2321
A7
1875
1
mil i
582
_-
B«*e.«.« PATIGN V
NAGE
BHUXKDLK8
L'AMOUR
EN SABOTS
COMÉDIE-VAUDEVILLE
Représente pour la première fois, à Paris, sur le théâtre .les Virné-rés,
le 3 avril 1861.
> Sa* da Eép
BRUXELL
L ' A M 0 U R
EN SABOTS
COMÉDIE-VAUDEVILLE EN UN ACTE
E. LABICHE ET A. DELACOUR
NOUVELLE EDITION
*
m • l m
^&
PARIS
MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS
BUE AUBER, 3, PLACE DE L'OFEHA
LIBRAIRIE NOUVELLE
BOULEVARD DES ITALIE.\S, 15, iO COI.N DE 1A BOK DE GUUHOM
1875
Droit» ,1.- reproduction, de tradnctioo et de représentation réserve*
PERSONNAGES
LEGALOU X , domestique. . .
PIGEONNIER, notaire . . .
BOl'SSERONDE, pharmacien .
LA BIRETTE, domestique . .
HO R TE N SE, femme de Bousseronde.
Pa y s ANS ft Pays \ nm
MM. Ko pp.
c h . b i. 0 n d p. i. f. t .
Heczey,
Mlle- Alphonsine.
G A BR1EI. I. F..
La scène seWiî*te à I^>Palis9e7 hivernais),
(t«Ejpz Pi^e'minierD"'
L-flB -v' -D
La* in dirai - ^..nt prise» <ln la gauche .1 i spectateur. — Les perannnas
insrrili en lAte dei icenes liane l'ordre qu'il» ncriipent an thi'-ètre. Lea changements
■ ivnis en l>ai ilea pages.
L'AMOUR EN SABOTS
Le théâtre «présente „„e ét„de de notaire de campagne. Porte d'entrée au
fo»d, donna,,, Bnr ,me place de vi||age> _ CartonnierS) ^^ ^ ^^
d .mmeub.es . — Porte à gauche; c'est celle de l'appartement de Pigeon
mer. -A droite, porte de la cuisine. _ Un bureau à gauche, arec des
carton*, hvres, papier, encrier et un buffet au fond, à ganohe. - [ ne table
sur le devant, à droite. - Chaises, etc.
SCÈNE PREMIÈRE
BOUSSERONDE, HORTENSE, P„is PIGEONNIER.
BOUSSERONDE, entrant par le fond, avec sa femme. Il tient des bottes de
dragées sous un bras et un gros melon sous l'autre
liens! personne dans son étude ! (Appelant.) Pigeonnier ' Pi
geonnier «... c'est moi... le parrain ' ' «geonniei . Fi-
Prmf I 7fGEr°XN1 ER' eatrant Par ,a Prtlte * S™*» •.
•-nut !. . . Ma iemme est souffrante.
n , , . BOCSSERONDE.
liali ! vraiment?
n . i ,. i BORTENSE.
Qua-t-elle donc ?
rl, ... PIGEONNIER.
Elle a dégringolé hier soir dans l'escalier. Le médecin an
cette nuit, il a recommande de ne pas taire de bruit
v, . . HORTENSE, à Bousseronde.
Ht vous qui criez comme dans un moulin' PW trô,
commun ! un pharmacien doit tenir son ra™ ".'.*"
D PIGEONNIER.
Rassurez-vous... elle ne s'est pas réveillée Elle i m, roU*
nuit le sommeil a^ité elle riWait „,, ■ cette
mar (kuJ Y\vn 1Mdlt'V UIle espèce de cauche-
uidi... (a Bousseronde. Elle prononçait votre nom ' File HknH •
« Bousseronde ! ah ! Bousseronde !» * '
* Bousseronde, Pigeonnier, Hortense.
2 L'AMOUR EN SABOTS
BOUSSERONDE, a part.
L'imprudente !
MORTE NSI .
Alors le baptême de votre neveu esl remis ?
P I G F. 0 N X 1ER.
Du tout. Seulement ma femme n'y assistera pas... Elle
vous piie de vouloir bien la remplacer... de servir de mar-
raine, par procuration, à l'enfant de ma sœur...
BOUSSERONDE.
Avcz-vous reçu de ses nouvelles ?
PIGEONNIER.
Oui... elle est arrivée à Alger... auprès de son mari... et
elle nous a écrit de presser le baptême, (a Borteose.) Aussi, j'ai
compté sur vous.
HORTENSE.
Volontiers.
BOUSSERONDE.
Voici les dragées... (offrant son melon.] Et le cadeau d'usage.
11 le pose sur le bureau.
PIGEONNIER, prenant les boites de dragées.
Un melon!... Oh ! vous êtes mille fois trop bon!... (portant
les boites sur le buffet.) Je vais les poser là, en attendant... car je
n'ai plus de domestiques... Les miens m'ont quitté ce ma-
tin.
RORTENSE.
Comme les nôtres... Us sont partis au petit jour... mais
c'est aujourd'hui la Saint-Jean.
BOUSSERONDE.
Oui... la loue. . comme on dit dans le pays... le marché
aux domestiques... et nous allons en arrêter deux autre-.
PIGEON X i I. R .
Cela vous sera facile... c'est dans mon étude que se signent
les marchés.
BOUSSERONDE.
Je le sais bien.
i- 1 1 ; e o n x i e R .
En ma qualité de notaire, c'est moi qui lais les rouirais...
J'ai passé ma matinée a les préparer... C'est un revenu...
deiu francs par acte... g mtre.) Neuf heures ! Vous
aile/ les voir arriver. ..
nm vm RON DE.
Les hommes avec une branche de pin au chapeau.
IlOli I I N - I .
Kl les femmes une branche de houx au corsage... C'esl
gentil !
SCENE DEUXIEME •'*
BOUSSERONDE.
C'est pittoresque !
PIGEONNIER.
Aussitôt après la loue, nous irons faire baptiser le petit..
HORTENSE.
C'est convenu...
On entend une cloche.
P1GEONN1 ER.
Et tenez, les entendez-vous qui arrivent ?... Allons leur
ouvrir la porte.
Il va ouvrir la porte du fond. La foule entre, composée de paysans et
de paysannes avec leurs brandies de pin ou de houx, et de quelques
bourgeois et bourgeoises.
SCÈNE II
Les Mêmes, Paysans, Paysannes.
CHOEUR.
Air de Mangeant {Honneur ù ce riche seigneur).
Allons !
Entrons !
Allons, fill's ou garçons !
Voyez !
Parlez !
Prenez
Et choisissez !. ..
Piieonnier est allé s'asseoir à son bureau. — Aussitôt des paysans et des pay-
sannes y vout signer leurs contrats, pendant que les autres vont et vien-
nent en s'olîrant aux bourgeois.
UN F E B M 1 F. R , à Pigeonnier* .
Bonjour, maître Pigeonnier !
PIGEONNIER.
Uonjour, Landry !
LE PREMIER PAYSAN, au fermier.
Un garçon de ferme... not' maître ?
LE FERMIER.
Que qu' tu gagnes ?
PREMIER PAYSAN.
Vingt écus, notre maître.
LE FERMIER, lui tournant le dos.
Allons donc ! ( a une paysanne. ) Et toi, la petiote ?
11 lui prend la menton.
Pigeonnier, Bousseronde, Hortense.
4 L'AMOUR EN SABOTS
LA PAYSANNE.
Ah ! dites donc ! c'est pas dans le marché.
PIGEONNIER, à an paysan < j n i vient 3e Bignr sou contrat.
C'est deux francs.
Le paysan paye.
DEUXIÈME PAYSAN, très- gros, à Bousseroode, qui va et vient en les
examinant tous.
Queuque chose de solide, not' maître ?
HORTENSE, à Bousseroude.
Ah ! le bel homme !
BOUSSERONDE, tournant le dos au paysan.
Merci! ( a Bortense. ) Il doit manger comme quatre.
PIGEONNIER, à une. paysanne qui vient de signer.
C'est deux francs.
LA PAYSANNE.
Deux francs?... L'année dernière, c'étions que trente-cinq
sous.
PIGEONNIER.
L'encre estaugmentée. Voyons, dépêchons !
La paysanne paye.
BOl'SSERONDE, à une paysanne.
Sais-tu faire le beurre, la rougeaude ?
D E UX I È .M E PAYSANNE.
J' crois bien... et soigner les bêtes... à vot' service...
BOL'SSERONDE, apercevant un paysan très-maigre, à part.
Oh! en voilà un qui ne doit pas manger beaucoup...
(L'appelant.) Approche ici, toi... Combien gagnes-tu ?
TROISIÈME PAYSAN.
Vingt écus.
BOUSSERONDE.
Je t'arrête... (\ la deuxième paysanne.) Toi aussi.
H II \ LE M F. PAYSANNE.
Vous serez content, not' maître....
BOL'SSERONDE, allant un bureau.
Pigeonnier, préparez-nous ça...
HORTENSE aux domestiques.
Vous viendrez ce soir.
BOUSSERON DE.
Vous demanderez monsieur Bousseronde.. .
TROIS! i. M I. PAYSAN.
Oh ! je vous connaissions bien... vous êtes l'apothicaire...
mu SSERON DE, vexé.
Pharmacien !
DEUS 1 i H E PAYSA N NE.
• l'est vous qu'avions soigué mon âne.
SCÈNE TROISIÈME
HOBTENSE, vexée.
('/est bon !
BODSSERONDE, qnl g signé* dounant la plume à la paysanne.
Sais-tu signer ?
DEUXIÈME PAYSANNE.
J'fais mu croix.
Elle signe.
110 HT EN SE, au paysan.
A toi !
TROISIÈME PAYSAN, qui a pris la plume.
oh ! j'ons fait un pâté...
11 si'-'IlT.
PIGEONNIER] se levant, et remettant le papier à Bousseronde.
C'est égal... c'est bon tout de même...
B01 SSEB0NDE .
Voilà vos deux francs...
PIGEONNIER, refusant.
Je n'accepte pas... vous m'avez donné un melon!
BOU SSE BON DE, passant à droite, suivi de Pigeonnier.
Ça ne fait rien...
PIGEON N I E R , regardant tendrement Hortense *.
Il y a des personnes qu'on ne fait pas payer.
HOBTENSE, bas à Pigeonnier.
Taisez-vous !
Bruit de sonnette .
PIGEONNIER .
Ah! ma femme qui se j'éveille !
HOBTENSE.
Nous allons lavoir !
B O V S S E B O N I) E , prenant son melon .
Et lui faire notre petit cadeau
PIGEON N 1 EH, les conduisant à la porte de gauche.
(l'est ça... allez...
Ils entrent à gauche. La loue- continue.
SCÈNE III
PIGEONNIER, Paysans, Paysannes,
puis LA BIRETTE.
PIGEONNIER.
Maintenant, songeons un peu à moi...
Il se met à examiner les paysans et les paysannes.
* Hortense, Pigeonnier, Bonsseronde.
6 L'AMOUR EN SABOTS
LE GROS PAYSAN, se proposant.
Quéque chose de solide, not' maître?...
PIGEONNIER, lui ta tant le Lias.
Sais-tu écrire?
LE PAYSAN.
Pas encore. .. je suis trop jeune !
Il rit.
PIGEONNIER.
Alors, tile!
Bruit an fond.
PLUSIEURS VOIX,
Ne poussez donc pas!... Tiens! c'est La Birette!
La Birette entre par le fond.
PIGEON NIER, à part \
Pristi ! voilà une belle gaillarde!
LA BIRETTE, à Pigeonnier.
C'est ici qu'on se loue?
PIGEONNIER.
Oui, ma lille.
LA BIRETTE.
C'est-y vous qu'êtes le monsieur qui griffonne les pa-
piers?
PIGEONNIER .
Oui, je suis le notaire... et j'ai justement besoin d'une
cuisinière... sais-tu écrire?
LA BIRETTE.
Très-bien ! Papa était arpenteur!
PIGEON NI I.R.
Ça suffit, (a part.) Au besoin, j'en ferai un petit clerc !
Baut.) Pourquoi as-tu quitté ton ancien maître?
LA BIRETTE.
J'vas vous dire... j'étions en service avec un âne rouge...
PIGEONNIER.
Avec un âne rouge?
LA BIRETTE .
Mais non! un gars mal peigné, bête et lourd, qui ne m'a
pas fait tant seulement un compliment dans toute l'année.
PIGEONNIER .
Ah ! bien... un rustaud...
LA BIRETTE.
Un pataud '. Nous n'étions jamais d'accord... Chez le fer-
' r Grivet, où nous étions, on nous donnait à tous les re-
pas des chous cl du lard... et lui, il voulait toujours manger
• Pigeonnier, I a Birette,
SCÈNE TROISIÈME 7
le lard, el me Laisser les choux... Alors, comme je l'aime
aussi le lard, nous nous tapions... J'avais queuquefois le
de sus... et queuquefois le dessous... quand y me prenait en
traître... ce qui fail que je m'ai «lit : « Via. la loue... je tile;
je ne veux pas moisir avec ce gars-là... » Et me v'ià.
PIGEONNIER.
Et tev'là!...
LA BIRETTE.
Air nouveau de M. J. Xargkot.
Oui-dà! [bis.)
Me v'Ià !
C'est La Birette qu'on me nomme,
J'aurons «ringt ans aux haricots ;
J' puis dir' que j' n'ai pas peur d'un homme,
Je tape dru... je mange gros.
Remerciant Dieu d' m'avoir l'ait naitre,
Je n'engendre point le chagrin,
Et j' me vantions de mieux connaître
L' boulanger que le médecin.
Tout comme une autr', les jours de fête,
J'aimions à danser... mais faut pas
Qu'un garçon vaniteux m'embête...
Avec un geste Je main.
Ou ben j' te le Emettions au pas.
C'est comm' ça ! \
Mais, oui-dà,' j
La Birette, la voilà ! , (bis.)
C'est comm' ça ! i
La voilà !
Pigeonniei passe à droite, en examinau t La Birette.
PIGEONNIER, à part. *
Bien établie!... et elle a des mœurs ! (Haut.) Combien veux-
tu gagner ?
LA BIRETTE.
Quoi que vous donnez?...
PIGEONNIER.
Vingt-cinq écus !
LA BIRETTE.
Vingt-cinq écus... une tille bâtie comme ça... qu'aura vingt
ans aux haricots?... Mettez-en trente...
PIGEONNIER.
Non... vingt-huit...
LA BIRETTE.
Allez.. . barbouillez vot' papier tout de même.
Pigeonuier va à sou lnireau.
F. a Birette. Pigeonnier,
8 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER, lui donnant vingt sou *s.
Tiens, voilà pour les arrhes...
LA B1RETTE.
Un franc!... C'est trois francs d'usage.
PIGEONNIER.
Eh hien! un franc que je te donne... et deux que je re-
tiens...
LA BIRETTE.
Pourquoi que vous retenez?...
PIGEONNIER.
Pour i'acte!... mes honoraires!
LA BIRETTE.
Ail I A paît.) 11 est Chien... ( Au moment de signer.) Y a-t-il UU
dédit?'
PIGEONNIER.
En dédit de quarante écus... des deux parts... Allons,
signe... (Elle signe.) Va chercher ton paquet... et reviens tout
de suite.. .
LA BIRETTE.
Oui, not' niaitro... (a part.) Oh! il est clr'en!...
PIGEONNIER, se levant.
Allons, plus de contrats à signer... mes amis, à ce soir, à
l'assemblée !
E N S E M 15 L E .
Air de Ma Nièce et mon Ours.
PAYSANS, PAYSANNES, LA BIRETTE.
A nos engagements,
Songeons bien à rester fidèles ;
De nos places nouvelles,
Puissions-nous être tons contents.
PIGEONNIER, MAITRES et MAITRESSES.
A vos engagements.
Songez bien à rester fidèles ;
I >e \ us places nouvelles,
Puissiez-vous être tous contents.
Tout le monde sort par le fond, excepté Pigeonnier, qui ferme la porte
api i - l 'm ortie* •
SCÈNE IV
PIGEOUNIEK, puis LEGALOUX.
PIGEONNIER, revenant i Bon bureau et rangeant nn argent.
Ah! c'est fini!... Je suis content de mon acquisition: une
nuior, I a Bii
SCÈNE QUATRIÈME 9
gaillarde d'aplomb... une rude fille... Avec tout ça, il me
manque un domestique maie... Oh ! je trouverai ça ce soir à
l'assemblée. (On trappe à la forte du fond, et, sans se lever.) Entrez !
L KG A LOUX, entraut par le fond *.
La loue, s'il vous pi ait?
PIGEONNIER.
Vous venez trop tard !
LEGALOUX.
Elle est finite? Nom d'un nom!
PIGEONNIER.
Il fallait vous lever plus tôt!
LEGALOUX,
C'est pas ma faute... c'est les corbeaux!... Oh! les gueux
de corbeaux!
PIGEONNIER.
Quoi ! les corbeaux?
LEGALOUX.
Figurez-vous que j'ons parti ce matin à quatre heures
pour arriver le premier... mais v'ià qu'en débouchant de la
taille au Grand-Bossu, j'apercevons trois corbeaux qui pico-
tions dans un champ à'aveine.
PIGEONNIER.
Eh bien?
LEGALOUX.
Tout le monde sait qu'il ne faut jamais passer devant trois
corbeaux... ça porte malheur, c'est de la tristesse !
PIGEONNIER, de bonne foi.
Je l'ai entendu dire... mais je ne l'ai jamais expérimenté...
Eh bien, qu'as-tu fait ?
LEGALOUX.
Je m'ai assis en attendant qu'ils partent ou qu'il en vienne
un quatrième... parce que quatre, ça porte bonheur, c'est
de la richesse...
PIGEONNIER.
Tout le monde sait ça !
LEGALOUX.
Pour lors, au bout d'une heure, quand j'ai vu qu'ils ne
voulions pas s'envoler... je m'ai levé...
PIGEONNIER.
Et tu as frappé dans tes mains pour les faire partir ?
LEGALOUX.
Oh! non!... Ah ! sapredié ! j'avons pas pensé à ça!
* Pigeonnier, Legaloux.
10 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER.
C'est pourtant bien simple... avec un peu de présence d'es-
prit...
LEGALOUX.
J'avons rebrous«é cbèmin tout doucement, tout douce-
ment, et j'avons été faire un grand détour d'une lieue... v'ià
pourquoi ça m'a retardé !
PIGEONNIER, l'examinant à part, en se levant.
C'est une brute!... mais il a l'air solide... (Haut, et lui tstant
les bras.) Es-tu fort ? 11 passe à droite en le regardant.
LEGALOUX *.
Je monte mon sac au grenier... Est-ce que vous voulez
de nié ?
PIGEONNIER.
Sais- tu écrire ?
LEGALOUX.
Ob! oui. . . ça ne m'embarrassions pas...
PIGEONNIER, à part.
Ça me fera un clerc de recbange. (Haut.) Et pourquoi as-tu
quitté ta place ?...
LEGALOUX.
Ab! voilà... J'étions en service avec une bourrique...
PIGEONNIER.
Comment ?
LEGALOUX.
Oui... une iille bargneuse... Elle me licbait des coups à la
journée...
PIGEONNIER.
Et tu te laissais battre, toi, un homme qui monte son
sac ?
LEGALOUX.
Dame, elle montait le sien aussi... sans souiller, et puis,
elle était rageuse... et elle vous avait des ongles !... tandis
que moi je ronge les miens... C'est une gourmandise de
naissance.
PIGEONNIER.
Voyons! veux-tu quinze écus?
LEGA LOI X.
Quinze écus ! le prix d'un veau !.. J'en demandions trente.
PIGEON N 1ER.
J'en demandions! j'en demandions ! Il fallait arriver ce
malin, tu les aurais peut-être trouvés... moi, si je te prends,
c'est pour t'obliger...
I égalons, Pigeonnier.
SCENE QUATRIÈME II
LEGALOUX.
Vous êtes bien honnête. .. mais quinze écus...
PIGEON NIER.
Allons, mettons dix-huit.. .
11 va son lnireau.
LEGALOUX *.
Dix-huit écus! un homme qui monte son sac! Guerdins
de corbeaux !
PIGEONNIER, lui présentant un papier.
Tiens, signe !
LEGALOUX.
Voilà !... Et les arrhes?... C'est trois francs.
PIGEONNIER.
Je les garde pour l'acte et mes honoraires.
LEGALOUX.
Mais, d'usage, ce n'est que deux francs, vot' papier.
PIGEONNIER.
Le matin ; mais à la lumière c'est plus cher !
LEGALOUX.
Mais puisque vous n'avez pas allumé?
PIGEONNIER.
Est-il bête, puisqu'il fait encore jour !
L E G A LO UX9 convaincu .
Ah ! c'est juste ! n signe.
PIGEONNIER, à part, prenant le papier.
J'ai stipulé un dédit de quarante écus... (Haut, et se levant.) Tu
t'appelles... (Essayant de déchiffrer la signature.) Lega... Lega...
LEGALOUX.
Legaloux...
PIGEONNIER .
Ah ! je n'aime pas ce nom-là !.. Eniin... ùte tes sabots et
ne fais pas de bruit... ma femme est indisposée...
LEGALOUX, ôtant ses sabots.
Ah ! Quoi qu'elle a7
PIGEONNIER.
C'est une érosion du tibia... Tu comprends...
LEGALOUX.
Oui, oui, oui... je sais ce que c'est... C'est la bile!
PIGEONNIER.
Je monte la retrouver... Prends ce balai et balaie l'étude...
sans faire de poussière.
LE G A LO IX, prenant le balai au fond.
Oui, not' maître.
Pigeonnier, Legaloux.
12 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER, delà porte.
Sans faire de poussière!
Il sort p.:r la .'anche.
SCÈNE V
LEGALOUX, pui5 LA BIRETTE.
LEGALOIX.
Il veut que je balaie sans faire de poussière... (s'nppuyant
sur son balai.) Comment que j'allons m'y prendre?... Si je ne
balayions pas du tout?...(on frappe à la porte du tond.) Entrez!
LA BIRETTE, entrant avec sou paquet *.
Me v'iàj
LEGALOUX.
La Birette '.
LA BIRETTE.
Legaloux!
Elle pose sou paquet aur le buffet.
LEGALOUX.
Quoi que tu viens faire ici?
LA BIRETTE.
J' te cherche pas, c' qu'il y a de sur... J'avons quitté ma
plaie pour ne plus te voir, et je m'ons arrangé avec le no-
taire.
LEGALOIX.
Ah! nom d'un tambour, moi aussi!
LA BIRETTE.
('.uniment! t'es de la maison?
LEGALOIX.
A preuve que j'ai le balai!...
LA BIRETTE.
Eh bien, c'est du propre! Nous v'ià encore attachés un an
ensemble !
LEGALOUX, à part.
Que guignon! c'est les corbeaux ! Oh! les gueux de cor-
beaux !
LA BIRETTE.
Ah! mais, cette fois, tu ne mangeras pas tout le lard!
LEGALOUX.
Si, que je le mangerai!
LA BIRETTE, le an n
Toi, méchant carnassier?
* l.n Birotte, Legaloux,
SCENE SIXIEME 13
LEGALOUX.
Ne touche pas!
LA BIB ETTE.
Attends, je vas te faire ton affaire*!
Elle marche sur Lui.
LEG \LOUX, levant son balai.
A bas les ongles, ou je tape!
I.A BIRETTE, Baisissaot nu l.oMt dn balai.
Tape donc, gringalet!
LEGALOUX, tirant do son cote.
Veux tu lâcher ça! (Criant.) Veux-tu bien lâcher!
LA BIRETTE.
Non, t'auras ton compte! (Elle loi arrache le balai avec lequel elle le
frappe.) Tiens, tiens, méchant moigneau!
LEGALOUX, parant les coups et eriaut.
Oh! la, la! oh! la, la!
SCÈNE VI
Les Mêmes, PIGEONNIER, puis KOUSSERON DE,
puis HORTE.NSE.
PIGEONNIER, entrant vivement par la gauche *.
Quel vacarme!... Comment! ils se battent! Voulez-vous
bien iinir !
LA BIRETTE, à Pigeonnier.
C'est l'âne rouge!
Elle lui met le balai dans les mains.
LEGALOUX, de même.
C'est la bourrique... de chez le père Grivet...
PïGEONNIER.
Ah! diable!
LA BIRETTE, allant prendre son paquet.
Je restions pas ici, je voulions m'en aller.
LEGALOUX.
Moi itou.
PIGEONNIER.
Minute! minute! (a paît.) Une fille superbe!... un garçon
de dix-huit écus ! (Haut.) Payez-vous le dédit?
LA BIRETTE.
J'ons que vingt-sept sous...
LEGALOUX.
Et moi neuf...
* Legalous, Pigeonnier, La Birette.
14 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER.
J'en suis bien fâché, mais je vous garde... Battez-vous
disputez-vous, mais sans faire de bruit... vu que ma femme
est malade... et que mon neveu dort... (Apercevant Bousseronde
qui entre par la gauche.) Ail! voici le parrain...
La Birette et Legaloux le reconnaissent.
LÀ BIRETTE et LEGALOUX *.
Tiens !
BOUSSERONDE, les voyant.
Oh! (a. part.) Qu'est-ce qu'ils font ici, ceux-là?
LA BIRETTE, le saluant.
Bonjour, monsieur!...
LEGALOUX, le saluant.
Et l'état de votre santé?
PIGEONNIER, qui a posé le balai.
Vous connaissez mes nouveaux domestiques?
BOL'SSE RONDE, passant prés Je La Birette **.
Ah! ce sont?... Oui, je les ai vus quelquefois...
LA BIRETTE.
Je crois bien! monsieur venait tous les jours à la ferme ..
boire du lait...
LEGALOUX.
Avec sa femme... même qu'il la poursuivait dans tous les
coins. . .
BOUSSERONDE, très-contrarié.
C'est bien, c'est bien! (a pigeonnier.) Partons-nous?
PIGEONNIER.
Dès que votre femme sera là.
LA B1B I. Tir. , à Bousseronde.
Et elle va bien, madame votre épouse?
BOUSSERONDE, cherchant à la faire taire.
Très-bien ! très-bien !
PIGEONNIER, voyant entrer Hortense par ia gauche.
Ah ! la voilà !
LA BIRETTE et LEGALOUX, étonnés ***.
.Vil bail! gronde s'évertue à les faire taire.
1 i BIRETTE, à part.
Ce n'est pas celle-là!
LEGALOUX, à part.
Eh bien, et l'autre, c'était donc sa bonne amie?
Il étouffe un éclat de rire.
Bousseronde, Pigeonnier, La B'netto, Legaloux.
Pig inier, Bousseronde, La Birette, Legaloux.
'** Pigeonuier, Hortense, Bousseronde, Ln Birette, Legaloux.
SCÈNE SIXIÈME 15
LA. BIRETTE, donnant une poussée à Bousseronde.
Vieux farceur!., va !..
BOUSSERONDE, a part.
Ah! c'est ennuyeux !
HORTENSE.
Eh bien, qu'attendons-nous?
PIGEONNIER.
Nous partons... La Birette !
LA BIRETTE.
Not' maitre!
PIGEONNIER.
Va chercher le petit...
BOUSSERONDE, vivement.
Non!... pas elle!... (a pan.) Si elle reconnaissait sa femme,
tout serait perdu...
PIGEONNIER.
Pourquoi?
BOUSSERONDE.
Elle a des sabots... Le bruit...
PIGEONNIER.
C'est juste!... Legaloux va y aller... il a des chaussons!.. .
BOUSSERONDE, vivement.
Non, pas lui non plus!... 11 ne sait pas tenir les enfants...
LEGALOUX.
C'est vrai que les poupards...
BOUSSERONDE.
J'y vais moi-même. . .
H sort pat- la gauche.
PIGEONNIER, à La Birette et Legaloux, en leur indiquant la porte à droite .
Vous, entrez là... dans la cuisine... et mettez tout eu
ordre...
LA BIRETTE, son paquet à la main.
Oui, not' maître... (a Legaloux.) Marche donc, toi!
Elle le pousse.
LEGALOUX, se retournant.
Pourquoi que tu me flanques tes sabots dans les jambes?
LA BIRETTE, le poussant toujours.
Passe donc... animal!
Us entrent à droite en continuant à se disputer.
Hortense, Pigeonnier, Legaloux, La Birette.
16 . L'AMOUR EN SABOTS
SCÈNE VII
HORTENSE, PIGEONNIER, puis LEGALOUX.
PIGEONNIER.
Entin, nous sommes seuls... Hortense, les moments sont
précieux !...
11 lui prend la main et veut l'embrasser.
' HORTENSE, la retirant vivemeut.
Mon mari va revenir...
PIGEONNIER.
Ne craignez rien...
Air d'Yelva.
D'un cœur épris je vous offre l'hommage ;
Autour de nous tout se tait...
11 s'arrête, en entendant un grand bruit de vaisselle cassée.
Sapristi! qu'est-ce qu'ils font donc? (oiaot.) Voulez-vous
bien linir?
LEGALOUX, passant sa tète à la porte de droite*.
M'sieu ! . . . c'est elle qui m'a flanqué une gitle !
PIGEONNIER.
Eh bien, rends-la-lui sans rien casser...
LEGALOIX.
Bien, m'sieu.
11 disparait.
HORTENSE, à Pigeonnier.
Soyez prudent.
PIGEONNIER, revenant à Hortense.
Où en étais-je? Ils m'ont fait perdre le fil... (Se souvenant.)
Ah!
Reprenant.
D'un cœur épris, je vous offre...
Nouveau bruit de vaisselle cassée.
Encore !
LEGALOUX) passant sa tète de nouveau.
M'sieu ! c'est elle qui me l'a rendue !
PIGEONNIER.
Elle a bien fait! Tu m'ennuies, va-t'en!
LEGALOUX.
Rien, m'sieu.
11 disparaît.
HorteniOj Pig inier, Legalonz.
SCÈNE SEPTIÈME 17
PIGEONNIER, revenant à Hortense.
Ils sont enragés, ces animaux-là !
1. A Hl RETTE, en dehors.
Eh! tiens donc! eh I tiens dune!...
LEGALOUX, se précipitant en scène en se tenant les reins .
Oh! la, la! oh! la, la!
PIGEONNIER, furieux.
Qu'est-ce qu'il y a encore?
LEGALOUX.
C'est elle qui m'a flanqué...
PIGEONNIER.
Un coup de pied?
LEGALOl \ .
Non! c'est avec le pain. .. un pain de six livres!
PIGEONNIER, passant à droi te **.
Ah ! mais, je n'entends pas que mon pain serve à cet
usage-là!... un jour où j'ai du monde à diner!
LF.GA LOUX.
Ce n'est pas ma faute...'.
PIGEON N 1ER.
Si, c'est ta faute ! A-t-on jamais vu un nigaud pareil? Il se
trouve avec la plus jolie tille du pays, et il se bat avec elle!
LEGALOl' X, étonné.
La Birette... jolie?.. .
HORTENSE.
Certainement... une figure charmante... des yeux super-
bes...
LEGALOUX, étonné.
La Birette!... Ah bah !
HORTENSE.
De beaux cheveux !... une petite bouche.. .
LEGALOUX.
Pas quand elle mange le lard...
HORTENSE.
Enfin, c'est une très-jolie tille...
LEGALOUX.
Après ça, c'est bien possible... J' Tous jamais regardée
qu'entre deux gifles...
PIGEONNIER.
Dans tous les cas, rappelle-toibience que je vais te dire...
LEGALOUX.
Oui, not' maître...
" Hovteuse, Pigeonnier, Legalous.
*** Hortense,Pigeonnier, Lejaloux.
18 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER.
Je tiens à ma vaisselle, et je te déclare que tout ce qui se
cassera te sera retenu sur tes gages...
LEGALOUX.
Mais si c'est La Birette qui casse...
PIGEONNIER.
Tant pis!... c'est toi qui payeras... Arrange-toi pour ne
pas la contrarier...
11 passe près d'Hortense .
LEGALOUX.
Mais me v'ià ruiné!... elle est cassante comme tout!...
HORTENSE.
Jl est si facile de s'entendre avec une jolie tille...
LEGALOUX.
Avec La Birette?... Ah! oui!...
Bousseronde rentre par la gauche portant l'enfant emmaillotté.
S€ÈNE VIII
Les Mêmes, BOUSSERONDE.
BOUSSERONDE **.
Nous voilà!
PIGEONNIER.
Ah ! monsieur mon neveu!...
BOL'SSERONDE.
Il dort!
HORTENSE.
Donnez-le-moi.
Elle prend lenfant.
PIGEONNIER, à Legaloux.
Toi, reste ici.
LEGALOUX.
Oui, not' maître... (a part.) J' vas veiller à c' que La Birette
n' cassions rien...
BOUSSERONDE.
Partons !
PIGEONNIER, radieux.
C'est le moment de chanter, comme dans la Damebhoi'h> .
Glinntant à pleine voix.
Sonne/, sonnez...
■ Hortense, Pigeonnier, LegHloux.
Bousseronde, Hortense; Pigeonnier, Legaloux.
Si. KM. NEUVIÈME 19
BOUSSERON l)E.
Chnt donc !
BORTBHSE.
Nous allez Le réveiller.
PIGEONNI ER.
('/est juste... A demi-voix.
Tous se metteut à chanter à demi- voix.
ENSEMBLE.
Sonnez, sonnez, cor et musette,
Les montagnards sont reunis !
Car un baptême est une fête
Pour les parents, pour les amis.
ils sont sortis par le fond au milieu du chœur, eu chantant tout doucement
et en marchant sur !a pointe des pieds, de telle sorte que le morceau
6'éteiut dans la coulisse.
SCENE L,\
LEGALOUX, pnis LA BIRETTE.
LEGALOUX.
Mais c'est injuste comme tout !.. si c'est La Birette qui
casse, c'est moi qui paye !... Je ne sais pas ce qu'ils ont à la
trouver jolie... Faudra pourtant que je l'examine. (AperAant
La Birette qui entre.) La V là !
LA BIRETTE, entrant par la droite, avec une marmite en faïence sur
laquelle est un plat .
Jarnigué !... que c'est lourd!
LEGALOUX.
Voulez-vous que je vous aide?
LA BIRETTE.
Toi, fiche-moi la paix !
LEGALOUX, prenant la marmite.
Que ça me fait plaisir! (a part.) Comme ça, elle ne laissera
pas tomber la marmite. [Haut.) Tiens, des choux et du lard !
LA BIRETTE, prenant le plat et le mettant sur la table.
Ne touche pas au lard !
LEGALOUX.
Je le regarde. .. Il va poser la marmite sur la table.
LA BIRETTE **.
Est-y ivrogne de lard, c't homme-là ! Prends les couverts
et moi les assiettes. Elle va an buffet.
* Legaloux, La Birette.
" La Birette, Legaloux.
20 L'AMOUR EN SABOTS
LEGALOUX.
Non, pas vous le ; assiettes! u court su buffet.
LA. BIRETTE.
Alors, je vas prendre les verres.
LEGALOUX.
Non! pas TOUS les verres! (Lui donnant les couverts et le j.ain).
Prenez les couverts, le pain... (a part.) Les verres, c'est trop
Cassant! (U apporte les assiettes et les verres. — Haut.) Tenez, repo-
sez-vous, assoyez-vous.
LA B1RETTE, qui a mis sur la table les couverts et le pain.
EL bien, donne-moi une chaise!
LEGALOUX, à part.
Ah! non! une chaise... ce n'est pas de la faïence.
LA B1RETTE, frappant sur une assiette.
ftt-ce pour aujourd'hui?
LEGALOUX, apportant une chaise *.
Voilà! (a part.) Faut pas l'asticoter. (La regardant.) Y en atout
de même de plus laides qu'elle... Haut V'ià votre chaise...
LA BIRETTE.
Ah! tu cèdes, parce que tu as peur...
LEGALOUX.
Non... je cède, parce qu'un particulier bien élevé doit
toujours céder à unejolie femme... et que vous êtes une jolie
lemme... à ce qu'ils disent. .
11 vase placer debout à la table, en face de La Birette.
LA BIRETTE, étonnée et à part **.
Tiens! qu'est-ce qu'il a donc?... C'est la première fois...
Elle sert la soupe.
LEGALOUX, à part.
Je la (latte pour qu'elle ne cassions rien!
Il mange debout.
LA BIRETTE.
Assieds-toi donc... Quand tu resteras là, planté sur tes er-
gots !
LEGALOUX, galamment.
Après vous, belle Birette.
LA BIRETTE, à part.
Encore !
Elle s'asseoit et Legaloux aussi. Ils maugent.
LEGALOUX, à part.
C'est vrai qu'elle est agréable à l'œil... quand elle est ha-
billée.
* Legaloux, La Birette.
'* La Birette, [.égalons.
SCÈNE NEUVIÈME 21
LA B1RETTB, à part.
Y veut m'aroadouer pour avoir le lard... (s'annant Je la four-
chette.) Mais s'il y met la main, je tape dessus !
l l GALOUX, a paif.
0P! oui, qu'elle est belle ! J'éprouve un frisson. (Haut, avec
eompaârtoo.) Mam'selle, voulez-vous du lard?
LA BIRETTE, étoonée.
Il m'offre du lard!
Sa fourchette lui échappe des mains et tombe dans son assiette.
LEGALOUX, vivement.
Est-elle cassée?
LA BIRETTE.
Non... Certainement, monsieur Legaloux, je suis sensible
à votre offre... mais je sais combien vous l'aimez... prenez-
le !
LEGALOUX, à part, étonné.
Hein ?
LA BIRETTE.
Je mangerai les cboux...
LEGALOUX, avec dignité.
Non, mam'selle ! l'homme qui se trouve à une table... en
face d'une femme... et qui lui laisse les choux... est indigne
de vivre.
LA BIRETTE.
Tiens ! c'est gentil ce que vous dites là ! Eh bien, voulez-
vous faire une chose ? Partageons !
LEGALOUX, à part.
C'est une femme qu'a de ça !
11 met la main sur son cœni .
LA BIRETTE, qui a coupé le lard, lui en offrant un morceau.
Tenez !
LEGALOUX, refusant.
Pardon, ce morceau est le plusgros...
LA BIRETTE.
Ça ne fait rien... vous êtes un homme !
LEGALOUX.
Je n'accepterai point... vous êtes une femme...
LA BIRETTE, s'impatientant et frappant s. ir l'assiette avec son couteau.
Mais prenez donc... puisque je vous en prie
LEGALOUX, prenant le morceau de lard.
Histoire de vous obéir... et de ne point casser l'assiette.
LA BIRETTE, mangeant.
Mais qu'avez-vous donc aujourd'hui ?... On dirait presque
que vous êtes galant !
22 l'amour en sabots
LEGA LOU X, mangeant.
On l'est dans ses petits moyens, (a part.) C'est vrai qu'elle
vous a des yeux !
LA B 1 H F. T T F. .
Comme vous v'ià changé !...
LEGALOl \.
Il y a comme ça, dedans la vie de l'homme, des moments
oùs qu'il se change complètement... à l'exemple de la che-
nille, qu'elle devient un papillon...
LA BIUETTE, allant chercher un pot sur le buffet.
Tiens, vous n'êtes pas bête, vous ! Je vous aime bien mieux
comme ça... (Reveoact a la table.) Voulez-vous de la piquette?
LEGALOUX.
Je me servirai moi-même..
LA BIRETTE, frappant sur le pot avec son couteau.
Acceptez donc !
LEGALOUX.
Histoire de vous obéir ..et de ne pas casser la faïence...
(Elle verse.) A vot' santé, mam'selle !...
LA B 1 B E T T E , se i asseyant.
A la vôtre, monsieur Legaloux ! . . .
Ils boivent.
LEGALOUX, se levant, tirant un pain d'épiée de sa poche et passant à
gauche
Mam'selle... une politesse en vaut une autre... Si vous
voulions m' permettre de vous offrir un morceau de pain
d'épice... que j'ons acheté c' matin en passant d'vant l'as-
semblée..,
LA BIRETTE.
Oh ! mais vous êtes trop bon !...
LEGALOl V. .
Dame, quand on étions pour être à vivre ensemble...
LA BIRETTE, se levant.
C'est vrai tout de même... Encore un an à nous voir tous
les jour-. . .
LEGALOUX.
EL si vous I' voulions, qu' nous pourrions nous entendre...
pour vivre en bons amis... en frère z-et sœur... pour ne
rien cas-ci'...
LA Bl RETTE.
J' demandions pus mieux.
L EU a l.oi \.
Vrai de vrai... que von- ne briseriez plus rien de rien?...
• Legaloux, La Birctte.
SCÈNE DIXIÈME 23
LA B 1 H ETT E .
Dame!... c'est pas si amusant do se disputer toujours...
(Minaudant!) Et pour vous prouver que je vous en voulions plus,
]' vous permettions de m'embrasser...
l.i i; a LOOX.
Ah bah ! (a p«n.) C'est qu'elle est rudement jolie !... Baut,
s'essoyant La bouche avec sa manche, et faisan» des façons.) Oh . mam -
selle!...
LA BIRETTE.
Allez donc!...
L EG A 1.0 t" X , après l'avoir emBrassée.
Ça y est... C'est joliment bon tout de même!... (a* embar-
ras.) Et si j'osais vous demander la récidive?...
LA BLREITE.
Dame ! si ça vous fait plaisir. . .
LEGALOl'X, passant à la ilroite *.
Oh ! v'oui... oh! v'oui!..,
11 l'embrasse à plusieurs reprises, au moment où Pigeonnier, Bousseronde
>'t Hortense rentrent par le fond, Hortense tenant l'enfant emmaillotté.
SCÈNE X
Les Mêmes, PIGEONNIER, BOUSSERONDE,
HORTENSE.
PIGEONNIER, BOUSSERONDE, HORTENSE.
Hein !
LEGALOL'X et LA BIRETTE, confus s'éloignant *\
Oh ! not' maître!...
PIGEONNIER, riant.
J'aime mieux ça... ça ne casse rien... et ça ne fa:t pas de
bruit...
BOUSSERONDE, riant aussi.
Ils se bécotaient...
HORTENSE.
C'est d'un sans-gêne... d'une inconvenance !... (a LaBirette.)
Tenez, mademoiselle, reportez l'ent'antdans son berceau !...
B0L'SSEB0NDE,se précipitant et le prenant.
Non, non, moi... c'est au parrain à le réintégrer dans sa
couche... (a pan J'ai eu une frayeur...
11 entre à gauche.
* La Birette, Legaloux.
** La Bue te, Bousseiûiide, Hortense, Pigeonnier, Legaloux.
24 L'AMOUR EN SABOTS
HORTENSE, à La Birette et à Legaluiix qui débarrassent la table *.
Emportez donc ces choux... c'est une odeur insuppor-
table !...
PIGEONNIER.
Oui... et, une autre fois, rappelez-vous que c'est à la cui-
sine que vous devez dîner... et non pas ici... dans mon
étude...
LA B1RETTE.
Oui, not' maître!
Elle ùte le couvert, qu'elle porte ù mesure dans la cuisine.
PIGEONNIER.
Legaloux!...
LEGALOUX.
Not' maître?...
PIGEONNIER.
Tu vas aller à la pharmacie de monsieur Bousseronde...
HORTENSE.
La première rue à droite, à côté du coiffeur...
LEGALOUX.
A côté du coiffeur!...
P1G0NNIF.R.
Tu demanderas un paquet de chiendent... pour faire de la
tisane à ma femme...
LEGALOliX.
Du chiendent!... de quoi que mangent les petits chiens...
pour se rafraîchir?... Oui, not' maître...
PIGEONNIER.
Et reviens vile...
LEGALOUX, regardant La Birette et lui envoyant des baisers,
N' craignez rien... je ne serai pas long...
PIGEONNIER, surprenant leurs baisers.
Eh bien !
LEGALOUX.
VTà, not' maître!...
Il sort par le fond. La Birette est entréo a droite.
SCÈNE XI
PIGEONNIER, HORTENSE, puis BOUSSERONDE .
HORTENSE.
Us s'envoyaient des baisers!
* Hurleuse, Pigeonnier, Legaloux, La Birette.
SCÈNE ONZIEME 23
PIGEONNIER.
Ils roucoulent... J'aime mieux ça que de les entendre se
disputer... et puis, c'est si naturel !... a. .-nsement à Hortense.)
Tout roucoule dans la nature.,, depuis l'oiseau des champs
qui roucoule dans le bocage .. jusqu'à moi qui roucoule
auprès de vous... chère Horlense!
HORTENSE) vivement en voyant entrer Bo'isseronde par la gauche.
Mon mari !.. .
BOUSSERONDE \
Le petit dort... (\ Hortenee, en allant ù elle".) Si nous profitions
de ce que nous sommes habillés pour faire une visite à la
femme de l'adjoint?...
IIOHTEXSE, regardant Pigeonnier.
Ob ! allez-y seul...
BOUSSERONDE.
Ce n'est pas convenable. D'ailleurs, tu as ta robe de soie,
je ne suis pas fâché qu'elle te la voie...
HORTENSE.
Dame! si vous l'exigez...
BOUSSERONDE, ù Pigeonnier.
Nous serons ici pour le diner.
PIGEONNIER.
J'y compte bien... (saluant Horteuse.) Sans adieu !
HORTENSE.
A bientôt!
ENSEMBLE.
Air : L'occasion est solennelle.
BOUSSERONDE, HORTENSE.
Allons rendre notre visite;
C'est un devoir, mais quel ennui !
Après, nous revenons bien vite
Diner avec vous aujourd'hui.
PIGEONNIER.
Allez rendre votre visite;
C'est un devoir, c'est un ennui.
Après, vous reviendrez bien vite
Avec moi diner aujourd'hui.
Bousseronde et Hortense sortent par le fond.
* Bousseronde, Pigeonnier, Hortense.
** Pigeonnier, Bousseronde, Hortense.
26 L'AMOUR EiN SABOTS
SCÈNE XII
PIGEONNIER, puis LA BIRETTE, puis LEGALOUX.
PIGEONNl ER.
Cette femme est splendide !... Décidément j'en suis fou '..
Je vais lui faire faire un plat sucré. (Appelant.) La Biivtte!
LA BIRETTE, paraissant sur le seuil de la cuisine *.
Not' maître?... C'est que je faisions le diner.
PIGEONNIER.
Ne te dérange pas... Tu prépareras un bouillon pour ma
femme... et tu l'apporteras quand je te sonnerai...
LA BIRETTE.
Oui, not' mailre...
PIGEOXMER.
Ensuite, tu nous feras un plat sucré.
LA BIRETTE, étonnée.
In plat sucré!... Quoi que c'est que ça?
PIGEONNIER.
Un plat sucré... avec du sucre!...
LA BIRETTE.
Ah! bien!... (a paît.) J'ons des nantilles, j'mettrai du sucre
dedans...
Elle rentre >laus sa cuisine.
P 1 G E 0 X X I E R .
Cette douceur lui fera plaisir. (Voyant entrer par le fonJ Legalonx,
qui tient un paquet enveloppé dans «lu papier.) C'est le chiendent'...
Pose-le là... J'entre chez ma femme!
Il entre à paucbe.
SCÈNE XIII
LEGALOUX, puis LA BIRETTE.
LEGALOUX.
L' chiendent?... Nom de nom, je l'ai oublié!... Au lieu
d'aller chez l'apothicaire, j'étions entré chez l'perruqùieri...
(Otant son chapeau et montrant m Vlà la chose... Cinq cen-
times de frisure... et rini[ centimes de pommade... à la tu-
béreuse... qu'est uni; plante d'Amérique qu'a la forme d'un
oignon... Faut pas être regardant avec les femmes... En re-
ven « rit., j'ons fait connaissance avec le jardin, et j'ons cueilli
tontes les roses... (Dêployanl sou papier.) Ça c'est un bouquet...
Pigeonnier, La Biretto.
SCENE TREIZIEME 27
à l'intention de La Birette, qu'est véritablement une belle
fille...
On sonne à gauche.
LA BIRETTE, entrant par la droite, m.e tasse k In main *.
Le bouillon, le voilà... (Apercevant Legaloux.) Tiens, c'est vous !
Déjà de retoun?
LEGALOUX, balançant sa tête pour montrer sa frisure.
Oui, maru'seïle. . je m'ai dépêché.
L A B 1 H E T T B .
Ab! vous vous êtes fait friser!... Vous êtes joli tout plein!..
vous avez l'air-d'un caniche!
Elle tourne autour de lui et pose sa tasse sur le bureau.
LEGALOUX, radieux, penchant sa tète **.
Et sentez-moi ça...
LA BIRETTE, lui Dairant la tète avec délies.
Oh! ça sent-il bon l'oignon!
LEGALOUX.
L'oignon de tubéreuse... qu'est une plante d'Amérique...
C'est à votre intention... (Lui offrant son bouquet.) Et ce bouquet
tout de même.
LA BIRETTE.
Oh! les belles roses!
Elle en i rend une.
LEGALOI \.
C'est vot' image!... Mais prenez donc tout!
Ou sonne de nouveau.
LA BIRETTE, allant prendre le bouillon.
Voilà !
LEGALOUX) posant le bouquet sur la table.
Oh! ne vous en allez point encore.
LA BIRETTE.
C'est le bouillon de la bourgeoise... Au fait, il est trop
chaud.
Elle le goûte.
LEGALOUX.
Voyons voir...
Il prend la tasse et goûte aussi.
LA BIRETTE.
Eh bien, quoi que vous faites?
LEGALOUX, avec sentiment.
Je pose mes lèvres oùs que vous avez bu.
Il ^oi'ite encore.
* Legaloux, La Birette.
"* La Birette, Lenaloux.
28 L'AMOUR KN SABOTS
LA BIRETTE.
Mais Unissez donc!. ..
LEGA 1.0 IX, allant poser la tasse sur le buffet.
Faut le laisser refroidir. (Apercevant les dragées sur le buffet, et
ouvrant la boite *.) Tiens, c'est des dragées'...
LA BIRETTE.
Pour le baptême du petit.
LEGALOUX, lui présentant la boite.
Et si vous voulez m'honorer d'en prendre...
LA BIRETTE, en [.tenant une.
Merci, monsieur Legaloux...
LEGALOUX.
Rien qu'une?. . . Prenez donc... ne vous gênez pas!
LA BIRETTE, eu prenant.
Ce n'est pas que je me gêne... mais après les choux...
LEGALOUX, en prenant une poignée, cpi il met dans les poches du tablier de
• La Birette.
Ça sera pour ce soir à l'assemblée. ..
11 met la boite sur la table.
LA BIRETTE **.
Nous irons ?...
LEGALOUX.
J' vous offrons mon bras...
On entend sonner.
LA BIRETTE.
Pristi ! qu'il est embêtant!
Elle va puni' remonter.
LEGALOl'X, la retenant.
Il est trop chaud !... (Galamment.) Et que si vous voulions m'
favoriser d'une contredanse?...
LA BIRETTE.
De deux même... et de plus encore...
LEGALOl'X, joyeux.
Vrai de vrai !...
ENSEMBLE.
Air nouveau de M. J. Nargeot.
Ah! ah! ah! (1 fois.)
De ce plaisir-là
J' sommes heureux d'avance;
J1 voudrais, quand j'y jtense,
Qu' ça soyons déjà!
* Legaloux, l.a Birette.
*" Ln Birette, Legaloux.
SCENE TREIZIÈME. M
LEGALOUX.
("est si gentil d1 danser ensemble,
Surtout quand on est amoureux!...
LA BIRETTE.
On se serr' de tout prés... Il semble
Qu'on n' fait plus qu'un, quoiqu' étant deux!
LEGALOUX.
A sa danseuse on cherche à plaire.
Un fait pour ell' ses plus beaux pas!
LA BIRETTE.
Et >|uand 1' crin crin vient à se taire,
i )n s' regarde, et l'on caus' tout bas.
Ils se regardent amoureusement eu croquant 'des dragées, puis se détournent et
reprennent l'ensemble en se frottant lo dos.
I : N S EM B L E .
Ah ! ah ! ah ! (4 fois.)
De ce plaisir-la
J' somm's heureux d'avance ;
J' voudrais, quand j'y pense.
tju' ça soyons déjà!
LEGALOOX *.
D'un verr' de bièr' on offre l'hommage,
Ou bien encore d'un verr' de vin.
LA BIRETTE.
On va causer sous le feuillage...
La nuit est noire, on s' prend la main.
Ils se prenDû-nt la main.
LEGALOOX.
Mais v'ià qu'une branche s'agite...
On s'rapproche, oit se serr' bien fort.
Ils se rapprochent.
LA BIRETTE.
La peur augmente... on est transite...
Et v'ià qu'on se rapproche encor.
Elle se laisse aller dans les bras de Legaloux tout en croquant des dragées,
puis ils se détournent et recommencent à se frotter le dos.
ENSEMBLE.
Ah! ah! ah ! (4 fois.)
De ce plaisir-là
J' somm's heureux d'avance;
J' voudrais quand j'y pense,
Qu' ça soyons déjà !
Pigeonnier entre vivement par la ganche.
* Legaloux, La Birette.
2.
30 L'AMOUR EN SABOTS
SCÈNE XIV
Lfs Mêmes, PIGEONNIER, puis BO LISSERON D E.
PIGEONNIER *.
Eli bien, Ce bouillon?... (Les voyaDt se fiotter le dos.) Ah ! ils -••
frottent le dos.
LEGALOUX et LA BIRETTE, s'éloignant.
Oh! not' niaitre !.. .
PIGEONNIER **.
Voilà trois fois que je sonue pour avoir mon bouillon...
et je VOUS tl'OUVe là!... (il imite le mouvement de se frotter le dos.
— Poussant La Biiette.) Voyons, quand tu resteras là plantée...
pendant une heure!
La Birette remonte à gauche.
LEGALOUX; vivement, allant à Pigeonnier
Ah! ne la tarabustez point!... Avec sentiment.) C'est un
ange!....
PIGEONNIER.
. Ce matin, c'était une bourrique, et maintenant...
LEGALOUX, avec extase.
C'est une colombe... aux ailes blanches...
PIGEONNIER.
Imbécile'... (Apercevant le bouquet.) Des roses!... Et pas de
cbiendent !... (Avec colère.) Tu as cueilli les roses de mon jar-
din... et les pius belles encore, animal!...
11 lui allonge uu coup de pied sans l'atteiudre.
LA BIRETTE, se précipitant entre eux
Ah! dites donc, n' le touchez point... J' vous Y défends...
Elle pousse Pigeonnier.
PIGEONNIER.
Qu'est-ce qu'ils ont donc?... Ce matin elle l'assommait...
LA BIRETTE.
Possible!... mais à présent je n' veux pas qu'on y touche!..
(Caressant Legaionx.) C pauvre garçon... qui' s'est fait friser pour
moi...
LEGALOUX, penchant sa tète.
A la tubéreuse!
PIGEON N 1ER, apercevant la Imite de dragées.
Et mes dragées!... (Avec colère.) Ils ont pris mes dragées!...
* Pigeo i .1 igaloux, La Birette.
*' Legaloux, Pigeounier, La Birette.
** La Birette, Legaloux, Pigeonnier.
Legaloux, La Birette, Pigoonuier.
SCÈNE QUINZIÈME 31
LA BIRETTE.
\' criez donc point... pour queuques méchantes dra-
gées!... •
I l i, \l ni \, fouillant a» fond île sa poche et passant pies de Pigeonnier.
Pardine!... on va vous les rendre, vos dragées...
PIGEONNIER.
Veux-tu bien... butor!... propre arien!
BOL' SSE RONDE, entrant par le fond
Hein? qu'y a-t-il?
PIGEONNIER.
Ne faites pas attention... (a La Birette.) Porte ce bouillon a
ma femme!
La Birette reprend le bonillon.
R U SSE RONDE, effrayé.
Hein?
PIGEONNIER, à Legaloni, lui donnant le bouquet.
Toi, ce bouquet... Tâche de te faire pardonner...
LEGALOLX et LA BIRETTE.
Oui, not' maitre !...
BOISSERONDE.
Permettez... je vais moi-même...
Il se précipite pour prendre le bouillon et le bouquet.
PIGEONNIER, le retenant.
.Mais non... mais non... laissez-les faire !... 11 faut bien que
ma femme connaisse ses nouveaux domestiques... Allez !...
LEGALOLX et LA BIRETTE.
Oui, not' maitre !
Ils entrent à gauche.
SCÈNE XV
PIGEONNIER, BOUSSERONUE, puis LEGALOLX
et LA BIRETTE.
BOL'SSERONDE, à part.
Perdu!
PIGEONNIER.
Qu'avez-vous donc?
BOISSERONDE, atterre.
Moi?... Rien... la chaleur... un éblouissement.. . (a pan.
Ils sont la reconnaître... tout va se découvrir !
PIGEONNIER.
Et votre femme... qu'en avez-vous fait?
' La Birette, Legalonx, Piseonnier, Bousseroode.
32 L'AMOUR EN SABOTS
BOUSSERONDE.
Elle continue ses visites dans le village... je vais la rejoin-
dre. .. (A part, apercevant Lcgalonx et La Birette qui rentrent.) Trop tard !
LA BIRETTE et LEGALOUX, rentrant par la gauche en pouffant de rire,
en montrant Pigeonnier an doigt *.
Hi ! hi ! hi !
PIGEONNIER.
Qu'est-ce qu'ils ont donc ?... Eh bien ! vous avez vu nia
femme ?...
LA BIRETTE et LEGALOUX, riant.
Vot' femme ?
Ils rient plus fort.
BOUSSERONDE, ù part.
Ils l'ont reconnue !
11 remonte.
PIGEONNIER, les voyant lire.
Sont-ils bêtes !... ils me font rire !
Il regarde autour de lui pour savoir de quoi ils rient, et apercevant la figure
très-pàle de Botisseronde, il se met à rire comme eux, ce qui augmente
encore l'hilarité de La Birette et de Legalonx.
BOUSSERONDE, qui s'est approché de La Birette et de Legalonx, leur glissuul
de l'argent, 1 as.
Silence! taisez-vous!...
La Birette et Legaloux s'arrêtent subitement.
LEGALOUX, bas**.
J' comprenions !
LA BIRETTE, bas.
Vieux farceur !
PIGEONNIER, qui a continué de rire, s' arrêtant.
Ab ! c'est fini ! ce n'est pas malheureux !
BOUSSERONDE, venant à Pigeonnier***.
Vous avez, je crois, de l'eau de mélisse, chez vous9...
PIGEONNIER.
Oui, dans la chambre de ma femme...
BOUSSERON DE.
Je vais en prendre quelques gouttes!... (a part.j Courons la
rassurer.
Il entre vivement à gauche. Legaloux et La Birette recommencent à rire en
le voyant entrer chez madame Pigeonnier.
I ii er, Le iloux, La Birette, Bousserondo,
Pi mnier, Legaloux, Bousserondo, La Birette.
Pigeonnier, Bousseronde, Legalonx, La Birette.
SCÈNE SEIZIÈME. 33
SCÈNE XVI
L e s M Ê m e s, .noms BO U S S ERON D E.
PIGEONNIER *.
Assez !... assez donc !... Certainement ce pauvre lîousse-
ronde a une bonne tète... mais ce n'est pas une raison... Il
ne Tint pas rire des gens qui viennent chez moi... c'est mal-
honnête !...
LA BIRETTE, étouffant son rire.
Oui, not' maître!
LEGALOUX, étouffant son rire.
Oui, not' maître !
PIGEONNIER.
Voyons, occupez-vous du dîner... (Tirant sa montre.) Quatre
heures !...
LA BIRETTE.
Quatre heures !
LEGALOUX, a part.
L'heure du rigodon... ça va commencer.
PIGEONNIER.
Eh hien, dépèchez-vous !
LEGALOUX .
Je vas vous dire... c'est qu'aujourd'hui ça ne se peut pas...
LA BIRETTE.
Non!
PIGEONNIER.
Quoi?. .. qu'est-ce qui ne se peut pas?
LEGALOUX.
C'est la fête du pays...
LA BIRETTE.
Et Legaloux m'avions invitée pour la première...
PIGEONNIER.
Eh ben, que qu'ça me fait?... Je vas peut-être me passer
de dîner ?
LA BIRETTE, ôtant sou tablier.
Vous dînerez demain...
Elle j<-tte le tablier à Pigeonnier.
PIGEONNIER.
Ah! c'est trop fort !... A-t-on jamais vu des animaux pa-
reils!... Ce matin, ils ne pouvaient pas se souffrir... Et main-
tenant ils passent leur temps à se frotter le dos... à... (il se
* Pigeonnier, La Birette, Legaloux.
34 L'AMOUR EN SABOTS
retourne et les aperçoit qui dansent ; avec explosion.) Dieu me pardonne !
ils dansent !
LA BIRETTE.
J'ons des fourmis dans les jambes.
L EGA LOI X.
Et moi... dans les moulets.
PIGEONNIER, prenant le milieu *.
Voulez-vous bien iinir... ou je vous flanque à la porte!
LA 15 1 BETTE, continuant de danser.
Payez l'dédit !
LEGALOL'X, dansant aussi.
Les deux dédits !
PIGEONNIER, à part.
Les gredins !... ils me tiennent !... Comment m'en débar-
rasser ? (Tout à couo.) Ail ! quelle idée ! (Haut, et allant à son bureau.)
Eh bien, oui, je te le payerai, ton dédit!
LA BIRETTE '*.
Les deux ?
PIGEONNIER.
Non, celui de Legaloux... Voilà ton argent, file !
Il revient au milieu.
LEGALOL'X, prenant l'argent, et joyeux***.
Quarante écus !
LA BIRETTE.
Eh ben, et moi?
PIGEONNIER.
Toi, je te garde !
LEGALOUX, pleurant.
Nous séparer!
LA BIRETTE, de même.
Ne plus nous voir ! J'voulions m'en aller.
PIGEONNIER.
Alors, paye ton dédit.
LA BIRETTE.
Puisque j'ons pas d'argent !
PIGEONNIER.
.Quand on n'a pas d'argent... on cherche un ami pour lui
en emprunter...
LEGALOUX.
Un ami?. .. Moi ! moi !
* La Birette, Pigeonnier. Legaloux.
"" Pigeonnier, Legaloux, La Birett.-.
" Legaloux Pis inier. I a Bii
SCÈNE SEIZIÈME 3S
PIGEONNIEn, a part.
Allons donc !... il a compris !
LEG \ LOI \ .
Combien que c'est, son dédit,?
PIGEONNIER.
Quarante écus... comme le tien...
LEGALOUX.
Tenez, les v la !
PIGEONNIER, les prenant, et à part, allant à son bureau serrer *on arçeiit.
Très-bien ! je rentre dans mes fonds !
LA BIRETTE, éuine*.
Ah! monsieur Legaloux... vous êtes un beau caractère !
LEGALOUX.
Et vous une rude femme... pour le bon motif...
LA BIRETTE.
Ah ! monsieur Legaloux...
LEGALOUX, avec feu.
Ah ! belle Birette ! quand je vous regarde, je sens comme
des millions de pétards...
PIGEONNIER, à son bureau.
Ah ça! avez -vous bientôt lini? Allez déposer vos déclara-
tions dehors...
LEGALOUX.
Un s'en va.
LA BIRETTE.
Je vas quérir mon paquet.
LEGALOUX.
J'vas revenir vous chercher.
ENSEMBLE.
Air des Deux Gilles.
L\ BIRETTE, et LEGALOUX, envoyant des baisers.
Pst! pst! pst! pst! A toi, toi, toi! {bis.
Legaloux
o mon ■
Sera tQn époux.
Pst! pst! pst! pst! A toi, toi, toi! (bis.)
A toi seul, mon cœur et ma foi !
PIGEONNIER, se levant.
Encor des baisers, sur ma foi ! (bis.
Sur-le-champ, sortez de chez moi!
Filez doux,
Craignez mon courroux ;
Je vous expulse de mon toit! bis.)
Sur-le-champ, sortez de chez moi ?
La Birette entre dans la cuisine. Legaloux par le fond.
* Pigeonnier, Legaloux, La Birette.
36 L'AMOUB EN SABOTS
SCÈNE XVII
P I G E ON N I E R , ruis H 0 R T Ë N S E.
PIGEONNIER.
J'aime autant ça... j'en serai quitte pour chercher deux
nouveaux domestiques... (Voyant entier Hortense par le fond.) Ah !
enfin... vous voilà !
110 HT EN SE.
Tiens, vous êtes seul ?... mon mari n'est pas là *?...
PIGEONNIER.
Il est auprès de ma femme. (Avec sentiment.) 11 vous a donc
abandonnée... l'ingrat ?
HORTENSE.
J'aime mieux ne pas l'avoir quand j'ai des visites à faire...
Ce monsieur Rousseronde a si peu l'usage du monde!
PIGEONNIER.
Dame!., un pharmacien de village...
EORTENSE.
Je sais bien que cane vaut pas un notaire...
PIGEONNIER minaudant en lui prenant la main.
Oh! oh! oh! non!
HORTENSE.
Croiriez-vous que je n'ai jamais pu le décider à porter des
cravates blanches !... J'adore les cravates blanches.
PIGEONNIER.
Vraiment?
HORTENSE.
Mais non... monsieur Rousseronde ne comprend pas 1*
distinction... Il est commun... trivial... vulgaire...
PIGEONNIER.
Oh ! continuez ! .. Continuez, ça me fait plaisir !
HORTENSE.
Comment!... ça vous fait plaisir que je dise du mal de
mon mari... de votre ami? ..
P 1 G E 0 N N 1 I. R , avec passii in.
.Mon ami ?... Dites mon rival!...
Ave.' I
Air d'Ydia.
D'un cœur épris je vous offre l'hommage...
Auteur de nous toul esl calme aujourd'hui.
' Hortonse, Pigeonnier.
SCÈ.NE DIX-HUITIÈME. 3 i
En entendant votre divin langage,
Nous le voyez, je suis tout réjoui.
Pour mon ami, cependant, je reclame...
Si vous voulez, nous le façonnerons...
Un mot d'espoir, un mot de vous, madame, l))is
Et vous verrez ce que nous en ferons !
HORTENSE.
Monsieur Pigeonnier!
PIGEONNIER.
Hortense !... chère Hortense !...
Il se jette à ses genoux et lui baise la main. — Au même instant, Lega-
loux et La Birette rentrent, et poussent uu cri d'étounemcut. — Pigeon-
nier se relevé vivement.
SCÈNE XVIII
Les Mêmes, LA BIRETTE, LEGALOUX,
BOUSSERONDE,
Ah !
Pincé !
LA BIRETTE et LEGALOUX .
PIGEONNIER, à part.
Il s'éloigne d" Hortense.
HORTENSE, a paît.
Imprudente !
BOUSSERONDE, rentrant par la gauche, et apercevant Hortense **.
Tiens ! ma femme !
LEGALOUX et LA BIRETTE, recommençant à rire comme à la scène
quinzième, mais, cette fois-ci, eu désignant Bousseronde.
Hi ! hi ! hi ! hi !
BOUSSERONDE, à part.
Qu'est-ee qu'ils ont donc?... Ça les reprend!... sont-ils
bètes!... ils me font rire aussi !...
Il se meta rire avec eux, ce qui augmente encore leur hilarité.
PIGEONNIER, qui s'est approché d'eux, leur glissant de l'argent. —
Bas ***.
Silence!... (a Legaloux.) Te tairas-tu?
LEGALOUX, bas.
A une condition... c'est que vous allez mettre vos gants
blancs du baptême, et demander la main de mademoiselle...
pour moi...
* Hortense, Pigcouuier, Legaloux, La Birette.
** Hortense, Bousseronde, Legaloux, La Birette, Pigeonnier.
*** Hortense, Bousseronde, Legaloux, Pigeonnier, La Birette.
3
38 L'AMOUR EN SABOTS
PIGEONNIER, bas.
Faire-la demande?... Jamais!
LEGALOUX, lias.
Prenez garde !...
11 simule no baiser sur sou doigt .
PIGEONNIER, effrayé.
Oui... oui.... tout de suite....
LEGALOUX, bas.
N' vous pressez pas... mettez vos gants...
PIGEON NIE H, après avoir mis ses gants, très-embarrassé.
La Birette!...
LEGALOUX, le reprenant.
Mademoiselle !...
PIGEOXN IEI!.
Mademoiselle... Legaloux..,
LEGALOUX, le reprenant.
Monsieur Legaloux... et tournez-moi ça comme il faut.
PIGEONNIER.
Monsieur Legaloux n'a pu rester insensible à la vue de vos
charmes... Il vous aime... et me charge de vous demander
votre main.
LEGALOUX.
Très-bien !
BOUSSERONDE.
Ah bah!
LA R1RETTE, saluant cérémonieusement.
Monsieur le notaire, j'acceptons avec reconnaissance l'hon-
neur que monsieur Legaloux voulons bien me faire... mais
à une condition... c'est que vous allez ôter vos gants blancs.
BOUSSERONDE et MORT ENSE, riant.
Hein?
LA BIRETTE.
Et nous mouler un contrat de mariage dans le soigné...
et pour rien...
PIGEONNIER, vivement.
Pour rien?... Jamais!
11 passe à droite *.
LA Kl HUTTE, bas k Pigeonnier.
Ah I i uenez garde !...
Elle simule un baiser sur son doigt.
PIGEONNIER, vivement.
Oui.. .oui... Comment donc!... mais c'est trop juste... Je vais
préparer le contrat... et vous viendrez, le chercher demain.
11 va à son bureau et écrit.
' HorteDse, Bonsseronde, Legaloux, La Birette, Pigeonnier.
SCÈNE DIX-HUITIÈME. :tO
BOI SSERONDE, avec joie, & Legalonx et à La Birette.
Ah ! vous vous en allez?
LEGALOUX *.
Mon Dieu, oui...
LA Bl BETTE, allant ù Bousseronde
Ça nous faisions de la peine de quitter un si bon maître...
Heureusement que j'en avons trouvé un meilleur.
BOUSSERONDE.
Ah!... Et qui ça?
LA BI BETTE.
Dame !... vous... (b«* à Bousseronde.) Le buveur de lait.
BOUSSERONDE.
Ce serait avec plaisir... mais j'ai arrêté deux domestiques
ce matin.
11 passe à droite.
LEGALOUX **'.
Ah ! vous ne pouvez pas refuser ça au garçon de ferme du
père Grivet. ..
11 simule un baiser sur son doigt.
BOl'SSERONDE, vivement.
Certainement... je ne demande pas mieux... mais c'est ma
femme...
Pigeonnier se lève et vient près d'Hortense ****.
LA BIRETTE., a Hortense.
Oh! en priant bien madame...
Elle simule un baiser.
HORTENSE, vivement.
Volontiers... Je vous arrête.
HOISSERONDE, à part.
Elle est stupide, ma femme.
PIGEONNIER, à part.
Les gredins!... ils abusent!
BOUSSERONDE.
Mais qu'est-ce que nous allons faire de quatre domesti-
ques?...
LA BIRETTE.
Oh! l'assurez-vous... Il y en a deux qui ne feront pas
grand'chose... tant que durera leur lune de miel.
LEGALOL'X.
Et elle durera toute la vie.
* Pigeounier, Hortense, Bousseronde, Legalnux, La Birette.
** Pigeonnier, Hortense, Bousseronde, Lu Birette, Legalonx.
*** Hortense, Bousseronde, Legalonx, La Birette, Pigeonnier.
•*** Pigeonnier, Hortense, La Birette, Legalonx, Bousseronde.
40 L'AMOUR EN SABOTS
BOl'SSERO.NDE.
Bien obligé !
ENS EMBLE.
Air du duo de la scène XI II (J. Nargeot).
Comblant tous , nos vœux,
leurs
Et, selon l'usage,
Un bon mariage
Va ,ous rendre heureux,
les
LE G A LOI' X, au public.
Nous entrons chez un nouveau maître;
11 se défie de nous, c'est certain.
LA B1RETTE, de même.
Pour 1' rassurer, faudrait peut-être
Qu' vous nous donniez un p'tit coup d' main.
LEGALOLX.
Je n' demandions que la justice;
Vous nous connaissez d'puis longtemps.
LA BIRETTE.
Si vous èt's contents" d' not' service,
Ce soir, servez-nous d' répondants.
Et pan, pan, pan,
Pan, pan, pan...
ENSEMBLE.
Comblant tous .
leurs
Etc.
FIN
PQ Labiche, Eugène Marin
2321 L'amour en sabots
A7
1875
PLEASE DO NOT REMOVE
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