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LA MARCHE
DE BRANDEBOURG
SOUS LA DYNASTIE ASCANIENNE
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Coulommiers. — Typographie de A. MOUSSIN
LA MARCHE
DE
BRANDEBOURG
SOUS LÀ DYNASTIE ASCANIENNE
THESE DE DOCTORAT
SOUTENUE DEVANT LA FACULTÉ DES LETTRES DE PARIS
ERNEST LAVISSE
ANCIEN ÉLÈVE DE l/ÉCOLE NORMALE, AGRÉGÉ DHISTOIRE
PROFESSEUR AU LYCÉE HENRI IV
PARIS
LIBRAIRIE HACHETTE ET O
79, BOULEVARD SAINT-GÊRMAIN, 79
1875
49/
Q
1130153
A MON PÈRE
AVANT-PROPOS
La monarchie prussienne a une double origine,
le Brandebourg et la Prusse.
L'histoire du Brandebourg et celle de la Prusse
demeurent distinctes l'une de l'autre jusqu'en
l'an 1618: mais elles ont plus d'un point de res-
semblance. Longtemps disputé entre les Alle-
mands et les Slaves, le Brandebourg est enfin
conquis par les margraves de la maison asca-
nienne; au milieu du xu" siècle, Albert l'Ours
fait les premiers pas sur la rive gauche de l'Elbe,
et déjà, au commencement du xiv, ses suc-
cesseurs ont presque atteint la Vistule, Long-
temps rebelle au christianisme, la Prusse est
attaquée au xur" siècle par l'Ordre teutonique,
né en Terre-Sainte, et qui, transporté sur les
VI A\ \N I-I'IUU'OS
bords de la Vistule, fait, en cinquante ans, la
conquête du pays jusqu'au Niémen. En Bran-
debourg el en Prusse, la population slave fut en
partie exterminée, Là par les margraves, ici par
les chevaliers allemands.
Les «lcux histoires se rapprochent an xvic siè-
cle. Une révolution s'accomplit en Prusse après
la Réforme : l'Ordre est sécularisé; le grand-maî-
tre électif devient duc héréditaire. Or le premier
duc était de la famille des Hohenzollern, qui,
depuis le xve siècle, régnait sur le Brandebourg;
les Hohenzollern de Brandebourg héritèrent en
1G18 des Hohenzollern de Prusse, et ainsi fut
fondé l'état brandebourgeois-prussien, état alle-
mand, qui a gardé comme des trophées de vic-
toire les noms des deux pays slaves sur lesquels
la conquête Ta établi 1.
Moins de cent ans après cet événement, le
Hohenzollern Frédéric III brigua le titre de roi :
l'empereur d'Allemagne le fît roi de Prusse. L'an-
cien « pays de l'Ordre » n'avait jamais relevé de
l'empire, tandis que le Brandebourg était attaché
à l'Allemagne par le lien de la vassalité; il était
1. Les histoires de la monarchie prussienne s'appellent d'ha-
bitude, en Allemagne : Histoire de l'Etat brandebourgeois-prus-
sien; Histoire de la Prusse signifie seulement histoire de la Prusse
proprement dite.
AVANT-PROPOS VII
donc naturel que le titre royal fût attribué au
duché de Prusse; mais le Brandebourg demeura
la partie principale de la monarchie.
Le royaume prussien, aventuré au-delà de la
Vistule, tout à l'extrémité de l'Europe politique,
n'était rien par lui-même ; uni à la marche de
Brandebourg, il donna aux électeurs-rois ce dou-
ble caractère de membres du corps germanique
et de souverains indépendants, qui a tant contri-
bué à leur fortune. Mais c'est en Allemagne que
cette fortune a grandi; c'est parce qu'ils étaient
membres du corps germanique que les Hohen-
zollern en sont devenus les maîtres. Enfin ils ont
trouvé dans la marche la tradition de cette auto-
rité singulière, à la fois militaire et patriarcale,
qu'ils ont exercée sur les divers pays soumis à
leur domination, et qui en a été le lien solide.
L'histoire spéciale de la marche de Brande-
bourg mérite donc une étude à part : ce livre en
expose les origines les plus lointaines et s'arrête à
l'extinction de la dynastie ascanienne.
En peu de mots, voici l'objet qu'on s'y est pro-
posé : dire à quel moment de l'histoire générale
est née la marche du Nord, qui devint ensuite la
marche de Brandebourg; quelle mission fut assi-
gnée à ses chefs et comment ils l'ont remplie;
VIII \\ ANT-I'UOI'OS
raconter leurs relations avec l'Allemagne en môme
temps que leurs conquêtes en pays slave; définir
le caractère de l'autorité margraviale; la suivre
dans son exercice, quand elle crée de toutes pièces
un étal nouveau sur la rive droite de l'Elbe, et
montrer comment, ayant tout institué, elle est
demeurée très-forte, même après que le temps
et de mauvaises coutumes l'eurent altérée.
L'étude de ces temps primitifs du Brandebourg,
à peu près inconnue en France a été longtemps
négligée en Allemagne : elle y est en honneur
aujourd'hui. Un des maîtres de la science histo-
rique dans ce pays, M. Ranke, a puhlié il y a
trente ans ses Neuf livres de V histoire de la
Prusse : il semblait alors qu'il fit dater la Prusse
des Hohenzollern !. Il donne aujourd'hui une
seconde édition de cet ouvrage, qui est singuliè-
rement augmentée 2 : le premier volume porte le
titre de Genèse de VElat prussien; un long cha-
pitre y est consacré aux margraves ascaniens, et
Fauteur avoue dans sa préface que les événements
contemporains l'ont éclairé sur l'importance de
cette histoire si reculée.
On s'expose toujours à faire quelque injure à la
1. Ranke, Neun Bûcher der preussischen Geschichte, Berlin,
1847.
2. Ranke. Geuesis des preussischen Staates, Leipzig, 1874.
AVANT-PROPOS IX
vérité, quand on reporte ainsi dans le passé les
préoccupations du présent. M. Ranke a voulu
vieillir la gloire du Brandebourg, et c'est par
patriotisme qu'il donne une place parmi les pré-
décesseurs des rois de Prusse à un héros du
xne siècle, le margrave Albert l'Ours. Plus pro-
fondes sont les racines de la grandeur prussienne,
plus la solidité lui en parait assurée. D'autre?
écrivains cherchent dans la même histoire la
satisfaction de passions opposées. Ils mettent en
lumière le caractère particulier des institutions
de la marche, afin de montrer que l'entente esl
impossible entre l'esprit allemand et l'esprit bran-
debourgeois, produits de deux histoires si dif-
férentes.
Nous n'avons pas à prendre parti dans cette
querelle ; mais pourquoi faire difficulté d'avouer
que les événements contemporains nous ont aussi
ramené vers ce lointain passé? Certes nous n'au-
rons garde, en parlant du Brandebourg au moyeu
âge, de penser à nos justes griefs d'aujourd'hui;
car il ne faut pas envier, mémo à des victorieux,
le don de la haine rétrospective. Mais l'histoire
de la Prusse est un sujet où nous avons le devoir
d'acquérir une connaissance réfléchie et philo-
sophique, et l'on ne comprend pas une histoire
.w v\ r-pftot»oà
dont «ni ignore les origines. Depuis Albert Tours
jusqu'au souverain contemporain de La Prusse, il
y a une continuité de tradition qu'on ne saurait
méconnaître. C'est donc dans l'histoire du Bran-
debourg sous la dynastie ascaniennc qu'on trou-
vera la source véritable de l'histoire de Prusse.
11 faut remonter jusque-là, en dépit des difficultés,
des fatigues et des ennuis de la route.
LA MARCHE
DE BRANDEBOURG
SOUS LA DYNASTIE ASGANIENNE
CHAPITRE I
LA MARCHE AVANT L AVÈNEMENT DES ASCANIENS.
Les SlavesdeLElbeet les Germains jusqu'à la mortde Charlemagne.
— Leur situation comparée en S14. — Les Slaves de l'Elbe et les
Allemands depuis la mort de Charlemagne jusqu'à la fondation
de la marche du Nord (814-003). — La marche jusqu'à l'avéne-
ment des Ascaniens 963-1134). — Situation singulière des Slaves
de l'Elbe au début du xne siècle. — Causes et conséquences
de cette situation.
LES SLAVES DE L ELBE ET LES GERMAINS JUSQTJA L.V MORT
DE CHARLEMAGNE
La marche de Brandebourg ne commence pas avec
les Hohenzollern. Avant eux se sont succédé plusieurs
dynasties, dont la plus illustre esl celle des Ascaniens.
Les vaillants margraves de celle maison oui frayé
toutes les routes où les Hohenzollern devaient les
suivre et les dépasser, e) c'est dans leur histoire qu'on
trouvera les origines véritables de la monarchie prus-
sienne; mais avant delà raconter, il faut remonter
loin dans le passé ; car leur principale gloire est d'avoir
1
2 LA MARCH1
mis un terme par une victoire définitive au combat en-
gagé sur Les rives de l'Elbe entre les allemands el les
Slaves, et l'on ne saurait la bien apprécier qu'après
avoir retracé à grands traits cette lutte plusieurs fois
séculaire.
On n'a pourtanl pas le dessein d'aller rechercher
dans les temps préhistoriques laquelle des deux races
revendique à bon droit la priorité de possession sur les
pays entre l'Elbe el la Vistule. A la vérité, de telles
questions ne peuvenl pins être considérées comme
oiseuses, depuis que L'érudition a pris une pari active
aux affaires du monde, qu'on a vu s'ouvrir L'ère terrible
des -uerres de race et d'idiome, et le souvenir de l'oc-
cupation antérieure d'un territoire devenir la source de
revendications éternelles; mais les relations dv<, Alle-
mands et des Slaves sont enveloppées de trop (''paisses
ténèbres jusqu'à l'ère chrétienne pour qu'il soit possi-
ble d'y rien distinguer, et même à cette date, l'histoire
des migrations slaves est encore très-incertaine. Au
reste, comme il n'est pas de notre sujet de chercher à
porter la lumière dans ces obscurités, il suffit de rap-
peler ici que Tacite et Pline J placent sur la Vistule,
dans le voisinage des Finnois, les Venèdes, c'est-à-
dire les Wendes ou Slaves 2; que Ptolémée 3 signale à
l'extrême orient de l'Europe, aux bords du Volga, un
autre peuple slave, les Serbes; mais qu'à la faveur
de la grande invasion, les différents groupes de la
race se sont avancés dans la direction de l'Elbe eL de
1. Tacite, Ger mania, ch. xlvi. — Pline , Historia naturalis ,
lib. IV, c 13.
2. Wende est le nom donné aux Slaves par les Allemands ;
il sert souvent au moyen âge à désigner les Slaves de l'Elbe. —
Voyez Schafarik. Antiquités slaves, trad. en allemand par Aehren-
feld; t. I, ch. vu.
3. Ptolémée, Géographie, L. v. 9.
AVANT L AVENEMENT DES ASGANIENS o
l'Adriatique, pendant que les peuples germaniques
émigraient en masse vers le sud et vers l'ouest. A la fin
du \'ie siècle, des Slaves sont établis dans la Panno-
nieet le Norique, où Thassilo de Bavière les combat t ;
ils menacent l'Italie par l'Istrie, et font jeter des cris
d'alarme au pape Grégoire-le-Grand 2 ; les Tchèques
ont remplacé dans le quadrilatère de Bohème les
Marcomans, dont le nom disparaît au v" siècle. Enfin
l'occupation du pays entre l'Elbe et la Yistule s'esl
sans doute faite peu à peu, à mesure qu'émigraient les
différentes tribus entre lesquelles il était partagé, c'est-
à-dire les Burgondes, les Goths, les Lombards, les Van-
dales, et les Semnons 3.
Ce pays entre l'Elbe et la Yistule est le théâtre où
s'accomplira l'histoire que nous allons raconter : il
faut dès maintenant marquer la place des tribus qui
sont appelées a y jouer un rôle. En remontant la
vallée de l'Elbe, depuis l'embouchure du fleuve jus-
qu'au point où il sort du quadrilatère de Bohème, on
rencontre trois groupes de peuples slave-.
Le groupe septentrional habitait dans le Mecklem-
bourg actuel entre la Baltique au nord et l'Elbe au
sud, entre la Reckenitz à l'es! et la Trave à l'ouest : la
plus forte des nations dont il se composait était celle
des Ohotrites K qui avaient pour villes principales
1. Paul Diacre, De gestis Langobardorum, IV. 7 [ap. Muratori,
Rerum italicarum scriptores, t. I, pars I. p. 455]
2. S' Grégoire, Opéra omnia, t. II. lib. X. epist. xxxvi. Con-
turbor, quia per Histriœ aditum jam ad Italiam intrare cteperunt.
'à. Voyez pour cette histoire des migrations Slaves, Schafarik, op.
cit; Rettberg, Kirchengeschichte /' Is, t. II, p. 544-555;
L. Léger, Cyrille et Méthode, chap. I.
i. Ou Ilodrizes; il y a pour chacun de ces noms de nombreuses
formes: on preml ici les plus usitées. Voypz pour toutes ces for-
mes et les étymologies Schafarik, t. II. p. 587 et suiv. Voyez aussi
Raumer, Historische Charten >i,ni Stummtafeln :u den Regesta
historiée brandengenbursis, 1" cahier, p. 1. à 2i.
4 LA MARCHE
Etarog, aujourd'hui disparue, Rostock ei Schwérin.
Auprès les Obotrites donl Le Qom serl d'ordinaire à
désigner le groupe septentrional, apparaissent, à diffé-
rentes dates '.îles tribus, parmi lesquelles nousnom-
merons seulemenl la plus occidentale, «•''11»' des Wa-
griens, où se trouvait une ville destinée à une grande
célébrité, Ltibeok '•'.
Le groupe central, que les Allemands désignaienl
par les Qoms de Wiltzes ou de Luitizes :t, était le plus
important des trois. C'esl aussi celui donl l'histoire
esl 1<' plus étroitemenl mêlée à celle de la marche de
Brandebourg. Depuis Gharlemagne jusqu'au temps de
la complète soumission dus Wendes, son nom revient
plus souvent que celui de tout autre peuple slave : il
domine dans les légendes et les contes d'Allemagne,
ei même aujourd'hui il est prononcé avec terreur par
le peuple dans les légendes russes. Les principales
tribus du groupe étaient :
Les Rugiens , habitant l'île Riijana 4, aujourd'hui
Rugen, guerriers, pirates, et dévots; leur capitale
Orekunda, appelée par les Allemands Arkona, renfer-
mait un des sanctuaires les plus vénérés des Slaves;
Les Woliniens , habitant l'île de Wolin et une
1. La géographie politique du pays slave de l'Elbe est pour
ainsi dire découverte peu à peu par les chroniqueurs allemands;
elle se modifie de siècle en siècle. Il suffit d'en indiquer ici les
Iraits principaux. Voyez Giesebrecht, Wendische Geschichten, aus
denjahren 780 bis 1182. t. I. ch. i.
2. Lùbeck fut à l'origine une forteresse wiltze, conquise de
bonne heure par les Obotrites.
3. Le nom slave était Welatabi : natio quœdam Sclavenorum,
quœ propriâ linguâ Welatabi, francicâ autem Wiltzi vocantur...
Eginhard, Annales, ad. ann. 799 («p. Pertz, Monumenta Germaniœ
Justorica, t. Ij. Luitizi, Liutizt est un nom postérieur. Voyez pour
l'histoire de ces noms Giesebrecht, loc. cit., et Schafarik, au
chap. des Slaves Polabes, t. IL p. 546-625.
4. Le nom Slave est Rana ; Rûjana et Rugen sont les noms alle-
mands (Schafarik t. IL p. 574. note 2).
AVANT L* AVENEMENT DES ASCANIENS 5
partie delà côte voisine : leur capitale, Wolin *, est
célébrée par Adam de Brème comme « une très-noble
cité » dont on raconte des merveilles ; « c'est, dit-il,
la plus grande de (eûtes les villes que l'Europe ren-
ferme.... enrichie par les marchandises de tous les
peuples du nord, elle possède tous les agréments el
Imites les raretés 2; »
Les Circipaniens, habitant auprès de la Peene [Panis]
qui leur a donné son nom : il y avait un temple fameux
dans leur ville de Wollgast;
Les Chyz/.iniens, entre la Reckenitz et la Warnow ;
les Dolen/.iens, aux bords du lac et de la rivière Toi-
le use;
Les Redariens entre la Havel, l'Oder, la Peene, la
Tollense : on ne sait où placer leur ville de Ratara ou
Rethra, connue par son temple consacré au Dieu de
la guerre ;
Les Ucraniens, aux bords de l'Ucker;
Les Stoderaniens, ou Hévelliens : le premier de ces
noms vient de Stoda, nom d'une divinité indigène et
c'est celui que la tribu se donnait à elle-même : l'autre
lui était attribué par les Allemands, parce qu'elle
était située aux bords de la Havel qui l'enveloppait de
trois côtés; deux villes des Hévelliens portaient des
noms qui sont devenus fameux : Brandebourg 3 et
Potsdam 4 ;
Les Brisaniens habitaient près de la Havel; lo nom
1. Wolin est le nom Slave, Julin le nom danois, Winetha le
nom saxon (Schafarik, t. IL p, 576. 8).
2. Adam de Brème , Gesta Hammaburgensis ecclesice ponti-
ficum, II, 19 (ap. Pertz, Monumenta Germaniœ historica, VII,
p. 312 .
3. Branibor, Brennaborg , Brennaburg , Branneburch , Brendan-
burg. Brandunburg, etc.
4. Postupini.
(i LA MARCHE
de Priegnitz porté par le pays entre la Havel, la Dosse
el L'Elbe esl sans doute an souvenir de cette peuplade ;
Les Sprévaniens tiraienl leur nom de la Sprée, sur
les deux rives de laquelle ils étaienl établis ;
Enfin les Morizaniens habitaient la rive de l'Elbe en
lare de Magdebourg.
Le troisième groupe i\<>* Slaves de l'Elbe était celui
des Sorabes ou Sorbes1, qui habitaient entre les monts
(h1 Bobême au sud, la Saale à l'ouest, le Boberà l'est, et
qui était séparé des Wiltzes, ses voisins du nord, par une
ligne partant de Pemboucbure de la Warta dans l'O-
der, pour rejoindre le confluent de la Saale et de l'Elbe.
Depuis le temps de Tacite et de Pline, les Slaves
avaient gagné une immense étendue de terrain. En un
point ils dépassaient l'Elbe, puisque les Sorabes attei-
gnaient jusqu'à la Saale; mais des colonies isolées
s'avancèrent plus loin encore vers l'occident. Plusieurs
villages de la Vieille-Marche , c'est-à-dire de la partie
de la future marche de Brandebourg située sur la rive
gauche de l'Elbe, ajoutent encore à leur nom l'épi-
thète de Wendisch, et d'autres ont porté jusqu'au
xve siècle cette qualification, qui s'est perdue depuis.
A l'ouest de la Vieille-Marche, dans le pays de Liine-
bourg, le fond slave de la population se trahissait,
même au xvne siècle, par la langue et par les cou-
tumes, malgré les efforts faits par le gouvernement
du pays pour effacer cette distinction 2. Enfin des
1. Le nom de Serbes était donné autrefois par les Slaves à
toute la race. Il vit encore aujourd'hui en Serbie, et dans ce qui
subsiste des Sorabes dont il est ici question : les Slaves de
Lusace s'appellent en eflet Serbjo.
2. Voyez Riedel, die Mark Brandenburg im Jahre 1250, oder
historische Beschreibung der brandenburgischen Lande und ihrer
politischen und hirchlichen Verhàllnisse uni dièse Zeit., t. II. p. 8.
et note 1.
AVANT L'AVÈNEMENT DES ASCANIENS 7
Slaves , probablement du groupe sorabe , franchirent
la Saale pour s'avancer au cœur de l'Allemagne.
En l'année 7 il. quand Sturm, le disciple de Boniface,
envoyé par son maître à la recherche d'un asile où l'a-
pôtre de la Germanie pût se livrer à la contemplation
et « reposer enfin ses jambes fatiguées », s'enfonça
dans la forêt bochonienne, il rencontra, au moment de
découvrir le lieu désiré, un grand nombre d'hommes
qui se baignaient dans la Fulda : c'étaient do^ Slaves,
qui, voyant aller ce pèlerin seul sur son âne, se mo-
quèrent de lui, mais le laissèrent passer sans lui faire
aucun mal '. Boniface eut dans la suite de nombreuses
relations avec ces tribus. Des Slaves, appelés par lui,
défrichèrent la forêt aux pieds des murailles sacrées
du monastère de Fulda, qui fut un des foyers les plus
actifs de la propagande chrétienne en Germanie. D'au-
tres colonies s'établirent vers le même temps dans les
diocèses de \Yurzbourg et de Bamberg, où elles in-
troduisirent le travail des mines et l'élève du bétail.
Il en est même qui pénétrèrent en Souabe et jusque
sur les bords du Rhin2.
Ainsi les Slaves avaient suivi la marche des Ger-
mains, couvert les pays abandonnés par les envahis-
seurs , poussé leurs avant-postes au sud jusqu'aux
portes di' l'Italie , envoyé des colons à l'ouest jus-
qu'aux bords du Rhin; niais ces progrès devaient s'ar-
rêter, le jour où s'arrêterait l'invasion germanique. A
une date inconnue, des tribus qui avaient pénétré au
delà de l'Elbe clans la Vieille-Marche et le pays de
Liinebourg furent attaquées par les Saxons, venus
des bords de la mer en remontant la rive gauche île
1. Rettberg, op. cit. t. I. p. 372.
2. Itiedel, die Mark Br., t. II. p. 10 et 11, et les notes.
8 l.A MARCHE
l'Elbe, fi ^i bien soumises qu'elles ne remuèrent plus
jamais1. Toutefois La lutte ne devinl vive qu'après que
la conquête eul amené les Francs aux extrémités de
l'Allemagne. Au commencement du viii* siècle, la
Bavière esl encore réduite à la défensive : eu 725 les
Slaves font dans le Pongau des incursions victo-
rieuses; mais quand Charles Martel et ses lils oui
étendu leur domination sur la lia vière, l'œuvre de la
soumission el de la conversion des Slaves el des
Avares esl entreprise avec vigueur •'.
Sur les bonis de l'Elbe, les premiers rapports entre
les Francs et les Slaves furent amicaux, car ils avaient
un ennemi commun, les Saxons. Pépin s'allie aux
Slaves 3 pour punir les Saxons d'avoir prêté appui à
son frère Grippon (748), et Gbarlemagne cherche parmi
les nations transalbines des alliés dans la guerre
d'extermination qu'il fait à la Saxe : il les trouve
chez les Obotrites et les Sorabes 4. Mais la Saxe une
fois domptée, le conquérant chrétien, dont les armes
ne pouvaient se reposer tant qu'il resterait un païen à
convertir, attaque les Slaves. Il sait profiter habile-
ment des haines qui divisent les diverses nations
de cette grande race; car elle est en proie à l'anar-
chie. Sous prétexte de venger des injures faites aux
Obotrites, aidé par ceux-ci et par les Sorabes, il enva-
hit et ravage le pays des Wiltzes, qu'il frappe d'un
tribut et d'où il emmène des otages (799) 5. Dès lors,
1. Riedel, die Mark Br., t. II. p. 7-14.
2. Rettberg, t. II. p. 549-55.
3. Annales Mettenses, ad ann. 748 (Pertz. I. 330).... duces gen-
tis asperse Sclavorum in occursum ejus venerunt, unanimiter
auxilium illi conlra Saxones ferre parati, pugnatores quasi centum
millia.
4. Eginh Annales, ad ann. 795 (Pertz. I. p. 181).
5. Ibid. ad ann. 789 (Pertz. I. p. 185) et Chronicon Moissiacense,
ad ann. 789 (Pertz, I. p. 298).
AVANT L'AVENEMENT DES ASCANIENS 9
les expéditions de Charles se multiplient, contre les
Sorabes qui ne demeurent pas fidèles à son alliance,
contre les Wiltzes qui détruisent la citadelle de Uoch-
burgi, élevée pour les surveiller, non loin du lieu où
naîtra Hambourg (810) '. Il intervient aussi pour pro-
téger les Obotrites contre les Danois, quand ceux-ci
attaquent le pays, d'accord avec les Wiltzes, tuenl
le roi Drasko, fidèle allié de Charles, soumettent les
deux tiers du pays, détruisent la ville de Rarog ,
et rentrent chez eux chargés de butin. Charles l'ail
élever de nouvelles forteresses contre les Danois cl
leur impose la paix 81J . L'année suivante, il dirige
encore une expédition contre les Wendes2.
Charlemagne finit donc son règne en combattant
contre 1rs Slaves. Aux bords de l'Elbe s'arrête le der-
nier effort du conquérant chrétien. Il avait à peine
ébauché sa lâche, car il n'avait point entrepris encore
la conversion des tribus qu'il avait soumises, cl les
Wiltzes , plusieurs lois vaincus par lui, gardèrent
aussi bien que les Obotrites. ses alliés, leurs lois et
leurs dieux. Sans nul doute il se serait efforcé, s'il
en avait eu le temps, de consolider ses victoires par
la conversion des vaincus, et d'achever à l'aide des
missionnaires l'œuvre commencée par ses armées.
L'œuvre était rude, car derrière celte première ran-
gée de tribus slaves , il en eût trouvé d'autres que
nous rencontrerons bientôt dans l'histoire de la mar-
che de Brandebourg : dans les vastes plaines qui s'in-
clinent des Carpathes à la Baltique, les Polonais oc-
cupaient le pays jusqu'à la Warta et la Netze ; au
1. Chron. Moissiac, ad ann. 808, 809, 810, 811, 812fIVrtz I. p. 308,
309 : E^inh. ad ann. 811-812 fibid. p. 198-199).
■1. itettberg, t. 11. p. 553-4.
10 LA MARCHE
aord de tes deux coins d'eau , jusqu'à la mer, habi-
taient les Poméraniens ; derrière ceux-ci, Les Prus-
siens.
Ainsi le monde slave à peine entamé par les Car-
lovingiens, couvrait 1 Europe orientale, et il étail
inévitable que, de l'Adriatique à l'embouchure de
L'Elbe, une grande lutte s'engagea! cuire les deux
races à la i 1 <le Gharlemagne.
SITUATION COMPARÉE DES SLAVES ET DES GERMAINS A LA MORT
DE CHAR] BM m:m:.
Les Slaves ne méritaient point le mépris dont
leurs vainqueurs ont si souvent essayé de les acca-
bler. Ce n'est point ici le lieu de retracer leur vie
politique , sociale , religieuse , économique. Aussi
bien ne trouverait-on pour un tel travail que des
documents allemands, c'est-à-dire dos témoignages
d'ennemis, et qui, se rapportant à différentes dates,
souvent à différentes nations , pourraient tout au
plus servir à composer un de ces tableaux de fan-
taisie qui ne trompent point la critique historique.
Il suffît de dire que chez les Slaves la famille, et
la tribu étaient constituées à peu près comme chez
les autres peuples de race aryenne. Gomme celle des
anciens Germains, leur religion déifiait les forces de
la nature et. certaines abstractions de l'esprit. Tou-
tefois, on y trouvait un plus vif souvenir de l'Orient :
le Slave était dualiste et partageait ses hommages
entre les forces utiles et les forces nuisibles , ado-
rant les premières par reconnaissance , les secondes
par crainte ; mais il se distinguait surtout du Germain
par le culte et par le sacerdoce, au moins dans le pays
entre l'Elbe et l'Oder, où la guerre acharnée déclarée
AVANT L* AVENEMENT DES ASCANIENS 1 1
au paganisme lit naître et fortifia des institutions reli-
gieuses particulières.
Le Slave connaissait toutes les formes de la su-
perstition. Il adorait tantôt des objets naturels, pier-
res, sources, arbres, forêts, tantôt des fétiches, une
lance rouillée, un bouclier, un étendard ou une idole.
Quantité de lieux saints s'offraient à sa vénération :
telle forêt était un temple , telle pierre dressée un
autel: mais il élevait aussi à ses dieux de véritables
temples et leur donnait un clergé pour les servir.
Chaque tribu avait son sanctuaire principal ', et quel-
ques-uns, renommés entre' tous, attiraient des pè-
lerins de toutes les tribus, comme ceux de Radi
à Rhetra. de Swantowit à Arkona. Dithmar de Merse-
bourg donne une longue description du temple de
Rhetra. Il parle avec une sorte d'horreur et de crainte
superstitieuse de ce lieu entouré de tous côtés par
une forêt sacrée, de ses trois portes, dont l'une, celle
qui est tournée vers l'orient regarde la mer avec un
aspecl sinistre, des images des dieux et des déesses
qui ornent les murs, de celles qui sont à l'intérieur,
portanl chacune sur leur piédestal le nom de la divi-
nité, armées de cuirasses et de casques d'une forme ter-
rible. La principale est celle deRadegast, le dieu hospi-
talier et de bon conseil ou bien le créateur. Entre tous
les temples, dit le vieil historien, celui-ci tient le scep-
tre''. Avant la guerre, les infidèles y viennent l'aire
leurs dévotions et prendre leurs étendards : ils les
rapportent à la paix avec des présents. Pour garder
toutes les choses précieuses qu'il renferme, ils ont
institué des prêtres spéciaux, qui président aux céré-
1. Jiithmar, Chronicon, VI, 17 et 18 Pertz. III. p. 723).
2. Principalera tenet monarchiam.
I- LA MARCHE
monies religieuses, interrogent Le sorl ou le cheval
sacré qui rend Les oracles.
Au temps de Dithmar la splendeur el La renommée
de Hethra étaienl grandes ; mais elles s'éclipsèrent
ton! d'un coup, Le jour où L'évêque Burkhard de llal-
berstadt, dans une croisade contre Les païens, s'em-
para du temple el fil au cheval de Radegasl L'injure
île Le monter pour retourner à sa ville épiscopale1.
Alors Le premier rang parmi Les sanctuaires des
Wendes passe au temple d'Arkona, consacré à Swan-
towit, Le dieu de La sainte Lumière; il avail aussi îles
ornements magnifiques, un clergé distingué du reste
delà nation par l'habit, par la longue barbe descen-
dant sur la poitrine, par les longs cheveux flottant sur
les épaules. Gomme à Elethra un cheval y était con-
sacré à La divinité, el rendait des oracles : Swantowil
en personne le montait quelquefois la nuit, et, le mat in
on voyait à sa place, couvert d'écume et de boue, lo
noble coursier fatigué par la chevauchée divine.
Ce clergé spécial, chargé de veiller à l'observance
de rites solennels dans des lieux consacres et véné-
rés, était hiérarchiquement organisé. Los prêtres, su-
périeurs aux serviteurs du temple occupés des menus.
détails du culte, n'étaient pas égaux entre eux : tous
ceux de Swantowit avaient pour chef le grand prêtre
d'Arkona. A ce clergé étaient prodiguées toutes sortes
d'honneurs : les prêtres siégeaient parmi les nobles
dans les assemblées; le grand prêtre était un plus
important personnage que les rois, qui s'agenouil-
laient devant ce révélateur de la volonté divine.
1. Super eum sedens in Saxoniam rediit. .. Voyez Raumer, Regcsta
historiée brandenburgensis, Chronologisch geordnete Auszùge aus
allen Chroniken und Vrkunden zur Geschichte der Mark Branden-
burg, p. 110, n<> 592.
AVANT L'AVENEMENT DES ASCANIENS 13
Chaque temple avait son domaine, qui parfois était
vaste comme une principauté, ses revenus réguliers,
perçus sur la fortune des fidèles, sur leur commerce
et leur butin.
Enfin les prêtres étaient aussi des soldats ; ceux
d'Arkona formaient une milice de trois cents cava-
liers. Pour résister au christianisme, lu paganisme
wende avait doue la foi de ses adeptes, enflammée
par les magnificences de son culte, le dévouement
d'un clergé fortement organisé, défenseur armé de
ses honneurs, de sa richesse et de sa domination.
Les écrivains allemands contemporains des Wendes
s'accordent à reconnaître quelques vertus à ces enne-
mis de l'Allemagne. Le Slave, disent-ils, est hospita-
lier plus qu'aucun autre peuple : dans chaque maison
une chambre al tend l'hôte qui peut venir. 11 a toutes les
qualités du soldat ; il est hardi, vif, rusé, opiniâtre; il
pousse aux dernières limites l'amour de l'indépen-
dance, quittant avec joie maison, famille, supportant
toutes les privations, bravant tous les [torils, quand il
s'agitde combattre pour la liberté. Les mêmes écrivains
lui reprochent d'être menteur et cruel envers l'ennemi,
d'exiger des autres la constance et la lionne foi, tandis
que lui-même estcapable pur emportement ou par vé-
nalité de voler une paix qu'il a jurée; niais on es!
tenté de croire que le reproche ne convienl pas aux
seuls Wendes : car les chroniques germaniques abon-
dent en récits d'actes d'ingratitude, de perfidies, de
trahisons, de crimes commis par les Allemands contre
les Slaves; c'esl au temps, plus encore qu'à la race,
qu il faut imputer ces vices et ces méchantes actions *.
A de certains égards, les Slaves étaient même plus
1. Voyez Giesebrecht, Wendische Geschichten, t. I. p. 35, 57.
I | I A M UiCIIK
civilises que les anciens Germains. Ils habitaient dans
de nombreux villages, el quelques-unes de Leurs
villes, les villes maritimes surtout, étaient très-peu-
plées ei très-prospères. Ils ne méritaienl point le re-
proche qui leur a été fait dans la suite par leurs en-
nemis d'aimer le travail facile, d'épargner la sueur de
leur fronl à gagner leur vie, de préférer la pêche au
travail de la terre. Les eaux el les forêts leur fournis-
saient le poisson el le gibier, mais ils connaissaienl la
culture, même la culture maraîchère el fruitière. S'ils
préféraient l'élève du bétail, c'est que la nature «lu ter-
rain les y invitait. Pourlamême raison ilsétaienl pas-
sés maîtres en l'art d'élever les abeilles : aujourd'hui
encore dans les plaines de l'Europe orientale, entre le
Volga et l'Oural, l'abeille bourdonne dans les grandes
bruyères el les bois de tilleuls qui couvrent le pays.
L'industrie des Wendes était assez avancée; ils travail-
laient le chanvre et le lin et chaque maison avait son
rouet. Ils achetaient le fer à l'étranger, mais ils fabri-
quaient les instruments de labour, les armes, les us-
tensiles de ménage et les ornements de métal dont ils
paraient leurs temples. Ils construisaient les bateaux
qui portaient les pêcheurs, les marchands et les pirates.
Leur commerce intérieur était prospère, leur commerce
extérieur étendu : les monnaies arabes qu'on a retrou-
vées ;iu bord de la Baltique prouvent que des relations
avaient été nouées par les Wendes avec l'extrême
Orient. Il y avait donc dans les pays au delà de l'Elbe
une certaine prospérité ; la population parait y avoir
été assez dense : du moins Eginhard dit que les Slaves
se fiaient à leur nombre, qu'ils étaient innombrables1;
1. Eginh. ad ann. 789., gens., bellicosa et in sua numerositate
confiileiis(Pertz. I. p. 175).
AVANT L'AVENEMENT DES ASCANIÈNS 15
les chroniques allemandes donnent des chiffres consi-
dérables de "Wendes exterminés par les Allemands, et
les urnes funéraires se pressaient dans les cimetières,
seuls monuments qui nous restent de plus d'une tribu
slave disparue.
A comparer les Germains, même tels que les a dé-
peints la plume indulgente de Tacite, aux Slaves que
nous font connaître les écrivains ecclésiastiques alle-
mands, il n'y a point de raison pour donner la pré-
férence aux premiers; mais l'Allemagne à la mort de
Gharlemagne n'est plus la Germanie de Tacite. Cette
vaste région présentait au début du ix° siècle deux
aspects bien différents. La partie occidentale, Austra-
sie, Alamannie, c'est-à-dire toute la vallée du Rhin et
la haute vallée du Danube, (Hait civilisée depuis long-
temps, tranquille et riche. Là s'élevaient les villes
épiscopales de Trêves, Metz, Toul, Verdun. Liège,
Cologne, Mayence, Worms et Spire en Austrasie, de
Strasbourg, Bâle, Constance, Coire, Augsbourg en
Alamannie. Plusieurs de ces sièges épiscopaux étaient
d'origine romaine et l'Eglise n'avait fait que les réta-
blir, quand les conquêtes des Mérovingiens et des
Carlovingiens lui avaient rendu le terrain que l'inva-
sion lui avait enlevé. Le pontife romain exerçait sur
eux une autorité incontestée, car Boniface avait fondé
en ce pays des traditions d'obéissance et de respect
envers Rome que le temps n'a pas effacées. C'est
dans la Germanie occidentale qu'étaient situées les
plus célèbres villas impériales, parmi lesquelles Aix-
la-Chapelle, résidence favorite de Gharlemagne, qui
l'avait ornée en empruntant à di'^ ruines romaines
les matériaux de son palais et de sa basilique. Tout
témoignai! dans celle région rhénane de l'accord entre
16 l.\ MARCHE
la puissance franque el Rome, grâce auquel de pré-
cieux débris de la civilisation antique furent sauvés,
1 invasioD arrêtée, el La mobile Germanie fixée sur son
sol, pendant que la hacbe défrichail les vieilles forêts
païennes el que les monastères élevés par les mis-
sionnaires donnaient le double exemple de la culture
intellectuelle et du travail agricole.
Tout autre était la situation de l'Allemagne orien-
tale. En Bavière, Ratisbonne et Passau étaienl les
sièges d'évêchés plusieurs fois érigés el renversés;
le christianisme était encore nouveau en Thuringe et
en Frise, et la Saxe portail la trace des blessures
qu'elle avait rerues dans la guerre d'extermination où
avait péri son indépendance. Des évêchés avaient été
fondés à Osnabruck, Verden, Brème, Paderborn, Min- >
den , Balberstadt, Hildesbeim, Munster jmi bientôt
deviendronl des villes; niais il fallait pour les proté-
ger des forteresses et la terrible législation du capitu-
laire de la Saxe. Ici donc les souvenirs de la barbarie
et du paganisme sont encore récents; mais ce n'est pas
tout : la barbarie danoise, slave, avare est proche;
aussi la frontière est-elle année contre rennemi.
De l'Adriatique à la Baltique s'étend la chaîne des
marches. Au nord-est cinq marches étaient tournées
contre les Wendes : contre les Sorabes, la marche de
Thuringe ou limes sorabicus , contre les Wiltzes les
petites marches de MagdebourgJ" Zelle , Bardewyk;
contre les Obotrites la marche de Saxe, ou limes saxo-
nicus. Les margraves avaient sous leurs ordres plu-
sieurs comtes el surveillaient l'ennemi : ils étaient les
chefs d'une sorte d'avant-garde chrétienne en face du
paganisme.
L'Allemagne a donc sur les Slaves une grande supé-
AVANT L'AVÈNEMENT DES ASCANIËNS 17
riorité : elle est organisée, tandis qu'ils sont livrés
aux dissensions. En effet les Obotrites et les Wiltzes
étaient le plus souvent en guerre les uns contre
les antres ; ceux-ci étaient les mortels ennemis des
Sorabes et des Tchèques, qui à leur tour ne s'en-
tendaient pas avec les Polonais. Quand il y avait des
ligues entre ces peuples, elles avaient pour objet la
guerre contre des peuples frères; encore ces alliances
n'étaient-elles pas solides : elles changeaient au gré
des événements, et la défiance et la haine caractéri-
saient les rapports de ces populations entre elles l. Dans
l'intérieur même de la tribu, les institutions ouvraient
la porte à l'anarchie. Déjà dans les temps anciens,
la coutume qui perdit la Pologne, celle qui exigeait
l'unanimité d^ voix pour qu'une décision de l'assem-
blée fût valable était l'origine de grands malheurs2.
Organisée, l'Allemagne a ci mire les Slaves la force :
chrétienne, elle a une civilisation supérieure; mais
elle doit ce double bienfait à cette alliance franco-ro-
maine, qui, après s'être préparée au temps des Méro-
vingiens, s'est conclue sous le premier prince de la
dynastie carlovingienne et resserrée sous le second
dont elle explique toute la politique. Ne perdons point
de vue ce grand fait qui nous permet de rattachera
l'histoire générale l'histoire particulière que nous étu-
dions. Au ive siècle, se produit \\n grand mouvement de
peuples d'Orient en ( lecident, et bientôt les Slaves qui
1. L'empereur Maurice disait de ces tribus qu'elles étaient
&-/v.p'/y. /.'A /j.i7c/.'ù.r,Ày.. Vovez Léger, op. cit. p. 44, note 3.
2. Voyez Dithmar, vi,18 (Pertz, III, p. 812,. Unanimi consilio ad
placitum suimet necessaria discucientes, in rébus efticiendis omnes
concordant. Si quis vero ex coniprovincialibus in placito hiis con-
tradicit, fustibus verberatur, et si forinsecus palam résistif, aut
omnia incendio et continua deprœdatione perdit, aut in eorum
presentia pro qualitate suapecunise persolvit quantitatem débitée.
18 LA MARCHE
suivent les Germains empiètent sur I»1 territoire de la
Germanie. Au iv siècle, le mouvement se produit en
Sens contraire, ^.près avoir, dès lev* siècle, arrêté les
Germains sur le chemin de l'Occident, les Francs ont
pris l'offensive contre l'Allemagne; ils l'onl pour ainsi
dire retournée vers l'Orient, où elle fail tête aux Slaves
demeurés païens el aux nations asiatiques qui conti-
nuent l'invasion. Elle était un danger pour la civilisa-
tion chrétienne : elle en esl devenue le rempart, grâce
aux Francs, nos ancêtres, baptisés par nos ancêtres
les Gallo-Humains.
LES SLAVES DE L'ELBE ET LES ALLEMANDS DEPUIS LA MORT DE
CHARLEMAGNE JUSQU'A LA FONDATION DE \. \ MARCHE DU NORI)
(814-963).
Gharlemagne avait donc pris position on face des
Slaves, et montré à ses successeurs la route où il
fallait marcher. Il s'écoula de longues années avant
que ceux-ci pussent s'y engager. Louis-le-Débon-
naire comprima , il est vrai , quelques révoltes de
Slaves, et les députés des différentes nations paru-
rent plusieurs fois ensemble ou séparément aux as-
semblées de l'empire. « L'empereur Louis, dit Egi*
nhard, donna audience à Francfort aux députés des
Slaves orientaux, c'est-à-dire des Obotrites, des Sora-
bes, des Wiltzes, etc., qui lui avaient été envoyés avec
des présents l. » Il joua dans leurs affaires intérieures,
et dans les conflits qui éclataient entre elles, le rôle
de pacificateur et d'arbitre. Mais les grandes guerres
qui suivirent sa mort et qui aboutirent à la sépara-
tion de l'Allemagne, de la France et de l'Italie (843), les
1. Raum. Reyesta, p. 1S, n" 68.
AVANT L' AVENEMENT DES ASGANIEXS 19
attaques des Normands, des Hongrois et des Sarrasins,
qui fondirent simultanément sur l'empire des Francs,
au moment où ses forces étaient divisées ; la faiblesse
ou l'impuissance des rois d'Allemagne Louis-le-Germa-
nique , Carloman , Louis II, Gharles-le-Gros, Arnulf,
Louis l'Enfant (843-911), permirent aux Slaves de
recouvrer leur indépendance, de devenir agresseurs à
leur tour, et de franchir l'Elbe et la Saale; encore une
fois l'Allemagne était entamée.
Sous la pression des dangers qui la menacent de
toutes parts, elle s'organise pour la résistance. Dans
la décadence du pouvoir impérial, les vieilles divi-
sions germaniques, Franconie, Saxe, Alamannie ou
Souabe, Bavière avaient reparu sous la forme de du-
chés. Ici comme en France, les usurpations de la
grande féodalité furent en quelque sorte légitimées
par les services qu'elle rendit : les ducs furent les
protecteurs de leurs sujets contre les barbares qu'ils
combattirent vaillamment. Le sentiment de l'unité ger-
manique, révélé par Gharlemagne, ne fut pourtant pas
perdu; l'ancien droit d'élection fut remis en vigueur;
Conrad de Franconie fut élu roi allemand (911). De
cette élection date l'Allemagne du moyen âge, fédéra-
tion de princes et de peuples, au-dessus de laquelle
la royauté nationale représente l'unité. Sa grandeur
commence le jour où le duc de Saxe, Henri le Fonda-
teur, succède à Conrad, Ce descendant de Witikind
(Hait le plus puissant des ducs d'Allemagne, car l'an-
cienne Saxe s'étendait du Rhin à l'Elbe, du Harz à la
Baltique, et l'humeur guerrière des Germains s'y était
conservée tout entière (919 .
Henri reprend la tradition carlovingienne ; il relève
les marches de l'est, organise derrière elles le pays
■ M LA m \i;« m:
pour La résistance el pour L'attaque, affranchit L'Alle-
magne du honteux tribut qu'elle paye aux Bongrois, et
entame La conquête des pays slaves.
Brandebourg, La capitale des Hévelliens, assiégée en
plein hiver par Le roi qui établi! son camp sur la glace
du fleuve el des étangs dont elle esl entourée, capi-
tule, quand La garnison épuisée succombe à la faim,
au fer el au froid (927)1. La marche de Misnie ost
fondée chez les Sorabes. Au nord, dans le pays des
Etedariens, est établi le « légat » Bernard, Le premier
margrave dont l'histoire lasso mention pour les
pays au delà de l'Elbe 2. Il est vrai, lus Redariens
secouent le joug et entraînent tous les Wendes dans
la révolte; mais ils sont vaincus auprès de Lenzen
dans un combat si terrible que cent vingt mille en-
nemis, au dire des chroniques allemandes, tombent
sous le fer ou sont noyés dans un lac. Bernard va
porter la nouvelle au roi, « qui lo reçoit avec hon-
neur », et fait décapiter « suivant la coutume » Ions
les prisonniers 3. Ces procédés atroces de la conquête
saxonne jettent l'épouvante parmi les vaincus. Quand
Henri a battu les Danois, le roi des Obotrites, qui ne
peut plus s'appuyer sur eux, se laisse baptiser4. La ter-
rible attaque dirigée par les Hongrois contre le royaume
d'Allemagne ne réveille pas même les tribus slaves ;
priées par leurs anciens alliés de se joindre à eux,
elles leur envoient pour toute réponse un chien galeux.
Sous Otton-le-Grand (936-973), deux hommes, deux
héros du temps, Hermann Billing, que l'empereur fît
duc de Saxe, et le margrave Gero s'illustrèrent dans la
1. Raum. Reg. p. 26, n° 118.
2. Id. p. 27, n° 119.
3. Id. ibid.
4. Id. p. 28, n° 120.
AVANT L' AVÈNEMENT DES ASCANIENS 21
guerre contre les Slaves. Gero les combattit par la
ruse et par la force. Au début du règne d'Otton, il tue
en trahison trente de leurs principaux chefs *. Brande-
bourg était redevenue indépendante : il y envoie le
fils d'un roi du pays, élevé en Allemagne, et qu'il a
corrompu à prix d'argent. Le traître « se rend à Bran-
debourg, feint d'avoir échappé aux mains des Alle-
mands, et se fait accepter comme roi par le peuple;
puis il appelle auprèsde lui son neveu, le seul survivant
de la race royale, le tue et livre au roi d'Allemagne la
ville et le pays. » « Cela fait, ajoute simplement la
chronique, tontes les nations furent soumises jusqu'à
l'Oder et payèrent le tribut 2. » Il fallut pourtant lutter
encore , car >< les Wendes méprisaient toutes les
misères, quand il s'agissait de défendre leur chère
liberté 3. » Ils dirent un jour à Otton, qui était ac-
couru avec une formidable armée pour combattre une
de leurs rébellions, qu'ils consentiraient à payer un
tribut, à condition que les Allemands ne se mêle-
raient plus de leurs affaires intérieures et ne feraient
plus administrer leur pays par des comtes. Otton ne
voulut rien entendre, et les Allemands remporteront
encore une grande victoire, suivie d'un grand mas-
sacre 4. Tout réussissait à Gero : les Obotrites, les
Wiltzes et les Sorabes sentirent l'un après l'autre la
force de son bras. La conquête étendit sa principauté
sur un vaste territoire compris entre l'Elbe, le Boiter,
la Warta et l'Oder inférieur. Il foira même le duc de
Pologne Mieczyslaw à se reconnaître vassal du roi d'Al-
1. Id. p. 33, n" 138.
2. Id. p. 33, n° 139.
3. Id. p. 33, n» 138.
4 Schafarik, t. II. p. 529, note G. — Raum. Reg. p. 39, 40,
îe 172.
22 LA MARCHE
lemagne pour une partie de son territoire. <'<i fut le
dernier exploit du grand margrave. 11 avail perdu
dans La guerre polonaise son fils aîné Siegfried, et no
pouvant vaincre sa douleur, il se rendil à Rome, dé-
posa devanl L'autel de Pierre, prince «les apôtres, ses
armes victorieuses; puis. « après avoir obtenu dusei-
gneur apostolique un bras de sainl Cyriaque, » il re-
vint en Allemagne, où il fonda dans un bois qui porte
son nom un monastère, donl il lii abbesse la veuve do
son fils *. G'esl là que fut enseveb' «le meilleur des
margraves de son temps », le « défenseur de la pa-
trie », quand il mourut, deux ans après Siegfried,
a amèrement pleuré par l'empereur (965) 2. »
Gero avait eu toutes les qualités du conquérant.
Avec son concours et par ses conseils, le pays avait été
divisé en pagi, couvert de monastères et d'églises 3.
Otton en effet institua les évêcbés d'Oldenbourg ,
Havelberg, Brandebourg, du vivant de Gero; de Mer-
sebourg, Zeitz 4 et Meissen, après la mort du mar-
grave. Tous furent placés sous l'autorité d'un arche-
vêché établi à l'extrême frontière de l'Allemagne.
Par une bulle adressée s « au peuple et au clergé de
Saxe » pour leur apprendre l'érection en siège ar-
chiépiscopal du monastère de Magdebourg, « situé
dans le royaume des Saxons, près de l'Elbe », le pape
Jean prescrivait que « l'archevêque de Magdebourg
ordonnât à l'avenir les évêques des sièges qui seraient
institués en lieu convenable par Otton et par ses suc-
1. Raum. Reg. p. 43, n° 196.
2. Id. p. 45, n°204.
3. Id. p. 41, nM82.
4. Transféré plus tard à Naumburg. Voyez Otto von Heinemann,
Codex diplomuticus anhaltinus , lre partie, lre section p. 13,
n°18.
5. Raum. Reg. p. 49, n°* 225-6.
AVANT L'AVÈNEMENT DES ASCANIENS 23
cesseurs, quand ils auraient amené à la foi chrétienne
tout le peuple des Slaves. » La nouvelle métropole
allait prendre en pays slave le grand rôle si bien joué
en pays germanique par Mayence ; entourée de ses
évêchés,elle allait engager la lutte, et, à mesure qu'a-
vancerait la frontière chrétienne , fortifier les posi-
tions conquises. Le pape et le roi travaillaient donc
d'un commun accord au succès d'une même politi-
que; margraves, comtes el évêques s'y employaient à
l'envi, et il semblait que l'un touchât au but marqué
par Charlemagne. Il n'en était rien : Otton prépara
lui-même la ruine de ses entreprises. Il avait eu trop
à lutter contre les ducs avant de les réduire au rôle de
vassaux pour tolérer l'existence d'une principauté mi-
litaire aussi considérable que celle de Gero. Il morcela
le territoire qu'avait administré le margrave ; six
marches en sortirent, qui furent bientôt, il est vrai,
réduites à trois, les marches de Lusace, de Misnie et
du Nord i. La dernière s'appellera dans la suite la
marche de Brandebourg 2.
Ainsi c'est à la mort de Gero que commence l'histoire
particulière de cette terre, dont les destinées devaient
être si grandes. Elle subit d'abord un siècle et demi
de misères, car elle fut impuissante à porterie choc des
Slaves , qui se ruèrent sur la frontière affaiblie de
l'Allemagne. Les rois allemands ne l'y aidèrent pas.
En l'année 9('>"2, Otton ('tait allé chercher au delà
des monts la couronne d'or des empereurs romains.
Devenu le suzerain des rois et t\v^ princes de l'Oc-
cident, sans excepter le pape lui-même, qui était un
1. Voyez Heinemann, Markgraf Gero, p. 117.
2. Quelques années plus tard Otlon II détachait de la Bavière
la marche de l'Est qu'il donnait aux Babenberg. C'est le commen-
cement de l'histoire d'Autriche (983).
2 I LA MARCHE
redoutable vassal, il avail tourné ses regards vers
l'Orient, et, pour donner à sa maison Le Lustre d'une
alliance avec les successeurs de Constantin , marié
son Bis à une princesse byzantine. Charlemagne avait
eu toutes ces ambitions, mais en un temps où les
royautés d'Occident u'étaienl pas uées; où L'Italie,
encore affaiblie et ruinée par l'invasion qui s'y était
prolongée plus Longtemps que partout ailleurs, u'étail
pas prête pour la résistance; où la suprématie de la
papauté dans Le monde chrétien n'était pas encore
fermemenl établie; enfin où L'alliance intime de l'em-
pire et de l'église était possible, même nécessaire.
Qu'il combattît en effet les Arabes d'Espagne, les
Lombards et les Sarrasins d'Italie, les Danois, les
Saxons et les Slaves, Charlemagne ne pouvait ren-
contrer un ennemi, qui ne lut en même temps celui
du pape; mais le temps devait faire que des intérêts
qui concordaient si bien s'opposassent un jour l'un à
l'autre, et que l'empereur ne pût avoir affaire à un
ennemi qui ne devînt aussitôt un allié du pontife.
D'ailleurs le caractère de Charlemagne, tout péné-
tré de modestie chrétienne, ne se retrouvera point
chez ces chefs du saint empire. Ils aimeront les
besognes brillantes et lucratives; l'Italie les attirera,
les retiendra, les perdra; quant à l'œuvre com-
mencée par le roi Henri aux bords de l'Elbe, ils
n'y consacreront qu'à de rares intervalles une atten-
tion distraite. C'est sur d'obscurs margraves que
retombera le soin de défendre contre les retours of-
fensifs des Slaves les frontières de l'empire *.
1. Voyez pour le caractère du saint empire Zeller, Histoire d'Al-
lemagne, au t. II; Sybel, Die deutsche Nation laid dus Kaiserreicli.
AVANT L'AVÈNEMENT DES ASCANIENS l25
LA MARCHE DU NORD, JUSQU'A l' AVÈNEMENT DES ASCANIENS
963-1134 .
C'est une triste histoire que celle de la marche du
Nord jusqu'à l'avènement dos Ascaniens, et il est im-
possible de trouver la moindre grandeur dans cette
suite de petits princes incapables, qui laissèrent la
frontière allemande plier jusqu'à l'Elbe et l'ennemi pé-
nétrer à plusieurs reprises sur le territoire de la Saxo.
Le premier. Thierry, est déjà nommé au temps du
margrave Gero, sous les ordres duquel il administrait
sans doute la marche du Nord i. Dans une lettre datée
de Gapoue, Otton Ier recommandait de faire aux Reda-
riens, qui « si souvent avaient violé la foi jurée », une
guerre acharnée, et « de ne s'arrêter qu'après los
avoir détruits %S 2. » Le margrave pratiqua si bien
cette politique, qu'il provoqua un soulèvement terrible
des Wiltzes 983 .
« Les nations tributaires, fatiguées par l'orgueil du
duc Thierry, prennent les armes d'un accord unanime;
le troisième jour des calendes de juillet, les barbares
massacrent la garnison de Ilavelberg et détruisent le
siège épiscopal de cette ville; c'est leur premier crime.
Trois jours après , une troupe de conjurés attaque
la ville de Brandebourg : Volcmer, le troisième évê-
1. Witikind, Res gestes saxonicœ (Pertz, III, p 458 , parlant d'une
défaite qui lui fut infligée par Les Slaves en 955 Lui donne le
titre de prœses : varie pugnalum est a prœside Thiadrico adversus
barbaros. Le même chroniqueur nous a conservé une lettre
adressée de Capoue à Hermann, duc de Saxe, et à Thierry; le roi
donne à tous les deux le titre de dues : Otto divino nutu imp.
aug. Herimanno et Thiadrico ducibus... (Pertz, III. p. 164).
D'autres chroniques appellent Thierry marchio, c'est-à-dire mar-
quis ou margrave. Ce dernier nom prévaudra dans la suite. —
Riedel, die Mark Br. t. I, p. 1-2.
2. Voyez Witik., loc. cil. p. 464.
26 I.A MA IU III
que du siège, et Thierry, qui eu était le défenseur,
s'enfuient à grand peine avec la garnison. Le clergé
esl fait captif; Dodilo, second évêque de Brandebourg,
qui depuis trois ans reposai! dans la tombe, en esl arra-
ché; son corps, encore intact et revêtu «les ornements
sacerdotaux, est dépouillé par ces chiens avides; ils se
disputent le trésor de l'église, versent le sang à flots cl
rétablissent le culte de leur hérésie démoniaque '. »
Tels furent les exploits des Wiltzes; les Obotrites
ne restèrent pas en arrière. Helmold raconte que
leur chef, Mistiwoi, qui s'était converti au chris-
tianisme, avait demandé la main d'une nièce de
Bernard, duc de Saxe; lu duc la lui avait promise,
el Mistiwoi par reconnaissance lui avait envoyé en
Italie, comme pour les faire figurer parmi les vassaux
saxons, mille cavaliers conduits par son fils. Au
retour de Bernard , Mistiwoi vint le presser d'exé-
cuter sa promesse. Comme le Saxon hésitait, le mar-
grave Thierry, qui se trouvait là, lui dit Lout haut
que la place d'une princesse de sang allemand n'était
point aux côtés d'un chien de Wende. Mistiwoi, irrité,
répliqua : « quand le chien est fort il mord bien ; » et il
alla conter aux siens son injure. Les Obotrites lui
reprochèrent « de cultiver les Saxons, gent perfide
et avare », lui firent jurer de renoncer à leur amitié,
et bientôt s'armèrent contre leurs voisins 2. L'authen-
ticité de ces sortes d'anecdotes n'est jamais certaine,
et il est difficile de placer celle-ci à une date précise ;
mais il 11* y a pas de doute que Mistiwoi, après avoir
été chrétien, fit amende honorable aux dieux slaves,
franchit l'Elbe à la tète d'une année considérable,
1. Raum. Rey. p. 61, n»2S9.
2. Id. p. 61, à la note du n° 289.
AVANT L' AVÈNEMENT DES ASCANIENS 27
et ne fut arrêté aux bords de la Tanger que par les
forces réunies de l'archevêque de Magdebourg, de
l'évêque de Halberstadt, de plusieurs comtes et du
margrave Thierry. Cette bataille, qui fut sanglante —
l'annaliste saxon parle do 30,754 Slaves tués ' —
sauva la Saxo, mais la rive droite de l'Elbe fut perdue
pour longtemps. A la suite de cette révolte, Thierry
fut privé de son office et réduit à se retirer à Magde-
bourg, où « il finit sa vie par une méchante mort -'. »
L'empereur Ûtlon II 973-983 . qui depuis dix ans
avait succédé à Otton-le-Grand, donna pour succes-
seur à Thierry Luther de Walbeck; niais lui-même,
Otton, n'était-il pas la cause de ces désastres? A la
vérité, il avait combattu les Slaves en 976, mais sans
succès, et il n'avait pas t'ait de sérieux efforts pour em-
pêcher l'imminente apostasie des Obotrites et des
Wiltzes. C'est la défaite qu'il avait éprouvée à Basen-
tello dans l'Italie méridionale, dont il voulait chasser
les Sarrasins et les Grecs, qui avait déterminé les
Slaves à la revoit»'. Au lieu de songer à les châtier, il
convoqua les grands d'Allemagne à Vérone pour ré-
clamer leur aide contre ses ennemis de la péninsule,
et, l'assemblée terminée, il se mit en marche vers le
sud ; mais il mourut en chemin. Il avait vingt-huit ans,
et laissait un enfant de trois ans, Otton III, déjà choisi
à Vérone' pour lui succéder, et qui devait régner sous
la tutelle do sa mère Théophanie. Les descendants du
saxon Henri l'Oiseleur devenaient de plus en plus
étrangers à l'Allemagne.
Luther de Walbeck 983-1003) administra la marche
à lieu près pendant le temps qu'Otton III (983-1002
1. Annalista Saxo, ad anniun 983 (Pertz, vi, p. 631 .
2. Raum. Re<j. p. 61-62, n° 292.
28 LA MARCHE
gouverna L'empire. A peine sorti d'une minorité trou-
blée, pendanl laquelle le combal continue entre les
Saxons el les Slaves ', Otton conclul un armistice avec
les Obotrites el les Wiltzes 2 el pari pour l'Italie ; mais
la guerre recommence sur l'Elbe l'année suivante
avec d'affreux ravages réciproques. Occupé de mille
projets a la fois, couranl tantôl à Aix-la-Chapelle
pour contempler Gharlemagne dans sa tombe, Lan lût
a Gnesen où il s'agenouille auprès des reliques de
St-Adalberl 3, mêlé aux (inciviles des papes el delà
république romaine, rêvant la conquête d^x lieux
saints el do Gonstantinople, ce faible esprit, féru
d'orgueil, dédaignait les Saxons grossiers qui étaient
l'appui de son trône, et les Slaves étaient pour lui
de trop misérables ennemis. Quant au margrave
Luther do Walbeck il ne nous est guère connu
que par un récit de Ditlimar. L'empereur Otton, ra-
conte le chroniqueur, vint o\\ 995, séjourner à Arne-
bourg, « qu'il avait jugé nécessaire de fortifier pour
défendre la patrie ; » quand il en partit, il donna
l'ordre à l'archevêque Giesiler de Magdebourg de
demeurer quatre semaines dans la place. L'arche-
vêque, appelé par les Slaves à une entrevue, faillit
périr victime d'un guet-apens où succombèrent pres-
que tous ceux qui l'avaient accompagné . Quoique
grièvement blessé, le prélat demeure à son poste, mais
à l'heure dite, il part sans attendre le margrave Lo-
thaire qui devait le relever. Il le rencontre en route,
et lui recommande fortement la ville. Au moment
1. Raum. Reg, p. 63, n° 301, et p. 65, n° 314.
2. Id., p. 68, n° 337.
3. Il permet à cette occasion l'érection d'un archevêché polo-
nais, indépendant de Magdebourg. C'est l'abandon de la pensée
d'Otton le Grand.
AVANT L'AVENEMENT DES ASCANIENS 29
où le margrave s'en approche, il voit s'élever de
grandes flammes : les Slaves étaient survenus à l'impro-
viste. Thierry envoie en toute hâte vers l'archevêque,
qui ne veut pas revenir sur ses pas; il essaye vaine-
ment d'éteindre l'incendie, et s'éloigne avec douleur,
laissant les ruines aux mains de l'ennemi. Ainsi vingt-
cinq ans après la mort d'Otton-le-Grand, Arnebourg,
sur la rive gauche de l'Elbe, était place frontière, et
Ton voit comme la frontière était gardée (.
Il faut passer vite sur la monotone histoire des mar-
graves qui se succèdent jusqu'au commencement du
xne siècle. A la mort de Luther de Walbeck, sa veuve
achète la survivance de ses fiefs pour son fils ,
Werner L003). Celui-ci est en querelles perpétuelles
avec le comte Dedo deWettin, qui lui brûle une de ses
villes et qu'il I ue 1 < H il) . Déposé par l'empereur Henri II,
Werner est remplacé par Bernard, fils du premier mar-
grave Thierry, mais il s'acharne contre son successeur
et finit par tomber mourant entre ses mains (1014 .
Bernard, à peine débarrassé île son rival, entre en
conflit avec Gero de Magdebourg, dont il attaque do
nuit la ville épiscopale ; excommunié' pour celait, il va,
pieds nus, faire amende honorable au prélat 1 1 U 1 7; . Un
suppose qu'il mourut l'année suivante. Tout ce qu'on
sait de Bernard II, son fils et son successeur, c'est
qu'il est le père de Guillaume, qui au moins périt en
combattant contre les Slaves 1056). Apres lui vient la
dynastie des comtes de Stade, Qdo I, Udo II, Henri I,
Qdo III, Henri II (1056-J L28 '■. Aucun de ces princes
m' s'élève au-dessus de la médiocrité des autres.
1. Dithmar, IV, 25 (Pertz m, pp. 78-9).
2. Voyez pour l'histoire des margraves depuis Luther de Wal-
beck Raum. Re.rj.. passim.
30 LA MARCHE
Cependanl la lutte contre les slaves continue
obscurément à la frontière. Un moment l'empereur
Henri II (1002-1024), le dernier prince de la maison
saxonne, oégocie avec les Obotrites et les Wiltzes,
mais c'esl pour obtenir leur alliance contre la I'olo-
gne. Devenue royaume chrétien, la Pologne se jette
dans les coi ii | ne les , conduite par Boleslas-le-Hardi ,
qui porte sa frontière à l'est jusqu'à la porte dorée
de kiew, à l'ouèsl jusqu'aux bords de la Saale, où il
élève une colonne- de fer ', si bien que l'empereur
d'Allemagne et les tribus de l'Elbe se coalisent contre
l'ennemi commun ; mais il faut qu'Henri-le-Saint
permette aux Obotrites et aux AYiltzes de garder le
culle do leurs idoles et de combattre sous leurs
étendards sacrés. Sans doute le christianisme était
prêché chez ces païens endurcis, mais à chaque fois
qu'il y faisait des progrès, éclatait la persécution. Les
chroniques signalent de fréquents massacres de chré-
tiens, et quelquefois elles en rejettent la responsabilité
sur les Allemands ; c'est ainsi qu'un écrivain contem-
porain reproche au duc de Saxe, Bernard, d'avoir forcé
les Obotrites, en les opprimant cruellement, à retomber
dans le paganisme. Le mot est expressif : ad nécessi-
taient paganismi cocgil 2...
La dynastie franconienne (1024-1125) qui succède à
la saxonne, poursuit le même rêve de domination uni-
verselle, mais les obstacles grandissent sur sa route.
Sous les puissants princes, Conrad II (1024-1039) et
Henri III (1039-1056), on voit déjà poindre maints
dangers et s'approcher la ruine. Trois ennemis s'an-
noncent en Italie : au nord les villes lombardes qui
1. Raum. Reg , p. 73, n" 366.
•1. Adam de Brème, II, 46 (Pertz. vu, p. 323 .
AVANT l'aVÊNEMENT DES ASCANIENS 31
se coalisent pour la défense de leur liberté ; au sud les
Normands, qui ont conquis les Deux-Siciles et les gar-
deront mieux que n'ont fait les Sarrasins et les Grecs ;
au centre, le pape qui va donner le signal de la lutte
au nom de l'Église menacée dans son indépendance.
On comprend que l'Elbe demeure la frontière mal dé-
fendue de l'empire. Les Allemands remportent de petits
succès, imposent des pacifications provisoires, niais les
hostilités renaissent sans que l'on sache qui accuser
de la rupture des traités, si bien que l'on vit un jour
une scène singulière : devant l'empereur Conrad
comparurent en 1034 des députés slaves et saxons
qui se renvoyaient la responsabilité d'une agres-
sion, et qui offraient de prouver par un combat la
vérité de leur dire; « de part et d'autre, on choisit un
champion; ce fut le Slave qui jeta son adversaire par
terre, et ses compatriotes à cette vue en vinrent à ce
point d'audace que, sans la présence de l'empereur,
ils se seraienl jetés sur les Allemands '. »
Rarement on en vient aux mains dans une grande
bataille : ce ne sont qu'escarmouches, accompagnées
de ravages réciproques, qui sont quelquefois horribles.
Conrad fait en Slavie « d'immenses dévastations,
brûle tout ce qui n'est pas inexpugnable », et pour
venger les injures faites au nom du Christ, s'emporte
à des cruautés inouïes '. Pourtant, en l'année 1050,
deux grandes armées se rencontrent près de Prislawa
dans une sorte de champ clos, au confluent de l'Elbe
el de la Havel. C'est la que péril le margrave du Nord,
Guillaume, avec un grand nombre de Saxons : les
Slaves vainqueurs déchirèrent son corps au point do
1. Raum. Reg. p. 92, n° 488 ; p. 93, îr 497.
2 Id. p. 9i, n»500.
32 LA MARCHE
Le rendre méconnaissable '. Telle était L'audace des
ennemis de L'Allemagne, au temps «lu puissant empe-
reur Henri 111. Ils ae pouvaient manquer de mettre à
proûl Les embarras de son successeur, Henri [V(1056«
1 L06 . sous 1»' règne duquel éclata enfio cette querelle
des investitures, qui arma L'un contre l'autre les deux
pouvoirs de La chrétienté, mil La guerre civile dans
L'empire el Le schisme dans L'église.
De graves événements donl L'empire aurait pu profiter
venaienl justemenl de s'accomplir chez Les Obotrites :
Gottschalk, leur duc, s'était converti, el avec l'aide <\rs
Danois, il déployai! un grand zèle en faveur du chris-
tianisme. Déjà il avait fond»'' Les évêchés de Ratibor ut
do Ràrog H porté sa domination au delà du pays des
Obotrites, quand en 1066 éclata contre lui un soulè-
veinenl formidable. Col homme « diiuio d'une éternelle
mémoire», ce « Machabée » est massacré à Lentschin;
de- prêtres, des moines sont offerts en sacrifice au
dieu Radegast; la conspiration s'étend sur tonte la
Slavie qui retourne une fois encore au paganisme.
L'empereur, un moment arraché aux dissensions in-
testines do l'Allemagne par la fatale nouvelle, envahit
le pays des Wiltzes, y fait « de trop grands car-
nages et de trop grandes dévastations » ; mais l'em-
pire est incapable d'un effort sérieux contre ces en-
nemis acharnés. Pendant douze ans, les ducs Ordnlf
cl Magnus de Saxe cherchent en vain à les réduire :
mais « Orduf est si souvent battu qu'il devient un
objet de dérision pour les païens et même pour les
siens3 ». Les Obotrites élisent pour chef Kruko ,
1. Raum. Reg. p. 103, ir 550.
2. Id. p. 109, n" 585.
3. Id. p. 110, n°«592 3.
AVANT L' AVÈNEMENT DES ASCANIENS 33
prince de Riigen, auquel se soumettent aussi les
Wiltzes, vers 1070.
La fondation d'un royaume païen, au sein duquel
s'apaiseraient les dissensions, pouvait devenir redou-
table pour l'Allemagne ; mais Henri IV était alors au
plus fort de sa lutte contre les Saxons, et les deux
adversaires ne se firent point scrupule de se disputer
l'appui des Slaves. Les grands de Saxe avaient refusé de
suivre l'empereur contre les Polonais, alléguant qu'ils
avaient auprès d'eux de terribles ennemis, les Wiltzes.
« Contre eux, dirent-ils, il nous faut nuit et jour veil-
ler, l'épée au côté, en ordre de bataille ; pour peu que
nous nous relâchions, aussitôt ils passent la frontière,
tuent, brûlent, dévastent tout ce qu'ils rencontrent : il
serait absurde à nous d'aller faire la guerre à des na-
tions lointaines, quand nous avons chez nous, comme
à demeure, une guerre qui nous ruine. » Ce tableau
des misères de la Saxe ne fit qu'inspirer à l'empereur
le désir de s'allier à ceux qui étaient de si redoutables
adversaires pour ses propres ennemis. Il offrit aux
Wiltzes de l'argent, à condition qu'ils attaqueraient
les Saxons ; mais les Saxons offrirent davantage à
condition que les Wiltzes demeureraient tranquilles,
et les barbares ne sachant à qui donner la préférence
se prirent de querelle entre eux, si bien qu'il s'en
suivit une guerre civile. Il semble pourtant qu'ils se
décidèrent pour le plus offrant, c'est-à-dire pour les
Saxons. D'après un autre récit, l'empereur alla jus-
qu'à offrir aux Wiltzes tous les territoires qu'ils pour-
raient conquérir en Saxe ; les Wiltzes auraient
répondu qu'ils connaissaient les Saxons de longue
date, pour les avoir combattus ; que rarement ils
avaient eu à se réjouir des guerres qu'ils leur avaient
$4 LA MARCHE
faites, que d'ailleurs leur pays leur suffisait, et que
leur ambition n'allait qu'à défendre leurs frontières*.
Contre des ennemis si divisés, Kruko put défendre
longtemps son empire, malgré les attaques de Magnus,
duc de Saxe, d'Erich, roi de Danemark, d'Udo III
margrave du Nord qui, la première ou la seconde
année du xn' siècle, s'empara pour an temps de
Brandebourg '■'. Erich était le plus redoutable des
adversaires du roi wende; far, dans l'abandon où les
Allemands laissaienl la politique de Gharlemagne, les
Danois commençaienl à élever des prétentions sur les
pays slaves. Erich avait pris sous sa protection le fils
de Gottschalk, Henri, qui s'était fait céder un terri-
toire par Kruko. A la mort de Kruko qu'il assassina,
dit-on3, cet Henri, avec l'aide des Danois et de Mag-
nus, duc de Saxe, s'empara du royaume (1105), y
remit l'ordre, renvoyant chacun à sa charrue et pur-
geant le pays des brigands qui l'infestaient. « La
Poméranie même fit sa soumission au roi très-chré-
tien* » ; mais cet état nouveau n'eut qu'une exis-
tence éphémère. Déjà en l'année 1 107 Henri est obligé
de faire aux 'SYiltzes une guerre sanglante 5 ; les
Ûbotriteset les Poméraniens se soulèvent à leur tour;
les différentes tribus slaves reprennent leurs chefs
nationaux, et la lutte contre les Allemands recom-
mence comme par le passé. Quand Henri meurt en
1126, ses deux fils se disputent ce qui reste de sa suc-
cession , mais ils disparaissent bientôt , et avec eux
s'éteint la famille de Gottschalk , l'année où mourait
4. Raum. Rerj., p. 113, n»' 611, 613, 616.
2. Id., p. 120, n°667.
3. Schafarik, II, p. 538.
4. Id., p. 123-4, n" 085-6.
5. Id. p. 125, rr 69i.
AVANT L' AVENEMENT DES ASCANIENS 35
le dernier margrave de la maison de Stade (1128), et
trois ans après la fin de la dynastie franconienne, qui
s'éteint avec Henri Y (1106-1125) K
L'avènement de Lothaire de Slippligenburg (1125),
duc de Saxe, allait marquer une ère nouvelle dans l'his-
toire des Allemands et des Slaves de la région de l'Elbe.
La dynastie franconienne avait eu deux ennemis prin-
cipaux : la Saxe et l'église ; elle avait donc trahi dans
ses rapports avec les Wendes les intérêts de l'église
et de la Saxe. Or Lothaire, duc de Saxe, garda son
duché, après qu'il fut devenu empereur; élu des
grands d'Allemagne, il demanda humblement la con-
firmation pontificale et fit de l'accord avec l'Eglise la
base de sa politique. Il était naturel que le combat
contre les Wendes fût repris avec une nouvelle vi-
gueur. Tout un ensemble de circonstances favorables
se présenta d'ailleurs au même temps pour changer
les conditions de la lutte ; dans le comté de Holstein,
dans la marche du Nord, sur le siège archiépiscopal
de Magdebourg , se succédèrent des hommes de va-
leur, qui réunirent leurs efforts pour triompher de
la résistance du paganisme. Enfin, quand mourut
Henri II, le dernier margrave de la maison de Stade,
Lothaire lui donna d'abord pour successeur Conrad
de Plôtzkau, jeune homme qu'à cause de son courage
et de sa beauté on appelait la Heur de la Saxe ; mais
quatre ans après, pendant l'expédition de Lothaire
en Italie, Conrad fut atteint d'une flèche et mourut.
Alors « l'empereur Lothaire donna la marche de Con-
rad , c'est-à-dire la marche du Nord, à Albert, en
récompense des services qu'il lui avait rendus dans
1. Schafarik, II, p. 538-9.
;;ii LA MARCHE
son expédition do ltomo ». Avec Albert L'Ours allait
commencer une grande histoire (1 L34)1.
SITUATION siN.,1 i.irui: DES BLAVE8 DE L'ELBE M DÉBUT DU \n'' BIÈCLE
CAUSES BT CONSÉQUENCES DE CETTE BITUATION,
De 965 à L134, pendanl 17'.) ans, les margraves du
Nord avaient donc été impuissants à maintenir au
delà de L'Elbe Le christianisme et La domination alle-
mande. La frontière de L'Elbe même était, à tous
moments, menacée par les Wiltzes et les Obotrites,
demeurés indépendants et païens, et plus attachés
que jamais à leur indépendance et au paganisme.
Cependant le monde slave était partout transformé.
Depuis longtemps les Slaves du bas Danube, ceux
d'Illyrie, de Garinthie, de Styrie, les deux grandes
nations polonaise et tchèque, étaient convertis et en-
trés dans le courant de la civilisation générale. Plus
près de nos tribus rebelles des Obotrites et des Wiltzes,
les Sorabes avaient depuis longtemps fait leur soumis-
sion. Ceux qui habitaient entre l'Elbe, la Saale et
rErzgebirge n'avaient jamais recouvré leur liberté,
depuis que leur pays avait été conquis par Henri l'Oi-
seleur : les évoques de Meissen et de Zeitz, les comtes
allemands , les burgraves , enfin les margraves de
Misnie, avaient fait leur office, et au commencement
du xne siècle les Sorabes de la rive gauche de l'Elbe
étaient complètement germanisés. Ceux de la rive
droite, après avoir été longtemps disputés entre l'Alle-
magne, la Bohème, la Pologne, avaient fini par être
1 . Lotharius imperator noarchiam Conradi , videlicet sep-
tentrionalem, Adelberto pro studioso sibi exhibito obsequio in
Romano itinere superiori anno concessit. Ann. Saxo, ad ann.
1134 (Pertz. VI. p. 768).
AVANT L' AVÈNEMENT DES ASCAXIEXS 37
rattachés à l'Allemagne. Convertis de bonne heure, ils
n'avaient d'ailleurs point donné de prétexte à ces
guerres de dévastation dont le pays des Wiltzes et
des Obotrites fut le théâtre. Enfin les Poméraniens
étaient à la veille d'accepter le christianisme. Les
Wiltzes et les Obotrites demeuraient donc comme les
représentants isolés de l'ancien paganisme slave.
On connaît déjà l'une des causes de cette situation
exceptionnelle des Slaves de l'Elbe inférieure. Les
empereurs laissent retomber à peu près tout le poids
de la lutte sur les princes de l'est, qui ne sont point
en état de le porter. Il s'en faut (Tailleurs que ceux-
ci comprennent bien leurs devoirs en face "de l'en-
nemi : des querelles comme celles de Werner et de
Dedo , de Werner et de Bernard, de Bernard et de
l'archevêque de Magdebourg, n'étaient point faites
pour arrêter les progrès des Slaves. Mais l'acharne-
ment des Wendes à la résistance s'explique aussi par
les duretés de la conquête germanique.
Nulle part, plus que chez ce malheureux peuple, le
christianisme n'est apparu sous des couleurs propres
à le faire repousser avec horreur. Il faut bien dire
que les Allemands ont montré peu d'aptitude à porter
la parole de miséricorde et de charité. Déjà, au ixe
siècle, Alcuin reprochait à l'évêque Arno de Salz-
bourg, qui avait entrepris la conversion des Slaves
de Styrie et de Garinthie. d'abuser de l'emploi de la
force et de trop aimer la dîme. Charlemagne, en assi-
gnant aux sié'ges épiscopaux qui auraient envoyé de*
missionnaires en pays païen une part des revenus
payés par les convertis, avait excité l'avidité en même
temps que l'émulation des évêques, et les conflits qui
éclataient entre les divers diocèses n'étaient point
38 LA MARCHE
faits pour persuader aux païens que Les prêtres de
Jésus-Christ ne voulaient que le salul de leurs âmes.
L'Allemagne a bien donné à l'Église an certain
nombre de missionnaires zélés, mais pas un grand
apôtre qui se puisse- comparer à l'Anglo-Saxon Boni-
face, aux Grecs Cyrille et Méthode. Quand ceux-ci
arrivèrenl en Moravie, sans armes, mais apportant
avec eux l'alphaliel slave composé par Cyrille, el la
traduction slave de l'Evangile; quand ils parlèrent à
.•eux qu'ils voulaienl convertir leur langue oationale,
ce fut une joie universelle. Ces hommes simples s'en-
tendaient enfin adresser une parole intelligible : « les
oreilles des sourds s'ouvrirent, et la langue des muets
se délia. » Aussi les deux apôtres firent-ils une œuvre
féconde, et qui survécut à la Moravie, état factice créé
entre deux invasions, celle des Avares et celle des
Hongrois. Ils avaient donné à la grande race slave un
patrimoine commun : une littérature dont ils avaient
créé l'instrument, et des souvenirs qui se sont ravivés
de nos jours avec un éclat inattendu. Or ces apôtres
du monde slave font songer au pontife qui convertit
les Anglo-Saxons et qui entama la Germanie païenne.
Comme Grégoire-le-Grand, Cyrille et Méthode étaient
nés dans un palais et destinés aux honneurs publics.
Comme lui, ils avaient appris tout ce que les écoles
de leur temps pouvaient enseigner. Ils avaient re-
noncé au monde pour la tranquillité du cloître, puis
ils avaient été séduits par la grandeur de l'apostolat
chrétien. Comme Grégoire-le-Grand enfin, ils avaient
une foi profonde servie par une haute intelligence :
les papes eux-mêmes honorent Cyrille du nom de
philosophe. Cyrille, Méthode, Grégoire, Romains tous
les trois, représentent l'alliance féconde de la foi chré-
AVANT L'AVENEMENT DES ASCANIENS 39
tienne et de la sagesse antique. La vieille civilisation
au sein de laquelle ils sont nés les élève au-dessus de
leurs émules des pays barbares. Combien il y a plus
d'humanité chez les deux hommes envoyés de Gons-
tantinople parmi les Slaves que chez les évêques de
la Germanie !
S'il se présentait d'ailleurs parmi les Wendes quel-
que missionnaire vraiment animé du zèle de la foi,
comme .Otton, évêque de Bamberg, qui apprit la lan-
gue slave afin d'expliquer aux néophytes la parole
chrétienne ses efforts étaient rendus inutiles par la
cruauté et par l'avarice sans frein des princes alle-
mands. On a vu déjà cette parole significative d'un
chroniqueur, que le duc Bernard avait par son avarice
forcé les Obotrites à retourner au paganisme. « Les
princes allemands, dit Helmold après le récit d'une
victoire, se partagèrent l'argent , mais de christia-
nisme, il ne fut pas fait mention. On voit par là l'in-
satiable avidité des Saxons; entre toutes les autres
nations , ils excellent aux armes et à la guerre ,
mais ils sont toujours plus enclins à augmenter les
tributs qu'à conquérir (U's âmes au Seigneur ». Il y
a longtemps que le christianisme fleurirait dans la
Slavie, si l'avarice des Saxons n'y avait fait obstacle. »
Avant Helmold, Adam de brème avait écrit la même
chose, presque dans les mêmes termes : « J'ai en-
tendu dire que la Slavie eûl été convertie depuis long-
temps sans l'avarice des Saxons, qui sont plus portés
i. Unde cognosci potest Saxonum insatiabilis avaritia, qui cura
inter gentes cœteras, Barbaris contiguas, praepolleant armis et
usu militice, semper proniores sunt tributis augmentandis, quam
animabus Domino conquirendis. — Helmold, Chronica Slavo-
rum , I, 21 ( ap. Leibniz, Scriplores rerum Brunswicemium ,
t. II, p 557).
40 LA MARCHE
aux exactions qu'aux conversions. Les malheureux l
neprennenl point garde aux dangers qu'ils appellent
sur leurs têtes, en troublant d'abord par leur cupidité
La foi des slaves, puis en Les forçanl à La révolte par
leur cruauté... Si qous ce Leur avions demandé que
de sti convertir, ils seraient déjà sauvés et nous
serions certainement on paix2. » Avant Adam de
Brème, Dithmar avait, Qétri la barbare coutume qu'a-
vaient Les Saxons de diviser Les ramilles de leurs pri-
sonniers pour les vendre comme esclaves, car le, pri-
sonnier wénde était un des objets du commerce
germanique avec l'Orient3.
On comprend qu'ainsi traités par leurs vainqueurs,
même après qu'ils avaient renoncé au culte de leurs
pères pour suivre une religion qu'on leur prêchait le
plus souvent dans une langue incompréhensible, les
Slaves se soient endurcis dans ces vertus que leur
reconnaissent les chroniqueurs allcmandSj et qu'ils
aient préféré mille morts à une telle servitude. Hel-
mold met dans la bouche d'un chef wende parlant à
un évêque allemand, un discours qui rappelle l'élo-
quente harangue du paysan du Danube. « Nos princes
nous accablent d'une telle sévérité, les impôts et la
servitude sont si durs que nous préférons la mort a
la vie. Tous les jours on nous pressure jusqu'à nous
faire rendre l'âme... Gomment voulez-vous que nous
vaquions aux soins de la religion nouvelle, que nous
recevions le baptême et construisions des églises,
nous que tous les jours on contraint à la fuite; si seu-
1. Mens pronior ad pensionem vectigalium , quam ad conver-
sionem gentilium... Adam de Brème, III, 22 (Pertz, III, p. 344).
2. Ab iis si tantum fidem posceremus, et illi jam salvi essent, et
nos certe essemus in pace... ;id. ibid).
3. Giesebrecht, Wendische Geschichten, t. I, p. 35.
+
AVANT L AVENEMENT DES ASCANIENS 41
lement il y avait un lieu où nous pussions trouver un
refuge! Mais à quoi bon passer la Trave? Les mêmes
malheurs nous attendent au delà; ils nous attendent
au delà de la Peene ; il ne nous reste plus qu'à quitter
les terres, à nous confier aux flots de la mer, à vivre
sur les abîmes i. »
Ainsi le guerrier allemand avait fait prendre en
haine le prêtre allemand chez, les Wiltzes et les
Obotrites; ces païens défendaient leurs vieilles idoles,
comme le palladium de leur indépendance. Or plus
longue et plus acharnée était leur résistance, plus ra-
dicale devait être la conquête. Une lutte à mort était
engagée sur les bords de l'Elbe. Elle va finir par l'ex-
termination des Slaves. Qu'on regarde en effet une
carte ethnographique, de l'Europe actuelle et qu'on
y cherche les populations slaves. Outre la Russie,
deux nations slaves seulement sont indépendantes,
la Serbie et le Monténégro ; mais la race est distribuée
en six groupes distincts : les Serbo-Croates qui com-
prennent, outre les Serbes et les Monténégrins, les Bos-
niaques, et les Serbes, Croates et Dalmates, de l'Au-
triche; les Slovènes ou Windes de l'Illyrie et de la
Carinthie ; les Bulgares ; les Tchèques de Bohême,'
les Slovaques de Hongrie et les Polonais ; les Busses.
Dans toutes ces populations, on parle sauf la diffé-
rence des dialectes la même langue, celle dont l'al-
phabet a été trouvé par les apôtres de la famille
slave. On a conscience d'appartenir à une même race,
on a des souvenirs communs, des espérances com-
munes. Or ces populations sont précisément relies
dont la conversion au christianisme était accomplie
1. Helmold, I. 83 (Leibniz, II, p. 557).
19 i\ MARCHE AVANT LES ASCAN1ENS
à La date où qous sommes arrivés. Chrétiennes, elles
pouvaienl être subjuguées, mais non exterminées.
Quelque dure qu'ait été Le plus souvenl leur condi-
tion , leur nationalité n subsisté. Cherchons main-
tenant des Slaves dans La vallée de l'Llbo moyenne.
L'ethnographie signale encore an groupe de cent cin-
quante mille Windcs environ dans la Lusace, c'est-
à-dire dans le pays autrefois habité par Les Sorabesj
qui «le lionne heure, comme on l'a vu, ont été
convertis au christianisme. Mais entre l'Elbe et l'O-
der, c'est-à-dire dans le pays de ces Wiltzes. qui, au
commencement du xir siècle , tiennent encore tête a
l'empire el au christianisme , les Slaves ont complè-
tement disparu, ou se sont fondus dans la population
allemande. Les épouvantables guerres que nous avons
racontées avaient fort avancé déjà l'œuvre germani-
que, sur la rive droite de l'Elbe : les ducs de Saxe et
les margraves du Nord vont l'achever par les armes
et par la politique. Avons-nous besoin, en terminant
cette longue introduction, de montrer comment l'é-
tude de ce passé lointain aide à comprendre les plus
redoutables questions du présent? Le réveil du pa-
triotisme slave a failli mettre en danger l'existence
même de l'Autriche; la prédominance de l'élément
germanique en Brandebourg a fait la fortune de la
Prusse. La première pierre de cet édifice que nous
avons vu couronner de nos jours recouvre un peuple
détruit, dont le souvenir ne vit plus guère aujourd'hui
que dans la mémoire attristée de quelques patriotes
slaves.
CHAPITRE II
LE .MARGRAVE ALBERT L OURS.
Les Ascaniens avant l'avènement d'Albert an margraviat du Nord.
— Mission d'Otton de Bamberg chez les Wendes. — La mar-
che à l'avènement d'Albert; premiers actes d'Albert; expé-
ditions et négociations en pays wende. — Acquisition et perle
du duché de Saxe. — Croisade en pays wende. — Prise de
possession de Brandebourg. — Nouvelles entreprises sur le
duché de Saxe. — Mort d'Albert.
LES ASCANIENS AVANT L AVENEMENT I) ALBERT AU MARGRAVIAT
DU NORD.
Suivant la coutume du moyen âge, la famille d'Al-
bert l'Ours a porté les noms de ses résidences succes-
sives, (rui sont toutes les trois situées sur la pente
orientale du Harz : Ballenstedt, qui fut converti en ab-
baye dans les premières années du xn" siècle ; Ànhalt
qui fut, à la même date, bâti au bord de la Selke sur les
flancs escarpés et boisés du Hausberg; enfin Aschers-
leben bâti vers i 150 dans la vallée de l'Eine. Ce der-
nier lieu se nommait en latin Ascaria, d'où, par cor-
ruption, Ascania. Les noms d'Anhalt el d'Ascaniens
désignent ordinairement la famille, mais c'esl sous
celui de1 Ballenstedt qu'elle faitson apparition dans l'his-
44 LE M \i;<;i; w i: ALBERT L'OURS
loirc i. L'annaliste saxon parle en effet, à l'année 1030,
d'un comte de Ballenstedt, Esico, donl le père, qui n'est
poinl connu, avail épousé ane Bile d'Odo, margrave
de Lusace 2. Il esl probable que les Ballenstedl sonl
restés de petits seigneurs jusqu'à ce mariage qui vint
iiiut j coup illustrer el enrichir leur maison ; car Odo
mourul sans héritier mâle, et si le margraviat lui
donné aux Wettin, les biens patrimoniaux, qui étaienl
considérables, passèrent aux Ballenstedt. Esico recul
en outre l'investiture de plusieurs comtés autrefois
administrés par les ancêtres de sa mère. Ces alleux
et ces fiefs, joints à ceux des Ballenstedl, formaient
une sorte de principauté qui, des dernières hauteurs du
Ilarz, s'étendait jusqu'à la rive droiledel'Elbe moyenne.
C'était un pays où la population était moitié allemande,
moitié slave, une sorte de marche, moins le nom.
Esico acheva, par son mariage, de porter la famille
des Ballenstedt, à peine sortie de l'obscurité, au pre-
mier rang dans l'empire ; il épousa Mathilde , fille de
Hermann de Werla et de Gerherg, princesse bourgui-
gnonne. Or Gerberg, devenue veuve, épousa en se-
1. Iste est SigiCridus (ce Sigfried est un fils du margrave Odon,
qui mourut avant son père), avunculus Esici comitis de Ballens-
tide Annalista Saxo, ad annum 1030 (Pertz, VI, p. 678).
2. N von Ballenstedt,
épouse N fille d'Odo.
Esico, f vers 1059.
Albert, f vers 1080.
Otton le Riche, f 1123. Siegfried, f 1113.
Albert l'Ours, f 1170. Eilika. Siegfried, f 1124. Guillaume, f 1140.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 45
condes noces le duc Hermann de Souabe et en eut
une fille, Gisela, qui devint la femme de l'empereur
Conrad II, et la mère de l'empereur Henri III l : Esico
fut donc le beau-frère du premier et l'oncle du second 2.
Cette grandeur même et les alliances auxquelles ils
en étaient redevables engagèrent les Ballenstedt dans
les guerres civiles qui troublèrent l'empire au xie siè-
cle : Albert, fils d'Esico 3, prit part à la révolte des
princes saxons contre Henri IV. Cet Albert eut deux fils,
Otton et Siegfried, de son mariage avec Adélaïde, fille
d'Otton d'Orlamunde, margrave de Misnie. Adélaïde
s'étant remariée au comte palatin du Rhin Henri de
Laach, cette union demeura stérile, et le palatin adopta
ses deux beaux-fils. Siegfried renonça aux biens des
Ballenstedt pour se réserver l'héritage des Laach ; il
devint un des grands princes de l'empire, soutint fidè-
lement Henri IV contre son fils révolté, et quand celui-
ci, arrivé au trône, le poursuivit de son ressentiment,
le palatin souleva l'Allemagne contre l'empereur;
mais il fut vaincu et ne survécut pas à sa défaite (1 113).
Cependant son frère Otton, prince d'humeur paci-
fique, administrait tranquillement l'héritage d'Albert.
1. Gerberg, fille du roi Conrad de Bourgogne,
épouse
en premières noces, en secondes noces,
Hermann de Werla. Hermann de Souabe-
Mathilde, Gisela,
femme d'Esico de Ballenstedt. femme de Conrad II.
2. Pour toute l'histoire des ancêtres d'Albert L'Ours, V. Hei-
nemann, Albreeht der Bar, ch. I et les notes à la fin du volume.
Voyez aussi Raumer, Rey. passim.
3 Un passage de l'annaliste saxon établit la généalogie des an-
cêtres connus d'Albert l'Ours : Machtildem di sponsavit cornes Esi-
cus de Ballenstide, genuitque ex eà comitem Adalbertum.., patrem
comitis Ottonis... Annalista Saxo, ad ann. 1026 (Pertz VI. p. 670).
ili LE M URGR wi: A.LBERT L'OURS
Fidèle aux traditions de sa famille, il avail l'ail, un
mariage qui lui valut Le surnom il»1 riche. Magnus, de
h maison drs Billings qui , depuis un siècle el demi,
gouvernail La Saxe, n avail eu de son union avec So-
phie, Bile du roi de Hongrie Bêla, que deux Biles :Wulf-
bild el Eilika. Aaiprès d'elles s'empressaient de uom-
breux prétendants, attirés par La richesse allodiale des
Billings et par L'espoir d'hériter du duché après la
morl de Magnus; car L'usage rec laissa il une, sorte de
droit au gendre d'un feudataire décédé. Henri lé Noir,
duc de Bavière, avail, épousé Wulfhild ; peu de temps
après l'do de Stade, margrave du Nord, se mit en roule
pour aller demander la main d'Eilika; mais, chemin
faisant, il s'arrêta pour passer la nuit, dans le, châ-
teau de Helperieh de Plôtzkau; il y vit la sœur de son
hôte et ne voulut pas aller plus loin : au grand scan-
dale de ses vassaux, il célébra ses noces avec la belle
Inningarde. (le lui Otton de Ballenstcdt qui épousa l'hé-
ritière dédaignée i. Il crut un moment succéder à son
beau-père (1106), car l'empereur, après avoir investi
du duché Lothaire de Siippligenburg , le lui retira
pour le donner à Otton (1112); mais au moment oii
Lothaire allait commencer les hostilités contre l'em-
pereur, un arrangement intervint, qui força Otton a
résigner sa dignité avant même de l'avoir exercée 2.
1. Welfs Billings Ascaniens
Welf IV, f 1101. Magnus, f 1106. Albert, f 1080.
1 I I
Henri le Noir, épouse = Wulfhild ; Eilika épouse = OUon-le-Riche.
f 1126. f 1126. i 1142. f 1123.
| I
I I
Henri le Superbe, Albert l'Ours,
f 1139. f 1180.
2. Annalista Saxo ad annum 1112, (Pertz, VI, p. 74ÔJ.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 47
A la mort de son frère Siegfried, dont les fils furent
dépouillés même de leurs biens allodiaux par Henri V,
Otton, qui était sans doute le tuteur de ses neveux,
entra dans la coalition qui se forma pour leur défense,
mais il ne porta point d'abord les armes directement
contre l'empereur. En effet les Wendes, profitant
comme toujours des dissensions de l'empire, vinrent
ravager le pays entre la Saale et l'Elbe ; Otton part
avec 60 lances, environ 300 hommes, marche sur
Kôthen où l'ennemi, dix fois plus nombreux, est dis-
séminé pour le pillage, le surprend, le chasse devant
lui jusqu'à l'Elbe qu'il passe, et conquiert sur la
rive droite les premiers établissements qu'aient eus
les Anhalt au delà du fleuve frontière (1115) i. Ce-
pendant la guerre continue avec acharnement dans
l'empire , jusqu'à ce qu'Henri , plusieurs fois trahi
par la fortune, consente à recourir à un arbitrage
et à réparer ses injustices. Guillaume, fils de Sieg-
fried, est rétabli dans ses allodiaux : plus Lard il
recouvra la dignité palatine. La maison ascanienne
avait donc atteint déjà un haut degré de fortune quand
Otton mourut eu 1 123, laissant deux enfants : Eilika,
qui épousa Henri de Stade, margrave du Nord, et
Albert, qui allait devenir un des héros du xne siècle
en Allemagne 2.
Les documents contemporains ne donnent pas la
1. Annales MaijOeburgenses, ad ann. 1115 (Pertz, XVI, p. 182).
Annalista Saxo, ad ann. 1115 (Pertz VI, p. 751). Annales Pali-
clenses , ad ann. 1115 (Pertz, XVI, p. 70). Raumer, Reg., p. 133,
n° 743. — Voyez aussi Ratike, Genesis des preussischen Staates,
p. 6, où l'importance du fait est fort exagérée.
2. Raumer, Reg. p. 134, n° "49. Ann. Sax. ad ann. 110G (Pertz,
VI, p. 741). Eilica nupsit Ottoni, comiti de Ballenstide, genuit-
que ex eâ Adelbertum marchionem et hlium Adelheidem , que
nupsit Heinrico marchioui de Stahen.
JS LE MARGRAVE ALBERT I.'OURS
date de La naissance d'Albert, qu'il faul placer tout à
La fin du xil° siècle ou toul au commencement du
Mir1. et leur sécheresse permel a peine quelques
conjectures sur son caractère. On L'appelait Vouvs à
cause de son courage, L'ours étanl Le roi des forêts du
nord, el des chroniques postérieures Le surnomment
Le beau : L'historien doil deviner Le reste. Pour ne rien
négliger, en un sujet où Les renscigncnirnls psycho-
logiques sonl rares, il faul noter qu'Alberi tient beau-
coup moins de son père, Le pacifique Otton, que de
sa mère Eilika, la fille do Magnus et la petite-fille des
rois de Bongrie. Eilika était d'humeur ambitieuse et
inquiète : retirée sur ses terres après la mort de son
mari, elle est toujours en querelle avec ses voisins,
et manque un jour d'être victime de la colère des
bourgeois de Halle 2. Elle agite , si l'on peut dire ,
l'Allemagne et la chrétienté pour enlever au landgrave
de Hesse l'avouerie sur le petit monastère de Gosock,
situé non loin de son château de Burgwerden. Le pape
Innocent II lui donne raison 3 ; aussitôt elle met son
activité à relever les bâtiments et à refaire les revenus
du cloître qui étaient fort en souffrance. L'abbé qu'on
appelait Bertold, ne lui convenait pas : elle le persé-
cute, jusqu'à ce qu'il ait quitté le couvent. Quand le
malheureux a rendu le dernier soupir à Lorsch, où il
s'est retiré, elle court au monastère de Pegau pour y
chercher un moine, du nom de Nenther, dont elle veut
faire l'abbé de Goseck. Nenther jure qu'il ne quittera
point ses frères, et ceux-ci, qui connaissaient la répu-
1. Voyez la discussion de ce point dans Heinemann,p. 319,
note 6.
2. Raumer. Reg. p. 148, n° 835.
3. Le pape la prend sous sa protection spéciale. Voyez Heine-
mann, Cod. dipl. anh. p. 212, n° 287.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 49
tation d'Eilika approuvent fort sa résolution. L'impé-
rieuse femme insiste, menace, si bien que l'abbé réunit
la communauté, et s'excuse de se laisser vaincre par une
femme, en alléguant le respect dû à la dame et suzeraine
du pays où le monastère esl bâti. « Nous pensons, dit-il,
qu'il n'es! pas prudent de l'offenser. » Quelques jours
après, Nenther, abbé malgré lui, s'installait aumonas-
tère de Goseck, et la comtesse faisait à cette occasion
un beau sermon au peuple assemblé L. Au cours de cette
histoire, nous retrouverons Eilika toujours guerroyant.
Elle sera l'alliée de son fils Albert l'Ours, qui portera sur
un plus vaste théâtre cette ambition toujours en éveil
et cette hardiesse toujours en quête d'aventures.
A peine en effet son père avait-il rendu le dernier
soupir, qu'Albert l'Ours se jeta dans la guerre qui
venait de se rallumer entre la Saxe et l'empereur :
avec l'aide du duc Lothaire, le chef des révoltés, il
conquil et garda la marche de Lusace 1 lw2 5 2, sur la-
quelle il se croyait des droits du chef de sa trisaïeule,
la mère d'Esico '■'. La mort d'Henri V (1125) et l'a-
vénemenl de Lothaire a l'empire secondèrent la for-
tune naissante du jeune margrave, auquel Lothaire
donna l'investiture de la Lusace , en même temps
qu'Henri de Stade, son beau-frère, recevait celle de la
marche du Nord. Pourtant il eût été contraire aux
lois de la nature humaine que Lothaire, devenu em-
pereur, demeurât longtemps en lionne intelligence
avec ceux qui l'avaient aidé dans ses révoltes contre
l'empire : il entendait bien comprimer la belliqueuse
humeur de la noblesse saxonne.
1. Chronicon Gozenense, IL. 19, 21, 22, 24-29 'Hertz. X, p. 154,
157 .
2. Uaum. Reg. p. 138, n° 782, 3, et page 139, rr 785.
3. Voyez le tableau généalogique, au bas de la page 44.
50 LE MARGRAVE ALliEHT I.'oUKS
La mésintelligence n'éclata pas tout d'un coup, si
l'empereur était entouré de tous ses vassaux de Saxe,
dans la malheureuse campagne qu'il entrepril contre,
Sobislaw, duc de Bohême, afin de Le contraindre à
demander la confirmation impériale. Surpris dans les
défilés de Bohême par dr^ forces supérieures, il vil
tomber la fleur de la noblesse saxonne. Albert de
Ballenstedt, après avoir perdu tous les siens, tués
autour de lui, fui l'ail prisonnier '. L'empereur lui-
même, cerné par les Bohémiens, allait tomber en
leur pouvoir, s'il n'eûl consenti à reconnaître comme
duc Sobislaw, qui vint alors s'agenouiller devant
lui 2. Albert, après cette réconciliation, fût rendu à
la liberté. 11 eut sans doute sa part des riches pré-
sents qu'aux Pâques de Tannée suivante, Sobislaw
distribua dans Mersebourg aux parents de ceux qui
avaient péri dans les défilés de Bohême (1126-27).
A ces fêtes de Mersebourg, l'amitié de Lothaire et
du jeune margrave reçut une première atteinte. L'em-
pereur , préoccupé de trouver des alliés contre les
Hohenstaufen et au besoin contre les Saxons, donna
en mariage sa fille unique Gertrude à Henri le Su-
perbe , duc de Bavière , fils d'Henri-le-Noir , et de
Wulfhildde Saxe (1127) 3. Albert l'Ours, cousin ger-
main d'Henri, vit de mauvais œil cette alliance 4. De-
puis la mort de Magnus, les Welfs et les Ascaniens
étaient en querelle : les seconds se plaignaient d'avoir
été frustrés dans le partage des alleux des Billings.
1. Marchio Adelbertus, egregiaa indolis juvenis et militaris ca-
pitur, ann. Saxo ad ann. 1126 (Pertz. VI p. 763).
2. Raum. Reg. p. 141-2, n° 798-9.
3. Voyez Jaffé. Geschichte des deutschen Rciclies, unter Lothar
dem Sachsen, p. 58-9.
4. Voyez le tableau généalogique, p. 46.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 51
Albert était d'ailleurs candidat à toutes les successions,
et n'oubliait pas qu'un moment son père avait été
pourvu du duché de Saxe. Or il prévoyait qu'Henri,
ajoutant à son titre de petit-fils de Magnus, celui de
gendre de Lothaire, succéderait à l'empereur dans son
duché, peut-être même dans l'empire. Pendant deux
ans, il se tient à l'écart, comme s'il boudait son ancien
allié. Bientôl il entre enlutte ouverte contre lui. Henri
de Stade, margrave du Nord, étant mort, l'empereur
donna, suivant l'usage, l'investiture de la marche au
plus proche parent du défunt, Udo de Freckleben.
Aussitôt Albert, qui sans doute convoitait encore cet
héritage, fit une guerre acharnée à Udo, qui tomba
sous les coups des Ascaniens (1130 '. C'est d[n< ces
conjonctures que Lothaire avait donné la marche à
Conrad de Plôtzkau 2 ; l'année suivante, pour punir
Albert de la mort d'Udo, il lui enleva la marche de
Lusace s. Albert craignit sans doute d'engager une
lutte inégale; peut-être fut-il d'ailleurs consolé par la
promesse d'un dédommagement prochain ; car. loin de
se révolter, il accompagna l'empereur en Italie dans
l'expédition où périt Conrad, auquel il succéda. On sup-
pose qu'il recul à la diète de Halberstadt, aux Pâques
de 1134. l'investiture de la marche du Nord >.
mission d'otton de bamberg chez les wendes
Quelques années auparavant, alors qu'il commen-
çait à ressentir du mécontentement contre Lothaire,
1. Annal. Sax. ad ami. 1130 Perl/.. VI. p. 707 .
2. Voyez p. 35.
.'!. Voyezàl'année 1131, ann. Sa • . Pertz VI. p. 707,, Ann. magdeb.
(Pertz, XVI. p. 184); Chronicon Montis Sereni (ap . Mencken, Scrip-
tores rerum germanicarum , prœcipue saxonicarum, t. III. p. 11).
i. Voyez Jaffé, lac. cit. p. 154.
52 LE MARGRAVE A.LBERT L'OURS
Uberl avail commencé à tourner les regards vers le
pays el vers le peuple qu'il avait désormais la charge
de soumettre e1 de convertir : il s'était intéressé à la
mission qu'Otton, évêque de Bamberg, avail conduite
en pays slave Al'l'i . 11 l'an! dire quelques mois de
(■.•lie pieuse entreprise, donl l'histoire se rattache au
sujel qui nous occupe.
L'évêque de Bamberg s'étail imposé le devoir de
convertir les Poméranicns, el déjà eu l'année 1 124 il
avait l'ail une première tentative, à l'instigation du duc
Koleslaw de Pologne, qui avait beaucoup a souffrir du
voisinage de ces païens J. Séparés des Polonais par la
Warta el la Netze, des Prussiens par la Vistule, des
Wendes par l'Oder, les Poméraniens s'étaient jusque
là vaillamment défendus contre la Pologne; un mo-
menl menacés par les Wendes, au temps du roi Henri,
qui imposa sa suzeraineté à leur duc Swantibor, ils
avaient recouvré leur indépendance après la chute
de ce royaume éphémère. A la mort de Swantibor,
en 1107, ses quatre fils s'étaient partagé sa princi-
pauté : Wratislaw et Ratibor avaient reçu la Pomé-
ranie proprement dite, séparée par la Persante et la
Kuddow de la Pomérellie, qui fut le domaine de B6-
gislaw et de Svantopolk. AYralislaw, l'aîné de la
famille, était bientôt devenu conquérant au détriment
des \Vendes retombés dans l'anarchie : il avait passé
l'Oder et commencé la conquête de la rive gauche du
fleuve. C'était un prince intelligent, qui avait autrefois
résidé en Allemagne comme prisonnier. Il y avait
reçu le baptême, et s'il était redevenu païen par peur
1.... Otto bavenbergensis epicopus, invitante pariter et adju-
vante Bolizlao , Polonorum duce... Helmold, Chron. Slavorum,
I. 40 (ap. Leibniz, Scriptores rer. Brans., p. 573).
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 53
d'irriter le sentiment de son peuple, il faisait des vœux
pour le triomphe du christianisme. G'esl chez lui
qu'Otton avait prêché la parole chrétienne. Aidé par
lui, l'évèque avait remporté de grands succès ; mais il
oui été nécessaire qu'il fût soutenu par un sérieux efforl
do la Pologne et de l'empire. Cet effort ne fut pas fait ',
ol l'évèque était à peine rentré dans son diocèse que
le paganisme reprit le dessus et que les traces de
la mission furent presque pari ont effarées. Il réso-
lut il»,' recommencer l'entreprise; mais au lieu défaire
route, comme la première fois, par la Bohème el la
Pologne, il traversa le pays dr> Wendes.
Parti de Bamherg à la fin de mars 1127 2, Otton
se dirige par la forêt de Thuringe vers Reinersdorf,
sur les bords de l'Unstrut, où il avait, peu de temps
auparavant, fondé un monastère de l'ordre de Gluny.
Il y lait ses provisions de route, qu'on porte à Halle,
ou elles sont embarquées sur la Saale. Pendant ces
préparatifs, Otton se rend à Mersehourg où se tenait la
cour impériale. Il y trouve auprès de Lothaire Witi-
kind 3. prince wende qui commandait à Havelberg.
Inquiet .-ans doute de l'isolement où se trouvaient les
tribus de l'Elbe, Witikind cherchait à se rapprocher
do l'empire et du christianisme. Tous les jours, en effet,
les Allemands d'une part et les Polonais de l'autre de-
venaient plus menaçants. Récemment encore l'illustre
Norbert, fondateur de l'ordre de Prémontré, à peine
1. Helmold, à l'endroit qui vient d'être ''ii<'\ se plaint préeisé-
ment que les « Henri » aient été un obstacle à la conversion des
Wendes... Slavorum, quorum utique conversionem Henriciani
1 -aies non modice retardarunt,domesticis videlicet preegravati ..
toc. < it. p. 574.
2. Voyez pour la date, Jaiîé, Gcscltichtc des Deutschen Reiches
unter L<>ih<ir dem Saclisen, p. 269, noie S.
3. Idem, p. 57 et note H.
54 LE MARGRAVE &LBERT L OURS
promu à l'archevêché de Magdebourg 1 126 . avail rap-
pelé aux habitants des anciens diocèses de Brandebourg
el de Havelberg qu'il était Leur pasteur et Leur chef
spirituel. Il s'y étail pris rudement, irrité qu'il étail con-
tre ces villes épiscopales devenues Le « domicile de L'i-
niquité' », el Les Wendes L'accusaienl de Les vouloir
réduire en servitude. Witikind ne voyail de salut que
dans la conversion des siens à La foi nouvelle; mais
comme Wratislaw de Poméranie, il n'osait poinl heur-
ter de front leurs sentiments. 11 eûl assurément sou-
haité qu'Otton Les convainquît an passage, ei il lui pro-
mit devant L'empereur un sauf-conduit et une escorte.
De Mersebourg l'évêque retourne auprès des siens :
tout était prêt. Otton fait acheter sur le marché de
Halle de la vaisselle d'or et d'argent, des objets pré-
cieux et des draps. Il voulait en effet prodiguer les
présents et paraître très-riche; car il avail appris d'un
saint missionnaire, le moine Bernard, que les Pomé-
raniens, loin de se laisser émouvoir par le spectacle de
la pauvreté chrétienne, ne pouvaient croire qu'on vînt
au nom du Tout-Puissant, quand on n'avait pas même
de souliers à se mettre aux pieds. L'expédition s'em-
barque enfin, descend la Saale, puis l'Elbe, jusqu'au
confluent avec la Havel, et, s'engageant dans le pays
wende, remonte la rivière jusqu'à Havelberg. On
était au mois de mai. La ville était joyeuse; tout au-
tour de ses murailles, des bannières flottaient au vent :
on célébrait la fête de Gerovit, « le dieu du printemps
rayonnant. » Otton, irrité par ce spectacle, s'arrête,
mande Witikind, qui ne se fait point attendre, et
comme il reproche au Wende de tolérer un tel scan-
1. Voyez Giesbrecht, Wendische Geschichten, t. II, p. 253.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 55
dale, celui-ci lui représente que son peuple s'est
révolté contre l'archevêque de Magdebourg, parce
que ce prélat voulait le plier au joug d'une trop
dure servitude. « Il n'est puissance au monde qui
puisse nous forcer à recevoir fie lui la doctrine nou-
velle, dit-il, car nous préférons la mort au poids d'un
tel esclavage *. » Il supplie pourtant Otton de ne
point renoncer à dissiper Terreur où vivent les siens :
« le peuple qui repousse les ordres de l'archevêque
écouterait avidement les conseils du missionnaire... »
En effet le peuple s'assemble aux portes de la ville
autour d'Otton, qui le harangue en langue slave, du
haut d'un tertre; il consent aisément à renoncer à
la cérémonie sacrilège qu'il célébrait, protestant qu'il
accepterait volontiers le baptême, si on le délivrait
du joug de l'archevêque. Otton n'avait point qualité
pour prêcher dans le diocèse de Norbert, qui n'eût
pas toléré cette usurpation; il donne de l'or à Witi-
kind, un psautier à sa femme, fait charger sur des
chariots de nouvelles provisions et réclame l'es-
corte qui lui avait été promise à Mersebourg ; mais
le Wende n'ose la lui donner, alléguant l'état d'hos-
tilité où il vit avec ses voisins, qui ne manqueraient
pas de lui tuer ses hommes. L'évêque alors invoque
la très-puissante main de Dieu et continue sa route.
Il s'engage dans une immense forêt, où il marche
cinq jours durant pour arriver au lac Miiritz; les indi-
gènes lui expriment, comme axaient fait les gens de
Havelberg, leur horreur pour la domination de l'ar-
1. Witikindus... protestatus plebom archiepiscopo suo Norberlo
rebellem, eo quod duriori servitutis jugo eam subjugare tentarel,
nullo modo cogi posse fatebatur ul ab en doctrime verbum sus-
ciperet, sed prius morlis occasum quarn servitutis bujus modi
onu subire paratam esse... Raum. Reg. p. lïi, u'809.
56 LE MARGRAVE AI.HEHT L'OURS
chevèque de Magdebourg. De là il se dirige vers
Demmin, <>ù il n ncontre Wratislaw, duc de Pomé-
ranie, que Les habitants avaienl appelé à Leur aide
pour une guerre qu'ils projetaienl contre Les Wilt-
zes. I.r prince fail sous les yeux d'Ottou une in-
cursion sur Le territoire ennemi, puis il prend congé
do lui, après Lui avoir donné rendez-vous à Qsedom,
où il a convoqué La noblesse du pays. Là Wratislaw
prenanl La parole, exhorte Les siens à renoncer à leurs
dieux. Une solennelle discussion s'engage, où Les
défenseurs du paganisme sonl bientôt battus. Dos
prêtres mêmes se Lèvenl pour confesser qu'il serait in-
sensé de persister clans le culte des ancêtres, quand
tous les peuples à l'entour se font chrétiens. Un
s'empresse donc autour d'Otton qui demeure à Use-
doin toute une semaine, catéchisant et baptisant. A
Wolgast, môme succès, après une plus forte résis-
tance. A Giitzkow, les païens venaient (Télex or à
grands frais un temple; à la voix d'Otton, ils le jettent
par terre et commencent la construction d'une église.
Pendant son séjour à Giitzkow, révoque de Bam-
berg reçoit des députés venus d'Allemagne , « afin
de s'enquérir soigneusement du succès de son œuvre
ot de lui offrir au besoin du secours. » G'esL Albert
l'Ours qui les avait envoyés. Otton les retient près
de lui, les mène à Demmin, à Usedom pour qu'ils
puissent voir les prodiges accomplis par la parole
chrétienne. Dans cette dernière ville il les fait assister
aux négociations qu'il a entamées avec le duc Boles-
Law de Pologne, afin d'amener ce prince à s'accom-
moder avec les Poméraniens qu'il voulait obliger à
reconnaître sa souveraineté; puis il les congédie après
les avoir chargés de ses remercîments pour le mar-
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 57
grave. Quant à lui, il demeure encore un certain
temps en Poméranie, revoyant les lieux où il avait
prêché lors de son premier voyage, ramenant les
gens de Stettin qui avaient oublié ses leçons, confir-
mant ceux de Julin dans la foi qu'ils avaient gardée.
Il rentre dans son évèché tout à la fin de l'année,
après s'être arrêté quelques jours à la cour de Boleslaw
de Pologne '.
Cet épisode fait bien voir la situation des peuples
slaves habitant entre l'Elbe et l'Oder. Ils sont tou-
jours divisés entre eux : Witikind et les habitants
de Demmin sont en guerre avec leurs voisins, et
ils appellent l'étranger dans leurs querelles. Ils se
plaignent hautement de l'oppression que les Alle-
mands font peser sur eux et se montrent disposés à
écouter la parole chrétienne portée par de simples
missionnaires. La crainte de l'isolement,- ressentie
d'abord par les princes, a en effet gagné les peuples.
Le christianisme prend pied en Poméranie, où s'é-
lève une principauté nouvelle qui a dépassé l'Oder,
gagne du terrain vers l'ouesl et menace les Obo-
trites et les Wiltzes. A son tour, il lui faut se défen-
dre contre la Pologne, qui n'oublie pas sa prétention
de dominer les nations slaves du nord. Assurémenl
l'influence allemande es) très-compromise en ces con-
trées ; mais l'ambassade envoyée par Albert l'Ours,
afin de » s'enquérir de l'état des choses », montre qu'il
avait les veux sur la. carrière qui, à l'est de l'Elbe,
s'ouvrait à son courage el a sou ambition. A vrai
dire, il ne s'y engagea pas toul de suite, et ne s'y
1. Voyez pour le récit du lu mission d'Otton de Bamberg 1rs
extraits du biographe d'Otton dans Raum., Reg. p. 143-5, nos 808-
1-2, 815-17, 820; et Heinemann, Albrechl der B. p. 71-77.
58 US MARGRAVE ALBERT L'OURS
enferma jamais : ses voisins allemands eurent beau-
coup à souffrir de ses convoitises; mais la lâche de
conquérir des pays païens donl l'existence, au milieu
d'états chrétiens, étail un phénomène étrange, s'im-
posait à lui, el bien qu'il dûi à plusieurs reprises la
dédaigner, la force des choses l'y ramena toujours.
LA MARCHE A L'AVÈNEMENT d'aLBERT, — PREMIERS VOTES d'aLBEUT ;
EXPÉDITION M NÉGOCIATIONS EN PAYS WENDE,
l.a marche, rejelée sur la rive gauche de l'Elbe, s'é-
tendail le long du fleuve, à peu près depuis l'embou-
chure de l'Ohre jusqu'à celle de l'Aland ; la partie de
la province, actuelle de la Saxe prussienne, qui porte
le nom de Vieille-Marche, correspond assez exacte-
ment à l'ancienne marche du Nord. Elle était toute
entière eu terre saxoi et portail quelquefois le nom
de marché de Saxe. La Milde, la Biese, l'Aland, la divi-
saient en deux parties presque (''gales : la partie orien-
tale était formée par le par/iis de Belinesheim, et com-
prise dans le diocèse de Halberstadt ; la partie occi-
dentale était formée par le pagus d'Osterwolde et
relevait du diocèse de Verden. Dans la première, qui
confinait à l'Elbe, les forteresses étaient nombreuses :■
Tangermiinde , Arnebourg, Werben étaient les prin-
cipales ; dans la seconde, moins exposée aux coups de
l'ennemi, le lieu le plus important était Salzwedel, qui
avait été la résidence habituelle des margraves de la
maison de Stade ». Aucun iief de l'empire n'était
mieux situé que la marche pour s'agrandir par la
conquête : c'était la compensation de la médiocrité de
son étendue et de sa richesse. Aucun margrave mieux
1. Voyez Heinemann, Albrecht der B. p. 97-8, et les notes ir* 10-
12, à la page 339; Riedel, die Mark Br. t I, p. 11-41.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 59
qu'Albert n'était en état de lui rendre les territoires
qu'elle avait perdus sur la rive droite de l'Elbe, car les
fiefs et les alleux, qu'il possédait d'autre part, lui don-
naient une puissance que ses prédécesseurs n'avaient
jamais connue.
Les deux années qui suivenl son investiture, Albert
reste presque constamment auprès de l'empereur. Il
assiste en 1135 à la diète de Bamberg ' où, en pré-
sence de Ions les princes d'Allemagne, Frédéric de
Hohenstaufen , vaincu par les armes de Lothaire el
d'Henri de Bavière, sollicite à genoux le pardon de ses
révoltes. Il est à Magdebourg, le jour où Lothaire re-
çoit solennellement les envoyés des rois de Danemark
et de Hongrie, et probablement aussi h Mersebourg,
quand le duc de Pologne vient à son tour reconnaître
la suzeraineté impériale et prendre place, l'épée nue,
dans le cortège de l'empereur. L'année suivante, on
retrouve le margrave à Aix-la-Chapelle, où Lothaire
annonce l'expédition qu'il veut faire l'automne en
Italie, a Mersebourg où l'on délibère au sujet de celte
campagne, à Goslar enfin, où Alberl se rencontre avec
l'évèque Anselme de Havelberg 2. Le prélat arrivait de
Constantinople, ou il avait été soutenir dans une dis-
cussion solennelle les droits de l'église latine contre
ceux de l'église grecque; car l'évèque de Havelberg
('■tait, connue celui de Brandebourg, un évêque inpar-
tibus infldelium, et l'on voit qu'il portait son activité
loin de son diocèse
dépendant Alberl reçoil à Goslar une nouvelle qui
le rappelleà son poste: les Wendes venaient dépasser
1. Raum. Reg. 154, n" 878.
L2. Heinemann, Cocl. dip. anh. p. 177, ir 230-32; Albr. der /;. ,<
l'appendice, p. 449, n" 26.
60 LE MARGRAVE ALBERT L'OURS
l'Elbe et de ravager la marche '. Il ace •!, réunit
ses vassaux cl l'ail une expédition an delà (In lleuve. A
la vérité, m mis ne savons rien de celle campagne, SÏ ce
n'esi qu'elle fui courte, d ne fut point suivit; d'une
conquête définitive ; mais il semble que le margrave
[int pied, dès cette année 1136, dans le pays des Hével-
liens; les établissements qu'il y garda furent comme au-
lani «le points de dépari pour la conquête qui se pour-
suivit lenieinciii dans la Priegnitz 2. Vers la même
date, Alberl concluail avec Pribislaw, prince de Bran-
debourg, une convention qui préparai! une acquisition
très-importante.
Au milieu de ses sujets païens, adorateurs de Triglaf,
le dieu à trois têtes, Pribislaw cl sa femme Pe'trussa
étaient chrétiens, cl lous deux s'efforçaient d'amener
au culte du vraiDieu « l'âme idolâtre de leur peuple ».
L'entreprise était difficile et le sort de Gottschalk en
monlrait les périls. Pribislaw avait donc cherché de
l'appui 'Mi Allemagne. Depuis longtemps, il était en
relations avec Albert, dont il avait tenu le fils, Otton,
sur les fonts baptismaux : il avait même donne en
cadeau de baptême à son filleul la Zauche. Enhardi
par cette alliance, il ne cacha plus sa ferveur reli-
gieuse, bâtit une église, fit venir des moines de l'ordre
de Prémontré, et « tout roi qu'il fût, montra une si
grande dévotion, que, méprisant les ornements royaux,
il offrit aux reliques de St-Pierre son diadème et celui
de sa femme; » mais il n'avait point d'enfants et crai-
gnait que le ressentiment des llévelliens ne fit dispa-
raître son œuvre; il la mit donc sous la protection
du margrave qu'il reconnut pour son héritier. On
1. Raum. Rerj. p. 157, n" 900.
2. Heinumunn. Albrechl der B. p. 344 aux notes 45 et 46.
LE MARGRAVE ALBERT LOURS (Jl
a supposé avec quelque vraisemblance que cet acte
d'adoption s'accomplit vers l'année 1136, et que la
nouvelle qui s'en répandit parmi les Wencles excita
ceux-ci à faire sur les terres d'Albert l'invasion dont
il a été parlé 1. Les païens ne furent pas découragés
(Tailleurs par le châtiment qui leur avait été infligé ;
il est probable qu'ils reprirent bientôt une attitude
offensive, car Albert paraît n'être pas resté jusqu'au
bout auprès de l'empereur en Italie. Pendant l'hiver
de 1 137, il passe l'Elbe encore une fois avec une armée
assez forte, et porte la destruction sur la terre de ses
ennemis 2.
SITION ET PERTE DU DUCHÉ DE SAXE.
La nouvelle de la mort de Lotbaire rappela l'at-
tention du margrave sur les affaires de l'empire. L'em-
pereur avait succombé au mois de décembre 1137,
au moment de quitter l'Italie. Un a vu les beaux
côtés de sou règne : Lotbaire avait fait plier devant
lui les Hohenstaufen révoltés; il avait maintenu la
paix entre l'Eglise et l'empire, reçu l'hommage des
couronnes de Danemark, de Bohême, de Pologne, de
1. Toute cette histoire de l'adoption d'Albert par Pribislaw est
racontée dans une chronique du xiv siècle, celle de Pulcava :
Chronicon Boemiœ ap.Dobner,Monumenta Boemiœ historica, t. III.
p. 167). L'existence même d'une convention pareille a été conte
c'est un dus points litigieux de l'histoire du Prandebourg, et l'on a
écrit des volumes sur la question. Les preuves en faveur de la
tradition qui est ici rapportée sont concluantes. En effet Pulcava a
écrit d'après une vieille chronique brandebourgeoise V. Riedel,
Novus coilrj diplomaticus brandenburgicus, IV'' part. t. I, p. IX-
XVI) ; un fragment d'une autre chronique du xiv siècle, cité par
Heinemann (Albrecht der 1! au supplément, p. 421-2 noa 1 et 2)
concorde avec Pulcava. Enfin les Annales Palidenses (Pertz XVI,
p. s:,, document contemporain du marg. Albert, disent a la date
de 1150 : Heinricus Brandeburg obiit, cujus ha'res factus est mar-
chio Adelbertus. .> Henri était le nom chrétien de Pribislaw.
2. Collecta valida manu tetram Slavorum praedabundus peram-
bulavit.,. Kauiu. l'vj. \>. 161, n° 924.
(i'J LE MARGRAVE ALBERT L'OURS
Hongrie; mais il avait obtenu ces brillants résultats
par une politique qui compromettait L'avenir. En effet,
il avail fini par donner a son gendre Henri-le-Superbe,
duc de Bavière, Le duché de Saxe, ei constitué par là
en Allemagne la puissance la plus redoutable qu'on y
eûl jamais connue l : c'était comme un appel aux coa-
litions qui allaienl se former contre elle. Enfin L'hu-
milité de la politique du Saxon envers L'Église avail
encouragé Les prétentions pontificales ei préparé il»1
nouveaux conflits. A la nouvelle que Lothaire a Laissé
1rs insignes impériaux à Henri, ei qu'ils sonl menacés
d'avoir pour chef un homme donl les domaines s'éten-
dent de l'Adriatique à la Baltique, les princes ecclé-
siastiques et laïques s'émeuvent. A loui prix*, ils veu-
lent empêcher l'élection du duc de Saxe et de Bavière.
Ils se concertent avec Conrad de Hohenstaufen, négo-
cient (Tavanee avec lui les concessions que l'on com-
mence à stipuler à chaque avènement et qui ruinent
le pouvoir impérial. Pendant ces pourparlers, Albert
l'Ours entrait on Saxe avec une armée : il avait cru le
moment venu de faire valoir ses droits sur le duché 2.
La veuve de Lothaire, lticlienza, avait convoqué la
noblesse saxonne à Quedlinbourg, pour la disposer
en faveur d'Henri de Bavière. Albert marche sur la
ville, l'investit, empêche la réunion et porte le ravage
et l'incendie sur les terres de l'impératrice. Cependant
la noblesse de l'Allemagne du sud se réunissait à
Liitzelkoblenz sur la Moselle, et procédait, au mépris
de toutes les formes, à l'élection de Conrad de Hohen-
staufen. Albert fut des premiers à reconnaître le nouvel
1 . Voyez Jaffé, Geschichte des Deutschen Reiches unter Lothar dem
Sachsen, à l'appendice, p. 230; et Geschichte des Deutschen Reiches
unter Conrad dem dritten, chap. I.
2. Raum. Reg. p. 162, n° 926.
LE MARGRAVE ALRERT L'OURS 63
empereur, dont il avait facilité l'élection par l'offensive
hardie qu'il avait prise '. Conrad veut profiter de
ses premiers avantages et réduire son rival à l'impuis-
sance; il somme Henri d'abdiquer une de ses cou-
ronnes ducales, le met au ban de l'empire, sur son
refus, et donne le duché de Saxe au margrave Albert 2.
Albert avait donc atteint le but suprême de son
ambition ; mais il ne trouva dans sa dignité nouvelle
qu'une satisfaction passagère. Tout lui sourit d'abord,
bien que les Saxons, mécontents qu'on eut disposé du
duché sans les consulter, se fussent rangés en grand
nombre autour de Richenza. Au même moment Eilika,
mère d'Albert, était un des plus vaillants soutiens de
la cause de son fils. Celui-ci prend l'offensive comme
toujours, s'empare de Liinebourg, de brème, con-
quiert la plus grande partie de la Westphalie saxonne.
Adolphe de Holstein ayant été chassé de son comté
par ses sujets, Albert, usant de son pouvoir ducal, y
installe Henri de Bardewide; sur un seul point il
éprouve un échec : le château de Bernbourg « d'où sa
mère, la margrave Eilika, exerçait sa tyrannie », est
détruit par le feu -. Cependant la noblesse de Saxe
ne se ralliait pas a son nouveau duc. L'empereur
vient à Goslar, à Noël de l'année 1 138, pour donner
solennellement à Albert l'investiture en terre saxonne.
Il convoque les grands de Saxe une fois encore à
Quedlinbourg (1139), pour ménager nue entente, mais
1. Voyez Raum. Reg. p. 162-4, n°* '.127-31. 939, 941-2.
2. Gonradus autem rex in solium regni levatus, Adalbertum in
ducatu lirmare nisus est,injustum esse perhibens quemquam prin-
cipum duos tenere ducatus... Bellabant ergo hi duo principes,
dnarum sororum filii intestinis prseliis, et commota est universa
Saxonia... Helmold, I. ai (Leibniz. Il, p. 583).
3. Raum. Reg. p. 164, n" 943-4. Les Regesta contiennent pour
l'année 1138 une erreur chronologique, corrigée par Heinemann,
Albreclit der B. p. 351, note 85.
64 LE MARGRAVE ALBERT LOI RS
li. il apprend qu'Henri de Bavière, Laissanl à son
frère Welf \I I»1 soin de défendre ses intérêts el ses
droits dans le sud de l'Allemagne, venail d'arriver en
Saxe. Henri avail voyagé en grande hâte el en secret :
quatre cavaliers seulemenl l'accompagnaient. Au bruit
de sa venue, les Saxons accourenl sous son étendard.
L'empereur quitte précipitammenl la Saxe, laissanl
Alberl seul aux prises avec son adversaire.
En mi moment le margrave perd ses conquêtes.
s. m territoire est attaqué, el ses forteresses em-
portées : il se réfugie auprès de Conrad '. Son
vassal Henri de Bardewide ne peut se maintenir
dans le Holstein. Avant de quitter le comté, il se
rend coupable d'un acte qui montre avec quelle
facilité les princes allemands oubliaient dans la
fureur de leurs querelles, la mission de la Germaine
en pays vende. Il incendie les forteresses do Sege-
berg et de Hambourg, élevées contre les barbares2.
L'empereur Conrad fit de grands préparatifs pour
rétablir en Saxe son autorité méconnue. Les princes
de l'Allemagne de l'ouest lui promirent leur concours ;
Albert, de son côté, s'assura l'assistance du duc Sobis-
law de Bohème. Après avoir l'ait en Bavière une
expédition au cours de laquelle il donna le duché au
margrave d'Autriche, Conrad se mit en marche vers
la Saxe. Les Bohémiens le rejoignirent auprès de
Hersfeld; l'armée impériale était nombreuse et bril-
lante : les archevêques de Mayence et de Trêves, les
évêques de Spire, Wurzbourg, Worms, Zeitz se trou-
vaient dans ses rangs, oùLéopold d'Autriche et Albert
l'Ours s'apprêtaient à combattre pour gagner leurs
1. Raum. Reg. p. 166-167; n" 956-962.
'2. Helmold, I. 56, (/oc. cit. p. 585.)
LE MARGRAVE ALBERT L OURS 65
nouvelles couronnes. Henri-le- Superbe ne fut pour-
tant pas intimidé par ce déploiement de forces;
l'archevêque de Magdebourg tenait pour lui , et la
plupart de ses amis et fidèles de Saxe, auxquels « il
avait exposé ses misères », avaient répondu à son
appel '. Il marcha au-devant de l'armée royale et
vint camper en face d'elle aux bords de la Werra. Au
moment d'en venir aux mains, les évoques qui se
trouvaient dans les deux camps firent conclure une
suspension d'armes. Les Saxons reconnurent Conrad
pour empereur, et il fut convenu qu'on remettrait à
une diète, qui se réunirait à Worms au mois de fé-
vrier 1140, le jugement définitif sur les prétentions
d'Henri au duché de Saxe. En attendant, celui-ci gar-
dait ses conquêtes ; Albert demeurait dépossédé même
de ses propres fiefs 2.
La mort presque subite d'Henri de Bavière (oct.
1139), ranime tout à coup les espérances du mar-
grave. Il court hardiment à Brème, où la foire de
la Toussaint avait attiré une grande foule et y con-
voque, connue duc de Saxo, un placitum solennel.
Mais les Saxons étaient irrités de la mort d'Henri,
qu'ils attribuaient à un empoisonnement. Ils se sou-
lèvent contre Albert, qui s'enfuit à grand'peine, pren-
nent parti pour le fils de leur duc, un enfant de dix
ans. qui sera bientôt connu sous le nom d'Henri-le-
Lion. Encore une fois, l'impératrice Richenza était à
la tête du mouvement. Les terres d'Albert subissent
de nouveaux ravages. Son château patrimonial d'An-
hall est détruit de fond en comble ;).
1. Raum. p. 166, n° 956.
2. Id. p. 168, n» 970-3, et Heinemann, Albrecht der B.
p. 353-4, notes 165-8.
3. Raum. Reg. p. 168-9, n ()7f'.-7; p. 171, n° 99t.
66 LE MARGRAVE ALBERT L'OURS
Le margrave, retiré auprès de l'empereur, plaida sa
cause à la diète de Worms (1140), mais les princes
saxons nes'v rendirent pas. Convoqués à Wurzbourg,
ils s'abstinrenl encore. Conrad u'osa point les atta-
quer. Après avoir remporté en Bavière un nouveau
succès sur Welf VI, il entama des négociations avec
la Saxe : elles traînèrenl péniblement pendant une
année. La mort de* deux personnages qui mettaient
le plus de haine dans celle lutte, «le lliclien/a et
d'Eilika , produisit un certain apaisement. Enfin ,
au printemps de 1142, se réunit à Francfort une
grande diète qui termina le différend. Henri le Lion
dut renoncer à la Bavière, mais il garda la Saxe.
Albert fut réintégré dans la marche du Nord. Une
riche succession lui ('lait (Tailleurs échue; son cou-
sin, le palatin Henri *, étant mort sans enfants, il
avait hérité des biens d'Orlamlinde, qui provenaient
de sa grand'mère, et qui se composaient des comtés
de Weimar et d'Orlamiinde et d'un grand nombre
de fiefs situés en Thuringe et en Franconie. Il est
probable qu'il en reçut l'investiture à Francfort
même 2.
CROISADE EN PAYS WENDE.
Peu de temps après la pacification de Francfort,
la nouvelle se répandit en Allemagne qu'Edesse avait
succombé sous les coups des infidèles et que Jéru-
salem était menacée. Saint Bernard , après avoir, à
Vézelay, attaché la croix sur l'épaule de Louis VII,
roi de France, se rendit en Allemagne. Le Saint-Em-
1. Voyez p. 44 et 47.
2. Raum. Reg. p. 172-3, n°* 1)98, 1008-10, 1012.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS G7
pire avait pris une part modeste à la première croi-
sade, et paraissait peu dispos»'' à s'aventurer dans la
seconde. Les efforts faits auprès de Conrad à plu-
sieurs reprises pour le déterminer h se croiser n'a-
vaient point réussi. Il fallut qu'à Spire, pendant la
messe célébrée le 27 décembre 1146, l'apôtre de
Glairvaux se tournât vers l'empereur et lui arrachât,
à force d'éloquence, la promesse de se rendre en
Terre-Sainte. Les larmes aux yeux, Conrad pril la
bannière et la croix que saint Bernard lui tendait des
marches de l'autel L Son exemple fut suivi par un
grand nombre de princes de toutes les parties de
l'Allemagne , sauf la Saxe. Saint Bernard voulut
aussi gagner les Saxons, et il se rendit ù la diète que
l'empereur avait convoquée à Francfort, pour régler
avant son départ les affaires pendantes et imposer
une trêve à toutes les querelles (1147). Henri le Lion
y assistai! avec la plupart de ses vassaux et des prin-
ce- de l'Allemagne orientale, parmi lesquels était
Albert l'Ours; mais aux exhortations de saint Ber-
nard, ceux-ci répondirent qu'ils n'avaient pas besoin
d'aller chercher les infidèles au delà ^\vs mers, et
qu'ils avaient à leur portée une croisade à faire 2.
L'apôtre reconnut qu'ils avaient raison, et du con-
sentement de Conrad, il prêcha la croisade contre
les Slaves. Après avoir en tenues sévères, blâmé
la négligence que les Allemands avaient mise à
propager le christianisme chez leurs voisins ;5, il
distribua aux Saxons l'insigne de cette nouvelle
1. Jaffé, Geschichte îles deutschen Reiches untei Konrad dem III.
p. 113.
2. Otton de Freisingen, De rébus gestis Friderici I Barbarossœ
libriduo, I, 40.
3. Heinemann, Albreckt (1er 15., p. \(\ï et p. 3159-71).
68 LE M VRGR Wi' AI l'i RT L*01 RS
guerre sainte, qui étail la croix plantée sur un globe.
Le pape Eugène écrivil de Troyes aux princes saxons
une lettre où il louai! leur entreprise, mais en leur
recommandant de la pousser jusqu'au bout el de ne
poinl accorder aux païens la conservation de leurs
idoles moyennanl tribut. Saint Bernard renouvela colle
défense que la rapacité germanique, si souvent flétrie
par les écrivains ecclésiastiques, rendail nécessaire '.
Cependant les Wendes sentaient venir la guerre
d'extermination : les croisés avaient juré de détruire
complètement les païens ou de les convertir 2.
Niclot, prince des Oboliïlcs, arme son peuple, et,
après s'être préparé une retraite en bâtissant la for-
teresse de Dobin, sur les bords du lac Schwérin, il
s'embarque, apparaît tout à coup avec* sa flotte devant
Liibeck3, surprend et brûle un grand nombre de na-
vires dans le port et se répand dans le Holstein qu'il
ravage. Cette attaque précipite les armements des
croisés, qui s'étaient faits avec une désespérante len-
teur. Deux armées sont sur pied au commencement
d'août : Tune se dirige vers Dobin ; elle est comman-
dée par Henri le Lion, qu'accompagnent l'archevêque
de Brème, plusieurs évoques, un grand nombre de
comtes et de nobles. Les Wendes se retirent devant
elle dans leurs bois et leurs marais. Près de Dobin,
elle trouve les Danois qui se joignent à elle. L'autre
armée se réunit à Magdebourg. Au premier rang,
1. Hoczek, Codex diplomaticus moravicus, I, nu 265, p. 2ii ;
n° 274, p. 253; Raum. Reg. p. 185-7, n» 1092, 1096, 1102; Jaffé,
Geschichte des deutschen Reiches unter Conrad dem driltenp. 111-
114, 120.
2. Consenserunt in hoc ut vicinam sibi Slavorum genlem paga-
naui aut omnino delerent aut christianos fieri cogèrent... Auc-
tuarium Gemblacense ad ann. 1148 (Pertz. VIII. p. 392).
3. Lùbeck faisait alors partie du comté de Holstein.
LE MARGRAVE ALBERT LOURS G9
parmi les princes séculiers, étaient les margraves du
Nord et de Misnie, Albert et Conrad; parmi les ecclé-
siastiques, l'archevêque de Magdebourg, les évêques
de Havelberg et de Brandebourg. Les Slaves de Po-
logne avaient envoyé leur contingent. « Toute la
terre trembla devant la face des chrétiens,, et pendant
trois mois ils parcoururent le pays, dévastant les cam-
pagnes, incendiant les villes »; après quoi, les princes
ecclésiastiques et les princes laïques se séparèrent
pour aller assiéger, les premiers Demmin et les se-
conds Stettin.
Toutes les forces chrétiennes étaient donc tenues
en échec devant trois villes. L'issue de ces trois sièges
ne fut pas glorieuse pour les croisés. Los habitants do
Si lin ayant remontré aux évêques qui les assié-
geaient qu'ils avaient été ci invertis par Otton de
Bamberg, et qu'ils ne demandaient qu'à être con-
firmés par la douceur dans la foi chrétienne, les
évêques se prêtèrent à un accommodement. Levant
Dobin, les Allemands laissèrent écraser parles assié-
leurs alliés les Danois, qui périrent par milliers;
le reste, criard à la trahison, regagna son pays. Devant
Demmin, les opérations languissaient. La discorde se
mit parmi les Allemands. Les uns voulaient la guerre
•i outrance, mais les gens d'Henri le Lion et d'Albert
l'Ours étaient portés aux ménagements. « A quoi sert
cette guerre, se disaient-ils ? Le pays que nous rava-
geons nous appartient; ces hommes que nous tuons
sont nos sujets. Pourquoi donc combattre avec tant
de rage contre nos propres intérêts? » Sans doute, le
i\wc et le margrave se faisaient le même raisonne-
ment. On ne tarda point à parler de paix. En décem-
bre 1147, cinq mois après le commencement de la
7(1 LE MARGRAVE ALBERT L'OURS
croisade, Les Wendes se déclarèrenl prêts ;'i recevoir
le baptême, el L'on ne s'enquil poinl de La sincérité,
de Leur conversion. Beaucoup furent baptisés, mais
restèrenl aussi attachés que devanl au paganisme. L'ar-
mée chrétienne retourna en Allemagne sans gloire,
accusée encore une fois d'avoir entrepris cette guerre
non pour évangéliser Les Wendes, mais pour piller el
conquérir leur pays i.
Plus triste encore fui L'issue de La croisade alle-
mande en Terre-Sainte. L'armée de Conrad., trahie
par les Grecs qui la conduisaient, fut détruite entre
Nieée et Iconium, et l'empereur revint à peu près
seul à Gonstantinople, où il attendit le roi de France.
Celui-ci ne fut guère plus heureux, et l'expédition ne
fit que démontrer l'impuissance des chrétiens d'Occi-
dent à secourir le royaume du Saint-Sépulcre. Conrad
rentra en Allemagne au mois de mai 1149. Aussitôl
les querelles assoupies par la croisade se ranimèrent.
Welf VI, qui prétendait se maintenir en Bavière, fut
battu par le fils de Conrad, le roi des Romains Henri
(1150). Albert l'Ours ne prit en ce moment-là aucune
part aux événements de l'empire ; car la succession
de Pribislaw venait enfin de s'ouvrir.
PRISE DE POSSESSION DE BRANDEBOURG.
A peine son mari avait-il rendu le dernier soupir,
et avant que la nouvelle de sa mort, qu'elle cacha
soigneusement, fût connue, Petrussa manda le
margrave Albert, qui arriva en toute hâte, occupa
Brandebourg et fit célébrer en grande pompe les funé-
1. Pour le récit de la croisade, voyez Helmold, I, 05 ; Raum. Rey.
p. 188-91, n" 1108-13, Jaffé, loc. cit. p. 145-154. .
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 71
railles du chef wende, dans l'église où celui-ci avait
naguère pieusement déposé son diadème i. Albert
l'Ours se mit aussitôt à organiser sa conquête, mais
elle n'était pas encore définitive. La persistante riva-
lité du margrave et du duc Henri de Saxe, la guerre
civile qui sévit avec fureur dans l'empire, favorisaient
les dernières résistances des Hévelliens. Or il restait
un rejeton de la famille de Pribislaw, Jacze, qui paraît
s'être retiré en Pologne. Les ducs Boleslaw et Casimir
y régnaient alors, après avoir expulse leur frère \Yla-
dislaw, gendre d'Albert l'Ours; ils prirent dune volon-
tiers le parti de Jacze contre le margrave qui était leur
ennemi commun. Un jour, Jacze parut inopinément
devant Brandebourg : le margrave était absent ; la
ville t'tait gardée moitié par dr> Saxons, moitié par
des Slaves; la garnison se laissa corrompre, et Ton
présume qu'il n'y eut pas même de combat. Albert
accourut aussitôt ; aidé par l'archevêque de Magde-
bourg, il attaqua la ville. On combattit par terre et
par eau, et le siège lut long et sanglant. Quand Albert
rentra dans sa conquête, il expulsa tous les Slaves, et
pourvut la forteresse d'une nombreuse garnison alle-
mande l le 7 2.
Brandebourg avait vécu le dernier jour de son indé-
pendance. C'était uni.' véritable capitale wende, sous
1. Raum. Reg. p. 172, n° 1000; mais Raumer commet une er-
reur en plaçant ce fait à la date de 11 il. Conf. Heinemann, Al-
brechtder B. p. 376, note 174.
2 Voyez les fragments d'une vieille chronique brandebourgeoise,
dans Heinemann, A Ibrecht dur B. à L'appendice, p. 422... Albertus
ursus marchio, Wichmanni archiepiscopimagdeburgensis et nobi-
lium fretus auxilio, castrum vallavit tribus in locis exercitumaddu-
cens. Anno autem Domini MCLVII, tertio Idus junii, castrum denuo
acquisiverunt. Voyez aussi une charte de l'évêque de Brandebourg
[Riedel, cod. dipl. I, vin, p. 104); et Raum. Reg. p. 207, n<> 1247.
p. 209, iv 1250.
72 LE M \RQB w K ALBERT L'Ol RS
bois e1 entourée d'eaUi Une colline, qui s'élève
de 66 mètres au-dessus du niveau de la mer, el qui
est comme une merveille en ce pays plat, La défendait
du côté de l'Allemagne. G'esl Là que s'élevait le tem-
ple fameux do Triglaff, converti plus tard en une
égliso consacrée à La Vierge. Longtemps on y garda,
comme un souvenir de La victoire chrétienne, l'idole
à trois trios; qu'avait terrassée La mère du Sauveur.
Ce temple n'existe plus aujourd'hui : il était de pierre,
ce qui est encore une merveille dans Le Brandebourg,
et le roi-sergent, Frédéric Ier, le lii démolir au \\jjie
siècle, sans souci de la vieille histoire, pour en faire
transporter les matériaux à Potsdam, qui sebâtissail
alors. C'est à peine si l'on en trouve encore vestige
sur la collino ; mais du sommet, l'œil suit au loin le
cours do la Havel, qui se replie vingt fois sur elle-
même, et, s'élargissant par endroits, forme de petits
lacs où se reflètent les nuages d'un ciel humide. Do
tous les côtés, la plaine monotone et maigre s'étend à
perte do vue. Au temps du margrave Albert, la ville
se composait sans doute en grande partie de maisons
de pêcheurs, groupées commo aujourd'hui au bord
de la rivière. Albert et ses successeurs vont illustrer
cette bourgade, qui garde encore quelques traces de
sa grandeur passée. Ses églises, toutes gâtées qu'elles
soient par des clochers grotesques et par des tours
carrées que surmontent des dômes mal dessinés ,
les grands combles de ses maisons de brique, ses rues
qui portent des noms où vit le souvenir du passé,
plaisent au visiteur arrivant de Berlin , et reposent
son regard fatigué des splendeurs factices de la capi-
tale prussienne.
La prise de possession de Brandebourg est un fait
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 73
historique d'une grande importance. Le territoire
acquis par Albert, comme héritage de Pribislaw, n'é-
tait pas très-considérable; c'était le Ilavelland, entre
laHavel et le Rhin son affluent, qui l'entourent ri un me
une îlt'. A côté de Brandebourg, qui en était la ville
principale, Pritzerbe, Nauen, llathenow, Plane, Span-
dow étaient déjà connues au xne siècle. La dernière
ville, qui fut fortifiée par Albert l'Ours, était à lu fron-
tière orientale du Ilavelland. qui s'arrêtait par c
séquenl à quelques kilomètres de Berlin. .Vu Ilavel-
land il faut ajouter, pour compléter le domaine slave
du margrave, la Zauche, don de Pribislaw m son lil-
leul Otton. Située au sud du Havelland, dont elle
séparée par la Havel, la Zauche correspond à peu près
au cercle actuel du même nom dans la province de
Brandebourg, gouvernement de Potsdam, mais elle
ridait plus loin a l'ouest et rejoignait la Marche
proprement dite, à travers le domaine transalbi
l'archevêché de Magdebourg. Ziesar, Gorzke, Brii
défendaient la frontière occidentale ci méridional
la Zauche contre l'archevêché. A 1 face du pays
de Teltow, demeuré slave, veillaient les châteaux de
Saarmund et de Trebbin. Enfin la terre de Priegnitz,
ou pays do Havelberg, avait été peu à pou conquise
par Albert : l'Elbe la séparait de la marche, et elle
était comprise entre ce fleuve, l'E i Dosse; Ha-
velberg, Wittstock, Putlitz en étaient les lieux princi-
paux. Le Ilavelland, la Zauche el la Priegnitz réunis
formaient à peine le quart do la province actuelle de
Brandebourg; mais c'étail beaucoup que d'avoir recon-
quis au delà do l'Elbe un pays qui no devait plus être
perdu. Si la marche du .Nord n'était point, comme on
l'a prétendu à tort, vassale du duché de Saxe, elle
7 i LE MARGRÀ\ K ALBERT L'OURS
ôtail située en terre saxonne, el on L'appelai! marche
de Saxe aussi bien que marche du Nord. Or Alberl
L'Ours prit Le titre de margrave de Brandebourg el
il est avide-nl que ce titre lui paraissail supérieur
à L'autre. Brandebourg eut bientôt 1»' rang d'une
capitale. Cette ville, dira plus tard un margrave,
u brille entre toutes nus villes.... Ces! d'elle que
aousavons reçu Le titre de aotre principauté; c'est
d'elle que tout aotre domaine a tiré son origine, comme
les ruisseaux déroulent de Leur source » ».
En droit ce n'étail point une principauté indépen-
dante de L'empire qu'Albert avait fondée; mais en fait
l'indépendance des margraves de Brandebourg devait
être à peu près complète sur ce terrain conquis par
leurs armes el par leur politique. Dans la plaine qui
s'étendait vers Test et s'inclinait vers Le nord, la
nature n'avait mis aucun obstacle à leur ambition. Une
vaste carrière s'ouvrait donc devant eux; ils y mar-
cheront à grands pas, quand, à la mort d'Albert, ses
fiefs et comtés d'Allemagne étant partagés entre ses
cadets, la marche deviendra le domaine unique et
spécial de l'aîné de ses descendants. Plus détachés
des affaires de l'empire que leur ancêtre, ils feront
mieux celles de la marche de Brandebourg. A la
vérité Albert leur montra le chemin qu'il fallait
suivre pour la colonisation delà marche 2; il releva
les évèchés détruits de Havelberg et de Brandebourg;
il appela des colons, fonda des villes, mais jusqu'à La
1. Prse omnibus fulget, tune quia nostri principatûs titulum
recepimus ab eodem, tune quia totum nostrum dominium ab
eàdem nostrâ civitate traxit originem, tanquam à fonte rivuli deri-
vantur.. Document de l'année 1315, cité par Riedel, die Mark Lr.
t. I, p. 328, note 2.
2. Voyez pour les institutions le chapitre V.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 75
fin de sa vie son attention fut tournée vers l'Allema-
gne, et le duché de Saxe demeura l'objet de sa con-
voitise. Un an après la mort de Pribislaw, le mar-
grave assistait à la diète de Wurzbourg, où Ton
délibéra sur une expédition en Italie projetée par
Conrad; mais Henri-le-Lion commençait à réclamer
hautement la Bavière, et l'on craignait qu'en l'ab-
sence de L'empereur il ne tentât de s'ru emparer.
Albert, profitant dos inquiétudes de Conrad, lui con-
seilla d'attaquer Henri et de le mettre par une guerre
menée à fond, hors d'étal de nuire (1151 .
NOUVELLES ENTREPRISES SUR LE DUCHÉ DE SAXE.
Le margrave s'étail préparé de longue date ;'i celte
éventualité. Il avait attisé le mécontentement suscité
parmi les nobles saxons par le caractère despotique
et violenl de leur duc, et fait alliance intime avec Hart-
wig de Stade, archevêque de Brème. D'après le plan
d'attaque concerté avec Conrad, Henri-le-Lion devait
être enfermé en Souabe, où il se trouvai! : ses enne-
mis entreraient en Saxe, el d'accord avec les Saxons
révoltés, foraient main liasse sur ses forteresses. Con-
rad, après avoir passé par Wurzbourg, afin de s'as-
surer par Lui-même que toutes les précautions avaient
été prises pour barrer le passage an duc de Saxe, mar-
cha rapidement par Erfurl el Goslar sur Brunswick,
mais Henri y était avant lui. Trompant la surveillance
des Impériaux il avait, cinq jours durant, chevauché
sous un déguisement. Sa brusque apparition décon-
certa Conrad qui s'enfuil honteusement, abandonnant
le margrave aux forces el à la colère de son rival '.
). Raum. Reg. p. 197-8, n°a 1168-9.
76 LE MAHGB w i: \i ,BB RT L*0! RS
La guerre qui s'engagea immédiatemenl fut bientôl
interrompue par la mort de Conrad (fév. L152).
Albert et Henri se trouvèrent en présence dans l'é-
glise d'Aix-la-Chapelle, le jour où Frédéric < 1 1 * Souabe,
élu roi il»1 Germanie, vinl recevoir la couronne de
Gharlemagne, puis à la diète de Mersebourg, où le
nouveau chef de l'empire s'efforça en vain de récon-
cilier les deux ennemis '. La lutte reprit avec sou
accompagnement habituel de pillages el du dévasta-
tions jusqu'à la diète de Wurzbourg où comparurent
Albert el Henri, qui, après avoir conclu leur accom-
modement, promirent de suivre Frédéric en Italie 2.
Tout préoccupé de celte expédition, l'empereur voulut
s'assurer le concours du puissant duc de Saxe, auquel
il prodigua ses faveurs. Il alla jusqu'à lui rendre à
Goslar, dans la diète qui s'y réunit au printemps
de 1154, le duché de Bavière. 11 lui concéda en même
temps d'importants privilèges, qui lui donnaient en
pays wende une véritable souveraineté 3. Nul doute
qu'Albert l'Ours n'ait vu avec chagrin la fortune de
son ennemi. Pendant qu'Henri suivait l'empereur en
Italie, le margrave de Brandebourg demeura en Alle-
magne, ainsi que plusieurs des ennemis du duc de
Saxe et de Bavière, parmi lesquels l'archevêque de
Brème. Une conspiration fut ourdie entre eux contre
Henri, mais déjouée par le retour de Frédéric qui
avait rapidement et victorieusement mené sa pre-
mière campagne au delà dos Alpes (1 155) 4.
Une longue trêve s'ensuivit, pendant laquelle se
placent la perte et la reprise de Brandebourg, et un pé-
1. Raum. Reg. p. 199 et 200, n°5 11:6-78; 1184-5, 1187.
2. Id. p. 200, n-s 1187-91.
3. Id. p. 20:;, n° 1215.
I. Id. p. 205, n° 1227.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS '7
lerinage d'Albert au Saint-Sépulcre. Nous ne savons
rien des motifs qui l'ont déterminé à faire ce voyage,
non plus que de la façon dont il l'accomplit. Parti au
début de l'année 1158, il est de retour l'année sui-
vante ; plusieurs documents le montrent multipliant
les donations aux églises. Après avoir suivi l'empe-
reur en Italie, où il assiste à la destruction de Milan
(1162), il aide Henri-le-Lion à soumettre les Obotrites,
dans le pays desquels le duc de Saxe avait déjà fait
de grands progrès; mais au milieu des troubles que
suscite en Allemagne la lutte du sacerdoce et de
l'empire, les deux adversaires vont, se retrouver aux
prises '.
Frédéric Barberousse avait pris parti , dans le
schisme qui divisa l'église, à la mort d'Adrien IV,
pour Victor IV contre Alexandre III. A la mort de
Victor (l 164), il lit élire par un conclave fort irrégulier
Pascal III, puis, convoquant à Wurzbourg la noblesse
laïque et ecclésiastique d'Allemagne, il fit jurer à cha-
cun sur des reliques et sur l'évangile de ne jamais re-
connaître Alexandre pour le successeur de Saint-Pierre
(1105; 2. Le margrave de Brandebourg prêta le ser-
ment après le duc de Saxe et de Bavière, mais ce der-
nier était résolu à ne pas le tenir. Contre lui s'était
formée mie coalition d'un grand nombre de ses vas-
saux. Sa puissance, encore accrue par ses récentes
conquêtes sur les Obotrites, la faveur dont il jouis-
sait auprès de l'empereur, avaient enflé son orgueil.
« C'était, dit le chroniqueur Helmold, le prince des
princes du pays ; il courbait le front des révoltés,
1. Raum. Reg. p. 211, 213-.", 217, 221, a" 1260-1, 1276-82, 84,
86, 87. 98, 1323.
2. Id. p. 222, n-1330.
7S LE M IRGB W r. Al BER1 L'Ol RS
brisail Leurs forteresses, faisait La paix autour « I <> Lui
el possédait une immense fortune ' ». Aussi avait-
il fail beaucoup de mécontents. L'âme de La coa-
lition fui Rainald de Dassel, archevêque de Cologne
et chancelier de L'empire. Od n'attendai] pour agir
que Le déparl de L'empereur pour L'Italie, et L'on
comptait qu'Henri suivrai! Frédéric : mais il demeura,
el se fortifia soigneusement. Évidemment il étail au
couranl des intrigues dr> conjurés, car, devanl Le châ-
teau de Daukwarderode, il fil placer un lion de bronze,
la gueule tournée vers la marche de Brandebourg 2.
Ces! en effel Albert L'Ours qui commence L'attaque
avec L'archevêque de Magdebourg dans Les derniers
jours de 1 L66 : mais Henri les repousse et, se mettant
à leur poursuite, va ravager Le pays jusqu'aux portes
de la ville archiépiscopale. Là il conclut un armistice
avec L'archevêque et le margrave ; puis il se tourne
contre Le comte d'Oldenbourg qui avait soulevé le
nord de la Saxe et le force à s'enfuir dans les marais
de la Frise, où Le vaincu trouve la mort ( 1 1 07 . Henri
refuse dès lors d'exécuter les conditions de l'armis-
tice conclu avec Magdebourg, et la ligue se reforme
contre lui; cette fois elle est formidable. Les arche-
vêques de Cologne et de Magdebourg, le margrave
Albert et ses fils, le landgrave de Thuringe, le mar-
grave de Misnie, un grand nombre de moindres per-
sonnages laïques et ecclésiastiques jurent de com-
battre et de traiter ensemble 3. La Saxe est envahie
1. Helmold, II, 6... Et factus est princeps principum terrae et
conculcavit colla rebelium, et efTregit munitiones eorum, et fecit
pacem in terra, et possedit hereditatem multam nimis (Leib-
niz, III, p. 623).
2. Heiuemann, Albr. der B. p. 401, note 54.
3. Voyez ce traité dans Heinemann, Albr. der B. à l'appendice,
p. 477, "n° 46.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 79
de trois côtés à la fois ; Haldensleben attaquée la pre-
mière, est brûlée de fond en comble. La guerre prend
un caractère de fureur inouie. L'archevêque de Brème
s'étant joint aux ennemis du duc de Saxe, celui-ci
envahit son territoire et n'y laisse point pierre sur
pierre L
Cependant l'empereur était en Italie. Après qu'il
oui emporté Rome de vive force et qu'il y eut établi
l'antipape Pascal III, la peste se mit dans son armée.
Il remonta vers la Lombardie, où le pape Alexandre
avait organisé la ligue <}i>< villes lombardes. Frédéric
y apprit la guerre qui sévissait en Allemagne. Il
envoya aussitôt l'ordre de suspendre les hostilités, et
remettant à un autre temps la lutte avec les cités
italiennes, repassa les Alpes (1168). Il essaya d'a-
mener une pacification générale, mais les coalisés
avaient renoué leur ligue par de nouveaux serments.
Deux fois il refusèrent de se rendre aux diètes où ils
étaient convoqués. A Wurzbourg, il avaient à peine
consenti à faire trêve, qu'un nouvel incident ralluma
les hostilités ?-. L'archevêque de Brème mourut en
rentrant dans ses étals dévastés. Pour lui succéder
furent élus en même temps le doyen Otbert, et Sieg-
fried, fils d'Albert de Brandebourg 3. Siegfried avait
à peine pris possession de sa charge qu'Henri le Lion
le lit expulser de Brème. Il fallut que l'empereur vînt
en personne, au commencement de 1169, tenir une
diète aux frontières de Saxe, d'où il emmena comme
prisonniers quelques-uns (h:^ perturbateurs achar-
nés de la paix publique. A Bamberg l'accord fut
1. Helmold II, 7-9 (Leibniz, II, p. 623-5) et annules Stadenses
ad ann. 1166 (Pertz, XVI, p. 260).
2. Raum. Reg. p. 226, Qo 1356.
3. Id. p. 227, n» 1360.
80 I E \\ V'.'ii; W l. \l &ERT L'Ol R
enfin conclu ' ; il et ail tout à l'avantage d'Henri le
Lion, mais la fatigue universelle le fil accepter par
tous 1 169 .
L'année qui suivit la pacification de Bamberg,
Allini l'Ours el Henri le Lion se rencontrèrent une
dernière fois à Erfurt, pour l'élection du roi des Ro-
mains. Le vieux margrave, après avoir voté pour
le fils de Frédéric, retourna dans la marche. Entouré
de ses fils, il vinl assister à la bénédiction de l'église
de Havelberg, qui fut donnée par l'archevêque de
Magdebourg assisté des évêques de Havelberg, do
Brandebourg, do Meissenet de Ratzebourg. Trois mois
après il mourut2. Il est probable que son corps fut
enseveli à Ballenstedt près du château patrimonial
des Ascaniens, dans l'église de Saint-Pancrace, bâtie
par lui, et que sa tombe fut détruite au x\T siècle,
pendant les horreurs do la guerre dos paysans.
Aucune vie dans cette turbulente époque ne fut
pins agitée que celle du margrave de Brandebourg, et
Ton comprend qu'une histoire comme la sienne ait
laissé dc> traces même dans la fugitive mémoire po-
pulaire. La légende associa son nom à celui de Fré-
déric et d'Henri, comme l'atteste le vieux dicton :-
« Henri le Lion, Albert l'Ours, Frédéric à la Barbe
Rouge étaient trois hommes capables de convertir le
monde. » L'histoire ne prouve pas que la conversion
du monde ait été leur principal souci. Du moins, si le
margrave Albert avait consacré à soumettre les Wen-
des à sa suzeraineté en même temps qu'aux lois de
l'Église, la moitié des efforts qu'il a dépensés à essayer
de conquérir la Saxe, il eût porté jusqu'au delà de
1. Raum. Rerj., p. 227, n" 1366.
2. Id. p. 22'J, n° 1379-81.
LE MARGRAVE ALBERT L'OURS 81
rOder les limites de son margraviat. Pourtant son prin-
cipal titre à la renommée est d'avoir conquis quelques
lieues carrées sur la rive droite de l'Elbe. Quand ses
fils eurent trouvé la fortune sur la voie qu'il leur avait
indiquée , une partie de leur gloire revint au premier
margrave ; on lui prêta, comme il arrive toujours, des
pensées profondes qu'il n'avait jamais eues, el ce
vaillant batailleur devint, sous la plume de ses pané-
gyristes, une sorte de champion de la Germanie et
d'apôtre du christianisme.
CHAPITRE III
RELATIONS DES MARGRAVES ASCANIENS AVEC
L'EMPIRE ET LES ÉTATS ALLEMANDS
Les successeurs d'Albert l'Ours ; division de leur histoire. — Re-
lations des margraves avec l'empire. — Relations avec le duché
î Saxe. — Relations avec l'archevêché de Magdebourg. — Frela-
tions avec les marches de Lusace et de Misnie.
LES SUCCESSE1 IIS D ALBERT L OURS ; DIVISION DE LEUR HISTOIRE.
Albert l'Ours laissait sept fils. L'aîné, Otton, est le
chef de la dynastie margraviale ; Hermann, le second,
reçut les biens d'Orlamiinde : il est la tige <\r* comtes
d'Orlamiinde, qui s'éteignent dans la seconde moitié
du xve siècle; Siegfried entra, dans l'Eglise: il fut suc-
cessivement abbé du monastère de Notre-Dame à
Magdebourg, évêque de Brandebourg, archevêque de
Brème ; Henri suivit l'exemple de Siegfried, mais ne
s'éleva pas si haut : après avoir été longtemps cha-
noine à Magdebourg, il y devint prieur et directeur de
l'école-cathédrale ; Albert fui comte de Ballenstedt :
il mourut sans héritier mâle cl ses biens passèrent à
Bernard, le dernier (\c> fils d'Alberl LOurs. Thierry
paraît avoir reçu poursa part lesallodiaux des Billings,
Si RELATIONS DES tSCANIENS Wl'.c L'ALLEMAGNE
apportés dans la famille par sa grand'mère Eilika : il
tut comte de Werben : enfin Bernard, qui porta d'abord
Les titres de comte d'Aschérsleben el d'Anhalt, devinl
duc de Saxe après la déposition d'Henri te Mon. Des
deux Bis de Bernard, l'un, Albert, fui la tige des ducs
ascaniensde Saxe, qui se divisa dans la suite en lignes
deSaxe-Wittenbergel Saxe-Lauenbourg; l'autre, Benri,
est La tige de La famille ducale d'Anhalt,, qui a perpétué
jusqu'à dos jours La descendance du margrave Albert i.
L'histoire de la branche aînée esl La seule qui nous
intéresse; mais avant do l'entreprendre, il faul me-
surer les difficultés de la tâche. Les événements y
sont très-compliqués, et la coutume, qui prévaul au
xine siècle, de partager la marche entre, plusieurs
princes, dont chacun porte le titre de margrave, ne
permet pas de suivre la chronologie ni d'énumérer
règne par règne les actions des margraves. In court
exposé généalogique montrera l'impossibilité d'appli-
quer ici la méthode ordinaire.
Au margrave Otton Ier, qui règne de 1170 à 1184,
succèdent ses deux fils, Otton II (1184-1205) et Al-
bert II (1205-1220), ses deux petits-fils, Jean I (1220-
1266) et Otton III (1220-1267). Ces derniers, qui
régnèrent en commun pendant 46 ans, partagèrent la
marche entre leurs fils; il y eut alors deux branches
de la dynastie margraviale, la johannienne et l'otto-
nienne. Or Jean Ier, ancêtre des Johanniens, avait eu
de trois mariages dix enfants, parmi lesquels trois,
Otton IV à la Flèche, Conrad I, Jean II régnèrent
ensemble2: Otton IV et Jean II moururent, celui-ci
1. Voyez Heinemann, Albrecht der B., p. 203 et suiv.
2. Les chiffres attribués aux margraves qui portent Je même
nom sont de pure convention ; on les répartit d'ordinaire comme
nous avons fait entre les deux branches. — Un quatrième fils
RELATIONS DES ASCAXiEXS AVEC L'ALLEMAGNE 85
en L281, celui-là en 1303, sans héritiers; Conrad Iep,
mort en 1304, avait laissé une postérité nombreuse :
JeanlV, OttonVII et Waldemar ses fils portèrent le titre
margravial; Waldemar survécut à ses frères qui mou-
rurent, Jean IV en 1305 et Otton VII en 1308 : il de-
meura ainsi le seul héritier de la maison johannienne.
Cependant Otton III, fondateur de la branche otto-
nienne, avait eu sept enfants : quatre, Jean III, Otton V
le Long, Albert III, Otton VI le Petit, régnent en-
semble ou successivement; mais Jean III meurt
l'année du partage 1268 ; Otton VI se fait moine;
Albert III reçoit un domaine à part [1284 ; Otton V,
resté seul, meurt en 1298. Son fils, Hermann le Long,
hérite en 1301 du domaine de son oncle Albert III,
et réunit ainsi toute la principauté de la branche otto-
nienne. Quand il meurt en 1308, son fils Jean '. encore
mineur, est placé sous la tutelle de Waldemar, de la
de Jean I, Henri, reçut un domaine spécial. Il fut en 1303 mar-
grave de Landsberg.
1. Les margraves de la famille ascanienxf. :
Albert l'Ours.
Otton I.
Otton II. Albert II.
Jean I. Otton III.
I | I I I i I
Jean II. Otton IV. Conrad. Jean III. Otton V. Albert III. Otton VI.
Jean IV. OttonVII. Waldemar. II rmann
an V
86 RELATIONS DES ASCANIENS LVEC L'ALLEMAGNE
branche aînée, qui avail épousé une fille de ïïermann .
Waldemar hérite en L311 de son pupille el La marche
tout entière se trouve réunie sous un seul chef , malheu-
reusement à l.i veille de L'extinction de la dynastie.
Au milieu d'une telle confusion, il est impossible,
en racontanl L'histoire des A.scaniens, il»' marquer La
pari qui revient à chacun (l'eus: dans l'œuvre com-
mune; mais il esl certain qu'il y eu1 une œuvre com-
mune, el L'importanl esl de La retrouver.
Malgré ce morceHemenl de leur principauté, Les
A- aniens surent garder une union qui ue fui troublée
que par deux ou trois querelles bientôl apaisées.
Quand le premier partage avail été fait, on avait pris
un à un les territoires dont se composait la marche, et
l'un des deux co-partageants avait déterminé les parts :
l'autre avait choisi. Ainsi furent évités les sujets de
mécontentement et de jalousie *. Chaque branche
dans son domaine- élail indépendante de l'autre; les
revenus avaient été partagés comme le reste; seules,
les chasses demeurèrent communes; mais au-dessus
du partage resta la dignité margraviale. Le titre n'en
fut attaché à aucune partie du domaine : chacun i\r<,
princes que nous avons nommés le porta. Dans les
occasions où le margrave devait être personnellement
représenté, c'était l'aîné qui figurait2. Pour que l'har-
1. Voir, pour la façon dont se fit le partage, Riedel, Codex diplo-
maticus brandenburgensis, II Haupttheil, oder Gesctiichle der aus-
wàrtigen Verhàllnisse der Mark Brandenburg und ihrer Rcgenten.
t. I. p 89-90, n° CXIX... a Nos Johannes et Otto, recognosci-
mus.... quod inter nos.... sub hac forma condictum est.... scili-
cet quod nos Johannes marchio terram trans Oderam dividemus
et frater noster Otto eliget quam partem sibi inagis viderit oppor-
tunara. Item nos Otto marchio terram Budessin etc. etc. Voir aussi
Riedel ibid. p. 96 et 97, n" CX.XIX,C.N.XK.
2. Kloden, Diplomatisc/ie Gesc/iic/tte des Markgrafen Waldemar
von Brandenburg, t. I, p. 13-14.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 87
nionie se maintînt dans la famille, il fallait que la
nécessité de l'accord fût reconnue par celte oligarchie
princière. Il y avait en effet une politique qui s'im-
posait aux margraves. C'est parce qu'ils l'ont suivie
que leur prospérité s'est maintenue jusqu'à la fin, et
que Waldemar, le dernier d'entre eux, a laissé un nom
presque aussi glorieux que celui d'Albert l'Ours. Tout
d'abord les margraves furent mêlés aux affaires de
l'empire, et comme ils confinaient à d'importants
états laïques et ecclésiastiques, qui leur disputaient
la conquête de la rive droite de l'Elbe, ils eurent à
lutter contre ces voisins qui étaient des rivaux ; en
même temps ils continuèrent la guerre en pays slave.
Rapports des Ascaniens avec l'empire et les états
allemands: conquête des pays slaves : voilà les deux
grandes divisions de l'histoire politique des mar-
graves. L'étude des institutions de la marche sera
l'objet d'un chapitre à part.
RELATIONS DES MARGRAVES AVEC. l'eMPIRE.
Les margraves de Brandebourg étaient grands offi-
ciers de la couronne germanique, en qualité de cham-
bellans. Cette dignité, qu'Albert l'Ours recul selon
les uns avec l'investiture de la marche, scion les au-
tres après la paix de Francfort, les faisait (''lecteurs du
Saint-Empire, et par conséquent les mêlait aux que-
relles qui précédaient chaque avènement, aux guerres
civiles qui trop souvent le suivaient. Ils jouèrent
donc un rôle dans l'histoire de l'Allemagne, mais non
le plus important; car il< avaient leurs affaires par-
ticulières qui retinrent leur attention, et leurs intérêts
privés qui dictèrent leur conduite. Dans la grande
8S RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
Lui e où s'abîme L'institution du Saint-Empire, les
Àscaniens n'onl pas de dessein arrêté; ni Guelfes, ni
Gibelins, ils sonl du parti qui leur offre le plus de
chances de réaliser Leurs projets sur les pays transal-
pins,el ilschangenl de camp , suivant les nécessités
de la politique.
Les A.scaniens tiennent pour Les Gibelins contre les
Guelfes, quand Frédéric Barberousse, peu de temps
après la mort d'Albert l'Ours,fait au duc de Saxe une
guerre décisive : les margraves en effel ôtaienl fort
intéressés à la ruine d'un étal voisin, beaucoup plus
considérable que le leur, et qui, par ses progrès en
Nordalbingie et en Slavie, eût fermé la route à toul
agrandissement sérieux de la marche. On verra plus
loin quel lot leur échut dans le partage delà dépouille
guelfe.
Cependant l'empire déclinait rapidement. Frédéric
Barberousse descendit cinq fois en Italie sans pouvoir
soumettre la péninsule. La domination allemande
pesait lourdement sur ce malheureux pays. Rome
au premier voyage, Crémone et Milan au second,
avaient été ensanglantées, et la dernière de ces villes,
la reine des cités lombardes, détruite de fond en
comble. Des podestats imposés à ces riches républiques
exaspéraient les habitants à la fois par la fiscalité et
la brutalité tudesques. En même temps l'Église était
menacée dans ses droits spirituels par l'empereur, qui
renouvelait les errements d'Henri III et créait des
papes en dépit de toutes les règles canoniques. La
papauté se fit le champion de l'indépendance italienne.
Alexandre III et les villes lombardes l'emportèrent à
Legnano (1 176), et Frédéric, après avoir été s'agenouil-
ler devant le pape àVenise, signa un armistice qui fut
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 89
converti en paix définitive a Constance. L'indépen-
dance de la papauté et celle des villes italiennes
étaient sauvées (1183 .
Quand le vieil empereur, qui voulut terminer sa
glorieuse vie par une croisade, périt dans les eaux du
Gydnus, il eut pour successeur Henri VI (1190-97),
un ambitieux sans bon sens et sans pitié, qui con-
quit. après une guerre d'une abominable cruauté,
l'Italie méridionale, se crut sérieusement le sou-
verain de la Franc»1 et même de la Castille, rêva la
conquête de l'Epire et de la Macédoine, et mourut à
Messine au moment de s'embarquer. Henri VI ne
laissait qu'un enfant de trois ans; aussitôt les ennemis
des Hohenstaufen relevèrent la tète. En mémo temps
que Philippe de Souabe, frère d'Henri VI, fut élu Otton
de Brunswick, fils d'Henri le Lion. La guerre civile
fut encore une fois déchaînée dans l'empire (1 197 .
De même que le margrave Otton I de Brandebourg
(1170-84 avait second/' Frédéric Barberousse contre
Henri le Lion, Otton II ! 184-1205) soutient Philippe
de Souabe contre Otton de Brunswick ; mais Philippe
meurt assassiné L208 . Otton IV est reconnu par toute
l'Allemagne, jusqu'au jour où, reprenant les préten-
tions impériales sur l'Italie, il perd la protection du
pape qui lui oppose Frédéric de Hohenstaufen, le fils
d'Henri VI. Dès que le jeune prétendant met le pied
en Allemagne, l'éclal de son nom et ses brillantes
qualités attirent autour de lui de nombreux partisans
(1212). Pourtant le margrave Albert II (1205-1220) reste
fidèle à la cause d'Otton IV; il signe même avec lui
un traité où il s'engage à mettre « toutes ses forces et
tons ses moyens » au service de l'empereur. Celui-ci
promettait à son tour au margrave sa médiation auprès
96 RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
du roi de Danemark, au besoin sou appui contre lui '.
('.clic dernière clause explique boute La politique du
margrave. On verra par la suite de celle histoire que
le Danemark, après La destruction du duché de Saxe,
menaça d'enlever à la marche La domination «les pays
slaves. Or Le Danemark, allié fidèle et respectueux du
saint siège, devait faire cause commune avec Fré-
déric II. le protégé pontifical : il a'esl pas étonnant
que Le margrave Albert ail abandonné La cause gibe-
line, servie par ses trois prédécesseurs.
Allieri \ Lvail (Tailleurs en mauvaise intelligence avec
L'archevêque de fitfagdebourg, qui s'était prononcé pour
Frédéric llei qui avait publié l'excomniunicatioi] Lancée
contre Otton. La marche eut à souffrir de la guerre
civile, et plusieurs fois elle fut ravagée par les troupes
de L'archevêque2. Le margrave n'en envoya pas moins
un contingent brandebourgeois à cette bataille de Bou-
vines où la jeune royauté capétienne, sortant enfin de
L'obscurité avec Philippe Auguste, s'affranchit par la
victoire des prétentions de l'empire germanique. La
défaite d'Otton eu France acheva de ruiner son parti
en Allemagne : l'année suivante il renonçait à la cou-
ronne. Pourtant la réconciliation du Brandebourg avec
le nouvel empereur ne fut complète qu'après que Fré-
déric eut annulé, en investissant les margraves Jean et
Otton du duché de Poméranie (1235) 3, les énormes
concessions faites par lui au roi de Danemark.
1 Imperator promisit se mediatorem studiosum et efficacem
inter regem Uacie et ipsura marchiouera et Slavos existere. Si
vero médium marchioni competens non invenerit, promisit, régi
Dacie suisque fautonbus dedicere, et marchioni contra ipsos et
contra omnem hominem firmum et constans auxilium cum efïectu
portare.... Riedel, Codex diplomaticus II, t. I, p. 5, n°X.
2. Magdeburger Schôppen-Chronih, ad ann. 1125, manuscrit cité
par Wohlbriick, Gvschichte des Altmark, p. 140.
3. Riedel, Cod. dipl, II, t. I, p. 12, n" XX.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 91
Dès longtemps il était aisé de prévoir que l'Italie de-
viendrait la terre de perdition du Saint-Empire. Elle
avait tenté tous les empereurs depuis les Ottons : Fré-
déric II finit par s'y établir, insouciant des destinées
de l'Allemagne, dédaignant même de la secourir
contre les Mogols qui l'envahissent, comme ses pré-
décesseurs ont dédaigné de poursuivre sérieusemenl
les Wendes. Une fois encore les papes se mettent à la
tête de la résistance : une lutte décisive s'engage
entre les deux pouvoirs. Un grand nombre de princes
allemands, ecclésiastiques [ou laïques, essayent de
s'interposer entre eux. Jean et Otton « frères et mar-
graves de Brandebourg par la grâce de Dieu o écrivenl
au pape, pour déplorer « la dissension qui s'est él
< sa Révérence dîme part, et d'autre part leur
seigneur l'empereur », et « les calamités qui en sonl
sorties à l'incitation du diable »; ils proposent au pon-
tife d'accepter l'arbitrage de Conrad, grand-maître de
l'on Ire teutonique, dans l'intérêt « de tout le peuple
chrétien, dont le salut dépend de l'accord du pape et de
L'empereur l. » Il esl curieux de voir ces deux princes
de l'Allemagne de Test, ces doux combattants de la
frontière, exprimer aussi nettement, au moment ou
elle s'obscurcissait partout, la vieille idée carlovin-
gienne, et proposer pour médiateur entre les deux
pouvoirs ennemis le grand-maître de l'ordre teuto-
nique, cet nuire combattant de l'avant-garde ger-
1. Excellenliae vestrse devotissime duximus supplicanrlum ,
quatinus tum pro Deo, tum pro neci ssitate totius populi Chris-
tiani, cujus salus m vestra et dotnini imperatoris concordia el
tranquiLLitate videtur consistere, ;oncedere ac licentiare curetis
ut frater Conradus, honorabilis n 1er hospitalis sanctae Marise
domus Teutonicorum in Jérusalem, laborem et sollicitudinem su-
mat, tanquam... fidelissimus mediator (Riedel, loc. cit. p.
20-22, ie XXX.)
92 RELATIONS DES ASCAN1ENS AVEC L'ALLEMAGNE
manique, cg second ancêtre de La monarchie prus-
sienne. Os Louables efforts demeurenl inutiles. I H
décrel d'excommunication est lancé contre Frédéric,
cl les margraves son I sommés en même temps que les
autres électeurs, de procéder à L'élection d'un roi des
Romains, o afin de mériter 1rs récompenses divines ci
la faveur du siège apostolique ■ L246)1.
On ne saii poinl où certains manuels d'histoire de
Prusse onl pris ce mensonge que les margraves de
Brandebourg sont restés jusqu'au bout fidèles à la
cause de L'empereur. Une lettre d'Innocent IV montre
qu'Otton, an pins forl de la crise, entretenait avec le
pape des relations amicales 2. Qn procès-verbal do la
cérémonie prouve que le margrave faisait fonction de
chambellan an couronnement de Guillaume de Hol-
lande, le protégé du pontife (1249)3. Cependant l'em-
pereur déppsé vivait encore, et les margraves, tout en
s'inclinant devanl La volonté pontificale, ne paraissent
pas avoir combattu contre Frédéric ; car à la mort de
celui-ci, Innocent II mande à Otton que « le persécu-
teur de l'église ayant été enlevé du monde par la di-
vine Providence, les hommes pieux ont maintenant
pleine liberté de témoigner par des actes en Thon-
neur de Dieu et de l'Eglise , le zèle qui était naguère
caché au fond de leurs âmes, » et il lui enjoint a sur
la rémission de ses péchés » de prêter appui à Guil-
laume. Les margraves y consentent d'autant plus
volontiers que Guillaume est leur neveu, et qu'il se
montre forl libéral envers eux 4. En effet ils reçoivent
1. Id., ibid., p. 27, îr XXXIX.
2 Id., ibid., p. 27, n° XL.
3. Id., ibid., p. 30, n° Xl.III.
4. Id., ibid., p. 31, n° XLV.
RELATIONS DES ASCAMEXS AVEC L'ALLEMAGNE 93
de lui la ville de Liibeck, en récompense de leur fidé-
lité constante, de leurs services el de leurs peines ' ;
ils obtiennent [unir leurs sujets des privilèges commer-
ciaux en Hollandes, pour eux l'expectative sur les fiefs
d'Albert de Saxe 3. Le pape ne leur ménage pas les
témoignages de son contentement : le légat d'Inno-
cent IV menace d'excommunication les bourgeois de
Liibeck. "qui ne veulent point accepter la suzeraineté
du Brandebourg4, et dans une lettre écrite à l'abbé de
Lebnin pour l'informer qu'il autorise, malgré la parenté
des deux futurs époux, le mariage de Jean de Bran-
debourg avec la fille du duc Albert de Saxe, Alexan-
dre IV parle des grands services rendus par les Asca-
niens « à la cause de l'église et de son très-cber fils
Guillaume, illustre roi des Romains •"> ■ 1255 .
Maigre les efforts de la papauté, Guillaume de Hol-
lande ne sait pas conquérir d'autorité dans l'empire.
Le successeur de Gharlemagne et d'Otton, qui a con-
servé le pompeux langage de la chancellerie impériale.
finit misérablement: en guerroyant contrôles Frisons,
il s'embourbe dans un marais où (h^ paysans l'assom-
ment L256 . A sa mort, le margrave de Brandebourg
Otton III brigue sa succession. Dans une sorte de pro-
fession de foi. si l'on peut employer cette expression
moderne, il se déclare prêt à recevoir la couronne et à
mettre au service de Dieu « son corps el son âme, -es
biens etses •nuis, tout ce qu'il possède ou pourra possé-
1. Id., ibid., p. 32, n- XLVI. Liibeck, après avoir été incorporée
au duché de Saxe, était devenue ville impériale. Voir plus bas,
page 98. Les margraves ne gardèrent pas la ville.
2. Id., ibid., p. 33, n< XI. VIII.
3. Id., ibid., p. 37, n° LU marqué XLVII par erreur dans
Kiedel).
S I !.. ibid., p. 32, n XLVII.
5. Id., ibid., 43, n" LXIV.
•il RELATIONS DES àSCANTENS AVEC L'ALLEMAGNE
dri' '. b Ainsi Les successeurs d'Albert L'OllTS S6 Seil-
baieni de taille à gouverner l'empire; mais L'empire les
trouva trop grands pour Lui. \u Lieu de relever La
couronne en l;i cnnlianl à l;i garde d'un |iuiss;inl prince,
Les électeurs L'avilirent en La vendant. Deux étrangers
L'achetèrent, Alphonse deCastille à L'évêque de Trêves,
Richard de Gomouailles à L'archevêque de Cologne.
Le premier ne parut pas en Allemagne, mais le second
y vint plusieurs lois, apportai ses poches pleines
d'or, pour les vider entre les mains avares qui, de
toutes parts, se tendaient vers lui. «l'est Le temps du
grand interrègne (125G-73).
Vient ensuite la série des petits princes qui essayent
de mettre à profil leur passage sur le trône pour
faire la fortune de leur maison. Rodolphe de Habs-
bourg (1273-91) combat le roi de Bohême auquel
il enlève l'Autriche el la Styrie , et jette les bases
de la puissance autrichienne, Adolphe de Nassau
(1291-98), choisi à cause de sa faiblesse, suscite par
son ambition une formidable ligue. Albert d'Autriche
(1298-1308) reprend la politique de famille de son père
Rodolphe, nourrit les plus ambitieux projets et tombe
sous le poignard d'un des siens, Jean le parricide,
qu'il a frustré de son héritage. Nous verrons qu'en
Bohême, en Thuringe, Misnie, Lusaee, l'ambition des
Habsbourg se heurte contre celle des Àscaniens et
que les deux familles s'y disputent les débris do
l'empire.
A la mort d'Albert (1308), deux margraves, Otton VII
et AValdemar, aspirent à la couronne en compagnie de
bon nombre de princes allemands ; mais en dépit de
1. Id., ibid., p. 48, n cLXXII.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 95
toutes leurs négociations et de tous leurs efforts l, les
électeurs leur préfèrent le comte de Luxembourg,
Henri VII, petit prince de la forêt d'Ardenne, qui va
mourir en Italie après y avoir montré son impuissance
(1308-1313). Son successeur, Louis de Bavière, verra
finir la dynastie ascanienne, et une nouvelle période
s'ouvrir pour l'histoire de la marche.
La chute du vieil empire ne lit que profiter à la
marche do Brandebourg. Tant qu'un prince person-
nifiait l'unité de l'Allemagne et gardait on mains la
force nécessaire pour faire respecter sa suzeraineté,
toute conquête au delà do l'Elbe eût été, comme au
temps d'Henri le Fondateur et d'Otton, une conquête
allemande et non brandebourgeoise. La féodalité qui,
par des causes diverses, n'avait cessé de grandir, et
qui se dissimulait mal sous l'enveloppe brillante de
la monarchie des HohenstauJ'en, avait fini par désa-
gréger l'Allemagne, ou il ne restait plus qu'une fédé-
ration anarchique de principautés et de républiques.
Chacun y travaillait pour soi, et le premier, l'empe-
reur donnait l'exemple. L'affaiblissement de l'autorité
suprême fortifia dans son indépendance le pouvoir
margraviat, qui avait déjà des privilèges particuliers,
et s'élevait presque jusqu'à la souveraineté. Les con-
quêtes de la marche en pays slave achevèrent de la
distinguer du reste de l'Allemagne, et d'en faire un
état d'un caractère nouveau, ayant ses institutions
spéciales, ses destinées propres, et grandissant au
milieu même des malheurs de l'Allemagne : le règne
des margraves Otton et Jean, qui correspond à la
période où tombe' l'empire et naissent les désordres
1. Id. ibid., p. 272, 274-6, u°> CCCXLVI, CCCXLVIII, CCL1X.
!)(» RELATIONS DES A.SCANIENS A vue L ALLEMAGNE
du grand interrègne, esl Le plus heureux de la dynas*
tie des Ascaniens.
i;i i. \ HONG w EO LE m CHB DE SAXE.
A la morl d'Alberl L'Ours, quatre principautés étaienl
échelonnées sur La frontière orientale de L'Allemagne,
depuis Les monts de Bohême jusqu'à la mer du Nord
cl à La Baltique, Le Long de L'Elbe qu'elles dépassaienl :
c'étaienl Les marches réunies de Lusace el de Mis-
nie, L'archevêché de Magdebourg, la marche de Bran-
debourg, el Le duché de Saxe. Taudis que Les états du
centre do l'Ai loin a, une ne pouvaienl point se dévelop-
per, que Les Alpes arrêtaient ceux du sud, que la royauté
capétienne contenait el menaçai! ceux de l'ouest, un
vaste espace s'ouvrait devant Les états orientaux. Des
conflits d'ambition les mirent aux prises, el le Bran-
debourg s'éleva au-dessus dr^ autres.
On a vu la part prise par Albert l'Ours aux conspi-
rations et aux guerres dirigées contre Henri-le-Lion.
C était l'ambition de conquérir la couronne ducale qui
poussait le margrave de Brandebourg; mais ses alliés
voulaient la briser. A mesure que la féodalité se
développait, il n'était si petit prince qui ne prétendît
relever directement de l'empire. La principauté guelfe,
composée de deux duchés, comprenant clans sa mou-
vance un grand nombre de comtés de l'Adriatique à
la Baltique, s'accroissant tous les. jours des dépouilles
des faibles qu'elle opprimait, était un reste du passé
qui devait réunir contre lui toutes les forces vives
du présent ; mais le duché de Saxe était particulière-
ment redoutable à la marche de Brandebourg, à cause
des conquêtes qu'il avait faites au delà de l'Elbe.
La Nordalbingie, c'est-à-dire le pays situé au nord
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 97
de l'embouchure de l'Elbe, était, ati début dos temps
historiques, partagée entre les tribus slaves des Wa-
griens et des Polabes l et les tribus germaniques des
Dithmarses et des Holsates. De bonne heure, l'atten-
tion des ducs de Saxe s'était tournée de ce côté. Le duc
Lothaire de Siippligenbourg avait en 1110 donné aux
Schaumbourg le comté de Holstein, qui comprenait
le pays des Holsates. Le second comte de Holstein,
Adolphe, celui-là même qui fut un moment aux prises
avec Albert l'Ours 2, prit possession de la Wagrie. Henri-
le-Lion acheva la conquête du pays : il créa le comté
de Ratzebourg chez les Polabes (1143), et comme les
Dithmarses défendaient victorieusement leur indé-
pendance contre les comtes de Stade, il se fit investir
du comté par l'archevêque de Brème, qui en était le
suzerain, et soumit cette fière peuplade, où vivaient
encore les vieilles traditions de la tribu germanique.
Les conquêtes du Lion en Slavie ne furent pas
moins importantes. Chez les Obotrites, il assura la
victoire du christianisme en instituant trois sièges épi-
scopaux qui relevaient de Brème ; il couvrit le pays de
colons et de vassaux allemands, et fonda le comté de
Schwérin, qui eut pour chef-lieu l'ancienne capitale
des princes obotrites. Il reconnut Pribislaw pour
prince des Wendes, mais sous la suzeraineté de la
Saxe; enfin à Henri Borwin (1178-1227), successeur
de Pribislaw, il donna en mariage sa fille Mathilde,
et fonda ainsi la dynastie germano-slave qui règne
encore aujourd'hui sur le Mecklembourg 3.
1 . Les Polabes, tribu obotrite, habitaient sur la rive droite de
l'Elbe, entre la Bille et l'Elde.
2. Voyez p. 63-4.
3. Le nom de Mecklenburg vient de Mikelenburg, château situé
près de Wisraar et qui était la résidence habituelle des princes
98 RELATIONS DES ISCANIENS AVK.o l." \ i u:\l \».\i:
Les ducs de Poméranie avaient^ oomnae on b vu,
franchi l'Oder, poussé jusqu'au lac Miiritz, ooompé
toute La partie orientale de la province actuelle do
Brandebourg, c'est-à-dire L'Dckermark, If Bannirai, le
Tellow : Henri lf Lâonj arrêta leurs progrès, ei força
Oasimir V (1135-118») ri. lîogislaw I i:;:.-l l n 7 ) , à
reconnaître sa suzeraineté. Enlin lii'mm nyaiil été
conquise par WaJdemar I'r, roi de Danemark, fflenri
exigea 'I'' lui la cession de la mollir de l'île '.
Dans CBS pays transalliins , llenri-le-lâon B'étaât
lbrmo comme une principauté bailépendamte, quà étail
rolijcl de sa sollicitude part iculière. Do lui (laïc la
grande prospérité do Eiibock. 1/ancien village nwende
avail ou dos destinées Earl agitées. Passé (l^^ Willzes
aux Obotritos, dos Obotrites au comte AcUjlphc de
lliilsicin. il avail change d'emplaoemaenl comme de
maître. En 1143, .\ < 1 < > 1 1 > 1 1 < > l'avait fraaasipHBirté de la cive
de la Travc sur le plateau qui s'élève entre cette rivière
et la Warkcnilx; mais U dut céder «b 1 1 r,x la ville
nouvelle à Henri-le-Lion, qui, après avoir achevé de la
bâtir, on lil la place de guerre la plus forte de la Xor-
dalbingie et la ville de commerce la plus importante
de la Baltique \ Au delà de l'Elbe, évêques et comtes
relevaient directement de lui, de droit comme de l'ail,
car il les avail institués et placés à l'extrême frontière.
Toujours exposés à des attaques, ils avaient besoin de
son appui. Les évêques avaient fait quelque résistance,
wendes. Aujourd'hui encore parmi les titres communs aux deux
grands-ducs de Mecklembourg-Strélitz et de Mecklembourg-Schwé-
rin figurent « F'drst zu Wenden... » En 1864, les deux grands-
ducs ont fondé un « Ordre de la couronne wende ».
1. Voyez pour les conquêtes d'Henri-le-Lion en Nordalbingie et en
Slavie, Usinger, Dsutach-dunische Geschichte(l 189-1229), p. 1-1-17.
2. Voyez, pour 1 histoire des conquêtes d'Henri-le-Lion, Helmold,
Citron. Slav., au livre II, passim, surtout le chap. LXXXVIII.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 99
mais s'étaient soumis. Le duc, raconte Helniold, avait
reçu de l'empereur le droit « de créer et de donner
des évêchés dans toute la terre des Slaves sou-
mise par lui et par ses ancêtres.... Il manda donc mon-
s igneur G '.rold, évoque d'Oldenbourg, monseigneur
Évermode , évèque de Ratzebourg, et monseigneur
Bernon, évêque de Meckleinbourg, afin qu'ils reçus-
sent de lui leurs dignités el qu'ils lui prêtassent hom-
mage, comme on [ail à l'empereur. Les évèques trou-
vèrent l'obligation très-dure, mais ils s'y plièrent par
amour pour celui qui s'est humilié a cause de nous. »
La destruction de la puissance guelfe fut l'œuvre
de la féodalité allemande, Lien [dus que celle de l'em-
pereur, quoique Henri le Lion eût grièvement otl
Frédéric Ier, en refusant de le secourir dans sa lutte
avec les villes lombardes. De retour en Allemagne
après sa défaite, Frédéric trouva Henri aux [irises
avec une coalition, dirigée comme au temps d'Albert
l'Ours par l'archevêque de Cologne, el où se rencon-
traient ton- les princes de l'Allemagne orientale,
parmi lesquels les Ascaniens L L'empereur tempo-
risa longtemps ; trois fois il cita l'orgueilleux vassal
devant une diète, mais Henri dédaigna de compa-
raître i 17'') : il se préparait à une défense désespérée.
La Saxe venait d'être visitée par un hiver terrible. Au
printemps, disent les chroniques, les oiseaux n'avaient
point chanté, et les lèvres des prêtres, engourdies par
le froid, [turent à peine, le jour de Pâques, faire en-
tendre les chants de la résurrection. Pour achever de
jeter l'épouvante dans les esprits, la terre trembla. Les
Saxon> étaient dans l'attente d'une grande catastro-
1. Voyez H. Hahn, Die Sôhne Albrechts des lime, Olto 1, Sig-
l, Bernhard (1270-84). — Ihre Theilnahme an den lia.
gelegenheiten.
1(H> RELATIONS DES &SCANIENS WKi. L'ALLEMAGNE
phe. Cependanl le dùct attaqué de tous les côtés à La
Fois, s'était porte vers Balberstadl el s'était emparé de
La ville, que Les siens mirent à suc. Au milieu du pil-
lage s'alluma L'incendie, on ne sait comment. Eglises
ei cloîtres, pleins de prêtres et de mo nés, flambèrent
en même temps. Devant les ruines, voyant les siens
mettre en tas Les ornements d'église et les saints reli-
quaires, Le duc Henri fondit en Larmes, disant que ces
malheurs étaient arrivés contre sa volonté. On racontait
en effet que Satan ('Mail cause de tout le désastre ; au
moment où les Saxons s'approchaient de Halberstadt,
il avait rempli l'air du vacarme et de chansons pour
leur faire croire qu'ils étaient nargués et les mettre
en fureur. Ainsi fut ouverte la guerre qui devait finir
par la ruine du duché de Saxe (1170) !.
Les fils d'Albert l'Ours y jouèrent un rôle, mais sans
éclat; pourtant ils eurent une belle part dans la dé-
pouille. En 1180, après avoir longtemps temporisé,
Frédéric avait cité pour la quatrième fois le duc de
Saxe et de Bavière à comparaître devant une diète à
Wurzbourg. Là, Henri fut convaincu d'avoir offensé
la majesté impériale, troublé la paix de l'Église de
Dieu et de la noblesse de l'empire, et il fut déclaré
déchu de ses fiefs 2. Quand le condamné eut laissé
s'écouler les délais qui lui étaient accordés pour ren-
trer en grâce, et que la sentence eut été confirmée à
Gelnhausen, le duché de Saxe fut partagé entre Phi-
lippe, archevêque de Cologne, et Bernard d'Anhalt,
frère du margrave Otton de Brandebourg : Bernard
prit le titre de duc de Westphalie et d'Engrie. En
même temps un autre frère du margrave, Siegfried,
1. Idem., p. 14.
2. Raumer, Reg., p. 244, n"s 1470-73.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L ALLEMAGNE 101
qui avait été élu en 1 168 archevêque de Brème, reçut
l'investiture de l'archevêché *. La lutte se prolongea
une année encore ; Henri remporta de grands suc-
cès; mais l'un après l'autre ses alliés, les ducs de
Mecklembourg et de Poméranie, le roi de Danemark,
se détachèrent de lui ; Tune après l'autre ses for-
teresses succombèrent. Quand Liibeck, sa ville de
prédilection et qu'il avait soigneusement mise en état
de défense pour s'y assurer un dernier refuge, eut
ouvert ses portes à Frédéric, assisté de Bogislaw, duc
de Poméranie, et de Waldemar, roi de Danemark, Henri
entama enfin des négociations avec son vainqueur.
Frédéric aurait peut-être fait grâce; mais les coalisés
auxquels il avait promis de ne pas traiter sans eux,
furent impitoyables. A la diète d'Erfurt (1181), Henri
dut renoncera tous ses alleux et fiefs2; la Bavière
avait été donnée aux \Vittelsbach ; on lui laissa seule-
ment Brunswick et Lunebourg, à la condition qu'il
s'exilerait et ne rentrerait en Allemagne qu'avec l'a-
grément de l'empereur. A ce jugement suprême assis-
taient tous les princes ascaniens s.
Le Lion fit, quelques années après, une tentative
pour reconquérir son duché. Il profita de l'absence
de Frédéric pendant la croisade, pour débarquer sur
la côte de Saxe; mais vaincu par une coalition où
figurait le margrave Otton II, successeur d'Otton I, il
se retira dans ses biens patrimoniaux de Brunswick,
où il acheva tranquillement, en se faisant lire des
récits héroïques, sa turbulente existence (1195).
1. Bernardus cornes de Anehalt suscepit ducatum Saxonise, et
Philippus Colonial ducatum Westphaliœ. Media quadragesiraa
iraperator in Geilehusen electionem Sifridi Bremensis confinnavit.
(A7i>iales Stade>ises, ad ann. 1180, Pertz XVI, p. 349.)
2. Voyez Hahn, p. 39, et note 2.
3 Rauraer, Rey., p. 248, n"s 1498-9.
10. RELATIONS DES \se \\if.\s \vi:<: L'ALLEMAGNE
En apparence 1g margrave ascanien n'avait poinl pro-
file de 1,1 ruine du Lien, Pendanl <ju'un de ses frètes
recevait la crosse archiépiscopale, un autre la dignité
duc île il ne gagnai! ni iioiiniMii's ni territoire : il avail
ponri;nii be meilleur lot. Bernard d'Ànhalt en efltel o.'*a>
vaii hérité <|uti d'un titre : le duché de Saxe ne But pas
seulement partagé en deux; il s'énrâetta en fiefs laï^uws
et ecclésiastiques ri on \ ailes libres. Un an n.tlish; con-
irni|Hir;iin reproche à Bernard sa paress©1, comme nos
historiens mil reproehé à nos rois [';nn<'';ui I s leur inac-
tion' ; mais le fils d'Albert n'est pas pins coupable que
les derniers Mérovingiens : il est par les nnxlmes causes
réduit à la même impuissance. Cependant le \icn\
duché de Saxe, incapable désormais d'une action com-
mune, laissait vide une grande place. Les comtes al-
lemands de la Nordalbingïe ne pouvaient prétendre
à conlinuer seuls la guêtre contre les Slaves. IYé-
dérie Ier avait éîigé le MecUembonrg et la Poméramie
en principautés relevaul directement de l'empire; il
avait fait de Liïbeck une ville libre; mais le temps
approchait où l'empire ne saurait plus faire respecter
sa suzeraineté. Ces vassaux chercheront à ressaisir
leur indépendance; puis le Danemark interviendra
pour imposer sa loi. C'est au margrave do brande-
bourg qu'il appartient désormais plus qu'à aucun autre
prince de défendre et de reculer vers Test la frontière
de l'empire. C'est à la marebe qui avait porté au I refois
le nom de marche de Saxe que revient le devoir de
remplacer le duché de Saxe.
1. Bernbardus dux.... ad ducatum promotus, non ut verus prin-
ceps profïciebat, sed ut superpositus degenerabat, et quasi pacifi-
cum se exhibens, in omnibus tardus et discinctus erat... Arn.
Lùb. III. I. (ap. Leibniz, II, p. 653).
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 103
RELATIONS AVEC l' ARCHEVÊCHÉ DE MAGOEBOCUG.
Un moment on put croire que l'archevêque <lf
Magdebourg disputerait à la marche la succession du
duché de Saxe. Institué par Otton-le-Grand, richement
doté par lui, métropole des évêchés fondés ou qui
pouvaient être fondés en pays slave, cet archevêché
était une sorte de margraviat ecclésiastique. L'arche-
vêque Wichmann, contemporain d'Albert l'Ours, fut
un des plus importants personnages du règne de Fré-
déric Ier Barberousse l. Il descendait par son père des
ducs de Saxe par sa mère des margraves deLusace et
de Misnie. Après avoir étudié la théologie àl'université
de Paris, il fut successivement prieur du chapitre de
Halberstadt, évêque de Naumbourg (1148), et grâce à
l'intervention très-active de l'empereur en sa faveur
archevêque de Magdebourg (1152). Autant et plus
qu'Albert l'Ourse! ses successeurs, il fui mêlé à toutes
les grandes affaires du règne. Allié fidèle de Frédéric,
il combat à côté de lui, pendant sa longue lutte contre
le pape Alexandre III, et quand l'empereur s'avoue
vaincu, il est un des principaux négociateurs de la
paix de Venise (1183). Il compte au rang des adver-
saires les plus décidés d'Henri-le-Lion ; déjà, lors do
la première coalition (1166), il conduit en personne
la guerre contre le duc de Saxe. Il se signale encore
dans la lutte suprême contre Henri. En 1181 il as-
siège Haldensleben avec l'aide de l'évêque de Halber-
stadt: mais le comte de Lippe, qui défend la ville, a
détourné dans l'Ohre, au bord de laquelle elle est
1. Voyez Fechner, Lebcn des Erzbischofs Wichmann von Magde-
biirg (Forschurtfjen zur deutsc/te>i Gcschichte, t. V, p. 417-562).
lui RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
située, un petit ruisseau du voisinage, <lc façon qu'elle
soit entourée d'eau de tous côtés : L'archevêque invèstil
La place par dos digues. L'eau, qui no trouve plus
d'écoulement, monte, dépasse les murs, envahit La
ville, et les habitants sonl obligés do se réfugier dans
Les greniers et do construire des barques pour circuler
cuire les toits. Les digues crèvent, mais l'archevêque
Les t'ait relever. A la tin, les assiégés ne parlant pas de
se rendre, Wiehmann fait monter les siens en bateau,
et la llotille pénètre dans la ville. Ilaldenslebcn lui
resta pour prix de sa victoire i .
Dans la lutte contre le duc de Saxe, l'archevêque
de Magdebourg avait été L'allié d'Albert l'Ours et de
ses fils. Il combattit aussi les Wendes, d'accord avec
les margraves. C'est grâce à son aide qu'Albert put
reprendre (1157) Brandebourg reconquise par les Sla-
ves 2 ; mais l'archevêque avait mis le pied en même
temps que le margrave sur la rive droite de l'Elbe en
conquérant le pays de Juterbogk1 et des actes impor-
tants montrèrent bientôt qu'il entendait accroître de
ce côté les possessions de Magdebourg. En 116.6, en
effet, il cède à l'empereur 3 Oberwesel, Schônbourg,
Ingelheim sur le Rhin, contre l'abbaye de Nienbourg
située au confluent de la Bode et de la Saale. Or l'ab-
baye possédait en Lusace d'importants domaines, des
églises , des marchés, sans cesse menacés par les
Polonais , et trop éloignés de Magdebourg pour être
efficacement défendus : Wiehmann les cède à l'empe-
1. Chronicon Montis sereni, ad ann. 1182. (Mencken, Scriptores
rerum germanicarum, prœcipue saxonicarum, t. II). — Raumer,
Reg., p 262, n° 1558.
2. Voyez page 71, note 2.
3. Voyez Raumer, Reg. p. 283, n°' 13i7-8. Ces possessions sur le
Rhin étaient un don d Otton-le-Grand.
RELATIONS DES ASCANIENS AVE*: L'ALLEMAGNE 105
reur contre le pays de Dahme. Le nouveau territoire,
confinant au sud à Juterbogk, arrondissait la princi-
pauté que l'archevêque constituait sur la rive droite
de l'Elbe *. Wichmaim administrait avec un véri-
table génie l'état naissant : établissement de co-
lonies hollandaises et flamandes pour défricher ou
dessécher le sol, expulsion des Slaves partout où ils
étaient rebelles , concession de privilèges commer-
ciaux, octroi fait aux villes de chartes municipales, qui
étaient des modèles et qui furent copiées dans tout le
reste de 1 Allemagne : tous ces procédés de la con-
quête germanique en pays wende ne furent appli-
qués par personne mieux que par l'archevêque de
Magdebourg 2. Aussi sa renommée s'étendait-elle au
loin : de son vivant les artistes qui ciselèrent les portes
de bronze de la cathédrale de Novogorod y mirent la
figure de ce prélat qui fut à la fois le meilleur con-
seiller de Frédéric Barberousse, un administrateur
habile, un vaillant soldat.
Or, au xne siècle, les feudataires ecclésiastiques
de l'empire tendent à s'élever partout sur les ruines
de la grande féodalité laïque , et s'annoncent, sur-
tout à la fin du règne de Frédéric Ier, comme les
héritiers principaux de la puissance impériale. Les
archevêques de Mayence et de Cologne jouent dans
l'histoire de Barberousse un rôle plus bruyant, sinon
plus important que celui de Wichmann. On a vu
que l'archevêque Philippe de Cologne a pris une part
prépondérante aux guerres contre Henri de Saxe :
1. Ce territoire correspond à peu près au cercle actuel de Juter-
bogk -Luckenwalde, dans la province de Brandebourg, gouverne-
ment de Potsdam
2. Voyez Fechner, loc. cit. à la fin de la biographie, les Regeatcn
des Erzbischofs Wichmann, aux n"* 30-33, 37, 45.
lOii RELATIONS DES \se.\Mi:\s âVEC L'ALLEMAGNE
après l;i défaite de celui-ci, il ;i reçu La moitié de ta
Saxe, du Weser au Rhin, où il a l'ail reconnaître son
autorité ducale, el mis fin à toutes lies résistances. Ce
puissanl archevêque de L'ouesl éteaidai1! sa juridiction
sur des territoires hollandais H foramçai , au temps
même où L'archevêque die L'esl reculail vers- l'Oder les
limites de son diocèse el de L'Allemagne. Tous les û hix,
mais Le dernier surtowit, étaienl fidèles à lia vieille idée
sur Laqiuellfi ireposaii le sainl empire : la politique de
Gharlemagne oe semble-t-elle pas se persoanifiei dans
L'archevêque Wichmann, ce missionnaire armé? Tôt ou
tard L'archevêché de Magdebourg -devait se considérer
comme L'héritier du duché de Saxe dans l'est, aussi
bien que L'archevêché de Cologne s'en était constitue
L'héritier dans l'ouest. Alors devait édateor le conilii
entre les successeurs d'Albert et de Wichmann, ces
deux fidèles alliés *. L'événement arriva seize ans après
la mort d'Ail ieil. quatre ans après la mort de Wichmann.
En 1196, le margrave Otton et son frère Albert se
rendent, le 24 septembre, dans l'église cathédrale de
Magdebourg, et là, devant l'autel, en présence d'un
cardinal, légat du saint-siége, de l'archevêque de Mag-
debourg, du chapitre, d'un grand nombre de nobles,
hommes libres, gens du commun, les deux princes
font à saint Maurice, patron de l'archevêché , dona-
tion de tous leurs biens, situés soit « dans le duché
transalbin, soit dans la marche, et dans tous les
Comtés Mppartenaul à la marche » 2. Cet acte solennel
1. Les témoignages de la bonne intelligence qui régnait entre le
mararave et l'archevêque abondent. Voir les Regesten cités plus
haut', aux n«s 2-4, 7, 17, 25, 27-9, 32, 38, 43-6. 48, 50-1.
2. Preedia qusecumque in ducatu transalbino seu marchiâ, et
in omnibus comitatibus ad Marchiam pertinentibus... Voyez Rau-
mer, Reg„ p. 265-6, n° 1623.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 107
reçoit ensuite la consécration juridique. Le 25 no-
vembre, l'archevêque, le margrave el son frère, accom-
pagnés d'une suite nombreuse, se transportent sur
la rive droite de l'Elbe dans le « duché », et là,
devant un tribunal dont le président est nommé par
l'archevêque, eu vertu de son pouvoir ducal, la dona-
tion esl répétée. Enfin, deux jours après, pareille
cérémonie réunit les mêmes personnes sur la rive
gauche de l'Elbe, dans la marche, devant un tri-
bunal dont le président est nommé cette fois par le
margrave. Sollicité par les deux parties, l'empereur
Henri VI, qui était en Sicile, ratifia la convention par
deux chartes écrites, l'une à la requête du margrave,
l'autre à la requête de l'archevêque. Dans la seconde,
il rappelait l'obligation contractée par le prélat de
rendre en fief, au bout d'un an et six semaines, au
margrave et à son frère, les biens dont il avait reçu
donation, et qui pourraient être transmis aux héritiers
des deux princes, non seulement en ligne masculine
mais encore en ligne féminine i.
L'histoire ne dit rien des causes de l'événement qu'on
vient de raconter, et l'on est réduit à commenter la
charte d'Otton II et les deux chartes impériales. Le
margrave parle « de regagner la clémence du Rédem-
pteur 2 » ; l'empereur dit qu'Otton et son frère onl agi
dans l'intérêt du salut de leurs âmes, « afin d'obtenir
leur part du céleste patrimoine... 3 » Ces dernières ex-
"1. Voir Heinemann, Cod. dip. anh. 1"' partie, p. 523, n° 710 ;
Riedel, Cod.dipl. brand. IIIe partie, t. I, p. -2. n° 2; Raumer, Reg.
p. 265-6, n°1623; et p. 269-270, n«- 1639-1640; Wolhbriick, Gesch.
der Altmark, p. 131 aux notes 392, 393.
2. « Ad reconciliandam nobis nostri clementiam redempto-
ris — »
3. « Ad profectus salutis animarum suarum.... ut celestis pa-
trimonii participes redderentur.... »
106 RELATIONS DES ISCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
pressions se retrouvent dans tous les actes semblables :
s'agit-il donc ici d'une simple donation pieuse sui-
vant la coutume <ln moyen âge ? Dans une charte de la
même année, le margrave I Itton fait an singulier aveu :
« C'est, dit-il, par dé larges aumônes, par la dévotion
des prières perpétuelles, par la macération des jeûnes,
par les veilles constantes supportées sans ennui
que l'on obtient la vie éternelle; mais puisque la fai-
blesse de nuire nature nous rend tout cela d Sicile, et
que la pétulance, habituelle à l'âge bouillant de la
jeunesse, nous pousse toujours dans la voie contraire,
nous avons résolu de pourvoir à notre salut, en de-
mandant aux efforts d'âutrui ce que les nôtres ne
peuvent nous assurer * » C'est-à-dire que le mar-
grave charge autrui de prier, de veiller et de se ma-
cérer pour lui. L'acte du 16 novembre) 1196 a-t-il
été inspiré par la même pensée? L'énormité de la do-
nation et les mots « afin de regagner la clémence du
Rédempteur », ont donné à supposer que les deux As-
caniens avaient quelque chose à se faire pardonner par
l'Église, peut-être une excommunication. Un compila-
teur du xvic siècle raconte en effet, qu'après un long
différend avec l'archevêque de Magdebourg, Otton II
de Brandebourg fut excommunié, en ajoutant, il est
vrai, que l'effet de la sentence fut terrible, et que le
propre chien du margrave se laissa mourir de faim
plutôt que d'accepter sa nourriture de la main d'un
réprouvé 2.
S'il est difficile de dire la cause véritable de cet acte
extraordinaire, il ne l'est pas moins d'en déterminer
1. Voyez Wohlbruck, Gesch. dev Altm., p. 129, note 387.
2. Brotuffius, Genealogiœ und chronica des Durchleuchten hoch-
qebohrnen Konujlichen tmd Fùrstlichen Hanses der Fûrsten zu
Anhalt.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE "109
le vrai caractère. On a soutenu que la donation avait
pour objet et qu'elle eut pour conséquence de placer
la marche et les margraves sous la suzeraineté de l'ar-
chevêché, de les médiatiser, pour ainsi dire, au profit
du siège de saint Maurice 1 ; mais la marche était un
fief d'empire et ne pouvait descendre à ce rang infé-
rieur sans l'agrément de l'empereur, dont il n'y a point
trace. La donation qui a été faite par le margrave -et
confirmée par Henri VI, est celle de biens patrimo-
niaux ; seulement comme elle comprenait tout le pa-
trimoine de la famille margraviale, il est permis de
croire que l'archevêque de Magdebourg a eu la pensée
de réduire les margraves à une sorte de vassalité. Il
ne faut pas laisser passer inaperçu ce mot de « duché
transalbin », qui ne pouvait être entré dans l'usage
que depuis la destruction du duché de Saxe, et qui
annonçait des prétentions auxquelles ne pouvaient se
plier les margraves de Brandebourg.
Entre les deux voisins, la lutte est presque perpé-
tuelle. On a vu déjà que le margrave Albert II avait
été combattu par l'archevêché pour être resté fidèle à
Otton de Brunswick 2. A la mort d'Albert, sa femme
Mathilde prend la tutelle de ses deux fils mineurs, Jean
et Otton; mais l'archevêque, évidemment en vertu
de l'acte de 1196, demande cette tutelle à l'empereur
qui la lui donne : il faut que la margrave la rachète
au prix de dix-neuf cents marcs d'argent3. A peine
1. Voyez Raumer, Reg., p. 265, n° 1623, surtout la note où l'auleur
s'efforce de prouver que les archevêques ont obtenu en 1196 non
une suzeraineté sur des lieux isolés, mais une suzeraineté poli-
tique. Voyez aussi Wolhlbriick, Geschichte der Altm., p. 130-7, qui
ne voit dans l'acte de 1196 qu'une donation plus considérable que
les autres.
2. Voyez page 90.
3. Riedel, Cod. dipl. II, t. I, p. 8, n XV.
||(i RELATIONS DES ISCANIENS IVEC L'ALLEMAGNE
arrivés à Leur majorité, Jean el Otton onl une con-
testation violente avec L'évèque de ïïalberstadl pour
une cause demeurée obscure. Qtton esl même fail pri-
sonnier el i »; i > * * sa Liberté au prix de liiiin mares d'ar-
geui el de La cession d'Alvenslebeo '. La querelle se
prolongeanl , L'archevêque de Magdebourg el le mar-
grave de Misnie el de Lusace, Henri l'Illustre, s'eja
nu'lriii. L'archevêque et Les Brandebourgeois s'étaieaj
réceimmenJ brouillés dans nue entreprise faite en eona-
niuii contre la ville de Lebus-'-. Muanl au margra\r de
Misnie el de Lusace, ses domaines touchaient au nord
aux possessions transalbines du Brandebourg, el il
étail BU OOnte&tation avec les Ascaniens à propos des
chàleaux-lïonlières de Kripciiid-, el de Millenwalde.
La guerre lui acharnée. Pendant qifllenri de Misnie,
qui \ < 'liai i de ravager Le territoire Iransalbin, tenait le
pays entre Mittenwalde et Kopenick, l'archevêque et
L'évèque envahirent el saccagèrent la Vieillr-Man-hr.
Contre cette coalition, le Brandebourg élail réduit à
ses propres forces. Jean et 01 ton s'étaient réunis d'a-
bord contre le margrave de Misnie : ils se séparèrent,
Otlon demeura pour surveiller Henri l'illustre : .Iran
chevaucha nuit et jour au-devant des deux prélats,
rania->anl sur sa roule le commun peuple armé de
bâtons et d'arcs. La rencontre eut lieu au bord de la
Biese près d'Oslerbourg, et Jean remporta une victoire
complète : l'évèque était parmi ses prisonniers; l'ar-
chevêque s'était enfui, grièvement blessé, du champ
de bataille 3. Cette victoire eut du retentissement.
Au dire dîme chronique, beaucoup de gens, qui au-
1. Voyez Wohlbrùck, Gesch. der Altmarh, p. 147.
2. Voyez au chapitre suivant.
3. Chronicon arcliiepiscopatus magdeburgensis (op. Meibomium
Reniai germanicarum toaii 1res, t. II, p. 330 et suiv.)
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 111
paravant n'auraient pas voulu servir les margraves,
même pour un salaire, leur vinrent offrir gratuite-
ment leurs services .: ils comptaient évidemment sur
le pillage pour se dédommager. Cependant l'évêque
deHalberstadt, après avoir payé aux Ascaniens la ran-
çon qu'il avait jadis exigée du margrave Alberl . se
tint àl'écart; l'archevêque, aidé par ries renforts venus
de Misnie, recommença la lutte. Elle fut suspendue
en i"24o et les deux adversaires tirent même en com-
mun la conquête du territoire de Lebus J ; mais un
singulier différend les vint armer de nouveau l'un
contre l'autre.
L'évêque Louis de Halberstadl était un prodigue
et un brouillon, qui trafiquait sans pudeur des biens
de l'Eglise. Un jour, sans consulter son chapitre , il
vendit à Jean et à Otton le comté de Seehausen. Le
territoire confinait au sud à la marche : c'est dire qu'il
convenait fort aux margraves. Ceux-ci comptèrent
3,400 marcs à l'évêque ; mais le pape déposa le prélat
et du même coup annula tous les marchés qu'il avait
conclus 2. Les margraves refusèrent de rendre le
comté. Le nouvel évêque, Vollrad, ne se sentant pas
de force à le leur reprendre, imagina de le revendre
au prix de 4,500 marcs à l'archevêque de Magde-
bourg, qui s'engageait à compter aux Brandebour-
geois , « s'ils voulaient le ravoir », l'argent qu'ils
avaient déboursé ?j. Les deux prélats se promirent
1. Les dates indiquées ici ne sont pas rigoureusement cer-
taines Voyez Tittmann, Geschichte Heinrichs du r ErlauchU n, mark-
grafen zu Meissen und in Osterlunde, t. II, 2mc partie : Jahrbuch
der Geschichte marrhgraf Heinrichs des Erlauchten , aux années
1240-41.
2. Riedel, Cod. dipl. II. t. I, p. 57-8, n° I.XXXl.
3. Si eam rehabere voluerint.... Ried. Cod. dipl. II, t. I, p. 49,
n»LXXIII.
112 RELATIONS DES &SCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
un mutuel appui pour La lionne conduite de toute
relie affaire '. Sollicité d'approuver le nouveau
marche, le pape consentit en considération des mi-
sères <le l'église de Halberstadt « rongée par la rouille
de l'usure •' ». Gependanl les margraves persistaient
à ne point se dessaisir du comté. Le pape alors chargea
les doyens de Mersebourg et d'Erfurt de les menacer
d'excommunication et d'interdit 8. Avant d'en venir
à cette conclusion, Alexandre IV parlait de l'affection
toute spéciale qu'il portait aux deux princes, et les en-
gageait à « doubler par leur vertu l'éclat de leur race »,
mais il ne disait pas un mot de l'indemnité que les mar-
graves estimaient leur être due. Aussi les Ascaniens
ne cédèrent point ; il est probable qu'ils remportèrent
des avantages signalés , car lorsqu'ils rendirent le
comté de Seehausen, ils reçurent, outre une indemnité
de 3,000 marcs d'argent, Alvensleben et le territoire
de Jéricho w 4.
Les deux margraves qui s'étaient montrés de si
constants adversaires pour l'archevêché entreprirent
de faire parvenir un des leurs au siège archiépiscopal.
Erich, fils de Jean, était chanoine au chapitre de Hal-
berstadt ; il brigua la même dignité à Magdebourg. On
comprend tous les avantages que les margraves pou-
vaient se promettre du succès de cette politique, mais
aussi les soucis qu'elle devait causer au chapitre. C'est
sans doute pour vaincre les résistances soulevées
par cette candidature que le pape Urbain IV, évidem-
1. Id., ibid., p. 50, ir LXXIV; p. 52, n» LXXV; p. 53, n° LXXVI;
p. 55, n° LXXVII et n° LXXVIII ; p. 56, n» LXXIX ; p. 57, n° LXXX,
LXXI.
2. Id., ibid., p. 58, n° LXXXI.
3. Id., ibid., p. 58, n° LXXXH.
4. Id., ibid., p. 62, n° LXXXVII.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 113
nient sollicité par les margraves, la recommanda au
chapitre et à l'archevêque, en faisant valoir cette
raison que « la puissance des parents d'un tel cha-
noine ajouterait à l'honneur de leur église, et défen-
drait ses droits et ses possessions contre les attaques
des méchants ' ». Erich fut (''lu chanoine de Mag-
debourg. En 1278, le siège étant devenu vacant à la
mort de Conrad de Sternberg, il se présenta aux
suffrages du chapitre, qui hésitait entre lui et un autre
candidat. Pour éviter un schisme, les chanoines ima-
ginèrent de dédommager avec de l'argent les deux ri-
vaux et d'élire Giinther de Schwalenberg. Aussitôt
Otton IV, le chef de la branche johannienne, prit
parti pour son frère Erich. Il se mit à la tète d'une
coalition, marcha sur Magdebourg, et comme il était
arrêté près de' Frose, parlant déjà de faire manger ses
chevaux dans le palais archiépiscopal, l'archevêque
déploya l'étendard de Saint-Maurice, courut au-de-
vant de l'envahisseur, le battit et le lit prisonnier
avec 300 chevaliers. Otton fut, comme un criminel, en-
fermé dans une cage pendant que ses frères conti-
nuaient la guérie. Sa femme, Heihvich de Holstein, se
ménagea des intelligences dans le chapitre et elle
obtint de l'archevêque que le prisonnier fut admis à
payer une rançon de 4,000 marcs d'or. Comme Otton
cherchait le moyen de réunir celte somme, un vieux
serviteur de son père lui révéla l'existence d'un trésor
que le margrave Jean avait caché dans l'église de Neu-
Angermiincle en prévision dr> temps difficiles. On
montre encore aujourd'hui le tilleul plusieurs fois
frappé par la foudre que le margrave lit planter, pour
1. Riedel, Cad. dipl. II, t. I, p. s:», n° CXII.
1 li km \ïlo\s DES Asc.wikns AVEC L'ALLEMAGNE
marquer en quel endroil de 1 édifice était placé le pré-
cieux oofirel : <m a même conservé ce coffret, qui a
renfermé le premier trésor «le guerre du Brande-
bourg1. Otton en tira sa rançon , el quand il l'eut
comptée à l'archevêque : « Suis-je libre, dit-il? — Uni,
répondil Giinther! — Ehbien, tu mv suis pus le prix
d'un margrave. Tu aurais dû me faire monter sur mon
cheval el commander qu'on me couvrîi d'or ci d'ar-
genl jusqu'à la pointe de ma lance? » Aussitôl il re-
commença la guerre-, el comme il assiégeai! Stassfurl
surlaBode, Qreçul àlatête une flèche, donl il porta
la pointe jusqu'à ce qu'elle tombât : delà vint sou nom
d'Oltonà la Flèche (1279)'. Enfin il atteignit le but de
tant d'efforts.; Erich ne fut point encore élu après la
mort de Giinther (1279), mais il fut le successeur de
Bernard de Wolpe (1283) 2.
Des relations amicales s'établissent aussitôt entre le
margravial et l'archevêché. Erich est soutenu contre
ses vassaux révoltés par ses frères, et, pour prix des
secours qu'il reçoit d'eux, il leur cède la part de l'ar-
chevêché dans la province de Lebusqui avait été con-
quise en commun. Après Erich, qui meurt en 1295,
aucune mésintelligence grave n'éclate plus entre les
deux voisins, dont les relations avaient si longtemps
présenté un caractère de violence acharnée. Pourtant
la lutte n'était pas finie. Etabli sur les deux rives de
l'Elbe, l'archevêché barrait le chemin aux margraves
vers les régions fortunées du Harz et de la Thuiïngc.
Pénétrant comme un coin dans l'angle formé par
l'Elbe et la Ilavel, il séparait la Vieille-Marche du Ha-
\ . Voyez Màrkische Forschitngen, t. I, p. ^91-3.
2. Klôden, Diplomatische Geschichtc des Markgrafcn Waldemar
von Brandcnburg, t. I, p. 161-3.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 115
velland, les anciennes possessions margraviales des
nouvelles. Il était donc un obstacle au développement
du Brandebourg, et un obstacle si gênant qu'il ne dut sa
longue existence qu'à sa qualité do principauté ecclé-
siastique. Il disparaîtra quand la réforme et les guerres
qui la suivront auront fait cesser l'inviolabilité de ces
sortes d'états. On ne peut s'empêcher de remarquer
que les Hohenzollern prépareront l'annexion du duché
de Magdebourg par une politique analogue à colle dos
Ascaniens, c'est-à-dire en portant au siège archiépis-
copal des membres de la famille électorale.
RELATIONS AVEC LCS MARCHE-! DE LUSACE ET DE MISNIE.
Au temps d'Albert l'Ours, les marches de Lusace
cl de Misnie étaient réunies sous le sceptre do Conrad
di' Wettin , un des plus puissants princes do l'Alle-
magne, qui, s'avisant un joui' « que lo monde passe
el qu'il y faut renoncer, si l'on no veut périr sous ses
ruines » , alla prendre la robe monacale au monas-
tère du Mont-Tranquille (1156) L Lo morcellement de
son héritage, les discordes qui éclatèrent entre les di-
verses branches de sa famille annulèrent pour un
moment la puissance des Wettin; mais elle fut recons-
tituée et même agrandie au xiT siècle par Henri l'Il-
lustre (1221-1288), contemporain des margraves Jean
et Otton, arrivé en même temps qu'eux, et mineu
comme eux. à la dignité margraviale.
Au domaine de sa famille qui comprenait les marches
de Lusace el de Misnie et L'Osterland, Henri ajouta
par héritage en 1247 le landgraviat de Thuringe of le
palatinat de Saxe. Sa principauté s'étendait donc du
1. Chronicon Montis sereni, ad annum 1156 [ap Mencken, l. L.
Ilti RELATIONS DES ASCANIENS WKe L ALLEMAGNE
Wéser jusqu'auprès de L'Oder*. Il passail pour être
extrêmement riche; on disail de lui « qu'il avait. des
tours pleines d'argent, el que si le royaume de Bohême
eûl été mis en vente, il l'aurail aisément acheté. » Ses
états comprenaienl un grand nombre de villes : Leipzig,
Halle, dans l'Osterland; Gotha, Bisenach, Mulhau-
sen, Brfurt, en Thuringe; Querfurt, dans le Palatinal :
Dresde, Meissen . Freiberg el ses mines d'argent dans
la Misnie, etc. Combien étail pauvre, en comparaison,
la marche de Brandebourg! 11 y avait pourtant plus
d'avenir dans celle pauvreté que dans l'opulence des
Wettin, et déjà au temps dont nous écrivons l'his-
toire, les margraves brandebourgeois soutiennent avec
avantage la lutte contre leurs puissants voisins.
On sait déjà qu'une querelle où furent impliqués
l'archevêque de Magdebourg et l'évêque de Halberstadt
éclata entre les Âscaniens et les Wettin au sujet des
châteaux de kopenick et de Millenwalde, situés sur les
frontières de la Lusace et du territoire transalbin de
Brandebourg 2. Une acquisition du margrave Otton
prépara de nouveaux conflits. Otton avait épousé Béa-
trix, fille de Wenceslaw Ier, roi de Bohème, et reçu,
en gage du paiement de la dot, des domaines dans la
Haute-Lusace ; mais la dot ne fut pas payée, et des
1. La marche de Lusace ne comprenait que la basse Lusace :
la haute Lusace appartenait à la Bohème. La Bohême avait entamé
la Misnie, et poussé sa frontière vers Dresde. L'Osterland était
situé au N. 0 de la Misnie, entre la Mulde et la Saale. La Thuringe
s'étendait de la Saale à la Werra, du Frankenwald au Harz. Le
palatinal de Saxe était situé au N. de la Thuringe et à 1 E. rie l'Oster-
land. entre la Saale et la Helme. — Voyez Tittmann, Geschic/iU-
Heinrichs des Erlauchten, t. I, p. 85-90.
2. Voyez p. 110. Cette lutte ou tout au moins la mésintelligence a
duré jusqu'en 1255. A cette date le pape autorise, malgré la pa-
renté, un mariage entre une fille de Jean de Brandebourg et un
fils d'Henri de Misnie, <>.... pro pace inter parentes reformanda. «
Voyez Biedel, Cod. dipl., II, t. I, p. 44, n° LXIII.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L' ALLEMAGNE i 17
services rendus par Otlon a Wenceslaw puis à Otto-
kar, son successeur, accrurent la dette de la Bohème.
Ottokar s'acquitta en cédant la Haute-Lusace au mar-
grave l. Désormais les Ascaniens pouvaient prendre à
revers la marche de Lusace à laquelle ils confinaient
déjà au nord. Bientôt les querelles de famille, qui
mirent l'anarchie dans la maison de Wettin . exci-
tèrent leur ambition : ils voulurent avoir leur part des
dépouilles d'une maison qui se livrait elle-même à ses
ennemis 2.
En l'année 1265, Henri l'Illustre fait entre ses deux
fils un partage anticipé de sa succession. Se réservant
la Misnie et la Lusace, il donne a l'aîné Albert le land-
graviat de Thuringe el le palatinat de Saxe, à Thierry,
le second , l'Osterland et la marche de Landsberg,
territoire situé au nord-ouest de la Misnie. el qui, après
avoir porté au début du xne siècle le nom de marche1
d'Ilbourg, un peu plus tard celui de marche de Lands-
berg, s'était confondu avec la Lusace sons le nom
de marche orientales. Albert le Dégénéré, palatin
de Saxe et landgrave de Thuringe, était \\n mauvais
1. Vers 1255. Ces margraves Jean et Otton font plusieurs fois
acte de souveraineté dans le pavs. Voyez Riedel, lue. cit.. p. 88,
n°CIX; p. 81, CX; surtout p. 89, n° CXIX; p. 98, n° CXXIX; p 97,
il" CXXX : les trois derniers documents, déjà cités p. 86, note 1,
sont des traités de partage entVe les deux brandies, de domaines
situes dans la haute Lusace.
•2. Henri l'Illustre
Albert le Dégénéré. Thierry le Gros (f 1285J
Frédéric Thierry 11 Frédéric 'lutta
à la .loue Mordue, ou Diezmann. ou le Bègue.
'à. Voyez von Posern-Klett , Zur Geschichte der Verfassung der
Markgrafschaft Meissen, p. 5-12.
Ils RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
prince, dont la conduite attira sur lui el sur les .siens
les plus grands malheurs. Il avail épousé Margue-
rite de Staufen, fille de Frédéric II; mais épris des
charmes de l'ambitieuse Cunégonde d'Eisenbere. il
résolut d'assassiner sa femme. A prix d'argent, il
décida un valel de cuisine à l'aire le coup au châ-
teau de la Wartbourg. La nuil fixée pour l'exécu-
tion, ce malheureux que troublaient les remords, et
qui tremblait à la pensée de se déguiser eu diable,
car le landgrave axait imaginé ce grossier subterfuge,
alla se jeter aux pieds de Marguerite pour lui toul
avouer et la presser de fuir. Les issues pouvaient être
gardées : les gens de la princesse attachèrent aux fenê-
tres de la tour des cordes et des draps noués. Avant
de s'aventurer dans la nuil, elle voulut embrasser
ses fils Frédéric et Diezmann qui dormaient. Elle
prit Frédéric dans ses bras, et, en ce moment de su-
prême angoisse, imprima si fortement ses lèvres sur
le visage de l'enfant, que toute sa vie il porta sur la
joue la trace du dernier baiser maternel : on L'appela
Frédéric à la Joue Mordue. Marguerite réussit bien à
s'enfuir, mais peu de temps après elle mourut de dou-
leur (1570) l. Albert épousa Gunégonde, et les enfants
de Marguerite furent élevés par leur oncle Thierry. Ce
tragique épisode explique les discordes qui remplissent
l'histoire de cette famille. Elles éclatent à plusieurs re-
prises avant la mort d'Henri l'Illustre. Albert le Dégé-
néré a de graves difficultés avec son père, et ses fils, à
peine arrivés à la jeunesse, lui demandent compte de sa
conduite envers leur mère ; mais les grands troubles ,
qui s'annoncent à la mort de Thicrry-le-Gros (1285), ne
1. Voyez KliJden, loc. cit., p. 357 ; Tittmann, Gescliichta Heinrichs
«les Erlauchten, II, p. 249-52.
RELATIONS DES ASC AMIENS AVEC L'ALLEMAGNE 119
datent véritablement que de la mort d'Henri (1288) *.
Les héritiers du riche margrave étaient Albert le
Dégénéré, son fils, et Frédéric Tutta ou le Bègue, fils
de Thierry-le-Gros 2. Tutta avait hérité de son père en
128r> la marche de Landsberg et l'Osterland ; il se met-
tait en devoir de partager la succession de son grand-
père avec le Dégénéré, quand les fils de celui-ci,
Frédéric à la Joue Mordue et Diezmann, intervinrent
à main armée pour réclamer leur part d'un héritage
auquel ils n'avaient aucun droit. Il s'en suivit une
guerre qui donna au roi d'Allemagne, Rodolphe, un
prétexte pour intervenir. Ces petits princes qui, après
l'interrègne, succèdent aux grands empereurs, se
montrent jaloux des droits de l'empire, mais pour les
faire servir aux intérêts de leur maison. Rodolphe
arrangea le différend 3, et il usa de l'occasion qui lui
était offerte pour obtenir des princes de la maison
de Wettin la reconnaissance de son droit à disposer
des fiefs de l'empire, chaque fois qu'ils deviendraient
vacants ; L290 '. U comptai! assurément mettre à profit
pour lui-même la première vacance, mais il n'en eut
pas le temps, car il mourut Tannée suivante. Ses suc-
cesseurs n'oublieront ni l'exemple ni les droits qu'il
leur léguait.
Une nouvelle querelle amena une intervention
aussi redoutable que celle du roi. Tutta mourut un
/
1. Voyez Tittmann, t. II, le « Jahrbucli der Geschichte Markgraf
Heinrichs des Erlauchten, aux années 1270, 1281, 1280, 1287.
2. Henri l'Illustre avait eu d'un autre mariage un fils qu'on ap-
pelle Frédéric-le-Jeune, qui ne fut jamais l'égal des autres parce
que sa mère était de condition ministérielle. Il n'eut qu'une moin-
dre part, un territoire autour de Dresde, et il ne joua qu'un rôle
effacé.
3. Voyez Posern-Klett, p. 73 et suiv.
4. Id., ibid., p. 7G-9.
L20 RELATIONS DES w..\\li\s avi.c L'ALLEMAGNE
mois après Rodolphe, ne Laissant qu'une Lille en bas
âge (1291). Son oncle, le Dégénéré, était son héritier,
mais les deux fils dé celui-ci vinrent encore contester
cette succession à Leur père. Diezmann avait déjà reçu
la Lusace des mains de Rodolphe, lors Ai' L'accommo-
dement de L'année précédente. Il laissa son frère pren-
dre la Misnie ut partagea L'Osterland avec lui. Ainsi
frustré de ses droits, Albert Le Dégénéré revendiqua
sa part, de la succession et sollicita contre ses fils L'ap-
pui d'Otton IV àla Flèche, auquel il céda la marche de
Landsberg. Aussitôt Otton envahil la Misnie, qu'il ra-
vagea ' ; il accompagna Albert en Osterland, et fitoffice
de margrave de Landsberg 2. Dès lors l'ambition des
Brandebourgeois dispute à celle des rois d'Allemagne
l'héritage d'une maison dont la ruine semble inévi-
table.
Les rois d'Allemagne prennent les devants. La paix
semble avoir été rétablie au commencement de 1292
entre Albert et ses enfants qui restent en possession,
Frédéric de la Misnie, Diezmann de la Lusace. Cepen-
dant Adolphe de Nassau, qui avait succédé à Rodolphe
de Habsbourg, évitait soigneusement de donner à
Frédéric dans les actes de la chancellerie impériale le.
titre de margrave : il considérait la marche de Misnie
comme ayant fait retour à l'empire à la mort deTutta,
en vertu de la convention conclue avec Rodolphe de
Habsbourg, et Frédéric, auquel il n'en avait pas donné
l'investiture, comme un usurpateur. De nouvelles
1. Pater proprium lilium diffidavit et in sui auxilium marchio-
nem Braniieburgensem... advocans , terram Misnensem , Orien-
taient et Plisnensem plurimum devastarunt. (Annales Vetero Cel-
lenses, ad ami. 1292 (ap. Mencke, t. II).
2. En 1291 Otton porte le titre de margrave de Brandebourg et
de Landsberg. Voyez Riedel, Cod. dipl., II, t. I, p. 198, n° CCLIV.
RELATIONS DES ASCÀNIENS AVEC L' ALLEMAGNE 121
discordes lui donnent prétexte à intervenir. Frédéric
se brouille avec Diezmann ; ils possédaient à deux
les mines d'argent de Freiberg et l'on pense bien que
dos contestations devaient naître de la communauté
d'un tel bien. Diezmann se rapproche de son père, et
lui achète à prix d'argent sa succession entière, au
détriment et à l'exclusion de son frère Frédéric. Or,
la même année, Albert le Dégénéré vend cette même
succession au roi Adolphe de Nassau (1294). On ne
sait point lequel des deux marchés fut antérieur à
l'autre, mais il est certain qu'Albert prit des deux
mains et trompa le roi cl, son fils, se souciant peu des
desordres qui en pourraient résulter à sa mort l.
Menacé dans ses droits, Frédéric est bientôt attaqué
dans ses possessions par Adolphe. Après une lutte de
deux années où le roi montre la plus grande cruauté,
le margrave est réduil à s'exiler. Notons que les Bran-
debourgeois suivaient de près les événements. Otton
à la Flèche et Otton le Long assistaient à la réunion que
présida dans Leipzig le roi Adolphe, peu de tennis après
son entrée en campagne (1294) 2. Un bizarre concours
de circonstances allait mettre pour un temps en leurs
mains la plus grande partie de l'héritage des Wettin.
Ceux-ci purent espérer un moment le repos et la
réparation de leurs désastres, quand Adolphe de Nas-
sau eut été vaincu et tué par Albert d'Autriche ( 1 w208);
mais Albert considéra comme acquis à l'empire le pays
conquis par son prédécesseur, et il en donna l'admi-
nistration au roi Wenceslaw de Bohême, son beau-
père. Wenceslaw avait essayé plusieurs fois de s'im-
miscer dans les affaires de la Misnie. Il convoitait la
1. Vovez Posern-Klett, p. 85.
2. Riëdel, Cod. dipl., Il, t. I, p. 208, n° CCLXVI...
12*2 RELATIONS DES \-<:\\ir\s AVEC L'ALLEMAGNE
possession de [cet ancien territoire slave. Une fois vi-
caire généra] de L'empire dans cette contrée, il y acheta
successivement quantité de fiefs, el linil par se faire
donner la marche elle-même , en gage du paiement
de 10,000 marcs qu'il avait prêtés au besoigneux coi
d'Allemagne. Albert Le Dégénéré parai I s'être accom-
modé de ces singuliers arrangements ; mais ses Bis,
Frédéric et Diezmann , Q'entendaienl pas se laisser
dépouiller '. Quelques villes et quelques princes leur
étaient restés fidèles, H les secours qu'ils en rece-
vaient leur permettaient de tenir la campagne. Pour
gagner l'alliance de L'archevêque de Magdebourg,
Diezmann lui vend en 1301 une partie de la mar-
che de Lusace en stipulant toutefois qu'il la garderait
jusqu'à sa mort. L'archevêque paye la somme conve-
nue: mais Diezmann s'avise qu'une clause de l'acte
de vente n'a point été exécutée : l'archevêque n'a point
demandé l'approbation royale. Diezmann entre alors
m négociations avec les margraves de Brandebourg
auxquels il vend une seconde fois la Lusace. Voilà
comment les Ascaniens portent au commencement du
xivc siècle les titres de margraves de Landsberg et de
Lusace2. Ce fut bientôt le tour de la Misnie : Wenccs-
Law, roi de Bohême et de Pologne, ayant voulu assurer
à son fils la couronne de Hongrie , son ambition in-
quiéta l'empereur d'Allemagne qui lui déclara la
guerre, après l'avoir sommé de restituer la Misnie;
mais ^'enceslaw engagea la marche pour 50,000 marcs
aux. margraves de Brandebourg Otton , Hermann et
Waldemar. La plus grande partie de la principauté
1. Voyez Posem-Klett, p. 1)1.
2. Riedel Cod. dipl., II, t. I, p. 232, n° CCCXI; p. 260,
n°> CCCXXXVII, CCCXXXVI1I; p. 208, n° CGCXL.
RELATIONS DES ASCAXIEXS AVEC L ALLEMAGNE 123
des Wettin se trouva donc pour un moment en la
possession des descendants d'Albert l'Ours.
Toutefois les margraves avaient à conquérir la
Misnie, car ni les fils d'Albert le Dégénéré, ni le
roi Albert ne reconnurent la validité de la cession
faite par Wenceslaw 11 de Bohême. Celui-ci mourut
pendant la guerre qu'il soutenait contre le roi d'Al-
lemagne (1305), et ({uo son fils, Wenceslaw III, ter-
mina par un traité , quelques semaines après son
avènement. Wenceslaw III renonçait à toute pré-
tention sur la Misnie, et, pour la dégager des mains
des margraves brandebourgeois , il offrait à ceux-ci
de leur céder toutes ses possessions de Pomérellie '.
Les Ascaniens rejetèrent cette transaction, et Albert
d'Autriche se mit en devoir de conquérir la marche
à la fois sur les Brandebourgeois et sur Frédéric et
Diezmann. Il échoua, parce qu'à deux reprises diffé-
rentes la vacance du trône de bohème appela son
attention et détourna ses forces de la Misnie. Frédé-
ric lui opposa d'ailleurs une résistance héroïque :
son frère Diezmann ayant été assassiné, et son père
Albert le Dégénéré s'étant confiné dans la retraite,
le margrave à la Joue Mordue porta sans plier tout
le poids de la lutte2. A la mort d'Albert d'Autriche
1. L'acte de la cession faite par Wenceslaw II n'est pas con-
servé ; mais il est rappelé dans le projet de transaction proposé
par Wenceslaw III aux margraves : a Nos Wenceslaus. . prornit-
timns.... quod, quam primurn illustres domini Otto, Hermannus et
Woldemarus, marchiones de Brandenburg nobis terrain misnen-
sem et castra et civitates infrà scriptas.... que et quas in terra ipsa
eis.... dominus Wenceslaus... pater noster karissimus, obligaverat,
presentabunt, statim eis.... etc. Voyez Riedel, loc. cit., p. 283-4,
n- CCCXXXV.
2. Depuis 1308 Albert le Dégénéré disparaît de l'histoire, Fré-
déric est depuis cette date régent de Thuringe. Son père est re-
tiré à Ert'urt où il meurt en 13 1 2.
124 Kl 1 ETIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
{ 1308) il acheva presque la conquête de La marche on
même temps que La soumission de La Thuringe.
Henri \ll de Luxembourg, successeur d'Albert, vou-
lui d'abord continuer sa politique en Thuringe el en
Misnie, mais il était si faible el sou ambition L'appelait
de tant île côtés ;'i La fois qu'il «lui renoncer à ce projet.
Axant de partir pour L'Italie, il reconnul Les droits de
Frédéric sur Le margravial de Misnie, el sur toutes les
seigneuries « donl il étail Le vrai el Légitime héritier >•
(1310) i. Frédéric a va il donc refait la fortune de la mai-
son de Wettin, compromise par L'indigne conduite de
son père, unis il avail encore à compte i avec les mar-
graves (1 Brandebourg.
En L309, Waldemar de Brandebourg el Frédéric se
rencontrèrent à Muhlberg, et remirenl à des arbitres
le soin de terminerleurs différends 2. La décision de ce
tribunal, qui no nous esl point parvenue, ne lil que
retarder la guerre, Waldemar ne voulant point re-
noncer à toute compensation pour les 50,000 marcs
au prix desquels il avait acheté la Misnie, et Frédéric
ne reconnaissant point la validité du marché. Les
hostilités éclatèrent en 1312 ; mais Frédéric et son fils
furent faits prisonniers par Waldemar. Conduits à
Tangermiinde 3, les deux princes durent souscrire à
toutes les conditions du vainqueur, renoncer aux pré-
tentions qu'avait gardées Frédéric sur le palatinat de
Saxe, les marches de Landsberg et de Lusace, le pays
situé' entre l'Elbe et l'Elster, céder les châteaux et les
villes de Grossenhain et de Torgau, avec leurs dépen-
dances, payer pour indemnité de guerre 32,000 marcs,
1. Voyez Posern-Klett, p. ICI.
2. Riedel, loc. cit., p. 281-2, n° CCCLVI, CCCLVII, CGCLVIII.
3. KliJden, Diplom. Gesc/t., t. II, p. 109.
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 125
et jusqu'au paiement de cette somme livrer aux mar-
graves, comme gages, plusieurs villes importantes.
Dans les différents documents relatifs à ces négocia-
tions, Frédéric est qualifié de landgrave de Thuringe,
margrave de Misnie, ce qui implique la reconnais-
sance de ce dernier titre par Waldemar de Brande-
bourg. Les concessions obtenues par celui-ci étaient
plus que suffisantes pour compenser sa renonciation
à cette qualité ».
Frédéric île Misnie se promit bien de n'observer un
pareil traité que jusqu'au jour où il serait de force a le
déebirer. Ce jour sembla venu, quand, en l'année 1315,
s'organisa contre les margraves de Brandebourg la
formidable coalition de tous ceux: que leur ambition
avait lésés 2. Nous ne savons presque rien de la pari
qui fut prise par Frédéric à la guerre générale, ni des
conditions de la paix qui intervint en 1317, si ce n'est
qu'une alliance de famille rapprocha les deux maisons
ennemies 3, et qu'il ne fut presque rien changé à la
situation créée par le traité de 1312 *. d'est seulement
après l'extinction de la dynastie margraviale des An-
liait <pie Frédéric a la Joue Mordue fera valoir avec
succès -es droits sur la partie de son héritage détenue
par le brandebourg.
Les rapports des maisons margraviales de Brande-
bourg et de Wettin sont un triste épisode de la triste
histoire d'Allemagne après la chute de l'empire. On y
voit agir tout ensemble l'avide ambition des rois et
•1. Riedel, loc. cit., p. 319, n° CCCCI.
2 Voyez au chapitre suivant, à la fin.
3. Riedel, loc. cit., p. 396, n° CCCCLXXXI.
4 En 1317, après la pacification générale, Henri de Brande-
bourg porte le titre de margrave de Landsberg , Waldemar porte
le titre de margrave de Brandebourg et de Lusace. Voyez Riedel,
loi . < t(., p. 410, n° XD1X.
126 RELATIONS DES àSCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE
les convoitises de la féodalité allemande. N'est-cepas
mi signe caractéristique de ces temps malheureux que
les margraves de Brandebourg se soienl un moment
trouvés 6E possession du margravial de Landsberg
cl du palatinal de Saxe, vendus par un père au détri*
menl de ses Bis, du margravial de Lusace vendu par
Diezmann quand il appartenait, en vertu d'wwr pre-
mière vente faite parle même personnage, à L'arche-
vêché de Magdebourg; enfin du margraviat de Misnie,
vendu par Le roi de Bohême, qui Le tenait en gage et
u'avail pas ledroil d'en disposer ?
Remarquons encore que la décadence de la princi-
pauté des Wettin servait la fortune du Brandebourg.
Cette décadence n'esl que momentanée : elle va cesser
au moment où fondronl sur la marche des malheurs
de toutes sortes. Les Wettin, après avoir recouvré
Les domaines d'Henri L'Illustre, hériteronl an \\" siè-
cle des ducs de Saxe-Wittenberg, descendants de
l'Ascanien Bernard, fils d'Albert l'Ours; les mar-
graves de Misnie, landgraves de Thuringe, devien-
dront dues de Saxe, électeurs et grands-maréchaux
de l'empire. Des partages morcelleront leurs états,
niais ils n'en joueront pas moins un grand rôle au
xvie siècle: alors les yeux du monde entier seront
tournés vers Wittenberg, d'où partira le premier cri
de la révolte luthérienne, vers la Wartbourg où le
réformateur menacé s'abritera derrière les murs du
manoir historique, vers l'électeur Frédéric, qui dédai-
gnera l'empire au profit de Charles-Quint ! Plus lente
et plus pénible, mais aussi plus solide sera la fortune
du Brandebourg. Déjà, au temps dont nous racontons
l'histoire, de grands avantages étaient assurés à la
marche. La principauté de Wettin est formée de
RELATIONS DES ASCANIENS AVEC L'ALLEMAGNE 127
pièces rapportées par des mains différentes : la mar-
che de Brandebourg a celte forte homogénéité que
donne l'unité d'origine. Celle-ci a devant elle le vaste
champ que lui offrent les petits (''tais slaves de l'est et
du nord : celle-là est contenue au sud par la Bohème,
à Test par la Pologne, au nord par le Brandebourg.
Les Sorabes ayant été plus facilement soumis que les
Wiltzes, la Misnie et la Lusace ont perdu le caractère
primitif de la marche, c'est-à-dire de l'étal militaire : le
Brandebourg l'a conservé. Grands seigneurs en Alle-
magne, les futurs électeurs de Saxe sont trop mêlés
aux affaires de l'empire ; heureux el riches, ils ne sont
pas assez stimulés par l'ambition : au contraire le souci
égoïste de leurs propres affaires, l'ambition de se for-
tifier et de grandir sent des qualités politiques qui
s'imposent aux margraves brandebourgeois. Des
monts de Bohême à la nier du Nord, de toutes les
marches fondées par Gharlemagne et par Otton, une
seule a gardé vivant, si Ton peut dire, l'esprit de la
fondation, c'est la marche de Brandebourg.
CHAPITRE IV
CONQUÊTES DE LA MAISON ASCANIENNE
EN PAYS SLAVES.
La fondation du monastère de Lehnin. — Conquêtes en pays de
suzeraineté polonaise. — Conquêtes en pays de suzeraineté
danoise. — Tentatives des margraves sur la Pomérellie, et rap-
ports avec l'ordre teutonique. — Relations avec le Mecklembourg
et nouvelles luttes avec le Danemark. — Fin de la dynastie as-
canienne.
LA FONDATION DU MONASTERE DE LEHNIN.
Les premières conquêtes des Ascaniens sur la rive
droite île l'Elbe se fîrenl peu à peu, par un efforl de
tous les jours el non par de grandes actions d'éclat.
Les chroniques spéciales de la marche étanl presque
entièrement perdues, el les chroniques allemandes
s'intéressanl pou à de petits faits qui s'accomplissaient
sur un terrain mal connu, on est réduil à des conjec-
tures touchant la date de plusieurs acquisitions faites
par les successeurs d'Albert.
Otton I (1170-1180; paraîl avoir conquis les terri-
toires de Glin et de Lôvenberg au nord du Havelland.
Le territoire de Glin était situé sur la rive droite de la
9
130 CONQUÊTES DES AlSCANIENS
Havel : Kremmeri el Bôtzow, aujourd'hui Oranien-
bourgj eu étaieni Les endroits principaux ; celui de Lô-
venberg situé au aord du premier, en remontanl Le
cours de La Havel, comprenait La partie orientale du
cercle actuel de Ruppin. Mais l'acte Le pins important
d'Otton 1 en pays slave fui sans contredil La fondation
du monastère cistercien de Lehnin '.
Pendant La Lutte contre Henri-le-Lion, Otton eut à
repousser un»' invasion des Slaves coalisés avec le
duc <le Saxe. C'està cel événement que se rattache
la fondation du monastère. Gomme Le margrave, ra-
conte une Légende recueillie par La chronique de Pul-
cawa 2, s'était endormi dans une forêt de la Zauche,
il vit en songe se précipiter sur lui un élan :! qu'il
abattit d'une flèche. A son réveil, il conta le rêve a
ses compagnons. Ouelquos-uns lurent d'avis que la
vision était un ordre de Dieu de bâtir à celte place
une forteresse : « J'élèverai, dit le margrave, une
forteresse, où je mettrai des hommes pieux dont la
prière chassera de ce pays l'infernal ennemi, et m'as-
sistera au dernier jour de ma vie 4. »
L'histoire de Lehnin, quelque peu merveilleuse, il
est vrai, ferait croire que le christianisme «Hait encore
mal affermi, dix ans après la mort d'Albert l'Ours, à
deux milles de la ville épiscopale de Brandebourg. Le
premier abbé de Lehnin, Siehold (1180-1190] l'ut, au
dire d'une inscription qui parait être du début du
xv'' siècle, assassiné par les Slaves. La légende ajoute
1. Riedel, die Mark Br., t. I, p. 253, note 2.
2. Voyez les fragments de cette chronique publiés dans Riedel,
Cod. dipl. ive partie, t. I, p. 5.
3. Élan se dit en langue slave lehnije, d'où Lehnin.
4. On parlera au dernier chapitre des services rendus par les
monastères à la conquête germanique.
EN PAYS SLAVES 131
que les pauvres moines étaient au milieu de l;i maré-
cageuse forêt comme prisonniers, n'osant s'aventurer
jusqu'au village voisin cleNahmitz, quand les hommes
s'y trouvaient. Un jour, ceux-ci étant tous occupés à
la pêche, Siebold vint avec ses frères prêcher les fem-
mes; aussitôt les enfants allèrent prévenir leurs pères,
qui accoururent du lac, les rames à la main. Les
moines s'enfuirent; niais l'abbé n'allait pas vite. Au
moment d'être atteint, il monta dans un arbre et s'y
cacha; malheureusement son trousseau de clés, qu'il
avait laissé tomber le trahit. Les païens coupèrent l'ar-
bre, et il eut beau, pour les adoucir, promettre de les
exempter de la dîme : il fui mis à mort. Les moines
épouvantés voulurent s'enfuir; mais la sainte Vierge
leur apparut et leur ordonna de rester: le margrave
Otton vint bientôt à leur aide el til terrible justice. On
voit encore dans l'église de Lehnin un tableau qui
représente la scène du martyre et l'apparition de la
Vierge, de la bouche de laquelle sortent ces paroles : Re-
deatis, nil deeril vobis. Il ne leur manqua rien en effet.
Leur monastère devint un des plus riches d'Allemagne :
autour de son église se groupèrenl les bâtiments habités
par les moine-, les hôtelleries, les écoles, les hospices,
les fermes et les ateliers. Il en reste aujourd'hui nue
église, des mursel nue tour; ces mines sont vénérées,
et le vieux monastère a retrouvé un regain de po-
pularité, depuis que s'est accomplie la prophétie du
pieux Hermann, moine du xiV siècle, qui a préclil
l'avènement des Hohenzollern au margraviat de Bran-
debourg, puis au trône impérial d'Allemagne *.
1. Voyez Grasse, Sageribuch des Preussischen Staates, t. I, p.
1-6; Fontane, Wanderungen durch die Mark Brandenburg,3 par-
tie, p. 73-85.
132 CONQUÊTES DES Asc.Wir.xs
Au commencement du jciii" siècle, Lehnin étail en-
core nu avant-poste de L'élise d'Allemagne; mais
après Les conquêtes qui vonl se succéder, il s'en faudra
de beaucoup que le monastère soit situé au centre de
la marche de Brandebourg, donl Les Limites vonl être
reculées vers la Baltique el vers La Vistule. Dès que
les margraves dépassèrenl dans ces deux directions
Les limites du pays conquis par Alberl L'Ours et par
01 ion 1", ils rencontrèrenl . au Lieu de tribus païennes,
des états slaves chrétiens; à L'est, de petites princi-
pautés sans force et sans avenir e1 la Poméranie; au
nord, le Mecklembourg : derrière les premières, la
Pologne elle Danemark; derrière le second, Le Dane-
mark encore. Le théâtre de L'histoire brandebour-
geoise s'élargit alors, et tout aussitôt commença Le
combat pour la Baltique, qui devait, plusieurs siècles
après, Unir par la destruction de la «Pologne el parla
mutilation du Danemark.
CONQUÊTES EN PAYS DE SUZERAINETÉ POLONAISE.
La Pologne du moyen âge est un pays de grandeur
fragile. Sur le sol qu'elle occupe entre l'Oder et la
Yistule, il est impossible de trouver l'indication d'une
frontière; caries collines qui marquent la séparation
des versants de la Baltique et de la mer Noire, n'em-
pêchent même pas les eaux du bassin de la Yistule de
se mêler à celles du bassin du Dnieper. Mettez sur ce
terrain vague un peuple brave, toujours en guerre,
[tour attaquer ou pour se défendre, au sein duquel
s'est formée une aristocratie nombreuse, impatiente de
toute hiérarchie et dont l'anarchie, dans le sens habi-
tuel du mot, est l'état nécessaire. Dans ce pays où
EN PAYS SLAVES 133
l'on entre aussi aisément qu'on en sort, ouvert à tous
les vents, si l'on peut dire, ce peuple ne pourra se
recueillir un instant, prendre sa consistance et s'orga-
niser. Il sera grand à ses heures, et la noble cavalerie
polonaise aux cuirasses ailées galopera de l'Elbe au
Dnieper et à la Duna, souvent victorieuse, niais inca-
pable de conquérir solidement. C'est toujours la fai-
blesse de ses voisins qui fait la force de la Pologne :
leur force un jour fera sa ruine.
A peine la Pologne est-elle entrée dans la commu-
nauté chrétienne sous Mieczyslaw j 992), qui réunil
en une nation les différentes tribus polonaises mena-
cées par la conquête germanique, et déjà Boleslaw
Ghrobry [992-1025] conquiert le pays entre l'Elbe et
l'Oder, bat les margraves allemands, soumet la Lu-
sace et la Misnie, entame Magdebourg et le Brande-
bourg, puis au delà de la Vistule atteint pour les sou-
mettre au tribut, les Prussiens et les Russes; mais cet.
empire ne survit pas à son fondateur. La Pologne est
occupée aux xie et xne siècles par des guerres contre
la Bohême, la Hongrie, la Russie, et par des dissen-
sions intérieures, que les règles incertaines de la
transmission du pouvoir renouvellent à chaque règne.
Toute la rive gauche de l'Oder échappe à sa suzerai-
neté, pour passer, au nord, sous celle de la Saxe d'a-
bord, du Danemark et du Brandebourg ensuite, au
sud, sous celle de la Lusace. Au centre, le terrain
était acquis d'avance à la marche de Brandebourg.
La première conquête <h'> Ascaniens fut celle des
territoires de Barnim el de ïeltow. Poursuivie sans
éclat sous les premiers successeurs d'Albert l'Ours,
elle est achevée par une transaction, sous les mar-
graves Jean et OlLon, qui font en 1232 acte de suze-
13 ', CONQUÊTES DES LSCANIENS
raineté dans le pays !. C'était, au temps d'Àlberl L'Ours,
une principauté slave, semblable à celle de Pribislaw
dans Le Havelland. Sa capitale était K.ôpenic sur La
Sprée, el on L'appelail Sprewa ou Zpriavani.Q sait
commenl elle fui dans La suite partagée en deux terri-
toires : le Barnim au nord, le Teltowau sud de la Sprée.
Prise dans son ensemble, elle était Limitée à 1' >s1
par La Havel, au nord par l'Uckermark, au sud parla
Lusace. A L'est, elle touchail à L'Oder, dans sa partie
septentrionale 5 elle en étail ensuite séparée par les
territoires de Kiïstrin el de Lebus 2.
Sur la Sprée, aux contins du Teltow et du Barnim,
étaient situés deux villages qui devaient être succes-
sivement élevés au rang de ville, el par Leur réunion
former la capitale de l'état prussien : Colin dans une
île de la Sprée, Berlin sur La rive droites. Les deux
noms sont d'origine slave '. mais <\(^ colons allemands
vinrent bientôt renforcer et renouveler la population
primitive. Colin paraît avoir été babitée surtout par des
1 . Les margraves traitent avec un prince slave du nom de Bar-
win : a domino Barwin terras Baruonem et Teltlmve et plures
alias sunt adepti.... (Chronique de Pulcawa, loc. cit., p. 9.) —
Voyez Riedel, die Mark Brand., t. I, p. 390, note 4.... Insuper
civitati Spandow ex pleniludine nostra3 gratine indulgemus, ut
omnis de terra Teltow et omnis de terra Schelin Clin), nec non
omiiis de nova terra nostra Barnem jura sua ibidem accipiant...
2. Voyez Riedel, die Mari; Br., t. I, p. 384 etsuiv... : Die lande
Barnim und Teltow...
3. Le marché aux poissons et la rue des pêcheurs, dans l'île ;
la rue de Stralau sur la rive droite marquent aujourd'hui l'em-
placement des deux villages, qu'un pont de bois réunissait l'un
à Vautre.
4. C'est au moins l'opinion la plus générale. Les diverses formes
du nom de Berlin sont : Berlin, Berlyn, Berlin/, Berlynn, Ber-
in, Borlin, Berlin, Berlyn, Werlin, IJerlein;\e mot aurait
plusieurs significations entre lesquelles notre incompétence ne
nous permet pas de choisir. L'opinion qui fait venir le nom de la
capitale prussienne de deux mots celtiques: ber, petit, et ly>i, lac,
a peu de défenseurs, celle qui le fuit dériver de Bar (prononcer
bére) l'ours, et qui rattache l'origine de la ville au premier mar-
grave ascanien n'en a plus du tout.
EN PAYS SLAVES 135
pêcheurs, caria première église qu'on y bâtit, fut dé-
diée à saint Pierre, le pécheur de Galilée, tandis que
les Berlinois consacrèrent la leur ;i saint Nicolas, pa-
tron dos marchands. Les deux villages reçurent une
charte municipale distincte ', et ils grandirent l'un à
côté de l'autre, jusqu'à ce qu'ils fussent réunis, au
début du xiv1' siècle, en une seule cité 2. Berlin-Colin
se fit alors admettre dans la Hanse, et prit un rang
parmi les villes de la marche, mais sans s'élever au-
dessus d'une condition médiocre, licites on ne pouvait
prévoir que cette ville, située au plus triste endroit du
Brandebourg, fût réservée à de grandes destinées!
Mais quand les margraves eurent achevé la conquête du
pays entre l'Elbe et l'I Ider, Berlin marqua le centre de
leur principauté: plus tard, quand les ('lecteurs et les
rois Eîohenzollern eurent fondé ce singulier royaume
dont les morceaux étaient éparpillés à travers le nord
de l'Allemagne, le château bâti par le premier roi de
Prusse dans l'île de la Sprée, se trouva encore à égale
distance de l'une et de l'autre frontière, de Glèves el
de Kônigsberg. La politique a donc fait la fortune de
Berlin, au lieu que son rôle politique ait été le résultai
de sa fortune même, comme il est arrivé pour d'autres
cites, néesen meilleur lieu. Il faut remarquer pourtant
qu'il n'était point impossible qu'une ville se dévelop-
pât entre l'Elbe et L'Oder, en un point où se rencon-
trent presque les >ounx'> de plusieurs de leurs affluents,
1. Ces documents sont perdus; mais ils sont certainement de la
première moitié du XIIIe siècle. En 1253 le margrave Jean octroie
à la ville de Francfort sur l'Oder ■ le droit de Berlin » : ipsam
civitatem eodem jure quo civitatem Berlin gavisam esse volumus.
(Riedel, '.'<</. dipl. I, t. XXIII, p 1, n° l). Voir encore au même
volume, p. 2 le n° II ; p. 3, le n° III; p. V, le n° VIII, et, au volume
supplémentaire, p. 221 et suiv., un recueil de chartes relatives
à Berlin.
■2. Voyez Klôden, DipL Gesch., t. 1. p. 375.
I (i CONQUÊTES DES A.SCANIENS
au croisemenl des routes commerciales de la Posnanie,
de la Silésie ei de La Bohême vers La mer du Nord, de
La Saxe el de la Thûringe vers La Baltique. Mais il es1
superflu de parler plus Longtemps d'un si Lointain ave-
nir. [1 faudra bien des combats encore el Le triomphe
à°une politique tenace, habile el heureuse, pour assu-
rer une grande place dans Le monde à cette ville bâtie
au désert, el qu'on pourrait à hou droit comparer
à Palmyre, si Le déseri avait plus de grandeur et la
ville dos monuments capables el dignes de braver
l'injure du temps.
Les margraves Jean Ier cl Otton III ne tarderont pas
à compléter leur conquête du Teltow et du Barnim
par l'acquisition des territoires qui les séparaient
encore de l'Oder. A l'ouest du Barnim, était situé le
territoire de Lebus , que ce fleuve partage en deux
parties à peu près égales. Après avoir appartenu à la
Pologne, il avait été rattaché à la Silésie. Un moment
Louis de Thûringe, tuteur d'Henri l'Illustre, l'avait
conquis à la marche de Misnie. Cependant Magdebourg
avait sur le pays des prétentions qui remontaient à
une donation faite au siège archiépiscopal par l'empe-
reur Henri V, lors d'une expédition victorieuse dirigée
par ce prince contre Boleslaw de Pologne (1110). L'ar-
chevêque fit renouveler cette donation par le roi des
Romains Philippe de Hohenstaufen. puis par l'empe-
reur Frédéric II (1226) t, etdouze ans après, avec l'aide
du margrave de Brandebourg, il tenta, sans aucun
succès d'ailleurs, de la faire valoir (1238). Ce fut seule-
ment en 1250, à la suite d'obscures négociations, et à
1 . Voyez la charte de donation de Frédéric, dans Wohlbriick,
Geschichte des ehemaligen Bisthum Lebus und des Landes dièses
Nahmens, t. I, p. 22, en note.
EX PAYS SLAVES d 37
la faveur des discordes qui troublèrent la Silésie, après
la mort du duc Henri le Pieux, que les margraves Jean
et Otton d'une part, l'archevêque Willibrand d'autre
part, se firent céder le pays t. Enfin on a vu que les
Ascaniens s'en trouvèrent seuls maîtres, après que
l'archevêque Erich leur eut abandonné la part de Mag-
debourg 2.
Le territoire de Lebus était assez considérable : la
frontière parlait.à l'est, delà rive gauche de la Warta,
au-dessous du lieu où devait s'élever Landsberg, et
elle allait rejoindre presque directement la Pleiske; elle
quittait la Pleiske environ aux deux tiers de son cours
pour incliner au sud-ouest vers l'Oder qu'elle atteignait
à Rampitz; de. là elle courait en touchant à Guben vers
la Sprée qu'elle quittait près de la foret de llan-
gelsberg, pour rejoindre l'Oder au-dessus de Kustrin.
Deux ans après la prise de possession du pays par
les margraves, Francfort sur l'Oder recevait de Jean I
sa charte municipale ;î. Vers la même date Otton III
fondait Miillrose '« : Selow, Sternberg5, Sonnenbourg,
Gôritz, Fiirstenwalde, naquirent ou se développèrent
au temps des margraves ascaniens, qui fondèrent aussi
de nombreux villages 6.
1. Voyez Riedel, die Mark Br., t. I, p. 479-82, — Wohlbrùck,
ioc. cit., t. I, p. 1-33.
2. Voyez p. 114. Archiepiscopus marchiam Lusicie alienavit ab
ecclesia vel obligavit , tradens eatn marchioni fratri suo.... que
usque hodie non est recuperata ab ecclesia. Chrotdcon arch\
c<>i><itt''s magdeburgensis [ap. Meibom. Scriptor. rerum Gerrn.,t.ll,
p. 333).
3. Riedel, Cod. dipl. I, t. XXIII, p. 1, n° i; p. 2, if ii ; p. 7,
n° vin.
4. En 1275 les margraves Jean JI et Otton IV confirment à .Miill-
rose les privilèges qui lui ont été donnés par leur père Oiton in
ipsius fundatione'. Riedel, ibid., i. XX. p. 1*7, ie xvi.
5 Sternberg a donné son nom a la partie du territoire de Lebus
située sur la rive droite de l'Oder.
6. Voyez Wohlbrùck, lue. éd., t. I, p. 3'J3 et suiv.
138 i ONQl ÊTES DES ASCANIEN3
La limite de L'Oder était donc dépassée; les mar-
graves continuèrenl à s'avancer d'une façon continue.
Les vallées de La Warta el de La Netze étaient dis-
putées entre La Poméranie el la Pologne, el Les deux
pays pour s'assurer cette frontière, faisaienl à L'envi
donation aux ordres religieux «les marécages el des
bois qui La couvrent. Les margraves mirent à profit
cette situation favorable à Leur ambition. Vers L260
les pays de Kùstrin au confluenl de La Warta el de
L'Oder, de Landsberg sur La Warta, de K.œnigsberg ' el
de Soldin entre la Warta el L'Oder étaienl acquis ;i la
marche2. Trente ans plus tard ce fui le tour de Frie-
deberg el d'Aras walde s. La frontière s'avançail donc
vers La Pomérellie, el L'on verra bientôt Les margraves
attaquer cette principauté; mais il faul maintenant
revenir en arrière, el montrer comment le Brande-
bourg, en même temps qu'il faisait ers progrès vers
l'est, gagnail «lu terrain au nord, au détriment de la
1. Le Kœnigsberg dont il est ici question est une petite ville,
chef-lieu d'un cercle (province de Brandebourg, gouvernement de
Francfort sur l'Oder , qui porte son nom. Dans le même cercle est
situé Eûstrin, qui fut longtemps une place de guerre de premier
ordre, grâce à sa situation au confluent de l'Oder et de la Warla,
dans un pays coupé de marais. Landsberg et Soldin sont des chefs-
lieux de cercles dans le même gouvernement.
2. Des donations dans le pays de Kùstrin, dont quelques-uns
comprennent la ville même de Kùstrin, sont faites aux Templiers
successivement par l'évèque de Lebus en 1232, par Wladislaw de
Pologne la même année, par Barnim de Poméranie en 1234 et 1235,
par Boleslaw de Pologne, en 1259 (Riedel, Cod. dipl. I, t XIX,
p. 1-5, nos i-iv et vu.) On voit comme il était facile aune maison
princière, qui avait une politique suivie, de s'agrandir en un pays
où les frontières étaient si incertaines. — En 1257, Jean Ier donne à
X"U-Landsberg sa charte municipale (Riedel, ibid., p. 369, n" i). —
En 1271, les margraves dispensent la ville de Kœnigsberg de 1 ar-
pentage de son territoire. (Riedel, ibid. p. 173, n° i). — Soldin
devient une ville importante sous les Ascaniens (Riedel 1, t. XVill,
p. î 10, n° i, et p. 442, n° m .
3. Friedeberg et Arnswalde sont des chefs-lieux de cercles dans
le même gouvernement. Arnswalde était encore au xvne siècle
ville frontière de la marche du côté de la Poméranie.
EN PAYS SLAVES 139
Poméranie. Ici les Ascaniens se heurtèrent au Dane-
mark, et l'histoire de la marche se trouva mêlée à
l'histoire générale de l'Europe.
CONQUÊTES EN PAYS DE SUZERAINETÉ DANOISE,
L'histoire de la Scandinavie au moyen âge est,
comme celle de la Pologne, grande à de certains mo-
ments, à d'autres, misérable L Pendant la période
païenne, les Danois, les Suédois, les Norvégiens,
souvent séparés ei parfois réunis , pirates par pau-
vreté el par amour de l'aventure, épouvantenl l'Eu-
rope par leurs brigandages, avant de la couvrir de
leurs colonies. Aucun lieu ne semble à l'abri de leur
atteinte : l'Islande est visitée par eux au même
temps que la Russie ; ils menacent à la fois Michel
l'Ivrogne dans Constantinople el le duc de France
dans Paris. Plus près d'eux, les Allemands sonl en
butte a leurs al laques perpétuelles. Gharlemagne élève
contre eux la marche de Sehleswig, mais ils profitent
des Irouliles qui suivent sa mort pour ravager la mar-
che, la Saxe el les Pays-Bas. Les empereurs saxons.
qui rétablissent en Allemagne l'empire et l'unité, im-
posent leur suzeraineté au Danemark, mais le Dane-
mark, impatient du joug, ressaisit son indépendance
chaque fois que l'Allemagne retourne a ses dis-
cordes. 11 devient redoutable, lorsque Canut-le-Grand
L014-1036 a l'ail entrer dans la communauté chré-
tienne le Danemark et la Norwége unis sous son
sceptre. L'alliance intime conclue par Canut avec la
1. Geffroy, Histoire des états Scandinaves. — Usinger, Deutsch-
hichte. — Sybel, kleine hislorische Schriften, t. Il,
à l'arlicle Deufschland und Danemark im dreizehnten Jahrhun-
dert, p. 105-35.
1 io CONQUÊTES DES A.SGANIENS
papauté devienl une tradition de La politique danoise
ri t'ait faire grande figure a ce petil pays. Canul traite
d'égal a égal avec L'empereur Conrad 11. ri lui vend
son alliance au prix de la marche de Schleswig.
De sanglants désordres suivent, il est vrai, lu glo-
rieux règne de Canul : lus trois pays Scandinaves
guerroienl 1rs uns contre lus autres; la famille royale
esl divisée par des haines el par des crimes ; lu Dane-
mark, partagé un plusieurs provinces, esl réduil a
une complète impuissance, ut quand le roi Niels est,
sommé par Lothaire île se reconnaître vassal de L'em-
pire, il su soumet sans résistance (1 L25). Mais le Dane-
mark commence une ère nouvelle avec le roi Walde-
niar Ier, lu Sauveur ou lu Victorieux (1157). Après
avoir rétabli l'unité dans l'état, Waldemar fortifie son
pays contre les attaques dos pirates de la Baltique,
Mecklembourgeois, Poméraniens, Prussiens, Finlan-
dais el Ksi hou ii mis: puis il prend L'offensive contre eux
avec de grands succès. Il a pour auxiliaire son chan-
celier, l'évêque de RoesMlde, Absalon. Descendanl du
fameux pirate Palnatoke, Absalon était Le plus terrible
adversaire îles pirates; au plus fort de l'hiver, il croi-
sait sur la Baltique, et l'on rapporte que les Wendes
ayant cru le surprendre, un jour qu'il célébrait une
messe solennelle, il déposa la crosse pour saisir la
massue, puis, tombant sur les païens avec ses clercs,
ses chantres ci ses ouailles, rejeta les agresseurs à la
mer. Dans l'île de Riigen, où il accompagna sou roi,
il brûla lu temple fameux de Swantowit : sur les
ruines fumantes des sanctuaires païens, le prélat bap-
tisait de force ses néophytes.
Tant irue dura le duché de Saxe, le Danemark, allié
fidèle d'Henri-le-Lion, ne joua dans ces guerres contre
EX PAYS SLAVES 141
les païens de l'est qu'un rôle secondaire el subor-
donné, et Ton sait déjà que la suzeraineté de la Saxe fui
imposée au Mecklembourg, à la Poméranie, el même à
la moitié de Rugen, bien que cette île eût été conquise
parles seules armes du roi. Mais Waldemar vit tomber
Ëenri-le-Lion , et Canut VI 1182-1202 recueillit sur
la rive droite de l'Elbe la succession du Guelfe. Un
chroniqueur contemporain a bien vu cette conséquence
de la destruction du duché. « Le roi Canut, dit Arnold
de Liibeck i , jouissait d'une paix profonde dans son
royaume : il se souvint (h^ calamités que les Slaves.
au temps de ses pères . avaient infligées à son pays,
et. les voyant privés des secours du duc Henri, qui
les avait muselés par le frein de sa domination, il
jugea le moment opportun pour les attaquer. -
Canut avait grandi au milieu du combat contre les
Slaves. Invité par Frédéric à se reconnaître vassal de
l'empire, il temporise, jusqu'à ce qu'il soif solidement
assis sur le trône. L'empereur le presse, en le me-
naçant de faire un autre roi : • Qu'il trouve d'abord ce
roi-là. répond Canut. » — « Ton empereur, dit le' chan-
celier Àbsalon à l'ambassadeur de Frédéric, n'aura pas
du roi de Danemark le plus petit hommage : entends-
tu bien ? >■> Frédéric, qui ne se trouve pas alors en étal
de mimera bien une guerre contre le Danemark, or-
donne a Bogislaw de Poméranie. qu'il a fait, après la
chute d'IIenri-le-Lion . duc et prince du Saint-Em-
pire , d'attaquer Garnit : Bogislaw est vaincu et forci'
de venir en grand appareil, à bord de la flotte danoise,
remettre entre les mains du roi son duché, pour le
recevoir de lui en fief. Au même moment . interve-
I Voyez Arn. de Lub., III, b(ap. Leibniz, t. II, p. 6.">7).
2. Usinger, loc. cit., p. 53-5.
| 12 l 1 1 s'Ql ÊTES DES ASC wh-.ns
ii;iiit dans Le Meckleinbourg entre deux prétendants,
Niclol el Borwin, Canul établit le premier à Rostock,
le second à Mecklembourg, après avoir reçu Leur bom-
mage1. Gela fait il ajouteàsou titre relui de roi des
Slaves., el il attaque la Nordalbingie.
Adolphe de Schaumbourg, comte de Holstein, étail
un ambitieux, ami du faste, dépensier, dur à ses vas-
saux el à ses sujets. 11 eut L'imprudence de provoquer
Ganut en appuyant un prétendanl à La couronne da-
noise : il fut vaincu el forcé de l'acheter son comté
des mains du vainqueur. Ainsi le pays allemand étail
entamé. G'esl une grande époque dans L'histoire du
Danemark. Canut voyait l'alliance de sa maison re-
cherchée par Philippe-Auguste : le roi do Franco avait
été Tort exigeant pour la dot, et Canul avait \wi mo-
ment hésité à donner les dix mille marcs qu'on lui
demandait : mais l'abbé Guillaume d'Eschilsoe avait
vaincu ses résistances : o Songez, lui avait-il dit, que
ce n'est point un petit honneur qui vous est offert, ei
que si vous acquérez l'amitié des rois de France, vous
n'aurez plus à craindre dans l'avenir, les convoitises
et l'avidité de l'empire 2. »
Beaucoup plus que l'alliance des rois do France,
les dissensions de l'empire protégèrent Ganut'contre
l'Allemagne. Il ne se prononça pas tout de suite entre
Otton de Brunswick et Philippe de Hohenstaufen ;
mais sa famille était amie de celle des Welfs; au con-
traire les alliés du gibelin Philippe, c'est-à-dire Ber-
nard de Saxe, Otton de Brandebourg, les archevêques
1. Arn. de Lub , ni, 4 (loc. cit. p. G56)... Rege (Kanuto) sic dis-
ponente, qui jam terram Slavorum sibi subjicere cogilabat et adji-
cere regno suo...
2. Usinger, p. 68. — Epistolce Wilhelmi, II, 23, («p. Langebeck,
Scriptores rerum dariicarum medii œci, t. VI, p. 43}.
EX PAYS SLAVES 143
de Brème et de Magdebourg, le comte de Holstein, en
un mot les princes allemands du nord-esl étaient les
ennemis naturels du Danois, depuis qu'il avait l'ait en
Slavie et en Nordalbingie de si grands progrès. Le
margrave de Brandebourg surtoul ue pouvait souffrir
que le roi de Danemark s'arrogeât en Slavie une1 suze-
raineté à laquelle il croyait avoir dr* droits. En 1197 l
il fît en Poméranie une expédition suivie de con-
quêtes; mais l'année suivante la Hotte danoise re-
monta l'Oder et débarqua une armée que les contin-
gents dos Mecklembourgeois et des Rugiens vinrent
rejoindre. A sa tête était le chancelier du royaume,
Pierre, évêque de Roeskilde, successeur d'Absalon.
Otton marcha contre les coalisés; il paraît avoir eu
l'avantage dans la sanglante bataille qu'il leur livra;
le chancelier de Danemark fut blessé et pris, mais
le margrave fui obligé de l'aire une retraite, qu'une
chronique danoise appelle une fuite2 (1198).
Otton l'ait un nouvel effort avec l'aide d'Adolphe de
Holstein : en 1199, ils ravagent en commun la Slavie.
Pour se protéger contre les représailles qu'il prévoit,
Adolphe demande des secours partout. 11 en reçoit de-
deux partis; Guelfes et Gibelins, sans se réconcilier,
se portent à la frontière pour la défendre contre les
Danois. ( in s'observe longtemps d'une rive de i'Evder
à l'autre, et l'on se sépare sans combattre. Au prin-
temps, Adolphe veut reprendre et fortifier Rends-
bourg dans une île de l'Eyder; mais les Danois accou-
rent. Le comte de Holstein est forcé de demander
1. Olho, margravius de Brandeburg, infestabat Canutum regem,
subjiciens sibi quosdara Slaves, quos rex suie dittonis esse dice-
bat... Arnold, VI, 9 [loe. cit., p. 715;
2. ld , ibid., et Chronicon Danorum (ap. Scriptores rerum dani-
carum, t. III, ad ann. 1198 .
| ', ', CONQUÊTES DES ASCANIENS
la paix. Cette fois, les Dithmarses passent sous la
domination danoise L#00). Une dernière tentative
d'Adolphe à Laquelle s'associe Le comte de Ratzebourg
est plus malheureuse encore L^Ol : Les deux alliés
perdent successivement toutes leurs villes; à La lin
Adolphe est surpris dans Hambourg el t'ait prisonnier.
Après deux ans de captivité, il est dépouillé de son
comté el retourne à Schaumbourg sur Le Wéser, dans
Sun domaine patrimonial1. Waldemar II. qui succède
à son frère Canut (1202-1241 , prendle titrederoi des
Danois cl dos Slavos, seigneur do la Nordalbingie.
Waldemar s'était illustré déjà sous Le règne do son
frère. C'était un marin aussi bien qu'un soldat ac-
compli, un politique que son amour des combats cl de
la gloire no put jamais entraîner à une imprudence, un
administrateur avisé, qui mit de l'ordre dans les li-
nances royales, et qui eut le droit de s'appeler l'ami
dos marchands, car il accorda au commerce une
protection intelligente. Il inaugura son règne par un
voyage dans la Nordalbingie et la Slavie, et donna le
comté de Holstein et une partie de celui de Ratzebourg
à son neveu, Albert d'Urlamiinde, qu'il tint dans
une étroite dépendance. Tout semblait concourir à la
fortune croissante du Danemark. Ses ennemis lui
offrirent l'occasion d'intervenir dans les affaires de
l'archevêché de Brème. L'archevêque Hartwig étant
mort , le chapitre élut Waldemar de Schleswig ,
de la famille royale de Danemark , et qui n'était
autre que le prétendant au trône auquel Adolphe de
Holstein avait prêté son appui contre Canut. Un sem-
blable choix était une provocation à l'adresse du roi de
1. Usinger, loc. cit., p. 92 et suiv.
EX PAYS SLAVES 145
Danemark; Waldemar la releva. Hambourg avait ou
avantBrême le siège archiépiscopal et gardait encore une
partie du chapitre diocésain : les chanoines de Ham-
bourg, n'ayant pas été consultés pour l'élection, nom-
mèrent un anti-archevêque. Les deux rivaux se dispu-
tèrent à main armée le comté de Stade. Le roi Waldemar
soutint naturellement les droits de ses sujets, les cha-
noines de Hambourg. Il lit construire sur l'Elbe un
pont permanent, dont la tète était défendue par la for-
teresse de Harbourg, construite sur le territoire brè-
mois. Ainsi le roi de Danemark prenait pied sur la rive
gauche de l'Elbe L La même année, sur la rive droite,
il attaquait le comte de Schwérin, resté seul indépen-
dant parmi les anciens tiel's d'Henri-le-Lion , H dont
le territoire séparait maintenant les domaines do Wal-
demar de ceux du margrave do Brandebourg, son en-
nemi.
Ces événements passaient presque inaperçus en Al-
lemagne, ou l'on ne se souciait guère des frères alle-
ds de la Nordalbingie. Pendant que Waldemar
ravageait le comté de Schwérin, l'empereur Otton lui
vint demander des secours sur les ruines de Boizen-
bourg, détruite par lui: mais quand il se trouva seul
dans l'empire par la mort de son rival, Otton changea
do politique. Tour gagner les princes de l'est, en par-
ticulier les margraves de Brandebourg, demeurésjus-
que-la les fidèles alliés di's Gibelins, il fallait qu'il
rompit ;i mi des Slaves, seigneur de la Nordal-
bingie ». 11 sembla qu'un grand effort fût sur le point
d'être t'ait contre le Danemark. Au printemps de 1209,
1. Rex Waldemarus pontein ultra Allnani sterni fecit.... et....
castrum Horneburg firmissime aedificavit. Arnold, VII, 13 (/oc.
cit., p. 737;.
lu
] ili l 0NQ1 i il' DES A CANIJ v
aux diètes d'Altenbourg et de Brunswick, se trouvèrent
réunis L'archevêque de Magdebourg, le duc Bernard
de Saxe, Le margrave Albert de Brandebourg, les
ci-devanl comtes de Holstein et de Ratzeb ig, Le
comte de Schwérin, tous ennemis de Waldemar. On
rapporte qu'à Brunswick, apercevant Le Lion de bronze
qu'Henri-le-Lion, au temps de sa grandeur, y avait
fait placer, et dont La gueule ouverte, tournée vers
l'est, semblait menacer La marche de Brandebourg, le
fils d'Albert l'Ours, Bernard de Saxe, l'interpella en
ces termes : « Il y a trop Longtemps que tu regardes à
l'est; tuas ce qu'il le fallait ; tourne-lui maintenant vers
le nord », c'est-à-dire vers le Danemark *. A ces mots
eu éclata de rire, ajoute Arnold de Liibeck; mais plu-
sieurs admirèrent cette parole dont ils comprirent le
sens profond.
Les hostilités éclatent bientôt. A peine sont-elles
commencées qu'Otton s'attire la réprobation pontifi-
cale, pour avoir repris les prétentions gibelines en
Italie. Frédéric de Hohenstaufen, le protégé du pape,
passe les Alpes. Le jeune prétendant et Waldemar
avaient des ennemis communs : ils ne pouvaient point
ne [>as s'entendre. A la fin de 1214, ils concluenl un
traité que Frédéric publie solennellement à la diète
de Metz.
Sous prétexte que c'était « le devoir de la majesté
impériale 2 d'assurer la paix de l'Église », Frédéric
déclarait « nouer une amitié constante et inviolable
avec le bien aimé seigneur Waldemar, le très-chrétien
roi des Danois. » En conséquence, « sur le conseil et
1. Arn. Lub., VII, 18 (loc. cit., p. 741).
2. Voyez Huillard-Bréholles, Hisloria diplomatica Friderici se-
cundi, t. I, pars I, p. 346-8, et la note de la page 348.
EN PAYS SLAVES 147
avec le consentement des princes de l'empire romain,
pour assurer la paix du royaume de Danemark el tenir
en bride les ennemis de l'empire, » il confirmait à
Waldemar la possession de « tous 1rs pays frontières
au delà de l'Elde et de l'Elbe, qui appartenaient autre-
fois à l'empire romain, mais que le roi Canut et son
frère Waldemar, provoqués par beaucoup d'insultes,
avaienl conquis par l'épée et détenaient en leur pou-
voir ». Il lui cédait en outre toute la partie de la Slavie
conquise par le roi Canul i n père1. Pour qu'il ne
it aucun doute sur le caractère de cette cession (1rs
le l'empire à un étranger, Y terminait
ainsi : - Qu'aucun de uns successeurs ou des princes
de L'empire romain ne trouble par les armes ou par
ses plaintes le dil bien aimé mi de Danemark dans la
possession de ses territoires, sous le prétexte qu'ils ont
appartenu autrefois à l'empire romain 2. C'est notre
ilution de soutenir le roi Waldemar envers cl con-
tre Ions, réserve l'aile du respect que nous devons au
i fera sans aucun doute pour nous
en tout ce qui nous concerne! »
Frédéric II payait d'un prix énorme l'alliance de
Waldemar. Non seulement il fermait aux princes de
l'Allemagne orientale les routes de la. Slavie; mais
les évèchés de Lubeck el de Ratzebourg, les comtés
de Holstein, Ratzebourg , Scliwérin, la, ville libre
de Lubeck passaient sous la domination danoise. Il
ne faut point s'étonner (pu.' ni le sceau du margrave
1. Omm lanam et Alluma Romano attinentes
irnperio, quos rex Kanutus, multi us injuriis, cum fratre
suo jamdicto Waldemaro armis optinuit et possedit, et quicquid
in Slaviâ rex Kanulus comparaturn paterno bloque labore te-
nuit...
2. Eo quod aliquando imperio subjecti fuerint....
I iS C0NQ1 T rES DES ASCANIENS
de Brandebourg, ni celui d'aucun prince ou comte de
L'est, n'ait été apposé aubas île ce traité. Dès long-
temps, ceux-ci étaieul entrés en Lutte contre Le Dane-
mark; le margrave Albert 11, successeur d'OttoD 1,
depuis 1205, combattait pour l'aire valoir ses droits
sur 1 ; t Slavie, el L'ascanien Bernard, duc de Saxe, pour
récupérer La Nordalbingie (1211).
Ed L2 1 i la Lutte de\ ienl très-vive. Waldemar attaque
le comté «le Schwérin, où il prend et rase Le château de
Wotmunde. Le margrave Alberl fail en Poméranie une
incursion d'abord heureuse, car il prend l'asewalk el
même Stettin; mais Waldemar, arrivé au secours de
son vassal Bogislaw II, fait reculer Albert jusqu'au
delà de l'Elbe et lui reprend ses conquêtes ' ; la même
année il triomphe enfin de la résistance des comtes
de Schwérin, les force à reconnaître sa suzeraineté,
et fait une expédition victorieuse dans la marche.
Cependant son cousin, l'archevêque Waldemar, se
maintenant toujours à Brème, le roi attaque le terri-
toire de l'archevêché (1215 ; mais il ne peut prendre
Stade. Otton IV, de retour de Bouvines, se rend dans
l'est, pour faire une campagne décisive contre les Da-
nois : le margrave Albert est à ses côtés. La guerre
issit d'abord aux coalisés auxquels Hambourg ouvre
ses portes ; mais quand Waldemar arrive avec des
forces supérieures, ils s'enfuient sur la rive gauche de
l'Elbe. Encore une fois le comté de Stade est ravagé
(1215). C'est le dernier effort que font en Nordalbingie
les partisans d'Otton.
1. Marchio de Brandeburgh cum exercitu Albiam transi vit, vo-
lens contra regem pugnare. Sed cum percepit exercitum régis
vale magnum, in fugam ultra Albiam est conversus.... Castra
vidalicet Posewald et Stetin, qua3 marchio occupaverat sunt reac-
quisita.... {Chron. Danor., ad ann. 1214, loc. cit., p. 363.)
EN PAYS .-LAVES 1 i')
Les uns après les autres les ennemis de Waldemar
traitèrenl avec lui. Il n'y cul: point de paix positive,
niais un armistice entre le Danemark et le Brande-
bourg, depuis le jour où le margrave quitta le parti
d'I Ulon. En 1218 il veut réconciliation véritable. Pour
la sceller, Albert négocia le mariage de sa fille Ma-
thilde avec le neveu du roi. 0 Liinebourg;
mais les deux fiancés étaienl parents au quatrième
degré : il fallait donc solliciter l'aul l'E-
glise. Le margrave chargea de cette mission le zélé
missionnaire Christian, évèque de Prusse, lui promet-
tant son appui dans l'œuvre sainte de la conversion
des infidèles, s'il obtenait du pape cotte faveur qui met-
trai! un terme à de longs différends. Le pape accorda
l'autorisation demandée, en déplorant que « Penrj
du genre humain eût semé la zizanie entre son très-
cher fils en Christ, l'illustre roi des Danois, et le
noble margrave de brandebourg ». Il flétrissait « ces
massacres lamentable-, ces incendie-., ces barbaries
impossibles à raconter par le détail », et l'acharne-
ment de ces haines qui donnent à l'ennemi « soif
du sang cl faim de la chair de son ennemi ». Par là,
s'écriait le pontife, < vient à manquer le secours que
le roi et le margrave pouvaient apporter à la conver-
sion des Prussiens, car ils sont voisins de cette terre,
riches en sujets et en argent... C'est parleur faute que
périssent misérablement les finies d'un grand nom-
bre l ! » Encore une fois le pape montrait qu'au milieu
des querelles des princes chrétiens, il gardait intacte
■ de la divine mission de l'Église 1 1219 .
Il est probable qu'a l'occasion de ce mariage le
1. Et pereunt miserabiliter animae pluriraorum... Riedel, Cod.
dipl, II, t. I, p. 7, n XIII.
[50 CONQI i rES DES A.SCANIENS
margrave de Brandebourg < lui renoncer à ses j »i-*'-
bentions sur La Poméranie.
Les intérêts germaniques semblaient donc définiti-
vement sacrifiés en Nordalbingie et en Slavie. Or au
même moment, Allemands el Danois se trouvaient en
présence sur la rive orientale de La Baltique, appelé
par Les évêques allemands de Biga, d'Esthonie et de
Sémigalle, pour combattre les Esthoniens païens et
les Busses, qui voyaient de mauvais œil ces étrangers
de confession Latine s'implanter dans leur pays, Wal-
demar fit « en l'honneur de La Vierge et pour La rémis-
sion de ses pèches » une croisade en Esthonie. Mais
les Allemands et les Danois ne tardèrent pas à se dis-
puter « la nouvelle vigne du Seigneur ». Fortement
établis en Esthonie, où ils fondèrent Bevel, Les Danois
menacèrent l'indépendance de La colonie germanique
de Livonie *.
Ainsi, au début du xinc siècle, est engagé entre
le Danemark et l'Allemagne cecombal pour la Nor-
dalbingie, dont le dernier épisode s'est passé sous nos
yeux, et le combat pour la Baltique, où les Suédois et
les Russes succéderont aux Danois, pour perpétuer
une lutte qui n'est pas près de finir. Il fallait exposer
ces faits, afin de montrer d'une part comment l'avenir
de la marche de Brandebourg était menacé par le
Danemark, d'autre part comment les margraves en
luttant contre Waldemar, défendaient les intérêts de
l'Allemagne abandonnés par Frédéric II. La marche
ne prit pourtant point une part directe' à la Lutte dé-
cisive, qui s'engagea pendant la minorité de Jean et
d'Otton.
t. Voyez Ewald, Die Erobcnouj Preussens durch die Deutschen,
t. I, p. 23-6.
EX PAYS SLAVES 151
Un pieux chevalier allemand, le comte Henri de
Schwérin, avait à se plaindre du roi de Danemark.
Au retour d"un voyage en Egypte, d'où il avait rap-
porté une jaspe contenant une goutte du sang de
Notre-Seigneur, il se rend auprès du roi \Yalde-
mar, qui, en compagnie de son fils, chassait, dans
l'île de Lyo, l'ours, le cerf et le cheval sauvage. Bien
reçu par son suzerain, qui lui fait des présents, l'invite
à sa table et le fait joyeusement souper, il attend la
nuit pour se saisir de1 la personne des deux princes
qui dormaient, i ix roi qui veut se défen-
dre, lui met on bâillon sur la bouche, et va renfermer
d'abord à Lenzin, puis à Dannenberg, dans un, châ-
teau tout entouré de marais. Un montre encore « le
trou du roi », c'est-à-dire le triste réduit ou fut enfe
celui qui naguère : était un des plus puissants
rois de l'Europe.
L'événement (1223) fît du bruit dans le monde en-
tier. l"n poëte danois flétrit l'infâme action du nou-
veau Judas, et somma les chevaliers du Danemark,
ces vaillants, ces héros, ces fils d<-> géants » do
secourir leur seigneur; mais le Danemark n'avait pas
do chefs, et l'Allemagne entière entendait bien garder
la riche proie du comte de Schwérin. Des lointains ri-
vages de la Liv isqu'au Rhin, on se réjouit du
malheur de Waldemar. Le prisonnier acheta très-cher
sa liberté : i! \ eut pendant doux ans, une suite de
marchés, durant laquelle crûrent sans cesse les exi-
ices de l'avidité germanique. Libre enfin en 1225,
et aussitôt relevé par le pape d'un serment arra-
ché par la félonie et par la force, Waldemar fut
victorieux d'abord sur les rives de l'Eyder (1226 : il
recommença la conquête de la Nordalbingie, mais, le
152 CONQUÊTES DES A.SCANIENS
22 juillel L227, après avoir vaillamment combattu
contre L'armée allemande commandée par L'archevê-
que de Brème, attaqué en arrière par une troupe de
Dithmarses, ayanl perdu an œil dans Nv combat, le
vieux roi s'enfuil du champ de bataille de Bornhôvet.
La puissance du Danemark était brisée.
Gomme après La chute du duché de Saxe, Les mar-
graves de Brandebourg eurenl bonne pari aux dépouil-
Les. En L'année L231 • au moment où Frédéric II doi
L'investiture de La marche de Brandebourg a Jean el à
Otton devenus majeurs, il y ajoute 0 par surabondance
df grâce » le duché de Poméranie « que l'on sait avoir
été possédé par leur père et ses prédécesseurs ». Les
margraves avaient tenu à faire inscrire la reconnais-
sance d'un droit, qu'aucun document historique ne
justifie, mais qu'ils croyaient implicitement contenu
dans l'acte par lequel Albert l'Ours lui investi de la
marche du Nord 1.
Or en Poméranie, à Bogislaw I, le vassal du Da-
nemark, avaient succédé Casimir et Bogislaw II, ses
fils, Wratislaw et Barnim, ses petits-fils. Le duché
avait été partagé : Wratislaw régnai! à Demmin et
Barnim à Stettin 2. Le second reconnut la suzerain ed'
des margraves, et le premier qui n'y voulut poinl
1. De superhabundaciori gracia nostrà confirmantes eisdem
ducatum Pomeraniae, prouit dictus quondam pater et predecesso-
res eo-rum noscuntur anostris predecessoribustenuisse... (Riedel,
Cod. dipl. br., II, t. I, p. 2, n° XX, et
2. Bogislaw I 4-1187.
Bogislaw II + 1222 Casimir -f- 1219
(à Stettin). (à Demmin).
I I
Barnim I -\- 1278 Wratislaw + 1264-
EN PAYS SLAVES 153
d'abord consentir, y fut sans doute contraint par la
guerre, car le dur traité qui lui fut imposé ne peut
être autrement expliqué : 'Wratislaw dut se recon-
naître vassal des margraves, leur céder les terres de
Stargard, de Bezeritz, Wustrow, et les déclarer ses
héritiers, au cas où il mourrait sans enfants ' 1236 .
Cette c invention où n'est pas mentionné le nom de
Barnim, dont le consentement était nécessaire, puis-
que la dernière clause lésait ses intérêts, paraît avoir été
la cause d'une guerre entre Barnim et les margraves,
où Wratislaw se rangea du côté de son cousin; car les
deux princes poméraniens font encore acte de souve-
raineté [tendant plusieurs années dans les territoires
cédés. G'esl en 1244 seulement que les margraves
sont entrés en possession, comme l'atteste L'acte de
fondation de la ville de Friedland dans le pays de
Stargard 2.
Six; ans après, le duc Barnim cède au Brande-
bourg l'Uckermark en échange de la terre du Wolgasl
qu'il reconnaît « avoir détenue contre toute justice,
attendu qu'elle était dévolue par droit héréditaire aux
fils de son seigneur, le margrave Jean 3. » On ne sait
point si ces droits avaient été apportés dans la maison
de Brandebourg par Sophie, fille du roi de Danemark
Waldemar II, ou par tledwig, fille de Barnim de Po-
méranie, qui toutes doux furent femmes de Jean de
1. ILec est forma compositionis.... scilicet quod dominus Wers-
laus recepit de manibus dominorum marchionum omnia lu ma
que habet.... et resignavit dominis marchionibus terram Star-
gard, et terram Beseritz... el terram Wostrowe.... (Riedel, Cod.
dipl., II, t. I, p. 17. a' XXV;.
■2. Civitati nostrae novellae quae Vredelandt vocatur.... Riedel,
ibid., p. 23, n°XXXV).
3. Dominis nostris marchionibus, pro recompensatioue castri
et terre Wolgast, terram quae LJkera dicitur... liberaliter dimisi-
mus... (Riedel, ibid,, p. 31, n° XLIV...)
154 CONQUl l 'ES DES ASCANIENS
Brandebourg. Quoi qu'il en soit, les margraves se trou-
vent en 1250 en possession des territoires de Stargard,
Beseritz, Wustrow el de l'Uckermark. Par le même
acte, Barnim se reconnaissait, comme son cousin, le
vassal des margraves ' 1250 .
Le Stargard el les petits territoires de Bezeritz et
de Wustrow forment aujourd'hui presque tout lo
grand-duché de Mecklembourg-Strélitz. Le Wustrow,
situé entre Penzlin el le lac Tollen, déborde un
peu dans le grand-duché de Mecklembourg-Schwé-
rin. L'Uckermark ou marche de l'Ucker, située à L'esl
du Stargard, dont elle était séparée par la frontière
actuelle du Mecklembourg el de la Prusse, dépas-
sail au nord le territoire de la province de Brande-
bourg, qui porte aujourd'hui ce nom; car Pasewalk
et Torgelow, vilk-s de Poméranie, y étaienl com-
prises : l'Uckermark atleignail donc presque jusqu'au
golfe de Poméranie 2.
Ainsi les margraves avaient fail plus qu'hériter de
la suzeraineté du Danemark sur la Poméranie : ils
avaienl démembré le duché. La politique acheva ce
que les armes avaient si bien commencé. Barnim I, à
la mort de Wratislaw (1264), demeura seul maître de
la Poméranie. Il était veuf et n'avait qu'un fils, Bogis-
law : les margraves de la ligne ottonienne lui don-
uèrent en mariage leur sœur Mathilde, de laquelle il
eul deux fils, Barnim II et Otton. A la mort de Barnim I
(1278)Bogislaw voulut dépouiller ses deux demi-frères ;
mais les margraves, oncles des jeunes ducs, inter-
vinrent en leur faveur, et leur assurèrent leur part
1. Nos autem recognoscentes nos omnia bona nostra à dictis
marchionibus tenere... ipsis marchionibus contra quos libet ser-
vitii praestabimus auxilium Id. Ibid.
2. Riedel, die Mark Br., t. 1, p. llii-i.Vi.
EN PAYS SLAVES 1T5
de succession (1284] l. Quand Barnim II eut péri assas-
siné (1295), Bogislaw et Otton se partagèrent le duché:
le premier eut la Poméranie-Wolgast, le second, la
Poméranie-Stettin : la Peene séparait les deux pro-
vinces. Les margraves, en leur qualité de suzerains,
avaieni autorisé cel arrangenn
TENTATIVES DES MARGRAVES SUR LA ' LIE. — RAPPORTS
c l'ordre
Depuis la morl de Swantibor (1107), la Pomé-
rellie '■'■ avail eu son histoire distincte de celle de là
Poméranie. Trop élo mr être i ux luttes
qui se poursuivaient sur la frontière germano-slave, elle
avait eu d'autres combats à subir. Obligi con-
naître la suzeraineté des ducs de Pologne, elle avail re-
conquis son indépendance, après des guerres où s'était
surtout illustré Swantepolk, le [dus vaillant dos suc-
cesseurs de Swantibor (1220-1266). Cependant les
margraves ascaniens prétendaient à la suzeraineté de
la Poméi ssi bien qu'à celle de ta Poméranie, '.ai
a dos droits qui leur avaient été assurés par Fré-
déric 11 :! : mais il fallait, pour qu'ils atteignissent la
Pomérellie, que la, conquête les eût conduits dans la
vallée do la Warla. Aussi lui- aient dans le der-
nier tiers du xme siècle qu'ils commencèrent leurs
entreprises sur ce nouveau lorrain, ou ils devaient
ontrer comme auxiliaires, mais en même temps
1. Riedel, Cod. dipl, II, t. 1, p. 176, îe CCXXX.
2. Voyez page 52.
','). La preuve c'est qu'au moment où ils s'engagent dans leur
prise contre La Pomérellie, ils se fonl confirmer par Adolphe
de Nassau, en 12a."). la charte de Frédéric 11. — Voyez Riedel,
{Cod. dipl., II, t. I, p. '210, n° CCLXXI.J
lôli Cl INQ1 i rES DES ASCANIENS
comme rivaux, les chevaliers de l'ordre teutonique.
I h hôpital élevé à Jérusalem 1128), mais qu'il fallul
abandonner après la prise de la ville sainte par Sa-
ladin | L 18*7 ; une ambulance fondée sous une tente
par des marchands allemands au siège de Saint-Jean-
d'Acre L 190 : telles sonl les origines de l'ordre hospi-
talier ei militaire « des Frères teutoniques de sainte
Marie de Jérusalem ». Né trop tard pour faire fortune
en Terre-Sainte, où chaque croisade était marquée par
ilf uouveaux échecs, il eul la bonne fortune de trou-
ver un établissement au uord-esl de l'Europe. Her-
manii «If Salza, son quatrième grand-maître (1210-
1239), l'envoya sur la requête du duc polonais de
Mazovie, contrôles Prussiens, tribu païenne habitant
la rive droite delà Yistule, et qu'avait rendue Fameuse
le martyre de saint Adalbert. La résistance des bar-
bares fut longue et acharnée. Chaque succès des che-
valiers, qui coûtait des flots de sang, exaspérai la
résistance de ce qui restait à soumettre, et plusieurs
fois des révoltes générales appuyées par des secours
étrangers vinrent remettre en question toute l'œuvre
de la conquête. C'est ainsi qu'à plusieurs reprises,
le duc île Pomérellie, Swantepolk, inquiété par les
Allemands sur sa frontière orientale, dirigea contre
les chevaliers des soulèvements formidables (1241-9),
et que les Lithuaniens, pressés entre les colons alle-
mands de Livonie et ceux de Prusse, appuyèrent avec
une sauvage énergie l'effort national des Prussiens
contre les envahisseurs.
Cependant le flot de la colonisation no tarissait pas.
Les villes maritimes comme Liibeck envoyaient des
marchands pour peupler les cités nouvelles; la no-
blesse d'Allemagne comblait les vides faits par la mort
EX PAYS SLAVES 157
dans les rangs do Tordre. De temps à autre, aux mo-
ments les plus difficiles, le pape faisait prêcher une
croisade. La plus célèbre fut conduite par Ottocar
de Bohème et par Otton III, margrave de Brande-
bourg (1255). Les deux princes pénétrèrent jus-
qu'au fond de la forêt de Boinowe où ils mirent la
cognée au chêne sacré qu'adoraient les Prussiens.
Kœnigsberg, ainsi nommé en l'honneur du roi ' de
Bohème, fut fondé pendant cette expédition. Il fallut
pourtant cinquante-trois années d'une guerre sans pi-
tié, eu l'incendie des villages, la déportation et le mas-
sacre de tribus entières, étaient devenus les moyens
habituels de la stratégie des chevaliers, pour faire
cesser la dernière résistance de ce malheureux pays
contre la civilisation allemande et chrétienne (1283).
Quand la complète fut achevée, la Pomérellie se
trouva resserrée entre le Brandebourg, dont la fron-
tière atteignait alors la Kuddow, et Tordre teutonique
dont elle n'était séparée que par la largeur de la Vis-
tule. Ses ducs eurent l'imprudence d'offrir en même
temps aux margraves et aux chevaliers l'occasion d'in-
trevenir dans leurs affaires.
Mestwin il (1266-1295), successeur de Swantepolk,
étant en guerre avec |son frère Wratislaw, « renonce ;i
la propriété de tous ses domaines en faveur de ses sel
gneurs les margraves », et les reçoit d'eux en fiefs, a.
1. De Kônig, roi, cl Bcrg, montagne. On éleva d'abord sur une
colline boisée un château, autour duquel se groupèrent les mai-
sons d'une ville, qui fut détruit»; ainsi que 1< château en 1264.
Ce qui resta des habitants relit la ville dans la vallée entre le
château qu'on reconstruisit, et la Pregel. Deux villages voisins,
Lôbenicht et Kneiphof, ce dernier situé dans une il'' de la Pre-
gel, reçurent au commencem nt Mu mv siècle des chartes muni-
cipales. La ville actuelle de Kœnigsberg est la réunion de ces
trois villes.
[58 c.o\-ori'.Tl> DES ASCANIENS
l'exception du château et de la terre de Belgard qu'ils
., garderonl pour leur libre usage (1269 ' ». Deux ans
après, il leur » offre en propriété - la ville de Danzig2.
L'espèce de traité qu'il signe à cette occasion montre
quela population de Danzigétail très-mélangée, et qu'il
\ avait déjà dans ces parages un grand uombre de colons
allemands, car Mestwin assure aux margraves qu'ils
seronl bien accueillis par sainte Catherine, patronne
du lieu, parla sainte mère de Dieu, par saint Nicolas
el par tous les saints, par Notre-Seigneur Jésus-Christ,
surtout par lui Mestwin, encore mieux par les fidèles
bourgeois allemands et prussiens de la dite ville, et
par ses spéciaux sujets, les l'oniéranions.
Avec l'aide des Ascaniens, Mestwin n'a pas de
peine à triompher de Wratislaw, qui s'enfuit sur les
terres de Tordre où il ne larde pas ; mourir. Une fois
débarrassé de sou rival, Mestwin se brouille avec ses
protecteurs, et il appelle contre eux son cousin Boles-
law, roi de Pologne. Les Brandebourgois sont forcés
d'abandonner Danzig, et sortent, après avoir été
complètement battus, de la Pomérellie (1272) 3. Pour
se garder à la fois contre le Brandebourg et contre
l'ordre avec lequel il a maille à partir, Mestwin resserre
son alliance avec la Pologne : au mépris di^ droits de
ses cousins, les ducs de Poniéranie, et de ses suzerains
les margraves, il choisit pour son héritier Przemis-
law, neveu de Boleslaw. A la mort de Mestwin, Prze-
mislaw qui, sur ces entrefaites, est devenu roi de
1. Riedel, Cod. dipl, II, t. I, p. 101, n° CXXXVI.
2. Dominationi vestrse Gedanensem civitatem et castrum ejus-
dem loci vobis in proprietatem oilerimus... etc. Riedel, Ibid..., II,
t. I, p. 112, n° CXLIV.
3. Die altère Chronik von Oliva (ap. Scriptores rerum prussica-
rum, I, p. 688-9, et la note 43;.
EN PAYS SLAVES 159
Pologne, prend le titre de duc de Pomérellie i (1295).
Aussitôt les margraves de Brandebourg réclament et
la guerre éclate. Elle est à peine commencée que le
Polonais est assassiné, peut-être par ordre des mar-
graves 2, niais Wladislaw Loktiek, qui lui succède,
revendique la Pomérellie (129G . Les (lues poméra-
niens se déclarent pour lui; puis, quand il a été déposé,
pour le roi de Bohême, Wenceslaw II, qui est élu a, sa
place (1300). Pondant plusieurs années se renouvel-
lent les invasions des Polonais el des Poméraniens
dans la marche, des margraves en Pologne et en Pomé-
ranie. Wenceslaw II a pour successeur sur les trônes
de Bohême el de Pologne son fils Wenceslaw III (1305) :
c'est lui qui offre inutilement aux margraves de leur
(•('■(lor la Pomérellie, s'ils veulent lui rendre la Misn
Quand il a péri assassiné (1306), Loktiek, l'adversaire
des Brandebourgeois, remonte sur le trône : la que-
relle menaçait donc de ne jamais Unir; mais k\s
margraves usèrent habilement d'une trahison qui vint
s'offrir à eux.
Une des plus importantes familles de la Pomérellie
était celle dos Swenza. Le comte Swenza, nommé
gouverneur de Pomérellie par Loktiek, s'était fait
confirmer dans cette dignité par Wenceslaw 11, qui
avait aussi comblé sa famille de faveurs. C'est de
Wenceslaw que le fils aîné de Swenza, Pierre,
avait reçu Neuenbourg, <\c< villages et un vaste do-
maine aux bords de la Yistule. Les Swenza avaient tout
à craindre de la restauration de Loktiek, auquel ils
n'étaient point demeurés fidèles; aussi vendirent-ils
1. Id., ibid., p. 691-94.
'2. Id., ibid., p. 695 el note 62.
3. Voyez page 123,
160 CONQUÊTES DES ASCANIENS
à l'ordre teutonique une partie de leurs biens, en
même temps qu'ils négociaient avec les margraves de
Brandebourg. Ceux-ci agissaienl en souverains dans le
pays, où ils avaienl fondé 1303 les villes d'Arnskrone
e1 de Ivalies '. Les Swenza leur promirenl de les .- 1 î * I « * i -
dans la conquête de la Pomérellie (1307) 2. Loktiek,
informé du complot, ni arrêter Pierre de Neuenbourg
el son père, mais il n'usa poinl pousser la vengeance
jusqu'au bout, el i! échangea ses prisonniers contre des
otages qui s'enfuirenl de leur prison. La lutte com-
mença aussitôt.
L'armée margraviale, guidée par les Swenza, par-
couru! 1<; pays sans résistance, cuira, clans la ville de
Danzig, et se mit en devoir d'assiéger le château,
gardé par une garnison polonaise. Après avoir sou-
tenu vaillamment des assauts presque quotidiens, Bo-
gussa, commandant de la place, s'échappa de nuit et
munit jusqu'à Sandomir pour exposer au roi Loktiek
la détresse où se trouvait la garnison; il lui proposa
de demander immédiatement du secours aux che-
valiers de l'ordre teutonique. Le roi ayant approuvé
la proposition, Bogussa se rendit en Prusse. Les
chevaliers acceptèrent avec empressement l'occa-
sion qui leur était offerte de s'immiscer dans les
affaires de leurs voisins. Ils promirent, moyennant
indemnité, de fournir [tendant, un an la moitié de la
garnison de Danzig. Quand ce renfort arriva dans la
place, les Brandebourgeois levèrent le siège, après
avoir laissé dans la ville une garnison qui fut mas-
1. Riedel, Cocl dipl. br., II, t. I, p. 248, n° CCCXVIII.
2. Dominus Swenza et fini ejus... cum plurimis militibus mar-
chionern de Brandeburg, dominum Woldemarum, vocaverunt ad
suscipiendum ducatum Pomeraniae. [Die altère chron..., loc cit.,
p. 704.)
EN PAYS SLAVES ICI
sacrée par les Polonais ; mais ceux-ci surent bientôl ce
que coûtait l'assistance de l'ordre teutonique.
Sommé de se retirer après le départ des Brande-
bourgeois, Giinther de Schwarzbourg, commandant
des chevaliers, répond que le traité l'oblige à rester
une année dans la forteresse et que d'ailleurs il ne par-
tira pas avanl d'avoir reçu l'indemnité stipulée. De là
des contestations, des disputes, des insultes. Or, un
beau jour, les chevaliers tombenl sur les Polonais de
la garnison qu'ils tuent ou chassent. Renforcés par
des secours, ils surprennent, à la faveur d'une nuit de
novembre, la ville où ils font un épouvantable mas-
sacre : l'ordre teutonique a pris pied en Pomérellie
(1308 . 11 y lit de rapides progrès, le long de la rive
gauche de la Yistule. Sous prétexte que l'indemnité
promise n'avait point été payée, les chevaliers s'em-
parèrent de Dirschau. Loktiek voulut traiter, mais on
lui présenta un mémoire dont le total était si élevé que
le malheureux prince, alors en guerre avec plusieurs
de ses voisins, ne put songer à s'acquitter. L'ordre
se paya de ses propres mains : après quatre semaines
di' siège, Schwetz tomba au pouvoir des chevaliers,
qui des lors se trouvèrent complètement maîtres de la
ligne de la Yistule1.
Cependant les margraves de Brandebourg conser-
vaient Jours droits sur la Pomérellie ; il Fallut que les
chevaliers, pour être tranquilles dans leurs conquêtes,
leur offrissent un dédommagement, l'ai' un traité signé
en 1309,Waldemar de Brandebourg céda ses droits sur
Danzig, Dirschau et Schwetz, pour la somme de dix
mille marcs. Le traité devait être exécutoire quand
1. Voyez Voigt, Geschichte l IV. p. 210-223.
Il
IliJ CONQUÊTES DES ASCÀNIENS
Waldemar aurail obtenu 1»' désistement i\c* autres
compétiteurs, el se sérail procuré L'approbation im-
périale; l'ordre se chargeai! d'obtenir la sanction pon-
tificale1 L309). Les c Litionsétanl remplies en 1311,
le marché reçut sa pleine exécution 2.
Les margraves gardaienl pourtant quelques posses-
sions en Pomérellie. Ils > firent encore acte de souve-
raineté en 1310 par La fondation de Stolp3, en L312
par an arrangement conclu avec L'évêque de Posen,
au sujel de La Levée de La dîme dans Les pays cuire
laNetzeet la Kuddow. Qu'on nous permette de citer
à ce propos un bien petit fait, qui montrera que dans
l'histoire de la Prusse l'étudedes originesa son intérêt
spécial. La convention dont il vient d'être parlé esl un
acte de médiocre importance; mais la mémoire prus-
sienjoe est tenace : l'acte figure dans l'Exposé des
Droits de Sa Majesté le roi de Prusse sur le duché de
Pomérellie, publié en 177-2, à Berlin, parle ministre
d'état, comte du Hertzberg 4.
L'année même où les margraves de Brandebourg
cédaient à l'ordre téutonique Danzig, Schwetz et Dirs-
chau, c'est-à-dire les clefs de la Pomérellie, l'ordre
qui depuis la chute du royaume de Jérusalem avait
été chassé de ville en ville hors de la Terre sainte
avait choisi pour capitale Marienbourg en Prusse,
1. Nos Woldemarus fratri Sifirirïo de Feuchtwang, hospi-
talis sanctae Marias Jerosolomytarue Teuton, magistro generali...
partem terrae PomeraniEc, videlicet castra Gdantzk Dirsaviam,
atque Swetzam.... pro marcis decem millibus.... rite ac rationabi-
liter vendidimus... (Riedel, Cod. dipl., II, t. I, p. 290, u° CCCLXX.)
2 Id., p. 292, n» CCCLXXI; p. 296, n« CCCLXXIX.
3. Id., ibid., p. 296, n" CCCLXXX; p. 338, n° CCCCXXV.
4. A la page 45. La même pièce figure dans le Recueil des <lé-
ductions, manifestes, déclarations, huttes et autres actes et écrits
publics, qui ont été rédigés et publiés pour la cour de Prusse par
leministre d'État, Hertzberg, depuis l'année 1756 jusqu'à l'année
1778. CBerlin, 1790-5.J
EN PAYS SLAVES 163
fondée en 1276 et où l'on avait élevé des monuments
qui témoignent encore aujourd'hui de la richesse
des chevaliers. L'ordre, il est vrai, ne relevait point
de l'empire : il avait pour suzerain le souverain
pontife, qui lui avait donné l'investiture de la Prusse
(1234); mais il était tout allemand, car c'est en
Allemagne qu'il puisait sans cesse pour réparer ses
pertes. Son domaine s'étendait au loin sur les bords
de la Baltique. A l'est, depuis que s'était fondu
dans sou sein l'ordre des chevaliers Porte-Glaive
(1230), il atteignait jusqu'au lac Peipus : à l'ouest,
on vient de voir que sa frontière dépassait la Vis-
tule. De ce côté les grands maîtres et les margraves
allaient au-devanl les uns des autres. Plus tard la
marche de Brandebourg et l'ordre teutonique, ces
deux formes les plus parfaites de la colonisation
germanique en pays slave, se fondront pour former le
royaumede Prusse, état militaire par excellence, puis-
qu'il est bâti sur terre conquise , après une double
guerre d'extermination Livrée à une race ennemie.
RELATIONS AVEC LE MECKLE.MBOURG ET NOUVELLES LUTTES AVEC
!,F. DANEMARK
Après la chute de la domination danoise, le Meck-
lembourg vécut assez paisible, partagé en quatre
duchés, qui fure lits a trois, ceux de
Mecjkdembourg, Weiie, Mostock, et il s'écoula d'assez
longues années avant que (U'> relations de quelque
importance s'établissenl entre ces principautés et le
Brandebourg. Les rapports commencèrent à, la lin du
xin1' siècle, quand Alberl III, de la ligne ottonienne,
wn\. contrairemenl aux coutumes de fi mai
101 CONQUÊTES DES A.SCANIENS
un domaine spécial, donl La partie La plus importante
étail LeStargard L283ou L284) t. Voisin du Mecklem-
bourgj Albert rechercha L'alliance de La maisoE ducale,
au grand détrimeni de sa propre famille. Il maria
BéatriXj une de ses filles, à Benri-le-Lion «le Mecklem-
bourg, el il lii avec lui une convention en vertu de
Laquelle son gendre devail Lui payer 3,000 marcs,
mais hériter à sa morl du Stargard. OrMberl mourut
vers L'an L300, el son gendre pril possession de ce
territoire. A La vérité le oiargrave ascanien Bermann-
le-Long, héritier du reste des domaines de sou oncle,
voulut disputer à L'étranger cette pari de succession ;
mais après quatre ans de contestations, il fui obligé de
se contenter d'une indemnité et de la promesse faite
par le Mecklembourgeois de restituer l<i Stargard aux
Ascaniens, si Béatrix n'avait pas d'héritier2. Le Star-
gard était à jamais perdu pour la marche : aujour-
d'hui encore il appartient au Mecklembourg.
On a parlé plus haut d'une autre fille du margrave
Albert III, Marguerite, qui avait épousé Przemislaw
de Pologne. Cette méchante femme, que l'on a soup-
çonnée de complicité dans le meurtre de son mari, fut
ensuite fiancée à Nicolas, duc de Rostock. Mais ce
prince était le plus inconstant des amoureux : il avait
déjà célébré ses fiançailles avec Euphémie deLindow,
avant de porter ses hommages aux pieds de Margue-
rite de Brandebourg, qu'il oublia bientôt pour une
autre Marguerite, fille de Bogislaw, duc dePoméranie-
1 . On ne connaît pas la cause de cette singularité ; Albert avait
gouverné les domaines ottoniens de la marche avec ses frères
avant de se séparer d'eux. — Voyez les extraits de la Chronique
de Pulcava, dans Riedel ,Cod. dipl., IV, t. I, p. 15 et 16.
2. Voir le traité dans Riedel, Cod. dipl. I, 1. 1, p. 253, n° CCCXXII.
— Henri fait aussitôt acte souverain dans le Stargard'. Voir
ibid.,\). 25(3, n" CCCXXIV...
EN PAYS SLAVES 105
Wôlgast. Les margraves se mirent en devoir de venger
l'honneur de la maison ascanienne ; ils envahirent
et ravagèrent la principauté de l'infidèle. Nicolas,
effrayé, se tourna vers le roi Erich de Danemark,
et, pour obtenir sa protection, se reconnut son vas-
sal l. Il semblait que le conflit entre le Brandebourg
et le Danemark allait recommencer (1299), et les
petits princes du nord, Henri de Mecklembourg ,
Nicolas de Werle, le rondo de Schwérin, le duc de
Poméranie-Stettin s'inquiétèrent en voyant le succes-
seur des Waldemar et des Canut débarquer en Meck-
lembourg, recevoir l'hommage de son vassal, bâtir
près de Rostock, dont les bourgeois avaient tenu les
portes fermées devant lui, le château de Danskeberg,
et fortifier le port de Warnemunde où il laissa garni-
son. Pourtant il n'y eut pas de lutte sérieuse : on
s'accommoda l'année suivante (1301) 2. Erich garda
la suzeraineté sur Nicolas de Rostock auquel il pril
par surcroît la moitié de sa principauté.
Une série d'événements singuliers devait, quelques
années après, rappeler l'attention des margraves de
Brandebourg sur le Danemark. En 1310 Henri-le-Lion
de Mecklembourg voulut célébrer à Wismar, la ville
principale de son duché, les noces de sa fille Mathilde
avec Otton de Llinebourg; mais Wismar était à peu
près devenue une ville libre. Elle avait racheté tous
les droits régaliens à son seigneur, qui avait, plus
qu'il ne convenail à sa médiocre fortune, le goût de
la magnificence. Henri avait vendu jusqu'à son châ-
teau ducal de Wismar, que la ville s'était empressée
de jeter par terre. Quand il s'adressa au conseil
1. Riedel, ibid.,p. 230, n CCXCVIII.
2 M,, ibid., p. 236, n» CCCVI.
|i;(i | . j] Q1 ÊTES DES ASCANIENS
afin d'obtenir l'entrée pour lui el pour ses hôtes, les
bourgeois s'exGusèrenl sur le tapage el les rixes
qu'occasionnerail la présence de la suite des princes.
La ligue que Wismar avail deux ans auparavant con-
clue avec Rostock, Stralsund el Greifswald donnail à
ses magistrats l'assurance de parler ainsi. Henri ne
pouvail laisser an tel afîronl impuni; il s'adressa au
roi de Danemark, qui avail à se venger de Rostock, et
au margrave de Brandebourg, Waldemar : Erich de-
vait prendre la tête de la coalition. Pour avoir un
prétexte à commencer les hostilités contre Rostock, il
donna rendez-vous dans cotte ville à un grand nom-
lire de princes et do chevaliers pour le mois de juin
1311, sûr qu'elle refuserait encore une fois de lui
ouvrir ses portes '.
Longtemps à l'avance les nobles invités du roi Erich
s'étaient préparés à la fête qui leur était promise e1
dont on disait merveille. Quelques jours avanl la Pen-
tecôte de l'an 131 1, le roi de Danemark, amenant avec
lui une suite nombreuse, remontait la Warnowsur ses
vaisseaux jusqu'à Rostock, et demandail l'entrée de la
ville. On la lui accorda; niais quand les étrangers af-
fluèrent, le conseil représenta au roi que toute cette
foulo troublait la tranquillité des bourgeois, et pria
son gracieux seigneur de vouloir bien limiter sa
suite à un certain nombre de nobles danois : le reste
des étrangers serait invité à se retirer. Erich ne
voulut rien entendre : les bourgeois commencèrent
à murmurer, tinrent des conciliabules le soir, fermè-
rent leurs portes aux nouveau v arrivants ou bien les
emprisonnèrent, comme ils firent d'un cavalier qui
1 . Voyez Kloden, Dipîomat. Gesch., t. II, p. 67-9.
EX PAYS SLAVES 1(>7
convoyait parles rues le bagage du margrave de Bran-
debourg. Erich jugea prudent de sortir de la place.
Une foule de lentes furent déployées au bord de la
rivière, et les fêtes commencèrenl dans le camp des
chevaliers. On y était vonu de tous les points de l'Al-
lemagne, de la Scandinavie, de laPologne; lesévêques,
abbés, chanoines, chapelains et aumôniers de cour
s'y pressaient en grand nombre. Los fêtes durèrent
quatre semaines et furent très-brillantes.
Le jeune margrave de Brandebourg y amena son
neveu Jean, dont il était le tuteur, el sa femme Agnès
de Brandebourg. Dans sa suite on remarquait 99 nobles,
ses vassaux, que le roi Ericb avail promis d'armer
chevaliers après qu'il. aurait donné l'accolade au mar-
grave. Waldemar voulut représenter dignement la
marche dont il était le soûl souverain, et c'est à plei-
nes mains qu'il dépensa l'argent que l'ordre teutoni-
que venait do lui compter pour la cession do Danzig.
Entre tous il se distingua par su magnificence. Il
donna Lune des doux fontaines, qui, tout Jo jour,
versaient de la bière et du vin aux vilains accourus au
spectacle de ces splendeurs, el l'une des deux collines
d'avoine où chaque palefrenier prenait à sa guise la
nourriture do ses chevaux... Il (''tait l'un (\c> mieux
montés et des plus richement armés et vêtus, parmi
le- centaines de chevalier- allemands qui, sous ses or-
dres, se mesurèrent dans un tournoi contre autant de
Danois, commandés par Erich en personne. 11 avait
une place d'honneur a ce gigantesque festin où les no-
bles princes furenl servis par les officiers de leurmai-
son ; couverts de vèh ^plendides el montés sur
des chevaux richement caparaçonnés, ceux-ci appor-
taient (U'<- plais que les valets prenaient de leurs mains
|( S C0NQ1 i ŒS DES ^.SC UUENS
pour les déposer sur la table royale. Cependant, au mi-
lieu «lii ces fêtes égayées encore par La présence de ba-
ladins de toutes sortes, sauteurs de corde, coureurs,
lutteurs, chanteurs et joueurs de trompettes, on n'a-
vait poinl oublié le principal objel de la réunion : un
plan de campagne contre les villes maritimes lui
arrêté avaul la séparation il»1 l'assemblée (1311) '.
Les villes se défendenl vaillammenl : Wismar, at-
taquée la première par Henri le Lion, capitule, à la fin
de l'année 131 1 , mais en obtenanl une paix honorable.
Rostock fui plus malaisée à réduire; Erich renou-
vela contre elle la coalition, et Waldemar promit
de lui amener devant la ville ennemie, quatre cents
cavaliers, à la condition qu'il aurait la moitié du
butin ?. Au mois de juin 131*2, Erich et Waldemar
attaquèrent Rostock et Warnemiinde, son porl ; War-
nemunde fut prise après avoir souffert les horreurs de
la famine, Rostock après que la plèbe eut massacré
les bourgeois qu'elle accusait de trahison. La capitula-
lion fut signée en décembre 1312 3.
Restait à poursuivre les hostilités contre Greifswald
et Stralsund ; mais un des plus puissants confédérés
fit tout à coup défaut, et l'on apprit avec étonnement
dans toute l'Allemagne septentrionale que Waldemar
de Brandebourg avait signé avec Stralsund une alliance
offensive el défensive, et qu'il se proclamait le défen-
seur de cette ville envers et contre tous '». L'ambitieux
margrave avait évidemment voulu s'arroger le protec-
torat de ces villes maritimes, qui venaient de donner
i. Voyez Kloden, loc. cit., p. 89-95.
2. Riedel. Cotl. dipl. II. t. I. p. 315, GCCXCIX.
3. Id. ibid. p. 336, n° GCCCXXIII.
4. Voyez Kloden, t. II. p, 144.
EN PAYS SLAVES 109
la mesure de leur puissance ; car outre qu'elles avaient
fait une résistance énergique, leur Hotte avait vail-
lamment tenu la mer et infligé des désastres aux
vaisseaux et aux côtes de Danemark; mais il se forma
aussitôt contre le Brandebourg une coalition des
princes dont la richesse des villes de la Baltique
avait ameuté les convoitises. Elle se grossit de tous
ceux qu'avait lésés ou que menaçait la fortune crois-
sante du Brandebourg (1314-1315).
Du côté du roi de Danemark se trouvaient les rois
Byrger de Suède, Wladislaw Loktiek de Pologne; les
princes Witzlaw de Rugen, Canut Pors de Halland,
Henri de Mecklembourg , Pribislaw de Werle ; les
ducs de Sonder- Jiitland, de Schleswig, de Lunebourg,
de Brunswick-Liinebourg , de Saxe-Lauenbourg , le
margrave de Misnie, Frédéric à la Joue Mordue; des
comtes, parmi lesquels celui de Schwérin, dos évo-
ques, bon nombre des vassaux de la marche. Wal-
demar avait pour lui son neveu Jean, lus ducs Otton
de Poméranie-Stettin et Wratislaw de Poméranie-
Wolgast, quelques comtes : l'infériorité do ses forces
('■tait donc très-grande1. Il n'en fut pas effrayé.
Au momenl même ou l'orage s'amoncelle contre
lui, Waldemar revendique pour le Brandebourg le pays
de Stargard , eu vertu du traité de 1304 2, qui était
devenu exécutoire, depuis (pic Béatrix, femme (l'Henri
le Lion, était morte sans héritier mâle (1314). Il attaque
au cœur de l'hiver 1315 . aux frontières de Stargard el
de l'Uckermark, le château de Flirstenhagen, qu'il em-
porte-, il assiège toul près de làWoldeck : la petite ville
1. Voyez Riedel, ibid., p. 1571 -2, n" CCCCLV, CCCCLVII; p. 377,
n0CCCCLX;p.379,nMCCCCLXIVetCCCCLXV;p.382, rrCCCCLXIX;
p. 386, n- CCCCLXXI; p. 394, n CCCGLXXVII.
2. Voyez page 164.
I7'1 CONQUÊTES DES ISCANIENS
résiste a ses assauts, aux machines construites par
le moine défroqué Gerhardus) elle noie les galeries
de mines poussées par les assiégeants au cœur de
la place. Forcé de lever le siège, le margrave mar-
che contre Neu-Bràndebourg, où se trouve Henri le
Lion; il veut l'y enfermer; mais le duc va s'établir
entre le Vieux-Strelitz el le village de Fiirstensee, sur
la colline de Miihlberg, protégée de tous côtés par les
lacs. De cette position, il barre le chemin au margrave,
repousse son attaque en lui infligeanl de grandes
pertes, le poursuit et jette le désordre parmi les siens,
donl un grand nombre esl fait prisonnier ou péril dans
les lacs (1316). Cependant les coalisés ne s'étaient pas
encore mis en mouvement. Le roi de Danemark
sembla même disposé à nouer des négociations, et
l'on parla de paix à la diète do Rendsboùrg, mais sans
faire de sérieux efforts pour l'obtenir. Le roi de Dane-
mark recul à Rendsboùrg une satisfaction précieuse :'
les princes mecklembourgeois se reconnurent ses
vassaux, et le comte allemand de Schwérin imita
leur exemple. Il semblait qu'Erich fût sur le point
de prendre la revanche de Waldemar, et que, le Bran-
debourg étant menacé, les intérêts allemands fussent
déjà compromis au nord de l'Elbe ».
Un mois après, le roi.de Danemark convoquail ses
confédérés et leur donnait rendez-vous devanl Stral-
sund, qu'il voulait faire assiéger par terre et par mer :
la ville avait une garnison de Poméraniens et de
Brandebourgeois, et une flotte qui croisait devant son
port. Le duc de Sàxe-Lauenbourg arriva le premier au
rendez-vous, et plaçant son camp a l'endroit même
1. Kloden, t. II, p. 21 1 et suiv.
EN PAYS SLAVES 171
que Wallensiein choisit trois siècles après pour établir
le sien, il eut l'imprudence de commencer les hosti-
lités : une nuit il fut attaqué par les assiégés, surpris,
fait prisonnier. Pendant que les siens s'enfuyaient dans
toutes les directions, il fui ramené dans la ville, aux cris
de joie des habitants, les mains liés par la chaîne d'or
qu'il portail au cou, puis envoyé à Waldemar qui
étail alors en marche pour secourir Stralsund. Cepen-
dant les différents contingents des coalisés étaient
prêts. Pour retenir chez lui le margrave, on dé-
cida qu'Henri-le-Lion envahirait la marche, pendant
que le roi fie Danemark assiégerai! Stralsund. Wal-
demar se porta rapidement au devant d'Henri qui,
après avoir pris el détruit Meienbourg, près de Pritz-
walk, marchail par le comté de Ruppin vers le cœur
du Brandebourg : il le rencontra près de Gransee. Le
margrave attaqua, malgré l'infériorité de ses forces '
Ce fut une des plus furieuses batailles dr> temps
chevaleresques. Waldemar et Henri-le-Lion se je-
tèrent dans la mêlée; le premier fut précipité de son
cheval, entouré, désarmé, emmené par un groupe
d'ennemis, mais délivré par les siens qui se firent
prendre el tuer pour le sauver; l'autre, recherché
el atteint par une série de géant brandebourgeois,
recul sur son casque un si furieux coup qu'il tomba
sans connaissance, et, comme Waldemar, ne dul sou
salul qu'au dévouement <\<> siens. Quand la nuit
tomba sur ce champ de carnage, où tanl de braves s'é-
taienl pris corps ;i corps, les Mecklcmbourgeois étaient
maîtres du champ de bataille ; mais ils avaient subi de
telles pertes qu'ils ne poursuivirenl pas le vaincu el
1. Voyez FUedel, Cod. dipl. IV, t. I, Les fragments de la Chro-
nique de Pulcava, p. 22.
ITJ CONQUÊTES DES ASCANIENS
qu'un armistice fui bientôl après Qégocié3 puis conclu
(aoùl L316 '. Gel échec du margrave se trouva d'ail-
leurs compensé par La résistance victorieuse que
Stralsund opposa sur terre el sur mer aux attaques
du mi de Danemark ei de ses alliés.
En somme le grand efforl l'ail contre Le margrave
de Brandebourg n'aboutil qu'à de médiocres résul-
tats. Waldemar traita successivémenl avec tous ses
ennemis. On a vu Les conditions de la paix qu'il conclut
avec Le margrave de Misnie ". Il s'accorda vers La fin
de L317 avec Le roi de Danemark, l<i duc Henri de
Mecklembourg et leurs alliés. Les plus importantes
stipulations de ce long Irai lé sont celles qui concer-
née lacession définitive du pays de Stargard au Meck-
lembourg, ei l'alliance offensive et défensive con-
clue entre le margrave de Brandebourg ei Le roi de
Danemark. La paix fui confirmée à Wordingborg en
Danemark, où Waldemar se rendit auprès d'Erich.
Celui-ci et Witzlaw de Riïgen garantirenl à la ville de
Stralsund, cause de toute cette guerre, la jouissance
paisible de ses droits antérieurs 3.
FIN DE LA DYNASTIE A.SCANIENNE.
Ni en Pomérellie, ni en Mecklembourg, les efforts
desAscaniens n'avaient donc été couronnés de succès.
Comme aux premiers jours de la dynastie, les mar-
graves avaient rencontré la résistance, ici du Dan emark .
là de la Pologne; maison vient de voir quelle coalition
1. Klôden, ibid.,p., 224-5.
2. Voyez page 125.
3. Voyez sur les négociations, Riedel, Cod. dipl., II, t. I, p. 402,
n XDI; p. 404, n« XDII; p. 406, n°* XDIII et XDIV; p. 408,
nos XDV et XDVI ; p. 411, n»D;p. 410 n" DI ; p. 407, n° DIII.
EX PAYS SLAVES 173
ils avaient combattue et quels revers ils avaient sup-
portés sans être ébranlés. Qu'ils aient provoqué e1
puis soutenu cette lutte, c'est la preuve de leur am-
bition, mais aussi de leur puissance. Considérons
en effet les progrès qui eut été faits par la marche de-
puis l'avènement des Aseaniens.
Les frontières ont été reculées dans toutes les direc-
tions. La conquête du Havelland, des territoires de
Priegnitz, Zauche, Teltow, Barnim, Lebus, les ont
portées de l'Elbe à l'Oder; l'Oder a été dépassé,
la rive droite de la Netze conquise; le territoire mar-
graviat s'all niiue comme une pointe 'dans la direction
de la Yistule et de la mer. Un moment les succes-
seurs d'Albert l'Ours ont commandé dans Danzig.
En même temps la conquête de Stargard, qui fut
ensuite perdue, il est vrai, celle de l'Uckermark, qui
dura, étaient de victorieuses étapes sur le chemin de
la Baltique. Si le Mecklembourg échappait à la suze-
raineté brandebourgeoise , la Poméranie était forcée
delà subir. Au sud, les progrès étaient plus consi-
dérables : sur la rive gauche de l'Elbe, les acquisitions
faites aux dépens des margraves de Misnie dans les
pays qui appartiennent aujourd'hui à la province prus-
sienne de Saxe et à la Saxe royale portaient vers l'Erzge-
birge la frontière, qui. sur la rive droite du fleuve, at-
teignait en haute Lusace le quadrilatère de Bohême.
On pouvait maintenant voyager du nord de l'Ucker-
mark, c'est-à-dire presque de l'embouchure del'Oder,
jusqu'au défilé par lequel l'Elbe entre en Allemagne,
sans quitter le territoire brandebourgeois.
Un accident imprévu interrompit, au défini du
xive siècle, le cours de ces prospérités. La nombreuse
famille ascanienne s'éteignil tout d'un coup. Lèche-
17 i CONQUÊTES DES ascanikns
valeresque Waldemar mourul dans la force de l'âge
sans laisser d'héritier direcl 1319), et comme personne
n'a va il de droits incontestés à sa succession, La marche
sembla toul près de se dissoudre. Il restail un rejeton
mâle de la famille, Benri le jeune, mais il étail encore
enfant, el son père Benri, qui s'était l'ail donner,
comme AJberl 111. un domaine à part, avail proba-
blemenl renoncé à toul droil sur la succession de la
marche1. Gependanl les villes du paysan delà de l'Oder
le reconnurent comme légitime margrave, mais en
lui désignant pour tuteur Wratislaw, duc de Poméra-
uie-WolgasI 2. Au même moment la Priegnitz el
l'Uckermark se déclaraient, ueutres el se mettaient
sous la protection d'Henri-le-Lion de Mecklembourg :
Gependanl àgnès, veuve de Waldemar, se portail
à la l'ois comme héritière de son mari et de son père
Bermann-le-Long ; elle prétendail ainsi réunir entre
se.- mains les domaines des deux branches ottonienne
et johannienne. A l'appui de sa revendication, elle ci-
lail l'acte par lequel l'empereur Henri VI avait garanti
à la famille ascanienne la transmission en ligne fémi-
nine, aussi bien qu'en ligne masculine, de tous les
biens cédés par les margraves Otton II et Albert II
à Magdebourg, et repris par eux à titre de fiefs du
siège archiépiscopal 3. Malheureusement un autre
prétendant se targua des mêmes droits : c'était le duc
silésien Henri de Jauer, dont la mère était Béai rix de
Brandebourg, fille d'Otton Y4. Pour obtenir l'appui
du roi Jean de Bohême, Henri lui céda ses droits sur La
1 . Vovez page 84, note 2.
2. Riedel, il, t. I. 447, ir DXXXVII.
3. Voyez page 107.
4. Voyez le tableau généalogique, à la lui du volume,
EN PAYS SLAVES 175
Lusace, Lebus, Bautzen el Francfort sur l'Oder *.
Ce n'est pas tout encore. Agnès, qui avait pour tu-
teur, depuis son veuvage, Rodolphe de Saxe, épouse
en secondes noces Otton de Brunswick : déchu de sa
tutelle, Rodolphe dispute à Wratislaw de Poméranie
celle du jeune Henri. Le roi d'Allemagne, Louis de
Bavière, essaie de mettre un ternie à ce conflit, en
émancipant le dernier ascanien 2; mais celui-ci meurt
le mois d'après. Alors, prétendants et tuteurs, chacun
cherche à faire sa main. Le Silésien Henri et le Pomé-
ranien Wratislaw signent un traite d'alliance et de par-
tage ;1> ; mais Henri-le-Lion se maintient dans l'Ucker-
mark, el Rodolphe de Saxe dans le pays entre l'Elbe el
l'oder. en Lusace (| dans l'évêché de Lebus. Le désor-
dre qui troublait en ce moment l'empire, disputé entre
Louis de Bavière el Frédéric d'Autriche, perpétuait
l'anarchie dans la marche. A la, fin, quand Louis, vain-
queur après une longue lutte, n'eut plus à craindre
d'opposition, il termina la guerre civile dans la mar-
che d'une façon assez inattendue, en donnant à son
fils aîné l'investiture de la principauté ascanienne
(mars 1323.
i ne dynastie nouvelle commence donc dans la mar-
che, celle des Bavarois, à laquelle succèdent en 1373
les Luxembourgeois, prédécesseurs des Hohenzol-
lern. Ceux-ci seulement relèveront la fortune du
Brandebourg, en reprenant toutes les roules suivies
par Albert l'Ours el par ses successeurs ; mais dans
1. Riedel, II, t. I, p. 443, ie DXXXIII ; p. 444, n° DXXXH ,
p. Î45, \r DXXXV.
•2. Id., ibid., p. 454, rv DXLVI. Nos... eumdem defectum (anno
niui' suppU-inus de plenitudine et largitate munificâ regise potes-
tatis...
3. M. ibid-, p. 457, n DL.
17C CONQUÊTES DES A.SCANIENS EN PAYS SLAVES
leur pairie aouvelle j Les Hohenzollern trouveronl
d'autres traditions que celles des conquêtes. En effel
su!' la terre du Brandebourg avaient été semés Les
germes d'institutions excepti elles, qui se dévelop-
perez peu à peu, se ti'aiisiniri'iil de dynastie on
dynastie, el qu'il esl facile de retrouver aujourd'hui
encore dans la monarchie prussienne. Il nous resteà
parler de ces institutions. Ce n'esl pas la partie la
moins difficile de notre tâche; mais c'en esl la plus
importante.
CHAPITRE V
LES INSTITUTIONS DE LA MARCHE
DE BRANDEBOURG.
Du pouvoir margravial. — Formation de la population brande-
bourgeoise. — Les Ordres dans la marche : les grands et les
petits vassaux. — Lus paysans et les bourgeois. — Le clergé.
— Administration de la marche; les avoués. — Des altérations
de l'institution primitive dans la marche; de l'autorité margra-
viale après ces altérations >.
ni POUVOIR MARGRAVJ IL»
L'histoire militaire des A.scaniens montre que les
margraves de Brandebourg avaient des intérêts spé-
ciaux, des alliés et ilr> ennemis particuliers, par con-
séquent une politique de maison souveraine: l'histoire
de leur gouvernement fera voir que la marche était
dans l'empire un étal d'une nature exceptionnelle.
11 n'est point facile de tracer le tableau des insti-
tutions d'un pays au moyen âge, sans faire quelque
violence à la parfaite exactitude historique; car en
1. Voyez Kùhns, Geschichte der Gerichtsverfassung und des
Prozesses in der Mark Brandenburg, vont X bis zum Ablauf des XV
Jahrhundei ts.
12
17S LES INSTITUTIONS
auouD Lemps, au moyen âge moins que jamais, on ne
rencontre une date précise où les Institutions politi-
ques el sociales offrent cel étal de perfection que
l'historien est obligé de Leur prêter pour en montrer
l'ensemble. Elles naissent el se développenl par La
force «les choses, el non sur un plan préconçu : de là
cette confusion qui, au premier abord, déconcerte le
regard. Pourtanl il es! aisé «I»1 reconnaître dans ce
chaos quelques idées générales, là mêmeoùla féodalité
semble avoir épuisé sa fécondité en multiplianl ses for-
mes les plus variées, à plus forte raison dans les pays
où les circonstances lui ont imposé de la discipline,
comme en Terre-Sainte après la conquête de Godefroy
de Bouillon, en Angleterre sous Guillaume le Conqué-
rant, et l'on peut ajouter en Brandebourg sous les
Ascaniens.
Sur les bords du Jourdain et au delà de la Manche, la
féodalité se trouvait en pays ennemi; elle s'est orga-
nisée : les Assises de Jérusalem et le Grand Terrier
d'Angleterre en fohl foi. Or le margrave en fran-
chissant l'Elbe pour entrer chez les Slaves, sortait de
l'empire pour entrer chez l'ennemi : les institutions
de la marche ne pouvaient donc ressembler à celles
i[ui régissaient le reste de l'empire. A la vérité, la con-
quête s'est faite, non tout d'un coup, mais successive-
ment, et la marche tenait à l'Allemagne, dont elle
semblait n'être que le prolongement : on n'y a donc
point senti la nécessité d'une organisation complète,
comme ont fait les barons français en Palestine et en
Angleterre. Mais les margraves ont conçu plus ou
moins distinctement l'idée d'un état organisé pour
l'offensive et la défensive, dont le chef lut à la fois
plus indépendant de son suzerain et plus maître de
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 17U
ses vassaux qu'aucun autre prince de l'empire. Cette
, conforme à la nature dos choses, a été acceptée
par le suzerain, l'empereur d'Allemagne, et par lus
vassaux et sujets du margrave. Elle n'est écrite nulle
part, mais on la reconnaît partout.
Margrave, au sons rigoureux du mot, veut dire sim-
plement comte de la frontière; mais la différence est
grande entre l'autorité du margrave et celle du comte1.
Le comte est le délégué du roi dans une circonscription
déterminée : le margrave n'a point de frontières fixes,
et oléine, il n'est occupé qu'à reculer les limites de son
territoire. Le comte juge dans les affaires civiles et
criminelles les hommes libres qui ont le privilège de
n'être jugés que par le roi; mais il ne peut trans-
tre la délégation qu'il a reçue, car le Sachsen-
spiegel9- dit que le ban royal, ou le droit déjuger au
1. On a vu, au premier chapitre de ce livre, p. 25, note 1, que
l'empereur Otton donne le titre de duc au margrave du Nord,
Thierry, aussi bien qu'au duc de Saxe Hermann. Le margrave Gero
avait également porté, tantôt le titre de duc, tantôt celui de mar-
grave (Voyez Raumer, J;- . n° 151, et p. 37, n° 160 . Il y
avait en i ntre les deux pouvoirs. Comme le
duc avait au-dessous de lui les comtes, le margrave avait les
[ont les fonctions étaient en tout point semblables à
celles des comtes. Le titre de Markheizog ou duc de la frontière
eût mieux convenu que celui de Markgraf pour désigner la
fonction de ces gardiens de la frontière.
•2. Sachsenspieyel, ou Miroir de ia Saa L,écril au début du xmc siè-
cle, à la prière du comte Jiojer von Valkenstein, par Ecko von
Repchow. Hojer von Valkenstein était vassal des margraves de
Brandebourg, pour la partie nord du comté de Billingshôhe qu'il
administrait. Ecko von Repchow était d'une famille de chevaliers,
originaire du vi Reppichau, entre Dessau et Kôthen. Il
était en 1233 échevin dans la partie méridionale du comte de
Billingshôhe et par conséquent vassal des margraves de Brande-
bourg, Jean I et Otton III, auprès d 'squels on le trouve une fois
a Salpke près de l'Elbe (Voyez RiedeL Cod. dipl., 11, t. I, p. 14,
n° X.XI). La marche peut donc le revendiquer comme un des siens,
une des rares gloin s intellectuelles d'un pays où il n'y
avait guère, au moyeu âge, de loisirs pour l'intelligence.
180 LES INSTITUTIONS
nom du roi, ne [jeul aller jusqu'à o la quatrième main '. ••
La main du roi étanl h première, La main du duc la
seconde, le pouvoir de juger les nommes libres s'ar-
rête dans la main du comte, qui esl la troisième. I.»'
margrave est exempt de celle loi instituée pour pré-
venir l'abus des aliénations du pouvoir juridique :
commenl connaîtrait-il personnellement île toutes les
affaires criminelles dans un domaine aussi étendu que
le sien, aussi exposé aux violences qui naissent de
la guerre perpétuelle et de la cohabitation de deux
races ennemies ? Il transmet donc le droit déjuger « sur
la tête et les membres, » a des vassaux, qui souvent
àleurtourle transmettent à d'autres. 11 t'aui en con-
clure ou qu'il esl spécialement affranchi de la règle
signalée par le Sachsenspiegel , ou que « sa main »
est réputée la première. Le margrave en effet se- dis-
tingue par an privilège essentiel des i\ur^ . land-
graves, palatins et comtes : aux tenues d'un texte
très-important du Sachsenspiegel, taudis que ceux-ci
jugent au nom du roi, lui seul juge en son propre
nom 2.
Un a proposé plusieurs explications de ce privilège.
Les uns veulent que le margrave n'ait, été qu'un chef,
de guerre, et qu'il n'ait point reçu, comme le comte.
le pouvoir de juger. Sa juridiction, s'exerçant à l'ori-
1. Sachsenspiegel, III, 52, § 3.
2. Sachsenspiegel, III, 64, §, 7; (>5, g 1. — Les ducs, land-
graves, etc., jugeaient unter Kœnigsbann, littéralement sous le
ban du roi, ce qui est la même chose que bei des Reiches huld, en
vertu de l'hommage fait à l'empire. — Le margrave juge en vertu
de l'hommage fait à lui-même : Die marcgreve dinget di sines
hulden — Voyez Kùhns, op. cit., t I, p. 43, des textes où le
margrave commande en vertu de l'hommage qui lui a été fait :
« Wir gebieten und entbieten bei unseren Hulden allen unse-
ren Hauptleuten, Vugten, und Amtleuten... Richtern und Sc/mf-
ten, » etc., etc.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 181
gine sur des soldats, aurait gardé un caractère excep-
tionnel, quand elle s'étendit sur les colons vomis à la
suite des soldats. Cette opinion ne peut guère se sou-
tenir, car l'idée d'un pouvoir militaire spécial n'est pas
du moyen âge, où régnait la coutume de la confusion
«les pouvoirs. D'autres pensent que le margrave, vas-
sal du royaume sur la rive gauche de l'Elbe, était, sur
la rive droite, un souverain régnant par la grâce de
Dieu sur le sol conquis; niais des documents en grand
nombre montrent l'empereur faisant acte de suzerai-
neté dans toute la marche1. Il va pourtant ici une part
«le vérité. Sur la rive gauche de l'Elbe, le margrave
jugeait au nom du roi : c'est sur la rive droite seu-
lement qu'il jugeait en son propre nom. Le fleuve
servait de ligne de démarcation entre deux parties
du Brandebourg, qui étaient régies par des institu-
tions différentes : par celles de la vieille Allemagne
sur la rive gauche, par celles de la marche sur la
rive droite. Le margrave n'était pas souverain sur la
rive droit'1, mais il s'y était formé en sa faveur, sous
l'empire de cire- instances particulières, un droit excep-
tionnel. Sans être affranchi du lien qui le rattachait
au royaume d'Allemagne, il était devenu, par la foire
des chose-, le justicier suprême dans le pays trans-
albin.
En celte qualité le margrave nomme les délégués
auxquels il transmet son pouvoir juridique, il n
leurs serments ou les fait recevoir en son nom. Les
juges et les échevins s'appellent juges ou échevins du
o gracieux seigneur le margrave 2. » Le droit régalien
1. Voyez ces documents réunis dans Kûhns, t. 1, p. 59, 60. 61.
2. Voyez par exemple Riedel . Cod. UipL, I, t. IX. p -2~rl.
n° CGC X XX.'
182 tES INSTITUTIONS
(l«> fixer les circonscriptions judiciaires lui ''si attri-
bué; car il l'.iui souvenl ou bien qu'il remanie une
circonscription, donl I»1 chef-lieu esl tombé aux mains
des Wendes . ou bien qu'il en crée une nouvelle
sur un territoire récemmenl conquis par ses armes
Enfin il procède à des réforînes importantes : il
substitue par exemple, comme on verra plus Loin, à
la juridiction des burgraves celle des avoués : sans
jamais requérir la confirmation royale. Or au moyen
âge on mesurait la puissance à l'extension du pouvoir
juridique. En France, la qualité déjuge suprême a l'ail
la fortune des Capétiens, au début si faibles contre la
féodalité : c'est par elle que Philippe-Auguste a con-
quis la Normandie ; c'est par des réformes judiciaires
que sainl Louis a mis la royauté « hors de pair ». En
Allemagne, 1(3 roi était avant tout le juge1. Même
après la chute du Saint-Empire, le souvenir do ce
juge survécu! ; carc'esl en son nom que les tribunaux
vémiques de Westphalie rendirent leurs arrêts. Aucun
privilège n'étail donc pins important que celui qui
échut aux margraves , juges non « sous le ban du
roi », mais en leur propre nom 2.
À la vérité les comtes allemands arrivent peu à
peu par une série d'usurpations à conquérir la même
indépendance que les margraves. Dans la première
1. Den Kœnig Kùset man to richtere over egen unde len und *
over yewelkes mannes lif... Saehsenspiegel, III, 52, g 2.
2. M. Kùhns, dont le livre fait justement autorité en la matière,
explique très-bien comment le margrave était on quelque sorte
souverain, tout en restant vassal de l'empire. En droit , l'empe-
reur faisait participer le margrave de sa souveraineté, sans s'en
dessaisir. (Voyez t. I, p. 47.) Par le fait de l'établissement d'un
margrave, il renonçait à exercer directement sa juridiction sur
les vassaux de la marche, mais en qualité de chef de l'empire,
il représentait une juridiction plus haute que celle du margrave.
(P. 75, 79.)
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 183
moitié du xiiic siècle, ils deviennent autant de petits
souverains; mais il a fallu qu'ils rompissent pour
ainsi dire le pacte conclu entre eux et la royauté el
qu'ils dénaturassent le caractère primitif de l'institu-
tion des comtés. Au contraire les privilèges du mar-
grave sont nés du caractère même du pouvoir mar-
gravial. D'ailleurs, quand fut accomplie la révolution
longuement préparée qui étouffa la royauté germa-
nique sous la .foule des petits états féodaux, la mar-
che ne perdit point son originalité. Les comtes, land-
graves, palatins, ducs étaient devenus souverains
comme les margraves ; mais dans leur domaine plus
étendu , ceux-ci avaient une autorité moins limitée
que ceux-là. Pour en bien comprendre la raison, il
faut exposer, si Ton peut ainsi parler, la genèse de la
marche. < lommenl la population du Brandebourg s'est-
elle formée ? Quels étaient les rapports du margrave
avec les différents ordres qui la composaient, ou bien,
pour employer le vieux mot français qui traduit
exactement le mot allemand Stcinde , avec les diffé-
rents états de la marche?
FORMATION DE LA POPULATION BRANDEBOURGEOISE.
La conquête du pays slave par les margraves res-
semble peu à celle des provinces de l'empire ro-
main par les rois germains, aux rve et ve siècles.
Ceux-ci étaient lis (dus de leurs compagnons, et
la conquête était l'œuvre commune de la. tribu el
de -ou chef; le peuple entier, eu y comprenant les
femmes el les enfants, y prenait pari, el après La vic-
toire ou s'organisait comme pour un établissement dé-
finitif dans une nouvelle patrie. G'esl alors que les
18 i LES [NSTITUTIONS
nouveaux arrivés prenaienl aux vain lus un ou deux
tiers de Leur territoire, qu'ils se partageaienl entre eux.
Revêtus d'un titre moins éclatanl el nu mis honorés par
l'attention de L'histoire, Les margraves étaient plus
élevés au-dessus de ceux qu'ils commandaient, que
Les rois barbares au-dessus de leurs compagnons.
Us étaient suivis non par un peuple d'hommes Libres,
mais par une armée de' vassaux donl Le devoir
était de Leur obéir, ou même par des suidais qu'ils
payaient de leurs deniers. La conquête étail Leur entre-
prise personnelle, non celle de la nation : ils avaient
des services à récompenser, non dos droits à reconr
naître; ils étaient, sous la réserve delà suzeraineté du
roi, seuls propriétaires du sol qu'ils avaienl conquis.
Les circonstances historiques permirent aux mar-
graves de disposer en toute Libertéde ce sol: ils y éta-
blirent presque partout Leurs vassaux et leurs sujets.
Même sur la rive gauche de l'Elbe, lo plat pays était
à peu près inhabité au temps d'Albert l'Ours; la plu-
part des villages nommés par les documents du x° siè-
cle, comme appartenant aux églises de Havelberg ou
de Magclebourg, ont disparu au xnc, détruits soif par
les Slaves dans la guerre d'extermination qui sévis-
sail sur les deux rives du fleuve, soit par les Saxons
d'Hemï-le-Lion, le rival du margrave Albert : il fal-
lait donc repeupler cette terre abandonnée. Sur la rive
droite du fleuve, la guerre avait aussi fait beaucoup
de vides; car dès que les armes allemandes eurent
repris possession du territoire de Havelberg, l'évêque
appela « de quelque pays que ce fût » des colons dans -
cette province « si souvent dévastée et dépeuplée par
les invasions païennes qu'on n'y rencontrait plus que
de très-rares habitants ». Pourtant si l'on s'éloignait un
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 185
peu de l'Elbe, on rencontrai! sans aucun doute une
population assez dense ' el de nombreux vil
autrement les Wendes n'eussenl pas été en état de
fournir mit1, résistance si acharnée, ni de prendre tant
de fois une offensive vigoureuse ; mais ici la tâche
('■lait d'une autre nature : il fallait établir les institu-
tions germaniques sur le territoire de ces irr
ciliables ennemis, 'font était donc à créer ou à trans-
former dans la marche, et les créations comme les
transformations se firent par l'autorité du margrave.
Les colons arrivèrent ou furent mandés en grande
partie delà Saxe, du Rhin ou des Pays-Bas. Il y avait
déjà des Allemands dans le Havelland, du temps de
Pribislaw. La race, dit la chronique de Pulcava 2, y
étail mêlée de Saxons et de Slaves. Au moment où le
margrave prit possession do l'héritage du Wencle, il
amena certainement avec lui des colons qu'il établit
dans le plat pays. D'autres vinrent en foule; cardes
villages allemands s'élevèrent partout, et au xne siècle
déj à le Havelland, Priegnitz el la Zauche étaienl germa-
nisés. Dans 1rs autres parties de la Marche, Star- ird,
Uckermark, Le] tus, etc. , des colons allemands, appelés
peut-être parles princes de Mecklembourg. de Pomé-
ranie et de Silésie pour combler les vide- faits par la
rre dans leurs campagnes, s'étaient établis avant
l'acquisition de <■ i ir les margraves, qui ne tirent
1. Charte de l'emper sur C mrad confirmant a l'église de Havelberg
ssions et ses privilèges :«.... E ainatae
civitates et villa' sœpe irruentibus paganis vaslatas suni ac de-
populatas, / e-. volu-
iinis atque praecipimus m idem i pisci pus liberam absque contra-
dictione habeal facullatem ibidem ponendi et locandi colonos,
do quacumque gente voluerit vel habere potueril... > Riedel, Die
Mark Br., t II, p. in.
2. Cens illa saxonica et slavica, Pulcavœ Chronic. ap. Riedel,
Cocl. dipl., IV'- partie, p. 2).
188 LES tNStlTUTtÔNS
qu'achever l'œuvre commencée. L'usage, répandu
parmi les colons, de donner au village qu'ils fondaiénl
le nom de celui qu'ils quittaient permel de reconnaître
que la pluparl venaienl de la Vieille-Marche, des ter-
ritoires de Magdebourg el d'Ànhalt, eu un mol de
l'inépuisable terre saxonne '.
Après les Saxons, les Hollandais et les Flamands
donnèreW à l'immigration le contingent lepluscon*
sidérable. Helmold raconte qu'Albert, après avoir sou^
mis un grand nombre de tribus el refréné leurs rébel*
lions, s'aperçut «que les Slaves allaienl manquer ">■ » :
il envoya donc vers Utrecht, sur les riveâ du Rhin ei
chez les nations éprouvées |?ar la violence de la mer,
,:i savoir les Hollandais, les Zélandais, les Flamands, et
il fil venir une grandi1 quantité de peuple pour l'éta-
blir dans les villes el les forteresses des Slaves. » Le
chroniqueur ajoute que les évèchés de Brandebourg
et de Havelberg furenl grandemenl fortifiés par cette
immigration, parce que les églises se multipliaient
el que les dîmes s'accroissaient 3. « Au même temps,
dil-il encore, les Hollandais commencèrenl à coloniser,
sur la rive gauche de l'Elbe, depuis la ville de Salzwe-
del, jusqu'à la forêt de Bohème. » Ce témoignage du
vieil historien donne aux Néerlandais un rôle impor-
tant dans la colonisation de la marche. Plusieurs do-
cuments attestent en effet leur présence sur les deux
rives de l'Elbe, à Stendal, Seehausen, Werben4, puis
J. Riedel, Die Mark, t. II, p. 46, note 1.
2. Deficientibus sensim Slavis... Helmold, I, 88 (Leibniz, II,
p. Ci 12).
3. Et conforlalus est vehementer ad introitum advenâfcunà
>>patiis brandenburgensis nec non havelbergensi's, eo quod
multiplicarentur ecclesise et deciraarnm ingens succresceret pos-
sessio... Helmold. ibidem.
4. Stendal paraît avoir été fondé par des Flamands. Seeliausen
DE LA MARCHE DE BRANDEBOUur; ] R7
aux bords mêmes du fleuve, en face de Havelberg, à
Brandebourg, dans le territoire de Lœwenberg, même
dans celui de Lebus '. D'autres signes font encore re-
connaître leur présence. Ces industrieux colons ap-
portaient une architecture nouvelle; avant eux, on bâ-
tissait dans la marche en grossiers moellons : ils éle-
vèrent les premiers des édifices en briques, dont
la plupart subsistent pour attester la rapide prospérité
qui suivit leur établissement. Enfin le nom de FUi-
ming, que porte un territoire delà province prussienne
de Saxe, est un souvenir des Flamands 2 : il parait
qu'aujourd'hui encore les coutumes, l'habillement, la
langue même rappellent l'origine des habitants 3.
Il n'y a point de doute que, parmi ces colons, il
s'en trouvait do condition militaire. On voit figurer
par exemple dans une charte d'Albert II, un chevalier
Henri de Flandre ■'• , et peut-être certaines familles
illustres, celles des Schulenbourg, desArnim, des Bre-
dow trahissent-elles par leurs noms mêmes leur ori-
et Werben ont nisés et accrus par dos Hollandais. —
Un Ubert l'Ours mentionne des manses de mesure
hollandaisi - i ana mis) auprès de Wer-
i : une autre, d'Otton [. les redevances payées par les Hollan-
dais di - bords de l'Elbe llollandigi nœ super ripam Albis positi).
— Voyez Ri ïlark Br., IL p. 51, notes 1 et 2; Riedel, Cod.
dip . I. t. VI, p. 338, à l'introduction sur la ville de Seehausen.
1 Vnyrz au tome VII des Murkisc/ie Forsrhunhen (p. 110-127),
Die nu Mark Brandenburg .
2. Le Flàming est ce plateau aria:', que l'Elbe côtoie, depuis l'em-
bouchure ' i. jusqu'aux environs de Magdebourg, el qui
: Lablissaient
volontiers sur des terrains , au coi rail des Hollandais.
3. Heinemann, Albr. der B., p. 217 et 292. Voyez aussi von Le-
debur, Vorlrâge zur Geschichle der Mark Br> /. p. 34-48.
L'auti la marche par 1rs colons
venus des Pays-Bas. Il rappelle une première immigration des co-
lons de ce pays, qu'il place au vr siècle, et il trouve, aux i\ ! et
xr siècles, des preuves de leur présence. Il termine en parlant
des immis de Hollandais dans la marche, au
temps du cteur et de Frédéric-Guillaume L
i. Voyez Riedel, die Mark Br., t. 11, p. 53, note I.
188 LES [NST1 rUTIONS
gine hollandaise : le premier rappelle un château ruiné
de La Gueldre, el les deux autres, les villes d'Arnheim
'•i de Bréda. Mais la plupart étaient hoi es de
métier ou gens de labour; ceux-là se rendaient dans
les villes; on établissait ceux-ci de préférence là où
il fallait fertiliser un sol ingral ou dessécher des
marécages. Ils se mettaient à l'œuvre, dans les dis-
tricts abandonnés par les Allemands aussi bien que
[taries Slaves, el ils gagnèrent ainsi sur l'eau de vas-
tes territoires, par exemple tout le pays compris entre
ces quatre cours d'eau : l'Ieetze, l'Alain!, la Biese,
l'Elbe, d'où la rigidité «les règlements seigneuriaux
qui obligeaient les habitants à L'entretien des digues
avait l'ail fuir la population '.
Que devenaient cependant les Slaves, anciens maî-
tres de ce territoire que l'on se partageait ainsi? La
question est difficile. Les historiens d'outre-Rhin vou-
draient prouver que les vaincus ont été partout hu-
mainement traités par les vainqueurs, niais ils n'y
parviennent pas. A la vérité les Allemands n'ont ni
réduit en servage ni expulsé en masse la population
indigène. De nobles familles vvendes ont été admises
parmi les vassaux du margrave 2. On trouve mention
de paysans slaves, possédant de la terre 3, ayanl la
faculté de faire donation de leurs biens aux églises,
sans autorisation de leur seigneur, et de se transpor-
ter dans les villes : toutes choses qui annoncent la
t. Riedel, die Mark, t. II, p. 53-51, et la note 1 de la page 54.
2. Parmi les témoins d'une charte d'Otton II, figurent Slavi
nobiles Henricus, Prizzlavus, Pribisslais et Andréas fratres (id.,
ibid.,p. 38, note 1). Bien qu'il faille se garder de réputer slaves tons
ceux qui portent un nom slave, car beaucoup sont des Allemands
qui ont pris le nom du lieu où ils se sont établis, il est probable que
les margraves firent, au moins dans la petite noblesse, un assez
grand nombre de ces sortes d'adoptions.
3. Riedel, die Mark Br., t. II, p. 16, note 1.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 189
liberté personnelle '. Enfin il y a des exemples de
bourgeois slaves figurant parmi les magistrats des
villes2. Dans une seule partir de la marche, dans le
Havelland, la population indigène semble avoir été
frappée par mesure générale : mais nous savons de reste
qu'après s'être rendu maître delà rébellion de Brande-
bourg, Albert, pour assurer sa conquête, avait expulsé
les Wendes. (Test probablement à ce pays el à ce
fait seuls que le chroniqueur Helmold fait allusion,
quand il dit que les Slaves furent « foulés aux piedsel
expulsés, protriti atque propulsi. -
Cependant il ne faut pas se hâter de conclure que le
colon germain, respectueux de la propriété du vaincu,
- lit contenté de bâtir sur des terrains inoccupés
ou de remplir des vides dans les villages slaves. Des
villages nouveaux ont (''té, il est vrai, fondés en place
libre : les Hollandais, par exemple, ne dépouillaient
personne, quand ils s'établissaient dans les niaréca
m- la rive d'un fleuve, sans cesse menacée par
une invasion des eaux. Tel autre territoire a été
[uis sur des bois défrichés. Mais le pays n'était pas
si dépeuplé que le nouvel arrivant ne dût se heurter
souvent à un premier occupant. Les documents sont
très-rares sur le sujet du litige : il est remarquable que.
presque tous parlent d'une expulsion des Wendes.
Un des publiciste ml rendu le plus de ser-
vices à l'histoire de la marche :i cite une charte où il
I. Voir la charte de fondation de la ville de lel... Ad
haec volumus ut quicumque ad' ipsam novam civitatem confluxe-
rint, rustici, teutonici sive slavi..., coram judicecivitatisejusdem
astent judicio... Riedel, Cod. dipl., I. i. \i\\ p.:;. n° V.)
•il1 ' ■ des mai ton, Conrad, Henri, Jean,
figure comme témoin parmi les • consuls de Stendal un.Jacobus
Slavus. Voyez Riedel, Die Mark, t 11. p. 35, note 1.
3. Riedel. Voyez n, .. t. II, p. 194, note -I. Nos Hen-
J90 LES INSTITUTIONS
osl l'ail mention d'un ancien village slave, dont « les
habitants onl été éloigné* . el il ajoute qu'il s'agit
d'une expropriation à l'amiable, accompagnée d'in-
(1« mnité; mais un ne sail sur quoi repose une pareille
hypothèse. D'autres piècesfont croire à une dépos
sion sans compensation aucune. Par exemple l'ar-
chevêque «le Magdebourg cède à l'abbé de Nienbourg
La levée de la dîme dans le territoire de Kleutsch,
acquis par le dit abbé «qui en a chassé les anciens
Slaves infidèles pour \ placer des colons chrétiens l. »
L'abbé de Ballenstedt ('ail savoir à Ions les fidèles
présents et à venir que, « voulant améliorer et
augmenter les biens do l'église, il a vendu deux vil-
lages... habités jusque-là par dos Slaves, à <\<'* Fla-
mands qui désiraient les acheter 2. >j L'évêque Otton
do II:ill>orsiadi. disposant (U~ la dîme d'une paro
habitée par dos Allemands et par des Slaves, prévoit
le cas on cesderniers « abandonnanl li terrain cultivé
par eux, s'éloigneraient contraints par une uécessité
quelconque el seraienl remplacés par des Saxons 2. »
Évidemmenl le cas devait si présenter souvent, puis-
qu'il était prévu par une sorte do formule: l'évêque
de Halberstadt lui-même on donne des exemples
dans le document qui vient d'être cité.
Malgré la concordance singulière de ces textes, il
ricus episcopus — in clcilicatione ecclesie Briceke — villam Ragho-
nesc quondam Slavicak-m nequicquam subjecimus ecclesie ante-
dictae... et plus loin... et inhabitatores illius villes sint amoti...
1. liemotis ontiquis Slavorum colonis, novos inibi christianse
fidei cullores collocavit... Voyez le Iîecueil de chartes à la lin du
livre de Heinemann, Albrecht der B., n° 3S. p. i67.
2. Ibid, ri" 39, p. 468 Ego Arnoldus... et fratres nostri... bona
ecclesie noslrœ meliorare atque augmentare cupientes, duas vil-
lulas nostras.... hactenus à Slavis possessas. Flamiggis peten-
tibus.... vendidinms...
::. Ncct'.ssiiale quadam cogente.... Voy< /. Heine^iaua, Cod. dipL
anhult., I, p. 156, n" 194.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 191
est vraisemblable que les cas d'expulsion pure et
simple furent assez rares : il y eut au contraire de
nombreuses transformations de villages. Cette sorte
d'opération sefîttout à la luis dan- les - parties
de la marche sans qu'on prît la peine de la constater
par écrit, car on ne trouve aucune charte qui y soit
relative, mais on peut étudier dans des docunn
empruntés à un pays voisin la méthode habituellement
suivie en pareil cas. Les margraves de Brandebourg
ne sont pas des inventeurs, et les procédés de la con-
quête germanique en pays slave se retrouvent dans
tous les états allemands du nord-est. On a vu déjà
il été appliqués par le duc de Sas
par l'archevêque de Magdebourg. : mar-
es ont duré plus longtemps que leui \. et
ils «*uL recueilli tout le bénéfice de la politique alle-
mande sur cet te frontière de l'eu;
C'est en Silésie qu'il est resté le plus grand nombre
de documents relatifs à des transformations de vil-
lages. I1 pays avait le la Po-
logne (1169), ses durs, que de nombreuses alliances
de l'aii, prochèrenl de l'Allemagne, avaient tra-
vaillé à germaniser le pays. Il est resté d'eux, ainsi que
des évêques, abbés, comtes et chevaliers de la pro-
vince, nombre de i s. Pour transformer
un village slave, le suzerain traitait avec un colon
allemand, auquel il vendait un territoire, touchanl à
celui du village, à condition qu'il le revendrait par lots
à des Allemands. Quand les colons étaient établis, l'an-
cien et ! m villagi i idus en un seul.
administré selon le < d par un Allemand l.
1. Wohlbriick, Geschichle ■ ■■ Uislhiuns I.
des Landes dièses Nahmens, t. L p. 201, en note, cite un des docu-
192 LES [NSTIT1 i lo.NS
Ce qu'il advinl de cette cohabitation, sinon en
Silésie, "ii la race germanique a fail de Lents el pacifi-
ques progrès, au moins dans La marche, il n'esl pas
malaisé * l * * Le deviner, [ci La Lutte a été longue el
acharnée, el La haine lui a survécu. Si les vainqueurs
avaient L'habitude d'appeler Les Slaves des chiens i, il
esl probable que Les vaincus avaient quelque injure à
leur service contre Leurs vainqueurs. Même au sein
d'une même ville, ils évitaienl de se confondre; ils
avaienl Leurs corporations el leurs sociétés distinctes,
el mi trouvai! encore au \vr siècle à Stendal une rue
des Slaves comme une rue i\r* Juifs 2. Mais le combat
n'était point égal et l'histoire des noms de villages
montre les progrès croissants du germanisme. Au
XIIIe siècle, le nom slave el le nom allemand sonl
encore en concurrence en maints endroits, niais c'est
l'exception, elle dr\ îenl plus rare au xivc. Parmi Ions
ces villages de Martin, de Thierry, de Gérard, de
Conrad, qu'énumère le Livre Terrier rédigé en L375
par ordre de l'empereur Charles IV, il y a beaucoup
de villages wendes, dontle nom a diparu, c'est-à-dire
où l'élément germanique a vaincu s.
ments en question : Nos Henricus, D. g. episcopus... volumus
esse notum quod nos... perspeximus, quod de Suscouiz villa
nostra episcopali nobis et nrad ecclesiiu modicum ulilitatis et
commodi perveniret, prsedictam villam — fideli nostro... ad locan-
dum jure teutonico tradidimus —
1 . Voyez page 26.
2. Longtemps encore celle antipathie subsista. Les maîtres de
métiers allemands exigeaient de l'apprenti la preuve qu'il n'était
i pas Wende. Les Wendes refusaient de manger de la viande d'ani-
maux tués par des Allemands. Ils avaient des boucliers spéciaux.
Auxvie siècle, dans la Langue officielle, le mot wende était syno-
nyme d'homme de rien; on disait unehrliche ufid Wendische Lente.
(Voyez Droysen, Geschichte der preussiscchen Politik,t. I, p. J3.)
3. Riedel, die Mark B>\, p. l(Jb\ note 1, cite un grand nombre
de ces noms : Mertinstorf, Cuflradstorf, Michelstorf, Gerhards-
torf, Wilkehdorp, etc., etc. 11 arrive aussi que des noms slaves
ont été à la longue transformés par les plumes germaniques...
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 193
Il est impossible de suivre pas à pas et de marquer
par des textes les défaites successives et la disparition
graduelle de l'élément slave. Il dut arriver souvent
que les habitants d'origine wende furent réduits
à des conditions inférieures, ou bien se retirèrent
dans ces misérables petits villages, situés pour la
plupart au boni des cours d'eau, tout prés des villes,
comme Golbu près de Tangermiinde, « où il n'y avait
pas de manses », c'est-à-dire point de territoire. Les
habitants étaient des Slaves qui se nourrissaient de la
[lèche; chacun devait présenter « au seigneur mar-
grave chaque année quinze lamproies à la nativité de
notre Seigneur, et tout autant le jour des Cendres '. »
Ces villages se nomment d'un mot slave Kietze, qu'on
traduit d'ordinaire par villa slavicalis 2. On ne les
trouve que sur la rive droite de l'Elbe ou seulement
tout près de la rive gauche; M. Riedel confesse que
le l'ait est remarquable, niais il ne parvient pas à
l'expliquer en invoquant le goût des peuples slaves
peur le poisson et les plaisirs de la pêche : il ne faut
point ici d'autre explication que la dureté de la colo-
nisation germanique 3.
Au reste, ne demeurât-il aucun des documents qui
viennent d'être cités, l'on pourrait encore affirmer que
les procédés de la complète germanique ont été ri-
goureux dans la marche. A l'exception des parties
qui ont été détachées de l'ancience Lusace, le sou-
venir de l'origine slave ne vil plus en Brandebourg
1. Kaiser Karls IV Landbuch der Mark Brandenburg, éd.
Fidicin, p. 2.">0... Culbu prope Tangermùiide pertinet marchioni.
Ibi non sunt mansi, sed Slavi ibidem morantur <-t nutriuntur
piscaturà....
•2. Kietze veut dire village de pêcheurs. On donne encore au-
jourd'hui dans la marche le nom de Kietzer à un engin de pêche.
3. Voyez Riedel, die Mark Dr., t. 11, p. :\i, 33 et \>. 265.
13
I!» i î.Ks INSTITUTIONS
que pour les ôrudits, dans des aoins de villdB , de
villages ou de cours d'eau sur Lesquels ou discute. La
langue a disparu «I»' bonne heure, oar force fui aux
vaincus d'apprendre la langue des vainqueurs. Si le
droil saxon régissail les Allemands, si les colons des
Pays-Bas conservaient leur droil national et avaient
des tribunaux spéciaux ', il esl Impossible de trouver
dans la marche après la conquête la moindre trace
d'un droil wende. Enfin le clergé lii une guerre active
à tout ce qui pouvail rappeler dans les coutumes et
dans les mœurs la religion proscrite. Ainsi périt jus-
qu'à la dernière trace de l'origine wende. Maintes su-
perstitions locales, que l'on a cru longtemps remon-
ter aux temps antérieurs à la conquête, ont été
reconnues purement germaniques. Les contes bran-
debourgêois parlent aujourd'hui encore de Wbdan, de
Preia, du chasseur du Hackelberg; mais il n'y a plus
place au foyer pour Swantowit ni pour Radegast. Or
pour 1rs peuples comme pour les individus, le souvenir
des légendes qui ont bercé l'enfance estle dernier que
garde la mémoire affaiblie : il ne s'évanouit que dans
la mort.
LES ORDRES DANS LA MARCHE : GRANDS ET PETITS VASSAUXj
L'assimilation du pays conquis a donc été pour-
suivie de trois manières: par l'expulsion complète des
Slaves, par rétablissement d'Allemands sur des terres
inoccupées, par la juxtaposition de l'Allemand et du
Slave au détriment de ce dernier; mais c'est toujours
le margrave qui a présidé à chacun de ces actes. Ses
t. Riedeî, die Mark Dr., t. II, p. 369.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 195
vassaux el ses sujets lui doivent la place qu'ils occu-
pent sur l,i terre brandebourgeoise.
Créateurs de la marche, les margraves n'y ont pas
établi de grande noblesse. Les nobles les plus émi-
nenis sont distingués des autres par leur office plutôt
que par l'étendue de leurs domaines. Ce sont d'abord
les burgraves ou comtes du burg. Il est inutile de
signaler l'importance exceptionnelle du burg dans un
pays frontière, où il a été le point de départ naturel
de l'organisation administrative L Sa garnison n'était
point enfermée dans ses murailles; les « hommes du
burg » avaient leurs fiefs dans le pays avoisinant,
qu'on appelail burgraviat. Au pied du château et
protégée par lui s'élevait presque toujours une ville.
Or les hommes du burg, les paysans qui vivaient sur
leurs fiefs, les habitants de la ville étaient placés sous
la juridiction du burgrave. Le burgraviat était assez
étendu : autrement le nom de comté qui lui es!
quelquefois donné no s'expliquerait pas 2. Enfin le
burgrave remplissait auprès du margrave une haute
fonction, colle du schultheiss près du comte, du palatin
[ires de l'empereur. Celait une prescription du droit
savon que le comte ne put tenir de tribunal sans l'as-
sistance d'un schultheiss, ni l'empereur sans celle du
palatin, afin que si quelqu'un portait une plainte
contre le comte eu contre l'empereur, il se trouvât un
juge pour la recevoir 3 : ce juge était, dans la marche.
1. Voyez G. Waitz, D< ulst h< Verfai sungsgeschichte, t. V, p. 183,
et note 3; Kùhns, op. ai., t. I, p. 92, LOI.
2. Voyez pour l'étendue du burgraviat de Brandebourg, Kùhns,
loc. cil., p. lis.
;;. Wenne klagel m n liclilere, su sal he antwerden vor
■ i, i,i scullheiten, n'en die sciillheih is richter siner scirft : als is die
nzgreve over den Keiser, unde die burchgreve overden maregra-
ven. — Sachenspiegel, 111, 52, § ô.
196 LES INMI rUTIONS
le burgrave . A.ussi Rgure-t-il au plus haut rang
parmi les vassaux du margrave, el au milieu des
membres de sa famille '. A côté de lui se placent di^s
vicomtes auxquels étaienl inféodées quelques parties
de la Vieille-Marche, ou des comtes de comtés étran-
gers, qui y possédaient des fiefs. On les appelle nobles
hommes, barons du margrave, primats du conseil et du
palais.
On sail peu de chose de ces grands vassaux2, si
ce n'est qu'ils appartenaient à la Vieille-Marche, un
seul excepté, le burgrave de Brandebourg, el qu'ils
disparurenl de bonne heure. Les documents ne nous
font connaître l'existence que dé trois burgraviats,
ceux de Brandebourg, «le Stendal el d'Arnebourg.
On ne trouve pins trace du dernier à la fin du xir\ siècle ;
il n'est pins fait mention du second après l'année 1215,
date où le margrave « relève sur leur demande les
citoyens et conseillers de Stendal de la charge que
taisait peser sur eux l'importunité du burgrave », en
les dispensant de paraître à son tribunal s. Enfin le
burgràvial de Brandebourg n'a certainement pas duré
au delà de la moitié du xne siècle dette institution
devait pour plusieurs motifs déplaire aux margraves.
Utile à l'origine, quand la conquête n'était pas encore
assurée, elle devint ensuite nn obstacle à la bonne
administration de la marche. Le château où résidait le
burgrave était placé, non point au centre du burgra-
1. Riedel, die Mark., t. II, p. 131.
2. Id., ibid., p. 134-142.
3. Voyez Gercken, Codex diplomaticus br&ndenburgensis, t. V, p 74,
ir 55. . ad petilionem civium Stendalensium et consulum, viro-
rum prudentum, gravamen quod idem Stendalenses pro importu-
riitate Borggravii, quem habere consueverunt, penitus relaxavimus,
statuentes ut in civitate deinceps placilo et juri non teneantur
stnre Borggravii...
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 197
viat, mais à la frontière, tout près de l'ennemi : c'étail
1111 grave inconvénient. Il parut sans doute plus insup-
portable quand les limites de la marche furenl reculées
e1 ({iif les burgs ne rendirent plus de services. Les
margraves écoutèrent volontiers les plaintes do leurs
sujets. Des vassaux qui tenaient leur office à titre héré-
ditaire in.1 leur étaient pas moins » importuns » qu'aux
bourgeois de Stendal. Ils les remplacèrenl par des
avoués, sorte de fonctionnaires a la façon moderne
dont on parlera tout à l'heure. Quant aux pays au
delà de l'Elite, à l'exception du burgraviat de Brande-
bourg, ils furent des l'origine, divisés en avoueries.
Sur la rive gauche de l'Elbe les margraves trouvent
des institutions toutes faites, semblables a celles qu'on
rencontre dans le reste de l'Allemagne; sur la rive
droite seulement, ils sont des conquérants et des
organisateurs. C'est là que se forme et se fortifie le
caractère exceptionnel de leur autorité.
Les moindres vassaux et les ministériels étaient
très-nombreux dans la marche. On sait que les minis-
tériels se distinguaient du rote des vassaux en ceci
qu'ils devaient à leur suzerain, pour leur fief appelé
fief de cour ou hoflehen, un service non militaire, eu
qualité d'échansons, de chambellans, de maréchaux,
ou d'écuyers tranchants. A l'origine, leur condition
était dure. Le suzerain avait sur leur fief un « droit
supérieur - de propriété. Ils ne pouvaient faire la
moindre donation sans son consentement. Ils ne pou-
vaient se marier que dans une famille de ministériels
de leur seigneur, à moins «pie celui-ci n'eût signé avec
un prince voisin un trait»'' autorisant les ministériels
de l'un et de l'autre à se marier entre eux. Ils étaient
attachés au fief, transmissibles et aliénables avec lui,
198 I.KS INSTII1 [TIONS
par conséquent énumérés dans les contrats de vente
parmi les articles vendus. Enfin un seul enfanl héri-
lait du fief de courel du service afférenl : Les autres
devaienl demander au seigneur l'investiture de nou-
veaux fiefs de cour ou chercher fortune dans une autre
condition.
Ce n'esl pas Ici Le lieu de discuter sur les origines
ni de s'étendre sur le caractère de la ministérialité1.
Qu'il suffise de dire .qu'elle existait en Brandebourg
dans toute sa rigueur3. Toutefois la marche gardai!
ici encore son originalité. Les ministériels ne s'y trou-
veni que sur la rive gauche de l'Elbe. Dans la Vieille-
Marche, où d'anciennes familles étaienl établies, le
margrave avait intérêt à so les rattacher par un
service personnel. Aussi les ministériels abondent-
ils autour des châteaux de Salzwedel, Gardelegen,
Arnebourg, Tangermiinde, où ils venaienl prendre
leur service toutes les fois que le margrave y ré-
sidait. Au contraire dans les provinces conquises la
noblesse était par nécessité trop étroitement unie à
son suzerain; les obligations féodales, c'est-à-dire la
protection d'une part, et de l'autre le dévouement
et l'obéissance, y étaient trop réelles pour qu'il fût
besoin d'y rien ajouter.
Il semble aussi qu'il ait été pris dans la marche de
1. Voyez Màrkische Forschungen, t. III, p. 1-96, une étude de
Wohlbrùck a Veber die minislc.rialen ».
2. Voir les textes rassemblés par Riedel, die Mark B>\, II.
p. 144-152. Les margraves Otton et Jean ratifient l'acte d'un mi-
nistériel « ratione superioris dominii ». — Ils font avec le roi
d'Allemagne, Guillaume, l'échange d'une femme de condition mi-
nistérielle contre une autre de même condition : Wilhelmus
cupimus fieri notura , quod quredam inter nos et Brandenbur-
genses marchiones personarum est variatio ordinata. Habuimus
enim quandam personam fœmineam. . . nobis et imperio attinen-
t'em, quam dictis principibus, pro alia persona feminea, ipsis
marclnonibus attinente, in concambio dedimus, etc., etc..
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 199
plus grandes précautions que dans le reste de l'empire
contre les abus de pouvoir do> grands officiers, grand
chambellan, grand écuyer, grand maréchal, grand
échanson, dont chacun était le chef d'une des classes
de ministériels, servait le prince dans les cérémonies
solennelles, mais était surtout l'administrateur d'une
partie de sa maison et son conseiller toujours présent.
Il est probable que ces offices n'ont jamais été hérédi-
taires dans la marche, et il est certain qu'ils n'étaient
pas même viagers au xme siècle : on s'y succédait
rapidement et quelquefois on passait de l'un à l'autre *.
Au reste, la ministérialité subit dans la marche les
mêmes vicissitudes que dans le reste de l'Allemagne.
Elle s:adoucil peu à peu : à ses fiefs decour, le ministé-
riel put ajouter des fiefs militaires [mcmnlehen), et la
chevalerie, en relevant la dignité du ministériel qui
en était revêtu, acheva de l'assimiler au reste des
nobles. Au xiiic siècle, la mention de la qualité de
ministériel cesse d'être faite dans les actes publics, à
côté des noms des témoins; tous les chevaliers, de
quelque extraction qu'ils soient, portent le titre de
milites ''. il est naturel que sur cette terre de combat
du Brandebourg, la valeur et les services personnels
aient vite effacé toute distinction humiliante entre
hommes qui tous les jours partageaient le même
péril. Il dut arriver aussi que des fils de ministériels
de la Vieille-Marche, non pourvus du bel' de cour,
passèrent l'Elbe et reçurent sur la rive droite un fief
militaire, dette coutume rapprocha deux conditions
1 . Voir dans Riedel, die Mark, II, p. 154, à la note 3, la liste des
officiers connus de la mari ne.
2. Voyez Riedel, die Mark, II, p. ICI. les textes où la qualité
de miles est attribuée à des personnes connues pour être des
mi nistériels.
200 LES INSTITUTIONS
différentes, où l'on voyait figurer des membres de la
même famille ' : elles se confondirenl pour former la
petite noblesse de La marche.
Sur le recrutemenl de la petite noblesse el son éta-
blissement en Brandebourg, il y a naturellement beau-
coup d'incertitude el d'obscurité. Kilt1 se composait et
de Slaves de condition noble, épargnés par la con-
quête, et des vassaux que l<'s margraves avaient ame-
nés avec eux, ou que l'espril d'aventure cl le di'-sit-
de conquérir un établissement attirèrent a la suite
des A.scaniens. A l'origine, quand la victoire nVst pas
assurée H (pic la Vieille-Marche elle-même est exposée
aux assauts dos Slaves, les vassaux résident dans les
burgs ou sur le territoire du burgraviat. Dans les
documents du xji" siècle, on ne trouve presque au-
cune mention de nobles établis à la campagne. Au
contraire il y en a un grand nombre au xiii°, quand la
domination des margraves est plus assurée, et que
l'immigration allemande s'est accrue. Leurs domaines
et revenus étaient d'ordinaire médiocres. Dans les
burgs ils avaient une demeure , et le margrave
leur assignait pour leur entretien une part de ses
droits seigneuriaux sur quelque village voisin, en
ayant toujours soin, à l'origine, de ne jamais aliéner
ses droits sur tout un village et de ne point'oonsli-
tuer de seigneuries au profit de ses vassaux. Plus
tard, quand ceux-ci quittent les burgs, se forment les
petits domaines qu'on appelle les biens de chevalerie,
et dont l'étendue était déterminée par l'usage 2 : six
1. Il y a par exemple des Arnebnunj ministériels sur la rive
gauche et vassaux libres sur la rive droite en Zauche.
2. Dans le Livre Terrier, rédigé en 1375, il n'y a encore que de
très-petites seigneuries. ..
DE LA MARCHE DE BHANDEBOURG 201
manses pour le chevalier, quatre pour l'écuyer, francs
de tout impôt direct ou indirect, représentaient la
solde permanente du service militaire que le chevalier
devail avec quatre chevaux et l'écuyer avec deux.
On pense bien que les choses ne demeurèrent pas
toujours en cet étal, et que maints domaines s'amoin-
drirent au profit des autres. On retrouvera plus loin
ces altérations de l'état primitif; mais aucun domaine
considérable, capable d'élever une famille au point de
la rendre redoutable, ne se forma du temps des Asca-
niens, sur les mines de la petite féodalité. La règle
première s'y est maintenue : le fief du miles est tou-
jours réputé de six manses, et tout ce qui dépasse
cette mesure est frappé d'une redevance pécuniaire.
(-'est l'application de ce principe que la terre appar-
tient au margrave et lui doit redevance, à l'exception
de celle que le vassal a reçue pour être mis à même
de servir son seigneur à toute réquisition l.
P O s\.\s ET DES BOURGEOIS
En même temps qu'il investissait de leurs fiefs
les vassaux de la marche, le margrave établissait
dans les villages nouveaux, ou répartissail dans
les villages habités par les Slaves les colons qu'il
appelait en Brandebourg. On connaît déjà les procé-
dés suivis par la transformation i{r<, villages; les
mêmes règles présidaient a leur création. Le mar-
grave vendait un certain nombre de inanses à un
entrepreneur à charge pour celui-ci de les revendre
1. On verra plus loin sur quels documents on peut établir
l'étendue du fief de chevalerie.
Sûfl LES INSTITUTIONS
en détail al d'établir un village '. [/opération faite,
l'entrepreneur devenait le schulw ou bailli: il avait
de grands privilèges, un ou deu* manses francs de
toute redevance, sauf celle du tehnpferd, cheval de
bataille qu'il devail à son seigneur en cas de guerre;
le droit de faire paître un certain nombre de brebis
sur les terres du village, d'établir un cabarel ou un
moulin dont il percevail les revenus. Il ôtail le prési-
dent du tribunal de village et jouissait d'une partie
des revenus judiciaires 2. Sa fonction était héréditaire
connue un lief. En revanche il était chargé de la per-
ception >lcs impôts el revenus de toute nature, dont
il était responsable envers le margrave. L'impôt n'étail
pas toujours exigible dès la première année : le mar-
grave accordait la franchise pendanl une certaine
période, partout où un travail préliminaire était né-
cessaire pour féconder le sol. La période était d'or-
dinaire de seize années, là où il y avait un défriche-
ment à faire.
Au-dessous du bailli étaient les Lehnbauern ou
paysans à fiefs; ils jouissaient, sinon de tous les
privilèges du bailli, au moins de l'exemption d'impôt
pour une partie de leur terre, qui n'était redevable
que du cheval de guerre. Il est probable qu'au mo-
1. Voyez Wûhlbruck, Gesch. des Bislhums Lebus, t. I, p. 204, la
vente faite par le prieur d'un couvent de femmes, situé à Czarno-
vans dans la Haute-Silésie, de 21 manses, à un nommé Siegfried, à
cliarge pour celui-ci de les revendre à des paysans allemands, et
d'y créer un village qui s'appellera Frauendorf.
2. Voir dans Ileinemann, Albrecht der B '., au supplément, la
pièce n1 40, qui est signée par l'archevêque Wichmann de Mag-
debourg : « Xotum sit omnibus qualiter ego Wicmannus... villam
quamdam quae Pechoe dicitur, cum omnibus ad eam pertinenti-
1ms. agrîs, pratis, silvis et stagnis ad excolendum et fructifican-
iluin tradidi cuidam Heriberto.., et justitiam, quam jus burgense
vocant. .. stabilivi; ipsi quoque Heriberto sex mansos ibidem in
benefîcium concessi... » Voir aussi les pièces n0' 30 et 41.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG iO?i
ment de la fondation des villages, il se présenta sou-
vent, au lieu d'une seule personne, une association
pour tenter l'entreprise : la charge de bailli ne pouvant
appartenir qu'à l'un des associés, les autres reçurent
des privilèges moindres, mais qui 1rs distinguaient en-
core du reste des paysans. Ceux-ci payaient une re-
devance pour leurs terres, qui furent dès l'origine de
superficie très-diverse; la moyenne paraît avoir été
de trois manses. Enfin au-dessous des paysans étaient
ceux que l'on appelai! Kotseter. en latin Cossati, parce
qu'ils habitaient des petites maisons ou Koten. Cette
classe inférieure, qui payait de moindres impôts, se
subdivisai! en plusieurs catégories; mais un lien com-
mun unissait à l'origine les différentes classes : tous
les paysans étaient les sujets du margrave. À la vérité
cette situation primitive fut bientôt modifiée : les
degrés se multiplièrenl dans la hiérarchie de la popu-
lation agricole; les rapports dos personnes entre elles
se compliquèrent; entre le margrave et le paysan
s'interposèrent les seigneuries; mais ce fut du con-
sentement du premier. A l'origine le paysan ne rele-
vai! que du margrave, auquel il devait, aussi bien que
le chevalier, sa place sur le sol du Brandebourg '.
Une fois ses obligations acquittées, il était libre.
Il transmettail son bien à ses enfants, il pouvait l'a-
liéner sans l'autorisation de son seigneur et aller cher-
cher fortune ailleurs. Sa condition était préférable ;i
celle <\<>> paysans saxons contemporains, qui étaienl
attachés à la glèbe. Aussi l'émigranl allemand allait-il
chercher au delà de l'Elbe ce qu'il va chercher main-
tenant au delà de l'Atlantique, une propriété libre. Un
1. Voyez Wohlbruck, Geschichte des Bisthums Lebus, t. I, p. 200
et suiv. ; Riedel, Die Mari. Br., p. 11)2 et suiv.
204 LES [NSTITOTIONS
curieux document, une glose <ln Sachseiispiegel, qui
date des premières années du \i\c' siècle, donne
la raison vraie de cette situation privilégiée des
paysans de La marche. Ils sont Libres, dil Le juriscon-
sulte brandebourgeois, parce qu'ils onl Les premiers
défriché Le sol '.
Les villages Les mieux situés s'élevèrenl naturelle»
mi'iii au-dessus des autres. Là où Le commerce el
l'industrie se développaienl sous l'influence de cir-
constances favorables, le prince créai! un marché, el
le village devenait- un Flecken 2. Mais le Flecken
n'était encore qu'un « village avec marché » :J ; pour
qu'il devînt une ville, il fallait qu'il reçûl d'abord un
accroissemenl de territoire el qu'il Eût ceint de mu-
railles. C'étaient les conditions essentielles des grands
privilèges qui distinguaient La ville du village et du
Flecken 4.
En Brandebourg comme en Allemagne, comme
t. Voyez ce document cité par Riedel, Die Mark, t. II, p. 281,
en note : Mit uns aber, das ist in der Marck, haben die gebawer
auch Krb am zinfsgut, und mogen es lassen, wenn sie wollen,
welches daher kommen ist, dass unser landt also sindt besatzt
•\vorden, Denn do solches geschehen, hat man den bawern die
hufTen erst wildt und unangebawet ausgethan, welche, nachdem
sie nochmals durch der leute arbeit sindt gébessert worden, Da-
rumb mogen sie dieselbigen auch ihres gefallens verkeuffen...
2. Voyez pour la création d'un flecken, Ueinemann, Albrecht
der B., au supplément, nu 41 (ebart. de l'archevêque de Magde-
bourg) : Quia vero situs pjusdem villas viantibus et negociantibus
plurimum est oportunus..., stalui ut habeatur ibidem annuatim
célèbre forum et quanta potest copia rerum venalium, forensibus
autem et mercatoribus ibi manentibus eam libertatem emendi et
vendendi et plenarie in omnibus causis et negotiis suis eamdem
justiciam concessi et firmavi, quam habent Magdeburgenses...
3. Villa cum foro. ..
4. Emendationi oppidi Stolp, ut incrementum recipiat et civitas
Bat sollicité intendere cupientes, eidem oppido ducentos mansos
duximus apponendos. Insuper profitemur quod quam primum
(iictum oppidum plancis munitum extiterit, ex tune incolae uni-
versi ad decem annos libertati perfruentur... Riedel, Cod. dipl.
br. ,11, t. i, p. 296, n" ccclxxx.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 205
dans la France du nord au x° et \ic siècles, les villes se
formèrent peu à peu autour des châteaux-forts, parce
que de nombreux habitants du plat pays vinrent
chercher un asile au pied de leurs murailles et que les
ouvriers surtout, qui n'étaient point obligés, connue
les laboureurs, de se disséminer au loin dans les cam-
pagnes, s'y donnèrent rendez-vous pour y former leurs
corporations. Plusieurs des villes de la marche étaient
antérieures aux margraves ascaniens. Dans la charte
de fondation de Stendal, Albert 1 nomme les villes de
sa domination » : ce sont Brandebourg, Havelberg,
Werben, Arnebourg, Tangermlinde, Osterbourg, Salz-
wedel. Les deux premières avaient dû être recon-
quises, parce qu'elles étaient aventurées sur la rive
droite : les autres avaient vu passer et repasser le flot
de l'invasion slave. Elles avaient survécu, plus heu-
reuses que Walsleben, qui florissait au x" siècle, niais
qui se laissa un jour surprendre par les Redarienset fut
si complètement détruite par eux qu'où discute sur la
place qu'elle occupai! jadis. L'origine militaire des
villes de la Vieille-Marche est certain./ : à défaut de
leur nom Arnebourg, Osterbourg) leur situation stra-
tégique suffil a la démontrer.
L'est encore au pied des murailles d'un château
qu'ont grandi les nouvelles villes de la marche.
Toutes on! commencé par être des villages. La trans-
formation se faisait par entreprise particulière, sui-
vant la méthode que l'on connaît déjà, et quand il
avait t''lé démontré, pour ainsi dire, que la fonda-
lion d'uni! ville en un lieu déterminé étail d'utilité
1. ...In urbibus ditionis meae Brandenburg, Hauelberg, Werbene,
Arneburg, Tangermund, Osterburg, Saltiwidele... (Riedel, Die
Mark., Il, p. 289, note 2.)
206 les INSTITUTIONS
publique '. Le margrave vendait à un ou plusieurs
entrepreneurs qu'on appelail t\i'> locatores. un terri-
Loire qui s'ajoutail à celui du village, el donl la
superficie variai! entre loo el 300 manses. Un de
ces locatorèS) il > en avait quelquefois jusqu'à
nuit, ■ devenait, comme dans le village, le bailli. 11
était chargé de revendre en détail le terrain qu'il
avait acquis, de faire entourer la uouvelle ville de
fossés où l'on s'efforçait, toutes les fois qu'il étail
possible, d'amener l'eau d'une rivière. Les remparts
construits, on élevait les édifices publics, le Rathhaus
ou maison du conseil, la halle aux marchands, appelé
theatrum: des bâtiments spéciaux pour l'exercice de
eerlaiues industries comme Celles >U'> pelletiers et des
bouchers. Cependant arrivaient les bourgeois qu'atti-
rail l'exemption d'impôl promise par le margrave pour
un temps déterminé. Les maisons privées commen-
çaienl à s'élever. Aux xn8 el xnie siècles, elles sont en
bois pour la plupart : plus tard seulement, à l'exemple
i\c^ Hollandais, on y employa la brique qui fut d'abord
réservée aux églises et aux cloîtres. Quant à la pierre,
il était rare qu'on l'employât même pour les monu-
ments religieux, et ce fut un grand événement dont
on parla dans toute l'Allemagne du nord, quand à la
fin du xve siècle les riches bourgeois de Stralsund,
après deux incendies qui avaient détruit leur ville,
résolurent de la rebâtir en pierre 2. Au contraire le
bois abondait, et il était permis aux villes de prendre
1. ...Quoniam nobis et sapicnlioribus in populo noslro utile
videbatur ut juxtà Volzen civitas poneretur, dedimus operani illi
rei... Chart. de fondation d'Arnskrone Riedel, Codex diplom.
brandenb., II, t. i, p. 218, n° cccxvm.
2. Aujourd'hui encore les monuments de pierre sont rares dans
la marche, et les voyageurs qui ont visité à Brandebourg l'église
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG -07
partout ce qui était nécessaire à la construction de
Leurs édifices.
Les premiers personnages de la citéétaient le bailli
et les entrepreneurs associés. Le contrat passé entre
eux et le margrave leur assurait un domaine à part
qu'ils se partageaient, et qui était souvent considéra-
ble : 24 manses a Mullrose, 04 à Landsberg, 320 à
Arnskrone. Ajoutez le droit de chasse el de pêche sur
tout le terril (»ire urbain, et des revenus de diverse na-
ture l. En outre le bailli percevait des droits sur le mar-
ché, la halle, les bancs des bouchers, les tables des mar-
chands de saucisses et de poissons, les boutiques, etc.
Pour que de tels privilèges, auxquels s' ajoutai! celui
de l'hérédité 2, fussent accordes aux entrepreneurs de
villes, il fallait qu'ils eussent à payer au margrave une
somme considérable, ou bien qu'il y eût dans l'affaire
desrisquesà courir, soi! àcause de la difficulté à réunir
les sous-acheteurs, soit à cause des dangers provenant
du voisinage de l'ennemi. Nul doute, par exemple, que
l'entreprise de bâtir une ville comme Arnskrone ne lut
très-périlleuse, et qu'on ne puisse expliquer par cette
raison la concession faite aux locataires d'un domaine
plus (Hendu que le territoire même de la ville 3.
Saint-Jacques, ont vu le sacristain leur montrer comme une mer-
veille une chaire en pierre, en faisant sonner son doigt sur les
marches de l'escalier comme on ferait sur un rnélal précieux.
1. . . .Fundatoribus damus libertatem venandi in bonis suis et
in terminis civitatis ...; quidquid in theatro... census aut precii
esse poterit, de omnibus eis, fundatoribus tercia pars solvetur :
due partes rémanent civitati... Idem fundatorum erit tertia pars
de censu et procio locorum, que in annuali foro adventantes
occupant, et duas partes civitas retinebit... Riedel, loc. cit., Charte
d'Arnskrone citée plus haut .
2. Ceterùm honestis vins X... et X... contulimus et conferimus
per présentes prefecturam, sive judicium ejusdem oppidi, ac eo-
i uni heredibus perpetuis temporibus possidendum.... (Riedel,
charte de fondation de Stolp citée plus haut.)
3. La charte de fondation de cette ville, déjà citée, énumère
208 LES INSTITUTIONS
Aussitôt La ville fondée el peuplée, entraient en
fonctions les conseillers ou consuls, choisis parmi les
bourgeois, probablement par Le margrave après avis
du bailli. Lis étaienl d'ordinaire douze, dont huit sor-
taienl de * harge au bou! d'une année, pendant que
les quatre autres, pour perpétuer Les coutumes el tra-
ditions, > restaient jusqu'à La fin de La seconde année.
Le conseil se recrutail Lui-même, mais aucuE magis-
trat sortanl n'était rééligible avant un délai de deux
ans. Dans certains cas, Lorsque le conseil, par exemple,
ne pouvait s'accorder sur les élections, il s'adjoignait
les plus hauts bourgeois dont Le suffrage décidait. Les
conseillers étaient les administrateurs de La ville; ils
rendaient des ordonnances de police, donnaient 1rs
alignements, prenaienl Les précautions de sûreté pu-
blique-contre les incendies, contre les rôdeurs de nuit,
tarifaient les marchandises, taxaient les produits ali-
mentaires, etc. Ils percevaient Les revenus de la ville
et en réglaienl L'emploi.
Cependant la cité demeurait soumise au margrave.
Elle lui payait l'impôt; les ordonnances de son con-
seil avaient besoin, dans toutes les matières impor-
tantes, de l'assentiment du seigneur : par exemple
il ne pouvait être touché aux fortifications de la
ville sans son ordre. Enfin si le bailli héréditaire
était le président du tribunal de ville, dont les con-
seillers élus paraissent avoir été les échevins, le
margrave percevait une partie des droits eu qualité
avec soin tous les avantages faits aux fondateurs, et elle en dit la
raison : « Sed ut. fundatores minus terreat fundationis labor... etc. »
Elle offre une prime à quiconque voudra se joindre à eux, d'où
qu'il vienne : « Si qui de amicis fundatorum eos sequi voluerint
de terris alioruin principum... Si qui vero eos sequi voluerint de
terra pruicipatus nostri » Arnskrone s'appelle aujourd'hui
Deutsch-Krone.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 209
de juge suprême '. M. Riedel cherche à démontrer
que Les villes ont été dès l'origine exemptées de
toute juridiction margraviale, c'est-à-dire pourvues
du droit de haute et de basse justice, par le l'ait
même de leur constitution à l'état de ville; mais cette
opinion est contredite par quelques textes précis, et
par le caractère même des institutions de la marche 2.
Il est certain que les villes du Brandebourg ont reçu
de grandes franchises. Dans la charte de fondation
de Soldin 3, les margraves disent que la nouvelle
création exige « beaucoup de liberté ». Ce mot est la
reconnaissance d'une loi historique, qui a eu de nom-
breuses applications dans l'Europe septentrionale : aux
bords du Zuyderzée comme aux bords de la Baltique,
en Hollande el en Livonie comme en Brandebourg,
les fondateurs de villes ont demandé et obtenu des
libertés, en compensation des difficultés et des périls
qu'ils avaient à vaincre. Mais les margraves ne pou-
vaient »' mettre en contradiction avec l'esprit qui
avail présidé a toute la constitution de la marche. Les
bourgeois demeurèrent leurs sujets, et. suivant la
juste expression d'un historien 4, l'indépendance des
1. Les margraves, dans la charte de fondation de Stolp, font
trois parts des revenus de justice, « quarum una pars nobis, re-
sidua judicibus cedet, tercia pars civitati... » (Riedel, loc. cit.).
'1. Kùtins ifiesch. des '.' '.richtsverf., t. I, p. 175 el suiv.) combat
avec succès cette opinion que les villes aient été à l'origine exemp-
tées de la juridiction do L'avoué. Voyez une charte citée par lui
(Riedel, Cod. dipl., I. t. XIV, p. 3, n° V). et qui montre en effet que
cette exemption ne faisait pas nécessairemi ni partie de la consti-
tution d'une ville. Les margraves en effet, en fondant Neusalzwe-
del, lui accordent o omnia jura et constitutiones quœ habet antiqua
civitas, » c'est-à-dire la vieille ville de Salzwedel, et ils ajoutent :
« Prcetereà ipsi civitati ità duximus indulgendum, quôd advocatus
nostu , quem ipsi civitati pro tempore statuerimus, quando judi-
cio prsesidebit, secundum quod a consulibus civitatis senteutia-
tum fuerit judicabit. »
:;. Riedel, Cod. dipl., i, t, XVIII, p. 440, n" I.
i. Ranke, Genesis des preussischen Staates, p. '!",.
•Jl(» LES INSTITUTIONS
\ illages et des villes (lui se concilier avec la subordina-
tion au margrave. Gommenl «les vilains eussent-ils été
des privilèges dans un p;i\ s i »ù l'on \ a voir que l'Eglise
elle-même Q'échappait pas à la condition commune?
LE GLBRQÉi
Il étail naturel que l'Église tînt une grande place
dans un pays en partie conquis sur les païens par les
armes allemandes. Le premier acte d'Alberl l'Ours,
après la conquête, avait élu du relever les é\écliés
de Bavelberg et de Brandebourg, érigés jadis par
Otton-le-Grand. Tout le pays sur la rive droite de
l'Elbe était partagé entre ces deux diocèses, à l'excep-
tion d'un territoire situ»'' au delà du l'Oder sur la fron-
tière du l'Uckermark, qui était rattaché à l'évêché de
Kamin, de la province de Lebus qui formait un dio-
cèse, et de la Lusace qui continuait à relever do l'é-
vêché du Meissen. Sur la rive gauche de l'Elbe, dans
la Vieille-Marche, la Milde et la 13iese formaient la
limite entre les deux diocèses carlovingiens de Verden
ut du Halberstadt.
Dus monastères du divers ordres étaient répartis
entre ces diocèses. Il est remarquable qu'il y ait ici
encore une distinction à faire entre lus deux rives de
l'Elbe. Sur la rive gauche, il y avait des monastères
de bénédictins : il n'y un avait pas sur la rive droite l.
C'est que les. moines bénédictins ne su livraient [dus
guère qu'au travail intellectuel et à la prédication. Or
l'œuvre de la prédication fut à peu près finie, quand
1. Ou du moins il n'y avait, de cet ordre, que des couvents de
femmes. Voyez von Ledebur, Vortràge zur Gesc/richte der Mark
Brandenburg, l'essai intitulé dus Klosterwesen in der Mur/; Bran-
deriburg.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 211
le paganisme, depuis longtemps cerné par les Alle-
mands et par les Slaves convertis de Bohème de Po-
logne et de Poméranie, eut capitale à Brandebourg,
qui était son dernier retranchement. Il fallait sans
doute vaincre encore quelques résistances, et conso-
lider la victoire de la foi ; mais l'Eglise pouvait désor-
mais prendre possession do sa conquête : le moine
devait se faire bâtisseur et agriculteur. C'est parce que
les deux ordres nouveaux de (idéaux et de Prémontré
répondaient mieux aux besoins des nouvelles pro-
vinces de la marche qu'ils ont passé l'Elbe, pendant
que 1rs Bénédictins demeuraient dans la Vieille-Marche,
où leurs communautés habitaient soit les châteaux
qui leur avaient été donnés par de nobles familles, soit
des monastères bâtis au pied des villes, sons les mu-
railles desquelles ils avaient cherché un refuge contre
les invasions des x1' et xie siècles.
Les moines de Prémontré, disciples de Norbert,
archevêque de Magdebourg, et cen\ de Gîteaux, dis-
ciples de saint Bernard, les uns el les autres dans le
premier élan de la jeunesse, s'établirent hardiment sur
la rive droite, en pleine campagne, pour y prier, y
prêcher et y labourer. Ils rivalisèrent de zèle. De leurs
monastères, ils faisaient des fermes-écoles. Ils met-
taient à profit les aptitudes diverses des immigrants
et ils appelaient les Hollandais, partout où leur aide
était nécessaire ; mais eux-mêmes, ils savaient défri-
cher les bois et en préparer le sol pour la culture,
convertir des étangs en prairies el en jardins. Ils
étaient les propagateurs du progrès agricole, grâce a
la coutume observée par les colonies monacales, de
demeurer en relations entre elles el avec la maison
mère, don elle- avaient emporté des semences, des
212 LES RESTITUTIONS
boutures, des instruments el des méthodes de travail.
Ces moines étaient les représentants les plus accom-
plis de l'espril tout à la fois religieux , conquéranl et
colonisateur qui régnail aux xn° el \m" siècles dans
l'Allemagne orientale. Le commerce e1 L'émigration
avaienl alors le caractère d'une œuvre pie : de même
que les marchands de Brème et de Liibeck étaient dos
missionnaires, les missionnaires <le Cîteaux et de Pré-
montré étaienl <lrs colons '.
Les services rendus par les évêques el les moines
à la marche do Brandebourg furenl donc très-grands :
aussi les évêchés et les couvents furent-ils richemenl
dotés dans ce pauvre pays, et, la piété des margraves
stimulant par son exemple celle des vassaux et des
villes, les donations on faveur de l'Eglise se multipliè-
rent. Cependant en Brandebourg l'élément laïque L'a
toujours emporté sur l'autre, Les monastères auraient
dû, ci> semble, être plus nombreux sur la rive droite
de l'Elbe, ({ne sur la rive gauche. Or, tandis qu'on
comptait dans le diocèse de Halberstadt, cent trente
monastères ou chapitres, les deux diocèses de Brande-
bourg et de Havelberg, deux fois plus ('-tendus, n'en
possédaient que cinquante. C'est que les immigrants
venus en grand nombre des Pays-Bas ou d'Allemagne,
nobles ou non, soldats ou colons, occupaient la plus
grande partie du sol brandebourgeois. Depuis le mar-
grave jusqu'au dernier paysan, chacun avait parle fer
1. Les principaux monastères étaient pour l'ordre de Prémontré
Jérichow, Leitzkau, Granzow; pour l'ordre de Cîteaux Lehnin et
Chorin. — Il y avait aussi des communautés de Franciscains à
Stendal, Salzwedel, Berlin, etc., de Dominicains à Brandebourg,
Seehausen, Colin, Ruppin, Soldin, etc. Voyez Riedel, die Mark Br.,
t. II, p. 555 et suiv., et v. Kloden, Diplomatische Geschichte, t. I,
p. 57 et suivantes. Voyez surtout Winter, Die Cistercienser des
Nordôstlichen Deutschlands, et Die Prœmonstatenser.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 213
de l'épée ou parle fer de la charrue contribué à l'œuvre
commune. Chacun avait conscience des services qu'il
avait rendus, et le margrave plus qu'aucun autre. C'est
pour cela que, dès l'origine de la dynastie ascanienne,
un grave différend éclata entre l'Eglise et les margraves.
La dîme fut l'objet de la querelle. C'était l'usage
général de la chrétienté que le dixième des fruits
de la terre ou du troupeau fût offert à Dieu par l'inter-
médiaire de son Eglise, soit en nature soit en argent.
Dans la marché de Brandebourg, ce dernier mode
prévalut de bonne heure: niais en dépit des chartes
par lesquelles les empereurs assurèrent ce revenu aux
évêques de La marche dans toute rétendue de leurs
diocèses, les margraves y prétendirent, dès le premier
jour. Albert l'Ours dispose de la dîme même clans la
Vieille-Marche '. Sur la rive droite, dans les nouvelles
provinces, ses successeurs ne cessent d'en réclamer
le bénéfice. Otton 1er est pour ce lait menacé d'excom-
munication, probablement même excommunié; mais
Albert Ier, son fils, est en possession de la dîme au
moins dans le diocèse de Brandebourg, puisqu'il en
laisse la jouissance a l'évêché dans certains lieux
déterminés 2. Pourtant le conflit n'est point arrangé;
il dure encore sous Otton II, et peut-être y faut-il voir
une des causes de l'excommunication donl ce mar-
grave fui frappé. La querelle devint plus vive encore
quand de nouvelles acquisitions se furent ajoutées à
celles d'Albert l'Ours. Albert II imagina de soustraire
ces nouveaux domaines a l'évêché de Brandebourg.
Il fit représenter au pape « qu'une portion non modi-
1. lUedel, Die Mari.., t. I, p. 97. — Albert l'Ours lait présent à
l'église épiscopale de Havelberg de l'église d'un village, avec le
droit de lever la dîme dans le villa|
2. Riedel, Die Mark.,l. II, p. 103.
•21 | LES INSTITUTIONS
que de terre appartenant à la marche, et qui avail été
arrachée des mains des païens par lui el ses prédéces-
seurs, gisait stérile 6l inculte », el il offril d'y cons-
truire « une église conventuelle, pourdouze chanoines
el leur chef; l'église relèverai! seulemenl du pontife
romain; deux tiers des (Unies seraieni dévolus au
margrave et à ses héritiers, qui étaienl tenus de faire
les frais d'installation cl do payer les soldais sans les-
quels ceux qui proi'essenl le nom du Christ ne pou-
vaient être en sûreté; l'autre tiers serait attribué à
l'Église '. «Les évêques de Brandebourg prétendaienl
au contraire que, dans les nouveaux territoires, la po-
pulation était chrétienne avant la conquête, et que la
dîme revenait tout entière à l'évêque. Albert II mou-
rut sans avoir vu la lin de la querelle, qui ne fut termi-
née qu'en 1237 sous ses lîls Jean et Otton.
Les margraves reconnurent que dans les anciens
et les nouveaux territoires de la marche, la dîme
appartenait à levèque, niais celui-ci en concéda la
jouissance aux margraves de la maison de Ballenstedt,
en leur qualité do conquérants du pays : il se réservait
de rentrer en possession de ce droit après l'extinction
de la dynastie, et demandait, en dédommagement, la
cession qui lui fut accordée d'un territoire de 100 man-
ses dans les nouvelles provinces 2.
Ce traité est un des rares documents où soit énoncée
1. Le pape expose les raisons du margrave et de l'évêque dans
une lettre de 1234 adressée à l'évêque de Mersebourg, qu'il charge
de l'arbitrage entre les deux parties. Les passages entre guille-
mets sont traduits de cette lettre. — Le pape donne tort aux mar-
graves et rappelle qu'ils ont été plusieurs fois excommuniés :
a Sed idem marchio, ut dictam ecclesiarn fraudaret decimis sicut
progénitures sui, qui propter hoc pluries fuerunt vinculo excom-
municationis adstricli. » (Voyez Gercken, S tift s historié von Bran-
denburg, p. 443 et suiv.)
2. Voyez Gercken, ibkl.
DE TA MARCHE DE BRANDEBOURG 215
(Tune façon précise la raison des privilèges qui don-
naient au pouvoir margravial un caractère exception-
nel. CVst en sa qualité de conquérant du pays que le
margrave a le droit de percevoir un revenu que l'Eglise
considère comme sien; c'est à cause de cette qualité
que l'Église reconnaît avoir envers lui de certaines
obligations. Quant à lui, sa prétention est très-nette :
sans lui et les soldats qu'il commande et qu'il paie,
dit-il, il n'y aurait point d'Eglise. Il sait bien qu'il
est le personnage nécessaire, do qui tout lo reste tire
sa mison d'être.
ADMINISTRATION DELA MARCHE : LES AVOUÉS
Entre le margrave d'une part, ses vassaux et sujets
de l'autre, il y eut dans les anciens territoires, après
la disparition des burgraves, dans les nouveaux, dès
le lendemain de la conquête, un intermédiaire appelé
l'avoué (vogt) : il représentait le margrave dans la
plénitude de -on autorité, rendait la justice en son
nom, percevait les contributions et services qui lui
étaient dus et commandait les forces militaires dans le
ressort de l'avouerie l. il est donc naturel de grouper
1. l.a circonscription de l'avoué, ou vogtei, correspondait à peu
près aux cercles actuels. On peut déterminer ass> /. exactement les
chefs-lieux des avoueries. Les voici tels qu'ils sont donnés par
Kùhns, loc. cit., p. 102 et suiv. Quelques-uns, qui sont douteux, sont
signalés par des points d'interrogation : dans la Vieille- Marche,
Salzwedel, Ane bourg, SI ridai, Gardelegen, Tangermiinde ; dans la
Priegnitz, Kyritz, Wittstock; dans le Jïui>e//and, Rathenow, Spandau,
Pritzerbe, Kremmen; dans la Zauche, Brandebourg, Golzow ? ,
Belitz (?), Saarmund e luenh i2 '), Gortzke; dans le Te
Trebbin, Kopenick, Mittenwalde ('?); dans le Un, mu, Biesenthal,
Liebenwalde, Oderb rg au xivc siècle); dans
VUckermark Prenzlau, Pasewalk, dont la partie nord lut c<
la Poméranie pendant que la partie sud fut rattachée à l'avouerie
de Prenzlau, Jagow, d'où l'avouerie lut ensuite transférée a Boi-
zenbourg, Angermïmde (xivc siècle), Templin (id.); dans la Neu-
mark, Kœnigsbergj l: i t aide (? , Soldin, Arenswalde, Landsl < i ;,
210 l-Ks institutions
autour de lui L'exposé de L'administration de la marche;
mais comme cette administration ressemblée celle des
autres pays de L'Allemagne el de l'Europe au moyen
âge, il ue saurait être question ici d'en montrer le
détail. 11 suffira d'en dessiner L'ensemble et de noter
Les singularités qui s'y rencontreront.
L'avoué n'était pas Le seul juge dans l'avouerie, oL
son tribunal, appelé comme celui du comte Landgericht,
ou tribunal du pays, n'y étail pas unique. Chaque ville
et chaque village avaient le sien. Il est impossible de
distinguer avec précision les attributions judiciaires des
avoués de celles des baillis ; car Les documents sur la
matière sont très-rares et très-obscurs. L'idée que l'on
peut se faire de la compétence d'un tribunal de village,
jugeant les causes civiles qui intéressent les paysans
dame même localité et les affaires criminelles de peu
d'importance, n'estpasdémentie par les quelques textes
que fournissent sur la question le Sachsenspiegel et les
recueils de chartes brandebourgëoises. Il est vraisem-
blable aussi que le tribunal de ville n'a eu à l'origine
qu'une juridiction d'ordre inférieur'. Quant à l'avoué,
il connaissait des affaires civiles de haute importance,
— par exemple des procès qui s'élevaient entre deux
villages ou deux villes, ou bien entre un village ou une
ville et une seigneurie, — et des affaires criminelles
capitales 2. Toute une classe de personnes échappait
cependant à sa juridiction : c'était celle des ministé-
riels et des vassaux du margrave.
Schivelbein ; dans le Stargard, Stargard; en Lebus, Francfort-
sur-l'Oder.
1. Les difficultés que soulèvent ces questions de compétence,
et qui sont à peu près insolubles, n'étant point particulières à la
marche, n'ont pas besoin d'être exposées ici. Voyez la discussion
de Kùhns, Geschlchte des Gerichtsverfassung, tome I, p. 156-193.
2. Kûlins, loc. cit., p. 143-152.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 217
L'usage du droit germanique était qu'une différence
de uaissance ou de condition entraînai une différence
de juridiction. Dès le x9 siècle, le miles se sépare du
paysan ou du bourgeois libre : il a des privilèges juri-
diques. Or dans la marche plus que partout ailleurs la
distinction est très-marquée entre l'homme d'armes
<■! le paysan ou le bourgeois. Dans les documents les
[dus anciens, le premier est soigneusement mis à part
du reste du peuple. Peut-être a-t-il été justiciable à
l'origine des burgraves, mais il ne l'a jamais été des
avoués. C'était un de ses plus beaux privilèges de
n'avoir pour juge que le margrave, et le margrave ne
l'en privait qu'à la dernière extrémité. Même lorsqu'il
concédait aux villes une juridiction quasi indépen-
dante, il en exceptait presque toujours ses vassaux '.
Ceux-ci comparaissaient devant le tribunal de cour2,
présidé à l'origine par le suzerain; mais bientôt les
affaires devinrent trop nombreuses pour que le mar-
grave pùl en connaître personnellement; il se fit sup-
pléer d'abord en de certains cas déterminés par le juge
de cour, qui devint ensuite un magistrat permanent.
On suppose qu'il y eut entre eux un partage d'attribu-
tions, le margrave se réservant les grandes affaires et
laissant au juge les moindres, par exemple les procès
pour dettes que les riches bourgeois intentaient aux
pauvres chevaliers. Plus tard encore, un seul juge de
cour ne suffisant plus, on en établit dans les différentes
provinces, mais ce l'ut seulement après la période asca-
nienne. On peut dire que, sous Albert l'Ours et ses
1. Milites vero et famiili nostri armigeri coram nobis solum-
modo stabunt juri... dans une charte de la ville de Pritzwalk
(Riedel, Die Mark llr.. II, p. 408, note5). Voir aussi une charte de
Spandau, citée dans Riedel, même ouvrage, p. 109, note 1.
■1 Hofgericht, appelé par les margraves, Curia noslra...
•JIS LES INSTITUTIONS
successeurs, la règlo était la juridiction personnelle du
suzerain sur ses vassaux. En quelque partie de la
marche qu'ils fussenl établis, ceux-ci étaient réputés
les soldats du margrat e, qui gardait suc eux le pouvoir
juridique d'un général en cher sur sou armée.
Lu margrave percevail par l'intermédiaire de l'avoué
tous les revenus régaliens. Il étail propriétaire des
uiiiics do tous métaux el des salines. 11 concédail Le
droil de pêche dans les eaux courantes el stagnantes,
moyennant « l'impôt de la barque *, » le droit de coupe
dans los forêts moyennant « le liard du bois » '', Le droil
de faire paître sur les terrains vagues, moyennanl
« l'impôt de la bruyère » 3. 11 se faisail payer L'escorte
qu'il donnait sur les roules de terre et d'eau aux voya-
geurs et aux marchands. L'escorte ne suffisait pas
toujours contre les brigands ou contre les Wendes,
niais s'il arrivait malheur, le margrave prenait à sa
charge les messes qu'on chantait pour le repos des
trépassés4. Les transports par eau, comme il en étail
établi à Werben el à Wittenberge sur l'Elbe, à Potsdam
et àHeiligensee sur la Havel, payaient contribution 5.
Le passage des ponts, la circulation des marchandises
étaient assujettis à des péages. Le margrave avait le
droit de battre monnaie, qui était très-productif, car
la monnaie n'avait de cours Légal dans la marche que
1. Canczins (c'est-à-dire Kahnzins).
2. Holzpennighe; quand un seigneur devenait propriétaire d'un
bois, il continuait à percevoir cet impôt, mais quelquefois ne per-
mettait plus que l'on coupât du bois. Le Livre Terrier donne un
exemple du fait, p. 242 : Nicolaus de Bismark habet ibi xxxvi
solidos Brandenburgensium denariorum pro lignalibus, proquibus
quondam villani solebant habere ligna ad utilitatem eorum; modo
nihil solet eis dare pro denariis.
3. Heidezins.
4. Riedel, Die Mark. B>\, II, p. 99.
.".. Greleitsrecht, transfretum (Voyez Landbuch, p. 30).
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 219
d'une Saint-Jacques à l'autre, et, passé ce délai, elle
rentrait dans les fabriques où on la prenait aux trois
quarts de sa valeur i. 11 perce vail sur la propriété
foncier.' les diverses sortes de revenus dont le princi-
pal était Yackerzins, payé pour chaque arpent de terre
cultivée, mais qui variait beaucoup d'une province
à l'autre, souvent même de village à village, suivant
la qualité du sol, s'élevant à 6 ou 7 schillings là où
le village avait été fondé sur une terre prête pour
la culture, et s'abaissant à H) pfennigs là où l'ha-
bitant avait dû dessécher les marais ou défricher les
bois 2. Dans les villes, des taxes étaient prélevées sur
la propriété immobilière, comme le worthzins ou censtts
arcarum '■''. impôt calculé sur la longueur de rue occu-
pée par les maisons du bourgeois; le marchand payait
pour sa boutique, pour la table ou le banc qu'il occu-
pait au marché. Enfin le margrave, en qualité de su-
prême justicier, percevait les revenus de justice, c'est-
à-dire une part du prix de chaque jugement, et les
amendes.
La marche avait en outre, comme la plupart d(3s
états du moyen âge, certaines ressources extraordi-
naires, comme la bede ', correspondant à nos aides,
qui fut perçue à l'origine dan- des cas exceptionnels
mais qui devint bientôt, ainsi qu'il arrive toujours
en pareil cas. un impôt ordinaire, plus accablant
1. Cum antiqui denarii prohibentur, ex tune per circulum
illius anni nullus débet emere cum denariis antiquis, sed cum
denariis novis, qui novi denarii exire debent octavo die ante
festum Jacobi... Riedel. Die Mark Bi\, 1. Il, p. 97, note 1). On
battait monnaie dans plusieurs villes, Stendal, Salzweriel, Bran-
debourg, Berlin...
•2. Voyez Riedel, Die Mark. B>\, t. 11. p. 225-226.
3. Wortcinse.
î. Petitio sive precaria exactoria.
220 LES INsi TTUTIONS
que les autres, car il ne fut pas régulièremenl évalué,
jusqu'au jour où les margraves aecordèrenl aux
réclamations de leurs sujets qu'il fui converti «mi une
redevance fixe '. Le margrave recourail d'ailleurs ,
comme faisaienl tous les souverains du temps, à des
expédients pour se procurer de l'argenl aux jours de
détresse. Le plus ordinaire eiaii de menacer les villes,
domaines épiscopaux, monastères d'un arpentage de
leur territoire ou de leurs biens, A l'origine, l'arpen-
tage avait élu l'ait avec une certaine négligence, et il
faut croire que les usurpations furenl considérables;
car. pour éviter qu'elles fussent constatées, les villes
s'empressèreni d'acheter forl cher la dispense de l'ar-
pentage et leur exemple fut suivi par les évêques de
Brandebourg et de Havelberg 2.
On a vu que les baillis de villes et de villages étaient
les collecteurs de l'impôt dans leur circonscription : ils
étaient placés sous le contrôle des avoués, dont les
attributions financières étaient fort importantes. Les
margraves avaient soin d'intéresser l'avoué à la bonne
gestion de leurs affaires, en lui assurant une part pro-
portionnelle dan s la perception de l'impôt. Ils prenaient
i\c> précautions contre les abus de pouvoir qu'il pouvait
commettre. Parmi les obligations de l'avoué, dont l'é-
numération est faite dans t\i^ documents du xve siècle,
soit par le margrave, soit par l'avoué lui-même, quand
il prête serment à son entrée en charge, les principales
sont de ne rien prendre des revenus margraviaux,
1. Voyez plus loin, p. 238 et suiv..
2. Celait quelquefois une façon pour le margrave de payer ses
dettes. Wusterhausen en 1293 remet aux margraves une partie
de la dette qu'ils avaient contractée envers elle, à condition que
son territoire ne serait pas arpenté (Riedel, Die Mark Br., II,
p. 107).
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 221
hormis la part qui lui est attribuée, el de n'opprimer
personne 1. Il était à craindre en effet que, pour
accroître la remise qu'il prélevait sur les perceptions,
il ne pressurât le contribuable. Les margraves pro-
mettenl assistance à leurs sujets contre lui, et jamais
ils n'accordent un privilège on une exemption sans
ajouter une clause pour garantir cette faveur contre
son mauvais vouloir.
L'avoué était dans son avouerie le chef militaire i\<>>
vassaux et sujets du margrave. Il veillait à l'entretien
des forteresses, convoquai! et reunissait tous ceux qui
(levaient le service militaire à un titre quelconque,
c'est-à-dire à l'origine tous les habitants de la marche,
excepté les paysans des dernières classes, qui étaient
exemptés parce qu'ils ne possédaient point de terre.
Les autres paysans devaient le service des forte-
resses 2. Ils étaient requis pour la construction ou
pour l'entretien iU^ burgs dans le district desquels
ils étaient établis 3. A l'origine ils devaient fournir à
tout appel le service de l'armée ', qui tut ensuite par
voie d'exemption réduit au cas de défense 'I" la terre
1. ...Auc.h sud der N .. in allem dem, das vns und vnser
Herschaft auszerhalben des, das Im In nachgeschribner weisz
czu bescheiden ist , in dem gemellten ambt einzunehmen zu
steet, nichts einnehmen noch douon auszgeben.... Document du
xve siècle, dans Riedel, Cod. dip., I, t. VI, p. 221, n> CCXL.
2. Borchwerk, Burgwerk.
3. Le margrave réservait quelquefois cette obligation, quand il
renonçait à toutes les autres, p ir exemple en faveur d'une église :
« Hommes ecclesue ab omni servitio liberos es plu... corn-
muni eedificatione castri sub quo bona ecclesiae sitœ sunt... »
Riedel, Die. Mark., t H. p. L2-2S. noie -1 : mais le plus souvent il la
sacrifie comme les autres, et les paysans en devinrenl
aux églises ou vassaux, ou bien aux villes qui achetèrent l<\s
burgs quand ceux-ci. après la i n qu H sassurée, devinrent inutiles.
4. Heerdienst. Lu outre, les habitants d'un ou de plusieurs vil-
lages suivant le nombre des habitants), devaient fournir un cha-
riot attelé de quatre chevaux : c'était le Wagendienst ou
tium curruum.
222 LES [NSTITUTI0N8
natale contre L'invasioD '. Enfin dans les pays fron-
tières, comme dans l'Uckermark et Le Stargard, où
des précautions permanentes étaienl prises contre
l'ennemi, les paysans devaienl contribuer à la défense
des fortifications el fournir des hommes aux postes
qui veillaienl à l'embranchement des roules 'i.
Les bourgeois, obligés à l'entretien de leurs mu-
railles, ne devaienl poini le service des forteresses,
mais ils devaient' le service de l'armée aux mêmes
conditions que les paysans, c'est-à-dire, à l'origine, sur
chaque réquisition du margrave, plus lard en <as
d'invasion 3. A mesure que les conquêtes des A.sca-
niens se consolidèrent et que le commerce et l'in-
dustrie fleurirent dans la marche plus populeuse
ei plus tranquille, les levées en masse qui eussent
été ruineuses, furent remplacées par un système de
contingents, fournis par 1rs villes ou par les villages.
Gel usage commence à s'établir au xive siècle, mais
il faut attendre jusqu'au xvne pour trouver des docu-
ments qui permettent d'évaluer en chiffres le contin-
genl des différentes villes; Stendal et Salzwedel don-
naient alors à elles deux 500 hommes, la vieille et la
nouvelle ville de Brandebourg 300, Perleberg 200,
Berlin 100, etc. ; le plus faible contingent était celui
1. Nisi tantum ad terrae tuitionem et defensionem vel leme
necessitate légitima imminente Privilège accordé contre in-
demnité par les margraves aux paysans de la Vieille-Marche.
Voyez Riedel, ibid., p. 26, note 2.
2. On les appelait les Landwehre. En 1208 le margrave Albert II
dispense les habitants de Nemerow, près de Neubraudenburg, du
service « ad custodienda propugnacula, vel... viarum transitus,
qua3 landwehre dicuntur. » Riedel, Die Mari;., t. II, p. 227, note J-
3. Voyez une charte accordée à la ville de Mïmcheberg : Cives
insuper civitatis ssepius nomiuate ....ab omnibus expeditionibus
qui fiunt extra terram reddimus absolutos. In defensione vero
terre Lubucensis omnes adesse Itrientur ut eo validius hostilis
incursio reprimatur....
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 223
de la petite ville de Strassbourg qui se réduisait à
8 hommes *.
Pour suppléer à l'insuffisance de ces milices bour-
geoises, lentes à réunir et d'ordinaire mal exercées,
les margraves entretinrent de bonne heurt.' des troupes
soldées2. On vient de voir qu'au cours de la dis-
cussion qui s'éleva entre eux et les évêques de Bran-
debourg au sujet de la dîme, ils défendirent leurs
prétentions à la jouissance de ce revenu par la raison
qu'ils riaient obligés d'entretenir des soldais pour
Ja défense des territoires enlevés aux Slaves. Plus
tard les margraves, quand le cercle de leur action se
fut encore élargi, donnèrent aux troupes soldées une
plus grande place dans leur système militaire ; mais
au temps des Àscaniens leur véritable armée lut la
milice féodale.
Elle se composait des chevaliers et <}(>> écuyers qui
avaient reçu le fief militaire sous la condition de
servir le margrave à toute réquisition, le chevalier
avec 3 ou 4 et l'écuyer avec 2 on 3 personnes armées3.
Les baillis des villes et des villages et les paysans on
bourgeois à fiefs devaient le cheval de guerre. Il
était impossible que la régularité de l'insl pri-
mitive se maintint Ion-temps : tel bien de chevalerie
; audit au détriment de tel autre; le premier se
trouva redevable de plus d'un service, tandis que le se-
cond ne pouvait plus suffire à un service tout entier. Il
1. Voyez Màrkische For n, t. I, p. 305 et suiv. l'article île
Riedel, Die brandenburgis* <ili:.
■1. Ils en levaient en pays slave : Archiepi tfagdebur-
gensis) intelligens quod Johannes et Otto .. validam de partibus
Slaviae rriilitiam conduxissent... Chronic. Magd. ad ann. 1229 uj>.
Meibom. 11, p. 330.)
3. Ce service s'appelait le Vasallendienst, le Manndienst, le
Wapendienst...
22 i LES INSTl i i riONS
arriva d'ailleurs que des villes el des corporations
devinrenl propriétaires soil de biens de chevalerie,
soil de biens de baillis. L'usage de se racheter à
prix d'argent s'introduisit au moins pour les der-
niers ' ; mais en général 1 obligation du service con-
tinua de peser sur Les uns el les autres. Le Livre Ter-
rier offre des exemples de chevaliers qui n'ayanl plus
Le nombre réglementaire de manses ne donnaient plus
qu'une moitié, un, quart ou même un huitième de ser-
vice, ce qu'on exprimait en disant qu'ils fournissaient
{U'u\ pieds, un pied, un demi-pied do cheval; mais
on voil d'autres chevaliers servir avec plusieurs che-
vaux, ('criailles villes donnenl aux levées de la milice
féodale un cheval, comme le magistrat de Berlin, ou
bien 1/4, 1/3, 1/8 de cheval, connue les magistrats
de Francfort sur L'Oder, de Stendal, de Prenzlow*.
Évidemment, en changeant de main, une partie au
moins des fiefs de chevalerie ou de baillage était
restée grevée du service de L'a milice féodale.
Cette milice est demeurée, jusqu'au xvr siècle, le
corps principal de l'armée brandebourgeoise. On ne
saurait dire quel en était l'effectif; mais un passage de
la chronique de Pulcava donne à croire qu'il était
assez considérable 3. Bien qu'aucun témoignage ne
permette de l'affirmer en toute certitude, il est pro-
bable que cette milice était levée autrefois et groupée
1. Voyez par exemple, Landbuch, p. 25, au mot Krewilz : Pre-
fectus in Krewitz dat I talentum... pro equo pheodali...
2. Màrkische Forschungen, loc. cit., p 372-3.
3. Parlant du partage des terres de la marche qui fut fait entre
Jean et Otton, le chroniqueur dit : « Cum Johannes centum milites
plures haberet quàm Otto.... » (Voyez les fragments de cette chro-
nique, loc. cit., p. 12.) Pour que la différence du nombre des
chevaliers ait pu être si considérable, il a fallu qu'il y en eût de
chaque coté plusieurs centaines.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 225
par avouerie. On ne peut douter en effet que l'avoué
n'eût sous son commandement les forces militaires,
car il représentait le margrave non-seulement auprès
de ses vassaux et sujets, mais encore auprès des
princes voisins de la marche. La recommandation
faite par le margrave à l'avoué de Schivelbein de
ne point provoquer de combats, mécontentements
ou guerres « sans la connaissance et l'aveu » de son
seigneur *, prouve qu'il était dans les attributions de
Ta voué de faire la guerre au nom du margrave. 11
avait également le droit de paix, car, dans les traités
conclus par des avoués avec des états étrangers, il
n'était pas toujours spécifié que l'acte pour être valable
dût être revêtu de l'approbation margraviale 2. Ce fait
prouve que l'avoué dans sa circonscription était le
chef des forces militaires. N'est-ce pas une singula-
rité de la constitution de la marche, que ces avoués,
qui d'ailleurs sont tenus dans l'obéissance par des
précautions bien entendues, soient abandonnés à leur
propre initiative et fassent office de souverains en
face de l'ennemi? Evidemment dans un pays menacé1
sur toutes ses frontières, il fallait qu'il y eût, à tous les
points exposés, quelqu'un qui fût toujours prêt à l'at-
taque connue à la défense, et pourvu de pouvoirs suffi-
sants pour commencer une guerre à l'improviste ou
la terminer en temps opportun.
Percepteur des impôts, chef militaire, juge, protec-
teur de ceux dont l'administration lui était confiée,
1. Riedel, Cod. </*///., I, I. xvm, p 252, w i.iv .. Sol cr kein
Vehede, Unwillen oder Kriege mit niemand raachen oder anheb n,
das geschee dann mit uasorm Vulburt, Wissen uud Geheiss...
(Document du xve siècle.)
2. Riedel, ibi<l.< t. xiv, p 20;}, ir cclxix; t. V, p. 371, ipcxlviu ;
p. 372, n° CLI ; p. 374, W CLIII.
15
226 LES INSTITUTIONS
ayant charge de maintenir l'ordre el la paixdansl'a-
vouerie, arbitre aussi souvent que juge ', jouissant,
comme ou L'a vu, sous réserves, du droit de paix el de
guerre, L'avoué était un si important personnage que
Le margrave d'une part, et d'autre part les habitants
du district gouverné par lui prirent contre lui «•cr-
iailles garanties. Les administrés demandaient qu'on
leur donnai un avoué ué dans L'avouerie, y ayant
Sun principal fief et sa résidence, connaissant Les
personnes et les choses : Muncheberg , Salzwedel,
Stendal, obtinrent cette faveur du margrave 2. .Mais cç
quifaisait La sécurité des sujets étail un danger pour
Les margraves; car l'avoué pouvait fortifier l'auto-
rité qu'il tenait de son oiïice par celle que lui assu-
raient ses bénéfices, connue il arriva pour les comtes
en Allemagne. Ce danger fui écarté. Taudis que la
royauté germanique lui ruinée par les usurpations
féodales, la marche, môme au temps de ses plus
grandes misères, sous le faible gouvernement des
Bavarois et des Luxembourgeois, ne fut jamais me-
nacée d'un démembrement par l'usurpation de ses
avoués. Les margraves avaient soigneusement pris les
précautions nécessaires. Non-soulemcnt ils ne nom-
mèrent jamais d'avoués à titre héréditaire, mais ils
ne voulurent même pas que leur fonction fût viagère.
Ils les choisissaient le plus souvent parmi les officiers
de leur maison, qui gardaient leur charge à la cour
pendant le temps qu'ils passaient dans l'avouerie. Il
n'est pas possible de dresser une liste complète des
1. Voyez comme exemple de ces arbitrages, qui étaient fré-
quents, Riedel, I, t. vi, p. 19; II, t. H, p. 177, n° dcccii.
2. Riedel, Cod. dipl. br., I, t. xiv, p. 813, n° cxvi ; p. 98, n° cxxxvni;
[, t. xv. p. 118, n" clvii; et t. xx, p. r33, n° si.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 2W27
avoués, mais les documents où figurent ces officiers
sont assez nombreux pour qu'on y trouve îles exem-
ples d'avoués transférés (Tune circonscription dans
une autre: on rencontre aussi des noms à côté des-
quels figure la qualité d'ancien avoué, comme on
dirait d'un fonctionnaire moderne l.
Les margraves d'ailleurs avaient toujours le moyen
de surveiller les avoués. Ils n'avaient pas de rési-
dence fixe, et voyageaient sans cesse d'un châ-
teau seigneurial à l'autre, ^'arrêtant quelquefois chez
leurs vassaux ou dans les villes, plus souvent dans
les cloîtres qui devaient toujours être prêts à les
recevoir, ou bien campant sous la tente à portée
d'une fond où ils se livraient au plaisir de la chasse.
Ces voyages se faisaient sans plan déterminé, car
le margrave dans ses tournées seigneuriales ne sui-
vait jamais un ordre régulier. Partout où il s'arrê-
tait, l'avoué, les principaux vassaux laïques et ecclé-
siastiques m rendaient auprès de lui. Une partie de la
journée était consacrée à l'expédition des affaires de
toutes sortes, qui attendaient delà venue du margrave
leur solution définitive.
Sans doute il faut écarter, quand il s'agit du moyen
âge, toute idée d'un contrôlé exercé à la façon mo-
derne. Quand le margrave investissait un avoué de
>o\[ office, il ne lui donnait point d'instructions dé-
taillées; il se contentait de lui faire promettre de gou-
verner « en toute foi, droit, honneur et utilité, du
1. Tune advocatus... quondam advocatus... Voyez Riedel Die
Mari /;,.. t. [I, p. 433-0, surtout, les noies de la page 135. Voyez
aussi tout le chapitre sur la circonscription des .. p. L39
et suiv. — Kùhns, loc. cit., t. r, p. 101 et suiv., donne la liste des
avoueries, avec les noms des avoués qui sont parvenus jusqu'à
nous.
228 LES [NSTITUTIONS
mieux qu'il pourrait '. » Il lui demandait de lui faire
chaque année un ôompte-rendu oral, mais en ajoutant :
s Cela doil nous suffire '••• " L'engagement d'honneur
était le lien qui unissait l'un à l'autre ces deux person-
nages, le frein qui retenait chacun d'eux dans La limite
de ses droits OU de ses devoirs. Le pouvoir qu'avait le
margrave de reprendre les [onctions qu'il avait con-
fiées, et qu'il revendique souvent et clairement au
\iv'' siècle, suppose pourtant, un contrôle de sa part. En
effet, dans ses voyages, il recevait, ou même provo-
quait les plaintes; il promettait à ses sujets de les
protéger contrôles excès de pouvoir s. En un mot il
faisait servir à la bonne administration delà marche
une coutume aussi vieille que l'institution margra-
viale 4.
des altérations de l'institution primitive dans la marche de
brandebourg; de l'autorité margraviale après ces altéra-
tions.
Des paysans, des bourgeois, des vassaux établis par
les margraves dans leurs villages, leurs villes et leurs
fiefs : telle est la population de la marche. Un suze-
rain, presque un souverain, qui n'a pas eu de condi-
tions à subir, pas de droits antérieurs à respecter, qui
est lui-même, pour ainsi dire, antérieur à ses paysans,
bourgeois, nobles, évèques, et par conséquent leur est
supérieur : tel est le margrave. Entre le margrave et
1. Klôden, Dipl. Gesch., t. I, p. 24... Nach sinen truwen, mit
allen rechten, eren und nutzen... szo er best Kann und magk.
2. Id., ibid., was er uns czu jerlicher czeit redelichen borech-
net, dar soll uns an genugen. Wir sullen em ouch keyne rechen-
schaft noch thun.
3. Riedel, Die Mark., t. II, p. 435, note 2.
4. Voyez, sur les avoués, Kùhns, t. I, p. 101-156.
DE LA MARCHE D^: BRANDEBOURG 229
ses sujets ou vassaux, des relations nombreuses, mais
simples; nombreuses, parce que chacun des vassaux
et sujets avait envers le margrave drs obligations per-
sonnelles; simples paire qu'ils n'étaient point séparés
de lui par les degrés multiples de la hiérarchie féo-
dale : telle est, à l'origine, la constitution politique et
sociale du Brandebourg. Elle s'altéra peu à peu, mais
ne s'effaça jamais.
Elle s'altéra, parce que les margraves, toujours à
court d'argent, battirent monnaie avec leurs droits
et privilèges. Parmi les causes de cette détresse, les
unes, comme la libéralité sans frein envers l'Église,
sont communes à la plupart tk^ états du moyen âge.
D'autres sont particulières à la marche : c'est la né-
cessité de pourvoir en même temps aux frais de plu-
sieurs cours et à ceux d'une administration presque
moderne; c'est la guerre sur tous les points à la fois,
sans trêve ni merci.
Les libéralités envers l'Eglise commencent dès le
principal d'Albert l'Ours, et se perpétuent sans inter-
ruption jusqu'au dernier jour de la dynastie. Très-
longue est la liste des donations à laquelle s'ajoute celle
des restitutions et confirmations qui étaient nécessaires
dans ce tempsel dans ce pays troublé, el qui permettent
par les récapitulations qu'on y trouve de mesurer l'é-
tendue des libéralités margraviales. 11 est rare qu'une
donation soit confirmée sans être accrue : Albert l'i lurs,
confirmant purement et simplement à un monastère
un don de sa mère Eilika, s'excuse par celte raison
qu'il est marié, qu'il a beaucoup d'enfants et peu à
donner1. Terres ou bois, droits de1 pêche dans les
1. Heinemann, Cod. dipl. anhalt., I, n, p. 325, n° 445. — Voir
au contraire id., I, nr, p. 493, n° 673.
l2::o LES INSTITUTIONS
eaux courantes el stagnantes, droits de juridiction sur
tel ou tel village, villages entiers avec toutou partie
des droits seigneuriaux, tels sont les objets habituels
dea donations '. G'esi aux évèchés, aux chapitres, aux
monastères, aux ordres chevaleresques, templiers,
hospitaliers, chevaliers teutoniques, qu'elles s'adres-
sent. Il étail naturel d'ailleurs qu'elles abondassenl
dans la marche. Les évêchés, chapitres, monastères
ont été fondés ou rétablis par les margraves; les
doter n'étail pas seulement une œuvre de piété sur
laquelle reposait l'espérance d'une éternité bienheu-
reuse 2 : c'était une nécessité. Quand les margraves
rappellent qu'ils ont relevé telle église de ses ruines,
« où elle gisait depuis le temps d'Otton », créé tel cha-
pitre, fait célébrer à leurs frais la dédicace de telle ca-
thédrale, les donations qu'ils énumèrent à la suite sont
la conséquence de ces déclarations : ils dotent parce
qu'ils ont fondé 3.
En Brandebourg d'ailleurs l'Eglise était, aux pre-
miers jours de la dynastie, une église de combat.
Pour confirmer et accroître les donations déjà faites
au chapitre de Brandebourg, par son père Otton Ier
et son grand-père, Albert l'Ours, Otton II parle de la
nécessité de subvenir à la pauvreté et à la misère du
chapitre, « afin qu'il combatte plus librement pour
Dieu, qu'il accroisse le nombre des chrétiens et réduise
1. Heinemann, Cod. dipl. anhalt. I, n, p. 319, n° 436; p. 375,
n° 513; I, m, p. 425, n° 576; p. 479, n" 654.
2. Les margraves invoquent souvent cette espérance, leur désir
de ne pas être oubliés dans les prières, de ne pas ressembler au
mauvais riche de lÉcriture, etc.. (Voyez Heinemann, Cod. dipl.
anhalt, I, n, p. 277, nu 368; p. 354, n° 487; p. 375, n» 513; I, m,
p. 425, n" 576...)
3. Id., I, n, p. 277, n« 368; I, m, p. 425, ir 576; I, n, p. 375,
n» 513
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 231
celui des adorateurs d'idoles1. » Le même margrave
avait fondé Lehnin pour que ce monastère lût une
forteresse contre Satan : il fallait bien mettre la gar-
nison en état de combattre. Aussi les Ascaniens épui-
sèrent-ils presque toutes leurs ressources allodiales,et
aliénèrent-ils une bonne partie de leurs droits seigneu-
riaux, au profit de l'Eglise. Onelques-uns d'entre eux
furent d'une incroyable prodigalité : Albert III, auquel
ses frères, Otton IV et Otton VI, constituèrent une
principautéà pari avec le Stargard et quelques autres
territoires de peu d'importance, trouva moyen de fon-
der trois monastères, une commanderie d'hospitaliers,
une cathédrale, plusieurs autels : un seul des monas-
tères recul pour son entretien le produit de l'impôt
foncier dans Ironie villages .
Les dépenses de cour el de gouvernement étaienl
très-considérables chez les Ascaniens, qu'elles auraient
suffi à ruiner. Leur cour ressemblait à toutes les cours
allemandes. Elle avaitles mêmes grands officiers, char-
gés a la lois d'un service d'honneur et de l'administra-
lion de la maison margraviale. On y prisait les mêmes
plaisirs, les festins gigantesques, un des mets forte-
issaisonnés poussaient aux libations copieuses,
les tournois ou l'on accourait revêtu d'armures et
d'ornements splendides , portant sur les épaules,
comme disaient les nobles de France, prés et mou-
lins ; la chasse enfin pour laquelle les forêts et les
marécages du Brandebourg offraienl de si précieuses
ressources. En effet l'ours habitait encore les forêts
de la marche; des cerfs gigantesques y vivaient en
grandes troupes; les chevreuils y foisonnaient; les
1. Heinemann, ib'al., p. 479, il0 654.
2 Riedel, Die Mark Br., t. Il, p. in;!: tomel, p. 437, not< 2
232 LES INSTITUTIONS
sangliers se vautraienl en Poule dans les marécages
sousbois; Les Loups y attaquaient 1rs troupeaux et
1rs lioiuiiH's; la grande quantité de collines qu'on ap-
pelle encore aujourd'hui MmuIs du Renard rappellent
la présence de ce1 animal ; Le Lynx et Le castor étaient
une proie plus rare et plus recherchée par Les nobles
chasseurs; enfin Le gibier à plume rivalisait avec L'au-
tre d'abondance et de variété '.
La passion de la chasse étail excitée chez 1rs mar-
graves par ce concours de circonstances exception-
nelles, mais il n'y avail pas de prince ou de comte
dans l'empire qui n'eût les mêmes goûts et nevécûl
de la même vie. Seulement, au Lieu d'une seule cour,
il y en avait plusieurs dans la marche. Chaque prince
portant le titre de margrave, avait la sienne, ses
grands officiers, ses fêtes, et des dons à faire pour
le salut de son âme. Les frais du gouvernement
ambulant des margraves étaient très-lourds. Quand
un margrave convoquait autour de lui ses vassaux
et ses ministériels , ceux-ci étaient nourris par lui,
avec leurs domestiques et leurs chevaux, et des res-
sources propres étaient affectées à chacun de ses châ-
teaux en vue de ces dépenses. Le séjour n'était pas
moins dispendieux dans les rendez-vous de chasse,
où l'on campait sous la tente, à l'endroit le plus gi-
boyeux. Dans les villes qui n'avaient point de château
seigneurial, le margrave choisissait pour y demeurer
la maison de quelque riche bourgeois, et sa cour se
pourvoyait auprès des marchands. Or, il arrivait sou-
vent qu'au départ le trésor était vide. On rassurait
les créanciers et pour prévenir l'expression trop
1. Voyez Klôden, Dipl. Gesch., I, p. 31-5.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 233
bruyante de leur mécontentement, on leur laissait,
pour gages des bijoux et des (''toiles de prix; quelque-
fois la ville les rachetait aux détenteurs et les ren-
dait aux princes, niais elle savait toujours se faire dé-
dommager l. Ajoutez les frais de l'administration
des grands officiers et ih's avoués, enfin les dépenses
d'une guerre perpétuelle où les margraves entrete-
naient non-seulement la milice soldée, mais la milice
féodale; car le fief militaire n'était affecté qu'à l'en-
tretien du chevalier en temps de paix. 11 est facile
de comprendre que les Ascaniens se soient trouves
de bonne heure dans une pénurie financière qui les
força d'aliéner tant de droits et de revenus.
Parmi ces aliénations, les unes ne firent que porter
atteinte à la fortune des margraves, les autres modi-
fièrent la constitution même de la marche. Les mar-
graves diminuaient leur fortune, quand ils renon-
çaient à leurs bénéfices sur les monnaies2, à leurs
droits sur les transports par eau, aux douanes sur les
fleuves e1 les routes, aux impôts prélevés sur chaque
place dans la halle ou sur le marché, aux revenus
qu'ils tiraient (]*■> moulins, des prairies, des bois, enfin
aux différentes sortes de contributions foncières, tan-
tôt pour en faire doua quelque église ou monastère
par piété, a quelque ville par commisération pour sa
pauvreté ;i. à des vassaux en reconnaissance <\c> ser-
vices rendus, tantôl pour en tirer immédiatement
quelque grosse somme dans un pressant besoin d'ar-
1. Klôden, loc. cit., p. l27-'2s.
2. Ces bénéfices étaient considérables : l'hôtel des monnaies de
Stendal rapportait à lui seul 570 marcs d'argent. — Voir pour les
aliénations, Riedel, Die Mark., Il, p. 97-8, et les notes.
3. Werben reçut pour cette raison, entre autres bienfaits, la per-
ception des droits sur les transports par eau et sur les douanes.
Voyez Riedel, Die Mark Dr., I, p. 103.
i i - INSTITUTIONS
gent. Ces expédients tarissaienl la source même des
revenus margraviaux; mais l'autorité politique des
margraves n'en étail pas directemenl atteinte. Elle fui
compromise par les dons, ventes ou engagements de
droits de juridiction.
A la tin du xiv° siècle, au temps de la rédaction du
Livre Terrier, il ne restai! presque plus de villages qui
fussenl directemenl soumise la juridiction margra-
viale *. La métamorphose s'étaii opérée peu a peu, au
fur el à mesure que des dons, «les aliénations, des en-
gagements taisaient passer les droits seigneuriaux à
des églises, à des monastères, à des vassaux, à des
villes ou même à de simples bourgeois. Il dut arriver
le plus souvent qu'un vassal du margrave commençait
par acquérir la propriété d'un paysan pour y établir un
colon qui lui payait la redevance. En même temps il
achetai! au margrave die Zaungerichtsbarkeit, c'est-à-
dire la juridiction dans l'intérieur de la clôture. 11 ne
devenait pas juge pour si peu et n'instituait pas de
juge spécial : les affaires qui concernaient le nouveau
bien seigneurial ou les personnes qui l'habitaient et
les délits qu'on y commettait continuaient à être
portés devant le bailli; seulement les droits de ju-
ridiction afférents au mai-grave étaient payés au
nouveau seigneur 2. D'autres acquisitions suivaient
celle-là ; quelquefois le village finissait par passer
dans les mains d'un même acquéreur; mais le plus
1. 2 sur 90 dans le Teltow, 6 sur 104 dans le Havelland, et de
même dans les autres parties de la marche.
2. Kùhns (t. I, p. 169) en cite un exemple emprunté au xvie siècle,
il est vrai, mais qui donne une idée exacte de l'état des choses
au xme. C'est un traité conclu entre Hans Spill qui a la Zaunge-
richtsbarkeit sur plusieurs biens, et Hans Hake le juge du village.
Celui-ci continue à juger les justiciables de Hans Spill, qu'il doit
prévenir huit jours d'avance de la tenue de son tribunal. Riedel,
Cod. dipl., I, t. vu, p. 178, n» LXXXIX.
PF. LA MARCHE PF BRANDEBOURG 235
souvent comme le vassal n'était ni assez, riche, ni
assez économe pour acheter tout un village, trois
ou quatre acquéreurs se le partageaient1, au grand
préjudice <\i'> paysans et au grand danger de la paix
publique menacée par de perpétuels conflits. Ainsi
se forma un grand nombre de petites seigneuries ;
mais il y a des exemples de cessions, ventes, aliéna-
tions de villages entiers 2.
La condition des paysans fut gravement modifiée,
quand les margraves se lurent dessaisis de leurs droits
de toute espèce. Dans beaucoup de villages, ils ne con-
servèrent plus trace de leur souveraineté; tous les im-
pôts, tous les services, tous les droits étaient en
d'autres mains. « Ici, dit en ce cas le Livre Terrier, il
ne reste rien au seigneur margrave : Dominus marchio
nichil habet ibi :î. » Des lors le bailli du village n'es!
plus qu'un bailli seigneurial. Si l'office devient vacant.
c'est le seigneur qui y pourvoit. Tout ce qui était ser-
vice public se transforme en corvée particulière : le
paysan ne doit plus rien à l'armée margraviale, mais
il fait quelques journées de travail sur les terres de
son seigneur. Déjà les mots seigneurs el sujets, domini
bonorum et subditi, se trouvent dans des documents du
i. Il suflit d'ouvrir au hasard le Livre Terrier pour en trouver
des exemples. Voit- p. 135, Blinyow le premier village cité de
1 l'ekermark.
2. Par exemple, le monastère de Lebrun achète aux marg]
Jean et Olton III, neuf manses à Netzem, tout le village deGede-
lendorp avec sa riche dépendance comprenant un village slave,
deux lacs et des bois: Arntsee et Tribusdorp ,■ Bredewisch, Wan-
deliz. Stolzenhagen 'en deux fois), Goliz. ... Si L'on ajoute à cette
liste des achats celle des échanges, toujours avantageux au monas-
tère, et des dons faits, soit par L'un des deux frères soit par le
deux, pour motifs de piété, on aura Le tableau des aliénations
faites sous le seul prmeipat d'Otton lil et de Jean I au seul mo-
nastère de Lehnin.
3. Landbuch, p. 54, au mot Henrikstorff .
236 les iNS'i ni riONS
xiii* siècle, revêtus du sceau des Ascaniens*. Après eux,
la décadence de la population rurale se précipite. Le
aombre i\i>* paysans taxés diminue d'année en année;
beaucoup abandonnenl leurs champs el Le Livre Terrier
fait de nombreuses mentions à'agri deserti, ou désolait,
ou facti desolati*. La plupart «les propriétaires avaient
sans doute été expulsés dans les temps troublés qui
suivirent la dynastie ascanienne ; d'autres étaient allés
chercher dans les, villes un refuge el La liberté; car
même la Liberté d'aller et de venir finit par disparaître,
et le paysan de la marche par être attaché à la glèbe.
L'autorité du margrave, diminuée par l'asservis-
sement des paysans, a été également atteinte par
l'affranchissement des villes. En effet, enrichies par
le commerce et par la sécurité relative que les mar-
graves? leur assurèrenl au xm'' siècle, les villes exploi-
tent la détresse financière des Ascaniens. Elles achè-
tent, à portée de leurs territoires des villages qui sont
soumis à leur juridiction 3; mais surtout elles acquiè*
rent pour elles-mêmes d'importants privilèges. Le pre-
mier fut d'obtenir un avoué spécial, investi du droit
de « juger sur la tête et les membres », de façon que
la cité formât une circonscription judiciaire à part,
distincte du plat pays, et qu'un bourgeois ne put être
appelé en justice hors de la ville. Mais cet avoué urbain
restait à la nomination du margrave , qui perce-
1. Riedel, Cad. dipl, III, t. I, p. 11, n» 9.
2. Voyez surtout le Landbuch au chapitre de l'Uckermark, p. 137,
aux mots Cervetzin et Wetzenow, p. 138 au mot Czimenen , p. 139
aux mots Walmow, Krempsow, Clepclow, etc., etc., etc.
3. Otto, D. Gr. marchio, dilectis consulibus et universis civibus
in Grabow. — Nobilis vir cornes de Dannenberg villas N. N...
beato Gregorio vobis et civitat. vendidit. — Advocati vero nostri
nihiljuris in his villin sibi reservant. Item damus vobis et civi-
tati proprietatem ville N.... cum singulis prarogativis ac omni
jure civitatensi... (Riedel, die Mark, II, p. 385, note 3).
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 237
vait encore les revenus de juridiction. Quand la né-
cessité le contraignit de les aliéner, au profil d'un
vassal, d'un monastère ou d'une église, la ville se
trouva médiatisée, pour ainsi dire, el le vassal, le mo-
nastère ou l'église exerça sur elle les droits de sei-
gneurie; mais le plus souvent l'acquéreur fut la
ville elle-même, représentée par son conseil. L'avoué
devint alors un magistrat municipal, choisi par le
conseil de ville; quelquefois le bailli lui-même en
faisait les fonctions l. Cependant le bourgeois pou-
vait encore être « appelé hors de la ville », quand il
avait à porter plainte en matière civile ou criminelle
contre un vassal justiciable du margrave ou du juge
de cour. Les villes achetèrent le droit de retenir ces
affaires devant leurs tribunaux 2. et des lors elles
formèrent à peu de chose près de petites républi-
ques 3.
Le déplorable régime financier de la marche faillit
avuir pour l'autorité margraviale de plus graves con-
1. ... Prsesertim volentes nostraui preJictara civitatem Besekowe
ac nostros cives predictos gracia prosequi alteriori dantes
eisdem quod corarn sculteto 11» Imlli de impetendis qnibuslibet
debent, et non coram nostro advocato secundum juris formam
respondeant... Riedel, Cuil. dipl., I, t. xx, p. 342, n° 3.
2. Qualiscumque excessus fuerit perpetralus in civitate vel m
campo civitatis, sive in homicidio, sive in vulnere vel lesione,
seu causa quacumque judicibus admittimus et concedimus judi-
candum... ''les juges de la ville : charte octroyée à la ville de
Kuppin : Kùhns, t. I, p. 192, noie '.i'37i... — Voici un autre texte qui
montre clairement qu'aucune espèce d'exemption personnelle
n'était admise :... Si nos (les margraves . vel consiliarius noster,
advocati, oflïciales nosiri et familia nostra vel quicumque alii
fuerint, qui adversus cives nostros in dicta nostra civitate
(Gùrztke) commanentes, habuerint aliquid proponere, ni scultetu
tenebitur judicare sententiis scabinorum. (Riedel, Cod. dipl. In-.,
II, i, p. 171, n" GGxxxiii)
3. Voyez Kuhns, t. 1, p 175-197, et tome II, p. 180-257. — En
prenant au hasard dans le Codex diplomaticus de Riedel un re-
cueil de chartes concernant une ville, on suivra les progré de
son émancipation.
238 LES INSTITUTIONS
séquences que toutes celles qui viennenl d'être ônu-
oiérées, et modifier complètement la constitution pri-
mitive de L'état. A L'origine, L'autorité margraviale
n'était soi nuise à aucun contrôle delà part de ceux sur
qui elle s'exerçait, el pourvu qu'elle restai dans de
certaines Limites, marquées parla coutume et par Les
idées admises sur les droits du prince, elle ne rencon-
trait aucun obstacle sur son chemin. Il n'yavait point
d'États-généraux en Brandebourg, Le margrave pre-
nait bien conseil de ses vassaux el les réunissait dans
des assemblées extraordinaires; mais il avait le droit
de convoquer où et quand il lui plaisait ces petits
parlements, et les évêques, vassaux, ministériels s'y
rendaient en vertu d'un devoir, non pas en vertu
d'un droit '. Or le margrave créa de véritables droits
à ses vassaux et à ses sujets. Le jour où, dépassant les
limites dont il a été parlé tout à L'heure, il leur demanda
plus qu'ils ne lui devaient.
Parmi les revenus margraviaux, les aides2 .avaient
ce caractère particulier que n'étant pas un impôt fixe,
elles prêtaient à deux sortes d'abus : les margraves y
recouraient trop fréquemment et les évaluaient trop
haut. A la suite d'événements peu connus, mais assu»
renient après des levées trop fréquentes de cet impôt,
suivies de réclamations énergiques et universelles, les
margraves furent réduits à signer avec leurs vassaux el
sujets une série de conventions. Le plus important de
ces documents, au moins le plus explicite parmi ceux
qui nous sont restés, est la convention conclue entre
4. La preuve que ces assemblées jouaient un rôle très-médiocre,
c'est qu'il n'en est presque point qui soient connues, malgré
l'abondance des matériaux sur L'histoire primitive de la marche.
Voyez Riedel, Die Mark, II, p. 78-84.
2. Beden.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 239
les margraves delalignejohannienneetleurs vassaux
el sujets de la Vieille-Marche1. Les margraves y décla-
rentque « de leur propre avis el de celui de Leurs vas-
saux », ils vendent 2 leur droit de lever les aides aux
conditions suivantes : tous leurs vassaux, bourgeois.
paysans, leur paieraient à la Saint-Michel 1281, à
Pâques et à la Saint-Michel 1282, une certaine somme
par manse; les gens du commun qui ne possédaient
point de terres 3, donneraient six pfennigs par cha-
que livre de leur fortune immobilière. Ces trois ter-
mes acquittés, les margraves n'auraient plus le droit
d< percevoir les aides, auxquelles serait substitué
un impôl régulier. Pour chaque inanse il serait payé
un schilling chaque année à la Saint-André, un au Ire
le jour de la Walpurgis. Seraient seuls exemptés de
celte charge les biens de chevalerie, à raison de 6 nian-
ses pour le chevalier, de quatre pour l'écuyer, parce
que ce domaine représentait l'entretien de l'homme de
guerre en temps de paix K
Les margraves promettaient de ne lèvera L'avenir
aucun impôt a l'occasion du mariage des princesses
de Leur famille ou de leurs voyages a la cour impériale.
Us se réservaient pourtant de demander une contri-
bution extraordinaire en cas de captivité de leurs
personnes, de besoin pressant pour leur pays.de
1. Wohlbrûck : Gesch. des Bisth. Lebus, I, p. 245; Riedel, die
Mari: /.'/'., II, p. 109, note 2.
2. Ob salubrem statum terrarum nostrarum de nostro el vasal-
lorum nostroruni arbitrio pétition toriam
quam in terra sive territorio marchia? dignoscimur habuisse, ven-
didimus sub hac forma... Riedel, Cad. dipl., III, t. I, p. 10-11.
3. Alii hommes communes, ut molendinarii et cozeeti, qui man-
sos non habuerunt....
'i... Item miles sub aratro suo habebit sex mansos, famuli vero
quatuor, et hii erunt penitus Liberi, et si plures quidem habueririt,
du hisdabunl censum prpelibatum.
lJÎO LES INSTITUTIONS
danger de guerre; mais il ne Leur appartenait pas de
prendre Les mesures aécessaires pour La Levée de cel
argent. Quatre chevaliers, nommés par eux, (raccord
avec leurs vassaux, eu délibéreraient avec les plus
distingués el les plus anciens (lu pays; si L'un des
commissaires venail à mourir, les trois survivants
devaient dans le délai d'unmois lui donner un suc-
cesseur1. Enfin de sérieuses garanti es étaient stipulées
pour l'observance rigoureuse de celle convention. On
prévoyait le cas où, par suite d'un nouveau partage,
la Vieille-Marche tomberait dans Le domaine d'un autre
prince : celui-ci devait se considérer comme obligé
par la convention ; autrement ses vassaux et sujets
seraient à l'instant déliés de tous serments de fidé-
lité à son égard, et ils pourraient prendre pour chef
un autre prince de la famille. Si, d'une autre façon
quelconque, les margraves ne tenaient pas les pro-
messes faites, les vassaux se réuniraient dans les
burgs d'Osterburg, Stendal, Tangermunde qu'ils oc-
cuperaient jusqu'à ce qu'il leur lui donné satisfaction.
Des traités semblables furent conclus par les mar-
graves de la ligne joliannienne avec leurs vassaux
des autres parties de la marche : nous n'en avons pas
le texte, mais il y est fait allusion dans d'autres docu-
ments 2. Les margraves ottoniens subirent la même
nécessité. Ils conclurent à Berlin en 1280 un traité
\ . Item si predicte terre nostre légitima nécessitas aut guerarum
periculum ingruerit, staluimus unà cum vasallis nostris memora-
tis quatuor viros ad hoc, ex nomine milites nostros, Johannem de
Bue, etc., ut quicquid iidem quatuor ordinaverint ad commodum
et utilitatem lotius terre, auditis potioribus et senioribus terre,
per fidem et juramentum ipsorum pretextu juvaminis nobis pres-
tandi contenti erimus, nec a nobis suspecti aliquatenus fore de-
bent. ..
2. Ricdel, Die Mark, t. II, p. 114.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 241
où ils autorisèrent formellement, avec promesse de ne
pas leur en garder rancune, leurs vassaux et leurs sujets
à repousser par la force toute atteinte aux conven-
tions faites à propos des aides '. Une lettre de confir-
mation accordée par eux en 1282 à l'avouerie de
Salzwedel montre qu'ils ont suivi dans celte grave
affaire la même procédure que leurs cousins de l'autre
branche-; mais le conseil chargé d'administrer l'impôt
ne fut point formé de la même manière. Présidé par
l'avoué de Salzwedel, il se composa de deux che-
valiers nommés par le margrave, de deux autres che-
valiers nommés par leurs pairs, de deux bourgeois
élus par la ville. Il n'est point dit que sa compétence
soit restreinte au seul cas d'une levée de contribution
supplémentaire, mais au contraire qu'il doit connaître
de toutes les affaires concernant l'impôt qui a remplacé
les aides. Les conseillers demeuraient en fonction pen-
dant un an; chacun d'eux nommait ensuite son sue-
ur qui était obligé d'accepter cette charge.
Ainsi après avoir aliéné une grande partie de
leurs revenus, de leurs domaines et de leurs droits,
: Les seigneuries s'interposer entre eux et les
paysans, abandonné les villes à une indépendance pres-
que complète; après avoir en un mot altéré le caractère
de l'institution primitive el mis lu confusion à la place
1. Verum si in posterum aliquorum non sano consilio utere-
mur, volentes ulique malignari contra juramentum nostrum et
promissum fidei facere niteremur, vel nostri suecessores idem
facere vellent et heredes, ex tune recognoscimus presenti.bus pro-
testantes, omnibus nostris vasallis et civitatibus personaliter in-
junxisse, ut in nostra presentia primo prestito juramento mutuo
promittent data fide, sibi in invicera assistere tideliter et efflea-
citer toto posse, ta m diu nobis contrarii et oppositi existentes,
quousque talem à se injuriam removeant, etc., etc.,pro quo il
titudinem nostram vel odium incurrere non debebunt... (Ri
Cod.dipl., I I, t. I, p. 9, n« s .
Il;
242 LES INSTITUTIONS
delà simple ordonnance du début, les margraves en
étaient réduits à tolérer un contrôle financier, quide-
vienl toujours un contrôle politique, et ils reconnais-
saient à leurs vassaux cl sujets qualité pour décider s'ils
avaient ou non violé telle de leurs promesses, auquel
cas la révolte était de droit. Oe peut mesurer la déca-
dence de cette autorité, que nous avons vue si forte à
l'origine. Le pire, c'est que les margraves ue profi-
tèrent pas de la leçon qu'ils s'étaient fait donner
cl ne renoncèrent pas à ce gaspillage financier. Ils
avaient promis solennellement de n'aliéner jamais
cette nouvelle ressource l : ils ne l'épargnèrent pas plus
qu'ils n'avaient fait des autres et s'appauvrirenl encore.
Une légende raconte que, quarante années avant la fin
de la dynastie, dix-neuf princes de la maison asca-
nienne, rassemblés sur une colline près de Rathenow,
se lamentèrent sur leur indigence qui ne leur permet-
tait pas de mener une vie de prince.
On commettrait pourtan t une grande erreur en croyant
que l'institution primitive a disparu tout entière dans
une sorte de chaos, et que le margrave de Brande-
bourg est devenu un suzerain nominal comme le duc
de Saxe, par exemple, après la chute d'Henri le Lion.
Il est hors de doute que l'esprit particulariste
qui s'est manifesté au moyen âge dans l'empire
d'abord, puis dans chacun des états de l'empire, a
pénétré jusqu'en Brandebourg. Chaque seigneur dans
sa seigneurie, chaque évoque dans son diocèse, cha-
que bourgeois dans sa ville eût voulu s'affranchir
de l'autorité margraviale, ou tout au moins la réduire
1. Ilujusce modi census erit sempiternus nec ipsum conferre
possumus aut debemus alicui ( Riedel , Cod. dipl., loc. cit.,
p. 11, n° 0).
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 24v?
à des apparences; mais des circonstances particulières
empêchèrent la réalisation de ces desseins.
Menacée de toutes parts et par moments compromise,
l'autorité margraviale ne fut pas atteinte sans remède.
L'institution des conseils organisés par les conventions
qu'on a vues ne lui fit pas courir de grands périls. Ces
conseils devinrent, il est vrai, dans la suite les états
provinciaux : ils entrent en activité après la mort de
Waldemar, quand il s'agit de trouver un tuteur au
dernier des Ascaniens, mais ils n'agissent pas d'accord
les uns avec les autres. Tandis que « les chevaliers et
les villes d'au delà de l'Oder » choisissent le duc de
Poméranie, d'autres se tournent vers le due de Saxe.
C'est que les états représentaient non pas l'ensemble
de la marche, comme le Parlement en Angleterre et
les Etats-Généraux en France représentaient toute la
monarchie, mais seulement une province particulière.
Encore les chevaliers de ces petits parlements ne s'in-
quiétaient-ils que des intérêts de leurs pairs, pendant
que les bourgeois ne pensaient qu'à ceux des villes.
On ne voyait rien au delà de la haie du fief de cheva-
lerie ou des murs de la cité.
Une entente des états aurait pu conjurer bien drs
malheurs dans les temps difficiles traversés par la
marche après les Ascaniens, au milieu des désordres
de toutes sortes causés au début de la dynastie bava-
roise par l'excommunication répétée qui frappe les
margraves, et par l'apparition d'un faux Waldemar;
plus tard, pendant les intrigues où (maries IV enve-
loppa la marche pour la faire1 tomber sous la domina-
tion des Luxembourg.
Mais cette entente ne se lit point, chacun demeu-
rant confiné dans les étroites limites de son ho-
244 il S INSTITUTIONS
rizon. Quand Le margrave Louis de Bavière, pur
exemple, veul obtenir des états une aide extraordi-
naire pour dégager La Lusace en L338, il es! obligé
d'acheter leur consentemenl par des concessions qui
grèvenl L'avenir, paire que seul il a intérêt à La
reconstitution de La marche. Ce morcellement de la
représentation étail bien moins redoutable à L'auto-
rité du margrave que ne l'eût été l'institution d'un
parlemenl centraL Des états de Brandebourg auraient
pu faire éehec au margrave de Brandebourg; le
margrave de Brandebourg demeura toujours supé-
rieur aux états de Lusace, de Lebus, de la Vieille-
Marche, etc. En lui fut personnifiée la marche ou
comme Ton dira plus tard « l'état brandebourgeois. »
D'autre part, si le margrave a perdu de son autorité
par l'aliénation de ses droits et privilèges au profit de
ses villes et de ses vassaux, ni ses villes ni ses vas-
saux ne devinrent assez puissants pour arriver à l'in-
dépendance absolue.
Les villes de la marche de Brandebourg, comme
celles du reste de l'empire, commencent à jouir d'une
certaine prospérité au xne siècle, mais elles restent fort
inférieures aux villes allemandes. Stendal et surtout
Salzwedel s'enrichissent par les relations qu'elles en-
tretiennent, la première avec Wismar, la seconde avec
Llibeck. Quand Hambourg et Liibeck, après avoir
purgé de brigands les routes du pays qui les sépare et
canalisé les rivières qui y coulent, eurent conclu entre
elles une association qui fut le point de départ de la
ligue hanséatique , les bourgeois de Liibeck ne tardè-
rent pas à y admettre « leurs bons amis de Salzwedel » ' ;
1. Riedel, die Mark, t. II, p. 346, note I.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 245
d'autres villes du Brandebourg entrèrent ensuite dans
la hanse.
En même temps que le commerce, l'industrie se
développa sous le régime des corporations qui fut im-
porté ou tout au moins confirmé dans la marche par
les margraves Jean et Otton l. Comme dans l'empire
ces corporations, devenues puissantes par l'exercice
de leur droit d'acquérir, troublèrent souvent la paix
de la cité ; mais là s'arrête la ressemblance avec l'Al-
lemagne. On ne trouve point dans tout le Brandebourg
de villes qui puissent être comparées aux grandes
métropoles du Rhin, du Danube, ou des bords de la
Baltique et de la mer du Nord. Qu'est-ce que Stendal,
Salzwedel, Berlin, Brandebourg, Francfort-sur-1'Oder,
peur citer les principales, à côté de Strasbourg, Co-
logne, Brème, Hambourg, Lubeck, Ulm, Nuremberg,
Vienne? Les villes de Brandebourg étaient situées à
l'extrémité de la grande zone commerciale de l'Eu-
rope au moyen âge. Le sol sur lequel elles étaient
bâties n'était point riche ; le lorrain sur lequel elles
faisaient leurs échanges n'était point sûr. Aucune
d'elles ne devint assez forte pour prétendre à l'hon-
neur de faire peur aux margraves.
Si abondantes qu'aient été les aliénations faites au
profit de la chevalerie de la marche, il ne s'est élevé
sur le territoire de Brandebourg qu'un très-petit
nombre de grandes seigneuries; les petites, qui au
contraire y abondent, son! raremenl d'un seul mor-
ceau: elles sont disséminées sur les territoires de plu-
sieurs villages. Il ne faut pas oublier d'ailleurs que la
noblesse du Brandebourg était pauvre, puisque les
1. Riedel, die Mari;, p. 352 et suiv.
246 LES INSTITUTIONS
paysans n'étaient point riches, et cette pauvreté était
un obstacle à la conquête de son indépendance.
Enfin ni dans les villes où siégeait au tribunal Le
bailli bourgeois, ni dans les villages abandonnés à la
juridiction seigneuriale, Le margrave n'avait renoncé
à sa suzeraineté. C'est en son nom qu'était rendue la
justice, et elle devait l'être selon la procédure usitée
dans la marche. L'avoué margravial avait conservé
le droit de surveiller les tribunaux urbains ou patri-
moniaux; car si le margrave Louis défend, en 1324, à
quiconque possède droit de haute et basse justice,
de faire tort à ses justiciables, c'est qu'il se croit le
droit de constater en même temps que le pouvoir de
réprimer ces abus K Cette suzeraineté ne fut point no-
minale; les margraves la gardèrent même pendant la
triste période des Bavarois et des Luxembourgeois,
et les Hohenzollern la trouvèrent intacte. L'un d'eux,
octroyant à la ville de Brandebourg des privilèges ju-
ridiques, réserve en termes formels sa suzeraineté
princière, Fùrstliche Obrigkheit 2.
Pour montrer encore par un exemple frappant que
la primitive autorité margraviale n'a point abdiqué,
le margrave sait faire respecter par l'Église elle-
même ses droits de juge suprême. Dans la marche,
comme dans le reste de l'Allemagne, l'Eglise avait, en
vertu du droit canonique, la juridiction sur ses mem-
bres et la connaissance de certains crimes, comme
l'apostasie, l'hérésie, la simonie. Elle prétendait en
outre juger toute affaire civile qui aurait été portée
1. Riedel, Cod. dipl., I, xv, 78, n° CV. We ock gherichte, ho-
geste, oder sideste, und dhenest hevet in deme lande, dhe scal
sine undersaten mit dheme dheneste und gherichte to unrechte
nient vorderven...
2, Voyez Kùhns, I, p. 173.
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 247
devant ses tribunaux par une des deux parties, et
toute affaire criminelle mixti fori, comme adultère,
concubinat, magie. Les margraves prirent des précau-
tions pour empêcher les envahissements des tribunaux
ecclésiastiques : ils leur interdirent de connaître des
matières réservées aux tribunaux laïques, et défendi-
rent aux parties déporter devant le juge ecclésiastique
des causes où celui-ci n'était pas compétent L
Toute tentative faite par un membre du clergé pour
se soustraire à la loi commune est sévèrement répri-
mée, même sous les faibles successeurs des Asca-
niens. Un prêtre ayant été assassiné par des habitants
de Berlin, la ville fut mise en interdit, selon l'usage.
Elle offrit de se racheter en payant le wergeld au frère
de la victime, qui était prêtre lui-même. Celui-ci re-
fusa, et l'interdit continua de peser sur la ville. C'était
au temps où le lils de Louis de Bavière, encore mi-
neur, régnait sur la marche. Louis écrit au jeune
margrave de mander devant lui le récalcitrant, de lui
assigner un délai pour l'acceptation du wergeld, et si
par hasard il s'y refuse, de le destituer immédiate-
ment de son office. Le nom du successeur était
désigné dans la lettre 2. Le prêtre se soumit, et l'é-
vèque de Brandebourg lui-même n'éleva pas d'objec-
tions : en 1336, il donna quittance de la somme payée
par les bourgeois de Berlin 3. A la fin du même
1. Riedel, Cod. dipl. br., II, t. V, p. 5, n° MDCCLXVIII ; et I.
t. XXIII, p. 438, n° CCCCXXXIII. (Documents postérieurs aux
Ascaniens
2 Voyez Kiihns, t. I, p. -274 .. Quôd si foi tasse, facere renuerit,
ex tune ad privationem officii sui procédas, nullâ consideratione
aliâ ulterius citra hoc exspectatâ, et hoc ipsum beneficium Hein-
rico de Tsuden conféras indilate... Voyez Riedel, Cod. dipl., I
t. XII, p. 488, n- VI.
3. Riedel, ibid., t. VIII, p. 245, »° CGXI ; p. 247, leCCXVll;
p. 258, n° GCXXX1U.
248 LES INSTITUTIONS
siècle, le margrave Sigismond écrivail à un évoque
celle Lettre où il revendique nettement son droit de
justicier suzerain : « Sache/, monsieur l'évêque ,
qu'il est venu jusqu'à QOUS qU6 VOUS niellez nos villes
en interdit, avant d'avoir porté votre plainte (le-
vant nous. Or nous entendons rester leur juge... et
notre sérieuse volonté est que vous cessiez sur L'heure
d'en agir ainsi : sinon nous avons commandé que Ton
donne (lu tracasà vous ou au\ vôtres, que cela vous
plaise ou non i. »
11 ne faudrait pas croire que ces mots » noire suze-
raineté princière » et « nous voulons rester leur juge <
ne représentent qu'une prétention vaine, comme en
ont souvent les pouvoirs déchus. Un curieux procès,
plaidé au xvic siècle entre l'empire et la marche.
abonde en témoignages qui attestent la permanence
du caractère exceptionnel de l'autorité margraviale.
Quand Maximilien d'Autriche voulut mettre un peu
d'ordre dans le chaos germanique et qu'il créa la
chambre impériale, il inscrivit les évoques de la mar-
che, comme ceux du reste de l'Allemagne, parmi les
princes relevant immédiatement de l'empire, et de qui
les querelles devaient être portées devant cette juridic-
tion nouvelle. Le margrave de Brandebourg protesta
contre cette décision. Il écrivit en 1509 à un avocat
près la chambre impériale, pour lui représenter que
les trois évêques de la marche n'avaient rien à faire
avec l'empire : ils ne tenaient point de l'empire,
comme ceux de Thuringe et de Misnie , leurs régales
1. Kiihns, I, p. 279 : « Wisset, Herr Bischof, dass vor uns ge-
kommen ist, wie dass ihr unsere Stadte bannet so dass ihr vor
uns nie eure klage angebracht habt denn vir vollen selber
richter ùber sie bleiben »
DE LA MARCHE DE BRANDEBOURG 249
ni leurs fiefs ; c'étaient les margraves qui leur avaient
donné l'investiture de leurs châteaux cl de leurs
biens; à cause de cela, ils (levaient aux margraves,
dans la paix et dans la guerre, les mêmes services
que le reste de leurs vassaux.
Au cours du procès, qui dura très-longtemps el
n'eul pas de conclusion, le margrave et les évèques,
d'accord pour repousser les prétentions de l'empire,
fournirent un grand nombre de documents, dont plu-
sieurs remontent au temps ih>> princes ascaniens.
Des nobles el de- bourgeois du Brandebourg, cités à
comparaître en L564 devant une commission impé-
riale, attestèrent que les coutumes de la marche
étaient en opposition avec les prétentions de l'em-
pire. Il résulte de leurs dépositions que les évèques
n'ont jamais été princes d'empire : ils sont sujets
brandebourgeois. On en appelle de leurs tribunaux,
non a l'empereur, mais au margrave. — Il n'y a ja-
mais de relations directes entre les évèques et l'em-
pire; les lettres impériales adressées aux évèques pas-
sent parles mains du margrave; l'impôt d'empire
appelé « commun pfennig, » institué pour subvenir
aux frais de la chambre impériale, est versé par les
évèques à la trésorerie brandebourgeoise. — Les
évèques doivent au margrave le service militaire et
le service de mur; leur place est marquée dans les
cérémonies, leur costume prescrit; ils portent les
couleurs du margrave: ils se disent dans les lettres
qu'ils lui écrivent < de Sa Grâce Électorale les chape-
lains très-soumis ■ . Le margrave les appelle sim-
plement « monsieur de Havelberg, monsieur de
Brandebourg, monsieur de Lebus > : il ne leur dit pas
« Votre Dilection », comme on fait entre personnes
250 LES INSTITUTIONS DE LA MARCHE l>K BRANDEBOURG
de condition princière, mais simplement « Vous ». —
» .l'ai trois évoques dans mon pays, a pu dire l'élec-
teur Joachim I. qui ne doivent de services qu'à
moi '. »
Or, L'électeur dans sa lettre à l'avocat près la
chambre impériale, déclarait que les comtes deRup-
pin et de Hohenstein, qui étaient alors ses plus puis-
sants vassaux, ne relevaient pas plus de l'empire que
les évêques. On sait du reste que parmi les villes de
Brandebourg, pas um.1 no devint ville impériale.
Ainsi la hiérarchie el la discipline instituées dans la
inarche a. l'origine ne se sont pas perdues, même en
traversant les deux siècles lamentables qui séparent
l'extinction de la dynastie ascanienne de l'avénemcnl
dvs llohenzollern. Depuis les successeurs d'Albert II
jusqu'aux prédécesseurs du Grand Électeur et de Fré-
déric II s'est conservée la tradition d'un pouvoir qui
demeure fort au-dessus de ses vassaux ecclésias-
tiques ou laïques et de ses sujets bourgeois, en dépit
des privilèges qu'il leur a octroyés ou vendus.
1. Voyez l'article Die Unlcrordminç/ der Bischôfe von Branden-
burg, Eavelberg und Lebus un 1er die Landeshoheit der Churfùrsten
von Bva>idenbimj, au tome I des Màrkische Forschungen.
CONCLUSION
On peut résumer eu quelques pages 1rs réflexions
que suggère l'histoire du Brandebourg sous la dynas-
tie ascanienne.
L'étal brandebourgeois esl sorti d'une marche, et
cette origine en a déterminé tout le caractère.
Pour se représenter le rôle historique d'une marche,
il faut remonter au temps de l'empire carlovingien.
Couronné empereur parle pape, Charlemagne avait
mission, non-seulement de protéger la communauté
chrétienne d'Occident dont il était le chef laïque, niais
encore de porter chez les infidèles le glaive et la croix,
pour les soumettre et les convertir. La guerre était à
l'état permanent sur toutes 1rs frontières : les comtes
de la frontière ou margraves étaient donc au poste
d'honneur dans l'empire : ils étaient des acteurs im-
portants dans l'histoire générale du monde.
L'empire franc, cotte conception ecclésiastique et
romaine, ne dura pas longtemps : il s'écroula et les
nations modernes naquirent. L'Allemagne prit et garda
252 CONCLUSION
quelque temps La première place. Gomme elle confi-
nai! à l'Esl aux BongroiSj aux Slaves H aux Danois, ses
rois , en combattanl les païens, continuaient La tradi-
tion carlovingienne. 3enri-le-Fondateur esl un héros
chrétien ; Otton-le-Grand se fail donner par Le pape la
couronne de Gharlemagne; aussitôt, Les marches qui
éiaionl on décadence se relèvent. Toute la frontièrede
l'Elbe esl placée sous La surveillance du margrave Gero.
Véritable croisé, Gero mêle les œuvres pies aux œuvres
de guerre. Quand ila conquis le terrain < > 1 1 se sont éle-
vés les évêchés d'01denbourg,Havelberg, Brandebourg,
Mersebourg, /cil/;. Meissen; quand il a vaincu cl en-
tamé la Pologne, il va déposer son épée sur le tom-
beau de saint Pierre, et revient en Allemagne fonder
un monastère et mourir. Un écrivain contemporain Le
nomme le « défenseur de la patrie : » ce surnom glo-
rieux sied bien à un margrave.
Mais Gero n'eut pas de successeur; la marche qu'il
avait gouvernée fut morcelée, et de ce morcellement
naquit la marche du Nord.
Pendant près de cent quatre-vingts ans, la marche
du Nord mène une existence misérable, et les mar-
graves défendent à grand'peine contre les Slaves
leur étroit territoire, situé sur la rive gauche de l'Elbe.
C'est que les chefs du saint Empire Romain Germa-
nique ne sont pas les continuateurs de Gharlemagne.
Ils ont pris dans son héritage les prétentions à la sou-
veraineté universelle , sans se soucier des devoirs qui
s'y rattachent, et ils dépensent en Italie plus de forces
qu'il n'en aurait fallu pour convertir et soumettre les
Slaves. Du reste, dans le conflit qui éclate entre l'em-
pire et la papauté, l'unité du monde chrétien est bri-
sée. En même temps la féodalité, née dans le royaume
CONCLUSION" 253
franc, et que Gharlemagne s'était efforcé de plier à des
lois, pénètre dans l'Allemagne qu'elle divise. Dans ces
conjonctures, les marches étaient impuissantes contre
l'ennemi. Que peut l'avant-garde, si le corps d'armée
ne la suit pas, et qu'il se partage en fractions indiffé-
rentes ou bien hostiles les unes aux autres? Elle
provoque les coups sans pouvoir les repousser.
lies circonstances plus favorables à la marche du
Nord se présentèrent quand Lothaire, duc de Saxe,
monta sur le trône impérial. A la frontière orien-
tale du duché de Saxe la guerre contre les Slaves
était une tradition constante, et comme le règne
de Lothaire lit trêve pour un momenl à la lutte du
sacerdoce et de l'empire, les peuples de l'Est furent
de nouveau attaqués avec vigueur : le premier iU'>
margrave- ascaniens, Albert l'Ours, acquit au delà de
l'Elbe un territoire qui ne devait plus être perdu, el
la marche du Nord, du nom de la capitale des Slaves
Hévelliens, s'appela marche de Brandebourg.
Ses progrès sont continus jusqu'à la fin de la dy-
nastie ascanienne. De nouvelles discordes, il est vrai,
affaiblissent l'empire. Pas un règne ne s'écoule sans
guerre civile, et la féodalité prend pied à pied pos-
session du sol allemand. Elle en est maîtresse, quand
le saint Empire Romain Germanique s'esl effondré
sous l'anathème du pape Grégoire IX. [U^ lors plus
d'unité, plus d'œuvre commune de la Germanie : les
dynasties territoriales n'ont souci quede leurs intérêts
privés.
Il semblait «{Lie la marche fui encore exposée aux
périls qu'elle avait courus, après les règnes de Ghar-
lemagne etd'Otton. Mais si la force offensive de l'Al-
lemagne avait diminué a cause de la chute de l'ein-
254 CONCLUSION
pire, la force de résistance des ennemis était plus
réduite encore. Aux iv el v siècles, les trois confédé-
rations des Slaves «If L'Elbe, Sorabes, Wiltzes, Obo-
trites s'appuyaienl sur les Polonais, les Poméraniens,
les Danois, redoutable réserve du paganisme. Au
m" siècle la Pologne, la Poméranie, le Danemark
riaient chrétiens. Les confédérations des slaves de
l'Elbe, qui, à de certains moments, avaient fait trêve
a leurs discordes, pour défendre contre les Allemands
leurs dieux et leur liberté, avaient disparu. Le terri-
toire des ^'iltzes, entamé par la Poméranie, ('lait
occupé par de petites tribus, hésitant entre les deux
religions, incapables de résister longtemps aux mar-
graves de Brandebourg.
I n margrave pouvait plus facilement qu'aucun autre
prince allemand s'isoler du reste de l'empire et tra-
vailler uniquement pour lui et pour sa maison. Une
marche, en effet, avait un double privilège : comme
état frontière , elle avait des institutions exception-
nelles, et elle était bien située pour s'étendre.
II y a deux périodes à distinguer dans l'histoire des
institutions brandebourgeoises, celle de la création et
celle de la déformation.
Il est naturel que la création ait été méthodique.
Quand les institutions naissent d'elles-mêmes, ce n'est
jamais sans quelque désordre. Quand on les établit,
c'est toujours sur un plan plus ou moins bien conçu.
Celui des margraves brandebourgeois fut très-simple.
Une fois qu'ils eurent passé l'Elbe, ils se trouvèrent
en terre nouvelle, libres d'y bâtir, comme ils l'enten-
daient. Ils firent la distribution du sol à leurs vassaux
et sujets, mais sans laisser prescrire leur droit pri-
mordial sur ce sol, et en imposant à tous la recon-
r
CONCLUSION 255
naissance de ce droit. Les paysans reçurenl \u\(' pro-
priété plus libre que n'en possédaient alors les paysans
d'Allemagne : mais ils avaient envers les margraves
des obligations militaires et financières. Les villes,
quoique pourvues de libertés municipales étendues,
furent soumises aux mêmes obligations. Il n'y eu1
pas de grande noblesse. Le vassal ne fut point dis-
pensé de toutes charges, sous prétexte qu'il payait
l'impôt du sang. C'était un soldat, à l'entretien duquel
était affecte un domaine déterminé et dûment arpenté.
Tout ce qu'il possédait de plus était soumis aux char-
ges d'elat.
Les évêques eux-mêmes, bien qu'ils pussent allé-
guer que leur origine, antérieure aux Ascaniens, re-
montait au temps de l'empereur Otton, durent recon-
naître que la qualité de conquérants du sol donnait
aux margraves des droits particuliers. Chacun savait
donc en Brandebourg, quels étaient ses devoirs en-
vers son seigneur, qui l'avait mis ou replacé à son
poste. Des avoués, dont les attributions ressemblaient
à celles des comtes, mais qui n'étaient que des fonc-
tionnaires toujours révocables, représentaient le mar-
grave dans les diverses circonscriptions de la marche.
Il y avaitdans cet état d'une nature exceptionnelle
de la simplicité, une hiérarchie el de la discipline.
La déformation ne se fit pas attendre; on peut
même dire qu'elle est contemporaine «le la création.
La pénurie financière a été partout au moyen-âge le
fléau des t'tals qui ont voulu comme le Brandebourg
se donner dr^ institutions presque modernes, sans
avoir les ressource- que les temps modernes devaient
fournir aux princes. Les margraves battirenl monnaie
avec leurs droits et privilèges. En même temps la ré-
256 CONCLUSION
gularité de l'institutioû primitive était détruite par le
jeu même de la vie quotidienne. Des vassaux s'élevè-
renl au-dessus des autres, Des paysans vendirenl
Leur terre à «les chevaliers, à «les bourgeois ou à des
moines, qui, une fois introduits dans La communauté
villageoise, La détruisirent. L'aliénation faite par Les
margraves de Leurs droits de juridiction constitua Les
seigneuries, qui étouffèrenl La liberté des paysans. En
même temps les villes développaient leurs libertés au
poinl de devenir presque indépendantes, e1 îles états
provinciaux commencèrent à s'organiser dans chaque
territoire de La marche, pour consentir et régler la
Levée de l'impôt. Cependant le margrave demeurait le
chef de ses vassaux, et de ses bourgeois. Il avait aliéné
a leur profit des revenus et des droits, mais en réser-
vant « sa suzeraineté princière ». Personne n'était
capable dans la marche de la lui contester sérieu-
sement. Les seigneuries demeurèrent petites, les
villes médiocres. Les états provinciaux ne représen-
taient que la province où ils étaient élus; encore ne
peut-on guère donner ce nom de province aux petits
territoires qui avaient été successivement réunis pour
former le Brandebourg. Le margrave en était le lien :
il demeura le personnage nécessaire, essentiel. La
marche n'existait que par lui.
De même que certaines institutions s'imposaient
au Brandebourg, à cause de sa qualité d'état fron-
tière, de même la direction où devait s'avancer la
conquête ascanienne était marquée d'avance par la
situation géographique de la marche. Placée au milieu
de la grande plaine germano-slave, sur les deux rives
de l'Elbe moyenne, elle ne pouvait s'étendre du côté
de l'Allemagne, où toutes les positions étaient prises.
CONCLUSION 257
C'est à l'est qu'elle devait prendre corps, aux dépens
des petites principautés slaves désorganisées. Mais un
état ne peut s'allonger en plaine, parallèlemenl à la
montagne et à la mer, sans chercher à couvrir ses
flancs menacés de toutes parts. Riverains de l'Elbe, les
margraves ne pouvaient point ne pas s'efforcer de re-
monter le fleuve et de le descendre. Ils étaient néces-
sairement attirés vers la montagne et vers la mer. Ils
ont atteinl l'une, et à plusieurs reprises touché l'autre :
leurs acquisitions dans la Saxe actuelle et dans la Lu-
sace ont porté leurs frontières jusqu'aux monts de
Bohême : ils ont commandé à Dresde et à Gorlitz. Un
moment même, la Silésiefut entamée par eux. Quatre
jours avant sa mort, le dernier margrave ascanien,
Waldemar . se faisait promettre par les ducs de
Glogau les territoires de Schwiebus , Zullichau ,
Crossen. Enfin n'est-il pas remarquable que les suc-
cesseurs d'Albert-l'Ours aient possédé Liibeck et
Danzig, convoité Stralsund, aidé le roi de Bohème à
fonder Kœnigsberg ?
il y a donc dans cette vieille histoire de la, marche
avant les Hohenzollern, plus d'un enseignement utile,
et nous n'avons pas exagéré en disant qu'il y faut
chercher les origines véritables de la monarchie prus-
sienne. N'a-t-on pas reconnu les traits principaux de
cette monarchie dans la marche, telle qu'elle a été
conçue d'abord par les margraves ascaniens, puis mo-
difiée parles circonstances? Des libertés provinciales,
des libertés municipales, une nombreuse petite no-
blesse, toute militaire, des seigneuries investies du
patronat et de la juridiction dans les campagnes, ce
mélange singulier du féodal et du moderne on nu
Français peut trouver tout à la fois à railler et à
17
258 CONCLUSION
envier, n'est-ce | ►■• > > , avec Les changements inévitables
apportés par le temps, Le Brandebourg d'aujourd'hui?
Telle Loi que les chambres de Prusse onl Longtemps
discutée, el qu'on met en vigueur au moment où ces
Lignes sonl écrites a été faite pour modifier un étal de
choses qui date de La conquête ascanienne.
Ces chambres de Prusse sonl toutes nouvelles dans
la monarchie ; Le parlement unique el national y esl
ne d'un accident révolutionnaire : seuls, les états pro-
vinciaux oui pour eux la tradition historique. Il n'y a
pas Longtemps (pie l'unité de La monarchie étail repré-
sentée uniquement par le roi, c'est-à-dire par l'héri-
tier des margraves. Aujourd'hui encore cet héritier se
croit plus qu'un souverain constitutionnel , el l'expé-
rience lui a donné raison. L'histoire entière du Bran-
debourg justifie sa prétention; car personne n'a mérité
autant que les margraves le titre de « père du pays »,
que les princes allemands aiment à se faire donner par
leurs sujets. Ce livre a montré que la marche était
bien leur création; mais elle était aventurée sur un
terrain dangereux, et, plusieurs fois, elle faillit périr :
les successeurs des margraves, les premiers Hôhen-
zollern, après la triste période des Bavarois et des
Luxembourgeois , le Grand Électeur après la guerre
de trente ans, Frédéric II après la guerre de sept ans,
la créèrent à nouveau. Frédéric parcourant ses étals
dévastés, ordonnant lui-même de relever telle ruine ,
de dessécher tel marais , reconstruisant ou fondant
des villages par entreprise, fait songer aux Ascaniens,
quand ils prirent possession du pays transalbin depuis
si longtemps désolé par la guerre , et que les villes et
les villages s'élevèrent par leur ordre et sous leurs
veux.
CONCLUSION L59
Certaines traditions, qui (latent du temps di^ As-
caniens, se sont perpétuées à travers l'histoire entière
de la Prusse. Elles sont attachées, si l'on peut parler
ainsi, au pays même. Il n'en est guère de plus triste
que le Brandebourg, ni que la nature ait fait plus
pauvre. Les géographies allemandes plaident là-dessus
les circonstances atténuantes. Elles veulent qu'on ail
calomnié « la sablière de l'Allemagne. » Elles nom-
ment des collines, qui ont en effet plusieurs mètres
de haut, el vaillent avec raison les lacs grands et
petits, et les bois où l'œil s'arrête et se repose. Il faut
pourtant convenir qu'en plus d'un endroit on se
croirait, l'été, perdu dans le Sahara. Telle petite ville,
quand le vent est fort, est enveloppée par des tour-
billons de sable : le yen! tombé, il faut dégager les
portes obstruées des maisons et balayer les rues, ou
le sable monte jusqu'au genou. Ailleurs le désert est
remplacé par le marécage. Un patriote brandebour-
geois a célébré les agréments de la marche, dans un
livre qu'il a intitule' : Entre marais et sable L On com-
prend que pour féconder un sol pareil, il ail fallu
de longs efforts, de l'habileté, el les liras de nombreux
travailleurs. Aussi Albert l'Ours appelle-t-il les immi-
grants ; il les envoie même chercher ; les Hohenzollern
feronl comme lui. Le brandebourg, sous les électeurs
Frédéric-Guillaume et Frédéric III, sous les rois Fré-
déric-Guillaume I et Frédéric II, a été une terre d'asile!
L'amour de l'humanité n'étail certes pas le principal
mobile de ces princes. Le n'est point par commiséra-
tion qu'Albert l'Ours a introduil les Hollandais dans
1. Voyez Daniel, Deutschland uuch einen }ihysi&chen und poli-
ttëchcn VcrhàUnisuen rjeschildert , t. i, |), 173-j.
'Jlid CONCLUSION
La marche; ilavail besoin d'eux, el L'on sail que Fré-
déric Il calculai! très-exactemenl ce que Lui pouvaienl
rapporter une tête el deux bras d'immigrant.
Dans ce p;i > s déshérité, OÙ le luxe de La richesse
est inconnu, il n'y a guère de place pour certains
luxes de L'esprit. Quelques-uns des margraves asca«
niens mit été, il est vrai, de brillants chevaliers; on
compte même des poêles parmi eux, el les chanteurs
riaient reçus à leur cour ; niais C6S chanteurs venairnl
du dehors. J'imagine que la cour d'un margrave asca-
nien, comparée à celle d'un landgrave de Thuringe,
devait paraître aussi barbare que la cour d'un, roi franc
de Cologne ou de Cambrai , comparée à celle d'un
roi wisigoth de Toulouse et de Tolède. Depuis les
àscaniens, le Brandebourg n'a point donné de moisson
de poètes. Les gloires intellectuelles y ont Longtemps
manqué; aujourd'hui encore elles n'y abondent pas. Sur
les « cartes intellectuelles, » comme on en publie en
Allemagne, la Souabc est couverte de noms illustres-,
s'il ne s'en trouvait un certain nombre autour de la
ville cosmopolite de Berlin, le Brandebourg paraîtrait
vide. Mais l'histoire est d'accord avec la fable pour
montrer que les peuples poètes sont rarement des
peuples vainqueurs. Les Macédoniens chantaient moins
que les Grecs, et la Grèce est devenue une province
de la Macédoine. Une sont aujourd'hui les successeurs
des landgraves de Thuringe, auprès des successeurs
des margraves de Brandebourg ?
A défaut de poètes, on trouverait à citer dans la
marche une longue liste d'hommes qui se sont hono-
rés au service de l'état. Le pays des avoués et des che-
valiers a produit un grand nombre d'administrateurs
et de soldats ; mais le soldat y a toujours été le prin-
CONCLUSION 2tll
cipal personnage. Les Ascaniens essaient tous les sys-
tèmes militaires du temps, la levée en masse, les mi-
lices féodales, les mercenaires. Ils se plaignent <\t>s
dépenses auxquelles les oblige leur armée; mais en
même temps ils disent que ces dépenses sont absolu-
ment nécessaires. Cette tradition-là ne s'est-elle pas
aussi bien gardée?
On a quelques scrupules à juger ainsi le passé avec
les lumières que donne le présent. Rien n'est plus
légitime pourtant. En présence de grands événements
comme il s'en est produit depuis dix ans en Allemagne
et en Europe, on éprouve l'impérieux besoin de re-
monter aux causes, et l'effet, après avoir provoqué la
recherche des causes , aide à les discerner et à les
comprendre.
Assurément on n'a jamais le droit d'affirmer que ce
qui est arrivé devait arriver de toute nécessité. Les
circonstances favorables, qui se sont présentées pour
seconder la fortune du Brandebourg au temps des
margraves ascaniens , c'est-à-dire la faiblesse et le
désordre des états allemands voisins de la marche,
l'anarchie des pays slaves, l'absence de pouvoir cen-
tral en Allemagne, auraient pu ne pas se rencontrer
de nouveau! Le Brandebourg était exposé à bien des
dangers par sa situation même. Dépourvu de fron-
tières, il pouvait périr comme la Pologne; mais s'il
devait durer, il était certain qu'il ne demeurerait
pas dans la médiocrité; car il fallait d'abord qu'il
prît racine par des institutions très-fortes sur ce
sol découvert, et il était condamné pour garantir sa
sécurité à s'agrandir toujours. Les margraves asca-
niens, sans cesse en mouvement, achetant tout ce qui
est à vendre, prenant tout ce qui estàprendre, annon-
262 I ONCLUSION
cciii les Hohenzollern mettante profit toutes les occa-
sions de rectifier Leurs frontières.
C'est sans le savoir que les Hohenzollern onl suivi
sur tant de points l'exemple des Ascaniens : la persé-
vérance dans les mêmes traditions s'explique parla
persistance i\r> mêmes uécessités.
Les historiens amis de la Prusse uc se contentent
pas de cette explication -, ils foui, d'ingénieuses l Ik'mh-ïcs
sur la philosophie de l'histoire prussienne : ils veulent
que le Brandebourg ail eu au moyen-àge une mission
chrétienne : el dans les temps modernes une mission
allemande en pays slave. Mais la mission chrétienne
de la marche n'a duré qu'un court moment de l'his-
toire d'Allemagne. Pour être duc de Saxe , Albert
l'Ours eût donné sans hésiter la gloire de convertir la
Slavie toute entière; quant aux Hohenzollern, ils ont
grandi surtout au dépens de l'Allemagne. Pour Tune
et l'autre dynastie, les conquêtes à l'Est ont été plus
faciles, les conquêtes à l'Ouest plus enviées. Les As-
caniens comme les Hohenzollern ont voulu jouir en
Allemagne des bénéfices de leurs victoires sur les
Slaves ; la colonie militaire du Brandebourg a eu de
très-bonne heure l'ambition de se retourner vers la
mère-patrie pour y dominer : trois Ascaniens ont bri-
gué la couronne impériale.
A dire le vrai, le Brandebourg n'a reçu d'autre mis-
sion que celle de vivre dans des conditions difficiles,
et il s'en est acquitté à merveille. Comme il arrive
chez les êtres faibles et menacés, l'instinct de la con-
servation s'est développé dans ce pays. Pour vivre, il
a dû faire un effort constant : il l'a fait. « Ce n'est pas
la destinée de la Prusse, disait naguère un roi de Prusjse
le jour de son couronnement, de s'endormir dans la
CONCLUSION '203
jouissance des biens acquis : la tension de toutes les
forces intellectuelles, le sérieux et la sincérité de la
foi religieuse, l'accord de l'obéissance et de la liberté,
l'accroissement de la force défensive sont les condi-
tions de sa puissance; si elle l'oubliait, elle ne garde-
rait pas son rang en Europe. » La pensée principale,
de ce discours, dépouillée des accessoires qui l'enve-
loppent, est d'une justesse indiscutable, et le prince qui
a prononcé ces paroles a donné en langage officiel et
mysticpie la loi de l'histoire de Prusse. Un Français,
Mirabeau, l'avait trouvée au siècle dernier sous celle
forme plus brève : « La guerre est l'industrie natio-
nale de la Prusse. »
Vu ET LU :
A Paris, en Sorbonne, ce 1er novembre 1874,
par le Doyen de la Faculté des lettres de Paris,
PATIN.
Vu ET PERMIS D'IMPRIMER :
Le Vice-Recteur de l'Académie de Paris,
MOURIER.
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ERRATUM,
Page 80, ligne '2i. au lieu de convertir, il faut retourner, Le mot
allemand étant non point bekehren, comme nous l'avions mal lu
sur une note manuscrite, mais verkehren. Voici d'ailleurs le
quatrain :
Heinrich der Leuw und Albrecht der Bar,
Dartho Frederik mit dem rodem llaar,
Dat waren dree Heeren,
De kunden de welt verkehren.
TABLE DES MATIÈRES
CHAPITRE I'r. — LA MARCHE AVANT L' AVÈNEMENT DES
ASCANIENS.
Les Slaves de l'Elbe et les Germains jusqu'à la mort de
Charlemagne 1
Leur situation comparée en 81 i In
Les Slaves de l'Elbe et les Allemands, depuis la mort de
Charlemagne, jusqu'à la fondation de la marche du Nord
^814-963) ix
La marche jusqu'à l'avènement des Ascaniens W3-li3i 2")
Situation singulière des Slaves de l'Elbe au début du xir siè-
cle. — Causes et conséquences de cette situation 3G
CHAPITRE II. — LE MARGRAVE ALBERT L'OURS.
Les Ascaniens avant l'avènement d'Albert au margraviat du
Nord '.::
Mission d'Otton de Bamberg chez les Wendes 51
La marche à l'avènement d'Albert, premiers actes d'Albert ;
expéditions et négociations en pays wende 58
Acquisition et perte du duché de Saxe 61
Croisade en pays wende GG
Prise de possession de Brandebourg 70
Nouvelles entreprises sur le duché de Saxe. — Mort d'Al-
bert 75
CHAPITRE III. — RELATIONS DES MARGRAVES ASCANIENS
AVEC L'EMPIRE ET LES ÉTATS ALLEMANDS.
Les successeurs d'Albert l'Ours; division de leur histoire.. 83
Relations des margraves avec 1 empire S7
Relations avec le duchtj de Saxe 9G
Relations avec l'archevêché de Magdebourg 103
Relations avec les marches de Lusace et de Misnie 1 lô
268 TABLÉ DES MATIÈRES
CHAPITRE IV. CONQUÊTES DE LA MAISON ASCA-
NIENNE EN l'\^s si„\\ ES.
La fondation du monastère de Lehnin 139
Conquêtes en pays de suzeraineté polonaise 132
Conquêtes en pays de Buzeraineté danoise 139
Tentatives (1rs margraves sur la Pomérellie. — Rapports avec
L'ordre teutontque 155
Relations avec le Mecklembonrg et nouvelles luttes avec le
I lanemark 1f>:s
Fin de la dynastie ascanienne 'j 72
CHAPITRE V. — , LES INSTITUTIONS DE LA MARCHE DE
BRANDEBOURG.
Du pouvoir margraviat 177
Formation de la population brandebourgeoise 183
Les Ordres dans la marche : les grands et les petits vassaux. 194
Les paysans et les bourgeois 201
Le clergé 210
Administration de la marche ; les avoués "21Ô
Des altérations de l'institution primitive dans la marche; de
l'autorité margraviale après ces altérations 228
CONCLUSION 254
FIN DR LA TABLE DES MATIERES
Routommiers. — Typogr. A. MOUSSIN.
PRI
>
Lavisse, Srnest
La marche de Rrandebr
- la dynastie ascanie
PLEASE DO NOT REMOVE
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