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Full text of "La mise en valeur du Sénégal de 1817 à 1854"

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La mise en valeur du Sénégal 

de 1617 à 1854 






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La mise en valeut 



du Sénégal 



de 1817 à 1854 



par 



Georges HARDY, 

h 

AncicB élève de TEcole Nonnale Supérieure, 

Elève diplômé de 1* Ecole des Hantes -Eludes, 

Agrégé d*Hîstonre et Géographie, 

Docteur es lettres 

Directeur de rEnseignement au Maroc. 



PARIS 
EMILE LAROSE. LIBRAIRE - ÉDITEUR 

II. RUE VICTOfUXNJSm. Il 

1921 



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A LA MÉMOIRE 

DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL WiLLIAM PONTY, 
Mort à Dakar, le 13 Juin 1915. 

DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL CLOZEL, 
Mort k Rabat» le 11 mal 1918 

ET DU GOUVERNEUR GÉNÉRAL VAN VOLLENHOVEN 
Mort au Champ d'honneur, le 20 juillet 1918 



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AVANT-PROPOS 



La période de l'histoire du Sénégal dont nous abordons Tétude 
est fort peu connue : dans Touvrage le plus complet qui ait été 
spécialement consacré à la colonisation du Sénégal, — VHisloire 
du Sénégal du XV^ siècle à 1870, du regretté Pierre Cultru — 
elle n'occupe qu'un chapitre d'une vingtaine de pages; elle 
est généralement présentée par les historiens ou les chroniqueurs 
coloniaux comme un ensemble sans intérêt de pâles événements, 
comme une série d'entreprises mal étudiées, d'échecs mérités, 
d'efforts sans suite, de menues besognes administratives et 
politiques sans flamme ni but précis, et c'est à peine si l'on 
, s'excuse de la négliger. 

Elle se déroule, cependant, sur un long espace de temps : plus 
de trente-sept années; elle représente, pour une large part, 
l'effort colonial de trois gouvernements, la Restauration, la 
Monarchie de juillet, la seconde République, et elle amorce 
la politique du Second Empire; elle s'ouvre au moment où la 
France, rentrant en possession de son empire colonial, cherche 
au loin une compensation à ses récentes défaites et des ressour- 
ces nouvelles pour son relèvement économique; elle participe 
directement à ce beau mouvement patient et modeste, par lequel 
notre pays, au sortir des temps héroïques de la Révolution et 
de l'Empire, entreprend de rassembler tous ses éléments de force 
et de garder son rôle et son titre de grande nation. 

A cet égard, la période que nous voulons contribuer à faire 
connaître mérite donc mieux que le dédain qu'on lui réserve à 
l'ordinaire. Trente-sept années d'histoire française ne s'accom- 
plissent pas, dans un pays neuf et en un temps où nulle tentative 
d'expansion ne devait être engagée à la légère, sans qu'il se 
produise des initiatives intéressantes et des dévouements 
certains, sans qu'une voie d'action se fraie au travers du tumulte 
apparent ou de la trompeuse stagnation des événements, sans 
que la vie profonde du pays intéressé et ses rapports avec le 
reste du monde se modifient en quelque mesure. 

Au surplus, si l'histoire du Sénégal depuis la reprise de pos- 
session, en 1817, jusqu'au gouvernement de Faidherbe, tient 
une place bien étroite dans Tes livres, elle correspond, dans les 



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1 AVANT-PROPOS 

dépôts d'archives, k des monuments considérables : au minis- 
tère dés Ck>Ionies, au Ministère de la Marine, au Gouverneur Gêné* 
rai de TAfrique Occidentale Française, notamment, les docu- 
ments abondent sur cette période, et jusqu'ici la plupart de 
ceux qui ont écrit sur le Sénégal ont négligé de les consulter. 
Or, ces documents contiennent tout autre chose que la relation 
de petits événements administratifs, ils évoquent une vie 
autrement ardente que celle qu'on nous a si souvent dépeinte, 
ils ne donnent nullement l'impression d'une occupation terri- 
toriale sans programme et sans vigueur, à peine traversée de 
lueurs d'initiative et tout juste amenée è sortir de sa passivité 

Î>ar la violence de quelques événements extérieurs : ils nous révè- 
ent des groupes de faits parfaitement liés et fort importants, 
une singulière abondance d'idées fécondes et de recherches 
patientes, des personnalités de haute valeur, des efforts admira- 
bles; ils nous permettent, surtout, de suivre une élaboration 
de la doctrine coloniale française, dans laquelle la part du pou- 
voir central est au moins aussi large que celle du Gouverne- 
ment local. Rien que cette nouveauté suffirait è justifier la pré- 
sente étude. 

Il est vrai qu'on serait tenté de voir dans cette entreprise 
un maigre intérêt d'histoire épisodique et une faible contribu- 
tion à l'histoire des idées : en général, les écrivains qui se sont 
occupés du Sénégal ne contestent pas, pour cette période, la 
réalité des efforts les plus apparents, ils se contentent de nier 
que ces efforts aient abouti à des résultats et qu'ils aient laissé 
une trace quelconque dans l'existence du pays. Nous aurions 
donc affaire à une période émouvante peut-être, en tout cas 
composée de vaines agitations, séparée de la suite des événe- 
ments par l'inutilité de ses expériences et de ses travaux, perdue 
pour le développement ultérieur de nos possessions africaines. 

L'histoire de la domination française au Sénégal s'offre géné- 
ralement comme divisée en deux parties : avant la Révolution, 
c'est la traite des esclaves qui en constitue la trame; à partir 
du Gouvernement de Faidherbe, la mise en valeur commence, 
mais depuis la reprise de possession en 1817 jusqu'à Faidherbe, 
la colonie cherche sa voie, sans la trouver. La désignation de 
Faidherbe comme Gouverneur du Sénégal correspond donc à 
une sorte de miracle; il y a là comme une rupture soudaine avec 
le passé, une orientation systématique vers une politique d'ex- 
pansion territoriale et d'organisation économique; tout ce qui 
précède cet avènement est écrasé par la personnalité de Fai- 
dherbe. 

Ce n'est pas Faidherbe qui a créé cette légende. Nul moins 
que lui ne fut porté à rabaisser l'œuvre de ses devanciers; com- 
me tous les vrais hommes d'action, il ne se trouvait pas gêné par 
les mérites d'autrui: tous les discours qu'il a prononcés, tous les 
ouvrages qu'il a composés, sont remarquablement mesurés 
et modestes, et toujours il s'est fait un devoir de rendre justice 
à ceux qui sont passés avant lui au Gouvernement du SénégaP. 

1. Cf. noUmment Fai<Uiert>e, Le Sénégal (passlm). 

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AVAHT-PMPOS a 

Mais ses biographes, dont beaucoup avaient été ses collabo- 
rateurs, furent moins discrets et moins justes^; et c'est ainsi 
qu'on prit l'habitude de faire commencer à Faidherbe l'histoire 
du Sénégal contemporain. 

Il semble bien que, dès maintenant, cette conception ait fait 
son temps. M. Christian Schefer, de qui les remarquables tra- 
vaux auront tant servi à rajeunir l'histoire de nos colonies, 
écrivait déjà en 1912 : « L'ampleur et la soudaineté (de l'œuvre 
coloniale de la troisième République) résultent, en bonne partie, 
de ce qu'elle s'était trouvée systématiquement, encore qu'obs- 
curément, préparée »* et les études qu'il a données depuis sur 
c La France et le problème colonial », les « Instructions » aux 
Gouverneurs du Sénégal qu'il est en train de publier, ont précisé 
le caractère de cette « préparation »; de son côté, M. Froidevaux, 
par diverses notes parues dans la Reoue de VHisioire des colo- 
nies françaises^ a signalé l'intérêt qui s'attachait aux plans de 
colonisation élaborés au lendemain de la reprise de possession *. 
Enfin, au Sénégal même, MM. Monteilhet et Claude Faure ont 
extrait des archives locales maintes preuves de l'activité et 
de l'utilité des tentatives de mise en valeur antérieures au Gou- 
vernement de Faidherbe*. 

Avec eux, nous croyons pouvoir affirmer qu'il y a, dans l'his- 
toire du Sénégal, une période « préfaidherbienne », si l'on peut 
dire, et dont les événements sont intimement liés à l'œuvre 
du grand colonisateur. Nous pensons, et nous voudrions démon- 
trer, que cette période n'a pas été une simple préparation au 
sens déterministe du mot, c'est-à-dire une série de faits inévi- 
tables, dus aux circonstances plutôt qu'aux hommes et contri- 
buant à composer la situation du Sénégal en 1854, mais une suite 
d'efforts très méritoires et, malgré les apparences, souvent 
efficaces, qui ont permis à Faidherbe de concevoir avec netteté 
son plan d'action et d'employer au mieux des intérêts de la 
colonie ses qualités personnelles. Nous distinguons, assurément, 
entre le succès éclatant de l'œuvre de Faidherbe et les succès 
partiels, obscurs, de ses prédécesseurs, mais nous refusons 
d'admettre que ces succès aient été purement passagers et que 
la sonune en fasse un échec; nous désirons prouver avant tout 
que des hommes comme Schmaltz, comme Fleuriau, comme Ro- 
ger, comme Bouët-Williaumez et beaucoup d'autres ont, par 
leur intelligence et leur énergie, déblayé le terrain sénégalais 
des obstacles qui l'encombraient et semé des idées, ébauché des 



1. Cf. notamment Cap. Prœlicher, Trois colonisaUurê i Bugeaud, Faidherbe^ 
GedlUni; et Fulc»ud, Le général Faidherbe. 

2. Christian Schefer, La monarchie de Juillet et TexpanBlon coloniale (Retnu deê 
D0U9'Mond€$, 1012, p. 152 et sq). 

S. Cf. surtout : Là teniatioes d* exploitation agricole au Sénégal à Vépoque de lu 
Restauraiiôn (1915); La recherche des •pàssibilaés économiques 9 du Sénégal sous 
le règne de Louis XVlïï (1916); Vélude des possibUUés économiques du Sénégal à 
Vépoque de Louis XVIII (1917). 

4. Cf. surtout : J. Monteilhet, Au seuil d*un empire colonial; Cl Faure, Histoire 
dfi la presqu'île du capVert et Documents inédUs sur thistoire du Sénégal (181S-1S22). 



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XII AVÀNt-*PR0P08 

institutions, tracé des directions qui, en 1854, demeuraient 
vivaces et qu'on retrouve dans les meilleures parties de Tœuvre 
de Faidherbe. 

Est-il utile d'ajouter que nous ne prétendons nullement 
diminuer par là le mérite de Faidherbe, mais seulement expli- 
quer son action ? Même après cette « Introduction » à l'histoire 
du Sénégal contemporain, Faidherbe garde intacte sa réputa- 
tion de grand Colonial, que rien, d'ailleurs^ ne pourra jamais 
atteindre. 

C'est, en somme, l'étude d'une période obscure que nous 
nous sommes proposée, avec l'intention de montrer que cette 
obscurité cachait une activité réelle et des résultats apprécia- 
bles, et nous nous y sommes d'autant plus volontiers appli- 
qué que le cas de cette période « préfaidherbienne » n'est pas 
isolé. Bien qu'il puisse parfois sembler un peu subtil de dis- 
tinguer l'histoire coloniale de l'histoire tout court, celui qui s'y 
adonne, et surtout celui qui a vécu à demeure dans les colonies, 
est bien forcé de remarquer que l'histoire de nos possessions 
exige une prudence particulière et une expérience prolongée, 
sinon directe, des faits coloniaux; sans parler de la connaissance 
du milieu géographique, si différent de nos pays tempérés, ni 
de la connaissance des sociétés indigènes, il semble bien qu'on 
ne puisse aborder les études de politique ou de mise en valeur 
coloniale sans avoir sans cesse présents à l'esprit quelques 
traits de l'action européenne sous les tropiques : par exemple, 
la disproportion très accusée des efforts et des effets, la rapide 
évolution des idées et des systèmes, la recherche constante 
de la doctrine, le développement de la personnalité et le rôle 
éminent de l'individu, la part énorme de la chance, de la réclame 
et du caprice de l'opinion dans l'appréciation des résultats, 
la différence entre ce qui se fait et ce qui se sait. Faute de ces 
données générales, on risque de grossir démesurément l'impor- 
tance d'un homme, d'un fait ou d'un moment, de négliger par 
contre des événements qui, pour être ternes, n'en ont pas moins 
une longue portée et de fausser ainsi toute la perspective de 
l'histoire. 



C'est entre deux séjours aux colonies, c'est entre deux campa- 
gnes africaines d'expansion scolaire, que le présent ouvrage, 
commencé au Sénégal, puis interrompu par la guerre, fut écrit. 
Si nous nous permettons de signaler ces origines un peu tour- 
mentées, ce n'est point pour nous excuser d'une imperfection 
que nous nous empressons de reconnaître et de regretter : c'est 
surtout pour faire sentir qu'il nous eût été impossible de le 
mener à bonne fin, si nous n'avions trouvé, pour nous placer, 
tant bien que mal, dans les conditions normales d'un travail 
scientifique, toutes sortes de prévenances et d'attentions. 

Nos maîtres de la Sorbonne et de l'Ecole Normale ont accepté, 



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AVANT-PROPOS XHI 

avec la bonne grâce qui leur est habituelle, de nous libérer des 
obligations qu'on exige ordinairement du candidat au doctorat 
et de nous considérer, en quelque sorte, comme un disciple 
par correspondance. Il est juste qu'une telle largeur de vues 
soit connue et respectueusement louée. 

M. Christian Schefer, professeur à TEcole libre des Sciences 
politiques, a bien voulu nous guider aux archives du ministère 
des Ck)lonies, qu'il connaît parfaitement pour les avoir organisées 
et utilisées, et ses conseils de documentation ou de méthode, aux- 

2uels nous devons joindre ceux de M. Froidevaux, directeur de la 
\evue de Vhisloire des colonies françaises^ nous ont été d'un grand 
secours. 

MM. les archivistes du Ministère des Colonies, du Ministère de 
la Marine, des Archives nationales, ont mis à notre disposition, 
avec une inlassable complaisance, les documents dont la garde leur 
est confiée, et nous avons souvent fait appel à leur érudition. 

Enfin, nous avons rencontré au Sénégal, chez nos confrères 
du Comité d'Eludés hisloriques el scienli figues de VA. 0. F., l'aide 
la plus affectueuse et la plus éclairée, et, si notre travail pré- 
sente quelque solidité, il le doit surtout apx multiples rensei- 
gnements qui nous ont été fournis par M. le Gouverneur Delafosse» 
M. l'administrateur des Colonies Henry Hubert, M. l'officier- 
interprète Paul Marty, M. l'avocat général Monteilhet, M. l'ar- 
chiviste Claude Faure. 

Grâce à ce concours de bonnes volontés, nous n'avons jamais 
éprouvé cette sorte de désarroi que d'aucuns nous prédisaient, 
quand nous avons entrepris de préparer une thèse à 5.000 kilo- 
mètres de la Sorbonne. Qu'il nous soit permis de dire ici combien 
nous en sommes reconnaissants et d'encourager par là ceux 
qui, loin des ressources intellectuelles de la France métropoli- 
taine et malgré les exigences d'une vie d'action, s'efforcent de 
conserver le souci de la recherche. 



Rabat, le 25 janvier 1920. 



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BIBUOGRAPHIE 



I. — LES SOURCES 



A. — DOCUMENTS BiAMUSCRITS. 



1. — AftCHITBS DU GOUTBRNBMBNT OÉNillAL DB L* A. O. F. (DàKAR) 

C'est aux Archivée du Gouvernement général de V Afrique Occidentale 
française^ récemment réorganisées par M. Claude Faure^, que nous 
avons consulté la plus grande partie des documents manuscrits utili- 
sés dans ce travail. 

Ces archives comprennent avant tout, pour la période qui nouo occupe, 
les lettres et rapports adressés par le Gouverneur du Sénégal au ministre 
de la Marine et des Colonies (minutes) et les a^)&heâ isiâfréissées par le 
Ministre au Gouverneur (expédition) : le recueil en est très complet, 
et forme deux sédes de registres (2 B. et D. M.)i généralement en fort ~ 
bon état. ^^"'^ -- ^ . . ,. 

Aux dépêches du ministre de la Marine et des Colopies, s'ajoutent 
oecasionnellement des lettres ou des rapports pii^ovenàik d'autres minis* 
ières (Maison du roi, Commerce, etc.); de services administratifs (admi- 
nistration des Douanes, Service de santé, par exemple); d'établisse- 
ments scientifiques (Muséum d'histoire naturelle. Conservatoire des 
arts et métiers, etc.); de personnages influents avec qui les Gouverneurs 
étaient en rapports (notamment leq directeurs des Colonies, comme Por- 
tai et Edme Mauduit) et de pVrliçuliërs (pétitions, plaintes, requêtes). 

Mais ce qui domine et constitue le principal in térêt de ces archives 
locales, c'est la correspondance des Gouverneurs avec leurs subordon- 



1. Ci. Gultni. Vorganiêùtion du Arehioeê da Gouvemémeni Général de VÂ.O.F., 
R. H. C. F-ms. p. 373 et Cl. Faure, Notice $ar Uê Arehioeê du Sénégal, R. U, 
C F. 1914, 4» tria, 

l 



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XVI BIBLIOGRAPHIE 

né0 et Içurs administrés. Alors que les autres documents existent le 
plus souvent en partie double, et que Toriginal ou la copie s'en trouve 
dans les dépôts métropolitains (notamment au Ministère des Colonies), 
ce n*est qu'à Dakar qu'on peut consulter dans leur ensemble les recueils 
de documents suivants : 

Correspondance avec les Chefs de postes du fleuve et de la flottille 
(Station intérieure du Sénégal); 

— avec les Gouverneurs des Colonies étrangères, les Gou* 

verneurs des autres colonies françaises et les Consuls 
français en pays étrangers; 

— avec les chefs indigènes; 

— avec les résidents des comptoirs ou des poste« de la 

côte; 

— avec divers particuliers de France et du Sénégal; 

— avec les administrateurs des ports de France et des 

Colonies ; 

— avec les Commissions d'exploration; 

— avec la Station navale extérieure d'Afrique; 

— avec les Services militaires; 

— avec le Commandant particulier et le Commandant 

supérieur de Gorée; 

— avec les divers Services locaux : le Contrôleur colonial, 

le Commissaire, le Trésorier, le Service de la justice, 
les Douanes, le Maire de Saint-Louis, les Ministres 
du Culte, les directions du Génie, de l'Artillerie et 
des Ports, le Service de santé, etc.; 

— avec le Directeur des Affaires extérieures; 

— avec le Comité du Commerce; 

— du Commandant supérieur de Gorée avec les Chefs 

de services et employés de la Colonie; 

— du Commandant supérieur de Gorée avec la Station 

navale; 

— du Commandant supérieur de Gorée avec les comp^ 

toirs du Sud; 

— du Commandant supérieur de Gorée avec divers. 
Registres de la Colonisation. 

Rapports annuels sur la traite de la gomme (par esc Jes). 

Correspondance locale du Contrôleur colonial et, à partir de 1831, de 
l'Inspecteur colonial. 

Arrêtés, ordres et décisions des Gouverneurs. 

Arrêtés, ordres et décisions du Commandant de Gorée. 

Procès- verbaux des séances du Conseil de Gouvernement et d'Admi- 
nistration. 

Procès- verbaux des séances du Conseil privé. 

Procès-verbaux des séances du Conseil du Contentieux administratif. 

Procès- verbaux des séances du Conseil général de Saint-Louis. 
On voit que ces archives doivent permettre de suivre, avec plus de 

détails que la correspondance du Gouverneur et du Ministre, l'histoire 

du Sénégal; en outre, elles présentent un caractère moin^ officiel, si 

l'on peut dire, que les lettres et les rapports destinés au pouvoir cèhtrai 



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BIBLIOGRAPHIE XVIl 

et sans elles la personnalité et les intentions exactes des Gouverneurs, 
les sentiments de la population, les menus incidents de la vie locale 
risqueraient souvent de nous échapper ou du moins de nous apparaître 
sous un jour faux. 



II. — Archives du Ministère des Colonies. 

Aux Archives du Ministère des Colonies, où les recherches sont deve- 
nues faciles depuis le classement et rétablissement d'un inventaire sur 
fiches dus à MM, Chriçtia^ Schefer et Eugène SaulnierS nous avons 
'"ï^ffouvé* dans son ensemble la correspondonce entre le Ministre et le 
Gouverneur; mais tendl)&^tf)g*les archives de Dakar offrent'^ cïflè'cte 
cette correspondance des documents je|apfs aux détails de la vie locale, 
celles du Ministère des Colonies y âjoutent'^âes documents relatifs aux 
détails de T Administration centrale et permettent de voir plus clair 
dans les idées et les modes d'activité du Ministre et de ses collaborateurs ;, 
immédiats : elles offrent notamment la collection des Instructions aux 
Gouverneurs et des Rapports de passation de service que les Gouver- 
neurs considéraient assez volontiers comme leur propriété personnelle 
et dont beaucoup manquent aux Archives de Dakar, la correspondance 
avec les Gouverneurs pendant leurs séjours à Paris, la correspondance 
avec les autres Ministères ou divers Services techniques au sujet de 
questions coloniales, des notes confidentielles sur la personne ou divers 
actes des Gouverneurs, des recueils d'informations destinés à l'élabo-/^ 
ration des dépêches ministérielles et les brouillons,^ i)hUirés, corhg^s, ' 
annotée, de ces mêmes dépêches, des mémoires et des pétitions direc- ' 
tement adressés au Ministère, des correspondances relatives aux ques- 
tions sénégalaises qui touchaient au domaine diplomatique. 

Nous avons utilisé, dans le groupe général n Afrique », le fonds « Afri- 
que • proprement dit et le fonds « Sénégal et Dépendances <>. Chaque 
fonds est divisé en séries, subdivisées en liasses, lesquelles se répartis- 
sent elles-mêmes en dossiers. 

Dans le fonds « Sénégal et Dépendances a, nous avons eu recours 
aux séries suivantes : 

Série I. — Correspondance générale du Ministre avec le Gouvernement 
local (liasses 1 à 41 inclus); d'une façon générale, les dossiers 
de chacune de ces liasses se répartissent ainsi : Instructions et 
remises de pouvoirs. Dépêches du Gouverneur, Dépêches du 
Ministre, pièces annexes, et chaque liasse est consacrée au séjour 
d'un Gouverneur, soit en France, soit à la colonie. 

Série II. — Mémoires sur le Sénégal (colonisation, commerce, explo- 
rations) dus à des particuliers (liasses 1 à 4) et correspondance 
relative à la pubHcation de certains de ces mémoires (liasses 6 et 7). 

1 . Cf. H. Froideyaux. L'Etat actuel et le projet de classement des Archives 
Goloniaies, R. H. G. F. 1913, p. 4d9 et La mission Schefer et les Archives du 
Ministère des Colonies, R. H. C. F. 1914, p. 122. 



^2 

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XVIII BIBLIOGRAPHIE 

SMe III. — Explorations et Missions : projets, préparation, organisa* 
lion, correspondance, mémoires (liasses 1 à 14). 

Série IV. — Expansion. — Albréda : reprise de possession, délimitation^ 
commerce, relations avec les Anglais, projet d'échange (liasses I 
à 10); Portendik : intrigues anglaises, blocus (liasses 11 à 13); 
Politique du fleuve (liasses 14 à 19); Relations avec le Gayor, 
la presqu'île du Cap-Vert, la Petite-Côte, le Sine-Saloum, la 
Casamance (liasses 20 à 25), avec les Rivières du Sud {liasses 26 
à 28); Comptoirs fortiflés du bas de la côte (liasses 29 à 42). 

Série VI. — Affaires diplomatiques: Angleterre (1. 1 et 4); Portugal 
(1. 2 et 5); puissances diverses (1. 3 et 6). 

Série IX. — Finances : budget local, impôts, régime douanier, banque, 
monnaies (1. 1 à 5, 14 et 15, 16, 25 à 26 bis, 32, 40, 42, 43, 46, 
49, 56, 68). 

Série XII. — Travaux et communications (1. 2 et 3, 7 à 9, 11, 15, 22, 
25, 27, 28, 84). 

Série XIII. — Agriculture, Commerce, Industrie : correspondance et 
mémoires relatifs au commerce du Sénégal (1. 1); Commission de 
1850 (1. 2 et 3); Comité de commerce et Commission commer- 
ciale (1. 4); agentâ de change, courtiers, assurances (1. 5 et 6); 
Compagnies de commerce et commerce régional (1. 7 à 11); Com* 
merce des comptoirs fortifiés (1. 13 à 16); Correspondance et 
mémoires relatifs à Tagriculture et aux produits naturels (1. 17); 
Essais de colonisation agricole (1. 18 à 20); Primes et récompenses 
agricoles (1. 20 et 21 ) ; Richard Toi (1. 22) ; Envois de plantes (1. 23) ; 
traite de la gomme (1. 24 à 33); coton (1. 34 à 35); indigo (1. 39); 
céréales, oléagineux, bois, etc. (1. 40 & 47); élevage (1. 48); coche- 
nille (1. 49); pèche (1. 50); mines du Bambouk (1. 54); guano 
(1. 57); salines (1. 58); tissus et cuirs (1. 59); armes et poudres 
(1. 60); navigation (1. 61 à 67); exportations (1. 69); commerçants 
étrangers (1. 70); poidç et mesures (1. 71); statistiques (1. 72). 

Série XIV. — Travail et main-d*œuvre. Esclavage et traite. 

Série XV. — Entreprises particulières : arrêtés et correspondance (1. 1); 
Société philanthropique du Cap- Vert (1. 2 à 4); demandes de 
concessions (1. 5, 7 et 10); Habitation royale (1.6); entreprise 
Auxcousteaux (1. 8) ; entreprise Arlabosse et projet de Compagnie 
africaine (1. 9). 

Série XVII. — Approvisionnements, vivres et matériel (1. 1 à 14). 

Série XVIII. — Personnel (1. 1 à 20). 

Série XIX. — Contrôle et inspection (1. 1 à 6). 

Série XX. — Statistique (1. 1 et 2). 

Du même fonds, nous avons également consulté, mais avec moins 
de fruit, puisqu'elles n'intéressaient qu'incidemment nos recherches, 
les séries V (expéditions militaires); VII (administration générale et 
municipale) ; VIII (justice); XI (police); XVI (troupes et marine, notam- 
ment les liasses 3 et 4, relatives aux troupes noires)^. 



1. Nous avons abondamment utilisé par ailleurs la série X : Instniction 
publique et cultes (LEnêtigntmtnl aa Sénégal de 1817 à 18&4), 



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BIBLIOGRAPHIE XlX 

Dans le fonda conunun « Afrique » nous n'avons eu à nous occuper 
que de la série I (correspondance générale des Commandants de la Sta- 
tion extérieure d'AfriquCi importante surtout à partir de 1838 (1. 2 à 10) 
et de quelques liasses de la série II (projets d^établissements, liasses 1 et 2) 
et de la série III (explorations et missions, liasses 1 à 10). 



III. — Archives du Ministère de la Marine ^ 

Les actes du pouvoir exécutif (ordonnances, décrets, décisions) et 
les rapports ministériels qut les ont préparés sont demeuré^ aux Archive^ 
du Ministère de la Marine, lors de la création d^un ministère spécial des 
Colonies; ils y constituent la série AA. I. 

Ils étaient pour nous d'un intérêt tout particulier, puisqu'ils contien- 
nenty en plus du texte officiel des décisions de principes et des nomina- 
tions de Gouverneurs, les considérants détaillés de ces actes, et que 
les duplicata des rapports ministériels ne se trouvent que fragmentai- 
rement aux Archives du Ministère des Colonies. 

Les registres de la série AA I qui concernent notre période vont 
du numéro 23 au numéro 135 inclus. 



IV. — Archives Nationales. 

L'ensemble des documents relatifs à l'activité de la Station navale 
du Sénégal (ou Station des côtes occidentales d'Afrique, ou Station 
extérieure d'Afrique) a été détaché, faute de place, des Archives du 
Ministère de la Marine aux Archives Nationales; il y constitue la série 
BB 4 Marine '. 

Les registres qui contiennent des renseignements relatifs aux cam- 
pagnes entreprises sur la côte occidentale d'Afrique de 1817 à 1854 
portent les numéros suivants : 393, 394, 399, 404, 407, 412, 427, 435, 
445, 456, 464, 474, 484, 485, 488, 504, 516, 521, 539, 545, 556, 562, 
567, 575, 580, 586, 588, 594, 602. 



B. — DOCUMENTS IMPRIMÉS 

I. — Recueils Administratifs. — Périodiques officiels 

Bullelin administratif des actes du Gouvernement (Sénégal et dépendances) 
28 mai 1819-1855. 

1. Cf. L'Invêulcdrt sommaire des Archives, modernes de la Marine^ R. H. C. F. 
1913, p. 252. 

2. M. A. Bourgin a entrepris de publier un inventaire sommaire de cette 
série : I*' fascicule, Paris, Chapelot, 1914 (paru d'abord en fragments dans la 
Revue Marilime, tome 195). 



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XX BIBLIOGRAPHIE 

Annales Maritimes et Coloniales (1816-1847); à partir de 1849, Nouvelles 

Annales de la Marine et des Colonies. 
Revue coloniale, 1843 et sq. 
Almanach royal (jusqu'en 1847 inclus); Almanach national (1848-1852); 

Almanach impérial (1852 et sq.). 
Bulletin officiel de la Marine et des Colonies (1821-1855). 
Bulletin officiel de la Marine (à partir de 1848). 
Le Moniteur universel {Gazette nationale, jusqu'en 1848; Journal officiel 

de la République française, de 1848 à 1852; Journal officiel de VEm- 

pire français, à partir de 1852). 
Annales du Parlement français (1839-1847). 
Archives parlementaires (2^ série). 
Notices statistiques sur les colonies françaises, jusqu'en 1839; et, à partir 

de 1839, Tableaux et relevés de population, de cultures, de commerce, 

de navigation, etc.. 
Tableau du Commerce de la France (Ministère du Commerce), à partir 

de 1831. 



IL — Relations de voyages. 

Certains de ces ouvrages relatant des événements antérieurs à la 
période qui nous occupe sont nécessaires pour Tintelligence des condi- 
tions générales de la vie sénégalaise et pour la connaissance de la situa- 
tion du Sénégal vers 1817. Ce sont : 

Adanson (Bfichel). — Histoire naturelle du Sénégal, Paris, 1757. 
Boufflers (le Chevalier de). — Correspondance avec M"« de Sabran, 

Paris, 1875. 
Costa d'Amobat. — Voyage au pays de Bambouc, Bruxelles, 1789. 
Durand (J.-B.-L.). — Voyage au Sénégal, 2 vol., Paris, 1802. 
De Grandpré. — Voyage à la côte occidentale d* Afrique fait dans les 

années 1786 et 1787, 2 vol., Paris, 1801. 
Golberry. — Fragment d'un voyage en Afrique fait pendant les années 

1785, 1786, 1787, 2 vol., Paris, an X. 
Labarthe. — Voyage au Sénégal pendant les années 1784 et 1785, d'après 

les Mémoires de La Jaille, Paris, 1802. 
Labat (le Père J.-B.).' — Nouvelle relation de V Afrique occidentale, 5 vol., 

Paris, 1728. (Voir la critique de cet ouvrage par P. Gultru, dans la 

préface de son Histoire du Sénégal.) 
La Courbe. — Premier voyage au Sénégal en 1685. Paris, 1913. 
Landolphe (Capitaine). — Mémoires, contenant l'histoire de ses voyages 

pendant 36 ans aux côtes d'Afrique, rédigés par Quesné, 2 vol., 

Paris, 1823. 
Lasterre (Mémoire pour le colonel) ex-commandant du Sénégal, 

Paris, 1805. 
Lodyard et Lucas. — Voyages en Afrique, suivis d'extraits de voyagea 

faits à la rivière de Gambie. Trad. LaUemant. 2 vol., Paris, 1804. 



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BIBLIOGRAPHIE XXI 

I^efèbiir». — Le Sénégal el Vîle Saint-Louis^ d'après les documents d'un 
missionnaire boulonnais (1778-1779). 

Mungo-Païk. — Voyage dans Vinlérieur de V Afrique, sous la direction 
ei le patronage de V Association africaine pendant les années 1795-1796 
et 1797-1798. Traduct. par Castéra. 2 vol., Paris, an VIII. 

— Second voyage dans Vinlérieur de V Afrique pendant Vannée 1805| 
Paris, 1820. 

Péron (Ci^italne). — Mémoires sur ses voyages aux côtes d'Afrique, 
2 vol., Paris, 1824. 

Saugnier. — Relations de plusieurs voyages à la côte d'Afrique, au Maroc, 
au Sénégal, à Gorée, à Galam, tiré des journaux de Saugnier, qui 
a été longtemps esclave des Maures, Paris, 1791. 

A ces relations, il faut joindre des mémoires spécialement consacrés 
au Sénégal avant 1817 et des ouvrages sur l'histoire ancienne de l'Afri- 
que, composés avant 1817, notamment : 

Ciiny. — Tableau historique des découvertes et des établissements des Euro- 
péens dans le nord et Vouest de V Afrique, d'après Leyden, 2 vol., 
Paris, 1809. 

Dtmanat (abbé). — Nouvelle histoire de V Afrique française, 2 vol., 
Paris, 1767. 

Geoffroy-VUlaneuve (R.-G.-V.). — L'Afrique ou Histoire, mœurs, usages 
et coutumes des Africains, Le Sénégal. 4 vol., Paris, 1814. 

LAlande (Jérteie). — Mémoire sur Vinlérieur de V Afrique, Paris, an III. 

Lamirai. — VAffrique et le peuple affriquain considérés sous leurs rap* 
ports avec notre commerce et nos colonies, Paris, 1780. 

— Mémoire sur le Sénégal, Paris, 1791. 

PeUetan (J.-Gabriel). — Mémoire sur la colonie française du Sénégal, 

Paris, an IX. 
Prélong. — Mémoires sur les tles de Gorée et du Sénégal [Annales de 

chimie et de physique, année 1793). 
Pruneau de Ponunegorge. — Description de la Nigrilie, Amsterdam, 1789. 

Nous devons à l'exploration de l'ouest-africain, de 1817 à 1854, les 
relations suivantes : 

Alezandar (James-Edward). — Narrative of a voyage of observation among 
the colonies of Western Africa, 2 vol., Londres, 1837. 

Alexander (Arohibald). — A history of colonisation on the Western Coast 
of Africa, Philadelphie, 1846. 

De Beaufort. — Expédition dans l'intérieur de l'Afrique par la voie du 
Sénégal (Journal des Voyages, 1824, p. 249). 

Callllé (René). — Journal d'un voyage à Temboctou et à Jenné, dans 
V Afrique centrale, précédé d'observations faites chez les Maures 
Braknas, les Naouls et d'autres peuples, pendant les années 1824, 
1825, 1826, 1827, 1828, 2 vol., Bruxelles-Londres, 1830. 

— Voyage d'un faux musulman à travers V Afrique, Limoges, 1881. 
fiHyrlès et Jaeobs. — Voyages en Asie et en Afrique d'après les récits des 

derniers voyageurs, Paris, 1855. 



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XXII BIBLIOGRAPHIE 

Gray (major) et Dochard. — Voyage dans V Afrique occidenlale (1818- 

1821). Traduct. par M"« Huguet, Paris, 1826. 
Hecquard. — Rapport sur un voyage en Cazamance^ Paris, 1852. 

— Voyage sur la Cèle d dans V inférieur de V Afrique occidenlale, Paris, 
1853. 

Hutton. — Nouveau voyage dans V intérieur de V Afrique, traduit par le 

chevalier Thorel de la Trouplinière, Paris, 1823. 
Marehal. — Voyage scientifique au Sénégal Paris-Leipzig, 1854. 
^ MolUen. — Voyage dans V intérieur de V Afrique, aux sources du Sénégal 

et de la Gambie, fait en 1818, 2 vol., Paris, 1822. 
Plnet (L.). — Relation d'un voyage du Sénégal à Soueira (Mogador) 

{Revue Coloniale, 1850). 
Pascal. — Voyage d'exploration dans le Bambouk {Revue algérienne 

et coloniale, août 1860). 
Raffenel. — Voyage dans V Afrique occidentale française (1843-1844), 

Paris, 1846. 

— Second voyage d* exploration dans V intérieur de V Afrique, Paris, 
1847. 

— Nouveau voyage dans le pays des nègres, Paris, 1856*. 



IIL — Etudes générales sur le Sénégal dues a des contemporains 

Auxcousteaux (S.). — Le Sénégal est une colonie française, Paris, 185L 

Barthélémy (Edouard). — Notice historique sur les établissemerUs fran- 
çais des côtes occidentales d'Afrique, Paris, 1848. 

Boilat (abbé). — Esquisses sénégalaises, Paris, 1853. 

Carrére. — Le Sénégal et son avenir, Pordeaux, 1870. 

Carrére et Holle (Paul). — De la Sénégambie française, Paris, 1855. 

Cottu. — Le Sénégal {Revue des Deux-Mondes, 15 janvier 1845). 

Darriean (baron). — Le Sénégal sera-t-il une colonie ou un simple 
comptoir ? Paris, 1850. 

Duval (J.). — Le Sénégal {Revue des Deux Mondes, 1" et 15 oct. 1858). 

Faldherbe. — Notice sur la colonie du Sénégal et sur les pays qui sont 
en relations avec elle, Paris, 1859. 

— Le Sénégal, La France dans V Afrique occidentale, Paris, 1889. 

Jacobs. — Le Sénégal (Revue des Deux Mondes, 1^ juillet 1864). 

Latné (Fils). — Des avantages d*un grand développement à donner aux 
établissements coloniaux dans la partie occidenlale de V Afrique, 
Paris, 1825. 

Mavidal. — Le Sénégal, son état présent, son avenir, Paris, 1863. 

Mondot. — Etude sur le Sénégal, Paris, 1865. 

Peuchgaric. — La côte occiderdale d'Afrique, Paris, 1857. 

1. Voir, pour le début de cette période, V Histoire générale de* Voaagtê, de 
Walckenaer : Afrique, 21 vol. (Afrique occidentale, vol. 1-13) Paris 1826. 

2. Nous considérons comme contemporains de la période qui nous occupe 
même les ouvrages composés sous le gouvernement de Faidberbe et suscep- 
tibles de faire mieux connaître THistoire du Sénégal de 1817 à 1854. 



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BIBUOGRAPHIB ZXUI 

Raireml. — De la colonie du Sénégal, Paris, 1850. 

Ricard (Dr.). — Le Sénégal, étude intime, Paris, 1865. 

J. P. R. (Roger). — Mémoires et notices extraits d'un ouvrage inédit 

sur le Sénéi^al, écrit sur les lieux au commencement du 1821 (Journal 

des voyages, XIII, 5, 1822). 
Selimalti (colonel). — Sénégal, Paris, 1821. 
Tardieii. — Sénégambie et Guinée, Paris, 1847. 



IV. — Etudes de détail 

SUR l'histoire et la mise en valeur du Sénégal, 

DUES A des Contemporains. 

a) Sur THIstoire des Explorations. 

AnccUe. — Les Explorations au Sénégal et dans lesncontrées voisines 
depuis Vantiquiié jusqu'à nos jours, précédé d'ue notice ethno- 
graphique, par Faidherbe, Paris, 1886. 

— Les Français au Sénégal {Revue de Géographie, mars et août 1883). 
Jomard. — Notice historique sur la vie et les ouvrages de René Caillié, 

Paris, 1839. 

— Remarques sur les découvertes géographiques faites dans V Afrique 
céréale, Paris, 1827. 

— Sur la communication du Nil des Noirs ou Niger avec le Nil de 
FEgypte, Paris, 1825. 

— Remarques géographiques sur les parties intérieures du cours du 
Sénégal eï celui de la Gambie, Paris, 1827. 

— Réflexions sur l'état des connaissances relatives au cours du Dhio- 
liba ou Niger (Bulletin de la Société de Géographie de Paris, 1829). 

Mollien (G.) et Ravaisson-Molllen (L.). — Découverte des sources du 
Sénégal et de la Gambie en 1818, précédé d'un récit inédit du nau- 
frage de la Méduse et d'une notice sur l'auteur, Paris, 1889. 

Nonvlon (V. de). — Courte notice sur René Caillié et son voyage à Tom- 
bouclou (1828), Paris, 1854. 

b) Sur les pays et les populations du Sénégal. 

Aveiac (d*). — Analyse géographique d'un voyage au lac Paniéfoul et 

au pays de Yolof en 1839, Paris, 1841. 
Alan. — Notice sur le Oualo (Revue maritime et coloniale, 1864, IX, 

337 et X, 446). 
Berg. — Composition géologiaue du Oualo (Revue coloniale, 1857, 

XVIII). 

— Géologie des rives du Sénégal (Revue coloniale, 1858, XX). 
B<»y de Saint-Vincent. — Sur V anthropologie de V Afrique françaite, 

Paris, 1845. 
Bourse. — Note sur le Cayor (Archives de médecine navale, 1864, t. I). 
Caille. — Notice sur les peuples de la Mauritanie et de la Nigritie, 

riverains du Sénégal (Revue coloniale, 1846, XI). 



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XXIV BIBLIOGRAPHIE 

Faldberbe. — Les Berbères et les Arabes des bords du Sénégal (Bulleiin 
de la Société de Géographie de Paris, 1854, I). 

— Populations noires des bassins du Sénégal et du Haut-Niger {BulL 
Soc. Géogr. de Paris, 1856, I). 

— Notice historique sur le Cayor {Bull. Soc. Géogr. de Paris, 1883, IV). 
Raftenel. — Rapport sur le pays de Galam, le Bondou et le Bambouk, 

adressé le 17 mars 1844 au Gouverneur du Sénégal, Paris, 1844. 
Thaly (J.-H.-F.). — Etude sur les habitants du Haut-Sénégai (Archives 
de médecine navale, 1866, VI). 

c) Sur les pays an relatloiis avec Corée, les Rivières du Sud et 
les Ck>mptoirs du Ims de la côte. 

Bocandé. — Rapport à M. le Ministre des Colonies sur les ressources 
que présentent les comptoirs de la Casamance, Paris, 1856. 

Bouet-Willaumez. — Campagne aux côtes occidentales d'Afrique, Paris, 
1850. 

— Description nautique des côtes comprises entre le Sénégal et V Equa- 
teur, Paris, 1849. 

Darondeau. — Instructions nautiques sur les côtes occidentales d'Afrique 
comprises entre le détroit de Gibraltar et le golfe de Bénin, Paris, 1852. 

Leprédour (Amiral). — Description de la côte occidentale d'Afrique, 
depuis le cap Naze jusqu'au Cap Roxo, Paris, 1828. 

Mage. — Les rivières de Sine et Saloum (Revue maritime et coloniale, 
1863, VII). 

Menu-Dessables. — Gf mpagne de la Triomphante sur la côte occiden- 
tale d'Afrique (Annales maritimes et coloniales, 1839, LXX). 

Pichard. — La Gambie (Revue maritime et coloniale, 1865, XIV). 

Poyvre. — Description de la côte occidentale d'Afrique depuis le cap Naze 
jusqu'au cap Roxo, Paris, 1828. 

Roy. — Gorée et ses dépendances, Paris, 1858. 

Tallavignes. — Notes sur le Rio-Nunez (Annales hydrographiques, 1863, 
3* trimestre). 

Vallon (Amiral). — La Cazamance, dépendance du Sénégal (Revue mari 
time et coloniale, 1862, VI). 

d) Sur les ressources naturelles. 

Bertbelot (Sabin). — De la pêche sur la côte occidentale d'Afrique, Paris, 

1840. 
Decaux. — Rapport sur les indigos du Sénégal (Revue alg. et coloniale, 

1859, octobre). 
De la FeuiUade. — Mémoire sur les moyens d'exploiter par le Sénégal les 

mines d'or de Bambouk, Paris, 1826. 
Guillemin, Perrotet et Richard. — Florœ Senegambiss tenlamen., Paris, 

1830. 
Hooker (W.-J.). — Niger Flora, Londres, 1849. 
Huard-Baissinière. — Exploration de la rivière Falémé et des mines 

d*or du Bambouk et du Boudou, Sénégal (Annales maritimes et 

coloniales, 1844, LXXVIII). 



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BIBLIOGRAPHIE XXV 

LMigler. — Analyse chimique de plusieurs terres envoyées du Sénégal, 
{Mémoires du Muséum d'histoire naturelle, 1823, X). 

Jardin. — Herborisation sur la côte occiderUale d'Afrique pendant Us 
années 1845, 1846, 1847, 1848, Paris, 1851. 

Léeahl. — Notice sur les productions de la Casamance, des Sérères et 
du Oualo, Saint-Louis, 1866. 

Perrotet. — Voyage de Saint-Louis à Podor, Paris, 1825. 

Poulain. — Production du coton dans nos colonies, Paris, 1863. 

Ricard (D'). — Note sur les bœufs porteurs du Sénégal (Revue colo- 
niale, 1855, XV). 

e) Sur le Commerce. 

Braousec. — L'hydrographie du Sénégal [Revue maritime et coloniale, 

1861, I). 
Duclion-Doris Junior. — Commerce des toiles bleues dites guinées, Paris, 

1842. 
Mémoire adressé à M. le Ministre de la Marine et des Colonies, par les 

négociants, marchands et habitants indigènes de Saint-Louis (au 

sujet de l'organisation de la traite de la gomme), Bordeaux, 1842. 
Résumé du Commerce de la France acev les côtes occidentales d'Afrique 

de 1748 à 1859 {Revue alg, et colon,, 1860, septembre). 

t) Sur ies conditions sanitaires de la vie européenne au Sénégal. 

Calvé. — Description de l'épidémie de fièvre jaune qui a ravagé les 
établissements de Corée et de Saint-Louis, en 1830 {Annales mari- 
times, 1832, XL IX). 

CasteL — Essai d'un guide sanitaire de l'Européen au Sénégal ( Thèse, 
Montpellier, 1850). 

Catel. — Recherches sur les causes de la maladie épidémique qui a ravagé 
les lies de Saint-Louis et de Gorée, pendant l'hivernage de 1830 
{Annales maritimes et col, 1832, XLIX). 

Caventou. — Rapport à S. E, le Ministre de la Marine e< des Colonies 
sur Vécorce de caîlcédra du Sénégal, Paris, 1857). 

Delord. — Quelques réflexions sur le Sénégal et sur la dysenterie obser- 
vée dans ce pays ( Thèse. Montpellier, 1845). 

Hervé. — Topographie médicale du Sénégal {Thèse, Paris, 1845). 

Martel. — Considérations sur le climat de nos établissements d'Afrique 
et sur les fièvres qui y régnent ( Thèse, Montpellier, 1828). 

— Salubrité du climat de Gorée {Annales maritimes et col., 1828, XVI). 

Margaln. — Rapport sur le service de santé de l'expédition de Podor 
{Revue coloniale, 1856, XV). 

MartineiCu. — Topographie médicale et maladies de la côte occiden- 
tale d'Afrique {Thèse, Montpellier, 1849). 

Ricard. — Hygiène des entreprises & la partie intertropicale de la c6te 
occidentale d'Afrique {Thèse, Paris, 1855). 

Saurai. — Thérapeutique des fièvres de la côte occidentale d'Afrique 
{GazeHe des hôpitaux, 1848). 



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XXVI BIBLIOGRAPHIE 

Tayeau. — Esquisse de la topographie médicale de )*t]e de Corée ( Thèêe^ 
Montpellier, 1828). 

Tliéveiiot. — Traité des maladies des Européens dans les pays chauds^ 
spécialement au Sénégal, Paris, 1840. 

Vivien. — Essai sur les fièvres pernicieuses observées à la côte occiden- 
tale d'Afrique (Thèse, Montpellier, 1851). 

g) Sur la traite des esclaves. 

Bouet-Wlllaumez. — Commerce et traite des noirs aux côtes occidentales 

d'Afrique, Paris, 1848. 
Biizton (sir Thomas Fowel). — De la traite des esclaves en Afrique ei 

des moyens d'y remédier. Trad. par Pacaud, Paris, 1840. 
Glailcson (Th.). — Le cri des Africains contre les Européens, leurs oppres- 

seurs, ou coup d'œil sur le commerce homicide appelé traite des noirs^ 

Paris, 1822. 
Morénas (J.). — Pétition contre la traite des noirs qui se fait au Sénégal, 

Paris, 1820. 

— Seconde pétition, Paris 1821. 

h) Sur l'organisation administrative. 

Deux lettres sur les élections et r administration du Sénégal, Paris, 1838. 
Durand-Valantln. — Mémoire rédigé à Voccasion de la pétition présentée 

à V Assemblée nationale par les commerçants européens du Sénégal, 

Bordeaux, 1849. 
Héricé. — Mémoire sur quelques modifications à apporter à la colonie 

du Sénégal, Paris, 1847. 

i) Sur la linguistique et le folklore. 

Dard (G.). — Grammaire Wolofe, 2 vol., Paris, 1826. 

— Dictionnaire Français- Ouolof et Français- Bambara, Paris, 1825. 
Roger (baron). — Recherches philosophiques sur la langue ouolove, sui- 
vies d'un vocabulaire abrégé français-ouolof, Paris, 1829. 

— Fables sénégalaises recueillies dans V Ouolof, Paris, 1828. 

/) Littérature d'imagination. 

Dard (M^* Ch. A.). — La chaumière africaine ou Histoire d'une famille 
française jetée sur la côte occidentale d'Afrique à la suite du naufrage 
de la « Méduse «, Dijon, 1824. 

Roger (baron). — Kélédor, histoire africaine, 2 vol., Paris, 1829. 



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BIBLIOGRAPHIE XXVII 



II. - OUVRAGES CONSULTÉS 



La littérature coloniale est, de nos jours, fort abondante, mais elle 
est de valeur singulièrement inégale. Nous ne citerons ici que les ouvrages 
qui, au cours de ce travail, ont vraiment contribué à nous éclairer. 

A. — BIBLIOGRAPHIES ET CATALOGUES. 

Gay (Jean). — Bibliographie des ouvrages relatifs à TAfrique et à TAra- 
' bie. Catalogue méthodique de tous les ouvrages français et des 

principaux en langue étrangère traitant de la Géographie, de This- 

toire, du commerce, des lettres et des arts de l'Afrique et de TArabie, 

San-Remo (Italie), 1875. 
Kayser. — Bibliographie d'ouvrages ayant trait à l'Afrique dans ses 

rapports avec la civilisation de ces contrées, Bruxelles, 1887. 
Cloiel. — Bibliographie des ouvrages relatifs à la Sénégambie et au 

Soudan occidental {Revue de Géographie, 1890-1891). 
Chauvin. — Bibliographie (Note critique sur la) jAes ouvrages relatifs 

à la Sénégambie et au Soudan occidental par M. Clozel, (avec 

quelques additions et une table), Leipzig, Ceniralblali fur Biblio- 

ihekswesen von Dr, O. Hartwig, 1892, IX p. 228-237. 
^ Tantet (Victor). — Catalogue méthodique de la Bibliothèque du Minis 

tère des Colonies, Melun, 1905. 
Jouela (Edouard). — Bibliographie de l'Afrique occidentale française, 

Paris, 19121. 

B. — OUVRAGES GENERAUX SUR LE SENEGAL 

AnfrevlUe de la Salle (D' d'). — Notre vieux Sénégal, son histoire, son 

éiai actuel, ce qu'il doit devenir, Paris, 1909. 
— Sur la côte d'Afrique (villes, brousses, fleuves et problèmes de l Ouest 

africain), Paris, 1912. 
Courtoi. — Elude sur le Sénégal, Paris, 1903. 
Gaffarel. — Le Sénégal et le Soudan français, Paris, 1895. 
Haurigot. — Le Sénégal, Paris ,1887. 
Olivier (Bftaroel). — Le Sénégal, Paris, 1906. 

C. — OUVRAGES RELATIFS A LA GEOGRAPHIE PHYSIQUE 
ET AUX REGI(»IS NATURELLES DU SENEGAL ET DEPENDANCES. 

Adam (J.). — Le Djoloff et le Ferlo (Annales de Géographie, 15 nov. 1915). 
dievalier et Cligny. — La Casamance (Annales de Géographie, 1901, 
15 mars). 



1. Nous avons nous-mème publié une sorte de complément & Touvra^ de 
M. JoQcla sous le titre le Bilan scieniiflque de VA, 0. F. (Bull, du Comité de 
TAfrique française. Renseignements coloniaux, janvier-févner 1916). 



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XXVIII BIBLIOGRAPHIE 

Chudean (R.). — Etude sur le littoral de Saint-Louis à Port-Etienne 
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Saulnler (Madeleine). — Une réception royale h rile de Gorée en 1831 
(Rev. hisL coL fr., 1918, p. 339). 

1. Nous nous faisons un devoir de signaler ici la publication prochaine de 
deux importants ouvrages sur les Droite de la France en Casamance et sur la 
Compagnie de Galam, aue M. Eugène Saulnler, mort en 1918, comptait présen- 
ter comme thèses de aoctorat et qui ont été mis au point par Madame Made- 
leine Saulnier. Nul doute que, étant donné à la fois les qualités d'esprit du 
regretté Eugène Saulnier et la haute culture de sa collaboratrice, ces travaux 
n'apportent sur ces questions importantes des lumières toutes nouvelles. 



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BIBLIOGRAPHIE XXXI 

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Viard. — LWfrique française aurifère, Montdidier, 1910. 

ABREVIATIONS 

Arch. Ck>l. — Archives du Ministère des Colonies. 

Areh. Màr. — — > — de la Marine. 

Areh. Nat. — — Nationales. 

D. M. — Dépèches ministérielles. 

C. G. — Correspondance du Gouverneur du Sénégal. 

Col. — Registres spéciaux relatifs à la colonisation. 

Les documents (D. M., C. G., Col.) pour lesquels nous n'avons pas 
indiqué Je dépôt d'archives ont été empruntés aux Archives du Gou- 
vernement général de l'A. O. F. 

N.-B, — Nous n'avons pas cru devoir respecter l'orthographe ori- 
ginale des documents cités, car elle ne présente aucun caractère d'in- 
térêt historique: quant à l'orthographe des noms propres indigènes, 
nous l'avons rapprochée le plus possible de la prononciation courante 
et nous avons évité, pour les noms de races, Vs du pluriel, qui va contre 
toutes les données de la linguistique africaine. 



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INTRODUCTION 



Le Sénégal en 1817 



L — Les limites de la Colonie. 



Par rarticle 8 du traité de Paris (30 mai 1814), repris, sous 
réserve d'indemnités financières, par le traité complémentaire 
du 20 novembre 1815, « Sa Majesté Britannique, stipulant pour 
elle et ses alliés », s'engageait « à restituer les Colonies, pêche- 
ries, comptoirs et établissements de tout genre que la France 
possédait au 1®' janvier 1792 dans les mers et sur les continents 
de l'Amérique, de l'Afrique et de l'Asie. » 

Cette clause équivalait à remettre en vigueur le traité de 
Versailles, du 3 septembre 1783, et l'article 9 de ce traité 
prévoyait pour la région qui nous occupe la restitution à la 
France : 1^ de Gorée, dans l'état où elle se trouvait quand les 
Anglais s'en sont emparés, c'est-à-dire avec ses comptoirs 
annexes de Ruflsque, de Joal, de Portudal, d'Albréda, du 
Saloum et les villages de Dakar et de Bin sur la presqu'île du 
Cap Vert; 2<> de « la rivière Sénégal et ses dépendances, avec 
les forts de Saint-Louis, Podor, Galam, Arguin et Portendick ^.» 
, Nous avions aussi, concurremment avec les Anglais et les 
Portugais, des droits sur la rivière de Casamance, les îles Bissa- 
gos, les îles des Idoles, ou îles de Los, « le continent vis-à-vis 
duquel ces îles sont placées » et le comptoir de Gambie* à 
l'embouchure de la rivière de Sierra-Leone ; mais les projets 
d'établissement que nous avions formés sur ces divers points 

1. Cf. Instrudionê au chevalier de Boufflers, (18 oct. 1785), et Mémoire pour fer- 
oir d' Jnslruelione au sieur Schmaltz (18 mai 1816). 

2. Ce comptoir ne doit pas être confondu avec le comptoir français d'Albréda 
ni le comptoir anglais de Sainte-Marie-de-Bathurst, situés à rembouchure de la 
rivière de Gambie, au nord de la Casamance, 



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2 <\ '* LA WsàifiK VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

. :: r •. •'. 

;i]t'âYâ|^.jaià^is*;ét% .exécutés et, « n'ayant pour objet que de 

faciliter la traite des nègres », ils ne présentaient plus vers 1817 

« le même genre d'intérêt ». On devait donc se borner à rappeler 

à nos voisins l'existence de droits « dont la France se réservait 

« de faire usage, si, les spéculations de son commerce venant à 

s'y diriger, ils acquéraient un jour une importance qu'ils n'ont 

pas^ ». 

Enfm le droit de pratiquer la traite des nègres avait été à 
plusieurs reprises reconnu à la France sur « les côtes qui s'éten- 
dent depuis le cap Tulgrin jusqu'à celui des Trois-Pointes, la 
Côte d'Or depuis le cap des Trois Pointes jusqu'au cap For- 
mose, où est situé le comptoir de Jude, au fond du golfe de 
Bénin; les côtes depuis le cap Formose jusqu'au cap de Lopez 
Gonzalves; la côte d'Angola, depuis le cap de Lopez Gonzalves 
jusqu'à Massula, au nord de Saint-Paul de Loanda; la côte 
depuis Massula jusqu'au cap Négro, qui comprend les établis- 
sements portugais de Saint-Paul de Loanda et de Saint-Philippe 
de Benguela; enfin, la côte depuis le cap Négro jusqu'au cap de 
Bonne-Espérance. » Le Sénégal « étant, en quelque sorte, le 
chef-lieudetous les établissements français sur la côte d'Afrique »; 
ces zones d'influence en étaient généralement considérées com- 
me des dépendances; mais, ici encore, l'abolition de la traite 
enlevait à nos droits leur principale valeur : on ne devait, 
pour le moment, s'occuper « que du Sénégal et de ses dépendan- 
ces jusqu'à la rivière de Sierra-Leone »; au-delà, on se réservait 
seulement d'examiner, à l'occasion, « quel genre de commerce 
(autre que la traite des nègres) on pourrait suivre *.» 

Les frontières de ce domaine colonial étaient donc fort impré- 
cises. Le traité de 1783 devait être suivi d'une délimitation, 
mais la France perdit le Sénégal avant qu'on n'eût le temps d'y 
procéder. Jusqu'où pouvions-nous étendre les limites de nos 
forts et de nos comptoirs ? Que signifiait au juste la possession 
« de la rivière du Sénégal » ? Que fallait-il entendre par les 
« dépendances de cette rivière »? Si haut qu'on pût remonter 
dans la suite des traités internationaux, on ne trouvait sur ce 
point nulle indication ferme. 

Bien mieux, nos droits sur le sol des points occupés étaient 
loin d'être certains et définis. Notre colonisation ne pouvait 
se fonder ni sur la conquête, ni sur l'achat des territoires. D'un 
point de vue purement juridique, nous étions campés au milieu 
de propriétaires indigènes ; nous n'exercions au Sénégal qu' « une 
espèce de droit de suzeraineté », sans autre garantie que nos 
traités avec l'Angleterre et notre « prépondérance sur les peu- 
ples indigènes », et Moreau de Jonnès, qui, au début de la Res- 
tauration, constatait ce caractère précaire de notre occupation, 
ajoutait : « Ce serait une grande erreur de confondre cette pos- 
session conditionnelle avec la propriété du territoire du pays ■. » 

1. Mémoire da Roi pour servir d' Instrudions au sieur SehmaUz. 

2. Ibid. 

3. Moreau de Jonnès, Recherches sur la prospériU du pays^ cité par Gh.Scbefer, 
La France eî le problème colonial, p. 70 et sq. 



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iiNTRODUcrnoN s 

I] est vrai que, sauf en Gambie, où les Anglais s'étaient for- 
tement installés, et sur la côte mauritanienne, où ils conser- 
vaient des droits commerciaux, les difficultés ne pouvaient 
naître du voisinage des autres nations européennes. Avant 
notre reprise de possession, les Anglais n'avaient effectivement 
occupé que Corée et Saint-Louis; soucieux de commerce plutôt 
que d'extension territoriale et de mise en valeur, ils ne s'étaient 
efforcés ni de rassembler leurs domaines sénégalais, ni de s'ap- 
proprier les rives du fleuve. Mais, à ne considérer que les heurts 
possibles avec nos voisins indigènes, notre situation n'apparais- 
sait guère brillante : c'est par des centaines de kilomètres que 
nos différents points d'occupation étaient séparés les uns des 
autres, c'est par des peuples d'humeur indépendante et belli- 
queuse qu'ils étaient entourés et, pendant longtemps, nous 
avons dû, pour éviter ces guerres auxquelles nous étions mal pré- 
parés et pour jouir d'une paix singulièrement inquiète, payer 
des tributs annuels à toutes sortes de roitelets locaux. 

Au nord du fleuve c'étaient les Maures*, dont le pays était 
notre principal fournisseur de gommes et qui, pour cette rai- 
son, tyrannisaient le commerce du fleuve. Race intelligente 
et d'humeur farouchement indépendante, les Maures étaient 
fameux pour leur fourberie, leur duplicité souvent compliquée 
de brutalité : on ne peut guère songer h les poursuivre dans 
leurs steppes semi-d^ertiques; on essaie de les lier par des 
traités, d'acheter leur bienveillance par des « coutumes », mais 
en vain; la paix durable est impossible avec eux, et c'est une 
surprise pour l'histoire de constater quels trésors de patience 
nous avons dépensés en cette région de l'Afrique. D'ailleurs, 
les Maures ne constituent nullement une nation, et ils n'en sont 
que plus insaisissables : c'est une poussière de tribus, où l'on 
peut reconnaître de grands groupements ethniques et politi- 
ques (Trarza, Brackna, Darmancour, Daouich, etc.), diver- 
sement organisés et qui se livrent des guerres fréquentes; les 
plus acharnés contre nous étaient les Trarza dont le roi, en 1817 
était Amar Moctar, et leur audace était d'autant plus grande 
que les Anglais les excitaient. Les Anglais semblaient, en effet, 
avoir formé le projet de ruiner notre colonie renaissante en s'at- 
iaquant au seul objet d'exportation qui, pour le moment, lui 
permît de vivre, la gomme, et ils s'efforçaient de détourner 
vers Portendik tout le commerce de nos escales; dans toutes 
les difficultés que nous créent les Trarza, on retrouve la trace 
de leurs intrigues'. 

Sur la rive gauche du fleuve, ce sont des royaumes noirs, 

1. Paidherbe» Les Berbères et les Arabes des bords du Sénégal; Fallot, Noie sur 
Us Mnures du Sénégal', Donne t, Au Sahara occidental et le pays des Maures Trarza; 
CoUignon et Denicker, Les Maures du Sénégal; Poulet, Les Maures de V Afrique 
oeeUuniaie française. 

2. Amar avait usurpé le pouvoir à la mort de son frère Ali-Kouri, et il était sou- 
tenu par les Anglais; le fils d^ Ali-Kouri maintenait ses prétentions avec Tappui 
des Douaich et recherchait TalUance des Français (Cf. Rapport de Schmallz au 
Minière (8 juiUet 1817); Gultra, Histoire du Sénégal, p. 315). 



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4 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

peuplés surtout de Ouolof, agités de révolutions dynastiques 
et sans cesse pillés par les Maures qui les rejettent progressi- 
vement vers le Sud, mais très fiers de leur indépendance et 
bien résolus à ne traiter avec nous que sur un pied d'égalité : 
le Oualo, domaine du «Brak », région de marécages, d'îles flu- 
viales et de plaines en grande partie soumises aux inondations 
du Fleuve; le Cayor et le Baol, domaine du Damel, régions 
sèches où nos sujets vont acheter du mil et du sel; le Djolof, 
steppe à pâturages et cultures maigres. 

Au-delà de Dagana, ce sont les Peul du Fouta-Toro, race 
active et ingénieuse, occupée de cultures et d'élevage, mais 
fort attachée à l'islamisme et plus défiante que toute autre 
à l'égard des Européens. 

Dans le Haut-Fleuve, enfin, nous nous heurtions à la redou- 
table invasion Bambara, qui menaçait les riches pays soudanais 
de Galam, de Bambouk, du Boundou, du Khasso^. 

Peu à peu, les régions qui a voisinent nos postes deviendront 
des zones d'influence; mais en 1817, ce sont encore, en grande 
partie, des pays hostiles à nos entreprises les plus pacifiques, 
et l'on devine sans peine quelles difficultés attendaient les Gou- 
verneurs, chargés d'administrer et de faire prospérer ce pauvre 
archipel de fortins et de comptoirs. 

Le Sénégal de 1817 n'était pas une colonie, au sens que nous 
donnons à ce mot aujourd'hui; il ne faut y voir que des « Eta- 
blissements )> de destination toute commerciale; c'est par là que 
s'expHquent l'imprécision de ses frontières, la dispersion de 
ses éléments et la place réservée, dans le traité, au fleuve Sénégal : 
la libre disposition du fleuve, la possession de deux ports mari- 
times et de quelques escales, voilà qui suffisait à constituer un 
champ d'action commerciale. Les pays de la Côte occidentale 
d'Afrique n'étaient pas encore considérés comme des terres de 
colonisation; on ne les jugeait bons qu'à servir de centres d'é- 
changes. 

C'est pourquoi les clauses proprement commerciales de la 
cession sont beaucoup plus nettes que les clauses territoriales 
et comportent des réserves avantageuses pour les Anglais. 
Conformément au système de r« exclusif », auquel le Gouver- 
nement de la Restauration, nous le verrons, demeurait fortement 
attaché, les bâtiments français avaient seuls le droit de commer- 
cer sur les côtes et dans les rivières situées entre le Cap Blanc 
au nord et la rivière de Gambie au sud; mais, sur un point de 
cette zone, les Anglais, aux yeiix de qui toute l'importance du 
Sénégal résidait dans le commerce de la gomme, se ménageaient 
un centre d'action plein de promesses : ils gardaient le droit de 
se livrer à la traite de la gomme sur la côte mauritanienne, au 
nord de St-Louis, entre la rivière St-Jean et la rade de Porten- 
dik, à la condition de ne former aucun établissement permanent ; 

1. Cf. Faidberbe, Nolice sur In colonie du Sénégal et sur le» pays en relalion avec 
elle; M, Delafosse, Ifaut- Sénégal Niger, t. II, chap. X. 



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INTRODUCTION 5 

ils espéraient ainsi détourner sur Portendik les caravanes qui 
prenaient auparavant le chemin de St-Louis et nous constituer 
à leur profit les gardiens de la richesse sénégalaise. 

D'étroits domaines épars, d*âpres et barbares voisins, des 
concurrents tenaces et bien outillés : de telles conditions étaient 
déjà redoutables pour une entreprise simplement commerciale, 
mais faire naître de cette entreprise une véritable colonie, n'é- 
tait-ce pas là le plus insensé des projets ? 

Les Anglais n'avaient osé le concevoir; au sortir de la terri- 
ble épreuve napoléonienne, les Français voulurent y voir comme 
une revanche. Ils prétendirent mettre en valeur, selon des métho- 
des toutes nouvelles, ces îlots de sable battus par tous les vents, 
et l'apparente absurdité de cette tâche marque un des moments 
les plus actifs, révèle une des tendances les plus originales 
de la politique coloniale de la France. 



II. — La valeur de la Colonie 



Entre les mains d'hommes résolus, le Sénégal, même réduit 
à cette poussière d'escales et limité à ses ressources tradition- 
nelles, n'était assurément pas sans valeur et déjà donnait mieux 
que des promesses. Il est vrai que les comptoirs de Rufisque, 
de Joal, de Portudal, du Saloum, avaient été abandonnés dès 
avant l'occupation anglaise et que les autres paraissaient peu 
riches d'avenir : Portendik n'était qu'une pauvre bourgade, à 
peine bâtie, étalant, dans la triste nudité des sables, quelques 
misérables cases et des tentes, entre la mer toujours furieuse 
et le désert sillonné de rezzous maures; Arguin était un minus- 
cule îlot désolé; Podor, Galam (ou Bakel), où la chaleur est 
particulièrement accablante, vivaient dans une perpétuelle 
inquiétude et abritaient les malheureux qui devaient y repré- 
senter le Gouvernement ou le haut commerce dans des blockhaus 
étouffants, tout au bord du Fleuve; à Albréda, Boufïlers trouvait 
une mauvaise hutte de paille occupée par « trois ou quatre pau- 
vres diables qui ont la mort entre les dents », et la situation 
n'avait guère changé depuis Boufïlers. Mais si lamentable 
qu'en fût l'aspect, ces épaves attiraient vers elles un fructueux 
trafic; elles suffisaient à maintenir dans la direction de nos 
ports des courants commerciaux que les contemporains esti- 
maient indispensables; deux d'entre elles, Podor et Bakel, 
assuraient aux flottilles de nos traitants la navigation à peu près 
paisible d'un fleuve géant et nous permettaient de tenter l'ac- 
cès des mystérieuses et riches régions de l'intérieur. 

Entre les campements maures perdus dans la grisaille des 
dunes, les fortins du Fleuve, brûlants et mornes, et les cases 
d'Albréda noyées de pluie, se dressaient du moins deux impor- 
tantes cités que le moindre réveil de prospérité eût vite trans- 



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6 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

fonnées en de fort belles villes. Régulièrement fréquentées 
par les navigateurs depuis le début des temps modernes, couver- 
tes de solides maisons européennes, plantées de cocotiers et de 
sabliers dont la verdure rompt la monotonie des sables,StrLûliis> 
île fluviale, et Gorée^^ île maritime, joignaient déjà au cKarme de 
l'exotisme Taclrvil? des villes civilisées. 

Gorée était le port le plus avancé de la côte occidentale d'Afri- 
que, et tous les navires qui passaient dans ces parages s'y arrê- 
taient. Deux forts, le fort St-Michel, perché sur une haute et 
massive falaise, et le fort St-François, tapi à la pointe Nord de 
l'île, en gardaient les abords. Entre le rocher et le môle, 
se groupaient les bâtiments administratifs, l'hôpital, les hau- 
tes maisons des commerçants, dont le rez-de-chaussée servait 
de magasin et dont la cour était entourée de captiveries forte- 
ment grillagées, A deux kilomètres de là, la presqu'île du Cap 
Vert offrait de l'eau potable, des jardins, des champs, et les 
Goréens, aux époques tranquilles, s'y bâtissaient des maisons 
de campagne. 

Saint-Louis, port d'estuaire, était, en dépit du redoutable 
obstacle de la barre, doublement favorisée, puisqu'elle accueil- 
lait les bateaux de haute mer et les chalands du fleuve. Les 
maisons et les magasins s'alignaient sur les quais, et le fort, flan- 
qué de bastions, occupait à peu près le centre de l'île. Au mo- 
ment de la traite de la gomme, la ville s'animait : des flottilles, 
des caravanes y affluaient ; toutes les races des régions riverai- 
nes s'y mêlaient, et tous les genres de commerce y faisaient 
leur apparition. Au prix d'une paix soutenue et d'une sage admi- 
nistration, Saint-Louis, qui comptait déjà 9.000 habitants, 
pouvait devenir, en fort peu de temps, une grande capitale et 
entraîner dans son activité tous les pays environnants. 

La population stable de ces deux villes, proprement sénéga- 
laises, se composait en majeure partie de noirs libres', ouolof, 
familiarisés depuis longtemps avec les habitudes européennes 
et plus effrontés que sauvages, peu laborieux, mais naturelle- 
ment portés au commerce; de captifs de case, généralement 
bien traités et attachés à leurs maîtres ; de mulâtres et de quel- 
ques colons blancs. Entre ces divers éléments, les rivalités étaient 
fréquentes et vives mais elles n'avaient d'autre source qu'une 
concurrence d'intérêts commerciaux, et la question sociale 
était loin de se présenter à leur esprit avec autant d'âpre té 
que pour les habitants de Saint-Domingue, par exemple. Les 
haines de couleur, les luttes de races leur étaient épargnées. 
On pouvait espérer qu'avec l'enrichissement général l'entente 
s'établirait aisément et que toutes les activités concourraient à 
l'organisation et au développement économique du pays. 

Capitales économiques, formées par la nature au jôle de tran- 
sitaires, bien peuplées et suffisamment protégées par la mer ou 
par le fleuve contre les incursions des peuples voisins, Gorée et 
Saint-Louis sont encore désignées par le climat pour être les 
centres et les points d'appui d'une domination européenne, en 



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INTRODUCTION 7 

ces temps surtout où rhygièn^e tropicale en est à ses toutes pre- 
mières découvertes. Sur le fleuve, TEuropéen ne résiste pas à 
la chaleur excessive, il meurt d'insolation, de fièvre bilieuse, de 
dysenterie; en Gambie, il est anémié par la chaleur humide et 
succombe au paludisme : à Gorée ou à Saint-Louis, il bénéficie, 
de novembre à juin, d'une saison sèche, fort analogue à nos étés, 
que rafraîchit encore la brise de mer et qui le repose des fati- 
gues de l'hivernage; il peut, sans effort et sans grand danger, 
mener à peu près la même existence qu'en France et se livrer 
à des tâches de longue haleine. La vie active, travail de 
bureau ou surveillance de chantiers, lui est permise, et ses qualités 
d'initiative et de persévérance restent intactes. 

En plus de ces ressources et de ces facilités connues, on pou- 
vait espérer découvrir au Sénégal d'autres sources de richesse. 
Rien n'avait été tenté jusque là pour ajouter des revenus nou- 
veaux à ceux de la traite de la gomme, de l'or et de l'ivoire ou 
« morfil », pour libérer le commerce sénégalais des fluctuations 
du simple troc et demander au sol même de contribuer à la 
prospérité du pays. Connaissant mal les conditions géogra- 
phiques des régions sénégalaises et les assimilant trop com- 
plètement à celles de colonies à cultures déjà prospères, les 
Français de la Restauration croyaient volontiers que ces pro- 
duits de première valeur, le coton, le café, le riz, la canne à 
sucre, l'indigo, etc.. trouveraient dans les rives du Sénégal 
une terre d'élection. Sans doute exagérait-on la fertilité naturelle 
de la colonie retrouvée et se trompait-on sur la variété de ses 
aptitudes, mais il est bien certain — les événements l'ont démon- 
tré — qu'on n'avait tort ni d'espérer ni de chercher. 

Ce qu'on espérait aussi, et non moins justement, c'est que, à 
force de ténacité, la colonie du Sénégal finirait par sortir du 
cadre étroit dans lequel les traités internationaux l'avaient 
cantonnée. On attendait beaucoup d'une politique de paix, des 
relations de commerce et d'amitié qu'on comptait nouer avec 
les peuplades voisines. On se proposait aussi de porter l'influence 
française vers le Sud, au-delà de la rivière de Gambie et, si pos- 
sible, « jusqu'aux terres hollandaises de Cap de Bonne Espé- 
rance. »* Rêve qui, en grande partie, s'est réalisé. 

Ce (^ue peut donner le Sénégal, le rôle qu'il a joué dans la 
fondation de notre empire ouest africain, nous le savons au- 
jourd'hui : à quelques illusions près, les coloniaux français 
du début du xix® siècle, nous le constaterons, l'avaient pressenti, 
et cette vue d'avenir n'était pas sans quelque mérite, si l'on 
songe que le Sénégal était mal connu, livré à la routine, enlisé 
dans des pratiques commerciales qui le conduisaient à la ruine. 



1. C. G. Schmaltz au Gouverneur général Mac Carthy, 24 février 1817. 



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8 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

III. — La situation économique et morale 
DU Sénégal en 1817. 

Ce mérite est d'autant plus grand que le Sénégal, au sortir 
de la domination anglaise, était un bien pauvre pays. Les Anglais, 
dès leur reprise de possession, semblaient avoir regardé comme 
toute provisoire cette occupation et s'étaient résignés à la 
médiocrité des ressources existantes. Ils n'avaient rien fait 
pour accroître la prospérité du pays. Ils avaient négligé d'entre- 
tenir des relations suivies avec les chefs indigènes, de la bonne 
volonté desquels dépendait la régularité des opérations com- 
merciales; toute la partie vraiment française de la politique 
sénégalaise était à reprendre. 

Les bâtiments administratifs et militaires n'avaient pas été 
entretenus et se trouvaient dans le plus complet délabrement : 
« Les établissements, écrira le Gouverneur Schmaltz au Ministre, 
m'ont été remis dans un tel état de dégradation et même de dévas- 
tation par le Commandant anglais que les réparations les plus 
indispensables nécessiteront de grandes dépenses... La plupart 
des portes et fenêtres ont été emportées ou brisées et presque 
toutes les serrures enlevées. ^ » Aggravant l'œuvre du temps, 
les Anglais avaient détruit ou emporté tout ce qui pouvait faci- 
liter notre installation : c'est ainsi « qu'une fort belle bibliothè- 
que appartenant au Gouvernement » et qui avait toujours été 
considérée par les Saint-Louisiens « comme faisant partie des 
archives de la colonie » avait été transportée à Sierra-Leone. ^ 
A Gorée, les édifices publics tombaient également en ruines; la 
maison du Gouvernement n'avait plus de toiture et, comme le 
bois manquait, on dut momentanément la couvrir de paille^. 
Avant de mettre en valeur, il fallait donc remettre en état. 

Mais le plus grave pour les intérêts économiques de la colonie, 
c'est que le Sénégal, par une manœuvre à la fois politique et 
philanthropique des Anglais, allait se trouver privé d'une de ses 
ressources essentielles : la traite des nègres. Le Roi de France, 
par un article additionnel au traité de 1814, s'était engagé à inter- 
dire entièrement à ses sujets, dans un délai de cinq ans, de se 
livrer à la traite, et Talleyrand promit secrètement de supprimer 
sans retard la traite entre le Cap Blanc et le Cap des Palmes. En 
même temps qu'elle ôtait au commerce sénégalais, et notamment 
au port de Gorée, un de ses éléments de trafic les plus importants, 
cette mesure compromettait la mise en valeur du pays, puisqu'elle 
menaçait d'accroître les difficultés de main-d'œuvre*. 



1. Cité par J. Monteilhet, Au seuil <Vun empire colonial, p. 504. 

2. C. G., Schmaltz au gouverneur général Mac Carthy, 26 février 1817. 

3. Cité par J. Monteilhet, Au seuil d*un empire colonial, p, 504. 

4. Cf. Christian Schefer, op. cit., p. 82 et sq.; Talleyrand, Etude sur les avantages 
à retirer des colonies nouvelles dans les circonstances présentes, II, p. 288; De Flassan, 
Histoire de la diplomatie française, VI, p. 478. 



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INTRODUCTION 9 

Corée perdait en outre le bénéfice du commerce anglais de 
Gambie, dont elle était Tentrepôt avant la reprise de possession. 
Elle devait jadis à ce rôle d'entrepositaire « un grand mouvement 
d'affaires, des locations avantageuses pour les propriétaires de 
maisons, un cabotage qui occupait continuellement les petits 
bâtiments du pays auxquels on permettait en outre de remonter 
la rivière et de traiter pour leur compte. » A la faveur de ce 
commerce, la population de Gorée était passée de 2.000 à 6.000 
âmes qui, sur ce rocher étroit et stérile, ne pouvaient vivre 
que de trafic; elle se trouva, en 1817, réduite à la traite côtière 
de cuirs, d'or et de morfil en petites quantités (à peine pour 
60.000 francs par an), et les Anglais essayaient de profiter de 
sa misère pour l'attirer dans leurs possessions de Gambie^. 

Quant à Saint-Louis, son commerce de gomme — le seul 
à peu près qui lui restât depuis l'abandon des relations avec 
le pays de Galam, était en pleine décadence. Avant l'occupation 
anglaise, le chiffre annuel des quantités traitées atteignait 
deux et parfois trois millions de livres; depuis 1809, il était 
tombé à 900.000 et le prix de la livre avait, en même temps, 
diminué de moitié, en raison du peu de soin apporté par les 
commandants anglais au contrôle de la qualité. D^autre part, en 
négUgeant de régulariser l'activité économique des indigènes, 
les Anglais avaient laissé se développer de déplorables mœurs 
commerciales : « abandonnés à eux-mêmes, les habitants ont 
poussé la concurrence aux derniers excès et se sont ruinés, la 
plupart en portant hors de prix un objet dont la valeur dimi- 
nuait chaque jour en Europe. L'état de pauvreté, dans lequel 
ils se trouvent maintenant réduits, rend trop nécessaire à 
chacun le besoin de partager la traite, pour qu'on puisse 
espérer de la rétablir sur l'ancien pied en diminuant la 
concurrence. ^ » 

Les commerçants étaient divisés en deux groupes franchement 
hostiles l'un à l'autre : les « négociants » et les « traitants », ceux- 
là pourvus de capitaux et capables de grandes opérations, mais 
toujours tentés de mêler à ces grandes opérations des petits tra- 
fics qui ne les enrichissaient guère et qui rendaient plus diffi- 
cile l'existence de la classe moyenne de la population; ceux-ci, 
surtout recrutés parmi les indigènes, sortes de revendeurs sans 
autre avance qu'une petite embarcation, à la merci de la moin- 
dre fluctuation des affaires et divisés eux-mêmes en gros traitants, 
commerçant pour leur compte, et petits traitants, mandataires 
des négociants. Il était difficile d'accorder des parties dont les 
intérêts étaient si différents'. 

Malgré tout, la population sénégalaise nous retrouvait sans 
déplaisir. « Dans ce pays, pourra écrire le Gouverneur Schmaltz ' 



1. G. G., Schmaltz au Ministre, 8 Juillet 1817. 

2. G. G., Schmaltz au Ministre,/ 8 juillet 1817. 

3. Sur le mécanisme de la traite de la gomme, cf. Cultru, op. cit., p. 245 et sq^ 
et surtout RafXenel, Nouveau voyage..., p. 79 et sq. 



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10 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

'au Ministre, Ton aime et désire le Gouvernement du Roi. » L'oc- 
cupation anglaise n'avait duré que sept ans, et les trente années 
d'occupation française qui l'avaient précédée « étaient de celles 
qui laissent un souvenir inoubliable, » * Sous l'Ancien Régime 
le chevalier de Boufflers, « que la chasse au bonheur et le désir 
de conquérir un royaume exotique pour Madame de Sabran 
avaient conduit sur les rives du Sénégal, y avait promené les 
grâces charmantes du xviii© siècle finissant. Les Ouolof avaient 
admiré un exemplaire de la plus raffinée des civilisations. »* 
La sensibilité du temps avait adouci jusqu'aux mœurs colonia- 
les et tempéré l'inhumanité de l'esclavage : « Les esclaves, 
déclare un contemporain de Boufïlers, Durand, ancien direc- 
teur de la Compagnie du Sénégal, n'étaient jamais vendus que 
quand ils se rendaient coupables de quelque crime capital : 
cet acte de sévérité n'est pas sans exemple, mais il a toujours 
coûté autant de larmes au maître qu'à l'esclave' ». 

L'esprit de la Révolution avait aisément conquis ce pays, 
assoiffé de liberté et curieux de belles formules. Le titre de « ci- 
toyen » flattait singulièrement des hommes dont la race avait 
toujours passé pour inférieure et qui se trouvaient d'un coup 
haussés au niveau des Blancs; « sur les registres de l'état-civil, 
le fils de Mahmadou recevait le nom de Robespierre et celui de 
Masemba était transformé en un Scipion tout naturellement 
africain. D'ailleurs, cette période d'émancipation avait coïncidé 
avec l'administration très paternelle du « brave général Blanchot» 
a qui avait donné l'exemple de la fusion des races en contractant 
un mariage à la manière du pays. *» 

Sous l'Empire, Tannonce des victoires avait été régulière- 
ment accompagnée de fêtes brillantes et de festins; « on leur 
distribuait des bœufs, du riz, du vin; les tam-tams faisaient 
rage », et « les baladins ou griots » montraient tant d'empresse- 
ment à soutenir les intentions gouvernementales que le maire 
devait leur ordonner de « cesser leur vacarme » passé neuf 
heures du soir. « L'esclavage n'avait pas retrouvé ses rigueurs; 
on citait bien comme un scandale un fait de traite, mais c'était 
un nègre ivre qui s'était vendu lui-même. »■ 

A ce régime facile et gai, les Anglais, colonisateurs distants 
et moroses, n'avaient pu substituer qu'une domination sans 
éclat, et les Sénégalais, sauf peut-être ceux de Gorée,* ne les 
regrettaient pas; notre caractère, qui, par ailleurs, présente 



1. J. Monteilhet, Au seuil d'un empire colonial, p. 148. 

2. Ibid, 

3. Durand, Voyage au Sénégal, t. I, p. 156. 

4. J. Monteilhet, loc, cit. 

5. J. Monteilhet, op, cil, p. 149. 

6. Cf. C. G,, Schmaltz au Ministre, 8 juillet 1817 : « Les femmes, ... qui forment 
dans cette tle la masse des habitants riches et propriétaires d'esclave», ont pour la 
plupart un sentiment de préférence pour les Anglais, avec lesquels elles ont habité 
longtemps, de qui elles tiennent une grande partie de ce qu'elles possèdent, et sur 
qui elles conservent encore des vues d'intérêt, que les Français nouvellement 
arrivés ne peuvent leur laisser l'espoir de satisfaire... ». 



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INTRODUCTION 11 

de si graves défauts et compromet souvent nos meilleures 
entreprises coloniales, offre au moins aux populations noires 
des attraits tout particuliers : la franchise sans hauteur, la fami- 
liarité, l'aptitude à comprendre les différences d'opinion, le 
souci constant de nous adapter à Tesprit et aux préférences 
des races; c'est dans cet ensemble de qualités que réside peut- 
être la principale force de notre politique coloniale. Dès notre 
reprise de possession, les Sénégalais témoignaient qu'un 
accord persistait entre eux et nous et les difficultés de la situa- 
tion économique paraissaient devoir se résoudre rapidement à 
la faveur d'une union parfaite et cordiale entre colonisateurs et 
colonisés. 



IV. — Les intentions de la Métropole. 

Dans la pensée du Gouvernement métropolitain, notre retour 
au Sénégal ne comportait pas, au reste, la simple réoccupation 
de territoires momentanément abandonnés ; il devait provoquer 
à bref délai une transformation complète de la vie économique 
et sociale du pays, ouvrir une ère de prospérité et d'expansion, 
faire naître de ces établissements épars une véritable colonie 
française. 

Le problème colonial se posait en termes nouveaux : nos 
colonies à plantations avaient jadis été mises en valeur grâce 
à l'apport réçulier d'une main-d'œuvre servile, elles devaient 
aujourd'hui vivre de leurs propres ressources, et le Sénégal, qui 
avait été leur grand fournisseur d'esclaves et dont la coloni- 
sation avait été sacrifiée à celle des Antilles, allait pouvoir dis- 
poser de cette main-d'œuvre vacante : comme le dira Portai, 
«l'abolition complète et immédiate de la traite » laissait sur la 
côte occidentale d'Afrique « les esclaves sans emploi et les chefs 
sans revenus. »^ L'occasion était belle pour amener le Sénégal 
à mettre au jour les ressources naturelles qu'il ne pouvait man- 
quer de posséder, et le Gouvernement français devait apporter 
une sorte de coquetterie à lui appliquer cette formule nouvelle : 
au lieu de transporter les ouvriers là où se trouve le travail, 
transporter le travail là où se trouvent les ouvriers. • 

On se propose, avant tout, de réparer dans la colonie les effets 
de la Révolution française et de la négligence anglaise et de faire 
suivre immédiatement la reprise de possession d'une remise 
en état : ce n'est pas sans raison que le Ministre, en dressant en 
1816 un plan d'action pour le Gouverneur du Sénégal, se reporte 
méthodiquement aux instructions données en 1785 au cheva- 
lier de Bouiïlers et par là montre son intention de revenir, sauf 



1. Discours à la Chambre, 4 juin 1819. Areh, parUmeni.f 2* série, t. XXIV, 
p. 761. 

2. Ch. Schefer, op. cit,, p. 205. 



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12 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 18&4 

en ce qui regarde la traite des Noirs, aux traditions coloniales 
de TAncien Régime*. 

Tous les forts et comptoirs de Tintérieur, qui avaient été 
abandonnés ou du moins mal entretenus, seront relevés : le 
Gouverneur fera faire partout les réparations indispensables 
et soumettra des propositions au Département pour les aménage- 
ments les plus importants. A Saint-Louis, à Gorée, les battenes 
et les bâtiments civils seront remis à neuf; les postes du fleuve, 
l'escale du Désert, Podor, Tescale du Coq, le Fort Saint-Joseph 
en pays de Galam, reprendront leur activité; en Mauritanie, 
sur la Petite Côte*, en Casamance, en Gambie, dans le Saloum 
et jusqu'en Sierra-Leone, on s'occupera de faire reconnaître 
les droits que nous confèrent les traités et de « rétablir les rela- 
tions anciennement ouvertes avec les princes indigènes ». 

Cette restauration politique se doublera d'une renaissance 
économique. Les produits du Sénégal devront reprendre leur 
ancienne valeur et se développer de telle sorte qu'ils comblent, 
dans l'économie du pays, le déficit causé par la suppression de 
la traite des esclaves. Il est notamment recommandé au Gouver- 
neur « de porter toute son attention sur le rétablissement du com- 
merce de la gomme » ; un esprit conciliant et de sages combi- 
naisons attireront les Maures à nos escales et les détourneront 
de Portendik, les marchandises d'échange seront exactement 
adaptées au goût des Maures, les Chambres de Commerce de la 
Métropole seront régulièrement renseignées sur le nombre et 
le caractère des expéditions qu'il serait utile d'entreprendre, 
les armateurs sauront ce qu'ils doivent importer au Sénégal 
et sur quelles cargaisons de retour ils peuvent compter; nous 
devons tendre, en somme, à ce résultat « d'approvisionner 
l'Europe en gomme ou tout au moins d'en fixer le prix dans les 
marchés. » En même temps, le commerce du Haut-Fleuve doit 
recommencer à nous fournir du riz, du mil, du m or fil, du blé 
de Turquie et surtout remplacer par une plus forte production 
d'or les mille nègres qu'au temps de la traite nous achetions 
chaque année dans le pays de Galam : on recueillera tous 
les renseignements possibles sur les mines de « Bambouk 
Boundou, Kélimani, Natacon et autres qu'on découvrirait », 
sur la nature physique et le genre de vie des pays où elles sont 
situées, ainsi que « sur la nature des relations qu'il serait avan- 
tageux d'ouvrir » avec les habitants. 

Mais on ne s'en tiendra pas à ces premières positions; on 
abordera tout de suite une œuvre d'expansion et de mise en 
valeur : l'extension des zones d'influence, le renouvellement 
des produits. 

On obtiendra du roi du Cayor la cession de la presqu'île du 



1. Pour tout ce qui suit, cf. le Mémoire du Roi pour servir dHnsîrudioM au ëieur 
Schmaliz..., 18 mai 1816. 

2. On désigne ainsi la côte qui va de la presqu'île du Cap Vert à rembouchure 
du Saloum et sur laquelle se trouvaient les escales de Rufisque, Joal et PortudaL 



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iNtJtODUCTIÔN 13 

Cap Vert, qu'un traité de 1787 nous promettait déjà; on fera 
rayonner notre commerce dans les Rivières du Sud, et Gorée 
y trouvera sans peine les moyens de se sauver de la ruine; on 
entreprendra de connaître et de s'attacher les peuples du haut 
pays, on fera tout ce qu'il est possible « pour pénétrer un jour 
sur leur territoire et étendre, de proche en proche, par l'intro- 
duction du commerce, une civilisation dont la France pourrait 
recueillir les plus brillants avantages »; et comme, sur ce terrain 
nous sommes destinés à rencontrer la jalousie de l'Angleterre, 
nous surveillerons étroitement notre rivale : nous nous tiendrons 
au courant des « différentes modifications qui pourraient sur- 
venir dans le régime et la situation » de ses possessions voisines 
du Sénégal, des voyages de ses explorateurs, etc : « des hommes 
honorables méditent depuis longtemps, en Angleterre, les moyens 
de civiliser une partie de l'Afrique, et le Gouvernement français 
serait charmé de pouvoir concourir au succès d'une si noble 
entreprise. » 

A ces pays neufs qui vont subir notre influence, nous deman- 
derons autre chose que les produits dont s'accommode si volon- 
tiers la nonchalance des indigènes : des explorateurs bien 
préparés vont, dès la reprise de possession, entreprendre une 
sorte de prospection « du cours du Sénégal et de la partie de 
l'Afrique qui s'étend depuis le Cap Vert jusques aux royaumes 
de Galam et de Bambouk inclusivement » ; ils étudieront les 
ressources végétales, animales, minières, commerciales, de 
ces contrées; ils examineront particulièrement « les bords du 
Sénégal et les îles qu'il forme dans son cours, depuis le Fort 
St-Joseph jusqu'à l'île St-Louis »; ils s'assureront « de l'es- 
pèce de culture à laquelle ces îles seraient propres, du nombre 
et du caractère des habitants de chacune d'elles, de leurs dis- 
positions et spécialement de celles de leurs chefs à notre égard, 
et enfin des moyens à employer poury former des établissements 
agricoles. » On voit qu'il s'agit bien, en somme, de transformer 
les établissements du Sénégal en une colonie et de faire du 
vieux comptoir de la Côte occidentale d'Afrique un grand pays 
à cultures. 

Ce qu'il y a de plus séduisant dans ce programme d'une telle 
ampleur, c'est qu'il devait se réaliser uniquement par des 
voies de douceur et de persuasion, sans guerre ni contrainte. 

Ces peuples qui vont^participer à notre activité économique, 
nous prétendons avant tout nous lier d'« amitié » avec eux; 
nous voulons « éviter de contrarier leurs idées, prévenir toute 
discussion sérieuse et, en tout événement, n'employer les armes 
que dans la nécessité la plus urgente et à la dernière extrémité »; 
nous nous contentons de leur donner, enfin, « une haute opi- 
nion de la richesse, de la puissance et, surtout, de la bonté des 
Français »• Nous demeurons persuadés que « la modération et 
la justice, la douceur et la fermeté sont les plus sûrs moyens 
de fixer la confiance et l'attachement des naturels du pays et 
de parvenir à tirer de cette partie de l'Afrique tous les avanta- 



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14 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

ges qu'elle peut. offrir au rétablissement et à la prospérité du 
commerce du royaume ». Même si certains des peuples avec 
lesquels nous essaierons d'entrer en relations font preuve d'hos- 
tilité ou manifestent des exigences excessives, si, par exemple, 
à propos du paiement de l'arriéré des coutumes ^, les Maures se 
montrent intransigeants, nous n'hésiterons pas devant des 
« sacrifices » considérables; nous ferons « tout ce que permet 
l'honneur, tout ce qu'inspire l'humanité pour écarter les sujets 
de discorde » : notre politique extérieure sera résolument une 
poUtique de paix. 

Quant à notre politique sociale, elle sera fondée sur le respect 
de la liberté individuelle et sur les devoirs de civilisation; 
si notre colonie doit s'enrichir, ce ne sera pas au préjudice des 
principes que la France a particulièrement contribué à faire 
triompher. « La reconnaissance et l'établissement de l'esclavage 
serait contraire à l'esprit de nos traités... C'est un point capital 
que celui de ne pas reconnaître que les nègres travailleront 
à titre d'esclaves, mais seulement à titre de travailleurs enga- 
gés et jouissant des droits et des avantages qui auront été 
réglés par l'administration ou d'une manière libre entre les 
concessionnaires et les cultivateurs. » En même temps, nous 
introduirons, tant au Sénégal que « chez les peuplades afri- 
caines avec lesquelles nous sommes en relations », des habitudes 
d'hygiène : par exemple, nous combattrons, à l'aide de « fumiga- 
tions sulfureuses », les « maladies cutanées », si fréquentes parmi 
les nègres et les gens de couleur ». Enfin, nous prendrons égale- 
ment soin de les moraliser et de répandre, à cet effet, le christia- 
nisme dans toutes les régions soumises à notre influence : « La 
pureté de sa morale favoriserait les progrès de la civilisation en 
adoucissant leurs mœurs et leur caractère; et l'influence qu'on 
pourrait s'en promettre serait d'autant plus précieuse, que rien 
n'est plus propre à rapprocher les hommes, qu'une religion qui 
tend sans cesse à la paix et au bonheur des peuples »; ce projet 
ne peut, d'ailleurs, rencontrer de vives résistances, puisque « la 
plupart des habitants de l'île Saint-Louis sont chrétiens catholi- 
ques et ont, avec les différentes nations qui habitent les bords du 
Sénégal, des liaisons de parenté ou d'amitié qui pourraient contri- 
buer à introduire et propager, parmi elles, le christianisme ». 

Tant de libéralisme et de générosité dans le choix des moyens 
ne doivent pas nous faire oubher qu'en se disposant « à donner à 
la colonie du Sénégal une grande importance », le Gouvernement 
de la Restauration se proposait avant tout de contribuer au 
relèvement économique de la Métropole et que l'œuvre de civili- 
sation n'était que l'accessoire d'une entreprise essentiellement 
agricole et commerciale. En ce sens, une étroite solidarité écono- 



1. Les coutumes étaient annuelles et répondaient, en principe, à une protection 
effective du commerce; mais il était d'usage, à la suite des guerres ou des années 
sans traite, de payer aux Maures même les coutumes des années pendant lesquelles 
leur rôle de protection ne s'était pas exercé. 



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INTRODUCTION 15 

mique était établie entre la Métropole et la colonie : la colonie, 
en vertu du régime de l'exclusif, ne pouvait commercer qu'avec 
la Métropole. 

Les instructions que reçoit le Gouverneur portent Tordre le 
plus formel d'interdire, dans la colonie, tout commerce étranger; 
seuls les navires français doivent être admis dans les ports fran- 
çais de la Côte d'Afrique; bien mieux, le commerce, en Afrique 
même, doit demeurer exclusivement aux mains -des Français, et 
« l'exercice de la profession de marchand courtier, ou agent 
d'affaires de commerce, de commis facteur, teneur délivres, etc, », 
est interdit aux « étrangers, naturalisés ou non, établis dans nos 
possessions ». Les navires contrebandiers seront saisis ; quant aux 
étrangers occupés de commerce, ils s'exposent à une amende de 
trois mille livres, « applicable au dénonciateur », et doivent être 
bannis à perpétuité de nos colonies; en somme, les étrangers ins- 
tallés dans nos possessions n'avaient d'autre ressource que « d'y 
faire valoir des terres et habitations et d'y faire commerce des 
denrées qui proviendront de leurs terres ». La Restauration se . 
tenait fortement, on le voit, à ce double principe : 

l^ Que les colonies doivent avoir pour destination principale 
Tenrichissement — et l'enrichissement immédiat — de la Métro- 
pole ; ^ 

2^ Que le régime du monopole national est la condition indis- 
pensable de cet enrichissement. 

L'attachement à ces principes était d'autant plus ferme que 
la puissance économique de l'Angleterre, grandie à nos dépens, 
était, à ce moment-là, particuhèrement redoutable ; la France 
vivait dans la hantise de la concurrence anglaise, et elle redou- 
tait, non sans raison, d'entretenir des colonies au seul profit du 
commerce anglais. 

Tout au plus le Ministère s'était-il résigné à quelques mesures 
transitoires : ainsi, les bâtiments qui auraient fait leur entrée 
à la douane anglaise antérieurement à la reprise de possession 
et commencé leur déchargement pourraient achever de décharger 
et vendre leur cargaison; ils pourraient aussi charger en retour 
des denrées du pays; mais ils seraient assujettis à un droit, déter- 
miné par le Commandant et Administrateur et qui ne pourrait 
excéder 10 ®/o de la valeur des denrées exportées. — Les bâti- 
ments qui auraient comrnencé leur chargement antérieurement 
à la reprise de possession pourraient le compléter ; mais ils seraient 
soumis à un droit de sortie, réglé par le Commandant et Admi- 
nistrateur, et qui ne pourrait excéder 7 1/2 ®/o de la valeur des 
denrées exportées. — Quant aux commerçants étrangers établis 
au Sénégal au moment de la reprise de possession, leur sort fut 
réglé quelque temps après, en octobre 1817 : il leur était accordé 
un délai de trois mois, « après lequel temps ils seraient tenus de 
cesser tout négoce de marchandises tel qu'il puisse être... h 



1. D. M., LdIreB paUnics, oct. 1817, art. U, 

■A«W DigitizedbyGciOgle 



16 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

En revanche, le Gouvernement métropolitain, malgré le dé- 
sarroi de ses finances, prenait à sa charge, sous forme de « dota- 
tion »*, les dépenses d'administration et de protection militaire* 
qui ne pourraient être couvertes par les revenus locaux ; la colo- 
nie ne devait être, pour le moment, imposée que d'un droit de 
2 1/2 ^lo sur la valeur des marchandises importées et d'un droit 
de 5 ®/o sur la valeur des marchandises exportées. Pour l'avenir, 
le Gouverneur aurait à examiner « les nouveaux moyens qu'on 
pourrait se créer, sur les lieux, pour diminuer les charges de la 
Métropole, en n'imposant toutefois à la colonie elle-même que 
celles qu'elle pourra justement et raisonnablement supporter ». 

L'idée de ce régime, comme le reste du programme que nous 
venons d'exposer, venait en droite ligne de la colonisation hollan- 
daise : ce sont les mêmes principes qui, appliqués aux Indes 
néerlandaises par le Gouverneur Général Van den Bosch, per- 
mettront à cette colonie de se couvrir de magnifiques planta- 
tions, d'introduire dans les cultures tropicales des perfectionne- 
ments techniques d'une portée considérable, de faire passer la 
population de Java de 3.500.000 âmes à 25.000.000 et de rappor- 
ter à la Métropole, en un quart de siècle, plus d'un milliard de 
bénéfices nets'. 

Or, nul ne paraissait mieux préparé, par ses origines et son 
tempérament, à pénétrer l'esprit d'un tel plan d'action que 
l'homme à qui le Gouvernement de la France avait confié en 
1816 les destinées du Sénégal. 



V. — La personne du colonel Schmaltz. 

Julien Schmaltz, « chevalier de l'Ordre Royal et Militaire de 
Saint-Louis et de l'Ordre Royal de la Légion d'honneur, colonel, 
commandant pour le roi et administrateur du Sénégal et dépen- 
dances », n'était pas un colonial d'occasion et devait à d'autres 
mérites que la faveur ministérielle la périlleuse mission de 
transformer nos vieux établissements du Sénégal en une colonie 
modèle. 

Il n'était pas, « comme on l'a imprimé dans des journaux 
dirigés » contre lui et comme on l'a souvent répété de bonne foi, 

1. Cf. Chr. Schefer, op, eit, p. 155 et sg. 

2. Le personnel administratif comprenait, à la reprise de possession, le Comman- 
dant et Administrateur pour le Roi, qu*on appelait couramment le Gouverneur, 
un commandant particulier de Gorée, un contrôleur financier, huit commis ou 
secrétaires, deux greffiers, des interprètes indigènes, un service de santé (deux chi- 
rurgiens, trois aides-chirurgiens, un pharmacien, un directeur d'hôpital, des infir- 
miers indigènes), un service des ports (deux officiers de port, deux pilotes, deux 
guetteurs, des laptots indigènes), un curéj des agents techniques (un jardinier, un 
agriculteur-botaniste, un ingénieur des mmes, un ingénieur-géographe), un mattre 
d^ècole, deux résidents, divers ouvriers européens et indigènes (forgerons, tonne- 
liers, boulangers, bouchers). — Le personnel militaire se composait d'un bataillon 
européen de 200 hommes environ, avec un commandant, trois capitaines et six lieu- 
tenants ou sous-lieutenants. 

3. Cf. Grosclaude, Le nouveau pacte colonial, p. 60 et sq. et Chr. Schefer. op. cit., 
p. 195 et sq., 205 et sq. 



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INtRODÙCTlON 17 

d'origine étrangère; il était né à Lorient, où son père, un Alsacien, 
était venu fonder une importante maison de commerce, et il 
avait été élevé dans une école royale militaire. Son père mourut, 
laissant trois fils, et sa mère, au début de 1789, quitta Lorient 
pour rile de France, où elle avait une partie de sa famille et où 
ses enfants la rejoignirent en novembre 1789^. 

L*atné prit du service dans la marine; un autre se fixa à 
rile de France; quant au futur colonel, il entreprit, sur des 
bateaux de commerce, des voyages à Bourbon, à Madagascar, à 
la Côte occidentale d'Afrique, au Cap de Bonne-Espérance, dans 
rinde, et se trouva ainsi « à portée de faire des observations 
utiles de recueillir des renseignements précieux sur les habitants, 
le; mœurs, les usages, le commerce, l'administration, les res- 
sources de ces divers pays. » 

En 1799, il entra en relations, à Batavia, avec des officiers 
français qui étaient affectés les uns au commandement d'un 
bataillon auxiliaire, les autres à la direction de divers services 
techniques : « ils y étaient bien traités, aimés, considérés, esti- 
més... J'entrevis là, déclare-t-il, la perspective d'une exis- 
tence agréable et, ce qui me décida peut-être encore davantage» 
l'occasion de joindre, auxobservations dont je m 'occupais depuis 
longtemps sur les colonies en général, la connaissance appro- 
fondie des riches et importantes possessions des Hollandais en 
Asie ». 

Le colonel Barbier, directeur du Génie, le fit admettre dans 
cette arme comme sous-lieutenant, avec la promesse d'un avan- 
cement rapide si l'on était .satisfait de ses services. Il passa 
capitaine dès l'année suivante et se vit confier des missions 
importantes : il fut chargé notamment de la mise en état de 
défense de Sémarang, de Sourabaya et de toute la Côte nord-est 
de Java; en 1802, il fut rappelé à Batavia et chargé d'autres 
travaux de fortification; en 1806, des troubles éclatent dans 
le royaume de Bantam et il est désigné pour aller construire 
un fort dans cette région; en 1808, le Gouverneur général 
Daendels le fait nommer lieutenant-colonel et lui confie les tra- 
vaux d'aménagement du port de Sourabaya, qui devait rempla- 
cer le port de Batavia, insalubre et mal situé. 

Mais, en 1809, il est mis brusquement à la retraite, sans doute 
à la suite d'un mouvement d'opinion qui prétendait réhabiliter 
Batavia et rendait Schmaltz partiellement responsable des pro- 
jets relatifs h Sourabaya. Il ne se perd pas en lamentations ni 
en démarches suppliantes : il fonde une manufacture, travaille 
de ses mains; il trouve en sa femme la plus courageuse colla- 
boratrice, transforme les quelques esclaves dont il dispose en 
bons ouvriers et parvient à gagner le double de son ancienne 
solde d'officier. Il parle avec orgueil de cette époque de sa vie, où 
ses adversaires ont pu trouver prétexte à raillerie, mais au cours 

1. Pour ces détails et ceux qui suivent. Cf. A. C, Lettre du colonel Schmaltz 
au marquis de Lauriston, 24 février 1824; Boyer-Péreleau, Les AnlUles françiUeêM 
t. VI, p, 328. ' -v • 



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18 LA MISE EN VALEUR DU SÊNÊGAL DE 1817 A 1854 

de laquelle l'estime de ses anciens camarades lui reste franche- 
ment acquise. 

En 1811, il est d'ailleurs réintégré dans les cadres de son arme 
par le Gouverneur général Janssens, qui, à la suite de la réunion 
de la Hollande à la France, avait remplacé Daendels. On l'em- 
ploie à nouveau aux travaux de Sourabaya, mais les Anglais 
attaquent Batavia ; il s'empresse de rejoindre le gros de l'armée 
à Mester Cornélis et, le 26 août 1811, la ville ayant été enlevée 
d'assaut, il est pris par les Anglais. 

Il est envoyé au Bengale comme prisonnier de guerre et perd 
du coup tout ce qu'il possédait à Java. Mais, au Bengale, il 
continue ses « observations » et il se fait des amis qui, ne pou- 
vant le décider à se fixer en terre anglaise, lui rendent du moins 
le service de le faire libérer au bout d'un an. 

Il rentre en Europe par l'Angleterre et, en décembre 1813, 
débarque en France. Le 7 août 1814, il est confirmé par le Roi 
de France dans le grade de chef de bataillon; le 14 août, il est 
nommé chevalier de la Légion d'honneur et désigné pour com- 
mander la place de la Basse-Terre à la Guadeloupe. Il rejoint 
son poste, mais les Cent jours arrivent et, comme il avait pré- 
cédemment présidé le Conseil de guerre chargé de juger le comte 
de Linois*, il éprouve la rancune des bonapartistes juste le 
jour où l'Empire croulait pour la seconde fois : le 18 juin 1815, 
il est arrêté et détenu dans sa maison et reçoit l'ordre de quitter 
la colonie par le premier bateau. 

A son retour en France, en novembre 1815, le vicomte Dubou- 
chage, secrétaire d'Etat au département de la Marine, à qui 
Schmaltz, sans doute en raison de son long séjour dans une 
colonie étrangère, avait été longtemps suspect, répare son erreur 
et cette persécution en l'affectant à la section des Colonies, dont 
Portai était alors directeur; puis, le 15 avril 1816, Schmaltz 
est désigné pour le gouvernement du Sénégal; le 8 mai, il est 
promu colonel; le 22 mai, il est nommé chevalier de Saint-Louis 
et le 8 juillet, échappé au naufrage de la Méduse, il arrive 
en pauvre équipage, mais toujours vaillant et digne, au large 
de sa capitale, occupée par des hôtes qui mettront six mois à 
déménager ^. 

On voit que, jusqu'au jour où le colonel Schmaltz prend le 
commandement du Sénégal, la vie qu'il a menée n'est nullement 
banale. Les événements de toute nature qu'il a traversés, les 
pays infiniment variés qu'il a parcourus, les fonctions ou les 



1. Le comte Durand de Linois (1761-1818), capitaine du Formidable, combattit 
en liéros la flotte anglaise à Ttle de Groix (1795), mais son vaisseau prit feu et il 
tomba^ aux mains de l'ennemi. Echangé bientôt après et promu contre-amiral, 

"', résiste vigoureusement en 1806, 
lis il est pris de nouveau et n'est 

.. ^ gouverneur de la Guadeloupe, il est révoqué et mis à 

la retraite Tannée suivante, pour son attachement à la cause bonapartiste. Boyer- 
Pereleau était son aide-de camp : de là sa rancune contre Schmaltz et les accusa- 
"<>ps qu'il porte contre Schmaltz dans son ouvrage sur Les Antilles françaises, 

2. Pour tout le détail de la reprise de possession, voir Tétude remarquablemeot 
prectee de J. Montellhet, Au seuil d'un empire eoloniul 



lomoa aux mams ae lennemi. lî^change bientôt apn 
il bat les Anglais dans la baie d'Algésiras en 1801, résis 
près de Madère, à la flotte de l'amiral Warren, mais il ( 
libéré qu'en 1814. Nommé gouverneur de la Guadelou 



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INTRODUCTION 19 

métiers qu*il a exercés, lui ont donné les connaissances les plus 
étendues et le courage le mieux trempé, et il est curieux de trou- 
ver, « au seuil » de cet empire colonial, dont la France peut être 
si fière aujourd'hui, un Gouverneur qui ne soit ni un aventurier 
ni un fonctionnaire de profession ni un pur militaire, mais un 
vrai colonial, un homme que son éducation et ses goûts desti- 
naient aux colonies et aux yeux de qui les entreprises de mise 
en valeur prendront toujours le pas sur les exploits héroïques, 
les scrupules administratifs et les faits d'armes. 

C'est l'énergie qui domine dans son caractère, une énergie 
d'homme du Nord, sans éclat mais sans faiblesses, continue, 
toute naturelle. Sa résistance physique est surprenante : il 
travaille sans répit, n'hésite jamais devant un voyage en rivière, 
poursuit sans souci des saisons son exploration du pays et ses 
démarches diplomatiques, et il est sans cesse debout à son poste, 
épargné par la fatigue ou la fièvre ; il trouve « agréable » et « sain » 
le climat de Dagana, qui est brûlant; il parcourt avec délices 
les plaines du Oualo, qui, arides ou marécageuses, sont toujours 
désolées; il est assurément de fort bonne foi quand il combat 
la réputation d'insalubrité du Sénégal. 

Aussi se livre-t-il sans cesse et sans effort à son besoin d'ac- 
tivité. Il est, comme on dit, partout à la fois : il rédige de sa 
main de longs rapports et entretient une correspondance con- 
sidérable, il voyage beaucoup, il visite personnellement les 
princes indigènes sur lesquels il compte pour pénétrer dans 
l'intérieur, il surveille de très près son personnel et lui donne 
par lettres des directions abondantes, il confère fréquemment 
avec les habitants notables : il donne à tous ceux qui l'entourent, 
indigènes ou fonctionnaires, l'exemple de l'initiative et de l'en- 
train. 

A mesure que l'entreprise se développe, les raisons de ralen- 
tir son activité ne lui manquent pas : toutes sortes de témoigna- 
ges contredisent en haut lieu ses affirmations et ses promesses, 
des calomnies sont lancées contre lui, le Parlement n'est pas 
favorable aux plans de colonisation, et le Ministère, soit de force 
soit de plein gré, revient sur ses projets, réduit l'action.du Gou- 
verneur, soumet ses propositions à la plus sévère critique. 
D'autre se seraient vite lassés de ces directions inquiètes, 
auraient jeté le manche après la cognée ou bien, au contraire, cédé 
en apparence et pris à la légère leurs attributions : Schmaltz, 
lui, n'est accessible ni aux irritations ni aux abattements du dé- 
couragement; il souffre certainement de voir retarder la réali- 
sation de son programme, mais ses ressources d'énergie n'en 
sont pas diminuées; il ne se lamente pas sur les débris d'un pro- 
jet, il s'empresse de les assembler pour en former un nouveau; 
il n'est pas de ceux qu'on rebute, qui s'en vont d'eux-mêmes, 
qui démissionnent : il faudra l'arracher à sa tâche, le jour où 
Ton aura reconnu que sa patience et sa persévérance sont vrai- 
ment invincibles. 

C'est qu'un optimisme persistant le soutient dans ses pires 
épreuves. Il a beau se trouver aux prises avec toutes sortes 



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20 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

d'embarras et d'ennuis : il ignore la véritable inquiétude, il 
ne parvient pas à désespérer, il sent en lui de telles provisions 
de courage (jue nulle situation ne lui semble sans remède; les 
difficultés lui apparaissent avant tout, selon sa propre expres- 
sion, comme « une jouissance des âmes fortes », et il est persuadé 
qu'on peut toujours sortir d'embarras, quand on sait le vouloir 
fortement et longuement. 

Cette foi dans les vertus de l'activité le porte à attribuer aux 
idées une importance médiocre. Il semble qu'à ses yeux le seul 
élément qu'il convienne de déterminer nettement dans une 
entreprise, ce soit le but; les moyens se créeront et s'organise- 
ront d'eux-mêmes, et tous les moyens seront bons, pourvus qu'on 
ait la ferme volonté d'atteindre le but. C'est pourquoi les ater- 
moiements, les changements de méthodes, les timidités et les 
reculs du pouvoir central le gênent simplement sans le découra- 
ger : rien n'est perdu tant que le pouvoir central continue d'ad- 
mettre, comme fin de sa politique coloniale, la mise en valeur de 
ses domaines. 

La fertilité de son imagination et les aptitudes synthétiques de 
son esprit l'entretiennent, d'ailleurs, dans ce dédain des moyens 
et cette assurance du succès définitif. Dès qu'une situation nou- 
velle apparaît, il trouve sans la moindre peine la série de procédés 
par lesquels il adaptera son action et qui lui permettront de la 
faire servir à l'ensemble de son œuvre. Il a souvent l'air, dès 
l'abord, d'être l'homme d'un système; au vrai, il aime les sys- 
tèmes, les édifices bien agencés de raisonnements, mais, comme 
il ne lui en coûte guère de les bâtir, il ne s'y tient pas obstiné- 
ment, il leur prête la souplesse d'un échafaudage plutôt que la 
forme arrêtée d'une charpente, il en change au gré des événe- 
ments. Ainsi s'expliquent sa ténacité, sa confiance toujours 
renaissante, ses enthousiasmes qui ne laissent pas de nous éton- 
ner et tendraient à diminuer notre estime pour la fermeté de son 
jugement. 

De telles dispositions, pour être vraiment fécondes, exigent 
du moins deux conditions essentielles : une certaine liberté d'ac- 
tion, un long espace de temps. On pouvait espérer que la nou- 
velle pohtique coloniale de la France ne serait ni tatillonne, ni 
capricieuse et qu'en prenant ses modèles en Hollande elle s'inspi- 
rerait du même coup de la tranquille audace et de la patience 
bataves; il semblait, en tout cas, que le colonel Schmaltz, plus 
que tout autre, pût compter sur une large part de responsabilité 
personnelle et sur une durée prolongée de ses fonctions. 

La confiance du Ministre et la précieuse amitié de Portai lui 
étaient acquises; l'entreprise de colonisation était trop impor- 
tante et trop sincère pour qu'en choisissant l'homme qui en 
devait être chargé, on ne se donnât pas toutes les chances pos- 
sibles de la réaliser. Sans doute le colonel Schmaltz, un peu 
ingénu comme tout honnête homme d'action, n'était-il pas 
très habile à conserver ni à étendre ses relations : il n'est guère 
répandit dans les milieux politiques, il croit la protection de 
Portai suffisante pour l'abriter des petits complots, il ne se 



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INTRODUCTION 

21 

méfie pas assez des appréciations diverses qu'on peut porter 
sur ses actes, et les rapports défavorables des missions d'ins- 
pection le surprennent toujours; il est si passionnément attaché 
à l'œuvre de colonisation qu'il conçoit mal la possibilité de la 
voir attaquée à travers sa personne; il est trop porté à juger 
de Saint-Louis plutôt que de Paris les tendances et les résul- 
tats de sa gestion, et cette candeur qui est assurément fort 
honorable, lui a porté le plus grave tort. 

En revanche, il est remarquablement armé pour convaincre, 
pour entraîner, pour ruiner les craintes et ranimer la confiance 
du pouvoir central : quand il se trouve à Paris pour défendre sa 
cause, il est, nous le verrons, assuré de triompher. Dans son 
propre domaine, il sait se faire obéir sans difficultés, il trouve 
aisément des collaborations volontaires, il suscite les dévoue- 
ments, il est vraiment le « commandant » en même temps que 
« l'administrateur » du Sénégal. Enfin, son crédit paraît garanti 
par la plus haute valeur morale et le souci de tenue le plus cons- 
tant : il a le goût et l'habitude de la discipline, il respecte en 
lui l'autorité et la dignité de la France, il est le plus affectueux des 
époux et des pères, il ne vit, en dehors de ses fonctions adminis- 
tratives, que pour sa femme et sa fille, qu'il appelle tendrement 
« ses bonnes femmes », ses « bonnes femmes bien-aimées »; il est 
un ami parfaitement loyal et dévoué, qui sait provoquer des 
amitiés, de même valeur et refuse toujours de croire à des 
trahisons*; tous ses actes de chef sont empreints de bonté, il 
n'est jaloux d'aucun mérite, ses subordonnés n'ont à craindre 
de lui ni les duretés inutiles, ni le dédain de leurs intérêts, et 
nous le voyons fort en peine quand la disette ou l'épidémie 
menacent le pays. A l'égard des indigènes, il témoigne des 
plus nobles sentiments d'humanité, et si, à mesure que ses in- 
tentions se précisent, il se montre plus franchement partisan de 
ce que nous appelons couramment « la manière forte », c'est 
que ce principe de politique indigène lui paraît commander 
le rôle de protection qui lui est confié et ménager, beaucoup 
plus qu'un parti pris de concessions et de faiblesses, la liberté 
et la vie des sociétés primitives qu'il doit conduire au progrès. 
Il est, en somme, et dans toute la force du terme, un brave homme 
et quand il quittera le Sénégal, l'enquête la plus minutieuse et 
la moins indulgente ne relèvera contre lui ni une malhonnêteté 
ni une brutalité, ni une injustice. 

Ces divers mérites, que l'on connaissait au moment de la dési- 
gnation du colonel Schmaltz pour le Sénégal, pouvaient passer, 
à défaut d'esprit de cour, pour des chances certaines de durée, 
partant pour des chances de succès, et il était permis de croire, 
que la colonie trouverait vite à se consoler du départ des Anglais. 



1. A. C, Lettre à M. Forestier, conseiller d* Etat, intendant de la Maison du Roi, 
9 Juin 1819. 

2. Cf. notamment ses rapports avec Fleuriau, liv. I, chap. II et sq. 



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LIVRE I 



Le Plan de Colonisation 
(1817-1822) 



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CHAPITRE PREMIER 



Les débuts du G>lonel Schmaltz : L ébauche du Plan 

de G>lonisation 



1. — L'impatience du ministère et les difficultés 
d'installation. 

L'administration anglaise n'avait pas encore quitté le Séné- 
gal que le Ministère demandait de façon pressante au colonel 
Schmaltz « des détails sur les cargaisons à envoyer au Sénégal, 
sur les époques où les armateurs français trouveront le plus 
d'avantages dans leurs expéditions... »; il désirait que le Gou- 
verneur le mît « à portée de donner aux Chambres de commerce 
ces indications et toutes celles qui paraîtront utiles pour la 
direction des opérations de nos armateurs »; il recommandait 
à nouveau « le commerce de la gomme, du morfil et de la pou- 
dre d'or »; « il me serait, ajoutait-il, extrêmement agréable 
d'être bientôt informé de quelques heureux résultats de vos 
soins à cet égard ^ ». Or, il y avait cinq semaines que le colonel 
Schmaltz était arrivé, au prix que l'on sait, à l'embouchure 
du Sénégal, et il devait se passer cinq mois avant que le drapeau 
français ne fût hissé sur le fort de Saint-Louis. 

Avec le temps, les exigences du ministre s'accroissent encore 
et se précisent. « Il est extrêmement à désirer, déclare-t-il à 
Schmaltz, le 3 juillet 1817, en réponse à une demande de crédit, 
que la situation de nos possessions d'Afrique s'améliore bien- 
tôt, de manière à offrir à notre commerce des avantages propor- 
tionnés aoix frais d'administration qu'Iles occasionnent... Vous 
sentirez, en effet. Monsieur, que si le Sénégal ne devait jamais 
procurer au commerce de la Métropole au-delà d'un bénéfice 
annuel de 168.000 francs, qui est celui que vous indiquez dans 
votre projet de budget, il deviendrait indispensable de réduire 



1. D. M.,, 16 août 1816. 



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26 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

les dépenses de la colonie dans une proportion relative au peu 
d'importance commerciale de ces établissements ^... » Il faut donc 
de toute nécessité « ouvrir à nos produits, par de nouveaux 
moyens d'échange, des débouchés que le seul commerce de la 
gomme ne procurera sans doute désormais qu'insufïisamment»; 
le Gouvernement ne manquera pas, bien entendu, d'encourager 
les tentatives qui lui seront proposées, mais, avant tout, il ne 
faut pas oublier « qu'on ne peut demander des sacrifices à la 
Métropole qu'en lui présentant la certitude de résultats utiles 
pour son agriculture et son industrie *.» La Métropole, on le voit, 
était une mère exigeante; elle voulait que son enfant l'aidât 
à vivre, alors qu'il n'était qu'un chétif nouveau-né. 

L'exigence était d'autant plus dure que la vie était loin de 
s'annoncer facile pour le nouveau-né, et, quoi que pût dire le 
colonel Schmaltz, rarement avenir économique se présenta 
sous un jour plus mauvais. 

Ce n'était pas seulement les courants commerciaux qu'il 
fallait organiser ou rétablir : c'étaient surtout les objets d'é- 
change qu'il fallait créer, ou, plus exactement, renouveler. 
L'objet traditionnel d'échange, l'esclave, est désormais inter- 
dit: or, il a été, des siècles durant, d'un si bon rapport et d'un 
transit si commode qu'on s'est à peu près contenté de ce genre 
d'industrie et que le pays n'a pas éprouvé le besoin de dévelop- 
per ses ressources naturelles en vue du commerce. Le Sénégal 
se trouve donc fort dépourvu en présence des nouvelles condi- 
tions économiques : le goût du travail et de l'initiative lui font 
défaut, et lui donner des occupations qui lui conviennent ne 
sera pas l'afTaire d'un jour. Gorée surtout sera difficile à corriger 
de ses vieilles habitudes : elle a été pendant si longtemps l'en- 
trepôt général des esclaves, elle est, jusque dans la forme de 
ses habitations, si bien adaptée aux modes de ce commerce, 
et elle a si peu d'autres ressources à sa portée ! Ce sont donc des 
mœurs qu'il importe de changer, plutôt que des règlements 
administratifs ou commerciaux qu'il faut dresser : rude entre- 
prise dont le Ministère ne paraît pas soupçonner les difficultés. 

En admettant même que les habitants de nos possessions 
africaines consentent à délaisser leurs anciens profits devenus 
ilHcites, la voie nouvelle que leur trace le Gouvernement est 
si hérissée d'obstacles qu'ils doivent hésiter à s'y engager. 

Les Anglais n'ont renoncé qu'à regret à la possession du Séné- 
gal et ils restent de redoutables concurrents : beaucoup d'entre 
eux sont demeurés au Sénégal et continuent à y commercer 
sous le manteau; d'autres rôdent aux alentours, essaient de 
détourner les caravanes de gomme vers Portendik ou d'acca- 
parer le commerce de la Gambie et du Saloum. Leur Gouverne- 
ment se met en devoir de pousser des expéditions dans l'intérieur 
et, pour ainsi dire, de nous prendre à revers. L'esprit de suite, la 

1. D. M., 3 juillet 1817. 

2. Ibidem, 



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LE PLAN DE COLONISATION 



(^^ 



persévérance britanniques, voilà des adversaires qu'on ne pou- 
vait négliger et contre lesquels notre instabilité de doctrine et de 
personnel aurait sans doute beaucoup de peine à lutter. 

Du côté du fleuve, où le commerce pouvait être réellement pro- 
fitable, nos colons et notre administration allaient rencontrer des 
ennemis plus terribles encore, et le Ministère n'avait guère le 
droit de Tignorer : il y avait là un antique courant commercial, 
qu'il était fort intéressant de reprendre, mais qui se trouvait 
constamment barré par l'hostilité des Maures et notamment de 
la tribu des Trarza. C'étaient là des ennemis singulièrement 
mobiles, presque insaisissables : on ne pouvait songer, pour le 
moment, à entreprendre contre eux une campagne utile et l'on 
devait se résigner à les attirer vers nous par des considérations 
d'intérêt. Là encore, il fallait compter avant tout sur le temps et 
les efforts patients, et la nervosité du Ministère n'était guère de 
mise. Ainsi, Saint-Louis, aussi bien que Gorée, était comme 
bloquée dans son île, et Schmaltz ne pouvait s'abstenir de signa- 
ler au Ministre la « profonde misère » où se trouvaient nos pos- 
sessions. 

Quant aux encouragements du Ministre, il était difficile de 
compter sérieusement sur leur efficacité. La situation économique 
de la France, au lendemain de la période révolutionnaire et impé- 
riale, rendait vraiment paradoxales des entreprises de colonisa- 
tion : pour faire de bonne et rapide besogne et pour lutter contre 
tant d'obstacles, il eût fallu pouvoir accorder un long crédit aux 
chefs d'entreprises et dépenser largement. Or, l'examen des 
budgets coloniaux de cette époque fait pitié, et le Ministre ne 
cesse de prêcher les économies : « Mettez tous vos soins à opérer 
dans les dépenses les réductions dont elles sont susceptibles... 
Je dois croire qu'il sera facile de pourvoir convenablement à 
toutes les parties du service avec la somme de 445.000 francs... 
et je vous recommande de vous renfermer strictement dans les 
bornes de ce crédit. » 

La Métropole n'a pas même la patience d'attendre que la 
colonie ait eu le temps de fournir des aliments à son commerce: 
elle lui impose tout de suite une sorte de tribut sous forme de 
droits de douane, elle donne à cet enfant pauvre et sans force 
une barrière économique à sauter. En vertu des instructions 
du Ministère, les marchandises payaient un droit d'entrée de 
2 1/2 % et un droit de sortie de 5 % : Schmaltz ne pouvait se 
résigner à ce régime et demandait à tout le moins une atténua- 
tion et une adaptation; il proposait, à l'exemple des Anglais, 
de supprimer tout droit de sortie et de porter à 5 % les droits 
d'entrée*. 

C'était là, d'ailleurs , peine perdue : le Ministère s'en tenait 
à son système et refusait toute concession'. 



1. D. M., 3 JuUlet 1817. 

%, G. O., au Ministre, 15 mars 1817. 

3. D. M., 3 JuUlet 1817. 



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28 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Enfin, dès le lendemain de son installation, le colonel Schmaltz 
se trouvait aux prises avec les difficultés du régime de l'exclu- 
sif. Les habitants du Sénégal essaient d'échapper, par la fraude 
aux rigueurs de la prohibition. Faux chargements, débarque- 
ments furtifs, toutes les ruses classiques de la contrebande se 
retrouvent ici : les bâtiments étrangers ne manquent pas de 
rencontrer toutes les complicités désirables chez les gens de 
Saint-Liouis et de Gorée, ils mouillent devant la barre sans entrer 
dans le port et, la nuit, éparpillent leur cargaison dans les si- 
lencieuses pirogues des traitants indigènes, qui leur apportent 
en échange de la gomme, du mil, de Tor, de l'ivoire^. Quant aux 
commerçants étrangers, et surtout Anglais, établis au Sénégal, 
les règlements prohibitifs n'arrêtent pas davantage leurs opé- 
rations, et ils en sont quittes pour recourir au procédé tradition- 
nel des hommes de paille : en l'espèce, ces hommes de paille 
sont des femmes du pays, des mulâtresses ou « signares », avec 
lesquelles ils vivent; les bateaux qui vont traiter la gomme en 
rivière ou qui font le cabotage sont censés appartenir aux « signa- 
res », et le nom des véritables intéressés est absent des actes 
commerciaux ^' 

Ces atteintes à l'exclusif n'étaient pas faciles à réprimer; 
du succès de la contrebande dépendait, non pas une simple 
augmentation des profits, mais la vie même do deux grandes 
villes, et la population tout entière encourageait et protégeait 
les trafics illicites. Au reste, notre domination n'était étabUe 
que sur deux points de la côte, fort éloignés l'un de l'autre : 
sur quelque trois cents kilomètres d'un rivage à peu près désert, 
les bateaux fraudeurs pouvaient se rencontrer avec leurs com- 
plices indigènes ou se réfugier en cas d'alerte; la colonie ne 
disposait pas d'une flottille suffisante pour qu'une surveillance 
régulière pût être organisée, et le brick l'Argus devait se parta- 
ger entre Saint-Louis et Gorée*. Enfin, le colonel Schmaltz était 
assez mal secondé*; il arriva même que le commandant de Gorée 
en personne, le lieutenant-colonel Gavot, fut soupçonné de 
complicité avec les contrebandiers, et l'affaire fît grand bruit. 
On comprend que, dans des conditions aussi pénibles, la répres- 
sion de la fraude ait été l'un des plus lourds et des plus constants 
soucis du colonel Schmaltz. 

D'autres difficultés, non moins graves, venaient de l'irrégu- 
larité du ravitaillement. Etant donnée l'interdiction absolue 
d'admettre au Sénégal des cargaisons étrangères, le ravitaille- 
ment devait être exclusivement assuré par les soins de la Métro- 

1. C. G., au Ministre, 15 mars 1817; à M. de Pamajon, lieutenant de vaisseau, 
commandant le brick du roi V Argua, 9 février 1817; au capitaine Baignières, 
commandant de Gorée, 21 mai 1817. 

2. C. G., au Ministre, 3 août 1817. 

3. C. G., au capitaine Baignières, commandant de Gorée, 21 mai 1817. 

4. G. G., à M. Portai, 16 mai 1817; au capitaine Baignières, 26 janvier et 2i mai 
1817; au contrôleur Le Besgue d'Einville, 6 février, 10 février et 7 avril 1817. 

5. C. G., à M. Mangeard, greffier de Gorée, 18 novembre 1817; à M. Dupoiit, 
commandant p. i. de Gorée, 30 novembre 1817. 



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LE PLAN DE COLONISATION 29 

pôle, mais la Métropole s'acquittait fort mal de ce devoir, dont 
on devine aisément l'importance. 

Les malheureux Français, fonctionnaires, soldats ou colons 
& qui elle a confié l'administration, la garde ou la mise en valeur 
de ses lointains domaines, manquent du nécessaire, de vivres 
aussi bien que de médicaments*, et les indigènes, qui voient 
surtout dans la tutelle européenne le- bénéfice d'une meilleure 
organisation matérielle, se trouvent dépourvus de tout, depuis 
la reprise de possession : le bois fait défaut pour les construc- 
tions, les habitants de Gorée protestent contre la disette de 
tabac, denrée nécessaire pour les échanges en Gambie, etc." 
Les bateaux chargés du ravitaillement se font longtemps atten- 
dre,aucune périodicité n'est prévue pour leurs voyages, les vivres 
qu'ils apportent sont le plus souvent de mauvaise qualité; il 
faut diminuer les rations ou se rabattre sur les ressources du 
pays, le mil par exemple, dont les Européens se fatiguent vite 
et qui ne suffisent pas à combattre l'influence anémiante du 
climat*. 

Ce ne sont de toutes parts que plaintes et réclamations. 
Le colonel Schmaltz adresse lettres sur lettres au Ministère; 
il intervient officieusement auprès du baron Portai: «La quantité 
de malades que nous avons eus à Dakar, écrit-il par exemple, 
a épuisé toutes nos ressources (en médicaments), et s'il n'était 
pas pourvu à leur remplacement avant la mauvaise saison qui 
commence en juin, la garnison serait exposée à périr faute de 
secours...* » 

Mais la flotte française était tout entière à reconstituer, et 
l'irrégularité des transports ne pouvait être corrigée du jour 
au lendemain par la volonté du Ministère. 

Ces menaces de disette rendaient malaisée la stricte appli- 
cation des règlements prohibitifs; la population ne pouvait 
admettre qu'on la condamnât à mourir de faim, alors que des 
cargaisons étrangères s'offraient à elle et ne risquaient pas de 
corcurrencer le commerce métropolitain, impuissant à répondre 
à la demande locale. Le Gouverneur se trouvait fort embarrassé; 
obligé de concilier les devoirs d'obéissance du subordonné et 
les devoirs de protection du chef, il used'unevéritablecasuistique: 
sous couleur « d'humanité » et tout en sollicitant du ministère 
des instructions plus précises*, il prend sur lui d'atténuer la 
rigueur des règlements et de les adapter aux circonstances*. 



1. G. G.; au Minisire, 7 avril 1817. 

2. G. G.; au Ministre, 7 avril 1817 et 11 Juillet 1817; au capitaine Baignièref^, 
9 mai 1817. 

3. C. G., au Ministre, 11 juin 1917. 

4. G. G., k M. de PorUl, 16 mars 1817. 

5. G. G., au Ministre, 2 avril 1817. 

6. G. G., au contrôleur Le Besgue d'Einville, 10 février 1817; au capitaine Bai- 
gnières, 10 mars 1817; à M. de Villeray, lieutenant de vaisseau, commandant \o 
brick du roi VEcureuil, 8 septembre 1817. G. G., au contrôleur Le Besgue d'Ein- 
ville, 26 janvier, 6 février, 16 février 1817; au capitaine Baigniëres, 26 Janvier 1817 ; 
%u Ministre, 7 avril 1817. 



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30 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

Sans doute se fait-il un devoir de rendre compte de ces ini- 
tiatives au Ministère; mais le Ministère ne varie pas sur ses 
principes et condamne durement ces dérogations au régime de 
Texclusif : « Les instructions qui vous ont été données... n'ad- 
mettent d'exception au régime prohibitif que dans des circons- 
tances extraordinaires, c'est-à-dire dans lesquelles la subsistance 
des sujets du Roi et le salut des établissements de Sa Majesté 
pourraient se trouver compromis.,. Je dois vous le répéter ici, 
les colonies ne sont qu'un fardeau pour la Métropole si leur com- 
merce ne lui est pas exclusivement réservé, et toute modifica- 
tion de ce principe détruirait inévitablement les relations des 
armateurs français avec nos établissements d'outre-mer.» ^ 

Le colonel Schmaltz, heureusement, n'est pas homme à se 
décourager : s'il formule des réserves, s'il présente des objec- 
tions et demande quelque délai, il ne s'en met pas moins réso- 
lument à la besogne et communique à la majeure partie de son 
personnel une activité et un appétit de résultats vraiment 
remarquables. 

Il s'attaque à tout ce qui pousse la vie économique hors des 
voies régulières, aux spéculations malhonnêtes, aux fraudes 
de toute sorte, qui risquent d'empêcher l'essor de la colonie ^j 
il lutte avec persévérance contre la traite des noirs ^, il s'efforce 
d'acclimater des mœurs commerciales nouvelles et de conciHer 
l'observance de l'exclusif et le développement économique. 



IL — Le RÉTABLISSEMENT DES COURANTS COMMERCIAUX. 

Sans attendre d'avoir détruit l'influence du passé, le colonel 
Schmaltz ne néglige aucune occasion de mettre nos établisse- 
ments en relations commerciales avec les autres régions de 
l'Afrique. Il fait de ce souci le principe même dé sa politique 
indigène : il essaie notamment de se concilier par l'intérêt les 
bonnes grâces des princes du pays. 

En dépit de la politique de stricte économie qui lui est recom- 
mandée, il autorise le Commandant de Gorée à renouveler les 
relations que la France entretenait avant la Révolution avec 
le roi de Baol et à lui payer à nouveau des coutumes ; il espère par 
là faciliter le commerce des habitants de Gorée avec le Baol, 
région de mil et d'élevage*. Aux années d'abondance il permet 
aux négociants de Saint-Louis d'exporter du mil à Sierra-Leone*. 



1. D. M., 2 octobre 1817. 

2. P. ex., contre les fonctionnaires occupés de commerce (C. G., au capitaine 
Baignières, 26 janvier 1817); contre les fausses déclarations en douane (C. G., au 
Ministre, 3 août 1817); contre les spéculations sur le change de la piastre d'Espa- 
gne (C. G., au capitaine Baignières, 10 février et 15 mars 1817). 

3. G. G., au capitaine Baignières, 26 janvier 1817; C. G., au Ministre. 3 août 1817. 

4. C. G., à M. de Gavot^ commandant de Gorée, 6 novembre 1817. 

5. G. G., autorisation d'exportation, 10 Juin 1817; au colonel Mac Gartby 
16 Juin 1817, K , j , ^ 

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Lfe ϻLAN DE COLONtSATtON Si 

Mais ce qui le préoccupe avant tout, c'est d'établir des courants 
commerciaux actifs entre Gorée et Albréda d'une part, Saint- 
Louis et Galam d'autre part. 

Le comptoir d'Albréda, posté à l'embouchure de la Gambie, 
nous donnait pour voisins les Anglais de Bathurst, et il avait 
été occupé par eux, comme nos autres établissements d'Afrique, 
pendant la Révolution et l'Empire. Là encore, la rétrocession 
ne fut pas spontanée, et les Anglais affectèrent pendant quelque 
temps d'ignorer les clauses du traité de Paris ^ C'est seulement 
en avril 1817 que Schmaltz put en opérer la reprise de posses- 
sion effective : il y envoie, par le brick V Argus, un résident, le 
sieur Charles de Bonnay , en qui il voyait « un homme estimé des 
naturels du pays et assez acclimaté pour résister à l'extrême 
insalubrité de la rivière de Gambie»; ces aptitudes particulières 
valaient au résident une solde annuelle de 1.500 francs*. 

A son arrivée en Gambie, de Bonnay devait prévenir le com- 
mandant anglais de sa mission, puis remonter à Albréda; là il 
devait convoquer le roi et les principaux chefs du royaume de 
Bar et régler avec eux a les conditions du rétablissement de ce 
comptoir ». Il apportait, bien entendu, les présents pour le roi 
et ses conseillers et il était chargé de rétablir les coutumes, mais 
on lui recommandait d'observer à cet égard la plus stricte parci- 
monie. 

Il était autorisé « à faire construire les bâtiments nécessaires 
pour son logement, ceux des nègres employés au service du comp- 
toir et le magasin destiné à contenir les vivres et approvisionne- 
ments de l'établissement », tout cela avec « la plus grande 
économie »; comme on ne pouvait pour le moment lui fournir un 
canot, il se pourvoierait d'une petite pirogue du pays capable 
de le remplacer »; enfin, il lui était « passé pour le service du 
comptoir un maître de langues, quatre nègres et une pileuse. » 

Ce commerce de la Gambie, « se faisant par des embarcations 
du Sénégal et de Gorée», ne devait être considéré que comme 
cabotage et, partant, était exempt de tout droit d'entrée et de 
sortie. « Il n'est pas besoin, ajoutait Schmaltz, de recommander 
au sieur de Bonnay toute la prudence que sa situation exigera 
tant envers les naturels du pays qu'envers les commandants 
anglais dans le voisinage d'Albréda. S'il éprouvait quelques 
vexations, il en rendrait compte par un courrier qu'il expédierait 
au commandant de Gorée. » Surtout, le résident est invité « à 
donner dans sa correspondance tous les avis et renseignements 
qu'il jugera pouvoir être utiles à l'avancement du commerce 
de France, afin qu'on puisse juger s'il pourrait être avantageux 
de faire diriger quelques opérations sur l'établissement qui lui 
est confié' ». 



1. C. G., Ordres et instruetions à M. de Parnajon, commandant le brick VArgiUf 
21 avril 1817. 

2. C. G., au Ministre, 30 Juin 1817. 

3. G. G., instruetions pour le sieur de Bonnay, 21 avril 1817, 



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32 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

En même temps, Schmaitz écrivait une lettre aimable au 
capitaine Grant, commandant les établissements de Sa Majesté 
britannique dans la rivière de Gambie : il voulait espérer que le 
capitaine Grant « se ferait un plaisir de contribuer par tous les 
moyens qui seraient en son pouvoir au maintien de la bonne 
harmonie et la plus parfaite intelligence dans les relations qui 
pourraient avoir lieu entre les sujets des deux gouvernements ^. » 
Il écrivait aussi au chef du pays, le roi de Bar, et lui présentait 
l'affaire comme intéressante surtout pour les indigènes. 

Tout se passa parfaitement. Le 18 mai 1817, les anciens 
traités avec le roi de Bar étaient renouvelés, et le commandant 
de V Argus installait le résident à Albréda, en faisant arborer 
la pavillon français sur le comptoir et en le saluant de vingt et 
un coups de canon ^. Les Anglais ne manifestèrent aucune oppo- 
sition : il est vrai qu'ils ne désarmaient pas tout-à-fait, et le 6 
juin de la même année, Schmaitz était encore obligé de protester 
auprès du commandant de Sainte-Marie de Bathurst au sujet 
d'un bâtiment français irrégulièrement confisqué^. 

Il était plus utile encore de renouer les relations de Saint-Louis 
avec le pays de Galam. Mais il fallait d'abord empêcher les 
pillages dont les Maures de la rive droite du Fleuve s'étaient fait 
unehabitude: Schmaitz, à la première occasion, aborde la question. 

Des princes Trarza s'étaient emparés du bâtiment d'un habi- 
tant de Saint-Louis, Alain, « pour aller enlever des hommes, 
des bestiaux et divers autres effets » à un camp tributaire des 
Abolé. Si l'on ne sévissait pas, c'en était fait de la sécurité du 
Fleuve et de ses rives. Schmaitz, sur la plainte des intéressés, 
fait faire une enquête sur place par un ofïïcier et deux notables 
de Saint-Louis •; il tient surtout à ce qu'il n'y ait pas de malenten- 
dus et qu'on ne fasse pas retomber sur le compte des Sénégalais 
le crime des Trarza : « En se servant pour commettre cette 
violence d'un bâtiment du Sénégal, fait-il dire au roi des Trarza, 
on vient d'exposer toutes les embarcations des habitants de 
Saint-Louis qui sont en rivière à des représailles de la part des 
Abolé, qui peuvent avoir des conséquences funestes et troubler 
la bonne intelligence et la paix que je veux maintenir •». 

La mission d'enquête représente au roi des Trarza et au chef 
des Abolé l'intérêt qu'ils ont tous deux au maintien de la paix, 
elle recommande le calme au chef des Abolé et elle avertit le 
roi des Trarza que les coutumes ne lui seront pas payées « avant 
qu'il ait mis fin à cette affaire désagréable ». Cette diplomatie 
parut produire tout de suite d'heureux effets et, dès le 5 juin, 
Schmaitz s'avouait tranquiUisé*. 

1. G. G., du capitaine Grant, 20 avril 1817. 

2. G. G., au Ministre, 10 juin 1817. 

3. G. G., au commandant de Bathurst, 6 juin 1817; au capitaine Raignières, 
9 juin 1817. 

4. G. G., ordre de service aux sieurs Le Maigre, officier de la marine royale, 
Malivoire et Pellegrin, habitants de Saint-Louis, 19 février 1817. 

5. G. G., au roi des Trarza, 28 mai 1817. 

6. G. G., au roi des Trarza. 28 mai 1817; au chef des Abolé, 28 mai 1817; 
à MM. Pellegrin et Brédlf, 6 Juin 1817. 



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LE I^LAN bË COLONiSATtON 33 

Tout en veillant à rétablir la sécurité dans le fleuve, Schmaltz 
s'occupait de fixer et d'organiser le point extrême du courant 
commercial, qu'on désignait alors sous le terme assez imprécis 
de Galam. Il se met en relations directes avec le Tounca ou roi 
de Galam, Samba Congol, et les autres « principaux du royaume 
de Galam » : il leur annonce « que le roi de France vient de 
reprendre possession du Sénégal, qui dans ce moment est occupé 
par ses troupes » et que son « mtention est de rétablir les ancien- 
nes relations d'amitié et de commerce qui existaient autrefois 
entre les habitants du Sénégal et ceux de Galam... » « Dans la 
vue d'augmenter les moyens d'échange et de donner une plus 
grande extension aux affaires », il les engage à faire cultiver et 
égrener le plus de coton possible : « ce sera un moyen de former 
une nouvelle branche de traite, qui pourra être d'autant plus 
importante pour Galam qu'elle sera pour ce pays ce qu'est la 
traite de la gomme pour les Maures du désert. Au premier 
voyage, le prix en sera fixé de manière à ce que les habitants 
du Sénégal et ceux de Galam y trouvent un égal avantage ». 
Il leur assure enfin que son seul but est « de faire un commerce 
honorable sans blesser les droits des peuples », et il leur promet, 
en retour de « l'activité et la bonne foi » dont ils feront preuve, 
de rétablir l'ancien fort et d'envoyer dans le haut pays des Euro- 
péens et des habitants du Sénégal, « qui ouvriront des magasins 
fournis de toutes les marchandises nécessaires pour établir un 
commerce continuel^ ». 

Mais là, comme dans la vallée inférieure et moyenne du 
Sénégal, le plus grand obstacle au rétablissement du commerce 
était la guerre incessante entre les populations riveraines, en 
particulier entre les Peul du Fouta-Toro et les Bambara, et là 
conrnie du côté des Trarza, Schmaltz devait avant tout se préoc- 
cuper d'organiser une politique indigène, subordonnée à sa poli- 
tique économique. Il cherche à s'alher avec les Peul du Fouta- 
Toro, qui étaient plus près de lui que les Bambara, et il se donne 
l'air de prendre franchement parti pour eux contre leurs ennemis . 
« Pour vous prouver, écrit-il à leur chef, l'Almamy Youssouf, 
que les habitants du pays de Fouta trouveront toujours, tant 
qu'ils se conduiront honorablement, assistance auprès des Fran- 
çais du Sénégal, je vous envoie deux barils de poudre, mille 
pierres et mille balles. J'espère que ce secours vous mettra en 
position de vous opposer avec avantage aux premières tenta- 
tives que pourraient faire les Bambara sur votre pays... » Mais 
il avait bien soin d'ajouter que ce ravitaillement en munitions 
n'était pas un encouragement à la guerre et qu'il fallait avant 
tout songer à rétablir la paix : «(Ce secours ) ne vous délivrera 
pas des alarmes continuelles dans lesquelles vous vivez par la 
crainte d'une invasion dont les Bambara vous menacent cha- 
que année depuis longtemps. Gomme la guerre ne produit que 

1. G. G. I au Tounca et aux principaux du royaume de Galam, 10 février 1817« 

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34 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1854 A 1817 

des bouleversements qui sont incompatibles avec le commerce, 
qui produit Taisance et assure le bonheur des peuples, mon plus 
ardent désir est de concourir de tout mon pouvoir au maintien 
de la paix entre les nations qui habitent les bords du Sénégal. » 
Et il annonçait l'intention de se rendre à Podor vers la fin du 
mois de mars; il invitait TAlmamy à s'y trouver avec les princi- 
paux chefs du pays de Fouta : « Nous traiterons dans cette 
entrevue, disait-il, des moyens de vous garantir des incursions 
du Bambara et de plusieurs autres mesures de grande impor- 
tance pour les relations de commerce que je me propose d'ou- 
vrir entre les habitants du Sénégal et vos sujets »^. 

Ce voyage, retardé par l'arrivée des colons destinés à la pres- 
qu'île du Cap Vert*, se fit en mai. A son gfand regret, Schmaltz 
ne put rencontrer l'Àlmamy, qui guerroyait contre les Bambara; 
il aut se borner à l'avertir de Podor, par lettre, « qu'ayant la 
volonté de faire faire désormais tous les ans le voyage de Galam 
aux habitants du Sénégal», il avait chargé un prince du Toro, 
l'imam Boubakar, de renouveler le dernier traité passé entre 
le Fouta et le Sénégal, « pour assurer la sécurité de ce voyage 
annuel et pour fixer les coutumes dues au passage devant 
Saldé *». L'Almamy et son entourage parurent, du reste, animés 
d'intentions bienveillantes ; ils exprimèrent à Schmaltz leur reçret 
de ne l'avoir pas rencontré et le supplièrent de revenir prochame- 
ment à Podor; il promit et, en attendant, leur demanda instam- 
ment de « porter la plus grande attention à ce que les bâtiments 
qui vont faire le voyage de Galam n'éprouvent que de bons trai- 
tements, afin de faire naître chez les habitants du Sénégal une 
confiance qui devient plus que jamais nécessaire pour la réussite 
des liaisons » à former entre les deux pays*. 

Cette politique ne fut certainement pas inutile. Le 26 juillet, 
Schmaltz faisait afficher dans les rues de Saint-Louis l'avis sui- 
vant : « Les habitants du Sénégal sont prévenus que le voyage de 
Galam aura lieu cette année et que le bâtiment qui portera les 
coutumes du Gouvernement partira de Saint-Louis du 15 au 20 
du mois prochain »; et, malgré l'état de guerre qui continuait à 
régner dans la vallée du Sénégal, le voyage de Galam s'accomplit 
sans trop de difficultés*. 

A la vérité, Schmaltz se faisait peu d'illusions sur le profit 
immédiat de ces sortes d'entreprises. Il comprenait que ce troc 
traditionnel ne constituait pas une ressource d'avenir et que le 
principal objet d'échange, la gomme, perdait de plus en plus de 
sa valeur : « La traite de la gomme, écrivait-il, se fait dans ce 
moment d'une manière ruineuse...* » Son voyage en rivière avait 
achevé de l'éclairer sur cette situation, et il voyait bien que, s'il 

1. C. G.,à PAlmamy Youssoul et aux autres principaux chefs du pays de Fouta» 
18 février 1817. f i-- 

2. G. G., au Ministre, 7 avril 1817. 

3. G. G., à l'Almamy Youssouf, 2 mai 1817. 

4. C. G., à l'Almamy Youssouf, 18 septembre 1817. 

5. C. G., Avis aux habitents du Sénégal, 26 février 1817. 

6. C. G., au Mintstrei 15 mars 1817. 



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LE PLAN DE COLONISATION 35 

y avait intérêt à rétablir et à développer ces courants commer- 
ciaux, il était bien plus nécessaire encore de les alimenter avec 
des produits plus abondants et plus riches. 

C'est là, en effet, sa principale préoccupation; c'est en ce sens 
qu'il porte de préférence son effort et manifeste le plus franche- 
ment son tempérament audacieux et enthousiaste. 



m. — Un programme d'exploitation agricole. 

Le Ministère, comme le Gouverneur, était convaincu que l'a- 
venir du Sénégal était dans l'agriculture et que les habitudes 
commerciales jusqu'alors en cours ne pouvaient être que stéri- 
lisantes. Il déclarait nettement que « le seul commerce de la 
comme ne procurerait sans doute désormais que des bénéfices 
msufBsants » ; en revanche, « la culture du coton et de l'indigo 
offrait... un grand intérêt et pouvait devenir pour le Sénégal 
une source abondante d'avantages de toute espèce ^. » 

A vrai dire, le Ministère avait d'abord espéré que le Gouver- 
nement n'aurait pas besoin de s'intéresser directement à ce genre 
d'entreprises et qu'il lui suffirait de provoquer et d'encourager 
les initiatives privées. L'opinion qu'on avait alors en France du 
Sénégal lui permettait cette illusion : dès la reprise de possession 
deux sociétés apparemment puissantes s'étaient formées pour 
Texploitation du Sénégal, la « Société coloniale africaine », puis 
la « Société coloniale philanthropique ». Elles promettaient aux 
colons monts et merveilles. 

Elles échouèrent toutes deux misérablement. Elles avaient 
choisi pour leurs exploitations une des régions les plus déshéritées 
du Sénégal, la presqu'île du Cap Vert, et l'histoire de cette du- 
perie est douloureuse •. 

Dès qu'il connut qu'il s'était gravement trompé sur le compte 
des entreprises privées et des pseudo-philanthropes, le Minis- 
tère ne s'obstina pas dans son erreur et désavoua ceux en qui il 
avait placé, sans trop le dire, sa confiance. 

« Vous savez, écrivait-il à Schmaltz que loin d'avoir reconnu 
en aucune manière cette société qui existait , dès la fin de 1814, 
sous le nom de Société coloniale africaine, j'ai eu soin de 
déclarer que je ne considérais que comme des individus isolés 
les huit explorateurs et les vingt ouvriers auxquels il a été donné 
passage sur les bâtiments de l'expédition du Roi destinée à 
reprendre possession de nos établissements d'Afrique. Dans 
les derniers mois de 1816, l'Association ayant répandu dans le 
public des écrits où l'on annonçait qu'elle ferait incessamment 
des expéditions pour le Gap Vert, je fis insérer dans la partie 

1. D. M., 3 juillet 1817. 

2. Cf. Claude Paure, Histoire de la presquHle du Cap Vert, chap. 1! et III, et 
J. MonteUbet, op, cil,, paaaim. 



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36 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

officielle du Moniteur, au mois de novembre dernier, une note 
portant que le Gouvernement était tout à fait étranger à de 
telles entreprises » ^. 

Bientôt même, il condamna formellement ce genre de colo- 
nisation : « Je vous préviens, écrivait-il à Schmaltz, que. d*après 
une décision qui a été concertée entre les départements de 1 in- 
térieur, de la police générale et de la marine, la délivrance des 
passeports pour le Sénégal ou pour les côtes d'Afrique demeure 
suspendue jusqu'à nouvel ordre, sauf les exceptions que peuvent 
exiger la liberté et l'intérêt du commerce. Cette mesure a pour 
objet d'empêcher qu'il ne se fasse une seconde expédition du 
genre de celle qui vient d'avoir lieu,avantque j'aie reçu des infor- 
mations officielles sur les suites de la première et spécialement 
sur les ressources en subsistances qu'elle a été dans le cas d'as- 
surer. Vous pouvez compter que la suspension dont il s'agit 
sera rigoureusement maintenue, jusqu'à ce que vous m'ayez 
donné l'assurance qu'elle peut être levée sans inconvénient. 
Je m'en rapporte, à cet égard, à votre prudence, comme à votre 
justice »•. Or, l'avis de Schmaltz sur cette question était fort 
net : il trouvait qu'un projet d'établissement européen ainsi 
conçu était une folie, à plus forte raison si cet établissement 
devait se faire au Cap Vert'. 

Il fallut bien se rabattre sur les entreprises d'Etat et laisser 
au Gouverneur le soin de déterminer les emplacements, les gen- 
res de cultures et les modes de recrutement de la main-d'œuvre*. 
Le Ministre semblait faire confiance à Schmaltz, tout en le 
pressant assez ingénument d'aboutir; il lui confiait en quelque 
sorte une mission d'enquête et d'essais et se contentait d'en- 
voyer à Schmaltz ou de lui faire parvenir par les autres colonies 
françaises des plants de canne à sucre, de coton, d'indigo, etc., 
des instruments aratoires, des moulins pour l'égrenage du coton; 
il conseillait occasionnellement d'entreprendre telle ou telle 
sorte de culture en s 'inspirant des ressources des autres colonies, 
il demandait des renseignements sur les essais et faisait examiner 
en France par des spécialistes les échantillons de produits 
envoyés par Schmaltz.* Une bienveillante tutelle remplaçait 
peu à peu l'étroite direction du début. 

Le Ministère était d'autant plus fondé à laisser Schmaltz 

développer librement ses initiatives que l'ardent colonel ne 

boudait pas à la besogne et que ses premières recherches lui 

inspiraient une magnifique confiance. 

\ C'est dans la culture du coton qu'il plaçait ses principales 

f espérances. Au début de 1817, il envoyait au Ministre des échan- 

1. D. M., 8 février 1817. 

2. D. M., 11 avril 1817. 

3. C. G., au Ministre, 7 avril 1817. 

4. Le Ministre avait proposé à Schmaltz, dès le début de la reprise de possession, 
d'envoyer au Sénégal des gens de couleur échoués à Rochefort et des familles espa- 
gnoles immigrées en France; mais il renonça à ce projet. Cf. D. M., 25 novembre 
1817, et Claude Faure, op. cit., p. 32 et sq. 

5. D. M., 6 avril 1817, 2 octobre 1817, 18 juin 1817, 31 août 1817, 



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LE PLAN DE COLONISATION 37 

tillons des diiïérentes variétés de coton qu'il avait essayées 
jusqu'alors : des cotons indigènes, le Moko, de faible production, 
mais d'une extrême blancheur, « qui la fait principalement 
rechercher pour la fabrication des pagnes qu'on ne destine pas 
à la teinture »; le Dargau, « généralement cultivé parce qu'il 
rapporte considérablement et produit toute l'année sans inter- 
ruption, extrêmement fin et soyeux, et qui permet de fabriquer 
des pagnes d 'une très grande durée » ; du coton de Gasamance ,« d 'un 
moindre produit que le précédent », mais pouvant « être cultivé 
avec succès », car sa grande longueur, sa blancheur et la facilité 
qu'on a à le nettoyer, toutes ses graines étant réunies, font regar- 
der cette espèce comme très précieuse » ; du coton de Cayenne, 
naturalisé au Sénégal, où il avait été importé en 1811 : « on l'a 
peu cultivé jusqu'à ce jour, parce qu'il donne peu; on attribue 
son peu de produit à la nature des terres des îles qui avoisinent 
le Sénégal et qui sont presque entièrement des sables. Il est à 
présumer que, transplanté dans les terres fortes du haut de la 
rivière, la culture en serait plus avantageuse ^ ». 

Les zones de culture et leur rôle respectif (pépinières et plan- 
tations proprement dites) paraissaient nettement dessinées 
et suivaient en quelque sorte les grandes lignes de notre plan 
de pénétration prochaine : « Le coton est généralement cultivé 
dans les îles qui environnent Saint-Louis • et c'est là seulement 
que se récoltent ceux transportés de Gasamance qui fourni- 
raient les moyens de propager ces deux espèces dans le haut 
pays, si Votre Excellence jugeait nécessaire d'attirer particuliè- 
rement sur elles l'attention et les travaux des cultivateurs. 
Tout concourt à prouver qu'en remontant le fleuve, on trou- 
verait des terrains propres à augmenter leur produit actuel. 
Dans tout le pays, depuis Saint-Louis jusqu'à Galam, le coton 
dit Dargau croît abondamment et n'a pour ainsi dire pas besoin 
de culture pour donner de grandes récoltes ; mais il est à remar- 
quer que, plus on avance dans l'intérieur, plus ce coton augn^ente 
en produit et gagne en longueur et en qualité. Gelui de Galam 
est surtout d'une supériorité remarquable, et l'on pourrait 
en peu de temps en extraire une quantité considérable à un prix 
assez modique pour présenter au commerce et aux manufactures 
du Royaume d'assez grands avantages^... » 

On peut espérer également que la canne à sucre « aura un 
grand succès ». Des habitants de Saint-Louis « ont planté il 
y a quelques années des cannes blanches qu'il savaient tirées 
des îles du Gap Vert, et ont obtenu, même dans les sables de 
l'île Saint-Louis auxquels ils avaient mêlé du terreau des îles 
voisines, de belles touffes qui ont produit des jets de six à huit 
pieds de hauteur. Elles ont été dans cet état pendant deux ans 

1. C. G., au Minsiire, 10 mars 1817. 

2. Dès le 21 juin 1817, Schmaltz avait chargé deux habitants notables de Saint- 
Louis, Claude Potin et François Pellegrin, d*acquérir au nom du Roi Tîle de Todde 
(C. G., procuration aux sieurs Potin et Pellegrin..., 21 juin 1817). 

3. G. G., au Ministre, 10 mars 1817. 



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38 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

et n'ont été détruites que par un incendie. Ce fait est à la con- 
naissance de tous les habitants du Sénégal ». Schmaitz se propose 
d'en demander par les bâtiments du pays qui vont au Cap Vert et 
de faire des essais, « dès que le moment propre à leur plantation 
sera venu » ^. 

Quant au caféier, «t on est généralement persuadé que, si 
cette culture réussit, ce ne peut être que dans les hauteurs du 
pays de Galam. Depuis douze ans environ que les Anglais s'en 
occupent à Sierra-Leone, ils n'ont encore pu, malgré de grands 
soins et les énormes dépenses qu'ils y ont apportés, obtenir 
que quelques milliers de caféiers dont le grain est assez petit à la 
vérité, mais d'un goût tout à fait rebutant'» . 

L'indigo, par contre, promet beaucoup. « Il est excessivement 
commun et crott naturellement partout; je m'en suis procuré 
des graines que je sèmerai sur l'île de Thiong aux premières pluies. 
Je fais également disposer un petit jeu de cuves pour des essais; 
deux pièces de quatre barriques, sauvées de la Méduse, me 
mettront à même de les faire à peu de frais. On ne peut douter 
du degré de beauté que doit atteindre l'indigo d'Afrique s'il 
est bien fabriqué. Avec de simples feuilles pilées et séchées à 
l'ombre, les naturels du pajs parviennent à obtenir des teintures 
d'un très beau reflet*. » 

Quelques mois après, Schmaitz donnait des assurances plus 
formelles encore »n sujet de l'indigo. Il envoyait au Ministre 
« un échantillon dJ!indigo récolté et fabriqué à Saint-Louis » et 
fournissait des détaîts-imit à fait encourageants : « L'espèce 
indigène au Sénégal est celle nommée par les naturalistes îmlî^o- 
fera argentea. Malgré la stérilité du sol de l'île qui est presqu'entiè- 
rement sablée et l'imperfection du petit appareil qui a servi à 
cette première expérience, les résultats de l'opération, en raison 
du peu de terrain employé, ont été tels qu'on ne peut douter 
que cette culture, transportée dans les terres fertiles des bords 
du fleuve et exploitée dans des usines convenables, donnera 
des produits au moins aussi considérables que dans aucune 
autre colonie. » 

« Cette culture et celle du coton, qui seront bientôt suivies de 
celles des autres productions de nos colonies, ne tarderont pas 
[ à dédommager le Gouvernement de ses dépenses, s'il se déter- 
mine à fonder les grands établissements que j'ai eu l'honneur de 
proposer à Votre Excellence... * » Or, o ces deux riches branches 
de culture » étaient « d'autant plus intéressantes » que, de l'aveu 
de Portai, « le coton et l'indigo sont les deux produits coloniaux 
pour lesquels nous sommes le plus tributaires de l'étranger* ...» 

Jusque là, Schmaitz ne fondait sa confiance que sur une 



1. C. G., à M. Portol, 16 mars 1817. 

2. C. G., Ibidem, 

3. Ibidem. 

4. C. G., au Ministre, 3 novembre 1817. 
&. G, G., à M. Portai; 5 novembre 1817, 



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LE PLAN DE COLONISATION 39 

expérience fort restreinte et sur des rapports; mais ces beaux 
espoirs ne firent que se confirmer quand il entreprit son premier 
grand voyage en rivière. Déjà, d'après ses premières communi- 
cations au Ministre, on le sentait particulièrement attiré par le 
haut fleuve ; il comptait y trouver des terres autrement fertiles 
que celles des environs de l'île Saint-Louis, tout en sables. 
Il n'alla, il est vrai, que jusqu'à Podor; mais il revint enchanté 
et sûr du succès. Il déclarait au Ministre : « J'ai maintenant la 
certitude qu'avec quelques sacrifices, il sera possible de faire 
du Sénégal une des plus belles colonies du monde ^». Et à Portai : 
« (Mon voyage) m'a fourni des données dont je suis tellement 
sûr, que je ne craindrais pas de me charger de l'exécution des 
mesures que je propose et d'en garantir le succès' ». 

Le Sénégal lui paraît appelé à devenir une colonie modèle 
et à rendre à la France le premier rang dans le commerce du 
monde : « J'ai beaucoup voyagé, dit-il, j'ai toujours soigneu- 
sement observé les pays que j'ai parcourus et je n'en ai pas vu 
de plus beau, de plus propre à de grandes entreprises que le 
Sénégal. Les bords du uange ne m'ont point paru plus fertiles 
que ceux de notre fleuve et je n'ai pas le moindre doute d'y 
voir réussir toutes les cultures qu'on y voudra tenter. Dans mon 
rapport, je n'ai indiqué que celles dont on s'est toujours princi- 

{ salement occupé dans nos colonies ; mais je pense que le cacaoyer, 
e giroflier, la liane qui produit le poivre n'y auraient pas 
moins de succès.'» 

Par ailleurs, tout semble « concourir pour faciliter à la France 
la fondation des établissements qui doivent placer sous sa dépen- 
dance cette vaste et fertile contrée susceptible de rendre en peu 
de temps à son commerce toute la splendeur qu'il avait ayant 
la perte de Saint-Domingue. La situation politique des princes 
du pays entre eux fournit l'occasion d'y parvenir sans secousses 
et avec beaucoup moins de dépenses qu'un aussi vaste projet 
semblerait l'exiger. La persuasion sera facile avec de la modéra- 
tion, du moment où quelques forces sagement disposées feront 
sentir aux naturels du pays que les bons procédés des nouveaux 
colons ne seront pas le résultat de la faiblesse. Ce premier sen- 
timent produit chez eux sera d'autant plus durable que les 
besoins que leur fera contracter l'aisance les forceront de regar- 
der comme un bienfait la présence des Européens dont ils ne 
pourront plus se passer. Alors la France pourra trouver dans les 
consonunations de plus de trois millions d'hommes, dans les 

{)roduits de leur industrie, de leur territoire, des avantages qui 
ui rendront bientôt la prépondérance commerciale qu'elle 
avait avant que la Révolution eût détruit ses plus belles colo- 
nies, et que sa rivale eût réduit à un état précaire par l'aboli- 



1. G. G., au Ministre, 11 Juin 1817. 

2. C. G., à M. PorUl, 8 JuUlet 1817. 

3. IbifUm. 



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40 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

tion de la traite des nègres celles que lui avait laissées le traité 
de Paris ^...)). 

En même temps qu'il transmettait au Ministre son rapport 
« sur Tétat actuel des possessions d'Afrique, les ressources qu'elles 
présentent pour la fondation d'une grande colonie et les moyens 
à employer pour y parvenir », le colonel Schmaltz demandait 
l'autorisation de rentrer en France pour le commenter à loisir : 
« Afin que ce travail, écrivait-il, pût présenter un ensemble 
facile à saisir dans toutes ses parties, j'ai été forcé d'omettre 
quantité de détails qui, bien que d'un grand intérêt, auraient 
entraîné des longueurs nuisibles au but principal que je me suis 
proposé... Ces détails cependant seraient précieux à connaître, si 
Votre Excellence, après avoir mûrement examiné le projet que 
j'ai l'honneur de lui soumettre, jugeait convenable d'en ordonner 
l'exécution. Dans ce cas, la difficulté de les transmettre par écrit 
et les retards qui résulteraient infailliblement de cette méthode 
me feraient regarder comme extrêmement utile d'être autorisé 
à me rendre en France. Un court séjour auprès de Votre Excel- 
lence me mettrait en position de la satisfaire sur tous les points 
et aurait de plus l'avantage de procurer les moyens de déter- 
miner, d'une manière plus précise, les dispositions que nécessi- 
terait une affaire de cette importance* ». 

Selon son habitude, il doublait sa lettre officielle d'une lettre 
plus libre au baron Portai, et signalait à son protecteur « la néces- 
sité de pas perdre un moment, afin de profiter de ce que les 
circonstances présentes ont de favorable pour l'exécution du 
projet'». 



IV. — Un supplément d'enquête : la mission Brédif. 



Le colonel Schmaltz promettait plus qu'on ne lui demandait 
et le Ministre, qui semblait se méfier un peu de cette ampleur 
de vues, ne répondit pas tout de suite aux propositions du Gou- 
verneur. L'heure n'était pas aux entreprises mal concertées, 
les finances étaient pauvres, la politique extérieure demeurait 
timide; sans doute aussi l'enquête de Schmaltz pouvait-elle 
paraître trop rapide et superficielle. C'est probablement pour la 
compléter et pour entourer de meilleures garanties le projet de 
colonisation que le Ministre provoqua ou du moins développa 
le voyage de MM. Brédif, ingénieur de 1^« classe au Corps royal 
des mines, et de Chastellus, ingénieur géographe, « envoyés par 
Sa Majesté pour explorer le cours du Sénégal et l'intérieur de 



1. C. G., à M. Portai, 8 juillet 1817. 

2. C. G., au Ministre, 8 juillet 1817. 

3. G. G., à M. Portai, 8 juUlet 1817. 



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LE PLAN DE COLONISATION 41 

cette partie de l'Afrique jusques aux royaumes de Galam, 
Bambouk de Boundou inclus h. 

Les grandes lignes de cette mission avaient été tracées par 
le Ministre lui-même dans des instructions que Schmaltz fut 
prié de communiquer à Brédif et de Chastellus. « Les recherch es 
dont les explorateurs mis à la disposition du colonel Schmaltz 
seront chargés, disaient ces instructions, doivent avoir pour 
but d'acquérir une connaissance, aussi exacte et aussi précise 
qu'il sera possible, des ressources que peuvent offrir ces pays 
sous les rapports du commerce et de l'agriculture, des avantages 
qu'on pourrait espérer dans l'exploitation des mines d'or exis- 
tantes dans ces contrées, delà population des différents royaumes, 
des mœurs, du caractère de leurs habitants et de la nature des 
relations qu'on pourrait avoir et entretenir avec eux. Il leur sera 
recommandé, surtout, de porter une attention particulière 
dans l'examen qu'ils feront des bords du Sénégal et des îles 
qu'il forme dans son cours depuis le fort Saint- Joseph jusqu'à 
l'île Saint-Louis; de s'assurer de l'espèce de culture h laquelle 
ces îles seraient propres ; du nombre et du caractère des habitants 
de chacune d'elles; de leurs dispositions et spécialement de 
celles de leurs chefs à notre égard, et enfin des moyens à employer 
pour y former des établissements agricoles... » 

Ils devront s'attacher à donner à ces peuples une « haute opi- 
nion de la richesse, de la puissance et surtout de la bonté des 
Français; faire tout, en un mot, pour préparer les moyens de 
pouvoir un jour pénétrer sur leur territoire et étendre de proche 
en proche, par l'introduction du commerce, une civihsation 
dont la France pourrait recueillir les plus brillants avantages * ». 
C'était en somme, jusque dans les mots, la reproduction exacte 
de l'enquête prescrite à Schmaltz par les instructions de 1816. 

Schmaltz se prête, du reste, avec bonne grâce à ce supplé- 
ment d'enquête et travaille à préciser très loyalement les ins- 
tructions données par le Ministère à la mission Brédif. 

La mission se mit en route au début d'octobre, et ses débuts, 
malgré quelques retards inévitables, furent assez heureux. 
En novembre 1817, elle semblait être « hors de tous les embarras 
de la rivière », et l'on pouvait espérer qu'elle atteindrait son but*. 

Le Ministère n'avait donc plus aucune raison de refuser à 
Schmaltz le retour en France qu'il avait à nouveau demandé 
au début de novembre*; il avait, au contraire, intérêt à faire 
préciser au Gouverneur le résultat de ses observations et ses 
raisons d'espérer. « Ainsi que vous en avez témoigné le désir, 
écrivait Portai, le Ministre vous appelle à Paris... Je présume 

aue dans la persuasion que vous pouviez être appelé, vous avez 
éj& réuni tous les renseignements, rassemblé tous les matériaux 



1. G. G., instructions pour MM. Brédif cl de Chastellus, 6 octobre 1817. 

2. ibidem, 

3. G. G., à MM. Brédif et de Ghastellus, 15 novembre 1817. 

4. G. G., au Ministre, & novembre 1817. 



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42 LA MISE EN VALEUa DU SiNÉGAL DE 1817 A 1854 

qui peuvent rendre votre voyage honorable pour vous et utile 
pour votre pays. Il est nécessaire surtout que vous puissiez 
nous mettre en mesure de faire notre nouveau thème de deux 
façons, c'est-à-dire d'envisager le Sénéeal sous le rapport de 
ce qu'il serait raisonnable et convenable de faire dans l'état 
actuel des choses, et de ce qu'il serait possible et utile de faire 
dans le cas où votre projet serait adopté en tout ou en partie ^.» 
En décembre 1817, le colonel Schmaltz s'embarquait pour 
la France*. 



1. Arch. col. Sénégal, I, 3 C, M. Portai au gouverneur SchmalU, 10 novembre 
1817. 

2. G. G.f au capitaine Dupont, commandant p. I. de Corée, 16 décembre 1817. 



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CHAPITRE II 



L'Intérim de Fleuriau et la mise au p(»nt 
du FUn de Colonisation. 



I. — Un intérimaire fidèle. 



Pendant ou'il allait en France plaider la cause de la coloni- 
sation, le colonel Schmaltz était remplacé, dans le commande- 
ment du Sénégal, par le capitaine de frégate Fleuriau. a M. Fleu- 
riau est un homme distingué, écrivait Portai au colonel; il vous 
comprendra bien, et il maintiendra les choses dans l'état où 
vous les aurez laissées, de même qu'il saura continuer les amé- 
liorations que vous auriez pu commencer. Je fais le plus grand 
cas de lui et vous le recommande d'une manière toute parti- 
culière* «. 

Portai ne se trompait pas, et le colonel Schmaltz pouvait se 
féliciter du choix du Ministère. Au contraire de tant d'intéri- 
maires qui, pour mettre en valeur leur personnalité, battent en 
brèche l'œuvre du titulaire et de parti pris condamnent toutes 
ses idées, Fleuriau reprend à son compte la politique de Schmaltz 
et sa confiance en l'avenir; quand ces deu;K hommes se séparent, 
il est clair que l'accord le plus complet s'est établi entre eux et 
que, de Paris et du Sénésal, ils ne vont rien négliger pour que 
le Ministère approuve le Plan de Colonisation et procure à brève 
échéance les moyens de le réaliser. 

Dès le lendemain du départ de Schmaltz, Fleuriau adresse 
au Ministère une longue lettre où il déclare que a son incrédu- 
lité, sa défiance ont été vaincues par l'évidence la plus complète»; 
il voit, « dans le projet de M. le colonel Schmaltz, une certitude 
de succès qui surpasse toutes ses espérances et oui promet à la 
France, dans un espace de temps très rapprocné, une source 
immense de prospérité ». Une profession de foi aussi nette, de 



i. D. M., 10 novembre 1817. 



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44 LA MISE EN Valeur du senêgal ùe 1817 a 1854 

la part d'un homme qui n'était pas une simple doublure et qu'on 
avait chargé en quelque sorte d'une contre-enquête, devait 
faire impression sur le Ministère, lever ses derniers doutes et 
donner à Schmaltz la partie belle. 

Il est vrai que cette déclaration pouvait paraître prématurée. 
Fleuriau n'avait pas encore bougé de Saint-Louis, il n'avait 
pas eu le temps de remonter le fleuve et de vérifier sur place 
les dires de Schmaltz; mais il prétendait remplacer cette expé- 
rience directe par un recueil de témoignages, qui présentait à 
ses yeux toutes garanties d'exactitude: «J'ai interrogé avec soin, 
dit-il, les personnes qui étaient établiçs dans ce pays depuis long- 
temps, celles qui avaient voyagé dans l'intérieur et qui, par leur 
caractère et leurs relations, avaient été mieux à même de bien 
voir et de rendre compte de ce qu'elles avaient vu. J'ai discuté 
avec ces gens-là, je leur ai présenté toutes les objections, toutes 
les difficultés que j'ai pu imaginer, et c'est une grande satisfac- 
tion de pouvoir vous dire que toutes ces objections ont été dé- 
truites victorieusement par l'assentiment unanime de tous ceux 
qui ont été consultés. » 

Des sceptiques font observer que l'étendue actuelle des cultu- 
res ne répond guère à cette prétendue fertilité naturelle et que 
les habitants du Oualo et du Cayor ne cultivent que « ce qui est 
strictement nécessaire à leurs besoins ». Mais c'est que « le régime 
de terreur et de despotisme, sous lequel vivent les indigènes, ne 
leur offre aucune garantie de conserver le peu qu'ils possèdent, 
puisqu'on leur enlève même leurs femmes et leurs enfants. Est- 
il naturel qu'ils aillent fatiguer un sol aride pour s'en voir arra- 
cher les produits par leurs propres chefs ? D'un autre côté, on 
a vu arriver, il y a quelques années, un nommé Abdoul-Kader 
dans le fertile pays de Fouta, y étabhr des lois, un commencement 
de culture et quelque apparence de civilisation; qu'en est-il ré- 
sulté ? Les peuples de Oualo et de Cayor sont venus se ranger en 
foule autour de lui pour se livrer au travail, chercher la protec- 
tion de ses lois et se soustraire à la tyrannie de leurs souverains. 
Que ne devons-nous pas espérer de ces désertions, lorsque nos 
forts seront rétablis, que la culture commencera à se perfection- 
ner et que nous leur présenterons l'aisance et la tranquiUité à cô- 
té de la misère et de la crainte ? Toutes le^ circonstances les plus 
favorables se réunissent pour faciliter l'exécution du projet : 
l'invasion dont le pays de Fouta est continuellement menacé 
par les Bambara, la haine des naturels contre les Anglais, leur 
attachement pour les Français, et enfin une sorte de superstition 
qui rattache à notre retour au Sénégal l'abondance qui a succédé 
à quelques mauvaises récoltes. » 

On dit aussi : Il faut croire que le Sénégal n'a pas grande va- 
leur, puisque les Anglais, qui se connaissent en colonies, nous 
l'ont abandonné 1. Mais, cette fois au moins, les Anglais se sont 

1. Cet argument sera notamment employé par le député Rodet pour combattre 
je plan de Schmaltz. Cf. Arch. parlement,, 2« série, t. XXIV, p. 292, 491 et sq., 
7ô5 et 7Ô9 et Schefer, op. cit. p. 210. 



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LE t>LAN DE COLONISATION 45 

trompés, et ils ne se gênent pas pour Tavouer : à un habitant de 
Saint-Louis qui passait par Sierra-Leone, le Gouverneur anglais 
Mac-Carthy a déclaré que le colonel Schmaltz, au cours de son 
voyage en rivière, « avait vu Tintérieur du pays sous les mêmes 
rapports que lui ; que le Gouvernement anglais aurait à se repen- 
tir d'avoir rendu à la France la seule possession de la côte d'A- 
frique susceptible de former une grande colonie et qu'il avait, 
lui, fait tous les efforts imaginables pour s'y opposer; que pour- 
tant il espérait que la trop grande économie de la France l'em- 
pêcherait de tirer tout le parti possible des ressources qui avaient 
été trop légèrement abandonnées ». 

A ces arguments spécieux des adversaires de la colonisation, 
s'opposent encore « des faits bien positifs, bien matériels » : « On 
a pris possession de ce pays avec l'intention de découvrir ce qu'on 
pourrait y faire. On a cherché, on a examiné, et on a vu une 
rivière navigable à plus de trois cents lieues de son embouchure, 
dont les rives et les îles sont chargées de vingt-cinq pieds de terre 
d'alluvions, comme les bords du Nil et du Gange; on a vu toutes 
les plantes de nos colonies, la plupart indigènes, se développer 
même dans les terres sablonneuses des environs de Saint-Louis 
avec une promptitude et une vigueur de végétation incroyables ; 
des expériences nous ont fait connaître quel degré de perfection 
on pouvait attendre des soins du cultivateur dans une terre 
plus féconde; enfin, une population immense, laborieuse, avide, 
nous appelle auprès d'elle, réclame nos lumières et notre protec- 
tion contre des ennemis qui viennent piller les fruits de son in- 
dustrie... Ce ne sont pas là des suppotisions mises en avant pour 
appuyer une spéculation incertaine; on peut dire : J'ai vu....» 

Tout permet donc de croire « à la possibilité d'établir une colo- 
nie immense »; mais « il n'y a pas un moment à perdre: les gens 
de l'intérieur nous attendent avec une impatience sans égale, 
qu'il est important de satisfaire au plus tôt; et d'ailleurs, les 
résultats devant être très prochains, le retard d'une année se- 
rait une perte et nous exposerait peut-être à une augmentation 
de dépense considérable en cas d'événements »^. 

Il ( tait difficile de plaider avec plus de chaleur la cause de la 
Colonisation et de seconder plus énergiquement la campagne 
entreprise par le colonel Schmaltz. 



n. — Premiers déboires 

Au vrai, Fleuriau manquait singulièrement de prudence. 
Gagné par l'enthousiasme de Schmaltz, il reproduisait, sans se 
donner le temps de les contrôler, les raisonnements du colonel; 
il croyait sur parole des gens qui, selon la mode du pays, pre- 
naient la contradiction pour une maladresse et une incorrection 

1« G, G., au Ministre, 28 décembre 1817. 

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46 La mise en valëua du senégal de 1817 a 1854 

ou qui ne pouvaient que gagner personnellement aux entrepri- 
ses projetées; il célébrait, sans les avoir constatés par lui-même» 
les mérites d'un pays dont la fertilité ne saute guère aux yeux 
et passait sous silence des défauts et des obstacles qu'il n'avait 
pas le droit d'ignorer: le fleuve est navigable sur plus de trois cents 
lieues,c'est vrai,mais seulement pendant quelquesmois del'année; 
ses alluvions ne sont nullement comparables à celles du Nil et 
du Gange; la vigueur de la végétation, même sur les bords du 
fleuve, est fort ordinaire; les expériences agricoles tentées jus- 
qu'alors étaient bien insignifiantes; la population était fort li- 
mitée et, même en temps de paix, incapable de grand efforts, 
insouciante, imprévoyante; surtout, le Plan de Ck>lonisation 
devait se heurter à deux sortes d'obstacles beaucoup plus redou- 
tables que ne semblaient l'imaginer Fleuriau et Schmaltz : le 
climat du haut fleuve et les populations guerrières du Fouta- 
Toro. 

A peine Fleuriau avait-il proclamé sa confiance que les faits 
le contraignaient d'ouvrir les yeux sur la vraie situation : MM. 
de Brédif et de Chastellus, dont l'exploration s'annonçait si pro- 
fitable et si convaincante, rejoignaient Saint-Louis «sans avoir 
pu remplir le but de leur voyage ». Ils n'étaient parvenus qu'aux 
frontières du pays de Galam et n'apportaient en sonune aucun 
élément nouveau d'information. Les Toucouleur leur avaient 
barré la route; les Bambara se préparaient à envahir le Fouta- 
Toro; le départ tardif de l'expédition, exposait les explorateurs 
à se trouver bloqués dans le haut-pays, au milieu de populations 
ennemies, par suite du retrait des eaux; enfin, le déplorable état 
de santé de Brédif exigeait son retour ^. 

Fleuriau n'avouait pas toute l'étendue de sa déception; il pré- 
tendait même (jue « tout ce qu'il avait appris sur ce voyage » 
lui faisait « sentir, plus que jamais, combien il était important de 
commencer cette année la réalisation du plan du colonel Schmaltz, » 
et il se contentait d'insister sur « la nécessité indispensable » 
d'envoyer au Sénégal une garnison importante. « J'ai eu 
beaucoup de regret, écrivait-il à Portai, de voir manquer le 
voyage de MM. Brédif et de Chastellus; les obstacles qu'ils 
ont rencontrés sont de peu d'importance et ne valent pas la 
peine d'y faire attention. Ces inconvénients cesseront, dès que 
nous aurons assez de monde pour prendre l'attitude cfui nous 
convient et qui donnerait à notre Gouvernement la dignité dont 
il doit s'entourer en commençant une entreprise de ce genre* ». 

Il semble pourtant que la leçon n'ait pas été inutile, du moins 
pour Fleuriau, et que ces événements l'aient rappelé à la pru- 
dence. Il demeurait, bien entendu, partisan convaincu du Plan de 
Colonisation; il restait persuadé du brillant avenir de ce pays, 
dont ses administrés de Saint-Louis lui racontaient «tant de 
merveilles » et qu'il désirait fort « voir par lui-même »; mais 

1. G. G., au Ministre, 31 dèeembre 1817« 
9. G, G. * M. PorUl, !•' Janvier 1818. 



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Le PLaN de COLÔNISAtlON 4? 

quelques mois de séjour au Sénégal lui avaient fait comprendre 
que Téchec de la mission Brédif n'avait rien d'accidentel, que 
l'entreprise de colonisation était beaucoup plus difficile qu'il ne 
Tavaitcru d'abord, et qu'il convenait de procéderavec précaution. 
Spontanément , il demandait au Ministère d'appliquer aux pro- 
jets de Schmaltz ces règles précises : 

Avant de rien commencer, assurer la liberté de navigation 
dans le fleuve, rétablir tous les forts et même en construire de 
nouveaux ; 

Bien que le succès des cultures soit de plus en plus certain, 
s'occuper d'abord du coton et de l'indigo, et voir seulement 
ensuite ce qu'on ferait *de la canne à sucre..,; 

Commencer par des essais sur une petite échelle et calculer 
les dépenses à faire d'après les résultats obtenus; 

Recruter des auxiliaires techniques peu nombreux, mais sé- 
rieux : « Si, par malheur, on nous envoyait des gens qui n'eussent 
aucune connaissance de leur besogne, ils ne manqueront pas 
de rejeter sur le pays les mauvais succès qu'on ne devrait attri- 
buer qu'à leur ignorance, et il s'en suivrait un découragement 
fâcheux. Les colonies, et surtout les colonies nouvelles..., exi- 
gent des talents positifs. Un charpentier, un forgeron, un labou- 
reur même sont des personnes bien plus essentielles que des 
spéculateurs en l'air, qui voudront faire fortune du jour au lende- 
main...»^ 

Ainsi, Fleuriau réduisait le projet, parlait d'essais plutôt que 
d'exploitations en forme, et surtout mettait en lumière l'aspect 
politique de l'entreprise, subordonnait la mise en valeur à la 
pacification. Par là, il faisait preuve de sagesse et méritait 
d'être écouté. 



IIL — La victoire de Schmaltz : 
L'adoption du plan de colonisation. 

Au moment même où Fleuriau formulait ces timides réser- 
ves, l'éloquence, la confiance, l'ardeur communicative de Schmaltz 
gagnaient auprès du Ministère la cause de la colonisation. Depuis 
son arrivée à Paris, il n'avait cessé de célébrer, dans des con- 
versations et des mémoires, les beautés du Sénégal*: à l'entendre, 
aucune autre colonie ne pouvait être comparée à celle-là ; aucune 
autre ne possédait une voie commerciale aussi commode, des 
terres plus fertiles, une végétation spontanée plus facilement 
utilisable, un climat plus salubre, des habitants plus disposés 
à nous accueillir, à travailler avec nous et pour nous, à profiter 
« de notre industrie et de nos arts ». 

Or, le Ministre gardait peu de raisons de se méfier des affir- 
mations de Schmaltz, qui n'était pas un colonial d'occasion, et 

1. G. G., à M. Portai, 3 mai I8I8. 

2. Cf. Chr. Sctieferi op. cit. p. 206. 



MAa:>r 

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Gbogle 



48 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de qui les dires étaient, au reste, corroborés par les premiers 
! rapports de Fleuriau. Le Plan de Colonisation fut adopté, sans 
difficultés ni restrictions, dès le mois de mai 1818. Le Ministre 
en reprenait à son compte toutes les dispositions et lui imposait 
une allure méthodique qui devait sembler fort séduisante et 
donner aux esprits les plus prévenus une vive impression de 
solidité^. 

On peut distinguer quatre parties dans ce plan de Colonisation : 

•| 1® La protection des entreprises. — Trois fortins devaient être 

I établis le long du fleuve, à Galam, dans l'Ile de ReiTo et dans Tlle 

de Todde; les garnisons seraient composées d'abord de troupes 

envoyées de France, puis, en partie du moins, de troupes indigènes 

encadrées d'officiers et de sous-officiers européens;. 

^ 2° Les concessions territoriales. — Dans lé voisinage de ces 

^ forts, le gouvernement se ferait céder des terres de culture 

, par les chefs indigènes, moyennant le paiement de coutumes ou 

redevances annuelles ; 
f 3» La colonisation européenne. — Ces terres seraient distri- 
buées gratuitement à des concessionnaires offrant des garanties 
, sérieuses: immigrants français disposant d'un capital d'au moins 
cinq mille francs, habitants de Saint-Louis et de Gorée, enfin 
soldats arrivés au terme de leur congé et auxquels on accorde- 
rait des facilités spéciales. Ces concessionnaires ne seraient, dans 
l'ensemble, que des chefs d'entreprises et ne pourraient se pas- 
ser de main d'œuvre indigène; aussi les traités relatifs aux conces- 
sions territoriales devraient-ils prévoir que les chefs indigènes 
fourniraient, moyennant rétribution annuelle, des ouvriers agri- 
coles, qui, d'ailleurs, demeuraient leurs sujets et ne seraient 
transportés nulle part comme esclaves ; le paiement des ouvriers 
indigènes s'opérerait selon des conventions conclues directe- 
ment par le Gouverneur, « système calqué, notait le Ministre, 
sur celui que les Hollandais pratiquent avec succès à Java ». Si des 
différends survenaient à ce propos entre les chefs indigènes et 
les colons, ils seraient portés devant un tribunal spécial, « tri- 
bunal analogue au Land Rand de Java », fait encore remarquer 
le Ministre. 

4^ La colonisation indigène. — Dans cette mise en valeur 
du pays, les indigènes ne seront pas utilisés seulement comme 
auxiliaires des Européens. « Beaucoup plus éclairés que leurs 
sujets, les princes et les chefs du pays paraissent disposés, 
dit le Ministre, à se faire l'instrument des améliorations que nous 
méditons », et ils « concevront sans doute eux-mêmes la pensée 
de tirer de leurs sujets le même parti, pour leur propre compte, 
qu'ils nous en verront tirer pour, le nôtre. De son côté, reconnais- 
sant que la récompense suit le labeur et que de nouvelles satis- 
factions l'attendent pour prix de nouveaux efforts, la masse 
même des indigènes obéira de proche en proche à l'impulsion 
donnée. » On les encouragera, d'ailleurs, en assurant à des prix 

1. D. M.| 31 décembre 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 49 

raisonnables la vente de toutes leurs récoltes; en outre, ils se * 
civiliseront à notre contact, contracteront des besoins nouveaux 
et d'eux-mêmes se mettront au travail. 

Aujourd'hui que de longues et coûteuses expériences nous ont 
mis à même de voir clair dans ces sortes de plans de campagne, 
les lacunes et les impossibilités du projet ministériel nous appa- 
sent sans peine : par exemple, trois fortins échelonnés le long du 
fleuve ne pouvaient suffire à refouler les tenaces invasions qui 
menaçaient le Sénégal ni même à vaincre la mauvaise volonté 
des peuples riverains; le paiement de coutumes, pour la conces- 
sion des terres, constituait une bien faible garantie et devait pro- 
voquer toutes sortes de difficultés, voire même des guerres; 
les colons européens résisteraient malaisément au climat en 
un temps où les installations étaient plus que sommaires et 
rhygiène coloniale mal connue; quant à la main-d'œuvre indi- 

Îfène, à la collaboration volontaire des princes. du pays, à Tému- 
ation des habitants, il fallait tout ignorer de la psychologie des 
noirs d'Afrique pour compter sincèrement sur cet appoint. 

Mais l'enquête de Schmaltz avait laissé dans l'ombre ces 
difficultés, et le Ministère, si soucieux de prudence qu'il fût, ne 
pouvait les deviner. Tout permettait donc de croire que la poU- 
tique la plus féconde que nous pussions entreprendre au Sénégal 
était une politique à peu près exclusivement économique : d'une 
colonie pauvre, nous faisions une colonie riche, nous rempla- 
cions une économie purement commerciale par une économie 
surtout agricole et nous nous attachions les indigènes par l'inté- 
rêt. Ce raisonnement était plausible et, aujourd'hui encore, 
d'excellents esprits n'y ont pas renoncé. 

Peut-être parce qu'il sentait la fragihté de cet édifice et redoutait 
que sa victoire ne fût compromise par quelque mauvaise nou- 
velle venue du Sénégal, Schmaltz insistait pour qu'on commençât 
tout de suite. Et le Ministère, malgré tous les embarras que pré- 
sentait l'improvisation d'une campagne aussi importante et 
aussi nouvelle, lui donna satisfaction. 

Deux expéditions extraordinaires devaient, au cours de l'an- 
née 1818, <c préparer et commencer l'exécution » du Plan de 
Colonisation. Composées de militaires et de techniciens, dans 
l'ensemble un millier d'hommes, elles avaient pour mission de 
construire les forts prévus, d'amorcer les relations avec les 
princes riverains, d'étudier les conditions de navigabiUté du 
fleuve et d'ébaucher les établissements de culture. Une troisième 
expédition, en mars 1819, devait porter à 1.200 hommes « l'ef- 
fectif des forces de terre européennes des possessions du Roi 
en Afrique » et se charger en outre de tout ce qui serait jugé 
« utile pour un établissement complet et définitif dans le pays 
de Galam ». Il ne s'agissait donc nullement, comme l'avait un 
moment demandé Fleuriau, d'essais sur une petite échelle; tous 
les objets de la colonisation, puissance militaire, plantations, 
commerce, exploitation du sous-sol, élevage, politique indigène, 
etc... jetaient visés d'un coup, et, au lieu de prévoir une avance 



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50 LA MISE EN VALEUR Dl) sTnÈGAL DE 1817 A 1854 

processive, une patiente remontée du fleuve à partir de Saint- 
Louis, on fixait comme but à la première expédition le point 
extrême du plan de campagne: on commençait par s'installer 
en pays de Galam; seule, la seconde expédition, qui devait quit- 
ter la France en octobre 1818 et ramener Schmaitz au Sénégal, 
aurait à s'occuper de la construction des forts intermédiaires 
dans les îles de Todde et de Reffo ^. 

Tout cela s'annonçait comme très coûteux : plus de onze mil- 
lions à répartir sur sept années, dont un million pour la première 
année et près de trois millions pour la seconde. Or, aucun crédit 
n'était prévu au budget pour cette sorte de dépense. Les minis- 
tres imaginèrent alors « d'emprunter, en quelque sorte, sur la 
rente de l'Inde, au Trésor 600.000 francs, à la liste civile un 
million. Le 26 septembre, en l'absence des Chambres, une ordon- 
nance royale accorda ainsi à la marine, en même temps que les 
fonds exigés par l'expédition du capitaine Philibert (en Guyane) 
les premières sommes nécessaires pour le Sénégal » ^. 

En même temps, pour stimuler l'activité de la colonie naissante 
et lui permettre de passer rapidement d'une économie commer- 
ciale à une économie franchement agricole, on modifiait le 
régime de douanes particulier auquel elle avait été soumise jus- 
que là : les produit) des établissements d'Afrique devaient 
désormais entrer en France aux mêmes conditions que ceux des 
Antilles*. 

On essayait donc de ne rien négliger pour que l'entreprise 
réussît, et l'on peut parler, en la circonstance, d'une véritable 
politique coloniale, fondée sur des principes et, du moins en 
apparence, sur des enquêtes. Le Ministre, avec Schmaitz, croyait 
bien savoir où il allait. 



IV. — La première expédition : 
La mission de Melay en pays de Galam. 

La première expédition partit de Lorient, non pas en juin 
comme il avait été décidé, mais le 8 juillet 1818, et elle 
commença à remonter le fleuve le 17 août, en plein hivernage. 

Elle était dirigée par le capitaine de frégate Peureux de Mélay, 
de qui Fleuriau louait « le bon jugement, le zèle et l'activité » 
et qui était assisté de M. de Ghastellus, Capitaine ingénieur 
géographe, « déjà si avantageusement connu » par sa colla- 
boration avec Brédif . « C'est un heureux hasard, écrivait Fleuriau, 
que d'avoir trouvé deux personnes d'un tel mérite pour une 
opération de ce genre »*. Elle comptait un enseigne de va sseau. 



1. D. M. 17 juin 1818. 

2. Cf. Chr. Schefer, op. cit. p. 207. 

3. Ibid. p. 209. 

4. C. G., au Ministre, 24 août 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 51 

un élève-ofRcier, un chirurçien-major, de nombreux mattres- 
ouvriers, « tels que charpentiers, menuisiers, forgerons, calfats, 
maçons, voiliers, armuriers », enfin un sergent, deux caporaux et 
onze fusiliers. 

Il avait été question de joindre à l'expédition une commission 
d'exploration, composée de l'ingénieur des mines Grandin et du 
jardmier Morénas, et qui aurait repris les travaux de la précé- 
dente mission Brédif . Mais, dès leur arrivée au Sénégal, « ces 
deux messieurs » furent pris d'une peur affreuse « de succomber 
dans leur mission »; c'était là, remarque fort justement Fleuriau, 
«presque une donnée certaine qu'ils seraient malades et, par 
conséquent, nuisibles plutôt quutiles dans l'exécution. ^^ Ils res- 
tèrent donc provisoirement â Saint-Louis, pour s'acclimater, 
avant d'être dirigés « vers les points qui leur seraient désignés 
comme dignes de leurs recherches • ^. 

Le convoi qui portait le personnel de l'expédition, les instru- 
ments et les marchandises comprenait le brick VArguSy le brick 
]e Postillon, l'aviso le Colibri et des bateaux de commerce. L Argus 
avait à bord huit caronades de 16, deux canons de 4, quatre 
pierriers et six espingoles; le Posiillony quatre caronades de 12, 
deux canons de 6 et huit espingoles; le Colibri, une caronade de 
12 et douze espingoles; chaque homme d'équipage était armé*^ 
d'un fusil, de piques, etc., appareil militaire destiné a à en 
imposer » aux Peul plutôt qu'à les combattre. 

Des précautions d'hygiène avaient été prises pour atténuer 
l'influence du climat et diminuer les risques de maladie : sur 
V Argus, le Postillon et le Colibri, on avait construit < de grandes 
dunettes entourées de jalousies et parfaitement aérées»; tous 
les Européens avaient été pourvus de moustiquaires. « Ce soin 
qui paraîtrait minutieux, dit Fleuriau qui semble s'excuser d'un 
tel luxe, est cependant fort essentiel. On reconnaît assez généra- 
lement que les insomnies causées par les piqûres de ces insectes 
étaient une des principales causes de mortalité parmi les b*ancs 
qui voyagent sur le fleuve ». Les vivres et les médicaments sem- 
blaient en quantité suffisante et de bonne qualité. 

Quant au matériel de colonisation proprement dit, il n'était 
pa^ fort abondant : de l'ambre, du corail des verroteries dorées, 
de la laine rouge et jaune, des pièces de guinées pour les cadeaux 
et les échanges; une charrue fabriquée à Saint-Louis, des mou- 
lins à coton, des orangers en caisse et divers plants d'arbres frui- 
tiers, des graines de coton, des cannes à sucre, etc. 

C'est que l'agriculture paraissait jouer un rôle fort accessoire 
dans cette première expédition. On prévoyait que les laptots 
seraient employés, à temps perdu, à des essais de cultures et 
qu'un des hommes du détachement européen s'occuperait de 
dresser des bœufs au joug; on recommandait à de Mélay « d'avoir 
quelques détails sur la culture de l'indigo, qui vient abondam- 
ment à Galam, mais que les naturels préparent mal »; de se pro- 

I. G. G., au Ministre, 6 août 1818; D. M., 17 Juin 1818. 

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52 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DB 1817 A 1854 

curer des échantillons de coton brut et d'en faire égrener sur 
place, à la fois pour repueillir des résultats d'expériences et 
pour « couvrir une partie des frais d'expédition », et c'était tout. 

Ce que le Gouvernement demandait surtout à la mission, 
c'était « d'entretenir les dispositions favorables, dans lesquelles 
paraissaient être les princes de la rive gauche du Sénégal et 
leurs sujets, relativement à l'accomplissement des vues de la 
France » et « d'assurer, par de sages mesures, le succès, sous les 
rapports commercial et politique, du voyage de Galam et les 
opérations préliminaires du rétablissement de l'ancien poste 
français dans cette contrée » . 

Et Fleuriau, soucieux de rester dans les limites de son rôle 
d'intérimaire, donnait à de Mélay des instructions qui, tout en 
étant fort précises, se résumaient strictement dans cet objet 
essentiel du voyage : « rétablir nos anciens rapports avec Galam 
et les pays environnants ». A cet effet, de Mélay devait : 

Etudier les conditions de navigabilité du Sénégal et de ses 
affluents les plus importants, comme la Falémé, le caractère 
exact des rapides du Félou et les voies fluviales d'accès dans le 
haut pays ; 

Entrer en relations avec les Peul, n'employer la force qu'à 
la dernière extrémité et obtenir des princes du Fouta et de Ga- 
lam l'envoi d'otages au Sénégal; 

Chercher l'emplacement d'un fort, autant que possible 
sur la rive gauche vis-à-vis du mouillage et sur une élévation 
qui domine le pays, et s'informer auprès des habitants des 
dégradations probables du fleuve ; 

Construire quelques établissements susceptibles de servir 
de premier asile à l'expédition plus nombreuse qui suivra celle- 
ci : magasins, casernes, fours, cuisines, logements. 

Pour réaliser ce plan, de Mélay devait séjourner une année 
entière dans le haut pays ^. 

Fleuriau avait donc réduit en quelque mesure le projet d'ex- 
pédition; il avait pris sur lui « d'écarter autant que possible 
ce qui n'était pas d'une utilité reconnue et de diminuer les dé- 
penses qui n'étaient pas indispensables ^ » et, si près de 1 épreuve, 
cette précaution lui semblait suffisante pour proclamer à nouveau 
sa confiance : « Voici, écrivait-il au Ministre, quelles sont nos 
espérances fondées sur des données assez plausibles : nous aurons 
à Galam, avant la fin de l'année, un fort tel qu'il doit être, ou 
du moins sa construction sera tellement avancée qu'il restera 
peu de choses à faire pour l'achever complètement. Nos relations 
commerciales avec le haut pays seront rétablies comme elles 
étaient autrefois et mieux sans doute; les peuples de la rivière, 
encore un peu turbulents, seront calmés par la conviction que 
toute résistance de leur part serait inutile, et, je ne crains pas 



1. D. M., 17 Juin 1818; C. G. au Ministre, 24 août 1818 et 14 août 1818 (publié 
par Claude Faure; Documents inédits sur riiistoire du Sénégal). 

2. G. G., au Ministre, 24 août 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 63 

de l'avancer, une partie des frais de Texpédition sera rembour- 
sée, si ce n*est la totalité; nos nouvelles relations assureront 
l'avenir et rendront au nom français cette première considé- 
ration qu'une longue absence lui avait fait perdre. Je ne pense 
pas qu'il ait été fait depuis longtemps une expédition plus 
complète, plus à propos, plus prompte » ^. 

Déjà le vieux Sénégal s'en trouvait transformé, régénéré : 
« Nos préparatifs ont mis beaucoup d'activité dans l'île. On ne 
trouve plus aujourd'hui d'incrédules sur le succès des projets 
adoptés. L'intérêt que le Gouvernement paraît prendre à cette 
colonie^'a ranimé les espérances de chacun. La plupart des négo- 
ciants européens établis à Saint-Louis partent pour France, 
afin de se pourvoir de ce qui sera nécessaire pour former des 
établissements ou étendre leurs relations commerciales et revenir 
en même temps que l'expédition d'octobre. C'était bien ce 
que j'attendais de la reprise de possession de Galam »2. 

Les premières nouvelles reçues de l'expédition confirment 
ces espoirs. Le premier septembre, de Melay est parvenu à 
Podor; « il n'y a pas un malade dans l'expédition. La confiance 
des habitants se rétablit à mesure que nous avançons ; mais on 
a grand peur de nous » ; ce dont Fleuriau « se félicite beaucoup ». 
En somme, « nos affaires marchent aussi bien que nous pou- 
vons le désirer »'. (7 

Il fallut bientôt déchanter. Deux mois à peine après ces bril- 
lants débuts, le 17 novembre ISTlS, le Postillon débarquait à 
Saint-Louis de Melay gravement malade, et l'on apprenait 
que l'expédition avait éprouvé «des contrariétés sans nombre », 
qu'elle avait fait « un voyage long et pénible » et que presque 
tous ses membres avaient « plus ou moins payé le tribut au climat» : 
deux laptots, un contremaître et deux fusiliers avaient déjà 
succombé *. 

Malgré tout, Fleuriau trouvait encore à se réjouir des résul- 
tats acquis : à l'entendre, cette mission manquée avait « réuni 
les avantages d'une opération de guerre et ceux d'une mission 
pacifique »; elle avait « démontré aux Peul alarmés que nous 
pouvions naviguer sans leur consentement sur le fleuve », et tou- 
tes les difficultés avaient été « levées sans coup férir ». Au reste, 
de Melay avait passé le commandement à de Chastellus, et 
c'était là « le meilleur choix qu'on pût faire sous tous les rap- 
ports : talents personnels, expérience du pays, autorité sur les 
indigènes », de Chastellus réunissait « tous ces motifs de sécurité » s. 

Mais le malheureux ingénieur succomba lui-même dans les 
premiers jours de décembre, d'une attaque de dysenterie : le con- 
voi rentra à Saint-Louis le 18 décembre et V Argus resta à Bakel 



1. C. G., au Ministre, 24 août 1818. 

2. Ibidem. 

3. G. G., au Ministre, 10 septembre 1818. 

4. C. G. au Ministre, 27 novembre 1818. 

5. Ibidem. 



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54 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

avec le gros de rexpédition, sous le commandement de l'en- 
seigne de vaisseau Dupont. 

Cette fois, Fleuriau s'avouait désemparé. Il ne savait quel 
parti prendre, et il attendait le retour de Schmaltz « avec une 
impatience extrême^ ». En réalité, les défauts de Tenquête et 
les lacunes du Plan de Colonisation ne faisaient que d'apparaî- 
tre, et il ne s'agissait encore que du climat. 



V, — La lutte contre les entreprises anglaises. 

En même temps qu'il aidait Schmaltz avec tant de persévé- 
rance et de fidélité dans la préparation de son œuvre de coloni- 
sation, Fleuriau s'efforçait de faire place nette, de réserver aux 
seuls Français le bénéfice de l'entreprise qu'on allait tenter et 
d'ôter décidément aux Anglais tout esprit de retour ou même 
de concurrence. 

Le danger était réel, et les premières attaques de Schmaltz 
n'avaient pas abouti à grands résultats. Les commerçants 
anglais ne se résignaient pas à l'abandon du Sénégal et se dis- 
posaient à profiter les premiers de nos meilleurs efforts. Si l'on 
n'y prend garde, écrivait Fleuriau, « les Anglais achèveront 
bientôt de se rendre maîtres du commerce du Sénégal, en éta- 
blissant une concurrence que nos négociants ne seront pas en 
état de soutenir et contre laquelle ils réclament hautement* ». 

La fraude leur était familière, nous l'avons vu déjà, et, par- 
dessus le marché, ils s'attachaient à jeter le trouble et l'inquié- 
tude dans la colonie. On ne saurait croire, disait Fleuriau, « tou- 
tes les tracasseries auxquelles ils ont donné lieu, toutes les nou- 
velles qu'ils ont cherché à répandre, pour troubler la tranquillité 
publique et détruire la confiance des habitants. Dernièrement, 
n'ont-ils pas fait accroire, à bien des gens, qu'il arrivait une expé- 
dition d'Angleterre pour prendre le Sénégal de vive force ? J'ai 
bien veillé l'occasion de les convaincre du fait, pour m'en débar- 
rasser sur le champ ; mais il n'y a pas eu moyen »'. 

Sans doute le Gouverneur du Sénégal n'était-il pas tout à 
fait désarmé contre ces entreprises. Au début de l'année 1818, le 
Ministère lui avait notifié que les dispositions du titre 6 des 
Lettres patentes d'octobre 1817, interdisant toute espèce de 
commerce aux étrangers, même naturalisés, établis dans les 
colonies françaises, subsistaient dans toute leur force et que la 
situation actuelle de notre commerce « ajoutait aux motifs qui 
les ont fait adopter des considérations plus puissantes encore »*. 

Aussitôt, Fleuriau s'était empressé de faire publier et afficher 
ces dispositions, « afin que personne ne puisse en prétendre 

1. G. G., au Ministre, 13 janvier 1819. 

2. G. G., au Ministre, 13 mars 1818. 

3. Ibidem. 

4. D. M., 23 octobre 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 55 

ignorance »; il avait fait rassembler au Gouvernement les étran- 
gers établis dans la colonie et leur avait communiqué la lettre 
du Ministre, en leur ordonnant de s'y conformer ponctuellement. 
Puis, il avait nommé une commission, composée de MM. Potin, 
Bourgerel et Dcvèze, négociants, « pour examiner Tétat des pro- 
priétés, marchandises et créances des négociants ou agents de 
commerce anglais au Sénégal d. On procéda de même à Corée ^ 

La partie devenait difficile pour les Anglais. Cette exclusion 
était trop nette pour laisser place à d'insidieuses interpréta- 
tions ou à des fraudes prolongées ; le procédé des hommes de 
paille ne pouvait convenir qu'à des opérations de petite enver- 
gure; il valait mieux renoncera la lutte k l'intérieur du Sénégal 
et chercher ortune ailleurs, par exemple, dans les environs 
immédiats de la colonie. Fleuriau croyait voir se dessiner ce 
mouvement : « Les Anglais, surveillés avec sévérité, se décident, 
pour la plupart, à quitter le Sénégal; ce sera un grand embarras 
de moins » *. 

A la vérité, l'embarras ne faisait que changer de place, 
sans cesser d'être très grave. Chassés du Sénégal, les Anglais 
allaient s'efforcer d'en confisquer les abords, de l'encercler, d'en 
dériver les profits, et Fleuriau ne se le dissimulait pas. 

Ils inquiétaient de toutes les façons notre comptoir d'Albréda 
à l'embouchure de la Gambie, qui était en relations constantes 
avec Gorée et dont le commerce, en se développant, pouvait 
sauver de la misère la malheureuse île déchue. De passage à 
S^«-Marie-de-Bathurst, le colonel Mac-Carthy, Gouverneur de 
Sierra Leone, avait déclaré cet établissement ville libre et, en 
conséquence, donné la liberté aux ouvriers esclaves qu'on avait 
su y attirer de Gorée. «Son but était évidemment d'obliger 
leurs maîtres à venir s'établir auprès d'eux et de peupler sa 
colonie aux dépens de la nôtre » ^. Puis, c'é aient, sous prétexte 
de faire exécuter cette mesure, des visites de navires sortant 
d'Albréda, des saisies de cargaisons et d'équipages, des bâti- 
ments confisqués et emmenés à Sierra-Leone *. 

Cette mauvaise foi, cette politique de persécution étaient 
d'autant plus difficiles à déjouer, que les deux Gouvernements 
métropolitains simulaient à ce moment-là une entente dite 
cordiale, et Fleuriau n'ignorait pas qu'en soulevant des incidents 
il serait désapprouvé du Ministère. A notre résident d'Albréda, 
à l'enseigne de vaisseau chargé de le conduire et de l'accréditer 
auprès du roi de Bar, il recommandait soigneusement « d'agir 
avec prudence dans leurs relations avec les Anglais », et il approu- 
vait d'avance « les égards convenables que les circonstances leur 
commanderaient »». 

Mais le patriotisme de Fleuriau finit par parler plus haut que 

1. G. G., au Ministre, 8 février 1818. 

2. C. G., à M. PorUl, 9 mal 1818. 

3. C. G., au Ministre, 15 juin 1818. 

4. Ibidem. 

5. C. G., à ren8eis:Re de vaisseau Laplace, 18 janvier 1818. 



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56 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

sa prudence de fonctionnaire; il ne se résigna nullement à tolérer 
la perfidie des Anglais et montra en la circonstance une réelle 
fermeté. Il écrivit au colonel Mac-Carthy une lettre très digne 
et très nette, pour faire valoir les droits de la France et réclamer 
des réparations immédiates, et il annonçait, en cas de refus, 
«des démarches plus sérieuses auprès de son Gouvernement^ »; 
en même temps il saisissait de TafTaire le Ministère et lui décla- 
rait son intention de ne pas céder *. 

Au nord du Sénégal, en Mauritanie, Fleuriau se heurtait encore 
aux Anglais et leur tenait tête avec le même sang-froid. De leur 
établissement de Gambie, ils envoyaient des bâtiments croiser 
devant Portendik, pour essayer d*y attirer « une partie de la 
gomme de la rivière »; ils se tenaient en relations avec le roi des 
Trarza, et, par des cadeaux et des procédés de surenchère, obte- 
naient de lui la promesse de deux cargaisons. 

« J'espère bien mettre obstacle à ce projet, écrivait Fleuriau 
au Ministre. Mais il serait nécessaire... que Votre Excellence 
da'gnât donner des ordres et des instructions sur le droit que 
nous pourrions avoir d'éloigner les Anglais de Portendik. Les 
anciens traités ne déterminaient pas leurs droits d'une manière 
bien précise. Ce serait sous voiles seulement qu'ils pourraient 
faire leur commerce. Pourrions-nous arrêter les bâtiments mouil- 
lés ? Ne serait-il pas convenable au moins d'apporter tant de 
difficultés à leurs opérations qu'ils fussent dégoûtés de recom- 
mencer ?... » 

En attendant des précisions et des ordres, Fleuriau entrepre- 
nait des démarches auprès du roi des Trarza pour le détourner 
de l'aUiance anglaise, et faisait surveiller les abords de Portendik 
par un Maure à sa solde 3, 

Sans consignes nettes, mais avec une prudence, une fermeté et 
une attention remarquables, il montait la garde autour de la 
jeune colonie. Mais sa tâche apparaissait tous les jours plus 
rude. 

Fortement installés au Sud, occupés de commerce au Nord, les 
Anglais devaient naturellement songer à profiter de cette situa- 
tion pour encercler le Sénégal, lui barrer l'accès de l'Afrique inté- 
rieure et le réduire à jamais à l'état misérable d'enclave. La 
discrétion et l'empressement avec lesquels ils organisèrent, au 
début de 1818, une mission d'exploration de l'Afrique intérieure 
semble bien prouver que telle était en effet leur intention. 

« J'apprends aujourd'hui, écrivait Fleuriau au Ministre, le 
18 janvier 1818, qu'il se prépare à Sierra Leone une nouvelle expé- 
dition pour remonter la rivière de Gambie... Cette nouvelle 
expédition est commandée par M. le Lieutenant Gray, qui a été 
nommé major à cet effet et partira sous peu » *. Le 2 mars suivant, 
« l'expédition anglaise pour le Niger » passait en effet devant 

1. C. G., au Colonel Mac Carthy, 25 juin 1818. 

2. C. G., au Ministre, 15 juin 1818. 

3. G. G., au Ministre, 20 juillet 1818. 

4. C. G., au Ministre, 18 janvier 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 57 

notre comptoir d'Albréda; elle se composait de cent hommes, 
dont cinq officiers, d'un brick armé en guerre et d'un transport; 
elle paraissait « destinée à remonter la rivière de Gambie jusqu'à 
Caya, d'où elle continuerait sa route, par terre, en se dirigeant 
vers Ségou » ^, 

Le Ministre remercie Fleuriau de ces informations et l'invite 
à transmettre « le plus exactement et le plus promptement qu'il 
lui serait possible tous les renseignements qui lui parviendraient 
sur les progrès et les succès de cette entreprise »; il l'assure aussi 
qu'il ne perd pas de vue « l'influence éventuelle de cette tentative 
sur le projet de colonisation présenté par M. le colonel Schmaltz », 
mais il ne parle nullement de mesures immédiates et ne semble 
point particulièrement frappé par ce danger nouveau de la rivalité 
anglaise '. 

Fleuriau se montre beaucoup plus inquiet : « la persévérance 
de> démarches du Gouvernement anglais » pouvait faire naître 
de nouveaux obstacles à l'exécution du projet de Colonisation »; 
« bien des raisons nous font présumer qu'il existe un canal natu- 
rel de communication entre le Sénégal et la rivière de Gambie », 
et il est fort important pour nous que les Anglais ne se mettent 
pas en travers d'une route si utile et d'un si grand avenir; enfin, 
« le projet des Anglais a toujours été de s'assurer du commerce 
du sel » qui, dans cette partie de l'Afrique, est d'une si grande 
importance économique et même politique; «s'ils réussissaient 
dans cette nouvelle entreprise, leur concurrence nous serait 
fort préjudiciable ». 

Il serait donc fort imprudent de demeurer inactif : il faut 
avant tout ne pas perdre un moment pour l'exécution du pro- 
jet de Colonisation, afin de mettre les Anglais en présence du 
fait accompli et d'être en mesure de faire valoir des droits cer- 
tains. Nous pourrons encore arriver avant eux, en nous hâtant 
de profiter des bonnes dispositions que les habitants de l'inté- 
rieur ont manifestées en notre faveur ». Comme le Ministère 
ne répond que faiblement à ces invites, Fleuriau décide d'agir 
de sa propre autorité*. 

Si l'on ne peut empêcher l'expédition anglaise, on peut du 
moins et l'on doit s'efforcer de la contrarier. « Les dispositions 
des Mandings à l'égard de la nation anglaise, écrit Fleuriau, me 
font espérer que (les explorateurs anglais) éprouveront de gran- 
des difficultés... Il m'a paru important de faire quelques démar- 
ches pour augmenter ces difficultés*, en y mettant toutefois 

1. C. G., au Ministre, 18 mars 1818. 

2. D. M., 27 avril 1818. 

3. C. G., au Ministre, 18 janvier 1818. 

4. Le Ministre releva durement cette formule : c Le Conseil des Ministres, écri- 
vait-il à Fleuriau par rintermédiaire de de Mélay, n'a pu voir sans une surprise 
extrême et le plus grave mécontentement que vous avez cru devoir recommander 
ft ce voyageur (Mollien) d'entretenir des sentiments d'animosité entre deux peu- 

8 les avec lesquels la France est en paix. Vous auriez dû savoir qu'il n'y a point 
'intérêt ni même de rivalité qui Justifie l'emploi de pareils moyens aux yeux 
d'un Gouvernement légitime et basé sur la justice. »Le Ministre chargea d'ailleurs 
de Mélay d'assurer Fleuriau que < cette phrase imprudente n'aura aucune suite • 
(D. M., & juin 1818). 



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58 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1854 A 1817 

beaucoup de circonspection et de secret... » Et le meilleur moyen 
« d'augmenter les difficultés » des Anglais lui parait être d'oppo- 
ser à la mission anglaise une mission française, plus souple et 
plus rapide. 

Juste à cette époque rentrait au Sénégal un jeune commis 
de Marine, avide de découvertes et d'aventures, Mollien, fils 
de l'ancien Ministre du Trésor impérial, qui depuis deux ans 
sollicitait l'honneur de diriger une expédition de longue haleine 
dans l'intérieur de l'Afrique. Il était arrivé pour la première fois 
à la colonie en 1816 sur la Méduse^ et il fut de ceux qui, « em- 
barqués dans un canot, gagnèrent la terre sans accident ». « Les 
fatigues que j'éprouvai, écrivait-il par la suite, pour arriver 
sur les bords du Sénégal, et l'aspect sauvage du pays, ne purent 
détruire chez moi le vif désir qui, depuis mon enfance, m'exci- 
tait à parcourir l'intérieur de l'Afrique. Je ne pouvais croire que 
la stérilité dont était frappée la contrée que j'avais parcourue 
régnât dans les régions où Léon l'Africain avait placé des villes 
d'une étendue considérable; les découvertes de Mungo-Park 
m'avaient convaincu de la vérité des récits de l'écrivain arabe, 
et loin de craindre de trouver des déserts inhabitables ou des 
peuplades féroces, j'espérais rencontrer des nations policées, ras- 
tes de quelques colonies égyptiennes ou carthaginoises ^ ». En 
1817, il remonta le Sénégal jusqu'à Podor*, puis revint en France 
pour soumettre au Ministre un projet plus vaste d'exploration. 
« Des affaires d'un plus haut intérêt dont le Ministère était alors 
occupé ne lui permirent pas de donner une réponse positive» ; 
abrégeant la durée de son congé, Mollien rentra au Sénégal, « dans 
l'espoir que M. de Fleuriau, nouveau Gouverneur de cette colo- 
nie, satisferait à ses désirs », et Fleuriau, trop heureux de ces 
avances qui tombaient à point, approuva le projet*. 

Mollien n'était donc pas un explorateur improvisé, et il 
semblait tout désigné pour lutter d'audace, d'énergie et d'ha- 
bileté avec la mission anglaise. Il réunissait « à une éducation 
soignée des connaissances étendues... et une vocation pronon- 
cée »; il parlait l'arabe et l'écrivait « passablement », ce qui devait 
lui faciliter les rapports avec les marabouts influents du haut 
pays; il avait « pris de longue main tous les renseignements 
qui lui étaient nécessaires... »;il avait enfin des mœurs et des 
coutumes indigènes une connaissance déjà avancée*. 

Son caractère plaidait en sa faveur, et il n'avait pas besoin, 
pour se faire estimer de Fleuriau, des recommandations minis- 
térielles, qui du reste ne lui manquaient pas*. Il cherchait avant 
tout « à se faire connaître par un service important et à acquérir 
quelque réputation par une entreprise honorable ». En dehors 
d'une ambition si louable, il faisait preuve du plus beau désinté- 
ressement; bien qu'il ne fût pas riche, il proposait de prendre à 

1. Cf. Voyage dans l'intérieur de l'Afrique, par G. Mollien, p. 1 et 2. 

2. Arch. col. Sénégal, II, 1, 1817, Mémoire Mollien, 

3. Voyage dans Fintérieur de TAfrique, p. 27, 

4. C. G., au Ministre, 7 février 1818. 
6. D. M., 23 octobre 1817. 



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LE PtÀN DE COLONtSATlON 59 

8on compte la moitié des frais de son voyage; il ne voulait 
recevoir ni vacations, ni frais de route; la seule faveur qu'il se 
permit de demander, c'était « la continuation de son traitement 
pendant son absence », et, s'il venait à succomber, « que ce der- 
nier service pût être pour sa mère un titre auprès du Gouver- 
nement pour obtenir une modique pension d^. 

Mais ce qui surtout décidait Fleuriau à charger de cette mis- 
sion le jeune Mollien, c'était la modestie de ses prétentions et 
le peu d'apparat qu'il prévoyait pour son expédition. Il partait 
déguisé en marchand, avec un seul compagnon, un marabout 
originaire du Fouta, nommé Diai Boukari, à qui l'on allouait 180 
francs par mois ; tout son bagage tenait sur un âne, et son arse- 
nal se limitait à deux fusils \ 

Les instructions que Fleuriau lui avait remises concordaient 
en grande partie avec son propre plan et n'étaient pas spécia- 
lement adaptées à la situation, c'est-à-dire à la lutte contre 
les entreprises anglaises; elles indiquent, en somme, de la part 
de Fleuriau, non seulement le désir de devancer la mission 
Gray, mais l'intention plus générale d'étendre l'influence fran- 
çaise dans l'Afrique intérieure et de préparer l'avenir. L'explo- 
rateur devait s'efforcer a de découvrir les sources du Sénégal, 
de la rivière de Gambie et du Niger; de s'assurer s'il existe en 
effet un canal de communication entre les deux premières, ou 
au moins la distance qui se trouve entre le Sénégal et la source 
du Niger, et quels seaient les moyens de la franchir» . Une fois arrivé 
sur le Niger, il devait prendre « des informations sur la possibilité 
de le descendre jusqu'à son embouchure », mais c'était à la con- 
dition de ne point rencontrer trop d'obstacles : dans le cas con- 
traire, disait formellement Fleuriau, « vous vous bornerez 
à le remonter, et vous aurez fait en cela une découverte impor- 
tante ». Mollien éviterait autant que possible le pays du Fouta, 
dont les indigènes étaient trop méfiants et trop belliqueux; il 
traverserait le Djolof et se dirigerait par le Sud vers le pays 
Manding, où il pourrait « séjourner en sûreté pendant la saison 
des pluies ». Si les circonstances le permettaient, il irait jusqu'au 
royaume de Bambouk et chercherait à visiter les mines d'or; 
selon l'état de sa santé, il irait plus loin et tout à sa guise, ou 
bien reviendrait par Galam, où il trouverait, à compter du 
mois d'octobre, des secours de toutes sortes. Il lui était recom- 
mandé, d'une façon générale, de tenir un journal exact « de ses 
marches », d'indiquer les lieux où il trouverait des terres végéta- 
les, « leur distance des rivières et leur profondeur »'. 

Mollien partit. Il traversa le Djolof, remonta à Galam par 
le Boundou, fu: un moment arrêté par l'Almamy du Foula en 
vue du fort Saint-Joseph, puis relâché, et, par le Bambouk, 
parvint dans le Fouta-Djallon. Fleuriau manifestait le plus vif 
contentement; il attirait l'attention du Ministre sur « l'immense 
étendue de terrain » parcourue par « le brave jeune homme », 

1. C. G., au Ministre, 7 février 1818. 

2. Voyage dans rintérieur de l'Afrique, p. 38. 

9« MoUiea, op. cit., p 39 et sq.; C. G., à M. Mollien, 7 février 1818, 



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60 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

il comparait « la rapidité de sa marche, la modestie de son atti- 
rail, avec les lenteurs et les millions de Texpédition anglaise». 
Ce voyage était devenu à ses yeux « une affaire nationale. «^ 

En janvier 1819, MoUien était de retour à Saint-Louis, après 
avoir rencontré tant d'obstacles, éprouvé tant de fatigues et 
frôlé la mort tant de fois qu'on désespérait de le revoir jamais. 
Il n'avait pu aller jusqu'à Ségou, comme il se l'était proposé, 
et il avait dû revenir par la Guinée portugaise, mais il n'en 
avait pas moins parcouru un itinéraire d'une longueur excep- 
tionnelle en un temps relativement court; il rapportait des 
notes fort précises, un journal de route plein d'aperçus nouveaux, 
une carte qui complétait sur bien des points les travaux de 
Mungo-Park. Son voyage devait avoir, à tout le moins, la plus 
haute importance géographique^. 

Quant aux conséquences purement politiques, étaient-elles 
vraiment aussi considérables que Fleuriau l'avait annoncé ? Et 
la mission MoUien avait-elle réellement contrecarré la mission 
Gray ? Il ne le semble pas. Tout ce qu'on peut dire, c'est que 
MoUien devança largement la mission anglaise et que les résul- 
tats généraux de ces deux voyages ne se peuvent comparer. 
Il est, du reste, à peu près certain que Fleuriau voyait plus 
large qu'il ne voulait bien le dire au Ministre et que le prétexte 
invoqué pour confier à MoUien une expédition aussi importante 
n'était qu'une de ces mille petites ruses couramment employées 
par les Gouvernements coloniaux pour pousser aux entreprises 
une métropole timorée. 

Au reste, le Plan de Colonisation, dans l'intervalle, avait été 
approuvé et la mission de Mélay était ai:rivée au Sénégal. Il 
était temps. Les inquiétudes de Fleuriau redoublaient à la 
nouvelle que le colonel Mac-Carthy n'avait pas permis au major 
Gray de s'arrêter dans la haute Gambie pour la saison des pluies, 
que Gray, en reprenant sa route, semblait se diriger vers le 
pays de Galam plutôt que vers Ségou et qu'il n'était plus qu'à 
huit jours de marche de Bakel. Le but des Anglais semblait 
donc être « d'entretenir des relations de commerce avec nos 
anciens établissements » et « la présence de l'expédition serait 
bien à craindre, si nous ne nous hâtions de prendre possession 
du pays w^. 

Dès l'arrivée du major Gray dans le Boundou, Fleuriau avait 
écrit au colonel Mac-Carthy pour lui demander quelles étaient 
les intentions exactes du Gouvernement anglais et pour lui 
représenter les inconvénients qui résultaient pour nous de la 
présence prolongée de cette expédition dans « des pays qui sont 
attachés aux dépendances du Sénégal »*. 

1. G. G., au Ministre, 19 mai 1818. 

2. Cf., à la suite de la relation de MoUien: Observations géographiques sur les 
découvertes en Afrique, antérieures à celles de M. Mollien, sur celles qu'il a fai- 
tes et sur la carte jointe à sa relation, par J. B. Eyriès, Cf. de même G. G., au Minis- 
tre. 18 janvier 1818. 

3. G. Cm., au Ministre, 20 juillet 1818. 

4. G. G., au colonel Mac Garthy, 14 septembre 1818. 



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LE PLAN DE COLONISATION 61 

Nous ne connaissons pas la réponse de Mac-Carthy, mais 
Tarrivée de VArgus arrangea tout. Il est vrai que Gray était 
parvenu à Galam avant nous; mais il s'y trouvait dans une 
situation difficile. Il n'avait plus de vivres, il avait eu maille 
à partir avec TAlmamy de Boundou, la plupart des Européens 
qui raccompagnaient n'avaient pas résisté aux fatigues d'un 
voyage en plein hivernage; il n'était plus un danger pour nous, 
qui arrivions avec une expédition en forme. Les officiers de 
la mission française firent même « l'accueil le plus cordial » à 
Gray, qui spontanément s'était « transporté à bord », ils lui cédè- 
rent des « vivres et des rafraîchissements » qui devaient lui per- 
mettre de regagner la côte ou de continuer sa route comme il 
en annonçait l'intention : l'un ou l'autre parti nous satisfaisait 
pour le moment, d'autant que le retour de Gray paraissait 
beaucoup plus vraisemblable que sa marche sur Ségou ^ ». Les 
Anglais semblaient définitivement évincés du pays de Galam. 

Il restait aux Anglais, en dehors de ces entreprises 
de détail, ce prétexte commode d'intervention et de chicane : 
la répression de la traite des noirs. Le Sénégal ayant été de tout 
temps le centre d'approvisionnement de la traite, il était impos- 
sible que ce trafic y cessât du jour au lendemain, et nous avons 
vu déjà que Schmaltz y avait consacré une grande part de son 
attention. Les Anglais affectaient volontiers de soupçonner de 
comphcité le Gouvernement français, et l'on devine toutes les 
difficultés qui pouvaient naître de cette situation. 

Aussi le Ministère était-il sur ce point plus susceptible que sur 
touteautre affaire. Il s'inquiétait grandement d'articles parus dans 
le Morning Chronicle, qui donnaient des listes de bâtiments fran- 
çais ayant chargé des noirs au Sénégal, et des protestations indi- 
gnées de r « Institution d'Afrique » à Londres. Il recommandait 
à Fleuriau de « prendre les informations les plus exactes sur les 
faits en question » et « d'exercer, en général, la plus stricte sur- 
veillance sur tout ce qui concerne l'exécution des conventions et 
traités sur l'abolition du commerce des esclaves, ainsi que des 
ordres donnés en conséquence par le Gouvernement du Roi. »* 
Et ce n'était pas là pure Uttérature administrative ou simple désir 
de se couvrir; le Ministère cherchait les responsabilités : « On ne 
peut guère douter, écrivait confidentiellement Mole à Fleuriau, 
que la traite des noirs se fasse au Sénégal. M. le commandant 
Schmaltz l'a-t-il tolérée et même favorisée et autorisée ? C'est ce 
qu'il importe beaucoup de savoir. Vous êtes à portée de connaî- 
tre la vérité à cet égard. J'attends de votre zèle pour le service 
du Roi que vous ne négligerez aucun moyen d'information, au- 
cune recherche, pour être exactement instruit et des opérations 
auxquelles les bâtiments de notre commerce ont été employés 
au Sénégal et de la part que M. Schmaltz pourrait avoir prise à 
ces opérations. Je vous prie de me transmettre, sans réserves et 
au plus tôt, les documents que vous vous serez procurés.* » 

1. C. G., au Ministre, 27 novembre 1818. 

2. D. M.., 18 janvier 1818. 

3. D. M., 30 janvier 1818. 



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62 LA MlS£ EN VALEUll DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

Le Ministère avait tort de douter à cet égard de ses agents. 
Schmaltz, nous Pavons vu, n'avait montré nulle complaisance 
pour ce commerce, dont il connaissait les inconvénients&de 
toutes sortes, et Fleuriau était le premier à craindre queues 
Anglais ne se servissent de ce prétexte pour intervenir au Séné- 

Î^al. « Il est bien essentiel, écrivait*il à Portai, de tenir la main à 
a scrupuleuse exécution de ces ordres, non seulement parce 
qu'il est juste de remplir un engagement contracté, mais encore à 
cause des suites funestes qui seraient infailliblement la consé- 
quence de toute infraction ultérieure. J'ai des raisons cer- 
taines de croire que le Gouvernement anglais regrette infini- 
ment le Sénégal, parce qu'il reconnaît que c'est le seul point de 
la côte où il soit possible d'exécuter des projets suivis avec tant 
de persévérance depuis vingt-cinq ans. Les Anglais qui ont 
habité Saint-Louis connaissent parfaitement l'importance du 
pays, les avantages qu'on peut en espérer : en dénonçant les 
bâtiments soupçonnés d'avoir pris part à la traite des noirs, 
leur but a été d'exciter la Société Africaine de Londres à faire 
exécuter une menace qu'ils avaient sans cesse à la bouche, ainsi 
que le colonel Mac-Carthy, de prendre le Sénégal de vive force 
dans le cas où nous n'aurions ni la possibilité, ni peut-être la 
volonté de mettre un terme au trafic prohibé * ». 

Les bonnes intentions de Fleuriau, aussi bien que celles de 
Schmaltz, étaient donc certaines : ce qui manquait à l'un comme 
à l'autre, et ce que Fleuriau réclamait fort nettement, c'étaient 
les moyens d'exécution. Les règlements de détail, établis par 
le Gouvernement du Roi, sont imprécis, faibles ou inadaptés, et 
le Gouverneur du Sénégal a fort peu de prise sur les délinquants. 
En avril 1818, les Chambres, pour rassurer l'opinion anglaise, 
émettent un nouveau projet de loi relatif à l'abolition de la 
traite et à la répression des contraventions; mais Fleuriau 
regrettait que ce projet n'apportât rien de vraiment nouveau. 
« Je vous avouerai sincèrement, écrivait-il à Portai, que j'ai 
été frappé de l'insuffisance de cette loi, pour parvenir au but 
qu'on s'est proposé. Elle ne diffère de l'ordonnance, bien incom- 
plète, du 8 janvier 1817, que parce qu'elle donne au Gouverne- 
ment la faculté d'avoir recours, à une époque quelconque, sur 
les bâtiments qui auraient pris part au commerce des noirs. Mais 
ce recours n'cst-il pas une chose illusoire ? car où trouvera-t-on 
des preuves pour condamner ces navires au bout d'un an et plus 
si on n'a pas pu en avoir de suffisantes pour les arrêter au moment 
de leur départ ? Et si on parvient à trouver ces preuves, la faute 
en aura-t-elle été moins commise ? Les armateurs et capitaines, 
prévenus des risques qu'ils auront à courir, s'arrangeront en 
conséquence : l'armateur gagnera un peu moins quand son navire 
sera saisi. Le capitaine sera toujours capitaine, au moyen d*un 
porteur d'expédition *. » 



1. C. G., à M. PorUl, 6 juin 1818. 

2, Ibidem. 



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LE PLAN DE COLONISATION 63 

Le Gouvernement du Sénégal ne possède pas, d'ailleurs, 
de suffisants moyens de répression « ni sur terre ni sur mer». 
11 faudrait tout un personnel spécial et surtout des bâtiments 
plus nombreux, légers, rapides, capables de faire la chasse aux 
bateaux négriers et d'assurer une surveillance constante et 
effective; or, la flotte dont dispose le Gouverneur est tout à 
fait incapable d'un tel rôle. Aussi Fleuriau se déclare-t-il effrayé 
de sa responsabilité et ne cesse-t-il de réclamer l'augmentation 
de ses ressources navales^. 

Malgré tout, l'énergique Gouverneur ne se laisse pas accabler 
par les difficultés de la tâche, et il utilise c|e son mieux les fai- 
bles ressources qu'il possède : « Employez tous les moyens pos- 
sibles, écrit-il par exemple au commandant de Gorée, pour 
empêcher la traite et pour en dégoûter ceux qui seraient tentés 
de l'essayer. Ne laissez partir aucun navire, que vous n'ayez 
la conviction intime qu'il ne veut point en faire... »* 

A Saint-Louis, comme à Gorée, tous les bâtiments qui sor- 
tent sont minutieusement visités, parfois même suivis et sur- 
veillés à distance; on veille à ce que leurs é(^uipages ne soient 
pas plus nombreux qu'il n'est besoin et disproportionnés à 
l'importance de la cargaison; dans les cas douteux, Fleuriau 
n'hésite pas à appliquer les règlements en toute rigueur, il 
retient au Sénégal les bâtiments suspects, jusqu'à ce qu'ils 
se soient mis en règle, c'est-à-dire, notamment, jusqu'à ce qu'ils 
soient chargés de denrées de la colonie : il est si facile de dire 
qu'on va, sur un point de la côte, charger du sel pour la Mar- 
tinique et d'y trouver, toute prête, une cargaison de couleur 
toute différente'. On essaie bien de l'intimider, on parle de récla- 
mations auprès du Ministère, on le somme de justifier ses ordres 
par écrit; il tient bon : « Tous ces raisonnements ne me touchent 
point, dit-il. Je saurai bien, quand il le faudra, rendre compte des 
motifs qui ont dirigé ma conduite...»^. 

Grâce à cette fermeté, il parvient à faire régner, parmi les 
capitaines négriers, une véritable terreur et à paralyser leur 
commerce*; il opère quelques prises importantes*, et il 
faut voir sa rage et son dépit, quand il a été joué et quand 
l'insuffisance de ses ressources ou la maladresse de ses subordon- 
nés lui a fait manquer un délinquant'. 

Les Anglais ne pouvaient plus, sans mauvaise foi, intervenir 
dans notre politique sénégalaise, sous couleur d'humanité et 
de droit international. 



1. C. G., à M. PorUI, 3 mai 1818. 

2. C. G., au Capitaine de frégate Hubert, commandant de Gorée, 24 mai 1818. 

3. Cf. C. G.| au Commandant du brick VEuryaU, U novembre 1818; au Comman- 
dant du Moucheron, 1«' août 1818; au Commandant de Gorée, 2 juin 1818; au 
Ministre, 3 mai 1818. 

4. C. G., au Commandant de Gorée, 2 juin 1818. 

5. C. G., au Ministre, 4 saptembre 1818. 

6. C. G., au Ministre, 3 mai et 8 ocotbre 1818. 

7. C. G., au Commandant de Gorée, 17 juin 1818. 



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64 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

VI. — Un essai d'impulsion économique. 

A tant de soucis venaient encore s'ajouter la disette de vivres ^, 
de médicaments^, de numéraire®, d'objets d'échange et de maté- 
riaux de construction *, les difficultés de personnel ^ Pourtant, 
tout occupé qu'il fût d'éviter la faillite et la famine, Fleuriau ne 
voulait pas s'en tenir à des besognes de conservation; il entre- 
prenait courageusement de développer les ressources immédia- 
tes du Sénégal et d'amorcer, dans nos domaines reconnus, le 
Plan de Colonisation. 

C'est ainsi qu'il reprend avec ardeur l'œuvre de Schmaltz 
en Gambie : pour rétablir la prospérité de Corée, l'île morte, 
il entretient soigneusement les relations d'amitié de la France 
avec le roi de Bar et lui envoie régulièrement des présents; 
il recommande au résident et aux capitaines chargés de diffé- 
rentes missions en Gambie de ménager et de traiter avec consi- 
dération « l'Alum » ou premier ministre du roi de Bar, qui est 
« un homme influent et dévoué aux Français »•. Peu à peu 
l'établissement d'Albréda, grâce à ces précautions, prenait de 
l'importance : en décembre 1818, Fleuriau lui envoyait comme 
résident un nommé Agaisse, « Européen habitant Saint-Louis 
depuis dix-huit ans », qui avait parcouru la Gambie, entendait 
l'anglais et le manding et devait nous être fort « utile »; pour 
bien marquer notre intention de nous installer à demeure et 
d'étendre l'entreprise, il lui donnait une garnison d'une dizaine 
d'hommes et un bateau qui, « relâchant à Portudal, servirait 
à ses approvisionnements et à ceux de Corée »'. 

Il ne manque pas de s'occuper du commerce de la gomme. 
Il envoie au roi des Brakna un émissaire, le négociant Charbon- 
nier, et lui promet .le renouvellement des coutumes jadis 
payées à sa famille, s'il consent à protéger notre commerce 
en rivière*, à réprimer les pillages, dont nos traitants sont vic- 
times sur son territoire : «Vengez-vous, vengez-nous, lui écrit-il, 
et vous n'aurez pas à vous en repentir »•. D'autre part, il intimide 
le roi de Oualo, qui laisse ses sujets razzier les troupeaux et 
les embarcations des habitants de Saint-Louis; il exige de lui 
des réparations pécuniaires et le menace de laisser passer les 
Maures dans ses Etats, s'il résiste*®. De toutes les façons, il se 
soucie de renouveler et de consolider les anciens traités, d'ins- 

1. G. G., au Ministre, 16 janvier 1818, !«' mars 1818; au Commandant de Gorée, 
24 mai 1818; à M. Portai, 9 Juillet 1818. ^ 

2. Ibidem. ' 

3. G. G., au Commandant de Gorée, 11 juin 1818; au Ministre; 1«' mars, 4 sep- 
tembre, 3 et 25 novembre 1818. 

4. C. G., au Ministre, 30 janvier 1818. 

5. G. G., au Ministre, 1*' Janvier, 3 mars, 30 juin, 25 septembre et 25 novembre 
1818; à M. PorUl, 3 et 9 mai 1818. 

6. C. G.; au Commandant de Taviso Le Moucheron^ 15 septembre 1818. 

7. G. G., au Ministre, 22 décembre 1818. 

8. G. G., à M. Charbonnier, 10 avril 1818. 

9. G. G. au Roi des Brakna, 9 avril 1818. 

10. C. G., au Roi du Oualo, 28 février et 16 avril 1818. 



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LB PLAN t>E COLONISATION 65 

pirer confiance ou respect aux princes indigènes; il demande 
au Ministère de lui envoyer d'urgence les guinées, les armes et 
autres objets destinés au paiement des coutumes, et il insiste 
pour que ces objets soient de bonne qualité ^ 

Mais c'est surtout la mise en culture des terrains avoisinant 
Saint-Louis qui préoccupe Fleuriau. Il y voit un moyen commode 
et peu coûteux de faire des essais réduits et de préparer ainsi 
la colonisation du haut pays. Sous son impulsion, la banlieue de 
Saint-Louis commence à se couvrir de champs de coton : dès 
janvier 1818, il signale à Portai « la grande quantité de coton 
que les naturels ont planté cette année et déjà récolté en partie », 
et il encourage « les négociants et les habitants de Saint-Louis 
à en faire l'acquisition » *. Bientôt même, les habitants européens 
et mulâtres de Saint-Louis se laissent gagner par l'exemple, 
et la culture de l'indigo s'ajoute à celle du coton : M. Potin, un 
des banquiers du Gouvei*nement, faisait planter à Lampsar, 
aux portes de la ville, une vaste cotonneraie et semer 2.000 
livres de graines d'indigo; M. Lezongar établissait a ce qu'on 
appelle un lougan auprès de celui-là », d'autres habitants encore 
voulaient «commencer » et Fleuriau se voyait obligé « de les 
retenir, en attendant des ordres, afin de les diriger sur les lieux 
que le Gouvernement choisirait pour « les opérations ». Il aurait 
même entrepris sans délai l'exploitation de l'île de Todde et 
y aurait envoyé des travailleurs agricoles, s'il ne s'était trouvé 
« dans une si triste position », c'est-à-dire s'il n'avait été à 
peu près dépourvu de vivres et d'argent^. 

Le Ministère encourageait cette tendance : s'il tardait à 
expédier de l'argent et des vivres, il envoyait du moins des 
graines de coton et de tabac d'Amérique. Le Gouvernement 
local, en effet, n'avait pu jusqu'alors utiliser que les variétés de 
coton indigène, et le Ministère estimait qu'il ne fallait pas 
s'en contenter, qu'on devait introduire dans le pays des variétés 
plus productives et plus connues de l'industrie française, en par- 
ticulier du coton longue soie de Géorgie. Fleuriau accueillait ces 
envois avec intérêt, mais les graines arrivaient « un peu échauf- 
fées »; il paraissait, d'ailleurs, et non sans raison, compter 
davantage sur le coton indigène, plus rustique, déjà utilisé dans 
le pays et jusque dans le haut Fleuve*. 

Ce qui tardait à venir et qui eût été particulièrement utile 
à Fleuriau, c'étaient des moulins à égrener le coton. Fleuriau 
essaie bien d'en faire fabriquer sur place : «ils allaient à merveille 
au commencement, mais, au bout d'un certain temps, on s'est 
trouvé obligé de les réparer et plus tard de les réparer encore. 
Il parait, d'après cela, que nous ne pouvons pas nous vanter 
d'avoir réussi, et que nous avons besoin, au moins, de recevoir 
' des modèles. Une des grandes difficultés à vaincre est de se 

1. C. G. au Ministre, 18 mai 1818. 

2. C. G., à M. PorUl, !•' janvier 1818. 

3. C. G., à M. PorUI, 9 mai 1818. 

4. D. M., 26 mars et 22 juillet 1818; C. G., au Ministre, 23 mai 1818. 



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66 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

procurer du bois qui'ne soit pas susceptible d'être déjeté par ce 
terrible vent d^st. Le gyac ne peut convenir. Nous avons essayé 
d'en employer d'une autre espèce appelée bois à pilon ^, et c'est 
ce qu'il y a de mieux; mais il a l'inconvénient de se polir à 
l'user, et le coton ne passe plus. » Fleuriau priait donc Portai 
de lui faire parvenir « un moulin bien conditionné et qu'on puisse 
imiter... Si nous en avions reçu plutôt, ajoutait-il, je vous aurais 
déjà envoyé une belle quantité de notre coton, tandis que 
la difficulté de l'égrenage décourage au point qu'on ne se donne 
pas la peine de le récolter^ ». Mais il faut croire que le Ministre 
ne comprenait pas encore l'intérêt de ces observations ou qu'il 
rencontrait de graves difficultés techniques; car les premiers 
moulins n'arrivèrent qu'avec la mission de Mélay. 

Malgré tout, Fleuriau continuait sa propagande agricole et ses 
essais. Il demeurait persuadé que les environs immédiats de 
Saint-Louis pouvaient acquérir une véritable importance agri- 
cole, et il semble même, à cet égard, avoir fondé plus d'espoirs 
sur le Oualo que sur le haut Fleuve; il envoyait du coton en 
France, citait des chiffres, annonçait des résultats positifs, 
expliquait par des raisons fort plausibles l'échec des entrepri- 
ses précédentes et montrait par exemple qu'on ne pourrait jamais 
rien cultiver sur la presqu'île du Gap Vert, « aride au dernier 
point»*. En somme, ce premier essai d'impulsion économique, 
tenté avec de bien faibles moyens et dans la situation la plus 
inquiète, semblait confirmer les promesses de Schmaltz et prou- 
ver que le Sénégal pouvait vivre de produits licites et riches 
d'avenir •. 



1. n s'agit sans doute ici du Gayac (famille des zygophillées)» bois très dur et 
très lourd, qu'on emploie aujourd'hui dans la confection des roulettes de meu- 
bles, des poulies, etc. 

2. Bois du pays, dont les indigènes du Sénégal se servent pour fabriquer les 
pilons destinés au broyage du mil. 

3. C. G. à M. PorUl, 9 mai 1819. 

4. G. G. au Ministre, !«' mars 1818. 

5. Fleuriau, à l'exemple de Schmaltz, s'efforçait en même temps de régulariser 
la vie économique; on peut citer à cet égard les mesures qu'il prend pour impo- 
ser au Sénégal notre système métrique (Règlement du 24 septembre 1818) et pour 
limiter le droit d*épave (C. G., au Commandant de Gorée, 4 juin 1818). 



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CHAPITRE 111 



Le retour du colonel Schmaltz 
et la mise en train du Plan de Colonisation. 



En mars 1819, le colonel Schmaltz, qu'accompagnait la seconde 
expédition prévue par le Plan de Colonisation, était de retour au 
Sénégal^ Grâce à la fidélité et l'activité de Fleuriau, il retrou- 
vait sa colonie toute prête à subir l'impulsion qu'il comptait 
lui donner. 

Pour l'ensemble des affaires économiques et politiques, il 
est difficile de constater la moindre solution de continuité entre 
l'intérim de Fleuriau et la reprise de fonctions du colonel. On 
dirait qu'une même pensée continue de résoudre les différents 
problèmes qui s'offrent au Gouvernement du Sénégal *. 

Aussi quand Schmaltz, quelque temps après son retour, a 
de nouveau besoin d'un remplaçant, s'adresse-t-il encore à 
Fleuriau. 

«Son expérience acquise, ses talents administratifs, sa connais- 
sance des localités, son caractère ferme, la confiance et l'estime 
dont il jouit parmi les habitants, écrit-il au Ministre, m'offraient 
des ressources cl des garanties qu'aucun homme nouveau ne 
pourrait me présenter, dans une circonstance aussi délicate que 
celle de quitter mon commandement presque aussitôt y être 
rentré, et dans un instant où tous les moments sont précieux, où 
tout résultat de l'inexpérience peut avoir des résultats fâcheux. 

1. La longue absence du colonel avait permis à de malins esprits de faire courir 
le bruit de sa disgrâce et de son remplacement; mais Fleuriau, avec son ordinaire 
loyauté et son souci de sauvegarder Tautorité du Gouverneur titulaire, s*était 
empressé de démentir en termes énergiques (Cf. G. G. au Commandant de Gorée, 
17 Juin 1818). 

2. Notamment en ce qui concerne la traite des noirs (G. G. au Commandant 
de Gorée, 13 mars, 22 Juin et 22 juillet 1819); au ministre, 5 septembre 1819, 3 avril 
et 1*' août 1820), la politique anglaise (G. G., au colonel Mac-Carthy, 18 janvier 
et 25 avril 1820; au Commandant de Sainte-Marie, 6 juin 1820) ; au ministre, 18 jan- 
vier, 29 juin et 1*' août 1820), les relations avec Alloreda (C.G., au Résident d*Al- 
breda, 14 août 1719); au Commandant de Gorée, 13 mars 1820), le commerce de la 
gomme (G. G. au Ministre, 11 septembre 1819). 



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68 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817, A 1854 

Quelque grande que fût son impatience de retourner en Europe, 
il n'a pas balancé sur ma demande ainsi motivée à faire un sacri- 
fice dont il a senti comme moi la nécessité et les avantages ; cette 
nouvelle preuve de dévouement ajoute encore au prix des ser- 
vices qu'il a rendus à son pays pendant mon absence. C'est à son 
activité, aux bonnes dispositions qu'il a faites, à son esprit de 
prévoyance que l'on doit la réparation et l'augmentation des 
casernes et des magasins de Saint-Louis, si utiles au moment de 
l'arrivée de l'expédition. Toutes ces constructions, parfaite- 
ment senties et exécutées, ont fourni de suite à la troupe des 
logements sains et au Gouvernement des magasins vastes et 
susceptibles de lui épargner des frais de location considérables^». 



I. — Sur LA VOIE des réalisations. 

Le voyage de Schmaltz en rivière. 

C'est pour un voyage de « quatre à six semaines » dans l'inté- 
rieur que Schmaltz laissait à Fleuriau l'intérim de son Gouver- 
nement. «L'époque avancée de son retour au Sénégal, la néces- 
sité de donner sans retard la première impulsion pour ne pas 
laisser se refroidir les bonnes dispositions des habitants, l'im- 
portance enfin de pouvoir profiter de la saison des pluies qui 
s'approche pour planter des cotonniers cette année»nelui laissaient 
pas « un moment à perdre » Il se proposait surtout de rencontrer 
les chefs indigènes à Podor, pour les mettre au courant de ses 
projets et des décisions du Gouvernement français; puis « d'exa- 
miner soigneusement le pays, afin de reconnaître les points où 
il conviendra davantage de placer les forts destinés à protéger 
nos premiers établissements », examen d'autant plus nécessaire 
que de Mélay avait trouvé l'île de Todde presque entièrement 
submergée par la crue du fleuve *. 

Selon son habitude, Schmaltz partait avec des dispositions 
optimistes. A l'entendre, le précédent voyage de Galam, en dépit 
de quelques accidents, avait produit le meilleur effet sur l'es- 
prit des populations riveraines et notamment des Peul, en leur 
prouvant qu'on ne leur voulait aucun mal et que, par ailleurs, 
ils étaient incapables d'empêcher la navigation sur le fleuve de 
nos bâtiments armés en guerre. Il est vrai que cette expédition 
nous avait coûté la perte d'un officier de grande valeur, de Chas- 
tellus, et que le chef de mission, de Mélay, n'avait pu aller 
jusqu'au bout : ces pertes sont d'autant plus « remarquables 
qu'elles ont porté sur les chefs», mais en réalité «elles ont été peu 
considérables en raison de la longueur du voyage qui a duré 
74 jours. On les attribue principalement à cette cause, qui doit 



1. G. G., au Ministre, 10 avril 1819. 
9. Ibidem, 



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LE PLAN DE COLONISATION 69 

faire sentir plus que jamais combien les bateaux à vapeur sont 
indispensables pour Texpédition prochaine. » 

Quant à nos relations avec les princes riverains du fleuve, elles 
ont été entretenues « dans le meilleur état possible » par Fleuriau 
qui, « s'étant soigneusement occupé d'approfondir le caractère 
et les dispositions des indigènes, a fourni bien des renseignements 
qui seront d'une grande utilité ». Enfin, malgré « les obstacles 
que nous éprouvons encore dans Tégrenage du coton, les ha- 
bitants de Saint-Louis sont disposés à se porter avec la plus 
grande activité vers la culture et les achats de cette denrée, qui 
tous les jours arrive de l'intérieur en plus grande quantité » ^, 

Et le voyage en rivière ne fit, une fois de plus, que confirmer 
cet optimisme vraiment émouvant. 

Pourtant, ce voyage avait des allures sérieuses d'exploration 
et de prospection ; Schmaltz semblait s'être mis en garde contre 
sa propre imagination; il s'était entouré de techniciens, officiers 
de la Marine et du Génie, ingénieur des Mines, agriculteurs, 
vétérinaire, médecin, naturaliste, interprète d'arabe, habitants 
notables de Saint-Louis. « Toutes ces personnes, du moment de 
leur départ, ont commencé sur les deux rives du fleuve de nom- 
breuses excursions, qu'elles ont continuées avec le même zèle 

pendant tout le cours du voyage » Mais il faut croire que 

le colonel avait la foi communicative : tous ses compagnons 
partagèrent ou parurent partager son mirage, et leurs constata- 
tions dépassèrent ses espérances. 

Fertilité du sol, abondance des ressources, salubrité du climat, 
tout cela se vérifie, et au delà; il est désormais certain que les 
bords du Sénégal se prêtent tout à fait à « une riche colonisa- 
tion ». Bien mieux, aux terres fertiles des îles et des abords immé- 
diats du fleuve, il faut maintenant ajouter « la partie du royaume 
de Oualo qui s'étend depuis l'île S*-Louis jusqu'à la pointe 
est de l'île Béquio » et que Schmaltz avait crue jusque là entiè- 
rement stérile : il y a là, en réalité, « un grand nombre de terrains 
propres à la culture du riz et du coton ». 

Les indigènes riverains se montrent tout à fait favorables à 
nos projets, et plus encore que Fleuriau ne l'avait déclaré : le 
Oualo est momentanément soulagé de la tutelle coûteuse et 
cruelle des Maures Trarza par la guerre entre le roi Trarza Amar 
Moctar et le fils du roi détrôné Ali Kouri, soutenu par la tribu 
puissante des Daouich. «Ce soulagement momentané a fait 
connaître aux gens du Oualo tout ce qu'avait d'insupportable 
la misère où le joug des Maures les avait réduits, et la crainte de 
voir recommencer des dévastations dont on les menace continuel- 
lement leur a fait sentir la nécessité d'acquérir un aUié assez 
puissant pour les mettre à l'abri de nouveaux brigandages. Ils 
ne peuvent compter ni sur les Peul, qui ont besoin de toutes 
leurs forces pour garantir leur pays, ni sur les nègres du Cayor, 
dont la situation est encore plus fâcheuse que la leur; dans cette 

1. C. G., au Ministre, 10 avnl 1819. 

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70 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

extrémité, une alliance avec le Sénégal est Tunique ressource 
qui leur reste. » 

Les Trarza nous sont manifestement hostiles; mais ils sont 
« dans la position la plus inquiétante et la plus précaire où ils 
aient jamais été », et, s'ils se portent contre nous à des actes 
belliqueux, « ils seront faciles à réduire ou à chasser du pays, ce 
qui serait un grand bien ». 

Le roi des Maures Brakna, Hamet Dou, est, « de tous les princes 
maures, le plus distingué et le plus sage; rattachement qu'il 
porte aux Européens est d'autant plus sincère qu'il regarde le 
commerce qu'ils font chez lui comme la principale source de ses 
revenus ». Il dispose de terres aussi fertiles que celles de l'Ile h 
Morfîl, plus étendues et mieux peuplées ; il sent tous « les avanta- 
ges qu'il pourrait tirer de la mise en valeur de ces terres et désire 
ardemment que la colonisation projetée sur l'autre rive du fleuve 
soit poussée jusque chez lui ». 

Enfin, la population du Fouta et du Toro « se trouve en ce 
moment divisée en trois partis bien prononcés, tant sur le choix 
de l'almamy à mettre en place que sur la durée de ses fonctions 
à venir », et une scission nette s'annonce très prochaine entre le 
Fouta et le Toro ; en tout cas, les chefs du Foula comme ceux du 
Toro sont décidés à s'entendre avec nous, dès que cette question 
de souveraineté sera réglée ^. 



IL — Un changement de programme. 

Cette découverte de nouveaux champs d'action, cette situa- 
tion politique exceptionnellement favorable poussèrent Schmaltz 
à modifier le Plan décolonisation. «En partant de S*-Louis, 
dit-il, mon intention était, conformément aux dispositions détail- 
lées dans mon mémoire du 8 juillet 1817, de me borner à obtenir 
quelques points depuis l'île de Todde jusqu'à la Rivière au Morfil, 
pour bâtir les forts nécessaires à la protection et commencer des 
cultures tant dans le royaume deOualo que sur le territoire appar- 
tenant à l'imam Boubakar. Les changements survenus m'ont 
convaincu qu'il convenait de modifier mes idées et de profiter 
des avantages dont les circonstances m'indiquaient de tirer 
parti ». Au lieu de porter d'abord le gros effort de colonisation 
dans le haut Fleuve, en pays de Galam, il décidait de consacrer 
le principal de ses ressources à la mise en valeur des pays rive- 
rains du bas Fleuve; au lieu de s'installer d'un coup au cœur du 
continent africain, il assurait fortement sa liaison avec la côte 
et subordonnait son action économique à la possession de terri- 
toires bien délimités. Il ne se contentait pas, on le voit, de dépla- 
cer son champ d'action; il se donnait une nouvelle politique. 
Peut-être faut-il voir, dans ce changement de programme, 
l'influence des conseils de Fleuriau plutôt que le résultat d'une 

1. C. G., au Ministre, 10 avril 1819. 



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LE PLAN DE COLONISATION 71 

expérience personnelle et, somme toute, un retour à la 
prudence plutôt qu'un développement d'ambition. 

A la fois intimidés par l'appareil militaire de l'expédition, 
désireux de trouver une protection contre l'invasion Trarza et 
séduits par l'appât d'un bénéfice immédiat, le Brak et les chefs 
du Oualo reconnaissent au Gouvernement français « la posses- 
sion à perpétuité de tous les lieux où il voudra s'établir dans 
le royaume de Oualo », moyennant un ensemble de coutumes 
qui s'élevait à 10.358 fr. 64. L'affaire était bonne, et d'autant 
meilleure aux yeux toujours confiants de Schmaltz que « les 
habitants indigènes, qui sont très pauvres, paraissent désirer 
vivement que nous venions leur donner le moyen de travailler; 
il est hors de doute, qu'à peine la protection établie et les cul- 
tures ouvertes, l'ancienne population rentrera et sera suivie 
d'une grande partie de celle du Cayor et du Djolof . » 

Avec le roi des Brakna, Schmaltz signe le 20 mai un traité 
analogue, mais stipule qu'il ne viendra dans ce pays, tout aussi 
intéressant que le Oualo au point de vue agricole, « que lorsque 
ses premières entreprises le permettront ». 

Il remet enfin à plus tard un traité de même teneur avec l'Imam 
Boubakar, chef du Toro; il lui semble prudent, en effet, de ne 
rien terminer en ce sens, avant que les divisions du Fouta-Toro 
ne soient réglées et qu'un almamy, responsable de l'observance 
du traité, ne soit nommé; du moins emporte-t-il l'assurance qu'il 
pourra, quand il le voudra, disposer « de tout le territoire, depuis 
Dagana jusqu'à la rivière au Morfil ». 

Les résultats du voyage de Schmaltz pouvaient donc appa- 
raître comme très importants : « Ils ont, dit-il, surpassé mon atten- 
te et produit chez les habitants de Saint-Louis un contentement 
général et un désir universel d'entreprendre»... «Acquisition 
entière du royaume de Oualo, acquisition du pays des Brakna et 
facilité que nous aurons à nous établir, quand nous le voudrons, 
dans toute la partie qui s'étend depuis Dagana jusqu'à la rivière 
au Morfil»: tel était le produit d'une négociation toute pacifique. 
N'était-ce point là une preuve nouvelle de toutes les chances qui 
attendaient la mise en œuvre du Plan de Colonisation et la justi- 
fication positive de toutes les affirmations de Schmaltz et de 
Fleuriau ? 

Cette extension inespérée du domaine français, sans rien 
changer d'essentiel, selon Schmaltz, dans nos intentions coloni- 
satrices, devait pourtant entraîner des modifications immédiates 
dans le plan de campagne qu'il avait récemment fait approuver 
au Ministre : ces modifications portaient notamment sur la 
façon de concevoir « les établissements de protection ». 

« Des forts séparés et placés dans des îles ne sauraient plus 
convenir; l'étendue et l'importance du pays dont nous pouvons 
disposer aujourd'hui exigent un grand établissement central, à 
portée d'imprimer au loin, autour de lui, un mouvement général 
et d'inspirer une sécurité, que de petits postes ou block-houses 
placés de distance en distance sur les bords du fleuve sufiiront 



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72 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

alors pour rendre complète »; et ce grand établissement central 
ne peut être, selon Schmaltz, que Dagana. 

Le village de Dagana est bâti « sur un plateau très étendu et 
l'un des plus élevés du fleuve. Il est entouré de plaines immenses, 
du terroir le plus riche et le plus fertile. L'eau y est toujours 
douce et les brises du large, qui s'y font sentir comme à S*-Louis, 
en font un des sites les plus frais et les plus salubres de l'inté- 
rieur. Il se trouve en outre placé sur la frontière des pays de 
Oualo et de T6ro et tout au plus distant de deux lieues de celle 
des Trarza et des Brakna ». 

Cette ville, bien située à tous égards, deviendrait la capitale du 
Sénégal. Quant à Saint-Louis, elle serait réduite au rôle d'entre- 
pôt « pour l'Etat et le commerce » et de « poste avancé, dans 
lequel il conviendrait d'entretenir une forte garnison pour la 
défense de la barre, qui est le boulevard de la colonie ))^. 



III. — Les lenteurs du ministère et 

L'INQUIETUDE DE SCHMALTZ. 

Si net que fût ce revirement, le colonel Schmaltz ne doutait 
pas qu'il reçût bientôt l'approbation du Ministère. 

Il était justifié par des raisons fortes, dont la valeur était garan- 
tie par les travaux d'une commission technique et par l'expé- 
rienoo de Pleurîàu; caf Schmaltz, dès son retour à Saint-Louis^ 
avait envoyé « son bon ami » faire le même voyage, et Fleuriau 
était revenu « plus convaincu que jamais que Ton pouvait et 
devait compter sur un plein succès » *. 

Il n'entraînait « aucune augmentation dans les fonds alloués 
pour l'exécution du projet de Colonisation. La suppression de 
l'un des forts qu'on devait construire sur les îles de Todde et de 
Reffo fournirait les moyens de faire face aux dépenses que cette 
transformation occasionnerait et à la construction des postes ou 
block-houses qu'on placerait sur les bords du fleuve pour le 
remplacer. Les bâtiments, même ceux destinés au Gouverneur, 
seraient en pisé, et la construction pourrait ainsi en être confiée 
à des indigènes, au plus juste prix ». ^ o i_ n 

Enfin, Portai avait succédé à Mole, et les projets de Schmaltz 
n'étaient qu'un reflet de la poH tique du nouveau ministre : un 
changement dans les détails d'exécution ne devait pas l'arrêter. 

Pourtant, Schmaltz attendait impatiemment que ses nouvelles 
propositions fussent acceptées. 

Il devait naturellement craindre que le Ministère, qu'il avait 
conquis à ses idées, ne changeât d'avis ou que Portai ne fût rem- 
placé par un esprit moins audacieux, moins favorable à l'expan- 
sion coloniale. 

1. C. G., au Ministre, 10 avril 1819. ^ ^. ^ . x w c^ « 

2. C. G., au Commandant de Gorée, 22 juin 1819. Cf. de môme, à M. Edme 
Mauduit et au Ministre, 9 juiUet 1819. 



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LE PLAN DE COLONISATION 



73 



Il craignait aussi que ce qu'il appelait, un peu pompeusement, 
1' « enthousiasme » des habitants de Saint-Louis et des indigènes 
riverains ne se refroidît devant les hésitations de la Métropole : 
les habitants demandent des concessions de plus en plus nom- 
breuses, qu'on ne peut leur accorder, et les princes du pays pro- 
posent des arrangements, qu'on ne peut conclure, tant qu'on 
n'aura pas commencé au moins la colonisation du Oualo *. 

Puis le retard de l'exécution fait apparaître des obstacles et 
des difficultés qu'on ne soupçonnait pas ou dont on méconnais- 
sait la force; en tout cas, les lenteurs permettent à ces obstacles 
de prendre vigueur et de devenir, d'une simple gêne, de véritables 
dangers. Ainsi, les Maures Trarza, dès juillet 1819, menaçaient 
le Oualo et, bien que Schmaltz, pour tenter de les intimider, eût 
fait remonter le fleuve par trois bâtiments armés, ils ne tar- 
daient pas à envahir le Oualo, en très petit nombre, il est vrai ; 
une escarmouche nous mettait aux prises avec eux, des Maures 
prisonniers étaient envoyés à Corée*, D'autre part, les princes 
du Toro, devant l'intérêt nouveau que présentait pour nous la 
possession du pays de Dagana, élevaient des prétentions sur 
cette région, et Schmaltz était obligé de combattre ouvertement 
ces « perfides insinuations » : « Dans la supposition, ce qui n'est 
pas, que vos droits sur Dagana soient fondés, leur écrivait-il, 
la conduite que vous avez tenue il y a six ans, lorsque les Trarza 
étaient en guerre avec le pays de Oualo, prouve que vous n'en 
reconnaissiez pas la propriété. Pourquoi, lorsque Baba a brûlé 
Dagana, tué plus de cinquante hommes et pris cent dix captifs, 
pourquoi, après ce brigandage, lui avez-vous permis de se retirer 
dans le village de Gay ?... Aujourd'hui que Dagana est sous ma 
protection, vous prétendez y avoir des droits ! Vous conviendrez 
que des prétentions aussi mal soutenues, des droits méconnus 
aussi cruellement ne peuvent être admis; en conséquence, je 
vous préviens que je ne les reconnais pas »'. 

Pour couper court à toutes ces oppositions et pour profiter 
des bonnes dispositions des habitants, il eût fallu que les indigè- 
nes, amis ou ennemis, fussent placés, le plus tôt possible, en 
présence du fait accompli et, à cet effet, Schmaltz eût voulu que 
le poste de Dagana fût aménagé sans tarder :« J'ai fait partir 
pour Dagana, écrivait-il au Ministre, une grande goélette chargée 
de matériaux. M. le chef de bataillon du Génie Courtois s'est 
embarqué sur ce bâtiment pour aller de nouveau visiter ce point, 
arrêter les plans et faire disposer, pour recevoir les envois, des 
hangars qui, après les pluies, serviront d'ateliers, si, comme je 
me plais à n'en pas douter, Votre Excellence approuve le projet 
que j'ai eu l'honneur de lui soumettre relativement à ce point »*. 

Mais le Ministre ne se décidait pas. Il ne se souciait même pas 

1. C. G., au Ministre, 9 juillet 1819. 

2. C. G., au Ministre, 9 juillet; au Commandant de Corée, !•' août 1619; au roi 
du Oualo, 3 août 1819. 

3. C. G., au Lamtoro et aux principaux chefs du pays de Toro, 20 août 1819. 

4. G. G., au Minlstre,I^uillet 1819. 



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74 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

d'envoyer les bois de construction qu'il avait promis, et la saison 
des pluies s'approchait, pendant laquelle il faudrait renoncer à 
construire *. Bien mieux, le Ministre ne répondait pas, ne parlait 
plus du Plan de Colonisation. 

Schmaltz était fort inquiet et ne le cachait pas : « La perte de 
quelques mois serait un très grand malheur. Nous avons promis 
d'agir et nous devons aujourd'hui exécuter promptement, ou 
nous exposer à perdre beaucoup de nos avantages. J'avoue avec 
confiance à Votre Excellence que ce serait avec un bien sensible 
chagrin que je me verrais arrêté dans l'exécution de cette entre- 
prise » *. 

Il comptait sur le retour en France de Fleuriau et les explica- 
tions nouvelles que son fidèle collaborateur pourrait donner, 
pour lever les dernières hésitations du Gouvernement et, dans 
le style chaleureux qui lui était ordinaire, il pressait le Ministre 
de tenir ses promesses : « Plus que jamais, lui écrivait-il, je suis 
convaincu que l'entreprise est grande, belle et vraiment patrio- 
tique; plus que jamais, je suis convaincu qu'elle ne peut donner 
que de la gloire à ceux qui auront pris part à son exécution. Il 
vous appartient. Monseigneur, à vous qui avez tout fait pour don- 
ner la première impulsion, d'attacher votre nom à son achève- 
ment, et je ne pense pas que ce soit le moindre des bienfaits 
dont la France sera redevable à votre Ministère » ®. 

Soudain le colonel Schmaltz apprit que le danger dépassait 
encore ses inquiétudes et que son œuvre tout entière était 
menacée* 



1. C. G., à M. Edme Mauduit, 9 juillet 1819. 

2. C. G., au Ministre, 9 juillet 1819. 

3. C. G., au Ministre, 14 juillet 1819. 



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CHAPITRE IV 



Le Rapport de Mélay et la réduction 
du Plan de G>lonisation. 



I. — Le désaccord entre Schmaltz et de Melay. 

Le Plan de Colonisation était une manifestation de la politique 
personnelle du baron Portai beaucoup plus que Teffet d'un désir 
vraiment national d'expansion; le Parlement demeurait au 
ond rebelle à ces entreprises lointaines, qui devaient coûter 
cher et dont l'utilité ne paraissait pas très pressante à un pays 
surtout occupé de se relever des ruines de l'Empire. 

C'est pourquoi, en 1819, la Chambre des députés ne vota 
pas sans résistance les crédits destinés à la transformation 
économi(}ue du Sénégal : « En allouant pour l'exécution des plans 
de colonisation des fonds déjà employés en grande partie, elle 
a paru céder, disait Portai, à la nécessité où Ton était de remplir 
des engagements existants, beaucoup plus qu'elle n'a paru 
accepter l'espérance du succès de l'entreprise commencée. » 
Et c'était là, pour le Ministre, « un avertissement de ne marcher 
qu'avec une extrême circonspection dans la route nouvelle 
qu'il a jugé et qu'il juge encore possible d'ouvrir à la fortune 
nationale dans les établissements français d'Afrique^ ». 

Il eût donc fallu, pour rendre au Gouvernement central sa 
résolution et lui permettre de soutenir énergiquement sa poli- 
tique devant les Chambres, la certitude absolue de résultats 
immédiats, garantis par des témoignages concordants. Or, 
juste au moment où le Gouvernement central avait le plus 
besoin de cette assurance, le rapport d'un témoin oculaire et 
tout à fait officiel jetait le doute dans l'esprit de Portai et 
ruinait la confiance que le Ministre pouvait avoir en Schmaltz. 

Ce témoin, c'était le capitaine de frégate de Mélay, qui, une 
fois rétabli des maladies qu'il avait contractées sur le fleuve 
s'était embarqué pour la France, en mars 1819.* Schmaltz 
n'avait fait que « l'entrevoir » à son retour à Saint-Louis; 

1. D. M., 18 juin 1819. 

2. G. G., à M. de Mélay, U mars 1819. 



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76 LA MÎSE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

sans doute le croyàit-il, malgré tant de déboires, tout acquis 
à ses projets. En revanche, de Mélay « avait beaucoup entretenu 
de ses observations M. Fleuriau »... « Ces deux officiers supérieurs, 
écrivait le Ministre, qui se sont trouvés longtemps en rapports 
de service au Sénégal se louent fort l'un de Tautre, et j'aime à 
reconnaître qu'ils ne font en cela que se rendre une mutuelle 
justice». Et le Ministre, laissait entrevoir, à tort du reste, nous 
le verrons, — que Fleuriau partageait les opinions de de Mélay 
sur le plan de Colonisation. La coalition des témoignage** ocu- 
laires, qui avait un moment paru se former en faveur du 
Plan de Colonisation semblait maintenant se tourner net- 
tement contre lui. « Votre estime pour eux (de Mélay et Fleuriau), 
disait le Ministre à Schmaltz, retour mérité de celle qu'ils pro- 
fessent pour vous, vous aura préparé à adopter des opinions qui 
paraissent leur être communes » ^. Il était clair que l'opinion du 
Ministère était faite et que Schmaltz aurait bien du mal à ne 
s'y point ranger. 

Quelles étaient donc ces « opinions » si nouvelles de de Mélay 
sur le Plan de Colonisation du Sénégal ? 

Les ressources naturelles sont loin d'être abondantes et régu- 
lières. « M. de Mélay reconnaît la fertiUté du sol de la rive gau- 
che et des îles du fleuve, toujours croissante depuis les confins 
du pays de Oualo, à mesure qu'on s'élève dans l'intérieur. Le 
coton, l'indigo, y naissent spontanément. Il pense que le café 
réussirait dans le haut du Sénégal. Mais il craint que la canne 
à sucre ne résiste pas à la siccité extrême et prolongée, qui suc- 
cède annuellement à une extrême humidité ou plutôt à l'i- 
nondation. » Surtout, les inondations rendent difficiles les 
cultures, limitent étroitement le temps de la végétation 
et sont particulièrement gênantes dans les régions que Schmaltz 
a choisies comme centre d'opérations agricoles : « Les déborde- 
ments de 1818 ont été extraordinaires, sans doute; mais il ne 
semble pas qu'il aient excédé ni peut-être égalé ceux de 1811 ». 

Le climat est très pénible et s'oppose à des entreprises de co- 
lonisation européenne : « La sécheresse qui suit immédiatement 
la retraite ou l'évaporation des eaux indique trop l'insalu- 
brité actuelle du climat, sur laquelle M. de Mélay énonce 
qu'il ne lui est pas permis de conserver le moindre doute. » 

La main d'œuvre sera toujours difficile à recruter. Il n'y a 
pas grand'chose à espérer des habitants de Saint-Louis: « Ni l'in- 
telligence, ni les moyens matériels ne manqueraient pour des 
entreprises de cultures simples, telles que celles du coton et du 
café, aux habitants libres de Saint-Louis, dont les cases sont 
encombrées de captifs qu'ils peuvent à peine nourrir. Mais aucun 
de ceux d'entre eux avec lesquels M. de Mélay a eu des rapports 
ne s'est montré disposé à se livrer à ces opérations. Trois 
Européens, les sieurs Potin, Valcntin et Picard, ont formé à pro- 



1. D. M., 18 juin 1819. 



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LE PLAN DE COLONISATION 77 

ximité du cheMieu des plantations de coton, à la vérité a^ ez 
languissantes, et jusqu'ici ancien mulâtre de Sain-tLouis n'au- 
rait ttmoîgné le désir de les imiter «. 

On ne peut compter davantage sur leo h abitants de Gorée : 
« Fort attachés à leur rocher où Tair est fort sain, et prévenus 
d'ailleurs contre le climat du Scnégal, ils manisfesteraient plus 
d'éloignement encore à s'occuper des cultures, quoiqu'ils pos- 
sèdent une très grande quantité de captifs presque oisifs, qu'ils 
pourraient sans doute y employer utilement. Si, envers ces 
captifs que l'interdiction de la traite a accumulés à Saint-Louis 
et à Gorée, on voulait user de moyens coercitifs, tels que les châ- 
timents corporels, on révolterait toute la population noire. » 

Les seuls indigènes utilisables pour l'établissement des nou- 
velles cultures sont ceux du Fouta et du Toro ; mais il sera diffi- 
cile de les amener à nous : « Leur chef suprême est électif et amovi- 
ble. Les chefs de tribus, qui forment son conseil et celui de 
la nation, n'ont, hors le cas de guerre, aucun pouvoir direct 
sur les individus libres. L'autorité des chefs de village est bornée 
aux soins de la police et de l'hospitalité. Le pouvoir judiciaire 
réside à peu près tout entier dans les mains des marabouts... 
Pour déterminer les hommes libres à concourir aux cultures 
projetées, il faudra, selon M. de Mélay, traiter directement 
avec eux, et l'habitude qu'ils ont d'une vie facile et inoccupée 
opposera aux vues nouvelles des obstacles que la seule création 
graduelle de besoins factices parviendrait peut-être à vaincre... 
Les esclaves nés ou établis depuis longtemps auprès des maîtres 
jouissent d'une condition à peu près aussi douce que celle des 
hommes libres. Jamais le maître ne leur impose aucun travail 
pénible pour son propre compte. Voudrait-il, pourrait-il les 
contraindre à travailler pour nous et chez nous ?... » 

La politique indigène doit, d'ailleurs, se borner aux pratiques 
traditionnelles, relations diplomatiques avec les chefs, cadeaux 
occasionnels et viser à l'économie d'argent et de forces militaires : 
« De la fermeté, de la justice, de bons procédés, quelques pré- 
sents aux chefs les plus influents, peu de coutumes, tels sont, 
selon M. de Mélay, les meilleurs moyens à employer pour con- 
server la prépondérance facile que nous devons avoir sur les 
peuples de l'intérieur. Quelques points fortifiés et douze cents 
hommes de troupe seraient, suivant lui, beaucoup plus que 
suffisants pour nous faire respecter et pour protéger les cultures ». 
Mais on ne peut guère compter sur les soldats européens, qui 
sont le plus souvent, « et surtout dans la mauvaise saison, 
hors d'état de se défendre. Des compagnies d'hommes de cou- 
leur formées à Saint-Louis et à Gorée, à l'instar de ce qui fut 
fait sous le commandement du colonel Blanchot^, seraient... 
infiniment préférables à des troupes blanches pour servir à 
l'intérieur; de même que des laptots qu'on s'attacherait à dis- 
cipliner insensiblement devraient, le plus qu'il se pourra, rem- 

1. Cf. Cultru, Histoire du Sénégal, p. 285 et sq. et Claude Faurë. La Garnison 
européenne du Sénégal et le recrutement des premières troupes noires (R. H. F. C, 
l9«0. 2«»« trimestre). 



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78 LA MISE EN VALEUB DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

placer les matelots européens pour la navigation du Sénégal et 
même pour celle des côtes. » K 

Comme on le voit, le plan de Schmaltz était attaqué dans ses 
parties essentielles. 



II. — Les conclusions du Ministre. 

Le plus grave pour Schmaltz, c'est que le Ministre paraissait 
décidé à ne point se perdre dans les discussions et à régler tout de 
suite sa conduite sur les indications de de Mélay : « Tout ceci 
posé, déclarait-il, je passe aux conséquences et aux applica- 
tions. » 

Il est vrai qu'en principe « rien n'est changé dans l'intention 
de coloniser au Sénégal a et que le Gouvernement y persévère ». 
Mais il paraît nécessaire et sage «de ralentir un peu le dévelop- 
pement de quelques-uns des moyens d'exécution qui ont été 
précédemment arrêtés ». 

D'une façon générale, on doit substituer des essais prudents 
et modestes à l'entreprise de grande envergure qu'on avait 
projetée : « Les parties du Plan de Colonisation qui sont de 
nature à réussir n'en réussiront pas moins; mais les succès 
coûteront moins cher. Les premières mises en hommes et en 
fonds seront d'autant moins difficiles à justifier qu'elles seront 
moins considérables. Les pertes seront moins sensibles et, en 
cas de bénéfices, les premiers gains qu'on aura obtenus, au moyen 
d'avances modérées, seront les plus forts de tous les arguments 
pour déterminer de nouvelles mises. » 

En particuher, l'entretien de garnisons est fort dnéreux, et 
le nombre de soldats prévu jusque là paraît excessif aujourd'hui. 
L'envoi de six cents hommes de troupe avait été annoncé pour 
le mois d'octobre : « Ne pourriez-vous point vous passer tout 
à fait de ce nouveau bataillon ? Dans l'affirmative, moins de 
mortalités, moins de dépense, moins de responsabilité, sans 
qu'il en doive, ce me semble, résulter aucune diminution dans 
les véritables éléments de votre prépondérance sur les naturels. » 

Du même coup et pour les mêmes raisons, le nombre des 
forts projetés doit être réduit : le fort de Bakel, qu'on vient 
de construire, n'a pas besoin d'être doublé pour garantir la sécu- 
rité du pays de Galam ; entre Bakel et Saint-Louis, un seul fort 
au lieu de deux, suffira, si on l'établit à Podor, « où l'ancien fort, 
subsiste encore en partie^, 150 hommes de garnison», recrutés 
surtout parmi les indigènes, seront répartis entre Bakel et 
Podor et, si l'on y ajoute les 50 hommes des deux bâtiments à 
vapeur armés qui séjourneront dans le fleuve, on aura pris « les 
seules dispositions qu'il y ait à faire pour assurer à la naviga- 
tion, au commerce et à la culture les points d'appui dont ils 
peuvent avoir besoin. » 

1. D. M., 18 juin 1819. 



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Le plan db colonisation '79 

Cette réduction des forces militaires ne présenterait au- 
cun danger pour la sécurité des établissements, si l'on savait se 
donner une politique indigène bien entendue : « Avec les forces 
matérielles dont vous pourrez disposer encore, les besoins déjà 
contractés par les riverains, leur intérêt réel, la cupidité et la 
vénalité de leurs chefs, les dissensions intestines des peuplades 
noires et celles qui divisent les tribus des Maures eux-mêmes, 
votre supériorité en lumières, surtout votre justice et votre pru- 
dence, vous répondent assez que les personnes et les cultures des 
indigènes que la France mettra sous sa protection seront respec- 
tées... » 

Pour ce qui regarde les cultures elles-mêmes, il semble impru- 
dent d'en faire une grande entreprise d'Etat et d'aborder notam- 
ment de vastes acquisitions territoriales. 325.000 francs de rede- 
vances ou de coutumes nouvelles étaient prévus en 1819 pour 
ces acquisitions ; mais, étant donné que l'emplacement des 
forts de Bakel et de Podor a été acheté précédemment, que 
les cinq mille arpents destinés à l'Habitation royale seront payés 
sur les deniers de la liste civile et que les anciennes coutumes 
(26.000 francs au plus) portent sur un fonds spécial, cette somme 
pourra être réduite à 25.000 francs. Il convient, en effet, a de 
ne pas grever la France d'une rente perpétuelle, pour des 
terres dont vous n'auriez pas la certitude la plus positive qu'il 
pût être tiré un parti utile »; de plus, comme te fait observer M. 
de Mélay, « en thèse générale, le mode des présents est fort 
préférable à celui des coutumes. L'augmentation de celles-ci 
n'aurait pour résultat que de nous imposer une charge sans fin, 
dont bientôt on ne nous saurait pas plus de gré que si elles étaient 
restées dans leur état primitif. » 

Et toutes ces considérations aboutissaient à un tableau fort 
net des ft Economies à obtenir » : au total, 1.856.000 francs. 

Ainsi, il était bien vrai que « rien n'était changé dans l'inten- 
tion de coloniser le Sénégal » et le Ministre le prouvait en insis- 
tant, dans cette même lettre^, sur la nécessité de développer 
la culture indigène du coton et en donnant de nouveaux détails 
sur la construction des moulins à égrener; mais il n'avait plus 
la confiance nécessaire pour résister à l'opposition du Parlement 
et son Plan de Colonisation se ramenait aux limites d'une expé- 
rience. « Vous sentirez, disait-il à Schmaltz combien il vous im- 
porte à vous-même de vous placer sur un terrain meilleur et 
plus assuré. Il appartient à un bon esprit de modifier ses propres 
plans, pour éviter d'en compromettre le succès. C'est le conseil 
de la sagesse; vous saurez l'entendre et le suivre. » 



I. D. M., id Juki 1810. 



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Gbogle 



80 LA MtSË EN VALEUR DU SENÉGAL DE 1817 A 1854 



III. — La défense de Schmaltz. 

Le Ministre ne voulait, cependant, rien décider encore, avant 
d'avoir entendu le principal intéressé, et il sollicitait de Schmaltz 
un véritable consentement : « Vous apprécierez le concours de 
faits, d'après lesquels l'exécution du Plan de Colonisation doit 
s'exécuter sur une moindre échelle, ou plutôt avec moins de 
dépenses simultanées. Quelle que soit la force des motifs qui 
me portent vers ce dernier parti, je n'ai pas voulu prendre de 
décision définitive avant de vous avoir entendu. Cette preuve 
de confiance était due à vos talents, à votre expérience, au poste 
que vous occupez, et je me plais à vous la donner ^. » 

Schmaltz s'empresse de répondre aux observations de de Mélay 
et du Ministre; mais, comme on devait s'y attendre, il refuse de 
reconnaître son erreur et prend le contre-pied de tout ce que 
de Mélay avait avancé *. Il prouve, du reste, et le Ministre devait 
bientôt reconnaître, que les principes de Fleuriau s'accordent 
avec les siens, non avec ceux de de Mélay*. 

Les ressources naturelles sont beaucoup plus considérables 
que ne prétend de Mélay. Le sol est fertile deçà des confins 
du Oualo et même dans les environs immédiats de Saint-Louis, 
et ce n'est pas seulement le coton et l'indigo qu'on peut y cul- 
tiver, c'est aussi le riz et la canne à sucre, dont les plantations 
pourraient être irriguées à l'aide des marigots si nombreux 
dans la région. Quoi qu'en dise de Mélay, les inondations de 
1818 ont été vraiment extraordinaires au témoignage des habi- 
tants de Saint-Louis; elles sont loin, d'ailleurs, d'avoir eu l'éten- 
due que leur prête de Mélay. 

La salubrité du climat ne dépend nullement de l'alternance 
d'une saison sèche et d'une saison humide; les eaux n'ont pas 
le temps de croupir, elles s'évaporent rapidement, elles se bor- 
nent en somme à fertiliser le sol et permettent au pays de res- 
ter très sain. 

La main-d'œuvre ne fera certainement pas défaut. Les ha- 
bitants de Saint-Louis sont tout disposés à entreprendre des 
cultures, et leurs captifs les y aideront quand il faudra. Les 
Goréens cesseront d'être rebelles au travail, dès qu'ils verront 
que la traite des noirs leur est décidément interdite ; ils ne crai- 
gnent pas de s'expatrier, puisque, depuis longtemps, ils vont 
commercer dans les rivières du Sud; il sera même possible de 
leur faire cultiver du coton dans les environs de leur île. 

Il est juste, comme le constate M. de. Mélay, que les indigènes 
les plus utilisables sont ceux du Fouta et du Toro; mais Schmaltz 
l'avait fait remarquer avant lui. En revanche, ce que dit M. de 
Mélay de l'organisation politique et sociale de ces indigènes est, 

1. D. M., 18 juin 1819. 

2. G. G., au Ministre, 4 septembre 1819. 

3. D. M., 20 décembre 1819. 



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Le plan de colonisation 81 

dans l'ensemble, inexact, et les conséquences qu'il en tire pour 
le sjrstème (général de colonisation ne se peuvent admettre. En 
particulier, il est faux d'avancer que l'Almamy est amovible; 
il est en réalité nommé à vie, c'est du moins ce qui vient d'être 
décidé tout récemment. De même, les chefs qui composent son 
conseil et celui de la nation ont une autorité réelle : « Les plus 
simples notions suffisent pour sentir qu'un tel ordre de choses ne 
saurait exister sans produire l'anarchie dans un gouvernement 
quelconque et à plus forte raison chez un peuple dont la civilisation 
n'est pas assez complète pour que la force morale puisse balan- 
cer le vice des institutions. Or, de toutes les nations établies au 
bord du fleuve, le pays de Fouta-Toro est celui où la propriété 
est le plus exactement respectée, celui dont la force et l'ensemble 
en imposent le plus à ses voisins. Certes, ce ne sont point là les 
fruits de l'anarchie, suite inévitable de la faiblesse ou de l'ab- 
sence de pouvoir dans tout Gouvernement. » Et tout le reste des 
affirmations de M. de Mélay est à l'avenant : « Les indigènes 
sont paresseux, insouciants, contents de peu, c'est vrai », mais on 
leur créera des besoins ; ils reconnaîtront vite combien il leur sera 
profitable de travailler pour nous, et l'indigène est avant tout 
guidé par l'intérêt; enfin, il est bien exagéré de. dire que les indi- 
gènes refuseront de subir aucune contrainte, il n'y a nulle révolte 
à craindre, même en cas de châtiments corporels, et la violence, 
qu'on se ferait du reste un devoir d'éviter, est fort bien admise 
par les primitifs que sont les nègres du Sénégal. 

Quant au mode d'exploitation, il est entendu que rien ne 
vaudrait la culture entreprise directement par les chefs indigènes 
avec leurs propres escalves, et Schmaltz lui-même l'a proposée. 
Mais cela ne suffirait pas; il faut que nous donnions l'exemple. 
Nous seuls pouvons par l'émulation les amener à l'effort suivi 
et au progrès. 

Enfin, la protection des établissements, qui représente vrai- 
ment le centre de toute cette affaire, serait tout à fait impossi- 
ble avec la politique indigène que préconise de Mélay. Contrai- 
rement à ce qu'il pense, les coutumes sont infiniment préféra- 
bles aux présents : « M. de Fleuriau, qu'un séjour plus long, 
une administration éclairée et de fréquentes relations avec 
les princes de l'intérieur avaient mis à même de mieux connaître 
l'esprit du pays, a jugé cette question dans le mémoire qu'il 
m'a remis à mon arrivée; nous nous sommes parfaitement ren 
contrés sur le point des coutumes annuelles. Ce sera pour nous 
une garantie de la persévérance des chefs dans leurs bonnes 
dispositions. » Il faut donc se garder de réduire exagérément 
ces coutumes : sur les achats de terrains, on peut prévoir au 
plus une économie de 100.000 francs, en se contentant de colo- 
niser le Oualo pour le moment; autrement l'échec est certain. 

Par ailleurs, c'est une coupable illusion de croire qu'on pourra 
jamais remplacer complètement la force par la politique. Qu'on 
renonce à envoyer au Sénégal le troisième bataillon : on ne court 
pas grand danger à opérer cette réduction, étant donné le recru- 



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82 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

tement généralement détestable de cette arme, mais qu'on le 
remplace par deux compagnies de sapeurs-ouvriers, afin d'être 
« au-dessus d'un échec » qui nous exposerait au mépris des popu- 
lations de l'intérieur. En tout cas, il faut au moins 300 hommes 
à Saint-Louis, 100 à Gorée, 200 à Dagana, 100 à Bakel, 50 dans 
les deux blockhaus projetés entre Dagana et Saint-Louis et 
indispensables pour protéger les cultures des environs du lac 
Paniéfoul et des deux bords du fleuve, 50 à bord des deux 
bateaux à vapeur, au total, 800 hommes; en outre, ces troupes 
ne peuvent être composées de noirs que par moitié, car il ne 
faut pas exagérer l'insalubrité de l'intérieur et il est, après 
tout, des sacrifices nécessaires. 

Enfin, le centre de la colonisation et de la défense ne peut 
être que Dagana : Dagana est mieux situé et plus sain que Podor ; 
les terres y sont aussi fertiles qu'à Podor et plus rapprochées de 
Saint-Louis. 

Bien qu'il se flattât d'avoir rétorqué toutes les objections 
soulevées par de Mélay, Schmaltz, sentant le besoin de conces- 
sions et voulant sauver l'ensemble de son plan, indiquait en fm 
de compte les économies qui lui semblaient possibles, mais ces 
économies ne correspondaient pas à celles qu'avait envisagées 
le Ministre. La liste qu'il en dresse suffirait à montrer qu'il ne 
variait pas sur les nouveaux principes qu'il avait adoptés et qui 
représentaient une politique coloniale fort différente de celle 
du Ministre, à savoir : constituer une forte base d'opérations 
dans le Oualo, aux portes de Saint-Louis, avant de tenter la 
colonisation de l'intérieur; préparer cette colonisation par de 
fortes démonstrations militaires, imposer nos vues aux princes et 
aux populations indigènes par des moyens d'intimidation et 
de contrainte plutôt que de s'épuiser en diplomaties inefficaces, 
en manifestations idéalistes tout à fait déplacées dans ces mi- 
lieux primitifs. Mais ce n'étaient là que des arrières-pensées, 
et Schmaltz ne présentait toujours son nouveau plan que comme 
une adaptation du plan primitif aux événements. 

« Le resserrement des opérations premières, disait-il, dû à des 
circonstances heureuses et qu'on n'avait pu prévoir, permet 
d'exécuter, sur une moindre échelle, l'ensemble du plan de Colo- 
nisation, sans aucun inconvénient pour aucune de ses parties 
et, par conséquent, fournit la possibilité de faire les diverses 
économies que je vais indiquer. » 

Absence du deuxième bataillon d'Afrique 483.000 

Manque au complet du premier bataillon et rem- 
placement des manquants par des indigènes 250 . 000 

Substitution d'un seul fort à Dagana et de deux 
block-houses entre ce poste et Saint-Louis, aux 
deux forts d'abord projetés sur les îles de Todde et 
de Reffo, et suppression de celui proposé pour 
Galam, au moyen de l'achèvement de celui déjà 
commencé à Bakel 559.500 



A Reporter 1.292.600 

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LE PLAN DE COLONISATION 83 

Report 1 .292.500 

Non emploi des 60.000 fr. alloués pour entretien 
en 1819 des forts de Todde et de Reffo 60.000 

Economie présumée sur le fonds de 325.000 fr. al- 
loué pour présents et coutumes extraordinaires. . . 260.000 

Personnel militaire, administratif, etc.. des pos- 
tes de Galam, de Todde et de Reffo, tant en solde 
qu'en rations 54.000 

Solde d'un capitaine ingénieur-géographe décédé 
pendant le premier trimestre 1819 5.000 

Entretien des bateaux à vapeur et consommation 
de charbon (retard dans leur envoi) 40.000 

Au total 1 .711 .500 

Cette façon de concevoir les économies possibles présente, 
selon Schmaltz, le grand avantage de rester en accord avec le 
plan général de Colonisation, au lieu de ramener l'entreprise, comme 
l'eussent voulu de Mélay et le Ministre, à l'installation de quel- 
ques îlots d'occupation, incapables d'exercer une véritable 
influence, de modifier proifondément la vie économique du Séné- 
gal, de communiquer aux indigènes de bonnes habitudes, en un 
mot de faire œuvre solide de colonisation et de civilisation. 

Le Ministre prétendait, il est vrai, que Schmaltz avait en réa- 
lité modifié toute sa politique depuis son retour en France ; que, 
dès son voyage dans le fleuve, il avait « inauguré un nouveau 
système, d'après lequel nous ne serions plus reçus que dans des 
intérêts politiques et nous nous trouverions engagés dans des 
alliances et des guerres; d'après lequel, en un mot, la force 
deviendrait nécessaire pour fonder notre domination^ ». 

« Je ne propose, répondait Schmaltz, aucun cliangement 
dans les principes et les moyens moraux; et, quant aux détails 
matériels, ils n'ont subi d'autres modifications que celles 
résultant de la situation politique du pays, qui a permis de 
s'assurer, par des traités, des avantages sur lesquels on n'avait 
pas dû compter d*abord. » 

Il est inexact aussi, selon Schmaltz, de dire et de croire qu'il 
a changé d'avis sur les peuples que nous devons nous associer 
et la valeur des terres que nous devons mettre en culture : i' a 
trouvé, a à la proximité de Saint-Louis dans le pays de Oua^o, 
plus qu'il n'avait osé se promettre, il a cru )^ qu'il était prudent 
de nous resserrer, avantageux de nous en tenir là quant à pré- 
sent et de ne pas trop embrasser à la fois, » et les événe- 
ments n'ont que trop justifié ces prévisions: « Des réductions 
dans les moyens qui m'étaient promis ont été jugées nécessaires 
par Votre Excellence, et je me suis trouvé en état de les faire, ce 
qui m'aurait été impossible si j'avais dû porter, dès à présent 
nos établissements jusqu'au centre du pays des Peul. » Mais cela 

1. D. M., 13 septembre 1819. 

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84 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DK 1817 A 1854 

ne veut pas dire qu'il soit survenu le moindre changement 
((dans les dispositions manifestées par les Peul à notre égard en 
1817»; si Ton n*a pas traité avec eux, c est qu'on a déjà acquis 
dans le Oualo (c des terrains convenables, plus à notre portée et 
tellement étendus que Ton pourrait y créer une colonie immense 
sans avoir besoin de pénétrer chez les Peul qui depuis ne mon- 
trent que plus de désir de nous voir étabUs chez eux. » 

D'ailleurs, le Oualo ne devient pas.« le théâtre unique de la 
colonisation », comme on affecte de le croire à Paris. Dagana, 
situé sur la frontière du pays de Toro, doit se trouver central 
lorsque la colonisation, a après avoir pris de la consistance dans 
le pays de Oualo, s'étendra par la suite dans le Fouta-Toro.» 
Le choix même de Dagana comme « lieu du principal établis- 
sement» prouve que Schmaltz n'a nullement renoncé à pénétrer 
chez les Peul. Il est vrai que le Oualo est moins peuplé que le 
Fouta, mais un grand nombre de ses habitants l'ont abandonné 
à cause des pillages incessants des Maures; ils y reviendront, 
a quand nous aurons rétabli l'ordre et la paix ». 

De même, le Ministre s'étonne à tort que la tribu des Brakna, 
<« qui n'était comptée pour rien dans l'ancien plan, joue aujour- 
d'hui un rôle aussi important». Schmaltz a simplement dit qu'il 
y avait utilité réelle à ménager le roi des Brakna, mais il ne lui 
a jamais réservé un rôle important dans le Plan de Colonisation; 
<K au surplus, on sait que la force des différentes tribus maures 
varie continuellement suivant la réunion ou l'émigration de 
ces familles nomades qui conservent la faculté de changer de 
pays, de s'attacher à une tribu ou de s'en séparer. » 

Quant à nos relations avec les Trarza, elles ne sont pas inquié- 
tantes. Elles ne compromettent pas même le commerce de la 
gomme et Schmaltz regarde « comme certain que la paix sera 
rétablie avant l'époque de la traite; le dénûment dans lequel 
se trouvent les Trarza, la privation d'eau et de pâturages qui 
succédera à l'inondation, l'apparition des bateaux à vapeur, 
tout va les déterminera se soumettre. S'il arrivait que la paix 
soit différée, la traite de la gomme ne s'en ferait pas moins. 
Ce genre de commerce appartient exclusivement aux marabouts 
ou prêtres du pays qui ne combattent jamais et sont respectés 
de toutes les autres tribus, même au milieu des hostilités ». 
Il n'est pas à craindre non plus que les Maures se détournent de 
nos escales et portent, au gré des Anglais, la gomme à Porten- 
dik ; ils éprouvent, en effet, « une grande répugnance à traverser 
les sables du désert... ; ils y perdent une trop grande quantité de 
bestiaux. D'ailleurs, les Trarza, dans leur situation actuelle, 
et d'après leur divisions, n'ont plus le moyen de former de gran- 
des caravanes qui seules peuvent fournir des cargaisons » ; 
puis, « le moindre bâtiment de surveillance établi sur ce 
point empêcherait les Anglais d'y traiter, car rester sous voiles 
à Portendik tout le temps nécessaire pour attendre de petites 
caravanes, acheter en détail et embarquer les gommes, est 
chose à peu près impossible». 



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LE PLAN DE COLONISATION 85 

Enfin, il n'est pas question de « substituer à un travail libre 
un travail forcé», de faire la moindre violence aux indigènes ni 
de « mettre en usage le despotisme de leurs princes soutenu et 
renforcé par les baïonnettes françaises ». A cet égard, Schmaltz 
affirme qu'il s'est toujours conformé aux instructions ministé- 
rielles : acquisition du sol sans aucun droit sur les personnes, 
collaboration des naturels, d'accord avec les chefs du pays, et 
tout au plus prestations moyennant coutumes ^. 

En somme, Schmaltz s'attachait à prouver qu'il n'avait 
changé que les détails d'application, ce qu'il était parfaitement 
libre de faire en vertu de ses Instructions, et qu'il respectait 
parfaitement les principes. II s'étonnait qu'en a morcelant ses 
anciens et ses nouveaux écrits », on ait tenté de le mettre en 
contradiction avec lui-même. « Dans l'opération dont je suis 
chargé, ajoutait-il, j'ai besoin de toute la confiance de Votre 
Excellence. Rien ne me sera plus facile que de lui donner tou- 
jours les renseignements qu'elle voudra bien me demander. 
Je le ferai toutefois en peu de mots autant que possible, car 
nous sommes arrivés à l'époque où je ne puis consacrer beau- 
coup de temps à écrire, parce que je n'en aurai jamais de trop 
pour agir*,» 

Le colonel défendait son projet, on le voit, avec autant de 
ténacité que de candeur. Il refusait de lire entre les lignes des 
lettres ministérielles et de s'apercevoir que sa cause était 
perdue d'avance. 



IV. — La décision du Ministre. 

Le plaidoyer de Schmaltz, en effet, ne convainquit nullement 
le Ministère. La victoire de de Mélay était complète. 

Le Ministre revenait sur la question des inondations, obs- 
tacle aux cultures riveraines et à l'assainissement du pays; 
il demandait des précisions sur les plantations entreprises par 
des habitants de Saint-Louis, doutait de leur importance et 
de leur durée, les expliquait par a l'attrait des avances pécuniaires 
que leur ferait le Gouvernement », et trouvait que c'étaient 
là de bien faibles gages de succès. Il refusait d'admettre la sin- 
cérité des intentions pacifiques de Schmaltz et le soupçonnait 
toujours de vouloir recourir à d'autres modes d'exploitation 
que le travail volontaire. Il s'étonnait qu'on voulût bâtir la 
capitale dans une région qui n'était pas encore mise en cul- 
ture. Il soutenait que le chiffre de huit cents hommes de troupe, 
prévu par Schmaltz, était excessif. Il restait sur ses positions •. 

La discussion, il est vrai, n'était pas close. A son arrivée en 
France, Fleuriau avait dû répondre à « dix-neuf questions » 

1. C. G., au Ministre, 8 novembre 1819. 

2. Ibidem. 

3. D. M.« 20 décembre 1819. 



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86 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

qui lui étaient posées confidentiellement par le Ministre et qui 
se rapportaient à ce prétendu changement de politique. A son 
tour, Schmaltz recevait copie de ces questions et devait y répon- 
dre, sans qu'on lui donnât communication des réponses de 
Fleuriau, qui, cependant, de Taveu du Ministre, concordaient 
avec ses vues. Le Ministre demandait à Schmaltz de s'ex- 
pliquer d'une manière aussi « nette » que possible: «tous les faits, 
tous les moyens relatifs à la colonisation du Sénégal, disait-il, 
doivent être, en effet, exposés avec d'autant plus de clarté, que 
nous touchons au moment où les doutes, les objections qui se 
sont élevés pendant la dernière session des Chambres, vont 
être reproduits par les adversaires que cette entreprise a déjà 
rencontrés, et qui seront probablement plus nombreux et plus 
ardents encore ^. » 

Ainsi, le Ministre, malgré ses inquiétudes, n'avait pas encore 
renoncé à une colonisation méthodique du Sénégal, puisqu'il se 
décidait à défendre de nouveau son projet devant l'opinion. 
Il avait formellement renoncé, par contre, à donner à ce projet 
son étendue première : alors qu'il discutait encore avec Schmaltz 
et que celui-ci gardait l'espoir de le convaincre, il arrêtait, sans 
recours possible, le chiffre des économies à réaliser et la liste des 
entreprises à délaisser : « Quand votre lettre du 4 septembre m'est 

{)arvenue, écrivait-il à Schmaltz, le Roi, sur mon rapport et d'après 
'avis unanime du Conseil des Ministres , avait déj à décidé que la dota- 
tion du Sénégal, pour l'exercice 1820, ne serait que de 1 .200.000 
francs au lieu de 2.000.000 ». Et il déclarait en guise de conclu- 
sion : « Sa Majesté veut voir comment les choses auront 
marché et se tenir prête à continuer le mouvement ou à l'arrêter, 
selon qu'il y aura lieu »^ 



1. D. M.,.22déeembre 1819. 

2. D. M., 18 décembre 1819. 



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CHAPITRE V 



La Mission de Mackau et le Rappel du G>lonel 

Schmaltz« 



I. — Contre mauvaise fortune, bon cœur.. 

Schmaltz refusait de se décourager. 

Il parlait toujours avec le même attendrissement de la « grande 
et belle entreprise dont il était charçé », il acceptait avec rési- 
gnation les réductions et les économies, «s'associait à la situa- 
tion du Ministère » et ne voyait en tout cela que des embar- 
ras passagers. Il espérait bien, dans un avenir rapproché, con- 
fondre ses adversaires par des succès éclatants et, au milieu 
de difficultés croissantes, aux prises avec une situation poli- 
tique fort inquiétante, dans une atmosphère de défiance et 
d'enquêtes tendancieuses, il persistait à travailler avec achar- 
nement ^. 

La question du coton l'occupait de plus en plus. Il écrivait 
à l'Almamy du Fouta et aux chefs du Toro, pour les engager 
à en faire semer le plus possible par leurs sujets : « Vous pouvez 
être assurés, leur disait-il, que, quelque considérables que soient 
les quantités que vous pourriez nous en offrir, nous achèterons 
tout ce qui nous sera présenté. Le coton croît abondamment 
dans votre pays, sa culture exige peu de travail, et elle doit être 
pour vos peuples comme pour vous une source abondante de 
richesses et de prospérité. Je voudrais que le commerce entre 
nous fût assez considérable, pour que chacun des villages du 
pays de Fouta devienne une escale importante... C'est le devoir 



1. G. G. k M. Edme Mauduit, & septembre 1819. 

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88 LA MISE EN VALEUR t>U SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de ceux qui commandent d'instruire les peuples sur leurs inté- 
rêts et de leur indiquer les moyens d'être heureux*... ». 

Il concluait une entente avec le Roi des Brakna pour la traite 
de la gomme et lui demandait de rapprocher son escale le plus 
possible de Dagana*. 

Il se préoccupait d'établir un règlement sur les formes et 
conditions des concessions de terrains qui devaient être faites 
dans le pays de Oualo*. 

Il préparait avec un soin tout particulier une nouvelle expédi- 
tion de Galam, qui devait relever les officiers laissés dans le 
haut Fleuve par de Mélay, travailler à l'établissement défini- 
tif du poste de Bakel, explorer le pays au point de vue minier, 
renvoyer à Saint-Louis le major Gray qui ne parlait pas de 
s'en aller et dont le séjour prolongé dans le haut pays inquiétait 
le Gouvernement, enfin prendre des précautions en vue de la 
paix, sans laquelle il n'est pas de culture ni de commerce pos- 
sibles*. Il ne cessait de regretter le retard des bateaux à vapeur 
qui l'empêchait de donner à ce voyage une allure nouvelle et 
de produire sur l'esprit des peuples riverains une impression 
salutaire»; un de ces bateaux tant demandés arrivait enfin 
devant Saint-Louis le premier novembre, mais l'expédition de 
Galam était partie*. 

Ainsi, Schmaltz poursuivait avec sérénité la réalisation de 
son « plan ». Jamais Gouverneur menacé d'une disgrâce ne jeta 
moins le manche après la cognée. Il semblait même savourer 
particulièrement cette lutte contre des obstacles plus nombreux 
tous les jours : « C'est une jouissance des âmes fortes, écrit-il 
en janvier 1820, que la certitude d'avoir rempli des devoirs 
difficiles ' ». 



II. — Une MAUVAISE presse. 

Contre cette « âme forte », les événements et les hommes 
s'acharnaient. 

Schmaltz allait de plus en plus trouver sur son chemin de 
ces pierres d'achoppement qu'un gouverneur colonial, occupé 
de réalisation et d'honnête besogne, évite difficilement : les in- 
trigues dans la Métropole auprès du Ministère et des Chambres, 



1. G. G., à TAlmamy du Fouta et aux principaux chefs du pays de Toro, !«' 
novembre 1819. 

2. G. G., au Roi des Brakna, 23 décembre 1819. 

3. G. G., au Ministre, 22 et 27 janvier 1820. 

4. G. G., aux chefs du Fouta, 16 septembre 1819 ; aux chefs du Fouta, de Boundou, 
de Galam, 18 septembre 1819; au Commandant de Bakel, 8 septembre 1819; 
au lieutenant Godard, commandant Pexpédition à Bakel, 8 septembre 1819; au 
Ministre, 29 octobre 1819. 

5. G. G., à M. Edme Mauduit, 5 septembre 1819; au Ministre, 29 octobre 1819. 

6. G. G., au Ministre, 3 novembre 1819. 

7. G. G., au Commandant de Bakel, 6 Janvier 1820. 



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LB PLAN DB COLONISATION 89 

les mémoires tendancieux, les insinuations perfides des mé- 
contents, des tarés ou des ambitieux, etc., en un mot, ce que 
nous appelons la mauvaise presse, et devant quoi nos gouver- 
nements, fondés sur Topinion, finissent généralement par céder. 

Au rapport relativement juste, en tout cas nourri, sérieux et 
mesuré, de de Mélay, viennent s'ajouter par exemple les dénon- 
ciations calomnieuses d'un prêtre de Saint-Louis, qu'il avait 
fallu renvoyer en France pour sa mauvaise tenue et les manifes- 
tations turbulentes d'un caractère acrimonieux, Giudicelli. 
La violence même des plaintes de Giudicelli eût dû mettre le 
Ministre en garde contre la portée de ses accusations : « Depuis 
la reprise de possession, s'écriait cet homme vertueux, régnent 
(au Sénégal) l'intrigue, la mauvaise foi, et tous les crimes que 
l'ambition, l'immoralité et la vengeance entraînent à leur suite 
et, au lieu d'un Ministre évangélique, une cour prévotale ou 
d'assises serait bien plus nécessaire ». Il insistait notamment 
sur la continuation de la traite des noirs, qui, selon' lui, se fai- 
sait au grand jour et sous les yeux, sous la protection même 
du Gouvernement local, et le Ministère, touché à l'endroit 
sensible, demandait des explications à Schmaltz, saisissait de 
l'affaire le Conseil des Ministres, rappelait sévèrement le pas- 
sage des Instructions du 31 décembre 1818, « où il est dit que, 
sans la cessation absolue de la traite et l'amélioration effective 
du sort des indigènes, il n'y aurait aucun fonds solide à faire sur 
le succès du plan de Colonisation ^ ». Les calomniateurs avaient 
vraiment beau jeu, et il est probable qu'étant donné le personnel 
très bigarré dont disposait Schmaltz et les efforts qu'il en exi- 
geait, les plaintes et les insinuations odieuses de Giudicelli 
ne furent pas isolées. 

Sans atteindre cette çravité, d'autres plaintes commençaient 
à se faire jour, qui tendaient à persuader le Ministre que Schmaltz 
et son fidèle collaborateur Fleuriau n'avaient pas toujours, 
sur d'autres points, suivi à la lettre ses instructions. Par exem- 

f)le, le Ministre ne manquait jamais une occasion de revenir sur 
a nécessité d'observer en toute rigueur le régime de l'exclusif 
et de poser ce « principe général » : « empêcher, autant que pos- 
sible, l'introduction aux colonies des marchandises étrangères, 
afin d'y assurer la consommation des produits du sol et de 
l'industrie de la France, d'occuper nos ouvriers de tout genre, 
d'accroitre la matière imposable dans la Métropole * ». C'est que 
le grand commerce de Bordeaux, si puissant sur la politique 
coloniale du Gouvernement central, prétendait que le Gou- 
vernement du Sénégal, même en dehors des cas d'urçence et 
de disette, ne se gênait pas pour admettre des marcnandises 
étrangères. • 
Enfin, des chargés de mission au Sénégal, débordant, comme 



1. D. M., 3 Janvier 1820. 

2. D. M., 31 Janvier et 17 février 1819. 

3. D. M», 10 Juin 1819. 



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90 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

il arrive si souvent, de la tâche qui leur avait été assignée, ap- 
portent au Ministère, qui s'empresse d'en tenir compte, des 
considérations générales sur la colonisation. Tel le vétérinaire 
Huzard, envoyé au Sénégal uniquement pour y étudier les races 
de chevaux : il ne rapporte sur cette question très spéciale 
et facile à résoudre aucun renseignement précis*; en revanche, 
il remet au comte Decazes, qui le communique à Portai, un 
long mémoire sur la mise en valeur et la politique du Sénégal 
et Portai transmet ce mémoire à Schmaltz, en le priant « d'y 
donner toute son attention et de le renvoyer au plus tôt avec 
ses observations sur chacune des assertions qu'il renferme». 
Or, les conclusions de ce travail hâtif ne s'accordent au fond ni 
avec les idées de Schmaltz ni avec celles de de Mélay et con- 
tribuent à brouiller davantage les opinions incertaines du Minis- 
tère; si l'on en croit Huzard, on n'obtiendra rien du Sénégal tant 
qu'on n'aura pas remis son sort entre les mains de grandes 
compagnies ^. 

Entreprises d'Etat, entreprises indigènes simplement encou- 
ragées par le Gouvernement français, grandes compagnies, le 
Ministère ne parvenait pas à se décider franchement entre ces 
systèmes si différents. A vouloir prendre partout ses infor- 
mations, il ne réussissait, en somme, qu'à augmenter sa défiance 
à l'égard de ses meilleurs collaborateurs et à paralyser une 
œuvre qu'il avait lui-même mise en train. 



III. — La guerre des Trarza. 

Pour comble de malchance, et au moment même où le Minis- 
tère, à la suite de de Mélay, protestait contre les apparences 
belliqueuses des projets de Schmaltz, le Sénégal se trouvait 
engagé dans une guerre en forme : la guerre des Trarza. 

Dès juillet 1819, Schmaltz annonçait « sommairement » 
au Ministre qu'il venait de « faire remonter le fleuve à trois 
bâtiments armés destinés à défendre le pays de Oualo contre 
toute tentative de la part des Trarza. « Quoique cette tribu, 
ajoutait-il, ne soit pas assez nombreuse aujourd'hui pour être 
redoutable, j'ai jugé nécessaire de tranquilliser les habitants du 
Oualo sur les menaces faites par les Trarza, qui, je pense, se 
borneront à cela et craindront d'attaquer. J'ai donné ordre à 
nos croiseurs de se contenter de les observer et de ne point 
commencer les hostiUtés; mais je regarderais comme un heu- 
reux événement que ces Maures se portassent à quelques excès, 
parce qu'il me serait alors facile, en paraissant être dans le 
cas d'une légitime défense et sans compromettre la réputation 

1. C. G., au Ministre, 14 juillet 1819. 

2. D. M., 20 décembre 1819. Cf. de même Journal de Commerce (numéro de 5 
Janvier 1820.) 



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Lfi PLAN DB COLONISATION 91 

d*aini de la paix que je crois essentiel de conserver, de donner 
aux Trarza, sans exposer nullement nos garnisons, une leçon 
assez forte pour que, de longtemps, ils ne pussent l'oublier 
et que ce souvenir les retint par la terreur dans les limites que 
je leur indiquerais ^ ». 

Cette confidence, vraiment naïve, sentait la poudre. Quel- 
ques jours après, une escarmouche se produisait à la suite 
de l'incursion, assez insignifiante, d'une petite troupe de Maures 
dans le Oualo ^. Puis le Gouverneur expédia dans le fleuve six 
petits bâtiments armés pour s'opposer au passage des Trarza, 
intercepter leurs caravanes et mettre en état de défense les vil- 
lages de la rive gauche. « L'effet de cette mesure, écrivait-il 
au Ministre, a promptement répondu à mon attente. Les Trarza 
m'ont déjà demandé la paix, mais l'occasion est favorable; 
tous les indigènes ont les yeux sur nous, et il ne convient de la 
leur accorder qu'à des conditions qui puissent garantir nous 
et nos premiers alliés de toute insulte de leur part à l'avenir... 
On présume à Saint-Louis qu'ils accepteront (mes propositions) 
avant de quitter les bords du fleuve, que la haute saison les 
oblige d'abandonner tous les ans vers la fin du mois d'août. 
S'ils les refusent, les hostilités reprendront vers la fin de novem- 
bre, époque forcée de leur retour sur les bords du fleuve, et il 
paraît hors de doute qu'en février prochain ils seront réduits 
à accepter des conditions baattcoup plus dures ^ ». 

Mais le Ministre ne pouvait admettre de telles dispositions. 
Les demi-confidences de Schmaltz l'inquiétaient et allaient direc- 
tement contre les principes de sa pohtique toute pacifique. En 
toute hâte, il rappelait Schmaltz à la prudence et attirait son 
attention « sur l'inconvénient qu'une rupture avec la tribu des 
Trarza pourrait avoir de nous ôter les moyens de continuer la 
traite de la gomme sur cette partie du fleuve et de mettre ainsi 
le commerce qui s'y fait dans ce genre entre les mains des An- 
glais qui ont la faculté de traiter sous voiles à Portendik »; il 
ajoutait à ce motif commercial « des rapports politiques » et 
lui recommandait « d'éviter par tous les moyens qui sont en 
son pouvoir tout engagement hostile avec les Trarza * ». 

Ainsi prévenu, Schmaltz se tenait coi sur cette affaire, 
qu'il lui était désormais difficile d'arrêter aussi brusquement. 
Mais le Ministre continuait à être renseigné par a des lettres 
particulières écrites du Sénégal en France », et il apprenait bien- 
tôt que, «par suite de manœuvres attribuées à un mulâtre de 
Saint-Louis, nommé Pellegrin, un parti de Trarza venait de 
faire une irruption sur le Oualo; que, par l'effet de cette attaque, 
le Brak et son Ministre ont été blessés, le premier grièvement; 
que plusieurs chefs noirs ont été tués, le village d'Antiaga 
brûlé et un grand nombre de captifs emmené par les Maures, 

1. G. G., au Ministre, 9 Juillet 1819. 

2. G. G., au Gommandant de Gorée, l«r août 1819; au roi du Oualo, 3 août 1819, 

3. G. G. au Ministre, 4 septembre 1819. 

4. D. M., 13 septembre 1619. 



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9â La mise e^ valeur du sénégal de 181? a ld54 

etc.. On ajoute que le plus grand découragement règne parmi 
les habitants du Oualo, qui se sont retirés dans une île du lac 
Paniéfoul et n'osent retourner dans leurs villages; que ces évé- 
nements sont de nature à compromettre le succès, (Tailleurs 
fort peu sûr, de la colonisation projetée... » Il s*étonnait que le 
mulâtre Pellegrin demeurât impuni et priait Schmaltz de le 
traduire immédiatement en jugement^. 

De toutes façons, le Ministre blâmait Schmaltz de se laisser 
aller à des hostilités contre les Trarza et de permettre, de con- 
fier peut-être à des agents provocateurs le triste rôle de pousser 
les Maures à des actes regrettables : « Je compte bien, lui disait- 
il encore le 20 décembre 1819, que vous avez mis fin ... à la 
guerre fâcheuse des Trarza »2. A aucun prix, le Gouvernement 
métropolitain ne voulait entendra parler de guerres coloniales. 



IV. — La MISSION DE Mackau. 

La situation du Sénégal semblait donc s'être encore aggravée 
depuis que de Mélay avait déposé son rapport et que le 
Ministre avait fait part à Schmaltz de ses premiers doutes. 
On eut même dit que sur bien des points les avertissements de 
de Mélay se vérifiaient et que les événements donnaient tort 
à Schmaltz. Pourtant, le Ministre n'était informé jusque-là 
que par des racontars, des demi-confidences, des dénonciations 
de mécontents; il décida de se renseigner d'une façon plus pré- 
cise et plus régulière et chargea d'une mission officielle d'ins- 
pection le capitaine de vaisseau de Mackau. 

Officielle, cette mission ne l'était c^u'à demi : elle n'avouait 
d'autre but qu'une enquête sur la traite des noirs. « D'odieuses 
imputations, écrivait le Ministre à Schmaltz, ne cessent pas 
d'être dirigées contre l'administration du Sénégal relativement 
à la traite des noirs... Le Gouvernement de Sa Majesté et l'ad- 
ministration du Sénégal ont le plus grand intérêt à prouver que 
ce sont là des calomnies qui ne méritent aucune foi et que, 
s'il y a eu quelques infractions, l'autorité a fait tout ce qui était 
en son pouvoir pour les prévenir ou pour les punir •». 

M. de Mackau devait naturellement visiter la côte, c'est- 
à-dire Saint-Louis et Gorée; mais il devait aussi — et c'est là 
qu'apparaissent d'autres soucis que l'enquête sur la traite — 
visiter la rive gauche du Sénégal jusqu'à Dagana et même Podor, 
« s'il se peut ». Incidemment, Schmaltz était prié d'entretenir 
M. de Mackau de la colonisation, de l'éclairer sur les « change- 
ments qu'il a récemment proposés » et de fournir tous les « déve- 



1. D. M., 13 décembre 1819. 

2. D. M., 20 décembre 1819. 
i. D. M., 13 septembre 1819. 



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Lk plilU dë colonisation 93 

loppements » qui pourraient sembler utiles « pour lui-même, 
pour la chose^publique et pour le Ministère, qui touche au moment 
de soutenir une nouvelle lutte relativement à cette ailaire ». 

M. de Mackau débarqua à Saint-Louis le 29 octobre 1819. 
Schmaltz crut devoir remercier le Ministre « du choix qu'il 
avait bien voulu faire de cet officier distingué » et l'assura « qu'il 
ferait tout ce qui serait en lui pour faciliter (à M. de Mackau) les 
moyens de remplir complètement la mission dont il est chargé 
par le Ministère ^ » Tels étaient l'optimisme et la foi vigoureuse 
de Schmaltz qu'on peut se demander s'il ne voyait pas dans 
ce voyage un heureux événement, une occasion inespérée de 
ruiner toutes les 'attaques dont il était l'objet, et de remettre 
tout à fait sur pied son Plan de Colonisation. 

Le 14 novembre 1819, Schmaltz et de Mackau, conformé- 
ment aux ordres du Ministre, remontent le fleuve de compa- 
gnie. Après avoir examiné de près toutes les archives de la Colo- 
nie depuis la reprise de possession et notamment la correspon- 
dance de Schmaltz et de Fleuriau, de Mackau allait donc voir 
c par lui-même et sous toutes les faces les objets sur lesquels 
le Ministre pouvait désirer avoir son opinion. » Les événements 
prolongèrent même ce voyage au delà des limites prévues, et 
l'envoyé du Ministère eut ainsi «l'occasion d'acquérir sur le carac- 
tère des nègres et des Maures, des gens de Oualo et de ceux de 
Fouta, sur les ressources présentes du pays et les espérances 
que l'on peut raisonnablement concevoir, des données qu'il a 
recueillies et examinées avec soin. Les rapports qu'il a entre- 
tenus avec les habitants et négociants deSamt-Louis et de Gorée, 
ajoutait Schmaltz, l'ont mis à même de connaître toutes les 
opinions, toutes les améliorations désirées, et je lui ai moi-même 
fourni des notes sur les moyens dont je crois nécessaire de pou- 
voir disposer pour rempUr avec toute la promptitude possible 
dans des opérations d'une importance aussi majeure les vues du 
Gouvernement sur la colonie du Sénégal * ». 

Il semblait que le baron de Mackau dût quitter le Sénégal 
tout à fait enchanté et convaincu de la justesse des vues de 
son Gouverneur, et le vœu que Schmaltz formule, en terminant 
la lettre par laquelle il annonce le départ pour France de M. de 
Mackau respire la plus belle confiance. « Je désire vivement 
que le séjour fait dans la colonie par M. le baron de Mackau, 
dont j'ai eu le temps d'étudier et de connaître le caractère et 
les talents, lui ait fourni des armes contre ceux... qui parais- 
sent blâmer les projets du Gouvernement sur l'Afrique. Ce qu'il 
a bien voulu me communiquer de ses opinions me permet d'es- 
pérer que ce double but de sa mission sera rempli, et l'impar- 
tialité, l'exactitude avec lesquelles je l'ai vu faire ses recherches 
me donnent lieu de croire que Votre Excellence sera satisfaite et 



1. C. G., au Ministre, 3 novembre 1819. 

2. C. G., au Mibistre, 23 Janvier 1820. 



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94 LA MISE EN VALEUft DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

qu'il n'existera désormais plus de doute sur Timportance de 
cette partie de nos possessions, plus d'incertitude sur les moyens 
de la développer et de l'accroître ^ ». 



V. — Une série d'échecs. 

Tout autre que Schmaltz, au contraire, eût été fort inquiet 
et se fût efforcé de prévenir les effets du rapport de mission : 
le baron de Mackau n'avait pas vu que des choses merveilleuses; 
il avait même assisté à des événements pénibles et peu favo- 
rables au Plan de Colonisation. 

L'expédition de Galam, qui devait relever le poste de Bakel» 
débuta mal : elle comptait sur les bateaux à vapeur, et elle dut 
s'en passer. De plus, les officiers qui la composaient se que- 
rellèrent ; le jeune officier qui la commandait n'eut peut-être 
pas toute l'autorité et tout le sang-froid nécessaires; les vivres 
furent consommés sans ménagements*. Surtout, et c'était là 
le plus grave, elle ne put parvenir à Bakel pour ravitailler et 
relever la garnison et manqua complètement son but : elle fut 
arrêtée à Saldé par la mauvaise volonté des Peul, la relève fut 
remise à l'hivernage suivant', et l'on dut ravitailler le poste 
de Bakel, qui était menacé de famine, par des caravanes obte- 
nues des Brakna*. 

Schmaltz, revenant à une politique belliqueuse qu'il savait 
pourtant condamnée par le Ministère, essayait d'éviter le retour 
de pareils événements en lançant les Bambara et les Daouich con- 
tre les Peul. « Si (les Peul) entreprenaient quelque chose contre 
les Français qui sont à Bakel, je vous engage, écrivait-il au roi 
et aux principaux chefs Bambara, à la première demande du 
commandant, à entrer dans le pays et, aux hautes eaux prochai- 
nes, je m'y rendrai avec des forces pour me joindre à vous.*» 

Il est vrai que Schmaltz ne voyait dans ces événements 
qu'un incident sans grande importance ; « Le résultat des empê- 
chements mis par le pays de Fouta à l'arrivée de notre expédi- 
tion de Galam ne sera que la perte d'une année, perte réelle 
et bien regrettable, à la vérité. Mais notre influence dans le 
haut pays n'en a point été diminuée, et les avantages de notre 
situation sont toujours les mêmes pour pénétrer de ce point 
dans tout l'intérieur de l'Afrique, et les circonstances, qui toutes 
ont été contre nous cette année, ne pourront plus nous nuire 
désormais •». 



1. C. G., au Miniâtre, 23 janvier 1820. 

2. G. G., au Commandant de Bakel, 8 novembre 1819. 

3. C. G., au Commandant de Bakel, 22 novembre 1819. 

4. C. G., au Commandant de Bakel, 3 décembre 1819. 

5. C. G., aux chefs Bambara, 22 novembre 18 19 ; au roi des Daouich, 22 novembre 
1819; à Samba Congol, 22 novembre 1819; au Ministre, 3 décembre 1819. 

(i. C. G., au Ministre, 22 janvier 1820. 



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Lb plan db colonisation 9& 

Sans doute, M. de Mackau « a tout vu; depuis qu'il est 
à Dagana, il recueille soigneusement tout ce qu'il entend sur 
rimpression qu'a produite cette affaire «et il pourra, à son retour, 
« donner (au Ministre) des renseignements précis sur les suites 
qu'on peut raisonnablement en attendre » ; mais ces suites « ne 
me paraissent pas, jusqu'à présent, susceptibles de faire présu- 
mer ni dangers, ni retards bien importants pour la colonisa- 
tion^ ». 

Pourtant Schmaltz n'était qu'à demi rassuré sur les affaires 
du fleuve. Au lendemain même de ces événements et après 
le départ de M. de Mackau, il entreprit sur le fleuve une tournée 
diplomatique pour essayer de tout arranger et surtout pour 
tenter de conclure une trêve qui permît aux marabouts maures, 
« gens faciles à effrayer », d'entreprendre la traite de la gomme. 
Du reste, si l'on en croit Schmaltz, l'Almamy et les principaux 
chefs avaient insisté à plusieurs reprises pour qu'il vînt, à Podor 
« terminer, disaient-ils, leurs différends *.» . 

Il arriva donc à Podor, par le brick à vapeur, le 17 février 1820; 
il était accompagné de quatre habitants notables, de trois mara- 
bouts du Sénégal et d'offlcier.i. Il espérait profiter de la circons- 
tance pour traiter également avec les Trarza qui venaient de 
lui adresser des propositions de paix. 

Mais, dès son arrivée à Podor, il dut reconnaître «dans les 
habitants du pays beaucoup d'astuce et des desseins hostiles 
cachés sous des apparences de paix ». L'Almamy remit de jour 
en jour la visite qu'il devait lui faire et finalement y renonça; 
les Peul voulaient que Schmaltz descendît à terre, et Schmaltz 
vit là, sans doute avec raison, un guet-apens, dans lequel ses 
compagnons le dissuadèrent de tomber. Enfin, après de longues 
et pénibles palabres, les émissaires du Fouta et du Toro énon- 
cèrent leurs propositions qui étaient tout à fait inacceptables, 
puisqu'ils exigeaient du Gouvernement français l'abandon défi- 
nitif de Bakel et de Dagana, acquis par traités. Dans l'intervalle, 
des Peul avaient attaqué, d'un feu très vif venu des deux riv^s, 
au village de Yamalqui, un petit bâtiment que Schmaltz renvo- 
yait de Podor à Dagana. Les négociations furent rompues. 

Schmaltz revint donc à Dagana, après avoir averti l'Almamy 
qu'il l'y attendrait encore; il l'y attendit deux jours, mais il 
apprit alors que l'Almamy « arrivait avec une armée nombreuse 
et des intentions hostiles contre notre établissement, que les 
Trarza et, disait-on, les Brakna s'étaient joints à lui poui- nous 
attaquer ; enfin que le Damel ou roi du Cayor «avait promis 
d'unir ses efforts aux leurs ». Il était clair que Dagana allait 
être pris et détruit, le Oualo ravagé, le Sénégal affamé et obligé 
de renoncer à toute dépendance dans le haut fleuve. 

Schmaltz rentra précipitament à Saint-Louis avec le bateau 
à vapeur, le chargea d'approvisionnements, prit avec lui 80 sol- 
dats du bataillon, 80 habitants et 140 laptots volontaires, puia 

1. G. G., au Ministre, 3 décembre 1819. 

2. Ibidem. 



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GQOgle 



96 LA MISE EN VALBUH DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

reviat à Dagana le 2 mars. Intimidés, nos ennemis, parmi les- 
quels se trouvait en effet le roi des Brakna, fourbe entre les four- 
bes, n'osèrent pas attaquer Dagana, mais ils se répandirent dans 
le Oualo et le pillèrent sans résistance. Schmaltz, pour faire une 
diversion et obliger les ennemis à rentrer dans leur pays, envoya 
le brick à vapeur canonner et incendier le village de Gaya, où 
se trouvaient encore la plupart des chefs indigènes, une partie de 
leur armée et leurs approvisionnements, et le village de Bokhol, 
où campait TAlmamy. Ce coup de main réussit parfaitement et 
le Oualo fut évacué. D'autre part, il avait dépêché des émissaires 
dans le Cayor et obtenu du Damel qu'il ne bougerait pas. 

Selon son habitude, Schmaltz donnait de ces événements 
vraiment graves des causes tout occasionnelles : les intrigues 
d'un certain Imam Boubakar, qui avait été longtemps notre 
homme de confiance et qui, maltraité par de Mélay (étrange 
rencontre), s'était détaché de nous; des intrigues anglaises aussi, 
le retard des bateaux à vapeur, le non envoi du deuxième batail- 
lon, etc... Il ajoutait, du reste, que la victoire était désormais 
assurée, que tous ses ennemis étaient divisés à nouveau, que son 
action énergique les avait rappelés à la raison et qu'en somme 
ce petit incident était plutôt heureux, puisqu'il avait permis de 
démontrer notre force réelle, de démasquer les intrigues, d'amor- 
cer des traités de paix durables, etc.. ^ 

Mais ces interprétations, qui n'étaient peut-être pas dénuées 
de bon sens, ne pouvaient empêcher le Ministre de constater la 
fragiUté de notre influence dans le fleuve et de craindre qu'à 
brève échéance on ne vît tous nos ennemis se Uguer contre nous. 
Le Plan de Colonisation paraissait de plus en plus compromis, 
et la politique de Schmaltz, à tort ou à raison, ne semblait pas 
avoir abouti à des résultats très heureux. Le Ministre ne se 
demandait pas, bien entendu, dans quelle mesure il était respon- 
sable, par ses hésitations et ses demi-mesures, de cette situation ; 
il ne songeait qu'à reporter sur Schmaltz toute la faute de ces 
embarras. 



VI. — Le rapport de Mackau : 
Nouvelle réduction du Plan de Colonisation. 

Cependant, le baron de Mackau était rentré en France. Por- 
tai avait étudié les conclusions de son enquête : il en fit l'objet 
d'un rapport au Conseil des Ministres, en mai, et d'un discours 
à la Chambre en juin 1820, au cours de la discussion du budget '. 

1. G. G., au Ministre, 25 février 1820. Cf. de môme, G. G., au Ministre, 27 mars 
1820; au Commandant de Bakel, 24 février 1820. 

2. Arch. Gol. Sénégal. 1. 6 d. Rapport au Conseil de Ministres, 13 décembre 1820; 
Archives parlementaires, 2* série, tome XXVIII, p. 661 et 727. Cf. Glir. Schefer, 
op. cit., p. 213 et sq. 



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LÎÊ ^tAN DE COLONISATION Ô7 

Il avouait ses désillusions : on avait compté, au moment de 
l'établissement du Plan de Colonisation, sur l'abondance des 
ressources naturelles du Sénégal, sur la salubrité du pays, le 
concours des indigènes, les bonnes dispositions des princes rive- 
rains, les facilités que donneraient les habitants de Saint-Louis 
et de Gorée en fournissant leiirs capitaux et leurs captifs; tous 
ces éléments de succès nous échappaient, et les intrigues an- 
glaises, pour réelles qu'elles fussent,#ie suffisaient pas à expli- 
quer nos déboires. 

Sans doute ne peut-il être question d'abandonner le projet 
dans son ensemble : la culture du coton laisse de grandes es- 
pérances, notre poste de Galam doit nous mettre en relations 
avec de vastes régions de l'intérieur, mal connues encore, mais 
certainement très riches. Il convient néanmoins de limiter sa- 
gement l'entreprise, de savoir attendre, et il n'y a désormais 
nul inconvénient à réduire les crédits destinés à la colonisation; 
il importe aussi d'apaiser la colonie et ses abords, de reconqué- 
rir la confiance des indigènes, de renoncer à toute manifestation 
de force brutale et de prouver la sincérité de nos intentions par 
un désaveu du personnel actuel. 

Entre temps. Portai notifiait à Schmaltz, comme si Schmaltz 
eût été réel'ement chargé de les mettre à exécution, « les nouvel- 
les intentions de Sa Majesté *. » 

Gomme suite au rapport du baron de Mackau, il reconi^aissait 
que rien n'avait été négligé par Schmaltz et Fleuriau pour la 
répression de la traite des noirs, que « les plus graves accusations 
de traite, qui ont été reproduites sous tant de formes et répétées 
dans tant d'écrits, ne sont heureusement... que d'odieuses ca- 
lomnies, inventées par la passion et accréditées par l'impru- 
dence ou par des intérêts cachés mais faciles à concevoir ». 
Puis, il présentait à Schmaltz, comme un résultat direct de la 
mission de Mackau, une réduction nouvelle du Plan de Colo- 
nisation. 

La politique indigène doit avant tout redevenir résolument 
pacifique et se conformer aux principes suivants : acheter la 
neutralité des Trarza, de. Brakna et des Peul par des redevances 
annuelles, dont le paiement sera subordonné à la correction de 
leur attitude. 

Après le rétablissement de la paix, « diriger nos relations avec 
les diverses tribus de la rive droite, de manière à les contenir les 
unes par les autres, à ne point dépendre exclusivement de l'une 
d'elles pour la traite de la gomme, et enfin à nous ménager des 
facilités pour étendre, sur cette rive, la consommation des fruits 
de notre sol et de notre industrie » ; en général, « apporter et faire 
apporter, dans les relations avec tous les indigènes, autant de jus- 
tice que de modération et même de patience, ce qui n'exclut pas 
la fermeté ; observer attentivement les mouvements des Maures, 
ceux des Peul, du Damel et des gens du Oualo eux-mêmes ; sur- 

1. D. M., 18 mai 1820. 

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9â LA MISE EN VALBUa DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

veiller particulièrement les discours et les manœuvres des ma- 
rabouts ; ne rien négliger pour se les concilier ; dans tous nos 
traités avec les indigènes, exiger des otages et bien traiter 
ceux-ci tout en les surveillant, de manière à empêcher leur 
évasion ». 

Pour les régions à ^coloniser, le Ministre, sur les conseils de 
M. de Mackau, « se rallie au projet d'établissement dans le 
Oualo ». Sur le plateau d§ Dagana, on élèvera une maison, dont 
le bas servira de magasin et le surplus de logement au Comman- 
dant et à la troupe, et on l'entourera (ainsi que les cases des 
colons et des marchands concessionnaires qui voudront se grou- 
per à proximité), d'un fossé et d'un mur que Ton percera pour 
recevoir quelques canons ; on aura constamment à Dagana un 
bâtiment stationnaire bien armé. On l'ortifiera de la même 
manière, « sauf un peu plus d'extension », le plateau de Bakel 
et Ton maintiendra toute Tannée un bâtiment de guerre en vue 
de ce poste. Les logements et les ouvrages militaires de Dagana 
et de Bakel seront établis de manière à ce qu'ils puissent se 
relier plus tard à d'autres plus importants ; mais on se bornera 
autant que possible à ces deux postes sur le fleuve, « les seuls 
(au moins permanents) qu'il paraisse nécessaire de substituer 
aux trois forts qu'il avait été question de construire à Galam, 
à Todde et à Reffo. » 

Une flottille sur le fleuve, aussi réduite que possible, 40 officiers 
et employés militaiies, 613 sous-officiers et soldats de toutes 
armes, recrutés pour la plupart parmi les captifs Ubérés et 
engagés pour douze ou quatorze ans, composeront toutes les 
forces militaires. 

Quant aux cultures, c'est celle du coton surtout qui devra 
retenir l'attention du Gouvernement local, « car c'est la seule 
sur laquelle il y ait, à ce qu'il paraît, à compter, du moins pro- 
chainement » et c'est « une de celles pour laquelle la France est 
le plus tributaire de l'extérieur. » 

Pour le développement des plantations, on ne procédera « que 
par voie générale dans les encouragements aux nouveaux colons, 
soit d'Europe, soit de Saint-Louis ou de Gorée ». On s'abstiendra 
« de tous prêts ou avances en argent ou en nature » ; on se bor- 
nera « aux facilités résultant, tant de concessions de terre, 
soumises à un cens connu et infiniment petit ou même aiTranchies 
de tout cens, que de l'exemption de contributions directes pen- 
dant un nombre d'années à déterminer ». On y ajoutera des 
encouragements moraux : « justice et bon gouvernement local, 
considération décernée aux premiers colons du Oualo »; en tout 
cas, « on attendra le succès bien avéré de la plantation de coton 
exécutée à Todde ^ ou de quelque autre plantation de même 
nature pour demander aux Chambres, s'il y a heu, les fonds qu'il 



1. Dans une exploitation modèle ou « Habitation normale * entretenue au 
compte de la liste civile et dirigée par M. Roger. Cf. 



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LE PLAN DE COLONISATION 99 

serait reconnu indispensable ou utile d'employer pour attirer 
au Oualo des colons d'Europe ou de Saint-Louis ». 

La main d'œuvre sera recrutée par un système d' « enga- 
gements libres et à terme, qui sauvegardera la liberté des 
indigènes, assurera de bons traitements à Tégard des captifs et 
s'inspirera de sentiments de justice et de modération. » 

En dehors des entreprises capitalistes d'Europe et de la colo- 
nie, qui utiliseront ces engagés à temps, le Gouvernement local 
aura « pour pensée habituelle, prendra pour point de mire 
journalier, la recherche et l'emploi des moyens les plus propres 
à inciter les indigènes à la culture du coton, pour leur propre 
compte ». A cet effet, il faudra encourager « l'installation de 
factoreries pour l'achat des denrées et la vente des produits 
naturels un peu partout et multiplier les usines et les machines 
pour la transformation sur place des produits bruts ». 

Le commerce de la gomme ne devra pas être négligé. On recher- 
chera a les moyens de tempérer et de faire, s'il se peut, dispa- 
raître par de sages règlements les inconvénients qu'éprouve 
(le commerce) par l'effet d'une concurrence aveugle qui se nuit 
à elle-même. » 

Pour le commerce du haut fleuve, on étudiera le projet de 
former une association, ouverte à tous les négociants de St-Louis 
et de Gorée. Dans tous les cas, on engagera le commerce de 
Saint-Louis « à faire, en 1820, une expédition de marchandises, 
sous la direction d'un agent qui resterait pendant un an à Bakel, 
afin d'y effectuer ses échanges avec fruit, d'y étudier les goûts, 
les habitudes, les ressources des peuplades voisines. Ce serait là 
un premier pas vers l'exécution d'un projet, qui paraît tout à 
fait raisonnable, de substituer dans le haut du fleuve, sous la 
protection (qui sera sans doute suffisante) de notre poste de 
Bakel, un marché permanent à une foire éphémère et des opé- 
rations concertées et suivies à des achats et à des ventes préci- 
pités et dénués de tout accord et de toute combinaison de la 
part de nos commerçants. » 

Enfin, l'exploration du haut pays sera, autant que possible, 
poursuivie. * 



VIL — Le RAPPEL DE SCHMALTZ. 

Schmaltz ne pouvait guère se faire d'illusions sur le sort qui 
lui était réservé. Cette nouvelle et sensible réduction du projet 
était la condamnation même des principes et des buts généraux 
de sa politique. Sans doute l'avait-on discrètement renseigné 
sur les dangers de sa situation ; car nous ne retrouvons plus dans 
sa correspondance de ces longues lettres-programmes ou plai- 
doyers qui respiraient tant de confiance et de ténacité. 

1, D. M., 18 mai 1820. 

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100 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DS 1817 A 1854 

Le Ministre avait annoncé son remplacement prochain au 
Conseil des Ministres, pour bien marquer qu'une politique nou- 
velle, plus prudente, s'annonçait et pour réhabiliter en quelque 
sorte la colonisation du Sénégal, compromise par les ambitions 
démesurées, les plans trop vastes et les enquêtes insuffisantes 
de Schmaltz et de Fleuriau ^. 

Par une dépêche du 3 juillet 1820, Schmaltz était rappelé en 
France et remplacé au Sénégal par le capitaine de vaisseau 
Le Coupé. Il sollicitait un léger délai pour son retour et son pas- 
sage sur un bâtiment relativement confortable, car, de Taveu 
même de Le Coupé, madame Schmaltz était « d'une faiblesse 
extrême et dans un état de santé très inquiétant '. » 

A son arrivée en France, il demanda à comparaître devant 
une commission spéciale, qui fût chargée de juger des actes de 
son gouvernement; il se croyait victime de la rancune des com- 
merçants, qui auraient voulu fonder une puissante Compagnie 
pour l'exploitation du Sénégal et qui se seraient assuré l'appui 
de Portai*. Mais cette satisfaction lui fut poliment refusée : 
Portai reconnaissait n'avoir à lui reprocher que des imprudences, 
des a erreurs fondamentales » sur les dispositions des indigènes 
et les ressources de la colonie, des fautes politiques : « en courant 
après l'ombre de la colonisation, il avait laissé échapper des 
mains de la colonie (au moins pour quelque temps) la plus grande 
partie du commerce du fleuve; il avait perdu ce qu'il avait, 
sans saisir ce qu'il voulait avoir; il n'avait pu faire, à proprement 
parler, ni la guerre ni la paix »; mais sa probité demeurait au- 
dessus de tout soupçon, et le Ministre de la guerre était prié « de 
lui rendre du service actif* ». 

En somme, ce qu'on sacrifiait dans la personne du colonel 
Schmaltz, c'était ce que Portai appelait avec aigreur « la colo- 
nisation militante et fortifiante. ^» 



1. Areh. Col., Sénégal, 1. 6 d., Rapport au Conseil des Ministres, 13 décembre 
1820. 

2. C. G., le Gouverneur Le Coupé au Ministre, 11 août 1820. Cf. aussi. C. G. 
Schmaltz au Ministre, 10 août 1820; D. M., 3 juillet 1820. 

3. Arch. Sénégal, I, 65, Schmaltz, à M. le marquis de Lauriston, 24 février 1823. 

4. Schmaltz refusait cette offre et demandait, « pour faire exister sa famille » 
un emploi dans la maison civile du roi (Arch. col. Sénégal, 6 f. Schmaltz au 
marquis de Lauriston, 24 février 1823). II fut, par la suite, nommé consul de France 
à Smyrne. 

5. Cf. Arch. Marine, A.A.S 28, Rapport au Roi, 15 mai 1820. 



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CHAPITRE VI 



La Liquidation de l'œuvre de Schmaltz. 



I. — Le bilan 

« Tranquilliser, regagner les cœurs aliénés, prouver par des 
faits que Tintention de la France n'est pas de léser les droits 
d'autrui, mais seulement de maintenir les siens et d'améliorer 
par les cultures sa colonie du Sénégal, en améliorant en même 
temps la condition de tous ceux des naturels qui voudront con- 
courir à nos entreprises »^ : telle était la tâche que le Ministre 
destinait au successeur de Schmaltz. Elle semblait devoir être 
assez difficile, elle exigeait surtout « du sang-froid et de la sagesse » 
et le choix du Ministre s'était porté sur un homme en qui ces 
qualités paraissaient éminentes, le capitaine de vaisseau Le Coupé 
de Montereau*. 

Le premier soin de Le Coupé est de chercher à connaître exac- 
tement l'état de la colonie; mais c'est de Saint-Louis même, 
par des archives, par toutes sortes de renseignements de seconde 
main, qu'il établit ce bilan. Le document le plus net dont il 
dispose, c'est le rapport que lui remet Schmaltz au moment de 
son départ, mais il s'en méfie, il se réserve de « corroborer les 
assertions du colonel ou de les combattre », quand il aura acquis 
« une connaissance plus parfaite des localités, »^ si bien qu'il se 
borne, au lendemain de son installation, à reproduire, sans 
complément d'informations, le réquisitoire dressé par le baron 
de Mackau et Portai contre l'œuvre de son prédécesseur. 



1. Arch. Marine, A. D.S 28, Rapport au Roi, 12 Juillet 1820. 

2. Ibidem. 

3. C. G., au Ministre, 1 1 août 1820... Cf. de même C. G., au Ministre, 18 août 1820, 
et C. G., Mémoire de Le Coupé, en appendice du Mémoire de Sclimaltz sur la situa- 
tion du Sénégal en août 1820, 30 novembre 1820. 



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102 LA MISE* BN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

... •••••-' 

l • ' • • • • ^» • • 

•- '. ■ V ! !• * '••' 

^ La 9ityc(tÎAn politî(;ue lui paraît trouble et fort inquiétante : 
;.j!8^*:d/Ainîs' J^ûw /ni • Vraiment utiles, beaucoup d 'ennemis et 
dangereux, perfides, tenaces, beaucoup de neutres très douteux. 
Et cette situation politique semble toute récente : tout indique 
qu'elle a été créée par l'acquisition du Oualo et l'abandon de nos 
traditions diplomatiques dans les pays riverains. 

Le plan de transformation économique conçu par Schmaltz 
et finalement accepté, quoique réduit, par le Ministère, s'en 
trouve ruiné. Nous possédons bien le Oualo, qui est en effet cul- 
tivable, mais il est absorbé par la guerre ; les cultures indigènes, 
qu'il aurait fallu encourager dans le haut fleuve, n'ont fait 
aucun progrès, et nos marchés n'en profitent pas. Aucune des 
promesses de Schmaltz ne s'est réahsée. 

La traite de la gomme et du mil, ancienne ressource du com- 
merce fluvial, est arrêtée par l'état de guerre, et le Sénégal se 
trouve plus pauvre qu'avant les projets de colonisation. La plu- 
part des peuples riverains ont fermé leurs escales *. 

Tous les jours de nouveaux événements concourent à prouver 
la fragilité du plan de Schmaltz. En août 1820, le convoi de 
Galam est attaqué par les Peul et les Trarza coalisés •. Ce même 
convoi rentre à Saint-Louis dans le plus piteux état : « Tout le 
personnel européen de l'expédition est à l'hôpital ou malade en 
ville »'. Enfin, en un point particulièrement intéressant pour la 
colonisation, à Dagana, les premiers efforts du gouvernement 
local sont anéantis par les éléments : le corps de logis de la ca- 
serne récemment construite s'écroule entièrement à la suite 
de l'inondation*. 

Tout cela était, en somme, assez imprécis et n 'apportait rien 
de neuf : l'étude d'une situation politique exige avant tout des 
enquêtes sur place. En revanche. Le Coupé fait preuve d'une 
abondance et d'une exactitude surprenantes en ce qui regarde 
l'administration proprement dite et surtout la gestion financière, 
dont le Ministère considérait l'examen comme tout à fait 
accessoire. Il donne des ordres « pour que l'on s'occupe de suite 
à faire le relevé général des dettes de la colonie depuis la reprise 
de possession... Ce relevé peut seul lui donner une connaissance 
exacte des ressources qui resteront à sa disposition », car il est 
fort ennuyé d'avoir à « ordonnancer les dépenses sans savoir 
quels sont ses véritables moyens. » • 

Il est certain que les archives, depuis un an environ, avaient 
été mal tenues, et Schmaltz ne faisait aucune difficulté de le 
reconnaître dans son rapport de passation de service : des regis- 
tres manquaient, les comptes n'étaient pas à jour ; mais si les 
« désordres » étaient flagrants, les « abus » l'étaient beaucoup 
moins, et le Ministère n'ignorait pas cette situation, dont il était 

1. G. G., au Minisire, 19 août 1820. 

2. Ibid. 

3. C. G., au Ministre, 22 octobre 1820. 

4. G. G., au Ministre, 3 novembre 1820. 

5. G. G., au Ministre, 30 août 1820. 



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LE PLAN DE COLONISATION 103 

en partie responsable, puisque la vraie cause — l'insuffisance du 
personnel subalterne en nombre et en qualité — lui en avait 
été maintes fois, et toujours en vain, signalée. iV^ 

En conclusion de ce bilan, le mot de faillite n'est pas prononcé, 
maison devine qu'il obsède la pensée de Le Coupé : faillite poli- 
tique, économique, administrative et financière. Le Coupé est 
effrayé par « l'embarras de sa position » et limite étroitement sa 
tâche à celle d'un liquidateur, que ses attributions dispensent de 
faire valoir l'entreprise ^. 

Nous sommes loin, avec lui, de la belle vaillance, de la confiance 
un peu légère sans doute, mais fructueuse et pleine de ressources 
de Schmaltz et de Fleuriau : il ne saura, si l'on peut dire, que 
raturer, effacer, supprimer, atténuer; on ne découvre dans son 
gouvernement rien de vraiment actif, pas une idée féconde, pas 
un souci d'initiative. 

Faire des économies : tel est le grand principe, l'idée centrale 
de sa politique. Sans doute ce mot d'ordre vient-il du Ministère, 
que les projets coûteux de Schmaltz ont fort gêné en un temps 
où la Métropole était pauvre; mais ce mot d'ordre. Le Coupé 
va l'apphquer à la lettre : il n'hésitera jamais à sacrifier dos 
œuvres intéressantes, pourvu qu'il puisse se vanter d'avoir 
allégé de quelque dépense un budget qui pourtant n'avait plus 
rien d'excessif. 

Il supprime emploi sur emploi', se débarrasse d'un des 
bâtiments du fleuve pour économiser 464 fr. 50 par mois,» songe 
à faire disparaître la Sous-direction du Génie et l'administration 
des Douanes et tremble à la nouvelle que le Ministre veut 
encourager la culture par des primes*. 

Ce financier, qui rétablit l'équiHbre budgétaire en supprimant 
les dépenses, apporte dans ses conceptions poHtiques une logique 
analogue: pour faire régner la paix, il arrête la guerre, c'est-à-dire 
signe des traités qui ne terminent rien et laissent l'avenir de 
notre autorité aussi incertain qu'auparavant. 

Le Fouta, le Toro, le Cayor, le pays Trarza, tout ce vaste 
incendie des rives du Sénégal paraît s'éteindre comme par 
enchantement: « J'ai de fortes présomptions, écrit-il au Ministre, 
pour croire à un prochain accord au moins avec une partie des 
nations qui nous environnent ». En réalité, il fait preuve d'une 
rare patience, subit les coups de ses adversaires sans autoriser 
ses subordonnés à tenter des représailles et, comme une paix 
conclue dans ces conditions ne les engage pas à grand'chose, 
les peuples riverains consentent bientôt à signer les traités 
que leur offre Le Coupé*. Il est juste de signaler que Le Coupé 



1. C. G., au Ministre, 22 septembre et 7 novembre 1820. 

2. C. G., au Ministre, 15 et 28 août, 6 septembre, 4 novembre 1820, 17 juin 1821. 

3. G. G., au Ministre, 21 septembre 1820. 

4. C. G., au Ministre, 25 mai 1821. 

5. G. G., au Ministre, 11 novembre 1820. 

6. C. G., au Ministre, 30 août 1820, 20 septembre 1820, 3 novembre 1820, 16 Juin 
et 15 Juillet 1821. 



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104 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DB 1817 A 1854 

se faisait peu d'illusions sur reflicacité de cette pacification de 
pure forme. « Je ne saurais dire, avouait-il au Ministre, s'il 
serait prudent de compter sur la durée d'un état de choses 

auelconque avec des peuples aussi versatiles et dont la sincérité 
ans leurs protestations doit toujours être mesurée sur les 
intérêts apparents ou cachés qui les dirigent k^ Mais cette 
réserve ne pouvait suffire à éclairer le Ministère sur les dan- 
gers de cette politique faible. 

Dans ses différentes parties, l'œuvre de Le Coupé est donc 
essentiellement négative, et son travail, qui fut certainement 
considérable, n'aboutit qu'à des résultats d'apparence. Il ne 
régularisa rien, ne changea rien, et laissa tomber, par pusillani- 
mité, par souci d'économie mal comprise, des entreprises utiles, 
qui n'avaient pas eu le temps de prouver leur valeur ou qui 
simplement lui paraissaient trop coûteuses. 
Cet officier de Marine est un bureaucrate de vocation. Quand 

t)ar hasard il s'aventure sur le fleuve et prend contact avec 
es indigènes, il le regrette aussitôt, redoutant d'avoir compro- 
mis son prestige. « Ma présence dans ces assemblées, dit-il, 
était inconvenante. Elle m'exposait à entendre et à discuter 
des questions sur lesquelles je ne dois que prononcer : elle 
atténue la considération qui doit entourer le Gouverneur du 
Sénégal en le compromettant à chaque instant auprès des moin- 
dres mdividus, et je suis décidé pour l'avenir à faire traiter de 
pareils intérêts par les officiers sous mes ordres, après leur avoir 
suffisamment expliqué mes intentions, et en me réservant la 
faculté de prononcer sur les difficultés qui n'auraient pas été 
prévues et qu'ils ne pourraient pas résoudre * ». 

Il ne se plaît que dans son bureau de Saint-Louis, au milieu 
des dossiers et des registres de comptabilité. Désemparé par- 
tout ailleurs, il se trouve là dans son élément et se sent capable 
d'y réaliser de grandes choses : « Le service courant, proclame- 
t-il, s'organise de manière à me permettre d'assurer que la cou- 
pure dernièrement faite séparera deux époques bien distinctes, 
sous le rapport administratif. » C'est bien, on le voit, une ère 
nouvelle qui s'ouvre; si la colonisation du Sénégal n'a pas rendu 
encore ce qu'on attendait, c'est surtout que ses papiers n'étaient 
pas en règle: « Depuis le 15 septembre dernier, chaque détail de 
l'Administration a commencé à tenir les registres susceptibles 
de retracer d'une manière claire et distincte toutes ses opéra- 
tions; afin d'établir dans notre comptabilité tout l'ensemble 
que l'on est en droit d'exiger, je fais en ce moment rédiger une 
instruction calquée sur les règlements et ordonnances en vigueur, 
qui indiquera à chaque chef de détails ses attributions, les 
registres et écritures qu'il doit tenir, les pièces qu'il doit expé- 
dier, les états politiques qu'il doit fournir, enfin les divers règle- 

1. G. G., au Ministre, 15 juillet 1821. 

2. Ibidem. 

3. G. G., au Ministre, 7 novembre 1821. 



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LB PLAN DE COLONISATION 105 

ments, lois, ordonnances, arrêtés à consulter au besoin. Au moyen 
de cette Instruction, on pourra obtenir dans Tadministration 
des points les plus éloignés de la colonie l'unité si désirable, si 
nécessaire. *» 

Tout oela était sans doute utile et méritoire, mais il n'eût 
pas fallu s'en tenir là.Moins que toute autre, une œuvre colo- 
niale se bâtit avec du papier. 



II. — Les embarras de l'inaction. 

Une telle politique, si Ton peut appliquer ce mot aux occu- 
pations paperassières de Le Cîoupé, eût peut-être convenu à des 
institutions en plein rendement et d'organisation achevée; 
elle devait être désastreuse pour une colonie en voie de déve- 
loppement et dont la vie administrative, politique, économique, 
se dessinait à peine. L'initiative et l'ingéniosité manquaient 
pour appeler les ressources et pour parer aux difficultés journa- 
lières : les difficultés prirent le dessus, les sources de production 
à peine ouvertes se refermèrent, et Le Coupé, avec des archi- 
ves en ordre, fut subrftergé par les événements, qui ne permet- 
tent pas qu'on administre sans gouverner. 

Avec Le Coupé, les embarras ordinaires, ravitaillement, 
traite des noirs, ingérence anglaise, etc., se font de plus en plus 
graves et ne sont nullement compensés par des succès obtenus 
ou du moins entrevus dans le domaine économique. 

La traite des noirs reprend. Les contrebandiers ne sentent 
plus la forte poigne de Schmaltz et de Fleuriau, qui savaient 
au besoin suppléer par des décisions personnelles aux imper- 
fections des règlements. Les Anglais se plaignent hautement de 
notre défaut de surveillance *, et Le Coupé est obligé de recon- 
nattre lui-même la réalité de certains faits, d'avouer «son impuis- 
sance* ». 

Une telle attitude était d'autant plus regrettable que les 
Anglais, profitant de ce gouvernement indécis et timoré, mul- 
tipliaient leurs entreprises, si dangereuses pour la solidité de 
notre domination, pour notre développement économique et 
surtout pour l'expansion ultérieure de nos possessions africai- 
nes. 

Partout à la fois leurs intrigues se tendent et se précisent. 
En Gambie, ils font de Sainte-Marie un solide établissement 
miUtaire et, forts de cette position, prétendent s'arroger un droit 
de visite sur les navires français. Dans le haut Sénégal, le major 
Gray semble attendre que l'hostilité des indigènes et les réduc- 
tions progressives de notre plan de Colonisation nous aient 

1. C. O., au Minisire, 7 novembre 1821. 

2. G. G., au Ministre, 24 avril 1821. 

3. C. Q., au Ministre, 16 juillet 1821, 20 août et 15 octobre 1821. 



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106 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

ramenés à la côte, et c'est seulement en août 1821 qu'épuisé 
par la maladie, il rejoint Sierra-Leone par Corée*. Ils envoient 
sur la côte mauritanienne des bateaux de commerce escortés 
par des navires de guerre et prétendent nous amener, par inti- 
midation, à échanger nos droits réels en Gambie contre leurs 
droits fictifs sur Portendik^. Enfin, le Gouverneur des Etablis- 
sements anglais de Sierra-Leone et le commandant de la Gambie 
anglaise encouragent leurs commerçants à pratiquer de plus 
en plus les côtes entre le Cap Vert et la Gambie et surtout la 
rivière du Saloum, sur laquelle nous croyions avoir des droits 
certains. Et Le Coupé se contentait de demander au Ministre 
des « documents », des copies de traités, des instructions, des 
consultations juridiques; son souci vraiment excessif de la 
légalité, de la régularité, sa passion pour les chartes et les ordres 
écrits lui enlevaient toute liberté d'esprit, lui interdisaient 
toute recherche personnelle de moyens pratiques». 

A l'intérieur de la colonie, les inconvénients de ce régime 
sont encore plus nets. Les tentatives si intéressantes, si auda- 
cieuses de Schmaltz pour transformer la vie économique du 
Sénégal exigeaient un effort trop original et trop soutenu pour 
que Le Coupé pût les reprendre, même à frais réduits. 

Il déclare insoluble la question de l'égrenage du coton*; il 
s'avoue incapable de mettre sur pied une Société commerciale 
du haut Fleuve^; il essaie de réglementer la traite de la gonime, 
mais son règlement n'arrange rien et mécontente tout le monde». 

Le Coupé, avec son habituelle mélancolie, s'est chargé de 
constater la misère de sa colonie : « Le commerce se trouve dans 
la dernière détresse. Les habitants indigènes... sont tous obérés. 
Les Européens qui ont fait du crédit aux habitants... ont ajourné 
leurs paiements de mois en mois, d'année en année, et enfin ne 
peuvent attendre davantage pour l'intérêt de leur réputation 
et de leur crédit. Ils ont fait jusqu'à présent tous les sacrifices 
possibles dans l'attente d'un sort meilleur, le tout en vain*. Voilà, 
conclue-t-il, un tableau d'une exacte fidélité, voilà le résultat 
malheureux de nos premières entreprises. Quant aux moyens 
à employer pour sortir de la position dans laquelle nous nous 
trouvons, je dois y réfléchir et les méditer avec soin pour ne pas 
avancer légèrement ma façon de penser... »• 



1. G. G., au Ministre, 20 octobre 1820 et 27 avril 1821 ; au Commandant de Corée, 
9 août et 24 octobre 1821. 

2. G. G., au Ministre, 29 mai et 12 juin 1821. 

3. G. G., au Ministre, 14 et 30 août 1820. 

4. G. G., au Ministre, 27 septembre 1820 et 24 mai 1821. 

5. G. G., au Ministre, 7 août et 5 novembre 1821. 

6. G. G., au Ministre, 8 mars 1821. 

7. Ibidem. 



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LB PLAN DE COLONtSATtON 107 



III. — Le mécontentement du ministère. 

Le Ministre, en remplaçant Schmaltz par Le Coupé, n'avait 
nullement renoncé à ses projets de colonisation; il se proposait 
simplement de « ralentir le mouvement ^ » et persistait à encou- 
rager, pour sa part, la production et la mise en circulation de 
nouveaux produits*. Il attendait donc autre chose de Le Coupé 
que cette constatation larmoyante; il désirait que Le Coupé 
trouvât des remèdes à une situation qui ne devait pas être sans 
issue. Or, Le Coupé demandait à réfléchir, promettait de méditer 
et le Ministère devait trouver à la fin que Le Coupé abusait 
un peu de la vie intérieure et bornait singulièrement son acti- 
vité. 

Le Coupé sentait confusément cette impatience. Il savait 
bien qu'on lui demanderait autre chose que des régularisations 
d'écritures et des apurements de comptes, et il souffrait certai- 
nement de son impuissance. En novembre 1820 déjà, répondant 
à un plan de colonisation soumis au Ministère par un certain 
Montgery, de Cayenne, il vante sa propre prudence, son goût 
de l'information et de la certitude. « J'ai toujours pensé que pour 
écrire sur un pays, pour parler de ses ressources, de ses moyens, 
des projets que l'on pourrait former, des idées d'établissements que 
l'on y pourrait concevoir, il fallait le voir, examiner beaucoup, 
prendre de bonnes et justes informations, méditer quelque 
temps avant d'arrêter son jugement; encore arrive-t-il souvent, 
après toutes ces précautions, qu'inspirent la prudence et une 
sage défiance de ses lumières, de commettre de graves erreurs. 
Pour embrasser d'un coup d'œil, sans avoir besoin d'examen 
et de réflexions, de graves vues sur une contrée que l'on ne 
connaît point, pour établir un jugement sain et aussi rapide, 
pour écrire sans documents dont on puisse garantir la certitude 
sur des matières aussi sérieuses, et pour écrire des choses qui 
puissent faire foi, il faut être singulièrement privilégié de la 
nature et avoir reçu d'elle une perspicacité et une conception 
bien extraordinaires; ce cas n'est pas sans exemple, et je suis 
loin d'en contester la possibilité^ ». Cette perspicacité lui man- 
quait, et il avait, on le voit, la modestie d'en convenir. 

Ses a méditations », pourtant, n'étaient pas feintes. Ellef^ 
aboutirent vers 1821 à cette certitude que les instructions minis- 
térielles étaient inapplicables et que la fausse pacification 
imposée par le (îouvernement central était cause de tous les 
maux. Et ce timide, ce scrupuleux, trouva dans sa grande hon- 
nêteté la force d'exprimer crûment au Ministère cet avis, qu'il 
savait propre à l'irriter : « Nos projets de culture sont ajournés, 

1. Cf. Instructions au Gouverneur p. i. Gerbidon, 10 avril 1817. 

2. Cf. D. M., 12 février, 23 mars, 26 avril, 4 juillet, 14 et 30 août, 24 novemb. 1821 

3. C. G., au Ministre, 3 novembre 1820. 



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106 LA MîsE EN Valeur do senêgal ûe 181^ a 1854 

Texportation du coton est presque nulle, en un mot la coloni- 
sation est arrêtée et la colonie aux abois. Elle ne peut sortir de 
là que par la paix, et, s'il faut le dire, elle n'aura la paix qu'après 
une secousse violente ^ ». 

Quelques jours après et sans attendre la réponse du Ministre, 
il reprend cette idée avec plus d'ampleur et donne de la politique 
à suivre une franche définition que Schmaltz lui-même avait 
toujours évitée : « J'ai relu avec beaucoup d'attention et de soin, 
dit-il, les instructions qui m'ont été remises à mon départ de 
France, et c'est dans leur teneur que j'ai puisé l'esprit qui doit 
guider l'expression de mes idées. Après un exposé des faits, 
après m'avoir déterminé positivement sous quel point de vue 
je dois envisager les affaires dont on me confie la conduite. 
Votre Excellence pose la question générale de cette manière : 
en un mot, les indigènes sont disposés à entrer dans nos vues, 
ou ils n'y sont pas disposés. J'ai acquis la certitude la plus com- 
plète que les indigènes n'étaient pas disposés à entrer dans nos 
vues. Pour me conformer aux intentions de Votre Excellence, 
tracées dans ces mêmes instructions, j'ai mis tous les moyens 
possibles en usage. A mes efforts inouis, l'on a opposé l'arrogance, 
la hauteur, la fierté la plus insultante, les prétentions les plus 
ridiculement outrées, et le résultat de tous nos soins a été la 
conviction que les naturels n'étaient pas disposés à entrer dans 
nos vues. Je suis donc naturellement ramené au second cas de 
la question posée par Votre Excellence. Peut-on sérieusement 
se flatter de parvenir à coloniser et à civiliser les rives du Séné- 

?;al, malgré les habitants, par l'appareil ou par l'emploi d'une 
orce européenne ? (Votre Excellence) m'assure de la manière la 
plus positive que dans aucun cas les moyens de rigueur ne peu- 
vent donner de résultats satisfaisants, qu'il ne faut nullement 
songer à les employer, etc., etc.. Je me garderai de combattre 
des opinions énoncées d'une manière aussi formelle, je ne me 
permettrai pas d'aller contre des injonctions aussi positives, 
je me bornerai à supplier Votre Excellence de prendre en consi- 
dération la détresse extrême dans laquelle se trouve la colonie 
dont le Roi a daigné me confier le commandement et aux inté- 
rêts de laquelle j'ai dû naturellement m'attacher. J'insisterai 
sur l'urgence de prendre un parti et de le prendre de suite. 

« Je ne puis néanmoins terminer cette lettre sans exprimer à 
Votre Excellence combien la situation dans laquelle je me 
trouve personnellement est pénible. Appelé par le choix du Roi 
à remplir une mission qui n'a point de rapports avec la carrière 
que j'ai embrassée et que je suis honorablement depuis trente 
ans, j'ai dû faire tous mes efforts pour tâcher de la remplir 
convenablement et certes, il est bien cruel pour moi d'avoir 
été arraché à mon état et à mon corps si je ne suis pas à même 
de répondre dignement à la confiance de Sa Majesté »•. 

1. C. G., au Ministre, 8 mars 1821. 

2. C. G. au Ministre, 17 mars 1821. 



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LE PLAN DÉ COtONtâATtÔN lOd 

En même temps, Le Coupé soumettait officieusement à 
l'entourage du Ministre ce renversement des principes. Il signa- 
lait au Directeur des Colonies, Edme Mauduit, la mauvaise 
« tournure des affaires politiques » : « Il serait impossible, lui 
écrivait-il, qu'elles fussent en pire état»^. Il disait plus nette- 
ment encore au Général Halgan : « Je ne crois pas qu'il soit 
désormais possible de coloniser par les voies de la civilisation 
et de la douceur... c'est la force qu'il faut déployer... Cette véri- 
té est pénible à prononcer quand on connaît les intentions du 
Gouvernement et qu'on n'aperçoit que ce moyen pour créer 
une colonie à la France. Je ne me crois point autorisé à dire 
ces choses officiellement, mes instructions dictent ma conduite... 
On ne me demande point d'opinion; dans ce cas, serait-il sage 
d'en donner une ?... Nous sommes dans un état de mort, on ne 
fait point de commerce, on ne fait pas la guerre, et nous ne pou- 
vons nous accorder avec nos voisins... Le fruit de nos veilles 
et de nos travaux n'a eu qu'un résultat qui n'est rien sans les 
autres, celui de ramener l'ordre dans l'administration et la 
comptabilité. Je marche dans les limites qui m'ont été posées, 
je me flatte même de faire des économies que je n'ai pas pro- 
mises C'est par amitié pour moi que tu m'as fait charger 

d'une aussi grande responsabilité. N'est-il pas juste que tu 
m^aides à en supporter le faix ? » *. 

Le Ministre, dont Le Coupé regrettait auparavant le « long 
silence», répondit, le 30 juillet 1821, par une lettre confiden- 
tielle qui devait mettre fin aux angoisses du malheureux gou- 
verneur : « Jusques au 20 avril et même jusques au 15 mai der- 
nier, il ne m'était encore parvenu de votre part rien de décisif 
quant à l'ensemble des intérêts les plus essentiels confiés à 
vos soins... Je m'étais attendu à recevoir incessamment vos 
propositions sur le parti à prendre, notamment pour le rétablis- 
sement de la paix et du commerce. J'ai appris par votre lettre 
du 17 mars que vous ne vous êtes pas cru autorisé à me les 
communiquer (j'ai eu seulement connaissance de vos vues 
par la remise d'une lettre particulière où vous les indiquez'). 
Enfin, vous vous plaignez de votre situation personnelle et vous 
exprimez le regret d'avoir été enlevé à votre carrière militaire. 
J'ai dû mettre sous les yeux du Roi ces divers faits. Il est fort 
regrettable que vos propres convenances n'aient pas pu se 
concilier avec votre position nouvelle. Le Roi n'en apprécie pas 
moins votre dévouement à sa personne et les autres qualités 
qui vous distinguent. Sa Majesté permet que, selon votre vœu, 
vous soyez rendu à l'activité de votre grade dans la Marine; 
et il ne tiendra pas à moi que vous n'y receviez de nouvelles 
marques d'estime et de considération. 

« La colonisation étant le grand objet que le Gouvernement 



1. C. G., à M. Edme Mauduit, 26 mars 1821. 

2. Areh. col. Sénégal, 1 7 c. Le Coupé au général Halgan, 25 mars 1821. 

3. 11 9*agit ici de la lettre au général Halgan. 



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110 LA MtSË EN VALEUt^ bU SENEGAL t>E 1817 A 1854 

se propose, le Roi vous a donné pour successeur au Sénégal 
M. Roger, dont les observations sont faites sur le terrain et 
les idées quant aux moyens à employer s'accordent entièrement 
avec les vues (toujours pacifiques) du Gouvernement à cet égard*». 

Après quoi, le ton du Ministre s'adoucissait. Une dépêche du 
12 octobre 1821 transmet même à Le Coupé un témoignage de 
satisfaction, destiné à atténuer la brusquerie du rappel. On le 
félicite d'avoir conclu la paix avec les Trarza et les Brakna, 
tout en trouvant excessif le taux de la coutume consentie; on 
approuve l'ensemble de ses actes, on le remercie enfin des « soins 
extraordinaires et de l'activité dont il a fait preuve pour mettre 
au courant la comptabilité arriérée». « Ces témoignages de satis- 
faction, dit le Ministre, doivent vous convaincre que le Gouver- 
nement vous rend toute la justice que vous méritez et qu'il 
n'a fait que suivre votre vœu en vous rappelant à l'activité de 
votre grade dans la carrière à laquelle vous manifestiez un si 
vif regret d'avoir été arraché* ». 

En réalité, il semble bien que les vœux de Le Coupé se soient 
trouvés dépassés ; il avait demandé des ordres précis sur un ton 
vif qui ne lui était pas habituel, il avait, un peu à la légère, 
parlé de démission, et le Ministre l'avait pris au mot, ayant du 
reste sous la main un candidat intéressant et certainement 
très remuant. Le Coupé commençait à regretter d'avoir si 
imprudemment fait allusion à son ancien métier, et il essayait 
discrètement de préciser sa pensée; il revenait sans cesse sur 
cette absence d'instructions complémentaires qui avait paralysé 
son action; il refusait de comprendre que le Ministère, tout en 
donnant des instructions générales, avait besoin d'agents 
plus résolus et plus soucieux d'initiative : « Je ne veux pas 
terminer cette lettre, écrivait-il encore en février 1822 à propos 
du commerce et de la culture du coton, sans faire remarquer 
à Votre Excellence combien il est fâcheux que le Gouvernement 
n'ait pas jugé convenable de me communiquer une partie -dç 
ses projets. Depuis six mois, j'aurais pu agir efficacement à cer- 
tains égards; j'aurais excité la culture et l'industrie par divers 
moyens que cet état pénible d'indécision dans lequel je suis 
me défend de mettre en œuvre. J'aurais peut-être fait beaucoup 
et je n'ai pu rien faire de crainte de contrarier les nouvelles vues 
adoptées* ». 

Mais il était trop tard pour se disculper ainsi. Trois semaines 
après cette ultime protestation, le 28 février 1822, Roger arri- 
vait au Sénégal et Le Coupé lui remettait le commandement 
de la colonie*. 

La vraie faillite, ce n'était pas l'œuvre de Schmaltz, à qui 
Ton n'avait pas laissé le temps de tenir ses promesses ni de jus- 



1. D. M., 30juiUet 1821. 

2. D. M. 12 octobre 1821. 

3. G. G., au Ministre, 9 février 1822. 

4. G. G., au Ministre, 28 lévrier 1822. 



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Le DEVELOPPEMENT DES CULTURES lll 

tifîer la valeur de ses intentions, c'était Tœuvre de Le Coupé. 
Elle prouvait, mieux que tous les rapports de mission ou les 
plaidoyers personnels, qu'il était bien difficile d'entreprendre 
le développement économique d'une colonie avant d'en avoir 
assuré la pacification et que les acquisitions territoriales de- 
vaient précéder la mise en valeur. Il est vrai gue le co'onel 
Schmaltz s'aventurait parfois à la légère, mais il savait aussi 
revenir sur ses erreurs, et ses audaces cachaient une réelle 
prudence; son activité surtout, sa volonté de réalisation corri- 
geaient les écarts de son enthousiasme. Il eût fallu lui faire 
confiance et comprendre que l'homme le mieux doué ne peut, 
en moins de trois ans, transformer un pays misérable en El- 
dorado. 



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LIVRE II 



Le développement des cultures 
(1822-1831) 



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CHAPITRE PREMIER 



Une renaissance économique. 



I. — Le nouveau programme du ministère. 



La brève et mélancolique histoire de Le Coupé prouve que 
le Ministère n'avait pas renoncé aux projets de colonisation. 
Sans doute avait-il cédé devant Topposition du Parlement et 
devant l'impossibilité de justifier ses entreprises par des succès 
immédiats ou fermement annoncés ; mais il demeurait partisan 
d'une mise en valeur méthodique de nos domaines africains, et 
ridée d'une exploitation pure et simple, sans plan arrêté et sans 
vues d'avenir, sans action profonde sur la nature du pays et 
les indigènes, n'était pas dans sa pensée. 

Pourtant, dès 1821, il y eut autre chose, dans la politique 
coloniale de la France, que des réductions occasionnelles : le 
Ministère Richelieu-Portal était tombé, et avec lui disparais- 
sait une politique d'expansion résolue et systématique, l'une 
des plus actives que notre histoire ait connues. 

La Marine et les Ck)lonies, dans le Ministère Villèle, avaient 
été attribuées au marquis de Clermont-Tonnerre, ancien offi- 
cier, tout-à-fait ignorant des questions maritimes et coloniales 
et qui ne faisait nulle difficulté de s'avouer « étranger à l'im- 
portante partie du service public remise à ses soins *». Le Direc- 
teur des Colonies, Edme Mauduit, était loin d'avoir la personna- 
lité accusée et les idées claires de son prédécesseur Portai : il 
n'était « qu'un simple fonctionnaire correct, tout comme de- 
vaient l'être ses successeurs immédiats, Boursaint, qui fit 
l'intérim de la direction à partir de septembre 1822, et M. de 

1. Cf. dur. Schefer, op. cit., p. 273 et sq. 

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116 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Crouseilhes, titulaire à partir du 1*' avril 1823 ». Il est vrai que 
M. de Villèle n'était pas dépourvu de connaissances coloniales : 
ancien officier de la Marine royale, il avait été surpris par la 
Révolution dans l'Ile Bourbon, y avait séjourné et s'était 
marié avec la fille d'un planteur; mais on ne voit pas qu'il ait 
manifesté des intentions bien nettes en matière de colonisation 
ni qu'il ait porté une attention particulière sur le département 
de la Marine et des Colonies. Les doctrines arrêtées, les plans 
d'ensemble disparaissaient donc à peu près de notre politique 
coloniale ^. 

Des vues si fermes de Portai, il ne reste Çfuère qu'un principe 
très général, dans lequel se résument les mstructions données 
au nouveau Gouverneur : « Coloniser est le grand but de votre 
mission. Le reste de vos fonctions, toutes importantes qu'elles 
sont, peut, en quelque sorte, n'être considéré que comme un 
moyen d'arriver à cette fin essentielle. » 

Dans la pratique quotidienne, cette nouvelle attitude est 
plus sensible encore. Nous assistons, pour ainsi dire, à une 
triple réduction de la politique coloniale du Ministère : 

Réduction des entreprises en nombre et en étendue, afin de 
réaliser des économies; car la situation financière est toujours 
embarrassée, et ce n'est pas la politique générale du Ministère 
Villèle qui va faciliter la solution du problème financier; 

Réduction des visées et des principes : la politique coloniale 
tend à devenir de plus en plus une politique simplement écono- 
mique, c'est-à-dire détachée de tout projet proprement politi- 
que et social, préoccupée d'accroître, au moins momentanément, 
les revenus des colonies plutôt (|ue leur valeur durable et peu 
soucieuse de faire marcher de pair le progrès matériel et le pro- 
grès moral ; 

Réduction de la responsabilité et de l'initiative ministérielles 
Le Ministre ne préside plus que de fort loin aux destinées des 
colonies, il ne se soucie plus d'avoir des idées personnelles et 

{>récises sur leur mise en valeur, il laisse à peu près la bride sur 
e^ cou aux Gouverneurs qu'il a choisis et n'intervient que pour 
les empêcher d'être trop entreprenants, trop belliqueux ou 
trop dépensiers; il ne joue plus qu'un rôle de frein, au lieu de 
pousser à l'action et de guider. 

De toutes les colonies c'est peut-être le Sénégal qui révèle le 
plus nettement cette évolution. Le Ministère continue, il est vrai, 
à s'intéresser aux cultures qu'on y tente, il aide le Gouverneur 
dans son œuvre de colonisation par le recrutement du personnel, 
par des recherches techniques, par la presse; mais le dévelop- 
pement des œuvres d'intérêt social le préoccupe médiocrement. 
« Le désir d'assurer l'expansion française en civilisant lés indi- 
gènes, l'intention de supprimer la main-d'œuvre servile, les visées 
philanthropiques de tout ordre, si nettement accusées à l'ori- 



l. Cf. Chr. Scbefer, op. cit., p. 274 et sq. 

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LE DÉVELOPPEMENT DÈS CULTUREÔ 117 

gine, ne s'aperçoivent plus maintenant. L'entreprise est pour- 
suivie, mais fût-il démontré, et cela n'est pas, que c'est avec une 
sollicitude égale, qu'il demeurerait encore que c'est dans un 
esprit différent. » ^ 

On comprend que dans ces conditions le développement de la 
colonie ait dépendu surtout de la personnalité du Gouverneur. 
Or, le Gouverneur qui allait succéder à Le Coupé n'était pas un 
homme ordinaire; il avait un moi singulièrement prononcé et 
envahissant, et la colonisation du Sénégal allait connaître avec 
lui un puissant renouveau. 



IL — La personne du Gouverneur Roger. 

La figure du Gouverneur Roger est l'une des plus attachantes, 
des plus marquantes aussi, de toute l'histoire du Sénégal. Nous 
la connaissons assez bien, mieux même que celle de Schmaltz, 
sans doute parce qu'il a beaucoup agi et que son œuvre a laissé 
des traces profondes, mais surtout parce qu'il a beaucoup écrit 
et qu'il a écrit avec un soin particulier. 

Jacques-François Roger était né à Longjumeau, où son père 
était procureur du Bailliage*. Il avait fait des études de droit, était 
devenu avocat à la Cour de Cassation, et il devait avoir acquis 
une certaine notoriété, puisque Mme Jahouvey, fondatrice et 
Supérieure générale de la Congrégation des Sœurs de Saint- Joseph, 
l'avait choisi comme conseil. Mais les occupations traditionnelles 
du Palais convenaient mal à son tempérament ardent et curieux, 
« un élan vers les choses extraordinaires » le portait à « quitter sa 
patrie o; à trois reprises il sollicite un emploi aux Colonies : en 
1815,il essaie de se faire nommer directeur du Domaine à la Mar- 
tinique; en 1818, procureur général à Bourbon; en 1819, procu- 
reur du Roi du Sénégal; il échoue, et une lettre d'un de ses pro- 
tecteurs tendrait à faire attribuer cet échec à des opinions poli- 
tiques trop avancées. Enfin, en juin 1819, sans doute grâce à 
l'appui « très important » de Mme Jahouvey, le Ministère consent 
à lui confier la direction de l'Habitation que le Roi venait de 
créer au Sénégal sur les fonds de sa liste civile et qui devait 
servir d'exploitation modèle. 

A vrai dire, l'état de cette habitation royale de Koïlel n'était 
pas des plus brillants, quand Roger en passa la direction à son 
successeur Emaud de Rougemont; mais il ne pouvait en être 
rendu responsable : l'emplacement des terrains de culture avait 
été mal choisi, et l'on savait par le Gouverneur Le Coupé et par 
des rapports abondants, des mémoires, des études et des essais 



1. Chr. Scbefer. op. cit., p« 903-304. 

2. Pour les renseignements bibliographiques relatifs à Roger, Cf. Aroh. col. 
Sénégal, I. 8 d. dossier confidentiel établi après la démission de Roger, 



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118 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de toute sorte, que Roger n'y avait pas perdu son temps. II avait 
notamment planté des cotonniers dans la zone d'inondation et sur 
les hauteurs avoisinantes ; il avait semé du mil en abondance; 
il avait installé un «jardin d'acclimatation», où il essayait la 
culture des plantes potagères, des arbres fruitiers, de la canne à 
sucre, de l'indigo; il avait construit un pavillon en rôniers et 
pisé crépi à la chaux, avec fondations en briques, des magasins, 
un mur d'enceinte ou « tata », un village pour les ouvriers, 
etc/. 

Mais il ne s'absorbe pas dans ses occupations agricoles; il est 
même probable qu'en acceptant ces fonctions modestes de gé- 
rant de culture, il avait cherché seulement à prendre pied dans 
la place. En juillet 1819, c'est-à-dire dès son arrivée, il obtient 
l'intérim de Procureur du Roi à Saint-Louis; il adresse à ses amis 
de Paris de longues lettres étincelantes, toutes pleines de vues 
ingénieuses, juste au moment où le Gouvernement du Sénégal, 
avec Schmaltz et Le Coupé, donnait des inc^uiétudes au Minis- 
tère; puis, quand Le Coupé se trouve aux prises avec toutes sor- 
tes d'embarras et se montre inférieur à la situation, Roger 
rentre en France et dévoile ses vraies ambitions. 

Avec l'autorité que lui confère son expérience du pays, il 
fait savoir au Ministre que Le Coupé « se noie » et que ses idées 
sur la politique indigène sont des plus dangereuses; il produit des 
mémoires, dont les conclusions concordent à merveille avec les 
intentions gouvernementales, et présente un plan de colonisa- 
tion fondé sur la paix, le développement des cultures, qu'il an- 
nonce facile et fructueux, le respect de l'indigène et l'exemple du 
travail européen : «Il y a longtemps déjà, déclare-t-il par exemple, 
que j'écrivais du Sénégal en France : ce n'est pas à coups de 
canon qu'il faut faire la guerre, c'est à coup de pioches. » 

Le Ministre était assurément séduit par. ces assurances d'un 
colonial éprouvé, par ces formules, qui, mûries au Sénégal, 
confirmaient sa propre doctrine; mais il hésitait à remettre le 
Gouvernement du Sénégal à cet avocat devenu colon; la tradi- 
tion administrative semblait exiger un grade élevé dans l'armée 
ou dans la marine, un prestige d'uniforme, une autorité tout 
acquise, et des résistances étaient à craindre de la part du per- 
sonnel de la colonie*. C'est alors que Roger fait donner l'assaut 
de ses relations, qui étaient brillantes et nombreuses : le vicomte 
d'Agout, le député Dubouchage, neveu du Ministre du même 
nom, le marquis du Chilleau, qui « l'aime comme un fils », le 
Conseiller d'Etat Forestier, le marquis Dessolle et quelques 
autres soutiennent vivement sa candidature ; Mme Jahouvey 
multiplie auprès de Portai les démarches en sa faveur, et le 
premier président à la Cour de Cassation de Sèze, pour faire 
oublier « la teinte de républicanisme » qu'on pourrait trouver 



1. Cf. Rapport de M. de Rougemont,gérant de rhabitotion royale» au gouverneur 
Le Coupé, ié septembre 1821. 

2. Arcb. Col. Sénégal. 1. 8. d., Portai à Roger, 4 janvier 1822. 



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LB DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 119 

c dans la première jeunesse » de son protégé, la présente habile- 
ment comme la nuance indispensable d'un beau caractère : 
« Je suis sûr qu'il n'a conservé de ses anciennes opinions que ce 
qu'il faut pour donner plus d'énergie à l'âme, un respect plus 
profond pour les droits de l'humanité et une affection mieux 
sentie pour le Gouvernement représentatif. . . ^ » 

Ainsi patronné, Roger est nommé Gouverneur du Sénégal le 
26 juillet 1821 : pour remplacer le prestige qui manquait un peu 
à sa robe d'avocat, on l'admet dans la Légion d'honneur le 24 
octobre de la même année, et, à la veille de son départ pour la 
colonie, le Ministre lui donne les meilleurs conseils sur les moyens 
de faire reconnaître son autorité. 

Ces conseils étaient superflus, car la finesse et le tact ne man- 
quaient pas à Roger et, par ailleurs, s'il était le premier Gouver- 
neur civil du Sénégal, il était aussi le premier qui prît posses- 
sion de son poste sans avoir à faire son éducation sénégalaise. 
Il devait à ses fonctions d'intendant de l'Habitation royale, 
courtes sans doute mais remplies d'œuvres, une solide expérience 
du pays, des connaissances pratiques et précises, des idées clai- 
res; il n'avait nul besoin, pour se mettre au niveau de sa tâche, 
d'étudier les rapports plus ou moins exacts de ses prédécesseurs, . 
ni de quêter auprès de ses administrés des renseignements 
plus ou moins sincères; il n'était pas un nouveau venu dans 
la colonie et pouvait, sans risque de ridicule, se conduire en chef. 

Or, le Gouverneur Roger a tout à fait un tempérament de chef 
au sens le plus large et le plus honorable du mot. 

Il est doué d'une grande autorité naturelle ; il sait commander 
et, parce qu'il se fait obéir sans effort, il aime commander. 
Tout en ayant l'art de mettre du liant dans ses relations avec 
les subordonnés, il ne descend jamais jusqu'à la familiarité, 
et ses subordonnée n'ont jamais besoin qu'il les rappelle au 
sentiment des distances. Cet homme d'autorité serait même 
volontiers autoritaire : il déteste l'opposition, d'où qu'elle 
vienne; il réserve jalousement les prérogatives du Gouvernement 
et de ses représentants, il a peu de goût pour les formes parle- 
mentaires que la vie publique tend à prendre de plus en plus; 
il veut bien s'entourer de conseils, mais il se refuse à n'être 
qu'un organe d'exécution de la volonté publique; il se sent trop 
supérieur par l'inteUigence, l'expérience ou l'honnêteté pour ne 
pas vouloir demeurer avant tout son propre parlement et son 
propre premier ministre. 

En revanche, il accepte sans hésitations toutes les charges du 
métier de chef. Il ne craint pas les responsabilités ; il ne se laisse 
pas arrêter, comme Le Coupé, par les lacunes du règlement 
ou les difficultés de forme, il innove bravement en son nom 
propre, il couvre ses subordonnés, il sait prendre des décisions 
vigoureuses et indépendantes. Il est courageux, et sous toutes 
les formes du courage : courage civique, résistance à des mouve- 

1. Arch. col., Sénégal, 1, 8 d., M. de Séze à PorUl, 23 Juillet 1821. 

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120 LA MISB EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

ments d'opinion ou à des décisions d'en haut qui lui paraissent 
dangereux pour l'avenir de la colonie, courage militaire aussi 
ou plutôt colonial, tête haute devant les dangers du climat ou 
du pays, provisions de sang-froid suffisantes pour rassurer ses 
collaborateurs en temps d'épidémie, longues randonnées sans 
précautions miUtaires dans des régions mal connues et mal 
famées, etc. 

Son activité est ordonnée et continue. Il fournit un labeur 
considérable, et non point seulement un travail de bureau : en 
plus de sa correspondance , qui est énorme et rigoureusement 
personnelle, qui porte toujours la marque de son esprit et la 
couleur de son style à la façon des meilleurs Intendante du 
xvni« siècle, il trouve le moyen de faire de longues et minu- 
tieuses tournées, d'établir de sa main des règlements adminis- 
tratifs d'une haute importance et d'une grande nouveauté, de 
visiter les cultures, de voir et d'encourager directement les 
planteurs, d'entreprendre des plantations dans le jardin même 
de l'hôtel du Gouvernement, de poursuivre autour de sa pro- 
pre demeure des expériences d'agronomie et d'élevage. Il pou- 
vait exiger beaucoup de ses subordonnés : il donnait l'exemple. 

Il est capable de vues larges, de vues d'avenir, ainsi qu'il 
convient à un chef digne de ce nom. Il ne se laisse pas absorber 
par les menus soucis du présent, il essaie de voir au delà du 
moment et travaille pour demain beaucoup plus que pour au- 
jourd'hui; il a été, à cet égard, un théoricien fort intéressant 
de politique indigène et d'exploitation coloniale. Mais en même 
temps il ne néglige pas de s'attacher aux détails, qui ont leur 
importance dans une œuvre où la réalisation compte plus encore 
que la conception; il est doué d'une merveilleuse mémoire des 
hommes et des faits, il est capable d'une attention générale et 
soutenue à des affaires fort diverses; tout en laissant à ses 
subordonnés une part suffisante d'initiative et de Uberté, il ne 
cesse de les contrôler et de le guider dans l'exécution de leur 
mission particulière. 

Il est, au reste, essentiellement bienveillant. L'idée d'abuser 
de son pouvoir pour brimer ne lui vient jamais; il s'efforce, 
au contraire, de maintenir tout son personnel en confiance et 
en bonne humeur, il n'admet pas les brouilles entre gens du même 
métier, il estime que l'intérêt public en souffrira nécessairement 
et il essaie toujours d'accommoder les différends. Il sait encou- 
rager d'un mot, réconforter les malchanceux, les déçus ou les 
apeurés, exciter à la besogne les plus vaillants. Il se soucie de 
récompenser, de mettre en valeur ceux qui le méritent, il veille 
soigneusement à l'amélioration des situations matérielles, pro- 
voque des augmentations de soldes, des gratifications, des déco- 
rations, n'attend jamais qu'un bon serviteur réclame le prix de 
ses efforts. Par contre, il n'hésite pas à punir quand il a affaire 
à des cas incurables, et il sait se débarrasser des non-valeurs. 

Tout autant qu'un « commandant » remarquable, ce Gouver- 
neur est un philosophe, un esprit actif, pourvu d'idées abon- 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 121 

dantes, mûries et coordonnées. On a dit^ qu'il était un disciple 
de Jean-Jacques Rousseau; il y a des parties de vérité dans 
cette opinion, mais elle a besoin de quelque correctif : il a, comme 
Jean-Jacques et ses meilleurs disciples, une sensibilité toujours 
en éveil, la passion du bien public et du progrès humain, un sens 
charmant de la poésie, mais il a trop d'expérience et de bon 
sens pour croire Thomme et la nature foncièrement bons et il 
est à cet égard un moraliste sincère et réaliste beaucoup plus 
qu'un philosophe à théories. 

Il éprouve pour « les naturels » une sympathie vive et sinc^e, 
et il leur trouve de vraies qualités : « Je crois, écrit-il, que notre 
population indigène, malgré quelques formes qui surprennent 
au premier aspect, vaut au moins ceux de la dernière classe du 
peuple en Europe. Je doute qu'elle ait à gagner en étant amenée 
à lui ressembler... » Mais il n'est nullement aveugle sur leurs 
défauts, il se contente de noter que ces défauts ne leur sont pas 
spéciaux, et par là s'accorde par avance avec le ^and Livings- 
tone qui ne trouvait les nègres ni meilleurs ni pires que les au- 
tres enfants des hommes. Il écrit par exemple à l'un de ses colla- 
borateurs un peu nerveux : « Maintenez la paix au milieu de 
toutes les tracasseries nègres et maures qui sont inévitables; 
faites le voyageur qui paît dans un bois : il écarte les branches, 
il ne s'acharne pas à déraciner les arbxes. Voilà ce que le bon 
sens vous dira. Suivez donc votre chemin sans vous arrêter; 
par contre, les obstacles naturels, tournez-les. Les blancs vous 
ont-ils donc habitué à ne trouver en affaires que raison, justice 
et délicatesse ? Vous ont-ils donc gâté à ce point que vous ayez 
le droit de vous plaindre des noirs et des Maures ? Ils sont avides, 
perfides, insolents, d'accord, mais aviez-vous cru trouver des 
anges ? Pourquoi donc être étonné de trouver des hommes ? 
Prenez la lanterne de Diogène et trouvez quelqu'un qui soit 
digne de leur jeter la première pierre * ». 

Le vrai moyen de les amener au progrès, ce n'est pas de leur 
révéler notre civilisation par ses pires côtés, c'est-à-dire par des 
guerres plus savantes et plus sanglantes que leurs échaufTourées, 
par une politique belliqueuse et violente, des spoliations à main 
armée, la confiscation de leurs biens et de leurs libertés; ce n'est 
pas non plus de procéder à la façon des Espagnols et de conver- 
tir les indigènes de gré ou de force : c'est d'aller lentement, pru- 
demment, et de faire évoluer les noirs dans leur milieu d'origine. 
• On doit, dit-il fort nettement, éviter les révolutions brusques 
dans les habitudes d'un peuple ». Il se gardera donc des excès 
et des erreurs d'une assimilation trop rapide; il se méfiera 
des fonctionnaires ou des magistrats « qui voudraient faire 
Saint-Louis tout à fait à l'image de leur village ou de leur fau- 
bourg »; il craindra qu'en confiant de jeunes indigènes à des 

1. J. Monteilhet, op. eit., lo, Ann. Comité Etudes hist. et scfentinques, A. O. F. 
1916. p. 32. 
9. Cité par J. Monteilbeti op. cit., p. 83. 



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1^2 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

établissements scolaires de la Métropole on n'en fasse « des 
petits messieurs qui joindront au goût du luxe européen et à la 
mollesse d'une éducation de couvent la mollesse déjà si naturelle 
aux gens de leur espèce » ; il voudra à la tête du tribunal de 
Saint-Louis un juge « plus éclairé dans la législation naturelle 
que dans le droit écrit et qui soit disposé à oublier un peu les 
formes, les pratiques du Palais et les préjugés de sa robe ». En som- 
me il n'a suivi ni ceux qui afHrment gratuitement l'infériorité 
définitive de la race noire ni ceux qui prennent le caractère eth- 
nique- pour de pures apparences et rêvent de faire entrer du 
jour au lendemain les sociétés noires dans le cadre de nos ins- 
titutions modernes; il a clairement aperçu les différences de 
races et de milieux et, tout en cherchant le progrès avec la 
passion d'un apôtre, il a voulu s'adapter aux conditions physiques 
du pays, aux dispositions mentales et à l'organisation tradition- 
nelle des groupements indigènes. 

Or, pour parvenir, selon lui, à faire évoluer sans brusquerie 
ces sociétés primitives, il importe avant tout d'améliorer leur 
existence matérielle, de les enrichir, de leur communiquer des 
habitudes économiques dont ils ne soupçonnent pas encore les 
vertus; mais pour que cet enrichissement soit sûr et durable, 
pour qu'il soit aussi sans danger, il faut qu'il soit fondé sur l'a- 
griculture, seule richesse réelle et solide de ce pays qui jusqu'ici 
a laissé inexploitées ses meilleures ressources et qui a vécu pres- 
que exclusivement d'un commerce routinier et sans avenir. Sur 
ce point, les goûts personnels de Roger rejoignent nettement 
ses idées : « Le titre d'agriculteur, écrira-t-il à son collaborateur 
Brunet, est notre plus beau titre à tous. Vous allez être le pivot 
de la colonisation, l'âme d'une grande création dont les résultats 
doivent servir à la fois notre patrie et l'humanité. Il y a là de 
la véritable gloire et si, comme chef de la colonie, je n'étais 
pas le directeur-né des cultures, je voudrais être investi des 
fonctions que je vous confie. » Et nous verrons, par l'appli- 
cation qu'il apporte à tout ce qui regarde l'agriculture, que ce 
n'étaient pas là des mots, mais l'expression d'une pensée domi- 
nante et d'une préférence certaine. 

Sans doute sera-t-il fort éloigné de négliger le commerce; 
mais, dans son esprit, le commerce ne peut être que l'auxi- 
liaire de l'agriculture, il ne doit accaparer ni l'activité des Euro- 
péens ni celle des indigènes, et son objet doit être avant tout 
de provoquer les agriculteurs à produire, de les encourager par 
l'appât de bénéfices assurés. 

Dans l'exécution de ce programme, si voisin de nos idées d'au- 
jourd'hui, Roger est soutenu et guidé par des dons et des goûts 
d'observation qui comptent parmi ses meilleures qualités. 

Il voit juste et il voit vite, dans tous les domaines qui s'offrent 
à son regard. Il se connaît en hommes; il a vite dépouillé le 
caractère exact de ses collaborateurs et deviné ce qu'il peut 
attendre d'eux; il découvre sans effort les défauts ou les chances 
de durée d'une entreprise et, s'il le faut, revient en arrière; il 



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LE DEVELOPPEMENT DES CULTUt\ES 123 

excelle à rassembler dans ^on esprit les caractères essentiels 
d'une région, d'une affaire, d'une technique, etc.. 

Il est doué d'esprit scientifique. II ne fonde ses idées généra- 
les que sur des ensembles solides d'observations!!et d'expérimen- 
tations, et il ne les formule jamais sans ces discrètes réserves 
qui indiquent un esprit habitué à considérer les mille facettes de 
la vérité et qui se méfie des pièges et des tentations de l'induc- 
tion. A lire sa correspondance si variée, on dirait qu'il sait. tout; 
en réalité, il sait regarder, et son esprit est toujours en travail, 
il parvient ainsi à dépasser les purs techniciens de toute la hau- 
teur de son intelligence et de sa lucidité. 

Il cherche toutes les occasions possibles de se renseigner. Il se 
fait tenir minutieusement au courant de toutes les tentatives, 
de tous les résultats par ses subordonnés, leur demande des 
rapports précis et documentés, leur impose des recherches sui- 
vies et méthodiques, dont il examine avec soin les phases et la 
portée. Il voyage autant qu'il peut et dans des régions que ses 
prédécesseurs n'ont pas vues encore ou qu'ils ont mal vues. 

Il interroge tout le monde, surtout les indigènes, et trouve, 
au milieu de ses multiples occupations, le temps et le moyen 
de faire des études de linguistique, des recueils de folklore, de 
préparer des traductions de fables indigènes, qui ont gardé tout 
leur intérêt. Il prouve ainsi qu'il est capable de sortir de ses 
obligations immédiates et que les expériences, en matière de 
politique indigène ou de mise en valeur, ne lui paraissent jamais 
trop étendues ni trop variées. 

Cet esprit scientifique n'est donc pas un esprit étroit et tous 
les éléments possibles d'information|trouvent une place dans 
ses recherches. Il est, d'ailleurs, trop homnie d'action pour se 
contenter d'une besogne de savant, et il saura mener de front 
l'expérimentation et l'application. 

Ainsi s'explique que les idées fertiles naissent sans effort dans 
cette intelligence lumineuse et précise. Elles fourmillent, elles 
se pressent sans jamais se confondre ni s'opposer, elles s'expri- 
ment toujours en un style clair, en formules justes et colorées, 
qui fixent l'attention et présentent la force et la netteté d'un 
commandement. 

Aussi n'est-il jamais embarrassé. Il est le type du colonial 
ingénieux et résolu, que les petits obstacles n'arrêtent pas et 
que les grands obstacles excitent. Il pense à tout, il trouve des 
solutions pour tout, il va au devant des difficultés, il fait servir 
à ses fins tous les événements et jusqu'aux plus insignifiants 
en apparence. 

Et ces idées si abondantes ne sont jamaisdéplacées, jamais 
elles ne sentent la pure théorie : elles portent la marque du bon 
sens le plus ferme, elles sont adaptées au milieu et aux circons- 
tances, elles n'ont même en général que cette fin dernière : l'adap- 
tation. Si parfois Roger s'est trompé^ c'est qu'il a beaucoup 
agi et qu'il est vraiment dans la nature humaine de se tromper : 
ce ne sont pas les précautions qui lui ont manqué. 



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1^4 LA MtSË EN VALEtJt) DÛ SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

En administrateur qui connaît les hommes et la résistance 
des choses aux volontés humaines, il veille fort exactement 
à ce que ces idées ne soient pas exprimées dans le désert. Il con- 
trôle à mesure qu'il ordonne, pour être assuré de ne point vivre 
dans rillusion de l'action. Et cette prudence inspire toute sa 
politique ; il se méfie des mots, il veut des méthodes qui poussent 
tout droit à l'action; il dira par exemple : « Ce n'est pas par des 
discours qu'on fera agir les nègres; il faut agir devant eux et 
avec eux », et il plantera des bananiers en présence des habitants 
d'un village. 

On s'attend bien à ce qu'il n'y ait pas que des côtés admira- 
bles dans ce curieux caractère. Roger est terriblement ambitieux 
et, pour satisfaire son ambition, il ne s'interdit pas de compter 
sur autre chose que ses mérites personnels et le résultat de ses 
efforts : il a pour l'intrigue une tendance toute naturelle. 

Il est, beaucoup plus qu'il ne conviendrait à sa dignité, avide 
d'honneurs. II parvient à se faire conférer le titre de baron 
en 1824, le grade d'officier de la Légion d'honneur en 1827, et 
c'est pour lui une vive déception que de ne pouvoir obtenir la 
Croix de Saint-Louis. Il n'attend pas qu'on lui attribue des 
témoignages de satisfaction : il les sollicite. Il provoque dans 
la colonie des pétitions en sa faveur; il cherche à faire créer à 
son profit un siège de député du Sénégal; il manque tout-à-fait 
de modestie et ses meilleurs efforts ne sont jamais complètement 
désintéressés. 

Ce défaut le poussera surtout à précipiter la plupart de ses 
entreprises dans l'intention de se faire valoir personnellement, 
à manquer de sincérité, à exagérer ses succès ou à nier ses échecs, 
puis à quitter la colonie au moment où elle aurait particulière- 
ment besoin de lui, au cours d'une crise que son ingéniosité et 
sa vaillance auraient peut-être conjurée. 

Mais qui sait si, avant de porter tort à là colonisation du Séné- 
gal, cet excès de personnalité n'a pas contribué à lui rendre sa 
vitalité et n'a pas eu, en quelque sorte, l'utilité d'une vertu ? 



m. — Le rétablissement de la confiance. 

Les débuts de Roger tendraient à faire croire, en tout cas, 
que l'ambition du Gouverneur et l'intérêt de la colonie pou- 
vaient fort bien s'accorder et que le pays, tout le premier, allait 
profiter d'une volonté de succès qui s'appuyait sur tant de 
vrais mérites. 

Homme d'affaires adroit, colonial expérimenté, Roger n'i- 
gnore pas qu'il faut avant tout inspirer confiance et, dans l'ex- 
pression de ses espoirs, dépasser même sa pensée;' il sait que, 
pour réussir dans une entreprise, et surtout dans une entreprise 



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Le DévELOPPBMENT DES CULfUt^Eâ 1^5 

de mise en valeur coloniale, il ne suffit pas de travailler, que 
l'opinion française doit être conquise au même titre que la nature 
du pays et qu'il faut mettre en lumière ses chances et ses ressour- 
ces, si l'on veut que l'œuvre trouve les appuis de toutes sortes 
qui lui sont nécessaires : « Faudra-t-il encore, disait-il, faire 
longtemps violence aux Français pour leur donner une colonie ? » 

A peine débar(|ué, et avant même que son prédécesseur n'ait 
quitté le Sénégal, il proclame sa confiance, sa certitude du succès, 
l'accord complet de ses idées avec la politique du Gouvernement 
à laquelle il prête, pour la circonstance, une ampleur et une 
fermeté fort inattendues : « J'ai cru devoir manifester les inten- 
tions du Gouvernement dans deux proclamations... » C'est 
comme un coup de clairon , qui annonce un régime nouveau. 

Le Coupé se lamentait; lui, déclare que la situation de la colo- 
nie ne présente rien d'inquiétant. Il n'y a pas de crise, comme 
Le Coupé le prétendait : tout au plus une simple gêne, un moment 
de défiance et de ralentissement; tout va s'arranger, avec de la 
patience et du doigté : « L'état général des affaires de la colonie 
me parait satisfaisant, écrit-il au Ministre, seulement certaines 
craintes vagues qui avaient été conçues sur l'établissement 
d'un monopole et des dispositions du nouveau règlement sur 
la traite de la gomme ont jeté quelque division entre les princi- 
paux habitants et la masse de la population de couleur; j'ai 
reçu même de la part des nègres laptots et traitants des plaintes 
et des réclamations très vives. J'espère parvenir à ménager les 
deux intérêts qu'il serait dangereux de laisser se constituer en 
état de rivalité ». On croit aussi que le Gouvernement veut aban- 
donner l'entreprise de colonisation et revenir à l'exploitation 
pure et simple; on ne tardera pas à s'apercevoir du contraire, 
et la confiance renaîtra ^. 

Tous les premiers actes de Roger manifestent cet optimisme 
nécessaire. Il s'abstient de critiquer les idées étroites et la poli- 
tique de Le Coupé, pourtant si différente de la sienne; il témoi- 
gne à son endroit de toutes sortes d'éçards : « J'ai donné des 
ordres pour que les honneurs d'usage soient rendus à M. Le Cou- 
pé à Toccasion de son départ... Pendant tout le temps que nous 
avons passé ensemble à Saint-Louis, je lui ai laissé l'entière 
jouissance de l'hôtel du Gouvernement, et je n'ai eu avec lui 
que des procédés et des relations dont il a paru être content * ». 

Voilà pour le colonie. Pour la Métropole, il s'attache surtout 
à combattre la réputation d'insalubrité qu'on a faite au Sénégal 
et qui prive cette colonie de crédit, de capitaux et de main- 
d'œuvre. 

En transmettant au Ministre l'état de situation des hôpitaux 
de la colonie, il y joint des observations sur les causes générales 
des maladies constatées ; il explique le mauvais état sanitaire de 
la garnison par les fatigues spéciales au métier militaire et 

1. C.G. au Ministre, 4 mars 1822. 

2. CG. au Ministre, 22 mars 1822. 



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1^ LA MISÉ ktk Valeur t>U SÉNÉGAL DE 181^ A 18&4 

surtout par « Tabus du vin et des liqueurs fortes », par « « l'im- 
possibilité d'enrpécher les convalescents de faire des excès d. 
Il note que « les détachements de troupes qui arrivent de France 
amènent toujours des vénériens et des galeux » et même « que 
plusieurs soldats cherchent à prendre ces. maladies avant de 
partir, dans Tespoir d'éviter ainsi d'être embarqués »; d'ailleurs, 
« quelque considérable qu'ait été le nombre des décès, il n'est 
cependant que du 1/15« au 1/16® du nombre des malades; et 
cette proportion ne paraît guère excéder celle qu'on observe 
en France ». 

Aux maladies des soldats, il oppose la belle santé des colons : 
très peu d'agriculteurs ont besoin de se faire admettre à l'hô- 
pital : « ils éprouvent bien encore quelquefois, dans le plus fort 
des pluies et de l'inondation, quelques légers accès de fièvre, 
mais ces accès cèdent aux premières prises de quinine, ils ne lais- 
sent pas de traces et ne les empêchent pas de se livrer à leurs 
travaux. Nous avons donc plus que jamais motif de croire que 
les Européens, avec les précautions et les soins convenables, 
pourront très bien s'établir comme planteurs au Sénégal, s'y 
livrer modérément aux travaux des champs et résister aux 
influences peut-être trop redoutées du climat ». 

Il cite enfin, comme la meilleure preuve «qu'on peut très bien 
habiter le Sénégal sans y compromettre sa vie et sa santé », 
l'exemple des sœurs de Saint Joseph : « Depuis dix ans, ces 
religieuses tiennent dans la colonie dix et jusqu'à seize sœurs; 
dans tout cet intervalle de temps, il n'en a succombé qu'une 
au Sénégal,et les maladies les ont presque constamment épargnées. 
Une vie sédentaire, un régime modéré, des occupations réglées 
produiraient dans ce pays des effets aussi heureux que sont fu- 
nestes ceux qui résultent des excès, des passions, des vices aux- 
quels s'abandonnent trop communément les Européens entre les 
tropiques ». 

Il pratique tous les procédés de propagande, il organise métho- 
diquement sa réclame: «Peut-être serait-il bon, dit-il par exem- 
ple au Ministre, que ma proclamation fût insérée dans les jour- 
naux. Ce serait un premier pas de fait pour nous conciUer l'opi- 
nion publique jusqu'à présent défavorable à ce pays, et pour 
persuader que le Gouvernement veut réellement la colonisa- 
tion, ce que personne ne croit. L'attention se trouvant attirée 
sur les avantages accordés aux cultivateurs, il pourrait en résul- 
ter un grand bien * », 

Pour maintenir cette atmosphère de confiance qu'il sait 
nécessaire à son œuvre, il entretient avec un soin particulier ses 
rapports avec le Ministère. Il tient le Ministre exactement au 
courant de ses tentatives, de ses espoirs, de ses idées. Il lui envoie 
de longues lettres ou des comptes rendus de voyages qui sont 
de fort belles pièces littéraires et qui méritent de rester dans 



1. C.G., au Ministre, 16 février 1827. 

2. C.G., au Ministre, 4 mars 1822. 



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1 ..._.- i2f 



LE DEVELOPPEMENT DES CULTURES 



l'anthologie de notre littérature coloniale. Il met de Tintelli- 
gence et de l'intérêt dans les moindres besognes administrati- 
ves, il rend vivantes et expressives ses statistiques, il ajoute 
des colonnes où les chiffres sont commentés par des documents 
plus significatifs, et le Ministère lui exprime sa satisfaction^. 

Il presse ses collaborateurs de lui transmettre, pour le Minis- 
tère, des rapports et des mémoires techniques aussi lisibles que 
possible, clairs, nourris d'idées générales; le Ministère est bien 
forcé de se convaincre qu'on travaille ferme au Sénégal, même 
quand les résultats n'apparaissent pas aussi vite (^u'on le vou- 
drait; car tout ce papier ne sent pas la paperasse, il est vivant, 
il donne l'impression d'une activité continue, d'un esprit de 
recherche toujours en éveil, d'un personnel bien en mains, 
d'une chaleur, d'une vivacité de sentiments qui séduisent le 
plus anticolonial des lecteurs. 

Surtout, Roger s'efforce de montrer que son entreprise de 
colonisation n'est qu'une ébauche et qu'il faut lui faire confiance 
si l'on veut qu'elle produise tout ce qu'on peut et doit en atten- 
dre. Or, on peut et l'on doit, selon lui, en attendre beaucoup. 

Il ne s'agit pas en effet de développer quelques cultures et de 
lancer quelques courants commerciaux; il s'agit de créer une 
grande et puissante colonie, une seconde Fra^nce, un vrai domaine 
qui porte la marque de notre esprit et qui s'étende jusqu'au 
cœur de l'Afrique, et nous ne devons pas nous contenter de ce 
Sénégal étriqué, de ces points de côte et de ces rives mal détermi- 
nées que nous ont légués des traités avares. 

Il nous faut, en plus de Saint-Louis, de Corée et de quelques 
postes du fleuve, le Saloum, la Gambie, la Casamance, et nous 
pouvons régner sur tous ces domaines sans coup férir. Puis à 
côté du Oualo, il est un vaste pays capable de fertilité, le 
Cayor, qu'il est trop tôt sans doute pour conquérir et que nos 
ressources actuelles sont trop faibles pour transformer; mais 
c'est là qu'est le véritable avenir de la colonisation. Faisons 
des essais, propageons des cultures et des procédés, dressons 
les indigènes à nos pratiques économiques et ne perdons pas 
de vue le vrai but, qui est l'extension de notre politique écono- 
mique et de notre autorité à toute la Sénégambie. « Lorsque les 
habitants du Oualo développeront parmi eux les germes des habi- 
tudes et des procédés de l'Europe, la communication s'en fera 
bientôt à Cayor; les nègres y appelleront nos plantes producti- 
ves, notre industrie, nos moyens de succès. Les cultures et la 
civilisation, qui est leur résultat, occuperont la totalité de la 
Sénégambie' ». 

Aux « établissements » dispersés, aux Ilots urbains sans liai- 
son avec le pays, Roger annonçait donc la possibilité de substituer 
la colonie vaste et cohérente qu'est le Sénégal d'aujourd'hui. 
Une ère d'action et de prospérité semblait s'ouvrir. 

1. D.M., 3 mars 1827. 

2. Cité par J. Monteilhet in Annuaire du Comité deg Etudes hiêlorique» et êcien- 
tifiqutê de VA. O. F, 1916 p. 101. 



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CHAPITRE U 



Le personnel technique et la main<d*œuvre. 



Ce qui caractérise avant tout la politique agricole du Gouver- 
neur Roger, c'est l'organisation de cadres spéciaux, le recrute- 
ment et la formation d'agents exclusivement destinés à étu- 
dier les aptitudes agricoles du pays et à le mettre en valeur. Ici 
encore se révèle son esprit d'adaptation et de méthode : il ne se 
contente pas des ressources improvisées de personnel que peut 
lui fournir la Métropole et, pour une fonction très déterminée, 
veut un organe bien approprié. 



I. — Le jardinier Richard. 

Il nous faut d'abord mettre à part de tous les autres agents 
techniques le jardinier Richard; nous ne faisons en cela qu'imi- 
ter Roger, qui ne l'a jamais rangé dans un cadre fixe et lui 
a toujours donné une situation spéciale. Richard a été vraiment 
le pivot de l'œuvre agricole de Roger, en même temps qu'un tech- 
nicien d'une remarquable conscience et un homme d'un dévoue- 
ment à toute épreuve. 

Dès son entrée en fonctions, Roger s'efforce de le mettre en 
vedette et d'obtenir de lui tout le rendement dont il est capable. 
Jusque-là, Richard, venu au Sénégal, au moment de la reprise 
de possession, avec le titre de jardinier-pépiniériste, n'avait pas, 
en dépit de sa bonne volonté, servi à grand'chose. Roger com- 
mence par augmenter ses appointements de 600 fr. pour bien 
lui montrer qu'il entend l'utiliser largement, et il le signale au 
Ministre comme un « homme très distingué dans son état, qui, 
depuis cinq ans perd, son temps au Sénégal et qui pourrait y ren- 
dre de grands services ». ^ 

1. C.G. au Ministre, 16 mars 1822. 



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tÉ DEVELOPPEMENT DES CULTURES lâÔ 

Ces marques d'intérêt, Roger les prodiguera à Richard. Il ne 
cesse de l'encourager, de lui manifester sa confiance et sa sym- 

Eathie; il entretient avec lui une correspondance quasi-journa- 
ère et très libre, sur un ton de cordialité dont il ne se sert à l'é- 
gard de nul autre agent : « Soyez persuadé, lui dit-il par exem- 
f>le, que je vous seconderai de tous mes efforts et que je reçu- 
erai, pour faire prospérer les cultures, les limites du possible. 
Je désire que vous ayez toute satisfaction... » Il lui montre à tout 
instant qu'il le considère comme son collaborateur immédiat, 
voire même comme un confident et un conseiller; il l'excite & con- 
cevoir comme lui-même de grands projets et à lui en faire part : 
« Visons, lui dit-il, à quelque chose de grand... »*. S'il s'absente 
en congé, il le recommande particulièrement à son remplaçant 
et prie surtout qu'on le laisse agir à sa guise, comme un agent 
absolument sûr qu'il ne faut pas ennuyer : « Je ne dois pas ter- 
miner ce qui concerne Richard Toi, dit-il à Huffon, son intéri- 
maire, sans consigner ici l'éloge de M. Richard qui le dirige; 
c'est un homme qui, pour la probité, la capacité et le zèle, doit 
vous inspirer toute confiance; accordez-lui protection et même 
laissez-lui carte blanche, tant pour le nombre des ouvriers 
qu'il doit employer que pour les divers mouvements qu'il jugera 
utiles. Il convient qu'il ait sa correspondance directement 
avec vous et qu'il ne soit sous aucun rapport subordonné ni à 
l'agent spécial de la colonisation, ni surtout aux employés de 
l 'Administration ' » . 

En principe, Richard est uniquement chargé de la direction 
du Jardin d'Essai qui porte son nom, Richard Toi, et que Roger 
considère comme un des organes essentiels de son œuvre de colo- 
nisation. Mais il ne tarde pas à recevoir la haute main sur tous les 
établissements de culture qui sont directement entretenus 
par le Gouvernement et qui tendront toujours à être des champs 
d'expériences plutôt que de véritables exploitations *. Au début de 
l'entreprise, il est même considéré comme un véritable directeur 
de l'agriculture du Sénégal, et c'est lui qui est chargé de noter 
le personnel». 

Mais, dans l'ensemble, son rôle est surtout technique, et c'est 
d'ailleurs celui-là qui convient le mieux à son activité silencieuse 
et à sa modestie. En dehors des essais de toutes sortes qui sont 
tentés à Richard Toi et dans les autres établissements du Gou- 
vernement, Roger lui demande sans cesse des mémoires, en vue 
de la vulgarisation agricole*; il le charge aussi de dresser, dans 
les formes indiquées par les Professeurs du Muséum, le catalo- 
gue des plantes de Richard Toi, et c'est & la suite de ce considé- 



1. Col.» 1, à M. Richard, 12 juillet 1822. 

2. Col. 1, à M. Richard, 13 février 1823. 

3. Cité par J. MonteiUiet in Annuaire du Comité d'Etudes historiques et seienli» 
figues de VA. O. F. 1916. p. 1 12. 

4. Col. 1, à M. Richard, 19 avril 1823 ; col. 11 1, à M. Richard, 4 décembre 1826. 
&. Col. l,à M.Richard, 13 décembre 1822. 

6. Col. 1, à M. Richard, 7 février 1823. 



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i30 



LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE ISl? A 1854 



rable et beau travail qu'il demande pour Richard et qu'il obtient 
la Légion d'honneur^. 

Roger ne trouve jamais que Richard empiète. Il place en lui 
une confiance parfaite ; il a même tendance à penser que Richard 
n'use pas assez de cette confiance et il le pousse à étendre son 
rôle. « Ne vous considérez pas seulement comme le directeur 
de Richard Toi, mais comme l'homme essentiel de la colonisation 
et l'une des principales chevilles ouvrières de cette grande entre- 
prise. Vous ne sauriez trop agrandir la sphère de votre utile acti- 
vité ».• 



II. — Le PERSONNEL DE DIRECTION. 

Roger se souciait par ailleurs de donner un chef officiel & ses 
agente de culture. Il n'abdiquait rien de son autorité; il restait 
le vrai chef à tous égards, mais il sentait le besoin de coordonner 
en dehors de lui les efforts de ses collaborateurs. 

Le 22 avril 1822, il annonçait au Ministère la nomination 
provisoire de M. Brunet (Edmond), comme Agent spécial de Is 
colonisation, « en attendant qu'il puisse y avoir un inspecteur dea 
cultures », et la fixation du traitement de cet agent à trois mille 
francs. M. Brunet habitait le Sénégal depuis plus de trois ans 
et il avait acquis « des connaissances locales » qui le désignaient 
à cet emploi *. Le Ministère approuva ce choix et ce titre *, et le 
4 décembre 1822, Roger put annoncer à Brunet sa titularisa- 
tion ^. 

En même temps, Roger déterminait les fonctions de l'Agent 
spécial de la colonisation; il devait : 

« 1° Parcourir, visiter et bien connaître les terrains qui compo- 
sent le pays de Oualo ; se mettre en état de désigner les empla- 
cements les plus convenables aux cultures; aller examiner ceux 
sur lesquels des concessions seraient demandées et en faire un 
rapport au Gouverneur; vérifier le mesurage et les distribu- 
tions; recueillir les réclamations des indigènes, intervenir dans 
les difficultés qui pourraient naître entre eux et les concession- 
naires et faire connaître au Gouverneur le tout avec son avis; 

« 2® Conférer avec les cultivateurs de toutes les classes sur les 
divers modes de culture et d'exploitation; tenir des notes com- 
paratives des divers procédés; répandre l'usage de ceux qui lui 
paraîtront les meilleurs, dsitribuer, sous l'autorisation du 
Gouverneur, des graines, des instruments aratoires, des machines 
à égrener et généralement propager les bonnes méthodes; 



1. C.G., au Ministre, 24 juillet 1824. 

2. Col. 1 1, à M. Richard, 3 avril 1826. 

3. C.G., au Ministre, 22 avril 1822. 

4. N.M. 5 septembre 1822. 

5. Col. 1., à M. Richard, 4 décembre 1822. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 131 

« 3® Connaître retendue des plantations qui seront faites, 
approximativement les dépenses qu'elles auront occasionnées 
et les produits qu'on en obtiendra. Rédiger ainsi, dès l'origine, 
une histoire sommaire, une statistique des cultures du Sénégal; 

« 4® Faire des observations régulières sur les variations de la 
température, la marche du thermomètre et de l'hygromètre, sur 
la direction des vents dominants, sur les pluies et les rosées, 
sur l'ordre des saisons, en un mot sur tout ce qui a rapport à la 
végétation; 

« 5® Faire rechercher les graines et plantes indigènes qu'on 
peut espérer d'utiliser ou d'améliorer par la culture; faire des 
propositions au Gouverneur pour introduire au Sénégal les 
graines et plantes exotiques qu'on croira susceptibles d'y être 
naturalisées; 

« 6® Avoir la direction des travaux que le Gouvernement pour- 
ra faire exécuter relativement aux cultures. » 

Pour le reste de ses fonctions, notamment en ce qui regardait 
les primes et les encouragements, la police des travailleurs 
libres, des captifs et des engagés à temps, il devait recevoir, et 
il reçut, en effet, des instructions particulières et détaillées ^. 

Par la suite, ces fonctions se précisèrent encore, sans sortir 
toutefois de ces Umites générales^. Mais le titre de Brunet 
changea, pour devenir plus significatif, plus conforme à la réa- 
lité de ses attributions. 

En 1826 arrivait dans la colonie, sans qu'on l'eût demandé 
et sans qu'il y eût d'inspecteur titulaire, un « inspecteur adjoint 
des cultures » : « S. A. R. Monseigneur le dauphin, écrivait le 
Ministre à Roger, a daigné me faire connaître qu'Elle s'intéressait 
particulièrement à M. Charles Berton, qui désirait obtenir un 
emploi dans les colonies. Avant d'admettre ce jeune homme dans 
le cadre des commis entretenus de la Marine, j'ai voulu le placer 
dans une situation intermédiaire qui permît de juger son zèle 
et son aptitude; je l'ai destiné, dans cette vue , à servir au Séné- 
gal en qualité d'inspecteur adjoint des cultures et avec un trai- 
tement égal à celui de commis de Marine de deuxième classe, 
savoir : 1.200 francs en France et 2.400 dans la colonie'... » 

Roger ne pouvait guère s'opposer à cette étrange désignation 
qui venait de si haut; du moins s'empressa-t-il de faire remarquer 
au Ministre que l'arrivée inattendue de cet inspecteur adjoint, 
« peu avancé en connaissances agricoles, tout à fait étranger au 
climat des tropiques et à notre colonisation, pouvait causer 
quelque embarras dans la marche de notre entreprise » et ris- 
quait de placer « dans une situation fausse M. Brunet, dont le 
titre modeste d'agent de la colonisation rend depuis l'origine 
d'excellents services, et qui possède une expérience, des con- 



1. CoL 1., à M. Brunet, 15 avril 1822. 

2. Cf. notamment, Col. 1, à M. Brunet, 26 décembre 1823 (Conseils à donner aux 
planteurs) ; Col. 1, à M. Brunet, 14 mai 1822 (mission de nivellement); Col. 1, à M. 
Brunet, 24 septembre 1822 (curatelle des concessions vacantes). 

3. D.M. 1 1 février 1826. 



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132 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

naissances locales auxquelles rien ne peut suppléer. » En même 
temps, il avertissait le Ministre que, pour tout arranger, il 
conférait à Brunet le titre d'inspecteur des cultures avec un 
traitement de 6.000 francs^. 

Ce n'était donc là qu'une situation de fait régularisée. « Rien 
n'est changé à vos attributions, notait Roger. Mon projet est 
de conserver dans les premiers temps M. Berton auprès de moi, 
pour m 'aider dans les détails de la colonisation; je réglerai plus 
tard ses rapports de service avec vous. J'ai saisi avec empres- 
sement cette occasion de vous conférer un titre plus convenable 
que celui qui avait dû être donné jusqu'à présent à votre emploi »•. 

Quant à Berton, il n'eut jamais un rôle bien éminent dans la 
colonisation, et ses attributions ne furent jamais comparables 
à celles de Brunet ; il fut employé à peu près aux mêmes besognes 
que les agents subalternes, chargé de missions très déterminées 
et temporaires et surtout placé à la tête d'établissements de 
culture du Gouvernement. Il était, du reste, un homme du monde 
plutôt qu'un colonial de vocation, et la vie de brousse ne l'atti- 
rait guère; en l'affectant à la direction de l'établissement de 
Faf , Roger lui recommandait « expressément de ne pas quitter 
(son poste) pendant les quinze premiers jours de son arrivée... 
Je sens, ajoutait-il, ce que cette exigence a de désagréable 
pour vous, mais je vous le demande comme une chose à laquelle 
je tiens beaucoup, et en quelque sorte comme un service person- 
nel, vous promettant de ne pas renouveler un pareil impôt sur 
votre goût pour la société, où vous êtes en effet si bien placé sous 
tous les rapports »'. 



III. — Les jardiniers agriculteurs du Gouvernement. 



Le personnel technique placé sous les ordres de Brunet devait 
se composer surtout de « Jardiniers-agriculteurs du Gouver- 
nement ». 

Leur nombre, d'abord fixé à douze, passe à seize à la fin de 1822, 
puis à dix-huit en 1825, et il est réduit à treize en 1826*. Mais en 
fait ces chiffres ne furent pas atteints, et les agriculteurs présents 
au Sénégal ne furent jamais plus d'une dizaine : trois d'entre 
eux meurent à la colonie, un quatrième périt en mer, un autre 
est renvoyé pour inaptitude et inconduite, d'autres, malades, 
rentrent en France peu de temps après leur arrivée au Sénégal, 
d'autres enfin démissionnent ou bien, sous divers prétextes, 



1. C.G., au Ministre, 30 mai 1826. 

2. Col. II, à M. Brunet, 23 mai 1826. 

3. Col. III, à M. Berton, 10 décembre 1826. 

4. D.M., 3 Janvier, 3 avril, 27 Juillet 1822. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 133 

une fois désignés pour la colonie, ne rejoignent pas ^ Ce cadre, 
comme il arrive si fréquemment aux colonies, n'était donc jamais 
au complet, et Roger ne cessait de demander qu'on le com- 
plétât « le plus promptement possible », comme l'exigeaient « le 
développement de nos travaux agricoles et la marche rapide 
de notre colonisation... » « Nous éprouvons surtout, disait-il, 
le besoin d'hommes habiles et capables de diriger... les indigènes. 
Sans douté, si les jardiniers qui sont ici étaient tous susceptibles 
de rendre les services qu'on en attendait, il deviendrait inutile 
d'en augmenter le nombre; mais, dans l'état des choses, il faut 
se donner des chances et tâcher de suppléer, quoique bien impar- 
faitement, à la qualité par la quantité ^ ». 

A première vue, ce recrutement, tout difficile qu'il fût, 
semblait offrir quelques garanties. Avant d'entrer au service du 
Gouvernement du Sénégal, certains de ces agents étaient employés 
au Jardin des Tuileries ou au Jardin des Plantes, d'autres chez 
des pépiniéristes des environs de Paris ou des cultivateurs, le 
reste avait été recruté sur place parmi les colons malheureux et 
méritants. Tous, en somme, étaient du métier, ce (ju'il importe 
toujours de noter quand il s'agit de fonctions coloniales; la plu- 
part étaient recommandés par des spécialistes, agriculteurs 
connus ou professeurs du Muséum, et le Ministre, avant de les 
mettre à la disposition du Gouverneur, procédait à une enquête 
sur leurs aptitudes et leur moralité^. 

En principe, les jardiniers-agriculteurs sont destinés à « diriger 
des cultures et enseigner aux nègres les procédés en usage dans 
l'Europe »*. Ils sont employés en sous-ordre à Richard-Tol 
et dans les autres stations d'essai, puis, dès qu'ils sont au cou- 
rant des cultures du pays, ils dirigent les établissementsdu Gou- 
vernement. Ils sont chargés, à l'occasion, de diverses missions 
spéciales : vulgarisation de procédés agricoles et de cultures, 
recherche de plantes utiles indigènes, convois de plantes à natu- 
raliser, etc.. Ils peuvent, enfin, être détachés sur les conces- 
sions, pour aider et guider les planteurs». 

Pour des fonctions qui devaient être aussi importantes et péni- 
bles, le traitement accordé aux jardiniers-agriculteurs paraîtra 
sans doute peu élevé : ils reçoivent une solde annuelle de 1.200 fr. 
et une indemnité de logement de 96 fr.; leur voyage depuis 
leur résidence habituelle est payé par le Gouvernement; ils ont 
droit & leur solde à compter du jour de leur arrivée au port d'em- 
barquement et touchent en outre, avant de s'embarquer, une 
avance de 150 francs*. 



1. G.G., au Ministre, 3 Janvier et 16 août 1823, 24 juillet 1826; D.M., 7 août 1823, 
17 mars 1824, 5 août 1825, 8 octobre 1825, 5, 22 et 30 décembre 1826. 

2. C.G., au Ministre, 24 juUlet 1826. 

3. D.M., 3 avril 1822, 27 juOlet 1822, 7 août 1823, 17 mars 1824, 25 février 1824, 
5 et 30 décembre 1826; C.G., au Ministre, 16 mars 1822, 21 septembre 1826, 3 jan- 
vier 1826. 

4. C.G., au Ministre, 21 septembre 1826. 

5. Col. II, ft M. Ricliard, 22 août 1825, et Col. I,II, III, passim. 

6. Col. I, II, III, passim. 



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134 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

En général, Roger ne paraissait guère satisfait de ces agents. 
S*ils avaient quelque expérience de la culture européenne, ils 
ignoraient tout de la culture tropicale et des conditions de la 
vie coloniale et la faiblesse de leur éducation générale nie leur 
permettait pas de remédier rapidement à cette ignorance : « Il 
s'en est trouvé bien peu de capables parmi ceux qui sont arrivés », 
écrivait Roger au Ministre. Il se plaignait aussi de leur inconduite, 
de leur brutalité i. Les hommes comme Richard représentaient 
vraiment une exception. 



IV. — Les spécialistes. 

Pour les besognes très déterminées, qui exigent une prépara- 
tion scientifique ou un apprentissage certain, Roger utilise des 
spéciaUstes, détachés des autres cadres administratifs ou plus 
souvent engagés par contrat pour une mission temporaire. 

Tels sont : 

Les arpenleurs. — C'est, nous Tavons vu, l'Agent spécial 
de la colonisation et plus tard l'Inspecteur des cultu es qui est 
chargé de la procédure des concessions de terrains : répartition, 
arpentage, etc. . . Il est assisté dans cette tâche par des Arpenteurs- 
voyers, capables d'opérer un levé de terrain et un nivellement; 
dès que les principales concessions sont constituées, le rôle de 
ces arpenteurs- voy ers diminue, et ils n'apparaissent plus guère 
que pour l'attribution des primes, au moment du recensement 
des cultures. Aussi ne furent-ils jamais très nombreux : deux au 
plus *. 

Les indigotiers. — Dès 1822, Roger s'efforcera de développer 
au Sénégal la culture de T ndigo, qui, du reste, était déjà con- 
nue des indigènes; mais les indigènes ne savaient préparer l'in- 
digo qu'en « pains bruts », ce qui en diminuait la valeur. Comme 
il s'agissait là d'une industrie très spéciale, il fallait^de toute 
nécessité s'adjoindre un technicien. 

« Je me suis occupé, écrivait le Ministre en septembre 1822, de 
vous procurer un bon indigotier, et je continue mes recherches 
à cet effet : peut-être faudra-t-il le faire venir du Bengale; cepen- 
dant je ne désespère pas encore d'en trouver en France, et il 
s'est déjà présenté un ancien habitant de Saint-Domingue qui 
énonce y avoir dirigé une indigoterie'... » 

L'affaire traîna en longueur, et c'est seulement en 1825 qu'un 
indigotier put être engagé par le Gouvernement du Sénégal; 

1. ce, au Ministre, 8 Janvier 1823. 

2. Col. II à M. Boissard, 21 octobre 1822; Col. I, à M. AUec, 26 avril 1823. 

3. D. If ., 5 septembre 1822. 



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LB DEVELOPPEMENT DES CULTURES 135 

il devait « résider quatre ans au Sénégal et, pendant ce temps, 
donner tous ses soins aux travaux d'agriculture et d*exploitation 
dont la direction lui aura été confiée, ainsi qu'aux travaux que 
nécessitera l'élablissement des manufactures d'indigo»; il joui- 
rait d'un traitement annuel de 7.500 francs, et les moyens de 
transport « en usage au Sénégal » seraient mis à sa disposition 
pour les tournées qu'exigerait son service. On voit que ces con- 
ditions étaient fort avantageuses, par rapport à la solde des 
autres agents et, par exemple, à celle de Richard, de qui la valeur 
était pourtant connue depuis longtemps ^. 

Par la suite, et quand on décida de multiplier les indigoteries, 
un chimiste, qui était venu au Sénégal comme aide d'un chargé 
de mission, Dejon, fut également employé à la fabrication de 
l'indigo •. 

Les botanistes, — Le Ministre annonçait au début de 1822 que, 
sur la proposition du précédent Gouverneur, il avait ordonné 
la suppression de la Commission d'exploration des pays du haut 
Fleuve. Des membres qui composaient cette Commission, il ne 
restait plus sur les lieux que M. Sauvigny, agriculteur-botaniste, 
et le lieutenant Bodin, ingénieur-géographe. Le Ministre invi- 
tait le Gouverneur à procurer à M. Sauvigny son passage pour 
France par l'une des plus prochaines occasions et à lui donner 
toutes les facilités dont il aurait besoin pour le transport des 
objets d'histoire naturelle qu'il paraissait avoir réunis à l'inten- 
tion du Jardin du Roi. Quant à M. Bodin, il devait être employé 
dans la Guyane française'. Roger, toujours en quête de person- 
nel technique et habile à profiter de toutes les occasions pour 
s'attacher des agents intéressants, songea un moment à retenir 
au Sénégal Sauvigny et lui confia des recherches botaniques et 
agronomiques ; mais il ne tarda pas à revenir sur cette intention 
et renvoya Sauvigny en France, en déclarant au Ministre que 
cet élève-voyageur ne connaissait rien aux cultures et, de plus, 
s'était toujours montré opposé, «par système et par relation de 
société », aux projets de colonisation*. 

Cette commission générale d'exploration, Roger la remplaça 
fort heureusement par des missions de détail, sans apparat, diri- 
gées sur des buts précis. 

Telle fut la mission du botaniste Perrotet. Perrotet était 
d'abord désigné pour la Guyane, mais le « peu de succès des 
premiers essais de culture qui ont eu lieu à La Mana » ayant 
déterminé le Ministre à « ajourner le développement que cette 
colonisation devait recevoir », il fut affecté au Sénégal sur la 
demande de Roger, à la solde de 3.500 francs* , En 1826, Perro- 



1. G.G. Contrat Degoutin, 16 septembre 1824. 

2. Col. III, à M. Dejon, 6 janvier 1827. 

3. D.M., 16 janvier 1822. 

4. C.G., au Ministre, 14 février 1823. 

5. D.M., 13 décembre 1824. 



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136 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

tet demanda à être attaché définitivement, comme « entretenu », 
au Ministère de la Marine, et Roger transmit sa demande avec 
les plus grands éloges : « Aucun agriculteur ne me paraît avoir 
rendu à votre Département autant de services que M. Perrotet. 
Depuis 1818, il n'a cessé de remplir à la satisfaction universelle 
des missions utiles dans les quatre parties du monde : d'abord 
en Asie, sur l'expédition du capitaine Philibert, il a obtenu les 
plus beaux résultats ; Bourbon et Cayenne ont successivement 
témoigné de son zèle et de sa capacité; ces deux colonies lui 
doivent l'introduction de végétaux précieux; il s'est fait remar- 
quer par son ardeur et son intrépidité dans l'expédition de La 
Mana; depuis, son voyage aux Antilles lui a mérité des témoi- 
gnages de satisfaction de la part de Votre Excellence; enfin, je 
n'ai que des éloges à faire de sa conduite au Sénégal, de l'ac- 
tivité, des connaissances dont il fait preuve journellement *». 

Les chimistes. — En février 1825, toujours sur la demande 
de Roger, un chimiste, Plagne, professeur de pharmacie de la 
Marine, était dirigé sur le Sénégal *. La même année, le Ministre 
envoyait de France, pour être adjoint à Plagne et pour l'aider 
dans ses «travaux d'analyses et de préparations chimiques », le 
jeune Dejon, à la solde annuelle de 2.400 francs. Plagne devait, 
« pendant son séjour au Sénégal, mettre Dejon en état de suivre 
les essais qui auraient été commencés ^ ». 

Plagne était chargé en quelque sorte d'une inspection agri- 
cole; mvesti de toute la confiance du Ministre de la Marine, il 
devait examiner les cultures, la nature des concessions et la 
disposition des plantations; mais le « principal objet de sa mis- 
sion était de rechercher le moyen qu'on pourrait employer pour 
cultiver Tindigo avec succès et de s'assurer dès à présent du pro- 
duit qu'il sera possible d'en retirer ». 

Les comptables. — En dehors de leur service purement tech- 
nique, certains agents, et notamment les directeurs des établis- 
sements de culture du Gouvernement, avaient une besogne 
administrative considérable. Il convenait de les en décharger, 
si l'on ne voulait pas que leur véritable rôle fut étouffé par des 
travaux accessoires, et Roger confiait volontiers cette partie 
administrative du service de l'agriculture à des agents d'autres 
cadres, spécialistes de la comptabilité. 

« Gomme je vous en avais plusieurs fois manifesté l'intention, 
écrit-il par exemple â Richard, et d'après la demande que vous 
en aviez vous-même faite, j'ai chargé M. Laurichesse, commis de 
la Marine à Dagana, de tenir en même temps la comptabilité 
de Richard-Tol, et d'y régler tout ce qui concerne les détails 



L G. G. au Ministre, 27 juillet 1826. 

2. D.M., 10 février 1825. 

3. D.lf ., 28 février 1825. 



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Ll DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 137 

administratifs. En vous débarrassant de ce travail fastidieux 
et en vous laissant plus de temps pour les soins qu'exige la 
culture, j'ai veillé cependant à ce que Tautorité tout entière 
vous restât dans rétablissement dont vous seul continuerez 
d'avoir la direction; je sens très bien que le commis de l'admi- 
nistration de la Marine doit vous aider et non vous entraver; 
telles sont mes intentions bien positives; et si vous éprouviez 
que l'on s'en écartât, vous auriez à m'en rendre compte de 
suite... * ». 

De même, Thomas, commis de la Marine, chargé du service 
administratif pour les établissements de la rivière, est invité à 
établir sa résidence à Faf, et le rôle du jardinier Boissard se 
limite aux cultures. « Tous les... approvisionnements, écrivait 
Roger à Boissard, dépendront de M. Thomas; vous trouvant 
débarrassé de ces divers soins, vous pourrez plus activement et 
plus utilement encore vous occuper à des travaux de plantations... 
Le commis de Marine n'a rien à commander aux ouvriers de 
l'établissement et ne peut en exiger aucun service* ». 

On voit à quel point Roger se préoccupait de ne point sacri- 
fier à la pure administration, à la tenue de livres, la partie vrai- 
ment essentielle du service. Il revient à tout instant sur cette in- 
tention et il met les comptables en garde contre leur esprit de 
complication: « J'apprécie, écrit-il k Thomas, votre zèle et votre 
bonne volonté. Je ne saurai trop vous recommander de conti- 
nuer à agir dans le sens des convenances de nos agriculteurs. Il 
faut bien penser qu'ils sont, par rapport à votre emploi, ce que 
le fond est à la forme ».* 

Les travaux publics. — On peut aussi considérer comme une 
véritable annexe du service de l'Agriculture les différents servi- 
ces de travaux publics installés dans la Ck>lonie. 

L'ingénieur des Ponts-et-Chaussée partage son temps « entre 
les travaux de la Ville et ceux des étabUssements du Fleuve »*. 

Pour la construction et la réparation du matériel de culture, 
Roger s'adresse aussi & la Direction de l'Artillerie. Il note que 
« le service de l'Artillerie est parfaitement bien dirigé; M. le 
capitaine Schwartz domine son affaire. Comme il reste fort peu 
de travaux à exécuter pour l'Artillerie, ses ateliers sont souvent 
employés au service de la colonisation »• . 



1. Col. I. 4 M. Richard, ^ octobre 1892. 

2. Col. II, ft M. Boissard, 28 Juin 1824. 

3. CoL II, à M. Thomas, 17 juUlet 1824. 

4. G.G., au Ministre, 28 JuiUet 1826. 

5. Cité par J. Monteilhet, in Annuaire du Comité des Eludée hiëtoriqueê el seienii" 
fiqueê de rA.O.F., 1916, p. 117. 



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138 LA MISE BN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 



V. — Les AUXILIAIRES. 

A côté des agents réguliers et des spécialistes occasionnelle- 
ment attachés au service de la colonisation, Roger emploie 
divers « auxiliaires », qui ne se confondent pas avec la simple 
main-d'œuvre et qui gardent dans Tentreprise un rôle de chefs 
d'équipes ou des fonctions relativement spécialisées. 

Les « employés ». — Il recrute sur place de jeunes mulâtres 
qui lui paraissent dévoués et doués pour l'agriculture, comme 
Paul Holle, le futur défenseur de Médine, et Charles Pellegrin^, 
ou même des Européens qu'il a trouvés dans le pays sans situa- 
tion assurée, désemparés et contents de se procurer des moyens 
réguliers d'existence*. Il fait venir aussi ou retient au passage des 
originaires de la Martinique et de la Guadeloupe, jeunes autant 
que possible*. Enfin,il charge Richard d'aller compléter à Cayenne 
ce personnel de sous-agents^. Il les désigne couramment sous 
le titre d' « employés ». 

Il s'efforce de les former aux cultures, les confie à des agri- 
culteurs expérimentés, les place en sous-ordre dans les établisse- 
ments de culture du Gouvernement, de préférence à Richard-Tol, 
et même dans des concessions particulières. Il veut les rendre 
capables de diriger un jour des équipes d'indigènes pour des 
travaux spéciaux, comme la culture ou la lécolte du coton et 
de l'indigo*. 

En général, ces « employés » reçoivent 30 francs par mois et 
la ration, solde qui peut du reste s'augmenter avec la durée des 
services. Leur situation n'a rien de fixe; on les renvoie sans autre 
forme de procès s'ils ne donnent pas satisfaction*. 

Dans l'ensemble, ce recrutement demeura bien médiocre, et 
il fallut se débarrasser bientôt de beaucoup de ces « employés ». 
Sauf exception pour quelques excellents sujets comme Paul 
Holle, Roger et ses collaborateurs connurent à cet éçard des 
déboires ; ils eurent notamment à se plaindre des Martiniquais et 
des Guadeloupéens ; ils les trouvaient paresseux, animés d'un 
mauvais esprit et vivant dans la crainte perpétuelle d'un climat 
qui n'eût dû pourtant les surprendre qu'à demi'. 

Les élèves- jardiniers. — A mesure qu'il avance dans son entre- 
prise de colonisation, Roger semble renoncer à ce recrutement 
improvisé et perdre sa confiance dans ces éléments créoles ou 



1. GoL I, à If . Richard, 3 septembre 1823; Col. II, au même, 18 juin 1825. 

2. Col. I, à M. Richard, 10 juin 1822, 28 janvier 1823. 

3. Col. I, à M. Richard, 14 juin 1823; Col. II, au même, 27 janvier 1827. 

4. Col. I, à M. Richard, 31 janvier 1824. 

5. Col. III. à M. Richard, 16 janvier 1827. 

6. Col. V, à M. Richard, 29 novembre 1823. 

7. Col. V, à M. Richard, 3 juillet 1822, 29 novembre 1823; Col. II, au même, 
16 août 1824; Col. III, au même, 27 janvier 1827. 



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Le développement des cULTURSâ id9 

mulâtres; il se rabat sur les jeunes indigènes, mais se préoccupe 
de les préparer méthodiquement aux occupations agricoles. 
C'est ainsi que nous voyons se constituer une sorte d'avant- 
cadre, celui des élèves-jardiniers, institution que Roger n'a pas 
eu le temps de développer, mais qui paraît particulièrement 
intéressante et dénote un sérieux progrès dans Ilntelligence des 
nécessités de la culture coloniale. 

« J'ai décidé, écrit Roger à Richard à la fin de 1825, que 
Henry Blondin, jeune indigène de Saint-Louis, sachant très 
bien lire et écrire, ayant de l'intelligence et de la bonne volonté, 
sera attaché à l'établissement de Richard-Tol, en qualité d'élè- 
ve-jardinier. Il recevra 30 francs par mois et les rations, à 
compter du 1«' décembre prochain. Veuillez donner & ce jeune 
homme vos soins et vos bonnes leçons; je crois qu'il en saura 
profiter et qu'il vous fera honneur. Vous savez combien je désire 
vivement que nous formions de bons jardiniers-cultivateurs 
indigènes. Aidez-moi, je vous en prie, dans cette bonne œuvre ^ji 
D'autres encore sont recrutés dans les mêmes conditions et 
recommandés à l'attention de Richard, de Brunet et aussi de 
Perrotet, quand ce dernier est chargé de la direction d'une sorte 
d'exploitation modèle, la « Sénégalaise* ». 

Cette heureuse idée d'un apprentissage méthodique ne tarde 
pas à prendre une forme nette dans l'esprit de Roger, et c'est 
d'une véritable école qu'il s'agit : « J'envoie, écrit-il à Richard, 
pour être employés sur votre établissement, comme élèves- 
jardiniers les sieurs Baudin et Lafleur, de Corée. Je vous invite 
à donner vos soins à leur éducation agricole, et à ce qu'ils soient 
occupés de la manière la plus utile pour eux et pour l'établis- 
sepent que vous dirigez. Bientôt d'autres élèves vous seront aussi 
envoyés. Mon intention est que vous ayez une espèce d'école 
qui nous fournira des agriculteurs du pays. Le logement pour 
ces jeunes gens ne doit pas vous embarrasser. Vous leur donnerez 
des cases en maçonnerie... ; ils ne sont pas habitués à être mieux 
logés chez eux. Pour le succès de mes projets, il est bon qu'ils 
soient élevés un peu à la dure^.., ». 

En 1827, ces élèves-jardiniers étaient déjà au nombre de sept 
et le Gouverneur se proposait d'envoyer bientôt à Richard « quel- 
ques autres jeunes gens »* : C'est à vous, recommandait-il à 
Richard, « d'en former une école de la manière la plus convenable ; 
c'est le plus grand service que vous puissiez rendre à la coloni- 
sation. Ainsi que je vous l'ai dit plusieurs fois, il est désirable 
que chacun d'eux soit chargé et spécialement responsable d'une 
partie ou d'un détail de la culture; qu'il y reste affecté jusqu'à 
ce qu'il le connaisse parfaitement et qu'il passe successivement 
à tous les genres de travaux » ^. 

1. Col. II, k M. Richard, 28 novembre 1825. 

2. Col. II, à M. Perrotet, 3 avrU 1826; Col. II, à M. Brunet, 9 février 1826; Col. Il 
4 M. Richard, 23 mai 1826. 

3. Col. II, à M. Richard, 23 mai 1826. 

4. Col. 111, à M. Richard, 6 mai 1827. 

5. Col. III, à M. Richard, 16 janvier 1827. 



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i40 LA MtSB EN VALfeÙn DU SÉNÉGAL bE 181? A 1854 

Les ouvriers d'art européens. — Il s'agit ici, non seulement 
d'ouvriers détachés des compagnies militaires, mais d'ouvriers 
civils employés aux travaux industriels exigés par la colonisa- 
tion : charronnage, forge, réparation des instruments aratoires 
et des machinés destinées aux industries de transformation, 
etc. A mesure que la colonisation se développait et prenait des 
formes plus savantes, ce genre d'ouvriers devenait plus néces- 
saire. 

Roger demandait, par exemple, au Ministre, en 1824, de faire 
envoyer au Sénégal « un homme industrieux, ingénieur ou méca- 
nicien, capable de construire des machines à monter l'eau, de 
diriger des irrigations, d'être mis à la tête d'un atelier d'instru- 
ments aratoires, de machines à égrener le coton, etc.. »^. 

Le Ministre désigna un certain Auguste Racaud, qui « d'a- 
près les renseignements recueilUs sur ses talents et sur sa mora- 
lité, lui avait paru propre à remplir les vues de l'administration 
du Sénégal ». Racaud devait avoir au Sénégal le titre de mécani- 
cien-chef d'atelier et recevoir un traitement de 3.600 francs; 
il emmenait avec lui quatre ouvriers charrons, deux ouvriers 
forcerons et un ajusteur : chacun d'eux devait recevoir k son 
arrivée à Saint-Louis une indemnité de cent francs. II avait été 
convenu que ces ouvriers, une fois rendus dans la colonie, pour- 
raient à leur gré « travailler pour leur compte ou être employés 
dans les ateliers des sous-directions ». 

L'expérience ne fut pas mauvaise, sans être tout & fait bril- 
lante. Il y avait dans ce nombre d'excellentes recrues, notam- 
ment Duban, le nieilleur charron de l'équipe, qui rendait de 
grands services « pour !a confection des instruments aratoires, 
dont on commençait à faire presque généralement usage » et 
qu'on dut malheureusement renvoyer en France sur la demande 
instante de son père, charron à Dôle. Pour les autres, le Gouver- 
neur, un an après cet envoi, constate qu' « ils ont été bien choisis. 
Tous savent travailler; ils ont généralement une assez bonne 
conduite; mais soit par dispositions naturelles, soit par l'effet 

du climat, presque tous sont peu laborieux Pour en tirer plus 

de parti, dit Roger au Ministre, je les ai fait employer autant 
que possible à la tâche et à l'entreprise plutôt qu'à la journée '». 

En dehors de ces ouvriers civils et des ouvriers militaires 
qu'il empruntait moins régulièrement qu'il ne l'eût désiré à 
l'Arti lerie, Roger attirait volontiers à ses entreprises de cultu- 
res les miUtaires des garnisons sénégalaises. Il était naturel qu'il 
pensât d'abord aux militaires qui arrivaient à la fin de leur 
congé et qui pouvaient s'estimer heureux de trouver sans retard 
une situation*. 

D'accord avec le Département, il songea même, vers la fin 

1. G.G., au Ministre, 15 mai 1824. 

2. G.G., au Ministre, 17 février 1826. Roger aurait volontiers augmenté cette 
partie de son personnel technique, mais le recrutement en était fort difficile. (Cf. D.M 
30 mars 1827). 

3. Col. 111, à M. Perrotet, 16 janvier 1827 ; Col. II, à M. Richard, 5 Juin 1824. 



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Le développement des cultures 141 

de son gouvernement, à généraliser la mesure. « Lorsque les 
derniers corps militaires spéciaux employés aux colonies en ont été 
rappelés, écrivait le Ministre, on a autorisé à s'y fixer les an- 
ciens sous-ofliciers et soldats qui en ont fait la demande et qui 
étaient en état de subvenir à leur subsistance par leur travail 
sans être & charge au pays. Ce qui a été fait en cette circonstance 
m'a paru susceptible de recevoir une application générale; je 
m'en suis entendu avec M. le Ministre de la Guerre, et les dis- 
positions suivantes ont été arrêtées : Les anciens sous-officiers 
et soldats de toutes armes, qui, après avoir achevé leur temps de 
service, demanderont à s'établir dans les colonies et qui seront 
reconnus propres à devenir d'utiles habitants seront autorisés à 
y rester. Ceux de ces hommes qui auront complètement satis- 
fait à la loi de recrutement recevront, par vos soins, des congés 
provisoires de libération qui seront plus tardé changés contre 
des congés définitifs... Les militaires dont l'engagement ne serait 
pas entièrement rempli, pourront recevoir de vous des congés 
illimités jusqu'à ce qu'ils soient dans le cas d'être légalement 
libérés; cette disposition sera applicable seulement aux hommes 
à qui il ne resterait qu'un court espace de temps à servir pour 
atteindre l'époque de leur libération définitive... Si cette mesure 
est appliquée avec discernement, elle procurera aux colonies 
l'acquisition précieuse de nouveaux habitants, industrieux, 
acclimatés, habitués au maniement des armes et qui, incor- 
porés plus tard dans les milices, contribueront puissamment 
au maintien de l'ordre, tant par leur propre service que par 
leur exemple ». A titre d'encouragement, la colonie devait 
accorder une « légère prime (de 100 à 150 francs) en faveur des 
sujets sages et pourvus de métiers», pour leur permettre « de 
pourvoir k leurs premiers besoins et de se procurer des outils »^ 

Une telle proposition ne pouvait qu'être agréable à Roger. 
Bien mieux, il ne se contente pas d'utiliser les soldats congédiés : 
il détache aux travaux de culture et à titre provisoire des mili- 
taires en exercice. Les uns sont employés à Richard-ToP; d'au- 
tres sont chargés de diriger des travaux de labourage', prépo- 
sés à la direction de l'atelier d'égrenage de Saint-Louis *, employés 
à la Sénégalaise, à Faf, comme « conducteurs des travaux ara- 
toires », etc.*. 

Tous ces militaires détachés étaient étroitement surveillés. 
« Veuillez, écrivait Roçer k Brunet, prévenir les planteurs qui 
ont des militaires qu'ils doivent, lorsque ceux-ci les quittent 
pour un motif quelconque, m'en donner aussitôt avis. Il résulte 
de l'usage contraire que des militaires sont encore payés long- 
temps après qu'ils ne travaillent plus, ou qu'ils restent errants 
sans surveillance *». 

1. D.M., 26 mai 1826. 

2. Col. 1» à M. Richard, 31 mai 1822. 

3. Col. I, à M. Brunet, 5 juin 1822. col. I, à M; Brunet, 21 juin 1822. 

4. Col. I, ordre du 6 mai 1824. 

5. Col. II, ordres du 14 et du 20 février 1827; Col. III, ordre du 7 juiUet 1826. 

6. Col. III, à M. Brunet, 16 décembre 1826. 



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l4â LA MISE EN VALEtit\ DU SENEGAL DE l8l^ A IS^ 

A la vérité, le Ministère n'approuvait qu'à moitié cette pra- 
tique et faisait valoir, notamment, des raisons sanitaires. Mais 
Roçer le rassurait et le Ministère n'insistait pas : «J'ai vu avec 
plaisir, dans votre réponse, une réfutation satisfaisante de l'opi- 
nion trop généralement accréditée jusqu'ici que les Euro- 
péens ne peuvent sans danger travailler dans les colonies en 
plein air, opinion qu'il importe essentiellement de parvenir à 
détruire par des faits nombreux et irrécusables. Il convient 
seulement de veiller, quant aux militaires qui se livreraient dans 
les colonies à des travaux de culture ou autres pour le compte de 
l'Etat ou des particuliers, à ce que l'on n'exige d'eux rien au-delà 
de ce que permet l'intérêt de leur santé, et notamment à ce qu'on 
ne les expose pas à l'influence des rayons du soleil pendant les 
heures les plus chaudes de la journée^... ». 

Sous ces minces réserves, le régime tendait à s'étendre, et Roger 
songeait à faire accorder aux militaires du Sénégal des sortes 
de permissions de labourage ou de moisson; mais il se heurtait 
sur ce point à l'opposition des officiers, qui s'irritaient de voir 
leurs hommes se transformer en soldats-laboureurs et échapper 
à leur autorité. « J'ai souvent éprouvé de la part de plusieurs 
capitaines du l^^^ bataillon du 16® régiment d'infanterie légère, 
écrivait Roger au Ministre, des difficultés pour obtenir, en faveur 
de militaires laboureurs de bonne volonté, des permissions pour 
aller s'employer sur nos établissements de cultures, où des 
Européens sont absolument nécessaires dans ces premiers temps 
pour conduire les nègres, dresser les bœufs, et mettre de l'ordre 
dans les travaux... (ces difficultés) seraient aisément levées par 
une invitation de Votre Excellence qui porterait que le Gouver- 
nement, voyant avec intérêt tout ce qui peut aider au dévelop- 
pement des cultures coloniales, recommande aux chefs de corps 
d'accorder, dans les limites fixées par l'autorité supérieure, des 
permissions de travailleurs aux soldats, étant laboureurs de 
leur métier, qui manifesteraient l'intention de se livrer dans la 
colonie à des travaux d'agriculture* ». 

Sans attendre la réponse du Ministre, Roger prenait sur lui de 
briser la résistance de l'autorité militaire; ayant décidé d'uti- 
liser un soldat nommé Mongin, il passait par dessus tous les rè- 
glements et l'enlevait à ses chefs directs, tout en rendant compte 
de son initiative au Ministère*. 

Il ne semble pas que le Ministre ait jamais répondu, ni pour 
blâmer, ni pour approuver le Gouverneur de cet acte d'indé- 
pendance. On voit, du moins, par cet exemple, avec quelle réso- 
lution Roger poursuivait le recrutement et l'organisation de son 
personnel technique. 

Des chefs de service dûment qualifiés et pourvus d'une auto- 
rité suffisante, des cadres réguliers d'agents, des spécialistes pour 



1. D.M., 19 mai 1824. 

2. C.G., au Ministre, 6 mars 1827. 

3. C.G., au Ministre, 6 mars 1827. 



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Le DEVELOPPEMENT DES CULTURES 14^ 

les recherches de détails, des commis d'administration, un ser- 
vice de travaux publics, surtout employé aux entreprises de 
colonisation, des auxiliaires de toutes sortes (employés, ouvriers 
d art, ouvriers militaires), une école pratique d'agriculture, rien 
ne semblait manquer au Sénégal pour que la mise en valeur du 
pays pût être conduite avec régularité et méthode ; en quelques 
années et en dépit des difficultés de recrutement, Roger avait 
donné à son entreprise une allure toute moderne, une assise tech- 
nique, des cadres nets, et si la valeur de ce personnel ne fut pas 
toujours au niveau de se tâche, on ne doit pas oublier que Roger 
ne négligea rien pour l'y élever. 



VII. — La main-d'œuvre. 

Il ne suffisait pas de mettre au service de l'entreprise de colo- 
nisation un personnel technique, il fallait encore lui procurer la 
main-d'œuvre proprement dite : étant données les conditions de 
climat, cette main-d'œuvre ne pouvait guère être qu'indigène, 
et, comme les indigènes du Sénégal ne paraissaient pas jus- 
qu'alors fort amateurs d'efforts suivis, comme d'autre part la 
main-d'œuvre servile était disparue au moins en principe, la 
question n'était pas facile à résoudre. 

La main-d'œuvre Hrangère. — Le Ministère songea d'abord à 
mettre à la disposition des cultures du Sénégal une main-d'œuvre 
étrangère. 

En 1822, il propose de faire venir au Sénégal des habitants des 
lies Canaries. « Dans sa relâche à Sainte-Groix-de-Ténériffe, en 
novembre 1821, M. le baron Roussin, cjui commande une divi- 
sion navale, m'a adressé des informations desquelles il résulte 
qu'on pourrait aisément déterminer un certain nombre d'habi- 
tants des lies Canaries à venir s'installer dans nos possessions 
d'Afrique où'ils seraient employés avantageusement aux cul- 
tures. Si vous pensiez qu'il fût à propos que le Gouvernement du 
Roi intervînt auprès du Gouvernement espagnol, je ferais volon- 
tiers ici les démarches convenables ^ ». 

Cette idée ne séduisit que médiocrement le Gouverneur, qui pro- 
jetait un développement complet des ressources du Sénégal, plu- 
tôt que le succès de quelques exploitations isolées*. Et il semble 
bien que, du moins à cette époque, ce projet n'ait pas abouti à 
grand résultat. 

. Puis le Ministère prit de lui-même et certainement contre le 
gré du Gouverneur, qui était opposé en principe à ce mode de 
peuplement détritique, le parti d'envoyer au Sénégal des déportés 



1. D.M., 28 août 1822. 

2. G.G., au Ministre, 14 décembre 1822. 



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144 LA MISE EN VALEUR DtJ séNÉGAL DE l8l7 A l8&4 

politiques des vieilles colonies. « La Martinique a éprouvé, au mois 
de décembre dernier, des troubles à la suite desquels un Conseil 
spécial de Gouvernement a décidé que 141 individus de couleur, 
libres, seraient bannis de la Colonie à perpétuité. Le Sénégal est un 
un des points que le Conseil spécial a cru devoir assigner à un cer- 
tain nombre de ces individus... Je ne me dissimule pas que la 
présence de ces individus sera de nature à vous occasionner des 
embarras, mais vous connaissez la situation de nos colonies à 
esclaves; elle est telle qu'il parait qu'on ne pouvait absolument 
y conserver les hommes dont la déportation vient d'être ordon- 
née... Je vous laisse entièrement le maître de déterminer les 
lieux où les déportés devront résider; s'il est nécessaire de four- 
nir dans les premiers jours quelques secours en vivres à ceux qui 
ont le moins de facultés pécuniaires, je vous en donne l'auto- 
risation, mais je vous recommande de n'accorder, après le pre- 
mier mois, aucune espèce de secours, sans exiger en compensa- 
tion un travail quelconque dans l'intérêt du service du Roy, ou 
dans celui delà Colonisation. Tous seront libres, d'ailleurs, d'exer- 
cer leur industrie ainsi qu'ils l'entendront; vous pourrez en outre 
accorder des concessions à ceux qui auront les moyens de les met- 
tre en valeur, pourvu qu'ils aient mérité cette faveur par une con- 
duite sage et régulière ^ ». 

On se contenta d'un premier envoi — soit 38 hommes — 
et Roger s'avouait satisfait, dans l'ensemble, de l'attitude des 
nouveaux venus ; le Ministre voyait aussitôt dans ce premier suc- 
cès la possibilité d'utiliser méthodiquement ce genre de peuple- 
ment. « Le vœu du Gouvernement serait d'attirer dansla Colonie, 
par les encouragements qui seraient jugés praticables, un certain 
nombre des individus de cette classe qui surabondent à la Marti- 
nique et à la Guadeloupe.. .Je suis disposé à faciliter le passage, 
de la Martinique au Sénégal, non seulement des familles de 
ces hommes de couleur, mais de toutes autres familles de la même 
classe, qui voudraient transporter leurs moyens d'existence dans 
nos établissements d'Afrique...»*. 

Mais ce n'étaient pas ces quelques importés ou déportés qui 
pouvaient permettre à Roger de mettre en culture les immenses 
plantations qu'il projetait. 

Le bagne indigène. — Roger crut entrevoir un commencement de 
solution dans la création d'un bagne indigène. 

En août 1823, il avait demandé au Mmistre si son intention 
était « d'appliquer auxindigènes les dispositions de sa dépêchedu 
12 juin dernier, laquelle prescrit de renvoyer dans la Métropole, 
pour y subir leur peine, les Européens qui, au Sénégal, seraient 
condamnés à des peines infamantes'. » Le nombre des forçats est, 
en France, répondit le Ministre, a tellement considérable, qu'il est 



1. D.M., 29 avril 1824. 

2. D.M., 22 octobre 1824. 

3. G.G., au Ministre, 11 août 1823. 



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Lé DEVELOPPfiMENt DES éULTURES 14& 

extrêmement désirable de n'y point ajouter; je désire donc que, 
sans rétablir à Saint-Louis un bagne pour les indigènes, vous cher- 
chiez à les employer utilement dans cette résidence, à Gorée ou 
partout ailleurs, à des travaux publics, avec un boulet et un 
anneau au pied, ainsi qu'on le fait dans nos autres colonies à 
l'égard des esclaves et que vous n'envoyiez en France que ceux 
des forçats indigènes envers lesquels une telle mesure vous paraî- 
trait nécessaire, comme exemple de grande sévérité ^ ». 

Roçer décida donc que les nègres condamnés à des peines 
afflictives et infamantes seraient provisoirement envoyés à 
Richard Toi et employés « à des travaux de peine, autant que 
possible dans le voisinage de la maison. » 

Les condamnés à un simple emprisonnement devaient aussi 
être employés aux travaux de culture. Ils n'auraient droit à 
aucun salaire, mais on pourrait allouer des gratifications à ceux 
qui se seraient le plus distingués « soit par leur zèle pour le travail, 
soit par leur docilité • ». 

La charge était lourde pour Richard. Il demanda qu'un hom- 
me fût spécialement chargé de la surveillance de ces condamnés, 
et Roger y consentit. Il désigne à cpt emploi un certain Maïssa 
qui avait montré « beaucoup de zèle et de surveillance dans la 
garde des otages Trarza... Je vous invite, disait-il à Richard, à 
organiser d'une manière régulière son service. et à me faire con- 
naître si vous en êtes content. Remporterait beaucoup que les 
condamnés eussent un régime particulier et qu'on en tirât tout 
le parti possible' ». 

Il ajoutait quelques jours après : « Vous devez tenir les condam- 
nés avec beaucoup de sévérité, afin de les maintenir dans l'ordre 
et de les forcer au travail... Tout pouvoir vous est donné à cet 
égard pour faire frapper ou mettre aux fers les individus dont 
vous aurez à vous plamdre, notamment ceux qui commettraient 
des vols sur l'établissement ou qui seraient repris en désertion. Il 
convient même, pour l'exemple et pour l'effet moral de la puni- 
tion qu'ils subissent, que les condamnés soient traités durement et 
plus mal que les ouvriers libres ou engagés à temps^. » 

Mais on ne pouvait songer à peupler de forçats toutes les con- 
cessions : on devait compter bien davantage sur ce régime inter- 
médiaire entre l'esclavage et l'affranchissement qui s'appelait 
l'engagement & temps. 

Les engagés à temps. — Le Ministre avait décidé que les noirs 
provenant de saisies ou de confiscations devraient être appliqués 
à des travaux d'utilité publique, et nonà des services particuliers; 
puis il avait prescrit d'employer, autant que possible, ces noirs à 
des travaux de culture et de prévoir pour eux, entre l'esclavage 



1. D.M., 15 novembre 1823. 

2. Col. III, à M. Richard, 14 septembre 1826. 

3. Col. m, à M. Richard, 2 avril 1827. 

4. Col. m, à M. Richard, 11 avril 1827. 



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146 LA MISE E^ VALEUR DU SÉNÉGAL DE ISl^ A 10^4 

et la libération totale, une sorte de régime de transition : l'enga- 
gement à long terme (14 ans au plus) ^. 

Roger comptait beaucoup sur ces dispositions pour se procurer 
à bon compte une abondante main-d'œuvre. Il rassemble donc 
le plus possible d'esclaves saisis; mais, avec sa naturelle bienveil- 
lance et son habituel souci d'amélioration sociale, il prend de 
minutieuses précautions pour que cette mesure ne constitue pas 
une traite déguisée : les engagés à temps sont placés sous la tutelle 
des Présidents de tribunaux de première instance, une commis- 
sion annuelle recueille leurs doléances et veille à ce qu'ils soient 
libérés à l'expiration de leur engagement, ils figurent obligatoire- 
ment sur les registres de l'état-civil, les économies qu'ils peuvent 
réaliser sur leurs gages leur sont garanties, etc. ' 

Il recommande fortement à ses agents de ne point laisser appe- 
ler a esclaves » ou « captifs » par leurs subordonnés les engage à 
temps qui sont sous leurs ordres, a On ne doit les désigner que 
sous le nom d'engagés. Je tiens beaucoup & ce que cette disposi- 
tion soit strictement exécutée, et à ce que vous ne laissiez échap- 
per aucune occasion sans bien faire comprendre aux engagés qu'ils 
jouiront de leur entière liberté dès que le terme de leur engage- 
ment sera arrivé •. » 

Quant à la façon de traiter, en dehors même des règlements, 
les engagés à temps, Roger veut qu'elle soit tout-à-fait em- 

f)reinte « d'humanité et de douceur » et rappelle le moins possible 
es cruautés de l'esclavage. 

Il veut qu'on fasse preuve d'indulgence à l'égard de ces 
malheureux qui sont mal renseignés sur leur situation et qui 
n'ont qu'une foi très limitée dans la parole du Gouvernement : 
a En passant à Ntiagar, dit-il par exemple à Richard, j'ai fait 
restituer l'engagé à temps Detié Sec, qui se trouvait retenu. Ce 
nègre est une espèce d'imbécile qui n'avait pas l'idée de déserter 
mais qui retournait tranquillement à l'atelier d'égrenage où 
il était précédemment employé. Je vous invite, en conséquence, 
à ne pas pousser trop loin à son égard le châtiment^ ». 

Il les considère comme des hommes et veut qu'on récompense, 
par des permissions d'absence ou même une réduction de la 
durée d'engagement,«ceux (jui font preuve de bonne volonté*. 

Et il approuve tout à fait la proposition que lui fait Berton 
« d'accorder aux engagés du Gouvernement des terrains pour 
qu'ils fassent, hors des heures ordinaires de travail, des cultures 
pour leur propre compte ». « Je voudrais même, ajoute-t-il, avec 
son esprit toujours en éveil et prompt à voir large, étendre la 
mesure aux ouvriers loués qu'on fixerait ainsi sur l'établisse- 



1. D.M., 9 janvier 1822. 

2. Arrêtés locaux des 5 juillet 1822, 28 septembre 1823, 13 mars et 10 avril 1827. 
(BuUet. adm., 1 p. 67, p. 164 et 167). Col I, à M. Bninet,20 octobre 1823; Ck>l. III, 
à M. Thomas, 6 avril 1827. 

3. Col. I, à MM. Boissard et Ziegler, 19 mai 1824. 

4. Col. II, à M. Richard, 30 juin 1824. 

5. Col. III, à M. Richard, 4 avril 1827; Col. III, à M. Richard, 4 avril 1827. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 147 

ment. On pourrait accorder le dimanche entier & ceux qui en 
useraient bien. Voilà de ces projets comme j'en fais depuis 
longtemps et pour lesquels les moyens d'exécution m'ont tou- 
jours manqué. Tâchez d'organiser solidement la chose pendant 
que vous êtes encore à Fat ; quand vous allez avoir quitté cet 
établissement, je crains bien qu'on ne suive pas convenable* 
ment une si bonne idée. Vous ferez bien de rédiger un petit règle- 
ment sur ce sujet. Vous l'enverrez à mon approbation. Je désire 
aussi savoir dans quelle partie vous vous proposez de donner des 
terrains aux travailleurs ^ ». 

L'entreprise se développe rapidement. Roger favorise de tou- 
tes façons les engagements à temps, il continue à y voir une 
«haute mesure politique», il veille à ce que le prix des rachats ne 
soit pas trop élevé, n'excède pas 300 francs ^. 

Trouvant ce régime en tous points excellent, il cherche à 
l'étendre et il adresse en ce sens au Ministère une proposition 
singulièrement audacieuse : « Plusieurs négociants de Saint-Louis 
m'ont fait connaître que par suite des relations qu'ils avaient éta- 
blies sur divers points de la côte dans le temps où ils pouvaient 
se livrer légalement à la traite des noirs, il leur reste dû des va- 
leurs dont ils n'ont pu, jusqu'à présent, obtenir le rembourse- 
ment et dans lesquels il leur serait facile de rentrer, s'il leur était 
permis de recevoir des captifs en paiement. Ils désirent être 
autorisés à introduire des nègres au Sénégal comme affranchis 
et engagés à temps pour quatorze ans, s'obligeant à remplir 
toutes les formalités qui leur seraient prescrites pour que l'affran- 
chissement fût constaté avant l'embarquement et pour qu'il 
pût produire son effet avec certitude dans la colonie. Les plus 
grands partisans de la liberté des nègres ne pourraient qu'applau- 
dir eux-mêmes au projet..., puisque, de son adoption, il résulte- 
rait qu'une classe d'hommes déjà réduits à l'esclavage, condam- 
nés pour eux et leur postérité à subir cette dégradation sociale, 
se trouveraient élevés tout-à-coup, eux et leurs enfants, à naître 
à la dignité d'hommes libres, en achetant cet inappréciable 
avantage par quelques années de travail qui sera pour eux une 
transition, une éducation nécessaire pour apprendre à jouir des 
droits de la liberté et pour apprendre aussi à remplir les devoirs 
qu'elle impose®.., » 

Mai^ le Ministère refusa d'approuver cette proposition, en 
un moment où « la France doit éviter soigneusement tout ce 
qui pourrait faire élever des doutes sur sa ferme volonté de 
mettre fin à la traite des noirs » et où le Gouvernement se pré- 
pare à proposer à la nouvelle session des Chambres « des dis- 
positions additionnelles à la législation actuelle en matière de 
traite, lesquelles auront pour objet d'augmenter les pénalités^». 



1. CoL III, à M. Berton, 16 avrU 1827. 

2. CoL I, à M. Brunet, 11 Juillet 1822. 

3. C.G. au Ministre, 31 janvier 1826. 

4. D M., 7 JuUlet 1826. 



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148 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Les ouvriers indigènes, — Malgré cet empressement à multi- 
plier les engagements à temps, ce recrutement de main d'œuvre 
n'aurait pas suffi aux vastes entreprises de Roger et de ses 
planteurs. Aux engagés à temps, il fallait de toute, nécessité 
ajouter des ouvriers libres, et une véritable campagne de recru- 
tement est organisée. 

On « loue » des cultivateurs indigènes dans le Cayor, dans 
le Baol, dans la presqu'île du Cap Vert, chez les Darmancour, 
mais c'est surtout aux populations du Foufa et du Toro que 
Roger va faire appel, parce qu'elles sont plus habituées aux cul- 
tures. En juin 1825, le jardinier Restout accomplit une mis- 
sion de recrutement dans le Fouta^; puis c'est Brunet qui est 
spécialement chargé de cette beso^e difficile : en août 1825 
il est envoyé dans le Fouta avec les instruction- suivantes : 

« Se procurer le plus grand nombre possible de travailleurs, 
faire avec eux des engagements de deux mois au moins, leur 
promettre sûreté pendant le travail et pour leur retour; ne pas 
stipuler à plus de trois gourdes* par mois, à moins d'impossi- 
bihté; enfin, employer, pour déterminer les gens, la douceur, la 
modération, le calme d'esprit, sans lesquels on ne réussira à rien 
dans ce genre. Vous observerez s'il convient de s'adresser aux 
chefs, en cherchant à les intéresser, comme on le suppose géné- 
ralement, ou si des agents indirects répandus dans la population 
et recrutant parmi leurs semblables ne donneraient pas de plus 
sûrs résultats'... ». 

Cette mission de Brunet paraît avoir été fort utile : « Je suis 
très satisfait, lui écrivait Roger, du résultat du voyage que 
vous venez d'effectuer au Fouta et du rapport <jue vous m'avez 
adressé à ce sujet... Je crois, comme vous, qu'il convient tout 
à fait de renouveler cette expédition, et j'y destine de nouveau 
le Colibri. Ce bâtiment va monter en rivière; je vous invite à 
prendre passage dessus encore une fois et à recommencer le 
recrutement qui vous a si bien réussi déjà * ». 

Ce recrutement réussit, en effet, pendant quelque temps. En 
1824, au moment où il passait momentanément le comman- 
dement à Hugon, Roger pouvait écrire : « D'après ce qui s'est 
passé précédemment, j 'ai lieu de croire que les ouvriers ne man- 

S lieront pas pour les cultures, surtout les nuages qui s'étaient 
evés du côté du Fouta s'étant dissipés... Les travaux se suc- 
cèdent avec rapidité, les ouvriers sont assez nombreux pour qu'on 
ait diminué les salaires'^» A vrai dire, cette facilité ne semblait 
pas devoir se maintenir. Vers 1826, les ressources de persuasion 
paraissaient épuisées*. 



1. Col. II, à M. Restout, 6 Juin 1825. 

2. 3 écus de cinq francs. 

3. Col. I, à M. Brunet, 8 mai 1824 

4. Col. I, à M.Brunet, 27 mai 1824. 

5. PubUé par J. Monteilhet, in Annuaire du CowiU des Etudes hisloriques e( seiefi' 
tifiques de VA,O.F,, 1910, p. 115 et 119 

6. Col. II, à M. Brunet, 11 avril 1826. 

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LK DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 149 

La discipline n'était pas toujours facile & maintenir dans ces 
équipes improvisées et fort hétérogènes ; les agents ou les plan- 
teurs se plaignaient souvent de leur paresse ou de leur mauvaise 
volonté; il est probable, en effet, que ces immigrants ne cons- 
tituaient pas les meilleurs éléments de leur pays d'origine, et 
il fallut en congédier beaucoup^. 

Pourtant Roger s'abstenait autant que possible de levées 
en masse et prévenait les surenchères :«Vous ferez savoir aux 
planteurs de votre voisinage, écrit-il & Brunet, qu'il est de leur 
mtérêt commun, et qu'il est dans mes intentions, qu'aucun d'eux 
ne reçoive sur ses travaux des nègres sortant d'une autre plan- 
tation sans s'être assurés qu'ils n'en sont pas sortis pour de 
mauvais motifs. On doit éviter surtout d'accorder une paye plus 
forte à ceux qui ont abandonné un établissement sur lequel on 
leur a refusé une augmentation ». Il facilite de son mieux le main- 
tien de la discipline : a Tout nègre faisant le mutin, ou cherchant 
à ameuter ses camarades, doit être renvoyé à l'instant même. 
En cas de résistance ou d'excès desapart,il sera conduite Richard- 
Tol, mis aux fers à bord du stationnaire et puni suivant les 
circonstances • ». 

Enfin, il veille à ce que les ouvriers indigènes soient préservés 
de l'alcoolisme; il recommande à ses agents « de ne pas souffrir 
qu'il soit fait aucun commerce sur l'établissement du Gouver- 
nement; rien ne doit y être vendu, surtout à l'usage des nègres; 
mais ce qu'il faut interdire avec la plus grande sévérité, c'est 
le vin et l'eau-de-vie' ». 

Il conçoit d'ailleurs la discipline d'une façon particulièrement 
intelligente et humaine. Il n'est pas de ceux qui placent unique- 
ment leur confiance dans les voies de rigueur; au contraire, 
il compte davantage sur les moyens de douceur et de bonté 
pour lier les ouvriers à l'œuvre. 

Il attache une grande importance à ce que la nourriture soit 
suffisante et régulière. Les vivres qui leur sont destinés sont 
délivrés par les magasins du Gouvernement, et ce n'est pas à la 
légère que Roger, forcé par les circonstances, diminue les rations; 
il apporte, à traiter ce genre de questions, un soin vraiment 
méticuleux *. 

Il ne lui paraît pas moins indispensable d'assurer la plus 
^ande régularité dans le paiement des ouvriers. A tout instant 
il revient sur ce sujet dans sa correspondance*. Il apprend que 
les ouvriers de la Sénégalaise n'ont pas étépayés depuis trois mois, 
il s'en plaint au directeur de l'exploitation et lui remontre les 
mauvais effets de cette négligence : « Ils se plaignent et M. Perro- 



1. Col. I, à M. Richard, 14 avrU 1823. 

2. Col. I, à M. Brunet, 19 août 1822. 

3. Col. II, à M. Boissard, 20 Juillet 1824. 

4. Cf. notamment, Col.1, à M. Laurichesse, 6 et 17 janvier 1823; Col. II, au même, 
6 avrU 1826; Col. II, à M. Thomas, 5 mai 1827. 

5. Cf. notamment, col. II, à M. Boissard, 26 décembre 1825; Col. I, à M. Ric}iard, 
6 Jnillet 1822. 



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150 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

tet né sait que leur répondre, sinon qu'il demande de Targent 
et que vous n'en envoyez pas. Je vous prie instamment de mettre 
fin à cet état de choses, qui est du plus mauvais effet, tant pour 
la Sénégalaise que pour la colonisation en général ^ ». 

Il demande aussi qu'on ne les accable pas de travail. La 
plupart des ouvriers employés à Faf sont revenus à Saint-Louis 
« dégoûtés de la tâche » qu'on leur imposait : « Il est dans l'ordre 
de faire travailler ces hommes, d'exiger d'eux ce qu'ils peuvent 
faire, mais on ne doit pas leur demander plus que force *». Même 
quand le droit paraît être du côté de l'employeur, il ne faut pas 
qu'il se montre autoritaire à l'excès ni qu'il emploie des moyens 
irréguliers : dans aucun cas il ne faut « abuser de la confiance 
qui amène sur nos établissements de culture des ouvriers des 
diverses parties de l'intérieur ■». 

Aussi Roger considère-t-il comme une des principales fonc- 
tions de Brunet « d'assurer aux indigènes qui viennent tra- 
vailler à nos cultures une justice exacte, qui puisse les attacher 
à nos établissements en même temps que les habituer à respec- 
ter le nom français *». On trouverait malaisément des principes 
plus élevés et plus justes de politique indigène. 

Il faut reconnaître que cette politique s'inspire de sens prati- 
que autant que d'humanité. 

Roger déclare que les ouvriers engagés pour les cultures ne 
seront jamais trop nombreux, et il ordonne d'engager tous ceux 
qui se présenteront. Cela n'est pas toujours du goût de ses colla- 
borateurs ; nous voyons même son intérimaire Hugon donner un 
ordre exactement opposé et recommander de n'employer que 
le nombre d'ouvriers strictement nécessaire*. Mais Roger, qui 
dépasse cette politique à courte vue, tient bon : « Veillez à ce 
qu'on emploie tous les ouvriers qui se présentent, à ce qu'aucun 
ne soit renvoyé, recommande-t-il*... Ne craignez pas d'employer 
trop de monde. Engagez tous les ouvriers qui se présenteront, 
ceux que licencieront les ateliers du Génie et des particuUers. 
Qu'aucun nègre ne puisse dire qu'il a demandé du travail et 
qu'on lui en a refusé. Je tiens à ce résultat comme politique'.» 

Il faut même qu'il y ait des ouvriers en surnombre, pour 
qu'on dispose toujours d'une main d'œuvre en réserve et qu'on 
puisse l'envoyer sans retard aux exploitations qui en manquent. 
On recevra donc à Richard-Tol « tous les ouvriers qui s'y pré- 
senteront » ou qu'on pourra y attirer ; on les emploiera « provisoi- 
rement, quand ce ne serait qu'à défoncer des terrains »•. 



1. Col. III» à M. Lezongar, 30 Janvier 1827. 

2. GoL II, à M. Boissard, 27 juin 1825 . 

3. Col. III, à M. Brunet, 29 septembre 1826. 

4. Col. III, à M. Brunet. 24 novembre 1826. 

5. Col. II, à M. Richard, 8 octobre 1825 

6. Col. III, à M. Brunet, 1» juin 1826. 

7. Col. III, à M. Richard, 19 janvier 1827. 

8. Col. I, à M. Ziegler, 15 avril 1824. 



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LE dAvELOPPEMSNT DES CULTUAES 151 

Et il insiste pour que ces ouvriers, comme les engagés à temps, 
soient exactement employés à des travaux agricoles. Il ne suffit 
pas d'avoir des bras nombreux, il faut une main-d'œuvre exer- 
cée sur laquelle on puisse compter pour Tavenîr. Il importe donc 
« de dresser des nègres ou des négresses » pour les différents 
genres de travaux^. Ainsi s'annonçait la formation de vérita- 
bles équipes spécialisées d'ouvriers indigènes. 



1 . Col. II, à M. Boissard, 26 décembre 1825 ; Col. III, à M. Richard, 8 août 1826 



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CHAPITRE 111 



Les recherches techniques. 



L'échec de la colonisation de la presqu'île du Cap Vert, les 
imprudentes promesses du colonel Schmaltz, les réserves faites 
par la mission de Mackau quant aux aptitudes agricoles du Séné- 
gal, portaient le Ministère à se méfier des idées préconçues et 
des plans de colonisation insuffisamment préparés : les instruc- 
tions remises au Gouverneur Roger lui prescrivaient en consé- 
quence de subordonner autant que possible le développement 
des cultures à de sérieux essais. 

Cette recommandation était, d'ailleurs, inutile. La curiosité 
scientifique, l'esprit de méthode et le souci de progrès du nou- 
veau Gouverneur suffisaient à faire prévoir que les recherches 
techniques passeraient au premier plan de ses occupations et 
qu'il continuerait sur une plus vaste échelle les tentatives de 
« naturalisation » et les études agronomiques qu'il avait com- 
mencées sur l'Habitation royale de Koïlel. 

Dès son retour au Sénégal, Roger reprend en effet son enquête 
agricole et ses expériences, et il convient de voir, dans cette 
besogne qui l'intéressait par dessus tout, non point une suite 
plus ou moins liée de recherches occasionnelles, mais une véri- 
table organisation scientifique, inspirée du même esprit (sinon 
pourvue d'aussi larges ressources) que les Instituts agronomiques 
des colonies hollandaises. 



L — L'ORGANISATION DES RECHERCHES 



Jardin d'essai, — Avant tout, Roger crée un jardin « de natu- 
ralisation », ou, comme nous disons aujourd'hui, un jardin d'essai. 

« Je fais prendre en ce moment, écrivait-il presque au lende- 
main de son installation, toutes les dispositions préparatoires 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 153 

pour commencer sur la rive gauche du Sénégal, aux environs 
du village de Nffhiao, un jardin et une pépinière d'essai et de 
naturalisation. J'en ai confié l'administration à M. Richard, 
jardinier en chef de la colonie. Je vais moi-même me rendre en 
rivière et je donnerai sur les heux les mesures et les travaux qu'il 
y aura à exécuter. A mon retour je rendrai compte à Votre Excel- 
lence de ce qui aura été fait ou projeté, et des moyens employés 
pour donner à ce nouvel établissement l'activité et les chances 
d'un succès prompt qu'il doit avoir ^. » 

Richard, qui devait être chargé de la direction de cet établis- 
sement « tant pour la conduite des travaux que pour les soins 
de l'administration qu'il comportera », monte en rivière avec 
deux jardiniers du Gouvernement, des outils aratoires, des vi- 
vres et des objets d'échange, choisit un terrain que le Gouver- 
neur va tout aussitôt visiter, et se met & l'œuvre : « Le moment 
est arrivé, lui écrivait Roger sur ce ton affectueux qu'il réservait 
à son plus vaillant collaborateur, où vous allez pouvoir utiliser 
les connaissances générales et locales que vous avez acquises, et 
mettre en action un zèle que j'ai toujours apprécié et que 
les circonstances ont tenu trop longtemps captif. Je mettrai 
bien de l'empressement à faire connaître au Ministre vos efforts 
et vos succès, car je compte sur des succès, et à solliciter pour 
vous les avantages et les récompenses que vous méritez déjà. 
Il m'est doux de trouver cette nouvelle occasion de vous témoi- 
gner et mes sentiments d'estime et toute la confiance que vous 
m'inspirez.» Il eut même l'aimable attention de donner tout de 
suite à l'étabKssement le nom de son premier gérant : le jardin 
de Richard, Richard-Tol *. 

L'installation de Richard-Tol, sous la direction d'un homme 
comme Richard, s'accomplit rapidement Du jour au lendemain 
les essais commencèrent et la. concession se couvrit de bâti- 
ments. Un chaland à avirons et à voiles était mis à la disposition 
du Jardin et des concessions voisines'. Bientôt l'étabUssement 
possédait un four à briques, qui permettait de substituer aux 
Sriques cuites à l'air libre ou séchées au soleil des briques soli- 
des et durables^, une basculent «ne noria ou « machine à monter 
l'eau », qui faisait a entrevoir tout ce que l'on devait attendre 
ici d'un système d'irrigation bien entendu * »; il disposait en per- 
manence de dix à douze bœufs et d'une trentaine d'ouvriers 
indigènes, dont les cases formaient un petit village à côté du 
pavillon de briques occupé par le gérant^ ; une enceinte de bri- 
ques protégeait les habitations, et le poste était armé de canons 
et de pierriers*. 

1. C.G., au Ministre, 22 avril 1822. 

2. Col. I, à M. Hlehard, 16 avril 1822. (Toi en ouolof signifie Jardin). 

3. Col. I, à M. Richard, 29 Juin 1822. 

4. Col. Il, à M. Richard, 24 mai 1825. 

5. Col. II, à M. Richard, 13 Juillet 1824. 

6. G G., au Ministre, 5 septembre 1822. 

7. C.G., au Ministre, 6 septembre 1822. 

8. Col. I, à M. Riehard, 14 avril 1823. 



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154 LA MtSft BN VALCtIII DU SÉNÉGAL DC 1817 A 1854 

flbger exigeait qu'en fait de bâtiments on se t!nt à l'indis- 
pensable. Il refusait de se laisser absorber par la manie de cons- 
truction et ne perdait jamais de vue l'objet essentiel et seul 
pressant du Jardin: les essais de cultures. Il disait à Richard :<(Je 
vois, par ce que vous m'écrivez, que vous êtes tous occupés de 
maçons et de charpentiers. Je vous en prie, laissez ces gens-là 

{)erdre un peu de leur temps, et que nos cultures avancent : c'est 
à le principal, le reste n'est qu'un accessoire dont je me soucie 
non plus que de la dernière case en paille^ »... 

Aussi, dès septembre 1822, trois mois après sa création, le 
jardin d'essai présente-t-il « l'aspect le plus satisfaisant. Les 
plantes équinoxiales y croissent avec une vigueur étonnante. 
Les bananiers, le manioc, les jeunes orangers, les goyaviers, 
les cannes à sucre, les caféiers, toutyprospèremerveilleusement*j> 
Et ce n'était pas là, comme nous le verrons pour d'autres œuvres 
de Roger, simple enthousiasme de début: Richard-Tol demeura, 
pendant tout le temps du gouvernement de Roger, une entre- 
prise florissante. 

Station d'essai, telle est avant tout la destination de Richard- 
Tol : « C'est notre établissement principal, déclarait Roger, il 
faut le considérer comme normal, comme jardin d'épreuve et de 
naturalisation, comme pépinière destinée à fournir des plantes 
utiles à tous les concessionnaires, enfin aussi comme objet de 
luxe et non de produit, les cotonniers (jui en dépendent n'étant, 
quoique très nombreux, qu'un très petit accessoire 'j» Il rappelle 
ce caractère fondamental de l'institution à Richard, qui eût 
désiré peut-être des résultats plus immédiats, plus nets, plus 
importants : « Vous m'annoncez que vous avez planté du coton, 
ce qui m'intéresse peu, car vous n'en avez planté que trop. Ce que 
je vous recommande, c'est d'essayer toutes sortes d'autxes 
cultures dans la plaine et sur la berge. C'est de semer beaucoup 
de riz, de sésame, du carthame, du séné surtout, des arachides, 
du maïs, etc. Plantez des cannes à sucre pour essayer les diffé- 
rentes hauteurs d'inondation. Faites les mêmes tentatives sur 
des caféiers, etc. Semez des haies, etc. Tenez note et même 
journal de vos expériences, afin qu'elles puissent profiter à 
d'autres temps et à d'autres hommes. Ne pensez guère aux pro- 
duits. Occupez-vous seulement des progrès de notre agriculture* 
Voilà en résumé ce que j'attends cette année de votre zèle et de 
vos connaissances ^ ». 

Dans le même ordre d'idées, Richard travaille réguhère. 
ment, sur les indications de professeurs du Muséum, à com- 
pléter et tenir à jour le catalogue des végétaux « soit indigènes, 
90it çx;otiques, qui existept., . au Jardin botanique delà colonie*.» 



1. Col. I, à M. Richard, 28 Juin 1823; Col. I, à Ù. Richard, 30 Juin 1823. 

2. C.G., au Ministre, 5 septembre 1822. 

3. C.G., à M. Hugon, 23 août 1824. 

4. Col. II, à M. Richard, 30 JuUlet 1824. 

5. D.M., 1% ^uin 1823. 



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LE DévELOPPEMENT DES CULTUI^ES 15& 

Mais bientôt, frappé de la supériorité de Richard sur les autres 
agents, alarmé par le peu^cTe succès des plantations et sùrtouV 
Curieux d'éproûVèr; à fond" ses rdëes, Roger pousse Richard à, 
^Sortir àç ce rôle d'expérimentateur, de botaniste, d'agriculteur, 
de' laboratoire et de^pépinïère. Jusqu'en 1824, il h'^avait cessé de 
iuî recommander avant tout les essais ënês recherches. Mais au 
retour d'un voyage en France, il semble avoir changé d'avis sur 
ce point, et il invite Richard à s'occuper non moins activement de 
la plaine deRichard-Tol etàtenterlà, non plus seulement des expé- 
riences réduites mais des^essais sur une grande échelle^. On dirait 
que Roger craint de voir tout l'effort de la colonisation et tous 
les effort/S de recherches techniques aboutir à quelques résultats 
scientifiques, mais improductifs pour l'œuvre de mise en valeur 
ou du moins remis à trop longue échéance. A mesure qu'il avance, 
il semble prendre des précautions pour que l'agriculture l'emporte 
sur l'agronomie. Il finit par le dire assez nettement à Richard 
en 1826 : a Allons ! Courage ! Portez pendant cette saison tous 
vos soins hors du jardin. Des grandes cultures ! Des grandes cul- 
tures ! C'est là qu'il y a désormais honneur et profit*. » Ainsi, 
après tant de recherches, le choix de Roger semblait s'arrêter 
sur quelques cultures particulièrement productives et faciles; 
il semblait persuadé que les cultures savantes et trop variées 
n'étaient pas faites pour ces pays neufs et pour cette main d'oeu- 
vre fruste. 

Enfin, dès que les plantes industrielles et notamment Tindigo 
commencèrent & se développer, Roger forma le projet d'adjoin- 
dre au jardin d'essai un laboratoire en forme, pour l'analyse 
chimique des plantes utiles. Ce laboratoire est organisé au mo- 
ment où il quitte la colonie, et la direction en est confiée à un 
ancien pharmacien-major, Masson*. 

Les missions de recherches de végétaux. — A l'exemple du colo- 
nel Schmaltz, mais avec plus de suite et de méthode, Roger entre- 
prend de rechercher les plantes, indigènes ou exotiques, dont l'ex- 
ploitation serait profitable à la colonie. 

Il se tient en relations avec les autres colonies tropicales et se 
fait envoyer, par les Gouverneurs ses collègues ou par des consuls 
français, les plantes utiles dont la « naturalisation » au Sénégal 
lui parait possible. Il correspond notamment avec les consuls 
de Savannah ou d'autres régions de l'Amérique tropicale pour 
des envois de graines de coton ; il demande à l'agent consulaire de 
France aux îles Canaries de lui envoyer des plantes du pays « par 
toutes les occasions possibles » ^ ; il prie le Ministre d'intervenir 
pour que ce genre de relations intercoloniales devienne fréquent 
et régulier*. 

1. Col. II, à M.*Richard, 12 avri]<1826. 

2. Col. ni, à M. Richard, 27 JuUIet 1826. 

3. C.G., au Ministre, 22 Juin 1827. 

4. C.G., au Minisire, 29 mars 1822. 

5. C.G., au Ministre, 12 décembre 1822. 



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1&6 LA MtSË EN VALEUR DU sÎnÈGAL DE 181? A 1854 

Surtout, il organise lui-même des missions de recherches. Il 
envoie, par exemple, le jardinier Challes aux îles du Cap Vert : 
cet agent devra, disent ses instructions, « principalement recher- 
cher et réunir la plus grande quantité possible de graines de café 
propres à la germination, » acheter 1000 ou 1200 cocos bien mûrs 
et propres à être mis en terre ^, et « se procurer autant de plantes 
de vignesenracinées qu'il en pourra trouver », mais «les soins par- 
ticuliers qu'il donnera à ces trois premiers objets ne l'empêche- 
ront pas d'étendre ses recherches sur les autres végétaux qui 
sont portés sur la liste que lui remettra M. Richard » ^. 

Dans le même temps, Richard était envoyé à Cayenne, avec une 
mission analogue : « Tout ce que je pourrais vous recommander 
se résume en peu de mots : apportez-nous, sans exception, 
tous les végétaux utiles, en aussi grande quantité qu'il vous sera 
possible de vous les procurer. Ne rejetez rien, parce que nous de- 
vons essayer de tout. Je ne puis que m'en rapporter à votre 
connaissance et à votre zèle ; mais pensez bien que, quels que 
soient vos efforts, votre cargaison ne sera jamais assez considé- 
rable selon mes désirs » *. 

Enfin, Roger organise de ces missions de recherches dans les 
pays voisins du Sénégal. Il les prévoit, nous l'avons vu, dans les 
fonctions permanentes de l'inspecteur des cultures. Il envoie, par 
exemple, l'officier de santé Morel à Dagana par terre « avec un 
conducteur nègre et un bœuf porteur » pour recueillir des graines 
du pays. Il profite de toutes les occasions pour faire tourner au 
profit de ces essais agricoles les voyages qui sous divers prétextes, 
sont entrepris dans l'intérieur •. 



II. — L'acclimatation des plantes européennes. 

Le Ministère semblait tenir beaucoup à l'acclimatement au Sé- 
négal des plantes utiles d'Europe. A la vérité, Roger n'avait pas 
grand espoir dans le succès de ce genre d'entreprise; mais il 
conduisait l'expérience avec sa conscience habituelle et son même 
souci du détail et de l'observation. En envoyant à ses agents « une 
nombreuse collection de plantes qui arrivent de France » il leur 
recommandait de ne rien hâter « pour leur plantation, afin qu'on 
puisse y apporter tout le soin possible; la terre sera bien fouillée, 
défoncée et même fumée avant de les recevoir. Les trous des 
fosses resteront quelques jours ouverts, de manière à recevoir les 
influences de l'air et des rosées ; ils resteront ensuite bien trempés 
d'eau, et ce n'est que le lendemain que l'on mettra la plante en 
terre. Ne vous effrayez pas de pareil travail; il durera trois mois 

1. Col. I, à M. Richard, 30 janvier 1Ô24; Col. II, au môme, 21 septembre 1824. 

2. Col. III, à M. Richard, 9 février 1824, cf. de même; C.G., au Mtnisirc, 7 avril 
1824. 

3. G.G., au Ministre, 28 juillet 1825. 



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Le DEVELOPPBMENt DES CULtUkBS 1&7 

s'il le faut, mais je veux absolument que les choses soient faites 
comme je vous le prescris » ^. 

Les légumes. — Roger songe d'abord aux légumes européens, 
et ridée était fort heureuse ; des Européens pouvaient diiflcile- 
ment vivre au Sénégal sans cet élément ordinaire de leur alimen- 
tation. 

Il demande à chaque instant des graines potagères au Dépar* 
tement, qui, du reste, ne se presse pas toujours pour les envoyer, 
retard d'autant plus regrettable que les graines potagères dégé- 
nèrent vite au Sénégal et qu'on ne peut songer à renouveler sur 
place ce genre de cultures. 

Il fait des expériences sur les saisons de culture : « Il faut, 
écrit-il, que les variétés de chaque nature de plantes soient toutes 
essayées dans diverses saisons, afin que l'on acquière les connais- 
sances qui tiennent aux localités et que la pratique seule peut 
donner » K 

Il essaie notamment de la culture des pommes de terre. « Vous 
en planterez dans votre terrain, dit-il à Richard, autant qu'il 
vous sera possible, ainsi que dans le jardin de Dagana ; vous en 
<lonnerez aux planteurs vos voisins qui en^désireraient et qui 
auraient des terrains disposés pour les recevoir ' ». 

Il fait semer aussi beaucoup de salades, de choux, etc... 

Il ne néglige pas des cultures plus luxueuses, non moins néces- 
saires à la santé des Européens : melons, fraisiers, etc^... 

Mais il semble bien qu'il se trompe avec persistance sur le choix 
de la saison *: il est démontré aujourd'hui que la saison sèche 
(environ de décembre à mai) convient seule aux cultures pota- 
gères européennes ; sans doute le jardinage n'est-il pas absolu- 
ment impossible pendant l'hivernage, mais il exige beaucoup 
plus de soins et expose à plus de mécomptes. 

Malgré tout cette culture prospérait, s'installait définitivement 
dans la colonie, et les Européens avaient pris l'habitude de ne 
plus se passer de légumes. 

Les arbres fruitiers. — Sans grand souci des différences cli- 
matériques, le Département, pourtant guidé par lé Muséum, 
avait commencé par envoyer au Sénégal toutes sortes d'arbres 
européens, habitués au climat frais du bassin parisien, tels que 
cerisiers, pommiers, poiriers, etc. 

Roger, plus averti, manifestait ses craintes : « Beaucoup des 
végétaux qui composent l'envoi appartiennent à des climats trop 
différents de celui du Sénégal pour que j'aie l'espoir de les voir 



1. Col. I, à M. Ziegler, 8 février 1824. 

2. G.G., au Ministre, 5 Juin 1823. 

3. Col. I, à M. Richard, 5 septembre 1822. 

4. Col. Il, à M. Richard, 28 novembre 1825; Col. II, à M. Richard, 12 décembre 
1825. 

5. Cf. par exemple. Col. III, à M. Ziegler, 23 octobre 1826. 



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Ito LA MISE fiN VAtBUH DU SÉNÉGAL DE ÎÔl? A l8^ 

réussir ; mais s'il est trop vrai que» par leur nature, peu soient 
destinés à prospérer, tous y donneront lieu à des études, i des 
expériences très utiles ^ ». 

Roger ne tient donc pas à s'attarder i cet essai, qui semble 
d'avance condamné. En revanche, il appelle l'attention du Mi- 
nistère sur d'autres arbres fruitiers, dont l'acclimatation lui 
paraît beaucoup plus possible et désirable : ceux du bassin médi- 
terranéen. 

« Si l'on peut concevoir des inquiétudes pour les arbres à 
fruits propres au nord de l'Europe, tout porte à croire que des 
végétaux des provinces méridionales s'acclimateraient défi- 
nitivement et donneraient des produits avantageux au commer- 
ce : dans ce nombre, il faut distinguer l'olivier. Tous ceux qui 
nous ont été envoyés ont parfaitement repris, et nous en avons 
un jeune pied qui existe depuis plus de quinze mois, sans avoir 
aucunement souffert; quoique notre latitude semble repousser 
cet arbre précieux, il est donc possible cependant que l'on par- 
vienne à le naturaliser ici ». De même, « les jujubiers, les pista- 
chiers, sont dans l'état le plus satisfaisant ».. Les orangers « vien- 
nent bien ». Les figuiers « qui sont en assez grand nombre, ont 
une végétation magnifique ». La vigne « promet beaucoup ». 
« Le succès des mûriers dépasse tous les autres ^». 

Il s'occupe même d'acclimater des cyprès et de les planter 
« rapprochés en une seule ligne pour faire un brise-vent » *. 

Mais à part les orangers, aucun de ces arbres méditerranéens 
ne pouvait trouver au Sénégal les conditions de sol et surtout de 
climat nécessaires à sa vie. 



IIL — L'acclimatation des plantes tropicales exotiques. 

C'est avant tout sur les plantes tropicales exotiques que 
comptait Roger pour meubler les plantations du Sénégal et 
donner à la colonie ses ressources définitives. 

« Pour faire connaître à Votre Excellence d'une seule fois, 
écrivait-il au Ministre, tous les besoins de la colonie en graines et 
en végétaux, je ne lui dissimulerai pas que le Sénégal est entière- 
ment dépourvu de plantes coloniales ; à l'exception de quelques 
cannes à sucre d'une espèce tardive et de quelques caféiers d'une 
mauvaise qualité que je suis parvenu à me procurer des tles du 
Cap Vert, nous n'avons rien, absolument rien. Pour faire une 
colonie au Sénégal, pour y obtenir de prompts résultats, il faut y 
introduire en assez grande quantité (des plantes coloniales). Il 



1. C.G., au Ministre, 6 février 1823, cf. de même; C.G., au ministre, 7 avril 1824. 

2. C.G, au Ministre, 7 avril 1824. Cf. de môme; Col. II, à M. Richard, 3 novem- 
bre 1825; Col. III, à M. Richard, 8 et 22 JuUlet 1826. 

3. Col. Il, à M. Richard^ 3 novembre 1825. 



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LE DEVELOPPEMENT DES éULTURES 15Ô 

est évideat que lorsqu'on aura, par une semblable opération, 
essayé le Sénégal, on saura bientôt définitivement à quoi s'en 
tenir sur le compte de ce pays ; tant qu'on ne l'éprouvera pas, 
au contraire, dans tous les sens, on s'exposera à prolonger sans 
résultats son enfance, dans de dispendieux et d'étemels tâton- 
nements ^».. 

Et nous avons vu que, d'accord avec le Ministère, Roger avait 
méthodiquement organisé l'introduction des plantes coloniales 
au Sénégal : envois demandés aux consuls et aux Gouverneurs 
coloniaux, missions de recherches, etc.. 

Le coton. — Roger ne fait ici que reprendre l'œuvre de Schmaltz 
et de Fleuriau, qui mérite de n'être pas oubliée. 

Mais les idées de Roger sur les variétés à propager semblent 
assez différentes de celles de Schmaltz, et, du reste, beaucoup 
plus nettes. Il veut s'efforcer, en particulier, d'acchmater au 
Sénégal des cotonniers étrangers, plus productifs et de qualité 
plus fine que les cotonniers mdigènes, tandis que Schmaltz et 
Fleuriau semblaient s'intéresser de préférence aux variétés du 
pays. 

1® Coton herbacé : C'est par cette variété d'origine asiatique 
que Roger commence ses essais. Il en réclamait des graines de- 
puis le temps où il était gérant de l'Habitation Royale de Koïlel; 
il put en entreprendre la culture en 1822, et les premiers résul- 
tats furent bons. Encouragé, il se fit envoyer trois barriques de 
graines par le consul français de Palerme, ^ mais il ne semble pas 
qu'il ait longtemps persévéré dans cette voie : le cotonnier her- 
bacé fournit des cotons « courte soie », dont le poil adhère forte- 
ment à la graine, et Roger voyait dans ce caractère « les plus 
grands inconvénients ^. 

2^ Des graines de coton Dacca lui sont envoyées de Ghan- 
demagor, par l'intermédiaire du Commandant de l'Ile Bourbon,* 
et le Ministère fait suivre cet envoi d'une notice sur la culture 
du coton de Dacca soumise à l'examen du Comité consultatif 
des Arts et Manufactures^. « Les fils de coton de Dacca, dit le 
Comité, sont d'une finesse extrême... On ne les file qu'à la main 
dans le pays. Tous les individus ne sont point propres à ce travail; 
il exige une adresse et des soins particuliers. Il suit de là qu'il 
serait impossible de le filer en France où la main d 'œuvre est beau- 
coup trop chère et à plus forte raison dans nos colonies. Cela étant, 
il n'y aurait d'avantage à cultiverdans les établissements coloniaux 
le coton de Dacca, qu'autant que la récolte en serait très abon- 
dante, comparativement à celle des autres cotons, parce qu'alors 



1. C.G., au Ministre, 6 février 1823. 

2. D.M., 24 mai 1822; G.G., au Ministre, 17 mars 1822. 

3. Col. I, à M. Brunet, 8 juillet 1823. 

4. D.M., 27 décembre 1825. 

5. D.M., 10 mars 1826. 



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160 La miôë en Valeur du sênégal de 18i7 a 1854 

il augmenterait nos ressources en matières premières, et encore 
conmie il n'est pas i longue soie ou que du moins, il est plus 
court que le coton de Géorgie, il serait plus difficile que celui-ci 
à filer en fin. » Ces constatations n'étaient pas encourageantes. 
De plus, les premiers semis de cette variété au Sénégal ne donnent 

Cas de brillants résultats : « Semées sur l'établissement de Richard- 
bl, il ne s'en est trouvé qu'un petit nombre qui aient conservé 
leur faculté germinative. Les jeunes plants se sont développés 
lentement et n'annoncent pas une forte végétation^ ». 

3^ Le colon égyptien semblait devoir s'accommoder plus aisé- 
ment du climat sénégalais. Cinq quintaux de graines de coton 
Jumel étaient envoyés au Sénégal en 1825, par le consul de 
France en Egypte*. Roger demandait aussitôt des renseigne- 
ments précis sur le mode de culture employé par les Egyptiens, 
et notre consul à Alexandrie répondait par un long rapport 
détaillé'. Ces graines prospèrent : « Celles qui ont été mises en 
terre ont promptement levé et les jeunes plants poussent avec 
une vigueur admirable. Nous avons tout lieu d'espérer que cette 
variété réussira au Sénégal et qu'elle sera pour ce pays une con- 
quête précieuse* ». 

Les plantes lincloriales. — Sur l'invitation du Ministère, des 
graines d'indigo du Bengale sont semées au Sénégal^; mais elles 
viennent mal». Roger préférera, nous le verrons, à ces variétés 
exotiques des variétés indigènes. 

En revanche, il essaie d'acclimater le roucouyer, dont la graine 
donne une belle teinture orangée, utilisable dans l'industne des 
étoffes et des vernis; originaire surtout des Antilles et de la 
Guyane, le roucouyer avait été introduit en Gambie, et c'est 
de là que Roger en fait venir des graines, qui, nées sous un cli- 
mat analogue à celui du Sénégal, prospèrent sans peine.» 

Les planles alimentaires, — Parmi les légumes et les épices 
originaires des autres régions tropicales, Roger retient surtout 
l'oignon de Gambie* et le piment, dont la production lui paraît 
devoir être « un jour d'une grande importance pour la colonie » ; 
il s'efforce aussi d'acclimater le vanillier, le poivrier, le giroflier, 
le çanelier^®. Mais ces essais, sauf pour l'oignon de Gambie et le 
piment qui trouvaient au Sénégal des conditions tout à fait 
favorables, furent vite abandonnés. 

1. G.G., au Ministre, 14 Juin 1826. 

2. D.M.,5aoûtl825. 

3. D.M., 15 octobre 1825. 

4. C.G., au Ministre, 14 juin 1826. 

5. D.M., 8 août et 5 novembre 1824. 

6. G.G., au Ministre, 27 Janvier 1823. 

7. Col.II, à M. Richard, 31 mars et 14 Juillet 1826. 

8. Gol.L, à M. Richard, 2 juin 1824. 

9. Gol.lU, à M. Richard, 8 juillet 1826. 

10. Col.l, à M. Rictîard, 14 septembre 1823. 



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LK DÉVELOPPEMENT DÈS CULTURES lÔl 

Il fait venir des tles du Cap Vert des bananiers, des plants 
d'ananas, des papayers, des palmiers-dattiers, et les plantations 
qu'il en fait faire à Richard-Tol ou dans des concessions particu- 
lières donnent en général de bons résultats ^. 

Il ne s'intéresse pas moins à la canne à sucre, « surtout de l'es- 
pèce la plus hâtive, afin de pouvoir la récolter d'une inondation 
à l'autre», et à ce qu'on appelle les plantes alimentaires stimu* 
lantes : le théier, le cacaoyer, le caféier*. Le caféier l'occupe 
particulièrement : il en fait venir des graines de la Martinique, 
de Cayenne, de Sierra Leone ; il recommande à ses correspon- 
dants de préparer ces envois avec le plus grand soin, de dispo- 
ser « les graines bien stratifiées... d'après les bons procédés 
maintenant très connus » et, quand les premiers semis sont faits, 
il est si impatient de connaître le résultat, qu'il prie Richard de 
<K retirer de terre quelques-unes de ces graines, les premières 
semées, d'examiner si elles sont gonflées et si elles font espérer 
4i|u'elles soient propres à la germination ». Les grandes espéran- 
ces de succès qu'il fondait sur cette culture étaient fort vaines : 
le théier, le cacaoyer, le caféier exigent un climat plus cons- 
tamment humide que celui du Sénégal; pourtant, jusqu'à son 
départ du Sénégal, il persévérera dans ces essais'. 

Les plantes oléifères. — Il était plus indiqué de tenter la 
culture d'oléifères, comme le sésame et le ricin ou Palma Chrisli^ 
dont certaines variétés croissaient dans les régions sénéga- 
laises à l'état spontané, et Roger n'y manque pas. Il fait semer 
du sésame à Richard-Tol ♦, et surtout du ricin, dont il veut entre- 
prendre « une grande plantation dans les terrains de la berge, 
à la suite du jardin » : « Regardez cette plantation comme une 
expérience d'une grande utilité, dit-ii à Richard. Elle a pour 
objet de constater s'il serait possible et utile d'introduire 
dans la colonie la culture en grand du Palma Christi. Faites votre 
plantation à plusieurs reprises en commençant dès à présent et 
en continuant peu à peu à chaque pluie, de manière à acquérir 
des données positives sur l'époque la plus favorable à ce genre de 
culture* ». 

Il songe même à pratiquer en faveur du ricin une sorte de 
culture dérobée : « Si les Palma Christi du jardin donnent des 
graines, ajoute-t-il quelques mois après, il faut les faire semer 
toutes, dût-on les jeter à la volée dans la plaine au milieu des 
cotonniers •». 



1. Gol.I, à M. Richard. 16 septembre et 29 octobre 1822, 14 septembre 1823 ; 
Col.ll, à M. Richard, 17 février et 30 mai 1826. 

2. Col.I, à M. Richard, 14 septembre 1823. 

3. C.G., au Ministre, 6 février 1823 ; Col.I, à M. Richard, 8 septembre 18^3 : 
Col.II.M. Ziéffler, 3 et 9 avril 1824 ; Col.III, à M. Richard, 14 Juillet 1826. 

4. Qol.I, à M. Richard, 14 septembre 1823. 

5. Col.I., à M. Richard, 21 Juin 1823. 

6. Col.I, à M. Richard, 14 septembre 1823. 



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1&2 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE ISl"^ A 18&4 

Les bois. — Roger a fort bien compris l'intérêt économique 
des bois tropicaux et les dançers d'un déboisement sans méthode. 
Aussi, en même temps qu'il favorisera l'exportation de cer- 
taines essences, comme le caïlcédra, se souciera-t-il d'en pré- 
parer de nouvelles plantations et d'acclimater de nouvelles espè- 
ces. 

Il crée à Richard Toi une vaste pépinière forestière, il fait 
planter des arbres dans le jardin du Gouvernement, dans la 
ville de Saint-Louis, dans les jardins des postes, dans les con- 
cessions particuhères et même au bord des chemins ^. 

Ses préférences vont à l'acajou, qui constituait l'une des prin- 
cipales richesses des colonies anglaises du Sud, mais qui, au Séné- 
gal, ne pouvait que végéter*. 



IV. — La recherche des plantes utiles indigènes. 

Roger, en qui l'esprit d'adaptation « aux localités » était si 
prononcé, ne s'est jamais dissimulé que l'acclimatation des végé- 
taux européens et même des végétaux originaires des autres 
colonies tropicales devait rencontrer de nombreux obstacles 
dans les conditions de sol et de climat particulières au Sénégal, 
et il a fort nettement aperçu l'intérêt beaucoup plus important 
que présentaient la recherche et l'amélioration des plantes utiles 
indigènes. Nous l'avons vu profiter de toutes les occasions pour 
acquérir une connaissance scientifique de la flore spontanée du 
pays et même organiser en ce sens des missions spéciales de re- 
cherches. 

Mais cette tâche toute nouvelle était bien malaisée ; les colla- 
borateurs du Gouverneur y étaient peu préparés et les travaux 
de botanique existants ne leur apportaient que des lumières 
bien insuffisantes. Roger, qui se souciait si méthodiquement 
de faire la bibliographie d'une question avant d'essayer de la 
résoudre, déplorait ce défaut de renseignements et critiquait 
vivement les conceptions botaniques de son temps : « Les plan- 
tes signalées comme de quelque utilité, disait-il notamment à 
propos d'un ouvrage d'Auguste de Saint-Hilaire sur « les plan- 
tes usuelles des Brasiliens », communiqué pour examen par le 
Ministère ^, ne sont, pour la très grande partie, indiquées que 
comme des recettes populaires d'empirisme et de bonnes 
femmes. J'avoue qu'il serait extrêmement désirable que ces 
plantes fussent soigneusement recueilUes avec les dictons popu- 
laires qui s'y rapportent; mais il faudrait qu'elles fussent ensuite 



1. Col.III, à M. Richard, 27 juillet 1826 et 19 avril 1827. 

2. Col. I, à M. Ziégler, 17 mai 1824 ; Col. II, à M. Boissard, 29 mai 1826 ; Col. II, 
à M. Perroiet, 30 mai 1826. 

3. C.G., au Ministre, 19 juUlet 1826,. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 163 

soumises à des examens, à des décompositions, à des essais, i des 
expériences qu'on ne saurait trop multiplier. Je professe dans 
toutes les circonstances que rien ne pourrait être plus utile aux 
sciences, aux arts industriels, à l'humanité; mais où trouver des 
hommes qui aient le genre d'esprit, de dévouement, de simplesse, 
d'abnégation et de courage nécessaires pour remplir ces sortes de 
missions ingrates et plus pénibles qu'on ne pourrait le croire ? 
Qui voudra, qui saura descendre à la portée des indigènes, vivre 
comme eux, comprendre ce qu'ils diront, deviner ce qu'ils vou- 
dront taire ? Ce ne sera jamais un homme sortant de nos écoles. 
II est bien plus commode de placer dans du papier quelques 
échantillons de plantes, de les faire dessiner, d'en faire à coup 
de livre et de ciseaux des descriptions mêlées de mauvais 
latin, de se faire ensuite imprimer et graver et d'acquérir dou- 
cement le titre de Botaniste. J'ai voulu donner, au peu de recher- 
ches qui se font dans la colonie, une direction mieux entendue 
et pouvant obtenir des résultats d'une utilité positive. Les diffi- 
cultés que j'y rencontre ne me laissent que l'espoir de quelques 
succès partiels ; les sciences ont aussi leurs préjugés et leurs fausses 
routes. L'impulsion donnée en France aux collecteurs de plan- 
tes n'est pas telle qu'on pourrait le désirer, dans la botanique 
la forme emporte trop le fond, elle n'est pas encore à la hauteur 
des autres sciences. » 

Les recherches de Roger se limitèrent donc, surtout au début 
à des plantes ^ui faisaient déjà l'objet d'une exploitation indi- 
gène : en particulier le coton et l'indigo. 

Le coton, — Roger ne se contente pas de faire acheter dans 
le Oualo et le Fouta-Toro du coton indigène pour en encoura- 
ger la culture^; il se soucie aussi de le faire cultiver méthodique- 
ment et de l'améliorer : « Je vous envoie, écrit-il à Richard, 
un sac de graines du pays triées. On n'a choisi que les graines 
les plus noires et les moins adhérentes au duvet; je désire qu'elles 
soient semées aussi séparément et avec toutes les précautions 
nécessaires pour en assurer le succès. Il sera fort intéressant de 
voir si, par ce procédé, on parviendra à améliorer sous ce rapport 
le cotonnier du pays, c'est-à-dire à diminuer l'adhérence de la 
graine, ce qui en fait le plus grand inconvénient* ». 

Il recommande particulièrement la variété indigène dite « coton 
Dargau ^ » qui est la plus répandue, la plus productive et la plus 
résistante aux sécheresses. « Vous choisirez, dit-il à Richard, 
des graines noires, puis des graines recouvertes de duvet; vous 
aurez soin de les planter séparément pour comparer les résultat 
et vérifier si Ton pourrait ainsi améliorer les espèces* ». 

Il voyait aussi un moyen d'amélioration dans l'application de 



1. Gol.I, à M. Brunet, 8 mai 1824. 

2. Col.I, à M. Richard, 8 juiUct 1824. 

3. Cf. Yves Henry. Le coton dans V A. O. P. , P. 15 et 19. 

4. Gol.I, à M. Richard, 23 JuiUet 1822. .. 



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164 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

cultures irriguées à des variétés indigènes, et il demandait à 
Richard de s'y employer tout spécialement^. 

L'indigo, — C'est seulement vers 1825 que Roger songera à 
donner à la culture de l'indigo le même développement qu'à 
celle du coton, mais c'est fort peu de temps après sa prise de 
pouvoirs qu'il fait recueillir des échantillons d'indigo indigène, 
demande au Ministère de les faire examiner par des spécialistes 
et entreprend, comme pour le coton, dès essais de culture et 
d'amélioration *. 

Il fait semer des graines d'indigofère indigène aux différentes 
époques de l'année, dans des terrains bien préparés, « afin d'es- 
sayer quelles circonstances seraient le plus convenables pour la 
germination et la réussite de cette plante* ». Il substitue au 
semis à la volée le semis en poquets, il recommande de couvrir 
les graines « très légèrement avec du sable... et en foulant un 
peu fort avec le pied », et d'arroser « la plantation entière avec 
des écopes » *. Mais les premiers semis lèvent mal. Roger expli- 
que cet msuccès par l'épaisseur et la dureté de la coque qui entoure 
les graines ; il conseille alors de faire « concasser dans un mor- 
tier cette enveloppe extérieure ^ » et même de suivre l'exemple 
des indigènes du Cayor, qui font « chauffer et même griller légè- 
rement les graines sur des débris de canaris » ; ce procédé lui parait 
« sauvage », mais il estime qu'on ne doit rien négliger « dans un 
pays aussi différent des autres que l'est celui-ci : Africa porten- 
tata » et que les procédés empiriques, en apparence les plus 
absurdes, ne sont pas toujours les moins efficaces*. 

Enfin, en 1825, les procédés de culture et de récolte de l'in- 
digo étaient fixés, avec une rare précision, parles soins de Roçer; 
i Ta suite de la mission confiée au chimiste Plagne, ils étaient 
exposés dans une circulaire destinée aux agents de culture et 
aux planteurs, et qu'il faudrait pouvoir citer tout entière, car 
elle atteste, mieux que tout autre document, le sérieux des 
recherches entreprises par Roger et ses collaborateurs'. 

Les terrains destinés aux plantations d'indigofères doivent 
être des plaines « formées par des terres légères, riches en humus 
ou débris végétaux », autant que possible <( exposées à l'inonda- 
tion moyenne du fleuve, abritées « des vents secs et brûlants 
par des rideaux d'arbres élevés ou par des coteaux couverts 
eux-mêmes d'arbres ». « Les indigofères prospéreront aussi dans 
les terrains qui ne contiendront qu'un quart de leur masse de 
terre alumineuse, alors ils exigeront deux ou trois binages pen- 
dant la croissance de la première coupe et un binage et une sar- 



1. Col II, à M. Richard, 15 décembre 1825. 

2. G.G., au Ministre, 27 Janvier 1823. 

3. Col.I, à M. Richard, 14 avril 1823. 

4. Col.I, à M. Richard, 14 septembre 1823. 

5. Col I à M. Richard, 21 juin 1823. 

6. CoL I, à M. Richard, 14 avril 1823. 

7. Gol.II. Instructions pour la culture et la récolte de Tindigo, 27 septembre 1825. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 



165 



claison après chacune d'elles » ; mais « on doit éviter les terrains 
trop ferrugineux, c'est-à-dire ceux qui, dans leur cassure, pré- 
sentent une grande quantité de veines jaunes et rougeâtres ». 

Dans tous les cas, la fumure est indispensable, et doit être 
d'autant plus forte que le sol est plus sablonneux. Les engrais 
végétaux (feuilles et résidus de fabrication) semblent les meil- 
leurs : « il serait même très avantageux de faire sur les planta- 
tions d'indigofères pendant Tannée de préparation une récolte 
de pistaches, de haricots, ou de tout autre légume qui tendrait à 
couvrir les frais de préparation, diviserait la terre et augmente- 
rait la masse des engrais. ». 

Il faut aux meilleurs terrains deux labours profonds de dix à 
douze pouces : les mottes doivent être émiettées au rouleau et à 
la herse et soigneusement désherbées. 

Les graines, autant que possible de Tannée précédente, doi- 
vent être séparées de leurs capsules à Taide d'un rouleau ou d'un 
pilon, vannées, séchées i nouveau et préservées de Thumidité et 
des insectes par des lits de cendre. En outre, pour empêcher « la 
dégénérescence des espèces » , il serait avantageux qu'il y eût des 
échanges entre les planteurs qui se trouvent à une certaine dis- 
tance ». 

Les meilleurs semis se font par sillons et sont suivis d'un 
solide roulage, qui « solidifie la terre, empêche l'eau d'entraîner 
la graine et retarde Tévaporation de Thumidité du sol; ils ont 
lieu dès le début de la saison humide. Dès que les graines sont 
levées, il faut entreprendre une série de sarclages très soignés 
jusqu'à ce que la plante puisse ombrager le sol et étouffer les 
herbes. » 

La récolte doit être faite au moment où les graines se nouent, 
à Taide d'instruments bien tranchants, et toujours par un temps 
sec et chaud ; les feuilles sont transportées en bottes à la sèche- 
rie et immédiatement étalées : « Une heure suffit pour y dévelop- 
per la chaleur, les noircir, en altérer la fécule qu'elles contiennent.» 

Par la suite, ces procédés de culture et de récolte se préci- 
sent encore. L'indigo est devenu le souci dominant de Roger. Il 
ne cesse d'en perfectionner l'exploitation, de tenter de nouvel- 
les variétés, empruntées aux pays voisins du Sénégal. ^ Il trem- 
ble à la pensée d'un échec, et, par nialheur, bien des causes d'in- 
succès apparaissent tous les jours : notamment l'arrivée annuelle 
de l'eau saumâtre dans le^ plantations.' Quand l'échec se pro- 
duit, Roger en est si frappé qu'il tombe malade : « J'ai été si vive- 
ment contrarié des pertes que nous avons faites dans ce genre, 
écrit-il à Brunet, que je n'attribue pas à une autre cause la vio- 
lente attaque de la maladie dont j'étais précédemment atteint ». • 
Mais il ne se décourage pas : Perrotet, d'ailleurs, qui s'occupe beau- 



1. CoLlII.à M. Richard, 14 Juillet 1826. 

2. Col.lII, à M. Richard, 2 avril 1827. 

3. Ck>].III, à M. Brunet, 12 février 1827. 
Col.111, à M. Richard, 31 mars 1827. 



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166 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

coup de cette culture sur rétablis ement de la Société agricole, 
lui en donne de bonnes nouvelles et le rassure. ^ 

Entre temps, la recherche des plantes utiles indigènes avait 
réalisé de grands progrès, grâce à l'arrivée au Sénégal de deux 
savants modestes et remarquablement consciencieux, le chi- 
miste Dejon et le botaniste Leprieur. Roger, qui devine tout de 
suite la valeur de ces nouveaux collaborateurs, leur remet « une 
note indiquant plusieurs productions naturelles au Sénégal, sur 
lesquelles il importerait de faire des recherches et des essais afin 
de tenter de créer de nouveaux objets pour le commerce ». 

Bientôt Roger se trouve en mesure de tracer un véritable pro- 
gramme d'exploitation de la flore indigène, dont l'application 
eût été certainement facile et immédiatement féconde. * 

Les plantes alimentaires, — Toutes sortes de légumes et d'épices 
du pays sont semés à Richard-Tol et y donnent, aux prix de soins 
insignifiants, d'abondants produits, dont les indigènes sont 
friands et dont les Européens s'accommodent sans peme : le pois 
rond du Bambouk, le piment du Sénégal, une tomate dont les 
fruits sont petits, mais succulents, et qui croît en abondance 
dans la brousse, la calebasse, la patate, le melon du pays, le 
bakat, sorte de graminée comestible^, etc.. Roger s'intéresse 
également aux fruits (manguiers, etc.), aux plantes à liqueur 
(vin des lotophages, etc.). 

En outre, le riz du Oualo, en terrain submergé, donne des 
graines un peu rouges, mais d'un goût délicat. «Dès que les 
grandes rizières naturelles qui existent dans le pays auront été 
nettoyées, améliorées et entretenues par des cultivateurs intel- 
ligents et industrieux, on y récoltera probablement et à bien peu 
de frais les vivres suffisants pour satisfaire en grande partie aux 
besoins du pays^ ». 

Surtout, le Sénégal a l'avantage de posséder « un riz sec », et 
l'on sait, remarque Roger, « combien cette plante précieuse a été 
l'objet des recherches et des désirs des agronomes, quel prix 
y attachait Poivre et combien en efîet sa culture serait avanta- 
geuse à l'humanité, tant à cause de l'abondance de ses produits 
que parce qu'elle amènerait l'abandon des rizières mouillées 
dont les exhalaisons sont si pernicieuses* ». Il en fait semer « dans 
des terrains séparés », ordonne des sarclages fréquents et ob- 
tient, dans l'ensemble, des résultats encourageants'. 



1. Gol.lII, à M. Dejon, 10 février 1827. 

2. Col. III, aux membres de la Société d* Agriculture, 10 février 1827. 

3. Gol.I, à M. Richard, 7 août 1822, 30 septembre 1823, 11 mars 1824; CoI.II, au 
même, 28 novembre 1825 ; Col. III, à M. Boissard, 5 octobre 1826. 

4. Col. II, à M. Boissard, 3o novembre 1825. 

5. C.G., au Ministre, 5 Juin 1824. 

6. C.G., au Ministre, 5 juin 1824. 

7/ Col.I, à M. Richard, 14 septembre 1823 ; Col. II, à M. Richard, 30 mai 1826 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 167 

Les oléifères. — Ils abondent au Sénégal, et Roger aperçoit 
si clairement l'importance économique de la question, qu'il les 
recommande tous à l'attention des planteurs. Il groupe notam- 
ment, à Richard-Tol, un ricin du pays « qui peut donner une 
huile utile», «lemoringa de Ben», des fruits duquel on peut extraire, 
« par des procédés simples, une huile qui a une grande valeur 
dans l'horlogerie et les arts », le touloucouma, le beney ou sésame 
des Bambara, une variété de manioc qui, selon lui, « fournirait 
de l'huile à brûler », diverses cucurbitacées et le soump (Balanites 
Aegyptiaca), qui « en donnerait également»^. 

Il s'intéresse particulièrement à la « pistache de terre » ou 
arachide, dont la production et le commerce devaient par la 
suite absorber à peu près toute l'activité du Sénégal ; il en recom- 
mande vivement la culture et en fait extraire de l'huile qui sem- 
ble d'excellente qualité^; il était d'ailleurs encouragé dans cette 
voie par le Ministère, qui, lui communiquant «un mémoire de 
M. d'Arras » sur l'arachide, estimait que cette culture devait 
« réussir très bien dans les terres hautes du pays, puisqu'elle 
vient à merveille dans les terrains les plus arides de l'Inde • ». 

Les plantes médicinales el aromatiques. — Les fruits du tama- 
rinier et du soump sont indiqués par Roger comme servant à 
faire des « conserves astringentes ». * 

Le séné et la salsepareille « croissent spontanément dans les 
campagnes du Sénégal et pourraient donner lieu à un nouveau 
commerce »; Roger envoie des échantillons dans la Métropole, 
en exprimant le désir que a les personnes qui seront appelées à 
faire les épreuves de ces échantillons veuillent bien indiquer si 
le séné est trop vert ou trop jaune, s'il a été cueilli trop tôt ou 
trop tard, si les follicules sont trop ou trop peu avancées, si la des- 
siccation est bonne, si elle doit avoir lieu à l'ombre ou au soleil, 
enfin ce qui pourrait donner à ce produit ou plus de qualité, ou 
plus de l'apparence qui convient au commerce. Personne ici 
n'ayant fait cette culture ni ce trafic, il est utile de nous éclairer 
sur les meilleurs procédés à introduire dans le pays ^k 

Par la suite, il essaie de la culture rationnelle du séné, à trois 
époques différentes de l'année, et il croit s'apercevoir que les 
variétés étrangères (celles d'Egypte en particulier), tout en 
exigeant plus de soins, ne donnent pas de meilleurs produits que 
le séné indigène*. 

En fait de plantes aromatiques, Roger retient surtout une 
« espèce d'encens provenant du haut fleuve'» et « une espèce 

1. CoLIII, aux membres de la Société d'Agriculture, 10 février 1827 ; Cf, de même 
Gol.I, à M. Richard, 39 septembre et 13 octobre 1823. 

2. C.G., au Ministre, 14 août et 22 septembre 1827 ; Col III, aux membres de la 
Société d'Agriculture, 10 février 1827. 

3. D,M., 18 août 1824. 

4. Col. III, aux membres de la Société d'Agriculture, 10 février 1827. 

5. C.G., au Ministre, 16 novembre 1822, 

6. C.G., au Ministre, 30 Juillet 1823 ; Col. I, à M. Richard, 7 février 1823. 
7 Ca au Ministre 17jumetl826. 



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168 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de Cyperus qui couvre les plaines basses du Sénégal et dont les 
racines donnent une odeur agréable dont on pourrait tirer une 
essence ^ ». 

Les textiles. — Les indigènes tirent de deux espèces d*hibiscus» 
« arbuste aussi commun au Sénégal que le noisetier dans nos forêts, 
des filaments avec lesquels ils fabriquent des cordes pour leur 
usaçe». Roger, qui avait déjà demandé au chimiste Plagne d'é- 
tudier cette question, charge Leprieur et Dejon de faire 
« des recherches plus approfondies » •. Ayant appris, d'autre part 
que les Anglais avaient obtenu en Gambie « une assez grande 
quantité de filasse de même nature », et que ces résultats étaient 
dus à un sieur Victor Baudry, français d'origine, établi depuis 
environ huit ans dans l'établissement anglais où il mène une 
existence peu heureuse », Roger essaie d'attirer ce Baudry au 
Sénégal par toutes sortes de promesses, et , en attendant, obtient 
de lui des graines, dont il ensemence plusieurs arpents, et des 
renseignements techniques sur l'utilisation des fibres d'hibiscus'. 

Il envoie alors des échantillons de filasse au Ministère: la Com- 
mission chargée de les examiner conclut que « dans l'état actuel, 
des choses, les filaments de l'hibiscus n'ont pas assez de force 
pour servir à la confection des cordages au'emploie la Marine 
et que, d'ailleurs, si on les compare aux cnanvres du Nord de 
la France, ils donnent beaucoup plus, de déchet et moins de 
premier brin», mais elle ne condamnait nullement l'expérience; 
elle se bornait à demander des échantillons plus abondants, 
une culture capable d'augmenter la résistance des fibres et une 
préparation industrielle tout à fait semblable à celle du chanvre^. 

Plantes tinctoriales et substances tannantes. — L'indigo, écri- 
vait Roger au Ministre, « n'est pas la seule matière tinctoriale 
que produit le Sénégal; ce pays trop dédaigné pourrait en four- 
nir bien d'autres... "Toute mon attention est dirigée vers ce genre 
de découverte *. » Et il transmettait des échantillons de tein- 
tures fort variées, dont les principaux provenaient : 

« D'une racine connue sous le nom de Fayar»; les nègres du 
voisinage en obtenaient une couleur jaune très belle et très solide; 

Du fruit du Neb-neb ou mimosa nilotica (Babla de l'Inde); 
« le mimosa nilotica est l'arbre le plus commun du Sénégal, ses 
graines sont extrêmement abondantes, elles coûteraient peu 
à ramasser et l'on en chargerait aisément plusieurs navires »; 
Plagne avait déjà extrait du neb-neb une couleur noire « très 
susceptible d'être utilisée »•; 

1 . CoI.III, aux membres de la Société d'Agriculture, 10 février 1827. 

2. C.G., au Ministre, 8 février 1826. 

3. G. G., au Ministre, 8 février 1826; Gol. II, à M. Brunet, 15 février 1826; Gol. III, 
au même, 4 et 12 avril 1827. 

4. D. M.,22 août 1826. Il semble que Thibiscus dont il est question ici soit Vhibit- 
eu» eannabinuf ou dâ, largement utilisé aujourd'hui. 

5. G. G., au Ministre, 17 JuUlet 1826. 

6. G. G., au Ministre, 17 juillet 1826. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 169 

De plusieurs variétés de mimosas dont les bords du Sénégal 
étaient couverts et qui donnaient un « cachou » fort analogue 
à celui de rinde^; 

D'une « espèce de convolvulus » que les indigènes du haut 
fleuve nomment Bougué et dont l'essence leur sert & renforcer 
les propriétés colorantes de l'indigo *. 

Enfin, un tanin « très actif » peut être extrait du mimosa 
nilotica '. 

Le caoutchouc. — L'utilisation industrielle du caoutchouc, 
au temps de Roger, n'était pas encore très répandue : c'est 
seulement en 1821 que l'anglais Hancock installe à Londres la 
première usine pour le traitement et le laminage du caoutchouc, 
et c'est en 1828 qu'une usine française du même genre com- 
mence à fonctionner à Saint-Denis. 

Mais Roger, qui sait se tenir si exactement au courant des 
proj^ès techniques, n'ignore pas les avantages que promet l'ex- 
ploitation du caoutchouc; bien que le Sénégal ne soit pas spé- 
cialement destiné par son climat au développement de ce pro- 
duit, il fait rechercher « plusieurs espèces d'euphorbe, très 
communes dans le pays » et dont le latex lui paraît utilisable^. 

Les bois. — Dans la pépinière de Richard-Tol, Roçer fait semer 
en ffrande quantité des caTlcédras, bois dur d'excellente qualité 
et j^iment veiné; des fromagers, arbres de grande taille pouvant 
servir d'ombrages dans les plantations et fournissant à la fois 
un bois tendre et une soie végétale, le kapok ^; des rôniers, varié- 
té de palmiers, dont le tronc, remarquablement droit fournit 
des matériaux de construction très résistants à l'humidité et aux 
termites*; il recherche enfin les arbres purement décoratifs 
et les arbustes propres à former des haies *. 

Nous n'avons, au cours de cette longue énumération de plan- 
tes utiles indigènes, cité que les plus importantes, celles que 
Roger était parvenu à déterminer et dont il connaissait exacte- 
nient l'utilisation possible; mais c'est tout un catalogue bota- 
nique qu'il faudrait dresser, si l'on voulait donner la liste com- 
plète des végétaux indigènes auxquels il s'est intéressé et dont 
il a entrepris ou désiré l'exploitation *. 

1. GoL III, aux membres de la Société d'Agriculture, 10 février 1827. 

2. Col. II, à M. Brunet, 23 décembre 1825. 

3. Col. III, aux membres de la Société d'Agriculture, 10 février 1827. 

4. Col. III, aux membres dé la Société d'Agriculture. 10 février 1827. 
b. Col. I, à M. Richard, 30 juin 1823; Col. n , au même, 27 juiUet 1826. 
ft. Col. I, à M. Richard, 23 septembre 1823. 

7. Col. I, à M. Boissard, 14 mai 1824; Col. III, à M. Ziégler, 15 décembre 1826. 

8. Cf. par exemple, Col. II I| note des graines envoyées à M. Richard, 29 mai 1826. 



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170 LA MISE EN VALEUn DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 



V. — Recherches sur les opérations culturales 

Dans ses tentatives d'acclimatation de cultures exotiques ou 
d'extension de cultures indigènes, Roger est loin d'avoir tou- 
jours réussi; mais on peut dire que, quand il s'est trompé, la 
responsabilité de l'erreur revient à la science de son temps bien 
plus qu'à lui-même. Il ne néglige, en effet, aucun des enseigne- 
ments qui peuvent lui être fournis par la consultation des traités 
spéciaux ou des savants de l'époque, il recourt à tous les procédés 
d'information et d'expérimentation qui correspondent à la 
vérité scientifique du moment, et ce genre de souci apparaît 
surtout dans ses recherches sur les aptitudes et les aménage- 
ments possibles du sol sénégalais. 

Vélude des terrains. — C'est ainsi que, dès 1822, il envoie au 
Ministère cinq caisses contenant des échantillons des diverses 
espèces de terre du Oualo, pour qu'on les fasse analyser: «L'exa- 
men auquel ces terres peuvent être soumises, dit-il, contribue- 
rait sans doute à redresser l'opinion publique au sujet des sables 
du Sénégal^ y^. 

On sait aujourd'hui que l'analyse chimique des sols tropi- 
ques ne peut, jusqu'à plus ample découverte, servir de base au 
choix des terrains de culture, que les « échelles de fertilité » ne 
signifient pas grand chose et qu'un terrain à peu près dépourvu 
d'éléments fertilisants ou soi-disant tels peut fort bien se 
couvrir de cultures riches. Si, par exemple, « les planteurs de 
caféiers des Etats Brésiliens s'étaient basés sur l'analyse chi- 
mique des terres pour créer les merveilleuses plantations qui 
alimentent aujourd'hui l'univers en café, il est probable qu'il 
n'auraient jamais entrepris la création de ces plantations *». Mais 
ce résultat d'expérience commence à peine à se faire jour : ni Ro- 
ger ni les professeurs du Muséum ne pouvaient concevoir un 
principe aussi opposé aux plus récentes données de la science 
agronomique. 

Bien mieux, le professeur du Muséum chargé par le Ministère 
d'examiner les échantillons de terrains du Oualo, Laugier, ne se 
préoccupe nullement de la différence des climats et des cultures 
et raisonne des aptitudes agricoles du Sénégal par analogie 
avec celles du sol français : il croit « convenable d'analyser une 
terre de France reconnue comme bonne et qui puisse servir d'ob- 
jet de comparaison »; il choisit à cet effet « une bonne terre à 
froment, dite terre franche, de la meilteure qualité des environs 
de Paris, dans laquelle croissent des blés qui rendent pour l'or- 
dinaire et années communes de douze à quinze pour un ». Il con- 



1. G. G., au Ministre, 4 août 18!^. 

2. Fauchère, Guide pratique d'agricuUure tropicale : principes généraux, p. 22 et sq. 



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Le DEVELOPPEMENT DÈS CULf URES 1^1 

dut de son examen que, a parmi les cinq terres du Sénégal (deux) 
se rapprochent de la terre franche des environs de Paris; elles 
contiennent même plus d'argile et d'eau que cette dernière, et 
seulement un peu moins d'humus. Elles doivent donc être pro- 
pres à la même culture et, par conséquent, il serait possible d'y 
semer avec succès les graines céréales qui croissent si avanta* 
geusement dans la terre des environs de Paris... Les trois autres 
échantillons renferment plus de silice, moins de terre argileuse, 
d'humidité et d'humus. Il est présumable que les plaines d'où 
les terres les plus siliceuses sont tirées, étant souvent inondées, 
les eaux leur ont enlevé les matières qui leur manquent et qui 
sont plus faciles à entraîner... Il est vraisemblable que le moyen 
de les rendre utiles serait d'y cultiver de préférence des arbres et 
des arbustes qui exigent une terre légère et peu humide^ ». 

Ce qui est tout aussi vraisemblable, c'est que les terres qui 
semblaient s'apparenter aux terres franches du bassin |>arisien 
étaient composées de latérite, partant difficilement cultivables, 
tandis que les autres, toutes siliceuses qu'elles fussent, étaient 
propres à toutes les cultures permises par le climat. Roger eut 
du moins le mérite de ne tenir, pour la distribution des cultures, 
aucun compte de ces résultats qui lui paraissaient en désaccord 
avec ses propres observations '. 

Il s'applique, en revanche, à des expériences toutes locales 
en vue de l'amélioration des terrains, il essaie divers amendements 
et notamment cherche à savoir ce que pourrait produire l'enri- 
chissement du sol en calcaire : la rareté du calcaire dans les 
terres fortes du Sénégal, écrit-il à Richard «m'avait déterminé 
dana le temps de faire transporter à R^chard-Tol de la chaux 
provenant des démoUtions et aussi des coquilles d'huîtres à 
demi-calcinées, en vous invitant à faire des essais sur le mélange 
de ces substances dans des terrains du jardin ou de la plaine... 
Des expériences dans ce genre sont du plus haut intérêt pour 
la colonisation, et je dois regretter qu'elles ne soient pas plus 
souvent de votre part l'objet de rapports ou de propositions* ». 

Il s'occupe également d'un problème tout aussi pressant que 
celui des amendements pour les cultures riveraines du bas Séné- 
gal : le dessalage du sol. Il invite un de ses agents à « faire labou- 
rer environ deux arpents du terrain qui se trouve devant Faf sur 
le bord de l'eau et qui a été inondé cette année... mon intention, 
dit-il, est d'éprouver si, par des labours réitérés et par des sub- 
mersions successives, il ne serait pas possible de le dessaler* ». 

La préparation du sol : Le labourage. — On discute aujour- 
d'hui encore sur l'opportunité du défoncement du sol en pays 
tropical: Roger a résolu la question par l'affirmative, il a intro- 



1. D. M., 11 février 1824L 

2. Cf. infra, 190, Les concessions agricoles, 

3. Col. III, à M. Richard, 13 février 1827. 

4. Gol. II, à M. Boissiard, 28 novembre 1825. 



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172 LA MISE EN Valeur du senegal de 1617 a 1854 

duit la charrue au Sénégal et expérimenté sans trêve le labour 
profond. 

« Je vous recommande avec les plus vives instances, écrit-il 
à Richard, de donner tous vos soins à ce que des bœufs soient 
dressés, en plus grand nombre possible, et à ce que des charrues 
et des sarcloirs soient employés sans interruption sur votre éta- 
blissement. Je suis plus que jamais convaincu que c'est notre 
principal, peut-être même notre seul moyen ae succès.... Je 
vous adresse une note et un dessin qui indiquent un procédé 
pour habituer les bœufs au tirage ^.» 

Il se fait envoyer des charrues de France ; il en fait construire 
sur place, d'un modèle simple et résistant, « une forte pointe 
pour tout soc », et il en distribue le plus possible *. 

Il ordonne qu'on laboure toutes les fois qu'on le peut et par- 
tout, il ne supporte pas qu'on s'entête dans la routine et qu'on 
n'éprouve pas è fond le procédé (ju'il indique comme la condi- 
tion première de tout succès agncole. Il proteste contre « les 
simples ^attages », il n'admet pas qu'on tarde à dresser des 
bœufs ni qu'on invoque « la maladresse et la paresse des nègres » 
employés au labourage'. 

Surtout il se tient personnellement en garde contre les idées 
toutes faites qui lui viennent de l'agriculture métropolitaine, 
et il s'efforce d'adapter la pratique du labourage aux conditions 
des « localités » : il proportionne la profondeur des labours à la 
nature des terrains et des cultures, il spécialise certains de ses 
agents dans la conduite de cette expérience, il dresse à leur usage 
de véritables questionnaires qui serviront à déterminer la métho- 
de convenable. Il veut savoir i cet égard, tout ce qui se fait dans 
le moindre détail : combien de bœufs et de charrues travaillent 
chaque jour ? sur quels emplacements ils sont employés ? 
quel est le résultat de leur travail ? Ne différez pas davantage à 
me rendre compte du parti que vous tirez de la charrue qui vous 
a été envoyée dernièrement. En êtes-vous content ? En quoi 
la trouvez-vous bonne ou mauvaise. En voulez-vous de sembla- 
bles ? Quel changement proposeriez-vous d'y faire ? Tâchez 
donc de vous bien persuader que je ne vous tiendrai jamais 
compte que d'un seul genre de service, celui du labourage, et 
jugez vous-même combien le peu d'intérêt que vous y portez 
est de nature & me contrarier ^ ». 

Il n'est pas moins préoccupé des opérations préparatoires 
au labourafi^e, comme le débroussement et le dessouchement, 
ou consécutives, comme le roulage, le hersage, le sarclage, le 
buttage, etc, et il a fort bien vu que, tout neuf qu'il fût, le sol 
du Sénégal avait besoin d'engrais^. 

1. CoL 1, à M. Richard, 19 avril 1823. 

2. Col. I, à M. Richard, 10 seplembre 1822 el 21 juin 1823; à M. Boissard, 14 et 
17 mai 1824. 

3. Col. I, à M. Boissard, 20 avril 1824 ; Col. Il, au même, 14 août 1824 et 26 décem- 
bre 1825; Col. III. à M. Brunet, 12 février 1827. 

4. Col. II, à M. Boissard, 15 décembre 1825. 

5. Col. II, instructions pour la culture et la récolte de Tindigo, 27 septembre 1825. 



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Le DEVELOPrEMENT bES CULTURES 173 

V€uninagemenl des eaux. — Tout le temps qu'il est demeuré 
au Sénégal, Roger a connu les inquiétudes, les angoisses ou les 
joies du cultivateur, qui dans l'allure des saisons voit les condi- 
tions de son bonheur ^ Il suit avec un intérêt passionné le cours 
des changements climatériques, il demande constanmient à ses 
agents des renseignements- météorologiques et leur prescrit de 
noter sur un journal « la marche de la saison, les variations de 
la température et surtout le nombre et l'abondance des pluies %». 

C'est Que la question de climat domine à ses yeux toutes celles 
qui touchent à l'agriculture du Sénégal. Il lutte contre l'ardeur 
excessive du soleil en recourant aux cultures ombragées ', contre 
l'influence desséchante du vent d'est par une exposition appro- 
priée des plantations et par l'établissement de rideaux d'arbres ^; 
mais ce qui l'obsède particulièrement, c'est la lutte contre l'ex- 
cès de sécheresse ou d'humidité dû à l'irréffularité de la crue 
fluviale. Chaque année, aux approches de l'hivernage, il reprend 
en détail l'examen des procédés d'irrigation; mais on peut dire 
que, de toute l'année, il ne les perd pas de vue. 

Dès l'installation de Richard-Tol, il y fait aménaeer une noria, 
dont il a dirigé la fabrication à Saint-Louis, et il va présider 
lui-même à la construction des bassins ^ Puis, le procédé se 
perfectionne, et il s'agit, non plus seulement de norias, mais de 
« bascules à monter l'eau » ou « délous »*. 

L'expérience ayant réussi, il entreprend d'installer sur tous 
les terrains de culture « de ces machines simples, si généralement 
employées dans l'Inde, en Egypte et partout' ». Il faut que 
« toute la rive du fleuve en soit couverte de cent toises en cent 
toises avant quelques mois ^. » 

Cette grande entreprise se heurte malheureusement à toutes 
sortes d'obstacles matériels et il faut y suppléer par de l'ingé- 
niosité, (|ui ne suffit pas toujours; par exemple, la mauvaise 
saison fait des victimes parmi les ouvriers de la sous-direction 
du Génie : « Des travaux essentiels sont ainsi nécessairement 
suspendus. Il ne sera pas possible de vous faire l'envoi de la 
totalité des seaux à delous dont Perrotet avait soumis l'état; 

t'e crains même qu'on ne puisse vous en adresser que deux... 
fais c'est dans la crise où nous nous trouvons qu'il faut redou- 
bler de soins et d'industrie... Ne serait-il pas possible, par 
exemple, d'attacher des poignées à de grandes baganes, dans 
le prolongement de leur axe, en ordonnant aux nègres de s'en 



1. a. par exemple. Col. I, à M. Richard, 10 et 18 octobre 1823; Col. III, à M. Bm- 
net, 25 Janvier 1827. 

2. Col. I, à M. Brunet, 22 août 1823. 

3. Col. II, à M. Richard. 23 décembre 1825. 

4. Col. II, il M. Richard, 23 décembre 1826. 

5. Col. I, k M. Richard, 10 septembre 1822 et 14 mars 1823. 

6. Gol. Il, à M. Richard, 30 Juin 1824. Il s'agit ici de ce qu'on appelle en Egypte 
le « chaddouf >, soit, en principe, une lonfi^ue perche montée sur pivot et qui porte 
à l'une de ses extrémités un seau, & l'autre un conlrepoid«. 

7. Col. II, k M. Richard, 31 octobre 1825. 

8. Col. II, à M. Richard, 3 novembre 1825. 



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194 LA MISE J^N VALfeUh bU SENEGAL DE lâl? A ISoi 

servir pour lancer de l'eau dans des rigoles préparées à l'avance ? 
Ne pourrait-on pas aussi faire établir des tranchées dans les 
berges opposées à l'inondation, et amener par ce moyen l'eau 
du fleuve dans d'autres conduits ? Je me borne à ces premières 
indications, et je m'en rapporte à vous pour l'emploi des mesu- 
res plus certaines; l'important est de les multiplier^ ». 

Il senible donc qu'on doive renoncer momentanément à 
ces bascules dressées sur les rives « de cent toises en cent toises », 
en tout cas « ce sera long ». Il convient de chercher des installa- 
tions moins compliquées, et l'on doit en trouver : « Les Egyp- 
tiens et les Indiens ont-ils donc tant de forgerons ? Avons-nous 
moins qu'eux de l'intelligence et des ressources en nous-mêmes ? 
Faut-il donc tant de choses pour élever Teau à une si petite 
hauteur 7 Remuez ciel et terre, mais qu'on arrive partout..... 
Donnez tous vos soins à ce qu'on profite des hautes eaux pour 
arroser, ne fût-ce qu'à l'écope ou à la pelle *». 

Et Roger continuait d'étudier la question sous tous ses aspects. 
Il se tenait au courant des progrès réalisés dans les autres régions; 
au début de 1827, il demandait encore au Ministère de lui faire 
envoyer l'ouvrage du comte de Chabrol sur « les moyens d'amener 
l'eau »•. 

Les outils aratoires. — Ces travaux continus d'aménagement 
du sol et des eaux exigeaient un accroissement considérable et 
une adaptation de l'outillage agricole : les outils indigènes, hilaire; 
daba et coupe-coupe, étaient par trop rudimentaires et se prê- 
taient mal aux procédés très variés de culture et de récolte 
que Roger expérimentait et propageait sans cesse. Mais il faut 
remarquer que Roger, tout en désirant une spécialisation de 
l'outillage, veut avant tout qu'il soit simple, robuste, de telle 
sorte qu'il résiste à la maladresse naturelle des indigènes, n'exige 
que des réparations faciles et soit d'un maniement aisé. * 

En 1822, il se fait envoyer pour 12.000 fr. de pelles carrées, 
bêches, pioches, houes, râteaux, fourches, haches et hachettes, 
serpes, croissants et faucilles, scies, meules, houettes, balances. * 

En 1823, nouvelle commande, mais d'un genre tout nouveau; 
il s'agit cette fois, non plus d'outils, mais de machines aratoires : 
un manège à bœufs, un araire léger, un sarcloir à attelage, cinq 
éperons à planter, une charrue de Garnereau, une herse à deux 
rangées de dents, un moulin à bras et une meule •. Ces machines 

1. Col. II, à M. Perrotet, 10 décembre 1826. 

2. Col. m, k M. Brunet, U octobre 1826. 

3. C. G., au Ministre, 13 février 1827. — D'un point de vue plus local, Bpger 
amorçait une question qui n*est pas encore résolue, mais qui a fait Tobjet d'impor- 
tants travaux : VuUlisalion du lac de Guier pour Virrigation : « Le voyage d'explo* 
ration que vous proposez de faire, écrivait-il à Richard, me paraît parfaitement 
conçu. Je sens comme vous de quel intérêt serait la connaissance certaine des rives 
du lac de Guier et du marigot qu'on soupçonne communiquer de ce lac au marigot 
qui passe à Lampsar... >. (Col. II, k M. Richard, 26 octobre 1824.) 

4. Col. I, à M. Boissard, 14 et 17 mai 1824. 

5. D. M., 11 décembre 1822. 

6. D. M., 19 février 1823. 



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Lk DEVELOPPEMENT DES CULTURES l75 

avaient été construites par les soins du Directeur du Conserva- 
toire des Arts et Métiers, et elles devaient servir de modèle 
pour la fabrication sur place ^. 

Une fois en possession de ces outils et de ces machines, Roger 
les mit à Tessai ; il demanda à ses agents, et surtout à Richard, de 
lui donner fort exactement leur avis sur les modifications qu'il 
convenait d'y apporter : « Vous me ferez connaître notamment, 
disait-il, si vous les avez trouvées de bonne ou de mauvaise qua- 
lité, sous quel rapport ils auraient été d'un mauvais usage, et les 
améliorations dont vous croiriez que seraient susceptibles des ou- 
tils de même nature qu'onse disposerait à faire venir de France. 
Vous devrez aussi porter votre attention sur les dimensions qui 
ont été données à ces outils, et sur celles que vous jugeriez les 
plus convenables, eu égard aux difTérentes espèces de terrains, 
au climat et aux habitudes des ouvriers... * ». 

Puis, dans tous les ateliers dont la colonie pouvait disposer, il 
entreprit de faire fabriquer sans arrêt les outils et les machines 
agricoles qui avaient donné les meilleurs résultats ^ En même 
temps le Ministère continuait à expédier au Sénégal « un appro- 
visionnement d'outils de diverses professions, d'instruments de 
culture, etc, qui se trouvaient dans les magasins de la Marine à 
Rochefort, et qui ne pourraient que se perdre par un plus long sé- 
jour. »* A la fin du gouvernement de Roger, le Sénégal disposait- 
d'un outillage agricole considérable et généralement adapté aux 
caractères du sol et de la main-d'œuvre. 



VI. — Recherches sur les industries de transformation. 

Les cultures entreprises par Roger étaient surtout des cultu - 
res industrielles, et elles supposaient l'installation sur place d'in- 
dustries rudimentaires. Roger s'apphque à cette question avec 
son entrain coutumier : il fait extraire en petites quantités de 
l'huile d'arachide, de ricin et de sésame, du tanin, diverses tein- 
tures; il fait préparer de la filasse d'hibiscus*, etc.; mais c'est 
surtout au coton et à l'indigo, c'est-à-dire à ce qu'il considère 
comme les principaux produits actuels de la colonie, qu'il réserve 
ses meilleurs soins. 

Végrenage du colon. •. — En mars 1822, il envoie au Ministre, 

1. D. M., 19 février 1823. 

2. Col. I, à M. Richard, 19 juillet 1822. 

3. Col. I, à M. Richard, 21 juin 1823. 

4. D. M., 10 juin 1824. 

5. G. G., au Ministre, 20 août 1822. 

r>. L*égrcnage du coton est l'opération qui consiste* à séparer mécaniquement 
le fil de coton de la ^aine à laquelle il adhère plus ou moins fortement. La machine 
la plus Himple (chourka des Hindous, manganello des Italiens, roller-gin des Anglais) 
se compose de deux cylindres de bois horizontaux, mus par une manivelle ou une 



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176 LA MISE EN VALECft DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1Ô54 

pour permettre Tessai de machines à é^ener, 23 sacs de coton 
non égrené, récolté au Sénégal, et il insiste sur le besoin urgent 
de moulins : « Une livre de coton coûte d'éçrenage fr. 50. Quand 
on sera parvenu à réduire ce prix de mam-d'œuvre à 15 ou 20 
centimes, comme dans les autre colonies, on aura fourni une prime 
très considérable, sans qu'il en ait rien coûté au Gouvernement » ^. 

Le 8 mai, le Ministre lui faisait envoyer un « moulin à hérisson 
de la force de deux hommes et trois petites machines (manga- 
nelles à pédales) à égrener le coton », fabriquées par les soins du 
Directeur du Conservatoire royal des Arts et Métiers Christian; 
ces trois instruments avaient coûté 2.434 fr. 02. « Ces machines, 
mandait Christian, m'ont donné les résultats les plus satisfaisants 
à l'essai que j'en ai fait avec le coton Dargau, qui est le plus dif- 
ficile à égrener. Un homme exercé, avec une des petites machi- 
nes à pédales, peut faire aisément cinquante livres de coton en 
dix heures de travail. »• 

Mais cet envoi ne donna nullement satisfaction, et Roger ne 
le cacha pas au Ministre : « Les manganelles à pédale ne sont 
absolument propres à aucun usage; aucune d'elles n'a pu être 
mise en mouvementpendant cinq minutes seulement, sans éprou- 
ver des dérangements considérables. Il entre beaucoup trop 
de détails dans la construction de ces 'machines, qui devraient 
être d'une simplicité à portée des ouvriers les plus ordinaires. • 
Quant au moulin à hérisson, tout en laissant plus d' « espéran- 
ces » que de succès, il présentait aussi des vices de construction 
(dimensions trop réduites, lames trop écartées, etc.), et les amé- 
liorations que Roger y avait fait apporter ne le rendaient guère 
plus utilisable; et Roger demandait qu'on lui fît parvenir 
« un grand moulin comme ceux dont on se sert en Louisiane. » * 

Le Ministre fit part des observations de Roger au directeur du 
Conservatoire, et, en attendant sa réponse, il envoyait à Roger 
deux imprimés « relatifs à l'introduction récente à Cayenne d'un 
moulin à coton qui paraît donner des résultats satisfaisants ». Ce 
mouHn,« établi dans une case de 80 pieds de long sur 35 de large, 
était mû par deux chevaux et deux nègres; il rendait par jour 
600 kilos de coton prêt à être emballé » «. 

A ces mots et ces promesses, Roger répondait toujours par la 
demande d'un grand moulin de la Louisiane. On le sentait fati- 



pédale et séparés par un intervalle trop étroit pour laisser passer la graine. En 1792, 
Whitney inventa en Amérique Tégreneuse à scies, le saw-gin, composée en prin- 
cipe d un cylindre, de 80 ou 90 scies circulaires, très rapprochées, qui tournent 
rapidement, arrachent le poil de la graine qu'on leur présente au fond d'une trémie: 
le coton arraché rencontre, sous le cylindre à scies, un cylindre à brosses (hérisson) 
qui le détache des scies.Comme les scies déchiraient le coton longues-soies, elles furent 

Kar la suite remplacées par des lamelles qui, faisant office de batteur, détachent 
i graine, la projettent au dehors et permettent aux fils de s'engager dans un lami- 
noir (Mac Cartv-Gin). Cf. Yves Henry, Le colon dans VA. O, F., passim, 

1. G. G., au* Ministre, 17 mars 1852. 

2. D. M., 8 mai 1822. 

3. G. G., au Ministre, 11 novembre 1822. 

4. G. G., au Minitre, U novembre 1822. 

5. D. M.| 26 Juin 1823. 



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LB DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 177 

gué des lenteurs du Ministère et des perpétuels essais qui n'a- 
boutissaient à rien de sûr K 

Il cherche bien de son côté à construire, avec Taide d'un méca- 
nicien de Saint-Louis, Castille, «un moulin à pédale, extrêmement 
simple et dans la forme de ceux en usage à la Guyane'», « mais 
il y a au Sénégal si peu d'industrie et de moyens de production » 
que toutes sortes d'obstacles matériels l'arrêtent et que ses efforts 
n'aboutissent «qu'à bien peu de résultats »'. 

Enfin, le 31 août 1823, le Ministre envoie le moulin demandé^. 
Il semble bien que sa lenteur à satisfaire Roger sur ce point 
soit venue surtout des résistances du directeur du Conservatoire 
des Arts et Métiers, Christian ; entre l'antique système des moulins 
à cylindres et le système beaucoup plus récent des moulins à 
scies, Christian demeurait partisan des moulins à cylindres 
a qui égrènent le coton comme pourrait le faire la main la plus 
adroite» et dont le principe est « le seul réellement bon eu égard 
à la conservation de la qualité du coton »; il se résignait malai- 
sément à « sacrifier la qualité du coton à la promptitude et à la 
facilité du travail », à « présenter à une masse de coton une sur- 
face hérissée d'aspérités, dont le mouvement rapide arrache 
les filaments », et il s'évertuait à « retourner de toutes sortes 
de façons le procédé d'égrenage au moyen de cylindres » ; il rêvait 
de construire une machine qui, tout en demeurant conforme 
au principe de la manganelle, eût permis autant de rapidité 
que les moulins à scies ; mais le résultat ne répondait pas « à son 
attente », et, Roger perdant patience, Christian dut renoncer à 
ses idées personnelles et se contenter de copier le modèle amé- 
ricain qu'on lui proposait, le seul c[ui pût convenir dans un pays 
« où tous les moyens de réparation manquent, et dont les ou- 
vriers n'ont ni soins ni activité » ». 

Cette machine, qui consistait essentiellement en « un tambour 
à hérissons dentelés », donna généralement satisfaction et per- 
mit à Roger d'ouvrir à Saint-Louis un atelier, où le coton, appor- 
té par les planteurs et les indigènes, fut égrené d'abord gratui- 
tement, puis moyennant fr. 30 par kilogramme *. Par la suite 
d'autres moulins à hérissons furent montés sur place ou envoyés 
de France et distribués dans l'intérieur'. 

Pour l'emballage du coton, on rencontra peu de difficultés. 
Une presse hydraulique restait dans la colonie du temps de 
Schmaltz : réparée tant bien que mal, elle suffit jusqu'à la fin de 
1823 « pour l'emballage du peu de coton » qu'on exportait alors. 
Mais, à cette époque, il fallut demander au Ministre de la faire 



1. D. M., 16 août 1823. 

2. C. G., au Ministre, 20 août 1822. 
8. G. G., au Ministre, 16 août 1823. 

4. D. M., 31 août et 24 septembre 1823, 2d janvier 1824. 

5. D. M., 29 Janvier 1824. 

6. C. G., & M. Hugon, gouverneur p. i., 28 août 1824. Col. 11, à M. Richard, 
81 octobre 1825. 

7. D. M., 3 Juin 1825. 



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17Ô LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1Ô17 A 1Ô54 

remplacer : Roger signalait à cette occasion qu'on « ne saurait 
trop éviter d'envoyer au Sénégal des ouvrages en fonte. Les 
parties qui éprouvent des dérangements continuels sont en 
fonte. Tout le mal vient de là. La réparation en devient absolu- 
ment impossible et Ton n'y trouve pas de pièces de rechange. 
Presque tous les instruments aratoires en fonte qui nous ont 
été envoyés récemment ont été brisés pendant le voyage ou 
n'ont pas résisté aux premiers essais qu'on en a voulu faire ^ ». 



La fabrication de Vindigo. — Aux expériences sur l'égrenage 
du coton, succédèrent les essais méthodiques de fabrication 
d'indigo : c'est surtout à partir de 1825, en effet, que Roger, 
en même temps qu'il pousse les planteurs à la culture des indi- 
gofères, fait ramasser le plus de feuilles possible dans l'intérieur, 
pour permettre au chimiste Plagne d'étudier les procédés de 
fabrication le mieux adaptés au pays. 

En août 1825, Thierry, jardinier du Gouvernement, part 
« avec deux nègres, deux chameaux et des marchandises pour 
se rendre dans le pays de Cayor, à l'effet d'y acheter des feuil- 
les d'indigofères, et d'indiquer aux naturels le procédé à sui- 
vre pour les obtenir de la plante, de manière à ce qu'elles soient 
propres à faire de l'indigo. Il donnera en marchandises l'équiva- 
lent de quinze francs par livre de feuilles et promettra que le 
même prix sera payé au marché de Saint-Louis toutes les fois 
qu'on y en apportera. Pour bien établir ce prix et afin de pré- 
venir tout sujet de discussion qui pourrait s'élever plus tard, 
le sieur Thierry aura une romaine, au moyen de laquelle il 
fera voir le volume qu'offrent 25, 50 et 100 livres de feuilles * ». 

En novembre de la même année, un autre agent, Ziegler, est 
envoyé dans le pays de Fouta « pour y diriger l'achat de toutes 
les feuilles d'indigo qu'il pourra s'y procurer*». De son côté 
Brunet doit s'occuper spécialement de la récolte des indigofères 
dans le Oualo. ' 

Abondamment pourvu de matières premières, Plagne se met 
à la besogne, et il impose tout de suite à ses expériences, que Roger 
lui a fait résumer dans une circulaire à l'usage des planteurs *, une 
double tendance : 

D'une part, elles portent presque exclusivement sur le « procédé 
de la feuille sèche ^ qui exige, en ce qui touche la dessicatîon, 



1. G. G., au Ministre, 2 septembre 1823. 

2. Col. II, à M. Thierry, 31 août 1825. 

3. Col. II, à M. Ziegler, 30 novembre 1825. 

3. Col. III, à M. Brunet, 31 mars 1827. 

4. Col. 2, 1«' octobre 1835. 

5. Les feuilles d'indigo peuvent être traitées en vert ou après séchage. Dans les 
deux cas, les opérations (trempage, battage, décantage) sont sensiblement les mêmes, 
mais la première de toutes, le trempage, au cours de laquelle se produit la fermenta- 
tion, est plus simple dans le cas. Cf. Capus et Bois, Les grands produits .CQh' 
niaux, p. 407 et sq. — 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 179 

du temps et des précautions, mais qui rend la fabrication plus 
rapide et plus aisée : « Une opération qui exige une grande habi- 
tude et plusieurs jours de travail est terminée en moins de douze 
heures par une personne intelligente qui en a été témoin une 
seule fois. Point de phénomènes à observer, et une fermentation 
de 20,25,30 heures et souvent plus, pendant laquelle on était 
exposé, sinon à perdre ses produits, au moins à les altérer, se 
réduit à une simple infusion de deux heures ^. » 

En outre le procédé de la feuille sèche était le seul qui permit 
<c d'exploiter les produits de la culture des indigènes », puisqu'il 
n'exigeait pas la proximité immédiate des indigofères, ce qui, 
notait Roger, « est un point essentiel, comme je l'ai toujours 
fait observer ». 

D'autre part, Plagne se préoccupe de simplifier le matériel de 
fabrication et d'adapter les procédés au traitement de petits 
quantités, « de manière à ce que les plus petits cultivateurs 
puissent l'exécuter chez eux, à peu de frais, sans autres usten- 
siles, pour ainsi-dire, que ceux nécessaires à un ménage. » C'est 
ainsi qu'il prévoit, comme type sénégalais d'indigoterie, un han- 
gar en paille de 20 pieds de long sur 14 ou 15 de large, entouré 
d'une palissade de roseaux et pourvu de cet outillage impro- 
visé : des « barriques ordinaires à vin, des bailles faites avec 
des barriques sciées en deux, des battes, formées par une plan- 
chette portant un manche perpendiculaire et des spatules « en 
bois quelconque », des calebasses, dont une petite « criblée de 
Irous avec une tige de fer rouge, pour servir d'écumoire, 
des canaris de terre cuite, trois ou quatre petites caisses, fond 
et couvercle détachés, criblées de trous d'une ligne de diamètre 
sur toutes leurs surfaces, trois ou quatre morceaux de toile 
de guinée, une longue et forte perche susceptible de faire levier 
en la chargeant à l'une de ses extrémités et de remplacer la 
presse, quelques paillassons formés par la réunion de brins fins du 
roseau qui sert pour les tapades • ». 

Une indigo terie « en grand » était construite vers 1825, à la 
pointe Sud de l'île Saint-Louis; on y usait de procédés moins 
rudimentaires, mais on voit que le principal objet des recherches 
de Plagne, conformément aux vues de Roger, avait été de fixer 
avec précision la formule de « recettes pratiques ^ ». 

Ces premiers essais étaient fort satisfaisants; l'indigofère 
indigène paraissait même, « par la qualité de son produit ^ et 
non seulement par sa «rusticité » et son «développement», supé- 
rieur à l'indigofère du Bengale; l'on pouvait, « avec quelques 
soins de culture ... espérer de retirer du pays une grande quantité 
d'indigo* ». 



1. Cf. C. G., au Ministre, 31 décembre 1825. 

2. Ck>l. II, Instructions au planteurs, l«r octobre 1825. 

3. C. G., au Ministre, 31 décembre 1825. 

4. C. G., au Ministre, 31 décembre 1825. Cf. de même. Col. II, à M. Plagne, 
28 novembre 1825, et D. M., mémoire de M. Plagne sur Tindigo, 26 inai 1825, 



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180 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Aussi Tentreprise de Roger ne tarde-t-elle pas à s'étendre : 
à Plagne succèdent, comme chefs de fabrication, le jeune phar- 
macien Dejon, « homme honnête, sage, capable, laborieux et 
dévoué^ », puis un indigotier appelé de l'Inde, beaucoup moins 
actif et discipliné, Degoutin*; et Roger forme le projet de cons- 
truire des indigoteries, à frais communs avec les planteurs, sur 
les principales concessions'. Mais c'est toujours d'expériences 
et d'exploitation progressive qu'il s'agit, et Roger ne commet pas 
la faute d'accorder aux premiers résultats un crédit excessif : & 
Brunet, qui demandait la création de sept indigoteries en 1827, 
il représente « qu'il ne faut entreprendre que ce qu'on peut finir. 
Tant de travaux à la fois se nuiraient, deviendraient même 
d'une exécution impossible... Nous sommes, d'ailleurs, peu 
avancés dans l'art de ces sortes de constructions. Si nous les 
conduisons toutes en même temps, les mêmes erreurs, les mêmes 
vices les affecteront toutes. En construisant successivement, on 
profitera de l'expérience des fautes commises pour améliorer*». 

Du moins, cette multiplication des centres de fabrication 
allait-elle permettre l'essai du « procédé de la feuille verte » : 
« Dans l'Inde, remarquait Roger, on transporte les feuilles ver- 
tes à plus d'une lieue et par terre pour arriver à la fabrique : 
pourquoi ne le ferait-on pas au Sénégal^?». Le procédé de la 
feuille sèche, que Plagne avait préféré à cause de la distance 
entre le lieu de récolte et le lieu de fabrication, mais aussi 
pour des raisons techniques, n'avait pas, à l'usage, produit tous 
les bons résultats qu'on en attendait : Chevreul, à qui des 
échantillons d'indigo ainsi préparé avaient été soumis, n'avait 
pas ménagé les critiques*, et Roger, de qui l'esprit ouvert était 
incapable de persévérer dans l'erreur, tenait beaucoup à ce que, 
dans la mesure du possible, on changeât de procédé : M. Perrotet 
vient de m'écrire, disait-il à Dejon, « qu'il espère, avant quinze 
jours; faire une coupe d'indigofères. Il faut profiter de cette 
occasion pour vous essayer à la fabrication par la feuille verte. 
Vous savez quelle sécurité vous donneriez aux planteurs, quel 
immense service vous rendriez à la colonisation si l'on pouvait 
se dire : M. Dejon a réussi à fabriquer par la feuille verte ! Moi, 
je sais bien qu'avec votre zèle, votre bon esprit, votre habileté, 
vous réussirez; mais beaucoup de gens aiment les expériences 
déjà faites. On plantera le double cette année si l'on est sûr 
d'exploiter par le procédé de la feuille verte*.» Mais Roger 
quitta le Sénégal avant que cette seconde série d'expériences sait 
pu aboutir à des conclusions vraiment pratiques. 



1. C. G., au Minisire, 31 décembre 1825. 

2. C. G., au Ministre, 26 février 1826. 

3. C. G., au Ministre, 26 février 1826; Col. III, à M. Degoutin, 24 juillet et 21 
novembre 1826, 5 mars 1827; Col. III, à M. Lezongar, 5 avril 1826: Col. lll, à M. Bru- 
net, 12 février 1827. 

4. Col. III, à M. Brunet, 12 février 1827. 

5. Col. III, à M. Brunet, 12 février 1827. 

6. D. M., 19 août 1826 et 20 mars 1827. 

7. Col. m, khi. Dejon, 31 janvier 1827, 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 181 



VIL — Recherches sur l'élevage. 

Roger n'a pas manqué de voir dans Télevage du gros bétail 
une source de richesses pour le Sénégal, mais en dehors de quel- 
ques recherches sur le dressage des bœufs et sur les plantes 
fourragères^, il s'est borné sur ce point à organiser l'exporta- 
tion *. 

En revanche, il s'efforce d'acclimater au Sénégal l'élevage du 
ver à soie et de la cochenille, qui lui paraît d'un rendement 
assuré et qui est vivement encouragé par le Ministère et le Mu- 
séum *. 

L'élevage du ver à soie. — Des plants de mûriers avaient été 
envoyés au Sénégal en 1823, et croissaient parfaitement : « Le 
succè^ des mûriers, écrivait Roger, dépasse tous les autres; c'est 
définitivement une conquête assurée pour ce pays* ». 

Comme suite à ce premier succès, le Ministre fait expédier 
au Sénégal des œufs de vers à soie, et l'expérience parut tout de 
suite favorable : « Tout annonce que ces insectes ne réussiront 
pas moins ici que les arbres qui portent leur nourriture : il n'y 
a. pas deux mois que nous avons reçu de France des œufs et 
déjà les vers à soie ont formé leurs cocons; nous ne tarderons 
pas à les voir se reproduire et on les multipliera encore une fois 
avant les pluies. J'avais essayé de placer les vers sur de jeunes 
mûriers en plein air; ils y ont vécu plusieurs jours, mais ensuite 
ils ont été détruits par les fourmis et les oiseaux : je m'occupe 
des moyens de parer à ces deux inconvénients. Du reste, j'ai 
observé que mes vers n'ont été attaqués d'aucune des maladies 
auxquels ils sont ordinairement sujets en Europe. Aucun climat 
ne peut leur convenir mieux que celui-ci : l'air est généralement 
sec au Sénégal, près de neuf mois se passent sans pluie, les orages 
y sont très rares et n'ont jamais la violence des ouragans des 
Antilles; il y a lieu de croire que, quand ce genre d'exploitation 
sera complètement organisé, on pourra obtenir six ou huit 
récoltes de soie par année ^ ». 

A son ordinaire, Roger suit l'entreprise avec passion; il se 
fait envoyer à Saint-Louis « 16 cocons de vers à soie formés dans 
le même temps » ; il désire voir lui-même « la sortie des papillons 
et la ponte* ». Il ne cesse de prescrire les plus grands soins; il 
recommande « de visiter régulièrement deux fois par jour les 
œufs de vers à soie, afin de ne pas être exposé à en perdre'.» 

1. Col. I, à M. Richard, 7 août 1822; Col. III, à M. Boissard, 5 octobre 1826. 

2. Cf. p. ex., C. G., au Ministre, 18 octobre 1826. 

3. D. M., 8 mars 1824. 

4. C. G., au Ministre, 7 avril 1824. 

5. C. G., au Ministre, 7 avril 1824. 

6. Col. I, à M. Ziegler, 3 avril 1824. 

7. Col. I, à M. Ziegler, 17 mai 1824. 



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182 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Si on ne lui parle pas de cette affaire, il s'inquiète : « Pourquoi ne 
me dites-vous rien des œufs de vers à soie ? J'ai l'assurance 
qu'ils étaient bons, ils ont parfaitement subi les changements 
successifs de couleurs par lesquels ils devaient passer. Je crains 
qu'ils n'aient éprouvé quelque accident^ ». Et il avait lieu de 
s'inquiéter, car tout ne se passait pas selon ses prévisions et ses 
désirs. 

Les oiseaux et les fourmis continuaient leurs ravages; la 
plupart des œufs ne parvenaient pas à éclore, sans doute parce 
qu'ils arrivaient à Saint-Louis « détériorés, moisis, humides* »; 
le Muséum tardait à communiquer les renseignements demandés 
sur ces divers accidents, et répondait enfin que « dans aucun 
de nos départements, même les plus méridionaux, on n'élève en 
plein air les vers à soie' »; surtout, cet élevage en plein air, qui 
semblait indiqué par les conditions de climat, et qui était moins 
dispendieux, était en réalité impossible, et le froid de la saison 
sèche faisait périr les jeunes insectes: « On ne peut croire en Fran- 
ce au froid du Sénégal; ces deux mots semblent jurer d'êtie 
ensemble. La vérité cependant est que la nuit le thermomètre de 
Réaumur descend ici, pendant cette saison, de 12 à 10 degrés et 
même au-dessous. Or, on sait que les vers à soie ne peuvent 
dans aucun pays supporter cet abaissement de température * ». 

Roger demandait au Ministère d'expédier « une grande quan- 
tité (d'œufs) par tous les bâtiments partant de Marseille » 
pour échelonner les essais, les adapter aux saisons ^ ; il profitait 
d'un voyage en France pour envoyer lui-même des « graines 
de vers à soie •»; il combinait l'élevage en plein air, nécessaire 
pendant la chaleur de la journée, et l'élevage en magnanerie'; 
il ne désespérait pas et songeait à « faire venir en Languedoc 
trois ou quatre jeunes africains pour être instruits dans le dévidage 
de la soie • ». 

Mais si, en 1827, les mûriers étaient toujours « en très bon état » 
les vers à soie s'accommodaient toujours aussi peu des tempé- 
ratures extrêmes et de l'humidité du Sénégal. •. 

Vélevage de la cochenille. — Comme le mûrier, le nopal s'était 
sans peine acclimaté à Richard-Tol : dès 1823, un seul pied, « com- 
posé d'un seul article à son arrivée», avait déjà produit plus de 
200 pieds et plus de 1.000 articles. « Dans quelques mois, consta- 
tait Roger, nous aurons déjà assez pour établir une nopaline ». Il 
demandait en conséquence au Ministre de lui faire « envoyer de 
la cochenille de deux espèces s'il est possible (de la sylvestre et de 
la finç),» Il demandait aussi «qu'un homme capable» fût chargé 
d'accompagner cet envoi; s'il remplit bien sa mission, «aucune 

1. Col. II, à M. Richard, 5 Juin 1824. 

2. G. G., au Ministre, 30 janvier 1826. 

3. D. M., 28 avrU 1825. 

4. C. G,, au Ministre, 11 janvier 1827. 

5. Col. II, à M. Richard, 30 août 1824; G. G., au Ministre, 11 janvier 1827. 

6. D. M., à M. Hugon, Gouverneur p. i., 27 décembre 1824. 

7. Gol. III, & M. Ziegler, 4 décembre 1826. 

8. D. M., à M. Hugon, Gouverneur p. i., 27 décembre 1824. 

9. G. G., au Ministre, 11 janvier 1827. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 183 

dépense de colonisation n'aura été plus fructueuse. Le haut 
intérêt que le Gouvernement a mis autrefois à tenter d'intro- 
duite Téducation de la cochenille à Saint-Domingue est un sûr 
garant de l'empressement que mettra Votre Excellence à enri- 
chir notre colonie naissante de cette source de culture et de 
commerce pour laquelle la France a toujours été tributaire de 
l'étranger 1». 

Le Ministre chargeait un agriculteur du Gouvernement, affecté 
à Gayenne, « d'aller préalablement recueillir sur les lieux et 
d'introduire au Sénégal le cactier et la cochenille de la Gua- 
deloupe et de Marie Galante*» En septembre 1824, en effet Per- 
rotet rapportait au Sénégal des cactus et des cochenilles en 
bon état; Richard l'installait auprès de lui, et Roger l'atta- 
chait définitivement à la colonisation du Sénégal '. 

D'autre part, trois pieds de nopal chargés de cochenilles 
avaient en quinze jours « presque doublé de volume* ». 

Roger s'était décidé à maintenir Perrotet dans l'étude de 
cette question spéciale : il l'invitait à faire des expériences 
sur la façon d'abriter les cochenilles « au moins pendant les 
premiers temps», à «déposer des mères sur des nopals soignés», etc ^ 

Mais comme le ver à soie, la cochenille, et surtout la coche- 
nille fine, souffrait de la longueur du voyage, de « l'air humide 
de la mer, des exhalaisons, du mouvement du navire »; eUe était 
comme le ver à soie, attaquée par les oiseaux, et Perrotet avait 
beau «tendre au-dessus des nopals sa propre moustiquaire de cane- 
vas», ilne préservaitqu'un petit nombre d'insectes ; enflnle climat, 
trop chaud pour la cochenille qui venait d'Espagne, trop froid 
pour celles qui venaient du Mexique gênait la reproduction*. 

Pourtant Roger se refusait à considérer cette première tentative 
« comme une expérience complète et décisive.»D'ailleurs,la coche- 
nille sylvestre r e montrait assez résistante, et, en « jugeant par 
analogie », on ne pouvait « se dispenser de croire qu'introduite 
dans des circonstances favorables la cochenille fine devait pros- 
pérer au Sénégal». En 1826, il demandait encore qu'on lui 
continuât les envois du Mexique et d'Espagne*. 



Telles sont les principales recherches techniques entreprises 
par Roger. 

Elles sont, on le voit, fort diverses, et il est vraiment remarqua- 
ble qu'il ait pu concilier une tâche scientifique aussi étendue, 
aussi consciencieuse, avec les autres occupations de son Gouver- 
nement. 

Dans leur diversité, elles présentent toutes les mêmes cara- 

1. C. G., au MinlsUre, !•' août 1823. 

2. D. M., 8 mars 1824; D. M., !•* avril 1824. 

3. Col. II, à M. Richard, 10 septembre 1824 ; D. M., 23 juin et 24 septembre 1825 ; 
Col. II, à M. Perrotet, 4 juin et 31 octobre 1825, 13 février 1826. 

4. Col. II, ^ M. Perrotet, 24 février 1826. 

5. Col. II, à M. Perrotet, 15 décembre 1826. 

6. C. G., au Ministre, 31 mai 1826. 

7. C. G., au Ministre» 31 mai 1826. 



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184 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

tères de méthode : elles sont toujours précédées d'une documen- 
tation aussi abondante et précise que le permettent et Tétat 
d'avancement de la science et Téloignement, mais cette docu- 
mentation par les livres n'étouffe jamais dans l'esprit de Roger 
son expérience directe du pays; il sait négliger les avis les plus 
autorisés, quand il les devine en contradiction avec les données 
de la réalité locale; il n'est esclave ni des livres ni des prin- 
cipes, c'est toujours l'observation qui tient la plus jprande place 
dans l'organisation de ses expériences, et son premier souci est 
de s'adapter aux faits. 

On le voit rarement généraliser d'un coup les résultats d'un 
essai, si heureux soit-il; il étend progressivement l'entreprise 
quand elle s'annonce bien, mais il ne tombe ni dans les systèmes 
enthousiastes ni dai^s les brusques revirements dé Schmaltz, 
il se soucie de multiplier les contre-épreuves, il prévoit toujours 
l'apparition de nouveaux problèmes accessoires, il n'est jamais 
absolument sûr du succès, et c'est pourquoi il tient à mener de 
front toutes sortes de tentatives, même au moment où toute son 
activité paraît absorbée par de grandes questions, comme l'indigo 
et le coton ; il prépare constamment des remèdes et des compen- 
sations pour les crises et les échecs possibles; il se défie de la 
monoculture, par exemple ; il cherche dans tous les domaines des 
sources nouvelles, il est vraiment en proie à l'inquiétude scien- 
tifique. En ce sens, l'optimisme dont il fait montre dans sa cor- 
respondance avec le Ministère ne représente qu'une habileté 
diplomatique : pour prendre une idée exacte de ses vraies ten- 
dances, il faut corriger cet optimisme par les doutes, les craintes, 
les angoisses qu'il avoue à ses collaborateurs immédiats. 

Par contre, s'il ne s'entête pas dans les conceptions a priori, 
il ne se décourage pas devant les résistances du milieu réel; il 
sait que la vérité est toujours d'un accès difficile et que l'erreur 
et l'insuccès ne surprennent que les ignorants ou les faibles : 
tandis que Schmaltz est soutenu dans ses épreuves par sa seule 
vaillance naturelle, Roger, lui, trouve ces mêmes ressources de 
persévérance dans son goût de la recherche et sa confiance dans 
l'effort intellectuel. Il ne consent jamais à désespérer, il note à 
tout instant que telle entreprise date d'hier et qu'il serait vain 
de préjuger de son avenir sur les résultats d'un si court passé, et 
les échecs ne l'atteignent pas profondément : sa seule crainte, 
c'est que le pouvoir central ne partage pas cette largeur de vues 
et ne lui ôte les moyens de poursuivre ses recherches. 

Que ces recherches n'aient pas toutes abouti à des résultats 
bien positifs, on ne peut guère s'en étonner, si l'on songe qu'elles 
portaient sur un terrain tout à fait neuf, très mal éclairé par la 
science du temps, et si l'on se rappelle que le Gouvernement 
métropolitain, par crainte de conflits parlementaires non moins 
-que par méconnaissance des difficultés, exigeait des réalisations 
immédiates, susceptibles de s'encadrer dans des statistiques de 
production. Il convient surtout de remarquer qu'elles ont été 
conduites en un temps singulièrement limité : cinq ans à peine, et 
que les plus intéressantes étaient à peine ébauchées quand Roger 
quitta le Sénégal. 



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CHAPITRE IV 



La propagande agricole. 



Au contraire de tant de Gouverneurs coloniaux, Roger ne 
s'est pas laissé absorber par les recherches techniques. Il s'est 
efforcé de faire marcher de pair le perfectionnement et le dévelop- 
pement des cultures, l'investigation scientifique et la mise en 
valeur. 

Sans doute serait-on tenté de lui reprocher en cette occasion 
quelque défaut de méthode : les aptitudes agricoles du Sénégal, 
vers 1822, étaient bien, mal connues et il pouvait être impru- 
dent d'engager l'action avant de savoir si l'action avait des chan- 
ces de succès. Mais c'est aujourd'hui seulement que cette igno- 
rance nous apparaît : au moment où Roger entreprend de faire du 
Sénégal une colonie à cultures, il lui était permis de croire que 
son projet reposait sur des expériences suffisantes; le Sénégal 
et ses abords n'étaient nullement stériles, les indigènes de l'm- 
térieur vivaient des produits de leur sol et ravitaillaient déjà 
les villes de la côte ; de plus, certains végétaux d'une grande 
valeur commerciale, comme le coton et l'indigo, poussaient 
dans le pays à l'état spontané, et il n'était pas absurde de con- 
cevoir une amélioration et une production plus intense de ces 
variétés indigènes; Schmaltz et ses collaborateurs avaient espéré 
le même résultat, et, si la politique de Schmaltz avait été con- 
damnée, ses idées sur l'économie du pays n'avaient été com- 
battues que sur des points de détail. 

Roger pouvait donc se croire autorisé à poursuivre parallèle- 
ment et les enquêtes agronomiques et la propagande agricole. 
Il se donna en tout cas, à cette seconde tâche avec autant d'ar- 
deur et d'ingéniosité qu'à la première et sut, sans confondre 
ces deux domaines très différents, partager également entre 
eux son activité. 



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186 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 



I. — Les établissements du gouvernement. 



Dans la pensée de Roger, le développement des cultures ne 
devait pas être une entreprise d'Etat. Le Gouvernement se 
réservait de diriger, de contrôler et d'encourager l'entreprise, 
mais l'exploitation demeurait la tâche exclusive des planteurs. 
Ce qu'on appelle à ce moment-là « les établissements du Gouver- 
nement » ne représente donc que des stations d'essais et de vul- 
garisation agricoles; la recherche de production et de bénéfices 
est absente de leur programme ou n'y apparaît qu'occasion- 
nellement. C'est seulement vers la fin de son séjour au Sénégal 
que Roger, sans doute inquiet du maigre rendement des conces- 
sions particulières, poussera ses agents à contribuer à l'exporta- 
tion. 

En plus de Richard-Tol, Roger installa des établissements du 
Gouvernement à Dagana et à Faf, et l'on peut y ajouter le jar- 
din du poste de Bakel, qu'il voulut développer. Chacune de ces 
stations eut sa destination particulière. 

RichardTol, nous l'avons vu, demeure essentiellement, aux 
yeux de Ro^er, un jardin d'acclimatation, où toutes les cultures 
possibles doivent être expérimentées; mais Roger comptait sur 
la science et l'activité de Richard pour en faire, en même temps, 
une plantation modèle, où les colons pussent venir chercher 
toutes sortes d'utiles enseignements et d'encouragements. 

A Dagana, capitale du Oualo et centre administratif des 
concessions, il avait projeté de fonder un établissement parti- 
culièrement important, où l'on eût entrepris de grandes cultu- 
res et qui eût en outre ravitaillé en légumes et en fruits, non 
seulement la garnison du poste, mais tout le bataillon du Sénégal ^. 
Mais il se heurta à divers obstacles : l'emplacement avait été 
mal choisi, resserré entre le poste militaire et le territoire d'«un 
village de nègres très considérable », et il fallut se résigner à « for- 
mer seulement sur ce point un jardin potager destiné à fournir 
des légumes et des rafraîchissements à la garnison de Dagana » ' ; 
d'autre part, l'entretien du jardin était confié aux militaires de 
cette garnison, le commandant du poste ne se prêtait qu'avec 
mauvaise humeur à cette entreprise extra-militaire*. 

Roger essaya bien de soustraire le jardin à l'autorité des 
militaires, mais le manque de personnel l'obligea à renoncer 
à ce projet*; il le fît du moins surveiller par ses agents et y fit 
planter, à côté des carrés de légumes, des caféiers, des grenadiers. 



1. Col. I, à M. Richard, 9 juin 1822. 

2. G. G., au Ministre, 5 septembre 1822. 

3. Col. I, à M. Richard, 15 février 1826. 

4. Col. I, à M. Richard, 15 février 1823. 



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LE oévELOPPEMËNt DES CULTURES 1Ô7 

des manguiers, des papayers, des cocotiers ^. Malgré tout, l'éta- 
blissement de Dagana ne fut jamais qu'un jardin de poste. 

Il en fut de même du jardin de Bakel. Roger y faisait envoyer 
des « graines de plantes alimentaires, dont l'introduction vers 
le haut du fleuve paraissait offrir de l'intérêt ou de l'utilité », 
des plants de bananiers et de caféiers, des graines de coton étran- 
ger, etc.; mais la culture des légumes pour l'approvisionne- 
ment du poste donna seule quelques résultats '. En somme, ni le 
jardin de Dagana, ni celui de Bakel ne sont parvenus à se trans- 
former en plantations modèles ni à favoriser la propagande 
agricole. 

Au contraire, l'établissement de Faf ne fut jamais un jardin et 
prit, dès ses débuts, le caractère d'une vaste plantation, spécia- 
lisée dans les grandes cultures et destinée à servir d'exemple 
aux concessionnaires. 

En octobre 1822, l'agriculteur du Gouvernement Gastille 
est invité à choisir un terrain au-dessus du village de Ntiagar; 
il devait aussitôt bfttir sur ce terrain trois ou quatre cases en 
paille « faites de la manière la plus simple et la plus prompte » 
pour y établir les ouvriers indigènes, et loger lui-même « pendant 
les premiers temps » sur la goâette qui allait stationner en vue 
des cultures. 

Dès cette époque, le programme était nettement tracé : « Le 
point essentiel auquel vous devez vous attacher, écrivait Roger, 
c'est de créer la plus grande quantité possible de cotonniers ; 
tous vos efforts devront être dirigés vers ce but, et vous n'ap- 
pliquerez , sous aucun prétexte, à une autre culture les ouvriers 
que le Gouvernement aura mis à votre disposition ». Suivaient 
d'abondantes recommandations de détail : faire « marcher des 
nègres dans les terrains inondés pour juger de la hauteur des 
eaux » et faire « planter par eux, de distance en distance, des 
lignes de piquets qui puissent servir à mesurer partout, dans la 
saison sèche, l'élévation des eaux submergeantes »;... quelques 
jours après le retrait des eaux, labourer légèrement à la houe, 
seulement pour « concasser la superficie du sol sans pénétrer 
trop avant », car « en levant des masses de terre trempées, vous 
les plomberiez et les rendriez impénétrables aux racines », puis 
planter des cotonniers, bien alignés et espacés de 5 à 6 pieds, et . 
les recouvrir de terre sablonneuse. 

«Je désire, ajoutait Roger, que vous teniez un journal indiquant 
les travaux (^ui seront faits; vous m'en adresserez à la fin de 
chaque semame un extrait en forme de rapport; vous conce* 
vez qu'il est très intéressant que l'on connaisse les dépenses 
journalières et que l'on suive le progrès des cultures; car l'éta- 
blissement que vous allez créer n'a pas précisément pour objet 
de donner des produits au Gouvernement, mais de fournir des 
exemples et des modèles aux planteurs; il faut donc qu'en lisant 



1. Col. II, k M. Richard, 30 novembre 1825. 

2. Col. 1, & M. Richard, 3 août 1823; Col. II, au même, 7 août 1824. 



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188 LA MISE BN VALfiUR DU SÉNÉGAL DB 1817 A 1854 

VOS rapports et en suivant la marche journalière de vos travaux, 
rhomme le plus étranger au pa^yrs et aux plantations sache ce 
qu'il doit faire, ce qu'il doit éviter, ce qu'il doit attendre en 
entreprenant pour son compte une opération dans le genre de 
celle que vous allez diriger pour l'exemple aux frais du Gouver- 
nement ^ ». 

Ce plan fut exécuté dans les délais prévus; différents agents 
de culture se succédèrent à Faf, mais Richard fut toujours char- 
gé de la direction supérieure de l'établissement*; les plantations 
de cotonniers prospéraient ^ et demeuraient la destination exclu- 
sive de l'étabhssement : Faf, déclarait Roger en 1824, « est pour 
moi d'une grande espérance. Je n'y laisse en ce moment qu'une 
grande cotonneraie, le temps n'est pas arrivé d'y entrepren- 
dre autre chose * ». 

Mais ce premier succès fut sans lendemain. Les cotonniers 
dépérirent, et Roger, pour sauver « ce malheureux établissement 
de Faf », songeait en 1826, à entreprendre sur ce point d'autres 
cultures; il n'eut pas le temps de s'en occuper davantage, et 
Faf ijedevint peu à peu la proie de la brousse ^. 

On peut rattacher à ces stations du Gouvernement deux éta- 
blissements qui, par leurs origines, présentaient ce double carac- 
tère de viser à l'exploitation en même temps qu'à la propagande: 
l'habitation royale de Koîlel et l'Habitation de la Société 
agricole et commerciale ou « Sénégalaise ». 

L'Habitation Royale, formée en 1820 et dont Roger avait été 
le premier gérant, n'était pas très prospère en 1822, et le Minis- 
tre secrétaire de la Maison du Roi, M. de Lauriston, semblait 
6 eu disposé à continuer en sa faveur des sacrifices d'argent^. 
LOffer, non sans de longues hésitations, fit transférer une partie 
de l'entreprise sur un nouvel emplacement, au bord du marigot 
de Goroum ^ ; il annonçait aussi que 500.000 pieds de cotonniers 
venaient d'être plantés, sur « des hauteurs sablonneuses », et 
promettaient beaucoup, et que les champs de mil allaient per- 
mettre de nourrir les ouvriers; le jardin contenait a plusieurs 
plantes étrangères, toutes de la plus riche végétation, des plan- 
tes potagères, des pommes de terre et plusieurs pieds de vi^ne, 
qui y croissaient « comme en France » ; deux charrues y donnaient 
« les meilleurs résultats », un atelier d'égrenage y fonctionnait 
régulièrement, et les 600 nègres, tous libres et pour la plupart 
originaires du Fouta, qui y étaient employés, se montraient 

f)lus « exercés au travail de la terre que ne le sont généralement 
es autres indigènes »*. 

1. Col. I, à M. CastiUd, 26 octobre 1822. 

2. Col. I, à M. Richard, 8 septembre 1823. 

3. Col. II, à M. Richard, 3 août 1824. 

4. G. 0., à M. Hugon, gouverneur p. i., 28 août 1824. 

5. Col. II, à M. Brunet, 21 mai 1826; Col. III, à M. Berton, 9 décembre 1826. 

6. C. G., Rapport du Gérant de l'Habitation au Gouverneur, 26 septembre 1821; 
M. de Lauriston à M. Roger, 23 Juillet 1822 et 19 août 1823; le «ouvemeur Roger 
à M. de Lauriston, 9 juillet 1822. • 

7. G. G., à M. de Lauriston, 21 mai, 29 juin et 1» juUlet 1823. 
& G, G., au Ministre, 4 septembre 1822. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 189 

Mais le marquis de Lauriston avait décidément perdu toute 
confiance : il s'étonnait avec aigreur qu'on lui annonçât si 
souvent des « inondations extraordinaires », il laissait entendre 
que les autres entreprises ne devaient pas être plus prospères 
que l'Habitation royale, qu'elles ne vivaient que des encou- 
ragements pécuniaires du Gouvernement et qu'elles tombe- 
raient le jour où ces encouragements seraient supprimés, et il 
se proposait « de soulager la liste civile de cette charge inutile. » 

Le Ministre de la Marine parvint cependant à le détourner 
de ce projet, et l'Habitation royale continua son existence ché- 
tive. ^ 

Quant à la « Sénégalaise », la création en avait été imposée, en 
compensation du monopole commercial du Haut-Fleuve, à la 
Société agricole et commerciale, qui avait accepté cette obli- 
gation d'assez mauvaise çrâce. A peine l'Habitation avait-elle 
été établie en 1814, que la Société demandait à l'abandonner; 
mais Roger tint bon*. Elle appartenait, d'ailleurs, pour moi- 
tié, au Gouvernement, et l'on y avait introduit « une forme de 
comptabilité, des moyens de surveillance et une influence de 
direction » tels que les sociétaires ne pussent « s'habituer à agir 
et à disposer comme seuls maîtres. » * 

Un homme fort actif et de grande conscience, Bésuchet, fut 
chargé de la gérer; il y planta des cotonniers en abondance, et 
« le zèle et la persévérance » avec lesquels il concourait c aux pro- 
grès de la colonisation » lui valurent d'être nommé chevaUer de 
la Légion d'honneur en 1825; mais il mourut la même année ^. Le 
chimiste Perrotet le remplaça provisoirement comme « direc- 
teur des cultures de la Société agricole » et entreprit à la Séné- 
galaise des plantations de nopal et d'indigofères. * 

La propagande agricole était donc, en somme, assez mal ser- 
vie par les établissements qui devaient en être essentiellement 
chargés. A part Richard-Tol, qui fut vraiment une station active 
de « naturalisation » et dont les plantations survécurent au dé- 

Î)art de Roger, le développement de ces établissements demeuia 
ort inférieur à ce qu'en avait espéré Roger et, dans l'ensemble, 
manqua son but. 

Mais Roger n'avait pas attendu les résultats de ces diverses 
expériences pour engager ses administrés dans la voie des entre- 
prises agricoles : son plan d'action est, dès 1822, fixé dans les 
grandes lignes et ce plan prévoyait la répartition immédiate des 
terrains de culture entre des concessionnaires; l'exemple des 
établissements du Gouvernement ne devait donc venir que par 
surcroît, et leur échec ne s'est manifesté gu'en un temps où la 
plupart des concessions particulières étaient déjà formées et 
mises en valeur. 

1. D. M., 27 janvier 1824. 

2. Col. I, à MM. Mille et Bésuchet, 24 mal 1824; Col. Il, à M. Brunet, 7 Juin 1824; 
Col. II, à MM. Mille, 13 juillet 1824. 

3. C. G., à M. Hugon, Gouverneur p. i., 28 août 1824. 

4. D. M., 19 Juillet 1825 et 12 août 1826. 

5. G. G., au Ministre, 4 et 15 juiUet 1815, 

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190 LA Misis EN Valeur du sênegal de 181? a 18^ 



II. — Les concessions agricoles. 

C'est sur la rive gauche du Sénégal, dans la région du Oualo, 
« depuis le marigot du Four à chaux jusqu'à Dagana », que sont 
attribuées les concessions : Roger reprend ainsi à son compte 
le projet de Schmaltz et se fonde sur le traité conclu avec le 
Brak et les autres chefs du pays le 8 mai 1819. 

En mars 1822, il avait parcouru le Oualo et laissé des agents 
sur place pour mesurer les terrains utilisables et en tracer les 
nivellements; il s'était convaincu en même temps que le pays 
demeurait favorable à nos desseins et que le traité de 1819 gar- 
dait toute sa valeur^. 

Le 15 mai 1822, un arrêté local réglemente « les formes et les 
conditions des concessions de terrains qui seront faites dans le 
pays Oualo » : 

Consistance. — Chaque concession contiendra 130 hectares, 
il pourra être accordé des demi-concessions de 65 hectares. 
Nul ne pourra obtenir plus de trois concessions, à moins d'a- 
voir mis en rapport 300 hectares. 

Droit de propriété des indigènes. — Si, sur la concession deman- 
dée, il se trouve quelque terrain actuellement cultivé par les 
indigènes, le concessionnaire devra, pour s'en mettre en posses- 
sion, demander l'aurorisation du Gouverneur, qui intervien- 
dra et fera intervenir les chefs du Oualo; il sera accordé aux 
anciens cultivateurs, pour les défrichements qui auront été faits, 
une indemnité annuelle, laquelle sera réglée par des concession- 
naires à ce délégué. Le paiement pour les deux premières an- 
nées sera à la charge du Gouvernement. 

Caution. — Les concessions seront gratuites. Celui qui voudra 
devenir concessionnaire devra justifier qu'il possède dans la 
colonie une valeur de cinq mille francs au moins, s'il s'agit d'une 
concession; de quinze mille francs, s'il en demande deux, et de 
trente mille francs s'il en demande trois. Dans le cas où il ne 
serait pas lui-même sur les lieux, il devra y être dûment repré- 
senté par un gérant. 

Obligations des concessionnaires. — Tout concessionnaire con- 
tracte les obligations suivantes : 

l^ Dans les six mois k partir du jour où la concession aura été 
faite, il sera tenu de construire des logements pour les travail- 
leurs et d'opérer le défrichement de quinze hectares au moins. 

2° A Texpiration des deux premières années, un tiers de la 
concession devra être en pleine valeur. 

\. G. G., au MinisUe, 17 mars 1822. 

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\ Le DEVELOPPEMENT DES CULTURES lÔl 

3<^ Dans les trois années suivantes, un deuxième tiers dev ra 
être également mis en valeur. 

Faute de remplir ces obligations, le concessionnaire sera déchu, 
et la concession annulée. 

Avantages des concessionnaires. — Tout concessionnaire aura 
la faculté d'obtenir, comme dépendance de la concession de 
terre destinée aux cultures, un emplacement sur lequel il 
pourra construire, dans les villages ou bourgs que le Gouver- 
nement formerait dans les environs. 

Des primes seront accordées tant à la culture qu'à l'expor- 
tation des denrées coloniales; elles seront déterminées par un 
règlement particulier. 

Suivant les circonstances, le Gouvernement pourra faire 
aux premiers planteurs des avances soit en outils et ins- 
truments aratoires, soit en bestiaux, soit en machines à égrener, 
soit en armes et munitions. Il pourra aussi leur prêter momen- 
tanément des canots et d'autres embarcations pour les aider dans 
leurs travaux. 

Autant que possible, il leur fera distribuer gratuitement des 
graines et des végétaux tirés tant de l'extérieur que des jardins 
de naturalisation. 

S'ils le réclament, le Gouvernement pourra nourrir jusqu'à 
la récolte la plus prochaine de mil, et sans charge de restitution, 
les ouvriers qu'ils tiendront sur le terrain et qui y seront employés 
aux cultures. 

Le Gouvernement aidera en outre les premiers planteurs 
dans la construction de leur logement et de leurs bâtiments 
d'exploitation. 

Sur la demande des concessionnaires, il pourra être placé 
gratuitement sur leur terrain des Jardiniers et cultivateurs, 
qui dirigeront les travaux et instruiront les ouvriers, tout en 
restant à la solde du Gouvernement. 

Enfin, lorsque deux concessionnaires au moins réuniront sûr 
un seul emplacement leurs habitations et leurs travailleurs, le 
Gouvernement se chargera de faire exécuter à ses frais les clô- 
tures du village et les travaux de protection qui seront jugés 
nécessaires; il contribuera, ainsi qu'il le croira convenable, aux 
constructions de puits, de digues, de machines et de canaux d'ir- 
rigation, et d'autres ouvrages d'une utilité commune. 

L'ardeur de Roger et sa certitude du succès, jointes aux avan- 
tages immédiats qu'assuraient ces dispositions, provoquèrent 
tout de suite des demandes relativement nombreuses de con- 
cessions. Quelques-unes, il est vrai, étaient formulées par des 
subordonnés ou des amis personnels du Gouverneur et repré 
sentaient un empressement de commande; mais les négociants 
de Saint-Louis n'étaient nullement restés à l'écart du mouve- 
ment, et il semblait bien que l'exemple des plus notables d'en- 
tre eux dût vraiment aider Roger à renouveler l'économie du 
Sénégal. 



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\9ét LA kisE EN Valeur bu sénegal de 1817 a 18&4 

Dès septembre 1822, on comptait dans le Oualo quinze conces- 
sions, dont l'aménagement était fort avancé^. Elles avaient 
f^our titulaires le gérant de THabitation royale, De Rougemont, 
'agent spécial de la colonisation Brunet, un cousin du Gouver- 
neur, Victor Roger, les agriculteurs du Gouvernement Richard, 
Boissard et Lelièvre, un ancien élève de l'Ecole polytechnique, 
Bésuchet, les négociants Carpentier, Pellegrin, Charbonnier, 
Dubois, Alin, Boucaline, une « dame indigène », Hélène Cronani, 
le courtier de commerce Gantefort, le directeur de l'Ecole d'en- 
seignement mutuel, Daspres. 

Elles se répartissaient en deux groupes : l'un dans la région 
du marigot de la Taouey, l'autre au nord et au sud de Saint- 
Louis; et sauf quelques essais isolés (indigo, séné, etc.), l'ensem- 
ble de ces plantations était occupé par des cotonniers : 800.000 
pieds avaient été plantés en deux mois^. 

Si l'on remarque, avec Roger, que « les établissements n'a- 
vaient pu être entrepris que trop tard et que le temps avait 
manqué pour bien préparer les esprits et les choses », que la 
saison, « avec des pluies rares et trop peu abondantes avaient été 
des plus désavantageuses », et avait fait périr « 5 à 600.000 coton- 
niers qui avaient été mis en terre, outre les 800.000 maintenant 
sur pied » on comprend que ces premiers succès aient pu être 
présentés, « non comme des résultats, mais comme des espéran- 
ces ». 

Le moment vraiment favorable pour cultiver les meilleurs 
terrains n'était pas encore arrivé; pendant quatre mois, on 
allait pouvoirplanter, et il n'était pas douteux que « ce qu'on ferait 
alors excéderait ce qu'on a fait jusqu'à présent ». D'autre part, 
cette expérience de deux mois démontrait « qu'à tort les adver- 
saires de la colonisation avaient affecté de craindre que l'on 
manquât de bras pour les cultures »; à peine la nouvelle de la 
formation des établissements s'était-elle répandue, que des 
travailleurs venus du Fouta, du Cayor et de la presqu'île du 
Gap Vert, se présentaient spontanément, et leur nombre était 
tel qu'on avait pu réduire les salaires'. 

Sans doute subsistait-il à Saint-Louis « une opposition vive » 
les habitants étaient loin de partager, pour la plupart, la con- 
fiance de Roger, et ils craignaient de voir des entreprises agri- 
coles assez douteuses absorber, aux dépens des intérêts com- 
merciaux, l'activité du Gouvernement local; mais cette oppo- 
sition, Roger ne la redoutait pas et se contentait, en la signalant 
au Ministre de constater que « la calomnie et la méchanceté 
sont la rouille qui s'attache aux grandes entreprises » '. 

Du reste, le nombre des concessions augmentait régulière- 
ment d'année en année, et désormais les concessionnaires étaient 
pour la plupart des habitants de Saint-Louis, négociants ou 

1 . C. G., au Ministre, 5 septembre 1622. Col. I, état des concessions, 19 et 21 mai 
5 et 9 Juin 1822. 

2. G. G., au Ministre, 5 septembre 1822. 

3. G. G., au Ministre, 5 septembre 1822. 



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Le développement des cuLtures l93 

traitants : en 1823, Roger accorde quatorze concessions nouvel- 
les, sur les bords du marigot de Khâssak, dans 1 île de Todde et 
sur les bords du mariffot de Goroum ^; en 1824, neuf autres, entre 
le fleuve, le marigot de la Taoueyet le lac Paniéfoul*; en 1825, 
quatre dans Ttle de Sor et sur le marigot de Khâssak'; en 1826, 
quatre dans Tîle de Sor et sur le mangot de M 'Bel, auprès du 
village de M'Bila*. 

Quand, vers 1824, l'entreprise se trouva amorcée dans les 
diverses parties cultivables du Oualo, Roger, aux yeux de qui 
le progrès ne pouvait être que le résultat d'organisations nettes 
et méthodiques, imposa à notre protectorat économique du 
Oualo un cadre administratif. Par son arrêté du !•' août 1824, 
il partagea le Oualo en quatre cantons ou quartiers, a avec chacun 
un point central, une espèce de mairie ou de commandement de 
quartier, surtout pour la justice et la police »; chacune de ces 
circonscriptions avait à sa tête un chef de canton, assisté d'un 
lieutenant de canton, tous deux choisis par le Gouverneur 
parmi les concessionnaires. Le chef de canton avait pour prin- 
cipales attributions de régler, « au moins en conciliation, toutes 
les difficultés qui peuvent s'élever, soit entre les concessionnai- 
res les uns avec les autres, soit à l'égard des indigènes, des ou- 
vriers, des malfaiteurs, etc ». Ces attributions devaient, d'ail- 
leurs, se préciser par la suite : pour le début « il s'agissait seu- 
lement de poser des bases» ; il fallait même craindre de «présenter 
quelque cnose de trop compliqué, d'embarrassant pour les 
cnefs de canton et d'inquiétant pour les planteurs, qui, dans les 
premiers temps, ont besoin de beaucoup d'indépendance ^. 

Il était recommandé au chef de canton d'apporter dans ses 
fonctions administratives « tous les ménagements, toutes les 
complaisances que se doivent entre eux les planteurs, qui les 
premiers dévouent leur fortune, leur industrie et leur existence 
à une entreprise dans laquelle ils ont besoin de considération, de 
secours et de liberté* ». Il devait centraliser les renseignements 
de toute nature, exercer cette « surveillance active qm, partant 
d'un centre commun, dirige aussitôt la protection de tous vers 
le point menacé », et notamment s'entendre avec ses adminis- 
trés « pour l'établissement de signaux, de moyens faciles de 
communication entre les diverses propriétés, pour le recense- 
ment des armes et munitions, etc... »'. 



i. A Pierre Moussa, Lazare Audibert, Pierre Frômy, Sas, Painchaud, Burdett, 
Jaeques Waly, M ■• Vilcomte, Louis Noël, Abdoulaye, Thévenot, Bourgerel,Berte- 
tout, Bougemont (Col. I, Etat des concessions, 4, 9, 10, 17, 23 et 29 mai 1823, 
5 et 15 juin 1823). 

2. A Mille, Calvé et Sallier, Pellegrin, Abdoulaye et Yanyan fils, Abdoulaye et 
Mambaye, Boucaline, Bésuchet (Col. I, 7 et 20 avril 1824, 19 mai, 12 juin et 17 juil- 
let 1824). 

3. A Devès, Chaize, Pronge, Lollieux (Col. II, 21 juillet 12 octobre et 17 décem- 
bre 1825). 

4. A Lezongar, Potin, Painchaud et Baudry (Col. II, 6 février et 18 juillet 1826. 

5. C. G., au Ministre, 24 août 1824. 

6. Col. II, à M. Boissard, 24 août 1824. 

7. Col. III, à M. Painchaud, 3 août 1826. 



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194 La MtsÈ EN Valeur du senègal de 181? a 1854 

Le premier canton avait pour chef-lieu Dagana, où se trou- 
vait déjà une caserne entourée d*un poste crénelé etbastionné; 
le second, Richard-Tol ; le troisième, Faf, sur le marigot de 
Goroum; le quatrième, Lampsar. La banlieue de Saint-Louis, 
où les indigènes avaient installé de petites plantations, formait 
un canton rural indépendant. En 1827, le canton le plus exploi- 
té était, le plus proche de Saint-Louis, celui de Lampsar, où 
se trouvaient dix-sept établissements, mais les trois autres 
n'étaient nullement délaissés, et partout on trouvait des plan- 
tations en pleine activité, des villages d'ouvriers indigènes, des 
constructions en maçonnerie, de véritables « habitations » où 
résidaient les planteurs ou leurs gérants^. 

A première vue, la propagande agricole de Roger avait donc 
parfaitement réussi, et l'organisation administrative se trouvait 
fort bien adaptée à la mise en valeur; l'occupation agricole 
du Oualo était, dès 1824, un fait accompli. 



III. — L'encouragement des cultures. 

C'est sur les primes en espèces que Roger comptait surtout 
pour stimuler les planteurs. Cette institution évolua, du reste, 
au cours de son gouvernement et passa par des phases nette- 
ment différentes. 

Il prend, le 16 mai 1822, un arrêté ayant pour objet de « com- 
pléter de la manière la plus efficace les encouragements déjà 
donnés à la culture du cotonnier » dans la colonie du Sénégal : 

Des primes seront accordées à ceux des planteurs qui culti- 
veront avec succès la plus grande quantité de cotonniers. 

La première prime sera de 10.000 francs et sera attribuée au 
concessionnaire qui aura « planté et conservé en bon état » le 
plus grand nombre de cotonniers, « pourvu que ce nombre excède 
200.(K)0 pieds». Viendront ensuite une prime de 5.000 francs, 
pour un minimum de 80.000 pieds, une de 3.000 (60.000 pieds) 
et six de 2.000 (50,000 pieds). Les cotonniers soumis à l'examen 
du jury devront être « alignés et suffisamment espacés ». 

En outre, des primes seront attribuées à l'exportation, à 
raison « du dixième de la valeur du coton à Saint-Louis. » 

Enfin, pour entraîner dans le mouvement agricole les noirs 
du Oualo et des pays voisins, l'agent spécial de la colonisation 
distribuera des récompenses aux cultivateurs indigènes qui au- 
ront établi des plantations importantes et leur promettra l'a- 
chat de leur récolte à raison de fr. 30 au moins par kilogramme 
brut. 

Ce premier concours donna des résultats assez médiocres. 
La grande prime de 10.000 francs, promise à la plantation qui 

X. Cf. Ann. Marit,, 1827, vol. XXXII, p. 273. 

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LB DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 195 

présenterait plus de 200.000 pieds de cotonniers, fut attribuée 
à Boucaline, négociant de Saint-Louis, « homme entreprenant, 
actif, qui juge bien de l'importance des cultures^ »; mais le deu- 
xième et le troisième prix restèrent sans lauréat, et, parmi les 
six primes de 2.000 francs prévues pour le quatrième prix, trois 
seulement furent distribuées; on se contenta, à titre d'encou- 
ragement, d'accorder des « indemnités » de 1 .500, 1 .200 ou 1 .000 
francs à cinq plantations qui présentaient moins de 50.000 coton- 
niers*. Les commissions de recensement, sur les conseils du 
Gouverneur lui-même, avaient cependant fait preuve d'indul- 
gence ; elles avaient négligé, en particulier, et contrairement aux 
termes du règlement, de distinguer entre les cotonniers plantés 
dans l'année et ceux qui existaient avant le 16 mai 1822*. 

Ro^er était certainement déçu, mais il n'en laissait rien voir 
au Ministre. Il prétendait même que ce résultat, « de moins 
d'une année », dépassait son attente : plus d'un million de coton- 
niers avaient été plantés et continuaient de « croître de la manière 
la plus satisfaisante » ; le nombre en était bien plus grand au 
début de l'année, et, si beaucoup avaient péri, il fallait attri- 
buer cet échec partiel au défaut de labour préalable, au sarclage 
tardif, au mauvais choix de certains terrains, — toutes eau* 
ses auxquelles on pouvait remédier dés la prochaine campagne. 

De plus, l'un des planteurs sur qui l'on pouvait le plus comp- 
ter, « un des plus zélés, un des plus utiles partisans de la colo- 
nisation », était mort à la peine, laissant à l'état d'ébauche 
des travaux considérables : Victor Roger, parent du Gouver- 
neur, « jeune homme plein d'instruction, de sagesse, de senti- 
ments ; passionné pour la culture et pour les entreprises généreu- 
ses, il serait devenu l'apôtre du Sénégal, s'il n'en avait été 
trop tôt le martyr. » Par ailleurs, des hommes d'élite, comme Bé- 
suchet, n'avaient pu donner cette année-là toute la mesure de 
leur activité : leurs plantations, sans qu'il y eût là de leur faute, 
avaient été trop tardives; les hautes herbes avaient étouffé leurs 
cotonniers, au lieu de les préserver simplement du soleil, etc; 
mais « une ardeur nouvelle » s'emparait d'eux : Bésuchet, notam- 
ment, changeait la répartition de ses terrains de culture, 
dressait des bœufs pour la charrue et le sarcloir : « Heureux, 



1. C. G., au Ministre, 15 mai 1824. 

2. Ck>l. I, Tableau des primes pour 1822, 23 avril 1823. 

3. Col. I, à M. Brunet, 13 février 1822; Col. I, à M. Richard, 15 mars 1823. 
Dans rintention de Roger, les primes n'étaient pas exclusivement réservées aux 

planteurs du Oualo; il songeait même à en attribuer une part aux habitants de Goréjs 

aui feraient des plantations à proximité de leur île ; mais il n*avait pas confiancie 
ans les aptitudes agricoles de la presqu'île du Cap Vert, il refusait de s'intéresser 
à des établissements f d'un intérêt actuel et presque sans avenir •, et il invitait sur- 
tout les Coréens à venir s'établir « sur les bords du Sénégal •. (C.G., au Commandant 
de Corée, 4 et 14 juillet 1822, 25 avril 1823). Ce sont sans doute ces préventions 
qui l'ont empêché de récompenser, selon son mérite, un né^ciant de Corée, Bodin, 
qui réalisa aans la presqu'île du Cap Vert une œuvre agricole fort intéressante et 
notamment établit des rizières et des Jardins dans l'oasis de Hann (G. G., au Com- 
mandant de Corée, 11 décembre 1823; cf. Cl. Faure, op. eii,, p. 102.) 



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196 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

concluait Roger, celui qui ne tombe pas, mais plus heureux 
celui qui sait ainsi se relever ^ ». 

Pourtant, cette expérience d'une année avait montré à Roger 
certains inconvénients de son programme, et le règlement qu'il 
établit pour les primes de 1823 révèle d'importantes modifica- 
tions dans son œuvre de propagande agricole : il aperçoit les 
dangers de la monoculture, il renonce à faire porter tout l'effort 
des planteurs sur les cotonniers, il crée des primes spéciales 
pour la culture des indigofères; surtout il réserve les primes, 
non plus aux cultures les plus étendues, mais aux cultures « les 
mieux faites », et il prévoit une récompense spéciale de 3.000 fr. 
« pour l'introduction des meilleurs procédés et instruments ara- 
toires . * 

La publication de ce nouveau règlement donne tout de suite 
au développement des entreprises agricoles une assez forte im- 
pulsion. On ne parle plus que de concessions et de cultures; plus 
de douze établissements nouveaux vont se former, et les défri- 
chements continuent sur les anciennes plantations. Sans doute 
nianquait-on toujours « du nerf de l'entreprise : les capitaux, 
l'industrie, l'activité de l'Europe »; puis les hostilités entre les 
Trarza et les Ouolof gênaient gravement nos travaux ; mais si dif- 
ficile que fût la situation, elle n'était nullement désespérée : 
« Nous allons traîner le char bien lentement, écrivait Roger au 
Ministre, j'espère pourtant qu'il ne s'arrêtera pas ; avec le temps, 
il arrivera »*. 

Le concours de 1823 confirma ces vues optimistes. Toutes les 
primes de culture purent être distribuées ; bien mieux, « les con- 
cessionnaires qui y avaient acquis des droits excédaient le nom- 
bre des primes promises ». 

Le premier prix, comme en 1822, était attribué à Boucaline, 
qui avait fondé une seconde plantation et se disposait à en créer 
une troisième dans le haut du Fleuve ; mais son exemple avait 
été suivi : à la date du concours, trois millions de cotonniers 
avaient été plantés et « subsistaient réellement; sur ce nombre, 
plus de deux millions étaient de l'année. Vingt-huit établisse- 
ments particuliers étaient fondés, dont dix-neuf depuis un an ». 
Cette progression devait sembler «fort satisfaisante», puisqu'elle 
était due « aux seuls habitants du Sénégal, aux seuls moyens 
bien restreints du pays » et que, malgré les appels de Roger, 
il n'était encore venu d'Europe « ni capitaux, ni planteurs, ni 
hommes à entreprises, ni hommes à industrie ». 

Par contre, les planteurs semblaient toujours plus décidés 
à étendre leurs cultures qu'à les améliorer : la prime de 3.000 
francs prévue pour l'introduction des meilleurs procédés et 
instruments aratoires n'avait pas été décernée, et l'on avait cru 
bien faire en la distribuant, à titre d'indemnité, à huit plan- 
teurs méritants mais non primés. Roger excusait ingénieuse- 



1. G. G., au Ministre, 12 mai 1823. 

2. Ibidem, 

3. Ibidem. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 



197 



ment cet insuccès partiel de sa propagande agricole : « Notre 
science agricole est encore si peu avancée, elle a fait si peu de 
progrès, que le prix n'aurait pu être accordé sans provoquer 
pour ainsi dire l'engourdissement, au lieu de stimuler les efforts ^. » 
En réalité, ce progrès en qualité eût été beaucoup plus intéres- 
sant pour l'avenir économique du Sénégal que les procès en 
Quantité, vraiment considérables, qui venaient de se réaliser, et 
loger ne l'ignorait pas. 

Mais on pouvait croire que cette exigence était prématurée 
et qu'il importait d'abord d'acclimater fortement au Sénégal 
les habitudes agricoles :^une fois qu'elles seraient passées dans 
le courant de la vie locale, on aurait tout loisir d'y introduire 
un esprit de progrès. Telles sont, du moins, les idées que Roger 
exprime en 1826, quand le moment lui paraît venu d'orienter 
décidément l'agriculture sénégalaise vers un perfectionnement 
de ses méthodes : « Lorsqu'on a commencé à cultiver au Sénégal, 
il fallait vaincre des préjugés qui avaient une grande force dans 
le pays et pousser au travail de la terre des hommes qui regar- 
daient cette occupation, non seulement comme peu productive 
mais encore comme avilissante; de pands encouragements, 
des récompenses considérables pouvaient seuls entraîner les 
individus et préparer un changement dans l'opinion, il n'était 
pas encore temps de chercher à obtenir de bonnes cultures; la 
question était de savoir si l'on aurait des cultures. La question 
est résolue. D'assez vastes plantations ont été exécutées, le 
nombre des établissements agricoles, déjà aussi grand qu'on 
pouvait l'espérer, s'accroît encore en ce moment par de nou- 
velles demandes de concessions; il ne s'agit donc plus de stimu- 
ler les cultures : on doit chercher à provoquer de bonnes cul- 
tures. » 

c Aussi le sytème des règlements que j'ai fait jusqu'à présent 
sur cette matière n'est plus applicable à la nouvelle situation 
des choses; il a dû être modifié. L'intérêt de la colonisation 
est désormais de fournir des agriculteurs habiles, d'améliorer 
les procédés, d'obtenir de beaux et d'abondants produits. C'est 
dans cette vue que j'ai rédigé un règlement sur les primes et 
les encouragement** qui seront accordés aux cultures effectuées 
en 1826 et au commencement de 1827* ». 

Ce règlement, du 20 décembre 1825, proportionnait fort exac- 
tement le montant des primes, non plus seulement à la quantité 
mais à la qualité des cultures et des produits : à cet égard il cons- 
titue un véritable plan de politique agricole et se présente comme 
le résumé des recherches agronomiques de Roger et de ses col- 
laborateurs. 

La culture du cotonnier était toujours encouragée; mais 
les plantations en terrain simplement défriché et sarclé n'avaient 
droit qu'à une prime de 30 francs par hectare contenant 2.500 
cotonniers « en bon état de végétation » : encore fallait-il que 



1. c. G., au Ministre, 15 mai 1824. 

2. C. G., au Ministre, 7 février 1826. 



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198 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

les arbustes eussent atteint un minimum de hauteur (0 m. 33 
s'ils ont été semés aux pluies, m. 20 s'ils ont été semés après 
rinondation), qu'il n'y eût pas plus de deux pieds par trou 
et qu'ils fussent « régulièrement répartis ». La prime devait être 
de 60 francs pour les cotonniers présentant les mêmes conditions 
et qui, en outre, auraient reçu « au moins un labour à la charrue, 
antérieurement à la plantation ». Enfm elle était portée à 200 
francs pour les cotonniers qui auraient fait l'objet des travaux 
suivants : défrichement à fond du terrain et nivellement, irri- 
gation complète à m. 15 au moins de profondeur en février 
ou mars, premier labour profond (0 m. 15 au moins) à la char- 
rue immédiatement après l'irrigation, deuxième labour aux 
premières pluies et avant l'ensemencement, deux sarclages 

f>endant la période de végétation, trois irrigations k fond entre 
e 1«' novembre et le 30 avril, c'est-à-dire pendant la saison 
sèche. 

En même temps qu'on exigeait de la culture du coton ces 
perfectionnements techniques, on lui enlevait, plus franche- 
ment qu'en 1823, le privilège dont elle avait joui jusqu'alors et 
qui avait conduit la plupart des planteurs à négliger toutes 
les autres. La culture des indigofères était placée sur le même pied 
que celle du coton pour le montant des primes et les conditions 
d'aménagement du sol; en outre, les primes à l'indigo ne pou- 
vaient être allouées « qu'autant que les feuilles auraient été con- 
venablement récoltées et que les produits en auraient été extraits 
et mis dans le commerce »; tout hectare planté en indigofères 
ne donnait droit à la prime que s'il avait produit 5 kilogs au 
moins de bon indigo. 

Un lot nouveau de primes, et de primes plus avantageuses 
que pour la culture des cotonniers et des indigofères, était 
réservé à la culture du caféier et du roucouyer, du palma-Christi 
ou ricin, du séné, de l'hibiscus ou « chanvre de pays », du nopal, 
et ces produits, comme le coton et l'indigo, bénéficiaient égale- 
ment de primes à l'exportation ^. 

Deux prix spéciaux étaient fondés en vue d'encourager l'a- 
mélioration des procédés de transformation et des méthodes 
générales de cultures: le premier, de 3.000 francs, devait récom- 
penser la construction en maçonnerie de la meilleure indigoterie 
particulière, le second, de 1.000 francs, serait décerné au plan- 
teur qui aurait construit sur son domaine « la meilleure machine 
à monter l'eau, pourvu que cette machine ne soit pas semblable 
à celles déjà introduites dans les colonies ». 

Enfin, les indigènes du Oualo et des pays voisins étaient invi- 
tés, comme les planteurs, à pratiquer, en même temps que la 



1. Pour le coton et le ricin ou palma-Chrisli, 15% de la valeur à Saint-Louis 
suivant la mercuriale; pour l'indigo, bien fabriqué et pouvant avoir cours dans le 
commerce, 5 francs par kilogramme. Le tout jusqu'au !•' mai 1827. Pour le café 
net et bien préparé, fr. 75 par kilogramme jusqu'au l*' janvier 1830; pour le 
roucou, fr. 7& par kilogramme jusqu'au 1«' janvier 1820; pour la cochenille, 
20 % de la valeur en France, jusqu'au 1*' janvier 1828. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 199 

culture du coton, celle des indigofères : l'agent spécial de la 
colonisation devait leur distribuer des primes et leur garantir 
Tachât, au prix minimum de fr. 30 par kilo brut, de toute leur 
récolte de coton et de feuilles séchées d'indigo. 

Roger se faisait peu d'illusions sur le succès immédiat de 
la plupart de ces encouragements. Il doutait, en particulier, 
que la prime annoncée pour l'amélioration de la culture du coton 
fût gagnée a par beaucoup de planteurs, ni pour de grands 
terrains ». Les conditions exigées, avouait-il, « sont trop difficiles 
et notre agriculture est trop peu avancée. C'est une provocation 
à imiter les procédés suivis en Egypte, et qui ne sauraient s'ap- 
pliquer à de trop vastes plantations ». De même, il n'était guère 
à craindre que le paiement des primes prévues pour le caféier, 
le roucouyer, le ricin, le nopal, entrainât le Gouvernement local 
à de grandes dépenses : « Peu de personnes feront des essais 
dans ce genre »; mais c'était là une façon de préparer l'avenir 
et de mettre le pays en garde contre la monoculture. Du moins, 
le succès de l'indigo était-il « certain », et c'est pourquoi « les 
primes qui le concernent ont été considérablement réduites^ ». 

Le résultat fut plus pauvre encore que ne le redoutait Roger. 
En 1826, la somme allouée pour les récompenses agricoles n'at- 
teignit que les 2/5 du crédit prévu au budget. La propagande 
agricole, qui avait obtenu de rapides succès au temps où le Gou- 
vernement local n'exigeait qu'une culture extensive, se heurtait 
donc & des résistances dès qu'il s'agissait d'améliorer et d'aug- 
menter la production : la colonisation, de l'aveu même de Roger, 
traversait une crise *. 



V. — La vulgarisation agricole. 

Par la création d'établissements officiels de culture, parle con- 
trôle qu'il a exercé sur les plantations particulières, par le tour 
qu'il a donné aux encouragements pécuniaires, en somme, dans 
toutes les parties de son entreprise de propagande, Roger n'a 
cessé de faire œuvre de vulgarisation agricole; il n'a limité son 
action ni aux expériences agronomiques, ni au simple dévelop- 
pement des cultures; il s'est constamment préoccupé d'élever le 
niveau intellectuel des planteurs européens et des cultivateurs 
indigènes, d'éveiller en eux l'esprit de recherche, de mettre à 
leur portée les progrès acquis par la science agricole. 

Mais il ne s'est pas contenté de faire servir à cette besogne de 
vulgarisation les institutions que nous venons d'étudier : il a 
conçu et réalisé en partie des institutions spécialement destinées 
à cet objet . 



1. C. G., au Ministre, 7 février 1826. 

2. C. G., au Minisire, 6 août 1826. 



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200 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

II a ridée d'organiser des expositions agricoles. En 1823, à l'oc- 
casion de la fête du Roi, il se fait envoyer par Richard « des fruits, 
des légumes, et généralement toutes les productions » du Jar- 
din de naturalisation, capables d'intéresser les habitants; et il 
en fait une sorte d'étalage, « pour contribuer à embellir la fête » 
et donner à la population réunie une idée « des premiers succès 
de la colonisation^ ». 

Il crée une bibliothèque agricole et la met à la disposition des 
planteurs, qui pourront ainsi compléter leur éducation tech- 
nique, en général fort imparfaite K 

Pour intéresser directement les planteurs au perfectionne- 
ment des cultures, il songe aussi à les réunir en Société, et il 
y parvient en 1823. 

La Société d'agriculture du Sénégal ne devait s'occuper, en 
principe, que de recherches et de vulgarisation agricoles; ses 
statuts prévoyaient expressément qu'elle ne se proposerait 
« aucun objet étranger à l'agriculture et aux connaissances qui 
s'y rattachent directement »; elle fut donc autorisée sans diffi- 
cultés par le Ministère'. 

Roger lui offrit, pour ses séances, une salle de l'Hôtel du Gou- 
vernement, et il accepta « avec reconnaissance » la présidence 
qu'on lui offrait : « Quels que soient vos travaux, déclara-t-il 
aux nouveaux sociétaires, je n'en connais pas de plus intéres- 
sants, je n'ai pas de devoirs plus essentiels que dem'occuper 
d'agriculture. Je serai heureux, en assistant à vos séances, de 
profiter de vos lumières et de vous offrir le tribut de mon peu 
d'expérience* ». 

C'est le Gouverneur, du reste, qui se charge de meubler le 
programme des premières séances, et, grâce à lui, la Société prend 
tout de suite l'allure d'une petite académie d'agriculture : il com- 
munique aux sociétaires les mémoires qu'il reçoit du Ministre 
« sur le perfectionnement des exploitations agricoles », sur la 
destruction des insectes nuisibles, sur la greffe des cotonniers; 
il voit là a un excellent moyen pour propager les connaissances 
et les mettre sûrement à la portée des cultivateurs les plus 
intelligents ». 

En même temps, il provoque les membres de la Société à 
instituer des discussions et à rédiger des rapports sur les 
questions agricoles qui les touchent particulièrement, par exem- 
ple sur l'égrenage du coton, et il se réjouit de voir la Société 
manifester « d'une manière énergique, mais qui n'a rien d'exa- 
géré, ses besoins et ses vœux pour que d'utiles procédés d'égre- 
nage soient mis à la disposition des planteurs de coton ». Des 

1. Col. I, à M. Richard, 3 août 1823. 

2. D. M., 29 avril 1824: C. G., au Ministre, 20 juiUet 1826; D. M., 17 Janvier 
1822, 19 JuiUet i824, 10 juillet 1825, 6 juin 1826, 21 novembre 1826. 

2. D. M., 17 Juillet 1823, 21 avril 1824, 26 mai 1826, 25 Juillet 1826, 24 novem- 
bre 1826; G. G., au Ministre, 20 juillet 1826 et 12 février 1827. 

3. C. G., au Ministre, 8 août 1823; D. M., 31 août 1823. 

4. Col. I, à MM. les Planteurs réunis pour former une Société d'agriculture au 
Sénégal, 22 avril 1823. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 201 

procès-verbaux en forme sont rédigés, transmis au Ministère^ : 
la Société d'Agriculture du Sénégal commence à compter, et le 
Ministre songe à lui confier la préparation d'un petit « Manuel » 
d 'agriculture sénégalaise *. 

Par la suite, Roger s'efforce d'associer la Société k tous les 
actes de sa propagande agricole; il lui communique ses projets 
sur l'établissement des pnmes, fait régulièrement déposer dans 
ses archives les procès-verbaux des concours agricoles, recrute 
de préférence ses conseillers techniques parmi les sociétaires, 
demande en toute occasion l'appui moral de la Société, compte 
sur elle pour qu'elle « contribue puissamment par son zèle, par 
son bon esprit, par ses conseils et ses travaux, à la meilleure 
direction et au plus grand accroissement que doit prendre l'a- 
griculture sénégalaise' ». 

Cet intérêt que Roger portait à la Société ne tiédit jamais : à 
la fin de son séjour au Sénégal, il invitait encore Brunet à 
rédiger des notes ou k faire des extraits de mémoires agricoles 
à rintention de la Société^; il remettait à la Société une somme 
de &00 francs « pour être distribuée par elle, en prix, selon 
qu'elle le jugerait convenable»»; il priait la Société de l'aider à 
révéler au pays les diverses « substances naturelles », capables de 
renouveler le commerce du Sénégal *. Mais la Société répondait 
mal à tant d'attentions : Roger se plaignait « de savoir ses réu- 
nions si rares et de ne pas recevoir plus souvent de rapports sur 
la marche de ses travaux ' »» 

Au vrai, les commerçants-planteurs du Sénégal, en consentant 
à former une Société d'Agriculture, avaient, semble-t-il, une 
arrière-pensée : celle de transformer cet institut de recherches 
et de vulgarisation en une association tout utilitaire, capita- 
liste, et peut-être ce calcul ne fut-il pas maladroit : en 1824, la 
Société agricole et commerciale du Oualo était fondée; ses 
membres étaient pour la plupart les mêmes que ceux de la Société 
d'agriculture, et ses préoccupations furent tout de suite plus 
commerciales qu'agricoles. Les deux sociétés ne se confondirent 
jamais, mais la Société d'Agriculture, ayant produit ce que ses 
membres en attendaient secrètement, n'exista plus que de nom. 

Il faut reconnaître que la part de l'indigène est assez faible 
dans cette entreprise de vulgarisation et que Roger s'adresse 
surtout aux planteurs, c'est-à-dire aux Européens ou assimilés. 
Il semble être persuadé que le Gouvernement doit compter 
avant tout sur la force de l'exemple et que les indigènes se met- 
tront à des cultures nouvelles et raisonnées, dès qu'ils auront vu 
les Européens s'enrichir en cultivant. 

1. C. G., au Ministre. 8 octobre 1823. 

2. D. M., 31 août 1823. 

3. Col. II, à MM. les Membres de la Société d'agriculture, 14 mai 1824. 

4. Col. III, à M. Brunet, 14 septembre 1826. 

5. Règlement du 20 décembre 1825, relatif aux primes de culture, art. 13. Cf« 
êuproy p. 000. 

6. Col. III, à MM. les Membres de la Société d'agriculture, 10 février 1829. 

7. Ibidem, 



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20Z LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

On ne peut considérer comme une œuvre de vulgarisation 
le fait de dresser de jeunes indigènes dans les stations d'essai; 
ce n'est là que de l'utilisation de la main d'œuvre indigène, ce 
qui est fort différent de la vulgarisation et ne doit servir qu'aux 
établissements du Gouvernement et des concessionnaires. On 
peut y voir en germe, cependant, une institution intéressante et 
la base même de toute vulgarisation dans les milieux indigènes ^. 

Il est vrai que Roger ne s'en tient pas là, et il a eu vraiment 
l'intention d'étendre la vulgarisation aux milieux indigènes. 
Les instructions qu'il donne aux jardiniers envoyés dans le 
Cayor pour ramasser de l'indigo sont fort significatives à cet 
égard : les jardiniers ont mission d'instruire les indigènes sur 
la façon de récolter l'indigo spontané ^. 

Il désire aussi, et c'est déjà plus précis, que des nègres libres 
demandent des concessions, et il favorise de tout sonjpouvoir 
les candidats de cette sorte. Il les complimente avec [cha- 
leur, les aide pécuniairement au besoin, les recommande spé- 
cialement à l'attention des agents de culture. Ces essais, d'ail- 
leurs, furent rares et, en général, assez malheureux^. 

Mais c'est surtout le temps qui a manqué à Roger pour par- 
faire cette œuvre; il avait commencé par l'entreprise qu'il 
croyait le plus facile, la propagande auprès des Européens, 
qui devait, à ses yeux, préparer l'autre : la propagande dans les 
milieux indigènes. 

Dans l'ensemble, cette campagne de vulgarisation agricole, 
si variée dans ses procédés, a du moins été fort active et cons- 
tante, et si l'on songe qu'elle s'étend sur cinq ans à peine et 
qu'elle est fondée sur des résultats scientifiques insuffisants, 
on n'a pas le droit de s'étonner qu'elle n'ait pas complètement 
modifié l'économie du Sénégal. 

Elle a porté sans arrêt sur les légumes et leâ fruits, surtout 
en vue de l'alimentation des Européens; après avoir donné son 
principal effort pour la production du coton, elle s'est tournée, 
nous l'avons vu, vers la culture et la préparation de l'indigo, 
puis vers des cultures plus diverses, comme le café, le roucouyer, 
le ricin, le séné, l'hibiscus, le nopal, etc. ; en même temps qu'elle 
indiquait des cultures nouvelles, elle faisait connaître des métho- 
des et des procédés de culture modernes et appropriés au pays, 
labourage à la charrue, irrigation, etc. 

Cet effort, si large et si persévérant, est unique dans toute 
l'histoire économique du Sénégal. 

1. Cf. supra, p. 138. 

2. Gol.II à M. Brunet, 31 août 1825. 

3. Col. I, à Abdoulaye et Mambaye, 20 avril 1824. 



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CHAPITRE V 



L'Expansion G>mmerciale. 



I. — Un legs du passé : La traite de la gomme. 

Le Gouverneur Roser n'était pas homme à traiter quoi que 
ce fût avec légèreté. Il a porté dans les questions commerciales 
qui intéressaient le Sénégal, comme dans les questions agricoles, 
la marque de son esprit méthodique, soucieux de progrès et 
capable d'invention. Mais il ne s'intéresse au vieux commerce 
sénégalais que pour ménager les transitions et pour^éviter une 
révolution économique. C'est par prudence et par conscience 
qu'il s'attache à faciliter et moderniser la traite de la gomme, 
« la seule ressource qui reste à ce malheureux pays, tant que les 
cultures ne fourniront pas de nouveaux objets d'exportation^ ». 

Il semblait que le plus pressé fût de remédier au défaut 
d'organisation et d'entente qui paralysait le commerce du Fleuve. 
L'arrêté provisoire, publié le 16 octobre 1821 par le Gouverneur 
Le Coupé, n'avait donné satisfaction à personne : Roger était 
invité par le Ministère à reprendre la question et à dresser, dès 
sa prise de pouvoirs, un « règlement sur le commerce de la gomme 
établi aux escales* ». 

Roger demande prudemment quelque délai, avant de « for- 
muler son opinion sur cette importante matière ». Il visite les 
escales de Tannée précédente, se fait « informer exactement des 
abus qui avaient pu s'y introduire », en confère « particuliè- 
rement et dans deux réunions avec les principaux négociants 
et habitants » et reconnaît indispensable de modifler certaines 

1. G. G., au Mioistre, 6 septembre 1822. 

2. D. M., 26 Janvier 1822; G. G., au Ministre, 7 Janvier 1823. 



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^tfÀ LA Mise EN VAtEUD bU SENEGAL DE 1817 A l8b4 

dispositions de rarréié provisoire du 16 octobre 1821, qui lui 
paraissent « ou n'être pas susceptibles d'exécution ou devant 
donner lieu à de graves mouvements ». Il rédige alors un nou- 
veau rèçlement qui devait être rendu exécutoire en 1823 ^. 

Le principal objet de ce règlement est de limiter la concurren- 
ce. C'est ainsi que le Gouverneur se réserve le droit de fixer 
annuellement les dates d'ouverture et de fermeture de la traite, 
car la trop longue durée de la traite « occasionne aux traitants 
une perte de temps et surtout des dépenses considérables * ». 

Il s'agit donc de protéger par là les traitants contre les négo- 
ciants munis de gros capitaux et capables d'affronter les frais 
d'une campagne prolongée : en revanche, ce même règlement 
élimine de la traite les traitants pourvus de ressources insuffi- 
santes, qui, ne risquant rien, risquent tout et, par leurs marchan- 
dages avec les Maures, empêchent toute discipline commerciale, 
provoquent aux escales toutes sortes de désordres, détruisent 
à plaisir l'équilibre du marché*. 

Cette conception aristocratique du commerce fluvial, qui pro- 
voque de vives réclamations et à laquelle Roger ne se résigne 
d'ailleurs qu'avec peine*, le Ministère ne l'admet pas sans réser- 
ves : il s'assure au moins que le Gouverneur a pour lui la partie 
la plus influente du commerce sénégalais et lui recommande 
de s'entourer de toutes les précautions possibles pour atténuer 
le mécontentement; il exige que les procès-verbaux du Conseil 
de Gouvernement relatifs à cette question ne se bornent pas 
à constater « le résultat de la discussion » et relatent « textuel- 
lement les avis motivés de tous ceux qui ont pris part à la déli- 
bération »; il s'inquiète enfin des garanties prévues pour que 
les privilèges de retour ne soient pas occasion de « collusions et 
de fraudes », et des dispositions que le Gouverneur aurait « recon- 
nu possible de prendre dans l'intérêt des propriétaires de petites 
embarcations que l'article (en question) exclut de ce trafic ^ ». 
Ce n'était pas, d'ailleurs, cette restriction du droit de traite qui 
allait provoquer les vraies difficultés. 

Sans être très avantageuse, la traite de 1823, au cours de 
laquelle ce règlement fut appliqué, promettait aux traitants 
de grands bénéfices, et la plupart d'entre eux semblaient devoir 
y trouver «des ressources pour liquider leurs dettes». Mais tout 
k coup un navire, le Jean-Pierre, venu de Bordeaux où il 
était récemment arrivé de l'Inde, apporta au Sénégal environ 
13.000 pièces de guinée : « la surabondance de cette principale 
marchandise de traite ne fut pas plus tôt connue que le prix de 
la gomme augmenta ». De plus, les négociants, inquiets de cette 
concurrence qui pouvait les empêcher de placer leurs guinées 



1. C. G., au Ministre, 7 janvier 1823. 

2. C. G., au Ministre, 8 septembre 1823. 

3. Ibidem. 

182* ^' ^'* *" **'"*®*''®' ^ janvier 1823; C. G., au Ministre, 7 janvier 182aet 6 février 
5. *D. M., 12 juin 1823. 

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Le développement dès cuLftrHKs âO& 

entre les mains des traitants, envoient directement traiter 
pour leur compte aux escales : « Ainsi, tel négociant qui avait 
vendu à des traitants des guinées à raison de 45, 50, 55 et même 
60 livres de gomme par chaque pièce, payable après la traite, 
envoie aux escales des guinées qu'il fait vendre directement 
aux Maures à 50 et 55 livres de gomme», — opération sans doute 
déloyale, mais difficile à empêcher, « car le négociant qui 
voudrait s'y livrer trouvera toujours des prête-nom pour se 
mettre à couvert ». Le plus clair résultat de cette intervention 
directe des négociants dans la traite, c'était la ruine des trai- 
tants « qui représentent la masse et les intérêts de la population 
de Saint-Louis ». 

On devine quel malaise social pouvait nattre de tels procédés. 
Le commerce, écrivait Roger en 1824, « quoique plus considéra- 
ble qu'il n'a jamais été, est peu florissant. Trop d'individus y 
prennent part sans qu'on cherche à étendre le cercle des relations 
ni à introduire aucune espèce nouvelle d'industrie. Les commer- 
çants se ruinent entre eux, parce que leur nombre s'accroît 
dans une proportion que ne peut pas suivre l'accroissement 
moins considérable que reçoit le commerce du pays ^ ». 

Roger essaie bien d'un palliatif : il donne de temps en temps, 
« aux malheureux qui ne possèdent pas des embarcations assez 
grandes pour être aux escales », l'autorisation de traiter des 
gommes hors de la durée des escales *. Mais une pareille mesure 
entraîne bien des inconvénients, « notamment avec les Maures », 
et porte atteinte au principe même de la police de la traite. En 
outre, le haut commerce en tire argument pour réclamer des 
privilèges analogues : par exemple, quand une société commer- 
ciale se constitue, Roser a bien du mal à l'empêcher de profiter 
de sa situation privilégiée pour s'attribuer ce droit, et il est 
bien obligé de céder en fait, en autorisant la société à traiter 
hors de la durée des escales « sur un point de la rive droite du 
fleuve • ». 

Quant au Ministère, il avoue son embarras et ne voit de solu- 
tion que dans un arrangement à l'amiable, « une convention de 
gré à gré » entre négociants et traitants^. 

Roger s'applique en effet à provoquer cet accord d'intérêts si 
nettement opposés, à parer à l'inefficacité des réglementations 
par une modification des « habitudes locales » ; il s'efforce « d'a- 
mener les négociants et les traitants à faire un arrangement pour 
que ces derniers aient exclusivement la faculté de traiter la 
gomme aux escales » ; mais il échoue : les négociants persistent 
& penser « que leurs intérêts se trouveraient compromis par une 
semblable mesure, notamment sous ce rapport que le plus grand 
nombre des traitants ne leur offraient pas assez de sûreté » et 



1. G. G., à M. Hugon, ^ août 1824. 

2. Ibidem. . _, 

3. Col. II, au Président de la Société agricole et commerciale, 28 jum 1824. 

4. D. M., 30 août 1825. 



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âô6 LA MISE EN Valeur du sÉnegal de lâl? a 1854 

que la traite effectuée par le seul intermédiaire des traitants 
présenterait plus de risques que d'avantages^. 

Pour enlever son poids à cette objection, Roger se propose 
alors « de réunir les traitants en une seule association, dont 
tous les membres se seraient mutuellement garantis pour les avan- 
ces qui leur auraient été faites » : cette responsabilité collective 
eût permis au Gouvernement local de forcer la main aux négo- 
ciants, qui n'avaient plus à redouter les débiteurs insolvables 
et ne pouvaient plus présenter leur participation directe à la 
traite comme une compensation à leurs déboires de créanciers. 
Mais les traitants refusent de « consentir à cette solidarité », 
ce qui, remarque le Gouverneur « justifie jusqu'à un certain 
point les inquiétudes et la méfiance des négociants ». En con- 
séquence, les escales demeurent ouvertes « aux négociants qui 
tirent directement leurs marchandises de France, comme aux 
traitants qui achètent leurs approvisionnements de la seconde 
main* ». 

Devant ce refus de conciliation et cet attachement à une 
liberté de concurrence qui semblait contraire aux intérêts de 
la majorité, Roger ne se croit plus tenu de prolonger les res- 
trictions prévues par son arrêté de 1823 et de sacrifier aux négo- 
ciants et aux principaux traitants les intérêts du petit commerce; 
il estime «c juste et utile de permettre l'accès des escales aux 
petites comme aux grandes embarcations et de donner ainsi à ce 
commerce la plus grande liberté' ». 

Il saisit avec plaisir cette occasion de recvenir sur une dispo- 
sition qui ne convenait guère à sa largeur de vues, qui était 
« écrasante pour la classe inférieure de Ta population » et qu'il 
n'avait pu jusque là qu'(c adoucir, en autorisant pour tout le 
monde une espèce de glanage, avant et après la tenue de la traite 
aux escales^ ». 

Ce retour à la pleine liberté exigeait un remaniement complet 
de l'arrêté du 2 janvier 1823. Aux termes d'un nouvel arrêté, en 
date du 4 janvier 1826, auquel le Ministère donna sans difficultés 
son approbation^, toute condition de jaugeage pour la partici- 
pation à la traite était supi)rimée, mais des précautions nouvel- 
les étaient prises pour la discipline des escales : pendant toute 
la durée de la grande traite, il était expressément défendu d'a- 
cheter de la gomme, sur les bords du fleuve, dans d'autres lieux 
qu'aux escales; toute contravention serait punie d'une amende 
de 100 francs et, si la quantité de gomme traitée excédait 250 kilo- 
grammes, de la confiscation de l'embarcation; la surveillance 
serait assurée par un bâtiment du Roi, qui visiterait les esca- 
les et stationnerait successivement à l'une et à l'autre, suivant 
les besoins; en outre, dans chaque escale, une commission de 

1. c. G., au Ministre, 6 février 1826. 

2. Ibidem, 

3. Ibidem, 

4. Ibidem. 

5. D. M., 26 août 1826. 



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Le DèvELOPi»BMENt bES CuLtUflÊS '207 

trois traibànts serait chargée de maintenir le bon ordre et dé 
faire exécuter les- règlements. 

Roger attendait beaucoup de ce nouveau régime. Sans doute 
prévoyait-il que le prix de la gomme en rivière serait très élevé 
« par suite de la très grande concurrence » qui allait se produire, 
mais « cette concurrence, de la part de ceux qvui reçoivent des 
marchandises de France, était déjà si forte qu'elle ne peut guère 
augmenter. » En revanche, les expéditions, « pouvant se faire 
sur de petits bâtiments, seront moins dispendieuses; elles 
n^excéderont plus, comme par le passé, les moyens des trai- 

'tants; chacun agira selon ses facultés; les coutumes énormes 
que l'on paye aux Maures d'après l'importance de* l'embar- 
cation, et non d'après la quantité des valeurs traitées, se trou- 
veront ejctrêmement réduites; enfin, «une plus grande masse 
d'individus participera aux avantages de la traite^ ». 

Dès 1826, un « très grand mouvement » se manifestait «dans 
le commerce et la navigation du fleuve ». Quant aux « résultats 
généraux »j ils devaient demeurer médiocres : le mal était trop 
profond pour qu'un si petit remède pût le guérir*. La liberté 
commerciale sur le fleuve ne devait être qu'un vain mot, tant 
que le fleuve lui-même ne serait pas libre et que les Maures 

•résté^ient les vrais maîtres^ de la situation. 



II. — La protection du commerce fluvial : 

La politique BXTÉmEURE DU GOUVERNEUR RofîER. 

Cet aspect. poUtique du problème commercial, le Gouver- 
neur Roger l'a nettement aperçu et il y a porté une attention 
d'autant plus vive que ses entreprises de cultures, non moins 
que la traite de la gomme, en dépendaient! Mais il s'était engagé 
& maintenir la paix entre le Sénégal et ses voisins, et sa politique 
devait être toute en diplomatie. 

Au moment où il entra en fonctions, la situation politique 
était fort trouble en pays maure. Le roi des Trarza, Amar, 
était de plus en plus acquis aux Anglais, mais il avait contre lui 
un fort parti, secrètement soutenu par les négociants de Saint- 
Louis et par les Oualo ; on en vint aux mains vers les premiers 
mois de 1822, et un certain Amdou-Kouri fut élu roi « par une 

Sande majorité de la nation». Amar se retira vers PortendiK,où les 
dglais le ravitaillèrent, et Amdou-Kouri, « maître des bords 
du Fleuve et par conséquent de nos escales» demanda l'alliance 
du Gouverneur du Sénégal ^. 

Mais Roger n'était pas pressé de prendre parti.: Il voulait 

1. C. G., au Ministre, 6 février 1826. 

2. Ibiâem, 

3. C. G., au Ministre, 6 septembre 1822. 



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. â08 La MtSË EN VaLEUB du SENEGAL DE I8l7 A 1854 

se donner le temps d'étudier sur place la situation^, organisait 
sous la direction de Brunet une sorte de service des Affaires ex- 
térieures et se tenait en garde contre les menées des habitants de 
Saint-Louis, qui rendaient impossible toute politique suivie : 
« J'ai formellement déclaré aux habitants, disait-il au Ministre, 
que je désavouerais ceux qui agiraient sans mon autorisation 
écrite, au nom ou pour le compte du Gouvernement, et que je 
les ferais même poursuivre suivant les lois * ». 

Un esprit superficiel, imbu de traditions politiques et histo- 
riques, se fût réjoui des guerres intestines des Trarza et eût 
tout de suite pris à son compte la fameuse formule : diviser 
pour régner. Mais Roger voit plus loin : les petits résultats 
inunédiats et passagers ne le satisfont pas; il rêve d'instaurer 
une grande politique durable, en agissant sur l'organisation 
interne des peuplades ennemies : « C'est une grande question de 
savoir s'il est de la politique du Sénégal de diviser entre eux 
les Trarza ou de les réunir sous un chef puissant. J'inclinerai 
pour ce dernier parti : il vaut mieux avoir affaire à un seul qui 
a quelque chose à perdre qu'à plusieurs qui cherchent à gagner*». 

Il se borne à surveiller les Anglais, dont l'hostilité ne parvient 
pas à se déclarer ouvertement ^, et, bien que « tout le Sénégal. » 
se soit a passionné pour ou contre Amar», il reste neutre». 

Cependant, Amar reprend le dessus, rejette Amdou-Kouri 
sur la rive gauche du fleuve; le Oualo, indirectement menacé, 
prend parti pour Amdou-Kouri; la guerre menace de s'étendre 
et de contrarier nos entreprises de culture. Roger manifeste 
alors, par des précautions militaires et par l'attribution de 
subsides au parti d'Amdou-Kouri, l'intention d'arrêter l'avance 
des Trarza, et Amar, intimidé, demande la paix •. 

Mais, le Roi du Oualo, sentant affaibli son ennemi héréditaire, 
prétend continuer la guerre : Roger, par une attitude à la fois 
conciliante et ferme, s'efforce de l'apaiser^. 

Puis le Oualo est menacé d'une invasion des gens du Cayor* : 
en outre, nous sommes amenés à donner aux pilleurs d'épaves 
du Gandiole une sévère leçon, et Roger, s'en sert comme d'un 
exemple : « Vous aurez eu soin sans doute, écrivait-il à Bru- 
net, de présenter ce petit combat comme très glorieux pour nos 
soldats, ce qui n'est pas sans vérité, puisqu'une soixantaine 
d'homme de la garnison ont résisté longtemps, sans canons, à 
plus de 1.500 nègres et leur ont fait beaucoup de mal. Veillez 
donc à ce que la cnos soit vue et racontée ainsi par les Européens 
qui sont dans le fleuve.» » 

1. C. G., au Ministre, 17 mars 1822. 

2. G. G., au Ministre, 20 mars 1822. 

3. C. G., au Ministre, 17 mars 1822. 

4. C. G., au Ministre, 6 septembre et 1«' novembre 1822. 
6. C. G., au Ministre, U avril 1823. 

6. G. G., au Ministre, 11 avril 1823, 17 mai 1824; Col. II, à M. Brunet, 6 février 
1826. 

7. Gol. II, à M .Brunet, 6 et 28 février 1826; M. Richard, 24 février 1826 

8. Gol. II, à M. Bois!<ard, 11 juillet 1826. 

9. Col. III, à M. Brunet, 14 septembre 1826. 



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LE DÈVELOPPBMBNT l>fiS CULtURËS ^09 

Et peu à peu, le feu se changeait en fumée. Amdou-Kouri 
était tué dans un combat à la fin de 1826; un jeune fils de qua- 
torze ans, Moctar, héritait de ses prétentions et Roçer trouvait 
en ce prince inexpérimenté l'instrument souple qui lui permettait 
d'immobiliser à la fois les Trarza et les Oualo ^. 

Le Roi du Oualo ne rêvait que de remplacer Âmar par Moctar, 
qui était son hôte et qu'il poussait « aveuglément au trône ». 
« C'est tout simple, remarquait Roger; il {aime à traîner à sa 
suite un vassal couronné : son esprit de haine et de vengeance 
veut la guerre avec Amar, la désunion entre les Trarza : fl veut 
tout ce qui engage, tout ce qui lie Moctar et les siens, tout ce 
qui les empêche de pactiser avec Amar. D'ailleurs, incapable de 
mûrir une pensée, enfant lui-même par caractère, il conseille 
dans son sens un autre enfant ». * Mais Roger destinait à Moctar 
un rôle beaucoup plus modeste : il voulait simplement tenir en 
réserve un prétendant à la royauté Trarza, pour le cas où Amar 
reprendrait à notre endroit une attitude hostile; il entendait que 
Moctar « différât quelque temps d'être roi, et mûrit son avenir 
prêt à se dessécher comme l'herbe tendre au souffle anticipé 
ou vent d'est » ; et il invitait son collaborateur Brunet et surtout 
Berton, séduit par le côté « chevaleresque » de l'aventure, à 
rappeler le jeune prince à la prudence'. 

Il est vrai que les Ôuaio, mécontents des obstacles que nous 
opposions à leur politi(|ue belliqueuse, se vengèrent en malmenant 
les caravanes des traitants sénégalais et des Maures paisibles 
qui venaient au fleuve apporter la gomme : Roger exigea du 
Brak qu'il frappât ses gens « d'une punition exemplaire » et le 
menaga, ainsi que Moctar, de la suppression des coutumes^. 

Au prix de cette active diplomatie et de ces manifestations 
de fermeté, le Sénégal évita certainement, de 1821 h 1827, d'être 
entraîné dans des expéditions guerrières, qu'il n'aurait pu sou^ 
tenir faute de ressources militaires : le mérite de Roger est d'au- 
tant plus grand que, par l'établissement des cultures dans le 
Oualo, nous étions devenus particulièrement vulnérables et que 
nos voisins, les Oualo et les Trarza, brûlaient de s'affronter. Il 
faut reconnaître que cette politique au jour le jour ne nous pro- 
curait qu'une demi-sécurité et présentait le grave défaut de 
reposer à peu près uniquement sur la valeur d'un homme : 
l'avenir demeurait gros de dangers. 

Mais Roger comptait, pour la rendre bientôt inutile, sur la 
colonisation du Oualo : les « prétentions exagérées » qu'élèvent 
nos voisins, les « sujets de plaintes » qu'ils nous donnent, tout 
cela représente à ses yeux « le froissement inévitable d'un voi- 
sinage naissant; c'est la fusion de deux natures d'hommes, de 
mœurs, d'habitudes, d'intérêts, de préjugés aussi différents, 



1. Col. III, à M. Brunet, 28 février 1826. 

2. Col. m, à M. Berion, 7 Janvier 1827. 

3. Ibid. et Ck>I. III, à M. Brunet, 7 Janvier 1827. 

4. Col. III, à M. Brunet, 16 et 30 Janvier, !•' mars 1827. 



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ilù LA MisK EN Valeur du sénégal de 1Ô17 a 1854 

aussi opposés que le sont les couleurs de leurs figures... (Il faut^ 
voir les choses dans leur ensemble, en grand et en haut, et se 
souvenir que quelques perturbations dans l'ordre naturel n'em- 
pêchent pas que la nature entière ne suive sa marche constante, 
régulière et ferme j) ^. Or, les « perturbations » au Sénégal dis- 
paraîtraient d'elles-mêmes, le jour où la vie économique, grâce 
au développement des cultures, aurait pris cette «marche régu- 
lière et ferme » et entraîné dans son mouvement nos voisins les 
plus belliqueux ^ 

III. — La recherche de produits nouveaux. 

Quand Roger s'occupe de la réglementation de la traite de la 

Îomme, on sent en lui comme un frémissement d'impatience. 
1 s'irrite manifestement des routines et des complications de 
. ce vieux commerce, que personne n'a pu ni ne pourra, semble-t-il, 
rajeunir et développer; il s'indigne de voir un pays, auquel les 
richesses naturelles et les aptitudes économiques ne manquent 
pas, s'immobiliser dans ce troc suranné. 

« Il est bien regrettable, écrit -il par exemple au Ministre, 
que les affaires n'aient pas eu (en 1823) plus d'importance et 
de mouvement; mais, comme je l'ai souvent expliqué, elles ne 
deviendront plus considérables qu'autant qu'on créera dans le 
pays de nouveaux produits et de nouveaux débouchés, deux 
choses qui se lient intimement*». 

Pour réaliser ce programme, Roger compte ^vant tout sur 
le développement des cultures, qui reste au centre de ses pré- 
occupations et qui devait avoir pour conséquence logique 
une expansion commerciale. Mais son grand effort agricole ne 
devait porter ses fruits que dans quelques années, et il fallait 
tout de suite procurer au commerce des aliments autres que la 

f^ômme. Au reste, les ressources naturelles proprement dites, 
es produits de simple cueillette ou de simple extraction, sem- 
blaient ne pas manquer, et il était intéressant de s'en occuper 
sans retard. 

Les salines. — Un nommé Dol, de Marseille, avait adressé au 
Ministère un mémoire où il mettait fort justement en valeur 
l'importance du commerce du sel pour le Sénégal. « ... Le sel 
mann, disait-il, est un objet d'échange dans l'intérieur de la 
. rivière et nécessaire aux habitants de Saint-Louis : c'est avec 
peine qu'on se procure cette production dans les marécages 
appartenant au roi d'Amhel *, avec lequel la France est en guerre; 

1. G .G., à M. Hugon, Gouverneur p. i., 28 août 1824. 

2. G. G., au Ministre, 12 août 1823. 

3. G. G., au Ministre, 11 Janvier 1823. 

4. 11 s*agit ici du roi de Gayor ou Damel, qui comptait dans ses domaiaes les 
tallnes du Gandiolais; la France n'était pas, comme le prétend Dol,«n guerre avec 
le Gayor, mais le Damel menaçait à chaque instant d'envahir le Oualo et faisait 
volontiers piller les caravanes de nos traitants. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 211 

Vélojgnement de la rivière en rend le port difficile et coûteux : 
ce sel terreux, récolté naturellement, sans le secours de Fart, 
borne un débouché plus important, avec du sel fabriqué sui* 
nie de Saint-Louis, à Tinstar de celui de France... ». Et il deman^ 
dait la permission d'établir à ses frais une saline à Saint-Louis, en 
faisant valoir que l'établissement projeté aurait pour résultat 
« d'augmenter d'une manière fructueuse les relations de la colo- 
nie avec l'intérieur de l'Afrique ». A plusieurs reprises, le Minis- 
tère recommandait Dol à la bienveillance de Roger, et Roger, 
dans la mesure de ses ressources, donnait à Dol des « facilités » : 
il lui accordait le droit à la ration, lui procurait des outils et lui 
attribuait une somme de 300 francs à titre d'encouragement. 
Mais Dol manquait par trop de « moyens pécuniaires », et son 
entreprise ne put se développer*. 



La pêche, — Depuis longtemps, les « auteurs » signalaient la 
baie d'Arguin comme une région particulièrement poissonneuse, 
et la population de Saint-IiOuis demandait qu'on y fit des essais 
de pêche : rien de sérieux en ce sens n'avait encore été tenté avant 
1821. Dès sa prise de pouvoirs, Roger signale au Ministre l'in- 
térêt de cette question : il demande qu'un bâtiment léger soit 
détaché de la station d'Afrique, mis à la disposition du Comman-' 
dant de la colonie et employé, d'après ses instructions, « à des 
voyages d'exploration et d'utilité coloniale». 

Four les essais de pêch« au banc d'Arguin, ce bâtiment 
« recevrait à son bord un supplément d'équipage noir, afin d6 
ménager les matelots européens » ; on donnerait au bâtiment ub 
capitaine « qui entrât dans ces vues » et quelques maîtres mate*" 
lots déjà exercés à la pêche; en outre, le bateau serait muni, 
par les soins du Gouvernement métropolitain, des filets et engins 
nécessaires, car « on ne trouverait rien ici ». Ce même bâtiment 
servirait à visiter la rivière de Casamance et divers points de 
la côte, « sur lesquels il pourrait être utile de placer des comptoirs» 
enfin, il permettrait d'aller chercher, deux fois par an, des grai- 
nes et des plantes coloniales aux lies du Cap Vert. En somme, 
«pour tenter d'ouvrir à la colonie et à la France ce nouveau 
moyen de prospérité, il n'en coûterait absolument rien à la 
Métropole », et l'on pourrait, par la même occasion, mettre 
à la mode l'utilisation du sel du pays^ 

En même temps, Roger essaie d'intéresser à cette entreprise 
le commerce local et l'engage à faire l'armement à son propre 
compte; puis, sans même attendre la réponse du Ministère, il 
fait procéder à Corée à des essais de pêche et de salaison qui 
donnent « les plus grandes espérances » ^. 



1. D. M., 12 juin 1823 et 15 octobre 1825. 

2. G. G., au Ministre, 15 juin 1823., 

3. C. G., au Commandant de Gorée, 16 décembre 1823. 



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212 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Le Ministère, deux ans après, donne aux propositions de Roçer 
une suite favorable, accorde le bâtiment de la Station, les engins 
et les matelots demandés pour une campagne de pêche au banc 
d'Arguin^. En 1826 et en 1827, nouvelles campagnes, avec la 
collaboration de négociants de Saint-Louis*. Bien que ces ten- 
tatives n'eussent pas obtenu « tout le succès désirable », elles 
confirmaient cependant «de plus en plus les espérances qu'on 
avait d'abord conçues » : l'entreprise s'étendait et surtout la 
question s'éclairait. 

Le capitaine du Petit-Charles rapportait à Saint-Louis, en 
1827, en même temps que 6.349 kilogrammes de poisson, une 
carte des environs du banc d'Ar^uin, «indiquant les endroits 
les plus propres à la pêche », et il regardait « comme hors de 
doute le succès d'une opération bien conduite». Mais, surtout 
soucieux de toucher la prime prévue pour l'exportation, les 
négociants du Sénégal destinaient le produit de la pêche aux 
Antilles françaises, et se trouvaient engagés par là dans cer- 
taines difficultés de préparation : il eût été facile de vendre 
dans le pays, au Sénégal ou en Gambie, tout le poisson péché 
au banc d'Arguin ou aux environs de Corée, et il eût suffi de 
le préparer suivant les procédés locaux, car les noirs « ne font 
aucun cas » du poisson salé et ne mangent que du « poisson frais 
ou séché à l'ardeur du soleil»; au contraire, l'exportation aux 
Antilles exigeait une salaison parfaite, et le sel du Sénégal ne 
semblant pas s'y prêter, il fallait qu'avant de se diriger sur Arguin 
les bateaux de pêche, qui allaient compléter leur équipage 
& Gorée, fissent voile sur les Iles du Cap Vert, où elles s'appro- 
visionnaient de sel; de là bien des retards, des frais et des 
mécoïnptes '. 

Malgré cela, le commerce local, à Saint-Louis comme à Gorée, 
s'intéressait de plus en plus à cette nouvelle source de revenus; 
et l'on commençait à connaître avec précision a et les parages 
et la saison et tout ce qu'on ne peut devoir qu'à rexpérience»^ 

Les sangsues. — Roger a inauguré aussi au Sénégal un autre 
genre de pêche que nous verrons se développer sous ses succes- 
seurs et fournir à l'exportation un objet relativement impor- 
tant : la récolte des sangsues dans les marais du Oualo ^. 

Il voyait là, en même temps qu'une façon sûre et peu coû- 
teuse d'approvisionner les hôpitaux du Sénégal, un produit qu'il 
serait facile de placer dans nos colonies des Antilles*. 

Les bois. — Les régions du Sénégal sur lesquelles s'étendait 
notre influence n'étaient que médiocrement boisées, et l'on ne 

1. D. M., 7 septembre 1825. 

2. D. M., 22 septembre 1826; C. G., au Ministre, 10 septembre 1827. 

3. G. G., au Ministre, 10 septembre 1827. 

4. G. G., au Ministre, 22 septembre 1827. 

5. Gol. I, à M. Boissard, 27 mai 1824. 
0, mdem- 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 213 

pouvait, contrairement à ce que pensait le Ministère, exporter 
de grandes quantités de bois de construction et d'ébénisterie. 
Roger se proposait du moins d'exploiter certains bois durs, 
spécialement utilisables dans les chantiers de constructions 
navales, et qui eussent fourni d'avantageuses cargaisons de 
retour aux navires chargés d'approvisionner la colonie. 

Dès 1822, il transmettait au Ministre un mémoire de Bésu- 
chet, négociant de Saint-Louis, sur le cailcédrat, bois dur, aux 
fibres extrêmement serrées et de couleur brune : l'exploitation 
devait en être facile, puisqu'elle était déjà dans les habitudes 
des indigènes. 

Il convenait seulement de réduire le droit de douane dont 
le cailcédrat allait être imposé : la douane n'y perdrait rien, 
puisque ce commerce allait se développer, et il n'était pas à 
craindre que le cailcédrat fît concurrence à l'acajou, car il ne 
servait pas aux mêmes usages et ne pouvait notamment être 
employé dans les placages*. 

Le Gouvernement central accorda de bonne grâce cette 
réduction. Une ordonnance du Roi, en date du 25 décembre 1823, 
« considérant qu'il se récolte actuellement au Sénégal des pro- 
duits à l'égard desquels les règlements actuels n'ont ménagé 
aucune faveur pour en faciliter l'écoulement dans le royaume », 
fixa à cinq francs par 100 kilos le droit d'entrée sur le cailcédrat 
importé du Sénégal par navires français. Il est vrai que Roger 
avait demandé davantage, mais le Ministre lui promettait d'in- 
tervenir k nouveau auprès de la Direction des douanes, au cas 
ou une réduction plus forte serait reconnue nécessaire à l'ouver- 
ture de débouchés avantageux '. 

Ce faible encouragement ne donna pas au commerce des bois 
d'Afrique une extension bien sensible, et le Ministre commu- 
niquait à Roger un extrait du New Times, d'après lequel, au 
17 janvier 1824, douze bâtiments anglais étaient occupés à char- 
ger des bois de construction à Sierra-Leone ®. Cette comparaison 
entre les ressources forestières du Sénégal, pays sec, et celles de 
Sierra-Leone, pays humide, était assurément peu justifiée, et, 
tout en prétendant que les Anglais de Sierra-Leone «se vantaient», 
Roger répondait qu' « il serait possible de leur faire concurrence 
le jour — d'ailleurs prochain — où nous nous serions installés 
en Casamance ^ ». 

Il profitait aussi de cette occasion pour demander, en faveur 
des bois tirés de la côte d'Afrique, une nouvelle atténuation 
du régime douanier et une prime à l'importation : le Ministère 
refusait d'accorder la franchise de droit d'entrée, sous prétexte 
que l'exemption d'un droit aussi faible « serait sans importance 
pour l'industrie »; il ne s'opposait pas à la concession de primes 
pour l'importation dans les ports du royaume, mais à la condi- 

1. G G., au Ministre. 27 mai 1822. 

2. D. M., 14 mars 1823. 

3. D. M., 15 avril 1824. 

4 G. G., au Ministre, 23 aoât 1824. 



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214' LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

iion que ces primes fusseut a acquittées sur les fonds de la colo- 
nie »: en somme, il paraissait décidé à limiter le plus possible 
en toute cette affaire Tintervention de TEtat, il rappelait que 
l'importation des bois d'Afrique en Angleterre avait été « stimu- 
lée surtout par les entreprises de l'intérêt privé, sans autre 
encouragement, de la part du Gouvernement britannique, que 
l'achat, pour son compte, d'une certaine quantité de bois pour 
ses besoins», et la meilleure marque d'intérêt qu'il lui semblât 
possible de donner à ce commerce naissant consistait dans la 
promesse d'une commande annuelle pour la Marine royale ^ 

Roger s'empresse alors de réunir des échantillons des divers 
bois « propres aux constructions maritimes » et déjà « employés 
avec succès pour les embarcations de la colonie^ ». Un commerce 
peu considérable sans doute, mais fort rémunérateur, pouvait 
naître de ces tentatives et créer un courant qui^ du jour où nous 
aurions eu franchement accès aux forêts humides du «bas de 
la côte », eût vite joué un rôle fort important dans lléconomie 
de nos colonies africaines. 

Le bétaiL — Vers la fin de son séjour au Sénégal, Roger entre- 
praad de fournir les Antilles de bœufs de labour, et il profite 
du départ pour la Guadeloupe d'un officier de son état-majof, 
Defitte de Soucy, pour lui confier la surveillance d'un premier 
envoi. «M. Defitte, écrit-il au Gouverneur de la Gudeloupe, 
vous expliquera comment ce pays-ci fournirait aux Antilles des 
bœufs propres aux travaux des champs, il en existe dans l'in- 
térieur des troupeaux considérables et leur prix est peu élevé. 
Il importerait que des opérations de ce genre pussent s'organiser. 
Si les colons des Antilles y pensaient bien, ils reconnaîtraient 
que les bœufs du Sénégal leur coûteraient moins que les nègres 
qu'on tirait autrefois de cette colonie et qu'ils produiraient 
proportionnellement infiniment plus. Il ne faudrait que s'en- 
tendre et connaître ses vrais intérêts pour substituer à un trafic 
justement prohibé des opérations licites et non moins avanta- 
geuses pour les deux pays ' ». 

C'était, là encore, une initiative des plus heureuses, dont les 
successeurs de Roger devaient profiter. 

Poisson, bois, bétail, Roger ne se trompait pas en voyant 
dans l'exploitation méthodique de ces produits des sources 
importantes et régulières de profits, et, si l'on songe à ce qu'il 
comptait y ajouter par le développement des grands produits 
de culture (coton, indigo, etc.), on voit qu'il était en train de 
transformer profondément les conditions économiques de la vie 
du Sénégal. 

Le Ministère, de son côté, eût désiré plus de variété encore 
dans le renouvellement des produits d'exportation ,et ses exi- 

1. D. M., 29 octobre 1825. 

2. D. M., 8 août 1826; Col. Il, à M. Martin, président du Connité de commerce, 
6 février 1826; G. G., au Ministre, 13 mai 1827. 

3. G. G., au Gouverneur de la Guadeloupe, 18 oetobre 1.826. 



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LE. DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 21&., 

gc^çes dépotent, un curieux défaut d'esprit, géographiaye : il 
comparait sans cesse le commerce du Sénégal avec celui des 
colonies anglaises de la côte d'Âlrique et découvrait que les 
Anglais se souciaient plus méthodiquement que nous d'exploi- 
ter les ressources, naturelles de leurs possessions; il estimait 
qu^ les aptitudes agricoles ou forestières étaient sensiblement lés 
mêmes pour Sierra-Leone ou la Côte d'Or que pour le Sénégal; 
il invitait le Gouvernement local à examiner, si le Sénégal rie 
pourrait pas exporter, lui aussi, dès bois d'ébénisterie et de 
teinture^ de l'ivoire^, du café, des plumes d'autruches, des four- 
rures de léopard et de tigre, de l'huile de palme, du poivre, de 
la cire d -abeilles brute, et il lui demandait de rechercher « quelles 
dispositions spéciales, quels encouragements, pourraient con- 
courir à ce but*». 

Mais de tels produits étaient tout à fait étrangers au Sénégal 
proprement dit. Le développement du commerce sénégalais 
d'exportation supposait donc autre chose qu'une augmentation 
de l'activité locale : une extension des relations commerciales, 
une expansion de l'influence française dans les pa^s voisins du 
Sénégal, et nul, mieux que Roger, n'a vu la nécessité de ce pro- 
grès : « Le commerce du Sénégal, dit-il expressément, ne sera 
jamais bien considérable tant que nous attendrons les produits 
que peuvent nous livrer les Africains; la gonime exceptée, 'ce 
n'est qu'en nous enfonçant dans, le pays quie nous pourrons 
donner quelque accroissement à nos affaires : il faut aller ' au- 
devant des marchandises'». 



IV. — L'EXTENSION DES HELATIONS COMMEHCIALES. 

Pqw préparer cette extension, Boger ne sç contente pas d^ 
pousser les. ^égqciapts de Saint-Louis aux expéditions dans le 
Haut Fleuve, d'encourager les habitants de Corée h muiiiplicir 
leurs voyages dans les rivières du Sud, de favoriser et de diriffer 
dans un sens pratique des missions d'explorations comme cefies 
de Beaufort, de Duranton ou de Sauvigny : il entreprend per- 
sonnellement une véritable prospection économique du Sénégal 
et 4^ ses abords ; il voyage dans le fleuve, en Gambie, en Casa- 
mance» dans le Cayor, dans le Baol; il visite la petite Côte et 
la presqu'île du Cap Vert, et, s'il s'impose vaillamment les fati- 
gues et les dangers de ces enquêtes, ce n'est pas uniquement en 

1. En 1824, le Ministère avait déjà attiré Tattention du Gouverneur sur la ques- 
tion de la poudre d*or (D. M., 15 avril 1824). dont les Anglais semblaient tirer une 
grande quantité de Sierra-Leone; Roser avait répondu que cette question présentait 




(C. G., au Ministre, 23 août 1824). 

2. D. M., 5 mai 1826. 

3. Cité par J. Monteilhet, Une exploration du Gouverneur Roger en Sénégambie, 
p. 81, '^ 



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216 LA MISB EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

vue. d'un résultat immédiat, c'est qu'elles démontreront la 
nécessité d'une ferme politique d'expansion et permettront de 
dresser pour les Gouverneurs à venir un programme vaste et 
précis: « Un jour, écrit-il au Ministre, mes observations pour- 
ront servir et, dès à présent, elles font voir de quel dévelop- 
pement sera susceptible la colonisation du Sénégal et quelle 
peut être l'importance véritable d'un pays que 1 on apprécie 
généralement mal en France ^ ». 

^ Let pays du haut Fleuve, — Il était tout indiqué de dévelop- 
per avant tout nos relations dans le haut Fleuve : le commerce 
sénégalais trouvait là des routes, peu sûres sans doute, mais 
déjà frayées, et une clientèle qu'il semblait facile d'étendre. 

Dès sa prise de pouvoirs, Roger- annonce nettement son 
intention de faire servir le commerce sénégalais du haut Fleuve 
à la pénétration de TAtrique inlérieuie et à la conquête écono- 
mique des régions soudanaises, et il se réjouit à la nouvelle 
Sue les négociants renoncent à renouveler en 1823 la Société 
e Bakel: « Il fallait, avec une société, se résoudre à n'avoir à 
Bakel qu'une escale pour la traite de la gomme : avec la con- 
currence, au contraire, il y a lieu d'espérer établir là un véri- 
table comptoir dans lequel, outre de la gomme, on se procu- 
rera d'autre produits^ ». 

Ce n'est pas qu il soit résolument hostile au principe d'une 
association privilégiée pour le commerce très spécial du haut 
paya : il y verrait même maint avantage ; mais telle Qu'elle a été 
congue par les négociants de Saint-Louis, la Société de Bakel 
ne répond pas à ses vues d'expansion, elle vise à des fins trop 
immédiatement pratiques : « Une Société ne serait utile qu'au- 
tant qu'on la soumettrait à des conditions qui fissent tourner 
son monopole passager au profit du commerce général, comme 
par exemple: construction ae plusieurs comptoirs armés sur di- 
lérents points que j'indiquerai, nécessité de faire exécuter 
annuellement un certain nombre de voyages par caravanes dans 
l'intérieur du pays, obligation de former un établissement dans 
le Bambouk, etc. » Il semble, d'ailleurs, que le commerce du 
pays de Galam ne soit pas encore « assez considérable pour 
qu'une société se charge d'aussi grandes dépenses », et c'est pour- 
quoi, du moins jusqu'à nouvel ordre, « la concurrence est pré- 
férable*». 

Loin de diminuer l'importance des expéditions, le rétablisse- 
ment de la libre concurrence semble, au contraire, devoir l'aug- 
menter. Plusieurs « négociants et habitants » se proposent, en 
1822, d'envoyer des bâtiments à Galam sous l'escorte des bâti- 
ments du Roi; l'un d'eux, M. Potin, organise «une expédition 
considérable et presque égale à celles que la Société a faites 

1. C. G., Rapport du Ministre, 12 avril 1823. 

2. C. G., au Ministre, 6 août 1822. 

3. Ibidem, 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 217 

jusqu'à présent », et il y fait participer « toutes les personnes 
qui ont désiré y prendre un intérêt » ; ainsi se trouvent réunis 
«les avantages que pouvait offrir l'association aux avantages 
qui résultent normalement de la concurrence ». 

En cette même campagne, le Commandant du poste de Bakel, 
Hesse, affaibli par deux ans de séjour, est remplacé par le capi- 
taine Garçon, qui avait beaucoup voyagé, «notamment dans 
rinde», et qui semblait particulièrement disposé à seconder 
les intentions du Gouverneur : « Il montre, écrivait Roger, beau- 
coup de désir de profiter de sa nouvelle situation pour actiuérir 
sur le pays peu connu qu'il va habiter des renseignements utiles : 
il se promet de diriger, par le moyen des indigènes eux-mêmes, 
des explorations dans l'mtérieur et d'attirer des produits avan- 
tageux à notre commerce^»... 

Les expéditions de 1822, 1823 et 1824 ne furent pas inquiétées 
par les riverains; il suffit à la suite de menus incidents dans le 
Fouta, que le Gouverneur réduisît les coutumes dues h TAlmamy, 
pour que tout rentrât dans l'ordre. Les quantités de gomme trai- 
tées étaient fort satisfaisantes, les achats d'or et d'ivoire mar- 
quaient une progression sensible. Enfin, l'escale deMakhandi 
en amont de Bakel, bien qu'il n'y séjournât qu'un petit bâti- 
ment, avait attiré plus d'ivoire et d'or que celle de Bakel :^ il 
semblait donc qu'on dût y chercher de préférence les produits 
variés du haut pays et voir dans ce fait un encouragement à 
porter les opérations commerciales plus avant dans l'intérieure 

Ces résultats, pourtant, ne satisfont pas Roger. Il s'aperçoit 
que les commerçants sénégalais, livrés à eux-mêmes, se conten- 
tent de profits médiocres et se résiçnent à une vie inquiète dans 
le haut Fleuve comme ils font depuis si longtemps dans les basses 
escales : on ne peut guère compter sur leurs initiatives pour 
s^avancer, d'étape en étape, au cœur du continent. D'autre part, 
si les relations politiques avec les peuples du haut pays sont aussi 
bonnes que possible, « cet état pacifique n'est relatif qu'à nous : 
car ces peuples se font entre eux une guerre plus active et plus 
persévérante que jamais et ces divisions intestines nuisent beau- 
coup à l'extension de notre commerce » '. 

En vue d'étudier de près cette situation et de « fixer le Gouver- 
nement tant sur les emplacements les plus convenables pour 
former des établissements que sur les véritables ressources du 
pays et sur les moyens de les exploiter », Roger se promettait 
d'aller passer trois ou quatre mois à Galam^; pris par d'autres 
travaux, il ne put mettre son projet à exécution, mais, sur ces 
entrefaites, les négociants de Saint-Louis vinrent lui soumettre 
un nouveau projet d'association pour le commerce du haut 
Fleuve, et il crut trouver dans cette circonstance l'occasion d'en- 



1. C. G., au Ministre, 6 août 1822. 

2. C. G., au Ministre, 11 novembre 1822,13 août 1823 et 24 Janvier 1824, 

3. C. G., au Ministre, 11 novembre 1822. 

4. C. G., au Minlstr», 14 août 1823. 



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218. LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

treprendre immédiatement rexécution de son programme d'ex- 
pansion. 

Les actionnaires demandaient un privilège de cinq ans. Roger 
le leur refusa d'abord, n'autorisa l'association que pour un an et 
décida en outre que le haut Fleuve resterait ouvert à la libre 
concurrence d'août à janvier, c'est-à-dire pendant la période des 
hautes eaux^. Mais il les amena peu à peu à admettre, en retour 
d'un monopole de longue durée, la possibilité de certaines char- 
ges, et en 1824, il demanda au Ministre d'approuver les statuts 
d'une « Société anonyme pour le commerce du haut Fleuve », 
tout à fait conforme à l'ensemble de ses vues économiques et 
politiques. 

Cette Société, qui devait prendre le nom de « Société commer- 
ciale et agricole de Galam et de Oualo », avait pour objet « d'ex- 
ploiter pendant quatre ans le commerce dû haut du fleuve, de fon- 
der un établissement de culture dans le Oualo et d'y traiter des 
gommes hors du temps de l'ouverture des escales». Elle était 
donc assurée de bénéfices considérables ; elle pouvait, sans risque 
de faillite, supporter la dépense d'installations solides, d'explo- 
rations suivies, de précautions militaires contre les menaces des 
voisins belUqueux, et le privilège dont elle jouissait devait être 
compensé par les obligations suivantes : 

l^ Construction de deux comptoirs fortifiés : l'un sur rempla- 
cement de l'ancien fort Saint-Joseph, plus haut que Bakel, 
l'autre, vers la première cataracte ou sur les bords de la Falémé, 
« comme moyen de pénétrer aux mines de Bambouk »; 

2^ Organiser une caravane pour tenter d'introduire les mar- 
chandises françaises dans l'intérieur de l'Afrique et de préfé- 
rence à Tombouctou; 

3® Employer tous les moyens praticables pour attirer sur nos 
établissements les produits de l'intérieur et même pour les 
envoyer recueillir au loin. 

Nulle opposition, notait Roger, n'était à craindre de la part de 
l'ensemble de la population : du reste, le commerce du haut 
Fleuve restait ouvert à la libre concurrence du 1®' août au 31 
décembre *. 

Le Ministre approuva la décision du Gouverneur, et les affai- 
res commerciales de la Société furent tout de suite prospères. 
Malgré des frais énormes d'installation, les bénéfices nets, dès 
182d, atteignaient au moins 14 o/o '. 

Gorée, centre de cabotage. — Roger ne s'intéressait pas moins 
au progrès de notre commerce et de notre influence dans les 
rivières du Sud qu'à la pénétration du Haut-Sénégal et du Sou- 
dan. Tandis que les produits du haut Fleuve devaient enrichir 
Saint-Louis, ceux du « bas de la côte » pouvaient sauver Gorée 

1. C. G., au Ministre, 14 août 1823. 

2. C. a., au Ministre^ 9 août 1824. 

3. G. O., au Ministre, 16 décembre 1826. 



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Le DévELOPt»EMÊNt DES CULtURES 219 

de la ruine et transformer la vieille captiverie en un marché 
pourvu de produits riches. 

La pauvreté de Gorée, maintes fois signalée par les prédéces- 
seurs de Roger ^, avait fini par émouvoir la pitié du Grouverne- 
ment métropolitain, et, par une décision royale du 7 janvier 
1822, un entrepôt venait d'être créé dans Tîle : d'une façon 
générale, toutes les marchandises étrangères à l'Europe pou- 
vaient désormais y être apportées par les navires de tous pavil- 
lons, moyennant le paiement de certains droits*; le régime de 
l'exclusif était absolument maintenu pour Saint-Louis, où l'on 
ne continuerait à recevoir « que des denrées et marchandises 
provenant du sol et des fabriques de France, ou des denrées colo- 
niales françaises tirées des entrepôts fictifs du royaume'». 

Le privilège était appréciable, et Roger, au moment de sa 
prise de pouvoirs, représentait aux Goréens les devoirs qu'en 
retour de cette faveur ils devaient s'imposer : « Votre île, 
disait-il, devient le siège d'un entrepôt commercial et libre, plus 
étendu que vous ne l'avez jamais demandé vous-même... D ho- 
norables moyens d'occuper votre industrie et de pourvoir au 
bien-être. de vos familles vous étant désormais assurés, aous ne 
regretterez pas le trafic des esclaves prohibé par les lois de tou- 
tes les nations civilisées*», et il invitait leur commandant à 
secouer « cet esprit d'insouciance et surtout de timidité qui 
caractérise tout leur commerce* ». 

Il ne néglige nulle occasion de stimuler leur activité, leur 
signale à tout propos les entreprises qui s'offrent à eux *, et il 
lui semble un moment que ses efforts ne demeurent pas tout à 
fait vains : un progrès matériel apparaît, les maisons en ruines se 
réparent, les embarcations se reconstruisent à l'aide de bois 
américains; du même coup, les esprits se calment, font preuve 
« de douceur, de subordination et de sentiments loyalistes », et 
aies regrets souvent manifestés pour la domination anglaise 
s'apaisent»^. 

Mais cette renaissance ne va pas plus loin, et Roger désespère 
de faire de Gorée un port vraiment actif, le centre du cabotage 
sur la côte occidentale d'Afrique, le point de départ d'impor- 
tantes expéditions aux rivières du Sud : a Molle, indolente et 
d'ailleurs pauvre, écrit-il vers la fin de son séjour au Sénégal, 
cette population est incapable d'étendre par elle-même ses rela- 
tions, ses ressources commerciales et d'améliorer son existence. 
Aussi n'a-t-elle pu donner ni mouvement ni importance à l'en- 
trepôt ouvert à Gorée. Elle y a trouvé un peu plus de facilité 

1. Cf. notamment C. G., au Ministre, 21 mai 1820. 

2. Par exemple, fr. 35 par kilogramme de sucre ou de café; fr. 65 par 100 kilo- 
grammes de taoac en feuilles; fr. 20 par hectolitre de vin. 

3. D. M.» 17 janvier 1822. 

4. C. G., aux habitants de Gorée, 4 mars 1822. 

5. G. G., au Commandant de Gorée, 27 décembre 1822. 

6. G. G., au Commandant de Gorée, 15 novembre 1822; C. G., au Ministre 
13 mars 1823. 

7. C. G., au Ministre, 13 mars 1823. 



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^20 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

pour les misérables changes qui se font sur la côte; mais il ne 
faut attendre d'elle aucune combinaison commerciale qui exige 
quelque complication... Pour que l'entrepôt produise tout son 
effet, pour qu'il fût utile au commerce général, il serait néces- 
saire qu'une maison solide, dirigée dans des vues étendues, par 
des hommes actifs et entreprenants, vînt remuer et féconder ce 
malheureux pays » ^. 

Dans le Saloum. — Les projets. du gouverneur Roger sur les 
rivières du Sud se trouvaient fort compromis par cette invin- 
cible nonchalance. Par ailleurs, ils se heurtaient à un obstacle 
singulièrement résistant: la rivalité anglaise. 

Roger se proposait, par exemple, de faire confirmer les droits 
de la France sur la côte et la rivière du Saloum, où les caboteurs 
de Saint-Louis et surtout de Gorée allaient acheter du mil, 
de la cire, des peaux, de l'ivoire : un traité en forme avait été 
passé, en 1785, entre le gouverneur de Repentigny et le roi du 
Saloum, et nous étions autorisés, en principe, à établir un com,p- 
toir, des cultures et même un poste militaire aux abords du 
pays. 

Mais les Anglais, vers le même temps, multiplient leurs expé- 
ditions dans le Saloum, y traitent les mêmes produits que nous 
contre des marchandises à meilleur marché et vont jusqu'à se 
permettre d'interdire l'accès de la rivière aux bâtiments de nos 
traitants. Les Goréens se plaignent^ Roger en réfère au Ministre, 
et le Ministre ne peut qu'avouer son impuissance*. 

Du moins Roger n'abandonne-t-il pas la partie : sans attendre 
que nos droits soient plus nettement fixés, il entreprend de faire 
explorer le pays de Saloum, « pour savoir ce que le commerce 
en pourrait tirer et quelles sont les dispositions des chefs et des 
habitants relativement aux Français ». Il estime surtout utile 
de «tracer l'itinéraire de Saint-Louis au pays de Saloum par 
terre », et de déterminer en même temps « si, comme l'annoncent 
certains voyageurs, la rivière de Saloum ne serait réellement 
qu'une branche de celle de la Gambie, ou si, du moins, il existe- 
rait une communication navigable entre ces deux rivières : dans 
ce cas, en exécutant le projet d'établir un comptoir à Saloum, 
on y pourrait traiter une partie des produits qui dépendent 
de la Gambie ». 

C'est Sauvigny, élève-voyageur du Muséum d'histoire natu- 
relle, envoyé au Sénégal comme botaniste-agriculteur, qui 
est chargé, sur sa demande, de cette exploration. Les dépenses 
de la mission sont « peu considérables » : elles consistent « en 
paiement d'un guide, en achat d'une bête de somme et en quel- 
ques objets pour vivres et présents aux indigènes ». Grâce à 
cet attirail modeste, Sauvigny poursuit sans encombre son 
voyage et rapporte du Saloum une importante documentation 
géographique et économique ^ 

1. G. G., au Ministre, 31 mai 1826. 

2. G. G., au Ministre, 5 juin 1822 et 13 mars 1823. 

3. G. G., au BUnistra, 5 Juin 1822. 



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LE DEVELOPPEMENT DES CULTURES 221 

En Gambie. — La concurrence anglaise n'était ni moindre 
ni plus courtoise en Gambie que dans le Saloum;.eUe y était 
même d'autant plus vexatoire que nous possédions là un éta- 
blissement régulier, le comptoir d'Albréda, en face du comptoir 
anglais de Sainte-Marie. 

Nous entretenions à Albréda un résident, dont la concession 
comprenait « une maison d'assez bonne apparence » et un terrain 
d'environ un arpent; au temps de Roger, des négociants de 
Gorée y avaient bâti trois autres maisons, et des Manding, 
surtout occupés de commerce, avaient installé à proximité une 
cinquantaine de cases. L'emplacement avait été bien choisi, 
dans un paysage agréable, sur une baie d'accès facile et abon- 
damment pourvue d'eau douce. La population indigène parais- 
sait être plus attachée aux Français qu'aux Anglais, et si nos 
commerçants avaient disposé de « moyens d'échange » plus 
abondants, les produits auraient afflué à notre comptoir. Vers 
1825, en un an, malgré le peu d'empressement des ôoréens et 
toutes sortes d'embarras, notre commerce y avait acheté pour 
30.000 francs d'or, 50.000 francs de cire, 40.000 francs de cuirs, 
25.000 francs d'ivoire, du mil et du riz; en outre, « une contre- 
bande toute à notre avantage s'était établie avec les Anglais, 
qui recevaient de nous beaucoup de vins, de corail et quelques 
autres objets... quand ce ne serait que sous le rapport de ce mode 
d'écoulement de nos produits, remarquait Roger, le comptoir 
d'Albréda serait un établissement commercial dont on ne pour- 
rait pas contester l'utiUté. On en tirerait aussi des bois de cons- 
truction et du bois rouge propre à l'ébénisterie ^. 

Le gouvernement anglais supportait impatiemment ce voi- 
sinage et, par tous les moyens possibles, essayait de décourager 
nos traitants : depuis 1822 environ, les Anglais de Sainte-Marie 
obligeaient nos bâtiments à mouiller devant leur comptoir et 
les capitaines à porter les rôles d'équipage et autres papiers de 
bord au Commissaire anglais qui les gardait jusqu'au retour 
d'Albréda*, de sorte que le résident français n'avait plus de 
moyen légal « pour exercer aucune poUce sur notre navigation 
et pour la surveiller convenablement, ni sous le rapport de la 
douane ni sous celui de la répression de la traite des noirs • ». 

Pour enrayer ce mauvais vouloir, Roger n'était guère armé : 
il savait que la Métropole voulait éviter toute occasion de conflit 
avec l'Angleterre et lui-même tenait à rester « en très bonnes 
relations de voisinage avec les autorités angla'ses sur la côte 
d'Afrique ». Il prend le parti d'user de diplomatie, d'amabilité : 
il recommande la patience aux Goréens et la souplesse au rési- 
dent d'Albréda*; il entretient soigneusement l'amitié du chef 

1. G. G., au Ministre, 31 mai 1826. 

2. G. G., au Ministre, 13 mars 1823 et 2 novembre 1825. 

3. C. G., au Ministre, 31 mai 1826. 

4. Cf. notamment G. G., au Ministre, 15 juin 1823 et 27 janvier 1824; G. G., au 
Commandant de Gorée, 30 mai, 4 et 14 juillet, 5 août, 2 novembre, et 19 décembre 
1823, 4 juin et 6 juillet 1824. 



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•2à^ LA MtsË EN Valeur du senêgal de 181? a l8&4 

indigène, le roi de Bar, lui propose de faire élever ses enfants 
à\ix Irais du Sénégal, le met en* garde contre les excitations des 
Ançlais^; puis en 1825, il se rend dàiis le pays : ir obtient que 
'les bâtii!nents français soient dispensés de s'arrêter devant Sainte- 
Marie et de déposer d'autres papiers que leurs rôles d'équipage K 

A son retour il propose au Ministre de donner à ce poste 
intéressant une importance nouvelle. «Je connais trop, écrivait41, 
et les circonstances de notre possession d'Albréda et les vues 
d'économie du Gouvernement pour penser à proposer de for- 
mer sur ce point un grand établissement et d'y élever des forti- 
fications. Mais je crois qu'il serait facile et peu dispendieux de 
donner quelque sécurité au commerce» sans trop éveiller la 
jalousie anglaise. Il suffirait, en effet, d'entourer le comptoir 
d'un siinple mur, derrière lequel les hommes et les marchandises 
se trouveraient une retraite en cas de mésintelligence avec les 
Manding, d'inquiétudes ou d'attaques. Par suite, derrière 
nos murs, on pourrait se ménager peu à peu le moyen de ren- 
trer dans nos anciens droits. Cette considération est éloignée sans 
doute, elle n'est que très secondaire, mais il convient surtout à 
un gouvernement de voir de loin, de préparer ses chances pour 
l'avenir. • )> 

En somme, grâce à Roger, notre comptoir d'Albréda gardait 
quelque activité, et tout espoir d'en faire un établissement flo- 
^ rissant n'était pas perdu. 

En Casamance. — Nous n'avions en Gasamance, avant Roger, 
aucun établissement. Roger visite le pays en 1826, pour vérifier 

Sàr lui-même «ce qu'il serait possible au commerce de retirer 
e cette contrée et reconnaître s'il conviendrait d'y élever un 
comptoir et d'y placer un agent français comme on l'a souvent 
proposé ». 

La beauté de la végétation, la «douceur, la bonté vraiment 
incroyable», l'intelligence et les «dispositions pour la dvîli- 
satioi^ » des Diola, le rizières soigneusement aménagées, les 
riches forêts, tout l'enchante dans ce pays délaissé. Il apprend 
en outre qu'on y trouve de l'ivoire, de la cire brute, des cuirs, 
de l'huile de touloucouna, etc..., et il y voit, non sans raison; une 
colonie du plus bel avenir. 

Pour 'le moment, le meilleur moyen de l'exploiter lui' paratt 
être « dé traiter avec les Portugais, de leur acheter les produits 
qui descendent du haut de la rivière ou de ses affluents, et de 
leur fournir les ma chandises nécessaires à leurs échanges »; Les 
Portugais nous interdisent en effet la navigation au^^dessus de 
' Ziguinchori à quinze lieues de l'estuaire, et frappent nos mar- 
chandises d'un droit énorme de 24 <>/o. Mais ils mènent en Casa- 

1. C. G., au Gommandaivt de Corée, 26 juin et 14 julDet 1822: au Ministre. 
16 juin 1823^ et 27 janvier 1824. 

2. C. G., au Ministre; 31 mai et 13 jUiHet I8M. 

3. C. G., au Ministre, 31 mai 1826. 



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LE DéVELOPPBMENt bES CULTURES ^20 

mance une existence misérable : leur capitale, Ziguinchor, fondée 
depuis plus de cent ans, est formée de cases « qui ne valent pas 
même celles des indigènes », ils ne reçoivent jamais de navires 
d'Europe et il . se prêteront volontiers à des échanges; en outre, 
la contrebande, par les marigo s qui aboutissen au fleuve, « est 
1res facile» : de négociants adroits, actifs, parviendraient ainsi 
à placer très avantageusement des produits de France et à 
s'emparer de presque toutes les denrées de l'intérieur du pays : 
Ici Portugais ne seraient en quelque sorte que leurs traitants». 

Il conviend ai . donc d'installer à l'embouchure de la Casa- 
mance. à deux ou trois lieues au-dessous de Ziguinchor, une 
sorte d'entrepô , et le village de Guimbéring paraît spécialement 
désigné à cet emploi. C'est là que le Gouvernement du Sénégal 
pourrait placer. « pour commencer, un facteur, un agent non 
officiel mais commercial, de tiné à veiller su; les intérêts des 
França s qui y porteraient leurs péculations, et à préparer un 
établissement qui bientôt pourrait devenir considérable et qui 
anéantira'! aisément le compoir pauvre et sans r ssources des 
Portugais ». 

Il i st vrai que, selon Roger, l'exécution de ce projet n'est pas 
urgente : « Nous n'avons pas encore assez d'intérêts en Casa- 
mance, et rien n'est préparé pour nous en créer ». Mais il demande 
au Ministre d'en approuver « le principe » et de laisser à l'auto- 
rité «locale quelque latitude pour l'exécution lorsque les circons- 
tances le permettront... Pour moins de 3.000 francs on pourrait 
faire cet essai la première année. Un mulâtre du Sénégal, deux 
nègres, une pirogue et la location d'une case en feraient tous 
les frais * »>. 

L'attention du Gouvernement métropolitain et du Gouver- 
nement local était désormais attirée sur la Casamance, et le 
plan de Roger ne devait pas ta der à se réaliser au-delà de ses 
espérances. 



Dana Vinlérirur du SénéffaL — C'est enfin Roger qu* le pre- 
mier a signalé avec précision l'intérêt économique des régions 
intérieu es du Sénégal, qui constituent aujourd'hui la meil- 
leure partie de notro domaine : l'arrière-pays de la petite Côte, 
où il serait aisé de créer « à nos établissements d'Afrique un 
appendice qui pourrait devenir intéressant », le Baol, le Cayor 
où il est si désirable que la France, « en formant un jour des éta- 
blissements utiles pour elle, puisse améliorer aussi le sort de 
la population ». 

Sans doute une telle entreprise exige-t-elle « de grands déve- 
oppements de moyens » : elle obligera probablement la France à 



1. C. G., au Ministre, 31 mai 1826. 



BAftOT 



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224 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

« entrer dans les voies de guerre et de violences » et, bien que 
le succès soit assuré, Roger sait bien que le Ministère ne voudra 
rien entendre sur ce point. Il se borne donc à faire prévoir une 
expansion pacifique, une sorte de conquête morale : « Le temps 
qui détruit crée aussi. Il faut laisser les projets, dont Texécution 
est commencée sur les rives du Sénégal, porter leurs fruits. Il 
ne peuvent pas réussir sans changer la face du pays, sans opérer 
sur la population plus que sur le sol même... Les cultures, et 
la civilisation qui est leur résultat, occuperont la totalité de la 
Sénégambie. Cette heureuse révolution s'opérera au profit de 
la France, car la côte étant d'un difficile accès, aucun port n'y 
étant pratiquable, tous les débouchés se feront par Saint-Louis 
et Gorée h. 

En dépit d'un optimisme qui n'était d'ailleurs qu'en façade, 
cette prédiction — ou ce programme — concorde par b?en des 
points avec l'histoire de la formation du Sénégal. 



Les institutions commerciales. 



En même temps qu'il réveillait l'activité du commerce séné- 
galais, Roger s'appliquait à le libérer des routines, à le pour- 
voir d'une organisation moderne et d'institutions régulières; 
il s'efforçait de lui communiquer un peu de son propre esprit 
de recherche et de lui inspirer une conception plus large de l'asso- 
ciation. Sous son impulsion, la place de Saint-Louis cesse vrai- 
ment d'être le vieux comptoir dont les opérations manquent 
d'ampleur et de méthode : elle ressemble de plus en plus aux 
grandes cités commerciales de la Métropole; il lui arrivera même, 
nous le verrons, de marcher en ce sens plus vite que ne l'eût 
voulu Roger. 

Roger suggère aux commerçants de Saint-Louis l'idée de se 
mettre en relations directes avec le grand commerce de la Métro- 
pole, afin de faciliter et d'étendre les opérations commerciales 
hors de la tutelle administrative : il transmet au Ministre, en 
le priant de la recommander particulièrement à l'attention des 
intéressés, une circulaire par laquelle les principales Chambres de 
commerce du royaume sont sollicitées de nommer chacune à 
Saint-Louis des « fondés de pouvoir », autorisés « à couvrir les 
risques de leurs opérations maritimes tant avec la Métropole 
qu'avec les différents ports de la colonie et les comptoirs étran- 



1. C. G., au Ministre, 12 avril 1823. 



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LE oéVEtOt^PBlllBNt DBS CÙLTUt^ES ^225 

gers qui Tavoisinent^». Mais le Ministre de Tlntérieur, consulté, 
répond « que l'autorité ne pourrait, sans inconvénient, intervenir 
dans des arrangements de cette nature, qui sont tout à fait 
d'intérêt particulier*», et il semble bien que Taffaire, du moins 
sous cette .orme, n'eut pas de suite. 

Mais le Ministère, quelque temps après, eut à caser un certain 
Gantefort, recommandé par le duc d'Orléans, et il proposa de 
lui-même la création d'un emploi de « courtier de commerce et 
d'agent de change à Saint-Louis • ». Bien que cette création lui 
parût utile et répondit en somme à son intention de régulariser 
et de centraliser les rapports entre le commerce métropolitain et 
le commerce sénégalais, Roger ne se rendit pas sans résistance 
au désir du Ministre : Gantefort avait en effet à Saint-Louis la 
réputation d'un homme d'affaires peu se ieux, endetté, sans 
crédit; bien entendu, le Ministre l'emporta^. Mais le protégé du 
duc d'Orléans mourut la même année, et Roger s'empressa de 
régulariser l'institution au profit d'un candidat plus digne*. 

La création d'établissements de crédit était d'un intérêt beau- 
coup plus général. Roger, soutenu par de nombreux négociants, 
pensait que l'institution d'une caisse d'escompte introduirait 
dans le commerce de la colonie « des habitudes d'ordre et de 
régularité, l'emploi du papier de circulation et les usages com- 
merciaux de la civilisation...»*. 

D'accord avec le Ministère, il établit donc un projet de « Caisse 
d'escompte et de prêts », sur le modèle de la Caisse d'escompte 
fondée à l'tle Bourbon par ordonnance du 14 mai 1826, mais 
avec « les modifications qu'exigent les localités ^ ». Il propose que 
le capital primitif de la Caisse soit fixé à 300.000 francs avec 
faculté de le porter, selon les besoins, à 400.000; ces 300.000 francs 
de mise de fonds, le commerce local eût bien voulu les obtenir 
du Gouvernement métropolitain, mais Roger jugeait cette 
démarche inutile, et il se contentait de demander au Gouverne- 
ment de fournir la moitié du capital; le reste serait divisé en 
150 actions pour lesquelles une souscription serait ouverte à 
Saint-Louis. La moitié des administrateurs serait choisie 
parmi les négociants et nommée par les actionnaires; l'autre 
moitié serait à la nomination du Gouverneur; il y aurait en 
outre, pour assurer le contrôle, un Commissaire du Roi. 

1. C. G., au Ministre» 22 mars 1822. 

2. D. M., 7 août 1822. 

3. D. M., 1" avril 1824. 

4. D. M., 1" avril 1824; C. G., au Ministre, 11 avril et 2 juin 1824. 

5. C. G., à M. Martin, président du Comité de Commerce, 12 décembre 1824. 
L'agent de change-courtier de marchandises ne pouvait exiger des personnes qui 

remployaient c]ue les rétributions suivantes :1 «/e de courtage sur le montant des 
ventes et livraison de marchandises; l»/* sur le montant des affrètements de navi- 
re»; l/4»/« sur le montant des négociations de papier de commerce. 11 lui était 
alloué en outre 60 francs par tonneau de Jauge pour rexpédiUon des navires, quand 
les capitaines requerraient son ministère; fi lui éUit interdit de faire des ventes 
publiques et notamment des ventes aux enchères. II ne pouvait s'occuper d^aucune 
espèce d'affaires pour son compte, soit directement, soit hidirectement (Jbid.), 

6. C. G., au Ministre, 14 mai 1827. ^ 

7. D. M., 13 Juin 1826. 



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226 Là MiSfi EN VALÊÛh t>U SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Le taux de l'escompte devait être fixé à 6 ®/o, outre la com- 
mission, bien que le commerce local insistât pour le fixer à 12 ®/o 
et voulût par là « faire sanctionner en quelque sorte Tusage 
(qu'il avait) de prêter à 12 <>/o, — usage qui paraissait injuste 
et, sous tous les rapports, contraire aux intérêts agricoles et 
commerciaux du pays ». 

Quant à la durée du privilège, qui était de quinze et vingt ans 
à Bourbon et à la Guadeloupe, il semblait suffisant pour le Séné- 
gal de la limiter à six ans : tel était l'avis des commerçants eux- 
mêmes, qui ne voyaient là « qu'un essai » et qui, d'une façon 
générale, a n'aimaient pas à engager leurs fonds pour trop long* 
temps » ^. 

Mais Roger rentra en France peu de temps après avoir trans- 
mis ces propositions, et son projet n'eut pas de suite immédiate. 

En toute circonstance, il s'ingénie à favoriser, à stimuler, 
à protéger aussi l'activité du commerce local. Il inaugure, au 
profit des négociants de Saint-Louis, le système des fournitures 
à l'entreprise, destiné à procurer sur place à l'administration 
certains approvisionnements qu'elle faisait auparavant venir de 
la Métropole ^ 

Il proteste au nom de ses administrés contre l'abus que le 
service sanitaire métropolitain faisait des quarantaines et qui 
portaient préjudice au commerce sans raison valable, « puisque 
le Sénégal n'est sujet ni à la fièvre jaune, ni à aucune autre maladie 
contagieuse»^. Il apporte des atténuations dans l'application 
du système métrique et notamment de la computation moné- 
taire, que le Ministère avait prévue trop rigoureuse. Il veille 
avec soin à ce que les nouvelles impositions locales * ordonnées 
par la Métropole n'entravent pas les progrès du commerce, 
réduit au minimum les patentes, évite d'imposer les maisons en 
maçonnerie, pour encourager « l'embellissement, la conservation 
et la salubrité des villes, etc. » *. 

Enfin, il fait preuve d'une remarquable énergie, toutes les 
fois qu'il s'agit de garantir la liberté du commerce. Lui, si réso- 
lument pacifique, organise une véritable expédition militaire, 
qui coûta la vie à deux officiers et trente-et-un soldats, pour 
châtier les naufrageurs du Gandiolais et les contraindre d'admet- 
tre une restriction à leur droit d'épave*. Surtout, il lutte, de 
tous les moyens en son pouvoir, contre les actes de piraterie 
dont nos bâtiments, petits et grands, sont victimes et contre 
les entraves que les Anglais, sous prétexte de réprimer la traite, 
mettent à nos transports maritimes'. 

1. G. G., au Ministre, 14 mai 1827. 

2. G. G., au Ministre, 23 août 1822. 

3. G, G., au Ministre, 5 octobre 1826. 

4. D. M., 7 janvier et 25 février 1824, 5 et 19 décembre 1826, 9 janvier 1827; 
G. G., au Ministre, 11 juin 1824 et 15 décembrô 1826. 

5. G. G., au Ministre, 18 décembre 1826. 

6. G. G., au Ministre, 7 septembre 1826. Gf. A. M. Diagne, Un pay9 de pilleur» 
d'ipaveê : le Gandiole, 

7. G. G., au Ministre, 16 mai, 3 juin et 7 août 1822; 23 mai» 5 juin. 15 juin et 
12 juillet 1823; 27 Janvier et 20 mai 1824, 31 octobre et 2 novembre 1825, 12 avrU, 
25 et 29 mai, 8 juin et 13 juillet 1826. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES f^ 

Malgré tout, Taccord était loin d'être parfait entre Roger et 
les commerçants. Il se plaignait volontiers de leur mauvais esprit, 
de leur perpétuel mécontentement, de leur «inquiétude»^; il 
s'irritait de les entendre réclamer sans cesse des diminutions de 
charges fiscales qui, une fois obtenues, ne leur servaient nulle- 
ment à étendre leurs opérations : il parvient, par exemple, « sur 
la demande instante des négociants », à faire baisser le prix de 
la poudre de traite, qu'ils présentaient comme le pire obstacle 
à leurs expéditions dans l'intérieur ou dans le Sud, mais ils ne 
profitent pas de cette mesure de faveur et négligent même d'ap- 
provisionner de poudre la colonie. « Ce fait, non par son impor- 
tance, mais par sa singularité, conclut-il, accuserait la mala- 
dresse et l'insouciance du commerce, et me paraît de nature à 
entrer dans les méditations de l'observateur et de l'homme 
d'Etat».» 

Cette mésentente prit, en maintes circonstances, une forme 
accusée: par exemple, à propos des obligations de la Société 
agricole et commerciale «, de la politique maure *, de l'organisa- 
tion d'une Caisse d'Escompte*; elle provoqua, à l'occasion 
d'un projet de Chambre de Commerce, un véritable conflit. 

Les négociants de Saint-Louis avaient adressé au Gouverneur, 
en août 1822, une pétition pour obtenir l'autorisation « d'établir 
une Chambre de Commerce dans leur ville». Roger l'avait trans- 
mise en septembre au Ministre, mais en déclarant qu'il était 
franchement opposé à ce projet : « Le commerce du Sénégal, 
écrivait-il, ne ressemble à aucun autre; il n'a que deux ou trois 
espèces de produits à exporter; il est d'une extrême simplicité 
et n'emploie que de très faibles capitaux; il est fait par des 
marchands plutôt que par des négociants; il n'a et ne peut avoir 
aucun rapport avec l'étranger; toutes les opérations de la banque 
et celles de la bourse y sont inconnues; l'on peut donc croire, 
sous ce premier point de vue, qu'il ne comporte pas les formes 
et les institutions qu'on a établies dans les principales villes 
commerciales de France». 

Ce premier argument était assez faible; mais Roger évoquait 
des dangers précis : une Chambre de Commerce à Saint-Louis ne 
pouvait, à son avis, que favoriser les intérêts des grands négociants 
européens au détriment des traitants indigènes ; or, « il est de 
la justice et même de la politique du gouvernement, de soutenir 
le faible contre le fort, sans nuire cependant à celui-ci ». 

Mais ce qui inquiète surtout le Gouverneur, c'est que cette 
institution donnerait aux négociants plus d'occasions et de faci- 
lités pour se mêler de la direction générale des affaires et consti- 
tuerait un foyer permanent d'opposition : « Le commerce se 



1. G. G., au Ministre, 13 mars 1823. 

2. G. G., au Ministre, 31 octobre 1823. 

3. Col. Il, à M. MiUe, 13 janvier 1824. 

4. C. G., au Ministre, 11 avril 1823. 

5. C. G., au Ministre, 14 mai 1827. 



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228 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

faisant chez les peuplades riveraines du fleuve, il a nécessaire- 
ment beaucoup de points de contact avec la politique. Le com- 
merce de Saint-Louis ne prend que trop de part aux relations 
que le Gouvernement établit avec ces peuplades; s'il pouvait 
figurer auprès d'elle comme corporation et par des représentants 
reconnus, son influence deviendrait trop considérable; le Gou- 
vernement échapperait par la force des choses, quoique indirec- 
tement, au commandant de la colonie et passerait à la Chambre 
de Commerce ». 

Enfin, « les négociants européens, et même quelques indigènes, 
montrent beaucoup de répugnance contre le projet de coloni- 
sation. Sans discuter les motifs de ce préjugé, que j'ai eu d'autres 
occasions de faire connaître, il y aurait lieu de craindre de sus- 
citer de nouveaux obstacles à l'exécution des projets du Gou- 
vernement, en constituant, pour ainsi dire, les opposants, en 
leur donnant une plus grande influence et une nouvelle force ». 
Il conviendrait donc « de resserrer le nœud de l'autorité, plutôt 
que de le relâcher. L'intervention des administrés dans une partie 
de l'administration, les assemblées représentatives ne convien- 
nent pas à une colonie naissante, à un pays éloigné du siège de 
l'autorité royale». 

Au reste, & quoi bon une représentation régulière du commerce? 
Le devoir que s'est imposé le Gouverneur de ne jamais traiter 
une affaire économique sans prendre conseil des intéressés n'est-il 
pas pour les négociants la plus sûre des garanties ? « Je les consul- 
terai toujours dans la personne des principaux négociants et 
habitants, je convoquerai des assemblées générales lorsque les 
circonstances me sembleront le rendre nécessaire (c'est ce que 
je vais faire, par exemple, pour préparer un règlement sur la 
traite de la gomme). Enfin, le commerce, qui n'a jamais eu de 
Chambre représentative au Sénégal, continuera de trouver dans 
le Gouvernement colonial la même prévoyance, les mêmes soins, 
la même protection qui lui ont suffi jusqu'à présent ^». 

Leur première pétition demeurant sans réponse, les négociants 
en rédigèrent une nouvelle, qu'ils adressèrent, directement 
cette fois, au Ministre et aux principales Chambres de Commerce 
de la Métropole, et qui constituait un véritable réquisitoire 
contre l'administration de Roger*. 

Roger n'eut pas de peine à se justifier '. Au reste, le Ministre 
reconnut spontanément qu'aucun de «ces griefs n'était propre 
à atténuer la confiance que le Gouvememeivt avait placée 
en lui * » ; il semblait toutefois supposer que le Gouverneur 
n'avait pas montré à l'égard des négociants de Saint-Louis, 
tout le tact et toute la prudence nécessaires. « L'expérience 
vous apprendra, écrivait-il, que l'autorité la mieux établie doit 
toujours chercher à s'appuyer sur l'affection des administrés et 

1. G. G., tu Ministre, 14 septembre 1822. 

2. D. M., 20 mars 1823. 

3. C. G., au Ministre, 30 mai 1823, 

4. D. M.» 20 mars 1823. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 229 

que c'est le plus sûr moyen de se concilier Topinion, sans laquelle 
(au Sénégal comme ailleurs) il est souvent difTicile de faire pré- 
valoir les meilleures intentions ^ ». 

Mais Roger, qui se vantait si volontiers de sa popularité, refu- 
sait d'admettre cette leçon et repoussait jusqu'au moindre 
soupçon : « L'affection des administrés, répondit-il au Ministre, 
est sans doute le plus ferme appui de l'autorité; mais si le sage 
n'a jamais pu contenter tout le monde, qui le pourra, dans le 
temps où nous vivons, au milieu des passions et du vertige d'in- 
dépendance qui bouleversent le monde ? Comment le Sénégal, 
au moment où s'y opèrent de si grandes innovations, n'aurait-il 
pas aussi et ses résistances et son opposition et ses brouillons 
et ses calomniateurs ? Quelle autorité peut s'en dire parfaitement 
exempte ? L'affection des hommes tranquilles et des honnêtes 
gens ne m'a jamais manqué. Je l'ai méritée dans ma vie privée, 
je la conserverai dans ma carrière pubfique^».Le Ministre, sur- 

f)ris de ce «ton vif», se décida à rassurer tout à fait, par une 
et* re fort affectueuse, cet administrateur trop sensible •. 

Cette blessure d'amour-propre une fois pansée, Roger ne pou- 
vait plus refuser d'examiner avec bienveillance la principale 
cause du conflit : le projet de Chambre de Commerce. Le Minis- 
tre lui avait, d'ailleurs, suggéré une solution moyenne : l'insti- 
tution d'un «Comité consultatif d'agriculture et de commerce», 
analogue à ceux de la Martinique, de la Guadeloupe, de Bourbon 
et de la Guyane française; on donnerait ainsi satisfaction aux 
négociants du Sénégal, sans leur accorder « une sorte de repré- 
sentation dans laquelle leur intérêt ne serait pondéré par aucun 
autre ^. » 

Roger, pourtant, ne se rendit pas tout de suite : « Dans la 
situation actuelle des choses... le commerce serait tout dans le 
Comité consultatif; l'agriculture n'y serait réellement pas repré- 
sentée, car elle est tout à fait naissante, elle ne peut encore exer- 
cer aucune influence; du reste, il se forme parmi les planteurs 
une Société d'agriculture... (Il n'est pas douteux) que ce soit 
un acheminement vers le Comité consultatif d'agriculture et 
de commerce* ». Enfin, au cours d'un séjour en France, et sans 
doute sous la pression du Ministre, il céda, sous réserve que 
l'arrêté portant organisation du Comité de commerce de Saint- 
Louis ne serait sanctionné par le Gouvernement central qu'après 
« une expérience de quelques mois • ». 

Le Comité se composait de sept membres désignés par le 
Gouverneur; il était présidé de droit par l'Ordonnateur et il 
avait pour mission de dresser les mercuriales, de renseigner l'au- 
torité locale sur l'état des approvisionnements, d'établir les 



1. D. M., 20 mars 1823. 

2. C. G., au Ministre, 30 mai 1823. 

3. D. M., 22 octobre 1823. 

4. D. M., 20 mars 1823. 

5. C. G., au Ministre, 30 mai 1823. 

6. 0. M., 3 septembre 1825; G. G., au Ministre, 7 décembre 1825. 



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230 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

rôles de patentes et de licences, de donner son avis sur les ques- 
tions d'ordre économique qui lui seraient soumises par le Gou- 
verneur. Son rôle était en somme tout consultatif et strictement 
commercial. 

En même temps, et sans doute avec Tarrière-pensée de contre- 
balancer rinfluence du Comité, Roger décidait que, quand le 
commerce de Gorée aurait des intérêts en opposition avec celui 
de Saint-Louis, il nommerait à Gorée des Commissions spéciales, 
prises parmi les négociants de cette ville, et il laissait espérer 
que, « quand le commerce y prendrait plus d'importance, et 
d'étendue », un Comité analogue à celui de Saint-Louis pourrait 
y être institué^. 

On voit que Roger ne désarmait pas. Le maintien de son auto- 
rité lui paraissait indispensable à la sécurité et à l'avenir du 
pays. Quand on se rappelle tout ce qu'il a tenté pour la régula- 
risation et l'expansion du commerce et qu'on oppose à son 
activité l'égoïsme* et la routine des négociants de Saint-Louis, 
on ne peut guère s'étonner de cette résistance. 



1. G. G., au Ministrei 7 décembre 1825. 

2. Gertains de ces commerçants semblaient môme pousser un peu loin le dédain 
des intérêts nationaux et entretenir des relations fort peu régulières soit avec les 
chefs indigènes du haut Fleuve, soit avec les Anglais. (Cf. p. ex. G . G. au Ministre, 
7 août 1822). 



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CHAPITRE VI 



La liquidation de l*œuvre du Gouverneur Roger. 



I. — La retraite de Roger. 

Vers la fin de Tannée 1826, le Gouverneur Roger «sentit la 
nécessité de retourner en France » et pria le Ministre « de vou- 
loir bien pourvoir aussitôt que possible à son remplacement ^ ». 

Il lui eût été « bien doux de couronner par un succès complet 
cette belle entreprise philanthropique et nationale» qu'était à 
ses yeux la colonisation du Sénégal. Mais «tant de bonheur ne 
lui était pas réservé : quel homme a commencé et terminé un 
si grand ouvrage ? » Sa santé se trouvait compromise par huit 
années de séjour dans la colonie, « huit années de voyages, 
d'explorations, de fatigues, de travaux peu ordinaires et souvent 
de maladies. « Il pouvait, sans nulle honte, laisser la place à un 
autre. 

Il n'entendait, d'ailleurs, que changer d'air : son dévouement 
demeurait acquis à la cause du Sénégal ; il pensait que son œuvre 
sénégalaise allait simplement entrer dans une seconde phase, 
non moins active et féconde que la première : « Loin de moi la 
pensée, déclarait-il au Ministre, d'abandonner une entreprise 
désormais identifiée avec ma vie, d'abandonner un pays que, 
par droit de création ou du moins d'affection, je puis nommer 
« mon Sénégal ». Je nourris au contraire l'espoir de les servir 
encore en France, de les servir peut-être mieux*. Ce que pour- 

1. C. G., au Ministre, 29 novembre 1826. 

2. Il nous est possible de préciser cet espoir. Avant de quitter la colonie, le baron 
Roger provoqua ses anciens administrés a demander que le Sénégal, dont le mou- 
vement commercial était sensiblement égal à celui de Cayenne, soit, comme Cayenne, 
pourvu d*un député (C. G., au Ministre, 8 juin 1827); le Département ne parut pas 
pressé de donner suite à cette pétition (D.M.,7 août 1827). Roger n'eut pas la patience 
d'attendre, que « son Sénéeal » fut représenté à la Chambre pour chercher un sièppe 
de député; en 1838, il était député du Loiret, et, à ce titre, membre d'une commis- 
sion chargée po l'examen du sort des esclaves dans les colonies françaises (D. M., 
3 Juillet 1838). Pourtant Roger ne rompit nullement ses rapports avec le Sénégal : 
le 14 janvier 1846, le Conseil général du Sénégal le choisit pour remplir, auprès du 
Département de la Marine, les fonctions de délégué de la colonie, en remplacement 
de CiUvé et au traitement annuel de 12.000 francs. 



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232 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

ront avoir de profitable pour la colonisation mon expérience, 
mes connaissances locales, mes vues et mon dévouement, je 
Toffre à votre Excellence. Si plus tard, si dans des temps plus 
favorables, on croyait utile que je revisse encore, à un titre quel- 
conque, les champs du Sénégal, je serais prêt à partir sans m'in- 
former des saisons. Enfin, dans tous les cas, sans doute il ne sera 
pas sans intérêt, sans utilité, que par des publications de plu- 
sieurs genres appropriées aux diverses classes de lecture*, 
j'occupe, je stimule, je redresse l'opinion publique au sujet de 
ce pays ou trop calomnié ou trop peu connu ; telle est mon inten- 
tion. Qui sait si je ne parviendrai pas ainsi à donner vers cette 
contrée un élan aux capitaux et à l'industrie ? Les destinées des 
rives du Sénégal sont et m'appellent maintenant sur les rives 
de la Seine ». 

Mais le principal motif de cette retraite, c'est que l'ouvrier 
avait terminé son œuvre: «la colonisation était fondée», «le 
problème était résolu », « il resterait ici trop peu à faire ». Roger 
estimait donc qu'il pouvait se retirer « sans honte pour lui 
« comme sans inconvénient pour la colonie », et il profitait de 
cette occasion pour résumer les résultats de son action ^. 

De grandes cultures, d'un revenu certain, ont fait leurs preu- 
ves et sont désormais passées dans les habitudes économiques 
du Sénégal. Partout, et principalement dans les sables des envi- 
rons de Saint-Louis, on trouve des champs d'indigofères « capa- 
bles de satisfaire, d'étonner les esprits les plus prévenus, les plus 
difficiles... avec les soins d'une culture bien entendue, on aura 
autant d'indigo qu'on en désirera ». Le roucouyer « commence 
à se propager, sa végétation est très belle » ; le nopal à cochenille 
« se multiplie considérablement et végète naturellement avec 
vigueur». 

Les recherches entreprises à Richard-Tol donnent la certi- 
tude qu'à ces grandes plantations peuvent s'ajouter des produits 
de culture variés et riches : « on vient de voir mûrir, à Richard- 
Tol, les premières oranges, les premiers citrons, les premières 
mangues...; l'olivier, le mûrier, continuent à s'y faire remarquer, 
ainsi qu'un grand nombre de jeunes arbres forestiers destinés 
à faire des abris pour les chemins et des brise-vents pour les 
plantations. Rien ne manque au succès de ce bel établissement 
qui est riant comme l'espérance, c'est comme l'idée-mère et le 
type de la colonisation ». 

Les industries de transformation ont marché du même pas. 
Deux indigoteries modèles sont construites, l'une pour la fabri- 
cation à la feuille sèche, l'autre pour la fabrication à la feuille 
verte. 

Mais ce qui paraît surtout remarquable dans ces résultats posi- 
tifs, c'est qu'ils représentent une transformation profonde de la 



1. Roger tint parole. Cf. supra, bibliographie, p. XXVI. 

2. G. G., au Ministre, 22 septembre et 29 novembre 1826. 



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LB DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 233 

vie économique du Sénégal, un renversement des idées et des 
habitudes locales. 

«Toutes les préventions ont cédé à la persévérance (du Gou- 
verneur) et, résultat inouï, les plus grands opposants aux cul- 
tures sont devenus planteurs eux-mêmes par Tentraînement 
de (son) exemple et de (sa) profonde conviction ». Le nombre 
des plantations particulières dépasse 40; celui des hectares cul- 
tivés 1.200 et plus de 10.000 hectares sont concédés. 

Les indigènes ne sont pas restés étrangers au mouvement, 
et le problème de la main-d'œuvre a été résolu comme les autres. 
« Plus de 1.500 nègres sont occupés aux travaux de la colonisa- 
tion : 100 sont des anciens esclaves de Saint-Louis, 300 sont des 
captifs rachetés comme engagés à temps, 1.100 environ sont des 
hommes libres loués au mois ». Ces derniers surtout sont inté- 
ressants : ils viennent « de 25 à 150 lieues pour travailler sur 
nos établissements naissants : chacun d'eux, en retournant dans 
son pays, y répand non seulement le goût déjà général des pro- 
duits d'Europe, mais aussi quelque chose de nos habitudes, de 
nos besoins, de notre industrie agricole, de notre civilisation; 
sans doute il faudra beaucoup de frottements pour polir ces 
nations, pour les rendre riches, mais il en résulte pour notre 
commerce un débouché qui tendra chaque année à s'accroître ». 

En même temps que la population prend goût à l'agriculture, 
les procédés agricoles s'améliorent, surtout « depuis la fin de 
182d». Les instruments aratoires d'Europe et la traction ani- 
male sont désormais accUmatés au Sénégal : « Environ 60 char- 
rues, des chariots, des tombereaux sont journellement employés. 
Plus de 800 bêtes de trait sont entretenues sur les établissements; 
on peut voir « cinq, six charrues labourant sur le même champ, 
sans qu'il y eût un seul Européen présent. Voilà des résultats qui 
parlent haut, qui mènent loin », et c'est une véritable conquête qui 
qui se trouve réalisée par là, « En voyant des nègres libres 
accourus de si loin sur nos établissements, conduire sur nos ter- 
res des charrues attelées de bœufs (prodiges dont ils n'avaient 
jamais eu l'idée), en les entendant pour diriger, pour presser ces 
animaux, se servir de la langue française qu'ils ne comprennent 
du reste pas encore, qui ne serait ému de la pensée qu'avec une 
agriculture libre et perfectionnée, vont pénétrer en Afrique des 
souvenirs français, des habitudes, des préférences françaises ? 
N'y a-t-il pas là de l'utile et du beau ? Le profit du commerce 
et la gloire du Monarque ? » 

Ce qui atteste par ailleurs la réalité de ces progrès, c'est que, 
parallèlement au développement des cultures, une importante 
augmentation du commerce s'est manifestée : « Quel homme 
d'Etat ne s'est jamais dit que la production abonde en France, 
que le grand besoin de notre pays c'est de trouver des consom- 
mateurs ? Eh bien, des consommateurs nous tendent les bras 
au Sénégal, instruisons-les à nous payer ». Leur « empressement 
à venir au-devant de nos produits » n'est pas douteux : « en 1816 
et 1817, il arrivait au Sénégal, année commune, 14 ou 15 navires 



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234 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de commerce; de 1822, époque à laquelle nos essais de culture 
ont conmiencé, jusqu'en 1825, il en est arrivé successivement 
par année de 34 à 51 ». 

Les exportations ont légèrement baissé en 1825, par suite 
d'une récolte déficitaire de gomme, mais les « autres branches 
commerciales... se sont améliorées, et de nouveaux produits sont 
entrés en circulation. La pêche promet beaucoup; les bois de 
la côte « voisine de Gorée » vont devenir sans doute « un objet 
important pour la colonie ». L'exportation des bœufs pour les 
Antilles s'annonce aussi comme une excellente affaire. 

Si clair que soit le succès, il est cependant plus considérable 
encore par ce qu'il promet que par ce qu'il donne, et c'est sur- 
tout a en creusant pour mettre en évidence l'esprit trop peu 
connu de la colonisation sénégalaise » qu'on peut juger « com- 
bien cette entreprise, trop isolée de l'opinion publique, est digne 
des encouragements, des faveurs du Roi ». Un merveilleux avenir 
est en germe dans les institutions présentes. 

Les cultures donnent déjà des produits abondants, mais cette 
production ne tardera pas à s'augmenter fortement : par exem- 
ple, on vient d'acquérir la certitude que « dans ce pays les indi- 
gofères produiront infiniment plus la secordo année que la pre- 
mière. Tel petit champ, qui n'avait donné l'année dernière que 
100 kilogrammes de feuilles sèches, en a produit d'une seule 
coupe cette année 6 à 700 kilogrammes ». 

En outre, « l'étendue des terrains cultivés » ne doit pas être 
limitée aux plantations entreprises sous le patronage du Gouverne- 
ment: aux «cultures françaises proprementdites», il faut «rattacher 
indirectement les grossières mais immenses cultures des indi- 
gènes ». Or, il existe « dans les établissements du Sénégal plu- 
sieurs peuplades indigènes qui ne sont pas précisément soumises 
à la France, mais qui vivent tributaires de notre commerce, 
de notre industrie et sous l'influence du Gouvernement colonial. 
On conçoit que cette population riveraine du Sénégal n'a jamais 
été et ne sera pas de longtemps recensée : sans pénétrer trop 
loin dans l'intérieur, on ne peut guère l'évaluer à moins de 
500.000 hommes. 11 faut en tenir compte, puisque ces individus 
sont déjà plus ou moins, ou ne tarderont pas à devenir des 
consommateurs pour les produits du sol ou des manufactures 
de France ». 

Cette « population immense » est, en effet, « avide de nos 
produits d'Europe»; elle ne demande «qu'à établir l'échange 
de son travail contre nos marchandises, qu'à apprendre de nous 
ce qu'elle doit faire pour avoir droit de consommer nos pro- 
duits », et elle est acquise d'avance à notre propagande agricole. 
Ce sont là des faits qu'il est difficile de faire figurer dans des sta- 
tistiques et qui seuls, pourtant, peuvent donner « une juste idée 
de l'importance du Sénégal ». 

En somme, l'œuvre est bâtie, et de main d'ouvrier; elle se 
développera d'elle-même : « Si l'on ne peut produire encore de 
ces grands résultats que de vastes étabUssements et de puis- 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 235 

santés ressources auraient pu seuls créer, au moins les choses 
en sont-elles conduites au point de faire connaître positivement 
que l'entreprise est solidement assise et que les succès en sont 
assurés... Le Gouvernement lui-même, voulût-il l'abandonner, 
ne le pourrait plus. Il est engagé, il faut absolument qull mar- 
che en avant». 

Le gouverneur Roger se croyait donc autorisé à conclure qu'il 
avait bien mérité de la Patrie et que sa retraite était fort hono- 
rable : « Rien, personne, ne me contestera la satisfaction d'avoir 
posé la première pierre, d'avoir jeté les fondements de cet édi- 
fice. J'ai créé le premier établissement; j'ai planté le premier 
arbre à fruit, j 'ai semé le premier cotonnier au milieu de la plus 
vive opposition; j'ai redoublé d'ardeur, j'ai multiplié mes efforts 
confiants, mes mains ont conduit la charrue. Quelque peu de jus- 
tice qu'on puisse rendre à mes travaux, j'en suis arrivé au point 
de sentir que j'ai créé, que j'ai donné au Roi, à la France, une 
colonie nouvelle. Le temps fera voir de quelle importance est 
cette grande porte ouverte au milieu du continent de l'Afrique * ». 



n. — Les soupçons du ministère. 

Au vrai, un lecteur attentif ne pouvait manquer de remarquer 
quelques ombres fâcheuses dans le brillant tableau que pré- 
sentait Roger : ces envolées sur l'avenir de la colonie semblaient 
bien destinées à détourner l'attention de certains aspects du pré- 
sent, les considérations générales l'emportaient de beaucoup 
sur les statistiques de production, et l'aveu d'échecs partiels 
perçait par ci par là : « Sans doute il s'en faut de beaucoup que 
toutes les plantations aient également bien réussi, soit que les 
terres aient souvent manqué des préparations convenables, soit 
que des fautes grossières aient été commises, soit que, pour 
quelques localités surtout, la saison n'eût pas été aussi favora- 
ble qu'on devait l'espérer... Je ne l'ai jamais dissimulé, avec 
le peu de capitaux et d'industrie qu'offre ce pays, la coloni- 
sation ne peut prendre une extension considérable ». Ou encore : 
« Il faut le reconnaître, tant qu'elles seront abandonnées à elles- 
mêmes, on ne doit attendre rien de bien important des petites 
plantations qui sont commencées et qui appartiennent à des 
personnes ou absolument étrangères à la culture, ou dépourvues 
de moyens, ou s'occupant uniquement de commerce. Il n'existe 
pas trois propriétaires qui vivent sur leurs établissements. 
Les autres plantations sont extrêmement mal conduites. Loin 
de se plaindre de n'avoir obtenu que des résultats peu considé- 
rables, il faut s'étonner qu'on en ait encore de semblables; en 



1. G. G., au Ministre, 22 septembre et 29 novembre 1826, 

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236 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

France, des propriétaires qui auraient opéré de cette manière 
se seraient ruinés ». 

On pouvait aussi constater, dans ce rapport de Roger sur 
Tensemble de son œuvre, d'importantes lacunes : par exemple, 
il ne disait mot du coton, qui Tavait si fort occupé; il célébrait 
la belle végétation du nopal et du mûrier, mais il passait sous 
silence la cochenille et le ver à soie, sans quoi le nopal et le mûrier 
ne présentent pas d'intérêt, etc. Il semblait, en somme, que, sur 
bien des points, Roger fit montre d'une excessive discrétion. 

Le Ministère devait être d'autant plus porté à s'en inquiéter que 
les résultats immédiats, c'est-à-dire les chiffres de production, 
à quoi il tenait par-dessus tout pour fortifier sa politique colo- 
niale devant le Parlement et l'opinion, étaient loin de corres- 
pondre aux belles promesses de Roger et aux sommes dépensées 
pour la colonisation. Ainsi, de 1822 à 1825 inclus, l'exportation 
du coton égrené n'avait pas atteint le chiffre de 50.000 kilo- 
grammes, « et cependant, c'est à la culture du coton que les 
primes et les encouragements ont été surtout prodigués » ; en 
plus du coton, le Sénégal, au cours de ces trois années, n'avait 
exporté qu'une quantité insignifiante d'indiço, aucun autre 
produit agricole ne figurait parmi les exportations, dont le total 
avait tout juste atteint 188.000 francs, tandis que les dépenses 
de colonisation s'étaient élevées à 1.250.000 francs. Dans l'éta- 
blissement de son bilan, Roger ne sauvait l'équilibre qu'en fai- 
sant aux recettes à venir une part vraiment large *. 

Mais ces recettes à venir étaient elles-mêmes contestées, et 
c'est surtout cette « opinion défavorable » qui gênait le Minis- 
tère. Les critiques formulées dans la Métropole étaient sans doute 
« peu importantes ». puisqu'elles ne pouvaient être fondées que 
sur des bruits ou des idées préconçues; l'opinion qui persistait 
(( sur les lieux » semblait beaucoup « plus inquiétante ». Quoi que 
pût en dire Roger, la colonisation, en effet, comptait encore au 
Sénégal des ennemis résolus : on s'indignait notamment de voir 
qu'un planteur, le sieur Boucaline, avait touché plus de 25.000 fr. 
de primes pour des plantations de coton et n'avait pas livré 1.000 
kilogrammes de coton égrené à l'exportation; on signalait, — 
non sans raison — que le Gouverneur avait évité de communiquer 
au Ministre les statistiques de 1826, qui accusaient une vraie 
faillite des cultures; on surnommait Roger «le Grand Primi- 
vore » ; on considérait la colonisation « comme un roman qui a 
servi à l'élévation de M. Roger et qui a coûté à la France deux 
ou trois millions », et l'on ajoutait que, sous le gouvernement de 
Roger, « tout ce qui se rattachait à cette entreprise » avait été 
frappé « de langueur », que « dans ses rapports avec les indigènes, 
sa faiblesse était telle qu'ils avaient fini par croire à notre impuis- 
sance et pour ainsi dire à leur supériorité», etc.*. 

Ces critiques, auxquelles le Ministre faisait allusion dans un 

1. A. A. 43. Rapport au Roi, 4 mars 1827; Instructions à Gerbidpn, 10 avril 1827, 

2, Arch. col., Sénégal, XVIII (Personnel), note confidentielle sur le baron RogeTt 



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LE DEVELOPPEMENT DES CULTURES 237 

rapport au Roi, étaient malheureusement fondées ; les résultats 
annoncés par Ro^er étaient exacts, mais ce qu'il passait sous 
silence représentait un grave échec, dont un observateur impar- 
tial et sagace, l'explorateur Raflenel, nous a fait connaître les 
origines ^. 

Les primes, ou plutôt le mode d'attribution des primes 
étaient cause de tout le mal. « Dès que les terrains eurent été 
concédés et que les habitants de Saint-Louis, Européens ou 
indigènes, apprirent que des primes d'encouragement seraient 
largement distribuées à ceux d'entre eux qui prendraient part 
à l'expédition agricole projetée, des habitations s'élevèrent à 
grands frais aux endroits désignés par les traités, et dans ces 
constructions, où souvent un luxe superflu se fit remarquer, nul 
ne songea aux résultats à venir. Les cultures vinrent après, et 
on les établit aussi dans des proportions géantes, sans rien pré- 
voir, sans s'inquiéter des chances de succès que l'on pouvait se 
ménager, sans même calculer si le nombre des travailleurs dont 
on pouvait disposer correspondait à l'étendue de terrain que 
l'on se chargeait d'exploiter ». 

De là des « déceptions nombreuses », auxquelles viennent s'ajou- 
ter de « véritables calamités » : inondations, qu'il eût fallu pou- 
voir arrêter par de grands travaux d'endiffuement, coups de 
vent d'est, dont il eût fallu combattre l'influence par tout un 
système d'irrieation, « avant la prise de possession des terrains. » 
Puis, dès que les planteurs s'aperçurent que la culture au Séné- 
gal exigeait tant de persévérance et de dépenses préalables, ils 
substituèrent aux efforts sincères une véritable entreprise de 
fraude: «lorsque la visite de l'Inspecteur était annoncée, des 
chefs de culture faisaient ficher en terre, pendant la nuit, des 
branches de cotonniers et d'indigofères, et à la faveur de cette 
grossière supercherie, le nombre des plants, s'accroissant facilement 
dans une proportion indéfinie, non seulement donnait droit à 
des primes d'un chiffre élevé, mais entraînait encore à faire, 
sur la prospérité des cultures, des rapports inexacts qui entre- 
tenaient une erreur déplorable. La fraude ne s'arrêtait pas là : 
elle spéculait aussi sur les travailleurs, pour percevoir des sub- 
ventions indues; on trompait les inspecteurs sur le nombre des 
travailleurs, et cela était facile, en faisant répondre à l'appel 
des hommes qui n'étaient point employés aux cultures. On allait, 
en outre, jusqu'à abuser de la hbérale rétribution qui était 
accordée pour leur nourriture : cette rétribution était fixée à 
fr. 50 par jour, tandis que la nourriture ne coûtait réellement 
que fr. 15. Les cultures furent donc, pour beaucoup de ceux 
qui y prirent part, une source de spéculations d'un nouveau genre, 
qui leur permirent de faire, aux dépens de la caisse coloniale, 
des bénéfices assurés. Quant à l'avenir du pays et à la question 
de colonisation envisagée d'un point de vue de loyauté, on vient 
de le voir par ce qui précède, peu de concessionnaires y songèrent, 

1. Voyage dam V Afrique occideniale, p. 21, note 1. 

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238 LA MISE EN VALEUR DU SENEGAL DE 1817 A 1854 

L'indifférence la plus coupable était presque une qualité, tant 
la mauvaise foi et le vol étaient communs ^ ». 

Si difficile quil lui fût de démasquer par lui-même cette frau- 
duleuse course à la prime, Roger n'était ni assez naïf pour ne 
point la soupçonner, ni assez maladroit pour persévérer dans son 
erreur, et nous avons vu qu'il tendait, vers la fin de son gouver- 
nement, à remplacer les primes à la culture par des primes aux 
aménagements agricoles et à l'exportation; mais ce changement 
de régime rompit le charme : l'année 1826 fut désastreuse, et 
Roger, pour éviter le sort de Schmaltz, jugea prudent de deman- 
der son rappel^. 

Tous ces faits ne pouvaient suffire, même s'ils se vérifiaient, 
à condamner sans recours l'œuvre de colonisation : « Le sol 
qu'on a gratuitement accusé de stérilité, les inondations pen- 
dant une partie de l'année, l'excessive sécheresse pendant l'au- 
tre, ne sont pas pour un observateur impartial des arguments 
concluants, remarque fort justement Raffenel, car il aura tou- 
jours le droit d'objecter que rien de ce qui devait être fait pour 
écarter ces obstacles naturels n'a été entrepris avec conscience »'. 

Tel fut l'avis du Ministère, (^ui posa le problème en ces ter- 
mes fort sages : « Il serait certamement trop rigoureux de juger 
irrévocablement l'entreprise d'après un semblable résultat : il 
faut savoir faire, avec M. le baron Roger, la part des difficultés 
matérielles qu'il y avait à vaincre, des préjugés qu'il y avait à 
détruire et de l'inexpérience des planteurs; mais, d'un autre 
côté, on ne peut se dissimuler que les chances de succès n'ont 
jamais été ce que l'on les avait faites pour entraîner le Gouver- 
nement à une grande colonisation * ». 

En conséquence, le Ministre décidait qu'en attendant l'arri- 
vée du successeur désigné de Roger,* « un fonctionnaire dont le 
caractère et les capacités offriraient toutes les garanties désira- 
bles » serait envoyé au Sénégal comme Gouverneur intérimaire f, 
avec mission « de chercher la vérité au milieu de cette dissi- 
dence d'opinion»', et son choix se porta sur le commissaire de 
marine Gerbidon, attaché à la Direction des colonies*. 

Selon l'avis que Gerbidon donnerait, après enquête, sur les 
ressources du sol et les dispositions de la race noire au travail 
agricole, le Gouvernement central continuerait ou non « les sacri- 
fices » et verrait dans le Sénégal une « colonie ou un comptoir* , » 



1. Voyage dans V Afrique occideniah, p. 21, note 1. 

2. Arch. coL, Sénégal, XVIIl (Personnel), note confidentielle sur le baron Roger. 

3. Raffenel, loc. cit. 

4. Instructions à Gerbidon, 10 avril 1827. 

5. Ce successeur devait être le capitaine de frégate Bargues de Missiessy, qui 
était alors Gouverneur p. i. de Cayenne et qui mourut en mer le 5 mai 1827 (AA; 
Rapport au Roi, 4 mai et 20 juin 1827). 

6. AA 1. Rapport au Roi, 4 mars 1827. 

7. Instructions à Gerbidon, 20 avril 1827. 

8. AA 1. Rapport au Roi, 4 mars 1827. 

V). Instructions à Gerbidon, 10 avril 1827. 



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LE DÉVELOPFBMBNT DES CULTURES 23^ 



m. — L'ENQUÊTE. 

Gerbidon mène son enquête avec une remarquable discrétion. 
Il a Tair de continuer fort exactement la politique agricole de 
Roger et il la contin^xe, en effet, mais à titre d'expérience. 

«Je vous prie d'être convaincus, Messieurs, écrit-il aux membres 
de la Société d'agriculture en les remerciant de l'avoir cboisi 
comme Président, que je n'ai rien tant à cœur que d'aider au 
développement des ressources agricoles que présente le Sénégal, 
développement qui doit avoir une si grande influence sur la 
prospérité de la colonie et auquel vous êtes appelés à contribuer 
puissamment par vos utiles travaux. Je n'ai pas besoin de vous 
engager à faire de la recherche des plantes, des substaxitces 
encore peu connues, l'objet de tous vos soins, comme aussi de 
vous dire que je recevrai avec le plus grand intérêt la communi- 
cation des résultats que vous aurez obtenus... »^. Il met à la dis- 
position des planteurs des chalands et des cotres pour le trans- 
port des indigofères : « Vous voyez, dit-il à Brunet, combien je 
m'empresse de satisfaire à tous les besoins des planteurs, de leur 
procurer toutes les facilités qu'ils peuvent désirer...^». Il s'in- 
téresse même, comme Roger, aux recherches purement techni- 
ques^ et il apporte une attention toute particulière à la fabri- 
cation de l'indigo^. 

Le Ministère, de son côté, paraît toujours disposé à favoriser 
l'entreprise de colonisation : il continue ses envois de plantes 
à acclimater ®, complète le matériel du laboratoire de chimie •, 
expédie des charrues et fait essayer des pompes à irrigation ', etc. 

Il veille enfin à l'attribution régulière des primés : il approuve 
le doublement de la prime à l'exportation de l'indigo, la suppres- 
sion de la prime à la culture du coton et l'augmentation de la 
prime à l'exportation de cette denrée; il «constate avec plaisir 
l'accroissement, en 1826, des plantations d'indigofères » et 
recommande de « favoriser le plus possible cette impulsion vers 
un genre de culture qui promet de récompenser fructueusement 
les efforts des habitants du Sénégal».* En 1827, il attribue à 
M. Potin, habitant de Saint-Louis, la médaille d'agriculture». 

Rien ne paraît changé non plus dans les principes de politiq/ae 
infciU^ène, dans les relations avec les peuplades riveraines, et 
Gerbidon annonce expressément à Brunet, qui était devenu, 

1. CoL III, à MM. les Membres de la Société d'agriculture» Id juin 1827. 

2. Col. III, à M. Brunet, 23 septembre 1827. 

3. Col. m, à M. Perrotet, 11 août 1827. 

4. Col. III, à M. Dejon, 21 mai 1827; Col. III, à M. Degoutin, 10 septembre 1827; 
Col. III, à M. Brunet, 10 septembre 1827 ; GoL III,à M. DegouUn, 23 septembre 1827 ; 
Cf. p. ex. Col. III, à M. Degoutin, 22 octobre 1827. 

5. D. M., 25 septembre, 16 octobre, 6, 16 et 20 novembre 1827. 

6. D. M., 20 novembre 1827. 

7. D. M., 9 et 23 novembre 1827; D. M., 11 mai et 7 décembre 1827. 

8. D. M., 14 septembre 1827. 

9. D. M., 20 novembre 1827. 



HARDY 



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240 LA BtiSfi EN VALEUtl DU SÉNÉGAL DB 18l7 A 1854 

nous l'avons vu, une sorte de directeur des Affaires extérieures 
du Sénégal, son intention de suivre la même voie que Roger*. 
Les gens du Oualo multiplient, il est vrai, les actes d'hostilité : 
digues rompues, plantations saccagées, bestiaux razziés, etc.*, 
et les rapports avec le Brak s 'enveniment •; mais le mot d'ordre 
est d'observer, non de modifier; la colonisation et tous les détails 
de politique qui s'y rattachent demeurent au pro^amme du 
Ministère, et l'œuvre du précédent Gouverneur est si peu désa- 
vouée que, le 15 août 1827, Roger est promu officier de la Légion 
d'honneur, à la suite d'un rapport très flatteur*. 

C'est donc uniquement par la correspondance de Gerbidon 
avec le Ministre que nous connaissons son avis sur les chances 
de succès de la colonisation et la poUtique qu'il convient d'adop- 
ter au Sénégal; mais cet avis est d'une parfaite netteté : « L'ex- 
périence n'a pas confirmé les espérances conçues, et le Sénégal 
ne parait pas destiné à devenir jamais une colonie à cultures * ». 

Dans les lettres ou rapports relatifs à cet échec, Gerbidon met 
tout à fait hors de cause la personne de Roger et de ses prédé- 
cesseurs : « Il est des illusions contre lesquelles il est d'autant 
plus difficile de se défendre qu'elles satisfont à des vues élevées, 
à des sentiments généreux. C'est ce qui est arrivé aux personnes 
qui, les premières, se sont occupées de la colonisation. Son suc- 
cès pouvait procurer à la France des avantages presque sans 
limites et la gloire d'avoir porté la civilisation en Afrique : elles 
se sont hâtées de croire aux apparences, à la possibilité du suc- 
cès. Il leur manquait le bénéfice du temps, qui seul pouvait 
faire connaître la vérité». D'ailleurs, l'idée «de cultiver les den- 
rées coloniales au Sénégal » ne date pas seulement de la reprise 
de possession : Adamson, Durand, Pelletan et beaucoup d'au- 
tres l'ont émise; la perte d'une partie des Antilles françaises 
et la suppression de la traite des esclaves lui ont communiqué 
une force nouvelle, et le Gouvernement central, aussi bien que 
les Gouverneurs locaux, en entreprenant cette œuvre, ont, en 
somme, fait preuve de « prévoyance ». Il est donc inutile de 
chercher des responsabilités : il suffit de constater que le Séné- 
gal, malgré «la végétation vraiment extraordinaire qui s'y 
développe dans la saison des pluies », n'a que les apparences 
de la fertilité*. 

Le sol est généralement « impropre aux cultures », il est pres- 
que partout salé, et les inondations ne fertilisent qu'une partie 
de terrain fort restreinte : « à force de travaux, d'assolements », 
on pourrait peut-être améliorer le sol cultivable, mais « pour 
en arriver là, combien de dépenses ne seraient pas nécessaires ? » 
Il y a sans doute au Sénégal quelques bonnes terres, mais elles 

1. Col. III, & M. Brunet, 24 juillet 1827. 

2. Col. III, à M. Brunet, !•' et 26 septembre 1827. 

3. Col. III, à M. Berton, 20 octobre 1827: Col. III, à M. Brunet, 6, 8 et 20 novem* 
bre 1827. 

4. AAl, rapport au Roi, 15 août 1827. 

5. G. G., au Ministre, 25 août 1827. 
5, IbUkm, 



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LE DèVELOPPfiMfiNT DES CULTURES 241 

appartiennent aux indigènes, qui les ont gardées «justement 
parce qu'elles étaient bonnes, et non par un caprice comme on 
pourrait le croire » : c'est là qu'ils ont installé a leurs lougans de 
mil, grain qui forme toute leur nourriture. Comment supposer 
d'après cela qu'ils consentent à les céder ? ils savent bien qu'ils 
ne trouveraient pas à leur portée d'autres terres qui fussent aussi 
propres à leur culture ? ^ » 

Le climat, surtout, produit « des effets désastreux ». Le vent 
d'est, « qui arrive au Sénégal avec toute la sécheresse du désert 
aride et brûlant qu'il traverse », tue à l'improviste la végétation 
la plus vigoureuse; les pluies «ne tombent que pendant quatre 
mois de l'année et vingt-trois jours seulement, terme moyen, 
dans ces quatre mois », et il est impossible « de se passer d'irri- 
gations faites en grand, ce qui occasionnerait une dépense hors 
de proportion avec les produits ». 

Ces conditions physiques exigeraient une main-d'œuvre par- 
ticulièrement adroite et active. Or, il est inutile de compter 
sur les habitants du Oualo : « notre présence n'a pas fait cultiver 
aux indigènes un arpent de plus; d'un autre côté, ils sont restés 
étrangers à nos cultures au point de n'y avoir fourni qu'à peine 
depuis cinq ans trois ou quatre travailleurs, lesquels, poursui- 
vis, maltraités par les leurs, ont bientôt été obligés de quitter 
les travaux». Quant aux quelques centaines d'indigènes étrangers 
au pays de Oualo qui viennent travailler sur nos établissements, 
ils ne sont attirés que par la certitude de trouver chez nous 
« une existence plus douce », et cette main-d'œuvre n'a que l'appa- 
rence du bon marché : « Si le nègre hbre coûte peu, il travaille 
encore moins, et il est tellement imprévoyant, il a si peu de 
souci du lendemain qu'une retenue qu'on ne doit lui faire qu'à 
la fin du mois lui est à peu près indifférente, sa paresse l'emporte 
toujours^». On ne peut pas même songer à utiliser la main- 
d'œuvre pénale et faire du Sénégal, comme le Ministère se l'était 
proposé, un dépôt de condamnés européens : « Si, dans le choix 
d'un lieu de dépôt pour les condamnés on doit avoir égard avant 
tout à la salubrité du climat, afin que la peine de mort ne soit 
pas en quelque sorte substituée à celle de la déportation, ce n'est 
pas au Sénéçal qu'il faut envoyer les condamnés qui aujourd'hui 
remplissent les bagnes; la plus grande partie y périrait et le reste 
ne pourrait tirer presque aucun parti d'une existence toujours 
chancelante et menacée'». 

Les rares cultures qui resteraient possibles ne présentent 
donc nul intérêt économique : le coton et l'indigo atteindraient 
un prix de revient plus élevé que le prix de vente sur les marchés 
d'Europe; le roucouyer ne vit au Sénégal qu'à force d'irrigations, 
la consommation du roucou est « bien bornée, et Gayenne seul 
fournit aux besoins de la Métropole»; la cochenille fine, «la 



1. C. G. au Ministre, 25 août 1827. 

2. Ibidem. 

8, G. G., tu Mioistrei 21 novembre 1827, 



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242 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

seule estimée dans le commerce », dépérit au Sénégal, et la coche- 
nille sylvestre, qui y réussit, « est couverte d'un duvet cotonneux 
fort difficile à enlever * ». 

Dira-t-on qu'il faut « envisager la colonisation sous un autre 
point de vue que celui des produits agricoles, et rattacher à 
cette grande entreprise les progrès de la civilisation en Afrique 
et par conséquent l'écoulement d'une masse plus considérable 
de nos produits industriels » ? Mais « les noirs libres qui viennent 
travailler sur nos établissements, une fois retournés chez eux, 
ne cultivent pas davantage les plantes qu'ils ont vu cultiver. 
Quand ils ont obtenu assez de mil pour leur nourriture, assez de 
coton pour faire quelques pagnes et assez d'indigo pour les tein- 
dre, ils se livrent au repos dont ils font certainement plus de cas 
que de tous les produits qui ne sont pas indispensables pour 
satisfaire leurs premiers besoins ». 

I Enfin, même si le sol et le climat se prêtaient aux cultures, 
même si nous trouvions chez un nombre suffisant d'indigènes 
le concours nécessaire, il faudrait avant tout ramener les peu- 
ples voisins « par la rigueur à des sentiments favorables sinon 
à nos vues, au moins à notre sûreté ». Les Maures et les Oualo, 
surtout, auraient besoin « d'une leçon sévère à la première occa- 
sion, si de riches produits, si de grands avantages étaient 
promis à nos établissements agricoles »; mais quels ont été jus- 
qu'à présent nos produits et quelles peuvent être nos espérances ? 
La partie ne vaut pas la peine d'être jouée. 

Des observations personnelles de Gerbidon, du témoignage de 
deux hommes dont la compétence et la sincérité devaient être 
hors de doute, Perrotet et Brunet, de l'exemple d'une exploita- 
tion, la Sénégalaise, qui, selon l'Inspecteur des cultures, réu- 
nissait avant toute autre les meilleurs « éléments de succès » et 
qui avait coûté en trois ans près de 250.000 francs, il ressortait 
clairement que Tentreprise de colonisation avait échoué et que 
cet échec était dû en fin de compte non pas à des accidents ou 
à des fautes individuelles, mais à des causes permanentes. « Des 
résultats ruineux, voilà le passé; en grand, aucune chance favo- 
rable, voilà l'avenir ». 

Le seul parti qu'il parût sage de prendre, c'était donc de 
renoncer délibérément aux cultures et de tourner vers le com- 
merce toute l'activité de la colonie : « Je ne vois, concluait Ger- 
bidon, que le commerce qui, en étendant ses relations dans l'in- 
térieur, en y étalant, pour ainsi dire à tous les yeux, nos produits 
et les avantages de notre industrie, puisse préparer les voies et 
un jour peut-être atteindre complètement le but », c'est-à-dire 
favoriser nos projets de « civiUsation » et d' «extension •». 



1. G. G., au Ministre, 25 août 1827. Cf. de même, au sujet de Thibiscus et de 
l'arbre à beurre, G. G., au Ministre, 31 décembre 1827. 

2. G. G., au Ministre, 25 août 1827. Gf. de même G. G., au Ministre, 6 octobre 
et 14 décembre 1827. 

3. G. G., au Ministre, 25 août 1827. 

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LB DÉVEMPPPMÇNT PP9 ÇUWVWg tM3 



IV. — La contre-enquête. 

L'enquête de Gerbidon ne donna pas satisfaction au Ministre. 
Les conclusions en semblaient un peu trop brutales ; elles n'étaient 
fondées que sur une expérience de deux mois, en fin de saison 
sèche, et il était difficile d'admettre qu'en si peu de temps on 
pût juger de Tavenir d'un pays. Roger, de son côté, défendait 
son œuvre et ses idées : il écrivait par trois fois au Ministre 
pour lui dire « qu'on le trompait » et qu'un jour « il aurait des 
remords sur la colonisation du Sénégal ^ ». 

Le Ministre ne se trouvait donc guère plus avancé qu'avant 
le départ de Gerbidon. Il ne pouvait « s'empêcher de reconnaître 
qu'il y a eu au moins exagération dans l'opinion définitive qui 
a été émise par le baron Roger » ; mais il refusait aussi, d'admettre 
dans toute sa rigueur une aussi fâcheuse conclusion » que celle 
de Gerbidon ^ 

Pour sortir d'embarras, il eut recours à une contre-enquête : 
il désigna comme Gouverneur du Sénégal le Sous-Directeur des 
Colonies Jubelin, qui avait déjà rempli à la Guadeloupe les 
fonctions d'ordonnateur et qui méritait toute confiance en rai- 
son de «sa grande sévérité de principes, de son zèle et de ses 
capacités très remarquables " ». On attendait de Jubelin « des 
informations qui, au milieu d'assertions aussi contradictoires, 
fassent connaître toute la vérité»; il devait surtout chercher à 
savoir si, comme l'aflîrmait Gerbidon, « les obstacles existent 
dans le sol lui-même, dans le climat, dans des circonstances 
atmosphériques qu'il n'est pas en la puissance de l'homme de 
modifier*». 

Le 7 janvier 1828, Jubelin succède à Gerbidon et il commu- 
nique tout de suite à la politique agricole une activité nouvelle, 
où il faut voir le désir de tenter une expérience aussi probante que 
possible. 

Dès son arrivée, il dresse tout un programme agricole; il lui 
annonce qu'il a pris à Cadix et destineà Richard-Tol 1 .600 ou 1 .700 
pieds de vigne, des figuiers, des amandiers, des orangers, des 
citronniers, des arbustes de jardin, des arbres du Brésil, des grai- 
nes de tabac d'Amérique et d'Asie, des œufs de vers à soie k 
répartir entre les habitants *. Surtout il ne désespère pas, il ne 
ju^e pas l'avenir sur le présent, il montre la même confiance et 
fait preuve de la même largeur de vues que Schmaltz et Roger : 
«Le Sénégal, dit-il par exemple, est une colonie naissante. 
Presque tout y est encore projets, espérances, probabilités, 
contradictions... Des cultures sont entreprises; le commerce 

1. Arch. col., Sénégal, XVIII (Personnel), note confidentielle sur le baron Roger. 

2. Instructions à Jubelin, 23 septembre 1827. 

3. AA:, Rapport au Roi. 23 septembre 1827. 

4. Instructions à Jubelin. 

5. Col. III, à M. Brunet, 9 Janvier 1828. 



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244 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

cherche d'utiles débouchés; des relations nouvelles s'établissent 
ou se préparent; des branches d'industries non encore exploi- 
tées sont l'objet de quelques spéculations d'essai; l'intérieur de 
l'Afrique, le bas de la côte, les Antilles s'offrent à la fois pour 
l'agrandissement des intérêts locaux... peu de résultats maté- 
riels existent jusqu'à présent», mais il faut savoir attendre*. 

Il reprend avec un soin particulier les essais de culture et 
de fabrication de l'indigo*, l'élevage du ver à soie^ et de la 
cochenille*, développe les plantations d'arbres fruitiers^ et de 
tabac <, s'efforce d'améliorer les conditions de l'égrenage du 
coton », fait étudier la question des graisses ® et des huiles végé- 
tales 9, tente de sauver Richard-ToP° et ne liquide l'Habitation 
royale de Koïlel que sur l'ordre exprès du Département de la 
Maison du Roi ". 

On ne sent en toutes ces démarches nul parti-pris. La contre- 
enquête de Jubelin, qui a duré un an et demi, n'a pas l'allure 
tendancieuse de l'enquête de Gerbidon. Le Ministre devait en 
adopter sans difficulté les conclusions. 

Or, les conclusions de la contre-enquête concordent dans leur 
ensemble avec celles de l'enquête et se résument en cette for- 
mule : « Le seul résultat qu'on eût obtenu de tant de soins et 
d'efforts, c'est la certitude que le climat du Sénégal et sa cons- 
titution physique repoussent la culture des denrées coloniales*»». 
A la fin de 1828, le Gouvernement central exprimait encore le 
désir de voir continuer l'entreprise de colonisation agricole, 
tout en renonçant aux grosses dépenses et aux projets grandioses 
de jadis *■; mais, à la fin de 1829, toute tentative de colonisa- 
tion agricole était décidément abandonnée, et le Gouvernement 
de Juillet, adoptant exactement les vues du régime précédent, 
résolut « de mettre un terme à des dépenses désormais recon- 
nues infructueuses **». 



1. G. G., au Ministre, 31 décembre 1828. 

2. Col. III, à M. Potin, 26 mars 1828; à M. Brunet. 7 février, 13 août et 4 octobre 
1828; à M. Gueybau, 29 juin, 7 août et 13 septembre 1828; à M. Ziegler, 13, 20 et 
24 août, 6 septembre 1828; G. G., au Ministre, 2 décembre 1828. 

3. Gol. III, à M. Berton, 7 mars et 22 avril 1828; à M. Brunet, 6 août, 4 octobre 
et 1«' novembre 1828. 

4. G. G. au Ministre, !•' novembre 1828; Col. III., à M. Penotet, 7 Janvier, 
août et 18 octobre 1828. 

5. Gol III, à M. Brunet, 5 août 1828; à M. Berton, 8 mai et l" septembre 1828. 

6. G. G., au Ministre, 1«» novembre 1828 et 4 février 1829. 

7. G. G., au Ministre, 19 mars 1829; Gol. III, à M. Berton, 10 novembre 1828. 

8. Gol. III, à M. Berton, 18 décembre 1828. 

9. G. G., au Ministre, 20 février 1829. 

10. G. G., au Ministre, 4 février 1829; Gol. III, à M. Berton, 16 août 1828. 

11. Gol. III, à M. Brunet, 6 juin 1828; D. M., 30 août et 23 septembre 1828. 

12. d. M., 28 décembre 1830. 

13. D. M., 12 et 6 décembre 1828. C'est ainsi que les dépenses de la Sénégalaise 
furent portées exclusivement au compte de la Société agricole et commerciale 
(Col. III, à Berton, 27 décembre 1829; G. G., au Ministre, 8 mai 1829). 

14. D. M., 28 décembre 1830. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES 245 



V. — L*A.BANDON DES CULTURES. 

Le projet de budget pour Tannée 1831 constitue une liquida- 
tion en règle de l'entreprise*. 

Tous les encouragements aux cultures doivent disparattre. 
Seules subsisteront, et seulement jusqu'au 30 avril, les primes 
accordées à l'exportation de l'indigo et à l'achat des feuilles 
d'indigofères; mais «à compter de cette époque, tout secours 
devra cesser d'être alloué à la fabrication de l'indigo, à moins 
que, par la suite, cette fabrication n'ait présenté de meilleurs 
résultats dont (le Gouverneur aurait) alors à rendre compte ». 

Toutes les dépenses relatives « tant au personnel qu'au maté- 
riel de la colonisation » seront supprimées. Tout recrutement 
de main-d'œuvre indigène est arrêté 2. 

En particulier, l'abandon du Jardin de naturalisation de 
Richard'Tol paraît devoir être « la conséquence des mesures 
adoptées relativement à la colonisation ». Toutefois, le Ministre 
laisse au gouverneur « le soin d'examiner et de décider la ques- 
tion. Il y a à Richard-Tol des constructions qu'il pourrait être 
utile de conserver dans un autre intérêt que celui des cultures. 
Mais dans tous les cas (on y fera) cesser les dépenses qui se rap- 
portent à ce dernier objet. (On) examinera aussi s'il y a lieu de 
maihtenir, dans la vue de protéger la navigation du fleuve et 
le commerce des esclaves, un poste militaire sur les bords du 
Sénégal, soit à Dagana où il en existe actuellement un, soit à 
Richard-Tol qui a l'avantage d'être placé sur un point moins 
insalubre ». 

Une autre « conséquence nécessaire », c'est « la réduction d'un 
personnel créé pour les besoins d'un service beaucoup plus étendu 
que ne le sera désormais celui du Sénégal ». Les titulaires d'em- 
plois proprement agricoles seront tous licenciés dès le début de 
1831 et le reste du personnel sera diminué. 

La plupart des agents techniques n'avaient pas, d'ailleurs, 
attendu cette décision officielle pour sortir d'une entreprise qui, 
depuis le départ de Roger, était manifestement condamnée. 
C'est Richard qui donne l'exemple : en septembre 1827, il part 
en congé de convalescence, avec l'intention de ne plus revenir 
au SénégaP; puis, la même année, Boissard démissionne et 
Perrotet rentre en France*; en 1828 et 1829, Degoutin* et cinq 



1. D. M., 28 décembre 1830; AAl, Rapport au Roi, 1» décembre 1831. 

2. Dès 1827, on s*était préoccupé de se débarrasser des engagés à temps, soit 
en cherchant à les faire entrer dans les compagnies de troupes noires (Coll. 111, à 
M. Brunet, 23 octobre 1827), soit en encourageant le rachat par de nouvelles faci- 
lités (Col. III, à M. Brunet, 10 octobre 1827). 

3. C. G., au Ministre, 10 septembre 1827. 

4. D. M., 28 septembre 1827. 

5. C. G., au Ministre, 26 août 1828. 



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246 LA MISE EN VALEUR DU SÉNéCAL DE 1817 A 1854 

agriculteurs s'en vont à leur tour*; trois autres meurent avant 
de s'embarquer*; Berton demande à être nommé sous-lieute- 
nant, puis à changer de colonie, enfin se fait rapatrier pour 
raison de santé et meurt en mer •. 

Il restait donc fort peu de chose à faire pour réduire à rien le 
personnel des agents techniques. Le successeur de Jubelin, 
Brou, s'acquitte de cette tâche avec une sorte d'acharnement; 
on eût dit qu'il les détestait : « La plupart des jardiniers envoyés 
ici, disait-il, sont devenus des messieurs aussi improductifs que 
la terre qu'ils étaient appelés à faire valoir *»; ils sont partis, 
ajoutait-il, «sans récriminer, trop heureux de n'avoir pas de 
comptes à rendre'^». 

Le Gouverneur Brou apporta le même zèle destructif dans 
l'appUcation des autres mesures prescrites par le Ministère. A 
peine était-il arrivé dans la colonie qu'il piétinait, si l'on peut 
dire, l'œuvre de ses de vanciers ; il prétendait que les essais de 
cultures et d'industries agricoles, au lieu d'augmenter la valeur 
des produits indigènes, en avaient « altéré la qualité »e, qu' « im 
malm génie » semblait avoir « présidé au placement de nos éta- 
blissements de culture» et que tout ménageme;it ne pourrait 
« qu'engager davantage dans une funeste et décevante voie, qui 
déshériterait évidemment l'avenir, comme elle avait trompé le 
passé * ». Il dépassait même, de l'avis du Ministère, la portée de 
ses Instructions, mais il s'y croyait autorisé par la certitude que 
les destinées de la colonie étaient partout ailleurs que dans son 
sol : « Il n'est pas possible, déclarait-il, d'avoir deux opinions 
sur ce qui a été tenté et fait en culture jusqu'à ce jour. De loin 
peut-être encore se livre-t-on à de belles utopies, mais ici ce 
n'est plus possible : trop de faits matériels sont venus faire 
justice d'un spirituel et séduisant roman qui mériterait des élo- 
ges dans l'espèce, s'il n'avait été donné et payé pour de l'his- 
toire®». 



VI. — La situation commerciale. 

Selon l'expression même du Ministre, le Sénégal devait donc 
être désormais, « comme autrefois, un simple comptoir » •, et 



1. C. G., au Ministre, 10 septembre 1827; D. M., 18 novembre 1828, 23 janvier 
24 février et 2 juin 1829. _^^ 

2. C. G., au Ministre, 18 octobre 1827 et 6 octobre IS28. 

3. C. G., au Ministre, 10 septembre et 1«' décembre 1827, 18 décembre 1828; 
D. M., 31 août 1827, 20 juin 1829 et 28 décembre 1830. 

4. G. G., au Ministre, 14 avril 1831. 

5. C. G., au Ministre, 2 juin 1830. 

6. G. G., au Ministre, 30 octobre 1829. 

7. C. G., au Ministre, 2 juin 1830. 

8. Ibidem. 

9. D. M., 28 décembre 1830. 



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LE DÉVELOPPEMENT DES CULTURES * 247 

toute la politique allait être subordonnée aux entreprises com- 
merciales. 

Au vrai, le commerce proprement dit n'avait jamais cessé 
d'avoir sa large part dans l'économie du pays et les préoccu- 
pations de Schmaitz ou de Roger; mais tandis qu'avec Schmaltz 
et Roger on devait surtout compter sur la colonisation pour 
l'étendre et l'alimenter, il fallait maintenant lui chercher d'au- 
tres sources d'activité et de sécurité, et de vieux problèmes, 
comme la traite de la gomme, la lutte contre la concurrence 
anglaise, la recherche de produits d'exportation et de débouchés 
nouveaux, repassaient au premier plan. 

La traite de la gomme était toujours languissante : négo- 
ciants et traitants continuaient à se faire une guerre soiumoise. 

La concurrence anglaise avait été un moment ralentie par 
des difficultés intérieures éprouvées par les Apdais dans leurs 
comptoirs, mais elle avait re{)ris de plus belle à la fin de 1827 ^ 
En Gambie nous avions dû réprimer des actes d'hostilité de 
notre allié le roi de Bar^; en Mauritanie, la traite anglaise fai- 
sait de rapides progrès : Jubelin accuse de 100 à 115.000 kilos 
traités par les Anglais en 1828 : «Portendik ebt devenu l'effroi 
des habitants du Sénégal », et Jubelin, pourtant pacifique, 
envisage l'opportunité d'une expédition contre les Trarza*.( Il 
est vrai que, deux ans après. Brou se vante d'avoir doublé a le 
produit des opérations commerciales », d'avoir détourné « quel- 
ques caravanes maures de la Gambie » et d'être parvenu, « sans 
bruit, sans froissement d'aucune espèce, à ruiner le comptoir 
de Portendik, où il n'a pas été traité cette année une seule boule 
de gomme* ». Nous verrons plus tard ce qu'il faut en penser.' 

Les produits nouveaux ont fait l'objet de recherches nom- 
breuses, mais ils sont lents à se développer. Les envois de bois 
sont limités à des échantillons, malgré les encouragements du 
Ministère^; la pêche en est encore à la période des essais*. On 
songe à utiliser le sel du Gandiolais, mais aucune réalisation 
n'est apparue '. Le Comité de commerce de Saint-Louis demande 
que les peaux sèches provenant du Sénégal, qui ne peuvent être 
importées en France que brutes, puissent être tannées dans la 
colonie : il propose d'exploiter à cet effet le neb neb, qui n'est 
pas encore admis en France, et représente qu'il n'y a là ^ucun 
danger pour l'industrie nationale®; le Ministère promet d'étu- 
dier la question •. On envoie des sangsues aux Antilles v par 
toutes les occasions qui se présentent^* ». Mais seul le commerce 

1. D. M., !•' iuin 1827; C. G., au Ministre, 6 décembre 1827. 

2. G. G., au Ministre, 6 décembre 1827. 

3. G. G., au Ministre, 11 septembre 1828. 

4. C. G., au Ministre, 24 août 1830. 

5. D. M., 2 novembre 1827. 

6. D. M. ,15 Janvier 1828. 

7. G. G., au Ministre, 4 février 1829; D. M., 20 octobre 1829. 

8. G. G., au Ministre, 30 janvier 1828. 

9. D. M., 2 mai 1828. 

lO.GI.p. ex. D. M., 2 octobre 1827, 27 mars 1829, 15 iuin et 17 août 1830, 11 Jan- 
vier et 22 avril 183). ^ 



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248 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

du bétail semble prendre quelque extension : un vétérinaire, 
Olivier, est envoyé en mission au Sénégal pour voir comment on 
pourrait éviter les épizooties, entrave à l'exportation dans cer- 
taines colonies*. 

On constate la même lenteur dans Touverture de relations 
nouvelles. Depuis le départ de Roger, aucune initiative inté- 
ressante ne s*est produite à cet égard de la part des Gouverneurs 
locaux. Tout au plus peut-on signaler quelques missions, sur- 
tout provoquées par le Département, et sans grands résultats. 
Un négociant de Paris, Blanc, fait un voyage au Sénégal; il est 
recommandé par le Ministère et se propose d'étudier un projet 
d'établissement agricole et commercial, — établissement qui 
ne vit jamais le jour*. La mission Dangles explore, au point de 
vue agricole et commercial, la Casamance et les îles Bissagos*. 
En revanche, on renonce à la mission Duranton, et Duranton 
est rappelé en France sous prétexte que « les résultats favorables 
des premières opérations de la Société de Galam permettent de 
compter désormais exclusivement sur elle pour les explorations 
à diriger vers l'intérieur de l'Afrique dans la vue d'y étendre 
nos relations commerciales*». 

Le seul organe d'expansion qui reste debout et qui semble 
intéresser le Gouvernement local, c'est, en effet, la Compagnie 
de Galam. ElUe est réorganisée en 1828, et les Gouverneurs ne 
jurent que par elle; ils excusent tous ses échecs et lui prédisent 
le plus bel avenir*. 

Le Département, il est vrai, est beaucoup moins rassuré et 
surtout voit plus loin; il craint que la Compagnie ne s'attache 
exclusivement à ses intérêts immédiats et ne s'emploie pas comme 
il convient à pousser l'œuvre d'expansion*. Il s'inquiète même 
de l'influence que peut prendre la Compagnie aux dépens de 
l'influence proprement française'. 

Ces observations ne furent sans doute pas inutiles, et le Gou- 
verneur, d'accord avec la Compagnie, se préoccupa de nos rela- 
tions dans le haut Fleuve ®: il donna mission à Valentin, gérant 
en chef de la Compagnie, d'étudier l'établissement d'un comp- 
toir à Médine et l'autorisa à conclure avec le roi du Khasso, 
Aoua Demba, une convention en vue de la construction d'un 
poste fortifié dans cette région.* 



1. D. M., 26 octobre 1827; C. G., au Ministre, 18 mars 1828; D. M., 8 avril 1828; 
C. G., au Ministre, 6 Janvier, 24 avril et 26 mai 1830; D. M., 13 juillet 1830; C. G., 
au Ministre, 25 novembre 1830. D. M., U janvier 1831. 

2. D. M., 20 novembre 1827; C. G., au Ministre, 19 avril 1828; Col. III, à M. Bru- 
net, 24 janvier 1828. 

3. D. M., 20 novembre 1827; C. G., au Ministre, 18 mars et 19 août 1828. Cf. 
Eug. Saulnler, Les Français en Casamance et dans Varchipel des Bissagos, 

4. D. M., 31 août 1830. 

6. Cf. D. M., 15 avril et 28 novembre 1828; C. G., au Ministre, 3 avril 1830; Col. III 
à M. Perrotet, 16 juin et 8 juillet 1828; à M. Berton, 28 juiUet 1828. 

6. D. M., 2 juillet 1830. 

7. D. M., 14 mai 1830. 

8. C. G., au Ministre, 10 novembre 1830. 

9. D. M., 8 mars 1831. 



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LE DÉVELOPPEMENT DBS CULTURES 249 

C'étaient là des résultats bien maigres; mais toute expansion 
vraiment ample semblait impossible, tant que le Sénégal trem- 
blerait devant les menaces de ses voisins. Avec plus de méthode 
que Gerbidon, Jubelin avait repris la politique essentiellement 
pacifique de Roger : au lieu de s'inquiéter outre mesure de l'hos- 
tilité des A^aures et des Oualo, au heu de les heurter de front, 
il tendait autour d'eux, avec beaucoup de patience, une sorte 
de réseau diplomatique; il se servait très largement de l'expé- 
rience politique acquise par les agents de culture, notamment 
Brunet et Berton, et leur adjoignait, pour l'entretien de nos rela- 
tions dans le fleuve, le Directeur de l'artillerie Courau et le maire 
de Saint-Louis, AHn ^. Il parvient ainsi non seulement à consoli- 
der les traités précédemment conclus avec les Oualo, mais à 
calmer momentanément, ou du moins à endiguer une grave 
agitation islamique dans le Fouta et à conclure la paix avec les 
Trarza ". 

Mais Brou aborde tout de suite une politique à tendances belli- 
queuses, qui réduit à néant les résultats obtenus par Jubelin'; 
il ne tarde guère, au reste, à s'apercevoir que ce genre de poU- 
tique est aussi difficile et stérile que l'autre, et il demande son 
rappel*. On peut admettre, en effet, que les opérations miU- 
taires sont souvent nécessaires à l'expansion coloniale, mais c'est 
à la condition qu'elles soient concertées, soutenues par la Métro- 
pole et pourvues des hommes et du matériel suffisants. Tel 
n'était pas le cas vers 1830. 

Le Gouvernement de Juillet, pas plus que la Seconde Restau- 
ration, n'entendait guerroyer au Sénégal. Après tant d'efforts, la 
colonie du Sénégal se trouvait donc, quant à ses bonditions 
d'existence économique et politique, en posture plus difficile que 
sous l'Ancien Régime : sans moyens nouveaux çt en présence 
d'ennemis tous les jours plus nombreux et plus audacieux, 
elle devait chercher à étendre l'influence française; sans pro- 
duits nouveaux capables de remplacer la traite des esclaves, 
il lui fallait vivre de son commerce. 

Le « roman » de la colonisation allait avoir pour suite une 
pauvre histoire d'efforts incohérents : aux grands noms de la 
colonisation allaient succéder, en 23 ans, 27 gouverneurs ^, pour 
la plupart méritants, mais dont le séjour au Sénégal fut trop 
bref pour qu'en général leur personnalité laissât quelque trace, 

1. Col. III, IS2S, passim. 

2. D. M., 15 avril 1828, 24 avril et 31 juillet 1829; C. G., au Ministre, 25 février 
et 25 avril 1829, 9 février 1830. 

3. C. G., au Ministre, 5 mai 1830 et 5 avril 1831. 

4. G. G., au Ministre, 30 mai 1831. 

5. De 1831 à 1854 : Renault de Saint-Germain, Cageot, Quemel, Pujol, Malavois, 
Guiliet, Soret, Charmasson, Montamiès de la Roque, Pageot des Noutières, Bouet, 
Laborel, Thomas, OUivier, Houbé, Bourdon-Grammont, Caille, Duchateau, Baudin, 
DuGhateau, Baudin, Aumont, Protêt, Aumont, Verand, Protêt, Faidherbe, 



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UVRE UI 



Le Sénégal simple comptoir 
(1831-1854) 



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CHAPITRE PREMIER 



La Fièvre de la Gomme. 



Une fois l'œuvre du Baron Roger définitivement liquidée, 
l'économie du Sénégal revient franchement à ses origines : le 
conmierce de la comme. Les « plans de colonisation » sont aban- 
donnés par le Ministère, l'encouragement aux cultures cesse de 
préoccuper le Gouvernement local, toutes les plantations, ou à 
peu près toutes, sont désertées par les habitants. Il semble, vers 
1830, que tant d'efforts, tant d'argent aient été dépensés en pure 
perte et que le Sénégal soit condamné à redevenir à tout jamais 
ce qu'il était avant la reprise de possession : un simple lieu d'é- 
changes, un comptoir. 

C'est, d'ailleurs, sans regrets que la population sénégalaise 
accueille ce retour à l'ancien régime. Elle a toujours été, elle 
demeure aujourd'hui encore, beaucoup plus portée vers les occu- 
pations commerciales que vers l'agriculture ou les métiers ma- 
nuels; elle aime le trafic pour lui-même, pour l'animation qu'il 
crée autour de lui, pour les débats qu'il provoque, pour les ruses 
et les combinaisons qu'il exige, et non point seulement pour les 
profits qu'il procure ; c'est contre son gré que des Gouverneurs 
comme Schmaltz et Roger l'ont entraînée dans des voies nou- 
velles, et il est bien certain que l'insuccès de la mise en valeur 
revient pour une bonne part à son défaut de probité. 

Les adversaires déclarés de la colonisation, qui, pendant une 
dizaine d'années, avaient tu leur mécontentement, mais qui 
n'avaient pas désarmé, triomphent avec insolence. Ils avaient 
prédit cet échec : ils avaient traité de fantaisies les essais de 
culture et d'industrie, les prospections minières, la multiplication 
des produits d'échange, et, à les croire, bien du temps aurait été 
gagné, bien des faillites auraient été évitées, si on les avait écou- 
tés. Le Sénégal, pour vivre à l'aise, n'était et ne pouvait être 
qu'un pays dé traitants : « Les vieux traitants et leurs adhérents 



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254 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

chantèrent un TeDeum : leurs prophéties se trouvaient réalisées *. » 

Les vieux traitants oubliaient, il est vrai, que cette économie 
limitée aux opérations commerciales était loin d'avoir enrichi le 
Sénégal et que les entreprises de colonisation, malgré leur insuc- 
cès apparent, l'avaient sans doute sauvé de la ruine. Ils oubliaient 
aussi qu'avant la reprise de possession la traite des esclaves s'a- 
joutait à la traite de la gomme et que celle-là, devenue tout à 
fait impossible, était beaucoup pllis fructueuse que celle-ci. 

Enfin, ils refusaient de voir que la production et l'exportation 
des gommes atteindraient vite un niveau qui ne pourrait être 
dépassé et que le développement de ce commerce ne pourrait 
jamais compenser la disparition de la traite des esclaves ou 
l'abandon des cultures : au moment où la traite des gommes s'o- 
pérait concurremment avec les travaux agricoBes, elle avait en 
effet perdu quelque peu de son importance; les quantités qu'elle 
livrait annuellement à l'exportation pouvaient être rapidement 
augmentées, « mais non dans les proportions gigantesques qu'il 
eût fallu atteindre pour répandre la richesse dans la colonie *. » 
On peut se proposer de doubler l'importance d'une maison de 
commerce, d'une usine, d'une exploitation agrit^ole, à la seule 
condition d'appliquer à l'entreprise une intelligence et une volon- 
té suffisantes et de disposer des capitaux nécessaires; mais les 
Sénégalais avaient affaire à un produit « qui tiàît d'un caprice de 
ta nature, dont la création n'est soumise à aucune loi, dont la 
récolte est due au bon vouloir de tribus barbares sur lesquelles 
on ne peut exercer d'action; à un produit, enfin, qui se rencontre 
dans des forêts sauvages, enclavées pour la plupart dans dessables 
mouvants, qui tendraient plutôt à les réduire qu'à les étendre *. » 

Sans doute était-il permis de concevoir une exploitation plus 
rationnelle de la gomme, la formation de pépinières d'acacias et 
l'amélioration des procédés de récolte. Mais c'eût été revenir 
indirectement aux programmes de mise en valleur et rentrer 
dans la voie des politiques agricoles ; la culture des acacias en eût 
entraîné d'atitres, et personne ne pouvait plus admettre de 
tels projets. « Dans de pareilles conditions, remarque Raffenel 
fort justement, il est peu sage de songer au progrès : on doit 
borner son ambition à maintenir le statu quo, et se trouver 
heureux d'y parvenir*. » 

Mais les habitants du Sénégal ont la mémoire courte et l'ima- 
gination prompte. Le passé ne compte guère pour eux et la 
nouveauté les séduit aisément, surtout quand elle paraît compor- 
ter une diminution d'effort. Vers 1830, une véritable fièvre, 
é la fièvre de la gomme,, » s'empare de la population de Saint- 



I. Hàffenel, Nbùvéau Vogage.,. p. 79 et. sq. 

3. Ibidem. 

4. Ibidem. 

5. Le làoi est de Rafftnel. 



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Le séMÉGAL StMPLE COMPTOItl 265 

Louis : la traite de la gomme absorbe toutes les activités, le 
reste est définitivement délaissé; la gomme est devenue « le 
palladium de l'industrie et du conmierce sénégalais », elle veut 
« un culte exclusif », et toute autre conception de Tenrichisse- 
ment du Sénégal passe pour une « hérésie». ^ 



I. La libre concurrence et ses dangers. 



Des facilités nouvelles, accordées aux traitants par le Gouver- 
nement, viennent renforcer cet optimisme.. 

Selon le vœu exprimé par le Conseil privé du Sénégal, le Minis- 
tre autorise le Gouverneur, « à raison de la situation fâcheuse où 
se trouve le commerce local », à réduire la taxe de 3 francs 
par tonneau à laquelle sont imposées les embarcations dés 
traitants dans le haut du fleuve •. Dans le même temps, une 
Ordonnance Royale permet, à compter du !•' octobre 1831, 
« l'exportation directe pour l'étranger des gommes tirées de 
l'entrepôt de Gorée »: quoique l'Ordonnance ne parle que des 
navires étrangers, les bâtiments français pourront concourir 
à cette exportation directe, sans même être obligés de passer 
par l'entrepôt de Gorée*. 

Cette mesure est accueillie au Sénégal « avec une vive satis- 
faction, comme étant de nature à donner une nouvelle impulsion 
aux relations commerciales de la Colonie* ». La consommation 
de la gomme en France était, en effet, cinq ou six fois inférieure 
à la production du Sénégal; les ports étaient encombrés de 
stocks; pour comble, certaines manufactures se mettaient à 
remplacer l'emploi de la gomme par celui de l'amidon, et la 
gomme perdait de plus en plus de sa valeur. Grâce à l'Ordonnance 
du 18 juillet, la production annuelle allait pouvoir se répartir 
entre les divers consommateurs, et l'on éviterait ces crises 
périodiques qui ruinaient Saint-Louis. Quant à la Métropole, 
elle trouvait également son compte à ce nouveau régime, puisque 
les navires exportateurs de gomme rapporteraient des pays étran- 
gers des produits dont le Sénégal était dépourvu *. 

Cette concession, le Ministère ne l'accorde, d'ailleurs, qu'en 

i. Raffenel, loc. cit. 

2. D. M. 23 août 1831 ; C. G, au Ministre, 1 1 décembre 1831. 

3. D. M. 20 août et 6 décembre 1831 (Ordonnance du 12 juillet 1831. Instructions 
relatives à Texportation pour Tétranger des gommes du Sénégal). 

4. D. M. 6 dtéoembre ISai. 

5. Cf. C. G. au Ministre, 16 novembre 1831, 20 février et 26 juillet 1832; D. M. 
20 avril 1832 et 26 novembre 1833. 



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256 LA MISE EN VALEUR DU séNÉGAL DE 18l7 A 1854 

tremblant et dans l'espoir qu'elle sauvera le Sénégal de la misère; 
il reste entendu que, si les intérêts de la colonie et surtout ceux 
de la métropole sont menacés, |r ordonnance sera rapportée^. 

Or, voici que l'imprudence des commerçants sénégalais révèle 
tout de suite au Ministre un grave défaut de sa réforme et risque 
de tout compromettre. Ce que beaucoup de commerçants voient 
de plus clair dans la libre exportation, ce n'est pas qu'elle permet 
l'écoulement rapide des gommes, c'est que, mettant le Sénégal en 
relations régulières et fréquentes avec l'étranger, elle facilite 
l'introduction dans la colonie de marchandises qui, en vertu du 
principe de l'exclusif, ne doivent être fournies que par la Métro- 
pole, en un mot, elle ouvre la porte à la contrebande. 

Commerçants anglais de Gambie et commerçants français de 
Saint-Louis et de Gorée s'entendent pour tirer de la situation ce 
frauduleux parti : en échange des gommes qu'apportent les 
Français, les Anglais leur offrent moitié produits d'Afrique, auto- 
risés par l'Ordonnance, et moitié objets prohibés par nos lois de 
douane, notamment des guinées, dont une « demande considé- 
rable » est, à cet effet, adressée en Angleterre. Les objets de con- 
trebande devaient être débarqués à la presqu'île du Cap Vert et 
transportés par chameaux soit au village de Gandiole, aux abords 
de Saint-Louis, soit dans le Oualo, en face des escales : de là, il 
serait facile de les faire passer, la nuit, dans Saint-Louis et à bord 
des bâtiments de traite. 

Le Gouverneur découvre la ruse et imagine, pour la déjouer, un 
procédé efficace, mais assez peu administratif : « J'ai rassemblé 
les négociants, écrit-il au Ministre, et leur ai déclaré que j'allais 
autoriser les rois de Cayor et de Oualo à s'emparer de toutes 
marchandises traversant leurs territoires et que, pour éviter 
qu'on ne se servît des caravanes maures, pareille autorisation 
serait donnée aux rois des Trarza et des Brakna ^. » C'était ali- 
menter, pour des fins médiocres, un feu qui n'avait que trop de 
chances d'incendier la colonie, et le Ministre se hâte de rappeler le 
Gouverneur à la prudence : il ne saurait approuver « des actes qui 
tendraient ouvertement à encourager et à légitimer le pillage des 
traitants français par les peuplades africaines. De pareils actes 
seraient entièrement opposés à l'esprit qui doit constamment 
diriger la conduite de l'administration française dans ces 
contrées, ils porteraient l'atteinte la plus grave à une puissance 
morale qu'il importe de soutenir. » Il faut donc limiter à 
l'action administrative la répression de la fraude : « si cette 
action est reconnue insuffisante*», le Gouverneur, après consul- 
tation du Conseil privé, déclarera « formellement au commerce 
du Sénégal que l'abrogation de l'Ordonnance du 12 juillet 



1. D. M. 20 Avril 1832. Le commerce bordelais 6*était montré nettement hostile 
à ces mesures libérales. (Cf. Ibidem)» 

2. U G. au Ministre, 20 février 1832. 



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LE SÉNÉGAL StMPLâ ÊOMPTOift â57 

sera le résultat inévitable et immédiat des informations que le 
Gouvernement recevrait à ce sujet ^. » 

A rintérieur de la Colonie, le libéralisme commercial ne trou- 
vait guère de meilleurs encouragements. 

Depuis la reprise de possession, le commerce de la gomme était 
soumis au régime de la libre concurrence : les traitants débat- 
taient leurs prix, sans règle et sans contrôle, avec les Maures. On 
devine quelles surenchères provoquait cette liberté : les gros 
traitants, qui agissaient pour leur compte et qui achetaient à 
Saint-Louis même la guinée servant aux échanges, étaient géné- 
ralement sacrifiés aux petits traitants, c'est-à-dire aux agents des 
négociants de Saint-Louis ou de la Métropole, à qui la guinée 
parvenait directement des entrepôts de France, dégagée du 
bénéfice des intermédiaires ^ 

A maintes reprises, nous Tavons vu, le Gouvernement avait 
essayé de concilier les intérêts opposés des gros et des petits 
traitants, ou, si Ton préfère, des traitants indigènes et des négo- 
ciants européens ou mulâtres : il n'était parvenu à nul résultat 
positif et durable. La libre exportation, doublée de l'introduc- 
tion frauduleuse des guinées anglaises, ne fait qu'aggraver le 
mal : les guinées affluent, dépassent le chiffre nécessaire aux 
échanges, perdent de leur valeur: « Il y a exubérance partout, dans 
les magasins des négociants, dans les maisons des traitants, sous 
la tente des Arabes... La population tout entière gémit de cet 
accident inévitable *. » Il est manifeste que le régime de la libre 
concurrence ne profite qu'aux Maures acheteurs de guinées et 
que négociants et traitants se ruinent mutuellement. 



Tentatives interventionnistes 

D'un commun accord, le Gouvernement local et le commerce 
sénégalais décident alors de renoncer à la libre concurrence et 
d'user d'un régime nouveau, intermédiaire entre la libre concur- 
rence et la taxation officielle et qui, pour cette raison, porte le 
nom de « compromis. » 

Le compromis est « une convention volontaire par laquelle les 
traitants s'engagent à ne pas échanger la guinée, aux escales, 
au-dessous d'une quantité minima de livres de gomme détermi- 
née par eux. » C'est donc « une sorte d'association, ou plutôt une 
ligue des acheteurs contre les vendeurs... *» Le Gouvernement 
n'intervenait pas, au moins officiellement, dans la fixation des 
cours : il se contentait de favoriser l'entente des négociants et des 
traitants et de les aider à faire leur police. 

1. D. M. 20 avril 1S32 et G. G. au MInlatie, 26 JuiUet 1832. 

2. Cf. Raffeael, op. oit. p. 79 et sq. 
8. Ibidem, 



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258 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

On espérait par là empêcher les spéculations des négociants ou 
traitants fortunés qui, opérant sur de grandes quantités et sa 
procurant de la guinée à meilleur compte que les autres, acca- 
paraient le marché; on voulait aussi obliger à des opérations 
raisonnables les traitants « passionnés », comme dit Raffenel, qui 
achetaient la gomme à tout prix, même à perte, et ruinaient leurs 
concurrents en même temps qu'eux-mêmes. Il est certain que, 
bien observé, un tel accord pouvait régulariser le commerce de 
la gomme, éviter Taccumulation à Saint-Louis des guinées in- 
vendues et enrayer Tavalanche de faillites qui, chaque année, 
suivait la traite. 

Mais les mœurs remportent sur les réglementations. Ce com- 
merce de la gomme était faussé dès Torigine par Tindividualisme 
persistant des Sénégalais, par la difficulté qu'ils ont toujours 
éprouvée à sacrifier leurs menus intérêts personnels aux intérêts 
généraux d'une entente, par leur conception toute primitive du 
commerce — échange à tout prix, réalisations immédiates, 
partie à gagner coûte que coûte, — et par le mercantilisme raffiné 
des Maures. 

Dès 1832, le Gouverneur signale au Ministre l'insuffisance de 
cette atténuation apportée au régime de la libre concurrence et 
montre comment des administrés tournent le règlement qu'ils 
se sont volontairement imposé : « Un compromis passé, chaque 
année, entre les traitants, détermine un prix au-delà duquel il est 
défendu d'acheter la gomme aux escales. Mais cette disposition 
est incessamment violée au moyen de présents faits aux chefs des 
caravanes : une rivaUté ruineuse, que le compromis a eu pour but 
de prévenir, renaît sous une autre forme et tourne au profit des 
Maures ^. » 

Pour empêcher cette lutte déloyale, le Gouverneur propose au 
Comité de commerce « de faire effectuer les achats dans chaque 
escale par des commissaires qui eussent traité, sans distinction 
d'individus, pour le compte commun des traitants de l'escale 
respective, et de répartir la gomme proportionnellement aux 
valeurs apportées par chacun ». Mais il échoue dans sa tentative: 
« Quelques intérêts privés, mal compris, se sont opposés à l'adop- 
tion de cette mesure : la nécessité forcera les traitants d'y avoir 
recours, pour empêcher la ruine d'un commerce qui décline 
chaque année*.» 

Le Gouverneur ne se trompait pas. La crise va s'aggravant. 
« En 1834, le régime du compromis inspire la même répulsion que, 
l'année précédente, le régime de la liberté commerciale.' » 

En même temps, un événement inattendu, la guerre des Trarza, 
menace l'existence même de la colonie et rend plus difficile que 
jamais le commerce du fleuve. En 1838, le Brak ou roi du Oualo 



1. C. G. au Ministre, 3 septembre 1832. 

2. Ibidem, 

3. Halfenel. loc cit. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 259 

marie sa fille au chef des Maures Trarza : cette manœuvre devait 
avoir pour résultat de réunir en un seul bloc le Oualo et le 
pays Trarza, et Saint-Louis, qui jusque là avait bénéficié 
de l'hostilité réciproque de ses voisins noirs du sud et de 
ses voisins Maures du nord, n'aurait plus été qu'une 
enclave en pays de domination maure. Le gouverneur du 
Sénégal, sachant par expérience que le danger maure était le 
pire de tous ceux qui l'entouraient, ne pouvait que s'opposer à 
cette union : en dépit de tous les projets de politique pacifique, il 
est contraint d'entrer en guerre avec les Trarza et le Oualo. Les 
Trarza abandonnent leur escale du fleuve et vont àPortendik ven- 
dre leur gomme aux Anglais, qui, d'ailleurs, avaient suscité ces 
événements dans une intention toute commerciale *. 

La ruine définitive du commerce sénégalais était imminente. 
Mais le gouverneur du Sénégal, le capitame de frégate Quemel, 
était un homme d'énergie: il sut, avec des ressources misérables, 
faire face à la situation. 

En même temps qu'il bloque Portentik et qu'il entreprend con- 
tre les Trarza une série de campagnes actives, Quernel se dégage 
des rivalités et des influences locales etprend résolument en mains 
la direction des affaires commerciales. 

Les décisions audacieuses ne l'effraient pas. Persuadé que les 
atermoiements et les demi-mesures sont néfastes en l'occurrence, 
il interrompt brusquement la traite delà gomme, afin d'atteindre 
sûrement les Maures dans leurs intérêts économiques : bien qu'il 
ne soit en guerre ouverte qu'avec les Trarza, il ne se contente 
pas de fermer leur escale, il ferme aussi les deux autres, celles des 
Brakna et des Darmancour, « sur la considération que la suspen- 
sion de nos rapports commerciaux avec les Maures Trarza... 
n'atteindrait point le but qu'on s'était proposé, si les Trarza pou- 
vaient continuer à recevoir, soit des Maures Brakna, soit des 
Darmancour, les marchandises fournies par le commerce français 
qui leur sont nécessaires *. » 

De vives protestations s'élèvent. Certains négociants de Bor- 
deaux représentent au Ministre que le gouverneur Quernel risque 
de nous aliéner des populations avec lesquelles nous avons 
intérêt à conserver des relations amicales que le commerce 
seul peut entretenir. » 

— Il fait, de bonne foi, le jeu « des négociants qui, croyant à 
la continuation de la guerre, n'avaient pas fait d'approvisionne- 
ment de marchandises de traite » et celui « des traitants habituels 
des Darmancour et des Trarza qui, faute de relations avec les 
Brakna ou de crédit chez les négociants détenteurs actuels de 
ces marchandises, ne voulaient ou ne pouvaient y aller en 
traite ». Mais « les importateurs de marchandises et la masse 
des traitants » estiment que la meilleure politique consiste à 



1. Cf. infra, Ghap. IV, paasinu 

2. D. M. 4 avril 1834. 



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260 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

exciter la rivalité économique des Trarza et des autres Maures, 
et qu'il faut se garder de former contre nous une coalition 
d'intérêts ^ 

En présence d'une opposition aussi forte, Quemel est obligé 
de céder et de rouvrir les escales des Qarmancour et des Brakna. 
II avait projeté de se libérer de cette politique au jour le jour qui, 
depuis 1817, paralysait l'activité de la colonie; il avait voulu 
imposer sa volonté à des ennemis qui ne comprennent que la 
force et qui regardent comme des preuves de faiblesse toute 
espèce de concession; mais le commerce sénégalais, une fois 
de plus, refusait de voir au-delà de ses intérêts et de sacrifier 
une année de bénéfices à tout un avenir de sécurité et d'expansion. 

Du moins devait-on essayer, puisqu'on ne pouvait élargir les 
conditions dans lesquelles s'opérait le commerce de la gomme, 
d'améliorer l'organisation intérieure de la traite et de substituer 
au compromis un ré^me plus conforme aux intérêts généraux. 
Comme les inconvénients du compromis rappelaient à peu près 
ceux de la libre concurrence, Quernel avait songé à faire un 
nouveau pas dans le sens de la réglementation et l'opinion 
sénégalaise, d'accord avec lui, demandait « à grands cris l'asso- 
ciation priviligiée comme le remède unique à un état désespéré » *. 
Il fut remplacé avant d'avoir pu mettre son projet à exécution, 
mais son successeur, Pujol, reprit l'idée à son compte*. 

Par un arrêté du 17 mai 1834, Pujol concède à une association 
de commerçants de la place de Saint-Louis un privilège exclusif 
pour l'achat de la gomme aux escales. Cette association, qu'on 
désigna couramment sous le nom d'« association privilégiée », 
est à parts égales, et seuls peuvent en faire partie : 1^ les négo- 
ciants inscrits au rôle des patentes; 2^ les habitants ayant fait 
la traite pour leur compte ou pour le compte d'autrui durant 
l'une des années 1831, 1832, 1833. 

Par un arrêté complémentaire du 22 mars 1834, le Gouverneur 
exclut de toute participation à la société ceux des négociants 
qui n'ont pas pris part directement à la traite durant Tes trois 
dernières années. Il publie en même temps un règlement d'asso- 
ciation, qui détermine les détails de l'opération et fixe notamment 
le prix auquel la marchandise sera vendue aux Maures : cent 
livres de gomme pour chaque pièce de guinée, soit environ 
quatre fois le prix coûtant de la guinée à Saint-Louis^. 

Cet ensemble de dispositions avait pour objet, comme le 
compromis, de régulariser le cours de la guinée, unité de monnaie 
employée dans la traite de la gomme, et de grouper les intérêts 
des commerçants sénégalais pour les opposer fortement aux 
marchandages des Maures; mais il avait sur le compromis cet 



1. D. M. 16 mai 1834 (avec copie du Mémoire adressé par M. Devès au Ministre). 

2. Raffenel, op. cit. p. 91. Cf. de même. Rapport Quemel (remise de pouvoirs), 
10 mai 1834. 

3. G. G. au Ministre, 20 mai 1834. 
4* G. G. 26 mai 1834. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 261 

avantage de laisser moins de place aux spéculations individuelles, 
de lier solidement entre eux les intéressés en plaçant la société 
sous le contrôle du Gouvernement et surtout de protéger les 
traitants indigènes qui commerçaient pour leur compte contre 
les accaparements du haut négoce. C'était là, sans doute, porter 
une atteinte nouvelle à la liberté commerciale, c'était revenir 
aux compagnies privilégiées, aux sociétés à monopole, mais 
dans une intention toute démocratique et dans l'intérêt de la 
grande majorité des habitants de Saint-Louis. 

La population de Saint-Louis, dont le Gouverneur avait au 
préalable consulté les délégués, comprend aisément le bien 
qu'on lui veut et réserve le meilleur accueil à l'Association pri- 
vilégiée. Mais les « sommités commerciales », les négociants qui 
ne prenaient même pas la peine de se faire représenter aux escales 
et se contentaient de vendre à crédit des cargaisons aux trai- 
tants, dénoncent au Ministre la réglementation de Pujol 
comme une « loi de nivellement », « une sorte de loi agraire », 
t violatrice de tous les droits et de tous les principes ». Leurs 
importations de guinées étaient menacées, leurs débiteurs ris- 
quaient de se libérer, l'exploitation du commerce sénégalais 
leur échappait. De même qu'ils avaient demandé au Ministre 
d'arrêter la politique énergique de Quernel, ils le prient 
d'empêcher les réformes démocratiques de Pujol : assurés d'être 
mieux écoutés en France qu'à Saint-Louis, ils proposent 
«qu'une ordonnance royale, et non plus un arrêté colonial annuel, 
règle pour toujours et suivant les principes de justice, l'époque, 
la durée et les conditions de la traite; qu'au Conseil de M. le 
Gouverneur du Sénégal soient adjoints, par voie d'élection entre 
tous les patentés de première et de seconde classe et traitants 
de Saint-Louis, quatre commerçants ayant voix délibérative, 
et que les décisions de ce Conseil, en tout ce qui concerne les 
personnes et les intérêts privés ou généraux de la population, 
soient provisoirement exécutoires, sauf recours au Ministre 
qui réglerait en dernier ressort ^ ». Ainsi, les colons, voyant leur 
autorité et leurs intérêts menacés dans la colonie, se réclamaient 
du principe de centralisation et du principe de la liberté commer- 
ciale : cette attitude ne leur était pas habituelle. 

Ils eurent gain de cause contre Pujol comme ils l'avaient eu 
contre Quernel : ils avaient autour du Ministère des amis puis- 
sants. Au demeurant, l'Association privilégiée porte un nom et 
rappelle un passé qui déplaisent au Ministère, heurtent trop 
ouvertement les principes avoués de son action économique et 
peuvent le compromettre : on affecte de la considérer « comme 
une concession arrachée par d'impérieux besoins et qui ne devait 
être conservée que pendant la durée de l'état de guerre »» 

Or en 1835, la paix est rétablie. La Société perd son privilège : 

I. D. M. 16 mai 1834. (Mémoire Devès Cf. de même C. G. au Ministre, 29 novem- 
bre 1834). 

2. Haffenel, op. cit. p. 91. 



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262 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

elle essaie bien de se maintenir à litre de société libre et de 
lutter contre la concurrence individuelle, mais elle n*y parvient 
pas et se dissout d'elle-même ^. 

Après cinq ans d'essais que l'indiscipline des traitants, 
l'égoîsme des négociants et la faiblesse du Ministère ont rendus 
infructueux, la traite de la gomme revient à sa forme première : 
la libre concurrence, et le commerce sénégalais retombe dans 
le pire désordre *. 



III. — Hésitations entre deux principes : Libre concur- 
rence ou RÉGLEMENTATION. 



Dès la traite de 1836, le rétablissement de la libre concurrence 
se signale par un malaise général du commerce sénégalais 
et par des opérations désastreuses. 

Malgré les déboires, la fièvre de la gomme n'est pas calmée, 
car la traite est à peu près la seule occupation qui s'offre désor- 
mais à la population de Saint-Louis : 3,000 personnes environ 
s'y livrent, les unes parce qu'elles disposent de capitaux suffi- 
sants et peuvent réaliser des bénéfices, les autres parce qu'elles 
sont engagées par leurs dettes et qu'elles espèrent toujours se 
remettre à flot. La concurrence est donc plus âpre et les chances 
de réussite pour les traitants indigènes sont plus réduites que 
jamais. 

Obligés de payer davantage de leur personne à mesure que les 
conditions de la lutte se font plus rudes, instruits d'ailleurs 
par l'exemple de l'Association privilégiée qui tendait à les 
évincer de la traite, beaucoup de commerçants européens ne 
se bornent plus à vendre des cai^aisons ou à se faire représenter 
par des agents indigènes : ils prennent une part de plus en plus 
personnelle à la traite. « Jamais le chemin des escales n'a été 
aussi fréquenté qu^il l'est maintenant par les négociants euro- 

Eéens, dont le nombre s'accroît chaque jour au détriment des 
abitants indigènes '. » 

Pour guérir ce mal endémique, on ne trouve qu'un vieuxremède, 
le retour au compromis pour la traite de 1837. Il semble que les 
expériences passées ne comptent pas : le Gouverneur, vivement 
encouragé par le Conseil privé et les traitants, célèbre sa trou- 
vaille comme une panacée : « Le compromis est réellement une 
planche de salut pour les divers intérêts engagés dans la traite 
courante ^ » 



1. Raffinel, op. cit. p. 91 et sa. 

2. C. G. au Ministre, 21 mai 1S36. 

3. Ibidein. 

4. C. G. au Ministre. 20 mars 1837. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 263 

II se trouve que la récolte de 1837 est abondante. Plus de 
six millions de gommes sont achetés aux Maures. Le Gouverneur 
se réjouit et voit l'avenir de sa colonie sous les plus riantes 
couleurs : « Les affaires au Sénégal sont affranchies de toute 
entrave, les traitants paieront leurs dettes et jouiront de quelque 
aisance, les négociants seront satisfaits et l'on ne sentira pas, 
comme les années précédentes, la pénible nécessité d'agrandir 
les prisons civiles pour faire place aux débiteurs ^. » 

Mais cette fête est sans lendemain. L'année 1838 se présente 
mal : une guerre des Bambara dans le Fouta ôte toute sécurité 
aux opérations du commerce, le roi des Trarza recommence 
6 intriguer pour dominer dans le Oualo, les chefs du Oualo 
refusent d'accepter une réduction des coutumes, des inondations 
excessives compromettent la récolte*. Surtout, « une importa- 
tion de 240.000 pièces de guinées vient s'ajouter à la plus grande 
partie non vendue des 138.000 pièces importées l'année précé- 
dente • » : plus de 300.000 pièces de guinées se trouvent ainsi 
entassées dans les magasins de l'île, à la veille d'une récolte de 
gomme déficitaire. Ce fut un désastre. En dépit du compromis, 
la pièce de guinée est cédée à 15 et 10 kilogrammes de gomme : les 
indigènes se ruinent pour le plaisir d'acheter, poussés par leur 
orgueil naturel autant qu'enfiévrés par la lutte, excités par les 
flatteries des griots, en vrais enfants.* 

L'année suivante n'est pas meilleure. En vain, le Gouverneur 
essaie de resserrer le régime du compromis, fait tarifer à 50 kilo- 
grammes la pièce de guinée, visite les escales pour ramener les 
traitants au bons sens et intimider les spéculateurs ^ Le nombre 
des commerçants européens qui participent directement à la 
traite s'est encore augmenté : venus au Sénégal « avec des idées 
de fortune que les produits limités du pays ne peuvent satisfaire 
aussi vite que par le passé,... ils se livrent à la double industrie 
de négociant et de traitant... Il n'y avait plus de traite possible 
pour les acheteurs de seconde main* ». 

Comme à l'ordinaire, le tarif de la guinée n'est pas observé par 
la plupart de ceux qui avaient contribué à le fixer : le compromis 
garde quelque valeur aux escales des Darmancour et des Trarza, 
«à quelques exceptions près qui ont entraîné des condamnations», 
mais l'escale du Coq l'enfreint « avec une telle impudeur, qu'on 
dut renoncer à des investigations, faute de témoins » : si bien que 
les Maures désertent les escales des Darmancour et des Trarza 
et affluent à l'escale « qui leur offre le meilleur prix. »' 

Le système du compromis était condamné par cette nouvelle 



1. C. G. au Ministre, 1«' septembre 1837. 

2. G. G. au Ministre, 8 janvier et 10 août 1838. 

3. Raffenel, op. cit. p. 91-92. 

4. IbidoTL 

5. G. G. au Ministre, 22 mai 1839. 

6. G. G. au Ministre, 26 août 1839. 

7. Ibidem. 



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264 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

épreuve, si tant est qu'il en eût besoin. « Tel qu'il était, il serait 
la meilleure garantie de tous les intérêts s'il était fidèlement 
observé : enfreint, il devient une prime à la mauvaise foi ». Il ne 
faut pas songer à le rétablir : il a contre lui « tous les traitants qui 
se respectent », et il ne peut être « valide » que s'il est fondé « sur 
l'assentiment général ^ ». Mais par quoi le remplacer ? 

Le temps presse. Il faut « faire quelque chose pour empêcher 
la ruine des anciens traitants, qu'on peut considérer comme l'aris- 
tocratie des indigènes, dévoués de cœur et d'âme à la France : 
ce sont de puissants auxiliaires qui, dans l'occasion, ne feraient 
pas défaut. » " 

Le Gouverneur Charmasson ne dissimule pas ses sympathies 
pour le système d'association instauré par Pujol : « Le Sénégal 
est un pays d'exception qui ne peut être assimilé aux autres 
possessions d'outre-mer »; on ne doit pas craindre de s'écarter 
en sa faveur « du grand principe de liberté commerciale ». Reste 
à savoir si l'Association privilégiée, qui était possible au temps 
de Pujol, le serait encore aujourd'hui : « alors le nombre des 
bateaux en traite dans les trois escales ne dépassait pas 80, 
tandis qu'il y en a eu 160 à la dernière traite, et tout porte à 
croire que ce nombre augmentera encore.... Il n'y a plus d'ou- 
vriers, tout le monde traite *.. » 

La colonie était bien pauvre : en 1839, à l'occasion d'une 
souscription en faveur des victimes du tremblement de terre de 
la Martinique, les habitants du Sénégal, si volontiers généreux, 
n'avaient pu verser que 2.000 francs*; tous demandaient un 
changement de régime commercia; mais ce qu'ils trouvèrent 
de mieux, ce fut de revenir à la libre concurrence pour la traite 
de 1840 : on a peine à concevoir pareille routine. 

Bien entendu, les événements se reproduisent dans le même 
ordre que par le passé. 300.000 pièces nouvelles de guinées, 
expédiées de l'Inde sur des commandes anciennes, viennent 
s'ajouter aux stocks considérables que les efforts désespérés des 
années précédentes n'avaient pas permis d'écouler; la guinée 
encombre aussi nos entrepôts de France et perd 50 p. 100 de sa 
valeur; les négociants de Saint-Louis, « effrayés d'une situation 
commerciale qui empire tous les jours », accentuent encore la 
baisse, et les traitants, alléchés par le bon marché, achètent 
sans mesure et se précipitent en masse aux escales. Mais les né- 
gociants les y suivent et cèdent directement aux Maures pour 
20 livres la guinée qu'ils avaient vendue 30 livres aux traitants K 

Au retour des escales, la misère est à son comble. Le total de 
dettes s'élève à plus de deux millions de francs. «Beaucoup de 



1. C. G. au Ministre, 1«' septembre 1837. 

2. Ibidem, 

3. G. G. au Ministre, 26 août 1839. 

4. C. G. au Ministre, 16 septembre 1839. 

&. Raffenel, op. cit. p. 93; C. G. au Ministre, 5 février 1840. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 265 

traitants ont leurs maisons hypothéquées et seront dans la néces- 
sité de vendre. Que deviendront-ils ensuite ? Car le Sénégal 
n'a aucune industrie^». 

Et le Gouverneur Charmasson reprend avec force ses propo- 
sitions en faveur d'une restriction de la liberté commerciale: «Le 
grand principe de la liberté de commerce n'est pas tellement 
absolu qu'on puisse lui appliquer la phrase fameuse : Périssent 
les Colonies, etc.* Il est difficile de prévoir ce que deviendra 
le Sénégal, si le bien-être de la population dépend des spéculations 
hasardées des négociants européens qui, soit dit en passant, 
tiennent peu à l'avenir de la colonie* ...Le mal est grand. Toutes 
les fortunes sont chancelantes. La fortune des négociants n'est 
qu'une fiction, car elle repose en grande partie sur des créances 
sans garanties. Il faut venir en aide à une population qui n'a 
pas d'intelligence et qui, dans les moments d expansion, peut 
avoir besoin de notre tutelle... Le Sénégal estunpays d'exception. 
Il n'y a qu'une industrie, dont les ramifications s'étendent 
jusqu'à nos possessions de l'Inde. Faudra-t-il sacrifier un intérêt 
aussi général à l'égoïsme de quelques particuliers ? Ma raison dit 
non. »* 

Le Ministère répond : Peut-être. Il rappelle « les inconvénients 
graves » de l'intervention gouvernementale dans les questions 
de concurrence commerciale ; il regrette vivement que le Gou- 
verneur ne juge pas possible « d'amener les traitants et les négo- 
ciants à régler à l'amiable les conditions soit d'un compromis 
soit d'une association générale, que l'autorité, forte de l'assen- 
timent de tous les intéressés, n'éprouverait alors aucune hési- 
tation à faire strictement exécuter, » et il l'invite « à faire de 
nouveaux efforts, à user de tous les moyens de persuasion et 
d'influence dont (il peut) disposer, pour amener ce résultat ayant 
l'ouverture de la traite de 1841. » Sans doute autorise-t-il le 
Gouverneur, « en cas de besoin extrême », à « comprendre for- 
cément dans la mesure générale qui sera prise les dissidents, 
sUls ne sont pas en trop grand nombre », mais il avoue que s'il 
revient ainsi « sur les règles qui ont été posées » par son prédé- 
cesseur, « ce n'est pas sans une véritable répugnance » ; car ces 
règles seules peuvent « donner des bases raisonnables et durables 
à la concurrence qui, sous une forme ou sous une autre, est 
l'âme du commerce* .» 

Une aussi faible concession n'avançait guère le Gouverneur. 
Il essaie bien de faire comprendre à ses administrés les avanta- 
ges d'une réglementation rigoureuse, mais ses administrés n'arri- 
vent à s'entendre ni sur la question du compromis ni sur celle 



1. C. G. au Ministre 5 février 1840. 

2. «Périssent les colonies plutôt qu*un principe»» Mot de Robes pierre souvent cité 
et détourné de son vrai sens. Cf. L. Deschamps. La queêtion coloniale... (Appendice). 

3. G.LG. au Ministre, 20 mai 1840. 

4. G.IG. au Ministre, 13 septembre 1840. 
&.lD. M. 26 août 1840. 



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266 LA MI8E EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de rassociatîon générale, et les « dissidents », d'un côté ou de 
l'autre, sont trop nombreux et trop résolus pour que le Gouver- 
neur, peu sûr de l'appui du Ministre, songe à leur imposer sa 
^•olonté. La petite traite de 1841 s'opère donc encore sous le 
régime de la libre concurrence, elle est particulièrement désas- 
treuse, les négociants viennent d'eux-mêmes demander au Gou- 
verneur rétablissement d'un compromis, et les traitants s'y 
soumettent sans trop de résistance.^ 

Le nouveau compromis semblait devoir être, à la vérité, plus 
efficace que les précédents. De sévères et nombreuses punitions 
étaient prévues pour les délinquants, et les escales étaient placées 
sous la surveillance d'officiers. Toutes ces précautions ne font 
malheureusement qu'exciter l'imagination des traitants malhon- 
nêtes : le prix convenu est ostensiblement maintenu, mais les 
traitants, par des conventions secrètes, s'engagent à payer aux 
Maures un supplément à Saint-Louis ou à un autre lieu en dehors 
de l'escale; ils vont jusqu'à dissimuler, dans les canons des 
fusils de traite, l'or destiné à solder cette différence. Le régime 
du compromis était décidément devenu impossible *. 

A la fin de 1841, la dette totale des traitants atteint 
2.237.000 francs. Ce ne sont, à Saint-Louis, que saisies, expro- 
priations, emprisonnements, menaces de fuite; la population est 
plongée dans le plus profond découragement*. 



IV. — L'Association privilégiée. 

La vie de la colonie était en jeu : l'inquiétude la plus vive 
se manifestait, non seulement au Sénégal, mais dans les ports 
de la Métropole. En outre, les habitants de Saint-Louis n'arri- 
vent pas à s'entendre sur le régime qu'il convient d'adopter, 
et toute consultation générale semble désormais inutile*. Les 
Ministère est contraint de sortir de sa réserve. 

L'Administration locale demande à nouveau qu'il lui soit 
donné pleins pouvoirs pour la réglementation de la traite : 
elle communique au Ministère, un projet d'association générale 
avec privilège pour cinq ans, combiné de manière à sauvegarder 
tous les intérêts en présence et à faciliter l'extinction de la 
dette des traitants. Le Ministère « sans être pleinement convaincu 
de l'efficacité que peut avoir, au milieu des difficultés de cette 
situation, une définition plus étendue des pouvoirs de l'autorité 
locale en matière de règlements de commerce, cède sur le prin- 
cipe et, par l'Ordonnance Royale du 7 janvier 1842, décide que 

1. C. G. au Ministre, 13 septembre et 25 décembre 1840, 15 avril, 10 ihai et 
19 juin 1841 ; D. M. 6 novembre 1840. 

2. C. G. au Ministre, 11 septembre 1841. Cf. aussi Ftaffenel, op. cit. 92 et sq. 

3. Ibidem, 

4. C. G. au Ministre, 13 novembre 1841. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 267 

le Gouverneur» suit les mouvements du commerce et prend les 
mesures qui sont en son» pouvoir pour en encourager les opéra- 
tions et en favoriser les progrès. Il rèçle le mode, les conditions 
et la durée des opérations commerciales avec les peuples de 
rintérieur de TAfrique et détermine les localités où les échanges 
sont permis. Cette attribution est mise au nombre de celles 
qui ne peuvent être exercées par le Gouverneur qu'après avoir 
pris l'avis du Conseil d'Administration, mais dans qu'il soit 
tenu de s'y conformer. » 

En même temps le Ministre retourne le projet d'Association 
générale, qu'il approuve dans son ensemble, et qu'il avoue 
préférer au compromis ^. 

Le Gouverneur Montagniès de la Ro(|ue assemble le Conseil 
général et lui soumet le projet de Société privilégiée, qui est 
unanimement accepté, sauf quelques modifications de détail, 
et, le 16 avril 1842, un arrêté rend exécutoire ce projet dont 
voici les principales dispositions : 

La Société n'a pour objet que le commerce de la gomme; 
elle peut traiter « en concurrence avec tous » l'or présenté aux 
escales, mais toute participation directe ou indirecte lui est 
interdite dans le commerce du riz, du mil, des cuirs, de la cire, 
de l'ivoire, des arachides, des huiles végétales, des bois de tein- 
ture, etc. Le commerce de la gomme, à raison de sa nature 
toute spéciale, a seul besoin en effet d'être réglementé; on veut 
éviter « de placer dans les mains de la Société toute l'industrie 
de la colonie » et l'on écarte avec soin du plan d'association 
a tout ce qui porterait le caractère d'une concession faite à 
une compagnie ». 

La Société est anonyme et porte le titre de Société pour la 
traite de la gomme. Sa durée sera de cinq ans, car «pour remédier 
aux souffrances qui consument le Sénégal, il faudra plus d'une 
année ». Toutefois, la perte de la moitié de son capital entraînera 
de droit sa liquidation et l'annulation de ses privilèges. 

Sont membres de la Société tous négociants, marchands 
patentés et sous-traitants, résidant les uns et les autres à Saint- 
Louis ou dans les établissements du fleuve, qui souscriront des 
actions en leur nom ou pour le compte desquels il en sera souscrit. 

Chaque action est de 5.000 francs payables en espèces ou en 

Îuinées. Nul ne pourra souscrire en son nom personnel plus de 
5 action!*, aucune association en nom collectif ne pourra réunir 
sous le nom social ou sous le nom personnel des associés plus 
de 30 actions, 

Les actions sont toutes nominatives : elles ne pourront être 
ni cédées ni vendues (sauf les droits réservés à la Société contre 
les actionnaires en retard), pendant la durée de la Société, que 
dans le cas de faillite ou de décès du titulaire : « On ne doit 
pas perdre de vue que cette association n'étant proposée que 

I. G. G. &u Ministre, 13 novembre 1841 et 20 Janvier 1842; D. M. 9 Janvier 1912. 

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268 LA MiSfi fiN VAtEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

dans l'intérêt de toute la population, il faut éviter soigneusement 
tout ce qui pourrait tendre à un accaparement ». 

Le produit des actions appartiendra toujours à celui au nom 
et pour le compte duquel la souscription en aura été faite, lors 
même qu'un autre aurait fait le paiement de l'action. Néanmoins 
ce produit ou dividende ne pourra être affecté au paiement des 
dettes du titulaire que jusqu'à concurrence des 3/4 de son mon- 
tant. Le dernier quart sera considéré comme aliment et 
sera insaisissable et incessible. L'auteur du projet prévoit que 
« ce fait, répété pendant cinq années, aura pour effet incontes- 
table de diminuer considérablement la dette des indigènes. » 

La Société sera représentée par un Conseil d'Administration, 
composé de cinq membres titulaires et de quatre membres sup- 
pléants, nommés tous par l'Assemblée générale. Le Gouverneur 
choisira le directeur sur une liste de trois noms pris parmi les 
neuf conseillers. Un commissaire du Roi près de la Société, 
sera nommé par le Gouverneur : il siégera dans le Conseil avec 
voix représentative et sera chargé de veiller à l'exécution de 
l'arrêté d'organisation. 

Un règlement d'administration approuvé par le Gouverneur en 
Conseil d'administration réglera les statuts de l'association et 
fixera l'importance du capital social ^ 



V. Un essai de moralisation commerciale : La corporation 

DES traitants 

C'était la deuxième fois qu'on avait recours à une mesure aussi 
nettement opposée au principe de la liberté commerciale et aux 
doctrines économiques du Gouvernement français; mais c'était 
la première fois que le Gouvernement, sous la pression des évé- 
nements, en acceptait la responsabilité. Il ne l'acceptait, 
nous l'avons vu, qu'à contre-cœur, et il était tout disposé, le 
cas échéant, à revenir sur sa décision. 

Or, l'Association, à peine constituée, se heurte à de violentes 
oppositions. Quelque avis qu'on puisse avoir sur le principe, on 
doit reconnaître qu'il était nécessaire de discipliner le commerce 
du Sénégal et de modifier les mœurs locales par l'application 
prolongée d'une sévère réglementation : il faut se garder de rai- 
sonner des questions coloniales comme on peut le faire des ques- 
tions métropolitaines ; les principes qui conviennent à des peuples 
de vieille civilisation et d'économie solidement assise peuvent 
être tout à fait contraire aux intérêts de populations arriérées, 
qui n'en comprennent pas la portée exacte et les font dévier dans 



l. Projet d*arrêté| «veo notes de l'auteur du projet, to GommiMAire de Maiim 
Pageot des NouUtoee. D. M. 1849, n* 13. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 269 

le sens de leurs appétits de primitifs, et il est bien certain qu'une 
société indigène, dès que les événements la font entrer en contact 
avec le mécanisme de la vie moderne, ne peut, sans inconvénients 
pour elle et ceux qui traitent avec elle, se passer d'une forte tu- 
telle. Les Gouverneurs qui se sont succédé à Saint-Louis depuis 
1831 savent fort bien qu'ils mécontenteront le Ministère en lui 
proposant de réglementer la traite; pourtant, les plus timides 
d'entre eux ne peuvent longtemps dissimuler les dangers de la 
libre concurrence. Raffenel, qui a vécu au milieu de ces événe- 
ments et qui les juge avec une parfaite sagesse et un libéralisme 
incontestable, reconnaît que dans ces chartes « toutes hérissées 
de ces restrictions, ... on a peine à reconnaître l'esprit de liberté 
commerciale qui les fit accorder » ; mais il ajoute que cette « con- 
tradiction était inévitable » et que le commerce de la gomme ne 
pourrait être, « sans danger grave, abandonné complètement aux 
allures libres des traitants ^ ». 

Aussi n'est-ce pas le souci de faire respecter le principe de la 
liberté commerciale qui inspire l'opposition, mais plutôt l'égoïs- 
me d'intérêts très particuliers lésés par l'organisation d'une asso- 
ciation privilégiée. Les négociants de Marseille adressent une 
pétition au Ministre pour lui demander de faire rapporter l'arrê- 
té du 15 avril 1848, et c'est en vain que le Gouverneur Pageot des 
Noutières rédige à leur intention un mémoire par lequel il pré- 
tend démontrer la solidarité d'intérêts des négociants métro- 
politains et des traitants indigènes : les Marseillais ne voyaient 
autre chose dans le nouveau régime commercial du Sénégal que 
l'impossibilité d'inonder de guinées la colonie et d'accaparer la 
gomme K 

Trois membres du Conseil général du Sénégal provoquent une 
autre protestation : c'est que, persuadés « que l'association ne 
serait pas maintenue par suite des réclamations de quelques 
négociants marseillais, ils ont acheté en France une grande quan- 
tité de guinées qu'ils ne pourront introduire l'année prochaine 
dans la colonie que si la libre concurrence est admise ». — « Il y a 
vraiment à désespérer, déclare le Gouverneur au Ministre, de 
l'avenir d'un pays où l'on voit ainsi, sans hésitation, sacrifier 
le bien public aux calculs de l'intérêt privé ' ». 

Dans l'ensemble, la majorité des habitants de Saint-Louis 
s'avoue favorable au principe de l'association, mais, aà quelques 
rares exceptions près », les dispositions de détail de l'arrêté du 
15 avril ne satisfont personne. Le Gouverneur se voit obligé de 
demander lui-même une révision de l'arrêté et de proposer qu'on 
annonce dès maintenant, pour le jour où cessera le privilège 
quinquennal de la Société, « le retour au droit commun ^ ». 



1. C. G. au Minisire 8 septembre 1842. 

^. Raffenel, op. cit. p. 79 et sq. 

3. Raffenel, op. cit. p. 97; G. G. au Ministre, 9 et 16 juin 184% 

4t C G. au Minlaiie 13 et 23 août 1842« 



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270 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Pour comble de malchance, Tannée est mauvaise : c'est i des 
causes toutes fortuites, — inondations, absence totale de vents 
d'est, troubles politiques aux abords du fleuve, — qu'il faut 
attribuer le faible rendement de la traite ; mais on ne manque pas 
de rejeter tout le mal sur le compte de l'Association ^. 

Le Ministre fait droit à ces diverses réclamations et réunit, 
sous la présidence de M. Gauthier, pair de France, une commission 
chargée de proposer les mesures propres à concilier les intérêts : 
le 15 novembre 1842, l'Association privilégiée est supprimée et 
une nouvelle Ordonnance royale rétablit la liberté de la traite de 
la ffomme, sous les restrictions suivantes : 

La traite de la gomme aux escales ne pourra être faite que 
par intermédiaires commissionnés chaque année par le Gouver- 
neur. 

Le Gouverneur en conseil formera une liste généra^e des trai- 
tants. Ne pourront, jusqu'à nouvel ordre, être inscrites sur cette 
liste que les personnes libres nées au Sénégal et dépendances, 
qui ne paient patente ni comme marchands, ni comme négociants 
et qui auront pris part, pour leur compte ou pour le compte 
d*autrui, à la traite aux escales depuis 1836 ; les commis européens 
employés dans les maisons de commerce de la colonie, sont, comme 
les négociants et marchands patentés, exclus de la traite. 

Chaque année, le Gouverneur désignera, sur la liste générale, 
les traitants qui seront commissionnés et qui seuls auront le droit 
de traiter aux escales. Les traitants non commissionnés perdront 
les droits attachés à leur inscription sur la liste générale, « s'ils ne 
justifient exercer les fonctions d'aides-traitants ou faire la 
traite des marigots, ou se livrer à Saint-Louis à une industrie- » 

Pour la surveillance des opérations des traitants et pour la 
gestion des intérêts communs, il sera institué une commission 
syndicale, composée de cinq membres choisis par le Gouverneur, 
sur une liste de candidats formée au scrutin secret et à la majo- 
rité absolue par l'assemblée générale des traitants. Cette commis- 
sion sera présidée par un fonctionnaire supérieur, désigné par 
le Gouverneur. 

Un fonds commun sera constitué par un prélèvement de 
5 p. 100 sur la quantité de gommes rapportée par chaque 
traitant. Après la clôture de chaque traite, ce fonds commun 
sera distribué par portions égales entre tous les traitants 
inscrits sur la liste générale. La part de chaque traitant à cette 
distribution sera susceptible d'opposition de la part des créan- 
ciers, jusqu'à concurrence des deux tiers seulement de son mon- 
tant. 

Au total, l'ordonnance du 15 novembre, en soumettant les 
traitants aux rèçles d'une véritable corporation, se propose de les 
moraliser, d'éteindre leurs dettes et de les garantir contre la 
« fièvre de la concurrence » ^ 

1. C. G. au Ministre, 9 jam 1842. 

2. D. M. 18 novembre l842. InstrucUons sur VMdoBnaoïce royale du ISi novem- 
bre 1842. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 271 

Ce n'était toujours, dans l'esprit du Ministre, qu'une mesure 
provisoire : il restait attaché au a principe de la concurrence et de 
la liberté des échanges », et il ne le sacrifiait que partiellement et 
« pour une période plus ou moins longue à des nécessités de 
circonstance et à une agglomération d'intérêts locaux représen- 
tés par la majorité des traitants et des commerçants » ; il demeu- 
rait convaincu que « hors de la liberté des échanges, il n'y avait 
pour le commerce du Sénégal que des combinaisons artificielles, 
qu'une intervention arbitraire de l'administration inconciliable 
avec les nécessités du commerce, et dont l'expérience ne cesserait 
pas de démontrer les vices et la fragilité ». Au demeurant, l'Or- 
donnance du 15 novembre, au regard de l'arrêté du 15 avril, 
marquait un retour bien net au principe de la liberté commer- 
ciale ^• 

Cependant Pageot des Noutières, devenu Gouverneur inté- 
rimaire, continuait à regretter l'Association privilégiée dont 
il avait, en tant qu'ordonnateur, préparé le projet et à laquelle 
on n'avait pas donné le temps de prouver son utilité \ Il n'au- 
gurait rien de bon du nouveau régime, et ce n'est pas sans un 
sentiment d'amère satisfaction qu'il rend compte au Ministre 
des pénibles débuts de la corporation des traitants. 
* Il a convoqué, en janvier 1843, une assemblée générale des 
traitants, pour lui faire désigner les 15 membres parmi lesquels 
sera recrutée la Commission syndicale : malgré ses eilorts, la 
moitié seulement des traitants se présente ' ; pas un seul grand 
traitant n'est proposé à la nomination du Gouverneur; le plus 
grand nombre des voix se porte sur des noirs illettrés, et le 
Gouverneur voit dans cette manœuvre électorale une protesta- 
tion en faveur de TAssociation. L'élection se trouve être 
« vicieuse dans la forme » et elle est annulée ; mais les résultats 
de la deuxième réunion « ne valent guère mieux ^. » 

Il est vrai qu'à son arrivée dans la colonie, en février 1843, le 
Gouverneur Bouet s'étonne de ne pas rencontrer cette « oppo- 
sition » à laquelle son prédécesseur l'avait préparé : a Jusqu'ici, 
déclare-t-il, il n'en a rien été, soit que ma proclamation leur ait 
fait concevoir très bien que le meilleur parti pour eux était de 
se soumettre, soit qu'en effet le fonds commun et la patente 
soient vus de bon œil par beaucoup de petits traitants*. » Le 
Ministère, de son côté, prétendait que Texpérience était trop 
courte encore pour qu'on pût juger sainement des résultats et 
prêchait la persévérance : « L'application suivie et persévérante 
de ces principes peut seule désormais replacer progressivement 
le commerce dans une situation normale et faire cesser les 
perturbations dont on se plaint depuis quelques années. Sans 

1. D. M. 18 mars 1845. 

2. G. G. au Ministre, 4 Janvier 1843. 

3. Parmi les électeurs se trouvaient des femmes, « personnes libres et ocoupées de 
commerce. • 

4. G. G. au Ministre, 31 janvier 1843. 

5. G. G. au Ministre, 13 février 1843. 



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^72 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

doute la transition vers cet état de choses est pénible, elle 
peut même susciter au Gouvernement local des embarras sérieux. 
Haison de plus pour être ferme ^. » 

Mais c'était là raisonner dans le vide et prêter à la population 
sénégalaise un bon sens qui n'était pas dans ses moyens. Les 
négociants continuaient, en dépit des protestations des traitants 
et des prières du Gouvernement local, à participer directement à 
la traite*; les gros traitants étaient trop appauvris pour passer 
dans le camp des négociants, et Tamour-propre leur interdisait 
de déchoir au rang de petits traitants*; la classe des petits 
traitants avait bien été épurée par le régime de commissionne- 
ment, mais ceux qui avaient été évincés ne s'étaient donné nulle 
autre occupation régulière et vivaient de contrebande ou de 
mendicité *. 

Quant à la constitution du fonds commun, elle était loin de 
produire les effets qu'en attendait le Gouvernement. La première 
année, en 1843, le fonds commun, réalisé en espèces, produit 
36.879 francs, faible somme qui, répartie entre les 201 traitants 
inscrits sur la liste générale, procure à chacun 183 fr. 45 ; mais 
on met ce maigre rendement sur le compte de (d'exiguïté de la 
récolte », et l'on s'attend à ce que les années suivantes soient 
plus fructueuses ^. 

En 1844, le fonds commun atteint, en effet, le chiffre de 
105.422 fr. 43, chiffre qui ne paraît guère au Gouverneur suscep- 
tible d'augmentation, « car jamais la gomme, depuis bien des 
années, n'avait été à un si haut prix». Le dividende pour chaque 
traitant est de 549 fr. 07; mais, sur 192 personnes comprises 
dans la répartition, plus des deux tiers, qui avaient des dettes à 
éteindre, n'ont touché que la part prévue par l'Ordonnance, soit 
183 fr, 01'. 

Une lueur d'espoir en 1845 : la traite s'annonce magnifique; 
a encore une année comme celle-ci, écrit un peu vite le Gouver- 
neur Thomas, et les habitants paieront toutes leurs dettes*. » 
En réalité, plus des 2/3 de la dette sont acquittés, ce qui cons- 
titue déjà un merveilleux progrès, et Thomas se réjouit de 
« ces magnifiques résultats, car les pays heureux sont bien plus 
faciles à gouverner que les pays qui souffrent'. » Le Ministre 
félicite le Gouverneur et songe à supprimer « cette espèce 
d'impôt » que représente le prélèvement pour le fonds commun». 

Mais Thomas était un de ces administrateurs qui, pour conser- 



1. D. M. 18 mars 1845. 

2. C. G. au Ministre, 23 décembre 1844 et 21 avrU 1845; D. M. 13 mars 1845. 

3. D. M. 27 octobre 1843, 24 janvier 1845 et 7 août et 22 mai 1846, 14 juin 1847; 
G. G. au Ministre, 12 novembre 1844 et 12 janvier 1846. 

4. C. G. au Ministre, 12 novembre 1844; D. M. 24 janvier 1845. 

5. D. M. 27 octobre 1843. 

6. G. G. au Ministre, 12 novembre 1844. 

7. G. G. au Ministre, 8 avril 1845. 

8. G. G. au Ministre, 26 novembre 1845: D. M. 17 février 1846. 
9 D. M 17 lévrier 1846. 



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tB séNÉGAL SIMPLE COMPtOtA 273 

ver leur crédit auprès du Département, n'avouent jamais les 
échecs et ne rédigent que des rapports optimistes. Il avait bel 
et bien, selon l'expression même de la dépêché ministérielle, 
« induit le Ministre en erreur quant au progrès de la libération 
des traitants endettés. » Depuis 1845, « la dette n'a diminué 
que de 200.000 francs environ, et elle s'élève encore, au début 
de 1847, à 1.100.000 francs ^ » 

« La situation, constate le Ministre, n'est donc pas encore 
telle qu'elle doive faire mettre en question, comme je l'avais 
supposé, le maintien du fonds commun, et l'on doit s'attendre 
qu'il s'écoulera encore une période de temps assez longue avant 
que l'extinction de la dette ne soit consommée. L'institution 
du fbnds commun ne paraît pas, du reste, avoir exercé sur la 
concurrence des traitants, au début de la campagne, l'influence 
modératrice que la commission supérieure de 1842 s'était plu 
à s'en promettre dans l'occasion.* » 

Par la suite, l'impuissance du fonds commun à combler 
l'abîme de la dette ne fait que se confirmer : « Son action, écrit 
le Gouverneur Baudin au début de 1848, se perd entièrement 
au milieu du mouvement d'une dette aussi considérable que celle 
qui pèse sur la généralité des traitants » : le chiffre de la dette 
est, en effet, de 1.181.000 francs en 1848, c'est-à-dire supérieur 
de 20.000 francs à ce qu'il était en 1846, et l'augmentation 
continuelle du nombre des traitants a pour premier résultat de 
diminuer « journellement la part au fonds commun des traitants 
débiteurs ». « Le but de l'Ordoimance n'est donc pas atteint, 
conclut le Gouverneur, j'oserai même dire qu'il est manqué^. » 

Le Ministre, tout à fait d'accord avec le Gouverneur sur 
« l'inefficacité du fonds commun comme moyen d'extinction 
du passif », ne trouvait pas cependant « le moment opportun 
pour en prononcer la suppression », et il estimait que « cette 
petite ressource » devait être laissée aux traitants au moins 
jusqu'à nouvel ordre*. 

D'ailleurs, la Révolution de 1848 apportait de nouveaux 
principes et annonçait une « modification générale de notre 
orgamsation coloniale. » La liberté commerciale devait s'imposer 
à l'attention du Gouvernement plus fortement encore que sous 
la Restauration; surtout, l'abolition de l'esclavage allait nous 
obliger à réserver à une classe nouvelle une large place dans la 
société et dans l'économie du pays et rendre inapplicable le 
régime de traite fondé sur l'existence d'une corporation privi- 
lé^ée de traitants ^. 



1. D. M. 19 avril 1847. 

2. Ibidem, 

3. GG. au Minisire, 30 mari 1848. 

4. DM. % Juin 1848. 
6. Ibidem. 



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274 LA MISE BN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 



VI. — Vers la liberté commerciale. 

C'est à la fois pour corriger les imperfections pratiques du 
système de traite, pour en mettre les principes « en harmonie 
avec lenouveau régime de liberté* », et pour « ouvrir un champ 
d'activité » aux esclaves affranchis^ que TOrdonnance du 15 
novembre 1842 est modifiée par le décret du 5 mai 1849. 

La corporation des traitants est supprimée. Désormais, 
tout individu âgé d'au moins 21 ans, né au Sénégal et faisant 
partie de la population indigène depuis au moins cinq années 
est admis au commerce des escales ; cependant, pour conserver 
<( un stimulant au progrès de l'instruction », on maintient pour 
les traitants l'obligation de savoir lire et écrire. 

Les négociants et marchands patentés et, d'une façon géné- 
rale, les Européens sont exclus de la traite aux escales. 

Le fonds commun, dont les faibles avantages « allaient 
s'amoindrissant chaque jour par suite de l'extension donnée 
à la liste générale » des traitants et qui, sous le nouveau régime 
essentiellement libéral adopté par le Gouvernement de 1848, 
« n'aurait plus évidemment aucune signification, » est supprimé. 
Le produit des confiscations prononcées au cours de la traite, 
qui depuis 1842 était versé au fonds commun, sera désonnais 
attribué à l'hospice civil de Saint-Louis. 

Enfin, « comme conséquence du mouvement opéré dans les 
idées », une commission composée de traitants, sous la prési- 
dence du Commandant de chaque escale, est appelée à constater 
les contraventions et à les déférer au Gouverneur, soin qui 
jusque là revenait exclusivement au Commandant de l'escale'. 

C'était en somme, et sauf la réserve prévue pour le progrès 
de l'instruction, le rétablissement complet de la liberté commer- 
ciale en faveur des indigènes. 

Or, les traitants indigènes étaient plus nombreux que jamais 
depuis l'affranchissement des esclaves et la proclamation de la 
République n'avait pas changé leurs mœurs : ils s'empressent 
de faire un mauvais usage de cette liberté. 

Dès la traite de 1849, ils montrent que, livrés à eux-mêmes, 
ils ne parviendront pas à s'entendre : ils violent à qui mieux 
piieux les règlements qu'ils se sont volontairement imposés, 
ils se font la concurrence la plus maladroite^; ils sont, dit 
le Gouverneur Baudin, « incorrigibles ». Pour « donner une idée 
de leur déraison», Baudin signale qu'ils achètent les gommes 
aux Trarza à 27 livres la pièce de guinée, alors que cette pièce 



1. D. M. 3 février 1849. 

2. D. M. 25 mai 1849. 

3. D. M. 15 mai 1849. 

4. G. G. au Ministre, 25 juin 1849. 



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LB SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 275 

de guinée, tous frais compris, leur coûte au moins 35ou 40 livres^ ; 
aucun bénéfice n'était plus possible aux traitants : en 1849, 
leur dette dépassait à nouveau deux millions de francs ^ 

Il était nécessaire de réfréner cette folie de sous-enchère, si 
Ton voulait sauver le commerce sénégalais d'une ruine définitive: 
bien que le principe de la libre concurrence soit plus sacré que 
jamais, on en revient naturellement en 1850 au système du com- 
promis. Le ministère est toujours aussi délibérément hostile à 
cette mesure', et il faut reconnaître que des faits abondants 
confirment son avis ; mais le Gouverneur et le Conseil d'adminis- 
tration, ne voyant pas d'autre remède, insistent pour qu'il les 
autorise à user au moins de ce palliatif, et il cède, non sans for- 
muler mainte réserve *. 

Comme par le passé, le compromis demeure tout à fait lettre 
morte, et l'on constate une fois de plus qu'au Sénégal une régle- 
mentation de ce genre ne peut être qu' « une illusion* ». Pourtant, 
on continue à la prévoir, à la retourner en tous sens avec l'es- 
poir d'en tirer quelque utilité*. 

Cette épreuve de la liberté commerciale n'était donc pas flat- 
teuse pour la moralité des traitants indigènes. Avant 1848, ils 
avaient beau jeu à rendre responsables de leurs déboires les 
négociants européens qui participaient directement à la traite; 
depuis que les Européens étaient exclusses escales, les traitants 
avaient démontré que leur indiscipline et leur mauvaise foi 
étaient cause de tout le mal. D'aucuns prétendaient même, et 
le Gouverneur Baudin n'était pas éloigné de reconnaître que 
l'exclusion des Européens avait exaspéré plutôt qu'atténué la 
concurrence : sans doute certains négociants, avant 1848, pro- 
voquaient-ils, en cours de traite, une baisse fâcheuse du cours des 
guinées, mais ils ne représentaient qu'une minorité, et la présence 
des Européens contribuait à maintenir, pour une large mesure, 
l'ordre et la raison dans les opérations de traite et les relations 
avec les Maures'. Par ailleurs, les négociants européens remar- 
quaient, avec un étonnement plus ou moins sincère, que le prin- 
cipe de la liberté commerciale n'était appliqué qu'aux indigènes 
et que cette restriction constituait en fait un véritable privilège : 
ils se plaignaient « des préjudices considérables » que ce privilège 
leur causait et ils demandaient qu'on leur permît au moins de 
surveiller sur place leurs mandataires*. 

Le Gouverneur Baudin, de son côté, paraît hostile en principe 
au maintien de cette distinction entre Européens et indigènes : 



1. G. G. au Ministre, 4 août 1849. 

2. D. M. 17 septembre 1849. 

3. D. M. 28 février et 18 mai 1850. 

4. D. M. 28 février et 18 mai 1850; G. G. au Ministre, 13 avril 1850. 

5. G. G. au Ministre, 19 août 1851. i 

6. D. M. 21 août 1851 ; D. M. 6 janvier 1852. 

7. G. G. au Ministre, 16 juillet et 5 août 1849. 
& D. M. ^ octobre 1840 et 2 mai 1851. 



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276 LA MISE EN VALEUR DXJ SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

il croit savoir que Tessai de libre concurrence qui vient d'être 
tenté dans le haut pays « Ta été avec avantage ^ », et le Comité de 
commerce appuie cet avis d'un vœu a tendant à obtenir liberté 
pour tous aux escales* ». Il est vrai qu'en réponse à ce vœu, les 
traitants adressent pétition sur pétition, pour demander « que 
la traite de la gomme ne soit faite que par les indigènes^ » : ils 
représentent à l'administration que les négociants européens ont 
formé le machiavélique dessein de les condamner aux occupations 
humiliantes et barbares de l'agriculture ; mais Baudin ne se laisse 
pas intimider par ces grands mots : a Je ne partage pas l'opinion 
de MM. les traitants, écrit-il, et je ne vois pas pourquoi la popu- 
lation du Sénégal retournerait à la barbarie dans le cas où 1 on 
parviendrait à obtenir d'elle de se livrer à la culture des terres du 
Oualo, dont la propriété nous est acquise au prix d'énormes 
coutumes que nous payons depuis trente ans sans aucun résultat 
et nonobstant des dépenses primaires qui peuvent être évaluées 
à plusieurs millions * ». Pourtant, l'admission directe des Euro- 
péens aux opérations de traite ne paraît possible à Baudin que 
« plus tard, quand la colonie sera dans un état moins précaire ^ ». 
Les traitants restaient maîtres de ruiner le commerce de la gom- 
me. 

Ainsi, depuis que le Sénégal est redevenu un simple comptoir, 
aucune réglementation vraiment ferme n'est intervenue pour 
régulariser son principal commerce. Les compromis, les asso- 
ciations, la constitution des traitants en corporation, toutes ces 
ébauches d'organisation économique sont soumises à des expé- 
riences insuffisantes, trop courtes et surtout dépourvues de ri- 
gueur, et les avantages incontestables qu'elles présentent en 
principe disparaissent dans l'application. Elles ne pouvaient sub- 
sister sans l'appui d'une autorité forte et résolue au succès : 
conçues par 1 administration locale, qui disposait de peu de 
moyens, et mal vues du Ministère, elles étaient vite étouilées par 
les mœurs qu'elles avaient mission de modifier. 



1. C. G. au Ministre, 5 août 1S49. 

2. G. G. au Ministre, 27 novembre 1849. 

3. C. G. au Ministre, 27 novembre 1849: D. M. 31 Janvier 1850. 

4. Ibidem, 

5. CL G. au Ministre, 5 août 1849. 



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CHAPITRE II 



L* Alimentation du G>mmerce« 



Réduit à une économie strictement commerciale, le Sénégal ne 
pouvait vivre du seul commerce de la gomme, qui se heurtait à 
des difficultés sans cesse renaissantes, qui était menacé à la fois 

r»ar la concurrence étrangère et par l'apparition d'un succédané, 
'amidon \ et qui, loin de compenser les profits désormais inter- 
dits de la traite des esclaves, perdait tous les jours de sa valeur. 
II importait donc de renouveler les sources auxquelles le com- 
merce de Saint-Louis et de Gorée s'alimentait. Tel avait été le 
principal objet des entreprises de culture : puisqu'elles avaient 
échoué, il fallait chercher d'autres produits ou du moins dévelop- 
per ceux dont Roger avait déjà signalé l'intérêt. 

Le Ministère, aussi bien que le Gouvernement local, aperçoit 
fort nettement cette nécessité et, dès 1831, on s'attendait, 
en même temps qu'au relèvement de la traite de la gomme, à 
un accroissement général des produits d'extraction ou de 
simple récolte. 



L Les produits d'extraction. 

L'Or. — On continuait à croire que le sous-sol du Sénégal 
était riche. L'or du Bambouk, en particulier, hantait toujours 
les esprits. 

En 1832, le Gouverneur Renault de Saint-Germain fait des 
avances aux chefs du Bambouk pour obtenir d'eux une sorte de 

I. G. G. au Ministre,l2 octobre 1832. 

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278 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

permis d'extraction ; il se propose, en cas de refus, de s'adresser 
à un prince du pays de Galam, dont le fils, demeuré longtemps 
en otage à Saint-Louis, nous est fort attaché et qui consentira 
certainement à envoyer en France des apprentis mineurs^. 
Mais ce projet n'aboutit pas. 

C'est l'appât de cet or, qui, par la suite, nous provoque sur- 
tout à fonder le comptoir de Sénoudébou, sur la Falémé, à 
proximité du Bambouk : les rapports des explorateurs Huard, 




î comptoir c 
tence chétive, et l'or n'y afflua point. 

On crut s'apercevoir, d'ailleurs, que la terre aurifère du Bam- 
bouk, du Boundou, du Kaarta, ne présentait « aucun intérêt 
économique », et l'on cessa bientôt de poursuivre cette chimère '. 

Le Fer. — Le minerai de fer semblait abondant dans le haut 
Sénégal. Des mines étaient exploitées par les indigènes dans les 
régions du Khasso et du Logo, et il se faisait, dans Tintérieur, un 
grand commerce de fer travaillé, dont des échantillons avaient 
été rapportés au Gouverneur en 1835 et que le chef d'atelier de 
l'artillerie de Saint-Louis estimait valoir « le fer anglais ». Il ïut 
même entendu que la Compagnie de Galam serait invitée à 
traiter du fer en barre dans le comptoir qu'elle devait établir à 
Gaignou, et le Gouverneur songeait déjà à demander à l'adminis- 
tration des Douanes un remaniement des tarifs pour le jour où ce 
fer serait exporté en France*. Mais la réalisation de ces projets 
était subordonnée à l'extension de nos relations dans le haut 
Fleuve, et ces relations ne permirent jamais une exploitation 
en règle. 

Au reste, ce minerai de fer ne semblait guère plus avantageux 
que les terres aurifères. Des échantillons, rapportés par l'explo- 
rateur Rey de son voyage dans le Khasso, furent examinés à 
Paris par le chimiste Deville : ils étaient assez riches en fer métal- 
lique, mais très argileux et réfractaires, et le minerai ne pouvait 
être exploité avec avantage qu'à la condition d'être situé à 
proximité d'un gisement de calcaire*. 

En 1854, le fer, pas plus que l'or, n'était devenu un produit 
d'exportation. 



1. c. G. au Ministre, 27 mars 1833. 

2. D.M. 10;mai 1844. 

3. C. G. au Ministro, 14 juillet 1848 ; D. M. 29 octobre 1844.— Signalons, cependant, 
de nouvelles prospections entreprises, vers la fin de la période qui nous occupe, par 
Rey, commandant du fort de Bakel, à Kéniéba (D. M. 21 avril 1853) ; en 1854, Tex- 
portation aurifère du Bambouk fut proposée par « deux citoyens des Etats-Unis » et 
rejetée; à cette occasion, le Département attira à nouveau Inattention du Gouverneur 
du Sénégal sur l*or du Bambouk (D. M. 16 janvier 1854). 

4. C. G. au Ministre, 27 mars 1832; D. M. 20 juiUet 1833. 

5. D. M. 20 janvier 1853. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 279 

Le Guano. — Le ministère signale au Gouverneur, en 1842, & 
la demande de la Société d'agriculture de Brest, la présence pro- 
bable de gisements de guano surla côte du Sénégal. Le Gouverneur 
et le Commandant de la Station s'entendent pour faire visiter 
les Ilots situés à l'embouchure du Sénégal et auprès de la pres- 
qu'île du Cap Vert, mais, malgré l'abondance des oiseaux de mer, 
on ne découvre que des dépôts insignifiants : on croyait pouvoir 
expliquer ce fait par le caractère torrentiel des pluies d'hiver- 
nage ^. 

On ne trouva pas davantage de soufre *. 

En somme, le commerce du Sénégal ne put s'enrichir d'aucun 
produit d'extraction. 



IL — Les pêcheries 



L'exploitation de la pêche pouvait être beaucoup plus intéres- 
sante que celle des mines : on savait que la mer, aux abords des 
côtes du Sénégal et de la Mauritanie, était remarquablement 
poissonneuse; certaines peuplades indigènes, notamment les 
Lébou, s'adonnaient traditionnellement à la pêche, pratiquaient 
le séchage du poisson ; au prix de quelques efforts, une riche indus- 
trie pouvait naître de cette ressource. 

De plus, cette question était vraiment à l'ordre du jour : des 
articles de revues, des mémoires ne cessaient d'en signaler l'in- 
térêt. Fabien Berthelot publie en 1840 un ouvrage intitulé : De 
la pêche sur les côtes occidentales d'Afrique ® ; vers la même époque, 
le Commandant de la Station d'Afrique, Montagniès de la Roque, 
propose de comprendre les essais de pêche dans les obligations à 
imposer à la nouvelle Compagnie de Galam*, et c'est encore sur 
la Compagnie de Galam que comptait, pour le développement 
de la pêche, un négociant de Saint-Louis, Sarrazin, qui adres- 
sait au Ministre, en 1842, un fort curieux mémoire». 

Toutes ces idées méritaient d'être étudiées, et le Département 
ne manquait pas, en effet, d'en rappeler l'intérêt au Gouver- 
nement local*. Mais le Gouvernement local, à qui son instabilité 
interdisait, pour cette affaire-là comme pour les autres, tout 
esprit de suite, demeura inactif : il ne répondait pas, ou répondait 
sans précision^ ; il comptait exclusivement, pour les réalisations, 
sur les obligations imposées à la Compagnie de Galam, mais,dès 
1842, le renouvellement du privilège fut si menacé que la pêche 



1. D. M. 7 juin 1842; C. G. au Ministre, 26 décembre 1842. 

2. D. M. 14 février 1848- 

3 Gf D. M. 28 mai 1841. 

4 D. M. 17 juin 1842. 

5. Ibidem. 

6. D. M. 28 octobre 1841, 17 mai 1842, 31 janvier 184a 

7. C. G. au Ministre, 24 août 1842. 



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280 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

n'eut aucune part dans les soucis de la Compagnie^. De 1831 à 
1854, Texploitation de la pêche au Sénégal ne fit aucun progrès *. 

Seule, une pêche d'un genre spécial, celle des sangsues, fournit 
au commerce du Sénégal un aliment de quelque importance. Le 
Département ordonnait d'en envoyer par vingtaine de milles à, 
Cayenne, à la Martinique, à la Guadeloupe, pour l'usage courant 
et aussi pour l'acclimatement et la reproduction*. 

Mais c'est surtout à partir de 1837, sous l'impulsion du phar- 
macien Huard, que l'exportation de sangsues devint importante. 
Huard dirigeait personnellement 'es opérations de pêche, 
vivant en canot sur les marais du Oualo et du Fouta, huit mois 
durant, avec ses auxiliaires indigènes pour seuls compagnons : 
en quelques mois il recueillit plus de 500.000 sangsues, puis fit 
établir à Richard-Tol un système de bassins pour en faire des 
réserves et régulariser les envois. Il est vrai que le mille de sang- 
sues valait tout juste 8 fr, 50 : mais l'entreprise, sous la direction 
de cet homme admirablement dévoué, promettait si bien de 
s'étendre, qu'on pouvait y voir une vraie source de richesse*. 

Les envois de sangsues aux Antilles durèrent pendant toute 
la période qui nous occupe*, mais ce commerce ne prit pas l'im- 
portance qu'on en attendait et coûta au Gouvernement local 
bien des difficultés et des déceptions. Le Fouta, plus riche en 
sangsues que le Oualo, mais éloigné et toujours troublé, se prê- 
tait mal à ces opérations* ; puis la conservation des sangsues à 
Richard-Tol était malaisée : un beau jour Huard, en visitant 
ses bassins, s'aperçut que les sangsues en étaient disparues; 
il supposa qu'elles s'étaient cachées dans la terre « à cause du 
froid^». Le transport par mer exigeait de minutieuses précautions, 
et Huard devait accompagner jusqu'aux Antilles les envois 
importants*; enfin, Huard mourait à la peine*, le 31 juillet 1844, 
et comme, entre temps, les sangsues s'étaient acclimatées aux 
Antilles, les envois, vers 1854, avaient diminué au moins de 
moitié et devenaient de plus en plus difficiles^*. 



1. D. M. 17 Juin 1842. 

2. En 1833, le Gouverneur Renault de Saint-Germain avait également signalé 
au Département que les Maures étaient en mesure de se procurer des écailles de 
tortue fou céret) évaluées à 80 fr. le kilog., et qu'il les avait invités à se livrer réguliè- 
rement à cette pêche. (G. G. au Ministre 4 mars 1836). Mais ce projet n'eut pas plub 
de suite que les autres. 

3. D. M. 14 juin et 27 septembre 1834, 23 décembre 1834. Ces chiffres sont consi- 
dérables, si Ton songe au caractère primitif des procédés de pèche : on faisait entrer 
des nègres dans les marécages et «on les exposait aux attemtes de ces annéiides». 
G. G. an Ministre. 29 février 1837. 

4. C.G. au Ministre 22 mars et 31 août 1837, 9 septembre 1839 ; D.M. 25 juiUet 1837. 

5. D.M. 9 juillet 1853 et 22 mars 1854. 

6. C. G. au Ministre, 31 août 1837 

7. C. G. au Ministre, 17 août 1840. 

8. D. M. 14 février 1840. 

9. D.M. 11 octobre 1844. 

10. C. G. au Ministre, 7 décembre 1844 et 5 mars 1845; D. M. 9 avril et 9 juil e^ 
1853, 22 mai 1854. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 281 



III. — Les produits d'élevage. 



L'élevage du gros bétail réussissait bien dans les régions du 
Fleuve et dans des pays voisins de Saint-Louis, comme le Cayor 
et le Djolof, et nous avons vu que nos colonies des Antilles 
avaient, dès 1826, demandé au Sénégal de leur envoyer des 
animaux destinés au labour et à la reproduction. 

En 1832, le Gouverneur de la Guyane, Jubelin, qui connais- 
sait particulièrement le Sénégal pour l'avoir gouverné, fît un 
nouvel appel à ces ressources \ mais c'est surtout la Guade- 
loupe qm adressa au Gouverneur du Sénégal de fortes comman- 
des : en 1841, par exemple, elle se fit envoyer 265 bœufs; en 
1842, 651 ■. Il est vrai que cette rapide progression ne se main- 
tint pas : vers 1849, l'exportation du gros bétail en Guyane 
et à fa Guadeloupe avait à peu près cessé •, 

Quant à la Martinique, elle était toujours demeurée en dehors 
de cette affaire : on y prétendait que les bœufs du Sénégal 
introduisaient dans le pays une sorte de tique, qui ravageait 
les troupeaux : c'est à cette même crainte qu'il faut attribuer 
le ralentissement des importations de bœufs sénégalais à la 
Guadeloupe après 1843 et leur remplacement par des animaux 
importés de France, des Etats-Unis ou du Para*. 

Pour faire tomber ces objections, le Département prescrivit 
des mesures sanitaires (frictions au beurre rance, etc.*) Sous 
sa pression, le commerce des bœufs, en 1853, parut devoir 
reprendre avec la Guyane et la Guadeloupe, mais sans grande 
activité •. 



1. D. M., 17 Janvier et 30 octobre 1S32; G. G. au Ministre, 5 avril 1S32. — Le 
bœuf, pri<> au Sénégal, coûtait alors environ 50 fr.; il valait à Gayenne 150 fr. 
(G. G., au Ministre, !•» novembre 1840). 

2. D. M., 12 Janvier 1844 et 8 février 1845. 

3. D. M., 29 mars 1853. 

4. D.M., 8 février 1845, 12 mai 1846, 29 mars 1853. 

5. D. M., 12 mai 1846. 

6. D. M., 29 mars, 21 et 29 Juin, 22 décembre 1853; 25 mars 1854. 

Nous ne pouvons citer que comme une ressource tout accessoire et fort irrégu- 
Uére la cire brute, qui venait surtout de Gasamance (G. G., au Ministre, 8 sept. 1832). 
Alors comme aujourd'hui, les indigènes du Sénégal ignoraient à peu près tout de 
rélevage des abeilles, détruisaient systématiquement les essaims au moment de 
la récolte du miel et ne pouvaient par conséquent atteindre à une production 
vraiment appréciable. 



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282 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 



IV. — Les produits de culture : Les derniers essais de 

NATURALISATION ET LA FIN DES ENTREPRISES d'EtAT. 



En dehors des produits agricoles depuis longtemps acclimatés 
et qui sont directement utilisés par le pays, on ne constate 

fuère au Sénégal, après 1831, que des survivances, destinées 
disparaître rapidement. Ni le Département, ni le Gouverne- 
ment local ne sont décidés à continuer ou k reprendre les essais 
d'acclimatation, de « naturalisation », les recherches sur les 
plantes à introduire ou sur les procédés de transformation, et 
c'est, en quelque sorte, pour la forme et par acquit de conscience 
que Tun et l'autre signalent les résultats de quelques expériences 
qui sont tentées isolément et sans suite : « Toute plante exotique, 
écrivait le Gouverneur Renault de St-Germain en 1831, résis- 
te difficilement à l'influence des vents d'est et les produits 
de quelques analogues indigènes sont loin de compenser les 
frais d'exploitation. Si des profits peuvent être obtenus du sol, 
il faut se borner à les demander à des plantes spontanées dont 
la végétation vigoureuse brave le climat^ . » 

Le colon. — Les grandes plantations de coton sont tout à fait 
disparues. Il ne reste guère d'autre trace de cette entreprise 
que des réclamations pécuniaires relatives aux primes dues 
pour l'exportation ou aux per^s subies après la suppression 
des primes. 

La culture du coton se maintint quelque temps encore aux 
environs de Saint-Louis, sur de faibles étendues; elle sembla 
même vers 1844, faire quelques progrès^, mais cette renaissance 
n'eut pas de lendemain. 

L* Indigo. — En 1832, trois disciples du Gouverneur Roger, 
Ziegler, Chaize et Beynis, prétendent recommencer l'exploitation 
de l'indigo. Ils attribuent les premiers échecs à l'inexpérience, 
à la culture de Tindigofère du Bengale qui, au contraire de 
l'indigofère indigène, ne résiste pas au vent d'est, au procédé 
de fabrication par la feuille sèche, à l'étendue des cultures, 
excédant les moyens d'exploitation, et à des accidents, tels 
que les débordements extraordinaires du fleuve. Us se conten- 
tent de demander, à titre d'encouragement, le bénéfice de la 
prime d'exportation pendant quatre ans et l'usage des instru- 
ments envoyés au Sénégal par le Département lors des essais 
de colonisation. 

I. C. G., au Ministre, 11 août 1831. 

1. D. M., 5 février 1833; G. G., au Ministre, 9 juiUet 1840. 

2. D. M., 18 et 29 octobre 1844; D. M., 18 octobre 1844. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 283 

Le Gouverneur Renault de Saint-Germain consent & les aider, 
mais sans entrain; il prend soin de présenter cette initiative 
au Ministère comme une concession sans conséquences et se 
promet de surveiller et de limiter l'entreprise : « J'ai voulu 
prévenir, écrit-il, que l'appât d'une prime ne fît convertir une 
entreprise agricole en une spéculation frauduleuse. En effet, 
il ne serait pas difficile d'introduire des indigos pris dans la Gam- 
bie... et de les présenter comme des produits indigènes. Le but 
actuel de la prime n'est plus comme auparavant d'exciter à des 
entreprises que l'on était fondé à croire lucratives, mais sim- 
plement de dédommager d'une perte éventuelle des hommes qui 
font spontanément une dernière tentative ^ » Le total des primes 
ne devait pas dépasser 8.400 francs. 

Cette tentative ne fut pas, d'ailleurs, plus heureuse que les 
précédentes*. Toutes les plantations d'indigo furent aban- 
données, et quand, en 1837, le Département demanda au Gou- 
verneur d'envoyer des échantillons d'indigofères du Bengale 
acclimatés au Sénégal, on n'en trouva plus un seul pied^. 

Le tabac. — En 1843, le Commandant de Gorée propose 
d'entreprendre de nouveaux essais pour la pulture du tabac au 
Sénégal. Le Département ne répond que par de faibles encoura- 
gements : il rappelle le peu de succès des premiers essais et fait 
cependant envoyer au Sénégal des graines fraîches de tabac de 
la Havane, de Maryland et du Levant^. 

Quelques plantations sont établies en Casamance, en Gambie 
et même dans le Saloum, et s'annoncent bien; mais on cesse 
bientôt de s'en occuper K 

Les plantes tinctoriales. — Un commerçant de Gorée, Jaubert, 
avait fait, vers 1840, des expériences intéressantes sur tes 
propriétés tinctoriales de certains végétaux indigènes (curcuma 
d'Afrique, fleurs de baobab, neb-neb, paille de mil, oseille dite 
des Mamelles, etc....) et il fit transmettre au Département des 
échantillons d'étoffes teintes*. Ces échantillons se trouvent 
encore aux Archives de Dakar et ils ont conservé de fort agréa- 
bles couleurs; mais le Comité des Arts et Manufactures, consulté, 
déclara que ces résultats étaient, dans l'ensemble, peu satisfai- 
sants, que les préparations semblaient devoir êbre très coûteu- 
ses et qu'il n'y avait pas lieu de concéder à Jaubert un privil^e 
d'exploitation^ 



1. C. G., au Ministre, 11 août 1831. 

2. D. M., 1» octobre 1834. 

3. C. G., au Ministre, 7 décembre 1837. CI. de même C. G., au Ministre, 30 juil- 
let 1846. 

4. D. M., 10 octobre et 22 décembre 1843; 31 août 1844. 

5. C. G., au Ministre, 5 octobre 1844. 

6. G. G., au Ministre, 12 décembre 1840. 

7. D. M., 1«' juin 1841 et 25 avrU 1843. 



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284 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Les plantes médicinales. — Les médecins spécialisés dans 
rhygiène tropicale étaient surtout occupés, vers cette époque, 
de la recherche des fébrifuges, et ils pensaient trouver dans 
la flore de nos colonies maint succédané du quinquina ^. 

Pour les aider dans ces travaux, le Ministre demande au Gou- 
verneur du Sénégal de lui faire parvenir des écorces de baobab, de 
gosse ou kosse, de cailcédra, destinées surtout au chimiste 
Caventou*; mais ces recherches n'aboutirent à nulle découverte 
vraiment pratique *. 

Les bois. — Les exportations de bois qui, vers 1826, parais- 
saient devoir se développer, ont à peu près cessé. Le Ministre 
prie simplement le Gouverneur du Sénégal de lui procurer des 
graines de cailcédra, de fromager ou d'arbres fruitiers (corosso- 
liers, goyaviers, pommiers d'acajou, manguiers, etc.) pour les 
envoyer en Egypte et à Alger *. Il recommande aussi de natura- 
liser au Sénégal le tèck, dont des échantillons lui ont été trans- 
mis par l'agent consulaire de France à Sierra-Leone *; il s'intéresse 
en passant au bois de kell, rapporté par Rey du Khasso et 
qui paraît riche en gutta-percha •; mais le commerce du Sénégal 
profite peu de ces projets, qui restent dans les cartons. 

En somme, toutes les tentatives de culture ou d'exploitation 
végétale qui étaient apparues depuis la reprise de possession 
étaient décidément abandonnées, et Ton semblait avoir renoncé 
tout à fait à chercher au Sénégal ce qu'on trouvait dans les 
Butres colonies tropicales. Les divers essais d'acclimatation dé 
plantes exotiques avaient échoué, et le dernier champ d'expé- 
riences, Richard-Tol, était lui-même condamné. 

Le Ministère, aussitôt après l'abandon des cultures, avait 
décidé de cesser tous travaux d'entretien à Richard-Tol. Mais 
le Gouverneur Renault de Saint-Germain avait représenté qu'il 
y avait intérêt à veiller à la conservation des arbres, tant pour 
les constructions, qui nous obligent à recourir aux Etats-Unis, 
que pour la production de quelques fruits utiles aux malades; 
une vingtaine de travailleurs devaient suffire à remplacer les 
engagés à temps récemment libérés, continuer quelques cultures 
de l^umes et contribuer ainsi à l'amélioration de la situation 
sanitaire, qui devenait fort alarmante : « A l'exception des 
scorbutiques pour qui des salades sont achetées à grands frais, 
la nourriture des hommes à l'hôpital consiste en volaille, oeufs 
et poisson. Leur sang brûlé par des maladies inflammatoires 

1. C'est en 1820 que Pelletier et Caventou sont parvenus à isoler de Técorce 
du quinquina le principe actif, la quinine. 

2. D. M., 12 juin 1848, 13 juillet et 7 août 1849, 6 décembre 1851 ; C. G., au Minls- 
tre, 16 novembre 1848. 

3. Le Ministre demandait aussi renvoi aux Antilles d*écorcet> de ghénondès [Celas* 
tni8 Senegalensis), considérées comme un remède contre les diarrhées chroniques 
(D. M., 27 mai 1851). 

4. D.Mm 10 mai 1833. 

5. D. M., 27 février 1854. 

6. i). M., 6 octobre 18b2. 



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LE SÉNÉGAL SIÂfPLB COMPTOIR 285 

ne peut se rafraîchir, faute de végétaux : il suit de là une plus 

f;rande mortalité, de plus longues convalescences et de plus 
réquents congés en France.... »^ 

Le Ministre persistait à penser que les frais occasionnés par 
l'entretien de Richard-Tol étaient disproportionnés avec 
l'utilité que le Gouverneur attribuait au jardin : mais, comme, 
& ce moment là, François Ziégler, ancien jardinier du Gouver- 
nement, remercié après l'abandon des cultures, appauvri 
par des entreprises malheureuses de colonisation et de commerce 
des sangsues, demandait à être affecté « à la conservation de 
Richard-Tol '. », le Ministre songe à lui céder le jardin moyennant 
une redevance annuelle de fruits et légumes à fournir à l'hôpital, 
n paraissait d'ailleurs au Gouverneur que « l'importance des 
produits dont l'établissement était susceptible » ne permettait 
pas d'imposer une telle charge au cessionnaire ^. 

La guerre du Oualo vint mettre fin au débat. Les nécessités 
de la défense firent disparaître les derniers arbres. « Au lieu 
d'un superbe et vaste jardin où étaient acclimatés les produits 
d'Europe, on ne trouve plus aujourd'hui qu'un champ sec et 
désert^ » On se contenta d'y maintenir un agent politique, qui 
avait mission de surveiller le Oualo». 

Des entreprises d'Etat, il ne restait donc que quelques jardins 
à Dagana, à Merinaghen, à Lampsar, à Bakel, exclusivement 
destinés à ravitailler les fonctionnaires ou les garnisons. Les 
produits, du reste, en demeuraient maigres : les légumes et les 
fruits, si abondants au temps de Roger, étaient redevenus «un 
objet de luxe*, » 



V. — Le développement des cultures indigènes. 

Cette inertie agricole n'était malheureusement pas compensée 
nous l'avons vu, par les profits du commerce, et il fut bientôt 
démontré qu'une colonie ne peut pas vivre longtemps d'un 
produit de simple cueillette. La traite de la gomme était de 
jour en jour moins avantageuse ; par ailleurs, les guerres incessan- 
tes du Fouta, l'hostilité du Cayor et du Oualo, la rivalité des 
Anglais en Gambie, en Casamance, dans le Saloum, rendaient 
plus irréguliers les arrivages de mil et provoquaient à Saint- 



1. D. M.. 15 novembre 1831; C. G. au Ministre, 26 février 1832. 

2. Richard-Tol était momentanément confié à Monserat, ouvrier mécanicien 
ancien gérant de Tateiier d*égrenage, qui devait être incessamment employé sur 
un baieau à vapeur destiné aux convoi» du flelive. 

3. D. M., 9 avrU et 1«' octobre 1838; C. G., au Ministre, 23 mai 1833. 

4. C. G., au Ministre, 26 Juin 1839. 

5. C. G., au Ministre, 10 novembre 1833 et 4 août 1834; D. M., 18 octobre 1833. 

6. D. M., 23 octobre 1861, Cf. de môme D. M., 17 mars 1849, 20 mars 1860, 
8 Janvier 1863; G. G., au Ministre, 6 Juin 1838, 30 juUIet 1846 et 6 octobre 1860, 



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286 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Louis et à Gorée de fréquentes et pénibles disettes'. Bon gré 
malgré, le Sénégal était ramené aux entreprises agricoles. 

Ce n'est pas TAdministration qui prend cette initiative : 
tout au plus tente-t-elle, en 1848, sans succès, d'ailleurs, de 
parer à la disette de mil par l'acclimatation des céréales d'Europe 
dans le Fouta ' : elle demeure résolument hostile au régime des 
primes de culture, aux encouragements en espèces'; la propa- 
gande agricole se fait en dehors d'elle. Elle ne laisse pas, cepen- 
dant, de s'y intéresser : elle félicite despremiers résultats, accorde 
volontiers des concessions, les relie par des chemins, installe 
des débarcadères sur la côte des îles mises en culture, etc *. 

Mais c'est d'eux-mêmes que les indigènes viennent ou re- 
viennent à terre. En 1840, les principaux noirs de Saint-Louis, 
« effrayés des pertes qu'ils ont faites dans la dernière traite et 
craignant que la crise se prolonge », se mettent à cultiver des 
petits champs ou « lougans » « qui leur assurent la nourriture de 
leurs familles», puis, prenant goût à ce genre d'existence, ils 
demandent l'autorisation de mettre en culture l'île de Bairaye, 
située à trois heues au nord-est de Saint-Louis •. C'est ensuite, 
aux portes de Saint-Louis, l'île de Sor, qui se peuple de culti- 
vateurs •; c'est Carabane, à l'embouchure de la Casamance, 
que des gens de Gorée et de Saint-Louis vont couvrir de rizières *. 
Des particuliers se proposent d'encourager cette tendance 
en prêchant d'exemple. En 1847, un vieil habitant de Saint- 
Louis, à qui le commerce avait peu réussi, Auxcouteaux, de- 
mande là concession d'un terrain dans l'île de Lampsar, pour 
montrer aux indigènes « ce que la terre peut produire à l'homme 
qui sait la cultiver « ». Il est vrai d'ajouter qu'Auxcouteaux 
manquait de fonds et demandait au Gouvernement local une 
subvention annuelle de 9.600 francs : le Gouverneur par inté- 
rim, Caille, était assez disposé à la lui accorder, mais aucun 
crédit n'était à cet effet prévu au budget, et il fallait l'autori- 
sation formelle du Ministre, qui ne vint pas ^ 

En 1848, l'abbé Arlabosse, vice-préfet apostolique du Sénégal, 
projette de constituer, aux environs de Richard-Toletde Dagana, 
a un village modèle qui deviendrait un centre de colonisation 
placé sous l'action d'une congrégation religieuse » et de détruire 
par là « le discrédit où se trouve l'agriculture au Sénégal». Le 
Gouverneur Houbé se montre très favorable à ce projet, car 
il estime que aies corporations, les sociétés sont puissantes pour 
entreprendre et créer.... un individu disparaît, une congrégation 

1. D. M., 31 octobre 1848, 8 janvier 1851 et 19 octobre 1854; G. G., au Mioistre, 
10 octobre 1840. 

2. D. M., 31 octobre 1848; G. G., au Ministre, 20 juin 1849. 

3. D. M., 26 Janvier 1844; G. G., au Ministre, 13 septembre 1837. 

4. D. M., 26 janvier 1831, 31 octobre 1845, 8 décembre 1853. 

5. G. G., au Ministre, 10 octobre 1840. 

6. D. M., 8 décembre 1853. 

7. D. M., 24 janvier et 6 décembre 1853; 16 juUlet 1852. 

8. G. G., au Ministre, 16 août 1847. 

9. D. M;, 24 janvier 1848. 



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LE SÉNÉGAL SIBIPLB COlIPfOIÉ â87 

ne meurt pas »^. Mais son successeur et le Ministre sont plus 
réservés, s efforcent de ramener le projet « à des proportions 
modérées d, rappellent que « les essais de cultures n ont jamais 
été heureux et qu'il convient d'aller doucement avant de se 
lancer de nouveau dans cette voie* ». 

Devant ces résistances, Tabbé Arlabosse renonce à demander 
une concession dans le bas Fleuve et, après s'être assuré des 
appuis à Pferis, monte dans le pays de Galam en 1849, à la tête 
d une mission « agricole et religieuse » et avec une avanpe de 
fonds de 9.500 francs, mise à sa disposition par le Gouvernement ': 
il ne tavda pas, du reste, à y mourir^. Son successeur, l'abbé 
Tanguy, tomba malade à son tour : il ne restait plus à la mission, 
en 1858, qu'un seul prêtre et un frère convers, et l'établisse- 
ment n'avait encore produit aucun résultat*. 

En 1846, la missionr des Côtes occidentales d'Afrii:;^ue 
fondait un établissement à Dakar et se proposait surtout de faire 
l'éducation agricole des indigènes de la presqu'île du Gap Vert *. 

Dans cette même presqu'île, un habitant de Gorée,Bodin, avait 
créé, à Toasts de Hann, un jardin où poussaient à merveille les 
arbres fhiitiers des Antilles et presque tous les légumes d'Eu- 
rope * : en ISS?, le Général Bernard, qui venait de consacrer dix 
jours- de relâche à visiter Gorée et ses environs, insistait auprès 
du Gouvernement pour qu'il rachetât ce jardin et fit planter sur 
toute l'étendue de la presqu'île des cocotiers, des sapins de 
rinde, des arachides*. Mais le Ministre ne croyait pas possible de 
revenir k une politique agricole qui lui semblait condamnée par 
des^ faits abondants et dûment contrôlés. 



VL — Les oléagineux ; L'abaghids. 

Ea néme tempa que la nécessité d'un relèvement économique 
provoquait le dévetoppement spontané des cultures indigènes» 
de nouveHes idées sur les aptitudes naturelles du Sénégal se 
faisaient jouv. 

li n'éiaîi plu9 question- de coton, d'indigo, de céréales riches 
ni d'exploitations forestières : on cessait die prêter aux régions 
arides du Sénégal la po8sij>ilité de produire l ensemble des res* 
souroes. médifcervanéennes et tvopteales ; on l'es spécialisait, en 
quelque sorte, dans la production des oléagineux. 

1. C. G., au Ministre, 30 JulUei 1846; D. M., 24 janvier 184& 

2. D. M., 24 )anvlep et 1$ novembre 1848; C. G., au Ministre, 22 janvier 1849. 

3. D. M., 20 beptembre 1849, 18 août 1850, 7 février et 18 ftévriev 1851 ; C. 6., au 
Ministre, 22 janvier 1849^ 6 décembre 1850, 5 septembre 185L 

4. C. G., au Ministre, 26 septembre 1851. 

5. G. G., au Ministre, 13 mai 1852. 

6. Cf. ci. Faure, op. cit, p. 88 et sq. 

7. Ibidem, p. 102, et G. G., au Ministre, 13 septembre 1837. 
a D. M;, 14 février t835; 14 juin 1847 et 17 février 1853. 



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288 LÀ MISE EN VALEUR bU SIÈnÉGAL DE 18l7 A 1854 

Le changement est manifeste : alors que le Département se 
désintéresse à peu près complètement des derniers essais de 
coton, d'indigo ou de plantes tinctoriales, il se reprend, surtout 
après 1840, à recommander la culture des végétaux susceptibles 
de servir à l'industrie des huiles et des savons; il invite le Gou- 
vernement local à faire recueillir par les indigènes le plus possible 
de noix de touloucouma ^ ; il signale la culture du sésame comme 
« facile, peu coûteuse et intéressante pour le commerce national » 
et envoie au Gouverneur 500 kilogs de graines pour les premiers 
essais et des instructions détaillées pour les semis*; il expédie 
des graines d'argane pour l'établissement de quelques planta- 
tions et recommande d'en tirer de l'huile et des tourteaux pour 
les bestiaux*. Le palma-christi ou ricin était également en 
faveur *, 

Mais c'est surtout l'arachide qui retient l'attention du Dépar- 
tement et du Gouvernement local. 

Les indigènes du Sénégal cultivaient depuis longtemps 
l'arachide, qui avait sans doute été apportée en Afrique par les 
négriers portugais au début du XVI® siècle, mais il ne s'en 
servaient que dans leur alimentation ; ils la considéraient comme 
un appoint au mil et se contentaient d'en semer quelques pieds 
autour de leurs cases. L'irrégularité de ravitaillement en mil 
les poussa à développer cette culture ^. 

Par ailleurs, les colons sénégalais s'étaient aperçus que l'ara- 
chide était particulièrement riche en huile et avaient conçu 
la possibilité d'une utilisation industrielle. Dès 1834, la maison 
Devès et Chaumet, de Bordeaux, se propose d'installer à Saint- 
Louis une huilerie d'arachides et demande à cet effet pour deux 
de ses agents, Rey et Rolland, la concession gratuite du bâtiment 
construit, en 1825, à la pointe nord de l'île Saint-Louis pour la 
fabrication de l'indigo « ; mais le Gouvernement local ne crut 
pas pouvoir leur accorder cette faveur et l'entreprise ne se réalisa 
pas 7, En 1840, Monteillet, négociant à Saint-Louis, sollicita 
le même avantage et demanda en outre un privilège exclusif 
de 10 à 12 ans pour l'exercice de cette industrie dans la colonie : 
le Ministère invita le Gouverneur à examiner ces propositions 
avec une particulière bienveillance, mais le Conseil privé du 
Sénégal discuta longuement sur la durée du privilège, et 
Monteillet, entre temps, mourut*. 

En 1849, un chimiste parisien, Rousseau, qui avait été envoyé 
au Sénégal par une maison de commerce de Rouen et qui avait 



l.D. M., 29 septembre 1840; C. G., .u Ministre, 17 décembre 1S40. 

2. D. M., 28 août et 24 octobre 1849; C. G., au Ministre, 6 juin 1849. 

3. D. M., 30 novembre 1853; Moniteur du 7 octobre 1853. 

4. D. M., 1» octobre 1854. 

5. Cf. J. Adam, V Arachide, p. U et sq; M. Dubard, Etadt sur Vorigine de Vara* 
chide, p. 340 et «q. 

6. D. M., 1" octobre 1834. 

7. D. M., 7 août 1840. 

& D. M., 7 août 1840 et 16 avril 1841; C. G., 30 octobre 1840 et 7 août 1841, 



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tB SÂNÊGAL StMPLB CoMPTOIA 289 

fait semer six hectares en arachides aux environs de Rufîsque, 
avait expédié en France 70.000 kilogrammes d'arachides 
et fait traiter cette quantité relativement considérable dans 
une huilerie de Sotteville-Iès-Rouen, avec un plein succès : 
il augmenta, les années suivantes, l'importance de ses expédi- 
tions. En 1848, Jaubert, négociant à Saint-Louis parvenait 
de son côté à fabriquer sur place, et en quantités industrielles, 
de rhuile d'arachides^. 

A la faveur de ce nîouvement, la culture de l'arachide fait 
de rapides progrès. En Gambie, les indigènes s'y livrent à peu 

Srës exclusivement, et les magasins des traitants d'Albréda, au 
1 mars 1845, contiennent « 99.500 boisseaux de cette fève », 
représentant une valeur totale de plus de 250.000 francs*. 
Sur les bords du fleuve, dans le pays de Galam et dans le Gayor, 
elle tend «à prendre une extension considérable*». Les indigènes, 
remarque le Gouverneur Protêt, « commencent à comprendre 
sérieusement le parti qu'ils peuvent tirer de leurs terrains en 
se livrant à la culture d'une graine dont les travaux peu péni- 
bles s'accordent parfaitement avec leur penchant à la paresse » 
et il conclut : « Les arachides doivent sauver le pays *. » 

La progression eût été bien plus forte encore, si la culture 
des arachides avait trouvé tout de suite les encouragements 
nécessaires à son développement. 

Que le Gouvernement ait refusé de lui réserver, même à ses 
débuts, et malgré mainte sollicitation, le bénéfice des primes de 
culture, on ne peutguère s'en étonner, aprèsla fâcheuse expérience 
des plantations de coton, et il est à peu près certain que l'absence 
de primes a plul^ôt accéléré que ralenti la production des 
arachides*. Mais une question beaucoup plus intéressante 
se présentait, pour le règlement de laquelle le Gouvernement 
manqua de décision : celle des droits de douane. 

Dès 1840, le négociant Monteillet avait demandé que ler 
huiles d'arachides fussent assimilées à ceUes de palme et de 
touloucouma pour les droits à payer à l'entrée en FVance; mais 
le Ministre jugea « cette disposition inconciliable avec l'intérêt 
de nos départements méridionaux, à raison de la propriété que 
possède l'huile d'arachides de remplacer l'huiled'oUves comme 
substance alimentaire ou dans certaines fabrications industriel- 
les*. » Il annonçait toutefois que le droit d'entrée était réduit 
pour les graines même, d'arachidess qui ne paieraient plus 



1. C. G., au Ministre, 28 mars 1848. On se préoccupait en même temps de per* 
fecUonnements techniques, de la construction de presses à huile (D. M., 16 février 
18&0) et môme d'un problème qui n*est encore qu'à demi résolu aujourd'hui : 
le décorticage mécanique des arachides; une machine à décortiquer avait bien été 
inventée, mais on lui reprochait de briser l'amande, et les Anglais, qui l'avaient 
un moment utilisée, semblaient y avoir renoncé (G. G., au Ministre, 9 février 1841). 

%. G. G., au Ministre, 2 mai 1845. 

3. G. G., au Ministre, 4 décembre 1847. 

4. C. G., au Ministre, 4 décembre 1847. 

5. D. M., 5 octobre 1841; C. G., au Ministre, 28 décembre 1842. 
0. D. M.| 7 août 1840. 



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290 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DB 1817 A 1854 

qu'un franc par 100 kilogs au lieu de 2fr.50 : a Cette réduction, 
écrivait-il, suffira peut-être pour décider le commerce du Séné- 
gal à comprendre cet artide dans ses cargaisons de retour, 
et il en résulterait indirectement, pour la population indigène, 
une partie des avantages qu'elle aurait pu se promettre de 
l'extraction de l'huile de ces graines aux lieux même de produc- 
tion ^ » 

Cette concession était faible : la fabrication de l'huile sur place 
demeurait impossible, et le Sénégal se trouvait ainsi privé d'une 
industrie active; le transport des graines en France était beau- 
coup plus encombrant que celui de l'huile, et la cultiure per- 
dait du même coup un précieux stimulant; mais les fabricants 
métropolitains d'huile d'olive devenaient plus intraitables 
à mesure que la concurrence des arachides se développait, 
et le Ministre ne ienait pas à s'aliéner, au profit du Sénégal, 
les députés du Midi *. 

Malgré tout, et à travers d'inévitables fluctuations ', la culture 
et le commerce des arachides prospéraient et communiquaient 
au Sénégal une activité qu'il n'avait jamais connue aux meilleurs 
temps de la traite. En douze ans, l'exportation des graines 
était passée de 266.000 à plus de 3 millions de kilogrammes ^ 

En outre, la paille d'arachides faisait l'objet d'un commerce 
à part et servait à nourirr le gros bétail pendant la saison sèche '. 
Le Gouverneur Protêt ne se trompait pas dans sa prédiction : 
les arachides étaient en train de sauver le Sénégal. Mais ce 
n'était encore qu'une promesse. 

Vers 1850, les exportations du Sénégal étaient en somme à peu 
près aussi Limitées qu'au moment de l'abandon des cultures, 
et il semblait démontré qu'on ne pourrait jamais compter sur 
les produits d'extraction ou de simple récolte pour remplacer 
les profits disparus de la traite des noirs ou les profits décrois- 
sants de la traite des gommes. 



1. D. M., 7 août 1340. 

2. D. M., 31 août 1843. 

3. G. G., au Ministre, 21 août 1852. 
4^ D; îii, 9 mar« 18&3. 

5. D. M., 5 octobre 1841. 



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CHAPITRE m 



L'Extension du Œamp Commercial. 



Tout en pressant les Gouverneurs de rechercher les ressour- 
ces naturelles du Sénégal et d'alimenter de produits nouveaux le 
commerce de ce « comptoir », le Ministère se faisait peu d'illu- 
sions sur le succès de cette prospection économique. Si, dès la 
reprise de possession, on n'avait vu le développement possible 
de la colonie que dans la colonisation agricole, c est qu'on savait 
le Sénégal fort peu pourvu de ressources spontanées, et les efforts 
de Roger et de ses successeurs immédiats ne pouvaient que 
confirmer cette opinion. 

La mise en circulation de produits nouveaux supposait donc, 
avant tout, un élargissement des limites économiques, sinon 
politiques, de la Colonie, une extension du champ commercial. 

Puisqu'on renonçait à mettre le sol en valeur, il fallait au 
moins donner au comptoir une importance nouvelle, et les 
Gouverneurs, malheureusement trop nombreux, qui se succé- 
dèrent de 1831 à 1854 s'appliquèrent de leur mieux à cette 
besogne de pénétration pacifique. 



L — Le commerce du Haut-Fleuve : 
La compagnie privilégiée. 

C'est surtout vers le haut Fleuve qu'au début de cette période 
le Département se soucia de pousser le mouvement commercial 
du Sénégal, mais nous avons vu déjà qu'il avait, à cet effet, remis 
les intérêts de la colonie entre les mains d'une société & privi- 



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292 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

lège : la Compagnie de Galam^. Il estimait que le commerce 
libre n'était guère possible dans une région aussi élpignée des 
centres de ravitaillement et de protection, au milieu de peuplades 
oelliqueuses qui, n'étant jamais entrées en lutte ouverte avec 
nous, se croyaient invincibles; il fallait, pour remonter le fleuve 
jusqu'aux limites du Bambouk, des convois armés en guerre et, 
pour commercer avec quelque sécurité dans un pos^ comme 
Bakel, un établissement solide, d'allure toute militaire, en somme, 
des capitaux abondants et de l'esprit de suite, toutes conditions 
que seule une société pourvue d'un monopole semblait pouvoir 
présenter. 

Les habitants de Saint-Louis n'acceptaient pas docilement 
cette conception : à chaque renouvellement du privilège de la 
Compagnie, ils demandent avec insistance la suppression du 
monopole et le rétablissement de la liberté commerciale dans 
le haut Fleuve *. Le Ministère et le Gouvernement local se mon- 
trèrent, à plusieurs reprises, ébranlés par cette opposition; 
d'autre part, la Compagnie n'observait qu'imparfaitement cer- 
tains de ses engagements et le capital social tendait à se répartir 
entre des actionnaires de moins en moins nombreux, ce qui aggra- 
vait le caractère du privilège ^. 

En 1840, le monopole fut simplement « prolongé » pour deux 
ans*; en 1842, on n'autorisa qu'une «association transitoire», 
dont le privilège serait limité à l'année 1842-1843 ^, et l'on décida 
que les actions seraient incessibles et insaisissables, de manière 
à «faciliter la plus grande division possible des 3.000 actions » qui 
devaient former le capital de la Compagnie •. 

A la suite de cette refonte des statuts, le monopole fut reconnu 
à la Compagnie pour quatre ans'; mais comme, au cours de ces 
quatre ans, le nombre des actionnaires avait de nouveau diminué, 
la Compagnie n'obtint encore, en 1847, qu'une prorogation d'un 
an*. 

A travers ces demi-mesures, le Ministère et le Gouvernement 
local demeuraient acquis au principe du monopole, et le maintien 
de la Compagnie de Galam leur apparaissait toujours conune une 
nécessité à la fois économique et politique. Depuis la création de 
la Compagnie, la situation politique du haut Fleuve n'avait pas 
changé, notre autorité n'était nullement reconnue parles peuples 
du Fouta, et les expéditions commerciales dans ces régions exi- 
geaient toujours un certain appareil militaire. D'autre part, les 



1. Cf. \8Upra, p. 215 et sq. 

2. G. G., au Ministre, 20 février 1832, 27 janvier 1835, 16 novembre 1839; 14 fé- 
vrier 1842. 

3. G. G., au Ministre, 10 mai 1841 et 14 février 1842. 

4. G. G., au Ministre, 16 novembre 1839; D. M., 24 janvier 1840. 

5. D. M., 10 mai 1842. 

6. G. G., au MinistreJ14 juin 1842. 

7. D. M., 28 avril 1843 et 21 juin 1844. 

8* G. G., au Ministre, 27 ^oût 1844, 1«' juin et 4 décembre 1847. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 293 

mœurs commerciales des Sénégalais ne s'étaient pas corrigées; 
la concurrence déréglée et déloyale en restait le principal carac- 
tère, et les six mois de commerce libre qui étaient prévus pour 
le haut Fleuve montraient que ces mœurs n'étaient pas spéciales 
aux escales du delta. Enfin, le monopole de la Compagnie laissait 
aux traitants de suffisants profits : plus de 140 goélettes, chalands 
oii péniches montaient ordinairement à Galam, y achetaient, en 
plus de la gomme, des articles de première nécessité tels que le 
mil, le beurre, le tabac, le savon du pays et y écoulaient le sel du 
Gandiolais; il semblait bien que ce trafic si intéressant eût été 
impossible, sans la sécurité relative qu'établissaient les entre- 
prises régulières et solidement organisées de'la Compagnie *. Les 
faits semblaient donc justifier cette dérogation au principe de la 
liberté commerciale. 

La Seconde République refusa d'admettre cette nécessité pra- 
tique : « Il n'est pas ressorti jusqu'à présent, écrivait Schœlcher, 
autant d'inconvénient qu'on aurait pu s'y attendre, de la dissé- 
mination des opérations dans tout le pays de Galam pendant la 
période de traite libre. On fera du reste le nécessaire pour assurer 
la situation politique dans le haut fleuve et notamment pour 
fortifier davantage Bakel, point d'appui central des opérations ». 
Par ailleurs, la situation nouvelle créée par l'abolition de l'escla- 
vage exige qu'on tente au moins l'expérience d'un système de 
traite libre : 

— «Au nombre des coiiséquences immédiates ou prochaines de 
ce grand acte, il faut maintenant placer l'abolition du monopole 
restrictif et la libre participation de tous les citoyens aux indus- 
tries qui peuvent offrir un aliment profitable à leur intelligence 
et à leur activité * ». 

Ces instructions arrivaient un peu tard ; le Gouvernement local, 
avant de les connaître, avait provoqué le renouvellement de 
l'association; le Gouvernement central, en présence de ce fait 
accompli, voulut éviter « le danger d'un brusque changement » 
et consentit à maintenir provisoirement le régime du privilège'. 
Mais l'Association, menacée d'une fin si prochaine, jugea inutile 
de se reconstituer : aucun souscripteur ne se présenta, et, dès 
la campagne de 1848, la traite dans le haut Fleuve fut tout à fait 
libre*. Sans être brillante, elle ne compromit pas «les intérêts 
généraux de la colonie » et le Gouvernement central crut pouvoir 
se féliciter de son initiative ^. 

A peine établi, cependant, le régime de la libre concurrence 
était menacé : dès les premiers jours de la traite de 1849, il 
apparaissait que d'importantes maisons de commerce projetaient 
de s'établir à Bakel et de faire la traite toute l'année; un privi- 

1. C. G., au Ministre, 8 janvier 1838, 14 janvier 1843, 8 février et 21 avril 1845, 
19 septembre 1846; D. M., 4 juillet 1843, 10 mars et 17 juillet 1846. 

2. D. M., 9 mai 1848. 

3. D. M., 19 juillet 1848. 

4. C. G., au Ministre, 15 novembre 1848; D. M., 24 janvier 1849. 
ô. D. M., 12 juin 1840. 



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294 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

lège de fait allait se substituer au privilège légal ^. En août, k 
tendance s'af&rmait au grand jour : des commerçants de Saint- 
Louis formaient, sous le nom d' « Association Sénégalaise », une 
société anonyme pour le commerce de Galam; le Gouverneur 
Baudin se hâtait de l'autoriser provisoirement : « Je me soude 
peu d'être populaire, écrivait-il au Ministre, je veux être utile », 
et il reprenait à son compte toutes les considérations énoncées 
par ses prédécesseurs sur les conditions spéciales du commerce, 
de Galam'. Il n'était pas question, bien entendu, de conférer k 
cette société le moindre privilège ; il était clair qu'elle se char- 
gerait d'éliminer les concurrents par des procédés purement 
commerciaux '. 

t Le Ministre se montra fort mécontent : il blftma le Gouverneur 
d'avoir agi si légèrement, puis, après consultation du (Conseil 
d'Etat et du département du Commerce, déclara la nouvelle 
société irrégulière « en tant que compagnie anonyme » et donna 
l'ordre de la dissoudre *. 

Tout en se soumettant à la volonté du Ministre, Baudin conti- 
nuait à lui représenter que, si ses objections étaient justes « en 
général », elles n'étaient pas a applicables au Sénégal », et il 

f)rédisait que le trafic dans le haut Fleuve, en dépit de toutes 
es précautions possibles, a sombrerait fatalement au bout de 
deux ans entre les mains de deux ou trois personnes »; le petit 
commerce en pays de Galam ne pouvait être qu'une «chimère », 
car les mœurs commerciales des traitants sénégalais n'étaient 
vraiment pas susceptibles d'amélioration^. 

Gomme pour justifier ces prédictions, un nombre particuliè- 
rement considérable de traitants entreprit en 1850 le voyage de 
Galam et se livra, comme à l'ordinaire, à tous les excès d'une 
concurrence absurde; les princes indigènes du haut pays en 
profitaient pour accroître leurs exigences, de fâcheux événements 
économiques et politiques semblaient à redouter*. D'autre part, 
le Commandant du poste de Bakel, Rey, rentrait en 1852 d'un 
voyage d'exploration commerciale dans le Khasso; il célébrait 
la richesse de ces régions, mais n'en voyait l'exploitation possible 
que dans la formation d'une Compagnie à privilège'. 

Le Gouvernement central, ébranlé, songeait à sacrifier ses 
principes aux nécessités de la situation locale ; il priait le Gouver- 
neur Protêt « d'examiner s'il n'y aurait pas une utilité réelle 
à reconstituer une Compagnie sur les bases de l'ancienne société 
à laquelle était concédé antérieurement le privilège du commerce 



1. G. G., au Minisire, 10 avril 1849. 

2. C. G., au Ministre, 29 octobre 1849. Cf. de même, G. G., au Ministre, 8 mars 
1860. 

3. G. G., au Ministre, 8 août 1849. 

4. D. M., 30 novembre 1849 et 23 mai 1850. 

5. C. G., au Ministre, 31 juillet 1850. 

6. D. M., 9 novembre 1850; G. G., au Ministre, 8 novembre 1851. 

7. D. M., 2 septembre et 22 octobre 1852,; Revuê caloniaU^ octobre 1852. 



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LE SÊNÊGAX SIMPLE COMPTOIR 396 

de Galam, privilège mitigé par certaines restrictions et limité 
notamment quant à la période de temps pendant laquelle il 

f courrait être exercé pendant Tannée » ; il se bornait i exiger qu'on 
ît entrer dans cette société « le plus grand nombre possible <de 
commerçants » et qu'à cet efTet « les actions fussent divisées en 
coupons représentant un faible capital ^ ». 

Le Ck)nseil d'Administration de la Colonie, consulté par le 
Gouverneur sur la suite à donner à ces propositions, se prononça 
à l'unanimité pour le rétablissement d'une Compagnie privilé- 
giée et révisa les statuts dans le sens indiqué par le Ministre '. 

Mais on eut peur, une fois de plus, de l'opinion sénégalaise ; 
le régime de la liberté commerciale était « très populaire » à Saint- 
Loms, et les Gouverneurs eux-mêmes hésitaient à heurter «n 
mouvement à la fois si prononcé et si conforme aux idées du 

i'our. On pensait aussi que les désordres cesseraient avec le déve- 
oppement des affaires, qui, en ces pays neufs, serait rapide '. 
On continua, en tremblant, l'expérience de la liberté. 



II. — Les comptoirs de la Compagnie. 



Le monopole du commerce de Galam avait été certainement 
très avantageux pour les actionnaires, et c'était voir juste que 
fonder de grands espoirs sur l'exploitation du haut Fleuve. 

En 1834, la Compagnie avouait un bénéfice de 60 p. 100*. 
 mesure que sa durée semblait moins certaine, elle déclarait 
moins volontiers ses profits, insistait davantage sur ses pertes^; 
mais on savait de source sûre que ses affaires particulières se 
maintenaient en pleine prospérité* et que ses bénéfices n'a- 
vaient jamais été, aux pires campagnes, inférieurs à 20 p. 100»; 
en 1846, ils avaient même atteint 99 p. 100®. 

Elle avait été, en 1832, déchargée du soin d'entretenir une 
habitation agricole, puis, en 1847, on avait renoncé à lui im- 
poser les frais d'éducation (10.000 francs) d'un certain nom- 
bre d'enfants indigènes dans les collèges de France*. Depuis 
1844, elle était tenue de fournir annuellement à l'administra- 
tion locale, au prix de 300 francs par tête, un certain nombre 
de «noirs rachetés )»(bambara autant que possible, à cause des 
traditions guerrières de cette race) et « propres à être incoirpo- 



1. D. H., 9 novembre 1850. Cf. de même, D. M., 8 janvier 1861. 

2. C. G., au Minisire, 29 mars 1851. 

3. D. M., 24 avrU et 13 septembre 1851, 24 janvier et 22 avril 1853; C. G., au 
Ministre, 8 novembre 1851. 

4« C G., au Ministre, 29 septembre 1834. 

5. C G., au Ministre, 11 mars 1844. 

6. D. M., 28 avril 1843. 

7. D. M., 21 juin 1844. 
S. D. M.,4 février âM6. 

9. a a, au Minisire, !•' juin 1847. 



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296 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

rés dans les compagnies africaines )>^; mais c'était là simple 
besogne de commissionnaire. Il ne lui restait en somme que 
l'obligation de « développer nos relations » dans le haut Fleuve 
et de fonder des comptoirs dans des régions où notre influence 
n'était pas encore admise. 

Or, cette obligation, dont l'intérêt politique était destiné 
à justifier le privilège commercial, la Compagnie de Galam ne s'y 
soumit jamais qu'avec peine, et il est certain que le peu d'entrain 
qu'elle mit à favoriser notre pénétration compte pour beaucoup 
dans l'hostilité du Département à son égard. Elle eût, sans 
doute, trouvé son intérêt personnel à étendre son champ d'action, 
mais ses actionnaires redoutaient qu'en se lançant trop avant 
dans les affaires politiques du pays, la Compagnie ne compromît 
momentanément son trafic : ils préféraient des profits moin- 
dres, mais immédiats et sûrs, à des entreprises a long terme, 
et le souci de leurs dividendes passa trop manifestement avant 
l'intérêt supérieur de la Colonie. 

Khasso. — Au renouvellement de 1832, il avait été entendu 
que la Compagnie devrait « s'avancer peu à peu dans le pays 
de l'or », c'est-à-dire vers le Bambouk. On ne lui demandait 
pas des efforts disproportionnés à ses ressources : « La progres- 
sion, notait le Gouverneur, ne saurait être brusque; il faut 
s'avancer d'établissement en établissement, comme on avance, 
à l'aide de la tranchée, vers une place assiégée ». 

La première étape de cette progression méthodique devait 
être le Kkasso, région qui présentait par elle-même une grande 
valeur commerciale et d'où il serait relativement aisé de descen- 
dre vers le Bambouk, pays de l'or. La Compagnie s'était donc 
mise en relations, vers 1837, avec le roi du Khasso, Aoua Demba, 
pour obtenir de lui la concession d'un emplacement et l'auto- 
risation de commercer dans la région. Aoua Demba parut bien 
disposé en notre faveur : la Compagnie ouvrit un comptoir à 
Caignou et annonça la création prochaine d'un autre comptoir 
à Gouina. Mais eUe trouve sans cesse des raisons de retarder 
l'exécution du projet. Aoua Demba, par exemple, craint qu'un 
comptoir à Gouina, « situé au-dessus de son territoire, ne porte 
préjudice au commerce qui se fait à Caignou », et, dans la crainte 
qu'il ne « porte obstacle aux communications », on se rabat sur 
Médine, situé en plein Kkasso et en amont de Kayes^. La 
Compagnie reconnaît la nécessité d'étendre rapidement les 
relations politiques et commerciales dans cette région, « pour 
que les habitants ne s'habituent pas aux marchandises que les 
Anglais y introduisent par la Gambie » ; le roi du Kkasso, Aoua 



1. D. M., 21 juin 1844. 

2. C. G., au Ministre, 20 février 1832. Cf. de même; C. G., au Ministre, 9 juillet 
1832 et 15 avril 1833; D. M. 3 juillet et 16 octobre 1832. 

3.^C. G., au rsiinistre, 9 juillet 1832; D. M., 16 octobre 1832. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 297 

Dembà, est mort et son fils parait décidé i nous céder du ter- 
rain, ce que son père n'avait jamais voulu faire; mais il exige 
de nouvelles coutumes, et ces nouvelles coutumes, de l'avis 
du Gouverneur, ne peuvent être payées que par la Compagnie : 
aussi l'afTaire traîne-t-elto en longueur, la Compagnie se cherche 
des excuses, invoque les difficultés créées par Téloignement, 
par l'incapacité du personnel^, et laisse, par ses tergiversations, 
la situation politique s'aggraver*. Le Ministère s impatiente, 
signale à chaque renouvellement de privilège la nécessité 
de fonder un comptoir « près des cataractes du Sénégal », c'est- 
à-dire vers les chutes du Félou, aux environs de Médine*. Vers 
1850, rien n'existait encore sur ce point si intéressant, qui est 
devenu depuis l'un des carrefours les plus fréquentés du commerce 
français et indigène. 

Casamance, — En 1836, le commandant de Gorée, Malavois, 
fut invité par le Gouverneur Pujol à visiter la Casamance en vue 
d'y préparer l'établissement de relations commerciales*. 

II fixa son choix, pourl'établissement d'un comptoir, sur l'île 
de Garabane, à l'embouchure de la Casamance, et Tacheta aux 
chefs indigènes « à un prix très modique » : une rente annuelle de 
39 barres, c'est-à-dire environ 196 francs d'argent. Carabane 
n'était ni habitée ni cultivée; un bras de mer navigable l'isolait 
de la terre ferme; elle était pourvue d'eau douce, le riz et le mil 
semblaient devoir y trouver des conditions très favorables, et les 
constructions y seraient faciles grâce à l'abondance de la terre à 
briques, du bois de manglier et de bancs de coquilles propres 
à la fabrication de la chaux*. La Compagnie de Galam, seule en 
état de faire les premiers frais et de soutenir la concurrence 
anglaise, fut chargée de l'organisation du nouveau comptoir au 
renouvellement de 1836 et s'appela désormais Compagnie de 
Galam et de Casamance*. 

Une Commission d'exploration, composée de commerçants, 
fut chargée de compléter les renseignements fournis par le com- 
mandant de Gorée'. Elle prit possession des terrains achetés à 
l'embouchure de la Casamance et confirma en tous points les 
espoirs exprimés par Malavois*. 

Elle proposait d'ajouter aux premières acquisitions un 
point d'appui sur la Côte, la pointe de la presqu'île de Guim- 
bering, qui faisait face à Carabane, et un établissement dans 



1. C. G. au Ministre, 16 novembre 1839. 

2. D. M. 29 mai 1839. 

3. D. M. 21 juin 1844. 

4. C. G. au Ministre, 23 février 1836. 

5. C. G. au Ministre, 23 février 1836. 

6. Ibidem et D. M. 24 novembre 1837. 

7. G. G. au Ministre, 18 mars 1837. 

8. C. G.fau'Ministre, 30 août 1837. 

9. C. G. au'Minîstre, 30 août 1837. 



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296 LA MISE BN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

l'intérieur, & Sedhiou, sur'la rive droite du fleuve ^ 

Les Anglais se montraient fort mécontents de cette initiative : 
•un bâtiment de guerre expédié de Sainte-Marie eut pour mission 
« de remonter la Gasamance après notre exploration », et des 
difficultés de pilotage arrêtèrent seules l'expédition. Les Por- 
tugais, poussés par eux, n'étaient pas moins irrités et le Gouver- 
neur du Rio Nunez élevait des protestations; mais le Ministère 
n'en était pas ému, approuvait les conclusions de la Commission 
et lui exprimait en termes chaleureux sa satisfaction '. 

Seule la Compagnie de Galam acceptait sans entrain, cette 
charge nouvelle, et il fallait que ses bénéfices dans le haut Fleuve 
fussent bien assurés pour qu'elle se résignât à une entreprise si 
éloignée de son lieu principal d'opérations. Sa lenteur à organiser 
la première expédition témoignait d'un « mauvais vouloir » dif- 
ficile à vaincre, elle répandait à plaisir « des craintes sur l'insalu- 
brité du climat », si bien que les ouvriers indigènes eux-mêmes 
avaient peur de s'aventurer en Gasamance et refusaient de 
s'embaucher : «il esta regretter, remarquait le Gouverneur Soret, 
qu'au lieu de l'engagement souscrit par la Compagnie d'employer 
une partie de ses immenses bénéfices à la création d'un comptoir 
au bas de la côte, l'on n'ait pas mis pour condition d'un privilège 
aussi profitable l'obligation de verser au Trésor une somme 
déterminée prélevée sur ces mêmes bénéfices et dont Je Gouver- 
nement eût été chargé de l'emploi, soit pour créer l'établissement 
actuel, soit pour tout autre projet d'utilité publique*. » 

Maigre tout, l'expédition de Gasamance partit en 1838, prit 
possession de Sedhiou, y construisit une première bâtisse en 
brique et chaux, fit aux chefs du pays les cadeaux indispensables 
et procéda à quelques achats de cire brute et de peaux de bœufs, 
qui donnèrent confiance aux indigènes*. 

Les Portugais semblaient « s'humaniser » : ils pensaient sans 
doute qu'il leur serait avantageux « de nous avoir pour voisins et 
de devenir nos facteurs pour les produits du sol ^» : tout au plus 
peut-on signaler un conflit, vite apaisé, entre le commandant de 
Sedhiou et les Portugais en 1845*. 

Mais les Anglais ne désarment pas : ils mettent « leurs agents 
en campagne pour nous nuire et déprécier les marchandises de la 
Compagnie »' ; ils viennent s'établir près de notre comptoir et 
jusque sur nos concessions ^, nous font la plus active concurrence 
en des régions où la crainte les empêchait jadis de s'aventurer* 
et profitent avant nous des frais d'établissement et de protection 



1. G. G. au Ministre, 7 juin 1837. 

2. D. M. 24 novembre et !•' décembre 1837. 

3. G. G. au Ministre, 24 mars 1838. 

4. G. G. au Ministre, 23 mai 1838; D. M. 4 septembre 1838 et 36 décembre 1840. 

5. G. G. au Ministre, 23 mai 1838. 

6. D. M. 4 novembre 1845. 

7. G. G. au Ministre, 20 mai 1838. 

8. G. G. au Ministre 12 août 1839 et 9 août 1840. 

9. G. G. au Ministre, 18 Janvier 1840 et 18 mars 1841. 



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E 



LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 299 

militaire que nous avons assumés^. Tant qu'ils se tiennent en 
dehors de nos possessions, nous ne pouvons rien contre eux : « Il 
y a lieu, déclare le Ministre, de considérer comme définitivement 
reconnu le droit des pavillons étrangers à trafiquer librement 
dans la Casamance en tous les points situés hors de la limite des 
territoires acquis et occupés par nous ' ; » mais, de part et d'autre, 
des incorrections ou des maladresses se produisent, et des 
incidents de frontière éclatent à chaque instant ^ 

Par la faute de cette concurrence, qui servait d'excuse à la 
Compagnie, mais qui ne faisait que. s'ajouter i un parti-pris de 
négligence, le comptoir de Casamance végétait : Carabane n'était 
3as mise en valeur, Sedhiou ne parvenait pas à se développer, et 
e Ministère s'en plaignait^; mais la Compagnie invoquait les 
pertes que lui valait cette obligation de ses statuts et présiuitait 
son rôle Comme très méritoire ^. Il semblait au Gouverneur que 
le comptoir de Casamance ne dût jamais être «une bonne affaires, 
et la Compagnie demandait, en 1846, qu'on lui permit d'aban- 
donner ce comptoir; le Gouvernement s'y refusait d'abord, al^- 
léguant les sacrifices que, de son côté, il avait consentis pour 
protéger militairement cette entreprise commerciale et reprochait 
à la Compagnie sa « timidité, » l'insuffisance de ses envois de 
marchandises en Casamance ; puis, en 1847, il. consentait à 
remplacer, dans les obligations de la Compagnie, l'entretien de 
Sédhiou par la fondation de nouveaux comptoirs dans le haut 
Sénégal, et se proposait simplement de « mamtenir les relations 
avec la Casamance par le commerce libre ^. » 

Quand le privilège de la Compagnie prit fin, Sedhiou perdit à 
peu près tout intérêt commercial et devint surtout un poste 
militaire. La politique de traités que nous avions suivie, là comme 
dans le fleuve, jointe aux excitations anglaises et portugaises 
dans les milieux indigènes, avait aggravé la situation* : en 1860, 
le capitaine Roger, chef du poste de Sedhiou, crut à propo» de 
sortir de cette existence inquiète par la force ; il appela des Maiir- 
dingues dans le pays et les lança contre les Soninkè de Sedhiou 
qui nous faisaient subir toutes sortes de vexations; mais il 
fut blftmé de cette initiative et rappelé. Une colonne expéditiour 
naire fut envovée de Saint-Louis en Casamance pour rétablir 
l'ordre ; elle n opéra qu'une pacification incomplète^*, et notre 
commerce de Casamance, vers 18&0, était bien loin de pouvoir se 
comparer au commerce anglais de Gambie. L'avenir devait 



1. C. G. au Ministre, 18 mars 1841. 

2. D. M. 10 Juillet 1840. 

3. G. G. au Ministre, 30 septembre 1839, 9 août 1840, 3 février 1848. 

4. D. M. 28 avril 1843 et 4 novembre 1845. 

5. G. G. au Ministre, 11 mars 1844. 

6. C. G. au Ministre, 14 octobre 1845. 

7. D. M. 4 février 1846; G. G. au Ministre, 10 décemnre 1846. 

8. D. M. 23 avril 1847. 

9. G. G. au Ministre, 20 janvier 1860. 

10. G. G. au Ministre, 10 avril et 8 juiUet 1851. 



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300 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

démontrer, cependant, que l'idée d'un établissement en cette 
région était heureuse. 

Merinaghen. — Plusjprès de Saint-Louis, et pour « exploiter le 
commerce du pays de Djolof », la Compagnie avait dû accepter, 
en 1848, de fonder un comptoir sur le lac de Guiers ou lac 
Paniéfoul. 

Le commandant Caille et le pharmacien Huard, accompagnés 
de deux habitants de Saint-Louis, Potin et Paul Holle, avaient 
été chargés d'explorer cette région en 1840 : ils avaient signalé 
que les populations du Djolof pouvaient livrer au commerce 
sénégalais de la gomme, du miel, du maïs, des arachides, du 
morîîl, de Tébène, du coton, de l'indigo, du tabac, du sel, des 
sangsues, des peaux, du bétail ; les indigènes et leurs chefs parais- 
saient « animés d'un vif désir d'entrer en rapports commerciaux 
avec le Sénégal ou d'étendre ceux qui ont déjà pu s'établir^ »; 
le commerce de cette région devrait, au moins dans les premiers 
temps, être exploité par une compagnie « qui formerait un comp- 
toir auprès de l'établissement que le Gouvernement créerait sur 
le Paniéfoul *». 

Les conclusions de la Commission d'exploration sont adoptées 
sans délai ^; un crédit de 20.000 francs est alloué par le Départe- 
ment pour l'établissement d 'un comptoir fortifié à M érinaghen*, 
et, plutôt que de heurter l'opinion en provoquant la constitution 
d'une nouvelle société à monopole, on se contente d'imposer à la 
Compagnie de Galam, lors du renouvellement de 1842, le soin de 
réaliser la partie commerciale du projet*^. 

Malgré les difficultés de l'entreprise (éloignement de Saint- 
Louis et du fleuve, lenteur des communications), le Gouverne- 
ment local avait réussi, avant la fin de 1843, à faire construire 
un fortin qui, du reste, avait coûté 60.000 francs au lieu des 
20.000 prévus; il avait obtenu des Trarza et des Oualo, moyen- 
nant une coutume de 2.000 francs, que le comptoir serait respecté 
et recevait du Djolof un tribut annuel de bœufs en retour de la 
sécurité et des ressources que le pays allait lui devoir*. 

Quant à la Compagnie, elle apportait beaucoup moins de hâte 
à tenir ses engagements' : elle prétendait que les circonstances 
poUtiques ne se prêtaient pas à des opérations importantes et ne 
s'installait que pour la forme à Mérinaghen^; aussi ses bénéfices 
demeuraient-ils insignifiants* et même, en certaines années, 



1. D. M. 7 août 1840. 

2. D. M. 7 août 1840. Cf. de mérrtc. D. M. 5 février 1Ô41 et BulL 5éc. Géogr. ôct. 
1840. 

3. D. M. 7 août 1840. 

4. D. M. 9 juillet 1841. 

6. C. G. au Ministre, 14 février 1842. 

6. D. M. 9 juin 1843; C. G. au Ministre, 23 Octobre 1642. 

7. C. G. au Ministre, 14 juin 1842; D. M. 28 avril 1843 
6» Ibidem. 

^ D. M. 21 juin 1844. 



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LB SÉNÉGAL StMPt^B COMPTOIR 301 

faisaient-ils place à des pertes ^ Le Gouvernement persistait à 
penser que ce comptoir « se relèverait » et « laisserait entrevoir 
des chances de réussite pour Ta venir » le jour où nous aurions 
décidément soumis à notre influence les Trarza et les Oualo; 
mais, au moment où la Compagnie fut dissoute, ce jour n'avait 
pas lui et le comptoir de Mérinaghen avait tout à fait manqué 
son but commercial*. 

Sénoudébou. — Enfin, la Ck)mpagnie de Galam devait, depuis 
1844, « concourir pour moitié dans la dépense d'un comptoir à 
fonder sur la Falémé », affluent du Sénégal : tandis que, par le 
comptoir projeté aux environs des chutes du Félou (Médine ou 
Caignou dans le Khasso), il serait permis d'accéder par le nord 
au Bambouk, pays de l'or, le comptoir de la Falémé aurait entre- 
pris la péné^ation de ce même pays par le sud-ouest'. 

On décida d'établir un poste à Sénoudébou, sur la Falémé, en 
1844*, et, dès cette année-là, la compagnie dut y installer « un 
comptoir flottant », c'est-à-dire entretenir sur la rivière une sorte 
de bateau-magasin* : l'almamy du Boundou, pays situé sur la 
rive gauche de la Falémé, semblait fort bien disposé en notre 
faveur*, et il était bon d'entretenir sans tarder son amitié.. 

Quand, en 1845, le blockhaus fut installé, le comptoir flottant 
fut remplacé par un établissement permanent', sur un terrain que 
nous avait concédé l'almamy du Boundou*. Les affaires du comp- 
toir de Sénoudébou demeurèrent languissantes : la Compagnie ne 
cherchait nullement à s'adapter aux conditions locales de la vie 
économique, négligeait par exemple le commerce de la cire, si 
important dans le haut Fleuve et si fructueux ; elle attendait que 
l'almamy du Boundou attirât au comptoir l'or du Bambouk et 
détournât de la Gambie les caravanes qui venaient du Niger; 
mais l'almamy, une fois comblé de cadeaux, oublia ses promesses 
et se contenta de demander sans cesse une augmentation de ses 
coutumes. L'entreprise était manquée*. 

A la dissolution de la Compagnie, Sénoudébou n'était plus 
guère qu'un poste militaire, d'ailleurs en fort mauvais état et 
presque inhabitable*®. 

Ainsi, à Médine, à Sedhiou, à Mérinaghen, à Sénoudébou, 
partout la Compagnie privilégiée avait échoué dans ses entre- 
prises commerciales et failli à son rôle poUtique. Sans doute peut- 



1. D. M. 4 février 1846. 

2. C. G. au Ministre, 11 mars 1844, 14 octobre 1845, 2 juillet 1851; C.G. au Minis- 
tre, 2 Juillet 1851 ; D. M. 26 octobre 1852. 

3. D. M. 21 juin 1844. 

4. ■ ». M. 30 juiUet 1844. 

5. D. M. 26 octobre 1844. 

6. C. C. au Ministre, 5 septembre 1844 et 22 janvier 1845. 

7. C. G. au Ministre, 6 août 1845. 

& C. G. au Ministre^ 30 septembre et 31 décembre 1845, 
91 C. G. au Ministre, 17 jufilet 1850. 
10» D. M. 20 avrU 1851. 



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302 LA MISE BN VAIBUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

elle paraître fort excusable d'avoir manqué d'audace au milieu de 
peuples si mal résignés à notre intrusion et en un temps où le 
Gouvernement était si peu disposé i réparer par les armes les 
atteintes portées à notre autorité : il n'en était pas moins démon- 
tré qu'il n'y avait pas avantage à réunir en une même maîn des 
intérêts économiques et une mission politique et que les opérations 
commerciales en semblable pays ne pouvaient suffire à assurer la 
pénétration et le développement de l'influence française. 



III. — Le commerce de la Gambie et du Sine-Saloum 

En dehors de ces tentatives, dont il laissait à la G<ynpagnîela 
principale part de re^onsabililé, le Grouvemement du Sénégal, 
i partir de 1831, se préoccupa médiocrement d'étendre le champ 
d'action du commerce local. II se trouvait aux prises avec toutes 
sortes d'embarras dans les « dépendances » de la colonie, et son 
activité suffisait tout juste à maintenir les acquisitions du passé. 

En Gambie, les Anglais avaient entrepris, en rendant tout à 
fait insupportables les relations de voianage, de nous décourager 
et de nous amener à leur abandonner, contre des compensations 
plus ou moins avantageuses, notre comptoir d'Albréda. 

Ils arrêtent illégalement nos nationaux ou nos sujets S immo- 
bilisent sous divers prétextes nos bâtiments de commerce *, font 
subir à nos commerçants des « investigations humiliantes » et 
des retards ruineux, s'appliquent à désorganiser les équipages des 
caboteurs de Gorée et les provoquent à la désertion ', empiètent 
sur nos territoires et contestent la valeur des accords passés par 
nous avec le roi deBar^,etc.^et, pour nous intimider, parlent 
de guerre à tout propos, « comme on menacerait des enfants du 
diable ou du croquemitaine' ». D'autre part, si les Anglais affec- 
taient de porter tant d'intérêt à leurs maigres droits sur le com- 
merce de Portendik, c'était dans l'intention de donner quelque 
valeur à un objet possible d'échange *. Toute leur politique, en 
Gambie comme en Mauritanie, vise, en somme, à se débarrasser 
d'une enclave. 

Par générosité naturelle autant que par désir de noua concilier 
ces opiniâtres rivaux, nos procédés à l'égard des Anglais de Gam- 
bie étaient cependant singulièrement bienveillants. En 1831, 



1. G. G. au Ministre, 6 février 1833 et 21 mai 1838. 

2. G. G. au Ministre, 8 décembre 1834, 15 janvier 1835, 21 mai 1838, 25 septem- 
bre 1839, 21 février 1840, 3 mai et 5 juiUet 1845, 1«' juin 1847; D. M. 13^ octobre 
1893. 

3. G. G. au Ministre, 7 juin 1837. 

4. G. G. au Ministre, 10 déoembee 1845; G. G. au Miaisire, ^Juiltet i94&. 

5. G. G. au Ministre, 21 avrU 1848. 

6. G. G. au Ministre, 17 décembre 1837. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COlfPTOttl 303 

Sainte*Marie de Bathurst fut menacée par les Mandingues et les 
troupes demandées à Sierra-Leone n'arrivaient pas : bien qu'Al- 
bréda fût épargnée par les Mandingues, le Gouverneur du Séné- 
gal oublia toute rancune, n'écouta que son devoir de solidarité 
européenne et envoya des secours au Gouverneur anglais^; puis, 
comme la situation empirait, il se rendit personnellement à 
Sainte-Marie, à la tête de 800 laptots : les renforts de Sierra- 
Leone eurent le temps de débarquer et les Mandingues, intimidés, 
abandonnèrent la place*. « L'assistance qui vient d'être fournie à 
une nation européenne et qui n'avait pas eu d'exemple en Afrique, 
écrivait fièrement le Gouverneur Renault de Saint-Germain, a 
donné aux peuples de la Gambie une haute idée de la puissance 
française; cette impression se répandra sur la côte et dans l'inté- 
rieur et produira un effet salutaire sur nos voisins turbulents du 
Sénégal • ». 

Ce bénéfice moral, au reste fort contestable, devait être le seul 
d'une expédition qui avait sauvé nos rivaux, mais n'avait nul- 
lement modifié leurs sentiments à notre égard. Les Anglais trou- 
vaient même que nous avions par trop mesuré notre dévouement : 
ils auraient voulu que le Gouverneur du Sénégal, non content 
d'arrêter l'assaut des Mandingues, prît l'offensive contre eux*; 
leur attitude était aussi « peu cordiale » après qu'avant la vic- 
toire; ils refusèrent même un moment de nous laisser réoccu- 
Ser Albréda, dont les habitants s'étaient réfugiés à Sainte- 
larie * et firent des difficultés pour nous rembourser les frais 
de notre expédition qu'ils avaient d'abord assumés* : « il est 
regrettable, concluait le Gouverneur Renault de Saint-Germain, 
que le caractère de ce sujet dégénère en un triste débat de compte- 
courant' ». 

Dans la crainte que les démêlés relatifs aux questions de Gam- 
bie et de Mauritanie ne finissent par « altérer les relations ami- 
cales qui existent entre la France et l'Angleterre », le Minis- 
tère se montait, dès 1838, décidé à céder Albréda aux Anglais; 
mais il entendait exiger des compensations réelles*. 

Or, le comptoir d'Albréda n'était pas sans valeur. Sans doute 
ne présentait-il pas grande importance « par lui-même », mats 
« sa position obligeait l'établissement anglais de Sainte-Marie 
de Bathurst à admettre toutes marchandises apportées par 
bâtiments français »; l'introduction de ces marchandises s'était 
d'abord opérée par fraude, et, comme les Anglais avaient re- 
connu l'impossibilité d'empêcher cette fraude, ils s'étaient ré- 



1. G. G. au Ministre, 7 septembre lS3i. 

2. G. G. au Ministre, 29 septembre et 5 novembre 1831. 

3. G. G. au Ministre, 26 octobre 1831. 

4. G. G. au Ministre, 26 octobre 1831. 

5. G. G. au Ministre, 28 décembre 1831. 

6. G. G. au Ministre, 29 septembre 1831 : D. M. 3 août 1832. 

7. G. G. au Ministre, 25 novembre 1832. 
& D. M. 3 août 1832. 



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304 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE l8l9 A 1854 

signés à substituer « un droit d'entrée de 6 p. 100 à une prohi- 
bition illusoire». Grâce au comptoir d*Albréda, le Sénégal se 
trouvait donc « en possession d'approvisionner cet établissement 
(la Gambie anglaise) de plusieurs objets de consommation et 
de traite, dont une partie était transportée à Sierra-Leone. 
Telle est la plus grande importance d'Albréda : tel est le motif 
réel de la revendication faite par le Gouvernement anglais » ^. 

Consultés sur les compensations qu'ils comptaient nous offrir, 
les Anglais déclarèrent qu'ils céderaient leur droit de traite 
à Portendik et dans la rivière Saint-Jean contre Albréda, mais 
ils refusaient de séparer cette question de « la libre entrée des 
bâtiments anglais dans le Sénégal » et se contentaient « d'ou- 
vrir de leur côté les rivières de Gambie et de Sierra-Leone au 
commerce français. » Ces offres paraissaient insuffisantes *. 

Le droit de traite à Portendik était loin d'avoir la valeur que 
lui prêtaient les Anglais. La Compagnie anglaise qui exploitait 
la traite de la gomme à Portendik y avait perdu deux fois son 
fonds social '. Portendik ne présentait donc que cetavantagepour 
les Anglais : le tort que leur présence portait à notre commerce 
et à notre autorité en pays Maure*. 

Quant à l'ouverture du Sénégal aux bâtiments anglais, elle 
serait ruineuse pour nous : « Les commerçants anglais, pouvant 
disposer d'immenses capitaux, s'empareront du commerce de la 
gomme, et ce produit, par la faculté qu'ils ont de l'expédier direc- 
tement pour l'Angleterre, manquera totalement à la France qui 
se trouvera dans la nécessité de l'acheter en Angleterre. » Une 
telle concession ne trouverait nullement son équivalent dans 
l'ouverture des rivières de Gambie et de Sierra-Leone aux bâ- 
timents français ; nos commerçants ne pourraient y faire concur- 
rence aux Anglais, qui, « pour trafiquer dans ces pays, reçoivent 
leurs marchandises de première main, tandis que nous serions 
obligés de les faire venir des entrepôts de France ou de les leur 
acheter sur les lieux même. »» 

Le Gouvernement français entendait donc séparer la question 
Albréda-Portendik de la question du commerce fluvial, et il 
exigeait, en échange d'Albréda, mieux que la renonciation des 
Anglais à leur droit de traite de Portendik. En 1832, le Gou- 
verneur du Sénégal, consulté sur ce point, proposait ' de demander 
aux Anglais, en plus de l'abandon de leur droit de traite à Por^ 
tendik, le commerce exclusif pour les Français sur la côte et 



1. C. G. au Minisire, 12 octobre 1Ô32 et C. Q. au Ministre, 17 décembre 1837. 

2. G. G. au Ministre, 17 décembre 1831. 

3. G. G. au Ministre, 12 octobre 1832. 

4. G. G. au Ministre, 12 octobre 1832. 

5. G. G. au Ministre, 17 décembre 1837. 
Q. G. G. au Minibtre, 12 octobre 1832. 



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LE séN^GAL SIMPLE COBlPTÔIR 305 

dans les rivières entre la Gambie et le Cap Vert, et le maintien 
de l'admission à Sainte-Marie de toutes marchandises apportées 
par des bâtiments français, moyennant un droit de 6 p. 100. 
Quelques années plus tard, on se fût contenté de l'abandon des 
droits anglais sur Portendik, qui paraissait devoir prendre une 
certaine importance en cas de guerre contre les Maures ^. Mais les 
Anglais se tenaient sur leurs positions ; de notre côté on inclinait 
à penser que, « malgré tout le mal qui résultait pour nous de la 
présence des Anglais à Portendik, il convenait de laisser les 
choses en l'état où elles sont jusqu'au moment où ceux-ci, dé- 
goûtés de leurs tentatives ruineuses, l'abandonneront eux- 
mêmes* », et nulle négociation régulière n'était entamée' : à 
Albréda, comme à Portendik, Anglais et Français continuaient, 
sans grand profit, à vivre dans des querelles de voisinage. 

Ces querelles s'étendaient également au Saloum, région d'éle- 
vage et de culture où se pratiquait surtout la traite des cuirs, de 
la cire et du mil. Les commerçants de Corée désiraient vivement 
qu'on établît un poste fortifié ou qu'à tout le moins un bâtiment 
stationnât à l'entrée de la rivière, pour protéger nos traitants 
« contre la turbulence des naturels * », et il semblait qu'à cette 
condition le commerce du Saloum dût à bref délai valoir largement 
celui d'Albréda*. Mais le Saloum n'intéressait pas moins les An- 
glais, qui s'en trouvaient aussi rapprochés que nous ; nulle con- 
vention ne délimitait nos droits respectifs et la concurrence 
était toute à notre désavantage; car les Anglais pouvaient se 
permettre des générosités qui n'étaient pas à notre portée •. 

Combattue dans toutes ses tentatives de relèvement, en Gam- 
bie, en Casamance, dans le Saloum, Corée se trouvait dans une 
situation fort inquiétante : non seulement des trafics fructueux 
comme ceux des cuirs et de la cire lui échappaient, mais elle était 
même menacée de ne plus pouvoir se procurer dans le Saloum 
le mil nécessaire à sa consommation. « Si elle en était privée, 
écrivait le Gouverneur, elle serait dans la nécessité d'émigrer en 
masse à Sainte-Marie (en Gambie anglaise) pour ne pas périr 
de iaim; ses habitudes commerciales, ses liens de parenté, tout 
l'y pousserait à l'exclusion de Saint-Louis, qui déjà suffit à 
peine aux besoins de ses habitants. Ce résultat serait inévitable : 
et c'est peut-être là où tendent les efforts des Anglais ; en effet 
ce serait un moyen efficace d'acquérir tout à coup un surcroît de 
population dans une contrée nouvelle dont ils tentent le déve- 
loppement'». 

En somme, vers 1850, nous conservions, malgré les Anglais 

1. C G., au Ministre, 21 avril 184Ô. 

2. C. G. au Ministre, 17 décembre 1848. 

3. G. G. au Ministre, 8 juillet 1837 et 21 avril 1848. 

4. C. G. au Ministre, 12 octobre 1832; D. M. 22 juillet 1834. 

5. C. G. au Ministre, 12 octobre 1832. 

6. C G. au Ministre, 19 mars 1833 et 3 mai 1835; D. M. 13 mars 1840. 

7. G. G. au Minlstro, 19 mai 1833. CI. d» m6me D. M. 22 JuiUet 1834, 13 mars 
1840, 5 avrU 1846. 



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306 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

le comptoir d'Albréda, Portendik et quelques relations daas le 
Sine-Saloum, mais notre commerce n'était parvenu nulle part 
à s'implanter solidement, et nous étions contraints, pour tirer 
parti de ces positions, d'envisager des réductions, des remanie- 
ments, des cessions; nous avions formé des établissements sur la 
Falémé, sur le lac de Guiers, sur la Casamance, mais toute acti- 
vité commerciale en était à peu près disparue et ces trois postes, 
sur lesquels on avait fondé de si beaux espoirs, n'étaient plus 
que des fortins délabrés. 

On peut s'étonner qu'en un temps où toute notre politique 
sénégalaise devait tendre au développement du commerce» les 
efforts de nos administrateurs, de nos explorateurs, de nos com- 
merçants, n'aient produit, en plus de 20 ans, que ces pauvres 
résultats. Au vrai, les faiblesses de la politique extérieure ne suffi- 
sent pas à expliquer cette incapacité d'expansion : c'est ailleurs 
que dans des vices de méthode qu'il faut, d'abord, en chercher 
les causes. 



IV. — Le Rio-Nunez. 



Depuis quelque temps, l'attention du ffrand commerce français 
s'était fixée sur les ressources naturelles des pays de la côte 
occidentale d'Afrique, situés en bordure de l'Equateur. Au 
contraire du Sénégal, dont la sécheresse et le paysage, ingrat 
réservaient tant de déceptions aux voyageurs qui croyaient y 
trouver la légendaire luxuriance de la végétation tropicale, ces 
pays, de climat constamment humide, offraient, dès le débar- 
quement, le spectacle d'une nature plus généreuse, de vraies 
forêts, de calmes lagunes, des fleuves abondants et toutes sorbes 
riches produits naturels. 

Les traitants de Gorée n'avaient pas tout i fait cessé, malgré 
la concurrence anglaise, d'aller commercer dans les « Rivières du 
Sud, » c'est-à-dire sur la côte, entaillée de profonds estuaires, 
de la Guinée proprement dite, et René Caillié, dont le grand 
voyage à travers l'Afrique, en 1827, avait eu pour point de départ 
le port fluvial de Boké, avait signalé les richesses de la région 
du Rio-Nunez. 

En 1838, les indigènes du Rio-Nunez, excités par des commer- 
çants anglais, se livrèrent à de mauvais traitements i l'égard des 
traitants sénégalais, et la goélette la Fine fut chargée d*exîfl[er 
des réparations : une convention fut passée avec le chef aes 
Landouman le 1^' août 1839 et, conformément aux «anciens 
traités, » reconnut aux Français le libre accès dans k rivière 
moyennant le paiement de coutumes; à la faveur de cet accord. 



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LB SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 307 

trois maisons françaises étaient installées dans le Rio-Nunez en 
1840^ 

Le 10 janvier 1842, le lieutenant de vaisseau de KerhaUet 
renouvela le traité avec le chef des Landouman, régla avec 
prédlsion les coutumes et les droits d'ancrage, obtint une pro- 
tection plus efficace de notre commerce; et la même année, à la 
suite de nouvelles vexations, le lieutenant de vaisseau Fleuriot 
de Langles bloqua le Rio-Nunez et, le 6 décembre, imposa au 
chef des Nalou les mêmes conditions que celles précédemment 
consentiesparlechef des Landouman. Notre commerce semblait 
devoir se développer rapidement dans cette réçion : M. de Ker* 
ballet, confirmait les renseignements favorables donnés par 
René CaiUié ; il regardait Boké comme « le grand marché, • la 
« clef commerciale du fleuve »; «Nul autre point, (Usait-il, ne 
présente dans le Rio-Nunez ni les mêmes ressources, ni les mêmes 
commodités pour les caravanes *. » 

Les trois peuplades qui se partageaient la souveraineté du 
Rio-Nunez, Baga, Ladouman et Nalou, étaient malheureu- 
sement en guerre constante, et nos opérations en souffraient : il 
fallut en l&fô, en 1848, en 1849^ en 1854 intimider les inctigènes 
par de nouvelles expéditions. Nos traités avec les chefs du pajrs 
allaient se précisant, nos droits se renforçaient, mais il n'était 
toujours question que d'installations commerciales, et nous 
n'entretenions dans ce pays troublé et convoité ni résident ni 
postes militaires. 

Cependant les relations économiques du Rio-Nunez avec le 
Sénégal étaient loin d'être négligeables; la fécondité naturelle de 
la r^ion l'emportait sur l'inquiétude politique, et les commer- 
çants du Sénégal s'intéressaient de plus en plus aux produits 
des Rivières du Sud. C'est surtout lecafé que les traitants de Corée 
allaient chercher au Rio-Nunez'; il semblait d'excellente qua- 
lité, supérieur même au moka, mais il était frappé à son entrée 
dans les ports de France a d'un droit double qui équivalait à une 
prohibition ^ ». Les commerçants de Corée et de Saint-Louis, 
et notamment Monteillet, « homme de prc^rès qu'on peut consi- 
dérer comme à la tête du commerce du Sâiégal », demandaient 
que le café de Rio-Nunez fût soumis dans les ports métropolitains 
aux mêmes droits d'entrée que les cafés des autres colonies fran- 
çaises*. 

Le Ministre se montrait prêt à cette concession, mais, allouant 
que le Rio-Nunez n'était pas une colonie française, exigeait que 



1« Cf. Rouget, la Guinée française, p. 12 et 79. 
2. Rev. marit. et col. 18 avril 1847. p. 435. 
8. G. G. au Ministre, 26 septembre 1836; D. M. 7 février 1840. 
4. 95 fr. par 100 Kg, et le prix d'achat aux lieux de production se maintenait 4 
150 fr. par l'effet de la conciurence anglaise et américaine. (D. M. 7 août 1840). 
5w G. G. au Ministre, 10 et 24 avrU 1840. 



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308 LA MISE EN VALEUR DU BÉNÉQAL DE 1817 A 1854 

le café du Rio-Nunez fût expédié par terre en Casamance, d'où i^ 
serait exporté. C'était là un remède pire que le mal : les frais de 
transport eussent été plus élevés que la réduction demandée ^. En 
fin de compte, la loi de douanes du 6 mai 1841 abaissa à 78 francs 
par 100 kilos le droit sur les entrées des cafés du Rio-Nunez : elle 
refusait à ces cafés le bénéfice du « privilège colonial » et se conten- 
tait de les classer dans la catégorie la plus favorisée après les cafés 
de nos colonies *. « Il ne faut pas espérer davantage », écrivait le 
Ministre, et sa résistance provenait surtout de « Taffluence des 
cafés d'Asie sur les marchés français, conséquence du traité de 
commerce avec la Hollande » ». En revanche, il consentait à ce 
que les cafés d'Afrique fussent exemptés à Gorée des droits 
d'entrepôt * et même du droit de sortie de 2 ^/o*. 

Les mêmes dispositions furent appliquées, dès 1851, aux cafés 
du Rio-Pongo« ; mais elles semblaient insuffisantes au commerce 
local et ne lui permettaient pas de soutenir la concurrence des 
cafés coloniaux et des cafés étrangers'. 

Il y avait sans doute un moyen de résoudre ce problème, 
d'accorder aux produits du Rio-Nunez le privilège colonial et 
d'ouvrir ainsi une abondante source de production : c'était de 
transformer le Rio-Nunez en colonie française; mais le moment 
n'en semblait pas venu et le Département préférait porter ses 
efforts sur les côtes du Golfe de Guinée, qui paraissaient plus riches 
encore que les rivières du Sud et d'exploitation plus aisée. 



Les comï>toirs du Golfe de Guinée. 



Des commerçants de Marseille, les Régis, s'y étaient installés 
et leurs affaires avaient tout de suite prospéré, sans se heurter 
aux mille complications qui caractérisaient le commerce du 
Sénégal. Les commerçants de Bordeaux, inquiets de la stagnation 
des affaires sénégalaises, se piquèrentd'émulationet demandèrent 
au Ministre de faire explorer, d'un point de vue surtout commer- 
cial, les côtes de l'arrière-pays du Golfe de Guinée ®. 

En 1838, le lieutenant de vaisseau Bouet-Willaumez, com- 
mandant la Malouiney et le capitaine au long cours Broquant, 
délégué de la Chambre de commerce de Bordeaux, furent chargés 
de cette exploration. Ils obtinrent des chefs indigènes des ces- 



4. C. G. au Ministre, 10 avril 1840. 

2. D. M. 7 aiût et 23 octobre 1840, 28 mai 1841. 

3. D. M. 28 mai 1841. 

4. D. M. 7 août 1840. 

5. D. M. 7 août et 2 octobre 1840, 20 mai 1841, 29 novembre 1844; G. G. au Minis- 
tre, 11 février et 7 août 1841. 

6. D. M. 13 septembre 1851 et 7 février 1852. 

7. G. G. au Ministre, 1er février 1845, D. M. 28 mai 1841. 

8. Gf. Gb, Schefer. Vexpansion coloniale sous la monarchie de JuiUit,pp, 157-158. 



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LE BÊNÊGAL SIMPLE COMPTOIR 



309 



sîons de terrains au bord de la mer et conclurent avec eux des 
traités préliminaires, comportant. une alliance offensive et défen- 
sive *. 

Dans la Métropole, Tenvoi de la Malouine au golfe de Guinée 
avait été bientôt suivie de quelque hésitation : sans doute faut-il 
l'attribuer aux graves événements diplomatiques de 1840; sans 
doute aussi le Gouvernement central attendait-il, pour prendre 
une décision, un complément d'information, destiné à éviter le 
retour de fausses manœuvres analogues aux entreprises de colo- 
nisation du Sénégal^ L'exploration cependant continuait, ainsi 
que les acquisitions de terrains sur la- côte. Bouet, devenu capi- 
ûiine de corvette, avait été promu au commandement de la sta- 
tion des côtes occidentales d'Afrique ; en son nom, le lieutenant 
de vaisseau de kerhallet, commandant la canonnière brick r Alou- 
ette, et lé lieutenant de vasseau Fleuriot de Langle, commandant 
la canonnière brick la Malouine, passaient le 19 février 1842 un 
traité avec le roi Peter pour la souveraineté pleine et entière des 

fmys et de la rivière de Grand-Bassam ; le désir de s'assurer 
'amitié d'un « peuple riche et bon » valait immédiatement au 
roi Peter 10 pièces d'étoffes assorties, 6 barils de poudre, 10 fusils, 
un sac de tabac, un baril d'eau-de-vie, 5 chapeaux blancs, un 
parasol, 2 glaces, un orgue de barbarie et, pour l'avenir, la pro- 
messe d'un présent annuel facultatif ; « les deux chefs Quouachi et 
Wouacha, qui l'assistaient, en recevaient autant pour eux deux. 
Nous étions loin des ruineuses « coutumes » du fleuve •. 

A la fin de 1842, le plan d'action avait pris une forme arrêtée. 
Il était le résultat d'une étroite collaboration de l'administration 
et du grand commerce, éclairés par des explorateurs de 
métier. Il apporte dans l'histoire de notre colonisation africaine 
une note toute nouvelle. 

Pour protéger les navires et les « troqueurs » français qui al- 
laient se répandre sur toutes ces côtes du Golfe de Guinée, les 
Chambres de commerce avaient unanimement reconnu que 
« le meilleur mode » était la création de « comptoirs fortifiés », 
échelonnés à courte distance, où navires et troqueurs « trouve- 
raient abri contre les violences des indigènes et la rigueur du 
climat ». 

Pour éviter les difficultés analogues à celles que l'on avait ren- 
contrées en Gasamance (contestations de territoires, etc), les 
emplacements de ces comptoirs étaient achetés en bonne et due 
forme à leurs propriétaires, rois et chefs du pays, et les contrats 
passés avec eux devaient spécifier que ce droit de propriété était 
inséparable du droit de souveraineté. 

Chaque comptoir comportait une petite redoute carrée, de &0 



1. D. M. 9 février 1839 et 27 janvier 1843. 

2. Cf. Ch. Schefer, loc. cit. 

3. D. M. 27 janvier 1843. 



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310 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

mètres de c6té, que flanquaient quatre bastions semi-circulaires, 
armés chacun d'un canon de 30; autour de la redoute, un large 
et profond fossé, avec parapet surmonté d'une palissade en bois 
dur; au centre, un blockhaus semblable à ceux d'Algérie, pour 
une garnison de 25 hommes, avec réserves de vivres et de muni- 
tions. 

Les soldats devaient, autant que possible, « avoir la pratique 
d'un métier»; on prévoyait en outre dans chaque comptoir 
5 marins pour le service d'une embarcation et des manœuvres 
kroumen pour les grosses besognes. Le poste était commandé par 
un officier de la garnison du Sénégal ou un officier de manne, 
assisté d'un agent administratif pour la comptabilité. 

Les trois premiers de ces comptoirs fortifiés devaient être 
établis avant juillet 1843, car l'Angleterre ne dissimulait pas sa 
jalousie et se disposait à nous devancer. Les mnplacements 
choisis pour cette première installation étaient : 

Garoway, au cap des Palmes, à mi-chemin entre le Sénégal et 
le Gabon; Assinie, sur la lagune et la rivière qui communique 
avec le royaume des Achanti ; Gabon, k cheval sur la rivière du 
Gabon et la rivière Monti, rade « comparable à celle de Brest ^ ». 

Quant au régime commercial, il était très différent du résime 
auquel était soumis le Sénégal. Sur la demande même du Gou- 
verneur Bouet, on avait vite abandonné l'idée d'une compagnie 
privilégiée : l'expérience de la Compagnie de Galam suffisait. 
Mais la plus grande nouveauté de ce programme, c'est que les 
factoreries devaient être ouvertes aux marchandises de toute ori- 
gine. « Notre industrie n'est pas assez avancée pour que nous 
limitions le commerce aux marchandises d'origine française; ce 
serait compromettre sans profit les intérêts de notre navigation 
et paralyser l'activité des comptoirs »; le commerce pourra, 
d^autre part, exporter les produits à toutes destinations '. Il est 
vrai que, dans le projet primitif, les importations et exportations 
devaient être exclusivement réservées au pavillon français, mais 
le Gouverneur Bouet se joignit aux commerçants pour demander 
un régime de franchise absolue: il y avait intérêt pour notre 
commerce « à conserver la faculté d'entretenir des relations avec 
les comptoirs étrangers, qui ne manqueraient pas de lui être bien- 
tôt fermés si nous refusions dans les nôtres des avantages aux 
pavillons étrangers ». Le Ministre se rangea à cet avis et décida 
la libre admission dans nos comptoirs de tous les pavillons aussi 
bien que des marchandises de toute origine, sans exclusion, bien 
entendu, des droits de douane et de navigation*. 

Dans ces régions neuves, où nos initiatives ne risquaient pas de 
se heurter aux traditions d'un long passé de colonisation, le 
Ministère, conseillé par un homme d'une singulière largeur de 
vues, trouvait donc l'occasion de rajeunir sa politique commer- 

1. D. M. 27 janvier et 23 mai 1843. 

2. D. M. 3 mara 1843. 

3. D. M. 3 mars, 5 mai et 15 septembre 1843. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 311 

ciale et coloniale^ et l'on comprend que les Comptoirs du Sud 
aient tout de suite, dans ses préoccupations, pris le pas sur le 
vieux Sénégal^. 

La dispersion, qui était le principe même de ce plan de cam- 
pagne, supposait du moins une unité bien déterminée de vues et 
de commandement, et Bouet, qui était Tâme de l'entreprise, 
insistait vivement pour que, dès le début, on réalisât cette unité. 
Etant donnée « la connexité de plus en plus sensible entre les 
intérêts du Sénégal et toutes les affaires du reste de la côte )>, le 
Ministre décide que les trois Comptoirs du Sud relèveront direc- 
tement de l'autorité du Gouverneur du Sénégal; les officiers qui 
commanderont ces établissements recevront de lui des instruc- 
tions. 

Toutes les affaires judiciaires qui pourraient surgir entre 
Européens seront provisoirement du ressort des tribunaux du 
Sénégal; la Station extérieure d'Afrique est placée sous la direc- 
tion du Gouverneur pour toute la partie politique et commerciale 
de son service ; en somme les nouveaux comptoirs des cotes du 
Sud sont en tous points assimilés, pour l'organisation adminis- 
trative, aux premières « dépendances » du Sénégal. Le Ministre 
ne se dissimulait pas que ce régime était d'une application déli- 
cate ; il attendait a du bon esprit de tous l'absence de froissements 
et d'embarras ' ». 

L'autorité du Gouverneur du Sénégal sur la Station extérieure 
d'Afrique et sur les Comptoirs du Sud ne fut nullement fictive ; 
elle le fut d'autant moins que, depuis le 5 février 1843, Bouet- 
Willaumez était Gouverneur du Sénégal et que personne n'était 
plus qualifié que lui pour guider le développement des nouvelles 
dépendances du Sénégal. 

Toutes les questions relatives aux Comptoirs lui sont réguliè- 
rement soumises, et le Ministère, qui apprécie en lui non seule- 
ment la science du marin et de l'explorateur, mais l'expérience 




d' « établir un régime commercial de franchise absolue* »; c'est 
lui oui donne les ordres nécessaires pour l'organisation matérielle 
des blockhaus ^ établit les budgets des postes*, obtient la création 
d'un nouveau comptoir à Grand-Bassam', dirige les essais agri- 
coles*, règle les différends entre les indigènes elles capitaines au 
long cours qui, ayant fait crédit aux indigènes et ne parvenant 
pas à se faire payer, prétendent « se faire justice à eux-mêmes »* ; 

1. D. M. 22 décembre 1843. 

2. D. M. 23 novembre 1842 et 27 Janvier 1843. 

8. D. M. 12 janvier 1844. 

4. D. M. 15 septembre 1843. 

5. D. M. 24 Jw'llet 1843. 

6w D. M. 30 décembre 1843. 

7. D. M. 8 mai 1844. 

a G. G. au Ministre, 1*' avril, 23 août et 23 avril 1846. 

9. G. G. au Minisire, !•' lévrier 1845. 



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312 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

en témoignage bien clair de son autorité directe, il prend, en 
1844, le commandement d'un brick et va dans le Sud inspecter 
les comptoirs^. 

Les progrès furent sans doute moins rapides qu'on ne l'avait 
espéré, mais ils étaient beaucoup plus sensibles que ceux des 
comptoirs du Haut-Sénégal ou de la Casamance. Dès 1843, les 
quatre comptoirs prévus étaient installés «, et en 1844 un autre 
était créé à Grand-Bassam ' ; les navires commençaient à les fré- 
quenter; les cultures de tabac, de café, de cacao, de coton, de 
riz, de maïs et même de légumes d'Europe donnaient déjà des 
produits appréciables, sans qu'on eût, comme au Sénégal, l'im- 

f>ression de contrarier les aptitudes naturelles du pays, et, malgré 
es intrigues des Anglais et des missions américaines, malgré 
l'inévitable mauvaise foi de chefs indigènes « qui ne croyaient 

!)as s'engager autant en traitant avec nous », nos relations avec 
es habitants promettaient d'être faciles*. 

Mais, à mesure que l'entreprise se développait, on s'apercevait 
que ses intérêts étaient fort différents de ceux du Sénégal et que 
l'association économique du Nord et du Sud était plus gênante 
qu'utile : « Les relations commerciales de la colonie avec nos 
nouveaux comptoirs, écrivait le Gouverneur, ont été nulles en 
1843. II faut en voir les causes dans la fondation récente de ces 
établissements et dans l'exploitation presque exclusive de ces 
points de la côte par le commerce métropolitain ^ ». Les années 
suivantes ne changèrent rien à la situation : le commerce du Sud 
n'avait de rapports directs qu'avec la métropole et ne profitait 
nullement au Sénégal. 

Par contre, on reprochait au Sénégal d'entraver la liberté 
d'action des Comptoirs du Sud et d'y fausser, à son exemple, les 
directions de la politique indigène : « Il n'y a pas besoin de diviser 
pour régner, écrivait au Ministre un armateur de Nantes, Lecour : 
il faut au contraire faire régner la paix entre les multiples princi- 
pautés et les pousser à l'agriculture. Il faudrait aussi écouter les 
commerçants plutôt que les officiers et les agents politiques, 
parce qu'ils sont plus pratiques et veulent des bénéfices ». Il 
convenait donc de rendre les comptoirs du Sud indépendants du 
Sénégal, pour favoriser « leur extension » et en faire autre chose 
que des « comptoirs* ». 

Enfin, le Gouvernement du Sénégal était passé depuis 1844 en 
d'autres mains que celles de Bouet, et la réunion de fonctions 
très différentes sous une seule autorité ne pouvait plus s'expli- 
quer par l'utilisation d'une compétence incontestée. Aussi le 
Ministre se résolut-il à opérer officiellement une séparation que 



1. D. M. 23 octobre 1843. 

2. D. M. 22 et 30 décembre 1843 et 23 février et 31 mal 1844. 

3. D. M. 8 mars 1844. 

4. C. G. au Ministre, 5 septembre et 12 décembre 1844; !•' avril, 9 mai et 28 
août 1845. 

5. G. G. au Ministre, 16 octobre 1844. 

6. D. M. 24 octobre 1845. (Avec copie du mémoire de M. Lecour). 



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LE s6n6gal simple comptoir 313 

les faits lui imposaient et que lui demandaient à la fois des com- 
merçants comme Lecour et des personnalités administratives et 
maritimes comme le contre-amiral Montagniès de la Roque, 
commandant de la Station extérieure. 

Le 8 décembre 1845, le titre d* « Inspecteur général des Comp- 
toirs » fut donné au commandant de la Station extérieure, et 
Gorée, qui était sa résidence, devint en quelque sorte la capitale 
administrative des comptoirs. 

L'Inspecteur général des Comptoirs était indépendant du 
Gouverneur du Sénégal et ne recevait d'ordres que du Ministre: 
on prévoyait seulement, en cas de difficultés, une coopération 
militaire de l'Inspecteur et du Gouverneur. Les Comptoirs coli- 
tinuaient en principe à relever de l'autorité du Gouverneur du 
Sénégal et de former des dépendances lointaines de cette colonie ; 
mais, a Téloignement de ces possessions nouvelles les place natu- 
rellement sous la protection de nos bâtiments croiseurs ^» : en fait, 
les comptoirs devenaient donc des annexes de la Station exté- 
rieure, laquelle était, en droit, indépendante du Gouverneur du 
Sénégal. 

Les attributions de l'Inspecteur comportaient : le contrôle des 
actes des Commandants particuliers, le droit de donner des indi- 
cations et, dans les cas urgents, des ordres sur les mesures à pren- 
dre dqns le sens de nos intérêts politiques et commerciaux. Il 
devait «autant que possible» se concerter d'avance avec le Gouver- 
neur et dans tous les cas l'informer des mesures prises, mais sans 
qu'il y eût là autre chose que le devoir de solidarité qui s'impose 
à deux services voisins *. 

En somme, il y avait désorira^s, sous des étiquettes différentes, 
deux gouverneurs français sur la côte occidentale d'Afrique : un 
gouverneur du Sénégal et un gouverneur des Comptoirs du Sud. 



1. D. M. 8 décembre 1845. 

2, Ibidem. 



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CHAPITRE IV 



La protection du champ commercial. 



Régularisation et développement de la traite de la gomme, 
mise en circulation de nouveaux produits, extension du champ 
commercial, tout cela supposait, pour une colonie dont le domaine 
territorial était réduit à quelques îlots dispersés, une entente 
parfaite avec les peuples voiâns. 

Or, nous avons à maintes reprises constaté que les peuples 
voisins étaient loin d'entretenir avec le Sénégal des rapports tou- 
jours amicaux et que les Gouverneurs avaient fort à faire pour 
assurer la protection du champ commercial. 

Le colonel Schmaltz avait projeté une paciGcation en règle, 
à l'abri d'une ligne de postes solidement fortifiés et pourvus de 
bonnes garnisons : le Ministère s'était effrayé des conséquences 
possibles de cette organisation militaire, et le successeur de 
Schmaltz, Le Coupé, était retombé dans l'illusion désastreuse des 
traités sans garanties matérielles. Roger avait inauguré une poli- 
tique plus souple, mieux adaptée au pays, soucieuse d'utiliser 
avec prudence les rivalités de ses adversaires et de combiner au 
besoin la diplomatie et les coups de force, suffisante, au reste, 

f)Our la protection d'une entreprise surtout agricole. Après lui, 
es traditions de cette politique se perdent rapidement : elles 
semblent sur le point de reparaître pendant le séjour du gouver- 
neur Jubelin au Sénégal, mais, avec Brou, elles font place à des 
tendances franchement belliqueuses, dont la pénurie de moyens et 
le pacifisme obstiné du Ministère arrêtent court les manifes- 
tations. 

Vers 1831, c'est-à-dire au moment où les projets de colonisa- 
tion semblent définitivement condamnés, il reste du moins ac- 



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LB SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 315 

quis — et le Ministère ne pouvait plus se le dissimuler — que la 
politique de traités ne suffit pas à garantir nos établissements 
contre les attaques des peuples voisins et qu'elle nous engage 
sans profit dans des complications plus redoutables et plus rui- 
neuses que des expéditions militaires. D'autre part, la substi- 
tution d'une économie toute commerciale aux programmes de 
développement agricole nous fait un devoir de fournir au com- 
merce sénégalais tous les moyens possibles de vivre et de s'éten- 
dre : les mesures au jour le jour ont fait leur temps, et l'on sent 
le besoin, à Paris comme à Saint-Louis, d'entreprendre avec 
méthode la protection du commerce, d'immobiliser, de façon ou 
d'autre, les ennemis de notre sécurité économique, de concevoir 
clairement et de suivre avec persévérance ce que les contempo- 
rains appellent une «< Politique du Fleuve ». 



I. — Les résultats de la politique de traités. 



Dès les débuts de cette nouvelle période, les résultats de nos 
hésitations se précipitent et démontrent la nécessité d'une poli- 
tique nouvelle : sans déclaration d'hostilités, les Maures Trarsa, 
dont le roi était alors Mohammed el Habib, fils d'Amar, nous 
livrent une guerre d'escarmouches qui lèse gravement nos opé- 
rations commerciales. En juillet 1831 par exemple, ils attaquent 
un convoi de traitants en rivière, pillent trois embarcations, 
tuent trois hommes et en blessent un autre : « La population est 
exaspérée, écrit le Gouverneur au Ministre. La ville a présenté 
la nuit dernière une scène animée par des cris de vengeance et 
de désespoir lorsque le blessé a été débarqué. Des armes seront 
distribuées aujourd'hui aux habitants du village de Guet N' Dar 
situé en face de Saint-Louis sur la côte de Barbarie, pour le dé- 
fendre d'une surprise de nuit ^ ». En septembre, nouvelle agression 
contre des bâtiments de traite aux environs de Saldé*. 

Par représailles, 80 Maures qui se trouvaient à Saint Louis 
sont emprisonnés; une caravane maure de 28 chameaux chargés 
de inil, qui revenait du Cayor, est saisie; les villages d'où pro- 
venaient les agresseurs sont brûlés *. 

Malgré tout, c'est encore par des traités que nous essayons de 

Krantir l'avenir : « Je compte sur votre prudence, écrvait le 
inistre au lendemain de ces événements, pour qu'aucune colli- 
sion grave ne résulte des actes de rigueur auxquels vous seriez 
obligé de recourir », et, « pour terminer les démêlés qu'avaient 
fait naître les meurtres et les pillages », il encourageait le Gouver- 

1. C. G. au Ministre, 21 Juillet 1831. 

2. C G. au Ministre, 6 septembre 1831. 

3. ibidem. 



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316 [ Là MldË fiN VALEUR DU SÉNÉÛAL Dfi 1817 A 1854 

neur à conclure officiellement la paix avec les Trarza ^. Le 24 
août 1831, un traité est signé par des émissaires du roi des Trarza : 
ce prince se déclarait étranger aux actes d'hostilité commis contre 
les traitants ; mais il refusait de livrer les assassins et se conten- 
tait d'affirmer qu'il les avait chassés de ses Etats '. 

A peine ces négociations étaient-elles terminées que les Maures 
recommençaient à commettre « leurs insultes en rivière »; en 
avril 1832, un convoi- de traite était à nouveau attaqué. Bien 
mieux, le roi des Trarza, au cours d'un voyage à Saint-Loms, 
déclarait « que ses envoyés avaient faussement apposé sa signa- 
ture au traité du 24 août dernier, qu'il n'en avait eu connaissance 
que longtemps après et que ce traité devait être considéré comme 
nul*. » 

Le gouverneur Renault de Saint-Germain se hâta de signaler 
par « exprès » aux traitants le danger qu'ils couraient : il ferma 
une escale sur trois, s'assura la neutralité des Darmancour^ et 
l'alliance desPeul duFouta-Toro en cas de guerre avec les Trarza,* 
en un mot, isola le roi des Trarza, qui prit peur et consentit à 
ratifier le traité du 24 août 1831 : «ce qui prouve, conclut le gou- 
verneur Renault de Saint-Germain, que dans toutes les transac- 
tions avec les Maures, il faut appuyer toute demande juste par 
la fermeté* ». Puis, pour achever d'intimider les agresseurs, il 
fit comparaître en jugement un certain Moctar, prince Trarza, 
principal auteur des attentats de l'année précédente, qui, en 
vertu du traité du 24 août, venait d'être exilé du territoire 
trarza, y était rentré, y avait recruté 300 hommes et avait en- 
trepris de piller Saint-Louis : Moctar fut condamné à mort et 
exécuté; le roi des Trarza, après quelque hésitation, donna l'as- 
surance que « cet acte de justice, tout sévère qu'il a pu paraître 
à la nation, n'avait pu être considéré par elle que comme légiti- 
time » et invita le Gouverneur à rouvrir les escales de traite ; le 
frère de Moctar, faisant passer ses ressentiments après ses inté- 
rêts, se contenta de faire réclamer la coutume jusque là payée à 
son frère : « Le sang du coupable a vengé le crime, faisait-il dire 
au Gouveneur, il ne serait pas juste de priver son héritier de ce 
qui a été accordé non à l'individu, mais à sa famille », et le Gou- 
veneur fit droit à sa demande, «pour prouver aux Maures que la 
justice du Gouvernement français n'est jamais réclamée en vain. » 

Une fois de plus le péril maure paraissait conjuré par l'effet de 
quelques traités et d'un coup de force suivi d'indulgence : « Il 
y a lieu d'espérer, écrivait le Gouverneur au Ministre, que l'exé- 
cution de Moctar a produit une impression salutaire sur les Trar- 
za et mettra fin aux assassinats qu'ils avaient habitude de com- 
mettre chaque année sur les gens du Sénégal »^. 

1. D. M. 11 novembre 1831. 

2. G. G. au Ministre, 6 septembre 1831* 

3. G. G. au Ministre, 10 avril 1832. 

4« G.G. au Ministre, 1er décembre 1832. 

6. G. G. au Ministre, 10 avrU, 20 Juin et 22 décembre 1832. 

«I G. G. au MinUtre, 10 avrU 1832. 

7» G* Q. «u MiaUtre, 2^ déombre 1883 et 7 mm 1883« 



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LB SÉNÉGAL StMPLB COMPTOIR 317 



IL — La guerre du Oualo. 



Illusion sincère ou littérature administrative? Quelques semai- 
nes après cette profession d*optimisme, le Gouverneur du Sénéffal 
devait se convaincre que le roi des Trarza nous préparait des 
difficultés beaucoup plus graves que les agressions en rivière. Ses 
menaces avaient fini par affoler nos alliés les Oualo, qui, par ail- 
leurs, ne trouvaient pas dans notre politique hésitante de suffisan- 
tesgarantiesdeprotection, et lesOualojugèrentprudents dépasser 
dans le camp de leurs ennemis : en 183^ ,Mohammed el Habib 
épousa rhéritière du Brakou roi de Oualo, Guimbotte : il devenait, 
«selon la loi musuhnane, possesseur des biens et droits de sa fem- 
me au royaume de Oualo » et s'arrogeait ainsi les droits que le 
Oualo nous avait cédés par le traité du 7 juin 1821 . Les deux rives 
du Sénégal se trouvaient réunies sous le même pouvoir, Saint- 
Louis devenait une enclave Trarza, et ce nouvel épisode de Tin- 
vasion maure vers le Sud annonçait clairement la fin de la domi- 
nation française au Sénégal. 

Le Gouvernement pouvait d'autant moins accepter cette situa- 
tion qu'elle constituait une violation évidente des traités : la 
terre du Oualo avait été régulièrement cédée à la France sous 
le Gouvernement du colonel Schmaltz, * et les Maures avaient 
formellement promis de respecter cet accord. Une période de 
franche hostilité, « la guerre du Oualo », allait succéder aux escar- 
mouches et aux rezzous. 

Le Gouverneur Renault de St-Germain engage une campagne 
diplomatique, destinée à affaiblir le roi des Trarza, à l'isoler, à 
obtenir de lui qu'il rompe son union avec Guimbotte; il lui sus- 
cite un compétiteur au royaume de Oualo et fait des avances au 
chef du Cayor, le Damel, et au chef du Fouta, l'Almamy. En 
même temps et pour l'atteindre dans ses intérêts économiques, 
il supprime les coutumes payées aux divers princes maures et 
oualo ^ Enfin, il expose au Ministère, mais sans résultat, la 
nécessité d'augmenter la garnison du Sénégal * : il entreprend du 
moins une démonstration militaire en rivière, jusqu'aux limites 
du Fouta, et annonce des opérations décisives *. 

Mais il tombe gravement malade. En outre, les indigènes 
refusent de former à eux seuls le corps d'auxiliaires par lequel on 
comptait remédier à la faiblesse de la garnison ; ils exigent que les 
commerçants européens participent effectivement à la guerre, 
et les Européens se dérobent à ce devoir, sous prétexte que des 



1. C. G. au Ministre, 31 juillet et 7 août 1833. cf.Cultru op. eil., p. 300, 315 et sq. 

2. et. Supra, p. 70 et sq. 

3. G. G., au Amistra, 7 août 1833. 

4. G. G., au Ministre, 14 août 1833. 
(« & G., au Mintotre, 31 JulUet 1838. 



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318 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

responsabilités commerciales les retiennent à Saint-Louis et qu'au 
reste la saison d'hivernage, avec ses pluies diluviennes et ses 
fîèvres,ne leur permet pas cet effort *. L'expéditionprojetée ne put 
s'organiser et, sur ces entrefaites, le Gouverneur Renault de 
Saint-Germain mourut à Gorée le 18 octobre 1833. 

Après une accalmie pendant laquelle le Gouverneur intéri- 
maire Cadeot essaya de détacher les Oualo des Trarza et de for- 
mer la ligue des peuples de race noire contre leur ennemi com- 
mun, les Maures', le capitaine de frégate Quemel vient prendre 
le commandement de la colonie; malgré les protestations des 
négociants» il suspend les poursuites pour dettes, afin de s'assu- 
rer le concours des petits traitants et des laptots, et parvient 
ainsi à former un corps expéditionnaire de plus de 800 hommes'; 
il met en état de défense les postes de Dagana et de Richard-Toi, 
s'engage résolument dans le Oualo, s'empare de troupeaux et de 
greniers è niil, détruit des villages, disperse ses adversaires en 
plusieurs rencontres et lance sur le fleuve, armée en course, 
toute la flottille dont il dispose. Le danger d'invasion est momen* 
tanément écarté, le pays est dégagé de Saint-Louis à Dagana, le 
Oualo est manifestement fatigué de la guerre dont il est à peu 
près seul à supporter le poids, et le Ministre félicite le Gouver- 
neur de ce succès, tout en le blâmant d'avoir pratiqué la course, 
«contraire au droit des gens », et en l'invitant « à profiter de cas 
premiers succès pour s'efforcer à la pa^'x* ». 

Quemel obéit à contre-cœur; les Oualo demandent une sus- 
pension d'hostilités par l'intermédiaire du roi des Brakna. Mais 
les Trarza, pour s'opposer à cette paix séparée, envahissent le 
pays de leurs alliés. Une expédition militaire redevenait néces- 
saire ^. 

Le conmiandant Malavoix s'avance dans le Oualo avec une 
forte colonne, éclairée et protégée par un corps de cavalerie. Il 
ne rencontre aucune résistance sérieuse; les noirs du Oualo 
s'enfuient dans le Cayor et les Maures vers le fleuve; tous les 
villages sont détruits sur le passage de l'expédition, qui rentre 
à Richard-Tol et s'y installe solidement en prévision d'un retour 
offensif. La victoire paraissait complète et le Gouverneur Quemel 
trouvait les circonstances favorables pour faire du Oualo « une 
colonie française»; il vantait au Ministre la fertilité de cette 
région, le bon esprit et l'activité de ses habitants ; il prévoyait 
que « des villes s y établiraient sans peine » et que, pour éviter 
les apparences d'une annexion et ménager la jalousie de nos 
rivaux, on pourrait y établir une république nègre sous le pro- 
tectorat de la France, une sorte de Libéria.* 

1. C. G., au Ministre, 25 août et 3 octobre 1833. 

2. D. M. 16 octobre 1833, G. G. au Ministre, 8 novembre 1833. 

3. G. G., au Ministre, 3 octobre, 8 novembre, 7 et 15 décembre 1833; D.M. 3 el 
U février 12 septembre 1834. 

4. G. G. 25 août, 3 octobre, 8 novembre, 7 et 25 décembre 1833; D. M., 3 el U 
février 1834. 

5. C. G. au Ministre, 13 février 1834. 
& G.G. au Ministre, 7 mars 1834. 



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Le SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 3l9 

Les Trarza, comme les Oualo, étaient « réduits à toute extré- 
mité » et demandaient la paix; le roi des Brakna était toujours 
à Saint-Louis et se montrait tout disposé à servir d'intermédiaire 
entre nos ennemis et nous, quand, soudain, les Trarza se refu- 
sèrent à toute négociation: une puissante alliance, celle de l'An- 
gleterre, leur commandait cette attitude. 

Les Anglais, toujours occupés de développer leurs droits sur 
Porlendik, se félicitaient de cette guerre qui interrompait et 
risquait de compromettre à jamais nos relations économiques 
avec les Maures et ils ne pouvaient que regretter de la voir finir 
si tôt. Pour permettre aux Maures d'écouler leur gomme et les 
sauver de la misère, ils multiplient leurs expéditions à Portendik; 
pour les mettre à même de nous résister militairement, ils leur 
fournissent des munitions. En même temps, et comme pour nous 
provoquer, ils envoient un navire de guerre croiser devant Por- 
tendik et prétendent y traiter, non plus sous voiles, mais à l'ancre ^. 

C'est donc contre les Anglais surtout qu'il fallait lutter désor- 
mais, mais on ne pouvait le faire qu'avec la plus grande pru- 
dence; Louis Philippe tenait à l'amitié de l'Angleterre, l'Angle- 
terre et la France avaient partie liée dans la question d'Orient, 
soutenaient de leur sympathie commune l'insurrection de Polo- 
gne, protégeaient ensemble les libéraux en Espagne et au Por- 
tugal. Il fallait s'attendre à voir condamner toute mesure sus- 
ceptible de troubler cet accord. 

En attendant les ordres du Ministère, le Gouverneur décide 
qu'un navire de guerre sera maintenu devant Portendik, « avec 
ordre de ne laisser traiter aucun navire que sous voiles et de 
faire le plus de mal possible à nos ennemis (les Trarza) *». Puis, 
il propose, comme « seul moyen d'aboutir », le blocus « de toute 
cette partie de la côte » et demande au Ministre de mettre deux 
bâtiments à sa disposition : les Maures se trouveront ainsi dans 
l'impossibilité de vendre leur prochaine récolte de gomme et 
n'auront d'autre ressource que de demander la paix; quant 
à TAngleterre, peut-elle en bonne justice se fâcher de ce pro- 
cédé, puisqu'elle en a usé à différentes reprises (et notamment 
en 1820) sur la côte du Golfe de Guinée »? Comment oublierait- 
elle, d'ailleurs, que nous lui avons porté secours au moment de 
la révolte de ses sujets en Gambie et ferait-elle preuve de tant 
d'ingratitude' ? 

Le Mimstre, d'accord avec son collègue des Affaires Etran- 
gères, reconnut aux Anglais, en vertu de l'article XI du traité 
de 1783, le droit de traiter à l'ancre dans la baie de Portendik, 
et désapprouva les mesures prises par le Gouverneur pour les 
obliger à traiter exclusivement sous voiles. En revanche, il 
laissa au Gouverneur toute liberté « de former le blocus » : « Je 



1. C. G. au Ministre, 14 JuUlet et 9 août 1834. 

2. G. G. au Ministre, 14 juillet 1834. 

3. G. G., au Ministre, 14 juiUet et 9 août 1834. 



lUADT 

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^0 LA MiSE EN VaLEUÏI DU SÉNÉGAL DE 18l7 A 1854 

VOUS recommande, ajoutait-il, d'apporter la plus grande cir- 
conspection dans l'adoption des diverses mesures qui seront 
prises par vous en exécution de mes ordres, ainsi que dans vos 
relations avec les autorités anglaises.Vous aurez soin d'éviter 
tout ce qui pourrait fournir prétexte à des collisions entre les 
bâtiments français et les bâtiments anglais. En un mot, vous ne 
devez pas perdre un seul instant de vue que les Maures Trarza 
sont nos seuls ennemis dans TafTaire dont il s'agit, et que le 
blocus de Portendik n'est dirigé que contre eux *. » 

Les Anglais accueillirent fort mal cette décision. Les commer- 
çants de Gambie et de Sierra-Leone adressèrent de vives récla- 
mations au Gouverneur anglais : Lord Palmerston en fit l'objet 
d'un mémoire au Ministre des Afîaires étrangères de France 
et demanda le maintien des relations commerciales entre les 
Anglais et les Trarza « sous l'interdiction de porter à ceux-ci 
des armes et des munitions de guerre » ; le Ministre de la Marine 
fut appelé à fournir des explications et dut « en définitive se 
montrer disposé à adopter toute mesure autre que le blocus, 
qui serait propre à atteindre le but que le Gouvernement s'est 
proposé et qui consiste à amener les Trarza à nous demander la 
paix*. » 

Le 17 juillet 1835, ordre était donné au Gouverneur de lever 
le blocus de Portendik, et l'on se contentait d'y substituer, selon 
le désir de Lord Palmerston, a des visites efficaces ayant pour 
objet de s'assurer que les bâtiments étrangers n'importent à 
Portendik aucune marchandise dite contrebande de guerre*». 
Mais les Anglais avaient satisfaction, le danger que nous avions 
voulu écarter subsistait : la contrebande des armes avait beau- 
coup moins d'importance, pour le rétablissement de la paix et 
les intérêts de notre commerce, que le détournement des cara- 
vanes sur Portendik, et le Ministre reconnaissait de lu^-même 
que a la déviation du commerce de la gomme vers ce point de la 
côte était certainement le dommage le plus grave qui pût être 
fait aux traitants anglais jusqu'alors complètement écartés 
par l'aflluence habituelle des Trarza sur les escales du fleuve ^. » 
Puisque les Anglais avaient retrouvé le droit de commercer 
dans la rade de Portendik, il fallait éloigner de la côte les 
Trarza. 

Le Ministre indiquait des expédients : tant que la guerre 
durerait, ne suffirait-il pas, pour écarter les Trarza de Portendik^ 
« de quelques détachements qui seraient fournis par les équipages 
de nos bâtiments et qu'on débarquerait chaque fois que ce serait 
nécessaire, avec mission de repousser les Trarza au-delà des 
lieux où les Anglais peuvent s'aboucher avec eux. Enfin, s'il 
fallait établir un poste militaire destiné a interdire aux Trarz» 

1. D. M., 12 décembre 1834. 

2. D. M. 12 décembre 1834. 

3. Ibidem, 

4. D. M., 18 juUlet 1835. 

5. D. M. 6 Juin 1835« 



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LE SÉNÉGAL SiBiPLfi COMPTOlA 321 

Taccès de cette partie du littoral, y aurait-il de grandes difficul- 
tés à former ce poste au moyen de baraques en bois ou même 
en y construisant un blockhaus comme ceux qui ont été employés 
à Alger^ ? » 

Mais on ne pouvait, même de Paris, se faire beaucoup d'illu- 
sions sur l'efficacité de pareils moyens, et il n'y avait qu'un vrai 
remède à la crise économique que traversait le Sénégal : contrain- 
dre les Trarza à accepter nos conditions de paix et, pour cela, 
« faire à l'ennemi une guerre active sur tous les points du terri- 
toire où il peut être atteint, soit par les troupes, soit par la 
flottille, soit par les bâtiments de la Station. » Le Ministre ne 
se dissimulait pas cette nécessité : le désir de maintenir la paix 
avec l'Angleterre le contraignait à donner aux opérations mili- 
taires contre les Trarza une ampleur qui ne répondait guère 
à ses goûts '. 

Aux trois bâtiments légers qu'il avait destinés « à former 
eflectivement le blocus », il ajoutait, en juin 1835, une corvette 
de guerre; il complétait à son effectif normal la garnison de 
troupes blanches et l'augmentait de 100 hommes d'infanterie, 
il faisait transporter au Sénégal des soldats noirs prélevés sur 
le corps d'Ouolof stationné & Sainte-Marie de Madagascar^. 
En juillet, il mettait en outre à la disposition du Gouverneur un 
brick et une goélette « pour faire, contre les Trarza, des expé- 
ditions à la côte de Portendik ou ailleurs^ »; en septembre, il 
envoyait au Sénégal un nouveau détachement de 50 hommes*^; 
il offrait un groupe d'artillerie, un capitaine du génie pour la 
construction de blockhaus : « Examinez donc, écrivait-il, ce 
que pourra exiger sous ces divers rapports la situation des choses 
et adressez-moi vos demandes avec modération, je ferai pour 
y satisfaire tout ce qui pourra dépendre de moi. C'est parce que 
ces dispositions doivent avoir pour effet d'amener nos ennemis 
à nous demander la paix, qu'il faut n'en négliger aucune : la 
paix doit être le but constant de tous vos efforts, et je serai 
heureux d'avoir à vous féUciter bientôt de l'avoir attemt par 
la force des armes ou mieux encore par l'habileté des négocia- 
tions*. » 

En quelques semaines, les Trarza, séparés de leur base de 
ravitaillement, furent réduits à se soumettre et, comme les 
Oualo étaient depuis longtemps fatigués de la guerre, le Gou- 
verneur put annoncer au Ministre, le 20 septembre 1835, que 
la paix était signée avec les deux groupes d'adversaires (30 août 
et 4 septembre 1835) : le roi des i'rarza renonçait à faire valoir 
aucun droit de succession sur le Oualo et consentait, en guise 
d'indemnité de guerre, à la suppression de ses coutumes pour 

1. D. 11. 6 Juin 1835. 

2. Ibidem. 

3. Ibidem. 

4. D. M. 18 juillet 1835. r 

5. D. M* !•' septembre 1836. "^ 

6. D.M. 18 juillet 183&« 



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322 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Tannée 1834. Il est vrai que, pour faciliter les opérations mili- 
taires, on avait achevé de détruire ce qui restait des plantations 
du Oualo : nos troupes avaient elles-mêmes rasé les pépinières 
de Richard-Tol, afin de dégager les abords du poste; .mais ce 
dernier coup porté à l'œuvre de Roger n'intéressait personne. 
Le Ministre ne pouvait que louer « la conduite à la fois ferme et 
prudente » du Gouverneur^. 

Cette paix, fondée sur un succès militaire, se distingua surtout 
des précédentes par sa solidité : elle dura, sans incidents 
notoires, deux ans au moins; elle était propre, on le voit, à ins- 
pirer au Gouvernement central une politique moins timorée que 
la politique de traités suivie jusque là. Il est vrai que les Trarza 
détournaient sur les Oualo leur activité de pillage et, continuant 
un mouvement depuis longtemps dessiné, tendaient « à s'établir 
sur la rive gauche en refoulant vers le Sud les peuplades noires »; 
mais un voyage du Gouverneur en rivière, en 1837, produisait 
à cet égard les plus heureux effets : notre arbitrage était accepté 
partout sans grandes résistances; le fier Mohammed el Habib, 
roi des Trarza, désavouait ceux de ses vassaux qui s'étaient 
rendus coupables d'attaques à main armée et de pillages et 
consentait à accepter l'hospitalité de la France dans l'hôtel du 
Gouvernement à Saint-Louis ^. Le prestige militaire était vrai- 
ment le seul qui pût compter aux yeux de ces populations pri- 
mitives : il eût été facile et nécessaire de le maintenir et de l'éten- 
dre. 



III. — Les troubles du Fouta. 

Par malheur, à peine étions-nous délivrés du danger Trarza 
dans le cours inférieur du Sénégal, que des difficultés tout aussi 
graves apparaissaient dans le haut-Fleuve, et la reprise de nos 
manœuvres diplomatiques, dénuées d'appui matériel, allait nous 
rejeter dans les succès sans lendemain et t'inquiétude persis- 
tante. 

Notre commerce, on l'a vu, tendait de plus en plus à s'alimen- 
ter dans les régions du haut-Fleuve, désignées sous le nom très 
général de pays de Galam : il pouvait par là fournir à la popu- 
lation saint-louisienne des profits moins divisés et surtout renou- 
veler ces profits, ajouter à la traite traditionnelle de la gomme 
celle du mil et des ressources variées de l'Afrique intérieure (cuirs, 
or, dattes, ivoire) ; mais, à mesure qu'il s'éloignait de la côte, il 
avait besoin d'une protection plus efficace contre des populations 
qui nous connaissaient mal encore et se croyaient à l'abri de nos 
coups : les Peul du Fouta-Toro, en particulier, manquaient 

1. D. M., 30 octobre 1835. 

2. G. G. au Ministre, 20 mars 1837. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 323 

rarement d'attaquer nos convois du haut des rives escarpées du 
Fleuve. Les bateaux de guerre avaient même cessé de les inti- 
mider : en 1831, ils avaient fort abîmé le bateau à vapeur le 
Serpent et avaient évité les effets de son artillerie en s'abritant 
dans des tranchées; le commandants du convoi, Restout, avait 
cm plus prudent de transiger avec eux et n'était monté à Bakel 
qu'en payant une rançon de 30 pièces de guinée ^. 

Les agressions redoublèrent, du jour où ces peuples riverains, 
les Peul du Dimar, les Peul du Toro, les Maures Brakna, se 
lancèrent les uns contre les autres et entreprirent de ce que les 
correspondances du temps appellent la « Guerre du Fouta » : 
la guerre, en pays africain, étant surtout prétexte à pillage, la 
qualité de l'ennemi importe peu, pourvu que le pays soit en 
guerre et qu'il y ait du butin à l'horizon, et nos convois, tout en 
demeurant neutres, portèrent la peine de l'état de guerre*. 

Si le Ministère croyait à l'efficacité des actes diplomatiques, 
ses représentants au Sénégal étaient loin de partager ses illu- 
sions : ils voyaient clairement le seul remède possible et ils 
avaient généralement le courage de l'indiquer'. Mais leurs 
demandes restaient sans réponse, l'audace passait pour un 
défaut d'habileté et de sens politique, et les plus énergiques 
devaient se résigner à conclure avec les roitelets du Fouta et 
du pays de Galam des alliances éphémères^. 

Par ailleurs, la guerre du Fouta, dans laquelle nous tenions 
un si pauvre rôle, avait réveillé l'hostilité des Trarza* et rouvert 
la voie aux intrigues anglaises^. 

Dans le bas comme dans le haut-Fleuve, la pacification à l'amia- 
ble était toujours à recommencer. 



IV. — L'annonce d'une politique ferme : 
Une direction des affaires extérieures au Sénégal. 

Ce que tant de Gouverneurs avaient vu et signalé par à-coups ', 
le lieutenant de vaisseau Bouet, après son passage au Gouverne- 
ment du Sénégal, en 1843-1844, l'énonce avec une rare fermeté 

1. G. G. au Ministre, 8 décembre 1834. 

2. Ibidem, G. G., au Ministre, 22 septembre 1834 et 18 février 1837. G. G., au 
Ministre, 25 mars 1837. 

3. Gf. notamment. G. G., au Ministre, 20 septembre 1840, 28 mai et 5 juillet 1842. 

4. G. G., au Ministre, 17 juin et 1er septembre 1837, 22 octobre 1838, 22 août et 
13 septembre 1839, 16 mars, 20 septembre et 28 octobre 1840, 25 mars 1841 ; D. M., 
29 mai 1840, 1«' avril et 30 décembre 1842. 

5. G. G., au Ministre, 29 mars 1837, 10 et 30 octobre 1840, 28 mai et 4 février 
1842, 27 janvier 1843; D. M. 25 octobre 1842 et 27 janvier 1843. 

6. G. G. au Ministre, 30 octobre 1840; D. M. 24 mars et 1«» décembre 1843, 
3 décembre 1844. 

7. Gf. notamment. Guillet (G.G., au Ministre, 1*' septembre 1837), qui en raison 
des complications propres à la politique sénégalaise, signalait la nécessité de doubler 



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324 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

et il parvient à faire accepter au Ministère un plan d'action 
que Faidherbe n'aura que le mérite, au reste fort honorable, 
de reproduire. 

« Depuis la reprise de possession du Sénégal, écrit-il, il n'existe 
aucune tradition de politique extérieure. » 

L'instabilité du pouvoir s'oppose à ce qu'il y ait la moindre 
suite dans la conduite que nous tenons à l'égard des peuplades 
voisines. « Les Gouverneurs se succèdent à peu près de deux ans 
en deux ans. C'est lorsqu'ils pourraient se passer de conseillers 
qu'ils abandonnent la colonie, laissant leur successeur à la merci 
de tous ceux qui savent tirer parti de son ignorance des loca- 
lités. » 

Ceux qui semblent le plus désignés pour renseigner et conseiller 
le Gouverneur nouveau venu sont l'ofïicier Commandant supé- 
rieur des escales, « naturellement chargé de la politique du fleuve», 
et le maire de Saint-Louis, « qui s'en dit ou s'en croit chargé, 
bien qu'aucune Ordonnance, aucune dépêche ne consacrent ses 
prétentions ». Or, ces deux personnages, d'esprit fort différent, 
se trouvent ordinairement en désaccord, se jalousent, se com- 
battent, et le Gouverneur, qui ne connaît pas la colonie, ne sait 
à quel parti se ranger. 

Il est donc nécessaire d'assurer la continuité de la politique par 
la nomination d'un « Directeur des Affaires extérieures », qui 
serait chargé, sous la surveillance du Gouverneur, « de toutes les 
propositions, de toutes les réclamations des diverses peuplades, 
du redressement des exactions commises contre ou par les habi- 
tants du Sénégal : en un mot, tout ce qui serait susceptible d'ame- 
ner la paix ou la* guerre serait de son ressort. Il veillerait au paie- 
ment des coutumes, à la délivrance des vivres fournis en nature 
aux chefs, aux envoyés ou aux otages des diverses peuplades. 
Enfin, il aurait sous ses ordres immédiats les commandants des 
escales ou des postes du fleuve, qui devraient correspondre avec 
lui pour tout ce qui intéresserait la politique ». Une organisation 
semblable a donné de bons résultats en Algérie. 

Mais il faudrait en même temps tracer aux Gouverneurs « une 
ligne ferme de politique », qui jusqu'ici leur a tout à fait manqué : 
« Depuis la reprise de possession, et surtout depuis l'abandon des 
projets de colonisation, on a sacrifié aux intérêts commerciaux du 
moment ceux de l'avenir et les progrès de la civilisation africaine. 
A nos portes, on rançonne, on pille les peuples nos alliés, et les 
traités eux-mêmes semblent consacrer ces déprédations. En 
outre, aucune augmentation de territoire n'a étendu notre influ- 
ence directe : le Cayor, le Oualo et le Yoloff, qui devraient être 



le Gouverneur du Sénégal par que]qu*un qui soit bien au courant de la situation 
politique, et, à cet effet, d*attacher un officier à l' Etat-major du Gouverneur; 
Guillet indiquait, comme particulièrement désigné pour cet emploi le capitaine 
Caille, n faut croire que, dès 1837, cette proposition parut sage en haut lieu, car 
la lettre de Guillet, aux Archives du Ministère des colonies, porte la note suivante 
écrite au crayon : < Cette lettre est pleine d*intérêt. » 



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tB SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 325 

les greniers du Sénégal, ne deviendront jamais des contrées 
florissantes tant que la tyrannie des chefs et des grands ne laissera 
aux sujets aucune garantie, aucune sécurité pour leurs biens et 
leurs personnes ». En somme, protéger fortement nos sujets et 
nos alliés, incorporer nos îlots de civilisation dans un pays vaste 
et libéré de tutelles ruineuses, telles sont les deux conditions in- 
dispensables à la vie et au développement du Sénégal. 

Par quels procédés réaliser ce plan d'action politique ? Ne 
faudra-t-il pas, en même temps qu'on change de direction, chan- 
ger de méthode ? « Pour faire cesser cet état de choses qui s'ag- 
grave d'année en année par les empiétements de tribus Maures 
sur le territoire de la Nigritie, il faudra peut-être employer les 
moyens de rigueur ^, car il s'agira souvent de se mettre du côté des 
faibles contre les forts. Alors l'état de paix si favorable aux inté- 
rêts commerciaux pourra être compromis momentanément; les 
négociants et traitants crieront haut et fort, comme ils l'ont fait 
si souvent, ne consultant que leurs intérêts pécuniaires du mo- 
ment et ne faisant aucun cas du rôle civilisateur que la France 
est appelée à jouer sur le continent africain. J'ai dit leurs intérêts 
pécuniaires du moment, car je ne mets pas en doute que l'avenir 
commercial gagnerait immensément à une politique plus forte, 
plus directement protectrice des intérêts des peuples asservis. » 

Quant aux mesures de détail, voici quelles seraient les princi- 
pales : 

« Ne tolérer aucune bande de Maures en expédition de pillage 
sur la rive gauche ; 

« Placer tôt ou tard le Oualo sous notre souveraineté directe 
et le diviser en quatre cantons dont les chefs-lieux seraient 
Dagana, Richard-Tol, Mérinaghen, Lampsar, gouvernés direc- 
tement par nos agents ; à ces cantons, relier Gandiol et les Sa- 
lines, jusques et y compris Dacarbang et les fours à chaux; 

« Faire alors de ce royaume l'asile de tous les sujets maltraités 
par leurs chefs et y encourager l'agriculture et l'élève des bes- 
tiaux; 

« Travailler au démembrement du Fouta, qui devientinquiétant 
par son esprit de domination, par le fanatisme de ses popula- 
tions, et ne lui laisser commettre aucun acte de violence sans 
le châtier vigoureusement ; 

« Réduire progressivement et supprimer le plus tôt possible 
les coutumes de l'État tant aux Maures qu'aux chefs noirs; 

« Proportionner la quotité des coutumes du commerce à la 
traite effectuée et non au tonnage des embarcations. Ne pas 



1. Au cours de son Gouvernement, Bouet-Willaumez, avait eu le courage de 
mettre d*accord sa conduite et aes principe» : en 1844, il avait fait arrêter à Tescale 
du Coq et déporter au Gabon le nouveau roi des Brakna, Moctar Sidi, qui nous était 
hostile et qui avait été imposé aux Brakna par Talmamy du Fouta; ce coup de force 
avait produit chez nos voisins une véritable stupeur (C.G., au Ministre, 24 mai 1844) : 
mais les successeurs de Bouet-Willaumez n'osèrent se permettre de telles audaces et 
l*un d>ntre eux, Houbé, signala le geste de Bouet-Willaumez au Ministre comme 
une ^mye faute politique, qui nous avait attiré la méfiance des Maures (C.G., au 
Ministre, 29 août 1846). 



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326 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

s'exagérer l'objection de l'emploi de la force; du reste beaucoup 
de résultats s'obtiendront simplement par la politique de di- 
vision : en tout cas ces complications momentanées ne pourraient 
réagir sur la politique de la France; il conviendrait seulement 
d'obtenir de l'Angleterre l'abandon du droit de traite à Por- 
tendik en échange de notre chétif comptoir d'Albréda, source 
continuelle de réclamations britanniques. Noter enfin que la 
politique actuelle est loin de garantir une paix continue : depuis 
1817, que d'efforts perdus en ce sens, qui auraient été efficaces 
s'ils avaient été dirigés vers un but déterminé^ ». 

Sans doute instruit par les événements des dernières années 
et conquis par la netteté de vues du Gouverneur Bouet, le Mi- 
nistre approuve ce plan sans réserves et décide immédiatement 
« la création d'un directeur et d'un bureau des Affaires Exté- 
rieures du Sénégal.» Il désigne comme Directeur le chef de batail- 
lon Caille, « pour la considération dont il jouit au Sénégal, la 
fermeté de son caractère et la connaissance approfondie qu'il a 
acquise de tout ce qui concerne les peuplades indigènes » ; Caille 
cumulera ses fonctions avec celles de Commandant supérieur 
des escales du fleuve. Le lieutenant de vaisseau Reverdit sera 
nommé directeur-adjoint ; le nouveau service comprendra en 
outre un écrivain de l'administration locale à la solde de 1.800 fr. 
et un interprète à la solde de 600 fr. * 



V. — Un PAS EN ARRIÈRE i 1848. 

Mais cet effort d'audace était décidément trop contraire aux 
goûts et aux habitudes de la seconde Restauration : à peine 
le gouverneur Bouet avait-il obtenu pour son programme l'ap- 
probation du Ministère, qu'il quittait le Sénégal pour une explo- 
ration dans le Sud, et sa politique ne devait guère survivre à 
son gouvernement. 

Les Maures se livrent en toute tranquillité à leurs habituels 
brigandages, et tout ce qu'on tente pour les arrêter, c'est d'aug- 
menter leurs coutumes, autrement dit, de donner une prime à 
leur hostilité '. 

Notre faiblesse profite aux Anglais comme aux Maures. Les 
caravanes de gomme, en dépit de tous les traités et de toutes les 
redevances, ne délaissent nullement Portendik; les prix élevés 
qu'on leur offre pour les y attirer créent à nos escales une concur- 
rence difficile à soutenir*. Les Anglais ne se contentent même 
plus de traiter « à Tancre » : ils ont dressé sur la plage des cabanes 



1. D.M., 21 novembre 1845 (Communication du rapport Bouet-WiUaumez). 

2. Ibidem, 

3. C.G., au Ministre, 4 juillet 1846. 

4. C.G., au Ministre, 17 février 1844, 26 mai 184&, 2 mars 1847. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 327 

en planches, qui ne peuvent passer pour des « établissements 
permanents » et que nous nous avouons impuissants à prohiber*. 

Dans le Fleuve, à la suite de différends survenus avec les 
traitants de Tescale du Coq, deux ou trois mille Peul et Tou- 
couleur du Toro arrêtent le convoi de Galam en 1847*. Caille, 
gouverneur par intérim, propose d'entreprendre une démons- 
tration militaire'; mais il meurt un mois après, et le Ministre 
multiplie avec tant de soin les conseils de prudence* que le 
successeur de Caille, Duchâteau, renonce à ce projet et se con- 
tente de suspendre les rapports commerciaux avec les peuples 
du Fouta*. L'apparence de paix dont nous nous contentions 
si volontiers luit à nouveau : « Les Peul semblent avoir profité 
de la leçon », remarque le gouverneur Baudin, prompt à flatter 
rinertie du Ministère, et il se propose d'étudier, comme un re- 
mède décisif, un remaniement du régime des coutumes*. 

L'audace de nos ennemis fut portée à son comble par les évé- 
nements de 1848. 

Le nouveau Gouvernement, en proclamant sans mesures pré- 
paratoires l'émancipation des esclaves, provoque dans la colonie 
un désordre d'un genre nouveau : sans doute ne se produit-il 
pas de troubles bien graves; mais une décision aussi importante 
devait occuper exclusivement l'attention des autorités locales, 
leur créait des devoirs imprévus. La politique du Fleuve allait 
passer au second plan des soucis gouvernementaux, et nos enne- 
mis le sentaient bien' . 

Par ailleurs, la seconde République ne se bornait pas, comme 
la Restauration, à vouloir la paix à tout prix : elle appor- 
tait dans la politique indigène une magnanimité Cfui lui parais- 
sait devoir être plus efficace que toutes les manifestations de 
force matérielle. C'est ainsi que le chef Maure Moctar Sidi 
ayant été interné au Gabon pour avoir incité ses gens au pillage, 
Schoelcher, sous-secrétaire d'Etat aux Colonies, ordonne de le 
relaxer* et définit en ces termes la politi que de son Gouvernement : 
« L'arrestation de Moctar Sidi, opérée avec des circonstances 
que je regarde comme une violation du droit des gens, a inspiré 
aux populations du Fouta des haines et des défiances auxquelles 
il faut certainement attribuer une partie des agressions qu'elles 
ont depuis lors si souvent exercées sur les traitants et les navires 
du Sénégal. La République ne gouverne que par des principes 



1. D.M., 27 juillet 1846. 

2. C.G., au Ministre, 28 août et !•' octobre 1847. 

3. C.G., au Ministre, 28 août 1847. 

4. D.M. ,13 octobre 1847. 

5. G.G., au Ministre, 3 décembre 1847. U s'agissait surtout d'empêcher les arri- 
vages de sel dans le Fouta. 

6. C.G., au Ministre, 16 décembre 1847. 

7. C.G., au Ministre, 15 juin 1848. Gf. Gultru., op. cU., p. 316. 

8. Cf. êupra p. 325. Il était d'ailleurs trop tard pour que cette mesure d'indulgence 
eût quelques effets : Moctar Sidi était mort au Gabon le 2 février 1848 (C.G., au 
Ministre,!» mai 1848). 



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328 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

d'honneur et de loyauté. Il lui importe de montrer qu'elle 
n'approuve pas des actes de cette nature et qu'elle en répudie 
la solidarité. Ce sera faire en même temps de la bonne politique, 
car nous témoignerons ainsi aux indigènes que ce Gouvernement 
entend pratiquer envers eux les principes de justice et de loyauté 
qu'il leur demande à eux-mêmes de respecter dans leurs rela- 
tions avec lui. ^ » 

On put s'apercevoir tout de suite que ces sentiments délicats 
trouvaient peu d'écho dans le cœur de nos adversaires. 

Le roi des Trarza, notre vieil ennemi, Mohammed el Habib, 
dénonce le traité de 1835 et fait proclamer son fils héritier du 
roi du Oualo. Tout le profit obtenu par une guerre coûteuse et de 
patientes négociations disparaissait ^. Les peuples du Fouta et du 
Dimar se déclarent ouvertement contre nous et nous interdisent 
toute opération commerciale dans le haut-Fleuve^. Le Damel 
ou roi du Cayor, irrité de l'émancipation de ceux de ses esclaves 
qui habitaient sur nos établissements, use de représailles; il 
envoie ses gens piller, à l'exemple des Maures et des Oualo, nos 
concessions et nos convois et menace de nous affamer : « Le mil 
qui nourrit le Sénégal, écrit le Gouverneur fort inquiet, vient du 
Cayor et du Fouta, mais surtout du Cayor; le Cayor est encore 
le seul point où nous puissions faire paître lès nombreux trou- 
peaux qui servent à la subsistance et au commerce de la colonie ; 
c'est aussi là que nous prenons le bois, la chaux et toutes sortes 
d'objets indispensables *. » 

Le Gouverneur Duchâteau ne songe pas à déclarer la guerre 
au Cayor; il sait qu'elle serait très difficile à mener : il propose 
donc d'apporter, dans la mesure du possible, des tempéraments 
qui donnent satisfaction au Damel sans aller ouvertement contre 
le principe de l'émancipation; mais il ne se dissimule pas qu'il 
sera bien malaisé de faire accepter ces demi-mesures par l'opi- 
nion française*. 

Du moins Duchâteau estime-t-il qu'il est absolument néces- 
saire de réduire par la force les Trarza et les peuples du Fouta, et 
il soumet au Ministre un plan d'action militaire. Il demande 
notamment le relèvement des postes de Bakel, Dagana, Richard- 
Tol, tout à fait délabrés, inhabitables pour une garnison, inca- 
pables de résister à une attaque un peu vigoureuse, et la cons- 



1. D.M., 5 mai 1848. 

2. C.G., au Ministre, 25 mai, 26 juin et 19 juillet 1848, 16 mars 1850. A la direc- 
tion des affaires extérieures. Caille avait été remplacé par Reverdit, officier de grande 
valeur et fort estimé de Bouet-Willaumez (Cf. D.M., Bouet-WiUaumez à M. Mestro, 
directeur des Colonies, 31 août 1848); mais Reverdit, sentant peu de confiance de la 
part des successeurs de Bouet, cessait ses fonctions dés 1848 et démissionnait défi- 
nitivement en 1850 (C.G., au Ministre, 2.septembre 1848 et 16 mars 1850). Après 
lui, l'institution, sans disparaître tout à fait, perdit sa véritable importance. 

3. C.G., au Ministre, 2 novembre 1848, 14 juUlet et 29 août 1849; D.M. 10 octobre 
1848. 

4. C.G.,au Ministre, 12 février 1849. 

5. Ibidem, 



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LB 8£n£6AL simple COMPTOIR 329 

tructîon de nouveaux blockhaus à Podor et à Makana : il se 
dit assuré du succès et commence par remonter le Fleuve avec 
les ressources dont il dispose ^. 

Maïs le Ministère ne veut rien entendre : il invoque avant 
tout la situation fâcheuse des finances métropolitaines; il rappelle 
le reproche fait « aux entreprises coloniales d'être peu fruc- 
tueuses » et conclut : « Toute demande d'accroissement de la 
dotation du Sénégal serait en ce moment un véritable anachro- 
nisme. »• 

C'est alors, de toutes parts, une ruée de brigandages contre 
les abords de nos établissements et contre les peuples demeurés 
paisibles : le Damel fait enlever 14 habitants de Gorée qui pas- 
saient par ses Etats'; les Trarza nous volent aux environs de 
Saint-Louis 800 bœufs et nous tuent un homme*; deux frac- 
tions des Brakna entrent en lutte et ne s'accordent que pour 
nous piller; le Oualo et le Fouta se préparent à la guerre*. Un 
conflit singuHèrement étendu semble s'annoncer. 

Le Gouverneur Baudin, après avoir fait preuve d'un optimisme 
excessif* et s'être montré hostile aux expéditions militaires, 
déclare au Ministre que « depuis quelques années l'influence du 
Sénégal a diminué dans le fleuve, où journellement nos bateaux 
sont pillés et rançonnés contrairement aux traités. » Les chefs du 
Dimar ont écrit une lettre injurieuse au chef de la Colonie, ce 
que le représentant du Sénégal, Durand-Valantin, signale comme 
« un stigmate imprimé sur le front de notre jeune République » : 
« J'ai donc pensé, écrit Baudin, qu'il était temps d'effacer ce 
stigmate» , et il part en guerre, brûle des villages'; mais le 
Ministre le désavoue, lui refuse tout secours, lui représente que 
« cette affaire provoquerait à l'Assemblée législative de regret- 
tables discussions » et qu'au surplus cette politique violente 
est « en opposition avec les vœux de la population de Saint-Louis ». 
Baudin fait amende honorable, reconnaît « la fausse voie où il 
s'était engagé », affirme que les deux rives du fleuve, à la suite 
d'interventions diplomatiques, se trouvent pacifiées de Saint- 
Louis à Bakel : le Ministre, sans paraître s'étonner d'une amélio- 
ration si rapide de la situation, le félicite*, mais le remplace 
bientôt et met son successeur en garde contre l'esprit d'aven- 
ture *•. 

A travers les changements de gouvernement, la Direction 



1. C.G., au Ministre, 26 juin et 2 novembre 1848, 14 juillet, 4 août 1849 et 16 octo- 
bre 1849; D.M., 10 et 17 octobre 1848. 

2. D.M., 31 décembre 1849. 

3. C.G., au Ministre, 16 juillet, 2 et 14 août, 5 novembre 1850. 

4. C.G., au Ministre, 20 août 1850. 

5. D.M:, 23 avrU 1850. 

6. C.G., au Ministre, 29 novembre 1848. 

7. G.G., au Ministre, 16 juillet et 2 août 1850. 
a D.M., 23 avril 1850. 

9. D.M., 14 mai 1850. 
}0. D.M., 23 août 1850. 



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330 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

des Ck)Ionies demeurait donc obstinément fidèle à sa politique 
pacifiste. On voit, cependant, combien instable était la situa- 
tion du Sénégal et quels obstacles s'opposaient à l'expansion 
économique de la Colonie. C'est, en quelque sorte, en puisant 
dans le sentiment de leur devoir le courage de Tindiscipline que 
les Gouverneurs ont pu assurer, de 1831 à 1850, la protection 
du champ commercial : tout grand effort leur était vraiment 
interdit. 



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CHAPITRE V 



Le Malaise du Sénégal : La G>ininis8ion de 1 850 



I. La faillite du comptoir sénégalais. 



Il semble bien, vers 1850, que le régime de « comptoir », auquel 
le Gouvernement métropolitain avait réduit le Sénégal, ait fait 
faillite. 

On avait espéré de ce régime, nous l'avons vu, qu'il attirerait 
au commerce toutes les ressources de la colonie et parviendrait, 
par les seules voies de l'expansion pacifique, à ranimer la vie 
économique et sociale du Sénégal. Après l'abandon des tenta- 
tives de colonisation agricole, on voulait y voir un moyen sûr 
et peu coûteux d'étendre notre influence dans les pays riverains 
du fleuve, dans le haut pays et sur la côte, et l'on ne doutait pas 
que le coton et l'indigo, promis par Schmaltz et Roger, fussent 
aisément remplacés par toutes sortes de produits nouveaux, 
obtenus sans frais préparatoires de mise en valeur et par le 
simple rayonnement de notre activité commerciale. 

Or, vers 1850, le commerce traditionnel du Sénégal, la traite 
de la gomme, n'était pas encore arrivé à s'organiser, ni surtout 
à se moraliser. En dehors de la gomme, le commerce sénégalais, 
privé des produits de culture, n'avait trouvé ni dans le sol ni dans 
la pêche ou la simple cueillette, rien qui pût encore lui commu- 
niquer une activité nouvelle, et l'exportation de l'arachide ne 
faisait que commencer. Le champ commercial demeurait étroit 
et peu sûr : les quelques comptoirs dont la fondation avait été 
imposée à la compagnie de Galam végétaient, et si les comptoirs 
récemment établis sur le golfe de Guinée annonçaient plus de 
vitalité, c'était sans profit pour la vie économique du Sénégal 
proprement dit. Enfin les ennemis de notre expansion, les peu- 
plades indigènes qu'on n'avait pas habituées à nous craindre et 



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332 LA MISB EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

qui se croyaient autorisées à exploiter indéfiniment nos timides 
ambitions, étaient aussi prompts à gêner notre action qu'au 
moment de la reprise de possession, et la colonie était toujours 
ce maigre archipel, battu de flots tumultueux, où la vie ne pou- 
vait qu'être inquiète et misérable. 

Dans cette atmosphère de querelle et d'angoisse, les insti- 
tutions économiques, antérieurement ébauchées ou projetées, 
n'étaient pas arrivées à prendre des formes achevées et le comp- 
toir, dont il eût fallu faire un marché, n'avait pu se donner, en 
vingt ans, une organisation adaptée aux conditions modernes de 
la vie économique. 

Le Comité de Commerce, par exemple, ne rend à la colonie 
aucun service appréciable, malgré les elïorts tentés par les divers 
Gouverneurs pour lui communiquer quelque activité^; la Com- 
mission commerciale établie à Gorée en 1834 est plus languis- 
sante encore K II est clair que ces institutions n'intéressent pas 
la population sénégalaise : ce qui préoccupe l'opinion, c'est l'or- 
ganisation d'une véritable représentation locale, « Conseil colo- 
nial », ou, à tout le moins. Chambre de commerce, à qui de larges 
initiatives eussent été permises^. Mais une telle concession sem- 
ble impossible à l'autorité : « La Métropole, déclare par exemple 
le Gouverneur Pujol, paie les frais de protection, d administra- 
tion, de justice, ûe travaux, les dépenses générales et munici- 
pales. Le Gouvernement faisant tous les frais, il ne peut, en droit, 
exister, de la part des habitants, ni contrôle, ni intervention, 
m discussion * ». Devant cette résistance, les membres du Comité 
de Commerce se décident à faire grève : ils ne répondent plus 
aux convocations et leurs attributions passent en fait au Con- 
seil d' Admimstration de la colonie K 

La question des institutions de crédit, si importante pour un 
pays qui prétendait vivre exclusivement de transactions com- 
merciales, n'était pas non plus résolue. Ln lb4b, les 
habitants de baint-Louis en iaisaient l'obiet d'une péti- 
tion au Mimstre : ils demandaient la création d'une « Caisse 
d'escompte »i au capital de ôUU.OUU francs, « fourni par le 1 résor 
de la colonie *». Mais le Mimstère ne croyait pouvoir autoriser 
qu'un prélèvement de '/^O.UOO francs sur le londs de réserve, 
11 exigeait que le commerce local « comblât la ^dillérence », et 
. ces diiucultes, une lois de plus, lirent classer l'allaire. 

Le Service des douanes, dont le maintien d'uji régime rigou- 
reusement protectionniste eût exige l amélioration, continuait 
a lonctionner sans force ni régularité. Les fraudes étaient faci- 
litées à la fois par « les dispositions des locaUtés », par « l'inhabi- 

1. Cf. notamment C.G., au Ministre, 14 juillet 1834. 

\i. Ibidem et procès verbaux du Conseil d'Administration, 20 décembre 1850; 
D.M., VZ mars lb52. 

3. Ibidem, 

4. Ibidem. 

5. Procès verbaux du Conseil d'Ad^iinistration, îiÔ octobi^ 1851* 

«H C«G., au Ministre, 29 avril 1848* G'* <1« même C.G., au Ministre, 17 mal 1S48« 



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Lfi SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 333 

leté des préposés ^ » et par l'insuffisance numérique du person- 
nel *. Le Gouvernement métropolitain projetait de « régulariser 
le service », d'éviter les « tâtonnements en codifiant à Tusage des 
Gouverneurs les règlements et tarifs en vigueur ^ »; il invitait le 
Gouvernement local à prévoir une organisation plus complète 
des institutions douanières du Sénégal * ; mais ces projets ou ces 
recommandations demeuraient lettre morte ^. 

L'outillage économique demeure tout à fait primitif. C'est 
seulement en 1842 qu'un service de poste régulier est institué 
entre Saint-Louis et Gorée : encore ne prévoit-on que trois cour- 
riers par mois •. La police de la navigation ne fait guère de pro- 
grès : c'est en vain qu'on essaie d'exiger des patrons au cabotage 
un examen de capacité ' : les pilotes de Saint-Louis passent pour 
négligents, maladroits et surtout portés à Tabus des liqueurs 
fortes, et le service du pilotage provoque des plaintes fréquen- 
tes de la part des capitaines au long cours ^; enfin, les pilleurs 
d'épaves n'ont pas renoncé à leur coupable industrie *. 

La misère générale de la colonie interdit d'effectuer les amé- 
nagements dont les ports sénégalais ont si grand besoin, et pour 
comble la malchance semble s'acharner sur les quelques entre- 
prises qui parviennent à voir le jour. A Saint-Louis, on cons- 
truit un quai à la pointe Nord ^®, on établit un bac entre l'Ile 
urbaine et le village côtier de Guet N'Dar ", des maisons à étage 
se bâtissent * *,1 e Gouvernement fait creuser des puits ^ * et planter 
des arbres le long des rues ^*. Mais une inondation extraordinaire 
vient ruiner ces pauvres résultats : pendant plus d'un mois, le 
fleuve envahit la ville, les rues et les places se transforment « en 
canaux et en lacs », des maisons s'écroulent, de nombreuses 
familles sont dénuées de ressources^*. Il faut, pour réparer en 
quelque mesure le désastre, que le Gouvernement centrai accorde 
à la ville un secours de 18U.000 fr. et décide l'établissement 
d'une taxe municipale extraordinaire. 

L G. G., au Ministre 13 mai 1841. 

2. G.G., au Ministre lô avril 1830. 

3. D.M., 21 août 1838. 

4. C.G., au Ministre, 31 décembre 1842. 

5. G.G., au Ministre, 3 juin 1846 et 18 octobre 1852. 

6. D.M., 27 octobre 1837; G.G., au Ministre, 31 décembre 1842; 16 mars et 8 sep- 
tembre 1847. 

7. G.G., au Ministre, 18 octobre 1827 et 29 janvier 1820. En 1837, une pétition des 
habitants do Gorée demanda rétablissement d'une chaire d'hydrographie à Gorée; 
cette formule un peu prétentieuse déplut au Gouvernement, qui déclara Je projet 
dénué de tout caractère « pratique * (G.G.^ au Ministre, 10 septembre 1837). 

8. G.G., au Ministre, 12 octobre 1840, 10 juillet et 6 août 1838. 
». G.G., au Ministre, 25 février et 24 Juillet 1838, 5 avril 1849. 
10. G.G., au Ministre, 6 juillet 1839. 

U. C.G., au Ministre, 9 juiUet 1832. 

12. G. G., au Mini&tre, 10 JuiUet, 18 mai, 20 Juin et 13 septembre 1837; D.M., 24 
avril 1837. 

13. G.G., au Ministre, 12 août 1837. 

14. G.G., au Ministre, 22 mai et 2 octobre 1839. On songeait surtout à construire 
des puits artésiens, et Ton fit venir de France un spécialiste, mais on renonça à 
rutifiser • à cause des frais et du peu de chances de succès >. (G.G., au Ministre. 26 
octobre 1842). ' 

15. G.G.| au Ministre, 18 et 25 janvier; 14 et 19 Juin 1841 : 1 1 novembre 1845, 
1& C.G., au Ministre, 17 Janvier et 2 août 1838. 



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334 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Sur Gorée, déjà si déshéritée, ce sont des accidents d'un autre 
genre, mais tout aussi graves^ qui s'abattent : en 1830 et 1837, 
une épidémie de fièvre jaune emporte le tiers de la population 
européenne et cause un véritable affolement ; en 1844, un vio- 
lent raz de marée démolit toute une partie de la ville ^. Le progrès 
des services transatlantiques fait espérer, il est vrai, que Gorée 
pourra devenir un port de relâche important ; mais il eût fallu 
sans retard pourvoir Ttle de magasins de charbon, d'ateliers de 
réparations, d'appontements en maçonnerie et surtout d'eau 
potable 2. 

L'émancipation des esclaves, que certains hommes d'État dans 
la Métropole regardaient volontiers comme un moyen de rteéné- 
rescence, ne fit qu'aggraver le marasme. Bien avant 1848, les 
Gouverneurs du Sén^al avaient été invités à s'occuper de 
cette importante que&tion; mais tous s'étaient trouvés 
d'accord pour proposer des solutions progressives : trans- 
formation des esclaves en engagés à temps et groupement des 
engagés libérés en communautés agricoles sous la protection du 
Gouvernement •. Au reste, la condition des esclaves au Sénégal 
était en général fort douce, « de beaucoup préférable à celle de 
l'artisan ou du journalier européen », et il n'était nullement 
prouvé que l'affranchissement en masse dût accroître son bien- 
être et sa sécurité*. 

Il était malaisé de faire admettre par l'opinion métropolitaine 
un tel point de vue. Aux approches de 1848 surtout, l'émanci- 
pation apparut comme une nécessité, et l'on vit un jour débar- 
quer au Sénégal l'homme qui s'était voué à cette œuvre, Victor 
Schoelcher. Le Ministre était inquiet et priait le Gouverneur de 
surveiller discrètement les faits et gestes de « cet écrivain connu 
pour ses doctrines abolitionnistes » : le gouverneur Baudin, 
d'aiUeurs,rassurait le Ministre : il connaissait personnellement 
Schoelcher, le sort des esclaves du Sénégal n'avait rien non plus 
qui pût fournir au rédacteur du National la matière d'une cam- 
pagne de presse, et le séjour de Schoelcher au Sénégal se passa, 
en effet, sans le moindre incident*. 

Un des premiers actes du Gouvernement de Février, dont 
Schoelcher faisait partie, fut pourtant de proclamer l'é- 
mancipation des esclaves dans toutes les colonies françaises; 
ce grand événement s'accomplit sans troubles graves et, après 
quelques manifestations un peu bruyantes, tout s'apaisa*. Au 
vrai, l'émancipation n'avait pas changé grand'chose à l'ordre 
social, et le gouverneur Baudin jugeait inutiles les institutions 
que le Département songeait à créer « pour forcer au travail la 



1. C.G., au Ministre, 6 juillet 1844. 

2. D.M., 27 juiUet 1842; G.G., au Ministre, 26 JuiUet 1848 

3. D.M., 6 juiUet 1833 et G.G., 10 octobre 1840. 

4. G. G. au Ministre, 5 avril 1832; 23 février 1836. 

5. D. M. 16 août 1847 : G. G. au Ministre, 4 janvier 1848. 

6. G. G. au Ministre, 23 août et 8 septembre 1848. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 335 

Î)opuIation nouvellement affranchie » : les hommes avaient repris 
eurs anciens métiers, domestiques, laptots, cultivateurs, trai- 
tants, ouvriers, au compte de leurs anciens patrons et avec 
le même salaire de six fr. par mois en moyenne; les femmes, 
de même que par le passé, s engageaient comme pileuses, blan- 
chisseuses, servantes. Une sorte d'esclavage volontaire avait 
remplacé Tesclavage officiel ; les vieilles familles sénégalaises, 
trop heureuses de sortir de l'aventure à si bon compte, se rési- 

Ïnaiont à l'entretien d'une foule de parasites qui les ruinaient. 
Cn somme, l'émancipation n'avait ouvert aucune source nouvelle 
d'énergie, elle avait au contraire alourdi les chaires des uns, 
renforcé la paresse des autres, aggravé l'inquiétude et l'indisci- 
pline générales. 

Dans tous les domaines, le malaise sénégalais était donc appa- 
rent. Les Gouverneurs locaux ne cessaient de le «ignaler, et le 
Gouvernement central l'ignorait d'autant moins que ce malaise 
se traduisait par des chiffres : en cinq ans, de 1845 à 1850, le 
mouvement commercial du Sénégal avait à peu près baissé de 
moitié *. 

La situation devenait vraiment alarmante; mais il fallut, 
pour qu'on envisc^geât l'application de remèdes énergiques, qu'un 
député, dans un rapport à l'Assemblée législative, mît en ques- 
tion « l'utilité de petits établissements qu'on regardait comme 
plus onéreux au Trésor que profitables au Commerce ^. » 



1. G. G. au Ministre, 24 mai 1849; D. M. 20 janvier 1851. 

2. Arch. col. Sénéfal. XIII 2 b. Exposé présenté par le Directeur des Colonies 
(déc. 1850): de 13. 831. 538fr.en 1845 le chiffre total du mouvement commercial 
était tombé en 1849 à 7. 214. 867 fr. 

3. Arch. col. Sénégal. XIII. 3c; Commission des comptoirs... — Rapport général 

euin 1850). Une première Commission, dite commission d'exploration, présidée par 
gouverneur Baudin, avait été chargée, en 1847, « de constater, sur les lieux mêmes, 
les moyens les plus propres à d<uiner à nos intérêts politiques et commerciaux dans 
le fleuve Tencouri^ement et la protection qu'ils réclament » 

Ses travaux avaient abouti aux mêmes conclusions que ceux de la Commission de 
1850; mais ses propositions {)arvinrent au département de la Marine au milieu de 
1848, c'est-à-dire «dans des circonstances où u pouvait à grand'peine maintenir les 
différentes parties du budget de la marine et des colonies au niveau des besoins les 
plus pressants, où des réductions étaient impérieusement prescrites dans toutes les 
parties des servicee publics, et où il était dès lors impossible d'aborder l'Assemblée 
avec la demande des crédits extraordinaires qui ne seraient pas Justifiés par des 
besoins impérieux et de première urgence. Or, les projets envoyés comportaient 
une dépense extraordinaire de plub d*un million, à faire en peu d'années et un accrois- 
sement permanent de budget ordin«iire du Sénégal. Les Instructions mini8térielle3 
ne purent donc que témoigner tout l'intérêt du département de la Marine pour des 
projets évidemment empreints d'un caractère très sérieux d'utilité et de pré- 
voyance, en renvoyant d'ailleurs A des circonstances plus propices la solution des 
questions soulevées >. (Ibidem.) 



BAaDT %i 



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^è LÀ MtSE EN VALBUH t>V sèNÉGAL t>E 10l7 A 1Ô54 

IL — La commission interministérielle de 1850 : 
Le problème sénégalais. 

En juillet 1850, le Ministre de la Marine, Tamiral Romain Des- 
fossés, et le ministre du Commerce, Dumas, se mettent d'accord 
pour charger une commission « d'examiner les intérêts du com- 
merce français sur les côtes occidentales et orientales d'Afrique 
et, par suite, la situation des possessions françaises dans ces 
mers, le degré d'importance et d'intérêt qu'elles présentent et 
les développements dont elles sont susceptibles^. » 

Cette commission, présidée par M. Benoist d'Azy, vice-président 
de l'Assemblée nationale, se composait de douze membres : 
députés, officiers de marine ayant « commandé longtemps sur 
les côtes d'Afrique, » négociants spécialement intéressés au com- 
merce africain, délégués des Ministères de la Marine, des Finances, 
du Commerce et des Affaires étrangères ^ 

Des rapports remarquablement documentés, et d'une parfaite 
clarté, sont présentés par le Directeur des Colonies, Mestro, et 
par certains membres de la Commission, notamment, en ce qui 
regarde le Sén^al, par le capitaine de vaisseau Bouet-Willaumez. 
Le problème sénégalais se trouve désormais posé en termes nets 
et complets. 

Le Sénégal, comme les autres possessions africaines, souffre 
depuis la reprise de possession, d'une gêne économique, dont la 
principale cause est la suppression de la traite ; « les nations 
européennes subiront longtemps encore la peine de cet infâme 
trafic, qui n'a fait apparaître à ces populations notre civilisation 
que sous le jour le plus odieux». Mais le mal n'est pas sans remède: 
«ces peuples ne sont pas, comme les anciens habitants de l'Amé- 
rique, un peuple de chasseurs clairsemés sur d'immenses éten- 
dues de pays a peine habitées. Les populations noires sont beau- 
coup plus nombreuses, beaucoup plus pressées. Elles se réunis- 
sent dans de grands villages, de grandes villes, et vivent de leurs 
cultures et de leurs troupeaux. Il ne manque à leur développe- 
ment que la paix.... » 

Toutes sortes de ressources se trouvent en germe dans nos 
colonies ou comptoirs d'Afrique : il suffit de lever quelques 
obstacles, désormais bien déterminés et qui ne sont nullement 
invincibles, pour que ces germes produisent une vigoureuse 
poussée de richesse et de civihsation. 

En particuUer, la possession du Sénégal proprement dit assure 
à la I^rance « une sorte de privilège exceptionnel sur un com- 
merce spécial qui, dans aucun autre lieu du monde, ne se fait 
sur une échelle de quelque importance : le commerce de la gomme 

1. Arch. col. Sénégal. XI II 3 c. Rapport géoéral. 

2, Ibidem et Arca. coi. Sénégal X. 2 a. Le Ministre de T Agriculture et du Ck>mmerce 
au ministre des Affaires étrangères, '/4 juillet lS50:le môme au Ministre de iaMarine^ 
17 mai 1S50, -• > - i. 



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Là sèNÉGAL âllIPLâ CÙÙPTQÎA 3â7 

dite arabique ». Mais ce commerce est instable, inquiet : 
« Suivant les événements de la campagne commerciale, l'opération 
donne des bénéfices ou des pertes, que les traitants peuvent diffici- 
lement supporter. Delà, des dettes qui s'accumulent, et des récla- 
mations vives contre un mode de commerce qui ne laisse sécurité 
à personne ». Il convient donc de mettre à Tétude « des modifica- 
tions aux règlements existants », afin de « rendre le commerce 
plus sûr et plus facile, tout en laissant aux indigènes une part 
convenable ». 

Autour de Saint-Louis, le « terrain est sablonneux, peu fertile 
coupé de bras nombreux du fleuve. Les populations clairsemées 
dans de chétifs villages ne cultivent que du mil... On a essayé, à 
une époque, des cultures commerciales, qui ont mal réussi, parce 
qu'elles n'étaient pas faites dans les meilleurs terrains et peut- 
être aussi dans la meilleure direction ». Mais cette première expé- 
rience ne permet pas de conclure à la stérilité perpétuelle de la 
région, et des faits nouveaux prouvent que tout espoir de coloni- 
sation agricole n'est pas perdu : «l'importation récente, sur nos 
marchés, des arachides qui viennent presque spontanément dans 
les pays même peu fertiles du Cayor, sur les rives du fleuve, 
en a rapidement développé la culture, et il en ust résulté des 
relations nouvelles. L'exportation des arachides du Sénégal s'est 
élevée, de 1845 à 1849, de 185.000 kilogrammes à trois millions. Il 
n'yapaslieuderenoncerencoreà voirpius tardlespopulations plus 
intelligentes des pays plus fertiles produire des marchandises 
d'exportation, le coton et surtout l'indigo qui avait très bien réussi 
lors des essais faits de 1818 à 1830 ». 

En remontant le fleuve, à 40 lieues au-dessus de Saint-Louis» 
on trouve, sur la rive gauche, le pays de Fouta, «pays très riche, 
très fertile, habité par une population éclairée, intelligente, vivant 
sous une sorte de forme républicaine, et réunissant plus d'un 
million d'âmes. Les habitants savent lire et apprennent dans des 
écoles d'enseignement mutuel tenues par des marabouts. Ce pays 
fournit le mil, le maïs, les bestiaux, et autres produits pour l'ali- 
mentation de Saint-Louis, des escales et d'une partie des rives 
du fleuve. La culture y est faite avec intelligence. Déjà, on en 
exporte du coton et de l'indigo ». Mais les dissensions des Peu! 
et les incursions des Maures nous interdisent d'y étendre notre 
influence : au prix de quelques mesures de protection, « il y aurait 
là une prospénté réelle et des éléments préparés pour un dévelop- 
pement de civilisation. » 

Au d^là du Fouta, le pays de Galam est ouvert à notre com- 
merce : il est riche et peuplé, mais là encore, le rétablissement de 
la sécurité est nécessaire. 

Il en va de même de tous nos autres centres d'influence : Méri- 
naghen, Albréda, Sedhiou, demeurés « longtemps sans importan- 
ce », peuvent se développer, si l'on étudie avec soin « la politique 
à suivre dans le gouvernement très difiGicile de cette importante 
colonie» et si Ton dispose «des forces nécessaires pour le maintien 
de notre domination »• 



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338 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE I8l7 A 1854 

Enfin, Gorée, « indépendamment de son avantage comme port 
de relâche, sur la côte ae la Sénégambie, presque partout difficile, 
devient le centre des opérations commerciales qui se font sur tout 
le bas de la côte jusqu'à Sierra-Leone». Elle est la véritable capi- 
tale administrative et commerciale du domaine français qui est 
en train de se constituer sur la côte du golfe de Guinée, autour des 
comptoirs fortifiés. 

Ces comptoirs sont « admirablement bien placés pour établir 
des relations avec la portion la plus riche de la Côte d'Or, avec le 
pays des Achanti et avec les grandes villes de Tintérieur... Les 
premières difficultés sont vaincues et il ne reste plus qu'à recueil- 
lir les fruits de ces premiers efïorts ». Mais le rattachement de ces 
comptoirs au Gouvernement du Sénégal, « avec lequel les rela- 
tions sont toujours lentes et difficiles», nuit à leur développement: 
il y a lieu de voir s'il ne conviendrait pas de leur donner une exis- 
tence indépendante ^. 

En somme, la Commission reconnaît que « dès aujourd'hu 
nos transactions de commerce au Sénégal offrent une importance 
très sérieuse, au point de vue de notre navigation et de nos échan- 
ges », et que, « par les populations nombreuses et variées qui habi- 
tent la Sénégambie, par l'immense cours d'eau qui nous assure 
des communications jusqu'au cœur de l'Afrique, notre établisse- 
ment semble appelé à un riche et fécond développement » ; mais 
ce développement est subordonné à l'appUcation de principes 
politiques qu'il importe de déterminer en toute netteté, car cer- 
tains événements récents « sont considérés, par des officiers expé- 
rimentés et par des personnes dignes de confiance, comme des 
preuves certaines que notre puissance politique et notre influ- 
ence au Sénégal vont en déclinant et doivent être promptetnent 
relevées par des moyens d'action plus énergiques ' ». 



III. — Les solutions proposées. 



De cette étude par régions, les diverses questions à résoudre se 
dégagent clairement, et les solutions proposées par la Commission 
présentent un même caractère de netteté, d'adaptation aux cir- 
constances, de sens pratique ; elles constituent un plan de cam- 
pagne détesté de toute idéologie, et qu'on sent dressé par des 
hommes d'action et des hommes d'afîaires. 

Traite de la Gomme. — Le premier problème qui s'imposait à 
l'attention de la Commission, c'était le commerce de la gomme 



1. ArciL coL Sénégal XIII. 3. c. Commission dos Comptoirs^. Rapport ffénéraL 
12 juin 1851. 

2. Afch. col. Sénégal XIII. 2. b. Commission des Comptoirs... Exposé présenté 
par le directeur des colonies. (Dec 1850) . 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 339 

aux escales, source de tant de conflits et de réclamations, et c'est 

Ear cette formule précise que la Commission le résume : «Y a-t-il 
eu de maintenir ou de supprimer, en tout ou en partie, le régime 
spécial consacré par l'Ordonnance de 1842 et reproduit par le 
décret du 5 mai 1849 », à savoir : entremise obligatoire des trai- 
tants indigènes entre les négociants et les Maures, interdiction 
des échanges entre les traitants aux escales, compromis ? 

La Commission reconnaît « la nécessité de tenir compte des 
données nouvelles fournies par huit années d'expérience » : elle 
rappelle aussi que les « auteurs mêmes du système ont été loin de 
le présenter comme l'expression absolue du régime que peut 
réclamer cette partie principale du commerce sénégalais », et voici 
les mesures qu'elle propose d'adopter : 

Les négociants demeureront tenus de prendre pour intermé- 
diaires, dans tous les actes de la traite, des indigènes choisis dans 
la corporation des traitants ; mais ils auront le droit de se rendre 
personnellement aux escales, pour diriger ou surveiller les opéra- 
tions qui les intéressent. 

La seule position qui convienne vraiment aux indigènes de 
Saint-Louis est celle de « courtiers agissant pour le compte d'au- 
tnii »; certains d'entre eux l'ont déjà compris, mais beaucoup 
d'autres continuent à préférer, pour le malheur du pays, « les 
hasards de la traite à la modeste sécurité du courtage » : pour 
modifier ces tendances, on « tranchera officiellement la position 
de courtiers agissant pour le compte d'autrui de celle du négo- 
ciant opérant pour son propre compte, ainsi que cela a lieu sur 
toutes les places de commerce »; une « corporation de courtage » 
sera organisée à Saint-Louis « sur les bases les plus propres à 
concilier le bien-être de cette classe intéressante (des petits 
traitants) avec les intérêts généraux du commerce». 

Quant à la faculté donnée au Gouverneur d'« établir sous le 
titre de compromis un taux minimum d'échange de la gomme 
contre la guinée », la Commission en demande immédiatement la 
suppression, car «cette tentative du Gouvernement à régler 
dans certains cas la concurrence » lui apparaît « comme une prime 
en faveur de la fraude et la plus illusoire des garanties contre les 
abus qu'elle avait pour but de réprimer ». 

En résumé, la Commission propose que, « sauf l'emploi obliga- 
toire de l'intermédiaire des traitants indigènes », le commerce de 
la gomme revienne au « droit commun » et soit livré « aux condi- 
tions ordinaires de la libre concurrence ». 

Commerce de Galam. — Le commerce de Galam doit-il être 
« replacé sous le régime de compagnie privilégiée qui existait 
avant 1848 ou laissé à la libre concurrence, ainsi que cela a eu 
lieu depuis cette époque » ? 

« Le système du privilège avait de sérieux inconvénients qu'il 
est essentiel de ne pas perdre de vue aujourd'hui. La compagnie 
de Galam, il ne faut pas l'oublier, s'est toujours montrée plus 



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340 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

préoccupée du soin de réaliser des bénéfices souvent exorbitants 
sur son apport social, que d'étendre le cercle de ses relations... 
Il paraît donc sage, avant de rentrer dans cette voie, de bien s'as- 
surer, par une expérience suffisamment longue pour être décisive, 
qu'on ne puisse pas, en suivant la voie contraire, arrivera des 
résultats meilleurs : meilleurs surtout sous le rapport de l'ex- 
tension de notre influence et de nos relations commerciales, soit 
dans le fleuve, soit dans les pays de l'intérieur^. » 

Expansion commerciale et développement des zones d'influence. — 
Quels établissements sont « à conserver ou à abandonner » parmi 
ceux que nous possédons ou que nous avons possédés au Sénégal 
ou dans les dépendances du Sénégal ? 

Les postes du fleuve, Bakel, Dagana, Richard-Tol, doivent 
être, à tout le moins, maintenus «en bon état de conservation », 
Podor doit être rétabli. 

Le comptoir de Mérinaghen, « jusqu'à présent, n'a nullement 
atteint le but de sia création ». Mais « il n'est pas possible que les 
mesures nouvelles proposées par la Commission pour le raffer- 
missement de notre puissance sur le Sénégal... ne modifient heu- 
reusement les circonstances qui jusqu'à présent l'avaient laissé 
sans valeur sous le rapport commercial ». Il y a donc lieu « d'a- 
journer toute idée d'évacuation et de le maintenir sur son pied 
actuel ». 

Le comptoir de Sénoudébou, par la faute de la compagnie de 
Galam et ae l'almamy du Boundou, n'a fait jusqu'ici que végéter. 
Mais « cette situation peut être améliorée par le régime de liberté 
commerciale admis maintenant pour le haut Fleuve et par les 
efforts que pourra faire l'almamy pour attirer de ce côté les cara- 
vanes du Boundou et de Bambouk, lorsqu'on lui aura positi- 
vement fait savoir que la conservation du comptoir est subordon- 
née à cette condition ». Il parait donc « prématuré de condamner, 
dès à présent, cet établissement » : il faut même le mettre « en 
bon état par les réparations dont il a besoin » et en faire « un 
point d'appui » pour de « nouvelles investigations » dans le Boun- 
dou et le Bambouk. 

Pour Albréda, la Commission demeure « convaincue que nos 
droits dans cette affaire sont parfaitement fondés »; elle cons- 
tate aussi que « le développement du commerce des arachides a 
donné depuis quelques années à cet établissement une importance 
inattendue ». 

Pour Sédhiou, il est certain « que les résultats conmierciaux 

1. La Commission s'était également occui)ée du régime douanier. Elle se prononça 
pour le complet affranchissement commercial de Tlle de Corée; mais pour le reste 
de la colonie elle demanda, dans Tensemble, le maintien du statu quo : à savoir, 
maintien des droits de sortie et des droits d'entrée, sauf pour les fruits et légumes 
frais provenant des Canaries et tout à fait nécessaires à Talimentation et à Thygiéne 
de la population européenne. En même temps, elle insiste sur la nécessité de rem- 
placer les militaires chargés du service des douanes par des t préposés réels ». ( Areh. 
col. Sénégal XIII. 3c. Commission des Comptoirs.,. Rapports spéciaux, l'* partie). 



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LB SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 341 

donnés juscfu'à ce jour n'atteignent pas en effet un chiffre très 
considérable; néanmoins, ils sont loin d'être sans valeur pour le 
commerce de Gorée. De plus, la Casamance est une des parties 
de la côte où la culture des arachides semble destinée à prendre 
le plus de développement. Quant au besoin que peuvent avoir 
nos intérêts de trouver dans cette rivière l'appui d'une protection 
militaire, il y a à considérer que cette contrée est en effet très 
agitée. Les conflits y sont fréquents entre nos traitants et les 
indigènes. Il n'est donc pas inutile pour nos commerçants de 
trouver là un poste français où.ils peuvent abriter leur personne 
et leurs marchandises ^». 

Enfin, « rien ne semblerait moins opportun que de diminuer en 
ce moment l'encouragement et l'appui accordés à nos intérêts » 
sur la côte du Golfe de Guinée. Les comptoirs fortifiés sont en 
plein développement et leurs opérations « ne semblent aucune- 
ment destinées à se ralentir* ». Mais, étant donnée «la différence 
absolue de situation et d'intérêt » qui existe entre le Sénégal pro- 
prement dit et les établissements du Sud, il est nécessaire d'ache- 
ver la réforme commencée en 1845, de « donner aux deux éta- 
blissements une administration différente et de placer Gorée et 
les comptoirs de la côte sous un commandement séparé du Gou- 
vernement du Sénégal ». 

Politique extérieure et protection militaire, — Ce qui permet 
d'espérer beaucoup de l'avenir économique de ces diverses pos- 
sessions africaines, c'est qu'elles commencent à concevoir d'autres 
moyens de vivre que la simple exploitation de quelques produits 
de cueillette ou des opérations commerciales de pauvre envergure. 
Même en dehors de tout encouragement officiel, la culture de 
produits riches fait son apparition. C'est ainsi que « depuis quel- 
ques années le commerce des matières oléagineuses, des arachides, 
de l'huile de palme, fait une sorte de révolution dans les habitu- 
des de quelques parties de ces côtes ' ». 

Mais, pour le développement de l'agriculture, comme pour le 
développement du commerce, il importe avant tout de garantir 
la force de notre domination et la sécurité de nos sujets ou de 
nos alliés, et les travaux de la Commission aboutissent à cette 
proposition qui domine toutes les autres : il n'est pas douteux que 
le Sénégal, « entouré de populations variées et nombreuses, en 
possession d'un commerce qui lui est exclusivement propre, et 
dominant un immense cours d'eau qui lui assure des communi- 
cations jusqu'au cœur de l'Afrique, n'ait en lui tous les éléments 
d'un riche et fécond développement. Mais ce ne peut être évi- 
demment qu'à une condition, c'est que nous y resterons toujours 
les maîtres de la situation : c'est-à-dire que notre position y sera 

1. Arc h. coL Sénégal XIII. 3. c. Commission des Comptoirs... Rapports spéciaux, 
!'• partie. 

2. Ibidem. 

3. Arob. col. Sénégal. XIII. 3. c. Commission des Comptoirs : Rapport g^énéral. 



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342 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

toujours, sur tous les points, suffisamment forte et respectée, 
et surtout qu'aucune autre influence ne deviendra assez prépon- 
dérante pour entraver la navigation du fleuve et y dicter des 
conditions ». 

C'est pourauoi il est urgent de remettre tous nos postes mili- 
taires en pariait état, d'entretenir en permanence sur le fleuve 
une flottille d'au moins trois bateaux à vapeur et deux goélettes, 
d'augmenter lafgamison du Sénégal (infanterie et artillerie euro- 
péennes, troupes indigènes, spahis) et de prévoir un crédit extra- 
ordinaire de 550.000 francs pour le rétablissement immédiat de 
l'ancien fort de Podor*. 

C'est par là surtout que se manifeste le changement profond 
apporté par la Commission dans notre conception de la politique 
sénégalaise. 



1. Ibidem. Rapports spéciaux. !'• partie. 



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CHAPITRE VI 



Une politique nouvelle : La libération du Sénégal 



Le programme établi par la Commission de 1850 fut tout de 
suite appliqué par le Gouvernement du Second Empire. Un offi- 
cier de haute valeur et d'un beau caractère, Protêt, fut placé à 
la tète du Sénégal et il y resta quatre ans ^, jusqu'à la nomination 
de Faidherbe, qui devait bénéficier d'une confiance plus longue 
encore. Ainsi disparaissait une des principales causes de stagna- 
tion et d'insuccès : l'instabilité du pouvoir local. 



I. — L'affranchissement du commerce fluvial 

Conformément aux vœux de la Commission, un décret, du 
22 janvier 1852, atténue ou supprime la plupart des réglementa- 
tions par lesquelles on avait tenté d'organiser le commerce de la 
gomme. On estime que le compromis est nuisible dans son essen- 
ce, qu'il déroge au principe de la liberté commerciale sans com- 
penser cet inconvénient par des avantages pratiques, et l'on se 
refuse même à le tolérer : « Est abrogé l'article 13 de l'Ordonnance 
du 25 novembre 1842, qui autorise la fixation d'un prix minimum 
pour l'échange de la gomme contré la Ruinée * ». 

Les Européens reçoivent le droit de séjourner aux escales pour 
y surveiller leurs agents, mais ils demeurent provisoirement 
exclus des opérations de traite proprement dites et sont obligés 
« d'employer un courtier traitant indigène à bord de chaque na- 
vire expédié aux escales»; un arrêté du Gouverneur réglera « les 
conditions d'aptitude des courtiers traitants indigènes employés 

1. D'août 1850 à décembre 1854. 

2. D. M. 23 Janv. 1853. 



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344 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1%4 

comme intermédiaires dans la traite des gommes. « Ce nouvel 
état de choses, disent les Instructions jointes au décret, «va créer 
désormais dans ia traite des gommes trois positions bien distinc- 
tes : celle des traitants indigènes, agissant pour leur compte indi- 
viduel, mais n'ayant plus le droit de traiter pour le compte d'au- 
trui ; celle des traitants courtiers, seuls admis à faire le courtage, 
mais ne pouvant plus opérer pour leur propre compte ; celle des 
négociants européens ne pouvant traiter que par l'intermédiaire 
des courtiers, mais autorisés néanmoins à monter aux escales ou 
à y envoyer leurs commis aussi souvent et aussi longtemps que 
leur intérêt pourra l'exiger. De cette manière, la colonie se trou- 
vera, autant que le comporte la situation, ramenée aux condi- 
tions du droit commun ^. » 

Mais ce curieux mélange de libéralisme et de réglementation, 
qu'on voulait généreux et qu'on croyait adapté aux conditions 
locales, soulève un mécontentement général. Les Européens sont 
irrités de se voir limités dans leurs opérations ; les gros et les 
petits traitants souffrent d'être cantonnés, les premiers dans le 
rôle de négociants, les seconds dans le rôle de comnussionnaires. 

Le Gouverneur communique au Ministère une délibération du 
Conseil d'administration, quî constitue un acte d'opposition 
formel au nouveau décret, et il ajoute : « La population commer- 
çante, tant européenne qu'indigène, veut aujourd'hui la plus 
grande liberté possible dans les transactions ». C'est l'ordinaire 
effet des demi-mesures, d'irriter à fond une population dont les 
intérêts sont divisés *. 

Le Ministre renonce à donner suite à son projet et se félicite 
en somme de voir ses administrés plus libéraux encore que lui- 
même : « Les résistances de la population sénégalaise, écrit-il, 
m'ont confirmé dans mon intention de supprimer toutes entraves 
pour le commerce des gommes^. » Mais il estime avec raison 
que ce régime de pleine liberté intérieure ne sera possible que 
le jour où la traite de la gomme aura été émancipée du joug des 
Maures, et toute la question, en effet, se ramène à ce problème 
de politique extérieure. Sans l'acquittement de coutumes énor- 
mes et toujours accrues, sans l'insécurité des transactions qui 
oblige à des entreprises en commun, la concurrence peut repren- 
dre une allure normale, le commerce d'autres produits ipeut 
s'adjoindre à la traite de la gomme, le trafic, en cessant d'être 
étroitement spécialisé, échappe à la vie inquiète qu'il mène 
depuis si longtemps. 



1. D. M. 20 février 1852. 

2. C. G. au Ministre, 12 oct. 1852. 

3. D. M. 9 déc. 1852. 



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tE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 345 



IL — Le rétablissement de la sécurité extérieure. 

En revenant, après un accès de franchise, à des assurances 
optimistes, en présentant une campagne diplomatique de quel- 
ques semaines comme une œuvre solide de pacification, le Gou- 
verneur Baudin n'avait nullement dissipé les inquiétudes du Gou- 
vernement métropolitain : le Ministre avait simplement décidé, 
à la suite des derniers rapports de Baudin, qu'il « attendrait les 
conclusions » du Gouverneur Protêt avant de juger si le moment 
était venu de prendre « une offensive vigoureuse ^. » 

Protêt confirme les craintes précédemment exprimées au 
sujet du Cayor, du Oualo, des Trarza, du Fouta : il déclare que 
la pacification apparente dont Baudin a fini par se charger 
« a encouragé les turbulents » ; il demande qu'on complète l'effec- 
tif de ses garnisons et qu'on lui envoie une section d'artillerie 
et deux vaisseaux de guerre *, et il insiste pour qu'on lui permette 
de marcher immédiatement contre les Trarza *. 

Le Ministre, ou plutôt le Ministère, fidèle à ses traditions paci- 
fistes, s'étonne, déclare que cette attitude est en contradiction 
avec les derniers rapporte de Baudin*, rappelle la nécessité de 
la prudence et de l'économie®. Mais le Gouverneur tient l;)on; sa 
correspondance est de plus en plus alarmiste : nos postes de 
Dagana et de Richard-Tol, en très mauvais état, sont menacés 
et tiendront difficilement; les Brakna et les Daouich s'agitent, 
« en attendant l'occasion d'une politique militante » ; notre comp- 
toir de Sénoudébou souffre des désordres du Boundou •: « Vous 
ne serez pas étonné, j'espère, M. le Ministre, de me voir, depuis 
quelque temps, vous parler de la guerre d'une manière si pres- 
sante ? Dès mon arrivée, j'avais l'honneur de vous écrire que 
la paix faite par M. Baudin était une mauvaise paix, qu'elle 
avait sans doute été nécessaire, mais que, sans doute aussi, 
elle avait dû nuire considérablement à notre influence; que si 
la garnison du Sénégal restait ce qu'elle est aujourd'hui nous 
aunons la çuerre; que, si elle était augmentée, je croyais pouvoir 
assurer à Votre Excellence que nous reprendrions sans coup 
férir une bonne position. En novembre 1850, j'avais l'honneur 
de vous parler ainsi; en 1851, j'ai répété la même chose et 
c'est encore la même chose que je dis en 1852 '! » Comme, entre 
temps, le Second Empire avait succédé à la Seconde République 

1. Arch. col. Sénégal XI II. 2. b. Commission des Comptoirs... Exposé présenté 
par le directeur de» colonies. 

2. D. M. 25 janvier 1851 ; C. G. au Ministre 19 avril, 15 mai, 8 juillet et 1«' août 
1851. 

3. D. L. 27 juin 1851. 

4. D. M. 27 juin 1851. « 

5. D. M. 21 juin 1852. 

& D. M. 21 juin 1852 et 25 juiUet 1858. 
7. C. G. au Ministre, 14 avril 1852. 



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346 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

et qu'une politique d'allure militaire n'était pas pour lui déplaire, 
c'est le programme énergique du Gouverneur Protêt qui l'em- 
porte, dans l'esprit du Ministre, sur les molles traditions de la 
Direction des Colonies. 

En 1853, on décide d'entreprendre une expédition pourvue de 
solides ressources militaires, pour construire à Podor un nouveau 
poste et, par la même occasion, libérer notre commerce de la, 
tutelle des peuplades riveraines ^. Le haut commerce s'inquiète, 
demande au Ministre de surseoir à son projet : on s'efforce de le 
rassurer*, mais on poursuit les préparatifs' et, en mars 1864, le 
Gouverneur Protêt part pour Podor. 

L'objet de l'expédition était fort nettement défini par le 
Ministère, et la liaison bien marquée entre le rétablissement de 
la sécurité extérieure et les conditions de la liberté commerciale. 
Il s'agissait non seulement d'assurer la libre navigation dans le 
fleuve et de constituer un point d'appui pour les échanges dans 
le Fouta, mais surtout de préparer, « pour le commerce de la 
partie moyenne du Sénégal, un régime de liberté analogue à 
celui qui prévaut à Galam depuis quatre ans avec de si favora- 
bles résultats *. » 

Les opérations militaires devaient donc avoir « pour première 
conséquence » la suppression des escales et la suppression ou du 
moins la transformation des coutumes : <c L'usage traditionnel 
des coutumes est trop profondément enraciné dans les habitudes 
africaines pour qu'on puisse espérer de le supprimer entièrement. 
Mais il est certain que, sous ce rapport, il y a, dans nos relations 
actuelles avec les indigènes, beaucoup à modifier et à améliorer. 
Il n'y a point surtout de nouvelles concessions à faire. Nous 
sommes les souverains du fleuve. A ce titre, nous pouvons consen- 
tir à donner quelques marques de notre munificence à certains 
chefs, en signe des bons rapports qui existent entre eux et nous, 
et aussi pour solder l'espèce de police qu'ils exercent sur leurs 
sujets au profit de nos traitants; mais il ne faut pas perdre de 
vue que tout ce qui se fait en dehors de ces conditions est de 
trop, et tous les efforts de l'Administration du Sénégal doivent 
tendre à le faire disparaître tôt ou tard. Nous devons surtout 
nous affranchir au plus tôt de tout ce qui peut avoir l'apparence 
d'un tribut prélevé sur le Gouvernement ou d'une exaction 
imposée au commerce. C'est dans cet esprit que doivent être 
conçus tous les nouveaux traités que nous pouvons avoir à pas- 
ser avec les chefs des tribus riveraines *. » 

L'expédition de Podor réussit parfaitement. En un mois, le 
fort est reconstitué sous la direction du capitaine de génie 
Faidherbe : 2.000 Toucouleur sont dispersés par nos 600 hommes 
de troupe au dur combat de Kalmath, et notre supériorité 

1. D. M. 31 octobre 1853 et 13 juin 1854. 

2. D. M. 13 juin 1853. 

3. D. M. 19 et 22 nov. 14 déc. 1853, 2 juin 1854. Moniteur du 16 avrU 1854. 

4. D. M. 14 déc. 1853. 

5. D. M. 2 Janv. 1854. 



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LE SÉNÉGAL SIMPLE COMPTOIR 347 

militaire apparaît aux veux de tous les peuples riverains; elle 
effraie les unç et fait des faux amis d'hier des alliés soumis; 
elle irrite les autres et substitue aux sourdes hostilités un franc 
état de guerre, qui va nous permettre une action nette et sui- 
vie ^ 

Il est vrai qu'intimidé par les réclamations du commerce, 
Protêt ajourne à 1855 la suppression des escales, sous prétexte 
qu'il n'a pas de flottille et que ses forces militaires sont insuffi- 
santes ' ; mais le Ministre le blâme de cette inertie et, le 16 septem- 
bre 1854, le remplace par Faidherbe, à qui l'on devait en grande 
partie la mise au point de cette nouvelle politique et le succès de 
l'expédition de Podor*. 

Après trente-sept ans d'une paix inquiète, plus coûteuse que 
la guerre, la pacification allait enfin commencer et la prospérité 
économique, la concorde sociale, le progrès des institutions 
allaient naître de la victoire militaire. 



III. — La concentration des efforts d'expansion. 

En même temps qu'il s'efforçait de protéger le Sénégal contre 
ses voisins, le Ministère songeait à réserver à la colonie toutes 
ses forces d'expansion. 

La réglementation de 1845 n'avait pas ôté au Gouverneur du 
Sénégal toute autorité sur les établissements du Golfe de Guinée, 
et il résultait de cette survivance d'association une dispersion 
d'efforts nuisible au Sénégal comme aux comptoirs fortifiés. 

Le Ministère continuait à communiquer au Gouverneur du 
Sénégal toutes les dépêches destinées à l'Inspecteur : il saisissait 
même volontiers l'occasion de le consulter sur les questions rela- 
tives aux comptoirs et de provoquer la collaboration du Gouver- 
neur et de l'Inspecteur *. Mais la séparation économique s'accusait 
tous les jours davantage entre le Sénégal et ses dépendances du 
Sud, et l'on ne peut guère citer, comme rapports commerciaux 
entre ces deux régions de notre domaine africain, que l'achat 
annuel, pour une somme de 20.000 francs, d'objets divers des- 
tinés aux chefs du Gabon*. 

Par ailleurs, l'Inspecteur général des Comptoirs supportait 
difficilement la tutelle de principe qui subsistait sur les établis- 
sements du Golfe de Guinée et, sans qu'il se soit produit de 
conflit aigu, on sent qu'il est impatient de briser tout lien admi- 
nistratif avec la colonie du Sénégal. 



1. C. G. au Ministre. 24 mai 1854. Cf. Guliru op. eit p. 137 et 319. 

2. D. M.27juiUetl854. 

3. Cf. Cultru. op. eif. p. 317-318. 

4. et p. ex. D. M. 10 juillet 1849, 23 janv. 1846, 22 man 1847. 
&. a G. au Ministre, 13 déc. 1847. 



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348 LA MISE BN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 18l7 A 1854 

En 1851, le Ministre, comme suite aux vœux de la Commission, 
semble sur le point d'achever l'œuvre commencée en 1845 et de 
prononcer la séparation définitive du Sénégal et des Comptoirs 
du Sud ; mais le Gouverneur Protêt combat ce projet avec viva- 
cité. 

A son avis, Saint-Louis, ville en pleine activité, est beaucoup 
plus désignée que Gorée comme capitale administrative des 
Comptoirs du Sud, et c'est là seulement que les représentants 
de la France sur la côte du Golfe de Guinée peuvent trouver un 
ensemble de fonctionnaires et de techniciens capables de les 
guider ou de les renseigner. En outre, le commerce du bas de la 
côte et du Rio Nunez est tout aussi solidaire de l'activité écono- 
mique de Saint-Louis que de celle de Gorée, et le commerce de 
la côte de l'Or n'intéresse pas plus Gorée que Saint-Louis. Autre 
argument : tous les grands bâtiments passent à Saint-Louis à 
l'aller et au retour même quand ils vont à Gorée, et l'impor- 
tance du port de Saint-Louis sera toujours plus forte que celle 
du port de Gorée. Enfin, comment concevoir le groupement 
à Gorée des principales forces militaires, alors que la guerre 
n'est probable que dans les régions du fleuve, en relations direc- 
tes avec Saint-Louis* ? 

En présence de cette opposition, le Ministre renonça momen- 
tanément à son projet. Mais le maintien d'une liaison purement 
administrative entre le Sénégal et les Comptoirs fortifiés devenait 
de plus en plus difficile: le Sénégal, aux prises avec TaiTranchisse- 
ment de son commerce fluvial et la consolidation de ses fron- 
tières, avait grand intérêt à se consacrer sans réserves à cette 
œuvre ardue, et le contrôle d'établissements éloignés, dispersés, 
différents de lui quant à leur tendances économiques et poli- 
tiques, ne pouvait que diviser son efïort sans le moindre profit. 
Aussi la victoire de Protêt n'aboutit-elle qu'à retarder l'exécution 
du programme de la Commission: lel®' novembre 1854, un décret 
établit définitivement la séparation administrative de Saint- 
Louis et de Gorée; le commandement et l'administration de 
Gorée et des établissements français situés au sud de cette île 
sur la côte occidentale d'Afrique étaient confiés à un comman- 
dant résidant à Gorée et placés sous les ordres supérieurs du 
commandant de la division navale des Côtes occidentales d'Afri- 
que *• 



1. Arch. col. Sénégal XIIl 3 C Commission des Comptoirs... flapports spéciau?^ 
1 " et 2« partie. 

2. G. G. au Ministre, 13 déc. 185 1 et il oct. 1852. 

3. A'. Rapport au Roi. 1" novembre 1854. 



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LE séNÊGAL SIMPLfi COMPTOIR 349 



IV. — Le progrès des institutions économiques. 

A la faveur de ces divers événements, une véritable renaissance 
économique commençait à se manifester dans tous les domaines : 

Les commerçants de Saint-Louis, après s'être si longtemps 
opposés aux interventions militaires et à la libération du champ 
commercial, réclamaient Tabolition des escales « comme une 
conséquence de l'établissement de Podor et comme le signal 
d'un développement nouveau des opérations de la traite des 
gommes, du commerce des arachides, etc.»; ils projetaient 
d'entreprendre des exploitations agricoles dans le Oualo et 
le Fouta, demandaient qu'on émancipât le Gandiolais de la 
tutelle du Cayor, « pour y faire pénétrer le progrès de la cul- 
ture et des échanges ^ » 

Le port de Gorée venait d'être doté de la franchise commerciale, 
et cet avantage avait déjà provoqué l'étabUssement de facto- 
reries françaises et belges pour la traite des arachides à Dakar et 
à Hann. Le Gouverneur Protêt craignait, il est vrai, que Saint- 
Louis ne fût désormais délaissée par les traitants indigènes 
du Cayor et du Baol, « si un droit quelconque, si minime qu'il 
fût, était établi sur les arachides à la sortie de Saint-Louis » : 
il demanda donc avec insistance et obtint que le rétablissement 
du droit de sortie, décidé en 1851, fût ajourné'. Au reste, la cul- 
ture de l'arachide gagnait toutes les régions du Sénégal et les 
deux ports pouvaient à la fois profiter de ce progrès : en 1854, 
l'exportation de ce produit atteignit 4.820.000 kilogrammes*. 

Les institutions commerciales qui, de 1831 à 1850, avaient si 
lentement évolué, se développaient soudainement. L'idée de 
créer une Chambre de Commerce reprenait toute sa force, et le 
Gouvernement local sentit que le meilleur moyen de ruiner cette 
opposition était sans doute de lui céder. En 1853, il présente 
lui-même au Ministre le projet de création d'une Chambre de 
Commerce à Saint-Louis et à Gorée, projet destiné, déclare-t-il, 
« à remplacer une institution qui a vieilli et qui même, depuis 
plusieurs années, a fonctionné fort mal, pour arriver à une 
inaction complète » : ces Chambres de Commerce devaient comp- 
ter, l'une à Saint-Louis, sept membres, l'autre à Gorée, cinq 
membres, être recrutées à l'élection et nommer leur président \ 

Le Ministre, sans opposer au projet aucune objection de prin- 
cipe, estima « qu'il n'y avait pas lieu d'y donner suite quant à 
présent»; cette question, disait-il, « se rattache au vote de la 
Constitution coloniale, qui est sans doute prochain. *» Le Comité 
de Commerce de Saint-Louis, en attendant, ne reprenait le cours 



1. In8trucUon8àFaidherbe.S<léC. iS54. 

2. G. G. au Mini8fcre,12 août 1852. D. M. 18 oci. 1852. 

3. Ci, Cultru, op. eiL p. 369. 

4. P. Vx. du conseil d'adminlstratlOD, 14 oct. 1853. 

5. D, BL 21 Janvier 1854. 



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350 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

de ses séances que pour aggraver ses manifestations d'indépen- 
dance; il critiquait âprement la politique du Gouverneur Protêt 
dans, le Fouta, et Protêt, pour sauvegarder sa propre autorité, 
se voyait obligé de le dissoudre. * Une Chambre de Commerce 
n'eût certainement pas été plus gênante, et le Gouvernement 
central n'allait pas tarder à le comprendre. 

Quant au projet d'établissement de crédit, il obtint une réali- 
sation immédiate. En 1853, à la suite d'une nouvelle intervention 
de l'administration locale, le Ministre consent « à revenir sur 
ses premières impressions » ; il a reconnu que « le commerce du 
Sénégal cherche aujourd'hui précisément à sortir des anciens 
errements dont on avait excipé pour démontrer l'inutilité d'une 
banque à Saint-Louis » et que « rien ne pourra aider plus efficace- 
ment qu'une institution de cette espèce à cette transformation 
désirable*». 

En conséquence, une banque de prêt et d'escompte était fon- 
dée au Sénégal, avec un capital fixé à 230.000 francs et pour une 
durée de 20 ans; elle devait avoir son siège à Saint-Louis et 
fonctionner dans des conditions analogues à celles des autres 
banques coloniales, organisées par la loi du 11 juillet 1851 '. 

Enfin, le fonctionnement du Service des Douanes s'améliore : 
une importante modification du régime conxmercial contribue 
surtout à la simplifier. Gorée étant devenu port franc ^ les Gou- 
verneurs pouvaient concentrer à Saint-Louis leurs meilleures 
ressources de personnel douanier et réaliser des économies sans 
compromettre les intérêts du Trésor ou du commerce métro- 
politain. 

Ainsi, vers la fin de 1854, des tendances toutes nouvelles appa- 
raissaient dans la vie économique du Sénégal, et déjà des résul- 
tats considérables étaient acquis. 

Les ennemis de notre sécurité et de notre activité étaient tenus 
en respect, la plus large liberté succédait dans les transactions 
commerciales aux réglementations inefficaces et dénpioralisantes, 
l'effort d'expansion se concentrait sur les points utiles, un désir 
de progrès s'emparait d'esprits jusque là confinés dans le calcul 
d'intérêts mesquins, et les institutions, comme la politique, 
puisaient, dans cette transformation des idées et des habitudes, 
la force de s'adapter aux conditions modernes de la lutte écono- 
mique. 

Le langage des Schmaltz, des Fleuriau, des Roger, des Bouet, 
était remis à la mode : une véritable colonie naissait enfin sur les 
ruines du comptoir sénégalais. 



1. P. Vx. du Conseil d^administration, 24 nov. 1854. 

2. AA^ Rapport à 1* Empereur, 17 déc. 1853. 

3. AAK Décret du 21 déc. 1853. Cf. de même, p. M. 21 jaov. et 18 iiiiUell864. 

4. AA^ Décret du 8 février 1852. 



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CONCLUSION 



Le Sénégal en 1834. 



Toutes les fois que des historiens ont entrepris d'exposer la 
situation du Sénégal en 1854, ils se sont appliqués jusqu'ici à la 
comparer à celle du Sénégal transformé par les dix années du 
Gouvernement de Faidherbe^, Or, un tel procédé, que justifie 
parfaitement l'intention de mettre en lumière l'œuvre de Faidher- 
be, tend à faire croire qu'au cours des trente-sept années précé- 
dentes de domination française, le Sénégal n'a réalisé que d'insi- 
gnifiants progrès, et qu'en 1854 tout reste à faire pour l'organi- 
sation et fa mise en valeur de cette colonie: une telle conception 
serait — nous venons de le voir au cours des précédents cnapi- 
tres — fort inexacte, et il importe, pour rendre aux faits leur 
vraie valeur, de comparer surtout le Sénégal de 1854 au Sénégal 
de 1817. 



I. — Le domaine territorial et les zones d'influence. 

En 1817, notre colonie du Sénégal était tout entière à recons- 
tituer. Il devait être assez facile de réoccuper les deux établisse- 
ments principaux, Saint-Louis et Gorée, mais ces deux points 
n'avaient pas grande importance par eux-mêmes, c'étaient des 
débouchés qui ne pouvaient se passer de l'arrière-pays et, sur 
les parties jadis occupées de cet arrière-pays, nous ne possédions 
que des « droits » purement théoriques, garantis par des traités 
peu précis; les forts et les comptoirs étaient en ruines, les rela- 

1. Cf. p bx. Gultru op.cî(. p. 354 , et Proelioher : Trois colonisateurs, p. 137 et sq 

25 



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350 LÀ MidB Éfi Valeur bu séNécAL de I8l7 a 1854 

lions politiques avec les princes indigènes avaient été fort négli- 
gées par les Anglais; Taudace des peuplades riveraines, à la fa- 
veur de cette négligence, s'était accrue, et nous nous trouvions 
en présence de périls redoutables, le péril maure, le péril peul, le 
péril bambara, qui, par contre-coup, troublaient toutes les ré- 
gions du Sénégal et auxquels nous ne pouvions opposer que de fai- 
bles ressources matérielles. 

En 1854, Saint-Louis et Gorée étaient vraiment devenues les 
deux pôles d'un champ d'action, sinon très solide, au moins 
fort étendu et qui correspondait, dans ses grandes lignes, au pro- 
gramme tracé par le Ministère en 1816. 

Saint-Louis s'était agrandie; en plus des petits villages de 

gêcheurs, Guet N'Dar et N'Dar Tout, bâtis sur la Langue de 
arbarie, elle comprenait l'île de Sor, où s'étaient installés sur- 
tout des Bambara délivrés de l'esclavage et qui était couverte de 
jardins. Au nord du delta, en Mauritanie, le poste de Portendik 
était réinstallé; malgré les efforts persévérants des Anglais pour 
nous en évincer, nous restions maîtres de la côte mauritanienne ; 
nous étions en mesure d'en écarter, quand il le fallait, les Trarza. 
Plus haut encore, nos bateaux de pêche fréquentaient le Banc 
d'Arguin. 

Au sud-est du delta, nous avions imposé une sorte de protec- 
torat, sans doute un peu lâche et fréquemment troublé, mais 
consacré par des traités en forme et par une tradition déjà lon- 
gue, sur la région du Oualo, et les postes que nous avions créés sur 
le fleuve, à Richard-Tol et Dagana, nous permettaient de surveil- 
ler à la fois les Maures Trarza et les Oualo. Le poste de Mérinaghen. 
sur le lac de Guiers, nous tenait en relations avec le Djolof ; les 
pilleurs d'épaves du Gandiolais avaient été mis à la raison et, 
malgré des difficultés sans cesse renaissantes, nous n'étions pas 
sans influence sur le Cayor. Nous avions, en tout cas, enrayé l'in- 
vasion Trarza, dont la tendance vers le sud était si nettement 
dessinée au moment de la reprise de possession et qui menaçait 
de chasser de la rive gauche du fleuve, comme elle les avait déjà 
chassées de la rive droite, les populations de race noire, généra- 
lement paisibles, occupées d'agriculture et d'élevage, promptes 
à reconnaître notre autorité. 

, Dans la vallée moyenne, nous avions, en combinant la diplo- 
matie et les démonstrations militaires, rétabli la régularité 
de nos expéditions commerciales, résisté, non sans mérite, aux 
intimidations répétées des Peul, et nous venions, en 1854, de 
nous assurer en quelque sorte la clé du Fouta-Toro, en relevant 
le fort de Podor, abandonné depuis 1758. 

Dans le haut Fleuve, à 210 lieues de Saint-Louis, le fort deBakel^ 
solidement défendu par une enceinte bastionnée, commandait le 
confluent du Sénégal et de la Faiémé ; un enclos de quarante mè- 
tres de côté permettait d'y abriter nos traitants en cas d'attaque, 
et le sol nous appartenait jusqu'à une portée de canon de la mu- 
raille. Au-delà de Bakel, sur la Faiémé^ nous étions installés à 
Sénoudébou ; sur le Sénégali à Makana et à Médine» et ces points 



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CONCLUSIOfI 353 

d'appui, tout faibles qu'ils fussent encore, nous mettaient eu 
relations suivies avec les chefs du pays de Galam, du Boundou, 
du Khasso,du Bambouk, du Kaarta: de même que les postes du 
bas Sénégal nous permettaient de tenir en respect la poussée 
trarza, ceux du haut Sénégal limitaient l'invasion bambara. On 
voit que le Sénégal proprement dit, c'est-à-dire la région fluviale 
qui rentrait dans le champ d'action de Saint-Louis, s'était fort 
étendu, et que la pénétration de l'Afrique intérieure se trouvait 
préparée par un jalonnement de postes, inégalenient résistants^ 
sans doute, mais relativement nombreux et propres à se transfor- 
mer en fermes points d'appui. 

Du côté de Corée, le progrès n'était pas moins sensible. Nous 
avions pris pied sur la presqu'île du Cap-Vert. Malgré la non- 
chalance des Coréens et l'opposition des Anglais, nous avions 
regagné notre place en Cambie, et notre comptoir d'Albréda 
augmentait tout les jours son chiffre d'affaires; nou$ étions en 
relations commerciales a vecle Saloum ; en Casamance, nous avions 
acquis les points forts de l'estuaire (Cuimbéring, Carabane), et 
nous possédions à Sédhiou un poste et un comptoir; dans le Rio- 
Nunez et le Rio-Pongo, nous avions imposé notre autorité aux 
chefs indigènes. Surtout, nous étions parvenus à donner à Corée 
des annexes toutes nouvelles et d'un grand avenir : les comptoirs 
fortifiés du bas de la côte, et l'importance de ces acquisitions était 
telle que, le 1^' novembre 1854, Corée et ses dépendances étaient 
administrativement séparées de Saint-Louis. 

Le Sénégal de 1854 était donc beaucoup plus étendu que le 
Sénégal de 1817 et même que le Sénégal du XYIII^ siècle, 
et ce progrès s'était exclusivement accompli par les moyens pré- 
conisés en 1816 : liaisons commerciales, relations diplomatiques 
avec les princes indigènes, manifestations de force limitées à des 
démonstrations militaires. Nous étions loin de la faillite. 



IL — L'exploitation des ressources. 

Le Sénégal de 1817 ignorait à peu^près complètement les tra- 
vaux agricoles et industriels : il vivait de la traite de la gomme 
et déjà cette sorte de commerce était sur son déclin; il y ajoutait 
le troc irrégulier de l'or, du morfil, des peaux; la traite des esclar 
ves venait de lui être interdite, et par là sa principale source de 
revenus lui était enlevée. Toute son organisation économique 
était à reconstruire. 

En 1854, le Sénégal continuait à traiter la gomme ; mais les 

fommes achetées aux Maures s'augmentaient de celles du haut 
'leuve. 
Les comptoirs de Bakel, de Sénoudébouj de Makana, deMédinei 

1. Les eflcales de Makana et de Médine avaient été définitivement rétablies au 
début de 1854 \G. G. au Minist.e, 30 janvier 1854}. 



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354 LA lilSB BN VALEUR DU SÉNÉGAL DB 1817 A 1854 

attiraient l'or du Bambouk en quantités sans cesse croissantes; 
l'ivoire, les peaux, fournissaient des objets d'exportation plus 
abondants à mesure que notre influence s'étendait dans l'inté- 
rieur. 

Mais il y a mieux qu'un progrès en quantité d^ns cet effort de 
reconstitution, et l'on peut dire que les efforts du Gouvernement 
central et des Gouvernement locaux du Sénégal, de 1817 & 1854, 
ont abouti, malgré la succession et la diversité des programmes, 
à une véritable révolution économique. Le Sénégal ne se contente 
plus du rôle de transitaire dont il vivait depuis le premier jour 
de la colonisation européenne,il a entrepris une exploitation suivie 
des ressources naturelles de son territoire et des pays voisins : 
dès 1854, il di^ose de produits nouveaux, qui lui permettent de 
jBubvenir directement à sa consommation et de maintenir en plei- 
ne activité son commerce d'exportation, menacé par la crise 
de la gomme. 

n fait venir des bœufs du Gayor et du Djolof . 

II pêche la courbine et le thon dans les eaux mauritaniennes, 
la sangsue dans les marais du Oualo et du Fouta. 

L'acclimation de» plantes industrielles est à peu près aban- 
donnée, mais les indigènes continuent à récolter du coton, de 
l'indigo, du tabac, des céréales indigènes. 

Les essais de culture, s'ils ont manqué les buts précis qu'ils 
s'étaient proposés, ont du moins attiré l'attention sur la possibi- 
lité de revenus agricoles, créé une tradition et, vers 1^4, une 
véritable renaissance agricole s'est produite, qui a manifestement 
bénéficié des expériences antérieures : les champs de mil, les 
jardins potagers, les vergers se multiplient, la culture des oléa- 
gineux est & la mode, et l'arachide prend dans l'économie du pays 
une importance que ni le coton ni l'indigo n'ont eue au meilleur 
temps du développement des cultures. 

Les bois du Sén^al commencent & être connus dans la métro- 
pole. 

Le Rio-Nunez et le Rio-Pongo fournissent du café de bonne 
quaUté. ' 

Les comptoirs du bas de la côte mettent en circulation de 
Tacajou, du coton, du tabac, de l'ivoire, de l'or, et se disposent à 
entreprendre les grandes cultures tropicales, naturellement 
adaptées au climat de ces régions. 

Il est vrai que les chiffres de production n'étaient pas encore 
bien considérables, mais n'était-ce pas un grand résultat pour 
le Sénégal que d'être sorti décidément de la période des recherches 
et d'avoir renouvelé en grande partie la nature de ses produits 
et ses méthodes d'exploitation ? 

En même temps qu'il s'alimentait de produits neufs, le com- 
merce sénégalais donnait à ses entreprises une ampleur et une 
audace qui contrastaient fortement avec la routine et la timidité 
du début du siècle. 

Les expéditions en pays de Galam sont devenues r^ulières : 
le haut pays reçoit nos marchandises et les chutes du rélou, qui 



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CONCLUSION 366 

étaient apparues si longtemps comme les c colonnes d'Hercule du 
commerce sénégalais »» sont sur le point d'être dépassées : les 

Eortes du Soudan vont s'ouvrir devant nous, c Le commerce du 
aut Fleuve, écrit Faidherbe au Ministre en 1854, est, je crois, 
aujourd'hui, prescfue égal en importance à celui du bas... Celui 
du bas est susceptible d'une augmentation sensible, en donnant 
de la sécurité aux producteurs, mais celui du haut est susceptible 
d'une augmentation presque indéfinie si nous étendons nos rela- 
tions vers l'intérieur^ ». 

Des relations commerciales fort actives, en dépit des difficultés 
politiques et des risques, se sont nouées avec les diverses régions 
du Sénégal intérieur, le Oualo, le Cavor, le Djolof, le Baol, avec 
les Rivières du Sud et les côtes du golfe de Guinée. 

Les principes aussi ont changé, se sont élargis : la liberté du 
commerce Ta définitivement emporté sur le régime du monopole. 
Les compagnies privilégiées sont disparues et les initiatives s'en 
trouvent multipuées. 

Les institutions commerciales se sont modernisées, elles offrent 
& l'activité locale des moyens nouveaux d'expansion : un comité 
du commerce à Saint-Louis et une commission commerciale à 
Corée ont été créées; un établissement de crédit est ébauché; 
la police de la navigation, l'aménagement des ports, l'améliora- 
tion de la vie urbaine, le perfectionnement des communi- 
cations, comptent désormais parmi les soucis principaux des 
autorités locales. 

Les entreprises particulières, aussi bien que les recherches et 
les explorations dirigées par le Gouvernement, ont largement con- 
tribué, comme le voulaient les instructions de 1816, à la connais- 
ssance du pays et des régions environnantes : le Sénégal est de 
moins en moins exposé à s'épuiser en vaines tentatives, il sait 
ce qu'il peut demander à son sol et à ses habitants, ce qu'il peut 
attendre de ses voisins et ce qu'il doit s'interdire sous peine 
de coûteux échecs. 

A la faveur de ce progrès économique et de ces lumières nou- 
velles, l'opinion sénégalaise a pris conscience de ses véritables 
intérêts et elle a renoncé & cette pusillanimité, & cette ftpreté 
routinière et frondeuse qui ont si longtemps çêné l'action du 
Gouvernement local. Loin de trembler devant 1 audace des pro- 
jets ministériels, c'est elle qui, en 1854, réclame «avec une éner- 
gie particulière » l'abolition des escales, la liberté absolue de la 
traite, le protectorat de la France sur le Oualo, la création de 
postes nombreux sur la rive gauche pour l'établissement d'ex- 
ploitations agricoles, et l'ouverture du Soudan au commerce 
français. Surtout, le commerce n'occupe plus exclusivement 
les esprits : bien que les encouragements officiels aient à peu 
près cessé, des initiatives fort variées se manifestent dans le 
domaine agricole et industriel, et les indigènes y particii>ent 
comme les Européens. Au cours des trente-sept années qui vien- 



1. G.O. au Ministre, 22 déc 1864. 



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356 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

nent. de s'écouler, le Sénégal a vraiment acquis une éducation 
économique et politique qui lui manquait tout à fait en 1817, 
çt, malgré quelques apparences, ce n'est pas en. vain que des 
mesures administratives ont devancé les mœurs. 



III. — La part de l'échec et du succès : 
Les responsabilités. 

II ne suit pas de là que la situation au Sénégal en 1854 soit 
vraiment brillante et que l'étendue des progrès corresponde à la 
somme des efforts dépensés. Si l'entreprise aboutit à des résultats 
certains, on le doit à l'intérêt très vif et continu, sinon d'inspira- 
tion toujours heureuse, qu'y porta le Gouvernement métropoli- 
tain; on le doit surtout à la vaillance et à l'ingéniosité de la 
plupart des Gouverneurs et de leurs collaborateurs; mais il 
faut convenir que tant de soins, tant d'idées fécondes, tant de 
dévouements, méritaient mieux que ce succès partiel, qu'on a 
si souvent et si aisément présenté comme un échec total. 

Il est difficile d'admettre, en effet, qu'en trente-sept ansd'efforts 
constants, le Sénégal ne soit point parvenu à prendre la forme 
d'une vraie colonie, à disposer d'un territoire vaste et d'ua seul 
tenant, à mettre à la raison des voisins gênants, à se donner des 
ressources abondantes et variées, à conquérir, en un mot, son 
indépendance et sa sécurité politique, et il semble tout indiqué 
d'opposer aux obscurs produits de cette longue suite d'années 
le clair résultat du Gouvernement de Faidherbe. Mais il est 
juste de chercher les responsabilités, et c'est ce qu'on a trop 
souvent négligé de faire jusqu'ici. 

Ce ne sont pas les Gouverneurs du Sénégal qui doivent porter 
la peine des échecs. On peut affirmer que, de 1817 à 1854, le 
Ministère n'a pas envoyé au Sénégal un seul Gouverneur indigne 
de le représenter : la valeur de ces fonctionnaires est assurément 
fort inégale, quelques-uns (autant qu'on puisse en juger par le 
temps -très court qu'ils ont passé à Saint-Louis) apparaissent 
sans doute comme des administrateurs timides, dépourvus de 
caractère, prompts à s'affoler devant les reproches du Ministre, 
les menaces des peuplades voisines ou les mouvements de l'opi- 
nion locale, mais aucun ne fit preuve de malhonnêteté ni de 
mauvais esprit ni même d'inintelligence, et certains furent des 
hommes vraiment supérieurs. 

La qualité de ces choix rend d'autant plus sensible l'instabilité 
du pouvoir local : en 37 ans, 34 Gouverneurs se succédèrent au 
Gouvernement du Sénégal, et le plus stable, Roger, n'y resta 
que cinq. ans. Les uns, comme Roger ou Protêt, s'en vont d'eux- 
mêmes, parce qu'ils se sentent menacés et veulent prévenir une 
mesure de défaveur; les autres, et les plus nombreux, sont rap- 
pelés en France, soit que leur politique semble aventureuse, soit, 
au contraire, qu'elle manque de vigueur, en tout cas avant qu'on 



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CONCLUSIOl^ 357 

n*ait donné le temps à leurs conceptions de prouver leur valeur. 

A ces Gouverneurs qui ne font que passer, on ne fournit que 
des moyens d'exécution insuffisants : en 37 ans, c'est à peine si 
les crédits prévus pour les dépenses ont triplé; l'économie est 
recommandée comme la première des vertus administratives, 
et les Gouverneurs les plus disciplinés sont portés à témoigner 
de leur dévouement par la suppression de dépenses utiles; le 
personnel subalterne, et surtout le personnel technique, est 
aussi réduit que possible; les forces militaires ûe sont jamais 
au complet et ne permettent aucun effort suivi. 

Pour comble, le pouvoir central se réserve jalousement la 
décision; sauf en de rares exceptions, il intervient jusque dans 
les détails de l'administration et de la politique locales et, comme 
il ignore les vraies conditions de l'action coloniale, il s'impa- 
tiente volontiers de la médiocrité et de la lenteur des résultats ; 
il arrête les expériences les plus intéressantes avant qu'elles 
n'aient eu le temps de se développer pleinement; il cède aux 
moindres manifestations de l'opinion métropolitaine ou colo- 
niale et sacrifie fréquemment ses subordonnés à l'égoïsme et 
aux courtes vues des colons ou des indigènes. Cette centralisa- 
tion inquiète, on le conçoit, diminue la portée des meilleurs 
efforts et fait que l'activité de la colonie s'use dans une perpé- 
tuelle mise en train. 

Le mal eût été moins grave, si le pouvoir central avait eu, en 
matière de colonisation, une doctrine bien déterminée : à défaut 
de la stabilité du pouvoir local, il eût pu, en quelque mesure, 
assurer la continuité des entreprises. Mais, bien qu'il ne fût 
pas tout à fait dépourvu du sens de l'adaptation et qu'il se souciât 
assez méthodiquement d'approprier son action aux circonstances, 
la connaissance des « localités », qu'il invoquait si volontiers, lui 
manquait par trop; la documentation géographique et scien- 
tifique était trop rudimentaire encore pour suppléer à cette 
expérience directe du pays; rien de vraiment fort ne pouvait 
le tenir en garde contre le danger des raisonnements par analogie. 

C'est en raisonnant par analogie que le pouvoir central ima- 
gine une pacification sans conquête, une mise en valeur sans 
occupation territoriale. Il ne peut se représenter à distance 
l'inanité de sa politique de traités, la naïveté de ses avances et de 
sa générosité à l'égard de peuples tout primitifs, aux yeux de 
qui la vraie noblesse et la seule grandeur résident dans la démons- 
tration de la force, et les Gouverneurs les mieux informés et 
les plus sensés ont beau lui répéter qu'en Afrique ce que nous 
appelons bonté est souvent synonyme de faiblesse, il se complaît 
dans l'illusion que la seule beauté des sentiments français et 
l'idéaUsme de notre politique finiront par séduire les Trarza, 
les Peul ou les Bambara, et rendront inutile le recours aux armes. 

C'est encore en raisonnant par analogie que le pouvoir central 
confond les aptitudes agricoles ou commerciales du Sénégal 
avec celles des pays d'Europe ou des autres régions tropicales, 
préjuge de la fertilité du sol et des succès de l'acclimatation 



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358 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

d'après des résultats obtenus dans des conditions de cUmat toutes 
différentes, trouve tout naturel, par exemple, de comparer quant 
à leurs éléments chimiques et d'assimiler quant à leur utilisation 

Êossible une terre forte du Parisis et une terre forte du Oualo. 
!t c'est toujours la même erreur dialectique qui le porte & conce- 
voir la psychologie des indigènes sur le modèle de la nôtre, qui 
lui fait supposer que l'usage de la liberté leur sera facile et profi- 
table, que l'exemple de l'activité européenne, sans éducation 
préalable, suffira à leur communiquer l'esprit de recherche et de 
persévérance qui constitue le principe de notre civilisation, et 
que des peuples, enfouis depuis des siècles dans le despotisme et 
la routine, pourront contracter sans transition l'habitude du tra- 
vail libre et le goût du progrès. 

Si l'on passait en revue toutes les démarches du pouvoir cen- 
tral de 1817 à 1854, on y découvrirait en somme, mêlée aux meil- 
leures intentions du monde, cette double tendance, qui tient 
d'ailleurs au caractère profondémient autoritaire de l'adminis- 
tration française et qui donne à toute notre politique coloniale 
son principal aspect : la centralisation et l'assimilation. 

II est vrai que le pouvoir central peut paraître, en quelque 
mesure, excusable d'avoir persévéré si longtemps dans un tel 
système, puisque les faits n'en démontraient pas brutalement 
l'erreur et que la colonie continuait à vivre et même à se dévelop- 
per, n eût fallu, sans doute, pour l'amener à concevoir une doc- 
trine plus souple, qu'une crise grave éclatât, que la colonie fût 
soudain menacée de la ruine totale et de l'invasion et que le péril 
eût manifestement ses sources dans l'abus de la centralisation et 
les erreurs de l'assimilation. Mais, de 1817 à 1854, cette crise, 
qui parfois s'annonça, ne parvint pas à se produire, et s'il con- 
vient d'expliquer surtout la sécurité relative dont jouit la colonie 
par des circonstances extérieures (division des ennemis du Séné- 
gal, opposition de leurs intérêts, absence d'un lien ethnique ou 
religieux entre les populations riveraines, valeur décroissante, 
mais suffisamment persistante du commerce traditionnel de la 

Somme), il est juste aussi de l'attribuer au courage et à l'habileté 
es Gouverneurs locaux. Discrètement, patiemment, ils ont 
corrigé de leur mieux les ordres venus de la métropole et les ont 
adaptés aux circonstances; une maladresse ou une faute de leur 
part eût pu mettre le feu aux poudres : ils ont ainsi, par dévoue- 
ment et par conscience professionnelle, prolongé une situation 
dont ils étaient généralement les premières victimes. 



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CONCLUSION 359 



lY. — Le problème sénégalais en 1864. 

En 1854, la crise si longtemps évitée se déclare, et elle oblige 
la métropole et la colonie à mettre & profit Texpérience acquise 
depuis la reprise de possession. La politique coloniale du Second 
Empire s'annonçait assurément plus vigoureuse que celle de la 
Restauration, de la Monarchie de Juillet ou de la Seconde Repu* 
blique; pourtant, ce serait une erreur de croire qu'elle passe 
délibérément du régime traditionnel des traités à la conquête 
méthodique, et les Instructions données & Protêt et & Faidherbe 
ne comportent nullement un programme d'expansion par la force 
des armes : tout en prescrivant au Gouverneur de libérer le Séné- 

S^al de la tutelle capricieuse de ses voisins et surtout d'affranchir 
e commerce du fleuve, elles lui recommandent clairement d'évi- 
ter les conflits armés et de ne point transformer les démonstra- 
tions militaires en expéditions. 

Mais un prophète, qui jusque là s'était dit « l'ami des Blancs et 
de la paix », El-Hadj-Omar, se révélait, vers 1854, comme le pire 
ennemi qui se fût jamais lancé contre nous dans ces régions : il 
envahissait et soumettait le Bambouk, le Kaarta, le Khasso, 
le Boundou, pillait nos traitants dans le haut Fleuve, menaçait 
nos postes de Bakel et de Podor ^ et surtout entraînait dans les 
rangs de son armée toutes les populations belliqueuses du fleuve, 
substituait. & leurs guérillas de pillage une guerre sainte, les 
unissait dans une même ferveur religieuse et dans une même haine 
de l'infidèle. L'heure n'était donc plus aux atermoiements, aux 
efforts diplomatiques, aux traités sans garanties, aux victoires 
sans lendemain : l'existence même de la colonie était en cause, 
on ne pouvait qu'opposer la force à la force, et le Gouvernement 
central eut au moins le mérite de reconnaître tout de suite cette 
nécessité. 

Cette résolution entraînait pour le Gouvernement central 
d'autres devoirs, qui lui étaient d'ailleurs indiqués par l'expé- 
rience des années précédentes et que les pétitions du commerce 
lui représentaient comme particulièrement impérieux : en pré- 
sence d'une situation aussi grave, il ne pouvait sans crime conti- 
nuer à changer à tout instant les Gouverneurs, il lui fallait assu- 
rer la stabilité du pouvoir local pour lui permettre de suivre avec 
fruit les événements et d'adopter une ligne de conduite bien nette ; 
il lui fallait, du même coup, fournir au Gouverneur les moyens 
d'exécution, financiers et militaires, exigés par une aussi lourde 
mission et lui faire confiance, lui laisser un large pouvoir d'ini- 
tiative, renoncer à le diriger de Paris dans une œuvre de défense 
& laquelle Paris ne pouvait raisonnablement rien comprendre. 
L'opinion locale, de son côté, apercevait enfin le danger de 

I. a.CO.auMiiil8tt«(IUipportde prise de pouvoir de Faldlieri>e),26d6& 18M. 

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360 Là mise en valeur du SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

son imprévoyance, de sa timidité routinière et de son opposition 
stérilisante. Dès avant la nomination de Faidherbe, elle s'était 
ouvertement ralliée aux vues du Gouvernement local, elle avait 
engagé le Ministère à entreprendre une action énergique contre 
les ennemis du Sénégal et donné au gouverneur Protêt des preu- 
ces de sa confiance \ 

Enfin, Faidherbe lui-même, qui servait au Sénégal depuis 1852, 
et qui allait profiter de ces facilités toutes nouvelles offertes par 
les circonstances, devait trouver dans les recherches de ses pré- 
décesseurs toutes les grandes lignes de son programme : c'est lui 
qui bénéficie de leurs expériences, qui applique l'ensemble des 
règles dégagées par leurs soins. Pour établir exactement ce qu'il 
leur doit, pour prouver que son principal mérite a consisté à tenir 
compte de leurs résultats et à faire de leurs principes dûment 
vérifiés un tout cohérent, il serait possible de découvrir dans 
l'histoire de ces 37 années toutes les sources de son œuvre : 

On le loue notamment d'avoir entrepris l'exploration et la 
prospection économique du pays*, d'avoir favorisé les cultures 
de coton, d'indigo, d'arachides', tenté des essais d'acclimatation 
qui, du reste, ne furent pas très heureux, créé une pépinière sur 
la Taouey*, distribué des concessions aux habitants de Saint- 
Louis *, donné au Oualo une organisation administrât! ve«, décou- 
vert l'intérêt d'une expansion dans le sud du Sénégal' : n'avons- 
nous pas eu l'occasion, au cours de cette étude, de signaler des 
efforts analogues ? Faidherbe, disent encore ses biographes, a 
compris que seule la culture par les hommes libres pouvait im- 
planter dans le pays des traditions durables d'économie agricole*, 
qu'il fallait toujours, même après la conquête, respecter la pro- 
priété indigène*, que l'antique régime des coutumes était impuis- 
sant à protéger le commerce sénégalais** et qu'il fallait imposer, 
au besoin par la force, la libre circulation dans le fleuve ^^, que 
la politique indigène ne pouvait se passer d'un appoint de force 
miUtaire, que la bienveillance sans fermeté était désastreuse 
pour tout le monde ^ *, et qu'on devait opposer aux ennemis du 
Sénégal des forces composées surtout d'éléments indigènes^*: 
mais que de fois, depuis Schmaltz, n'avons-nous pas entendu les 
différents gouverneurs du Sénégal formuler ces mêmes principes ? 
Quant aux vertus idéalistes et à la générosité foncière de cette 



1. G. G. au Ministre, 12 juin 1854. 

2. Cf. Cultru op, cit. p. 162 et 369. 

3. Ibidem, p. â67-369. Froelicher, op, cil p. 194. 

4. /6Wem.p.366,368. 

5. Ibidem p. 358. 

6. Cf. Froelicber op. cil p. 148 

7. Ibidem, p. 147. 

8. Ibidem. 178, 179. 

9. Ibidem, p. 146. 

10. Ibidem, p. 149. 

11. Ibidem, p. 145,147, 154. 

12. Ibidem, p. 137, 145, 156; Cultru op. cil p. 353. 

13. Ibidem, p. 152^; Cultru op, eit, p. 323. 



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CONCLUSION 361 

colonisation oui veut être utile aux indigènes tout en servant les 
intérêts de la France, quant au souci d'adaptation au pays et à la 
race ^, n'a vons-nous pas, à maintes reprises, noté que tels étaient 
les caractères essentiels de la politique locale ? N 'avons-nous pas 
vu le sens de l'adaptation se développer d'expérience en expé- 
rience et la noblesse de nos intentions civilisatrices former la 
trame permanente des tentatives de mise en valeur ? 

C'est, à notre sens, diminuer l'œuvre de Faidherbe qu'en dissi- 
muler les sources et la séparer ainsi de l'œuvre de ses devanciers. 
Un personnage historique, pour apparaître comme un grand 
homme, n'a pas besoin d'être présenté comme un magicien; il 
arrive le plus souvent, au contraire, que, s'il laisse une œuvre 
marquante, c'est pour avoir su rassembler les résultats antérieurs 
à son action et s'être mis à l'école de ses prédécesseurs. Tel est 
le cas de Faidherbe, et l'importance de son rôle reste singuliè- 
rement forte, même si l'on s'abstient de fausser en son honneur 
la vérité historique et de célébrer en lui le «précurseur », « le pro- 
moteur véritable de notre pénétration en Afrique centrale •», 
« le Gouverneur qui, pour la première fois depuis que les Français 
avaient paru sur les côtes de V Afrique occidentale^ a fait sentir aux 
peuplades belliqueuses et brutales qui les habitaient la force 
supérieure d'un peuple intelligent et civilisé •». 

Au reste, en essayant de déterminer avec plus d'exactitude les 
données nouvelles du problème sénégalais en montrant que 
la solution s'en trouvait préparée à la fois par des circonstan- 
ces fortuites et par le travail de trente-sept années fort actives, 
nous ne nous livrons pas à de simples suppositions, et nous avons 
pour nous le témoignage des contemporains et de Faidherbe 
lui-même. 

L'instabiUté du pouvoir local, reconnaissent par exemple les 
commerçants de Saint-Louis, en 1855, était cause de tout le 
mal : « Pendant longtemps, nos possessions sénégalaises ont été 
considérées parla métropole comme de simples comptoirs d'échan- 
ges, et, à ce titre, dirigées par des administrations éphémères. 
Ce n'est pas assurément que la colonie n'ait eu à sa tête des hom- 
mes d'une haute capacité, mais le temps a manqué au plus grand 
nombre, et d'autres, comme M. Bouet-Willaumez, n'ont pas eu 
à leur disposition les moyens nécessaires pour réussir. Il est ré- 
sulté de la grande mobilité du pouvoir dirigeant une fluctuation 
extrême dans nos relations politiques avec les peuplades rive- 
raines : aussi avons-nous vu le nom français, partout dédaigné, 
devenir synonyme de tributaire, et les Maures profiter de notre 
abaissement apparent pour dominer et dépeupler la rive des 
Noirs. *» 



1. Cf. Froelicher op. eiLp. 129, 130, 128, 171, 179. 

2. Cf. Culini op. eit p. 354. 

3. /6jdem p. 353. 

4. Arch. colon. Sénégal, 4 i. Discours du Président au banquet offert au G ou- 
verneur Faldberbe par les habitants de Saint-Louis, 4 nov. 1855. 



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362 LA MISE EN VALEUR DU SÉNÉGAL DE 1817 A 1854 

Mais un danger plus redoutable quetous ceux qui avaient jusque 
là menacé le Sénégal obligea le pouvoir central à aborder de front 
la question sénégalaise, & renonceraux hésitations, & suivre unepo- 
litique ferme et continuera En 1852, écrit Faidherbe,le nord-ouest 
de l'Afrique était encore divisé en un grand nombre d'États, 
les uns plus ou moins barbares, les autres presque sauvages. Il 
en résultait qu'arrêtés & chaque pas par des frontières, le conuner- 
ce et l'influence de nos établissements des côtes nepouvaientpéné- 
trer bien loin dans l'intérieur. Les circonstanceô ont maintenant 
changé, de telle sorte que la France a pu prendre pied sur le 
haut Niger. Les événements qui ont amené ce résultat méritent 
d'être racontés avec quelques détails, pour qu'on puisse en bien 
comprendre la signification et la portée. 

« Un immense effort fut alors fait par le cheikh EI-Hadj- 
Omar, marabout sénégalais, avec toutes les forces fanatisées de 
l'Islam, dans le Soudan occidental, pour détruire les États nègres 
encore idolâtres et jeter & la mer les Européens des côtes. Dans 
cette formidable lutte, il devait avoir un Gouverneur du Sénégal 
pour adversaire et pour vainqueur »... Et cette crise politique, 
qui pouvait paraître funeste, allait produire, en fin de compte, 
les plus heureux résultats économiques: elle allait grouper des 
éléments épars, insaisisables, et nous permettre une action* 
d'ensemble : « La civilisation n'a fait de grands progrès dans le 
monde qu'à la suite de la formation de vastes empires conqué- 
rants : ces derniers sont, de leur vivant, de véritables fléaux ; 
mais bientôt, au milieu des ruines qu'ils ont amoncelées, se mani- 
festent d'heureuses conséquences de leur passage sur la terre. 
C'est qu'ils ont créé entre les hommes des facilités de communi- 
cation qui n'existent pas dans l'état de fractionnement. où se 
trouvent les pays sauvages, facilités grâce auxquelles les échan- 
ges matériels et intellectuels deviennent possibles, au grand 
profit du progrès. C'est une des phases de l'humanité dont nous 
allons être témoins dans le nord-ouest de l'Afrique centrale ^. » 

Quant & la politique à suivre, quant aux moyens d'exploiter 
cette situation, ils sont connus, on les trouve dans l'histoire 
récente du pays, ils sont l'aboutissement d'un long effort de 
recherche qu'on n'a pas le droit d'ignorer : « Vous voulez 
bien m'adresser quelques éloges, répond Faidherbe aux com- 
merçants de Saint-Louis en 1855, permettez-moi de les restituer 
à qui de droit : l'idée et le programme des réformes à introduire 
au Sénégal sont dus au commerce lui-même et à quelques hom- 
mes d'élite, comme M.Bouet-Willaumez. L'adoption de ce pro- 
grammeet l'ordre d'agir sont dus à M. Ducos. Les moyens d'action 
que Son Excellence le Ministre actuel nous accorde laidement, 
prouvent qu'il a adopté complètement les vues de son prédé- 
cesseur...* » 



Faidherbe. Le Sinégalp. 7. 

Arch. col. Sénégal 4i (Discours du Gouverneur) 4 Janv. 1855. 



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CONCLUSION 363 

II y a donc, dans les origines de la solution donnée par Faidherbe 
au problème sénégalais, autre chose que l'apport de qualités 
personnelles de premier ordre, la moindre justice veut qu'on 
y découvre, à côté des mérites de Faidherbe, ceux de ses devan- 
ciers et au'on voie, dans la période de domination française qui 
précède le Gouvernement de Faidherbe, mieux qu'une histoire 
d'efforts et tout autre chose qu'une histoire d'échecs : une lutte 
héroïque et féconde. 



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Index Alphabétique des Noms propres 



Abdoul Kader, 44. 

Abolé, 32. 

Aehanti. 310, 338. 

Adamson. 240. 

Abaisse, 64. 

Agout (vicomte d*), 118. 

Alain, 32. 

Albréda, 1. 5, 31, 32. 55, 57. 64, 220- 
222. 289. 302-304. 306. 326. 337. 
340. 

Alexandrie, 160. 

Alger, 284. 

Algérie, 310. 324. 

Ali Kouri. 69. 

Alin, 192, 249. 

Alouette (brick T), 309. 

Amar Moctar. 3, «9. 207, 209, 314. 

Amdou Kouri. 207, 209. 

Amérique, 155, 243. 336. 

Anglais. Angleterre, i, 5, 8, 10, 13, 
15, 22, 26, 28, 31, 32, 38, 44, 54* 
63, 84, 105, 166, 207, 208, 213, 219- 
221, 226, 247, 256-259, 285, 296, 
298. 302. 304. 310. 312. 319-321, 
326. 352. 

Angola (c^te d*), 2. 

Anliaga, 91. 

Aniilles, 11, 50« 136, 160, 181, 2U- 

214, 234, 240, 244, 247, 280». 281, 
287. 

Aoua Demba. 248. 296. 297. 

Arabes. 257. 

Arguin (banc d*). 1, 5, 211, 352. 

Argus (brick V), 28, 31, 92, 53, 
61. 

Arlabosse (abbé), 286, 287. 
Arras (d'). 167. 



Aêie, 243, 308. 
Aêsinie, 310. 
Auxcouteaux, 280; 

B 

Baba, 73. 

Baga, 307. 

Bairaye (lie de), 286. 

Bakel, 5, 53, 60, 78, 79, 81, 88, 94 

95, 98, 99, 186, 187, 215*218, 285, 

292-294, 328, 329, 340, 352, 353, 

359. 
Bambara, 4, 33» 34, 44, 94, 167, 263, 

352, 357. 
Bambouk, 4, 12, 13,. 41, 59, 166, 

216, 218, 277, 278, 292, 296, 301, 

340, 353, 354, 359. 
Banlam, 17. 

Baol, 4, 30, 148, 215, 223, 349, 355. 
Bar, 31, 32, 55, 64, 281, 247, 302. 
Barbier (colonel), 17. 
Basée- Terre, 18. 
Balauia, 17, 18. 
Baudin (gouverneur), 273*276, 294, 

327, 329, 334, 34QÇ 
Baudin (Jardinier), 139. 
Baudry (Victor), 168. 
Beaufort, 215. 

Bengale, 18, 134, 160, 179, 282, 283L 
Bénin (golfe de), 2. 
Benotot d'Azy, 396. 
Béquio (lie). 69. 
Bernard (général), 287. 
Berthelot (Fabien), 279. 
Berton (Charles), 131, 132, 209, 246, 

249; 
Béauehet, 189, 192, 195, 21^. 
Beynis, 282. 



2»i 



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368 



INDEX ALPHABÊTigUE DBS NOMS PROPRES 



Bin, 1. 

Bistagoê (fies), 1, 248. 

Blanc, 248. 

Blane (cap), 4, 8. 

Blanchot (gouverneur), 10, 76. 

Blondin (Henry), 139. 

Bodio (ingénieur-géographe), 135. 

Bodin (colon), 287. 

BolBsard, 192, 245. 

Boki, 306. 

BokhoU 96. 

Bonnay (Charles de), 31. 

Bonru' Espérance (cap de), 2, 7, 17. 

Bordeaux, 204, 259, 288, 308. 

Boubakar, 34, 70, 71, 96. 

Boucaline, 192, 195, 196, 236. 

Bouet-Willaumez, xi, 271, 308-312, 

323, 326, 336, 350, 361, 362. 
Boufflers (chevalier de), 5, 10, 11. 
Boundou, 4, 12, 41, 59-61, 278, 301, 

340, 345, 353, 359, 
Bourbon, 17, 117, 136, 159, 225. 226, 

229. 
Bourgerel, 55. 
Boursaint, 115. 
Brak, 4, 70, 91, 190, 240, 258, 317, 

Ï19. 
Brakna, 3, 64,69, 71, 72, 84, 88, 94- 

97, 110, 256, 259, 318, 323, 329- 

345. 
Brédif, 40, 41, 46, 47, 50. 51. 
Brésil, 243. 
Brest, 279, 310. 
Broquant, 308. 

Brou (gouverneur), 246, 247, 249, 314. 
Brunet (Edmond), 122, 130-132, 139, 

141, 148, 149, 165, 180, 192, 208, 

209, 239, 242, 249. 



Gadeot, 318. 

Cadix, 243. 

Caignou, 278, 296, 301. 

Caille (gouverneur), 286, 326, 327. 

Caillié (René), 306. 

Canaries (Iles, 143, 155. 

Cap Vert (Iles du), 156, 158, 161, 211, 

212. 
Cap Vert (presqu'Ue du), 1, 6, 13 34, 

38, 65, 106, 148, 152, 215, 256, 279, 

287, 305, 353. 
Carabane, 286, 297, 299, 353. 



Carpentier, 192. 

Casamance, 1, 12, 37, 127, 211, 215, 
222. 223, 248, 283, 285, 286. 297- 
299, 305, 306, 308, 309, 312, 341, 
353. 

Castille. 177, 187. 

Gaventou. 284. 

Caga, 57. 

Cagenne, 37, 107, 136, 138, 156, 161, 
183, 280. 

Cagor, 4, 12, 44, 69. 71, 95, 96, 103 
127, 148, 164, 178, 208. 215, 223, 
256, 281, 285, 289, 315, 317, 318, 
324, 337, 345, 349, 352, 354, 355. 

Chabril (comU de), 174. 

Chaizc, 282, 

Challes, 156. 

Charbonnier, 192. 

Charmasson, 264, 265. 

Chastellus (de), 40, 41, 46, 50, 53, 68. 

Chevreul, 180. 

Chilleau (marquis du), 118. 

Christian. 176. 177. 

Cler mont-Tonnerre (marquis de), 115. 

Colibri (aviso le), 51, 148. 

Coq (escale du), 12, 263, 327 

Côte-d'Or, 2, 24, 338, 348. 

Courau, 249. 

Courtois, 73. 

Cronani (dame Hélène), 192. 

Crouseilhes (de), 116. 



Dacarbang, 325. 

Daendels, 17, 18. 

Dagana, 4, 19, 71-73, 81, 84, 88, 95, 

96, 98, 102, 136, 156, 157, 186, 187, 

190, 194, 245, 285, 286, 318, 325- 

328, 340, 345, 352. ^ 
Dakar, \, 29, 283, 287, 349. 
Damel, 4, 95, 97. 210, 317, 328, 329. 
Dangles, 248. 
Daouich, 3, 69, 94, 345. 
Darmancour, 3. 148. 259, 260, 263, 

315. 
Daspres, 192. 
Decazes (comte), 90. 
Defitte de Soucy, 213, 214. 
DegoUtin, 180, 245. 
Dejon, 134, 136, 166, 168, 180. 
De Hougemont, l92. 
Désert (escale du), 12. 
Dessolle (marquis). 118. 



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INBBX ALPHABéTlfttJÉ DÉS rtOltS PROPRES 



3éÔ 



Deter, d09. 

Detié Sec, 146. 

Devès et Chaumot. 288. 

Devèze, 55. 

Deville. 278. 

Diai Boukari, 59. 

Diamallh, 346. 

Dimar, 323, 328, 329. 

Diogène, 121. 

Diola, 222. 

Djolof, 4, 59, 71, 281, 800. 324. 352, 

354, 355. 
Dol, 210. 
Dôle, 140. 
Duban, 140. 
Dubois, 192. 

Dubouohage (vicomte), 18, 118. 
Duchâteau (gouverneur), 327, 328. 
Ducos, 362. 
Dumas, 336. 
Dupont, 42, 54. 
Durand, 10, 240. 
Dupand-Valantin, 329. 
Duranton, 215, 248. 



Egypte, 160, 167, 173, 199. 284. 
El-Nadj-Omar, 359, 362. 
Ernaud de Rougemont. 117. 
Espagne, Espagnols, 121, 183, 319. 
Etats-Unis, 281. 284. 
Europe, 9. 12, 181, 222, 233, 241, 281, 
286. 



Faf, 137. 141, 147, 150, 186, 188, 194. 

Faidherbe, ix, x. xi, xii, 324. 346. 
347. 351. 355, 356. 360-363. 

FaUmé, 52. 218, 278. 301, 306. 352. 

Félou (chutes du), 52, 297, 301, 354. 

Fine (goélette la), 306. 

Pleuriau, xi, livre I, chap. Il, passim, 
69, 70, 72, 74, 76. 80, 81, 86, 93, 
97, 100, 103. 105, 159, 350. 

Fleuriot de Langles, 307, 309. 

Forestier 118. 

Pormose (cap) 2. 

Pour-à'Chaux (marigot du) 190. 

Foula 52' 59, 70, 76, 80, 87, 93, 94, 
103, 148. 178, 188. 216, 249, 263, 
280, 285, 286, 292, 317, 322, 325, 
327-329. 337. 345. 346. 349, 350, 
854. 



Fouta-Diallon, 59. 

Fouta-Toro, 4, 33, 34, 81, 84, 163, 
316, 322, 352. 



Gabon, 310, 327, 347. 

Galam, 1, 4, 5. 9, 12, 13-31, 34, 37. 
41, 46, 48-50, 52, 53, 59-61, 68, 
70, 78, 82, 83, 88, 94, 97, 98, 102, 
216, 217, 248, 278, 279, 287, 289, 
292-298,322, 327, 331, 337, 339, 
340, 346, 353, 354. 

Gambie, 1, 3, 4, 7, 9, 12, 26. 29, 31, 
55, 57, 59, 60, 64. 105, 106, 127, 
160, 168, 211, 215, 220, 247, 256, 
283, 285, 289, 296, 299, 301, 305, 
319. 320, 353, 

Gandiole, 208, 226. 247, 256, 293, 325, 
349, 352. 

Gange, 39, 45, 46. 

Gantefort, 192, 225. 

Garçon (capitaine), 216. 

Garoway, 310. 

Gauthier, 270. 

Gavot (lieutenant-colonel), 28. 

Gaya, 73, 96. 

Géorgie, 65, 160. 

Ger bidon, 238-240, 242-244, 249. 

Gindicelli (abbé), 89 

Gorie, Passim. 

Goroum (marigot de), 188, 193, 194. 

Gouina, 296. 

Grandin 51. 

Grand' Bassam 309 311. 

Grant (capitaine) 32. 

Gray (major) 56 59, 60, 61, 88, 105. 

Guadeloupe, 18, 138, 144, 183, 213, 
214, 226, 229, 243, 280, 281. 

Guet N*Dar, 315, 332, 352. 

Guiers (lac de), 306. 352. 

Guîmbéring, 222, 297, 353. 

Guimbotte 317. 

Guinée (golfe de) 306, 308. 309, 319, 
331, 338, 341, 347 348, 355. 

Guinée portugaise, 60. 

Guyane, 135, 160, 177, 229, 281. 

H 

Halgan (général), 109. 
Hamet Dou, 70. 
Hanoook, 169. 



■AMf 



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;mJ>BX AVPHABàviQVfE DBd NOliS PA09IIBÔ 



Harm, 287, 349. . 

Bavant (la), 283. 

Hesse. 216. 

Hollande, Hollandais, 17, 18, 20, 48, 

308. 
HoUe (Paul), 138, 300. 
Houbé, 286. 
Huard, 278, 280. 
Hubert, -63. 
Hugon 129. 147, l&O. 
Huzard. 90. 



I 



Inde, 17, 167, 168, 173, 180, 204,206, 
264 265,287. 



Jahouvey (M-»), 117, 118. 
Janssens, 18. 
Jaubert, 283-289. 
Java, 16, 17, 18, 48. 
Jean-Pierre (le), 204. 
Joal, 1, 5. 
Jade, 2. 

Jubelin, 243, 244, 246, 247, 249, 281, 
314. 



KaaHa, 278, 353, 359. 

Kage9, 296. 

Kélimani, 12. 

iTerhallet (de), 307, 309. 

Khâssak (marigot de), 193. 

Khasso, 4, 248, 278, 284, 294, 296, 

301, 353, 359. 
Kaiel (habiUtion royale de), 117, 152 

159, 188, 189, 192, 244. 



Lafleur, 139. 

La Mana, 135, 136. 

Lampsar, 65, 194, 285, 286, 325. 

Langue de Barbarie, 352. 

Languedoc, 182. 

Landouman, 306, 307. 

Laugier, 170. 

Laurichesse, 136. 

Lauriston (marquis de), 188, 189. 

Lebou, 279. 



Le Coupé de Montereau, livre I, 
chap. VI, passim, 109*111, 115, 
117-119, 125, 203, 314. 

Lecour, 312, 313. 

Lelièvre, 192. 

Léon r Africain, 58. 

Leprieur, 166, 168. 

Lezongar, 65. 

Libéria, 318. 

Linois (comte de), 18. 

Livingstone, 120. 

Logo, 278. 

Londres, 61, 62. 

LopeZ'Gonzaloes (cap de), 2. 

Lorient, 17, 50. 

Lo9 (fies de), 1. 

Louisiane, 176. 

Louis-Philippe, 319. 



Mac-Carthy, 7, 45, 55, 56, 60, 62. 

Mackau (de), livre I, chap. V, passim^ 
101, 152. 

Madagascar, 17. 

Makama, 216, 329, 352, 353. 

Malavoix, 297, 318. 

Malouine (la), 308-309. 

Mandingue, 57, 59, 220, 221, 303 

Marie^Galanle, 183. 

MarseiUe, 182, 210, 269, 308. 

Martinique, 63, 117, 138, 144, 161, 
229, 264, 280, 281. 

Maryland, 283. 

Masson, 155. 

Massuba, 2. 

Maures, 3, 4, 12, 14, 27, 32, 33, 64, 
69, 79, 84, 90, 92, 98, 97, 121, 204, 
205, 207, 209, 242, 249, 257, 258, 
260, 263, 264, 266, 275, 305, 319, 
325, 326, 337, 389, 353, 361. 

Mauritanie, 12, 56, 247, 279, 802 852. 

M' Bel (marigot de), 193. 

Af'Bito, 193. 

Midine, 248, 296, 297, 301, 352, 353. 

Méduse (la), 18, 38, 58. 

Melay (Peureux de) 50, 53, 60, 66, 68, 
livre I, chap. IV, passim, 88, 92, 96. 

Merinaghen, 285, 800, 325, 337.. 340, 
352. 

Mester Gomélis, 18. 

Mestro, 336. 

Mexique, 183. 

MocUr, 209» 316. 



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INMX AWBMéZIQra DS9 Nim» SROmM- 



371 



MocUr Sldi, 327. 
MoliMame<l-«|.H«blb» 315, 317, 322, 

328. 
Mole, 61, 72. 
MoUton, 58-60. 
Mongin, 142. 

Montugniès de la Roqua, 267, 279, 313. 
Monieillet, 188, 289, 307. 
Montgery» 107. 
Monii (rivière), 310. 
Moreau de Jonnis, 2. 
Morel, 156. 
Morenas, 51. 
Mort il (Ile à), 70. 
Morfil (rivière au), 70, 71. 
Muage-Park, 58, 60. 

N 

Nalou, 307. 
NanUs, 312. 
Nftiacon, 12. 
N'Dar Tout, 352. 
Négro (cap), 2. 
New-Times, 213. 
N'ghiao, 153. 
Niger, 56, 59, 301. 
Nigritie; 325. 
NU, 45, 46. 
N'Hagar, 146, 187. 



Olivier, 248. 

Orléans (duc d*), 225. 

Oualo, 4, 19, 44, 69-73, 76,80-84, 88, 
90-93, 95-99, 102, 127, 130, 163, 
166, 170, 178, 186, 190, 192-194, 
198, 207-209,212, 217, 223, 224, 
240-242,249, 256, 259, 263, 276, 
280, 281, 300, 301, 317-319, 321, 
322, 324, 325, 328, 329, 345, 349, 
352, 354. 355, 358, 360. 

Ouolof, 4, 196, 321. 



Pageot des Noutières 269, 27 1. 
Palmerston (lord) 320. 
Palmes (cap des) 8, 310. 
ParUefoul (ou Guiers lac) 82, 92, 193, 

300. 
Para, 281. 
Patterson, 278. 
Pellegrin, 91, 92, 192. 
Pellcgrin (Charles), 138. 



PelleUn, 240. 

Perrotet, 135, 196, 139,150, 1«5^ 178, 

180, 183, 189, 242, 245. 
Petit^harles (Le), 211. 
Petite Côte, 12. 
Peul, 4, 33, 52, 68, 69, 83, 84, 94, 95, 

97, 102, 315, 322, 323, 327, 337, 

352, 357. 
Philibert (capiUine), 50, 136. 
Picard, 76. 

Plagne, 136, 164, 188, 178-180. 
Podor, 1, 5, 12, 34, 39, 40, 41, 48, 53 

58,68, 78, 79, 82, 95, 329, 340, 342, 

346, 347, 349, 352, 359. 
Poivre, 166. 
Pologne, 319. 
PorUl, XV, 11, 18, 20, 21, 29^ 39, 46, 

62, 65, 66, 72, 75, 90, 96, 97, 100, 

101, 115, 116, 118. 
Portendik, 1, 3, 4, 5, 12, 26, 56, 84, 

91, 106, 207, 259, 302, 304-306, 

319-321, 326, 352. 
Portudal, 1, 5, 64. 
Portugal, 1, 222, 298, 319. 
PostlUon (brick le), 51, 53. 
PoUn, 55, 65, 76, 216, 278, 300. 
Protêt, 289, 290, 294, 343,345-350, 

356. 
Pujol, 260, 261, 264, 297-332. 



Quémel, 259-261, 318. 
Quouachi, 309. 



Racaud (Auguste), 140. 

Raffenel, 237, 238. 269. 278. 

Reffo (île de) 48, 50. 72, 82, 83, 98. 

Régis, 308. 

Renault de Saint-Germain, 277, 282- 
284, 303, 316-318. 

Repentigny (de), 219. 

Restoui, 148, 323. 

Reverdit, 326. 

Rey (explorateur), 278, 284, 294. 

Rey, 288. 

Richard, 128-130, 136, 139, 145, 153- 
157, 161, 171, 183, 186, 192, 200, 
245. 

Richard Toi, 129, 130, 136, 138, 141, 
145, 149, 150, 153-156, 160-162, 166, 
167, 169, 171, 173, 182, 186, 189, 
194, 232, 243-245, 280, 284-286, 
318, 322, 325, 328, 340, 345, 352. 



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372 



INDEX ALPHàb6tIQUB DBS NÔ1C8 PROPRBS 



Richelieu, 115. 

BiO'Nunez, 298, 306-308, 348, 353, 

354. 
BiO'Pougo, 308, 353, 354. 
Rivières du Sud, 13. 
Rochefoti, 175. 
Roger (baron), XI, 110, série II, pts- 

sim, 253. 277, 291, 314, 322, 350, 

356. 
Roger (capitaine), 299. 
Roger (Victor), 192, 195. 
Rolland, 288. 
Romain Desfossés, 336. 
Rouen, 288. 

Rousseau (J. -Jacques), 121. 
Rousseau, 288. 
Roussin (baron), 143. 
Rufiêque, 1, 5. 



Sabran(M*«de), 10. 
Saintê'CroiX'de-Ténérifte, 143. 
Saint'penis, 169. 
Saini-\Domingue, 6, 39, 134, 183. 
Saint-Hilaire (Auguste), 162. 
Saint-^ean (rivière), 4, 304. 
Saint-Joseph (fort), 12, 13, 41, 59, 218. 
Saint-Joseph (congrégation des sœurs 

de), 117, 126. 
SainULouis, passim. 
Sainte-Marie de Balhural, 1, 31, 32, 

55, 105, 221, 298, 303, 305. 
Sainte'Marie de Madagascar, 321. 
Saint-Paul de Loanda, 2. 
Saint-Philippe de Benguela, 2. 
Saldé, 94, 315. 
Saloum, 1, 5, 12, 26, 106, 127, 219, 

220, 283, 285, 302, 305, 353. 
Samba Congol, 33. 
Sarrazin, 279. 
Sauvigny, 135, 215, 220. 
Savannah, 155. 
Schmaltz (colonel), XI, Introduction, 

livre I passim, 152, 155, 159, 177, 

184, 185, 190, 238, 243, 247. 253, 

314, 317, 350. 360. 
Schoelcher (Victor), 327, 334. 
Schwartz, 137. 

Sedhiou, 298, 299, 301, 337, 340, 353. 
Ségou, 57, 60, 61. 
Seine, 232. 
Simarang, 17. 

Sénégambie, 127, 223, 338. 
Sénoudébou, 278, 301, 340, 352, 353. 



Sèze(de), 118. 

SierrO'Leone, 1, 2, 8, 12, 30, 38, 45, 

55, 56, 106, 161, 213, 214, 284, 

303, 304, 320, 338. 
Soninké, 299. 
Sor (lie de), 193, 286, 352. 
Solteville-leS' Rouen, 189. 
Soudan, 218, 355, 362. 
Sourabaga, 17, 18. 



Talleyrand, 2. 

Tanguy (abbé), 287. 

Taouey (marigot de la.), 192, 193, 360 

Thierry, 178 

Thiong (tle de), 38. 

Thomas, 137. 

Thomas (gouverneur), 272. 

Todde (île de), 48, 50, 65, 68, 70, 72, . 
82, 83, 98, 193. 

Tombouclou, 218. 

Toro, 70, 73, 76, 80, 84, 87, 103, 148, 
323, 327. 

Toucouleur, 327, 346. 

Trarza, 3, 27, 32, 33, 56, 69. 70-73, 
84, 90-92, 95, 97, 102, 103, 110, 145, 
196,207-209, 223, 247, 249, 256, 
258-260,263, 274, 300, 301, 315- 
322, 328, 329, 345, 352, 357 

Trois- Pointes (cap des), 2. 

Tulgrin (cap), 2 



Valentin, 76, 248. 

Van den Bosch (gouverneur), 16. 

ViUèle, 115, 116. 



w 



Wouacha, 309. 



Yalmalqui, 95. 
Youssouf, 33 



Zlegler, 178, 282, 285. 
Ziguinchor, 222. 



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TABLE DES MATIÈRES 



AVAMT'PROPOS ^ IX 

BIBLIOGRAPHIE XV 

INTRODUCTION — Le Sénégal ra 1817 1 

I. — Les limites de la colonie .' 1 

II. — La valeur de la colonie 5 

III. — La situation économique et morale du Sénégal en 1817. 8 

IV. — Les intentions de la Métropole , . . . ^I 

V. — La personne du colonel Schmaltz . , , 16 



LIVRE PREMIER 
Le plan de colonieatloii 

(1817-1822) 

CHAPITRE PREMIER. — Las débuts du colonel Sehmaltx : 

réteuehe du Plan de Colonisallon 25 

L — L'impatience du Ministère et les difficultés d'instal- 
lation 25 

IL — Le rétablissement des courants commerciaux 30 

III. — Un programme d'exploitation agricole 35 

IV. — Un supplément d'enquête : la mission Brédif 40 

CHAPITRE II. — L'Intérim de Flenrlan et la mise au point du 

Plan de Colonisation 43 

L — Un intérimaire fidèle 45 

IL — Premiers déboires 45 

IIL — La victoire de Schmaltz : l'adoption du Plan de Coloni- 
sation 47 

IV. — La première expédition : la mission de Mélay en pays 

de Galam 50 

V. — La lutte contre les entreprises anglaises 54 

VL — Un essai d'impulsion économique 64 



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374 TABLE DES MATIÈRES 

CHAPITRE III. — Le retour du eolonel Sehmaltz et la mise en 

trmin du nan de Colonisation < 67 

I. — Sur la voie des réalisations : le voyage de Sehmaltz en 

rivière 68 

IL — Un changement de programme 70 

III. — Les lenteurs du Ministère et l'inquiétude de Sehmaltz. 72 

CHAPITRE IV. — Le Rapport de Mélay et la rMuetton du Plan 

de Colonisation 75 

L — Le désaccord entre Sehmaltz. et De Mâay 75 

IL — Les conclusions du Ministre 78 

III. — La défense de Sehmaltz 80 

IV. — La décision du Ministre 85 



CHAPITRE V. — La mission de^Maekau et le Rapypel du Colonel 

Sehmaltx 87 

L — Contre mauvaise fortune bon cœur 87 

IL — Une mauvaise presse 88 

III. — La guerre des Trarza 90 

IV. — La mission de Mackau 92 

V. — Une série d'échecs 94 

VI. — Le rapport de Mackau : nouvelle réduction du Plan 

de Canonisation : 96 

VIL — Le rappel de Sehmaltz 99 

CHAPITRE VI. — La liquidation de l'osime de Selmuiltx 101 

I. — Le bUan 101 

IL — Les embarras de Tinactlon 105 

III. — Le mécontentement du Ministère 107 



LIVRE II 



Le développemeiit dea culttiMa (1832-1831) 

CHAPITRE PREMIER. — Une Renaissance économltua 115 

L — Le nouveau programme du Ministère 115 

IL — La personne du Gouverneur Roger 1 17 

III. — Le rétablissement de la confiance 124 



CHAPITRB IL — LapataoMnl t^dmifoe el la ouda^'^OMvm ... 128 

I. — Le Jardinier Richard 128 

IL :— Le personnel de direction 130 

III. : — Les Jardiniers-agriculteurs du Goaveniemefrtr ....... 132 



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TABLfi DB8 lIATfèRttS 375 

IV. — Lee spéoialiBtes 134 

V. — Les «uxiltaires 138 

VI. — La main-d'œuvre 143 

CHAPITRE m. — Les Recherohei taehnlqnet 152 

I. — L'organisation des reoberobee 152 

IL — L'aeoiimaUUon des plantes européennes 156 

IIL — L'acolimatation des plantes tropicales exotiques 158 

JY. — La recherche des plantes utiles indigènes 162 

Y. — Recherches sur les opérations culturales 170 

VI. — Recher^ies sur les industries de tronsfcnnation 175 

VIL — Recherehes sur l'élevage 181 

CHAPITRE IV. — La Propagande agricole 185 

I. — Les Etablissements du Gouvernement 186 

IL -*- Les oonceesions agricoles 190 

IIL — L'encouragement des cultures 194 

*IV. — La vulgarisation agric^e 199 

CHANTRE V. — L'BxpasIon oommerelmle 203 

I. — Un legs du passé : la traite de la gomme 203 

IL — La protection du commerce fluvial : la politique exté- 
rieure du Gouverneur Roger • 207 

IIL — La recherche de produits nouveaux 209 

•IV. — L'extension des relations commerciales 215 

V. — Les institutions commerciales 224 

^CHAPITRE VI. — La liquidation de l'ouvre du Gouverneur Roger. 23 1 

L — La retraite de Roger 231 

IL — Les soupçons du Ministère 235 

IIL — L^enquéte 239 

IV. — La contre^enquéte 243 

V. L'abandon des cultures 245 

VI. Lasituation commerciale ...;... 246 



LIVRE m 



Le Sénégal aimple comptoir (1S31-1854) 

tSIAPITRB PREHtER. — La Fièvre de la Gomme 253 

L — La libre concurrence et ses dangers 256 

IL — Tentatives interventionnistes 257 

IIL — Hésitations entre deux principes : libre concurrence 

ou réglementation 262 



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376 TABLE DBS MATIÈRES 

IV. — L'Association privilégiée 266 

V. — Un essai de moralisation commerciale : la corporation 

des traitants , 268 

VI. — Vers la liberté commerciale 274 

CHAPITRE II. — L'Alimentation du commerce 277 

I. — Les produits d'extraction 277 

IL — Les pêcheries 279 

III. — Les produits d'élevage 281 

IV. — Les produits de culture : les derniers essais de natura- 

lisation €ft la fin des entreprises d'Etat 282 

V. — Le développement des cultures indigènes 285 

VI. — Les oléagineux : l'arachide • 287 

CHAPITRE m. — L'extension du Champ commercial 291 

I. — Le commerce du Haut-Fleuve : la Compagnie privilégiée 291 

IL — Les comptoirs de la Compagnie 295 

III. — Le commerce de la Gambie et du Sine-Saloum 302 

IV. — Le Rio-Nunez 306 

V. — Les Comptoirs du Golfe de Guinée 308 

CHAPITRE IV. — La protection du Champ commercial 314 

L — Les résultats de la politique de traités 315 

IL — La guerre du Oualo 317 

III. — Les troubles du Fouta : 322 

IV. — L'annonce d'une politique ferme : une Direction des 

Affaires extérieures au Sénégal 323 

V. — Un pas en arrière : 1848 .326 

CHAPITRE V. — Le malaise du Sénégal : U Commission de 1860 . 331 

I. — La faillite du comptoir sénégalais 331 

IL — La Commission interministérielle de 1850 : le problème 

sénégalais 336 

III. — Les solutions proposées • 338 

CHAPITRE VI. — Une poUtIque houveUe : la Ubératlon du Séné- 
gal 343 

I. — L'affranchissement du commerce fluvial 343 

IL — Le rétablissement de la sécurité extérieure 345 

III. — La concentration des efforts d'expansion 347 

IV. — Le progrès des institutions économiques 349 

C<»(CLUSION. — Le Sénégal en 1854 351 

L — Le domaine territorial et les zones d'influence 351 

IL — L'exploitation des ressources 353 

III. — La part de l'échec et du succès : les responsabilités . . 356 

IV. — Le problème sénégalais en 1854 359 

INDEX alphabétique des noms propres 367 

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