre 66 

L'Indo-Chine. — L Alliance Anglo- Japonaise 71 

Conclusion 137 



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Circulaire Financière quotidienne de la Caisse Industrielle de Paris 



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VOUR LE DÈVELOPPEmENT DE LA MARINE miLITAIRE A DE LA HIARINE IUlÂRCMAHDi 

39, Boulevard des Capucines, PARIS (2") 
^ . 

Le Ministre de la Afarine a autoviaê les Ofjiriers et le personnel de la Marin 
à faire partie (h* la Ligue Maritime et à lai prêter leur concourir 



COMPOSITION DU COMITÉ DE LA LIGUE 

rr/'sifb'„f.^ fri>o,n,rffr : Myi. CASlMlR-PKiilER ; LOCKROY; BARBEY; vice-amira 
LAKONÏ; vice-amiral ('AVEEIKK DE CrVEKVlLLE. 

Pn''.siil(*iit : M. Paul DOUMER, député, ancien Gouverneur Général de 1 Indo-Chine. 

Vicc-Pr<}sidetits : MM. li^ inartiuis do rjIASSELOrP-EAUBAT, Ingénieur civil ; 
V . Dl.'PONT, contre-HWiiral « u cadre de réserve, ancien suus-chef d'êtat-majoi 
général ilo l;i Marine: ÉriKNXE, député, président du groupe colonial, ancien 
sous-secrétaire d'Etat aux (Colonies ; J. de KEiiJÊGU, député, ancien rai)porteur 
du i)U(lget de la Marine ; J. (UJARLES-ROUX, ancien député, ancien rapportenr 
du l>udget du ministère du Commerce; ANDi^E LEBON, présideut du Coinité 
Central des Armateurs de France. 

Directeur .-M. Paul CLOAREC, lieutenant 
de vaisseau de réserve. 



Seo'ètiire grncral : M. ^Maurice LOIR, 
capitaine de iré;/ate de réserve. 

Secret aiyi*s <jr.nér(iu:c adjoints : M^I. Gabriel 
VIVANT, directeur du Moniteur de la 
Flotfe: R<>bert de VOGUE, enseigne de 
vaisseau de l'éservo. 



Trésorier : M. ARMAN DE CAILLAVET. 



MEMBRES DU COMITÉ 



MM. 

ARMEZ, député. 

Duc de BASSANO. 

AL'BiN, ingénieur »le la Marine. 

CAlîAirr-DANNEVlELE, sénateur. 

ARMAN DE C VILLA VET. 

Georges COCOTIER Y. 

DARRIEUS, cai)itaine de frégate. 

DELOBEAl;, sénateur. 

Em. DU LUC, lieutenant de vaisseau eu 
retraite. 

DAVID-MEXNET, manufacturier. 

TREFEL, directeur au Ministère de la 
^Marine. 

II. ESTJER, armateur. 

Georges TOUDOLZE. 

Marquis de bMiAYSSEIX-BONNlN, capi- 
taine de vaisseau en retraite. 

GERV1LLE-KEA(3HE, député 

V.inJGOT, nég(>ciant. 

lZOULET,pr=>tesseurau Collège de France 

.'Secrétaire du. Comité : M. 



MM. 
BARGUILLET, mécanicien-inspecteur de 

la ^Marine. 
LAGANE, directeur des Forges et Chflntien 

de la Méditerranée. 
DE LANESSAN, député, ancien ministre 

de la Marine. 
LEMAIRE, directeur des Constnictiooa 

navales. 
Henri MENIER. 
HOU ET, capitaine au long cours. 
Amédée PRINCE, ancien Président de 1» 

Chambre des Négocianls-Commiasion- 

naires et du Commerce extérieur. 
G. SAVIN, capitaine de frégate en retraite. 
Robert SURCOUF, député. 
Vice-amiral TOUCHARD. 
A. ROUSSEAU, rédacteur au Temps. 
LE COUR-GRANDMAISON, sénateur. 
BERARD, lieutenant de vaisseau. 

Victor SADOUL, publiciste. 



Souscriptionsi : 
Membre Adhèrent, 3 fr. p'" an : Service de la "Revue Mensuelle illustrée", édition âmph 

— Sociétaire, lOfr.pran: — — — — etdesoaSuppW 

— Fondateur, 50fr. p^an: — - — — — 



â M. 



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TABLE DES MATIERES 

PKEUllKKK PAKTIK 

A quoi sert une Ligue Maiitime .T. Crunoix. 

Historique de la Ligue Maritime Française . . P. Cloakec. 
Statuts de la Ligue Maritime Française .... 

Le Comité 

Nos Bureaux 

Nos Marques d stinctives 

Avantages gracieusement accordés aux Mem- 
bres de la Ligue Maritime Française 

U E U X 1 È M l<: F A H T I K 

Une puissante marine de commerce est-elle 

nécessaire à la France ? ^Mauhick Cahart-D. nnevillk. 

Sénutcnr de la AJancho. 

Ce que coûtent les flottes Ykrseau. 

Au Fort de Montrouge ^^li-honse Daudkt. 

Historique du Sous-Marin Sauvaire Jourdan. 

L'essor du commerce algérien GEoiiOEs Fayollk. 

Hamilcar Barca Gustave Flaubert. 

La marine marchande et la loi de 1902 . . . Robert de Vogué. 

La gloire civile des officiers de la marine 

française Ricard. 

Les Conquérants José Maria de IIérédia. 

Les voies de communication dans TStat Indé- 
pendant du Congo 1*1ERRE MONTAGNAC. 

L'assistance aux Marins E. Gras. 

A Tabri du naufrage Gustave Toudouze. 

Le Yachting Clkro Rampal. 

Impressions d'ua voyageur à la voile J. Oaj>lain. 

TROIlSlÈillE PARTIE 

Liste des Membres de la Ligue Maritime au 15 décembre 1903. 



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Toul le mond© voyage, ce o'est pïutî stMiîemenl un luxe et une raison de naulé» inaîs aussi l*ol| 
gatlon de œnnallre au mûins son pays et ceux qui rentoureiiL Aussi Eiiijourd'lîui, p^ssc-l-on mo' 
longtemps en villégiature pour Cfuisuerer une partie de seâ loisirs â un voyags pju» ietéreàSiàiit ] 
les impresaloos qm\ donne et les souvenirs ou'il laisse, 

Cet exode a pté jîrEindeineiat farilité jiar les Bureaux d© Voyages Prâtinues fondé:* en Frai^ 
linmute dana If! monàe entier, et sons J'imjiulsîoo desquels les Compagnies de Ciicniln de fer fit I 
Navigation ont baissé leurs tarlfii et vïéé âo^ cmublnBl&ona pratiipiéa de blllcis a prix rMaîW, 
l'usage des Voya^eur^ ijut^ trop souvent les ignorent» car elles ne Hgurent eiiifi pcnvent fîjaill 
dans aucun Indicateur fît les gares elïes-mênies ne les eounaisâent pa? toujours, 

Beaucoujp uiî^rue ne savent où l'on p^ut s'adresser. 

Pour fviî«T l*;s dépenses Inutiles et connaître tous les avantages dont an peut protlh ' 
renseigner aiiiirès des a spêciiiïlstes ^, Ces renaeignemcnts se donnent trratuiteniLïj^ 
BureftOlt de Voyage créés ou Bouleouf parles grandes entrRpTi;3ès dt* tranit|iort ^Immî 
auxiliaires iniil^^iiensablos. 

11 aulËt dour de s'adresser aux -Bureaux des VûVEig*îa Pratkjues — d« prêfértuctj au Btt 
Central, ff, rî<tf de R'7me^ à Paris {ptH la ^jart* St^Las^are) — en iudîguiint : ritïiiAn*ir«» "^' 

désire suivre Km lu Pays qu*? l'on désire visiter, qu1l ^'agisE^ -'^ '- *■— -■ ..'*—.. 

autre paya)^ le temps et le *- -^^ * -* — * -*■ i- -- ~ *- *-- 
voyageurs. 

Et par nùurrïef on Tt^jnewit tirât hit emcni la plan pratique de ritln^Vniiic, k- dt*\1» <1«5 rîivpnHxfe^ 
les autres renseigne mwnts utiles ou demand*^:* permettant d'entrttprendit' 1» vtjv^iy*» KWy craid 
dépasser 1© budget ijne Ton s'élnil Hxc et avec la iwrtitud<î df* le ttilre de la tnrîJl^^snrn f»<;(in. 

H est en outre^ organisa; deft Voyages* Pra.li<iues aijomnpatjntfir pour vultcr ttn r;âVnitK 
groupe les diffS&renls Puyi* tvt dont on peut éiîalement obttsuir f^r:it(»it#*im?nl Iëb prugma 
envoyant son y dresse h M. JUNOT, lîuriKiit Central, !?, ruê de Rornr, à Pan». 

En n^ mol, vouîeï-vûijs ii-ller n'ImpûrUr oii, ^n\c*îr Te prix d'un vnyîAgc* tmelcouijUR huv lêmi 
eut mtiF ? Connaître le:t trains les plua tummudes, nu l^jj^tiu le» hoteljii serieui, etc. < AiHfi^sû 

olu d'im courrier lutflrprùle 1 Viiu» n'avei ifu'à venir ou tertre aux. Bureaux d^b Voy*»^» KraU<| 



i«i l'on désire visiter, qu1l ^'agis&e de la J*rancf* ou de n'hnpoîj 
lm(1g€!t dont ït dispose^ la i:lasse du vuyiige, le u.<>tnl»ri' prèi 



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'etours à l'intermédiaire de la Sociôtô de Cr0dil et a la ceriitudr 
ihîolue de traiter avec um Mai-M>n de conliacicc de pretiiier ordre 
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