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Full text of "La marche de Brandebourg sous la dynastie ascanienne"

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LA   MARCHE 

DE  BRANDEBOURG 

SOUS    LA   DYNASTIE  ASCANIENNE 


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Coulommiers. —  Typographie  de  A.  MOUSSIN 


LA    MARCHE 


DE 


BRANDEBOURG 


SOUS  LÀ  DYNASTIE  ASCANIENNE 


THESE  DE   DOCTORAT 

SOUTENUE  DEVANT  LA  FACULTÉ  DES  LETTRES  DE  PARIS 


ERNEST    LAVISSE 

ANCIEN     ÉLÈVE     DE     l/ÉCOLE     NORMALE,      AGRÉGÉ      DHISTOIRE 
PROFESSEUR    AU    LYCÉE    HENRI    IV 


PARIS 

LIBRAIRIE   HACHETTE   ET  O 

79,    BOULEVARD   SAINT-GÊRMAIN,    79 

1875 


49/ 


Q 


1130153 


A  MON   PÈRE 


AVANT-PROPOS 


La  monarchie  prussienne  a  une  double  origine, 
le  Brandebourg  et  la  Prusse. 

L'histoire  du  Brandebourg  et  celle  de  la  Prusse 
demeurent  distinctes  l'une  de  l'autre  jusqu'en 
l'an  1618:  mais  elles  ont  plus  d'un  point  de  res- 
semblance. Longtemps  disputé  entre  les  Alle- 
mands et  les  Slaves,  le  Brandebourg  est  enfin 
conquis  par  les  margraves  de  la  maison  asca- 
nienne;  au  milieu  du  xu"  siècle,  Albert  l'Ours 
fait  les  premiers  pas  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe, 
et  déjà,  au  commencement  du  xiv,  ses  suc- 
cesseurs ont  presque  atteint  la  Vistule,  Long- 
temps rebelle  au  christianisme,  la  Prusse  est 
attaquée  au  xur"  siècle  par  l'Ordre  teutonique, 
né  en   Terre-Sainte,  et  qui,   transporté  sur  les 


VI  A\   \N  I-I'IUU'OS 

bords  de  la  Vistule,  fait,  en  cinquante  ans,  la 
conquête  du  pays  jusqu'au  Niémen.  En  Bran- 
debourg el  en  Prusse,  la  population  slave  fut  en 
partie  exterminée,  Là  par  les  margraves,  ici  par 
les  chevaliers  allemands. 

Les  «lcux  histoires  se  rapprochent  an  xvic  siè- 
cle. Une  révolution  s'accomplit  en  Prusse  après 
la  Réforme  :  l'Ordre  est  sécularisé;  le  grand-maî- 
tre électif  devient  duc  héréditaire.  Or  le  premier 
duc  était  de  la  famille  des  Hohenzollern,  qui, 
depuis  le  xve  siècle,  régnait  sur  le  Brandebourg; 
les  Hohenzollern  de  Brandebourg  héritèrent  en 
1G18  des  Hohenzollern  de  Prusse,  et  ainsi  fut 
fondé  l'état  brandebourgeois-prussien,  état  alle- 
mand, qui  a  gardé  comme  des  trophées  de  vic- 
toire les  noms  des  deux  pays  slaves  sur  lesquels 
la  conquête  Ta  établi 1. 

Moins  de  cent  ans  après  cet  événement,  le 
Hohenzollern  Frédéric  III  brigua  le  titre  de  roi  : 
l'empereur  d'Allemagne  le  fît  roi  de  Prusse.  L'an- 
cien «  pays  de  l'Ordre  »  n'avait  jamais  relevé  de 
l'empire,  tandis  que  le  Brandebourg  était  attaché 
à  l'Allemagne  par  le  lien  de  la  vassalité;  il  était 


1.  Les  histoires  de  la  monarchie  prussienne  s'appellent  d'ha- 
bitude, en  Allemagne  :  Histoire  de  l'Etat  brandebourgeois-prus- 
sien; Histoire  de  la  Prusse  signifie  seulement  histoire  de  la  Prusse 
proprement  dite. 


AVANT-PROPOS  VII 

donc  naturel  que  le  titre  royal  fût  attribué  au 
duché  de  Prusse;  mais  le  Brandebourg  demeura 
la  partie  principale  de  la  monarchie. 

Le  royaume  prussien,  aventuré  au-delà  de  la 
Vistule,  tout  à  l'extrémité  de  l'Europe  politique, 
n'était  rien  par  lui-même  ;  uni  à  la  marche  de 
Brandebourg,  il  donna  aux  électeurs-rois  ce  dou- 
ble caractère  de  membres  du  corps  germanique 
et  de  souverains  indépendants,  qui  a  tant  contri- 
bué à  leur  fortune.  Mais  c'est  en  Allemagne  que 
cette  fortune  a  grandi;  c'est  parce  qu'ils  étaient 
membres  du  corps  germanique  que  les  Hohen- 
zollern  en  sont  devenus  les  maîtres.  Enfin  ils  ont 
trouvé  dans  la  marche  la  tradition  de  cette  auto- 
rité singulière,  à  la  fois  militaire  et  patriarcale, 
qu'ils  ont  exercée  sur  les  divers  pays  soumis  à 
leur  domination,  et  qui  en  a  été  le  lien  solide. 

L'histoire  spéciale  de  la  marche  de  Brande- 
bourg mérite  donc  une  étude  à  part  :  ce  livre  en 
expose  les  origines  les  plus  lointaines  et  s'arrête  à 
l'extinction  de  la  dynastie  ascanienne. 

En  peu  de  mots,  voici  l'objet  qu'on  s'y  est  pro- 
posé :  dire  à  quel  moment  de  l'histoire  générale 
est  née  la  marche  du  Nord,  qui  devint  ensuite  la 
marche  de  Brandebourg;  quelle  mission  fut  assi- 
gnée à  ses  chefs  et  comment  ils  l'ont  remplie; 


VIII  \\  ANT-I'UOI'OS 

raconter  leurs  relations  avec  l'Allemagne  en  môme 
temps  que  leurs  conquêtes  en  pays  slave;  définir 
le  caractère  de  l'autorité  margraviale;  la  suivre 
dans  son  exercice,  quand  elle  crée  de  toutes  pièces 
un  étal  nouveau  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  et 
montrer  comment,  ayant  tout  institué,  elle  est 
demeurée  très-forte,  même  après  que  le  temps 
et  de  mauvaises  coutumes  l'eurent  altérée. 

L'étude  de  ces  temps  primitifs  du  Brandebourg, 
à  peu  près  inconnue  en  France  a  été  longtemps 
négligée  en  Allemagne  :  elle  y  est  en  honneur 
aujourd'hui.  Un  des  maîtres  de  la  science  histo- 
rique dans  ce  pays,  M.  Ranke,  a  puhlié  il  y  a 
trente  ans  ses  Neuf  livres  de  V histoire  de  la 
Prusse  :  il  semblait  alors  qu'il  fit  dater  la  Prusse 
des  Hohenzollern  !.  Il  donne  aujourd'hui  une 
seconde  édition  de  cet  ouvrage,  qui  est  singuliè- 
rement augmentée  2  :  le  premier  volume  porte  le 
titre  de  Genèse  de  VElat  prussien;  un  long  cha- 
pitre y  est  consacré  aux  margraves  ascaniens,  et 
Fauteur  avoue  dans  sa  préface  que  les  événements 
contemporains  l'ont  éclairé  sur  l'importance  de 
cette  histoire  si  reculée. 

On  s'expose  toujours  à  faire  quelque  injure  à  la 

1.  Ranke,  Neun  Bûcher  der  preussischen  Geschichte,  Berlin, 
1847. 

2.  Ranke.  Geuesis  des  preussischen  Staates,  Leipzig,  1874. 


AVANT-PROPOS  IX 

vérité,  quand  on  reporte  ainsi  dans  le  passé  les 
préoccupations  du  présent.  M.  Ranke  a  voulu 
vieillir  la  gloire  du  Brandebourg,  et  c'est  par 
patriotisme  qu'il  donne  une  place  parmi  les  pré- 
décesseurs des  rois  de  Prusse  à  un  héros  du 
xne  siècle,  le  margrave  Albert  l'Ours.  Plus  pro- 
fondes sont  les  racines  de  la  grandeur  prussienne, 
plus  la  solidité  lui  en  parait  assurée.  D'autre? 
écrivains  cherchent  dans  la  même  histoire  la 
satisfaction  de  passions  opposées.  Ils  mettent  en 
lumière  le  caractère  particulier  des  institutions 
de  la  marche,  afin  de  montrer  que  l'entente  esl 
impossible  entre  l'esprit  allemand  et  l'esprit  bran- 
debourgeois,  produits  de  deux  histoires  si  dif- 
férentes. 

Nous  n'avons  pas  à  prendre  parti  dans  cette 
querelle  ;  mais  pourquoi  faire  difficulté  d'avouer 
que  les  événements  contemporains  nous  ont  aussi 
ramené  vers  ce  lointain  passé?  Certes  nous  n'au- 
rons garde,  en  parlant  du  Brandebourg  au  moyeu 
âge,  de  penser  à  nos  justes  griefs  d'aujourd'hui; 
car  il  ne  faut  pas  envier,  mémo  à  des  victorieux, 
le  don  de  la  haine  rétrospective.  Mais  l'histoire 
de  la  Prusse  est  un  sujet  où  nous  avons  le  devoir 
d'acquérir  une  connaissance  réfléchie  et  philo- 
sophique, et  l'on  ne  comprend  pas  une  histoire 


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dont  «ni  ignore  les  origines.  Depuis  Albert  Tours 
jusqu'au  souverain  contemporain  de  La  Prusse,  il 
y  a  une  continuité  de  tradition  qu'on  ne  saurait 
méconnaître.  C'est  donc  dans  l'histoire  du  Bran- 
debourg sous  la  dynastie  ascaniennc  qu'on  trou- 
vera la  source  véritable  de  l'histoire  de  Prusse. 
11  faut  remonter  jusque-là,  en  dépit  des  difficultés, 
des  fatigues  et  des  ennuis  de  la  route. 


LA   MARCHE 

DE  BRANDEBOURG 

SOUS    LA  DYNASTIE  ASGANIENNE 


CHAPITRE   I 


LA    MARCHE    AVANT    L  AVÈNEMENT    DES  ASCANIENS. 

Les  SlavesdeLElbeet  les  Germains  jusqu'à  la  mortde  Charlemagne. 
—  Leur  situation  comparée  en  S14.  —  Les  Slaves  de  l'Elbe  et  les 
Allemands  depuis  la  mort  de  Charlemagne  jusqu'à  la  fondation 
de  la  marche  du  Nord  (814-003).  —  La  marche  jusqu'à  l'avéne- 
ment  des  Ascaniens  963-1134).  —  Situation  singulière  des  Slaves 
de  l'Elbe  au  début  du  xne  siècle.  —  Causes  et  conséquences 
de  cette  situation. 


LES    SLAVES    DE  L  ELBE    ET   LES    GERMAINS    JUSQTJA    L.V   MORT 
DE    CHARLEMAGNE 

La  marche  de  Brandebourg  ne  commence  pas  avec 
les  Hohenzollern.  Avant  eux  se  sont  succédé  plusieurs 
dynasties,  dont  la  plus  illustre  esl  celle  des  Ascaniens. 
Les  vaillants  margraves  de  celle  maison  oui  frayé 
toutes  les  routes  où  les  Hohenzollern  devaient  les 
suivre  et  les  dépasser,  e)  c'est  dans  leur  histoire  qu'on 
trouvera  les  origines  véritables  de  la  monarchie  prus- 
sienne; mais  avant  delà  raconter,  il  faut  remonter 
loin  dans  le  passé  ;  car  leur  principale  gloire  est  d'avoir 

1 


2  LA  MARCH1 

mis  un  terme  par  une  victoire  définitive  au  combat  en- 
gagé sur  Les  rives  de  l'Elbe  entre  les  allemands  el  les 
Slaves,  et  l'on  ne  saurait  la  bien  apprécier  qu'après 
avoir  retracé  à  grands  traits  cette  lutte  plusieurs  fois 
séculaire. 

On  n'a  pourtanl  pas  le  dessein  d'aller  rechercher 
dans  les  temps  préhistoriques  laquelle  des  deux  races 
revendique  à  bon  droit  la  priorité  de  possession  sur  les 
pays  entre  l'Elbe  el  la  Vistule.  A  la  vérité,  de  telles 
questions  ne  peuvenl  pins  être  considérées  comme 
oiseuses,  depuis  que  L'érudition  a  pris  une  pari  active 
aux  affaires  du  monde,  qu'on  a  vu  s'ouvrir  L'ère  terrible 
des  -uerres  de  race  et  d'idiome,  et  le  souvenir  de  l'oc- 
cupation antérieure  d'un  territoire  devenir  la  source  de 
revendications  éternelles;  mais  les  relations  dv<,  Alle- 
mands et  des  Slaves  sont  enveloppées  de  trop  (''paisses 
ténèbres  jusqu'à  l'ère  chrétienne  pour  qu'il  soit  possi- 
ble d'y  rien  distinguer,  et  même  à  cette  date,  l'histoire 
des  migrations  slaves  est  encore  très-incertaine.  Au 
reste,  comme  il  n'est  pas  de  notre  sujet  de  chercher  à 
porter  la  lumière  dans  ces  obscurités,  il  suffit  de  rap- 
peler ici  que  Tacite  et  Pline  J  placent  sur  la  Vistule, 
dans  le  voisinage  des  Finnois,  les  Venèdes,  c'est-à- 
dire  les  Wendes  ou  Slaves  2;  que  Ptolémée  3  signale  à 
l'extrême  orient  de  l'Europe,  aux  bords  du  Volga,  un 
autre  peuple  slave,  les  Serbes;  mais  qu'à  la  faveur 
de  la  grande  invasion,  les  différents  groupes  de  la 
race  se  sont  avancés  dans  la  direction  de  l'Elbe  eL  de 

1.  Tacite,  Ger mania,  ch.  xlvi.  —  Pline ,  Historia  naturalis , 
lib.  IV,  c  13. 

2.  Wende  est  le  nom  donné  aux  Slaves  par  les  Allemands  ; 
il  sert  souvent  au  moyen  âge  à  désigner  les  Slaves  de  l'Elbe.  — 
Voyez  Schafarik.  Antiquités  slaves,  trad.  en  allemand  par  Aehren- 
feld;  t.  I,  ch.  vu. 

3.  Ptolémée,  Géographie,  L.  v.  9. 


AVANT   L  AVENEMENT   DES   ASGANIENS  o 

l'Adriatique,  pendant  que  les  peuples  germaniques 
émigraient  en  masse  vers  le  sud  et  vers  l'ouest.  A  la  fin 
du  \'ie  siècle,  des  Slaves  sont  établis  dans  la  Panno- 
nieet  le  Norique,  où  Thassilo  de  Bavière  les  combat  t  ; 
ils  menacent  l'Italie  par  l'Istrie,  et  font  jeter  des  cris 
d'alarme  au  pape  Grégoire-le-Grand  2  ;  les  Tchèques 
ont  remplacé  dans  le  quadrilatère  de  Bohème  les 
Marcomans,  dont  le  nom  disparaît  au  v"  siècle.  Enfin 
l'occupation  du  pays  entre  l'Elbe  et  la  Yistule  s'esl 
sans  doute  faite  peu  à  peu,  à  mesure  qu'émigraient  les 
différentes  tribus  entre  lesquelles  il  était  partagé,  c'est- 
à-dire  les  Burgondes,  les  Goths,  les  Lombards,  les  Van- 
dales, et  les  Semnons  3. 

Ce  pays  entre  l'Elbe  et  la  Yistule  est  le  théâtre  où 
s'accomplira  l'histoire  que  nous  allons  raconter  :  il 
faut  dès  maintenant  marquer  la  place  des  tribus  qui 
sont  appelées  a  y  jouer  un  rôle.  En  remontant  la 
vallée  de  l'Elbe,  depuis  l'embouchure  du  fleuve  jus- 
qu'au point  où  il  sort  du  quadrilatère  de  Bohème,  on 
rencontre  trois  groupes  de  peuples  slave-. 

Le  groupe  septentrional  habitait  dans  le  Mecklem- 
bourg  actuel  entre  la  Baltique  au  nord  et  l'Elbe  au 
sud,  entre  la  Reckenitz  à  l'es!  et  la  Trave  à  l'ouest  :  la 
plus  forte  des  nations  dont  il  se  composait  était  celle 
des  Ohotrites  K  qui  avaient  pour  villes   principales 

1.  Paul  Diacre,  De  gestis  Langobardorum,  IV.  7  [ap.  Muratori, 
Rerum  italicarum  scriptores,  t.  I,  pars  I.  p.  455] 

2.  S'  Grégoire,  Opéra  omnia,  t.  II.  lib.  X.  epist.  xxxvi.  Con- 
turbor,  quia  per  Histriœ  aditum  jam  ad  Italiam  intrare  cteperunt. 

'à.  Voyez  pour  cette  histoire  des  migrations  Slaves,  Schafarik,  op. 
cit;  Rettberg,  Kirchengeschichte   /'  Is,  t.  II,   p.   544-555; 

L.  Léger,  Cyrille  et  Méthode,  chap.  I. 

i.  Ou  Ilodrizes;  il  y  a  pour  chacun  de  ces  noms  de  nombreuses 
formes:  on  preml  ici  les  plus  usitées.  Voypz  pour  toutes  ces  for- 
mes et  les  étymologies  Schafarik,  t.  II.  p.  587  et  suiv.  Voyez  aussi 
Raumer,  Historische  Charten  >i,ni  Stummtafeln  :u  den  Regesta 
historiée  brandengenbursis,  1"  cahier,  p.  1.  à  2i. 


4  LA   MARCHE 

Etarog,  aujourd'hui  disparue,  Rostock  ei  Schwérin. 
Auprès  les  Obotrites  donl  Le  Qom  serl  d'ordinaire  à 
désigner  le  groupe  septentrional,  apparaissent,  à  diffé- 
rentes dates  '.îles  tribus,  parmi  lesquelles  nousnom- 
merons  seulemenl  la  plus  occidentale,  «•''11»'  des  Wa- 
griens,  où  se  trouvait  une  ville  destinée  à  une  grande 
célébrité,  Ltibeok  '•'. 

Le  groupe  central,  que  les  Allemands  désignaienl 
par  les  Qoms  de  Wiltzes  ou  de  Luitizes :t,  était  le  plus 
important  des  trois.  C'esl  aussi  celui  donl  l'histoire 
esl  1<'  plus  étroitemenl  mêlée  à  celle  de  la  marche  de 
Brandebourg.  Depuis  Gharlemagne  jusqu'au  temps  de 
la  complète  soumission  dus  Wendes,  son  nom  revient 
plus  souvent  que  celui  de  tout  autre  peuple  slave  :  il 
domine  dans  les  légendes  et  les  contes  d'Allemagne, 
ei  même  aujourd'hui  il  est  prononcé  avec  terreur  par 
le  peuple  dans  les  légendes  russes.  Les  principales 
tribus  du  groupe  étaient  : 

Les  Rugiens ,  habitant  l'île  Riijana  4,  aujourd'hui 
Rugen,  guerriers,  pirates,  et  dévots;  leur  capitale 
Orekunda,  appelée  par  les  Allemands  Arkona,  renfer- 
mait un  des  sanctuaires  les  plus  vénérés  des  Slaves; 

Les  Woliniens ,    habitant  l'île   de   Wolin  et  une 

1.  La  géographie  politique  du  pays  slave  de  l'Elbe  est  pour 
ainsi  dire  découverte  peu  à  peu  par  les  chroniqueurs  allemands; 
elle  se  modifie  de  siècle  en  siècle.  Il  suffit  d'en  indiquer  ici  les 
Iraits  principaux.  Voyez  Giesebrecht,  Wendische  Geschichten,  aus 
denjahren  780  bis  1182.  t.  I.  ch.  i. 

2.  Lùbeck  fut  à  l'origine  une  forteresse  wiltze,  conquise  de 
bonne  heure  par  les  Obotrites. 

3.  Le  nom  slave  était  Welatabi  :  natio  quœdam  Sclavenorum, 
quœ  propriâ  linguâ  Welatabi,  francicâ  autem  Wiltzi  vocantur... 
Eginhard,  Annales,  ad.  ann.  799  («p.  Pertz,  Monumenta  Germaniœ 
Justorica,  t.  Ij.  Luitizi,  Liutizt  est  un  nom  postérieur.  Voyez  pour 
l'histoire  de  ces  noms  Giesebrecht,  loc.  cit.,  et  Schafarik,  au 
chap.  des  Slaves  Polabes,  t.  IL  p.  546-625. 

4.  Le  nom  Slave  est  Rana  ;  Rûjana  et  Rugen  sont  les  noms  alle- 
mands (Schafarik  t.  IL  p.  574.  note  2). 


AVANT  L* AVENEMENT  DES  ASCANIENS  5 

partie  delà  côte  voisine  :  leur  capitale,  Wolin  *,  est 
célébrée  par  Adam  de  Brème  comme  «  une  très-noble 
cité  »  dont  on  raconte  des  merveilles  ;  «  c'est,  dit-il, 
la  plus  grande  de  (eûtes  les  villes  que  l'Europe  ren- 
ferme.... enrichie  par  les  marchandises  de  tous  les 
peuples  du  nord,  elle  possède  tous  les  agréments  el 
Imites  les  raretés  2;  » 

Les  Circipaniens,  habitant  auprès  de  la  Peene  [Panis] 
qui  leur  a  donné  son  nom  :  il  y  avait  un  temple  fameux 
dans  leur  ville  de  Wollgast; 

Les  Chyz/.iniens,  entre  la  Reckenitz  et  la  Warnow  ; 
les  Dolen/.iens,  aux  bords  du  lac  et  de  la  rivière  Toi- 
le use; 

Les  Redariens  entre  la  Havel,  l'Oder,  la  Peene,  la 
Tollense  :  on  ne  sait  où  placer  leur  ville  de  Ratara  ou 
Rethra,  connue  par  son  temple  consacré  au  Dieu  de 
la  guerre  ; 

Les  Ucraniens,  aux  bords  de  l'Ucker; 

Les  Stoderaniens,  ou  Hévelliens  :  le  premier  de  ces 
noms  vient  de  Stoda,  nom  d'une  divinité  indigène  et 
c'est  celui  que  la  tribu  se  donnait  à  elle-même  :  l'autre 
lui  était  attribué  par  les  Allemands,  parce  qu'elle 
était  située  aux  bords  de  la  Havel  qui  l'enveloppait  de 
trois  côtés;  deux  villes  des  Hévelliens  portaient  des 
noms  qui  sont  devenus  fameux  :  Brandebourg  3  et 
Potsdam  4  ; 

Les  Brisaniens  habitaient  près  de  la  Havel;  lo  nom 

1.  Wolin  est  le  nom  Slave,  Julin  le  nom  danois,  Winetha  le 
nom  saxon  (Schafarik,  t.  IL  p,  576.  8). 

2.  Adam  de  Brème  ,  Gesta  Hammaburgensis  ecclesice  ponti- 
ficum,  II,  19  (ap.  Pertz,  Monumenta  Germaniœ  historica,  VII, 
p.  312  . 

3.  Branibor,  Brennaborg  ,  Brennaburg ,  Branneburch  ,  Brendan- 
burg.  Brandunburg,  etc. 

4.  Postupini. 


(i  LA   MARCHE 

de  Priegnitz  porté  par  le  pays  entre  la  Havel,  la  Dosse 

el  L'Elbe  esl  sans  doute  an  souvenir  de  cette  peuplade  ; 

Les  Sprévaniens  tiraienl  leur  nom  de  la  Sprée,  sur 

les  deux  rives  de  laquelle  ils  étaienl  établis  ; 

Enfin  les  Morizaniens  habitaient  la  rive  de  l'Elbe  en 
lare  de  Magdebourg. 

Le  troisième  groupe  i\<>*  Slaves  de  l'Elbe  était  celui 
des  Sorabes  ou  Sorbes1,  qui  habitaient  entre  les  monts 
(h1  Bobême  au  sud,  la  Saale  à  l'ouest,  le  Boberà  l'est,  et 
qui  était  séparé  des  Wiltzes,  ses  voisins  du  nord,  par  une 
ligne  partant  de  Pemboucbure  de  la  Warta  dans  l'O- 
der, pour  rejoindre  le  confluent  de  la  Saale  et  de  l'Elbe. 

Depuis  le  temps  de  Tacite  et  de  Pline,  les  Slaves 
avaient  gagné  une  immense  étendue  de  terrain.  En  un 
point  ils  dépassaient  l'Elbe,  puisque  les  Sorabes  attei- 
gnaient jusqu'à  la  Saale;  mais  des  colonies  isolées 
s'avancèrent  plus  loin  encore  vers  l'occident.  Plusieurs 
villages  de  la  Vieille-Marche ,  c'est-à-dire  de  la  partie 
de  la  future  marche  de  Brandebourg  située  sur  la  rive 
gauche  de  l'Elbe,  ajoutent  encore  à  leur  nom  l'épi- 
thète  de  Wendisch,  et  d'autres  ont  porté  jusqu'au 
xve  siècle  cette  qualification,  qui  s'est  perdue  depuis. 
A  l'ouest  de  la  Vieille-Marche,  dans  le  pays  de  Liine- 
bourg,  le  fond  slave  de  la  population  se  trahissait, 
même  au  xvne  siècle,  par  la  langue  et  par  les  cou- 
tumes, malgré  les  efforts  faits  par  le  gouvernement 
du  pays  pour  effacer  cette  distinction 2.  Enfin   des 


1.  Le  nom  de  Serbes  était  donné  autrefois  par  les  Slaves  à 
toute  la  race.  Il  vit  encore  aujourd'hui  en  Serbie,  et  dans  ce  qui 
subsiste  des  Sorabes  dont  il  est  ici  question  :  les  Slaves  de 
Lusace  s'appellent  en  eflet  Serbjo. 

2.  Voyez  Riedel,  die  Mark  Brandenburg  im  Jahre  1250,  oder 
historische  Beschreibung  der  brandenburgischen  Lande  und  ihrer 
politischen  und  hirchlichen  Verhàllnisse  uni  dièse  Zeit.,  t.  II.  p.  8. 
et  note  1. 


AVANT   L'AVÈNEMENT   DES   ASCANIENS  7 

Slaves  ,  probablement  du  groupe  sorabe ,  franchirent 
la  Saale  pour  s'avancer  au  cœur  de  l'Allemagne. 
En  l'année  7  il.  quand  Sturm,  le  disciple  de  Boniface, 
envoyé  par  son  maître  à  la  recherche  d'un  asile  où  l'a- 
pôtre de  la  Germanie  pût  se  livrer  à  la  contemplation 
et  «  reposer  enfin  ses  jambes  fatiguées  »,  s'enfonça 
dans  la  forêt  bochonienne,  il  rencontra,  au  moment  de 
découvrir  le  lieu  désiré,  un  grand  nombre  d'hommes 
qui  se  baignaient  dans  la  Fulda  :  c'étaient  do^  Slaves, 
qui,  voyant  aller  ce  pèlerin  seul  sur  son  âne,  se  mo- 
quèrent de  lui,  mais  le  laissèrent  passer  sans  lui  faire 
aucun  mal  '.  Boniface  eut  dans  la  suite  de  nombreuses 
relations  avec  ces  tribus.  Des  Slaves,  appelés  par  lui, 
défrichèrent  la  forêt  aux  pieds  des  murailles  sacrées 
du  monastère  de  Fulda,  qui  fut  un  des  foyers  les  plus 
actifs  de  la  propagande  chrétienne  en  Germanie.  D'au- 
tres colonies  s'établirent  vers  le  même  temps  dans  les 
diocèses  de  \Yurzbourg  et  de  Bamberg,  où  elles  in- 
troduisirent le  travail  des  mines  et  l'élève  du  bétail. 
Il  en  est  même  qui  pénétrèrent  en  Souabe  et  jusque 
sur  les  bords  du  Rhin2. 

Ainsi  les  Slaves  avaient  suivi  la  marche  des  Ger- 
mains, couvert  les  pays  abandonnés  par  les  envahis- 
seurs ,  poussé  leurs  avant-postes  au  sud  jusqu'aux 
portes  di'  l'Italie ,  envoyé  des  colons  à  l'ouest  jus- 
qu'aux bords  du  Rhin;  niais  ces  progrès  devaient  s'ar- 
rêter, le  jour  où  s'arrêterait  l'invasion  germanique.  A 
une  date  inconnue,  des  tribus  qui  avaient  pénétré  au 
delà  de  l'Elbe  clans  la  Vieille-Marche  et  le  pays  de 
Liinebourg  furent  attaquées  par  les  Saxons,  venus 
des  bords  de  la  mer  en  remontant  la  rive  gauche  île 

1.  Rettberg,  op.  cit.  t.  I.  p.  372. 

2.  Itiedel,  die  Mark  Br.,  t.  II.  p.  10  et  11,  et  les  notes. 


8  l.A    MARCHE 

l'Elbe,  fi  ^i  bien  soumises  qu'elles  ne  remuèrent  plus 
jamais1.  Toutefois  La  lutte  ne  devinl  vive  qu'après  que 
la  conquête  eul  amené  les  Francs  aux  extrémités  de 
l'Allemagne.  Au  commencement  du  viii*  siècle,  la 
Bavière  esl  encore  réduite  à  la  défensive  :  eu  725  les 
Slaves  font  dans  le  Pongau  des  incursions  victo- 
rieuses; mais  quand  Charles  Martel  et  ses  lils  oui 
étendu  leur  domination  sur  la  lia vière,  l'œuvre  de  la 
soumission  el  de  la  conversion  des  Slaves  el  des 
Avares  esl  entreprise  avec  vigueur  •'. 

Sur  les  bonis  de  l'Elbe,  les  premiers  rapports  entre 
les  Francs  et  les  Slaves  furent  amicaux,  car  ils  avaient 
un  ennemi  commun,  les  Saxons.  Pépin  s'allie  aux 
Slaves  3  pour  punir  les  Saxons  d'avoir  prêté  appui  à 
son  frère  Grippon  (748),  et  Gbarlemagne  cherche  parmi 
les  nations  transalbines  des  alliés  dans  la  guerre 
d'extermination  qu'il  fait  à  la  Saxe  :  il  les  trouve 
chez  les  Obotrites  et  les  Sorabes  4.  Mais  la  Saxe  une 
fois  domptée,  le  conquérant  chrétien,  dont  les  armes 
ne  pouvaient  se  reposer  tant  qu'il  resterait  un  païen  à 
convertir,  attaque  les  Slaves.  Il  sait  profiter  habile- 
ment des  haines  qui  divisent  les  diverses  nations 
de  cette  grande  race;  car  elle  est  en  proie  à  l'anar- 
chie. Sous  prétexte  de  venger  des  injures  faites  aux 
Obotrites,  aidé  par  ceux-ci  et  par  les  Sorabes,  il  enva- 
hit et  ravage  le  pays  des  Wiltzes,  qu'il  frappe  d'un 
tribut  et  d'où  il  emmène  des  otages  (799) 5.  Dès  lors, 

1.  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  II.  p.  7-14. 

2.  Rettberg,  t.  II.  p.  549-55. 

3.  Annales  Mettenses,  ad  ann.  748  (Pertz.  I.  330)....  duces  gen- 
tis  asperse  Sclavorum  in  occursum  ejus  venerunt,  unanimiter 
auxilium  illi  conlra  Saxones  ferre  parati,  pugnatores  quasi  centum 
millia. 

4.  Eginh  Annales,  ad  ann.  795  (Pertz.  I.  p.  181). 

5.  Ibid.  ad  ann.  789  (Pertz.  I.  p.  185)  et  Chronicon  Moissiacense, 
ad  ann.  789  (Pertz,  I.  p.  298). 


AVANT  L'AVENEMENT  DES  ASCANIENS  9 

les  expéditions  de  Charles  se  multiplient,  contre  les 
Sorabes  qui  ne  demeurent  pas  fidèles  à  son  alliance, 
contre  les  Wiltzes  qui  détruisent  la  citadelle  de  Uoch- 
burgi,  élevée  pour  les  surveiller,  non  loin  du  lieu  où 
naîtra  Hambourg  (810) '.  Il  intervient  aussi  pour  pro- 
téger les  Obotrites  contre  les  Danois,  quand  ceux-ci 
attaquent  le  pays,  d'accord  avec  les  Wiltzes,  tuenl 
le  roi  Drasko,  fidèle  allié  de  Charles,  soumettent  les 
deux  tiers  du  pays,  détruisent  la  ville  de  Rarog , 
et  rentrent  chez  eux  chargés  de  butin.  Charles  l'ail 
élever  de  nouvelles  forteresses  contre  les  Danois  cl 
leur  impose  la  paix  81J  .  L'année  suivante,  il  dirige 
encore  une  expédition  contre  les  Wendes2. 

Charlemagne  finit  donc  son  règne  en  combattant 
contre  1rs  Slaves.  Aux  bords  de  l'Elbe  s'arrête  le  der- 
nier effort  du  conquérant  chrétien.  Il  avait  à  peine 
ébauché  sa  lâche,  car  il  n'avait  point  entrepris  encore 
la  conversion  des  tribus  qu'il  avait  soumises,  cl  les 
Wiltzes ,  plusieurs  lois  vaincus  par  lui,  gardèrent 
aussi  bien  que  les  Obotrites.  ses  alliés,  leurs  lois  et 
leurs  dieux.  Sans  nul  doute  il  se  serait  efforcé,  s'il 
en  avait  eu  le  temps,  de  consolider  ses  victoires  par 
la  conversion  des  vaincus,  et  d'achever  à  l'aide  des 
missionnaires  l'œuvre  commencée  par  ses  armées. 
L'œuvre  était  rude,  car  derrière  celte  première  ran- 
gée de  tribus  slaves  ,  il  en  eût  trouvé  d'autres  que 
nous  rencontrerons  bientôt  dans  l'histoire  de  la  mar- 
che de  Brandebourg  :  dans  les  vastes  plaines  qui  s'in- 
clinent des  Carpathes  à  la  Baltique,  les  Polonais  oc- 
cupaient le  pays  jusqu'à  la  Warta  et   la  Netze  ;  au 


1.  Chron.  Moissiac,  ad  ann.  808,  809,  810,  811,  812fIVrtz  I.  p.  308, 
309  :  E^inh.  ad  ann.  811-812  fibid.  p.   198-199). 
■1.  itettberg,  t.  11.  p.  553-4. 


10  LA    MARCHE 

aord  de  tes  deux  coins  d'eau ,  jusqu'à  la  mer,  habi- 
taient les  Poméraniens ;  derrière  ceux-ci,  Les  Prus- 
siens. 

Ainsi  le  monde  slave  à  peine  entamé  par  les  Car- 
lovingiens,  couvrait  1  Europe  orientale,  et  il  étail 
inévitable  que,  de  l'Adriatique  à  l'embouchure  de 
L'Elbe,  une  grande  lutte  s'engagea!  cuire  les  deux 
races  à  la  i 1  <le  Gharlemagne. 

SITUATION    COMPARÉE    DES    SLAVES    ET    DES    GERMAINS    A    LA    MORT 
DE   CHAR]  BM  m:m:. 

Les  Slaves  ne  méritaient  point  le  mépris  dont 
leurs  vainqueurs  ont  si  souvent  essayé  de  les  acca- 
bler. Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  retracer  leur  vie 
politique  ,  sociale ,  religieuse ,  économique.  Aussi 
bien  ne  trouverait-on  pour  un  tel  travail  que  des 
documents  allemands,  c'est-à-dire  dos  témoignages 
d'ennemis,  et  qui,  se  rapportant  à  différentes  dates, 
souvent  à  différentes  nations  ,  pourraient  tout  au 
plus  servir  à  composer  un  de  ces  tableaux  de  fan- 
taisie qui  ne  trompent  point  la  critique  historique. 

Il  suffît  de  dire  que  chez  les  Slaves  la  famille,  et 
la  tribu  étaient  constituées  à  peu  près  comme  chez 
les  autres  peuples  de  race  aryenne.  Gomme  celle  des 
anciens  Germains,  leur  religion  déifiait  les  forces  de 
la  nature  et. certaines  abstractions  de  l'esprit.  Tou- 
tefois, on  y  trouvait  un  plus  vif  souvenir  de  l'Orient  : 
le  Slave  était  dualiste  et  partageait  ses  hommages 
entre  les  forces  utiles  et  les  forces  nuisibles ,  ado- 
rant les  premières  par  reconnaissance ,  les  secondes 
par  crainte  ;  mais  il  se  distinguait  surtout  du  Germain 
par  le  culte  et  par  le  sacerdoce,  au  moins  dans  le  pays 
entre  l'Elbe  et  l'Oder,  où  la  guerre  acharnée  déclarée 


AVANT  L* AVENEMENT  DES  ASCANIENS  1  1 

au  paganisme  lit  naître  et  fortifia  des  institutions  reli- 
gieuses particulières. 

Le  Slave  connaissait  toutes  les  formes  de  la  su- 
perstition. Il  adorait  tantôt  des  objets  naturels,  pier- 
res, sources,  arbres,  forêts,  tantôt  des  fétiches,  une 
lance  rouillée,  un  bouclier,  un  étendard  ou  une  idole. 
Quantité  de  lieux  saints  s'offraient  à  sa  vénération  : 
telle  forêt  était  un  temple  ,  telle  pierre  dressée  un 
autel:  mais  il  élevait  aussi  à  ses  dieux  de  véritables 
temples  et  leur  donnait  un  clergé  pour  les  servir. 
Chaque  tribu  avait  son  sanctuaire  principal  ',  et  quel- 
ques-uns, renommés  entre'  tous,  attiraient  des  pè- 
lerins de  toutes  les  tribus,  comme  ceux  de  Radi 
à  Rhetra.  de  Swantowit  à  Arkona.  Dithmar  de  Merse- 
bourg  donne  une  longue  description  du  temple  de 
Rhetra.  Il  parle  avec  une  sorte  d'horreur  et  de  crainte 
superstitieuse  de  ce  lieu  entouré  de  tous  côtés  par 
une  forêt  sacrée,  de  ses  trois  portes,  dont  l'une,  celle 
qui  est  tournée  vers  l'orient  regarde  la  mer  avec  un 
aspecl  sinistre,  des  images  des  dieux  et  des  déesses 
qui  ornent  les  murs,  de  celles  qui  sont  à  l'intérieur, 
portanl  chacune  sur  leur  piédestal  le  nom  de  la  divi- 
nité, armées  de  cuirasses  et  de  casques  d'une  forme  ter- 
rible. La  principale  est  celle  deRadegast,  le  dieu  hospi- 
talier et  de  bon  conseil  ou  bien  le  créateur.  Entre  tous 
les  temples,  dit  le  vieil  historien,  celui-ci  tient  le  scep- 
tre''. Avant  la  guerre,  les  infidèles  y  viennent  l'aire 
leurs  dévotions  et  prendre  leurs  étendards  :  ils  les 
rapportent  à  la  paix  avec  des  présents.  Pour  garder 
toutes  les  choses  précieuses  qu'il  renferme,  ils  ont 
institué  des  prêtres  spéciaux,  qui  président  aux  céré- 

1.  Jiithmar,  Chronicon,  VI,  17  et  18   Pertz.  III.  p.  723). 

2.  Principalera  tenet  monarchiam. 


I-  LA    MARCHE 

monies  religieuses,  interrogent  Le  sorl  ou  le  cheval 
sacré  qui  rend  Les  oracles. 

Au  temps  de  Dithmar  la  splendeur  el  La  renommée 
de  Hethra  étaienl  grandes  ;  mais  elles  s'éclipsèrent 
ton!  d'un  coup,  Le  jour  où  L'évêque  Burkhard  de  llal- 
berstadt,  dans  une  croisade  contre  Les  païens,  s'em- 
para du  temple  el  fil  au  cheval  de  Radegasl  L'injure 
île  Le  monter  pour  retourner  à  sa  ville  épiscopale1. 
Alors  Le  premier  rang  parmi  Les  sanctuaires  des 
Wendes  passe  au  temple  d'Arkona,  consacré  à  Swan- 
towit,  Le  dieu  de  La  sainte  Lumière;  il  avail  aussi  îles 
ornements  magnifiques,  un  clergé  distingué  du  reste 
delà  nation  par  l'habit,  par  la  longue  barbe  descen- 
dant sur  la  poitrine,  par  les  longs  cheveux  flottant  sur 
les  épaules.  Gomme  à  Elethra  un  cheval  y  était  con- 
sacré  à  La  divinité,  el  rendait  des  oracles  :  Swantowil 
en  personne  le  montait  quelquefois  la  nuit,  et,  le  mat  in 
on  voyait  à  sa  place,  couvert  d'écume  et  de  boue,  lo 
noble  coursier  fatigué  par  la  chevauchée  divine. 

Ce  clergé  spécial,  chargé  de  veiller  à  l'observance 
de  rites  solennels  dans  des  lieux  consacres  et  véné- 
rés, était  hiérarchiquement  organisé.  Los  prêtres,  su- 
périeurs aux  serviteurs  du  temple  occupés  des  menus. 
détails  du  culte,  n'étaient  pas  égaux  entre  eux  :  tous 
ceux  de  Swantowit  avaient  pour  chef  le  grand  prêtre 
d'Arkona.  A  ce  clergé  étaient  prodiguées  toutes  sortes 
d'honneurs  :  les  prêtres  siégeaient  parmi  les  nobles 
dans  les  assemblées;  le  grand  prêtre  était  un  plus 
important  personnage  que  les  rois,  qui  s'agenouil- 
laient  devant   ce   révélateur   de  la  volonté  divine. 

1.  Super  eum  sedens  in  Saxoniam  rediit. ..  Voyez  Raumer, Regcsta 
historiée  brandenburgensis,  Chronologisch  geordnete  Auszùge  aus 
allen  Chroniken  und  Vrkunden  zur  Geschichte  der  Mark  Branden- 
burg,  p.  110,  n<>  592. 


AVANT   L'AVENEMENT   DES   ASCANIENS  13 

Chaque  temple  avait  son  domaine,  qui  parfois  était 
vaste  comme  une  principauté,  ses  revenus  réguliers, 
perçus  sur  la  fortune  des  fidèles,  sur  leur  commerce 
et  leur  butin. 

Enfin  les  prêtres  étaient  aussi  des  soldats  ;  ceux 
d'Arkona  formaient  une  milice  de  trois  cents  cava- 
liers. Pour  résister  au  christianisme,  lu  paganisme 
wende  avait  doue  la  foi  de  ses  adeptes,  enflammée 
par  les  magnificences  de  son  culte,  le  dévouement 
d'un  clergé  fortement  organisé,  défenseur  armé  de 
ses  honneurs,  de  sa  richesse  et  de  sa  domination. 

Les  écrivains  allemands  contemporains  des  Wendes 
s'accordent  à  reconnaître  quelques  vertus  à  ces  enne- 
mis de  l'Allemagne.  Le  Slave,  disent-ils,  est  hospita- 
lier plus  qu'aucun  autre  peuple  :  dans  chaque  maison 
une  chambre  al  tend  l'hôte  qui  peut  venir.  11  a  toutes  les 
qualités  du  soldat  ;  il  est  hardi,  vif,  rusé,  opiniâtre;  il 
pousse  aux  dernières  limites  l'amour  de  l'indépen- 
dance, quittant  avec  joie  maison,  famille,  supportant 
toutes  les  privations,  bravant  tous  les  [torils,  quand  il 
s'agitde  combattre  pour  la  liberté.  Les  mêmes  écrivains 
lui  reprochent  d'être  menteur  et  cruel  envers  l'ennemi, 
d'exiger  des  autres  la  constance  et  la  lionne  foi,  tandis 
que  lui-même  estcapable  pur  emportement  ou  par  vé- 
nalité de  voler  une  paix  qu'il  a  jurée;  niais  on  es! 
tenté  de  croire  que  le  reproche  ne  convienl  pas  aux 
seuls  Wendes  :  car  les  chroniques  germaniques  abon- 
dent en  récits  d'actes  d'ingratitude,  de  perfidies,  de 
trahisons,  de  crimes  commis  par  les  Allemands  contre 
les  Slaves;  c'esl  au  temps,  plus  encore  qu'à  la  race, 
qu  il  faut  imputer  ces  vices  et  ces  méchantes  actions  *. 

A  de  certains  égards,  les  Slaves  étaient  même  plus 

1.  Voyez  Giesebrecht,  Wendische  Geschichten,  t.  I.  p.  35,  57. 


I  |  I   A     M  UiCIIK 

civilises  que  les  anciens  Germains.  Ils  habitaient  dans 
de    nombreux   villages,  el   quelques-unes  de  Leurs 
villes,  les  villes  maritimes  surtout,  étaient  très-peu- 
plées ei  très-prospères.  Ils  ne  méritaienl  point  le  re- 
proche qui  leur  a  été  fait  dans  la  suite  par  leurs  en- 
nemis d'aimer  le  travail  facile,  d'épargner  la  sueur  de 
leur  fronl  à  gagner  leur  vie,  de  préférer  la  pêche  au 
travail  de  la  terre.  Les  eaux  el  les  forêts  leur  fournis- 
saient le  poisson  el  le  gibier,  mais  ils  connaissaienl  la 
culture,  même  la  culture  maraîchère  el  fruitière.  S'ils 
préféraient  l'élève  du  bétail,  c'est  que  la  nature  «lu  ter- 
rain les  y  invitait.  Pourlamême  raison  ilsétaienl  pas- 
sés maîtres  en  l'art  d'élever  les  abeilles  :  aujourd'hui 
encore  dans  les  plaines  de  l'Europe  orientale,  entre  le 
Volga  et  l'Oural,  l'abeille  bourdonne  dans  les  grandes 
bruyères  el  les  bois  de  tilleuls  qui  couvrent  le  pays. 
L'industrie  des  Wendes  était  assez  avancée;  ils  travail- 
laient le  chanvre  et  le  lin  et  chaque  maison  avait  son 
rouet.  Ils  achetaient  le  fer  à  l'étranger,  mais  ils  fabri- 
quaient les  instruments  de  labour,  les  armes,  les  us- 
tensiles de  ménage  et  les  ornements  de  métal  dont  ils 
paraient  leurs  temples.  Ils  construisaient  les  bateaux 
qui  portaient  les  pêcheurs,  les  marchands  et  les  pirates. 
Leur  commerce  intérieur  était  prospère,  leur  commerce 
extérieur  étendu  :  les  monnaies  arabes  qu'on  a  retrou- 
vées ;iu  bord  de  la  Baltique  prouvent  que  des  relations 
avaient  été  nouées  par  les  Wendes  avec  l'extrême 
Orient.  Il  y  avait  donc  dans  les  pays  au  delà  de  l'Elbe 
une  certaine  prospérité  ;  la  population  parait  y  avoir 
été  assez  dense  :  du  moins Eginhard  dit  que  les  Slaves 
se  fiaient  à  leur  nombre,  qu'ils  étaient  innombrables1; 

1.  Eginh.  ad  ann.  789.,  gens.,  bellicosa  et  in  sua  numerositate 
confiileiis(Pertz.  I.  p.  175). 


AVANT   L'AVENEMENT   DES   ASCANIÈNS  15 

les  chroniques  allemandes  donnent  des  chiffres  consi- 
dérables de  "Wendes  exterminés  par  les  Allemands,  et 
les  urnes  funéraires  se  pressaient  dans  les  cimetières, 
seuls  monuments  qui  nous  restent  de  plus  d'une  tribu 
slave  disparue. 

A  comparer  les  Germains,  même  tels  que  les  a  dé- 
peints la  plume  indulgente  de  Tacite,  aux  Slaves  que 
nous  font  connaître  les  écrivains  ecclésiastiques  alle- 
mands, il  n'y  a  point  de  raison  pour  donner  la  pré- 
férence aux  premiers;  mais  l'Allemagne  à  la  mort  de 
Gharlemagne  n'est  plus  la  Germanie  de  Tacite.  Cette 
vaste  région  présentait  au  début  du  ix°  siècle  deux 
aspects  bien  différents.  La  partie  occidentale,  Austra- 
sie,  Alamannie,  c'est-à-dire  toute  la  vallée  du  Rhin  et 
la  haute  vallée  du  Danube,  (Hait  civilisée  depuis  long- 
temps, tranquille  et  riche.  Là  s'élevaient  les  villes 
épiscopales  de  Trêves,  Metz,  Toul,  Verdun.  Liège, 
Cologne,  Mayence,  Worms  et  Spire  en  Austrasie,  de 
Strasbourg,  Bâle,  Constance,  Coire,  Augsbourg  en 
Alamannie.  Plusieurs  de  ces  sièges  épiscopaux  étaient 
d'origine  romaine  et  l'Eglise  n'avait  fait  que  les  réta- 
blir,  quand  les  conquêtes  des  Mérovingiens  et  des 
Carlovingiens  lui  avaient  rendu  le  terrain  que  l'inva- 
sion lui  avait  enlevé.  Le  pontife  romain  exerçait  sur 
eux  une  autorité  incontestée,  car  Boniface  avait  fondé 
en  ce  pays  des  traditions  d'obéissance  et  de  respect 
envers  Rome  que  le  temps  n'a  pas  effacées.  C'est 
dans  la  Germanie  occidentale  qu'étaient  situées  les 
plus  célèbres  villas  impériales,  parmi  lesquelles  Aix- 
la-Chapelle,  résidence  favorite  de  Gharlemagne,  qui 
l'avait  ornée  en  empruntant  à  di'^  ruines  romaines 
les  matériaux  de  son  palais  et  de  sa  basilique.  Tout 
témoignai!  dans  celle  région  rhénane  de  l'accord  entre 


16  l.\    MARCHE 

la  puissance  franque  el  Rome,  grâce  auquel  de  pré- 
cieux débris  de  la  civilisation  antique  furent  sauvés, 
1  invasioD  arrêtée,  el  La  mobile  Germanie  fixée  sur  son 
sol,  pendant  que  la  hacbe  défrichail  les  vieilles  forêts 
païennes  el  que  les  monastères  élevés  par  les  mis- 
sionnaires donnaient  le  double  exemple  de  la  culture 
intellectuelle  et  du  travail  agricole. 

Tout  autre  était  la  situation  de  l'Allemagne  orien- 
tale.  En  Bavière,  Ratisbonne  et  Passau  étaienl   les 
sièges  d'évêchés  plusieurs  fois  érigés  el  renversés; 
le  christianisme  était  encore  nouveau  en  Thuringe  et 
en  Frise,   et  la  Saxe  portail  la   trace  des  blessures 
qu'elle  avait  rerues  dans  la  guerre  d'extermination  où 
avait  péri  son  indépendance.  Des  évêchés  avaient  été 
fondés  à  Osnabruck,  Verden,  Brème,  Paderborn,  Min-  > 
den ,   Balberstadt,  Hildesbeim,  Munster  jmi  bientôt 
deviendronl  des  villes;  niais  il  fallait  pour  les  proté- 
ger des  forteresses  et  la  terrible  législation  du  capitu- 
laire  de  la  Saxe.  Ici  donc  les  souvenirs  de  la  barbarie 
et  du  paganisme  sont  encore  récents;  mais  ce  n'est  pas 
tout  :  la  barbarie  danoise,  slave,  avare  est  proche; 
aussi    la   frontière  est-elle   année  contre   rennemi. 
De  l'Adriatique  à  la  Baltique  s'étend  la  chaîne  des 
marches.  Au  nord-est  cinq  marches  étaient  tournées 
contre  les  Wendes  :  contre  les  Sorabes,  la  marche  de 
Thuringe  ou  limes  sorabicus ,  contre  les  Wiltzes  les 
petites  marches  de  MagdebourgJ"  Zelle ,  Bardewyk; 
contre  les  Obotrites  la  marche  de  Saxe,  ou  limes  saxo- 
nicus.  Les  margraves  avaient  sous  leurs  ordres  plu- 
sieurs comtes  el  surveillaient  l'ennemi  :  ils  étaient  les 
chefs  d'une  sorte  d'avant-garde  chrétienne  en  face  du 
paganisme. 
L'Allemagne  a  donc  sur  les  Slaves  une  grande  supé- 


AVANT  L'AVÈNEMENT  DES   ASCANIËNS  17 

riorité  :  elle  est  organisée,  tandis  qu'ils  sont  livrés 
aux  dissensions.  En  effet  les  Obotrites  et  les  Wiltzes 
étaient  le  plus  souvent  en  guerre  les  uns  contre 
les  antres  ;  ceux-ci  étaient  les  mortels  ennemis  des 
Sorabes  et  des  Tchèques,  qui  à  leur  tour  ne  s'en- 
tendaient pas  avec  les  Polonais.  Quand  il  y  avait  des 
ligues  entre  ces  peuples,  elles  avaient  pour  objet  la 
guerre  contre  des  peuples  frères;  encore  ces  alliances 
n'étaient-elles  pas  solides  :  elles  changeaient  au  gré 
des  événements,  et  la  défiance  et  la  haine  caractéri- 
saient les  rapports  de  ces  populations  entre  elles l.  Dans 
l'intérieur  même  de  la  tribu,  les  institutions  ouvraient 
la  porte  à  l'anarchie.  Déjà  dans  les  temps  anciens, 
la  coutume  qui  perdit  la  Pologne,  celle  qui  exigeait 
l'unanimité  d^  voix  pour  qu'une  décision  de  l'assem- 
blée fût  valable  était  l'origine  de  grands  malheurs2. 
Organisée,  l'Allemagne  a  ci  mire  les  Slaves  la  force  : 
chrétienne,  elle  a  une  civilisation  supérieure;  mais 
elle  doit  ce  double  bienfait  à  cette  alliance  franco-ro- 
maine, qui,  après  s'être  préparée  au  temps  des  Méro- 
vingiens, s'est  conclue  sous  le  premier  prince  de  la 
dynastie  carlovingienne  et  resserrée  sous  le  second 
dont  elle  explique  toute  la  politique.  Ne  perdons  point 
de  vue  ce  grand  fait  qui  nous  permet  de  rattachera 
l'histoire  générale  l'histoire  particulière  que  nous  étu- 
dions. Au  ive  siècle,  se  produit  \\n  grand  mouvement  de 
peuples  d'Orient  en  (  lecident,  et  bientôt  les  Slaves  qui 


1.  L'empereur  Maurice  disait  de  ces  tribus  qu'elles  étaient 
&-/v.p'/y.  /.'A  /j.i7c/.'ù.r,Ày..  Vovez  Léger,  op.  cit.  p.  44,  note  3. 

2.  Voyez  Dithmar,  vi,18  (Pertz,  III,  p.  812,.  Unanimi  consilio  ad 
placitum  suimet  necessaria  discucientes,  in  rébus  efticiendis  omnes 
concordant.  Si  quis  vero  ex  coniprovincialibus  in  placito  hiis  con- 
tradicit,  fustibus  verberatur,  et  si  forinsecus  palam  résistif,  aut 
omnia  incendio  et  continua  deprœdatione  perdit,  aut  in  eorum 
presentia  pro  qualitate  suapecunise  persolvit  quantitatem  débitée. 


18  LA   MARCHE 

suivent  les  Germains  empiètent  sur  I»1  territoire  de  la 
Germanie.  Au  iv  siècle,  le  mouvement  se  produit  en 
Sens  contraire,  ^.près  avoir,  dès  lev*  siècle,  arrêté  les 
Germains  sur  le  chemin  de  l'Occident,  les  Francs  ont 
pris  l'offensive  contre  l'Allemagne;  ils  l'onl  pour  ainsi 
dire  retournée  vers  l'Orient,  où  elle  fail  tête  aux  Slaves 
demeurés  païens  el  aux  nations  asiatiques  qui  conti- 
nuent l'invasion.  Elle  était  un  danger  pour  la  civilisa- 
tion chrétienne  :  elle  en  esl  devenue  le  rempart,  grâce 
aux  Francs,  nos  ancêtres,  baptisés  par  nos  ancêtres 
les  Gallo-Humains. 

LES     SLAVES    DE     L'ELBE    ET    LES    ALLEMANDS     DEPUIS    LA     MORT    DE 
CHARLEMAGNE    JUSQU'A    LA    FONDATION     DE     \. \    MARCHE     DU    NORI) 

(814-963). 

Gharlemagne  avait  donc  pris  position  on  face  des 
Slaves,  et  montré  à  ses  successeurs  la  route  où  il 
fallait  marcher.  Il  s'écoula  de  longues  années  avant 
que  ceux-ci  pussent  s'y  engager.  Louis-le-Débon- 
naire  comprima ,  il  est  vrai ,  quelques  révoltes  de 
Slaves,  et  les  députés  des  différentes  nations  paru- 
rent plusieurs  fois  ensemble  ou  séparément  aux  as- 
semblées de  l'empire.  «  L'empereur  Louis,  dit  Egi* 
nhard,  donna  audience  à  Francfort  aux  députés  des 
Slaves  orientaux,  c'est-à-dire  des  Obotrites,  des  Sora- 
bes,  des  Wiltzes,  etc.,  qui  lui  avaient  été  envoyés  avec 
des  présents l.  »  Il  joua  dans  leurs  affaires  intérieures, 
et  dans  les  conflits  qui  éclataient  entre  elles,  le  rôle 
de  pacificateur  et  d'arbitre.  Mais  les  grandes  guerres 
qui  suivirent  sa  mort  et  qui  aboutirent  à  la  sépara- 
tion de  l'Allemagne,  de  la  France  et  de  l'Italie  (843),  les 

1.  Raum.  Reyesta,  p.  1S,  n"  68. 


AVANT  L' AVENEMENT  DES  ASGANIEXS        19 

attaques  des  Normands,  des  Hongrois  et  des  Sarrasins, 
qui  fondirent  simultanément  sur  l'empire  des  Francs, 
au  moment  où  ses  forces  étaient  divisées  ;  la  faiblesse 
ou  l'impuissance  des  rois  d'Allemagne  Louis-le-Germa- 
nique ,  Carloman  ,  Louis  II,  Gharles-le-Gros,  Arnulf, 
Louis  l'Enfant  (843-911),  permirent  aux  Slaves  de 
recouvrer  leur  indépendance,  de  devenir  agresseurs  à 
leur  tour,  et  de  franchir  l'Elbe  et  la  Saale;  encore  une 
fois  l'Allemagne  était  entamée. 

Sous  la  pression  des  dangers  qui  la  menacent  de 
toutes  parts,  elle  s'organise  pour  la  résistance.  Dans 
la  décadence  du  pouvoir  impérial,  les  vieilles  divi- 
sions germaniques,  Franconie,  Saxe,  Alamannie  ou 
Souabe,  Bavière  avaient  reparu  sous  la  forme  de  du- 
chés. Ici  comme  en  France,  les  usurpations  de  la 
grande  féodalité  furent  en  quelque  sorte  légitimées 
par  les  services  qu'elle  rendit  :  les  ducs  furent  les 
protecteurs  de  leurs  sujets  contre  les  barbares  qu'ils 
combattirent  vaillamment.  Le  sentiment  de  l'unité  ger- 
manique, révélé  par  Gharlemagne,  ne  fut  pourtant  pas 
perdu;  l'ancien  droit  d'élection  fut  remis  en  vigueur; 
Conrad  de  Franconie  fut  élu  roi  allemand  (911).  De 
cette  élection  date  l'Allemagne  du  moyen  âge,  fédéra- 
tion de  princes  et  de  peuples,  au-dessus  de  laquelle 
la  royauté  nationale  représente  l'unité.  Sa  grandeur 
commence  le  jour  où  le  duc  de  Saxe,  Henri  le  Fonda- 
teur, succède  à  Conrad,  Ce  descendant  de  Witikind 
(Hait  le  plus  puissant  des  ducs  d'Allemagne,  car  l'an- 
cienne Saxe  s'étendait  du  Rhin  à  l'Elbe,  du  Harz  à  la 
Baltique,  et  l'humeur  guerrière  des  Germains  s'y  était 
conservée  tout  entière  (919  . 

Henri  reprend  la  tradition  carlovingienne ;  il  relève 
les  marches  de  l'est,  organise  derrière  elles  le  pays 


■  M  LA   m  \i;«  m: 

pour  La  résistance  el  pour  L'attaque,  affranchit  L'Alle- 
magne du  honteux  tribut  qu'elle  paye  aux  Bongrois,  et 
entame  La  conquête  des  pays  slaves. 

Brandebourg,  La  capitale  des  Hévelliens,  assiégée  en 
plein  hiver  par  Le  roi  qui  établi!  son  camp  sur  la  glace 
du  fleuve  el  des  étangs  dont  elle  esl  entourée,  capi- 
tule, quand  La  garnison  épuisée  succombe  à  la  faim, 
au  fer  el  au  froid  (927)1.  La  marche  de  Misnie  ost 
fondée  chez  les  Sorabes.  Au  nord,  dans  le  pays  des 
Etedariens,  est  établi  le  «  légat  »  Bernard,  Le  premier 
margrave  dont  l'histoire  lasso  mention  pour  les 
pays  au  delà  de  l'Elbe  2.  Il  est  vrai,  lus  Redariens 
secouent  le  joug  et  entraînent  tous  les  Wendes  dans 
la  révolte;  mais  ils  sont  vaincus  auprès  de  Lenzen 
dans  un  combat  si  terrible  que  cent  vingt  mille  en- 
nemis, au  dire  des  chroniques  allemandes,  tombent 
sous  le  fer  ou  sont  noyés  dans  un  lac.  Bernard  va 
porter  la  nouvelle  au  roi,  «  qui  lo  reçoit  avec  hon- 
neur »,  et  fait  décapiter  «  suivant  la  coutume  »  Ions 
les  prisonniers  3.  Ces  procédés  atroces  de  la  conquête 
saxonne  jettent  l'épouvante  parmi  les  vaincus.  Quand 
Henri  a  battu  les  Danois,  le  roi  des  Obotrites,  qui  ne 
peut  plus  s'appuyer  sur  eux,  se  laisse  baptiser4.  La  ter- 
rible attaque  dirigée  par  les  Hongrois  contre  le  royaume 
d'Allemagne  ne  réveille  pas  même  les  tribus  slaves  ; 
priées  par  leurs  anciens  alliés  de  se  joindre  à  eux, 
elles  leur  envoient  pour  toute  réponse  un  chien  galeux. 

Sous  Otton-le-Grand  (936-973),  deux  hommes,  deux 
héros  du  temps,  Hermann  Billing,  que  l'empereur  fît 
duc  de  Saxe,  et  le  margrave  Gero  s'illustrèrent  dans  la 

1.  Raum.  Reg.  p.  26,  n°  118. 

2.  Id.  p.  27,  n°  119. 

3.  Id.  ibid. 

4.  Id.  p.  28,  n°  120. 


AVANT  L' AVÈNEMENT   DES  ASCANIENS  21 

guerre  contre  les  Slaves.  Gero  les  combattit  par  la 
ruse  et  par  la  force.  Au  début  du  règne  d'Otton,  il  tue 
en  trahison  trente  de  leurs  principaux  chefs  *.  Brande- 
bourg était  redevenue  indépendante  :  il  y  envoie  le 
fils  d'un  roi  du  pays,  élevé  en  Allemagne,  et  qu'il  a 
corrompu  à  prix  d'argent.  Le  traître  «  se  rend  à  Bran- 
debourg, feint  d'avoir  échappé  aux  mains  des  Alle- 
mands, et  se  fait  accepter  comme  roi  par  le  peuple; 
puis  il  appelle  auprèsde  lui  son  neveu, le  seul  survivant 
de  la  race  royale,  le  tue  et  livre  au  roi  d'Allemagne  la 
ville  et  le  pays.  »  «  Cela  fait,  ajoute  simplement  la 
chronique,  tontes  les  nations  furent  soumises  jusqu'à 
l'Oder  et  payèrent  le  tribut 2.  »  Il  fallut  pourtant  lutter 
encore  ,  car  ><  les  Wendes  méprisaient  toutes  les 
misères,  quand  il  s'agissait  de  défendre  leur  chère 
liberté  3.  »  Ils  dirent  un  jour  à  Otton,  qui  était  ac- 
couru avec  une  formidable  armée  pour  combattre  une 
de  leurs  rébellions,  qu'ils  consentiraient  à  payer  un 
tribut,  à  condition  que  les  Allemands  ne  se  mêle- 
raient plus  de  leurs  affaires  intérieures  et  ne  feraient 
plus  administrer  leur  pays  par  des  comtes.  Otton  ne 
voulut  rien  entendre,  et  les  Allemands  remporteront 
encore  une  grande  victoire,  suivie  d'un  grand  mas- 
sacre 4.  Tout  réussissait  à  Gero  :  les  Obotrites,  les 
Wiltzes  et  les  Sorabes  sentirent  l'un  après  l'autre  la 
force  de  son  bras.  La  conquête  étendit  sa  principauté 
sur  un  vaste  territoire  compris  entre  l'Elbe,  le  Boiter, 
la  Warta  et  l'Oder  inférieur.  Il  foira  même  le  duc  de 
Pologne  Mieczyslaw  à  se  reconnaître  vassal  du  roi  d'Al- 


1.  Id.  p.  33,  n"  138. 

2.  Id.  p.  33,  n°  139. 

3.  Id.  p.  33,  n»  138. 

4   Schafarik,  t.  II.   p.   529,   note  G.  —  Raum.  Reg.    p.   39,  40, 

îe  172. 


22  LA   MARCHE 

lemagne  pour  une  partie  de  son  territoire.  <'<i  fut  le 
dernier  exploit  du  grand  margrave.  11  avail  perdu 
dans  La  guerre  polonaise  son  fils  aîné  Siegfried,  et  no 
pouvant  vaincre  sa  douleur,  il  se  rendil  à  Rome,  dé- 
posa devanl  L'autel  de  Pierre,  prince  «les  apôtres,  ses 
armes  victorieuses;  puis.  «  après  avoir  obtenu  dusei- 
gneur  apostolique  un  bras  de  sainl  Cyriaque,  »  il  re- 
vint en  Allemagne,  où  il  fonda  dans  un  bois  qui  porte 
son  nom  un  monastère,  donl  il  lii  abbesse  la  veuve  do 
son  fils  *.  G'esl  là  que  fut  enseveb'  «le  meilleur  des 
margraves  de  son  temps  »,  le  «  défenseur  de  la  pa- 
trie »,  quand  il  mourut,  deux  ans  après  Siegfried, 
a  amèrement  pleuré  par  l'empereur  (965) 2.  » 

Gero  avait  eu  toutes  les  qualités  du  conquérant. 
Avec  son  concours  et  par  ses  conseils,  le  pays  avait  été 
divisé  en  pagi,  couvert  de  monastères  et  d'églises  3. 
Otton  en  effet  institua  les  évêcbés  d'Oldenbourg  , 
Havelberg,  Brandebourg,  du  vivant  de  Gero;  de  Mer- 
sebourg,  Zeitz  4  et  Meissen,  après  la  mort  du  mar- 
grave. Tous  furent  placés  sous  l'autorité  d'un  arche- 
vêché établi  à  l'extrême  frontière  de  l'Allemagne. 
Par  une  bulle  adressée  s  «  au  peuple  et  au  clergé  de 
Saxe  »  pour  leur  apprendre  l'érection  en  siège  ar- 
chiépiscopal du  monastère  de  Magdebourg,  «  situé 
dans  le  royaume  des  Saxons,  près  de  l'Elbe  »,  le  pape 
Jean  prescrivait  que  «  l'archevêque  de  Magdebourg 
ordonnât  à  l'avenir  les  évêques  des  sièges  qui  seraient 
institués  en  lieu  convenable  par  Otton  et  par  ses  suc- 

1.  Raum.  Reg.  p.  43,  n°  196. 

2.  Id.  p.  45,  n°204. 

3.  Id.  p.  41,  nM82. 

4.  Transféré  plus  tard  à  Naumburg.  Voyez  Otto  von  Heinemann, 
Codex  diplomuticus  anhaltinus ,  lre  partie,  lre  section  p.  13, 
n°18. 

5.  Raum.  Reg.  p.  49,  n°*  225-6. 


AVANT  L'AVÈNEMENT  DES   ASCANIENS  23 

cesseurs,  quand  ils  auraient  amené  à  la  foi  chrétienne 
tout  le  peuple  des  Slaves.  »  La  nouvelle  métropole 
allait  prendre  en  pays  slave  le  grand  rôle  si  bien  joué 
en  pays  germanique  par  Mayence  ;  entourée  de  ses 
évêchés,elle  allait  engager  la  lutte,  et,  à  mesure  qu'a- 
vancerait la  frontière  chrétienne  ,  fortifier  les  posi- 
tions conquises.  Le  pape  et  le  roi  travaillaient  donc 
d'un  commun  accord  au  succès  d'une  même  politi- 
que; margraves,  comtes  el  évêques  s'y  employaient  à 
l'envi,  et  il  semblait  que  l'un  touchât  au  but  marqué 
par  Charlemagne.  Il  n'en  était  rien  :  Otton  prépara 
lui-même  la  ruine  de  ses  entreprises.  Il  avait  eu  trop 
à  lutter  contre  les  ducs  avant  de  les  réduire  au  rôle  de 
vassaux  pour  tolérer  l'existence  d'une  principauté  mi- 
litaire aussi  considérable  que  celle  de  Gero.  Il  morcela 
le  territoire  qu'avait  administré  le  margrave  ;  six 
marches  en  sortirent,  qui  furent  bientôt,  il  est  vrai, 
réduites  à  trois,  les  marches  de  Lusace,  de  Misnie  et 
du  Nord  i.  La  dernière  s'appellera  dans  la  suite  la 
marche  de  Brandebourg  2. 

Ainsi  c'est  à  la  mort  de  Gero  que  commence  l'histoire 
particulière  de  cette  terre,  dont  les  destinées  devaient 
être  si  grandes.  Elle  subit  d'abord  un  siècle  et  demi 
de  misères,  car  elle  fut  impuissante  à  porterie  choc  des 
Slaves  ,  qui  se  ruèrent  sur  la  frontière  affaiblie  de 
l'Allemagne.  Les  rois  allemands  ne  l'y  aidèrent  pas. 

En  l'année  9('>"2,  Otton  ('tait  allé  chercher  au  delà 
des  monts  la  couronne  d'or  des  empereurs  romains. 
Devenu  le  suzerain  des  rois  et  t\v^  princes  de  l'Oc- 
cident, sans  excepter  le  pape  lui-même,  qui  était  un 

1.  Voyez  Heinemann,  Markgraf  Gero,  p.  117. 

2.  Quelques  années  plus  tard  Otlon  II  détachait  de  la  Bavière 
la  marche  de  l'Est  qu'il  donnait  aux  Babenberg.  C'est  le  commen- 
cement de  l'histoire  d'Autriche  (983). 


2  I  LA   MARCHE 

redoutable  vassal,  il  avail    tourné  ses  regards  vers 
l'Orient,  et,  pour  donner  à  sa  maison  Le  Lustre  d'une 
alliance  avec  les  successeurs  de  Constantin  ,  marié 
son  Bis  à  une  princesse  byzantine.  Charlemagne  avait 
eu  toutes  ces  ambitions,  mais  en  un  temps  où  les 
royautés  d'Occident  u'étaienl  pas  uées;  où  L'Italie, 
encore  affaiblie  et  ruinée  par  l'invasion  qui  s'y  était 
prolongée  plus  Longtemps  que  partout  ailleurs,  u'étail 
pas  prête  pour  la  résistance;  où  la  suprématie  de  la 
papauté  dans  Le  monde  chrétien  n'était  pas  encore 
fermemenl  établie;  enfin  où  L'alliance  intime  de  l'em- 
pire et  de  l'église  était  possible,  même  nécessaire. 
Qu'il  combattît  en  effet  les  Arabes  d'Espagne,  les 
Lombards  et  les  Sarrasins  d'Italie,  les  Danois,  les 
Saxons  et  les  Slaves,  Charlemagne  ne  pouvait  ren- 
contrer un  ennemi,  qui  ne  lut  en  même  temps  celui 
du  pape;  mais  le  temps  devait  faire  que  des  intérêts 
qui  concordaient  si  bien  s'opposassent  un  jour  l'un  à 
l'autre,  et  que  l'empereur  ne  pût  avoir  affaire  à  un 
ennemi  qui  ne  devînt  aussitôt  un  allié  du  pontife. 
D'ailleurs  le  caractère  de  Charlemagne,   tout  péné- 
tré de  modestie  chrétienne,  ne  se  retrouvera  point 
chez  ces   chefs   du   saint   empire.   Ils   aimeront  les 
besognes  brillantes  et  lucratives;  l'Italie  les  attirera, 
les  retiendra,  les  perdra;    quant  à  l'œuvre    com- 
mencée par   le  roi  Henri   aux  bords  de  l'Elbe,  ils 
n'y  consacreront  qu'à  de  rares  intervalles  une  atten- 
tion   distraite.   C'est  sur   d'obscurs    margraves   que 
retombera  le  soin  de  défendre  contre  les  retours  of- 
fensifs des  Slaves  les  frontières  de  l'empire  *. 

1.  Voyez  pour  le  caractère  du  saint  empire  Zeller,  Histoire  d'Al- 
lemagne, au  t.  II;  Sybel,  Die  deutsche  Nation  laid  dus  Kaiserreicli. 


AVANT   L'AVÈNEMENT   DES   ASCANIENS  l25 

LA   MARCHE   DU   NORD,    JUSQU'A   l' AVÈNEMENT   DES    ASCANIENS 

963-1134  . 

C'est  une  triste  histoire  que  celle  de  la  marche  du 
Nord  jusqu'à  l'avènement  dos  Ascaniens,  et  il  est  im- 
possible de  trouver  la  moindre  grandeur  dans  cette 
suite  de  petits  princes  incapables,  qui  laissèrent  la 
frontière  allemande  plier  jusqu'à  l'Elbe  et  l'ennemi  pé- 
nétrer à  plusieurs  reprises  sur  le  territoire  de  la  Saxo. 
Le  premier.  Thierry,  est  déjà  nommé  au  temps  du 
margrave  Gero,  sous  les  ordres  duquel  il  administrait 
sans  doute  la  marche  du  Nord  i.  Dans  une  lettre  datée 
de  Gapoue,  Otton  Ier  recommandait  de  faire  aux  Reda- 
riens,  qui  «  si  souvent  avaient  violé  la  foi  jurée  »,  une 
guerre  acharnée,  et  «  de  ne  s'arrêter  qu'après  los 
avoir  détruits  %S  2.  »  Le  margrave  pratiqua  si  bien 
cette  politique,  qu'il  provoqua  un  soulèvement  terrible 
des  Wiltzes  983  . 

«  Les  nations  tributaires,  fatiguées  par  l'orgueil  du 
duc  Thierry,  prennent  les  armes  d'un  accord  unanime; 
le  troisième  jour  des  calendes  de  juillet,  les  barbares 
massacrent  la  garnison  de  Ilavelberg  et  détruisent  le 
siège  épiscopal  de  cette  ville;  c'est  leur  premier  crime. 
Trois  jours  après ,  une  troupe  de  conjurés  attaque 
la  ville  de  Brandebourg  :  Volcmer,  le  troisième  évê- 

1.  Witikind,  Res  gestes  saxonicœ  (Pertz,  III,  p  458  ,  parlant  d'une 
défaite  qui  lui  fut  infligée  par  Les  Slaves  en  955  Lui  donne  le 
titre  de  prœses  :  varie  pugnalum  est  a  prœside  Thiadrico  adversus 
barbaros.  Le  même  chroniqueur  nous  a  conservé  une  lettre 
adressée  de  Capoue  à  Hermann,  duc  de  Saxe,  et  à  Thierry;  le  roi 
donne  à  tous  les  deux  le  titre  de  dues  :  Otto  divino  nutu  imp. 
aug.  Herimanno  et  Thiadrico  ducibus...  (Pertz,  III.  p.  164). 
D'autres  chroniques  appellent  Thierry  marchio,  c'est-à-dire  mar- 
quis ou  margrave.  Ce  dernier  nom  prévaudra  dans  la  suite.  — 
Riedel,  die  Mark  Br.  t.  I,  p.  1-2. 

2.  Voyez  Witik.,  loc.  cil.  p.  464. 


26  I.A     MA  IU  III 

que  du  siège,  et  Thierry,  qui  eu  était  le  défenseur, 
s'enfuient  à  grand  peine  avec  la  garnison.  Le  clergé 
esl  fait  captif;  Dodilo,  second  évêque  de  Brandebourg, 
qui  depuis  trois  ans  reposai!  dans  la  tombe,  en  esl  arra- 
ché; son  corps,  encore  intact  et  revêtu  «les  ornements 
sacerdotaux,  est  dépouillé  par  ces  chiens  avides;  ils  se 
disputent  le  trésor  de  l'église,  versent  le  sang  à  flots  cl 
rétablissent  le  culte  de  leur  hérésie  démoniaque  '.  » 
Tels  furent  les  exploits  des  Wiltzes;  les  Obotrites 
ne  restèrent  pas  en  arrière.   Helmold  raconte  que 
leur  chef,  Mistiwoi,  qui    s'était  converti   au  chris- 
tianisme,  avait  demandé   la    main    d'une   nièce   de 
Bernard,  duc  de  Saxe;  lu  duc  la  lui  avait  promise, 
el   Mistiwoi  par  reconnaissance   lui  avait  envoyé  en 
Italie,  comme  pour  les  faire  figurer  parmi  les  vassaux 
saxons,  mille  cavaliers  conduits   par  son  fils.  Au 
retour  de  Bernard  ,  Mistiwoi  vint  le  presser  d'exé- 
cuter sa  promesse.  Comme  le  Saxon  hésitait,  le  mar- 
grave Thierry,  qui  se  trouvait  là,  lui  dit  Lout  haut 
que  la  place  d'une  princesse  de  sang  allemand  n'était 
point  aux  côtés  d'un  chien  de  Wende.  Mistiwoi,  irrité, 
répliqua  :  «  quand  le  chien  est  fort  il  mord  bien  ;  »  et  il 
alla  conter  aux  siens  son  injure.  Les  Obotrites  lui 
reprochèrent  «  de  cultiver  les  Saxons,  gent  perfide 
et  avare  »,  lui  firent  jurer  de  renoncer  à  leur  amitié, 
et  bientôt  s'armèrent  contre  leurs  voisins  2.  L'authen- 
ticité de  ces  sortes  d'anecdotes  n'est  jamais  certaine, 
et  il  est  difficile  de  placer  celle-ci  à  une  date  précise  ; 
mais  il  11* y  a  pas  de  doute  que  Mistiwoi,  après  avoir 
été  chrétien,  fit  amende  honorable  aux  dieux  slaves, 
franchit  l'Elbe  à  la  tète  d'une  année  considérable, 

1.  Raum.  Rey.  p.  61,  n»2S9. 

2.  Id.  p.  61,  à  la  note  du  n°  289. 


AVANT  L' AVÈNEMENT  DES  ASCANIENS  27 

et  ne  fut  arrêté  aux  bords  de  la  Tanger  que  par  les 
forces  réunies  de  l'archevêque  de  Magdebourg,  de 
l'évêque  de  Halberstadt,  de  plusieurs  comtes  et  du 
margrave  Thierry.  Cette  bataille,  qui  fut  sanglante  — 
l'annaliste  saxon  parle  do  30,754  Slaves  tués  '  — 
sauva  la  Saxo,  mais  la  rive  droite  de  l'Elbe  fut  perdue 
pour  longtemps.  A  la  suite  de  cette  révolte,  Thierry 
fut  privé  de  son  office  et  réduit  à  se  retirer  à  Magde- 
bourg, où  «  il  finit  sa  vie  par  une  méchante  mort  -'.  » 

L'empereur  Ûtlon  II  973-983  .  qui  depuis  dix  ans 
avait  succédé  à  Otton-le-Grand,  donna  pour  succes- 
seur à  Thierry  Luther  de  Walbeck;  niais  lui-même, 
Otton,  n'était-il  pas  la  cause  de  ces  désastres?  A  la 
vérité,  il  avait  combattu  les  Slaves  en  976,  mais  sans 
succès,  et  il  n'avait  pas  t'ait  de  sérieux  efforts  pour  em- 
pêcher l'imminente  apostasie  des  Obotrites  et  des 
Wiltzes.  C'est  la  défaite  qu'il  avait  éprouvée  à  Basen- 
tello  dans  l'Italie  méridionale,  dont  il  voulait  chasser 
les  Sarrasins  et  les  Grecs,  qui  avait  déterminé  les 
Slaves  à  la  revoit»'.  Au  lieu  de  songer  à  les  châtier,  il 
convoqua  les  grands  d'Allemagne  à  Vérone  pour  ré- 
clamer leur  aide  contre  ses  ennemis  de  la  péninsule, 
et,  l'assemblée  terminée,  il  se  mit  en  marche  vers  le 
sud  ;  mais  il  mourut  en  chemin.  Il  avait  vingt-huit  ans, 
et  laissait  un  enfant  de  trois  ans,  Otton  III,  déjà  choisi 
à  Vérone'  pour  lui  succéder,  et  qui  devait  régner  sous 
la  tutelle  do  sa  mère  Théophanie.  Les  descendants  du 
saxon  Henri  l'Oiseleur  devenaient  de  plus  en  plus 
étrangers  à  l'Allemagne. 

Luther  de  Walbeck  983-1003)  administra  la  marche 
à  lieu  près  pendant  le  temps  qu'Otton  III  (983-1002 

1.  Annalista  Saxo,  ad  anniun  983  (Pertz,  vi,  p.  631  . 

2.  Raum.  Re<j.  p.  61-62,  n°  292. 


28  LA   MARCHE 

gouverna  L'empire.  A  peine  sorti  d'une  minorité  trou- 
blée, pendanl  laquelle  le  combal  continue  entre  les 
Saxons  el  les  Slaves  ',  Otton  conclul  un  armistice  avec 
les  Obotrites  el  les  Wiltzes  2  el  pari  pour  l'Italie  ;  mais 
la  guerre  recommence  sur  l'Elbe  l'année  suivante 
avec  d'affreux  ravages  réciproques.  Occupé  de  mille 
projets  a  la  fois,  couranl  tantôl  à  Aix-la-Chapelle 
pour  contempler  Gharlemagne  dans  sa  tombe,  Lan  lût 
a  Gnesen  où  il  s'agenouille  auprès  des  reliques  de 
St-Adalberl  3,  mêlé  aux  (inciviles  des  papes  el  delà 
république  romaine,  rêvant  la  conquête  d^x  lieux 
saints  el  do  Gonstantinople,  ce  faible  esprit,  féru 
d'orgueil,  dédaignait  les  Saxons  grossiers  qui  étaient 
l'appui  de  son  trône,  et  les  Slaves  étaient  pour  lui 
de  trop  misérables  ennemis.  Quant  au  margrave 
Luther  do  Walbeck  il  ne  nous  est  guère  connu 
que  par  un  récit  de  Ditlimar.  L'empereur  Otton,  ra- 
conte le  chroniqueur,  vint  o\\  995,  séjourner  à  Arne- 
bourg,  «  qu'il  avait  jugé  nécessaire  de  fortifier  pour 
défendre  la  patrie  ;  »  quand  il  en  partit,  il  donna 
l'ordre  à  l'archevêque  Giesiler  de  Magdebourg  de 
demeurer  quatre  semaines  dans  la  place.  L'arche- 
vêque, appelé  par  les  Slaves  à  une  entrevue,  faillit 
périr  victime  d'un  guet-apens  où  succombèrent  pres- 
que tous  ceux  qui  l'avaient  accompagné .  Quoique 
grièvement  blessé,  le  prélat  demeure  à  son  poste,  mais 
à  l'heure  dite,  il  part  sans  attendre  le  margrave  Lo- 
thaire  qui  devait  le  relever.  Il  le  rencontre  en  route, 
et  lui  recommande  fortement  la  ville.  Au  moment 


1.  Raum.  Reg,  p.  63,  n°  301,  et  p.  65,  n°  314. 

2.  Id.,  p.  68,  n°  337. 

3.  Il  permet  à  cette  occasion  l'érection  d'un  archevêché  polo- 
nais, indépendant  de  Magdebourg.  C'est  l'abandon  de  la  pensée 
d'Otton  le  Grand. 


AVANT   L'AVENEMENT  DES   ASCANIENS  29 

où  le  margrave  s'en  approche,  il  voit  s'élever  de 
grandes  flammes  :  les  Slaves  étaient  survenus  à  l'impro- 
viste.  Thierry  envoie  en  toute  hâte  vers  l'archevêque, 
qui  ne  veut  pas  revenir  sur  ses  pas;  il  essaye  vaine- 
ment d'éteindre  l'incendie,  et  s'éloigne  avec  douleur, 
laissant  les  ruines  aux  mains  de  l'ennemi.  Ainsi  vingt- 
cinq  ans  après  la  mort  d'Otton-le-Grand,  Arnebourg, 
sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  était  place  frontière,  et 
Ton  voit  comme  la  frontière  était  gardée  (. 

Il  faut  passer  vite  sur  la  monotone  histoire  des  mar- 
graves qui  se  succèdent  jusqu'au  commencement  du 
xne  siècle.  A  la  mort  de  Luther  de  Walbeck,  sa  veuve 
achète  la  survivance  de  ses  fiefs  pour  son  fils  , 
Werner  L003).  Celui-ci  est  en  querelles  perpétuelles 
avec  le  comte  Dedo  deWettin,  qui  lui  brûle  une  de  ses 
villes  et  qu'il  I  ue  1  <  H  il)  .  Déposé  par  l'empereur  Henri  II, 
Werner  est  remplacé  par  Bernard,  fils  du  premier  mar- 
grave Thierry,  mais  il  s'acharne  contre  son  successeur 
et  finit  par  tomber  mourant  entre  ses  mains  (1014  . 
Bernard,  à  peine  débarrassé  île  son  rival,  entre  en 
conflit  avec  Gero  de  Magdebourg,  dont  il  attaque  do 
nuit  la  ville  épiscopale  ;  excommunié' pour  celait,  il  va, 
pieds  nus,  faire  amende  honorable  au  prélat  1 1 U 1 7; .  Un 
suppose  qu'il  mourut  l'année  suivante.  Tout  ce  qu'on 
sait  de  Bernard  II,  son  fils  et  son  successeur,  c'est 
qu'il  est  le  père  de  Guillaume,  qui  au  moins  périt  en 
combattant  contre  les  Slaves  1056).  Apres  lui  vient  la 
dynastie  des  comtes  de  Stade,  Qdo  I,  Udo  II,  Henri  I, 
Qdo  III,  Henri  II  (1056-J  L28  '■.  Aucun  de  ces  princes 
m'  s'élève  au-dessus  de  la  médiocrité  des  autres. 


1.  Dithmar,  IV,  25  (Pertz  m,   pp.  78-9). 

2.  Voyez  pour  l'histoire  des  margraves  depuis  Luther  de  Wal- 
beck Raum.  Re.rj..  passim. 


30  LA   MARCHE 

Cependanl  la  lutte  contre  les  slaves  continue 
obscurément  à  la  frontière.  Un  moment  l'empereur 
Henri  II  (1002-1024),  le  dernier  prince  de  la  maison 
saxonne,  oégocie  avec  les  Obotrites  et  les  Wiltzes, 
mais  c'esl  pour  obtenir  leur  alliance  contre  la  I'olo- 
gne.  Devenue  royaume  chrétien,  la  Pologne  se  jette 
dans  les  coi  ii  |  ne  les ,  conduite  par  Boleslas-le-Hardi , 
qui  porte  sa  frontière  à  l'est  jusqu'à  la  porte  dorée 
de  kiew,  à  l'ouèsl  jusqu'aux  bords  de  la  Saale,  où  il 
élève  une  colonne-  de  fer  ',  si  bien  que  l'empereur 
d'Allemagne  et  les  tribus  de  l'Elbe  se  coalisent  contre 
l'ennemi  commun  ;  mais  il  faut  qu'Henri-le-Saint 
permette  aux  Obotrites  et  aux  AYiltzes  de  garder  le 
culle  do  leurs  idoles  et  de  combattre  sous  leurs 
étendards  sacrés.  Sans  doute  le  christianisme  était 
prêché  chez  ces  païens  endurcis,  mais  à  chaque  fois 
qu'il  y  faisait  des  progrès,  éclatait  la  persécution.  Les 
chroniques  signalent  de  fréquents  massacres  de  chré- 
tiens, et  quelquefois  elles  en  rejettent  la  responsabilité 
sur  les  Allemands  ;  c'est  ainsi  qu'un  écrivain  contem- 
porain reproche  au  duc  de  Saxe,  Bernard,  d'avoir  forcé 
les  Obotrites,  en  les  opprimant  cruellement,  à  retomber 
dans  le  paganisme.  Le  mot  est  expressif  :  ad  nécessi- 
taient paganismi  cocgil  2... 

La  dynastie  franconienne  (1024-1125)  qui  succède  à 
la  saxonne,  poursuit  le  même  rêve  de  domination  uni- 
verselle, mais  les  obstacles  grandissent  sur  sa  route. 
Sous  les  puissants  princes,  Conrad  II  (1024-1039)  et 
Henri  III  (1039-1056),  on  voit  déjà  poindre  maints 
dangers  et  s'approcher  la  ruine.  Trois  ennemis  s'an- 
noncent en  Italie  :  au  nord  les  villes  lombardes  qui 

1.  Raum.  Reg  ,  p.  73,  n"  366. 

•1.  Adam  de  Brème,  II,  46  (Pertz.  vu,  p.  323  . 


AVANT  l'aVÊNEMENT  DES  ASCANIENS  31 

se  coalisent  pour  la  défense  de  leur  liberté  ;  au  sud  les 
Normands,  qui  ont  conquis  les  Deux-Siciles  et  les  gar- 
deront mieux  que  n'ont  fait  les  Sarrasins  et  les  Grecs  ; 
au  centre,  le  pape  qui  va  donner  le  signal  de  la  lutte 
au  nom  de  l'Église  menacée  dans  son  indépendance. 
On  comprend  que  l'Elbe  demeure  la  frontière  mal  dé- 
fendue de  l'empire.  Les  Allemands  remportent  de  petits 
succès,  imposent  des  pacifications  provisoires,  niais  les 
hostilités  renaissent  sans  que  l'on  sache  qui  accuser 
de  la  rupture  des  traités,  si  bien  que  l'on  vit  un  jour 
une  scène  singulière  :  devant  l'empereur  Conrad 
comparurent  en  1034  des  députés  slaves  et  saxons 
qui  se  renvoyaient  la  responsabilité  d'une  agres- 
sion, et  qui  offraient  de  prouver  par  un  combat  la 
vérité  de  leur  dire;  «  de  part  et  d'autre,  on  choisit  un 
champion;  ce  fut  le  Slave  qui  jeta  son  adversaire  par 
terre,  et  ses  compatriotes  à  cette  vue  en  vinrent  à  ce 
point  d'audace  que,  sans  la  présence  de  l'empereur, 
ils  se  seraienl  jetés  sur  les  Allemands  '.  » 

Rarement  on  en  vient  aux  mains  dans  une  grande 
bataille  :  ce  ne  sont  qu'escarmouches,  accompagnées 
de  ravages  réciproques,  qui  sont  quelquefois  horribles. 
Conrad  fait  en  Slavie  «  d'immenses  dévastations, 
brûle  tout  ce  qui  n'est  pas  inexpugnable  »,  et  pour 
venger  les  injures  faites  au  nom  du  Christ,  s'emporte 
à  des  cruautés  inouïes  '.  Pourtant,  en  l'année  1050, 
deux  grandes  armées  se  rencontrent  près  de  Prislawa 
dans  une  sorte  de  champ  clos,  au  confluent  de  l'Elbe 
el  de  la  Havel. C'est  la  que  péril  le  margrave  du  Nord, 
Guillaume,  avec  un  grand  nombre  de  Saxons  :  les 
Slaves  vainqueurs  déchirèrent  son  corps  au  point  do 

1.  Raum.  Reg.  p.  92,  n°  488  ;  p.  93,  îr  497. 
2  Id.  p.  9i,  n»500. 


32  LA    MARCHE 

Le  rendre  méconnaissable  '.  Telle  était  L'audace  des 
ennemis  de  L'Allemagne,  au  temps  «lu  puissant  empe- 
reur Henri  111.  Ils  ae  pouvaient  manquer  de  mettre  à 
proûl  Les  embarras  de  son  successeur,  Henri  [V(1056« 
1 L06  .  sous  1»'  règne  duquel  éclata  enfio  cette  querelle 
des  investitures,  qui  arma  L'un  contre  l'autre  les  deux 
pouvoirs  de  La  chrétienté,  mil  La  guerre  civile  dans 
L'empire  el  Le  schisme  dans  L'église. 

De  graves  événements  donl  L'empire  aurait  pu  profiter 
venaienl  justemenl  de  s'accomplir  chez  Les  Obotrites  : 
Gottschalk,  leur  duc,  s'était  converti,  el  avec  l'aide  <\rs 
Danois,  il  déployai!  un  grand  zèle  en  faveur  du  chris- 
tianisme. Déjà  il  avait  fond»''  Les  évêchés  de  Ratibor  ut 
do  Ràrog  H  porté  sa  domination  au  delà  du  pays  des 
Obotrites,  quand  en  1066  éclata  contre  lui  un  soulè- 
veinenl  formidable.  Col  homme  «  diiuio  d'une  éternelle 
mémoire», ce  «  Machabée  »  est  massacré  à  Lentschin; 
de-  prêtres,  des  moines  sont  offerts  en  sacrifice  au 
dieu  Radegast;  la  conspiration  s'étend  sur  tonte  la 
Slavie  qui  retourne  une  fois  encore  au  paganisme. 
L'empereur,  un  moment  arraché  aux  dissensions  in- 
testines do  l'Allemagne  par  la  fatale  nouvelle,  envahit 
le  pays  des  Wiltzes,  y  fait  «   de  trop  grands  car- 
nages et  de  trop  grandes  dévastations  »  ;  mais  l'em- 
pire est  incapable  d'un  effort  sérieux  contre  ces  en- 
nemis acharnés.  Pendant  douze  ans,  les  ducs  Ordnlf 
cl  Magnus  de  Saxe  cherchent  en  vain  à  les  réduire  : 
mais  «  Orduf  est  si  souvent  battu  qu'il   devient  un 
objet  de  dérision  pour  les  païens  et  même  pour  les 
siens3  ».   Les  Obotrites  élisent    pour  chef  Kruko , 


1.  Raum.  Reg.  p.  103,  ir  550. 

2.  Id.  p.  109,  n"  585. 

3.  Id.  p.  110,  n°«592  3. 


AVANT  L' AVÈNEMENT  DES  ASCANIENS  33 

prince  de  Riigen,    auquel  se   soumettent  aussi   les 
Wiltzes,  vers  1070. 

La  fondation  d'un  royaume  païen,  au  sein  duquel 
s'apaiseraient  les  dissensions,  pouvait  devenir  redou- 
table pour  l'Allemagne  ;  mais  Henri  IV  était  alors  au 
plus  fort  de  sa  lutte  contre  les  Saxons,  et  les  deux 
adversaires  ne  se  firent  point  scrupule  de  se  disputer 
l'appui  des  Slaves.  Les  grands  de  Saxe  avaient  refusé  de 
suivre  l'empereur  contre  les  Polonais,  alléguant  qu'ils 
avaient  auprès  d'eux  de  terribles  ennemis,  les  Wiltzes. 
«  Contre  eux,  dirent-ils,  il  nous  faut  nuit  et  jour  veil- 
ler, l'épée  au  côté,  en  ordre  de  bataille  ;  pour  peu  que 
nous  nous  relâchions,  aussitôt  ils  passent  la  frontière, 
tuent,  brûlent,  dévastent  tout  ce  qu'ils  rencontrent  :  il 
serait  absurde  à  nous  d'aller  faire  la  guerre  à  des  na- 
tions lointaines,  quand  nous  avons  chez  nous,  comme 
à  demeure,  une  guerre  qui  nous  ruine.  »  Ce  tableau 
des  misères  de  la  Saxe  ne  fit  qu'inspirer  à  l'empereur 
le  désir  de  s'allier  à  ceux  qui  étaient  de  si  redoutables 
adversaires  pour  ses  propres  ennemis.  Il  offrit  aux 
Wiltzes  de  l'argent,  à  condition  qu'ils  attaqueraient 
les  Saxons  ;  mais  les  Saxons  offrirent  davantage  à 
condition  que  les  Wiltzes  demeureraient  tranquilles, 
et  les  barbares  ne  sachant  à  qui  donner  la  préférence 
se  prirent  de  querelle  entre  eux,  si  bien  qu'il  s'en 
suivit  une  guerre  civile.  Il  semble  pourtant  qu'ils  se 
décidèrent  pour  le  plus  offrant,  c'est-à-dire  pour  les 
Saxons.  D'après  un  autre  récit,  l'empereur  alla  jus- 
qu'à offrir  aux  Wiltzes  tous  les  territoires  qu'ils  pour- 
raient conquérir  en  Saxe  ;  les  Wiltzes  auraient 
répondu  qu'ils  connaissaient  les  Saxons  de  longue 
date,  pour  les  avoir  combattus  ;  que  rarement  ils 
avaient  eu  à  se  réjouir  des  guerres  qu'ils  leur  avaient 


$4  LA   MARCHE 

faites,  que  d'ailleurs  leur  pays  leur  suffisait,  et  que 
leur  ambition  n'allait  qu'à  défendre  leurs  frontières*. 
Contre  des  ennemis  si  divisés,  Kruko  put  défendre 
longtemps  son  empire,  malgré  les  attaques  de  Magnus, 
duc  de  Saxe,  d'Erich,  roi  de  Danemark,  d'Udo  III 
margrave  du  Nord  qui,  la  première  ou  la  seconde 
année  du  xn'  siècle,  s'empara  pour  an  temps  de 
Brandebourg  '■'.  Erich  était  le  plus  redoutable  des 
adversaires  du  roi  wende;  far,  dans  l'abandon  où  les 
Allemands  laissaienl  la  politique  de  Gharlemagne,  les 
Danois  commençaienl  à  élever  des  prétentions  sur  les 
pays  slaves.  Erich  avait  pris  sous  sa  protection  le  fils 
de  Gottschalk,  Henri,  qui  s'était  fait  céder  un  terri- 
toire  par  Kruko.  A  la  mort  de  Kruko  qu'il  assassina, 
dit-on3,  cet  Henri,  avec  l'aide  des  Danois  et  de  Mag- 
nus, duc  de  Saxe,  s'empara  du  royaume  (1105),  y 
remit  l'ordre,  renvoyant  chacun  à  sa  charrue  et  pur- 
geant le  pays  des  brigands  qui  l'infestaient.  «  La 
Poméranie  même  fit  sa  soumission  au  roi  très-chré- 
tien* »  ;  mais  cet  état  nouveau  n'eut  qu'une  exis- 
tence éphémère.  Déjà  en  l'année  1 107  Henri  est  obligé 
de  faire  aux  'SYiltzes  une  guerre  sanglante  5  ;  les 
Ûbotriteset  les  Poméraniens  se  soulèvent  à  leur  tour; 
les  différentes  tribus  slaves  reprennent  leurs  chefs 
nationaux,  et  la  lutte  contre  les  Allemands  recom- 
mence comme  par  le  passé.  Quand  Henri  meurt  en 
1126,  ses  deux  fils  se  disputent  ce  qui  reste  de  sa  suc- 
cession ,  mais  ils  disparaissent  bientôt ,  et  avec  eux 
s'éteint  la  famille  de  Gottschalk ,  l'année  où  mourait 

4.  Raum.  Rerj.,  p.  113,  n»'  611,  613,  616. 

2.  Id.,  p.  120,  n°667. 

3.  Schafarik,  II,  p.  538. 

4.  Id.,  p.  123-4,  n"  085-6. 

5.  Id.  p.  125,  rr  69i. 


AVANT  L' AVENEMENT  DES  ASCANIENS  35 

le  dernier  margrave  de  la  maison  de  Stade  (1128),  et 
trois  ans  après  la  fin  de  la  dynastie  franconienne,  qui 
s'éteint  avec  Henri  Y  (1106-1125)  K 

L'avènement  de  Lothaire  de  Slippligenburg  (1125), 
duc  de  Saxe,  allait  marquer  une  ère  nouvelle  dans  l'his- 
toire des  Allemands  et  des  Slaves  de  la  région  de  l'Elbe. 
La  dynastie  franconienne  avait  eu  deux  ennemis  prin- 
cipaux :  la  Saxe  et  l'église  ;  elle  avait  donc  trahi  dans 
ses  rapports  avec  les  Wendes  les  intérêts  de  l'église 
et  de  la  Saxe.  Or  Lothaire,  duc  de  Saxe,  garda  son 
duché,  après  qu'il   fut  devenu  empereur;   élu   des 
grands  d'Allemagne,  il  demanda  humblement  la  con- 
firmation pontificale  et  fit  de  l'accord  avec  l'Eglise  la 
base  de  sa  politique.  Il  était  naturel  que  le  combat 
contre  les  Wendes  fût  repris  avec  une  nouvelle  vi- 
gueur. Tout  un  ensemble  de  circonstances  favorables 
se  présenta  d'ailleurs  au  même  temps  pour  changer 
les  conditions  de  la  lutte  ;  dans  le  comté  de  Holstein, 
dans  la  marche  du  Nord,  sur  le  siège  archiépiscopal 
de  Magdebourg ,  se  succédèrent  des  hommes  de  va- 
leur, qui  réunirent  leurs  efforts  pour  triompher   de 
la  résistance  du  paganisme.    Enfin,  quand  mourut 
Henri  II,  le  dernier  margrave  de  la  maison  de  Stade, 
Lothaire  lui  donna  d'abord  pour  successeur  Conrad 
de  Plôtzkau,  jeune  homme  qu'à  cause  de  son  courage 
et  de  sa  beauté  on  appelait  la  Heur  de  la  Saxe  ;  mais 
quatre  ans  après,  pendant  l'expédition  de  Lothaire 
en  Italie,  Conrad  fut  atteint  d'une  flèche  et  mourut. 
Alors  «  l'empereur  Lothaire  donna  la  marche  de  Con- 
rad ,  c'est-à-dire   la  marche  du  Nord,  à  Albert,  en 
récompense  des  services  qu'il  lui  avait  rendus  dans 

1.  Schafarik,  II,  p.  538-9. 


;;ii  LA  MARCHE 

son  expédition  do  ltomo  ».  Avec  Albert  L'Ours  allait 
commencer  une  grande  histoire  (1 L34)1. 

SITUATION  siN.,1  i.irui:  DES  BLAVE8  DE  L'ELBE  M    DÉBUT  DU  \n''  BIÈCLE 
CAUSES    BT   CONSÉQUENCES    DE   CETTE   BITUATION, 

De  965  à  L134,  pendanl  17'.)  ans,  les  margraves  du 
Nord  avaient  donc  été  impuissants  à  maintenir  au 
delà  de  L'Elbe  Le  christianisme  et  La  domination  alle- 
mande. La  frontière  de  L'Elbe  même  était,  à  tous 
moments,  menacée  par  les  Wiltzes  et  les  Obotrites, 
demeurés  indépendants  et  païens,  et  plus  attachés 
que  jamais  à  leur  indépendance  et  au  paganisme. 
Cependant  le  monde  slave  était  partout  transformé. 
Depuis  longtemps  les  Slaves  du  bas  Danube,  ceux 
d'Illyrie,  de  Garinthie,  de  Styrie,  les  deux  grandes 
nations  polonaise  et  tchèque,  étaient  convertis  et  en- 
trés dans  le  courant  de  la  civilisation  générale.  Plus 
près  de  nos  tribus  rebelles  des  Obotrites  et  des  Wiltzes, 
les  Sorabes  avaient  depuis  longtemps  fait  leur  soumis- 
sion. Ceux  qui  habitaient  entre  l'Elbe,  la  Saale  et 
rErzgebirge  n'avaient  jamais  recouvré  leur  liberté, 
depuis  que  leur  pays  avait  été  conquis  par  Henri  l'Oi- 
seleur :  les  évoques  de  Meissen  et  de  Zeitz,  les  comtes 
allemands  ,  les  burgraves ,  enfin  les  margraves  de 
Misnie,  avaient  fait  leur  office,  et  au  commencement 
du  xne  siècle  les  Sorabes  de  la  rive  gauche  de  l'Elbe 
étaient  complètement  germanisés.  Ceux  de  la  rive 
droite,  après  avoir  été  longtemps  disputés  entre  l'Alle- 
magne, la  Bohème,  la  Pologne,  avaient  fini  par  être 


1 .  Lotharius  imperator  noarchiam  Conradi  ,  videlicet  sep- 
tentrionalem,  Adelberto  pro  studioso  sibi  exhibito  obsequio  in 
Romano  itinere  superiori  anno  concessit.  Ann.  Saxo,  ad  ann. 
1134  (Pertz.  VI.  p.  768). 


AVANT  L' AVÈNEMENT   DES  ASCAXIEXS  37 

rattachés  à  l'Allemagne.  Convertis  de  bonne  heure,  ils 
n'avaient  d'ailleurs  point  donné  de  prétexte  à  ces 
guerres  de  dévastation  dont  le  pays  des  Wiltzes  et 
des  Obotrites  fut  le  théâtre.  Enfin  les  Poméraniens 
étaient  à  la  veille  d'accepter  le  christianisme.  Les 
Wiltzes  et  les  Obotrites  demeuraient  donc  comme  les 
représentants  isolés  de  l'ancien  paganisme  slave. 

On  connaît  déjà  l'une  des  causes  de  cette  situation 
exceptionnelle  des  Slaves  de  l'Elbe  inférieure.  Les 
empereurs  laissent  retomber  à  peu  près  tout  le  poids 
de  la  lutte  sur  les  princes  de  l'est,  qui  ne  sont  point 
en  état  de  le  porter.  Il  s'en  faut  (Tailleurs  que  ceux- 
ci  comprennent  bien  leurs  devoirs  en  face  "de  l'en- 
nemi :  des  querelles  comme  celles  de  Werner  et  de 
Dedo ,  de  Werner  et  de  Bernard,  de  Bernard  et  de 
l'archevêque  de  Magdebourg,  n'étaient  point  faites 
pour  arrêter  les  progrès  des  Slaves.  Mais  l'acharne- 
ment des  Wendes  à  la  résistance  s'explique  aussi  par 
les  duretés  de  la  conquête  germanique. 

Nulle  part,  plus  que  chez  ce  malheureux  peuple,  le 
christianisme  n'est  apparu  sous  des  couleurs  propres 
à  le  faire  repousser  avec  horreur.  Il  faut  bien  dire 
que  les  Allemands  ont  montré  peu  d'aptitude  à  porter 
la  parole  de  miséricorde  et  de  charité.  Déjà,  au  ixe 
siècle,  Alcuin  reprochait  à  l'évêque  Arno  de  Salz- 
bourg,  qui  avait  entrepris  la  conversion  des  Slaves 
de  Styrie  et  de  Garinthie.  d'abuser  de  l'emploi  de  la 
force  et  de  trop  aimer  la  dîme.  Charlemagne,  en  assi- 
gnant aux  sié'ges  épiscopaux  qui  auraient  envoyé  de* 
missionnaires  en  pays  païen  une  part  des  revenus 
payés  par  les  convertis,  avait  excité  l'avidité  en  même 
temps  que  l'émulation  des  évêques,  et  les  conflits  qui 
éclataient  entre  les  divers  diocèses  n'étaient  point 


38  LA  MARCHE 

faits  pour  persuader  aux  païens  que  Les  prêtres  de 

Jésus-Christ  ne  voulaient  que  le  salul  de  leurs  âmes. 

L'Allemagne  a  bien  donné  à  l'Église  an  certain 

nombre  de  missionnaires  zélés,  mais  pas  un  grand 
apôtre  qui  se  puisse-  comparer  à  l'Anglo-Saxon  Boni- 
face,  aux  Grecs  Cyrille  et  Méthode.  Quand  ceux-ci 
arrivèrenl  en  Moravie,  sans  armes,  mais  apportant 
avec  eux  l'alphaliel  slave  composé  par  Cyrille,  el  la 
traduction   slave  de  l'Evangile;  quand  ils  parlèrent  à 

.•eux  qu'ils  voulaienl  convertir  leur  langue  oationale, 
ce  fut  une  joie  universelle.  Ces  hommes  simples  s'en- 
tendaient enfin  adresser  une  parole  intelligible  :  «  les 
oreilles  des  sourds  s'ouvrirent,  et  la  langue  des  muets 
se  délia.  »  Aussi  les  deux  apôtres  firent-ils  une  œuvre 
féconde,  et  qui  survécut  à  la  Moravie,  état  factice  créé 
entre  deux  invasions,  celle  des  Avares  et  celle  des 
Hongrois.  Ils  avaient  donné  à  la  grande  race  slave  un 
patrimoine  commun  :  une  littérature  dont  ils  avaient 
créé  l'instrument,  et  des  souvenirs  qui  se  sont  ravivés 
de  nos  jours  avec  un  éclat  inattendu.  Or  ces  apôtres 
du  monde  slave  font  songer  au  pontife  qui  convertit 
les  Anglo-Saxons  et  qui  entama  la  Germanie  païenne. 
Comme  Grégoire-le-Grand,  Cyrille  et  Méthode  étaient 
nés  dans  un  palais  et  destinés  aux  honneurs  publics. 
Comme  lui,  ils  avaient  appris  tout  ce  que  les  écoles 
de  leur  temps  pouvaient  enseigner.  Ils  avaient  re- 
noncé au  monde  pour  la  tranquillité  du  cloître,  puis 
ils  avaient  été  séduits  par  la  grandeur  de  l'apostolat 
chrétien.  Comme  Grégoire-le-Grand  enfin,  ils  avaient 
une  foi  profonde  servie  par  une  haute  intelligence  : 
les  papes  eux-mêmes  honorent  Cyrille  du  nom  de 
philosophe.  Cyrille,  Méthode,  Grégoire,  Romains  tous 
les  trois,  représentent  l'alliance  féconde  de  la  foi  chré- 


AVANT  L'AVENEMENT   DES   ASCANIENS  39 

tienne  et  de  la  sagesse  antique.  La  vieille  civilisation 
au  sein  de  laquelle  ils  sont  nés  les  élève  au-dessus  de 
leurs  émules  des  pays  barbares.  Combien  il  y  a  plus 
d'humanité  chez  les  deux  hommes  envoyés  de  Gons- 
tantinople  parmi  les  Slaves  que  chez  les  évêques  de 
la  Germanie  ! 

S'il  se  présentait  d'ailleurs  parmi  les  Wendes  quel- 
que missionnaire  vraiment  animé  du  zèle  de  la  foi, 
comme  .Otton,  évêque  de  Bamberg,  qui  apprit  la  lan- 
gue slave  afin  d'expliquer  aux  néophytes  la  parole 
chrétienne  ses  efforts  étaient  rendus  inutiles  par  la 
cruauté  et  par  l'avarice  sans  frein  des  princes  alle- 
mands. On  a  vu  déjà  cette  parole  significative  d'un 
chroniqueur,  que  le  duc  Bernard  avait  par  son  avarice 
forcé  les  Obotrites  à  retourner  au  paganisme.  «  Les 
princes  allemands,  dit  Helmold  après  le  récit  d'une 
victoire,  se  partagèrent  l'argent ,  mais  de  christia- 
nisme, il  ne  fut  pas  fait  mention.  On  voit  par  là  l'in- 
satiable avidité  des  Saxons;  entre  toutes  les  autres 
nations ,  ils  excellent  aux  armes  et  à  la  guerre  , 
mais  ils  sont  toujours  plus  enclins  à  augmenter  les 
tributs  qu'à  conquérir  (U's  âmes  au  Seigneur  ».  Il  y 
a  longtemps  que  le  christianisme  fleurirait  dans  la 
Slavie,  si  l'avarice  des  Saxons  n'y  avait  fait  obstacle.  » 
Avant  Helmold,  Adam  de  brème  avait  écrit  la  même 
chose,  presque  dans  les  mêmes  termes  :  «  J'ai  en- 
tendu dire  que  la  Slavie  eûl  été  convertie  depuis  long- 
temps sans  l'avarice  des  Saxons,  qui  sont  plus  portés 


i.  Unde  cognosci  potest  Saxonum  insatiabilis  avaritia,  qui  cura 
inter  gentes  cœteras,  Barbaris  contiguas,  praepolleant  armis  et 
usu  militice,  semper  proniores  sunt  tributis  augmentandis,  quam 
animabus  Domino  conquirendis.  —  Helmold,  Chronica  Slavo- 
rum ,  I,  21  (  ap.  Leibniz,  Scriplores  rerum  Brunswicemium , 
t.  II,  p    557). 


40  LA   MARCHE 

aux  exactions  qu'aux  conversions.  Les  malheureux  l 
neprennenl  point  garde  aux  dangers  qu'ils  appellent 
sur  leurs  têtes,  en  troublant  d'abord  par  leur  cupidité 
La  foi  des  slaves,  puis  en  Les  forçanl  à  La  révolte  par 
leur  cruauté...  Si  qous  ce  Leur  avions  demandé  que 
de  sti  convertir,  ils  seraient  déjà  sauvés  et  nous 
serions  certainement  on  paix2.  »  Avant  Adam  de 
Brème,  Dithmar  avait,  Qétri  la  barbare  coutume  qu'a- 
vaient Les  Saxons  de  diviser  Les  ramilles  de  leurs  pri- 
sonniers pour  les  vendre  comme  esclaves,  car  le,  pri- 
sonnier wénde  était  un  des  objets  du  commerce 
germanique  avec  l'Orient3. 

On  comprend  qu'ainsi  traités  par  leurs  vainqueurs, 
même  après  qu'ils  avaient  renoncé  au  culte  de  leurs 
pères  pour  suivre  une  religion  qu'on  leur  prêchait  le 
plus  souvent  dans  une  langue  incompréhensible,  les 
Slaves  se  soient  endurcis  dans  ces  vertus  que  leur 
reconnaissent  les  chroniqueurs  allcmandSj  et  qu'ils 
aient  préféré  mille  morts  à  une  telle  servitude.  Hel- 
mold  met  dans  la  bouche  d'un  chef  wende  parlant  à 
un  évêque  allemand,  un  discours  qui  rappelle  l'élo- 
quente harangue  du  paysan  du  Danube.  «  Nos  princes 
nous  accablent  d'une  telle  sévérité,  les  impôts  et  la 
servitude  sont  si  durs  que  nous  préférons  la  mort  a 
la  vie.  Tous  les  jours  on  nous  pressure  jusqu'à  nous 
faire  rendre  l'âme...  Gomment  voulez-vous  que  nous 
vaquions  aux  soins  de  la  religion  nouvelle,  que  nous 
recevions  le  baptême  et  construisions  des  églises, 
nous  que  tous  les  jours  on  contraint  à  la  fuite;  si  seu- 


1.  Mens  pronior  ad  pensionem  vectigalium ,  quam  ad  conver- 
sionem  gentilium...  Adam  de  Brème,  III,  22  (Pertz,  III,  p.  344). 

2.  Ab  iis  si  tantum  fidem  posceremus,  et  illi  jam  salvi  essent,  et 
nos  certe  essemus  in  pace...  ;id.  ibid). 

3.  Giesebrecht,  Wendische  Geschichten,  t.  I,  p.  35. 


+ 


AVANT  L  AVENEMENT  DES  ASCANIENS  41 

lement  il  y  avait  un  lieu  où  nous  pussions  trouver  un 
refuge!  Mais  à  quoi  bon  passer  la  Trave?  Les  mêmes 
malheurs  nous  attendent  au  delà;  ils  nous  attendent 
au  delà  de  la  Peene  ;  il  ne  nous  reste  plus  qu'à  quitter 
les  terres,  à  nous  confier  aux  flots  de  la  mer,  à  vivre 
sur  les  abîmes  i.  » 

Ainsi  le  guerrier  allemand  avait  fait  prendre  en 
haine  le   prêtre  allemand    chez,  les    Wiltzes   et    les 
Obotrites;  ces  païens  défendaient  leurs  vieilles  idoles, 
comme  le  palladium  de  leur  indépendance.  Or  plus 
longue  et  plus  acharnée  était  leur  résistance,  plus  ra- 
dicale devait  être  la  conquête.  Une  lutte  à  mort  était 
engagée  sur  les  bords  de  l'Elbe.  Elle  va  finir  par  l'ex- 
termination des  Slaves.  Qu'on  regarde  en  effet  une 
carte  ethnographique,  de  l'Europe   actuelle  et  qu'on 
y  cherche   les  populations  slaves.    Outre  la  Russie, 
deux  nations  slaves  seulement  sont  indépendantes, 
la  Serbie  et  le  Monténégro  ;  mais  la  race  est  distribuée 
en  six  groupes  distincts  :  les  Serbo-Croates  qui  com- 
prennent, outre  les  Serbes  et  les  Monténégrins,  les  Bos- 
niaques, et  les  Serbes,  Croates  et  Dalmates,  de  l'Au- 
triche; les  Slovènes  ou  Windes  de  l'Illyrie  et  de  la 
Carinthie  ;  les  Bulgares  ;  les  Tchèques  de  Bohême,' 
les  Slovaques  de  Hongrie  et  les  Polonais  ;  les  Busses. 
Dans  toutes  ces  populations,  on  parle  sauf  la  diffé- 
rence des  dialectes  la  même  langue,  celle  dont  l'al- 
phabet a  été  trouvé  par  les   apôtres  de  la  famille 
slave.  On  a  conscience  d'appartenir  à  une  même  race, 
on  a  des  souvenirs  communs,  des  espérances  com- 
munes. Or  ces  populations  sont   précisément   relies 
dont  la  conversion  au  christianisme  était  accomplie 

1.  Helmold,  I.  83  (Leibniz,  II,  p.  557). 


19  i\    MARCHE  AVANT   LES  ASCAN1ENS 

à  La  date  où  qous  sommes  arrivés.  Chrétiennes,  elles 
pouvaienl  être  subjuguées,  mais  non  exterminées. 
Quelque  dure  qu'ait  été  Le  plus  souvenl  leur  condi- 
tion ,  leur  nationalité  n  subsisté.  Cherchons  main- 
tenant  des  Slaves  dans  La  vallée  de  l'Llbo  moyenne. 
L'ethnographie  signale  encore  an  groupe  de  cent  cin- 
quante mille  Windcs  environ  dans  la  Lusace,  c'est- 
à-dire  dans  le  pays  autrefois  habité  par  Les  Sorabesj 
qui  «le  lionne  heure,  comme  on  l'a  vu,  ont  été 
convertis  au  christianisme.  Mais  entre  l'Elbe  et  l'O- 
der, c'est-à-dire  dans  le  pays  de  ces  Wiltzes.  qui,  au 
commencement  du  xir  siècle  ,  tiennent  encore  tête  a 
l'empire  el  au  christianisme ,  les  Slaves  ont  complè- 
tement disparu,  ou  se  sont  fondus  dans  la  population 
allemande.  Les  épouvantables  guerres  que  nous  avons 
racontées  avaient  fort  avancé  déjà  l'œuvre  germani- 
que, sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  :  les  ducs  de  Saxe  et 
les  margraves  du  Nord  vont  l'achever  par  les  armes 
et  par  la  politique.  Avons-nous  besoin,  en  terminant 
cette  longue  introduction,  de  montrer  comment  l'é- 
tude de  ce  passé  lointain  aide  à  comprendre  les  plus 
redoutables  questions  du  présent?  Le  réveil  du  pa- 
triotisme slave  a  failli  mettre  en  danger  l'existence 
même  de  l'Autriche;  la  prédominance  de  l'élément 
germanique  en  Brandebourg  a  fait  la  fortune  de  la 
Prusse.  La  première  pierre  de  cet  édifice  que  nous 
avons  vu  couronner  de  nos  jours  recouvre  un  peuple 
détruit,  dont  le  souvenir  ne  vit  plus  guère  aujourd'hui 
que  dans  la  mémoire  attristée  de  quelques  patriotes 
slaves. 


CHAPITRE  II 


LE   .MARGRAVE  ALBERT    L  OURS. 


Les  Ascaniens  avant  l'avènement  d'Albert  an  margraviat  du  Nord. 
—  Mission  d'Otton  de  Bamberg  chez  les  Wendes.  —  La  mar- 
che à  l'avènement  d'Albert;  premiers  actes  d'Albert;  expé- 
ditions et  négociations  en  pays  wende.  —  Acquisition  et  perle 
du  duché  de  Saxe.  —  Croisade  en  pays  wende.  —  Prise  de 
possession  de  Brandebourg.  —  Nouvelles  entreprises  sur  le 
duché  de  Saxe.  —  Mort  d'Albert. 


LES    ASCANIENS    AVANT   L  AVENEMENT   I)  ALBERT    AU    MARGRAVIAT 
DU    NORD. 

Suivant  la  coutume  du  moyen  âge,  la  famille  d'Al- 
bert l'Ours  a  porté  les  noms  de  ses  résidences  succes- 
sives, (rui  sont  toutes  les  trois  situées  sur  la  pente 
orientale  du  Harz  :  Ballenstedt,  qui  fut  converti  en  ab- 
baye dans  les  premières  années  du  xn"  siècle  ;  Ànhalt 
qui  fut,  à  la  même  date,  bâti  au  bord  de  la  Selke  sur  les 
flancs  escarpés  et  boisés  du  Hausberg;  enfin  Aschers- 
leben  bâti  vers  i  150  dans  la  vallée  de  l'Eine.  Ce  der- 
nier lieu  se  nommait  en  latin  Ascaria,  d'où,  par  cor- 
ruption, Ascania.  Les  noms  d'Anhalt  el  d'Ascaniens 
désignent  ordinairement  la  famille,  mais  c'esl  sous 
celui  de1  Ballenstedt  qu'elle  faitson  apparition  dans  l'his- 


44  LE   M  \i;<;i;  w  i:   ALBERT  L'OURS 

loirc  i.  L'annaliste  saxon  parle  en  effet,  à  l'année  1030, 
d'un  comte  de Ballenstedt,  Esico,  donl  le  père,  qui  n'est 
poinl  connu,  avail  épousé  ane  Bile  d'Odo,  margrave 
de  Lusace 2.  Il  esl  probable  que  les  Ballenstedl  sonl 
restés  de  petits  seigneurs  jusqu'à  ce  mariage  qui  vint 
iiiut  j  coup  illustrer  el  enrichir  leur  maison  ;  car  Odo 
mourul  sans  héritier  mâle,  et  si  le  margraviat  lui 
donné  aux  Wettin,  les  biens  patrimoniaux,  qui  étaienl 
considérables,  passèrent  aux  Ballenstedt.  Esico  recul 
en  outre  l'investiture  de  plusieurs  comtés  autrefois 
administrés  par  les  ancêtres  de  sa  mère.  Ces  alleux 
et  ces  fiefs,  joints  à  ceux  des  Ballenstedl,  formaient 
une  sorte  de  principauté  qui,  des  dernières  hauteurs  du 
Ilarz, s'étendait  jusqu'à  la  rive  droiledel'Elbe moyenne. 
C'était  un  pays  où  la  population  était  moitié  allemande, 
moitié  slave,  une  sorte  de  marche,  moins  le  nom. 

Esico  acheva,  par  son  mariage,  de  porter  la  famille 
des  Ballenstedt,  à  peine  sortie  de  l'obscurité,  au  pre- 
mier rang  dans  l'empire  ;  il  épousa  Mathilde ,  fille  de 
Hermann  de  Werla  et  de  Gerherg,  princesse  bourgui- 
gnonne. Or  Gerberg,  devenue  veuve,  épousa  en  se- 

1.  Iste  est  SigiCridus  (ce  Sigfried  est  un  fils  du  margrave  Odon, 
qui  mourut  avant  son  père),  avunculus  Esici  comitis  de  Ballens- 
tide Annalista  Saxo,  ad  annum  1030  (Pertz,  VI,  p.  678). 

2.  N von  Ballenstedt, 

épouse  N fille  d'Odo. 


Esico,  f  vers  1059. 


Albert,  f  vers  1080. 


Otton  le  Riche,  f  1123.  Siegfried,  f  1113. 


Albert  l'Ours,  f  1170.  Eilika.    Siegfried,  f  1124.  Guillaume,  f  1140. 


LE  MARGRAVE   ALBERT  L'OURS  45 

condes  noces  le  duc  Hermann  de  Souabe  et  en  eut 
une  fille,  Gisela,  qui  devint  la  femme  de  l'empereur 
Conrad  II,  et  la  mère  de  l'empereur  Henri  III l  :  Esico 
fut  donc  le  beau-frère  du  premier  et  l'oncle  du  second 2. 
Cette  grandeur  même  et  les  alliances  auxquelles  ils 
en  étaient  redevables  engagèrent  les  Ballenstedt  dans 
les  guerres  civiles  qui  troublèrent  l'empire  au  xie  siè- 
cle :  Albert,  fils  d'Esico  3,  prit  part  à  la  révolte  des 
princes  saxons  contre  Henri  IV.  Cet  Albert  eut  deux  fils, 
Otton  et  Siegfried,  de  son  mariage  avec  Adélaïde,  fille 
d'Otton  d'Orlamunde,  margrave  de  Misnie.  Adélaïde 
s'étant  remariée  au  comte  palatin  du  Rhin  Henri  de 
Laach,  cette  union  demeura  stérile,  et  le  palatin  adopta 
ses  deux  beaux-fils.  Siegfried  renonça  aux  biens  des 
Ballenstedt  pour  se  réserver  l'héritage  des  Laach  ;  il 
devint  un  des  grands  princes  de  l'empire,  soutint  fidè- 
lement Henri  IV  contre  son  fils  révolté,  et  quand  celui- 
ci,  arrivé  au  trône,  le  poursuivit  de  son  ressentiment, 
le  palatin  souleva  l'Allemagne  contre  l'empereur; 
mais  il  fut  vaincu  et  ne  survécut  pas  à  sa  défaite  (1 113). 
Cependant  son  frère  Otton,  prince  d'humeur  paci- 
fique, administrait  tranquillement  l'héritage  d'Albert. 

1.  Gerberg,  fille  du  roi  Conrad  de  Bourgogne, 

épouse 
en  premières  noces,  en  secondes  noces, 

Hermann  de  Werla.  Hermann  de  Souabe- 


Mathilde,  Gisela, 

femme  d'Esico  de  Ballenstedt.  femme  de  Conrad  II. 

2.  Pour  toute  l'histoire  des  ancêtres  d'Albert  L'Ours,  V.  Hei- 
nemann,  Albreeht  der  Bar,  ch.  I  et  les  notes  à  la  fin  du  volume. 
Voyez  aussi  Raumer,  Rey.  passim. 

3  Un  passage  de  l'annaliste  saxon  établit  la  généalogie  des  an- 
cêtres connus  d'Albert  l'Ours  :  Machtildem  di  sponsavit  cornes  Esi- 
cus  de  Ballenstide,  genuitque  ex  eà  comitem  Adalbertum..,  patrem 
comitis  Ottonis...  Annalista  Saxo,  ad  ann.  1026  (Pertz  VI.  p.  670). 


ili  LE   M  URGR  wi:   A.LBERT  L'OURS 

Fidèle  aux  traditions  de  sa  famille,  il  avail  l'ail,  un 
mariage  qui  lui  valut  Le  surnom  il»1  riche.  Magnus,  de 
h  maison  drs  Billings  qui ,  depuis  un  siècle  el  demi, 
gouvernail  La  Saxe,  n  avail  eu  de  son  union  avec  So- 
phie, Bile  du  roi  de  Hongrie  Bêla,  que  deux  Biles  :Wulf- 
bild  el  Eilika.  Aaiprès  d'elles  s'empressaient  de  uom- 
breux  prétendants,  attirés  par  La  richesse  allodiale  des 
Billings  et  par  L'espoir  d'hériter  du  duché  après  la 

morl  de  Magnus;  car  L'usage  rec laissa  il  une,  sorte  de 

droit  au  gendre  d'un  feudataire  décédé.  Henri  lé  Noir, 
duc  de  Bavière,  avail,  épousé  Wulfhild  ;  peu  de  temps 
après  l'do  de  Stade,  margrave  du  Nord,  se  mit  en  roule 
pour  aller  demander  la  main  d'Eilika;  mais,  chemin 
faisant,  il  s'arrêta  pour  passer  la  nuit,  dans  le,  châ- 
teau de  Helperieh  de  Plôtzkau;  il  y  vit  la  sœur  de  son 
hôte  et  ne  voulut  pas  aller  plus  loin  :  au  grand  scan- 
dale de  ses  vassaux,  il  célébra  ses  noces  avec  la  belle 
Inningarde.  (le  lui  Otton  de  Ballenstcdt  qui  épousa  l'hé- 
ritière dédaignée  i.  Il  crut  un  moment  succéder  à  son 
beau-père  (1106),  car  l'empereur,  après  avoir  investi 
du  duché  Lothaire  de  Siippligenburg ,  le  lui  retira 
pour  le  donner  à  Otton  (1112);  mais  au  moment  oii 
Lothaire  allait  commencer  les  hostilités  contre  l'em- 
pereur, un  arrangement  intervint,  qui  força  Otton  a 
résigner  sa  dignité  avant  même  de  l'avoir  exercée 2. 

1.         Welfs                            Billings                       Ascaniens 
Welf  IV,  f  1101.           Magnus,  f  1106.            Albert,  f  1080. 
1         I    I        


Henri  le  Noir,  épouse  =  Wulfhild  ;  Eilika  épouse  =  OUon-le-Riche. 
f  1126.  f  1126.  i  1142.  f  1123. 

| I 

I  I 

Henri  le  Superbe,  Albert  l'Ours, 

f  1139.  f  1180. 

2.  Annalista  Saxo  ad  annum  1112,  (Pertz,  VI,  p.  74ÔJ. 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  47 

A  la  mort  de  son  frère  Siegfried,  dont  les  fils  furent 
dépouillés  même  de  leurs  biens  allodiaux  par  Henri  V, 
Otton,  qui  était  sans  doute  le  tuteur  de  ses  neveux, 
entra  dans  la  coalition  qui  se  forma  pour  leur  défense, 
mais  il  ne  porta  point  d'abord  les  armes  directement 
contre  l'empereur.  En  effet  les  Wendes,  profitant 
comme  toujours  des  dissensions  de  l'empire,  vinrent 
ravager  le  pays  entre  la  Saale  et  l'Elbe  ;  Otton  part 
avec  60  lances,  environ  300  hommes,  marche  sur 
Kôthen  où  l'ennemi,  dix  fois  plus  nombreux,  est  dis- 
séminé pour  le  pillage,  le  surprend,  le  chasse  devant 
lui  jusqu'à  l'Elbe  qu'il  passe,  et  conquiert  sur  la 
rive  droite  les  premiers  établissements  qu'aient  eus 
les  Anhalt  au  delà  du  fleuve  frontière  (1115) i.  Ce- 
pendant la  guerre  continue  avec  acharnement  dans 
l'empire  ,  jusqu'à  ce  qu'Henri  ,  plusieurs  fois  trahi 
par  la  fortune,  consente  à  recourir  à  un  arbitrage 
et  à  réparer  ses  injustices.  Guillaume,  fils  de  Sieg- 
fried, est  rétabli  dans  ses  allodiaux  :  plus  Lard  il 
recouvra  la  dignité  palatine.  La  maison  ascanienne 
avait  donc  atteint  déjà  un  haut  degré  de  fortune  quand 
Otton  mourut  eu  1 123,  laissant  deux  enfants  :  Eilika, 
qui  épousa  Henri  de  Stade,  margrave  du  Nord,  et 
Albert,  qui  allait  devenir  un  des  héros  du  xne  siècle 
en  Allemagne  2. 

Les  documents  contemporains  ne  donnent  pas  la 


1.  Annales  MaijOeburgenses,  ad  ann.  1115  (Pertz,  XVI,  p.  182). 
Annalista  Saxo,  ad  ann.  1115  (Pertz  VI,  p.  751).  Annales  Pali- 
clenses ,  ad  ann.  1115  (Pertz,  XVI,  p.  70).  Raumer,  Reg.,  p.  133, 
n°  743.  —  Voyez  aussi  Ratike,  Genesis  des  preussischen  Staates, 
p.  6,  où  l'importance  du  fait  est  fort  exagérée. 

2.  Raumer,  Reg.  p.  134,  n°  "49.  Ann.  Sax.  ad  ann.  110G  (Pertz, 
VI,  p.  741).  Eilica  nupsit  Ottoni,  comiti  de  Ballenstide,  genuit- 
que  ex  eâ  Adelbertum  marchionem  et  hlium  Adelheidem ,  que 
nupsit  Heinrico  marchioui  de  Stahen. 


JS  LE  MARGRAVE   ALBERT  I.'OURS 

date  de  La  naissance  d'Albert,  qu'il  faul  placer  tout  à 
La  fin  du  xil°  siècle  ou   toul   au  commencement  du 

Mir1.  et  leur  sécheresse  permel  a  peine  quelques 
conjectures  sur  son  caractère.  On  L'appelait  Vouvs  à 
cause  de  son  courage,  L'ours  étanl  Le  roi  des  forêts  du 
nord,  el  des  chroniques  postérieures  Le  surnomment 
Le  beau  :  L'historien  doil  deviner  Le  reste.  Pour  ne  rien 
négliger,  en  un  sujet  où  Les  renscigncnirnls  psycho- 
logiques sonl  rares,  il  faul  noter  qu'Alberi  tient  beau- 
coup moins  de  son  père,  Le  pacifique  Otton,  que  de 
sa  mère  Eilika,  la  fille  do  Magnus  et  la  petite-fille  des 
rois  de  Bongrie.  Eilika  était  d'humeur  ambitieuse  et 
inquiète  :  retirée  sur  ses  terres  après  la  mort  de  son 
mari,  elle  est  toujours  en  querelle  avec  ses  voisins, 
et  manque  un  jour  d'être  victime  de  la  colère  des 
bourgeois  de  Halle  2.  Elle  agite ,  si  l'on  peut  dire , 
l'Allemagne  et  la  chrétienté  pour  enlever  au  landgrave 
de  Hesse  l'avouerie  sur  le  petit  monastère  de  Gosock, 
situé  non  loin  de  son  château  de  Burgwerden.  Le  pape 
Innocent  II  lui  donne  raison  3  ;  aussitôt  elle  met  son 
activité  à  relever  les  bâtiments  et  à  refaire  les  revenus 
du  cloître  qui  étaient  fort  en  souffrance.  L'abbé  qu'on 
appelait  Bertold,  ne  lui  convenait  pas  :  elle  le  persé- 
cute, jusqu'à  ce  qu'il  ait  quitté  le  couvent.  Quand  le 
malheureux  a  rendu  le  dernier  soupir  à  Lorsch,  où  il 
s'est  retiré,  elle  court  au  monastère  de  Pegau  pour  y 
chercher  un  moine,  du  nom  de  Nenther,  dont  elle  veut 
faire  l'abbé  de  Goseck.  Nenther  jure  qu'il  ne  quittera 
point  ses  frères,  et  ceux-ci,  qui  connaissaient  la  répu- 

1.  Voyez  la  discussion  de  ce  point  dans  Heinemann,p.  319, 
note  6. 

2.  Raumer.  Reg.  p.  148,  n°  835. 

3.  Le  pape  la  prend  sous  sa  protection  spéciale.  Voyez  Heine- 
mann,  Cod.  dipl.  anh.  p.  212,  n°  287. 


LE    MARGRAVE   ALBERT    L'OURS  49 

tation  d'Eilika  approuvent  fort  sa  résolution.  L'impé- 
rieuse femme  insiste,  menace,  si  bien  que  l'abbé  réunit 
la  communauté,  et  s'excuse  de  se  laisser  vaincre  par  une 
femme,  en  alléguant  le  respect  dû  à  la  dame  et  suzeraine 
du  pays  où  le  monastère  esl  bâti.  «  Nous  pensons,  dit-il, 
qu'il  n'es!  pas  prudent  de  l'offenser.  »  Quelques  jours 
après,  Nenther,  abbé  malgré  lui,  s'installait  aumonas- 
tère  de  Goseck,  et  la  comtesse  faisait  à  cette  occasion 
un  beau  sermon  au  peuple  assemblé  L.  Au  cours  de  cette 
histoire,  nous  retrouverons  Eilika  toujours  guerroyant. 
Elle  sera  l'alliée  de  son  fils  Albert  l'Ours,  qui  portera  sur 
un  plus  vaste  théâtre  cette  ambition  toujours  en  éveil 
et  cette  hardiesse  toujours  en  quête  d'aventures. 

A  peine  en  effet  son  père  avait-il  rendu  le  dernier 
soupir,  qu'Albert  l'Ours  se  jeta  dans  la  guerre  qui 
venait  de  se  rallumer  entre  la  Saxe  et  l'empereur  : 
avec  l'aide  du  duc  Lothaire,  le  chef  des  révoltés,  il 
conquil  et  garda  la  marche  de  Lusace  1  lw2  5  2,  sur  la- 
quelle il  se  croyait  des  droits  du  chef  de  sa  trisaïeule, 
la  mère  d'Esico  '■'.  La  mort  d'Henri  V  (1125)  et  l'a- 
vénemenl  de  Lothaire  a  l'empire  secondèrent  la  for- 
tune naissante  du  jeune  margrave,  auquel  Lothaire 
donna  l'investiture  de  la  Lusace  ,  en  même  temps 
qu'Henri  de  Stade,  son  beau-frère,  recevait  celle  de  la 
marche  du  Nord.  Pourtant  il  eût  été  contraire  aux 
lois  de  la  nature  humaine  que  Lothaire,  devenu  em- 
pereur, demeurât  longtemps  en  lionne  intelligence 
avec  ceux  qui  l'avaient  aidé  dans  ses  révoltes  contre 
l'empire  :  il  entendait  bien  comprimer  la  belliqueuse 
humeur  de  la  noblesse  saxonne. 

1.  Chronicon  Gozenense,  IL.  19,   21,  22,   24-29  'Hertz.  X,  p.  154, 
157  . 

2.  Uaum.  Reg.  p.  138,  n°  782,  3,  et   page  139,  rr  785. 

3.  Voyez  le  tableau  généalogique,  au  bas  de  la  page  44. 


50  LE   MARGRAVE    ALliEHT   I.'oUKS 

La  mésintelligence  n'éclata  pas  tout  d'un  coup,  si 
l'empereur  était  entouré  de  tous  ses  vassaux  de  Saxe, 
dans  la  malheureuse  campagne  qu'il  entrepril  contre, 
Sobislaw,  duc  de  Bohême,  afin  de  Le  contraindre  à 
demander  la  confirmation  impériale.  Surpris  dans  les 
défilés  de  Bohême  par  dr^  forces  supérieures,  il  vil 
tomber  la  fleur  de  la  noblesse  saxonne.  Albert  de 
Ballenstedt,  après  avoir  perdu  tous  les  siens,  tués 
autour  de  lui,  fui  l'ail  prisonnier  '.  L'empereur  lui- 
même,  cerné  par  les  Bohémiens,  allait  tomber  en 
leur  pouvoir,  s'il  n'eûl  consenti  à  reconnaître  comme 
duc  Sobislaw,  qui  vint  alors  s'agenouiller  devant 
lui  2.  Albert,  après  cette  réconciliation,  fût  rendu  à 
la  liberté.  11  eut  sans  doute  sa  part  des  riches  pré- 
sents qu'aux  Pâques  de  Tannée  suivante,  Sobislaw 
distribua  dans  Mersebourg  aux  parents  de  ceux  qui 
avaient  péri  dans  les  défilés  de  Bohême  (1126-27). 

A  ces  fêtes  de  Mersebourg,  l'amitié  de  Lothaire  et 
du  jeune  margrave  reçut  une  première  atteinte.  L'em- 
pereur ,  préoccupé  de  trouver  des  alliés  contre  les 
Hohenstaufen  et  au  besoin  contre  les  Saxons,  donna 
en  mariage  sa  fille  unique  Gertrude  à  Henri  le  Su- 
perbe ,  duc  de  Bavière ,  fils  d'Henri-le-Noir ,  et  de 
Wulfhildde  Saxe  (1127)  3.  Albert  l'Ours,  cousin  ger- 
main d'Henri,  vit  de  mauvais  œil  cette  alliance  4.  De- 
puis la  mort  de  Magnus,  les  Welfs  et  les  Ascaniens 
étaient  en  querelle  :  les  seconds  se  plaignaient  d'avoir 
été  frustrés  dans  le  partage  des  alleux  des  Billings. 


1.  Marchio  Adelbertus,  egregiaa  indolis  juvenis  et  militaris  ca- 
pitur,  ann.  Saxo  ad  ann.  1126  (Pertz.  VI  p.  763). 

2.  Raum.  Reg.  p.  141-2,  n°  798-9. 

3.  Voyez  Jaffé.  Geschichte  des  deutschen  Rciclies,  unter  Lothar 
dem  Sachsen,  p.  58-9. 

4.  Voyez  le  tableau  généalogique,  p.  46. 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  51 

Albert  était  d'ailleurs  candidat  à  toutes  les  successions, 
et  n'oubliait  pas  qu'un  moment  son  père  avait  été 
pourvu  du  duché  de  Saxe.  Or  il  prévoyait  qu'Henri, 
ajoutant  à  son  titre  de  petit-fils  de  Magnus,  celui  de 
gendre  de  Lothaire,  succéderait  à  l'empereur  dans  son 
duché,  peut-être  même  dans  l'empire.  Pendant  deux 
ans,  il  se  tient  à  l'écart,  comme  s'il  boudait  son  ancien 
allié.  Bientôl  il  entre  enlutte  ouverte  contre  lui.  Henri 
de  Stade,  margrave  du  Nord,  étant  mort,  l'empereur 
donna,  suivant  l'usage,  l'investiture  de  la  marche  au 
plus  proche  parent  du  défunt,  Udo  de  Freckleben. 
Aussitôt  Albert,  qui  sans  doute  convoitait  encore  cet 
héritage,  fit  une  guerre  acharnée  à  Udo,  qui  tomba 
sous  les  coups  des  Ascaniens  (1130  '.  C'est  d[n<  ces 
conjonctures  que  Lothaire  avait  donné  la  marche  à 
Conrad  de  Plôtzkau  2  ;  l'année  suivante,  pour  punir 
Albert  de  la  mort  d'Udo,  il  lui  enleva  la  marche  de 
Lusace  s.  Albert  craignit  sans  doute  d'engager  une 
lutte  inégale;  peut-être  fut-il  d'ailleurs  consolé  par  la 
promesse  d'un  dédommagement  prochain  ;  car.  loin  de 
se  révolter,  il  accompagna  l'empereur  en  Italie  dans 
l'expédition  où  périt  Conrad,  auquel  il  succéda.  On  sup- 
pose qu'il  recul  à  la  diète  de  Halberstadt,  aux  Pâques 
de  1134.  l'investiture  de  la  marche  du  Nord  >. 

mission  d'otton  de   bamberg  chez  les  wendes 

Quelques  années  auparavant,  alors  qu'il  commen- 
çait à  ressentir  du  mécontentement  contre  Lothaire, 

1.  Annal.  Sax.  ad  ami.    1130    Perl/..  VI.  p.  707  . 

2.  Voyez  p.  35. 

.'!.  Voyezàl'année  1131,  ann.  Sa  • .  Pertz  VI.  p. 707,,  Ann.  magdeb. 
(Pertz,  XVI.  p.  184);  Chronicon  Montis  Sereni  (ap .  Mencken,  Scrip- 
tores  rerum  germanicarum ,  prœcipue  saxonicarum,  t.  III.  p.  11). 

i.  Voyez  Jaffé,  lac.  cit.  p.  154. 


52  LE   MARGRAVE   A.LBERT    L'OURS 

Uberl  avail  commencé  à  tourner  les  regards  vers  le 
pays  el  vers  le  peuple  qu'il  avait  désormais  la  charge 
de  soumettre  e1  de  convertir  :  il  s'était  intéressé  à  la 
mission  qu'Otton,  évêque  de  Bamberg,  avail  conduite 

en    pays  slave  Al'l'i  .  11  l'an!   dire  quelques    mois   de 

(■.•lie  pieuse  entreprise,  donl  l'histoire  se  rattache  au 
sujel  qui  nous  occupe. 

L'évêque  de  Bamberg  s'étail  imposé  le  devoir  de 
convertir  les  Poméranicns,  el  déjà  eu  l'année  1 124  il 
avait  l'ail  une  première  tentative,  à  l'instigation  du  duc 
Koleslaw  de  Pologne,  qui  avait  beaucoup  a  souffrir  du 
voisinage  de  ces  païens  J.  Séparés  des  Polonais  par  la 
Warta  el  la  Netze,  des  Prussiens  par  la  Vistule,  des 
Wendes  par  l'Oder,  les  Poméraniens  s'étaient  jusque 
là  vaillamment  défendus  contre  la  Pologne;  un  mo- 
menl  menacés  par  les  Wendes,  au  temps  du  roi  Henri, 
qui  imposa  sa  suzeraineté  à  leur  duc  Swantibor,  ils 
avaient  recouvré  leur  indépendance  après  la  chute 
de  ce  royaume  éphémère.  A  la  mort  de  Swantibor, 
en  1107,  ses  quatre  fils  s'étaient  partagé  sa  princi- 
pauté :  Wratislaw  et  Ratibor  avaient  reçu  la  Pomé- 
ranie  proprement  dite,  séparée  par  la  Persante  et  la 
Kuddow  de  la  Pomérellie,  qui  fut  le  domaine  de  B6- 
gislaw  et  de  Svantopolk.  AYralislaw,  l'aîné  de  la 
famille,  était  bientôt  devenu  conquérant  au  détriment 
des  \Vendes  retombés  dans  l'anarchie  :  il  avait  passé 
l'Oder  et  commencé  la  conquête  de  la  rive  gauche  du 
fleuve.  C'était  un  prince  intelligent,  qui  avait  autrefois 
résidé  en  Allemagne  comme  prisonnier.  Il  y  avait 
reçu  le  baptême,  et  s'il  était  redevenu  païen  par  peur 


1....  Otto  bavenbergensis  epicopus,  invitante  pariter  et  adju- 
vante Bolizlao ,  Polonorum  duce...  Helmold,  Chron.  Slavorum, 
I.  40  (ap.  Leibniz,  Scriptores  rer.  Brans.,  p.  573). 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  53 

d'irriter  le  sentiment  de  son  peuple,  il  faisait  des  vœux 
pour  le  triomphe  du  christianisme.  G'esl  chez  lui 
qu'Otton  avait  prêché  la  parole  chrétienne.  Aidé  par 
lui,  l'évèque  avait  remporté  de  grands  succès  ;  mais  il 
oui  été  nécessaire  qu'il  fût  soutenu  par  un  sérieux  efforl 
do  la  Pologne  et  de  l'empire.  Cet  effort  ne  fut  pas  fait  ', 
ol  l'évèque  était  à  peine  rentré  dans  son  diocèse  que 
le  paganisme  reprit  le  dessus  et  que  les  traces  de 
la  mission  furent  presque  pari  ont  effarées.  Il  réso- 
lut il»,'  recommencer  l'entreprise;  mais  au  lieu  défaire 
route,  comme  la  première  fois,  par  la  Bohème  el  la 
Pologne,  il  traversa  le  pays  dr>  Wendes. 

Parti  de  Bamherg  à  la  fin  de  mars  1127  2,  Otton 
se  dirige  par  la  forêt  de  Thuringe  vers  Reinersdorf, 
sur  les  bords  de  l'Unstrut,  où  il  avait,  peu  de  temps 
auparavant,  fondé  un  monastère  de  l'ordre  de  Gluny. 
Il  y  lait  ses  provisions  de  route,  qu'on  porte  à  Halle, 
ou  elles  sont  embarquées  sur  la  Saale.  Pendant  ces 
préparatifs,  Otton  se  rend  à  Mersehourg  où  se  tenait  la 
cour  impériale.  Il  y  trouve  auprès  de  Lothaire  Witi- 
kind  3.  prince  wende  qui  commandait  à  Havelberg. 
Inquiet  .-ans  doute  de  l'isolement  où  se  trouvaient  les 
tribus  de  l'Elbe,  Witikind  cherchait  à  se  rapprocher 
do  l'empire  et  du  christianisme.  Tous  les  jours,  en  effet, 
les  Allemands  d'une  part  et  les  Polonais  de  l'autre  de- 
venaient plus  menaçants.  Récemment  encore  l'illustre 
Norbert,  fondateur  de  l'ordre  de  Prémontré,  à  peine 

1.  Helmold,  à  l'endroit  qui  vient  d'être  ''ii<'\  se  plaint  préeisé- 
ment  que  les  «  Henri  »  aient  été  un  obstacle  à  la  conversion  des 
Wendes...  Slavorum,  quorum  utique  conversionem  Henriciani 
1  -aies  non  modice  retardarunt,domesticis  videlicet  preegravati  .. 
toc.  <  it.  p.  574. 

2.  Voyez  pour  la  date,  Jaiîé,  Gcscltichtc  des  Deutschen  Reiches 
unter  L<>ih<ir  dem  Saclisen,  p.  269,  noie  S. 

3.  Idem,  p.  57  et  note  H. 


54  LE      MARGRAVE   &LBERT  L  OURS 

promu  à  l'archevêché  de  Magdebourg  1 126  .  avail  rap- 
pelé aux  habitants  des  anciens  diocèses  de  Brandebourg 
el  de  Havelberg  qu'il  était  Leur  pasteur  et  Leur  chef 
spirituel.  Il  s'y  étail  pris  rudement,  irrité  qu'il  étail  con- 
tre ces  villes  épiscopales  devenues  Le  «  domicile  de  L'i- 
niquité' »,  el  Les  Wendes  L'accusaienl  de  Les  vouloir 
réduire  en  servitude.  Witikind  ne  voyail  de  salut  que 
dans  la  conversion  des  siens  à  La  foi  nouvelle;  mais 
comme  Wratislaw  de  Poméranie,  il  n'osait  poinl  heur- 
ter de  front  leurs  sentiments.  11  eûl  assurément  sou- 
haité qu'Otton  Les  convainquît  an  passage,  ei  il  lui  pro- 
mit devant  L'empereur  un  sauf-conduit  et  une  escorte. 
De  Mersebourg  l'évêque  retourne  auprès  des  siens  : 
tout  était  prêt.  Otton  fait  acheter  sur  le  marché  de 
Halle  de  la  vaisselle  d'or  et  d'argent,  des  objets  pré- 
cieux et  des  draps.  Il  voulait  en  effet  prodiguer  les 
présents  et  paraître  très-riche;  car  il  avail  appris  d'un 
saint  missionnaire,  le  moine  Bernard,  que  les  Pomé- 
raniens,  loin  de  se  laisser  émouvoir  par  le  spectacle  de 
la  pauvreté  chrétienne,  ne  pouvaient  croire  qu'on  vînt 
au  nom  du  Tout-Puissant,  quand  on  n'avait  pas  même 
de  souliers  à  se  mettre  aux  pieds.  L'expédition  s'em- 
barque enfin,  descend  la  Saale,  puis  l'Elbe,  jusqu'au 
confluent  avec  la  Havel,  et,  s'engageant  dans  le  pays 
wende,  remonte  la  rivière  jusqu'à  Havelberg.  On 
était  au  mois  de  mai.  La  ville  était  joyeuse;  tout  au- 
tour de  ses  murailles,  des  bannières  flottaient  au  vent  : 
on  célébrait  la  fête  de  Gerovit,  «  le  dieu  du  printemps 
rayonnant.  »  Otton,  irrité  par  ce  spectacle,  s'arrête, 
mande  Witikind,  qui  ne  se  fait  point  attendre,  et 
comme  il  reproche  au  Wende  de  tolérer  un  tel  scan- 

1.  Voyez  Giesbrecht,  Wendische  Geschichten,  t.  II,  p.  253. 


LE  MARGRAVE  ALBERT  L'OURS  55 

dale,  celui-ci  lui  représente  que  son  peuple  s'est 
révolté  contre  l'archevêque  de  Magdebourg,  parce 
que  ce  prélat  voulait  le  plier  au  joug  d'une  trop 
dure  servitude.  «  Il  n'est  puissance  au  monde  qui 
puisse  nous  forcer  à  recevoir  fie  lui  la  doctrine  nou- 
velle, dit-il,  car  nous  préférons  la  mort  au  poids  d'un 
tel  esclavage  *.  »  Il  supplie  pourtant  Otton  de  ne 
point  renoncer  à  dissiper  Terreur  où  vivent  les  siens  : 
«  le  peuple  qui  repousse  les  ordres  de  l'archevêque 
écouterait  avidement  les  conseils  du  missionnaire...  » 
En  effet  le  peuple  s'assemble  aux  portes  de  la  ville 
autour  d'Otton,  qui  le  harangue  en  langue  slave,  du 
haut  d'un  tertre;  il  consent  aisément  à  renoncer  à 
la  cérémonie  sacrilège  qu'il  célébrait,  protestant  qu'il 
accepterait  volontiers  le  baptême,  si  on  le  délivrait 
du  joug  de  l'archevêque.  Otton  n'avait  point  qualité 
pour  prêcher  dans  le  diocèse  de  Norbert,  qui  n'eût 
pas  toléré  cette  usurpation;  il  donne  de  l'or  à  Witi- 
kind,  un  psautier  à  sa  femme,  fait  charger  sur  des 
chariots  de  nouvelles  provisions  et  réclame  l'es- 
corte qui  lui  avait  été  promise  à  Mersebourg  ;  mais 
le  Wende  n'ose  la  lui  donner,  alléguant  l'état  d'hos- 
tilité où  il  vit  avec  ses  voisins,  qui  ne  manqueraient 
pas  de  lui  tuer  ses  hommes.  L'évêque  alors  invoque 
la  très-puissante  main  de  Dieu  et  continue  sa  route. 
Il  s'engage  dans  une  immense  forêt,  où  il  marche 
cinq  jours  durant  pour  arriver  au  lac  Miiritz;  les  indi- 
gènes lui  expriment,  comme  axaient  fait  les  gens  de 
Havelberg,  leur  horreur  pour  la  domination  de  l'ar- 

1.  Witikindus...  protestatus  plebom  archiepiscopo  suo  Norberlo 
rebellem,  eo  quod  duriori  servitutis  jugo  eam  subjugare  tentarel, 
nullo  modo  cogi  posse  fatebatur  ul  ab  en  doctrime  verbum  sus- 
ciperet,  sed  prius  morlis  occasum  quarn  servitutis  bujus  modi 
onu    subire  paratam  esse...  Raum.  Reg.  p.   lïi,  u'809. 


56  LE    MARGRAVE   AI.HEHT   L'OURS 

chevèque  de  Magdebourg.   De  là  il  se  dirige   vers 
Demmin,  <>ù  il  n  ncontre  Wratislaw,  duc  de  Pomé- 
ranie,  que  Les  habitants  avaienl  appelé  à  Leur  aide 
pour  une  guerre  qu'ils  projetaienl  contre   Les  Wilt- 
zes.   I.r  prince  fail  sous  les   yeux  d'Ottou   une  in- 
cursion sur  Le  territoire  ennemi,  puis  il  prend  congé 
do  lui,  après  Lui  avoir  donné  rendez-vous  à  Qsedom, 
où  il  a  convoqué  La  noblesse  du  pays.  Là  Wratislaw 
prenanl  La  parole,  exhorte  Les  siens  à  renoncer  à  leurs 
dieux.   Une  solennelle  discussion   s'engage,  où  Les 
défenseurs  du  paganisme  sonl   bientôt  battus.   Dos 
prêtres  mêmes  se  Lèvenl  pour  confesser  qu'il  serait  in- 
sensé de  persister  clans  le  culte  des  ancêtres,  quand 
tous  les  peuples  à  l'entour  se  font  chrétiens.   Un 
s'empresse  donc  autour  d'Otton  qui  demeure  à  Use- 
doin  toute  une  semaine,  catéchisant  et  baptisant.  A 
Wolgast,  môme  succès,  après  une  plus  forte  résis- 
tance. A  Giitzkow,  les  païens  venaient  (Télex  or  à 
grands  frais  un  temple;  à  la  voix  d'Otton,  ils  le  jettent 
par  terre  et  commencent  la  construction  d'une  église. 
Pendant  son  séjour  à  Giitzkow,  révoque  de  Bam- 
berg  reçoit  des  députés  venus  d'Allemagne ,  «  afin 
de  s'enquérir  soigneusement  du  succès  de  son  œuvre 
ot  de  lui  offrir  au  besoin  du  secours.  »  G'esL  Albert 
l'Ours  qui  les  avait  envoyés.  Otton  les  retient  près 
de  lui,  les  mène  à  Demmin,  à  Usedom  pour  qu'ils 
puissent  voir  les  prodiges  accomplis  par  la   parole 
chrétienne.  Dans  cette  dernière  ville  il  les  fait  assister 
aux  négociations  qu'il  a  entamées  avec  le  duc  Boles- 
Law  de  Pologne,  afin  d'amener  ce  prince  à  s'accom- 
moder avec  les  Poméraniens  qu'il  voulait  obliger  à 
reconnaître  sa  souveraineté;  puis  il  les  congédie  après 
les  avoir  chargés  de  ses  remercîments  pour  le  mar- 


LE    MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  57 

grave.  Quant  à  lui,  il  demeure  encore  un  certain 
temps  en  Poméranie,  revoyant  les  lieux  où  il  avait 
prêché  lors  de  son  premier  voyage,  ramenant  les 
gens  de  Stettin  qui  avaient  oublié  ses  leçons,  confir- 
mant ceux  de  Julin  dans  la  foi  qu'ils  avaient  gardée. 
Il  rentre  dans  son  évèché  tout  à  la  fin  de  l'année, 
après  s'être  arrêté  quelques  jours  à  la  cour  de  Boleslaw 
de  Pologne  '. 

Cet  épisode  fait  bien  voir  la  situation  des  peuples 
slaves  habitant  entre  l'Elbe  et  l'Oder.  Ils  sont  tou- 
jours divisés  entre  eux  :  Witikind  et  les  habitants 
de  Demmin  sont  en  guerre  avec  leurs  voisins,  et 
ils  appellent  l'étranger  dans  leurs  querelles.  Ils  se 
plaignent  hautement  de  l'oppression  que  les  Alle- 
mands font  peser  sur  eux  et  se  montrent  disposés  à 
écouter  la  parole  chrétienne  portée  par  de  simples 
missionnaires.  La  crainte  de  l'isolement,-  ressentie 
d'abord  par  les  princes,  a  en  effet  gagné  les  peuples. 
Le  christianisme  prend  pied  en  Poméranie,  où  s'é- 
lève une  principauté  nouvelle  qui  a  dépassé  l'Oder, 
gagne  du  terrain  vers  l'ouesl  et  menace  les  Obo- 
trites  et  les  Wiltzes.  A  son  tour,  il  lui  faut  se  défen- 
dre contre  la  Pologne,  qui  n'oublie  pas  sa  prétention 
de  dominer  les  nations  slaves  du  nord.  Assurémenl 
l'influence  allemande  es)  très-compromise  en  ces  con- 
trées ;  mais  l'ambassade  envoyée  par  Albert  l'Ours, 
afin  de  »  s'enquérir  de  l'état  des  choses  »,  montre  qu'il 
avait  les  veux  sur  la.  carrière  qui,  à  l'est  de  l'Elbe, 
s'ouvrait  à  son  courage  el  a  sou  ambition.  A  vrai 
dire,  il  ne  s'y  engagea  pas  toul  de  suite,   et  ne  s'y 


1.  Voyez  pour  le  récit  du  lu  mission  d'Otton  de  Bamberg  1rs 
extraits  du  biographe  d'Otton  dans  Raum.,  Reg.  p.  143-5,  nos  808- 
1-2,  815-17,  820;  et  Heinemann,  Albrechl  der  B.  p.  71-77. 


58  US   MARGRAVE    ALBERT  L'OURS 

enferma  jamais  :  ses  voisins  allemands  eurent  beau- 
coup à  souffrir  de  ses  convoitises;  mais  la  lâche  de 
conquérir  des  pays  païens  donl  l'existence,  au  milieu 
d'états  chrétiens,  étail  un  phénomène  étrange,  s'im- 
posait à  lui,  el  bien  qu'il  dûi  à  plusieurs  reprises  la 

dédaigner,  la  force  des  choses  l'y  ramena   toujours. 

LA    MARCHE  A    L'AVÈNEMENT    d'aLBERT,  —  PREMIERS    VOTES   d'aLBEUT  ; 
EXPÉDITION    M    NÉGOCIATIONS    EN    PAYS    WENDE, 

l.a  marche,  rejelée  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  s'é- 

tendail  le  long  du  fleuve,  à  peu  près  depuis  l'embou- 
chure de  l'Ohre  jusqu'à  celle  de  l'Aland  ;  la  partie  de 
la  province,  actuelle  de  la  Saxe  prussienne,  qui  porte 
le  nom  de  Vieille-Marche,  correspond  assez  exacte- 
ment à  l'ancienne  marche  du  Nord.  Elle  était  toute 

entière  eu  terre  saxoi et  portail  quelquefois  le  nom 

de  marché  de  Saxe.  La  Milde,  la  Biese,  l'Aland,  la  divi- 
saient en  deux  parties  presque  (''gales  :  la  partie  orien- 
tale était  formée  par  le  par/iis  de  Belinesheim,  et  com- 
prise dans  le  diocèse  de  Halberstadt  ;  la  partie  occi- 
dentale était  formée  par  le  pagus  d'Osterwolde  et 
relevait  du  diocèse  de  Verden.  Dans  la  première,  qui 
confinait  à  l'Elbe,  les  forteresses  étaient  nombreuses  :■ 
Tangermiinde ,  Arnebourg,  Werben  étaient  les  prin- 
cipales ;  dans  la  seconde,  moins  exposée  aux  coups  de 
l'ennemi,  le  lieu  le  plus  important  était  Salzwedel,  qui 
avait  été  la  résidence  habituelle  des  margraves  de  la 
maison  de  Stade  ».  Aucun  iief  de  l'empire  n'était 
mieux  situé  que  la  marche  pour  s'agrandir  par  la 
conquête  :  c'était  la  compensation  de  la  médiocrité  de 
son  étendue  et  de  sa  richesse.  Aucun  margrave  mieux 

1.  Voyez  Heinemann,  Albrecht  der  B.  p.  97-8,  et  les  notes  ir*  10- 
12,  à  la  page 339;  Riedel,  die  Mark  Br.  t   I,  p.  11-41. 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  59 


qu'Albert  n'était  en  état  de  lui  rendre  les  territoires 
qu'elle  avait  perdus  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  car  les 
fiefs  et  les  alleux,  qu'il  possédait  d'autre  part,  lui  don- 
naient une  puissance  que  ses  prédécesseurs  n'avaient 
jamais  connue. 

Les  deux  années  qui  suivenl  son  investiture,  Albert 
reste  presque  constamment  auprès  de  l'empereur.  Il 
assiste  en  1135  à  la  diète  de  Bamberg  '  où,  en  pré- 
sence de  Ions  les  princes  d'Allemagne,  Frédéric  de 
Hohenstaufen ,  vaincu  par  les  armes  de  Lothaire  el 
d'Henri  de  Bavière, sollicite  à  genoux  le  pardon  de  ses 
révoltes.  Il  est  à  Magdebourg,  le  jour  où  Lothaire  re- 
çoit solennellement  les  envoyés  des  rois  de  Danemark 
et  de  Hongrie,  et  probablement  aussi  h  Mersebourg, 
quand  le  duc  de  Pologne  vient  à  son  tour  reconnaître 
la  suzeraineté  impériale  et  prendre  place,  l'épée  nue, 
dans  le  cortège  de  l'empereur.  L'année  suivante,  on 
retrouve  le  margrave  à  Aix-la-Chapelle,  où  Lothaire 
annonce  l'expédition  qu'il  veut  faire  l'automne  en 
Italie,  a  Mersebourg  où  l'on  délibère  au  sujet  de  celte 
campagne,  à  Goslar  enfin,  où  Alberl  se  rencontre  avec 
l'évèque  Anselme  de  Havelberg  2.  Le  prélat  arrivait  de 
Constantinople,  ou  il  avait  été  soutenir  dans  une  dis- 
cussion solennelle  les  droits  de  l'église  latine  contre 
ceux  de  l'église  grecque;  car  l'évèque  de  Havelberg 
('■tait,  connue  celui  de  Brandebourg,  un  évêque  inpar- 
tibus  infldelium,  et  l'on  voit  qu'il  portait  son  activité 
loin  de  son  diocèse 

dépendant  Alberl  reçoil  à  Goslar  une  nouvelle  qui 
le  rappelleà  son  poste:  les  Wendes  venaient  dépasser 

1.  Raum.  Reg.  154,  n"  878. 

L2.  Heinemann,  Cocl.  dip.  anh.  p.  177,  ir    230-32;  Albr.  der  /;.  ,< 
l'appendice,  p.  449,  n"  26. 


60  LE  MARGRAVE   ALBERT   L'OURS 

l'Elbe  et  de  ravager  la  marche  '.  Il  ace •!,  réunit 

ses  vassaux  cl  l'ail  une  expédition  an  delà  (In  lleuve.  A 
la  vérité,  m  mis  ne  savons  rien  de  celle  campagne,  SÏ  ce 

n'esi  qu'elle  fui  courte,  d  ne  fut  point  suivit;  d'une 
conquête  définitive  ;  mais  il  semble  que  le  margrave 
[int  pied,  dès  cette  année  1136,  dans  le  pays  des  Hével- 
liens;  les  établissements  qu'il  y  garda  furent  comme  au- 
lani  «le  points  de  dépari  pour  la  conquête  qui  se  pour- 
suivit lenieinciii  dans  la  Priegnitz  2.  Vers  la  même 
date,  Alberl  concluail  avec  Pribislaw,  prince  de  Bran- 
debourg, une  convention  qui  préparai!  une  acquisition 
très-importante. 

Au  milieu  de  ses  sujets  païens,  adorateurs  de  Triglaf, 
le  dieu  à  trois  têtes,  Pribislaw  cl  sa  femme  Pe'trussa 
étaient  chrétiens,  cl  lous  deux  s'efforçaient  d'amener 
au  culte  du  vraiDieu  «  l'âme  idolâtre  de  leur  peuple  ». 
L'entreprise  était  difficile  et  le  sort  de  Gottschalk  en 
monlrait  les  périls.  Pribislaw  avait  donc  cherché  de 
l'appui  'Mi  Allemagne.  Depuis  longtemps,  il  était  en 
relations  avec  Albert,  dont  il  avait  tenu  le  fils,  Otton, 
sur  les  fonts  baptismaux  :  il  avait  même  donne  en 
cadeau  de  baptême  à  son  filleul  la  Zauche.  Enhardi 
par  cette  alliance,  il  ne  cacha  plus  sa  ferveur  reli- 
gieuse, bâtit  une  église,  fit  venir  des  moines  de  l'ordre 
de  Prémontré,  et  «  tout  roi  qu'il  fût,  montra  une  si 
grande  dévotion,  que,  méprisant  les  ornements  royaux, 
il  offrit  aux  reliques  de  St-Pierre  son  diadème  et  celui 
de  sa  femme;  »  mais  il  n'avait  point  d'enfants  et  crai- 
gnait que  le  ressentiment  des  llévelliens  ne  fit  dispa- 
raître son  œuvre;  il  la  mit  donc  sous  la  protection 
du    margrave  qu'il   reconnut  pour  son  héritier.   On 

1.  Raum.  Rerj.  p.  157,  n"  900. 

2.  Heinumunn.  Albrechl  der  B.  p.  344  aux  notes  45  et  46. 


LE  MARGRAVE    ALBERT   LOURS  (Jl 

a  supposé  avec  quelque  vraisemblance  que  cet  acte 
d'adoption  s'accomplit  vers  l'année  1136,  et  que  la 
nouvelle  qui  s'en  répandit  parmi  les  Wencles  excita 
ceux-ci  à  faire  sur  les  terres  d'Albert  l'invasion  dont 
il  a  été  parlé  1.  Les  païens  ne  furent  pas  découragés 
(Tailleurs  par  le  châtiment  qui  leur  avait  été  infligé  ; 
il  est  probable  qu'ils  reprirent  bientôt  une  attitude 
offensive,  car  Albert  paraît  n'être  pas  resté  jusqu'au 
bout  auprès  de  l'empereur  en  Italie.  Pendant  l'hiver 
de  1 137,  il  passe  l'Elbe  encore  une  fois  avec  une  armée 
assez  forte,  et  porte  la  destruction  sur  la  terre  de  ses 
ennemis  2. 

SITION    ET    PERTE    DU    DUCHÉ    DE    SAXE. 

La  nouvelle  de  la  mort  de  Lotbaire  rappela  l'at- 
tention du  margrave  sur  les  affaires  de  l'empire.  L'em- 
pereur avait  succombé  au  mois  de  décembre  1137, 
au  moment  de  quitter  l'Italie.  Un  a  vu  les  beaux 
côtés  de  sou  règne  :  Lotbaire  avait  fait  plier  devant 
lui  les  Hohenstaufen  révoltés;  il  avait  maintenu  la 
paix  entre  l'Eglise  et  l'empire,  reçu  l'hommage  des 
couronnes  de  Danemark,  de  Bohême,  de  Pologne,  de 

1.  Toute  cette  histoire  de  l'adoption  d'Albert  par  Pribislaw  est 
racontée  dans  une  chronique  du  xiv  siècle,  celle  de  Pulcava  : 
Chronicon  Boemiœ  ap.Dobner,Monumenta  Boemiœ  historica,  t.  III. 
p.  167).  L'existence  même  d'une  convention  pareille  a  été  conte 
c'est  un  dus  points  litigieux  de  l'histoire  du  Prandebourg,  et  l'on  a 
écrit  des  volumes  sur  la  question.  Les  preuves  en  faveur  de  la 
tradition  qui  est  ici  rapportée  sont  concluantes.  En  effet  Pulcava  a 
écrit  d'après  une  vieille  chronique  brandebourgeoise  V.  Riedel, 
Novus  coilrj  diplomaticus  brandenburgicus,  IV''  part.  t.  I,  p.  IX- 
XVI)  ;  un  fragment  d'une  autre  chronique  du  xiv  siècle,  cité  par 
Heinemann  (Albrecht  der  1!  au  supplément,  p.  421-2  noa  1  et  2) 
concorde  avec  Pulcava.  Enfin  les  Annales  Palidenses  (Pertz  XVI, 
p.  s:,,  document  contemporain  du  marg.  Albert,  disent  a  la  date 
de  1150  :  Heinricus  Brandeburg  obiit,  cujus  ha'res  factus  est  mar- 
chio  Adelbertus.  .>  Henri  était  le  nom  chrétien  de  Pribislaw. 

2.  Collecta  valida  manu  tetram  Slavorum  praedabundus  peram- 
bulavit.,.  Kauiu.  l'vj.  \>.  161,  n°  924. 


(i'J  LE    MARGRAVE   ALBERT   L'OURS 

Hongrie;  mais  il  avait  obtenu  ces  brillants  résultats 
par  une  politique  qui  compromettait  L'avenir.  En  effet, 
il  avail  fini  par  donner  a  son  gendre  Henri-le-Superbe, 
duc  de  Bavière,  Le  duché  de  Saxe,  ei  constitué  par  là 
en  Allemagne  la  puissance  la  plus  redoutable  qu'on  y 
eûl  jamais  connue  l  :  c'était  comme  un  appel  aux  coa- 
litions qui  allaienl  se  former  contre  elle.  Enfin  L'hu- 
milité de  la  politique  du  Saxon  envers  L'Église  avail 
encouragé  Les  prétentions  pontificales  ei  préparé  il»1 
nouveaux  conflits.  A  la  nouvelle  que  Lothaire  a  Laissé 
1rs  insignes  impériaux  à  Henri,  ei  qu'ils  sonl  menacés 
d'avoir  pour  chef  un  homme  donl  les  domaines  s'éten- 
dent de  l'Adriatique  à  la  Baltique,  les  princes  ecclé- 
siastiques et  laïques  s'émeuvent.  A  loui  prix*,  ils  veu- 
lent empêcher  l'élection  du  duc  de  Saxe  et  de  Bavière. 
Ils  se  concertent  avec  Conrad  de  Hohenstaufen,  négo- 
cient  (Tavanee  avec  lui  les  concessions  que  l'on  com- 
mence à  stipuler  à  chaque  avènement  et  qui  ruinent 
le  pouvoir  impérial.  Pendant  ces  pourparlers,  Albert 
l'Ours  entrait  on  Saxe  avec  une  armée  :  il  avait  cru  le 
moment  venu  de  faire  valoir  ses  droits  sur  le  duché 2. 
La  veuve  de  Lothaire,  lticlienza,  avait  convoqué  la 
noblesse  saxonne  à  Quedlinbourg,  pour  la  disposer 
en  faveur  d'Henri  de  Bavière.  Albert  marche  sur  la 
ville,  l'investit,  empêche  la  réunion  et  porte  le  ravage 
et  l'incendie  sur  les  terres  de  l'impératrice.  Cependant 
la  noblesse  de  l'Allemagne  du  sud  se  réunissait  à 
Liitzelkoblenz  sur  la  Moselle,  et  procédait,  au  mépris 
de  toutes  les  formes,  à  l'élection  de  Conrad  de  Hohen- 
staufen. Albert  fut  des  premiers  à  reconnaître  le  nouvel 

1 .  Voyez  Jaffé,  Geschichte  des  Deutschen  Reiches  unter  Lothar  dem 
Sachsen,  à  l'appendice,  p.  230;  et  Geschichte  des  Deutschen  Reiches 
unter  Conrad  dem  dritten,  chap.  I. 

2.  Raum.  Reg.  p.  162,  n°  926. 


LE    MARGRAVE   ALRERT   L'OURS  63 

empereur,  dont  il  avait  facilité  l'élection  par  l'offensive 
hardie  qu'il  avait  prise  '.  Conrad  veut  profiter  de 
ses  premiers  avantages  et  réduire  son  rival  à  l'impuis- 
sance; il  somme  Henri  d'abdiquer  une  de  ses  cou- 
ronnes ducales,  le  met  au  ban  de  l'empire,  sur  son 
refus,  et  donne  le  duché  de  Saxe  au  margrave  Albert  2. 
Albert  avait  donc  atteint  le  but  suprême  de  son 
ambition  ;  mais  il  ne  trouva  dans  sa  dignité  nouvelle 
qu'une  satisfaction  passagère.  Tout  lui  sourit  d'abord, 
bien  que  les  Saxons,  mécontents  qu'on  eut  disposé  du 
duché  sans  les  consulter,  se  fussent  rangés  en  grand 
nombre  autour  de  Richenza.  Au  même  moment  Eilika, 
mère  d'Albert,  était  un  des  plus  vaillants  soutiens  de 
la  cause  de  son  fils.  Celui-ci  prend  l'offensive  comme 
toujours,  s'empare  de  Liinebourg,  de  brème,  con- 
quiert la  plus  grande  partie  de  la  Westphalie  saxonne. 
Adolphe  de  Holstein  ayant  été  chassé  de  son  comté 
par  ses  sujets,  Albert,  usant  de  son  pouvoir  ducal,  y 
installe  Henri  de  Bardewide;  sur  un  seul  point  il 
éprouve  un  échec  :  le  château  de  Bernbourg  «  d'où  sa 
mère,  la  margrave  Eilika,  exerçait  sa  tyrannie  »,  est 
détruit  par  le  feu  -.  Cependant  la  noblesse  de  Saxe 
ne  se  ralliait  pas  a  son  nouveau  duc.  L'empereur 
vient  à  Goslar,  à  Noël  de  l'année  1 138,  pour  donner 
solennellement  à  Albert  l'investiture  en  terre  saxonne. 
Il  convoque  les  grands  de  Saxe  une  fois  encore  à 
Quedlinbourg  (1139),  pour  ménager  nue  entente, mais 

1.  Voyez  Raum.  Reg.  p.  162-4,  n°*  '.127-31.  939,  941-2. 

2.  Gonradus  autem  rex  in  solium  regni  levatus,  Adalbertum  in 
ducatu  lirmare  nisus  est,injustum  esse  perhibens  quemquam  prin- 
cipum  duos  tenere  ducatus...  Bellabant  ergo  hi  duo  principes, 
dnarum  sororum  filii  intestinis  prseliis,  et  commota  est  universa 
Saxonia...  Helmold,  I.  ai  (Leibniz.  Il,  p.  583). 

3.  Raum.  Reg.  p.  164,  n"  943-4.  Les  Regesta  contiennent  pour 
l'année  1138  une  erreur  chronologique,  corrigée  par  Heinemann, 
Albreclit  der  B.  p.  351,  note  85. 


64  LE   MARGRAVE    ALBERT  LOI  RS 

li.  il  apprend  qu'Henri  de  Bavière,  Laissanl  à  son 
frère  Welf  \I  I»1  soin  de  défendre  ses  intérêts  el  ses 
droits  dans  le  sud  de  l'Allemagne,  venail  d'arriver  en 
Saxe.  Henri  avail  voyagé  en  grande  hâte  el  en  secret  : 
quatre  cavaliers  seulemenl  l'accompagnaient.  Au  bruit 
de  sa  venue,  les  Saxons  accourenl  sous  son  étendard. 
L'empereur  quitte  précipitammenl  la  Saxe,  laissanl 
Alberl  seul  aux  prises  avec  son  adversaire. 

En  mi  moment  le  margrave  perd  ses  conquêtes. 
s. m  territoire  est  attaqué,  el  ses  forteresses  em- 
portées :  il  se  réfugie  auprès  de  Conrad  '.  Son 
vassal  Henri  de  Bardewide  ne  peut  se  maintenir 
dans  le  Holstein.  Avant  de  quitter  le  comté,  il  se 
rend  coupable  d'un  acte  qui  montre  avec  quelle 
facilité  les  princes  allemands  oubliaient  dans  la 
fureur  de  leurs  querelles,  la  mission  de  la  Germaine 
en  pays  vende.  Il  incendie  les  forteresses  do  Sege- 
berg  et  de  Hambourg,  élevées  contre  les  barbares2. 

L'empereur  Conrad  fit  de  grands  préparatifs  pour 
rétablir  en  Saxe  son  autorité  méconnue.  Les  princes 
de  l'Allemagne  de  l'ouest  lui  promirent  leur  concours  ; 
Albert,  de  son  côté,  s'assura  l'assistance  du  duc  Sobis- 
law  de  Bohème.  Après  avoir  l'ait  en  Bavière  une 
expédition  au  cours  de  laquelle  il  donna  le  duché  au 
margrave  d'Autriche,  Conrad  se  mit  en  marche  vers 
la  Saxe.  Les  Bohémiens  le  rejoignirent  auprès  de 
Hersfeld;  l'armée  impériale  était  nombreuse  et  bril- 
lante :  les  archevêques  de  Mayence  et  de  Trêves,  les 
évêques  de  Spire,  Wurzbourg,  Worms,  Zeitz  se  trou- 
vaient dans  ses  rangs,  oùLéopold  d'Autriche  et  Albert 
l'Ours  s'apprêtaient  à  combattre  pour  gagner  leurs 

1.  Raum.  Reg.  p.  166-167;  n"  956-962. 
'2.  Helmold,  I.  56,  (/oc.  cit.  p.  585.) 


LE  MARGRAVE  ALBERT  L OURS  65 

nouvelles  couronnes.  Henri-le- Superbe  ne  fut  pour- 
tant pas  intimidé  par  ce  déploiement  de  forces; 
l'archevêque  de  Magdebourg  tenait  pour  lui  ,  et  la 
plupart  de  ses  amis  et  fidèles  de  Saxe,  auxquels  «  il 
avait  exposé  ses  misères  »,  avaient  répondu  à  son 
appel  '.  Il  marcha  au-devant  de  l'armée  royale  et 
vint  camper  en  face  d'elle  aux  bords  de  la  Werra.  Au 
moment  d'en  venir  aux  mains,  les  évoques  qui  se 
trouvaient  dans  les  deux  camps  firent  conclure  une 
suspension  d'armes.  Les  Saxons  reconnurent  Conrad 
pour  empereur,  et  il  fut  convenu  qu'on  remettrait  à 
une  diète,  qui  se  réunirait  à  Worms  au  mois  de  fé- 
vrier 1140,  le  jugement  définitif  sur  les  prétentions 
d'Henri  au  duché  de  Saxe.  En  attendant,  celui-ci  gar- 
dait ses  conquêtes  ;  Albert  demeurait  dépossédé  même 
de  ses  propres  fiefs  2. 

La  mort  presque  subite  d'Henri  de  Bavière  (oct. 
1139),  ranime  tout  à  coup  les  espérances  du  mar- 
grave. Il  court  hardiment  à  Brème,  où  la  foire  de 
la  Toussaint  avait  attiré  une  grande  foule  et  y  con- 
voque, connue  duc  de  Saxo,  un  placitum  solennel. 
Mais  les  Saxons  étaient  irrités  de  la  mort  d'Henri, 
qu'ils  attribuaient  à  un  empoisonnement.  Ils  se  sou- 
lèvent contre  Albert,  qui  s'enfuit  à  grand'peine,  pren- 
nent parti  pour  le  fils  de  leur  duc,  un  enfant  de  dix 
ans.  qui  sera  bientôt  connu  sous  le  nom  d'Henri-le- 
Lion.  Encore  une  fois,  l'impératrice  Richenza  était  à 
la  tête  du  mouvement.  Les  terres  d'Albert  subissent 
de  nouveaux  ravages.  Son  château  patrimonial  d'An- 
hall  est  détruit  de  fond  en  comble  ;). 

1.  Raum.  p.  166,  n°  956. 

2.  Id.     p.    168,    n»    970-3,  et  Heinemann,    Albrecht  der   B. 
p.  353-4,  notes  165-8. 

3.  Raum.  Reg.  p.  168-9,  n     ()7f'.-7;  p.  171,  n°  99t. 


66  LE  MARGRAVE   ALBERT   L'OURS 

Le  margrave,  retiré  auprès  de  l'empereur,  plaida  sa 
cause  à  la  diète  de  Worms  (1140),  mais  les  princes 
saxons  nes'v  rendirent  pas.  Convoqués  à  Wurzbourg, 
ils  s'abstinrenl  encore.  Conrad  u'osa  point  les  atta- 
quer. Après  avoir  remporté  en  Bavière  un  nouveau 
succès  sur  Welf  VI,  il  entama  des  négociations  avec 
la  Saxe  :  elles  traînèrenl  péniblement  pendant  une 
année.  La  mort  de*  deux  personnages  qui  mettaient 
le  plus  de  haine  dans  celle  lutte,  «le  lliclien/a  et 
d'Eilika ,  produisit  un  certain  apaisement.  Enfin  , 
au  printemps  de  1142,  se  réunit  à  Francfort  une 
grande  diète  qui  termina  le  différend.  Henri  le  Lion 
dut  renoncer  à  la  Bavière,  mais  il  garda  la  Saxe. 
Albert  fut  réintégré  dans  la  marche  du  Nord.  Une 
riche  succession  lui  ('lait  (Tailleurs  échue;  son  cou- 
sin, le  palatin  Henri  *,  étant  mort  sans  enfants,  il 
avait  hérité  des  biens  d'Orlamlinde,  qui  provenaient 
de  sa  grand'mère,  et  qui  se  composaient  des  comtés 
de  Weimar  et  d'Orlamiinde  et  d'un  grand  nombre 
de  fiefs  situés  en  Thuringe  et  en  Franconie.  Il  est 
probable  qu'il  en  reçut  l'investiture  à  Francfort 
même  2. 


CROISADE   EN    PAYS    WENDE. 


Peu  de  temps  après  la  pacification  de  Francfort, 
la  nouvelle  se  répandit  en  Allemagne  qu'Edesse  avait 
succombé  sous  les  coups  des  infidèles  et  que  Jéru- 
salem était  menacée.  Saint  Bernard  ,  après  avoir,  à 
Vézelay,  attaché  la  croix  sur  l'épaule  de  Louis  VII, 
roi  de  France,  se  rendit  en  Allemagne.  Le  Saint-Em- 


1.  Voyez  p.  44  et  47. 

2.  Raum.  Reg.  p.  172-3,  n°*  1)98,  1008-10,  1012. 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  G7 

pire  avait  pris  une  part  modeste  à  la  première  croi- 
sade, et  paraissait  peu  dispos»''  à  s'aventurer  dans  la 
seconde.  Les  efforts  faits  auprès  de  Conrad  à  plu- 
sieurs reprises  pour  le  déterminer  h  se  croiser  n'a- 
vaient point  réussi.  Il  fallut  qu'à  Spire,  pendant  la 
messe  célébrée  le  27  décembre  1146,  l'apôtre  de 
Glairvaux  se  tournât  vers  l'empereur  et  lui  arrachât, 
à  force  d'éloquence,  la  promesse  de  se  rendre  en 
Terre-Sainte.  Les  larmes  aux  yeux,  Conrad  pril  la 
bannière  et  la  croix  que  saint  Bernard  lui  tendait  des 
marches  de  l'autel  L  Son  exemple  fut  suivi  par  un 
grand  nombre  de  princes  de  toutes  les  parties  de 
l'Allemagne ,  sauf  la  Saxe.  Saint  Bernard  voulut 
aussi  gagner  les  Saxons,  et  il  se  rendit  ù  la  diète  que 
l'empereur  avait  convoquée  à  Francfort,  pour  régler 
avant  son  départ  les  affaires  pendantes  et  imposer 
une  trêve  à  toutes  les  querelles  (1147).  Henri  le  Lion 
y  assistai!  avec  la  plupart  de  ses  vassaux  et  des  prin- 
ce- de  l'Allemagne  orientale,  parmi  lesquels  était 
Albert  l'Ours;  mais  aux  exhortations  de  saint  Ber- 
nard, ceux-ci  répondirent  qu'ils  n'avaient  pas  besoin 
d'aller  chercher  les  infidèles  au  delà  ^\vs  mers,  et 
qu'ils  avaient  à  leur  portée  une  croisade  à  faire  2. 
L'apôtre  reconnut  qu'ils  avaient  raison,  et  du  con- 
sentement de  Conrad,  il  prêcha  la  croisade  contre 
les  Slaves.  Après  avoir  en  tenues  sévères,  blâmé 
la  négligence  que  les  Allemands  avaient  mise  à 
propager  le  christianisme  chez  leurs  voisins  ;5,  il 
distribua    aux    Saxons    l'insigne    de   cette    nouvelle 


1.  Jaffé,  Geschichte  îles  deutschen  Reiches  untei  Konrad  dem  III. 
p.  113. 

2.  Otton  de  Freisingen,  De  rébus  gestis  Friderici  I  Barbarossœ 
libriduo,  I,  40. 

3.  Heinemann,  Albreckt  (1er   15.,  p.  \(\ï  et  p.  3159-71). 


68  LE    M  VRGR  Wi'    AI  l'i  RT    L*01  RS 

guerre  sainte,  qui  étail  la  croix  plantée  sur  un  globe. 
Le  pape  Eugène  écrivil  de  Troyes  aux  princes  saxons 
une  lettre  où  il  louai!  leur  entreprise,  mais  en  leur 
recommandant  de  la  pousser  jusqu'au  bout  el  de  ne 
poinl  accorder  aux  païens  la  conservation  de  leurs 
idoles  moyennanl  tribut.  Saint  Bernard  renouvela  colle 
défense  que  la  rapacité  germanique,  si  souvent  flétrie 
par  les  écrivains  ecclésiastiques,  rendail  nécessaire  '. 
Cependant  les  Wendes  sentaient  venir  la  guerre 
d'extermination  :  les  croisés  avaient  juré  de  détruire 
complètement  les  païens  ou  de  les  convertir  2. 
Niclot,  prince  des  Oboliïlcs,  arme  son  peuple,  et, 
après  s'être  préparé  une  retraite  en  bâtissant  la  for- 
teresse de  Dobin,  sur  les  bords  du  lac  Schwérin,  il 
s'embarque,  apparaît  tout  à  coup  avec*  sa  flotte  devant 
Liibeck3,  surprend  et  brûle  un  grand  nombre  de  na- 
vires dans  le  port  et  se  répand  dans  le  Holstein  qu'il 
ravage.  Cette  attaque  précipite  les  armements  des 
croisés,  qui  s'étaient  faits  avec  une  désespérante  len- 
teur. Deux  armées  sont  sur  pied  au  commencement 
d'août  :  Tune  se  dirige  vers  Dobin  ;  elle  est  comman- 
dée par  Henri  le  Lion,  qu'accompagnent  l'archevêque 
de  Brème,  plusieurs  évoques,  un  grand  nombre  de 
comtes  et  de  nobles.  Les  Wendes  se  retirent  devant 
elle  dans  leurs  bois  et  leurs  marais.  Près  de  Dobin, 
elle  trouve  les  Danois  qui  se  joignent  à  elle.  L'autre 
armée   se   réunit  à  Magdebourg.  Au  premier  rang, 

1.  Hoczek,  Codex  diplomaticus  moravicus,  I,  nu  265,  p.  2ii  ; 
n°  274,  p.  253;  Raum.  Reg.  p.  185-7,  n»  1092,  1096,  1102;  Jaffé, 
Geschichte  des  deutschen  Reiches  unter  Conrad  dem  driltenp.  111- 
114,  120. 

2.  Consenserunt  in  hoc  ut  vicinam  sibi  Slavorum  genlem  paga- 
naui  aut  omnino  delerent  aut  christianos  fieri  cogèrent...  Auc- 
tuarium  Gemblacense  ad  ann.  1148  (Pertz.  VIII.  p.  392). 

3.  Lùbeck  faisait  alors  partie  du  comté  de  Holstein. 


LE    MARGRAVE    ALBERT    LOURS  G9 

parmi  les  princes  séculiers,  étaient  les  margraves  du 
Nord  et  de  Misnie,  Albert  et  Conrad;  parmi  les  ecclé- 
siastiques, l'archevêque  de  Magdebourg,  les  évêques 
de  Havelberg  et  de  Brandebourg.  Les  Slaves  de  Po- 
logne avaient  envoyé  leur  contingent.  «  Toute  la 
terre  trembla  devant  la  face  des  chrétiens,,  et  pendant 
trois  mois  ils  parcoururent  le  pays,  dévastant  les  cam- 
pagnes, incendiant  les  villes  »;  après  quoi,  les  princes 
ecclésiastiques  et  les  princes  laïques  se  séparèrent 
pour  aller  assiéger,  les  premiers  Demmin  et  les  se- 
conds Stettin. 

Toutes  les  forces  chrétiennes  étaient  donc  tenues 
en  échec  devant  trois  villes.  L'issue  de  ces  trois  sièges 
ne  fut  pas  glorieuse  pour  les  croisés.  Los  habitants  do 
Si  lin  ayant  remontré  aux  évêques  qui  les  assié- 
geaient qu'ils  avaient  été  ci  invertis  par  Otton  de 
Bamberg,  et  qu'ils  ne  demandaient  qu'à  être  con- 
firmés par  la  douceur  dans  la  foi  chrétienne,  les 
évêques  se  prêtèrent  à  un  accommodement.  Levant 
Dobin,  les  Allemands  laissèrent  écraser  parles  assié- 
leurs  alliés  les  Danois,  qui  périrent  par  milliers; 
le  reste,  criard  à  la  trahison,  regagna  son  pays.  Devant 
Demmin,  les  opérations  languissaient.  La  discorde  se 
mit  parmi  les  Allemands.  Les  uns  voulaient  la  guerre 
•i  outrance,  mais  les  gens  d'Henri  le  Lion  et  d'Albert 
l'Ours  étaient  portés  aux  ménagements.  «  A  quoi  sert 
cette  guerre,  se  disaient-ils  ?  Le  pays  que  nous  rava- 
geons nous  appartient;  ces  hommes  que  nous  tuons 
sont  nos  sujets.  Pourquoi  donc  combattre  avec  tant 
de  rage  contre  nos  propres  intérêts?  »  Sans  doute,  le 
i\wc  et  le  margrave  se  faisaient  le  même  raisonne- 
ment. On  ne  tarda  point  à  parler  de  paix.  En  décem- 
bre 1147,  cinq  mois  après  le  commencement  de  la 


7(1  LE   MARGRAVE   ALBERT  L'OURS 

croisade,  Les  Wendes  se  déclarèrenl  prêts  ;'i  recevoir 
le  baptême,  el  L'on  ne  s'enquil  poinl  de  La  sincérité, 
de  Leur  conversion.  Beaucoup  furent  baptisés,  mais 
restèrenl  aussi  attachés  que  devanl  au  paganisme.  L'ar- 
mée chrétienne  retourna  en  Allemagne  sans  gloire, 
accusée  encore  une  fois  d'avoir  entrepris  cette  guerre 
non  pour  évangéliser  Les  Wendes,  mais  pour  piller  el 
conquérir  leur  pays  i. 

Plus  triste  encore  fui  L'issue  de  La  croisade  alle- 
mande en  Terre-Sainte.  L'armée  de  Conrad.,  trahie 
par  les  Grecs  qui  la  conduisaient,  fut  détruite  entre 
Nieée  et  Iconium,  et  l'empereur  revint  à  peu  près 
seul  à  Gonstantinople,  où  il  attendit  le  roi  de  France. 
Celui-ci  ne  fut  guère  plus  heureux,  et  l'expédition  ne 
fit  que  démontrer  l'impuissance  des  chrétiens  d'Occi- 
dent à  secourir  le  royaume  du  Saint-Sépulcre.  Conrad 
rentra  en  Allemagne  au  mois  de  mai  1149.  Aussitôl 
les  querelles  assoupies  par  la  croisade  se  ranimèrent. 
Welf  VI,  qui  prétendait  se  maintenir  en  Bavière,  fut 
battu  par  le  fils  de  Conrad,  le  roi  des  Romains  Henri 
(1150).  Albert  l'Ours  ne  prit  en  ce  moment-là  aucune 
part  aux  événements  de  l'empire  ;  car  la  succession 
de  Pribislaw  venait  enfin  de  s'ouvrir. 

PRISE    DE  POSSESSION    DE   BRANDEBOURG. 

A  peine  son  mari  avait-il  rendu  le  dernier  soupir, 
et  avant  que  la  nouvelle  de  sa  mort,  qu'elle  cacha 
soigneusement,  fût  connue,  Petrussa  manda  le 
margrave  Albert,  qui  arriva  en  toute  hâte,  occupa 
Brandebourg  et  fit  célébrer  en  grande  pompe  les  funé- 

1.  Pour  le  récit  de  la  croisade,  voyez  Helmold,  I,  05  ;  Raum.  Rey. 
p.  188-91,  n"  1108-13,  Jaffé,  loc.  cit.  p.  145-154.     . 


LE   MARGRAVE    ALBERT    L'OURS  71 

railles  du  chef  wende,  dans  l'église  où  celui-ci  avait 
naguère  pieusement  déposé  son  diadème  i.  Albert 
l'Ours  se  mit  aussitôt  à  organiser  sa  conquête,  mais 
elle  n'était  pas  encore  définitive.  La  persistante  riva- 
lité du  margrave  et  du  duc  Henri  de  Saxe,  la  guerre 
civile  qui  sévit  avec  fureur  dans  l'empire,  favorisaient 
les  dernières  résistances  des  Hévelliens.  Or  il  restait 
un  rejeton  de  la  famille  de  Pribislaw,  Jacze,  qui  paraît 
s'être  retiré  en  Pologne.  Les  ducs  Boleslaw  et  Casimir 
y  régnaient  alors,  après  avoir  expulse  leur  frère  \Yla- 
dislaw,  gendre  d'Albert  l'Ours;  ils  prirent  dune  volon- 
tiers le  parti  de  Jacze  contre  le  margrave  qui  était  leur 
ennemi  commun.  Un  jour,  Jacze  parut  inopinément 
devant  Brandebourg  :  le  margrave  était  absent  ;  la 
ville  t'tait  gardée  moitié  par  dr>  Saxons,  moitié  par 
des  Slaves;  la  garnison  se  laissa  corrompre,  et  Ton 
présume  qu'il  n'y  eut  pas  même  de  combat.  Albert 
accourut  aussitôt  ;  aidé  par  l'archevêque  de  Magde- 
bourg,  il  attaqua  la  ville.  On  combattit  par  terre  et 
par  eau,  et  le  siège  lut  long  et  sanglant.  Quand  Albert 
rentra  dans  sa  conquête,  il  expulsa  tous  les  Slaves,  et 
pourvut  la  forteresse  d'une  nombreuse  garnison  alle- 
mande  l  le 7  2. 

Brandebourg  avait  vécu  le  dernier  jour  de  son  indé- 
pendance. C'était  uni.'  véritable  capitale  wende,  sous 


1.  Raum.  Reg.  p.  172,  n°  1000;  mais  Raumer  commet  une  er- 
reur en  plaçant  ce  fait  à  la  date  de  11  il.  Conf.  Heinemann,  Al- 
brechtder  B.  p.  376,  note  174. 

2  Voyez  les  fragments  d'une  vieille  chronique  brandebourgeoise, 
dans  Heinemann,  A Ibrecht  dur  B.  à  L'appendice,  p.  422...  Albertus 
ursus  marchio,  Wichmanni  archiepiscopimagdeburgensis  et  nobi- 
lium  fretus  auxilio,  castrum  vallavit  tribus  in  locis  exercitumaddu- 
cens.  Anno  autem  Domini  MCLVII,  tertio  Idus  junii, castrum  denuo 
acquisiverunt.  Voyez  aussi  une  charte  de  l'évêque  de  Brandebourg 
[Riedel,  cod.  dipl.  I,  vin,  p.  104);  et  Raum.  Reg.  p.  207,  n<>  1247. 
p.  209,  iv  1250. 


72  LE    M  \RQB  w  K   ALBERT   L'Ol  RS 

bois  e1  entourée  d'eaUi  Une  colline,  qui  s'élève 
de  66  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  el  qui 
est  comme  une  merveille  en  ce  pays  plat,  La  défendait 
du  côté  de  l'Allemagne.  G'esl  Là  que  s'élevait  le  tem- 
ple fameux  do  Triglaff,  converti  plus  tard  en  une 
égliso  consacrée  à  La  Vierge.  Longtemps  on  y  garda, 
comme  un  souvenir  de  La  victoire  chrétienne,  l'idole 
à  trois  trios;  qu'avait  terrassée  La  mère  du  Sauveur. 
Ce  temple  n'existe  plus  aujourd'hui  :  il  était  de  pierre, 
ce  qui  est  encore  une  merveille  dans  Le  Brandebourg, 
et  le  roi-sergent,  Frédéric  Ier,  le  lii  démolir  au  \\jjie 
siècle,  sans  souci  de  la  vieille  histoire,  pour  en  faire 
transporter  les  matériaux  à  Potsdam,  qui  sebâtissail 
alors.  C'est  à  peine  si  l'on  en  trouve  encore  vestige 
sur  la  collino  ;  mais  du  sommet,  l'œil  suit  au  loin  le 
cours  do  la  Havel,  qui  se  replie  vingt  fois  sur  elle- 
même,  et,  s'élargissant  par  endroits,  forme  de  petits 
lacs  où  se  reflètent  les  nuages  d'un  ciel  humide.  Do 
tous  les  côtés,  la  plaine  monotone  et  maigre  s'étend  à 
perte  do  vue.  Au  temps  du  margrave  Albert,  la  ville 
se  composait  sans  doute  en  grande  partie  de  maisons 
de  pêcheurs,  groupées  commo  aujourd'hui  au  bord 
de  la  rivière.  Albert  et  ses  successeurs  vont  illustrer 
cette  bourgade,  qui  garde  encore  quelques  traces  de 
sa  grandeur  passée.  Ses  églises,  toutes  gâtées  qu'elles 
soient  par  des  clochers  grotesques  et  par  des  tours 
carrées  que  surmontent  des  dômes  mal  dessinés , 
les  grands  combles  de  ses  maisons  de  brique,  ses  rues 
qui  portent  des  noms  où  vit  le  souvenir  du  passé, 
plaisent  au  visiteur  arrivant  de  Berlin ,  et  reposent 
son  regard  fatigué  des  splendeurs  factices  de  la  capi- 
tale prussienne. 
La  prise  de  possession  de  Brandebourg  est  un  fait 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  73 

historique   d'une   grande    importance.    Le    territoire 
acquis  par  Albert,  comme  héritage  de  Pribislaw,  n'é- 
tait pas  très-considérable;  c'était  le  Ilavelland,  entre 
laHavel  et  le  Rhin  son  affluent,  qui  l'entourent  ri  un  me 
une  îlt'.  A  côté  de  Brandebourg,  qui  en  était  la  ville 
principale,  Pritzerbe,  Nauen,  llathenow,  Plane,  Span- 
dow  étaient  déjà  connues  au  xne  siècle.  La  dernière 
ville,  qui  fut  fortifiée  par  Albert  l'Ours,  était  à  lu  fron- 
tière orientale  du  Ilavelland.  qui  s'arrêtait  par  c 
séquenl  à  quelques  kilomètres  de  Berlin.  .Vu  Ilavel- 
land il  faut  ajouter,  pour  compléter  le  domaine  slave 
du  margrave,  la  Zauche,  don  de  Pribislaw  m  son  lil- 
leul  Otton.  Située  au  sud  du  Havelland,  dont  elle 
séparée  par  la  Havel,  la  Zauche  correspond  à  peu  près 
au  cercle  actuel  du  même  nom  dans  la  province  de 
Brandebourg,   gouvernement  de  Potsdam,   mais  elle 
ridait  plus  loin  a  l'ouest  et  rejoignait  la  Marche 
proprement  dite,  à  travers  le  domaine  transalbi 
l'archevêché  de  Magdebourg.  Ziesar,  Gorzke,  Brii 
défendaient  la  frontière  occidentale  ci  méridional 
la  Zauche  contre  l'archevêché.  A  1  face  du  pays 

de  Teltow,  demeuré  slave,  veillaient  les  châteaux  de 
Saarmund  et  de  Trebbin.  Enfin  la  terre  de  Priegnitz, 
ou  pays  do  Havelberg,  avait  été  peu  à  pou  conquise 
par  Albert  :  l'Elbe  la  séparait  de  la  marche,  et  elle 
était  comprise  entre  ce  fleuve,  l'E  i  Dosse;  Ha- 

velberg, Wittstock,  Putlitz  en  étaient  les  lieux  princi- 
paux. Le  Ilavelland,  la  Zauche  el  la  Priegnitz  réunis 
formaient  à  peine  le  quart  do  la  province  actuelle  de 
Brandebourg;  mais  c'étail  beaucoup  que  d'avoir  recon- 
quis au  delà  do  l'Elbe  un  pays  qui  no  devait  plus  être 
perdu.  Si  la  marche  du  .Nord  n'était  point,  comme  on 
l'a  prétendu  à  tort,  vassale  du   duché  de  Saxe,  elle 


7  i  LE  MARGRÀ\  K   ALBERT   L'OURS 

ôtail  située  en  terre  saxonne,  el  on  L'appelai!  marche 
de  Saxe  aussi  bien  que  marche  du  Nord.  Or  Alberl 
L'Ours  prit  Le  titre  de  margrave  de  Brandebourg  el 

il  est  avide-nl  que  ce  titre  lui  paraissail  supérieur 
à  L'autre.  Brandebourg  eut  bientôt  1»'  rang  d'une 
capitale.  Cette  ville,  dira  plus  tard  un  margrave, 
u  brille  entre  toutes  nus  villes....  Ces!  d'elle  que 
aousavons  reçu  Le  titre  de  aotre  principauté;  c'est 
d'elle  que  tout  aotre  domaine  a  tiré  son  origine,  comme 

les  ruisseaux  déroulent   de  Leur  source  »  ». 

En  droit  ce  n'étail  point  une  principauté  indépen- 
dante de  L'empire  qu'Albert  avait  fondée;  mais  en  fait 
l'indépendance  des  margraves  de  Brandebourg  devait 
être  à  peu  près  complète  sur  ce  terrain  conquis  par 
leurs  armes  el  par  leur  politique.  Dans  la  plaine  qui 
s'étendait  vers  Test  et  s'inclinait  vers  Le  nord,  la 
nature  n'avait  mis  aucun  obstacle  à  leur  ambition.  Une 
vaste  carrière  s'ouvrait  donc  devant  eux;  ils  y  mar- 
cheront à  grands  pas,  quand,  à  la  mort  d'Albert,  ses 
fiefs  et  comtés  d'Allemagne  étant  partagés  entre  ses 
cadets,  la  marche  deviendra  le  domaine  unique  et 
spécial  de  l'aîné  de  ses  descendants.  Plus  détachés 
des  affaires  de  l'empire  que  leur  ancêtre,  ils  feront 
mieux  celles  de  la  marche  de  Brandebourg.  A  la 
vérité  Albert  leur  montra  le  chemin  qu'il  fallait 
suivre  pour  la  colonisation  delà  marche  2;  il  releva 
les  évèchés  détruits  de  Havelberg  et  de  Brandebourg; 
il  appela  des  colons,  fonda  des  villes,  mais  jusqu'à  La 


1.  Prse  omnibus  fulget,  tune  quia  nostri  principatûs  titulum 
recepimus  ab  eodem,  tune  quia  totum  nostrum  dominium  ab 
eàdem  nostrâ  civitate  traxit  originem,  tanquam  à  fonte  rivuli  deri- 
vantur..  Document  de  l'année  1315,  cité  par  Riedel,  die  Mark  Lr. 
t.  I,  p.  328,  note  2. 

2.  Voyez  pour  les  institutions  le  chapitre  V. 


LE   MARGRAVE  ALBERT   L'OURS  75 

fin  de  sa  vie  son  attention  fut  tournée  vers  l'Allema- 
gne, et  le  duché  de  Saxe  demeura  l'objet  de  sa  con- 
voitise. Un  an  après  la  mort  de  Pribislaw,  le  mar- 
grave assistait  à  la  diète  de  Wurzbourg,  où  Ton 
délibéra  sur  une  expédition  en  Italie  projetée  par 
Conrad;  mais  Henri-le-Lion  commençait  à  réclamer 
hautement  la  Bavière,  et  l'on  craignait  qu'en  l'ab- 
sence de  L'empereur  il  ne  tentât  de  s'ru  emparer. 
Albert,  profitant  dos  inquiétudes  de  Conrad,  lui  con- 
seilla d'attaquer  Henri  et  de  le  mettre  par  une  guerre 
menée  à  fond,  hors  d'étal  de  nuire  (1151  . 

NOUVELLES  ENTREPRISES  SUR  LE  DUCHÉ  DE  SAXE. 

Le  margrave  s'étail  préparé  de  longue  date  ;'i  celte 
éventualité.  Il  avait  attisé  le  mécontentement  suscité 
parmi  les  nobles  saxons  par  le  caractère  despotique 
et  violenl  de  leur  duc,  et  fait  alliance  intime  avec  Hart- 
wig  de  Stade,  archevêque  de  Brème.  D'après  le  plan 
d'attaque  concerté  avec  Conrad,  Henri-le-Lion  devait 
être  enfermé  en  Souabe,  où  il  se  trouvai!  :  ses  enne- 
mis entreraient  en  Saxe,  el  d'accord  avec  les  Saxons 
révoltés,  foraient  main  liasse  sur  ses  forteresses.  Con- 
rad, après  avoir  passé  par  Wurzbourg,  afin  de  s'as- 
surer par  Lui-même  que  toutes  les  précautions  avaient 
été  prises  pour  barrer  le  passage  an  duc  de  Saxe,  mar- 
cha rapidement  par  Erfurl  el  Goslar  sur  Brunswick, 
mais  Henri  y  était  avant  lui.  Trompant  la  surveillance 
des  Impériaux  il  avait,  cinq  jours  durant,  chevauché 
sous  un  déguisement.  Sa  brusque  apparition  décon- 
certa Conrad  qui  s'enfuil  honteusement,  abandonnant 
le  margrave  aux  forces  el  à  la  colère  de  son  rival  '. 

).  Raum.  Reg.  p.  197-8,  n°a  1168-9. 


76  LE   MAHGB  w  i:    \i  ,BB  RT   L*0!  RS 

La  guerre  qui  s'engagea  immédiatemenl  fut  bientôl 
interrompue  par  la  mort  de  Conrad  (fév.  L152). 
Albert  et  Henri  se  trouvèrent  en  présence  dans  l'é- 
glise d'Aix-la-Chapelle,  le  jour  où  Frédéric  <  1 1 *  Souabe, 
élu  roi  il»1  Germanie,  vinl  recevoir  la  couronne  de 
Gharlemagne,  puis  à  la  diète  de  Mersebourg,  où  le 
nouveau  chef  de  l'empire  s'efforça  en  vain  de  récon- 
cilier les  deux  ennemis  '.  La  lutte  reprit  avec  sou 
accompagnement  habituel  de  pillages  el  du  dévasta- 
tions jusqu'à  la  diète  de  Wurzbourg  où  comparurent 
Albert  el  Henri,  qui,  après  avoir  conclu  leur  accom- 
modement, promirent  de  suivre  Frédéric  en  Italie  2. 
Tout  préoccupé  de  celte  expédition,  l'empereur  voulut 
s'assurer  le  concours  du  puissant  duc  de  Saxe,  auquel 
il  prodigua  ses  faveurs.  Il  alla  jusqu'à  lui  rendre  à 
Goslar,  dans  la  diète  qui  s'y  réunit  au  printemps 
de  1154,  le  duché  de  Bavière.  11  lui  concéda  en  même 
temps  d'importants  privilèges,  qui  lui  donnaient  en 
pays  wende  une  véritable  souveraineté  3.  Nul  doute 
qu'Albert  l'Ours  n'ait  vu  avec  chagrin  la  fortune  de 
son  ennemi.  Pendant  qu'Henri  suivait  l'empereur  en 
Italie,  le  margrave  de  Brandebourg  demeura  en  Alle- 
magne, ainsi  que  plusieurs  des  ennemis  du  duc  de 
Saxe  et  de  Bavière,  parmi  lesquels  l'archevêque  de 
Brème.  Une  conspiration  fut  ourdie  entre  eux  contre 
Henri,  mais  déjouée  par  le  retour  de  Frédéric  qui 
avait  rapidement  et  victorieusement  mené  sa  pre- 
mière campagne  au  delà  dos  Alpes  (1 155)  4. 

Une  longue  trêve  s'ensuivit,   pendant  laquelle  se 
placent  la  perte  et  la  reprise  de  Brandebourg,  et  un  pé- 

1.  Raum.  Reg.  p.  199  et  200,  n°5  11:6-78;  1184-5,    1187. 

2.  Id.  p.  200,  n-s  1187-91. 

3.  Id.  p.  20:;,  n°  1215. 
I.  Id.  p.  205,  n°  1227. 


LE   MARGRAVE    ALBERT    L'OURS  '7 

lerinage  d'Albert  au  Saint-Sépulcre.  Nous  ne  savons 
rien  des  motifs  qui  l'ont  déterminé  à  faire  ce  voyage, 
non  plus  que  de  la  façon  dont  il  l'accomplit.  Parti  au 
début  de  l'année  1158,  il  est  de  retour  l'année  sui- 
vante ;  plusieurs  documents  le  montrent  multipliant 
les  donations  aux  églises.  Après  avoir  suivi  l'empe- 
reur en  Italie,  où  il  assiste  à  la  destruction  de  Milan 
(1162),  il  aide  Henri-le-Lion  à  soumettre  les  Obotrites, 
dans  le  pays  desquels  le  duc  de  Saxe  avait  déjà  fait 
de  grands  progrès;  mais  au  milieu  des  troubles  que 
suscite  en  Allemagne  la  lutte  du  sacerdoce  et  de 
l'empire,  les  deux  adversaires  vont,  se  retrouver  aux 
prises  '. 

Frédéric  Barberousse  avait  pris  parti ,  dans  le 
schisme  qui  divisa  l'église,  à  la  mort  d'Adrien  IV, 
pour  Victor  IV  contre  Alexandre  III.  A  la  mort  de 
Victor  (l  164), il  lit  élire  par  un  conclave  fort  irrégulier 
Pascal  III,  puis,  convoquant  à  Wurzbourg  la  noblesse 
laïque  et  ecclésiastique  d'Allemagne,  il  fit  jurer  à  cha- 
cun sur  des  reliques  et  sur  l'évangile  de  ne  jamais  re- 
connaître Alexandre  pour  le  successeur  de  Saint-Pierre 
(1105;  2.  Le  margrave  de  Brandebourg  prêta  le  ser- 
ment après  le  duc  de  Saxe  et  de  Bavière,  mais  ce  der- 
nier était  résolu  à  ne  pas  le  tenir.  Contre  lui  s'était 
formée  mie  coalition  d'un  grand  nombre  de  ses  vas- 
saux. Sa  puissance,  encore  accrue  par  ses  récentes 
conquêtes  sur  les  Obotrites,  la  faveur  dont  il  jouis- 
sait auprès  de  l'empereur,  avaient  enflé  son  orgueil. 
«  C'était,  dit  le  chroniqueur  Helmold,  le  prince  des 
princes  du  pays  ;  il   courbait  le  front  des  révoltés, 


1.  Raum.   Reg.  p.  211,  213-.",    217,  221,   a"  1260-1,    1276-82,    84, 
86,  87.  98,  1323. 

2.  Id.  p.  222,  n-1330. 


7S  LE    M  IRGB  W  r.   Al  BER1    L'Ol  RS 

brisail  Leurs  forteresses,  faisait  La  paix  autour  «  I  <>  Lui 
el  possédait  une  immense  fortune  '  ».  Aussi  avait- 
il  fail  beaucoup  de  mécontents.  L'âme  de  La  coa- 
lition fui  Rainald  de  Dassel,  archevêque  de  Cologne 
et  chancelier  de  L'empire.  Od  n'attendai]  pour  agir 
que  Le  déparl  de  L'empereur  pour  L'Italie,  et  L'on 
comptait  qu'Henri  suivrai!  Frédéric  :  mais  il  demeura, 
el  se  fortifia  soigneusement.  Évidemment  il  étail  au 
couranl  des  intrigues  dr>  conjurés,  car,  devanl  Le  châ- 
teau de  Daukwarderode,  il  fil  placer  un  lion  de  bronze, 
la  gueule  tournée  vers  la  marche  de  Brandebourg  2. 

Ces!  en  effel  Albert  L'Ours  qui  commence  L'attaque 
avec  L'archevêque  de  Magdebourg  dans  Les  derniers 
jours  de  1  L66  :  mais  Henri  les  repousse  et,  se  mettant 
à  leur  poursuite,  va  ravager  Le  pays  jusqu'aux  portes 
de  la  ville  archiépiscopale.  Là  il  conclut  un  armistice 
avec  L'archevêque  et  le  margrave  ;  puis  il  se  tourne 
contre  Le  comte  d'Oldenbourg  qui  avait  soulevé  le 
nord  de  la  Saxe  et  le  force  à  s'enfuir  dans  les  marais 
de  la  Frise,  où  Le  vaincu  trouve  la  mort  (  1 1 07  .  Henri 
refuse  dès  lors  d'exécuter  les  conditions  de  l'armis- 
tice conclu  avec  Magdebourg,  et  la  ligue  se  reforme 
contre  lui;  cette  fois  elle  est  formidable.  Les  arche- 
vêques de  Cologne  et  de  Magdebourg,  le  margrave 
Albert  et  ses  fils,  le  landgrave  de  Thuringe,  le  mar- 
grave de  Misnie,  un  grand  nombre  de  moindres  per- 
sonnages laïques  et  ecclésiastiques  jurent  de  com- 
battre et  de  traiter  ensemble  3.  La  Saxe  est  envahie 

1.  Helmold,  II,  6...  Et  factus  est  princeps  principum  terrae  et 
conculcavit  colla  rebelium,  et  efTregit  munitiones  eorum,  et  fecit 
pacem  in  terra,  et  possedit  hereditatem  multam  nimis (Leib- 
niz, III,  p.  623). 

2.  Heiuemann,  Albr.  der  B.  p.  401,  note  54. 

3.  Voyez  ce  traité  dans  Heinemann,  Albr.  der  B.  à  l'appendice, 
p.  477, "n°  46. 


LE   MARGRAVE   ALBERT   L'OURS  79 

de  trois  côtés  à  la  fois  ;  Haldensleben  attaquée  la  pre- 
mière, est  brûlée  de  fond  en  comble.  La  guerre  prend 
un  caractère  de  fureur  inouie.  L'archevêque  de  Brème 
s'étant  joint  aux  ennemis  du  duc  de  Saxe,  celui-ci 
envahit  son  territoire  et  n'y  laisse  point  pierre  sur 
pierre  L 

Cependant  l'empereur  était  en  Italie.  Après  qu'il 
oui  emporté  Rome  de  vive  force  et  qu'il  y  eut  établi 
l'antipape  Pascal  III,  la  peste  se  mit  dans  son  armée. 
Il  remonta  vers  la  Lombardie,  où  le  pape  Alexandre 
avait  organisé  la  ligue  <}i><  villes  lombardes.  Frédéric 
y  apprit  la  guerre  qui  sévissait  en  Allemagne.  Il 
envoya  aussitôt  l'ordre  de  suspendre  les  hostilités,  et 
remettant  à  un  autre  temps  la  lutte  avec  les  cités 
italiennes,  repassa  les  Alpes  (1168).  Il  essaya  d'a- 
mener une  pacification  générale,  mais  les  coalisés 
avaient  renoué  leur  ligue  par  de  nouveaux  serments. 
Deux  fois  il  refusèrent  de  se  rendre  aux  diètes  où  ils 
étaient  convoqués.  A  Wurzbourg,  il  avaient  à  peine 
consenti  à  faire  trêve,  qu'un  nouvel  incident  ralluma 
les  hostilités  ?-.  L'archevêque  de  Brème  mourut  en 
rentrant  dans  ses  étals  dévastés.  Pour  lui  succéder 
furent  élus  en  même  temps  le  doyen  Otbert,  et  Sieg- 
fried, fils  d'Albert  de  Brandebourg  3.  Siegfried  avait 
à  peine  pris  possession  de  sa  charge  qu'Henri  le  Lion 
le  lit  expulser  de  Brème.  Il  fallut  que  l'empereur  vînt 
en  personne,  au  commencement  de  1169,  tenir  une 
diète  aux  frontières  de  Saxe,  d'où  il  emmena  comme 
prisonniers  quelques-uns  (h:^  perturbateurs  achar- 
nés   de  la   paix    publique.    A   Bamberg  l'accord    fut 

1.  Helmold  II,  7-9  (Leibniz,  II,  p.  623-5)  et  annules  Stadenses 
ad  ann.  1166  (Pertz,  XVI,  p.  260). 

2.  Raum.  Reg.  p.  226,  Qo  1356. 

3.  Id.  p.  227,  n»  1360. 


80  I  E    \\  V'.'ii;  W  l.    \l  &ERT   L'Ol  R 

enfin  conclu  '  ;  il  et  ail  tout  à  l'avantage  d'Henri  le 
Lion,  mais  la  fatigue  universelle  le  fil  accepter  par 
tous  1 169  . 

L'année  qui  suivit  la  pacification  de  Bamberg, 
Allini  l'Ours  el  Henri  le  Lion  se  rencontrèrent  une 
dernière  fois  à  Erfurt,  pour  l'élection  du  roi  des  Ro- 
mains. Le  vieux  margrave,  après  avoir  voté  pour 
le  fils  de  Frédéric,  retourna  dans  la  marche.  Entouré 
de  ses  fils,  il  vinl  assister  à  la  bénédiction  de  l'église 
de  Havelberg,  qui  fut  donnée  par  l'archevêque  de 
Magdebourg  assisté  des  évêques  de  Havelberg,  do 
Brandebourg,  do  Meissenet  de  Ratzebourg.  Trois  mois 
après  il  mourut2.  Il  est  probable  que  son  corps  fut 
enseveli  à  Ballenstedt  près  du  château  patrimonial 
des  Ascaniens,  dans  l'église  de  Saint-Pancrace,  bâtie 
par  lui,  et  que  sa  tombe  fut  détruite  au  x\T  siècle, 
pendant  les  horreurs  do  la  guerre  dos  paysans. 

Aucune  vie  dans  cette  turbulente  époque  ne  fut 
pins  agitée  que  celle  du  margrave  de  Brandebourg,  et 
Ton  comprend  qu'une  histoire  comme  la  sienne  ait 
laissé  dc>  traces  même  dans  la  fugitive  mémoire  po- 
pulaire. La  légende  associa  son  nom  à  celui  de  Fré- 
déric et  d'Henri,  comme  l'atteste  le  vieux  dicton  :- 
«  Henri  le  Lion,  Albert  l'Ours,  Frédéric  à  la  Barbe 
Rouge  étaient  trois  hommes  capables  de  convertir  le 
monde.  »  L'histoire  ne  prouve  pas  que  la  conversion 
du  monde  ait  été  leur  principal  souci.  Du  moins,  si  le 
margrave  Albert  avait  consacré  à  soumettre  les  Wen- 
des  à  sa  suzeraineté  en  même  temps  qu'aux  lois  de 
l'Église,  la  moitié  des  efforts  qu'il  a  dépensés  à  essayer 
de  conquérir  la  Saxe,  il  eût  porté  jusqu'au  delà  de 

1.  Raum.  Rerj.,  p.  227,  n"  1366. 

2.  Id.  p.  22'J,  n°  1379-81. 


LE    MARGRAVE   ALBERT    L'OURS  81 

rOder  les  limites  de  son  margraviat.  Pourtant  son  prin- 
cipal titre  à  la  renommée  est  d'avoir  conquis  quelques 
lieues  carrées  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe.  Quand  ses 
fils  eurent  trouvé  la  fortune  sur  la  voie  qu'il  leur  avait 
indiquée  ,  une  partie  de  leur  gloire  revint  au  premier 
margrave  ;  on  lui  prêta,  comme  il  arrive  toujours,  des 
pensées  profondes  qu'il  n'avait  jamais  eues,  el  ce 
vaillant  batailleur  devint,  sous  la  plume  de  ses  pané- 
gyristes,  une  sorte  de  champion  de  la  Germanie  et 
d'apôtre  du  christianisme. 


CHAPITRE  III 


RELATIONS   DES   MARGRAVES   ASCANIENS  AVEC 
L'EMPIRE   ET   LES   ÉTATS  ALLEMANDS 


Les  successeurs  d'Albert  l'Ours  ;  division  de  leur  histoire.  —  Re- 
lations des  margraves  avec  l'empire.  —  Relations  avec  le  duché 
î  Saxe.  —  Relations  avec  l'archevêché  de  Magdebourg.  —  Frela- 
tions avec  les  marches  de  Lusace  et  de  Misnie. 


LES    SUCCESSE1  IIS    D  ALBERT    L  OURS  ;    DIVISION    DE    LEUR   HISTOIRE. 

Albert  l'Ours  laissait  sept  fils.  L'aîné,  Otton,  est  le 
chef  de  la  dynastie  margraviale ;  Hermann,  le  second, 
reçut  les  biens  d'Orlamiinde  :  il  est  la  tige  <\r*  comtes 
d'Orlamiinde,  qui  s'éteignent  dans  la  seconde  moitié 
du  xve  siècle;  Siegfried  entra,  dans  l'Eglise:  il  fut  suc- 
cessivement abbé  du  monastère  de  Notre-Dame  à 
Magdebourg,  évêque  de  Brandebourg,  archevêque  de 
Brème  ;  Henri  suivit  l'exemple  de  Siegfried,  mais  ne 
s'éleva  pas  si  haut  :  après  avoir  été  longtemps  cha- 
noine à  Magdebourg,  il  y  devint  prieur  et  directeur  de 
l'école-cathédrale  ;  Albert  fui  comte  de  Ballenstedt  : 
il  mourut  sans  héritier  mâle  cl  ses  biens  passèrent  à 
Bernard,  le  dernier  (\c>  fils  d'Alberl  LOurs.  Thierry 
paraît  avoir  reçu  poursa  part  lesallodiaux  des  Billings, 


Si       RELATIONS   DES    tSCANIENS    Wl'.c   L'ALLEMAGNE 

apportés  dans  la  famille  par  sa  grand'mère  Eilika  :  il 
tut  comte  de  Werben  :  enfin  Bernard,  qui  porta  d'abord 
Les  titres  de  comte  d'Aschérsleben  el  d'Anhalt,  devinl 
duc  de  Saxe  après  la  déposition  d'Henri  te  Mon.  Des 
deux  Bis  de  Bernard,  l'un,  Albert,  fui  la  tige  des  ducs 
ascaniensde  Saxe,  qui  se  divisa  dans  la  suite  en  lignes 
deSaxe-Wittenbergel  Saxe-Lauenbourg; l'autre,  Benri, 
est  La  tige  de  La  famille  ducale  d'Anhalt,,  qui  a  perpétué 
jusqu'à  dos  jours  La  descendance  du  margrave  Albert i. 

L'histoire  de  la  branche  aînée  esl  La  seule  qui  nous 
intéresse;  mais  avant  do  l'entreprendre,  il  faul  me- 
surer les  difficultés  de  la  tâche.  Les  événements  y 
sont  très-compliqués,  et  la  coutume,  qui  prévaul  au 
xine  siècle,  de  partager  la  marche  entre,  plusieurs 
princes,  dont  chacun  porte  le  titre  de  margrave,  ne 
permet  pas  de  suivre  la  chronologie  ni  d'énumérer 
règne  par  règne  les  actions  des  margraves.  In  court 
exposé  généalogique  montrera  l'impossibilité  d'appli- 
quer ici  la  méthode  ordinaire. 

Au  margrave  Otton  Ier,  qui  règne  de  1170  à  1184, 
succèdent  ses  deux  fils,  Otton  II  (1184-1205)  et  Al- 
bert II  (1205-1220),  ses  deux  petits-fils,  Jean  I  (1220- 
1266)  et  Otton  III  (1220-1267).  Ces  derniers,  qui 
régnèrent  en  commun  pendant  46  ans,  partagèrent  la 
marche  entre  leurs  fils;  il  y  eut  alors  deux  branches 
de  la  dynastie  margraviale,  la  johannienne  et  l'otto- 
nienne.  Or  Jean  Ier,  ancêtre  des  Johanniens,  avait  eu 
de  trois  mariages  dix  enfants,  parmi  lesquels  trois, 
Otton  IV  à  la  Flèche,  Conrad  I,  Jean  II  régnèrent 
ensemble2:  Otton  IV  et  Jean  II  moururent,  celui-ci 

1.  Voyez  Heinemann,  Albrecht  der  B.,  p.  203  et  suiv. 

2.  Les  chiffres  attribués  aux  margraves  qui  portent  Je  même 
nom  sont  de  pure  convention  ;  on  les  répartit  d'ordinaire  comme 
nous   avons  fait  entre  les   deux  branches.  —  Un  quatrième  fils 


RELATIONS   DES   ASCAXiEXS   AVEC    L'ALLEMAGNE       85 

en  L281,  celui-là  en  1303,  sans  héritiers;  Conrad  Iep, 
mort  en  1304,  avait  laissé  une  postérité  nombreuse  : 
JeanlV,  OttonVII  et  Waldemar  ses  fils  portèrent  le  titre 
margravial;  Waldemar  survécut  à  ses  frères  qui  mou- 
rurent, Jean  IV  en  1305  et  Otton  VII  en  1308  :  il  de- 
meura ainsi  le  seul  héritier  de  la  maison  johannienne. 
Cependant  Otton  III,  fondateur  de  la  branche  otto- 
nienne,  avait  eu  sept  enfants  :  quatre,  Jean  III,  Otton  V 
le  Long,  Albert  III,  Otton  VI  le  Petit,  régnent  en- 
semble ou  successivement;  mais  Jean  III  meurt 
l'année  du  partage  1268  ;  Otton  VI  se  fait  moine; 
Albert  III  reçoit  un  domaine  à  part  [1284  ;  Otton  V, 
resté  seul,  meurt  en  1298.  Son  fils,  Hermann  le  Long, 
hérite  en  1301  du  domaine  de  son  oncle  Albert  III, 
et  réunit  ainsi  toute  la  principauté  de  la  branche  otto- 
nienne.  Quand  il  meurt  en  1308,  son  fils  Jean  '.  encore 
mineur,  est  placé  sous  la  tutelle  de  Waldemar,  de  la 

de  Jean  I,  Henri,  reçut  un  domaine  spécial.  Il  fut  en    1303  mar- 
grave de  Landsberg. 
1.  Les  margraves  de  la  famille  ascanienxf.  : 

Albert  l'Ours. 


Otton  I. 


Otton  II.  Albert  II. 


Jean  I.  Otton  III. 


I  |  I  I  I  i  I 

Jean  II.  Otton  IV.  Conrad.     Jean  III.  Otton  V.  Albert  III.  Otton  VI. 


Jean  IV.  OttonVII.  Waldemar.  II   rmann 


an  V 


86      RELATIONS   DES   ASCANIENS    LVEC   L'ALLEMAGNE 

branche  aînée,  qui  avail  épousé  une  fille  de  ïïermann . 
Waldemar  hérite  en  L311  de  son  pupille  el  La  marche 
tout  entière  se  trouve  réunie  sous  un  seul  chef ,  malheu- 
reusement à  l.i  veille  de  L'extinction  de  la  dynastie. 

Au  milieu  d'une  telle  confusion,  il  est  impossible, 
en  racontanl  L'histoire  des  A.scaniens,  il»'  marquer  La 
pari  qui  revient  à  chacun  (l'eus:  dans  l'œuvre  com- 
mune; mais  il  esl  certain  qu'il  y  eu1  une  œuvre  com- 
mune, el  L'importanl  esl  de  La  retrouver. 

Malgré  ce  morceHemenl  de  leur  principauté,  Les 
A-  aniens  surent  garder  une  union  qui  ue  fui  troublée 
que  par  deux  ou  trois  querelles  bientôl  apaisées. 
Quand  le  premier  partage  avail  été  fait,  on  avait  pris 
un  à  un  les  territoires  dont  se  composait  la  marche,  et 
l'un  des  deux  co-partageants  avait  déterminé  les  parts  : 
l'autre  avait  choisi.  Ainsi  furent  évités  les  sujets  de 
mécontentement  et  de  jalousie  *.  Chaque  branche 
dans  son  domaine- élail  indépendante  de  l'autre;  les 
revenus  avaient  été  partagés  comme  le  reste;  seules, 
les  chasses  demeurèrent  communes;  mais  au-dessus 
du  partage  resta  la  dignité  margraviale.  Le  titre  n'en 
fut  attaché  à  aucune  partie  du  domaine  :  chacun  i\r<, 
princes  que  nous  avons  nommés  le  porta.  Dans  les 
occasions  où  le  margrave  devait  être  personnellement 
représenté,  c'était  l'aîné  qui  figurait2.  Pour  que  l'har- 


1.  Voir,  pour  la  façon  dont  se  fit  le  partage,  Riedel,  Codex  diplo- 
maticus  brandenburgensis,  II  Haupttheil,  oder  Gesctiichle  der  aus- 
wàrtigen  Verhàllnisse  der  Mark  Brandenburg  und  ihrer  Rcgenten. 
t.  I.  p  89-90,  n°  CXIX...  a  Nos  Johannes  et  Otto,  recognosci- 
mus....  quod  inter  nos....  sub  hac  forma  condictum  est....  scili- 
cet  quod  nos  Johannes  marchio  terram  trans  Oderam  dividemus 
et  frater  noster  Otto  eliget  quam  partem  sibi  inagis  viderit  oppor- 
tunara.  Item  nos  Otto  marchio  terram  Budessin  etc.  etc.  Voir  aussi 
Riedel  ibid.  p.  96  et  97,  n"  CX.XIX,C.N.XK. 

2.  Kloden,  Diplomatisc/ie  Gesc/iic/tte  des  Markgrafen  Waldemar 
von  Brandenburg,  t.  I,  p.  13-14. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE       87 

nionie  se  maintînt  dans  la  famille,  il  fallait  que  la 
nécessité  de  l'accord  fût  reconnue  par  celte  oligarchie 
princière.  Il  y  avait  en  effet  une  politique  qui  s'im- 
posait aux  margraves.  C'est  parce  qu'ils  l'ont  suivie 
que  leur  prospérité  s'est  maintenue  jusqu'à  la  fin,  et 
que  Waldemar,  le  dernier  d'entre  eux,  a  laissé  un  nom 
presque  aussi  glorieux  que  celui  d'Albert  l'Ours.  Tout 
d'abord  les  margraves  furent  mêlés  aux  affaires  de 
l'empire,  et  comme  ils  confinaient  à  d'importants 
états  laïques  et  ecclésiastiques,  qui  leur  disputaient 
la  conquête  de  la  rive  droite  de  l'Elbe,  ils  eurent  à 
lutter  contre  ces  voisins  qui  étaient  des  rivaux  ;  en 
même  temps  ils  continuèrent  la  guerre  en  pays  slave. 
Rapports  des  Ascaniens  avec  l'empire  et  les  états 
allemands:  conquête  des  pays  slaves  :  voilà  les  deux 
grandes  divisions  de  l'histoire  politique  des  mar- 
graves. L'étude  des  institutions  de  la  marche  sera 
l'objet  d'un  chapitre  à  part. 

RELATIONS    DES    MARGRAVES    AVEC.    l'eMPIRE. 

Les  margraves  de  Brandebourg  étaient  grands  offi- 
ciers de  la  couronne  germanique,  en  qualité  de  cham- 
bellans. Cette  dignité,  qu'Albert  l'Ours  recul  selon 
les  uns  avec  l'investiture  de  la  marche,  scion  les  au- 
tres après  la  paix  de  Francfort,  les  faisait  (''lecteurs  du 
Saint-Empire,  et  par  conséquent  les  mêlait  aux  que- 
relles qui  précédaient  chaque  avènement,  aux  guerres 
civiles  qui  trop  souvent  le  suivaient.  Ils  jouèrent 
donc  un  rôle  dans  l'histoire  de  l'Allemagne,  mais  non 
le  plus  important;  car  il<  avaient  leurs  affaires  par- 
ticulières qui  retinrent  leur  attention,  et  leurs  intérêts 
privés   qui  dictèrent   leur   conduite.  Dans  la  grande 


8S      RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE 

Lui  e  où  s'abîme  L'institution  du  Saint-Empire,  les 
Àscaniens  n'onl  pas  de  dessein  arrêté;  ni  Guelfes,  ni 
Gibelins,  ils  sonl  du  parti  qui  leur  offre  le  plus  de 
chances  de  réaliser  Leurs  projets  sur  les  pays  transal- 
pins,el  ilschangenl  de  camp ,  suivant  les  nécessités 
de  la  politique. 

Les  A.scaniens  tiennent  pour  Les  Gibelins  contre  les 
Guelfes,  quand  Frédéric  Barberousse,  peu  de  temps 
après  la  mort  d'Albert  l'Ours,fait  au  duc  de  Saxe  une 
guerre  décisive  :  les  margraves  en  effel  ôtaienl  fort 
intéressés  à  la  ruine  d'un  étal  voisin,  beaucoup  plus 
considérable  que  le  leur,  et  qui,  par  ses  progrès  en 
Nordalbingie  et  en  Slavie,  eût  fermé  la  route  à  toul 
agrandissement  sérieux  de  la  marche.  On  verra  plus 
loin  quel  lot  leur  échut  dans  le  partage  delà  dépouille 
guelfe. 

Cependant  l'empire  déclinait  rapidement.  Frédéric 
Barberousse  descendit  cinq  fois  en  Italie  sans  pouvoir 
soumettre  la  péninsule.  La  domination  allemande 
pesait  lourdement  sur  ce  malheureux  pays.  Rome 
au  premier  voyage,  Crémone  et  Milan  au  second, 
avaient  été  ensanglantées,  et  la  dernière  de  ces  villes, 
la  reine  des  cités  lombardes,  détruite  de  fond  en 
comble.  Des  podestats  imposés  à  ces  riches  républiques 
exaspéraient  les  habitants  à  la  fois  par  la  fiscalité  et 
la  brutalité  tudesques.  En  même  temps  l'Église  était 
menacée  dans  ses  droits  spirituels  par  l'empereur,  qui 
renouvelait  les  errements  d'Henri  III  et  créait  des 
papes  en  dépit  de  toutes  les  règles  canoniques.  La 
papauté  se  fit  le  champion  de  l'indépendance  italienne. 
Alexandre  III  et  les  villes  lombardes  l'emportèrent  à 
Legnano  (1 176),  et  Frédéric,  après  avoir  été  s'agenouil- 
ler devant  le  pape  àVenise,  signa  un  armistice  qui  fut 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE       89 

converti  en  paix  définitive  a  Constance.  L'indépen- 
dance de  la  papauté  et  celle  des  villes  italiennes 
étaient  sauvées  (1183  . 

Quand  le  vieil  empereur,  qui  voulut  terminer  sa 
glorieuse  vie  par  une  croisade,  périt  dans  les  eaux  du 
Gydnus,  il  eut  pour  successeur  Henri  VI  (1190-97), 
un  ambitieux  sans  bon  sens  et  sans  pitié,  qui  con- 
quit.  après  une  guerre  d'une  abominable  cruauté, 
l'Italie  méridionale,  se  crut  sérieusement  le  sou- 
verain de  la  Franc»1  et  même  de  la  Castille,  rêva  la 
conquête  de  l'Epire  et  de  la  Macédoine,  et  mourut  à 
Messine  au  moment  de  s'embarquer.  Henri  VI  ne 
laissait  qu'un  enfant  de  trois  ans;  aussitôt  les  ennemis 
des  Hohenstaufen  relevèrent  la  tète.  En  mémo  temps 
que  Philippe  de  Souabe,  frère  d'Henri  VI,  fut  élu  Otton 
de  Brunswick,  fils  d'Henri  le  Lion.  La  guerre  civile 
fut  encore  une  fois  déchaînée  dans  l'empire  (1 197  . 

De  même  que  le  margrave  Otton  I  de  Brandebourg 
(1170-84  avait  second/'  Frédéric  Barberousse  contre 
Henri  le  Lion,  Otton  II  !  184-1205)  soutient  Philippe 
de  Souabe  contre  Otton  de  Brunswick  ;  mais  Philippe 
meurt  assassiné  L208  .  Otton  IV  est  reconnu  par  toute 
l'Allemagne,  jusqu'au  jour  où,  reprenant  les  préten- 
tions impériales  sur  l'Italie,  il  perd  la  protection  du 
pape  qui  lui  oppose  Frédéric  de  Hohenstaufen,  le  fils 
d'Henri  VI.  Dès  que  le  jeune  prétendant  met  le  pied 
en  Allemagne,  l'éclal  de  son  nom  et  ses  brillantes 
qualités  attirent  autour  de  lui  de  nombreux  partisans 
(1212).  Pourtant  le  margrave  Albert  II  (1205-1220)  reste 
fidèle  à  la  cause  d'Otton  IV;  il  signe  même  avec  lui 
un  traité  où  il  s'engage  à  mettre  «  toutes  ses  forces  et 
tons  ses  moyens  »  au  service  de  l'empereur.  Celui-ci 
promettait  à  son  tour  au  margrave  sa  médiation  auprès 


96       RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE 

du  roi  de  Danemark,  au  besoin  sou  appui  contre  lui  '. 
('.clic  dernière  clause  explique  boute  La  politique  du 
margrave.  On  verra  par  la  suite  de  celle  histoire  que 
le  Danemark,  après  La  destruction  du  duché  de  Saxe, 
menaça  d'enlever  à  la  marche  La  domination  «les  pays 
slaves.  Or  Le  Danemark,  allié  fidèle  et  respectueux  du 
saint  siège,  devait  faire  cause  commune  avec  Fré- 
déric II.  le  protégé  pontifical  :  il  a'esl  pas  étonnant 
que  Le  margrave  Albert  ail  abandonné  La  cause  gibe- 
line, servie  par  ses  trois  prédécesseurs. 

Allieri  \  Lvail  (Tailleurs  en  mauvaise  intelligence  avec 
L'archevêque  de  fitfagdebourg,  qui  s'était  prononcé  pour 
Frédéric  llei  qui  avait  publié l'excomniunicatioi]  Lancée 
contre  Otton.  La  marche  eut  à  souffrir  de  la  guerre 
civile,  et  plusieurs  fois  elle  fut  ravagée  par  les  troupes 
de  L'archevêque2.  Le  margrave  n'en  envoya  pas  moins 
un  contingent  brandebourgeois  à  cette  bataille  de  Bou- 
vines  où  la  jeune  royauté  capétienne,  sortant  enfin  de 
L'obscurité  avec  Philippe  Auguste,  s'affranchit  par  la 
victoire  des  prétentions  de  l'empire  germanique.  La 
défaite  d'Otton  eu  France  acheva  de  ruiner  son  parti 
en  Allemagne  :  l'année  suivante  il  renonçait  à  la  cou- 
ronne. Pourtant  la  réconciliation  du  Brandebourg  avec 
le  nouvel  empereur  ne  fut  complète  qu'après  que  Fré- 
déric eut  annulé,  en  investissant  les  margraves  Jean  et 
Otton  du  duché  de  Poméranie  (1235)  3,  les  énormes 
concessions  faites  par  lui  au  roi  de  Danemark. 

1    Imperator promisit  se  mediatorem  studiosum  et  efficacem 

inter  regem  Uacie  et  ipsura  marchiouera  et  Slavos  existere.  Si 
vero  médium  marchioni  competens  non  invenerit,  promisit,  régi 
Dacie  suisque  fautonbus  dedicere,  et  marchioni  contra  ipsos  et 
contra  omnem  hominem  firmum  et  constans  auxilium  cum  efïectu 
portare....  Riedel,  Codex  diplomaticus  II,  t.  I,  p.  5,  n°X. 

2.  Magdeburger  Schôppen-Chronih,  ad  ann.  1125,  manuscrit  cité 
par  Wohlbriick,  Gvschichte  des  Altmark,  p.  140. 

3.  Riedel,  Cod.  dipl,  II,  t.  I,  p.  12,  n"  XX. 


RELATIONS  DES   ASCANIENS    AVEC    L'ALLEMAGNE      91 

Dès  longtemps  il  était  aisé  de  prévoir  que  l'Italie  de- 
viendrait la  terre  de  perdition  du  Saint-Empire.  Elle 
avait  tenté  tous  les  empereurs  depuis  les  Ottons  :  Fré- 
déric II  finit  par  s'y  établir,  insouciant  des  destinées 
de  l'Allemagne,  dédaignant  même  de  la  secourir 
contre  les  Mogols  qui  l'envahissent,  comme  ses  pré- 
décesseurs ont  dédaigné  de  poursuivre  sérieusemenl 
les  Wendes.  Une  fois  encore  les  papes  se  mettent  à  la 
tête  de  la  résistance  :  une  lutte  décisive  s'engage 
entre  les  deux  pouvoirs.  Un  grand  nombre  de  princes 
allemands,  ecclésiastiques  [ou  laïques,  essayent  de 
s'interposer  entre  eux.  Jean  et  Otton  «  frères  et  mar- 
graves de  Brandebourg  par  la  grâce  de  Dieu  o  écrivenl 
au  pape,  pour  déplorer  «  la  dissension  qui  s'est  él 

<  sa  Révérence  dîme  part,  et  d'autre  part  leur 
seigneur  l'empereur  »,  et  «  les  calamités  qui  en  sonl 
sorties  à  l'incitation  du  diable  »;  ils  proposent  au  pon- 
tife d'accepter  l'arbitrage  de  Conrad,  grand-maître  de 
l'on  Ire  teutonique,  dans  l'intérêt  «  de  tout  le  peuple 
chrétien,  dont  le  salut  dépend  de  l'accord  du  pape  et  de 
L'empereur  l.  »  Il  esl  curieux  de  voir  ces  deux  princes 
de  l'Allemagne  de  Test,  ces  doux  combattants  de  la 
frontière,  exprimer  aussi  nettement,  au  moment  ou 
elle  s'obscurcissait  partout,  la  vieille  idée  carlovin- 
gienne,  et  proposer  pour  médiateur  entre  les  deux 
pouvoirs  ennemis  le  grand-maître  de  l'ordre  teuto- 
nique, cet    nuire  combattant    de  l'avant-garde  ger- 


1.  Excellenliae  vestrse  devotissime  duximus  supplicanrlum  , 
quatinus  tum  pro  Deo,  tum  pro  neci  ssitate  totius  populi  Chris- 
tiani,  cujus  salus  m  vestra  et  dotnini  imperatoris  concordia  el 
tranquiLLitate  videtur  consistere,  ;oncedere  ac  licentiare  curetis 
ut  frater  Conradus,  honorabilis  n  1er  hospitalis  sanctae  Marise 
domus  Teutonicorum  in  Jérusalem,  laborem  et  sollicitudinem  su- 
mat,  tanquam...    fidelissimus    mediator (Riedel,    loc.  cit.  p. 

20-22,  ie  XXX.) 


92      RELATIONS   DES    ASCAN1ENS    AVEC   L'ALLEMAGNE 

manique,  cg  second  ancêtre  de  La  monarchie  prus- 
sienne. Os  Louables  efforts  demeurenl  inutiles.  I H 
décrel  d'excommunication  est  lancé  contre  Frédéric, 
cl  les  margraves  son I  sommés  en  même  temps  que  les 
autres  électeurs,  de  procéder  à  L'élection  d'un  roi  des 
Romains,  o  afin  de  mériter  1rs  récompenses  divines  ci 
la  faveur  du  siège  apostolique  ■    L246)1. 

On  ne  saii  poinl  où  certains  manuels  d'histoire  de 
Prusse  onl  pris  ce  mensonge  que  les  margraves  de 
Brandebourg  sont  restés  jusqu'au  bout  fidèles  à  la 
cause  de  L'empereur.  Une  lettre  d'Innocent  IV  montre 
qu'Otton,  an  pins  forl  de  la  crise,  entretenait  avec  le 
pape  des  relations  amicales 2.  Qn  procès-verbal  do  la 
cérémonie  prouve  que  le  margrave  faisait  fonction  de 
chambellan  an  couronnement  de  Guillaume  de  Hol- 
lande, le  protégé  du  pontife  (1249)3.  Cependant  l'em- 
pereur  déppsé  vivait  encore,  et  les  margraves,  tout  en 
s'inclinant  devanl  La  volonté  pontificale,  ne  paraissent 
pas  avoir  combattu  contre  Frédéric  ;  car  à  la  mort  de 
celui-ci,  Innocent  II  mande  à  Otton  que  «  le  persécu- 
teur de  l'église  ayant  été  enlevé  du  monde  par  la  di- 
vine Providence,  les  hommes  pieux  ont  maintenant 
pleine  liberté  de  témoigner  par  des  actes  en  Thon- 
neur  de  Dieu  et  de  l'Eglise ,  le  zèle  qui  était  naguère 
caché  au  fond  de  leurs  âmes,  »  et  il  lui  enjoint  a  sur 
la  rémission  de  ses  péchés  »  de  prêter  appui  à  Guil- 
laume. Les  margraves  y  consentent  d'autant  plus 
volontiers  que  Guillaume  est  leur  neveu,  et  qu'il  se 
montre  forl  libéral  envers  eux  4.  En  effet  ils  reçoivent 


1.  Id.,  ibid.,  p.  27,  îr  XXXIX. 
2   Id.,  ibid.,  p.  27,  n°  XL. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  30,  n°  Xl.III. 

4.  Id.,  ibid.,  p.  31,  n°  XLV. 


RELATIONS   DES    ASCAMEXS    AVEC    L'ALLEMAGNE      93 

de  lui  la  ville  de  Liibeck,  en  récompense  de  leur  fidé- 
lité constante,  de  leurs  services  el  de  leurs  peines  '  ; 
ils  obtiennent  [unir  leurs  sujets  des  privilèges  commer- 
ciaux en  Hollandes,  pour  eux  l'expectative  sur  les  fiefs 
d'Albert  de  Saxe  3.  Le  pape  ne  leur  ménage  pas  les 
témoignages  de  son  contentement  :  le  légat  d'Inno- 
cent IV  menace  d'excommunication  les  bourgeois  de 
Liibeck.  "qui  ne  veulent  point  accepter  la  suzeraineté 
du  Brandebourg4,  et  dans  une  lettre  écrite  à  l'abbé  de 
Lebnin  pour  l'informer  qu'il  autorise,  malgré  la  parenté 
des  deux  futurs  époux,  le  mariage  de  Jean  de  Bran- 
debourg avec  la  fille  du  duc  Albert  de  Saxe,  Alexan- 
dre IV  parle  des  grands  services  rendus  par  les  Asca- 
niens  «  à  la  cause  de  l'église  et  de  son  très-cber  fils 
Guillaume,  illustre  roi  des  Romains  •">  ■    1255  . 

Maigre  les  efforts  de  la  papauté,  Guillaume  de  Hol- 
lande ne  sait  pas  conquérir  d'autorité  dans  l'empire. 
Le  successeur  de  Gharlemagne  et  d'Otton,  qui  a  con- 
servé le  pompeux  langage  de  la  chancellerie  impériale. 
finit  misérablement:  en  guerroyant  contrôles  Frisons, 
il  s'embourbe  dans  un  marais  où  (h^  paysans  l'assom- 
ment L256  .  A  sa  mort,  le  margrave  de  Brandebourg 
Otton  III  brigue  sa  succession.  Dans  une  sorte  de  pro- 
fession de  foi.  si  l'on  peut  employer  cette  expression 
moderne,  il  se  déclare  prêt  à  recevoir  la  couronne  et  à 
mettre  au  service  de  Dieu  «  son  corps  el  son  âme,  -es 
biens  etses  •nuis,  tout  ce  qu'il  possède  ou  pourra  possé- 


1.  Id.,  ibid.,  p.  32,  n-  XLVI.  Liibeck,  après  avoir  été  incorporée 
au  duché  de  Saxe,  était  devenue  ville  impériale.  Voir  plus  bas, 
page  98.  Les  margraves  ne  gardèrent  pas  la  ville. 

2.  Id.,  ibid.,  p.  33,  n<  XI. VIII. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  37,  n°  LU  marqué  XLVII  par  erreur  dans 
Kiedel). 

S    I  !..  ibid.,  p.  32,  n    XLVII. 
5.  Id.,  ibid.,  43,  n"  LXIV. 


•il      RELATIONS   DES    àSCANTENS  AVEC    L'ALLEMAGNE 

dri'  '.   b   Ainsi   Les  successeurs  d'Albert  L'OllTS  S6  Seil- 

baieni  de  taille  à  gouverner  l'empire;  mais  L'empire  les 
trouva  trop  grands  pour  Lui.    \u  Lieu  de   relever  La 

couronne  en  l;i  cnnlianl  à  l;i  garde  d'un  |iuiss;inl  prince, 

Les  électeurs  L'avilirent  en  La  vendant.  Deux  étrangers 
L'achetèrent,  Alphonse  deCastille  à  L'évêque  de  Trêves, 
Richard  de  Gomouailles  à  L'archevêque  de  Cologne. 
Le  premier  ne  parut  pas  en  Allemagne,  mais  le  second 

y  vint  plusieurs  lois,  apportai  ses  poches  pleines 
d'or,  pour  les  vider  entre  les  mains  avares  qui,  de 
toutes  parts,  se  tendaient  vers  lui.  «l'est  Le  temps  du 
grand  interrègne  (125G-73). 

Vient  ensuite  la  série  des  petits  princes  qui  essayent 
de  mettre  à  profil  leur  passage  sur  le  trône  pour 
faire  la  fortune  de  leur  maison.  Rodolphe  de  Habs- 
bourg (1273-91)  combat  le  roi  de  Bohême  auquel 
il  enlève  l'Autriche  el  la  Styrie ,  et  jette  les  bases 
de  la  puissance  autrichienne,  Adolphe  de  Nassau 
(1291-98),  choisi  à  cause  de  sa  faiblesse,  suscite  par 
son  ambition  une  formidable  ligue.  Albert  d'Autriche 
(1298-1308)  reprend  la  politique  de  famille  de  son  père 
Rodolphe,  nourrit  les  plus  ambitieux  projets  et  tombe 
sous  le  poignard  d'un  des  siens,  Jean  le  parricide, 
qu'il  a  frustré  de  son  héritage.  Nous  verrons  qu'en 
Bohême,  en  Thuringe,  Misnie,  Lusaee,  l'ambition  des 
Habsbourg  se  heurte  contre  celle  des  Àscaniens  et 
que  les  deux  familles  s'y  disputent  les  débris  do 
l'empire. 

A  la  mort  d'Albert  (1308),  deux  margraves,  Otton  VII 
et  AValdemar,  aspirent  à  la  couronne  en  compagnie  de 
bon  nombre  de  princes  allemands  ;  mais  en  dépit  de 

1.  Id.,  ibid.,  p.  48,  n  cLXXII. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE      95 

toutes  leurs  négociations  et  de  tous  leurs  efforts  l,  les 
électeurs  leur  préfèrent  le  comte  de  Luxembourg, 
Henri  VII,  petit  prince  de  la  forêt  d'Ardenne,  qui  va 
mourir  en  Italie  après  y  avoir  montré  son  impuissance 
(1308-1313).  Son  successeur,  Louis  de  Bavière,  verra 
finir  la  dynastie  ascanienne,  et  une  nouvelle  période 
s'ouvrir  pour  l'histoire  de  la  marche. 

La  chute  du  vieil  empire  ne  lit  que  profiter  à  la 
marche  do  Brandebourg.  Tant  qu'un  prince  person- 
nifiait l'unité  de  l'Allemagne  et  gardait  on  mains  la 
force  nécessaire  pour  faire  respecter  sa  suzeraineté, 
toute  conquête  au  delà  do  l'Elbe  eût  été,  comme  au 
temps  d'Henri  le  Fondateur  et  d'Otton,  une  conquête 
allemande  et  non  brandebourgeoise.  La  féodalité  qui, 
par  des  causes  diverses,  n'avait  cessé  de  grandir,  et 
qui  se  dissimulait  mal  sous  l'enveloppe  brillante  de 
la  monarchie  des  HohenstauJ'en,  avait  fini  par  désa- 
gréger l'Allemagne,  ou  il  ne  restait  plus  qu'une  fédé- 
ration anarchique  de  principautés  et  de  républiques. 
Chacun  y  travaillait  pour  soi,  et  le  premier,  l'empe- 
reur donnait  l'exemple.  L'affaiblissement  de  l'autorité 
suprême  fortifia  dans  son  indépendance  le  pouvoir 
margraviat,  qui  avait  déjà  des  privilèges  particuliers, 
et  s'élevait  presque  jusqu'à  la  souveraineté.  Les  con- 
quêtes  de  la  marche  en  pays  slave  achevèrent  de  la 
distinguer  du  reste  de  l'Allemagne,  et  d'en  faire  un 
état  d'un  caractère  nouveau,  ayant  ses  institutions 
spéciales,  ses  destinées  propres,  et  grandissant  au 
milieu  même  des  malheurs  de  l'Allemagne  :  le  règne 
des  margraves  Otton  et  Jean,  qui  correspond  à  la 
période  où  tombe'  l'empire  et  naissent  les  désordres 

1.  Id.  ibid.,  p.  272,  274-6,  u°>  CCCXLVI,  CCCXLVIII,  CCL1X. 


!)(»     RELATIONS    DES   A.SCANIENS   A  vue   L  ALLEMAGNE 

du  grand  interrègne,  esl  Le  plus  heureux  de  la  dynas* 
tie  des  Ascaniens. 

i;i  i.  \  HONG    w  EO    LE    m  CHB    DE   SAXE. 

A  la  morl  d'Alberl  L'Ours, quatre  principautés étaienl 
échelonnées  sur  La  frontière  orientale  de  L'Allemagne, 
depuis  Les  monts  de  Bohême  jusqu'à  la  mer  du  Nord 
cl  à  La  Baltique,  Le  Long  de  L'Elbe  qu'elles  dépassaienl  : 
c'étaienl  Les  marches  réunies  de  Lusace  el  de  Mis- 
nie,  L'archevêché  de  Magdebourg,  la  marche  de  Bran- 
debourg, el  Le  duché  de  Saxe.  Taudis  que  Les  états  du 
centre  do  l'Ai  loin  a, une  ne  pouvaienl  point  se  dévelop- 
per, que  Les  Alpes  arrêtaient  ceux  du  sud,  que  la  royauté 
capétienne  contenait  el  menaçai!  ceux  de  l'ouest,  un 
vaste  espace  s'ouvrait  devant  Les  états  orientaux.  Des 
conflits  d'ambition  les  mirent  aux  prises,  el  le  Bran- 
debourg s'éleva  au-dessus  dr^  autres. 

On  a  vu  la  part  prise  par  Albert  l'Ours  aux  conspi- 
rations et  aux  guerres  dirigées  contre  Henri-le-Lion. 
C  était  l'ambition  de  conquérir  la  couronne  ducale  qui 
poussait  le  margrave  de  Brandebourg;  mais  ses  alliés 
voulaient  la  briser.  A  mesure  que  la  féodalité  se 
développait,  il  n'était  si  petit  prince  qui  ne  prétendît 
relever  directement  de  l'empire.  La  principauté  guelfe, 
composée  de  deux  duchés,  comprenant  clans  sa  mou- 
vance un  grand  nombre  de  comtés  de  l'Adriatique  à 
la  Baltique,  s'accroissant  tous  les.  jours  des  dépouilles 
des  faibles  qu'elle  opprimait,  était  un  reste  du  passé 
qui  devait  réunir  contre  lui  toutes  les  forces  vives 
du  présent  ;  mais  le  duché  de  Saxe  était  particulière- 
ment redoutable  à  la  marche  de  Brandebourg,  à  cause 
des  conquêtes  qu'il  avait  faites  au  delà  de  l'Elbe. 

La  Nordalbingie,  c'est-à-dire  le  pays  situé  au  nord 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE        97 

de  l'embouchure  de  l'Elbe,  était,  ati  début  dos  temps 
historiques,  partagée  entre  les  tribus  slaves  des  Wa- 
griens  et  des  Polabes  l  et  les  tribus  germaniques  des 
Dithmarses  et  des  Holsates.  De  bonne  heure,  l'atten- 
tion des  ducs  de  Saxe  s'était  tournée  de  ce  côté.  Le  duc 
Lothaire  de  Siippligenbourg  avait  en  1110  donné  aux 
Schaumbourg  le  comté  de  Holstein,  qui  comprenait 
le  pays  des  Holsates.  Le  second  comte  de  Holstein, 
Adolphe,  celui-là  même  qui  fut  un  moment  aux  prises 
avec  Albert  l'Ours 2,  prit  possession  de  la  Wagrie.  Henri- 
le-Lion  acheva  la  conquête  du  pays  :  il  créa  le  comté 
de  Ratzebourg  chez  les  Polabes  (1143),  et  comme  les 
Dithmarses  défendaient  victorieusement  leur   indé- 
pendance contre  les  comtes  de  Stade,  il  se  fit  investir 
du  comté  par  l'archevêque  de  Brème,  qui  en  était  le 
suzerain,  et  soumit  cette  fière  peuplade,  où  vivaient 
encore  les  vieilles  traditions  de  la  tribu  germanique. 
Les  conquêtes  du  Lion  en  Slavie  ne  furent  pas 
moins  importantes.  Chez  les  Obotrites,  il  assura  la 
victoire  du  christianisme  en  instituant  trois  sièges  épi- 
scopaux  qui  relevaient  de  Brème  ;  il  couvrit  le  pays  de 
colons  et  de  vassaux  allemands,  et  fonda  le  comté  de 
Schwérin,  qui  eut  pour  chef-lieu  l'ancienne  capitale 
des   princes    obotrites.   Il  reconnut    Pribislaw  pour 
prince  des  Wendes,  mais  sous  la  suzeraineté  de  la 
Saxe;  enfin  à  Henri  Borwin  (1178-1227),  successeur 
de  Pribislaw,  il  donna  en  mariage  sa  fille  Mathilde, 
et  fonda  ainsi  la  dynastie  germano-slave  qui  règne 
encore  aujourd'hui  sur  le  Mecklembourg  3. 

1 .  Les  Polabes,  tribu  obotrite,  habitaient  sur  la  rive  droite  de 
l'Elbe,  entre  la  Bille  et  l'Elde. 

2.  Voyez  p.  63-4. 

3.  Le  nom  de  Mecklenburg  vient  de  Mikelenburg,  château  situé 
près  de  Wisraar  et  qui  était  la  résidence  habituelle  des  princes 


98       RELATIONS  DES    ISCANIENS  AVK.o   l."  \  i  u:\l  \».\i: 

Les  ducs  de  Poméranie  avaient^  oomnae  on  b  vu, 
franchi  l'Oder,  poussé  jusqu'au  lac  Miiritz,  ooompé 
toute  La  partie  orientale  de  la  province  actuelle  do 
Brandebourg,  c'est-à-dire  L'Dckermark,  If  Bannirai,  le 

Tellow  :  Henri  lf  Lâonj  arrêta  leurs  progrès,  ei  força 
Oasimir  V  (1135-118»)  ri.  lîogislaw    I  i:;:.-l  l n 7 ) ,  à 

reconnaître  sa  suzeraineté.  Enlin  lii'mm  nyaiil  été 
conquise  par  WaJdemar  I'r,  roi  de  Danemark,  fflenri 
exigea  'I''  lui  la  cession  de  la  mollir  de  l'île  '. 

Dans  CBS  pays  transalliins ,  llenri-le-lâon  B'étaât 
lbrmo  comme  une  principauté  bailépendamte,  quà  étail 

rolijcl  de  sa  sollicitude  part iculière.  Do  lui  (laïc  la 
grande  prospérité  do  Eiibock.  1/ancien  village  nwende 
avail  ou  dos  destinées  Earl  agitées.  Passé  (l^^  Willzes 
aux  Obotritos,  dos  Obotrites  au  comte  AcUjlphc  de 
lliilsicin.  il  avail  change  d'emplaoemaenl  comme  de 
maître.  En  1143,  .\ <  1  < >  1 1 >  1 1  < >  l'avait  fraaasipHBirté  de  la  cive 
de  la  Travc  sur  le  plateau  qui  s'élève  entre  cette  rivière 
et  la  Warkcnilx;  mais  U  dut  céder  «b  1 1  r,x  la  ville 
nouvelle  à  Henri-le-Lion,  qui,  après  avoir  achevé  de  la 
bâtir,  on  lil  la  place  de  guerre  la  plus  forte  de  la  Xor- 
dalbingie  et  la  ville  de  commerce  la  plus  importante 
de  la  Baltique  \  Au  delà  de  l'Elbe,  évêques  et  comtes 
relevaient  directement  de  lui,  de  droit  comme  de  l'ail, 
car  il  les  avail  institués  et  placés  à  l'extrême  frontière. 
Toujours  exposés  à  des  attaques,  ils  avaient  besoin  de 
son  appui.  Les  évêques  avaient  fait  quelque  résistance, 

wendes.  Aujourd'hui  encore  parmi  les  titres  communs  aux  deux 
grands-ducs  de  Mecklembourg-Strélitz  et  de  Mecklembourg-Schwé- 
rin  figurent  «  F'drst  zu  Wenden...  »  En  1864,  les  deux  grands- 
ducs  ont  fondé  un  «  Ordre  de  la  couronne  wende  ». 

1.  Voyez  pour  les  conquêtes  d'Henri-le-Lion  en  Nordalbingie  et  en 
Slavie,  Usinger,  Dsutach-dunische  Geschichte(l  189-1229),  p.  1-1-17. 

2.  Voyez,  pour  1  histoire  des  conquêtes  d'Henri-le-Lion,  Helmold, 
Citron.  Slav.,  au  livre  II,  passim,  surtout  le  chap.  LXXXVIII. 


RELATIONS    DES    ASCANIENS    AVEC    L'ALLEMAGNE        99 

mais  s'étaient  soumis.  Le  duc,  raconte  Helniold,  avait 
reçu  de  l'empereur  le  droit  «  de  créer  et  de  donner 
des  évêchés  dans  toute  la  terre  des  Slaves  sou- 
mise par  lui  et  par  ses  ancêtres....  Il  manda  donc  mon- 
s  igneur  G  '.rold,  évoque  d'Oldenbourg,  monseigneur 
Évermode ,  évèque  de  Ratzebourg,  et  monseigneur 
Bernon,  évêque  de  Meckleinbourg,  afin  qu'ils  reçus- 
sent de  lui  leurs  dignités  el  qu'ils  lui  prêtassent  hom- 
mage, comme  on  [ail  à  l'empereur.  Les  évèques  trou- 
vèrent l'obligation  très-dure,  mais  ils  s'y  plièrent  par 
amour  pour  celui  qui  s'est  humilié  a  cause  de  nous.  » 
La  destruction  de  la  puissance  guelfe  fut  l'œuvre 
de  la  féodalité  allemande,  Lien  [dus  que  celle  de  l'em- 
pereur, quoique  Henri  le  Lion  eût  grièvement  otl 
Frédéric  Ier,  en  refusant  de  le  secourir  dans  sa  lutte 
avec  les  villes  lombardes.  De  retour  en  Allemagne 
après  sa  défaite,  Frédéric  trouva  Henri  aux  [irises 
avec  une  coalition,  dirigée  comme  au  temps  d'Albert 
l'Ours  par  l'archevêque  de  Cologne,  el  où  se  rencon- 
traient ton-  les  princes  de  l'Allemagne  orientale, 
parmi  lesquels  les  Ascaniens  L  L'empereur  tempo- 
risa longtemps  ;  trois  fois  il  cita  l'orgueilleux  vassal 
devant  une  diète,  mais  Henri  dédaigna  de  compa- 
raître i  17'')  :  il  se  préparait  à  une  défense  désespérée. 
La  Saxe  venait  d'être  visitée  par  un  hiver  terrible.  Au 
printemps,  disent  les  chroniques,  les  oiseaux  n'avaient 
point  chanté,  et  les  lèvres  des  prêtres,  engourdies  par 
le  froid,  [turent  à  peine,  le  jour  de  Pâques,  faire  en- 
tendre les  chants  de  la  résurrection.  Pour  achever  de 
jeter  l'épouvante  dans  les  esprits,  la  terre  trembla.  Les 
Saxon>  étaient  dans  l'attente  d'une  grande  catastro- 

1.   Voyez  H.  Hahn,  Die  Sôhne  Albrechts  des  lime,  Olto  1,  Sig- 
l,   Bernhard  (1270-84).  —  Ihre  Theilnahme  an  den  lia. 
gelegenheiten. 


1(H>     RELATIONS   DES   &SCANIENS   WKi.   L'ALLEMAGNE 

phe.  Cependanl  le  dùct  attaqué  de  tous  les  côtés  à  La 
Fois,  s'était  porte  vers  Balberstadl  el  s'était  emparé  de 

La  ville,  que  Les  siens  mirent  à  suc.  Au  milieu  du  pil- 
lage s'alluma  L'incendie,  on  ne  sait  comment.  Eglises 
ei  cloîtres,  pleins  de  prêtres  et  de  mo  nés,  flambèrent 
en  même  temps.  Devant  les  ruines,  voyant  les  siens 
mettre  en  tas  Les  ornements  d'église  et  les  saints  reli- 
quaires, Le  duc  Henri  fondit  en  Larmes,  disant  que  ces 
malheurs  étaient  arrivés  contre  sa  volonté.  On  racontait 
en  effet  que  Satan  ('Mail  cause  de  tout  le  désastre  ;  au 
moment  où  les  Saxons  s'approchaient  de  Halberstadt, 
il  avait  rempli  l'air  du  vacarme  et  de  chansons  pour 
leur  faire  croire  qu'ils  étaient  nargués  et  les  mettre 
en  fureur.  Ainsi  fut  ouverte  la  guerre  qui  devait  finir 
par  la  ruine  du  duché  de  Saxe  (1170)  !. 

Les  fils  d'Albert  l'Ours  y  jouèrent  un  rôle,  mais  sans 
éclat;  pourtant  ils  eurent  une  belle  part  dans  la  dé- 
pouille. En  1180,  après  avoir  longtemps  temporisé, 
Frédéric  avait  cité  pour  la  quatrième  fois  le  duc  de 
Saxe  et  de  Bavière  à  comparaître  devant  une  diète  à 
Wurzbourg.  Là,  Henri  fut  convaincu  d'avoir  offensé 
la  majesté  impériale,  troublé  la  paix  de  l'Église  de 
Dieu  et  de  la  noblesse  de  l'empire,  et  il  fut  déclaré 
déchu  de  ses  fiefs  2.  Quand  le  condamné  eut  laissé 
s'écouler  les  délais  qui  lui  étaient  accordés  pour  ren- 
trer en  grâce,  et  que  la  sentence  eut  été  confirmée  à 
Gelnhausen,  le  duché  de  Saxe  fut  partagé  entre  Phi- 
lippe, archevêque  de  Cologne,  et  Bernard  d'Anhalt, 
frère  du  margrave  Otton  de  Brandebourg  :  Bernard 
prit  le  titre  de  duc  de  Westphalie  et  d'Engrie.  En 
même  temps  un  autre  frère  du  margrave,  Siegfried, 

1.  Idem.,  p.  14. 

2.  Raumer,  Reg.,  p.  244,  n"s  1470-73. 


RELATIONS   DES  ASCANIENS   AVEC   L  ALLEMAGNE      101 

qui  avait  été  élu  en  1 168  archevêque  de  Brème,  reçut 
l'investiture  de  l'archevêché  *.  La  lutte  se  prolongea 
une  année  encore  ;  Henri  remporta  de  grands  suc- 
cès; mais  l'un  après  l'autre  ses  alliés,  les  ducs  de 
Mecklembourg  et  de  Poméranie,  le  roi  de  Danemark, 
se  détachèrent  de  lui  ;  Tune  après  l'autre  ses  for- 
teresses succombèrent.  Quand  Liibeck,  sa  ville  de 
prédilection  et  qu'il  avait  soigneusement  mise  en  état 
de  défense  pour  s'y  assurer  un  dernier  refuge,  eut 
ouvert  ses  portes  à  Frédéric,  assisté  de  Bogislaw,  duc 
de  Poméranie,  et  de  Waldemar,  roi  de  Danemark,  Henri 
entama  enfin  des  négociations  avec  son  vainqueur. 
Frédéric  aurait  peut-être  fait  grâce;  mais  les  coalisés 
auxquels  il  avait  promis  de  ne  pas  traiter  sans  eux, 
furent  impitoyables.  A  la  diète  d'Erfurt  (1181),  Henri 
dut  renoncera  tous  ses  alleux  et  fiefs2;  la  Bavière 
avait  été  donnée  aux  \Vittelsbach  ;  on  lui  laissa  seule- 
ment Brunswick  et  Lunebourg,  à  la  condition  qu'il 
s'exilerait  et  ne  rentrerait  en  Allemagne  qu'avec  l'a- 
grément de  l'empereur.  A  ce  jugement  suprême  assis- 
taient tous  les  princes  ascaniens  s. 

Le  Lion  fit,  quelques  années  après,  une  tentative 
pour  reconquérir  son  duché.  Il  profita  de  l'absence 
de  Frédéric  pendant  la  croisade,  pour  débarquer  sur 
la  côte  de  Saxe;  mais  vaincu  par  une  coalition  où 
figurait  le  margrave  Otton  II,  successeur  d'Otton  I,  il 
se  retira  dans  ses  biens  patrimoniaux  de  Brunswick, 
où  il  acheva  tranquillement,  en  se  faisant  lire  des 
récits  héroïques,  sa  turbulente  existence  (1195). 

1.  Bernardus  cornes  de  Anehalt  suscepit  ducatum  Saxonise,  et 
Philippus  Colonial  ducatum  Westphaliœ.  Media  quadragesiraa 
iraperator  in  Geilehusen  electionem  Sifridi  Bremensis  confinnavit. 
(A7i>iales  Stade>ises,  ad  ann.  1180,  Pertz  XVI,  p.  349.) 

2.  Voyez  Hahn,  p.  39,  et  note  2. 

3    Rauraer,  Rey.,  p.  248,  n"s  1498-9. 


10.      RELATIONS   DES    \se  \\if.\s    \vi:<:   L'ALLEMAGNE 

En  apparence  1g  margrave  ascanien  n'avait  poinl  pro- 
file de  1,1  ruine  du  Lien,  Pendanl  <ju'un  de  ses  frètes 
recevait  la  crosse  archiépiscopale,  un  autre  la  dignité 
duc  île  il  ne  gagnai!  ni  iioiiniMii's  ni  territoire  :  il  avail 
ponri;nii  be  meilleur  lot.  Bernard  d'Ànhalt  en  efltel  o.'*a> 
vaii  hérité  <|uti  d'un  titre  :  le  duché  de  Saxe  ne  But  pas 
seulement  partagé  en  deux;  il  s'énrâetta  en  fiefs  laï^uws 

et  ecclésiastiques  ri  on  \  ailes  libres.  Un  an n.tlish;  con- 

irni|Hir;iin  reproche  à  Bernard  sa  paress©1,  comme  nos 

historiens  mil  reproehé  à  nos  rois  [';nn<'';ui I s  leur  inac- 
tion' ;  mais  le  fils  d'Albert  n'est  pas  pins  coupable  que 
les  derniers  Mérovingiens  :  il  est  par  les  nnxlmes  causes 
réduit  à  la  même  impuissance.  Cependant  le  \icn\ 
duché  de  Saxe,  incapable  désormais  d'une  action  com- 
mune, laissait  vide  une  grande  place.  Les  comtes  al- 
lemands de  la  Nordalbingïe  ne  pouvaient  prétendre 
à  conlinuer  seuls  la  guêtre  contre  les  Slaves.  IYé- 
dérie  Ier  avait  éîigé  le  MecUembonrg  et  la  Poméramie 
en  principautés  relevaul  directement  de  l'empire;  il 
avait  fait  de  Liïbeck  une  ville  libre;  mais  le  temps 
approchait  où  l'empire  ne  saurait  plus  faire  respecter 
sa  suzeraineté.  Ces  vassaux  chercheront  à  ressaisir 
leur  indépendance;  puis  le  Danemark  interviendra 
pour  imposer  sa  loi.  C'est  au  margrave  do  brande- 
bourg qu'il  appartient  désormais  plus  qu'à  aucun  autre 
prince  de  défendre  et  de  reculer  vers  Test  la  frontière 
de  l'empire.  C'est  à  la  marebe  qui  avait  porté  au I  refois 
le  nom  de  marche  de  Saxe  que  revient  le  devoir  de 
remplacer  le  duché  de  Saxe. 


1.  Bernbardus  dux....  ad  ducatum  promotus,  non  ut  verus  prin- 
ceps  profïciebat,  sed  ut  superpositus  degenerabat,  et  quasi  pacifi- 
cum  se  exhibens,  in  omnibus  tardus  et  discinctus  erat...  Arn. 
Lùb.  III.  I.  (ap.  Leibniz,  II,  p.  653). 


RELATIONS   DES   ASCANIENS    AVEC   L'ALLEMAGNE      103 

RELATIONS  AVEC  l' ARCHEVÊCHÉ  DE  MAGOEBOCUG. 

Un  moment  on  put  croire  que  l'archevêque  <lf 
Magdebourg  disputerait  à  la  marche  la  succession  du 
duché  de  Saxe.  Institué  par  Otton-le-Grand,  richement 
doté  par  lui,  métropole  des  évêchés  fondés  ou  qui 
pouvaient  être  fondés  en  pays  slave,  cet  archevêché 
était  une  sorte  de  margraviat  ecclésiastique.  L'arche- 
vêque Wichmann,  contemporain  d'Albert  l'Ours,  fut 
un  des  plus  importants  personnages  du  règne  de  Fré- 
déric Ier  Barberousse  l.  Il  descendait  par  son  père  des 
ducs  de  Saxe  par  sa  mère  des  margraves  deLusace  et 
de  Misnie.  Après  avoir  étudié  la  théologie  àl'université 
de  Paris,  il  fut  successivement  prieur  du  chapitre  de 
Halberstadt,  évêque  de  Naumbourg  (1148),  et  grâce  à 
l'intervention  très-active  de  l'empereur  en  sa  faveur 
archevêque  de  Magdebourg  (1152).  Autant  et  plus 
qu'Albert  l'Ourse!  ses  successeurs,  il  fui  mêlé  à  toutes 
les  grandes  affaires  du  règne.  Allié  fidèle  de  Frédéric, 
il  combat  à  côté  de  lui,  pendant  sa  longue  lutte  contre 
le  pape  Alexandre  III,  et  quand  l'empereur  s'avoue 
vaincu,  il  est  un  des  principaux  négociateurs  de  la 
paix  de  Venise  (1183).  Il  compte  au  rang  des  adver- 
saires les  plus  décidés  d'Henri-le-Lion  ;  déjà,  lors  do 
la  première  coalition  (1166),  il  conduit  en  personne 
la  guerre  contre  le  duc  de  Saxe.  Il  se  signale  encore 
dans  la  lutte  suprême  contre  Henri.  En  1181  il  as- 
siège Haldensleben  avec  l'aide  de  l'évêque  de  Halber- 
stadt: mais  le  comte  de  Lippe,  qui  défend  la  ville,  a 
détourné  dans  l'Ohre,  au  bord  de  laquelle  elle  est 


1.  Voyez  Fechner,  Lebcn  des  Erzbischofs  Wichmann  von  Magde- 
biirg  (Forschurtfjen  zur  deutsc/te>i  Gcschichte,  t.  V,  p.  417-562). 


lui   RELATIONS  DES  ASCANIENS  AVEC  L'ALLEMAGNE 

située,  un  petit  ruisseau  du  voisinage,  <lc  façon  qu'elle 
soit  entourée  d'eau  de  tous  côtés  :  L'archevêque  invèstil 
La  place  par  dos  digues.  L'eau,  qui  no  trouve  plus 
d'écoulement,  monte,  dépasse  les  murs,  envahit  La 

ville,  et  les  habitants  sonl  obligés  do  se  réfugier  dans 
Les  greniers  et  do  construire  des  barques  pour  circuler 
cuire  les  toits.  Les  digues  crèvent,  mais  l'archevêque 
Les  t'ait  relever.  A  la  tin,  les  assiégés  ne  parlant  pas  de 
se  rendre,  Wiehmann  fait  monter  les  siens  en  bateau, 
et  la  llotille  pénètre  dans  la  ville.  Ilaldenslebcn  lui 
resta  pour  prix  de  sa  victoire  i . 

Dans  la  lutte  contre  le  duc  de  Saxe,  l'archevêque 
de  Magdebourg  avait  été  L'allié  d'Albert  l'Ours  et  de 
ses  fils.  Il  combattit  aussi  les  Wendes,  d'accord  avec 
les  margraves.  C'est  grâce  à  son  aide  qu'Albert  put 
reprendre  (1157)  Brandebourg  reconquise  par  les  Sla- 
ves 2  ;  mais  l'archevêque  avait  mis  le  pied  en  même 
temps  que  le  margrave  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  en 
conquérant  le  pays  de  Juterbogk1  et  des  actes  impor- 
tants montrèrent  bientôt  qu'il  entendait  accroître  de 
ce  côté  les  possessions  de  Magdebourg.  En  116.6,  en 
effet,  il  cède  à  l'empereur  3  Oberwesel,  Schônbourg, 
Ingelheim  sur  le  Rhin,  contre  l'abbaye  de  Nienbourg 
située  au  confluent  de  la  Bode  et  de  la  Saale.  Or  l'ab- 
baye possédait  en  Lusace  d'importants  domaines,  des 
églises ,  des  marchés,  sans  cesse  menacés  par  les 
Polonais ,  et  trop  éloignés  de  Magdebourg  pour  être 
efficacement  défendus  :  Wiehmann  les  cède  à  l'empe- 


1.  Chronicon  Montis  sereni,  ad  ann.  1182.  (Mencken,  Scriptores 
rerum  germanicarum,  prœcipue  saxonicarum,  t.  II).  —  Raumer, 
Reg.,  p  262,  n°  1558. 

2.  Voyez  page  71,  note  2. 

3.  Voyez  Raumer,  Reg.  p.  283,  n°'  13i7-8.  Ces  possessions  sur  le 
Rhin  étaient  un  don  d  Otton-le-Grand. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS    AVE*:    L'ALLEMAGNE      105 

reur  contre  le  pays  de  Dahme.  Le  nouveau  territoire, 
confinant  au  sud  à  Juterbogk,  arrondissait  la  princi- 
pauté que  l'archevêque  constituait  sur  la  rive  droite 
de  l'Elbe  *.  Wichmaim  administrait  avec  un  véri- 
table génie  l'état  naissant  :  établissement  de  co- 
lonies hollandaises  et  flamandes  pour  défricher  ou 
dessécher  le  sol,  expulsion  des  Slaves  partout  où  ils 
étaient  rebelles  ,  concession  de  privilèges  commer- 
ciaux, octroi  fait  aux  villes  de  chartes  municipales,  qui 
étaient  des  modèles  et  qui  furent  copiées  dans  tout  le 
reste  de  1  Allemagne  :  tous  ces  procédés  de  la  con- 
quête germanique  en  pays  wende  ne  furent  appli- 
qués par  personne  mieux  que  par  l'archevêque  de 
Magdebourg  2.  Aussi  sa  renommée  s'étendait-elle  au 
loin  :  de  son  vivant  les  artistes  qui  ciselèrent  les  portes 
de  bronze  de  la  cathédrale  de  Novogorod  y  mirent  la 
figure  de  ce  prélat  qui  fut  à  la  fois  le  meilleur  con- 
seiller de  Frédéric  Barberousse,  un  administrateur 
habile,  un  vaillant  soldat. 

Or,  au  xne  siècle,  les  feudataires  ecclésiastiques 
de  l'empire  tendent  à  s'élever  partout  sur  les  ruines 
de  la  grande  féodalité  laïque  ,  et  s'annoncent,  sur- 
tout à  la  fin  du  règne  de  Frédéric  Ier,  comme  les 
héritiers  principaux  de  la  puissance  impériale.  Les 
archevêques  de  Mayence  et  de  Cologne  jouent  dans 
l'histoire  de  Barberousse  un  rôle  plus  bruyant,  sinon 
plus  important  que  celui  de  Wichmann.  On  a  vu 
que  l'archevêque  Philippe  de  Cologne  a  pris  une  part 
prépondérante  aux   guerres   contre  Henri  de    Saxe  : 

1.  Ce  territoire  correspond  à  peu  près  au  cercle  actuel  de  Juter- 
bogk -Luckenwalde,  dans  la  province  de  Brandebourg,  gouverne- 
ment de  Potsdam 

2.  Voyez  Fechner,  loc.  cit.  à  la  fin  de  la  biographie,  les  Regeatcn 
des  Erzbischofs  Wichmann,  aux  n"*  30-33,  37,  45. 


lOii      RELATIONS   DES    \se.\Mi:\s   âVEC   L'ALLEMAGNE 

après  l;i  défaite  de  celui-ci,  il  ;i  reçu  La  moitié  de  ta 
Saxe,  du  Weser  au  Rhin,  où  il  a  l'ail  reconnaître  son 
autorité  ducale,  el  mis  fin  à  toutes  lies  résistances.  Ce 
puissanl  archevêque  de  L'ouesl  éteaidai1!  sa  juridiction 
sur  des  territoires  hollandais  H  foramçai  ,  au  temps 
même  où  L'archevêque  die  L'esl  reculail  vers-  l'Oder  les 
limites  de  son  diocèse  el  de  L'Allemagne.  Tous  les  û  hix, 
mais  Le  dernier  surtowit,  étaienl  fidèles  à  lia  vieille  idée 
sur  Laqiuellfi  ireposaii  le  sainl  empire  :  la  politique  de 
Gharlemagne  oe  semble-t-elle  pas  se  persoanifiei  dans 
L'archevêque  Wichmann,  ce  missionnaire  armé?  Tôt  ou 
tard  L'archevêché  de  Magdebourg -devait  se  considérer 
comme  L'héritier  du  duché  de  Saxe  dans  l'est,  aussi 
bien  que  L'archevêché  de  Cologne  s'en  était  constitue 
L'héritier  dans  l'ouest.  Alors  devait  édateor  le  conilii 
entre  les  successeurs  d'Albert  et  de  Wichmann,  ces 
deux  fidèles  alliés  *.  L'événement  arriva  seize  ans  après 
la  mort  d'Ail  ieil.  quatre  ans  après  la  mort  de  Wichmann. 
En  1196,  le  margrave  Otton  et  son  frère  Albert  se 
rendent,  le  24  septembre,  dans  l'église  cathédrale  de 
Magdebourg,  et  là,  devant  l'autel,  en  présence  d'un 
cardinal,  légat  du  saint-siége,  de  l'archevêque  de  Mag- 
debourg, du  chapitre,  d'un  grand  nombre  de  nobles, 
hommes  libres,  gens  du  commun,  les  deux  princes 
font  à  saint  Maurice,  patron  de  l'archevêché ,  dona- 
tion de  tous  leurs  biens,  situés  soit  «  dans  le  duché 
transalbin,  soit  dans  la  marche,  et  dans  tous  les 
Comtés  Mppartenaul  à  la  marche  »  2.  Cet  acte  solennel 


1.  Les  témoignages  de  la  bonne  intelligence  qui  régnait  entre  le 
mararave  et  l'archevêque  abondent.  Voir  les  Regesten  cités  plus 
haut',  aux  n«s  2-4,  7,  17,  25,  27-9,  32,  38,  43-6.  48,  50-1. 

2.  Preedia  qusecumque  in  ducatu  transalbino  seu  marchiâ,  et 

in  omnibus  comitatibus  ad  Marchiam  pertinentibus...  Voyez  Rau- 
mer,  Reg„  p.  265-6,  n°  1623. 


RELATIONS  DES   ASCANIENS    AVEC   L'ALLEMAGNE      107 

reçoit  ensuite  la  consécration  juridique.  Le  25  no- 
vembre, l'archevêque,  le  margrave  el  son  frère,  accom- 
pagnés d'une  suite  nombreuse,  se  transportent  sur 
la  rive  droite  de  l'Elbe  dans  le  «  duché  »,  et  là, 
devant  un  tribunal  dont  le  président  est  nommé  par 
l'archevêque,  eu  vertu  de  son  pouvoir  ducal,  la  dona- 
tion esl  répétée.  Enfin,  deux  jours  après,  pareille 
cérémonie  réunit  les  mêmes  personnes  sur  la  rive 
gauche  de  l'Elbe,  dans  la  marche,  devant  un  tri- 
bunal dont  le  président  est  nommé  cette  fois  par  le 
margrave.  Sollicité  par  les  deux  parties,  l'empereur 
Henri  VI,  qui  était  en  Sicile,  ratifia  la  convention  par 
deux  chartes  écrites,  l'une  à  la  requête  du  margrave, 
l'autre  à  la  requête  de  l'archevêque.  Dans  la  seconde, 
il  rappelait  l'obligation  contractée  par  le  prélat  de 
rendre  en  fief,  au  bout  d'un  an  et  six  semaines,  au 
margrave  et  à  son  frère,  les  biens  dont  il  avait  reçu 
donation,  et  qui  pourraient  être  transmis  aux  héritiers 
des  deux  princes,  non  seulement  en  ligne  masculine 
mais  encore  en  ligne  féminine  i. 

L'histoire  ne  dit  rien  des  causes  de  l'événement  qu'on 
vient  de  raconter,  et  l'on  est  réduit  à  commenter  la 
charte  d'Otton  II  et  les  deux  chartes  impériales.  Le 
margrave  parle  «  de  regagner  la  clémence  du  Rédem- 
pteur 2  »  ;  l'empereur  dit  qu'Otton  et  son  frère  onl  agi 
dans  l'intérêt  du  salut  de  leurs  âmes,  «  afin  d'obtenir 
leur  part  du  céleste  patrimoine... 3  »  Ces  dernières  ex- 


"1.  Voir  Heinemann,  Cod.  dip.  anh.  1"'  partie,  p.  523,  n°  710  ; 
Riedel,  Cod.dipl.  brand.  IIIe  partie,  t.  I,  p.  -2.  n°  2;  Raumer,  Reg. 
p.  265-6,  n°1623;  et  p.  269-270,  n«-  1639-1640;  Wolhbriick,  Gesch. 
der  Altmark,  p.  131  aux  notes  392,  393. 

2.  «  Ad  reconciliandam  nobis  nostri  clementiam  redempto- 
ris —  » 

3.  «  Ad  profectus  salutis  animarum  suarum....  ut  celestis  pa- 
trimonii  participes  redderentur....  » 


106      RELATIONS   DES    ISCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE 

pressions  se  retrouvent  dans  tous  les  actes  semblables  : 
s'agit-il  donc  ici  d'une  simple  donation  pieuse  sui- 
vant la  coutume  <ln  moyen  âge  ?  Dans  une  charte  de  la 
même  année,  le  margrave  I  Itton  fait  an  singulier  aveu  : 
«  C'est,  dit-il,  par  dé  larges  aumônes,  par  la  dévotion 
des  prières  perpétuelles,  par  la  macération  des  jeûnes, 

par  les  veilles  constantes  supportées  sans  ennui 

que  l'on  obtient  la  vie  éternelle;  mais  puisque  la  fai- 
blesse de  nuire  nature  nous  rend  tout  cela  d  Sicile,  et 
que  la  pétulance,  habituelle  à  l'âge  bouillant  de  la 
jeunesse,  nous  pousse  toujours  dans  la  voie  contraire, 
nous  avons  résolu  de  pourvoir  à  notre  salut,  en  de- 
mandant aux  efforts  d'âutrui  ce  que  les  nôtres  ne 
peuvent  nous  assurer *  »  C'est-à-dire  que  le  mar- 
grave charge  autrui  de  prier,  de  veiller  et  de  se  ma- 
cérer pour  lui.  L'acte  du  16  novembre)  1196  a-t-il 
été  inspiré  par  la  même  pensée?  L'énormité  de  la  do- 
nation et  les  mots  «  afin  de  regagner  la  clémence  du 
Rédempteur  »,  ont  donné  à  supposer  que  les  deux  As- 
caniens  avaient  quelque  chose  à  se  faire  pardonner  par 
l'Église,  peut-être  une  excommunication.  Un  compila- 
teur du  xvic  siècle  raconte  en  effet,  qu'après  un  long 
différend  avec  l'archevêque  de  Magdebourg,  Otton  II 
de  Brandebourg  fut  excommunié,  en  ajoutant,  il  est 
vrai,  que  l'effet  de  la  sentence  fut  terrible,  et  que  le 
propre  chien  du  margrave  se  laissa  mourir  de  faim 
plutôt  que  d'accepter  sa  nourriture  de  la  main  d'un 
réprouvé  2. 

S'il  est  difficile  de  dire  la  cause  véritable  de  cet  acte 
extraordinaire,  il  ne  l'est  pas  moins  d'en  déterminer 

1.  Voyez  Wohlbruck,  Gesch.  dev  Altm.,  p.  129,  note  387. 

2.  Brotuffius,  Genealogiœ  und  chronica  des  Durchleuchten  hoch- 
qebohrnen  Konujlichen  tmd  Fùrstlichen  Hanses  der  Fûrsten  zu 
Anhalt. 


RELATIONS  DES   ASCANIENS  AVEC   L'ALLEMAGNE      "109 

le  vrai  caractère.  On  a  soutenu  que  la  donation  avait 
pour  objet  et  qu'elle  eut  pour  conséquence  de  placer 
la  marche  et  les  margraves  sous  la  suzeraineté  de  l'ar- 
chevêché, de  les  médiatiser,  pour  ainsi  dire,  au  profit 
du  siège  de  saint  Maurice  1  ;  mais  la  marche  était  un 
fief  d'empire  et  ne  pouvait  descendre  à  ce  rang  infé- 
rieur sans  l'agrément  de  l'empereur,  dont  il  n'y  a  point 
trace.  La  donation  qui  a  été  faite  par  le  margrave -et 
confirmée  par  Henri  VI,  est  celle  de  biens  patrimo- 
niaux ;  seulement  comme  elle  comprenait  tout  le  pa- 
trimoine de  la  famille  margraviale,  il  est  permis  de 
croire  que  l'archevêque  de  Magdebourg  a  eu  la  pensée 
de  réduire  les  margraves  à  une  sorte  de  vassalité.  Il 
ne  faut  pas  laisser  passer  inaperçu  ce  mot  de  «  duché 
transalbin  »,  qui  ne  pouvait  être  entré  dans  l'usage 
que  depuis  la  destruction  du  duché  de  Saxe,  et  qui 
annonçait  des  prétentions  auxquelles  ne  pouvaient  se 
plier  les  margraves  de  Brandebourg. 

Entre  les  deux  voisins,  la  lutte  est  presque  perpé- 
tuelle. On  a  vu  déjà  que  le  margrave  Albert  II  avait 
été  combattu  par  l'archevêché  pour  être  resté  fidèle  à 
Otton  de  Brunswick  2.  A  la  mort  d'Albert,  sa  femme 
Mathilde  prend  la  tutelle  de  ses  deux  fils  mineurs,  Jean 
et  Otton;  mais  l'archevêque,  évidemment  en  vertu 
de  l'acte  de  1196,  demande  cette  tutelle  à  l'empereur 
qui  la  lui  donne  :  il  faut  que  la  margrave  la  rachète 
au  prix  de  dix-neuf  cents  marcs  d'argent3.  A  peine 

1.  Voyez  Raumer,  Reg.,  p.  265,  n°  1623,  surtout  la  note  où  l'auleur 
s'efforce  de  prouver  que  les  archevêques  ont  obtenu  en  1196  non 
une  suzeraineté  sur  des  lieux  isolés,  mais  une  suzeraineté  poli- 
tique. Voyez  aussi  Wolhlbriick,  Geschichte  der  Altm.,  p.  130-7,  qui 
ne  voit  dans  l'acte  de  1196  qu'une  donation  plus  considérable  que 
les  autres. 

2.  Voyez  page  90. 

3.  Riedel,  Cod.  dipl.  II,  t.  I,  p.  8,  n    XV. 


||(i      RELATIONS  DES    ISCANIENS    IVEC  L'ALLEMAGNE 

arrivés  à  Leur  majorité,  Jean  el  Otton  onl  une  con- 
testation violente  avec  L'évèque  de  ïïalberstadl  pour 
une  cause  demeurée  obscure.  Qtton  esl  même  fail  pri- 
sonnier el  i  »;  i  >  *  *  sa  Liberté  au  prix  de  liiiin  mares  d'ar- 
geui  el  de  La  cession  d'Alvenslebeo  '.  La  querelle  se 
prolongeanl ,  L'archevêque  de  Magdebourg  el  le  mar- 
grave de  Misnie  el  de  Lusace,  Henri  l'Illustre,  s'eja 
nu'lriii.  L'archevêque  et  Les  Brandebourgeois  s'étaieaj 
réceimmenJ  brouillés  dans  nue  entreprise  faite  en  eona- 

niuii  contre  la  ville  de  Lebus-'-.  Muanl  au  margra\r  de 
Misnie  el  de  Lusace,  ses  domaines  touchaient  au  nord 
aux  possessions  transalbines  du  Brandebourg,  el  il 
étail  BU  OOnte&tation  avec  les  Ascaniens  à  propos  des 
chàleaux-lïonlières  de  Kripciiid-,  el  de  Millenwalde. 
La  guerre  lui  acharnée.  Pendant  qifllenri  de  Misnie, 
qui  \ < 'liai i  de  ravager  Le  territoire  Iransalbin,  tenait  le 
pays  entre  Mittenwalde  et  Kopenick,  l'archevêque  et 
L'évèque  envahirent  el  saccagèrent  la  Vieillr-Man-hr. 
Contre  cette  coalition,  le  Brandebourg  élail  réduit  à 
ses  propres  forces.  Jean  et  01  ton  s'étaient  réunis  d'a- 
bord contre  le  margrave  de  Misnie  :  ils  se  séparèrent, 
Otlon  demeura  pour  surveiller  Henri  l'illustre  :  .Iran 
chevaucha  nuit  et  jour  au-devant  des  deux  prélats, 
rania->anl  sur  sa  roule  le  commun  peuple  armé  de 
bâtons  et  d'arcs.  La  rencontre  eut  lieu  au  bord  de  la 
Biese  près  d'Oslerbourg,  et  Jean  remporta  une  victoire 
complète  :  l'évèque  était  parmi  ses  prisonniers;  l'ar- 
chevêque  s'était  enfui,  grièvement  blessé,  du  champ 
de  bataille  3.  Cette  victoire  eut  du  retentissement. 
Au  dire  dîme  chronique,  beaucoup  de  gens,  qui  au- 

1.  Voyez  Wohlbrùck,  Gesch.  der  Altmarh,  p.  147. 

2.  Voyez  au  chapitre  suivant. 

3.  Chronicon  arcliiepiscopatus  magdeburgensis  (op.  Meibomium 
Reniai  germanicarum  toaii  1res,  t.  II,  p.  330  et  suiv.) 


RELATIONS   DES   ASCANIENS    AVEC    L'ALLEMAGNE      111 

paravant  n'auraient  pas  voulu  servir  les  margraves, 
même  pour  un  salaire,  leur  vinrent  offrir  gratuite- 
ment leurs  services .:  ils  comptaient  évidemment  sur 
le  pillage  pour  se  dédommager.  Cependant  l'évêque 
deHalberstadt,  après  avoir  payé  aux  Ascaniens  la  ran- 
çon qu'il  avait  jadis  exigée  du  margrave  Alberl .  se 
tint  àl'écart;  l'archevêque,  aidé  par  ries  renforts  venus 
de  Misnie,  recommença  la  lutte.  Elle  fut  suspendue 
en  i"24o  et  les  deux  adversaires  tirent  même  en  com- 
mun la  conquête  du  territoire  de  Lebus  J  ;  mais  un 
singulier  différend  les  vint  armer  de  nouveau  l'un 
contre  l'autre. 

L'évêque  Louis  de  Halberstadl  était  un  prodigue 
et  un  brouillon,  qui  trafiquait  sans  pudeur  des  biens 
de  l'Eglise.  Un  jour,  sans  consulter  son  chapitre  ,  il 
vendit  à  Jean  et  à  Otton  le  comté  de  Seehausen.  Le 
territoire  confinait  au  sud  à  la  marche  :  c'est  dire  qu'il 
convenait  fort  aux  margraves.  Ceux-ci  comptèrent 
3,400  marcs  à  l'évêque  ;  mais  le  pape  déposa  le  prélat 
et  du  même  coup  annula  tous  les  marchés  qu'il  avait 
conclus  2.  Les  margraves  refusèrent  de  rendre  le 
comté.  Le  nouvel  évêque,  Vollrad,  ne  se  sentant  pas 
de  force  à  le  leur  reprendre,  imagina  de  le  revendre 
au  prix  de  4,500  marcs  à  l'archevêque  de  Magde- 
bourg,  qui  s'engageait  à  compter  aux  Brandebour- 
geois ,  «  s'ils  voulaient  le  ravoir  »,  l'argent  qu'ils 
avaient  déboursé  ?j.  Les  deux    prélats  se  promirent 


1.  Les  dates  indiquées  ici  ne  sont  pas  rigoureusement  cer- 
taines Voyez Tittmann,  Geschichte  Heinrichs  du  r  ErlauchU  n,  mark- 
grafen  zu  Meissen  und  in  Osterlunde,  t.  II,  2mc  partie  :  Jahrbuch 
der  Geschichte  marrhgraf  Heinrichs  des  Erlauchten  ,  aux  années 
1240-41. 

2.  Riedel,  Cod.  dipl.  II.  t.  I,  p.  57-8,  n°  I.XXXl. 

3.  Si  eam  rehabere  voluerint....  Ried.  Cod.  dipl.  II,  t.  I,  p.  49, 
n»LXXIII. 


112      RELATIONS   DES    &SCANIENS  AVEC  L'ALLEMAGNE 

un  mutuel  appui  pour  La  lionne  conduite  de  toute 
relie  affaire  '.  Sollicité  d'approuver  le  nouveau 
marche,  le  pape  consentit  en  considération  des  mi- 
sères <le  l'église  de  Halberstadt  «  rongée  par  la  rouille 
de  l'usure  •'  ».  Gependanl  les  margraves  persistaient 
à  ne  point  se  dessaisir  du  comté.  Le  pape  alors  chargea 
les  doyens  de  Mersebourg  et  d'Erfurt  de  les  menacer 
d'excommunication  et  d'interdit 8.  Avant  d'en  venir 
à  cette  conclusion,  Alexandre  IV  parlait  de  l'affection 
toute  spéciale  qu'il  portait  aux  deux  princes,  et  les  en- 
gageait à  «  doubler  par  leur  vertu  l'éclat  de  leur  race  », 
mais  il  ne  disait  pas  un  mot  de  l'indemnité  que  les  mar- 
graves estimaient  leur  être  due.  Aussi  les  Ascaniens 
ne  cédèrent  point  ;  il  est  probable  qu'ils  remportèrent 
des  avantages  signalés  ,  car  lorsqu'ils  rendirent  le 
comté  de  Seehausen,  ils  reçurent,  outre  une  indemnité 
de  3,000  marcs  d'argent,  Alvensleben  et  le  territoire 
de  Jéricho w  4. 

Les  deux  margraves  qui  s'étaient  montrés  de  si 
constants  adversaires  pour  l'archevêché  entreprirent 
de  faire  parvenir  un  des  leurs  au  siège  archiépiscopal. 
Erich,  fils  de  Jean,  était  chanoine  au  chapitre  de  Hal- 
berstadt ;  il  brigua  la  même  dignité  à  Magdebourg.  On 
comprend  tous  les  avantages  que  les  margraves  pou- 
vaient se  promettre  du  succès  de  cette  politique,  mais 
aussi  les  soucis  qu'elle  devait  causer  au  chapitre.  C'est 
sans  doute  pour  vaincre  les  résistances  soulevées 
par  cette  candidature  que  le  pape  Urbain  IV,  évidem- 


1.  Id., ibid.,  p.  50,  ir  LXXIV;  p.  52,  n»  LXXV;  p.  53,  n°  LXXVI; 
p.  55,  n°  LXXVII  et  n°  LXXVIII  ;  p.  56,  n»  LXXIX  ;  p.  57,  n°  LXXX, 
LXXI. 

2.  Id.,  ibid.,  p.  58,  n°  LXXXI. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  58,  n°  LXXXH. 

4.  Id.,  ibid.,  p.  62,  n°  LXXXVII. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC  L'ALLEMAGNE       113 

nient  sollicité  par  les  margraves,  la  recommanda  au 
chapitre  et  à  l'archevêque,  en  faisant  valoir  cette 
raison  que  «  la  puissance  des  parents  d'un  tel  cha- 
noine ajouterait  à  l'honneur  de  leur  église,  et  défen- 
drait ses  droits  et  ses  possessions  contre  les  attaques 
des  méchants  '  ».  Erich  fut  (''lu  chanoine  de  Mag- 
debourg.  En  1278,  le  siège  étant  devenu  vacant  à  la 
mort  de  Conrad  de  Sternberg,  il  se  présenta  aux 
suffrages  du  chapitre,  qui  hésitait  entre  lui  et  un  autre 
candidat.  Pour  éviter  un  schisme,  les  chanoines  ima- 
ginèrent de  dédommager  avec  de  l'argent  les  deux  ri- 
vaux et  d'élire  Giinther  de  Schwalenberg.  Aussitôt 
Otton  IV,  le  chef  de  la  branche  johannienne,  prit 
parti  pour  son  frère  Erich.  Il  se  mit  à  la  tète  d'une 
coalition,  marcha  sur  Magdebourg,  et  comme  il  était 
arrêté  près  de'  Frose,  parlant  déjà  de  faire  manger  ses 
chevaux  dans  le  palais  archiépiscopal,  l'archevêque 
déploya  l'étendard  de  Saint-Maurice,  courut  au-de- 
vant de  l'envahisseur,  le  battit  et  le  lit  prisonnier 
avec  300  chevaliers.  Otton  fut,  comme  un  criminel,  en- 
fermé dans  une  cage  pendant  que  ses  frères  conti- 
nuaient la  guérie.  Sa  femme,  Heihvich  de  Holstein,  se 
ménagea  des  intelligences  dans  le  chapitre  et  elle 
obtint  de  l'archevêque  que  le  prisonnier  fut  admis  à 
payer  une  rançon  de  4,000  marcs  d'or.  Comme  Otton 
cherchait  le  moyen  de  réunir  celte  somme,  un  vieux 
serviteur  de  son  père  lui  révéla  l'existence  d'un  trésor 
que  le  margrave  Jean  avait  caché  dans  l'église  de  Neu- 
Angermiincle  en  prévision  dr>  temps  difficiles.  On 
montre  encore  aujourd'hui  le  tilleul  plusieurs  fois 
frappé  par  la  foudre  que  le  margrave  lit  planter,  pour 

1.  Riedel,  Cad.  dipl.  II,  t.  I,  p.  s:»,  n°  CXII. 


1  li      km  \ïlo\s  DES  Asc.wikns   AVEC   L'ALLEMAGNE 

marquer  en  quel  endroil  de  1  édifice  était  placé  le  pré- 
cieux oofirel  :  <m  a  même  conservé  ce  coffret,  qui  a 
renfermé  le  premier  trésor  «le  guerre  du  Brande- 
bourg1. Otton  en  tira  sa  rançon ,  el  quand  il  l'eut 
comptée  à  l'archevêque  :  «  Suis-je  libre, dit-il?  —  Uni, 
répondil  Giinther!  — Ehbien,  tu  mv  suis  pus  le  prix 
d'un  margrave.  Tu  aurais  dû  me  faire  monter  sur  mon 
cheval  el  commander  qu'on  me  couvrîi  d'or  ci  d'ar- 
genl  jusqu'à  la  pointe  de  ma  lance?  »  Aussitôl  il  re- 
commença la  guerre-,  el  comme  il  assiégeai!  Stassfurl 
surlaBode,  Qreçul  àlatête  une  flèche,  donl  il  porta 
la  pointe  jusqu'à  ce  qu'elle  tombât  :  delà  vint  sou  nom 
d'Oltonà  la  Flèche  (1279)'.  Enfin  il  atteignit  le  but  de 
tant  d'efforts.;  Erich  ne  fut  point  encore  élu  après  la 
mort  de  Giinther  (1279),  mais  il  fut  le  successeur  de 
Bernard  de  Wolpe  (1283)  2. 

Des  relations  amicales  s'établissent  aussitôt  entre  le 
margravial  et  l'archevêché.  Erich  est  soutenu  contre 
ses  vassaux  révoltés  par  ses  frères,  et,  pour  prix  des 
secours  qu'il  reçoit  d'eux,  il  leur  cède  la  part  de  l'ar- 
chevêché dans  la  province  de  Lebusqui  avait  été  con- 
quise en  commun.  Après  Erich,  qui  meurt  en  1295, 
aucune  mésintelligence  grave  n'éclate  plus  entre  les 
deux  voisins,  dont  les  relations  avaient  si  longtemps 
présenté  un  caractère  de  violence  acharnée.  Pourtant 
la  lutte  n'était  pas  finie.  Etabli  sur  les  deux  rives  de 
l'Elbe,  l'archevêché  barrait  le  chemin  aux  margraves 
vers  les  régions  fortunées  du  Harz  et  de  la  Thuiïngc. 
Pénétrant  comme  un  coin  dans  l'angle  formé  par 
l'Elbe  et  la  Ilavel,  il  séparait  la  Vieille-Marche  du  Ha- 


\ .  Voyez  Màrkische  Forschitngen,  t.  I,  p.  ^91-3. 
2.  Klôden,  Diplomatische  Geschichtc  des  Markgrafcn  Waldemar 
von  Brandcnburg,  t.  I,  p.  161-3. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE      115 

velland,  les  anciennes  possessions  margraviales  des 
nouvelles.  Il  était  donc  un  obstacle  au  développement 
du  Brandebourg,  et  un  obstacle  si  gênant  qu'il  ne  dut  sa 
longue  existence  qu'à  sa  qualité  do  principauté  ecclé- 
siastique. Il  disparaîtra  quand  la  réforme  et  les  guerres 
qui  la  suivront  auront  fait  cesser  l'inviolabilité  de  ces 
sortes  d'états.  On  ne  peut  s'empêcher  de  remarquer 
que  les  Hohenzollern  prépareront  l'annexion  du  duché 
de  Magdebourg  par  une  politique  analogue  à  colle  dos 
Ascaniens,  c'est-à-dire  en  portant  au  siège  archiépis- 
copal des  membres  de  la  famille  électorale. 

RELATIONS    AVEC    LCS    MARCHE-!    DE    LUSACE    ET   DE    MISNIE. 

Au  temps  d'Albert  l'Ours,  les  marches  de  Lusace 
cl  de  Misnie  étaient  réunies  sous  le  sceptre  do  Conrad 
di'  Wettin ,  un  des  plus  puissants  princes  do  l'Alle- 
magne,  qui,  s'avisant  un  joui'  «  que  lo  monde  passe 
el  qu'il  y  faut  renoncer,  si  l'on  no  veut  périr  sous  ses 
ruines  » ,  alla  prendre  la  robe  monacale  au  monas- 
tère du  Mont-Tranquille  (1156) L  Lo  morcellement  de 
son  héritage,  les  discordes  qui  éclatèrent  entre  les  di- 
verses branches  de  sa  famille  annulèrent  pour  un 
moment  la  puissance  des  Wettin;  mais  elle  fut  recons- 
tituée et  même  agrandie  au  xiT  siècle  par  Henri  l'Il- 
lustre (1221-1288),  contemporain  des  margraves  Jean 
et  Otton,  arrivé  en  même  temps  qu'eux,  et  mineu 
comme  eux.  à  la  dignité  margraviale. 

Au  domaine  de  sa  famille  qui  comprenait  les  marches 
de  Lusace  el  de  Misnie  et  L'Osterland,  Henri  ajouta 
par  héritage  en  1247  le  landgraviat  de  Thuringe  of  le 
palatinat  de  Saxe.  Sa  principauté  s'étendait  donc  du 

1.  Chronicon  Montis  sereni,  ad  annum  1156  [ap  Mencken,  l.  L. 


Ilti      RELATIONS   DES   ASCANIENS    WKe   L  ALLEMAGNE 

Wéser  jusqu'auprès  de  L'Oder*.  Il  passail  pour  être 
extrêmement  riche;  on  disail  de  lui  «  qu'il  avait. des 
tours  pleines  d'argent,  el  que  si  le  royaume  de  Bohême 
eûl  été  mis  en  vente,  il  l'aurail  aisément  acheté.  »  Ses 
états  comprenaienl  un  grand  nombre  de  villes  :  Leipzig, 
Halle,  dans  l'Osterland;  Gotha,  Bisenach,  Mulhau- 
sen,  Brfurt,  en  Thuringe;  Querfurt,  dans  le  Palatinal  : 
Dresde,  Meissen  .  Freiberg  el  ses  mines  d'argent  dans 
la  Misnie,  etc.  Combien  étail  pauvre,  en  comparaison, 
la  marche  de  Brandebourg!  11  y  avait  pourtant  plus 
d'avenir  dans  celle  pauvreté  que  dans  l'opulence  des 
Wettin,  et  déjà  au  temps  dont  nous  écrivons  l'his- 
toire, les  margraves  brandebourgeois  soutiennent  avec 
avantage  la  lutte  contre  leurs  puissants  voisins. 

On  sait  déjà  qu'une  querelle  où  furent  impliqués 
l'archevêque  de  Magdebourg  et  l'évêque  de  Halberstadt 
éclata  entre  les  Âscaniens  et  les  Wettin  au  sujet  des 
châteaux  de  kopenick  et  de  Millenwalde,  situés  sur  les 
frontières  de  la  Lusace  et  du  territoire  transalbin  de 
Brandebourg  2.  Une  acquisition  du  margrave  Otton 
prépara  de  nouveaux  conflits.  Otton  avait  épousé  Béa- 
trix,  fille  de  Wenceslaw  Ier,  roi  de  Bohème,  et  reçu, 
en  gage  du  paiement  de  la  dot,  des  domaines  dans  la 
Haute-Lusace  ;  mais  la  dot  ne  fut  pas  payée,  et  des 

1.  La  marche  de  Lusace  ne  comprenait  que  la  basse  Lusace  : 
la  haute  Lusace  appartenait  à  la  Bohème.  La  Bohême  avait  entamé 
la  Misnie,  et  poussé  sa  frontière  vers  Dresde.  L'Osterland  était 
situé  au  N.  0  de  la  Misnie,  entre  la  Mulde  et  la  Saale.  La  Thuringe 
s'étendait  de  la  Saale  à  la  Werra,  du  Frankenwald  au  Harz.  Le 
palatinal  de  Saxe  était  situé  au  N.  de  la  Thuringe  et  à  1  E.  rie  l'Oster- 
land.  entre  la  Saale  et  la  Helme.  —  Voyez  Tittmann,  Geschic/iU- 
Heinrichs  des  Erlauchten,  t.  I,  p.  85-90. 

2.  Voyez  p.  110.  Cette  lutte  ou  tout  au  moins  la  mésintelligence  a 
duré  jusqu'en  1255.  A  cette  date  le  pape  autorise,  malgré  la  pa- 
renté, un  mariage  entre  une  fille  de  Jean  de  Brandebourg  et  un 
fils  d'Henri  de  Misnie,  <>....  pro  pace  inter  parentes  reformanda.  « 
Voyez  Biedel,  Cod.  dipl.,  II,  t.  I,  p.  44,  n°  LXIII. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC    L' ALLEMAGNE      i  17 

services  rendus  par  Otlon  a  Wenceslaw  puis  à  Otto- 
kar,  son  successeur,  accrurent  la  dette  de  la  Bohème. 
Ottokar  s'acquitta  en  cédant  la  Haute-Lusace  au  mar- 
grave l.  Désormais  les  Ascaniens  pouvaient  prendre  à 
revers  la  marche  de  Lusace  à  laquelle  ils  confinaient 
déjà  au  nord.  Bientôt  les  querelles  de  famille,  qui 
mirent  l'anarchie  dans  la  maison  de  Wettin  .  exci- 
tèrent leur  ambition  :  ils  voulurent  avoir  leur  part  des 
dépouilles  d'une  maison  qui  se  livrait  elle-même  à  ses 
ennemis  2. 

En  l'année  1265,  Henri  l'Illustre  fait  entre  ses  deux 
fils  un  partage  anticipé  de  sa  succession.  Se  réservant 
la  Misnie  et  la  Lusace,  il  donne  a  l'aîné  Albert  le  land- 
graviat  de  Thuringe  el  le  palatinat  de  Saxe,  à  Thierry, 
le  second ,  l'Osterland  et  la  marche  de  Landsberg, 
territoire  situé  au  nord-ouest  de  la  Misnie.  el  qui,  après 
avoir  porté  au  début  du  xne  siècle  le  nom  de  marche1 
d'Ilbourg,  un  peu  plus  tard  celui  de  marche  de  Lands- 
berg, s'était  confondu  avec  la  Lusace  sons  le  nom 
de  marche  orientales.  Albert  le  Dégénéré,  palatin 
de  Saxe  et  landgrave  de  Thuringe,  était  \\n  mauvais 


1.  Vers  1255.  Ces  margraves  Jean  et  Otton  font  plusieurs  fois 
acte  de  souveraineté  dans  le  pavs.  Voyez  Riedel,  lue.  cit..  p.  88, 
n°CIX;  p.  81,  CX;  surtout  p.  89,  n°  CXIX;  p.  98,  n°  CXXIX;  p  97, 
il"  CXXX  :  les  trois  derniers  documents,  déjà  cités  p.  86,  note  1, 
sont  des  traités  de  partage  entVe  les  deux  brandies,  de  domaines 
situes  dans  la  haute  Lusace. 

•2.  Henri  l'Illustre 


Albert  le  Dégénéré.  Thierry  le  Gros  (f  1285J 


Frédéric  Thierry  11  Frédéric  'lutta 

à  la  .loue  Mordue,     ou  Diezmann.  ou  le  Bègue. 

'à.  Voyez  von  Posern-Klett ,  Zur  Geschichte  der   Verfassung  der 
Markgrafschaft  Meissen,  p.  5-12. 


Ils      RELATIONS   DES   ASCANIENS  AVEC  L'ALLEMAGNE 

prince,  dont  la  conduite  attira  sur  lui  el  sur  les  .siens 
les  plus  grands  malheurs.  Il  avail  épousé  Margue- 
rite de  Staufen,  fille  de  Frédéric  II;  mais  épris  des 
charmes  de  l'ambitieuse  Cunégonde  d'Eisenbere.  il 
résolut  d'assassiner  sa  femme.  A  prix  d'argent,  il 
décida  un  valel  de  cuisine  à  l'aire  le  coup  au  châ- 
teau de  la  Wartbourg.  La  nuil  fixée  pour  l'exécu- 
tion, ce  malheureux  que  troublaient  les  remords,  et 
qui  tremblait  à  la  pensée  de  se  déguiser  eu  diable, 
car  le  landgrave  axait  imaginé  ce  grossier  subterfuge, 
alla  se  jeter  aux  pieds  de  Marguerite  pour  lui  toul 
avouer  et  la  presser  de  fuir.  Les  issues  pouvaient  être 
gardées  :  les  gens  de  la  princesse  attachèrent  aux  fenê- 
tres  de  la  tour  des  cordes  et  des  draps  noués.  Avant 
de  s'aventurer  dans  la  nuil,  elle  voulut  embrasser 
ses  fils  Frédéric  et  Diezmann  qui  dormaient.  Elle 
prit  Frédéric  dans  ses  bras,  et,  en  ce  moment  de  su- 
prême angoisse,  imprima  si  fortement  ses  lèvres  sur 
le  visage  de  l'enfant,  que  toute  sa  vie  il  porta  sur  la 
joue  la  trace  du  dernier  baiser  maternel  :  on  L'appela 
Frédéric  à  la  Joue  Mordue.  Marguerite  réussit  bien  à 
s'enfuir,  mais  peu  de  temps  après  elle  mourut  de  dou- 
leur (1570)  l.  Albert  épousa  Gunégonde,  et  les  enfants 
de  Marguerite  furent  élevés  par  leur  oncle  Thierry.  Ce 
tragique  épisode  explique  les  discordes  qui  remplissent 
l'histoire  de  cette  famille.  Elles  éclatent  à  plusieurs  re- 
prises avant  la  mort  d'Henri  l'Illustre.  Albert  le  Dégé- 
néré a  de  graves  difficultés  avec  son  père,  et  ses  fils,  à 
peine  arrivés  à  la  jeunesse,  lui  demandent  compte  de  sa 
conduite  envers  leur  mère  ;  mais  les  grands  troubles  , 
qui  s'annoncent  à  la  mort  de  Thicrry-le-Gros  (1285),  ne 

1.  Voyez  KliJden,  loc.  cit.,  p.  357  ;  Tittmann,  Gescliichta  Heinrichs 
«les  Erlauchten,  II,  p.  249-52. 


RELATIONS  DES   ASC  AMIENS   AVEC   L'ALLEMAGNE      119 

datent  véritablement  que  de  la  mort  d'Henri  (1288)  *. 

Les  héritiers  du  riche  margrave  étaient  Albert  le 
Dégénéré,  son  fils,  et  Frédéric  Tutta  ou  le  Bègue,  fils 
de  Thierry-le-Gros  2.  Tutta  avait  hérité  de  son  père  en 
128r>  la  marche  de  Landsberg  et  l'Osterland ;  il  se  met- 
tait en  devoir  de  partager  la  succession  de  son  grand- 
père  avec  le  Dégénéré,  quand  les  fils  de  celui-ci, 
Frédéric  à  la  Joue  Mordue  et  Diezmann,  intervinrent 
à  main  armée  pour  réclamer  leur  part  d'un  héritage 
auquel  ils  n'avaient  aucun  droit.  Il  s'en  suivit  une 
guerre  qui  donna  au  roi  d'Allemagne,  Rodolphe,  un 
prétexte  pour  intervenir.  Ces  petits  princes  qui,  après 
l'interrègne,  succèdent  aux  grands  empereurs,  se 
montrent  jaloux  des  droits  de  l'empire,  mais  pour  les 
faire  servir  aux  intérêts  de  leur  maison.  Rodolphe 
arrangea  le  différend  3,  et  il  usa  de  l'occasion  qui  lui 
était  offerte  pour  obtenir  des  princes  de  la  maison 
de  Wettin  la  reconnaissance  de  son  droit  à  disposer 
des  fiefs  de  l'empire,  chaque  fois  qu'ils  deviendraient 
vacants  ;  L290  '.  U  comptai!  assurément  mettre  à  profit 
pour  lui-même  la  première  vacance,  mais  il  n'en  eut 
pas  le  temps,  car  il  mourut  Tannée  suivante.  Ses  suc- 
cesseurs n'oublieront  ni  l'exemple  ni  les  droits  qu'il 
leur  léguait. 

Une  nouvelle  querelle  amena  une  intervention 
aussi  redoutable  que  celle  du  roi.  Tutta  mourut  un 


/ 


1.  Voyez  Tittmann,  t.  II,  le  «  Jahrbucli  der  Geschichte  Markgraf 
Heinrichs  des  Erlauchten,  aux  années  1270,  1281,  1280,  1287. 

2.  Henri  l'Illustre  avait  eu  d'un  autre  mariage  un  fils  qu'on  ap- 
pelle Frédéric-le-Jeune,  qui  ne  fut  jamais  l'égal  des  autres  parce 
que  sa  mère  était  de  condition  ministérielle.  Il  n'eut  qu'une  moin- 
dre part,  un  territoire  autour  de  Dresde,  et  il  ne  joua  qu'un  rôle 
effacé. 

3.  Voyez  Posern-Klett,  p.  73  et  suiv. 

4.  Id.,  ibid.,  p.  7G-9. 


L20     RELATIONS    DES    w..\\li\s   avi.c    L'ALLEMAGNE 

mois  après  Rodolphe,  ne  Laissant  qu'une  Lille  en  bas 
âge  (1291).  Son  oncle,  le  Dégénéré,  était  son  héritier, 
mais  les  deux  fils  dé  celui-ci  vinrent  encore  contester 
cette  succession  à  Leur  père.  Diezmann  avait  déjà  reçu 
la  Lusace  des  mains  de  Rodolphe,  lors  Ai'  L'accommo- 
dement de  L'année  précédente.  Il  laissa  son  frère  pren- 
dre la  Misnie  ut  partagea  L'Osterland  avec  lui.  Ainsi 
frustré  de  ses  droits,  Albert  Le  Dégénéré  revendiqua 
sa  part,  de  la  succession  et  sollicita  contre  ses  fils  L'ap- 
pui d'Otton  IV  àla  Flèche,  auquel  il  céda  la  marche  de 
Landsberg.  Aussitôt Otton  envahil  la  Misnie,  qu'il  ra- 
vagea '  ;  il  accompagna  Albert  en  Osterland,  et  fitoffice 
de  margrave  de  Landsberg  2.  Dès  lors  l'ambition  des 
Brandebourgeois  dispute  à  celle  des  rois  d'Allemagne 
l'héritage  d'une  maison  dont  la  ruine  semble  inévi- 
table. 

Les  rois  d'Allemagne  prennent  les  devants.  La  paix 
semble  avoir  été  rétablie  au  commencement  de  1292 
entre  Albert  et  ses  enfants  qui  restent  en  possession, 
Frédéric  de  la  Misnie,  Diezmann  de  la  Lusace.  Cepen- 
dant Adolphe  de  Nassau,  qui  avait  succédé  à  Rodolphe 
de  Habsbourg,  évitait  soigneusement  de  donner  à 
Frédéric  dans  les  actes  de  la  chancellerie  impériale  le. 
titre  de  margrave  :  il  considérait  la  marche  de  Misnie 
comme  ayant  fait  retour  à  l'empire  à  la  mort  deTutta, 
en  vertu  de  la  convention  conclue  avec  Rodolphe  de 
Habsbourg,  et  Frédéric,  auquel  il  n'en  avait  pas  donné 
l'investiture,  comme  un   usurpateur.   De   nouvelles 


1.  Pater  proprium  lilium  diffidavit  et  in  sui  auxilium  marchio- 
nem  Braniieburgensem...  advocans ,  terram  Misnensem  ,  Orien- 
taient et  Plisnensem  plurimum  devastarunt.  (Annales  Vetero  Cel- 
lenses,  ad  ami.  1292  (ap.  Mencke,  t.  II). 

2.  En  1291  Otton  porte  le  titre  de  margrave  de  Brandebourg  et 
de  Landsberg.  Voyez  Riedel,  Cod.  dipl.,  II,  t.  I,   p.  198,  n°  CCLIV. 


RELATIONS   DES   ASCÀNIENS    AVEC   L' ALLEMAGNE      121 

discordes  lui  donnent  prétexte  à  intervenir.  Frédéric 
se  brouille  avec  Diezmann  ;  ils  possédaient  à  deux 
les  mines  d'argent  de  Freiberg  et  l'on  pense  bien  que 
dos  contestations  devaient  naître  de  la  communauté 
d'un  tel  bien.  Diezmann  se  rapproche  de  son  père,  et 
lui  achète  à  prix  d'argent  sa  succession  entière,  au 
détriment  et  à  l'exclusion  de  son  frère  Frédéric.  Or, 
la  même  année,  Albert  le  Dégénéré  vend  cette  même 
succession  au  roi  Adolphe  de  Nassau  (1294).  On  ne 
sait  point  lequel  des  deux  marchés  fut  antérieur  à 
l'autre,  mais  il  est  certain  qu'Albert  prit  des  deux 
mains  et  trompa  le  roi  cl,  son  fils,  se  souciant  peu  des 
desordres  qui  en  pourraient  résulter  à  sa  mort  l. 

Menacé  dans  ses  droits,  Frédéric  est  bientôt  attaqué 
dans  ses  possessions  par  Adolphe.  Après  une  lutte  de 
deux  années  où  le  roi  montre  la  plus  grande  cruauté, 
le  margrave  est  réduil  à  s'exiler.  Notons  que  les  Bran- 
debourgeois  suivaient  de  près  les  événements.  Otton 
à  la  Flèche  et  Otton  le  Long  assistaient  à  la  réunion  que 
présida  dans  Leipzig  le  roi  Adolphe,  peu  de  tennis  après 
son  entrée  en  campagne  (1294)  2.  Un  bizarre  concours 
de  circonstances  allait  mettre  pour  un  temps  en  leurs 
mains  la  plus  grande  partie  de  l'héritage  des  Wettin. 

Ceux-ci  purent  espérer  un  moment  le  repos  et  la 
réparation  de  leurs  désastres,  quand  Adolphe  de  Nas- 
sau eut  été  vaincu  et  tué  par  Albert  d'Autriche  (  1  w208); 
mais  Albert  considéra  comme  acquis  à  l'empire  le  pays 
conquis  par  son  prédécesseur,  et  il  en  donna  l'admi- 
nistration au  roi  Wenceslaw  de  Bohême,  son  beau- 
père.  Wenceslaw  avait  essayé  plusieurs  fois  de  s'im- 
miscer dans  les  affaires  de  la  Misnie.  Il  convoitait  la 

1.  Vovez  Posern-Klett,  p.  85. 

2.  Riëdel,  Cod.  dipl.,  Il,  t.  I,  p.  208,  n°  CCLXVI... 


12*2      RELATIONS   DES    \-<:\\ir\s   AVEC    L'ALLEMAGNE 

possession  de  [cet  ancien  territoire  slave.  Une  fois  vi- 
caire généra]  de  L'empire  dans  cette  contrée,  il  y  acheta 
successivement  quantité  de  fiefs,  el  linil  par  se  faire 
donner  la  marche  elle-même ,  en  gage  du  paiement 
de  10,000  marcs  qu'il  avait  prêtés  au  besoigneux  coi 
d'Allemagne.  Albert  Le  Dégénéré  parai I  s'être  accom- 
modé de  ces  singuliers  arrangements  ;  mais  ses  Bis, 
Frédéric  et  Diezmann  ,  Q'entendaienl  pas  se  laisser 
dépouiller  '.  Quelques  villes  et  quelques  princes  leur 
étaient  restés  fidèles,  H  les  secours  qu'ils  en  rece- 
vaient leur  permettaient  de  tenir  la  campagne.  Pour 
gagner  l'alliance  de  L'archevêque  de  Magdebourg, 
Diezmann  lui  vend  en  1301  une  partie  de  la  mar- 
che de  Lusace  en  stipulant  toutefois  qu'il  la  garderait 
jusqu'à  sa  mort.  L'archevêque  paye  la  somme  conve- 
nue: mais  Diezmann  s'avise  qu'une  clause  de  l'acte 
de  vente  n'a  point  été  exécutée  :  l'archevêque  n'a  point 
demandé  l'approbation  royale.  Diezmann  entre  alors 
m  négociations  avec  les  margraves  de  Brandebourg 
auxquels  il  vend  une  seconde  fois  la  Lusace.  Voilà 
comment  les  Ascaniens  portent  au  commencement  du 
xivc  siècle  les  titres  de  margraves  de  Landsberg  et  de 
Lusace2.  Ce  fut  bientôt  le  tour  de  la  Misnie  :  Wenccs- 
Law,  roi  de  Bohême  et  de  Pologne,  ayant  voulu  assurer 
à  son  fils  la  couronne  de  Hongrie ,  son  ambition  in- 
quiéta l'empereur  d'Allemagne  qui  lui  déclara  la 
guerre,  après  l'avoir  sommé  de  restituer  la  Misnie; 
mais  ^'enceslaw  engagea  la  marche  pour  50,000  marcs 
aux.  margraves  de  Brandebourg  Otton ,  Hermann  et 
Waldemar.  La  plus  grande  partie  de  la  principauté 

1.  Voyez  Posem-Klett,  p.  1)1. 

2.  Riedel    Cod.    dipl.,    II,    t.    I,    p.    232,    n°  CCCXI;   p.  260, 
n°>  CCCXXXVII,  CCCXXXVI1I;    p.  208,  n°  CGCXL. 


RELATIONS   DES  ASCAXIEXS   AVEC   L  ALLEMAGNE      123 

des  Wettin  se  trouva  donc  pour  un  moment  en  la 
possession  des  descendants  d'Albert  l'Ours. 

Toutefois  les  margraves  avaient  à  conquérir  la 
Misnie,  car  ni  les  fils  d'Albert  le  Dégénéré,  ni  le 
roi  Albert  ne  reconnurent  la  validité  de  la  cession 
faite  par  Wenceslaw  11  de  Bohême.  Celui-ci  mourut 
pendant  la  guerre  qu'il  soutenait  contre  le  roi  d'Al- 
lemagne (1305),  et  ({uo  son  fils,  Wenceslaw  III,  ter- 
mina par  un  traité  ,  quelques  semaines  après  son 
avènement.  Wenceslaw  III  renonçait  à  toute  pré- 
tention sur  la  Misnie,  et,  pour  la  dégager  des  mains 
des  margraves  brandebourgeois ,  il  offrait  à  ceux-ci 
de  leur  céder  toutes  ses  possessions  de  Pomérellie  '. 
Les  Ascaniens  rejetèrent  cette  transaction,  et  Albert 
d'Autriche  se  mit  en  devoir  de  conquérir  la  marche 
à  la  fois  sur  les  Brandebourgeois  et  sur  Frédéric  et 
Diezmann.  Il  échoua,  parce  qu'à  deux  reprises  diffé- 
rentes la  vacance  du  trône  de  bohème  appela  son 
attention  et  détourna  ses  forces  de  la  Misnie.  Frédé- 
ric lui  opposa  d'ailleurs  une  résistance  héroïque  : 
son  frère  Diezmann  ayant  été  assassiné,  et  son  père 
Albert  le  Dégénéré  s'étant  confiné  dans  la  retraite, 
le  margrave  à  la  Joue  Mordue  porta  sans  plier  tout 
le  poids  de  la  lutte2.  A  la  mort  d'Albert  d'Autriche 


1.  L'acte  de  la  cession  faite  par  Wenceslaw  II  n'est  pas  con- 
servé ;  mais  il  est  rappelé  dans  le  projet  de  transaction  proposé 
par  Wenceslaw  III  aux  margraves  :  a  Nos  Wenceslaus.  .  prornit- 
timns....  quod,  quam  primurn  illustres  domini  Otto,  Hermannus  et 
Woldemarus,  marchiones  de  Brandenburg  nobis  terrain  misnen- 
sem  et  castra  et  civitates  infrà  scriptas....  que  et  quas  in  terra  ipsa 
eis....  dominus  Wenceslaus...  pater  noster  karissimus,  obligaverat, 
presentabunt,  statim  eis....  etc.  Voyez  Riedel,  loc.  cit.,  p.  283-4, 
n-  CCCXXXV. 

2.  Depuis  1308  Albert  le  Dégénéré  disparaît  de  l'histoire,  Fré- 
déric est  depuis  cette  date  régent  de  Thuringe.  Son  père  est  re- 
tiré à  Ert'urt  où  il  meurt  en  13 1 2. 


124      Kl  1   ETIONS   DES  ASCANIENS   AVEC    L'ALLEMAGNE 

{ 1308)  il  acheva  presque  la  conquête  de  La  marche  on 
même  temps  que  La  soumission  de  La  Thuringe. 
Henri  \ll  de  Luxembourg,  successeur  d'Albert,  vou- 
lui  d'abord  continuer  sa  politique  en  Thuringe  el  en 
Misnie,  mais  il  était  si  faible  el  sou  ambition  L'appelait 
de  tant  île  côtés  ;'i  La  fois  qu'il  «lui  renoncer  à  ce  projet. 
Axant  de  partir  pour  L'Italie,  il  reconnul  Les  droits  de 
Frédéric  sur  Le  margravial  de  Misnie,  el  sur  toutes  les 
seigneuries  «  donl  il  étail  Le  vrai  el  Légitime  héritier  >• 
(1310)  i.  Frédéric  a  va  il  donc  refait  la  fortune  de  la  mai- 
son de  Wettin,  compromise  par  L'indigne  conduite  de 
son  père,  unis  il  avail  encore  à  compte i  avec  les  mar- 
graves (1    Brandebourg. 

En  L309,  Waldemar  de  Brandebourg  el  Frédéric  se 
rencontrèrent  à  Muhlberg,  et  remirenl  à  des  arbitres 
le  soin  de  terminerleurs  différends  2.  La  décision  de  ce 
tribunal,  qui  no  nous  esl  point  parvenue,  ne  lil  que 
retarder  la  guerre,  Waldemar  ne  voulant  point  re- 
noncer à  toute  compensation  pour  les  50,000  marcs 
au  prix  desquels  il  avait  acheté  la  Misnie,  et  Frédéric 
ne  reconnaissant  point  la  validité  du  marché.  Les 
hostilités  éclatèrent  en  1312  ;  mais  Frédéric  et  son  fils 
furent  faits  prisonniers  par  Waldemar.  Conduits  à 
Tangermiinde 3,  les  deux  princes  durent  souscrire  à 
toutes  les  conditions  du  vainqueur,  renoncer  aux  pré- 
tentions qu'avait  gardées  Frédéric  sur  le  palatinat  de 
Saxe,  les  marches  de  Landsberg  et  de  Lusace,  le  pays 
situé'  entre  l'Elbe  et  l'Elster,  céder  les  châteaux  et  les 
villes  de  Grossenhain  et  de  Torgau,  avec  leurs  dépen- 
dances, payer  pour  indemnité  de  guerre  32,000  marcs, 

1.  Voyez  Posern-Klett,  p.  ICI. 

2.  Riedel,  loc.  cit.,  p.  281-2,  n°  CCCLVI,  CCCLVII,  CGCLVIII. 

3.  KliJden,  Diplom.  Gesc/t.,  t.  II,  p.  109. 


RELATIONS   DES   ASCANIENS   AVEC    L'ALLEMAGNE      125 

et  jusqu'au  paiement  de  cette  somme  livrer  aux  mar- 
graves, comme  gages,  plusieurs  villes  importantes. 
Dans  les  différents  documents  relatifs  à  ces  négocia- 
tions, Frédéric  est  qualifié  de  landgrave  de  Thuringe, 
margrave  de  Misnie,  ce  qui  implique  la  reconnais- 
sance de  ce  dernier  titre  par  Waldemar  de  Brande- 
bourg. Les  concessions  obtenues  par  celui-ci  étaient 
plus  que  suffisantes  pour  compenser  sa  renonciation 
à  cette  qualité  ». 

Frédéric  île  Misnie  se  promit  bien  de  n'observer  un 
pareil  traité  que  jusqu'au  jour  où  il  serait  de  force  a  le 
déebirer.  Ce  jour  sembla  venu,  quand,  en  l'année  1315, 
s'organisa  contre  les  margraves  de  Brandebourg  la 
formidable  coalition  de  tous  ceux:  que  leur  ambition 
avait  lésés  2.  Nous  ne  savons  presque  rien  de  la  pari 
qui  fut  prise  par  Frédéric  à  la  guerre  générale,  ni  des 
conditions  de  la  paix  qui  intervint  en  1317,  si  ce  n'est 
qu'une  alliance  de  famille  rapprocha  les  deux  maisons 
ennemies  3,  et  qu'il  ne  fut  presque  rien  changé  à  la 
situation  créée  par  le  traité  de  1312  *.  d'est  seulement 
après  l'extinction  de  la  dynastie  margraviale  des  An- 
liait  <pie  Frédéric  a  la  Joue  Mordue  fera  valoir  avec 
succès  -es  droits  sur  la  partie  de  son  héritage  détenue 
par  le  brandebourg. 

Les  rapports  des  maisons  margraviales  de  Brande- 
bourg et  de  Wettin  sont  un  triste  épisode  de  la  triste 
histoire  d'Allemagne  après  la  chute  de  l'empire.  On  y 
voit   agir  tout  ensemble  l'avide  ambition  des  rois  et 

•1.  Riedel,  loc.  cit.,  p.  319,  n°  CCCCI. 

2   Voyez  au  chapitre  suivant,  à  la  fin. 

3.  Riedel,  loc.  cit.,  p.  396,  n°  CCCCLXXXI. 

4  En  1317,  après  la  pacification  générale,  Henri  de  Brande- 
bourg porte  le  titre  de  margrave  de  Landsberg  ,  Waldemar  porte 
le  titre  de  margrave  de  Brandebourg  et  de  Lusace.  Voyez  Riedel, 
loi  .  <  t(.,  p.  410,  n°  XD1X. 


126      RELATIONS  DES  àSCANIENS   AVEC  L'ALLEMAGNE 

les  convoitises  de  la  féodalité  allemande.  N'est-cepas 
mi  signe  caractéristique  de  ces  temps  malheureux  que 
les  margraves  de  Brandebourg  se  soienl  un  moment 
trouvés  6E  possession  du  margravial  de  Landsberg 
cl  du  palatinal  de  Saxe,  vendus  par  un  père  au  détri* 
menl  de  ses  Bis,  du  margravial  de  Lusace  vendu  par 
Diezmann  quand  il  appartenait,  en  vertu  d'wwr  pre- 
mière vente  faite  parle  même  personnage,  à  L'arche- 
vêché de  Magdebourg;  enfin  du  margraviat  de  Misnie, 
vendu  par  Le  roi  de  Bohême,  qui  Le  tenait  en  gage  et 
u'avail  pas  ledroil  d'en  disposer  ? 

Remarquons  encore  que  la  décadence  de  la  princi- 
pauté des  Wettin  servait  la  fortune  du  Brandebourg. 
Cette  décadence  n'esl  que  momentanée  :  elle  va  cesser 
au  moment  où  fondronl  sur  la  marche  des  malheurs 
de  toutes  sortes.  Les  Wettin,  après  avoir  recouvré 
Les  domaines  d'Henri  L'Illustre,  hériteronl  an  \\"  siè- 
cle des  ducs  de  Saxe-Wittenberg,  descendants  de 
l'Ascanien  Bernard,  fils  d'Albert  l'Ours;  les  mar- 
graves de  Misnie,  landgraves  de  Thuringe,  devien- 
dront dues  de  Saxe,  électeurs  et  grands-maréchaux 
de  l'empire.  Des  partages  morcelleront  leurs  états, 
niais  ils  n'en  joueront  pas  moins  un  grand  rôle  au 
xvie  siècle:  alors  les  yeux  du  monde  entier  seront 
tournés  vers  Wittenberg,  d'où  partira  le  premier  cri 
de  la  révolte  luthérienne,  vers  la  Wartbourg  où  le 
réformateur  menacé  s'abritera  derrière  les  murs  du 
manoir  historique,  vers  l'électeur  Frédéric,  qui  dédai- 
gnera l'empire  au  profit  de  Charles-Quint  !  Plus  lente 
et  plus  pénible,  mais  aussi  plus  solide  sera  la  fortune 
du  Brandebourg.  Déjà,  au  temps  dont  nous  racontons 
l'histoire,  de  grands  avantages  étaient  assurés  à  la 
marche.    La  principauté  de  Wettin   est  formée    de 


RELATIONS   DES   ASCANIENS  AVEC   L'ALLEMAGNE      127 

pièces  rapportées  par  des  mains  différentes  :  la  mar- 
che de  Brandebourg  a  celte  forte  homogénéité  que 
donne  l'unité  d'origine.  Celle-ci  a  devant  elle  le  vaste 
champ  que  lui  offrent  les  petits  (''tais  slaves  de  l'est  et 
du  nord  :  celle-là  est  contenue  au  sud  par  la  Bohème, 
à  Test  par  la  Pologne,  au  nord  par  le  Brandebourg. 
Les  Sorabes  ayant  été  plus  facilement  soumis  que  les 
Wiltzes,  la  Misnie  et  la  Lusace  ont  perdu  le  caractère 
primitif  de  la  marche,  c'est-à-dire  de  l'étal  militaire  :  le 
Brandebourg  l'a  conservé.  Grands  seigneurs  en  Alle- 
magne, les  futurs  électeurs  de  Saxe  sont  trop  mêlés 
aux  affaires  de  l'empire  ;  heureux  el  riches,  ils  ne  sont 
pas  assez  stimulés  par  l'ambition  :  au  contraire  le  souci 
égoïste  de  leurs  propres  affaires,  l'ambition  de  se  for- 
tifier et  de  grandir  sent  des  qualités  politiques  qui 
s'imposent  aux  margraves  brandebourgeois.  Des 
monts  de  Bohême  à  la  nier  du  Nord,  de  toutes  les 
marches  fondées  par  Gharlemagne  et  par  Otton,  une 
seule  a  gardé  vivant,  si  Ton  peut  dire,  l'esprit  de  la 
fondation,  c'est  la  marche  de  Brandebourg. 


CHAPITRE   IV 


CONQUÊTES   DE   LA  MAISON  ASCANIENNE 
EN   PAYS   SLAVES. 


La  fondation  du  monastère  de  Lehnin.  —  Conquêtes  en  pays  de 
suzeraineté  polonaise.  —  Conquêtes  en  pays  de  suzeraineté 
danoise.  —  Tentatives  des  margraves  sur  la  Pomérellie,  et  rap- 
ports avec  l'ordre  teutonique.  —  Relations  avec  le  Mecklembourg 
et  nouvelles  luttes  avec  le  Danemark.  —  Fin  de  la  dynastie  as- 
canienne. 


LA    FONDATION    DU     MONASTERE    DE    LEHNIN. 

Les  premières  conquêtes  des  Ascaniens  sur  la  rive 
droite  île  l'Elbe  se  fîrenl  peu  à  peu,  par  un  efforl  de 
tous  les  jours  el  non  par  de  grandes  actions  d'éclat. 
Les  chroniques  spéciales  de  la  marche  étanl  presque 
entièrement  perdues,  el  les  chroniques  allemandes 
s'intéressanl  pou  à  de  petits  faits  qui  s'accomplissaient 
sur  un  terrain  mal  connu,  on  est  réduil  à  des  conjec- 
tures touchant  la  date  de  plusieurs  acquisitions  faites 
par  les  successeurs  d'Albert. 

Otton  I  (1170-1180;  paraîl  avoir  conquis  les  terri- 
toires de  Glin  et  de  Lôvenberg  au  nord  du  Havelland. 
Le  territoire  de  Glin  était  situé  sur  la  rive  droite  de  la 

9 


130  CONQUÊTES   DES   AlSCANIENS 

Havel  :  Kremmeri  el  Bôtzow,  aujourd'hui  Oranien- 
bourgj  eu  étaieni  Les  endroits  principaux  ;  celui  de  Lô- 
venberg  situé  au  aord  du  premier,  en  remontanl  Le 
cours  de  La  Havel,  comprenait  La  partie  orientale  du 
cercle  actuel  de  Ruppin.  Mais  l'acte  Le  pins  important 
d'Otton  1  en  pays  slave  fui  sans  contredil  La  fondation 
du  monastère  cistercien  de  Lehnin  '. 

Pendant  La  Lutte  contre  Henri-le-Lion,  Otton  eut  à 
repousser  un»'  invasion  des  Slaves  coalisés  avec  le 
duc  <le  Saxe.  C'està  cel  événement  que  se  rattache 
la  fondation  du  monastère.  Gomme  Le  margrave,  ra- 
conte une  Légende  recueillie  par  La  chronique  de  Pul- 
cawa  2,  s'était  endormi  dans  une  forêt  de  la  Zauche, 
il  vit  en  songe  se  précipiter  sur  lui  un  élan  :!  qu'il 
abattit  d'une  flèche.  A  son  réveil,  il  conta  le  rêve  a 
ses  compagnons.  Ouelquos-uns  lurent  d'avis  que  la 
vision  était  un  ordre  de  Dieu  de  bâtir  à  celte  place 
une  forteresse  :  «  J'élèverai,  dit  le  margrave,  une 
forteresse,  où  je  mettrai  des  hommes  pieux  dont  la 
prière  chassera  de  ce  pays  l'infernal  ennemi,  et  m'as- 
sistera au  dernier  jour  de  ma  vie  4.  » 

L'histoire  de  Lehnin,  quelque  peu  merveilleuse,  il 
est  vrai,  ferait  croire  que  le  christianisme  «Hait  encore 
mal  affermi,  dix  ans  après  la  mort  d'Albert  l'Ours,  à 
deux  milles  de  la  ville  épiscopale  de  Brandebourg.  Le 
premier  abbé  de  Lehnin,  Siehold  (1180-1190]  l'ut,  au 
dire  d'une  inscription  qui  parait  être  du  début  du 
xv''  siècle,  assassiné  par  les  Slaves.  La  légende  ajoute 


1.  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  I,  p.  253,  note  2. 

2.  Voyez  les  fragments  de  cette  chronique  publiés  dans  Riedel, 
Cod.  dipl.  ive  partie,  t.  I,  p.  5. 

3.  Élan  se  dit  en  langue  slave  lehnije,  d'où  Lehnin. 

4.  On  parlera  au  dernier  chapitre  des  services  rendus  par  les 
monastères  à  la  conquête  germanique. 


EN    PAYS    SLAVES  131 

que  les  pauvres  moines  étaient  au  milieu  de  l;i  maré- 
cageuse forêt  comme  prisonniers,  n'osant  s'aventurer 
jusqu'au  village  voisin  cleNahmitz,  quand  les  hommes 
s'y  trouvaient.  Un  jour,  ceux-ci  étant  tous  occupés  à 
la  pêche,  Siebold  vint  avec  ses  frères  prêcher  les  fem- 
mes; aussitôt  les  enfants  allèrent  prévenir  leurs  pères, 
qui  accoururent  du  lac,  les  rames  à  la  main.  Les 
moines  s'enfuirent;  niais  l'abbé  n'allait  pas  vite.  Au 
moment  d'être  atteint,  il  monta  dans  un  arbre  et  s'y 
cacha;  malheureusement  son  trousseau  de  clés,  qu'il 
avait  laissé  tomber  le  trahit.  Les  païens  coupèrent  l'ar- 
bre, et  il  eut  beau,  pour  les  adoucir,  promettre  de  les 
exempter  de  la  dîme  :  il  fui  mis  à  mort.  Les  moines 
épouvantés  voulurent  s'enfuir;  mais  la  sainte  Vierge 
leur  apparut  et  leur  ordonna  de  rester:  le  margrave 
Otton  vint  bientôt  à  leur  aide  el  til  terrible  justice.  On 
voit  encore  dans  l'église  de  Lehnin  un  tableau  qui 
représente  la  scène  du  martyre  et  l'apparition  de  la 
Vierge,  de  la  bouche  de  laquelle  sortent  ces  paroles  :  Re- 
deatis,  nil  deeril  vobis.  Il  ne  leur  manqua  rien  en  effet. 
Leur  monastère  devint  un  des  plus  riches  d'Allemagne  : 
autour  de  son  église  se  groupèrenl  les  bâtiments  habités 
par  les  moine-,  les  hôtelleries,  les  écoles,  les  hospices, 
les  fermes  et  les  ateliers.  Il  en  reste  aujourd'hui  nue 
église,  des  mursel  nue  tour;  ces  mines  sont  vénérées, 
et  le  vieux  monastère  a  retrouvé  un  regain  de  po- 
pularité, depuis  que  s'est  accomplie  la  prophétie  du 
pieux  Hermann,  moine  du  xiV  siècle,  qui  a  préclil 
l'avènement  des  Hohenzollern  au  margraviat  de  Bran- 
debourg, puis  au  trône  impérial  d'Allemagne  *. 

1.  Voyez  Grasse,  Sageribuch  des  Preussischen  Staates,  t.  I,  p. 
1-6;  Fontane,  Wanderungen  durch  die  Mark  Brandenburg,3  par- 
tie, p.  73-85. 


132  CONQUÊTES   DES   Asc.Wir.xs 

Au  commencement  du  jciii"  siècle,  Lehnin  étail  en- 
core nu  avant-poste  de  L'élise  d'Allemagne;  mais 
après  Les  conquêtes  qui  vonl  se  succéder,  il  s'en  faudra 
de  beaucoup  que  le  monastère  soit  situé  au  centre  de 
la  marche  de  Brandebourg,  donl  Les  Limites  vonl  être 
reculées  vers  la  Baltique  el  vers  La  Vistule.  Dès  que 
les  margraves  dépassèrenl  dans  ces  deux  directions 
Les  limites  du  pays  conquis  par  Alberl  L'Ours  et  par 
01  ion  1",  ils  rencontrèrenl .  au  Lieu  de  tribus  païennes, 
des  états  slaves  chrétiens;  à  L'est,  de  petites  princi- 
pautés sans  force  et  sans  avenir  e1  la  Poméranie;  au 
nord,  le  Mecklembourg  :  derrière  les  premières,  la 
Pologne  elle  Danemark;  derrière  le  second,  Le  Dane- 
mark encore.  Le  théâtre  de  L'histoire  brandebour- 
geoise  s'élargit  alors,  et  tout  aussitôt  commença  Le 
combat  pour  la  Baltique,  qui  devait,  plusieurs  siècles 
après,  Unir  par  la  destruction  de  la  «Pologne  el  parla 
mutilation  du  Danemark. 

CONQUÊTES  EN  PAYS  DE  SUZERAINETÉ  POLONAISE. 

La  Pologne  du  moyen  âge  est  un  pays  de  grandeur 
fragile.  Sur  le  sol  qu'elle  occupe  entre  l'Oder  et  la 
Yistule,  il  est  impossible  de  trouver  l'indication  d'une 
frontière;  caries  collines  qui  marquent  la  séparation 
des  versants  de  la  Baltique  et  de  la  mer  Noire,  n'em- 
pêchent même  pas  les  eaux  du  bassin  de  la  Yistule  de 
se  mêler  à  celles  du  bassin  du  Dnieper.  Mettez  sur  ce 
terrain  vague  un  peuple  brave,  toujours  en  guerre, 
[tour  attaquer  ou  pour  se  défendre,  au  sein  duquel 
s'est  formée  une  aristocratie  nombreuse,  impatiente  de 
toute  hiérarchie  et  dont  l'anarchie,  dans  le  sens  habi- 
tuel du  mot,  est  l'état  nécessaire.  Dans  ce  pays  où 


EN    PAYS    SLAVES  133 

l'on  entre  aussi  aisément  qu'on  en  sort,  ouvert  à  tous 
les  vents,  si  l'on  peut  dire,  ce  peuple  ne  pourra  se 
recueillir  un  instant,  prendre  sa  consistance  et  s'orga- 
niser. Il  sera  grand  à  ses  heures,  et  la  noble  cavalerie 
polonaise  aux  cuirasses  ailées  galopera  de  l'Elbe  au 
Dnieper  et  à  la  Duna,  souvent  victorieuse,  niais  inca- 
pable de  conquérir  solidement.  C'est  toujours  la  fai- 
blesse de  ses  voisins  qui  fait  la  force  de  la  Pologne  : 
leur  force  un  jour  fera  sa  ruine. 

A  peine  la  Pologne  est-elle  entrée  dans  la  commu- 
nauté chrétienne  sous  Mieczyslaw  j  992),  qui  réunil 
en  une  nation  les  différentes  tribus  polonaises  mena- 
cées par  la  conquête  germanique,  et  déjà  Boleslaw 
Ghrobry  [992-1025]  conquiert  le  pays  entre  l'Elbe  et 
l'Oder,  bat  les  margraves  allemands,  soumet  la  Lu- 
sace  et  la  Misnie,  entame  Magdebourg  et  le  Brande- 
bourg, puis  au  delà  de  la  Vistule  atteint  pour  les  sou- 
mettre au  tribut,  les  Prussiens  et  les  Russes;  mais  cet. 
empire  ne  survit  pas  à  son  fondateur.  La  Pologne  est 
occupée  aux  xie  et  xne  siècles  par  des  guerres  contre 
la  Bohême,  la  Hongrie,  la  Russie,  et  par  des  dissen- 
sions intérieures,  que  les  règles  incertaines  de  la 
transmission  du  pouvoir  renouvellent  à  chaque  règne. 
Toute  la  rive  gauche  de  l'Oder  échappe  à  sa  suzerai- 
neté, pour  passer,  au  nord,  sous  celle  de  la  Saxe  d'a- 
bord, du  Danemark  et  du  Brandebourg  ensuite,  au 
sud,  sous  celle  de  la  Lusace.  Au  centre,  le  terrain 
était  acquis  d'avance  à  la  marche  de  Brandebourg. 

La  première  conquête  <h'>  Ascaniens  fut  celle  des 
territoires  de  Barnim  el  de  ïeltow.  Poursuivie  sans 
éclat  sous  les  premiers  successeurs  d'Albert  l'Ours, 
elle  est  achevée  par  une  transaction,  sous  les  mar- 
graves Jean  et  OlLon,  qui  font  en   1232  acte  de  suze- 


13  ',  CONQUÊTES   DES    LSCANIENS 

raineté  dans  le  pays !.  C'était,  au  temps  d'Àlberl  L'Ours, 
une  principauté  slave,  semblable  à  celle  de  Pribislaw 
dans  Le  Havelland.  Sa  capitale  était  K.ôpenic  sur  La 

Sprée,  el  on  L'appelail  Sprewa  ou  Zpriavani.Q sait 

commenl  elle  fui  dans  La  suite  partagée  en  deux  terri- 
toires :  le  Barnim  au  nord,  le  Teltowau  sud  de  la  Sprée. 

Prise  dans  son  ensemble,  elle  était  Limitée  à  1' >s1 

par  La  Havel,  au  nord  par  l'Uckermark,  au  sud  parla 
Lusace.  A  L'est,  elle  touchail  à  L'Oder,  dans  sa  partie 
septentrionale  5  elle  en  étail  ensuite  séparée  par  les 
territoires  de  Kiïstrin  el  de  Lebus  2. 

Sur  la  Sprée,  aux  contins  du  Teltow  et  du  Barnim, 
étaient  situés  deux  villages  qui  devaient  être  succes- 
sivement élevés  au  rang  de  ville,  el  par  Leur  réunion 
former  la  capitale  de  l'état  prussien  :  Colin  dans  une 
île  de  la  Sprée,  Berlin  sur  La  rive  droites.  Les  deux 
noms  sont  d'origine  slave  '.  mais  <\(^  colons  allemands 
vinrent  bientôt  renforcer  et  renouveler  la  population 
primitive.  Colin  paraît  avoir  été  babitée  surtout  par  des 

1 .  Les  margraves  traitent  avec  un  prince  slave  du  nom  de  Bar- 
win  :  a  domino  Barwin  terras  Baruonem  et  Teltlmve  et  plures 
alias  sunt  adepti....  (Chronique  de  Pulcawa,  loc.  cit.,  p.  9.)  — 
Voyez  Riedel,  die  Mark  Brand.,  t.  I,  p.  390,  note  4....  Insuper 
civitati  Spandow  ex  pleniludine  nostra3  gratine  indulgemus,  ut 
omnis  de  terra  Teltow  et  omnis  de  terra  Schelin  Clin),  nec  non 
omiiis  de  nova  terra  nostra  Barnem  jura  sua  ibidem  accipiant... 

2.  Voyez  Riedel,  die  Mari;  Br.,  t.  I,  p.  384  etsuiv...  :  Die  lande 
Barnim  und  Teltow... 

3.  Le  marché  aux  poissons  et  la  rue  des  pêcheurs,  dans  l'île  ; 
la  rue  de  Stralau  sur  la  rive  droite  marquent  aujourd'hui  l'em- 
placement des  deux  villages,  qu'un  pont  de  bois  réunissait  l'un 
à  Vautre. 

4.  C'est  au  moins  l'opinion  la  plus  générale.  Les  diverses  formes 
du  nom  de  Berlin  sont  :  Berlin,  Berlyn,  Berlin/,  Berlynn,  Ber- 

in,  Borlin,  Berlin,  Berlyn,  Werlin,  IJerlein;\e  mot  aurait 
plusieurs  significations  entre  lesquelles  notre  incompétence  ne 
nous  permet  pas  de  choisir.  L'opinion  qui  fait  venir  le  nom  de  la 
capitale  prussienne  de  deux  mots  celtiques:  ber,  petit,  et  ly>i,  lac, 
a  peu  de  défenseurs,  celle  qui  le  fuit  dériver  de  Bar  (prononcer 
bére)  l'ours,  et  qui  rattache  l'origine  de  la  ville  au  premier  mar- 
grave ascanien  n'en  a  plus  du  tout. 


EN   PAYS   SLAVES  135 

pêcheurs,  caria  première  église  qu'on  y  bâtit,  fut  dé- 
diée à  saint  Pierre,  le  pécheur  de  Galilée,  tandis  que 
les  Berlinois  consacrèrent  la  leur  ;i  saint  Nicolas,  pa- 
tron dos  marchands.  Les  deux  villages  reçurent  une 
charte  municipale  distincte  ',  et  ils  grandirent  l'un  à 
côté  de  l'autre,  jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  réunis,  au 
début  du  xiv1'  siècle,  en  une  seule  cité  2.  Berlin-Colin 
se  fit  alors  admettre  dans  la  Hanse,  et  prit  un  rang 
parmi  les  villes  de  la  marche,  mais  sans  s'élever  au- 
dessus  d'une  condition  médiocre,  licites  on  ne  pouvait 
prévoir  que  cette  ville,  située  au  plus  triste  endroit  du 
Brandebourg,  fût  réservée  à  de  grandes  destinées! 
Mais  quand  les  margraves  eurent  achevé  la  conquête  du 
pays  entre  l'Elbe  et  l'I  Ider,  Berlin  marqua  le  centre  de 
leur  principauté:  plus  tard,  quand  les  ('lecteurs  et  les 
rois  Eîohenzollern  eurent  fondé  ce  singulier  royaume 
dont  les  morceaux  étaient  éparpillés  à  travers  le  nord 
de  l'Allemagne,  le  château  bâti  par  le  premier  roi  de 
Prusse  dans  l'île  de  la  Sprée,  se  trouva  encore  à  égale 
distance  de  l'une  et  de  l'autre  frontière,  de  Glèves  el 
de  Kônigsberg.  La  politique  a  donc  fait  la  fortune  de 
Berlin,  au  lieu  que  son  rôle  politique  ait  été  le  résultai 
de  sa  fortune  même,  comme  il  est  arrivé  pour  d'autres 
cites,  néesen  meilleur  lieu.  Il  faut  remarquer  pourtant 
qu'il  n'était  point  impossible  qu'une  ville  se  dévelop- 
pât entre  l'Elbe  et  L'Oder,  en  un  point  où  se  rencon- 
trent presque  les  >ounx'>  de  plusieurs  de  leurs  affluents, 

1.  Ces  documents  sont  perdus;  mais  ils  sont  certainement  de  la 
première  moitié  du  XIIIe  siècle.  En  1253  le  margrave  Jean  octroie 
à  la  ville  de  Francfort  sur  l'Oder  ■  le  droit  de  Berlin  »  :  ipsam 
civitatem  eodem  jure  quo  civitatem  Berlin  gavisam  esse  volumus. 
(Riedel,  '.'<</.  dipl.  I,  t.  XXIII,  p  1,  n°  l).  Voir  encore  au  même 
volume,  p.  2  le  n°  II  ;  p.  3,  le  n°  III;  p.  V,  le  n°  VIII,  et,  au  volume 
supplémentaire,  p.  221  et  suiv.,  un  recueil  de  chartes  relatives 
à  Berlin. 

■2.  Voyez  Klôden,  DipL  Gesch.,  t.  1.  p.  375. 


I    (i  CONQUÊTES   DES   A.SCANIENS 

au  croisemenl  des  routes  commerciales  de  la  Posnanie, 
de  la  Silésie  ei  de  La  Bohême  vers  La  mer  du  Nord,  de 
La  Saxe  el  de  la  Thûringe  vers  La  Baltique.  Mais  il  es1 
superflu  de  parler  plus  Longtemps  d'un  si  Lointain  ave- 
nir. [1  faudra  bien  des  combats  encore  el  Le  triomphe 
à°une  politique  tenace,  habile  el  heureuse,  pour  assu- 
rer une  grande  place  dans  Le  monde  à  cette  ville  bâtie 
au  désert,  el  qu'on  pourrait  à  hou  droit  comparer 
à  Palmyre,  si  Le  déseri  avait  plus  de  grandeur  et  la 
ville  dos  monuments  capables  el  dignes  de  braver 
l'injure  du  temps. 

Les  margraves  Jean  Ier  cl  Otton  III  ne  tarderont  pas 
à  compléter  leur  conquête  du  Teltow  et  du  Barnim 
par  l'acquisition  des  territoires  qui  les  séparaient 
encore  de  l'Oder.  A  l'ouest  du  Barnim,  était  situé  le 
territoire  de  Lebus  ,  que  ce  fleuve  partage  en  deux 
parties  à  peu  près  égales.  Après  avoir  appartenu  à  la 
Pologne,  il  avait  été  rattaché  à  la  Silésie.  Un  moment 
Louis  de  Thûringe,  tuteur  d'Henri  l'Illustre,  l'avait 
conquis  à  la  marche  de  Misnie.  Cependant  Magdebourg 
avait  sur  le  pays  des  prétentions  qui  remontaient  à 
une  donation  faite  au  siège  archiépiscopal  par  l'empe- 
reur Henri  V,  lors  d'une  expédition  victorieuse  dirigée 
par  ce  prince  contre  Boleslaw  de  Pologne  (1110).  L'ar- 
chevêque fit  renouveler  cette  donation  par  le  roi  des 
Romains  Philippe  de  Hohenstaufen.  puis  par  l'empe- 
reur Frédéric II  (1226)  t,  etdouze  ans  après,  avec  l'aide 
du  margrave  de  Brandebourg,  il  tenta,  sans  aucun 
succès  d'ailleurs,  de  la  faire  valoir  (1238).  Ce  fut  seule- 
ment en  1250,  à  la  suite  d'obscures  négociations,  et  à 

1 .  Voyez  la  charte  de  donation  de  Frédéric,  dans  Wohlbriick, 
Geschichte  des  ehemaligen  Bisthum  Lebus  und  des  Landes  dièses 
Nahmens,  t.  I,  p.  22,  en  note. 


EX    PAYS    SLAVES  d 37 

la  faveur  des  discordes  qui  troublèrent  la  Silésie,  après 
la  mort  du  duc  Henri  le  Pieux,  que  les  margraves  Jean 
et  Otton  d'une  part,  l'archevêque  Willibrand  d'autre 

part,  se  firent  céder  le  pays  t.  Enfin  on  a  vu  que  les 
Ascaniens  s'en  trouvèrent  seuls  maîtres,  après  que 
l'archevêque  Erich  leur  eut  abandonné  la  part  de  Mag- 
debourg  2. 

Le  territoire  de  Lebus  était  assez  considérable  :  la 
frontière  parlait.à  l'est,  delà  rive  gauche  de  la  Warta, 
au-dessous  du  lieu  où  devait  s'élever  Landsberg,  et 
elle  allait  rejoindre  presque  directement  la  Pleiske;  elle 
quittait  la  Pleiske  environ  aux  deux  tiers  de  son  cours 
pour  incliner  au  sud-ouest  vers  l'Oder  qu'elle  atteignait 
à  Rampitz;  de.  là  elle  courait  en  touchant  à  Guben  vers 
la  Sprée  qu'elle  quittait  près  de  la  foret  de  llan- 
gelsberg,  pour  rejoindre  l'Oder  au-dessus  de  Kustrin. 

Deux  ans  après  la  prise  de  possession  du  pays  par 
les  margraves,  Francfort  sur  l'Oder  recevait  de  Jean  I 
sa  charte  municipale  ;î.  Vers  la  même  date  Otton  III 
fondait  Miillrose  '«  :  Selow,  Sternberg5,  Sonnenbourg, 
Gôritz,  Fiirstenwalde,  naquirent  ou  se  développèrent 
au  temps  des  margraves  ascaniens,  qui  fondèrent  aussi 
de  nombreux  villages  6. 

1.  Voyez  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  I,  p.  479-82,  —  Wohlbrùck, 
ioc.  cit.,  t.  I,  p.  1-33. 

2.  Voyez  p.  114.  Archiepiscopus  marchiam   Lusicie  alienavit  ab 
ecclesia  vel  obligavit ,  tradens  eatn    marchioni  fratri  suo....  que 
usque  hodie  non  est  recuperata  ab  ecclesia.   Chrotdcon  arch\ 
c<>i><itt''s  magdeburgensis  [ap.  Meibom.  Scriptor.  rerum  Gerrn.,t.ll, 
p.  333). 

3.  Riedel,  Cod.  dipl.  I,  t.  XXIII,  p.  1,  n°  i;  p.  2,  if  ii  ;  p.  7, 
n°  vin. 

4.  En  1275  les  margraves  Jean  JI  et  Otton  IV  confirment  à  .Miill- 
rose les  privilèges  qui  lui  ont  été  donnés  par  leur  père  Oiton  in 
ipsius  fundatione'.  Riedel,  ibid.,  i.  XX.  p.  1*7,  ie  xvi. 

5    Sternberg  a  donné  son  nom  a  la  partie  du  territoire  de  Lebus 
située  sur  la  rive  droite  de  l'Oder. 
6.  Voyez  Wohlbrùck,  lue.  éd.,  t.  I,  p.  3'J3  et  suiv. 


138  i  ONQl  ÊTES   DES   ASCANIEN3 

La  limite  de  L'Oder  était  donc  dépassée;  les  mar- 
graves continuèrenl  à  s'avancer  d'une  façon  continue. 
Les  vallées  de  La  Warta  el  de  La  Netze  étaient  dis- 
putées entre  La  Poméranie  el  la  Pologne,  el  Les  deux 
pays  pour  s'assurer  cette  frontière,  faisaienl  à  L'envi 
donation  aux  ordres  religieux  «les  marécages  el  des 
bois  qui  La  couvrent.  Les  margraves  mirent  à  profit 
cette  situation  favorable  à  Leur  ambition.  Vers  L260 
les  pays  de  Kùstrin  au  confluenl  de  La  Warta  el  de 
L'Oder,  de  Landsberg  sur  La  Warta,  de  K.œnigsberg  '  el 
de  Soldin  entre  la  Warta  el  L'Oder  étaienl  acquis  ;i  la 
marche2.  Trente  ans  plus  tard  ce  fui  le  tour  de  Frie- 
deberg  el  d'Aras walde  s.  La  frontière  s'avançail  donc 
vers  La  Pomérellie,  el  L'on  verra  bientôt  Les  margraves 
attaquer  cette  principauté;  mais  il  faul  maintenant 
revenir  en  arrière,  el  montrer  comment  le  Brande- 
bourg, en  même  temps  qu'il  faisait  ers  progrès  vers 
l'est,  gagnail  «lu  terrain  au  nord,  au  détriment  de  la 

1.  Le  Kœnigsberg  dont  il  est  ici  question  est  une  petite  ville, 
chef-lieu  d'un  cercle  (province  de  Brandebourg,  gouvernement  de 
Francfort  sur  l'Oder  ,  qui  porte  son  nom.  Dans  le  même  cercle  est 
situé  Eûstrin,  qui  fut  longtemps  une  place  de  guerre  de  premier 
ordre,  grâce  à  sa  situation  au  confluent  de  l'Oder  et  de  la  Warla, 
dans  un  pays  coupé  de  marais.  Landsberg  et  Soldin  sont  des  chefs- 
lieux  de  cercles  dans  le  même  gouvernement. 

2.  Des  donations  dans  le  pays  de  Kùstrin,  dont  quelques-uns 
comprennent  la  ville  même  de  Kùstrin,  sont  faites  aux  Templiers 
successivement  par  l'évèque  de  Lebus  en  1232,  par  Wladislaw  de 
Pologne  la  même  année,  par  Barnim  de  Poméranie  en  1234  et  1235, 
par  Boleslaw  de  Pologne,  en  1259  (Riedel,  Cod.  dipl.  I,  t  XIX, 
p.  1-5,  nos  i-iv  et  vu.)  On  voit  comme  il  était  facile  aune  maison 
princière,  qui  avait  une  politique  suivie,  de  s'agrandir  en  un  pays 
où  les  frontières  étaient  si  incertaines.  —  En  1257,  Jean  Ier  donne  à 
X"U-Landsberg  sa  charte  municipale  (Riedel,  ibid.,  p.  369,  n"  i).  — 
En  1271,  les  margraves  dispensent  la  ville  de  Kœnigsberg  de  1  ar- 
pentage de  son  territoire.  (Riedel,  ibid.  p.  173,  n°  i).  —  Soldin 
devient  une  ville  importante  sous  les  Ascaniens  (Riedel  1,  t.  XVill, 
p.    î  10,  n°  i,  et  p.  442,  n°  m  . 

3.  Friedeberg  et  Arnswalde  sont  des  chefs-lieux  de  cercles  dans 
le  même  gouvernement.  Arnswalde  était  encore  au  xvne  siècle 
ville  frontière  de  la  marche  du  côté  de  la  Poméranie. 


EN    PAYS   SLAVES  139 

Poméranie.  Ici  les  Ascaniens  se  heurtèrent  au  Dane- 
mark, et  l'histoire  de  la  marche  se  trouva  mêlée  à 
l'histoire  générale  de  l'Europe. 

CONQUÊTES  EN  PAYS  DE  SUZERAINETÉ  DANOISE, 

L'histoire  de  la  Scandinavie  au  moyen  âge  est, 
comme  celle  de  la  Pologne,  grande  à  de  certains  mo- 
ments, à  d'autres,  misérable  L  Pendant  la  période 
païenne,  les  Danois,  les  Suédois,  les  Norvégiens, 
souvent  séparés  ei  parfois  réunis ,  pirates  par  pau- 
vreté el  par  amour  de  l'aventure,  épouvantenl  l'Eu- 
rope par  leurs  brigandages,  avant  de  la  couvrir  de 
leurs  colonies.  Aucun  lieu  ne  semble  à  l'abri  de  leur 
atteinte  :  l'Islande  est  visitée  par  eux  au  même 
temps  que  la  Russie  ;  ils  menacent  à  la  fois  Michel 
l'Ivrogne  dans  Constantinople  el  le  duc  de  France 
dans  Paris.  Plus  près  d'eux,  les  Allemands  sonl  en 
butte  a  leurs  al  laques  perpétuelles.  Gharlemagne  élève 
contre  eux  la  marche  de  Sehleswig,  mais  ils  profitent 
des  Irouliles  qui  suivent  sa  mort  pour  ravager  la  mar- 
che, la  Saxe  el  les  Pays-Bas.  Les  empereurs  saxons. 
qui  rétablissent  en  Allemagne  l'empire  et  l'unité,  im- 
posent leur  suzeraineté  au  Danemark,  mais  le  Dane- 
mark, impatient  du  joug,  ressaisit  son  indépendance 
chaque  fois  que  l'Allemagne  retourne  a  ses  dis- 
cordes. 11  devient  redoutable,  lorsque  Canut-le-Grand 
L014-1036  a  l'ail  entrer  dans  la  communauté  chré- 
tienne le  Danemark  et  la  Norwége  unis  sous  son 
sceptre.    L'alliance   intime  conclue  par  Canut  avec  la 

1.  Geffroy,  Histoire  des  états  Scandinaves.  —  Usinger,  Deutsch- 
hichte.  —   Sybel,  kleine  hislorische  Schriften,  t.  Il, 
à  l'arlicle  Deufschland  und  Danemark  im   dreizehnten  Jahrhun- 
dert,  p.  105-35. 


1  io  CONQUÊTES   DES   A.SGANIENS 

papauté  devienl  une  tradition  de  La  politique  danoise 
ri  t'ait  faire  grande  figure  a  ce  petil  pays.  Canul  traite 
d'égal  a  égal  avec  L'empereur  Conrad  11.  ri  lui  vend 

son  alliance  au  prix  de  la  marche  de  Schleswig. 

De  sanglants  désordres  suivent,  il  est  vrai,  lu  glo- 
rieux règne  de  Canul  :  lus  trois  pays  Scandinaves 
guerroienl  1rs  uns  contre  lus  autres;  la  famille  royale 
esl  divisée  par  des  haines  el  par  des  crimes  ;  lu  Dane- 
mark, partagé  un  plusieurs  provinces,  esl  réduil  a 
une  complète  impuissance,  ut  quand  le  roi  Niels  est, 
sommé  par  Lothaire  île  se  reconnaître  vassal  de  L'em- 
pire, il  su  soumet  sans  résistance  (1 L25).  Mais  le  Dane- 
mark commence  une  ère  nouvelle  avec  le  roi  Walde- 
niar  Ier,  lu  Sauveur  ou  lu  Victorieux  (1157).  Après 
avoir  rétabli  l'unité  dans  l'état,  Waldemar  fortifie  son 
pays  contre  les  attaques  dos  pirates  de  la  Baltique, 
Mecklembourgeois,  Poméraniens,  Prussiens,  Finlan- 
dais el  Ksi  hou  ii  mis:  puis  il  prend  L'offensive  contre  eux 
avec  de  grands  succès.  Il  a  pour  auxiliaire  son  chan- 
celier, l'évêque  de  RoesMlde,  Absalon.  Descendanl  du 
fameux  pirate  Palnatoke,  Absalon  était  Le  plus  terrible 
adversaire  îles  pirates;  au  plus  fort  de  l'hiver,  il  croi- 
sait sur  la  Baltique,  et  l'on  rapporte  que  les  Wendes 
ayant  cru  le  surprendre,  un  jour  qu'il  célébrait  une 
messe  solennelle,  il  déposa  la  crosse  pour  saisir  la 
massue,  puis,  tombant  sur  les  païens  avec  ses  clercs, 
ses  chantres  ci  ses  ouailles,  rejeta  les  agresseurs  à  la 
mer.  Dans  l'île  de  Riigen,  où  il  accompagna  sou  roi, 
il  brûla  lu  temple  fameux  de  Swantowit  :  sur  les 
ruines  fumantes  des  sanctuaires  païens,  le  prélat  bap- 
tisait de  force  ses  néophytes. 

Tant  irue  dura  le  duché  de  Saxe,  le  Danemark,  allié 
fidèle  d'Henri-le-Lion,  ne  joua  dans  ces  guerres  contre 


EX    PAYS   SLAVES  141 

les  païens  de  l'est  qu'un  rôle  secondaire  el  subor- 
donné, et  Ton  sait  déjà  que  la  suzeraineté  de  la  Saxe  fui 
imposée  au  Mecklembourg,  à  la  Poméranie,  el  même  à 
la  moitié  de  Rugen,  bien  que  cette  île  eût  été  conquise 
parles  seules  armes  du  roi.  Mais  Waldemar  vit  tomber 
Ëenri-le-Lion ,  et  Canut  VI  1182-1202  recueillit  sur 
la  rive  droite  de  l'Elbe  la  succession  du  Guelfe.  Un 
chroniqueur  contemporain  a  bien  vu  cette  conséquence 
de  la  destruction  du  duché.  «  Le  roi  Canut,  dit  Arnold 
de  Liibeck  i ,  jouissait  d'une  paix  profonde  dans  son 
royaume  :  il  se  souvint  (h^  calamités  que  les  Slaves. 
au  temps  de  ses  pères  .  avaient  infligées  à  son  pays, 
et.  les  voyant  privés  des  secours  du  duc  Henri,  qui 
les  avait  muselés  par  le  frein  de  sa  domination,  il 
jugea  le  moment  opportun  pour  les  attaquer.  - 

Canut  avait  grandi  au  milieu  du  combat  contre  les 
Slaves.  Invité  par  Frédéric  à  se  reconnaître  vassal  de 
l'empire,  il  temporise,  jusqu'à  ce  qu'il  soif  solidement 
assis  sur  le  trône.  L'empereur  le  presse,  en  le  me- 
naçant de  faire  un  autre  roi  :  •  Qu'il  trouve  d'abord  ce 
roi-là.  répond  Canut.  »  —  «  Ton  empereur,  dit  le'  chan- 
celier Àbsalon  à  l'ambassadeur  de  Frédéric,  n'aura  pas 
du  roi  de  Danemark  le  plus  petit  hommage  :  entends- 
tu  bien  ?  >■>  Frédéric,  qui  ne  se  trouve  pas  alors  en  étal 
de  mimera  bien  une  guerre  contre  le  Danemark,  or- 
donne a  Bogislaw  de  Poméranie.  qu'il  a  fait,  après  la 
chute  d'IIenri-le-Lion  .  duc  et  prince  du  Saint-Em- 
pire ,  d'attaquer  Garnit  :  Bogislaw  est  vaincu  et  forci' 
de  venir  en  grand  appareil,  à  bord  de  la  flotte  danoise, 
remettre  entre  les  mains  du  roi  son  duché,  pour  le 
recevoir   de  lui  en   fief.  Au  même  moment  .  interve- 

I    Voyez  Arn.  de  Lub.,  III,  b(ap.  Leibniz,  t.  II,  p.  6.">7). 
2.  Usinger,  loc.  cit.,  p.  53-5. 


|  12  l  1 1  s'Ql  ÊTES   DES    ASC  wh-.ns 

ii;iiit  dans  Le  Meckleinbourg  entre  deux  prétendants, 
Niclol  el  Borwin,  Canul  établit  le  premier  à  Rostock, 
le  second  à  Mecklembourg,  après  avoir  reçu  Leur  bom- 
mage1.  Gela  fait  il  ajouteàsou  titre  relui  de  roi  des 
Slaves.,  el  il  attaque  la  Nordalbingie. 

Adolphe  de  Schaumbourg,  comte  de  Holstein,  étail 
un  ambitieux,  ami  du  faste,  dépensier,  dur  à  ses  vas- 
saux el  à  ses  sujets.  11  eut  L'imprudence  de  provoquer 
Ganut  en  appuyant  un  prétendanl  à  La  couronne  da- 
noise :  il  fut  vaincu  el  forcé  de  l'acheter  son  comté 
des  mains  du  vainqueur.  Ainsi  le  pays  allemand  étail 
entamé.  G'esl  une  grande  époque  dans  L'histoire  du 
Danemark.  Canut  voyait  l'alliance  de  sa  maison  re- 
cherchée par  Philippe-Auguste  :  le  roi  do  Franco  avait 
été  Tort  exigeant  pour  la  dot,  et  Canul  avait  \wi  mo- 
ment hésité  à  donner  les  dix  mille  marcs  qu'on  lui 
demandait  :  mais  l'abbé  Guillaume  d'Eschilsoe  avait 
vaincu  ses  résistances  :  o  Songez,  lui  avait-il  dit,  que 
ce  n'est  point  un  petit  honneur  qui  vous  est  offert,  ei 
que  si  vous  acquérez  l'amitié  des  rois  de  France,  vous 
n'aurez  plus  à  craindre  dans  l'avenir,  les  convoitises 
et  l'avidité  de  l'empire  2.  » 

Beaucoup  plus  que  l'alliance  des  rois  do  France, 
les  dissensions  de  l'empire  protégèrent  Ganut'contre 
l'Allemagne.  Il  ne  se  prononça  pas  tout  de  suite  entre 
Otton  de  Brunswick  et  Philippe  de  Hohenstaufen  ; 
mais  sa  famille  était  amie  de  celle  des  Welfs;  au  con- 
traire les  alliés  du  gibelin  Philippe,  c'est-à-dire  Ber- 
nard de  Saxe,  Otton  de  Brandebourg,  les  archevêques 

1.  Arn.  de  Lub  ,  ni,  4  (loc.  cit.  p.  G56)...  Rege  (Kanuto)  sic  dis- 
ponente,  qui  jam  terram  Slavorum  sibi  subjicere  cogilabat  et  adji- 
cere  regno  suo... 

2.  Usinger,  p.  68.  —  Epistolce  Wilhelmi,  II,  23,  («p.  Langebeck, 
Scriptores  rerum  dariicarum  medii  œci,  t.  VI,  p.  43}. 


EX    PAYS    SLAVES  143 

de  Brème  et  de  Magdebourg,  le  comte  de  Holstein,  en 
un  mot  les  princes  allemands  du  nord-esl  étaient  les 
ennemis  naturels  du  Danois,  depuis  qu'il  avait  l'ait  en 
Slavie  et  en  Nordalbingie  de  si  grands  progrès.  Le 
margrave  de  Brandebourg  surtoul  ue  pouvait  souffrir 
que  le  roi  de  Danemark  s'arrogeât  en  Slavie  une1  suze- 
raineté à  laquelle  il  croyait  avoir  dr*  droits.  En  1197  l 
il  fît  en  Poméranie  une  expédition  suivie  de  con- 
quêtes; mais  l'année  suivante  la  Hotte  danoise  re- 
monta l'Oder  et  débarqua  une  armée  que  les  contin- 
gents dos  Mecklembourgeois  et  des  Rugiens  vinrent 
rejoindre.  A  sa  tête  était  le  chancelier  du  royaume, 
Pierre,  évêque  de  Roeskilde,  successeur  d'Absalon. 
Otton  marcha  contre  les  coalisés;  il  paraît  avoir  eu 
l'avantage  dans  la  sanglante  bataille  qu'il  leur  livra; 
le  chancelier  de  Danemark  fut  blessé  et  pris,  mais 
le  margrave  fui  obligé  de  l'aire  une  retraite,  qu'une 
chronique  danoise  appelle  une  fuite2  (1198). 

Otton  l'ait  un  nouvel  effort  avec  l'aide  d'Adolphe  de 
Holstein  :  en  1199,  ils  ravagent  en  commun  la  Slavie. 
Pour  se  protéger  contre  les  représailles  qu'il  prévoit, 
Adolphe  demande  des  secours  partout.  11  en  reçoit  de- 
deux  partis;  Guelfes  et  Gibelins,  sans  se  réconcilier, 
se  portent  à  la  frontière  pour  la  défendre  contre  les 
Danois.  (  in  s'observe  longtemps  d'une  rive  de  i'Evder 
à  l'autre,  et  l'on  se  sépare  sans  combattre.  Au  prin- 
temps, Adolphe  veut  reprendre  et  fortifier  Rends- 
bourg  dans  une  île  de  l'Eyder;  mais  les  Danois  accou- 
rent.  Le  comte  de   Holstein  est   forcé  de  demander 

1.  Olho,  margravius  de  Brandeburg,  infestabat  Canutum  regem, 
subjiciens  sibi  quosdara  Slaves,  quos  rex  suie  dittonis  esse  dice- 
bat...  Arnold,  VI,  9  [loe.  cit.,  p.  715; 

2.  ld  ,  ibid.,  et  Chronicon  Danorum  (ap.  Scriptores  rerum  dani- 
carum,  t.  III,  ad  ann.  1198  . 


|  ',  ',  CONQUÊTES   DES    ASCANIENS 

la  paix.  Cette  fois,  les  Dithmarses  passent  sous  la 
domination  danoise  L#00).  Une  dernière  tentative 
d'Adolphe  à  Laquelle  s'associe  Le  comte  de  Ratzebourg 
est  plus  malheureuse  encore  L^Ol  :  Les  deux  alliés 
perdent  successivement  toutes  leurs  villes;  à  La  lin 
Adolphe  est  surpris  dans  Hambourg  el  t'ait  prisonnier. 
Après  deux  ans  de  captivité,  il  est  dépouillé  de  son 
comté  el  retourne  à  Schaumbourg  sur  Le  Wéser,  dans 
Sun  domaine  patrimonial1.  Waldemar  II.  qui  succède 
à  son  frère  Canut  (1202-1241  ,  prendle  titrederoi  des 
Danois  cl  dos  Slavos,  seigneur  do  la  Nordalbingie. 

Waldemar  s'était  illustré  déjà  sous  Le  règne  do  son 
frère.  C'était  un  marin  aussi   bien  qu'un  soldat  ac- 
compli, un  politique  que  son  amour  des  combats  cl  de 
la  gloire  no  put  jamais  entraîner  à  une  imprudence,  un 
administrateur  avisé,  qui  mit  de  l'ordre  dans  les  li- 
nances  royales,  et  qui  eut  le  droit  de  s'appeler  l'ami 
dos    marchands,   car  il  accorda   au   commerce   une 
protection  intelligente.  Il  inaugura  son  règne  par  un 
voyage  dans  la  Nordalbingie  et  la  Slavie,  et  donna  le 
comté  de  Holstein  et  une  partie  de  celui  de  Ratzebourg 
à   son   neveu,   Albert   d'Urlamiinde,  qu'il  tint  dans 
une  étroite  dépendance.  Tout  semblait  concourir  à  la 
fortune    croissante   du   Danemark.    Ses   ennemis   lui 
offrirent  l'occasion   d'intervenir  dans  les  affaires   de 
l'archevêché  de  Brème.  L'archevêque  Hartwig  étant 
mort ,   le   chapitre    élut    Waldemar    de   Schleswig , 
de  la   famille  royale   de   Danemark ,   et   qui   n'était 
autre  que  le  prétendant  au  trône  auquel  Adolphe  de 
Holstein  avait  prêté  son  appui  contre  Canut.  Un  sem- 
blable choix  était  une  provocation  à  l'adresse  du  roi  de 

1.  Usinger,  loc.  cit.,  p.  92  et  suiv. 


EX   PAYS   SLAVES  145 

Danemark;  Waldemar  la  releva.  Hambourg  avait  ou 
avantBrême  le  siège  archiépiscopal  et  gardait  encore  une 
partie  du  chapitre  diocésain  :  les  chanoines  de  Ham- 
bourg, n'ayant  pas  été  consultés  pour  l'élection,  nom- 
mèrent un  anti-archevêque.  Les  deux  rivaux  se  dispu- 
tèrent à  main  armée  le  comté  de  Stade.  Le  roi  Waldemar 
soutint  naturellement  les  droits  de  ses  sujets,  les  cha- 
noines de  Hambourg.  Il  lit  construire  sur  l'Elbe  un 
pont  permanent,  dont  la  tète  était  défendue  par  la  for- 
teresse de  Harbourg,  construite  sur  le  territoire  brè- 
mois.  Ainsi  le  roi  de  Danemark  prenait  pied  sur  la  rive 
gauche  de  l'Elbe  L  La  même  année,  sur  la  rive  droite, 
il  attaquait  le  comte  de  Schwérin,  resté  seul  indépen- 
dant parmi  les  anciens  tiel's  d'Henri-le-Lion ,  H  dont 
le  territoire  séparait  maintenant  les  domaines  do  Wal- 
demar de  ceux  du  margrave  do  Brandebourg,  son  en- 
nemi. 

Ces  événements  passaient  presque  inaperçus  en  Al- 
lemagne, ou  l'on  ne  se  souciait  guère  des  frères  alle- 
ds  de  la  Nordalbingie.  Pendant  que  Waldemar 
ravageait  le  comté  de  Schwérin,  l'empereur  Otton  lui 
vint  demander  des  secours  sur  les  ruines  de  Boizen- 
bourg,  détruite  par  lui:  mais  quand  il  se  trouva  seul 
dans  l'empire  par  la  mort  de  son  rival,  Otton  changea 
do  politique.  Tour  gagner  les  princes  de  l'est,  en  par- 
ticulier les  margraves  de  Brandebourg,  demeurésjus- 
que-la  les  fidèles  alliés  di's  Gibelins,  il  fallait  qu'il 
rompit  ;i  mi  des  Slaves,  seigneur  de  la  Nordal- 

bingie  ».  11  sembla  qu'un  grand  effort  fût  sur  le  point 
d'être  t'ait  contre  le  Danemark.  Au  printemps  de  1209, 

1.  Rex  Waldemarus  pontein  ultra  Allnani  sterni  fecit....  et.... 
castrum  Horneburg  firmissime  aedificavit.  Arnold,  VII,  13  (/oc. 
cit.,  p.  737;. 

lu 


]  ili  l  0NQ1  i  il'    DES  A   CANIJ  v 

aux  diètes  d'Altenbourg  et  de  Brunswick,  se  trouvèrent 
réunis  L'archevêque  de  Magdebourg,  le  duc  Bernard 
de  Saxe,  Le  margrave  Albert  de  Brandebourg,  les 

ci-devanl  comtes  de   Holstein  et  de  Ratzeb ig,  Le 

comte  de  Schwérin,  tous  ennemis  de  Waldemar.  On 
rapporte  qu'à  Brunswick,  apercevant  Le  Lion  de  bronze 
qu'Henri-le-Lion,  au  temps  de  sa  grandeur,  y  avait 
fait  placer,  et  dont  La  gueule  ouverte,  tournée  vers 
l'est,  semblait  menacer  La  marche  de  Brandebourg,  le 
fils  d'Albert  l'Ours,  Bernard  de  Saxe,  l'interpella  en 
ces  termes  :  «  Il  y  a  trop  Longtemps  que  tu  regardes  à 
l'est;  tuas  ce  qu'il  le  fallait  ;  tourne-lui  maintenant  vers 
le  nord  »,  c'est-à-dire  vers  le  Danemark  *.  A  ces  mots 
eu  éclata  de  rire,  ajoute  Arnold  de  Liibeck;  mais  plu- 
sieurs admirèrent  cette  parole  dont  ils  comprirent  le 
sens  profond. 

Les  hostilités  éclatent  bientôt.  A  peine  sont-elles 
commencées  qu'Otton  s'attire  la  réprobation  pontifi- 
cale, pour  avoir  repris  les  prétentions  gibelines  en 
Italie.  Frédéric  de  Hohenstaufen,  le  protégé  du  pape, 
passe  les  Alpes.  Le  jeune  prétendant  et  Waldemar 
avaient  des  ennemis  communs  :  ils  ne  pouvaient  point 
ne  [>as  s'entendre.  A  la  fin  de  1214,  ils  concluenl  un 
traité  que  Frédéric  publie  solennellement  à  la  diète 
de  Metz. 

Sous  prétexte  que  c'était  «  le  devoir  de  la  majesté 
impériale  2  d'assurer  la  paix  de  l'Église  »,  Frédéric 
déclarait  «  nouer  une  amitié  constante  et  inviolable 
avec  le  bien  aimé  seigneur  Waldemar,  le  très-chrétien 
roi  des  Danois.  »  En  conséquence,  «  sur  le  conseil  et 


1.  Arn.  Lub.,  VII,  18  (loc.  cit.,  p.  741). 

2.  Voyez  Huillard-Bréholles,  Hisloria  diplomatica  Friderici  se- 
cundi,  t.  I,  pars  I,  p.  346-8,  et  la  note  de  la  page  348. 


EN    PAYS   SLAVES  147 

avec  le  consentement  des  princes  de  l'empire  romain, 
pour  assurer  la  paix  du  royaume  de  Danemark  el  tenir 
en  bride  les  ennemis  de  l'empire,  »  il  confirmait  à 
Waldemar  la  possession  de  «  tous  1rs  pays  frontières 
au  delà  de  l'Elde  et  de  l'Elbe,  qui  appartenaient  autre- 
fois à  l'empire  romain,  mais  que  le  roi  Canut  et  son 
frère  Waldemar,  provoqués  par  beaucoup  d'insultes, 
avaienl  conquis  par  l'épée  et  détenaient  en  leur  pou- 
voir ».  Il  lui  cédait  en  outre  toute  la  partie  de  la  Slavie 
conquise  par  le  roi  Canul  i  n  père1.  Pour  qu'il  ne 

it  aucun  doute  sur  le  caractère  de  cette  cession  (1rs 
le  l'empire  à  un  étranger,  Y  terminait 

ainsi  :  -  Qu'aucun  de  uns  successeurs  ou  des  princes 
de  L'empire  romain  ne  trouble  par  les  armes  ou  par 
ses  plaintes  le  dil  bien  aimé  mi  de  Danemark  dans  la 
possession  de  ses  territoires,  sous  le  prétexte  qu'ils  ont 
appartenu  autrefois  à  l'empire  romain  2.  C'est  notre 

ilution  de  soutenir  le  roi  Waldemar  envers  cl  con- 
tre Ions,  réserve  l'aile  du  respect  que  nous  devons  au 
i  fera  sans  aucun  doute  pour  nous 
en  tout  ce  qui  nous  concerne!  » 

Frédéric  II  payait  d'un  prix  énorme  l'alliance  de 
Waldemar.  Non  seulement  il  fermait  aux  princes  de 
l'Allemagne  orientale  les  routes  de  la.  Slavie;  mais 
les  évèchés  de  Lubeck  el  de  Ratzebourg,  les  comtés 
de  Holstein,  Ratzebourg ,  Scliwérin,  la,  ville  libre 
de  Lubeck  passaient  sous  la  domination  danoise.  Il 
ne  faut  point  s'étonner  (pu.'  ni  le  sceau  du  margrave 

1.  Omm  lanam  et  Alluma  Romano  attinentes 
irnperio,  quos  rex  Kanutus,  multi  us  injuriis,  cum  fratre 
suo  jamdicto  Waldemaro  armis  optinuit  et  possedit,  et  quicquid 
in  Slaviâ  rex  Kanulus  comparaturn  paterno  bloque  labore  te- 
nuit... 

2.  Eo  quod  aliquando  imperio  subjecti  fuerint.... 


I  iS  C0NQ1  T  rES    DES   ASCANIENS 

de  Brandebourg,  ni  celui  d'aucun  prince  ou  comte  de 
L'est,  n'ait  été  apposé  aubas  île  ce  traité.  Dès  long- 
temps, ceux-ci  étaieul  entrés  en  Lutte  contre  Le  Dane- 
mark; le  margrave  Albert  11,  successeur  d'OttoD  1, 
depuis  1205,  combattait  pour  l'aire  valoir  ses  droits 
sur  1  ;  t  Slavie,  el  L'ascanien  Bernard,  duc  de  Saxe,  pour 
récupérer  La  Nordalbingie  (1211). 

Ed  L2 1  i  la  Lutte  de\  ienl  très-vive.  Waldemar attaque 
le  comté  «le  Schwérin,  où  il  prend  et  rase  Le  château  de 
Wotmunde.  Le  margrave  Alberl  fail  en  Poméranie  une 

incursion  d'abord  heureuse,  car  il  prend  l'asewalk  el 
même  Stettin;  mais  Waldemar,  arrivé  au  secours  de 
son  vassal  Bogislaw  II,  fait  reculer  Albert  jusqu'au 
delà  de  l'Elbe  et  lui  reprend  ses  conquêtes  '  ;  la  même 
année  il  triomphe  enfin  de  la  résistance  des  comtes 
de  Schwérin,  les  force  à  reconnaître  sa  suzeraineté, 
et  fait  une  expédition  victorieuse  dans  la  marche. 

Cependant  son  cousin,  l'archevêque  Waldemar,  se 
maintenant  toujours  à  Brème,  le  roi  attaque  le  terri- 
toire de  l'archevêché  (1215  ;  mais  il  ne  peut  prendre 
Stade.  Otton  IV,  de  retour  de  Bouvines,  se  rend  dans 
l'est,  pour  faire  une  campagne  décisive  contre  les  Da- 
nois :  le  margrave  Albert  est  à  ses  côtés.  La  guerre 

issit  d'abord  aux  coalisés  auxquels  Hambourg  ouvre 
ses  portes  ;  mais  quand  Waldemar  arrive  avec  des 
forces  supérieures,  ils  s'enfuient  sur  la  rive  gauche  de 
l'Elbe.  Encore  une  fois  le  comté  de  Stade  est  ravagé 
(1215).  C'est  le  dernier  effort  que  font  en  Nordalbingie 
les  partisans  d'Otton. 

1.  Marchio  de  Brandeburgh  cum  exercitu  Albiam  transi  vit,  vo- 
lens  contra  regem  pugnare.  Sed  cum  percepit  exercitum  régis 
vale  magnum,  in  fugam  ultra  Albiam  est  conversus....  Castra 
vidalicet  Posewald  et  Stetin,  qua3  marchio  occupaverat  sunt  reac- 
quisita....  {Chron.  Danor.,  ad  ann.  1214,  loc.  cit.,  p.  363.) 


EN  PAYS   .-LAVES  1  i') 

Les  uns  après  les  autres  les  ennemis  de  Waldemar 
traitèrenl  avec  lui.  Il  n'y  cul:  point  de  paix  positive, 
niais  un  armistice  entre  le  Danemark  et  le  Brande- 
bourg, depuis  le  jour  où  le  margrave  quitta  le  parti 
d'I  Ulon.  En  1218  il  veut  réconciliation  véritable.  Pour 
la  sceller,  Albert  négocia  le  mariage  de  sa  fille  Ma- 
thilde  avec  le  neveu  du   roi.  0  Liinebourg; 

mais  les  deux  fiancés  étaienl   parents  au  quatrième 
degré  :  il  fallait  donc  solliciter  l'aul  l'E- 

glise. Le  margrave  chargea  de  cette  mission  le  zélé 
missionnaire  Christian,  évèque  de  Prusse,  lui  promet- 
tant son  appui  dans  l'œuvre  sainte  de  la  conversion 
des  infidèles,  s'il  obtenait  du  pape  cotte  faveur  qui  met- 
trai! un  terme  à  de  longs  différends.  Le  pape  accorda 
l'autorisation  demandée,  en  déplorant  que  «  Penrj 
du  genre  humain  eût  semé  la  zizanie  entre  son  très- 
cher  fils  en  Christ,  l'illustre  roi  des  Danois,  et  le 
noble  margrave  de  brandebourg  ».  Il  flétrissait  «  ces 
massacres  lamentable-,  ces  incendie-.,  ces  barbaries 
impossibles  à  raconter  par  le  détail  »,  et  l'acharne- 
ment de  ces  haines  qui  donnent  à  l'ennemi  «  soif 
du  sang  cl  faim  de  la  chair  de  son  ennemi  ».  Par  là, 
s'écriait  le  pontife,  <  vient  à  manquer  le  secours  que 
le  roi  et  le  margrave  pouvaient  apporter  à  la  conver- 
sion des  Prussiens,  car  ils  sont  voisins  de  cette  terre, 
riches  en  sujets  et  en  argent...  C'est  parleur  faute  que 
périssent  misérablement  les  finies  d'un  grand  nom- 
bre l  !  »  Encore  une  fois  le  pape  montrait  qu'au  milieu 
des  querelles  des  princes  chrétiens,  il  gardait  intacte 
■  de  la  divine  mission  de  l'Église  1 1219  . 

Il   est  probable   qu'a  l'occasion  de  ce  mariage   le 

1.  Et  pereunt  miserabiliter  animae   pluriraorum...  Riedel,  Cod. 
dipl,  II,  t.  I,  p.  7,  n   XIII. 


[50  CONQI  i   rES    DES   A.SCANIENS 

margrave  de  Brandebourg  < lui  renoncer  à  ses  j »i-*'- 
bentions  sur  La  Poméranie. 

Les  intérêts  germaniques  semblaient  donc  définiti- 
vement sacrifiés  en  Nordalbingie  et  en  Slavie.  Or  au 
même  moment,  Allemands  el  Danois  se  trouvaient  en 
présence  sur  la  rive  orientale  de  La  Baltique,  appelé 
par  Les  évêques  allemands  de  Biga,  d'Esthonie  et  de 
Sémigalle,  pour  combattre  les  Esthoniens  païens  et 
les  Busses,  qui  voyaient  de  mauvais  œil  ces  étrangers 
de  confession  Latine  s'implanter  dans  leur  pays,  Wal- 
demar  fit  «  en  l'honneur  de  La  Vierge  et  pour  La  rémis- 
sion de  ses  pèches  »  une  croisade  en  Esthonie.  Mais 
les  Allemands  et  les  Danois  ne  tardèrent  pas  à  se  dis- 
puter «  la  nouvelle  vigne  du  Seigneur  ».  Fortement 
établis  en  Esthonie,  où  ils  fondèrent  Bevel,  Les  Danois 
menacèrent  l'indépendance  de  La  colonie  germanique 
de  Livonie  *. 

Ainsi,  au  début  du  xinc  siècle,  est  engagé  entre 
le  Danemark  et  l'Allemagne  cecombal  pour  la  Nor- 
dalbingie, dont  le  dernier  épisode  s'est  passé  sous  nos 
yeux,  et  le  combat  pour  la  Baltique,  où  les  Suédois  et 
les  Russes  succéderont  aux  Danois,  pour  perpétuer 
une  lutte  qui  n'est  pas  près  de  finir.  Il  fallait  exposer 
ces  faits,  afin  de  montrer  d'une  part  comment  l'avenir 
de  la  marche  de  Brandebourg  était  menacé  par  le 
Danemark,  d'autre  part  comment  les  margraves  en 
luttant  contre  Waldemar,  défendaient  les  intérêts  de 
l'Allemagne  abandonnés  par  Frédéric  II.  La  marche 
ne  prit  pourtant  point  une  part  directe'  à  la  Lutte  dé- 
cisive, qui  s'engagea  pendant  la  minorité  de  Jean  et 
d'Otton. 

t.  Voyez  Ewald,  Die  Erobcnouj  Preussens  durch  die  Deutschen, 
t.  I,  p.  23-6. 


EX    PAYS    SLAVES  151 

Un  pieux  chevalier  allemand,  le  comte  Henri  de 
Schwérin,  avait  à  se  plaindre  du  roi  de  Danemark. 
Au  retour  d"un  voyage  en  Egypte,  d'où  il  avait  rap- 
porté une  jaspe  contenant  une  goutte  du  sang  de 
Notre-Seigneur,  il  se  rend  auprès  du  roi  \Yalde- 
mar,  qui,  en  compagnie  de  son  fils,  chassait,  dans 
l'île  de  Lyo,  l'ours,  le  cerf  et  le  cheval  sauvage.  Bien 
reçu  par  son  suzerain,  qui  lui  fait  des  présents,  l'invite 
à  sa  table  et  le  fait  joyeusement  souper,  il  attend  la 
nuit  pour  se  saisir  de1  la  personne  des  deux  princes 
qui  dormaient,  i  ix  roi  qui  veut  se  défen- 

dre, lui  met  on  bâillon  sur  la  bouche,  et  va  renfermer 
d'abord  à  Lenzin,  puis  à  Dannenberg,  dans  un,  châ- 
teau tout  entouré  de  marais.  Un  montre  encore  «  le 
trou  du  roi  »,  c'est-à-dire  le  triste  réduit  ou  fut  enfe 
celui  qui  naguère  :  était  un  des  plus  puissants 

rois  de  l'Europe. 

L'événement  (1223)  fît  du  bruit  dans  le  monde  en- 
tier. l"n  poëte  danois  flétrit  l'infâme  action  du  nou- 
veau Judas,  et  somma  les  chevaliers  du  Danemark, 
ces  vaillants,  ces  héros,  ces  fils  d<->  géants  »  do 
secourir  leur  seigneur;  mais  le  Danemark  n'avait  pas 
do  chefs,  et  l'Allemagne  entière  entendait  bien  garder 
la  riche  proie  du  comte  de  Schwérin.  Des  lointains  ri- 
vages de  la  Liv  isqu'au  Rhin,  on  se  réjouit  du 
malheur  de  Waldemar.  Le  prisonnier  acheta  très-cher 
sa  liberté  :  i!  \  eut  pendant  doux  ans,  une  suite  de 
marchés,  durant  laquelle  crûrent  sans  cesse  les  exi- 
ices  de  l'avidité  germanique.  Libre  enfin  en  1225, 
et  aussitôt  relevé  par  le  pape  d'un  serment  arra- 
ché par  la  félonie  et  par  la  force,  Waldemar  fut 
victorieux  d'abord  sur  les  rives  de  l'Eyder  (1226  :  il 
recommença  la  conquête  de  la  Nordalbingie,  mais,  le 


152  CONQUÊTES  DES    A.SCANIENS 

22  juillel  L227,  après  avoir  vaillamment  combattu 
contre  L'armée  allemande  commandée  par  L'archevê- 
que de  Brème,  attaqué  en  arrière  par  une  troupe  de 
Dithmarses,  ayanl  perdu  an  œil  dans  Nv  combat,  le 
vieux  roi  s'enfuil  du  champ  de  bataille  de  Bornhôvet. 
La  puissance  du  Danemark  était  brisée. 

Gomme  après  La  chute  du  duché  de  Saxe,  Les  mar- 
graves de  Brandebourg  eurenl  bonne  pari  aux  dépouil- 

Les.  En  L'année  L231  •  au  moment  où  Frédéric  II  doi 

L'investiture  de  La  marche  de  Brandebourg  a  Jean  el  à 
Otton  devenus  majeurs,  il  y  ajoute  0  par  surabondance 
df  grâce  »  le  duché  de  Poméranie  «  que  l'on  sait  avoir 
été  possédé  par  leur  père  et  ses  prédécesseurs  ».  Les 
margraves  avaient  tenu  à  faire  inscrire  la  reconnais- 
sance d'un  droit,  qu'aucun  document  historique  ne 
justifie,  mais  qu'ils  croyaient  implicitement  contenu 
dans  l'acte  par  lequel  Albert  l'Ours  lui  investi  de  la 
marche  du  Nord  1. 

Or  en  Poméranie,  à  Bogislaw  I,  le  vassal  du  Da- 
nemark, avaient  succédé  Casimir  et  Bogislaw  II,  ses 
fils,  Wratislaw  et  Barnim,  ses  petits-fils.  Le  duché 
avait  été  partagé  :  Wratislaw  régnai!  à  Demmin  et 
Barnim  à  Stettin  2.  Le  second  reconnut  la  suzerain ed' 
des  margraves,  et  le  premier  qui  n'y  voulut  poinl 

1.  De  superhabundaciori  gracia  nostrà  confirmantes  eisdem 
ducatum  Pomeraniae,  prouit  dictus  quondam  pater  et  predecesso- 
res  eo-rum  noscuntur  anostris  predecessoribustenuisse...  (Riedel, 
Cod.  dipl.  br.,  II,  t.  I,  p.  2,  n°  XX,  et 

2.  Bogislaw  I  4-1187. 


Bogislaw  II  +  1222  Casimir  -f-  1219 

(à  Stettin).  (à  Demmin). 

I  I 


Barnim  I  -\-  1278  Wratislaw  +  1264- 


EN    PAYS    SLAVES  153 

d'abord  consentir,  y  fut  sans  doute  contraint  par  la 
guerre,  car  le  dur  traité  qui  lui  fut  imposé  ne  peut 
être  autrement  expliqué  :  'Wratislaw  dut  se  recon- 
naître vassal  des  margraves,  leur  céder  les  terres  de 
Stargard,  de  Bezeritz,  Wustrow,  et  les  déclarer  ses 
héritiers,  au  cas  où  il  mourrait  sans  enfants  '  1236  . 
Cette  c  invention  où  n'est  pas  mentionné  le  nom  de 
Barnim,  dont  le  consentement  était  nécessaire,  puis- 
que la  dernière  clause  lésait  ses  intérêts,  paraît  avoir  été 
la  cause  d'une  guerre  entre  Barnim  et  les  margraves, 
où  Wratislaw  se  rangea  du  côté  de  son  cousin;  car  les 
deux  princes  poméraniens  font  encore  acte  de  souve- 
raineté [tendant  plusieurs  années  dans  les  territoires 
cédés.  G'esl  en  1244  seulement  que  les  margraves 
sont  entrés  en  possession,  comme  l'atteste  L'acte  de 
fondation  de  la  ville  de  Friedland  dans  le  pays  de 
Stargard  2. 

Six;  ans  après,  le  duc  Barnim  cède  au  Brande- 
bourg l'Uckermark  en  échange  de  la  terre  du  Wolgasl 
qu'il  reconnaît  «  avoir  détenue  contre  toute  justice, 
attendu  qu'elle  était  dévolue  par  droit  héréditaire  aux 
fils  de  son  seigneur,  le  margrave  Jean  3.  »  On  ne  sait 
point  si  ces  droits  avaient  été  apportés  dans  la  maison 
de  Brandebourg  par  Sophie,  fille  du  roi  de  Danemark 
Waldemar  II,  ou  par  tledwig,  fille  de  Barnim  de  Po- 
méranie,   qui   toutes  doux  furent  femmes  de  Jean  de 

1.  ILec  est  forma  compositionis....  scilicet  quod  dominus  Wers- 
laus  recepit  de  manibus  dominorum  marchionum  omnia  lu  ma 
que  habet....  et  resignavit  dominis  marchionibus  terram  Star- 
gard, et  terram  Beseritz...  el  terram  Wostrowe....  (Riedel,  Cod. 
dipl., II,  t.  I,  p.  17.  a'  XXV;. 

■2.  Civitati  nostrae  novellae  quae  Vredelandt  vocatur....  Riedel, 
ibid.,  p.  23,  n°XXXV). 

3.  Dominis  nostris  marchionibus,  pro  recompensatioue  castri 
et  terre  Wolgast,  terram  quae  LJkera  dicitur...  liberaliter  dimisi- 
mus...  (Riedel,  ibid,,  p.  31,  n°  XLIV...) 


154  CONQUl   l 'ES   DES   ASCANIENS 

Brandebourg.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  margraves  se  trou- 
vent en  1250  en  possession  des  territoires  de  Stargard, 
Beseritz,  Wustrow  el  de  l'Uckermark.  Par  le  même 
acte,  Barnim  se  reconnaissait,  comme  son  cousin,  le 
vassal  des  margraves  '    1250  . 

Le  Stargard  el  les  petits  territoires  de  Bezeritz  et 
de  Wustrow  forment  aujourd'hui  presque  tout  lo 
grand-duché  de  Mecklembourg-Strélitz.  Le  Wustrow, 
situé  entre  Penzlin  el  le  lac  Tollen,  déborde  un 
peu  dans  le  grand-duché  de  Mecklembourg-Schwé- 
rin.  L'Uckermark  ou  marche  de  l'Ucker,  située  à  L'esl 
du  Stargard,  dont  elle  était  séparée  par  la  frontière 
actuelle  du  Mecklembourg  el  de  la  Prusse,  dépas- 
sail  au  nord  le  territoire  de  la  province  de  Brande- 
bourg, qui  porte  aujourd'hui  ce  nom;  car  Pasewalk 
et  Torgelow,  vilk-s  de  Poméranie,  y  étaienl  com- 
prises :  l'Uckermark  atleignail  donc  presque  jusqu'au 
golfe  de  Poméranie  2. 

Ainsi  les  margraves  avaient  fail  plus  qu'hériter  de 
la  suzeraineté  du  Danemark  sur  la  Poméranie  :  ils 
avaienl  démembré  le  duché.  La  politique  acheva  ce 
que  les  armes  avaient  si  bien  commencé.  Barnim  I,  à 
la  mort  de  Wratislaw  (1264),  demeura  seul  maître  de 
la  Poméranie.  Il  était  veuf  et  n'avait  qu'un  fils,  Bogis- 
law  :  les  margraves  de  la  ligne  ottonienne  lui  don- 
uèrent  en  mariage  leur  sœur  Mathilde,  de  laquelle  il 
eul  deux  fils,  Barnim  II  et  Otton.  A  la  mort  de  Barnim  I 
(1278)Bogislaw  voulut  dépouiller  ses  deux  demi-frères  ; 
mais  les  margraves,  oncles  des  jeunes  ducs,  inter- 
vinrent en  leur  faveur,  et  leur  assurèrent  leur  part 

1.  Nos  autem  recognoscentes  nos  omnia  bona  nostra  à  dictis 
marchionibus  tenere...  ipsis  marchionibus  contra  quos  libet  ser- 
vitii  praestabimus  auxilium Id.  Ibid. 

2.  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  1,  p.   llii-i.Vi. 


EN    PAYS   SLAVES  1T5 

de  succession  (1284] l.  Quand  Barnim  II  eut  péri  assas- 
siné (1295),  Bogislaw  et  Otton  se  partagèrent  le  duché: 
le  premier  eut  la  Poméranie-Wolgast,  le  second,  la 
Poméranie-Stettin  :  la  Peene  séparait  les  deux  pro- 
vinces. Les  margraves,  en  leur  qualité  de  suzerains, 
avaieni  autorisé  cel  arrangenn 


TENTATIVES    DES    MARGRAVES    SUR    LA    '  LIE.    —    RAPPORTS 

c  l'ordre 

Depuis  la  morl  de  Swantibor  (1107),  la  Pomé- 
rellie  '■'■  avail  eu  son  histoire  distincte  de  celle  de  là 
Poméranie.  Trop  élo  mr  être  i  ux  luttes 

qui  se  poursuivaient  sur  la  frontière  germano-slave,  elle 
avait  eu  d'autres  combats  à  subir.  Obligi  con- 

naître la  suzeraineté  des  ducs  de  Pologne,  elle  avail  re- 
conquis son  indépendance,  après  des  guerres  où  s'était 
surtout  illustré  Swantepolk,  le  [dus  vaillant  dos  suc- 
cesseurs de  Swantibor  (1220-1266).  Cependant  les 
margraves  ascaniens  prétendaient  à  la  suzeraineté  de 
la  Poméi  ssi  bien  qu'à  celle  de  ta  Poméranie,  '.ai 

a  dos  droits  qui  leur  avaient  été  assurés  par  Fré- 
déric 11  :!  :  mais  il  fallait,  pour  qu'ils  atteignissent  la 
Pomérellie,  que  la,  conquête  les  eût  conduits  dans  la 
vallée  do  la  Warla.  Aussi  lui-  aient  dans  le  der- 

nier tiers  du  xme  siècle  qu'ils  commencèrent  leurs 
entreprises  sur  ce  nouveau   lorrain,  ou  ils  devaient 
ontrer  comme  auxiliaires,  mais  en  même  temps 


1.  Riedel,  Cod.  dipl,  II,  t.  1,  p.  176,  îe  CCXXX. 

2.  Voyez  page  52. 

',').   La  preuve  c'est  qu'au  moment  où  ils    s'engagent  dans  leur 
prise  contre  La  Pomérellie,  ils  se  fonl  confirmer  par  Adolphe 
de   Nassau,   en  12a.").  la  charte   de  Frédéric  11.  —  Voyez   Riedel, 
{Cod.  dipl.,  II,  t.  I,  p.  '210,  n°  CCLXXI.J 


lôli  Cl  INQ1  i  rES   DES   ASCANIENS 

comme  rivaux,  les  chevaliers  de  l'ordre  teutonique. 

I  h  hôpital  élevé  à  Jérusalem  1128),  mais  qu'il  fallul 
abandonner  après  la  prise  de  la  ville  sainte  par  Sa- 
ladin  |  L  18*7  ;  une  ambulance  fondée  sous  une  tente 
par  des  marchands  allemands  au  siège  de  Saint-Jean- 
d'Acre  L 190  :  telles  sonl  les  origines  de  l'ordre  hospi- 
talier ei  militaire  «  des  Frères  teutoniques  de  sainte 
Marie  de  Jérusalem  ».  Né  trop  tard  pour  faire  fortune 
en  Terre-Sainte,  où  chaque  croisade  était  marquée  par 
ilf  uouveaux  échecs,  il  eul  la  bonne  fortune  de  trou- 
ver un  établissement  au  uord-esl  de  l'Europe.  Her- 
manii  «If  Salza,  son  quatrième  grand-maître  (1210- 
1239),  l'envoya  sur  la  requête  du  duc  polonais  de 
Mazovie,  contrôles  Prussiens,  tribu  païenne  habitant 
la  rive  droite  delà  Yistule,  et  qu'avait  rendue  Fameuse 
le  martyre  de  saint  Adalbert.  La  résistance  des  bar- 
bares fut  longue  et  acharnée.  Chaque  succès  des  che- 
valiers, qui  coûtait  des  flots  de  sang,  exaspérai  la 
résistance  de  ce  qui  restait  à  soumettre,  et  plusieurs 
fois  des  révoltes  générales  appuyées  par  des  secours 
étrangers  vinrent  remettre  en  question  toute  l'œuvre 
de  la  conquête.  C'est  ainsi  qu'à  plusieurs  reprises, 
le  duc  île  Pomérellie,  Swantepolk,  inquiété  par  les 
Allemands  sur  sa  frontière  orientale,  dirigea  contre 
les  chevaliers  des  soulèvements  formidables  (1241-9), 
et  que  les  Lithuaniens,  pressés  entre  les  colons  alle- 
mands de  Livonie  et  ceux  de  Prusse,  appuyèrent  avec 
une  sauvage  énergie  l'effort  national  des  Prussiens 
contre  les  envahisseurs. 

Cependant  le  flot  de  la  colonisation  no  tarissait  pas. 
Les  villes  maritimes  comme  Liibeck  envoyaient  des 
marchands  pour  peupler  les  cités  nouvelles;  la  no- 
blesse d'Allemagne  comblait  les  vides  faits  par  la  mort 


EX    PAYS    SLAVES  157 

dans  les  rangs  do  Tordre.  De  temps  à  autre,  aux  mo- 
ments les  plus  difficiles,  le  pape  faisait  prêcher  une 
croisade.  La  plus  célèbre  fut  conduite  par  Ottocar 
de  Bohème  et  par  Otton  III,  margrave  de  Brande- 
bourg (1255).  Les  deux  princes  pénétrèrent  jus- 
qu'au fond  de  la  forêt  de  Boinowe  où  ils  mirent  la 
cognée  au  chêne  sacré  qu'adoraient  les  Prussiens. 
Kœnigsberg,  ainsi  nommé  en  l'honneur  du  roi  '  de 
Bohème,  fut  fondé  pendant  cette  expédition.  Il  fallut 
pourtant  cinquante-trois  années  d'une  guerre  sans  pi- 
tié, eu  l'incendie  des  villages,  la  déportation  et  le  mas- 
sacre de  tribus  entières,  étaient  devenus  les  moyens 
habituels  de  la  stratégie  des  chevaliers,  pour  faire 
cesser  la  dernière  résistance  de  ce  malheureux  pays 
contre  la  civilisation  allemande  et  chrétienne  (1283). 

Quand  la  complète  fut  achevée,  la  Pomérellie  se 
trouva  resserrée  entre  le  Brandebourg,  dont  la  fron- 
tière atteignait  alors  la  Kuddow,  et  Tordre  teutonique 
dont  elle  n'était  séparée  que  par  la  largeur  de  la  Vis- 
tule.  Ses  ducs  eurent  l'imprudence  d'offrir  en  même 
temps  aux  margraves  et  aux  chevaliers  l'occasion  d'in- 
trevenir  dans  leurs  affaires. 

Mestwin  il  (1266-1295),  successeur  de  Swantepolk, 
étant  en  guerre  avec  |son  frère  Wratislaw,  «  renonce  ;i 
la  propriété  de  tous  ses  domaines  en  faveur  de  ses  sel 
gneurs  les  margraves  »,  et  les  reçoit  d'eux  en  fiefs,  a. 


1.  De  Kônig,  roi,  cl  Bcrg,  montagne.  On  éleva  d'abord  sur  une 
colline  boisée  un  château,  autour  duquel  se  groupèrent  les  mai- 
sons d'une  ville,  qui  fut  détruit»;  ainsi  que  1<  château  en  1264. 
Ce  qui  resta  des  habitants  relit  la  ville  dans  la  vallée  entre  le 
château  qu'on  reconstruisit,  et  la  Pregel.  Deux  villages  voisins, 
Lôbenicht  et  Kneiphof,  ce  dernier  situé  dans  une  il''  de  la  Pre- 
gel, reçurent  au  commencem  nt  Mu  mv  siècle  des  chartes  muni- 
cipales. La  ville  actuelle  de  Kœnigsberg  est  la  réunion  de  ces 
trois  villes. 


[58  c.o\-ori'.Tl>    DES  ASCANIENS 

l'exception  du  château  et  de  la  terre  de  Belgard  qu'ils 
.,  garderonl  pour  leur  libre  usage  (1269  '  ».  Deux  ans 
après,  il  leur  »  offre  en  propriété  -  la  ville  de  Danzig2. 
L'espèce  de  traité  qu'il  signe  à  cette  occasion  montre 
quela  population  de  Danzigétail  très-mélangée,  et  qu'il 
\  avait  déjà  dans  ces  parages  un  grand  uombre  de  colons 
allemands,  car  Mestwin  assure  aux  margraves  qu'ils 
seronl  bien  accueillis  par  sainte  Catherine,  patronne 
du  lieu,  parla  sainte  mère  de  Dieu,  par  saint  Nicolas 
el  par  tous  les  saints,  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ, 
surtout  par  lui  Mestwin,  encore  mieux  par  les  fidèles 
bourgeois  allemands  et  prussiens  de  la  dite  ville,  et 
par  ses  spéciaux  sujets,  les  l'oniéranions. 

Avec  l'aide  des  Ascaniens,  Mestwin  n'a  pas  de 
peine  à  triompher  de  Wratislaw,  qui  s'enfuit  sur  les 
terres  de  Tordre  où  il  ne  larde  pas  ;  mourir.  Une  fois 
débarrassé  de  sou  rival,  Mestwin  se  brouille  avec  ses 
protecteurs,  et  il  appelle  contre  eux  son  cousin  Boles- 
law,  roi  de  Pologne.  Les  Brandebourgois  sont  forcés 
d'abandonner  Danzig,  et  sortent,  après  avoir  été 
complètement  battus,  de  la  Pomérellie  (1272) 3.  Pour 
se  garder  à  la  fois  contre  le  Brandebourg  et  contre 
l'ordre  avec  lequel  il  a  maille  à  partir,  Mestwin  resserre 
son  alliance  avec  la  Pologne  :  au  mépris  di^  droits  de 
ses  cousins,  les  ducs  de  Poniéranie,  et  de  ses  suzerains 
les  margraves,  il  choisit  pour  son  héritier  Przemis- 
law,  neveu  de  Boleslaw.  A  la  mort  de  Mestwin,  Prze- 
mislaw  qui,  sur  ces  entrefaites,  est  devenu  roi   de 


1.  Riedel,  Cod.  dipl,  II,   t.  I,  p.  101,  n°  CXXXVI. 

2.  Dominationi  vestrse  Gedanensem  civitatem  et  castrum  ejus- 
dem  loci  vobis  in  proprietatem  oilerimus...  etc.  Riedel,  Ibid...,  II, 
t.  I,  p.  112,  n°  CXLIV. 

3.  Die  altère  Chronik  von  Oliva  (ap.  Scriptores  rerum  prussica- 
rum,  I,  p.  688-9,  et  la  note  43;. 


EN    PAYS    SLAVES  159 

Pologne,  prend  le  titre  de  duc  de  Pomérellie  i  (1295). 
Aussitôt  les  margraves  de  Brandebourg  réclament  et 
la  guerre  éclate.  Elle  est  à  peine  commencée  que  le 
Polonais  est  assassiné,  peut-être  par  ordre  des  mar- 
graves 2,  niais  Wladislaw  Loktiek,  qui  lui  succède, 
revendique  la  Pomérellie  (129G  .  Les  (lues  poméra- 
niens  se  déclarent  pour  lui;  puis,  quand  il  a  été  déposé, 
pour  le  roi  de  Bohême,  Wenceslaw  II,  qui  est  élu  a,  sa 
place  (1300).  Pondant  plusieurs  années  se  renouvel- 
lent les  invasions  des  Polonais  el  des  Poméraniens 
dans  la  marche,  des  margraves  en  Pologne  et  en  Pomé- 
ranie.  Wenceslaw  II  a  pour  successeur  sur  les  trônes 
de  Bohême  el  de  Pologne  son  fils  Wenceslaw  III  (1305)  : 
c'est  lui  qui  offre  inutilement  aux  margraves  de  leur 
(•('■(lor  la  Pomérellie,  s'ils  veulent  lui  rendre  la  Misn 
Quand  il  a  péri  assassiné  (1306),  Loktiek,  l'adversaire 
des  Brandebourgeois,  remonte  sur  le  trône  :  la  que- 
relle menaçait  donc  de  ne  jamais  Unir;  mais  k\s 
margraves  usèrent  habilement  d'une  trahison  qui  vint 
s'offrir  à  eux. 

Une  des  plus  importantes  familles  de  la  Pomérellie 
était  celle  dos  Swenza.  Le  comte  Swenza,  nommé 
gouverneur  de  Pomérellie  par  Loktiek,  s'était  fait 
confirmer  dans  cette  dignité  par  Wenceslaw  11,  qui 
avait  aussi  comblé  sa  famille  de  faveurs.  C'est  de 
Wenceslaw  que  le  fils  aîné  de  Swenza,  Pierre, 
avait  reçu  Neuenbourg,  <\c<  villages  et  un  vaste  do- 
maine aux  bords  de  la  Yistule.  Les  Swenza  avaient  tout 
à  craindre  de  la  restauration  de  Loktiek,  auquel  ils 
n'étaient  point  demeurés  fidèles;  aussi  vendirent-ils 


1.  Id.,  ibid.,  p.  691-94. 

'2.  Id.,  ibid.,  p.  695  el  note  62. 

3.  Voyez  page  123, 


160  CONQUÊTES   DES  ASCANIENS 

à  l'ordre  teutonique  une  partie  de  leurs  biens,  en 
même  temps  qu'ils  négociaient  avec  les  margraves  de 
Brandebourg.  Ceux-ci  agissaienl  en  souverains  dans  le 
pays,  où  ils  avaienl  fondé  1303  les  villes  d'Arnskrone 
e1  de  Ivalies  '.  Les  Swenza  leur  promirenl  de  les  .- 1  î  *  I  «  *  i - 
dans  la  conquête  de  la  Pomérellie  (1307)  2.  Loktiek, 
informé  du  complot,  ni  arrêter  Pierre  de  Neuenbourg 
el  son  père,  mais  il  n'usa  poinl  pousser  la  vengeance 
jusqu'au  bout,  el  i!  échangea  ses  prisonniers  contre  des 
otages  qui  s'enfuirenl  de  leur  prison.  La  lutte  com- 
mença aussitôt. 

L'armée  margraviale,  guidée  par  les  Swenza,  par- 
couru! 1<;  pays  sans  résistance,  cuira,  clans  la  ville  de 
Danzig,  et  se  mit  en  devoir  d'assiéger  le  château, 
gardé  par  une  garnison  polonaise.  Après  avoir  sou- 
tenu vaillamment  des  assauts  presque  quotidiens,  Bo- 
gussa,  commandant  de  la  place,  s'échappa  de  nuit  et 
munit  jusqu'à  Sandomir  pour  exposer  au  roi  Loktiek 
la  détresse  où  se  trouvait  la  garnison;  il  lui  proposa 
de  demander  immédiatement  du  secours  aux  che- 
valiers de  l'ordre  teutonique.  Le  roi  ayant  approuvé 
la  proposition,  Bogussa  se  rendit  en  Prusse.  Les 
chevaliers  acceptèrent  avec  empressement  l'occa- 
sion qui  leur  était  offerte  de  s'immiscer  dans  les 
affaires  de  leurs  voisins.  Ils  promirent,  moyennant 
indemnité,  de  fournir  [tendant,  un  an  la  moitié  de  la 
garnison  de  Danzig.  Quand  ce  renfort  arriva  dans  la 
place,  les  Brandebourgeois  levèrent  le  siège,  après 
avoir  laissé  dans  la  ville  une  garnison  qui  fut  mas- 

1.  Riedel,  Cocl  dipl.  br.,  II,  t.  I,  p.  248,  n°  CCCXVIII. 

2.  Dominus  Swenza  et  fini  ejus...  cum  plurimis  militibus  mar- 
chionern  de  Brandeburg,  dominum  Woldemarum,  vocaverunt  ad 
suscipiendum  ducatum  Pomeraniae.  [Die  altère  chron...,  loc  cit., 
p.  704.) 


EN    PAYS   SLAVES  ICI 

sacrée  par  les  Polonais  ;  mais  ceux-ci  surent  bientôl  ce 
que  coûtait  l'assistance  de  l'ordre  teutonique. 

Sommé  de  se  retirer  après  le  départ  des  Brande- 
bourgeois,  Giinther  de  Schwarzbourg,  commandant 
des  chevaliers,  répond  que  le  traité  l'oblige  à  rester 
une  année  dans  la  forteresse  et  que  d'ailleurs  il  ne  par- 
tira pas  avanl  d'avoir  reçu  l'indemnité  stipulée.  De  là 
des  contestations,  des  disputes,  des  insultes.  Or,  un 
beau  jour,  les  chevaliers  tombenl  sur  les  Polonais  de 
la  garnison  qu'ils  tuent  ou  chassent.  Renforcés  par 
des  secours,  ils  surprennent,  à  la  faveur  d'une  nuit  de 
novembre,  la  ville  où  ils  font  un  épouvantable  mas- 
sacre :  l'ordre  teutonique  a  pris  pied  en  Pomérellie 
(1308  .  11  y  lit  de  rapides  progrès,  le  long  de  la  rive 
gauche  de  la  Yistule.  Sous  prétexte  que  l'indemnité 
promise  n'avait  point  été  payée,  les  chevaliers  s'em- 
parèrent de  Dirschau.  Loktiek  voulut  traiter,  mais  on 
lui  présenta  un  mémoire  dont  le  total  était  si  élevé  que 
le  malheureux  prince,  alors  en  guerre  avec  plusieurs 
de  ses  voisins,  ne  put  songer  à  s'acquitter.  L'ordre 
se  paya  de  ses  propres  mains  :  après  quatre  semaines 
di'  siège,  Schwetz  tomba  au  pouvoir  des  chevaliers, 
qui  des  lors  se  trouvèrent  complètement  maîtres  de  la 
ligne  de  la  Yistule1. 

Cependant  les  margraves  de  Brandebourg  conser- 
vaient Jours  droits  sur  la  Pomérellie  ;  il  Fallut  que  les 
chevaliers,  pour  être  tranquilles  dans  leurs  conquêtes, 
leur  offrissent  un  dédommagement,  l'ai'  un  traité  signé 
en  1309,Waldemar  de  Brandebourg  céda  ses  droits  sur 
Danzig,  Dirschau  et  Schwetz,  pour  la  somme  de  dix 
mille  marcs.  Le  traité  devait  être  exécutoire  quand 


1.  Voyez  Voigt,  Geschichte  l  IV.  p.  210-223. 

Il 


IliJ  CONQUÊTES  DES   ASCÀNIENS 

Waldemar  aurail  obtenu  1»'  désistement  i\c*  autres 
compétiteurs,  el  se  sérail  procuré  L'approbation  im- 
périale; l'ordre  se  chargeai!  d'obtenir  la  sanction  pon- 
tificale1 L309).  Les  c Litionsétanl  remplies  en  1311, 

le  marché  reçut  sa  pleine  exécution  2. 

Les  margraves  gardaienl  pourtant  quelques  posses- 
sions en  Pomérellie.  Ils  >  firent  encore  acte  de  souve- 
raineté en  1310  par  La  fondation  de  Stolp3,  en  L312 
par  an  arrangement  conclu  avec  L'évêque  de  Posen, 
au  sujel  de  La  Levée  de  La  dîme  dans  Les  pays  cuire 
laNetzeet  la  Kuddow.  Qu'on  nous  permette  de  citer 
à  ce  propos  un  bien  petit  fait,  qui  montrera  que  dans 
l'histoire  de  la  Prusse  l'étudedes  originesa  son  intérêt 
spécial.  La  convention  dont  il  vient  d'être  parlé  esl  un 
acte  de  médiocre  importance;  mais  la  mémoire  prus- 
sienjoe  est  tenace  :  l'acte  figure  dans  l'Exposé  des 
Droits  de  Sa  Majesté  le  roi  de  Prusse  sur  le  duché  de 
Pomérellie,  publié  en  177-2,  à  Berlin,  parle  ministre 
d'état,  comte  du  Hertzberg  4. 

L'année  même  où  les  margraves  de  Brandebourg 
cédaient  à  l'ordre  téutonique  Danzig,  Schwetz  et  Dirs- 
chau,  c'est-à-dire  les  clefs  de  la  Pomérellie,  l'ordre 
qui  depuis  la  chute  du  royaume  de  Jérusalem  avait 
été  chassé  de  ville  en  ville  hors  de  la  Terre  sainte 
avait   choisi  pour  capitale    Marienbourg   en   Prusse, 

1.  Nos  Woldemarus fratri  Sifirirïo  de   Feuchtwang,  hospi- 

talis  sanctae  Marias  Jerosolomytarue  Teuton,  magistro  generali... 
partem  terrae  PomeraniEc,  videlicet  castra  Gdantzk  Dirsaviam, 
atque  Swetzam....  pro  marcis  decem  millibus....  rite  ac  rationabi- 
liter  vendidimus...  (Riedel,  Cod.  dipl.,  II,  t.  I,  p.  290,  u°  CCCLXX.) 

2  Id.,  p.  292,  n»  CCCLXXI;  p.  296,  n«  CCCLXXIX. 

3.  Id.,  ibid.,  p.  296,  n"  CCCLXXX;  p.  338,  n°  CCCCXXV. 

4.  A  la  page  45.  La  même  pièce  figure  dans  le  Recueil  des  <lé- 
ductions,  manifestes,  déclarations,  huttes  et  autres  actes  et  écrits 
publics,  qui  ont  été  rédigés  et  publiés  pour  la  cour  de  Prusse  par 
leministre  d'État,  Hertzberg,  depuis  l'année  1756  jusqu'à  l'année 
1778.  CBerlin,  1790-5.J 


EN  PAYS  SLAVES  163 

fondée  en  1276  et  où  l'on  avait  élevé  des  monuments 
qui  témoignent  encore  aujourd'hui  de  la  richesse 
des  chevaliers.  L'ordre,  il  est  vrai,  ne  relevait  point 
de  l'empire  :  il  avait  pour  suzerain  le  souverain 
pontife,  qui  lui  avait  donné  l'investiture  de  la  Prusse 
(1234);  mais  il  était  tout  allemand,  car  c'est  en 
Allemagne  qu'il  puisait  sans  cesse  pour  réparer  ses 
pertes.  Son  domaine  s'étendait  au  loin  sur  les  bords 
de  la  Baltique.  A  l'est,  depuis  que  s'était  fondu 
dans  sou  sein  l'ordre  des  chevaliers  Porte-Glaive 
(1230),  il  atteignait  jusqu'au  lac  Peipus  :  à  l'ouest, 
on  vient  de  voir  que  sa  frontière  dépassait  la  Vis- 
tule.  De  ce  côté  les  grands  maîtres  et  les  margraves 
allaient  au-devanl  les  uns  des  autres.  Plus  tard  la 
marche  de  Brandebourg  et  l'ordre  teutonique,  ces 
deux  formes  les  plus  parfaites  de  la  colonisation 
germanique  en  pays  slave,  se  fondront  pour  former  le 
royaumede  Prusse,  état  militaire  par  excellence,  puis- 
qu'il est  bâti  sur  terre  conquise ,  après  une  double 
guerre  d'extermination  Livrée  à  une  race  ennemie. 


RELATIONS   AVEC     LE    MECKLE.MBOURG     ET    NOUVELLES     LUTTES    AVEC 
!,F.    DANEMARK 

Après  la  chute  de  la  domination  danoise,  le  Meck- 
lembourg  vécut  assez  paisible,  partagé  en  quatre 
duchés,  qui  fure  lits  a   trois,  ceux   de 

Mecjkdembourg,  Weiie,  Mostock,  et  il  s'écoula  d'assez 
longues  années  avant  que  (U'>  relations  de  quelque 
importance  s'établissenl  entre  ces  principautés  et  le 
Brandebourg.  Les  rapports  commencèrent  à,  la  lin  du 
xin1'  siècle,  quand  Alberl  III,  de  la  ligne  ottonienne, 
wn\.  contrairemenl  aux  coutumes  de  fi  mai 


101  CONQUÊTES   DES   A.SCANIENS 

un  domaine  spécial,  donl  La  partie  La  plus  importante 
étail  LeStargard  L283ou  L284)  t.  Voisin  du  Mecklem- 
bourgj  Albert  rechercha  L'alliance  de  La  maisoE  ducale, 
au  grand  détrimeni  de  sa  propre  famille.  Il  maria 
BéatriXj  une  de  ses  filles,  à  Benri-le-Lion  «le  Mecklem- 
bourg,  el  il  lii  avec  lui  une  convention  en  vertu  de 
Laquelle  son  gendre  devail  Lui  payer  3,000  marcs, 
mais  hériter  à  sa  morl  du  Stargard.  OrMberl  mourut 
vers  L'an  L300,  el  son  gendre  pril  possession  de  ce 
territoire.  A  La  vérité  le  oiargrave  ascanien  Bermann- 
le-Long,  héritier  du  reste  des  domaines  de  sou  oncle, 
voulut  disputer  à  L'étranger  cette  pari  de  succession  ; 
mais  après  quatre  ans  de  contestations,  il  fui  obligé  de 
se  contenter  d'une  indemnité  et  de  la  promesse  faite 
par  le  Mecklembourgeois  de  restituer  l<i  Stargard  aux 
Ascaniens,  si  Béatrix  n'avait  pas  d'héritier2.  Le  Star- 
gard était  à  jamais  perdu  pour  la  marche  :  aujour- 
d'hui encore  il  appartient  au  Mecklembourg. 

On  a  parlé  plus  haut  d'une  autre  fille  du  margrave 
Albert  III,  Marguerite,  qui  avait  épousé  Przemislaw 
de  Pologne.  Cette  méchante  femme,  que  l'on  a  soup- 
çonnée de  complicité  dans  le  meurtre  de  son  mari,  fut 
ensuite  fiancée  à  Nicolas,  duc  de  Rostock.  Mais  ce 
prince  était  le  plus  inconstant  des  amoureux  :  il  avait 
déjà  célébré  ses  fiançailles  avec  Euphémie  deLindow, 
avant  de  porter  ses  hommages  aux  pieds  de  Margue- 
rite de  Brandebourg,  qu'il  oublia  bientôt  pour  une 
autre  Marguerite,  fille  de  Bogislaw,  duc  dePoméranie- 

1 .  On  ne  connaît  pas  la  cause  de  cette  singularité  ;  Albert  avait 
gouverné  les  domaines  ottoniens  de  la  marche  avec  ses  frères 
avant  de  se  séparer  d'eux.  —  Voyez  les  extraits  de  la  Chronique 
de  Pulcava,  dans  Riedel  ,Cod.  dipl.,  IV,  t.  I,  p.  15  et  16. 

2.  Voir  le  traité  dans  Riedel,  Cod.  dipl.  I,  1. 1,  p.  253,  n°  CCCXXII. 
—  Henri  fait  aussitôt  acte  souverain  dans  le  Stargard'.  Voir 
ibid.,\).  25(3,  n"  CCCXXIV... 


EN    PAYS    SLAVES  105 

Wôlgast.  Les  margraves  se  mirent  en  devoir  de  venger 
l'honneur  de  la  maison  ascanienne  ;  ils  envahirent 
et  ravagèrent  la  principauté  de  l'infidèle.  Nicolas, 
effrayé,  se  tourna  vers  le  roi  Erich  de  Danemark, 
et,  pour  obtenir  sa  protection,  se  reconnut  son  vas- 
sal l.  Il  semblait  que  le  conflit  entre  le  Brandebourg 
et  le  Danemark  allait  recommencer  (1299),  et  les 
petits  princes  du  nord,  Henri  de  Mecklembourg , 
Nicolas  de  Werle,  le  rondo  de  Schwérin,  le  duc  de 
Poméranie-Stettin  s'inquiétèrent  en  voyant  le  succes- 
seur des  Waldemar  et  des  Canut  débarquer  en  Meck- 
lembourg, recevoir  l'hommage  de  son  vassal,  bâtir 
près  de  Rostock,  dont  les  bourgeois  avaient  tenu  les 
portes  fermées  devant  lui,  le  château  de  Danskeberg, 
et  fortifier  le  port  de  Warnemunde  où  il  laissa  garni- 
son. Pourtant  il  n'y  eut  pas  de  lutte  sérieuse  :  on 
s'accommoda  l'année  suivante  (1301)  2.  Erich  garda 
la  suzeraineté  sur  Nicolas  de  Rostock  auquel  il  pril 
par  surcroît  la  moitié  de  sa  principauté. 

Une  série  d'événements  singuliers  devait,  quelques 
années  après,  rappeler  l'attention  des  margraves  de 
Brandebourg  sur  le  Danemark.  En  1310  Henri-le-Lion 
de  Mecklembourg  voulut  célébrer  à  Wismar,  la  ville 
principale  de  son  duché,  les  noces  de  sa  fille  Mathilde 
avec  Otton  de  Llinebourg;  mais  Wismar  était  à  peu 
près  devenue  une  ville  libre.  Elle  avait  racheté  tous 
les  droits  régaliens  à  son  seigneur,  qui  avait,  plus 
qu'il  ne  convenail  à  sa  médiocre  fortune,  le  goût  de 
la  magnificence.  Henri  avait  vendu  jusqu'à  son  châ- 
teau ducal  de  Wismar,  que  la  ville  s'était  empressée 
de  jeter  par   terre.    Quand    il    s'adressa    au  conseil 

1.  Riedel,  ibid.,p.  230,  n   CCXCVIII. 
2     M,,  ibid.,  p.  236, n»  CCCVI. 


|i;(i  |  .  j]  Q1  ÊTES    DES   ASCANIENS 

afin  d'obtenir  l'entrée  pour  lui  el  pour  ses  hôtes,  les 
bourgeois  s'exGusèrenl  sur  le  tapage  el  les  rixes 
qu'occasionnerail  la  présence  de  la  suite  des  princes. 
La  ligue  que  Wismar  avail  deux  ans  auparavant  con- 
clue avec  Rostock,  Stralsund  el  Greifswald  donnail  à 
ses  magistrats  l'assurance  de  parler  ainsi.  Henri  ne 
pouvail  laisser  an  tel  afîronl  impuni;  il  s'adressa  au 
roi  de  Danemark,  qui  avail  à  se  venger  de  Rostock,  et 
au  margrave  de  Brandebourg,  Waldemar  :  Erich  de- 
vait prendre  la  tête  de  la  coalition.  Pour  avoir  un 
prétexte  à  commencer  les  hostilités  contre  Rostock,  il 
donna  rendez-vous  dans  cotte  ville  à  un  grand  nom- 
lire  de  princes  et  do  chevaliers  pour  le  mois  de  juin 
1311,  sûr  qu'elle  refuserait  encore  une  fois  de  lui 
ouvrir  ses  portes  '. 

Longtemps  à  l'avance  les  nobles  invités  du  roi  Erich 
s'étaient  préparés  à  la  fête  qui  leur  était  promise  e1 
dont  on  disait  merveille.  Quelques  jours  avanl  la  Pen- 
tecôte de  l'an  131 1,  le  roi  de  Danemark,  amenant  avec 
lui  une  suite  nombreuse,  remontait  la  Warnowsur  ses 
vaisseaux  jusqu'à  Rostock,  et  demandail  l'entrée  de  la 
ville.  On  la  lui  accorda;  niais  quand  les  étrangers  af- 
fluèrent, le  conseil  représenta  au  roi  que  toute  cette 
foulo  troublait  la  tranquillité  des  bourgeois,  et  pria 
son  gracieux  seigneur  de  vouloir  bien  limiter  sa 
suite  à  un  certain  nombre  de  nobles  danois  :  le  reste 
des  étrangers  serait  invité  à  se  retirer.  Erich  ne 
voulut  rien  entendre  :  les  bourgeois  commencèrent 
à  murmurer,  tinrent  des  conciliabules  le  soir,  fermè- 
rent leurs  portes  aux  nouveau v  arrivants  ou  bien  les 
emprisonnèrent,  comme  ils  firent  d'un  cavalier  qui 

1 .  Voyez  Kloden,  Dipîomat.  Gesch.,  t.  II,  p.  67-9. 


EX   PAYS   SLAVES  1(>7 

convoyait  parles  rues  le  bagage  du  margrave  de  Bran- 
debourg. Erich  jugea  prudent  de  sortir  de  la  place. 
Une  foule  de  lentes  furent  déployées  au  bord  de  la 
rivière,  et  les  fêtes  commencèrenl  dans  le  camp  des 
chevaliers.  On  y  était  vonu  de  tous  les  points  de  l'Al- 
lemagne, de  la  Scandinavie, de  laPologne;  lesévêques, 
abbés,  chanoines,  chapelains  et  aumôniers  de  cour 
s'y  pressaient  en  grand  nombre.  Los  fêtes  durèrent 
quatre  semaines  et  furent  très-brillantes. 

Le  jeune  margrave  de  Brandebourg  y  amena  son 
neveu  Jean,  dont  il  était  le  tuteur,  el  sa  femme  Agnès 
de  Brandebourg.  Dans  sa  suite  on  remarquait  99  nobles, 
ses  vassaux,  que  le  roi  Ericb  avail  promis  d'armer 
chevaliers  après  qu'il. aurait  donné  l'accolade  au  mar- 
grave. Waldemar  voulut  représenter  dignement  la 
marche  dont  il  était  le  soûl  souverain,  et  c'est  à  plei- 
nes mains  qu'il  dépensa  l'argent  que  l'ordre  teutoni- 
que  venait  do  lui  compter  pour  la  cession  do  Danzig. 
Entre  tous  il  se  distingua  par  su  magnificence.  Il 
donna  Lune  des  doux  fontaines,  qui,  tout  Jo  jour, 
versaient  de  la  bière  et  du  vin  aux  vilains  accourus  au 
spectacle  de  ces  splendeurs,  el  l'une  des  deux  collines 
d'avoine  où  chaque  palefrenier  prenait  à  sa  guise  la 
nourriture  do  ses  chevaux...  Il  (''tait  l'un  (\c>  mieux 
montés  et  des  plus  richement  armés  et  vêtus,  parmi 
le-  centaines  de  chevalier-  allemands  qui,  sous  ses  or- 
dres, se  mesurèrent  dans  un  tournoi  contre  autant  de 
Danois,  commandés  par  Erich  en  personne.  11  avait 
une  place  d'honneur  a  ce  gigantesque  festin  où  les  no- 
bles princes  furenl  servis  par  les  officiers  de  leurmai- 
son ;  couverts  de  vèh  ^plendides  el  montés  sur 

des  chevaux  richement  caparaçonnés,  ceux-ci  appor- 
taient (U'<-  plais  que  les  valets  prenaient  de  leurs  mains 


|(  S  C0NQ1  i   ŒS   DES    ^.SC  UUENS 

pour  les  déposer  sur  la  table  royale.  Cependant,  au  mi- 
lieu «lii  ces  fêtes  égayées  encore  par  La  présence  de  ba- 
ladins de  toutes  sortes,  sauteurs  de  corde,  coureurs, 
lutteurs,  chanteurs  et  joueurs  de  trompettes,  on  n'a- 
vait poinl  oublié  le  principal  objel  de  la  réunion  :  un 
plan  de  campagne  contre  les  villes  maritimes  lui 
arrêté  avaul  la  séparation  il»1  l'assemblée  (1311)  '. 

Les  villes  se  défendenl  vaillammenl  :  Wismar,  at- 
taquée la  première  par  Henri  le  Lion,  capitule,  à  la  fin 
de  l'année  131 1 ,  mais  en  obtenanl  une  paix  honorable. 
Rostock  fui  plus  malaisée  à  réduire;  Erich  renou- 
vela contre  elle  la  coalition,  et  Waldemar  promit 
de  lui  amener  devant  la  ville  ennemie,  quatre  cents 
cavaliers,  à  la  condition  qu'il  aurait  la  moitié  du 
butin  ?.  Au  mois  de  juin  131*2,  Erich  et  Waldemar 
attaquèrent  Rostock  et  Warnemiinde,  son  porl  ;  War- 
nemunde  fut  prise  après  avoir  souffert  les  horreurs  de 
la  famine,  Rostock  après  que  la  plèbe  eut  massacré 
les  bourgeois  qu'elle  accusait  de  trahison.  La  capitula- 
lion  fut  signée  en  décembre  1312  3. 

Restait  à  poursuivre  les  hostilités  contre  Greifswald 
et  Stralsund  ;  mais  un  des  plus  puissants  confédérés 
fit  tout  à  coup  défaut,  et  l'on  apprit  avec  étonnement 
dans  toute  l'Allemagne  septentrionale  que  Waldemar 
de  Brandebourg  avait  signé  avec  Stralsund  une  alliance 
offensive  el  défensive,  et  qu'il  se  proclamait  le  défen- 
seur de  cette  ville  envers  et  contre  tous  '».  L'ambitieux 
margrave  avait  évidemment  voulu  s'arroger  le  protec- 
torat de  ces  villes  maritimes,  qui  venaient  de  donner 


i.  Voyez  Kloden,  loc.  cit.,  p.  89-95. 

2.  Riedel.   Cotl.  dipl.  II.  t.  I.  p.  315,  GCCXCIX. 

3.  Id.  ibid.  p.  336,  n°  GCCCXXIII. 

4.  Voyez  Kloden,  t.  II.  p,  144. 


EN   PAYS   SLAVES  109 

la  mesure  de  leur  puissance  ;  car  outre  qu'elles  avaient 
fait  une  résistance  énergique,  leur  Hotte  avait  vail- 
lamment tenu  la  mer  et  infligé  des  désastres  aux 
vaisseaux  et  aux  côtes  de  Danemark;  mais  il  se  forma 
aussitôt  contre  le  Brandebourg  une  coalition  des 
princes  dont  la  richesse  des  villes  de  la  Baltique 
avait  ameuté  les  convoitises.  Elle  se  grossit  de  tous 
ceux  qu'avait  lésés  ou  que  menaçait  la  fortune  crois- 
sante du  Brandebourg  (1314-1315). 

Du  côté  du  roi  de  Danemark  se  trouvaient  les  rois 
Byrger  de  Suède,  Wladislaw  Loktiek  de  Pologne;  les 
princes  Witzlaw  de  Rugen,  Canut  Pors  de  Halland, 
Henri  de  Mecklembourg ,  Pribislaw  de  Werle  ;  les 
ducs  de  Sonder- Jiitland,  de  Schleswig,  de  Lunebourg, 
de  Brunswick-Liinebourg ,  de  Saxe-Lauenbourg ,  le 
margrave  de  Misnie,  Frédéric  à  la  Joue  Mordue;  des 
comtes,  parmi  lesquels  celui  de  Schwérin,  dos  évo- 
ques, bon  nombre  des  vassaux  de  la  marche.  Wal- 
demar  avait  pour  lui  son  neveu  Jean,  lus  ducs  Otton 
de  Poméranie-Stettin  et  Wratislaw  de  Poméranie- 
Wolgast,  quelques  comtes  :  l'infériorité  do  ses  forces 
('■tait  donc  très-grande1.  Il  n'en  fut  pas  effrayé. 

Au  momenl  même  ou  l'orage  s'amoncelle  contre 
lui,  Waldemar  revendique  pour  le  Brandebourg  le  pays 
de  Stargard ,  eu  vertu  du  traité  de  1304  2,  qui  était 
devenu  exécutoire,  depuis  (pic  Béatrix,  femme  (l'Henri 
le  Lion,  était  morte  sans  héritier  mâle  (1314).  Il  attaque 
au  cœur  de  l'hiver  1315  .  aux  frontières  de  Stargard  el 
de  l'Uckermark,  le  château  de  Flirstenhagen,  qu'il  em- 
porte-, il  assiège  toul  près  de  làWoldeck  :  la  petite  ville 

1.  Voyez  Riedel,  ibid.,  p.  1571  -2,  n"  CCCCLV,  CCCCLVII;  p.  377, 
n0CCCCLX;p.379,nMCCCCLXIVetCCCCLXV;p.382,  rrCCCCLXIX; 
p.  386,  n-  CCCCLXXI;  p.  394,  n    CCCGLXXVII. 

2.  Voyez  page  164. 


I7'1  CONQUÊTES   DES    ISCANIENS 

résiste  a  ses  assauts,  aux  machines  construites  par 
le  moine  défroqué  Gerhardus)  elle  noie  les  galeries 
de  mines  poussées  par  les  assiégeants  au  cœur  de 
la  place.  Forcé  de  lever  le  siège,  le  margrave  mar- 
che contre  Neu-Bràndebourg,  où  se  trouve  Henri  le 
Lion;  il  veut  l'y  enfermer;  mais  le  duc  va  s'établir 
entre  le  Vieux-Strelitz  el  le  village  de  Fiirstensee,  sur 
la  colline  de  Miihlberg,  protégée  de  tous  côtés  par  les 
lacs.  De  cette  position,  il  barre  le  chemin  au  margrave, 
repousse  son  attaque  en  lui  infligeanl  de  grandes 
pertes,  le  poursuit  et  jette  le  désordre  parmi  les  siens, 
donl  un  grand  nombre  esl  fait  prisonnier  ou  péril  dans 
les  lacs  (1316).  Cependant  les  coalisés  ne  s'étaient  pas 
encore  mis  en  mouvement.  Le  roi  de  Danemark 
sembla  même  disposé  à  nouer  des  négociations,  et 
l'on  parla  de  paix  à  la  diète  do  Rendsboùrg,  mais  sans 
faire  de  sérieux  efforts  pour  l'obtenir.  Le  roi  de  Dane- 
mark recul  à  Rendsboùrg  une  satisfaction  précieuse  :' 
les  princes  mecklembourgeois  se  reconnurent  ses 
vassaux,  et  le  comte  allemand  de  Schwérin  imita 
leur  exemple.  Il  semblait  qu'Erich  fût  sur  le  point 
de  prendre  la  revanche  de  Waldemar,  et  que,  le  Bran- 
debourg étant  menacé,  les  intérêts  allemands  fussent 
déjà  compromis  au  nord  de  l'Elbe  ». 

Un  mois  après,  le  roi.de  Danemark  convoquail  ses 
confédérés  et  leur  donnait  rendez-vous  devanl  Stral- 
sund,  qu'il  voulait  faire  assiéger  par  terre  et  par  mer  : 
la  ville  avait  une  garnison  de  Poméraniens  et  de 
Brandebourgeois,  et  une  flotte  qui  croisait  devant  son 
port.  Le  duc  de  Sàxe-Lauenbourg  arriva  le  premier  au 
rendez-vous,  et  plaçant  son  camp  a  l'endroit  même 

1.  Kloden,  t.  II,  p.  21 1  et  suiv. 


EN    PAYS    SLAVES  171 

que  Wallensiein  choisit  trois  siècles  après  pour  établir 
le  sien,  il  eut  l'imprudence  de  commencer  les  hosti- 
lités :  une  nuit  il  fut  attaqué  par  les  assiégés,  surpris, 
fait  prisonnier.  Pendant  que  les  siens  s'enfuyaient  dans 
toutes  les  directions,  il  fui  ramené  dans  la  ville,  aux  cris 
de  joie  des  habitants,  les  mains  liés  par  la  chaîne  d'or 
qu'il  portail  au  cou,  puis  envoyé  à  Waldemar  qui 
étail  alors  en  marche  pour  secourir  Stralsund.  Cepen- 
dant les  différents  contingents  des  coalisés  étaient 
prêts.  Pour  retenir  chez  lui  le  margrave,  on  dé- 
cida qu'Henri-le-Lion  envahirait  la  marche,  pendant 
que  le  roi  fie  Danemark  assiégerai!  Stralsund.  Wal- 
demar se  porta  rapidement  au  devant  d'Henri  qui, 
après  avoir  pris  el  détruit  Meienbourg,  près  de  Pritz- 
walk,  marchail  par  le  comté  de  Ruppin  vers  le  cœur 
du  Brandebourg  :  il  le  rencontra  près  de  Gransee.  Le 
margrave  attaqua,  malgré  l'infériorité  de  ses  forces  ' 
Ce  fut  une  des  plus  furieuses  batailles  dr>  temps 
chevaleresques.  Waldemar  et  Henri-le-Lion  se  je- 
tèrent dans  la  mêlée;  le  premier  fut  précipité  de  son 
cheval,  entouré,  désarmé,  emmené  par  un  groupe 
d'ennemis,  mais  délivré  par  les  siens  qui  se  firent 
prendre  el  tuer  pour  le  sauver;  l'autre,  recherché 
el  atteint  par  une  série  de  géant  brandebourgeois, 
recul  sur  son  casque  un  si  furieux  coup  qu'il  tomba 
sans  connaissance,  et,  comme  Waldemar,  ne  dul  sou 
salul  qu'au  dévouement  <\<>  siens.  Quand  la  nuit 
tomba  sur  ce  champ  de  carnage,  où  tanl  de  braves  s'é- 
taienl  pris  corps  ;i  corps,  les  Mecklcmbourgeois  étaient 
maîtres  du  champ  de  bataille  ;  mais  ils  avaient  subi  de 
telles  pertes  qu'ils  ne  poursuivirenl  pas  le  vaincu  el 

1.  Voyez  FUedel,  Cod.  dipl.  IV,  t.  I,  Les  fragments  de  la  Chro- 
nique de  Pulcava,  p.  22. 


ITJ  CONQUÊTES   DES   ASCANIENS 

qu'un  armistice  fui  bientôl  après  Qégocié3  puis  conclu 
(aoùl  L316  '.  Gel  échec  du  margrave  se  trouva  d'ail- 
leurs compensé  par  La  résistance  victorieuse  que 
Stralsund  opposa  sur  terre  el  sur  mer  aux  attaques 
du  mi  de  Danemark  ei  de  ses  alliés. 

En  somme  le  grand  efforl  l'ail  contre  Le  margrave 
de  Brandebourg  n'aboutil  qu'à  de  médiocres  résul- 
tats. Waldemar  traita  successivémenl  avec  tous  ses 
ennemis.  On  a  vu  Les  conditions  de  la  paix  qu'il  conclut 
avec  Le  margrave  de  Misnie  ".  Il  s'accorda  vers  La  fin 
de  L317  avec  Le  roi  de  Danemark,  l<i  duc  Henri  de 
Mecklembourg  et  leurs  alliés.  Les  plus  importantes 
stipulations  de  ce  long  Irai  lé  sont  celles  qui  concer- 
née lacession  définitive  du  pays  de  Stargard au  Meck- 
lembourg,  ei  l'alliance  offensive  et  défensive  con- 
clue entre  le  margrave  de  Brandebourg  ei  Le  roi  de 
Danemark.  La  paix  fui  confirmée  à  Wordingborg  en 
Danemark,  où  Waldemar  se  rendit  auprès  d'Erich. 
Celui-ci  et  Witzlaw  de  Riïgen  garantirenl  à  la  ville  de 
Stralsund,  cause  de  toute  cette  guerre,  la  jouissance 
paisible  de  ses  droits  antérieurs  3. 


FIN    DE   LA    DYNASTIE    A.SCANIENNE. 


Ni  en  Pomérellie,  ni  en  Mecklembourg,  les  efforts 
desAscaniens  n'avaient  donc  été  couronnés  de  succès. 
Comme  aux  premiers  jours  de  la  dynastie,  les  mar- 
graves avaient  rencontré  la  résistance,  ici  du  Dan  emark . 
là  de  la  Pologne;  maison  vient  de  voir  quelle  coalition 


1.  Klôden,  ibid.,p.,  224-5. 

2.  Voyez  page  125. 

3.  Voyez  sur  les  négociations,  Riedel,  Cod.  dipl.,  II,  t.  I,  p.  402, 
n  XDI;  p.  404,  n«  XDII;  p.  406,  n°*  XDIII  et  XDIV;  p.  408, 
nos  XDV  et  XDVI  ;  p.  411,  n»D;p.  410  n"  DI  ;  p.  407,  n°  DIII. 


EX   PAYS   SLAVES  173 

ils  avaient  combattue  et  quels  revers  ils  avaient  sup- 
portés sans  être  ébranlés.  Qu'ils  aient  provoqué  e1 
puis  soutenu  cette  lutte,  c'est  la  preuve  de  leur  am- 
bition, mais  aussi  de  leur  puissance.  Considérons 
en  effet  les  progrès  qui  eut  été  faits  par  la  marche  de- 
puis l'avènement  des  Aseaniens. 

Les  frontières  ont  été  reculées  dans  toutes  les  direc- 
tions. La  conquête  du  Havelland,  des  territoires  de 
Priegnitz,  Zauche,  Teltow,  Barnim,  Lebus,  les  ont 
portées  de  l'Elbe  à  l'Oder;  l'Oder  a  été  dépassé, 
la  rive  droite  de  la  Netze  conquise;  le  territoire  mar- 
graviat s'all niiue  comme  une  pointe 'dans  la  direction 
de  la  Yistule  et  de  la  mer.  Un  moment  les  succes- 
seurs d'Albert  l'Ours  ont  commandé  dans  Danzig. 
En  même  temps  la  conquête  de  Stargard,  qui  fut 
ensuite  perdue,  il  est  vrai,  celle  de  l'Uckermark,  qui 
dura,  étaient  de  victorieuses  étapes  sur  le  chemin  de 
la  Baltique.  Si  le  Mecklembourg  échappait  à  la  suze- 
raineté brandebourgeoise ,  la  Poméranie  était  forcée 
delà  subir.  Au  sud,  les  progrès  étaient  plus  consi- 
dérables :  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  les  acquisitions 
faites  aux  dépens  des  margraves  de  Misnie  dans  les 
pays  qui  appartiennent  aujourd'hui  à  la  province  prus- 
sienne de  Saxe  et  à  la  Saxe  royale  portaient  vers  l'Erzge- 
birge  la  frontière,  qui.  sur  la  rive  droite  du  fleuve,  at- 
teignait en  haute  Lusace  le  quadrilatère  de  Bohême. 
On  pouvait  maintenant  voyager  du  nord  de  l'Ucker- 
mark, c'est-à-dire  presque  de  l'embouchure  del'Oder, 
jusqu'au  défilé  par  lequel  l'Elbe  entre  en  Allemagne, 
sans  quitter  le  territoire  brandebourgeois. 

Un  accident  imprévu  interrompit,  au  défini  du 
xive  siècle,  le  cours  de  ces  prospérités.  La  nombreuse 
famille  ascanienne  s'éteignil  tout  d'un  coup.  Lèche- 


17  i  CONQUÊTES   DES   ascanikns 

valeresque  Waldemar  mourul  dans  la  force  de  l'âge 
sans  laisser  d'héritier  direcl  1319),  et  comme  personne 
n'a  va  il  de  droits  incontestés  à  sa  succession,  La  marche 
sembla  toul  près  de  se  dissoudre.  Il  restail  un  rejeton 
mâle  de  la  famille,  Benri  le  jeune,  mais  il  étail  encore 
enfant,  el  son  père  Benri,  qui  s'était  l'ail  donner, 
comme  AJberl  111.  un  domaine  à  part,  avail  proba- 
blemenl  renoncé  à  toul  droil  sur  la  succession  de  la 
marche1.  Gependanl  les  villes  du  paysan  delà  de  l'Oder 
le  reconnurent  comme  légitime  margrave,  mais  en 
lui  désignant  pour  tuteur  Wratislaw,  duc  de  Poméra- 
uie-WolgasI  2.  Au  même  moment  la  Priegnitz  el 
l'Uckermark  se  déclaraient,  ueutres  el  se  mettaient 
sous  la  protection  d'Henri-le-Lion  de  Mecklembourg  : 
Gependanl  àgnès,  veuve  de  Waldemar,  se  portail 
à  la  l'ois  comme  héritière  de  son  mari  et  de  son  père 
Bermann-le-Long ;  elle  prétendail  ainsi  réunir  entre 
se.-  mains  les  domaines  des  deux  branches  ottonienne 
et  johannienne.  A  l'appui  de  sa  revendication,  elle  ci- 
lail  l'acte  par  lequel  l'empereur  Henri  VI  avait  garanti 
à  la  famille  ascanienne  la  transmission  en  ligne  fémi- 
nine, aussi  bien  qu'en  ligne  masculine,  de  tous  les 
biens  cédés  par  les  margraves  Otton  II  et  Albert  II 
à  Magdebourg,  et  repris  par  eux  à  titre  de  fiefs  du 
siège  archiépiscopal  3.  Malheureusement  un  autre 
prétendant  se  targua  des  mêmes  droits  :  c'était  le  duc 
silésien  Henri  de  Jauer,  dont  la  mère  était  Béai rix  de 
Brandebourg,  fille  d'Otton  Y4.  Pour  obtenir  l'appui 
du  roi  Jean  de  Bohême,  Henri  lui  céda  ses  droits  sur  La 


1 .  Vovez  page  84,  note  2. 

2.  Riedel,  il,  t.   I.  447,  ir  DXXXVII. 

3.  Voyez  page  107. 

4.  Voyez  le  tableau  généalogique,  à  la  lui  du  volume, 


EN   PAYS   SLAVES  175 

Lusace,  Lebus,   Bautzen  el    Francfort  sur  l'Oder  *. 

Ce  n'est  pas  tout  encore.  Agnès,  qui  avait  pour  tu- 
teur, depuis  son  veuvage,  Rodolphe  de  Saxe,  épouse 
en  secondes  noces  Otton  de  Brunswick  :  déchu  de  sa 
tutelle,  Rodolphe  dispute  à  Wratislaw  de  Poméranie 
celle  du  jeune  Henri.  Le  roi  d'Allemagne,  Louis  de 
Bavière,  essaie  de  mettre  un  ternie  à  ce  conflit,  en 
émancipant  le  dernier  ascanien  2;  mais  celui-ci  meurt 
le  mois  d'après.  Alors,  prétendants  et  tuteurs,  chacun 
cherche  à  faire  sa  main.  Le  Silésien  Henri  et  le  Pomé- 
ranien  Wratislaw  signent  un  traite  d'alliance  et  de  par- 
tage ;1>  ;  mais  Henri-le-Lion  se  maintient  dans  l'Ucker- 
mark,  el  Rodolphe  de  Saxe  dans  le  pays  entre  l'Elbe  el 
l'oder.  en  Lusace  (|  dans  l'évêché  de  Lebus.  Le  désor- 
dre qui  troublait  en  ce  moment  l'empire,  disputé  entre 
Louis  de  Bavière  el  Frédéric  d'Autriche,  perpétuait 
l'anarchie  dans  la  marche.  A  la,  fin,  quand  Louis,  vain- 
queur après  une  longue  lutte,  n'eut  plus  à  craindre 
d'opposition,  il  termina  la  guerre  civile  dans  la  mar- 
che d'une  façon  assez  inattendue,  en  donnant  à  son 
fils  aîné  l'investiture  de  la  principauté  ascanienne 
(mars  1323. 

i  ne  dynastie  nouvelle  commence  donc  dans  la  mar- 
che, celle  des  Bavarois,  à  laquelle  succèdent  en  1373 
les  Luxembourgeois,  prédécesseurs  des  Hohenzol- 
lern.  Ceux-ci  seulement  relèveront  la  fortune  du 
Brandebourg,  en  reprenant  toutes  les  roules  suivies 
par  Albert  l'Ours  el  par  ses  successeurs  ;  mais  dans 


1.  Riedel,   II,    t.  I,  p.  443,   ie   DXXXIII  ;  p.    444,  n°  DXXXH  , 
p.  Î45,  \r  DXXXV. 
•2.  Id.,  ibid.,  p.  454,  rv   DXLVI.  Nos...  eumdem  defectum  (anno 

niui'  suppU-inus  de  plenitudine  et  largitate  munificâ  regise  potes- 
tatis... 
3.  M.  ibid-,  p.  457,  n    DL. 


17C      CONQUÊTES   DES    A.SCANIENS   EN    PAYS  SLAVES 

leur  pairie  aouvelle j  Les  Hohenzollern  trouveronl 
d'autres  traditions  que  celles  des  conquêtes.  En  effel 
su!'  la  terre  du  Brandebourg  avaient  été  semés  Les 
germes  d'institutions  excepti elles,  qui  se  dévelop- 
perez peu  à  peu,  se  ti'aiisiniri'iil  de  dynastie  on 
dynastie,  el  qu'il  esl  facile  de  retrouver  aujourd'hui 
encore  dans  la  monarchie  prussienne.  Il  nous  resteà 
parler  de  ces  institutions.  Ce  n'esl  pas  la  partie  la 
moins  difficile  de  notre  tâche;  mais  c'en  esl  la  plus 
importante. 


CHAPITRE  V 


LES    INSTITUTIONS    DE    LA    MARCHE 
DE   BRANDEBOURG. 


Du  pouvoir  margravial.  —  Formation  de  la  population  brande- 
bourgeoise.  —  Les  Ordres  dans  la  marche  :  les  grands  et  les 
petits  vassaux.  —  Lus  paysans  et  les  bourgeois.  —  Le  clergé. 
—  Administration  de  la  marche;  les  avoués.  —  Des  altérations 
de  l'institution  primitive  dans  la  marche;  de  l'autorité  margra- 
viale  après  ces  altérations  >. 


ni      POUVOIR    MARGRAVJ  IL» 

L'histoire  militaire  des  A.scaniens  montre  que  les 
margraves  de  Brandebourg  avaient  des  intérêts  spé- 
ciaux, des  alliés  et  ilr>  ennemis  particuliers,  par  con- 
séquent une  politique  de  maison  souveraine:  l'histoire 
de  leur  gouvernement  fera  voir  que  la  marche  était 
dans  l'empire  un  étal  d'une  nature  exceptionnelle. 

11  n'est  point  facile  de  tracer  le  tableau  des  insti- 
tutions d'un  pays  au  moyen  âge,  sans  faire  quelque 
violence  à  la  parfaite  exactitude  historique;  car  en 

1.  Voyez  Kùhns,  Geschichte  der  Gerichtsverfassung  und  des 
Prozesses  in  der  Mark  Brandenburg,  vont  X  bis  zum  Ablauf  des  XV 
Jahrhundei  ts. 

12 


17S  LES   INSTITUTIONS 

auouD  Lemps,  au  moyen  âge  moins  que  jamais,  on  ne 
rencontre  une  date  précise  où  les  Institutions  politi- 
ques el  sociales  offrent  cel  étal  de  perfection  que 
l'historien  est  obligé  de  Leur  prêter  pour  en  montrer 
l'ensemble.  Elles  naissent  el  se  développenl  par  La 
force  «les  choses,  el  non  sur  un  plan  préconçu  :  de  là 
cette  confusion  qui,  au  premier  abord,  déconcerte  le 
regard.  Pourtanl  il  es!  aisé  «I»1  reconnaître  dans  ce 
chaos  quelques  idées  générales,  là  mêmeoùla  féodalité 
semble  avoir  épuisé  sa  fécondité  en  multiplianl  ses  for- 
mes les  plus  variées,  à  plus  forte  raison  dans  les  pays 
où  les  circonstances  lui  ont  imposé  de  la  discipline, 
comme  en  Terre-Sainte  après  la  conquête  de  Godefroy 
de  Bouillon,  en  Angleterre  sous  Guillaume  le  Conqué- 
rant, et  l'on  peut  ajouter  en  Brandebourg  sous  les 
Ascaniens. 

Sur  les  bords  du  Jourdain  et  au  delà  de  la  Manche,  la 
féodalité  se  trouvait  en  pays  ennemi;  elle  s'est  orga- 
nisée :  les  Assises  de  Jérusalem  et  le  Grand  Terrier 
d'Angleterre  en  fohl  foi.  Or  le  margrave  en  fran- 
chissant l'Elbe  pour  entrer  chez  les  Slaves,  sortait  de 
l'empire  pour  entrer  chez  l'ennemi  :  les  institutions 
de  la  marche  ne  pouvaient  donc  ressembler  à  celles 
i[ui  régissaient  le  reste  de  l'empire.  A  la  vérité,  la  con- 
quête s'est  faite,  non  tout  d'un  coup,  mais  successive- 
ment, et  la  marche  tenait  à  l'Allemagne,  dont  elle 
semblait  n'être  que  le  prolongement  :  on  n'y  a  donc 
point  senti  la  nécessité  d'une  organisation  complète, 
comme  ont  fait  les  barons  français  en  Palestine  et  en 
Angleterre.  Mais  les  margraves  ont  conçu  plus  ou 
moins  distinctement  l'idée  d'un  état  organisé  pour 
l'offensive  et  la  défensive,  dont  le  chef  lut  à  la  fois 
plus  indépendant  de  son  suzerain  et  plus  maître  de 


DE    LA   MARCHE   DE   BRANDEBOURG  17U 

ses  vassaux  qu'aucun  autre  prince  de  l'empire.  Cette 

,  conforme  à  la  nature  dos  choses,  a  été  acceptée 

par  le  suzerain,  l'empereur  d'Allemagne,  et  par  lus 

vassaux  et  sujets  du  margrave.  Elle  n'est  écrite  nulle 
part,  mais  on  la  reconnaît  partout. 

Margrave,  au  sons  rigoureux  du  mot,  veut  dire  sim- 
plement comte  de  la  frontière;  mais  la  différence  est 
grande  entre  l'autorité  du  margrave  et  celle  du  comte1. 
Le  comte  est  le  délégué  du  roi  dans  une  circonscription 
déterminée  :  le  margrave  n'a  point  de  frontières  fixes, 
et  oléine,  il  n'est  occupé  qu'à  reculer  les  limites  de  son 
territoire.  Le  comte  juge  dans  les  affaires  civiles  et 
criminelles  les  hommes  libres  qui  ont  le  privilège  de 
n'être  jugés  que  par  le  roi;  mais  il  ne  peut  trans- 
tre  la  délégation  qu'il  a  reçue,  car  le  Sachsen- 
spiegel9- dit  que  le  ban  royal,  ou  le  droit  déjuger  au 


1.  On  a  vu,  au  premier  chapitre  de  ce  livre,  p.  25,  note  1,  que 
l'empereur  Otton  donne  le  titre  de  duc  au  margrave  du  Nord, 
Thierry,  aussi  bien  qu'au  duc  de  Saxe  Hermann.  Le  margrave  Gero 
avait  également  porté,  tantôt  le  titre  de  duc,  tantôt  celui  de  mar- 
grave (Voyez  Raumer,  J;-  .  n°  151,  et  p.  37,  n°  160  .  Il  y 
avait  en  i  ntre  les  deux  pouvoirs.  Comme  le 
duc  avait  au-dessous  de  lui  les  comtes,  le  margrave  avait  les 
[ont  les  fonctions  étaient  en  tout  point  semblables  à 
celles  des  comtes.  Le  titre  de  Markheizog  ou  duc  de  la  frontière 
eût  mieux  convenu  que  celui  de  Markgraf  pour  désigner  la 
fonction  de  ces  gardiens  de  la  frontière. 

•2.  Sachsenspieyel,  ou  Miroir  de  ia  Saa  L,écril  au  début  du  xmc  siè- 
cle, à  la  prière  du  comte  Jiojer  von  Valkenstein,  par  Ecko  von 
Repchow.  Hojer  von  Valkenstein  était  vassal  des  margraves  de 
Brandebourg,  pour  la  partie  nord  du  comté  de  Billingshôhe  qu'il 
administrait.  Ecko  von  Repchow  était  d'une  famille  de  chevaliers, 
originaire  du  vi  Reppichau,  entre    Dessau  et  Kôthen.   Il 

était  en  1233  échevin  dans  la  partie  méridionale  du  comte  de 
Billingshôhe  et  par  conséquent  vassal  des  margraves  de  Brande- 
bourg, Jean  I  et  Otton  III,  auprès  d  'squels  on  le  trouve  une  fois 
a  Salpke  près  de  l'Elbe  (Voyez  RiedeL  Cod.  dipl.,  11,  t.  I,  p.  14, 
n°  X.XI).  La  marche  peut  donc  le  revendiquer  comme  un  des  siens, 
une  des  rares  gloin  s  intellectuelles  d'un  pays  où  il  n'y 
avait  guère,  au  moyeu  âge,  de  loisirs  pour  l'intelligence. 


180  LES   INSTITUTIONS 

nom  du  roi,  ne  [jeul  aller  jusqu'à  o  la  quatrième  main  '.  •• 
La  main  du  roi  étanl  h  première,  La  main  du  duc  la 
seconde,  le  pouvoir  de  juger  les  nommes  libres  s'ar- 
rête dans  la  main  du  comte,  qui  esl  la  troisième.  I.»' 
margrave  est  exempt  de  celle  loi  instituée  pour  pré- 
venir l'abus  des  aliénations  du  pouvoir  juridique  : 
commenl  connaîtrait-il  personnellement  île  toutes  les 
affaires  criminelles  dans  un  domaine  aussi  étendu  que 
le  sien,  aussi  exposé  aux  violences  qui  naissent  de 
la  guerre  perpétuelle  et  de  la  cohabitation  de  deux 
races  ennemies  ?  Il  transmet  donc  le  droit  déjuger  «  sur 
la  tête  et  les  membres,  »  a  des  vassaux,  qui  souvent 
àleurtourle  transmettent  à  d'autres.  11  t'aui  en  con- 
clure ou  qu'il  esl  spécialement  affranchi  de  la  règle 
signalée  par  le  Sachsenspiegel ,  ou  que  «  sa  main  » 
est  réputée  la  première.  Le  margrave  en  effet  se-  dis- 
tingue par  an  privilège  essentiel  des  i\ur^  .  land- 
graves, palatins  et  comtes  :  aux  tenues  d'un  texte 
très-important  du  Sachsenspiegel,  taudis  que  ceux-ci 
jugent  au  nom  du  roi,  lui  seul  juge  en  son  propre 
nom  2. 

Un  a  proposé  plusieurs  explications  de  ce  privilège. 
Les  uns  veulent  que  le  margrave  n'ait,  été  qu'un  chef, 
de  guerre,  et  qu'il  n'ait  point  reçu,  comme  le  comte. 
le  pouvoir  de  juger.  Sa  juridiction,  s'exerçant  à  l'ori- 


1.  Sachsenspiegel,  III,  52,  §  3. 

2.  Sachsenspiegel,  III,  64,  §,  7;  (>5,  g  1.  —  Les  ducs,  land- 
graves, etc.,  jugeaient  unter  Kœnigsbann,  littéralement  sous  le 
ban  du  roi,  ce  qui  est  la  même  chose  que  bei  des  Reiches  huld,  en 
vertu  de  l'hommage  fait  à  l'empire.  — Le  margrave  juge  en  vertu 
de   l'hommage    fait   à  lui-même  :   Die  marcgreve  dinget  di  sines 

hulden    —  Voyez  Kùhns,  op.  cit.,  t    I,  p.  43,  des  textes  où  le 
margrave  commande  en  vertu  de   l'hommage  qui  lui  a  été   fait   : 

«  Wir  gebieten  und  entbieten  bei  unseren   Hulden allen  unse- 

ren  Hauptleuten,  Vugten,  und  Amtleuten...  Richtern  und  Sc/mf- 
ten,  »  etc.,  etc. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        181 

gine  sur  des  soldats,  aurait  gardé  un  caractère  excep- 
tionnel, quand  elle  s'étendit  sur  les  colons  vomis  à  la 
suite  des  soldats.  Cette  opinion  ne  peut  guère  se  sou- 
tenir, car  l'idée  d'un  pouvoir  militaire  spécial  n'est  pas 
du  moyen  âge,  où  régnait  la  coutume  de  la  confusion 
«les  pouvoirs.  D'autres  pensent  que  le  margrave,  vas- 
sal du  royaume  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  était,  sur 
la  rive  droite,  un  souverain  régnant  par  la  grâce  de 
Dieu  sur  le  sol  conquis;  niais  des  documents  en  grand 
nombre  montrent  l'empereur  faisant  acte  de  suzerai- 
neté dans  toute  la  marche1.  Il  va  pourtant  ici  une  part 
«le  vérité.  Sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  le  margrave 
jugeait  au  nom  du  roi  :  c'est  sur  la  rive  droite  seu- 
lement qu'il  jugeait  en  son  propre  nom.  Le  fleuve 
servait  de  ligne  de  démarcation  entre  deux  parties 
du  Brandebourg,  qui  étaient  régies  par  des  institu- 
tions différentes  :  par  celles  de  la  vieille  Allemagne 
sur  la  rive  gauche,  par  celles  de  la  marche  sur  la 
rive  droite.  Le  margrave  n'était  pas  souverain  sur  la 
rive  droit'1,  mais  il  s'y  était  formé  en  sa  faveur,  sous 
l'empire  de  cire-  instances  particulières,  un  droit  excep- 
tionnel. Sans  être  affranchi  du  lien  qui  le  rattachait 
au  royaume  d'Allemagne,  il  était  devenu,  par  la  foire 
des  chose-,  le  justicier  suprême  dans  le  pays  trans- 
albin. 

En  celte  qualité  le  margrave  nomme  les  délégués 
auxquels  il  transmet  son  pouvoir  juridique,  il  n 
leurs  serments  ou  les  fait  recevoir  en  son  nom.  Les 
juges  et  les  échevins  s'appellent  juges  ou  échevins  du 
o  gracieux  seigneur  le  margrave  2.  »  Le  droit  régalien 

1.  Voyez  ces  documents  réunis  dans  Kûhns,  t.  1,  p.  59,  60.  61. 

2.  Voyez   par    exemple   Riedel  .    Cod.    UipL,    I,    t.    IX.    p     -2~rl. 
n°  CGC  X  XX.' 


182  tES   INSTITUTIONS 

(l«>  fixer  les  circonscriptions  judiciaires  lui  ''si  attri- 
bué; car  il  l'.iui  souvenl  ou  bien  qu'il  remanie  une 
circonscription,  donl  I»1  chef-lieu  esl  tombé  aux  mains 
des  Wendes .  ou  bien  qu'il  en  crée  une  nouvelle 
sur  un  territoire  récemmenl  conquis  par  ses  armes 
Enfin  il  procède  à  des  réforînes  importantes  :  il 
substitue  par  exemple,  comme  on  verra  plus  Loin,  à 
la  juridiction  des  burgraves  celle  des  avoués :  sans 
jamais  requérir  la  confirmation  royale.  Or  au  moyen 
âge  on  mesurait  la  puissance  à  l'extension  du  pouvoir 
juridique.  En  France,  la  qualité  déjuge  suprême  a  l'ail 
la  fortune  des  Capétiens,  au  début  si  faibles  contre  la 
féodalité  :  c'est  par  elle  que  Philippe-Auguste  a  con- 
quis la  Normandie  ;  c'est  par  des  réformes  judiciaires 
que  sainl  Louis  a  mis  la  royauté  «  hors  de  pair  ».  En 
Allemagne,  1(3  roi  était  avant  tout  le  juge1.  Même 
après  la  chute  du  Saint-Empire,  le  souvenir  do  ce 
juge  survécu!  ;  carc'esl  en  son  nom  que  les  tribunaux 
vémiques  de  Westphalie  rendirent  leurs  arrêts.  Aucun 
privilège  n'étail  donc  pins  important  que  celui  qui 
échut  aux  margraves ,  juges  non  «  sous  le  ban  du 
roi  »,  mais  en  leur  propre  nom  2. 

À  la  vérité  les  comtes  allemands  arrivent  peu  à 
peu  par  une  série  d'usurpations  à  conquérir  la  même 
indépendance  que  les  margraves.  Dans  la  première 


1.  Den   Kœnig  Kùset  man  to  richtere  over  egen  unde  len  und    * 
over  yewelkes  mannes  lif...  Saehsenspiegel,  III,  52,  g  2. 

2.  M.  Kùhns,  dont  le  livre  fait  justement  autorité  en  la  matière, 
explique  très-bien  comment  le  margrave  était  on  quelque  sorte 
souverain,  tout  en  restant  vassal  de  l'empire.  En  droit ,  l'empe- 
reur faisait  participer  le  margrave  de  sa  souveraineté,  sans  s'en 
dessaisir.  (Voyez  t.  I,  p.  47.)  Par  le  fait  de  l'établissement  d'un 
margrave,  il  renonçait  à  exercer  directement  sa  juridiction  sur 
les  vassaux  de  la  marche,  mais  en  qualité  de  chef  de  l'empire, 
il  représentait  une  juridiction  plus  haute  que  celle  du  margrave. 
(P.  75,  79.) 


DE   LA    MARCHE  DE  BRANDEBOURG  183 

moitié  du  xiiic  siècle,  ils  deviennent  autant  de  petits 
souverains;  mais  il  a  fallu  qu'ils  rompissent  pour 
ainsi  dire  le  pacte  conclu  entre  eux  et  la  royauté  el 
qu'ils  dénaturassent  le  caractère  primitif  de  l'institu- 
tion des  comtés.  Au  contraire  les  privilèges  du  mar- 
grave sont  nés  du  caractère  même  du  pouvoir  mar- 
gravial.  D'ailleurs,  quand  fut  accomplie  la  révolution 
longuement  préparée  qui  étouffa  la  royauté  germa- 
nique sous  la  .foule  des  petits  états  féodaux,  la  mar- 
che ne  perdit  point  son  originalité.  Les  comtes,  land- 
graves, palatins,  ducs  étaient  devenus  souverains 
comme  les  margraves  ;  mais  dans  leur  domaine  plus 
étendu  ,  ceux-ci  avaient  une  autorité  moins  limitée 
que  ceux-là.  Pour  en  bien  comprendre  la  raison,  il 
faut  exposer,  si  Ton  peut  ainsi  parler,  la  genèse  de  la 
marche.  <  lommenl  la  population  du  Brandebourg  s'est- 
elle  formée  ?  Quels  étaient  les  rapports  du  margrave 
avec  les  différents  ordres  qui  la  composaient,  ou  bien, 
pour  employer  le  vieux  mot  français  qui  traduit 
exactement  le  mot  allemand  Stcinde ,  avec  les  diffé- 
rents états  de  la  marche? 

FORMATION    DE    LA    POPULATION    BRANDEBOURGEOISE. 

La  conquête  du  pays  slave  par  les  margraves  res- 
semble peu  à  celle  des  provinces  de  l'empire  ro- 
main par  les  rois  germains,  aux  rve  et  ve  siècles. 
Ceux-ci  étaient  lis  (dus  de  leurs  compagnons,  et 
la  conquête  était  l'œuvre  commune  de  la.  tribu  el 
de  -ou  chef;  le  peuple  entier,  eu  y  comprenant  les 
femmes  el  les  enfants,  y  prenait  pari,  el  après  La  vic- 
toire ou  s'organisait  comme  pour  un  établissement  dé- 
finitif  dans  une  nouvelle  patrie.   G'esl  alors  que  les 


18  i  LES   [NSTITUTIONS 

nouveaux  arrivés  prenaienl  aux  vain  lus  un  ou  deux 
tiers  de  Leur  territoire,  qu'ils  se  partageaienl  entre  eux. 
Revêtus  d'un  titre  moins  éclatanl  el  nu  mis  honorés  par 
l'attention  de  L'histoire,  Les  margraves  étaient  plus 
élevés  au-dessus  de  ceux  qu'ils  commandaient,  que 
Les  rois  barbares  au-dessus  de  leurs  compagnons. 
Us  étaient  suivis  non  par  un  peuple  d'hommes  Libres, 
mais  par  une  armée  de'  vassaux  donl  Le  devoir 
était  de  Leur  obéir,  ou  même  par  des  suidais  qu'ils 
payaient  de  leurs  deniers.  La  conquête  étail  Leur  entre- 
prise personnelle,  non  celle  de  la  nation  :  ils  avaient 
des  services  à  récompenser,  non  dos  droits  à  reconr 
naître;  ils  étaient,  sous  la  réserve  delà  suzeraineté  du 
roi,  seuls  propriétaires  du  sol  qu'ils  avaienl  conquis. 
Les  circonstances  historiques  permirent  aux  mar- 
graves de  disposer  en  toute  Libertéde  ce  sol:  ils  y  éta- 
blirent presque  partout  Leurs  vassaux  et  leurs  sujets. 
Même  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  lo  plat  pays  était 
à  peu  près  inhabité  au  temps  d'Albert  l'Ours;  la  plu- 
part des  villages  nommés  par  les  documents  du  x°  siè- 
cle, comme  appartenant  aux  églises  de  Havelberg  ou 
de  Magclebourg,  ont  disparu  au  xnc,  détruits  soif  par 
les  Slaves  dans  la  guerre  d'extermination  qui  sévis- 
sail  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  soit  par  les  Saxons 
d'Hemï-le-Lion,  le  rival  du  margrave  Albert  :  il  fal- 
lait donc  repeupler  cette  terre  abandonnée.  Sur  la  rive 
droite  du  fleuve,  la  guerre  avait  aussi  fait  beaucoup 
de  vides;  car  dès  que  les  armes  allemandes  eurent 
repris  possession  du  territoire  de  Havelberg,  l'évêque 
appela  «  de  quelque  pays  que  ce  fût  »  des  colons  dans  - 
cette  province  «  si  souvent  dévastée  et  dépeuplée  par 
les  invasions  païennes  qu'on  n'y  rencontrait  plus  que 
de  très-rares  habitants  ».  Pourtant  si  l'on  s'éloignait  un 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        185 

peu  de  l'Elbe,  on  rencontrai!  sans  aucun  doute  une 
population  assez  dense  '  el  de  nombreux  vil 
autrement  les  Wendes  n'eussenl  pas  été  en  état  de 
fournir  mit1,  résistance  si  acharnée,  ni  de  prendre  tant 
de  fois  une  offensive  vigoureuse  ;  mais  ici  la  tâche 
('■lait  d'une  autre  nature  :  il  fallait  établir  les  institu- 
tions germaniques  sur  le  territoire  de  ces  irr 
ciliables  ennemis,  'font  était  donc  à  créer  ou  à  trans- 
former dans  la  marche,  et  les  créations  comme  les 
transformations  se  firent  par  l'autorité  du  margrave. 
Les  colons  arrivèrent  ou  furent  mandés  en  grande 
partie  delà  Saxe,  du  Rhin  ou  des  Pays-Bas.  Il  y  avait 
déjà  des  Allemands  dans  le  Havelland,  du  temps  de 
Pribislaw.  La  race,  dit  la  chronique  de  Pulcava  2,  y 
étail  mêlée  de  Saxons  et  de  Slaves.  Au  moment  où  le 
margrave  prit  possession  do  l'héritage  du  Wencle,  il 
amena  certainement  avec  lui  des  colons  qu'il  établit 
dans  le  plat  pays.  D'autres  vinrent  en  foule;  cardes 
villages  allemands  s'élevèrent  partout,  et  au  xne  siècle 
déj  à  le  Havelland,  Priegnitz  el  la  Zauche  étaienl  germa- 
nisés. Dans  1rs  autres  parties  de  la  Marche,  Star-  ird, 
Uckermark,  Le] tus,  etc. ,  des  colons  allemands,  appelés 
peut-être  parles  princes  de  Mecklembourg.  de  Pomé- 
ranie  et  de  Silésie  pour  combler  les  vide- faits  par  la 
rre  dans  leurs  campagnes,  s'étaient  établis  avant 
l'acquisition  de  <■  i  ir  les  margraves,  qui  ne  tirent 

1.  Charte  de  l'emper  sur  C  mrad  confirmant  a  l'église  de  Havelberg 

ssions  et  ses  privilèges  :«....  E  ainatae 

civitates  et  villa'  sœpe  irruentibus  paganis  vaslatas  suni  ac  de- 
populatas,  /  e-.  volu- 

iinis  atque  praecipimus  m  idem  i  pisci  pus  liberam  absque  contra- 
dictione  habeal  facullatem  ibidem  ponendi  et  locandi  colonos, 
do  quacumque  gente  voluerit  vel  habere  potueril...  >  Riedel,  Die 
Mark  Br.,  t     II,  p.  in. 

2.  Cens  illa  saxonica  et  slavica,  Pulcavœ  Chronic.    ap.  Riedel, 
Cocl.  dipl.,  IV'-  partie,  p.  2). 


188  LES  tNStlTUTtÔNS 

qu'achever  l'œuvre  commencée.  L'usage,  répandu 
parmi  les  colons,  de  donner  au  village  qu'ils  fondaiénl 
le  nom  de  celui  qu'ils  quittaient  permel  de  reconnaître 
que  la  pluparl  venaienl  de  la  Vieille-Marche,  des  ter- 
ritoires de  Magdebourg  el  d'Ànhalt,  eu  un  mol  de 
l'inépuisable  terre  saxonne  '. 

Après  les  Saxons,  les  Hollandais  et  les  Flamands 
donnèreW  à  l'immigration  le  contingent  lepluscon* 
sidérable.  Helmold  raconte  qu'Albert,  après  avoir  sou^ 
mis  un  grand  nombre  de  tribus  el  refréné  leurs  rébel* 
lions,  s'aperçut  «que les  Slaves allaienl  manquer  ">■  »  : 
il  envoya  donc  vers  Utrecht,  sur  les  riveâ  du  Rhin  ei 
chez  les  nations  éprouvées  |?ar  la  violence  de  la  mer, 
,:i  savoir  les  Hollandais,  les  Zélandais,  les  Flamands,  et 
il  fil  venir  une  grandi1  quantité  de  peuple  pour  l'éta- 
blir dans  les  villes  el  les  forteresses  des  Slaves.  »  Le 
chroniqueur  ajoute  que  les  évèchés  de  Brandebourg 
et  de  Havelberg  furenl  grandemenl  fortifiés  par  cette 
immigration,  parce  que  les  églises  se  multipliaient 
el  que  les  dîmes  s'accroissaient 3.  «  Au  même  temps, 
dil-il  encore,  les  Hollandais  commencèrenl  à  coloniser, 
sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  depuis  la  ville  de  Salzwe- 
del,  jusqu'à  la  forêt  de  Bohème.  »  Ce  témoignage  du 
vieil  historien  donne  aux  Néerlandais  un  rôle  impor- 
tant dans  la  colonisation  de  la  marche.  Plusieurs  do- 
cuments attestent  en  effet  leur  présence  sur  les  deux 
rives  de  l'Elbe,  à  Stendal,  Seehausen,  Werben4,  puis 

J.  Riedel,  Die  Mark,  t.  II,  p.  46,  note   1. 

2.  Deficientibus  sensim   Slavis...   Helmold,   I,   88  (Leibniz,  II, 
p.  Ci  12). 

3.  Et    conforlalus    est    vehementer    ad    introitum  advenâfcunà 
>>patiis  brandenburgensis  nec   non   havelbergensi's,  eo  quod 

multiplicarentur  ecclesise  et  deciraarnm  ingens  succresceret  pos- 
sessio...  Helmold.  ibidem. 

4.  Stendal  paraît  avoir  été  fondé  par  des  Flamands.  Seeliausen 


DE  LA  MARCHE   DE   BRANDEBOUur;  ]  R7 

aux  bords  mêmes  du  fleuve,  en  face  de  Havelberg,  à 
Brandebourg,  dans  le  territoire  de  Lœwenberg,  même 
dans  celui  de  Lebus '.  D'autres  signes  font  encore  re- 
connaître leur  présence.  Ces  industrieux  colons  ap- 
portaient une  architecture  nouvelle;  avant  eux,  on  bâ- 
tissait dans  la  marche  en  grossiers  moellons  :  ils  éle- 
vèrent les  premiers  des  édifices  en  briques,  dont 
la  plupart  subsistent  pour  attester  la  rapide  prospérité 
qui  suivit  leur  établissement.  Enfin  le  nom  de  FUi- 
ming,  que  porte  un  territoire  delà  province  prussienne 
de  Saxe,  est  un  souvenir  des  Flamands  2  :  il  parait 
qu'aujourd'hui  encore  les  coutumes,  l'habillement,  la 
langue  même  rappellent  l'origine  des  habitants  3. 

Il  n'y  a  point  de  doute  que,  parmi  ces  colons,  il 
s'en  trouvait  do  condition  militaire.  On  voit  figurer 
par  exemple  dans  une  charte  d'Albert  II,  un  chevalier 
Henri  de  Flandre  ■'• ,  et  peut-être  certaines  familles 
illustres,  celles  des  Schulenbourg,  desArnim,  des  Bre- 
dow  trahissent-elles  par  leurs  noms  mêmes  leur  ori- 

et  Werben   ont  nisés  et    accrus  par  dos   Hollandais.  — 

Un  Ubert  l'Ours   mentionne  des  manses   de    mesure 

hollandaisi  -  i  ana  mis)  auprès  de  Wer- 

i  :  une  autre,  d'Otton  [.  les  redevances  payées  par  les  Hollan- 
dais di  -  bords  de  l'Elbe  llollandigi  nœ  super  ripam  Albis  positi). 
—  Voyez  Ri  ïlark  Br.,  IL  p.  51,  notes  1  et  2;  Riedel,  Cod. 

dip  .  I.  t.  VI,  p.  338,  à  l'introduction  sur  la  ville  de  Seehausen. 

1  Vnyrz  au  tome  VII  des  Murkisc/ie  Forsrhunhen  (p.  110-127), 
Die  nu  Mark  Brandenburg . 

2.  Le  Flàming  est  ce  plateau  aria:',  que  l'Elbe  côtoie,  depuis  l'em- 
bouchure '  i.  jusqu'aux  environs  de  Magdebourg,   el  qui 

:  Lablissaient 

volontiers  sur  des  terrains  ,  au  coi    rail     des  Hollandais. 

3.  Heinemann,  Albr.  der  B.,  p.  217  et  292.  Voyez  aussi  von  Le- 
debur,  Vorlrâge  zur  Geschichle  der  Mark  Br>  /.  p.  34-48. 
L'auti  la  marche  par  1rs  colons 
venus  des  Pays-Bas.  Il  rappelle  une  première  immigration  des  co- 
lons de  ce  pays,  qu'il  place  au  vr  siècle,  et  il  trouve,  aux  i\  !  et 
xr  siècles,  des  preuves  de  leur  présence.  Il  termine  en  parlant 
des  immis  de  Hollandais  dans  la  marche,  au 
temps  du                  cteur  et  de  Frédéric-Guillaume  L 

i.  Voyez  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  11,  p.  53,  note  I. 


188  LES   [NST1  rUTIONS 

gine  hollandaise  :  le  premier  rappelle  un  château  ruiné 
de  La  Gueldre,  el  les  deux  autres,  les  villes  d'Arnheim 

'•i   de   Bréda.    Mais   la   plupart    étaient    hoi es   de 

métier  ou  gens  de  labour;  ceux-là  se  rendaient  dans 
les  villes;  on  établissait  ceux-ci  de  préférence  là  où 
il  fallait  fertiliser  un  sol  ingral  ou  dessécher  des 
marécages.  Ils  se  mettaient  à  l'œuvre,  dans  les  dis- 
tricts abandonnés  par  les  Allemands  aussi  bien  que 
[taries  Slaves,  el  ils  gagnèrent  ainsi  sur  l'eau  de  vas- 
tes territoires,  par  exemple  tout  le  pays  compris  entre 
ces  quatre  cours  d'eau  :  l'Ieetze,  l'Alain!,  la  Biese, 
l'Elbe,  d'où  la  rigidité  «les  règlements  seigneuriaux 
qui  obligeaient  les  habitants  à  L'entretien  des  digues 
avait  l'ail  fuir  la  population  '. 

Que  devenaient  cependant  les  Slaves,  anciens  maî- 
tres de  ce  territoire  que  l'on  se  partageait  ainsi?  La 
question  est  difficile.  Les  historiens  d'outre-Rhin  vou- 
draient prouver  que  les  vaincus  ont  été  partout  hu- 
mainement traités  par  les  vainqueurs,  niais  ils  n'y 
parviennent  pas.  A  la  vérité  les  Allemands  n'ont  ni 
réduit  en  servage  ni  expulsé  en  masse  la  population 
indigène.  De  nobles  familles  vvendes  ont  été  admises 
parmi  les  vassaux  du  margrave  2.  On  trouve  mention 
de  paysans  slaves,  possédant  de  la  terre  3,  ayanl  la 
faculté  de  faire  donation  de  leurs  biens  aux  églises, 
sans  autorisation  de  leur  seigneur,  et  de  se  transpor- 
ter dans  les  villes  :  toutes  choses   qui  annoncent  la 

t.    Riedel,  die  Mark,  t.  II,  p.  53-51,  et  la  note  1  de  la  page  54. 

2.  Parmi  les  témoins  d'une  charte  d'Otton  II,  figurent  Slavi 
nobiles  Henricus,  Prizzlavus,  Pribisslais  et  Andréas  fratres  (id., 
ibid.,p.  38,  note  1).  Bien  qu'il  faille  se  garder  de  réputer  slaves  tons 
ceux  qui  portent  un  nom  slave,  car  beaucoup  sont  des  Allemands 
qui  ont  pris  le  nom  du  lieu  où  ils  se  sont  établis,  il  est  probable  que 
les  margraves  firent,  au  moins  dans  la  petite  noblesse,  un  assez 
grand  nombre  de  ces  sortes  d'adoptions. 

3.  Riedel,  die  Mark  Br.,  t.  II,  p.  16,  note  1. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        189 

liberté  personnelle  '.  Enfin  il  y  a  des  exemples  de 
bourgeois  slaves  figurant  parmi  les  magistrats  des 
villes2.  Dans  une  seule  partir  de  la  marche,  dans  le 
Havelland,  la  population  indigène  semble  avoir  été 
frappée  par  mesure  générale  :  mais  nous  savons  de  reste 
qu'après  s'être  rendu  maître  delà  rébellion  de  Brande- 
bourg, Albert,  pour  assurer  sa  conquête,  avait  expulsé 
les  Wendes.  (Test  probablement  à  ce  pays  el  à  ce 
fait  seuls  que  le  chroniqueur  Helmold  fait  allusion, 
quand  il  dit  que  les  Slaves  furent  «  foulés  aux  piedsel 
expulsés,  protriti  atque  propulsi.  - 

Cependant  il  ne  faut  pas  se  hâter  de  conclure  que  le 
colon  germain,  respectueux  de  la  propriété  du  vaincu, 
-  lit  contenté  de  bâtir  sur  des  terrains  inoccupés 
ou  de  remplir  des  vides  dans  les  villages  slaves.  Des 
villages  nouveaux  ont  (''té,  il  est  vrai,  fondés  en  place 
libre  :  les  Hollandais,  par  exemple,  ne  dépouillaient 
personne,  quand  ils  s'établissaient  dans  les  niaréca 

m-  la  rive  d'un  fleuve,  sans  cesse  menacée  par 
une  invasion  des  eaux.  Tel  autre  territoire  a  été 
[uis  sur  des  bois  défrichés.  Mais  le  pays  n'était  pas 
si  dépeuplé  que  le  nouvel  arrivant  ne  dût  se  heurter 
souvent  à  un  premier  occupant.  Les  documents  sont 
très-rares  sur  le  sujet  du  litige  :  il  est  remarquable  que. 
presque  tous  parlent  d'une  expulsion  des  Wendes. 

Un  des  publiciste  ml   rendu  le  plus  de  ser- 

vices à  l'histoire  de  la  marche  :i  cite  une  charte  où  il 


I.  Voir  la   charte  de  fondation  de  la  ville  de  lel...  Ad 

haec  volumus  ut  quicumque  ad'  ipsam  novam  civitatem  confluxe- 
rint,  rustici,  teutonici  sive  slavi...,  coram  judicecivitatisejusdem 
astent judicio...    Riedel,  Cod.   dipl.,  I.  i.  \i\\  p.:;.  n°  V.) 

•il1  '  ■  des  mai  ton,  Conrad,  Henri,  Jean, 

figure  comme  témoin  parmi  les  •  consuls  de  Stendal  un.Jacobus 
Slavus.  Voyez  Riedel,  Die  Mark,  t    11.  p.  35,  note  1. 

3.   Riedel.  Voyez  n,  ..  t.  II,  p.  194,  note  -I.  Nos  Hen- 


J90  LES    INSTITUTIONS 

osl  l'ail  mention  d'un  ancien  village  slave,  dont  «  les 
habitants  onl  été  éloigné*  .  el  il  ajoute  qu'il  s'agit 
d'une  expropriation  à  l'amiable,  accompagnée  d'in- 
(1«  mnité;  mais  un  ne  sail  sur  quoi  repose  une  pareille 
hypothèse.  D'autres  piècesfont  croire  à  une  dépos 
sion  sans  compensation  aucune.  Par  exemple  l'ar- 
chevêque «le  Magdebourg  cède  à  l'abbé  de  Nienbourg 
La  levée  de  la  dîme  dans  le  territoire  de  Kleutsch, 
acquis  par  le  dit  abbé  «qui  en  a  chassé  les  anciens 
Slaves  infidèles  pour  \  placer  des  colons  chrétiens  l.  » 
L'abbé  de  Ballenstedt  ('ail  savoir  à  Ions  les  fidèles 
présents  et  à  venir  que,  «  voulant  améliorer  et 
augmenter  les  biens  do  l'église,  il  a  vendu  deux  vil- 
lages... habités  jusque-là  par  dos  Slaves,  à  <\<'*  Fla- 
mands qui  désiraient  les  acheter  2.  >j  L'évêque  Otton 
do  II:ill>orsiadi.  disposant  (U~  la  dîme  d'une  paro 
habitée  par  dos  Allemands  et  par  des  Slaves,  prévoit 
le  cas  on  cesderniers  «  abandonnanl  li  terrain  cultivé 
par  eux,  s'éloigneraient  contraints  par  une  uécessité 
quelconque  el  seraienl  remplacés  par  des  Saxons  2.  » 
Évidemmenl  le  cas  devait  si  présenter  souvent,  puis- 
qu'il était  prévu  par  une  sorte  do  formule:  l'évêque 
de  Halberstadt  lui-même  on  donne  des  exemples 
dans  le  document  qui  vient  d'être  cité. 
Malgré  la  concordance  singulière  de  ces  textes,  il 

ricus  episcopus  —  in  clcilicatione  ecclesie  Briceke  —  villam  Ragho- 
nesc  quondam  Slavicak-m  nequicquam  subjecimus  ecclesie  ante- 
dictae...  et  plus  loin...  et inhabitatores illius  villes  sint  amoti... 

1.  liemotis  ontiquis  Slavorum  colonis,  novos  inibi  christianse 
fidei  cullores  collocavit...  Voyez  le  Iîecueil  de  chartes  à  la  lin  du 
livre  de  Heinemann,  Albrecht  der  B.,  n°  3S.  p.   i67. 

2.  Ibid,  ri"  39,  p.  468 Ego  Arnoldus...  et  fratres  nostri...  bona 

ecclesie  noslrœ  meliorare  atque  augmentare  cupientes,  duas  vil- 
lulas  nostras....  hactenus  à  Slavis  possessas.  Flamiggis  peten- 
tibus....  vendidinms... 

::.  Ncct'.ssiiale  quadam  cogente....  Voy<  /.  Heine^iaua,  Cod.  dipL 
anhult.,  I,  p.  156,  n"  194. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        191 

est  vraisemblable  que  les  cas  d'expulsion  pure  et 
simple  furent  assez  rares  :  il  y  eut  au  contraire  de 
nombreuses  transformations  de  villages.  Cette  sorte 
d'opération  sefîttout  à  la  luis  dan-  les  -  parties 

de  la  marche  sans  qu'on  prît  la  peine  de  la  constater 
par  écrit,  car  on  ne  trouve  aucune  charte  qui  y  soit 
relative,  mais  on  peut  étudier  dans  des  docunn 
empruntés  à  un  pays  voisin  la  méthode  habituellement 
suivie  en  pareil  cas.  Les  margraves  de  Brandebourg 
ne  sont  pas  des  inventeurs,  et  les  procédés  de  la  con- 
quête germanique  en  pays  slave  se  retrouvent  dans 
tous  les  états  allemands  du  nord-est.  On  a  vu  déjà 

il  été  appliqués  par  le  duc  de  Sas 
par  l'archevêque  de  Magdebourg.  :  mar- 

es ont  duré  plus  longtemps  que  leui  \.  et 

ils  «*uL  recueilli  tout  le  bénéfice  de  la  politique  alle- 
mande sur  cet  te  frontière  de  l'eu; 

C'est  en  Silésie  qu'il  est  resté  le  plus  grand  nombre 
de  documents  relatifs  à  des  transformations  de  vil- 
lages. I1  pays  avait  le  la  Po- 
logne (1169),  ses  durs,  que  de  nombreuses  alliances 
de  l'aii,  prochèrenl  de  l'Allemagne,  avaient  tra- 
vaillé à  germaniser  le  pays.  Il  est  resté  d'eux,  ainsi  que 
des  évêques,  abbés,  comtes  et  chevaliers  de  la  pro- 
vince, nombre  de  i  s.  Pour  transformer 
un  village  slave,  le  suzerain  traitait  avec  un  colon 
allemand,  auquel  il  vendait  un  territoire,  touchanl  à 
celui  du  village,  à  condition  qu'il  le  revendrait  par  lots 
à  des  Allemands.  Quand  les  colons  étaient  établis,  l'an- 
cien et  !  m  villagi  i  idus  en  un  seul. 
administré  selon  le  <                      d  par  un  Allemand  l. 

1.  Wohlbriick,  Geschichle  ■  ■■  Uislhiuns  I. 

des  Landes  dièses  Nahmens,  t.  L  p.  201,  en  note,  cite  un  des  docu- 


192  LES   [NSTIT1   i  lo.NS 

Ce  qu'il  advinl  de  cette  cohabitation,  sinon  en 
Silésie,  "ii  la  race  germanique  a  fail  de  Lents  el  pacifi- 
ques progrès,  au  moins  dans  La  marche,  il  n'esl  pas 
malaisé  *  l  *  *  Le  deviner,  [ci  La  Lutte  a  été  longue  el 
acharnée,  el  La  haine  lui  a  survécu.  Si  les  vainqueurs 
avaient  L'habitude  d'appeler  Les  Slaves  des  chiens  i,  il 
esl  probable  que  Les  vaincus  avaient  quelque  injure  à 
leur  service  contre  Leurs  vainqueurs.  Même  au  sein 
d'une  même  ville,  ils  évitaienl  de  se  confondre;  ils 
avaienl  Leurs  corporations  el  leurs  sociétés  distinctes, 
el  mi  trouvai!  encore  au  \vr  siècle  à  Stendal  une  rue 
des  Slaves  comme  une  rue  i\r*  Juifs  2.  Mais  le  combat 
n'était  point  égal  et  l'histoire  des  noms  de  villages 
montre  les  progrès  croissants  du  germanisme.  Au 
XIIIe  siècle,  le  nom  slave  el  le  nom  allemand  sonl 
encore  en  concurrence  en  maints  endroits,  niais  c'est 
l'exception,  elle  dr\  îenl  plus  rare  au  xivc.  Parmi  Ions 
ces  villages  de  Martin,  de  Thierry,  de  Gérard,  de 
Conrad,  qu'énumère  le  Livre  Terrier  rédigé  en  L375 
par  ordre  de  l'empereur  Charles  IV,  il  y  a  beaucoup 
de  villages  wendes,  dontle  nom  a  diparu,  c'est-à-dire 
où  l'élément  germanique  a  vaincu  s. 

ments  en  question  :    Nos    Henricus,  D.   g.   episcopus...  volumus 
esse    notum  quod  nos...    perspeximus,    quod  de   Suscouiz   villa 

nostra  episcopali nobis  et  nrad  ecclesiiu  modicum  ulilitatis  et 

commodi  perveniret,  prsedictam  villam  —  fideli  nostro...  ad  locan- 
dum  jure  teutonico  tradidimus  — 

1 .  Voyez  page  26. 

2.  Longtemps  encore  celle  antipathie  subsista.  Les  maîtres  de 
métiers  allemands  exigeaient  de  l'apprenti  la  preuve  qu'il  n'était 

i  pas  Wende.  Les  Wendes  refusaient  de  manger  de  la  viande  d'ani- 
maux tués  par  des  Allemands.  Ils  avaient  des  boucliers  spéciaux. 
Auxvie  siècle,  dans  la  Langue  officielle,  le  mot  wende  était  syno- 
nyme d'homme  de  rien;  on  disait  unehrliche  ufid  Wendische  Lente. 
(Voyez  Droysen,  Geschichte  der  preussiscchen  Politik,t.  I,  p.  J3.) 

3.  Riedel,  die  Mark  B>\,  p.  l(Jb\  note  1,  cite  un  grand  nombre 
de  ces  noms  :  Mertinstorf,  Cuflradstorf,  Michelstorf,  Gerhards- 
torf,  Wilkehdorp,  etc.,  etc.  11  arrive  aussi  que  des  noms  slaves 
ont  été  à  la  longue  transformés  par  les  plumes  germaniques... 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        193 

Il  est  impossible  de  suivre  pas  à  pas  et  de  marquer 
par  des  textes  les  défaites  successives  et  la  disparition 
graduelle  de  l'élément  slave.  Il  dut  arriver  souvent 
que  les  habitants  d'origine  wende  furent  réduits 
à  des  conditions  inférieures,  ou  bien  se  retirèrent 
dans  ces  misérables  petits  villages,  situés  pour  la 
plupart  au  boni  des  cours  d'eau,  tout  prés  des  villes, 
comme  Golbu  près  de  Tangermiinde,  «  où  il  n'y  avait 
pas  de  manses  »,  c'est-à-dire  point  de  territoire.  Les 
habitants  étaient  des  Slaves  qui  se  nourrissaient  de  la 
[lèche;  chacun  devait  présenter  «  au  seigneur  mar- 
grave chaque  année  quinze  lamproies  à  la  nativité  de 
notre  Seigneur,  et  tout  autant  le  jour  des  Cendres  '.  » 
Ces  villages  se  nomment  d'un  mot  slave  Kietze,  qu'on 
traduit  d'ordinaire  par  villa  slavicalis  2.  On  ne  les 
trouve  que  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  ou  seulement 
tout  près  de  la  rive  gauche;  M.  Riedel  confesse  que 
le  l'ait  est  remarquable,  niais  il  ne  parvient  pas  à 
l'expliquer  en  invoquant  le  goût  des  peuples  slaves 
peur  le  poisson  et  les  plaisirs  de  la  pêche  :  il  ne  faut 
point  ici  d'autre  explication  que  la  dureté  de  la  colo- 
nisation germanique  3. 

Au  reste,  ne  demeurât-il  aucun  des  documents  qui 
viennent  d'être  cités,  l'on  pourrait  encore  affirmer  que 
les  procédés  de  la  complète  germanique  ont  été  ri- 
goureux dans  la  marche.  A  l'exception  des  parties 
qui  ont  été  détachées  de  l'ancience  Lusace,  le  sou- 
venir de  l'origine  slave  ne  vil  plus  en  Brandebourg 

1.  Kaiser  Karls  IV  Landbuch  der  Mark  Brandenburg,  éd. 
Fidicin,  p.  2.">0...  Culbu  prope  Tangermùiide  pertinet  marchioni. 
Ibi  non  sunt  mansi,  sed  Slavi  ibidem  morantur  <-t  nutriuntur 
piscaturà.... 

•2.  Kietze  veut  dire  village  de  pêcheurs.  On  donne  encore  au- 
jourd'hui dans  la  marche  le  nom  de  Kietzer  à  un  engin  de  pêche. 

3.  Voyez  Riedel,  die  Mark   Dr.,  t.  11,  p.  :\i,  33  et  \>.  265. 

13 


I!»  i  î.Ks  INSTITUTIONS 

que  pour  les  ôrudits,  dans  des  aoins  de  villdB ,  de 
villages  ou  de  cours  d'eau  sur  Lesquels  ou  discute.  La 
langue  a  disparu  «I»'  bonne  heure,  oar  force  fui  aux 
vaincus  d'apprendre  la  langue  des  vainqueurs.  Si  le 
droil  saxon  régissail  les  Allemands,  si  les  colons  des 
Pays-Bas  conservaient  leur  droil  national  et  avaient 
des  tribunaux  spéciaux  ',  il  esl  Impossible  de  trouver 
dans  la  marche  après  la  conquête  la  moindre  trace 
d'un  droil  wende.  Enfin  le  clergé  lii  une  guerre  active 
à  tout  ce  qui  pouvail  rappeler  dans  les  coutumes  et 
dans  les  mœurs  la  religion  proscrite.  Ainsi  périt  jus- 
qu'à la  dernière  trace  de  l'origine  wende.  Maintes  su- 
perstitions locales,  que  l'on  a  cru  longtemps  remon- 
ter aux  temps  antérieurs  à  la  conquête,  ont  été 
reconnues  purement  germaniques.  Les  contes  bran- 
debourgêois  parlent  aujourd'hui  encore  de  Wbdan,  de 
Preia,  du  chasseur  du  Hackelberg;  mais  il  n'y  a  plus 
place  au  foyer  pour  Swantowit  ni  pour  Radegast.  Or 
pour  1rs  peuples  comme  pour  les  individus,  le  souvenir 
des  légendes  qui  ont  bercé  l'enfance  estle  dernier  que 
garde  la  mémoire  affaiblie  :  il  ne  s'évanouit  que  dans 
la  mort. 

LES  ORDRES  DANS  LA  MARCHE  :  GRANDS  ET  PETITS  VASSAUXj 

L'assimilation  du  pays  conquis  a  donc  été  pour- 
suivie de  trois  manières:  par  l'expulsion  complète  des 
Slaves,  par  rétablissement  d'Allemands  sur  des  terres 
inoccupées,  par  la  juxtaposition  de  l'Allemand  et  du 
Slave  au  détriment  de  ce  dernier;  mais  c'est  toujours 
le  margrave  qui  a  présidé  à  chacun  de  ces  actes.  Ses 

t.   Riedeî,  die  Mark  Dr.,  t.  II,  p.  369. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        195 

vassaux  el  ses  sujets  lui  doivent  la  place  qu'ils  occu- 
pent sur  l,i  terre  brandebourgeoise. 

Créateurs  de  la  marche,  les  margraves  n'y  ont  pas 
établi  de  grande  noblesse.  Les  nobles  les  plus  émi- 
nenis  sont  distingués  des  autres  par  leur  office  plutôt 
que  par  l'étendue  de  leurs  domaines.  Ce  sont  d'abord 
les  burgraves  ou  comtes  du  burg.  Il  est  inutile  de 
signaler  l'importance  exceptionnelle  du  burg  dans  un 
pays  frontière,  où  il  a  été  le  point  de  départ  naturel 
de  l'organisation  administrative  L  Sa  garnison  n'était 
point  enfermée  dans  ses  murailles;  les  «  hommes  du 
burg  »  avaient  leurs  fiefs  dans  le  pays  avoisinant, 
qu'on  appelail  burgraviat.  Au  pied  du  château  et 
protégée  par  lui  s'élevait  presque  toujours  une  ville. 
Or  les  hommes  du  burg,  les  paysans  qui  vivaient  sur 
leurs  fiefs,  les  habitants  de  la  ville  étaient  placés  sous 
la  juridiction  du  burgrave.  Le  burgraviat  était  assez 
étendu  :  autrement  le  nom  de  comté  qui  lui  es! 
quelquefois  donné  no  s'expliquerait  pas  2.  Enfin  le 
burgrave  remplissait  auprès  du  margrave  une  haute 
fonction,  colle  du  schultheiss  près  du  comte,  du  palatin 
[ires  de  l'empereur.  Celait  une  prescription  du  droit 
savon  que  le  comte  ne  put  tenir  de  tribunal  sans  l'as- 
sistance d'un  schultheiss,  ni  l'empereur  sans  celle  du 
palatin,  afin  que  si  quelqu'un  portait  une  plainte 
contre  le  comte  eu  contre  l'empereur,  il  se  trouvât  un 
juge  pour  la  recevoir  3  :  ce  juge  était,  dans  la  marche. 

1.  Voyez  G.  Waitz,  D<  ulst  h<    Verfai  sungsgeschichte,  t.  V,  p.  183, 
et  note  3;  Kùhns,  op.  ai.,  t.  I,  p.  92,  LOI. 

2.  Voyez  pour  l'étendue  du  burgraviat  de   Brandebourg,  Kùhns, 
loc.  cil.,  p.  lis. 

;;.    Wenne  klagel  m  n  liclilere,  su  sal  he  antwerden  vor 

■  i,  i,i  scullheiten,  n'en  die  sciillheih  is  richter  siner  scirft  :  als  is  die 
nzgreve  over  den  Keiser,  unde  die  burchgreve  overden  maregra- 
ven.  —  Sachenspiegel,  111,  52,  §  ô. 


196  LES   INMI  rUTIONS 

le  burgrave  .  A.ussi  Rgure-t-il  au  plus  haut  rang 
parmi  les  vassaux  du  margrave,  el  au  milieu  des 
membres  de  sa  famille  '.  A  côté  de  lui  se  placent  di^s 
vicomtes  auxquels  étaienl  inféodées  quelques  parties 
de  la  Vieille-Marche,  ou  des  comtes  de  comtés  étran- 
gers, qui  y  possédaient  des  fiefs.  On  les  appelle  nobles 
hommes,  barons  du  margrave,  primats  du  conseil  et  du 
palais. 

On  sail  peu  de  chose  de  ces  grands  vassaux2,  si 
ce  n'est  qu'ils  appartenaient  à  la  Vieille-Marche,  un 
seul  excepté,  le  burgrave  de  Brandebourg,  el  qu'ils 
disparurenl  de  bonne  heure.  Les  documents  ne  nous 
font  connaître  l'existence  que  dé  trois  burgraviats, 
ceux  de  Brandebourg,  «le  Stendal  el  d'Arnebourg. 
On  ne  trouve  pins  trace  du  dernier  à  la  fin  du  xir\  siècle  ; 
il  n'est  pins  fait  mention  du  second  après  l'année  1215, 
date  où  le  margrave  «  relève  sur  leur  demande  les 
citoyens  et  conseillers  de  Stendal  de  la  charge  que 
taisait  peser  sur  eux  l'importunité  du  burgrave  »,  en 
les  dispensant  de  paraître  à  son  tribunal  s.  Enfin  le 
burgràvial  de  Brandebourg  n'a  certainement  pas  duré 
au  delà  de  la  moitié  du  xne  siècle  dette  institution 
devait  pour  plusieurs  motifs  déplaire  aux  margraves. 
Utile  à  l'origine,  quand  la  conquête  n'était  pas  encore 
assurée,  elle  devint  ensuite  nn  obstacle  à  la  bonne 
administration  de  la  marche.  Le  château  où  résidait  le 
burgrave  était  placé,  non  point  au  centre  du  burgra- 

1.  Riedel,  die  Mark.,  t.  II,  p.  131. 

2.  Id.,  ibid.,  p.  134-142. 

3.  Voyez  Gercken,  Codex  diplomaticus  br&ndenburgensis,  t.  V,  p  74, 
ir  55.  .  ad  petilionem  civium  Stendalensium  et  consulum,  viro- 
rum  prudentum,  gravamen  quod  idem  Stendalenses  pro  importu- 
riitate  Borggravii,  quem  habere  consueverunt,  penitus  relaxavimus, 
statuentes  ut  in  civitate  deinceps  placilo  et  juri  non  teneantur 
stnre  Borggravii... 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        197 

viat,  mais  à  la  frontière,  tout  près  de  l'ennemi  :  c'étail 
1111  grave  inconvénient.  Il  parut  sans  doute  plus  insup- 
portable quand  les  limites  de  la  marche  furenl  reculées 
e1  ({iif  les  burgs  ne  rendirent  plus  de  services.  Les 
margraves  écoutèrent  volontiers  les  plaintes  do  leurs 
sujets.  Des  vassaux  qui  tenaient  leur  office  à  titre  héré- 
ditaire in.1  leur  étaient  pas  moins  »  importuns  »  qu'aux 
bourgeois  de  Stendal.  Ils  les  remplacèrenl  par  des 
avoués,  sorte  de  fonctionnaires  a  la  façon  moderne 
dont  on  parlera  tout  à  l'heure.  Quant  aux  pays  au 
delà  de  l'Elite,  à  l'exception  du  burgraviat  de  Brande- 
bourg, ils  furent  des  l'origine,  divisés  en  avoueries. 
Sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe  les  margraves  trouvent 
des  institutions  toutes  faites,  semblables  a  celles  qu'on 
rencontre  dans  le  reste  de  l'Allemagne;  sur  la  rive 
droite  seulement,  ils  sont  des  conquérants  et  des 
organisateurs.  C'est  là  que  se  forme  et  se  fortifie  le 
caractère  exceptionnel  de  leur  autorité. 

Les  moindres  vassaux  et  les  ministériels  étaient 
très-nombreux  dans  la  marche.  On  sait  que  les  minis- 
tériels se  distinguaient  du  rote  des  vassaux  en  ceci 
qu'ils  devaient  à  leur  suzerain,  pour  leur  fief  appelé 
fief  de  cour  ou  hoflehen,  un  service  non  militaire,  eu 
qualité  d'échansons,  de  chambellans,  de  maréchaux, 
ou  d'écuyers  tranchants.  A  l'origine,  leur  condition 
était  dure.  Le  suzerain  avait  sur  leur  fief  un  «  droit 
supérieur  -  de  propriété.  Ils  ne  pouvaient  faire  la 
moindre  donation  sans  son  consentement.  Ils  ne  pou- 
vaient se  marier  que  dans  une  famille  de  ministériels 
de  leur  seigneur,  à  moins  «pie  celui-ci  n'eût  signé  avec 
un  prince  voisin  un  trait»''  autorisant  les  ministériels 
de  l'un  et  de  l'autre  à  se  marier  entre  eux.  Ils  étaient 
attachés  au  fief,  transmissibles  et  aliénables  avec  lui, 


198  I.KS    INSTII1  [TIONS 

par  conséquent  énumérés  dans  les  contrats  de  vente 
parmi  les  articles  vendus.  Enfin  un  seul  enfanl  héri- 
lait  du  fief  de  courel  du  service  afférenl  :  Les  autres 
devaienl  demander  au  seigneur  l'investiture  de  nou- 
veaux fiefs  de  cour  ou  chercher  fortune  dans  une  autre 
condition. 

Ce  n'esl  pas  Ici  Le  lieu  de  discuter  sur  les  origines 
ni  de  s'étendre  sur  le  caractère  de  la  ministérialité1. 
Qu'il  suffise  de  dire  .qu'elle  existait  en  Brandebourg 
dans  toute  sa  rigueur3.  Toutefois  la  marche  gardai! 
ici  encore  son  originalité.  Les  ministériels  ne  s'y  trou- 
veni  que  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe.  Dans  la  Vieille- 
Marche,  où  d'anciennes  familles  étaienl  établies,  le 
margrave  avait  intérêt  à  so  les  rattacher  par  un 
service  personnel.  Aussi  les  ministériels  abondent- 
ils  autour  des  châteaux  de  Salzwedel,  Gardelegen, 
Arnebourg,  Tangermiinde,  où  ils  venaienl  prendre 
leur  service  toutes  les  fois  que  le  margrave  y  ré- 
sidait. Au  contraire  dans  les  provinces  conquises  la 
noblesse  était  par  nécessité  trop  étroitement  unie  à 
son  suzerain;  les  obligations  féodales,  c'est-à-dire  la 
protection  d'une  part,  et  de  l'autre  le  dévouement 
et  l'obéissance,  y  étaient  trop  réelles  pour  qu'il  fût 
besoin  d'y  rien  ajouter. 

Il  semble  aussi  qu'il  ait  été  pris  dans  la  marche  de 

1.  Voyez  Màrkische  Forschungen,  t.  III,  p.  1-96,  une  étude  de 
Wohlbrùck  a  Veber  die  minislc.rialen  ». 

2.  Voir  les  textes  rassemblés  par  Riedel,  die  Mark  B>\,  II. 
p.  144-152.  Les  margraves  Otton  et  Jean  ratifient  l'acte  d'un  mi- 
nistériel «  ratione  superioris  dominii  ».  —  Ils  font  avec  le  roi 
d'Allemagne,  Guillaume,  l'échange  d'une  femme  de  condition  mi- 
nistérielle contre  une  autre  de  même  condition  :  Wilhelmus 

cupimus  fieri  notura ,  quod  quredam  inter  nos  et  Brandenbur- 
genses  marchiones  personarum  est  variatio  ordinata.  Habuimus 
enim  quandam  personam  fœmineam. . .  nobis  et  imperio  attinen- 
t'em,  quam  dictis  principibus,  pro  alia  persona  feminea,  ipsis 
marclnonibus  attinente,  in  concambio  dedimus,  etc.,  etc.. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        199 

plus  grandes  précautions  que  dans  le  reste  de  l'empire 
contre  les  abus  de  pouvoir  do>  grands  officiers,  grand 
chambellan,  grand  écuyer,  grand  maréchal,  grand 
échanson,  dont  chacun  était  le  chef  d'une  des  classes 
de  ministériels,  servait  le  prince  dans  les  cérémonies 
solennelles,  mais  était  surtout  l'administrateur  d'une 
partie  de  sa  maison  et  son  conseiller  toujours  présent. 
Il  est  probable  que  ces  offices  n'ont  jamais  été  hérédi- 
taires dans  la  marche,  et  il  est  certain  qu'ils  n'étaient 
pas  même  viagers  au  xme  siècle  :  on  s'y  succédait 
rapidement  et  quelquefois  on  passait  de  l'un  à  l'autre  *. 
Au  reste,  la  ministérialité  subit  dans  la  marche  les 
mêmes  vicissitudes  que  dans  le  reste  de  l'Allemagne. 
Elle  s:adoucil  peu  à  peu  :  à  ses  fiefs  decour,  le  ministé- 
riel put  ajouter  des  fiefs  militaires  [mcmnlehen),  et  la 
chevalerie,  en  relevant  la  dignité  du  ministériel  qui 
en  était  revêtu,  acheva  de  l'assimiler  au  reste  des 
nobles.  Au  xiiic  siècle,  la  mention  de  la  qualité  de 
ministériel  cesse  d'être  faite  dans  les  actes  publics,  à 
côté  des  noms  des  témoins;  tous  les  chevaliers,  de 
quelque  extraction  qu'ils  soient,  portent  le  titre  de 
milites  ''.  il  est  naturel  que  sur  cette  terre  de  combat 
du  Brandebourg,  la  valeur  et  les  services  personnels 
aient  vite  effacé  toute  distinction  humiliante  entre 
hommes  qui  tous  les  jours  partageaient  le  même 
péril.  Il  dut  arriver  aussi  que  des  fils  de  ministériels 
de  la  Vieille-Marche,  non  pourvus  du  bel'  de  cour, 
passèrent  l'Elbe  et  reçurent  sur  la  rive  droite  un  fief 
militaire,  dette   coutume   rapprocha  deux  conditions 

1 .  Voir  dans  Riedel,  die  Mark,  II,  p.  154,  à  la  note  3,  la  liste  des 
officiers  connus  de  la  mari  ne. 

2.  Voyez  Riedel,  die  Mark,  II,  p.  ICI.  les  textes  où  la  qualité 
de  miles  est  attribuée  à  des  personnes  connues  pour  être  des 
mi  nistériels. 


200  LES   INSTITUTIONS 

différentes,  où  l'on  voyait  figurer  des  membres  de  la 
même  famille  '  :  elles  se  confondirenl  pour  former  la 
petite  noblesse  de  La  marche. 

Sur  le  recrutemenl  de  la  petite  noblesse  el  son  éta- 
blissement en  Brandebourg,  il  y  a  naturellement  beau- 
coup d'incertitude  el  d'obscurité.  Kilt1  se  composait  et 
de  Slaves  de  condition  noble,  épargnés  par  la  con- 
quête, et  des  vassaux  que  l<'s  margraves  avaient  ame- 
nés avec  eux,  ou  que  l'espril  d'aventure  cl  le  di'-sit- 
de  conquérir  un  établissement  attirèrent  a  la  suite 
des  A.scaniens.  A  l'origine,  quand  la  victoire  nVst  pas 
assurée  H  (pic  la  Vieille-Marche  elle-même  est  exposée 
aux  assauts  dos  Slaves,  les  vassaux  résident  dans  les 
burgs  ou  sur  le  territoire  du  burgraviat.  Dans  les 
documents  du  xji"  siècle,  on  ne  trouve  presque  au- 
cune mention  de  nobles  établis  à  la  campagne.  Au 
contraire  il  y  en  a  un  grand  nombre  au  xiii°,  quand  la 
domination  des  margraves  est  plus  assurée,  et  que 
l'immigration  allemande  s'est  accrue.  Leurs  domaines 
et  revenus  étaient  d'ordinaire  médiocres.  Dans  les 
burgs  ils  avaient  une  demeure ,  et  le  margrave 
leur  assignait  pour  leur  entretien  une  part  de  ses 
droits  seigneuriaux  sur  quelque  village  voisin,  en 
ayant  toujours  soin,  à  l'origine,  de  ne  jamais  aliéner 
ses  droits  sur  tout  un  village  et  de  ne  point'oonsli- 
tuer  de  seigneuries  au  profit  de  ses  vassaux.  Plus 
tard,  quand  ceux-ci  quittent  les  burgs,  se  forment  les 
petits  domaines  qu'on  appelle  les  biens  de  chevalerie, 
et  dont  l'étendue  était  déterminée  par  l'usage  2  :  six 


1.  Il  y  a   par  exemple  des  Arnebnunj  ministériels   sur  la  rive 
gauche  et  vassaux  libres  sur  la  rive  droite  en  Zauche. 

2.  Dans  le  Livre  Terrier,  rédigé  en  1375,  il  n'y  a  encore  que  de 
très-petites  seigneuries. .. 


DE  LA  MARCHE  DE  BHANDEBOURG        201 

manses  pour  le  chevalier,  quatre  pour  l'écuyer,  francs 
de  tout  impôt  direct  ou  indirect,  représentaient  la 
solde  permanente  du  service  militaire  que  le  chevalier 
devail  avec  quatre  chevaux  et  l'écuyer  avec  deux. 

On  pense  bien  que  les  choses  ne  demeurèrent  pas 
toujours  en  cet  étal,  et  que  maints  domaines  s'amoin- 
drirent au  profit  des  autres.  On  retrouvera  plus  loin 
ces  altérations  de  l'état  primitif;  mais  aucun  domaine 
considérable,  capable  d'élever  une  famille  au  point  de 
la  rendre  redoutable,  ne  se  forma  du  temps  des  Asca- 
niens,  sur  les  mines  de  la  petite  féodalité.  La  règle 
première  s'y  est  maintenue  :  le  fief  du  miles  est  tou- 
jours réputé  de  six  manses,  et  tout  ce  qui  dépasse 
cette  mesure  est  frappé  d'une  redevance  pécuniaire. 
(-'est  l'application  de  ce  principe  que  la  terre  appar- 
tient au  margrave  et  lui  doit  redevance,  à  l'exception 
de  celle  que  le  vassal  a  reçue  pour  être  mis  à  même 
de  servir  son  seigneur  à  toute  réquisition  l. 


P  O  s\.\s    ET    DES    BOURGEOIS 


En  même  temps  qu'il  investissait  de  leurs  fiefs 
les  vassaux  de  la  marche,  le  margrave  établissait 
dans  les  villages  nouveaux,  ou  répartissail  dans 
les  villages  habités  par  les  Slaves  les  colons  qu'il 
appelait  en  Brandebourg.  On  connaît  déjà  les  procé- 
dés suivis  par  la  transformation  i{r<,  villages;  les 
mêmes  règles  présidaient  a  leur  création.  Le  mar- 
grave vendait  un  certain  nombre  de  inanses  à  un 
entrepreneur  à  charge  pour  celui-ci  de  les  revendre 


1.  On  verra   plus   loin   sur   quels    documents   on   peut    établir 
l'étendue  du  fief  de  chevalerie. 


Sûfl  LES   INSTITUTIONS 

en  détail  al  d'établir  un  village  '.  [/opération  faite, 
l'entrepreneur  devenait  le  schulw  ou  bailli:  il  avait 
de  grands  privilèges,  un  ou  deu*  manses  francs  de 
toute  redevance,  sauf  celle  du  tehnpferd,  cheval  de 
bataille  qu'il  devail  à  son  seigneur  en  cas  de  guerre; 
le  droit  de  faire  paître  un  certain  nombre  de  brebis 
sur  les  terres  du  village,  d'établir  un  cabarel  ou  un 
moulin  dont  il  percevail  les  revenus.  Il  ôtail  le  prési- 
dent du  tribunal  de  village  et  jouissait  d'une  partie 
des  revenus  judiciaires 2.  Sa  fonction  était  héréditaire 
connue  un  lief.  En  revanche  il  était  chargé  de  la  per- 
ception >lcs  impôts  el  revenus  de  toute  nature,  dont 
il  était  responsable  envers  le  margrave.  L'impôt  n'étail 
pas  toujours  exigible  dès  la  première  année  :  le  mar- 
grave accordait  la  franchise  pendanl  une  certaine 
période,  partout  où  un  travail  préliminaire  était  né- 
cessaire  pour  féconder  le  sol.  La  période  était  d'or- 
dinaire de  seize  années,  là  où  il  y  avait  un  défriche- 
ment à  faire. 

Au-dessous  du  bailli  étaient  les  Lehnbauern  ou 
paysans  à  fiefs;  ils  jouissaient,  sinon  de  tous  les 
privilèges  du  bailli,  au  moins  de  l'exemption  d'impôt 
pour  une  partie  de  leur  terre,  qui  n'était  redevable 
que  du  cheval  de  guerre.  Il  est  probable  qu'au  mo- 

1.  Voyez  Wûhlbruck,  Gesch.  des  Bislhums  Lebus,  t.  I,  p.  204,  la 
vente  faite  par  le  prieur  d'un  couvent  de  femmes,  situé  à  Czarno- 
vans  dans  la  Haute-Silésie,  de  21  manses,  à  un  nommé  Siegfried,  à 
cliarge  pour  celui-ci  de  les  revendre  à  des  paysans  allemands,  et 
d'y  créer  un  village  qui  s'appellera  Frauendorf. 

2.  Voir  dans  Ileinemann,  Albrecht  der  B '.,  au  supplément,  la 
pièce  n1  40,  qui  est  signée  par  l'archevêque  Wichmann  de  Mag- 
debourg  :  «  Xotum  sit  omnibus  qualiter  ego  Wicmannus...  villam 
quamdam  quae  Pechoe  dicitur,  cum  omnibus  ad  eam  pertinenti- 
1ms.  agrîs,  pratis,  silvis  et  stagnis  ad  excolendum  et  fructifican- 
iluin  tradidi  cuidam  Heriberto..,  et  justitiam,  quam  jus  burgense 
vocant. ..  stabilivi;  ipsi  quoque  Heriberto  sex  mansos  ibidem  in 
benefîcium  concessi...  »  Voir  aussi  les  pièces  n0'  30  et  41. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        iO?i 

ment  de  la  fondation  des  villages,  il  se  présenta  sou- 
vent, au  lieu  d'une  seule  personne,  une  association 
pour  tenter  l'entreprise  :  la  charge  de  bailli  ne  pouvant 
appartenir  qu'à  l'un  des  associés,  les  autres  reçurent 
des  privilèges  moindres,  mais  qui  1rs  distinguaient  en- 
core du  reste  des  paysans.  Ceux-ci  payaient  une  re- 
devance pour  leurs  terres,  qui  furent  dès  l'origine  de 
superficie  très-diverse;  la  moyenne  paraît  avoir  été 
de  trois  manses.  Enfin  au-dessous  des  paysans  étaient 
ceux  que  l'on  appelai!  Kotseter.  en  latin  Cossati,  parce 
qu'ils  habitaient  des  petites  maisons  ou  Koten.  Cette 
classe  inférieure,  qui  payait  de  moindres  impôts,  se 
subdivisai!  en  plusieurs  catégories;  mais  un  lien  com- 
mun unissait  à  l'origine  les  différentes  classes  :  tous 
les  paysans  étaient  les  sujets  du  margrave.  À  la  vérité 
cette  situation  primitive  fut  bientôt  modifiée  :  les 
degrés  se  multiplièrenl  dans  la  hiérarchie  de  la  popu- 
lation agricole;  les  rapports  dos  personnes  entre  elles 
se  compliquèrent;  entre  le  margrave  et  le  paysan 
s'interposèrent  les  seigneuries;  mais  ce  fut  du  con- 
sentement du  premier.  A  l'origine  le  paysan  ne  rele- 
vai! que  du  margrave,  auquel  il  devait,  aussi  bien  que 
le  chevalier,  sa  place  sur  le  sol  du  Brandebourg  '. 

Une  fois  ses  obligations  acquittées,  il  était  libre. 
Il  transmettail  son  bien  à  ses  enfants,  il  pouvait  l'a- 
liéner sans  l'autorisation  de  son  seigneur  et  aller  cher- 
cher fortune  ailleurs.  Sa  condition  était  préférable  ;i 
celle  <\<>>  paysans  saxons  contemporains,  qui  étaienl 
attachés  à  la  glèbe.  Aussi  l'émigranl  allemand  allait-il 
chercher  au  delà  de  l'Elbe  ce  qu'il  va  chercher  main- 
tenant au  delà  de  l'Atlantique,  une  propriété  libre.  Un 

1.  Voyez  Wohlbruck,  Geschichte  des  Bisthums  Lebus,  t.  I,  p.  200 
et  suiv.  ;  Riedel,  Die  Mari.  Br.,  p.  11)2  et  suiv. 


204  LES   [NSTITOTIONS 

curieux  document,  une  glose  <ln  Sachseiispiegel,  qui 
date  des  premières  années  du  \i\c'  siècle,  donne 
la  raison  vraie  de  cette  situation  privilégiée  des 
paysans  de  La  marche.  Ils  sont  Libres,  dil  Le  juriscon- 
sulte brandebourgeois,  parce  qu'ils  onl  Les  premiers 
défriché  Le  sol  '. 

Les  villages  Les  mieux  situés  s'élevèrenl  naturelle» 
mi'iii  au-dessus  des  autres.  Là  où  Le  commerce  el 
l'industrie  se  développaienl  sous  l'influence  de  cir- 
constances favorables,  le  prince  créai!  un  marché,  el 
le  village  devenait- un  Flecken  2.  Mais  le  Flecken 
n'était  encore  qu'un  «  village  avec  marché  » :J  ;  pour 
qu'il  devînt  une  ville,  il  fallait  qu'il  reçûl  d'abord  un 
accroissemenl  de  territoire  el  qu'il  Eût  ceint  de  mu- 
railles. C'étaient  les  conditions  essentielles  des  grands 
privilèges  qui  distinguaient  La  ville  du  village  et  du 
Flecken  4. 

En    Brandebourg  comme   en  Allemagne,  comme 

t.  Voyez  ce  document  cité  par  Riedel,  Die  Mark,  t.  II,  p.  281, 
en  note  :  Mit  uns  aber,  das  ist  in  der  Marck,  haben  die  gebawer 
auch  Krb  am  zinfsgut,  und  mogen  es  lassen,  wenn  sie  wollen, 
welches  daher  kommen  ist,  dass  unser  landt  also  sindt  besatzt 
•\vorden,  Denn  do  solches  geschehen,  hat  man  den  bawern  die 
hufTen  erst  wildt  und  unangebawet  ausgethan,  welche,  nachdem 
sie  nochmals  durch  der  leute  arbeit  sindt  gébessert  worden,  Da- 
rumb  mogen  sie  dieselbigen  auch  ihres  gefallens  verkeuffen... 

2.  Voyez  pour  la  création  d'un  flecken,  Ueinemann,  Albrecht 
der  B., au  supplément,  nu  41  (ebart.  de  l'archevêque  de  Magde- 
bourg)  :  Quia  vero  situs  pjusdem  villas  viantibus  et  negociantibus 
plurimum  est  oportunus...,  stalui  ut  habeatur  ibidem  annuatim 
célèbre  forum  et  quanta  potest  copia  rerum  venalium,  forensibus 
autem  et  mercatoribus  ibi  manentibus  eam  libertatem  emendi  et 
vendendi  et  plenarie  in  omnibus  causis  et  negotiis  suis  eamdem 
justiciam  concessi  et  firmavi,  quam  habent  Magdeburgenses... 

3.  Villa  cum  foro. .. 

4.  Emendationi  oppidi  Stolp,  ut  incrementum  recipiat  et  civitas 
Bat  sollicité  intendere  cupientes,  eidem  oppido  ducentos  mansos 
duximus  apponendos.  Insuper  profitemur  quod  quam  primum 
(iictum  oppidum  plancis  munitum  extiterit,  ex  tune  incolae  uni- 
versi  ad  decem  annos  libertati  perfruentur...  Riedel,  Cod.  dipl. 
br. ,11,  t.  i,  p.  296,  n"  ccclxxx. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG         205 

dans  la  France  du  nord  au  x°  et  \ic  siècles,  les  villes  se 
formèrent  peu  à  peu  autour  des  châteaux-forts,  parce 
que  de  nombreux  habitants  du  plat  pays  vinrent 
chercher  un  asile  au  pied  de  leurs  murailles  et  que  les 
ouvriers  surtout,  qui  n'étaient  point  obligés,  connue 
les  laboureurs,  de  se  disséminer  au  loin  dans  les  cam- 
pagnes, s'y  donnèrent  rendez-vous  pour  y  former  leurs 
corporations.  Plusieurs  des  villes  de  la  marche  étaient 
antérieures  aux  margraves  ascaniens.  Dans  la  charte 
de  fondation  de  Stendal,  Albert  1  nomme  les  villes  de 
sa  domination  »  :  ce  sont  Brandebourg,  Havelberg, 
Werben,  Arnebourg,  Tangermlinde,  Osterbourg,  Salz- 
wedel.  Les  deux  premières  avaient  dû  être  recon- 
quises, parce  qu'elles  étaient  aventurées  sur  la  rive 
droite  :  les  autres  avaient  vu  passer  et  repasser  le  flot 
de  l'invasion  slave.  Elles  avaient  survécu,  plus  heu- 
reuses que  Walsleben,  qui  florissait  au  x"  siècle,  niais 
qui  se  laissa  un  jour  surprendre  par  les  Redarienset  fut 
si  complètement  détruite  par  eux  qu'où  discute  sur  la 
place  qu'elle  occupai!  jadis.  L'origine  militaire  des 
villes  de  la  Vieille-Marche  est  certain./  :  à  défaut  de 
leur  nom  Arnebourg,  Osterbourg)  leur  situation  stra- 
tégique suffil  a  la  démontrer. 

L'est  encore  au  pied  des  murailles  d'un  château 
qu'ont  grandi  les  nouvelles  villes  de  la  marche. 
Toutes  on!  commencé  par  être  des  villages.  La  trans- 
formation se  faisait  par  entreprise  particulière,  sui- 
vant la  méthode  que  l'on  connaît  déjà,  et  quand  il 
avait  t''lé  démontré,  pour  ainsi  dire,  que  la  fonda- 
lion   d'uni!    ville  en  un  lieu  déterminé  étail  d'utilité 


1.  ...In  urbibus  ditionis  meae  Brandenburg,  Hauelberg,  Werbene, 
Arneburg,  Tangermund,  Osterburg,  Saltiwidele...  (Riedel,  Die 
Mark.,  Il,  p.  289,  note  2.) 


206  les  INSTITUTIONS 

publique  '.  Le  margrave  vendait  à  un  ou  plusieurs 
entrepreneurs  qu'on  appelail  t\i'>  locatores.  un  terri- 
Loire  qui  s'ajoutail  à  celui  du  village,  el  donl  la 
superficie  variai!  entre  loo  el  300  manses.  Un  de 
ces  locatorèS)  il  >  en  avait  quelquefois  jusqu'à 
nuit,  ■  devenait,  comme  dans  le  village,  le  bailli.  11 
était  chargé  de  revendre  en  détail  le  terrain  qu'il 
avait  acquis,  de  faire  entourer  la  uouvelle  ville  de 
fossés  où  l'on  s'efforçait,  toutes  les  fois  qu'il  étail 
possible,  d'amener  l'eau  d'une  rivière.  Les  remparts 
construits,  on  élevait  les  édifices  publics,  le  Rathhaus 
ou  maison  du  conseil,  la  halle  aux  marchands,  appelé 
theatrum:  des  bâtiments  spéciaux  pour  l'exercice  de 
eerlaiues  industries  comme  Celles  >U'>  pelletiers  et  des 
bouchers.  Cependant  arrivaient  les  bourgeois  qu'atti- 
rail l'exemption  d'impôl  promise  par  le  margrave  pour 
un  temps  déterminé.  Les  maisons  privées  commen- 
çaienl  à  s'élever.  Aux  xn8  el  xnie  siècles,  elles  sont  en 
bois  pour  la  plupart  :  plus  tard  seulement,  à  l'exemple 
i\c^  Hollandais,  on  y  employa  la  brique  qui  fut  d'abord 
réservée  aux  églises  et  aux  cloîtres.  Quant  à  la  pierre, 
il  était  rare  qu'on  l'employât  même  pour  les  monu- 
ments religieux,  et  ce  fut  un  grand  événement  dont 
on  parla  dans  toute  l'Allemagne  du  nord,  quand  à  la 
fin  du  xve  siècle  les  riches  bourgeois  de  Stralsund, 
après  deux  incendies  qui  avaient  détruit  leur  ville, 
résolurent  de  la  rebâtir  en  pierre  2.  Au  contraire  le 
bois  abondait,  et  il  était  permis  aux  villes  de  prendre 


1.  ...Quoniam  nobis  et  sapicnlioribus  in  populo  noslro  utile 
videbatur  ut  juxtà  Volzen  civitas  poneretur,  dedimus  operani  illi 

rei...  Chart.  de  fondation    d'Arnskrone Riedel,  Codex  diplom. 

brandenb.,  II,  t.  i,  p.  218,  n°  cccxvm. 

2.  Aujourd'hui  encore  les  monuments  de  pierre  sont  rares  dans 
la  marche,  et  les  voyageurs  qui  ont  visité  à  Brandebourg  l'église 


DE  LA   MARCHE   DE  BRANDEBOURG  -07 

partout  ce  qui  était  nécessaire  à  la  construction  de 
Leurs  édifices. 

Les  premiers  personnages  de  la  citéétaient  le  bailli 
et  les  entrepreneurs  associés.  Le  contrat  passé  entre 
eux  et  le  margrave  leur  assurait  un  domaine  à  part 
qu'ils  se  partageaient,  et  qui  était  souvent  considéra- 
ble :  24  manses  a  Mullrose,  04  à  Landsberg,  320  à 
Arnskrone.  Ajoutez  le  droit  de  chasse  el  de  pêche  sur 
tout  le  terril (»ire  urbain,  et  des  revenus  de  diverse  na- 
ture l.  En  outre  le  bailli  percevait  des  droits  sur  le  mar- 
ché, la  halle,  les  bancs  des  bouchers,  les  tables  des  mar- 
chands de  saucisses  et  de  poissons,  les  boutiques,  etc. 
Pour  que  de  tels  privilèges,  auxquels  s' ajoutai!  celui 
de  l'hérédité  2,  fussent  accordes  aux  entrepreneurs  de 
villes,  il  fallait  qu'ils  eussent  à  payer  au  margrave  une 
somme  considérable,  ou  bien  qu'il  y  eût  dans  l'affaire 
desrisquesà  courir,  soi!  àcause  de  la  difficulté  à  réunir 
les  sous-acheteurs,  soit  à  cause  des  dangers  provenant 
du  voisinage  de  l'ennemi.  Nul  doute,  par  exemple,  que 
l'entreprise  de  bâtir  une  ville  comme  Arnskrone  ne  lut 
très-périlleuse,  et  qu'on  ne  puisse  expliquer  par  cette 
raison  la  concession  faite  aux  locataires  d'un  domaine 
plus  (Hendu  que  le  territoire  même  de  la  ville  3. 

Saint-Jacques,  ont  vu  le  sacristain  leur  montrer  comme  une  mer- 
veille une  chaire  en  pierre,  en  faisant  sonner  son  doigt  sur  les 
marches  de  l'escalier  comme  on  ferait  sur  un  rnélal  précieux. 

1.  . .  .Fundatoribus  damus  libertatem  venandi  in  bonis  suis  et 
in  terminis  civitatis ...;  quidquid  in  theatro...  census  aut  precii 
esse  poterit,  de  omnibus  eis,  fundatoribus  tercia  pars  solvetur  : 
due  partes  rémanent  civitati...  Idem  fundatorum  erit  tertia  pars 
de  censu  et  procio  locorum,  que  in  annuali  foro  adventantes 
occupant,  et  duas  partes  civitas  retinebit...  Riedel,  loc.  cit.,  Charte 
d'Arnskrone  citée  plus  haut . 

2.  Ceterùm  honestis  vins  X...  et  X...  contulimus  et  conferimus 
per  présentes  prefecturam,  sive  judicium  ejusdem  oppidi,  ac  eo- 
i uni  heredibus  perpetuis  temporibus  possidendum....  (Riedel, 
charte  de  fondation  de  Stolp  citée  plus  haut.) 

3.  La  charte  de  fondation  de  cette  ville,   déjà  citée,  énumère 


208  LES   INSTITUTIONS 

Aussitôt  La  ville  fondée  el  peuplée,  entraient  en 
fonctions  les  conseillers  ou  consuls,  choisis  parmi  les 
bourgeois,  probablement  par  Le  margrave  après  avis 
du  bailli.  Lis  étaienl  d'ordinaire  douze,  dont  huit  sor- 
taienl  de  *  harge  au  bou!  d'une  année,  pendant  que 
les  quatre  autres,  pour  perpétuer  Les  coutumes  el  tra- 
ditions, >  restaient  jusqu'à  La  fin  de  La  seconde  année. 
Le  conseil  se  recrutail  Lui-même,  mais  aucuE  magis- 
trat sortanl  n'était  rééligible  avant  un  délai  de  deux 
ans.  Dans  certains  cas,  Lorsque  le  conseil,  par  exemple, 
ne  pouvait  s'accorder  sur  les  élections,  il  s'adjoignait 
les  plus  hauts  bourgeois  dont  Le  suffrage  décidait.  Les 
conseillers  étaient  les  administrateurs  de  La  ville;  ils 
rendaient  des  ordonnances  de  police,  donnaient  1rs 
alignements,  prenaienl  Les  précautions  de  sûreté  pu- 
blique-contre les  incendies,  contre  les  rôdeurs  de  nuit, 
tarifaient  les  marchandises,  taxaient  les  produits  ali- 
mentaires, etc.  Ils  percevaient  Les  revenus  de  la  ville 
et  en  réglaienl  L'emploi. 

Cependant  la  cité  demeurait  soumise  au  margrave. 
Elle  lui  payait  l'impôt;  les  ordonnances  de  son  con- 
seil avaient  besoin,  dans  toutes  les  matières  impor- 
tantes, de  l'assentiment  du  seigneur  :  par  exemple 
il  ne  pouvait  être  touché  aux  fortifications  de  la 
ville  sans  son  ordre.  Enfin  si  le  bailli  héréditaire 
était  le  président  du  tribunal  de  ville,  dont  les  con- 
seillers élus  paraissent  avoir  été  les  échevins,  le 
margrave  percevait  une  partie  des  droits  eu  qualité 

avec  soin  tous  les  avantages  faits  aux  fondateurs,  et  elle  en  dit  la 
raison  :  «  Sed  ut.  fundatores  minus  terreat  fundationis  labor...  etc.  » 
Elle  offre  une  prime  à  quiconque  voudra  se  joindre  à  eux,  d'où 
qu'il  vienne  :  «  Si  qui  de  amicis  fundatorum  eos  sequi  voluerint 
de  terris  alioruin  principum...  Si  qui  vero  eos  sequi  voluerint  de 

terra    pruicipatus    nostri »   Arnskrone   s'appelle    aujourd'hui 

Deutsch-Krone. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        209 

de  juge  suprême  '.  M.  Riedel  cherche  à  démontrer 
que  Les  villes  ont  été  dès  l'origine  exemptées  de 
toute  juridiction  margraviale,  c'est-à-dire  pourvues 
du  droit  de  haute  et  de  basse  justice,  par  le  l'ait 
même  de  leur  constitution  à  l'état  de  ville;  mais  cette 
opinion  est  contredite  par  quelques  textes  précis,  et 
par  le  caractère  même  des  institutions  de  la  marche  2. 
Il  est  certain  que  les  villes  du  Brandebourg  ont  reçu 
de  grandes  franchises.  Dans  la  charte  de  fondation 
de  Soldin  3,  les  margraves  disent  que  la  nouvelle 
création  exige  «  beaucoup  de  liberté  ».  Ce  mot  est  la 
reconnaissance  d'une  loi  historique,  qui  a  eu  de  nom- 
breuses applications  dans  l'Europe  septentrionale  :  aux 
bords  du  Zuyderzée  comme  aux  bords  de  la  Baltique, 
en  Hollande  el  en  Livonie  comme  en  Brandebourg, 
les  fondateurs  de  villes  ont  demandé  et  obtenu  des 
libertés,  en  compensation  des  difficultés  et  des  périls 
qu'ils  avaient  à  vaincre.  Mais  les  margraves  ne  pou- 
vaient »'  mettre  en  contradiction  avec  l'esprit  qui 
avail  présidé  a  toute  la  constitution  de  la  marche.  Les 
bourgeois  demeurèrent  leurs  sujets,  et.  suivant  la 
juste  expression  d'un  historien 4,  l'indépendance  des 

1.  Les  margraves,  dans  la  charte  de  fondation  de  Stolp,  font 
trois  parts  des  revenus  de  justice,  «  quarum  una  pars  nobis,  re- 
sidua  judicibus  cedet,  tercia  pars  civitati...   »  (Riedel,  loc.  cit.). 

'1.  Kùtins  ifiesch.  des  '.'  '.richtsverf.,  t.  I,  p.  175  el  suiv.)  combat 
avec  succès  cette  opinion  que  les  villes  aient  été  à  l'origine  exemp- 
tées de  la  juridiction  do  L'avoué.  Voyez  une  charte  citée  par  lui 
(Riedel,  Cod.  dipl.,  I.  t.  XIV,  p.  3,  n°  V).  et  qui  montre  en  effet  que 
cette  exemption  ne  faisait  pas  nécessairemi  ni  partie  de  la  consti- 
tution d'une  ville.  Les  margraves  en  effet,  en  fondant  Neusalzwe- 
del,  lui  accordent  o  omnia  jura  et  constitutiones  quœ  habet  antiqua 
civitas,  »  c'est-à-dire  la  vieille  ville  de  Salzwedel,  et  ils  ajoutent  : 
«  Prcetereà  ipsi  civitati  ità  duximus  indulgendum,  quôd  advocatus 
nostu  ,  quem  ipsi  civitati  pro  tempore  statuerimus,  quando  judi- 
cio  prsesidebit,  secundum  quod  a  consulibus  civitatis  senteutia- 
tum    fuerit  judicabit.  » 

:;.  Riedel,  Cod.  dipl.,  i,  t,  XVIII,  p.  440,  n"  I. 

i.  Ranke,  Genesis  des  preussischen  Staates,  p.  '!",. 


•Jl(»  LES   INSTITUTIONS 

\  illages  et  des  villes  (lui  se  concilier  avec  la  subordina- 
tion au  margrave.  Gommenl  «les  vilains  eussent-ils  été 
des  privilèges  dans  un  p;i\ s  i »ù  l'on  \ a  voir  que  l'Eglise 
elle-même  Q'échappait  pas  à  la  condition  commune? 

LE   GLBRQÉi 

Il  étail  naturel  que  l'Église  tînt  une  grande  place 
dans  un  pays  en  partie  conquis  sur  les  païens  par  les 
armes  allemandes.  Le  premier  acte  d'Alberl  l'Ours, 
après  la  conquête,  avait  élu  du  relever  les  é\écliés 
de  Bavelberg  et  de  Brandebourg,  érigés  jadis  par 
Otton-le-Grand.  Tout  le  pays  sur  la  rive  droite  de 
l'Elbe  était  partagé  entre  ces  deux  diocèses,  à  l'excep- 
tion d'un  territoire  situ»''  au  delà  du  l'Oder  sur  la  fron- 
tière du  l'Uckermark,  qui  était  rattaché  à  l'évêché  de 
Kamin,  de  la  province  de  Lebus  qui  formait  un  dio- 
cèse, et  de  la  Lusace  qui  continuait  à  relever  do  l'é- 
vêché du  Meissen.  Sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  dans 
la  Vieille-Marche,  la  Milde  et  la  13iese  formaient  la 
limite  entre  les  deux  diocèses  carlovingiens  de  Verden 
ut  du  Halberstadt. 

Dus  monastères  du  divers  ordres  étaient  répartis 
entre  ces  diocèses.  Il  est  remarquable  qu'il  y  ait  ici 
encore  une  distinction  à  faire  entre  lus  deux  rives  de 
l'Elbe.  Sur  la  rive  gauche,  il  y  avait  des  monastères 
de  bénédictins  :  il  n'y  un  avait  pas  sur  la  rive  droite  l. 
C'est  que  les. moines  bénédictins  ne  su  livraient  [dus 
guère  qu'au  travail  intellectuel  et  à  la  prédication.  Or 
l'œuvre  de  la  prédication  fut  à  peu  près  finie,  quand 

1.  Ou  du  moins  il  n'y  avait,  de  cet  ordre,  que  des  couvents  de 
femmes.  Voyez  von  Ledebur,  Vortràge  zur  Gesc/richte  der  Mark 
Brandenburg,  l'essai  intitulé  dus  Klosterwesen  in  der  Mur/;  Bran- 
deriburg. 


DE   LA   MARCHE   DE   BRANDEBOURG  211 

le  paganisme,  depuis  longtemps  cerné  par  les  Alle- 
mands et  par  les  Slaves  convertis  de  Bohème  de  Po- 
logne et  de  Poméranie,  eut  capitale  à  Brandebourg, 
qui  était  son  dernier  retranchement.  Il  fallait  sans 
doute  vaincre  encore  quelques  résistances,  et  conso- 
lider la  victoire  de  la  foi  ;  mais  l'Eglise  pouvait  désor- 
mais prendre  possession  do  sa  conquête  :  le  moine 
devait  se  faire  bâtisseur  et  agriculteur.  C'est  parce  que 
les  deux  ordres  nouveaux  de  (idéaux  et  de  Prémontré 
répondaient  mieux  aux  besoins  des  nouvelles  pro- 
vinces de  la  marche  qu'ils  ont  passé  l'Elbe,  pendant 
que  1rs  Bénédictins  demeuraient  dans  la  Vieille-Marche, 
où  leurs  communautés  habitaient  soit  les  châteaux 
qui  leur  avaient  été  donnés  par  de  nobles  familles,  soit 
des  monastères  bâtis  au  pied  des  villes,  sons  les  mu- 
railles desquelles  ils  avaient  cherché  un  refuge  contre 
les  invasions  des  x1'  et  xie  siècles. 

Les  moines  de  Prémontré,  disciples  de  Norbert, 
archevêque  de  Magdebourg,  et  cen\  de  Gîteaux,  dis- 
ciples de  saint  Bernard,  les  uns  el  les  autres  dans  le 
premier  élan  de  la  jeunesse,  s'établirent  hardiment  sur 
la  rive  droite,  en  pleine  campagne,  pour  y  prier,  y 
prêcher  et  y  labourer.  Ils  rivalisèrent  de  zèle.  De  leurs 
monastères,  ils  faisaient  des  fermes-écoles.  Ils  met- 
taient à  profit  les  aptitudes  diverses  des  immigrants 
et  ils  appelaient  les  Hollandais,  partout  où  leur  aide 
était  nécessaire  ;  mais  eux-mêmes,  ils  savaient  défri- 
cher les  bois  et  en  préparer  le  sol  pour  la  culture, 
convertir  des  étangs  en  prairies  el  en  jardins.  Ils 
étaient  les  propagateurs  du  progrès  agricole,  grâce  a 
la  coutume  observée  par  les  colonies  monacales,  de 
demeurer  en  relations  entre  elles  el  avec  la  maison 
mère,  don  elle-  avaient  emporté  des  semences,  des 


212  LES  RESTITUTIONS 

boutures,  des  instruments  el  des  méthodes  de  travail. 

Ces  moines  étaient  les  représentants  les  plus  accom- 
plis de  l'espril  tout  à  la  fois  religieux ,  conquéranl  et 
colonisateur  qui  régnail  aux  xn°  el  \m"  siècles  dans 
l'Allemagne  orientale.  Le  commerce  e1  L'émigration 
avaienl  alors  le  caractère  d'une  œuvre  pie  :  de  même 
que  les  marchands  de  Brème  et  de  Liibeck  étaient  dos 
missionnaires,  les  missionnaires  <le  Cîteaux  et  de  Pré- 
montré étaienl  <lrs  colons  '. 

Les  services  rendus  par  les  évêques  el  les  moines 
à  la  marche  do  Brandebourg  furenl  donc  très-grands  : 
aussi  les  évêchés  et  les  couvents  furent-ils  richemenl 
dotés  dans  ce  pauvre  pays,  et,  la  piété  des  margraves 
stimulant  par  son  exemple  celle  des  vassaux  et  des 
villes,  les  donations  on  faveur  de  l'Eglise  se  multipliè- 
rent. Cependant  en  Brandebourg  l'élément  laïque  L'a 
toujours  emporté  sur  l'autre,  Les  monastères  auraient 
dû,  ci>  semble,  être  plus  nombreux  sur  la  rive  droite 
de  l'Elbe,  ({ne  sur  la  rive  gauche.  Or,  tandis  qu'on 
comptait  dans  le  diocèse  de  Halberstadt,  cent  trente 
monastères  ou  chapitres,  les  deux  diocèses  de  Brande- 
bourg et  de  Havelberg,  deux  fois  plus  ('-tendus,  n'en 
possédaient  que  cinquante.  C'est  que  les  immigrants 
venus  en  grand  nombre  des  Pays-Bas  ou  d'Allemagne, 
nobles  ou  non,  soldats  ou  colons,  occupaient  la  plus 
grande  partie  du  sol  brandebourgeois.  Depuis  le  mar- 
grave jusqu'au  dernier  paysan,  chacun  avait  parle  fer 

1.  Les  principaux  monastères  étaient  pour  l'ordre  de  Prémontré 
Jérichow,  Leitzkau,  Granzow;  pour  l'ordre  de  Cîteaux  Lehnin  et 
Chorin.  —  Il  y  avait  aussi  des  communautés  de  Franciscains  à 
Stendal,  Salzwedel,  Berlin,  etc.,  de  Dominicains  à  Brandebourg, 
Seehausen,  Colin,  Ruppin,  Soldin,  etc.  Voyez  Riedel,  die  Mark  Br., 
t.  II,  p.  555  et  suiv.,  et  v.  Kloden,  Diplomatische  Geschichte,  t.  I, 
p.  57  et  suivantes.  Voyez  surtout  Winter,  Die  Cistercienser  des 
Nordôstlichen  Deutschlands,  et  Die  Prœmonstatenser. 


DE    LA   MARCHE    DE   BRANDEBOURG  213 

de  l'épée  ou  parle  fer  de  la  charrue  contribué  à  l'œuvre 
commune.  Chacun  avait  conscience  des  services  qu'il 
avait  rendus,  et  le  margrave  plus  qu'aucun  autre.  C'est 
pour  cela  que,  dès  l'origine  de  la  dynastie  ascanienne, 
un  grave  différend  éclata  entre  l'Eglise  et  les  margraves. 
La  dîme  fut  l'objet  de  la  querelle.  C'était  l'usage 
général  de  la  chrétienté  que  le  dixième  des  fruits 
de  la  terre  ou  du  troupeau  fût  offert  à  Dieu  par  l'inter- 
médiaire de  son  Eglise,  soit  en  nature  soit  en  argent. 
Dans  la  marché  de  Brandebourg,  ce  dernier  mode 
prévalut  de  bonne  heure:  niais  en  dépit  des  chartes 
par  lesquelles  les  empereurs  assurèrent  ce  revenu  aux 
évêques  de  La  marche  dans  toute  rétendue  de  leurs 
diocèses,  les  margraves  y  prétendirent,  dès  le  premier 
jour.  Albert  l'Ours  dispose  de  la  dîme  même  clans  la 
Vieille-Marche  '.  Sur  la  rive  droite,  dans  les  nouvelles 
provinces,  ses  successeurs  ne  cessent  d'en  réclamer 
le  bénéfice.  Otton  1er est  pour  ce  lait  menacé  d'excom- 
munication, probablement  même  excommunié;  mais 
Albert  Ier,  son  fils,  est  en  possession  de  la  dîme  au 
moins  dans  le  diocèse  de  Brandebourg,  puisqu'il  en 
laisse  la  jouissance  a  l'évêché  dans  certains  lieux 
déterminés  2.  Pourtant  le  conflit  n'est  point  arrangé; 
il  dure  encore  sous  Otton  II,  et  peut-être  y  faut-il  voir 
une  des  causes  de  l'excommunication  donl  ce  mar- 
grave fui  frappé.  La  querelle  devint  plus  vive  encore 
quand  de  nouvelles  acquisitions  se  furent  ajoutées  à 
celles  d'Albert  l'Ours.  Albert  II  imagina  de  soustraire 
ces  nouveaux  domaines  a  l'évêché  de  Brandebourg. 
Il  fit  représenter  au  pape  «  qu'une  portion  non  modi- 

1.  lUedel,  Die  Mari..,  t.  I,  p.  97.  —  Albert  l'Ours  lait  présent  à 
l'église  épiscopale  de  Havelberg  de  l'église  d'un  village,  avec  le 
droit  de  lever  la  dîme  dans  le  villa| 

2.  Riedel,  Die  Mark.,l.  II,  p.  103. 


•21  |  LES  INSTITUTIONS 

que  de  terre  appartenant  à  la  marche,  et  qui  avail  été 
arrachée  des  mains  des  païens  par  lui  el  ses  prédéces- 
seurs, gisait  stérile  6l  inculte  »,  el  il  offril  d'y  cons- 
truire «  une  église  conventuelle,  pourdouze  chanoines 
el  leur  chef;  l'église  relèverai!  seulemenl  du  pontife 
romain;  deux  tiers  des  (Unies  seraieni  dévolus  au 
margrave  et  à  ses  héritiers,  qui  étaienl  tenus  de  faire 
les  frais  d'installation  cl  do  payer  les  soldais  sans  les- 
quels ceux  qui  proi'essenl  le  nom  du  Christ  ne  pou- 
vaient être  en  sûreté;  l'autre  tiers  serait  attribué  à 
l'Église  '.  «Les  évêques  de  Brandebourg  prétendaienl 
au  contraire  que,  dans  les  nouveaux  territoires,  la  po- 
pulation était  chrétienne  avant  la  conquête,  et  que  la 
dîme  revenait  tout  entière  à  l'évêque.  Albert  II  mou- 
rut sans  avoir  vu  la  lin  de  la  querelle,  qui  ne  fut  termi- 
née qu'en  1237  sous  ses  lîls  Jean  et  Otton. 

Les  margraves  reconnurent  que  dans  les  anciens 
et  les  nouveaux  territoires  de  la  marche,  la  dîme 
appartenait  à  levèque,  niais  celui-ci  en  concéda  la 
jouissance  aux  margraves  de  la  maison  de  Ballenstedt, 
en  leur  qualité  do  conquérants  du  pays  :  il  se  réservait 
de  rentrer  en  possession  de  ce  droit  après  l'extinction 
de  la  dynastie,  et  demandait,  en  dédommagement,  la 
cession  qui  lui  fut  accordée  d'un  territoire  de  100  man- 
ses  dans  les  nouvelles  provinces  2. 

Ce  traité  est  un  des  rares  documents  où  soit  énoncée 

1.  Le  pape  expose  les  raisons  du  margrave  et  de  l'évêque  dans 
une  lettre  de  1234  adressée  à  l'évêque  de  Mersebourg,  qu'il  charge 
de  l'arbitrage  entre  les  deux  parties.  Les  passages  entre  guille- 
mets sont  traduits  de  cette  lettre.  —  Le  pape  donne  tort  aux  mar- 
graves et  rappelle  qu'ils  ont  été  plusieurs  fois  excommuniés  : 
a  Sed  idem  marchio,  ut  dictam  ecclesiarn  fraudaret  decimis  sicut 
progénitures  sui,  qui  propter  hoc  pluries  fuerunt  vinculo  excom- 
municationis  adstricli.  »  (Voyez  Gercken,  S  tift  s  historié  von  Bran- 
denburg,  p.  443  et  suiv.) 

2.  Voyez  Gercken,  ibkl. 


DE  TA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        215 

(Tune  façon  précise  la  raison  des  privilèges  qui  don- 
naient au  pouvoir  margravial  un  caractère  exception- 
nel. CVst  en  sa  qualité  de  conquérant  du  pays  que  le 
margrave  a  le  droit  de  percevoir  un  revenu  que  l'Eglise 
considère  comme  sien;  c'est  à  cause  de  cette  qualité 
que  l'Église  reconnaît  avoir  envers  lui  de  certaines 
obligations.  Quant  à  lui,  sa  prétention  est  très-nette  : 
sans  lui  et  les  soldats  qu'il  commande  et  qu'il  paie, 
dit-il,  il  n'y  aurait  point  d'Eglise.  Il  sait  bien  qu'il 
est  le  personnage  nécessaire,  do  qui  tout  lo  reste  tire 
sa  mison  d'être. 

ADMINISTRATION    DELA    MARCHE    :    LES    AVOUÉS 

Entre  le  margrave  d'une  part,  ses  vassaux  et  sujets 
de  l'autre,  il  y  eut  dans  les  anciens  territoires,  après 
la  disparition  des  burgraves,  dans  les  nouveaux,  dès 
le  lendemain  de  la  conquête,  un  intermédiaire  appelé 
l'avoué  (vogt)  :  il  représentait  le  margrave  dans  la 
plénitude  de  -on  autorité,  rendait  la  justice  en  son 
nom,  percevait  les  contributions  et  services  qui  lui 
étaient  dus  et  commandait  les  forces  militaires  dans  le 
ressort  de  l'avouerie  l.  il  est  donc  naturel  de  grouper 

1.  l.a  circonscription  de  l'avoué,  ou  vogtei,  correspondait  à  peu 
près  aux  cercles  actuels.  On  peut  déterminer  ass>  /.  exactement  les 
chefs-lieux  des  avoueries.  Les  voici  tels  qu'ils  sont  donnés  par 
Kùhns,  loc.  cit.,  p.  102  et  suiv.  Quelques-uns,  qui  sont  douteux,  sont 
signalés  par  des  points  d'interrogation  :  dans  la  Vieille- Marche, 
Salzwedel,  Ane  bourg,  SI  ridai,  Gardelegen,  Tangermiinde  ;  dans  la 
Priegnitz,  Kyritz,  Wittstock;  dans  le  Jïui>e//and,  Rathenow,  Spandau, 
Pritzerbe,  Kremmen;  dans  la  Zauche,  Brandebourg,  Golzow  ?  , 
Belitz  (?),  Saarmund  e  luenh  i2        '),  Gortzke;  dans  le  Te 

Trebbin,  Kopenick,  Mittenwalde  ('?);  dans   le  Un, mu,  Biesenthal, 
Liebenwalde,  Oderb  rg  au  xivc  siècle);  dans 

VUckermark  Prenzlau,  Pasewalk,  dont  la  partie  nord  lut    c< 
la  Poméranie  pendant  que  la  partie  sud  fut  rattachée  à  l'avouerie 
de  Prenzlau,  Jagow,  d'où   l'avouerie  lut  ensuite  transférée  a  Boi- 
zenbourg,  Angermïmde  (xivc  siècle),  Templin  (id.);  dans   la   Neu- 
mark,  Kœnigsbergj   l:  i  t  aide  (?  ,  Soldin,  Arenswalde,  Landsl  <  i  ;, 


210  l-Ks  institutions 

autour  de  lui  L'exposé  de  L'administration  de  la  marche; 
mais  comme  cette  administration  ressemblée  celle  des 
autres  pays  de  L'Allemagne  el  de  l'Europe  au  moyen 
âge,  il  ue  saurait  être  question  ici  d'en  montrer  le 
détail.  11  suffira  d'en  dessiner  L'ensemble  et  de  noter 
Les  singularités  qui  s'y  rencontreront. 

L'avoué  n'était  pas  Le  seul  juge  dans  l'avouerie,  oL 
son  tribunal,  appelé  comme  celui  du  comte Landgericht, 
ou  tribunal  du  pays,  n'y  étail  pas  unique.  Chaque  ville 

et  chaque  village  avaient  le  sien.  Il  est  impossible  de 
distinguer  avec  précision  les  attributions  judiciaires  des 
avoués  de  celles  des  baillis  ;  car  Les  documents  sur  la 
matière  sont  très-rares  et  très-obscurs.  L'idée  que  l'on 
peut  se  faire  de  la  compétence  d'un  tribunal  de  village, 
jugeant  les  causes  civiles  qui  intéressent  les  paysans 
dame  même  localité  et  les  affaires  criminelles  de  peu 
d'importance,  n'estpasdémentie par  les  quelques  textes 
que  fournissent  sur  la  question  le  Sachsenspiegel  et  les 
recueils  de  chartes  brandebourgëoises.  Il  est  vraisem- 
blable aussi  que  le  tribunal  de  ville  n'a  eu  à  l'origine 
qu'une  juridiction  d'ordre  inférieur'.  Quant  à  l'avoué, 
il  connaissait  des  affaires  civiles  de  haute  importance, 
—  par  exemple  des  procès  qui  s'élevaient  entre  deux 
villages  ou  deux  villes,  ou  bien  entre  un  village  ou  une 
ville  et  une  seigneurie,  —  et  des  affaires  criminelles 
capitales  2.  Toute  une  classe  de  personnes  échappait 
cependant  à  sa  juridiction  :  c'était  celle  des  ministé- 
riels et  des  vassaux  du  margrave. 

Schivelbein  ;  dans  le  Stargard,  Stargard;  en  Lebus,  Francfort- 
sur-l'Oder. 

1.  Les  difficultés  que  soulèvent  ces  questions  de  compétence, 
et  qui  sont  à  peu  près  insolubles,  n'étant  point  particulières  à  la 
marche,  n'ont  pas  besoin  d'être  exposées  ici.  Voyez  la  discussion 
de  Kùhns,  Geschlchte  des  Gerichtsverfassung,  tome  I,  p.  156-193. 

2.  Kûlins,  loc.  cit.,  p.  143-152. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG         217 

L'usage  du  droit  germanique  était  qu'une  différence 
de  uaissance  ou  de  condition  entraînai  une  différence 
de  juridiction.  Dès  le  x9  siècle,  le  miles  se  sépare  du 
paysan  ou  du  bourgeois  libre  :  il  a  des  privilèges  juri- 
diques. Or  dans  la  marche  plus  que  partout  ailleurs  la 
distinction  est  très-marquée  entre  l'homme  d'armes 
<■!  le  paysan  ou  le  bourgeois.  Dans  les  documents  les 
[dus  anciens,  le  premier  est  soigneusement  mis  à  part 
du  reste  du  peuple.  Peut-être  a-t-il  été  justiciable  à 
l'origine  des  burgraves,  mais  il  ne  l'a  jamais  été  des 
avoués.  C'était  un  de   ses   plus  beaux  privilèges  de 
n'avoir  pour  juge  que  le  margrave,  et  le  margrave  ne 
l'en  privait  qu'à  la  dernière  extrémité.  Même  lorsqu'il 
concédait  aux  villes  une  juridiction  quasi    indépen- 
dante, il  en  exceptait  presque  toujours  ses  vassaux  '. 

Ceux-ci  comparaissaient  devant  le  tribunal  de  cour2, 
présidé  à  l'origine  par  le  suzerain;  mais  bientôt  les 
affaires  devinrent  trop  nombreuses  pour  que  le  mar- 
grave pùl  en  connaître  personnellement;  il  se  fit  sup- 
pléer d'abord  en  de  certains  cas  déterminés  par  le  juge 
de  cour,  qui  devint  ensuite  un  magistrat  permanent. 
On  suppose  qu'il  y  eut  entre  eux  un  partage  d'attribu- 
tions, le  margrave  se  réservant  les  grandes  affaires  et 
laissant  au  juge  les  moindres,  par  exemple  les  procès 
pour  dettes  que  les  riches  bourgeois  intentaient  aux 
pauvres  chevaliers.  Plus  tard  encore,  un  seul  juge  de 
cour  ne  suffisant  plus,  on  en  établit  dans  les  différentes 
provinces,  mais  ce  l'ut  seulement  après  la  période  asca- 
nienne.  On  peut  dire  que,  sous  Albert  l'Ours  et  ses 

1.  Milites  vero  et  famiili  nostri  armigeri  coram  nobis  solum- 
modo  stabunt  juri...  dans  une  charte  de  la  ville  de  Pritzwalk 
(Riedel,  Die  Mark  llr..  II,  p.  408,  note5).  Voir  aussi  une  charte  de 
Spandau,  citée  dans  Riedel,  même  ouvrage,  p.  109,  note  1. 

■1    Hofgericht,  appelé  par  les  margraves,  Curia  noslra... 


•JIS  LES  INSTITUTIONS 

successeurs,  la  règlo  était  la  juridiction  personnelle  du 
suzerain  sur  ses  vassaux.  En  quelque  partie  de  la 
marche  qu'ils  fussenl  établis,  ceux-ci  étaient  réputés 
les  soldats  du  margrat  e,  qui  gardait  suc  eux  le  pouvoir 
juridique  d'un  général  en  cher  sur  sou  armée. 

Lu  margrave  percevail  par  l'intermédiaire  de  l'avoué 
tous  les  revenus  régaliens.  Il  étail  propriétaire  des 
uiiiics  do  tous  métaux  el  des  salines.  11  concédail  Le 
droil  de  pêche  dans  les  eaux  courantes  el  stagnantes, 
moyennant  «  l'impôt  de  la  barque  *,  »  le  droit  de  coupe 
dans  los  forêts  moyennant  «  le  liard  du  bois  »  '',  Le  droil 
de  faire  paître  sur  les  terrains  vagues,  moyennanl 
«  l'impôt  de  la  bruyère  »  3.  11  se  faisail  payer  L'escorte 
qu'il  donnait  sur  les  roules  de  terre  et  d'eau  aux  voya- 
geurs et  aux  marchands.  L'escorte  ne  suffisait  pas 
toujours  contre  les  brigands  ou  contre  les  Wendes, 
niais  s'il  arrivait  malheur,  le  margrave  prenait  à  sa 
charge  les  messes  qu'on  chantait  pour  le  repos  des 
trépassés4.  Les  transports  par  eau,  comme  il  en  étail 
établi  à  Werben  el  à  Wittenberge  sur  l'Elbe,  à  Potsdam 
et  àHeiligensee  sur  la  Havel,  payaient  contribution  5. 
Le  passage  des  ponts,  la  circulation  des  marchandises 
étaient  assujettis  à  des  péages.  Le  margrave  avait  le 
droit  de  battre  monnaie,  qui  était  très-productif,  car 
la  monnaie  n'avait  de  cours  Légal  dans  la  marche  que 

1.  Canczins  (c'est-à-dire  Kahnzins). 

2.  Holzpennighe;  quand  un  seigneur  devenait  propriétaire  d'un 
bois,  il  continuait  à  percevoir  cet  impôt,  mais  quelquefois  ne  per- 
mettait plus  que  l'on  coupât  du  bois.  Le  Livre  Terrier  donne  un 
exemple  du  fait,  p.  242  :  Nicolaus  de  Bismark  habet  ibi  xxxvi 
solidos  Brandenburgensium  denariorum  pro  lignalibus,  proquibus 
quondam  villani  solebant  habere  ligna  ad  utilitatem  eorum;  modo 
nihil  solet  eis  dare  pro  denariis. 

3.  Heidezins. 

4.  Riedel,  Die  Mark.  B>\,  II,  p.  99. 

."..  Greleitsrecht,  transfretum  (Voyez  Landbuch,  p.  30). 


DE    LA   MARCHE    DE   BRANDEBOURG  219 

d'une  Saint-Jacques  à  l'autre,  et,  passé  ce  délai,  elle 
rentrait  dans  les  fabriques  où  on  la  prenait  aux  trois 
quarts  de  sa  valeur  i.  11  perce vail  sur  la  propriété 
foncier.'  les  diverses  sortes  de  revenus  dont  le  princi- 
pal était  Yackerzins,  payé  pour  chaque  arpent  de  terre 
cultivée,  mais  qui  variait  beaucoup  d'une  province 
à  l'autre,  souvent  même  de  village  à  village,  suivant 
la  qualité  du  sol,  s'élevant  à  6  ou  7  schillings  là  où 
le  village  avait  été  fondé  sur  une  terre  prête  pour 
la  culture,  et  s'abaissant  à  H)  pfennigs  là  où  l'ha- 
bitant avait  dû  dessécher  les  marais  ou  défricher  les 
bois  2.  Dans  les  villes,  des  taxes  étaient  prélevées  sur 
la  propriété  immobilière,  comme  le  worthzins  ou  censtts 
arcarum  '■''.  impôt  calculé  sur  la  longueur  de  rue  occu- 
pée par  les  maisons  du  bourgeois;  le  marchand  payait 
pour  sa  boutique,  pour  la  table  ou  le  banc  qu'il  occu- 
pait au  marché.  Enfin  le  margrave,  en  qualité  de  su- 
prême justicier,  percevait  les  revenus  de  justice,  c'est- 
à-dire  une  part  du  prix  de  chaque  jugement,  et  les 
amendes. 

La  marche  avait  en  outre,  comme  la  plupart  d(3s 
états  du  moyen  âge,  certaines  ressources  extraordi- 
naires, comme  la  bede  ',  correspondant  à  nos  aides, 
qui  fut  perçue  à  l'origine  dan-  des  cas  exceptionnels 
mais  qui  devint  bientôt,  ainsi  qu'il  arrive  toujours 
en   pareil   cas.    un   impôt   ordinaire,    plus   accablant 


1.  Cum  antiqui  denarii  prohibentur,  ex  tune  per  circulum 
illius  anni  nullus  débet  emere  cum  denariis  antiquis,  sed  cum 
denariis  novis,  qui  novi  denarii  exire  debent  octavo  die  ante 
festum  Jacobi...  Riedel.  Die  Mark  Bi\,  1.  Il,  p.  97,  note  1).  On 
battait  monnaie  dans  plusieurs  villes,  Stendal,  Salzweriel,  Bran- 
debourg, Berlin... 

•2.  Voyez  Riedel,  Die  Mark.  B>\,  t.  11.  p.  225-226. 

3.  Wortcinse. 

î.  Petitio  sive  precaria  exactoria. 


220  LES   INsi TTUTIONS 

que  les  autres,  car  il  ne  fut  pas  régulièremenl  évalué, 
jusqu'au  jour  où  les  margraves  aecordèrenl  aux 
réclamations  de  leurs  sujets  qu'il  fui  converti  «mi  une 
redevance  fixe  '.  Le  margrave  recourail  d'ailleurs , 
comme  faisaienl  tous  les  souverains  du  temps,  à  des 
expédients  pour  se  procurer  de  l'argenl  aux  jours  de 
détresse.  Le  plus  ordinaire  eiaii  de  menacer  les  villes, 
domaines  épiscopaux,  monastères  d'un  arpentage  de 
leur  territoire  ou  de  leurs  biens,  A  l'origine,  l'arpen- 
tage avait  élu  l'ait  avec  une  certaine  négligence,  et  il 
faut  croire  que  les  usurpations  furenl  considérables; 
car.  pour  éviter  qu'elles  fussent  constatées,  les  villes 
s'empressèreni  d'acheter  forl  cher  la  dispense  de  l'ar- 
pentage et  leur  exemple  fut  suivi  par  les  évêques  de 
Brandebourg  et  de  Havelberg  2. 

On  a  vu  que  les  baillis  de  villes  et  de  villages  étaient 
les  collecteurs  de  l'impôt  dans  leur  circonscription  :  ils 
étaient  placés  sous  le  contrôle  des  avoués,  dont  les 
attributions  financières  étaient  fort  importantes.  Les 
margraves  avaient  soin  d'intéresser  l'avoué  à  la  bonne 
gestion  de  leurs  affaires,  en  lui  assurant  une  part  pro- 
portionnelle dan  s  la  perception  de  l'impôt.  Ils  prenaient 
i\c>  précautions  contre  les  abus  de  pouvoir  qu'il  pouvait 
commettre.  Parmi  les  obligations  de  l'avoué,  dont  l'é- 
numération  est  faite  dans  t\i^  documents  du  xve  siècle, 
soit  par  le  margrave,  soit  par  l'avoué  lui-même,  quand 
il  prête  serment  à  son  entrée  en  charge,  les  principales 
sont  de  ne  rien  prendre  des  revenus  margraviaux, 

1.  Voyez  plus  loin,  p.  238  et  suiv.. 

2.  Celait  quelquefois  une  façon  pour  le  margrave  de  payer  ses 
dettes.  Wusterhausen  en  1293  remet  aux  margraves  une  partie 
de  la  dette  qu'ils  avaient  contractée  envers  elle,  à  condition  que 
son  territoire  ne  serait  pas  arpenté  (Riedel,  Die  Mark  Br.,  II, 
p.  107). 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        221 

hormis  la  part  qui  lui  est  attribuée,  el  de  n'opprimer 
personne  1.  Il  était  à  craindre  en  effet  que,  pour 
accroître  la  remise  qu'il  prélevait  sur  les  perceptions, 
il  ne  pressurât  le  contribuable.  Les  margraves  pro- 
mettenl  assistance  à  leurs  sujets  contre  lui,  et  jamais 
ils  n'accordent  un  privilège  on  une  exemption  sans 
ajouter  une  clause  pour  garantir  cette  faveur  contre 
son  mauvais  vouloir. 

L'avoué  était  dans  son  avouerie  le  chef  militaire  i\<>> 
vassaux  et  sujets  du  margrave.  Il  veillait  à  l'entretien 
des  forteresses,  convoquai!  et  reunissait  tous  ceux  qui 
(levaient  le  service  militaire  à  un  titre  quelconque, 
c'est-à-dire  à  l'origine  tous  les  habitants  de  la  marche, 
excepté  les  paysans  des  dernières  classes,  qui  étaient 
exemptés  parce  qu'ils  ne  possédaient  point  de  terre. 
Les  autres  paysans  devaient  le  service  des  forte- 
resses 2.  Ils  étaient  requis  pour  la  construction  ou 
pour  l'entretien  iU^  burgs  dans  le  district  desquels 
ils  étaient  établis  3.  A  l'origine  ils  devaient  fournir  à 
tout  appel  le  service  de  l'armée  ',  qui  tut  ensuite  par 
voie  d'exemption  réduit  au  cas  de  défense  'I"  la  terre 

1.  ...Auc.h  sud  der  N  ..  in  allem  dem,  das  vns  und  vnser 
Herschaft  auszerhalben  des,  das  Im  In  nachgeschribner  weisz 
czu  bescheiden  ist ,  in  dem  gemellten  ambt  einzunehmen  zu 
steet,  nichts  einnehmen  noch  douon  auszgeben....  Document  du 
xve  siècle,  dans  Riedel,  Cod.  dip.,  I,  t.  VI,  p.  221,   n>  CCXL. 

2.  Borchwerk,  Burgwerk. 

3.  Le  margrave  réservait  quelquefois  cette  obligation,  quand  il 
renonçait  à  toutes  les  autres,  p  ir  exemple  en  faveur  d'une  église  : 
«  Hommes  ecclesue  ab  omni  servitio  liberos  es  plu...  corn- 
muni  eedificatione  castri  sub  quo  bona  ecclesiae  sitœ  sunt...  » 
Riedel,  Die.  Mark.,  t  H.  p.  L2-2S.  noie  -1  :  mais  le  plus  souvent  il  la 
sacrifie  comme  les  autres,  et  les  paysans  en  devinrenl 

aux  églises  ou  vassaux,  ou  bien    aux   villes  qui    achetèrent   l<\s 
burgs  quand  ceux-ci.  après  la  i   n  qu  H  sassurée,  devinrent  inutiles. 

4.  Heerdienst.  Lu  outre,  les  habitants  d'un  ou  de  plusieurs  vil- 
lages suivant  le  nombre  des  habitants),  devaient  fournir  un  cha- 
riot attelé  de  quatre  chevaux  :  c'était  le  Wagendienst  ou 

tium  curruum. 


222  LES  [NSTITUTI0N8 

natale  contre  L'invasioD  '.  Enfin  dans  les  pays  fron- 
tières, comme  dans  l'Uckermark  et  Le  Stargard,  où 
des  précautions  permanentes  étaienl  prises  contre 
l'ennemi,  les  paysans  devaienl  contribuer  à  la  défense 
des  fortifications  el  fournir  des  hommes  aux  postes 
qui  veillaienl  à  l'embranchement  des  roules  'i. 

Les  bourgeois,  obligés  à  l'entretien  de  leurs  mu- 
railles, ne  devaienl  poini  le  service  des  forteresses, 
mais  ils  devaient' le  service  de  l'armée  aux  mêmes 
conditions  que  les  paysans,  c'est-à-dire,  à  l'origine,  sur 
chaque  réquisition  du  margrave,  plus  lard  en  <as 
d'invasion  3.  A  mesure  que  les  conquêtes  des  A.sca- 
niens  se  consolidèrent  et  que  le  commerce  et  l'in- 
dustrie fleurirent  dans  la  marche  plus  populeuse 
ei  plus  tranquille,  les  levées  en  masse  qui  eussent 
été  ruineuses,  furent  remplacées  par  un  système  de 
contingents,  fournis  par  1rs  villes  ou  par  les  villages. 
Gel  usage  commence  à  s'établir  au  xive  siècle,  mais 
il  faut  attendre  jusqu'au  xvne  pour  trouver  des  docu- 
ments qui  permettent  d'évaluer  en  chiffres  le  contin- 
genl  des  différentes  villes;  Stendal  et  Salzwedel  don- 
naient alors  à  elles  deux  500  hommes,  la  vieille  et  la 
nouvelle  ville  de  Brandebourg  300,  Perleberg  200, 
Berlin  100,  etc.  ;  le  plus  faible  contingent  était  celui 

1.  Nisi  tantum  ad  terrae  tuitionem  et  defensionem  vel  leme 
necessitate  légitima  imminente Privilège  accordé  contre  in- 
demnité par  les  margraves  aux  paysans  de  la  Vieille-Marche. 
Voyez  Riedel,  ibid.,  p.  26,  note  2. 

2.  On  les  appelait  les  Landwehre.  En  1208  le  margrave  Albert  II 
dispense  les  habitants  de  Nemerow,  près  de  Neubraudenburg,  du 
service  «  ad  custodienda  propugnacula,  vel...  viarum  transitus, 
qua3  landwehre  dicuntur.  »  Riedel,  Die  Mari;.,  t.  II,  p.  227,  note  J- 

3.  Voyez  une  charte  accordée  à  la  ville  de  Mïmcheberg  :  Cives 
insuper  civitatis  ssepius  nomiuate  ....ab  omnibus  expeditionibus 
qui  fiunt  extra  terram  reddimus  absolutos.  In  defensione  vero 
terre  Lubucensis  omnes  adesse  Itrientur  ut  eo  validius  hostilis 
incursio  reprimatur.... 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        223 

de  la  petite  ville  de  Strassbourg  qui  se  réduisait  à 
8  hommes  *. 

Pour  suppléer  à  l'insuffisance  de  ces  milices  bour- 
geoises, lentes  à  réunir  et  d'ordinaire  mal  exercées, 
les  margraves  entretinrent  de  bonne  heurt.'  des  troupes 
soldées2.  On  vient  de  voir  qu'au  cours  de  la  dis- 
cussion qui  s'éleva  entre  eux  et  les  évêques  de  Bran- 
debourg au  sujet  de  la  dîme,  ils  défendirent  leurs 
prétentions  à  la  jouissance  de  ce  revenu  par  la  raison 
qu'ils  riaient  obligés  d'entretenir  des  soldais  pour 
Ja  défense  des  territoires  enlevés  aux  Slaves.  Plus 
tard  les  margraves,  quand  le  cercle  de  leur  action  se 
fut  encore  élargi,  donnèrent  aux  troupes  soldées  une 
plus  grande  place  dans  leur  système  militaire  ;  mais 
au  temps  des  Àscaniens  leur  véritable  armée  lut  la 
milice  féodale. 

Elle  se  composait  des  chevaliers  et  <}(>>  écuyers  qui 
avaient  reçu  le  fief  militaire  sous  la  condition  de 
servir  le  margrave  à  toute  réquisition,  le  chevalier 
avec  3  ou  4  et  l'écuyer  avec  2  on  3  personnes  armées3. 
Les  baillis  des  villes  et  des  villages  et  les  paysans  on 
bourgeois  à  fiefs  devaient  le  cheval  de  guerre.  Il 
était  impossible  que  la  régularité  de  l'insl  pri- 

mitive se  maintint  Ion-temps  :  tel  bien  de  chevalerie 
;  audit  au  détriment  de  tel  autre;  le  premier  se 
trouva  redevable  de  plus  d'un  service,  tandis  que  le  se- 
cond ne  pouvait  plus  suffire  à  un  service  tout  entier.  Il 

1.  Voyez  Màrkische  For  n,  t.  I,  p.  305  et  suiv.  l'article  île 

Riedel,  Die  brandenburgis*  <ili:. 

■1.    Ils  en   levaient  en  pays  slave  :  Archiepi  tfagdebur- 

gensis)  intelligens  quod  Johannes  et  Otto  ..  validam  de  partibus 
Slaviae  rriilitiam  conduxissent...  Chronic.  Magd.  ad  ann.  1229  uj>. 
Meibom.  11,  p.  330.) 

3.  Ce  service  s'appelait  le  Vasallendienst,  le  Manndienst,  le 
Wapendienst... 


22  i  LES    INSTl  i  i   riONS 

arriva  d'ailleurs  que  des  villes  el  des  corporations 
devinrenl  propriétaires  soil  de  biens  de  chevalerie, 
soil  de  biens  de  baillis.  L'usage  de  se  racheter  à 
prix  d'argent  s'introduisit  au  moins  pour  les  der- 
niers '  ;  mais  en  général  1  obligation  du  service  con- 
tinua de  peser  sur  Les  uns  el  les  autres.  Le  Livre  Ter- 
rier offre  des  exemples  de  chevaliers  qui  n'ayanl  plus 
Le  nombre  réglementaire  de  manses  ne  donnaient  plus 
qu'une  moitié,  un, quart  ou  même  un  huitième  de  ser- 
vice, ce  qu'on  exprimait  en  disant  qu'ils  fournissaient 
{U'u\  pieds,  un  pied,  un  demi-pied  do  cheval;  mais 
on  voil  d'autres  chevaliers  servir  avec  plusieurs  che- 
vaux, ('criailles  villes  donnenl  aux  levées  de  la  milice 
féodale  un  cheval,  comme  le  magistrat  de  Berlin,  ou 
bien  1/4,  1/3,  1/8  de  cheval,  connue  les  magistrats 
de  Francfort  sur  L'Oder,  de  Stendal,  de  Prenzlow*. 
Évidemment,  en  changeant  de  main,  une  partie  au 
moins  des  fiefs  de  chevalerie  ou  de  baillage  était 
restée  grevée  du  service  de  L'a  milice  féodale. 

Cette  milice  est  demeurée,  jusqu'au  xvr  siècle,  le 
corps  principal  de  l'armée  brandebourgeoise.  On  ne 
saurait  dire  quel  en  était  l'effectif;  mais  un  passage  de 
la  chronique  de  Pulcava  donne  à  croire  qu'il  était 
assez  considérable  3.  Bien  qu'aucun  témoignage  ne 
permette  de  l'affirmer  en  toute  certitude,  il  est  pro- 
bable que  cette  milice  était  levée  autrefois  et  groupée 

1.  Voyez  par  exemple,  Landbuch,  p.  25,  au  mot  Krewilz  :  Pre- 
fectus  in  Krewitz  dat  I  talentum...  pro  equo  pheodali... 

2.  Màrkische  Forschungen,  loc.  cit.,  p    372-3. 

3.  Parlant  du  partage  des  terres  de  la  marche  qui  fut  fait  entre 
Jean  et  Otton,  le  chroniqueur  dit  :  «  Cum  Johannes  centum  milites 
plures  haberet  quàm  Otto....  »  (Voyez  les  fragments  de  cette  chro- 
nique, loc.  cit.,  p.  12.)  Pour  que  la  différence  du  nombre  des 
chevaliers  ait  pu  être  si  considérable,  il  a  fallu  qu'il  y  en  eût  de 
chaque  coté  plusieurs  centaines. 


DE   LA   MARCHE    DE   BRANDEBOURG  225 

par  avouerie.  On  ne  peut  douter  en  effet  que  l'avoué 
n'eût  sous  son  commandement  les  forces  militaires, 
car  il  représentait  le  margrave  non-seulement  auprès 
de  ses  vassaux  et  sujets,  mais  encore  auprès  des 
princes  voisins  de  la  marche.  La  recommandation 
faite  par  le  margrave  à  l'avoué  de  Schivelbein  de 
ne  point  provoquer  de  combats,  mécontentements 
ou  guerres  «  sans  la  connaissance  et  l'aveu  »  de  son 
seigneur  *,  prouve  qu'il  était  dans  les  attributions  de 
Ta  voué  de  faire  la  guerre  au  nom  du  margrave.  11 
avait  également  le  droit  de  paix,  car,  dans  les  traités 
conclus  par  des  avoués  avec  des  états  étrangers,  il 
n'était  pas  toujours  spécifié  que  l'acte  pour  être  valable 
dût  être  revêtu  de  l'approbation  margraviale  2.  Ce  fait 
prouve  que  l'avoué  dans  sa  circonscription  était  le 
chef  des  forces  militaires.  N'est-ce  pas  une  singula- 
rité de  la  constitution  de  la  marche,  que  ces  avoués, 
qui  d'ailleurs  sont  tenus  dans  l'obéissance  par  des 
précautions  bien  entendues,  soient  abandonnés  à  leur 
propre  initiative  et  fassent  office  de  souverains  en 
face  de  l'ennemi?  Evidemment  dans  un  pays  menacé1 
sur  toutes  ses  frontières,  il  fallait  qu'il  y  eût,  à  tous  les 
points  exposés,  quelqu'un  qui  fût  toujours  prêt  à  l'at- 
taque connue  à  la  défense,  et  pourvu  de  pouvoirs  suffi- 
sants pour  commencer  une  guerre  à  l'improviste  ou 
la  terminer  en  temps  opportun. 

Percepteur  des  impôts,  chef  militaire,  juge,  protec- 
teur de  ceux  dont  l'administration  lui  était  confiée, 


1.  Riedel,  Cod.  </*///.,  I,  I.  xvm,  p  252,  w  i.iv  ..  Sol  cr  kein 
Vehede,  Unwillen  oder  Kriege  mit  niemand  raachen  oder  anheb  n, 
das  geschee  dann  mit  uasorm  Vulburt,  Wissen  uud  Geheiss... 
(Document  du  xve  siècle.) 

2.  Riedel,  ibi<l.<  t.  xiv,  p  20;},  ir  cclxix;  t.  V,  p.  371,  ipcxlviu  ; 
p.  372,  n°  CLI  ;  p.  374,  W  CLIII. 

15 


226  LES   INSTITUTIONS 

ayant  charge  de  maintenir  l'ordre el  la  paixdansl'a- 
vouerie,  arbitre  aussi  souvent  que  juge  ',  jouissant, 
comme  ou  L'a  vu,  sous  réserves,  du  droit  de  paix  el  de 
guerre,  L'avoué  était  un  si  important  personnage  que 
Le  margrave  d'une  part,  et  d'autre  part  les  habitants 
du  district  gouverné  par  lui  prirent  contre  lui  «•cr- 
iailles garanties.  Les  administrés  demandaient  qu'on 
leur  donnai  un  avoué  ué  dans  L'avouerie,  y  ayant 
Sun  principal  fief  et  sa  résidence,  connaissant  Les 
personnes  et  les  choses  :  Muncheberg ,  Salzwedel, 
Stendal,  obtinrent  cette  faveur  du  margrave 2.  .Mais  cç 
quifaisait  La  sécurité  des  sujets  étail  un  danger  pour 
Les  margraves;  car  l'avoué  pouvait  fortifier  l'auto- 
rité qu'il  tenait  de  son  oiïice  par  celle  que  lui  assu- 
raient ses  bénéfices,  connue  il  arriva  pour  les  comtes 
en  Allemagne.  Ce  danger  fui  écarté.  Taudis  que  la 
royauté  germanique  lui  ruinée  par  les  usurpations 
féodales,  la  marche,  môme  au  temps  de  ses  plus 
grandes  misères,  sous  le  faible  gouvernement  des 
Bavarois  et  des  Luxembourgeois,  ne  fut  jamais  me- 
nacée d'un  démembrement  par  l'usurpation  de  ses 
avoués.  Les  margraves  avaient  soigneusement  pris  les 
précautions  nécessaires.  Non-soulemcnt  ils  ne  nom- 
mèrent jamais  d'avoués  à  titre  héréditaire,  mais  ils 
ne  voulurent  même  pas  que  leur  fonction  fût  viagère. 
Ils  les  choisissaient  le  plus  souvent  parmi  les  officiers 
de  leur  maison,  qui  gardaient  leur  charge  à  la  cour 
pendant  le  temps  qu'ils  passaient  dans  l'avouerie.  Il 
n'est  pas  possible  de  dresser  une  liste  complète  des 

1.  Voyez  comme  exemple   de   ces  arbitrages,   qui  étaient  fré- 
quents, Riedel,  I,  t.  vi,  p.  19;  II,  t.  H,  p.  177,  n°  dcccii. 

2.  Riedel,  Cod.  dipl.  br.,  I,  t.  xiv,  p.  813,  n°  cxvi  ;  p.  98,  n°  cxxxvni; 
[,  t.  xv.  p.  118,  n"  clvii;  et  t.  xx,  p.  r33,  n°  si. 


DE   LA    MARCHE   DE    BRANDEBOURG  2W27 

avoués,  mais  les  documents  où  figurent  ces  officiers 
sont  assez  nombreux  pour  qu'on  y  trouve  îles  exem- 
ples d'avoués  transférés  (Tune  circonscription  dans 
une  autre:  on  rencontre  aussi  des  noms  à  côté  des- 
quels figure  la  qualité  d'ancien  avoué,  comme  on 
dirait  d'un  fonctionnaire  moderne  l. 

Les  margraves  d'ailleurs  avaient  toujours  le  moyen 
de  surveiller  les  avoués.  Ils  n'avaient  pas  de  rési- 
dence fixe,  et  voyageaient  sans  cesse  d'un  châ- 
teau seigneurial  à  l'autre,  ^'arrêtant  quelquefois  chez 
leurs  vassaux  ou  dans  les  villes,  plus  souvent  dans 
les  cloîtres  qui  devaient  toujours  être  prêts  à  les 
recevoir,  ou  bien  campant  sous  la  tente  à  portée 
d'une  fond  où  ils  se  livraient  au  plaisir  de  la  chasse. 
Ces  voyages  se  faisaient  sans  plan  déterminé,  car 
le  margrave  dans  ses  tournées  seigneuriales  ne  sui- 
vait jamais  un  ordre  régulier.  Partout  où  il  s'arrê- 
tait, l'avoué,  les  principaux  vassaux  laïques  et  ecclé- 
siastiques m  rendaient  auprès  de  lui.  Une  partie  de  la 
journée  était  consacrée  à  l'expédition  des  affaires  de 
toutes  sortes,  qui  attendaient  delà  venue  du  margrave 
leur  solution    définitive. 

Sans  doute  il  faut  écarter,  quand  il  s'agit  du  moyen 
âge,  toute  idée  d'un  contrôlé  exercé  à  la  façon  mo- 
derne.  Quand  le  margrave  investissait  un  avoué  de 
>o\[  office,  il  ne  lui  donnait  point  d'instructions  dé- 
taillées; il  se  contentait  de  lui  faire  promettre  de  gou- 
verner «  en  toute  foi,  droit,  honneur  et  utilité,  du 

1.  Tune  advocatus...  quondam  advocatus...  Voyez  Riedel  Die 
Mari  /;,..  t.  [I,  p.  433-0,  surtout,  les  noies  de  la  page  135.  Voyez 
aussi  tout  le  chapitre  sur  la  circonscription  des  ..  p.  L39 

et  suiv.  —  Kùhns,  loc.  cit.,  t.  r,  p.  101  et  suiv.,  donne  la  liste  des 
avoueries,  avec  les  noms  des  avoués  qui  sont  parvenus  jusqu'à 
nous. 


228  LES   [NSTITUTIONS 

mieux  qu'il  pourrait  '.  »  Il  lui  demandait  de  lui  faire 
chaque  année  un  ôompte-rendu  oral,  mais  en  ajoutant  : 

s  Cela  doil  nous  suffire  '•••  "  L'engagement  d'honneur 
était  le  lien  qui  unissait  l'un  à  l'autre  ces  deux  person- 
nages, le  frein  qui  retenait  chacun  d'eux  dans  La  limite 

de  ses  droits  OU  de  ses  devoirs.  Le  pouvoir  qu'avait  le 

margrave  de  reprendre  les  [onctions  qu'il  avait  con- 
fiées, et  qu'il  revendique  souvent  et  clairement  au 

\iv''  siècle,  suppose  pourtant,  un  contrôle  de  sa  part.  En 
effet,  dans  ses  voyages,  il  recevait,  ou  même  provo- 
quait les  plaintes;  il  promettait  à  ses  sujets  de  les 
protéger  contrôles  excès  de  pouvoir  s.  En  un  mot  il 
faisait  servir  à  la  bonne  administration  delà  marche 
une  coutume  aussi  vieille  que  l'institution  margra- 
viale  4. 

des  altérations  de  l'institution  primitive  dans  la  marche  de 
brandebourg;  de  l'autorité  margraviale  après  ces  altéra- 
tions. 

Des  paysans,  des  bourgeois,  des  vassaux  établis  par 
les  margraves  dans  leurs  villages,  leurs  villes  et  leurs 
fiefs  :  telle  est  la  population  de  la  marche.  Un  suze- 
rain, presque  un  souverain,  qui  n'a  pas  eu  de  condi- 
tions à  subir,  pas  de  droits  antérieurs  à  respecter,  qui 
est  lui-même,  pour  ainsi  dire,  antérieur  à  ses  paysans, 
bourgeois,  nobles,  évèques,  et  par  conséquent  leur  est 
supérieur  :  tel  est  le  margrave.  Entre  le  margrave  et 

1.  Klôden,  Dipl.  Gesch.,  t.  I,  p.  24...  Nach  sinen  truwen,  mit 
allen  rechten,  eren  und  nutzen...  szo  er  best  Kann  und  magk. 

2.  Id.,  ibid.,  was  er  uns  czu  jerlicher  czeit  redelichen  borech- 
net,  dar  soll  uns  an  genugen.  Wir  sullen  em  ouch  keyne  rechen- 
schaft  noch  thun. 

3.  Riedel,  Die  Mark.,  t.  II,  p.  435,  note  2. 

4.  Voyez,  sur  les  avoués,  Kùhns,  t.  I,  p.  101-156. 


DE    LA    MARCHE    D^:   BRANDEBOURG  229 

ses  sujets  ou  vassaux,  des  relations  nombreuses,  mais 
simples;  nombreuses,  parce  que  chacun  des  vassaux 
et  sujets  avait  envers  le  margrave  drs  obligations  per- 
sonnelles; simples  paire  qu'ils  n'étaient  point  séparés 
de  lui  par  les  degrés  multiples  de  la  hiérarchie  féo- 
dale :  telle  est,  à  l'origine,  la  constitution  politique  et 
sociale  du  Brandebourg.  Elle  s'altéra  peu  à  peu,  mais 
ne  s'effaça  jamais. 

Elle  s'altéra,  parce  que  les  margraves,  toujours  à 
court  d'argent,  battirent  monnaie  avec  leurs  droits 
et  privilèges.  Parmi  les  causes  de  cette  détresse,  les 
unes,  comme  la  libéralité  sans  frein  envers  l'Église, 
sont  communes  à  la  plupart  tk^  états  du  moyen  âge. 
D'autres  sont  particulières  à  la  marche  :  c'est  la  né- 
cessité de  pourvoir  en  même  temps  aux  frais  de  plu- 
sieurs cours  et  à  ceux  d'une  administration  presque 
moderne;  c'est  la  guerre  sur  tous  les  points  à  la  fois, 
sans  trêve  ni  merci. 

Les  libéralités  envers  l'Eglise  commencent  dès  le 
principal  d'Albert  l'Ours,  et  se  perpétuent  sans  inter- 
ruption jusqu'au  dernier  jour  de  la  dynastie.  Très- 
longue  est  la  liste  des  donations  à  laquelle  s'ajoute  celle 
des  restitutions  et  confirmations  qui  étaient  nécessaires 
dans  ce  tempsel  dans  ce  pays  troublé,  el  qui  permettent 
par  les  récapitulations  qu'on  y  trouve  de  mesurer  l'é- 
tendue des  libéralités  margraviales.  11  est  rare  qu'une 
donation  soit  confirmée  sans  être  accrue  :  Albert  l'i  lurs, 
confirmant  purement  et  simplement  à  un  monastère 
un  don  de  sa  mère  Eilika,  s'excuse  par  celte  raison 
qu'il  est  marié,  qu'il  a  beaucoup  d'enfants  et  peu  à 
donner1.  Terres  ou  bois,  droits  de1  pêche  dans    les 

1.  Heinemann,  Cod.  dipl.  anhalt.,   I,  n,   p.  325,  n°  445.  —  Voir 
au  contraire  id.,  I,  nr,  p.  493,  n°  673. 


l2::o  LES  INSTITUTIONS 

eaux  courantes  el  stagnantes,  droits  de  juridiction  sur 
tel  ou  tel  village,  villages  entiers  avec  toutou  partie 
des  droits  seigneuriaux,  tels  sont  les  objets  habituels 
dea  donations  '.  G'esi  aux  évèchés,  aux  chapitres,  aux 
monastères,  aux  ordres  chevaleresques,  templiers, 
hospitaliers,  chevaliers  teutoniques,  qu'elles  s'adres- 
sent. Il  étail  naturel  d'ailleurs  qu'elles  abondassenl 
dans  la  marche.  Les  évêchés,  chapitres,  monastères 
ont  été  fondés  ou  rétablis  par  les  margraves;  les 
doter  n'étail  pas  seulement  une  œuvre  de  piété  sur 
laquelle  reposait  l'espérance  d'une  éternité  bienheu- 
reuse 2  :  c'était  une  nécessité.  Quand  les  margraves 
rappellent  qu'ils  ont  relevé  telle  église  de  ses  ruines, 
«  où  elle  gisait  depuis  le  temps  d'Otton  »,  créé  tel  cha- 
pitre, fait  célébrer  à  leurs  frais  la  dédicace  de  telle  ca- 
thédrale, les  donations  qu'ils  énumèrent  à  la  suite  sont 
la  conséquence  de  ces  déclarations  :  ils  dotent  parce 
qu'ils  ont  fondé  3. 

En  Brandebourg  d'ailleurs  l'Eglise  était,  aux  pre- 
miers jours  de  la  dynastie,  une  église  de  combat. 
Pour  confirmer  et  accroître  les  donations  déjà  faites 
au  chapitre  de  Brandebourg,  par  son  père  Otton  Ier 
et  son  grand-père,  Albert  l'Ours,  Otton  II  parle  de  la 
nécessité  de  subvenir  à  la  pauvreté  et  à  la  misère  du 
chapitre,  «  afin  qu'il  combatte  plus  librement  pour 
Dieu,  qu'il  accroisse  le  nombre  des  chrétiens  et  réduise 


1.  Heinemann,  Cod.  dipl.  anhalt.  I,  n,  p.  319,  n°  436;  p.  375, 
n°  513;  I,  m,  p.  425,  n°  576;  p.  479,  n"  654. 

2.  Les  margraves  invoquent  souvent  cette  espérance,  leur  désir 
de  ne  pas  être  oubliés  dans  les  prières,  de  ne  pas  ressembler  au 
mauvais  riche  de  lÉcriture,  etc..  (Voyez  Heinemann,  Cod.  dipl. 
anhalt,  I,  n,  p.  277,  nu  368;  p.  354,  n°  487;  p.  375,  n»  513;  I,  m, 
p.  425,  n"  576...) 

3.  Id.,  I,  n,  p.  277,  n«  368;  I,  m,  p.  425,  ir  576;  I,  n,  p.  375, 
n»  513 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        231 

celui  des  adorateurs  d'idoles1.  »  Le  même  margrave 
avait  fondé  Lehnin  pour  que  ce  monastère  lût  une 
forteresse  contre  Satan  :  il  fallait  bien  mettre  la  gar- 
nison en  état  de  combattre.  Aussi  les  Ascaniens  épui- 
sèrent-ils presque  toutes  leurs  ressources  allodiales,et 
aliénèrent-ils  une  bonne  partie  de  leurs  droits  seigneu- 
riaux, au  profit  de  l'Eglise.  Onelques-uns  d'entre  eux 
furent  d'une  incroyable  prodigalité  :  Albert  III,  auquel 
ses  frères,  Otton  IV  et  Otton  VI,  constituèrent  une 
principautéà  pari  avec  le  Stargard  et  quelques  autres 
territoires  de  peu  d'importance,  trouva  moyen  de  fon- 
der trois  monastères,  une  commanderie  d'hospitaliers, 
une  cathédrale,  plusieurs  autels  :  un  seul  des  monas- 
tères recul  pour  son  entretien  le  produit  de  l'impôt 
foncier  dans  Ironie  villages  . 

Les  dépenses  de  cour  el  de  gouvernement  étaienl 
très-considérables  chez  les  Ascaniens,  qu'elles  auraient 
suffi  à  ruiner.  Leur  cour  ressemblait  à  toutes  les  cours 
allemandes.  Elle  avaitles  mêmes  grands  officiers,  char- 
gés a  la  lois  d'un  service  d'honneur  et  de  l'administra- 
lion  de  la  maison  margraviale.  On  y  prisait  les  mêmes 
plaisirs,  les  festins  gigantesques,  un  des  mets  forte- 
issaisonnés  poussaient  aux  libations  copieuses, 
les  tournois  ou  l'on  accourait  revêtu  d'armures  et 
d'ornements  splendides ,  portant  sur  les  épaules, 
comme  disaient  les  nobles  de  France,  prés  et  mou- 
lins ;  la  chasse  enfin  pour  laquelle  les  forêts  et  les 
marécages  du  Brandebourg  offraienl  de  si  précieuses 
ressources.  En  effet  l'ours  habitait  encore  les  forêts 
de  la  marche;  des  cerfs  gigantesques  y  vivaient  en 
grandes    troupes;  les  chevreuils  y  foisonnaient;    les 

1.  Heinemann,  ib'al.,  p.  479,  il0  654. 

2    Riedel,  Die  Mark  Br.,  t.  Il,  p.  in;!:  tomel,  p.  437,  not<  2 


232  LES  INSTITUTIONS 

sangliers  se  vautraienl  en  Poule  dans  les  marécages 
sousbois;  Les  Loups  y  attaquaient  1rs  troupeaux  et 
1rs  lioiuiiH's;  la  grande  quantité  de  collines  qu'on  ap- 
pelle encore  aujourd'hui  MmuIs  du  Renard  rappellent 
la  présence  de  ce1  animal  ;  Le  Lynx  et  Le  castor  étaient 
une  proie  plus  rare  et  plus  recherchée  par  Les  nobles 
chasseurs;  enfin  Le  gibier  à  plume  rivalisait  avec  L'au- 
tre d'abondance  et  de  variété  '. 

La  passion  de  la  chasse  étail  excitée  chez  1rs  mar- 
graves par  ce  concours  de  circonstances  exception- 
nelles, mais  il  n'y  avail  pas  de  prince  ou  de  comte 
dans  l'empire  qui  n'eût  les  mêmes  goûts  et  nevécûl 
de  la  même  vie.  Seulement,  au  Lieu  d'une  seule  cour, 
il  y  en  avait  plusieurs  dans  la  marche.  Chaque  prince 
portant  le  titre  de  margrave,  avait  la  sienne,  ses 
grands  officiers,  ses  fêtes,  et  des  dons  à  faire  pour 
le  salut  de  son  âme.  Les  frais  du  gouvernement 
ambulant  des  margraves  étaient  très-lourds.  Quand 
un  margrave  convoquait  autour  de  lui  ses  vassaux 
et  ses  ministériels ,  ceux-ci  étaient  nourris  par  lui, 
avec  leurs  domestiques  et  leurs  chevaux,  et  des  res- 
sources propres  étaient  affectées  à  chacun  de  ses  châ- 
teaux en  vue  de  ces  dépenses.  Le  séjour  n'était  pas 
moins  dispendieux  dans  les  rendez-vous  de  chasse, 
où  l'on  campait  sous  la  tente,  à  l'endroit  le  plus  gi- 
boyeux. Dans  les  villes  qui  n'avaient  point  de  château 
seigneurial,  le  margrave  choisissait  pour  y  demeurer 
la  maison  de  quelque  riche  bourgeois,  et  sa  cour  se 
pourvoyait  auprès  des  marchands.  Or,  il  arrivait  sou- 
vent qu'au  départ  le  trésor  était  vide.  On  rassurait 
les    créanciers  et   pour   prévenir    l'expression    trop 

1.  Voyez  Klôden,  Dipl.  Gesch.,  I,  p.  31-5. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        233 

bruyante  de  leur  mécontentement,  on  leur  laissait, 
pour  gages  des  bijoux  et  des  (''toiles  de  prix;  quelque- 
fois la  ville  les  rachetait  aux  détenteurs  et  les  ren- 
dait aux  princes,  niais  elle  savait  toujours  se  faire  dé- 
dommager l.  Ajoutez  les  frais  de  l'administration 
des  grands  officiers  et  ih's  avoués,  enfin  les  dépenses 
d'une  guerre  perpétuelle  où  les  margraves  entrete- 
naient non-seulement  la  milice  soldée,  mais  la  milice 
féodale;  car  le  fief  militaire  n'était  affecté  qu'à  l'en- 
tretien du  chevalier  en  temps  de  paix.  11  est  facile 
de  comprendre  que  les  Ascaniens  se  soient  trouves 
de  bonne  heure  dans  une  pénurie  financière  qui  les 
força  d'aliéner  tant  de  droits  et  de  revenus. 

Parmi  ces  aliénations,  les  unes  ne  firent  que  porter 
atteinte  à  la  fortune  des  margraves,  les  autres  modi- 
fièrent la  constitution  même  de  la  marche.  Les  mar- 
graves diminuaient  leur  fortune,  quand  ils  renon- 
çaient à  leurs  bénéfices  sur  les  monnaies2,  à  leurs 
droits  sur  les  transports  par  eau,  aux  douanes  sur  les 
fleuves  e1  les  routes,  aux  impôts  prélevés  sur  chaque 
place  dans  la  halle  ou  sur  le  marché,  aux  revenus 
qu'ils  tiraient  (]*■>  moulins,  des  prairies,  des  bois,  enfin 
aux  différentes  sortes  de  contributions  foncières,  tan- 
tôt pour  en  faire  doua  quelque  église  ou  monastère 
par  piété,  a  quelque  ville  par  commisération  pour  sa 
pauvreté  ;i.  à  des  vassaux  en  reconnaissance  <\c>  ser- 
vices rendus,  tantôl  pour  en  tirer  immédiatement 
quelque  grosse  somme  dans  un  pressant  besoin  d'ar- 

1.  Klôden,  loc.  cit.,  p.  l27-'2s. 

2.  Ces  bénéfices  étaient  considérables  :  l'hôtel  des  monnaies  de 
Stendal  rapportait  à  lui  seul  570  marcs  d'argent.  —  Voir  pour  les 
aliénations,  Riedel,  Die  Mark.,  Il,  p.  97-8,  et  les  notes. 

3.  Werben  reçut  pour  cette  raison,  entre  autres  bienfaits,  la  per- 
ception des  droits  sur  les  transports  par  eau  et  sur  les  douanes. 
Voyez  Riedel,  Die  Mark  Dr.,  I,  p.  103. 


i  i  -   INSTITUTIONS 

gent.  Ces  expédients  tarissaienl  la  source  même  des 
revenus  margraviaux;  mais  l'autorité  politique  des 
margraves  n'en  étail  pas  directemenl  atteinte.  Elle  fui 
compromise  par  les  dons,  ventes  ou  engagements  de 
droits  de  juridiction. 

A  la  tin  du  xiv°  siècle,  au  temps  de  la  rédaction  du 
Livre  Terrier, il  ne  restai!  presque  plus  de  villages  qui 
fussenl  directemenl  soumise  la  juridiction  margra- 
viale  *.  La  métamorphose  s'étaii  opérée  peu  a  peu,  au 
fur  el  à  mesure  que  des  dons,  «les  aliénations,  des  en- 
gagements taisaient  passer  les  droits  seigneuriaux  à 
des  églises,  à  des  monastères,  à  des  vassaux,  à  des 
villes  ou  même  à  de  simples  bourgeois.  Il  dut  arriver 
le  plus  souvent  qu'un  vassal  du  margrave  commençait 
par  acquérir  la  propriété  d'un  paysan  pour  y  établir  un 
colon  qui  lui  payait  la  redevance.  En  même  temps  il 
achetai!  au  margrave  die  Zaungerichtsbarkeit,  c'est-à- 
dire  la  juridiction  dans  l'intérieur  de  la  clôture.  11  ne 
devenait  pas  juge  pour  si  peu  et  n'instituait  pas  de 
juge  spécial  :  les  affaires  qui  concernaient  le  nouveau 
bien  seigneurial  ou  les  personnes  qui  l'habitaient  et 
les  délits  qu'on  y  commettait  continuaient  à  être 
portés  devant  le  bailli;  seulement  les  droits  de  ju- 
ridiction afférents  au  mai-grave  étaient  payés  au 
nouveau  seigneur  2.  D'autres  acquisitions  suivaient 
celle-là  ;  quelquefois  le  village  finissait  par  passer 
dans  les  mains  d'un  même  acquéreur;  mais  le  plus 

1.  2  sur  90  dans  le  Teltow,  6  sur  104  dans  le  Havelland,  et  de 
même  dans  les  autres  parties  de  la  marche. 

2.  Kùhns  (t.  I,  p.  169)  en  cite  un  exemple  emprunté  au  xvie  siècle, 
il  est  vrai,  mais  qui  donne  une  idée  exacte  de  l'état  des  choses 
au  xme.  C'est  un  traité  conclu  entre  Hans  Spill  qui  a  la  Zaunge- 
richtsbarkeit sur  plusieurs  biens,  et  Hans  Hake  le  juge  du  village. 
Celui-ci  continue  à  juger  les  justiciables  de  Hans  Spill,  qu'il  doit 
prévenir  huit  jours  d'avance  de  la  tenue  de  son  tribunal.  Riedel, 
Cod.  dipl.,  I,  t.  vu,  p.  178,  n»  LXXXIX. 


PF.   LA    MARCHE    PF   BRANDEBOURG  235 

souvent  comme  le  vassal  n'était  ni  assez,  riche,  ni 
assez  économe  pour  acheter  tout  un  village,  trois 
ou  quatre  acquéreurs  se  le  partageaient1,  au  grand 
préjudice  <\i'>  paysans  et  au  grand  danger  de  la  paix 
publique  menacée  par  de  perpétuels  conflits.  Ainsi 
se  forma  un  grand  nombre  de  petites  seigneuries  ; 
mais  il  y  a  des  exemples  de  cessions,  ventes,  aliéna- 
tions de  villages  entiers  2. 

La  condition  des  paysans  fut  gravement  modifiée, 
quand  les  margraves  se  lurent  dessaisis  de  leurs  droits 
de  toute  espèce.  Dans  beaucoup  de  villages,  ils  ne  con- 
servèrent plus  trace  de  leur  souveraineté;  tous  les  im- 
pôts, tous  les  services,  tous  les  droits  étaient  en 
d'autres  mains.  «  Ici,  dit  en  ce  cas  le  Livre  Terrier,  il 
ne  reste  rien  au  seigneur  margrave  :  Dominus  marchio 
nichil  habet  ibi  :î.  »  Des  lors  le  bailli  du  village  n'es! 
plus  qu'un  bailli  seigneurial.  Si  l'office  devient  vacant. 
c'est  le  seigneur  qui  y  pourvoit.  Tout  ce  qui  était  ser- 
vice public  se  transforme  en  corvée  particulière  :  le 
paysan  ne  doit  plus  rien  à  l'armée  margraviale,  mais 
il  fait  quelques  journées  de  travail  sur  les  terres  de 
son  seigneur.  Déjà  les  mots  seigneurs  el  sujets,  domini 
bonorum  et  subditi,  se  trouvent  dans  des  documents  du 


i.  Il  suflit  d'ouvrir  au  hasard  le  Livre  Terrier  pour  en  trouver 
des  exemples.  Voit-  p.  135,  Blinyow  le  premier  village  cité  de 
1  l'ekermark. 

2.  Par  exemple,  le  monastère  de  Lebrun  achète  aux  marg] 
Jean  et  Olton  III,  neuf  manses  à  Netzem,  tout  le  village  deGede- 
lendorp  avec  sa  riche  dépendance  comprenant  un  village  slave, 
deux  lacs  et  des  bois:  Arntsee  et  Tribusdorp  ,■  Bredewisch,  Wan- 
deliz.  Stolzenhagen  'en  deux  fois),  Goliz. ...  Si  L'on  ajoute  à  cette 
liste  des  achats  celle  des  échanges,  toujours  avantageux  au  monas- 
tère, et  des  dons  faits,  soit  par  L'un  des  deux  frères  soit  par  le 
deux,  pour  motifs  de  piété,  on  aura  Le  tableau  des  aliénations 
faites  sous  le  seul  prmeipat  d'Otton  lil  et  de  Jean  I  au  seul  mo- 
nastère de  Lehnin. 

3.  Landbuch,  p.  54,  au  mot  Henrikstorff . 


236  les  iNS'i ni  riONS 

xiii*  siècle,  revêtus  du  sceau  des  Ascaniens*.  Après  eux, 
la  décadence  de  la  population  rurale  se  précipite.  Le 
aombre  i\i>*  paysans  taxés  diminue  d'année  en  année; 
beaucoup  abandonnenl  leurs  champs  el  Le  Livre  Terrier 
fait  de  nombreuses  mentions  à'agri  deserti,  ou  désolait, 
ou  facti  desolati*.  La  plupart  «les  propriétaires  avaient 
sans  doute  été  expulsés  dans  les  temps  troublés  qui 
suivirent  la  dynastie  ascanienne  ;  d'autres  étaient  allés 
chercher  dans  les, villes  un  refuge  el  La  liberté;  car 
même  la  Liberté  d'aller  et  de  venir  finit  par  disparaître, 
et  le  paysan  de  la  marche  par  être  attaché  à  la  glèbe. 
L'autorité  du  margrave,  diminuée  par  l'asservis- 
sement des  paysans,  a  été  également  atteinte  par 
l'affranchissement  des  villes.  En  effet,  enrichies  par 
le  commerce  et  par  la  sécurité  relative  que  les  mar- 
graves? leur  assurèrenl  au  xm''  siècle,  les  villes  exploi- 
tent la  détresse  financière  des  Ascaniens.  Elles  achè- 
tent, à  portée  de  leurs  territoires  des  villages  qui  sont 
soumis  à  leur  juridiction  3;  mais  surtout  elles  acquiè* 
rent  pour  elles-mêmes  d'importants  privilèges.  Le  pre- 
mier fut  d'obtenir  un  avoué  spécial,  investi  du  droit 
de  «  juger  sur  la  tête  et  les  membres  »,  de  façon  que 
la  cité  formât  une  circonscription  judiciaire  à  part, 
distincte  du  plat  pays,  et  qu'un  bourgeois  ne  put  être 
appelé  en  justice  hors  de  la  ville.  Mais  cet  avoué  urbain 
restait  à    la    nomination   du  margrave ,    qui    perce- 

1.  Riedel,  Cad.  dipl,  III,  t.  I,  p.  11,  n»  9. 

2.  Voyez  surtout  le  Landbuch  au  chapitre  de  l'Uckermark,  p.  137, 
aux  mots  Cervetzin  et  Wetzenow,  p.  138  au  mot  Czimenen  ,  p.  139 
aux  mots  Walmow,  Krempsow,  Clepclow,  etc.,  etc.,  etc. 

3.  Otto,  D.  Gr.  marchio,  dilectis  consulibus  et  universis  civibus 
in  Grabow.  —  Nobilis  vir  cornes  de  Dannenberg  villas  N.  N... 
beato  Gregorio  vobis  et  civitat.  vendidit.  —  Advocati  vero  nostri 
nihiljuris  in  his  villin  sibi  reservant.  Item  damus  vobis  et  civi- 
tati  proprietatem  ville  N....  cum  singulis  prarogativis  ac  omni 
jure  civitatensi...  (Riedel,  die  Mark,  II,  p.  385,  note  3). 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        237 

vait  encore  les  revenus  de  juridiction.  Quand  la  né- 
cessité le  contraignit  de  les  aliéner,  au  profil  d'un 
vassal,  d'un  monastère  ou  d'une  église,  la  ville  se 
trouva  médiatisée,  pour  ainsi  dire,  el  le  vassal,  le  mo- 
nastère ou  l'église  exerça  sur  elle  les  droits  de  sei- 
gneurie; mais  le  plus  souvent  l'acquéreur  fut  la 
ville  elle-même,  représentée  par  son  conseil.  L'avoué 
devint  alors  un  magistrat  municipal,  choisi  par  le 
conseil  de  ville;  quelquefois  le  bailli  lui-même  en 
faisait  les  fonctions  l.  Cependant  le  bourgeois  pou- 
vait encore  être  «  appelé  hors  de  la  ville  »,  quand  il 
avait  à  porter  plainte  en  matière  civile  ou  criminelle 
contre  un  vassal  justiciable  du  margrave  ou  du  juge 
de  cour.  Les  villes  achetèrent  le  droit  de  retenir  ces 
affaires  devant  leurs  tribunaux  2.  et  des  lors  elles 
formèrent  à  peu  de  chose  près  de  petites  républi- 
ques 3. 

Le  déplorable  régime  financier  de  la  marche  faillit 
avuir  pour  l'autorité  margraviale  de  plus  graves   con- 

1.  ...  Prsesertim  volentes  nostraui  preJictara  civitatem  Besekowe 

ac  nostros  cives    predictos    gracia    prosequi   alteriori dantes 

eisdem  quod  corarn  sculteto  11»  Imlli  de  impetendis  qnibuslibet 
debent,  et  non  coram  nostro  advocato  secundum  juris  formam 
respondeant...  Riedel,  Cuil.  dipl.,  I,  t.  xx,  p.  342,  n°  3. 

2.  Qualiscumque  excessus  fuerit  perpetralus  in  civitate  vel  m 
campo  civitatis,  sive  in  homicidio,  sive  in  vulnere  vel  lesione, 
seu  causa  quacumque  judicibus  admittimus  et  concedimus  judi- 
candum...  ''les  juges  de  la  ville  :  charte  octroyée  à  la  ville  de 
Kuppin  :  Kùhns,  t.  I,  p.  192,  noie  '.i'37i...  —  Voici  un  autre  texte  qui 
montre  clairement  qu'aucune  espèce  d'exemption  personnelle 
n'était  admise  :...  Si  nos  (les  margraves  .  vel  consiliarius  noster, 
advocati,  oflïciales  nosiri  et  familia  nostra  vel  quicumque  alii 
fuerint,  qui  adversus  cives  nostros  in  dicta  nostra  civitate 
(Gùrztke)  commanentes,  habuerint  aliquid  proponere,  ni  scultetu 
tenebitur  judicare  sententiis  scabinorum.  (Riedel,  Cod.  dipl.  In-., 
II,  i,  p.  171,  n"  GGxxxiii) 

3.  Voyez  Kuhns,  t.  1,  p  175-197,  et  tome  II,  p.  180-257.  —  En 
prenant  au  hasard  dans  le  Codex  diplomaticus  de  Riedel  un  re- 
cueil de  chartes  concernant  une  ville,  on  suivra  les  progré  de 
son  émancipation. 


238  LES    INSTITUTIONS 

séquences  que  toutes  celles  qui  viennenl  d'être  ônu- 
oiérées,  et  modifier  complètement  la  constitution  pri- 
mitive de  L'état.  A  L'origine,  L'autorité  margraviale 
n'était  soi  nuise  à  aucun  contrôle  delà  part  de  ceux  sur 
qui  elle  s'exerçait,  el  pourvu  qu'elle  restai  dans  de 
certaines  Limites,  marquées  parla  coutume  et  par  Les 
idées  admises  sur  les  droits  du  prince,  elle  ne  rencon- 
trait aucun  obstacle  sur  son  chemin.  Il  n'yavait  point 
d'États-généraux  en  Brandebourg,  Le  margrave  pre- 
nait bien  conseil  de  ses  vassaux  el  les  réunissait  dans 
des  assemblées  extraordinaires;  mais  il  avait  le  droit 
de  convoquer  où  et  quand  il  lui  plaisait  ces  petits 
parlements,  et  les  évêques,  vassaux,  ministériels  s'y 
rendaient  en  vertu  d'un  devoir,  non  pas  en  vertu 
d'un  droit  '.  Or  le  margrave  créa  de  véritables  droits 
à  ses  vassaux  et  à  ses  sujets.  Le  jour  où,  dépassant  les 
limites  dont  il  a  été  parlé  tout  à  L'heure,  il  leur  demanda 
plus  qu'ils  ne  lui  devaient. 

Parmi  les  revenus  margraviaux,  les  aides2  .avaient 
ce  caractère  particulier  que  n'étant  pas  un  impôt  fixe, 
elles  prêtaient  à  deux  sortes  d'abus  :  les  margraves  y 
recouraient  trop  fréquemment  et  les  évaluaient  trop 
haut.  A  la  suite  d'événements  peu  connus,  mais  assu» 
renient  après  des  levées  trop  fréquentes  de  cet  impôt, 
suivies  de  réclamations  énergiques  et  universelles,  les 
margraves  furent  réduits  à  signer  avec  leurs  vassaux  el 
sujets  une  série  de  conventions.  Le  plus  important  de 
ces  documents,  au  moins  le  plus  explicite  parmi  ceux 
qui  nous  sont  restés,  est  la  convention  conclue  entre 

4.  La  preuve  que  ces  assemblées  jouaient  un  rôle  très-médiocre, 
c'est  qu'il  n'en  est  presque  point  qui  soient  connues,  malgré 
l'abondance  des  matériaux  sur  L'histoire  primitive  de  la  marche. 
Voyez  Riedel,  Die  Mark,  II,  p.  78-84. 

2.  Beden. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        239 

les  margraves  delalignejohannienneetleurs  vassaux 
el  sujets  de  la  Vieille-Marche1.  Les  margraves  y  décla- 
rentque  «  de  leur  propre  avis  el  de  celui  de  Leurs  vas- 
saux »,  ils  vendent  2  leur  droit  de  lever  les  aides  aux 
conditions  suivantes  :  tous  leurs  vassaux,  bourgeois. 
paysans,  leur  paieraient  à  la  Saint-Michel  1281,  à 
Pâques  et  à  la  Saint-Michel  1282,  une  certaine  somme 
par  manse;  les  gens  du  commun  qui  ne  possédaient 
point  de  terres  3,  donneraient  six  pfennigs  par  cha- 
que livre  de  leur  fortune  immobilière.  Ces  trois  ter- 
mes acquittés,  les  margraves  n'auraient  plus  le  droit 
d<  percevoir  les  aides,  auxquelles  serait  substitué 
un  impôl  régulier.  Pour  chaque  inanse  il  serait  payé 
un  schilling  chaque  année  à  la  Saint-André,  un  au  Ire 
le  jour  de  la  Walpurgis.  Seraient  seuls  exemptés  de 
celte  charge  les  biens  de  chevalerie,  à  raison  de  6  nian- 
ses  pour  le  chevalier,  de  quatre  pour  l'écuyer,  parce 
que  ce  domaine  représentait  l'entretien  de  l'homme  de 
guerre  en  temps  de  paix  K 

Les  margraves  promettaient  de  ne  lèvera  L'avenir 
aucun  impôt  a  l'occasion  du  mariage  des  princesses 
de  Leur  famille  ou  de  leurs  voyages  a  la  cour  impériale. 
Us  se  réservaient  pourtant  de  demander  une  contri- 
bution extraordinaire  en  cas  de  captivité  de  leurs 
personnes,    de  besoin   pressant  pour  leur  pays.de 

1.  Wohlbrûck  :  Gesch.  des  Bisth.  Lebus,  I,  p.  245;  Riedel,  die 
Mari:  /.'/'.,  II,  p.  109,  note  2. 

2.  Ob  salubrem  statum  terrarum  nostrarum  de  nostro  el  vasal- 
lorum  nostroruni  arbitrio  pétition  toriam 
quam  in  terra  sive  territorio  marchia?  dignoscimur  habuisse,  ven- 
didimus  sub  hac  forma...   Riedel,  Cad.  dipl.,  III,  t.  I,  p.  10-11. 

3.  Alii  hommes  communes,  ut  molendinarii  et  cozeeti,  qui  man- 
sos  non  habuerunt.... 

'i...  Item  miles  sub  aratro  suo  habebit  sex  mansos,  famuli  vero 
quatuor,  et  hii  erunt  penitus  Liberi,  et  si  plures  quidem  habueririt, 
du  hisdabunl  censum  prpelibatum. 


lJÎO  LES  INSTITUTIONS 

danger  de  guerre;  mais  il  ne  Leur  appartenait  pas  de 
prendre  Les  mesures  aécessaires  pour  La  Levée  de  cel 
argent.  Quatre  chevaliers,  nommés  par  eux,  (raccord 

avec  leurs  vassaux,  eu  délibéreraient  avec  les  plus 
distingués   el   les  plus  anciens  (lu    pays;   si   L'un   des 

commissaires  venail  à  mourir,  les  trois  survivants 
devaient  dans  le  délai  d'unmois  lui  donner  un  suc- 
cesseur1. Enfin  de  sérieuses  garanti  es  étaient  stipulées 
pour  l'observance  rigoureuse  de  celle  convention.  On 
prévoyait  le  cas  où,  par  suite  d'un  nouveau  partage, 
la  Vieille-Marche  tomberait  dans  Le  domaine  d'un  autre 
prince  :  celui-ci  devait  se  considérer  comme  obligé 
par  la  convention  ;  autrement  ses  vassaux  et  sujets 
seraient  à  l'instant  déliés  de  tous  serments  de  fidé- 
lité à  son  égard,  et  ils  pourraient  prendre  pour  chef 
un  autre  prince  de  la  famille.  Si,  d'une  autre  façon 
quelconque,  les  margraves  ne  tenaient  pas  les  pro- 
messes faites,  les  vassaux  se  réuniraient  dans  les 
burgs  d'Osterburg,  Stendal,  Tangermunde  qu'ils  oc- 
cuperaient jusqu'à  ce  qu'il  leur  lui  donné  satisfaction. 
Des  traités  semblables  furent  conclus  par  les  mar- 
graves de  la  ligne  joliannienne  avec  leurs  vassaux 
des  autres  parties  de  la  marche  :  nous  n'en  avons  pas 
le  texte,  mais  il  y  est  fait  allusion  dans  d'autres  docu- 
ments 2.  Les  margraves  ottoniens  subirent  la  même 
nécessité.   Ils  conclurent  à  Berlin  en  1280  un  traité 


\ .  Item  si  predicte  terre  nostre  légitima  nécessitas  aut  guerarum 
periculum  ingruerit,  staluimus  unà  cum  vasallis  nostris  memora- 
tis  quatuor  viros  ad  hoc,  ex  nomine  milites  nostros,  Johannem  de 
Bue,  etc.,  ut  quicquid  iidem  quatuor  ordinaverint  ad  commodum 
et  utilitatem  lotius  terre,  auditis  potioribus  et  senioribus  terre, 
per  fidem  et  juramentum  ipsorum  pretextu  juvaminis  nobis  pres- 
tandi  contenti  erimus,  nec  a  nobis  suspecti  aliquatenus  fore  de- 
bent. .. 

2.  Ricdel,  Die  Mark,  t.  II,  p.  114. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        241 

où  ils  autorisèrent  formellement,  avec  promesse  de  ne 
pas  leur  en  garder  rancune,  leurs  vassaux  et  leurs  sujets 
à  repousser  par  la  force  toute  atteinte  aux  conven- 
tions faites  à  propos  des  aides  '.  Une  lettre  de  confir- 
mation accordée  par  eux  en  1282  à  l'avouerie  de 
Salzwedel  montre  qu'ils  ont  suivi  dans  celte  grave 
affaire  la  même  procédure  que  leurs  cousins  de  l'autre 
branche-;  mais  le  conseil  chargé  d'administrer  l'impôt 
ne  fut  point  formé  de  la  même  manière.  Présidé  par 
l'avoué  de  Salzwedel,  il  se  composa  de  deux  che- 
valiers nommés  par  le  margrave,  de  deux  autres  che- 
valiers nommés  par  leurs  pairs,  de  deux  bourgeois 
élus  par  la  ville.  Il  n'est  point  dit  que  sa  compétence 
soit  restreinte  au  seul  cas  d'une  levée  de  contribution 
supplémentaire,  mais  au  contraire  qu'il  doit  connaître 
de  toutes  les  affaires  concernant  l'impôt  qui  a  remplacé 
les  aides.  Les  conseillers  demeuraient  en  fonction  pen- 
dant un  an;  chacun  d'eux  nommait  ensuite  son  sue- 
ur qui  était  obligé  d'accepter  cette  charge. 
Ainsi  après  avoir  aliéné  une  grande  partie  de 
leurs  revenus,  de  leurs  domaines  et  de  leurs  droits, 
:  Les   seigneuries  s'interposer  entre  eux  et  les 

paysans,  abandonné  les  villes  à  une  indépendance  pres- 
que complète;  après  avoir  en  un  mot  altéré  le  caractère 
de  l'institution  primitive  el  mis  lu  confusion  à  la  place 


1.  Verum  si  in  posterum  aliquorum  non  sano  consilio  utere- 
mur,  volentes  ulique  malignari  contra  juramentum  nostrum  et 
promissum  fidei  facere  niteremur,  vel  nostri  suecessores  idem 
facere  vellent  et  heredes,  ex  tune  recognoscimus  presenti.bus  pro- 
testantes, omnibus  nostris  vasallis  et  civitatibus  personaliter  in- 
junxisse,  ut  in  nostra  presentia  primo  prestito  juramento  mutuo 
promittent  data  fide,  sibi  in  invicera  assistere  tideliter  et  efflea- 
citer  toto  posse,  ta  m  diu  nobis  contrarii  et  oppositi  existentes, 
quousque  talem  à  se  injuriam  removeant,  etc.,  etc.,pro  quo  il 
titudinem  nostram  vel  odium  incurrere  non  debebunt...  (Ri 
Cod.dipl.,  I  I,  t.  I,  p.  9,  n«  s  . 

Il; 


242  LES   INSTITUTIONS 

delà  simple  ordonnance  du  début,  les  margraves  en 
étaient  réduits  à  tolérer  un  contrôle  financier,  quide- 
vienl  toujours  un  contrôle  politique,  et  ils  reconnais- 
saient à  leurs  vassaux  cl  sujets  qualité  pour  décider  s'ils 
avaient  ou  non  violé  telle  de  leurs  promesses,  auquel 
cas  la  révolte  était  de  droit.  Oe  peut  mesurer  la  déca- 
dence de  cette  autorité,  que  nous  avons  vue  si  forte  à 
l'origine.  Le  pire,  c'est  que  les  margraves  ue  profi- 
tèrent  pas  de  la  leçon  qu'ils  s'étaient  fait  donner 
cl  ne  renoncèrent  pas  à  ce  gaspillage  financier.  Ils 
avaient  promis  solennellement  de  n'aliéner  jamais 
cette  nouvelle  ressource  l  :  ils  ne  l'épargnèrent  pas  plus 
qu'ils  n'avaient  fait  des  autres  et  s'appauvrirenl  encore. 
Une  légende  raconte  que,  quarante  années  avant  la  fin 
de  la  dynastie,  dix-neuf  princes  de  la  maison  asca- 
nienne,  rassemblés  sur  une  colline  près  de  Rathenow, 
se  lamentèrent  sur  leur  indigence  qui  ne  leur  permet- 
tait pas  de  mener  une  vie  de  prince. 

On  commettrait  pourtan  t  une  grande  erreur  en  croyant 
que  l'institution  primitive  a  disparu  tout  entière  dans 
une  sorte  de  chaos,  et  que  le  margrave  de  Brande- 
bourg est  devenu  un  suzerain  nominal  comme  le  duc 
de  Saxe,  par  exemple,  après  la  chute  d'Henri  le  Lion. 

Il  est  hors  de  doute  que  l'esprit  particulariste 
qui  s'est  manifesté  au  moyen  âge  dans  l'empire 
d'abord,  puis  dans  chacun  des  états  de  l'empire,  a 
pénétré  jusqu'en  Brandebourg.  Chaque  seigneur  dans 
sa  seigneurie,  chaque  évoque  dans  son  diocèse,  cha- 
que bourgeois  dans  sa  ville  eût  voulu  s'affranchir 
de  l'autorité  margraviale,  ou  tout  au  moins  la  réduire 

1.  Ilujusce  modi  census  erit  sempiternus  nec  ipsum  conferre 
possumus  aut  debemus  alicui  (  Riedel ,  Cod.  dipl.,  loc.  cit., 
p.  11,  n°  0). 


DE   LA   MARCHE   DE   BRANDEBOURG  24v? 

à  des  apparences;  mais  des  circonstances  particulières 
empêchèrent  la  réalisation  de  ces  desseins. 

Menacée  de  toutes  parts  et  par  moments  compromise, 
l'autorité  margraviale  ne  fut  pas  atteinte  sans  remède. 
L'institution  des  conseils  organisés  par  les  conventions 
qu'on  a  vues  ne  lui  fit  pas  courir  de  grands  périls.  Ces 
conseils  devinrent,  il  est  vrai,  dans  la  suite  les  états 
provinciaux  :  ils  entrent  en  activité  après  la  mort  de 
Waldemar,  quand  il  s'agit  de  trouver  un  tuteur  au 
dernier  des  Ascaniens,  mais  ils  n'agissent  pas  d'accord 
les  uns  avec  les  autres.  Tandis  que  «  les  chevaliers  et 
les  villes  d'au  delà  de  l'Oder  »  choisissent  le  duc  de 
Poméranie,  d'autres  se  tournent  vers  le  due  de  Saxe. 
C'est  que  les  états  représentaient  non  pas  l'ensemble 
de  la  marche,  comme  le  Parlement  en  Angleterre  et 
les  Etats-Généraux  en  France  représentaient  toute  la 
monarchie,  mais  seulement  une  province  particulière. 
Encore  les  chevaliers  de  ces  petits  parlements  ne  s'in- 
quiétaient-ils  que  des  intérêts  de  leurs  pairs,  pendant 
que  les  bourgeois  ne  pensaient  qu'à  ceux  des  villes. 
On  ne  voyait  rien  au  delà  de  la  haie  du  fief  de  cheva- 
lerie ou  des  murs  de  la  cité. 

Une  entente  des  états  aurait  pu  conjurer  bien  drs 
malheurs  dans  les  temps  difficiles  traversés  par  la 
marche  après  les  Ascaniens,  au  milieu  des  désordres 
de  toutes  sortes  causés  au  début  de  la  dynastie  bava- 
roise par  l'excommunication  répétée  qui  frappe  les 
margraves,  et  par  l'apparition  d'un  faux  Waldemar; 
plus  tard,  pendant  les  intrigues  où  (maries  IV  enve- 
loppa la  marche  pour  la  faire1  tomber  sous  la  domina- 
tion des  Luxembourg. 

Mais  cette  entente  ne  se  lit  point,  chacun  demeu- 
rant   confiné    dans  les    étroites  limites    de    son    ho- 


244  il  S   INSTITUTIONS 

rizon.  Quand  Le  margrave  Louis  de  Bavière,  pur 
exemple,  veul  obtenir  des  états  une  aide  extraordi- 
naire pour  dégager  La  Lusace  en  L338,  il  es!  obligé 
d'acheter  leur  consentemenl  par  des  concessions  qui 
grèvenl  L'avenir,  paire  que  seul  il  a  intérêt  à  La 
reconstitution  de  La  marche.  Ce  morcellement  de  la 
représentation  étail  bien  moins  redoutable  à  L'auto- 
rité du  margrave  que  ne  l'eût  été  l'institution  d'un 
parlemenl  centraL  Des  états  de  Brandebourg  auraient 
pu  faire  éehec  au  margrave  de  Brandebourg;  le 
margrave  de  Brandebourg  demeura  toujours  supé- 
rieur aux  états  de  Lusace,  de  Lebus,  de  la  Vieille- 
Marche,  etc.  En  lui  fut  personnifiée  la  marche  ou 
comme  Ton  dira  plus  tard  «  l'état  brandebourgeois.  » 

D'autre  part,  si  le  margrave  a  perdu  de  son  autorité 
par  l'aliénation  de  ses  droits  et  privilèges  au  profit  de 
ses  villes  et  de  ses  vassaux,  ni  ses  villes  ni  ses  vas- 
saux ne  devinrent  assez  puissants  pour  arriver  à  l'in- 
dépendance absolue. 

Les  villes  de  la  marche  de  Brandebourg,  comme 
celles  du  reste  de  l'empire,  commencent  à  jouir  d'une 
certaine  prospérité  au  xne  siècle,  mais  elles  restent  fort 
inférieures  aux  villes  allemandes.  Stendal  et  surtout 
Salzwedel  s'enrichissent  par  les  relations  qu'elles  en- 
tretiennent, la  première  avec  Wismar,  la  seconde  avec 
Llibeck.  Quand  Hambourg  et  Liibeck,  après  avoir 
purgé  de  brigands  les  routes  du  pays  qui  les  sépare  et 
canalisé  les  rivières  qui  y  coulent,  eurent  conclu  entre 
elles  une  association  qui  fut  le  point  de  départ  de  la 
ligue  hanséatique  ,  les  bourgeois  de  Liibeck  ne  tardè- 
rent pas  à  y  admettre  «  leurs  bons  amis  de  Salzwedel  »  '  ; 

1.  Riedel,  die  Mark,  t.  II,  p.  346,  note  I. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        245 

d'autres  villes  du  Brandebourg  entrèrent  ensuite  dans 
la  hanse. 

En  même  temps  que  le  commerce,  l'industrie  se 
développa  sous  le  régime  des  corporations  qui  fut  im- 
porté ou  tout  au  moins  confirmé  dans  la  marche  par 
les  margraves  Jean  et  Otton  l.  Comme  dans  l'empire 
ces  corporations,  devenues  puissantes  par  l'exercice 
de  leur  droit  d'acquérir,  troublèrent  souvent  la  paix 
de  la  cité  ;  mais  là  s'arrête  la  ressemblance  avec  l'Al- 
lemagne. On  ne  trouve  point  dans  tout  le  Brandebourg 
de  villes  qui  puissent  être  comparées  aux  grandes 
métropoles  du  Rhin,  du  Danube,  ou  des  bords  de  la 
Baltique  et  de  la  mer  du  Nord.  Qu'est-ce  que  Stendal, 
Salzwedel,  Berlin,  Brandebourg,  Francfort-sur-1'Oder, 
peur  citer  les  principales,  à  côté  de  Strasbourg,  Co- 
logne, Brème,  Hambourg,  Lubeck,  Ulm,  Nuremberg, 
Vienne?  Les  villes  de  Brandebourg  étaient  situées  à 
l'extrémité  de  la  grande  zone  commerciale  de  l'Eu- 
rope au  moyen  âge.  Le  sol  sur  lequel  elles  étaient 
bâties  n'était  point  riche  ;  le  lorrain  sur  lequel  elles 
faisaient  leurs  échanges  n'était  point  sûr.  Aucune 
d'elles  ne  devint  assez  forte  pour  prétendre  à  l'hon- 
neur de  faire  peur  aux  margraves. 

Si  abondantes  qu'aient  été  les  aliénations  faites  au 
profit  de  la  chevalerie  de  la  marche,  il  ne  s'est  élevé 
sur  le  territoire  de  Brandebourg  qu'un  très-petit 
nombre  de  grandes  seigneuries;  les  petites,  qui  au 
contraire  y  abondent,  son!  raremenl  d'un  seul  mor- 
ceau: elles  sont  disséminées  sur  les  territoires  de  plu- 
sieurs villages.  Il  ne  faut  pas  oublier  d'ailleurs  que  la 
noblesse  du   Brandebourg  était  pauvre,   puisque   les 

1.  Riedel,  die  Mari;,  p.  352  et  suiv. 


246  LES   INSTITUTIONS 

paysans  n'étaient  point  riches,  et  cette  pauvreté  était 
un  obstacle  à  la    conquête  de  son    indépendance. 

Enfin  ni  dans  les  villes  où  siégeait  au  tribunal  Le 
bailli  bourgeois,  ni  dans  les  villages  abandonnés  à  la 
juridiction  seigneuriale,  Le  margrave  n'avait  renoncé 
à  sa  suzeraineté.  C'est  en  son  nom  qu'était  rendue  la 
justice,  et  elle  devait  l'être  selon  la  procédure  usitée 
dans  la  marche.  L'avoué  margravial  avait  conservé 
le  droit  de  surveiller  les  tribunaux  urbains  ou  patri- 
moniaux; car  si  le  margrave  Louis  défend,  en  1324,  à 
quiconque  possède  droit  de  haute  et  basse  justice, 
de  faire  tort  à  ses  justiciables,  c'est  qu'il  se  croit  le 
droit  de  constater  en  même  temps  que  le  pouvoir  de 
réprimer  ces  abus  K  Cette  suzeraineté  ne  fut  point  no- 
minale; les  margraves  la  gardèrent  même  pendant  la 
triste  période  des  Bavarois  et  des  Luxembourgeois, 
et  les  Hohenzollern  la  trouvèrent  intacte.  L'un  d'eux, 
octroyant  à  la  ville  de  Brandebourg  des  privilèges  ju- 
ridiques, réserve  en  termes  formels  sa  suzeraineté 
princière,  Fùrstliche  Obrigkheit  2. 

Pour  montrer  encore  par  un  exemple  frappant  que 
la  primitive  autorité  margraviale  n'a  point  abdiqué, 
le  margrave  sait  faire  respecter  par  l'Église  elle- 
même  ses  droits  de  juge  suprême.  Dans  la  marche, 
comme  dans  le  reste  de  l'Allemagne,  l'Eglise  avait,  en 
vertu  du  droit  canonique,  la  juridiction  sur  ses  mem- 
bres et  la  connaissance  de  certains  crimes,  comme 
l'apostasie,  l'hérésie,  la  simonie.  Elle  prétendait  en 
outre  juger  toute  affaire  civile  qui  aurait  été  portée 

1.  Riedel,  Cod.  dipl.,  I,  xv,  78,  n°  CV.  We  ock  gherichte,  ho- 
geste,  oder  sideste,  und  dhenest  hevet  in  deme  lande,  dhe  scal 
sine  undersaten  mit  dheme  dheneste  und  gherichte  to  unrechte 
nient  vorderven... 

2,  Voyez  Kùhns,  I,  p.  173. 


DE  LA  MARCHE  DE  BRANDEBOURG        247 

devant  ses  tribunaux  par  une  des  deux  parties,  et 
toute  affaire  criminelle  mixti  fori,  comme  adultère, 
concubinat,  magie.  Les  margraves  prirent  des  précau- 
tions pour  empêcher  les  envahissements  des  tribunaux 
ecclésiastiques  :  ils  leur  interdirent  de  connaître  des 
matières  réservées  aux  tribunaux  laïques,  et  défendi- 
rent aux  parties  déporter  devant  le  juge  ecclésiastique 
des  causes  où  celui-ci  n'était  pas  compétent  L 

Toute  tentative  faite  par  un  membre  du  clergé  pour 
se  soustraire  à  la  loi  commune  est  sévèrement  répri- 
mée, même  sous  les  faibles  successeurs  des  Asca- 
niens.  Un  prêtre  ayant  été  assassiné  par  des  habitants 
de  Berlin,  la  ville  fut  mise  en  interdit,  selon  l'usage. 
Elle  offrit  de  se  racheter  en  payant  le  wergeld  au  frère 
de  la  victime,  qui  était  prêtre  lui-même.  Celui-ci  re- 
fusa, et  l'interdit  continua  de  peser  sur  la  ville.  C'était 
au  temps  où  le  lils  de  Louis  de  Bavière,  encore  mi- 
neur, régnait  sur  la  marche.  Louis  écrit  au  jeune 
margrave  de  mander  devant  lui  le  récalcitrant,  de  lui 
assigner  un  délai  pour  l'acceptation  du  wergeld,  et  si 
par  hasard  il  s'y  refuse,  de  le  destituer  immédiate- 
ment de  son  office.  Le  nom  du  successeur  était 
désigné  dans  la  lettre  2.  Le  prêtre  se  soumit,  et  l'é- 
vèque  de  Brandebourg  lui-même  n'éleva  pas  d'objec- 
tions :  en  1336,  il  donna  quittance  de  la  somme  payée 
par    les   bourgeois    de  Berlin  3.   A  la  fin   du  même 

1.  Riedel,  Cod.  dipl.  br.,  II,  t.  V,  p.  5,  n°  MDCCLXVIII  ;  et  I. 
t.  XXIII,  p.  438,  n°  CCCCXXXIII.  (Documents  postérieurs  aux 
Ascaniens 

2  Voyez  Kiihns,  t.  I,  p.  -274  ..  Quôd  si  foi  tasse,  facere  renuerit, 
ex  tune  ad  privationem  officii  sui  procédas,  nullâ  consideratione 
aliâ  ulterius  citra  hoc  exspectatâ,  et  hoc  ipsum  beneficium  Hein- 
rico  de  Tsuden  conféras  indilate...  Voyez  Riedel,  Cod.  dipl.,  I 
t.  XII,  p.  488,  n-  VI. 

3.  Riedel,  ibid.,  t.  VIII,  p.  245,  »°  CGXI  ;  p.  247,  leCCXVll; 
p.  258,  n°  GCXXX1U. 


248  LES   INSTITUTIONS 

siècle,  le  margrave  Sigismond  écrivail  à  un  évoque 
celle  Lettre  où  il  revendique  nettement  son  droit  de 

justicier  suzerain  :  «  Sache/,  monsieur  l'évêque  , 
qu'il  est  venu  jusqu'à  QOUS  qU6  VOUS  niellez  nos  villes 

en  interdit,  avant  d'avoir  porté  votre  plainte  (le- 
vant nous.  Or  nous  entendons  rester  leur  juge...  et 
notre  sérieuse  volonté  est  que  vous  cessiez  sur  L'heure 
d'en  agir  ainsi  :  sinon  nous  avons  commandé  que  Ton 
donne  (lu  tracasà  vous  ou  au\  vôtres,  que  cela  vous 
plaise  ou  non  i.  » 

11  ne  faudrait  pas  croire  que  ces  mots  »  noire  suze- 
raineté princière  »  et  «  nous  voulons  rester  leur  juge  < 
ne  représentent  qu'une  prétention  vaine,  comme  en 
ont  souvent  les  pouvoirs  déchus.  Un  curieux  procès, 
plaidé  au  xvic  siècle  entre  l'empire  et  la  marche. 
abonde  en  témoignages  qui  attestent  la  permanence 
du  caractère  exceptionnel  de  l'autorité  margraviale. 

Quand  Maximilien  d'Autriche  voulut  mettre  un  peu 
d'ordre  dans  le  chaos  germanique  et  qu'il  créa  la 
chambre  impériale,  il  inscrivit  les  évoques  de  la  mar- 
che, comme  ceux  du  reste  de  l'Allemagne,  parmi  les 
princes  relevant  immédiatement  de  l'empire,  et  de  qui 
les  querelles  devaient  être  portées  devant  cette  juridic- 
tion nouvelle.  Le  margrave  de  Brandebourg  protesta 
contre  cette  décision.  Il  écrivit  en  1509  à  un  avocat 
près  la  chambre  impériale,  pour  lui  représenter  que 
les  trois  évêques  de  la  marche  n'avaient  rien  à  faire 
avec  l'empire  :  ils  ne  tenaient  point  de  l'empire, 
comme  ceux  de  Thuringe  et  de  Misnie ,  leurs  régales 


1.  Kiihns,  I,  p.  279  :  «  Wisset,  Herr  Bischof,  dass  vor  uns  ge- 

kommen  ist,  wie  dass  ihr  unsere  Stadte  bannet so  dass  ihr  vor 

uns  nie  eure  klage  angebracht  habt denn   vir  vollen  selber 

richter  ùber  sie  bleiben » 


DE   LA    MARCHE   DE    BRANDEBOURG  249 

ni  leurs  fiefs  ;  c'étaient  les  margraves  qui  leur  avaient 
donné  l'investiture  de  leurs  châteaux  cl  de  leurs 
biens;  à  cause  de  cela,  ils  (levaient  aux  margraves, 
dans  la  paix  et  dans  la  guerre,  les  mêmes  services 
que  le  reste  de  leurs  vassaux. 

Au  cours  du  procès,  qui  dura  très-longtemps  el 
n'eul  pas  de  conclusion,  le  margrave  et  les  évèques, 
d'accord  pour  repousser  les  prétentions  de  l'empire, 
fournirent  un  grand  nombre  de  documents,  dont  plu- 
sieurs remontent  au  temps  ih>>  princes  ascaniens. 
Des  nobles  el  de-  bourgeois  du  Brandebourg,  cités  à 
comparaître  en  L564  devant  une  commission  impé- 
riale, attestèrent  que  les  coutumes  de  la  marche 
étaient  en  opposition  avec  les  prétentions  de  l'em- 
pire. Il  résulte  de  leurs  dépositions  que  les  évèques 
n'ont  jamais  été  princes  d'empire  :  ils  sont  sujets 
brandebourgeois.  On  en  appelle  de  leurs  tribunaux, 
non  a  l'empereur,  mais  au  margrave.  —  Il  n'y  a  ja- 
mais de  relations  directes  entre  les  évèques  et  l'em- 
pire; les  lettres  impériales  adressées  aux  évèques  pas- 
sent parles  mains  du  margrave;  l'impôt  d'empire 
appelé  «  commun  pfennig,  »  institué  pour  subvenir 
aux  frais  de  la  chambre  impériale,  est  versé  par  les 
évèques  à  la  trésorerie  brandebourgeoise.  —  Les 
évèques  doivent  au  margrave  le  service  militaire  et 
le  service  de  mur;  leur  place  est  marquée  dans  les 
cérémonies,  leur  costume  prescrit;  ils  portent  les 
couleurs  du  margrave:  ils  se  disent  dans  les  lettres 
qu'ils  lui  écrivent  <  de  Sa  Grâce  Électorale  les  chape- 
lains très-soumis  ■ .  Le  margrave  les  appelle  sim- 
plement «  monsieur  de  Havelberg,  monsieur  de 
Brandebourg,  monsieur  de  Lebus  >  :  il  ne  leur  dit  pas 
«  Votre  Dilection  »,  comme  on  fait  entre  personnes 


250      LES  INSTITUTIONS  DE  LA  MARCHE  l>K  BRANDEBOURG 

de  condition  princière,  mais  simplement  «  Vous  ».  — 
»  .l'ai  trois  évoques  dans  mon  pays,  a  pu  dire  l'élec- 
teur Joachim  I.  qui  ne  doivent  de  services  qu'à 
moi  '.  » 

Or,  L'électeur  dans  sa  lettre  à  l'avocat  près  la 
chambre  impériale,  déclarait  que  les  comtes  deRup- 
pin  et  de  Hohenstein,  qui  étaient  alors  ses  plus  puis- 
sants vassaux,  ne  relevaient  pas  plus  de  l'empire  que 
les  évêques.  On  sait  du  reste  que  parmi  les  villes  de 
Brandebourg,  pas  um.1  no  devint  ville  impériale. 
Ainsi  la  hiérarchie  el  la  discipline  instituées  dans  la 
inarche  a.  l'origine  ne  se  sont  pas  perdues,  même  en 
traversant  les  deux  siècles  lamentables  qui  séparent 
l'extinction  de  la  dynastie  ascanienne  de  l'avénemcnl 
dvs  llohenzollern.  Depuis  les  successeurs  d'Albert  II 
jusqu'aux  prédécesseurs  du  Grand  Électeur  et  de  Fré- 
déric II  s'est  conservée  la  tradition  d'un  pouvoir  qui 
demeure  fort  au-dessus  de  ses  vassaux  ecclésias- 
tiques ou  laïques  et  de  ses  sujets  bourgeois,  en  dépit 
des  privilèges  qu'il  leur  a  octroyés  ou  vendus. 

1.  Voyez  l'article  Die  Unlcrordminç/  der  Bischôfe  von  Branden- 
burg,  Eavelberg  und  Lebus  un  1er  die  Landeshoheit  der  Churfùrsten 
von  Bva>idenbimj,  au  tome  I  des  Màrkische  Forschungen. 


CONCLUSION 


On  peut  résumer  eu  quelques  pages  1rs  réflexions 
que  suggère  l'histoire  du  Brandebourg  sous  la  dynas- 
tie ascanienne. 

L'étal  brandebourgeois  esl  sorti  d'une  marche,  et 
cette  origine  en  a  déterminé  tout  le  caractère. 

Pour  se  représenter  le  rôle  historique  d'une  marche, 
il  faut  remonter  au  temps  de  l'empire  carlovingien. 
Couronné  empereur  parle  pape,  Charlemagne  avait 
mission,  non-seulement  de  protéger  la  communauté 
chrétienne  d'Occident  dont  il  était  le  chef  laïque,  niais 
encore  de  porter  chez  les  infidèles  le  glaive  et  la  croix, 
pour  les  soumettre  et  les  convertir.  La  guerre  était  à 
l'état  permanent  sur  toutes  1rs  frontières  :  les  comtes 
de  la  frontière  ou  margraves  étaient  donc  au  poste 
d'honneur  dans  l'empire  :  ils  étaient  des  acteurs  im- 
portants dans  l'histoire  générale  du  monde. 

L'empire  franc,  cotte  conception  ecclésiastique  et 
romaine,  ne  dura  pas  longtemps  :  il  s'écroula  et  les 
nations  modernes  naquirent.  L'Allemagne  prit  et  garda 


252  CONCLUSION 

quelque  temps  La  première  place.  Gomme  elle  confi- 
nai! à  l'Esl  aux  BongroiSj  aux  Slaves  H  aux  Danois,  ses 
rois ,  en  combattanl  les  païens,  continuaient  La  tradi- 
tion carlovingienne.  3enri-le-Fondateur  esl  un  héros 
chrétien  ;  Otton-le-Grand  se  fail  donner  par  Le  pape  la 
couronne  de  Gharlemagne;  aussitôt,  Les  marches  qui 
éiaionl  on  décadence  se  relèvent.  Toute  la  frontièrede 
l'Elbe  esl  placée  sous  La  surveillance  du  margrave  Gero. 
Véritable  croisé,  Gero  mêle  les  œuvres  pies  aux  œuvres 
de  guerre.  Quand  ila  conquis  le  terrain  < > 1 1  se  sont  éle- 
vés les  évêchés  d'01denbourg,Havelberg,  Brandebourg, 
Mersebourg,  /cil/;.  Meissen;  quand  il  a  vaincu  cl  en- 
tamé la  Pologne,  il  va  déposer  son  épée  sur  le  tom- 
beau de  saint  Pierre,  et  revient  en  Allemagne  fonder 
un  monastère  et  mourir.  Un  écrivain  contemporain  Le 
nomme  le  «  défenseur  de  la  patrie  :  »  ce  surnom  glo- 
rieux sied  bien  à  un  margrave. 

Mais  Gero  n'eut  pas  de  successeur;  la  marche  qu'il 
avait  gouvernée  fut  morcelée,  et  de  ce  morcellement 
naquit  la  marche  du  Nord. 

Pendant  près  de  cent  quatre-vingts  ans,  la  marche 
du  Nord  mène  une  existence  misérable,  et  les  mar- 
graves défendent  à  grand'peine  contre  les  Slaves 
leur  étroit  territoire,  situé  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe. 
C'est  que  les  chefs  du  saint  Empire  Romain  Germa- 
nique ne  sont  pas  les  continuateurs  de  Gharlemagne. 
Ils  ont  pris  dans  son  héritage  les  prétentions  à  la  sou- 
veraineté universelle  ,  sans  se  soucier  des  devoirs  qui 
s'y  rattachent,  et  ils  dépensent  en  Italie  plus  de  forces 
qu'il  n'en  aurait  fallu  pour  convertir  et  soumettre  les 
Slaves.  Du  reste,  dans  le  conflit  qui  éclate  entre  l'em- 
pire et  la  papauté,  l'unité  du  monde  chrétien  est  bri- 
sée. En  même  temps  la  féodalité,  née  dans  le  royaume 


CONCLUSION"  253 

franc,  et  que  Gharlemagne  s'était  efforcé  de  plier  à  des 
lois,  pénètre  dans  l'Allemagne  qu'elle  divise.  Dans  ces 
conjonctures,  les  marches  étaient  impuissantes  contre 
l'ennemi.  Que  peut  l'avant-garde,  si  le  corps  d'armée 
ne  la  suit  pas,  et  qu'il  se  partage  en  fractions  indiffé- 
rentes ou  bien  hostiles  les  unes  aux  autres?  Elle 
provoque  les  coups  sans  pouvoir  les  repousser. 

lies  circonstances  plus  favorables  à  la  marche  du 
Nord  se  présentèrent  quand  Lothaire,  duc  de  Saxe, 
monta  sur  le  trône  impérial.  A  la  frontière  orien- 
tale du  duché  de  Saxe  la  guerre  contre  les  Slaves 
était  une  tradition  constante,  et  comme  le  règne 
de  Lothaire  lit  trêve  pour  un  momenl  à  la  lutte  du 
sacerdoce  et  de  l'empire,  les  peuples  de  l'Est  furent 
de  nouveau  attaqués  avec  vigueur  :  le  premier  iU'> 
margrave-  ascaniens,  Albert  l'Ours,  acquit  au  delà  de 
l'Elbe  un  territoire  qui  ne  devait  plus  être  perdu,  el 
la  marche  du  Nord,  du  nom  de  la  capitale  des  Slaves 
Hévelliens,  s'appela  marche  de  Brandebourg. 

Ses  progrès  sont  continus  jusqu'à  la  fin  de  la  dy- 
nastie ascanienne.  De  nouvelles  discordes,  il  est  vrai, 
affaiblissent  l'empire.  Pas  un  règne  ne  s'écoule  sans 
guerre  civile,  et  la  féodalité  prend  pied  à  pied  pos- 
session du  sol  allemand.  Elle  en  est  maîtresse,  quand 
le  saint  Empire  Romain  Germanique  s'esl  effondré 
sous  l'anathème  du  pape  Grégoire  IX.  [U^  lors  plus 
d'unité,  plus  d'œuvre  commune  de  la  Germanie  :  les 
dynasties  territoriales  n'ont  souci  quede leurs  intérêts 
privés. 

Il  semblait  «{Lie  la  marche  fui  encore  exposée  aux 
périls  qu'elle  avait  courus,  après  les  règnes  de  Ghar- 
lemagne etd'Otton.  Mais  si  la  force  offensive  de  l'Al- 
lemagne avait  diminué  a  cause  de  la  chute  de  l'ein- 


254  CONCLUSION 

pire,  la  force  de  résistance  des  ennemis  était  plus 
réduite  encore.  Aux  iv  el  v  siècles,  les  trois  confédé- 
rations des  Slaves  «If  L'Elbe,  Sorabes,  Wiltzes,  Obo- 
trites  s'appuyaienl  sur  les  Polonais,  les  Poméraniens, 
les  Danois,  redoutable  réserve  du  paganisme.  Au 
m"  siècle  la  Pologne,  la  Poméranie,  le  Danemark 
riaient  chrétiens.  Les  confédérations  des  slaves  de 
l'Elbe,  qui,  à  de  certains  moments,  avaient  fait  trêve 
a  leurs  discordes,  pour  défendre  contre  les  Allemands 
leurs  dieux  et  leur  liberté,  avaient  disparu.  Le  terri- 
toire des  ^'iltzes,  entamé  par  la  Poméranie,  ('lait 
occupé  par  de  petites  tribus,  hésitant  entre  les  deux 
religions,  incapables  de  résister  longtemps  aux  mar- 
graves de  Brandebourg. 

I  n  margrave  pouvait  plus  facilement  qu'aucun  autre 
prince  allemand  s'isoler  du  reste  de  l'empire  et  tra- 
vailler uniquement  pour  lui  et  pour  sa  maison.  Une 
marche,  en  effet,  avait  un  double  privilège  :  comme 
état  frontière ,  elle  avait  des  institutions  exception- 
nelles, et  elle  était  bien  située  pour  s'étendre. 

II  y  a  deux  périodes  à  distinguer  dans  l'histoire  des 
institutions  brandebourgeoises,  celle  de  la  création  et 
celle  de  la  déformation. 

Il  est  naturel  que  la  création  ait  été  méthodique. 
Quand  les  institutions  naissent  d'elles-mêmes,  ce  n'est 
jamais  sans  quelque  désordre.  Quand  on  les  établit, 
c'est  toujours  sur  un  plan  plus  ou  moins  bien  conçu. 
Celui  des  margraves  brandebourgeois  fut  très-simple. 
Une  fois  qu'ils  eurent  passé  l'Elbe,  ils  se  trouvèrent 
en  terre  nouvelle,  libres  d'y  bâtir,  comme  ils  l'enten- 
daient. Ils  firent  la  distribution  du  sol  à  leurs  vassaux 
et  sujets,  mais  sans  laisser  prescrire  leur  droit  pri- 
mordial sur  ce  sol,  et  en  imposant  à  tous  la  recon- 


r 


CONCLUSION  255 

naissance  de  ce  droit.  Les  paysans  reçurenl  \u\('  pro- 
priété plus  libre  que  n'en  possédaient  alors  les  paysans 
d'Allemagne  :  mais  ils  avaient  envers  les  margraves 
des  obligations  militaires  et  financières.  Les  villes, 
quoique  pourvues  de  libertés  municipales  étendues, 
furent  soumises  aux  mêmes  obligations.  Il  n'y  eu1 
pas  de  grande  noblesse.  Le  vassal  ne  fut  point  dis- 
pensé de  toutes  charges,  sous  prétexte  qu'il  payait 
l'impôt  du  sang.  C'était  un  soldat,  à  l'entretien  duquel 
était  affecte  un  domaine  déterminé  et  dûment  arpenté. 
Tout  ce  qu'il  possédait  de  plus  était  soumis  aux  char- 
ges d'elat. 

Les  évêques  eux-mêmes,  bien  qu'ils  pussent  allé- 
guer que  leur  origine,  antérieure  aux  Ascaniens,  re- 
montait au  temps  de  l'empereur  Otton,  durent  recon- 
naître que  la  qualité  de  conquérants  du  sol  donnait 
aux  margraves  des  droits  particuliers.  Chacun  savait 
donc  en  Brandebourg,  quels  étaient  ses  devoirs  en- 
vers son  seigneur,  qui  l'avait  mis  ou  replacé  à  son 
poste.  Des  avoués,  dont  les  attributions  ressemblaient 
à  celles  des  comtes,  mais  qui  n'étaient  que  des  fonc- 
tionnaires toujours  révocables,  représentaient  le  mar- 
grave dans  les  diverses  circonscriptions  de  la  marche. 
Il  y  avaitdans  cet  état  d'une  nature  exceptionnelle 
de  la  simplicité,  une  hiérarchie  el  de  la  discipline. 

La  déformation  ne  se  fit  pas  attendre;  on  peut 
même  dire  qu'elle  est  contemporaine  «le  la  création. 
La  pénurie  financière  a  été  partout  au  moyen-âge  le 
fléau  des  t'tals  qui  ont  voulu  comme  le  Brandebourg 
se  donner  dr^  institutions  presque  modernes,  sans 
avoir  les  ressource-  que  les  temps  modernes  devaient 
fournir  aux  princes.  Les  margraves  battirenl  monnaie 
avec  leurs  droits  et  privilèges.  En  même  temps  la  ré- 


256  CONCLUSION 

gularité  de  l'institutioû  primitive  était  détruite  par  le 
jeu  même  de  la  vie  quotidienne.  Des  vassaux  s'élevè- 
renl  au-dessus  des  autres,  Des  paysans  vendirenl 
Leur  terre  à  «les  chevaliers,  à  «les  bourgeois  ou  à  des 
moines,  qui,  une  fois  introduits  dans  La  communauté 
villageoise,  La  détruisirent.  L'aliénation  faite  par  Les 
margraves  de  Leurs  droits  de  juridiction  constitua  Les 
seigneuries,  qui  étouffèrenl  La  liberté  des  paysans.  En 
même  temps  les  villes  développaient  leurs  libertés  au 
poinl  de  devenir  presque  indépendantes,  e1  îles  états 
provinciaux  commencèrent  à  s'organiser  dans  chaque 
territoire  de  La  marche,  pour  consentir  et  régler  la 
Levée  de  l'impôt.  Cependant  le  margrave  demeurait  le 
chef  de  ses  vassaux,  et  de  ses  bourgeois.  Il  avait  aliéné 
a  leur  profit  des  revenus  et  des  droits,  mais  en  réser- 
vant «  sa  suzeraineté  princière  ».  Personne  n'était 
capable  dans  la  marche  de  la  lui  contester  sérieu- 
sement. Les  seigneuries  demeurèrent  petites,  les 
villes  médiocres.  Les  états  provinciaux  ne  représen- 
taient que  la  province  où  ils  étaient  élus;  encore  ne 
peut-on  guère  donner  ce  nom  de  province  aux  petits 
territoires  qui  avaient  été  successivement  réunis  pour 
former  le  Brandebourg.  Le  margrave  en  était  le  lien  : 
il  demeura  le  personnage  nécessaire,  essentiel.  La 
marche  n'existait  que  par  lui. 

De  même  que  certaines  institutions  s'imposaient 
au  Brandebourg,  à  cause  de  sa  qualité  d'état  fron- 
tière, de  même  la  direction  où  devait  s'avancer  la 
conquête  ascanienne  était  marquée  d'avance  par  la 
situation  géographique  de  la  marche.  Placée  au  milieu 
de  la  grande  plaine  germano-slave,  sur  les  deux  rives 
de  l'Elbe  moyenne,  elle  ne  pouvait  s'étendre  du  côté 
de  l'Allemagne,  où  toutes  les  positions  étaient  prises. 


CONCLUSION  257 

C'est  à  l'est  qu'elle  devait  prendre  corps,  aux  dépens 
des  petites  principautés  slaves  désorganisées.  Mais  un 
état  ne  peut  s'allonger  en  plaine,  parallèlemenl  à  la 
montagne  et  à  la  mer,  sans  chercher  à  couvrir  ses 
flancs  menacés  de  toutes  parts.  Riverains  de  l'Elbe,  les 
margraves  ne  pouvaient  point  ne  pas  s'efforcer  de  re- 
monter le  fleuve  et  de  le  descendre.  Ils  étaient  néces- 
sairement attirés  vers  la  montagne  et  vers  la  mer.  Ils 
ont  atteinl  l'une,  et  à  plusieurs  reprises  touché  l'autre  : 
leurs  acquisitions  dans  la  Saxe  actuelle  et  dans  la  Lu- 
sace  ont  porté  leurs  frontières  jusqu'aux  monts  de 
Bohême  :  ils  ont  commandé  à  Dresde  et  à  Gorlitz.  Un 
moment  même,  la  Silésiefut  entamée  par  eux.  Quatre 
jours  avant  sa  mort,  le  dernier  margrave  ascanien, 
Waldemar  .  se  faisait  promettre  par  les  ducs  de 
Glogau  les  territoires  de  Schwiebus  ,  Zullichau  , 
Crossen.  Enfin  n'est-il  pas  remarquable  que  les  suc- 
cesseurs d'Albert-l'Ours  aient  possédé  Liibeck  et 
Danzig,  convoité  Stralsund,  aidé  le  roi  de  Bohème  à 
fonder  Kœnigsberg  ? 

il  y  a  donc  dans  cette  vieille  histoire  de  la,  marche 
avant  les  Hohenzollern,  plus  d'un  enseignement  utile, 
et  nous  n'avons  pas  exagéré  en  disant  qu'il  y  faut 
chercher  les  origines  véritables  de  la  monarchie  prus- 
sienne. N'a-t-on  pas  reconnu  les  traits  principaux  de 
cette  monarchie  dans  la  marche,  telle  qu'elle  a  été 
conçue  d'abord  par  les  margraves  ascaniens,  puis  mo- 
difiée parles  circonstances?  Des  libertés  provinciales, 
des  libertés  municipales,  une  nombreuse  petite  no- 
blesse, toute  militaire,  des  seigneuries  investies  du 
patronat  et  de  la  juridiction  dans  les  campagnes,  ce 
mélange  singulier  du  féodal  et  du  moderne  on  nu 
Français  peut    trouver   tout  à   la   fois  à  railler  et  à 

17 


258  CONCLUSION 

envier,  n'est-ce  |  ►■•  >  > ,  avec  Les  changements  inévitables 
apportés  par  le  temps,  Le  Brandebourg  d'aujourd'hui? 
Telle  Loi  que  les  chambres  de  Prusse  onl  Longtemps 
discutée,  el  qu'on  met  en  vigueur  au  moment  où  ces 
Lignes  sonl  écrites  a  été  faite  pour  modifier  un  étal  de 
choses  qui  date  de  La  conquête  ascanienne. 

Ces  chambres  de  Prusse  sonl  toutes  nouvelles  dans 
la  monarchie  ;  Le  parlement  unique  el  national  y  esl 
ne  d'un  accident  révolutionnaire  :  seuls,  les  états  pro- 
vinciaux oui  pour  eux  la  tradition  historique.  Il  n'y  a 
pas  Longtemps  (pie  l'unité  de  La  monarchie  étail  repré- 
sentée uniquement  par  le  roi,  c'est-à-dire  par  l'héri- 
tier des  margraves.  Aujourd'hui  encore  cet  héritier  se 
croit  plus  qu'un  souverain  constitutionnel ,  el  l'expé- 
rience lui  a  donné  raison.  L'histoire  entière  du  Bran- 
debourg justifie  sa  prétention;  car  personne  n'a  mérité 
autant  que  les  margraves  le  titre  de  «  père  du  pays  », 
que  les  princes  allemands  aiment  à  se  faire  donner  par 
leurs  sujets.  Ce  livre  a  montré  que  la  marche  était 
bien  leur  création;  mais  elle  était  aventurée  sur  un 
terrain  dangereux,  et,  plusieurs  fois,  elle  faillit  périr  : 
les  successeurs  des  margraves,  les  premiers  Hôhen- 
zollern,  après  la  triste  période  des  Bavarois  et  des 
Luxembourgeois ,  le  Grand  Électeur  après  la  guerre 
de  trente  ans,  Frédéric  II  après  la  guerre  de  sept  ans, 
la  créèrent  à  nouveau.  Frédéric  parcourant  ses  étals 
dévastés,  ordonnant  lui-même  de  relever  telle  ruine , 
de  dessécher  tel  marais ,  reconstruisant  ou  fondant 
des  villages  par  entreprise,  fait  songer  aux  Ascaniens, 
quand  ils  prirent  possession  du  pays  transalbin  depuis 
si  longtemps  désolé  par  la  guerre ,  et  que  les  villes  et 
les  villages  s'élevèrent  par  leur  ordre  et  sous  leurs 
veux. 


CONCLUSION  L59 

Certaines  traditions,  qui  (latent  du  temps  di^  As- 
caniens,  se  sont  perpétuées  à  travers  l'histoire  entière 
de  la  Prusse.  Elles  sont  attachées,  si  l'on  peut  parler 
ainsi,  au  pays  même.  Il  n'en  est  guère  de  plus  triste 
que  le  Brandebourg,  ni  que  la  nature  ait  fait  plus 
pauvre.  Les  géographies  allemandes  plaident  là-dessus 
les  circonstances  atténuantes.  Elles  veulent  qu'on  ail 
calomnié  «  la  sablière  de  l'Allemagne.  »  Elles  nom- 
ment des  collines,  qui  ont  en  effet  plusieurs  mètres 
de  haut,  el  vaillent  avec  raison  les  lacs  grands  et 
petits,  et  les  bois  où  l'œil  s'arrête  et  se  repose.  Il  faut 
pourtant  convenir  qu'en  plus  d'un  endroit  on  se 
croirait,  l'été,  perdu  dans  le  Sahara.  Telle  petite  ville, 
quand  le  vent  est  fort,  est  enveloppée  par  des  tour- 
billons de  sable  :  le  yen!  tombé,  il  faut  dégager  les 
portes  obstruées  des  maisons  et  balayer  les  rues,  ou 
le  sable  monte  jusqu'au  genou.  Ailleurs  le  désert  est 
remplacé  par  le  marécage.  Un  patriote  brandebour- 
geois  a  célébré  les  agréments  de  la  marche,  dans  un 
livre  qu'il  a  intitule'  :  Entre  marais  et  sable  L  On  com- 
prend que  pour  féconder  un  sol  pareil,  il  ail  fallu 
de  longs  efforts,  de  l'habileté,  el  les  liras  de  nombreux 
travailleurs.  Aussi  Albert  l'Ours  appelle-t-il  les  immi- 
grants ;  il  les  envoie  même  chercher  ;  les  Hohenzollern 
feronl  comme  lui.  Le  brandebourg,  sous  les  électeurs 
Frédéric-Guillaume  et  Frédéric  III,  sous  les  rois  Fré- 
déric-Guillaume I  et  Frédéric  II,  a  été  une  terre  d'asile! 
L'amour  de  l'humanité  n'étail  certes  pas  le  principal 
mobile  de  ces  princes.  Le  n'est  point  par  commiséra- 
tion qu'Albert  l'Ours  a  introduil  les  Hollandais  dans 


1.   Voyez  Daniel,  Deutschland  uuch    einen  }ihysi&chen  und  poli- 
ttëchcn   VcrhàUnisuen  rjeschildert ,  t.  i,  |),  173-j. 


'Jlid  CONCLUSION 

La  marche;  ilavail  besoin  d'eux,  el  L'on  sail  que  Fré- 
déric Il  calculai!  très-exactemenl  ce  que  Lui  pouvaienl 
rapporter  une  tête  el  deux  bras  d'immigrant. 

Dans  ce  p;i >  s  déshérité,    OÙ  le   luxe  de   La    richesse 

est  inconnu,  il  n'y  a  guère  de  place  pour  certains 
luxes  de  L'esprit.  Quelques-uns  des  margraves  asca« 

niens  mit  été,  il  est  vrai,  de  brillants  chevaliers;  on 
compte  même  des  poêles  parmi  eux,  el  les  chanteurs 
riaient  reçus  à  leur  cour  ;  niais  C6S  chanteurs  venairnl 
du  dehors.  J'imagine  que  la  cour  d'un  margrave  asca- 
nien,  comparée  à  celle  d'un  landgrave  de  Thuringe, 
devait  paraître  aussi  barbare  que  la  cour  d'un,  roi  franc 
de  Cologne  ou  de  Cambrai ,  comparée  à  celle  d'un 
roi  wisigoth  de  Toulouse  et  de  Tolède.  Depuis  les 
àscaniens,  le  Brandebourg  n'a  point  donné  de  moisson 
de  poètes.  Les  gloires  intellectuelles  y  ont  Longtemps 
manqué;  aujourd'hui  encore  elles  n'y  abondent  pas.  Sur 
les  «  cartes  intellectuelles,  »  comme  on  en  publie  en 
Allemagne,  la  Souabc  est  couverte  de  noms  illustres-, 
s'il  ne  s'en  trouvait  un  certain  nombre  autour  de  la 
ville  cosmopolite  de  Berlin,  le  Brandebourg  paraîtrait 
vide.  Mais  l'histoire  est  d'accord  avec  la  fable  pour 
montrer  que  les  peuples  poètes  sont  rarement  des 
peuples  vainqueurs.  Les  Macédoniens  chantaient  moins 
que  les  Grecs,  et  la  Grèce  est  devenue  une  province 
de  la  Macédoine.  Une  sont  aujourd'hui  les  successeurs 
des  landgraves  de  Thuringe,  auprès  des  successeurs 
des  margraves  de  Brandebourg  ? 

A  défaut  de  poètes,  on  trouverait  à  citer  dans  la 
marche  une  longue  liste  d'hommes  qui  se  sont  hono- 
rés au  service  de  l'état.  Le  pays  des  avoués  et  des  che- 
valiers a  produit  un  grand  nombre  d'administrateurs 
et  de  soldats  ;  mais  le  soldat  y  a  toujours  été  le  prin- 


CONCLUSION  2tll 

cipal  personnage.  Les  Ascaniens  essaient  tous  les  sys- 
tèmes militaires  du  temps,  la  levée  en  masse,  les  mi- 
lices féodales,  les  mercenaires.  Ils  se  plaignent  <\t>s 
dépenses  auxquelles  les  oblige  leur  armée;  mais  en 
même  temps  ils  disent  que  ces  dépenses  sont  absolu- 
ment nécessaires.  Cette  tradition-là  ne  s'est-elle  pas 
aussi  bien  gardée? 

On  a  quelques  scrupules  à  juger  ainsi  le  passé  avec 
les  lumières  que  donne  le  présent.  Rien  n'est  plus 
légitime  pourtant.  En  présence  de  grands  événements 
comme  il  s'en  est  produit  depuis  dix  ans  en  Allemagne 
et  en  Europe,  on  éprouve  l'impérieux  besoin  de  re- 
monter aux  causes,  et  l'effet,  après  avoir  provoqué  la 
recherche  des  causes  ,  aide  à  les  discerner  et  à  les 
comprendre. 

Assurément  on  n'a  jamais  le  droit  d'affirmer  que  ce 
qui  est  arrivé  devait  arriver  de  toute  nécessité.  Les 
circonstances  favorables,  qui  se  sont  présentées  pour 
seconder  la  fortune  du  Brandebourg  au  temps  des 
margraves  ascaniens ,  c'est-à-dire  la  faiblesse  et  le 
désordre  des  états  allemands  voisins  de  la  marche, 
l'anarchie  des  pays  slaves,  l'absence  de  pouvoir  cen- 
tral en  Allemagne,  auraient  pu  ne  pas  se  rencontrer 
de  nouveau!  Le  Brandebourg  était  exposé  à  bien  des 
dangers  par  sa  situation  même.  Dépourvu  de  fron- 
tières, il  pouvait  périr  comme  la  Pologne;  mais  s'il 
devait  durer,  il  était  certain  qu'il  ne  demeurerait 
pas  dans  la  médiocrité;  car  il  fallait  d'abord  qu'il 
prît  racine  par  des  institutions  très-fortes  sur  ce 
sol  découvert,  et  il  était  condamné  pour  garantir  sa 
sécurité  à  s'agrandir  toujours.  Les  margraves  asca- 
niens, sans  cesse  en  mouvement,  achetant  tout  ce  qui 
est  à  vendre,  prenant  tout  ce  qui  estàprendre,  annon- 


262  I  ONCLUSION 

cciii  les Hohenzollern  mettante  profit  toutes  les  occa- 
sions de  rectifier  Leurs  frontières. 

C'est  sans  le  savoir  que  les  Hohenzollern  onl  suivi 
sur  tant  de  points  l'exemple  des  Ascaniens  :  la  persé- 
vérance dans  les  mêmes  traditions  s'explique  parla 
persistance  i\r>  mêmes  uécessités. 

Les  historiens  amis  de  la  Prusse  uc  se  contentent 
pas  de  cette  explication  -,  ils  foui,  d'ingénieuses  l  Ik'mh-ïcs 
sur  la  philosophie  de  l'histoire  prussienne  :  ils  veulent 
que  le  Brandebourg  ail  eu  au  moyen-àge  une  mission 
chrétienne :  el  dans  les  temps  modernes  une  mission 
allemande  en  pays  slave.  Mais  la  mission  chrétienne 
de  la  marche  n'a  duré  qu'un  court  moment  de  l'his- 
toire d'Allemagne.  Pour  être  duc  de  Saxe ,  Albert 
l'Ours  eût  donné  sans  hésiter  la  gloire  de  convertir  la 
Slavie  toute  entière;  quant  aux  Hohenzollern,  ils  ont 
grandi  surtout  au  dépens  de  l'Allemagne.  Pour  Tune 
et  l'autre  dynastie,  les  conquêtes  à  l'Est  ont  été  plus 
faciles,  les  conquêtes  à  l'Ouest  plus  enviées.  Les  As- 
caniens comme  les  Hohenzollern  ont  voulu  jouir  en 
Allemagne  des  bénéfices  de  leurs  victoires  sur  les 
Slaves  ;  la  colonie  militaire  du  Brandebourg  a  eu  de 
très-bonne  heure  l'ambition  de  se  retourner  vers  la 
mère-patrie  pour  y  dominer  :  trois  Ascaniens  ont  bri- 
gué la  couronne  impériale. 

A  dire  le  vrai,  le  Brandebourg  n'a  reçu  d'autre  mis- 
sion que  celle  de  vivre  dans  des  conditions  difficiles, 
et  il  s'en  est  acquitté  à  merveille.  Comme  il  arrive 
chez  les  êtres  faibles  et  menacés,  l'instinct  de  la  con- 
servation s'est  développé  dans  ce  pays.  Pour  vivre,  il 
a  dû  faire  un  effort  constant  :  il  l'a  fait.  «  Ce  n'est  pas 
la  destinée  de  la  Prusse,  disait  naguère  un  roi  de  Prusjse 
le  jour  de  son  couronnement,  de  s'endormir  dans  la 


CONCLUSION  '203 

jouissance  des  biens  acquis  :  la  tension  de  toutes  les 
forces  intellectuelles,  le  sérieux  et  la  sincérité  de  la 
foi  religieuse,  l'accord  de  l'obéissance  et  de  la  liberté, 
l'accroissement  de  la  force  défensive  sont  les  condi- 
tions de  sa  puissance;  si  elle  l'oubliait,  elle  ne  garde- 
rait pas  son  rang  en  Europe.  »  La  pensée  principale, 
de  ce  discours,  dépouillée  des  accessoires  qui  l'enve- 
loppent, est  d'une  justesse  indiscutable,  et  le  prince  qui 
a  prononcé  ces  paroles  a  donné  en  langage  officiel  et 
mysticpie  la  loi  de  l'histoire  de  Prusse.  Un  Français, 
Mirabeau,  l'avait  trouvée  au  siècle  dernier  sous  celle 
forme  plus  brève  :  «  La  guerre  est  l'industrie  natio- 
nale de  la  Prusse.  » 


Vu  ET  LU   : 
A  Paris,  en  Sorbonne,  ce  1er  novembre  1874, 
par  le  Doyen  de  la  Faculté  des  lettres  de  Paris, 
PATIN. 

Vu   ET    PERMIS    D'IMPRIMER   : 

Le  Vice-Recteur  de  l'Académie  de  Paris, 
MOURIER. 


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ERRATUM, 


Page  80,  ligne  '2i.  au  lieu  de  convertir,  il  faut  retourner,  Le  mot 
allemand  étant  non  point  bekehren,  comme  nous  l'avions  mal  lu 
sur  une  note  manuscrite,  mais  verkehren.  Voici  d'ailleurs  le 
quatrain  : 

Heinrich  der  Leuw  und  Albrecht  der  Bar, 
Dartho  Frederik  mit  dem  rodem  llaar, 
Dat  waren  dree  Heeren, 
De  kunden  de  welt  verkehren. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


CHAPITRE   I'r.    —    LA   MARCHE   AVANT    L' AVÈNEMENT    DES 
ASCANIENS. 

Les  Slaves  de  l'Elbe   et  les   Germains  jusqu'à   la   mort   de 

Charlemagne 1 

Leur  situation  comparée  en  81  i In 

Les  Slaves  de   l'Elbe  et   les  Allemands,   depuis   la   mort   de 
Charlemagne,  jusqu'à  la   fondation  de  la  marche  du  Nord 

^814-963) ix 

La  marche  jusqu'à  l'avènement  des  Ascaniens   W3-li3i 2") 

Situation  singulière  des  Slaves  de  l'Elbe  au  début  du  xir  siè- 
cle. —  Causes  et  conséquences  de  cette  situation 3G 

CHAPITRE  II.   —  LE   MARGRAVE  ALBERT   L'OURS. 

Les  Ascaniens  avant  l'avènement  d'Albert  au  margraviat  du 

Nord '.:: 

Mission  d'Otton  de  Bamberg  chez  les  Wendes 51 

La  marche  à  l'avènement  d'Albert,  premiers  actes  d'Albert  ; 

expéditions  et  négociations  en  pays  wende 58 

Acquisition  et  perte  du  duché  de  Saxe 61 

Croisade  en  pays  wende GG 

Prise  de  possession  de  Brandebourg 70 

Nouvelles  entreprises  sur  le  duché  de  Saxe.  —  Mort  d'Al- 
bert   75 

CHAPITRE   III.    —   RELATIONS    DES     MARGRAVES   ASCANIENS 
AVEC   L'EMPIRE    ET    LES   ÉTATS    ALLEMANDS. 

Les  successeurs  d'Albert  l'Ours;  division  de  leur  histoire..  83 

Relations  des  margraves  avec  1  empire S7 

Relations  avec  le  duchtj  de  Saxe 9G 

Relations  avec  l'archevêché  de  Magdebourg 103 

Relations  avec  les  marches  de  Lusace  et  de  Misnie 1  lô 


268  TABLÉ   DES  MATIÈRES 


CHAPITRE   IV.         CONQUÊTES  DE   LA    MAISON   ASCA- 
NIENNE  EN    l'\^s  si„\\  ES. 

La  fondation  du  monastère  de  Lehnin 139 

Conquêtes  en  pays  de  suzeraineté  polonaise 132 

Conquêtes  en  pays  de  Buzeraineté  danoise 139 

Tentatives  (1rs  margraves  sur  la  Pomérellie.  —  Rapports  avec 

L'ordre  teutontque 155 

Relations  avec  le  Mecklembonrg  et  nouvelles  luttes  avec  le 

I  lanemark 1f>:s 

Fin  de  la  dynastie  ascanienne 'j 72 

CHAPITRE   V.    — ,  LES   INSTITUTIONS  DE   LA    MARCHE    DE 
BRANDEBOURG. 

Du  pouvoir  margraviat 177 

Formation  de  la  population  brandebourgeoise 183 

Les  Ordres  dans  la  marche  :  les  grands  et  les  petits  vassaux.  194 

Les  paysans  et  les  bourgeois 201 

Le  clergé 210 

Administration  de  la  marche  ;  les  avoués "21Ô 

Des  altérations  de  l'institution  primitive  dans  la  marche;  de 

l'autorité  margraviale  après  ces  altérations 228 

CONCLUSION 254 


FIN   DR   LA   TABLE  DES   MATIERES 


Routommiers.  —  Typogr.  A.  MOUSSIN. 


PRI 


> 


Lavisse,   Srnest 

La  marche  de   Rrandebr 
-  la  dynastie  ascanie 


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