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2LJL-v\«\j-y<\îi(»
HARVARD LAW LIBRARY
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FROM THE LIBRARY
'ÏIETTSTRICH LAMM^VSCH
Reeeivcd May 25, 1922.
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LA
MÉTHODE ËXPÉRIMËMÂLE
APPLIQUÉE
AU DROIT CRIMINEL EN ITALIE
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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
Lcê Moratfistcs français au XVI^ siècle, 2^ édit., 1870, in-12 4 >»
Ouvmi;e cuNruisiiiï p^f rinstitut.
Essai sur Itis Piaithi/vrs de Dèniosthène^ 186?, in-8" (épuisé) *» »
Dcjave apud FranciJivam Baconuni (thèse), 1862, iiî-8°. . 2 »
Dû kl rompimmttîon et des demandes j^econvenCionnclles
dans le droit romain ut dans le droit français ancien et
moderne , 1864 , iu-S" (épuisé) » »
De rEnseigntimpjit. da Droit, d'après Bacon, 1865, in-8°. 2 »
E^E Irait lia b Ri^tti ht.ilon'que de Di'oit français et étranger.
De V Histoire cnil^ue des Lettres, 1866, in-8° 1 »
De r Action Prœscriptis cerbis, 1866, in-S** 1 »
Elirai L dt* Li lln'Uf hixlorique de Droit français et liranger.
Les deux Formules des actions Depositi et Comniodaii,
1867j in-S" 1 »
Extr^U lit" Jji Rsvtia hkiorigue de Droit franç4iis et étranger.
Mechcrdies sur l'ort^uie de la régie : Donner et retenir ne
vaut, 1866, in-8" 2 »
E^tr^it diLr b Ret-m tHtique de légitlaiion.
Lepoucoir vieil an Voneilc de Trente y 2* édit., 1870, in-8° 1 50
E^lrOrit d^ b Ervitc critique de législation. ^
La Libertù des Pères un Concile de Trente, 1870, in-8'. . . 1 »>
Kjf.l.raii Je lu Ikv tu- critique de légishiion.
Projet de loi sur V h rv^f^^e publique. Rapport déposé au nom
de la commission de TAssemblée nationale, 1872, in-8'. l »
Etudes sifr CïnamoçiUlité de la Magistrature, 1880, in-12 1 50
L'Inamocibitfté de la Magistrature dans l'ancienne
France, 1880, în-8\ '. 1 «
Eïtrait de Lu Fruma judiciaire.
Le Juge d'ifhutrueiioa et le Ministère public dans le nou-
veau code d'instrtiition criminelle, 1883, in-12 (épuisé). » »
Traité du roi dnus le.^ principales législations de Vanti-
qtdié H spécialement dans le Droit romain, 1881, in-8".- 8 »
Les cahiers dca Eiats-Gméraux en 1789 et la législation
criminvUt, 1883, in-8' 8 »
Eléments de Droit pètml : Pénalités, Juridictions, Procé-
dure^ suivant la science rationnelle, la législation posi-
tive et ia juriîspruilence, avec les données de nos statisti-
ques crimînoUes, par J. Ortolan. 5^ édition, revue, com-
plétée et mi:?c au courant de la législation française et
éU-angèi'c, jsar M. Al Ijert Desjardins, 1886, 2 vol. in-8'. 18
î^/ft^^ms. inij^riiiieric D. PERE. A. CARTIER, k'érant.
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APPLIQUÉE
AU DROIT CRIMINEL EN ITALIE
PAU
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Albert OESJAUDINS
Professeur a la Faculté de Droit de Paris
PARIS
A. DURAND ET PEDONE-LAURIEL, ÉDITEURS
LIBRAIRES DE LA COUR d' APPEL ET DE l'ORDRE DES AVOCATS
G. PEDONE-LAURIEL. Successeur
13, RUE SOUFFLOT, 13
1892
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LA
MÉTHODE EXPÉRIMENTALE
APPLIQUÉS
AU DROIT CRIMINEL EN ITALIE
Z^IVRE: FFIEMIER. — I^o Systùxxie
CHAPITRE PREMIER
M. LOMBROSO ^^ ' '^
rUOMO DEHNQUENTE U)
*fl POLETTl
THÉORIE DE LA TUTEf.LE
I
La science du droit criminel n'a pas cessé d*ètre cultivée
en Italie depuis lo Traité des Délits et des Peines. La célé-
brité promptement acquise par l'auteur a créé parmi ses
compatriotes une tradition d'honneur national; on ne
délaisse pas les traditions de ce genre au-delà des Alpes.
Ceux qui ont écrit après Bsccaria ne se sont pas crus
obligés de penser toujours comme lui ; mais, alors même
qu'ils ne transmettaient pas ses leçons, on reconnaissait
bien et ils ne cachaient pas qu'ils les avaient reçues. Au
désir de prouver que le droit pénal avait (( trouvé dans
(I) VUomo delinquente in rapporta all'nntropologia, gmrisprudenza
e aile discipline carcerarie. S* éd. 1873 ; 3" cd. 1881 ; c'e^t à la ?ecoiule
édition que nous no is aUichcrons , qaand nous aurons à par'cr du
plan général de l'ouvrage.
•1
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— ,6 —
ritalîe sa première, sa véritable pairie r^ (l), se joignait
une préoccupation triine luiLure dilïérente , mais où le
patriûlisme avait aussi sa part. Il n'est pas de pays où se
commettent autant de crimes qu'eu Italie; les écrivains
italieDsl*atte&teiit i c'est, clisenl-ils eux-mêmes, leprimatOr
triste primauté, qu'on ne peut contestera leur nation (2).
D'où vient le mal ? Comment y remédier ? Voilà deux
questions que tout Italien doit se poser, pour peu qu'il
songe î'i sa sécurité personnelle el à rtionneur de son pays.
Si Ton comprend sans peine pourquoi l'étude du droit
criminel attire si vivement nus contemporains d'Italie, il
n'est pas non pins diiïieile de s'exiïUijUf^r Tespril qu'ils y
portent et la méthode qu'ils y sviivenl. Ce siècle est avant
tout celui de Tobservation ; il ne se borne pas à la vanter ;
il la pratique, il la pousse jusqnïi un point au delà duquel
il semble qu'elle ne puisse s'avancer et oiï cependant il ne
lui permet pas de s'arriMer, Des sciences physiques et
naturelles, il la transporte dans les sciences morales. L'Ita
lie tient à ce qu'aucun pro^^^rês ne s'accomplisse sans elle ;
elle a voulu avoir sa part dans les applieations nouvelles
données â la métliode expérimentale ; elle a eu la princi-
pale dans celles qui ont été faites au droit criminel. Elle
ne trouvait en elle-même qu'une trop abondante matière
d'observation, et c était son propre imérrH qui lui imposait
la méthodeà suivre, comme il lui indiquai t le sujet à étudier.
M. Lombroso, professeur de médecine Ik^gale àl'Univer-
silé de Turin, est an premier vnn^ parmi ceux qui se sont
proposé d'introduire la méthode expérimentale dans la
science du droit criminel : c'est dans cette vue qu'il a écrit
un livre jus te nient renommé, t/Uomo th'Unquente, qui con-
tient à la fois un véritable maniteste et une puissante
démonstration ; celle ci est fondée sur un grand nombre
il) M. Emilio Dnisa, De H science pji géiêral fl <î^^ P école péniten-
tiaire italienne en particulier. Discours d*enlrùe Ui le 16 février 1878 à
t'Univerfitâ d'Amsterdam, p. a
(2) V. M. Lombroso, SultHncremento deldeUitn in Italia e 8ui meezi
ppr arrestlarlo. p. r>. — M. Orano, la criminalîlà nfUe sve relazioni col
ciima, p. 5. — M. F. Aguglia, L'impotenza ûelV Q^ione repressiva in
Italia e sue cause.
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r^r^
-^ 7 —
de faits, recueillis avec la plus remarquable patience,
examinés avec la plus scrupuleuse attention.
Une contradiction singulière règne en ce monde, nous
dit M Lombroso; la justice sépare en quelque sorte le
délinquant du délit, pour prononcer comme si le délit
était un fait complet, à lui tout seul, et formait, dans la vie
de ragent, un incident dont il n'y eût pas à craindre le
renouvellement, et, d'un autre côté, tout prouve que le
délit a des causes profondes, dont l'action doit entraînei
régulièrement et presque nécessairement la récidive, des
récidives à Tinfini. En vain ceux qui approchent, qui étu-
dient les délinquants les trouvent-ils différents des autres
hommes, au moins de ceux qui ont Tintelligence saine; en
vain les déclarent-ils faibles d'esprit, presque toujours
incapables de s'amender, les législateurs persistent à pen-
ser que les altérations du libre arbitre sont rares, excep-
tionnelles ; ils n'y veulent croire que lorsqu'elles sont
assez caractérisées pour constituer l.'aliénation mentale
proprement dite. Trop de métaphysique et trop peu d'ex-
périence. Il faut connaître les hommes sur le sort desquels
on est chargé de prononcer, et cette connaissance, on ne
saurait l'obtenir qu'au moyen de recherches patientes et
complètes sur les conditions matérielles et morales où ils
se trouvent, sur leurs corps comme sur leurs facultés intel-
lectuelles, sur leurs dispositions naturelles comme sur
l'éducation qu'ils ont reçue, sur les influences physiques
qu'ils subissent, sur les inclinations dont une hérédité
souvent malfaisante dépose en eux le germe trop fécond.
Il ne s'agit pas de considérations générales à développer;
il s'agit de faits à relever et à rassembler; il ne sera permis
d'arriver à des conclusions, à des lois, qu'après des obser-
vations suffisamment nombreuses, exactement contrôlées ;
ce sont les préceptes de Bacon appliqués au droit criminel.
Signaler, d'après cette méthode, les caractères qu'offre
l'espèce particulière formée dans le genre humain par les
délinquants, telle est la première partie de la tâche que
s'impose le savant écrivain, et il commence par l'examen
du corps.
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— 8 —
Après avoir constaté sur cent un crânes (trois cent cin-
quante dans la troisième édition) de très nombreuses et
très graves déformations, M. Lombroso se demande si les
hommes chez qui elles se présentent peuvent être regardés
comme ayant le même degré d'intelligence, les mêmes
(acuités a fïoctives que les personnes dont les crânes offrent
toutes les conditions normales (1).
Il éludie l'anthropométrie et la physionomie sur 1,279
(3,839 dans la troisième édition) délinquants italiens ;
pour donner une juste idée de la manière dont il procède,
nous indiquons une partie des résultats qu'il signale. Les
délinquants, comparés à la moyenne des hommes, ont
la taille plus haufe et le thorax plus large, les cheveux
plus noirs; ils pèsent davantage, sauf en Vénélie ; en
revanche, ils sont plus faibles ; il n'y a que les aliénés qui
le soient davantage. Ils ont le plus souvent les yeux châ-
tains ou foncés, la chevelure épaisse et noire ; les bossus
commettent peu d'homicides, mais il y a beaucoup de
viols, de faux et d'incendies à leur charge. Chez les incen-
diaires et plus encore chez les voleurs, l'iris est de couleur
grise* On voit à quel détail minutieux descend l'auteur,
et noua sommes loin de le suivre partout. Tout ce travail
est, d\iilleurs, d'autant plus important, qu'il s'accomplit
sur les êtres vivants, tandis que la cràniologie opère sur
des cadavres (2).
Après les accidents relatifs à la conformation naturelle
vient le tatouage, fait postérieur et tout volontaire, étrange
habitude^ longtemps très répandue en Italie dans les classes
(11 C'€Bt par l'étade des cr&aes que commence la deuxième édUion.
Bans la troisième, elle oavre la deuxième partie seulement. La deuxième
èdUion m contient sur ce sujet qa*un chapitre : Examen de cent un
crânes tie Minquants italiens; la troisième édition, dans sa dernière
partie, ajoate des développements importants à cet examen qu'elle fait
porter sur un nombre triple de sujets. Elle conUent un chapitre entiè-
rement nouveau : Anomalies du cerveau et des entrailles chez les délin-
quanliiy comprenant Tétude du cerveau, rhisto'ogie et l'anatomie patbo-
Jogique ûa cerveau, l'anatomie pathologique du cœur, des vaisseaux
du foie, etc.
(îï :î' édition, p. 214.
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- 9 —
inférieures, commençant toutefois à se restreindre aux
délinquants, leur servant à se reconnaître les uns les
autres, mais pouvant aussi aider la justice, quand elle
cherche, soit à constater l'identité d'une personne, soit à
se .faire une idée de ses mœurs et de sa conduite passée.
M. Lombroso passe à des phénomènes qui ne se révèlent
plus à la seule inspection de la vue, ceux de la sensibilité,
entendue comme exprimant la triste faculté de souffrir. Il
constate que la sensibilité physique est émoussée chez les
délinquants, comme elle Test chez ceux dont l'esprit n'est
pas sain ou qui sont dominés par une forte passion (1). La
sensibilité morale l'est plus encore ; d'ordinaire les délin-
quants regardent avec indifférence, soit les victimes qu'ils
ont frappées, soit les traces des crimes odieux qu'ils ont
accomplis ; il arrive même que leur propre sort les touche
peu ; des condamnés a mort font des épigrammes, des
plaisanteries ; on argumente contre la peine de mort de
ce que les crimes qui l'entraînent sont souvent commis
par des gens qui viennent d'assister à une exécution capi-
tale. A certains moments, les malfaiteurs semblent des
héros, et, d'autre part, un péril considéré de sang-froid
les trouve lâches ; leurs actes de courage ne tiennent pro-
bablement qu'à une certaine insensibilité, qu'à une impé-
tuosité pour ainsi dire enfantine, qui ne leur permet pas
de croire à un danger même certain, qu'à un véritable
aveuglement causé par la passion. L'insensibilité explique
pourquoi la gravité du crime dépasse souvent l'importance
du mobile, pourquoi la cruauté éclate chez un homme qui
paraît capable de faire de bonnes actions. Elle permet
aussi de comprendre que les délinquants se donnent si
fréquemment la mort ; ils n'ont pas l'instinct de la conser-
vation ; ils sont imprévoyants, impatients ; le plus grand
(1) L'aotear dit, dans la troisième édition, p. 327 : « A vrai dire, à
force d'interroger les gardiens et les médecins des prisons, j'ai pa gla-
ner quelques cas de vraie analgésie ; mais le plus souvent les délin-
quants dont il s'agissait, étaient des aliénés ou à peu près. » En
dehors de la folie, ces cas présentaient moins les caractères de rinçen-
slbilité que ceux d'une passion prédominante.
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— 10 —
mal^ s'il ne dure qu'un instant, leur semble plus facile à
supporter qu'un mal moins grave qui se prolongerait ; il
leur est moins pénible de mourir que de vivre sans satis-
faire leurs passions.
Le mot sensibilité exprime aussi pour nous la faculté
d'éprouver des sentiments qui ne se rapportent pas tous,
au moins directement, à la douleur ou à la jouissance ;
ces sentiments sont bons ou mauvais ; les premiers ne
sont pas nécessairement éteints chez les délinquants ;
le suicide môme en est quelquefois la preuve ; certains
criminels se donnent la mort dans l'espoir de se réhabi-
liter ; mais ce qu'il reste de bon dans ces âmes troublées
est toujours maladif, excessif et instable ; l'empire appar-
tient à des passions telles, que l'orgueil portant jusque sur
la profondeur du crime, poussant les criminels à se trahir
eux-mêmes en parlant de ce qu'ils comptent faire ou de ce
qu'ils ont fait, l'orgueil entraîne le désir de se venger
pour les causes les plus futiles. Une fois qu'on a goûté le
plaisir de répandre le sang, on éprouve le besoin de le
répandre encore ; les professions qui exposent à le voir
couler, la seule vue qu'en cherche la curiosité ou qu'en
donne le hasard font naître ou entretiennent cette dispo-
sition ; M. Lombroso est très frappé de ce fait que Robes-
pierre naquit dans l'année où un terrible supplice fut
infligé au régicide Damiens ; il y insiste à deux reprises.
Les passions de l'amour viennent s'ajouter aux autres.
Comme si se n'était pas assez de ce qui est commun à
tous les hommes, il y a comme une altération profonde de
i'àme, vraiment propre aux délinquants et aux fous, d'où
résulte à certains moments une irascibilité bien connue
des gardiens. Les délinquants aiment le vin et les jeux,
fréquentent les cabarets. La cupidité n'agit guère sur eux
que parce que sans argent les passions brutales ne
trouvent point à s'assouvir ; le vrai avare excite plus d'an-
tipathie que le prodigue, et cependant il est moins enclin
au crime.
Ce que l'auteur étudie avec tant de soin, c'est la nature,
c'est l'empire des passions chez les délinquants de tempe-
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— 11 —
rament et d'habitude ; il laisse hors de son cadre, ceux
qui n'agissent que par l*eflet d'un premier mouvement,
personnes dont le tempérament est sanguin ou nerveux,
dont les. impressions sont vives et excessives; souvent des
jeunes g^ns qui ont été irréprochables jus(ju'à l'heure
funeste du crime, qui se troublent sans mesuré une fois
qu'ils l'ont commis, éprouvent de cruels remords, se
laissent aller au suicide. A la différence des délinquants
ordinaires, non seulement ils ne cherchent pas Valibi,
mais encore ils s'empressent de faire des aveux, comme
pour apaiser leur conscience agitée. Les passions qui
animent les criminels de cette classe ne sont pas de celles
qui font lentement leur chemin dans une àme et qu'il est
possible de contenir, comme l'avarice et l'ambition, mais
de celles qui éclatent à Timproviste, comme la colère,
comme ce désir de vengeance qu'excite l'amour trahi ou
l'honneur offensé, passions souvent généreuses, qui pren-
nent quelquefois un caractère sublime, tandis que celles
qui dominent chez les délinquants ordinaires sont féroces,
basses et môme ignobles. Les délinquants ordinaires
obéissent quelquefois aux motifs les plus faibles ; au
contraire, il y a une sorte de proportion entre les crimes
de premier mouvement et les causes qui les font com-
mettre. Ces causes amènent immédiatement leurs redou-
tables conséquences ; ni secret, ni guet-apens, ni complices,
ni armes préparées de longue naain, bien choisies et
appropriées. Les auteurs frappent à droite, à gauche, un
peu comme les fous ; c'est le plus souvent aux personnes
qu'ils s'attaquent, rarement aux propriétés.
N'y a-t-il pas du moins, même dans l'âme d'un délin-
quant ordinaire, une force préparée en quelque sorte pour
combattre ces passions mauvaises et basses, dont le germe
s'y trouve déposé au jour de la naissance? Non, répond
l'auteur ; le sens moral fait complètement défaut chez la
plupart; ils ne comprennent pas l'immoralité de leurs
actions ; l'idée du devoir est intervertie en euXj à ce point,
qu'ils trouvent un mérite dans ces actions mêmes, que
tout au moins ils croient user d'un droit. Le remords leur
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- i2 —
est étranger. M. Lombroso reproche vivement à notre
illustre compatriote, M. Caro, d'avoir émis cette propo-
sition que le coupable lui-môme trouve la peine juste et
nie sa propre culpabilité sans nier le caractère criminel
du fait commis. Rêves poétiques, répond Tauteur ; dans
les manifestations de repentir, il ne faut voir que des
bizarreries ou d'hypocrites calculs, quelquefois des hallu-
cinations alcooliques ; quand elles sont sincères, elles
sont inspirées par la crainte de la mort ou par les idées
religieuses ; ce ne sont jamais que des apparences sans
réalité ; M. Lombroso n'a rencontré qu'un seul cas de
véritable métamorphose morale chez un délinquant de
naissnncc ; il était devenu Insensé; la folie avait changé
le brigand en un apôtre et en un philantrope (1). Ceux des
criminels qui comprennent la perversité de leurs actes n'y
attachent pas la même imporlance que les autres hommes;
il leur semble qu'elle est atténuée, soit par la bonté des
intentions, comme dans le cas où l'on tue pour donner du
pain aux siens, soit par l'impunité do plus grands cou-
pables, soit par le manque do preuves ; ils se disent qu'on
en fait autant ou plus qu'eux dans les sphères supérieures
de la société. En tout cas, si leur esprit perçoit encore la
notion du bien ou du mal, leur cœur ne la sent pas, elle y
est étouffée par les passions et les mauvaises habitudes.
Mais, dit on, depuis la plus haute antiquité, les malfaiteurs
font des conventions cptre eux et ils les exécutent ; ils
observent une certaine justice dans l'accomplissement
même du mal, dans la répartition de leurs gains coupables.
Justice forcée, qui n'a qu'un temps, disparaissant dès
qu'elle cese de favoriser l'intérêt, dès que s'élève une
forte passion ; les délinquants se manquent de foi les uns
aux autres ; ils n'hésite pas à se dénoncer réciproque-
ment, eux qu'indignent si fort les dénonciations (}ont ils
souffrent. Les chefs de bande sont souvent injustes et
violents envers leurs complices secondaires.
(1) 3« édition, p. 430.
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-- 13 -
Différents des autres hommes devant la soulïrance et
par les sentiments, les délinquants le sont aussi par l'igno-
rance ; ils oflrent une moyenne inférieure. Certes ils s'en
faut qu'ils soient tous fous, idiots ou bornés ; mais chez
tous l'esprit a quelque chose de défectueux. La plupart ne
pensent qu'à ne pas travailler. Leur esprit est mobile et
léger; ils sont toujours surpris, quand on les arrête; ils^
avouent facilement, parce qu'ils prennent dans leurs asso-
ciations l'habitude des épanchements ; ils s'ouvrent surtout
à ceux qui parlent argot comme eux et chez lesquels ils
comptent trouver des semblables. Ils ne connaissent guère
la logique, ni môme la prudence ; presque toujours, en
exécutant leurs desseins coupables, ils commettent quel-
ques maladresses. La fréquente répétition de leurs actes
leur fait acquérir parfois une habileté qui paraît merveil-
leuse ; mais ce n'est là qu'une application spéciale de leurs
facultés. A cette étude de l'intelligence chez les délinquants
se rattachent de nombreuses et ingénieuses observations
sur leur langage propre, qui est l'argot, sur leur écriture,
sur leur littérature, sur les livres qu'ils préfèrent.
L'auteur discerne avec soin ce qu'il y a de différent dans
la criminalité des deux sexes; sur le nombre total des
coupables, le contingent des femmes est inférieur à celui
des hommes, au moins d'après la statistique ; mais peut-
être les délis commis par les premières sont-ils plus faciles
à cacher; l'inégalité, d'ailleurs, si elle est réelle, peut s'ex-
pliquer par diverses circonstances ; la vie des femmes est
ordinairement plus retirée que celles des hommes, et par
suite, elles ont des occasions moins fréquentes pour cer-
tains délits; elles ont moins de force, et, quoique à certains
moments leurs passions les entraînent à des actes de
férocité (1) dont on ne croirait pas leur sexe capable, elles
doivent se rendre plus rarement coupables de crimes
violents; l'infériorité de leur instruction a cette consé-
quence qu'il n'y a pas beaucoup de délits de presse à leur
reprocher.
(1) 3« édiUon, p. JOO.
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- 14 -
H
M. Lombroso ne cosse d*6tablir, à propos de chaque série
d'observations, les rapprochements les plus intéressants
entre les délinquants et d'autres catégories de personnes.
lo C'est d'abord et naturellement aux aliénés qu'il les
compare. Que d'analogies! mômes maladies, mêmes ano-
malies dans l'organisme; les uns et les autres présentent
une égale Insensibilité physique (1), une égale irascibilité.
Bien des passions leur sont communes ; il leur est, presque
au même point, difficile de les dominer; on croirait que
certains délinquants sont subjugués par une manie impul-
sive, tandis que la préméditation et la dissimulation
donnent une apparence criminelle aux actes de certains
fous; il est souvent difficile de savoir si l'on a devant soi
un criminel ou un insensé; il y a des aliénés qui ont la
conscience claire de l'acte coupable qu'ils ont commis et
qui se savent couverts par la loi à cause de leur état
mental; il y a des délinquants qui ne prévoient rien, et il
y a des fous qui suivent un dessein formé à l'avance, on
combinent l'exécution avec des complices, se ménagent
l'impunité, se procurent les moyens de fuir. Le discerne-
ment est plus difficile encore, quand il s'agit, soit de ce
que les Anglais appellent la folie morale, où le sens moral
est seul altéré, les facultés intellectuelles demeurant en-
tières, soit de la manie transitoire, « où la folie paraît
comme un éclair dans un ciel serein , pour quelques
minutes, pour quelques heures au plus, avec hallucina-
tions et souvent tendances homicides, et est suivi d'un
sommeil profond et de la perte de toute mémoire, soit
enfin de cette espèce d'aliénation nommée folie des exctn-
triqiies par M. Tardieu, néoi'ose nesanique par M. Maudsley,
qui montre toutes les facultés humaines surexcitées,
(1) ^*ous avons vu plus haut, que sur ce point les idées do M. Lambroso
s'étaient légèrement modillée^, et que, dâus la troisième édition, il ne
croit plus a une compiétc analgésie chez les délinquants.
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^!^-^
- 15-
eniantant, selon les cas, de merveilleux chefs-d'œuvre ou
de détestables forfaits. »
L'auteur ne dissimule pas les différences. Les aliénés
aiment rarement le jeu et les orgies. Ils ont une dispo-
sition qui ne se rencontre pas chez les malfaiteurs ù
prendre en aversion leurs plus proches parents, leurs
femmes, leurs enfants. Les délinquants ont besoin de
compagnons, les aliénés cherchent la solitude; les premiers
conspirent beaucoup plus souvent que les seconda. Leur
tendance aux actes méchants et immoraux est la même,
mais elle n'a pas la même origine; elle existe dès la nais-
sance chez les délinquants, c'est la maladie qui la produit
chez les aliénés; parmi ces derniers, les uns se vantent de
tout ce qu'ils ont fait, les autres éprouvent une crise salu-
taire, se dénoncent, non avec un cynique orgueil, mais
avec TeBusion du pécheur qui se repent ou de l'hypo-
coudre qui s'épanche ; s'ils dissimulent, c'est pour obéir A
des camarades ou à un avocat, et ils n'apportent dans
leurs mensonges ni habileté ni obstination. M. Lombroso
relève avec soin d'autres différences à propos de Tintelll-
gence, de l'instruction, de l'écriture. En pratique, la
distinction est suffisamment saillante, au moins pour les
personnes compétentes; elle ressort des détails physiques,
des antécédents, des habitudes de langage et de vie, des
mobiles, des circonstances qui ont précédé, accompagné,
suivi l'action. Dès la deuxième édition, M. Lombroso se
plaignait assez vivement dans sa préface de ce qu'on
l'accusait d'avoir confondu le délinquant et le fou; il
rappelait qu'il y a loin de l'analogie à l'identité; en signa-
lant les ressemblances, il avait pris le soin qui n'avait pu
échapper qu'aux ignorants et aux malveillants, de cher-
cher les différences, et il avait ainsi fourni à la distinction
à faire entre le délinquant et le fou, un fondement non
plus hypothétique, mais positif.
2o Les délinquants ressemblent aux sauvages plus encore
qu'aux aliénés; cette sensibilité toujours en éveil, ces
passions si facilement excitées, ce besoin de vengeance
pour les motifs les moins Tniportants^ cette absence de
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— 16 —
reiiiord^jj ou, pour mieux dire, cette disposition à se vanter
de ce qu'on a fait, ce défaut de sens moral, ce respect de
la force, tous ces caractères se trouvent chez les uns et
chez les autres. L'analogie existe jusque dans le physique,
barbe rare, force et poids inférieurs à ce qu'ils sont en
jiiQyeone, peu de capacité du crâne, front fuyant, grand
dêveloppeiiient de courbures frontales, grand nombre des
sutures niédio-frontales, etc. Délinquants et sauvages
aiment à se tatouer, ont le goût des métaphores, emploient
iiiïïtinctivBmeiit les onomatopées.
3» U y a pour les femmes une voie pénible et honteuse
qui s'ouvre parallèlement à celle du crime, c'est la voie de
la prostilutîoiL M, Lombroso en vient à appeler la prosti-
tution une mmvviminalité. Nous n'insisterons pas sur les
analogies qu'il indique entre les délinquants et les pros-
tituées; nous dirons seulement qu'elles sont nombreuses
et frappantes et nous relèverons ce fait signalé par l'auteur
que, dans les familles où les fils s'adonnent au crime, les
iiMes s'adonnunt à la débauche, les deux sexes suivant
leurs lendauces diverses, que l'auteur rattache à une même
cause, qui Tune et l'autre ont les rapports les plus étroits
avec los maladies et les anomalies du système nerveux.
4^^ t]es divers rapprochements mènent à ce qu'on pour-
rait appeler fa théorie des dérivatifs, des soupapes de
siireté, si Fuii ne se devait garder de tout mot qui pourrait
faire croire qu'il y eût ici autre chose que des constatations
de faits.
Les rircouïjtauces feront du même homme, tantôt un
scélérat, tantiH un aliéné; de la même femme, soit une
criminelle, soit ujîe prostituée. La statistique nous signale
moins de délinquants dans le sexe féminin que dans le
suxe masculin ; la prostitution rétablit l'équilibre ou môme
fait pencher la balance d'un autre côté. Le suicide est
aussi une soupape de sûreté; il se produit dans telle àme
une crise qui peut également conduire à l'homicide de soi-
même ou à celui d'autrui. Aussi les suicides et les crimes
violeuls sont-ils d'ordinaire en proportion inverse dans un
pays et dans un temps donnés.
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- 17 -
m
Ainsi sont marqués les. caractères auxquels se recon-
naissent les délinquants proprement dits ; ainsi sont
établies les analogies qui rapprochent, les différences qui
séparent leur état physique et mental de Tétat où se
trouvent aliénés, sauvages et prostituées. Il faut mainte-
nant rechercher les causes du délit, disons Tétiologie du
délit, comme la médecine dirait : Tétiologie d'une maladie,
II y en a une, en effet, nous dit M. Lombroso, pour un
crime ainsi que pour une maladie quelconque, et peul
être est-ce encore la seconde qui offre le moins de
difficultés. II n'y a pas de crime qui n'ait des causes
multiples ; il faut les reconnaître et les distinguer, sans
oublier que plusieurs se réunissent souvent pour agir.
Cette partie du travail présente naturellement un cer-
tain nombre de points communs avec celle dont nous
avons parlé d'abord, mais Ton y trouve aussi beaucoup
d'observations et d'idées nouvelles.
L'auteur s'applique d'abord à l'étude des influences
météorologiques ; il leur accorde une grande puissance ; il
en a été assez frappé pour en faire l'objet d'un ouvrage
spécial. La température surtout lui semble exercer une
action souvent décisive, presque souveraine ; le crime,
selon lui, pourrait avoir son calendrier comme la flore ; la
criminalité change avec les climats ainsi qu'avec les sai-
sons; tel pays, ainsi que tel mois, produit tels délits en
plus grande quantité que tels autres. Les influences n'agis-
sent parfois que d'une manière indirecte ; si le mois de
janvier produit plus de vols et de faux que n'importe quel
autre, c'est que la saison qui est dure ajoute aux besoins
et diminue les ressources.
Une large part doit être faite à la race ; toutes les obsci-
vations recueillies sur les sauvages montrent un tempéra-
ment spécial, et le sang des sauvages circule encore dans
les veines d'un grand nombre de nos délinquants. S'il
s'agit du monde civilisé, les documents ont beau être rares
*2
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i
— 18 —
et incertains, ils mènent à une conclusion analo^^ue;
chatiuc pays a sa criminalité propre, les diverses parties
crua miiine pays ont leurs difiérentos et fâcheuses tradi-
tions. A Londres, il y a, parmi les voleurs, beaucoup de
liïs dlrlandais qui sont venus* s'établir dans la grande
ville; les plus habiles voleurs de toute l'Angleterre sont
originnirea du Lancashire ; en Russie, après la capitale,
c'est la Bessarabie et la Crimée qui donnent le plus de
délinquants ; rAlleniagnc a les colonies bohémiennes et
ritaiie les colonies albanaises.
M. Lonibroso passe, en outre, en revue la civilisation,
rulimeiilaliou, Falcoolisme, l'hérédité, Tàge, l'état civil,
la profession, réducation, le rachitisme, la conformation
du corps, les blessures reçues, la conception, les sensa-
lionS} rimitation, les passions. La folie n'est pas seulement
un analogue et un dérivatif du crime, elle en est une cause
dêlcroiinanle, soit directe, soit indirecte; tantôt ce sont
des fous qui engendrent des délinquants, tantôt ce sont des
délinquants eux-mêmes qui donnent des signes d'aliéna-
tion niontalû.
A rhércdité, dont la constatation est facile, on doit
ajouter ratavisme, aussi puissant que mystérieux, cmbras-
Hnni jusqu'à une longue suite de siècles, étendant son
action plus loin que la famille, que la race elle-mi-mc,
faisant retrouver dans uu homme de nos jours le sauvage
qui fut un de ses ancéïres et qui vécut peut-être il y a des
milliers d'années, au moment où éclate, aux regards stu-
péfaits de rhunianitô civilisée, une étrange férocité qui,
comprimée longtemps par l'éducation, par toutes les
înïluences dn dehors, par la terreur de la peine, reçoit de
telles ou telles circonstances une impulsion subite.
Tout serait à citer dans ces pages remplies de faits
curieux et de fines remarques; l'auteur a le plus vif désir
de se mettre hors des idées préconçues, quelles qu'elles
soient ; s'il n accepte pas les antiques doctrines de la méta-
physique, il ne veut pas davantage subir le joug des
banalités modernes» On peut être étonné au premier abord
d'entendre parler de la civilisation à propos des causes
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— 19 —
du délit; les chilïresde la statistique semblent lui attribuer
une influence funeste, la statistique se tromperait-elle ?
ou condamnerait-elle k civilisation? Il ne faut pas seule-
ment rappeler que, plus un peuple est civilisé, plus les
faits prévus par son code pénal spot nombreux et plus les
moyens de constatation sont efficaces ; il faut reconnaître
que la civilisation a, tout conimo Ja barbarie, sa crimi-
nalité spécifique ; à la barbarie le saîif; rôpanctu et les
associations de malfaiteurs ; k la civilisation qui multiplie
les besoins, les attentats contre la propriété et contre les
mœurs. Si la civilisation ne peut faire davantage, si son
action consiste à changer le caractère des délits, peut-être
à en augmenter le nombre, c'est un fait pénible à constater
sans doute, mais facile i\ comprendre pour quiconque sait
combien le progrès do rinstruction aide â combattre la
société plus qu'à la défenclre (1), Les pays civilisés sont
ceux où se forment les grands centres de population, et
c'est dans les grands centres que se réunissent les délin-
quants ordinaires; ra^glomération par elle-même pousse
au crime et à Timmoralité. L'auteur se f^arde trop soigneu-
sement des illusions pour ne pas signaler les dangers de
la presse comme il signale ceux de Tinstruclion elle-mùrae :
nulle puissance ne devient pour lui une idole, nul courant
ne l'entraîne . Il se détend de proférer contre la civilisation
un blasphèmequi ne servirait à rien, il se borne à constater
le bien à côté du mal ; les délits augmentent pour un
temps, mais ils offrent un caractère moins cruel; les plaies
sociales sont mieux soignées ; les maisons destinées aux
aliénés criminels, les prisons cellulaires, les établissements
industriels, les caisses d'épargne et spécialement les
caisses d'épargne postales, les sociétés formées pour
protéger les enfants vagabonds, voilà du moins des bien-
faits, voilà des garanties dont on est redevable à la
civilisation.
M. Lombroso est loin d'être un adversaire do la démo-
(1) 2« ôdi«on, p. 254.
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- 20 —
cratie, mais il constate que les institutions nouvelles, qui
gagnent tous les pays, encouragent à former des associa-
tions et que des entreprises les plus généreuses, dans les
états où elles sont établies, on passe bien vite aux desseins
immoraux et criminels. •
Il ne méconnaît pas non plus la part que la misère a
dans les fautes des hommes, mais la vérité révélée par
l'expérience ne lui permet pas d'admettre qu'on doive la
rendre principalement responsable de la prostitution chez
les femmes, du vol chez les hommes. Hommes et femmes,
c'est avant tout à leurs propres et naturelles dispositions
qu'ils obéissent.
IV
11 ne suffit pas de savoir quelles sont les causes du délit,
il faut se demander quelle en est la puissance. Elle est
grande assurément ; mais ne connait-elie pas, ne peut-elle
pas recevoir de frein ? L'homme qu'elle pousse au mal est-
il capable de lui résister? C'est une question qu'on se
pose avec inquiétude, quand on songe à la précocité d'un
grand nombre de délinquants, précocité qui s'ajoute à
d'autres preuves pour attester l'existence de véritables
afiections congénitales, quand on pense à l'empire de l'ata-
visme, quand on constate ce fait certain qu'une quantité
donnée de délits revient toujours d'une manière constante
et périodique : a Le crime, en somme, parait, d'après la
statistique, comme d'après l'examen anthropologique, un
phénomène naturel, un phénomène nécessaire , comme la
mort, la conception (1). » Si choquante que semble tout
d'abord cette nécessité, on en retrouve l'idée chez un Platon,
chez un saint Augustin , chez un saint Bernard ; elle est
implicitement admise par tous les auteurs, une fois qu'ils
en viennent aux faits, et les législateurs, par la rédaction
défectueuse des textes où ils traitent de la responsabilité^
trahissent l'embarras où elle les jette. Le mal, sous quelque
i) r édition, p. 380.
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- 21 -
forme qu'il se présente, sous celle de la prostiluLioa ou
sous celle du vol, est d'autant plus difficile à prévenir ou à
guérir. Mais la difficulté n'est pas rimpossibilité. Les soins
de la famille, les bons exemples, une éducation bienclingt'e,
le souci d'un nom honorable aident à contenir les lUîmvais
instincts que l'enfant a pu apporter en naissHDt. Un frein
est plus nécessaire encore à la femme qu'à l'homme, parce
qu elle est plus faible et plus passionnée à la fois. En
revanche, quel n'est pas le déplorable effet de rimitatiou
et d'une éducation mauvaise sur une nature qui n'avait
pas des instincts pervers? Quelles conséquences n'ont pas
les premières faiblesses des parents?
Après avoir cité un gran J nombre d'écrivains qui con-
cluent à la difficulté ou à l'impossibilité de rendre une
personne complètement responsable de ses actes, M. Lom-
broso s'arrête à l'objection : De quel droit punir ? et
répond : « Il n'y a rien de moins logique que ce qui leut
l'être trop, rien de plus imprudent que de vouloir tirei-
des théories, même les plus sûres, des conclusions qui
peuvent causer un trouble, mi?me le plus lè^er, à lu
société. Le médecin, au lit d'un malade et en itU*,e- d un
grave péril, révoque encore en doute le système dont il
est le plus certain ; ainsi doit faire le philanthrope, qui,
d'ailleurs, en essayant une innovation de ce genre, n'arri-
verait pas à montrer l'inutilité et l'impuissance df la
science (1). » Si le délit est un fait nécessaire, la défense
et par conséquent la peine sont aussi des faits nécessaires.
Il n'y a sur le droit de punir qu'une théorie solide, celle
qui se fonde sur l'indispensable besoin de la peine, qui
invoque le droit de défense, la théorie qui n'a pas cessé
d'être professée en Italie depuis Beccaria et qui a trouvé
de chaleureux adhérents, même dans d'autres pays.
M. Lombroso relève, nous nous permettrons dédire, en
l'exagérant, une tendance du droit criminel dans les temps
modernes. La sévérité des peines, la fréquenlefipi)liratîon
(1) 2« édUlon, p. 382.
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— 22 —
du dernier supplice lui font dire : « On partait de l'idée
que le méohaiU ne s^amôliore jamais et donne naissance à
des enEants qui .sont des méchants comme lui ; on tuait le
coupable, et la mort prévenait les récidives (1). » Il combat
coDStamment la théorie qui fait de l'amendement le but
de la peine. « On sait très bien, iHl-il encore (2), que
l'amendement est toujours ou presque toujours excep-
tionnel, que la récidive est la règle et que la prison,
quand elle n'est pas cellulaire, ce qui est économiquement
împraLiccible sur une grande échelle, non seulement
n'améliore pas, mais empire le coupable, pour qui elle
est une école de niaL Et comment, avec cette théorie,
punir les crimes politiques, ceux de premier mouvement,
suivis presque toujours d'un soudain et complet repentir,
ceux qui sont inspirés par un senllment généreux, comme
ce vol commis par un neveu au préjudice de sa tante pour
acquitter la dette da celle-ci envers un pauvre ?» La
plupart de ceux qui soutiennent la théorie de Tamende-
ment tombent dans d'étranges contradictions ; on flétrit
le coupable par le chiUiment qu'on lui inflige, en lui
disant : Améliore-toi î M. Lombroso ne combat pas avec
moins d'énergis les autres théories au fond desquelles il
ne retrouve pas la défense sociale. Nous remarquerons
particulièrement le soin avec lequel il paraît exclure
ridée de justice ; il ne veut pas qu'on subordonne le délit
d l'exercice d'une volonté a la fois perverse et libre:
u Comnieûl croire, dit-il (3), à un principe absolu, éternel,
de justice dans Thunianîté, quand nous voyons sur ce
sujet tant de diflérences a si peu de distance dans le temps
et dans Tespace ? «
V
Le délit â, comme les maladies, son étiologie ; il a
aussi sa thérapeutique. M. Lombroso pose le principe en
(]] S^ édition, p. 385.
(S) Îbi4 , p. vï8fl.
(3J ifrid., p. dEK
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^m
— 23 —
ces termes : « Plutôt que de soigner le délit qunnd il est
déjà adulte, nous devons tenter de le prévenir, sinoii eu
supprimant, ce qui est impossible, du moins en afl^iiblis-
sant rinfluence des causes précédemment étudiées (1), »
On ne peut annuler Faction du climat et de la race, mais
on fera les lois de manière à en limiter les efTots, Il y a
des restes et des retours de barbarie ; on abattra les lorûts
où les malfaiteurs se réunissent, on désarmera les popu*
lalions, on se gardera d'emprunts prématurés a la civili-
sation, rénergie de la répression dominera celle des
instincts, on intimidera ceux qui seraient tentes de devenir
coupables. L'auteur se montre fort opposé au droit de
grâce. La civilisation a ses dangers, comme la barbarie ;
mais plus elle rendra facile l'organisation du crime, plus
il faudra que l'organisation de la police soit savante ; k
de nouveaux périls seront opposés de nouveaux moyens de
défense ; la presse fait du mal, mais elle peut le réparer,
en portant à la connaissance de tous le sigualenient et
même le portrait du criminel qu'on veut anùter ; Tins-
truction est loin de répondre à toutes les espérances
qu'elle a fait concevoir; mais qu'on ne se contente pas
d'enseigner l'alphabet, qu'on inspire aux enfants des
sentiments élevés, en décernant des récompenses pour le
travail, le bon caractère, les élans généreux, en répandant
ces utiles institutions des temps modernes, les caisses
d'épargne, les magasins coopératifs.
C'est dans cette partie de l'ouvrage que sont exposés,
et de la manière la plus intéressante, les idées de
M. Lombroso sur le régime pénitentiaire. Contre le vaga*^
bondage et l'oisiveté, il propose de créer des élabl isscmenlSj
principalement des colonies agricoles, où le travail obliga-
toire, sous une rigoureuse surveillance, finira par triom-
pher delà paresse. Il attache avec beaucoup de raison une
grande importance aux institutions faites pour lenfance
et la jeunesse ; il juge très sévèrement les maisons de
(1) 2* édUlon, p. 380.
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i
- 24 —
réforme, telles qu'elles existent, avec le contact nécessai-
rement pernicieux auquel elles soumettent les détenus,
avec leur nombreuse population, rendant impossibles toute
direction, toute action individuelle ; il faudrait modifier
sensiblement celles de ces maisons qui seraient conser-
vées, en ouvrir de spéciales pour les orphelins ou les
abandonnés, développer ce qu'on pourrait appeler les
internats de jour, espèce d'asiles forcés pour les enfants
de six à douze ans qui sont privés de tous moyens d'édu-
cation, soit à cause de leur propre opiniâtreté, soit à cause
de l'incapacité des parents, ou qui vont déjà courir les
places publiques et chercher des associés de leur âge
pour commettre des vols. La prison cellulaire n'améliore
pas, mais elle empêche l'homme de devenir plus mauvais,
et c'est déjà beaucoup : il est vrai qu'elle est très coûteuse,
qu'on ne saurait l'organiser complètement et que le pas-
sage immédiat de l'isolement forcé à la vie libre et
commune est singulièrement dangereux. Comment l'amé-
lioration peut-elle être obtenue ? Il faut prendre l'homme
tel qu'il est, lui offrir des avantages matériels ou flatter sa
vanité ; ces moyens réussiront mieux que les prédications.
Que son sort s'adoucisse, que la liberté lui soit rendue
plus tôt, s'il se conduit bien. L'auteur tient aux senti-
ments moraux, car il veut relever les condamnés à leurs
propres yeux en leur faisant comprendre qu'ils peuvent
recouvrer l'estime du monde. S'il accepte le système
irlandais, c'est sans illusion, et il veut ajouter ce qui se
pratique à Zwickau, en Saxe, mais ce qui est beaucoup
plus difficile à obtenir dans un grand pays, une répression,
une méthode de direction et un genre de travail appropriés
aux individus ; un médecin n'applique pas le même traite-
ment à deux sujets différents pour la même maladie.
Justement méfiant à l'égard des condamnés, M. Lombroso
ne veut pas laisser leur pécule à leur disposition, non pas
même après leur peine finie ; la somme accumulée devrait
être déposée dans la caisse des communes ou des patrons,
dépôt qui serait, en même temps qu'une épargne forcée,
une garantie de moralité, la caisse ne versant que l'intérêt
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- 25 -
et retenaaft iodëfimment le capital ea cas de récidive. Le
patronage des adultes n'a guère que des ioconvéoients
aux yeux de M. Lonibroso.
Il combat vivement la déportation, m^is demande des
établissements d'incorrigibles, où ceux qui ont lassé la
patience de la société par leurs nombreuses récidives
seraient retenus jusqu'à ce que leur amendement ou plu-
tôt leur impuissance à nuire fussent enfm assurés, assu-
rance qui, d'ailleurs, ne pourrait résulter que de preuves
vraiment extraordinaires. On ne peut entrer dans le
détail de l'organisation qu'il réclame; mais ici comme
partout, quelques divergences qui se puissent élever sur
les principes, il faut admirer la profonde connaissance du
sujet, la finesse et la sûreté des observations, la sagesse
pratique.
L'indépendance habituelle de l'auteur se montre bien,
quand, tout en faisant la part de notre civilisation et de
ses délicatesses, il conseille de substituer à l'emprisonne-
ment, si souvent pernicieux, non seulement l'amende à
laquelle tant de gens sont si sensibles, mais aussi des
peines corporelles, le jeûne, la douche, le fouet, à côté du
travail obligatoire, de la séquestration imposée à une
personne dans son propre domicile et sous garde, de
l'envoi dans une contrée inhospitalière.
L'auteur a traité, avec un soin particulier, une question
à laquelle aboutit en quelque sorte tout son livre, quand
il s'est occupé de maisons de fous criminels. N'est-ce pas la
conclusion logique et pratique à la fois d'un ouvrage qui
tend à démontrer que le délinquant occupe une position
intermédiaire entre l'homme sain d'esprit et l'aliéné, plus
près toutefois du second que du premier ? Qu'il ne soit pas
puni, celui qui ne jouissait certainement pas de sa raison,
quand il a versé le sang d'un autre, mais que la société se
protège elle-même contre un membre si dangereux ; que,
dans le doute, la conscience du juge ne soit pas mise à la
torture par la nécessité de laisser des citoyens paisibles
sans défense ou de prononcer une condamnation immé-
ritée ; que la simulation, plus facile à déjouer qu'on ne le
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— 26 —
croit, soit en tout cas découragée par la craiote d'une
dëtentioa perpétuelle dans un établissement soumis à une
discipline sévère. Cette détention empêchera le crime de
se perpétuer par l'hérédité, de se propager par Tasso-
cicition. Les objections sont réfutées, la part est faite à ce
qu'elles coutiennent de fondé, les règles générales sont
posées avec Ja plus grande impartialité.
VI
M. Lombroso, dans un travail particulier, a fait Tappli-
catîon de son système à toute une classe de faits punis-
sables, aux délits politiques (1). Lui-môme nous avertit
que cette application est singulièrement utile : a Ce qui
nous a frappé le plus, en étudiant le délit politique au point
de vue de l'anthropologie criminelle, c'est la nouvelle
lumière qui se répand sur ce sujet lorsqu'on prend pour
guide les critères et les méthodes de cette science qui étu-
die, non plus le crime, mais le criminel ».
Les délits politiques sont produits par trois séries de
causes, pliysiques, sociales et anthropologiques.
Les causes physiques sont notamment le climat, les sai-
sons, la position géographique et la configuration du pays,
la chaleur.
Parmi les causes sociales, nous trouvons la lutte pour la
suprématie entre les différentes classes, la disproportion
entre Télat de civilisation et les conditions économiques,
— d'où la Révolution française et les mouvements socia-
listes de nos jours, — surtout le désaccord entre les formes
politiques et les sentiments ou les besoins nationaux, ainsi
que le contraste des diverses croyances religieuses. Voilà
les causes vraiment constantes, celles qui en tout pays
amènent des révolutions. Il y en a d'autres qui ont un
caractère plus fortuit, qui tiennent aux occasions ; telles
sont Tapparition de chefs révolutionnaires, comme un
(1) Bu délit polUiqvs au point de vue de V anthropologie cHminelle,
Nouvelle Revue, l" mai 1886, p. 71 et suivantes.
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— 27 —
Rienzi oa un Masaniello, l'influence de grands écrivains,
comme les encyclopédistes, l'action de la presse, Tiraita-
tion : la Commune s'inspirait de 1793 et 1793 s'était inspiré
de Cromwell.
Enfin au nombre des causes anthropologiques sont : « La
coexistence de races inassimilables, la tendance de cer-
taines races aux changements politiques, aiosi qu'une fou le
d'anomalies individuelles de fonctions cérébrales ; anoma-
lies innées, telles que la criminalité ou la folie morale ; ou
anomalies acquises, telles que l'ateoo/ïsme et la folie, qui,
toutes, concourent à former, môme pour les délinquants^
politiques, les trois catégories de délinquants-nés, habituels
et fous que l'anthropologie criminelle a désormais éta-
blies. »
Comment concevoir que des criminels-nés ou fous moraw j?
fournissent à la criminalité politique un contingent consi-
dérable? <£ La chose s'explique par le fait que, si les cri-
minels-nés ou les fous moraux sont inférieurs aux per-
sonnes normales pour ce qui est du sentiment, ils leurs
sont supérieurs pour la promptitude avec laquelle ils
embrassent les idées les plus neuves et les plus auda-
cieuses, en opposition au misonéisme, c'est-à-dire l'horreur
du nouveau, qui est inné chez les botes, chez les sauvages,
ainsi que chez une bonne partie de la masse ignorante. Le
manque même de sens moral fait en sorte qu'ils se déta-
chent plus facilement des tendances habituelles et com-
mettent des homicides, des régicides, etc., devant lesquels
les hommes moraux reculent. — L'impulsivité qui les
pousse leur fait exécuter ces actes avec une ténacité et une
rapidité extrêmes ; ils deviennent ainsi des hommes d'ac-
tion, et par conséquent des instruments de changements
souvent nuisibles, mais quelquefois avantageux dans This-
toire politique d'une nation ». En toute matière, dans
l'ordre intellectuel aussi bien que dans l'ordre social, c'est
le culte de la routine qui est la règle, « la création est
l'exception et n'a lieu que par l'œuvre d'individus anor-
maux, qu'ils soient des génies, des fous, des criminels ou
des mattoïdes. » Il ne faut pas, d'ailleurs^ traiter de même
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— 28 ~
tous les criminels. Il y ea a qu'attire la nouveauté, qm
veulent détruire les vieilles choses : « Le Code pénal devra
se montrer plus doux envers eux. Mais il y en a d'autres
qui ne cherchent dans le crime politique qu'un prétexte à
Tassouvissement de leurs tendances criminelles, sachant
bien qu1l répugne moins à la conscience publique, et aussi
pour se venger de la justice qui les a punis et qu'ils con-
fondent avec la constitution en vigueur. » Ces gens-là sont
les plus dangereux, à cause de l'ignorance des masses et
de l'indulgence des honnêtes gens.
Les instincts délictueux profitent des circonstances favo-
rables, d'où les excès de tout genre, les cruautés qui se
commettent au milieu des révolutions, qui se commirent
HU milieu et à la faveur de la Révolution française.
L'auteur dit un peu plus loin : « Nous observons que la
criminalité n'est pas tellement éloignée du mouvement
socialiste qui préoccupe à juste titre l'époque moderne;
elle se révèle précisément au sein de la fraction du parti
socialiste qui, à cause de ses intempérances, est animée du
ilésirdetout détruire par des moyens quelconques »
Les exemples ne manquent pas à l'appui de cette observa-
tion.
Ils viennent aussi confirmer cette autre idée, « que sous
l'influence d'éléments criminels, des associations instituées
dans un but honnête, purement politique et social, dégé-
nèrent en vraies associations de malfaiteurs ».
Dans ce qui précède, M. Lombroso trouve « une nouvelle
preuve de la nécessité de l'étude subjective du délinquant ;
la société ayant le droit de se défendre contre ceux qui
attentent à sa sûreté ainsi qu'à la tranquillité de son déve-
loppement progressif, elle l'a à plus forte raison si l'examen
du délinquant politique révèle son caractère de criminel-
né, de cet ennemi éternel de tout arrangement social, qu'il
cache sous la couleur politique ou qu'il développe d'une
manière quelconque son activité funeste. C'est pourquoi
nous réclamons pour les criminels-nés ou fous moraux,
qui, en dehors des caractères anthropologiques, crânio-
logiques, etc., se distinguent facilement par le manque de
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- r"^i^^:î^-.-^î*^'^''^i(7V
— 29 —
sens moral et par la cruauté de leurs actes, Tapplication
des peines établies par les délits communs équivalents,
graduées selon la dépravation plus ou moins grande mani-
festée par leurs auteurs ; exception faite cependant de la
peine de mort ou d'autres peines très sévères et perpé-
tuelles pour ceux que Télément passionnel aurait contraints
à exécuter un délit purement politique dans Tinteution ou
dans Texécution. El, comme les délinquants-nés et les
délinquants par habitude sont tout aussi dangereux, à cause
de répidémie d'imitation qu'ils propageront parmi les
masses, qu'ils le sont par eux-mêmes, nous croyons néces-
saire tout un système judiciaire qui empêche cette propa-
gation et la délinquance : c'est-à-dire, des maisons de cor-
rection pour les mineurs, dos pénalités plus fortes contre
les récidivistes.
La folie, qui commence par être une cause, devient
ensuite un effet dans les révolutions, et la société, qui se
défend contre le crime, doit aussi se défendre contre elle :
(( La haine du milieu, auquel les fous attribuent les souf-
frances qu'ils doivent à leur propre organisation et qu'ils
espèrent faire cesser en modifiant ce milieu », substitue le
philonéisme au misonéisme, disposition commune dans l'état
normah Pour ces fous politiques, comme pour les fous
criminels en général, M. Lombroso réclame l'institutioa
« d'asiles d'aliénés criminels , dans lesquels on devrait
rendre l'admission aisée en temps de troubles, tandis que
les mattoïdes , beaucoup moins dangereux que les fous et
qui ne le sont que dans des circonstances déterminées,
devraient être renfermés justement à l'occasion d'événe-
mentsT)olitiquëS^ extniôrdînaTres^ou lors qu^îlg m anîfggtent
l'intention de passer de la théorie à la pratique. ))
Les mesuTes à prendre contre l'alcoolisme rentrent dans
les moyens qui doivent prévenir les délits politiques.
La difficulté de décider est plus grande quand il s'agit
de délinquants par passion : « En effet, rien chez eux n'est
physiquement anormal, saut peut être une hyperesthésie
qui leur fait ressentir plus vivement le poids de l'oppres-
sion étrangère et celle du tyran, ainsi (|*ieleé souffrances
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— 30 —
et les préjugés qui en découlent pour le peuple et pour le
pays. — Au aorabre de ces gens-là se trouvent les Luther,
les Corday, les Orsini, etc., que Thistoire enregistre parmi
les plus nobles figures de martyrs. » En condamnant les
supplices atroces, la science positive pénale « londe sa
mission de tutelle sociale contre les coupables politiques
sur le droit de la majorité d'exiger que le régime constitu-
tionnel, social et religieux qu'elle s'est donné soit respecté,
la vie et le bien des citoyens sauvegardés. » Comment,
d'après quelles données anthropologiques déterminer aies
coupables politiques par passion? w Une première donnée,
toute négative, est « Tabsence complète du type criminel » ;
ensuite la conduite qui suit le délit : a Loin de chercher à
l'atténuer, ils afllrment l'avoir accompli, convaincus de
son utilité; ou bien, s'ils s'en repentent, ils en afîrontent
les consi^quences avec la sérénité d'une âme forte et géné-
reuse ; enfin le nombre considérable de suicides qu'ils
commettent immédiatement après le délit est la preuve
d'une impulsion tout à fait passionnée. . . >
Restent les coupables d'occasion, ceux sur lesquels agis-
sent toutes les causes sociales indiquées plus haut, notam-
ment le manque de proportion et d'accord entre l'état de
civilisation et les conditions économiques, « surtout quand
rinstruction n'est pas solide, mais incomplète, H donne
lieu à celte foule d'oisifs, de déclassés, de gens ayant honte
du travail manuel, chez lesquels une grande ambition est
accompagnée d'une force intellectuelle minime ou faible, »
Les moyens qui permettront de lutter « doivent ici être
prcvenliEs et fournis par la sociologie »; quant au régime
pénal, il sera <t semblable à celui qui s'applique aux délin-
quants politiques par passion, mais avec moins d'égards,
parce que leur sensibilité est moins élevée et parce que
généralement ce n'est pas l'impulsion seule qui agit chez
eux. »
Ainsi s'applique le système général à une catégorie
spéciale de délits; peut-être vaudrait-il mieux dire qu'il
s'adapte ainsi même à la catégorie de délits pour laquelle
il semblait le moins fait.
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— 31 -
VU
C'est M. Lombroso lui-même qui a voulu compléter son
œuvre, en publiant u la suite la Théorie de la lutelte pénale,
brièvement exposée, de M, Poletli (i), dont le caractère est
plus proprement philosophique et juridique.
L'auteur commence par signaler ce qui innuque aux
théories jusqulci produites, surtout à celles de la di^feûse
sociale et à celle de Tamendement. H redoute particulière-
ment la confusion du droit et de la morale; o^est cette
confusion qui empêche de recou naître les vrais foude-
ments du droit social; elle ne permet pas de voir que la
morale naît directement de la conscience individuelle^ la
droit de la conscience collcclive, où se forment ces senti-
ments, ces opinions, ces habitudes cjui se traduisent en
lois et régissent à ce titre Tassociation civile. Si cette
dernière idée est vraie, le droit de la société sur le délin-
quant ne peut aller, d*une part, jusqu'à punir les actes qui
ne dépassent pns, d'une manière indubitable, le domaine
de la conscience individuelle; d*autre part, jusqu'à frapper
la racine même du droit, qui est la personnalité du délin-
quant. Le droit pénal a sa matière propre qu'il faut ana-
lyser; on devrait étudier, et la personne juridique du
délinquant, et la personne juridique de Tétre collectif :
c'est à cette condition seulement que Ton peut découvrir
les lois multiples et complexes qui entreront dans une
théorie enfin complète et solide. Jusqu'à présent, les
criminalistes se sont laissé enchaîner par les textes des
lois positives ; ils ont fait rentrer n dans le Ht de Procuste *
d'un principe unique des faits innombrables; ils n'ont pas
voulu étendre leurs recherches au delà du phénomène
juridique, pour rencontrer les vrais facteurs de l'action
criminelle, de rimputabiiîtô, et par conséquent de la
répression sociale. Ecrivains et législateurs se sont attachés
(1) Page 613 et sulv., î^" édilion.
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i
à ce qui est seulement iiitrinsèquo; ils ont défini les délits
d'une manière abstraite. Sur cette matière, on en est
encore au temps de Grolius, au temps même des Romains.
M, Poletli s'applique à la tâche qui a été trop négligée;
il étudie le délit « par rapport à réconomie de la nature
humaine. » (1) — « Le délit» considéré par rapport aux
lois de la nature, prises dans leur signification la plus
étendue, est un évéueiiient innocent. Qu'importe, en effet,
SL dans ce perpétuel va-et-vieul de la vie, dans cette répé-
tition continuelle d'un acte tout-puissant, par lequel les
êtres sont conduits de l'existence à la dissolution, et de la
dissolution à l'existence, ta matière organique passe d'une
forme à une autre sous l'inlluence des ardeurs cuisantes
du soleil, des froids meurtriers, du plaisir qui affaiblit ou
de la douleur qui détruit, du sacrifice spontané de soi-
miïme ou du poiiiMard homicide de l'assassin? La nature
ne distio^uc pas entrt^ ley modes : le charme des voluptés,
Taltraction de Tamour, la fureur des batailles la servent
également, puisque la vie trouve précisément dans la mort
son aliment principal fi), » Mais, « si le délit ne peut être
rej;ardé comme un mal par rap[>ort à ses conditions les
plus générales ei a la nécessité invincible qui en cause
rappaiition parmi l*universelle multiplicité des phéno-
mènes sociaux, il devient tel, au contraire, dans un sens
relatif, par rapport aux qualités, aux 'caractères et aux
formes que cette loi prend dans Thomme. »
Quelle part sera faite à la jiislice dans la répression? La
justice est le caractère particulier de l'humanité, et ce
caractère, Thomme le communique à toutes ses actions. Il
réprouve le délit, mf>ius psrce qu'il se sent lésé dans
ses intérêts que parce qu*il se sent offensé dans une
partie plus intime et plus dêlit-ale, dans celle qui con-
stitue sa nature même : « Eu fait, le délit est-il seule-
ment un acte nuisible aux intérêts sociaux ? ■ On punit,
(1^ ChapUrè ni
(i!) page tiTâ et suivante a
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- 33 -
alors même qu'il n'y a pas de dommage causé. Le parri-
cide ne fait pas craindre le parricide, le crime est trop
atroce pour trouver des imitations. Il y a donc pour punir
des motifs plus forts que Tintérôt, « qui, par lui-môme, ne
pourrait en aucune façon, justifier une peine. >
Mais dequelie justice est-il question? Apres avoir écarté,
entre autres principes, la justice idéale et immuable, le
pur sentiment du bien et du mal ou sens moral, Tau leur
arrive à cette conclusion : « Les caractères jïénéraux par
lesquels on acquerra la certitude qu'une aclioo est criiiii-
nelle et doit être qualifiée telle ne pourront se tirer de nos
sentiments, de Tintérôt social, de l'idée môme de justice
en particulier ; mais seulement d'une chose plus complexe
par sa nature et plus vaste , et en même temps plus
invariable et plus sûre. »
Assurément, il n'y a pas de témoins qui méritent plus
de confiance que notre raison, que notre conscience ; mais
il faut chercher ce qui se cache sous leurs attestations, et,
pour le trouver, aller jusqu'aux conditions générales,
invariables, nécessaires qui constituent Téconomie hu-
maine ; qu'on ne parle plus de droits et de devoirs naturels;
on sera en présence d'une économie que nul ne pourra"
contester. La raison en est une partie intégrante, allons
plus loin, la partie principale et caractéristique : elle n est
pas tout, et par conséquent elle ne peut, à elle seule,
fournir le caractèrç et les éléments essentiels du délit;
quand l'homme agit, c'est avec toutes ses fonctions, suivant
les modes particuliers de la vie, conformément à des lois
dont l'immutabilité se confond avec celle du destin.
Le délit se reconnaît à des signes qui ne laissent aucune
place au doute ; la conscience de Thumanifé. qui est essen-
tiellement juste, se soulève contre les actes qui lui inspirent
une invincible répugnance et auxquels elle oppose, comme
un puissant bouclier, cet ensemble merveilleux de ten-
dances, de sentiments, d'idées qui se rencontrent dans
l'individu et dans la société pour assurer la tranquilité de
leur existence. Un acte révèle la férocité d'une personne,
son intention perverse ; il montre un péril ou undoiiunajïe
3
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— 34 -
suspendu sur la société ; Tépouvante saisit les consciences.
Aussitôt une activité spontanée se manifeste; la loi qui
conserve Téquilibre humain, la justice déploie une série
de mouvements de défense ou de résistance, au moyen
desquels la société et Tindividu, cédant à une impulsion
naturelle, s'appliquent à faire cesser Toflense, le dommage
et le péril résultant du méfait, et, s'élevant plus haut,
cherchent à en eflacer Timpression funeste, TefTicace mau-
vaise, rinfluence immorale. Là où Ton voit ces signes, est
le délit. Le caractère essentiel du délit consiste dans cette
opposition manifeste d'un acte avec les propriétés mêmes
de notre nature : les dissentiments qui se sont élevés sur
Tessence du délit tiennent à ce que les penseurs n*ont pas
considéré Thomme dans Tensemble de son économie et
n*ont pas regardé les grandes manifestations de l'humanité
comme des effets divers de la loi de conservation qui régit
cet organisme ainsi que tous les autres. L'expérience
démontre aujourd'hui cette « loi irrésistible, qui entraîne
la société à déployer contre le délit tous les moyens de
résistance dont elle se trouve heureusement munie pour en
combattre efficacement l'activité funeste et dissolvante » (1).
Cette loi, qui est celle de la justice, étant établie par la
nature, se fait sentir à l'auteur même de l'offense; de là
les effets habituels d'évanouissement, de terreur, d'impré-
voyance et de remords : « Cette réaction, par laquelle la
loi suprême de la nature humaine poursuit, afflige, torture
la conscience du coupable, est la seule et vraie peine du
délit, et c'est elle qui n'est pas infligée par une force extra-
ordinaire, mais qui s'applique spontanément, par suite des
dispositions mêmes de la nature humaine » (2).
Ainsi caractérisé, le délit (( ne pourra pas être considéré
comme un événement fortuit et comme un trouble acci-
dentel de l'ordre; on devra le tenir pour l'effet régulier
de propriétés qui sont inséparables de la nature humaine,
(1) Page 085.
(2) Page 68<3.
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- 35 -
eltet combattu, d'ailleurs, par de prévoyantes résistances, »)
— Il est donc lemp3 que « la justice sociale, se conformaiU
à des principes différents de ceux qu'elle a suivis jusqu'à
présent, comme guides de ses jugements, renonce à s'armer
de lois inhumaines pour frapper, comme des monstres^
quelques êtres qui, à la lumière de la vraie science, pour-
raient souvent paraître fort malheureux. Il est temps
qu'elle sorte de ces termes dans lesquels on veut la tenir
encore enfermée, et qu'elle abandonne son point de départ
habituel, quand elle veut juger du délit, pour qu'il ne lui
arrive pas de commettre une iniquité par l'acte même qui
tend à rétablir le droit violé » (1).
Du délit, M. Poletti passe à l'imputabilité (2) : « Si tout
homme est mis dans la nécessité d'agir par une loi dont
l'éternel mouvement n'a pas un instant de trêve ; si les
qualités intrinsèques, qui nous sont données par l'orga-
nisme, impriment un caractère particulier à nos actions ;
si chacun de nous ignore les conséquences éloignées de
ses actes, ou peut seulement les entrevoir très douteuses
et très confuses dans l'obscurité de l'avenir; si l'activité
et la volonté de tous modifient constamment celles de
chacun en particulier ; si enlin chacun, en agissant, ne
peut faire mieux que de se conformer aux lois de la nature ,
suivant la connaissance plus ou moins exacte qu'il en
possède et suivant son sentiment, comment pourra-t-on
déterminer la mesure vraie de l'imputabilité des actes
humains? — La raison est effrayée, quand elle se meta
examiner ce nonabre extraordinaire d'influences, de con-
cours, de prémisses, dont l'origine est dans l'ensemble de
toutes les volonté» actives et qui viennent ensuite déter-
miner la valeur particulière des actes de chaque individu .
En concluera-t-on que l'imputabilité n'existe pas, que
l'auteur d'un délit n'en doit pas répondre? Loin de noua
cette conclusion! »(3).
L'activité humaine est dirigée vers une fin; elle tend k
(Il Pag-î 687.
[î] Chapitre iv.
;H) Page 093.
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— 36 —
Ufi état de bien-ètre supérieur, de perfectioQ et de justice.
La somme des vérités utiles et des bienfaits sociaux
s'augmente sans cesse; les lumières s'accroissent. Les
forces et les volontés extrinsèques viennent aider notre
activité personnelle, tout en la limitant. Dans toute action
se trouvent des caractères qui tiennent aux tempi^raments,
aux instincts, aux aptitudes originaires de Tagent; mais
on voit aussi combien l'expérience, Téducatiou, l'exemple,
la volonté ont de pouvoir pour modifier les tendances
premières du cœur, pour le disposer à la verlu, aux
nobles sentiments. L'obstacle même qui vient d*aulrui,
s'il décourage les faibles, stimule les forts.
La conscience a un sentiment intime de riniputabilité ;
mais il faut aller plus loin : « On ne dira pas tjue les
actions bumaines sont imputables parce que rbomme a
une volonté ou parce qu'il est libre, mais parre que, pen-
dant qu'il est formé par la toute-puissance des lois
naturelles, pendant qu'elles lui tracent une direction^
t[ui est celle de l'humanité vraie, lui, dans les rapports
qu'il établit et échange avec le concours de r^r^uvï c et les
délibérations des associés, apporte quelques aptitudes rai-
sonnables et humaines, qui donnent nécessairement à
tous ses actes un caractère, celui de lui être imputables.
U résulte évidemment de tout cela que, pour déterminer
riniputabilité d'un acte, il faudra prendre en considération
tout ce qui concourt à le développer: puissance des lois
naturelles, état originaire ou accidentel de Tindividu, sa
situation économique, l'éducation qu'il a reçue, les
influences sociales qui, bonnes ou mauvaises, s'imposent
à chacun comme autant de règles de conduite publique ou
privée, en un mot, l'ensemble de conditions constantes et
multiples dont il faut connaître les rapports avec l'acte
pour en déterminer avec justice l'imputabilité. » (!)
Peut-il y avoir imputabitité sans volonté (2) ? Mais y
a-t-il vraiment une volonté, une volonté libre ? A de telles
1) Page 697.
2) Cbap. IV , De la volonté comme cause déterminante du aétit*
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'^mmm^'
- 37 -
questions on ne peut répondre que par J 'étude des causes
les plus intimes. Il est nécessaire d'écarter toute illusion ,
la principale, d'après la remarque d'Herbert Spencer,
« semble consister dans la suppositiou que, à tout instant,
le moi est quelque chose de plus qu'un agrégat d'idées et
de sentiments actuels et naissants, qui existe uIovb en
lui. » Or, le sujet considéré psychiquement est identique
à la situation de conscience qui détermine l'action ; il
croit avoir voulu, erreur étrange l ce qui détermine
Taction, c'est une certaine cohésion d'états psychiques;
sont-ce les états psychiques qui déterminent leur propre
cohésion? Il serait absurde de le soutenir- L'acLe volitif
résulte de cet ensemble de conditions qui mettent Thomma
en mouvement, de cette somme de stimulants ou de
mobiles qui peuvent le faire agir. Dès lors il faut chercher
comment se forment ces mobiles eux-mêmes. L'auteur
compare trois personnes qui reçoivent une injure grave:
c'est d'abord un homme d'un esprit délicat et sensible,
qu'elle jette dans un abattement subît et profond, qui ne
trouve ni parole pour s'expliquer, ni force pour réagir
contre l'injuste agresseur. C'en est un autre chez qui etle
éveille une excitation aussi prompte qu'énergique d'où
sort aussitôt une réaction violente, C'en est un troisième,
qui n'est ni passif et impuissant comme le premier, ni
impétueux comme le deuxième, qui îîe lève avec dignité,
qui oppose à l'auteur de l'injure une fermeté admirable et
un juste mépris : « Des deux premiers on dira que, dans
cette occasion particulière, ils n'ont pas été maîtres de
leur volonté; du troisième, au contraire, qu'il a su en
conserver la possession ; l'on dirait plus exactement, non
qu'il a su, mais qu'il a pu la conserver, — que montrent
ces faits ? que la volonté, elle aussi, a des limites dans les
cas particuliers ; mais, si ces limites existent dans les cas
particuliers, on soutiendra avec raison que Taclion volon-
taire en général doit se dérouler dans les limites déter-
minables et certaines » (1). — « Une de ces limites est celle
(1) Page 701 et sulv.
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4
- 38 — .
qu'on rencontre dans les actes automatiques ou instinc-
tifs : ces actes s'accomplissent en dehors de la volonté,
parce que la parfaite adaptation des organes qui ont
reçu pour mission de les produire leur assure par avance
une évolution spontanée et régulière. » A ces actes s'op-
posent les actes qu'on appelle volontaires, « en tant qu'ils
ont besoin d'un ordre rationnel, qui s'y introduit pour
tenir lieu de cette spontanéité originaire, appelée à gou-
verner les premiers et à en assurer la manifestation régu-
lière. » A propos de cette seconde classe d'actions, peut-il
être question de limites? N'y a-t-il pas aussi quelques
principes qui les forcent à suivre une certaine marche?
Les habitudes qui dérivent des associations créées par
l'éducation, par les usages sociaux, par les sanctions
pénales elles-mêmes, sont précisément celles qui ont pour
fin de subordonner à une loi rationnelle les actes étrangers
à l'aveugle domaine de l'automatisme et de l'instinct.
Mais les habitudes, fussent-elles dirigées vers une fin juste
et légitime, produisent nécessairement ce singulier effet,
que par elle la liberté du vouloir perd en étendue dans la
même mesure qu'elle gagne en intensité et en certitude, « le
propre de l'habitude, d'après une loi psychique bien connue,
étantde rendre spontanées et même inconscientes beaucoup
d'actions qui étaient d'abord conscientes et volontaires. »
Si l'action dépend d'un développement d'énergies orga-
niques, dont les éléments sont donnés par un certain
nombre d'idées et de sentiments qui entrent dans le
domaine de la conscience, le délit peut être ramené à un
groupe d'idées «et de mouvements affectifs comme à ses
antécédents, à ses causes. Ces idées, ces mouvements, d'où
viennent-ils? obéissent-ils à quelque loi ?
« Tilius a médité, préparé, consommé son crime en
mettant le feu à la maison de son voisin. Tout concourt à
prouver que le fait a été commis avec une froide prémédi-
tation; il l'a donc voulu..., qu'on examine; une cause
quelconque a d'abord agi sur l'esprit de cet homme ; on
peut supposer qu'un dommage souffert, un gain manqué,
une violence subie aient fait d'abord naître en lui l'idée de
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— 39 —
se venger ea livrant aux flammes la maison de celui qui
Tavait offensé. L'efiet cependant n'a pas suivi aussitôt
ridée; tout au contraire, celle-ci a sommeillé, a paru dis-
paraître de l'horizon de sa conscience. La vérité était bien
différente 1 pendant ce temps de calme s'accomplissait au
contraire un travail inconscient; l'idée se combinait avec
d'autres, et ensuite elle a reparu plus puissante cl plus
pressante dans une association de forces qui, maintenant,
éclatent menaçantes jet auxquelles cet homme ne résiste
qu'avec une grande difliculté. — On dit : il résiste; mais
d'où vient cette résistance? Est-ce du futur délinquant
contre lui-môme?... Nous devrons reconnaître qu'aux
énergies qui se précipitent pour le pousser au délit, il
pourra seulement opposer d'autres groupes d'énergies qui
résulteront d'associations d'idées et de sentiments, asso-
ciations déjà formées et comme préparées pour la défense.
Il y a deux courants; auquel sera la victoire? Certaine-
ment au plus fort. » Les choses, du reste, se passent fré-
quemment d'une manière toute différente. « Le délit est
bien souvent l'effet immédiat. . . d'un violent transport de
passions qui, par un développement subit, entraînent une
personne à violer la loi. La science pénale a toujours
trouvé dans ce concours d'impulsions passionnées une
cause puissante, dont l'effet était d'atténuer ou même de
supprimer complètement l'imputabilité de l'acte. — Nous
devrons encore admettre, d'après une expérience con-
stante, qu'il y a des hommes dont la volonté ne trouve
aucun obstacle au délit dans la pensée du devoir qui leur
est imposé de respecter la personne, l'honneur ou les biens
des citoyens, de n'apporter ni danger, ni trouble à la sécu-
rité de la société civile ». — Il y a enfin une autre espèce
de délinquants, peu nombreuse, il est vrai, qui, par suite
de penchants venant de leur nature, ne sentent pas de
répugnance pour le délit, mais semblent au contraire con-
duits par une attraction inquiète à y chercher une satis-
faction féroce. Ce sont d'ordinaire les auteurs des plus
grands crimes; bêtes k face humaine, ils en ont les ins-
tincts et les désirs. . . »
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— 40 —
Quelt|uo différents que tous ces cas semblent être au pre-
mier abord, ne peut-on pas les ramener sous l'empire d'une
règle unique ? « La marche de ces actes, pour qui les
examine de près, est toujours la même ; les dispositions
intérieures des agents varient seules, parce que les formes
du sentiment ne sont pas identiques chez eux et ne répon-
dent pas toujours de la môme manière aux idées avec
lesquelles elles sont en relations inséparables et immé-
diates»,. — Cette disposition du - sentiment, qui est
toujours en partie native, en partie due à l'influence de
la société et de la nature même, nous fournit l'explication
et le sens de ce qu'on désigne communément par senti-
ment moral. Au lieu d'être un sentiment particulier et
originaire de l'âme humaine, il résulte de l'harmonie et
et de réquilibre de notre affectivité avec les principes que
nous prenons pour règles de notre conduite morale... »
Ce n'est pas seulement le sentiment moi^al que l'auteur
déclare avoir expliqué au moyen des faits rapportés par
lui, c'est aussi, c'est plus encore l'acte volitif : « Car ils
nous démontrent que l'action, que nous qualifions de
volontaire, a pour causes les énergies idéales et affectives
qui constituent notre personnalité dans ce qu'elle a de
plus noble et de plus élevé. A la différence des actions
automatiques et instinctives, dont la production régulière
est assurée par la perfection des organes et par la coordi-
nation certaine des fonctions de relation, l'action volon-
taire doit ce qu'elle peut avoir de régularité à l'association
rationnelle des idées et des sentiments, fortifiée et confir-
mée par la répétition des actes et par l'expérience. »
La délibération qui précède iine résolution, bonne ou
mauvaise, sert d'argument à l'auteur : « Étant admis, et
Von ne peut faire autrement que d'admettre que, pour
produire l'état d'indécision, il a fallu une combinaison
précédente des énergies intérieures, il paraît clairement
que Fefîet devra correspondre à la somme et à la qualité
des stimulants qui, dans telle occasion donnée, ont conduit
la personne à agir ; d'où Ion peut raisonnablement con-
clure que, si un seul de ces stimulants eût manqué, ou si
i
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— 41 —
quelqu'autre s'y fût ajouté, elle aurait agi autrement ou së
serait désistée de Tactioa. Ces énergies, qu'il nous a été
donné de disposer par avance..., coQstîtueut précisémeEt
cette force de réserve qui, évoquée et suscitée à tempa,
nous fournit le moyen de résister à ces desseins et à ces
passions qui teadeat à nous entraîner à la honte et au
crime. ».
L'auteur arrive ainsi à déterminer cette seconde limite
à la recherche de laquelle il s'était mis : « Si, loin d'être
une faculté simple et primitive, la volonté est, au con-
traire, comme tout le prouve, une résultante due au
concours de plusieurs fonctions et de plusieurs forces, il
dépendra essentiellement du mode originaire et acquis,
suivant lequel ces fonctions se trouvent remplies chez les
individus et de l'aspect sous lequel ces forces se mani-
festent et se lient, que la volonté eUe-mème se manifeiifte
avec des directions plus pratiques et plus variées, »
La manière d'apercevoir les choses et la manière de
sentir en les apercevant, voilà ce qui donne à Taction son
caractère, ce qui fait la vertu ou le délit ; tout dépend des
conditions intimes» faites à Tagent : «t Or, moins ces condi-
tions ont d'intensité, de cohésion, d'abondance de forces,
plus elles rendent faible et incertain l'empire de la volonléj
qui va s'affaiblissant graduellement jusqu'au point où il
s'évanouit dans la folie morale ou dans la manie impul-
sive du délit. » Ainsi se produit le rapprochement,
acquis à la science, entre les délini^uants et les fous :
« La criminalité n'est certainement ni la lolie morale, ni
la manie impulsive; mais, dans ses caractères les plus
saillants, elle offre quelque chose de congénère, en tant
qu'elle est rendue possible par l'absence de ces senti-
ments... qui font reculer les honnêtes gens devant les
actions délictueuses. »
La conclusion est « que la volonté est toujours relative,
qu'on la considère dans les limites positives entre les-
quelles elle se développe, ou dans les facteurs qui la
composent ; aussi les actes qui se rapportent â elle auront
toujours une valeur morale relative, qu'ils soient qualifiés
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I
^ 42 —
de verludux ou de criminels. De là une dernière consé-
tjuenrc : nul délit n'est jamais absolument imputable à
son auteur ».
Le délit a eu son évolution historique (i). M. Poletti ne
voit quu des mots vides de sens dans Tordre éternel dont
on parle^ dans les lois, toujours et partout présentes à la
conscience humaine. Il n'y a rien de tel dans les nations
sauvages; il n'y avait rien de tel chez les barbares dont
nous habitons les anciens territoires ou de qui nous des-
cendons. Le délit est inconnu à un certain âge de la vie
sociale, tant qu'il ne s'est pas formé dans le sentiment
commun une impulsion, et, à la suite, une notion tendant
à réprimer certains actes comme injustes et dommageables.
Les fiïits qui sont aujourd'hui la matière du délit avaient
lieu jadi8 ; ils étaient conformes à la vie sauvage, dont ils
Koiit parmi nous comme la prolongation, mais la répression
les a fmppés.
N'eu concluons pas que l'humanité primitive ait été
corrompue : a L'élévation exquise de la conscience juri-
dique, chez les modernes, nous fait regarder comme une
corruption immorale et criminelle un état de choses qui,
dans les temps très reculés, n'était repoussé ni condamné
par la conscience de personne ». Il y a un point plus
important encore à noter: « Le délit a dû s'étendre de
plus en plusù mesure que de nouveaux rapports juridiques
se sont déterminés dans la conscience humaine et affermis
dans la société sous forme de coutumes et de lois. Il est en
eiïet naturel que le délit se distingue en un nombre
d'espèces d'autant plus grand, qu'un plus grand nombre de
rapports juridiques peuvent être lésés et par consé-
quent peuvent être placés sous la tutelle d'une sanction
pénale « (2).
Plus le nombre de faits classés par la loi parmi les
délits est considérable, plus on peut affirmer que, dans
ÎD Cbapllre vi.
{i) Page 719,
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- 43 —
la communauté oivile, économique eit sociale qui «*est
donné cette loi, rôgae un respect profond pour la personne
et la propriété d*autrui. A côté des sanctions pénales ^v
développe une espèce de garantie, placée dans Topinion oL
dans la volonté communes, et ce n^est pas la plus faiblr
de celles qui protègent le droit; bien plus, celte somtnii
de sentiments et de volontés contribue à diminuer con-
stamment rintensité des délits, ù enlever peu à peu aux
lois pénales leur caractère répressif, pour en accrottn*
Tefficacité préventive : changement qui mène à « colUi
forme plus parfaite dont nous sommes les défenseur^;,
parce que c'est, à notre avis, la seule conforme a la raison
et à la justice » (1).
C'est de cette forme plus parfaite que s'occupe rauteiir
dans son dernier chapitre (2).
On ne conteste pas à la société la tutelle juridique; mai^
faut-il donner à cette tutelle la forme d'un système pénni
préventif et coercitif ?
Dans les anciennes institutions apparaissent les trois
caractères suivants: 1° Le pouvoir positif de l'Etat est
chargé de pourvoir à la sécurité publique ; 2» La peine est
le moyen propre à garantir cette sécurité par la contrainît^
physique et à prévenir le crime par l'intimidation ; 3<> Le
coupable est l'instrument destiné à produire ces effets.
En tête des théories et des institutions pénales, dans los
temps modernes, se placent deux idées essentielles, qui
marquent la limite où doit s'arrêter l'action du pouvoir :
i^ La souveraineté sociale et la personnalité du coupable :
2° Le caractère de moyen préventif regardé comme inhé-
rent à la peine.
Pour les anciens législateurs, la peine implique la dou-
leur physique; le condamné est enfermé dans une prison
où il devient plus mauvais. Maintenant on travaille à ce
qu'il y devienne meilleur, et cela dans l'intérêt de lu
(1) Page 728.
(3) Cbapitre vu. la peine et la luUllepénûU.
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— 44 —
société mêm« ; on s'attache aux phénomènes psychiques.
Mais l'élément matériel est le seul qui dépende de la loi ;
l'élément psychique lui échappe. Quand on veut agir sur
rame du délinquant, il faut recourir à des moyens qui ne
peuvent être regardés comme des peines, à l'instruction et
au travail .
Ranger ces moyens parmi les peines, ce serait leur
enlever cette haute valeur morale^ qui contribue à en faire
les deux plus puissants facteurs du progrès économique
et civil.
C'est le fondement du droit de punir, c'est la nature de
la peine qu'on n'a pas su déterminer.
La peine, telle qu'on l'a entendue jusqu'à ce jour, soulève
trois objections irréfutables : 1^ Elle est inefficace, car, si
la privation de la liberté est propre à produire dans l'âme
une douleur profonde, la loi n'en connaît pas la mesure ;
2° Elle n'est pas adaptée à tous les coupables ; dure pour
les uns, elle ne l'est pas pour les autres ; 3o Elle repose sur
une erreur ; le châtiment doit être mesuré à l'imputabilité ;
mais il est certain que l'imputabilité n'est jamais complète,
et il est absurde de chercher à déterminer la mesure de
l'imputabilité, par conséquent celle du châtiment.
La peine sera reléguée au second plan. Ce qui dominera,
ce sera l'action sociale, avec la fonction qui répond à sa
vraie nature, avec la tutelle juridique de l'association
civile et des citoyens, y compris le coupable.
« La répression du délinquant, dans les limites mar-
quées par la souveraineté sociale et par la personnalité du
coupable, pour être rationnelle et légitime, doit consister
en une action qui s'attache essentiellement à son activité
libre pour la soumettre à une règle, à une mesure. Mais,
comme cette action sociale doit se régler sur l'intensité et
sur la gravité du méfait, sur l'importance du droit violé,
sur les garanties dont la société a besoin pour obtenir une
vie commune tranquille, laborieuse et ordonnée, elle devra
prendre le caractère pénal, et la raison en est qu'elle porte
principalement sur la personne du coupable. Ainsi est
profondément modifiée l'essence et même la forme du
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- 43 —
droit criminel. » Il n'est plus question dliilliger au délin-
quant lin certain mal dans une certaine mnure, ce qui
serait faire de lui un instrument matériel de vengeance
publique. D'un autre côté, la société, pour exercer sa
tutelle, « devant sur toute chose pourvoir au rétablisse-
ment et à la préservation du droit, règïera en ce sens le
sort du délinquant, qui doit à la société ofïensée, non
seulement une satisfaction , mais aussi des f^aranties ;
celles-ci, quand on parle de tutelle, ne peuvent se com-
prendre que si la personnalité est respectée, sauf certaines
précautions, qui, en restreignant la liberté, tendent en
même temps à l'amélioration. C'est en ce sens élevé, en
ce sens humain, qu'il faut entendre la transformation du
droit criminel, la tutelle remplaçant le châtiment ».
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CHAPITRE DEUXIÈME
M. Enrico FElUtl
La « nouvelle école » de droit criminel a Ironvi* un Uni-
lant défenseur en M. Enrico Ferri, actuellement professeur
à rUniversité de Sienne, écrivain el orateur distingué»
salué à régal des maîtres malgré sa jeunesse, M. Ferri ne
s'est pascontenlé de répandre la doctrine, il a voulu y
ajouter par ses propres travaux, il en a proclamé les plus
hardies conséquences. Sa méthode est !a méthode positive;
son principe est la négation du libre arbitre. Telles sont
les deux idées essentielles qui ont inspire tous ses écrits.
§ 1". — De la méthode positive et des réHiillal»
auxquels elle conduit*
I
M. Ferri n*adrnetque la méthode expérimentale ou plutùf
p ositive (1); n'est-il pas temps d'appliquer aux sciences
morales et sociales, spécialement au droit criminel, les
procédés de recherches qui ont si bien réussi aux sciences
naturelles? Plus d'idées à priori, plus de métaphysique
(1) Teorica deU'lmputabilità, Averlissement.
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— 48 —
uniquement fondée sur la déduction (1) : c'est aux faits
qu'on doit enfin s'attacher.
Est-ce là rompre, soit avec la tradition des grands
penseurs qui ont été les maîtres de la philosophie mo-
derne, soit avec celle des illustres publicistes qui, depuis
Beccaria, ont tant fait pour la science du droit criminel ? En
aucune façon. D'une part, quoique M. Ferri parle constam-
ment de la méthode positive, ce n'est pas d'Auguste Comte
qu'il se dit l'élève, c'est de Galilée, de Bacon, de Descartes,
de ceux qui ont cherché à connaître la vérité au moyen
de l'investigation; d'autre part, Beccaria a rempli une
noble tâche , mais il en reste une aussi importante à ses
successeurs. Deux grandes écoles se sont produites dans
l'ordre scientifique et dans l'ordre lép^islatif : c La première,
née d'une réaction généreuse contre la férocité du Moyen-
Age, avait pour drapeau la mitigation de toutes les peines
et l'abolition de beaucoup d'entre elles ; malgré l'oppo-
sition acharnée et déloyale de nombreux adversaires, qui
l'accusaient de protéger les voleurs et les assassins et de
renverser les bases de la société, elle a fourni un cycle
brillant d'évolution, et sa doctrine est maintenant pro-
clamée par ses partisans le nec plus ultra de la science
criminelle. L'autre école, qui n'en est qu'à ses débuts, se
propose une entreprise non moins humaine, non moins
utile à la société civile : elle veut obtenir la diminution des
délits, qui désormais menacent sérieusement cette société,
si l'on ne remplace des remèdes demeurés jusqu'à présent
inutiles » (2).
Ainsi les deux écoles de droit criminel se rattachent
l'une à l'autre, mais la seconde est en progrès sur la pre-
mière : « Le philanthrope Lombard et, avec lui, tous les
criminalistes italiens de l'époque classique, enfermés dans
(1) Teorica deU'ImpulabilUà, Introduction, p. 4 et suivantes.
(2) Il Dirito di punire, corne funzione soctato, p 3. — Con/'.M. F^ri,
/ nuovi orizzonti del Diritto e délia procedura pénale, 2* éd., 1884,
Introd., p. 1 et 8uivant<>8.
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-- 49 -
leurs consciences d'hommes honnêtes et généreux, de-
mandent au sentiment l'impulsion qui leur sert à combattre
Tempirismo du Moyen-Age, et au raisonnement philoso-
phique seul les théories abstraites que les législateurs se
sont vainement efforcés de saisir et de rendre concrètes dans
les lois positives, que les juges se sont vainement épuisés
à vouloir appliquer aux réalités de la vie quotidienne. »
En dehors d'eux, il y a eu, il y a des hommes, des natu-
ralistes, dit M. Ferri, qui, inspirés, eux aussi, par une
philanthropie véritable, mais pensant aux citoyens hon-
nêtes ainsi qu'aux malfaiteurs, entraient dans les maisons
de fous et dans les prisons, entreprenaient une tâche
difficile et pénible, Tanatomie physique et psychique du
délinquant; ils écartaient les théories pour observer les
faits. Qu'y avait-il donc de mieux à faire? Partir de soi-
même, d'une conscience honnête, que l'on aurait à tort
considérée comme le miroir où se serait reflété le monde
criminel, quand il en diffère si complètement? Ou, tout
au contraire, étudier ce monde en lui-môme, en pénétrer
la structure et le développement maladifs? C'est cette
seconde méthode qu'a choisie la nouvelle école, et ce
choix a plus d'importance encore, l'opposition entre les
deux écoles est plus marquée encore que ne le dit M. Lora-
broso ; pas d'alliance, pas de connubio possible entre les
. anciennes doctrines des crimiualistes et l'anthropologie.
Sans doute la nouvelle méthode scientifique n'a pas encore
vaincu toutes les résistances ; ceux qui furent les réfor-
mateurs d'hier combattent la réforme d'aujourd'hui et
l'accusent à leur tour, comme ils furent accusés jadis, do
ruiner en môme temps les bases de la société et celles de la
science. Il faut avouer, d'ailleurs, que la nouvelle doctrine
a encore de grands progrès à faire ; quelques services
qu'elle puisse rendre dès maintenant, son œuvre est loin
d'être achevée ; il n'en est pas moins vrai qu'elle a pour
elle les partisans des idées modernes ; son succès, quoi
qu'on en dise, est aussi désirable que certain, car elle
seule peut efficacement garantir le droit de punir et assurer
par là le maintien de la société.
4
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-30-
II
Aa point où elle est parvenue, il est facile de dégager la
conclusion scientifique qu'elle tire des faits et d'en tirer
parti. Nous trouvons ici une de ces synthèses partielles
(fiii, avant le complet développement d'une science, per-
mettent de contrôler çt d'employer les résultats déjà
obtenus.
Que faut-il voir dans le délit? que faut-il voir, par suite^
dans le droit criminel? Tandis que, d'après l'ancienne
école, le délit « n'est pas un être de fait, mais un être juri-
dique », n'est pas une action, mais une infraction (i),
pour la nouvelle, c'est avant tout « une action humaine
qui, considérée dans ses rapports, se rattache à l'ordre
juridique, mais qui, d'abord, doit être étudiée comme un
phénomène naturel, dans ses conditions physiques, phy-
siologiques, sociales. D'où cette importante conséquence
que le droit criminel, s'il appartient par ses résultats et
par son but à l'encyclopédie juridique, est, dans sa base
et par ses moyens de recherches, une partie de la vraie
sociologie, et qu'il a pour sciences préliminaires ou auxi-
liaires, la biologie, la psychologie, l'anthropologie, la sta-
tistique » (2).
On ne s'attache plus à tel genre de délit d'une manière
abstraite, mais à tel fait commis en tel lieu, à tel moment,
par telle personne, d'une manière concrète. C'est une
règle générale que posait le premier système, règle appli-
cable à quiconque aurait commis le délit ; c'est une me-
sure individuelle que prescrit le second, mesure qui doit
être adaptée^ avec les changements nécessaires, aux diffé-
rents cas. La peine, ou, pour employer des termes à la fois
plus exacts et plus généraux» la mesure de défense, répa-
ration civile ou châtiment proprement dit, ne sera pas la
{ij M. Carrara, Programme. §34.
m H Diriito dijmnire, p. 5. — Cf. p, 17 et 18. — / nuovi OrizzorUi
p. L
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-M -
même à l'égard d'un coupable et à l'égard de l'autre. Dès
lors, il n'y aura plus d'uniformes et d'égales que les règles
juridiques à suivre pour ranger le fait commis dans telle
ou telle classe de délits ; puis il faudra s'en rapporter aux
règles psycho-anthropologiques (1)-, pour placer l'individu
dans telle ou telle classe de délinquants.
Classer les délinquants, c'est l'œuvre essentielle de la
science. Elle distingue les délinquants fous et à demi-fous,
les délinquants-71^5, les délinquants d'occasion, de passion
ou d'habitude (2). On remarquera particulièrement la caté-
gorie des délinquants-nés : (( il ya des délits qui, sans dériver
de la véritable folie, révèlent des natures sauvages, atavis-
tiques , incorrigibles » (3). Anomalies qui constituent la
deuxième classe tout entière. Il s'en présente de sem-
blables dans la troisième : de là vient que certains hommes
sont incapables de résister aux occasions ou à riniluence
malsaine du milieu, m II n'y a pas encore un siècle, on
punissait les fous comme les délinquants, parce qu'on
imputait à la volonté malfaisante ce qui n'était que TefTet
d'un organisme malade. Le changement qui s'est produit
dans la manière de traiter les fous doit se produire main-
tenant dans celle de traiter les délinquants, victimes de
leur nature. Cette distinction, déjà faite d'une manière
incidente et incomplète par quelques anthropolôgistes-
criminalistes, et maintenant acceptée par tous les positi-
vistes dans sa partie substantielle est, je crois, l'idée la plus
féconde que j'aie produite dans la science criminelle ».
in
Mais comment arrive-t-on à l'établir? Quels moyens
la science emploie-t-elle pour accomplir son œuvre essen-
tielle ? En d'autres termes, comment se forme la science?
(i; Il Diritio, p. 19.
(2) Conf. I nuovi orizzonti, cb. ii, p. 174 ?l salv., spécialement p. ?5e
et suivantes.
(3) Il Dirillo, p. 8 6l suivantes.
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— 32 —
Culte première question résolue, une seconde se pré-
sente. Comment s'y prendre pour appliquer les règles dont
la science a démontré la vérilé? Gomment doit se rendre
la justice ?
Cest ù l'observation directe, sans cesse répétée, qu'il
faut demander les éléments dont se formera la science, en
so servant, d'ailleurs, de toutes les notions que peuvent
fournir les sciences préliminaires ou auxiliaires, fondées
cffulement sur l'observation.
Nous n'avons plus besoin d'exposer la théorie tout
entière, que nous avons déjà étudiée dans le livre de
M* Lombroso. Signalons les applications qu'en a faites
spécialement M. Ferri à la physionomie (1) et aux senti-
ments (2) des meurtriers.
L'expérience fait bien apprécier l'importance de la phy-
sîognomonie, sans permettre de l'exagérer. Cette science
n, comme la phrénologie, un point de départ positif, « le
rapport généralement observé et admis par l'expérience
générale entre les traits de la physionomie et les disposi-
tions lïiorales de l'individu )). Sauf les exceptions, plus
ou moins réelles, qui sont inévitables dans les débuts de
toute science naturelle, c*est un fait incontestable que
Tobservation commune surprend très souvent dans la phy-
sionomie la révélation, les mouvements et les étals psy-
chiques internes. Puisque celte conviction est générale
dans rhumanité civilisée, comme le prouvent le langage
même, les proverbes, les écrits des plus anciens philoso-
phes, et puisque, à la connaissance de tous, beaucoup
d*honiraes doivent à leur perspicacité naturelle un art
spécial de juger le moral de leurs semblables sur la phy-
sionomie, il est évident que, si à cette faculté naturelle et
empirique s'ajoutent les recherches systématiques et pa-
tientes de la science, on devra parvenir à réunir un certain
[1] Siudi Senesi, La fisionomia degli omicidi, vol. n p. 123 et soi-
vafjles. — - _ -
\it} Ib I Bmlimenli eiaffeUi negli omicidi, vol. ni, p. 136 et suivantes.
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— 53 —
nombre de conclusions positives, destinées ù s'accroître et
à se rectifier dans l'avenir, mais dès maintenant suscep-
tibles d'une application pratique. — Mais, comme on est
toujours préoccupé par !a crainte de voir détruire les rè-
gles traditionnelles deTimputabilité en matière de délits, le
sens commun se montre hostile, soit aux études craniolo-
gîques en général, soit aux recherches entreprises sur la
physionomie des délinquants : ces indices que l'on recon-
naît chez l'artiste, chez le vieux militaire, on ne les admet
plus quand il s'agit des délinquants. Il faut une certaine
habitude pour saisir dans une physionomie ce qu'elle offre
de caractéristique, et précisément il y a peu de personnes
qui aient des connaissances précises sur ce qu*il y a de
spécial à ia physionomie des sauvages, physionomie « que
les délinquants, dans leurs types les plus saillants, repro-
duisent beaucoup moins atténuée que les hommes civilisés
dans leur physionomie normale ».
La science explique ce rapport entre la physionomie et
Tespritde l'homme:* Les mouvements musculaires dé-
terminés par les émotions internes, en se répétant quand
celles-ci se renouvellent, deviennent habituels et se
fixent par conséquent dans les traits de l'individu, non
seulement dans la peau et dans les muscles, mais môme
dans l'ossature de la tôte; ils se transmettent par l'héré-
dité aux descendants, avec les modifications propres à l'hé-
rédité naturelle, en même temps que la constitution orga-
nique et psychique, par laquelle ils ont été en principe
déterminés ». Voilà les idées générales qui devront s'ap-
pliquer à la physionomie des meurtriers.
On remarquera, d'ailleurs, que les signes extérieurs les
plus sensibles correspondent aux cas psychologiques les
plus saillants, que les meurtriers n'ont pas tous la même
physionomie, parce qu'ils n'ont pas tous le môme type
psychique. Chez l'assassin de naissance, incorrigible, véri-
table sauvage, on trouvera une physionomie brutale; mais
il n'en sera pas de même chez celui qu'a entraîné un élan
de passion. Qu'on ne tire pas argument de ces variétés pour
soutenir qu'il n'y a pas unité de type parmi ceux qui com-
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— 54 —
mettent le môme crime, parmi les meurtriers : « Il est,
en effet, facile de répondre ; môme en dehors des variétés
ethniques, de celles qu'offrent les diverses provinces
d'Italie, cette unité ne saurait exister, dès que parmi lea
meurtriers eux-mêmes il y a beaucoup de catégories
anthropologiques, très diverses entre elles, par Torga-
nisme comme par Tétat psychique. C'est seulement pour
chaque classe de délinquant qu'on peut relever cette
iriste unifm'mité de visage dont parle Bittinger, déjà obser-
vée par les directeurs de prison les plus sagaces et surtout
par les agents de police ».
M. Ferri nous parle en détail des anomalies physiques
relevées sur 1,7H individus, suivant la méthode de M. Lom-
broso. Le type du meurtrier d'habitude signalé par celui-
ci est exact dans les traits essentiels. Il a suffi à M. Ferri,
visitant une prison, pour reconnaître le genre de criminel
auquel il avait affaire.
Qu'on laisse de côté l'avantagea tirer de telles recherches
pour discerner les moyens répressifs qui doivent être
employés à l'égard de telle ou telle catégorie de crimi-
uels; il est au moins impossible de nier les services
qu'elles peuvent rendre dans l'information. « Ainsi se con-
firme l'utilité théorique et pratique de ces études positives
sur le délit, que la myopie de certains critiques leur fait
considérer comme étrangères au ministère plénal, tout
simplement parce que les criminalistes de la nouvelle école,
n'ayant pas encore formulé d'une manière explicite et
systématique toutes les conclusions juridiques des faits
recueillis, ne peuvent accomplir facilement le travail de
1 Induction scientifique ».
Après la physionomie, les sentiments ; après les signes
physiques, l'état psychique.
« L^'étude des ouvrages relatifs à la psychologie crimi-
nelle, dit M. Ferri, et surtout les observations que j'ai
faites dans les prisons, me donnent une conviction que je
résume au sujet des délinquants, y compris les meur-
triers. Si on laisse de côté ce qu'il y a d'anormal dans leur
sens moral, ils sont, pour les sentiments particuliers, ordi-
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— 55 —
nairemeoti peu près semblables aux autres hommes, spé-
cialement à€©ux des classes iolériuures, d'ûù iis sortent
pour le plus graad nombre. — Cequi revient à dire que chez
les meurtriers Ton retrouve, en dépit de ce qu^on s'imagine
en général, tous les sentiments bons ou ma u vais qui f arment
rétat normal de Vàme humaine. Mais voici, en fait de sen^
timents, €6 qne leur constitution a de particulier; d'après
la psychologie positive, le sens moraJ, au lieu d'être tin
sentiment distinct et spécial, doit plutôt être considéré
comme la tonalité générale de toute ia partie affective de
l'homme, comme ce qu'on pourrait iippeler )e tempéra^
meut psychique; dès lors le défaut ou Fatropbîe du sens
moral, constaté chez les meurtriers ordinaires, agit sur
les autres sentiments qui leur sont communs avec les
hommes normaux. Le manque efiectif et originaire de »;ens
moral donne à leur ^oisme le caractère exagéré et (aux
qui mène au délit ». L'insensibilité morale constitue l'élé-
ment négatif, l'exagération des autres sentiments, Télé-
ment positif du mal ; dénué par la première de toute force
pour résister, l'homme est entraîné par la seconde à com-
mettre des actions coupables, à tuer. L'écrivain vérifie sa
thèse sur les divers sentiments de Ttlme humaine; tous
existent chez le jneurlrier, même le sentiment religieux,
même ces sentiments qu'une certaine termiuologie qualifie
d'altruistes, peu durables, il est vrai , et surtout adaptés à
ce tempérament psychique où le sens moral fait défaut,
IV
Nous supposons la science arrivée à des conclusions
certaines, inattaquables. Une tâche nouvelle commence;
les vérités découvertes doivent fournir des règles à Fadmi-
nistration de la justice. Dès maintenant, n'esl-on pas
assez fixé sur les points essentiels pour introduire des
changements très importants dans une pratique où
dominent depuis si longtemps l'erreur et le préjugé ?
L'anthropologie trouvera ici une double utilité. Elle
servira d'abord au juge pour déterminer qu'elle mesure
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— 56 —
il convient de prendre à l'égard du délinquant, s'il doit
être privé de la liberté, ensuite, pour le cas où sur ce dernier
point la décision auraitété affirmative, au directeur du péni-
tencier pour déterminer la nature et la durée de la peine,
toute fiction a priori qui aurait pour objet de déterminer
à l'avance cette durée étant écartée désormais » (1).
Nous avons parlé du juge. Il n'est pas seulement à sou-
haiter que ceux qui prononcent tiennent plus de compte
de la psychiatrie et de ses réponses ; il faut encore que les
experts aient plus de liberté dans leurs conclusions (2) ;
à vrai dire, n'est-ce pas le droit môme de prononcer qu'il
serait nécessaire de déplacer, de transporter de ceux qui
ne savent pas à ceux qui savent? Le jugement ne devra-
t-il pas être la conséquence inévitable de l'expertise ?
L'auteur s'élève avec vivacité contre l'usage absurde, dit-
il, de faire trancher des questions par des tiommes incom-
pétents. Tous les fois qu'une question, pour la soliition de
laquelle des connaissances spéciales sont indispensables,
est portée devant les juges, ceux-ci s'en rapportent aux
personnes qui possèdent ces connaissances ; mais s*agil-il
des infirmités mentales? Ils ne font plus de même. Les
juristes se prononcent hardiment sur les points les plus
embarrassants, sur les cas de manie pariiclle, de folie
morale, d'intervalles lucides ; ils n'ont, pour s'éclairer, que
le bon sens et les idées préconçues de la vieille métaphy-
sique sur les facultés dont jouit une âme normale. Si les
juges consultent des experts, c'est moins avec la pensée
de déférer à l'opinion de ceux-ci que pour se conformer à
un usage ou à un texte de loi ; ils pensent que l'avocat se sert
de la maladie mentale comme d'un moyen de défense tou-
jours prêt à défaut d'autres, par devoir professionnel plutôt
que par conviction , que les médecins aliénistes se prêtent
complaisamment à inventer de nouvelles maladies faites
pour paralyser le bras de la justice. Le public, d'ailleurs,
(1) IlDiritto, p. 19.
(2) Ibid ; p. 32.
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jutà
- 57 —
pense comme les juges. « Depuis Kaat, roploion s'était de
plus en plus enracinée dans le commun public que Tétude
des maladies mentales appartient a la philosophie de prè-
férence à la médecine, et que ce sont des anomalies
touchant exclusivement à Tàme pensante, laissant sain et
sauf le corps qui la revêt ». On s'imagine ainsi que ces
maladies éclatent toujours au dehors, par le désordre des
discours, par la fureur des emportements : a Mais désor-
mais la science expérimentale a démontré que la folie
est elle-même une vraie maladie physique des centres
nerveux et qu'elle prend des formes assez variées pour se
cacher souvent » sous l'apparence menteuse du calme et
delà malice, même à l'œil le plus expérimenté.,, La
vérité qu'avait pénétrée la science a été contirmée par la
publication de journaux que tenaient des fous et qu'on a
trouvés dans les asiles d'aliénés d'Italie (1).
Ainsi la question qui domine toutes les autres, dons
l'examen d'un prévenu, semble bien être la question de
savoir s'il avait la plénitude de rintetligence. C'est toujours
là que tend l'école anthropologique. Question' toujours
posée à laquelle il est souvent difiicile de répondre. Les
nuances sont innombrables de la pleine sagesse à la folie
complète (2). M. Ferri admet l'existence de cette folie
morale, qui € en apparence laisse intacte ia faculté de rai-
sonner et de discerner, n'altérant que les sentiments
moraux » (3). Il ne craint pas le reproche adressé aux
médecins aliénistes de mettre en péril la société^ en lais-
sant tomber toute notion de responsabilité. Si un abus est
possible, la crainte qu'il inspire ne doit pas empêcher de
reconnaître une vérité bien établie, dont chaque cas, étudié
séparément, permettra de faire l'application et la vérilica-
tion (4). Il n'en résultera, d'ailleurs, aucun préjudice pour
la société, nous le verrons.
(1) Teorica, p. 482-484. Conf. p. 490.
(2) Ib., p. 476.
(3) Ib., p. 488.
(4) Ib„ p. 484.
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— S8 —
Forte de la coovictioii qu'dlc travaille dans i'iirtérttde
la société» bien loia de lui nuire, Técol^ lait elle-mèoie lufte
comparaison où elle se plaint qu'on veuille voir une assi-
milation complète entre les crimin^^s et les fous. Depuis
moins d'un siècle, la société , éclairée par de courageux
savants, laisse aux fous le triste avantage de leur irrespon-
sabilité : « Je crois, dit M. Ferri(l), qu'un destin analogue
est réservé à ces délinquants qui maintenant attirent sur
eux les épithètes les plus outrageantes et ie plus impla-
cable sentiment de mépris et de vengeanee 9.
11 ne doute pas qu'il n'y ait un grand nombre de véri-
tables aliénés rangés parmi les délinquants, tout en pro-
testant qu'on accuse à tort les aliénistes de vouloir faire
passer pour fou et par conséquent pour irresponsable tout
délinquant ; M. Canonico est un de ceux qui portent cette
accusation; elle n'est pas méritée. Si les aliénistes ne
disent pas que leurs principes doivent être limités à une
partie des délinquants, c'est qu'ils ne devraient pas avoir
besoin de le dire; et l'on n'a besoin, pour s'en convaincre,
que d'examiner attentivement, soit leurs écrits, soit les
faits relevés par eux. a Ils ne clierchent pas à ébranler les
bases de l'ordre social, en niant la légitimité de la peine ,
ainsi que le fait croire une crainte exagérée, mais ils pré-
tendent faire disparaître de nombreuses injustices qui,
par l'eSet de l'habitude et de la tradition, passent mainte-
nant inaperçues et sont défendues à outrance par des fau-
teurs trop ardents des vieilles idées » (2).
La maison d'aliénés criminels fournit la solution du
problème : ne punir pas ceux qui n'ont pas la jouissance
de leur raison, ne laisser pas la société sans défense contre
ceux qui sont dangereux. « Comme entre le vrai délinquant
et le vrai aliéné se trouvent des gens qui participent de la
nature de Tun et de l'autre, ainsi entre la vraie prison et
la vraie maison d'aliénés il doit y avoir un anneau des-
(1) // Diritto, p. 7. Conf. Teorica, p. 475.
(2) reortca, p. 479et480.
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— 59 -
iiné à cette classe spéciale de délinquanls qui présentent
des conditions physiques et psychiques nuomales , la
maison d'aliénés criminels. Quand nous soutenons qu'une
telle personne, à laquelle est imputé quelque dtMit, ne peut
être justement punie, parce qu'elle est épîLeptique ou mo-
ralement imbécile, ou monomane, ou coupable d'habitude
et incorrigible, nous ne voulons nullement, comme ou s'ob-
stine à le croire, que la société reste exposée à de nouveaux
périls, par suite de Timpunité accordée ù ce malheureux.
Nous disons, au contraire, qu'il est plus que jamais dan-
gereux de le renfermer dans une prison ordinaire ou dans
un simple hospice, parce qu'il y peut commettre de nou-
veaux délits, faute d'une surveillance spéciale et appi'o-
priée, et parce qu'il porte nécessaireme[it le désordre
dansées lieux... » (1).
L'auteur, embrassant la science entière du droit crimi-
nel, nous montre l'application des doclrines positives k
la procédure (2).
Cette application peut se résumer en trois principes
généraux : « i^ les données de Tantropologie et de la sta-
tistique criminelle fournissent de nombreux indices; —
2^ il faut rétablir l'égalité des droits et des garanties entre
l'individu qui a commis un délit et la société honnête,
pour obvier aux exagérations individualistes qu'a produites
l'école classique dans sa noble réaction contre les exagé-
rations opposées du Moyen-Age en faveur de l'État et au
préjudice de l'individu... ; — 3^ une fois que la culpabilité
matérielle d'un prévenu est établie, l'essence du jugement
pénal est, non pas de constater la responsabiliLé morale de
ce prévenu, mais de déterminer la catégorie anthropolo-
gique à laquelle il appartient et, par suite, la mesure de
la crainte qu'il doit inspirer.
(1) Teorica, p. 480.
(2) I wtovi Orizz^nti, ch. iv loot entier.
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vp
— 60 —
1. « Il est évident, en effet, que l'étude des facteurs
anthropologiques du délit, en déterminant les caractères
organiques et psychiques du délinquant, et les diverses
inlluences de Tâge, du sexe, de Tétat-civil, de la profes-
sion, etc., sur les diverses espèces de délits , offrira à la
police judiciaire et à la justice elle-même le secours de
moyens nouveaux et plus sûrs pour la recherche des cou-
pables. Les marques indélébiles du tatouage, les traits de la
physionomie et les caractères du crâne, les données relatives
Dux conditions physiopsychologiques, les nouvelles études
faites sur l'activité réflexe, sur les réactions vasculaires
chez les délinquants, etc., en rendant plus facile et plus
complète la réunion si importante des preuves qui éta-
blissent l'identité personnelle et de s indices j
sur la di^sition à commettre des dél its, g ideront le plus
"Smiyeni les agents de la pouce judiciaire et les juges
dlnstructioa à sortir des voies fausses et rendront moins
douteuse cette réponse qui doit être une absolution ou une
condamnation ». Il sera aussi plus facile de discerner entre
les vraies et les fausses infirmités. La société, grâce à la
nouvelle méthode, n'aura plus à craindre que l'insuffisance
ou le manque de preuves entraîne l'impunité dans un grand
nombre de cas.
% « Le deuxième principe indiqué plus haut amènera
toute une série d'innovations théoriques et pratiques dans
la procédure. En effet, tandis que, depuis Beccaria, le droit
pénal déterminateur s'est toujours développé sous l'empire
d'une réaction contre la sévérité excessive et empirique
du Moyen- Age, dans le sens d'une diminution continuelle
des peines, la procédure pénale de notre siècle a été et est
aussi une réaction contre les abus du système inquisitorial,
tendant à augmenter sans cesse les garanties individuelles
contre le pouvoir social v. Dans l'une et dans l'autre partie
de la science, il faut s'opposer à des exagérations, qui font
méconnaître la « suprême nécessité de la défense sociale ».
Ainsi, « la présomption de l'innocence et en même temps
cette règle plus générale, in dubio pro reOy ont certaine-
ment un fond de vérité, et l'on peut même dire qu'elles
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r
"- 61 -
s'imposent obligatoirement dans la période préparatoire
au jugement ou dans Tinstruction du procès, quand il n'y
a encore que de simples suppositions ou de faibles indices
contre Tinculpé. Mais, s'il y a flagrant délit, s'il y a un aveu
confirmé, d'ailleurs, par l'inculpé, l'aflaire arrivant ensuite
à la phase définitive des débats, après une instruction en
forme, cette présomption de faveur pour le justiciable ne
me semble plus avoir autant de force logique ou juri-
dique. Supposons qu'il ne s'agisse pas d'un délinquant
d'occasion tombé pour la première fois, réputé auteur d'un
délit d'occasion, mais d'un récidiviste, d'un délinquant
de métier; supposons que le délit en lui-même, par les
motifs, par les circonstances de fait, révèle un délinquant-
né ou fou : à plus forte raison. Il y a preuve évidente; le
procès est passé par la filière longue et compliquée de
l'instruction, et il s'agit d'un fait très grave ; dès lors, ou
l'accusé est réellement victime d'une erreur judiciaire, et
alors il est certain que, dans la plus grande partie des cas,
et quelques exceptions très rares n'infirment point la règle,
l'erreur ressortira avec évidence des débats publics, et il
ne sera pas besoin de la présomption pour garantir l'inno-
cent; ou une erreur judiciaire ne se révèle pas, ce qui pro-
vient de ce que la très grande probabilité se tourne contre
l'accusé, spécialement, comme je disais, dans les cas où les
indices organiques et psychiques relevés par l'anthropo-
logie et par la statistique criminelle concourent à démon-
trer sa culpabilité. Les délinquants mêmes que l'on inter-
roge à ce sujet reconnaissent combien la présomption
contraire est raisonnable y>.
M. Ferri montre qu'un certain nombre de règles pra-
tiques de procédure disparaîtraient avec cette présomption
d'innocence qui en est le fondement : la justice, l'intérêt
de la société n'auraient qu'à y gagner. M. Ferri signale la
mise en liberté provisoire d'un condamné qui a formé un
appel ou un pourvoi en cassation. Il indique aussi une
dernière réforme comme devant mieux garantir la société
contre les délinquants, l'action populaire, subsidiaire à
l'action pénale du ministère public, confiée à l'oUensé,
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— 62 —
peut-être même à tous les citoyens, pourvu qu'elle fût
entourée de précautions suffisantes.
3. Quant au troisième principe, il ne ferait que nous
ramener à un point que nous avons dû signaler tout
d'abord, comme l*un des plus essentiels du système tout
entier, comme appartenant^ d'ailleurs, au fond du droit
pénal plutôt qu'à l'organisation de la procédure.
S SS^ - Do libre arbitre; de rimpntablllté ;
du droit de punir.
Collaborateur très distingué de la nouvelle école, M. Ferri
s'est de plus assigné une tâche à part; il a entrepris d'en
faire la philosophie, de renouveler la théorie de Timputabi-
lité par la négation du libre arbitre et de réédifier le droit
criminel sur de nouveaux fondements après et malgré la
négation An libre arbitre.
I
La croyance au libre arbitre est, d'après M. Ferri (1),
une de ces idées, de ces conceptions dogmatiques imposées
par ceux qui ont eu si longtemps ]e monopole de l'ensei-
gnement et de la science, fortifiées par le concours des
despotes et des prêtres qui entravaient l'indépendance de
la pensée. Les personnes qui ont cette croyance sont prises
d'une jiorreur sacrée, quand elles entendent émettre des
théories contraires à la liberté morale de l'homme; elles
sont dominées par le sentiment, par le fanatisme, par
rignorance. Il faut braver leurs anathèmes pour triompher
de leurs erreurs. La première partie de l'ouvrage, qui
forme la partie de beaucoup la plus considérable du volume,
a pour titre : « La question du libre arbitre », et pour
objet la démontration de cette thèse que le libre arbitre
n'existe pas. Vainement, pour se soustraire aux preuves
(1) Teorica, p. 1 et 3. Le sujet est traité au chap. x, dans / nuovi
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que la science moderne aecumule en faveur de cette vérité,
propose-t-on d'admettre un libre arbitre limité, concessioa
qui ruine le système, puisqu'il n'y a vraiment une volonté
libre, que si elle n'est soumise à aucune condition, bornée
par aucune limite ; vainement reporte-t-on la liberlé en
arrière, au moment où l'homme a choisi entre deux voies
celle où il a ensuite marché nécessairement. Pourquoi
l'homme serait-il plus libre à un moment qu'à un autre ?
La chaîne des causes et des effets remonte à l'infilni dans
le passé. Ce premier choix a lui-même été déterminé d'une
manière nécessaire. Faut-il dire que, si l'homme est libre,
c'est seulement dans son premier âge, et qu'il cesse de
l'être quand vient pour lui le moment d'agir ? (1)
Pour M. Ferri, la volonté n'est pas une faculté diatîncte
dans l'âme humaine; il entend par volonté l'abstraction de
nos actes volitifs (2), une synthèse de ce qu'il y a de com-
mun à tous les actes volontaires accomplis durant la vie,
un souvenir des volitions antérieures : « Voici, dit- il (3),
à quoi se réduit l'origine de la croyance au libre arbitre,
exprimée par cette formule : La volonté est libre. Les
hommes, par leur expérience propre et par celle qu'ils ont
reçue en héritage des générations précédentes, en pensant
aux divers actes volontaires accomplis par eux et en
cherchant à les expliquer, ont suivi la marche de Fabstrac-
tîon, sauf à l'oublier ensuite, comme ils font toujours. En
comparant les actes volontaires, ils en ont comparé les
caractères les plus saillants, parce qu'ils étaient communs
à-tous : l'impulsivité et l'autonomie apparente. De ces deux
caractères qu'ils obtenaient par l'abstraction et auxquels
ils donnaient un corps, ils en ont fait deux facultés de
rân>e, concrètes et distinctes. . . » Ainsi se sont formées â
leurs yeux « la volonté, parce que, après toute volition, il*?
ont remarqué l'aetion musculaire que produirait l'iiiipul-
(1) Jeoriea, p. 21 et 22. — Conf., p. 54,
(2) ma., p. 33.
3) ffttrf., p. 33 et suivantes.
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é
âion interne », et la liberté, a parce que, en tout acte
volontaire, ils ont remarqué l'autonomie apparente, l'ab-
sence de toute loi, de toute cause connues ». Les hommes
ne cherchent pas plus loin; n'est-ce pas leur habitude
d'expliquer tous les phénomènes psychiques au moyeu
de l'âme, des puissances, des vertus, des énergies, etc., que
se représente leur imagination?
Mais que vaut cette explication, spécialement en ce qui
touche la liberté ? Nous sommes les jouets d'une illusion :
(( Libre signifie ce qui est entièrement soustrait à l'influence
nécessitante des causes, et l'homme, ne connaissant pas ou
ne remarquant pas tous les motifs, toutes les causes qui
le déterminent à tel acte volontaire plutôt qu'à tel autre,
est conduit à croire que, en conséquence, sa volition
échappe à l'action des causes, est libre, est à elle-même sa
propre cause. Voilà pourquoi l'homme croit à un libre
arbitre. Pour dissiper le mensonge, il faudrait laisser
encore de côté les abstractions de la volonté et de la liberté,
et poser ainsi la question : un acte de volition est-il, oui
ou non, reflet de causes qui le déterminent? L'homme. . .
serait contraint d'admettre que tous ses actes volitifs
résultent nécessairement de causes, connues ou inconnues
de lui, conscientes ou inconscientes. » Si nous nous croyons
libres, c'est que nous ne connaissons pas les causes, innom-
brables autant qu'obscures, qui agissent sur nous ; le défaut
des connaissances tient souvent au défaut d'observation.
[1 y a tout un ensemble de phénomènes psychiques; est-ce
le hasard qui le produit? est-ce « l'action régulière et sûre,
bien que cachée, de toutes ces causes si diversement asso-
ciées entre elles? Causes et lois nous sont inconnues,
mais toutefois nous ne pouvons raisonnablement en nier
l'existence et l'efficacité ».
Toute action que nous accomplissons dans la vie sociale
a, en nombre infini , des causes cachées, qu'on ne remar-
que pas, mais qui n'en influent pas moins sur notre
volonté. Ainsi, par exemple, quand un délit qui est connu
reste impuni , non seulement les citoyens éprouvent la
crainte des méchants, mais encore ils pensent que la peine
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-.65 -
ne suit pas le délit d'une manière inévitable. Cette pensée
naît; elle passe bien vite, mais non sans laisser une trace
dans le patrimoine idéologique de celui qui Ta conrue, et,
devenue latente, elle n'en subsiste pas moins. Elle sera uu
jour la cause déterminante du délit chez quelqu'un de
ceux à qui leur organisation même ou de pernicieux
exemples ont donné des tendances funestes ; « Plus les
cas d'impunité seront nombreux, plus profond sera le
sillon qu'une telle pensée creusera dans l'esprit des citoyens,
plus grande en sera l'efiicace pour pousser au délit. Là
est la secrète raison qui exige absolument que les peines
soient certaines » Mais tout le monde s'en rend-il
compte? « Quand nous connaissons toutes les causes qui
produisent un effet donné, nous disons que cet elîet est
produit nécessairement; à l'inverse, quand nous ne con-
naissons pas toutes les causes dont il provient, il nous
paraît capricieux et arbitraire, c'est-à-dire qu'il nous
semble n'avoir point de causes propres. C'est ce qui nous
arrive pour le libre arbitre humain ; faute de connnUre ou
de remarquer tous les motifs qui entraînent une déLenui-
nation, nous disons qu'elle est arbitraire, qu'elle ne dépend
d'aucune cause, que, en somme, elle est libre ». Spinoza
ne se trompait pas quand il écrivait que la crovunco au
libre arbitre vient de la connaissance des effets de notre
volonté et de Tignorance des lois qui la gouvernent : a Ce
n'est pas de la libre volonté que dépend la diversité dans
la manière d'agir, c'est de la diversité du caractère, ou des
tempéraments, ou des motifs; de la diversité dans les
idées fondamentales qu'on a de la moralité, du droit, de
l'honneur La môme personne peut, en divers
temps, étant données les mêmes circonstances extérieures,
agir de deux manières contraires, non parce qu'elle est
libre, mais parce qu'elle n'a pas les mêmes dispositions ù.
subir l'influence de ces circonstances, de ces moLils n (1)*
« Il ne sert à rien de dire que cette maxime si vantée :
(1). reofica, page 103.
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— 66 —
L'homme suit toujours le plus fort motif, est une pure
tautologie, sinon une erreur, qu'autant vaudrait dire •
L'homme suit toujours le motif qu'il suit ; la nécessité qui
s'impose à nous d'employer celte expression prouve seule-
ment l'ignorance où nous sommes à l'avance de la force
des motifs qui agissent sur Thomme, et non le manque de
force dans les motifs. A première vue, en effet, il semble
oiseux, par exemple, d'affirmer que, certaines causes étant
données, il n*en peut résulter que l'efiet qui en résultera;
mais si cette affirmation démontre que nous ne pouvons
d'avance connaître la nature de cet ellet, elle établit cepen-
dant le principe que cet eflet, qui nous sera connu plus
tard, dérive nécessairement de ces causes et ne peut différer
de ce qu'il est. Nous disons que l'homme suit toujours le
plus fort motif, uniquement parce que le spectacle de l'ac-
tion nous amène nécessairement à dire que cet effet, pour
être produit, doit être la conséquence d'une force supé-
rieure à celle qui en aurait produit un autre. C'est donc
dans l'action môme que se trouve la mesure du motif, et
il est juste de dire que l'homme qui se décide à une action
donnée, le fait parce qu'il est nécessité par le plus fort motif ;
par là nous arrivons à dire qu'un effet a une cause corres-
pondante et que, si cet homme a fait telle action et non une
autre, c'est parce que tout autre eût été l'effet de motifs
qui se sont trouvés moins forts que celui qui a produit
l'action réellement accomplie. En vain dira-ton, avec
Reid, M. Jouffroy, M. J. Simon, que, dans le cas où il y a
plusieurs motifs divers, nulle commune mesure ne permet
de déterminer quel est le plus fort, en admettant même
que nous puissions exprimer cette mesure. C'est pour-
tant un fait que, de plusieurs motifs, il doit y en avoir un,
soit un seul, soit un groupe qui l'emporte sur les autres :
c'est précisément faute de cette commune mesure que nous
ne pouvons prévoir les actes humains, le motif qui est le
plus fort sur un homme, étant le plus faible sur un autre.
Toute personne se décide dans le sens du motif qui pour
elle est le plus fort; l'intensité du motif étant tout indi-
viduelle et par conséquent changeant d'homme à homme,
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— 67 —
il ne pourrait y avoir de mesure connue à Tavance que si
Ton connaissait parfaitement toutes les particularités les
plus minutieuses de l'organisme individuel, ce qui est
impossible. Il est vrai de dire qu'il peut y avoir une com-
mune mesure entre l'espérance de cent lires et celle d'une
lire, les deux motifs étant de même qualité, de même
nature, et non entre l'espérance de cent lires et la crainte
du déshonneur, deux motifs qui sont par leur nature hété-
rogènes et incommensurables. En effet, si je ne puis dire
à l'avance lequel de ces deux motifs sera le plus fort pour
un individu donné, cette impossibilité prouvera mon igno-
rance, mais ne détruira pas la réalité, à savoir que l'un
des deux motifs doit être plus fort que Tautre et qu'il déci"
dera la personne à agir dans un sens donné. . . Les exem^
pies mêmes que l'on croit contraires à ce principe, que
l'homme suit toujours le plus fort motif », ne font que le
confirmer. Ce qui décide l'homme à sacrifier son plaisir^
son intérêt, c'est qu'il subit une contrainte, et alors on ne
saurait nier l'actiou du plus fort motif, ou que son choix,
échappant à toute pression d'autrui, est, pour ce qu*il juge
être, soit le moindre de deux maux, soit le plus grand de
deux biens. L'intérêt peut être moral, spirituel, intellec-
tuel ; il est quelquefois très noble ; il consiste, par exemple,
à gagner le ciel ; on le trouve dans la satisfaction d'avoir
fait son devoir.
Pour être puissants^ les motifs ne sont peut-être pas irré-
sistibles. Mais, s'il y a des causes, elles entraînent néces-
sairement leurs effets; toute cause entraîne nécessairement
son effet (1). Un homme, après avoir délibéré, agit, et les
fâcheux résultats de son action lui apparaissent aussitôt ;
lui qui prétencUètinp libre n'en dit pas moins : Si j'avais su
telle chose, si j'avais pensé à telle chose, je me serais décidé
autrement. A qui n'est-il pas arrivé de se parler ainsi ou
de parler ainsi à d'autres ? Que veut dire cela, si non que,
pour amener une autre décision, il eût fallu l'influence
(l) Tearica, p. 51 et 52;
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. à
- 68 —
d'un autre motif qui déplaçât l'équilibre? Ce n'est donc pas
du libre arbitre que tout dépendrait» mais des pensées, des
sentiments, des sensations présentes à rintelligence au
moment de la délibération; or pensées, sentiments et sen-
sations naissent et se développent en nous indépendam-
ment de notre volonté.
Quand un partisan du libre arbritre tel que M. Joui-
froy, admet l'influence des motifs sur les détermina-
tions, M. Ferri déclare qu'il le surprend en flagrant délit
de contradiction (1).
Ainsi se développe une doctrine, bien éloignée du fata-
lisme théologique, auquel on pense ordinairement, et que
M. Ferri trouve absurde, doctrine dont le vrai caractère
serait d'être un fatalisme scientifique, dont le vrai nom est
causalisme (2).
Pour frayer le chemin à cette doctrine, l'auteur écarte
celle dont il veut lui faire prendre la place. Il nous suffira
d'indiquer la part très considérable faite à la réfuiation des
arguments donnés en faveur du libre arbitre. On nous
permettra de ne n'y pas insister; c'est le système de M. Ferrî,
c'est spécialement les conséquences tirées par l'auteur de
ce système, appliquées par l'auteur au droit pénal, que
nous avons entrepris de faire connaître.
Nous compléterons ce système en disant que M. Ferri
écarte « les incertitudes de la théologie et de la métaphy-
sique » c'est-à-dire Dieu, l'àme, en môme temps que le
libre arbitre (3). Il reproche à M. Carrara et de soutenir
qu'il est impossible de construire une théorie scientiDque
du droit criminel en dehors du libre arbitre, et de fonder
sa doctrine sur le dogme « de la création opérée par un
Être éternel et infini en sagesse comme en bonté, comme
en puissance, sans craindre que quelqu'un ne se lève pour
dire que celui qui fonde le droit de punir sur un mandat
(U Teorica, p. 55.
m Ib., p. 20.
(3) Ib , Avertissement
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— 69 —
tacite ou exprès confié par Dieu à là société , est oblifçé avant
tout de prouver d'une manière irréfrngable l'existence
môme de ce Dieu » (1).
La théorie qu'il semblait à M. Ferri le plus nécessaire
de renouveler était celle de l'imputabilitë. A rLime, a la
liberté morale, il faut substituer désormais les influenças
du climat, de la race, de la religion, de la civilisation, de
l'hérédité, de Tàge, du sexe, des professions, de Téducation,
de l'imitation (2); il faut reconnaître l'existence d'une res-
ponsabilité sociale. L'imputabilité individnelle va-t-elle
donc disparaître? Non, mais elle doit se transformer : « Il
faut se rappeler que, en perdant la liberté morale, rhomnio
n'en garde pas moins Tintelligence et la volonti^, ractivité
et la spontanéité » (3). Volonté, activité^ spontaoeitù sont
indispensables pour que l'acte à punir soit proprement
l'œuvre de telle ou telle personne. Quant ii rintcUigence,
c'est à elle à placer la menace de la loi parnn les motifs
« qui produiront nécessairement la décision et Taction cri-
minelles ». Ni imputabilité, ni peine pour celui qui ne
pouvait, au moment de l'action, connaître et calculer rai-
sonnablement la force et l'autorité du motif légal : Tiaipu-
tabilité s'appuie sur l'intégrité de la raison humaine et se
mesure à la part qu'on en possède ». Voilà donc à quoi se
réduit, sans qu'on ait besoin du libre arbitre, le critérium
de l'imputabilité humaine. Celui qui a violé le droit d'au-
trui et par conséquent l'ordre juridique n'u pas à s'imputer
son action, s'il. a agi sans l'usage de la raison ou s'il a été
poussé par des motifs juridiques : « Quand Thomme pos-
sède la plénitude de sa raison, il est par cela seul capable
d'être auteur imputable d'un délit. Il est alors imputable
en puissance. S'il est ensuite déterminé par des motifs
antijuridiques à violer le droit d'autrui, il est imputable
effectivement, L'imputabilité en puissance peut donc être.
(1) Teorica, Introdacllon, p. 6, note 2 et 7.
(?) Ib., Introduction, p. 4. — Conf. Il DirilLû, p. n et 33.
[3) /&.,p., 468 et 477.
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— 70 —
dans UQ seul et môme individu, séparée de l'impotabilité
effective, tandis que celle-ci ne peut se présenter chea un
homme sans le concours de celle-là ».
ÏI
On n*a pas encore exposé une théorie de Timputabilité,
et du droit de punir en général, en faisant abstraction de
ce que l'auteur appelle la controverse du libre arbitre, sans
s'appuyer essentiellement sur l'existence du libre arbitre.
C'est cela que M. Ferri prétend faire, plus logique en cela
que ceux de ses devanciers qui, tout en considérant les
actions humaines comme nécessaires, ont fait encore une
place à la liberté morale dans leurs systèmes (1). Il espère
obtenir un double avantage : l'un absolu, en ce qu'il fon-
dera le -droit criminel sur le terrain de la vérité ; l'autre
relatif, en ce que la doctriqe de la nécessité dans les actions
humaines deviendra indiscutable, quand il sera démontré
qu'elle n'exclut nullement le droit de punir. Pour lui-
même, il aura la conscience d'avoir obéi à ses convictions
en faisant voir daosj'homme une machine « machine
très noble, merveilleusement supérieure à toute autre
chose créée, mais uniquement une machine, c'est-à-dire
un organisme soumis par la nature à des lois insurmon-
tables, et non pas un être séparé, comme une exception
miraculeuse, de la grande famille des vivants » (2).
La négation du libre arbitre entraîne l'auteur à nier la
possibilité du repentir et de l'amendement : « L'homme
n'est pas libre : dès lors, que sert-il de le contraindre à s'a-
mender ? C'est la société qu'il faut amender en détruisant
les causes du mal et en fortifiant celles du bien, pour que
l'individu s'amende. Celui qui sera sorti de prison , înême
après avoir donné des preuves de résipiscence, retournera
là où le délit a son foyer, là où il donne son impulsion,
(1) Teoricat Introd., p. 6.
(S)/6.,t(<., p.8 6t9.
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— 71 —
préparant une société corrompue et corruptrice ; il sera
peut-être poussé à commettre de nouvelles fautes, quel-
ques projets qu'il ait formés pour rester honixôte. » Et
Fauteur ajoute en note : « Ainsi s'explique ce fait si com-
mun que beaucoup de personnes, souvent animées des sen-
timents les plus droits, tombent et retombent dans le vice.
Preuve éloquente de l'inexistence de tout libre arbitre » (1).
Ce sont les idéalistes qui proclament la possibilité du
repentir, qui se représentent le coupable comme accessible
aux bons sentiments, à l'honneur même. La vraie science
ne croit à l'amendement, ni par la prison, ni par l'instruc-
tion (2).
M. Férri poursuit ailleurs la même idée, en s'occupant
du remords chez le délinquant (3), en s'attaquant aux illu-
sions qu'entretiennent les poètes et les romanciers, des
écrivains dénués de connaissances exactes en psychologie.
L'origine des erreurs qui ont cours sur ce sujet çst encore
dans la faute que commettent de fort honnêtes gens en se
régardant eux-mêmes au lieu d'observer les coupables. Ils
prêtent à ceux-ci le dégoût qui est en eux pour le mal :
a Mais le criminaliste psychologue, qui étudie le délinquant
avec la patience d'une clinique morale, pour trouver les
conditions naturelles du délit, les règles théoriques et pra-
tiques de la défense sociale à organiser contre le délit,
trouve que, sauf les délinquants entraînés au délit par
l'élan d'une passion ou par la tentation d'occasions extraor-
dinaires, les malfaiteurs, par reQet d'une insensibilité qui
Ifeur est propre, ne sentent pas plus le remords après avoit
commis le mal qu'ils n'éprouvent de répugnance avant
de le commettre ». Si l'on croit en trouver chez eux quel-
ques manifestations, ce ne sont que de vaines appa-
rences.
(1) Teorica, p. 442 et 443.
(2) Ib,, p. 496 et 497. - Conf. I nuovi orizzonti,y. 19.
(3) Il rimorso nel delinquente. — Studi Setiesif vol. i, p. 156 et sui-
vantes.
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— 72 —
III
La tliéorin du droit de punir se renouvelle en même
temps que celle de Timputabilité : « Il me paraît, dit
M* FeiTi (1), que Tétude de la psychologie, de Tanthropo-
logîe et de la statistique criminelle conduit à Tidée résu-
mée dans le titre de cet écrit, par lequel je veux exprimer
que le droit de punir doit désormais se dépouiller de tout
autre caractère! que celui d'une simple fonction consistant
à éliminer, pour un temps ou pour toujours, du corps
social les éléments criminels ou antisociaux. Etant donné
le délit, non seulement la société n'a pas à venger une
ofïense, â imposer l'expiation d'un péché, comme on disait
avant Beccaria, mais elle ne doit même pas prendre pour
basedeson ministère l'idée, trop souvent illusoire, d'arriver
àramendemcnt du coupable, ni le rétablissement d'un ordre
juridique abstrait, ni la réalisation d*une justice distribu-
live, comme le soutiennent encore les diverses écoles ortho-
doxes. Elle doit seulement considérer le délit comme l'eflet
d'anomalies individuelles ou comme un symptôme de pa-
thologie sociale, réclamant de toute nécessité l'isolement
dos éléments d'infection et l'assainissement de l'atmosphère
où s*en développent les germes » (2).
Ainsi la société humaine rentre dans l'ordre général de
la nature, d'où l'on a, pendant si longtemps, prétendu la
faire sortir : « La société humaine est un organisme, comme
le corps d'un individu; ce n'est pas là simplement une
métaphore ou une similitude. . .; il y a une série d'analo-
gies véritables et substantielles, avec un petit nombre de
flilïérences partielles. . . Comme le corps individuel ne vit
que par un processus continu qui tend au bien-être de l'in-
dividu et en est, en même temps, la condition première,
ainsi une société humaine ne peut exister ni prospérer sans
i\) U DiHito, p. 6.
if) îh.f p. ?) — Cf., Inuovi Orizzonii, p. 32.
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— 73 —
cet infatigable labeur d'assimilation, soit naturel (nais-
sances), soit artificielle (immigration) et de désassimila-
tion (émigration plus ou moins forcée d'individus antiso-
ciaux, non assimilables à cause des maladies contagieuses,
de la folie, du délit), et cette conception, déjà entrevue par
quelques partisans de la nouvelle direction, acquiert désor-
mais une importance scientifique et pratique beaucoup plus
grande, parce qu'elle est soutenue par toute une série de
recherches et d'instructions positives réunies pour la pre-
mière fois en un système juridique ». Ainsi l'évolution
scientifique fait entrer dans une phase toute nouvelle la
manière de concevoir la répression (1).
A vrai dire, ce qu'il y a de plus nouveau, ce n'est pas la
conception, c'est l'expression dont on la revêt, c'est l'argu-
mentation dont on l'appuie. L'évolution, M. Ferri le dit
lui-même, ne fait que ramener le droit criminel au carac-
tère qu'il eût dès l'origine, à celui d'une défense sociale (2).
D'ailleurs, « on sait que beaucoup des plus célèbres crimi-
nalistes ont fondé le droit de punir sur un concept d'uti-
lité sociale, de défense indirecte, de défense continuée, de
conservation, de nécessité politique, etc. Mais la différence
substantielle entre ces théories et la nôtre, c'est que Bec-
caria, Bentham, Romagnosi, Comte, Martin, Schulzer,
Thiercelin, Carmignani, etc., enfermaient toujours dans
leurs systèmes ces concepts de responsabilité morale de
l'homme, que nous excluons complètement du terrain juri-
dique, comme un débris d'époques antérieures » (3).
L'élimination des éléments nuisibles au moyen de la jus-
tice pénale nous montre l'application d'une première loi
commune à toute la nature animée ; la réaction nécessaire
spontanée contre l'action qui s'est produite n'est que
l'effet d'une seconde loi.
« L'existence de tout animal résulte d'une vie interne ou
(1) IlDiritlo, p. G et 9.
(2) Ib,, p. 12 et 13.
(3) !&., p. 11, noie 2.
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— 74 —
physiologique et d'une vie externe ou vie de reliatioil ou
vie sociologique, Tune et l'autre allant toujours croissant
et se compliquant à mesure que l'animal est plus près des
derniers degrés de l'échelle zoologique. Chez l'homme, qui
forme jusqu'à présent le dernier et le plus parfait degré
de cette échelle, la vie de relation prend un développement
extrordinaire en comparaison des espèces inférieures, et à
son tour elle ne cesse de croître à mesure que, de l'état
sauvage, elle s'avance vers les sociétés civilisées de notre
siècle. Cette vie sociale n'est qu'une série, indéfinie dans
le temps et dans l'espace, d'actions et de réactions sans
lesquelles elle n'existe pas. D'où la conséquence que toute
action individuelle, même indifférente, en déterminant
dans le milieu physique un nombre infini de mouvements,
détermine toujours dans le corps social une réaction cor-
respondante, en quantité et eu qualité, soit du côté des
autres individus considérés n/ singuli, soit du côté de la
société entière ou de ceux qui la représentent ».
IV
En commençant son ouvrage sur VImputabilité, M. Ferri
disait : « Le principe essentiel de l'ordre moral tel qu'il est
établi par les nouvelles docirines, c'est la négation du
libre arbitre. La plus grave des conséquences qui en déri-
veraient, d'après les adversaires de ces idées, est l'impossi-
bilité de tout droit pénal, de toute science pour le régula-
riser » (1). 11 promettait, au contraire, de donner au droit
pénal un fondement plus solide que jamais (2) : « J'ai for-
mulé, dit-il, en concluant (3), une théorie complète de
l'imputabilité, fondée exclusivement sur ces données expé-
rimentales, dont l'existence n'a été et ne sera jamais mise
en doute par un penseur quelconque , et spécialement sur
cette loi universelle et nécessaire de causalité. . . »
(1) Teoriea, Introd., p. 5.
(*2] Ib., Avertissement.
(3) Ib.y Gonclas., p. 610 et 611.
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Ainsi doit être obtenu un triple avantage pour là sociétèi
Le droit qui lui appartient de se défendre est mis au des-
sus de toute contestation; il est dégagé de toute iiicoM-
renée, il est dégagé de toute entrave.
Il était facile, en effet, de contester ces théories qui ne
s'appuyaient que sur des assertions gratuites, sur des hypo*
thèses mystiques, sur des traditions aveuglém^nt trans-
mises par des préjugés séculaires. Quand la réalité enfin
observée nous révèle la vérité si longtemps méconnue, il
n'est pas plus permis, disons mieux, il n'est pas plus
possible de nier la seconde que de fermer les yeu^à la
première; personne ne refusera plus à la société le droit
de se défendre, quand elle est attaquée.
Toute doctrine qui repose sur le libre arbitre ne pèche pas
seulement par défaut de preuve ; elle offre une incohérence
inévitable. Il n'y a pas de moyen terme entre ces deux
idées : la liberté morale existe ou elle n'existe pas ; si elle
existe, elle ne saurait être limitée ni par conséquent sou '
mise à une simple influence de motifs; son essence même
est de pouvoir se décider indépendamment des motifs, con-
trairement aux motifs; que sert-il donc aux législateurs
d'établir des lois pénales, c'est-à-dire d'annoncer à ceux
qui seraient tentés de devenir des malfaiteurs que, s'ils
succombent à cette tentation, ils encourront un châtiment?
Se flattent-ils de l'espoir que la perspective du mal à subir
à titre de peine les détournera du mal à commettre? Mais
sur un être vraiment libre, le motif est nécessairement
impuissant, les motifs légaux tout aussi bien que les motifs
moraux. Quand le législateur, au contraire, s'adresse à
un être que les motifs déterminent de toute nécessité, il
peut espérer que sa menace fera pencher la balance en
faveur de l'abstention du délit. Cet effet préventif, le plus
important de ceux que poursuivent les rédacteurs des lois
pénales, ne saurait se concilier avec la doctrine du libre
arbitre.
Enfin cette doctrine fait disparaître les entraves qui
gênaient la défense de la société : « Si le droit de punir est
une simple fonction défensive et non une rétribution jurî-
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— 76-
dique de la faute par le châtiment, il en résulte qu'il pourra
s'exercer dans le cas même où n'existe certainement ni
faute, ni responsabilité morales, mais où existe un dom-
mage, un péril social. — Qu'on ne croie pas cette idée aussi
révolutionnaire qu'elle semble l'être; car dès aujourd'hui
elle a une sanction dans nos Codes criminels ou civils ».
Elle trouve son application à propos de l'homicide invo-
lontaire, dans la responsabilité civile pour le fait d'une autre
personne, même d'un animal, car la responsabilité civile
est aussi un moyen de défense Le droit de la société à
se défendre contre les individus qui lui nuisent ou qui la
menacent est indépendant de leur responsabilité morale ;
il existe toujours, même pour ceux qui nient la responsabi-
lité morale. Tout consiste à adapter aux diverses catégories
d'actions les moyens les plus opportuns de défense
sociale... » (1). Ainsi la société reprend des droits qu'on
lui avait enlevés à tort, et nul ne peut être à couvert des
mesures, très diverses d'ailleurs, que sa sécurité rend
nécessaires.
(1) JldiriUo, p. 11 f 119.
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CHAPITRE TROISIÈME.
La mélhode expérimenlale appliquée au droit criminel en Italie,
— GoDgrôs ioternatiooal d'anthropologie cri mioel le, Rome,
novembre 1885 (1).
Les progrès de Técole positiviste ont été rapides en Ita-
lie. Le tableau en a été tracé par M. Brissaud (2) avec
autant de compétence que de talent ; tout récemment un
magistrat distingué, M. Fournez, avocat général, en fai-
sait le sujet d*un remarquable discours de rentrée devant
la Cour d'appel de Montpellier. L'action des réformateurs
italiens s'est fait sentir dans les pays voisins, et leur
exemple a suscité des travaux importants en France et en
Allemagne. Il était naturel que ceux qui avaient soutenu
et répandu les doctrines nouvelles voulussent en constater
le succès, en hâter encore le développement, en assurer le
triomphe théorique, ne fût-ce que pour en préparer le
triomphe pratique.
L'idée d'un congrès, où la nouvelle école trouverait
a .l'occasion d'affirmer ses tendances et d'indiquer les
réformes qu'elle réclame dans la législation pénale » (3),
mise en avant dès 1882 par M. Puglia, reprise ensuite par
(1) Actes du premier congrès international d'anthropologie crimi-
neUe, biologie et sociologie.
(2) Revue générale du droit, de la législaUon et de la jurisprudence,
Une nouvelle école de criminalistes, 1880, p. 325. — La statistiqtie pénale
et les criminalistes italiens, 1884, p. 36 et 97.
(3) Préface, de M. Edmond Mayor, p. 10.
V ~
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— 78 —
M. Pavia, après avoir été sur le point d'être mise à exécu-
tion en 1884, lors de l'exposition de Turin, se réalisa enfin
en novembre 1885 ; un congrès d'anthropologie criminelle
s'ouvrit à Rome, en même temps qu'un congrès péniten-
tiaire.
Les dispositions, comme les doctrines, étaient les mêmes
chez ceux qui se rendirent au congrès que chez ceux qui
l'avaient convoqué. C'était à une cause commune que les
uns et les autres avaient travaillé et voulaient travailler
encore ; l'unanimité était regardée comme établie à l'avance
môme sur des points où des divergences auraient pu se
produire sans détruire la communauté des vues essen-
tielles : « Nous ne discutons pas ici, dit M. Sergi (1), la
théorie de la descendance ; il nous faudrait rebrousser
chemin. Nous acceptons ici la théorie de Darwin sans la
discuter^ » '
Le dogme de la fatalité héréditaire a été, dès la première
séance du congrès, exposé par M. Moleschott : « Vous l'avez
abordée (la justice), vous l'avez ébranlée , en étudiant
l'homme dans la société, dans sa dépendance héréditaire
et naturelle, et par une autorité inflexible vos études ont
confirmé le mot terrible de l'Écriture qui dit que les péchés
des pères seront punis dans leurs enfants. — Mais cette
sentence elle-même n'a pu échapper à votre critique
inexorable. Elle n'a fait que vous inspirer une nouvelle
demande : vous voulez savoir dans quelle mesure le fils
peut être responsable du malheur de descendre d'un
père vicieux » (2). En résumant les travaux du congrès,
M. Ferri a pu dire : « Le premier congrès international
d'anthropologie criminelle a affirmé hautement la nou-
velle école » (3). Entre les partisans des mêmes idées, on
peut bien signaler des nuances ; les Français semblent
avoir pris en général le parti de la modération. Mais il n'y
(i) Page 177.
(2) Id, 52.
(3) Id. 424.
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— 79 -^
a guère eu d'opposition proprement dite, si Ton met à
part la tentative faite par M. Righi en faveur du libre^
arbit re, tentative dont nous reparlerons plus loin. Du
^este, on comprend que ceux qui ne partageaient pas la
doctrine soient restés en dehors.
Les positivistes se plaignent souvent de leurs adver-
saires, et leur défense ne se distingue pas toujours d'uue
attaque : <c On dit, lisons-nous dans un rapport de M. Vito
Porto (1)^ et l'autorité dont jouissent quelques-uns de nos
adversaires, de qui Ton ne saurait méconnaître robslina-
tion, sinon la bonne foi, fait considérer la chose comme
certaine, on dit que pour les positivistes, plus le crime est
atroce, moins est grande la responsabilité des coupables.
— Et il n'est pas toujours possible de neutraliser les eflelâ
de la mauvaise foi, attendu que certains avocats d'occasion
cherchent de mille façons à retarder le triomphe de la
vérité ». M. Lombroso, à son tour, repoussant l'accusaliou
dirigée contre les positivistes d'être « les défenseurs obs-
Unes des coupables », s'exprime ainsi (2) : « Il est des
gens qui, n'ayant pas le temps d'étudier ou n'ayant pas
l'esprit ouvert aux conceptions nouvelles, trouvent plus
facile et plus commode d'en sourire. . . Les gens dont nous
parlons ont pour alliés, j'oserais dire pour complices, dans
cette œuvre de dénigrement et de défiance^ des savants à
vues étroites, qui se renferment dans un seul ordre d'idées,
où quelquefois ils excellent. . . Il ne manque pas non plus
parmi eux de ces forts penseurs au regard d'aigle, qui fer*
ment les yeux pour ne pas voir, parce que, à l'aspect des
découvertes d'autrui, ils éprouvent cette aversion instinc-
tive. . . que la pauvreté de Tintelligence détermine chez les
impuissants. . . Voilà les trois catégories de personnes chc^
lesquelles se recrutent nos adversaires. . . »
La « nouvelle école » tient beaucoup à montrer, en
réponse aux accusations de ses adversaires, que ses doc-
(1) Page sa.
(2) Id. 50.
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n
— 80 —
triaes, loin de désarmer la société, doivent avoir pour con-
séquence de fortifier la répression : « Nous, dit M. Lom-
broso (1), qui voulons l'élimination des criminels, la
perpétuité de la peine dans des cas aussi nombreux ».
— a Je conclus, dit M. Ferri (2), que l'application com-
plète des doctrines positivistes dans lés lois et dans les pro-
cès, comme elle corrigera le jugement erroné de l'opinion,
publique sur les mômes doctrines, aura l'utilité d'accroître
de plus en plus le premier de leurs effets, c'est-à-dire d'aug-
menter les moyens de découverte des criminels, et d'éli-
miner tout à fait le second, c'est-à dire leur fréquente
impunité ».
L'école n'a pas semblé goûter les attaques, mais elle a
paru redouter aussi les exagérations. D'après M. Al-
brecht (3), a il est absolument erroné de dire que les
hommes descendent des singes ». Nous ne descendons pas
des singes, nous le sommes encore aujourd'hui : tous les
hommes ensemble ne forment qu'une seule espèce de
singes que M. Albrecht appelle Simia homo. Mais, au point
de vue morphologique, nous né soimnes^ pas même des
singes supérieurs ; au contraire, l'anatomie comparée nous
force irrésistiblement à déclarer que, au point de vue mor-
phologique, l'homme est le plus inf(S>rimir dfts sinp;fl$. a^
L'autre partie de la thèse soutenue par M. Albrecht, est
« qu'on ne peut dire que l'homme honnête soit un être
normal, l'homme criminel un être anormal, et que la
vérité est précisément dans le contraire (4). . . — Que les
hommes criminels soient normaux, cela n'empêche pas
que leurs crimes soient punissables. Les hommes anor-
maux, savoir les hommes honnêtes, tuent et punissent les
hommes normaux, savoir criminels, précisément, parce
que ceux-ci ne veulent pas se laisser anormaliser. . . »
(1) Page 50.
(2) Id, 338.
(3) Id. 104.
(4) Id. 110 et 111.
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- 81 -
« Le fait que Thomme criminel n'est pas L'homme anor-
mal, mais rhomme normal, ne doit pas atténuer les puDî-
tions; au contraire il doit plutôt amener à les doubler,
puisque le plus grand crime contre une société est une
action subversive, attentatoire à Texistence de celte sociélé,
et que chaque action criminelle qui se produit chez les
hommes est en dernier lieu une action contre l'existence
de la société humaine. . . » La communicalton hardie de
M. Albrecht semble avoir plutôt intéressé que convaincu
le congrès ; elle n'a obtenu l'adhésion ni de M. Lombroso,
ni de M. Ferri, et elle a fourni à M. Lacassague a l'occasion
de protester coritre cette tendance, qu'il trouve regrettable,
d'introduire les hypothèses les moins jusliliées dans le
domaine des sciences sociales » (1).
Nous retrouverons naturellement dans les travaux du
congrès les questions déjà posées par Técole positiviste,
celles que nous avons eu l'occasion de toucher en rendant
compte des ouvrages de M. Lombroso et de M, Ferri, et
nous nous demanderons quel est, sur ces questions, l'état
de l'opinion parmi les savants en général, parmi les maîtres
de la nouvelle école en particulier. Nous ne nous attache-
rons d'ailleurs qu'à celles qui nous paraissent les plus
essentielles, les plus caractéristiques pour Tétude dont
nous poursuivons le cours.
I
Le congrès était partagé en deux sections, section
de biologie criminelle, section de sociologie criminelle.
Nous suivrons l'ordre qu'il a lui-même indiqué en l'a-
doptant.
1. La première thèse posée par la section de biologie cri- 1
minelle est celle-ci : « En quelles catégories doit*ou diviser 1
les délinquants et par quels caractères essontiols, orga- 1
niques et psychiques, peut-on les distinguer ? »
(1) Page 113.
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^ 82 -
M. Ferrî s'exprime ainsi (1) : « Je crois que, au point de
vue psychologique, comme au point de vue physiologique,
qui en est la base, les criminels présentent d'abord deux
types caractéristiques opposés: le criminel inetinctifidélin'
quente nato), pour lequel le crime est surtout un effet de
la constitution héréditaire, organique et psychique, a
laquelle le milieu physique et social ne donne que le pré-
texte de son action, et le criminel passionné (delinquente
per impeto di passione), qui est poussé au crime surtout
par des circonstances extraordinaires, à un certain moment
de sa vie ; qui traverse, pour ainsi dire, un orage psycho-
logique, avant et après lequel il est à peu près un homme
normal. — Comme variété antropologique du premier type,
nous avons le criminel aliéîié. . . Au second type appartient
le criminel d*occasion, qui est aussi poussé au crime par
les circonstances du milieu, mais qui, ayant une constitu-
tion moins normale, cède à des impulsions d'une force
ordinaire, contre lesquelles les hommes normaux résistent
sans grand effort ou sans effort aucun. — Entre les deux
variétés du premier type et les deux du second, il existe
une sorte de trait d*union dans la catégorie du criminel
d'habitude... » M. Ferri spécifie « les principaux sym-
tômes psychiques, qui caractérisent chacune de ces cinq
catégories anthropologiques ».
Un autre rapporteur, M. Marro, propose une classifi-
cation différente : « La classification des criminels, dit-
il (2), peut avoir plusieurs points de départ, selon que l'on
observe les causes de la criminalité, les formes variées de
sa manifestation, ou les caractères prédominants chez les
criminels mêmes. . . — En considérant dans leur ensemble
les caractères anormaux présentés par les criminels que
j'ai observés, et épars chez les hommes en liberté, je les
ai divisés en trois classes, c'est-à-dire : 1<> en cx)ngénitaux
ataviques, ou de retour, comme les fronts fuyants, les sinus
(1) Page 116.
(2) /d. 183 et saivantes.
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>.%a
r
— 83 —
froQtanx (1), les yeux fendus à la chinoise, le progna-
tisme, etc., qui reproduisent des caractères normaux de
races inférieures; 2^ en congénitaux morbides ou aty-
piques, tel que les déviations du nez, les déformations du
crâne, etc., qui sont presque toujours dues à une maladie
du fœtus dans la matrice et ne reproduisent plus une
forme normale, môme chez des êtres inférieurs ; 3** enfin,
en morbides acquis j parésies (2) de certains muscles, cica-
trices de blessures, de chutes ou de coups, etc. — Or ces
caractères se présentent différemment groupés selon la
forme diverse de la criminalité des individus. Ainsi, c'est
chez les assassins, chez les voleurs de grand chemin, chez
les voleurs avec effraction que j'ai trouvé le plus grand
nombre d'anomalies ataviques, tandis que les anomalies
atypiqms étaient plus nombreuses chez les incendiaires et
chez les obscènes, et les anomalies morbides acquises chez
les voleurs, les rebelles et les brutaux. — De ces considé-
rations, il s'ensuit qu'en anthropologie on pourrait grou-
per les criminels selon la nature spéciale des caractères
anormaux prédominants chez eux, et ce serait Tunique
classification naturelle ; tandis que toutes les autres clas-
sifications fondées sur l'étiologie des dispositions crimi-
nelles, n'ayant pas une base organobiologique typïtjue et
qui leur soit propre, sont nécessairement imparfaites,
conime serait imparfaite une classification des aliénés
fondée sur l'étiologie de l'aliénation ».
Dans la discussion qui s'est engagée sur les deux rap-
ports, M. Garofalo a proposé de ramener la classification
de M. Ferri à des termes plus simples : « Je pense, a-l-il
dit (3), que tout le monde pourra se trouver (raccord, si
(l) M. Litlré, Dictionnaire de la langue française : « Sinnjn, terme
d*anatomie. Nom donné à des cavités osseuses plas larges ^l l'iittt^rieur
qa'à leur ouverture, creusées dans l'épaisseur de certains oâ du crâ lo
et de la face. Sinus maxillaire, sinus frontaux ».
(21 Id., ib. Parésie : « Paralysie légère avec privation du mouvement,
mais non du sentiment ».
(3) Page 139.
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— 84 —
l'on se contente de distinguer les criminels en deux classes
très générales : Tune, comprenant tous ceux, aliénés ou
non aliénés, chez lesquels on peut constater une anomalie
psychique déterminant le crime, et c'est souvent le genre
même du crime ou les circonstances dans lesquelles il a
été commis qui suffisent à indiquer cette anomalie ; l'autre
classe comprenant tous ceux chez qui il n'existe pas d'ano-
malie frappante de ce genre, mais qui sont entraînés au
délit principalement par les circonstances extérieures ».
M. Benedikt a distingué (1) quatre catégories : 1® le
délinquant accidentel; 2^ le délinquant professionriel ; 3° le
délinquant par maladie ; 4® le délinquant dégénéré.
Sur ce sujet, il n'y a pas eu de vote émis. M. Benedikt (2)
a seulement fait constater que l'assemblée, bien qu'un
grand nombre de ses membres refusassent d'émettre un
vote, se trouvait d'accord avec M. Ferri sur les parties
essentielles de son rapport.
— C'est à propos de la première thèse que M. Lombroso
est revenu sur cette doctrine de l'atavisme chère à son
école: fn Analogie, dit-il, entre le sauvage et V homme criminel.
— L'étude de ces anomalies rapproche le délinquant plus
encore du sauvage que du f ou . . , (3). Nous trouvons en
cela une preuve anatomique de la stratification de la cri-
minalité, c'est-à-dire de la tendance des coupables à hériter
des formes, non seulement de l'homme sauvage préhis
torique, mais aussi de l'homme antique, historique > (4).
Mais les Français sont venus, à propos de l'atavisme,
comme dans plusieurs autres circonstances, sinon con-
tredire, au moins tempérer des conclusions qui leur sem-
blaient excessives : « Pour l'école italienne, comme pour
M. Sergi, a dit M. Lacassagne (5), répondant à un rapport
(1) Page 142.
(2) Id, 146.
(3) Id, 63.
(4) Id. 654.
(6) Id. 15.
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- 85 -
de M. Sergi (1), Talavisme est la clef de voûte de tout le
système. — Il y a là une exagération et une fausse inter-
prétation. Ce serait faire une confusion que d'assimiler
l'atavisme a l'évolution ou au transformisme. Qu'est-ce
donc que l'atavisme ? C'est un phénomène en vertu duquel
il se manifeste dans l'hérédité des accidents que l'on croit
devoir rattacher à l'influence d'un aïeul.., — On s'aper-
çoit de la diflSculté qu'il y a à admettre Vatavisme pré-
humain ou humain de M. Sergi. Ce sont là des suppositions,
des théories ingénieuses, je le veux bien, mais après tout
des hypothèses sur lesquelles il est impossible d'édifier uq
ensemble systématique. J'ajoute que cette théorie est dan-
gereuse au point de vue pratique ; on lance dans la circu-
lation ou dans le langage juridique ce gros mot d'atavisme,
dont certainement on abusera, parce qu'on n'en compren -
dra pas la valeur. Remarquez encore le côté mystique de
cette hypothèse ; l'atavisme devient une sorte de tare indé-
lébile, de péché originel que nous déplorons, que Lom-
broso et ses adeptes constatent, mais contre lequel il n'y a
rien à faire. . . Cette implacable influence ancestrale est là,
on ne saurait s'y soustraire, et il faut s'attendre à l'inva-
sion soudaine de ces revenants, les types sauvages, ceux
de Cro-Magnon ou de l'époque de la pierre polie ».
■ 2. La deuxième thèse était rédigée ep ces termes : c Y
a-t-il un caractère général biopatoiogique qui prédispose
au crime? »
C'est à propos de cette thèse qu'il a été traité de l'objec-
tion, de la double objection nécessairement soulevée contre
les doctrines anthropologiques : N'y a-t-il pas des gens
honnêtes chez qui l'on retrouve les signes indiqués comme
propres aux criminels? N'y a-t-il pas des criminels chez
qui ces signes font défaut ?
« On objectera, dit M. Lombroso (2), que le type cri-
minel se remarque aussi chez les gens honnêtes. — Une
(1) Pages 159 et saivantea.
(?) W, 79.
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^
- 86 —
observation ici est nécessaire. S'il y a des points douteux
dans Tétude des criminels, il y en a bien plus dans celle
des gens présumés honnêtes. Ces derniers, en eflet, ne sont
pas tous ni toujours réellement honnêtes. On en connaît bien
tous les caractères physiques, mais non pas tous les carac-
tères moraux, qui ne se révèlent qu'après une longue
fréquentation ». Il y a un certain nombre de signes typi-
ques, mais le type vrai, complet du criminel suppose la
réunion de quatre à six de ces signes; chez les hommes
honnêtes, tel ou tel de ces signes pourront se rencontrer,
mais isolés : « en résumé, la physionomie typique du cri-
minel se rencontre, par exception, une fois sur cent chez
l'homme honnête, et presque régulièrement chez l'homme
délinqnant ». Encore ces signes isolés peuvent-ils bien
annoncer une criminalité latente, qui ne demandait pour
se développer que l'occasion, la circonstance. « — Il est
très vrai qu'il y a des criminels à capacité crânienne
notable, avec d'admirables conformations du crâne, et
qu'il y en a aussi dont la physionomie est parfaitement
régulière, surtout parmi les habiles filous et même parmi
les chefs de bandits... — Mais ce sont des exceptions
qui nous frappent par leur contraste, et qui bien des fois
peuvent s'expliquer ».
D'un autre côté, M. Benedikt observe (i) « qu'il n'est
ni juste ni exact oiTiirèlendré^que l'on doive toujours
trouver quelque chose d'anormal dans l'individu criminel.
Ce n'est ni juste ni exact, parce que le fait psychologique
est en partie le produit de phénomènes moléculaire et que
la science est encore très loin d'une anatomie des molé-
cules, et d'une physiologie moléculaire, surtout chez les
vivants... 1** Il y a des individus dont on peut dire avec
certitude qu'ils ne peuvent pas être des individus normaux.
Leur sphère motrice, ou intellectuelle, ou morale, ou bien
ces trois sphères, ou deux des trois, combinées entre elles,
doivent être anormales; 2» des individus sur la normalité
(1) Page 102.
k.
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-- 87 —
ou l'anormalité desquels nous ne saurions nous prononcer
d'après Texamen extérieur, et pour qui nous devons atteu:
dre la manifestation de symptômes psychiques moraux, etc.,
ou dont encore il nous faut étudier la vie ; 3^ il est enfiu des
individus criminels, des délinquants, même graves, chez
lesquels nous sommes impuissants à trouver jusqu'à ce
jour des symptômes anthropologiques certains de crimi-
nalité >.
3. La troisième thèse de biologie criminelle portait :
(( Comment doit-on classifier les actions humaiues par
rapport aux affections qui les déterminent? Comment
l'éducation morale peut-elle influer sur l'intensité des
accès de passion et indirectement sur les actions crimi-
nelles ? Thérapie préventive de la délinquance ».
Le rapporteur, M. Sciamanna, s'excusait, en quelque
sorte, de traiter un tel sujet (1). <k Aujourd'hui, que le
monde savant a cessé de disserter sur les abstractions
pour s'adonner à l'étude des phénomènes, aujourd'hui
que, grâce surtout à la nouvelle école d'anthropologie
criminelle, ont succédé aux discussions sur les délits et
les crimes les recherches expérimentales sur les délin-
quants, se mettre à parler des actions humaines, ou
proposer un essai de classification pourra paraître, pour
ainsi dire, un pas en arrière ». Cependant, « comme il
est montré qu'on peut, par l'observation des caractères
biologiques et anthropologiques, descendre par degrés
infinitésimaux de l'homme honnête au délinquant, je
crois qu'il y a lieu de rechercher dans les actions humaines
une échelle correspondante qui commence à l'honnêteté
pour finir au crime. — En comparant les actions humaines
entre»elles d'après leurs effets sociaux, nous constations
deux grandes catégories parfaitement distinctes et facile-
ment reconnaissables : les actions honnêtes et les actions
non honnêtes. -- Si, au contraire, nous les considérons au
point de vue subjectif, chaque action nous apparaîtra
(1) Page 185.
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à
comme ud phénomène complexe produit par de nom-
breux facteurs, et si nous examinons analytiquement ces
[acteurs, nous reconnaissons que les différences entre les
actions honnêtes et les actions criminelles ne sont repré-
sentées que par des différences de rapports entre des
quantités et dans la successipn de différentes énergies
psychiques. — A ce point de vue, rhonnéteté ou la crimi-
nalité dans les actions humaines devient une accidentalité,
et nous pouvons facilement repousser l'objection de ceux
qui, trouvant des caractères anthropologiques criminels
chez des gens n'ayant jamais commis d'actîons pré-
vues par le Code pénal , et n'en trouvant pas , par contre,
chez de grands malfaiteurs, accusent dans nos observations
de simples coïncidences et appellent variétés insigni-
fiantes ce que la statistique criminelle signale comme des
formes spéciales de la délinquance. En mettant ainsi en
évidence les liens étroits qui unissent les différents carac-
tères anthropologiques et les différents facteurs des actions
humaines, on pourra éliminer d'apparentes exceptions b.
On comprend que la première conclusion du rapport
ait été ainsi conçue : « Toute action humaine doit être
considérée comme la résultante nécessaire des excitations
qui, modifiées et divisées de différentes manières par les
cellules cérébrales, sont transmises simultanément ou
successivement aux divers centres moteurs ».
La question de l'éducation est ainsi posée : — « L'édu-
cation morale, dit M. Sciamanna (1), concourt à em-
pêcher qu'il y ait excès ou défaut de correspondance
entre les excitations sensitives et les excitations affectives,
en produisant des impressions dans les centres plus élevés ;
impressions qui, suscitées au moment du passage du
courant nerveux, puissent rendre plus complète la percep-
tion et exercer de la sorte une action modificatrice sur
l'aiguillon destiné aux sens psychiques. — L'éducation
morale influe à maintenir au passage des courants ner-
(1) Page 17. ^ Cf p. 199 et sqiv., pour le développement de cesidéçs.
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— 89 —
veux l'exercice des voies les plus longues qui relient les
sens psychiques aux centres moteurs; et elle y parvient»
en unissant les excitations sensibles à des impressions
déterminées qui, une fois réveillées au moment opportpn,
puissent produire les phénomènes de rimciginatioD, agir
sur le sens psychique comme un aiguillon différent^ et
fassent ensuite dévier le courant de la voie la plus courte.
— Les pratiques éducatives, en établissant des habitudes
dans les phénomènes de la cérébration, qui peut être
modifiée surtout par rapport au temps, font que les
réactions affectives terminales soient moins rapides^
moins dérangées, essentiellement différentes. C'est pour
cela que, dans l'éducation bien dirigée, se trouve la
meilleure thérapeutie préventive de la dôliaquance par
habitude^ occasion et passion » .
Le passage suivant (l)complète lesidéesdeM. Sciamanna^
au sujet de l'éducation : « Pour que l'éducation ait toute
son influence, il faut qu'aucun vice de conformation^
aucun état pathologique, aucune condition héréditaire,
ayant duré pendant une longue suite de génération»,
n'aient rendu certains centres absolument inexcitables.
Mais lorsque son effet peut être complet, Tinilueuce de
l'éducation sur le caractère moral de l'individu est telle
qu'elle peut en faire un membre utile de la société^ dont,
sans elle, il eût été un membre nuisible, vivant aux dépens
de ses semblables. — S'il est vrai (et la chose, à mes
yeux, ne saurait être révoquée en doute), s'il est vrai que
les habitudes fonctionnelles qu'un individu acquiert dans
le cours de sa vie, se reproduisent en partie chez ses
descendants, les bienfaits d'une éducation jutlicieusement
dirigée seront ressentis par les générations successives >
Rendue plus facile pour ceux qui viendront, puisqu'elle
trouvera en eux un terrain déjà préparé par l'hérédité,
l'éducation pourra, en se répandant, donner avec le temps
des résultats dépassant toute espérance. — Si l'éducation
(1) Page 301.
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- 90 -
morale devenait une fonction sociale, si TEtat s'occnpait
plus directement des mineurs, surtout des plus jeunes
parmi eux, si la grave mission de ramélioration du carac-
tère moral des générations successives était confiée à des
hommes compétents, et si rien n'était négligé de ce qui
peut concourir à ce but, je crois, je suis convaincu que
nous verrions rapidement décroître le nombre des délin-
quants habituels, d'occasion et passionnels ».
3 et 4. Nous signalerons enfin un rapport de M. Frigerio,
sur Vépilepsie et la folie morale dans les prisons et les asiles
d'aliénés, qui tire cette conséquence* de la doctrine :
t Nous appelons de tous nos vœux le moment non éloigné
où le triomphe de la méthode expérimentale arrachera
des prisons les délinquants de naissance pour les confier
aux cliniques criminalistes » (1), et un ordre du jour,
voté à l'unanimité sur la proposition de M. Ferri : « Le
congrès, se référant aux vœux émis pour l'étude cli-
nique des condamnés vivants, émet aussi le vœu qu'on
institue un Musée central d'anthropologie criminelle » (2).
II
Les travaux relatifs à la sociologie criminelle ont donné
lieu à une discussion entre les représentants de l'école
anthropologique française et les positivistes italiens.
M. Lacassagne a marqué sur un point essentiel, sur le
plus essentiel, la différence des deux écoles, italienne et
française, c (Pour nous) l'important est le milieu social.
Permettez-moi une comparaison empruntée à la théorie
moderne. Le milieu social est le bouillon de culture de la
criminalité; le microbe, c'est le criminel, un élément qui
n'a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le
fait fermenter. — Le criminel, avec ses caractères anthro-
pométriques et autres, ne nous semble avoir qu'une impor-
(1) Pagd 231.
(2) M. 294.
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— 91 —
tance très médiocre. Tous ces caractères peuvent se
trouver d'ailleurs chez de fort honnêtes gens. — Mais
vous devez voir de suite la portée sociale différente de ces
deux points de vue. — Au fatalisme immobilisant qui
découle inévitablement de la théorie anthropométrique
s'oppose rinitiative sociale. Si le milieu social est tout et
s'il est assez défectueux pour favoriser Tessor des natures
vicieuses ou criminelles, c'est sur ce milieu et ses
conditions de fonctionnement que doivent porter les
réformes... » (1).
Cette accasaUoQ d'avoir négligé « l'influence du milieu
social, » M. Fioretti s'est empressé de la relever au nom de
l'école italienne (2) : « Il suffit, pour se convaincre du peu de
fondement de cette accusation, de regarder la manière
dont chacun des trois principaux représentants de l'école
positive italienne a accompli la tâche qui lui est propre dans
la construction de la nouvelle doctrine. — M. Lombroso
étudie de préférence le facteur individuel ou anthropo-
logique du crime ; il fait de l'anthropologie criminelle pure.
MM. Ferri et Garofalo tirent de l'œuvre de M. Lombroso
les conséquences pratiques, l'un dans le domaine de la
sociologie criminelle proprement dite, l'autre dans celui do
la criminologie, c'est-à-dire dans l'étude strictement juri-
dique du crime, au point de vue de la philosophie » . M. Lom-
broso lui-môme a protesté (3) en termes assez vifs : « Notre
école , dit encore M. Garofalo (4), n'a jamais nié l'influence
du milieu social, mais elle soutient qu'une grande partie
de la criminalité est due à une sorte de monstruosité
morale qu'on peut souvent signaler dès l'enfance et contre
laquelle échouent tous les efforts de l'éducation et les meil-
leurs exemples du milieu ambiant. . . » Tous les Italiens,
nous l'avons vu par le rapport de M. Sciamanna, ne se
montrent pas si incrédules aux résultats de l'éducation.
(1) Page 166.
(2) Id. 169.
(3) Id. 174.
(4) Id. 175.
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- 92 —
Ce n'est pas une pure recherche théorique que fait
l'école expérimentale d'Italie; elle aspire à autre chose;
elle prétend faire passer dans la pratique, c'est-à-dire tlaus
rœuvre des législateurs et dans la manière doul procèdent
les tribunaux, ce qu'elle considère comme la vérité défi-
nitivement acquise. De là notamment ces deu^ questions
posées (1) à la section de sociologie oriminBlle : 1° « Si
les théories de l'anthropologie criminelle peuvent être
acceptées dans la rédaction du nouveau Code pénal itaHen
et de quelle utilité elles peuvent être »; — 2o « Application
et conséquences des doctrines positives dans tes procès
criminels d'aujourd'hui ».
1. C'est M. Garofalo lui-même qui dit dans son rap-
port (2) : a Le projet du nouveau Code pénal italien n'est
qu'une exacte application des théories de l'école classique^
sans le moindre souci de l'intérêt social et de Tétat de la
criminalité en Italie. A ce point de vue, cette réforme
serait très dangereuse, et il vaut mieux s'en tenir pour le
moment au Code des États-Sardes de 1859, qui s*éloigne
un peu moins des idées de l'école positiviste » , Le savant
auteur ajoute: « On pourrait toutefois y introduire les
modifications suivantes qui, tout en laissant subsister le
système général de la législation, constitueraient un pro-
grès très important dans le sens de la nouvelle théorie ».
Ces modifications sont au nombre de cinq.
a) Les coupables devenus fous, ou les fous devenus
auteurs de faits qualifiés crimes ou délits, seraient ren-
voyés dans une maison spéciale aux aliénés criminels:
«La détermination de la durée ne sera pas établie d'avance.
Après un délai fixé selon les circonstances, le tribunal ou
la cour, sur le rapport du directeur de l'établissement,
pourra examiner s'il y a lieu d'ordonner la mise en liberté
du détenu ».
b) «La relégation, récemment introduite dans la lègisla-
(1) Pages 3 et 4.
(2) Id. 22.
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- 93 -
tioû française pour les récidivistes, sera appliquée aux
coupables d'habitude »•
c) « Un individu âgé de plus de 12 et moins de 18 ans
ne sera jamais condamné aux peines ordinaires. Dans le
cas de crime punissable de mort ou des travaux forcés à
perpétuité, il sera condamné à la déportation perpétuelle
comme les récidivistes. Hors de ces cas, le coupable sera
enfermé dans un établissement agricole ou dans un asile
industriel pour une durée non moindre de deux ans. La
détermination du maximum de cette durée sera laissée à la
direction de rétablissement, pourvu qu'elle n'excède pas
l'âge de la majorité. Si la direction pense qu'il s'agit d'un
incorrigible, avis lui sera donné que, en cas de récidive,
il sera soumis aux mesures en vigueur pour les criminels
habituels » .
d) « Le minimum de l'emprisonnement sera fixé à quatre
mois, le maximum à deux ans, pour tous les délits contre la
propriété, les personnes et les bonnes mœurs. Cette peine
sera expiée selon le système cellulaire. — Lorsque le délin-
quant n'est pas récidiviste et que sa bonne conduite
précédente est prouvée, le délit qui, d'après la loi existante,
n'est punissable que par une peine inférieure à quatre
mois de prison^ sera puni, en substitution de cette peine,
par le paiement immédiat d'une somme destinée à indem-
niser le plaignant et, en outre, par le paiement d'une
amende au bénéfice de l'État, amende proportionnée aux
conditions économiques du coupable. — Si le condamné
n'est pas dans l'absolue impossibilité de payer et que,
malgré cela, il s'y refuse ou demande un sursis, il sera
arrêté et détenu jusqu'à ce qu'il ait obéi. — Les frais de
son entretien en prison sont à sa charge. — Mais, s'il
s'agit d'un insolvable, on lui imposera une taxe hebdoma-
daire ou mensuelle sur son salaire, jusqu'à l'extinction de
la dette, sous peine d'enrôlement dans une compagnie
d'ouvriers employés à des travaux pour compte du goi|-
vernement, ouvriers nourris et logés, mais sans aucun
salaire. Le gain de chaque journée sera déduit dé la
somme fixée. L'État pourra anticiper au plaignant le paie-
ment total ou partiel r>.
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- 94 -
e) (( L*eiirôlemeiit dans une compagnie d'ouvriers pour
les travaux au bénéflce de l'État (voir ci-dessus) sera
substitué à la peine de Temprisonnement pour les coupa-
bles d'oisiveté, de vagabondage ou de mendicité. La
détermination de la durée sera laissée à la direction de la
compagnie t>.
M. Vito Porto commence par déclarer « qu'il n'est pas
avantageux de tenfr compte, quant à présent, de toutes
les conclusions de l'école criminelle positive; et, lors
même que cela fût avantageux, ii n'y aurait pas lieu de
l'espérer ». Il se borne « ne pouvant, pour le moment,
réaliser ce qui est le mieux », à « empêcher qu'on ne fasse
pis », réclame le maintien du Code pénal sarde, « qui, s'il
ne pourvoit pas convenablement à la défense sociale, est
cependant moins nuisible que le projet ministériel pré-
senté à 1a Chambre des députés, et pourrait subir facile-
ment quelques modifications utiles». Parmi les innovations
proposées, nous ne signalerons que celles qui semblent se
rattacher le plus étroitement aux principes de la nouvelle
école : « L'orsqu'un crime puni des travaux forcés à temps
ou de la réclusion n*est pas dû à de mauvais instincts, le
juge remplace, au même degré, les travaux forcés ou la
réclusion par la relégation. — ... Accorder une plus ample
application aux dispositions... qui tiennent compte du
degré de perversité, en laissant le juge libre d'appliquer la
peine qui correspond à la qualité du criminel. Faire, dans
ce but, avec une plus grande largeur, la détennination
relative des peines, de manière que le juge soit mis à
même de tenir compte de la qualité des délinquants ».
M. Puglia dit à son tour : « En ce temps de lutte entre
deux écoles, est-il possible de lutter pour obtenir un Code
pénal conforme aux idées positimstes ? Nous ne le croyons
pas, attendu que les doctrines de la nouvelle école n'ont
pas encore acquis cette popularité qui a été de tout temps
nécessaire pour qu'une idée scientifique pût devenir opé-
rative dans la vie sociahu H est cependant du devoir des
partisans du naturalisme juridique de proposer les réformes
qui peuvent être introduites dans un Code, indépendam-
ment de l'accueil plus ou moins favorable que peuvent
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rencontrer les principes fondamentaux de tel ou tel
système scientifique ». Nous remarquerons les proposi-
tions suivantes : a On ne peut accuser de délit quiconque
se trouvera, au moment où il a commis le fait, dans un
état d'aliénation mentale, ou s'il y est poussé par une im-
pulsion éthiquSf à laquelle il n'a pu résister. — ... Les
délinquants fous ou demi-fous seront renfermés dans un
asile d'aliénés criminels. lis ne pourront être mis en
liberté qu*en vertu d'une sentence prononcée par des
experts médecins phrénologues, nommés expressément
par le gouvernement, sur la requête du directeur de l'asile •
Les criminels-nés et incorrigibles seront condamnés à la
réclusion perpétuelle, lorsqu'ils sont jugés dangereux pour
l'ordre social. — La préméditation y comme circonstance
aggravante de la responsabilité, doit être abolie et rem-
placée par d'autres circonstances qui révèlent la nature
dépravée du criminel, ou plutôt son caractère dangereux.
La formule législative pourrait être ainsi conçue : Tous les
délits sont aggravés : 1^ si le criminel a agi par quelque
passion ignominieuse et déshonorante, ou par des causes
légères et frivoles ; 2^ si le fait renferme la violation de
devoirs graves et spéciaux, ou s'il blesse les sentiments
d'humanité, de patriotisme, de famille ; 3^ si dans la per-
pétration il y a eu perfidie, ingratitude, fraude ou trahison^ •
abus d'autorité, sévices, cruauté » (1).
Le professeur Solivetti demande que les dispositions en
vigueur ou en projet, qui reconnaissent chez les aliénés
un état de responsabilité partielle, soient, les premières
abrogées, les secondes abandonnées : « La responsabilité
partielle est inadmissible chez les aliénés, car, l'aliénation
mentale étant un fait pathologique, consistant en une
maladie cérébrale, elle doit nécessairement amener l'alté-
ration de toutes les activités psychiques , attendu que
celles-ci ne peuvent être considérées comme indépendantes
les unes des autres, de la même façon que la fonction
(1) Cf p. 460 et saivantes.
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- 96 —
d'une partie du cerveau ne peut être considérée comme
indépendante des fonctions de ses autres parties. —
. . . Lorsque l'on arrive à constater, chez un préveau,
Texistence d'une psychopathie, quelles que puissent en
être la forme et l'intensité, on devrait l'envoyer dans un
asile d'aliénés pour les criminels, où il serait soumis au
traitement qui lui convient, et d'où il ne sortirait que sur
l'autorisation du procureur du roi, autorisation qui devrait
être demandée par le directeur de l'asile ».
La discussion qui a eu lieu dans les séances des 17 et
18 novembre 1885, s'est terminée par l'approbation presque
unanime de l'ordre du jour suivant, qu'avait présenté
M. Molesch ott : « Le Congrès, convaincu de l a diRicuUé
jie faire des recommandations aux corps lé gisIalW,^^
reconnaissant que ce ne sont que les idées mîTrîës'qtil
peuvent pénétrer dans la vie pratique, et cela en vertu de
leur propre force, — émet le vœu que la législation, daus
son évolution progressive, tienne compte des principes de
l'école positive d'anthropologie criminelle ».
2. En attendant que les législateurs modifient les Codes
conformément aux doctrines de la nouvelle école, quelles
en peuvent être les applications et les conséquences dans
les procès criminels d'aujourd'hui ? Telle était la deuxième
question posée par la section de sociologie criminelle.
« Dans l'état actuel de la législation pénale, disent
MM. E. Ferri et Vito Porto (1), les doctrines positives,
portées d'une manière erronée dans les tribunaux parles
avocats et devant les juges imbus de tous autres principes
juridiques, peuvent avoir et ont deux efiets principaux;
a) La symptômatologie anatomique et psychologique des
différents types criminels peut être utile à l'agent de police,
au juge d'instruction et au juge définitif^ dans les cas fré-
quents d'accusations fondées seulement sur des indices.
On ne tend qu'à rendre scientifique ce qui jusqu'à présent
n'est qu'une intuition empirique sur la physionomie, le
(1) Page 29. - Cf p. 334.
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t..
- 97 -
mode d*agir du criminel, etc. — b) Le développement
scientifique donné à Tétude des causes individuelles et
sociales du crime, peut aboutir réellement dans cette
époque de transition à un affaiblissement de la répression
par un plus grand abus de la force irrésistible et des cir-
constances atténuantes. Car, dans les procès, on accepte
les doctrines positivistes, les prémisses sur les causes qui
ont déterminé les individus au crime ; mais on prend des
législations actuelles la conséquence que, plus la volonté
du criminel a été forcée, et moins il doit être puni (c'est-à-
dire que la société doit se défendre en raison de sa per-
versité, temibilità), qu'on établit justement selon la nature
des causes naturelles du crime, mais non pas en raison
toujours inverse de celle-ci. — De sorte que l'application
complète des doctrines positivistes , dans la législation et
dans les procès, aura l'utilité d'accroître le premier de ces
effets et d'éliminer complètement le second » (1).
Un autre rapporteur, M. Pugliese, conclut ainsi :
a) (d'instruction des procès criminels devrait non seulement
recueillir des preuves, mais scruter et déterminer les
causes criminelles , les^ précédents som ^tiqu es et psychi-
ques du prévenu, les conditions du milieu où le phénomène
^criminel .s'est 'produit. — — e) Les défenseurs
devraient avoir la faculté d'étudier anthropologiquement
les procès et leurs clients. — f) Les dispositions relatives
aux expertises judiciaires, soit durant l'instruction, soit
au cours des débats publics, devraient être profondément
modifiées. On pourrait essayer du jury technique dans les
questions de médecine légale et de psychiatrie. — ....
— /) On devrait déterminer dans le projet du Code pénal la
classification des peines, par rapport aux causes crimi-
nelles et à la perversité du délinquant.... — m) L'empri-
sonnement préventif et l'institution de la liberté provisoire
devraient aussi être coordonnés, selon la nature des
causes criminelles et la perversité du délinquant
(1) Cf. p. 337 el 338.
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I
II
w
3. La troisième question posée à la section de Sociologie
criminelle était aiosi conçue: t de Faction de Texpert-
médecin dans les procès judiciaires ».
Il y a un grand nombre d'observations utiles dans les
rapports de MM. Tamassia et Lacassagne ; d'autres ont été
échangées dans la discussion ; la question si les experts
devraient décider n'a pas été indiquée.
4. La septième et dernière question, « si et comment
Ton doit admettre dans les établissements pénitentiaires
ceux qui s*adonnent aux études de droit pénal, » question
sur laquelle se sont produits des travaux distingués (1}
avant la réunion du Congrès, a été traitée, d'un côté, par
MM. Tarde et Ferri,,d'un autre par M. Aguglia, tous les
trois étant d'accord sur la nécessité de soumettre à de
sérieuses garanties le droit qui serait accord é^es de ux
premiers cherchant, en outre, à en faire tournérTexercice
"Surprofit des condamnés, en exigeant que « les étudiants
en droit ne fussent admis au cours de droit criminel qu'à
la condition de se faire préalablement inscrire comme
membres d'une Société de patronage des prisonniers pré-
sidée par leur professeur (2), le troisième se prononçant
contre l'admission des étudiants (3).
L'ordre du jour suivant a été voté à une forte majorité :
€ Le Congrès, — cohérent à la tendance scientifique de
l'anthropologie criminelle, — exprime le vœu que Tadminis-
tiration des prisons, en adoptant les précautions nécessaires
pour la discipline intérieure et pour la liberté individuelle
des prisonniers condamnés, admette à Tétude clinique
des criminels les professeurs et les^gl^u^ftO^sde droit pénal
et de médecine légale, sous la direction et responsabilité de
leurs professeurs et préférablement sous forme de Société
de patronage des prisonniers et des libérés des prisons» (4).
(l) M. E. Ferri, Scoladi diriUo criminale in Bologna. ^ SUidi sui
caratleri neiie coie càrretionali e penati, 4884.
(3) Actes, p. 40^ 3Jâ et suivantes.
(3) Cf. p. 495 et suiv. — M. BenelJi. Vantropologie dans Us prisons.
(4) Ibid.
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-99
III
Il est difficile de ne pas remarquer que de toutes les
questions agitées par la nouvelle école il en est une au
moins sur laquelle le Congrès n*a point semblé tenir à
provoquer la discussion, encore moins à émettre un vote,
celle du libre arbitre.
M. do Holtzendorfï, tout en déclarant « que le siècle est
redevable à ces sciences (physiques et naturelles), de ses
plus belles conquêtes, ... qu'il faut saluer avec joie leur
entrée dans le domaine du droit par la porte de la méde-
cine légale, » et que « l'idée d'une justice absolue s'écroule
dans l'esprit humain, » dit: « Médecins et juristes feront
bien de s'en tenir aux résultats positifs, aux faits acquis,
et de ne pas rentrer dans le domaine des idées de philoso-
phie pure, dans la question du libre arbitre, par exemple.
Tout en reconnaissant que la jurisprudence et la législation
ont commis des erreurs graves (applaudissements), il ne
faut pas vouloir déraciner le principe éthique sûr lequel
se basait l'école du passé » (1).
« Vous avez voulu démolir, nier le libre arbitre, dit
dans la môme séance M. Lacassagne (2). Tout cela était
inutile ou compromettant ».
La question que M. de Holtzendorfï et M. Lacassat^ne
voulaient faire écarter, le premier du programme du
Congrès, le second du progratnme de l'école, n'a pas pu
être complètement évitée. Dans une séance du Congrès,
NL_Righijulétoâdu (3) contre M. Garofalo l'école classique,
en même temps que la commission parlementaire chargée
du nouveau Code pénal, commission dont il se déclarait
solidaire. Il n'a pas craint de s'attaquer à la théorie posi-
tiviste elle-même : « Je déclare que tout ce qu'il y a
(1) Page 150.
(2) îd. 167.
(3) Id. 317 et sQlvaûies.
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(.
d'acceptable, à mon avis, duns les théories de Técole
positiviste, a été déjà accepté, ou le sera bientôt par toutes
les nations civiles, —c'est-à-dire tout ce qui conceroe les
asiles pour les aliénés criminels. —Je crois que la doctrine
positiviste ne pourra jamais être pratiquement acceptée
dans les Codes pénaux, parce qu'elle s appuie â un systèmo
qui n'a jamais été admis, mais qui, au contraire, a
toujours été vigoureusement combattu par riiumanité.
(M. Ferri: « L'humanité a plusieurs fois changé d'opi-
nion. ))) Vous niez à l'iiomme la liberté de l'arbitre : vous
reprochez aux disciples de Técole classique de confondre
la faculté de réaliser par les muscles les décisions internes
de l'esprit avec la faculté d'être libre, c'es*-à dire de
vouloir une chose plutôt que laulre. Vous dîtes à Thorarae
qu'il n'est pas libre de vouloir, qu'il exécute et veut seule-
ment ce qu'il doit vouloir et ce qu'il ne peut s'empècber
d'exécuter en vertu de sa spéciale éducation, en vertu de
l'atavisme, du milieu ambiant, etc, — Cette théorie,
Messieurs, je n'ai pas besoin de vous le dire, n'est pas du
tout nouvelle ; elle date de celui qui, le premier, a réfléchi
à l'existence d'un Dieu créaleur. En voulant attribuer â
la Divinité lomniscience et romnipuissance, il fallait lui
reconnaître aussi ce qui est intimement lié à ces deux
qualités, la prescience. Le premier penseur se demanda
alors, à lui-même, si l'iiomme pouvait être libre, lorsqu'il
était déjà établi à^œitrnQ ce qu'il devait faire ou non* Et
il répondit en niant le libre arbitre, — Cette théorie, que
les théologiens appellent le déterminisme, n'entraîne que
les esprits disposés aux subtilisations métaphysiques, parce
que, comme il arriva au Moyen-Age, elle se rapportait tout
simplement au droit pénal d'outre-tomhe, qui aurait dû se
réaliser dans une condition de choses tout à fait difTérente
de celle où se trouve Thumanité sur la terre. Mais elle ne
se rapportait pas à la vie terrestre, à laquelle seulement
le législateur doit avoir affaire. — Or, les choses sont tout
à fait différentes, lorsque l'absence complète dn libre
arbitre est affirmée en thèse générale, et Técole positive
veut bâtir sur ce fondement* . , — Cette idée, à mon avis,
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— 101 —
ne pourra jamais être accueillie, en premier lieu, parce
qu'elle contredit à une conviclion que je pourrais appeler
organique, par laquelle Thomme normal se reconnaît
libre, et, lorsqu'il ne Test pas, il croit aussi connaître par
quelle raison cela arrive. — Cette idée ne pourra, non
plus, être accueillie en vertu de la logique, qui nous
démontre que Thonime, en se prévoyant exposé à devoir
choisir, en certaine circonstance de la vie, entre une
action licite, mais douloureuse, et une action illicite, maîâ
attrayante, a créé potestativement à soi-raérae un motif
artificiel, qui doive le déterminer, dans l'actualité du
dilemme pratique, à choisir l'action licite plutôt que
l'action illicite. Que Ton me dise, en eBet, en que c'est que
la création, toute propre de l'homme, d'un Code pénal, en
vertu duquel l'humanité impose à soi-mtïme des sanctions
et des peines, afin qu'à l'occasion chacun de nous puisse
se décider dans un sens plutôt que dans Tautre* si ce
n'est pas l'exercice le plus élevé de la liberté humaine
pleine et indéterminée ! — ... Je me résume, en disant
que j'accepte toute cette partie des doctrines îintlnopo-
logiques et positivistes qui concerne la pathologie du
délit, et que je refuse absolument toute la partie de ces
doctrines qui, en franchissant le domaine de l'excep-
tionnel et du morbide, voudrait ôter à l'individu la liberté
de vouloir et de se déterminer.
La question ainsi posée, disons plus, l'opinion ainsi
soutenue par M. Righi, ont été écartées en ces termes par
M. Moleschott. « Je vous dois deux mots sur PalTirmation
du libre arbitre que M. Righi vient do nous donner. Il
nous a dit qu'il sent d'être libre : or, c'est une déclaration
qui a la même valeur que s'il disait : c'est lo soleil qui se
lève ; car je le vois. — Messieurs, quant à la conscience
qui nous fait choisir le bien et le mal, permettez-moi de
vous le dire : je suis venu ici avec l'intention de ne pas
toucher à la question du libre arbitre. — Pour moi, la
question est résolue, et elk est la base de nos /rnrauj^. Si
nous voulons la discuter de nouveau, nous entrerons
malgré nous dans la métaphysique et nous ne pourrons
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- 102 —
faire un pas. — Je vous avoue que cela me semblerait fort
inutile >.
Une manifestation presque unanime a témoigna de
l'adhésion qu'obtenait la doctrine de M. Molescbott. Le
procès-verbal porle : ApplandissemenU très t^/i ; pve&tjae
tous les membres du Congrès présents vont seirer la maifi à
l'orateur. On le voit ; exclure du programme la question
du libre arbitre, c'était exclure de la doctrine le libre
arbitre lui-même.
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I^IVRE DSUXIÊIME:. — I^a Résistance
CHAPITRE QUATRIÈME
L'école expérimentale a fait bien des conquêtes en
Italie; mais elle n*a pas touteouquis. Non seulement il
s'est encore trouvé des hommes de talent pour soutenir
avec vigueur et enseigner avec éclat ces doctrines qu'elle
appelle, un peu dédaigneusement peut-être, classiques;
mais encore elle a quelquefois rencontré une résistance
ouverte, au lieu de recueillir des adhésions. Il y a eu, il y
a encore une lutte, dans le pays même où elle a levé si
fièrement son étendard. C'est de cette lutte que nous
devons nous occuper à présent.
I
En 1885, M. Aristide Gabelli (1) a vivement attaqué
l'école expérimentale, qui, « à proprement parler, disait-il^
ne semblerait pas être une école de droit pénal, puisque
la conséquence la plus évidente de ses principes paraît à
la plupart la suppression de la peine. Cette école s'est
formée naturellement, quand la méthode appliquée aux
sciences physiques s'est introduite dans les sciences
(1) La scuola di dirilto pénale in Italia (Nuova Antok)gia, 16 août
1^5, 2« série vol. lu), p. 669 et suiv,
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_IUl
— 104 —
morales. Mais, s'il est permis aux savants d'user d'un
instrument nouveau, encore faut-il qu'ils sachent en user,
et qu'ils se gardent bien de dépasser les limites de l'obser-
vation en proposant des conclusions précipitées ï,
M. Gabelli réduit la doctrine expérimentale ù deux
points principaux : « Avant tout, elle donne pour fonde-
ment au droit de punir les sciences naturelles et notam-
ment l'anthropologie. Le principe de tout doit Ôtre la
connaissance du délinquant, et par conséquent de rfiom me,
non pas une connaissance abstraite, générique et vague,
telle que pouvait la procurer la psychologie convention-
nelle et académique d'un autre temps, mais la counais-
sauce déterminée et précise qui s'acquiert par l'étude de
rindividu. Cette étude doit être, autant que possible,
naturaliste, s'appuyant sur ce qu'on peut voir et loucher^
et s'appliquant à l'examen de l'organe duquel dépendent
les pensées et les sentiments humains, le cerveau, l'exa-
men du crâne remplaçant celui du cerveau, qui est impos-
sible. Le second point « est la négation absolue de toute
volonté libre », négation qui n'empêche pas la doctrine
de soutenir qu'il est permis d'appliquer des peines, « par
besoin de défense, par instinct de conservation propre, par
effet de la lutte pour l'existence, enfin, par nécessité =.
Sans refuser pour la science du droit criminel toi/t con-
cours de l'anthropologie, M. Gabelli s'élève contie une
tardive résurrection des théories jadis émises par Gall et
Lavater, et jadis combattues au moyen d'arguments qui
n'ont jamais été réfutés : c Tous confessent encore aujour-
d'hui qu'il n'y a pas de différence sensible entre le cerveau
d'un fou et celui d'un sage ». Mais alors, que pourra-t-on
découvrir, en examinant, non pas le cerveau mùmc, mais
la boîte osseuse où il est contenu, examen qui se réduit ù
reconnaître la mesure et la forme de celle-ci? Le plus
souvent un homme devient fou d'un jour à l'autre, ou d'une
semaine à l'autre. Or, son crâne était d'abord celui d'un
sage, autrement on pourrait avec assurance prévoir la
folie, ce qui est impossible, et il deviendrait ensuite celui
d'un fou, tout en restant le même, puisqu'il ne change pus
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— 105 —
en une semaine et môme en un niois^! Ce changemeut,
qui s'est produit dans le cerveau, les os ne !e révèlent
donc pas! D'ailleurs, « qui Ee sait que les proéminences
du crâne ne répondent pas toujours à celles du cerveau,
soit parce que l'os peut avoir et a souvent plus d'épj^isseur
là où il est plus proéminent, soit aussi parce qu'à la proé-
minence peut répondre une dépression du cerveau . H y a
encore des physiologistes qui continuent à nier la locali-
sation des facultés dans le cerveau », surtout quand on en
vient au détail pour se conformer aux règles et aux habi-
tudes de la société civile : c Ils croient par conséquent que
Ton ne peut distinguer un voleur d'un honnête banquier
ou d'un bon père de famille attentif, pendant une longue
vie, à épargner et à augmenter ses revenus, par la dilTé-
rence que l'on constaterait dans le développement de
l'organe relatif à la propriété et au soin des biens. — Pour
conclure, on ne fait point un pas sans rencontrer des doutes
et des objections, on se trouve dans un monde de contro-
verses, d'énigmes et de mystères, parce que la vie est un
mystère. Comment demander à une science si incertaine
le fondement d'une autre science, si importante? L'école
expérimentale argumente contre le principe de la justice
absolue des changements qui se sont produits i\ travers les
siècles comme des différences qu'où trouve à travers les
pays dans les incriminations des lois criminelles ; M. Lom-
broso n'aurait pas manqué, en tout temps et en tout pays,
de signaler dans les crânes un état conforme à la législa-
tion régnante. Que ferait-il, quand il s'agit de ces hommes
dont les actes sont criminels, mais qui n'en répondent pas
devant la justice, et qui parfois en retirent de la gloire?
Quand se produisent des séries de crimes par suite de
divers événements, ou qu'au contraire une répression
vigoureuse rétablit l'ordre dans le pays, et l'auteur cite des
exemples empruntés à l'Italie, du dix-neuvième siècle, les
protubérances des crânes; apparaissent elles ou disparais-
sent-elles dans le môme espace de temps? Entre les dîHé^
rents pays, comme la France et l'Italie, entre les différentes
provinces d'un même pays, ritallcj on remarque des pro-
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— i06 —
portions très inégales, quand on dresse la statistique des
crimes commis! Y a-t-il dans les crânes une diflérence qui
y réponde? « Dans la province de Bergame, les sourds-
muets, les crétins, -les fous abondent, et Ton rencontre &
chaque pas des tètes à faire peur; les endroits où Ton fait
ces rencontres sont ceux où Ton peut sans aucun danger
dormir les portes ouvertes et sortir la nuit les mains
pleines d*or, tandis que dans la province de Rome, qui a
la plus belle^ la plus saine et la plus robuste population du
iiiûode, qui fournit des modèles aux peintres de toute
VEurope, il faut faire attention à sa bourse et se tenir sur
ses gardes ».
Ou complète les reoseiguements fournis par le crâne, au
moyen d'indices recueillis sur d'autres parties du corps,
nnlamment sur le visage. Mais éprouverait-on le besoin de
forlifier les résultats, certains par eux-mêmes, que donne-
rail, que garantirait une science véritable? On prétend
mettre de Tordre et de la clarté dans une espèce d'instinct
populaire, qui fait dire chaque jour, d'après l'expression
générale de la physionomie : Quelle mine d'honnête
homme 1 ou : Quel museau de coquin 1 Mais combien de
fois l'on se trompe I La science doit combattre et non
seconder ces chimères de la vanité humaine, fière de
deviner.
u Personne ne nie que les sentiments et les affections
qui prédominent dans l'âme, les occupations ordinaires,
les habitudes et le genre de vie donnent souvent une cer-
taine expression à la physionomie, une certaine appa-
rence à toute la personne; il semble que par là on puisse
toujours distinguer à première vue un notaire d'un pein-
tre, un chirurgien d'un poète et un prêtre d'un soldat.
Mais , d'abord , ce n'est pas la même chose que de péné-
trer dans les inclinations et les sentiments de la personne ;
cen^est pas assez pour distinguer un notaire honnête d'un
autre notaire peu délicat, un soldat courageux d'un soldat
qui ne l'est pas, et c'est là tout ce qui est important ici.
Ensuite, si peu de chose que soit ce caractère extérieur,
et à si peu de chose qu'il puisse servir, demandons-nous à
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- 107 —
quel moment nous sentons en nous cette aptitude à le
reconnaître ». C'est quand nous apercevons quelques-uns
des signes extérieurs habituels à la profession de la per-
sonne, le costume, par exemple. La plupart du temps,
dans la rue, « nous prendrons Tun pour Tautre Tavocat et
le médecin, le commerçant et l'employé, à plus forte rai-
son les gens honnêtes et ceux qui ne le sont pas, quoiqu'ils
ne tombent pas sous le coup du Code pénal ».
M. Gabelli accepte les types fournis par M. Lombroso ;
si l'on n'était pas prévenu, on n'y reconnaîtrait, d'après
lui, rien de particulier : « On dira que ia science pénètre
au delà de trompeuses apparences. Mais alors pourquoi,
avant tout, se donne-t-elle l'air de s'appuyer sur un cer-
tain instinct du vulgaire, sauf à le trouver si trompeur,
comme si le vulgaire révélait dans ses instincts une intui-
tion directe de la vérité? Quand on entre dans une prison,
on croit voir le crime peint sur tous les visages. C'est la
nature humaine, avec son imagination, qui produit cet
effet. D'ailleurs, si l'on veut y regarder plus près, les signes
qui résultent de la vie en prison se confondent souvent
^vec ceux de l'inclination au crime. Le tatouage est sur-
tout reflet de la vie oisive qu'on mène dans la prison, et,
eopme le montrent les chiflres mêmes de M. Lombroso, il
y en a de nombreux exemples dans oertaines prisons,
tandis qu'il n'y en a pas dans d'autres. . . ».
Les expériences de M, Lombroso deviendraient décisives
s'il eu faisait une de plus : s'il examinait, au moment où
lui-même y penserait témoins, des délinquants déguisés
en gens de bien ou des gens de bien déguisés en galériens,
et qu'il fit le discernement exact au moyen de ses seules
théories ; encore cette dernière et décisive expérience
prouverait-elle autre chose que son habileté personnelle ?
Supposons même l'exactitude de la doctrine prouvée par
rinfaillibilité du discernement : a Ce qui serait nécessaire
pour que l'anthropologie procurât au droit pénal l'utilité
promise par Técole, ce serait un médecin supérieur à
tous les autres ; les médecins n'exercent leur diagnostic
que 3ur les maladies physiques, et ils s'y trompent f réquem-
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— 108 —
ment ; celui-là ferait sur le physique le diagnostic du
moral, et il ne commettrait pas d'erreurs, quoiqull rea-
contrât de plus grandes difficultés. Cette hnbiloté devrait
être communiquée à tous les médecins pour qu'il se
formât une science pratique, servant de fondement à
l'administration de la justice. Or personne n'oserait,
M. Lombroso lui-même n'oserait pas affirmer qu'un
homme est un délinquant-né, c'est-à-dire un -ïélinquaut
destiné à retomber inévitablement dans le délit par la
forme de son crâne ou de ses traits, par Tcxpression de
son visage, et, sur cette prévision, le coodaroner à mort
ou à une prison perpétuelle. Condamner quelqu'un pour
ses actions, tout le monde le comprend ; le condamner
pour son crâne, pour ses lèvres fines ou ses oreilles tom-
bantes, c'est ce que personne ne comprend actuellement ».
M. Gabelli porte ensuite son effort sur le second point,
sur la négation du libre arbitre et de Fimputabilité. Il
montre les eflorts tentés par l'école expérimentale pour
conserver le droit de punir ceux qui n'ont pas eu la liberté
de s'abstenir de tel ou tel acte, la responsabilité tran-
sportée vainement de la volonté à rinlelligence sous
l'influence de Schopenhauer, le choix éclairé, mais indé-
pendant, entre les motifs, remplacé par une irrésistible
nécessité, le fait accompli érigé en fait nécessaire par
cette unique raison qu'il est accompli, et, se défendant de
vouloir « résoudre en deux ou trois pages les questions
qui depuis tant de siècles tourmentent eu vain la curiosité
humaine », il se retranche derrière un sentiment indes-
tructible dont ne triompheront pas les plus subtils raison-
nements, les efforts les plus répétés, derrière la croyance
intime que l'homme lui-même a de sa liberté : k Les philo-
sophes pourront bien lui expliquer ses sacrifices ou ses
méfaits, en les attribuant, selon l'état de la civilisation,
tantôt au destin, tantôt à la prescience divine, à Tinfluence
des planètes, aux cellules des nerfs et du cerveau^ Thomme
continuera à se croire libre et à se déclarer responsable î...
Le sentiment de la liberté, non pas d'une liberté absolue
et dégagée de motifs, mais d'une liberté guidée par la
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— 109 —
raison et apte à faire un choix entre les moLifs, subsiste et
subsistera, malgré toutes les objections, comme une règle
de ce sens commun, où Thumanité a toujours cherché un
refuge et une consolation contre les exagérations de la
science ».
Une philosophie toute théorique, arrivant à se convaincre
que la volonté n'est pas libre, peut professer hautement
sa conviction, quelles qu'en soient les conséquences ;
« Mais le droit pénal, qui n a d'autre fin que de trouver
les moyens les plus propres à défendre la société contre
les malfaiteurs, doit prendre l'homme tel qu'il est, avec
ses besoins, ses affections, ses sentiments, avec ses illu^
sions môme, qui lui sont propres à un temps donné. . . Il
est très douteux que, pour détourner les hommes du mal,
il faille commencer par leur dire qu'ils ne peuvent s'empâ-
cher de le commettre... »
Après avoir réfuté la doctrine dite expérimentale sur les
deux points dont elle a fait ses points fondamentaux,
M. Gabelli s'attaque à la manière dont elle considère la
peine. La peine, d'après elle, devient un moyen de sélec-
tion artifkieUe. Elle sert à éliminer les éléments qui
manquent des qualités morales indispensables à rexls-
tence de la société civile, qui ne peuvent s'y assimiler ;
le délit n'est que l'occasion qui les fait reconnaître, L'État,
dont l'attention est appelée sur l'auteur, se saisit de lui, le
sépare provisoirement des autres hommes^ examine le
caractère de l'action criminelle, soumet la personne même
du délinquant à une sérieuse étude, s'informe de son
origine, mesure son crâne, observe sa physionomie, et
quand, d'après tous ces indices, il le juge dangereux, le
retranche pour jamais du corps social, par la mort ou par
l'exil perpétuel.
Il n'en vient pas toujours à de telles extrcinîlés ; si le
délit n'est pas grave, s'il est né d'une occasion, si Théréditô
et les caractères anthropologiques ne font pas regarder un
homme comme très dangereux, la peine devient un moyen
d*adaptation artiftcielle par la correction, par l'amende-
ment.
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— uo —
« Jusqu'à présent, la chose ne diffère pas essentielle-
ment de ce qui se fait dans les pays civilisés, sauf sur un
point, et il est grave; il s'agit de l'importance attribuée à
l'hérédité et aux caractères anthropologiques pour distin-
guer les délinquants-nés ou délinquants d'instinct des
délinquants d'occasion ou de hasard. Ces indices, en effet,
n'ont pas, pour la nouvelle école, la valeur vague d'un
complément subsidiaire et comme d'une preuve surabon-
dante... Ce sont des signes caractéristiques... d'après
lesquels un homme est classé parmi les délinquants d'ins-
tinct plutôt que parmi les délinquants d'occasion, et, en
conséquence, condamné à mort ou retranché pour toujours
du corps social de toute autre manière plutôt que renvoyé
dans une colonie agricole pour s'y améliorer ». Ainsi,
notamment, parmi les raisons qui décident de la condam-
nation à telle ou telle peine, on place un délit commis par
le père ou les aïeux du coupable : ec Ce n'est pas seulement
l'hérédité directe, c'est encore l'atavisme qu'on met au
compte de celui-ci ; il en est exactement comme dans les
sciences naturelles, où l'on explique par l'atavisme les
défauts ou les maladies de certains animaux, qui ne se
manifestent pas dans la génération la plus proche ; mais
les sciences naturelles se bornent à expliquer ici s'il s'agit
d'inculper. Tout cela d'abord serait bien difficile pour les
juges. H faudrait les changer tous, car il n'y en a peut-être
pas aujourd'hui un seul en Italie qui trouve uike preuve
infaillible de perversité dans la forme du crâne ou qui ne
croie commettre une étrange et cruelle injustice en ajoutant
à la peine du délinquant pour la faute de son père ou de
son grand-père. Il faut tout au moins, pour employer le
langage usité, uae grande évolution, tant dans la science
que dans la conscience publique, élément bien digne de
respect aussi quand il s'agit de punir et qui est actuelle-
ment bien loin de se trouver préparé. Pour le moment, en
effet, la conscience dit qu'on ne peut faire supporter au
fils la peine du délit commis par son père ou par son
aïeul, et la science ne peut expliquer comment il se ferait
que le fils d'une femme honnête et d'un père voleur dût
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hériter de l'incHaation de celui-ci au vol plutôt que du
respect de la première pour la propriété. Pourquoi, si un
père scélérat constitue une circonstance aggravante, une
mère vertueuse ne fournira-t-elle pas une circonstance
atténuante »?
Ce n'est pas tout. Qu'est-ce que l'imputabilité imaginée
par la nouvelle école ? Les écrivains qui en font partie ne
sont pas tous d'accord sur la manière de classer les délin-
quants. Tantôt on fait quatre catégories, tantôt deux, ce
qui, soit dit en passant, montre que personne n'a pu
trouver un critérium assez sûr pour s'imposer à tout le
monde. En tous cas, l'école fait une place pour les délin-
quants fous : (( Les écoles précédentes plaçaient la folie
parmi les causes qui suppriment ou diminuent l'imputa-
bilité ». Celle-ci, non contente de « trouver un grand
nombre de ressemblances entre les fous et les délinquants,
met à part une classe entière de délinquants en état de
folie, et non plus pour les exonérer en tout ou en partie
de la responsabilité, mais pour les assujettir à la peine
comme tous les autres. C'est là un des effets de la sup-
pression du libre arbitre. Puisqu'il n'existe ni chez les
fous, ni chez les sages, pourquoi faire une différence entre
les uns et les autres, quand il s*agit d'appliquer une
peine » ? Mais du moins l'intelligence n'est pas la même,
et c'est sur l'intelligence que la nouvelle école fonde la
responsabilité : ne devrait-elle pas décharger les insensés?
L'école n'accepte pas cette conséquence , qui semblerait
sortir de ses principes ; elle ne fait pas de distinction
dans l'application de la peine ; nul n'a soutenu plus nette-
ment que M. Garofalo la nécessité de l'égalité, tout au
moins d'une parfaite ressemblance entre les précautions
(tue Ton prend contre les fous, en les enfermant dans des
maisons spéciales, et celles par lesquelles la société
cherche à se défendre contre les malfaiteurs ; n'a-t-il pas
dit « que, si le fou homicide est réellement et en perma-
nence dangereux, comme le serait un délinquant-né, il
ne verrait aucune raison pour distinguer l'un de l'autre
devant la guillotine 9? — « Ici, au moins, dit M, Gabelli,
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— 112 —
personne ne pourra dire qu'il n'y a rien de nouveau dans
récole. Envoyer les fous au gibet, au lieu de les garder et
de les soigner, c'est vraiment une idée originale ».
Tout en s'accordant avec la nouvelle école pour écarter
la doctrine, jadis professée par M. Rossi, qui voit dans la
peine la rétribution du mal parle mal, M. Gabelli refuse
de se laisser entraîner à l'extrémité opposée où l'école:
voudrait le conduire, faisant de la peine la réaction de la
société atteinte contre celui de ses membres qui lui a
causé un dommage, une défense directe contre des êtres
dans lesquels un délit commis fait reconnaître des êtres
dangereux, qu'ils aient d'ailleurs agi avec plus ou moins
dlntelligence ou de liberté, avec ou sans intelligence ou
liberté, cherchant à prévenir tout dommage ultérieur de
la part de celui qui, pour une raison quelconque, se
montre, par ses actions, disposé à lui nuire. Les précau-
tions consistent dans la privation de la liberté, pour un
temps ou pour toujours, elles peuvent aller jusqu'à celle
de la vie. Sans doute le coupable contre lequel on les
prend y trouve et ressent un mal ; ce n'est pas ce mal que
cherche nécessairement la société, quoiqu'il puisse avoir
une salutaire influence, soit sur le coupable lui-même,
soit sur ceux qui seraient tentés de suivre son exemple :
opposer un obstacle à celui dont la conduite a révélé une
disposition à nuire, voilà tout ce que la société doit se
proposer, et l'un des moyens qui peuvent lui permettre
d'atteindre cette fin, c'est d'empêcher la procréation d'en-
fants qui se transmettraient fatalement de mauvais et
dangereux instincts. Mais ce système, que d'objections ne
soulève-t-il pas ? Comment fait-on pour distinguer les fous
des malfaiteurs? « On enferme un fou, même quand il
n'a pas commis de délit, uniquement parce qu'il est
possible qu'il nuise à autrui ou qu'il se nuise à lui-même.
Pourra-t-on retirer la liberté à une personne saine d'esprit,
eût-elle un très mauvais caractère, à un homme qui serait
à craindre, mais qui n'aurait fait aucun, mal ? En confon-
dant la réclusion des fous avec la peine des malfaiteurs,
on ôte à celle-ci tout caractère ignominieux ; on en fait
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— 113 -
une précaution, une mesure de prudence, et rien de plus î
la sanction pônàlc s'aflaiblit dans la pensée du public
honnête, et la conscience populaire est blessée. — Si la
peine n'a qu'une fin, la précaution prise contre le méchanl,
et que cette unique fin soit ce qui la justifie, elle no peut
consister que dans uû empêchement de faire le mal. Le
condamné aura donc droit à toutes les atténuations qui no
suppriment pas ou n'afiaiblissent pas cet empêchement;
il pourra, par exemple, en payant, avoir sa nourriture a
part, une chambre à lui, etc., ce qui atténue toujours la
peine, tout en lui enlevant de ce qui pourrait détourner
du délit les méchants à venir. — Si la peine dépend du
caractère plus où moins dangereux qu'on présume chez le
coupable, elle peut logiquement devenir très longue, per-
pétuelle même pour un petit délit, quand les conditions
héréditaires, pathologiques, etc, où se trouve le condamné,
laissent prévoir qu'il peut recommencer. Les peines, pour
être efficaces, devraient, en eflet, être susceptibles de
prolongation, de changement, d'élasticité, confiées aux
juges, en ce qui regarde la qualité comme la durée, sauf
à eux à apprécier à leur manière jusqu'à quel point le
délinquant est redoutable, ce qui engendrerait un arbi-
traire sans comparaison plus odieux que celui dont on se
plaint aujourd'hui au sujet de l'admonition et du domicile
forcé. La logique conduirait à mettre la peine à la discré-
tion, non des juges, mais des directeurs d'établissement b
pénitentiaires , puisque ces derniers seuls , et non les
juges, sont en état de connaître le délinquant; mais que
resterait-il d'exemplaire dans la peine, si la sentence
portait qu'un tel est condamné, sans dire à quoi » ? Quelle
police, quelle inquisition pour apprendre à pénétrer dans
le caractère du délinquant et pour le classer dans telle ou
telle catégorie ! L'écrivain .proteste encore contre la doc-
trine qui fait rentrer le droit pénal dans la théorie de la
lutte pour l'existence, où le dernier mot reste à la force*
Il conclut enfin, après avoir rappelé le peu de certitude
dogmatique qu'offre la nouvelle école, les grandes difTi-
cultes qu'on rencontrerait à la mettre en pratique, par ce
8
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f
— 114 —
reproche : « Pour le moment, il n'y a qu'un seul eflet
qii'tiïle puisse produire d'une manière certaine, visible
pour tous ; malgré son apparente sévérité, avec sa négation
du libre arbitre, avec les instincts héréditaires, avec les
impulsions qui dépendent de la forme du crâne, elle
ajoute encore à la compassion déjà grande, pour les délin-
quants, et aflaiblitla répression pénale ».
L'Important travail de M. Gabelli donna lieu à une
réponse de M. Maino, dans le Moniteur des Tribunaux;
M. Gabelli, à son tour, répliqua dans la Rivista pénale (1).
Le dissentiment porte sur deux points: l'introduction
totale ou partielle de Tanthropologie dans le droit pénal,
la négation de Timputabilité individuelle.
lo De quelle utilité l'anthropologie peut-elle être en
droit pénal? Les progrès rapides de la science peuvent
faire penser qu'un jour viendra où elle arrivera à des con-
clusions certaines sur les rapports du corps avec les
sentiments et la pensée de l'homme : « Actuellement, il est
hors de doute qu'on n'y a découvert, non seulement
aucune connexion nécessaire, mais encore aucune coïnci-
dence constante, et par conséquent on ne peut tirer de la
forme du crâne ou de celle du corps tout entier aucune
présomption raisonnable sur les dispositions de l'âme ».
Nulle connaissance assurée de ce qu'est actuellement, de
ce que sera dans l'avenir tel ou tel homme ; autrement à
quinze ans on placerait dans une maison de réclusion les
enfants qui présenteraient certains signes, pour les empê-
cher de devenir des malfaiteurs... Un anthropologiste qui
aurait à prendre un serviteur pourrait se contenter de lui
mesurer le crâne, au lieu de prendre des informations ».
Leîs incriminations changent; tel fait qualifié crime
aujourd'hui ne l'était pas autrefois. Y avait-il alors, y
a-l-il maintenant des signes corporels d'une prédisposition
à ce fait ? « Il y a sans doute, répond-on, les délits qui
dépendent de nos conventions ; mais il y a des délits
(1) 30 juin 1886, SuUa scuola positiva del diriito pénale in lialia.
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- H5 -
naturels; comment les reconnaître »? Si ce n'est pas uil
délit naturel de tuer ses propres enfants, fait commandé à
Sparte au père qui avait des enfants contrefaits, fait
permis à Rome, où en trouverons-nous un? La nature
devrait, par la déformation du crâne et du corps chez les
délinquants, seconder docilement les variations des lois
humaines ; ce n'est pas ce qu'elle fait.
Un grand nombre de médecins nient qu'il soit possible
de discerner par les seules lumières de Tanthropologic, des
malfaiteurs mêlés à des hommes honnêtes. Le cerveau de
riiomme sain ne diffère pas de celui du fou, même pour
celui qui le tient sous la main et Tétudie au microscope ;
qu'est-ce donc, lorsqu'il est dans la boîte osseuse ?
En supposant l'anthropologie beaucoup plus sûre qu'elle
ne semble l'être, on trouvera qu'elle peut rendre de grands
services à l'hygiène, à la médecine aliénisle, qu'elle peut
faire prévoir, permettre même de prévenir certaines mala-
dies. Il n'y a là rien pour le droit pénal : « Personne
assurément ne prétend qu'un homme doive être arrêté
uniquement parce qu'il a le crAne allongé ou déprimé, les
mâchoires avançantes, les oreilles retombantes, les bras
longs, un sourcil plus haut que l'autre. La nouvelle école
est tout entière d'accord pour maintenir, avec tout le
monde, que la perversité ou, comme elle dit, la qualité
d'être dangereux doit se manifester par le délit pour qu'on
puisse prendre des précautions contre un homme ». Une
fois le délit commis, une fois la qualité d'être dangereux
révélée par un fait externe : « Quel usage voulez-vous
faire de l'anthropologie ? Prétendez-vous vous en servir
pour un complément de preuve? Consentirez-vous, par
exemple, à ce que le ministère public vienne dire : Mes-
sieurs les jurés, l'accusé n'a pas avoué et les indices qui
le chargent ne suffisent pas pour engendrer dans vos
esprits une conviction absolue, mais les médecins experts
l'ont examiné ; ils lui ont trouvé un angle facial de tant
de degrés et un crâne d'une forme irrégulière. Regardez-le
en face ; son front est bas, ses cheveux hérissés et plantés
au milieu du front, son teint foncé, son regard est de
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- 116 —
travers, ses bras longs, il est taloué. Eq outre, son père a
subi une condamnation pour vol et est mort dans une
maison de fous. Les signes corporels et Thérédité com-
plètent la preuve insuffisante par elle-même, de sorte que
vous pouvez tenir pour certain que cet homme est cou-
pable et le déclarer tel. — Je crois qu'il n'y aurait
personne, môme dans la nouvelle école, qui approuvât un
tel discours ». L'auteur suppose ensuite un président qui,
à son tour, dans la chambre, du conseil, s'appuie sur
d'autres signes pour empêcher la réduction de peine que
sollicitent les circonstances atténuantes les plus mani-
festesj et qui ne convainc personne : « Si cette anthropo-
logie ne peut être employée aujourd'hui, ni comme moyen
préventif, avant le délit commis, ce dont l'école convient,
ni après, pour fournir, soit un complément de preuve,
soit des circonstances aggravantes ou atténuantes pour la
mesure de la peine, je ne parviens pas, malgré tous mes
efTorts, à voir quel usage on en peut faire dans le droit
pénal, et je crains beaucoup que les autres ne le voient
pas mieux que moi ».
2*> Le dissentiment porte en second lieu sur cette impu-
tabilité ou responsabilité personnelles qui, d'après tous
les criminalistes, a ne peut exister que si la personne a
agi en connaissance et avec liberté », que M. Ferri cherche
bien à maintenir, mais en niant la liberté.
Après avoir maintenu le raisonnement qu'il avait fondé
sur la substitution de la responsabilité dans l'intelligence
à la responsabilité dans la volonté, M. Gabelli insiste sur
la nécessité de mettre la loi d'accord avec la conscience,
f guide pratique de la vie ». Mais que deviennent les droits
de la science et de la vérité ? Si la conscience se trompe,
ses erreurs s'imposent-elles à la loi ? Fallait-il laisser
subsister les peines d'autrefois contre les sorciers, les
bûchers et la torture, pour respecter les préjugés de la
conscience publique ? Sans doute il faut remercier et
glorifier ceux qui se sont élevés contre des institutions avi-
lissantes pour l'humanité; mais, au moment où ils les ont
combattues, « il n'y avait plus de péril et les institutions
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— 117 —
même ne répondaient plus à la conscience publique. Autre-
ment, malgré un, deux ou dix penseurs solitaires, elles
auraient continué à subsister ». Peut-on comparer avec
ces erreurs le sentiment de la responsabilité individuelle
fondé sur la supposition de Ja liberté, que nous trouvons
dans toutes les consciences ? Est-ce que ce sentiment est
nuisible à la vie sociale, est il urgent de l'extirper, qu'a-
t-il d'humiliant ? Que gagnera- ton à supprimer cette
sentinelle inquiète ? Mais la science y voit une erreur. —
Qu'elle prouve d'abord l'erreur, clairement, d'une façon
efficace, à la portée de tout le monde, comme jadis on a
combattu la sorcellerie et la torture ; elle en est très loin,
car, s'il n'est pas sûr que l'homme soit libre, il n'est pas
du tout hors de doute qu'il soit un automate ».
D'après M. Maino, M. Ferri ne détruit pas la responsabi-
lité; il ne fait que substituer celle de la société à celle de
l'individu ; la société est naturellement dans la nécessité
de se défendre contre le tort qui lui serait causé, sans avoir
égard à une faute morale : théorie « qui nous transporte
à des milliers d'années en arrière, aux débuts de la vie
civile, rendant inutile le long et fatigant chemin qui a
conduit l'humanité aux idées qu'elle a, aux conditions où
elle se trouve aujourd'hui ». M. Gabelli la réfute en mon-
trant toutes les difiérences qui séparent le droit de punir
du droit de défense : « Sans doute la peine est une défense
sociale, et c'est, on le sait, comme telle qu'elle a été pré-
sentée par les écrivains les plus accrédités et les plus
autorisés. Cette défense même est la vraie, l'unique raison
qui la justifie, parce que, si l'on met la défense décote, les
hommes n'ont pas le droit de s'ériger en jugés de leurs
semblables, ceux-ci eussent-ils commis le mal. Si l'on
appelle la peine une défense, c'est évidemment parce qu'il
y a de l'analogie entre cette défense, artificielle, pour ainsi
dire, de la société, et la défense naturelle par laquelle
chacun pourvoit à sa propre sûreté ». Mais il ne faut pas
aller jusqu'à les confondre; les difiérences, que l'auteur
indique avec soin, sont trop nombreuses. La peine a des
fins multiples ; il est impossible de les réduire à l'unique
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- 118 -
idée de défense directe contre le malfaiteur, il faut bien
que la peine, infligée après l'acte commis, quel que soit le
repentît- tlu coupable, si résolu qu'il soit A ne pas reconi-
mencer; ait aussi une fin de déft^nse indirecte, qu'elle serve
à H rendre effective la menace de la loï, sans quoi celle-ci
perdrait son efficacité et le nombre des malfaiteurs croî-
trait à Tinfini » ; la défense directe peut manquer dans
certains cas, la défense indirecte ne fait jamais défaut lor«i-
qu*oïi prononce une peine : « Comment atteindre ce but,
le plus essentiel, si on le laisse de c6lé pour ne s'occuper
que de la défense directe contre le malfaiteur »? Ce qu'il
y a de plus fâcheux, c'est que l'assimila tîou du malfaiteur
au fou enlève à la peine'le caractère ignominieux, qui fait
une grande partie de sa force. L'un, comme Tautre, n'aura
eu qu'un malheur. La notion, dttjà trop obscurcie du juste,
va s'éteindre tout à fait. Sans doute les tribunaux se trom-
pent souvent quand ils recherchent, quand ils apprécient
la responsabilité morale. Faul-tl ajouter aux chances
d'erreur?
tf On dira que la nouvelle école n'accepte pas toutes les
cooséquences de ses principes. Mais, en fait, si elle admet
des peines plus ou moins graves, elle entend les mesurer
au plus ou moins grand danger que présente le délinquant.
Et d'où vient ce danger, si ce n'est de rintention criminelle
ou de la perversité qu'on cherche dès maintenant à recon-
naître et à déterminer? El d'où peut on les déduire, si ce
n'est du fait et des circonstances qui l'on accompagné? La
nouvelle école a beau dire qu'elle s'appuie sur les condi-
tions psifchiques anomales. Ce sont des mots. Comment
prétenii^on découvrir ces conditions psychiques, c'est-à-
dire lire dans l'àme d'un délinquant? Serait-ce à l'aide de
ranthropologie? Mais alors fautil attendre qu'un homme
ait commis un délit pour protéger la société contre lui ?
Vous avez, de votre propre aveu, besoin de ce fait extérieur
qui vous révèle le caractère de son auteur, et ensuite vous
prétendez lire au fond de son îiuïe, en laissant de côté ces
autres faits où se révèlent cependant ses inclinations et
son caractère! Si vous avez cette habileté, il fallait Tem-
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— H9 —
pêcher de commettre son délit, préserver la société d'un
dommage en le préservant lui-même d'une peine; il ne
fallait pas attendre qu'il eût failli pour le condamner
ensuite, en usant de données étrangères au délit lui-mènie,
qui. existaient auparavant. — Ajoutons que, lorsque la
peine est mesurée d'après les circonstances «le fait qui ont
accompagné le délit, qui le qualifient, qui lui donnentp
pour ainsi dire, son entité, elle est proportionnée à quel-
que chose de prouvé et de notoire, qui met la peine elle-
même en harmonie avec la conscience publique, dans des
conditions données de temps et de lieu. Mais c\ quoi répond-
elle quand elle s'appuie sur des conditions psychiques
déduites des signes de son corps, de la pliysiononiie, de
l'hérédité, et constatées au moyen d'un jugement médical ?
Pour qui sont-elles sûres et claires, si Ton trouve diflîoile-
ment deux médecins qui tombent d'accord, môme sur les
maladies physiques? Qui peut avoir la conviction qu'elles
constituent la raison d'une peine plus douce cm plus forte ?
Quelle impression produira sur les autres une peine mesu-
rée de cette manière ? Qui pourra comprendre et respecter
cette justice. . . ? Mais le plus difficile est toujours decoin-
prendre quelle est l'utilité pratique à laquelle prétond toulr^
cette révolution. . . Je vois que, eu s'appuyant sur le clora-
mage matériel, on étend la responsabilité envers le pou-
voir social jusqu'à y comprendre les fous eux-mêmes. Mais
quels sont proprement les fous qui constitueut un périt
pour notre société ? Certainement, si l'on prend pour fous
tous ceux qui commettent des délits, en tant qu'ils ne se
font pas une idée claire du monde et cèdent à Tillusion
d'un intérêt momentané et faux, qui les empêche de com -
prendre le vrai, il faut biçn déclarer que les fous eux-
mêmes sont responsables, sans quoi une loi pénale serait
inutile. Mais, si par fous on entend, selon le langage com-
mun, ceux qui ne se rendent pas compte de ce qu'ils font,
on ne voit pas à quoi sert de les déclarer respcmsables,
puisqu'un fou ne s'abstiendra jamais de faire ce qu'a fait
un autre fou en pensant que celui-ci a été puni ». Ainsi la
principale fin de la peine fait défaut, et avec elle ce qui
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— 120 —
rend la peine utile et juste. La société ne s'en tiendra pas
moins en garde contre les fous; elle les enfermera, mais
uniquement pour les empocher de nuire et non pour les
punir.
M. Gabelli n'insiste pas sur la classification des délin-
quants, l'accord n'ayant pu s'établir à ce sujet entre les
théoriciens de l'école, ce qui montre bien qu'il n'y a pas de
signes certains pour déterminer les catégories, et colles-ci
n'offrent d'ailleurs aucune importance en pratique : « S'il
y a une école à laquelle ces divisions en classes, filles de
l'esprit humain, devraient répugner, c'est précisément celle
qui se propose de mettre dans l'étude du délinquant un soin
plus diligent et plus minutieux qu'on ne l'a fait jusqu'à
présent », qui d'ailleurs avoue que cette étude avait tou-
jours été négligée et qui devrait attendre pour présenler
des conclusions définitives.
L'auteur conclut en approuvant la nouvelle école d'avoir
entrepris la lutte contre un doctrinarisme de convention,
qui séparait la science du monde réel, et, prétendant la
déduire de principes innés dans la conscience, se mettait
en opposition avec la réalité, mais en lui reprochant de ne
s'être pas bornée ù employer dans cette science, toute
morale, la méthode d'observation qui avait produit de si
beaux fruits dans les sciences physiques, d'y avoir trans-
porté ces sciences elles-mêmes, d'avoir pris des coïnci-
dences, qui peuvent ùtre accidentelles, pour des connexions
nécessaires de cause à effet, appuyé sur de simples analo-
gies les conclusions les plus audacieuses, tiré d'un petit
nombre de faits des lois qui devraient être éternelles,
échangé prématurément une vérité prouvée contre une
supposition, un présage, un soupçon, en employant, pour
assaisonner le tout, la terminologie des sciences physi-
ques, qui peut faire illusion, mais qui n'est pas exacte, en
tant que le caractère des faits auxquels elle se rapporte
n'est pas le même. L'ancienne école cherchait à flatter la
vanité humaine, la nouvelle s'attache à tout ce qui peut la
rabaisser, « et à l'ancienne métaphysique, dissipée et mise
en fuite, en succède une nouvelle, d'autant plus dange-
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— 121 —
reuse, celle-ci, qu'elle se dissimule davantage, sous des
formes et sous des apparences qui ne pernielteal pas tou-
jours ni à tous de la reconnaUie »»
Après avoir montré que Textcnçion prise par la crimi-
nalité en Italie doit être attribuée, non aux principes de
l'école classique, mais à des circonstances loules spéciales^
toutes relatives, les unes qui dalent do Taocien régime,
les autres, qui* appartiennoiil au nouvcnu. M* Gabelli fait
la part de la nouvelle école dans les rôf ormes utiles qui
pourraient être réalisées eu praliquc : suppression des
textes législatifs, qui admettent une moilié de responsa-
bilité, institution des maisons d'aliénés crimînL'Is, niodifi-
cation de la loi en ce qui touche le jeune âge, le régime
pénitentiaire, suppression du jury, toutes réformes qui,
d'ailleurs, n'entraînent nullement la condamnalion du
système qui a présidé à rétablissement de notre droit
criminel et qui donne satisiaclion à la cooscience publique
dans son état présent.
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CHAPITRE CINQUIÈME
M, Emilio BRUSA
M. Emilio Biuga, dont renseignement illustre aujour-
d'hui Tuniversité de Turin, ouvrait, il y a dix ans, un
cours à l'université d'Amsterdam. Il se déclarait < disciple
convaincu de l'école italienne » et a de son plus grand
représentant actuel, le professeur Carrara, de Pise ». Eu
effec, il disait : a Excepté les écoles surannées, qui se rat-
taclieut à l'idée de vengeance, d'intimidation, de défense
sociale, et dont les deux dernières ne cessent pourtant pas
de compter des défenseurs, aujourd'hui la plupart des
savants semblent se décider pour un principe foncièrement
égal, bien que divers par sa forme : c'est la protection de
Tordre juridique », et plus loin : « Pour préserver la loi
morale et juridique du danger commun aux théories empi-
ristes ou matérialistes, pour lui assurer une base réelle-
inenl solide et à l'abri de tout arbitraire, il suffit de lui
accorder sa place naturelle dans la conscience intime de
l'homme » (1).
Deux ans après, c'était à Turin que professait M. Brusa;
(1^ De ia Bcitftùe en général et de Vécole pénale italienne enparticuUêr
— Z>iscours d'mtrh, lu le 16 février 1878, p. 4, 16, 18
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— 123 —
repoussant également la qualification de matérialiste et
eelle de spiritualiste, il n'acceptait que celle de critîcistet
pour marcher dans la seule voie où liberté, morale, devoir
et droit pussent trouver le salut; il défendait la liberté
murale contre Tintolérance du déternilnisme et du positi-
visme : « Il s'agit, disait-il (1), d'ouvrir les yeux, d'exami-
ner les périls dont une doctrine déterministe, qu^elte soit
ou non protégée sous les grandes ailes de la philosophie
naturaliste en vogue, menace... les ecieuces morales et
juridiques, et particulièrement celles qui traitent du droit
criminel ».
M. Brusa résumait ailleurs (2) sa doctrine : il défendait
toujours la liberté contre des attaques qu'il trouvait à la
fois étonnantes et dangereuses : « Ce n'est pas, dtsait-il,
avec de si audacieuses propositions que la science du droit
criminel peut se réédiûer sur une base positive, comme on
a l'habitude de le donner à croire ». La liberté est le * fon-
dement nécessaire de la responsabilité en général et de la
pénalité en particulier ».
Le savant professeur n'a fait que poursuivre son oeu*
vre, en publiant un nouveau livre sur le nouveau
positivisme dans la justice pénale (3). Une large intro-
duction nous fait connaître son dessein. Le prodigieux
essor que les sciences ont pris de nos jours aide le positi-
visme à franchir les bornes de la théorie pour pénétrer
dans la pratique, et c'est sous une nouvelle forme qu'il
aspire à s'étendre ainsi. En quoi consiste ce nouveau
positivisme? Il n'est pas facile à définir : « Mais, dit
M. Brusa (4), ce n'est pas à moi (full faut imputer un
défaut de précision, et d'ailleurs mon projet môme était
(1) La morale e il diritto criminale al limbo. ~ Discorso inauguraU,
8 mars 1880, p. 17. - Conf. p. il et 12.
(2) Apprunli per una introduzione al corso di diriilo e procedura
pénale, v. not. p. 37, 55, 57.
(3) Sul nuovo positivismo nella gutstizia pénale. -^ Rifle^sioni di un
eriticista, che preferireble il vecchio, — Turin» 1887.
(4) Page xn et suivantes.
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— 124 —
et est d'examiner ce que les réformateurs de la justice
pénale entendent aujourd'hui par cette expression, avec
rintention de faire honneur à leur système ». Il y a une
« guerre engagée contre le principe de responsabilité
morale dans le délit et contre les notions de droit de j)ro*
cédure pénale qui en dérivent logiquement dans la légis-
lation et dans la pratique des juges ». Le meux positivisme,
celui des déterministes anglais, avait au moins sur le nou-
veau cet avantage qu'il « maintenait la responsabilité
morale et l'obligation, dans des vues, il est vrai, pure-
ment utilitaires. Des divers positivismes, c'est celui que
je préfère. — Il reste entendu cependant (et tout le livre
doit le démonter) que, en fait d'obligation, de justice,
de responsabilité morale, je reste ce que j'ai été de tout
temps, un criticiste ». M. Brusa distingue, on le voit,
parmi les différentes doctrines qui prennent le nom de
positivism ej il e n compte jusqu'à six. La plus dangereuse,
c'est ceTîequi s'intitule le nou'c mu positivisme , parce que,
tout en prétendant qu'elle s'en tient strictement aux faits,
elle confond le parti-pris d'un système avec la réalité,
au grand préjudice des principes sur lesquels repose la
société , c'est l'ennemi qu'il faut combattre pour main-
tenir ces principes.
Le système repose en effet sur cette idée préconçue, ou,
pour mieux dire, sur cette pure hypothèse que l'invariable
nécessité des actes humains peut être prévue d'après la
connaissance des éléments qui leur donnent naissance (1).
Sans doute la psychologie appliquée peut et doit faire des
progrès « et, avec elle, la connaissance empirique » de tout
ce qui concourt à former les caractères humains et les réso-
lutions individuelles. Mais de là il y a bien loin à conclure
que ridéal de la science soit de prévoir tous les actes, tous
les événements, que produira un ensemble de conditions
préexistantes, que, en principe, toute chose future soit
susceptible de prévision, sauf à l'homme à ne pouvoir.
(1) Pages XX et suivantes.
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— 125 —
dans la pratique, arriver à un tel résultat : « La fantaisie,
dit M. Brusa, ne résiste pas à Teflort titanîque d'une telle
hypothèse, et Thypothèse se résout en une création méta-
physique dont le /îa(... n*est plus lui-mûme qu'un écho,
récho universel du déterminisme scientifique lui même y^.
Il n'est pas plus facile de démontrer la causation absolue
m infinitum, c'est-à-dire, renchaînemcnt indéfini des
causes aux effets, que la liberté elle-môme. Pourquoi donc
adopter la première plutôt que la seconde? Pourquoi
ériger en axiome ce mécanisme universel inconciliable
avec Tordre moral ?
On peut, d'ailleurs, accuser la nouvelle école d'in-
conséquence, lorsqu'elle maintient la peine, en niant la
liberté : « La peine n'est plus alors un châtiment réproba-
teur du mal moral; c'est une simple soulîrance, qu'il
s'agira de représenter aux instincts et aux fantaisies, in-
conscients ou incapables d'opérer librement une diversion
qui les détourne des tendances dangereuses; celte souf-
france se résout en un simple moyen de défense contre les
hommes qui sont à craindre » (1).
Le système s'appuie sur la statistique, on peut même
dire qu'il lui doit naissance, car ce sont les tableaux et les
calculs qui ont frappé les imaginations : (t Et de là^ par un
mouvement improvisé et rapide, l'attention alla se fixer
sur les notions mêmes de délit et de responsabilité morale.
Les inductions sans mesure, les systèmes philosophiques
à la mode persuadèrent qu'on pouvait, qu'on devait s'en
prendre à ces notions mêmes, et donnèrent Tespérance
d'en triompher » (2).
L'auteur trouve qu'on a singulièrement abusé de la sta-
tistique. «L'homme de la statistique, dit il uu peu plus
loin (3), celui qui, en moyenne, sur un certain nombre
donné, est tous les ans coupable d'un délits est, sauf la pér-
il) Page XXXII.
(•2) Id, XXXIII.
(3) Id, xxxvi.
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- 126 -
mission des nouveaux positivistes de la justice pénale,
prôts à taxer d'abstractions métaphysiques les notions de
délit et de responsabilité morale, est, disais-je, en réalité
une abstraction. . . Qu'il doive y avoir, qu'il y ait un indi-
vidu, sur un certain nombre, qui, par l'efîet dune con-
stante influence exercée sur chacun de nous, se rende
Tauteur d'un délit, cela se comprend très bien ; cet homme,
c*est dans les couches inférieures de la société que vous le
trouverez le plus facilement. Mais la moyenne statistique
ne nous révèle rien de plus. Elle ne nous dit pas notam-
ment que cet homme, qui, sur un nombre donné, se rend
coupable, ^ii été individuellement, lui, déterminé au délit,
sans pouvoir faire autrement. C'est là, et c'est là seulement
qu'est le problème de la moralité et de la liberté pratique,
La cause abstraite des actes individuels, considérés dans
leurs moyennes approximatives et dans leurs résultantes,
est tout autre chose que la cause active et concrète d'un
acte individuel concret ».
Quelles que doivent être un jour les découvertes de la
science, la complète connaissance de ThomniCt si jamais
il est donné à l'homme lui-même de l'acquérir, peut dé-
mentir aussi bien que confirmer les divers systèmes qu'a
fait édifier une connaissance encore insuffisante. Dans
rincerlitude où Ton est sur ces révélations toujours dou-
teuses d'un avenir si éloigné, ne faut-il pas choisir, parier
pour celle des méthodes qui, en attendant, nous otîre en
ce monde les plus grands avantages? «Or ratlirmatîoa
libre d'un ordre moral dans le monde, au-dessus des phé-
nomènes sans moralité, présente l'incomparable avantage
de satisfaire à un sentiment actuel qui a la plus grande
elTicacité pour nous permettre d'obtenir ensuite ce que
nous désirons... — Quanta l'ordre moral, le nomma
posiiivisme n'est pas encore assez matérialiste pour le nier
entièrement dans les institutions civiles et dans les rap-
ports sociaux. Il prétend quelquefois, à tort, comme on
sait, avoir dans les moyennes statistiques une des diver-
ses preuves delà nécessité absolue, maïs le plus souvent
il n'a pas cette audace. C'est que nous ne pouvons pas
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- 127 -
comprendre comment une personne jugerait un acte mau-
vais sans le déplorer au moment où il est commig, ni
comment elle éprouverait ce déplaisir, si elle n'admettait
pas en même temps qu'un acte bon était possible aussi. La
science a beau enseigner que le sentiment de deux pos-
sibles simultanés dans le moment de la délibération est
une illusion, une superstition héréditaire, et que le pro-
cédé de la sélection se charge de le réduire peu à peu dans
les bornes les plus étroites, pour arriver à le faire dispa-
raître complètement. La science a beau répéter que Pacte
bon, qui était possible, ne s'étant pas réaligé^ était vrai-
ment impossible. .. L'homme... (init par agir, par se
comporter dans les jugements et dans les actes pratiques
tout comme le peuple, qui prouve sa foi à la réalité du
libre arbitre, en exprimant son déplaisir, sa douleur, sa
réprobation, en condamnantles actes qu'il trouve mauvais,
quand ils sont accomplis et quand il se les représente
comme possibles » (1).
Ainsi sont atténués dans la pratique les dangers que
présentent les systèmes philosophiques contraires à la
liberté, atténuation insuffisante d'ailleurs, car, si le monde
souffre de quelque chose, c'est de ce que la croyance à la
liberté n^est pas assez ferme.
M. Littré lui-môme a fini par faire rentrer la liberté
dans un système où il semblait qu'elle ne diU pas trouver
place. Diaprés lui (2), « un homme est libre de s'enivrer
ou de ne s'enivrer pas ; mais, une fois réduit à l'état d^é-
briété, il n'est plus libre de résister aux impulsions pro-
duites par cet état. L'homme est libre d'accroître les
motifs de sa conduite en fortifiant par l'habitude ceux qui
portent au bien; mais, une fois qu'ils existent, les motifs
ont une force nécessitante. Cette franche conlessioo n'en
suffit pas moins pour rendre possible une loi morale ^ qui
n'aurait pas auparavant trouvé de fondement quelconque.
(1) Pages XLi et soldantes.
(9) Id. XLVIII.
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I
- 128 -
Ce sera une loi utilitaire, admettant des sentiments Dobles,
élevés; ce sera Taltruisme, ou quelque chose de sembla-
ble, mais ce sera une loi possible en pratique *, Ce n'est
pas que cette doctrine ne présente un vice et un vice ra-
dical, plus sensible encore dans ta h^gislation et dans
l'administration de la justice que dans l:i logique et dans
la spéculation. C'est une liberté embarrassante que celle
qu'on trouve dans la formation des motifs, qu'on ne
trouve plus après les motifs formés : que fait-on de la res-
ponsabilité ? Celle-ci disparaît au moment où s'accomplit
Tacte préjudiciable ; pour la saisir, i! laut remonter plus
haut, beaucoup plus haut peut-être dans la vie de ragent,
interroger bien des moments passés depuis longtemps, en
quantité innombrable, où se sont produits des faits qui
n'attiraient pas l'attention et ne laissaient pas de traces.
«Avec une telle conception, les précédents intimes qui bles-
sent la moralité. . . deviennent l'unique bise de l'imputa-
bilité et de l'imputation criminelle, le jour où la détente
finale présente un péril effectif ou une lésion de droit con-
sommée... Ou l'inculpé n'est jamais coupable, ou il Test
aussi en raison des actes intimes dont il ne devrait répon-
dre qu'à sa conscience morale et> dans certains cas, aux
exigences utilitaires de la prévention sous un bon gouver*
nement ». On applique dès lors au droit criminel des prin-
cipes exclusivement propres au droit civil; «En somme,
la justice réparatrice et la prévention se confondent avec
le droit répressif, sans qu'on aperçoive le moyen de faire
la distinction. La responsabilité, tout en restant morale
par la présence de la liberté dans la formation des motifs,
devient toute fictive (si bien qu'on ta qualifie sociale par
opposition à morale) dans cette partie des anneaux de la
chaîne où devrait commencer à paraître le caractère de
la responsabilité juridique, essentielle et spécifique en
droit pénal».
On revient toujours « en dernière analyse, à la respon-
sabilité morale supposée dans toute la vie pratique, et,
par suite, dans toutes les institutions politiques et judi-
ciaires... nonobstant l'ingénieuse et féconde élaboration
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d'uae [)hilosopbie du caractère intJividpe! ». Oo a uae
théorie; mais, dans la pratique, on n'iie^sile pas ïi s'eu sé-
parer pour le temps présent. Aujourd'hui « il s*agil seule-
ment d*exercer des influences utiles et de les exercer sur
dm êtres qui se croient constituésspécifiquemeut, qui par
conséqueut agissent comme s'ils avaient en principe une
iacullê cnracLéristique et propre, c est-à-dire la volonté
libre. Alors se comprend, en pratique, la double sphère
d'action : l'une, pour les mesures de prévention et d'édu-
cation générales et spéciales, prises du dehors, alln de for-
tifier les bons caractères, de corriger les mauvais ; Tautre,
pour les mesures de répression et de rétriJbuLion générales
et spéciales, prises aussi du dehors, devant produire des
effets semblables sur des caractères diiïérentSj en vue de
donner au sens moral de la justice la satisfaction qu'il
attend. — En peu de mots, il reste l'homme dangereux, le
délinquant ; mais il reste aussi )e délit, comme être juri-
dique, 11 reste le péril, comme phénomène juridico-politi-
que ou seulement politique, et non pas comme phéno-
mène exclusivement pèdagogico-social et pédagogico-in-
dividuel ».
M. Brusa résume (1) tous les reproches (|u'il fait au
nouveau positicUmi' dans un reproche général, celui de
f( s'être trop défié des forces inhérentes aux facteurs indi-
viduels, de les avoir même niées, le plus souvent en pa-
roles, il est vrai, plutùt qu'en fait, en supposant qu'un
caractère individuel est le produit exclusif des solidarités
naturelles et sociales : Je ne lui impute, ajoute-t-il, qu'une
usurpalioo sur rinconnu, on si l'on préfère, un exercice
arbitraire de ses droits supposés. . . » et plus loin (2) : « Le
nommu posiUvàme dam la imites pénale a enfanté, eo
grand nombre, les propositions de réforme ou dft boule-
versement. Toutes, si je ne me trompe, aboutissent à cette
erreur, qui est la réduction arbitraire des facteurs indivi-
il) Page Lxii.
(2} Id, LXIIK t
I
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- 130 -
duels des actes à la loi exclusive de la solidarité. C'est ce
que nous voyons dans les inductions exagérées auxquelles
donnent lieu les chiffres statistiques de la crîininalité,
dans les elïorLs faits pour supprimer de la procédure crimi-
nelle les garanties accordées a la légalité, à la liberté
civile, dans la double substitutîoû, que tout le nioude
connaît désormais, de la qualité d'homme dangereux chez
un individu au crime moralement imputable, réellement
tenté ou consommé par lui, et de la sélection arlîficielleau
chAtimenl réprobateur du méfait ».
Au cours de Tannée 1888, M. Brusa a lait paraître un
bel ouvrage dédié à la mémoire de M, Carrara (1); en y
exposant sa doctrine, il y a de nouveau rencontré celle
qu'il avait déjà combattue, et il a recommencé la lutte-
Nous ne pouvons mieux faire que de Iradutre littérale-
ment Tim portant passage ou il Texpose et la réfuie,
« Une étude, dit-il (2), qu'un certain nombre de per-
sonnes voudraient aujourd'hui subtîtuer au droit pénal
proprement dit, d'autres à la politique criminelle ou à Ja
police répressive, est ce qu*on appelle la sodologk^ crimi-
arAlCj qu'on dénomme de préférence anthropologie crimî'
ne lie BOUS le point de vue naturaliste. Mais, comme ces
études ne font point partie de la science du droit pénal, le
droit pénal n'en fait point partie non plus, et il y est en-
core moins absorbé. Quelques tentatives qu'on ait faites,
la science sociale ou sociologie est restée indépendante de
la biologie. Cela est encore plus manifeste pour le droit
pénal. La sociologie ou anthropologie criminelle s'entend
aujourd'hui de telle sorte que le criminaliste att à y consi-
dérer des aspects nouveaux ou plRcés plus haut qu*aupa*
ra vaut, des recherches et des connaissances utiles ou néces-
saires â la précention pénale, administrative, économique.
Comme subsidiaires, le droit pénal en doit tenir compte,
grâce aux étroites relations qui existent entre la prêven-
[i) Prologemeni al diriUo penah.
\2} Pages 17 ci saivantes.
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— 131 —
lio» des délits futurs et le châtiment des délits commis.. .
— Pour la sociologie criminelle, le délit est un phénomène
social, la peine ime fonclion sociale. Les idées de mérite et
de démérite moral, de récompense, de châtiment et de
peine ne seraient, dit-on, que le produit de révolution des
mœurs, des intérêts et des circonstances, comme le prou-
verait rhistoire des conditions diverses où s'est trouvée la
sociélé aux époques les plus caractéristiques de sa civili-
sation. — Gomme phénoinèm social. Je délit se présente
sous des formes qui correspondent avec les moeurs, le
milieu, etc. D'oii une recherche, par robservalion systé-
matique des données statistiques, sur les facteurs qui ont
coucourn à produire le délit et sur les moyens de le com-
battre. Cela fera connaître la tendance au délit dans le
sexe, dans Fàge, dans la profession, dans la nationalité, et
permettra de déduire les causes déterminantes de la cri-
minalité. Ces causes sont ou physiqufs {climat, nature du
sol, etc.), ou sociates (alimentation, hygiène, instruction,
situation économique, etc.), ou indivédudtes;de ces der-
nières, quelques-unes sont innées ou héréditaires, d'au-
très acquises ou habituelles, et d'autres occasionnelles
(abus de Talcool, provocation, séduction, étourdcrie, etc.).
Ainsi rintérét de la sociologie criminelle est la connais-
sance, moins des délits que des caractères personnels des
délinquants; elle distingue ceux-ci en délinquants de nais-
sance, d'habitude, d'occasion ou de passion, plus simple-
ment en incorrigibles ou incapables de s'adapter au milieu
social et corrigibles on capables de s'adapter. Les facteurs
naturels travaillent à produire les premiers, et contre eux
la société est impuissante. Sa puissance varie davantage à
regard de ceux qui sont corrigibles ; elle consiste spéciale-
ment à améliorer l'éducation, ralimontation, le bien-être,
surtout dans les classes ou la crinniialité poïlalc le plus
facilement : en substance, il s'agit de la politique sociale.
La sociologie criminelle déploierait sa plusgrande activité
préservatrice sur les délinquants d'habitude et d'occasion,
puisqu'il n'y a pas d'impulabilité pour les délinquants
aés ou héréditaires, quoique les sociologues, à dire vrai,
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— 132 —
ne soient pas tous d'accord, ni pour nier rimpulabilité des
premiers, ni pour admettre celle des seconds. Quelques-
uns^ en efïet, nient absolument la notion d'impulabilîté ou
responsabilité individuelle ; et, si ensuite il ne reste plus
de place pour les notions de délit, de peine et de droit de
punir, loin de s*en préoccuper, ils s'en réjouissent, parce
quBj disent-ils, Thomme, en agissant, est déterminé et
non pas libre, qu'il n'y a par conséquent ni mérite, ni
démérite pour lui, qu'il ne peut y avoir non plus de justice
morale.
tt Comme fonction sociale, la peine , considérée dans les
phases historiques à travers lesquelles s'en est lentement
iormée la notion, depuis les formes primitives des asso-
ciations religieuses, sexuelles ou pacifiques, jusqu'à la
cessation de la vengeance ou à sa transformation en vraie
peine d*État, apparaît comme un effet naturel, soit d'un
instinct qui ne cesse de s'affirmer, soit d'une force physi-
que qui ne cesse de se modérer, à mesure que l'expérience
et les habitudes des associés portent à sentir quelque
chose au delà du besoin immédiat de la réaction ou de la
défense. Devenue en dernier lieu un intérêt social de
rÉtal, la réaction acquiert le caractère de peine en vue
d'un but de tutelle' publique, désormais réputé tel, calculé
comme tel par la raison, but qui a conscience de lui-même,
devenu un acte volitif et noii plus simplement ressenti
comme un mouvement impulsif, jugement et non plus
seulement coercition. La môme chose serait arrivée pour
le délit» r^e délit, de simple conflit avec rinlérét public
[ustînctivement et habituellement ressenti^ se serait peu à
peu transformé en violation d'intérêts désormais rendus
sacrés par la coutume, c'est-à-dire de biens juridiques
protégés par des commandements, qui sont eux-mêmes
munis de menace et qui par là forcent à robéissance. De
cette manière, la peine, dans la sociologie criminelie,
serait une pure coac lion plutôt qu'un châtiment pour un
tort intérieur qui a causé un dommage extérieur. Elle est
aussi indirecte, en tant qu'elle opère sur un coupable
comme sur un moteur, et sert ainsi d'adaptation artifi-
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— 133 —
cielte pour lui à la société ; adaptation à poursuivre en
faisant pénétrer dans Tànie de quelqu'un qui n'est pas
adapté les passions sociales, et ces mêmes sentiments
égoïstes que fait naître la peine, qui n'en sont pas moins
capables de le tourner vers les tendances favorables à la
société et propres à Taméliorer. La coaction est directe,
quand elle s'applique dans sa forme mécanique, et ce n'est
qu'une violeuce ; violence dont Tobjet est de rendre le
coupable, pour un temps plus ou moins long ou pour
toujours, impuissant à faire le mal. De là le séquestre
comme moyen de sélection artificielle de l'individu socia-
lement dêsadapté, sauf à le restituer à la société, s'il
s'améliore ou s'adapte. Cela conlirme Tidée que la peine,
entendue comme fonction sociale, tend uniquement iï com-
battre les facteurs individuels du délit, en rendant inno-
cents les coupables incorrigibles, en amendant ceux qui
sont susceptibles de correction, et en intimidant les
coupables d'occasion.
& Tel est en résumé le programme de la science dite
sociologie criminelle, au moins selon quelques-uns de sas
partisans. Parmi eux, du reste, il faut distinguer ceux qui
la rendent inconciliable avec les principes essentiels du
droit répressif de ceux qui, moins exagérés, n'en font au
contraire qu'une étude auxiliaire du droit môme. Quoi
qu'il en soit, on peut très bien étudier la science du droit
pénal, même sans la sociologie criminelle. Ceux qui s'en
éprennent doivent prendre beaucoup de précautions pour
maintenir intacts ces incomparables soutiens du droit
pénal (par exemple, le respect de la chose jugée, la déter-
mination légale de la valeur comparative des délits entre
eux et des délits avec les peines respectives, etc.), qui sont
la base de l'ordre social en matière de défense pénale.
Nulle dilTiculté, d'ailleurs, à tenir compte du besoin de
peines spéciales oli d'un traitement spécial pour les réci-
divistes d'habitude ou de métier. Pour enseigner cette
idée, pour démontrer que la police préventive doit aussi
assurer la garde de ces fous dangereux, qui sont exempts
de peines après avoir lésé autrui, il n'est besoin, ni de la
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— 134 —
sociologie, ni de ranthropologie crimiDelle, avec leurs
principes propres, étrangers, contraires nièineâ ceux du
droit de punir, tel que serait, par exemple, le principe do
la sélection artificielle uni à une prétendue loi universelle
d'évolution.
« La distinction môme des coupables en corrigibles et
iûcorpigibles, qui, au premier abord, semble clair j el assise
sur des criteria certains, a le défaut énorme de substituer
au précepte tutùlaire delà loi l'arbitraire souverain el sans
contrôle de Thomme, juge ou expert. La distinction a sa
valeur, et pour la police préventive, et comme moyen de
rendre propre à l'éducation, s'il est possible, Texpiation de
la peine, Kn droit pénal, cependant, il faut bien distinguer
entre les offenses réelles au droit des associés, selon leur
qualité et leur gravité, non, comme !e voudrait la socio-
logie, d*après le caractère dangereux des coupables ou leur
inaptitude à s'amender. Les caractères physiques ou psy-
chiques qui peuvent signaler l'homme dangereux ou incor-
rigible, sont des données dignes d'étude, parce qu'on en
peut tirer parti dans la recherche relative au mal existant
et aux moyens de le soigner, de le prévenir ou de le com -
battre. Mais ces caractères n'ont en eux rien qui soit juri-
diquement appréciable pour légitimer la réprobation cl U
condamnation sociale; nous sommes même enrore très
loin de pouvoir nous y fler, au moins comme à des auxi-
liaires dans la preuve judiciaire, tant est profonde sur le
sujet la divergence de ceux qui s'en occupent, et tant les
cnierm d'appréciation sont hypothétiques. A rnoius qu'il
ne se présente un de ces cas singuliers, à la délmition des-
quels suffit la science pénale aidée des sciences diverses
qui jusqu'ici lui ont prêté un puissant concours, de ces cas
où raliènation mentale, la passion véhémente ou la pure
imprudence viennent supprimer le délit, en diminuer beau-
coup rintensité morale ou en faire une faute, tout indice
qu'on érigerait en règle pour discerner les gens capables
de s'amender de ceux qu'on veut enfermer absolumeul
parce qu'ils ne peuvent pas s'amender, doit se réduire en
grande partie à un critérium conjectural, aiterium qui
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— 13îi —
sert après que Ton est déjà certain de la culpabilité de
TageDt, qui sert même amnt le délit pour surveiller par-
ticulièramenl les gens dangereux, mais qui ne sert a peu
près à rien pour démontrer si un individu est, oui ou non,
l'auteur d'un délit, s'il est Coupable de l'iivoir commis.
Quant au reste, d'une part, la médecine aliêniste a tou-
jours su, plus ou m^îins bien, appliquer le nom d'infirmes
d'esprit à ceux dont aujourd'hui ou voudrait fiiirc des cou-
pables héréditaires ou nés ; d'autro part, pour nvoîr égard
à i'intluence des passions qui aveuglent (colûre, peur,
amour^ juiite douleur, etc.), à h manière imprudente ou
négligente d'agir, pour déterminer les degrés dans le
caractère dangereux des coupables, il a toujours snfii du
droit pénaL
ft Mais entre Tune et l'autre catégorie do délinquants
ou hommes dangereux, il y a le nombre inrmimenl plus
considéra hle de ceux que des caractères connai&Hablea â
l'avance ne classent ni parmi les incorrigibles, ni dans le
groupe de ceux qui peuvent s'amender. Même en llalie,
comme d'habitude dans les pays méridiouaux , où les
délits commis sous l'empire des passions sont certaine-
ment beaucoup plus nombreux que dans les autres con-
trées, infestées plul6t par les délits prémédités, par ceux
d'habitude et de métier, cetle Kone intermédiaire s'étend
très loin. L'es^stmtiet est que le droit pénal s'occupe du
délit seulement comme fait imputable à l'individu^ et non
comme indice du caractère personnel du coupable, de ce
qui le rend plus ou moins dangereux. De môme le droit
pénal s*occupe de la peine seulement comme d'un moyen
de justice et de réprobation sociale pour le mal du délit,
et non comme d'une des innombrables manifestations
d'une prétendue loi d'évolution.,
« Il y a deux proportions qui sont des conditions néces-
saires du droit répressif : 1*^ la proportion entre le mal du
délit et l'imputation de ce délit à son auteur; 2« la pro-
portion entre le mal du délit et la peine. Ces proportions
doivent être concrètes; mais la sociologie criminelle ne
saurait les réclamer, ni d'une manière abstraite, ni d'une
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— 136 —
manière concrète, parce que, tendant uniquement à adap-
ter les coupables aux exigences sociales, si elle concourt
avec le procédé de la sélection, elle n'a rien à voir avec
de semblables proportions, qu'elle les rejette même comme
des empêchements nuisibles à'ia poursuite de ses fios, qui
appartiennent à la police plus qu'à la justice t,
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CHAPITRE SIXIÈME
M. Ll'ici LUCCHIiM
/ ^emplicisH (anthropologie, psycbofogie et sociologie), — Il
dirittopmale (Essai critîciuej (t).
C'est ea iSS2 que rémîaent professeur de l'Université
de Bologne, directeur de la îiivî s ta pénates a publié sod
Essai critique sur la simplification tentée du droit pénal
par rantlipopologicp la psychologie et la sociologie. Il était
déjà au premier raog parmi les partisans de la résistance^
mais il lui a paru nécessaire de faire un travail d'en-
semble, de donner un travail définitif sur cet ensemble
d'assertions contraires à celles qui sont généralement
reçues, depuis la négatiou du libre arbibre jusqu'à la
configuration antbropologique du délinquant, depuis la
classification des coupables jusqu'au principe répressif de
rélimination, depuis le retour aux soins préventifs, legs
chagrinant des basses époques, jusqu'au renouvellement de
la procédure inquisitoriate (2). Cet essai répondait à un
désir très répandu, non seulement en Italie, mais encore
dans d'autres pays ; on réclamait un examen attentif des
thèses soutenues par Técole anthropologique de droit
pénal, une critique complète et sans préjugés, qui en
reconnût la légitimité ou Terreur, qui dissipât Tincer-
titude attachée d'ordinaire à des doctrines nouvelles.
(l) Ouvrage traduit en f cannai» sûqs le litre : Le Droit pénal ëI les
nouvelles Théories, par M. Iberli Prud*liomine , .-^abatilut du procorear
de ta République k Sens. Paris, Ptction , rae Soufflot, ^1.
(j) / s^mpiicisti, préface, p. vi et p. S79,
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— 138 —
L'école, avant d'être connue, s'était composé tout un
système, fort habilement construit, présentant, surtout de
loin, l'aspect d*un édifice scientifique à bases solides, aux
lignes harmonieuses et bien proportionnées. Cette science
nouvelle obtenait le respect, grâce a un appareil d'érudi-
tion emprunté à toutes les branches du savoir humain,
cartes, cartogrammes, diagrammes, photographies, avec
des oracles fournis par l'anthropologie^ la biologie, l'ethno-
graphie, la pathologie des maladies mentales, avec un
cortège de crânes et de cerveaux , avec tout ce qui peut
frapper l'imagination et en même temps donner rjliusîon
d'un examen approfondi, pénétrant pour la première fois les
réalités les plus secrètes des phénomènes de toute nature.
Sans doute, il y a toujours place pour le progrès dans le
droit criminel; mais, en tout ordre de faits et de science,
la condition du progrès est une évolution partielle: a On
pourrait déjà regarder comme condamnées préjudicielle-
ment des doctrines qui se donneraient évidemment pour
fin de changer la face des institutions sociales et des choses
de ce monde ».
La nouvelle école a pris pour base des thèses et des
postulats « tirés des sciences plus ou moins nuturelles,
qui ne se fondent pas toujours sur les faits et que les faits
sont loin d'avoir encore démontrés comme vrafs et positifs;
en second lieu, elle a fait sortir Tétude du droit criminel
de son domaine propre, l'a transformée en une ency-
clopédie dont le caractère scientirmue, pour ne parler
point d'autre chose, est en contradiction avec la direction
qui gouverne le développement sérieux et efTicace du savoir
humain, en le conduisant à la spécialisation. Lorsqu'on
inféode le droit pénal à l'anthropologie, il me parait en
effet qu'on le fait tomber dans le mi^me goufïre od va se
perdre la psychologie confiée à la physiologie» Ceux qui
professent avec le plus d'éclat cette dernière science
reconnaissent qu'elle est encore très imparfaite » (1).
(1) I semplicisti, priHace, p. xi.
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— 139 ~
A ce premier vice de la nouveUe école s'en ajoute un autre :
l'étude des délits et des peines est transportée de la scieuce
juridique dans ]a grande mer de la sociologie. C'est une
grave erreur de croire que le droit crimitiel soit un
chapitre d« la sociologie. Sans doute, celle-ci s'occupe des
peiueSf des crimes et des délinquants ; mais la psychologie,
rhistoire, Thygiène, radministration s'en occupent aussi :
« parce qu'un sujet se prête à plusieurs ordres d'idées
difïéreutes, il ne s'ensuit pas que ces ordres concourrent ù
former une seule et même science. »
On n'a pas fait un emploi plus judicieux delà statistique,
dont il serait fort utile et légitime de se servir dans une
mesura raisotinahle; on a fondé une science d'observation
sur des éléments incomplets, défectueux, controuvés, et
c'est avant de pouvoir garantir des faits qu'on a avancé
des théories , sans profiter des exemples donnés par des
hommes érainents, qui avaient été condamnés à la stérilité
pour avoir étudié trop exclusivement des théories tout
opposées (1).
M. Lucchini rappelle qu'il a été l'un des premiers en
Italie qui aient recommandé Tapplicalion de l'hypothèse
darwiniste à la méthode introduite dans la science juri-
dique, convaincu, comme il l'était, de la nécessité de
vérifier 1 état des sciences morales et sociales par l'obser-
vât ion des faits, et c'est justement ce souvenir qui le porte
à s'élever • contre ce qu'il regarde comme des exagérations
et des excentricités d'observateurs superficiels et bien
peu positivistes, qui, abusant de la méthode et de la direc-
tion actuelle de la science, confondentl'analogîe avec l'iden-
tité f prônent la stérile domination des sciences naturelles
au lieu d'une alliance féconde, et je^récjjMt^ntdan fr la syn -
thése, quand ils ont commen£éli peine Tanalyse* sllsFonL
"^"coinmencèe » (^)T C'est quand on se pique de pratiquer la
^mSthode expértmentale bien comprise, qu'on doit s'élever
[]) I iempUcisti, p. xv, xi.
{2} lb.,p. 1, \u
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r
— 140 —
contre les indactions hâtives et les déductions de fantaisie
qui, sous renseigne des positivistes, n'aboutissent qu'à
faire rentrer dans la science la métaphysique^ la plus
transcendantale.
L'auteur insiste beaucoup sur ce qu'il ne reproche pas à
récole de protéger les brigands et de miner le code pénal
en niant la responsabilité humaine. II ne crie pas non
plus au scandale, parce qu'elle nie la volonté libre, sans
égard pour les doctrines spiritualistes et religieusos. Le
critique n'a pas pour point de départ rorthodoxie de
l'école nommée par pension llécak classique^ f^^ pensée est
libre ; il ne s'assujettit à aucun dogme. Mais il ne peut
admettre qu'il y ait deux écoles en antagonisme : l'une
bonne à placer dans un musée, la seconde représentant
le progrès de la civilisation ; il ne saurait y avoir qu'une
science, la science juridique, et l'école qui ne serait pas
juridique se condamnerait elle-même comme privée de
sens commun.
Le chapitre consacré à la doctrine de la défense sociale
s'ouvre par une réfutation de l'analogie établie entre le
code pénal et la sociologie ou la géologie. Ces deux sciences
et toutes les autres sciences naturelles ne se proposent que
de découvrir le processus des forces physiques ou vitales,
dans leurs manifestations usuelles et permanentes, ou de
décrire et d'exposer ce qui est dans la nature; tandis que
les sciences qui touchent au magistère pénal, au point de
vue philosophique et spéculatif, tendent à une fin essen-
tiellement différente, c'est-à-dire à induire ou à déduire
ce qui doit être. La nouvelle école ne se borne pas à établir
comment et pourquoi la législation pénale et ses divers
aspects revêtent tels caractères donnés, offrent tel dévelop-
pement donné qu'on observe aujourd'hui ; s*il en était
ainsi, elle nous conduirait dans le domaine de la socio-
logie, et l'argument d'analogie emprunté à la zoologie et à
la géologie s'appliquerait jusqu'à un certain point; elle ne
se propose rien moins que d'abattre l'édifice élevé par le
travail assidu de tant de siècles, pour nous apprendre que
tous les âges, tous les législateurs passés et présents ont
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^ 141 —
été et sont autant d'ignorants et de visionnaires, et pour
ouvrir nos esprits à des horizons nouveaux et inexplorés (1).
Le résultat auquel aboutit cette recherche n'a rien de
commun avec celui que se proposent les naturalistes.
D'un côté, Ton observe et Ton décrit, sans aller au delà du
présent ; de l'autre, on se livre à un travail de spécu-
lation, où l'on s'attache surtout à l'avenir.
La prétention d'aller demander l'origine des institutions
humaines, même de celles qui se produiront dans Tavenir,
aux Indiens de l'Amérique du Nord, aux bêtes carnivores
et insectivores, ne saurait se soutenir. On aboutit à cette
nouveauté de la lutte pour les existences, à la réaction
défensive, directe ou indirecte, déterminée par l'action !
Sans doute, on ne peut contester que cette réaction soit
une espèce de défense; mais on s'est beaucoup trop hâté en
parlant d'une analogie parfaite : un peu de ressemblance,
voilà tout. Les animaux n'ont jamais organisé une réaction
collective systématique contre les délinquants de leur
espèce. Quand ils se défendent d'une agression externe,
ils peuvent prêter à un certain rapprochement, il n'y en a
aucun de possible pour l'hypothèse d'une agression interne.
Il ne faut pas même pousser trop loin l'analogie. « Ce
n'est pas la défense qui expliquerait l'essence de la réac-
tion de l'individu ou de la société contre l'agression
individuelle ou collective, interne ou externe, mais le
principe de conservation. — Là est le nœud de la question.
— Les positivistes n'en cherchent pas tant et ne se posent
pas même la question. De but en blanc, ils ajoutent un
adjectif au mot défense et disent sans façon : Le ministère
répressif est purement et simplement une fonction de
défense sociale. — Si l'on examine psychologiquement
cette expression, elle résulte d'une triple équivoque : on
confond la réaction que l'on oppose sous la forme de la
guerre à un ennemi étranger avec celle qui s'opère
contre le délinquant intérieur : on confond le sujet et
(1) Page 2.
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— 142 —
Tobjet du droit répressif : on ne distingue pRS entre la
sociélë Iiumaioe en général et la forme particulière de
Tassociation civile et politique qui se nomme TÉtat.
ta La confusiou établie entre la fonction militaire et la
fonction répressive a naturellement laissé croire que cette
collectivité absorbante, qui impose la souveraineté pour
combattre un ennemi interne, n*a d*aulre objet qu'elle*
même dans la lutte coutre te délit,.* Non seulement la
fusion de ces deux procédés défensîEs a été bis torique m eut
transitoire, mais encore en elte^mémela fonction militaire
est transitoire, contingente, éphémère; elle est allée tou-
jours en s*alîaiblissant ; Thistoire et la raisoji s'accordent
pour faire croire qu'elle est destinée à disparaître dans un
temps plus ou moins long de la face de la terre ; il en
est tout autrement de la fonction pénale, qui est toujours
allée en s'étendant et en se constituant ; tout la lait croire
immortelle et perpétuelle.
« La seconde raison de ce mirage de la défense soriale
se trouve dans ce qu'on a considéré la pénalité comme
administrée par un pouvoir de caractère social, bien qu'il
n'y ait rien d'impossible ti ce que dans rorigine elle ait été
de caractère Lout â fait individueL-, U faut démontrer que
Ton commet tout simplement un non-sens eu attribuant à
la société le profit et la destination du ministère répressif.
D*autres ont déjà établi que le principe en question con-
tredit le concept essentiel et logique de la défense, qui se
rapporte à un péril futur dont on est menacé, non à no
préjudice accompli et passé. Il ne sert à rien d'opposer que
la pénalité, se proposant do réagir contre la tendance du
délinquint k retomber et le mauvais exemple donné
par lui, est l'expression d^une défense différée, puisque,
même en admettant la persistance du concept de défense
dans les prévisions si lointaines de l'attaque et de son
éventualité, ce qu'on tend à faire prévoir n'est pas une
cbose qui appartiennes la société, dans les cas nouveaux,
mais une chose qui relève des individus, et qu*on pourra
parler abusivement de défense, mais jamais de défense
Booiale. . , Cette ostentation de sollicitude pour défendre la
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" 143 —
société est-elle vraiment sérieuse? Il me semble qu1l ne
manque pas de bonnes raisoas pour en douter» Malgré
tantd'éûormités, ct'ini(iuités, d'erreurs et de désordres, la
société, prise dans son ensemble^ n'a jamais souffert sen-
siblement; elle ne s'est pas arrêtée, elle n*a pas reculé
dans sa marche. Pourquoi donc s attacher à organiser une
défense de la société, qui n'a besoin d*aucun secours arti-
Jîcîel, mais qui possède en elle même la force nécessaire
pour se conserver et se développer * (1).
< A considérer le délit au point de vue social, il y a lieu
de douter sérieusement s'il y a tant d'intérêt à le réprimer^
ou du moins si cet intérêt est constant et universel* D'une
part, le délit apparaît comme un fait naturel, comme tout
autre fait, naissance, mort, commerce, industrie, elc,
réglé, lui aussi, par les mêmes lois statistiques qui en
assurent la périodicité, le retournormal, qui en expliquent
en grande partie les vicissitudes et les oscillations. D'autre
part, en pensant aux grands bienfaits sociaux qui résultent
quelquefois des crimes les plus noirs (par exemple Ten-
lèvement des Sabines, le meurtre de César, le crucifie-
ment du Christ, la persécution des premiers chrétiens, la
férocité des barbares et des Sarrasins d'abord, des catho-
liques ensuite, les massacres fie 89 et le poignard des cons-
pirateurs de tous les temps), on considérerait comme des
faits providentiels, au point de vue sociologique, la faute et
la violence, ces deux manifestations pathologiques de l'ac-
tivité humaine. Et, pour prendre les choses dans leur
ensemble, tous les désastres, les calamités, les fléaux qui
frappent le genre humain ne sont-ils pas féconds en avan-
tages sociaux?
« La défense sociale, sous le nom de salut public, de
raison d'État, de Sainte-Alliance ou de Sacrée-Inquisition,
a bien fourni un prétexte pour répandre la terreur parmi
les peuples, immoler des victimes sans nombre à la
cruauté, à Tavarice ou à Fignorance des hommes ; aujour-
a) Page 10-
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n
— 144 -
d'hui encore, quand on ne trouve pas d'autre raison pour
étayer l'édifice vermoulu du despotisme politique, oo
recourt à l'argument do la sécurité publique, de l'ordre à
Varsovie; témoin le gibet : s'il s'élève encore dans la jus-
tice militaire, ce n'est pas la protection des soldats qui le
justifie, et les soldats sont cependant dignes de protection ;
ce sont les exigences de la discipline dans l'armée, autre
formalité que le militarisme fournit à la défense sociale.
Cette figure de rhétorique de la défense sociale est mise eo
avant pour couvrir tous les abus, tous les actes arbitraires
ou absurdes que suggèrent les passions humaines mas-
quées sous l'apparence du bien public.
« La défense sociale est donc une absurdité, parce que
la société, par lien de droit d'une part, éternelle et intan-
gible, de l'autre, n'a besoin d'aucune défense que les
hommes lui procurent, plus ou moins artificiellemeut.
« De là résulte que la société ne peut être regardée
comme l'objectif du méfait, qui ne la regarde pas. »
L'empirisme moderne commet une nouvelle absurdité,
en confondant la société avec l'État, ce qu'il fait quand il
proclame cette grande découverte que le magistère pénal et
par conséquent le droit en général et la police sont des ra-
mifications de la sociologie. Comme si ces deux sphères
d'action n'étaient pas bien différentes pour la société,
association humaine, et pour l'État, association politique !
Dans la société se trouve le principe de la lutte pour la
vie, dont les premiers éléments apparaissent avec les
bètes ; dans l'État, on lutte pour le droit. Le droit rentre-
t-il dans la sociologie? Est-ce un progrès, pour la nou-
velle école , que de l'y faire rentrer ?
On ne peut pas dire non plus que le droit puisse être
regardé comme une fonction sociale. Pur pléonasme, s'il
s'agit du droit, comme institution qui intéresse la société.
Alors il en est de même de l'art de l'accoucheur ou du
vétérinaire.
Enfin la théorie de la défense sociale mène à l'into-
lérance la plus excessive au profit d'une religion donnée
ou d'une forme de gouvernement.
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!•
- 145 —
Certes la nouvelle école est fière de ce qu'elle appelle ses
découvertes, des vérités dout elle prétend avoir la pre-
mière constaté l'existence ou apprécié Fimportance ; mais
elle tient à honneur le fond de ses idées encore moins que
la méthode par laquelle elle arrive à les obtenir. M. Luc-
chini s'en prend à ces règles essentielles d'une nouvelle
logique, d'un novum organum, pour empêcher qu'elles ne
deviennent les dogmes fondamentaux d'une nouvelle phi-
losophie, philosbphia moralis. C'était à l'assimilation ou
pour mieux dire, à la confusion du droit criminel avec les
sciences naturelles proprement dites qu'il s'attaquait tout à
l'heure ; dans un chapitre intitulé Délit et délinquant, il
met en saillie cette théorie que l'étude du délit, considéré
en lui-même, in abstracto , doit céder le pas à l'étude du
délinquant, considéré in concrelo, « que c'est celui-ci, être
réel et concret, et non pas celui-là, être idéal et abstrait,
qui doit être l'objet de la répression. — Privé de connais-
sances techniques en fait de sciences physiques, me fiant
peu à mon court entendement, qui pouvait s'émerveiller
à tort du curieux système que suivait aujourd'hui la
médecine, je m'en suis rapporté aux experts dans la
matière pour savoir s'il est bien vrai, théoriquement et
pratiquement, que l'étude des infirmes doit précéder celle
des infirmités. La réponse me fit presque rougir de la
question. » — « En fait, il me semblait assez étrange, pour
le moins, qu'un médecin, partisan de la méthode expéri-
mentale, dût d'abord, dans l'étude, mettre la cliiiique
avant la pathologie, l'examen personnel du malade avant
le diagnostic de la maladie (1). Il y a là une raison de plus
pour distinguer la science pénale des sciences médicales .
Tandis que le médecin n'a à voir que le malade à soigner, ce
n'est pas seulement l'auteur du délit que doit considérer
le législateur pénal, il faut encore qu'il fasse entrer dans
son examen et quelquefois beaucoup plus les autres mem-
bres de la société et l'autorité de l'État, les bons associés
(1) Pages 21 et Sd.
10
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- 146 -
que ce délit épouvante, les .associés pei^vers et dangereux
que Tattrait du mal excite. Dans le délinquant lui-même^
le médecin social ne se borne pas â voir un mallieureux,
dont rintérêt personnel réclame b sollicitude; niais la
sanction pénale, quel qu'en doive <^tre le caractère essen-
tiellement correctif et régénérateur, doit être avant tout
dirigée vers rintérêt des tiers. Mais pourquoi taire le
suprême objet du délinquant et non pas du délit ?
L'analogie en question ne se présaiilerait que dans le
cas où il s'agit d'une maladie contagieuse, d'une peste ou
d'une épidémie. Même, quand ce cns se présente, il inut
que l'office sanitaire songe aux précautions à prendre
dans l'intérêt des associés bien portants, la préoccupation
principale consistant toujours à obtenir la guérison des
malades. S'il en était autrement, si les conclusions de la
noicvelle écolCf qui tendent à l'exterinination des infirmes
sociaux dans l'intérêt des honnêtes gens, recevaient leur
application dans la pratique médicale, eu présence d'une
épidémie, du choléra, par exemple, la première chose à
faire, au nom de la défense sociale, serait de détruire les
malades par le fer et le feu, ce serait le moyen préventif
par excellence.
La tâche du législateur serait bien simplifiée, s*il n'avait
devant lui que la personne du délinquant actuel, soît qu'il
dût travailler à le guérir comme un malade, soit que sou
désir fût de défendre contre lui la société, et, pouriitiein-
dre cette dernière fin, la nouvelle école ne reculerait pas
devant un traitement radical.
Mais la pénalité est dirigée aussi contre les délinquants
futurs et possibles : mais à la répression qui iutimide et
qui prévient, il faut ajouter une sanction satisfactoire et
moralisatrice.
Alors reparaît la conception du délit, tel qu'il est réelle-
ment, et non comme une formule abstraite et convention-
nelle, en tant que réalité concrète, présentant une action
et une lésion, un fait de Thomme et une violation de la
loi ; une infraction et un sujet d'elTroi pour la société,
dans tous ses éléments subjectifs et objectifs, phénomène
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- 147 —
natiirei, lié aux diverses causes provenant d*un mîHeu
physique, moral et social. Il s'agit donc d'autre cliose que
de soigner te$ délits, comme on Ta reproché par plaisan-
terie au droit pénal classique.
Cette conception n*est pas la seule : « Les juristes nous -
ont donné les caractères de Taction punissable, non du
délit naturel : voilà le mot nouveau. Mais en quoi consiste
le délit naturel ? C'est une action qui viole les mjles
sociales de suprême importance et dont l'immoralité eH
unidcrsellement sentie » (1). Que vaut cette conception?
C'est de la pure métaphysique, « qui fait remonter aux pré-
tendus éléments altruistes mis à la mode par Herbert
Spencer et dont Texistence est très contestable. Comment
les reconnaître? Puis comment les classer? C'est bcUir sur
le sable que de les réduire aux deux sentiments d'hu-
manité et de probité. On ne saurait, d'ailleurs, prendre le
sentiment pour m^eriti/n principal, essentiel, de la notion
du délit, c'est-à-dire en chercher l'origine dans une
source d'un caractère absolument subjectif, dérivatit et
abstrait, tel qu'elle échappe à une analyse concrète, à une
science pratique et positive, comme il en faut dans ce
monde pratique d'hommes qui mangent, qui dorment et
qui s'habillent; il semble que cela ne doit pas faire trop
d'honneur à une école qui traite avec tint d'ironie t'étre
abstrait de Tancienne doctrine criminelte » (2).
t Le sentiment, non pas défini et classé arbitrairement,
mais étudié dans ses expressions et ses manifestations
multiples, est un précieux auxiliaire, représentant les plus
intimes aspirations des hommes, qui ne doit pas être
négligé par Fhommed'État et par le législateur; mais il ne
doit pas non plus être le pivot de leurs spéculations et de
leurs décisions, parce qu'il ne se conforme pas toujours
aux exigences réelles de la vie humaine et sociale, et ne
se prête pas à un calcul exact et clair de ces exigences, »
(1) Page S8.
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— 148 —
On ne se serait pas trompé, si Ton s'était borné à dire
que tout délit se résout dans un de ces deux types, la vio-
lence et la fraude ; mais on n'aurait fait que répéter une
vérilé rebattue, et l'on aurait été loin de définir l'essence
objective du délit.
En admettant qu'on place dans la catégorie des délits
loiis les faits qui présentent en eux-mêmes une immoralité
répugnante, on laisse en dehors d'innombrables actions
simplement défendues, qui sont susceptibles d'une sanc-
tion pénale, quelquefois des plus graves. Qu^on refuse de
les îippeler des délits naturels, ce sont au moins des délits
furidiques, et il faut bien en tenir compte, quand on
étudie, non pas la biologie ou la sociologie, mais le
droit. Force est bien aux juristes d'étudier le droit et de
s'attaclier au délit, qui redevient le but réel et concret
du droit de punir.
Il y a encore une autre cause à cette erreur que Ton
commet, quand on enseigne que le droit criminel doit
s'appliquer au délinquant et non au délit. C'est que la peine,
dans sa réalité concrète, frappe la personne du délinquant
et non le délit. Dire : tel délit est puni, c'est une impro-
priété, c'est un non-sens. En quoi consiste la différence
entre Tobjet et le sujet passif de la pénalité, entre l'organe
de la répression et sa fonction, entre l'office du législateur
et celui du juge? Le juge applique la peine, et celle-ci
frappe directement le coupable ; mais la raison de la peine
et le principal critérium de la loi comminatoire tiennent
au délit, dans tous les rapports personnels et imperson-
nels , préventifs ou répressifs , intéressant le coupable ou
les autres associés. ' .
Enfin le droit de punir est légitimé par une raison
po1ili(iue et sociale; les associés à qui le délit cause un
préjudice direct ou indirect, qui s'épouvantent à la nou-
velle du mal commis, qui sont troublés, dans la jouissance,
jusqu'alors paisible, de leurs biens, réclament, d'une ma-
nière ex presse ou tacite, qu'il soit pris des précautions pour
compenser le détriment éprouvé, pour dissiper les alarmes,
pour écarter le péril ; ce n'est pas seulement du délit
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— 149 —
commis qu'ils se préoccupent et de ceux que Tauteur du
premier peut commettre de nouveau, mais de tous reux
qui peuvent être accomplis à Ta venir, et par irimporte
qui. Ce qu*ils demandent, c'est de n'être a l'avenir
inquiétés par personne.
On en revient ainsi à comparer le droit pénal avec la
science médicale; quand il s'agit d'une maladie épidé-
mique, c'est beaucoup moins au malade que l'on songe,
qu'à la maladie elle-même. On soigne le nialheun^ux au
lieu d'entrer en lutte avec lui, et l'on emploie, pour le
sauver, tous les moyens que suggère un égoïsme bien
entendu.
« En mettant à part les analogies et les métaphores,
conclure plutôt que l'étuie rationnelle et complète du
délit, étude juridique, en comprend tous les éléments
objectifs et subjectifs, et par conséquent l'élude du délin-
quant. L'analyse du délinquant a beau être subordonnée;
elle doit être complète, et, quand elle n'aurait pas d'autre
résultat, celui-là suffit pour rendre puérile Taccusation
écrite d'un cœur léger que l'on représente et définit le délit
comme un être abstrait et conventionnel, en mc^me temps
que l'on affermit la nécessité théorique et pratique de
considérer le délit, être réel et concret, et non pas le pré-
venu, comme objet primitif, essentiel, de nature à épuiser
tout le magistère pénal » (1).
L'auteur aborde ensuite la question du libre arbitre. Il
lui fait d'abord sa juste place; le libre arbitre^ d'après
lui, sert pour la loi morale et individuelle; il ne s'agit
que d'un simple fait volontaire dans la loi générale et pour
la conscience collective : « Il est naturel, il est nécessaire
que la loi morale se fonde sur le sentiment du libre
arbitre ; n'ayant d'autre réaction que les avertissements
delà conscience, celle-ci ne pourrait se faire juge de m
conduite sans la supposition que la volonté est libre et
autonome dans ses délibérations. Mais, dans rapprécialiou
(1) Page 38.
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— 150 —
civile des actions humaines, la considération dominante
n'étant plus formée par l'élément interne, moral, subjec-
tif, Tétant par l'élément extprne, objectif, il est également
naturel et nécessaire de substituer à la suppositioji de la
liberté d'élection celle de la liberté d'action, et conservant
seulement comme attribut le caractère de volontaire, pour
correspondre subjectivement au concept de la personnalité
humaine, et objectivement à la fonction politique et
sociale de la sanction pénale.
« D'où résulte Tintérôt purement académique, je dirais
volontiers arcadien, eu ce qui concerne les rapports juri-
diques, de la négation qu'on étale du libre arbitre, à
propos de laquelle il me semble qu'on s*est inutilement
battu dans un sens ou dans l'autre » (1).
L'auteur n'en prend pas moins nettement parti pour le
libre arbitre, en rejetant l'hypothèse de la psychophysio-
logie, qui réduit tout à des mouvements nerveux (2).
On veut remplacer le libre arbitre par la responsabilité
sociale, le fait que l'homme vit en société créant à sa
charge une responsabilité particulière, abstraction faite
de la responsabilité morale, qui disparait avec la volonté
autonome ; mais, en poussant au bout l'analyse des motifs
que le juge est forcé de prendre eu considération, M. Luc-
chini arrive à d'imontrer que les positivistes ne peuvent
pas arriver à éliminer complètement la responsabilité
subjective, par conséquent l'élément volontaire, dans les
faits qui donnent lieu à l'application de la peine.
Une autre donnée fondamentale de la nouvelle école
est la classification des délinquants au lieu de celle des
délits. Une telle classification n'est pas difficile à faire au
premier abord, suivant les divers tempéraments, sanguin,
bilieux, nerveux, lymphatique, suivant l'âge, le sexe, l'état
d'esprit, selon la religion professée, le degré d'instruction,
(1) Page 146.
(2) Id. 147 et 179.
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~ 131 -
d'éducalioû, de civilisation, do sensibilité morale, le
rang social. Oo n'hésiterait pas à répondre en distinguant,
suivant le degré de moralité, en honnûtes de dessein ,
iionni^tes par occasion, étourdis et imprudents, violents et
impétueux ou faux de caraclère, pervers, en mettant do
côté les fous et les imbéciles.
Il ne faut pas une grande sagesse pour faire ces distinc-
tions qui, souvent, se justifient plus ou moins. Qu'on
prenne un dirccleur quclconquo dD prisoji, un employé
loférieur, et qu'on If^ur demande de classer les détenus,
en se mettant au point de vue de leur caraetêro moral, il
répondra promptcment : tels ont nn bon caractère, et ont
failli par la faute des circonstances; tels autres sont d'une
bonne pàtc, mais d'une susceptibilité excessive: d'autres,
sous l'empire de 1 éducation, de Fair ambiant, ont perdu
le sens moral et ont été inconsciemment entraînés au
vice ou au crime ; pour d'autres, le vice est devenu une
seconde nature.
Les positivistes ont travaillé beaucoup pour faire cette
classification. Ils ne se sont pas encore mis d'accord ; ils
font deux, trois, quatre ou cinq catégories de délinquants ;
ils rangent par exemt>le les délinquants d'occasion dans
une classe ou dans deux, etc. ,
Mais, d'abord, celte classification est^elle une nouveauté?
Elle est reconnue par les plus distingués des juristes
classiques, par la sagesse romaine, par les statuts italiens
et par la politique intermédiaire.
En second lieu, quelle en est l'orit^lne et quel en est le
fondement ? M. Lucchini déclare n'avoir pas encore trouvé
de trace d'un enter hun précis qui serve à discerner un
délinquant d'occasion d'un délinquant d'babitude ou
d'instinct.
Eu troisième Heu, et c'est ce qu'il y a de plus intéressant
è noter, non seulement l'idée originaire de cetle classifi-
cation, mais les systèmes adoptés par les positivistes les
plus modernes sont tout à fait en dehors de Tanthropo-
]ogie< Ce n*est pas par les caractères anthropologiques que
SG distinguent les divoraes catégories, non pas même que
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— 152 —
]a catégorie des délinquants nés pourrait être séparée de
celles entre lesquelles on répartirait les autres déliti*
quants ; car, si certains caractères anthropologiques appa-
raissent comme prédominants dans la première catég^orie,
ils ne manquent pas dans les autres. Tout eu reconnais-
sant que les facteurs sociaux entrent dans la récidive, et
en étant d'accord sur la rareté et le peu de sûreté des
matériaux qui font l'objet de notre travail, encore ces
matériaux nous fournissent-ils de quoi déterminer les
criteria distinclifs des délinquants-nés, incorrigibles et
habituels, réunis pour la plus grande commodité en une
seule phalange.
M. Lucchini conteste que les récidivistes doivent être
rangés parmi les délinquants d'habitude, si Ton adroet ce
classement : « C'est un pur préjugé, lit-on dans les Nou-
veaux horizons eux-mêmes, de croire que dans la nature
existent réellement des distinctions précises que le langage
humain est forcé d'employer et que, par exemple, il y ait
une différence spéciale entre l'homme sain et l'homme
fou, et non pas seulement une dégradation continue et
indéterminée. Je pense ainsi moi-même, puisque lanthro-
pologie n'en donne aucune démonstration scientifique. Je
crois que Mandsley a parfaitement raison d'assurer que
la majorité ne se forme ni d'hommes complètement rai-
sonnables, ni d'hommes complètement fous, mais que les
immenses limbes de la majorité humaine sont repré-
sentées par ce qu'il a appelé la zone intermédiaire, qui ne
résulte pas seulement des mattoides de quelques médecins
aliénistes, c'est-à-dire d'une variété de fous, mais de tous
les faibles d'esprit, de tous les gens faciles à exciter, doués
d'une certaine volubilité d'esprit, étranges dans leurs
désirs et dans leurs appétits. J'arriverais même à dire que
l'on rencontre difficilement un homme qui ne présente
pas à un degré plus ou moins élevé de son afTeclivitè,
quelque déviation, inversion ou anomalie, en vue de se
procurer la satisfaction de tel ou tel besoin ou sentiment»
A part les sujets, et ils ne sont pas rares, qui reçoivent
dans la société le nom d'originaux, se trouve fondé ce
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— 153 —
dicton populaire qui attribue à tout homme un petit grain
de folie » (1).
Et alors il devient cîaîr que ce n'est qu'un simpJe pré-
jugé de croire qu'il y ait dans le monde de ces distinctions
précises, selon lesquelles on prétend pouvoir diviser les
délinquants en troî^, quatre ou cinq classes, sur lesquelles
les anlhropologistes discutent avec tnut d'ardeur et si peu
de notions scientifiques, sans arriver à se mettre d'accord :
si parmi les liommes on ne trouve que des dégradations
imperceptibles, à plus forte raison en est-il de même
parmi ceux qu'un même titre de méfait rapproclie et
réunit.
1! n'y a pas besoin d'oracles anthropologiques pour faire
comprendre qu'il y a parmi les délinquants des aliénés
reconnus et des mattoïdes \ mais qui en expliquera les
signes caractéristiques et distinctifs ?
Pour les uns, ce sont les délinquants-nés et incorrigibles
chez lesquels on note, d'une manière plus saillante, les
caractères spéciaux révèles parranlhropologie criminelle.
Pour d'autres, par exemple, pour Tauteur de VUomo
déUnquenb' , cette classe de délinquants n'existe pas par
elle-même ; les délinquants-nés et les fous moraux ne font
qu'un. Viennent ensuite les délinquants d'habitude, qu'il
faudrait caractériser par une propre faiblesse de nature
jointe à Timpulsion des circonstances et de Tintluence d'un
milieu corrompu.
tt Voilà des doctrines qui se prétendent fondées sur la
méthode expérimentale ! Et c'est sur des calculs et des
appréciations de cette nature qu'on prétend élever à la
dignité d'une science la' classification des délinquants! »
Epuisons l'analyse ; après avoir mis de côté les fous,
qu'on a l'absurdité de confondre dans la classe des déliu-
quants, les fous, que déjà la doctrine et la loi distinguent
bien nettement, après avoir mis de côté les délinquants
d'habitude, que la doctrine et la loi soumettent également
(1) Page 81,
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— 154 —
à un traitement spécial, quelque sérieux et imparfait qu'il
soit, sans le titre de récidive; après avoir mis en quaran-
taine les délinquanls-nés, restent les deux catégories,
graude découverte de la nouvelle école : les délinquants
par passion et les délinquants d'occasion.
En voici la notion comparative, que Ton tire des Nou-
veaux horizons.
A tout homme, si pur et si honnête qu'il soit, se présente
djns tertaincs occasions la pensée fugitive d'une action
déslionuéte et délictueuse. Mais dans rbonnèle homme,
précisôiiient parce qu'il est honnête, orf^auiquement et
morîileracnt, cette image tentatrice réveille subitement
ridée des conséquences possibles; dans Thomnie moins
fort et moins prévoyant, elle fait brèche plus facilement
et résiste à la répulsion, peu énergique d'ailleurs, du sens
moral. Le délinquant par passion est un homme qui,
assez fort pour résister aux tentations communes et peu
violentes, ne Test pas assez pour résister aux tempêtes
psychologiques qui atteignent quelquefois un degré de
violence auquel nul homme, si fort qu'il soU, ne saurait
tenir tête.
Au total, il y a dans tout cela plus de métaphores que
d'anthropologie. Sans les examiner toutes les unes après
les autres, on peut admettre que, dans la multitude des
délinquants communs, qui ne sont ni dL^liiiquanls d'ha-
hitudn, ni fous, il y en a plusieurs qui sont entraînés au
délit par une impulsion malsaine de sentiments qui éclatent
facilemejit, par le caractère, par rintentîou, par les
circonstances rendues insurmontables. C'est trailleursun
fait connu de tous et qui a suggéré au législateur, bien
avant la naissance des anthropologistes et sous Tinspira-
lîon de crileria, plus droits et plus précis , la notion des
délits de premier mouvement, pour déterminer chez leurs
auteurs un degré spécial d'imputabilitè et de responsa-
bilité, et par suite une mesure distincte de pénalité.
Voilà à quoi se réduit la nouveauté tant célébrée de la
classification des délinquants; à un simple mélange, mal
réussi, de choses rebattues, dont l'analyse appropriée
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— 153 -
remet encore en évidence la fausseté de l'accusation
dirigée contre les vieux criniinalîstes de n'avoir pas lait
attention à Tétude subjective des délinquants.
En somme, tout le mérite de la nouvelle école est de
prendre sa classificalioD comme base essentielle de la
sanction répressive. C'est un vain et ridicule palliatif
d'évaluer les caractères difïérentiels à Teflet d'augmenter
ou d'abaîsser la peine d'un ou de deux degrés* A un
caractère, à une nature, à une susceptibilité diverse , doi^
vent correspondre des caractères, une nature et une essence
divers de sanctions répressives, ou rien n'est elTicaco.
Mais sera-ce avec le diagnostic et les criieria imaginés
jusqu'il présent que l'on veut établir cette classification
comme base essentielle de la pénalité?
tt Allons, confessons de nouveau que, du moins pour
l'heure, la science n'est pas en état (et qui sait quand elle
sera en état?) do pouvoir déterminer d'une manière suflî-
sammcnt exacte, comme il le faudrait, à laquelle des caté-
gories, étant donné que la notion et le nombre do celles-ci
fussent scientifiquement assuréFj peut appartenir un délin-
quant et même en mettant de côté l'anthropologie cl en
prenant pour de la bonne monnaie les con^^eptions exposées
précédemment, on no peut trouver la lumière dans les
métaphores employées, Ilestcertainement important d'ap-
précier le caractère et la susceptibilité d*un accusé, mais
d*une manière subordùunéOj réservée, comme l'exige Tétat
actuel des connaissances sur ce sujet, si nous voulons être
réellement et avant tout positifs et pratiques. 11 est pos-
sible que, en conséquence, dans un avenir plus ou moins
éloigné, la scient:e nous enseigne à découvrir, par la con-
formation du crâne et par des signes corporels, l'étûlîe
dont est fait le dêlinquant-né, habituel, par passion ou
par occasion. Mais, en attendant, vu le peu que nous sa-
vons, il est prudent de ne courir pas à bride abattue et
anticiper sur les postulats de la science , d'autant plus
que, comme nous l'avons vu, nous ne possédons pas du
tout de vrai critcria positifs, certains, qu'ils soient anthro-
pologiques ou non.
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1
— 156 —
Quelle belle chose se serait si, non seulement tous les
délinquants, mais tous les hommes pouvaient être classés
avec une rigueur scientifique et positive^ selon les caractères
respectifs, les habitudes, les tendances, etc! Lesystème de
la classification serait adopté comme une panacée univer-
selle et s'appliquerait, non seulement par rapport au
crime, mais eu égard à tout genre d*intenlion ou de fonc-
tion sociale. Qu'il serait commode, par exemple, de pré-
voir la conduite que tiendrait un commerçant, un indus-
triel, un orateur, un fonctionnaire, dans rexernice de leur
profession, fonction ou emploi! Comme il estconnu que les
affaires humaines marchent suivant la conscience et la mo-
ralité de ceux qui s'y appliquent, ce serait bien le cas
d'élever un monument à ces vaillants hommes, qui nous
enseigneraient à découvrir dans notre fournisseur, dans un
artiste ou un fonctionnaire une forte constitution psijchiqm
que n'entraîne pas Vimage tentatrice, qui résiste aux iem-
frètes psychologiques y ({wx en ^ommQ n'est pas atteint d'in-
^rmité morale. Mais, tant que la science ne nous donne
pas la clef de ce mystère, il n'y a pas de figure de rhéto-
rique qui puisse nous tirer d'embarras; il faut laisser cha-
cun ouvrir boutique à son gré, permettre à tout étudiant
d'apprendre par cœur les leçons de son^ maître et laisser
entrer dans les fonctions publiques quiconque satisfait aux
conditions exigées par les lois (1).
Quant aux délinquants, il y a plus, il se pose k leur
sujet une question préjudicielle. Si Ton admet que la
science soit en état ou puisse se mettre avec le temps en
état de les classer en quatre, cinq ou six catégories,
comme fait la botanique pour les plantes et la zoologie
pour les animaux, ce travail de classification ne pourrait
avoir qu'un résultat pratique très subordonné , et Ton ne
pourrait adopter ce critérium primitif dans la science du
magistère pénal. Revient alors la thèse sur Tobjectivité de
ce mystère. Et s'il reste suffisamment établi (comme je
(1) Page 87.
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- 1S7 ~
crois l'avoir démontré) que c'est le délit, non le délinquant,
qui représente celteobjectivilé, il faut se résignera replacer
à son poste d'honneur cette classification à tort méconnue
des délits; il faut r^ippeier cette proportion pénale qui
nous conseille, avant d'étudier le malade, de nous ins-
truire de la maladie, de déterminer le cbiffre de la peine
selon le caractère, les précédents, la moralité du coupable,
de la mesurer à reutité et à la qualité du délit, pour ne
pas tomber dans l'aberration, pour ne pas envoyer à la
potence Tîncorrigible auteur de contraventions à Fammo-
nition ou un coupable de pâture abusive, pour peu qu'il
soit reconnu et démontré un délinquant-né, ou condamner
à Tamende, à quelques mois de relégation, le traître à la
patrie, l'auteur d'un vol ou d'un assassinat, pourvu qu'on
atteste avec évidence qu'il est un coupable d'occasion ou
par passion.
Il faut toutefois noter par l'étude dinérentielle des
délinquants, subordonnée à celle des délits, qu*on dit a tort
être mise de côté par les criniinalistes modernes, ne se
limite pas, pour ceux-ci, à la considération de toutes ces
causes qui les augmentent ou diminuent, les excusent
nettement, les justifient ou les aggravent» qui, en rapport
avec toutes les conditions de sexe, d'âge, d'anomalies
organiques ou psychiques innées ou acquises, en rapport
avec la conduite précédente, avec Thabitudedu délit, avec
rinfluence des aHections, le caractère des motifs, font va-
rier, dans une même forme de délit, le degré d'imputation
et par conséquent le traitement pénal d'individu à indi-
vidu ; mais, selon les plus récents enseignements de la
science, elle constitue un des criterîa primitifs dans la
science des peines, quoique toujours d'une manière coor-
donnée avec le critérium du délit.
Depuis 1806, par conséquent longtemps avant les débuts
dé l'anthropologie criminelle , sur la proposition de
M. Pessina qui, certainement, n'est pas suspect d'avoir
été le prophète de la noutelle émit, la commission du
nouveau code pénal italien (séance du io mars) jetait les ba-
ses des deux systèmes parallèles de peines détentives selon
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-^ d'étude par M
- 158 -
la coaceptioD affirmée plus haut (séance du 16 décembre
1867), de « donner UQ caractère correctif a u X pei 11 es des ti nées
pour les délits de perversité, et celui d'une siinplo priva-
lion de la liberté aux peines pour les délits polïLiqucs et
de premier mouvement ». Cette conception et celte dualité
des peines furent maintenues et développâmes dans les pro-
jets successifs. Ainsi nous voyons figurer les deux séries
pénales dans le projet Vigliani, dans celui du Sénut de
1873. De môme dans le projet Mancini, lequel pourtant
complétnit le système avec une disposition (art. 77), auto-
risant le juge à appliquer Tune ou l'autre des peines
arallèles, selon le motif qui avait poussé au délit. Ces
spositions restèrent dans le projet approuvé par la
ambre en 1877 et dans celui qui fut laissé en cours
Zanardelii.
La disposition complémentaire fut supprimée par le
ministre Savelli, qui trouvait contraire à Tcspril moderne
de laisser ù la disposition du juge ce qui devait appartenir
au législateur, Tesprit de la loi étant do subordonner
l'espèce de peine à la nature du délit. Msiis M. Pessina,
étant arrivé au ministère, reprit le projet qu'il avait
présentç.
Un tel système pénal, de telles règles de prolecLion et les
raisons données à Tappui, semblent attester su fTisam nient
le soin pris par les criminalistes modernes pour tenir
compte de la personne de Taccusé, de sn nature, de son
caractère, de sa moralité, non pas d'une manière abstraite
sur la base de présomptions plus ou moins exactes, mais
grâce à la faculté discrétionnaire laissée au juge, d'une
manière concrète, dans la particularité de chaque cas et
de chaque individu.
Il est certain que la classification des délinquants, du
point de vue de l'impulsion, n'est que bien peu de cbosc,
comparée à la classification visée par la nontdk école.
«Mais, puisque les sources des arguments, des criteria dont
on prétend tirer cette fameuse classification, sont celles
que j'ai passées en examen, en vérité, il faut croire que
les apôtres de cette école doivent encore attendre un bon
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- 159 —
moment la lumière limpide et )éeondank des nouvQlles
conclusions de raothropûlogiecrimiaelle. Et en Pttendant,
ils me permettront d^apprécier autrement qu'eux ce quils
appellent, avec un souverain dédain, Ici^ prcmièrcis et incer-
taines lueurs de la doctrine romaine. Le système des peines
parallèles, en correspondant avec le caractère divers des
délits et des accusés, n'est que le développement d'une
conception qui existe depuis longtemps dans la législation
et dans la doctrine, trouvée par la sagesse des juriscon-
sultes romaias, remise en vigueur par le droit canonique,
systématiquement édifiée par la science contemporaine,
mise à la base de la réforme pénale nécessaire aujour-
d'hui )).
M. Lucchini passe ensuite à l'analyse du type crimi-
nel (1). Lliomme délinquant a subi une évolution
progressive : on commençait par le distinguer avec soin
des fous et de riiomme saiu d'esprit ; on en est venu â le
comprendre avec le fou moral, et tandis qu'on grossit tous
les jours la phalange des loua moraux, on diminue le
bataillon des délinquants pour faire place aux deux, trois
ou quatre autres classes de délinquants bûtards,
La fusion est digne de la science anthropologique. En
établissant Tanalogie et Tidentité entre le lou moral et le
délinquant-né, elle fait cesser un conflit entre les mora-
listes, les juristes et les aliénistes. Vous discutez les uns
contre les autres pour savoir si un tel est fou moral ou
délinquant- né; pour vous mettre d*accord, on vous donne
raison à tous les deux ; le sujet est à la fois un fou moral
et un délinquant-Dé.
C*est un fait curieux â noter que les mêmes données,
les mêmes arguments, les mêmes résultats, qui ont servi
à nous présenter le délinquant avant la fusion, tendent â
nous en donner le portrait, plus ou moins vivant et par-
lant, après la fusion. Seulement, à la place du chapitre
qui nous démontrait, comme deux et deux font quatre,
{]) CliapUre vu
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- 160 —
que le délinquant est un type complètement distinct du
fou moral, se trouve un chapitre qui prouve, comme un et
un font deux, que le fou moral fait la paire avec le délin-
quant, auquel on donne en dernier lieu Tattribut de
délinquant né. Il n'est pas moins curieux d'observer
comment, dans le développement des doctrines, on trouve
çà et là cet attribut accolé à ce substantif sans que l'im-
perturbable doctrine expérimentale en soit le moins du
monde troublée, et qu'elle cesse de répéter pour le délin-
quant-né le même ordre de recherches et d'argumentations
sur cette multitude de sujets, comme s'il s'agissait tou-
jours du délinquant qui est à naître.
On hésite beaucoup sur ce qu'il y a de fondé dans l'une
et l'autre donnée, qui se contredisent si radicalement
l'une l'autre, et qui cependant se remplacent l'une l'autre
successivement.
Voyons comment cette figure des délinquants est définie
par celui-là même qui Ta posée et illustrée.
La donnée principale est celle-ci, que le délinquant est
un être anomal , malade par arrêt de développement, et
en même temps un phénomène d'atavisme , une repro-
duction de l'homme sauvage.
Il ne s'agit plus de savoir si parmi les délinquants,
comme parmi tous les autres hommes qui ne commettent
pas d'action prévue par le Code pénal, il existe des natures
organiquement et psychiquement conformées ou réduites
par l'éducation et par le milieu, à ce point que pour elles
le monde des sensations, des besoins, des désirs, des
appétits, des sentiments, soit directement renversé, qu'ils
aiment ce qui est un objet de haine pour le commun des
hommes, et vice versa; qu'ils se complaisent en cela que
chez les autres existe de la répugnance, de l'aversion ;
qu'ils fuient les satisfactions et les attraits que recherche
l'homme en général. La variété immense des affections et
des idées nous présente déjà le mode de penser et de
sentir si divers d'homme à homme qu'il serait impossible
d'en trouver deux seulement qui offrissent une identité
constante d'idées et de sentiments, comme il ne serait pas
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— 161 —
possible de trouver deux choses, noo pas naêrne deux
moiécules identiques. De ces diversités dans les parti-
culiers la distance ii*est pas gnmde , à ce qu*on appelle
des excentricités, sans pourtant se heurter à Tune ou à
Tautre forme de lolie. Puis viennent en très petite pro-
portion ceux en qui la manière de penser et de sentir est
directement intervertie : ils fuient la société au Heu de la
rechercher j abhorrent l'autre sexe, ont en horreur les
beaux-arts, spécialement la musique, désertent le travail,
la famille, les enfants. Qui oserait nier qu'il existe do tels
malheureux? Mien détonnant à ce que, mèrae parmi
les délinquants, il se trouve en plus ou moins grand
nombre de ceux pour qui le délit est une seconde nature,
qui ne le subissent pas sous Tempire d'un concours de
circonstances extrêmes ou par faiblesse individuelle à y
faire face ; mais parce que pour eux il représente un bien
souhaité» un désir naturel a satisfaire, l'incarnation de leurs
appétits et de leur caractère. Et cela, on le remarque
aussi chez les animaux, parmi les chevaux, chiens, etc,
au milieu desquels se rencontrent quelquefois des
exemples de monstruosité morale, comme parmi les ani-
maux et les hommes se rencontrent plus ou moins fré-
quemment des exemples de monstruosité physique.
Tout cela a été toujours universellement connu et admis,
et il n'est pas besoin d'attendre les réponses de la science
pour s'en persuader. Il asembléque c'était du temps perdu
d'en donner la preuve, et non seulement en accumulant
les exemples sur les exemples, assez souvent très discu-
tables, de sujets communs criminels, mais encore en nous
présentant, à titre de genèse des tendances criminelles,
autant de sujets animaux qui se comportent d'une manière
analogue dans leur race respective. 11 est très douteux si
c'est par des conditions congénitales ou par des circon-
stances externes qu'ils sout instruits à commettre des
délits.
Le nœud de la question, de laquelle dérive le caractère
propre et original de Tanthropologie moderne, no consiste
pas par conséquent à savoir si parmi les délinquants
11
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- 162 -
existent ces êtres dépravés et brutaux, récalcitrants à tout
frein et a tout seutiment honnête, tel qu'on les décrit trop
souvent dans les romans et sur le théâtre; et telle n'est
pas ridée caractéristique de la nouvelle école. Elle s'occupe
plutôt de démontrer : !<> que, sinon la majorité, près de la
moitié appartient à cette malheureuse tribu des prédesti-
nés au crime; 2° que cette prédestination est déterminée
par des conditions organiques congénitales non modiCa-
blés ; 3^ que par conséquent, l'examen anthropologique du
délinquant donne lA preuve de son caractère. Et cela sans
compter que ledit caractère anthropologique ne ferait pas
défaut dans les autres sujets, quoiqu'ils ne fussent pas
délinquants-nés.
On comprend sans peine comment il y a un abîme entre
le Init ci-devant signalé et les données maintenant indi-
quées. Eh bien! voici comment l'auteur de VUomo delm-
qumte le comble :
K L'anthropologie criminelle a prétendu appeler à son
aide toutes les sciences biologiques et psychologiques pour
photographier le type criminel, et a été accusée de res-
treindre ses études à la seule criminologie. Il est bien
vrai qu'elle a montré sa préférence pour celle-ci, parce
qu'il lui suffit d'avoir entre les mains un crâne avec des
anomalies, pour porter un diagnostic et déclarer le délin-
quant-né infailliblement convaincu. Mais il est juste de
reconnaître que les recherches ont été poussées plus avant,
comprenant jusqu'à la rougeur du visage, l'écriture et les
chansonnettes usitées.
^ Avec la multiplication des observations et des mensu-
rations du crâne, les résultats ont été des plus négatifs,
sans tenir compte des conclusions absolument négatives
d'aothropologistes et d'anatomistes de la valeur de Mante-
gazza, etc. Ceux mêmes qui se trouvaient engagés à soute-
nir le type criminel se sont vus forcés de conclure que ces
recherches ne correspondent pas au désir dans l'exécution.
Il suffit d'un regard sur la table où sont résumés les résul-
tats multiples des observations, qui sont en complet dé-
saccord, pour comprendre la stérilité des conclusions
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..^n^UJl
^ 163 —
auxquelles on arrive, eu voulant tout analyser pour en
tirer un tout homogène. r>
Du reste, il s*agit d'au moins soixante anomalies, toutes
relatives au crâne, et, pour la plus grande partie, appré-
ciables à la discrétion des observateurs, qui regardent ce
développement et les dimensions plus ou moins grandes ;
on comprend bien comment, avec ces recherches faites sur
un nombre de minimum de sujets, un peu de bonne
volonté aidant, les résultats peuvent répondre au désir. En
toute cette ailaire, les anomalies crâniennes, peut-être
parce qu'elles sont moins à la portée des profanes, portent
sur un petit nombre de traits inorganiques, désagrégés,
dans lesquels on a prétendu justifier les incohérences évi-
dentes entre les obversations de Tun et de l'autre, pour
aboutir à une opposition plus incohérente encore entre
les crimes des délinquants, ceux des hommes sains, des
fous et des sauvages. A propos de ces derniers, M. Luc-
chini fait une remarque d'un intérêt général : quand on
parle des sauvages, avec l'intention de se référer aux races
humaines qui ont précédé la nôtre, on ne peut faire ce
que font les nombreux anthropologistes, toucher au point
de comparaison chez les hommes plus ou moins sauvages
du temps présent, Indiens, Chinois, Noirs, Malais, qui
présentent une masse de révolutions, laquelle, à côté du
souvenir des origines humaines, montre un mélange de
conditions et de circonstances susceptibles de modifier
profondément leurs organismes.
« Si les résultats fragmentaires et incohérents de l'examen
crâniologique ne viennent pas à l'appui de la thèse, quelle
valeur scientifique auront ceux qu'on obtient en appli-
quant le mètre et le compas aux tètes vivantes? Quant
M. Amadei ne l'aurait pas remarqué, on comprend facile-
ment combien la crànioraétrie sur le vif doit être impar-
faite, à cause de l'enveloppe charnue des appendices carti-
lagineux et des cheveux qui s'interposent entre la boîte
osseuse et les intruments de mesurage. Mais l'étrange est
que des vivants donnent souvent des résultats opposés à
ceux des morts ou présentent des anomalies auxquelles on
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— 164 —
attribue une importance qu'on ne calcule pas dans leur
examen, à cause de la diversité du contingent. Aussi la
capacité crânienne ne serait plus anomale par défaut,
mais par excès, spécialement dans les homicides ; la hau-
teur du front qui, dans ces crânes, était laissée de côté,
est t^evée chez les vivants, à une haute dignité ; on peut en
dire autaot de la circonférence inférieure et du diamètre
mandibulaire qui étaient reconnus comme ne concluant
pas sur les crânes morts, tandis que le front fuyant s'éva-
nouit, le nombre 31 que fournissaient les crânes des morts
se réduisant à 9 %.
Mais il ne s'agit pas seulement dé la rareté et de l'inco-
hérence des données et d'une plus grande rareté dans les
résultats différentiels, que les anthropologistes eux-mêmes
de la itoucelle école reconnaissent bien, ou d'une apprécia-
tion peu bienveillante ou préjugée de tel ou tel méthaphy-
sicieu sur les déductions qu'on en tire. Il s'agit des résul-
tais combattus et contredits par d'autres anthropologistes
et anatomistes, qui, sans être inscrits à ladite école, n'en
sont pas moins compétents et autorisés dans la matière.
A part ïes déclarations générales, mais explicites, du prési-
dent de la Société anthropologique italienne, qui nie abso-
lument qu'il y ait rien de sérieux dans les études ^r la
configuration typique du crâne, comme, en général, dans
le type anthropologique des délinquants, et d'autres spé-
cialistes réputés, voici un anatomiste italien, Monti, et un
anthropologiste étranger, M. Huger, président de la Société
anthropologique belge, qui rejettent solennellement les
rares résultats allégués par les maîtres de la nouvelle
éeok^ et non pas avec de vagues assertions, mais avec des
faits et des données scrupuleusement certifiés et recueillis.
M. MoiUi, en examinant 92 crânes de délinquants, pres-
que tous homicides, qui se rencontrent presque tous au
musée de Bologne, a trouvé par exemple, par rapport à
Undex cèphalique, « que le degré des divers types appar-
tenant aux individus d'une même province (comme étaient
ceux des crânes examinés et comparés d'individus sains
et fous du même pays), ne change pas, quoiqu'ils appar-
y
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— 165 —
lîeuDent à des individus sains ou fous ou délinquants ; que
l'asymétrie dans les crânes des malfaiteurs est moins fré-
quente que dans les crânes des fous et des gens sains ; que
la circonférence verticale longitudinale est à peu près égale
dans les Bolonais sains, fous ou délinquants; quil y a
égalité de circonférence verticale transversale entre les
délinquants et les fous et le diamètre transversal du grand
forum occipital. Quant â la face, à laquelle la nouvelle
phrénologie anthropologique assignait la localisation éma-
lionnelle, après avoir noté qu'il n'y a pas de dilïérenees
apprécialjles par rapport au fameux prognatisme, à la
longueur de la face elle-niôme, de la non moins fameuse
obliquité des orbites (qui suivrait proportionnellement la
longueur du nez, ce qui ferait que le nez serait plus ou
moins long suivant Taptitudeet la facilité a commettre des
délits), et de la longueur de la portion maxillaire; puis,
après avoir réduit à de jusles termes les anomalies de la
face supérieure, dents canines, mandibules, qui pèseraient
moins dans les malfaiteurs, au coutraîre de ce qu'affirme
M. Manouvrier, il arrive à cette j^rave conclusion, intuitive
si Ton veut : a Dans Tétude comparative du squelette de la
face des malEaiteurs, nous n'avons pas trouvé de carac-
tères spéciaux qui dussent les dillérencier des autres, et
par conséquent cette empreinte de Tassassinat, qui se ren-
contre dans le visage de ces individus, doit être attribuée
non au squelette, mais à l'attitude que prennent les parties
velues de la face par suite de déterminations contenues
et coupables de la volonté (sur les crdnes des délin-
quants) IL
Meyer nous fait connaître le résultat de ses diligentes
éteécr"Sïïf la beauté de 13â crânes, en grande partie d'as-
sassins exhumés par la justice, des musées de Bruxelles,
Liège et Gand, mesurés et disséqués au moyen des systè-
mes et des instruments les plus perfectionnés, et eux
aussi rebelles à la voix de la nouceUe école. Les données
recueillies par Meyer confirment que l'index céphalique
ne peut servir à caractériser les délinquants, que Toccipul
ne présente pas la fossette que M. Lombroso disait avoir
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— 166 —
8\ souveat trouvée chez les assassins italiens » que le
diamètre frontal n'offre rien de particulier pour ce qui
coDcerne les assassins; que les dimensions de la face,
des mâchoires, des zygômes, des orbites, répondent au
caractère de la race et n'ont rien de commun avec le déve-
loppement énorme des os zygmatiques, considéré par
M* Lombroso comme propre aux assassins, et que, en
résumé, les assassins ne constituent nullement une variété
de l'espèce ; un assassin bruxellois ressemble beaucoup
p]uB à un autre Bruxellois non assassin, qu'à un crâne
quelconque de la série des assassins liégeois. ^
£n présence de ces résultats non hypothétiques, mais
directs, expérimentaux, établis sur des séries de sujets
assez considérables et suffisamment homogènes, obtenus
par des observateurs autorisés et respectables à tous
égards, sujets à un contrôle facile, comment se soutien-
nent les prétendus résultats obtenus par les anthropo-
logues théoriques ? (1).
a Ceci est la partie qu'on pourrait dire étroitement scien-
litique de la théorie, celle où domine l'observation tech-
nique, directe, sur l'organisme humain. D'où me semble
résulter une seule chose à savoir, que l'anthropologie
n'arrive à démontrer que le manque ou le défaut de
connaissance, si Ton aime mieux, de caractères déter-
minés et constants qui servent h distinguer nettement un
homme délinquant d'un homme normal, comme la science
n*cst p^s encore parvenue à distinguer, toujours au regard
de raulliiopologie, un sage d'un fou (chose qui devrait
sembler beaucoup plus facile).
ti Et si tels sont, sans doute, les résultats de cette re-
cherche anthropologique, de manière que les apôtres de
la foi positiviste concluent que les caractères purement
anthropologiques ne peuvent fournir qu'un critérium
mb&idiaire pour reconnaître un délinquant instinctif, ne
scrait'il pas prudent d'attendre, en travaillant à l'indue-
(Il Pages 1C4, 106.
I
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— 1(17 -
lîoo, avant d'arriver aux fànneuscs doctrines qui doivent
renverser toutes les sciences du droit pénal? » (1).
Mais la ferveur anLhroiioIogique ne s'arrête pas aux
recherches anatomiques, à Tétude du corps. Après avoir
repoussé comme une calomnie h tacliede vouloir restau-
rer la phrénoloî^ic, ranthropologie théorique est allée
chercher dans les profocdcurs, dans les Qoyfles» dans les
couches, les indices qui doivent lui révéler son homme.
Elle qui proteste que Lnvaler et ceux qui l'ont suivi ne
sont que des visionnaires, elle demande à la couleur du
poil, rie la peau, de ririSp a la position des oreilles, du
nez, des dents, des yeux, des cheveux, à la mauière de
regarder, de rire ou de pleurer , ces révélations que le
crùne, le cerveau et les entrailles n'onl pas voulu lournir.
Mais tout se réduit encore à quelque description de types
plus ou moins sortie du cerveau, accompagnée de quelques
laides figures honorées do plusieurs éditionsi à qui Ton
oppose d'autres fif^ures plus ou moins communes ou qui
ont l'empreinte du génie, et à réoumération de quelques
rares sujets pris sur cent dans un nombre déjà infime ; et
tout cela, sans avoir pu faire la comparaison avec les
hommes honnêtes. Je dis mal ; la comparaison est faite
une fois par rapport à la couleur des cheveux, et elle
aboutît à direque, dans l'ensemble, bien quHI n'y ait pas
peu d'homicides avec le poîl blond, la prépondérance est
toujours aux bruns, peut-être parce que la couleur blonde
s'unit à un corps moins robuste* Sur ce poil blond, il est
permis de douter beaucoup, quand la pensée se reporto
seulement au type du Nord, tandis que sur le tempérament
robuste il n'y aurait rien à redire, et que même un pro-
fane en anthropologie remarquerait facilement que» pour
assommer son prochain, il ne faut pas avoir un tempéra-
ment flasque et mou, un coeur de lapin, un caractère
timide et peureux,
A ce propos deux pensées reviennent à Tesprit: la pre-
(1) Paga 111.
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- 168 —
mièrej c'est qu'à toute espèce d'activité criminelle doit
correspondre uù tempérament spécial, une aptitude
psychologique^ une prédisposition organique et morale
corrélative, à laquelle correspondront éventuellement, à
leur tour, les signes externes (le corps svelte ou robuste,
agilité ou perspicacité, caractère sanguin ou lymphatique,
expression (îêre ou bonasse du visage, négligence ou re-
cherche des manières, des vêtements, du langage); et la
deuxième, c'est que toute forme d'activité criminelle ayant
réquivalent opposé d'activité honnête ou relativement
bonnéte (Hiomicide, par exemple, trouve en face de lui
la police ou Farruée, l'adresse commerciale, etc.). Ce môme
tempérament , prédisposition , aptitude et caractéristi-
ques, rechercheront cette bonne et honorable activité.
Et alors, de tels caractères seront indifférents pour bien
des natures criminelles, à moins que la preuve de cette
nature ne sorte du délit qui leur est imputé, ce qui rend
inutile l'horoscope anthropologique (1).
Qu'on ne dise pas que cette comparaison tentée ne peut
être achevée, parce que l'opposition des caractéristiques
lait défaut dans les individus normaux. Elle ferait défaut,
en ce sens qu'au contingent des exemples d'une spécialité
criminelle donnée ne s'oppose pas le contingent d'autant
d'exemples dans la spécialité analogue non criminelle,
pendant que, jusqu'à présent, à un certain nombre de
voleurs et d'assassins on est venu comparer une masse
incohérente d'hommes normaux.
« Mais je retire, plein d'horreur, le pied du scabreux
sentier de la métaphysique anthropologique où je m'étais
aventuré; quoique, à propos de faussaires et d'escrocs, je
trouve VUônw driinquente lui-même qui me donne raison,
en observant que beaucoup avaient une physionomie
empreinte d'une bonhomie régulière, rappelant la phy-
sionomie rlérkak qui, du reste, dans leur triste carrière,
était une condition nécessaire pour ne mettre pas en garde
(1) Pagen3.
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-..^lii
~ 169 —
la victime î — Oh ! les malioâ, qui dans 1b seio de leur
mère (coupables-nés) se sout assuré la bonhomie de la face
pour tromper leur victime » (Ij,
Du reste, qui ne reconnaît, même sans être anthropo-
logue ou lils d'anthropologue, que souvent (nous uoua
appliquons aussi une pas exapférer), surtout s1l s'agit d'un
délinquant d'babitude, d'un détenu sans barbe, on lit le
délit, et non seulement sur sa face, mais aussi dans toute
sa personne, dans ses gestes, dans son parler, dans son
regard ; comme d'après des signes semblables on connaît
le soldat, l'ouvrier, Fartiste, le préire, le facckino, le
paysan, même sans qu*il porte les insignes de sa pro-
fession.
Les anthropologis tes ne veulent pas entendre parler de
cela, et alors, avec leur babiluelle tranquillité, ils mettent
ep avant le type du délinquant; en générai, la plupart des
délinquants ont les oreilles ouvertes, les cheveux abon-
dants, la barbe rare, un type ressemblant au mongol et
quelquefois au nègre. Pauvres mongols qui deviendraient
une bonne pâte de cens s'ils étaient mieux élevés! en
comparaison avec bien des espèces de la racecaucasique!
L'anthropologue, qui lient surtout à jicagner de Tascen-
dantsur les masses, ne se contente pas de rapporter les ré-
sultats de ses observations et de ses impressions propres,
il veut aussi s'associer le lecteur. Et, après avoir surpris
l'imagination dès le frontispice du livre, avec ces cinq ou
six figures de brutes dont j'ai déjà parlé, photographies de
délinquants de tel on tel pays, auteurs de tel ou tel crime,
mêlés et groupés, il les présente reproduits et réduits, de
manière à faire dire que ce sont là les vraies tables par-
lantes du délinquant,
a On a déjà observé que la vue de ce caléîdoscope pho-
tographique, où Ton ne cherche pas les tètes les plus insi-
gniOantes, produit un effet parfaitement contraire à celui
qu'on voulait obtenir, toutes les létes paraissent en grand
(1) Page 114.
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— 170 —
Donibre, régulières et géniales, et, pour Ig plus graod
nombre» indidérentes. A cette impressioo l'anthropologue
répondra, naturellement, en haussant las épaules, que
c'est certainement le fruit de la prévention, de \n myopie,
d'une certaine direction d'esprit. Va pour la myopie, qui,
au dire des anthropologues, serait une des caractéristiques
de l'homme civil, pendant que l'acuité de la vue devrait
être un indice d'atavisme; va encore pou r lïi brièveté d'es*
prit. Mais, quant à la prévention, qui pourrait tiès bien
vutler rintelligence, il faudrait que les anthropologues
eux-mêmes fussent les premiers à s'en dépouiller. Quand,
en eflet, on voit faire le diagnostic de Thom me avec une
photographie pour base, quand on voit retracer les dlmon<
slons des mandibules dans les portraits des hommes qui
portent la barbe (23 Vo), la rareté de la barbe sur les faces
rasées par le barbier, le strabisme (plusieurs ont des lu-
nettes et les yeux fermés ù dessein, on le note à cause de
rimportance de cet indice), la physionomie douce, mais
fausse; quand on prétend découvrir tout cela et d'autres
belles choses dans les photographies^ il me semble qu'il
faut do la bonne volonté pour venir à une conclusion.
Allons! la chose n'est pas sérieuse et fait souvenir de cer-
tains épisodes de superstition et d'hallucination humaines,
quij mémo aujourd'hui, sont assez fréf]uenLs, où, non pas
une ou deux personnes, mais une foute de peuple voit des
apparitions miraculeuses de saints et de madones » (1)-
C'est un phénomène psychologique assez élémentaire,
mais qu'il ne faut pas laisser passer inaperçu. L'esprit
élevé dans un ordre d'idées donné, mû par certaines vues
particulières caressées pendant longtemps, se trouve natu-
rellement disposé à en lire le reflet dans tous les faits et
toutes les choses qui paraissent y donner lieu , quelque
lucide et sereine que soit l'inlelligence, et plus Tcsprit est
vif, plus il travaille ù voir dans le inonde externe son
idéal de prédilection. C'est un soin long et minutieux, de
(l) Page 116.
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— 17i —
chercher partout la correspondance, et ane satisfaction
inellable de se persuader que tout procède selon nos
désirs. Dans une telle diapositîon d*esprit, il est trop natu-
rel que, dans Ja femme aimée, vous n*apercevîez pas les
petites et grosses taches, que dans les cérémonies de tous
ceux qui nous cntoiïrent, nous ne voyions qu'autant
d'expressions de sincère estime, que dans les vicissitudes
sociales et politiques, nous nous imaginions que tout se
conforme à lldéal du gouvernement qui se dresse dans nos
aspirations, et ainsi de suite.
Il arrive aussi que nous agrandissons, sans nous en
apercevoir, ce qui nous concerne, en i^petissnnt et même
en n'apercevant pas ce qui ne nous concerne pas, et nos
sens, déjà si faillibles à apercevoir la qualité des choses
internes, nous secondent ù merveille en nous faisant croire,
voir, entendre cl toucher ce qui n'existe pas réellement «i
vice versa. Tout cela de très t)onnc foi et avec la certitude
morale de ne pas nous tromper. L'expérience démontre
f|n'il n*est pas dilTicile que les préoccupations scientifiques
deTétudiant exercent leur inlluence sur la reproduction
et le calcul arithmétique des chiffres.
Par conséquent, on ne doit pas s'étonner si un partisan
deTanthropolo^ie criminelle, en palpant les crânes, croit,
par une illusion du tact, découvrir des choses là où elles
n'existent pas, ou par une illusion de la vue sur les pho-
tographies, voir rœil sinistre et noir, la où au contraire il
était doux et insignifiant.
De toute manière, cette diagnose, opérée sur les photo-
graphies, ne nflènc pas à des résultats anthropologiques
trop satisfaisants. Les plus lameuses caractéristiques de
l* homme iîéUnquauî, même dans ces portraits choisis au
hasard, seraient représentées par ries chifïres misérables
sur cent ; oreilles à anse, 18 Vol front fuyant, S Vo ;
prognatisme, 4 °/o; asymétrie faciale et front bas et étroit,
3 *^/o, et le caractère typique, par ce concours de deux
anomalies physîooomiques et plus, 23 ^/o^ eu comparaison
de 16 % où se rencontre le manque total de caractère
morbide, toujours en parlant de sujets choisie au hasanL
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â
^
— 172 —
Doûc la délinquance peut exister sans type crinaineL Et,
puisque le type anormal peut aussi exister sans délin-
quance, quoiqu'on ne comprenne pas comment, parmi
les 213 sur 400 normaux qu'on dit avoir examinés, on peut
certifier Texistence de plusieurs avec des tendances cri-
mineJîes (dans l'espèce de ce très riche seigneur, qui
déclarait que, s'il avait été pauvre, il aurait été voleur,
assassin même), à quoi bon alors la recherche physiono -
mique ? Mais on dira : c'est une conlirmation des données
anthropométriques. Mais les données craniologiques ne
donneraient pas moins de 58 Vt> ou au moins 43 "/o;
alors la confirmation manquerait pour la moilié! on
ajoutera : Le type sert à caractériser les coupables-nés
et pas les autres. Ces données anthropométriques devraient
également concorder à la fois (ceci est encore plus curieux):
en classant, il n'apparaît pas avec quel critérium^ les
sujets de 213 photographies, on trouve que, dans les délin-
quants par passions, le type criminel surpasse la moyenne
précédemment signalée, allant jusqu'à près de 25 ^/a, et
reste à peu de distance de celle qu*on appelle les coupables
d'occasion (19 o/o).
En attendant, rendant hommage aux proverbes popu-
JaireSj élevés par l'anthropologie criminelle à la hauteur
de la dignité scientifique, il faudrait éliminer toutes les
lemmes {en certains lieux il y en a à profusion) et les
hommes imberbes, parce que « peu de barbe et aucune
couleur sous le ciel, il n'y a rien de pis. )) Faisons des
vœux pour que cela n'arrive pas pour l'heure, en attendant
que les nouveaux magistrats anthropologues puissent
découvrir et confondre, non pas l'assassin qui a déjà
refroidi sa victime, mais celui qui se dispose à le faire,
avec la divination de ce comte de N... cité par Lavater,
qui, rien qu'à voir la physionomie bouleversée d'un ami,
lui dit : Vous n'êtes qu'un assassin, et obtint du malheu-
reux, devenu pâle, l'aveu que c'était vrai»
Mais jusqu'ici il ne s'agit que d'une étude anatomique
et anthropométrique, bien que la première soit exclusive-
ment circonscrite à cette malheureuse boîte osseuse qui
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~ 173 "-
fait faire tant de mauvaises plaisanteries au ^enre humain,
et la seconde étenrLueavec les illuslralioris physionomiques
dont nous avons parlé; de Texamen du corps on passe à
l'exameii de Tàrae, toujours pour trouver la coniiraiation
successive du type criminel, el ici encore il faut nous
arrêter (1)*
Le chemin serait long à parcourir, si nous voulions
passer en revue toutes les données, toutes les appréciations,
qui se mettent en avant, s'accumulent, se mêlent comme
une vraie fanlasmagorici pour nous faire comprendre
comment tout conjure à inoculer le type de ce malbeu-
reux délinquant. Le tatouage, la sensibilité, la religion,
rinteliîgence, Tinstruction, l'argot, récriture, mt^me la
littérature font les frais de cette décadence psychique, dans
laquelle on ne sait qu'admirer le plus de la fantaisie de
l'observateur, ou de Tingénieuse habileté du dialecticien.
Si toute cette étude biologique, plus sérieusement déve-
loppée, sans prétentions et sans préoccupation de ces
fameux résumés, surtout sans inductions exagérées et pré-
cipitées, avait pour but l'analyse psychologique du délin-
quant, ou mieux, de la classe du délinquant, pour en con-
naître les mœurs, la manière de penser et de sentir, le
milieu moral où il respire, la susceptibilité jointe à la
capacité d'amendement, ce serait la chose la plus intéres-
sante du monde. Le législateur, T boni me de gouverne-
ment, le fonctionnaire de police, celui qui étudie les sciences
pénales et pénitentiaires, y devraient apprendre beaucoup,
et la psychologie mériterait vraiment, plus qu'aujour-
d'hui, de tout cet ensemble de lois et d'institutions qui
tendent à la répression et à la prévention des délits , sans
parler du prolil qui en reviendrait à la même branche de
savoir qui scrute les fonctions et les mystères de riotelli-
gence humaine, en relation avec les causes qui en déter-
minent l'activité* De la sorte, la biologie et la psychologie,
plus directement dans la science et Tadministration des
{1) Page 119.
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— 174 —
prisons, plus ladirectement, au regard de la péualité et de
la police, devraient être considérées comme des sciences
auxiliaires et complémentaires à cultiver avec un soin
amoureux (1).
Malheureusement, cette thèse bénàe, qui vetrt trouver
partout des indices paur coBftrnier Tétat anomal, Tarrct du
développeoaeni et Tatavisme chez les délinquants, nous
retarde et compromet le puissant secours que la psycho-
logie, sainement entendue, devrait apporter. Et cette
recherche maladive du délinquant a désorganisé la science
et enlève toute sécurité à l'observation, dégagée de toute
règle systématiqueicomme elle Test au service de théories
préconçues et paradoxales.
Que le vrai ait le dessus; avant tout, le nombre des
sujets à examiner est toujours arbitraire et équivoque; le
plus souvent la manière de les déterminer est vague. Par
exemple, pour le tatouage, on met confusément ensemble
soldats et bourgeois, Français et Itnlicus, adultes et
mineurs; on parle de détenus, de mineurs emprisonnés,
de délinquants et de gens emprisonnés dans un seul éta-
blissement, sans nous faire savoir s'ils sont déjà condam-
nés ou si ce sont des gens à corriger; pour la sensibilité
physique, on parle de 68 criminels, sans dire de quelle
espèce ; on expose des observations algométriqucs sur 5 in-
dividus, ailleurs on étudie la vision d'un certain nombre
de criminels très jeunes, on limite l'examen de la réaction
vitale aux mineurs et aux prostituées; pour l'écriture, la
confusion, Tindétermination et la rareté des sujets se don-
nent la main ; pour la littérature, on ne nous offre qu'une
anthologie de chansonnettes populaires et d'airs de pri-
sons (2).
Mais ensuite, pénétrons dans le mérite des arguments;
il devient difficile d'entendre Timportance anthropoloiiiquc
attribuée au tatouage, quand on trouve, par exemple, le
(1) Pages 110. 1?0.
(2) M, 120.
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— 175 "-
CDDlîn^eiit de ceux qui en portent les traces extrêmement
variables (1 à 18 Vo parmi les soldats italîeas, 20 V^ parmi
les soldats français, 40 parmi les mineurs de la Générale^
et puis à peine 6 % parmi les adultes dans les prisons de
Turin, Pavie et Bergamc]; quand il n'est pns possible de
faire des comparaisons avec la population libre (il est
déjà assez ditlicile d*eii faire une avec la population spé-
ciale des casernes) , ou quand on nous fait savoir que, daus
une réunion considérable du Piémont même, il y eut vingt
associés qui se tatouèrent à Tépoque de la clôture, comment
peut-on soutenir que le tatouage ait une relation quel-
conque avec la délinquance? Gomment le ranger parmi
les causes qui déterminent la vengeance, lorsqu'une seule
, fois on en retrouvera le symbole? Et comment ne saule-til
pas aux yeux, en laissant de côté le temps où le tatouage
fut opéré, que la cause première, sans compter le loisir et
rimitation, est la manière de vivre particulière au milieu,
ce qui le rend précisément plus fréquent parmi les gens de
mer, les mineurs et les soldats (i).
L*auteur énumère rapidement ; mais on le voit, le résul-
tiU do ses propres recherches est tout à fait contraire à celui
que tire des siennes Lombroso, sur Tàge, Torigine, la
profession, la couleur du poil, la sensibilité physique ou
morale, la religion, l'argotp récriture.
« C*e5t une chose contradictoire que de tirer de la statis-
tique do la récidive une preuve caractéristique d'un cri-
minel inné, quand lesanthropologues sont forcés de recon-
naître que le régime des prisons est la cause principale de
la récidive » (2).
(3) Après avoir apprécié pour ce qu^elles valent les expé-
riences et les déductions faites à propos de ce qu'on a
appelé rétude biologique et psychologique du délinquant,
et évalué ses caractéristiques hypothétiques résultant de
(1) PageiaK
(3) M. ui, cb, VII : Type criminel, aynihfrae.
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T^
— 176 —
rexamendelaseQsibilitéetd^ raft«ctivité,dii langage et de
l'écriture, delaroligioûétderinslructioû, la confiance avec
laquelleon prétend coiicl y re: voici le type de rtionime-dêlia-
quant, c'est-à-dire tic corps et d'Ame diffèrent des autres
hommes, coDgénitalemeot déformé, anomal daDssoo orga-
nisme et dans toutes les manifestations de son individua-
lité, et cela par dégénéra tien et par arrêt de développement
et en même temps par atavisme, parait devoir nous sur-
prendre.
Si l'on admet, pour un instant, l'existence réelle des
caractéristiques et anomalies, une objection générale
se présente aussitôt. L'observation expérimentale, par
laquelle elles seraient constituées, ne concerne presque
jamais ni le même choix, ni le même nombre de sujets
examinés, tandis que chacune des expériences plus ou
moins fondées dont il est parlé plus haut concerne un
contingent plus ou moins moyen, toujours diJTéreni.
Toutes les recherciies, soit sur le corps, soit sur lïime,
ont pour objet ce contingent plus ou moins grand d'indi-
vidus qui portent le stigmate légal delà délinquance, mais
sans arrivera une conclusion, qui, dans ce nombre inco-
hérent de sujets, nous fasse reconnaître et distinj^uer
l^une de l'autre les classes des coupables^ ou qui nous
amène à établir le concours des prétendues caractéris-
tiques correspondantes dans un nombre donné de sujets
examinés. Ainsi^ pour donner un exemple, l'étude anUiro-
pométrique concerne quelques centaines de prisonniers
qui n'ont rien à voir avec le petit nombre de douzaines
d'individus soumis aux expérimentations sphigraogra-
phiques;la physionomie est explorée dans les condamnés
appartenant aux nationalités les plus variées, tjui sont tout
à fait étrangers aux données sur le tatouage ou sur l'argot,
et sur l'écriture desquels on ne sait absolument rien. Per-
sonne ne sait quelles affections et quelles pensées agî-
tèreuL les cerveaux de ces 350 crânes, qui appartenaient
à des délinquants de toute race et de toute espèce, mesu-
rés avec les systèmes et les instruments les plus divers. Par
conséquent, en admettant que les observations fragmen-
/Google «i*
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— 177 —
taires t;t désagrégées coiTespondisseulà Ja vérité, on igiioro
absolament sî dans chacun des sujets examinés» el du
moias dans la plus içrimde partie, concourraient tous les
caractères essentiels ou la plupart descaracltres ossentiels
qui distingueraient, au dire des anthropologues, le type
criminel. Il me parait que, si un caractère typique est la
luicrocépliaVie, el un autre le frout fuyaut, et un autre
l'acuité de vue, et encore un autre le fait que Ton rougit
d*uno seule joue, et ainsi de suite, mais que le délinquant
est microcépliaie , a le front légèrement recourbé, y
voit peu et rougit également des deux joues, ou ne peut
pas le regarder comme une incarnation du type. Et si pré*
cisémeut ces diverses recherches regardent toujours des
sujets divers, qui nous dira que, ayant rencontré nn ou
plusieurs caractères de la même série^ on n'y trouve pas
joints d'autres caractères des autres séries, pourtant regar-
dés comme appartenant au type eu question ? Peut-être
tous les hommes seront-ils au milieu de cette masse d'indi-
vidus mesurés, pesés, éleclrisés, interrogés, etc., qui pré-
senteront chacun un ou beaucoup des caractères indiqués;
si pourtant il en est, ils constituent une exception échap-
pant à toute appréciation systématique. Maintenant, si ces
fameux caractères varientd'un sujet à un autre, qui attes-
tera quand il y aura ou quand il n'y aura pas le type cri-
minel? [1).
Et alors ce u^est plus les hommes- délinquants, mais
la masse des hommes-délinquants qu'on étudie ; dans
cette masse, quand robservalion se limite à peu de
sujets, choisis comme il faut, il ne sera pas diificile, à
cause des particularités de la vie, des travaux, du milieu,
de trouver Tune ou Tautre de plusieurs des anomalies
hypothétiques qui, d'ailleurs, ne feront pas défaut chez les
hommes normaux! <r J'insiste, dit M. Lucchini, sur ce défaut
de méthode, précisément parce que les anomalies, qu'on
prétend les plus saillantes, sont celles qui regardent non
Uj Page ik*.
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— 178 —
le crÂae et les organes du corps, mats les maDifestatioas
psychiques » (i).
Avec un peu de bonne volonté, je crois (c'est ainsi qu'on
raisonne maintenant dans la science) que, si Ton se met-
tait à étudier anthropologiqueinenl magistrats et avocats,
prêtres et soldats, dans chacun de ces groupes sociaux, on
trouverait facilement, en commençant par le crâne et par
la face, pour finir par l'argot et par récriture, tout ce qui
sufTit pour établir un type; et Ton aurait ainsi Thomme-
légfsle, rhomnie-prôtre; et, si les anthropologues se met-
taient sincèrement à Touvragc, nous aurions bien vite une
bibliothèiiue anthropologico-religieuse , anthropologico-
militaire, etc., comme nous avons déJK une bibliothèque
anthropologico-juridique, qui, du reste, n'est pas plus an-
thropologique que juridique (2).
Dailleurs, quand on pourrait admettre {chose absurde et
contradictoire) qu'un caractère fût suffisant pour former
un type, même sans être accompagné, même en étant con-
tredit par d'autres, les contingents respectifs, très variables,
seraient tout à fait rebelles à un calcul constant et homo-
gène. L'anthropologie s'en aperçoit^ quand, faisant son
titre, avec cette facilité d'appréciation qui lui est familière,
elle constate que les exemples donnés fourniraient par
exemple un type de 23 Vm, tandis que le terrible indice de
la mâchoire fournirait 36, le manque dn barbe seulemeot
3% la cràniologie 38, le tatouage 10 «/u, et la sensibilité
générale amoindrie 6 ^o*
Eh bien ! a quoi peuvent servir ces observations frag-
mentaires et cependant prétentieuses, quand on n'arrive
pas à savoir si sur 100 délinquants il y en a 10 ou 40, 20
ou 60 qui portent les empreintes du type? 11 n'y aurait
pas de mal, s'il s'agissait de recherches esthétiques et
abstraites; mais il s'agit de trouver la base d'un système
répressif qui aurait pour objet la défense sociale, cette
(I) Page Ud.
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— Ï19 —
base parail peu solide, et la question mérite un renvoi à uq
ttjmps indéterminé (1),
On Institue avec désinvolture un cal cul scientifique pour
accorder les divers tant pour cent des caractéristiques.
Uuomo fh'Unquente ne trouve pas risqué un calcul approxi-
malil qui Jixe la quote des coupables -nés à plus de 40 «/o.
C'est par le calcul iipproxiniatîf qu'on finit, apt'és <ivoir
entonné tant de chants de Ifiomphe à la science anthropo-
logique, on oublie que la répression par le jugement porte
m concrvtQ sur un individu déteranné.
D'oï'i la doctrine du cumul des indict's. Si la masse ofîre,
quelques variables que soient les tant pour cent, tels ou
tels caractères typiques, Tun peut être remplacé par Tau tre ;
que deux ou trois soient réunis, et Tou aura le type de
rhomme délinquant. C'est le raisonnement sur lequel repo-
sait autrefois le système des preuves judiciaires.
Admettons que Ton réclame le concours de la note judi-
ciaire pour rajouter au calcul anthropologique, que Ton
pr^'Jère pour le résultat de tel ou tel procès les indices
qu'on a déjà obtenus, quoique l'anthropologie perde beau-
coup de son mérite à ce concours sollicité; encore faut-il
savoir quand le tltOît est constant, à quel moment il faudra
faire entrer en ligues de compte les notes anthropolo-
giques.
S'il s'af^issâit d*un prévenu suspect, ou comprend le
service que pourraient rendre les indices anthropolo-
giques, en contribuant à établir la conviction; mais, puis-
que la science admet que les anomalies anthropologiques
se présentent même dans des non-délinquants, on com-
prend qu'il faut les exclure.
Pour que la science anthropologique pilt aboutir, il fau-
drait, en premier lieu, qu'elle lût en état de nous ofirir non
pas des indices probables, possibles, par conséquent ar-
bitraires, mais des preuves concrètes, les seules scienti-
fiques et positives du type ; et, en second lieu, qu'elle pût
dï Page 144.
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positivemeat exclure rèventualité dû prendre un Itonnéle
homme pour un bandit; il semble que rnntliropotogîe
soit bien loin de là.
On en est rôduit ù écarler la note judicfaire avec les
notes aulliropologiqucs, quand le vcrclîcl est prononcé.
Alors rnnthropologie prononce et assigne U délinquant à
telle catégorie, dans la classificalian qui est ainsi con-
firmée. Mais c'est ici précisément que le magistère anibro*
pologique s'évanouit <le nouveau.
On dirait que les indices anthropologiques dussent four-
nir les caractères distinctifs de diverses classes de cou-
pables ou au moifî^jJlps^rt^aracléres propres do cette classe
spéciale et prééminenie qu'on nomme celle des coupables-
nés ou instinctifs; telle, est ïa doctrine de ïuomQdelingui'^ile
et de la erânioloffit'. Les caractères anlbropologîqaes n'ap-
partiennent pas aux seuls délinquants-nés, mais on les
trouve aussi chez les hommes honnêtes ; en second lieu,
pour trouver le vrilerium qui sert à identifier le type, on
emprunte toute autre chose que les fameuses notes anthro-
pologiques (1).
M. Lucchini répèle qu'il sulTit de parcourir les (li verses
et multiples analyses, *çrandes et petites, qui ont été laites
sur les coupables, et surtout dans Vaomo dt^linquente, pour
se convaincre que la recherche du type et des caractères
est indépendante du placement du su jet dans Tune ou Taulre
des classes hypothétiques. D'habiludej <'c type prévaut dans
ce qu'on appelle les coupables-nés, mais on affirme fré-
quemment que tous les principaux caractères, ou beau-
coup, ou les principaux dVntro eux prévalent chez ceux
qui appartiennent a des classes diverses. Ainsi, par exem-
ple, en recherciiant le type dans la physionomie, il résul-
terait qu'on aurait 20 7u des coupablcs-nts, et 23 "/* des
coupables par passion.
Le plus souvent, on n'arrive pas h comprendre pourquoi
les sujets sont réputés appartenir à une classe plutôt qu'à
{\} Fago 148.
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- 181 -
une autre, sans que le type (iu délinquanl-né passe en évi-
dence.
Quelquefois i[ arrive aux auteurs d'oubltcr la source'
à laquelle ils prennent tel ou tel critérium distinctîf. Mais
ni6nie alors J'anthropologîc reste en dehors, et cV^st la
pénalité qui ofTre 1h critei-iitm. Ainsi les déliquants-nes
sont d*habitude reléfçuùs parmi les brigands, escrocs, cou-
peurs de bourses et voleurs qualifias, pendant que les cou-
pables par passion sont ceux qui tuent par jalousie, par
colère, par provocation, miïnie si ce sont des contreban-
diers; et les coupables d'occasion ^sont les caissiers qui
s'enfuientjes banqueroutiers et Itfsbi^mes, etc.; de mémo
la classiftcaLion des nuoiù oî7>-o;i/^ "par rapport aux déte-
nus du bagne do Pesaro et de la maison de peine de Cas-
teHranco, les premiers placés parmi les coupables nés, le>
seconds parmi les coupables d'occasion, ne pourrait so
justifier que si Ton se reportait an crikriiim de la condam-
nation, criminelle pour les uns, correctionnelle pour les
autres. *. (I),
C'est encore la récidive qui ofirc le criUriam principal.
M. Luccbinî revient sur cette idée qui Ta déjù arrêté plus
d'une £ûU, fiâuc bi combattre (2).
« La critique de la doetrine de Vuomo dditiqmnie ne
serait pas épuisée si Ton n'appréciait pas les liypotlièses
avec lesquelles l'auteur croit donner Texplicatton aliquote
des anomalies qui constitueraientrindlvidualité typique et
en même temps en rendraient impliciteniûnt plus percep-
titres la consistance et la vraisemblance. Ces liypotlièscs
sont au nombre de deux, aussi absurdes qu'ingénieuse-
ment trouvées; la première, r.*cst que les anomalies
répondent a un arr^t du développement; la seconde, c'est
rinfluence atavistique. D'où la contusion des deux causes,
en établissant l'identité des sauvages et des fous moraux,
tk Pour ce qui regarde l'atavisme, il me parait au moins
(Ij Page 149 et lâO.
(2J I± 150-155.
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— 182 —
oiseux d& descendre k considérer technlquemeat si les
caractères attribués avec tant de désinvolture aux délia-
quauts tmiivent vraiment un analogue dans les sauvages
hypothétiques, soit au regard pbysique, surtout en crânio-
iogie, soit au regard moral; je me contente seulement de
demander un peu de suite aux anthropologues » (i).
Pour en venir â conclure que le déiit n'est pas autre
chose que Talavisme, on a commencé par en montrer la
genèse dans les planleb, puis dans les animaux, pour
passer aux sauvages, de là aux enfants, puis aux adultes^
qui se relieraient aux sauvages. Mais ils n'ont pas réfléchi
que, avec cette incursion comique sur Torigine du délit,
ils ont eux-mêmes préparé la réfutation de leurs concep-
tions. Si le délit préexistait comme un fait normal et habi-
tuel dans les plantes, dans les animaux^ chez les sauvages
et dans les enfants, la cause ne pourrait en être que nor-
male et liée naturellement aux conditions propres deTorga-
nisnie eldu milieu. Le délit, dit-on, est une exception, une
anomalie de Thomme civilisé; mais c'est le produit ordi-
naire, la coutume de telle plante, de telle race animale^ et
en genne le caractère constant de Te n fan ce humaine, men-
teuse, fausse, colère, violente, étourdie, impressionnable;
donc, le délit est un phénomène répressif atavistique. —
Mais non, ceci est un paradoxe. Ou lUiumanité sauvage
tout entière serait un phénomène immense et collectif de
Tatavisme animal. . . < (2)*
n est admis de tout temps, même par Lombroso, que
les enfants, avant leur première éducation, ne connaissent
pas la dinctinetiou du bien et du mal, volent, battent,
mentent sans remords. Mais c^est précisément pour cette
raison, c'est lui qui continue, que nous comprenons com-
ment le caractère le plus odieux du coupable, la malfai-
sance sans cause, est une prolongation de l'enfance, com-
ment le délinquant peut se manifester par le seul fait
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d'une mauvaise éducation qui ne lui impose pas de frein,
mais stimule de mauvaises tendances congénitales,
A la bonne heure; accusons l'enfance prolongée, qui,
associée aux aptitudes spécifiques de Torganisme et de
Tâme, secondée par les circonstances, par le milieu et par
les occasions, produit le délit el le délinquant. C'est préci-
sément ce qui fait partir en fumée atavisme, sauvage et
type criminel. S'il est vrai, connue on n'en peut douter,
que Tentant montre toutes les inclinations qui prédis-
posent k l'immoralité, au délit, tous les hommes sont des
délinquants en puissance 1
Quant H ridentilé entre !e délinquant type et le fou
moral, je ne vois pas ce qu'y gagne l'anthropologie, en
dehors de l'avantage de calmer les conflits entre les
savants, la figure du délinquant n'en reste pas moins
obscure.
En effet, à toutes ces incertitudes préexistantes surve-
nues au sujet du caractère individuel du délinquant, on
ajoute celles, %n grand nombre, qui regardent la coflcep-
tioo, la nature elle diagnostic du fou moral. Il est impor-
tant de noter que cette bienheureuse folio morale n'est pas
seulement attaquée par beaucoup de juristes, gens qui, on
le sait, ont toujours la tète dans les nuages^ dont Tesprit
est emporté dans de vieilles habitudes psychiques qui les
empêchent de saisir les nouveaux postulats de la science.
Elle est contredite par quelques adeptes de la psychiatrie
qui, n'admettant pas l'existence autonome de la folie
morale, décline pour beaucoup, prend autorité en la ma-
tière, appelle une nébuleuse qui traverse rhorizon de la psy-
chiatrie. En Italie seulement, où ces éludes ont pris beau-
coup de développement. j*ai pu compter trois courants
plus ou moins hostiles a cette dernière, celui qui n'admet
absolument pas cette preuve de maladie, celui qui l'admet,
maïs non comme une maladie autonome.
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B£JLUVA1S, TYPOGRAPUIE D* PERE, A* CARTIER, fîKHAXT.
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