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Full text of "La marine française au Mexique"

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LA 


MARINE   FRANÇAISE 

AU    MEXIQUE 


LA 


MARINE  FRANÇAISE 

AU  MEXIQUE 


HENRI     RIVIERE 


CAPITAINE    DE    VAISSEAU 


PARIS 
CHALLAMEL  AINE,  LIBRAIRE-ÉDITEUR 

CARTES,    PLANS    ET   INSTRUCTIONS    DU    DÉPÔT    DE    LA    MARINE 

5,    RUE   JACOB    ET   RUE   FURSTENBERG,  2 


1881 


LA 

MARINE  FRANÇAISE 

AU  MEXIQUE 


CHAPITRE    PREMIER 

DE    LA   CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE 
AU   BLOCUS   DES   CÔTES 


I 


Mon  intention  n'est  pas  d'écrire  l'expédition 
du  Mexique.  Tout  le  monde  en  connaît  les  causes 
.diverses.  Je  veux  seulement  raconter  ce  que  fit  la 
jmarine  dans  les  dernières  années  du  séjour  et 
[durant  la  période  d'évacuation.  La  tâche  qu'eu- 
•  rent  à  remplir  les  bâtiments  fut  à  la  fois  ingrate 
et  glorieuse.  Elle  montre,  dans  un  cadre  d'action 
parallèle  à  celui  de  l'armée  de  terre ,  les  difficul- 
tés, les  efforts  de  tout  genre,  les  obstacles  vail- 
lamment surmontés ,  mais  renaissants ,  qui  ne 
cessèrent,  du  premier  au  dernier  jour,  d'entraver 
l'expédition  mexicaine. 


£76819 


2  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Après  le  débarquement,  la  convention  de  la 
Soledad,  réchec  subi  devant  Puébla,  la  jjrise  de 
cette  ville  et  l'entrée  à  Mexico,  la  nomination 
d'une  régence,  certains  projets  de  domination  et 
la  perspective  prochaine  de  l'établissement  régu- 
lier de  l'empire,  on  se  prit  à  espérer  que  l'expé- 
dition du  Mexique  pourrait  être  menée  à  bonne 
fin,  et  les  forces  maritimes,  jusque-là  dirigées 
par  un  officier  général,  furent  réduites  aux  pro- 
portions d'une  division  confiée  à  un  capitaine  de 
vaisseau.  Ceci  se  passait  au  mois  d'octobre  1864. 

Pendant  que  les  troupes  de  terre  occupaient  à 
l'intérieur  les  difierentes  provinces  de  l'empire 
ou  en  poursuivaient  la  conquête,  la  marine  avait 
pour  mission  de  surveiller  les  côtes ,  d'y  lier  ses 
communications  avec  l'armée,  d'y  porter  à 
chaque  instant  les  détachements  nécessaires,  de 
rechercher  les  corsaires  juaristes  ou  américains 
dont  l'armement  ou  la  présence  déjà  signalés 
étaient  un  objet  de  vive  préoccupation ,  de  cen- 
traliser à  Vera-Cruz  le  service  des  transports  et  • 
d'approvisionnement  de  la  flotte  et  de  l'armée,  et  de 
concourir,  dans  ses  seules  limites  d'action  mari- 
time toutefois  et  en  ne  débarquant  que  très 
éventuellement  ses  équipages,  à  toute  opération 
dirigée  contre  un  point  de  la  côte.  Ce  n'était 
point  là  une  mince  besogne,  surtout  dans  l'état 
encore  très  précaire  de  notre  domination. 


CREATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  3 

Tout  le  long  littoral  en  effet  de  250  lieues  do 
Matamores  jusqu'à Campêche  n'était  qu'imparfai- 
tement réduit,  ou  prêt  à  se  dérober  au  joug  dès 
qu'une  circonstance  favorable  se  présenterait. 
De  Matamores ,  qui  venait  d'être  pris  au  mois 
d'août,  jusqu'à  Tampico  inclusivement,  où  se 
faisait  sentir  la  main  de  fer  du  colonel  du  Pin, 
aucune  complication  ne  semblait  à  craindre,  au 
moins  pendant  quelque  temps.  Quant  au  port  de 
Tuspan ,  situé  entre  Tampico  et  Vera-Cruz ,  la 
fidélité  qu'on  nous  y  gardait  était  douteuse.  La 
position  pouvait  être  perdue  d'un  jour  à  l'autre 
par  la  faute  ou  la  connivence  des  chefs  mexicains 
à  qui  on  l'avait  confiée. 

Depuis  Tuspan  jusqu'à  Vera-Cruz,  toute  la  côte 
était  ennemie,  et  nous  ne  pouvions  avoir  de 
relations  avec  aucune  des  villes  situées  au  dedans 
des  barres  de  Cazones,  Lima,  Tecolutla  et  Nautla. 
La  ville  de  Vera-Cruz,  bien  qu'en  notre  pouvoir, 
était  entourée  de  guérilleros  qui  venaient  frapper 
aux  portes  et  enlevaient  du  monde  sur  l'Alameda. 
Les  guérilleros  avaient  établi  des  douanes  à  l'aide 
desquelles  ils  percevaient  des  droits  sur  tout  ce 
qui  entrait  en  ville  ou  en  sortait.  Les  négociants 
qui  voulaient  assurer  leurs  marchandises  en- 
voyaient tout  simplement  demander,  moyennant 
finances,  un  laissez-passer  à  Garcia,  le  chef  de 
ces  bandes.  Il  était  possible  qu'un  beau  jour  ces 


4  LA  MABINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

brigands,  les  libéraux,  comme  on  les  appelait 
alors,  fissent  une  tentative  contre  Vera-Cruz. 

Au  sud  de  Vera-Cruz,  il  y  avait  une  compagnie 
de  volontaires  créoles  de  la  Martinique  et  deux 
canonnières  pour  garder  Alvarado.  A  l'ouest  de 
cette  ville  et  jusqu'à  Carmen,  toute  la  côte  était 
à  l'ennemi.  On  ne  savait  pas  trop  quelles  étaient 
les  dispositions  du  Goazocoalcos  et  de  Minatitlan, 
mais  les  négociants  français  de  Vera-Cruz,  qui 
furent  toujours  très  loin  d'épouser  la  cause  de 
l'intervention,  devaient  être  mieux  renseignés, 
car  ils  avaient  naguère  très  exactement  instruit 
les  habitants  de  ce  que  nous  projetions  contre 
eux. 

Au  Tabasco  qui  ne  nous  appartenait  pas,  les 
dissidents,  enhardis  par  la  récente  retraite  du 
général  Brincourt,  étaient  devenus  plus  orgueil- 
leux que  jamais.  La  levée  du  blocus  autrefois 
établi  sur  tous  les  points  de  la  côte,  qui  avait  été 
comme  le  don  de  joyeux  avènement  de  l'empe- 
reur Maximilien,  leur  avait  déjà  donné  environ 
200,000  piastres,  ce  qui  leur  avait  permis  de 
lever  de  nouvelles  troupes  et  de  les  bien  payer. 
La  Frontera  venait  de  se  prononcer  pour  eux,  et 
ils  y  avaient  rétabli  comme  autrefois  la  douane 
de  Tabasco.  Carmen  ne  devait  pas  bouger  tant 
qu'il  y  aurait  un  bâtiment  français,  mais  il  s'y 
produisait   une   certaine    opposition    contre    le 


CREATION   DE  LA  DIVISION   NAVAJ.K  .0 

préfet  politique  et  militaire,  le  général  Marin. 

Carmen  est  une  île  facile  à  défendre.  Elle  était 
précieuse  parce  qu'elle  pouvait  devenir  un  point 
de  concentration  pour  nous,  la  lagune  de  Termi- 
nes communiquant  avec  le  Tabasco  par  plusieurs 
arroyos.  Campêche  et  le  Yucatan,  soumis  au  mois 
de  janvier  précédent,  demeuraient  tranquilles, 
mais  en  rêvant  leur  affranchissement;  et  tandis 
que  les  anciens  chefs  qu'on  en  avait  chassés 
s'occupaient  à  Cuba  de  l'achat  d'armes  et  de 
munitions  de  guerre,  les  autres  chefs,  —  le 
général  Navarrete  en  tête,  qui  avait  le  plus 
contribué,  en  se  prononçant,  à  donner  le  Yucatan 
à  l'empire,  —  mis  de  côté  par  le  gouvernement 
de  Mexico,  étaient  bien  capables  de  faire  de 
nouveau  volte-face  et  de  se  déclarer  contre  lui 
au  premier  jour. 

Tel  était  l'état  de  la  côte;  et  malheureusement, 
pour  venir  à  bout  de  la  tâche  de  surveillance  et 
de  mouvements  continuels  qui  lui  incombait, 
la  division  navale  du  golfe  du  Mexique  n'avait 
qu'un  nombre  restreint  de  bâtiments,  peu  aptes, 
il  faut  l'avouer,  par  leurs  qualités  nautiques,  au 
rude  service  qu'on  exigeait  d'eux.  De  Vera-Cruz 
à  Rio-Grande,  ils  ne  pouvaient  que  porter  des 
troupes  à  un  point  donné,  sans  y  séjourner  eux- 
mêmes  ;  car,  sur  toute  cette  côte  et  dans  la  saison 
qui  s'ouvrait,  les  navires  sont  en  perdition  et 


6  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU  MEXIQUE 

doivent  prendre  le  large  dès  que  le  mauvais  temps 
s'annonce.  Pour  peu  que  l'on  tarde,  on  est  forcé 
de  filer  ses  chaînes  et  d'abandonner  ses  ancres 
sur  le  fond.  C'est  ainsi  que  le  Colbert  avait  fait  de 
graves  avaries  dans  un  coup  de  vent  en  venant 
de  Tampico,  et  que  le  transport  la  Drôme  avait 
mis  dix  jours  à  pouvoir  communiquer  quelques 
heures  avec  Tampico  et  Tuspan,  sans  toutefois 
parvenir  à  mettre  à  terre  quelques  chevaux  qu'elle 
avait  à  bord. 

A  Vera-Cruz,  où  le  service  du  port  était  très 
actif,  les  moyens  pour  y  faire  face  étaient  insuf- 
fisants, puisque,  faute  de  pouvoir  décharger  dans 
le  temps  convenu  les  navires  de  commerce  qui 
arrivaient  pour  le  compte  du  gouvernement,  on 
était  obligé  de  payer  de  fréquentes  indemnités.  Ce 
n'était  donc  pas  le  moment  de  diminuer,  en  les 
renvoyant  à  la  Martinique,  comme  on  semblait  en 
avoir  l'intention,  les  matelots  créoles  qui  faisaient 
le  service  à  Vera-Cruz,  d'autant  moins  qu'ils 
étaient  un  renfort  éventuel  à  la  garnison  dans  le 
cas  d'une  tentative  sérieuse  des  guérillas  contre 
la  ville.  A  l'est  d'Alvarado  et  jusqu'à  Carmen, 
toute  la  côte  allait  devenir  excessivement  dange- 
reuse, parce  que  les  coups  de  vent,  au  lieu  de 
permettre  de  prendre  le  large  comme  au  nord  de 
Vera-Cruz,  battent  en  côte  et  que  les  bâtiments  à 
grande  puissance  de  machine  peuvent  seuls  avoir 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  7 

quelque  chance  de  se   mettre  hors  de  danger. 

Or ,  à  Texception  peut-être  du  Magellan  et  du 
Darien,  la  division  ne  comptait  aucun  de  ces 
bâtiments-là.  Les  canonnières,  au  nombre  de 
quatre  ou  cinq,  pouvaient  bien,  quand  la  mer 
était  belle,  passer  certaines  barres  de  rivières; 
mais,  avec  grand  vent  et  la  mer  creusant,  elles 
couraient  le  risque  d'y  être  culbutées.  Le  Goazoc- 
oalcos  et  le  Tabasco  n'eussent  donc  pas  pu  servir 
de  refuge  à  ces  petits  navires.  D'ailleurs,  les  barres 
changent  fréquemment  et  il  faut  absolument  un 
pilote  de  la  localité.  Or  tous  les  pilotes  étaient 
avec  les  libéraux  et  ne  seraient  pas  venus  à  notre 
appel.  Comme  compensation,  depuis  Carmen 
jusqu'à  la  pointe  nord  de  la  péninsule  de  Yucatan, 
les  bâtiments  peuvent  recevoir  des  coups  de  vent 
à  l'ancre  sans  être  obligés  de  prendre  le  large  et 
sans  courir  le  moindre  danger.  Il  est  vrai  que, 
relativement,  la  présence  de  nos  navires  n'était 
pas  nécessaire  sur  cette  partie  de  la  côte. 

Si  la  division  navale  du  golfe  était  jusqu'à  un 
certain  point  insuffisante  par  le  nombre  et  le  peu 
de  qualités  de  ses  bâtiments,  l'esprit  de  ses  états- 
majors  et  de  ses  équipages  était,  en  revanche, 
fortement  trempé.  La  plupart  étaient  depuis  un 
an  au  Mexique  et  avaient  supporté  les  périls  du 
climat,  les  fatigues  des  diverses  expéditions. 

Ces  expéditions,  dont  personne  n'entrevoyait  le 


8  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

terme,  avaient  un  attrait  d'ambition  pour  tous  et 
surtout  pour  les  jeunes  capitaines  de  canonnières 
qui,  ayant  presque  sur  tous  les  points  à  pénétrer 
dans  les  rivières,  s'y  trouvaient  plus  activement 
engagés.  Le  commandant  de  la  division,  le  capi- 
taine de  vaisseau  Cloué,  à  qui  Ton  avait  dû,  au 
mois  de  janvier  précédent,  la  capitulation  de 
Campêche  et  par  suite  la  prompte  adhésion  du 
Yucatan  à  l'empire,  avait  donc  des  officiers  dignes 
de  lui  et  tout  à  fait  à  la  hauteur  des  circonstances. 
Il  faut  le  dire  aussi,  bien  que  la  situation  géné- 
rale fût,  comme  nous  venons  de  le  voir,  mélangée 
de  bien  et  de  mal,  l'espérance  d'une  heureuse 
issue  aux  affaires  du  Mexique  était  assez  répandue. 
Le  maréchal  Bazaine,  alors  commandant  en  chef 
des  forces  françaises,  avait  le  projet  d'entreprendre 
prochainement  une  expédition  contre  le  Oajaca  et 
d'en  finir  avec  cette  province,  où  l'ennemi  sem- 
blait vouloir  concentrer  ses  derniers  moyens  de 
résistance.  Cette  opération,  dans  les  intentions  du 
maréchal,  devait  se  compléter  par  une  attaque  de 
la  marine  sur  Tabasco.  Les  dissidents,  ainsi  pris 
entre  deux  feux,  seraient  forcés  de  se  disperser. 
Ce  serait  là,  disait-on,  le  couronnement  de  la 
campagne  du  Mexique.  En  effet,  cette  dernière 
résistance  sérieuse  une  fois  vaincue,  les  bandes 
diverses,  que  nos  colonnes  avaient  coupées  par 
tronçons  dans  le  nord,  ne  pourraient  plus  se 


CREATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  9 

rejoindre,  et  les  brigands  des  environs  de  Vera- 
Cruz  ne  tarderaient  pas  à  disparaître. 

Toutefois,  pendant  que  se  faisaient  les  prépa- 
ratifs de  Texpédition  du  Oajaca,  un  incident 
auquel  on  pouvait  s'attendre  se  produisit.  On 
apprit  que  Tuspan  était  menacé  par  les  bandes 
rejetées  de  Jalapa,  jointes  aux  gens  de  Papantla, 
que  les  habitants,  autorités  et  garnison  en  tête, 
étaient  prêts  à  s'embarquer,  et  que  les  effets  les 
plus  précieux  étaient  déjà  sur  des  bateaux.  Au 
lieu  d'essayer  la  moindre  résistance,  tout  le  monde 
lâchait  pied. 

Le  commandant  Cloué  expédia  aussitôt  le 
Forfait  devant  la  barre.  Le  seul  secours  qu'il  dut 
porter  à  Tuspan  était  de  faire  franchir  la  barre  à 
un  canot  armé  en  guerre  et  de  l'expédier  devant 
la  ville.  De  si  peu  d'efficacité  réelle  que  pût  être 
une  si  petite  force  militaire,  on  savait  par  expé- 
rience qu'elle  avait  une  grande  influence  morale 
sur  les  bandes  du  genre  de  celles  qui  entouraient 
Tuspan.  Cela  devait  suffire,  en  effet.  Les  bandes 
venant  de  Papantla,  leur  repaire  habituel,  avaient 
pour  chef  Lara,  dont  toute  la  vie  s'était  passée  à 
ce  métier  de  cabecilla.  Elles  se  composaient  de 
soixante-dix  cavaliers  et  de  cinq  cent  quarante 
fantassins,  dont  une  cinquantaine  de  déserteurs, 
armés  de  carabines  françaises  et  américaines. 
Les  aventuriers  passaient  sur  la  rive  gauche  de 


10  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

la  rivière  de  Tuspan,  où  est  bâtie  la  ville,  quand 
le  canot  du  Forfait  arriva.  Ils  se  replièrent 
aussitôt.  Le  canot  accosta,  et  son  canon  rayé  de  4 
fut  débarqué  sur  la  place  de  manière  à  enfiler  la 
rue  principale.  La  ville  était  sauvée. 

L'officier  qui  commandait  le  canot  du  Forfait 
trouva  néanmoins  tout  le  monde  fort  alarmé.  Le 
préfet  politique,  M.  Llorente,  se  ranima  un  peu 
au  contact  de  l'officier  français  et  organisa  même 
la  garnison  pour  tenter  une  sortie,  si  l'ennemi  se 
retirait  bien  franchement.  Cette  garnison  se 
composait  de  quarante-cinq  cavaliers,  dont  vingt- 
cinq  seulement  montés,  de  cent  quarante  fantas- 
sins et  de  cent  vingt  hommes  de  milices,  cette 
dernière  force  très  peu  sûre  et  bien  plus  disposée 
à  se  cacher  dans  les  bois  qu'à  lutter.  Tout  ce 
monde  cependant  prit  assez  de  courage  pour 
tenter,  le  lendemain,  de  troubler  la  retraite  de 
l'ennemi  sur  la  rive  droite.  Cent  hommes  des  plus 
résolus  appuyèrent,  en  cheminant  par  la  rive 
gauche,  le  canot  du  Forfait,  qui  remonta  la  rivière 
à  trois  milles. 

Cette  curieuse  petite  afiaire  permit  de  percer  à 
jour  et  de  visu  la  situation  intérieure  de  Tuspan, 
qui  était  à  peu  près  celle  de  toutes  les  villes  du 
littoral.  Le  préfet  politique  se  faisait  une  rente 
avec  les  impôts  qu'il  frappait  de  temps  à  autre 
sur  les  négociants  pour  payer  des  troupes,  dont 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  11 

Peffectif  très  incomplet  se  grossissait,  dans  ses 
envois  d'état  à  Mexico,  de  soldats  de  paille  habi- 
lement groupés.  Cette  rente  l'inclinait  fort  vers 
la  fidélité  à  l'empire  ;  mais  avec  la  grande  expé- 
rience que  son  âge  lui  avait  acquise  des  roueries 
d'un  fonctionnaire  mexicain,  il  avait  la  facile 
théorie  de  conduite  ordinaire  à  ses  pareils  et 
qu'avaient  engendrée  de  temps  immémorial  les 
discordes  intestines  de  son  pays.  Il  était  fort  pour 
commander  et  ramasser  de  l'argent  pendant  la 
paix,  et,  dès  qu'il  s'agissait  de  se  battre,  pour 
arguer  de  son  peu  de  moyens  de  résistance  et  se 
sauver  avec  la  caisse. 

On  comprend  que  les  villes  si  lestement  sauvées 
sont  d'autent  plus  difficiles  à  garder.  Un  jour 
plus  tard,  ou  s'il  eût  fait  du  vent  du  nord,  le 
canot  ne  fût  point  arrivé  à  temps  ou  n'eût  pu 
franchir  la  barre,  et  Tuspan  était  momentanément 
perdu,  comme  il  avait  été  déjà  momentanément 
conquis.  On  y  envoya  la  Pique,  canonnière  qui 
pouvait  pénétrer  dans  la  rivière  et  qui  dut  y 
séjourner,  sauf  à  surveiller  avec  le  plus  grand 
soin  la  hauteur  de  l'eau  sur  la  barre  afin  de  se 
retirer  à  temps.  Il  ne  fallait  pas,  en  effet,  que 
l'accident  de  la  Lance,  obligée  de  se  brûler  en 
1863  dans  la  rivière  de  Tampico,  se  renouvelât. 

Les  instructions  que  reçut  la  Pique  étaient 
énergiques  et  sommaires.  Si  le  capitaine  le  ju- 


12  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

geait  nécessaire  au  salut  de  la  ville,  il  ne  devait 
pas  hésiter  à  s'assurer  de  Llorente,  le  préfet  po- 
litique, et  de  son  fils  le  colonel,  et  à  les  mettre 
hors  d'état  de  nuire.  Il  fallait  donner  du  cœur  à 
tous  ces  gens  de  Tuspan  et  les  pousser  à  une 
expédition  qui  dégageât  la  barre  de  Cazones  et 
les  menât  jusqu'à  Papantla,  faire  en  un  mot  suc- 
céder l'initiative  et  l'esprit  d'entreprise  à  l'hésita- 
tion et  à  l'apathie.  C'était  plus  facile  à  projeter 
qu'à  faire;  mais  ces  instructions,  en  trahissant 
une  certaine  irritation  vis-à-vis  de  dangers  qui 
eussent  été  puérils  s'ils  n'eussent  eu  contre  nous 
leur  force  d'inertie  et  qu'on  ne  conjurait  un  mo- 
ment que  pour  les  voir  aussitôt  revenir,  sentaient 
le  voisinage  à  Tampico  de  l'expéditif  colonel  du 
Pin. 

Des  préoccupations  plus  graves  que  cette  échauf- 
fourée  de  Tuspan  eussent,  dès  ce  moment-là,  tenu 
la  marine  en  éveil,  si  le  commandant  de  la  divi- 
sion se  fût  laissé  gagner  par  elles.  L'avis  parvint, 
en  effet,  de  différons  côtés,  d'armement  de  cor- 
saires américains  pour  le  compte  de  Juarez  et 
munis  par  lui  de  lettres  de  marque.  Il  s'armait, 
disait-on,  à  New-Orléans  et  à  Key-West  quatre 
corsaires  destinés  à  courir  sus  à  nos  navires  de 
commerce  et  surtout  à  nos  paquebots.  Tout  d'a- 
bord, le  gouvernement  français  ne  s'en  émut  pas 
outre  mesure.  La  guerre  entre  le  Sud  et  le  Nord 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  13 

n'était  par  terminée,  et  il  lui  paraissait  difficile 
d'admettre  que  les  États-Unis  tolérassent  de  pa- 
reils faits,  si  contraires  aux  devoirs  des  neutres 
et  aux  bonnes  relations  qui  existaient  entre  les 
deux  pays.  Il  ajoutait  que,  par  suite  de  l'établis- 
sement de  l'empire  mexicain,  le  gouvernement 
de  Juarez  avait  cessé  d'exister  et  que  les  navires 
capturés  seraient  considérés  comme  pirates  et 
traités  comme  tels. 

Le  maréchal  Bazaine  prenait  la  chose  plus  au 
sérieux  et,  devançant  les  événemens,  il  voyait 
poindre  dans  ces  préparatifs  hostiles  une  inter- 
vention armée  de  la  part  des  Américains.  Cette 
idée  le  domina  bientôt  à  un  tel  point,  qu'il  songea 
à  fortifier  le  fort  Saint-Jean-d'Ulloa  et  l'îlot  de 
Sacrificios  et  à  mettre  nos  paquebots  à  l'abri  de 
toute  attaque  en  embarquant  à  bord  des  compa- 
gnies armées. 

Pour  le  moment  et  en  face  de  corsaires  qu'on 
n'avait  point  encore  vus,  ces  précautions  étaient 
prématurées.  Cet  armement  de  corsaires  n'était 
et  ne  pouvait  être  qu'une  spéculation  commerciale. 
Sous  le  masque  de  corsaires  mexicains,  les  Améri- 
cains allaient  se  faire  écumeurs  de  mer  et  tâcher 
de  ramasser  le  plus  d'argent  possible.  Ils  pour- 
raient dans  ce  dessein  donner  la  chasse  à  nos 
navires  de  commerce  et  à  nos  paquebots,  mais 
non  s'attaquer  à  Vera-Cruz  ou  à  Sacrificios,  parce 


14  LA   MARINE  FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

qu'ils  savaient  que  cela  ne  pouvait  leur  rapporter 
que  des  coups.  D'ailleurs,  tel  qu'il  était,  le  fort 
de  Saint-Jean-d'Ulloa  possédait  plus  de  canons 
qu'il  n'en  fallait  pour  tenir  à  distance  une  force 
navale  plus  importante  même  que  deux  ou  trois 
corsaires. 

L'embarquement  de  compagnies  sur  les  paque- 
bots ne  pouvait  être  très  utile.  Tout  corsaire, 
en  effet,  qui  eût  attaqué  le  paquebot  et  se  fût 
aperçu  qu'il  y  avait  une  force  à  bord,  se  fût  con- 
tenté de  le  couler  en  le  canonnant  avec  une  forte 
pièce  à  pivot  et  en  se  tenant  hors  de  portée  des 
fusils  ou  des  canons  de  calibre  inférieur  que  des 
bâtimens  de  faible  échantillon  tels  que  les  paque- 
bots peuvent  avoir  à  bord.  Dans  ce  cas,  après 
une  canonnade  d'une  certaine  durée,  la  compagnie 
de  garnison  eût  été  dans  l'alternative  de  se  rendre 
prisonnière  ou  d'être  coulée. 

Certes,  en  la  supposant  réelle,  l'existence  de  ces 
corsaires  était  un  fait  fort  grave  ;  mais  il  y  avait 
lieu  d'en  douter,  car  depuis  deux  ans  cette  entre- 
prise avait  plus  de  chances  d'impunité  qu'à  cette 
heure  où  les  bâtiments  devaient  être  déclarés  pi- 
rates, et  cependant  elle  n'avait  pas  été  tentée.  Il 
n'y  avait  donc  qu'à  envoyer  des  navires  chercher 
des  renseignements  positifs  et  croiser  à  certains 
points  d'arrivée  des  paquebots  dans  le  golfe  du 
Mexique. 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  15 

C'était  là  néanmoins  un  souci,  tant  à  cause  du 
nombre  restreint  de  bâtiments  que  de  la  difficulté 
de  la  navigation  dans  cette  saison  de  coups  de  vent 
de  nord.  Vera-Cruz  exigeait  la  présence  du  Ma- 
gellan,  le  Darieti  était  à  Matamores  mouillé  en 
pleine  côte,  la  Pique,  dans  la  rivière  de  Tuspan, 
le  Forfait  en  dehors  de  la  barre  ou  à  l'abri  de 
recueil  de  Tanguijo  à  veiller  sur  la  Pique,  le 
Colbert  devant  Tampico,  le  Brandon  à  Campêche, 
la  Tourmente  à  Carmen,  et  la  Tempête  et  la  Sainte- 
Barbe  à  Alvarado.  Ces  bâtiments,  nécessaires  aux 
points  où  ils  se  trouvaient,  ne  pouvaient  guère 
être  utilisés  que  lorsqu'ils  changeaient  de  station 
entre  eux.  Or  la  plupart  avaient  besoin  de  répa- 
rations, et  quelques-uns  étaient  fort  vieux.  Le 
Brandon  venait  de  faire  une  grave  avarie  de 
machine  ;  la  Tempête  et  la  Sainte-Barbe  n'étaient 
plus  propres  à  naviguer  et  pouvaient,  tout  au 
plus,  durer  quelque  temps  encore  dans  les  rivières. 

Il  y  avait,  il  est  vrai,  sept  transports  à  Vera- 
Cruz,  mais  cela  même  était  un  embarras.  Ils  at- 
tendaient d'un  jour  à  l'autre  des  troupes  qui 
rentraient  en  France  et  que  le  déplorable  état 
des  chemins  retenait  en  marche.  Pour  en  disposer, 
même  momentanément,  il  eût  fallu  leur  donner 
du  charbon,  qu'on  n'avait  qu'en  petite  quantité  ;  car 
ils  avaient  consommé  pour  la  plupart  le  très 
mauvais  combustible  qu'ils  avaient  pris  en  excé- 


16  LA   MARINE  FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

dent  à  la  Martinique  pour  l'amener  à  Vera-Cruz. 
En  attendant,  par  la  prolongation  de  leur  séjour, 
ils  épuisaient  Vera-Cruz  en  vivres,  surtout  en 
vin.  Déjà,  si  les  troupes  ne  devaient  décidément 
point  s'embarquer  dans  un  court  délai,  il  était 
question  de  renvoyer  les  transports  à  la  Marti- 
nique, c'est-à-dire  à  huit  cents  lieues,  pour  les  en 
faire  revenir  au  moment  opportun. 

Ces  petites  misères,  qu'on  aimait  à  ne  pas  croire 
sérieuses  au  moment  d'un  dénoûment  en  appa- 
rence heureux  et  prochain,  étaient  pourtant  une 
gêne  et  une  inquiétude  que  chaque  jour,  loin  de 
les  diminuer,  accroissait. 

On  espérait  beaucoup  de  l'expédition  contre 
Oajaca,  mais  les  inondations  venaient  de  l'arrêter 
dans  sa  marche.  Cela  était  d'autant  plus  regret- 
table, que  les  nouvelles  de  Carmen,  du  Tabasco  et 
du  Yucatan  n'étaient  plus  aussi  bonnes  qu'elles 
eussent  pu  l'être. 

Le  trait  principal  de  l'existence  politique  mexi- 
caine est  l'anarchie.  De  temps  immémorial,  on  y 
vit  de  désordre,  de  compétitions  de  général  à 
général,  de  chef  de  bandes  à  chef  de  bandes,  de 
rivalités  de  province  à  province,  de  ville  à  ville. 
La  concussion,  les  rapines,  les  exactions  sont 
des  faits  normaux,  acceptés,  décorés  de  noms 
presque  honnêtes.  Cela  est  ainsi,  on  s'y  est  fait, 
on  n'en  souffre  même  pas  trop,  et  les  gens  qui 


CREATION    DE  LA   DIVISION    NAVALE  1/ 

appellent  Tordre  de  tous  leurs  vœux  sont  en  très 
petit  nombre. 

La  population  mexicaine  n'a  pas  en  adminis- 
tration la  notion  du  bien  et  du  mal.  C'est  là  un 
des  écueils  où  se  sont  brisées  nos  tentatives  de 
réorganisation.  On  n'a  jamais  cru  à  notre  bonne 
foi,  à  nos  intentions  loyales,  et  Ton  s'est  moqué 
de  nos  atermoiements  et  de  notre  douceur.  Peut- 
être  ne  rétablit-on  l'équilibre  moral  dans  les  na- 
tures perverties  que  par  la  terreur  et  non  par  la 
persuasion.  Où  l'impunité  cesse  par  le  châtiment, 
la  concience  s'éveille.  Un  homme  très  calomnié 
et  sur  lequel  nous  reviendrons,  le  colonel  du  Pin, 
l'avait  compris,  et  son  système  d'implacable  sévé- 
rité l'emportait  de  beaucoup  sur  nos  impuissantes 
théories  civilisatrices.  C'était  un  officier  dont, 
dans  les  provinces  soi-disant  soumises,  on  n'eût 
pas  approché  à  cinquante  lieues,  tant  il  inspirait 
une  sainte  terreur  aux  bandits  et  aux  espions. 

A  défaut  de  nos  braves  troupes,  cette  terreur 
eût  été  très  utile  dans  les  terres  chaudes,  qui, 
livrées  à  elles-mêmes  et  ne  redoutant  guère  une 
répression  immédiate,  commençaient  à  remuer. 
Pendant  qu'autour  de  Vera-Cruz  les  diverses  ban- 
des des  Prieto  et  des  Diaz  continuaient  avec  plus 
d'audace  leurs  actes  de  brigandage,  l'ancien  pré- 
sident de  l'état  libre  et  souverain  de  Campêche,  au 
moment  où  nous  avions  fait  capituler  la  ville, 

2 


18  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Pablo  Garcia,  agitait  sourdement  le  Yucatan.  Il 
est  vrai  que  c'était  l'empereur  Maximilien  qui, 
par  un  acte  de  clémence  un  peu  prématuré,  l'y 
avait  laissé  rentrer,  ainsi  que  quelques-uns  de 
ses  amis,  gens  très  intelligens  et  très  dangereux. 

Au  premier  jour,  ces  conspirateurs  émérites 
pouvaient,  avant  qu'elle  ne  sût  d'où  cela  lui  vînt, 
saisir,  amarrer  et  bâillonner  la  très  petite  garni- 
son de  Campêche.  Mérida,  la  principale  ville  du 
Yucatan  et,  naturellement,  par  suite,  l'ennemie  de 
Campêche,  était  mécontente  ou  plutôt  pleine  de 
mécontents  dont  l'espèce  toute  particulière  révèle 
une  plaie  inhérente  au  Mexique  et  que  nous  appel- 
lerons, si  cela  se  peut  dire,  le  colonèlat.  C'étaient 
tous  ces  colonels  remerciés  qui  émargeaient  autre- 
fois au  budget  et  ne  pardonnaient  pas  qu'on  les 
eût  mis  de  côté.  La  mesure  prise  à  leur  égard  dans 
la  réorganisation  trop  hâtive  et  trop  peu  étudiée 
de  l'armée  mexicaine  avait  peut-être  été  trop  ra- 
dicale. Il  eût  fallu  les  licencier  par  degrés,  car 
continuer  à  les  payer  eût  été  acheter  la  paix,  tan- 
dis qu'en  les  congédiant,  comme  on  l'avait  fait, 
sans  être  prêts  à  les  châtier  s'ils  bougeaient,  on 
avait  risqué  d'avoir  la  guerre,  c'est-à-dire  un  nou- 
veau soulèvement  du  Yucatan. 

Carmen  et  la  lagune  de  Termines  ne  demeu- 
raient tranquilles  que  grâce  à  la  continuelle  pré- 
sence d'un  de  nos  bâtiments,  et  le  Tabasco,  conti- 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  19 

nuant  à  prospérer  comme  état  souverain,  ramas- 
sait, dans  son  hostilité  contre  nous,  les  droits  de 
douane  qui  étaient  énormes,  et  faisait  aux  com- 
merçants des  emprunts  forcés.  Les  chefs  de  cet 
état  se  préparaient  ainsi  à  nous  résister  et,  en 
tout  cas,  à  ne  point  s'en  aller  les  mains  vides.  La 
résistance  du  Tabasco  pouvait  être  d'autant  plus 
vive,  que  nous  avions  permis  au  colonel  Arevalo, 
l'ancien  et  redouté  proconsul  de  la  province,  de 
se  mettre  dans  nos  rangs  et  que  la  crainte  de  son 
retour  au  pouvoir  écartait  de  nous  toute  la  partie 
modérée  du  pays,  qui  se  fût,  autrement,  déclarée 
en  notre  faveur. 

Le  temps  d'arrêt  dans  l'expédition  d'Oajaca  com- 
promettait donc  la  situation  générale  et  ajournait 
surtout  l'attaque  combinée  à  laquelle  la  marine 
devait  prendre  part  contre  le  Tabasco.  Ce  retard 
pesait  au  commandant  de  la  division,  que  les 
soins  et  l'activité  d'une  opération  de  guerre  eus- 
sent distrait  de  certains  soucis  attristans  ou  irri- 
tants qui  venaient  l'atteindre  dans  la  fatigante 
inaction  de  Sacricifios,  où  était  alors  Aq  Magellan. 

Tout  gouvernement  qui  s'établit  à  l'aide  d'une 
force  étrangère  a  une  tendance  naturelle  et  dont 
on  ne  saurait  lui  faire  un  crime  à  s'éloigner  de 
ses  alliés  pour  se  rapprocher  de  ses  nouveaux 
sujets.  C'est  là  même  pour  lui  une  condition  d'exis- 
tence, s'il  sait  garder  une  sage  mesure  dans  la 


20  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

reconnaissance  qu'il  doit  aux  uns  et  dans  la  pro- 
tection qu'il  accorde  aux  autres.  Mais  c'est  ce  que 
ne  fit  pas  le  nouveau  gouvernement,  et  après  avoir 
trop  vite  levé  le  blocus  qui  fermait  ses  ports  et 
rouvert  ainsi  leurs  ressources  aux  provinces  dis- 
sidentes, il  accueillit,  avec  une  injustice  souvent 
flagrante  pour  nous  et  un  empressement  peu  digne 
pour  lui,  les  réclamations  de  tout  genre  qui  lui 
furent  adressées. 

La  position  des  représentans  de  la  puissance 
alliée,  diplomates  ou  militaires,  est  alors  délicate, 
car  ils  sont  placés  entre  le  devoir  d'agir  et  de 
réprimer  et  la  perspective  presque  certaine  de 
n'être  que  faiblement  soutenus  par  leur  gouverne- 
ment. Ils  créent  en  effet  à  celui-ci,  placé  loin  des 
faits,  désireux  d'une  bonne  entente  avec  son  pu- 
pille, des  difficultés  qui  l'importunent.  Ces  diffi- 
cultés-là, d'un  ordre  trop  secondaire  pour  qu'elles 
soient  enregistrées  ici,  s'imposaient  fréquemment 
au  commandant  de  la  division  et  le  troublaient 
dans  des  préoccupations  plus  élevées. 

L'îlot  de  Sacrificios,  devant  lequel  était  mouillé 
le  Magellan,  mérite  d'être  décrit,  car  il  occupe 
une  place  dans  les  souvenirs  de  tous  ceux  qui  ont 
pris  part  à  la  guerre  du  Mexique.  Il  est  à  trois 
milles  de  Vera-Cruz  et  ne  produit  pas  d'eau  po- 
table ;  il  y  avait,  il  y  a  sans  doute  encore  un  puits 
creusé  par  la  marine  et  entouré  de  planches  à  laver 


CREATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  21 

convenablement  disposées.  Le  tout  recouvert  d'un 
toit  servait  de  lavoir  aux  équipages.  On  avait  dé- 
signé aux  Anglais  et  aux  Autrichiens,  quand  ils 
étaient  là,  un  tour  comme  à  nos  hommes.  L'eau 
est  saumâtre,  les  bestiaux  ne  s'y  habituent  pas, 
et  on  leur  envoie  de  l'eau  du  bord.  Les  bœufs  de 
Sacrificios  étaient  une  réserve  de  viande  fraîche 
pour  les  jours  où  l'état  de  la  mer  ne  permettait 
pas  de  venir  à  Vera-Cruz;  et,  afin  d'aérer  les  bâti- 
mens  le  plus  possible,  on  débarquait  même  sur 
l'île  toutes  les  volailles,  ainsi  que  les  porcs  et  les 
moutons. 

L'espace  compris  entre  les  différents  groupes  des 
cabanes  avait  été  nivelé  et  battu,  de  manière  à 
former  une  place  sur  laquelle  on  envoyait  les 
compagnies  de  débarquement  faire  l'exercice  à 
tour  de  rôle.  La  cabane  du  sud,  installée  par  l'a- 
miral Bosse,  avait  déjà  servi  à  loger  quelques 
malades,  qu'on  ne  voulait  pas  exposer  au  séjour 
en  ville.  On  y  avait  fait  camper  en  ce  moment 
l'équipage  de  la  Tactique,  fiévreux  presque  en 
entier,  afin  de  pouvoir  vider,  désinfecter  et  blan- 
chir à  la  chaux  la  cale  de  cette  canonnière. 

Non  loin  de  cette  maison  était  un  dépôt  de  char- 
bon pour  le  cas  où  un  bâtiment  ne  pourrait  pas 
venir  au  fort.  Au  Mexique  où,  sur  presque  toute 
la  côte,  on  est  obligé  de  se  tenir  à  grande  distance 
de  terre,  et  prêt  à  prendre  le  large  à  la  première 


22  LA   MARINE  FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

approche  du  mauvais  temps,  demeurer  à  Sacri- 
ficios,  c'est  être  à  la  mer  avec  une  ancre  au  fond. 
Et  pourtant  le  triste  îlot  où  sont  les  tombes  de 
tant  de  marins,  dont  on  voit  s'élever  les  croix  de 
bois  ou  les  pierres  blanches  au-dessus  de  petits 
roseaux,  se  trouvait  être  une  ressource  pour  dé- 
lasser les  équipages  d'un  long  séjour  à  bord,  car 
les  récifs  empêchent  d'aborder  la  grande  terre 
située  vis-à-vis.  Ce  cimetière  de  marins,  en  l'ab- 
sence de  plaisirs  de  tout  genre,  était  devenu  un 
lieu  de  distraction. 

C'est  alors  que  le  maréchal  Bazaine  appela  le 
commandant  Cloué  auprès  de  lui.  Le  maréchal 
était  à  Mexico,  où  il  attendait  des  nouvelles  de 
l'expédition  d'Oacaja,  d'après  lesquelles  il  irait 
lui-même  diriger  les  opérations  et  prendrait  une 
décision  définitive  au  sujet  de  ce  que  la  marine 
aurait  à  faire  soit  au  Goazocoalcos,  soit  au  Tabasco. 

La  première  intention  du  maréchal  à  ce  sujet 
avait  été  de  donner  à  la  marine  la  contre-guérilla 
du  Pin;  mais,  le  colonel  n'ayant  pas  fini  d'opérer 
dans  le  Tamaulipas,  il  était  question  d'utiliser  le 
départ  du  2"  régiment  de  zouaves  et  d'en  distraire 
un  bataillon  pour  faire  l'expédition  de  Tabasco, 
ce  qui  menacerait  en  même  temps  les  communi- 
cations des  dissidents  du  côté  de  Oacaja  avec  les 
provinces  situées  plus  à  l'est.  Aux  dernières  nou- 
velles, le  général  Courtois  d'Hurbal  était  à  Etla, 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  23 

à  quatre  lieues  d'Oacaja.  Il  y  attendait  son  parc 
et  se  disposait  à  faire  des  reconnaissances  sur  la 
place.  C'était  le  résultat  de  ces  reconnaissances 
qui  semblait  devoir  déterminer  le  maréchal  à  se 
rendre  de  sa  personne  sur  le  lieu  des  opérations. 

Toutefois,  les  conséquences  fâcheuses  de  ces 
retards  s'accentuaient  de  plus  en  plus.  L'expédi- 
tion qu'on  avait  le  projet  de  faire  au  Yucatan 
contre  les  Indiens  rebelles  et  le  voyage  de  l'em- 
pereur Maximilien  dans  cette  province  en  étaient 
ajournés.  Il  régnait  partout  une  agitation  fébrile, 
provenant  d'une  sorte  de  mot  d'ordre  donné  par 
les  dissidents  pour  se  mettre  en  mouvement  par- 
tout à  la  fois  et  empêcher  ainsi  le  maréchal  d'ap- 
peler un  grand  nombre  de  troupes  au  siège 
d'Oacaja.  Cette  agitation  était  produite  encore 
par  le  clergé,  qui  protestait  sourdement  par  tous 
les  moyens  contre  le  décret  de  l'empereur  relatif 
aux  biens  de  l'église  et  à  ses  relations  avec  l'Etat. 
Un  certain  général,  Vicario,  qui  était  avec  nous 
depuis  deux  ans,  venait  de  nous  tourner  le  dos.  Il 
s'était  prononcé  pour  la  très  sainte  Trinité  et 
avait  pris  la  campagne  en  entraînant  avec  lui 
trois  cents  hommes  de  ses  troupes. 

Du  reste,  la  plupart  des  officiers  mexicains 
prisonniers,  revenant  de  France,  étaient  avec  les 
soi-disant  libéraux.  En  licenciant  l'armée  pour  la 
reformer,  on  avait  jeté  sur  le  pavé,  sans  solde  ni 


24  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

moyens  d'existence,  une  foule  de  militaires  dont 
les  grades  n'avaient  pas  été  reconnus,  parce  qu'ils 
n'étaient  pas  prouvés  :  mesure  imprudente  et 
dangereuse.  Tous  ces  gens-là  avaient  pris  les 
armes  contre  nous  pour  vivre.  Ils  n'osaient  pas 
aborder  nos  troupes,  même  au  nombre  de  dix 
contre  un,  mais  il  était  presque  impossible  de  les 
atteindre.  Ils  disparaissaient  en  se  dispersant,  et 
ne  se  dispersaient  que  pour  se  reformer  de  nou- 
veau, làoù  nos  troupes  n'étaient  déjà  plus.  C'étaient 
des  marches  et  contre-marches  qui  fatiguaient 
beaucoup  nos  soldats,  pour  n'aboutir  à  aucun  ré- 
sultat important. 

En  même  temps,  Tuspan  donnait  de  nouveau 
des  inquiétudes;  et  Alvarado  pouvait  se  trouver 
bientôt  dans  une  position  critique,  car  l'autorité 
civile  de  Vera-Cruz  venait  de  licencier  la  garnison 
mexicaine  qui  avait  remplacé  nos  volontaires 
créoles  et  n'avait  rien  mis  à  sa  place.  La  province 
toutefois  qui,  jouissant  encore  de  l'impunité 
avant  qu'on  l'attaquât,  mettait  le  plus  de  temps 
à  profit,  était  le  Tabasco.  Il  continuait  à  tirer 
d'énormes  subsides  de  la  liberté  du  commerce  que 
lui  accordait  la  levée  du  blocus.  Le  Goazocoalcos 
l'imitait  .  Tous  deux  étaient  riches  ,  augmen- 
taient depuis  plusieurs  mois  leurs  ressources  et 
accumulaient  leurs  défenses.  La  prise  d'Oajaca 
devenait  donc  de  plus  en  plus  urgente.  Elle  devait 


CREATION,'   DE   LA   DIVISION    NAVALE  25 

probablement  calmer  l'agitation  qui  cherchait 
à  se  développer;  mais  si  le  siège  d'Oajaca,  en  ce 
^  moment  parfaitement  fortifié,  se  prolongeait,  il 
était  à  craindre  que  les  affaires  ne  prissent  une 
tournure  fort  grave. 

Dans    ces   circonstances,   le   commandant  de 
division  avait  surtout  à  se  préparer  à  l'expédition 
il  de  Tabasco,  qui  devait  avoir  lieu  concurremment 
j  avec  celle  d'Oajaca  et  la  compléter;  et  pour  cela,  il 
lui  fallait  faire  une  tournée  aux  divers   points 
jl  qu'occupaient    nos  bâtiments,  pour  savoir   s'il 
i  pouvait  les  en  retirer  sans  danger.  A  Carmen,  où 
I  il  alla  d'abord,  les  inquiétudes  que  le  capitaine  du 
I  Brandon  avait  pu  concevoir  étaient  exagérées. 
La  population  n'était  pas  vraiment  hostile  au 
I  général  Marin,  mais  celui-ci  était  surtout  décou- 
;  ragé.  Le  commandant  lui  fit  entrevoir  et  lui  obtint 
\  en  efiet  peu  après  la  croix  de  commandeur  de 
Guadalupe  comme  récompense  de  ses  longs  ser- 
vices, et  M.  Marin  se  montra  disposé  à  prêter  son 
actif  concours  pour  l'expédition  de  Tabasco. 

Le  Yucatan  était  encore  assez  tranquille  au 
point  de  vue  des  partis  mexicains,  mais  non  de  la 
guerre  de  caste.  Le  commissaire  impérial,  M.  Sa- 
lazar  ilarrégui,  s'était  trop  hâté  de  congédier  les 
gardes  yucatèques  qui  étaient  sous  les  armes  ;  et 
les  lignes  de  l'Ouest  étant  dégarnies,  les  Indiens 
rebelles  avaient  fait  une  irruption  et  massacré 


26  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

dix-neuf  villages.  Aussi  attendait-on  avec  impa- 
tience l'arrivée  du  corps  de  Galvez  pour  écraser 
d'un  seul  coup  les  Indiens.  A  Campêche,  le  com- 
mandant trouva  une  certaine  agitation  sourde 
répandue  par  les  partisans  de  Garcia.  Ils  propa- 
geaient dans  la  population  des  nouvelles  alar- 
mantes et  pouvaient  se  remuer  d'un  moment  à 
l'autre.  Il  recommanda  en  conséquence  la  plus 
grande  sévérité  et  la  plus  grande  rigueur  au 
capitaine  Lardy,  qui  commandait  la  garnison 
française  du  génie  colonial. 

Tout  individu  convaincu  de  menées  quelconques 
et  de  propagation  de  faux  bruits  dut  être  embarqué 
sur-le-champ  et  évacué  sur  Vera-Cruz.  En  cas  de 
résistance  ou  de  menace  d'émeute,  la  garnison 
devait  faire  usage  de  ses  armes.  Enfin,  sous 
aucun  prétexte,  même  celui  de  tirer  des  feux 
d'artifice,  aucun  débit  de  poudre  de  guerre  ou  de 
chasse  ne  devait  être  toléré.  Ces  différentes 
mesures  étaient  suffisantes  pour  prévenir  tout 
mouvement  à  Campêche. 

Ces  soins  pris,  il  fallait  préparer  l'expédition  de 
Tabasco.  L'on  va  directement  de  la  mer  à  San- 
Juan  Bautista  par  la  rivière  de  Tabasco,  mais  l'on 
peut  s'y  rendre  également  en  partant  de  la  lagune 
de  Termines,  où  Carmen  est  un  point  commode 
de  rassemblement,  en  dehors  des  éventualités 
fâcheuses  de  mer.  On  pénètre  de  la  lagune  dans 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION  NAVALE  27 

Pintérieur  par  la  rivière  de  Palizada,  que  nous 
occupions;  on  remonte  à  Jacinta;  on  prend  alors 
la  rivière  de  l'Usumacinta,  qui  mène  par  le  coude 
de  San-Pedro  à  la  rivière  de  Tabasco.  C'est  donc 
un  détour  assez  long,  maïs  sûr.  Frontera,  à 
l'embouchure  de  la  rivière  de  Tabasco,  nous  ap- 
partenant, le  parcours  des  deux  lignes  nous  était 
assuré. 

L'ennemi  n'avait  d'ailleurs  aucun  moyen  mari- 
time de  nous  le  disputer.  Les  canonnières,  en 
divisions  séparées,  se  fussent  dirigées  de  Carmen 
sur  San-Juan  Bautista,  l'une  par  la  rivière  de 
i  Tabasco,   le    Grizalva   et    le   Chillepeque,  deux 
larroyos  voisins,   l'autre  par  l'Usumacinta.  La 
question  la  olus  difficile  était  celle  des  troupes, 
que  le  maréchal  promettait  et  refusait  tour  à  tour. 
1  II  s'était  d'abord  agi  de  lever  des  gardes  rurales, 
I  destinées  plus  tard  au  Tabasco,  parmi  les  gens  de 
Minatitlan,  qui  sont  en  grand  nombre  sur  la  route 
de  Puebla  à  Vera-Cruz.  Mais  il  y  avait  une  diffi- 
I  culte  d'argent  :  les  recrues  devaient,  selon  l'avis 
'  du  maréchal,  être  payées  sur  Vera-Cruz  comme 
\  acompte  remboursable  par  Tabasco. 
il     II  y  avait  aussi  à  fréter  deux  ou  trois  petits 
bâtiments  indispensables  pour  enlever  en  peu  de 
temps  le  personnel  et  le  matériel  des  grands  na- 
vires et  leur  faire  franchir  la  barre  de  Tabasco. 
Les  canonnières  seules  étaient  insuffisantes.  Il 


28  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

fallait  aussi  quelques  mulets.  Tout  cela  eût  été 
remboursable  également  sur  Tabasco.  Mais  une 
autorisation  du  maréchal  était  nécessaire,  et, 
quoiqu'on  l'eût  sollicitée  de  lui,  il  ne  l'envoyait 
pas.  Le  besoin  de  petits  bateaux  était  si  urgent 
que  le  commandant  s'adressa  au  commissaire 
impérial  du  Yucatan  pour  obtenir  de  lui  le  Cofiser- 
vador,  que  le  Brandon  Amenait  de  réparer  et  qui 
était  destiné  à  naviguer  sur  la  côte  de  Sisal  et 
dans  l'est  de  la  péninsule  jusqu'à  la  baie  de  la 
Concepcion.  Il  devait,  au  moment  de  la  guerre 
des  Indiens,  porter  des  troupes  à  la  baie  de  la 
Concepcion  pour  prendre  l'ennemi  à  revers;  et, 
comme  ses  chaudières  n'étaient  plus  réparables. 
il  courait  le  danger  de  se  perdre  dans  cette  navi- 
gation trop  hasardeuse  pour  lui.  De  plus,  les 
troupes,  arrivées  à  la  baie,  si  elles  se  composaient 
d'Européens,  devaient  être  dans  la  plus  complète 
impossibilité  d'aller  dans  la  ville  indienne  de 
Chan-Santa-Cruz,  à  cause  de  l'absence  absolue  de 
chemins.  On  voit  par  là  quelle  irréflexion  prési- 
dait à  tous  les  actes  de  l'autorité  mexicaine.  Le 
commandant  promit  au  besoin  un  navire  conve- 
nable pour  le  transport  des  troupes  et  obtint  le 
Conservador ,  qui  n'était  réellement  bon  qu'à 
naviguer  en  rivière,  mais  devait  y  rendre  des 
services. 
Pour  les  hommes,  il  eût  été  aussi  plus  expéditif 


CREATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  29 

de  disposer  du  corps  tout  prêt  de  Galvez,  qui,  au 
lieu  d'aller  à  Campêche,  fût  allé  tout  de  suite  au 
Tabasco.  Il  n'y  eût  plus  eu  de  levée  d'hommes. 
San-Juan  Bautista  une  fois  pris,  le  corps  de  Galvez 
l'eût  gardé,  ce  qui  nous  eût  permis  de  retirer 
tout  de  suite  nos  troupes  de  ces  parages  assez 
malsains.  Les  zouaves  et  les  marins  auraient  pris 
la  ville,  Galvez  l'eût  occupée  jusqu'à  ce  que  le 
pays  fût  suffisamment  reconstitué,  et  alors  on  eût 
porté  Galvez  au  Yucatan,  sa  destination  première. 

Malheureusement  on  était  déjà  à  la  mi-jan- 
vier 1865,  et  il  n'arrivait  pas  plus  de  réponse  à 
cette  proposition  qu'à  la  première.  On  ne  savait 
plus  quand  viendraient  les  zouaves,  attendu  que 
les  affaires  de  guerre,  sans  donner  de  grandes 
inquiétudes,  se  compliquaient  de  la  résistance 
que  l'on  prévoyait  à  Oajaca.  Le  2*  zouaves  était, 
en  outre,  la  seule  garnison  de  Mexico  et  ne  pouvait 
quitter  cette  capitale  sans  être  remplacé  par  le 
8P  de  ligne,  arrivant  de  Jalisco,  et  que  le  général 
Douai,  qui  en  avait  grand  besoin,  ne  voulait  pas 
lâcher. 

Cependant  le  maréchal  était  arrivé  devant 
Oajaca  et  avait  trouvé  une  véritable  place  forte 
dont  il  fallait  faire  le  siège.  La  ville  était  enve- 
loppée par  nos  troupes,  et  on  attendait  dans  huit 
ou  neuf  jours  le  reste  du  matériel  pour  commen- 
cer l'attaque.  Le  maréchal  prévenait  le  comman- 


30  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

dant  en  lui  envoyant  une  dépêche  roulée  en 
cigarette,  ce  qui  prouvait  que  le  courrier  devait 
traverser  un  pays  couvert  d'ennemis.  En  effet, 
encouragée  par  la  résistance  d'Oajaca,  l'hostilité 
qu'on  nous  témoignait  sourdement  de  toutes  parts 
allait  se  traduire  en  résultats  sensibles.  Un  acci- 
dent malheureux  en  précipita  l'éclat.  Ce  fut  l'af- 
faire du  commandant  du  Lucifer. 

Le  capitaine  de  frégate  Gazielle  s'avançait  de 
Guaymas  surHermosillo,du  côté  de  l'Océan  Pacifi- 
que, avec  soixante  tirailleurs  algériens,  cinquante 
matelots,  deux  pièces  de  4  et  deux  cents  Mexicains 
auxiliaires  qui  formaient  l'arrière-garde.  Celle-ci 
se  prononçant  au  moment  du  combat,  M.  Gazielle 
fut  mis  entre  deux  feux  et  toute  sa  troupe  tuée 
ou  faite  prisonnière.  Les  Français  pouvaient  donc 
être  battus.  Presque  aussitôt  la  moitié  de  la 
garnison  d'Alvarado  déserte;  elle  part  avec  armes 
et  bagages  sous  la  conduite  d'un  sous-officier.  Le 
reste  (34  hommes  environ)  n'offrait  aucune  ga- 
rantie et  ne  devait  pas  résister  à  une  attaque  un 
peu  sérieuse.  Medellin  était  serré  de  très  près,  et 
ce  n'était  plus  le  cas,  comme  y  avait  pensé  quelque 
temps  auparavant  le  maréchal,  de  retirer  tout  le 
service  de  la  guerre  de  Vera-Cruz  et  de  la  Soledad. 
Galvez  refusait  de  son  côté  d'aller  au  Yucatan  et 
ne  devait  plus  inspirer  la  moindre  confiance.  Il 
semblait  évident  qu'il  ne  voulait  pas  s'éloigner. 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  31 

afin  de  se  prononcer  contre  l'empire  au  moment 
favorable,  et  sa  troupe  était  alors  une  menace  de 
plus  pour  les  environs  de  Vera-Cruz. 

L'autorité  mexicaine  de  cette  ville  laissait  pour 
sa  part  circuler  librement  les  guérilleros  qui 
avaient  récemment  combattu  les  Egyptiens  près 
de  Medellin.  Une  pareille  insouciance  était  une 
sorte  de  compromis  avec  l'ennemi,  chose  tout  à 
fait  ordinaire  dans  les  mœurs  mexicaines  et  qu'on 
n'eût  réprimée  que  par  quelques  exemples  som- 
maires et  en  soumettant  le  pays  à  la  loi  martiale. 
Mais  le  parti  était  pris  des  atermoiements  et  de 
la  patience,  et  on  ne  paraissait  pas  devoir  y  re- 
noncer de  sitôt. 

Il  fallait  que,  dans  ce  moment-là,  le  comman- 
dant demandât  au  général  L'Hériller,  chargé  des 
affaires  militaires  à  Mexico,  s'il  n'avait  pas  un 
dictionnaire  télégraphique  marin  pour  le  cas  où 
il  serait  nécessaire  d'expédier  une  dépêche  chif- 
frée. En  effet,  on  ne  pouvait  même  se  fier  aux 
employés  du  télégraphe  mexicain,  qui  communi- 
quaient nos  dépêches  à  l'ennemi.  Il  n'y  avait  pas 
à  douter  que  les  libéraux  n'eussent  depuis  long- 
temps détruit  le  télégraphe,  s'il  ne  leur  eût  servi 
comme  à  nous.  Il  en  était  de  même  du  chemin  de 
fer,  que  les  bandes  ne  laissaient  subsister  que 
parce  qu'elles  prélevaient  sur,  les  administrateurs 
une  redevance  mensuelle. 


32  LA   MARLNE   FRANÇAISE   AU    MEXIQC]'; 

Ou  venait  d'expédier  la  Tactique  à  Alvarado 
pour  y  porter  les  Egyptiens,  que  le  commandant 
supérieur  de  Vera-Cruz,  M.  Maréchal,  destinait  à 
remplacer  la  garnison,  lorsqu'on  apprit  l'échouage 
de  V Entreprenante  à  la  Havane.  Ce  navire  était 
parti  depuis  un  mois  pour  ramener  les  créoles 
congédiés  à  la  Martinique.  Cet  accident  était  d'au- 
tant plus  regrettable  que  le  Darien,  chargé  d'as- 
sister V Entreprenante  et  de  la  reconduire  au 
besoin  jusqu'à  New- York,  ne  pouvait  plus  con- 
courir à  l'expédition  de  Tabasco  et  diminuait  par 
son  absence  de  soixante-dix  hommes  l'effectif  du 
corps  de  débarquement.  Ainsi,  la  situation  était 
partout  fort  tendue,  et  depuis  un  mois  les  choses 
empiraient  en  quelque  sorte  à  vue  d'oeil. 

Dans  le  nord,  près  de  Durango,  une  conduite 
d'argent  de  près  de  huit  millions  venait  d'être 
enlevée,  une  compagnie  du  5P  de  ligne  avait  été 
détruite,  quatre  compagnies  de  zouaves  avaient 
été  défaites  près  de  Talacingo.  On  ne  se  rappelait 
pas  la  position  aussi  fâcheuse  depuis  l'échec  du 
général  de  Lorencez  devant  Puebla.  Aussi  était-il 
nécessaire  d'obtenir  un  grand  succès,  car  avec  le 
soulèvement  presque  général  ou  plutôt  l'augmen- 
tation considérable  du  nombre  de  guérillas,  l'hori- 
zon politique  était  devenu  de  plus  en  plus  sombre, 
et  il  fallait  absolument  qu'une  victoire  vînt  l'é- 
clair cir. 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  33 

Cette  victoire  fut  la  prise  d'Oajaca,  et  le  succès 
fut  complet,  car  on  prit  du  même  coup  toute  la 
garnison  de  la  place.  Sur  la  frontière  nord  de  Ja- 
lisco,  d'heureux  événements  accompagnaient  celui- 
là.  Des  deux  chefs  de  bandes,  Rojas  et  Romero, 
l'un  fut  pris,  l'autre  tué.  Rojas,  en  particulier, 
était  une  sorte  de  chef  légendaire  dont  l'influence 
dans  le  Jalisco,  le  Michoacan  et  les  environs  était 
immense. 

A  l'agitation  qui  peu  de  jours  auparavant  ga- 
gnait tout  le  Mexique  succéda  tout  à  coup  un 
apaisement  général.  En  ce  mobile  pays,  le  trône 
de  Maximilien  parut  s'asseoir,  et  ce  prince  fut 
pour  ses  sujets  de  la  veille  et  du  jour,  —  car  les 
plus  compromis  et  le  plus  près  de  trahir  se  ral- 
liaient et  étaient  accueillis,  —  le  héros  aux  che- 
veux d'or,  aux  yeux  d'azur,  que  la  vieille  Europe 
donnait  au  Nouveau  Monde. 

A  n'en  juger  d'ailleurs  que  par  les  apparences, 
la  situation  était  satisfaisante.  Tandis  que  le  centre 
et  le  nord-ouest  de  l'empire,  traversés  ou  gardés 
par  nos  troupes,  se  pliaient  à  l'obéissance,  le  Yu- 
catan,  Campêche  et  Mérida  d'accord,  accueillait 
favorablement  l'aide  de  camp  du  général  de  Thun 
et  la  nouvelle  qu'il  lui  portait  du  prochain  voyage 
de  l'empereur  et  d'une  expédition  sérieuse  contre 
les  Indiens  rebelles.  Carmen  vivait  tranquille; 
Tuspan,  si  récemment  menacé,  ne  paraissait  plus 


34  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

devoir  être  attaqué,  et  Tampico  expédiait  facile- 
ment ses  convois  d'argent.  Quant  à  Matamores, 
sa  prospérité  était  vraiment  extraordinaire.  Dé- 
bouché de  commerce  pour  les  confédérés  améri- 
cains, il  s'y  était  bâti,  installé,  développé  une  ville 
artificielle  de  soixante  mille  âmes,  pleine  de  riches- 
ses, ayant  des  centaines  de  navires  sur  sa  rade  et 
dont  les  revenus  de  douane  soutenaient  les  finances 
du  naissant  empire. 

Aussi  l'administration  mexicaine,  jusque-là  si 
précaire,  faisait  quelques  efforts  en  vue  de  l'avenir 
et,  pour  ne  parler  que  de  la  marine,  demandait  à 
la  France  quelques  officiers  du  commissariat  et 
songeait,  tant  on  regardait  alors  notre  départ 
comme  probable,  à  acheter  nos  canonnières  du 
golfe  et  le  Lucifer  lui-même,  devenu  disponible, 
si  on  consentait  à  les  lui  céder.  Le  nouvel  empire 
avait  d'autant  plus  d'intérêt  à  marcher  dans  cette 
voie,  que  la  France  comptait  se  retirer  bientôt  de 
toute  coopération  active.  Le  maréchal  se  disposait 
à  embarquer  son  artillerie;  et  l'effectif  de  l'armée, 
par  de  périodiques  et  partielles  rentrées  en  France, 
diminuait  assez  régulièrement. 

Toutes  les  oppositions  sérieuses  avaient  disparu, 
et  il  ne  resterait  plus  que  les  troupes  de  bandits  ex- 
plorant les  grandes  routes,  inconvénient  dont  on 
prenait  son  parti  et  dontonne triompherait  qu'avec 
les  années,  le  métier  de  brigand  paraissant  être 


CREATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  35 

dans  le  sang  de  la  population  actuelle  du  Mexique. 

Naturellement,  si  ces  illusions  existaient  au 
Mexique,  elles  existaient  bien  plus  encore  à  Paris 
et  devaient  malheureusement  y  persister  beaucoup 
plus  longtemps.  Elles  étaient  si  grandes  que  le 
gouvernement,  qui  venait  de  recevoir  des  négo- 
ciants et  des  habitants  de  Tuspan,  comme  hommage 
reconnaissant,  des  idoles  aztèques,  envoyait  par 
réciprocité  une  mission  scientifique,  toute  chargée 
de  travaux  futurs.  Ce  n'était  plus,  en  effet,  du 
Mexique  guerrier  qu'il  s'agissait,  mais  bien  du 
Mexique  agricole,  aurifère,  minéralogique,  qu'on 
allait  explorer  et  utiliser. 

Telle  était  la  situation  à  la  fin  de  l'année  1864, 
ou  plutôt  au  commencement  de  février  1865.  Si 
assurée  et  si  florissante  qu'on  s'efforçât  de  la  croire, 
on  n'osait  cependant  y  toucher.  Il  en  était  comme 
de  ces  monuments  fragiles  qui  peuvent  s'écrouler 
dès  qu'on  y  met  la  hache  pour  les  consolider.  Ainsi 
il  avait  toujours  été  question  jusque-là  de  com- 
pléter l'expédition  d'Oajaca  par  celle  de  Tabasco. 
Le  moment  était  venu  de  cette  dernière,  et  cepen- 
dant on  l'ajournait. 

Elle  était,  il  est  vrai,  moins  facile.  On  sait  déjà 
que  le  départ  du  Finistère  et  du  Darien  privait 
la  marine  de  cent  soixante-dix  hommes  de  débar- 
quement, sur  lesquels  elle  avait  d'abord  compté. 
Puis  les  eaux  du  Grijalva  et  du  Chillepèque  avaient 


36  LA   MARI^ÎE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

baissé  et  il  n'était  point  sûr  qu'on  pût  remonter 
avec  les  canonnières  jusqu'à  San-Juan-Bautista. 
La  place  elle-même  avait  eu  tout  le  temps  de  se 
préparer.  Elle  était  entièrement  entourée  de  fos- 
sés, les  rues  barricadées,  les  quadras  percées  par- 
tout de  meurtrières,  et  enfin  le  cerro  de  la  Incar- 
nacion  régulièrement  fortifié  de  quinze  pièces  d'ar- 
tillerie, dont  deux  du  calibre  68.  Toutefois  la  ville 
était  livrée  à  un  certain  désordre.  Le  général 
Mendez  n'y  était  pas  obéi  et  allait,  disait-on,  être 
remplacé  par  Benavides,  un  des  généraux  qui 
avaient  empêché  l'armée  mexicaine  de  donner  à 
la  première  attaque  de  Puebla,  que  le  général 
Almonte  avait  fait  exiler,  mais  que  le  bruit  public 
déclarait  expérimenté  et  capable  de  s'attacher  les 
populations. 

Quelques  chefs,  une  partie  de  la  population 
étaient  prêts,  assuraient  d'officieux  entremetteurs, 
tels  qu'un  médecin  russe  établi  à  Carmen  et  tué 
misérablement  depuis,  le  docteur  Engelhard,  à 
se  prononcer  pour  nous  dès  que  nous  paraîtrions. 
Ce  qu'il  y  avait  de  plus  sûr,  c'étaient  quatre  cents 
marins  que  la  marine  avait  à  mettre  à  terre  avec 
une  batterie  de  six  pièces  de  montagne.  En  joi- 
gnant à  cela  le  2®  zouaves,  car  il  fallait  absolu- 
ment des  hommes  habitués  à  se  sentir  les  coudes, 
tout  irait  bien. 

Déjà,  par  mesure  de  précaution,  les  canonnières. 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  37 

en  croisant  devant  la  barre  de  Tabasco  ou  à  l'en- 
trée de  Carmen,  enlevaient  les  pilotes  qui,  satisfaits 
de  se  voir  enlevés  de  force,  se  laissaient  faire.  Il 
n'y  avait  qu'à  se  hâter,  pour  que  l'expédition  de 
Tabasco  réussît.  Mais  il  le  fallait,  car  la  saison 
avançait  beaucoup,  les  eaux  baissaient,  et  les 
fièvres  paludéennes,  qui  allaient  recommencer, 
ne  permettraient  pas  de  garder  trop  longtemps 
les  canonnières  dans  le  haut  des  rivères. 

Quelque  pressantes  que  fussent  ces  observations, 
on  n'y  paraissait  point  prendre  garde  à  Mexico. 
Après  de  formelles  assurances  reçues,  il  y  avait 
lieu  de  s'étonner  et  de  soupçonner  peut-être,  en 
haut  lieu,  moins  des  influences  que  des  intentions 
contraires  à  cette  expédition  de  Tabasco.  De  quel- 
que façon  toutefois  qu'il  fût  permis  ou  possible 
d'interpréter  ce  silence  ou  les  tempéraments  dila- 
toires du  maréchal  au  sujet  des  opérations  à  diriger 
contre  le  midi  et  le  sud-est  de  l'empire,  un  événe- 
ment grave  et  des  difficultés  d'action  vinrent  tout 
à  coup,  pour  un  certain  temps,  distraire  la  marine 
de  ses  projets  sur  Tabasco. 

L'événement  grave  fut  une  nouvelle  et  soudaine 
attaque  de  Tuspan  par  les  dissidents.  Depuis  l'é- 
chaufiburée  qui  avait  heureusement  pris  fin  par 
l'arrivée  du  Forfait,  Tuspan  n'avait  jamais  cessé 
d'être  plus  ou  moins  menacé  par  Papantia  et  sau- 
vegardé par  nous.  Le  Forfait  était  allé  y  porter 


276819 


38  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

deux  canons  de  30  en  fonte  et  des  munitions.  La 
Pique  y  avait  séjourné,  dans  la  rivière,  jusqu'à  la 
moitié  du  mois  de  novembre.  M.  Llorente  y  avait 
enfin  été  remplacé  par  le  général  Ulloa,  qui  mon- 
trait une  fidélité  moins  douteuse  et  une  volonté 
meilleure. 

Néanmoins,  au  commencement  de  janvier,  et 
bien  que  les  gens  de  Jalapa,  à  qui  il  fallait  à  tout 
prix  un  débouché  sur  la  mer,  se  fussent  très  sérieu- 
sement rapprochés  de  Tuspan,  le  général  Ulloa 
se  proposait  de  le  quitter  vers  le  15,  pour  aller  à 
Mexico  faire  sa  cour  au  souverain.  Il  eût  mieux 
valu  qu'il  y  restât.  L'inquiétude,  au  sujet  de  Tus- 
pan,  était  déjà  assez  vive  pour  que,  le  8  février,  le 
commandant  de  la  division  envoyât  le  RMne  porter 
des  boulets  à  la  ville  pour  le  cas  où  elle  serait 
encore  au  pouvoir  des  impériaux  et  du  général 
Ulloa.  Le  18,  le  Coïbert,  envoyé  devant  Tuspan 
pour  voir  ce  qui  s'y  passait,  trouvait  la  ville 
tranquille,  mais  le  général  parti. 

Par  une  singulière  coïncidence  avec  ce  départ, 
l'ennemi  arriva  tout  à  coup,  le  23,  avec  huit  cents 
hommes.  Le  rôle  du  Colhert  était  tout  tracé.  Forcé 
de  rester  lui-même  devant  la  barre,  il  avait  à  en- 
voyer ses  embarcations  en  rivière  et,  le  péril 
devenant  de  beaucoup  plus  pressant,  à  faire  mo- 
mentanément débarquer  son  monde  en  ville. 

Tuspan,  —  et  sa  description  ici  donne  une  idée 


CREATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  39 

assez  exacte  des  villes  mexicaines,  —  est  un  grand 
bourg  de  six  mille  âmes  environ,  qui  s'étend 
principalement  le  long  de  la  rivère  et  fort  peu  en 
largeur.  Les  maisons  sont  généralement  basses, 
à  un  rez-de-chaussée  simple  ou  à  un  étage  peu 
élevé,  avec  véranda.  Beaucoup  sont  en  pierre, 
mais  la  majorité  en  pisé  et  couvertes  de  chaume. 
Toutes  ont  de  grands  jardins  très  boisés.  Elles 
sont  espacées  dans  les  rues  principales  et  isolées 
dans  les  faubourgs.  Au  bord  même  de  la  rivière 
sont  deux  cerros  dominant  toute  la  ville  et  une 
partie  des  collines  environnantes.  Celui  de  l'ouest 
est  le  cerro  de  la  Cruz,  celui  de  l'est  le  cerro  de 
l'Hôpital.  Chacun  d'eux  avait  une  ou  deux  pièces 
de  18  sur  une  plate-forme  palissadée. 

Le  commandant  du  Colbert,  le  capitaine  de  fré- 
gate Joubert,  avait,  dès  son  arrivée,  organisé  la 
défense  de  la  ville  en  y  ajoutant  36  marins  de  son 
équipage,  divisés  en  trois  pelotons.  Deux  de  ces 
pelotons  commandés  par  MM.  Fenoux  et  de  Tesson, 
enseignes  de  vaiseau,  occupaient  le  cerro  de  la 
Cruz  et  celui  de  l'Hôpital.  Le  commandant,  avec 
le  troisième,  liait  les  communications  d'un  cerro  à 
l'autre  et  défendait  diverses  barricades.  La  garni- 
son mexicaine  se  groupait  dans  la  proportion  d'un 
nombre  triple  ou  quadruple  autour  de  chaque 
peloton  de  Français.  On  distinguait  dans  ses  rangs 
un  des  fils  de  M.  Llorente,  le  colonel  Enrique,  qui, 


40  LA   MARINE  FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

ce  jour-là,  parut  secouer  tout  à  fait  l'influence 
paternelle  et  se  rallier  franchement  à  l'empire. 

L'ennemi,  composé  en  majeure  partie  de  troupes 
régulières  du  Nuevo  Léon,  attaqua  dans  le  milieu 
du  jour  et  parvint  à  tourner  les  positions  du 
centre  en  abordant  la  ville  par  des  chemins  où 
l'on  n'eût  pas  supposé  qu'il  pût  se  risquer  à  cause 
des  excessives  difficultés  du  terrain,  tantôt  maré- 
cageux, tantôt  très  fourré.  Les  Mexicains  qui 
l'accompagnaient  ayant  lâché  pied,  le  commandant 
Joubert  se  trouva  pris  tout  à  coup  sur  son  flanc 
droit  et  par  derrière.  Il  faisait  nuit  alors,  et  le 
combat  n'avait  pas  cessé  un  seul  instant. 

Afin  de  ne  pas  être  fait  prisonnier  avec  ses  huit 
hommes,  le  commandant  Joubert  se  vit  dans  la 
nécessité  de  s'embarquer.  Il  n'avait  plus  qu'à 
aller  chercher  des  renforts  le  plus  promptement 
possible  et  dut  passer  la  barre  en  pleine  nuit.  Il 
était  très  inquiet,  car  il  ne  doutait  pas  que  l'en- 
nemi, maître  du  milieu  'de  la  ville  et  isolant  les 
cerros  l'un  de  l'autre,  ne  tournât  toutes  ses  forces 
sur  l'un  d'eux  et  ne  l'emportât.  Aussi  crut-il  de- 
voir prier  le  commandant  de  la  frégate  autri- 
chienne la  Novara,  qui  était  dans  les  environs 
et  que  le  bruit  du  canon  avait  attirée  devant  Tus- 
pan,  d'aller  à  Vera-Cruz  demander  du  secours  au 
commandant  Cloué.  Il  redescendit  ensuite  à  terre 
avec  du  renfort,  mais  trouva  la  ville  évacuée  et 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  41 

les  rues,  particulièrement  les  flancs  du  cerro  de 
l'Hôpital,  jonchés  de  cadavres  juaristes. 

Ce  résultat,  auquel  il  était  si  loin  de  s'attendre, 
était  dû  à  la  conduite  héroïque  de  M.  de  Tesson, 
de  ses  quatorze  matelots  et  de  quelques  Mexicains 
au  cerro  de  THôpital.  C'était  en  effet  contre  ce 
point  que  l'ennemi  avait  dirigé  quatre  assauts. 
Le  canon  de  18,  servi  par  nos  chefs  de  pièces, 
avait  fait  merveille.  Les  dissidents,  repoussés  pour 
la  quatrième  fois,  avaient  pu  être  vigoureusement 
poursuivis  et  écharpés  dans  leur  fuite.  Quoique 
pendant  plusieurs  heures  la  ville,  à  l'exception 
des  cerros  de  l'Hôpital  et  de  la  Cruz,  où  s'étaient 
réfugiés  les  défenseurs  des  barricades,  eût  ap- 
partenu à  l'ennemi,  les  chefs  libéraux,  Trévino 
et  Lara,  n'avaient  point  pillé,  et  c'était  un  fait  à 
noter  dans  cette  guerre. 

Dès  que  la  frégate  autrichienne  la  Novara  avait 
apporté  la  lettre  alarmante  du  capitaine  du 
Colhert,  le  commandant  de  la  division  avait  pris 
aussitôt  ses  dispositions  pour  sauver,  sinon 
Tuspan,  du  moins  le  peloton  de  marins  français 
qui  s'y  trouvait  abandonné.  Il  fît  partir  pour 
franchir  la  barre  deux  canonnières,  la  Pique 
et  la  Tactique,  tandis  que  le  Forfait  appareillait 
avec  100  matelots  blancs  du  Magellan  et  100  noirs 
du  fort  Saint-Jean  d'Ulloa.  Il  avait  aussi  écrit  au 
maréchal  que  les  marins,  s'ils  descendaient  à 


42  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

terre  et  prenaient  la  ville,  ne  pouvaient  être  en 
aucune  façon  destinés  à  la  garder,  et  qu'il  était  à 
désirer,  pour  avoir  raison  de  Papantla,  qui  mettait 
sans  cesse  Tuspan  en  péril,  que  le  commandant 
supérieur  de  Vera-Cruz  fît  par  l'intérieur  une 
expédition  d'au  moins  500  hommes.  Il  mettait 
V  Allier  kl8i>  disposition  du  commandant  Maréchal. 
Toutefois  cela  demandait  du  temps,  et  il  était 
plus  simple  de  s'adresser  tout  de  suite  au  colonel 
du  Pin,  qui,  s'il  était  libre,  fondrait  immédiate- 
ment sur  Tuspan.  Il  lui  écrivit  donc  à  Tampico 
de  se  replier  par  la  lagune  sur  Tuspan,  afin  de 
chasser  les  Mexicains. 

La  réponse  du  colonel  a  le  double  mérite  de 
peindre  l'homme,  les  circonstances  et  les  illusions 
volontaires  dont  on  se  berçait. 

«  Je  voudrais  bien  opérer  avec  vos  excellents 
marins, répondait  le  colonel;  mais  il  n'est  pas  très 
facile  en  ce  moment  de  quitter  le  Tamaulipas,  qui, 
malgré  les  succès  supposés  des  troupes  du  général 
Méjia  contre  Mendez,  est  dans  un  état  plus  difficile 
que  jamais.  Ainsi,  d'après  les  derniers  rapports,  la 
bande  de  Mendez  est  censée  détruite  et  lui-même 
blessé  grièvement.  Or  voici  la  vérité  pure  et 
simple,  comme  j'ai  l'habitude  de  la  dire  :  Mendez 
et  Carbajal  sont  sur  le  bord  de  la  mer  avec  cinq 
cents  hommes  au  moins,  à  quinze  lieues  de  Soto- 
la-Marina  et  trente  de  moi.  Je  pars,  ils  fuiront; 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  43 

mais  comme  j^ai  la  cavalerie  la  mieux  montée  du 
Mexique,  j'espère  pouvoir  atteindre  quelques-uns 
des  leurs,  qui,  vous  le  pensez  bien,  iront  se  ba- 
lancer au  bout  d'une  corde.  C'est  une  économie  de 
cartouches.  > 

Les  secours  directs  que  le  commandant  Cloué 
expédia  furent  heureusement  inutiles,  et  l'expé- 
dition par  terre  qu'il  sollicitait  contre  Papantla 
ne  se  fit  pas.  Ce  ne  fut  pas  faute  d'insistance  de 
sa  part.  Il  n'était  pas  douteux  que  la  ville  ne  dût 
être  bientôt  encore  attaquée  ;  et,  si  on  la  perdait, 
elle  nous  coûterait  cher  à  reprendre,  car  les  cerros, 
à  cause  de  leur  grande  élévation,  étaient  presque 
inattaquables  avec  le  canon  des  canonnières.  Il 
n'était  donc  pas  trop  d'une  garnison  solide  pour 
maintenir  le  bon  esprit  des  habitants  et  la  con- 
fiance que  le  succès  venait  de  leur  inspirer.  Mais 
le  maréchal  n'avait  pas  de  troupes  à  mettre  à 
Tuspan  et  recommanda  seulement  d'organiser  les 
gardes  rurales  et  de  les  disposer  à  se  bien  défendre. 

Privé  de  moyens  effectifs,  le  commandant  suivit 
du  moins  avec  assez  de  machiavélisme,  si  l'on 
pense  à  ses  préventions  contre  les  Llorente,  la 
recommandation  du  maréchal.  Il  écrivit  au  colo- 
nel au  sujet  de  sa  belle  conduite,  que  rien  n'avait 
fait  prévoir  : 

«  Bravo,  monsieur  le  colonel!  bon  sang  ne  sau- 
rait mentir,  >  et  il  ajoutait  en  parlant  des  habi- 


44  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

tants  :  «  La  conduite  de  vos  concitoyens  a  été  au- 
dessus  de  tout  éloge.  Désormais,  lorsqu'on  parlera 
d'eux,  on  dira  :  les  braves  de  Tuspan.  > 

C'était  les  prendre  par  l'amour-propre,  mais  les 
poltrons  ont  par  malheur  trop  d'esprit  pour  croire 
sérieux  ce  qu'on  leur  dit  de  flatteur  sur  leur 
bravoure. 

Telle  quelle,  cette  nouvelle  affaire  de  Tuspan 
n'était  qu'un  accident  ;  mais  elle  avait  contribué, 
par  la  nécessité  d'envoyer  des  navires  et  des 
hommes,  à  compromettre  cette  expédition  de 
Tabasco,  dont  le  commandant  ne  perdait  encore 
ni  le  désir  ni  l'espoir.  De  plus,  par  contre-coup, 
toute  la  terre  chaude  s'était  mise  en  mouvement. 
Le  frère  de  Porfirio  Diaz  était  à  la  Samaloapam 
avec  des  forces.  Alvarado  était  menacé  par  les 
libéraux  du  Cocuite  et  de  Tlaliscoyan,  et  les  moin- 
dres détachements  qu'on  eût  pu  mobiliser  deve- 
naient nécessaires  pour  protéger  Vera-Cruz. 

Les  deux  troupes  dissidentes  qui  avaient  opéré 
contre  Tuspan  s'étaient  séparées  à  Tchuelan.  Les 
guérilleros  de  Papantla  s'étaient  retirés  chez  eux, 
et  les  troupes  du  Nuevo  Léon  avaient  pris  la 
route  de  Huanchinango,  pour  aller  se  joindre  aux 
forces  commandées  dans  cette  ville  par  les  chefs 
Cabriote  père  et  fils,  riches  Italiens  qui  em- 
ployaient leur  immense  fortune  à  maintenir  le 
pays  en  état  de  révolte. 


CREATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  4o 

D'autres  causes,  toutes  personnelles  à  la  marine, 
contraignaient  aussi  le  commandant  de  la  division 
de  surseoir  à  tout  projet  d'expédition.  D'abord,  le 
Rhin  venait  de  s'échouer  dans  un  ouragan  à 
Mazatlan,  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique,  il  est 
vrai;  mais  le  maréchal  avait  d'abord  songé  à  le 
faire  remplacer  par  un  des  transports  de  Vera- 
Cruz.  Il  n'y  eut  pas  lieu,  car  le  ministre,  averti 
au  moins  en  même  temps ,  devait  avoir  et  avait 
avisé  déjà.  Puis,  si  les  illusions  qu'on  s'était  faites 
au  Mexique  sur  la  prochaine  cessation  des  hosti- 
lités chancelaient  un  peu  en  face  des  événements, 
elles  persistaient  à  Paris  dans  leur  plénitude.  Oh 
y  croyait  à  une  émigration  solide  des  Français  de 
New-York  venus  à  la  Martinique  pour  le  Mexique, 
tandis  que  ce  n'était  qu'une  troupe  de  pauvres 
diables,  la  plupart  doreurs,  bijoutiers  et  lapidaires, 
qui  ne  trouvaient  pas  même  à  se  placer  et  que, 
plutôt  que  de  les  laisser  mourir  de  faim  sur  le 
pavé  de  la  Vera-Cruz,  on  nourrissait  à  la  ration  à 
\)QTà.diQV  Allier. 

De  plus,  les  dépêches  ministérielles,  stimulées  du 
reste  par  les  retranchements  faits  au  budget,  pres- 
crivaient de  diminuer  l'effectif  du  personnel  du 
port,  comme  n'étant  plus  en  rapport  avec  le  calme 
dont  on  jouissait,  et  la  suppression  de  l'hôpital  do 
la  marine,  qui,  présumait-on,  ne  devait  plus  avoir 
à  l'avenir  qu'un  nombre  insignifiant  de  malades. 


46  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Tout  cela  était  plus  que  difficile  à  faire.  Les 
réductions  ordonnées  ramenaient  à  deux  cents 
hommes  l'effectif  de  la  direction  du  port,  et  il 
devenait  dès  lors  matériellement  impossible  de 
suffire  au  service  d'embarquement  et  de  débar- 
quement, et  de  transporter  les  efîets  de  campement 
du  quai  jusqu'en  ville.  Au  fort,  il  y  avait  à  garder 
nos  magasins  et  à  surveiller  la  tourbe  remuante 
et  malsaine  des  prisonniers  français  et  mexicains. 
La  suppression  de  l'hôpital  de  la  marine  était  trôs 
dangereuse,  car  on  n'avait  évité  les  épidémies 
qu'en  y  envoyant  les  malades  du  bord. 

Malheureusement  les  dépêches,  quelque  peu 
empreintes  d'un  optimisme  de  parti  pris  et  se 
fondant  sur  des  renseignements  erronés,  pré- 
voyaient une  partie  de  ces  objections.  Il  n'y  avait, 
selon  elles ,  qu'à  envoyer  les  malades  à  l'hôpital 
de  la  guerre,  ou,  à  défaut  de  cet  hôpital,  à  l'ambu- 
lance du  fort  ou  à  celle  de  Sacrificios. 

Il  n'est  pas  rare  que,  lorsqu'un  établissement 
se  fait,  si  mince  qu'il  soit,  ses  fondateurs,  dans 
quelque  contentement,  d'eux-mêmes  et  pour  re- 
cueillir des  éloges,  s'en  exagèrent  et  en  exagèrent 
aux  autres  les  proportions  et  l'importance.  Or, 
sans  parler  de  l'ambulance  du  fort,  qui  était  très 
petite,  dans  une  casemate  et  'des  conditions  dé- 
plorables, celle  de  Sacrificios  n'était  bonne  au 
plus  que  pour  quatre  ou  cinq  hommes.  Elle  ne 


CREATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  47 

consistait  que  dans  une  cabane  assez  bien  établie, 
que  de  précédents  rapports  avaient  sans  doute 
transformée  en  palais  sanitaire.  Voilà  pourquoi 
on  l'indiquait  si  complaisamment  de  Paris.  Enfin, 
le  prétendu  hôpital  de  la  guerre  venait  d'être 
transporté  à  Paseo  del  Macho  avec  un  seul  méde- 
cin. D'ailleurs,  il  n'avait  jamais  été  un  hôpital, 
mais  une  ambulance  dans  unlocal  malsain,  quoique 
vaste,  parce  que,  faute  de  moyens  de  l'entretenir, 
il  avait  toujours  été  sale.  Le  genre  de  ses  malades 
y  avait  contribué  ;  on  n'y  soignait  que  des  contre- 
guerilleros  mexicains  ou  des  Egyptiens,  l'armée 
s'étant  fait  une  loi  de  ne  jamais  avoir  d'autres 
soldats  ou  employés  dans  les  terres  chaudes. 

Opposer  ces  fins  de  non-recevoir,  dire  ces  vérités 
était  fort  délicat.  Quand  on  est  loin  des  obstacles, 
on  aime  à  vivre  dans  la  douce  persuasion  que  les 
obstacles  ne  subsistent  plus,  ou  vont  s'amoindris- 
sant;  et  ceux  qui  souffrent  ou  sont  gênés  ont  tou- 
jours quelque  tort  de  venir  importuner  la  quiétude 
d'un  gouvernement  ou  d'une  administration  de 
leurs  ennuis  ou  de  leurs  souffrances.  A  la  guerre 
comme  dans  la  vie  ordinaire,  si  l'on  dépend  de 
quelqu'un,  il  faut  que,  aux  yeux  de  ce  quelqu'un, 
tout  aille  bien  ou  le  mieux  possible. 

Dans  de  pareilles  circonstances,  le  chef  d'une 
expédition  ou  d'une  station  lointaine  doit  être 
franc,  mais  doit  surtoXit  savoir  l'être.  C'est  un  art. 


48  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

et  il  n'y  réussit  peut-être  bien  que  si  l'énergie  du 
caractère  et  l'honnêteté  de  cœur  sont  à  la  hauteur 
du  sentiment  qu'il  a  très  j  uste  de  sa  position  fausse. 
Il  s'agit  de  ne  pas  déplaire,  il  faut  encore  moins 
s'exposer  à  passer  pour  insuffisant;  et  pourtant 
on  a  le  devoir  de  sauvegarder  d'une  manière 
absolue,  en  même  temps  que  les  exigences  du 
service,  la  vie  et  le  bien-être  de  ceux  qui  nous 
entourent. 

Toutefois  la  marine  avait,  pour  traverser  ces 
moments  difficiles,  un  intermédiaire  très  puissant, 
très  bienveillant  dans  le  maréchal,  qui,  mieux  que 
personne,  pouvait  savoir  à  quel  point  toute  ré- 
forme trop  hâtive,  dans  le  sens  pacifique,  était 
inopportune.  Ce  fut  à  lui  que  le  commandant 
Cloué  s'adressa  pour  satisfaire  tout  d'abord  dans 
une  certaine  mesure  aux  prescriptions  des  dé- 
pêches. Il  le  pria  de  vouloir  bien  retirer  les  pri- 
sonniers de  Saint-Jean-d'UUoa.  Il  fit  valoir,  ce  qui 
était  exact,  que  le  fort  était  à  ce  point  encombre 
de  personnel  et  surtout  d'un  personnel  hideux, 
qu'aux  prochaines  chaleurs  on  devait  s'attendre  à 
une  épidémie  de  typhus.  Sa  demande  fut  accueillie; 
et,  de  ce  côté,  le  personnel  destiné  à  garder  le  fort 
put  être  diminué. 

C'était  déjà  obtenir ,  par  un  commencement 
d'exécution  des  ordres  reçus,  que  le  personnel  de 
la  direction  du  port  ne  fût  réduit  que  plus  tard, 


CREATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  49 

Il  était  aisé  de  faire  justice  de  rambulance  de 
Sacrificios,en  envoyant  une  épreuve  de  la  cabane. 
La  photographie  est  brutale,  mais  elle  a  le  mérite 
d'être  sans  réplique.  Quant  à  l'hôpital  de  la  marine, 
le  commandant  déclina  une  responsabilité  aussi 
grande  que  celle  de  sa  suppression  complète.  Il 
n'était  possible  que  d'essayer  de  le  réduire,  et  il 
fallait  désirer  qu'il  n'en  résultât  pas  d'inconvé- 
nient grave.  Toutefois  si,  à  ce  sujet,  de  nouveaux 
ordres  arrivaient  qui  fussent  impératifs,  le  pre- 
mier transport,  quoi  qu'il  pût  en  advenir,  empor- 
terait d'un  seul  coup  le  personnel  de  santé  et  le 
matériel.  La  marine  n'aurait  plus  d'hôpital  à 
Vera-Cruz.  Après  les  observations  soumises  à 
l'autorité,  l'annonce,  sinon  la  respectueuse  me- 
nace de  cette  mesure  radicale,  était  de  la  fermeté 
habile  et  loyale. 

L'effectif  et  les  ressources  dont  la  marine  dis- 
posait au  Mexique  se  maintinrent  donc  à  peu  près 
les  mêmes,  et  il  n'y  avait  qu'à  attendre,  pour  songer 
à  quelque  expédition  sérieuse  dans  le  sud,  que 
l'agitation  des  terres  chaudes  eût  été  réprimée. 
Le  commandant  supérieur  de  Vera-Cruz,  le  chef 
d'escadron  Maréchal,  opérait  en  effet  du  côté  de 
Tlaliscoyan,  lorsque  la  nouvelle  de  sa  mort  arriva 
tout  à  coup.  Il  avait  été  tué  au  passage  d'une 
rivière  que  les  dissidents,  au  nombre  de  huit  cents, 
lui  avaient  disputé.  L'ennemi  avait  été  repoussé. 


50  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

mais  les  nôtres  avaient  eu  vingt  morts  et  vingt 
blessés  et  étaient  rentrés  dans  un  triste  état.  Il  ne 
fallait  pas  beaucoup  d'affaires  de  ce  genre  pour 
réduire  à  rien  la  petite  force  qui  protégeait  les 
environs  de  Vera-Cruz.  Presque  en  même  temps 
le  maréchal  écrivit  au  commandant  Cloué  qu'il 
renonçait  définitivement  à  l'expédition  de  Tabasco. 

Ce  fut  pour  la  marine  une  grande  et  bien  cruelle 
désillusion.  Mais  il  y  eut  pour  son  chef  plus  que  le 
désappointement  d'une  ambition  vulgaire.  Quand 
on  fait  la  guerre  dans  un  pays,  dès  qu'on  sort  des 
grades  subalternes  et  souvent  même  ne  fût-on  que 
simple  soldat,  on  ne  peut  s'empêcher  de  juger,  à 
part  soi,  le  cours  que  suivent  les  choses,  les  évé- 
nements qui  le  modifient  ou  l'influencent.  On  voit 
vrai  ou  faux,  mais  on  se  fait  une  certaine  idée 
des  résultats  possibles  en  agissant  de  telle  ou  telle 
façon  que  l'on  pressent,  que  l'on  redoute,  que  l'on 
désire,  que  l'on  précipite  enfin  ou  que  l'on  ralentit, 
si  l'on  a  sur  ce  qui  se  passe  quelque  action  directe 
ou  déterminante. 

En  dehors  d'une  spéculation  philosophique  pure, 
il  y  a  également  les  vues  personnelles  qui,  chez 
les  natures  droites,  ne  faussent  pas  la  conscience, 
mais  l'inclinent  cependant  à  voir  la  vérité  dans 
ce  qui  est  le  but  de  leurs  secrets  et  vifs  désirs. 
Ainsi  il  est  certain,  par  exemple,  que  lors  de  la 
campagne  de  Portugal,  sous  l'empire,  le  maréchal 


CREATION   DE  LA.   DIVISION   NAVALE  51 

Ney,  qui  n'envisageait  là,  pour  son  compte,  que 
des  opérations  militaires  à  mener  rondement,  ne 
devait  pas  avoir  dans  la  conduite  de  la  guerre, 
dans  ses  rapports  avec  le  pays,  les  mêmes  tem- 
péraments, les  mêmes  égards,  les  mêmes  inconsé- 
quences apparentes  que  le  maréchal  Soult,  qui  se 
flattait  tout  bas  de  l'espoir  d'une  couronne. 

Or,  au  moment  où  l'expédition  de  Tabasco  était 
abandonnée,  il  y  avait  au  Mexique,  au  sujet  des 
événements  qui  pouvaient  se  dérouler  encore,  deux 
points  de  vue  très  différents.  Il  semblait,  d'un  côte, 
que  la  mesure  indispensable  à  la  consolidation  du 
nouvel  empire  fût  la  soumission  complète,  absolue 
du  Tabasco,  du  Chiapas  et  des  environs.  Là,  en 
effet,  dans  le  sud  du  Mexique,  persistait  une 
résistance  très  bien  organisée  et  d'autant  plus 
redoutable,  qu'elle  n'avait  ni  excès-,  ni  désordres. 
Les  chefs  dissidents  du  Tabasco,  qui  s'intitulait 
«  état  libre  et  souxerain  >,  étaient  aimés  autant 
qu'obéis.  A  côté  d'eux,  la  lagune  de  Termines  et 
la  presqu'ile  de  Carmen,  qui  s'étaient  les  premières 
déclarées  pour  nous,  flottaient  cependant,  in- 
quiètes et  très  près  de  se  reprocher  d'avoir  fait 
une  imprudence.  Le  Yucatan,  qui  n'aimait  pas 
les  Mexicains  et  que  la  crainte  de  nos  armes  avait 
seule  converti  à  une  adhésion  très  incomplète  à 
l'empire,  songeait  moins,  sous  le  commissaire 
impérial,  M.  Salazar  Ilarrégui,  à  se  montrer  pro- 


52  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

vince  empressée  et  fidèle  qu'à  s'ériger  tout  douce- 
ment, à  l'exemple  du  Tabasco,  en  état  indépendant. 
Le  Tabasco  réduit,  tout  le  sud  et  l'est  se  soumet- 
taient sans  arrière-pensée,  et  les  ferments  d'agita- 
tion qui  subsistaient  dans  le  nord  à  l'état  de  menace 
continuelle  tombaient  du  même  coup.  Il  n'y  avait 
donc  pas  à  hésiter,  si  l'on  voulait  de  Maximilien 
pour  empereur  définitif. 

Mais  peut-être  était-ce  là  le  nœud  secret  de  la 
question.  Autant  qu'il  est  permis  de  le  conjecturer, 
si  ce  n'est  de  l'affirmer,  il  existait  en  même  temps 
dans  l'empire,  à  Mexico  surtout,  une  autre  opinion 
non  avouée  et  que  représentait  un  tiers-parti  po- 
litique, non  point  partisan  de  Juarez,  tant  s'en 
faut,  mais  dissident  à  sa  façon,  et  qui  ne  regardait 
point  le  choix  de  l'empereur  comme  ratifié  sans 
retour  par  le  pays  et  par  les  faits. 

Ce  parti,  loin  d'être  hostile  à  la  protection  fran- 
çaise, l'acceptait  et  désirait  la  faire  insensiblement 
et  habilement  dévier  sur  un  autre  protégé  que 
l'empereur,  s'il  était  prouvé,  ce  que  l'on  affectait 
de  commencer  à  craindre,  que  celui-ci  n'eût  pas 
toutes  les  qualités  requises  pour  régner  sans  con- 
teste. Mais  il  fallait  à  ce  parti  un  point  d'appui 
en  quelque  sorte  national,  une  pression  légitime 
et  respectable  pour  motiver  l'évolution  à  laquelle 
il  voulait  entraîner  la  bonne  volonté  de  la  France 
pour  le  Mexique. 


CRÉATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  53 

Le  Tabasco,  dans  sa  longue  et  sérieuse  résis- 
tance, paraissait  offrir  ce  point  d'appui.  La  plupart 
des  chefs  qui  le  gouvernaient  étaient,  on  doit  le 
dire  à  leur  honneur,  ennemis,  sans  compromis 
aucun,  de  l'intervention  étrangère,  mais  quel- 
ques-uns, en  relations  avec  le  parti  de  Mexico,  se 
montraient  disposés  à  une  combinaison  qui  pré- 
parât par  des  moyens  amiables  un  dénoûment 
satisfaisant  à  la  crise.  Ceux-là,  à  un  moment 
donné,  pouvaient  entraîner  le  sud  à  une  manifes- 
tation qui  eût  demandé  à  la  France  un  autre  sou- 
verain que  Maximilien.  Quel  eût  été  le  souverain 
élu  sous  le  coup  de  la  nécessité,  avec  notre  agré- 
ment et  pour  en  finir  avec  des  difficultés  qui 
menaçaient  de  s'éterniser?  C'est  ce  qu'on  ne  disait 
pas  ;  mais  on  caressait  le  maréchal,  qui  représen- 
tait la  France,  et  on  lui  laissait  entrevoir  un  grand 
rôle  à  jouer,  une  médiation  suprême  à  exercer. 
N'était-il  pas  témoin  des  symptômes  qui  accusaient 
le  peu  de  solidité  de  l'empire  ?  et  n'y  aurait-il  pas, 
de  sa  part,  une  haute  sagesse  autant  qu'un  devoir 
de  justice  envers  le  Mexique  à  ne  rien  terininer 
d'une  manière  arbitraire,  qui  ne  paraîtrait  fermer 
que  pour  les  rouvrir  plus  cruelles  bientôt  les  plaies 
de  ce  malheureux  pays?  Il  tenait  dans  ses  mains 
le  sort  d'une  grande  contrée,  qui  ne  serait  point 
ingrate  et  dont  la  reconnaissance  illimitée  n'était 
pas  à  dédaigner. 


54  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

On  le  détournait  ainsi  de  rien  tenter  de  décisif 
contre  le  Tabasco,  et  le  peu  de  moyens  dont  il 
disposait  l'y  déterminait  peut-être  également.  Il 
est  enfin  de  ces  situations  élevées  où  le  doute  est 
permis,  où  de  brillants  mirages  séduisent  l'imagi- 
nation, que  certains  périls  environnent,  et  où  la 
perspective  de  tout  perdre  ou  de  tout  gagner  tient 
en  suspens  la  volonté  la  plus  forte.  Une  influence 
occulte  de  faits,  de  personnes,  d'espérances  gran- 
dissantes, d'une  alliance  de  famille  prochaine  pro- 
tégeait le  Tabasco;  et  l'on  peut  avancer  qu'en 
renonçant  à  l'expédition  si  longtemps  projetée,  le 
maréchal  cédait  à  cette  influence.  ' 

D'autre  part,  il  était  naturel  que  ceux  qui  ne 
pouvaient  disposer  des  événements  à  leur  gré,  ni 
s'abandonner  à  de  tels  rêves  de  grandeur  person- 
nelle, s'affligeassent  de  la  décision  du  maréchal  et 
vissent  plusclairdans  lasituation.  Loin  de  pactiser, 
en  effet,  avec  les  visées  singulières  ou  chimériques 
du  parti  de  Mexico,  le  Tabasco  était,  nous  l'avons 
dit,  dans  la  plupart  de  ses  chefs  très  franchement 
républicain.  Il  agissait  surtout  pour  son  compte, 
et  la  protection  que  lui  ménageaient  les  intrigues 
de  quelques-uns  de  ses  chefs,  protection  qu'il  ne 
sollicitait  pas,  mais  dont  il  jugeait  utile  et  logique 
de  profiter,  le  rendait  chaque  jour  plus  fort.  Il 
était  facile  de  prévoir  qu'aucune  surprise  d'entraî- 
nement n'y  serait  praticable  et  qu'on  aurait  fait 


CRéATION   DE  LA  DIVISION   NAVALE  55 

avec  lui  de  la  diplomatie  guerrière  en  pure  perte. 

Cependant,  en  attendant  que  les  événements  en 
vinssent  au  point  que  l'on  désirait,  il  fallait  agir; 
car  il  est  des  projets  qu'on  ne  saurait  dévoiler  et 
qu'il  faut  masquer  au  contraire,  si  on  ne  les  veut 
voir  avorter  avant  l'heure. 

D'ailleurs,  depuis  deux  mois  qu'on  avait  pris 
Oajaca,  nos  affaires  au  Mexique  s'offraient  partout 
dans  un  désordre  alarmant  et  bizarre. 

A  Tuspan  sans  argent  et  sans  garnison,  les  habi- 
tant découragés  étaient  prêts  à  abandonner  la  ville 
à  la  première  attaque.  Le  navire  que  la  marine 
entretenait  devant  Tuspan  n'était  que  d'une  utilité 
subordonnée  au  caprice  de  la  barre.  Auprès  de 
Tampico,  le  dissident  Carbajal  venait  d'échapper 
au  colonel  du  Pin  par  la  connivence  des  troupes 
mexicaines  que  le  colonel  avait  avec  lui.  Tous  ces 
gens-là  s'entendaient  entre  eux.  Ce  qui  était  plus 
grave,  le  colonel  du  Pin  lui-même  était  rappelé,  et 
on  disait  que  sa  contre-guérilla  allait  être  dissoute. 

Les  libéraux,  qui  n'avaient  pu  triompher  de  lui 
par  les  armes,  venaient  de  le  vaincre  à  Mexico  par 
la  calomnie,  grâce  aux  amis  qu'ils  avaient  dans 
les  conseils  mêmes  de  l'empereur.  Aucun  parti  au 
Mexique  ne  pouvait  vouloir,  en  effet,  de  ce  vaillant 
soldat,  qui  allait  si  vite  et  frappait  si  fort.  Le 
colonel  du  Pin  parti,  on  devait  perdre  avant  pou 
tout  le  Tamaulipas  et  Tampico. 


56  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Le  Yucatan  était  troublé  et  presque  en  révolte 
par  l'arrivée  des  troupes  du  général  Galvez,  que 
VEure  y  avait  portées.  L'explosion  avait  eu  lieu  à 
la  suite  d'un  incident  futile.  A  Herida,  le  général 
Galvez  ayant  forcé  la  consigne  d'un  homme  de  la 
police,  l'ayuntamiento  avait  adressé  contre  lui  au 
commissaire  impérial  une  plainte  que  celui-ci  avait 
trouvée  inconvenante.  En  conséquence,  il  avait  in- 
fligé à  chaque  membre  de  l'ayuntamiento  une 
amende  de  150  piastres  ou  un  mois  de  prison  à 
leur  choix.  Tous  avaient  préféré  la  prison,  et  un 
nouvel  ayuntamiento  avait  été  nommé.  Mais  les 
membres  de  l'ancien  et  les  péonistes,  ainsi  nommés 
parce  que  la  famille  Péon  était  à  la  tête  de  l'opposi- 
tion, avaient  adressé  à  l'empereur  une  pétition 
portée  par  des  commissaires  qui  avaient  pour  leur 
voyage  des  frais  illimités.  11  fallait  entendre  par 
ces  mots  de  quoi  acheter  à  Mexico  quiconque  vou- 
drait se  vendre  pour  faire  réussir  la  députation. 

De  son  côté,  au  départ  de  la  compagnie  des  créo- 
les de  la  Martinique  que  commandait  le  capitaine 
Lardy  et  qui  avait  su  se  faire  aimer,  et  au  bruit  de 
son  remplacement  par  une  garnison  mexicaine, 
Campêche  avait  été  près  de  se  soulever.  On  l'avait 
calmé,  en  lui  annonçant  que  l'envoi  de  cette  garni- 
son n'aurait  pas  lieu  ;  mais  on  pouvait  s'attendre 
à  des  difficultés  sérieuses  entre  l'autorité  civile  et 
l'autorité  militaire,  et  il  devenait  urgent,  si  l'on 


CREATION   DE  LA   DIVISION   NAVALE  57 

ne  voulait  pas  être  débordé,  de  soutenir  fortement 
M.  Ilarrégui. 

A  Alvarado,  les  bords  de  la  rivière  étaient  gar- 
dés par  les  dissidents  et,  le  blocus  n'existant  pas, 
le  commerce  était  libre.  Les  libéraux  percevaient 
ainsi  les  droits  de  douane  partout  où  nous  n'étions 
pas.  Payant  leurs  soldats  avec  cet  argent  et  rem- 
plissant leurs  caisses  particulières,  ils  n'avaient 
aucun  intérêt  à  se  prononcer  pour  nous.  Toutefois 
on  ne  pouvait  rien  faire  avant  d'y  avoir  mis  une 
garnison  suffisante,  car  la  Sainte-Barbe  ne  main- 
tenait que  la  ville  et  non  les  rives.  Encore  cette 
canonnière  était  dans  un  tel  délabrement  et  si 
percée  par  les  tarets,  qu'il  avait  fallu  lui  mettre  un 
calibre  plus  faible  et  lui  recommander  de  ne 
tirer  que  pour  sa  défense. 

Au  Tabasco,  c'était  pis  encore,  et  l'ennemi  y 
abusait  avec  une  habileté  et  une  insolence  extrêmes 
de  l'impunité  dont  il  jouissait.  Il  venait  à  son  gré 
à  Vera-Cruz,  à  Campêche,  à  Sisal,  recevait  des 
subsides  et  des  munitions,  répandait  ses  journaux 
remplis  d'insultes  et  de  menaces,  tandis  qu'il  nous 
fermait  avec  le  plus  grand  soin  l'abord  de  son  ter- 
ritoire et  que  nous  ne  pouvions  aller  à  San-Juan- 
Bautista,  Minatitlan,  Tlacotalpam,  ni  y  faire  par- 
venir aucun  journal,  aucune  lettre.  Le  côté  triste- 
ment curieux  de  notre  situation  dans  cette  partie 
du  Mexique  était  que  toutes  les  facilités  fussent 


58  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

pour  nos  adversaires  et  toutes  les  difficultés  pour 
nous. 

Comme  on  ne  voulait  pas  faire  la  guerre  au 
Tabasco,  il  n'y  avait  que  le  blocus  à  rétablir  pour 
le  priver  de  ses  ressources;  mais  là  encore  le  vice 
de  l'état  de  choses  se  faisait  sentir.  On  ne  voulait 
pas  du  blocus  officiel  qui,  éveillant  les  susceptibi- 
lités des  neutres,  nous  eût  suscité  des  difficultés 
avec  eux.  La  question  était  de  bloquer  sans  déclara- 
tion de  blocus,  sans  avouer  que  l'on  bloquât,  de 
fermer  les  communications  des  libéraux  avec  les 
neutres  sans  que  ceux-ci  eussent  le  droit  de  se 
plaindre  à  leur  gouvernement.  Les  instructions 
venues  de  Mexico  étaientaussivaguesdansla  forme 
que  difficiles  à  exécuter;  mais  il  était  difficile  égale- 
ment qu'on  offrît,  au  sujet  du  Tabasco,  une  voie 
d'action  quelconque  au  commandant  Cloué  sans 
qu'il  en  profitât.  Il  prit  aussitôt  des  mesures  pour 
fermer  tous  les  ports  et  l'entrée  de  rivières  entre 
Vera-Cruz  et  la  lagune  de  Termines. 

Nous  avons  dit  quelles  étaient  ces  rivières  et  par 
quels  arroyos  elles  communiquaient  entre  elles 
dans  l'intérieur  des  terres.  Le  bateau  à  vapeur 
le  Conservador,  que  M.  Salazar  avait  cédé  à  la 
marine,  dut  être  employé  à  la  Frontera  et  avoir  à 
bord  l'administration  de  la  douane.  Il  devait  être 
annoncé  que  la  douane  de  Tabasco  serait  désormais 
à  la  Frontera.  La  canonnière  la  Tourmente  avait 


CREATION   DE  LA  DIVISION   NAVALE  69 

à  veiller  sur  le  Conservador  et  à  sortir  de  temps 
en  temps  pour  aller  aux  bouches  du  Chillepeque 
et  à  Los  Bocas.  Comme  allège  et  magasin  de  vi- 
vres, une  bonne  canoa  à  vapeur  devait  naviguer 
entre  Carmen  et  Tabasco;  et  une  autre,  qui  était 
une  ancienne  chaloupe  de  vaisseau,  la  Louise, 
devait  être  armée  par  nous  et  aller  par  l'intérieur 
de  la  lagune  de  Terminos  dans  tous  les  arroyos 
et  jusqu'à  San-Juan-Bautista.  Ce  petit  vapeur  était 
la  véritable  annexe  du  bâtiment  en  station  à 
Carmen.  Une  canonnière  devait  garder  l'entrée 
du  Goazocoalcos  sans  trop  y  séjourner,  à  cause  de  la 
mauvaise  saison  qui  s'approchait,  et  la  Sainte- 
Barbe  avait  à  s'occuper  du  blocus  d'Alvarado. 

Ces  diverses  canonnières,  sentinelles  avancées 
du  blocus,  avaient  à  l'égard  des  bâtiments  de  com- 
merce une  double  consigne  à  faire  observer.  On 
arrêtait  purement  et  simplement  les  navires  mexi- 
cains. D'ailleurs,  un  décret  impérial  interviendrait 
pour  défendre  à  tous  les  ports  de  l'empire,  et  vu 
les  opérations  de  guerre  que  cela  pourrait  gêner, 
d'expédier  aucun  bâtiment  mexicain  pour  les 
points  compris  entre  Carmen  et  Alvarado.  Quant 
aux  étrangers,  le  même  décret  recommandait  de 
ne  les  expédier  que  s'ils  insistaient  et  en  les  pré- 
venant alors  que  ce  serait  à  leurs  risques  et  périls. 
S'ils  partaient  quand  même,  le  rôle  des  canonnières 
commençait.  Elles  ne  devaient  considérer  aucun 


60  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

bâtiment  commerçant  avec  le  Tabasco  comme 
régulièrement  expédié  que  s'il  avait  eu  affaire,  à 
l'arrivée  comme  au  départ,  à  la  douane  de  la 
Frontera,  qui  percevait  tous  les  droits.  Cela  ne 
suffisait  pas.  En  outre  de  cet  acquittement  de 
droits,  on  exigerait  de  ces  bâtiments  neutres, 
avec  toute  la  politesse  possible,  un  déchargement 
presque  entier,  sous  le  prétexte  de  s'assurer 
qu'ils  n'avaient  aucune  contrebande  de  guerre.  Il 
était  probable  que  cette  accumulation  de  mesures 
désagréables,  subies  tout  d'abord  par  deux  ou 
trois  navires,  détournerait  les  autres  de  s'y 
exposer. 

Le  commandant  venait  à  peine  de  transmettre 
ces  propositions  au  maréchal,  qu'il  en  reçut  une 
dépêche  où  se  montrait  toute  l'incertitude  dans 
laquelle  on  était  à  Mexico.  Le  maréchal  demandait, 
en  effet,  si  l'expédition  de  Tabasco  pouvait  se  faire 
dans  de  bonnes  conditions  en  rivière,  en  ne  débar- 
quant les  troupes  qu'à  San-Juan-Bautista.  Le  com- 
mandant eût  pris  le  2^  zouaves,  alors  prêt  à  s'em- 
barquer pour  l'Europe  sur  le  Rhône.  Mais  il  était 
bien  entendu  qu'aucune  garnison  ne  serait  laissée 
au  Tabasco,  qui  s'organiserait  avec  ses  propres 
ressources.  A  quoi  bon  alors?  c'était  frapper  dans 
le  vide  et  avoir  tout  le  souci  et  toute  la  peine  de 
ce  coup  inutile.  Le  commandant  répondit  pourtant 
qu'il  serait  prêt  dans  dix  jours,  à  la  condition 


CRÉATION   DE   LA   DIVISION   NAVALE  61 

d'avoir  tout  le  2®  zouaves  et  de  garder  le  Tabasco 
quinze  jours  au  moins  (1). 

Si  le  maréchal  n'acceptait  pas,  c'est  que  son  offre 
n'était  point  sérieuse  et  qu'il  voulait  seulement 
se  donner  l'apparence  d'être  disposé  à  l'expédition. 
Le  prendre  au  mot  avec  les  restrictions  qu'il  im- 
posait eût  été  un  coup  de  tête  de  jeune  homme. 
On  ne  devait  pas  s'exposer  à  l'échec  de  ne  réussir 
que  vingt-quatre  heures.  D'ailleurs,  la  clause  de 
s'en  aller  immédiatement  après  l'occupation  était 
inadmissible  pour  quiconque  connaissait  le  pays. 
Ce  n'eût  pas  même  été  le  succès  d'une  heure, 
c'eût  été  remettre  en  question  le  peu  de  prestige 
et  d'influence  que  nous  avions  si  péniblement 
conquis. 

Le  maréchal,  ainsi  mis  en  demeure,  renonça  de 
nouveau  à  l'expédition  de  Tabasco  et  se  contenta 
d'autoriser  toutes  les  mesures  du  commandant 
Cloué  pour  le  blocus. 


(1)  En  disant  «  le  Tabasco  »,  il  s'agit  particulièrement,  au 
point  de  vue  militaire,  de  l'occupation  des  villes  de  Tlacotalpam 
ou  San-Juan-Bautista. 


CHAPITRE    II 

DU  BLOCUS  DES  CÔTES  AUX  PREMIERS  ÉVÉNEMENTS 
DE  MATAMOROS 

En  conséquence  des  mesures  prises  pour  le 
blocus  du  Tabasco,  la  Tourmente  et  le  Conserva- 
dor  s'établirent  aussitôt  à  la  Frontera.  La  Tem- 
pête, déjà  à  Alvarado,  y  fut  appuyée  à  terre  par 
la  compagnie  Lardy  des  créoles  de  la  Martinique, 
qui  venait  d'arriver  de  Campêche.  Le  Brandon  et 
la  Louise  s'installèrent  à  Carmen.  C'était  à  la  fois 
inquiéter  et  dominer  le  Tabasco,  en  lui  coupant  les 
ressources  et  les  vivres.  On  disait  qu'un  mouve- 
ment impérialiste  important  se  préparait  dans  le 
haut  du  Goazocoalcos  et  le  Chiapas.  Fallait-il  le 
croire?  et  était-il  réellement  impérialiste  ?  De 
quelque  nature  qu'il  fût,  et  même  s'il  était  l'intri- 
gue politique  que  l'on  espérait  exploiter  à  Mexico, 
il  fallait  le  soutenir.  Les  dissidents,  ainsi  menacés 
des  deux  côtés,  pouvaient  être  amenés  à  composi- 
tion; et  il  était  douteux  qu'une  conspiration 
heureuse  sortît  pour  eux  de  leur  défaite.  Les 
avantages  sérieux  que  le  gouvernement  de  Maxi- 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS        63 

milien  remporterait  dans  le  Sud  ne  tourneraient 
pas  contre  lui.  Il  y  avait  enfin,  quoique  le  blocus, 
ainsi  que  nous  le  verrons,  ne  dût  pas  tenir  tout 
ce  qu'il  promettait,  l'espérance  de  grouper  par 
la  protection  qui  lui  serait  assurée,  à  chaque 
point  qu'occupaient  les  canonnières,  une  popu- 
lation qui  se  rattachât  fortement  à  l'empire.  Cette 
espérance  se  réalisa .  en  partie ,  et  les  jeunes 
officiers  qui  commandaient  les  canonnières  exer- 
cèrent autour  d'eux  jusqu'au  dernier  moment 
une  influence  presque  absolue  d'autorité  et  de 
protection. 

Seulement,  au  milieu  de  ces  soins,  la  marine 
avait  toujours  ses  misères.  Le  mois  d'avril  arri- 
vait, et  c'était  l'époque  où  la  guerre  retirait  ses 
employés  et  ses  services  de  toutes  sortes  des  terres 
chaudes,  la  fièvre  jaune  étant  un  ennemi  qu'elle 
pouvait  se  dispenser  de  combattre.  Il  est  vrai  que 
le  maréchal,  sachant  que  la  suppression  de  l'hôpi- 
tal de  la  marine  était  imminente,  prévenait  le 
commandant  qu'il  pouvait  envoyer  ses  malades  à 
l'hôpital  de  la  Soledad.  Or,  cette  ambulance  était 
une  maison  de  paille  qui  ne  recevait  que  quarante 
lits,  tandis  que  nous  en  avions  soixante  à  la  Vera- 
Cruz.  Puis,  un  malade  qui  a  un  accès  pernicieux 
ne  peut  attendre  le  chemin  de  fer.  Ce  n*était  pas 
pratique. 

En  outre,  la  poste  et  le  trésor  étaient  supprimés 


04  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

et  portés  à  Corclova.  On  allait  donc  être  forcé 
d'expédier  les  vaguemestres  jusque-là,  avec  des 
lenteurs  et  des  retards  ;  car  des  bâtiments  sur  le 
qui-vive  de  l'appareillage  ne  peuvent  qu'à  des 
espaces  de  temps  irréguliers  se  prêter  à  ces  envois. 
La  marine  se  résignait  à  ces  ennuis,  en  ayant  vu 
bien  d'autres.  Ce  qui  était  plus  grave,  c'est  que  le 
maréchal,  n'ayant  plus  de  services  à  Vera-Cruz, 
paraissait  ne  point  douter  que  la  marine  ne  piit 
garder  le  Môle  et  la  porte  de  mer  avec  les 
hommes  qui  lui  étaient  laissés.  C'était  impossible; 
et,  si, on  l'exigeait,  le  commandant  n'avait  plus 
qu'à  se  renfermer  dans  la  lettre  des  dépêches 
ministérielles  et  à  retirer  tout  son  monde  au  fort. 
Le  commandant  n'eût  pas  hésité,  et  c'eût  été  alors 
comme  si  la  distance  entre  Vera-Cruz  et  la  division 
navale  se  fût  augmentée  de  50  lieues.  Il  n'y  eût 
plus  eu,  en  effet,  que  l'inertie  mexicaine  à  la  place 
de  l'incessante  et  intrépide  activité  des  marins  du 
port.  Mais,  d'autre  part,  le  commandant  supérieur 
de  Vera-Cruz  ne  voulait  pas,  malgré  l'ordre  du 
maréchal,  reprendre  la  section  de  discipline  qui 
encombrait  le  fort  et  consommait  la  provision 
déjà  bien  faible  d'eau  potable. 

En  dehors  de  ces  diverses  exigences,  il  avait 
fallu  obéir,  dans  une  certaine  limite,  aux  ordres 
du  ministre.  Le  commandant  promettait  d'arriver 
peu  à  peu  au  chiffre  de  trois  cent  cinquante 


I 


BLOCUS   DES   CÔTES   A   MATAMOROS  65 

hommes  pour  le  stationnaire  annexe,  hôpital 
compris.  Ce  pouvait  paraître  encore  trop  de  monde, 
mais  la  saison  chaude  était  proche,  et  il  fallait 
compter  avec  le  déchet.  Ce  mot  simple  et  cruel 
était  justifié  par  le  passé.  Deux  cent  quarante-sept 
hommes  reçus  au  mois  de  juin  1864  pour  les  be- 
soins du  service  s'étaient  en  octobre  trouvés  ré- 
duits à  cent  soixante-sept.  En  mars  1865,  il  ne 
restait  que  dix  hommes  de  cette  réserve  à  bord  du 
Magellan,  à  peu  près  autant  disséminés  sur  les 
bâtiments,  et  cependant  on  avait  toujours  pris  à 
chaque  transport  une  douzaine  d'hommes  pour 
remplacer  les  spécialités  qui  avaient  fini  leur 
temps.  C'étaient  donc  environ  cent  quarante  hom- 
mes en  plus  qu'on  avait  dû  se  procurer  pour 
combler  les  vides,  et  cela  dans  la  bonne  saison, 
c'est-à-dire  depuis  le  mois  d'octobre. 

Dans  le  moment  même,  les  capitaines  de  canon- 
nières tombaient  les  uns  après  les  autres  sous  les 
coups  réitérés  du  climat.  Les  capitaines  de  la 
Pique  et  de  la  Tactique,  MM.  de  La  Barrière  et  La 
Source,  rentraient  exténués  en  France,  où  M.  La 
Source  devait  mourir  un  an  plus  tard.. Le  capitaine 
Gaude,  de  la  Tempête,  était  gravement  atteint  par 
la  variole  qui  sévissait  à  son  bord.  Il  y  avait  à  les 
remplacer,  et  la  pénurie  d'officiers  se  faisait  aussi 
vivement  sentir  que  celle  de  matelots. 

On  ne  se  maintenait  donc  qu'en  s'affaiblissant 


QQ  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

et  avec  de  grands  efforts,  mais  on  se  maintenait; 
et  plutôt  que  de  subir  dans  le  douteux  état  d'une 
tranquillité  à  laquelle  on  ne  croyait  plus  les  en- 
nuis de  l'attente,  on  appelait  les  événements  avec 
impatience.  Cette  impatience  allait  être  en  partie 
satisfaite. 

Soit  que  le  Sud  n'excitât  point  son  intérêt,  soit 
qu'il  crût  n'avoir  rien  à  redouter  de  ce  côté,  le 
maréchal  ne  s'occupait  que  du  Nord ,  où  le  voisi- 
nage des  Américains  et  la  présence  de  Juarez 
étaient  pour  lui  de  sérieux  motifs  d'inquiétude. 
Les  dissidents,  secrètement  aidés  et  encouragés, 
disait-on,  par  les  Américains,  opéraient  active- 
ment dans  le  Nord  et  menaçaient  surtout  Mata- 
mores. Matamores,  on  le  sait,  est  sur  la  rive 
droite  du  Rio-Grande,  qui  sépare  le  territoire  du 
Mexique  du  Texas  américain.  Plus  loin,  vers 
l'embouchure,  sur  la  même  rive  du  fleuve,  est 
Bagdad,  sorte  d'annexé  commerciale  de  Matamo- 
res, rade  foraine  d'ailleurs.  Comme  pendants  de 
ces  deux  villes,  sont,  sur  la  rive  gauche  du  fleuve 
et  du  côté  américain,  Brownsville  et  Brazos- 
Santiago. 

Nous  avons  vu  à  quel  degré  de  prospérité  était 
arrivé  Matamores  pendant  la  guerre  d'Amérique. 
C'était,  en  effet,  le  débouché  de  toutes  les  mar- 
chandises des  états  du  Sud.  Le  général  impéria- 
liste Mejia  occupait  Matamores  avec  deux  mille 


BLOCUS   DES   COTES   A  MATAMOROS  67 

hommes  qui  lui  étaient  personnellement  dé- 
voués. Ce  général,  une  des  figures  intéressantes 
du  Mexique,  était  un  Indien  très  brave,  très  fin, 
très  flegmatique,  aimant  les  femmes  avec  la  pas- 
sion d'un  homme  de  sa  race.  On  prétendait  qu'il 
était  plongé  dans  la  débauche  et  n'avait  pas  long- 
temps à  vivre.  A  côté  de  lui,  sur  un  pied  singulier 
de  rivalité  et  d'intimité,  était  Cortina,  dont  nous 
avions  accepté  la  soumission  au  mois  d'avril  pré- 
cédent et  à  qui  l'on  s'était  empressé  de  donner  un 
emploi  important.  Il  n'y  a  vraiment  que  le  Mexi- 
que où  l'on  voie  se  produire  aussi  promptement 
de  pareilles  choses.  Cortina  n'attendait,  disait-on, 
que  le  moment  favorable  pour  se  prononcer  et 
entretenait  dans  cette  vue  des  correspondances 
avec  les  Américains  du  Nord.  C'était  fort  connu. 
Mejia,  averti,  se  contentait  de  dire  :  <  Laissez 
faire,  je  surveille  Cortina.  > 

Au  mois  de  mars,  il  fut  question  d'appeler  Mejia 
à  Mexico  pour  lui  confier  l'organisation  de  l'armée 
mexicaine.  Cortina  se  trouvait  avoir  le  champ 
libre,  et  ses  intrigues  pour  livrer  Matamores  aux 
libéraux  se  développèrent.  Le  retour  de  Mejia  y 
coupa  court  ;  mais  au  mois  d'octobre,  la  situation 
parut  assez  tendue  au  maréchal  pour  que  V Adonis 
fût  envoyé  en  reconnaissance.  Tout  était  en  désar- 
roi. Faute  de  bateau  à  vapeur  pour  remonter  le 
Rio-Grande,  le  capitaine  de  V Adonis,  M.  Miot,  eut 


68  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

besoin  d'une  forte  escorte  du  général  Mejia  pour 
se  rendre  par  terre  de  Bagdad  à  Matamoros.  Le 
télégraphe  entre  Bagdad  et  Matamoros  était  coupé 
et  les  communications  n'avaient  lieu  que  par 
cigarettes  au  moyen  de  quelques  Indiens.  La  cam- 
pagne était  aux  dissidents,  et  il  venait  d'y  avoir 
une  petite  attaque  contre  la  ville. 

A  Bagdad,  comme  aggravation,  l'élément  améri- 
cain en  ville  était  de  la  pire  espèce  et  la  garnison 
insuffisante,  de  sorte  que  le  danger  pouvait  surgir 
de  l'intérieur  même.  Quant  à  Cortina,  il  avait  fait 
défection  avec  la  troupe  sous  ses  ordres  et  s'était 
joint  au  général  dissident  Carvajal.  Pour  com- 
penser cette  diminution  de  forces,  les  étrangers, 
qui,  en  cas  de  succès  de  Cortina,  eussent  craint 
d'être  pressurés  par  lui,  s'étaient  armés  et  con- 
stitués en  garde  nationale.  C'était  pour  le  moment 
une  bonne  mesure  qui  permettait  à  Mejia  de 
sortir  au  besoin  ;  mais  on  lui  avait  volé  tous  ses 
chevaux,  et  s'il  prolongeait  un  peu  quelqu'une  de 
ses  sorties,  il  n'y  eût  eu  rien  de  bien  étonnant  à 
ce  qu'il  trouvât  au  retour  la  porte  fermée.  Pour 
compléter  ce  tableau,  qui  donne  une  idée  du  dé- 
sordre d'une  place  mexicaine,  les  Américains 
semblaient  devoir  bientôt  s'abattre  en  nuées  sur 
la  frontière.  Il  y  avait  des  préparatifs  non  équivo- 
ques, et  le  général  fédéral,  qui  n'avouerait  rien, 
laisserait  faire. 


BLOCUS   DES   CÔTES   A  MATAMOROS  69 

Ces  nouvelles,  rapportées  par  VAdonis,  furent 
suivies  du  départ  immédiat  pour  Rio-Grande  de 
la  Tisiphone,  qui  arrivait  de  France  comme  relève 
du  Forfait,  Le  commandant  Collet  devait  com- 
muniquer avec  le  général  Mejia  poiir  parer  aux 
événements. 

De  son  côté,  le  maréchal  envoyait  à  Matamores 
un  bataillon  de  cinq  cents  hommes  avec  de  l'artil- 
lerie, formant  un  total  de  six  cent  quarante 
hommes  et  quatre-vingts  animaux.  Il  fallait  se 
hâter,  car  les  50  millions  de  marchandises  à  Ma- 
tamores étaient  faits  pour  décider  tous  les  chefs 
mexicains  à  se  prononcer  afin  de  mettre  la  main 
dessus.  Pendant  que  le  Var  portait  le  bataillon, 
le  Magellan,  VAdonis  et  la  Tactique  allaient  re- 
joindre la  Tisiphone.  Les  chaloupes  à  vapeur,  qui 
eussent  été  fort  utiles,  ne  pouvaient  malheureuse- 
ment pas  être  amenées.  Leurs  chaudières  étaient 
complètement  usées,  et  les  neuves,  qu'on  attendait 
de  France,  ne  venaient  pas.  A  défaut  de  ces  cha- 
loupes, le  commandant,  dès  son  arrivée  au  Rio- 
Grande,  prit  tous  les  navires  de  commerce  à  vapeur 
et  les  arma  avec  des  hommes  de  ses  équipages.  Le 
chef  d'état-major  Lagougine  avait  le  commande- 
ment de  cette  flottille  improvisée.  Il  devait  re- 
monter le  Rio-Grande  pendant  que  le  bataillon  du 
commandant  de  Bigant,  débarqué  par  le  Var,  se 
rendrait  de  Bagdad  à  Matamores. 


70  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU  ilEXIQUE 

Tout  réussit  à  point.  En  quelques  heures,  on  mit 
à  terre,  sans  le  moindre  accident,  sept  cents 
hommes  avec  Partillerie,  soixante-quinze  chevaux 
ou  mulets  et  un  matériel  d'approvisionnement 
considérable.  Le  3  mai,  à  une  heure  de  l'après- 
midi,  la  colonne  s'avança  par  la  rive  droite  du 
fleuve.  Elle  était  appuyée  par  les  trois  vapeurs. 
Cette  marche  hardie  était  imposée  par  les  circon- 
stances. Le  général  Mejia  écrivait  :  <  Arrivez  vite, 
jai  absolument  besoin  d'être  secouru.  »  —  Il  était 
temps,  en  effet.  Negrete  venait  d'arriver  devant 
Matamoros,  après  avoir  fait  une  diligence  extrême. 
Comprenant  de  quelle  importance  il  était  pour  lui 
de  devancer  tout  secours  qui  viendrait  à  la  ville, 
il  ne  s'était  arrêté  à  Monterey  que  le  temps  néces- 
saire pour  imposer  aux  habitants  un  emprunt  de 
225.000  piastres,  contre  lesquelles  il  avait  donné 
le  double  en  bons  sur  la  douane  de  Matamoros, 
intéressant  ainsi,  d'une  façon  toute  mexicaine, 
le  commerce  de  Monterey  au  succès  de  ses  opéra- 
tions. Puis  il  avait  franchi  en  six  jours,  par  une 
route  très  difficile,  les  90  lieues  qui  séparent 
Monterey  de  Matamoros. 

Negrete  comptait  sur  les  nombreux  adhérents 
que  lui  avait  préparés  Cortina;  mais  les  juaristes 
et  les  yankees  étaient  contenus  par  les  étrangers 
organisés,  au  nombre  de  six  cents,  en  milice,  et 
qui  redoutaient,  dans  la  prise  de  la  ville,  le  pil- 


BLOCUS   DES   CÔTES   A   MATAMOROS  71 

lage  de  leurs  propriétés.  Moins  courageux  ou 
moins  intéressés  dans  la  question,  tous  les  fonc- 
tionnaires mexicains,  à  l'exception  du  chef  politi- 
que, dès  qu'ils  avaient  appris  l'arrivée  de  Negrete, 
s'étaient  enfuis  de  Matamores  à  Brownswille. 
Méjia,  pour  son  compte,  s'était  défendu  vigou- 
reusement, et  Negrete,  contraint  de  donner  quel- 
que repos  à  ses  troupes,  n'avait  fait  qu'escarmou- 
cher  avec  sa  cavalerie. 

A  la  nouvelle  de  l'heureux  débarquement  de  la 
colonne  française  à  Bagdad,  Negrete,  dont  l'armée 
souffrait  mille  privations  dans  une  plaine  sans 
ressources,  battit  en  retraite.  Il  partait  avec  trois 
mille  fantassins  et  mille  cavaliers  dans  la  direction 
de  Monterey,  en  laissant  comme  rideau  devant 
Matamores  les  bandes  de  Carvajal  et  de  Canales. 

Si  nous  avions  tardé  un  ou  deux  jours,  ou  si  le 
mauvais  temps  se  fût  opposé  au  débarquement, 
c'en  était  fait  de  Matamores,  et  après  avoir,  tout 
récemment,  perdu  par  la  prise  de  Saltillo  et  de 
Monterey  le  Cohahuela  et  le  Nuevo  Léon,  nous 
perdions  tout  le  Tamaulipas,  ce  qui  eût  produit 
le  plus  fâcheux  effet  et  donné  au  juarisme  une 
recrudescence  de  vitalité  et  de  forces.  C'était,  en 
effet,  le  juarisme  qui  venait  d'agiter  le  nord-est 
de  l'empire;  et  pendant  que  Matamores  se  défen- 
dait contre  Negrete,  Tampico  et  Tuspan  avaient 
été  non  seulement  menacés  de  nouveau,  mais  sur 


72  LA  ^lARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

le  point  de  se  prononcer.  Papantla  avait  fait  ses 
préparatifs  habituels  contre  Tuspan,  et  la  tenta- 
tion de  se  prononcer  pour  s'approprier  5  millions 
de  marchandises  qui  se  trouvaient  dans  les  entre- 
pôts de  Tancasnequi,  près  de  Tampico,  avait  paru 
être  fort  vive  pour  les  chefs  mexicains  de  cette 
dernière  ville.  Le  commerce  de  Tampico  s'était 
alarmé,  et  notre  consul  avait  demandé  150  hommes 
au  commandant  Cloué,  parce  que  la  barre  devait 
être  attaquée  en  même  temps  que  la  ville.  De 
même  que,  dans  l'intérieur,  les  gens  tranquilles 
demandaient  une  garnison  française  pour  les 
garder,  il  eût  fallu  un  bâtiment  pour  chaque  barre 
de  chaque  petit  port.  Hors  de  ces  conditions,  ceux 
qui  se  disaient  pour  nous  ne  répondaient  de  rien, 
ce  qui,  en  les  supposant  sincères,  n'était  encou- 
rageant, ni  pour  eux,  ni  pour  nous.  Quoi  qu'il  en 
fût,  le  succès  de  Matamores  avait  mis  à  néant  les 
velléités  de  révolte  sur  le  littoral. 

Ce  qu'il  y  avait  de  plus  grave  dans  cette  affaire 
de  Matamores,  c'est  qu'on  y  constatait  les  symp- 
tômes de  la  prochaine  immixtion  des  Américains 
dans  la  question  du  Mexique.  Les  confédérés  te- 
naient encore  à  Brownsville,  et  les  fédéraux  étaient 
à  Brazos-Santiago.  Il  eût  fallu,  pour  prévenir  ou 
du  moins  pour  éloigner  toute  ingérence  des  gens 
du  Nord,  une  extrême  prudence  que  le  général 
Mejia  n'avait  pas.  Il  était  naturel  qu'il  penchât 


BLOCUS   DES    CÔTES   A   MATAMOROS  73 

pour  la  cause  du  Sud,  mais  il  avait  le  tort  de  s'y 
montrer  favorable  par  ses  actes.  Soit  qu'il  ne  fût 
pas  très  au  courant  des  lois  internationales,  soit, 
ce  qui  était  probable,  qu'avec  son  caractère  rusé, 
il  feignît  de  ne  les  point  connaître,  il  venait,  par 
une  infraction  flagrante  à  toute  neutralité,  de 
rendre  trente  déserteurs  aux  confédérés.  Il  entre- 
tenait aussi  des  relations  fort  suivies  et  fort  im- 
prudentes avec  le  colonel  confédéré  Slaughter, 
commandant  à  Brownsville,  relations  qui  dans 
certains  cas  semblaient  un  calcul,  sinon  pour 
nous  engager,  du  moins  pour  nous  compromettre. 
Il  avouait  seulement  une  convention  passée 
avec  le  colonel  Slaughter  au  sujet  des  voleurs  et 
des  assassins,  mais  il  avait  livré  ses  déserteurs 
et  se  faisait  rendre  les  siens  et  même  les  nôtres. 
Malgré  l'ordre  du  commandant  de  Briant,  un  ser- 
gent avait  fait  la  sottise  d'aller  prendre  sur  la 
rive  texienne  des  soldats  que  les  confédérés  avaient 
arrêtés.  Le  commandant  Cloué  avait  formellement 
refusé  de  se  faire  rendre  ainsi  deux  matelots.  En 
revanche,  le  général  Mejia  ne  voulait  entretenir 
aucune  relation  avec  l'autorité  fédérale  de  Brazos. 
On  ne  se  cachait  pas  pour  dire  que  l'Amérique 
allait  entrer  en  campagne  contre  le  Mexique  avant 
longtemps.  D'ailleurs,  cela  était  dans  l'air.  La 
France  était  trop  loin  pour  que  ces  effluves  de 
guerre  s'y  fissent  sentir,  mais  on  commençait  à 


74  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

soupçonner  le  danger  à  Vera-Cruz  et  à  Mexico. 
Au  Rio-Grande,  on  n'en  doutait  plus,  car  on  le 
touchait  du  doigt. 

Du  reste,  le  désordre  était  extrême  en  toutes 
choses,  et  ce  n'était  pas  tâche  aisée  que  de  lutter 
contre  lui.  La  légion  étrangère  était  à  Matamores 
et  aux  environs  dans  des  conditions  très  défavo- 
rables pour  le  service  qu'on  attendait  d'elle.  On 
pouvait  craindre  qu'elle  ne  désertât,  car  un  ma- 
nœuvre gagnait  trois  piastres  par  jour  à  Browns- 
ville,  et  le  Rio-Grande  n'a  que  50  mètres  de  large. 
Il  eût  fallu  par  prudence  accorder  à  chaque  sol- 
dat un  supplément  d'un  réal.  Quant  aux  officiers, 
qu'on  ne  pouvait  craindre  de  voir  déserter,  le 
commandant  Cloué  insistait  avec  une  bienveillante 
énergie  auprès  du  maréchal  pour  qu'ils  eussent 
le  supplément  des  terres  chaudes.  Avec  cela  ces 
pauvres  jeunes  gens  ne  brilleraient  assurément 
pas,  mais  ils  seraient  du  moins  ce  que  des  officiers 
doivent  être.  Le  télégraphe  entre  Bagdad  et  Mata- 
mores avait  été  rétabli,  mais  on  n'avait  ni  fouillé 
ni  inspecté  le  terrain  qu'il  traversait  et  oii  les 
voleurs  de  grand  chemin  abondaient.  Mejia,  hors 
de  danger,  avait  repris  sa  quiétude  et  ses  habi- 
tudes de  plaisir.  Il  n'avait  poursuivi  ni  Negrete, 
ni  Cortina  qu'il  aimait  à  croire  et  disait  être  à  80 
lieues  de  lui,  au  delà  de  Camargo.  Au  fond,  il  n'en 
savait  rien.  Le  commandant  avait  insisté  auprès 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS  75 

de  lui  pour  qu^il  eût  deux  ou  trois  petits  bateaux 
à  vapeur  de  service  sur  le  fleuve.  Il  n'avait  ré- 
pondu que  par  des  objections,  témoignant  beau- 
coup d'apathie. 

Le  temps  se  perdait  de  toutes  façons,  quand  on 
ne  l'employait  pas  à  mal.  Ainsi,  un  officier  de 
Mejia,  chargé  avec  quelques  cavaliers  de  protéger 
la  route  de  Bagdad  à  Matamores,  venait  d'arrêter 
et  de  rançonner  la  diligence.  Les  coups  de  feu 
tirés  dans  ce  pastiche  de  l'affaire  Doineau  n'avaient 
heureusement  atteint  personne.  L'officier  toute- 
fois, jugé  par  une  cour  martiale  à  Bagdad,  fut 
condamné  à  mort  et  exécuté  le  lendemain.  Nous 
étions  bien  pour  quelque  peu  dans  cette  sentence. 
Aussi,  chose  moins  étrange  qu'on  ne  le  pourrait 
croire,  le  colonel  Iglesias,  commandant  militaire 
à  Bagdad,  invita  ses  officiers  et  les  habitants  à 
l'enterrement.  Il  fallut  faire  acte  d'autorité  pour 
empêcher  l'invitation  d'avoir  son  cours.  Ce  fut  à 
ce  moment  que  les  fédéraux  de  Brazos  marchèrent, 
au  nombre  de  huit  cents,  contre  les  confédérés 
de  Brownsville  et  furent  complètement  battus  en 
face  de  Burrita.  Malgré  cet  échec,  ou  peut-être  à 
cause  de  lui,  car  il  facilitait  aux  vainqueurs  une 
négociation  honorable,  la  paix  allait  se  signer 
entre  Brownsville  et  Brazos,  et  on  disait  qu'aus- 
sitôt après  fédéraux  et  confédérés  se  jetteraient 
ensemble   sur  la  frontière  du  Mexique.  Pour 


76  LA  MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

ceux  qui  voyaient  les  choses,  cela  n'avait  rien 
d'improbable. 

Cependant  le  commandant  Cloué,  laissant  la 
Tisiphone  devant  Matamores  afin  de  surveiller 
les  événements,  allait  partir  pour  le  Sud,  où 
l'appelaient  des  faits  assez  graves.  Par  une  sorte 
de  coïncidence,  un  mouvement  semblable  à  celui 
du  Nord  avait  éclaté  aux  environs  du  Tabasco  et 
dans  la  lagune  de  Termines.  Carmen  était  là  le 
centre  de  notre  occupation.  Le  Brandon  y  restait 
en  station  et  tenait  dans  une  fidélité  craintive  de 
nos  armes,  non  seulement  la  garnison  de  la 
presqu'île,  mais  celles  de  Palizada  et  de  Jonuta, 
qui,  situées  toutes  deux  sur  l'Usumacinta,  à  la 
partie  sud  de  la  lagune,  étaient,  à  l'égard  de 
San-Juan-Bautista,  comme  les  sentinelles  avancées 
de  notre  domination.  Le  commandant  de  la  ligne 
de  l'Orient  à  Monte-Christo  (nom  assez  singulier 
pour  désigner  la  frontière  du  Tabasco),  de  Pratz, 
était  alors  à  Jonuta,  qu'il  avait  pris.  Le  capitaine 
du  Brandon  avait  à  lui  faire  parvenir  une  lettre 
du  commandant  Cloué.  Celui-ci  le  prévenait  qu'une 
canonnière,  en  faisant  une  reconnaissance  dans 
le  Grisalva,  avait  enlevé  les  pilotes  et  capturé  un 
certain  Jacinta  Cautelle,  porteur  de  dépêches  du 
gouvernement  de  Tabasco.  Les  dépêches  étaient 
renvoyées,  et  l'homme  relâché  malgré  sa  mission. 
Ce  qui  explique  cette  indulgence,  c'est   que  ce 


BLOCUS   DES    CÔTES   A   MATAMOROS  77 

Cautelle  avait  été  pris  sur  le  Tahasco,  petit  vapeur 
qui  allait  très  librement  de  Vera-Cruz  à  San-Juan- 
Bautista,  et  qu'on  affectait,  tout  en  lui  faisant  la 
guerre,  de  regarder  le  Tabasco  comme  une  pro- 
vince de  l'empire  occupée  par  quelques  mécon- 
tents. Peut-être  aussi  ce  petit  vapeur  donnait-il  à 
chaque  parti  des  renseignements  qui  motivaient 
la  tolérance  à  son  égard.  En  revanche,  le  com- 
mandant gardait  les  pilotes,  auxquels  il  ne  serait 
fait  aucun  mal  en  dépit  des  calomnies  qui  cou- 
raient sur  nous,  et  on  envoyait  à  Campêche  les 
passagers  qu'on  avait  trouvés  sans  passeports  sur 
le  Tabasco, 

Il  prévenait  enfin  de  Pratz  qu'on  allait  songer 
à  s'occuper  de  lui  et  de  ses  concitoyens,  du  moins 
de  tous  ceux  qui  avaient  les  armes  à  la  main. 
C'était  le  curé  de  Palizada  qui  s'était  chargé  de 
porter  la  lettre  à  Jonuta.  Pratz  avait  lu  la  lettre 
et  très  bien  reçu  le  curé,  qui  était  rentré  fort 
content  chez  lui,  lorsque,  quelques  heures  plus 
tard,  Pratz  arrive  à  Palizada  avec  deux  cents 
hommes,  fait  fusiller  un  ouvrier,  met  le  prêtre 
en  prison,  le  menace  cinq  ou  six  fois  de  le  faire 
fusiller,  lui  rend  enfin  la  liberté  en  l'accablant 
d'injures,  fait  rassembler  l'ayuntamiento  et  lui 
donne  l'ordre  de  se  prononcer  pour  le  parti  libéral. 
Depuis  ce  temps-là,  les  communications  avec 
Palizada  étaient  coupées. 


I 


78  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Carmen  avait  eu  également  son  alerte.  Arevalo, 
l'ancien  proconsul  de  Tabasco,  accompagné  de  dix 
ou  douze  hommes,  avait  eu  l'audace  de  débarquer 
sur  l'île,  qu'il  espérait  faire  soulever.  Grâce  aux 
mesures  prises  par  le  commandant  du  Brandon 
et  le  capitaine  de  la  Pique,  les  partisans  d'Arevalo 
n'avaient  pas  bougé.  Arevalo  avait  dû  fuir  et 
s'était  abrité  de  vive  force  dans  un  rancho.  Le 
second  du  Brandon  s'était  mis  aussitôt  avec  une 
petite  troupe  de  matelots  à  la  recherche  du  fugi- 
tif. On  avait  marché  toute  la  nuit  et  silencieuse- 
ment entouré  le  rancho.  Mais  il  n'y  avait  plus 
là  que  deux  hommes  blessés.  Arevalo,  qu'on 
savait  atteint  de  deux  coups  de  feu  à  la  cuisse, 
avait  été  emporté  dans  un  cadre  sur  les  épaules 
de  quatre  de  ses  compagnons,  s'était  ensuite  jeté 
dans  une  grande  embarcation  et  avait  gagné  le 
large. 

En  somme,  sans  parler  de  cette  alerte,  Palizada 
était  pris,  et  comme  c'était  de  là  que  Carmen 
tirait  tout  son  bois  d'exportation,  le  commerce 
de  la  presqu'île  était  complètement  arrêté  et  dé- 
couragé. Le  Yucatan  lui-même  se  montrait  in- 
quiet. Il  était  doublement  malheureux  dans  cette 
partie  du  Mexique,  que  l'expédition  du  Tabasco 
n'eût  pas  eu  lieu,  car  nos  partisans,  désespéraient 
de  nous  voir  réussir  et  les  dissidents  commen- 
çaient à  croire  à  notre  impuissance.  Dans  cette 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS       79 

idée,  les  Tabasquenos  s'étaient  enhardis  à  établir 
à  l'entrée  du  Chillepèque  une  petite  batterie 
soutenue  par  un  poste  fortifié  de  deux  cents 
hommes.  Quoique  le  commandant  Cloué  fût  encore 
retenu  au  nord,  sa  pensée  se  tournait  très  active- 
ment vers  le  sud.  Il  expédiait  ses  ordres  et  main- 
tenait le  blocus  fort  étroitement  en  vue  d'une 
expédition  de  guerre.  S'il  écrivait  au  capitaine 
de  la  Tourmente,  à  la  Frontera,  c'était  pour  lui 
dire  qu'il  regrettait  de  ne  pouvoir  être  déjà 
auprès  de  lui  pour  prendre  Pratz  entre  deux  feux, 
les  canonnières  remontant  par  l'Usumacinta  et 
les  canots  du  Magellan  par  la  lagune.  Il  lui  re- 
commandait de  veiller  sur  le  Conservador,  qui 
pouvait  craindre  d'être  seul,  et  de  lui  remonter 
le  moral  en  faisant  une  justice  sommaire  des 
perturbateurs,  s'il  y  en  avait.  Un  regrettable 
incident  justifiait  ces  paroles. 

Le  chef  de  bandes  Regino  avait  osé  occuper 
quelques  heures  la  Frontera  et  avait  écrit  une 
lettre  insolente  au  capitaine  de  la  Tourmente,  sur 
le  pont  de  laquelle  un  homme  avait  même  été  tué. 
La  capitaine  avait  hésité,  pour  répondre  à  cette 
agression,  à  foudroyer  une  ville  de  gens  inoôen- 
sifs  et  s'était  abstenu.  La  mise  en  avant  des 
questions  d'humanité  a  fait  trop  souvent  notre 
faiblesse  au  Mexique.  Dès  qu'un  homme  était  tué 
sur  son  pont,  le  commandant  eût  mieux  fait  de 


80  LA   MARINî:   française  au   MEXIQUE 

tirer  sans  pitié  sur  le  point  d'où  était  parti  le  feu. 
De  son  côté,  la  Pique  allait  bloquer  le  Chillepèque 
et  les  Dos  Bocas.  Quant  au  vapeur  le  Tdbasco, 
qui  allait  librement  de  Vera-Cruz  à  San-Juan- 
Bautista,  on  le  traitait  toujours  avec  les  égards 
que  lui  valait  son  rôle  de  négociateur  occulte.  Le 
commandant  Cloué  annonçait  surtout  son  arrivée 
au  Brandon,  qui  par  sa  position  à  Carmen,  le 
grade  et  l'activité  très  belle,  quoique  un  peu 
remuante,  de  son  capitaine,  pouvait  prendre  dans 
un  cas  donné  l'initiative  des  opérations.  Il  allait 
la  prendre,  en  effet,  un  peu  à  la  hâte  peut-être, 
mais  fort  heureusement. 

Le  commandant  de  Jonquières  était  un  habile  et 
vaillant  homme,  très  ami  du  bruit,  mais  ayant  la 
qualité  de  s'attacher,  par  l'admiration  qu'il  pro- 
fessait volontiers  pour  eux,  ses  officiers  et  son 
équipage.  Il  y  a  habileté  louable,  sauf  certains 
inconvénients,  à  exagérer  chez  un  équipage  la 
bonne  opinion  qu'il  peut  avoir  de  soi.  On  le  trouve, 
il  est  vrai,  assez  indépendant  et  assez  volontaire 
d'allures  dans  le  service  intérieur  du  bord,  mais 
tout  disposé  d'amour-propre  à  bien  faire  dans  les 
circonstances  graves.  Le  Brandon,  à  l'exemple  de 
son  commandant,  était  fort  impatient  d'agir, 
quand  l'attaque  de  Regino  sur  la  Frontera  lui  en 
donna  l'occasion.  Un  peloton  de  matelots  et  d'Au- 
trichiens culbuta  l'ennemi  et  se  tint  prêt  à  mar- 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAM0R08  81 

cher  plus  loin.  M.  de  Jonquières  venait  d'envoyer 
son  second  à  Mérida  pour  demander  au  commis- 
saire impérial  du  Yucatan  un  renfort  considé- 
rable que  celui-ci,  comprenant  la  nécessité  de 
frapper  un  grand  coup,  accorda  aussitôt. 

Le  3  juin ,  une  colonne  composée  de  250  Mexi- 
cains, cent  quatre-vingts  Autrichiens  et  soixante 
matelots  du  Brandon,  s'embarqua  à  Carmen  sur 
la  canonnière  à  vapeur  la  Louise,  huit  goélettes 
et  les  canots  du  Brandon  armés  en  guerre.  Le  5, 
on  entra  dans  Palizada  sans  coup  férir  :  l'ennemi, 
prévenu  à  temps,  l'avait  évacué.  Le  6,  la  colonne 
continua  péniblement  sa  route  par  les  arroyos  et 
arriva  bientôt  en  vue  du  camp  retranché  que 
l'ennemi  avait  établi  sur  la  rive  opposée,  à  Jonuta. 
Les  remparts  étaient  couverts  de  monde,  le  pavil- 
lon libéral  hissé.  L'ennemi  ouvrit  le  feu  immé- 
diatement. On  attendit  pour  répondre  que  l'on 
fût  à  demi-portée;  puis,  défilant  devant  ces  re- 
tranchements, on  opéra  le  débarquement  à  300  mè- 
tres au  delà,  faute  d'un  autre  endroit  convenable, 
et  suivi  par  la  fusillade  de  l'ennemi  embusqué 
sur  la  rive.  En  un  clin  d'oeil,  tout  le  monde  fut  à 
terre  et  marcha  sur  les  retranchements ,  où 
l'enseigne  de  vaisseau  Fleuriais  eut  l'honneur 
d'entrer  le  premier  à  la  tête  d'un  peloton  du 
Bt^andon.  Le  capitaine  Heudeman,  avec  un  peloton 
d'Autrichiens,  le  suivit  de  très  près.  Les  dissi- 

G 


82  LA   ^lAIUNE   FRANÇAISE  AU    MEXIQUE 

dents,  ne  résistant  pas  au  choc,  prirent  la  fuite 
pendant  que  le  colonel  mexicain  Traconis  dé- 
busquait tous  les  ennemis  qui,  à  l'abri  des  buis- 
sons, faisaient  essuyer  à  notre  monde  un  feu 
meurtrier.  Un  moment,  un  parti  de  cavalerie 
essaya  un  mouvement  tournant  sur  notre  droite, 
mais  il  fut  vigoureusement  accueilli  par  les 
hommes  à  la  garde  des  canots.  Comme  ceux-ci 
étaient  dominés  par  la  berge,  ils  mirent  aussitôt 
un  obusier  à  terre,  et  au  troisième  coup,  l'enne- 
mi lâcha  pied. 

C'était  la  fin  de  l'engagement.  Alors  éclata  une 
de  ces  violentes  tournades,  si  communes  pendant 
l'hivernage.  Il  fut  impossible  de  songer  à  pour- 
suivre l'ennemi  dans  ce  pays  marécageux  et  au 
milieu  de  l'obscurité  produite  par  un  véritable 
déluge.  On  trouva  seulement  dix-neuf  morts  dans 
le  camp  et  autour  du  camp,  et  on  avait  fait  vingt- 
cinq  prisonniers.  Nous  avions  six  morts  et  vingt- 
cinq  blessés,  et  deux  officiers  contusionnés.  Le  7 
au  matin,  on  procéda  à  la  destruction  des  retran- 
chements et  à  l'établissement  des  Mexicains  à 
Jonuta,  où  ils  se  fortifièrent  avec  le  colonel 
Traconis.  Les  Français  revinrent  à  bord  du 
Brandon  et  les  Autrichiens  à  Campêche. 

Le  résultat  moral  de  cette  brillante  afiaire  fut 
très  grand.  Le  Yucatan,  pris  de  confiance,  voulut 
marcher  contre  le  Tabasco.  Le  commissaire  im- 


1 


BLOCUS   DES    CÔTES   A   MATAMORos  K\ 

périal,  très  intelligent  et  voyant  fort  clairement 
que  le  nœud  de  la  question  mexicaine,  envisagée 
au  point  de  vue  impérialiste,  était  dans  la  sou- 
mission des  provinces  du  Sud,  se  résolut,  ainsi 
que  le  général  Castillo,  qui  commandait  sous  ses 
ordres  à  Campêche,  à  lancer  à  l'entreprise  toutes 
les  forces  du  Yucatan.  Le  commandant  de  la 
division  navale  était  trop  heureux  de  ce  projet 
pour  ne  pas  s'y  associer  pleinement,  et  il  écrivit 
aussitôt  au  maréchal  pour  lui  demander  de  le 
laisser  coopérer  à  l'expédition  avec  tous  les 
transports  et  toutes  les  forces  militaires  dont  la 
marine  disposerait. 

En  attendant ,  il  recommençait  ses  anciens 
préparatifs,  comme  si  l'autorisation  de  faire 
Texpédition  eût  été  déjà  donnée.  La  Tourmente 
avait  ordre  de  se  préparer,  de  surveiller  plus 
activement  que  jamais  la  Frontera  et  le  Chille- 
pèque.  La  Pique,  partant  pour  Carmen,  allait  y 
chercher  un  canon  de  30  du  Brandon  et  se  diri- 
geait de  là  sur  Campêche  pour  prévenir  le  général 
Castillo  que  les  transports  allaient  très  prochai- 
nement prendre  ses  troupes.  Le  Brandon  était 
averti  de  l'expédition,  à  laquelle  il  aurait  la 
première  place.  La  Tactique,  momentanément 
détachée  dans  le  Nord  pour  une  commission  à  la 
Tisiphone ,  avait  ordre  de  revenir  le  plus  vite 
possible  à  la  Frontera.  Le   Var  embarquait  la 


81  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

chaloupe  à  vapeur  VAugustine  et  se  rendait  à 
Campêche  pour  y  prendre  le  corps  de  Castillo.  Le 
commandant  lui-même,  avec  le  Magellan  et 
V Adonis,  appareillait  pour  Sisal,  afin  de  s'o- 
mettre en  communication  avec  M.  Salazar 
Ilarregui. 

Mais  il  semblait  écrit  que  cette  expédition 
contre  le  Tabasco  serait  un  leurre  éternel  pour 
la  marine.  Au  moment  où  le  Yucatan  allait 
marcher,  une  attaque  soudaine  des  Indiens  re- 
belles le  jeta  dans  des  craintes  folles.  On  croyait 
les  voir  à  Mérida  et  à  Campêche.  Tous  les  pré- 
paratifs commencés  furent  suspendus.  Le  com- 
missaire impérial  demanda  des  troupes  à  la  ma- 
rine, qui  n'en  avait  pas.  Il  fallut,  pour  s'occuper 
de  nouveau  du  Tabasco,  que  le  commandant 
Cloué  relevât  le  moral  des  Yucatèques  en  leur 
organisant  un  système  défensif  contre  les  Indiens. 
En  même  temps,  la  Pique  allait  à  Jonuta  voir 
dans  quelle  position  était  le  colonel  Traconis  et 
où  les  canons  seraient  le  mieux  placés  pour  dé- 
fendre la  ville,  au  cas  où  les  libéraux  revien- 
draient. On  parlait,  en  effet,  de  la  prochaine  arrivée 
de  quatre  cents  hommes  sous  un  chef  du  Chiapas. 
Ces  mesures  prises,  le  commandant  insista  de 
nouveau  auprès  du  général  Castillo  à  Mérida  et 
du  commissaire  impérial  du  Yucatan.  Il  leur 
rappelait  l'échec  de  Pratz,  par  suite  duquel  il 


BLOCUS   DES   CÔTES   A   MATAMOROS  85 

était  difficile  de  trouver  de  meilleures  circons- 
tances pour  aller  à  San-Juan-Bautista.  Les  eaux 
étaient  suffisamment  hautes,  les  pluies  n'étaient 
pas  encore  trop  abondantes  et  l'ennemi  découragé. 
Ce  serait  fait  en  quinze  jours. 

Eût-il  réussi  à  les  entraîner?  Peut-être.  Mais,  à 
ce  moment,  arriva  tout  à  coup  une  lettre  du  mi- 
nistre de  la  guerre  Péza,  qui  intimait  au  général 
Castillo  l'ordre  de  ne  pas  s'occuper  du  Tabasco, 
sous  le  prétexte  qu'une  autre  expédition  se  pré- 
parait. Laquelle?  On  affectait  d'avoir  entendu  dire 
que  le  commandant  Cloué  était  parti  pour  le  Ta- 
basco et  qu'il  n'y  avait  pas  lieu,  par  conséquent, 
de  disposer  pour  cet  objet  des  forces  du  Yucatan. 
Dès  cet  instant,  il  n'y  avait  plus,  pour  la  division 
française,  que  les  maladies  menaçaient,  qu'à  s'en 
aller,  et  c'était  ce  qu'elle  allait  faire. 

Pourquoi  cette  lettre  du  ministre  Péza?  Il  était 
impossible  de  ne  pas  concevoir  les  plus  graves 
soupçons.  Ce  n'était  pas  la  première  fois  qu'on 
pouvait  remarquer  de  quelles  hautes  influeuces 
s'appuyaient  à  Mexico  les  gens  de  Tabasco.  Grâce 
à  ces  influences  qu'ils  sollicitaient  ou  dont  ils 
acceptaient  le  concours,  le  Tabasco  restait  comme 
une  véritable  plaie  à  notre  côté  et  servait  aux 
dissidents  en  général  de  redoutable  point  d'appui 
pour  paralyser  une  partie  de  nos  forces. 

Cette  lettre  du  ministre  Péza  n'était  point  la 


86  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

seule  étrange  chose  qui  se  passât  alors.  Au  centre 
de  Pempire,  la  Huesteca  et  le  Tamaulipas  étaient 
le  théâtre  de  faits  au  moins  aussi  incompréhen- 
sibles. On  sait  qu'à  la  suite  des  événements  de 
Matamores,  un  certain  calme  s'était  rétabli.  Tam- 
pico était  tranquille,  quoique  redoutant  une 
marche  de  Negrete  sur  Victoria  et  Tancasnequi. 
On  n'était  pas  d'ailleurs  inquiet  de  Tampico 
même,  très  facile  à  défendre.  Mais  à  Tuspan,  déjà 
très  misérable,  il  régnait  une  fermentation  ex- 
trême. Sous  la  république,  un  décret  avait 
ouvert  le  port  de  Tuspan,  en  s'appuyant  sur  ce 
que  cette  mesure  était  réclamée  par  des  pétitions 
représentant  1  million  d'habitans.  Or  une  simple 
circulaire,  signée  Campillo,  venait  de  fermer  le 
port,  sans  un  mois  ni  six  mois  de  délai,  tout  de 
suite,  en  signifiant  aux  consuls  étrangers  de  ne 
plus  rien  expédier  pour  Tuspan.  Tuspan  étant  le 
meilleur  mouillage  de  la  côte,  la  fermeture  du 
port  ne  pouvait  être  que  le  résultat  d'une  intrigue 
ou  de  secrets  desseins.  Papantla,  qui  parlait  de 
se  soumettre,  se  moquait  de  Tuspan  et  disait 
qu'il  allait  se  faire  payer  sa  soumission  de  tous 
les  avantages  retirés  à  Tuspan. 

Une  autre  cause  de  fermentation  et  de  mécon- 
tentement agitait  Tuspan  aussi  bien  que  Tampico. 
C'était  le  traité  que  le  gouvernement  de  Mexico 
venait   de  conclure   avec  le  guérillero  Ilgalde- 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS        8/ 

Cette  pièce  étonnante,  signée  Péza,  était  conçue 
dans  des  termes  tels,  qu'il  semblait  impossible 
d'admettre  qu'elle  n'eût  pas  été  faite  à  l'insu  de 
l'empereur.  Elle  reconnaissait,  en  effet,  Ugalde 
comme  commandant  supérieur  et  commissaire- 
impérial  de  la  Huesteca  et  accordait  deux  mois 
d'arriéré  de  solde  à  ses  troupes  en  proclamant  le 
patriotisme  de  ce  chef,  qui  renonçait  pour  son 
compte  à  la  solde  de  ces  deux  mois.  Il  est  vrai 
que  le  traité  lui  accordait  un  crédit  illimité  sur 
la  douane  de  Tampico,  où  M.  Rendu,  inspecteur 
français  des  douanes,  avait  l'ordre  de  payer  toutes 
les  sommes  qu'exigerait  Ugalde.  Celui-ci  n'avait 
encore  rien  réclamé,  mais  il  n'avait  eu  jusque-là 
que  deux  mille  hommes  de  troupes  et  s'empres- 
sait d'en  recruter  quatre  mille.  Arrivé  à  ce  chiffre, 
il  demanderait  l'arriéré  de  solde  de  tous  ces  sol- 
dats anciens  et  nouveaux.  Cette  manœuvre  toute 
mexicaine  expliquait  son  patriotisme.  Ce  traité 
honteux  et  indigne  détachait  les  habitans  de  la 
cause  de  l'empereur  et  faisait  monter  le  rouge 
au  front  de  ceux  qui  le  lisaient. 

Où  allait-on  ainsi?  On  peut  avancer  que  ces 
mesures  diverses,  toutes  systématiquement  con- 
traires à  la  consolidation  de  l'empire,  étaient 
ignorées  de  Maximilien.  La  vérité  s'est  faite  de- 
puis sur  ce  prince;  mais,  à  cette  époque  déjà,  il 
était  loin  de  se  montrer  à  la  hauteur  de  la  tâche 


88  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

qui  lui  incombait.  Mais  dans  quel  intérêt,  en  vue 
de  quelles  espérances  agissait-on  ainsi?  Pourquoi 
ces  renaissants  compromis  avec  les  dissidents, 
quand  ils  eussent  pu  être  écrasés?  Pourquoi  ce 
parti-pris  de  porter  les  choses  au  pire  ? 

Nous  en  avons  dit  quelques  mots  et  tout  con- 
firme le  soupçon  qu'un  parti  politique,  suivant 
une  voie  détournée  d'intrigues,  comptait  tirer  de 
l'exagération  même  du  mal  le  remède  qui  con- 
venait le  mieux  à  ses  ambitieuses  visées.  Pour  le 
parti,  il  fallait  que  Maximilien  tombât  et  que  sa 
place,  laissée  vide,  échût,  de  par  le  droit  d'une 
feinte  élection  nationale  ou  par  l'intervention 
d'un  protectorat  puissant,  à  un  nouvel  occupant 
qui  fût  l'âme,  l'obligé  ou  le  soutien  de  la  cama- 
rilla.  S'il  n'est  pas  permis  do  lire  au  fond  des  con- 
sciences, on  peut  dire  que  le  maréchal  se  montrait 
favorable  à  ces  combinaisons  secrètes  ou  indulgent 
pour  elles;  car  ce  fut  lui  qui  négocia  le  traité 
Ugalde,  et  le  ministre  Péza  ne  fit  que  le  signer. 

L'erreur  fut  de  ne  point  vouloir  sérieusement, 
sincèrement  l'empire  de  Maximilien.  Elle  fut 
aussi  de  vouloir  s'appuyer,  pour  une  évolution 
politique  d'un  succès  douteux,  sur  le  parti  vrai- 
ment libéral  du  Mexique,  sur  celui  qui  sentait  sa 
force,  à  qui  profitaient  toutes  nos  hésitations  et  à 
qui  la  logique  des  événements  donnait  trop  de  bon 
sens  pour  qu'il  se  fît  le  complaisant  naïf  d'une 


BLOCU^S   DES   CÔTES   A   XIATAMOROS  89 

révolution  de  palais  où  il  eût  tiré  les  marrons  du 
feu  pour  ses  adversaires.  L'honnêteté  patriotique, 
même  au  Mexique,  si  mélangée  de  corruption 
qu'elle  y  soit,  a  le  don  de  voir  bien  et  loin,  et  elle 
pouvait  être  certaine  dès  lors,  en  face  des  fautes 
de  l'administration,  de  l'incapacité  du  chef  su- 
prême, de  l'incertitude  du  maréchal  dans  ses 
plans,  do  la  lassitude  qui  nous  gagnait,  de  l'im- 
probation  générale  qui  accueillait  en  France  cette 
expédition  du  Mexique  si  constamment  vacillante 
en  ses  résultats,  qu'au  travers  de  luttes  encore 
longues,  elle  arriverait  à  un  succès  définitif  d'in- 
dépendance pour  son  pays. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  illusions  dont  on  se  ber- 
çait furent  logiques  avec  elles-mêmes.  A  partir 
de  ce  moment,  l'attention  des  hommes  qui  pou- 
vaient diriger  les  événements  se  détourna  du 
Sud,  où  ils  voyaient  une  négociation  et  même 
une  alliance  possible,  pour  se  porter  vers  le  Nord, 
où  le  fantôme  de  l'intervention  américaine  se 
dressait  plus  menaçant  chaque  jour,  où  d'ailleurs 
le  parti  juariste  était  puissant  et  que  prenaient 
pour  but,  avec  une  apparence  de  succès,  les  pré- 
tentions de  l'ancien  président  Santa-Anna. 

11  convient  de  signaler  ici  dans  quel  état  inquié- 
tant ou  douteux  on  laissait  le  Sud  pour  courir 
aux  éventualités  dangereuses  du  Nord.  Le  Yuca- 
tan,  sous  l'administration  habile  et  toute  person- 


90  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

nelle  de  M.  Salazar,  se  détachait  sensiblement  de 
nous,  sans  nous  être  cependant  ouvertement  hos- 
tile. Les  sympathies  que  nous  avaient  montrées 
Carmen  et  la  lagune  de  Terminos  s'éloignaient 
de  notre  cause  avec  un  certain  effroi  de  l'avenir. 
Tout  se  réunissait,  du  reste,  pour  nous  les  aliéner. 
Carmen  était  alors,  avec  une  criante  injustice, 
sacrifiée  à  Campêche  par  une  de  ces  complaisances 
politiques  résultant  de  l'incertitude  générale  où 
l'on  était  du  lendemain. 

Dans  presque  tout  le  Mexique,  les  familles  un 
peu  influentes  avaient  la  prudence  de  se  partager 
entre  les  deux  camps.  Une  moitié  savait  être  im- 
périaliste, l'autre  dissidente.  Ainsi,  il  y  avait  à 
Campêche  un  jeune  Guttierez  d'Estrada,  membre 
du  parti  libéral,  négociant  riche,  et  qu'en  sa 
qualité  de  Campêchois  la  prospérité  de  Carmen 
offusquait.  Campêche,  jalouse  de  Carmen,  a  tou- 
jours voulu  l'avoir  sous  sa  dépendance.  Grâce  à 
son  nom,  à  la  position  d'une  de  ses  sœurs,  dame 
d'honneur  de  l'impératrice,  le  jeune  Guttierez 
avait  obtenu  que  Carmen  ne  reçût  de  marchan- 
dises étrangères  que  pour  sa  propre  consomma- 
tion. Les  nombreux  navires  chargés  de  bois  qui 
venaient  à  la  presqu'île  ne  pouvaient  donc  ap- 
porter de  cargaisons,  puisque  Carmen  n'aurait 
pas  eu  le  droit  de  les  écouler  dans  les  environs.  En 
revanche,  si   Carmen   ne   pouvait  envoyer   des 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS        91 

marchandises  à  Campêche,  Campêche  pouvait  lui 
en  expédier  autant  et  à  peu  près  au  prix  qu'il 
lui  plaisait.  Ce  n'était  certes  pas  une  raison,  si 
Campêche  n'avait  pas  de  port,  pour  que  Carmen 
en  supportât  les  conséquences  ;  mais  on  était,  de 
ce  côté-là,  avec  la  témérité  de  l'égoïsme,  aussi 
ingrat  qu'envers  Tuspan,  qu'on  avait  formé.  Me- 
xico ne  frappait  que  ses  amis  ou  ses  partisans. 
En  dehors  même, des  menées  coupables  qu'on 
pouvait  soupçonner,  c'était  tout  au  moins  ne  pas 
avoir  de  chance. 

Le  succès  de  Jonuta  n'avait  pas  eu  de  lendemain. 
Le  colonel  Traconis,  avec  sa  garnison  mexicaine, 
y  était  attaqué  quelquefois,  enfermé  toujours.  La 
surveillance  du  demi-blocus  n'était  pas  non  plus 
facile.  Nos  canonnières,  lorsqu'elles  remontaient 
les  arroyos,  étaient  reçues  à  coups  de  fusil  sans  y 
pouvoir  répondre,  car  elles  n'apercevaient  qu'un 
peu  de  fumée  au-dessus  des  broussailles  de  la  rive. 
Les  employés  du  Conservador  à  la  Frontera  n'é- 
taient point  sûrs  et  se  querellaient  entre  eux.  De 
plus,  les  dissidents  avaient  établi  une  ligne  de 
douanes  intérieures  et,le  prix  de  toutes  choses  se 
trouvant  ainsi  doublé,  le  commerce  impérial  péri- 
clitait par  l'absence  ou  le  très  petit  nombre  de  con- 
sommateurs qui  pussent  payer,  sans  restreindre 
leurs  besoins,  la  valeur  exagérée  des  objets. 

A  Alvarado,  la  position  des  Français  et  des 


92  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

Égyptiens  était  excessivement  pénible.  Nul  ne 
leur  parlait,  ne  les  recevait.  S'ils  passaient  dans 
la  rue,  on  les  évitait  ou  l'on  fermait  devant  eux 
la  porte  des  maisons.  L'aversion  mexicaine  pour 
nous  s'y  manifestait  par  ces  protestations  silen- 
cieuses qui  peuvent  d'abord  être  méprisées  ou  dé- 
daignées, mais  qui  finissent  par  gêner  et  attrister 
les  gens  les  plus  insouciants.  Nos  matelots  et  nos 
soldats  résistaient;  mais,  chose  bizarre,  les  Égyp- 
tiens tournaient  à  la  nostalgie  et  mouraient.  Aux 
environs  de  la  Vera-Cruz,  le  peu  de  sécurité  des 
chemins,  le  brigandage,  les  irruptions  soudaines 
des  guérilleros,  la  difficulté  de  se  procurer  des 
vivres  étaient  les  mêmes.  On  y  était  cerné  par 
d'insaisissables  bandes  et  on  n'eût  pu  en  sortir 
individuellement. 

Au  Centre  et  à  l'Ouest,  la  soumission  de  la  Hues- 
teca,  qui  semblait  devoir  être  la  conséquence  du 
fameux  traité  Ugalde,  était  loin  d'être  un  fait 
accompli.  Le  traité  n'avait  été  conclu  par  les  libé- 
raux que  pour  avoir  le  temps  de  réunir  leurs 
forces  et  d'agir  au  moment  de  l'arrivée  des  flibus- 
tiers que  l'on  annonçait.  Ugalde  avait  réalisé  son 
argent  et  tourné  casaque.  Tuspan,  toujours  mé- 
content, bien  que,  sur  les  observations  du  com- 
mandant Cloué,  on  eût  rouvert  son  port,  ne  cessait 
d'être  menacé.  Les  bâtiments  que  l'on  y  envoyait 
avaient  été  autorisés  à  secourir  les  habitants  à; 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAMOROS  93 

terre,  s'ils  voulaient  se  défendre  encore  comme 
ils  l'avaient  fait  déjà,  mais  il  était  douteux  qu'ils 
y  fussent  résolus.  U Adonis  était  au  mois  d'août 
devant  la  barre  pour  retarder  le  plus  possible  la 
prise  de  la  ville  par  l'ennemi,  qui  devenait  de 
plus  en  plus  nombreux  depuis  le  dernier  échec 
des  Autrichiens.  Deux  cent  cinquante  de  ces 
derniers  avaient,  en  effet,  été  entièrement  détruits 
à  Tlapacoyan  par  les  libéraux.  Plusieurs  personnes 
venant  de  Papantla  à  Tuspan  avaient  vu  ramener 
à  Papantla  quarante  prisonniers  autrichiens  sous 
bonne  escorte.  Trente  soldats  eussent  suffi  avec 
ce  qu'il  y  avait  de  troupes  mexicaines  pour  dé- 
fendre la  ville;  mais  il  les  fallait  si  on  ne  voulait 
perdre  Tuspan,  ce  qui  eût  été  un  grand  échec, 
car  il  eût  été  très  difficile  de  le  reprendre.  La 
barre,  en  effet,  qui  a  14  pieds  l'hiver,  n'en  avait 
plus  que  6,  et  ce  n'est  pas  avec  des  canots  qu'on 
eût  repris  les  cerros  de  l'Hôpital  et  de  la  Cruz. 
Le  stationnaire  parti,  Tuspan  n'avait  plus  huit 
jours  à  tenir.  La  situation  était  malheureusement 
si  claire  que,  dans  quelques  pourparlers  tenus 
avec  Papantla,  Lazaro  Munos,  un  des  habitants 
les  plus  influents,  avait  répondu  :  «  Je  ne  veux  pas 
me  déshonorer  en  reconnaissant  le  gouverne- 
ment intrus  de  l'empereur.  Le  jour  du  triomphe 
est  proche,  et  j'en  crois  la  défaite  des  Autrichiens 
et  nos  succès  récents.  > 


9i  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Du  côté  de  Tampico,  la  plupart  des  routes  qui 
conduisaient  vers  l'intérieur  avaient  été  inter- 
ceptées dès  le  mois  de  mai.  Le  commandant  su- 
périeur Voilée,  qui  avait  succédé  au  colonel  du 
Pin,  avait  voulu  réunir  son  monde  pour  marcher 
sur  Santa-Barbara,  peut-être  même  sur  Victoria. 
Il  avait  demandé  au  commandant  Cloué  une  com- 
pagnie de  débarquement  pour  garder  Tampico. 
Mais  les  ordres  du  ministre  étaient  formels  pour 
ne  point  laisser,  à  moins  d'absolue  nécessité,  des 
matelots  à  terre,  et  d'ailleurs  le  maréchal  n'avait 
point  approuvé  les  projets  de  M.  Voilée.  Deux  ba- 
taillons, celui  de  la  légion  étrangère  du  comman- 
dant Bryan,  que  la  marine  avait  porté  à  Matamores 
au  mois  de  mai  et  qui,  dirigé  sur  Tampico,  était 
maintenant  campé  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  à 
Tampico-Alto,  à  une  assez  grande  distance  de  la 
ville,  et  celui  du  commandant  Chopin,  qui  avait 
poussé  une  pointe  à  40  lieues  de  distance,  à  Tan- 
casnequi,  n'étaient  pas  en  état,  par  les  maladies 
qui  les  affaiblissaient  et  la  difficulté  des  chemins, 
de  revenir  assez  tôt  pour  défendre  la  ville. 

Aussi  la  population  impérialiste  de  Tampico 
avait  la  plus  grande  peur  de  l'ennemi.  Celui-ci 
pourtant,  qui  aurait  craint  à  son  tour  d'être  coupé, 
n'eût  sans  doute  pas  occupé  Tampico,  mais  l'eût, 
tout  au  moins,  rançonné  et  pillé.  L'état  du  batail- 
lon de  Bryan  devint  bientôt  si  alarmant,  que  le 


BLOCUS   DES    CÔTES   A   MATAMOROS  95 

Tarn  reçut  l'ordre  de  le  ramener  à  Vera-Cruz  en 
le  remplaçant  par  le  dépôt  de  bataillon  d'Afrique. 
Quant  au  bataillon  Chopin,  s'il  était  besoin  de 
communiquer  avec  lui,  le  commandant  du  Tarn 
devait  remonter  la  rivière  avec  un  canot  armé 
d'une  pièce  de  4  et  quarante  carabiniers  surveil- 
lant les  broussailles  des  deux  rives.  Le  Tarn 
ramenait  bientôt  le  bataillon,  réduit  de  cinq  cents 
hommes  à  trois  cent  vingt,  sur  lesquels  cinquante 
à  peine  pouvaient  porter  leurs  sacs,  jusqu'au 
chemin  de  fer  qui  les  emmenait  dans  l'intérieur. 
Passant  d'un  rapatriement  de  forces  malades  à 
un  autre,  le  Tarn  repartait  aussitôt  pour  Cam- 
pêche  afin  d'en  ramener  la  garnison  autrichienne, 
également  décimée.  Comme  il  était  probable  que 
le  maréchal  ne  tarderait  pas  à  rappeler  le  batail- 
lon Chopin,  en  quelque  sorte  bloqué  à  Tancasne- 
qui,  grand  dépôt  de  marchandises  de  Tampico,  il 
ne  restait  plus  bientôt  que  la  petite  portion  de  la 
contre-guérilla  Voilée  pour  défendre  la  ville,  tout 
le  reste  du  Tamaulipas  étant  aux  mains  de  l'en- 
nemi et  la  Huesteca  en  pleine  révolte. 

Tel  était  l'état  des  provinces  du  littoral  au  nord 
de  Vera-Cruz.  De  plus,  le  Michoacan  était  à  peu 
près  perdu,  ce  qui  avait  sa  gravité,  cette  riche 
province  étant  contiguë  à  celle  de  Mexico.  On 
avait  pu  croire  qu'avant  d'opérer  dans  le  Nord, 
le  maréchal  avait  songé  à  s'établir  fortement 


\ 


96  LA   MARI>'E   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

dans  le  Tamaulipas,  mais  on  voit  qu'il  y  réussis- 
sait peu;  et,  à  ce  sujet,  les  opérations  de  l'armée 
de  terre,  à  cette  époque  en  particulier  et  en  gé- 
néral pendant  les  dernières  années  de  l'occupa- 
tion, ne  sont  que  marches  et  contre-marches, 
courses  à  fond  de  train,  arrêts  soudains,  retours 
précipités.  Aucun  succès  n'est  décisif.  Les  bandes 
se  dispersent  et  se  reforment.  Nos  troupes  haras- 
sées agissaient  dans  le  vide,  et  un  point  était  à 
peine  occupé,  qu'il  nous  fallait  l'abandonner  et 
que  l'ennemi  le  reprenait. 

A  cette  situation  si  tendue  on  n'avait  d'abord 
apporté  que  des  palliatifs.  Au  Sud,  l'interdiction 
de  navigation  aux  bâtiments  mexicains  avait  été 
levée.  Carmen  avait  reçu  des  promesses,  on  avait 
changé  et  quelque  peu  augmenté  la  garnison 
d'Alvarado.  Au  Nord,  Tuspan  était  rouvert,  mais 
c'était  tout.  Une  indécision  manifeste  régnait  à 
Mexico,  autant  au  quartier-général  que  dans  le 
gouvernement.  L'empereur  Maximilien,  étranger 
dans  un  pays  absolument  nouveau  pour  lui, 
essayant  de  lui  appliquer  des  réformes  tout  euro- 
péennes et  qu'il  était  peu  apte  à  goûter,  mal  ou 
diversement  conseillé,  plus  timide  et  plus  homme 
du  monde  qu'énergique  et  doué  des  qualités  d'un 
souverain,  eût  volontiers  accepté  l'entière  et 
puissante  tutelle  du  maréchal,  si,  plus  franche- 
ment offerte  et  plus  sérieusement  dévouée,  elle 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS        97 

n'eût  pas  eu  les  singulières  et  inquiétantes  oscil- 
lations qui  la  caractérisaient. 

Mais  elle  les  avait,  et,  par  suite,  de  légers  et 
déjà  sensibles  dissentiments  qui  devaient  bientôt 
s'envenimer  d'une  extrême  défiance  éclataient 
entre  le  jeune  souverain  et  le  maréchal.  On  com- 
prend que  l'administration  n'y  gagnât  pas  davan- 
tage que  la  conduite  des  affaires  militaires.  D'ail- 
leurs, l'administration  mexicaine  s'est  toujours 
résumée  et  se  résumait  dans  ces  deux  mots  : 
désordre  et  concussion.  Le  luxe  d'employés  dont 
on  eût  pu  supprimer  le  plus  grand  nombre  était 
extrême,  et  les  plus  payés  étaient  naturellement 
les  plus  incapables  et  les  moins  sûrs.  Le  lieute- 
nant de  vaisseau  Détroyat,  chargé  de  la  direction 
générale  de  la  marine,  se  voyait  obligé  de  payer 
les  préfets  maritimes  d'une  marine  qui  n'avait 
que  deux  vapeurs  nolisés  par  l'État  et  trois  canots 
à  la  Vera-Cruz. 

Quelques  petits  bâtiments  eussent  été  cependant 
de  la  plus  grande  utilité  pour  surveiller  en  deçà  de 
leurs  brisants  les  barres  de  Cazones  près  de  Tus- 
pan,  de  Jésus  et  Soto-la-Marina,  entre  Tuspan  et 
Matamoros,  par  lesquelles  on  pouvait  facilement 
introduire  de  la  contrebande  de  guerre,  et  pour 
établir  à  Matamoros  même  des  communications 
entre  cette  ville  et  Bagdad.  Le  seul  nom  de  l'ins- 
cription maritime,  qu'il  était  question  d'installer 


98       LA  MARINE  FRANÇAISE  AU  MEXIQUE 

dans  des  limites  fort  restreintes, faisait  fuira  l'in- 
térieur les  hommes  du  littoral.  Les  capitaines  de 
port,  très  bien  appointés,  prélevaient  d'une  façon 
scandaleuse  une  large  part  sur  les  salaires  des 
pilotes,  que  s'adjugeait  déjà  presque  en  entier  par 
des  manœuvres  aussi  coupables  le  pilote  major. 
Dans  le  département  des  postes,  pour  citer  un 
autre  exemple,  le  directeur  de  Tuspan  avait  45 
piastres  par  mois  et  tant  pour  100  sur  la  recette. 
Deux  autres  employés  touchaient  chacun  40 
piastres,  et  il  y  avait  à  peine  à  Tuspan  quelques 
lettres,  toujours  distribuées  en  retard. 

Quant  au  désordre  de  l'administration,  pour  ne 
citer  qu'un  seul  fait,  on  avait  choisi  pour  un  éta- 
blissement de  condamnés  l'île  deBermuja,  au  nord- 
ouest  de*  Sisal,  dans  le  golfe.  L'inconvénient  était 
que  cette  île  n'existe  pas.  A  l'endroit  qui  lui  est 
assigné  sur  les  cartes,  on  file  200  mètres  de  ligne 
sans  trouver  fond.  Ce  pénitencier  eût  été  nécessaire 
pour  évacuer  les  condamnés  du  fort  Saint-Jean- 
d'Ulloa.  Le  commandant  Cloué  avait  proposé  l'île 
Pérès  aux  Alacraus,  ayant  à  proximité  un  excel- 
lent port.  Il  eût  fallu,  il  est  vrai,  un  baraquement 
et  une  machine  à  recueillir  la  pluie  ;  car,  comme 
sur  presque  toute  la  côte  du  Mexique,  il  ne  s'y 
rencontre  pas  d'eau  potable.  On  n'avait  pas  répon- 
du au  commandant  Cloué. 

La  marine  avait  également  sa  part  de  difficultés 


I 


BLOCUS   DES   COTES   A  MATAMOROS  99 

et  de  gêne.  Elle  continuait  à  n'avoir  à  sa  disposi- 
tion qu'un  nombre  insuffisant  do  navires.  Lors- 
qu'il s'était  agi  de  surveiller  sérieusement  le  dé- 
barquement possible,  imminent,  disait-on,  d'armes 
et  de  flibustiers  sur  tout  point  de  la  côte,  le  mi- 
nistre avait  annoncé  deux  avisos,  le  Tartare  et 
VAchêron,  et  une  canonnière,  \?i  Diligente.  Il  avait 
même  promis  une  autre  canonnière  pour  rem- 
placer la  Tempête,  qui  allait  être  démolie.  Or 
VAchèron,  arrivé  delà  Martinique,  venait  d'y  être 
renvoyé.  Il  n'était  plus  question  de  remplacer  la 
Tempête;  et  le  Tartare,  non  plus  que  la  Diligente, 
ne  paraissaient.  En  revanche,  le  ministère  s'éton- 
nait que  le  Tarn  et  le  Var,  employés,  comme  nous 
l'avons  vu,  par  ordre  du  maréchal  aux  mouve- 
ments des  troupes,  fussent  restés  si  longtemps  au 
Mexique.  V Adonis  restait  presque  seul  pour  ravi- 
tailler les  différents  points  de  la  côte,  et  le  com- 
mandant de  la  division  pouvait  craindre  de  se  voir, 
faute  de  moyens,  réduit  à  l'immobilité.  Il  avait  à 
se  plaindre  aussi  du  personnel  qu'on  lui  envoyait. 
Les  divisions  des  ports  ne  regardant  pas  comme 
une  faveur  à  faire  à  leurs  hommes  de  les  expédier 
au  Mexique,  ou  ne  voulant  pas  s'affaiblir,  dési- 
gnaient des  détachements  arrivant  sur  d'autres 
navires  de  la  Cochinchine  ou  du  Sénégal.  C'étaient 
autant  dé  non-valeurs;  car  la  fièvre  contractée 
dans  l'extrême  Orient  ou  en  Afrique,  disparue 


100  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

OU  à  demi  guérie  en  France,  reparaissait  au 
Mexique  chez  ces  hommes  affaiblis  que  leur 
courage  était  impuissant  à  soutenir  et  que  leurs 
forces  trahissaient. 

Ce  n'était  pas  la  division  navale,  c'était  l'hôpital 
qui  se  recrutait  ainsi.  La  pénurie  du  charbon 
était  aussi  extrême.  La  consommation,  qui  avait 
été  calculée  à  4.000  tonneaux  par  mois,  s'élevait 
au  double.  En  même  temps  qu'on  en  demandait 
de  tous  côtés  et  qu'il  n'en  arrivait  encore  d'aucun, 
la  marine  se  voyait  forcée  d'en  refuser  à  la  ville 
pour  son  gaz  et  au  chemin  de  fer,  qui  lui  en 
devaient  déjà  chacun  150  tonneaux.  Ces  détails 
caractérisent  une  situation  avec  ses  ennuis  et  ses 
côtés  douloureux. 

Les  événements  du  Nord  attiraient,  nous  l'avons 
dit,  l'attention  du  maréchal,  et  ils  n'étaient  pas< 
sans  une  certaine  gravité  de  perspective.  Un  acci- 
dant  inattendu  avait  précipité  la  paix,  que  dès  le 
mois  de  juin  on  supposait  prochaine  entre  les 
confédérés  et  les  fédéraux.  Les  confédérés  de 
Brownsville  s'étaient  soulevés,  faute  de  solde, 
paraît-il,  et,  après  s'être  emparés  de  quelques 
marchandises  qu'ils  avaient  vendues,  s'étaient  dis- 
persés. Les  fédéraux  de  Brazos  étaient  alors  entrés, 
sans  coup  férir  à  Brownsville,  s'y  étaient  solide- 
ment établis,  et  leur  nombre  augmentait  chaque 
jour.  On  disait  même  qu'il  devait  leur  arriver  ^ 


I 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS       101 

continuellement  de  nouvelles  troupes  jusqu'à  ce 
que  l'effectif  de  quarante  mille  hommes  fût  atteint. 
Les  fédéraux  allaient  faire  construire  une  grande 
caserne  à  la  bouche  du  fleuve,  en  face  de  Bagdad, 
et  faisaient  acheter  pour  cela  une  quantité  consi- 
dérable de  bois.  Le  bruit  courait  qu'Ortéga  et 
Doblado  ne  tarderaient  pas  à  venir  à  Browns ville 
et  que  les  Américains  appuieraient  le  mouvement 
d'un  corps  de  flibustiers  qui  projetaient  de  s'em- 
parer de  Matamores  et  do  Bagdad.  Les  commer- 
çants de  ces  deux  villes  émigraient  en  masse  et 
allaient  pour  la  plupart  à  la  Nouvelle-Orléans. 

Il  semblait  évident  que  la  paix  conclue  aux 
États-Unis  devait  mettre  fin  à  cette  prospérité 
factice  de  Matamores,  qui  n'avait  d'autre  raison 
d'être  que  le  commerce  du  coton,  plus  facile  à 
faire  désormais  ailleurs  qu'au  Rio-Grande.  De 
plus,  un  si  grand  rassemblement  do  troupes  ne 
s'expliquait  que  par  de  mauvaises  intentions, 
bien  que  le  général  fédéral  déclarât  qu'il  n'avait 
lieu  que  pour  observer  la  neutralité  et  empêcher 
une  invasion  des  chefs  libéraux.  Mais  était-ce 
croyable?  Pendant  que  le  gouvernement  affirmait 
que  les  expéditions  de  flibustiers  ne  partiraient 
pas,  on  voyait  déjà  passer  sur  la  frontière  du  Rio- 
Grande  l'avant-gardede  ces  expéditions  ;  et  les  hos- 
tilités commenceraient  sans  doute,  que  le  cabinet 
de  Washington  protesterait  encore  de  saneutralité. 


102  LA.  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE    . 

L'intervention  américaine  paraissait  donc  im- 
minente et  donnait  à  la  guerre  qui  pourrait 
s'ensuivre  des  proportions  gigantesques.  Non 
seulement  le  Nord  serait  envahi  par  une  armée 
moitié  de  troupes  régulières,  moitié  d'aventuriers, 
mais  la  marine  fédérale  pouvait  écraser  notre 
faible  division  et  menacer  toutes  les  côtes.  Dès 
lors,  le  soin  de  protéger  Vera-Cruz  préoccupait 
vivement  le  maréchal;  car  Vera-Cruz  entre  nos 
mains  était  une  porte  de  sortie  sur  la  mer,  tandis 
qu'au  pouvoir  des  Américains,  c'était  la  porte  du 
Mexique  fermée  sur  nous.  Or,  il  n'était  point 
facile  de  défendre  les  mouillages  de  Vera-Cruz  et 
de  Sacrificios.  Le  fort  de  Saint- Jean  d'Ulloa  et  les 
fortins  de  Vera-Cruz  eussent  été  complètement 
inefficaces  contre  des  bâtiments  blindés.  On 
pouvait  faire  quelques  revêtements  en  terre,  mais 
sans  y  compter.  Le  matériel  d'artillerie  du  fort 
était  complètement  insuffisant.  Il  n'y  avait  qu'en 
petit  nombre  du  36  et  du  24,  et  peu  de  projectiles. 
Disposées  pour  battre  du  côté  du  large  en  1838, 
ces  pièces  étaient  inutiles  à  cause  du  mauvais 
état  des  murailles  sur  les  parties  qui  défendent 
les  passes  nord  et  sud. 

D'ailleurs,  comme  il  n'y  eût  eu  probablement 
que  des  bâtiments  blindés  à  tenter  l'attaque,  elles 
n'auraient  point  eu  d'effet  contre  eux.  Ce  qu'il 
eût  fallu,  c'eût  été  au  moins,  pour  défendre  les 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAMOROS  103 

passes,  deux  batteries  flottantes  d'une  certaine 
puissance  de  vapeur,  pour  changer  de  mouillage 
avec  le  vent  et  le  courant.  Quant  au  mouillage  de 
Sacrificios,  il  était  impossible  de  le  défendre,  car 
on  s'y  rend  par  le  Nord  et  par  le  Sud  hors  de 
portée  de  canon.  Une  batterie  s'y  fût  trouvée  de 
plus  isolée  et  sans  eau.  Enfin,  les  navires  de  la 
division  du  Mexique  étaient  insuffisants  de  toute 
façon.  Si  Vera-Cruz  eût  été  véritablement  à  nous, 
on  eût  pu  l'armer  de  nos  canons  de  marine  et  s'y 
retirer  comme  l'ont  fait  les  Russes  à  Sébastopol, 
mais  nous  n'eussions  pu  y  tenir.  A  la  vue  des 
Américains,  tout  s'y  fût  soulevé  et  nous  aurions 
eu  l'ennemi  devant  et  derrière  et  au  milieu  de 
nous.  La  seule  défense  logique  était  de  faire 
remorquer  à  Fort-de-France,  à  la  Martinique,  les 
faibles  bâtiments  dont  nous  disposions,  de  rece- 
voir au  moins  deux  batteries  flottantes  et  d'ap- 
peler d'Europe  une  escadre  cuirassée,  qui  irait 
au-devant  de  l'escadre  américaine. 

Cela  était  exact,  mais  point  rassurant,  et  il  y 
avait  lieu  d'user  de  prudence.  Aussi  les  instruc- 
tions adressées  au  commandant  de  la  Tisiphone 
devant  Matamores  étaient-elles  dans  ce  sens.  Il 
lui  était  recommandé  de  dire  au  général  améri- 
cain que,  pendant  la  guerre  des  Etats,  la  France 
avait  observé  la  neutralité  et  qu'elle  avait  droit  à 
ce  qu'on  l'observât  envers  elle.  Le  commandant 


104  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

devait  allier  un  ton  très  ferme  à  une  grande 
politesse,  ne  point  se  tenir  à  l'écart  des  fédéraux, 
mais  au  contraire  entretenir  des  relations  avec 
eux,  établir  enfin,  à  l'aide  du  général  Mejia,  d'un 
côté  et  de  l'autre,  en  payant  bien,  une  exacte 
surveillance  sur  ce  qui  se  passerait  tant  à  Bagdad 
qu'à  Brazos,  afin  qu'aucune  expédition  de  flibus- 
tiers ne  pût  partir  sans  que  nous  en  fussions 
avertis. 

Mais  la  situation  du  commandant  de  la  Tisi- 
;phone  était  très  délicate,  et  il  pouvait  être  amené 
à  tirer  les  premiers  coups  de  canon  de  la  guerre. 
Il  fallait  donc  ne  rien  faire  à  la  légère  et  s'inquié- 
ter des  diverses  éventualités  qui  se  présenteraient. 
Par  exemple,  le  passage  du  Rio-Bravo  par  les 
troupes  fédérales  impliquait-il  un  acte  d'hostilité 
et  par  conséquent  de  déclaration  de  guerre  avec 
la  France?  Si  des  bâtiments  avec  pavillon  améri- 
cain débarquaient  des  troupes  sur  le  territoire 
mexicain,  devions-nous  nous  y  opposer  par  la 
force?  Le  Rio-Bravo  franchi,  devions-nous  attendre 
qu'on  nous  tirât  des  coups  de  canon  pour  savoir 
si  nous  étions  en  guerre  avec  les  Etats-Unis?  Si 
des  bâtiments  américains  venaient  en  force  à 
Vera-Cruz,  ou  à  quelque  autre  point  du  littoral 
mexicain,  quelle  conduite  tenir? 

Il  était  bon  de  tout  préciser,  car  l'Amérique  ne 
s'astreint  guère  aux  règles  ordinaires  des  peuples 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAMOROS  105 

civilisés.  Dans  ce  pays  où  l'opinion  publique  est 
aôblée  et  toute-puissante,  un  coup  d'audace  si 
irrégulier,  si  absurde  même  qu'il  soit,  peut  être 
acclamé  par  la  nation  et  s'imposer  au  gouverne- 
ment. Nous  avions  à  redouter  l'entreprise  soudaine 
d'un  général  quelconque  et  même  d'un  simple 
capitaine.  Le  maréchal,  déjà  pressenti  à  cet  égard 
quelque  temps  auparavant,  avait  écrit  que  nous 
pouvions  ne  nous  considérer  que  comme  indirec- 
tement engagés  dans  tout  conflit  américo-mexi- 
cain.  Ce  n'était  pas  assez  pour  les  circonstances 
actuelles.  Il  fallait  savoir  quand  nous  serions 
directement  engagés  et  si,  à  moins  qu'on  ne  tirât 
sur  nous,  nous  devions  attendre  des  instructions 
de  France  pour  nous  regarder  comme  étant  en 
guerre  avec  les  Etats-Unis,  quelque  acte  d'hosti- 
lité que  cette  puissance  se  hasardât  à  commettre 
contre  le  Mexique.  Le  maréchal  fut  cette  fois 
consulté  catégoriquement  et  répondit  moins  éva- 
sivement  par  des  instructions  dont  pouvait  s'au- 
toriser et  dont  s'autorisa  plus  tard  le  commandant 
Collet,  de  la  Tisiphone. 

Le  maréchal  était  d'ailleurs  dans  ses  mêmes 
incertitudes,  avec  un  commencement  d'irritation. 
On  l'eût  dit  semblable  au  joueur  à  qui  d'heureuses 
chances  ont  d'abord  souri  et  qui  s'étonne  de  ne 
les  point  voir  se  renouveler.  Rien  ne  se  passait 
effectivement  comme  il   se  fût  cru  des  droits 


106  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

secrets  à  l'espérer.  Le  général  Galvez  venait 
d'être  rappelé  subitement  du  Yucatan  à  Mexico, 
parce  qu'on  le  soupçonnait  de  vouloir  se  pronon- 
cer. Campêche,  où  l'on  avait  eu  l'imprudence  de 
laisser  rentrer  tous  les  individus  dangereux  que 
le  commandant  Cloué  en  avait  bannis,  s'agitait  de 
nouveau.  On  avait  introduit  l'ennemi  dans  la 
place.  L'ancien  gouverneur  Pablo  Garcia,  tous  les 
membres  de  son  gouvernement,  tous  ses  partisans 
les  plus  exaltés  y  étaient  revenus.  Ils  travail- 
laient la  ville,  dont  tout  le  bas  peuple  était  dévoué 
à  Pablo  Garcia,  qui  était,  à  ce  qu'il  paraît,  estimé 
du  reste  de  la  population  et  digne  de  l'être.  Le 
Tabasco,  grâce  à  l'impunité  dont  on  l'avait  laissé 
jouir,  s'était  organisé  de  manière  à  servir  de 
refuge  à  Juarès  si  celui-ci,  dans  un  temps  donné, 
ne  pouvait  plus  tenir  au  Nord.  S'il  manœuvrait 
bien,  c'est  au  Tabasco  qu'il  se  rendrait,  pour  pro- 
longer la  guerre  indéfiniment  et  être  insaisissable. 
Le  pays  est  si  coupé  d'arroyos,  qu'un  partisan 
habile  s'y  soustrait  toujours  à  ceux  qui  le  pour- 
suivent. Ce  qu'il  y  avait  de  bizarre,  c'est  que,  le 
blocus  étant  levé,  Juarez  pouvait  parfaitement  se 
rendre  avec  un  bâtiment  neutre  sur  n'importe 
quel  point  du  littoral,  et  que  nous  n'avions  aucun 
droit  de  le  saisir  tant  qu'il  serait  à  l'abri  d'un 
pavillon  étranger.  Il  pouvait  donc  à  son  gré  choisir 
l'heure  ou  le  lieu,  mais  on  inclinait  à  croire  qu'il 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS       107 

débarquerait  plutôt  entre  Alvarado ,  à  cause  des 
ressources  que  lui  offrait  le  Tabasco,  et  la  lagune 
de  Termines.  A  ce  dernier  endroit,  le  Brandon 
continuait  à  garder  Carmen  et  à  sauvegarder 
Palizada  et  Jonuta. 

A  la  Frontera,  nous  touchions  toujours  les 
droits  de  douane,  sans  faire  autrement  la  guerre 
aux  libéraux  et  sans  qu'ils  nous  la  fissent.  Le 
nouveau  capitaine  de  la  Tourmente  croyait  même 
à  un  compromis  possible.  C'est  que,  par  suite 
d'une  divergence  d'opinions  et  surtout  d'intérêts 
dont  la  cause  occulte  et  déjà  signalée  par  nous 
était  à  Mexico,  tous  les  chefs  de  Tabasco  n'étaient 
pas  d'accord.  11  y  en  avait  qui  penchaient  pour 
un  accommodement,  non  avec  l'empire,  mais  avec 
la  France.  Toutefois  ils  ne  s'enhardissaient  à 
aucune  proposition  sérieuse  et  ne  trahissaient  la 
cause  générale  et  libérale  de  leur  pays  que  par 
quelques  manifestations  sans  portée. 

Dans  la  province  de  Vera-Cruz,  non  contents 
d'exploiter  par  bandes  la  route  d'Orizaba  et  les 
alentours,  de  piller  les  diligences  et  de  maltraiter 
les  voyageurs,  les  libéraux  s'étaient  proposé  un 
mouvement  révolutionnaire  pour  le  16  septem- 
bre 1865,  anniversaire  de  l'indépendance.  Le 
commandant  Cloué  était  venu  de  Sacrificios  avec 
le  Magellan,  quarante  soldats  européens  du  fort 
avaient  été  envoyés  à  la  garnison,  et  les  compa- 


108  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

gnies  de  débarquement  s'étaient  tenues  prêtes 
toute  la  journée  à  sauter  à  terre  avec  trois  pièces 
d'artillerie.  Il  n'y  avait  rien  eu  ;  mais  bien  pré- 
caire était  la  possession  d'une  ville  qu'il  fallait, 
au  premier  bruit,  garder  de  la  sorte.  Au  centre, 
dans  le  Tamaulipas,  sur  le  littoral,  la  position 
restait  la  même,  incertaine  et  hostile.  Le  succès 
s'avançait  avec  nos  soldats,  reculait  avec  eux, 
pas  plus  qu'eux  ne  s'établissait  nulle  part.  Nous 
étions  subis  par  ceux  qui  ne  se  retiraient  pas 
devant  nous,  et  harcelés  par  les  vaincus  que  nous 
faisions. 

Le  maréchal,  mécontent,  n'attendait  plus  qu'un 
événement  de  quelque  importance  pour  se  risquer 
avec  sa  fortune,  soit  au  Nord,  soit  au  Sud.  Il 
étouffait  au  milieu  des  mornes  et  ténébreuses 
illusions  dont  on  le  berçait  et  des  déceptions  qu'on 
voulait  inutilement  lui  transformer  en  espérances 
ajournées.  A  tout  hasard,  il  s'était  préparé  do 
longue  main  aux  opérations  du  Nord.  Au  mois 
d'août,  le  colonel  belge  Vonder-Smissen,  à  Taca- 
rubazo,  avait  pris  au  général  dissident  Ortega 
toute  son  artillerie.  Presque  en  même  temps, 
après  avoir  chassé  l'ennemi  du  Tamaulipas,  les 
deux  colonnes  du  général  Brincourt  et  du  colonel 
Jeanningros  avaient  convergé  par  l'intérieur  sur 
Saltillo  et  Monterey.  Depuis,  le  Rhône^  qui  venait 
d'arriver  de  France,  avait  gardé  à  bord  trois 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS       109 

cents  hommes  du  bataillon  d'Afrique  et  les  avait 
répartis  entre  Tuspan,  dont  on  avait-  relevé  les 
fortifications,  et  Tampico.  Nos  moyens  étaient  si 
faibles,  qu'on  avait  laissé  le  génie  colonial  à 
Tuspan,  pendant  le  trajet  de  Tuspan  à  Tampico, 
pour  le  reprendre  au  retour  et  le  ramener  à  la 
Vera-Cruz.  La  Diligente  avait  accompagné  le 
Rhône  pour  appuyer  les  opérations  par  les  ri- 
vières. De  Vera-Cruz,  le  Rhône  et  le  Tartare,  qui 
allaient  remplacer  quelques  jours  la  Tisiphone, 
afin  qu'elle  changeât  son  artillerie  à  Vera-Cruz 
et  qu'elle  se  reposât  un  peu,  repartirent  pour  le 
Rio-Grande,  chargés  de  porter  des  munitions  et 
des  vivres  au  général  Mejia,  dont  la  situation 
menaçait  de  devenir  fort  grave. 

Ainsi,  pendant  que  les  Américains  paraissaient 
concentrer  sur  le  Rio-Grande  une  armée  de 
soixante-dix  mille  hommes  et  le  matériel  de  cha- 
lands 'et  de  bateaux  nécessaires  pour  passer  le 
fleuve,  les  troupes  du  maréchal  avançaient  vers  le 
Nord.  Quant  aux  libéraux  de  Juarez,  ils  occupaient 
la  ligne  de  Montclara  à  Reynosa,  ce  qui  faisait 
supposer  qu'ils  attendaient  le  signal  des  Améri- 
cains pour  opérer  avec  eux.  Quelque  imminentes 
que  fussent  les  hostilités,  le  maréchal  cependant, 
les  regards  et  les  désirs  tournés  en  arrière,  ne  se 
fut  peut-être  pas  encore  décidé  à  s'engager  à 
Matamores,  si  un  acte  d'une  barbarie  sauvage, 


110  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

en  lui  dessillant  les  yeux,  ne  lui  eût  montré  de 
quelle  haine  implacable  étaient  animés  les  libé- 
raux du  Sud  et  combien  peu  il  y  avait  à  compter 
sur  eux. 

Le  7  octobre,  des  bandits,  se  qualifiant  de  force 
libérale,  après  avoir  enlevé  les  rails  d'un  tour- 
nant, avaient  attaqué  le  chemin  de  fer  de  Vera- 
Cruz  à  la  Soledad.  Le  mécanicien,  ayant  donné 
un  coup  de  sifflet  d'alarme,  avait  été  tué  immé- 
diatement. Le  commandant  Friquet,  un  garde 
d'artillerie  et  six  autres  militaires  français,  qui 
se  trouvaient  dans  le  train ,  non  seulement 
avaient  été  massacrés,  mais  coupés  par  morceaux 
et  honteusement  mutilés.  Les  autres  voyageurs 
avaient  simplement  été  rançonnés  et  quelques 
femmes  enfermées  à  part  pendant  deux  heures 
sans  qu'on  pût  savoir,  du  moins  par  elles,  ce  qui 
leur  était  arrivé.  Cela  s'était  fait  au  nom  de  la 
liberté,  et  le  sens  moral  était  tellement  nul  dans 
le  pays,  ou  la  haine  contre  nous  si  forte,  que  les 
habitants  de  Vera-Cruz  s'enorgueillissaient  tout 
haut  de  ce  massacre  et  d'avoir  eu  pour  l'accomplir 
d'aussi  vaillants  compatriotes. 

Le  commandant  Cloué  avait  aussitôt  envoyé 
quelques  hommes,  mais  l'endroit  du  crime  était 
désert.  Le  lendemain  matin,  le  commandant  de 
la  Soledad  avait  mis  en  campagne  quarante  Égyp- 
tiens et  vingt  Mexicains  à  cheval,  mais  avait  inuti- 


BLOCUS   DES   CÔTES   A   MATAMOROS  111 

lemcnt  atteint  l'ennemi,  qui  s'était  enfui.  Là 
encore,  sans  qu'on  pût  faire  de  prisonniers,  on 
avait  eu  un  caporal  des  sapeurs  du  génie  tué  et 
sept  hommes  blessés.  Trois  jours  plus  tard, 
comme  pour  nous  braver  ou  recueillir  les  applau- 
dissements des  habitants  de  Vera-Cruz,  une  troupe 
de  cinquante  hommes  à  cheval  était  venue  camper 
et  déjeuner  derrière  les  dunes  de  sable,  aii  nord- 
ouest  et  à  une  ou  deux  lieues  à  peu  près  de  la  ville. 
Ils  voulaient  sans  doute,  une  fois  les  portes  fermées, 
tenter,  comme  ils  l'avaient  fait  l'année  précédente 
dans  la  nuit  du  20  au  21  août,  un  coup  de  main  sur 
le  village  qui  est  autour  de  la  promenade.  La  pluie, 
toutefois  avait  suffi  à  disperser  ces  libéraux.  D'or- 
dinaire, en  effet,  ils  ne  faisaient  rien  par  la  pluie, 
parce  qu'ils  avaient  peur  d'attraper  la  fièvre, 
qu'ils  n'aimaient  pas  plus  que  les  balles  de  nos 
soldats.  Depuis  le  7,  les  trains  étaient  escortés; 
mais  le  directeur  de  la  compagnie  craignait,  si 
on  ne  faisait  pas  une  campagne  sérieuse  contre 
ces  bandes,  de  n'avoir  plus  d'employés;  car  les 
libéraux  avaient  menacé  ceux-ci  de  les  fusiller, 
s'ils  les  retrouvaient  sur  le  chemin  de  fer.  Ils 
avaient  annoncé,  en  outre,  qu'ils  feraient  dérailler 
et  attaqueraient  le  convoi  tous  les  jours. 

L'horrible  massacre  du  7  octobre  provoqua  un 
décret  de  Maximilien,  mettant  hors  la  loi  tous 
ceux  qui  dorénavant  seraient  pris  les  armes  à  la 


112  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

main.  Le  général  Alejandro  Garcia,  chef  des 
libéraux  du  Sud,  y  répondit  en  souverain  par  un 
décret  semblable.  Mais  ce  qui  donna  à  ces  deux 
décrets,  qui  eussent  été  assez  inoflfensifs  entre 
Mexicains,  une  véritable  et  terrible  portée,  ce  fut 
la  circulaire  du  11  octobre  du  maréchal  Bazaine. 
Le  maréchal  rappelait  à  l'armée  que,  le  18  juin, 
Ortéaga  en  prenant  Uruapan  avait  fait  impitoya- 
blement garder  à  vue  le  commandant  Lemus; 
que,  le  17  juillet,  Antonio  Ferez  assassinait  de  sa 
propre  main  le  capitaine  comte  Kurzech,  après  le 
combat  d'Aliuacatlan  ;  qu'Ugalde,  à  San  Felipe, 
avait  fait  fusiller  les  officiers  d'un  détachement 
qu'il  avait  surpris;  que,  le  7  octobre  enfin,  les 
prisonniers  du  chemin  de  fer  avaient  été  odieuse- 
ment traités  et  mis  à  mort.  En  conséquence,  le 
maréchal  faisait  savoir  aux  troupes  qu'il  n'admet- 
tait plus  qu'on  fit  de  prisonniers.  Tout  individu, 
quel  qu'il  fût,  pris  les  armes  à  la  main,  serait 
mis  à  mort.  Aucun  échange  de  prisonniers  ne 
serait  fait  à  l'avenir.  Il  fallait  que  les  soldats  sus- 
sent bien  qu'ils  ne  devaient  pas  rendre  leurs 
armes  à  de  pareils  adversaires.  C'était  une  guerre 
à  mort  qui  s'engageait  entre  la  civilisation  et  la 
barbarie.  Des  deux  côtés,  il  fallait  tuer  ou  se  faire 
tuer. 

Cette  circulaire  fut,  de  la  part  du  maréchal, 
moins  un  acte  de  représailles  que  de  colère.  Feut- 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS       113 

être  l'écrivit-il  pour  creuser  un  abîme  entre  les 
libéraux  du  Sud,  entre  tous  les  libéraux  en  géné- 
ral et  lui-même.  Il  n*y  avait  eu  rien  à  faire  avec 
tous  ces  gens-là,  il  ne  voulut  pas  qu'on  pût  rien 
imaginer  de  nouveau  avec  eux  pour  l'avenir. 
Pour  le  moment,  dût-il  jouer  le  jeu  de  l'empire,  il 
ne  s'occupa  plus  que  d'une  solution  au  Nord  ;  et 
s'il  n'eût  été  trop  tard,  c'était  à  la  fois  ce  qu'il  y 
avait  de  meilleur  pour  nos  intérêts  et  de  plus 
honorable  pour  le  maréchal. 

La  situation  de  Matamores,  où  allait  se  débattre 
la  question  du  succès  des  dissidents  au  Nord  et 
de  l'intervention  américaine,  était  depuis  long- 
temps inquiétante.  Dès  le  mois  d'août,  les  Améri- 
cains, s'ils  n'étaient  pas  encore  décidés  à  franchir 
la  rivière,  protégeaient  du  moins  ouvertement 
Cortina  et  lui  fournissaient  des  armes.  La  troupe 
de  Mejia  diminuait  sensiblement,  et  l'influence 
du  général  lui-même  était  paralysée  par  un  com- 
missaire impérial,  Portilla,  et  le  ministre  des  tra- 
vaux publics,  M.  Robles,  dont  la  conduite  à  tous 
deux  donnait  lieu  aux  plus  graves  soupçons.  Un 
incident  survenu  entre  le  commandant  Bryan  et 
le  général  américain  Brown  avait  fait  décider  au 
maréchal  que  le  bataillon  étranger  quitterait 
Matamores  le  plus  tôt  possible. 

Le  départ  des  troupes  françaises  avait  été  fêté 
comme  une  victoire  par  tous  les  Mexicains  sans 


414  LA  MARINE  FtlANÇAISE  AU   MEXIQUE      ^ 

exception.  Tout  le  monde  conspirait  hautement, 
s'entendait  avec  Cortina,  lui  payait  des  droits 
pour  des  passe-ports  ou  le  libre  passage  de  mar- 
chandises. Les  employés  du  gouvernement  étaient 
des  juaristes  zélés.  Mejia,  annulé  et  dégoûté, 
laissait  faire,  et  l'opinion  était  que  Cortina  entre- 
rait avant  longtemps  dans  Matamores  sans  coup 
férir.  Quelques  jours  plus  tard,  le  11  décembre, 
M.  Robles,  qui  avait  dû  revenir  à  Vera-Cruz,  restait 
à  Matamores.  Bien  qu'il  ne  fût  pas  arrivé  de  nou- 
velles troupes  à  Brazos  et  qu'il  fût,  au  contraire, 
sorti  de  la  rivière  plusieurs  vapeurs  chargés  de 
noirs  pour  la  Nouvelle-Orléans,  on  s'attendait 
néanmoins  à  une  attaque  renforcée  d'Américains. 
Les  inquiétudes  grandissant,  on  eût  voulu  confier 
la  garde  de  Bagdad  à  la  Tisiphone.  Mais  ce  n'était 
pas  l'avis  du  commandant  de  la  division,  à  qui  on 
en  avait  écrit;  car  la  rade  de  Bagdad  étant  foraine, 
c'eût  été  une  force  imprudemment  mise  à  terre. 
Les  communications  étaient  coupées,  en  effet, 
entre  Matamores  et  Monterey,  ainsi  qu'entre 
Matamores  et  Bagdad,  à  l'embouchure  du  fleuve. 
Il  est  vrai  que,  dans  ce  dernier  espace,  l'inondation 
presque  complète  des  terres  y  suffisait.  Cependant, 
à  la  fin  du  mois,  le  ministre  Robles  revenait,  et 
Matamores  semblait  moins  menacé,  par  suite  du 
peu  d'intelligence  existant  entre  Cortina,  Escobedo 
et  les  autres  chefs  mexicains  qui  tenaient  la  cam- 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS       115 

pagne  dans  les  environs.  Toutefois  ces  chefs 
avaient  toujours,  quoique  non  avoué,  Pappui  des 
autorités  fédérales  de  Brownsville.  Un  officier  très 
intelligent,  envoyé  sous  un  prétexte  quelconque  à 
Brazos,  avait  constaté  le  rassemblement  d'un  très 
grand  nombre  de  chariots,  de  fourgons  et  cha- 
lands arrivés  démontés  d'Amérique. 

Le  28  septembre,  la  Tisiphone  retournait  à 
Matamoros.  Elle  avait  surtout  pour  mission  de 
surveiller  les  Américains  et  de  s'assurer  s'il  était 
vrai  qu'ils  employassent  15  à  20.000  noirs  à  la 
construction  de  deux  chemins  de  fer  dans  le  Texas 
et  dans  le  voisinage  de  la  frontière  du  Mexique, 
sans  doute  pour  faciliter  les  mouvements  de 
troupes.  Cette  crainte  constante  des  États-Unis, 
qui  s'affirmait  chaque  jour  par  de  nouveaux  motifs, 
agissait  si  fortement  sur  le  maréchal,  qu'il  allait 
jusqu'à  les  supposer  capables  de  nous  attaquer 
sans  déclaration  de  guerre.  Il  demanda  même  au 
commandant  Cloué  si,  dans  le  cas  d'hostilités 
subites  contre  Vera-Cruz,  il  ne  lui  serait  pas  pos- 
sible de  mettre  aussitôt  à  terre  son  matériel  et 
son  personnel  et  de  se  retirer  sur  Cordova.  Une 
objection  capitale  à  cette  opération,  c'est  que,  si 
l'agression  devait  être  soudaine,  nous  ne  la  sau- 
rions que  lorsqu'elle  aurait  eu  un  commencement 
d'exécution  et  qu'il  serait  déjà  trop  tard  pour  dé- 
barquer à  Vera-Cruz  les  hommes  et  le  matériel. 


116  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Quant  à  la  retraite  sur  Cordova,  elle  eût  été  un 
désastre  avec  des  matelots  qui  ne  connaissent  pas 
la  guerre  à  terre  et  au  milieu  d'un  pays  qui  se 
fût  entièrement  soulevé  contre  nous. 

Le  commandant  Cloué  répondait,  avec  une  hono- 
rable et  fière  modestie,  que  le  rôle  de  la  marine 
est  sur  l'eau  et  non  à  terre,  qu'il  se  croyait  capable 
de  défendre  son  bâtiment  jusqu'à  la  dernière  ex- 
trémité aussi  bien  que  n'importe  quel  capitaine 
de  vaisseau,  mais  qu'il  se  reconnaissait  tout  à 
fait  incapable  de  remplir  les  fonctions  de  colonel. 
C'était  de  la  franchise,  mais  les  choses  en  arri- 
vaient à  un  point  où  il  devait  moins  que  jamais 
déguiser  sa  pensée  au  maréchal.  Le  commandant 
Cloué  se  trouvait  d'ailleurs,  à  bord  du  Magellan, 
aux  prises  avec  la  fièvre  jaune,  qui  sévissait  égale- 
ment à  Carmen  sur  le  Brandon  et  faisait  ainsi 
à  la  division  une  de  ses  visites  périodiques.  On 
manquait  de  médicaments,  de  linge,  de  chlorure 
de  chaux,  qu'on  attendait  inutilement  de  France; 
mais  c'étaient  là  des  inconvénients  dont  on  ne 
s'occupait  plus.  L'important  eût  été  de  prendre 
la  mer  quelques  jours,  mais  les  affaires  retenaient 
le  commandant  à  Vera-Cruz,  et  il  ne  pouvait 
envoyer  le  Magellan  tout  seul  au  large,  son 
poste  y  étant  dès  qu'il  y  avait  quelque  danger  à 
courir  à  bord. 
Ce  fut  alors  qu'il  apprit  la  nouvelle  de  l'attaque 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAMOROS  117 

de  Matamoros  par  Escobedo,  qui  avait  plusieurs 
milliers  d'hommes  et  onze  pièces  de  canon.  Les 
communications  étaient  interceptées  entre  Mata- 
moros et  tout  autre  point,  et  nous  en  étions  ré- 
duits à  expédier  des  courriers  le  long  du  Texas 
pour  connaître  la  situation  exacte.  Le  comman- 
dant partit  aussitôt  pour  Matamoros  avec  le 
Magellan,  V Adonis,  le  Tartare  et  la  Tactique. 
Dans  cette  saison  des  coups  de  vent  du  Nord,  la 
traversée  fut  pénible.  V Adonis  arriva  trente-six 
heures  en  retard,  et  le  Tartare  fut  forcé  de 
retourner  un  jour  à  Vera-Cruz.Il  avait  perdu  son 
gouvernail,  parti  par  la  jaumière  avec  la  barer  et 
tout  ce  qui  y  attenait. 

A  peine  mouillé,  le  commandant  écrivit  au 
général  Wetzel,  qui  commandait  les  forces  des 
États-Unis,  sur  le  Rio-Grande.  Les  faits  de  con- 
nivence américaine  étaient  nombreux  et  faciles  à 
signaler.  Les  libéraux  tiraient  et  avaient  tiré  du 
Texas,  de  Brownsville  en  particulier,  la  plupart 
de  leurs  ressources  en  hommes  et  en  munitions. 
Les  pièces  d'Escobedo  étaient  servies  par  des 
canonniers  américains  non  encore  congédiés.  Les 
blessés  étaient  reçus  à  l'hôpital  de  Brownsville, 
où  les  officiers  d'Escobedo  et  de  Cortina  venaient 
journellement,  en  armes,  prendre  leurs  repas. 
En  un  mot,  Brownsville  semblait  être  le  quartier- 
général  des  juaristes,  qui  n'eussent  été  capables 


118  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

de  rien  entreprendre  sans  les  secours  constam- 
ment renouvelés  qui  leur  venaient  du  Texas. 

C'était  tenir  en  bride  les  Américains  par  une 
protestation  formelle  contre  leur  violation  de  la 
neutralité  sur  la  frontière.  Quant  à  Matamores, 
l'arrivée  du  Magellan  et  des  autres  navires 
sans  troupes  à  bord  avait  produit  un  fâcheux 
effet.  Le  général  Mejia  disait  par  instants  qu'on 
l'abandonnait,  mais  il  paraissait  néanmoins  dé- 
cidé à  se  défendre  à  outrance  et  déployait  une 
énergie  et  une  activité  extraordinaires.  La  garni- 
son était  animée  d'un  bon  esprit;  et  la  population, 
ayant  appris  que  les  chefs  dissidents  avaient 
promis  quatre  heures  de  pillage  afin  d'attirer 
dans  leurs  rangs  le  plus  d'aventuriers  possible, 
s'était,  comme  au  mois  de  mai  précédent,  orga- 
nisée en  milices.  Mejia  n'eût  demandé  que  deux 
cents  pantalons  rouges  pour  garder  la  ville  pen- 
dant qu'il  sortirait  et  culbuterait  l'ennemi.  La 
division  ne  pouvait,  avec  ses  malades,  s'associer 
autant  qu'elle  l'eût  désiré  à  ce  mouvement  de 
défense;  mais  elle  allait,  comme  toujours,  agir 
avec  autant  de  rapidité  que  d'énergie. 

Le  bruit  courant  que  l'ennemi  allait  tenter* 
quelque  chose  contre  Bagdad,  la  Tisiphone  s'em- 
bossa,  en  dehors,  par  petit  fond,  pour  y  rester 
tant  que  le  calme  le  permettrait.  En  même  temps 
on  armait  en  guerre  le  petit  vapeur  de  commerce 


BLOCUS   DES   CÔTES   A  MATAMOROS  119 

VAntonia,  en  mettant  à  bord  deux  pièces  d^artil- 
lerie,  une  de  12  et  une  de  4,  avec  les  hommes 
chargés  de  ces  pièces  et  un  peloton  de  carabiniers. 
Les  hommes  et  l'équipage  étaient  fournis  par  les 
matelots  de  V Adonis  et  de  la  Tisiphone.  L'enseigne 
de  vaisseau  de  la  Bédollière,  un  des  officiers  de  la 
Tisiphone,  avait  le  commandement  de  VAntonia. 
Sa  mission  était  de  concourir  à  la  défense  de  Mata- 
mores en  agissant  aux  abords  du  fleuve,  près  de  la 
ville.  Il  avait  à  recevoir  les  ordres  du  général 
Mejia,  mais,  fidèle  à  son  rôle  de  marin,  ne  devait 
assister  la  ville  que  par  eau. 

VAntonia  partit  le  matin  du  9  novembre  de  la 
rade  de  Rio-Grande  pour  Matamores,  et  sa  tra- 
versée ne  devait  pas  s'accomplir  sans  incidents. 
A  une  heure  de  l'après-midi,  à  un  endroit  où  la 
rive  est  haute  et  touffue,  VAntonia  fut  saluée  par 
une  fusillade  des  plus  vives.  Précisément,  par 
suite  d'un  faux  coup  de  barre,  le  bateau  échouait. 
Il  resta  dix  minutes  sous  le  feu  et  y  répondit  si 
vigoureusement,  que  les  assaillants  se  retirèrent 
pour  nous  fusiller  de  plus  loin.  Cette  fois  on  leur 
envoya  des  coups  de  mitraille  et  ils  s'enfuirent 
dans  la  plaine  à  toute  bride,  au  nombre  de  deux 
cents  cavaliers.  Quelque  temps  après,  deux  de  ces 
cavaliers  passèrent  dans  une  barque  derrière 
VAntonia,  abordèrent  au  Texas,  et  de  la  rive  amé- 
ricaine adressèrent  au  vapeur  sept  coups  de  feu. 


120  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

VAntonia,  continuant  sa  route,  longeait  le  Tam- 
pico, chargé  d'Américains  et  amarré  sur  la  rive 
mexicaine.  Un  morne  silence  accueillit  les  Fran- 
çais, tandis  qu'au  contraire  les  cavaliers  libéraux 
communiquaient  bruyamment  avec  le  vapeur. 
Un  instant,  VAntonia  fut  dominée  par  un  canon 
placé  à  un  endroit  où  la  berge  était  fort  élevée. 
L'ennemi,  animé  à  la  lutte,  avait  oublié  ses  habi- 
tudes de  prudence  et  tirait  à  découvert.  On  voyait 
les  chemises  rouges  et  les  chapeaux  à  bordure 
blanche  des  hommes  de  Cortina  et  de  Canales. 
Les  matelots  furent  admirables  sous  cette  pluie 
de  feu.  Deux  tombèrent  grièvement  blessés. 

Le  vapeur  VEugènia  venait  alors  au-devant  de 
VAntonia,  qu'il  escorta  jusqu'à  Matamores  et  qui 
ne  fut  plus  inquiétée.  Seulement,  quand  nous 
arrivâmes  à  Brownsville  devant  le  camp  des 
Américains,  toutes  leurs  troupes  étaient  sur  le 
bord  nous  regardant  passer.  Ils  semblaient  cons- 
ternés de  nous  voir  et  ne  poussaient  pas  un  cri. 
En  revanche,  les  cavaliers  qui  avaient  traversé 
le  Rio-Grande  cavalcadaient  dans  le  camp  et 
échangeaient  des  saluts  et  des  poignées  de  mains 
avec  les  officiers  américains. 

Le  commandant  Cloué  écrivit  de  nouveau  au 
général  Wetzel.  En  lui  exposant  que,  selon  ses 
ordres,  VAntonia  n'avait  pas  répondu  aux  coups 
de  feu  partis  de  la  rive  texienne,  il  lui  notifiait 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS       121 

que,  d'après  les  lois  internationales,  les  Mexicains 
en  armes  qui  franchissaient  la  frontière  des 
États-Unis  devaient  être  désarmés  et  internés  par 
les  Américains,  qu'à  bien  plus  forte  raison, 
ceux-ci  ne  devaient  tolérer  aucun  acte  d'hostilité 
partant  de  chez  eux,  et  qu'il  fallait  croire  que 
le  général  Wetzel  avait  complètement  ignoré  ces 
infractions  diverses  à  la  neutralité. 

La  plus  grande  indiscipline  régnait,  d'ailleurs, 
parmi  les  troupes  américaines.  Un  de  leurs  géné- 
raux venait  d'être  assassiné  par  un  soldat  noir. 
La  politique,  à  en  juger  par  des  faits  bizarres, 
flottait  autant  que  la  discipline.  Peu  de  jours 
après  l'arrivée  de  VAntonia^  un  haut  fonctionnaire 
des  États-Unis  venait  trouver  le  général  Mejia  et 
lui  exhibait  des  pouvoirs  presque  illimités,  allant 
jusqu'à  faire  fusiller  le  général  Wetzel.  Il  lui 
annonçait  en  outre  qu'il  aurait  bientôt  à  lui  com- 
muniquer des  bases  nouvelles  pour  la  reconnais- 
sance du  Mexique  par  les  États-Unis.  Ce  haut 
fonctionnaire  ressemblait  fort  à  un  espion  ou  à 
un  chevalier  d'industrie;  mais  la  conduite  tenue 
par  le  cabinet  de  Washington,  que  préoccupait 
l'ouverture  du  congrès,  était  en  apparence  si 
inconsistante,  qu'on  accueillait  les  bruits  les  plus 
étranges. 

Il  était  évident  toutefois  que  les  libéraux  s'a- 
charneraient à  l'attaque  de  Matamoros  jusqu'à  ce 


122  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

qu'ils  fussent  certains  que  la  protection  des  Amé- 
ricains leur  ferait  défaut.  Il  y  avait  dans  la  ville, 
en  numéraire  et  en  marchandises,  des  sommes 
immenses,  et  ils  se  procuraient  de  Targent  en 
escomptant  leurs  espérances,  sinon  de  pillage,  au 
moins  de  possession.  Il  est  vrai  que  ces  perspec- 
tives surexcitaient  la  population  commerçante, 
qui  construisait  et  occupait  des  barricades,  faisait 
des  patrouilles  et  passait  toute  la  nuit  sous  les 
armes.  D'un  autre  côté,  le  maréchal  faisait  avancer 
ses  colonnes.  Celle  du  colonel  d'Ornano  se  dirigeait 
sur  Victoria,  celle  du  général  Jeanningros  sur 
Montclava,  afin  d'opérer  une  diversion  en  faveur 
de  Matamores. 

Malheureusement  cette  route  de  Victoria  à 
Matamores,  extrêmement  difficile,  presque  impra- 
ticable à  cause  des  inondations,  était  de  plus  une 
espèce  de  désert  sans  ressources.  Aussi  le  général 
Mejia  était-il  fort  contrarié  de  la  voir  prendre 
aux  troupes,  dans  la  crainte  qu'elles  n'arrivassent 
trop  tard.  Les  libéraux  précipitaient,  du  reste, 
leurs  attaques.  Excessivement  décontenancés  par 
la  réussite  complète  du  voyage  de  VAiitonia,  ils 
avaient  fait  tentative  sur  tentative  pour  la  prendre 
ou  la  détruire.  La  dernière  tentative,  le  11  no- 
vembre au  soir,  avait  été  la  plus  importante. 
Cinq  embarcations  et  un  chaland,  chargés  de 
monde,  se  laissèrent  dériver  sur  VAntonia;  mais 


BLOCUS  DES  COTES  A  MATAMOROS       123 

l'ennemi  fut  reçu  à  portée  de  pistolet  par  la  mi- 
traille et  le  feu  des  carabines.  Les  embarcations 
disparurent  alors,  soit  qu'elles  eussent  été  coulées, 
soit  qu'elles  se  fussent  abandonnées  au  courant. 
Le  chaland  s'échappa  à  l'aide  d'un  subterfuge.  Il 
se  fit  passer  pour  un  bâtiment  américain  en 
dérive  par  hasard. 

Le  20  novembre,  l'^^^eVr  arrivait  avec  trois  cent 
soixante  Autrichiens,  vingt  Mexicains,  soixante 
chevaux  ou  mulets.  Ces  renforts  étaient  mis  à 
terre  à  Bagdad,  le  même  jour.  Le  lendemain,  le 
général  Mejia  envoyait  pour  les  prendre  VAntonia 
et  deux  autres  petits  bateaux  à  vapeur  de  même 
échantillon,  VAlamo  et  le  Camargo,  que  la  divi- 
sion armait,  comme  VAntonia,  d'une  pièce  de  12, 
d'une  de  4  rayée  et  de  quelques  carabiniers;  ces 
trois  bateaux  partaient  de  Bagdad  le  22  au  matin 
pour  Matamores,  où  ils  arivaient  le  23  sans  obs- 
tacle. Ce  renfort  décida  les  libéraux  à  la  retraite. 
Pourtant,  en  s'en  allant,  Escobedo  chercha  à  sur- 
prendre Monterey  ;  mais  le  commandant  La 
Hayrie,  venu  de  Saltillo,  et  le  général  Jeannin- 
gros,  de  Montclava,  sauvèrent  la  ville  et  pour- 
suivirent le  général  mexicain. 

La  délivrance  de  Matamores  amena  le  rétablis- 
sement de  la  tranquillité  à  Tuspan  et  à  Tampico, 
où  les  partis  s'étaient  agités  et  que  les  bandes 
ordinaires  du  Tamaulipas  et  de  Papantla  avaient 


124  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

menacés  pendant  les  événements  du  Nord.  A 
Tampico,  le  commandant  supérieur,  le  capitaine 
Carrère,  avait  maintenu  la  défense  sur  un  bon 
pied.  Successeur  du  lieutenant  Voilée,  qui  avait 
indisposé  la  population  par  certains  actes  agressifs, 
il  s'était  étudié  à  ramener  l'ordre;  et,  comme 
chaque  officier  avait  son  meilleur  plan  de  conquête 
et  de  soumission  pour  le  Mexique,  il  avait  cherché 
par  quelque  déférence  et  quelques  égards  pour  le 
général  La  Madrid,  qui  commandait  à  Tuspan, 
en  lui  laissant,  par  exemple,  passer  la  revue  des 
troupes  de  la  contre-guérilla  et  de  la  garnison,  le 
jour  de  la  Saint-Maximilien,  à  rehausser,  par 
l'amour-propre  flatté,  chez  les  Mexicains,  le  sen- 
timent de  leur  valeur  et  de  leur  dignité  person- 
nelle. Il  n'avait  rehaussé  que  leur  amour-propre. 
La  Diligente  avait  dû  séjourner  à  Tuspan,  dans 
la  rivière  même.  Le  capitaine  Revault  avait  su 
influencer  discrètement  la  population  et  réorgani- 
ser la  défense  possible  de  la  garnison.  11  ne  lui  avait 
fallu  que  quelques  carabiniers  dans  les  cerros 
bien  approvisionnés  de  vivres,  d'eau  et  de  muni- 
tions. Le  préfet  néanmoins  avait  été  assassiné, 
et  le  capitaine  de  la  Diligente,  qui  eût  peut-être 
mieux  fait  d'envoyer  par  une  occasion  sûre  le 
meurtrier  au  fort  de  Saint-Jean-d'Ulloa,  l'avait 
laissé  en  prison,  d'où  il  était  probable  que  Tin- 
fluence  occulte,  mais  persistante,  de  M.  Llorente 


BLOCUS   DES   COTES   A   MATAMOROS  125 

le  père  le  ferait  échapper.  Il  est  vrai  que  la  Dili- 
gente, qui  maintenant  pouvait  quitter  Tuspan, 
n'aurait  qu'à  y  revenir  pour  y  ramener  cette 
sûreté  et  cette  fidélité  douteuses  qui  étaient  l'état 
normal  des  différents  points  du  Mexique  occupés 
par  nous. 

Libre  de  quitter  le  Rio-Grande,  le  commandant 
Cloué  se  rendit  alors  au  désir  du  maréchal,  que 
les  nouvelles  d'un  prochain  débarquement  de 
Santa-Anna,  ou  de  ses  partisans,  à  la  côte  de  Sota- 
Vento,  avaient  inquiété.  11  laissait  en  partant  la 
Tisiphone  devant  Matamores  et  adressait  au  com- 
mandant Collet  les  instructions  les  plus  précises 
pour  la  conduite  qu'il  avait  à  tenir.  Il  devait 
procéder  sans  retcxrd  au  désarmement  des  petits 
vapeurs  VAntonia,  la  Camargo  et  VAlamo.  Puis- 
qu'il n'y  avait  plus  urgence  à  leur  séjour  à  terre, 
il  fallait  que  les  officiers  et  les  équipages  rejoignis- 
sent leurs  bords.  On  pouvait  fournir  de  la  poudre, 
des  cartouches  et  des  boulets  au  général  Mejia, 
mais  aucune  arme  qui  nous  appartînt.  Quant  aux 
Américains,  il  fallait  observer  avec  eux  la  plus 
grande  réserve  et  ne  point  s'occuper  des  aflaires 
intérieures,  puisqu'il  y  avait  des  autorités  mexi- 
caines, et  surtout  ne  point  servir  à  celles-ci  ou  au 
général  Mejia  d'intermédiaire  officieux  avec  les 
chefs  des  troupes  des  États-Unis.  Ces  instructions 
étaient,  en  un  mot,  la  circonspection  la  plus  grande 


126  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

et  la  plus  stricte  prudence  au  point  de  vue  poli- 
tique et  militaire. 

L'année  1865  finissait.  Pendant  toute  sa  durée, 
notre  fortune  au  Mexique  avait  oscillé  entre  des 
succès  et  des  échecs,  sauvegardée  par  moments 
par  des  conseils  loyaux  et  des  influences  d'hon- 
nêteté et  de  bon  sens  qui  ne  pouvaient  avoir 
malheureusement  qu'une  action  limitée,  arrêtée 
et  compromise  par  les  visées  d'une  ambition 
secrète  que  la  plus  brillante  réussite  eût  seulement 
absoute.  Nous  avions  en  apparence  maintenu  notre 
situation,  mais  au  fond  elle  croulait  de  toutes 
parts  et  allait  être  emportée  par  la  force  des  choses. 
L'administration  était  inerte  ou  corrompue.  La 
population  moyenne,  bien  disposée  pour  l'em- 
pire, qui  lui  eût  apporté  l'ordre,  mais  craintive 
et  découragée,  n'offrait  qu'un  vain  et  passif 
appui;  les  libéraux,  fiers  de  n'avoir  point  suc- 
combé, s'enflaient  des  complaisances  qu'on  avait 
eues  peureux  et  des  forces  qu'ils  avaient  gagnées. 
L'Amérique  hostile  et  menaçante  avait  toutes 
prêtes  contre  nous  ses  flottes  de  monitors  et  ses 
bandes  licenciées  d'aventuriers  et  de  flibustiers, 
si  elle  n'était  désarmée  à  Paris  par  un  arrange- 
ment qui  conciliât  ses  prétentions  et  les  nôtres. 
L'heure  était  passée  du  règne  possible  de  Maxi- 
milien,  d'une  élection,  sinon  d'une  intrigue 
nationale  élevant  un  souverain  nouveau,  do  la 


BLOCUS  DES  CÔTES  A  MATAMOROS       127 

non-intervention  à  laquelle  des  déchirements 
intérieurs  avaient  jusqu'alors  contraint  les 
États-Unis  :  il  n'y  avait  plus  à  sonner  que 
l'heure  de  notre  retraite  et  de  la  dissolution  de 
l'empire. 


CHAPITRE  III 

DES  PREMIERS  EVENEMENTS  DE  MATAMOROS 

A  l'Évacuation 

On  a  vu  à  quel  point  la  possibilité  d'une  inter- 
vention immédiate  des  Etats-Unis  avait  préoccupé 
le  maréchal.  Le  prompt  dénoûment  des  affaires  de 
Matamoros  l'avait  peut-être  empêchée  d'avoir  lieu. 
Mais  la  menace  n'en  restait  pas  moins  suspendue 
sur  le  Mexique,  et  Matamoros  était  toujours 
pour  ces  hostiles  voisins  la  clé  de  la  frontière  du 
Nord.  Il  était  très  vrai  que  les  Américains  avaient 
rassemblé  sur  la  rive  gauche  du  Rio-Grande  tout 
ce  qu'il  fallait  pour  qu'une  armée  franchît  le  fleuve 
en  un  instant.  A  raison  de  quinze  à  vingt  chalands 
pour  un  pont,  il  y  avait  vingt-cinq  passages  tout 
préparés.  Il  existait  de  plus,  presque  achevés  et 
comme  voies  stratégiques,  deux  chemins  de  fer 
dans  le  Texas,  l'un  de  Brazos  Santiago  à  Browns- 
ville,  l'autre  prolongeant  une  des  anciennes  voies 
ferrées  de  l'intérieur  jusqu'à  Eagie-Pass.  L'inso- 
lence des  propos  était  extrême  chez  les  officiers 
américains.  Ils  annonçaient  tout  haut  leur  pro- 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION     129 

chaîne  entrée  en  campagne,  et,  de  fait,  toutes 
leurs  précautions  étaient  prises  pour  se  mettre 
en  marche  dès  que  le  président  des  Etats-Unis  en 
donnerait  Tordre,  ou  même  sans  ordre,  dès  que 
cela  serait  le  bon  plaisir  du  général  Sheridan. 

En  revanche,  sur  la  frontière,  le  Mexique 
manquait  de  tout.  Il  n'avait  même  pas  comme 
barrière  fictive  la  délimitation  possible  des  eaux 
du  fleuve,  à  leur  milieu,  en  américaines  et  mexi- 
caines ,  car  les  tournants  du  Rio-Grande  forcent 
les  navires  à  longer  l'une  et  l'autre  rive.  Le  plus 
important  eût  été  de  se  tenir,  au  moins  par  la 
mer,  en  communication  avec  Bagdad,  qui  était  le 
meilleur  point  de  débarquement.  Or  il  eût  fallu 
pour  cela  au  moins  quatre  bateaux  de  rivière 
armés  comme  VAntonia,  et  on  ne  les  avait  pas. 
L'ennemi  le  savait  bien,  et  de  peur  qu'on  ne  se 
les  procurât,  il  tentait  la  nuit  de  faire  passer  du 
côté  américain  tout  le  matériel  flottant.  Un  canot 
portait  du  Texas  une  corde  sur  un  bateau  amarré 
au  Mexique,  puis  on  le  halait  au  Texas,  où  il  était 
mis  sous  le  séquestre  de  la  douane  américaine  de 
Clarksville,  comme  prise  faite  par  les  libéraux. 
Les  quelques  bateaux  dont  on  disposait  au  besoin 
se  louaient  à  des  prix  si  exorbitants,  que  les  pro- 
priétaires gagnaient  la  valeur  du  navire  en  moins 
d'un  mois. 

Ce  n'eût  encore  rien  été;  mais  il  y  avait  à 

9 


130  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

craindre  que  ces  vapeurs  ne  prissent  le  pavillon 
américain,  ce  qui  eût  interdit  de  s'en  servir  da- 
vantage. Ce  fut  ce  qui  leur  arriva  bientôt,  à 
l'exception  de  VAntonia.  Dès  lors,  non  seulement 
Matamores  ne  pouvait  plus  expédier  ni  recevoir 
ses  marchandises,  mais  les  bateaux  de  la  rive 
texienne  refusaient  même  de  lui  porter  ses  lettres. 
Quand  VAntonia  aurait  imité  les  autres  vapeurs, 
il  n'y  aurait  plus  aucun  moyen  d'envoyer  de 
Bagdad  des  renforts  à  Matamores.  On  pouvait 
prévoir  cette  éventualité;  car  VAntonia^  qui, 
outre  ses  hommes  avait  reçu  les  équipages  de 
1'^  lamo  et  de  la  Camargo,  se  trouvait  armée  par 
les  matelots  de  VAdoiiis  et  de  la  Tisiphone,  ce  qui 
paralysait  ces  deux  bâtiments.  11  devenait  donc 
urgent  de  réclamer  nos  marins  ;  mais  le  général 
Mejia  se  disait  trop  faible,  refusait. 

Il  ne  manquait  point  de  raisons.  La  ville  était 
peu  sûre.  On  remarquait  que  tous  les  anciens 
confédérés  réfugiés ,  qui  semblaient  autrefois  le 
plus  ennemis  des  fédéraux,  avaient  demandé  et 
obtenu  leur  pardon  et  étaient  tous  contre  nous. 
De  plus,  les  colonnes  françaises  qui  se  dirigeaient 
vers  Matamores,  s'étant  arrêtées  aux  environs  de 
Monterey  et  de  Saltillo,  les  libéraux  s'étaient 
reformés  et  se  préparaient  à  une  nouvelle  attaque. 
Pris  entre  eux  et  les  Américains,  n'ayant  reçu 
pour  tout  renfort  que  trois  cent  quinze  Mexicains 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION      131 

déguenillés  qu'il  lui  faudrait  plutôt  garder  qu'ils 
ne  garderaient  Matamores,  le  général  Mejia  se 
décourageait  et  se  prétendait  abandonné. 

L'administration  mexicaine  ajoutait  à  ces  dif- 
ficultés par  son  ineptie  et  sa  mauvaise  foi.  Les 
débarquements  à  Bagdad ,  les  communications 
entre  les  navires  de  guerre  et  la  côte  devenaient 
presque  impossibles.  En  effet,  la  barre  du  Rio- 
Grande  est  tellement  mauvaise,  qu'on  ne  peut  la 
franchir  sans  trop  de  danger  avec  les  embarca- 
tions ordinaires  qu'à  d'assez  rares  intervalles. 
Aussi  les  bateaux  du  pays,  faits  exprès  pour 
franchir  la  barre,  servaient  aux  communications 
dès  que  le  trajet  devenait  dangereux  pour  les 
canots.  Or  un  nouveau  capitaine  de  port,  nommé 
par  Mexico  et  arrivé  récemment  de  Vera-Cruz, 
M.  Godinez,  notoirement  connu  comme  ennemi 
des  Français,  s'était  empressé  de  mettre  toutes  les 
entraves  possibles  dans  le  service  du  port,  avait 
défendu  aux  bateaux  la  communication  avec  la  rade 
et  supprimé  la  correspondance  entre  le  station- 
naire  et  Bagdad.  Les  embarcations  du  pays  étant 
déjà  quelquefois  paralysées  par  le  mauvais  temps, 
les  nôtres  devaient  l'être  bien  davantage.  Enfin,  le 
temps  était  affreux  ;  le  Tartare  allait  revenir  érein- 
té  de  Nautla,  V Adonis  et  la  Tisiphone  fatiguaient 
beaucoup.  Nos  bâtiments  n'étaient  pas  assez  puis- 
sants pour  le  service  d'hiver  sur  cette  côte. 


132  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Il  y  avait,  pour  surveiller  cette  inquiétante 
situation,  un  homme  énergique  et  sincère  dont 
les  manœuvres  des  Américains  faisaient  bouillir 
le  sang  :  c'était  le  commandant  Collet,  de  la  Tisi- 
'plione.  D'après  les  instructions  qu'il  avait  reçues 
et  qui  étaient  la  copie  d'une  dépêche  confidentielle 
du  maréchal  du  28  août,  il  était  d'avis  que,  si  le 
général  Sheridan  prêtait  nettement  son  appui  aux 
libéraux,  le  canon  français  devait  lui  répondre. 
Il  ne  remarquait  pas,  dans  son  état  d'irritation 
morale,  que  les  termes  assez  nets  de  la  dépêche 
étaient  singulièrement  atténués  par  un  post- 
scriptum  écrit  de  la  main  du  maréchal.  Ce  para- 
graphe disait  que  la  flibusterie  no  nous  regardait 
pas  d'une  manière  directe,  et  que  nous  ne  devions 
faire  sentir  notre  action  au  nom  de  la  France 
qu'après  avoir  protesté  s'il  y  avait  lieu.  De  plus, 
le  commandant  Collet  ne  devait  pas  oublier  dans 
quels  redoutables  embarras  il  entraînerait  ainsi 
son  pays,  sans  aucune  espérance  de  retraite  et  sans 
laisser  à  l'empereur  la  moindre  porto  de  sortie. 
Les  conséquences  d'une  résolution  violente  du 
commandant  de  la  Tisipho^ie  étaient  si  graves, 
que  le  commandant  Cloué  intervint  de  ses  conseils. 
Il  lui  dit  qu'il  le  croyait  autorisé,  sans  nul  doute, 
à  rendre  coup  pour  coup,  mais  que,  si  on  ne 
s'attaquait  pas  à  lui,  tout  en  agissant  contre  nos 
alliés  les  Mexicains,  il  ne  le  jugeait  obligé  qu'à 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION     133 

protester  et  avenir  aussitôt  à  la  Vera-Cruz  rendre 
compte  à  son  chef  direct  de  la  tournure  que  pre- 
naient les  événements. 

Ces  conseils,  qu'on  les  écoutât  ou  qu'on  les 
négligeât,  arrivaient  à  leur  heure.  Les  régiments 
noirs  américains,  suivis  de  Cortina,  d'Escobedo  et 
de  leurs  partisans,  venaient  de  prendre  Bagdad. 
Ces  régiments,  accompagnés  de  leurs  officiers, 
ce  qui  n'avait  pas  lieu  de  surprendre,  car  c'étaient 
tous  aventuriers  et  gens  sans  aveu,  d'une  indis- 
cipline notoire, avaient  subitement  envahi  Bagdad, 
pendant  la  nuit,  par  deux  points  de  la  rive  du 
fleuve.  Tous  venaient  du  Texas.  La  garnison  de 
Bagdad  était,  en  partie,  sinon  tout  entière,  com- 
plice du  coup  de  main.  La  plupart  des  autres 
employés  mexicains  étaient  dans  le  complot'.  L'ad- 
ministration de  la  douane,  composée,  par  l'ordi- 
naire aberration  du  pouvoir  central,  d'individus 
qui  servaient  autrefois  Cortina,  le  capitaine  du 
port,  Godinez,  en  première  ligne,  ne  demandaient 
pas  autre  chose  que  le  retour  du  célèbre  partisan. 
Les  postes  mexicains,  surpris,  avaient  été  mas- 
sacrés ou  faits  prisonniers,  le  gros  de  la  garnison 
enlevé  dans  sa  caserne  d'un  seul  coup  de  filet,  le 
commandant  de  la  place  arrêté  dans  sa  maison 
particulière. 

Pour  les  régiments,  hommes  de  sac  ou  de  corde 
ou  anciens  esclaves,  prendre  Bagdad  était  peu; 


134  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

l'important  était  de  le  piller.  Ce  qui  fut  fait.  Le 
général  Weitzel,  sous  prétexte  de  rétablir  l'ordre, 
avait  alors  expédié  un  détachement  de  cent  cin- 
quante autres  noirs,  mais  ce  détachement  n'avait 
pu  résister  à  la  contagion  et  s'était  mis  à  piller 
lui-même.  Peut-être  le  général  Weitzel  n'avait-il 
pas  auprès  de  lui  une  seule  troupe  dont  il  fût  sûr 
pour  s'opposer  à  des  désordres  qui  ne  sont  plus 
de  notre  époque.  Le  drapeau  américain  ne  flottait 
pas  d'ailleurs  sur  la  rive  mexicaine.  Des  dépôts 
ou  magasins  publics,  on  avait  passé  aux  maisons 
particulières.  Les  officiers  eux-mêmes  avaient 
pris  la  direction  du  pillage,  sans  doute  pour  avoir 
leur  part.  Afin,  disaient-ils,  de  mieux  protéger 
les  propriétés,  les  Américains  avaient  fait  trans- 
porter tout  ce  que  contenaient  les  maisons  de 
Bagdad  sur  la  rive  texienne  d'abord ,  puis  à 
Brownsville  et  à  Brazos.  C'est  ainsi  que  des  négo- 
ciants avaient  trouvé  à  Clarksville  et  à  Brazos  des 
marchandises  à  leur  marque  qu'on  ne  leur  avait 
pas  rendues.  On  citait  un  colonel  qui  aurait  fait 
échapper  un  négociant  français,  M.  Legrand,  à 
condition  qu'il  lui  donnerait  sa  voiture  et  qui, 
pour  plus  de  sécurité,  s'était  fait  délivrer  d'avance 
un  reçu  de  200  piastres. 

La  lassitude,  le  dégoût  des  violences  ayant 
amené  une  tranquillité  relative,  les  Mexicains 
dissidents   s'étaient    présentés.    Escobedo    avait 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION      135 

nommé  pour  la  forme  un  Mexicain,  Enrique 
Mejia,  au  commandement  de  la  place.  Un  déser- 
teur français,  Sainclair,  s'était  intitulé  capitaine 
du  port  et  président  du  tribunal  des  prises,  et  il 
en  avait  été  de  même  pour  les  autres  emplois. 
Quant  à  la  partie  de  la  garnison  impériale  mexi- 
caine, qui  n'avait  pas  voulu  entrer  dans  les  rangs 
des  libéraux,  elle  était  au  Texas,  internée  par 
l'autorité  américaine  qui,  en  cela,  exécutait  les 
lois  de  la  neutralité.  Dès  que  l'état  de  la  mer  le 
lui  avait  permis,  le  commandant  Collet  s'était 
rapproché  de  terre  autant  que  possible,  pour  être 
prêt  à  recueillir  les  réfugiés  et  à  châtier  les 
bandits  s'ils  se  montraient.  Lorsqu'il  avait  vu  des 
marchandises  livrées  au  pillage  sur  la  côte,  il  avait 
cru  devoir  tirer,  afin  qu'on  ne  pût  pas  dire  que  de 
tels  actes  s'étaient  passés  impunément  sous  ses 
yeux  ;  mais  la  dévastation  n'en  avait  pas  moins 
continué,  et  il  avait  cessé  son  feu  dans  la  crainte 
d'atteindre  le  village  et  des  habitants  inofFensifs. 
Il  était  assez  difficile  de  donner  sa  signification 
réelle  à  un  semblable  événement.  L'agglomération 
des  troupes  noires  sur  la  frontière  en  était  sans 
doute  la  cause  par  la  perspective  du  pillage,  mais 
il  n'avait  pas  eu  l'aveu  direct  des  autorités  améri 
caines.  On  pouvait  même  croire  que  ce  fait  exces- 
sif amènerait  avec  lui  son  remède,  que  le  cabinet 
de  Washington  le  désavouerait,  que  les  généraux 


136  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Sheridan  et  Weitzel  s'apercevraient  que  leurs 
soldats  les  déshonoraient.  On  pouvait  supposer 
que,  si  Bagdad  eût  été  pris  régulièrement,  avec 
ordre  et  sans  pillage  par  les  troupes  américaines 
noires  et  blanches,  c'eût  été  un  fait  de  la  plus 
haute  gravité  et  dont  la  conséquence  était  une 
guerre  très  prochaine,  mais  que  le  débarquement 
d'une  soldatesque  sans  frein  mettrait  moralement 
de  notre  côté  tous  ceux  qui,  aux  État-Unis,  ne 
voulaient  pas  être  rangés  parmi  les  assassins  et 
les  voleurs.  Cette  appréciation  généreusement 
indignée  du  sac  de  Bagdad  nous  permettait  de 
n'y  pas  voir  une  agression  préconçue  des  Améri- 
cains contre  nous  ;  c'était  son  principal  avantage. 
Quant  aux  Américains,  ils  allaient  nier  toute 
participation  à  la  subite  invasion  de  leurs  troupes 
et  tenter  toutefois  d'en  profiter. 

Ce  qui  donnait  pour  nous  à  cet  événement  une 
gravité  immédiate,  c'était  la  présence  dans  le 
Rio-Grande,  —  où  ils  se  trouvaient  pris  entre  Ma- 
tamoros,  qu'un  sort  semblable  à  celui  de  Bagdad 
attendait  peut-être,  et  Bagdad,  occupé  par  les 
libéraux,  —  des  vingt-huit  Français  de  VAntonia. 
Retenus  par  le  général  Mejia,  pas  assez  impérieu- 
sement réclamés  par  le  commandant  Collet,  ils 
n'étaient  pas  encore  à  bord  au  commencement  de 
janvier  1866,  malgré  les  injonctions  très  catégori- 
ques du  commandant  Cloué.  Le  4  cependant,  ils 


I 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVAGUATION      137 

étaient  arrivés  à  Bagdad,  et  Tofficier  qui  les  com- 
mandait, M.  de  la  Bédollière,  était  allé  prendre 
des  ordres  à  bord  de  la  Tisiphone.  Pendant  que  le 
mauvais  temps  l'y  avait  surpris,  les  libéraux 
s'étaient  emparés  de  Bagdad.  Après  l'attaque, 
VAntonia  avait  été  le  refuge  d'une  partie  de  la 
garnison.  Montée  par  ses  vingt-huit  matelots,  que 
commandait  un  brave  homme,  le  second  maître 
canonnier  Le  Guyec,  elle  avait  reçu  quarante 
Autrichiens  et  deux  officiers,  douze  Mexicains 
chargés  de  l'artillerie  de  la  place  et  cent  cinquante 
soldats.  Les  quarante  Autrichiens  et  les  douze 
Mexicains  étaient  destinés  à  composer  l'armement 
de  VAntonia  après  l'évacuation  de  nos  marins,  si 
on  avait  eu  le  temps  de  l'exécuter.  L'avis  du 
second  maître  Le  Guyec  était  de  sortir  du  Rio- 
Grande  et  d'aller  en  rade.  VAntonia  se  fût  sans 
doute  échouée  sur  la  barre,  mais  la  Tisiphone 
serait  parvenue  à  recueillir  tout  le  monde,  et 
nous  n'aurions  pas  eu  plus  tard  dans  le  fleuve  un 
détachement  dont  le  retour  était  problématique. 
L'avis  des  officiers  autrichiens  et  mexicains  fut 
différent,  et  Le  Guyec  céda.  VAntonia  parvint  à 
se  mettre  en  sûreté,  mais  non  sans  combattre,  et 
eut  deux  hommes  tués. 

Le  lendemain,  M.  de  la  Bédollière  retournait  à 
terre,  afin  de  prendre  ses  dispositions  pour  faire 
rentrer  ses  hommes  à  bord  de  leurs  bâtiments, 


138  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

lorsque,  après  avoir  passé  la  barre,  il  apprit  d'un 
homme,  qui  ne  s'aventurait  qu'avec  beaucoup  de 
précautions,  qu'il  n'avait  qu'à  s'en  retourner 
bien  vite  pour  ne  pas  tomber  entre  les  mains 
d'Escobedo,  dont  les  soldats  occupaient  le  village. 
On  n'apercevait,  en  effet,  aucun  des  nôtres  sur  le 
bord  de  la  rivière.  Le  poste  mexicain  était  aban- 
donné. Il  semblait  qu'il  n'y  eût  pas  âme  qui  vive 
à  Bagdad.  Le  pavillon  américain  lui-même  n'était 
pas  hissé  sur  l'autre  bord  à  Clarksville.  Dès  que 
le  canot  de  M.  de  la  Bédollière  eut  changé  de  route, 
le  pavillon  américain  fut  hissé  sur  la  rive  texienne. 
Le  commandant  Collet  allait  porter  la  peine  de 
cette  échauffourée  et  de  la  situation  critique  où  se 
trouvaient  les  hommes  de  VAntonia.  Il  fut  accusé 
de  négligence  dans  l'exécution  des  ordres  qu'il 
avait  reçus,  rappelé  sur-le-champ  à  Vera-Cruz  et 
remplacé  dans  son  service  par  le  capitaine  du 
Tartare.  Le  commandant  Collet  avait  eu  peut-être 
surtout  le  tort  d'être  sur  les  lieux,  de  se  -trop 
émouvoir  de  ce  qu'il  voyait,  et  de  ne  pas  être  assez 
dans  les  confidences  et  les  intentions  de  la  diplo- 
matie. S'il  y  eût  été  davantage,  il  aurait  été  guéri 
de  la  tentation  de  susciter  un  conflit  franco-amé- 
ricain et  se  fût  incliné,  comme  le  commandant 
Cloué  avait  forcément  la  sagesse  de  le  faire,  de- 
vant l'excessive  difficulté  de  résister  ouvertement 
aux  empiétements  des  États-Unis. 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION     139 

On  sait,  en  effet,  qu'une  correspondance  plus 
que  vive  avait  été  échangée  entre  le  commandant 
Cloué,  lors  de  son  arrivée  à  Matamores,  et  le  gé- 
néral Weitzel.  Celui-ci  avait  trouvé  irrespectueu- 
ses les  lettres  du  commandant  Cloué,  qui  avait  re- 
fusé, de  son  côté,  de  recevoir  du  général  américain 
une  lettre  non  signée.  Le  commandant  Cloué  avait 
cru  devoir  soumettre  cette  correspondance  au 
ministre.  Une  première  dépêche  partie  de  Paris, 
le  3  novembre,  lui  avait  permis  d'entrevoir  ce 
qu'on  lui  répondrait.  Il  s'agissait  dans  cette  dé- 
pêche de  ce  qu'il  y  avait  lieu  de  faire  au  sujet  de 
certaines  réclamations  des  États-Unis,  Le  ministre 
des  affaires  étrangères,  que  son  collègue  de  la 
marine  avait  consulté,  admettait  en  principe  que, 
le  gouvernement  de  l'empereur  Maximilien  étant 
aujourd'hui  régulièrement  constitué,  c'était  à  lui 
que  le  gouvernement  de  Washington  devait 
adresser  ses  réclamations,  et  que,  de  notre  côté, 
refusant  de  servir  d'intermédiaires,  nous  étions 
fondés  à  déclarer  que,,  s'il  ne  voulait  point  rentrer 
en  relations  avec  le  cabinet  de  Mexico,  il  n'avait 
qu'à  saisir  de  ses  griefs  l'ex-président  Juarez, 
qu'il  persistait  à  considérer  comme  chef  du  gou- 
vernement mexicain  ;  mais  que  nous  ne  pouvions 
nous  désintéresser  ainsi  de  la  question,  car  ce 
serait  autoriser  le  gouvernement  de  Washington 
à  attaquer  le  gouvernement  de  Maximilien,  et 


140  LA  MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

nous  ne  pourrions  rester  en  dehors  du  conflit; 
qu'il  fallait  donc  jusqu'au  bout  rester  intermé- 
diaires officieux  également  acceptés  à  Mexico  et 
à  Washington.  Le  ministre  ajoutait  en  conclusion 
optimiste  qu'il  était  d'ailleurs  permis  d'espérer 
que  les  incidents  motivant  les  plaintes  des  États- 
Unis  tenaient  à  des  circonstances  d'un  état  pro- 
visoire, qui  ne  se  renouvelleraient  pas. 

Plus  tard,  en  réponse  à  la  correspondance 
Cloué-Weitzel,  le  ministre  des  affaires  étrangères 
reconnaissait  encore  que  la  modération  et  le 
respect  des  lois  internationales  avaient  été  du 
côté  du  commandant  Cloué  ;  et  c'était  dans  ce  sens 
qu'il  s'en  était  expliqué  avec  le  ministre  des 
États-Unis,  chargé  de  se  plaindre  auprès  de  lui 
de  l'attitude  de  nos  autorités  militaires  sur  le 
Rio-Grande.  Il  lui  paraissait  essentiel  toutefois, 
pour  prévenir  le  retour  d'incidents  semblables, 
que  nos  autorités  s'abstinssent,  autant  que  pos- 
sible, d'entrer  en  rapports  directs  avec  les  au- 
torités fédérales  du  Texas,  dont  nous  ne  saurions 
nous  dissimuler  le  mauvais  vouloir  et  l'hostilité 
politique.  Des  explications  échangées  de  cabinet  à 
cabinet  sur  les  incidents  qui  se  produiraient  encore 
s'inspireraient  toujours  de  plus  de  calme  et  de  pru- 
dence qu'il  n'était  possible  d'en  attendre  de  ceux 
qui  s'y  trouvaient  personnellement  engagés. 

Ces   lettres  modérées   eussent  calmé,  en  lui 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION      141 

donnant  à  réfléchir  et  pour  peu  qu'il  n'eût  pas 
abdiqué  toute  prudence,  le  plus  fougueux  adver- 
saire des  États-Unis.  Empreintes  de  cette  sérénité 
de  ton,  de  cette  élévation  dans  la  forme  et  de  cette 
sagesse  digne  et  conciliante  qui  semblait  moins 
se  plier  aux  circonstances  qu'elle  ne  les  dirigeait, 
ces  dépêches  prouvaient  assez  que  le  débat  entre 
les  Américains  et  nous  allait  se  vider  à  Paris,  s'il 
n'était  déjà  en  voie  d'apaisement  et  de  compromis. 
C'est  en  se  conformant  à  l'esprit  de  ces  dépêches 
que  le  commandant  envoyait  le  Tartare  prendre  la 
place  de  la  Tisiphone  au  Rio-Grande,  et  non  en 
suivant  les  inspirations  alors  très  emportées  du 
maréchal. 

Celui-ci,  en  effet,  dans  une  lettre  adressée  au 
général  Mejia,  ripostait  à  la  prise  de  Bagdad  par 
un  mépris  absolu  de  certaines  protestations  amé- 
ricaines. Dans  les  premiers  jours  de  janvier,  le 
général  Mejia  avait  fait  prisonniers  dix-sept  libé- 
raux, qui,  pris  les  armes  à  la  main,  devaient 
d'après  la  circulaire  du  maréchal,  du  11  octobre 
précédent,  être  fusillés.  Ils  avaient  passé  devant 
une  cour  martiale  qui  les  avait  condamnés  ;  seule- 
ment, la  sentence  était  allée  recevoir  sa  sanction 
à  Mexico.  Aussitôt  les  Américains  s'étaient  ëmus. 
Le  général  Weitzel  protesta  au  nom  du  monde 
entier  civilisé  contre  un  pareil  acte  de  barbarie, 
qui  infligerait  à  jamais  au  pouvoir  que  représen- 


142  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

tait  Mejia  une  marque  d'infamie.  La  mise  à  mort 
de  Mexicains  combattant  dans  leur  propre  pays 
et  pour  son  affranchissement  contre  une  nation 
étrangère  devait  être  vouée  à  l'exécration  univer- 
selle. Il  ne  permettrait  pas  que  cela  se  fît  sous  ses 
yeux,  sans  protester  au  noui  de  son  gouvernement 
de  la  façon  la  plus  solennelle.  Le  maréchal  adressa 
simplement  au  général  Mejia  la  dépêche  suivante  : 
—  €  D'après  les  ordres  de  l'empereur,  vous  ferez 
exécuter  le  j  ugement  prononcé  par  la  cour  martiale. 
Sa  Majesté  vous  félicite  de  votre  énergie  et  de 
votre  prudence,  et  compte  toujours  sur  votre  dé- 
voûment.  »  Le  maréchal  lui  apprenait  en  même 
temps  que  la  solde  de  ses  troupes  allait  être  payée 
et  que  l'emprunt  qu'il  avait  contracté  à  Matamores 
était  approuvé.  C'était  le  fortifier  matériellement 
et  moralement,  s'il  était  attaqué  de  nouveau. 
C'était  aussi  mettre  les  Américains  en  demeure 
de  se  prononcer. 

Le  Tartare  partait  avec  un  simple  rôle  d'oserva- 
tion  à  jouer  et  la  mission  assez  délicate  de  re- 
prendre, par  le  territoire  américain,  nos  hommes 
de  VAntonia.  Bagdad  étant  au  pouvoir  des  libé- 
raux, il  lui  était  défendu  de  communiquer  avec 
Matamores  par  le  Rio-Grande.  Dans  les  rapports 
officiels  qu'il  aurait  avec  le  commandant  de  Brazos 
et  dans  le  cours  de  la  conversation,  il  avait  à 
sonder  cet  officier  général  pour  qu'il  consentît 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION     143 

soit  à  faire  passer  une  dépêche  au  général  Mejia, 
soit  à  permettre  à  nos  hommes  de  nous  revenir 
par  le  Texas.  Dans  ce  cas,  il  était  probable  qu'on 
exigerait  qu'ils  rentrassent  sans  armes.  Ils  de- 
vaient alors  les  jeter  à  l'eau  avant  de  toucher  le 
bord  américain,  et  le  second  maître  Le  Guyec 
non  seulement  ne  devait  pas  arborer  le  drapeau 
français,  mais  le  'détruire,  s'il  en  avait  un.  Il 
devait  être  entendu  que  les  américains  protége- 
raient et  feraient  escorter  nos  hommes.  Le  blocus 
n'étant  pas  déclaré,  le  capitaine  du  Tartare  n'avait 
pas  à  visiter  de  navires.  Il  pouvait  observer  si 
quelques-uns  d'entre  eux  ne  transportaient  pas  de 
personnel.  Mais  comme  le  Rio-Grande  était  aussi 
bien  américain  que  mexicain,  il  n'avait  point  à 
rechercher  si  les  soi-disantémigrants  étaient  plutôt 
pour  le  Texas  que  pour  le  Mexique. 

Le  capitaine  du  Tartare,  M.  Delaplanche,  était 
plus  capable  que  tout  autre  de  bien  s'acquitter 
de  ces  différents  soins,  car  il  allie  à  un  esprit 
original  un  sens  pratique  excellent.  Très  sage  et 
très  vigoureux  à  la  fois,  il  parlait  parfaitement 
anglais  et  connaissait  personnellement  plusieurs 
des  principaux  chefs  américains.  Toutefois  il 
allait  être  arrêté  par  un  malentendu.  A  peine 
arrivé  à  Brazos,  il  alla  voir  le  général  Clarke,  qui 
le  reçut  très  poliment,  fit  transmettre  immédiate- 
ment sa  demande  du  passage  des   hommes  de 


144  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

VAntonia  par  le  Texas  au  général  en  chef,  en  ras- 
surant que  celui-ci  s'y  montrerait  favorable.  Ce 
fut  alors  qu'en  causant  de  différents  sujets,  le  gé- 
néral lui  apprit  que,  sur  la  requête  de  citoyens 
américains,  Bagdad  venait  d'être  régulièrement 
occupé  par  le  régiment  du  colonel  White.  Il  ne 
s'agissait  que  de  maintenir  l'ordre,  et  le  choix  du 
colonel  White  était  excellent.  Le  général  Clarke 
ne  faisait  point,  en  outre,  difficulté  de  dire  que 
cette  occupation  de  Bagdad  lui  était  désagréable 
et  que  les  Américains  s'en  iraient  avec  plaisir,  si 
une  force  impérialiste  suffisante  voulait  prendre 
leur  place.  Il  n'y  en  avait  pas  moins,  cette  fois, 
une  flagrante  violation  de  la  neutralité  ;  car,  à  la 
rigueur,  l'invasion  désordonnée  des  noirs  pouvait 
s'appeler  un  accident.  Le  capitaine  Delaplanche 
n'hésita  pas  à  le  déclarer  au  général  Clarke  et,  se 
voyant  éconduit  par  d'évasives  réponses,  il  n'in- 
sista plus  sur  l'objet  particulier  de  sa  mission, 
protesta  par  écrit  et  revint  en  toute  hâte  à  Vera- 
Cruz  prévenir  le  commandant  Cloué. 

Celui-ci  était  déjà  instruit  de  l'incident  et  croyait 
que  le  Tartare  lui  apportait  la  nouvelle  de  la  prise 
de  Matamores.  Il  fut  tenté  de  le  renvoyer,  mais  ce 
bâtiment  avait  un  besoin  urgent  de  réparations 
et  alla  pour  quelques  jours  à  la  Havane.  U Adonis 
partit  pour  le  Rio-Grande  avec  les  mêmes  instruc- 
tions que  le  Tartare.  Il  portait  en  même  temps 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVAGUATION     145 

au  général  Mejia  une  dépêche  qui  était  un 
ordre  de  se  dessaisir  des  marins  de  VA7itoma.  Il 
devait  trouver  en  arrivant  toutes  les  difficultés 
aplanies.  Bagdad  venait  d'être  rendu  aux  impé- 
riaux de  la  façon  la  plus  simple.  Au  premier  bruit 
de  son  occupation  par  le  colonel  White,  le  colonel 
autrichien  Kodolich  s'était  offert  au  général  Mejia 
pour  aller  demander  des  explications  au  général 
Wcitzel.  Celui-ci  avait  prétendu,  loin  que  la  neu- 
tralité fût  violée,  n'avoir  occupé  Bagdad  que  sur 
la  demande  formelle  et  écrite  du  général  dissident 
Escobedo,  qui  ne  se  sentait  pas  assez  fort  pour  pro- 
téger les  personnes  et  les  propriétés  de  Bagdad. 
C'était,  à  peu  de  chose  près,  ce  qu'avait  dit  le 
général  Clarke  au  capitaine  Delaplanche.  Il  avait 
montré  la  lettre  d'Escobedo  au  colonel  Kodolich 
en  ajoutant  qu'il  était  prêt  à  rendre  la  place  à  une 
troupe  régulière  impérialiste,  ne  fût-elle  que  de 
vingt-cinq  hommes.  Le  colonel  Kodolich,  ayant 
rendu  compte  de  sa  mission  à  Mejia,  avait  reçu  le 
commandement  d'un  petit  corps  expéditionnaire 
dont  faisaient  partie  les  marins  de  la  Tisiphone 
et  s'était  transporté  avec  deux  vapeurs  de  Mata- 
mores à  Bagdad,  dont  il  avait  repris  possession  au 
nom  de  l'empereur,  le  25  janvier. 

Les  Américains  évacuaient  Bagdad  au  moment 
où  les  impériaux  quittaient  Matamores.  Les  eaux 
étant  basses,  le  trajet  des  deux  vapeurs,  par  suite 

10 


146  TA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

d'échouages  successifs,  avait  été  long-.  Les  libé- 
raux en  avaient  profité  pour  faire  le  pillage  de 
Bagdad  et  n'avaient  repassé  sur  l'autre  rive  qu'une 
demi-heure  avant  l'arrivée  de  la  troupe  du  colonel 
Kodolich.  VAdonis  dès  lors  n'avait  plus  qu'à 
attendre  le  Tartare,  dont  le  rôle  se  réduisait  à 
surveiller  Bagdad  et  à  le  protéger  au  besoin. 

A  quel  sentiment  les  Américains  venaient-ils  de 
céder?  Avaient-ils  voulu  revenir  sur  l'acte  vrai- 
ment odieux  de  l'invasion  de  Bagdad,  ou  s'étaient- 
ils  inquiétés  des  vivacités  et  des  préparatifs  du 
maréchal  ?  Savaient-ils  que  le  Lutin,  partant  en 
même  temps  que  V Adonis,  portait  une  dépêche 
que  le  capitaine  devait  remettre  au  commandant 
en  chef  des  troupes  américaines  sur  la  frontière 
du  Texas,  si  ses  forces  occupaient  encore  Bagdad? 
Il  est  plus  probable  que  l'action  diplomatique  du 
cabinet  de  Washington  se  faisait  sentir  au  Texas 
comme  celle  du  cabinet  français  s'était  manifestée 
dans  les  derniers  événements.  Le  gouvernement 
de  l'empereur  Napoléon  avait  reçu,  en  effet,  les 
assurances  officielles  que,  malgré  les  sympathies 
avérées  des  généraux  qui  commandaient  au  Texas 
pour  les  ennemis  de  la  cause  que  nous  soutenions, 
il  n'y  aurait  point  intervention  des  Etats-Unis 
dans  la  question  mexicaine.  Ces  assurances  négo- 
ciées entre  les  deux  cabinets  recevaient  leur  exé- 
cution. 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      147 

Le  départ  de  nos  forces  pour  le  Nord  avait  laisse 
le  Midi  libre,  et  le  Tabasco  en  avait  profité  pour 
commencer  les  préparatifs  d'une  expédition  contre 
le  Yucatan.  L'expédition  s'organisait  dans  le 
Tabasco,  le  Chiapas  et  à  Minatitlan.  Les  libéraux 
comptaient  opérer  un  soulèvement  dans  le  Yuca- 
tan à  l'aide  des  nombreux  adhérents  qu'ils  y 
avaient.  Alejandro  Garcia  et  les  Chiapanteros 
avaient  promis  des  troupes  pour  le  mois  de  février. 
Ces  troupes,  se  joignant  à  celles  du  Tabasco,  de- 
vaient battre  le  canton  de  Jonuta,  piller  Palizada, 
passer  par  Marmontel  et  Champoton  et,  de  là, 
soulever  le  Yucatan.  Les  libéraux  de  Campêche 
étaient  prêts,  et  Alejandro  Garcia  était  à  San-Juan- 
Bautista  pour  régler  toutes  les  dispositions. 

D'un  autre  côté,  Arevalo,  qui  était  à  la  Havane, 
songeait  à  un  coup  de  main  sur  Carmen.  Il  avait 
toutefois  offert  ses  services  aux  Tabasquefios,  qui 
ne  les  avaient  point  acceptés  ;  mais  cette  fois  Pratz, 
à  San-Juan-Bautista ,  était  d'avis  de  l'accueillir 
pour  opérer  une  diversion  utile  à  l'intérêt  général. 

C'en  était  trop,  et  les  ménagements  qu'on  avait 
eus  jusqu'alors  pour  le  Tabasco  ne  pouvaient  aller 
jusqu'à  le  laisser  libre  de  reconstituer  à  son  profit 
seul  toute  une  république  fédérative  au  sud  du 
Mexique,  tandis  que  notre  domination  était  ail- 
leurs si  précaire  et  tellement  battue  de  tous  côtés 
d'ennemis  secrets  et  acharnés.  Mais  que  faire? 


448  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

En  revenir  à  ce  projet  si  longtemps  controversé 
d'une  expédition  contre  le  Tabasco  était  un  coup 
bien  décisif.  Le  Tabasco  était  fort,  et  avec  nos 
forces  partout  éparpillées  et  à  toutes  distances, 
relativement  nous  étions  faibles  ;  puis  il  en 
coûtait  de  frapper  cruellement  et  sans  retour  des 
gens  qui  n'avaient  pas  semblé  toujours  nous  être 
décidément  hostiles  et  dont  quelques-uns  même 
avaient  affiché  leurs  sympathies  pour  nous.  Le 
maréchal  crut  trouver  un  moyen  terme  dans  une 
opération  contre  Tlacotalpam.  Située  sur  la 
rivière  d'Alvarado,  non  loin  de  Tuxtla,  surveillant 
le  cours  supérieur  de  la  rivière  et  de  ses  affluents, 
interceptant  la  contrebande  si  active  de  l'intérieur 
entre  la  province  de  Vera-Cruz  et  le  Tabasco, 
Tlacotalpam  était,  entre  nos  mains,  la  véritable 
sentinelle  avancée  de  notre  domination  au  Midi. 
Nous  montrions  aux  Tabasquenos  de  quoi  nous 
étions  capables  et  recouvrions  à  leurs  yeux  le 
prestige  quelque  peu  perdu  de  nos  armes.  Ils 
sauraient  alors,  en  face  de  la  diminution  de  leurs 
ressources  et  serrés  par  notre  voisinage,  s'il  était 
convenable  pour  eux  de  nous  braver  plus  long- 
temps. 

Dès  le  mois  de  décembre,  le  maréchal  avait 
demandé  au  commandant  Cloué  quelles  forces  la 
marine  pourrait  mettre  à  sa  disposition.  Le  com- 
mandant avait  proposé  de  faire  remonter  à  Tlaco- 


I 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'eVACUATION      149 

talpam  la  canonnière  la  Tempête,  en  station  à 
Alvarado,  la  Pique,  la  Tactique,  qui  eussent  porté 
deux  cents  hommes  de  débarquement  avec  trois 
ou  quatre  pièces  de  4  rayées  sur  affût  de  cam- 
pagne et  les  deux  chaloupes  à  vapeur  de  Vera- 
Cruz  armées  d'un  canon  de  4.  Mais  autant,  l'année 
précédente  et  sans  relâche  depuis  lors,  le  com- 
mandant Cloué  avait  témoigné  d'ardeur  et  d'ini- 
tiative pour  l'expédition  de  Tabasco,  autant  il  se 
montrait  peu  enclin  à  celle  de  Tlacotalpam. 

Il  s'agissait,  en  effet,  de  savoir  ce  qu'on  ferait 
de  Tlacotalpam.  C'était  la  quatrième  fois  qu'on 
allait  le  prendre.  En  1862,  après  s'en  être  emparé, 
on  l'avait  évacué  deux  fois  par  suite  de  l'impos- 
sibilité de  se  procurer  des  vivres,  les  habitants 
ayant  abandonné  le  pays.  En  1864,  sur  la  promesse 
d'une  protection  efficace  de  notre  part,  les  habi- 
tants étaient  restés,  mais  la  garnison  laissée  par 
le  commandant  Maréchal  était  retranchée  sur  la 
place  de  l'Ayuntamiento,  dont  un  côté  est  formé 
parle  bord  de  la  rivière,  et  elle  y  avait  été  assiégée 
jour  et  nuit.  Au  bout  de  vingt-huit  jours  de  cette 
occupation  trop  peu  sérieuse,  on  s'était  rembar- 
qué, et  les  habitants  avciient  eu  à  souffrir  des 
vengeances  des  dissidents. 

Si,  cette  fois,  on  n'avait  que  l'intention  de 
prendre  la  ville  sans  la  garder,  les  habitants, 
pensant  que  nous  les  abandonnerions  encore,  ne 


150  LA   MARINE  FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

nous  verraient  venir  que  d'un  très  mauvais  oeil  ; 
puis,  à  quoi  bon  cette  expédition  nouvelle  sans 
lendemain ,  sinon  à  constater  une  fois  de  plus 
notre  impuissance?  Le  commandant  Cloué,  con- 
sulté par  le  maréchal,  allait  dire  son  avis  avec  sa 
franchise  ordinaire.  Il  devait  se  concerter  pour 
l'expédition  qui  se  faisait  à  la  fois  par  terre  et  par 
mer  avec  le  commandant  supérieur  de  Vera-Cruz, 
le  chef  de  bataillon  Kmarec.  Tous  deux  s'éclairè- 
rent de  l'opinion  de  M.  Gaude,  capitaine  de  la 
Tempête,  en  station  à  Alvarado  depuis  deux  ans, 
et  du  lieutenant  Waldéjà,  servant  à  Vera-Cruz  et 
ayant  fait  la  dernière  expédition  de  Tlacotalpam. 
En  ce  qui  regardait  le  plan  de  campagne,  il  n'y 
avait  pour  la  marine  aucune  difficulté  à  remonter 
jusqu'à  Tlacotalpam  et  à  s'en  rendre  maître.  La 
position  fortifiée  du  Conejo,  située  à  mi-chemin 
entre  Alvarado  et  Tlacotalpam  et  dominant  le 
cours  de  la  rivière,  n'était  pas  un  obstacle  sérieux. 
Nous  essuierions  son  feu  probablement  sans 
aucune  perte  en  remettant  sa  prise  au  retour  des 
canonnières,  si  nous  jugions  que  cela  dût  nous 
retenir  trop  longtemps  en  allant  à  Tlacotalpam. 
Les  bâtiments  de  l'expédition  étaient  ceux  qu'avait 
indiqués  le  commandant.  De  son  côté,  le  capitaine 
Testard,  commandant  la  colonne  expéditionnaire, 
devait  s'acheminer  par  la  Estanzuela  et  Casamo- 
loapam.  Il  partirait  deux  jours  après  l'ordre  reçu, 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'bVACUATION      151 

et,  ayant  opéré  la  jonction  de  ses  divers  détache- 
ments vers  San-Julian,  il  s'emparerait  de  la 
Estanzuela,  où  se  trouvait  la  principale  force  de 
l'ennemi,  puis  se  dirigerait  de  là  sur  Casamoloa- 
pam  et  enfin  sur  Tlacotalpam. 

Le  trajet  total,  à  partir  de  la  Soledad,  serait  de 
sept  jours.  Chemin  fciisant,  pour  assurer  ses 
derrières,  il  devait  laisser  cent  hommes  à  la 
Estanzuela  et  cent  cinquante  à  Casamoloapam,  ce 
qui  lui  faisait  continuer  sa  route  entre  ce  dernier 
point  et  Tlacotalpam  avec  trois  cent  cinquante 
hommes  seulement;  mais  c'était  assez.  Toutefois, 
si  Tlacotalpam  était  facile  à  prendre,  il  fallait  le 
gcirder.  Dans  l'opinion  du  commandant  de  Kmarec 
et  du  commandant  Cloué,  la  conséquence  de  l'expé- 
dition devait  être  l'occupation  du  pays,  pour  assu- 
rer le  ravitaillement  de  Tlacotalpam  et  des  autres 
garnisons,  et  afin  que  les  habitants  se  trouvassent 
engagés  à  rester  chez  eux  et  à  s'occuper  sous 
notre  protection  du  commerce  et  de  la  culture. 
Pour  cela,  il  fallait  répartir  les  forces  ainsi  qu'il 
suit  :  cent  hommes  à  la  Estanzuela ,  cent  cin- 
quante à  Casamoloapam,  cent  à  Tlacotalpam,  avec 
une  canonnière,  sans  compter  celle  qui  serait  à 
Alvarado ,  soixante-quinze  hommes  au  Cocuite  et 
vingt-cinq  au  Conejo;  en  tout,  quatre  cent  cin- 
quante. On  occuperait  le  Conejo,  parce  que  la 
route  de  San-Andrès  et  d'Acayucan  était  ouverte 


152  LA   MARWE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

aux  libéraux,  qui  viendraient  là  inquiéter  nos 
communications  par  eau  entre  Alvarado  et  Tlaco- 
talpam.  Il  en  était  de  même  du  Cocuite,  d'où 
l'ennemi  eût  menacé  Medellin  et  Vera-Cruz. 

Qu'allait  répondre  le  maréchal  ?  On  pouvait 
déjà  le  prévoir  par  le  peu  de  forces  qu'il  mettait 
à  la  disposition  du  commandant  de  Kmarec  pour 
opérer  par  terre.  De  plus,  ces  forces  (six  cents 
hommes)  devaient  être  prises  dans  les  garnisons 
des  environs  du  chemin  de  fer,  depuis  Cordova 
jusques  et  y  compris  Vera-Cruz,  et  momentané- 
ment remplacées  dans  les  garnisons  par  des 
soldats  congédiés  qui  attendaient  la  première 
occasion  favorable  pour  rentrer  en  France.  On  ne 
voyait  pas  trop  alors  avec  quelles  troupes  on 
occuperait  les  points  dont  on  devait  s'emparer; 
car  le  maréchal  avait  indiqué  pour  Tlacotalpam 
seulement  deux  compagnies  mexicaines,  dont  le 
premier  homme  n'était  pas  encore  levé. 

En  revanche,  les  difficultés  augmentaient.  On 
venait  d'apprendre  d' Alvarado  que  le  général 
Garcia,  dans  le  cas  de  l'expédition  contre  Tlaco- 
talpam, comptait  se  retirer  sur  San-Andrès.  Il 
avait  affiché  à  la  population  l'ordre  de  reculer 
devant  nous  et  l'avis  que  quiconque  nous  fourni- 
rait des  vivres  serait  fusillé.  Son  projet,  comme 
on  l'avait  présumé,  était  d'empêcher  les  commu- 
nications entre    Tlacotalpam   et    Alvarado.    Le 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION     153 

maréchal  répondit  par  l'ordre  pur  et  simple  de 
faire  l'expédition.  Encore  diminuait-il  le  nombre 
des  troupes.  Il  annonçait,  il  est  vrai,  pour  garder 
Tlacotalpam,  le  seul  point  dont  il  parlât,  trois 
cents  hommes  d'infanterie  mexicaine  sous  le 
colonel  Camacho  et  deux  cent  cinquante  cavaliers 
du  colonel  Figuerero. 

Il  invitait  le  commandant  Cloué,  comme  si  la 
chose  eût  été  la  plus  aisée  du  monde,  à  prendre 
des  mesures  pour  éviter  la  désertion  dans  les 
troupes  mexicaines,  quand  elles  seraient  en  gar- 
nison à  Tlacotalpam  et  à  protéger  ainsi  qu'à 
ravitailler  sûrement  la  ville  avec  les  canonnières. 
Comme  concession,  il  l'autorisait  à  régler  comme 
il  l'entendrait,  et  s'il  le  fallait  absolument,  les 
garnisons  d'Alvarado  et  du  Conejo ,  mais  lui  re- 
commandait de  n'y  pas  employer  les  troupes  qui 
devaient  concourir  à  l'expédition.  Comme  il  n'y 
en  avait  pas  d'autres,  où  prendre  celles  qui  étaient 
nécessaires?  On  pouvait  admettre  dès  lors  que 
l'expédition  de  Tlacotalpam  n'avait  point,  dans 
la  pensée  du  maréchal,  de  portée  sérieuse,  et  qu'il 
ne  jouait  en  la  faisant  qu'une  de  ces  hésitantes 
parties  auxquelles  on  se  croit  forcé  pour  gagner 
du  temps,  mais  pour  lesquelles  on  désire  faible- 
ment, si  même  on  ne  les  craint,  les  faveurs  de  la 
fortune.  Il  était  également  trop  certain  que  les 
troupes  mexicaines,    une  fois  seules,  seraient 


154  LA  MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

attaquées  constamment  et  cernées,  ne  se  procu- 
reraient des  vivres  pour  les  hommes  et  les  chevaux 
que  par  la  rivière  d'Alvarado,  sous  la  protection 
éventuelle  de  nos  canonniers,  qu'elles  fondraient 
alors  sous  la  désertion,  et  qu'une  nouvelle  éva- 
cuation s'ensuivrait. 

Mais  à  la  guerre  il  faut  obéir,  quelque  opinion 
qu'on  puisse  avoir  du  résultat.  Le  22  mars,  le 
commandant  Cloué  partit  de  Vera-Cruz  pour 
Tlacotalpam.  Il  avait  avec  lui  la  cannonière  la 
Tempête,  capitaine  Gaude,  armée  d'un  canon  rayé 
de  30,  deux  rayés  de  12,  deux  rayés  de  4,  un  obu- 
sier  de  12;  la  Pique,  capitaine  Lagrange,  un  canon 
rayé  de  30,  un  canon  de  12,  deux  de  4,  deux  mor- 
tiers de  0'",22;  la  Diligente,  capitaine  Revault, 
un  canon  rayé  de  30,  deux  canons  de  4;  la  Tac- 
tique, capitaine  Rouault-Coligny,  un  canon  de  30 
rayé,  un  obusier  de  30,  un  rayé  de  12,  deux  canons 
de  4;  la  chaloupe  à  vapeur  VAugustine,  capitaine 
de  Fitz-James,  un  canon  rayé  de  4;  la  compagnie 
de  débarquement  du  Magellan,  cent  trente  et  un 
hommes  et  deux  canons  rayés  de  4  ;  celle  de  la  Tisi- 
phone,  soixante-quatre  hommes  et  un  canon  rayé 
de  4;  celle  de  V Adonis,  quarante-trois  hommes  et 
un  canon  rayé  de  4;  une  section  du  génie  colonial 
de  trente  sapeurs  :  ce  qui  formait  comme  total  des 
compagnies  de  débarquement  onze  officiers,  deux 
cent  soixante-huit  hommes  et  quatre  canons. 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'KVACUATION     155 

Le  24  mars,  au  matin,  l'escadrille  entrait  dans 
la  rivière  d'Alvarado,  essuyait  sans  s'arrêter  le 
feu  du  Conejo  et  mouillait  à  midi  devant  Tlaco- 
talpam.  La  garnison  s'était  contentée  de  décharger 
ses  armes  sur  elle  en  se  retirant  avec  précipita- 
tion. La  plus  grande  partie  des  habitants  s'était 
réfugiée  dans  l'intérieur.  Personne  ne  voulant 
communiquer  avec  nous,  le  commandant  ne  put 
avoir  de  nouvelles  de  la  colonne  expéditionnaire 
du  capitaine  Testard.  On  lui  envoya  seulement 
demander  l'assurance  qu'il  ne  tirerait  pas  sur  la 
ville.  Le  commandant  le  promit  à  la  condition 
qu'il  ne  serait  commis  aucun  acte  d'hostilité 
contre  nous.  C'était  aux  habitants  à  veiller  sur 
les  mauvais  sujets  qui  pouvaient  les  compro- 
mettre. Le  commandant  ajouta  qu'à  chaque  balle 
il  répondrait  par  un  obus. 

D'ailleurs,  le  vide  se  faisait  autour  de  nous.  Il 
n'y  avait  personne  en  ville  pour  prendre  en  main 
l'autorité  civile.  Les  gens  qui  eussent  pu  le  faire 
étaient  partis,  et  aucun  de  ceux  qui  restaient  ne 
voulait  accepter,  de  peur  de  se  compromettre.  Il 
ne  se  présentait  enfin  personne  pour  nous  vendre 
des  provisions.  Le  commandant  Cloué,  tenant 
Tlacotalpam  sous  ses  canons,  se  résolut  à  ne 
l'occuper  que  lorsqu'il  aurait  des  nouvelles  cer- 
taines de  la  marche  du  capitaine  Testard.  Dès  le 
lendemain,  il  envoya  la  Tactique  porter  à  Al  va- 


156  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

rado  une  dépêche  pour  le  maréchal.  En  allant  et 
revenant,  cette  canonnière  était  accueillie  au 
Conejo  par  un  feu  plus  vif  que  ne  l'avait  essuyé 
l'escadrille.  L'ennemi  avait  eu  le  temps  de  se 
porter  en  nombre  au  Conejo,  dont  il  connaissait 
l'importance.  Le  même  jour,  la  Diligente  et  VAu- 
gustine  s'acheminaient  en  remontant  la  rivière 
vers  Casamoloapam,  afin  d'aller  à  la  rencontre 
possible  de  la  colonne  Testard.  Les  eaux  étaient 
très  basses;  la  Diligente  s'échoua  souvent  et  dut 
s'arrêter  à  environ  4  milles  de  Casamoloapam,  à 
un  endroit  où  la  rivière  est  entièrement  fermée 
par  un  banc  qui  va  d'une  rive  à  l'autre.  Elle  était 
alors  à  un  tournant  de  la  rivière  à  2.200  mètres 
de  Casamoloapam,  c'est-à-dire  à  une  très  bonne 
distance  pour  son  canon  rayé  de  30.  Elle  ne  tira 
pas,  car  cela  eût  été  sans  utilité.  Pendant  tout 
son  voyage,  surtout  à  partir  d'Amatlan,  qui  est 
à  peu  près  à  mi-chemin  de  Tlacotalpam  à  Casamo- 
loapam, la  Diligente  avait  été  accompagnée  le  long 
des  rives  par  une  nombreuse  cavalerie  faisant  de 
la  fantasia,  ce  qui  donnait  à  penser  que  le  capitaine 
Testard  n'était  pas  dans  les  environs.  Toutefois 
aucun  de  ces  cavaliers  n'avait  tiré,  quoique  la 
Diligente  et  sa  conserve  eussent  dû  souvent  ran- 
ger des  berges  hautes ,  recouvertes  de  buissons 
épais  d'où  on  eût  pu  leur  faire  impunément  beau- 
coup de  mal. 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'eVACUATION      157 

'VAugustine,  qui  sondait  continuellement  pour 
guider  la  canonnière,  s'était  trouvée  souvent  do- 
minée de  manière  à  n'avoir  personne  à  l'abri.  On 
ne  pouvait  s'expliquer  cette  modération  de  la  part 
des  libéraux  que  par  la  crainte  de  voir  le  com- 
mandant Cloué  prendre  contre  Tlacotalpam  des 
mesures  de  représailles,  si  on  lui  tuait  du  monde 
sur  la  Diligente  et  VAugustine,  En  résumé,  la 
course  de  ces  deux  petits  bâtiments  jusqu'à  Casa- 
moloapam  n'apportait  aucune  espèce  de  nouvelles 
de  la  colonne  Testard.  Toutes  les  communications 
étaient  gardées  par  terre,  de  manière  à  nous 
laisser  dans  l'ignorance  la  plus  complète  de  ce 
qui  se  passait  dans  le  pays.  Quelques  pauvres 
gens  auxquels  on  avait  parlé,  ou  ne  savaient  rien, 
ou  ne  disaient  rien  par  suite  de  la  défense  d'avoir 
aucune  communication  avec  nous,  sous  les  peines 
les  plus  sévères.  Le  général  Alejandro  Garcia 
avait  en  effet  proclamé  que  les  relations  qu'on 
aurait  avec  nous,  même  les  plus  innocentes, 
feraient  encourir  la  peine  de  mort. 

Le  21  au  soir  seulement,  après  le  retour  de  la 
Diligenfej,  une  pirogue  passant  le  long  du  bord 
apprit  au  commandant  Cloué  que  la  colonne  Tes- 
tard était  arrivée  à  Casamoloapam.  Le  comman- 
dant fit  aussitôt  repartir  la  Diligente  et  occupa 
Tlacotalpam.  Il  s'y  installait,  quand  il  reçut  du 
capitaine  Testard  un  billet  ainsi  conçu  :  «  Je  suis 


158  LA  MARIÎs^E  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

à  Casamoloapam.  J'ai  détruit  de  nombreux  ou- 
vrages. Je  crois  utile  de  laisser  une  troupe  assez 
forte  à  Casamoloapam,  qui  peut  être  tourné.  Il  y 
a  une  grande  crainte  dans  le  pays.  Les  troupes 
sont  très  fatiguées.  »  Le  commandant  lui  écrivit 
de  laisser  à  Casamoloapam  ce  qu'il  jugerait  con- 
venable de  son  monde  et  de  venir  avec  le  reste  à 
Tlacotalpam. 

La  colonne  du  capitaine  Testard  arriva  tout 
entière  le  30  mars,  au  matin.  Dès  qu'il  n'avait 
plus  jugé  la  présence  d'un  petit  corps  nécessaire 
à  Casamoloapam  pour  assurer  ses  derrières,  le 
capitaine  l'avait  en  effet  rappelé  à  lui.  11  n'avait 
rencontré  sur  sa  route  aucune  résistance,  bien 
que  plusieurs  points  eussent  été  tout  récemment 
fortifiés,  comme  si  l'ennemi  avait  voulu  s'y  main- 
tenir. Il  est  probable  que  les  libéraux,  après  avoir 
laissé  à  dessein  ce  passage  libre,  se  reformaient 
derrière.  On  venait  d'apprendre  que  le  lendemain 
du  départ  du  détachement  de  Casamoloapam, 
l'ennemi  était  rentré  dans  la  place.  En  même 
temps  que  la  colonne  Testard,  le  commandant 
avait  reçu  de  Vera-Cruz,  par  Alvarado,  la  troupe 
régulière  mexicaine  du  colonel  Camacho.  C'étaient 
cent  quarante  hommes,  mais  privés  de  tout.  Ils 
n'avaient  ni  sergents,  ni  caporaux,  ce  qui  rendait 
leur  emploi  très  difficile.  Il  y  avait  bien  un  fusil 
par  homme,  mais  les  cartouches  n'étaient  pas  de 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION     159 

calibre.  Les  fusils  étaient  rayés,  et  les  cartouches 
à  balle  ronde,  trop  petite.  Ces  fusils  n'étaient  d'ail- 
leurs que  des  armes  de  traite,  tels  que  les  Anglais 
les  vendent  aux  nègres  de  la  côte  d'Afrique, 
valant  de  6  à  10  francs  pièce  et  plus  dangereux 
pour  ceux  qui  s'en  servent  que  pour  l'ennemi. 
Les  pauvres  soldats  n'avaient,  en  outre,  ni  une 
gamelle,  ni  un  bidon,  absolument  rien  pour  faire 
cuire  leurs  aliments,  ni  tentes,  ni  effets  d'habille- 
ment, ni  approvisionnements  de  guerre.  Pas  plus 
de  médecin  que  de  médicaments.  Cette  troupe, 
dont  le  colonel  disait  qu'on  avait  laissé  les  meil- 
leurs soldats  à  Puebla,  ce  qui  était  regrettable, 
car  Tlacotalpam  ne  pouvait  manquer  d'être  atta- 
qué, était,  ainsi  dénuée,  le  chef-d'œuvre  adminis- 
tratif de  l'incurie  mexicaine. 

Celle  du  colonel  Figuerero,  qui  avait  suivi  la 
colonne  Testard,  n'inspirait,  à  cause  de  son  chef, 
aucune  confiance.  Cet  officier  supérieur  devait  se 
faire  payer  des  hommes  qui  n'existaient  pas  ou 
n'existaient  plus  dans  son  corps.  Il  avait  prétendu 
et  écrit  avoir  deux  cent  cinquante  hommes  et 
n'en  alignait  que  deux  cent  dix-neuf.  Il  alléguait 
en  vain  qu'ils  étaient  dans  les  hôpitaux,  aux  en- 
virons de  Vera-Cruz.  On  avait  le  droit  de  ne  pas 
le  croire.  On  savait  trop  ce  qui  se  passait  d'ordi- 
naire dans  sa  troupe,  lorsqu'elle  était  près  d'Alva- 
rado.  On  n'y  voulait  ni  docteur,  ni  remèdes,  quand 


160  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

les  soldats  étaient  malades.  On  ne  disait  rien 
quand  ils  étaient  morts,  et  on  continuait  à  toucher 
leur  solde.  C'était  tout  profit.  Par  économie,  on 
ne  nourrissait  pas  les  soldats,  et  c'était  le  motif 
qui,  un  an  auparavant,  avait  fait  déserter  la 
garnison  d'Alvarado  tout  entière.  Le  commandant 
ne  pouvait  qu'informer  le  commandant  supérieur 
de  Vera-Cruz  de  la  complète  détresse  de  la  troupe 
Camacho  et  le  prier  de  s'adresser  à  qui  de  droit 
pour  y  porter  remède. 

On  était  à  Tlacotalpam,  mais  la  situation  s'an- 
nonçait pour  l'avenir  telle  qu'on  l'avait  prévue. 
Nous  acquérions  la  certitude  que  le  général  Garcia 
s'était  fait  aimer  en  ce  pays  et  qu'on  l'y  regrettait  ; 
cela  rendait  notre  rôle  d'autant  plus  difficile.  Les 
habitants  continuaient  à  s'isoler  de  nous.  Le  peu 
qui  consentaient  à  causer  avec  nous  disaient: 
«  Vous  nous  avez  abandonnés,  il  y  a  deux  ans,  en 
dépit  de  vos  promesses,  et  livrés  à  la  vengeance 
des  libéraux.  Malgré  cela,  la  majorité  serait  encore 
avec  vous,  si  elle  croyait  ne  pas  être  encore  aban- 
donnée de  nouveau  ;  mais  vous  venez  de  traverser 
le  pays  sans  occuper  les  points  dont  il  faut  être 
maître  pour  le  dominer;  nous  en  concluons  que 
vous  ne  voulez  pas  plus  que  précédemment  y  de- 
meurer, et  vous  ne  pouvez  pas  rester  dans  cette 
ville  sans  une  grande  force,  Tlacotalpam  étant 
vulnérable   partout.  C'est  pourquoi  nous   nous 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'eVAGUATION      161 

tenons  à  Pëcart  en  attendant  que  les  événements 
se  dessinent.  > 

Il  n'était  que  trop  vrai  que  Tlacotalpam  était 
presque  sans  défense  et  les  troupes  mexicaines 
chargées  de  le  garder  parfaitement  insuffisantes. 
Déjà  la  désertion  se  mettait  parmi  elles.  Trois 
soldats  de  Camaclio  avaient  disparu,  soit  par  suite 
du  dénûment  où  ils  se  trouvaient,  soit  à  cause  de  la 
perspective  de  ce  qu'ils  auraient  à  souffrir  plus 
tard.  Ils  apprenaient,  en  effet,  que,  pendant  la 
saison  des  pluies,  la  ville  de  Tlacotalpam  était 
inondée  au  point  que  les  rez-de-chaussée  devenaient 
inhabitables  et  qu'on  ne  circulait  plus  qu'en  piro- 
gue. Il  était  donc  nécessaire  d'installer  conforta- 
blement et  solidement  la  garnison  de  Tlacotalpam, 
si  on  ne  voulait  qu'elle  désertât  tout  entière  dès 
que  nous  ne  serions  plus  là. 

Dans  ce  double  dessein,  le  commandant  Cloué 
avait  écrit  au  commandant  Kmarec  et  faisait 
abattre  le  bois  taillis  qui  entoure  la  ville.  C'était 
là  un  travail  considérable,  car  il  fallait  au  moins 
un  espace  libre  de  200  mètres  en  dehors  des  mai- 
sons, et  la  longueur  de  la  ville  était  environ  de 
2  kilomètres.  On  prenait  en  même  temps  le  Conejo, 
et  c'étaient  les  compagnies  de  débarquement  de  la 
Tisij.hone  et  de  V Adonis  qu'on  chargeait  de  cette 
besogne,  en  les  renvoyant  à  Vera-Cruz  rejoindre 
leurs  bords. 

11 


162  LA   MABINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

Elles  descendirent  la  rivière  sur  la  Tactique, 
et,  le  2  avril,  s'arrêtèrent  au  Conejo,  où  se  trou- 
vaient déjà  la  Pique  et  la  chaloupe  à  vapeur  VAu- 
ffustine.  Le  débarquement  des  compagnies  s'opéra 
au  pied  même  de  la  position  et  le  capitaine  Berge, 
de  l'infanterie  de  marine,  qui  avait  fait  l'expédi- 
tion des  années  précédentes,  servit  de  guide  aux 
assaillants  pour  gravir  les  hauteurs  par  les  sen- 
tiers sous  bois.  En  moins  de  cinq  minutes,  on  fut 
maître  du  Conejo.  L'ennemi  n'y  avait  laissé  qu'un 
petit  poste  d'observation,  qui  s'était  replié  à  l'ar- 
rivée des  bâtiments.  On  n'y  trouva  qu'un  vieux 
canon  en  fer,  trop  lourd  pour  qu'on  l'emportât, 
et  qui  fut  précipité  du  haut  de  la  falaise  en  bas, 
sans  tourillons  ni  bouton  de  culasse.  Les  autres 
canons,  qui  étaient  sans  doute  sur  affûts  rou- 
lants, avaient  été  emmenés  à  l'intérieur  et  peut- 
être  enterrés.  On  ne  trouva  qu'un  affût  brisé  à 
quelque  distance  du  Conejo.  Malheureusement 
cette  position  du  Conejo,  qui  domine  la  rivière, 
est  dominée  elle-même  par  une  série  de  collines  à 
l'intérieur  et  était  par  suite  impossible  à  défendre, 
à  moins  qu'on  n'y  mît  beaucoup  de  monde  et 
qu'on  n'établît  autour  des  ouvrages  fortifiés. 

On  chassait  aussi  des  partis  ennemis  qui  s'em- 
busquaient hardiment  aux  environs  de  Tlacotal- 
pam.  Dans  la  nuit  du  2  au  3  avril,  le  commandant 
Cloué  envoyait  deux  embarcations  armées  en 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVAGUATION      163 

guerre  et  trente  tirailleurs  algériens  au  village 
de  Santa-Rita,  de  l'autre  côté  de  la  rivière,  où 
s'étaient  établis  quarante  cavaliers  dans  le  des- 
sein d'enlever  ceux  de  nos  gens  qui  allaient  à  la 
recherche  des  provisions.  Les  tirailleurs  surpre- 
naient et  tuaient  un  factionnaire,  puis  essuyaient 
une  décharge  en  abordant  le  village,  où  ils  tuaient 
encore  une  autre  sentinelle.  Mais  l'ennemi,  dont 
les  chevaux  étaient  restés  sellés,  venait  de  quitter 
la  place.  Une  seconde  expédition,  faite  en  plein 
jour,  avait  achevé  d'éloigner  les  libéraux,  du 
moins  pour  quelque  temps. 

Ces  petits  succès  étaient  loin  de  répondre  à  l'im- 
patience du  maréchal  et  n'assuraient  pas  davan- 
tage notre  domination.  Le  maréchal  écrivait  au 
commandant  Cloué  qu'il  lui  donnait  quinze  jours 
pour  purger  et  organiser  le  pays.  Il  ne  songeait 
pas  que  l'ennemi  était  insaisissable,  qu'il  s'éloi- 
gnait quand  nous  allions  à  lui  et  revenait  quand 
nous  n'étions  plus  là,  qu'il  avait  de  la  patience  et 
attendait.  La  population  se  défiait  et  nous  fuyait 
comme  si  nous  eussions  eu  la  lèpre.  On  ne  voulait 
se  prêter  à  rien.  C'était  la  résistance  d'inertie  la 
plus  complète.  Encore  si  nous  eussions  dû  rester  ! 
Mais  on  savait  que  nous  partirions,  et  on  se  dou- 
tait que  la  troupe  de  Camacho  ne  tiendrait  pas 
et  déserterait.  Aussi  était-il  impossible  de  consti- 
tuer une  municipalité.  Les  Mexicains,  qu'on  avait 


1G4  LA   MARIM:   française   au   MEXIQUE 

convoqués,  n'étaient  pas  yonus  et  avaient  fait 
répondre  au  commandant  qu'ils  se  compromet- 
traient rien  qu'en  l'écoutant.  Des  trois  employés 
des  douanes  qu'on  avait  nommés  d'office,  l'un 
avait  refusé  sous  le  prétexte  que  sa  mère  était 
malade,  les  deux  autres  étaient  venus  et  repartis 
par  le  vapeur  de  Vera-Cruz.  Ils  avaient  cédé  à  de 
secrètes  et  très  sérieuses  menaces. 

Le  colonel  Camaclio  était  très  honnête  et  très 
brave  ;  mais,  humilié  de  son  dénûment  et  frappé 
de  cette  excessive  et  silencieuse  opposition  que 
nous  avions  en  face  de  nous,  il  venait  d'offrir  sa 
démission  au  ministre  de  la  guerre  si  on  ne  lui 
envoyait  tout  ce  dont  il  avait  besoin.  Quant  aux 
hommes  de  son  bataillon,  ils  avaient  une  peur 
extraordinaire  du  climat  et  continuaient  de  dis- 
paraître. On  était  obligé  de  les  faire  garder  par 
des  Égyptiens,  ce  qui  ne  pouvait  durer  longtemps, 
car  il  viendrait  un  jour  où  les  Égyptiens  devraient 
partir  pour  retourner  à  leur  ancien  poste  sur  la 
route  de  Vera-Cruz  à  Cordova.  Pourtant,  et  c'était 
là  le  fait  d'obscurs  meneurs  qui  correspondaient 
peut-être  à  Mexico  avec  l'entourage  du  maréchal, 
le  bruit  courait  que  quelques-uns  des  chefs  libé- 
raux, tels  que  Garcia  et  Gomez,  avaient  l'inten- 
tion de  quitter  leur  parti  pour  la  cause  impériale. 
Le  commandant  leur  eût  fait  un  pont  d'or.  On 
disait  aussi,  pour  pallier  la  désertion  de  la  troupe 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      105 

de  Camacho,  que  cela  arrivait  à  toute  troupe 
mexicaine  dépaysée  et  venant  des  hautes  terres, 
que  d'ailleurs  on  désertait  également  chez  les 
libéraux.  Mais  les  libéraux,  qui  ne  se  gênaient 
pas,  levaient  de  force  de  nouveaux  soldats,  de 
sorte  que  la  victoire  resterait,  sans  doute  après 
notre  départ  et  peut-être  sans  combat,  au  chef 
dont  la  troupe  déserterait  le  plus  lentement.  Or, 
ce  ne  semblait  pas  devoir  être  le  bataillon  Cama- 
cho qui  se  regardait  comme  envoyé  à  Tlacotalpam 
pour  y  mourir  de  la  fièvre. 

L'ennemi  était  malheureusement  si  bien  fait  à 
notre  façon  d'agir,  qu'aussitôt  après  le  départ  du 
capitaine  Testard  de  Casamoloapam,  il  était  rentré 
dans  la  ville  et  avait  frappé  de  fortes  contributions 
ceux  des  habitants  qu'il  accusait  de  s'être  com- 
promis avec  nous.  Autant  pour  se  mettre  un  peu 
au  large  que  pour  donner  la  main,  s'il  était  pos- 
sible, à  une  colonne  autrichienne,  qui  opérait  du 
côté  de  Tuxtepec,  le  commandant  Cloué  se  décida 
à  pousser  une  reconnaissance  par  Amatlan  j  usqu'à 
Casamoloapam.  Peut-être  aussi,  en  occupant  de 
nouveau  Casamoloapam,  voulait-il  obtenir  du 
maréchal  l'ordre  qu'il  sollicitait  si  vivement  de 
lui  de  ne  point  quitter  encore  le  pays  avant  d'y 
avoir  rien  établi  de  durable. 

Le  7  avril,  la  Diligente  partit  avec  une  colonne 
de  cent  fantassins  (tirailleurs  et  égyptiens)  qu'elle 


106  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

déposa  à  Amatlan.  Cinquante  hommes  de  notre 
cavalerie  mexicaine  de  Figuerero  avaient  suivi 
la  rive.  A  deux  heures  de  l'après-midi,  ce  même 
jour,  la  colonne  complète,  infanterie  et  cavalerie, 
entrait  à  Casamoloapam,  que  l'ennemi  venait 
d'abandonner  depuis  une  demi-heure.  Après  avoir 
mis  la  rivière  entre  eux  et  les  nôtres,  les  libéraux 
firent  un  feu  nourri  de  mousqueterie  qui  blessa 
un  Égyptien,  et  se  retirèrent  à  Chatallanguiz. 
Cette  occupation  fortuite  de  Casamoloapam  ne 
pouvait  se  prolonger  que  si  les  ordres  du  maréchal 
l'autorisaient.  Or  le  maréchal,  tout  en  approuvant 
la  manière  de  penser  et  d'agir  du  commandant 
Cloué,  lui  écrivit  qu'il  n'avait  point  de  troupes  à 
lui  donner  et  lui  enjoignit  de  se  concentrer  à 
Tlacotalpam  et  de  revenir  le  plus  tôt  possible  à 
Vera-Cruz.  Comme  on  n'avait  en  outre  aucune 
nouvelle  de  la  colonne  autrichienne  de  Tuxtepec. 
les  forces  franco-mexicaines  quittèrent  Casamoloa- 
pam le  13  avril. 

Il  n'y  avait  plus  dès  lors,  puisqu'on  allait  partir, 
qu'à  installer  le  bataillon  Camacho  dans  la  posi- 
tion défensive  la  meilleure  possible,  et  le  com- 
mandant Cloué  fit  j)0usser  activement  par  ses 
marins  et  ses  soldats  le  débroussaillement  en 
forme  d'abatis  reconnu  indispensable  pour  dé- 
fendre les  approches  de  la  ville.  C'était  une  rude 
tâche,  car  le  bois,  très  fourré,  se  composait  de 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      167 

beaucoup  de  gros  arbres  à  fibre  très  dure.  Les 
soldats  du  génie  fortifiaient  au  fur  et  à  mesure 
une  série  de  petits  postes  pour  lesquels  il  eût  fallu 
deux  cents  ou  deux  cent  cinquante  hommes  ée 
bonnes  troupes,  armés  de  fusils  à  bonne  porîbée. 
Où  les  trouver?  Le  bataillon  Camacho  n'avait 
plus  que  cent  vingt-deux  soldats  très  indécis,  que 
nous  continuions  à  garder.  Une  partie  des  soldats 
de  Figuerero,  armés  de  ces  petites  carabines  de 
O"*,  50  de  long  et  de  60  à  80  mètres  de  portée,  dont 
on  n'eût  pu  se  servir  efficacement  si  Tlacotalpam 
eût  été  sérieusement  attaquée^  étaient  envoyés  en 
garnison  à  Alvarado  à  la  place  de  trente  Égyp- 
tiens, qui  n'y  avaient  été  mis  que  provisoirement 
et  qu'on  renvoyait  à  Vera-Cruz.  La  compagnie  de 
débarquement  du  Magellan  partait  en  même 
temps  que  les  Égyptiens  pour  rejoindre  son  bord. 
Ces  diminutions  de  forces  enhardissaient  le 
général  Garcia,  qui,  avec  plusieurs  centaines 
d'hommes,  rentrait  à  Amatlan  et  envoyait  des 
éclaireurs  jusqu'à  Tlacotalpam.  Le  17  avril,  la 
Diligente  et  la  Tactique  partirent  avec  cent  cin- 
quante hommes  pour  Amatlan,  mais  les  eaux 
avaient  tellement  baissé  que  les  deux  canonnières 
ne  purent  arriver  qu'à  portée  de  canon  de  la  ville. 
Le  débarquement  se  fit  sans  accident,  et  la  troupe 
occupa  la  ville.  Mais  l'ennemi,  toujours  parfaite- 
ment informé  de  tous  nos  mouvements,  avait 


108  LA    MARINE   FRAN'ÇAISr]   AU   ?,IEX10UZ 

pris,  depuis  plusieurs  heures,  la  route  de  Casa- 
moloapam.  Malgré  cette  fuite  calculée  et  éternelle 
à  notre  approche,  l'ennemi  n'était  nullement 
rejeté  au  sud  du  Rio-Papaloapam.  Il  nous  sur- 
veillait au  contraire,  et,  à  mesure  que  nous  nous 
éloignerions,  devait  reprendre  toutes  ses  ancien- 
nes positions. 

Pour  qu'il  se  soumît,  il  eût  fallu  occuper  des 
points  s'appuyant  les  uns  sur  les  autres,  car  les 
libéraux  n'eussent  pu  alors  conserver  dans  leurs 
rangs  tous  les  bras  qu'ils  enlevaient  à  l'agricul- 
ture, ainsi  qu'aux  nombreuses  usines  à  coton  et 
à  cannes  qui  couvrent  la  riche  vallée  arrosée  par 
le  Papaloapam  et  ses  affluents.  Mais  il  ne  s'agis- 
sait que  de  partir,  et  la  colonne  Testard  n'était 
déjà  plus  libre  de  ses  mouvements,  si  elle  suivait 
par  terre  la  même  route  qu'elle  avait  prise  en 
venant.  Les  inquiétudes  du  maréchal  à  cet  égard 
se  trahissaient  par  les  différents  itinéraires  qu'il 
lui  traçait  et  dont  il  laissait  le  choix  au  comman- 
dant Cloué,  en  insistant  pour  que  le  capitaine 
Testard  ne  rencontrât  pas  l'ennemi.  Le  comman- 
dant se  décida  à  foire  partir  la  colonne  Testard, 
dont  l'état  sanitaire  n'était  pas  excellent,  de 
Tlacotaplam  à  Alvarado  par  eau  et  d'Alvarado  à 
Medellin  et  à  la  Vera-Cruz,  où  elle  arriva  en  effet 
sans  encombre. 

Il  n'y  avait  plus  qu'à  laisser  le  colonel  Camacho 


EVENEMENTS  DE  MA.TAMOROS  A  l'ÉVACUATION     100 

à  ses  propres  forces,  ou  à  peu  près,  pour  garder 
Tlacotalpam.  On  le  lui  signifia  assez  lestement,  en 
lui  disant  que  la  colonne  Testard  était  partie 
pour  continuer  ses  opérations  et  qu'il  avait  en 
conséquence  à  prendre  le  commandement  militaire 
de  Tlacotalpam.  Outre  son  bataillon  et  les  postes 
fortifiés  qu'on  avait  élevés,  il  aurait  la  cavalerie 
de  Figuerero,  l'appui  de  plusieurs  canonnières 
et  on  demanderait  des  renforts  pour  lui.  Le 
colonel  se  mit  à  faire  des  tranchées  et  répondit 
qu'au  besoin  ses  hommes  se  battraient.  Mais  la 
ville,  en  revanche,  était  à  la  fois  désespérée  et 
exaspérée.  On  nous  criait  :  —  <  Pourquoi  êtes- 
vous  venus  ?  Si  encore  vous  nous  laissiez  quelques 
Égyptiens?  »  On  ne  voyait  que  des  pirogues  en 
train  d'opérer  les  déménagements  des  habitants, 
le  seul  fait  d'avoir  vécu  à  côté  de  nous  étant  un 
crime  pour  eux.  La  disette  les  obligeait  de  plus  à 
quitter  la  ville,  où  il  n'arrivait  plus  rien.  Toutes 
les  routes  par  terre  et  par  eau  étaient  interceptées. 
Tlacotalpam,  qui  fournissait  autrefois  le  maïs  à 
Alvarado  et  à  Vera-Cruz,  le  recevait  au  contraire 
de  ces  deux  villes,  aA-ec  d'autres  denrées,  mais 
en  quantités  très  faibles  et  à  des  prix  exorbitants. 
Le  colonel  Figuerero,  moins  confiant  que  Cama- 
cho,  vint  demander  au  commandant  Cloué,  la 
veille  de  son  départ,  la  permission  d'aller  à  Vera- 
Cruz  pour  affaires.  Cette  permission  ayant  été 


170  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

refusée  sous  prétexte  que  le  départ  de  nos  troupes 
rendait  précisément  sa  présence  nécessaire  à 
Tlacotalpam,  le  colonel  expédia  du  moins,  sauf  à 
les  suivre,  à  la  première  occasion  qui  s'offrirait, 
sa  selle  argentée  et  ses  objets  précieux. 

En  résumé,  les  seules  forces  réelles  que  le 
commandant  Cloué  laissait  au  colonel  Camacho 
étaient  les  canonnières  la  Tempête,  la  Pique,  la 
Diligente  et  la  chaloupe  à  vapeur  VAugiistine, 
qui  devaient,  par  Alvarado,  le  ravitailler  et  le 
maintenir  en  communication  avec  la  mer.  Après 
avoir  donné  pour  instructions  à  ces  bâtiments 
d'être  en  garde  contre  les  pièges  qu'on  ne  man- 
querait pas  de  leur  tendre,  le  commandant  Cloué 
partit  de  Tlacotalpam,  le  24  avril,  sur  le  petit 
vapeur  Vera-Cruz,  pour  rejoindre  le  Magellan. 

Cette  expédition  avortée  allait  avoir  ses  consé- 
quences fâcheuses.  L'expédition  que  le  Yucatan, 
dans  un  premier  entraînement,  avait  préparée 
contre  le  Tabasco,  retardée  tout  d'abord,  n'allait 
plus  avoir  lieu.  De  leur  côté,  les  dissidents  qui 
s'étaient  disposés  à  la  résistance,  allaient  proba- 
blement, pour  utiliser  leurs  dépenses  et  leurs 
préparatifs,  s'emparer  de  Jonuta,  dont  la  garnison 
désertait  journellement  à  l'ennemi  avec  armes  et 
bagages.  En  quelques  jours,  il  était  parti  vingt- 
huit  hommes.  Ces  déserteurs,  sollicités  par  ée 
fortes  primes  d'un  certain  chef  de  bande  Brito. 


[ 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'EVACUATION      171 

autrefois  commandant  à  Champoton,  allaient 
grossir  ses  rangs.  La  perte  de  Jonuta  pouvait 
entraîner  celle  de  Palizada  et  amener  la  ruine  du 
commerce  de  Carmen.  Si  on  avait  à  reprendre 
Jonuta,  ce  serait  pour  la  quatrième  fois  depuis  le 
commencement  de  la  guerre.  A  Carmen,  soit  par 
infatuation  naturelle,  soit  par  suite  de  nos  échecs, 
l'autorité  militaire  mexicaine  refusait  de  s'en- 
tendre avec  les  capitaines  do  nos  bâtiments.  Le 
préfet  politique,  ne  sachant  que  devenir  avec  les 
hommes  et  le  matériel  qu'on  lui  avait  envoyés  en 
vue  d'une  expédition  sur  Tabasco,  était  enclin  à 
s'en  défaire  bien  plus  qu'à  les  garder  et  avait 
envo3^é  une  goélette  à  Vera-Cruz  pour  y  prendre 
des  ordres  et  surtout  de  l'argent,  les  caisses  de 
Carmen  étant,  selon  ce  qui  arrive  en  pareils  cas, 
complètement  vides. 

En  face  de  ces  trahisons  ouvertes  ou  cachées, 
de  ces  faiblesses  perfides,  de  cette  hésitation  gé- 
nérale et  du  peu  de  foi  qu'on  avait  en  l'avenir  de 
notre  cause,  nous  ne  pouvions  que  nous  tenir  en 
garde  contre  les  menées  secrètes,  demander  à 
Mexico  la  destitution  des  traîtres,  encourager 
ceux  qui  nous  demeuraient  fidèles  ou  qui  n'étaient 
encore  qu'indécis.  Mais  il  y  avait  aussi,  de  notre 
part,  à  cause  de  ces  luttes  stériles,  de  ces  tergi- 
versations, une  tendance  à  tout  lâcher,  à  livrer  à 
eux-mêmes  les  Mexicains,  qui  ne  faisaient  rien 


172  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

pour  consolider  l'empire  qu'ils  s'étaient  donné. 
Nous  ne  pensions  pas  assez  que  nous  le  leur 
avions  plutôt  imposé  et  qu'avec  plus  de  suite  dans 
les  idées  et  dans  l'énergie  des  efforts  du  chef  qui 
nous  commandait,  nous  eussions  pu  à  l'heure 
favorable,  avec  l'appui  sincère  de  ces  mêmes 
Mexicains  qui  nous  irritaient  et  nous  fatiguaient 
aujourd'hui,  fonder  d'une  façon  durable  pour 
l'avenir  cet  empire  que  nous  n'avions  qu'écha- 
faudé  à  nos  risques  et  périls. 

Le  colonel  Camacho  prouvait  alors,  par  sa  belle 
défense  de  Tlacotalpam,  ce  que  l'on  pouvait  at- 
tendre de  certains  hommes  au  Mexique.  Deux 
jours  à  peine  après  le  départ  des  troupes  fran- 
çaises, l'ennemi  s'était  campé  dans  les  bois  autour 
de  la  ville  et  tirait  de  là  des  coups  de  fusil.  Il 
s'était  embusqué  pareillement  au  Conejo  et  au 
Miadero,  qui,  bien  que  détruits  comme  fortifica- 
tions, offraient  un  abri  sûr  de  200  mètres  de 
broussailles.  Pour  être  maître  de  ces  hautes  terres, 
il  faut  avoir  le  pays  qui  est  derrière,  et  nous  ne 
l'avions  pas  pris.  Les  libéraux  fusillaient  impu- 
nément de  là  tous  les  navires  qui  passaient. 
Aussi  aucun  bâtiment  à  voiles  ne  voulait  plus 
remonter  la  rivière.  Les  deux  seuls  petits  bâti- 
ments à  vapeur  qui  s'étaient  hasardés  jusque-là 
à  faire  le  trajet  d'Alvarado  à  Tlacotalpam  refu- 
saient de  continuer,  parce  qu'ils  s'étaient  vus  cri- 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'EVACUATION      173 

blés  de  balles  malgré  l'escorte  d'une  canonnière. 
D'ailleurs  Tlacotalpam,  où  il  n'y  avait  plus  de 
commerce  possible,  était  désert.  Malgré  les  ordres 
du  maréchal  et  les  réclamations  du  commandant 
Cloué,  la  troupe  de  Camacho  était  dans  le  même 
dénûment  qu'à  son  arrivée.  C'était  à  croire  l'au- 
torité civile  de  Yera-Cruz  de  connivence  avec 
Garcia  et  les  dissidents  de  la  rivière  d'Alvarado. 
Du  24  avril  au  milieu  de  mai,  l'ennemi  n'avait 
cessé  de  se  renforcer  et  faisait  des  attaques  par- 
tielles toutes  les  nuits  pour  harceler  la  garnison, 
la  tenir  sur  pied  et  l'épuiser  de  fatigue.  Les  quatre 
officiers  qui  étaient  avec  Camacho  se  montraient 
pleins  de  zèle  et  d'activité,  mais  il  leur  fallait 
être  tout  pour  leurs  troupes,  officiers,  sergents 
instructeurs.  On  ne  s'en  battait  pas  moins.  Ce  qui 
rendait  surtout  critique  la  situation  du  colonel, 
c'est  que  nos  trois  canonnières  ne  pouvaient  pro- 
longer longtemps  leur  séjour  dans  le  haut  de  la 
rivière.  Les  équipages  n'y  eussent  pas  résisté  ;  ils 
avaient  déjà  38  degrés  de  chaleur  à  l'ombre  sur 
le  pont,  et  étaient  atteints  par  les  fièvres.  Il  fallait 
de  plus  blinder  les  canonnières,  qui  perdaient  de 
temps  en  temps  un  homme,  tué  ou  blessé,  au 
passage  du  Conejo.  Mais  la  maladie  était  plus 
inquiétante  que  le  feu.  Le  dénûment  des  soldats 
ne  changeait  pas.  Le  ministre  de  la  guerre, 
comme  seul  secours,  avait  répondu  au  colonel 


174  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU  MEXIQUE 

Camacho  de  recruter  ses  sergents  et  ses  caporaux 
à  Tlacotalpam.  Un  ministre  de  Juarez  n'eût  pas 
mieux  dit. 

A  ce  moment,  au  17  mai,  le  colonel  Camacho 
avait  cinquante-trois  malades  et  perdait  l'appui 
de  la  chaloupe  VAugustine,  qui  courait  trop  de 
dangers  à  faire  le  trajet  de  la  rivière.  Elle  devait 
même,  pour  aller  à  Alvarado,  dans  ce  derrnier 
voyage,  être  abritée  à  bâbord  de  la  Pique.  On 
avait  une  autre  raison  de  la  rappeler  à  Vera-Cruz. 
C'était  de  remplacer  la  seconde  chaloupe  V Amélie, 
qui  ne  pouvait  plus  aller  sans  réparations.  Le  15 
mai,  avant  le  jour,  sur  les  trois  heures  du  matin, 
Tlacotalpam  était  enfin  attaqué  par  des  forces 
considérables.  L'ennemi  s'était  avancé  jusqu'aux 
barricades  aux  cris  de  :  «  Vive  la  république  !  » 
entendus  des  canonnières.  Un  obus  heureux  de  la 
Diligente  avait  paru  déterminer  sa  retraite  en 
incendiant  en  même  temps  cinq  ou  six  cabanes 
en  paille  situées  dans  les  faubourgs.  Pendant 
cette  attaque,  un  feu  très  nourri,  partant  de  la 
rive  opposée,  avait  été  dirigé  sur  les  canonnières. 
La  Pique  avait  eu  un  homme  grièvement  blesse. 
Déjà,  ce  même  jour,  en  venant  d'Alvarado,  et  en 
passant  sous  le  Miadero,  elle  en  avait  eu  deux 
autres  atteints.  La  retraite  de  l'ennemi  n'était 
que  momentanée.  Dès  le  même  soir,  il  tiraillait 
aux  avant-postes  et  tenait  en  éveil  la  garnison 


ÉVÉNEJMENTS  DE  MATAMOROS  A  l' ÉVACUATION      176 

harassée  de  fatigue.  La  troupe  de  Figuerero  s'était 
bien  comportée,  un  peu  trop  bien.  Elle  avait  hissé 
sur  une  de  ses  défenses  un  pavillon  avec  un 
emblème  de  mort  et  ces  mots  :  «  Nous  ne  voulons 
pas  de  quartier  ;  nous  ne  ferons  pas  de  quartier.  » 
Cette  résistance  vigoureuse  et  prolongée  devait 
recevoir  sa  récompense.  Au  commencement  de 
juin,  l'ennemi  était  moins  pressant.  En  même 
temps,  on  envoyait  des  renforts  au  colonel  Ca- 
macho,  mais  quels  renforts  !  Cent  hommes  en- 
voyés de  Mexico  et  que  les  désertions  à  leur 
arrivée  à  Vera-Cruz  avaient  réduits  à  soixante- 
quinze,  et  dans  ces  soixante-quinze  il  y  avait 
vingt-sept  sous-officiers  et  caporaux  et  quarante- 
huit  prisonniers  faits  à  l'intérieur.  C'étaient  ces 
gens-là  que  Ton  envoyait  à  Tlacotalpam  pour  y 
défendre  la  cause  de  l'empire.  Trois  compagnies 
rurales  levées  près  de  Vera-Cruz  étaient  un  peu 
meilleures.  Il  y  avait  enfin  une  centaine  de  bons 
fusils,  des  munitions  et  des  médicaments,  deux 
obusiers  de  12  non  rayés.  Il  y  avait  aussi  la  saison 
des  pluies,  alors  complètement  prononcée,  et  qui 
protégeait  la  ville  contre  l'ennemi,  car  on  souffrait 
moins  de  l'inondation  à  Tlacotalpam  que  les 
libéraux  sous  les  bois  ou  en  rase  campagne  ;  on 
pouvait  donc  jusqu'à  un  certain  point  et  en  comp- 
tant sur  la  fermeté  dont  le  colonel  avait  donné  des 
preuves,  s'autoriser  des  circonstances  pour  lui 


170  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

retirer  l'appui  constant  des  canonnières.  La  Pique 
et  la  Diligente  furent  rappelées,  et  la  Tempête 
seule,  qui  continuait  sa  station  à  Alvarado,  dut 
aller  de  loin  en  loin  à  Tlacotalpam. 

Cette  résistance  de  Tlacotalpam  était  une  ex- 
ception dans  la  façon  de  se  comporter  habituelle 
des  Mexicains  qui  s'étaient  ou  se  disaient  ralliés 
à  l'empire.  Partout  ailleurs,  ils  ne  montraient 
dans  le  Sud  qu'une  inertie  pleine  d'embûches.  Du 
reste,  la  nouvelle,  venue  d'Europe,  d'une  prochaine 
évacuation  du  Mexique  par  les  Français,  les  rem- 
plissait, à  bon  droit,  d'inquiétude.  Ils  s'étaient 
assez  avancés,  ne  voulaient  point  se  compromettre 
davantage.  L'expédition  projetée  par  le  Yucatan 
contre  le  Tabasco  était  complètement  abandonnée. 
Les  matelots  levés  avaient  été  congédiés,  les  vivres 
amassés,  vendus.  Le  général  Casanova,  qui  com- 
mandait à  Campêche,  déclarait  qu'il  n'avait 
d'ordre,  ni  de  Vera-Cruz,  ni  du  gouvernement 
mexicain,  pour  faire  l'expédition.  11  ajoutait,  avec 
la  mauvaise  foi  qu'on  met  aux  justifications  dif- 
ficiles, qu'il  n'avait  pu  compter  sur  le  concours 
de  la  marine  française.  Cela  n'était  pas  vrai.  Il 
s'était  bien  gardé  de  demander  ce  concours,  car  il 
savait  d'avance  qu'il  lui  serait  acquis  et  que  les 
bâtiments  en  station  à  Carmen  et  à  la  Frontera 
n'eussent  pas  manqué  de  suivre  les  opérations  de 
près  et  de  soutenir  les  impériaux.  Il  semblait,  au 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L  EVACUATION      177 

contraire,  avoir  agi  de  manière  à  reculer  indéfini- 
ment Texpédition.  Après  avoir  dispersé  les  troupes 
et  les  vivres,  il  objectait  qu'il  n'était  plus  prêt  et 
que  la  saison  était  trop  avancée. 

Pressé  par  le  commandant  Cloué,  qui,  même 
alors,  ayant  ses  canonnières  disponibles,  jugeait 
encore  possible  l'entreprise  contre  Tabasco,  il 
proposait,  loin  d'aller  en  avant,  d'évacuer  Jonuta 
et  d'en  établir  la  garnison  à  Palizada.  Avoir 
Jonuta,  c'était  tenir  Palizada,  mais  la  réciproque 
était  fausse,  car  l'ennemi,  maître  de  Jonuta,  em- 
pêchait toutes  les  coupes  de  bois  de  descendre  à 
Palizada  et  de  là  à  Carmen.  Était-ce  donc  une 
avance  que  la  prévoyante  prudence  du  général 
Casanova  faisait  aux  libéraux?  On  était  porté  à 
le  croire.  Un  peu  plus,  on  l'eût  su,  car  le  com- 
mandant Cloué,  en  transmettant  ces  hésitations 
du  général  au  maréchal  Bazaine,  se  disait  prêta 
appuyer  le  Yucatan  s'il  voulait  marcher.  Il  ne 
fallait  qu'un  ordre  décisif  venant  de  Mexico,  et  il 
n'eût  peut-être  pas  été  trop  tard  pour  que  Tabasco 
fût  soumis.  L'ordre  ne  vint  pas.  Il  était  dit  que 
les  influences  occultes,  qui  avaient  jusqu'alors 
protégé  le  Tabasco,  s'exerceraient  même  à  cette 
heure  où,  tout  triomphant,  l'état  souverain  de 
Tabasco  promulguait,  par  la  bouche  de  Garcia, 
un  décret  d'expulsion  contre  les  Français  établis 
sur  son  territoire. 

12 


178  LA  MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Le  parti  qui,  à  Mexico,  plaçait  ses  meilleures 
espérances  dans  la  fortune  possible  du  maréchal 
et  rêvait  pour  lui  de  chimériques  destinées,  voyait 
sans  ennui  la  prochaine  évacuation  du  Mexique 
par  les  troupes  françaises.  11  ne  songeait  tout  au 
plus  à  les  retenir  que  le  temps  nécessaire  à  l'ac- 
complissement de  cette  révolution  électorale  qui 
était  le  but  de  ses  efforts  et  qu'elles  pouvaient 
appuyer  de  leur  présence.  Les  prétentions  du 
Tabasco  ne  l'offusquaient  pas.  Elles  s'humilie- 
raient d'elles-mêmes,  à  un  moment  donné,  devant 
le  pouvoir  qui  les  aurait  ménagées  et  qu'elles 
seraient  appelées  à  élire.  Maximilien,  au  con- 
traire, était  toujours  le  faible  souverain  dont  il 
fallait  dévoiler  l'insuffisance  et  surveiller  les 
actes.  Lui  disparu,  la  place  se  faisait  nette  et 
telle  qu'on  la  voulait.  Aussi,  influençant,  sans 
l'entraîner  entièrement  toutefois,  l'esprit  du  ma- 
réchal, ces  ambitieux  à  courte  vue  obtenaient  de 
lui  qu'il  s'isolât  du  souverain  dont  la  défense  et 
la  consolidation  eussent  dû  être  son  premier  soin. 

Ainsi,  le  maréchal  avait  ses  chiffres  particuliers 
pour  expédier  ses  dépêches  et  interpréter  celles 
qu'il  recevait.  Il  voulait,  en  effet,  que  le  gouverne- 
ment mexicain  ne  connût  de  sa  correspondance 
que  ce  qu'il  jugeait  à  propos  de  lui  en  communi- 
quer. 11  se  faisait  informer  des  moindres  mouve- 
ments des  bâtiments  que  l'Autriche  laissait  à 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION      179 

Vera-Cruz  à  la  disposition  de  l'empereur.  La 
Novara,  qui  avait  amené  Maximilien  au  Mexique, 
avait  été  remplacée  par  le  Dandolo,  corvette  à 
batterie  couverte  de  dix-huit  canons.  Le  Dandolo 
allait-il  à  la  mer  à  cause  de  l'état  sanitaire  peu 
satisfaisant  de  Vera-Cruz,  le  maréchal  s'enquérait 
s'il  n'était  pas  secrètement  parti  pour  quelque 
mission  diplomatique  ou  militaire  inconnue,  et 
tenait  à  ce  qu'on  ne  sût  point  qu'il  demandait 
ces  renseignements.  De  son  côté,  Maximilien, 
non  moins  défiant,  cherchait  à  connaître  les 
actions  et  les  projets  du  maréchal,  et  sur  toutes 
les  lignes  télégraphiques  il  existait  des  embran- 
chements aboutissant  à  un  bureau  télégraphique 
du  palais.  Des  dépêches  adressées  au  maréchal 
arrivaient  ainsi  au  cabinet  de  l'empereur  en 
même  temps  qu'au  quartier-général.  On  croit 
voir  l'antagonisme  de  ces  faibles  prétendants  qui 
s'épuisent  l'un  contre  l'autre  en  luttes  puériles, 
tandis  que  s'avance  à  grands  pas  l'ennemi  qui 
doit  prendre  leur  place. 

Nous  avons  poussé  aussi  loin  que  possible  le 
récit  des  événements  du  Sud.  Il  nous  faut  main- 
tenant revenir  au  Nord  et  passer  par  les  mêmes 
alternatives  de  succès  et  de  revers  jusqu'à  ce 
que  la  chute  de  Matamores  serve,  pour  ainsi  dire, 
de  signal  à  la  défection  et  à  la  capitulation  des 
autres  villes  du  littoral  du  Mexique. 


180  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Tampico  n'ayait  jamais  cessé  d'être  plus  ou 
moins  inquiété.  Au  mois  de  janvier  1866,  les 
libéraux,  sous  les  ordres  de  Mendez,  ayant  réussi 
à  tromper  sur  leur  marche  le  commandant  Chopin, 
du  bataillon  d'Afrique,  et  le  capitaine  Jacquin, 
de  la  contre-guérilla,  avaient  attaqué  avec  un 
succès  complet  les  positions  de  Tancasnequi  et  de 
Tantoyuquita.  La  compagnie  de  cent  cazadores, 
qui  les  défendait,  avait  été  battue  et  avait  perdu 
trente  hommes.  Les  magasins  de  marchandises 
avaient  été  complètement  pillés  et  incendiés.  La 
perte  s'élevait  à  2  millions,  et  ce  qu'il  y  avait  de 
plus  regrettable,  c'est  que  nos  conseils  et  nos 
assurances  de  protection  avaient  surtout  déter- 
miné les  commerçants  de  Tampico  à  choisir  Tan- 
casnequi comme  entrepôt.  Mendez,  toutefois,  avait 
été  tué  et  remplacé  par  La  Gazza  comme  chef  des 
dissidents  dans  le  Tamaulipas.  La  perte  de  leur 
général  avait  décidé  les  libéraux  à  la  retraite; 
mais,  pour  échapper  àleurs  cruautés,  tous  les  habi- 
tants qui  avaient  cru  à  notre  protection  s'étaient 
enfuis  dans  la  Sierra.  Peu  après,  au  mois  de 
mars,  la  Tisiphone  avait  porté  soixante-dix 
hommes  de  la  contre-guérilla  à  Tampico.  L'ennemi 
avait  échoué  dans  une  attaque  contre  la  petite 
ville  d'Altamira,  mais  les  habitants,  craignant  un 
retour  offensif  des  libéraux,  s'étaient  presque  tous 
réfugiés  à  Tampico.  Le  général  La  Madrid  était 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      181 

alors  venu  de  Mexico  avec  cent  quatre-vingt-dix 
hommes  et  deux  pièces  de  campagne,  et  l'on  était 
rassuré  jusqu'à  nouvelle  alerte. 

Tuspanse  trouvait  dans  une  situation  analogue 
à  celle  de  Tampico.  On  ne  pouvait  envoyer  au 
préfet  les  munitions  et  les  hommes  qu'il  deman- 
dait au  commandant  Cloué,  après  s'être  inutile- 
ment adressé  au  gouvernement  de  Mexico,  qui  ne 
lui  avait  pas  répondu.  Il  était  pourtant  probable 
que,  faute  de  ces  cent  cinquante  à  deux  cents 
hommes,  la  ville  se  rendrait  sans  combat  pour 
éviter  l'incendie  et  le  massacre  que  les  libéraux 
infligeaient,  après  les  avoir  prises,  aux  villes 
impérialistes.  Quelques-unes,  dans  le  département 
mêmedeTuspan,  s'étaient  déjà  prononcées  contre 
l'empire,  et  toute  la  Huesteca  était  en  pleine 
insurrection. 

On  sait  qu'après  le  conflit  franco-américain,  au 
sujet  de  Bagdad,  le  Tartare  était  allé  prendre  la 
station  du  Rio-Grande.  Il  avait  pour  mission  de 
protéger  Bagdad  par  mer  et  devait  entretenir  avec 
les  officiers  américains  du  Texas  des  relations 
officieuses  et  même  amicales.  Tout  de  ce  côté  était 
devenu  singulièrement  tranquille.  Escobedo,  qui 
n'avait  pu  ramasser  que  quatre  à  cinq  cents 
hommes,  s'était  mis  en  marche  sur  Monterey. 
Les  communications  entre  Bagdad  et  Matamores 
se  faisaient  très  facilement  par  terre  et  par  eau. 


182  LA  MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

Les  petits  vapeurs  avaient  repris  leurs  voyages 
réguliers,  et  VAntonia  avait  été  rendue  au  com- 
merce. La  grande  agitation  des  mois  précédents 
n'avait  tenu  qu'à  l'aide  prêtée  aux  dissidents  par 
Weitzel  et  Clarke.  Ces  chefs  une  fois  destitués, 
tout  était  rentré  dans  l'ordre. 

C'est  qu'au  fond  la  nation  américaine  ne  voulait 
point  commencer  une  nouvelle  guerre  pour  le  bon 
plaisir  et  le  plus  grand  avantage  de  ces  chefsetdeces 
bandes  aussi  nombreuses  qu'indisciplinées,  qu'elle 
désirait,  au  contraire,  licencier  le  plus  tôt  possible. 
Le  général  Sheridan,  commandant  en  chef  le  dis- 
trict, était  venu  à  Brownsville  et  avait  licencié  les 
régiments  noirs,  de  sorte  qu'il  ne  restait  plus  que 
cinq  mille  hommes  de  troupes  régulières  sur  la 
rive  texienne.  En  avril,  la  rade  de  Bagdad,  cou- 
verte un  an  auparavant  de  plus  de  deux  cents 
navires,  était  complètement  déserte.  Le  Tartare 
s^y  trouvait  en  tête-à-tête  depuis  un  mois  avec  un 
brick  danois  et  demandait  son  rappel.  Au  mois  de 
mai,  Matamoros  paraissait  en  pleine  sécurité,  et 
le  voisinage  des  troupes  françaises  dans  le  Nord, 
qui  permettait  à  la  garnison  de  faire  des  excur- 
sions, ôtait  toute  probabilité  à  un  coup  de  main 
sur  Bagdad.  Dans  une  de  ces  excursions,  la  bande 
de  Cortina  avait  manqué  d'être  complètement  dé- 
truite et  laissait  au  pouvoir  des  impériaux  cent 
quatre  prisonniers.  Les  Autrichiens,  désormais 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      183 

jugés  inutiles,  avaient  quitté  Bagdad,  et  la  Sonora 
les  avait  portés  à  Vera-Cruz,  au  nombre  de  qua- 
torze officiers,  trois  cent  trente-trois  hommes  et 
soixante  chevaux  et  mulets.  Le  Tartare  était 
autorisé  à  rentrer  et  transportait  les  cent  quatre 
prisonniers  de  Cortina,  qu'on  mettait  dans  les 
prisons  du  fort  Saint-Jean-d'UUoa. 

Malheureusement,  au  mois  de  juin,  tout  chan- 
geait de  la  façon  la  plus  grave.  Matamores  devait 
recevoir  du  général  Jeanningros,  alors  à  Monte- 
rey,  un  convoi  de  munitions  et  de  vivres.  Le 
général  Mejia  eût  désiré  ne  pas  aller  au-devant  de 
ce  convoi  que  les  troupes  françaises  eussent  es- 
corté; mais  le  général  Jeanningros  avait  exigé 
que  la  garnison  de  Matamores  tendît  la  main  à 
ses  troupes.  Seize  cents  Mexicains  étaient  alors 
sortis  sous  les  ordres  du  général  Olvera,  étaient 
tombés  au  milieu  de  différents  corps  libéraux  qui 
s'étaient  réunis  à  l'improviste  au  nombre  de  quatre 
mille  hommes  et  avaient  été  complètement  dé- 
truits. Le  général  Mejia  ne  disposait  plus  dès 
lors  que  de  quatre  cents  hommes,  ce  qui  était  in- 
suffisant pour  défendre  la  ville.  Il  avait  appelé  à 
lui  la  garnison  de  Bagdad,  mais  il  se  privait  ainsi 
de  ses  communications  entre  Matamores  et  la  mer, 
car  il  n'était  pas  douteux  que  l'ennemi  n'occupât 
Bagdad. 

V Adonis,  expédié  de  Vera-Cruz  en  toute  hâte. 


184  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

n'eut  pas  à  secourir  Matamoros.  Quand  il  arriva, 
la  ville  venait  de  se  rendre.  Elle  avait  été  investie 
le  23  juin,  et  presque  aussitôt  une  partie  des 
lignes  avait  été  abandonnée  par  la  garde  natio- 
nale chargée  de  les  défendre.  A  ce  moment,  le 
général  la  Gazza,  qui  commandait  les  troupes 
ennemies  sous  les  ordres  de  Carbajal,  avait  en- 
voyé à  Mejia  une  sommation  de  se  rendre,  affir- 
mant qu'il  n'y  aurait  aucun  désordre  et  que  les 
propriétés  seraient  respectées.  Une  députation  du 
commerce  avait  appuyé  cette  sommation  près  du 
général  en  lui  faisant  observer  que,  puisqu'il  ne 
pouvait  résister  efficacement,  il  fallait  éviter  que 
la  Yille  ne  fût  prise  d'assaut.  Le  général  s'était 
refusé  énergiquement  à  rendre  la  ville  à  Carbajal, 
tout  en  se  déclarant  prêt  à  traiter  avec  Escobedo 
ou  un  chef  honnête  du  parti  libéral.  Le  général 
Getty  lui  ayant  proposé  des  vapeurs  pour  le  con- 
duire, ainsi  que  sa  garnison,  à  Bagdad,  il  avait  re- 
fusé en  se  disant  assez  fort  pouropérersaretraite 
par  terre  avec  les  soldats  qui  lui  resteraient  fidèles. 
Il  avait  répété  à  plusieurs  reprises  et  d'un  air  bel- 
liqueux et  résolu  qu'il  ne  remettrait  jamais  la 
ville  à  un  misérable  tel  que  Carbajal  et  que,  si  on 
l'attaquait,  il  saurait  montrer  qu'il  était  toujours 
Mejia. 

Le  lendemain,  n'ayant  pas  été  attaqué,  il  céda 
aux  sollicitations  des  habitants  et  consentit  à  par- 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVACUATION      185 

tir.  Il  s'en  allait  attristé,  moins  vaincu  que  décou- 
ragé par  l'inutilité  de  cette  lutte  d'un  an  qu'il 
avait  soutenue,  et  s'étant  acquis  les  sympathies  et 
les  regrets  des  Mexicains  et  des  étrangers.  C'était 
le  24  juin.  Pendant  que  Mejia  partait,  le  consul 
de  France  et  toutes  les  personnes  compromises 
se  réfugiaient  à  Brownsville.  En  rade  de  Bagdad, 
Mejia  avait  trouvé  V Adonis  et  s'y  était  embarqué 
avec  un  certain  nombre  de  troupes  mexicaines  et 
trente  personnes  de  sa  suite. 

En  résumé,  Mejia  avait  quitté  Matamores  en  y 
abandonnant  toute  son  artillerie  de  trente  pièces 
de  canon  en  parfait  état  avec  toutes  les  munitions. 
C'était  pour  les  libéraux  un  succès  dont  le  contre- 
coup se  fit  immédiatement  sentir  partout  à  la  fois. 
Des  troupes  chaque  jour  plus  nombreuses  se  por- 
tèrent sur  Tampico.  Déjà  les  libéraux  avaient 
enlevé  Panuco  et  y  avaient  fait  un  massacre  gé- 
néral. De  là  ils  s'étaient  portés  à  Tampico,  qu'ils 
serraient  de  très  près;  Tuspan  était  tout  à  fait 
compromis.  Tout  le  pays  aux  environs,  sans  en 
excepter  cette  fois  la  moindre  ville,  s'était  pro- 
noncé contre  l'empire,  ce  qui  n'avait  pas  eu  lieu 
depuis  trois  ans.  Le  district  de  Temapache  lui- 
même,  qui  avait  toujours  fourni  les  plus  braves 
soldats  et  les  meilleurs  défenseurs  à  Tuspan,  s'é- 
tait jeté  dans  les  bras  de  l'ennemi.  Il  est  vrai  que 
de  Mexico  on  écrivait  au  commandant  Cloué  :  «  Ne 


186  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

VOUS  préoccupez  pas  de  Tuspan  »,  auquel  cepen- 
dant on  n'envoyait  ni  munitions  ni  soldats,  tandis 
que  l'ennemi,  parfaitement  approvisionné,  faisait 
une  énorme  consommation  de  poudre.  Les  troupes 
de  la  garnison  n'étaient  plus  payées  et  menaçaient 
de  passer  aux  libéraux.  Le  préfet  espérait  tenir 
cinq  jours,  et  le  commandant  lui  expédiait  la 
Tactique  avec  deux  cents  hommes  de  Mejia,  qui 
devaient  aller  à  Tampico  si  Tuspan  était  pris  à 
leur  arrivée. 

Tlacoltalpam  était  également  dans  la  situation 
la  plus  triste.  L'ennemi  tenait  la  campagne  et 
coupait  les  vivres  à  la  ville.  Il  forçait  les  ranche- 
ros  à  emmener  leurs  troupeaux  de  bœufs  dans 
l'intérieur,  à  tel  point  que  Tapprovisionnement  de 
Vera-Cruz  était  menacé.  L'eau  douce  manquait, 
car  l'ennemi  était  maître  de  la  source  d'où  on 
l'apportait  à  Tlacotalpam.  La  garnison  et  les  ha- 
bitants ne  buvaient  plus  que  de  l'eau  saumâtre 
du  fleuve.  Les  communications  avec  Alvarado  de- 
venaient extrêmement  difficiles,  l'ennemi  ayant 
maintenant  une  pièce  au  Conejo  et  une  au  Mia- 
dero,  et  devant  en  avoir  bientôt  deux  autres  qu'il 
faisait  venir  de  Minatitlan.  Il  était  rare  que  la 
Pique  ou  la  Tempête  ne  reçussent  pas,  en  pas- 
sant, quelque  boulet  dans  leur  coque.  Ce  qui  se 
passait  aux  environs  de  Vera-Cruz  et  à  Vera- 
Cruz  même  est  à  peine  croyable.  Le  5  juillet,  des 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'ÉVAGUATION      187 

prisonniers  de  guerre  employés  au  nettoyage  de 
la  ville  se  révoltaient.  Un  d'eux  était  tué  par  un 
Égyptien,  et  Tordre  se  rétablissait.  Mais  c'était  une 
manoeuvre  convenue  avec  les  dissidents  qui  se 
tenaient  aux  alentours  de  la  ville,  afin  qu'on  leur 
livrât  une  des  portes,  par  où  ils  auraient  pénétré 
pour  s'emparer  des  autorités  et  piller  en  même 
temps  les  caisses  de  certaines  maisons  de  commerce 
mal  notées  par  eux.  L'ennemi  explorait  la  cam- 
pagne par  bandes  de  cinquante  à  soixante  hommes 
et  s'avançait  la  nuit  jusqu'aux  murailles  de  la 
ville,  très  faciles  à  escalader.  Une  de  ces  bandes 
avait  même  campé  au  cimetière  pendant  quinze 
heures.  Le  capitaine  Morisson,  commandant  supé- 
rieur à  Vera-Cruz,  avait  dû  demander  quelques 
hommes  au  commandant  Cloué  pour  maintenir  la 
ville,  où  régnait  une  grande  fermentation,  la  plus 
grande  partie  de  la  population  nous  étant  opposée. 
Le  commandant  lui  avait  envoyé  un  peloton  de 
marins  créoles  et  une  pièce  de  4  rayée. 

En  dehors  de  ce  détachement,  la  garnison  de 
Vera-Cruz  ne  se  composait  plus  que  de  quarante 
hommes  de  la  compagnie  indigène  du  génie  de  la 
Martinique  et  de  cent  vingt-cinq  Égyptiens,  en 
tout  cent  soixante-cinq  hommes,  pour  une  ville 
populeuse  et  toute  dévouée  à  Juarez.  Le  capitaine 
Morisson  avait  télégraphié  à  Orizaba,  où  résidait 
le  lieutenant-colonel  Roland,  commandant  des 


188  LA  MARIxXE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

terres  chaudes,  pour  lui  demander  du  monde.  Cet 
officier  supérieur  avait  simplement  répondu  qu'il 
n'avait  personne.  Il  pouvait  en  résulter  que  les 
communications  de  Vera-Cruz  avec  l'intérieur 
fussent  bientôt  coupées.  En  effet,  le  8  juillet,  le 
village  de  la  Purga  était  attaqué,  ce  qui  avait  re- 
tardé le  train  de  Mexico.  Quoique  l'ennemi  eût  été 
repoussé,  il  fallai  ts'attendre,  et  sur  une  plus  grande 
échelle,  au  renouvellement  de  ces  tentatives.  De 
plus,  on  était  forcé  d'employer  désormais  qua- 
rante Égyptiens  pour  la  sécurité  des  trains,  vingt 
au  train  montant  et  vingt  au  train  descendant.  Il 
devenait  de  la  dernière  urgence  d'obtenir  du  ma- 
réchal une  troupe,  quelle  qu'elle  fût  et  quelque 
danger  que  pût  courir  sa  santé,  pour  garder 
Vera-Cruz. 

Ce  fut  à  ce  moment  que  l'impératrice  Charlotte 
partit  pour  l'Europe.  Elle  allait,  disait-on,  y  réta- 
blir sa  santé  chancelante,  mais,  en  réalité,  y  cher- 
cher des  secours  pour  Maximilien.  Il  y  a  des  évé- 
nements qui  résument  une  situation  sous  une 
forme  sensible.  Tel  fut  ce  départ,  dans  sa  tristesse 
et  son  abandon.  L'impératrice  avait  fait  tout  ce 
que  peut  faire  une  femme  avec  l'insinuante  éner- 
gie de  ses  conseils,  le  charme  de  son  esprit,  la 
décision  de  son  caractère.  Elle  ne  partait  que 
pour  lutter  de  nouveau  sur  un  autre  terrain  et 
prête  à  revenir  dès  que  sa  tâche,  qu'elle  y  eût 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      189 

réussi  ou  non,  serait  terminée.  Le  15  juillet,  le 
commandant  Cloué  ^attendait  à  Vera-Cruz,  d^où 
elle  s'embarquait  sur  le  paquebot  de  Saint- 
Nazaire. 

Dès  la  veille,  afin  qu'aucun  incident  ne  vînt 
retarder  l'embarquement  de  l'impératrice,  le  com- 
mandant Peyron,  chargé  du  service  maritime 
français  à  terre,  avait  fait  appeler  le  capitaine  du 
port  mexicain  et  lui  avait  demandé  s'il  avait  un 
canot  pour  Sa  Majesté.  Il  n'en  avait  pas.  —  S'il 
avait  des  hommes  ?  Pas  davantage.  Le  comman- 
dant Peyron  dit  alors  qu'il  fournirait  le  canot  et 
les  hommes,  mais  que  le  pavillon  français  flotte- 
rait à  l'arrière  et  le  pavillon  mexicain  devant.  Le 
15  juillet.  Sa  Majesté,  qui  avait  déjeuné  à  Paseo- 
del  Macho,  n'arriva  à  Vera-Cruz  qu'à  deux  heures. 
Elle  descendit  du  chemin  de  fer  et  se  dirigeait  vers 
le  môle  pour  s'embarquer,  lorsqu'elle  s'arrêta 
tout  à  coup  et  entra  dans  le  bureau  français  de  la 
direction  du  port,  où  elle  fit  appeler  le  général 
Marin,  préfet  maritime  mexicain.  Le  général 
sortit  bientôt  très  pâle  et  très  ému  et  vint  dire  au 
commandant  Cloué  que  Sa  Majesté  faisait  des 
difficultés  à  cause  du  pavillon.  Il  pouvait  en  coû- 
ter en  effet,  à  l'impératrice  du  Mexique,  de  ne 
point  même  quitter  sous  son  pavillon  impérial  ce 
sol  où  elle  avait  régné,  où  elle  régnait  encore.  Le 
commandant  Cloué  voulut  entrer  chez  l'impéra- 


190  LA  MARINE  FRAîS'ÇAISE  AU   MEXIQUE 

trice,  pour  lui  expliquer  ce  qui  s'était  passé;  mais 
le  général  Marin,  qui  avait  peut-être  accusé  la 
marine  française  d'avoir  tout  voulu  prendre  sur 
elle,  le  supplia  de  n'en  rien  faire.  On  échangea 
naturellement  ce  pavillon  de  poupe  contre  un 
pavillon  mexicain,  et  l'impératrice  s'embarqua 
immédiatement. 

La  foule  était  compacte.  Les  marins  formaient 
la  haie.  Le  silence  le  plus  complet  régnait.  Il  ne 
fut  pas  poussé  un  seul  vivat.  C'est  à  peine  si 
quelques  chapeaux  se  soulevèrent.  Une  voix 
essaya  de  crier  :  «  Vive  l'impératrice  !  >  Personne 
ne  lui  répondit,  bien  que  le  môle  fût  couvert 
d'autant  de  monde  qu'il  en  pouvait  contenir.  Sa 
Majesté  paraissait  douloureusement  impres- 
sionnée. Pendant  le  trajet  du  môle  au  paquebot, 
le  canon  du  Magellan  à  Sacrificios  et  les  cris 
de  :  «  Vive  l'empereur  !  »  que  les  matelots  de  la 
Pique,  mouillée  près  du  fort,  poussèrent  de  la 
mâture,  réussirent  à  distraire  un  instant  l'impé- 
ratrice. Arrivée  au  paquebot,  elle  garda  un  quart 
d'heure  auprès  d'elle  le  commandant  Cloué,  et  le 
congédia  en  lui  annonçant  qu'elle  serait  de  retour 
dans  trois  mois.  A  cinq  heures  du  soir,  le  paque- 
bot partait  pour  l'Europe. 

L'attitude  de  la  population  de  Vera-Cruz  dans 
cette  circonstance  révélait  assez  ses  dispositions 
intimes.  Il  s'organisait  en  ville,  et  presque  ou- 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l' ÉVACUATION   191 

vertement,  un  complot  pour  piller  la  caisse  de 
la  douane,  enlever  les  personnes  de  marque  et 
égorger  les  employés  français.  Ce  complot  fut 
découvert  par  un  sous -officier  de  la  contre- 
guérilla,  qui  avait  été  admis  sans  difficultés  à  y 
participer.  Les  conspirateurs,  au  nombre  de 
quarante  ou  cinquante,  se  réunissaient  dans  une 
maison  en  face  du  théâtre.  C'était  là  que  demeu- 
rait leur  chef,  un  ancien  prisonnier  de  Puebla, 
conduit  en  France,  puis  gracié,  nommé  Théran. 
Le  commandant  militaire  de  Vera-Cruz  savait  si 
peu  ce  qui  se  passait,  qu'informé  du  lieu  de  la 
réunion,  il  ignorait  que  ce  fût  la  maison  d'un 
homme  aussi  dangereux  que  Théran.  Bien  qu'on 
ne  fût  pas  encore  au  mois  d'octobre,  il  eût  été  bon 
que  le  commandant  des  terres  chaudes  se  trouvât 
à  son  poste.  En  vain  on  lui  demandait  du  monde, 
il  répondait  :  «  C'est  comme  cela  partout.  Je  ne 
peux  rien,  car  je  n'ai  pas  assez  de  troupes;  et 
Vera-Cruz  est  ce  qui  m'inquiète  le  moins,  à  cause 
de  la  marine.  > 

Que  pouvait  faire  cependant  la  marine,  une 
fois  la  garnison  enlevée,  sinon  menacer  la  ville 
d'un  bombardement  qui  ne  se  fût  pas  accompli? 
De  plus,  les  dissidents,  après  avoir  pillé,  s'en 
seraient  allés.  Du  reste,  le  commandant  supérieur 
disait  vrai.  Ses  troupes,  en  trop  petit  nombre, 
avaient  besoin  d'être  partout  et  n'étaient  nulle 


192  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

part.  Tous  les  postes  entre  Jalapa  et  Vera-Cruz 
s'étaient  prononcés  contre  l'empire.  Des  bandes 
de  brigands  arrêtaient  les  bœufs  et  les  provisions. 
Pour  la  première  fois  depuis  plusieurs  années, 
on  venait  d'être  obligé  de  faire  entrer  en  ville  un 
troupeau  de  bœufs  afin  d'assurer  l'alimentation 
pendant  quelques  jours.  Le  29  juillet,  Medellin, 
village  à  deux  lieues  de  Vera-Cruz,  sur  une 
branche  du  chemin  de  fer,  était  attaqué,  et,  pour 
le  dégager,  il  fallait  envoyer  trente  Égyptiens  de 
la  garnison  déjà  si  restreinte.  Alvarado  était  pris. 
Les  canonnières  la  Tactique  et  la  Diligente  étaient 
arrivées  trop  tard  pour  le  secourir.  Elles  l'avaient 
repris,  mais  ne  pouvaient  y  mettre  de  garnison. 
Comme  c'était  le  point  de  ravitaillement  de  Tlaco- 
talpam,  il  eût  fallu  que  le  colonel  Camacho  y 
envoyât  des  troupes,  mais  il  était  hors  d'état  de 
le  faire.  Le  colonel  et  ses  soldats,  très  émus  de  la 
chute  de  Matamoros,  s'étaient  liés  ostensiblement 
avec  les  libéraux  et  ne  restaient  si  longtemps  à 
leur  poste  que  par  point  d'honneur.  La  Tempête, 
qui  était  à  Tlacotalpam  même,  avait  sa  coque 
avariée,  une  partie  de  son  équipage  sur  les  cadres. 
Le  séjour  de  la  rivière  devenait  mortel  pour  elle, 
et  elle  allait  rentrer  pour  être  démolie,  n'étant 
plus  d'ailleurs  d'une  utilité  indispensable  au 
colonel  Camacho,  qui  avait  assez  d'infanterie  et 
de  cavalerie  pour  évacuer  la  ville.  En  tout  cas, 


EVj;.\EMi;.\rs  \>k  matamouos  a  i."i;vA(. cation     193 

Tlacotalpain  devait  être  perdu  au  premier  jour. 
Tampico  succombait.  Il  n'avait  point  reçu  de 
secours  autre  que  le  Mosquito,  dont  la  présence 
rassurait  la  ville,  mais  qui  ne  pouvait  sauver 
la  place  assiégée  par  deux  mille  dissidents.  Le 
1"  août,  avant  le  jour,  l'ennemi  avec  lequel  s'en- 
tendait la  partie  mexicaine  de  la  garnison  avait 
envahi  le  fort  Iturbide,  situé  dans  la  partie  sud-est 
de  Tampico  et,  de  là,  toute  la  ville,  sans  tirer  un 
coup  de  fusil.  Il  n'y  avait  plus  à  tenir  que  la  posi- 
tion à  l'ouest  de  la  ville,  le  fort  Casamata,  occupé 
par  le  capitaine  Langlois  et  la  contre-guérilla.  Au 
départ  du  Mosquito  qui  apportait  ces  nouvelles  à 
Vera-Cruz,  le  capitaine  Langlois  espérait  tenir 
jusqu'au  8  août,  bien  que  l'ennemi  dût  être  ren- 
forcé par  cinq  cents  hommes  qui,  de  la  rive  droite, 
se  dirigeaient  de  Tampico-Alto  sur  Pueblo-Viejo. 
Un  grand  nombre  de  dissidents  étaient  armés  de 
carabines  revolvers  à  six  coups.  Le  Mosquito,  qui 
ne  ramenait  qu'une  dizaine  de  personnes,  avait 
été  traversé  d'un  bord  à  l'autre  par  un  boulet  de 
24  du  fort  Iturbide.  Il  ne  s'agissait  pas  de  re- 
prendre Tampico  pour  le  perdre  quinze  jours 
plus  tard,  mais  il  fallait  sauver  les  deux  cents 
Français,  habitants  et  soldats,  qui,  avec  le  capi- 
taine Langlois,  se  trouvaient  au  fort  Casamata 
dans  la  situation  la  plus  critique.  En  effet,  par 
une  imprévoyance  bien  extraordinaire,  si  cela  ne 

13 


194  LA   MARIEE   P^RANÇAISE   AU   MEXIQUE 

se  fût  passé  au  Mexique,  le  fort  de  Casamata  était 
à  peine  approYisionné  de  vivres  et  de  munitions 
de  guerre.  Il  n'avait  qu'une  semaine  de  provisions 
avariées  et  au  V  août  vingt  coups  de  canon. 
Encore  en  avait-il  tiré  six  au  commencement  de 
l'action,  ce  qui  les  réduisait  à  quatorze. 

Le  maréchal,  instruit  des  faits,  mit  à  la  disposi- 
tion du  commandant  Cloué  deux  cents  hommes 
d'infanterie  du  colonel  Rolland  à  Orizaba.  Mais 
c'était  trop  peu  de  monde  pour  essayer  de  reprendre 
Tampico  et  trop  pour  le  seul  coup  de  main  hardi 
et  prompt  qu'il  y  avait  à  tenter  en  faveur  de  nos 
soldats.  D'ailleurs,  très  pressé  sur  tous  les  points, 
le  colonel  manifesta  le  plus  vif  désir  de  garder  ses 
hommes.  Le  commandant  n'insista  pas  et  expédia 
aussitôt  à  Tampico  V Adonis,  la  Tactique,  la 
Diligeryte  et  le  Mosquito.  Les  instructions  de  VA- 
donis,  qui,  à  cause  de  son  tirant  d'eau,  ne  pouvait 
entrer  en  rivière,  étaient  de  faire  franchir  la 
barre  aux  canonnières,  s'il  y  avait  lieu.  Cela  fait, 
elles  devaient  éteindre  .le  feu  du  fort  Iturbide,  qui, 
au  sud-est  de  la  ville  et  au  tournant  du  fleuve, 
était  occupé  par  l'ennemi,  puis  se  mettre  en 
communication  avec  la  garnison  assiégée  dans  la 
partie  ouest  et  ne  rester  que  le  temps  nécessaire 
pour  sauver  le  monde  et  l'enlever.  Avec  le  fort 
Iturbide  c'était  wie  partie  de  canon  de  30  rayé  à 
jouer,  et  il  fallait  la  jouer  à  coup  sûr.  Le  comman- 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      195 

dant  Cloué,  que  la  situation  de  Vera-Cruz  alar- 
mait, n'avait  pas  l'intention  de  le  quitter,  lorsqu'il 
reçut  du  maréchal  une  lettre  où  se  déguisait  mal 
une  vive  anxiété  au  sujet  de  Tampico.  Il  comprit 
qu'il  devait  partir,  et  se  mit  en  route  avec  le 
Magellan  et  la  Pique,  la  dernière  canonnière  qui 
lui  restât. 

Cependant  les  jours  s'écoulaient,  et  la  position 
du  capitaine  Langlois,  plus  grave  que  ne  l'avait 
annoncée  le  Mosquito,  s'était  encore  compliquée. 
Il  était  assiégé  à  la  fois  dans  le  fort  de  Casamata 
et  dans  la  caserne  de  l'Octavo,  où  s'était  réfugiée 
une  partie  de  la  garnison  mexicaine  demeurée 
fidèle.  Or  les  provisions  mises  dans  le  fort  de  Casa- 
mata, un  mois  auparavant,  se  composaient  de 
trente  jours  de  biscuit  et  d'eau  pour  soixante 
hommes.  Au  1"  août,  le  biscuit  était  en  partie 
avarié,  et  il  y  avait  à  nourrir  cent  quatre-vingt- 
dix  hommes  de  la  contre-guérilla  et  cinq  cent  vingt 
Mexicains.  Il  est  vrai  que,  le  1"  août,  le  premier 
jour  de  la  lutte,  deux  cents  Mexicains  avaient 
déserté  et  que  onze  Français  s'étaient  fait  tuer  à 
leur  poste,  au  fort  Iturbide.  Le  soir,  un  officier 
M.  de  Lorne,  et  vingt  et  un  soldats  français  avaient 
péri  dans  une  reconnaissance  autour  du  fort.  Le 
troisième  jour,  il  avait  encore  déserté  deux  cents 
Mexicains,  et  il  n'en  restait  plus,  en  défalquant  les 
malades,  que  soixante-dix  capables  de  combattre. 


190  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

La  ration  de  la  troupe  était  réduite  à  une  galette 
de  biscuit.  Dès  le  principe,  les  ressources  du  fort 
en  vivres  avaient  été  partagées  entre  le  fort  et  la 
caserne  de  l'Octavo,  où  il  n'y  avait  aucun  appro- 
visionnement, sauf  une  citerne  de  bonne  eau. 
Pendant  le  jour,  les  communications  entre  les 
deux  points  étaient  à  peu  près  impossibles,  l'en- 
nemi balayant  de  son  feu  l'espace  qui  les  séparait. 
On  communiquait  la  nuit  avec  moins  de  risques. 
Quoiqu'on  eût  fait  une  visite  dans  les  magasins 
des  environs,  on  n'avait  trouvé  ni  farine,  ni 
maïs,  seulement  un  peu  d'eau-de-vie.  Il  avait 
fallu  songer  à  tuer  et  à  essayer  de  saler  les  cinq 
ou  six  chevaux  qui  restaient  dans  la  caserne.  En 
artillerie,  le  fort  avait  une  pièce  de  24  sans 
munitions,  deux  pièces  et  deux  canons-obusiers 
de  12,  dont  un  hors  de  service,  ces  pièces  conve- 
nablement munies  de  poudre  et  de  projectiles.  A 
l'Octavo,  il  y  avait  une  pièce  de  12,  un  obusier 
de  16  et  un  canon-obusier  de  12;  mais  on  avait 
renoncé  à  se  servir  de  ces  trois  pièces,  qui  ébran- 
laient trop  fort  la  caserne.  Les  munitions  étaient 
si  mauvaises,  que  les  projectiles  ne  pouvaient 
être  lancés  qu'à  très  peu  de  distance.  Pour  la 
mousqueterie,  on  avait  des  cartouches,  à  condi- 
tion de  ne  pas  les  prodiguer. 

Le  premier  jour,  les  Français  furent  sommés 
de  se  rendre  purement  et  simplement.  On  leur 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVAGUATION      197 

promettait  la  vie  sauve.  M.  Langlois  avait  refusé. 
Le  troisième  jour,  les  travaux  d'approche  de 
l'ennemi  cernaient  la  caserne  et  le  fort  ;  ses  barri- 
cades, armées  de  canon,  étaient  tout  près.  Le  10, 
nouvelle  sommation.  Une  lettre  du  général  Pavon 
ofFrcxit  au  capitaine  Langlois  de  sortir  de  ses  posi- 
tions avec  les  honneurs  de  la  guerre  et  de  partir 
pour  Vera-Cruz  sur  le  petit  vapeur  mexicain  le 
Vera-Cruz,  qui  était  alors  dans  la  rivière.  Nou- 
veau refus  du  capitaine.  C'est  ce  jour-là  qu'ar- 
rivèrent les  canonnières.  L'ennemi  coula  aussitôt 
deux  bateaux  dans  la  passe.  Malgré  ces  obstacles, 
le  7,  au  matin,  la  Diligente  et  la  Tactique  fran- 
chirent la  barre  avec  le  Mosqiiito,  éteignirent  le 
feu  du  fort  Iturbide  et  continuèrent  leur  route. 
La  Diligente  et  la  Tactique  étaient  beaupré  sur 
poupe  et  le  Mosquito  à  bâbord  des  deux,  car  on 
n'attendait  d'attaque  que  de  tribord.  Mais  l'en- 
nemi avait  établi  une  batterie  à  bâbord,  à  l'en- 
droit appelé  Las  Piedras.  Ayant  leur  artillerie 
disposée  pour  tribord,  les  canonnières  durent 
essuyer  le  feu  de  cette  batterie,  à  laquelle  le 
Mosquito  seul  put  répondre.  Au  même  moment, 
les  pièces  du  sud  et  de  l'ouest  du  fort  Iturbide, 
qui  n'avaient  pas  eu  encore  occasion  de  tirer, 
ouvrirent  leur  feu  sur  les  canonnières,  qui  avaient 
dépassé  le  tournant  du  fleuve  et  qui  arrivèrent 
ainsi  sous  la  ville,  où  elles  furent  accueillies  par 


198  LA   ÎSIARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

un  autre  feu  très  vif  de  canon  et  de  mousqueterie 
partant  des  barricades. 

Les  canons  rayés  des  canonnières  eurent  bien- 
tôt engagé  Tennemi  à  cesser  son  feu  et  à  se  tenir 
à  l'abri.  Les  canonnières  se  turent  elles-mêmes. 
La  ville  étant  bâtie  en  amphithéâtre,  il  était 
impossible  de  voir  Casamata.  On  savait,  de  plus, 
les  troupes  libérales  fort  nombreuses.  Tenter  de 
communiquer  de  vive  force  avec  les  nôtres  dans 
une  pareille  situation  était  à  peu  près  imprati- 
cable. Le  lieutenant  de  vaisseau  Révault,  com- 
mandant la  Diligente  et  le  plus  ancien  des  trois 
capitaines,  fît  hisser  le  pavillon  blanc  et  convint 
avec  ses  deux  collègues  que  si,  dans  une  heure, 
personne  n'était  venu,  on  amènerait  le  signal  de 
trêve  et  on  ouvrirait  de  nouveau  le  feu  contre  la 
ville.  Cela  allait  être  fait,  quand  le  général  Pavon 
envoya  un  de  ses  officiers  parler  au  capitaine 
Révault.  Celui-ci,  se  fiant  avec  une  énergie  sin- 
gulière à  la  simple  parole  d'honneur  des  Mexi- 
cains, se  fit  conduire  à  la  caserne  de  l'Octavo,  où 
était  M.  Langlois,  apprécia  la  position  désespérée 
de  cet  officier  et  parvint,  non  sans  peine,  il  est 
vrai,  à  le  convaincre  qu'une  plus  longue  résis- 
tance ne  conduirait  à  rien  et  que  le  mieux  à  faire 
était  d'accepter  les  conditions  les  plus  honorables 
qui  aient  jamais  été  obtenues. 

Il  est    certain   que,    n'ayant    pas    le    millier 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION      199 

d'hommes  nécessaires  pour  occuper  et  garder 
Tampico,  il  n'y  avait  rien  de  mieux  à  faire  que 
de  se  retirer  avec  tous  les  honneurs  de  la  guerre 
et  de  ne  pas  compromettre,  pour  un  résultat 
impossible,  la  vie  de  braves  soldats.  Suivant  la 
convention  qui  fut  dressée,  les  troupes  s'embar- 
quèrent le  lendemain,  à  trois  heures,  emmenant 
même  avec  elles  deux  canons-obusiers  de  12, 
Pour  rendre  les  honneurs  aux  soldats  de  M. 
Langlois,  les  troupes  mexicaines,  au  nombre  de 
deux  mille  cinq  cents  hommes,  étaient  rangées 
en  ligne  sur  tout  le  parcours  et  dans  le  plus 
grand  ordre.  Elles  avaient  très  bonne  mine.  Ce 
n'étaient  pas  des  bandes,  mais  bien  des  troupes 
avec  lesquelles  il  fallait  compter.  Le  général 
Pavon  fut  d'une  courtoisie  parfaite  et  avait  pris 
toutes  ses  mesures  pour  éviter  un  conflit,  ce  qui  était 
nécessaire,  car  la  contre-guérilla  avait  accumulé 
bien  des  haines  contre  elle  dans  les  environs  de 
Tampico.  Il  avait  menacé  ses  soldats  de  faire 
fusiller  même  celui  d'entre  eux  dont  le  fusil  par- 
tirait par  inadvertance. 

Lorsque  les  canonnières  eurent  repassé  la  barre, 
le  Magellan,  qui  venait  d'arriver  devant  Tampico, 
prit  à  son  bord  les  débris  de  la  garnison,  composée 
de  trente  officiers  et  cent  soixante-seize  hommes 
de  la  contre-guérilla  ;  quatre-vingts  officiers, 
vingt  et  un  hommes  de  cavalerie  et  trente  hom- 


200      LA  MARINE  FRANÇAISE  AU  MEXIQUE 

mes  d'infanterie  mexicaine ,  trente  femmes  et 
enfants  appartenant  plus  ou  moins  à  ces  troupes, 
et  quinze  réfugiés  civils  divers.  La  tranquillité 
se  rétablit  d'ailleurs  assez  vite  à  Tampico  pour 
que  le  consul,  M.  de  Saint-Charles,  et  l'agent  des 
paquebots  transatlantiques  pussent  engager  le 
capitaine  de  la  Sonora  à  remonter  devant  la  ville 
et  à  faire  ses  opérations  comme  auparavant.  Le 
commerce  de  Tampico  se  consola  facilement  de 
nous  voir  partir,  car  les  routes  devenaient  libres 
par  l'intérieur,  et  quels  que  fussent  les  droits  à 
payer,  il  y  avait  de  gros  bénéfices  assurés.  Si  le 
port  de  Tampico  restait  ouvert,  il  allait  devenir 
un  des  principaux  ports,  au  grand  détriment  de 
Vera-Cruz,  par  où  entraient  les  marchandises 
étrangères. 

L'évacuation  de  Tlacotalpam  suivit  de  près  la 
chute  de  Tampico.  La  ville  était  attaquée  le 
10  août.  L'attaque  avait  été  repoussée ,  mais  le 
colonel  Camacho  n'espérait  pas  résister  plus  long- 
temps et  paraissait  complètement  découragé.  Il 
avait  deux  cent  cinquante  hommes  malades  et 
blessés,  le  reste  démoralisé.  L'autorité  mexicaine 
de  Vera-Cruz  lui  envoyait  enfin  des  instruments 
de  chirurgie,  mais  point  de  munitions  pour  son 
artillerie.  C'était  dérisoire.  La  Tempête,  occupée 
à  garder  Alvarado,  ne  pouvait  communiquer  avec 
lui  et  ne  passait  d'ailleurs  le  Conejo  qu'avec  de 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAJIOROS  A  l/ÉVACUATION      201 

très  grands  risques.  Cela  ne  pouvait  durer. 
L'évacuation  fut  résolue.  On  récoltait  ainsi  ce 
qu'on  avait  semé,  car  le  commandant  Cloué  n'avait 
laissé  ignorer  à  personne  que  toute  garnison 
laissée  à  Tlacotalpam  pendant  l'hivernage  était 
fatalement  vouée  à  la  mort  et  que,  pour  ces  motifs, 
les  dissidents  eux-mêmes  en  1864  avaient  dû 
évacuer  la  ville  après  l'avoir  reprise.  La  Pique, 
la  Tempête,  la  Tactique  et  la  Diligente  partirent 
d'Alvarado  et,  se  soutenant  les  unes  les  autres 
pour  affronter  l'artillerie  du  Miadéro  et  du  Conejo, 
remontèrent  à  Tlacotalpam.  En  passant  au  Conejo, 
la  Tactique  eut  un  boulet  à  la  flottaison  et  la 
Pique  ses  plaques  de  blindage  de  mousqueterie 
traversées  par  un  boulet  qui  blessa  un  homme 
assez  grièvement.  Elle  semblait  avoir  le  monopole 
de  ces  sortes  de  mésaventures. 

Le  colonel  Camacho  et  M.  Gaude,  le  capitaine  le 
plus  ancien  de  la  Tempête,  arrêtèrent  les  dispo- 
sitions à  prendre  pendant  la  journée  de  suspen- 
sion des  hostilités  convenue  entre  le  général 
Garcia  et  le  colonel  Camacho.  Le  18,  l'évacuation 
avait  lieu ,  laborieuse  et  traversée  par  un  fort 
coup  de  vent.  La  rivière  était  si  agitée,  que  les 
canonnières  avaient  peine  à  marcher  et  qu'il  fut 
impossible  à  la  cavalerie  de  Figuerero  de  passer 
au  paso  Miadero.  Il  fallut  qu'elle  vînt  camper  vis- 
à-vis  d'Alvarado,  mais  de  l'autre  côté  de  la  lagune, 


202  LA   ilARINE   FRANÇAISE   AU   MEXIQUE 

SOUS  la  protection  des  canonnières.  Ce  fut  de  là 
qu'après  le  coup  de  vent  elle  passa  à  Alvarado 
sans  accident,  à  Taide  de  toutes  les  pirogues  mises 
en  réquisition.  Les  canonnières  revinrent  à  Vera- 
Cruz.  La  Tem;pête  resta  à  Alvarado. 

Cette  évacuation  permettait  de  secourir  Tuspan 
avec  la  garnison  de  Tlacotalpam,  devenue  libre  ; 
mais  on  trouva  préférable  de  laisser  à  Alvarado 
la  troupe  de  Camacho,  qui  avait  beaucoup  de 
malades,  et  d'envoyer  celle  de  Figuerero  prendre 
son  ancien  poste  sur  notre  ligne  de  communica- 
tion, près  de  Medellin.  Le  général  Callejo,  préfet 
de  Tuspan ,  •  demandait  toutefois  des  secours 
immédiats.  C'était  avouer  qu'on  renonçait  à 
s'occuper  de  Tuspan.  De- fait,  on  était  débordé  de 
tous  côtés.  Le  21  août,  ce  même  Medellin  avait  été 
attaqué  par  la  bande  de  Prieto,  forte  de  deux 
cents  hommes.  Deux  maisons  avaient  été  brûlées 
et  les  rails  enlevés  en  trois  endroits  pour  couper 
la  communication  avec  Vera-Cruz.  La  faible 
garnison  de  trente-sept  hommes  avait  eu  des  tués 
et  des  blessés. 

Comme  toujours,  —  cette  fois  en  attendant  la 
troupe  de  Figuerero,  —  vingt  cavaliers  égyptiens 
avaient  été  détachés  de  Vera-Cruz  pour  Medellin. 
La  situation  de  Vera-Cruz  était  plus  inquiétante 
ou,  pour  mieux  dire,  plus  humiliante  que  jamais. 
Prieto,  avec  ses  guérillas,  venait  souvent  camper 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l' ÉVACUATION   203 

à  petite  portée  de  canon  des  murailles.  11  avait 
écrit  à  un  habitant  riche  de  lui  envoyer  un  cheval 
tout  sellé,  et  l'habitant  s'était  exécuté,  parce  qu'il 
avait  aux  environs  des  propriétés  nullement 
protégées.  On  enlevait  à  notre  fournisseur  deux 
cents  bœufs  sur  l'Alameda,  et  pour  les  ravoir,  il 
payait  10  piastres  par  chaque  bête  à  cornes. 
L'ingénieur  du  chemin  de  fer  de  Vera-Cruz  à 
Jalapa  était  enlevé,  relâché  moyennant  500  pias- 
tres de  rançon,  et  chargé  de  recommander  au 
directeur  de  la  compagnie  qu'il  n'oubliât  pas  de 
payer  à  l'avance  sa  contribution  mensuelle  de 
100  piastres,  s'il  ne  voulait  pas  qu'on  brûlât  son 
chemin.  Il  eût  fallu  des  troupes  à  tout  prix  pour 
faire  cesser  cet  état  de  choses  ;  mais  il  n'en  venait 
point,  et  le  maréchal,  importuné  des  demandes 
qu'on  lui  adressait,  répondait  que  tout  cela  finirait 
quand,  avec  le  retour  de  la  belle  saison,  les  trou- 
pes qui  rentraient  en  France  traverseraient  Vera- 
Cruz.  Il  ajoutait  que,  jusque-là,  il  ne  se  souciait 
pas  d'exposer  ses  soldats  à  l'influence  d'un  climat 
meurtrier.  —  C'était  de  la  franchise. 

La  situation  de  Tuspan  était  pourtant  de  plus 
en  plus  compromise.  Les  forces  ennemies  n'étaient 
plus  qu'à  vingt  lieues  de  la  place,  contre  laquelle 
elles  s'avançaient  en  s'augmentant  de  tous  les 
petits  détachements  qui  existaient  déjà  dans  la 
province,  ce  qui  pouvait  faire  deux  mille  hommes. 


204  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

Le  2Q  août,  une  première  attaque  avait  eu  lieu. 
Le  préfet  se  plaignait,  non  sans  raison,  d'être 
abandonné,  et  la  ville  était  travaillée  par  des 
meneurs  qui  n'hésiteraient  pas  à  se  prononcer. 
Les  chefs  de  Tampico  s'acheminaient  de  leur  côté 
vers  Tuspan  et  se  prétendaient  sûrs  d'avoir  la 
garnison  pour  eux.  Le  Mosquito,  dans  de  pareilles 
circonstances,  ne  pouvait  rester  seul  à  Tuspan, 
d'autant  plus  que  l'appui  qu'il  lui  prêtait  deve- 
nait illusoire.  Le  Phlègèton  alla  le  chercher  et  le 
fit  sortir  de  la  rivière,  bien  que  le  général  Callejo 
lui  demandât  de  le  laisser  encore  vingt-quatre 
heures.  Mais,  au  fond,  le  général  était  enchanté 
du  départ  de  ce  petit  navire,  car  c'était  pour  lui 
un  moyen  de  s'excuser  à  nos  yeux  et  un  prétexte 
pour  traiter.  Il  traita,  en  effet,  aussitôt  avec  les 
libéraux. 

Les  troupes  de  Camacho  et  de  Figuerero,  qui 
eussent  pu  être  fort  utiles  à  Tuspan,  ne  devaient 
pas  servir  à  grand'chose  là  où  on  les  avait  lais- 
sées. Elles  se  fondaient  par  la  désertion  et  la 
maladie.  Le  colonel  Figuerero,  pressé  par  le 
capitaine  de  la  Tempête  de  se  rendre  à  Medellin, 
arguait  du  piteux  état  de  sa  cavalerie  et  ne  pa- 
raissait point  disposé  à  partir.  Sur  deux  cent 
vingt-trois  hommes  de  Camacho  qui  occupaient 
Alvarado,  cent  cinquante  seulement,  au  24  août, 
étaient  valides.  Au  7  septembre,  ils  étaient  réduits 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION     205 

à  quinze  ou  vingt,  et  le  colonel  Camacho  prévenait 
le  capitaine  Gaude  qu'il  partait  pour  Vera-Cruz 
afin  d'y  demander  des  secours  et  qu'il  reviendrait 
bientôt.  Il  était  beaucoup  plus  probable  qu'il  ne 
reviendrait  point  ;  car,  à  son  passage  à  Vera-Cruz, 
il  ne  donnait  aucun  signe  d'existence  au  com- 
mandant Cloué. 

A  Jonuta,  la  garnison  s'était  soulevée,  le  11  août, 
à  l'instigation  de  ses  officiers,  et  avait  proclamé 
la  République.  Cette  troupe  se  composait  de 
soixante-six  hommes  et  de  deux  pièces  d'artillerie. 
Aussitôt  après  cette  proclamation ,  elle  avait 
marché  sur  Palizada,  lui  avait  imposé  une  contri- 
bution de  500  piastres,  et  s'était  retirée  sur  Ma- 
cuspana.  Le  capitaine  de  la  Toiirynente  allait  à 
Jonuta,  mais  n'y  pouvait  rien  organiser;  il  n'y 
trouvait  pas  d'ennemis ,  mais  la  plus  grande 
inertie  parmi  les  habitants.  D'ailleurs,  y  eût-on 
envoyé  de  Carmen  une  nouvelle  garnison,  qu'elle 
se  fût  prononcée  comme  l'ancienne,  d'autant  plus 
que  les  troupes  de  Carmen  étaient  composées 
d'anciens  soldats  de  Régulés ,  transplantés  au 
Yucatan,  transformés  là  en  soldats  de  l'empire  et 
qui  ne  se  tenaient  tranquilles  à  la  lagune  que 
parce  qu'ils  avaient  peur  des  canons  de  notre 
bâtiment  stationnaire. 

Par  suite  de  la  défection  de  Jonuta  et  de  Pali- 
zada, la  présence  de  la  Tourmente  à  la  Frontera 


206  LA    r-iARÎAl-:    FRA^•ÇA1SE   AU    MEXIQUE 

n'avait  plus  d'autre  but  que  de  veiller  sur  la 
douane  établie  à  bord  du  Conservadot\  Il  est  vrai 
qu'il  s'agissait  de  la  perception  de  quelques  mille 
piastres  qui,  dans  les  circonstances  actuelles, 
n'étaient  pas  à  dédaigner.  Mais,  les  routes  de 
l'intérieur  appartenant  aux  libéraux  et  la  douane 
de  Vera-Cruz  étant  de  connivence  presque  ouverte 
avec  Alvarado,  par  où  se  faisait  la  plus  active 
contrebande,  cette  perception  baissait  sensible- 
ment et  allait  se  réduire  à  fort  peu  de  chose. 

La  fin  de  notre  occupation  au  Mexique  semblait 
indiquée  d'une  façon  si  naturelle  et  si  logique,  que 
ceux  mêmes  qui  nous  étaient  restés  fidèles  jusque- 
là  et  qui  se  sentaient  de  la  sympathie  pour  nous 
songeaient  le  plus  naïvement  du  monde  à  nous 
abandonner.  Les  notables  de  Carmen  venaient 
trouver  le  lieutenant  de  vaisseau  Cahagne,  du 
Brandon,  et  lui  demandaient  quelle  attitude  il 
prendrait  vis-à-vis  d'eux,  dans  le  cas  où  ils  feraient 
pacifiquement  leur  adhésion  au  gouvernement 
républicain.  Le  capitaine  leur  répondit  qu'il  leur 
enverrait  des  coups  de  canon,  parce  qu'il  ne 
pouvait  leur  permettre  de  changer  leur  forme 
actuelle  de  gouvernement. 

Les  inquiétudes  de  Carmen  se  comprenaient. 
Sa  garnison  de  soixante-dix  hommes  n'était  pas 
sûre,  et,  de  plus,  le  chef  dissident  Prieto,  dont  la 
troupe  avait  été  renforcée  par  les  déserteurs  de 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  L'l VACUATION      207 

Jonuta,  paraissait  avoir  repris  son  ancien  projet 
de  l'envahissement  du  département  de  Campêche 
par  Palizada  et  Sabanqui.  Le  Tabasco  allait  ainsi 
exécuter  contre  le  Yucatan  le  projet  d'invasion 
que  le  Yucatan  avait  formé  contre  lui.  Carmen 
craignait,  avec  quelque  raison,  que  les  Tabasque- 
nos,  dès  qu'ils  seraient  maîtres  de  toutes  les  ri- 
vières, ne  forçassent  le  commerce  entier  à  passer 
par  chez  eux,  n'étant  pas  assez  mal  avisés  pour 
laisser  le  bois  descendre  à  la  lagune  et  y  payer  les 
droits.  Alors  cette  pauvre  île  de  Carmen,  déjà 
grevée  de  droits  d'importation  exorbitants,  eût 
perdu  l'exportation  de  ses  bois ,  sa  dernière 
branche  de  commerce.  La  première  à  se  pronon- 
cer pour  l'empire,  elle  ne  voulait  pas  être  la 
dernière  à  se  prononcer  pour  la  République,  et  il 
y  avait  presque  injustice  à  ne  pas  la  laisser  faire. 
La  seule  considération  était  que  le  Yucatan  se  fût 
prononcé  aussitôt  après  elle,  et  il  y  avait  intérêt 
à  retarder  ce  moment.  Le  Brandon  était  donc 
encore  utile  à  Carmen  pour  la  maintenir  dans  la 
soumission. 

Le  sentiment  du  terme  prochain  de  notre  do- 
mination, corroboré  par  la  nouvelle  officielle  de 
notre  évacuation  dans  un  espace  de  temps  déter- 
miné, était  si  répandu  que,  partout  où  nous 
n'étions  plus,  les  choses  reprenaient,  en  dehors 
de  nous,  leur  cours  ordinaire.  A  Tampico,  déjà  le 


208  LA   MARINE   FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

commerce  trouvait  d'immédiates  compensations 
à  notre  départ.  A  Tuspan,  les  libéraux,  s'occupant 
d'élections ,  portaient  comme  préfet  politique 
notre  ennemi,  le  vieux  Carlos  Llorente.  A  Mata- 
mores, d'où  V Adonis  venait  de  ramener  quelques 
débris  de  la  troupe  du  général  Olvera,  le  gérant 
de  notre  consulat,  M.  Hartemberg,  et  quelques 
Français,  la  tranquillité  régnait  tout  au  profit 
des  libéraux,  qui  s'approvisionnaient  par  le  Texas 
de  tout  ce  dont  ils  avaient  besoin.  De  même  que 
les  confédérés  recevaient  autrefois  par  le  Mexique 
ce  qui  leur  était  nécessaire  sans  que  les  fédéraux 
pussent  s'y  opposer,  de  même  les  libéraux  tiraient 
des  Etats-Unis  par  cette  frontière  tout  ce  qu'ils 
voulaient,  sans  qu'il  nous  fût  permis  d'y  mettre 
obstacle. 

Comme  on  ne  renonce  qu'à  la  dernière  extré- 
mité à  un  pouvoir  longtemps  exercé,  nous  avions 
songé  à  bloquer  les  différents  ports  qui  venaient 
de  nous  échapper;  mais  cela  ne  se  pouvait  faire 
sans  une  notification  de  blocus  et  surtout  sans 
des  forces  effectives  qui  nous  manquaient.  Si  le 
blocus  d'Alvarado,  où  se  trouvait  une  canonnière, 
était  facile,  celui  de  Tampico  était  presque  im- 
possible à  garder  à  cause  du  mouillage.  Le  vent 
du  Nord  forçait  le  bâtiment  à  partir.  Une  fois  le 
bloqueur  hors  de  vue,  le  blocus  était  levé,  et  il  y 
eût  toujours  eu  dans  la  rivière  de  Tampico  quel- 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l/ÉVACI"ATION     20P 

que  bâtiment  étranger  pour  constater  le  fait. 
Nous  avions  agi  ainsi  sur  la  côte  d'Amérique 
pendant  la  guerre  de  la  sécession,  et  il  était  trop 
juste  que  les  Américains  nous  rendissent  la  pa- 
reille. Le  blocus  levé  de  fait,  il  eût  fallu  le  notifier 
de  nouveau.  Enfin,  le  mouillage,  en  cas  de  mau- 
vais temps,  étant  à  20  lieues  de  Tampico,  on  ne 
pouvait  songer  à  faire  admettre  un  blocus  à  cette 
distance.  Il  y  avait  aussi,  ce  qui  était  fort  délicat 
à  remplir,  Ten-tête  de  la  déclaration  de  blocus  : 
«  Vu  l'état  de  guerre  entre  la  France  et  (?)  >  Ce 
point  d'interrogation  était  toute  une  question 
politique  soulevée,  car  on  ne  pouvait  être  en 
guerre,  même  fictivement,  avec  le  Mexique,  au 
moment  où  cette  question  du  Mexique  allait  avoir 
une  fin.  Ces  considérations  firent  abandonner 
toute  idée  de  représailles  par  voie  de  blocus. 

Dès  lors,  les  bâtiments  n'avaient  plus  qu'à  se 
concentrer  à  Vera-Cruz,  en  attendant  que  les 
événements  décidassent  du  rôle  qu'ils  auraient  à 
Jouer.  Au  commencement  de  novembre  1866,  le 
Magellan,  le  PhlègètJion,  V Adonis,  le  Brandon, 
la  Pique,  la  Diligente  et  la  Tactique  avaient  rallié 
à  Vera-Cruz  le  guidon  du  commandant  Cloué.  On 
démolissait  la  Tempête,  qui  finissait  sa  laborieuse 
carrière  par  une  épidémie.  Six  hommes  et  un  de 
ses  officiers,  le  second  du  bord,  mouraient  de  la 
fièvre  jaune.  La  Tourmente  quittait  la  Frontera 

14 


210  LA   MARINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

qu'on  laissait  à  son  libre  arbitre,  et  le  Tartare, 
ayant  d'assez  graves  avaries  de  machines  à  ré- 
parer, restait  seul  à  Carmen,  où  il  avait  remplacé 
le  Brandon. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  raconter  au 
long  les  événements  politiques,  et  nous  ne  ferons 
qu'esquisser  ceux  de  ces  derniers  temps.  Le  26 
octobre,  l'empereur  Maximilien  quittait  sa  capi- 
tale et  s'arrêtait  à  Orizaba.  Mais  le  bruit  courait 
qu'il  allait  abdiquer  et  qu'il  poursuivrait  alors 
son  voyage  jusqu'à  la  Vera-Cruz,  pour  s'y  embar- 
quer. Ses  bagages  étaient  même  arrivés,  et  le 
commandant  Nauta,  de  la  frégate  autrichienne  le 
Dandolo,  avait  reçu  Tordre  de  prendre  toutes  ses 
dispositions  pour  recevoir  Sa  Majesté,  qui  serait 
allée  à  Saint-Thomas  d'abord,  puis  à  Cadix.  Le 
30,  la  nouvelle  arrivait  que  le  départ  de  l'em- 
pereur n'aurait  pas  lieu  avant  quinze  jours;  et 
bientôt  après,  qu'un  grand  changement  s'était  fait 
dans  les  intentions  de  Sa  Majesté,  qui  retour- 
nerait à  Mexico.  D'où  venait  ce  changement  ?  Qui 
l'avait  inspiré  ?  On  dit  que  ce  fut  le  maréchal. 
Quelle  que  pût  être  la  déception  des  espérances 
qu'il  avait  conçues,  ces  espérances  n'étaient  point 
complètement  anéanties  tant  que  l'empereur  Ma- 
ximilien resterait  provisoirement  sur  son  trône. 
Puis,  tant  qu'il  y  resterait,  l'armée  d'occupation 
ne  semblait  devoir  partir  qu'à  la  limite  extrême 


ÉVÉNEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'ÉVACUATION     211 

qu'on  avait  spécifiée,  et  son  chef,  demeurant 
naturellement  à  sa  tête,  ne  serait  point  dans  la 
cruelle  alternative  de  renoncer  définitivement, 
en  partant  avec  elle,  au  rôle  que  les  événements 
pouvaient  l'appeler  à  jouer  ou  de  poursuivre  ce 
rôle  à  tout  hasard  et  comme  un  simple  particulier, 
en  restant  au  Mexique  sans  elle  et  sans  son 
prestige. 

La  dépêche  quiordonnait  l'évacuation  immédiate 
et  complète  fut  donc  un  coup  de  foudre  que  la 
résolution  de  Maximilien  de  ne  point  abdiquer  ne 
pouvait  atténuer.  Cette  abdication  semblait  être, 
en  efiet,  une  conséquence  forcée  de  l'évacuation 
et  devoir  même  la  précéder.  Si  elle  avait  lieu,  on 
avait  le  champ  libre  pour  obtenir  par  des  négo- 
ciations des  garanties  pour  nos  nationaux  et  les 
Mexicains  compromis  dans  notre  cause.  Le  mi- 
nistre de  France,  M.  Dano,  et  le  général  Castelnau 
eurent  à  ce  sujet,  et  autant  en  leur  nom  qu'en 
celui  du  maréchal,  une  entrevue  avec  l'empereur 
Maximilien  à  Puebla.  Après  les  avoir  écoutés, 
Maximilien  leur  dit  en  souriant  :  «  Vous  me  venez 
trouver  de  la  part  du  maréchal,  et  c'est  lui  qui 
m'invite  à  rester.  > 

Il  leur  tendait  en  même  temps  une  lettre,  où 
le  maréchal  lui  conseillait  de  ne  pas  abdiquer, 
d'armer  Marquez  et  Miramon,  et  lui  proposait 
des  armes.  Il  n'est  pas  croyable  que  de  mesquines 


212  LA   MARINE  FRANÇAISE  AU   MEXIQUE 

considérations  d'argent  aient  influencé  le  maré- 
chal ;  mais  les  souverains  aiment  à  récompenser 
ceux  mêmes  par  qui  ils  se  savent  secrètement 
menacés,  des  conseils  d'ambition  qu'ils  en  re- 
çoivent. Maximilien  se  montra  reconnaissant 
envers  le  maréchal,  en  lui  achetant  son  palais  de 
Buena  Vista  100.000  piastres.  L'expédition  se 
liquidait  moins  brillamment  pour  la  France.  Au 
moment  du  départ,  à  Paseo  del  Macho,  six  mulets 
tout  harnachés,  cent  quarante-cinq  bâts  neufs  et 
soixante-dix-neuf  vieux  se  vendaient  aux  enchères 
six  réaux  (4  francs).  Ce  n'était  pas  cher. 

L'évacuation  ordonnée  avait,  en  effet,  suivi 
son  cours,  et  dès  le  mois  de  février,  les  transports 
étaient  arrivés.  L'escadre  cuirassée  de  l'Océan 
était  également  venue,  peut-être  pour  garder 
contre  l'imprévu,  en  lui  donnant  un  caractère 
tout  militaire ,  cette  évacuation  qui  se  faisait 
dans  les  conditions  désarmées  d'un  départ  d'émi- 
grants,  peut-être  aussi  parce  que  son  chef  avait 
désiré  venir.  Il  était  difficile  d'ailleurs  de  remettre 
en  des  mains  plus  fermes  et  plus  courtoises  que 
celles  de  l'amiral  de  la  Roncière  la  surveillance 
et  la  direction  d'un  pareil  mouvement  de  troupes 
et  de  navires.  Dès  le  premier  jour  ,  Tamiral 
comprit  que  le  commandant  Cloué  avec  sa  longue 
expérience  des  hommes  et  des  choses  au  Mexique, 
son  intelligente  et  rare  activité,  était,  pour  l'éva- 


EVENEMENTS  DE  MATAMOROS  A  l'kVACUATION     213 

cuation,  l'organisateur  indiqué  et  sans  égal.  Il  le 
laissa  donc  faire,  et  sa  présence,  au  lieu  d'être  un 
contrôle,  ne  fut  qu'un  bienveillant  appui  pour  le 
commandant  de  la  division. 

Les  vaisseaux  accélérèrent  seulement  de  leurs 
corvées  et  de  leurs  chaloupes  à  vapeur  l'opération 
générale.  En  trois  semaines,  tout  était  terminé. 
Le  dernier  bâtiment-transport  chargé  de  troupes 
était  parti  pour  la  France.  Le  16  mars,  vers  quatre 
heures  du  soir,  l'escadre  cuirassée  de  l'Océan  et 
les  bâtiments  de  la  division  étaient  en  appareil- 
lage sur  rade  de  Sacrificios.  Il  y  avait  eu  la  veille 
un  coup  de  vent  du  Nord,  la  mer  était  encore 
agitée,  le  ciel  gris  ;  on  apercevait  au  loin  les  mu- 
railles blanches  de  Vera-Cruz,  tout  près,  l'îlot  de 
Sacrificios  avec  sa  cabane  d'hôpital  et  les  tombes 
de  nos  marins  dans  le  sable.  On  allait  partir. 
Enfin  !  Et  pourtant  on  éprouvait  une  sorte  de 
regret  mélancolique.  N'était-ce  point  à  ces  riva- 
ges, où  l'on  ne  reviendrait  peut-être  plus,  que 
l'on  avait  soufiert  et  combattu  en  rêvant  par 
instants  la  réalisation  possible  de  belles  espéran- 
ces désormais  évanouies  ! 

L'escadre  cuirassée  s'ébranla  la  première  en 
ligne  de  file.  Les  bâtiments  de  la  division,  le 
Brandon,  le  Tartare,  VAdonis,  la  Tactique,  la 
Pique,  la  Tourmente  et  la  Diligente,  la  suivirent 
de  près,  en  formant  sur  sa  gauche  une  seconde 


214  LA    MARINE   FRANÇAISE   AU    MEXIQUE 

ligne.  Le  Magellan  appareilla  le  dernier.  C'était 
un  hommage  rendu  au  commandant  Cloué,  qui 
n'abandonnait  qu'après  tous  les  autres  ces  plages 
lointaines  où,  pendant  trois  ans,  il  avait  eu  la 
plus  rude  part  et  la  première  dans  les  dangers  et 
les  fatigues.  L'amiral  l'avait  voulu  ainsi,  réser- 
vant comme  récompense  au  commandant  Cloué 
la  justification  de  cette  vieille  parole  française  : 
«  Il  fut  à  la  peine,  c'est  bien  le  moins  qu'il  soit  à 
l'honneur. 


FIN 


Bar-le-Dnc.  —  Typ.  I-.  l'hilii;oiiu  &.  G'.  —  Si: 


>> 


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Los  Angeles 
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