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Full text of "L'Alliance franco-russe"

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DE 



SA lAJESTÉ L'EMPEREUR ALEXANDRE i 



LE PACIFICATEUR 



i 



L'ALLIANCE FRANCO-RUSSE 



i 



L'ALLIANCE 



FRANCO-RUSSE 



PAR 



Jules HANSEN 

Conseiller d'Ambassade honoraire 









TROISIÈME ÉDITION 



PARIS 

EBNÉSt FLAMMARION, EDITEUR 

I 2G, RUK RACINE. PRES DE l'ODÉON 

1 897 



#*■ 



u^tA,.-.*-^ a1!^ 






PREFACE 



J'ai, pris la liberté de dédier ces pages à 
la mémoire de l'Empereur Alexandre III 
parce que fai la profonde conviction que 
V Alliance Franco-Russe est son œuvre per- 
sonnelle. 

A Vheure où nous sommes arrivés fai 
pensé quil y a' trait intérêt à livrer au pu- 
blic un exposé aussi exact que possible des 
faits qui ont précédé la conclusion de cette 



427596 



alliance, et contribuer ainsi à rectifier des 
erreurs de fait et de fausses appréciations 
qui ont pu se produire ailleurs à ce sujet. 
C'est là l'unique but de cette publication. 

Paris, en août 1897. 

Jules HANSEN 



CHAPITRE V' 



PREMIERS JALONS 



DÉCLARATIONS DU PRINCE GORTGHAKOW. — OPINION 
DE GaMBETTA sur UNE ALLIANCE FRANCO-RUSSE. — 
Il CHOISIT DES AMBASSADEURS. — LeTTREDE M. TiBY. 

— Opinion de M. Jules Ferry. 



Les lecteurs de mon livre « Les Coulisses 
de la Diplomatie i> , publié à Paris en 1880, se 
souviendront peut-être d'un chapitre qui 
contenait les déclarations faites au mois de 
décembre 1878, par un diplomate russe sur 
la situation générale créée par le Congrès de 
Berlin. 

Je ne vois aujourd'hui aucun inconvénient 
à révéler que ce russe était le chancelier 
princa Gortchakow^ lui-même qui, dans une 
conversation avec M. Nicolas de Poggenpohl, 



4 L*ALLIANCE FRANCO-RUSSE ♦ 

le publiciste bien connu, mort il y a deux 
ans environ, développait des idées qu'il 
chargea son interlocuteur de me communi- 
quer. Le Prince lisait, en effet, ma feuille 
YEurope Diplomatique et connaissait mes 
sympathies pour la Russie. 

Je reproduis ici la première partie de ses 
déclarations qui laissaient entrevoir la rup- 
ture des relations intimes existant alors entre 
la Russie et l'Allemagne et ouvraient la pers- 
pective d'une combinaison nouvelle : 

« Mes observations, disait-il, me portent 
« à croire que l'Europe se trouve en ce 
« moment, au point de vue politique, dans 
« une position toute nouvelle et des plus im- 
« portantes. 

< C'est la première fois, depuis neuf ans, 
« qu'un changement aussi profond a lieu 
« dans l'état des choses qui a amené et 
« permis l'écrasement de la France. L'en- 
< tente, d'abord, de la Prusse et de la 
<f Russie, puis celle des trois Empereurs, 
« n'existent plus ni l'une ni l'autre. • Elles 
« sont toutes les deux enterrées. 



PREMIERS JALONS O 

« La lutte sourde, personnelle, acharnée, 
« qui s'est engagée depuis quelque temps 
« entre les deux chanceliers de Russie et 
« d'Allemagne est encore un secret que ré- 
« vêleront seuls un jour les mémoires du 
« temps. Obligés par les rapports d'étroite 
« amitié qui unissaient leur deux souverains 
4L et par les nécessités de la politique, à 
« cacher leur jeu, les deux grands hommes 
« d'Etat ont dissimulé de leur mieux Texis- 
< tence de cette lutte qui n'a pu être obser- 
ve vée et suivie de prés que par leurs familiers 
« les plus intimes. 

<f. Elle n'a pas moins conduit au premier 
« résultat que le prince Gortchakow voulait 
« obtenir, c'est-à-dire de convaincre l'Em- 
« pereur Alexandrell qu'en emboîtant le pas 
« à rAllemagne, la Russie ne faisait que 
<c jouer le jeu du prince de Bismarck. Ce 
« but est aujourd'hui atteint. La conviction 
« chez l'Empereur Alexandre est faite ; le 
« dégrisement est complet. » 

Les déclarations du Prince Gortchakow 
firent sensation en France. Gambetta notam- 



6 l'alliance franco-russe 

ment en fut frappé. Au cours de conversations 
que j'eus avec lui dans le courant des 
années 1880-81, le grand patriote revint sou- 
vent sur la méfiance créée entre Saint- 
Pétersbourg et Berlin et sur les espérances 
que la France pouvait fonder sur ce revire- 
ment. Il ne voyait cependant leur réalisation 
que dans un avenir éloigné. 

< La France, me disait-il, est condamnée 

< à jouer un rôle effacé en Europe et devra 

< observer une grande réserve jusqu'au mo- 

< ment où elle aura une armée très forte. La 

< création de cette armée est notre tâche 
« actuelle. Je m'en occupe chaque jour et 

< elle est l'objet de ma principale préoccu- 
« pation. 

< Quand nous disposerons d'une armée 

< puissante, nous trouverons des alliés, je 
« n'ai aucune crainte à ce sujet ; je serai 

< alors comme vous partisan d'une alliance 

< avec la Russie. J'ai souvent envisagé cette 

< éventualité avec le général Skobelew que 
» j'aime et estime beaucoup. » 

A ce moment, Gambetta n'avait pas de 



PREMIERS JALONS 7 

relations avec l'ambassade de Russie : ses 
premiers rapports avec Thôtel de la rue de 
Grenelle datent du mois d'avril 1881, Le 
comte de Kapnist,qui gérait alors Tambassade 
en qualité de chargé d'affaires pendant la 
longue maladie du prince Orlow, m'exprima 
le désir de faire la connaissance du Président 
de la Chambre des Députés. 

J'en parlai à Gambetta et je reçus, le 
14 avril, un billet de son secrétaire me 
faisant savoir que le Président recevrait le 
comte Kapnist le lendemain matin à dix 
heures. Je prévins aussitôt ce dernier qui eut 
avec Gambetta un entretien de deux heures, 
d'où il revint très satisfait. 

La chaude parole du Président de la 
Chambre, la richesse d'idées et d'aperçus 
qu'il déployait dans la conversation, avaient 
vivement impressionné le diplomate russe. 
Le lendemain le Président de la Chambre lui 
rendait sa visite à l'hôtel de l'ambassade de 
Russie. 

Le 14 novembre 1881, Gambetta devenait 
ministre des affaires étrangères. Une des 



8 l'alliance tranco-russe 

pcemières résolutions qu'il avait à prendre 

était de donner un titulaire à l'ambassade de 

France à Saint-Pétersbourg, devenue vacante 

à la suite de la démission du général Chanzy. 

Au cours d'une conversation que j'eus 
avec rUlttstre homme d'Etat, peu de temps 

^aprés son arrivée au quai d'Orsay, j'appelai 

son attention sur l'intérêt qu'il y aurait à 
ce que la France fut représentée en Russie 
par un diplomate expérimenté et bien* au 
courant de la politique de ce pays. Le ré- 
sultat de notre entretien fut que le ministre 
me chargea de prier le comte de Ghaudordy 
de lui faire visite. Sachant que le comte avait, 
sous la Présidence de Mac-Mahon, rempli 
avec succès une mission importante auprès 
du prince de Gortcbakow et qu'il connaissait 
beaucoup de Russes, il était décidé à lui 
offrir l'ambassade de Saint-Pétersbourg. 

M. de Ghaudordy se montra d'abord hési- 
tant et demanda à réfléchir, Pourtant il se 
décida bientôt à accepter l'offre du ministre, 
mais, Gambetta étant tombé du pouvoir 
peu de temps après, le 30 janvier 1882, le 



PREMIERS JALONS 9 

comte crut devoir retirer son acceptation et 
renoncer à Tambassade de Saint-Péters- 
bourg. 

Au cours d'une conversation que Gambelta 
avait eue avec ce diplomate, il lui avait dit : 
« Je prévois qu'à Saint-Pétersbourg on vous 
« demandera de faire consentir le gouverne- 
« ment français à des mesures de rigueur 
< contre des nihilistes russes à Paris. Eh bien I 
« vous pourrez assurer que je ferai à cet 
« égard tout ce que la chancellerie russe me 
« demandera. » 

Par ces simples instructions données à 
l'ambassadeur on peut juger quel prix le 
grand patriote français attachait à des rela- 
tions amicales entre le gouvernement russe 
et la France. 

M. Gambette songea, du reste, à offrir 
des ambassades à d'autres diplomates de 
carrière. 

Quelques jours après ma première conver- 
sation avec lui sur ce même sujet, il me 
parla de M. Victor Tiby comme d*un diplo- 
mate à qui Ton pouvait offrir une am- 



10 l'alliance franco-russe 

bassade, par exemple à Rome. « Croyez-vous 
qu'il soit disposé à seconder une politique 
russophile », me demanda-t-il. Je répondis 
que cela ne me paraissait pas absolument 
certain, M. Tiby devant avoir plutôt des 
sympathies pour l'Angleterre. 

« Oh I il se fera, répliqua Gambetta, écri- 
vez lui toujours et proposez lui de ma part 
de rentrer dans la carrière comme ambassa- 
deur. > 

J'écrivis donc à M. Tibv selon le désir du 
Ministre des Affaires étrangères et je reçus 
de lui la réponse suivante dans laquelle il 
n'est pas question de ses opinions poli- 
tiques : 

« Cannes, le 14 décembre 1881 

« Mon cher Hansen, 

« Je suis fort honoré que vous ayez entendu 
« prononcer mon nom à propos des combinaisons 
a diplomatiques qui sont in fieri^ comme le Dieu 
« de M. Renan. Pour le moment, je suis en train 
« d'affermir mes bronches et de me garer d'une 



PR£MI£KS JALONS 1 1 

« quatrième pleurésie. Cette occupatiou a sa valeur, 
« mais je ne tiens pas à la prolonger outre mesure. 

« Mille amitiés, 

Victor TIBY 

« Eh bien, qu'en pensez-vous, disais-je au 
Ministre en lui montrant cette lettre. — « Je 
pense, répondit Gambetta, que M. Tiby est 
un vrai diplomate et qu'il désire rentrer en 
activité aussitôt que possible. » 

Après la mort de Gambetta, dans la nuit 
du premier janvier 1883, on ne s'occupa 
« guère en France, pendant quelques années, 
de la réalisation d'une entente avec la Russie. 
Les ministres des Affaires étrangères qui se 
succédèrent à cette époque avaient l'attention 
tournée plutôt vers les affaires d'Egypte et 
et vers la question coloniale. 

M. Jules Ferry, qui avait occupé l'hôtel du 
quai d'Orsay, du 20 novembre 1883 au 
6 avril 1885, passait pour incliner vers une 
entente avec l'Allemagne et pour être un 
adversaire de la Russie. Cette opinion était 



12 l'alliance franco-russe 

surtout répandue dans les journaux de Saint- 
Pétersbourg et de Moscou. M. Jules Ferry se 
défendait cependant d'être anti-russe. 

Quelques années après sa chute du minis- 
tère, alors que je lui parlais des attaques 
dont il était encore l'objet dans la presse 
russe et que je lui développais mes idées sur 
l'opportunité d'une entente avec la Russie, 
l'ancien Président du Conseil m'expliqua très 
clairement la politique qu'il avait suivie 
envers la Russie, du temps où il était au 
pouvoir. 

« Des assertions comnie celles dont vous 

< me parlez, me dit-il, ne peuvent provenir 
« que de quelque correspondant radical de 
« journaux de Saint-Pétersbourg, toujours 

« prêt à accepter comme parole d'évangile 

< tout ce que colportent mes ennemis politi- 
« ques, et ne connaissant rien de mes actes 
« pendant mon passage au ministère des 
« affaires étrangères. 

« Il est incontestable, en effet, (|ue les 
^ relations entre la Russie et la France se 



phemiehs jalons 13 

« sont améliorées pendant mon séjour au 
«quai d'Orsay. 

« Quand on fera Thistoire de mon minis- 
> tère, on v constatera le constant effort de 
< la diplomatie française pour créer entre la 
« Russie et la France des liens positifs. On 
« peut dire que c'est la France qui a reconnu 
« la première, en 1884, l'intérêt qu'a la Russie, 
« à raison de ses possessions du Pacifique, 
« à sauvegarder la liberté du Canal de Suez. 
« C'est elle qui a le plus énergiquement 
« insisté pour que la Russie devînt garante, 
« avec les autres grondes Puissances, de 
« l'emprunt contracté par l'Egypte pour payer 
« les indemnités d'Alexandrie et pour qu'elle 
« iût représentée par un délégué dans TAd- 
« ministration de la Caisse de la .Dette, ce 
« qui la plaçait au niveau des autres 
« Puissances pour le contrôle des affaires 
« d'Egypte. 

< Lors des importantes négociations qui 
« suivirent, la Russie et la France ont marché 
« la main dans la main. Pour s'en convaincre, 
« on n'a qu'à relire les protocoles de la 



CHAPITRE II 



LE BARON DE HOHRENHEIM 



Changement b' AMBASSADEUR de Russie a Paris en 1884 
— Biographie de M. de Mohrenheim. — Mes 

RELATIONS AVEC LAMBASSADE DE RuSSIE. — RÉPONSE 

DE M. Flourens aux Délégués bulgares, en 
Janvier 1887. — Bonne impression a Saint- 
Pétersbourg. 



En avril 1884, un changement important 
eut lieu à l'ambassade de Russie à Paris : 
le Prince Orlow fut nommé à Berlin et eut 
pour successeur rue de Grenelle le baron 
de Mohrenheim, ambassadeur à Londres 
depuis deux ans. Ce personnage a joué un^ 
rôle si prépondérant dans l'affaire qui nous 



le L^ ALLIANCE FËANCO-RUSSE 

occupe qu'il est permis de nous étendre ici 
sur sa personnalité. 

Le baron Arthur de Mohrenheim est né à 
Varsovie en 1824. Il appartient à une famille 
russe qui, pendant plusieurs générations, a 
fourni à TElat de distingués serviteurs. Son 
père, le baron Paul de Mohrenheim, naquit 
à Saint-Pétersbourg et eut pour parrain le 
Tzarewitch, qui devint plus tard Tempereur 
Paul. Il suivit avec succès la carrière diplo- 
matique et fut chargé de plusieurs missions 
importantes, notamment en Espagne, lors 
de Tavènement du roi Joseph. Durant le 
premier Empire, il fut en relations d'affaires 

très étroites avec le célèbre émigré et agent 
secret, comte d'Entraigues. 

Le baron Paul de Mohrenheim dirigea 
ensuite à Varsovie, jusqu'en 1830, la chan- 
cellerie diplomatique du Vice-Roi, le grand 
duc Constantin Pavlowitch, frère des em- 
pereurs Alexandre I^^et Nicolas Ie^ Il mourut 
en 1832 à Vienne où il se trouvait en mission 
extraordinaire. Il avait épousé la comtesse 
Joséphine Mostowska, fille du ministre de 



LE BAÎION DE MOHRENHErM 1? 

l'Intérieur, et sœur aînée de la comtesse 
Potocka, de la comtesse Komar et de la 
princesse Sapieha. 

L'aîné des fils issus de ce mariage, actuel- 
lement ambassadeur à Paris, fit ses éludes 
à Moscou, où il eut pour camarade le célèbre 
Katkow. Après avoir passé Texamen de droit 
à l'Université de cette ville, il fut à vingt et 
un ans, attaché au cabinet du comte de 
Nesselrode, alors ministre des Affaires étran- 
gères. Il fut nommé cinq ans après secrétaire 
de légation à Berlin, puis à Vienne. Plus 
tard, lorsque le prince Gortchakow eut re- 
cueilli la succession du comte de Nesselrode, 
il devint conseiller au ministère impérial. Le 
baron ne s'entendit pas toujours avec le 
chancelier qui n'aimait pas la franchise avec 
laquelle il exprimait ses opinions et qui ne 
lui prêta jamais grand appui au cours de sa 
carrière. Nommé conseiller d'ambassade à 
Berlin, M. de Mohrenheim y remplit plusieurs 
fois les fonctions de Chargé d'affaires, ce qui 
lui permit d'étudier de prés le prince de 
Bismarck et d'approfondir son caractère et 



18 L^ALLIANCE FîtANCO -RUSSE 

sa politique. M. de Mohrenheim est certaine- 
ment un des diplomates actuels qui connais- 
sent le mieux TAllemagne et TAutriche. 

De Berlin, le baron passa en 1871, à 
Copenhague en qualité d'Envoyé extraordi- 
naire et Ministre plénipotentiaire. Dans ce 
poste, qu'il occupa pendant quinze ans, ses 
grandes capacités diplomatiques le firent re- 
marquer du futur Tsar Alexandre III qui 
rendait fréquemment visite à son beau-pére, 
le roi Christian IX. M. de Mohrenheim ne 
tarda pas à se créer à Copenhague une si- 
tuation tout-à-fait exceptionnelle. Lorsqu'il 
quitta ce poste, le Roi lui conféra l'ordre de 
TEléphant, distinction qui n'avait jamais été 
accordée jusqu'alors à aucun représentent 
étranger en Danemark, et qui ne Ta pas été 
depuis. 

L'ambassadeur actuel à Paris joint à une 
vive intelligence les plus vastes connaissances 
en diplomatie et en politique. C'est un érudit 
hors de paiç, une autorité dans le droit des 
gens et en littérature. Exclusivement russe 
de sentiments et d'aspirations, il aime la 



Le baron de MOHUENHEtM 19 

France et les François et l'on peut être 
certain qu'il est heureux d'avoir pu, tout en 
servant les intérêts nationaux qui lui sont 
confiés, rendre d'importants services à notre 
pays. 

La baronne de Mohrenheim, née baronne 
de Korff, est fille du chef d'artillerie bien 
connu dans l'histoire de la Russie de la pre- 
mière moitié de ce siècle. C'est une femme 
d'une intelligence supérieure qui apporte à 
son mari le concours de ses rares qualités 
de représentation et de son exquise ama- 
bilité. 

On sait que la fille aînée du baron et de la 
baronne de Mohrenheim a épousé un officier 
français, le vicomte de Sèze. Leur fille cadette 
est veuve d'un diplomate russe, le comte 
Boutourline, qui est mort à la fleur de Tège, 
et avait déjà pris rang parmi les poètes les 
plus délicats de son pays. 

M. de Mohrenheim m'avait connu à Copen- 
hague. Nos relations furent reprises à Paris. 
L'ambassadeur me recevait souvent et je ne 
tardai pas à devenir intermédiaire officieux 



2Ô L*ALLIANCE FKANCO -RUSSE 

entre Fambassade de Russie et le ministère 
des Affaires étrangères de France ; je me 
suis efforcé d'aplanir autant que possible les 
difficultés passagères qui ont surgi entre les 
différents ministres qui se sont succédé quai 
d'Orsay et l'ambassade russe. Je n'ai cessé, 
en même temps, de travailler de mon mieux 
dans la presse, à faire prévaloir l'idée de la; 
nécessité d'une alliance entre la France et la 
Russie. 

Je ne tardai pas à me convaincre qu'un 
rapprochement entre les deux pays était 
désiré par l'ambassadeur ; mais la situation 
générale n'était pas favorable à une prompte 
réalisation de ce vœu. En 1884, au mois de 
septembre, l'empereur de Russie s'était ren- 
contré à Skiernevice avec les empereurs 
d'Allemagne et d'Autriche, et celte entrevue 
avait été la sanction ostensible d'un traité, 
d'alliance formel entre les trois empereurs 
pour une durée de trois ans. 

A Saint-Pétersbourg, on arriva cependant 
vite à comprendre que les deux Etats 
du centre profitaient de la nouvelle entente 



LE BARON DE MOHRENHEIM 21 

pour en tirer tous les avantages, notam- 
ment dans les Balkans où l'influence russe 
diminuait peu à peu au profit de l'Autriche. 
Néanmoins la Russie n'était pas encore prés 
de rompre avec sa politique traditionnelle et 
de se rapprocher de la France. De nombreux 
obstacles devaient surgir contre une telle 
évolution : d'abord la forme de gouvernement 
si différente dans les deux pays ; en second 
lieu, les luttes parlementaires en France qui 
rendaient impossible la stabilité des minis- 
tères et par suite ne permettaient guère une 
politique étrangère bien déterminée ; d'autre 
part, dans les hautes sphères russes, Texis- 
tence d'un parti qui prônait l'alliance alle- 
mande et ne cessait de représenter la France 
comme uji foyer d'idées révolutionnaires. 
Enfin l'armée française, grûce à laquelle la 
France pouvait devenir une alliée utile, n'était 
pas encore entièrement reconstituée. 

On ne me dissimulait pas qu'un rappro- 
chement entre les deux pays serait chose 
difficile et exigerait une longue préparation 
et que tout dépendait d'ailleurs de la 



22 l'aluance franco-russe 

volonté du Souverain russe. 

Le Tsar, en effet, entendait diriger lui- 
même et lui seul les affaires étrangères de 
son empire. Ses ministres et ambassadeurs 
n'avaient qu'à exécuter scrupuleusement ses 
ordres. Alexandre III, le plus russe des 
Russes, avait peut-être le sentiment que la 
prépondérance, alors incontestée, de l'Alle- 
magne en Europe était nuisible aux intérêts 
de la Russie ; mais, pour que lui, Tautocrote, 
mit sa main dans celb de la France répu- 
blicaine, il fallait au moins que celle-ci en 
exprimât clairement le désir et prouvât par 
des actes que la Russie pouvait réellement 
se fier à elle. 

L'occasion de fournir ces preuves ne tarda 
pas à se présenter. 

Le 7 janvier 1887, trois délégués bulgares, 
MM. Stoïloff, Kaltscheff* et Grékof, arrivaient 
à Paris. Ils venaient demander au gouver- 
nement français son concours dans la ques- 
tion du choix d'un candidat au trône de 
Sofia et son appui dans les démêlés de la 
Bulgarie avec la Russie. M. Flourens, alors 



LE BARON DE MOHRENHEIM 23 

ministre des Affaires étrangères dans le mi- 
nistère Goblet, reçut cette délégation le 
9 janvier. Voici le compte-rendu de cette en- 
trevue à laquelle assistait M. Francis Charmes, 
directeur des affaires politiques : 

M. Grékof a exposé à M. Flourens, en remontant 
aux circonstances dans lesquelles il s'est formé, les 
phases diverses qu'a traversées le Gouvernement 
actuel de la Bulgarie et particulièrement les 
difficultés dans lesquelles il se trouve aujourd'hui 
placé. 

La régence bulgare se rend parfaitement compte 
de sa situation et aussi de celle de l'Europe, et 
elle est disposée à faire pour en sortir toutes les 
concessions compatibles avec l'indépendance inté- 
rieure de la Bulgarie. Mais elle ne croit pas que la 
candidature du prince de Mingrélie puisse être 
acceptée, parce qu'elle n'assurerait pas au pays la 
stabilité dont il a besoin ni la liberté à laquelle il 
a droit. 

M. Flourens a dit alors aux Délégués bulgares 
qu'il les avait reçus à titre privé, parce qu'il ne 
pouvait leur reconnaître à aucun degré un mandat 
régulier. La Bulgarie a, en effet, son indépendance 
intérieure, mais pour les rapports internationaux 
elle relève de la Porte, qui seule a le droit de 



24 l'alliance franco-russe 

parler en son nom. La France est trop respectueuse 
des traités et trop désireuse de maintenir Finté- 
grité de l'Empire Ottoman pour sortir de cette 
règle. Toutefois, à titre privé, le Ministre des 
Affaires Etrangères a bien voulu recevoir MM. 
Stoïlof, Grékof et Kalschef, et les entendre. Il com- 
patit sincèrement à ce que la situation de leur pays 
a de pénible, mais il croit que le meilleur moyen 
de sortir des difficultés qui viennent de lui être 
signalées serait de tenir grand compte des senti- 
ments de la Russie, à laquelle la Bulgarie doit 
l'existence, et de faire même quelques concessions 
à cet intérêt. Il n'a d'ailleurs à s'expliquer sur 
aucune candidature. Le moment serait prématuré, 
mais peut-être est-il regrettable que celle du prince 
de Mingrélie sois repoussée par la régence d'une 
manière aussi absolue. Au reste quelque sympa- 
thie que mérite la Bulgarie, la France doit surtout 
s'attacher à l'intérêt général de l'Europe, qui est 
la paix, et, à ce titre, elle ùe peut que recomman- 
der les moyens les plus rapides et les plus sûrs 
d'arriver à une solution. 

Les Délégués ont répondu que le Gouvernement 
Bulgare désirait aussi la paix de l'Europe, et que 
c*est pour ce motif qu'il a renoncé à la candidature 
du prince Alexandre, dont le succès aurait amené 
là guerre ; mais entre le prince Alexandre et le 
prince de Mingrélie, ne peut-on pas trouver d'au- 



J 



LE BARON DE MOHRENHEIM 25 



\ 



ires combinaisons, et les puissances désintéressées 

dans la question ne pourraient-elles pas aider è les ' 

« 

trouver ? 

M. Flourens a répliqué qu'aucune puissance 
n*|ivait qualité pour cela, sauf la Porte. La France 
n'a pas à jouer un rôle particulier dans la question. 
Elle ne peut qu'encourager les solutions les plus 
propres à être acceptées par les principaux intéres- 
sés. Son but unique est le maintien de la paix. 

Les Délégués Bulgares se sont alors retirés après 
avoir pris congé de M. Flourens dans les termes 
les plus courtois. 

L'attitude si correcte et si franche de M. 
Flourens dans cette affaire, produisit un 
excellent effet à Saint-Pétersbourg où Ton 
se trouvait alors un peu isolé à cause des 
affaires des Balkans. On eut le sentiment en 

• 

Russie d'avoir échangé une première poignée 
de main avec un ami. Le Tsar, au cours 
d'une réception officielle, en présence de tout 
le corps diplomatique, exprima hautement 
sa satisfaction à M. de Loboulaye qui venait de 
prendre possession du poste d'ambassadeur 
de France à Saint-Pétersbourg. 



26 l'aluance franco-russe 

Dans les chancelleries d'Europe on com- 
mentait beaucoup la résolution prise par le 
gouvernement français qui, pour la première 
fois depuis la guerre de 1870-71, affirmait une 
politique étrangère indépendante. M: Flouréhs 
avait remporté un vrai succès et posé les 
premiers jalons d'un rapprochement futur 
entre la France et la Russie. M. de Bismarck 
sentit le coup. Il était déjà animé de mauvaises 
intentions envers la France et son méconten- 
tement ne devait pas tarder à se manifester 
par des faits. 



CHAPITRE III 



FRANCE ET ALLEMAGNE 



TexSION des relations franco - ALLEMANDES. — 

Craintes de guerre en 1887. — Intervention du 
Tsar en faveur de la paix, — Mécontentement 
DE M. DE Bismarck. — Lettres de M. Yalfrey. — 
Conversation avec M. Grévy. — Lettre du 
prince Napoléon. 



Vers la fin de l'année 1886, les relations 
entre la France et TAllemagne s'étaient 
tendues. M. de Bismarck vovait avec un vif 
déplaisir la France se relever de ses désastres 
et créer une puissante armée. Les allures du 
général Boulanger irritaient le chancelier. Le 
ministre de la guerre français, trouvant 



28 l'alliance franco russe * 

noire frontière de Test insuffisamment pro- 
tégée par des troupes très inférieures en 
nombre à celles de l'Allemagne, résolut 
d'augmenter nos forces sur la frontière et dans 
ce but ordonna la construction immédiate de 
baraquements dans les trois départements de 
la Meuse, de Meurthe-et-Moselle et des Vosges. 
Le général Boulanger ne voulait en aucune 
façon provoquer l'Allemagne et ne songeait 
pas à la guerre ; il n'avait en vue que des 
nlesures de précaution. 

Cependant on fit grand tapage en Allemagne ^ 
autour de cette affaire que l'on grossit comme 
à plaisir ; la presse d'outre-Rhin s'en saisit et 
l'on apprit tout à coup que TAUemagne, 
quoiqu'on fut en plein hiver, rappelait sous 
les armes 75.000 réservistes. Dès que cette 
nouvelle fut connue, M. Flourens demanda 
des explications à l'ambassadeur d'Aile- 
magne. Le comte de Munster ne fit au mi- 
nistre que des réponses vagues, évasives et 
peu rassurantes. Le gouvernement français 
acquit bientôt la conviction que le danger 



t'IlANCE ET ALLEMAGNE 20 

d'une agression allemande devenait de plus 
en plus menaçante. 

A Saint-Pétersbourg on observait avec la 
plus vive attention ce qui se passait entre 
l'Allemagne et la France. Les menaces non 
équivoques que M. de Bismarck adressait à 
la France émurent vivement l'empereur 
Alexandre III. Vers la fin du mois de jan- 
vier 1887, les nouvelles de Berlin faisaient 
craindre que l'ouverture des hostilités ne fût 
imminente. M. Flourens me fit part de ses 
vives inquiétudes et j'informai un grand 
personnage russe de la gravité de la situation. 
Alors, au moment où l'on s'y attendait le 
moins, Tapaisement se fit. A la chancellerie 
allemande on déclarait à qui voulait l'entendre 
que les craintes étaient mal fondées, qu'il 
n'y avait aucun motif de s'alarmer et que 
l'Allemagne n'avait nullement l'intention d'atta- 
quer la France.. De son côté, M. Herbette, 
ambassadeur de France à Berlin, envoyait 
des télégrammes rassurants. Bref, l'incident 
était clos. 
Quelle influence avait produit ce revirement 






30 l'alliance PtlAÎÎCO-RUSSË 

complet et amené M. de Bismark à aban- 
donner ses idées d'agression? Il n'y a qu'une 
seule explication possible, c'est que l'Eaipe- 
reur Alexandre III a donné en cette occa- 
sion une preuve éclatante de ses sympathies 
personnelles et de sa sollicitude pour la sé- 
curité de la France. 

Le Tsar était intervenu par l'intermédiaire 
de son ambassadeur à Berlin en faveur de la 
paix et ses conseils de sagesse avaient été 
écoulés. 

Tout porte à croire qu'à Saint-Pétersbourg 
on était à ce moment là pénétré de l'idée que 
la France était un élément indispensable de 
l'équilibre européen et que la Russie avait 
intérêt à empêcher son écrasement. On 
reconnaissait que la neutralité de la Russie 
pendant la guerre de 1804 entre le Danemark 
et la Prusse, celle de 1866 entre l'Autriche 
et la Prusse et celle de 1870 entre la France 
et TAUemagne avait été une faute. Les 
intérêts de la Russie lui défendaient de rester 
.. .? indifférente aux résultats de ces guerres et 
■ ' ;■ 'cependant elle avait gardé jusqu'au bout la 



-^ 



FRAP^CE ET ALLEMAGNE SI 

neutralité, aidant ainsi l'Allemagne à créer 
et a développer sa formidable puissance. 
Allûil-elle commettre la même faute en 
1887? 

Alexandre III ne voulut pas retomber dans 
les mêmes erreurs et sut se dégager des liens 
traditionnels qui unissaient sa politique à 
celle de l'Allemagne. Il répondit par un refus 
aux propositions du prince de Bismarck qui 
lui oflFrait un nouvel accord aux termes 
desquels l'Allemagne donnait à la Russie son 
appui dans la question des Balkans à la 
condition que de son côté le Tsar promît de 
rester neutre dans le cas d'une guerre franco- 
allemande. .Voulant conserver dans ses 
relations avec les Puissances étrangères une 
entière liberté d'action, Alexandre III inaugura 
ce qu'on appelait alors une politique de mains 
libres. 

Ce fut un événement considérable et 
heureux pour la France, car l'attitude nouvelle 
de la Russie devait forcément gêner beau- 
coup M. de Bismarck dans ses desseins 
hostiles envers notre pays. 



32 l'alliance franco-russe 

Je correspondais à celte époque avec M. 
Jules Valfrey qui trouvait comme moi la 
situation générale très sérieuse et estimait 
que la politique de la France devait s'inspirer 
de la plus grande prudence, pour éviter des 
complications. 

On lira avec intérêt les extraits suivants 
de trois de ses lettres. 

' a 18 février 1887 

« 11 est bien certain que ce qui a entravé ces 
» jours derniers le jeu violent de M. de Bismarck, 
» c'est l'attitude de la Russie. A tort ou à raison, 
« on croit à Saint-Pétersbourg que si le cabinet 
« de Berlin le voulait, la question bulgare serait 
« tranchée, mais que M. de Bismarck ne Tentrelient 
« que pour lier les mains à la Russie en cas de 
« conflit entre l'Allemagne et la France. Les Russes 
« en concluent qu'ils doivent maintenir rigou- 
« sèment le principe de leur liberté d'action; ils 
« croient tous à la fois que la solution de la question 
« bulgare à leur profit ne vaut pas l'écrasement final 
« de la France avec leur complicité, et qu'il peut se 
« trouver un cas où la meilleure manière de raffer- 
« mir leur influence dans les Balkans serait de 



FRANCE ET ALLEMAGNE 33 

« prendre parti dans une guerre éventuelle en 
« Occident. 

)) Jusqu'ici la Russie, en refusant de s'engager, 
« contribue donc au maintien de la paix ; il est de 
« toute évidence que rAllemagne ne se lancera pas 
a dans un conflit avec nous sans avoir la sécurité 
« shr sa frontière Est. Il n'est pas moins évident 
« qu'avant -"de lanoer l'Autriche dans un conflit 
« avec la Russie, l'Allemagne devra bien s'être 
« assurée qu'elle ne courra jamais le risque de se 
<c voir obligée de venir au secours de l'Autriche. 



« 25 février 1887 

« Les articles de la presse russe et particulièro- 
« ment du Nord, journal officieux, sur le rôle du 
« Tsar en présence de complications possibles du 
« côté du Rhin, ont causé à Berlin la plus vive 
« irritation. M. de Bismarck puisera-l-il dans ces 
« polémiques un argument pour pousser à bout la 
» Russie dans les Balkans en favorisant la réélec- 
« tion du prince de Battemberg ? Ne lui vien- 
« dra-t-il pas à l'esprit que la neultalité armée de 
« la Russie serait de peu d'utilité à la France en cas 
« de conflit, si cette neutralité ne se convertissait 
« pas rapidement en coopération active? Quoi qu'il 
« en soit de nouvelles explications qui auront, je 

3 



â4 l'alliain(2e franco-russe 

« crois, du retentissement sont imminentes entre 
« Saint-Pétersbourg et Berlin. 

« Le Parlement Allemand est convoqué pour la 
« semaine prochaine, des discours de M. de Bismarck 
« sont attendus et tout le monde croit que si le chan- 
« celier reprend à cette occasion le thème déve- 
« loppé précédemment par ses journaux, un nou- 
« veau frisson de peur traversera l'Europe comme 
« une secousse de tremblement de terre. 

« 15 Avril 1887 

« La note optimiste continue à dominer en 
« Europe au sujet de l'éventualité d'un conflit 
« entre l'Allemagne et la France ; la même note 
« domine aussi à Paris. 

« Chose assez curieuse ! les informations les 
« plus précises que nous ayons recueillies tous ces 
« temps-ci sur l'Allemagne, ou plutôt sur les dispo- 
« sitions de M. de Bismarck à notre égard, nous 
« viennent de la curie romaine et de ses nonces à 
« l'étranger. 

« Durant la crise du mois de février c'est le 
« nonce du Pape à Munich, très lié avec notre 
« chargé d'affaires dans cette résidence, qui nous a 
« fait parvenir les indications les plus précises sur 
« la portée des complications dont l'éventualité 
« semblait alors se dessiner. 



t-kANCE Et ALLEMAGNE â5 

« Aujourd'hui c est par notre Ambassadeur près 
« le Saint-Siège, M. Lefebvre de Béhaine, surtout 
« depuis le retour à Rome de Monseigneur Galim- 
« berti, que nous nous trouvons le mieux édifiés 
« sur le fond de la politique de M. de Bismarck* 
« Or, d'après les déclarations recueillies parcepré- 
« lat auprès du chancelier, il demeure très pro- 
« bable que, dans les circonstances actuelles, 
« l'Allemagne n'attaquera pas la France. 

L'incident Schnœbelé, du mois d'avril 1887, 
prouva cependant que M. de Bismarck n'a- 
vait pas désarmé contre la France. Mais la 
Russie n'eut pas à intervenir à celte occasion 
l'affaire ayant été réglée par le gouvernement 
français seul, sans que le concours du Tsar 
eût été demandé en aucun moment. 



Le 6 mai 1887, je fus reçu par M. Jules 
Grévy, Président de la République, qui avait 
exprimé le désir de s'entretenir avec moi 
sur la situation à l'extérieur. M. Grévy qui, 
jusque là, ne s'était, pas beaucoup occupé 
d'affaires extérieures, avait depuis les der- 
niers événements commencé d'y porter son 
attention. Il me fit au cours de notre entretien 



36 ' l^alliaKcè fràncô-russë 

des déclarations fort importantes dont je cite 
({uelques passages : 

< Tant que j'aurai la main sur les affaires, 
* la France ne provoquera jamais personne 
« et ne déclarera jamais la guerre. Si TAlle- 
« magne par une attaque frivole ou par une 
> sorte de sauvagerie envahissait la France, 
« je me défendrais et je n'ai pas peur. 
« L'affaire Schnœbelé a montré que M. de 

< Bismarck ne pouvait plus faire en Europe 
« tout ce qu'il voulait et qu'il lui fallait 
« compter avec l'opinion publique. Même ses 
« propres alliés se seraient déclarés contre 
« lui s'il avait poussé les choses à l'extrême. 

« 11 serait fort désirable qu'avec le temps, 
« on put arriver à un modus vioendi awec nos 
« voisins, même à un désarmement simul- 

< tané, car tous les grands pays sont écrasés 
« par les dépenses de leurs armées. 

« Quant à l'Alsace et la Lorraine, nous les 
« avons cédées en vertu du traité de Franc- 
he fort, nous ne sommes pas responsables de 
« ce qui se passe dans ces pays-là, dont 
« l'Allemagne a voulu faire la conquête. 



FHANCE ET ALLEMAGNE 37 

« En ce qui concerne la France et la Russie, 
« il est évident qu'aujourd'hui ces deux pays 
« ont un intérêt commun, c'est que la puis- 
« sance allemande ne se développe pas davan- 
<c tage ; elle menace la Russie aussi bien que 
« la France. Ces deux pays doivent donc, par 
4c des moyens pacifiques, se soutenir mu- 
« tuellement. » 

Le Président me dit ensuite qu'il désirait 
autant que le Tsar Alexandre III la stabilité 
ministérielle en France, mais que le maintien 
des Cabinets dépendait surtout des Chambres 
et que du reste la politique de la France était 
guidée par les grands intérêts vitaux du 
pays et non pas par des intérêts de per- 
sonnes. 

M. Grévy me parla aussi de l'opportunité 
de l'augmentation des troupes russes en 
Pologne et des grands avantages que la 
Russie pouvait obtenir si ses finances étaient 
affranchies de la tutelle des banquiers alle- 
mands. 



38 l'aluance franco-russe 

Enfin le Chef de TEtat me dit : 
« — Je suis très content du baron de 
Mohrenheim. » 

Puis, comme s'il eût eu le sentiment d'en 
avoir trop dit, il ajouta : 

« — Je suis très content aussi du comte 
de Munster. ». 

De nouveaux incidents analogues à. l'inci- 
dent Schnœbelé et des provocations réitérées 
adressées à la France par M. Crispi, mon- 
trèrent que le mauvais vouloir de M. de Bis- 
marck persistait. Les gros nuages restèrent 
suspendus à Thorizon pendant toute la durée 
de Tannée 1887 et ne se dissipèrent que len- 
tement. L'attitude de l'Italie surtout causait 
de grandes inquiétudes en France. Il était 
évident que M. Crispi, qui faisait fonction 
d'agent provocateur du chancelier allemand, 
cherchait une occasion de troubler la paix. 
La politique du Cabinet de Rome préoccupait 
vivement le monde politique et diplomatique. 
Je citerai à ce sujet une lettre que le prince 



FRANCE ET ALLEMAGNE 39 

Napoléon écrivait à un personnage poli- 
tique : 

a L'Ilalie n'a que des horions à recevoir et pas 
« grand chose à récolter cette fois dans la voie où 
« elle se trouve engagée. A la rigueur, l'Angleterre 
« pouvait être pour elle une riche patronne, — ce 
tt qu'elle n'a pas été — mais Bismarck ne lui sera 
« jamais qu'un chiche patron. J'ai dit tout cela au 
a Roi et bien d'autres choses encore. Je lui ai rap- 
« pelé les suprêmes conseils de Cavour à son père ; 
o( je lui ai démontré mathématiquement que l'alliance 
« Allemande ne pouvait aboutir qu'à une absorption 
« de ritalie, pire peut-être et en tout cas plus humi- 
Ci liante que l'absorption autrichienne d'avant 1859. 
« Rien n'y a fait. 

« Par la faute de la diplomatie Française qui a 
« blessé gravement et personnellement le roi 
« Humbert à l'époque du traité du Bardo ; par l'ha- 
« bileté de la diplomatie Allemande qui à su pro- 
« fiter de cette circonstance et attirer à elle le 
« fils de Victor Emmanuel et en faire quelque chose 
« qui n'est pas beaucoup plus au dessus d'un roi 
« de Saxe ou d'un régent de Bavière ; enfin par les 
ce impairs prodigieux de la politique Anglaise dans 
« ses rapports avec l'Italie, il se trouve aujourd'hui 
« que le jeune royaume n'a plus à proprement 



40 l'alliance franco-russe 

« parler ni Roi, ni ministres ni parlement. C'est M. 
« de Bismarck qui gouverne d'un bout à l'autre de 
«f la Péninsule. 

« M. de Bismarck cherche pour consolider son 
« œuvre l'occasion d'une guerre Européenne. 
« Moltke affecte de dire à tout venant que l'armée 
« Allemande est en pleine transformation et quelle 
« n'est pas prête ; mais c'est un vieux renard que 
« ce Moltke et il sait mieux que personne que 
« l'armée Allemande est malgré cela plus forte que 
« l'armée Française et surtout que l'armée Russe. 
« Quantàl'arméeAutrichienneetà l'armée Italienne 
« il ne faut rien leur demander au delà de la situa- 

* 

« lion ou elles sont ; elles ont atteint le maximum 
« de perfection que leurs moyens financiers et autres 

• • • • 

» leur permettent d'atteindre et elle ne peuvent 
a plus que décroître 

Et le Prince Napoléon ajoutait en post- 
script um : 

« On me laisse entendre 

a à l'instant que les chances de conflit s'éloignent 
« en ce sens que Bismarck, dans un but depoliti- 
« que intérieure assez énigmatique pour moi, serait 
« disposé aux plus grands sacrifices pour se rap- 
« procher de la Russie. Il est bien certain que si ce 
« rapprochement se produisait, ce serait le ren- 
« versement de la situation. L'Autriche et l'Italie 



FRANCE ET ALLEMAGNE 41 

« n'auraient qu'à se mordre les doigts de s'être 
« laissées entrainer à des compromissions inutiles. 
« Mais je ne crois pas à cette comédie de rap- 
« prochement, les fils en seraient trop visibles. 
« D'ailleurs en l'état d'exaspération réciproque où 
« l'Allemagne et la Russie ont été poussées, dans 
« ces derniers temps, l'une vis à vis de l'autre, 
« M. de Bismarck n'est pas plus libre maintenant 
« de se rapprocher d'Alexandre 1 1 1 qu'Alexandre III 
« n'est libre de se rapprocher de M. de Bismarck. 
« Le vin est tiré ; on peut faire quelques grimaces 
« avant de Je boire, mais il faudra le boire. » 

Le prince Napoléon avait raison de croire 
qu'un rapprochement entre la Russie et TAlle- 
magne n'était plus possible. 

Le 14 mars 1887 avait déjà été publié le 
célèbre ukase du Tsar par lequel il était 
interdit aux sujets étrangers d'acquérir des 
propriétés foncières dans les provinces occi- 
dentales de la Russie. Cette mesure devait 
mécontenter au plus haut degré les Allemands, 
car ils étaient à peu près les seuls étrangers 
acquéreurs de propriétés dans ces contrées. 

Pour montrer sa mauvaise humeurenvers la 
Russie, M. de Bismarck essaya à Tégard d'elle 



42 l'aluance franco-russe 

une politique de bouderie et de tracasseries, no- 
tamment en poursuivant les finances russes de 
mesures vexatoires. Afin d'intimider le gou- 
vernement Russe il publia le 3 février 1888 
simultanément dans le Reichs^n^eiger et la 
Wiener-Abendpost le texte du traité d'alliance 
Austro-Allemand du 7 octobre 1879. Peu de 
temps après on apprenait que le chancelier 
allemand négociait avec l'Italie une conven- 
tion militaire qui était principalement dirigée 
contre la France mais qui visait aussi la 
Russie. 

Rien n'y fit. Alexandre III resta inébran- 
lable et l'intimité entre la Russie et la France 
s'accentua. 

Les rapports entre l'ambassade de Russie 
à Paris et M. Flourens continuèrent à être 
des plus cordiaux jusqu'à la démission de 
ce Ministre. 



CHAPITRE IV 



PÉRIODE DATTENTE 



RécONCILIATION DE M. FlOQUET AVEC l'AMBASSAD£ DE 

Russie. — affaire Atchinow. — La Russie a 
l'Exposition de 1889. ^- Démission de M. de 
Bismarck. — arrestation de nih^istes russes a 
Paris en i 890. 



En avril 1888 fut constitué le ministère 
dont M. Floquet prit la présidence. Le porte- 
feuille de la guerre échut à M. de Freycinet 
qui le conserva durant cinq ans, ce qui fut 
important pour les relations franco-russes, 
ainsi qu'on le verra par la suite. M. Goblet 
prit le poj:*tefeuille des affaires Etrangères. 

L'avènement du nouveau Président du 



44 l'alliance franco-russe 

Conseil avait été précédé d'un incident qui 
mérite une mention spéciale. On se souvient 
en effet qu'une légende très répandue attri- 
buait à cet homme politique une parole inju- 
rieuse envers le Tsar Alexandre II pendant 
le séjour que fit ce souverain à Paris en 1867. 

De pareils souvenirs paraissaient de nature 
à rendre très délicats les rapports de M. 
Floquet avec l'ambassade de la rue de 
Grenelle. 

En 1887 et au commencement de 1888 M. 
Floquet était président de la Chambre des 
Députés et Ton commençait à parler de son 
prochain avènement à la présidence du Con- 
seil des Ministres. La situation devenait donc 
très difficile. L'ambassadeur de Russie qui 
n'avait jamais adressé la parole au Président 
de la Chambre pouvait-il, s'il continuait d'ob- 
server cette réserve, éviter le reproche d'em- 
pêcher M. Floquet d'arriver au pouvoir ? 
Ne pouvait-on pas dans ce cas prétendre 
avec quelque apparence de raison que l'am- 
bassadeur intervenait dans les affaires inté- 



PÉRIODE d'attente 45 

rieures de la France, ce qu'il ne voulait à 
aucun prix ? 

Dans les premiers jours de 1888 M. Floquet 
fit plusieurs fois exprimer par M. Flourens 
à M. de Mohrenheim son désir de faire ces- 
ser cet état de chose. L'ambassadeur fit part 
à son gouvernement de la situation et peu 
après il lui fut répondu que le Tsar lui lais- 
sait la liberté de prendre à l'égard du chef 
radical la décision qu'il jugerait la meilleure. 
Par l'intermédiaire de M. Flourens M. Floquet 
fut alors avisé que l'ambassadeur était dis- 
posé à mettre fin à ce long incident. A la 
suite de cette résolution le Président de la 
Chambre fut présenté au baron de Mohrenheim 
par le ministre des Affaires-Etrangères à une 
soirée que donnait le mercredi 7 février 
M. Dautresmes, ministre du Commerce, et le 
lendemain M. Floquet rendit visite à l'ambas- 
sadeur rue de Grenelle. 

Cette entrevue se passa de la façon la plus 
correcte et fut même très amicale; le Pré- 
sident de la Chambre après avoir exprimé 
son admiration pour la belle lignée de souve- 



46 l'alliance pranco-russe 

rains dont les portraits ornaient le cabinet de 
travail de M. de Mohrenheim, loua chaleu- 
reusement les efforts de M. Flourens pour 
établir des relations amicales entre la Russie 
et la France. Il invita l'ambassadeur à un 
dîner qu'il comptait offrir le 13 février au 
Président delà République; M. de Mohrenheim 
accepta . 

Tout allait donc bien lorsque le lendemain 
plusieurs journaux dévoués au Président de 
la Chambre publièrent des notes d'après les- 
quelles c'était M. de Mohrenheim qui avait 
pris l'initiative de ce rapprochement et qui 
avait depuis longtemps manifesté le désir 
d'entrer en relations personnelles avec M. 
Floquet. 

Or, c'était le renversement complet de la 
vérité et M. de Mohrenheim en témoigna son 
mécontentement en termes sévères ; sur la 
demande de M. Flourens, j'allai donc trouver 
le Président de la Chambre et après de 
longues explications de part et d'autre, M. 
Floquet chargea son neveu, M. Mariani, 
d'aller rue de Grenelle pour s'entendre avec 



PÉRIODE D-ATTENTË 4*? 

Tambassadeur sur une note rectificative qui 
devait paraître le lendemain matin dans les 
journaux. Elle parut en effet, et Tincident se 
trouva clos. 

Il a été dit que M. Goblet était anti-russe. 
Cette allégation est inexacte. Pendant le temps 
que le Ministre est resté au quai d'Orsay il 
n'a rien entrepris qui fut de nature à faire 
supposer chez lui des sentiments hostiles à 
la Russie. On lui a reproché la malencon- 
treuse affaire de Sagallo. Un navire de guerre 
commandé par l'amiral Olry, avait lancé 
quelques obus sur la troupe du cosaque 
Atehinow qui, s'étant donné une mission en 
Abyssinie, campait sur un territoire appar- 
tenant à la France, après avoir déjoué la 
surveillance des croiseurs français. 

Les instructions envoyées à l'amiral por- 
taient de déloger la mission, au besoin par 
la force ; elles étaient sans doute regrettables, 
mais M. Goblet avait été induit en erreur, in- 
tentionnellement ou non, sur la manière dont 
le gouvernement russe jugeait l'entreprise 
d' Atehinow. Le ministre devait croire qu'à 



48 l'alliance .franco-russe 

Saint-Pétersbourg ce cosaque était considéré 
comme un aventurier et qu'on y souhaitait de 
voir mettre le plus tôt possible un terme à 
son équipée. C'est dans cette conviction qu'il 
donna Tordre d'employer la force pour con- 
traindre Atchinow à se rembarquer. 

Au reste M. Goblet pendant son ministère 
s'associa à tous les actes par lesquels son 
collègue M. de Freycinet cherchait à rendre 
à l'administration de l'armée russe des 
services dont il sera parlé plus loin. 

Pendant l'automne de Tannée 1888 les 
divers gouvernements européens s'occupaient 
de la participation de leurs nationaux à 
l'Exposition Universelle de 1889. Le choix 
du centenaire de la Révolution française 
pour cette grande manifestation internationale 
avait mal disposé les gouvernements de 
plusieurs grandes monarchies d'Europe. C'est 
ainsi que le Tsar avait d'abord décidé que la 
Russie ne devait en aucune façon y participer. 
Depuis, sur un rapport de ses ministres de 
l'Intérieur et des Affaires étrangères TEm- 
pereur avait permis à des industriels et à 



PERIODE D^ATTENTE 49 

des négociants russes d'envoyer leurs pro- 
duits à Paris et de former un Comité afin 
d'entrer en rapports avec l'administration 
française de l'Exposition. 

En conséquence l'Exposition russe devait 
avoir lieu sans aucun caractère officiel mais 
avec l'autorisation du gouvernement impé- 
rial, et celui-ci devait avoir le désir que l'in- 
dustrie russe fût représentée conformément 
à la dignité et à l'importance de l'Empire. 

M. Pierre de Ratchkovski, fonctionnaire 
du ministère de l'Intérieur de Russie, soumit 
au commencement du mois de décembre au 
gouvernement impérial un rapport détaillé 
sur l'organisation des expositions des autres 
pays, sur le concours qu'elles recevaient de 
leurs gouvernements, . sur le nombre des 
exposants, etc. 

On sait quelle place distinguée la section 
russe tint à l'Exposition de 1889 et combien 
les exposants qui appartenaient à cette na- 
tionalité furent satisfaits de l'accueil cordial 
qu'ils trouvèrent non seulement auprès des 



5Ô l'alliance franco-russe 

autorités françaises, mais du public en gé- 
néral. 

Pas plus que M. Goblet son. successeur au 
Quai d'Orsay M. Spuller, qui fut nommé 
nainistre le 22 février 1889, n'était un adver- 
saire de la Russie. Cela n'eût guère été 
possible à l'ami intime de Gambetta et du 
reste M. Spuller pendant son ministère dont 
la durée fut d'un an, était bien au courant 
des services que son collègue M. de Frey- 
cinet continuait comme ministre de la guerre 
à rendre aux autorités militaires russes. 

Mais le caractère personnel de M. Spuller 
et son esprit un peu lent ne le portaient nul- 
lement aux grandes entreprises dans le 
domaine de la politique extérieure. Il négli- 
geait parfois le côté pratique des choses 
pour n'envisager que des idées abstraites. Il 
considérait la prudence et la réserve comme 
les principaux devoirs d'un ministre des 
Affaires-Etrangères. En outre pendant l'année 
1889 la France était absorbée par l'Exposition 
Universelle et par la crise boulangiste à 



PÉRIODE D*ATTENTE 51 

laquelle mirent fin les élections du mois 
d'octobre. 

Le mouvement boulangiste déplaisait à 
l'empereur Alexandre III mais ne changea 
rien à ses sentiments pour la France. On en 
trouvera la preuve dans une lettre que je reçus 
d'un personnage russe qui se trouvait à cette 
époque en Danemark avec le Tsar. 

La voici : 



« Fredensborg 17 septembre 1889 

« L'impression reste bonne. Tant qu'en France le 
« régime ne changera pas, l'avenir pas plus que le 
« passé ne saurait détruire les sympathies réelles 
« actuelles. Les événements intérieurs en France 
a sont regrettables mais la confiance subsiste. On 
« comprend bien la situation mutuelle de nos deux 
« pays. Il est donc impossible d'admettre qu'on 
« puisse modifier son attitude pour le bon plaisir de 
« nos ennemis communs. 

La question de l'entente franco-russe res- 
tait donc entière et n'attendait que des événe- 



5â L^ ALLIANCE FRANCO-RÛSSË 

ments de quelque importance pour se placer 
au premier rang. 

Des journaux qui prenaient plaisir à pré- 
senter M. SpuUer en antagonisme avec le 
baron de Mohrenheim inventèrent, vers la 
fin de 1889, toutes sortes d'incidents pour 
arriver à brouiller les deux hommes d'Etat. 
Mais ils n'y réussirent pas et je fus autorisé 
par l'ambassadeur à publier dans les jour- 
naux la note suivante : 

« Depuis quelque temps certains journaux pari- 
« siens se plaisent à entretenir le public de soi-disant 
V malentendus entre M. SpuUer, ministre des Affaires 
« Etrangères et TAmbassadeur d'une grande Puis- 
« sance accrédité auprès de la République Française. 
« Les journaux tropjzélés en seront pour leurs frais 
« d'imagination, les bruits qu'ils propagent étant 
« dénués de tout fondement et les propos qu'ils 
c rapportent n'ayant jamais été tenus. 

Le 17 mars 1890 M. Ribot prit le porte- 
feuille des AfiFaires Étrangères dans le nou- 
veau ministère dont M. de Freycinet devint 



PÉRIODE D'attente 53 

le chef et dés le lendemain l'Europe fut sur- 
prise par un événement qui paraissait devoir 
exercer une grande influence sur la politique 
générale. Le 18 mars le prince de Bismarck 
donnait à Tempereur Guillaume sa démission 
de toutes ses fonctions après avoir dirigé 
pendant prés de vingt-huit ans la politique 
de la Prusse d'abord et ensuite de T Alle- 
magne. 

De graves dissentiments s'étaient depuis 
quelque temps produits entre lui et le jeune 
souverain qui n'était pas disposé à supporter 
un mentor comme le prince de Bismark dont 
le caractère était fort difficile. En outre la po- 
litique du vieux chancelier, tant à l'intérieur 
qu'à l'extérieur, avait subi de graves échecs. 
Dans le Reichstag soixante-dix membres 
seulement avaient approuvé ses demandes 
de nouveaux crédits. 

A l'extérieur il avait perdu l'amitié de la 
Russie qui ne lui pardonnait pas sa noire 
mgratitude au regard des services que le 
gouvernement russe avait rendus à la poli- 
tique allemande. 



54 l'alliance franco russe 

I 

Ses efforts pour attirer de nouveau la 
Russie dans le giron de TAUemagne avaient 
échoué. Alexandre III dirigeait d'une main 
ferme la politique russe vers une nouvelle 
orientation et préparait une alliance avec la 
France. 

Dans ces conditions la démission du chan- 
celier fut accueillie avec résignation en 
Allemagne ; il n'y eut sur tout le territoire 
de l'empire qu'un petit nombre de voix au- 
toriséss qui s'élevèrent pour déplorer tout 
haut la décision de Guillaume II,carc'était bien 
le souverain lui-même qui avait exigé la re- 
traite de son chancelier. En Europe Tévéne- 
ment produisit un véritable soulagement, 
surtout en France où on eut le sentiment 
qu'une ère nouvelle allait s'ouvrir et qu'on 
serait enfin délivré de l'oppression et de 
l'anxiété créées par la politique brutale de 
Bismarck. On pressentait que Guillaume II, 
qui prenait en mains la direction de la poli- 
tique étrangère de l'Allemagne, ne tarderait 
pas à inaugurer une politique de paix. Enfin 
la France n'avait plus à craindre l'énergique 



PÉRIODE d'attente 55 

opposition que le prince de Bismarck n'eut 
pas manqué de faire à la réalisation d'une 
alliance entre ce pays et la Russie. La tâche 
du ministre des Affaires Etrangères français 
allait donc être facilitée. 

Peu de temps après, se produisait à Paris 
un événement qui devait exercer une influence 
considérable sur les relations de la France 
avec la Russie. Je veux parler de l'arresta- 
tion des nihilistes. 

M. Dournowo, le ministre de Tintérieur 
de Russie, était infornîé que les révolution- 
naires russes préparaient un attentat contre 
la vie du Tsar. Ils avaient fabriqué des 
bombes et avaient fait des essais dans la forêt 
de Raincy. Tout était prêt et lés rôles de 
chacun étaient distribués pour le cas ôû ils 
réussiraient à faire passer à ces engins la 
frontière russe. Le ministre de l'intérieur à 
Saint-Pétersbourg envoya donc au commen- 
cement du mois de mai 1890, un délégué 
spécial à Paris, avec mission de chercher 
les mesures à prendre pour prévenir cet 
attentat* 



50 l'alliance franco-russe 

- Ce fonctionnaire fut bientôt au courant des 
menées et des agissements des conspirateurs. 
Il apprit leur nombre et le lieu où ils 
se cachaient. Il conseilla donc à son gou- 
vernement de demander leur arrestation au 
gouvernement français. Au premier moment, 
il y eut à Saint-Pétersbourg quelques hési- 
tations : on fit observer qu'un gouvernement 
républicain pourrait peut-être difficilement 
acquiescer à une demande de cette nature et 
qu'il avait à compter, avec les susceptibilités 
des partis avancés. Le délégué insista. Le 
Tsar se rendit bientôt lui-même à son avis 
et Tordre fut donné à l'ambassade de Russie 
à Paris de demander au gouvernement fran- 
çais l'arrestation et la poursuite des révolu- 
tionnaires. 

M. Constans, alors ibinistre ds l'Intérieur, 
y consentit, mais il était à la veille de son 
départ pour le midi. L'opération, mal con- 
duite par ses subordonnés, faillit un instant 
échouer. L'ambassadeur résolut alors de 
s'adresser directement au Président du Conseil 



PÉRIODE d'attente 57 

et au Ministre des Affaires étrangères, qui 
s'enipressèrent de donner sur le champ les 
ordres que commandait la situation. 

Grâce à cette intervention, neuf des révo- 
lutionnaires les plus marquants furent arrêtés, 
dés l'aube, le 29 mai 1890. Un nombre consi- 
dérable de bombes et de documents impor- 
tants furent saisis. La conjuration était ainsi 
éventée. Plus tard, six des individus arrêtés 
furent jugés par les juridictions françaises 
et internés ensuite à Angers. 

La France avait ainsi, trouvé l'occasion de 
rendre un signalé service au Tsar. L'attitude 
énergique de son gouvernement produisit 
une très vive impression sur l'esprit d'Alexan- 
dre III qui chargea son ministre de l'Inté- 
rieur d'aller remercier en son nom, M. de 

Laboulaye, notre ambassadeur^à Saint-Péters- 
bourg. 

La vive satisfaction de l'Empereur ne se 

borna pas là : il avait acquis la preuve que 

Ton pouvait compter sur la France et tout 

porte à croire qu'à partir de ce moment, il 



58 l'alliance franco-russe 

se prépara sérieusement à un rapproche- 
ment avec nous. Les événements ne tardèrent 
pas à le démontrer. 



CHAPITRE V 



PREMIERS ACCORDS 



Pourparlers sur la visite de navires français en 
Russie. — Les fêtes de Cronstadt. — Négocia- 
tions SUR UNE ENTENTE FRANCO-RUSSE. — M. DE 
MOHRENHEIM APPELÉ PAR LE TSAR. — SON RETOUR 

A Paris vers la fin du mois d*aout 4891. — 
Conclusion DE l'entente. — Impression en France 

. ET A l'étranger. 



Depuis Tannée 1889 déjà, il était question 
d'une visite que des marins français feraient 
à Cronstadt. M. de Laboulaye, notre ambas- 
sadeur à St-Pélersbourg, avait appelé Tatten- 
tion de son gouvernement sur cette circons- 
tance que depuis prés de quarante ans, c'est- 



60 l'alijance franco-russe 

à-dire depuis les affaires de Bomarsund et 
de Sveaborg,le pavillon d'un navire de guerre 
français ne s'était plus montré dans les eaux 
russes de la Baltique. 

Le « Châteaurenaud » à son retour de 
rislande venait tous les ans dans la Baltique, 
mais n'avait jusqu'alors poussé que jusqu'à 
Stockholm. On potfrrait peut-être le faire 
venir jusqu'à Cronstadt où les marins fran- 
çais étaient assurés de recevoir un accueil 
cordial. Si, au contraire, on voulait donner 
plus d'importance à une telle manifestation 
on pourrait envoyer toute une division de 
l'escadre de la Manche. 

Au ministère de la marine à Paris on 
accueillit avec faveur cette suggestion de 
notre ambassadeur. Dans le courant de l'année 

1890, M. Barbey, titulaire du portefeuille de 
la rue Royale, en parla à M. de Freycinet 
président du Conseil en lui faisant observer 
que des manifestations de cette nature se 
faisaient fréquemment entre les diverses 
marines, sans que Ton put y craindre de 



PllEMlEtlS ACCOHDS 61 

froisser les susceptibilités des autres nations. 

M. de Freycinet qui s'associait entièrement 
aux idées de son collègue, porta la question 
devant le conseil des ministres. M. Carnot, 
président de la République et M. Ribot, mi- 
nistre des Affaires Étrangères acceptèrent en 
.principe. Il s'agissait donc de choisir le 
moment opportun pour faire celte manifes- 
tation . 

L'avis de M. de Laboulaye fut demandé 
vers la mi-juillet. Il répondit que la saison 
était peut-être déjà un peu trop avancée pour 
qu'on eût le temps de se préparer pour Tannée 
même. L'empereur d'Allemagne d'autre part 
avait choisi le mois de septembre pour venir 
avec une escadre imposante à Cronstadt. 
Il était donc préférable, dans ces conditions, 
d'ajourner à Tannée 1891 Tenvoi des navires 
français. L'ambassadeur pourrait alors s'en- 
tendre avec le Tsar et ses ministres sur la date 
à fixer. 

C'est, en effet, ce que fit M. de Laboulaye 
et dès le mois de mars 1891, il pouvait 
écrire à Paris que le Tsar avait consenti à 



62 L*ALLIANCE FtlANGO-RtJSSE 

recevoir une escadre française, commandée 
par le contre-amiral Gervais, vers la fin du 
mois de juillet. 

La nouvelle de cette visite prochaine fut 
connue du public dans le courant de Tété 
sans y provoquer une bien grande émotion. 
On n'avait pas saisi toute la portée d'un tel 
événement. Il fallait que cette manifestation 
se produisît dans tout son éclat pour qu'on 
ouvrit les yeux. 

Le 25 juillet, l'escadre de l'amiral Gervais 
entrait dans le port de Cronstadt, où elle reçut 
la visite du Tsar, accompagné de l'impéra- 
ratrice et de tous les membres de la famille 
impériale. Le souvenir du séjour de nos 
marins en Russie est inoubliable. Cependant 
on lira encore avec intérêt les lignes sui- 
vantes que m'adressait, à cette, époque, mon 
correspondant de St-Pétersbourg. 

« Saint-Pétersbourg, le 27 juillet 1891. 

a J'assiste ici, depuis quelques . jours, à un 
« spectacle aussi touchant que grandiose et qui, 



j 



PREMIERS ACCORDS 63 

c surtout, contraste vivement avec les mœurs et 
« le tempérament habituel du public russe, toujours 
« si froid et si indifférent à ce qui émeut les 
« peuples, en d'autres pays. J'ai vu, tour à tour, 
a des milliers de ces pétersbourgeois que rien, 
« ordinairement, ne parvient à déranger de leurs 
< habitudes un peu automatiques, se lever, pour 
« une fois, à l'heure où souvent ils se couchent 
« et courir de grand matin s'empiler dans des 
« bateaux à vapeur de toutes dimensions pour aller 
« à la rencontre de l'escadre française, puis s'en- 
« flammer d'une belle ardeur pour acclamer l'entrée 
« de cette escadre dans la magnifique rade de 
« Cronstadt. 

« J'ai vu nos* fonctionnaires sortir de leur pru- 
« dente réserve et accueillir les marins français en 
« anciens camarades : j'ai entendu nos officiers 
> entonner en chœur, dans une réunion publique, 
« cette marseillaise dont ils osaient à peine jusqu'à 
« présent prononcer le nom. J'ai vu la famille 
« impériale elle-même en écouter debout et tète 
« nue l'exécution, succédant à celle de l'hymne 
« national russe ainsi que le fait s'est produit à la 
« visite du Tsar à l'escadre française. J'ai vu 
« encore une foule énorme de véritable peuple 



64 l'aLUANCE fRANCO-RÛSSE 

« acclamer frénétiquement tout à l'heure deux cents 
« marins français venus au Champ -de-Mars de 
c Saint-Pétersbourg assister à Tun des concerts 
< nationaux du fameux chœur Slaviansky et en 
« général l'enthousiasme public aller crescendo 
« plutôt que diminuer... » 

Mais le moment n'était pas uniquement 
consacré aux réjouissances. Déjà, depuis 
plusieurs semaines, des problèmes de haute 
politique étaient agités dans les sphères 
officielles russes et des négociations d'une 
extrême importance étaient engagées ; elles 
devaient aboutir à des résultats considé- 
rables. 

M. de Laboulaye qui, pour des raisons 
d'ordre privé, s'était rendu à Paris au com- 
mencement de l'été, avait, bien que démis- 
sionnaire de son poste, consenti sur la 
demande du gouvernement français, à re- 
tourner à Pétersbourg pour représenter la 
France pendant le séjour de nos marins en 
Russie. M. de Laboulave était de retour à 
Saint-Pétersbourg le 13 juillet. Il eut alors 



PREMIERS ACCORDS 65 

avec M. de Giers des entreliens très sérieux 
concernant le moyen de donner une forme 
plus concrète aux liens d'amitié qui unis- 
saient déjà les deux pays, c'est-à-dire, par la 
conclusion d'une entente formelle. 

Les négociations entre les deux diplomotes 
furent beaucoup facilitées par les excellents 
rapports personnels qui existaient entre notre 
ambassadeur et le ministre des Affaires 
étrangères de Russie. Ces rapports étaient 
empreints d'une entière confiance récipro- 
que. 

L'Empereur Alexandre III tenait également 
M. de Laboulaye en haute estime et se mon- 
trait très disposé à arriver à la conclusion 
d'une entente. 

Au commencement du mois d'août on 
était à peu près tombé d'accord sur les 
termes dans lesquels une communauté d'ac- 
tion politique pouvait être établie ; mais M. 
Ribot, tenu au courant de la marche des né- 
gociations, désirait modifier un point de la 
rédaction convenu à Saint-Pétersbourg. M. de 



66 l'alliance pranco-russe 

Laboulaye partit alors pour Paris. De son 
côté, le Tsar, afin de terminer cette affaire, 
appela auprès de lui son ambassadeur en 
France. 

M. de Mohrenheim, alors en villégiature à 
Cauterets, s'attendait bien à être appelé à 
Saint-Pétersbourg au cours de ces impor- 
tantes négociations, mais il ne croyait pas 
devoir s'y rendre avant le mois de septembre. 
Il ne savait pas que le Tsar avait décidé 
d'avancer de quinze jours son départ pour 
Copenhague. Le jeudi 12 août, l'ambassa- 
deur reçut de M. de Giers un télégramme 
qui l'invitait, par ordre de l'Empereur, de 
partir immédiatement pour Saint - Péters - 
bourg. ^ 

L'ambassadeur se mettait aussitôt en 
route, arrivait le lendemain à Paris, dinait 
chez M. Ribot qui lui faisait connaître les 
dernières phases des négociations et conti- 
nuait le même soir son voyage pour la capi- 
tale russe où il arrivait le lundi 16. Le soir 
même de ce jour il fut reçu par M. de Giers 
qui le mit entièrement au courant de la si- 



PREMIERS ACCORDS 67 

tuation. Le surlendemain Tambassadeur avait 
une audience du Tsar qui approuva sa ré- 
daction du projet d'entente et l'autorisa à le 
porter à Paris. 

M. de Mohrenheim était de retour en France 
le 22 août 1891. Ce fut alors que s'échan- 
gèrent les signatures par lesquelles la Russie 
et la France s'unissaient dans une entente 
politique. A partir de cette heure historique 
on peut dire que les deux pays étaient sortis 
de l'isolement où ils s'étaient trouvés 
jusque là. Les deux signatures étaient 
données par MM. de Mohrenheim et Ribot 
au nom de leurs gouvernements respectifs. 



L'éclat extraordinaire des fêtes de Crons- 
tadt, l'accueil fait par le Tsar aux marins 
français, et plus tard les allées et venues du 
baron de Mohrenheim produisirent naturelle- 
ment un eifet énorme en Europe. Quelle 



68 l'alliawce pranco-rUssë 

portée faut-il attribuer à ces faits ? Que 
signifie le rapprochement évident entre la 
Russie et la France ? Voilà ce que Ton se 
demandait partout. Mais la curiosité ne 
trouvait pas à se satisfaire. Bien que Tentante 
fût éminemment pacifique, Alexandre III 
avait demandé que les termes en restassent 
secrets afin de ne pas éveiller des soupçons 
et susciter des hostilités de la part des Etats 
de la Triple alliance. 

En France, quelques discours furent pro- 
noncés. Sans faire aucune révélation, ils 
laissaient cependant entrevoir la grande im- 
portance des récents événements. Ainsi M. de 
Mohrenheim qui était retourné à Cauterets, 
où il fut Tobjet d'ovations populaires enthou- 
siastes, répondait, le 31 août 1891, à un dis- 
cours du marquis de Breteuil, député de 
l'arrondissement, par une allocution dont 
nous citons les passages suivants : 

« Vous le savez, Messieurs, j'ai été tout récem- 
« ment retenu loin de vous par une absence de 
« quelque durée. Eh bien, à la vue des apprêts que 



J 



PREMIERS ACCORDS G9 

a VOUS faisiez pour mon retour, vous m'autorisiez 
« presque à croire que je n'étaispas tout à fait absent. 
« Tant il est vrai que la distance ne sépare pas 
c toujours et que Téloignement peut lui-même 
« rapprocher. • 

« Vous venez, M. le Préfet, de mentionner le 
« courant mutuel de sympathie qui s'est fait jour à 
« travers la Russie et la France, d'un bout à l'autre, 
« et que Votre département a eu àcœurdemanifes- 
« ter à son tour, avec, j'ose le dire, car le mot n*est 
c pas trop fort, un enthousiasme si spontané et si 

général. Il y a beaucoup de raisons, et des meil- 
« leures, pour qu'il en soit ainsi; mais je ne veux, 
« en ce moment, que m'en tenir à celles dont l'un 
« de vos plus prodigieux génies a pu dire avec tant 
a de justesse : le cœur a des raisons que la raison 
« ne connait pas ! Ce ne sont pa^s, messieurs, les 
a moins puissantes. Ce sont, en tout cas, celles qui 
« font que nous nous comprenons si bien, et qu'il 
« nous arrive quelquefois d'être moins bien com- 
« pris des autres. 

« Ici, Messieurs, nous sommes d'autant plus surs 
« de nous entendre que je vous trouve unis, tous 
« d'accord, et ne formant, pour me servir des pro- 



70 l'alliance franco-russe 

« près paroles de M. le Préfet, qu'un seul cœur. Je 
« Taî bien constaté avec bonheur à Tunanimité 
« des acclamations chaleureuses dont vous avez 
« salué la santé portée à S. M. 1 Empereur, à son 
« auguste famille et à la nation russe. Et je vous en 
« sais doublement gré, messieurs, car vous m*avez 
« investi par là du droit précieux et de Thonneur 
« insigne de boire, à mon tour, à la nation française, 
« à son vénéré chef, l'éminent Président de la Ré- 
« publique, et au gouvernemeat, aussi sage qu'éclai- 

« ré, qui dirige si heureusement aujourd'hui d'une 
« main à la fois forte et pacifique, ferme et conci- 
« liante, les destinées de votre grand pays. Puisse- 
« t-il lui être donné longtemps, bien longtemps 
« encore, de poursuivre sa noble tâche avec les 
« mêmes succès de jour en jour plus bienfaisants, 
« plus éclatants et plus universellement apprê- 
te ciés. 

Quelques jours plus tard, le 10 septembre, 
M. de Freycinet, président du Conseil, pro- 
nonçait un remarquable discours à Vendeuvre 
où il offrait, à Toccasion des grandes ma- 
nœuvres de TEst, un déjeuner aux officiera 



PREMIERS ACCORDS 71 

généraux et aux attachés militaires. On re* 
marquera l'importance des paroles suivantes 
détachées de son discours : 

a Ne nous lassons pas, messieurs, de perfec- 
« tionner et de fortifier notre armée. Elle est un des 
« éléments, et non des moindres, de notre influence 
« dans le monde. Elle a sa part dans les événements 
« dont se réjouit votre patriotisme. Ses progrès que 
« TEurope voit et auxquels la France applaudit, 
« inspirent aux uns la confiance, aux autres le 
« respect : ils attestent, en outre, que le gouver- 
« nement de la République, malgré des change- 
« ments de surface, est capable de longs desseins 
« et que dans l'accomplissement des œuvres na- 
« tionales, il apporte un esprit de suite qui ne le 
« cède à celui d'aucune monarchie. Personne ne 
« doute aujourd'hui que nous soyons forts ; nous 
« prouverons que nous sommes sages. Nous saurons 
« garder, dans une situation nouvelle, le calme, la 
« dignité, la mesure qui, aux mauvais jours, ont 
« préparé notre relèvement. 

Enfin le 29 septembre, à Bapaume, où il 
présidait la cérémonie d'inauguration de la 



72 l'aluance franco-russe 

statue du général Faidherbe, M. Ribot, mi- 
nistre des Affaires étrangères, coinmentait 
dans les termes suivants la situation nou- 
velle dont avait parlé M. de Freycinet : 

« L'Europe, pendant quelque temps incertaine, 
« nous a enfin rendu justice ; un souverain, pré- 
« voyant et ferme dans ses desseins, pacifique 
ft comme* nous-mêmes, a publiquement manifesté 
<i les sympathies profondes qui unissent son pays 
a et le nôtre. (Des applaudissements enthousiastes 
« ainsi que les cris de « Vive le Tsar ! Vive la 
« France ! Vive la Russie ! » interrompent Tora- 
« leur qui ne peut reprendre la parole qu'après 
« quelques instants). « La nation russe s'est asso- 
« ciée avec son Empereur pour nous témoigner 
« une amitié cordiale. (L'orateur est de nouveau 
a interrompu par les applaudissements et les accla- 
« mations). Vous savez quelle réciprocité ces sen- 
» timents ont trouvé chez nous (cris chaleureux 
« oui ! oui ! »). Les incidents de Cronstadt ont 
a retenti jusqu'au fond de la plus petite de nos 
tt bourgades et du moindre de nos villages. 

» Ce qui est vrai de la politique intérieure, Test 



PREMIERS ACCORDS 73 

c plus encore de la politique étrangère ; les résul- 
« tats ne s'improvisent pas ; ils sont la consé- 
« quenee et le prix d'une longue suite d'efforts et 
« quand ils se manifestent, ceux - là seuls; en 
« sont étonnés qui n'avaient pas été attentifs à la 
« série d'actes qui les avaient silencieusement 
« préparés. 

a Et ici, messieurs, je ne parle pas seulement du 
« ministère actuel, mais de tous ceux qui se sont 
a succédé dans la République depuis vingt années. 
« Tous ont été fidèles à la même tradition et chacun 
« a apporté son concours à l'œuvre nationale. 
«c C'est la grandeur de la France, quelles qu'aient 
« été ses dissensions intérieures aujourd'hui si di- 
« minuées, d'être unie devant l'étranger ; notre seul 
« mérite est d'avoir continué ce que nos devanciers 
« avaient commencé et peut-être d'avoir compris 
« que le moment était venu de donner à leurs 
« efforts la consécration qui était dans les vœux 
a du pays. 

< Il en est résulté pour nous, comme on l'a jus- 
« tement dit, une situation nouvelle, ce qui ne si- 
<i gnifie pas qu'il faille y adapter une nouvelle po- 
« litique. Celle que nous avons suivie nous a été 



74 l'alliance franco-russe 

« trop favorable pour que nous la désertions le jour 
c même où la valeur en apparait à tous les yeux et 
« où nous commençons à en recueillir les fruits. 

« Ce n'est pas au moment où nous pouvons pra* 
« tiquer la paix avec plus de dignité que nous 
« nous exposerons à la compromettre. La France, 
« ayant conscience de sa force et confiance en son 
« avenir, continuera de montrer les qualités de 
« prudence et de sang-froid qui lui ont attiré 
« Festime des peuples et qui ont contribué à lui 
« rendre le rang qu'elle doit occuper dans le 
« monde. » 

Comme on le voit les trois orateurs, ont 
tous trois constaté, sous des formes diffé- 
rentes, le caractère nouveau des relations 
qui venaient de s'établir entre la France et 
la Russie. 

Tel ne fut pas l'avis de M, de Caprivi, 
chancelier d'Allemagne. Dans un discours 
prononcé au Reichstag, le 27 novembre 1891, 
il fit les déclarations suivantes : 

a Je constate d'une manière formelle que 
« l'entrevue de Cronstadt ne donne lieu à plus 



PREMIERS ACCORDS 75 

«c d'inquiétudes qu'auparavant. Je suis absolument 
« convaincu que les intentions personnelles de 
«t l'empereur de Russie sont les plus pacifiques du 
« monde. Aucun gouvernement ne veut provoquer 
« la guerre aujourd'hui. Aucune nation n'a une 
« prépondérance suffisante pour pouvoir com- 
« mencer une guerre d'un cœur léger. 

« Plus un gouvernement sera fort, plus il lui 
Cl sera facile d'éviter des incidents dangereux, et je 
« me réjouis de ce que, chez nos voisins de l'ouest 
« le gouvernement possède cette force. 

tt L'entrevue de Cronstadt n'aurait pas lieu si nos 
« voisins de l'est n'avaient pas cru que le gouver- 
« nement en question est assez fort pour qu'on 
i( puisse se reposer sur lui. La situation est devenue 
« plus claire ; il n'y a pas là de raison de s'inquiéter. 

« Rien n'a été modifié en ce qui concerne la 
<t Triple-Alliance. Le renouvellement de la Triple- 
a Alliance, résolu depuis longtemps, est seulement 
« apparu clairement à tous les yeux. 

« Les intentions de l'empereur de Russie sont 
« les plus pacifiques du monde. Ce qu'il faut éviter 
c ce sont les maladresses. 

« Je crois que le gouvernement chez nos voisins 



76 l'alliance franco-russe 

« de l'ouest a le pouvoir de faire exécuter sa vo- 
« lonté. La recrudescence de confiance en eux- 
(( mêmes qui s'est manifestée chez les Français ne 
« constitue pas un danger pour nous. Cronstadt 
« n'a amené aucun changement à cet égard 

« L'état de paix armée va encore durer longtemps, 
« les Congrès en faveur de la paix n'y changeront 
« rien. Heureusement que l'obligation du service 
« militaire universel donne encore plus de force 
« aux désirs pacifiques des peuples. 

On voit par ces déclarations que TAlIe- 
magne officielle ne voulait pas avoir Tair 
d'être alarmée. Il était particulièrement inté- 
ressant d'observer Tattitude des journaux de 
M. de Bismarck. Ils niaient Texistence d'une ' 
entente franco-russe et prétendait qu'il n'y 
avait là que du flirt. Ils ne savaient rien et 
battaient la campagne. 

Il est cependant un fait digne de remarque, 
c'est que M. de Bismarck, lui-même, avait 
dans le temps prédit une alliance entre la 



PREMIERS ACCORDS 77 

Russie et la France. M. Delcassé, partisan 
de la première heure d'une entente franco- 
russe, nous Ta appris dans un article qu'il 
publia» le 4 juin 1887, dans le journal Paris. 

Voici comment il raconte le fait : 

< C'est M. de Bismarck qui a pris soin de 
> nous signaler la seule nation avec laquelle 

< la France avait intérêt à conclure une alli- 

< ançe. C'est lui qui, le 26 avril 1856, dans 
« un rapport au prince-régent de Prusse, 

< devenu depuis l'empereur d'Allemagne, 
« écrivait cette phrase que devraient avoir in- 
« cessamment présente à l'esprit tous ceux 
« qui se mêlent de politi({ue : « L'alliance de 
« la France et de la Russie est chose tellement 

< naturelle qu'il y aurait folie à ne pas s'y 

« attendre, car, de toutes les Puisssances ce 

« sont les seules qui, par leur situation géo- 
« graphique et par leurs visées politiques, 

« renferment le moins d'éléments d'hostilité 

< n'ayant pas d'intérêts qui se combattent 
« nécessairement, > 



L 



78 l'alliance franco-russe 

La presse anglaise était en général très 
sceptique et s'ingéniait à prouver aux Fran- 
çais qu'en concluant une entente avec 
la Russie ils ne feraient qu'un marché de 
dupes. 



CHAPITRE VI 



LA CONVENTION MILITAIRE 



Arrivée de M. de Giers a paris. — Efforts de M. 

DE FrEYCLNET en VUE D'UNE CONVENTION MILITAIRE. 

— Fabrication de fusils pour la Russie a Cha- 

TELLERAULT. — Ma MISSION A FrEDENSBORG. — 

Progrès des négociations en 1892. — M. de Giers 
A Aix-les-Bains. 



L'arrivée à Paris de M. de Giers, ministre 
des Affaires étrangères de Russie, mettait 
plus en relief encore le changement survenu. 

Ce diplomate dont la santé laissait déjà 
à désirer, avait pris au milieu du mois 
de septembre un long congé qu'il se 



80 LA CONVENTION MILITAIRE 

di?*posait à passer a Tétranger. Il se rendit 
par Varsovie et TAllemagne à Aix-les-Bains et 
de là en Italie où il avait, à Monza, une 
entrevue avec le roi Humbert et le marquis 
de Rudini. 

Le baron de Mohrenheim était alors à 
Biarritz et avait le projet d'entreprendre une 
excursion à travers la France pour achever 
sa villégiature. Dans ces conditions M. Ribot 
qui désirait se rencontrer avec le ministre 
des affaires de Russie, me chargea de 
prendre des informations sur les intentions 
dé M. de Giers. Je m'adressai donc à son 
fils, M. Nicolas de Giers, qui fut alors pre- 
mier secrétaire à l'Ambassade de Paris et qui 
se mit avec empressement à ma disposition. 

Je reçus de lui à ce sujet plusieurs com- 
munications, dont la dernière en date était 
ainsi conçue: 

« Paris, ce vendredi, 30 octobre 1891. 

« Mon cher Monsieur Hansen, 

« Mon père sera à Paris après la mi-novembre. 
« Je partirai probablement le 10 novembre pour 



LA CONVENTION MILITAIRE 81 

» Wiesbaden et ferai le voyage de là avec lui, 
» selon le désir qu'il a exprimé à M. le baron de 
» Mohrenheim. 

Mille amitiés. 

N. DE GlERS 

Le ministre arriva le jeudi soir 19 novem- 
bre à Paris et descendit à l'ambassade de 
Russie. Le lendemain, de grands dîners 
furent donnés à l'Elysée et au ministère des 
Affaires étrangères. 

Le 21 novembre une conférence se tint à 
l'ambassade. Elle dura plus d'une heure et 
demie. M. de Giers, le baron de Mohrenheim, 
MM. de Freycinet et Ribot y prirent part. Je 
ne crois pas me tromper en avançant que 
des conversations du plus haut intérêt furent 
échangées entre eux. On n'avait pu manquer 
de s'entretenir de l'entente qui avait été 
conclue et sur la manière dont il serait 
possible de la compléter. Il dut y être égale- 
ment question d'un accord, à propos des 
affaires d'Orient, et du rétablissement d'une 
escadre russe dans la Méditerranée. 

Le même jour, j'avais une entrevue parti- 

6 



82 L^ALLIANCE FRANCO-RUSSE 

culière avec M. de Giers chez son fils. Il 
insista surtout sur le caractère pacifique du 
rapprochement qui venait de se produire 
entre la France et la Russie et dont le but 
principal était, à ses yeux, le raffermissement 
de l'équilibre européen un instant troublé. 
Il ajouta qu'il avait été enchanté d'avoir pu 
connaître et apprécier M. Garnot et les mi- 
nistres français. 

Le dimanche 22, M. de Giers rentrait à 
Saint-Pétersbourg en passant par Berlin où 
il vit l'Empereur Guillaume II et le général 
Caprivi. 

Nous avons vu le grand retentissement 
provoqué partout par la conclusion de l'en- 
tente franco-russe en août 1891. 

Cependant beaucoup d'esprits pensaient 
qu'elle avait besoin d'être complétée par une 
convention militaire. Il était, en effet, de 
notoriété publique que les puissances de la 
Triple Alliance avaient, dès 1888, signé des 
protocoles militaires dans lesquels étaient 
prévus tous les cas de guerre, auxquels 



• LA CONVENTION MILITAIRE Ô3 

chacun des contractants était éventuelle- 
ment exposé, ainsi que les conditions de 
leur intervention réciproque une fois le 
casus fœderis constaté. MM. de Bismarck 
et de Moltke avaient pris part personnelle- 
ment aux négociations qui avaient précédé 
cette entente, laquelle a fait de la Triple 
Alliance une arme de guerre dirigée tout 
aussi bien contre la Russie que contre la 
France. Ainsi on avait prévu le cas où des 
troupes italiennes devraient se rendre soit 
sur le Rhin, soit à la frontière de la Russie, 
en passant à travers les territoires autri- 
chiens. 

A côté de ces conventions particulières à 
la Triplice existait un accord entre la 
Grande-Bretagne et Tltalie. Aucun traité 
n'avait été signé, il est vrai, entre ces deux 
puissances, le Foreign-Office étant opposé 
en principe à la conclusion d'une alliance 
secrète. Mais d'un échange de vues entre 
les Cabinets de Londres et de Rome, était 
résultée une promesse d'entente. Le Foreign- 
Office avait en effet déclaré que dans le cas 



84 l'alliance franco-russe ^ 

d'une guerre entre rAutriche et la Russie ou 
entre la France et Tltalie dans la Méditerra- 
née, dans les conditions prévues par les 
protocoles de la Triplice, l'Angleterre inter- 
viendrait contre la Russie dans le premier 
cas et contre la France dans le second. Mais 
le Foreign-Office n'admettait pas toutefois 
que cette déclaration entraînât pour le gou- 
gouvernement britannique les obligations dé- 
coulant d'un casus fœderis. 

Il est bien évident que dans ces conditions 
la France et la Russie quoique liées entre 
elles se trouvaient en cas de guerre dans un 
état d'infériorité à l'égard de leurs adver- 
saires. Le fait seul que tout était réglé 
d'avance entre les puissances de la Triplice 
contre leurs ennemis éventuels, leur donnait 
en cas de mobilisation une avance sur la 
France et la Russie. Telle était notamment 
la conviction de M. de Freycinet qui, comme 
ministre de la Guerre, était pénétré de la 
nécessité d'une convention militaire avec la 
Russie. M. de Freycinet s'en était déjà ouvert 
à des autorités russes depuis 1888, époque 



LA CONVENTION MILITAIRE 85 

OÙ il commençait à rendre des services 
signalés à Tadmi^iistration militaire de la 
Russie. 

Dès 1888, en efTet, le gouvernement russe 
lui avait fait demander par l'entremise du 
général de Freederickz, ch§f de la mission 
militaire russe en France, s'il voulait auto- 
riser la manufacture d'armes de Chatellerault 
à fabriquer des fusils, nouveau modèle, pour 
le compte du gouvernement impérial. Le 
Conseil des ministres, saisi de l'affaire, se 
prononça pour l'affirmative. Des préparatifs 
furent immédiatement faits en vue de l'exé- 
cution d'une commande de 500.000 fusils. 
Mais ces préparatifs risquaient de traîner en 
longueur. Il fallait approprier le cahier des 
charges existant, aux besoins nouveaux. 
Les autorités militaires russes éprouvaient, 
en outre, des difficultés pour le type qui serait 
choisi et ce ne fut que deux ans après, en 
1890, que la manufacture put commencer la 
fabrication des fusils sous la surveillance 
d'une délégation d'officiers russes. En même 
temps, M. de Freycinet permit que des offî- 



86 l'aluance pranco-russe 

ciers de l'armée impériale fussent mis en 
rapports avec Tétat-major général français et 
initiés à nos procédés de transport de troupes 
et d'approvisionnement. A la faveur de ces 
événements, notre état-major fraternisait avec 
Tétat-major russe et le gouvernement français 
allait même jusqu'à autoriser des ingénieurs 
militaires à se rendre à Saint-Pétersbourg 
pour y enseigner, d'après nos méthodes, la 
fabrication des munitions. 

M. de Freycinet étant devenu, par sa si- 
tuation au ministère de la Guerre, Tun des 
plus actifs promoteurs d'un rapprochenaent 
plus intime avec la Russie, entendait bien, 
en agissant avec une telle franchise, amener 
le gouvernement de Saint-Pétersbourg à 
contracter avec nous une véritable alliance. 
Il ne cachait pas du reste ce sentiment à 
M. le général Vannovsky, ministre de la 
Guerre de Russie, qui paraissait le partager. 
Aussi, M. de Freycinet tout en étant très 
satisfait de l'entente politique, conclue après 
Cronstadt, agissait toujours en vue d'obtenir 



LA CONVENTION MILITAIRE 87 

à bref délai la conclusion d'une convention 
militaire. 

II savait que Tempereur Alexandre III, 
consulté à ce sujet, avait déclaré d'une façon 
très nette qu'il considérait qu'une convention 
militaire était exclusivement son aflaire et 
qu'il entendait qu'elle fut négociée à Saint- 
Pétersbourg seulement, d'après ses propres 
instructions données à son ministre de la 
Guerre qui aurait à s'entendre avec le mi- 
nistre de la Guerre de France. L'affaire 
pourrait ensuite être traitée diplomatique- 
ment. 

Toutefois, M, de Freycinet craignait qu'un 
résultat positif ne se fît trop attendre et désirait 
que le Tsar fut informé que le gouvernement 
français avait hâte d'arriver à une solution 
rapide. Il me chargea donc d'une mission à 
Fredensbôrg où se trouvait alors la cour 
impériale qui était venue faire une visite de 
famille à la cour du Danemark. Il s'agissait 
de remettre entre les mains de sa Majesté 
une note du Ministre dans laquelle étaient 
exposées toutes les raisons qui pouvaient 



88 l'alliance franco-russe 

êtie invoquées en faveur de la conclusion 
d'une convention militaire. Le gouvernement 
français demandait en même temps au Tsar 
de vouloir bien donner, à cet effet, lea ordres 
nécessaires à son ministre. 

Je partis donc le 1^^ septembre pour le 
Danemark. Ma tâche n'était pas facile. Outre 
que le Tsar refusait absolument de recevoir 
qui que ce fût pour affaires tandis qu'il était 
en villégiature en Danemark, je n'avais eu 
jusqu'alors que peu d'occasions d'aborder la 
famille impériale. J'avais comme tous les 
Danois un véritable Culte pour la noble 
épouse de l'Empereur, la princesse Dagmar. 
Quant à TEmpereur, j'avais eu l'honneur de 
lui être présenté, alors qu'il n'était encore 
que tsarewitch, par le roi Christian IX lui- 
même, à Fredensborg. 

Il m'avait à cette occasion adressé quel- 
ques paroles qui sont restées, gravées dans 
ma mémoire :« Que faites-vous à Paris, Mon- 
sieur ? me demhnda-t-il. — De la littérature, 
Monseigneur. — Je ne pense pas que cela 
rapporte beaucoup l —Hélas l non, mais que 



LA CONVENTION MILITAIRE 89 

faire ? — Vous devriez entrer dans la carrière 
diplomatique, vous y réussiriez mieux. — Je 
ne demanderais pas mieux, mais je crains que 
cela ne soit trop difficile à cause de mon 
âge et pour d'autres raisons. — N'importe, 
il faut le faire ». 

Revenons maintenant à mon voyage. Arrivé 
au château, je m'adressais immédiatement au 
prince Obolensky, avec qui j'étais entré en 
relations autrefois par l'intermédiaire de 
M. de Ratchkovsky, dont j'ai déjà parlé plus 
haut et qui en maintes occasions a donné des 
preuves de sa grande sympathie pour la 
France. 

Le prince me reçut le soir même et remit 
le lendemain matin au Tsar la note dont 
j'étais le porteur. La réponse ne se fît pas 
attendre. Elle était ainsi conçue : 

<c M. Hansen pourra dire à M. de Freycinet 
« que l'Empereur a pris sa demande en sé- 
< rieuse considération et qu'il s'occupera d'y 
<L donner une suite aussitôt sa rentrée à 
« Saint-Pétersbourg. » 



90 l'alliance franco russe 

Le lendemain, 6 septembre, je repartis 
pour Paris où je rendis compte à M. de 
Freycinet du résultat de ma mission. On 
pouvait donc s'attendre à de nouvelles négo- 
ciations en vue de ia conclusion d'une con- 
vention militaire. L'hiver se passa cependant 
sans amener aucun résultat appréciable. Il 
n'y eut à vrai dire qu'un échange de lettres 
entre le général Vannovsky et M. de Frey- 
cinet. 

Le 18 février 1892 le ministère Freycinet 
était renversé et après une assez longue 
crise, remplacé par le ministère Loubet où 
MM. de Freycinet et Ribot gardaient leurs 
portefeuilles respectifs de la Guerre et des 
Affaires Etrangères. Les négociations traî- 
naient en longueur. Trois mois s'étaient 
écoulés sans amener aucun changement. 
C'est alors que M. de Freycinet me demanda 
d'adresser une lettre au Tsar qui se trouvait 
à ce moment eii Danemark où il s'était 
rendu à l'occasion des noces d'or du roi 
Christian IX et de la reine Louiee. 

Dans cette lettre, qui fut remise à 



LA CONVENTION MILITAIRE 91 

Alexandre III par les soins de M., de Ratch- 
kovsky qui accompagnait son souverain 
dans ce voyage, je proposais de charger un 
officier supérieur français d'une mission à 
SaintrPélersbourg afin de traiter directement 
avec le ministre do la guerre de Russie et le 
chef de Télat-major de l'empire, et je deman- 
dais le consentement du Tsar à cette 
mission . 

En réponse à ma lettre je reçus d'abord un 
télégramme ainsi conçu : 

n Copenhague, 5 juin 1892, 10 heures 32 matin. 

« Lettre reçue et communiquée. Attendons 
suite, > 

Quelques jours après, le 10 juin, je reçus 
la réponse définitive. Elle était affirmative. 

M. de Freycinet à qui je transmis aussitôt 
la lettre que je venais de recevoir de Copen- 
hague, se montra très satisfait et me remer- 
cia vivement du concours que je lui ^vais 
prêté en cette circonstance. 



i 

L 



92 l'alliance franco russe 

Peu de temps après le général de Bois- 
deffre emportait à Saint-Pétersbourg un 
projet de convention militaire rédigé par 
M. de Freycinet. 

A l'automne de cette même année le général 
français et le général Obroutchew, chef de 
TEtat-major russe, signaient à Saint-Péters- 
bourg, ad référendum, la convention militaire 
préparée par le ministre de la guerre fran- 
çais. Le Tsar ayant donné son approbation, 
le général Vannovsky, ministre la guerre 
informa M. de Freycinet de cet heureux 
résultat. 

L'affaire était donc en très bonne voie. Les 
ministres français espéraient pouvoir la ter- 
miner complètement lors du nouveau voyage 
en France de M. de Giers, dont l'arrivée était 
annoncée pour le mois de septejabre. 



M. de Giers arriva, en effet, à cette époque 
à Aix-les-Bains, mais il était très souffrant. 
Les négociations en cours venaient d'entrer 
dans une phase importante. 



LA CONVENTION MILITAIRE 93 

Le Tsar voulait avant de les terminer que 
le cabinet français se concertût avec M. de 
Giers. Voici pourquoi : On avait aussi bien 
à Saint-Pétersbourg qu'à Paris acquis la 
conviction qu'il était devenu opportun de 
préciser Tentente politique conclue en août^ 
1891. On trouvait que cet acte avait plutôt le 
caractère d'un programme que d'un véritable 
pacte politique. Le gouvernement français 
paraissait empressé de se lier définitivement 
tandis que M. de Giers inclinait à temporiser. 
Mais en tout cas on paraissait d'accord sur 
ce point qu'il était nécessaire de signer la 
convention militaire en même temps que le 
• nouvel accord politique. 

M. le baron de Mohrenheim, M. de Frev- 
cinet et M. Ribot allèrent donc voir M. de Giers 
à Aix-les-Bains. Mais ils trouvèrent le mi- 
nistre du Tsar dans un état de santé qui ne 
lui permettait guère de s'occuper des négo- 
ciations. Il était en eifet dans l'impossibilité 
de se lever et ne pouvait parler qu'avec peine. 
Dans ces conditions, on convint d'ajourner 
les négociations jusqu'à ce que M. de Giers, 



94 L^ALUANCE FRANCO-KUSSÈ 

après un séjour qu'il devait faire dans la 
Riviéra, pût se rendre à Paris. 

On verra, par la suite, comment des évé- 
nements survenus en France, interrompirent 
pendant un temps assez long les pour- 
parlers. 



CHAPITRE VII 



FACHEUX INCIDENTS 



Attaques dans la presse française contre le baron 

DE MOHRENHEIM. — LeS SCANDALES DU PaNAMA. — 

Intervention du gouvernement français. — M. 
Develle arrange l'affaire. 



Après les fêtes de Cronstadt Tempereur 
Alexandre III était devenu extrêmement po- 
pulaire en France. La presse jusque-là plus 
réservée parla de ce souverain dans les 
termes les plus sympathiques, notamment les 
petits journaux à gros tirage qui firent 
savoir à la masse de la population, dans les 




96 l'alliance fkanco-russe 

campagnes comme dans les grandes vîlle?i, 
que la France avait trouvé un ami sur les 
bords de la Neva. En Tannée 1892 le Tsar 
jouissait dans notre pays d'une popularité 
telle qu'aucun autre souverain étranger n'en 
avait encore été l'objet. 

Une partie de cette popularité devait né- 
cessairement rejaillir sur le représentant 
d'Alexandre III à Paris. En effet M. de 
Mohrenheim, au cours de ses villégiatures en 
France, recul partout des témoignages écla- 
tants de sympathie. Quand l'ambassadeur 
arrivait dans quelque petite ville, la muni- 
cipalité et les autorités s'empressaient de le 
saluer. Les maires lui adressaient des discours 
le priant de transmettre au Tsar et à la fa- 
mille impériale leurs respectueux hommages 
ainsi que ceux de leurs administrés. Les 
préfets venaient également saluer le repré- 
sentant de la Russie et donnèrent des ban- 
quets en son honneur. A Forges-îes-Eaux, par 
exemple, à Villers-sur-Mer, à Cauterels, à 
Salis-de-Béarn-, à Royat l'ambassadeur russe 
fut l'objet de manifestations enthousiastes de 



^ACHECX INCtDEÎÎTS 9? 

la part de la population. Les maisons étaient 
partout pavoisées de drapeaux russes et 
français. Bref, l'arrivée du représentant du 
Tsar était une véritable fête pour ces loca- 
lités. 

Enfin, quand l'ambassadeur assistait à la 
revue habituelle de Longchamps à Toccasion 
de la fête nationale du 14 juillet, il lui 
arrivait souvent d'être reçu par des ovations 
de la foule réunie autour de la tribune 
officielle. 

Ce courant d'enthousiasme populaire ne 
pouvait manquer de produire une vive im- 
pression à rétranger où un certain m^on- 
tentement mêlé de jalousie commençait à 
régner, principalement chez les Anglais, les 
Autrichiens et les Italiens. En Allemagne, 
on gardait une grande réserve et on ne 
donnait aucun signe de mauvaise humeur. 
C'est alors que se produisit un phénomène 
jusqu'alors inconnu. Sous l'inspiration d'in- 
fluences occultes mais dont les origines se 
laissaient facilement deviner, une série 
d'attaques des plus violentes contre le baron 

7 



98 l'alliance franco-russe 

de Mohrenheim commença dans certains 
journaux français. Le but était évident. Des 
esprits mécontents de l'entente franco-russe, 
dont les effets commençaient à se faire sentir, 
espéraient l'ébranler et peut-être même la 
détruire en s'attaquent à l'homme qui avait 
été le fidèle exécuteur de la volonté du Tsar. 
Ce fut une chose plus que surprenante et 
presque incompréhensible pour ceux qui ne 
sont pas au courant des manœuvres aux- 
quelles ont recours certaines Puissances 
pour se débarrasser de leurs adversaires po- 
litiques. 

Lqs Français qui se prêtèrent à faciliter 
ces manœuvres, furent, il faut l'espérer, des 
inconscients. 

Déjà, le 8 avril 1892, un journal parisien, 
du reste à peine connu, la Défense nationale, 
publiait un article dans lequel il était grave- 
ment affirmé que M. de Mohrenheim était 
un homme en qui on ne pouvait avoir 
aucune confiance. « L'ambassadeur, y était-il 
dit, avait touché 500,000 marks de M. de 
Bismarck et à peu près autant du gouver- 



fACHEUX INCIDENTS 9Ô 

ment français ; au fond du cœur il était 
allemand, etc., etc. » Cela était à tel point 
ridicule que tout homme sérieux ne pouvait 
qu'en rire. Aussi l'ambassadeur prit-il la 
chose assez gaiement. Il m'écrivait, en eflFet, 
le 12 avril : < Ce n'est pas pour vous occa- 
« sionner une fâcheuse émotion, mais pour 
« vous procurer un instant de douce galté, 
« que je vous signale le numéro de vendredi 
« d'un journal, la Défense nationale, sur 
« lequel on vient d'attirer mon attention. » 

Quelque temps plus tard parut dans un 
journal parisien un article injurieux contre 
la famille de l'ambassadeur à l'occasion du 
mariage de M"e Hedwige de Mohrenheim 
avec le comte de Boutourline. Il donna lieu 
à un duel, le 10 juin, dans lequel M. Ernest 
Judet, rédacteur du Petit Journal, blessa 
assez grièvement son adversaire, qu'il avait 
désigné comme auteur de cet article. 

Ces attaques inqualifiables contre l'ambas- 
sadeur se prolongèrent pendant un certain 
temps, mais ce ne fût qu'à l'occasion des 
scandales de Panama qu'elles prirent vrai^ : 



lOO L*ALLTANCE fRANCO-îlUSSE 

ment un caractère odieux. Non seulement 
dans une certaine presse, mais encore dans 
des milieux politiques on allait jusqu'à 
insinuer que le fameux X... de célèbre mé- 
moire n'était autre que Tambassadeur de 
Russie à Paris. Des correspondants parisiens 
de journaux étrangers se firent Técho de ses 
bruits, en les exagérant encore. Le corps 
diplomatique s'émut; plusieurs ambassadeurs 
parlent de quitter Paris où, disaient-ils, ils 
n'étaient plus protégés contre les abus de la 
presse. 

La situation devenait assez critique et le 
gouvernement fut obligé de prendre des 
mesures de rigueur. 

Voici ce que disait à ce sujet une note 
officieuse communiquée aux journaux, que 
nous reproduisons en son entier parce qu'elle 
donne bien exactement l'impression du 
moment. 

« En présence de la campagne de calomnie et de 

« diffamation qui se poursuit actuellement, on a été 

^ 41 particulièrement ému de voir des attaques diri- 



' T. ' 
r •• • . 



FACHEUX INCIDENTS 101 

« gées contre, les représenlants des puissances 
« étrangères, et notamment delà reproduction dans 
« certains journaux français d'allégations dirigées 
« contre l'ambassadeur d'une puissance unie à la 
« France par des liens d'étroite amitié, et emprun- 
« tées à une feuille étrangère paraissant dans l'un 
« des pays de la triple alliance. Il a été impossible 
a de ne pas voir là une manœuvre politique. 

« Aussi le président du Conseil a-t-il donné 
« l'ordre d'arrêter le correspondant parisien du 
« journal hongrois le Budapesti Hirlap. M. Selecki. 
« C'est dans ce journal, en eflet, qu'a paru une 
u correspondance datée de Paris et contenant des 
« imputations diffamatoires à l'égard de M. le baron 
« de Mohrenheim, qu'on représentait comme mêlé 
a aux affaires du Panama. 

a M. Selecki a été arrêté ce matin et conduit 
« devant le commissaire Gochefert, qui l'a interrogé 
« et 9 saisi ses papiers. Il a été ensuite mené au 
« Dépôt, d'où il sera conduit ultérieurement à la 
« frontière, en vertu d'un arrête d'expulsion. 

« M. Ribot, d'autre part, a exprimé à M. de 
« Mohrenheim ses regrets que ces allégations 
« outrageantes aient pu être accueillies dans un 



102 l'alliance franco-russe 

« certain nombre, si petit qu'il soit, de journaux 
« français. » 

M. Develle, alors ministre des affaires 
étrangères, déploya une grande activité pour 
aplanir toutes ces difficultés. Il savait que 
M. de Mohrenheim, en homme d'esprit, ne 
faisait personnellement aucun cas de ces 
calomnies, et qu'il adressait à son gouverne- 
nement des rapports exempts de toute acri- 
monie. Néanmoins, M. Develle, très désireux 
de terminer au plus tôt ces incidents, me fit 
appeler et me chargea de remettre à l'ambas- 
sadeur la lettre suivante : 

Paris, le3^ mars 1893. 

Monsieur rAmbassadeur, 

J'ai l'honneur de vous communiquer ci-inclus un 
extrait du procès-verbal de la séance de la Commis- 
sion d'enquête de la Chambre des députés 
(28 mars). 

a M. Barthou, — m". Andrieux vient de déclarer 
(k qu'il ne voulait ou qu'il ne pouvait pas désigner 



FACHEUX INCIDENTS 103 

« le nom qui se dissimule derrière l'X. Peut-il 
« nous dire si les déclarations qu'il a faites dans 
« les Journaux excluent certaines personnes dont 
« les noms ont été prononcés ? 

« M. ÂNBRiEUx. — Je le fais avec grand plaisir. 
« Je considère que c'est un devoir vis-à-vis des 
« personnes qui ont été sans motifs et injustement 
« nommées, de les dégager complètement par une 
« dénégation formelle. 

« Du reste, je n'ai pas attendu la question qui 
« m'est adressée ici; j'ai dit àla Presse ce que j'avais 
« fait connaître au juge d'instruction sous la foi du 
« serment, à savoir que la liste que j'avais entre 
« les mains ne comprenait aucun nom de repré- 
« sentant d'une puissance amie et plus généralement 
« aucun nom de membres du Corps diplomatique. 

« D'autre part, pour répondre à des préoccupa- 
it lions plus récentes, je me suis fait un devoir de 
« dire qu'aucun nom de membres de la famille du 
a Président de la République ne figurait sur cette 
a liste. 

« Voilà ma déclaration. D'ailleurs elle était 
« surabondante car, si l'on se reporte au texte de 
« la liste, vous vous rappelez qu'il était dit: «Chèque 



104 l'alliance franco-russe 

9 de 80,000 francs partagé entre M. X... et 
« quatre autres députés, » Le mot autres indiqu^ 
« suffisamment que TX était un député. Cette 
« somme a donc été partagée entre cinq députés, 
« ce qui exclut l'hypothèse d'un membre de la fa- 
« mille Carnot. » 

Ainsi, Monsieur l'Ambassadeur, se trouve dé- 
montrée une fois dé plus l'absurdité des allégations 
perfides que M. le Président du Conseil a, du haut 
de la tribune, qualifiées d'odieuses et d'ineptes, et 
que certains organes de la presse étrangère avaient 
les premiers dirigées contre vous. Ces abominables 
calomnies ne pouvaient vous atteindre et le bon 
sens public en avait déjà fait justice. 

Le mouvement de réprobations énergique qu'elles 
ont provoqué dans toutes les classes de la nation 
vous ont prouvé de quels sentiments de sympathie 
respectueuse et de gratitude est entouré dans notre 
pays le représentant de Sa Majesté l'Empereur de 
Russie et votre propre personne qui y jouit, à jus- 
te titre, d'une si grande popularité. 

Je tiens néanmoins, à vous renouveler encore 
l'expression du vif regret qu'a éprouvé le gouver- 
nement, de voir votre nom perfidement mêlé aux 



FACHEUX INCIDENTS 105 

polémiques auxquelles a donné lieu l'affaire du 

Panama. 

Veuilleïi, elc. 

Deyelle, 

Malheureusement l^aflfaire avait fait trop 
de bruit en Europe pour qu'elle put être 
terminée ainsi. L'Empereur Alexandre III s'en 
était ému ; il fit comprendre que vu réclat 
de la calomnie dirigée conti-e son représen- 
tant, il ne suffisait pas que le baron de 
Mohrenheim se trouvât personnellement salis- 
fait, et qu'il s'agissait de la bonne renommée 
de la Russie tout entière, attaquée dans la 
personne de son ambassadeur. 

Malgré la gravité de cette situation, les 
choses ne tardèrent cependant pas à s'arran- 
ger grâce aux déclarations que M. Develle fit 
faire à Saint-Pétersbourg et surtout à la 
suite d'une intervention directe de M. Garnot, 
Président de la République qui, malgré la 
maladie dont il était alors sérieusement 
atteint, fit preuve en cette circonstance d'un 
zèle véritablemenfc patriotique. 

Le 4 juin 1893, M. de Ghishkini, adjoint au 



106 l'alliance franco-russe 

ministre des Affaires étrangères envoya une 
dépêche à M. de Mohrenheim pour Tinfonner 
que le Tsar s'était déclaré satisfait et qu'il 
considérait désormais l'incident comme clos. 
Ainsi les adversaires de l'entente franco- 
russe qui avaient voulu détruire la bonne 
harmonie entre la France et la Russie, n'arri- 
vèrent pas à leur but. 



CHAPITRE VIII 



COURONNEMENT DE L'ŒUVRE 



Reprise des négociations avec la Russie a l'automne 
DE 1893. — Visite des marins russes a Toulon 
ET A Paris. — Fêtes superbes en octobre 1893. 
— Grande satisfaction du Tsar. — Négociations 
terminées. — conclusion du pacte définitif au 

COMMENCEMENT DE 1894. — La RuSSIE ETLAFrANCE 
ALLIÉES. 



Il est facile de comprendre que cette 
période de scandales ait amené une inter- 
ruption dans les négociations engagées entre 
Paris et Saint-Pétersbourg pour une conven- 
tion militaire et une extension de Tentente 
conclue en 1891. Dans notre exposé de 
cette affaire donné plus haut, nous étions 



108 l'alliance franco-russe 

arrivés à la promesse faite par M. de Giers 
à Aix-la-Chapelle de venir a Paris pour ter- 
miner les négociations. 

Mais c'est alors que survinrent les scandales 
du Panama et le ministi^e russe abandonna 
son projet de se rendre à Paris. Dans le 
courant de Thiver il alla à Florence d'où il 
retourna en Russie par la voie de Vienne où 
il eut des entretiens avec le prince Lobanoff, 
alors ambassadeur de Russie auprès de 
l'empereur d'Autriche. L'impression produite 
sur les deux diplomates par les événement^ 
de France était loin d'être bonne et les négo- 
ciations restèrent en suspens. 

Ce n'est qu'au milieu de l'été que M. Develle, 
qui avait gardé le portefeuille des Affaires 
étrangères dans le cabinet constitué par M. 
Charles Dupuy au mois d'avril, réussit à faire 
reprendre les négociations à Saint-Péters- 
bourg. Notre ambassadeur, le comte de 
Montebello, eut des conversations avec M. de 
Giers dans lesquelles il expliqua au ministre 
du Tsar que l'affaire du Panama, assurément 
regrettable, ne devait pas exercer d'influence 



COURONNEMENT DE l'œUVRE lOÔ 

sur la situation extérieure de la France. Le 
Tsar comprit la chose de la même manière 
et donna des ordres pour la continuation 
des pourparlers. 

En France le Président de la République 
qui s'intéressait vivement à Tafifaire prit une 
large part à la rédaction du nouveau pacte, 
et eût à ce sujet de fréquentes entrevues avec 
le baron deMohrenheim et avec M. Develle. 

Il se passa alors un événement qui eut le 
plus heureux effet sur les relations entre la 
Russie et la France, je veux parler de la 
visite de Tescadre de l'Amiral Avellan à 
Toulon. Depuis quelque temps déjà il était 
convenu en principe entre les deux gouver- 
nements qu'une escadre russe rendrait dans 
un port de guerre français la visite des marins 
français à Cronstadt. Mais Tépoque et la date 
n'en avaient pas été fixées et l'on désirait 
vivement à Paris être informé des réelles 
intentions du Tsar. Sur la demande de 
M. Develle j'écrivis vers la fin du mois de 
juillet à un de mes amis de Russie en le 
priant de vouloir bien faire des démarches à 



110 l'alliance pranco-rûsse 

ce sujet, en faisant connaître le désir du gou- 
vernement français, et de m'aviser le plus 
vile possible du résultat de ses démarches. 

Le 3 août 1893 je reçus sa réponse d'après 
laquelle le Tsar avait décidé Tenvoi à 
Toulon d'une escadre commandée par le 
contre-amiral Avellan pour rendre officielle- 
ment la visite de Cronstadt. L'époque était 
lîxée aux derniers jours du mois de septembre 
(style russe) ce qui veut dire la seconde se- 
maine d'octobre, nouveau style. J'en avertis 
immédiatement par écrit notre ministre des 
Affaires étrangères qui m'accusa réception de 
ma lettre par le directeur de son cabinet. 

Le 3 septembre une dépêche officielle 
apportait au gouvernement français la confir- 
mation de cette nouvelle. Alors commencèrent 
en France les préparatifs de ces fêtes mémo- 
rables. Le gouvernement prit Taffaire en 
mains. Il fut décidé qu'on centraliserait la 
direction des fêtes entre les mains des mi- 
nistres de l'Intérieur et des Affaires étran- 
gères, ensuite qu'on consulterait l'ambassa- 



COURONNEMENT DE L^ŒUYRE 1 1 1 

deur de Russie sur tous les points impor- 
tants. 

 la suite de ces décisions les Conseils 
municipaux de Paris, Lyon, Toulon et Mar- 
seille, ainsi que le Comité de la Presse se 
présentèrent à Tembassade. Le baron de 
Mohrenheim les reçut séparément et chacun 
à deux reprises. Il fut expressément convenu 
dans ces entrevues que les fêtes n'auraient 
pas un caractère politique et qu'aucun dis- 
cours trop retentissant ne serait prononcé. 

Il était d'autant plus nécessaire que les 
fêtes et les manifestations patriotiques aux- 
quelles devait donner lieu l'arrivée des 
marins russes, ne prissent pas le caractère 
d'une provocation contre les adversaires de 
la Russie et de la France, que Thorizon poli- 
tique en Europe n'était pas à ce moment 
exempt de gros nuages. La nouvelle du ré- 
tablissement d'une escadre russe dans la 
Méditerranée avait fait sensation en Europe 
et ému les esprits dans les pays qui avaient 
de grands intérêts dans cette mer. Les 
Italiens, surtout, très surexcités contre la 



1 12 L*ALUANCE PRANCO-RtJSSÈ 

France après l'affaire d'Aigues-Mortes, s'agi- 
taient beaucoup et prenaient môme certaines 
mesures militaires inquiétantes. 

Je reçus à ce sujet quelques correspon- 
dances. Je reproduis ici les deux suivantes 
parce qu'elles donnent une idée exacte de la 
situation à ce moment : 

Rome le 7 Octobre 1893. 

« Il me revient de bonne source que l'Italie reçoit 
« de divers côtés de sages conseils. On l'engage 
« vivement à se calmer et à cesser ses provocations 
« contrelaFrance.il est certain que des conseils de 
« ce genre lui ont été donnés par le cabinet anglais 
« qui a également fait entendre à Rome que le roi 
« Humbert ferait bien de ne pas visiter l'escadre 
« anglaise dont la présence prochaine dans un port 
« italien ne doit pas être interprétée comme une 
« démonstration politique. Le gouvernement de 
« Berlin, également, conseille le calme aux italiens, 
« le moment n'étant pas jugé opportun pour des 
« provocations. 

« L'Autriche de son côté ne songe nullement à 
« s'associer à des manifestations belliqueuses. La 



Couronnement de l^oeuvre 113 

« nouvelle qu'une escadre autrichienne devait se 
< rencontrer à Gènes avec Tescadre anglaise n'est 
« qu'un canard. L'escadre de l'archiduc Stéphan se 
« trouve depuis le 2 octobre dans la baie deThéodo 
« près de Cattaro. Elle est composée en partie de 
« navires à voiles qui font des exercices et des 
« manœuvres. Une démonstration comme celle 
« dont il a été question serait en contradiction 
« absolue avec la politique actuelle de 1 Autriche. 

« On avait parlé ici d'une visite possible à Trieste 
« de l'escadre russe quand celle-ci visiterait 
« Dulcigno ou Antivari, mais comme une telle 
« visite est généralement annoncée plusieurs se- 
« maines d'avance, il n'est guère problable que les 
« Russes se montrent cette année dans un port 
• autrichien. 

« Je persiste à croire que l'Italie ne deviendrait 
« un danger sérieux pour la paix que si Grispi re- 
« venait au pouvoir. 

Rome, \0 octobre 1893 

« Le calme parait enfin renaître en Italie. On' 
« licencie actuellement les réserves des deuxcor-ps 

8 • 



114 l'alliance fkanco-russe 

« d'armée du nord. On se contentera de mani- 
« fester en l'honneur de l'escadre anglaise qui va 
« arriver à Tarente et à la Spezzia. Le ton des 
« journaux reste cependant violent contre la France 
a et il faut s'attendre toujours à toutes sortes de 
« mauvais procédés de la part de l'Italie. Ainsi 
« il est à craindre que les Italiens tentent de pro- 
« voquer une bagarre à Marseille où leur colonie 
« est fort nombreuse ; s'ils y arrivent et que le 
« sang soit répandu en cette circonstance, il faudra 
« s'attendre à tout. 

La situation n'était donc pas tout-à-fait 
rassurante, aussi le gouvernement français 
fit preuve de sagesse en prenant les mesures 
dont il est parlé plus haut ; grâce à elles, 
grâce à cette merveilleuse attitude, pleine de 
calme et de dignité que la population de 
Paris et des autres grandes villes de France 
sait montrer quand elle sent que Tintérêt du 
pays est en jeu, les fêtes se passèrent dans 
Tordre le plus parfait et eurent un éclat in- 
comparable. , 

Les représentants de l'Europe entière y 






COURONNEMENT DE L*ŒUVRE * ll5 

assistaient. Ils purent se convaincre qu'en 
ces journées de fêtes la France avait donné 
des preuves inoubliables de tact et de mo- 
dération. Ils furent principalement très 
frappés du spectacle que leur donna la popu- 
lation parisienne en passant de l'enthou- 
siasme le plus grand au recueillement le 
plus profond à l'occasion des obsèques du 
maréchal de Mac-Mahon. 

L'impression produite, surtout en Russie, 
fut considérable. Le Tsar échangea avec M. 
Carnot plusieurs télégrammes empreints de 
la plus grande amabilité dont je me borne à 
reproduire le suivant ;. 

« Gatchina, le 27 octobre, U h. 35 soir. 

A Son Excellence Monsieur le Président 
de la République française y Paris, 

« Au moment où l'escadre russe quitte la 

< France, il me tient à cœur de vous expri- 
me mer combien je suis touché et reconnais- 

< sant de l'accueil chaleureux et splendide 



116 L* ALLIANCE PRANCO-RUSSÈ 

< que nos marins ont trouvé partout sur le 
« sol français. 

< Les témoignages de vive sympathie qui 

< se sont manifestés encore une fois avec 
« tant d'éloquence joindront un nouveau lien 
« à ceux qui unissent nos deux pays et con- 

< tribueront, je Tespére, à raffermissement 

< de la paix générale, objet de leurs efforts 
« et de leurs vœux les plus constants. 

< Alexandre. » 

Mes lecteurs n'auront pas de peine à 
comprendre la haute signification de ces pa- 
roles du Tsar. 

Le même jour le 27 octobre le Président 
de la République étant allé à Toulon visiter 
Tescadre russe, porta à un banquet le toast 
suivant : 

« Après les manifestations si spontanées, 

< si cordiales et si loyalement pacifiques aux- 

< quelles donnèrent lieu, en Russie et en 

< France les visites échangées par iios esca- 
« dres à Cronstadt et à Toulon, j'ai à cœur 



COURONNEMENT DE l'œUVRE 117 

< de remercier la marine russe et la marine 
« française, que je réunis ici dans un même 
« souhait de bonheur, d'avoir dignement 
* rempli leur noble mission en servant de 
« trait d*union aux sympathies des deux 

< peuples. 

« A la santé (|ue j'ai l'honneur de porter 
« à Leurs Majestés l'empereur Alexandre III 
« et l'impératrice de Russie, je joins un toast 
« qui répond aux vœux de tous : A l'amitié 
« de deux grandes nations ! et, par elles, à 
« la paix du monde >. 

M. Carnot montrait ainsi clairement le 
degré d'inlimilé auquel étaient arrivées les 
deux notions. 

Aussi les efforts des deux côtés devaient 
aboutir bientôt à un succès complet. Déjà, 
vers le milieu du mois de novembre les né- 
gociations entre les cabinets de Paris et de 
Saint-Pétersbourg, en vue de la conclusion 
d'un nouveau pacte, auraient pu être termi- 
nées ; mais M. Develle, sentant qUe la chute 
du ministère dont il faisait partie était immi- 



118 l'alliance franco-russe 

nente, préféra laisser à son successeur le 
soin de signer l'acte solennel. 

M. Develle quitta le ministère des Affaires- 
étrangères le 3 décembre 1893. Ce fut M. 
Casimir Périer qui, quelques mois après son 
arrivée au quai d'Orsay, eut Thonneur 
d'apposer sa signature au bas du nouveau 
document. Par ordre du Tsar, M. de Giers 
le signa à Saint-Pétersbourg. 

La convention militaire entre la Russie et 
la France, établie d'après la rédaction de M. 
de Freycinet, fut signée en même temps. 

Ainsi s'accomplit un des actes les plus 
importants de ce siècle. 



J'arrête là mon récit des faits historiques 
qui ont précédé la conclusion définitive de 
l'alliance franco-russe. 

Les grands événements qui ont suivi 
depuis cette date — la mort tragique de M. 
Carnot, le 24 juin 1894, celle de l'empereur 
Abxandre III, le br novembre de la même 



COURONNEMENT DE l'ŒUVRE 119 

année, ravènement de Tempereur Nicolas II, 
sa visite et celle de Timpératrice Alexandra- 
Féodorovna en France, en octobre 1896 — 
sont encore présents à toutes les mémoires. 
Il ne me reste donc qu'à parler de la 
portée du pacte solennel conclu entre la 
Russie et la France, et des avantages qui en 
résultent pour les deux parties contrac- 
tantes. 



CHAPITRE IX 



PORTÉE DE L'ALLIANCE 



DeGLARATIOxNS de MINISTIIES FRANÇ41S, LE 10 JuiN 
1895. — RÉTABLISSEMENT DE l'équilibre EUROPÉEN. 

-— Entente défensive en Vue du maintien de la 
PAIX. — Egalité entre les alliés. — aide mutuel 

POUR LA SAUVEGARDE DE LEURS INTÉRÊTS. — Le 

Concert européen. — L'alliance également pro- 
fitable A LA France et a la Russie. 



On a vu par ce qui précède comment, pen- 
dant sept années, des hommes d*Etat russes 
et français — ces derniers ne professant pas 
tous les mêmes opinions politiques, — ont 
uni leurs effocts pour aboutir après bien des 
difficultés et des incertitudes à une alliance 



PORTÉE DE l'alliance 121 

solide. Ces efforts ont été secondés chez les 
deux peuples par un fort courant de sym- 
pathie qui s'est fait jour dans les organes 
de la presse et dans des manifestations po- 
pulaires non équivoques. Mais dans ces faits 
avant-coureurs on distingue, comme une 
trame rouge, la volonté persistante d'Alexan- 
dre III. Elle a quelquefois, subi des arrêts ; 
mais après des moments d'attente et d'obser- 
vation, l'Empereur revenait toujours à l'idée 
bien déterminée chez lui de créer, dans l'in- 
térêt de la paix, un lien durable entre les 
deux pays. 

Il est juste d'ajouter qu'il a été très cons- 
ciencieusement servi par son ambassadeur 
à Paris dont la tâche durant cette longue 
période d'incubation de Talliance — si je 
puis m'exprimer ainsi — n'a pas été des 
plus faciles. 

Il a été dit plus haut que sur la demande 
du Tsar les accords conclus entre la Russie 
et la France devaient rester secrets. Il fallait 
respecter la volonté d'Alexandre III, le véri- 
table auteur de rolliance ; aussi les deux 



122 l'alliance franco russe 

gouvernements intéressés étaient-ils seuls à 
connaître les termes des accords. Cependant 
d'après ce qu'on sait des tendances d'Ale- 
xandre III et d'après certaines déclarations 
ministérielles on peut augurer du caractère 
et de la portée du pacte conclu entre les 
deux nations. 

Ainsi, le 10 juin 1895, à propos d'une in- 
terpellation à la Chambre des Députés, sur 
la politique étrangère de la France et notam- 
ment sur son attitude dans la guerre sino- 
japonaise, deux ministres furent amenés à 
fournir des explications très-importantes sur 
nos rapports avec la Russie. 

Citons d'abord les déclarations de M. 
Hanotaux, ministre des Affaires étrangères 
dans le second Cabinet Ribot, formé le 
26 janvier 1895 : 

« Nous sommes restés fidèles à nous- 

< mêmes et le ministre des Affaires étran- 
« gères qui est devant vous croit avoir été 

< l'interprète sincère des sentiments du pays 
« lorsque au cours d'un télégramme adressé 



PORTÉE DE l'aLUANCE 123 

« à notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, 

< il s'est exprimé en ces termes : -^ La 
« France met au premier rang de ses pré- 
« occupations la considération de ses 
« alliances. Nous sommes donc disposés à 

< appuyer avec toute Tefficacité possible les 

< vues du gouvernement impérial russe con- 

< cernant les conditions de la paix entre la 

< Chine et le Japon. 

« La situation prise par la France nous 
« a permis de régler en Afrique comme 
« en Asie bien des problèmes posés de 
« longue date sur lesquels le Parlement lui- 
« même n'a cessé d'attirer l'attention du 

< gouvernement. 

< En Europe pas de question importante 
« qui soit traitée sans que notre avis soit 
« demandé et notre concours souvent solli- 
« cité. Enfin niera-t-on que notre autorité 
« ainsi reconquise n'ait exercé son influence 
« et produit ses effets jusque dans cette 
« combinaison nouvelle des forces europé- 
« ennes qui nous a fait sortir de notre iso- 
« lement et qui nous a donné le point d'appui 



124 L*ALUANCE FRANCO-RUSSE 

« qui nous manquait depuis si longtemps ? 
« Deux grandes Puissances portées Tune 
« vers l'autre par Tattraction de leurs senti- 
« ments et de leurs intérêts respectifs se 
« sont donné la main. Elles ont noué une 
« entente qui les rapproche naturellement 
« dans le travail incessant de la politique 
« courante et qui — toujours pacifique — 
« leur garantit une sécurité réciproque. » 

A la même occasion M. Ribot, président 
du Conseil, fit la déclaration suivante : 

« La France a associé ses intérêts à ceux 
« d'une autre nation dans l'intérêt de la paix 
« et de l'équilibre européen. Cette alliance 
« ratifiée par le sentiment universel du pays 
« fait aujourd'hui notre dignité et notre force. 
« Et, à ce point de vue on peut dire qu'il y a 
« quelque chose de changé en Europe depuis 
« quatre ans. » 

Il est permis de déduire des déclarations 
qui précèdent que l'alliance franco-russe a 
été conclue dans un but défensif afin de 



PORTÉE DE l'alliance 12o 

rétablir Téquibre européen, et d'assurer la 
paix. Elle ne doit par conséquent inspirer 
nulle inquiétude aux autres Puissances. Mais, 
naturellement, elle est en môme temps desti- 
née à soutenir les intérêts de la France et de 
la Russie. 

C'est aussi l'opinion d'un écrivain compé- 
tent, M. Judet du Petit Journal, Voici dons 
quels termes il parle des déclarations des 
deux ministres : 

« L'interpellatioD de lundi sur nos affaires exté- 
« rieures a eu un développement original et peu 
» attendu généralement de ce genre d'exercices 
» parlementaires ; au lieu d'embrouiller les ques- 
« tions, elle a permis au gouvernement de les 
« éclaircir ; au lieu de semer la confusion et le 
« désordre dans les idées du pays ; elle lui indique 
« enfin l'orientation nette/ solide que nous dési- 
« rions et que nous n'avons cessé de réclamer. 

(( Le fait dominant, capital, auquel se rattache 
a depuis quatre années le relèvement de notre 
« influence et notre rôle national dans le monde, 
« c'est la reconstitution d'une politique extérieure 



126 l'alliance franco-russe 

« française ; elle date exactement de Cronstadt, 
« puisque c'est à bord de notre flotte que l'empereur 
« Alexandre III a rompu le charme qui enchaînait 
« notre initiative. 

« Avant, nous étions condamnés, par les devoirs 
« d'une réserve légitime, à l'abstention. 

« M. de Bismarck en comprenait bien la raison, 
« lui qui écrivait au comted'Arnim,le20 décembre 
« 1872 : « Nous devons empêcher la France de 
« trouver des alliances. Tant qu'elle naura pas 
« d^ alliés^ nous n'aurons rien à craindre d'elle. » 
« Le chancelier de fer peut se vanter d'avoir écarté 
« ce danger pour l'Allemagne, tant qu'il est resté 
« au pouvoir. Il triomphe d'ailleurs aujourd'hui de 
« ses successeurs, en leur reprochant de n'avoir 
« pas évité le contact de la France et de la Russie, 
« qu'il voulait empêcher à tout prix. 

« Personne ne conteste sérieusement que depuis 

« 

a Cronstadt, au lieu d'être isolés, nous sommes 
« deux, chaque fois qu'un problème européen se 
« pose. 

« Cronstadt ouvrit, dans un élan de sympathie 
« éclatante, la route qu'allaient suivre les intérêts 
« communs. 



PORTÉE DE L*ALLIANCE 127 

« Peu de personnes savaient avant la séance 
« d*avant-hier que ces intérêts ont été définis 
« dans une entente écrite^ garantissant la sécurité 
« respective des contractants, en face des éventua- 
« lités futures. Mais il a suffi d'en deviner l'exis- 
« tence ou la possibilité pour changer la face de 
« l'Europe. 

« Sur les flancs de la triple alliance^ la double 
« alliance prenait insensiblement crédit, rétablis- 
« sant l'équilibre et assurant la paix par le respect 
« d'une force redoutable. 

« Voilà les effets saisissants d'un accord plutôt 
« senti que connu dans ses données précises : car 
« en dehors des manifestations amicales souvent 
« répétées, et d'une cordialité visible, les deux 
« gouvernements de France et de Russie s'abste- 
« naient de publier l'existence d'un instrument 
« matériel déterminant leurs relations, réglant leur 
a action concertée, dans des cas spécifiés de 
« menaces ou de danger. 

« Le secret gardé ne manquait pas d'avantages 
< puisqu'il laissait l'adversaire probable dans une 
« demi-incertitude ; il n'avait qu'un inconvénient, 
a celui de permettre aux esprits brouillons d'agiter 



128 L^ALLTAiXCE FRAKCO-RÙSSÈ 

« ropinion, justement dans les circonstances diffi- 
« ciles, de faire naître des hésitations, des soup- 
« çons, des récriminations stériles, de détourner un 
« peu le courant naturel qui nous entraîne à de 
« meilleures destinées. 

« La France sérieuse est hostile aux chicaniers et 
« aux timides qui proposent de laisser la Russie se 
« tirer d'embarras sans notre aide, dès qu'elle est 
« aux prises avec des ennuis désagréables. 

« En revanche elle compte que nous bénéficierons 
« du même traitement si l'occasion s'offre d'invo- 
(t quer non seulement la reconnaissance, mais la 
« loyauté empressée de la Russie. 

« Pour avancer dans la voie qu'il a choisie, 
« notre gouvernement n'était sûr d'être approuvé 
« sans réticences, sans arrière-pensées, de confon- 

« dre ses contradicteurs malveillants et d'obtenir 
« l'assentiment des masses, qu'en prononçant à 
(( haute et intelligible voix le mot, d'alliance. 
« C'est fait. » 

M. Judet a parfaitement bien caractérisé la 
situation des deux alliés. Il n'est pas question 
de prépondérance de part ni d'autre. Elles se 



I>ORTEE DE L* ALLIANCE l29 

soutiendront mutuellement. La France aidera 
la Russie à sauvegarder ses intérêts chaque 
fois que celle-ci aura besoin de son concours, 
et, le cas échéant, la Russie lui rendra le 
même service. 

La chose paraît simple et claire. Avant 
l'alliance la Russie et la France se trouvaient 
toutes deux isolées, en face de la Triple- 
Alliance qui naturellement cherchait à tirer 
de cette situation le plus d'avantages possible. 
La Russie était particulièrement gênée dans 
sa politique du côté des Balkans et la 
France pouvait craindre pour sa sécurité 
nationale. Rien de plus naturel qu'elles 
cherchassent, leurs intérêts ne se heurtant 
nulle part, à s'unir dans une alliance à deux. 
En France tout le monde devrait reconnaître 
que le pays avait tout avantage à sortir de 
son isolement parce que sa population n'aug- 
mente pas, tandis qu'il est entouré d'Etats 
dont quelques-uns ont une population numé- 
riquement supérieure à la sienne ; dans tous 
le chiffre de la population augmente consi- 
dérablement. Néanmoins, quelques esprits 



130 l'aluance FÉANCO-RÙSSË 

portés à la critique voient Talliance d'un 
mauvais œil et prétendent que la Russie est 
seule à en profiter. 



Examinons les choses de plus prés. 

Il est incontestable que Talliance a été très 
profitable à la Russie et qu'elle a fait de 
l'empereur Alexandre III l'arbitre de l'Europe 
pendant les dernières années de son règne. 
Mais où est le mal ? Le prestige accru de la 
Russie a forcément augmenté celui de son 
alliée. 

On a surtout reproché au gouvernement de 
notre pays d'avoir sur le conseil de la 
Russie montré le pavillon français à Kiel, 
d'avoir suivi la politique russe dans la guerre 
Sino-Japonaise et d'avoir trop subi l'influence 
russe dans la question d'Orient. 

Répondons point par point : 

D'abord la manifestation de Kiel était in- 
ternationale et pacifique. L'invitation à y 
assister était adressée à la France comme à 



PORIÉE DE l'alliance 13 1 

toutes les autres nations. A une politesse 
correcte il convenait de répondre par une 
politesse tout aussi simple. Un gouverne- 
ment qui tient à faire partie du concert 
européen n'eût pu s'y soustraire sans man- 
quer à ses devoirs. 

La Russie a demandé et obtenu le con- 
cours de la France pendant la guerre Sino- 
Japonaise, mais elle n'a pas été seule à 
bénéficier de la paix imposée au Japon et 
des bonnes dispositions du gouvernement 
de Pékin. La France a obtenu de la Chine 
des concessions très importantes concernant 
la frontière tonkinoise et des facilités d'accès 
pour son commerce dans Tintérieur du 
Céleste Empire, concessions et facilités qui 
lui sont très enviées par l'Angleterre. 

Grèce à notre alliance avec la Russie et 
à notre intervention, d'accord avec cette 
Puissance et TAllemagne. a la fin de la 
guerre entre la Chine et le Japon, la diplo- 
matie française se trouve aujourd'hui dans 
une excellente situation dans le Céleste 
Empire. Le nouvel arrangement franco- 



132 l'alliance franco-russe 

chinois qui vient d'être conclu en fait foi. 

J'ajoute pour mémoire qu'il y avait intérêt 
pour la France à ne pas trop favoriser 
l'extension de la puissance japonaise qui 
pouvait être soupçonnée d'avoir des vues 
sur le Tonkin. 

La question d'Orient est certainement la 
plus épineuse et la plus délicgite de toutes 
celles qui restent sur le tapis. Aussi l'atti- 
tude des divers gouvernements par rapport 
à celle question prête-t-elle facilement à la 
critique. Pendant la dernière crise orientale, 
c'est quelquefois la France qui a marché à 
la suite de la Russie et quelquefois l'inverse 
qui s'est produit. Peut-être la guerre turco- 
grecque aurait-elle pu être empêchée ; dans 
tous les cas l'alliance franco-russe a puissam- 
ment contribué à maintenir la paix générale 
et le concert européen, lequel est certaine- 
ment une œuvre diplomatique de la plus 
haute importance. C'est le successeur du 
prince Lobanovs^, le comte Mouraview, qui, 
fidèle aux instructions de l'empereur Nico- 
las II, s'est particulièrement employé à créer 



PORTÉE OE l'alliance 133 

cet accord des Puissances. Les résultats en 
sont déjà considérables, et le concert euro- 
péen" actuel durera probablement parce que 
r Angleterre, pour ne pas être obligée de se 
déclarer isolée sera forcée dV adhérer, bien 
qu'au fond il soit dirigé contre elle. 

En France des voix se sont élevées contre 
la politique du gouvernement qui consiste à 
rester dans Ten tente des grandes puissances. 
Les socialistes et quelques radicaux vou- 
draient que la France se tînt à l'écart des 
autres nations et qu'elle professât, en vertu 
de principes particuliers, une politique d'inac- 
tion. Heureusement ces protestations ne 
trouveront pas d'écho dans le pays, 

M. Francis Charmes, un écrivain dont 
Topinion fait autorité, écrivait à ce sujet au 
mois de mars dernier, dans la Reoue des Deux 
Mondes : 

« On comprendrait une politique de recueille- 
« ment et d'abstention absolus : elle a pu être con- 
« venable pendant un certain temps, elle ne le serait 
a plus maintenant. Alors il faudrait rompre comme 



134 l'alliance franco-russe 

« encombrante et inutile la seule alliance que nous 
a ayons ; et puis il faudrait nous taire. Est-ce lace 
a que veulent les socialistes et avec eux quelques 
« radicaux ! Prétendent-ils nous condamner encore 
a aux abstentions de 188^ qui ont laissé tomber 
« l'Egypte entre les mains des Anglais? Il n'y a pas 
« trois politiques en présence, il n'y en a que deux : 
« ou le concert européen avec les obligations qu'il 
« entraîne, avec les lenteurs qu'il impose, avec les 
« difficultés qu'il accepte et qu'il essaie de résoudre, 
« ou l'isolement avec la rhétorique pour consola- 
« tion ou pour amusement. Entre les deux il faut 
« choisir et notre choix est fait. 

Plus récemment M. Jules Valfrev, ministre 
plénipotentiaire, a publié dans le Figaro de 
très remarquables articles dans lesquels il a 
démontré les graves dangers auxquels Tiso- 
lement aurait exposé la France dans la si- 
tuation actuelle de TEurope. 

Passons maintenant à ia question d'Egypte. 
La Russie y a prêté et continuera de prêter 
à la France, tout Tappui qu'elle est en me- 
sure de lui fournir. Elle s'associe à toutes 



PORTÉE DE L*ALLIANCE 135 

les démarches du gouvernement fronçais. 
Pas plus que la France elle n'abandonne 
quoi que ce soit de ses droits, ni des droits 
de l'Europe en Egypte. Que peut-on raison- 
nablement lui demander de plus dans la 
situation actuelle de l'Europe ? 

Ce n'est pourtant pas la faute de la diplo- 
matie russe si les occasions ne se présentent 
pas plus souvent pour elle de rendre service 
à la France. Cependant nous en avons si- 
gnalé une au commencement de ce récit, 
l'intervention, en février 1887, de l'empereur 
Alexandre III, qui préserva la France d'une 
agression des plus redoutables. Si un 
danger de même nature se présentait de 
nouveau, la France pourrait encore compter 
sur son alliée. L'empereur Nicolas II, qui 
paraît vouloir suivre en tout la politique de 
son père, a prononcé à la revue de Cholons, 
le 9 octobre 1896, en répondant à un toast 
du Président do la République, les paroles 
suivantes : 

« Vous avez eu raison de le dire, Mon- 



136 l'alliance franco-russe 

« sieur le Président, nos deux pays sont 
« liés par une inaltérable amitié, de même 
« qu'il existe entre les deux armées un 
« profond sentiment de confraternité d'ar- 
« mes. » 

On peut être certain que ce ne sont pas 
là de vains mots. 

Enfin on fait grand bruit en France autour 
de Targent prêté à la Russie. On n'est pas 
éloigné de parler de sacrifices faits. Ces 
mots ne sont pas heureux. L'épargne fran- 
çaise a trouvé en Russie un placement sûr 
et très avantageux et je ne crains pas 
d'affirmer que les différentes émissions 
d'emprunt russe sur la place de Paris ont 
augmenté la fortune de la France d'un 
DEMI-MILLIARD. Que l'on fasse bien le 
compte et l'on verra que je ne me trompe 
pas. 

Non, la vérité est que l'alliance entre la 

Russie et la France profite à toutes deux. 

Puisse-t-elle donc durer indéfinimenT;, cette 



PORTÉE DE l'alliance 137 

grande œuvre de l'Empereur Alexandre III, 
pour le plus grand bien des deux nations 
alliées et à la satisfaction de tous les amis 
sincères de la paix. 



FIN 



TABLE DES MATIERES 



Préface 



CHAPITRE PREMIER 
PREMIERS JALONS 

Déclarations du prince Gorlcbakow. —Opinion de Gam- 
bella sur une alliance franco-russe. — Il choisit des 
ambassadeurs. — Lettre de M. Tiby. —Opinion de M. 
Jules Ferry 3 



CHAPITRE II 
LE BARON DE MOHRENHEIM 

Changement d'ambassadeur de Russie à Paris en i884. 
— Biographie de M. de Mobrenheim. — Mes relations 
avec l'ambassade de Russie. — Réponse de M. Flou- 
rens aux délégués bulgares, en janvier 1887.— Bonne 
impression à Saint-Pétersbourg 45 



140 TABLE DES MATIÈRES 

CHAPITRE III 
.FRANGE ET ALLEMAGNE 

Tension des relations franco-allemandes. — Craintes de 
guerre en 1887. — Intervention du Tsar en faveur de 
la paix. — Mécontentement de M. de Bismarck. — 
Lettres de M. Valfrey. — Conversation avec M . Grévy. 

— Lettre du prince Napoléon 27 

CHAPITRE IV 
PÉRIODE D'ATTENTE 

Réconciliation de M. Floquet avec Tambassade de Russie. 

— Affaire Atchinow. — La Russie à l'exposition de 
1889. — Démission de M. de Bismarck. —Arrestation 

de nihilistes russes à Paris en 1890 43 

CHAPITRE V 

PREMIERS ACCORDS 

Pourparlers sur la visite de navires français en Russie. 

— Les fêles de Cronstadt. — Négociations sur une en- 
tente franco-russe. — M. de Mobrenheim appelé par 
le Tsar. — Son retour à Paris vers la fin du mois 
d*Août 1891. — Conclusion de l'entente. —Impression 

en France et à l'étranger 59 



TABLE DES MATIERES 141 

CHAPITRE VI 
LA CONVENTION MILITAIRE 

Arrivée de M. de Giers à Paris. — Efforts de M. de 
Freycinet en vue d'une convention militaire. — Fabri- 
cation de fusils pour la Russie à Chatellerault. — Ma 
missioi^ à Fredensborg. — Progrès des négociations 
en 1892. — M. de Giers à Aix-les-Bains . ...» 79 

CHAPITRE VII 
FACHEUX INCIDENTS 

Attaques dans la presse française contre le baron de 
Mohrenheim. —Les scandales du Panama. — Inter- 
vention du gouvernement français. — M. Develle 
arrange l'affaire 95 

CHAPITRE VIII 
COURONNEMENT DE L'ŒUVRE 

Reprise des négociatious avec la Russie à l'automne de 

1893. — Visite des marins russes à Toulon et à 
Paris. — Fêtes superbes en octobre 1893. — Grande 
satisfaction du Tsar. — Négociations terminées. — 
Conclusion du pacte définitif au commencement de 

1894. — La Russie et la France alliées 107 



14â TAbLE DES MATIERES 

CHAPITRE IX 

PORTÉE DE L'ALLIANCE 

Déclarations de ministres français, le 10 juin 1895. — 
Rétablissement de l'équilibre européen. — Entente 
défensive en vue du maintien de la paix. — Egalité 
entre les deux, alliées. — Aide mutuel pour la sauve- 
garde de leurs intérêts. — Le Concert européen. — 
L'Alliance également profitable à la France et à la 
Russie 120 



Cl»M-inoMt-Fd, Imp. Paul RACLOT, rue Blalin. 



L 





L'ALLIANCE 



FRANCO-RUSSE 



PAR 



Jules HANSEN 

Conseiller d'Anibassafie honoraire 



:^ ÉDITION 




PARIS 

ERNEST FLAMMARION, ÉDFTEUR 

20, RUK RACI.NK. PRKS DE l'ODKON 

1897