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Full text of "La musique sacrée dans l'Église reformée de France : ce qu'elle a été, ce qu'elle est, ce qu'elle devrait être"

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21îi0iquc  Sacrée 

■     ,  DANS 

L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  FRANGE 


<£c  qu'elle  a  été. 
de  qu'elle  est.  —  Ce  qu'elle  5er>rait  être. 

PAR 

DANIEL  OOT'RTOIS 

PASTEUR 


PARIS 

L I  B  R  A  1  R  I  E  F  1  S  ('  H  B  A  C  H  E  K 

SOCIÉTÉ  ANONYME 

33,    RUE  DE  SEINE,  33 

1888 


^ÏÏusique  Sacrée 

DANS 

L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  FRANGE 


STKASBOUllO,    TY1-0GUA1"1I1E    DE    G.    F  I  S  C  U  B  A  C  II 


2nu5ique  Sacrée 


DANS 

L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  FRANGE 


(£c  qu'elle  a  été. 
(£c  qu'elle  est.  —  de  qu'elle  bepratt  être. 


A- 

DANIEL  COURTOIS 


PARIS 


LIBRAIRIE  FISCHBACHER 

SOCIÉTÉ  AKOSTilE 

33,    RUE  DE  SEINE,  33 

1888 


LA  MUSIQUE  SACRÉE 

DANS  L'ÉGLISE  RÉFORMÉE  DE  FRANCE 


INTRODUCTION 

En  offrant  ce  travail  au  public,  nous  cédons  à  un  besoin 
de  cœur. 

Nous  avons  toujours  souffert  et  nous  souffrons  encore 
aujourd'hui,  plus  vivement  que  nous  ne  saurions  le  dire, 
de  voir  le  chant  sacré  si  peu  en  honneur  au  sein  de  notre 
Protestantisme  français.  —  Qu'on  nous  pardonne  un 
douloureux  aveu  :  nous  avons  visité  un  grand  nombre 
d'Églises  de  notre  pays;  dans  toutes,  on  chante  nos  can- 
tiques et  nos  psaumes,  et  plusieurs  se  piquent  de  les 
exécuter  avec  quelque  relief  ;  pourtant  nous  n'en  pourrions 
pas  citer  dix  qui,  à  notre  connaissance,  le  fassent  conve- 
nablement. Nous  n'entendons  pas  :  artistement,  nous 
voulons  seulement  dire  :  décemment. 

C'est  pénétré  de  la  conviction  qu'il  y  a  là  un  mal,  un 
mal  très  réel,  dont,  tous,  nous  souffrons,  dont  nos  Églises 
souffrent  et  dont  nos  pasteurs  se  plaignent  tout  en  se 


_    G  - 


reconnaissant  incompétents  ou  impuissants  à  le  combattre, 
que  nous  avons  été  conduit  à  chercher  les  racines  et  les 
causes  du  mal,  et  en  les  trouvant,  à  faire  un  effort  pour 
mettre  pasteurs  et  laïques  à  même  de  remédier  à  ce  fâcheux 
état  de  choses. 

Le  chant  sacré  est,  si  nous  pouvons  ainsi  dire,  le  ther- 
momètre de  la  vie  d'une  Église  :  c'est  le  seul  moyen 
qu'aient,  dans  notre  forme  du  culte  réformé,  les  fidèles  de 
participer  à  l'édification  commune,  c'est  donc  au  premier 
chef  l'une  des  institutions  capitales  de  notre  culte.  Nos 
pères,  les  Huguenots,  l'avaient  bien  compris  et  si,  dans 
l'histoire,  il  est  tel  acte  de  courage,  telle  hardie  confes- 
sion de  leur  foi  qui  nous  enthousiasme  pour  ces  géants 
et  nous  les  fait  d'autant  plus  admirer  que  nous  les  esti- 
mons à  la  mesure  de  notre  petite  taille,  nous  ne  trou- 
vons peut-être  chez  eux  rien  de  plus  grand  dans  sa  sim- 
plicité que  cet  acte  héroïque  de  chanter  les  psaumes  pen- 
dant ces  assemblées  de  fidèles  qui  se  réunissaient  à  l'ombre 
des  forêts,  au  désert,  ou  en  mer,  ces  trois  infinis  qui  ne 
réussissaient  pas  toujours  à  protéger,  même  en  les  enve- 
loppant de  leur  manteau  immense,  nos  pieux  ancêtres  des 
incursions  cruelles  de  la  mission  bottée. 

Nous  n'avons,  grâce  à  Dieu,  plus  besoin,  pour  chanter 
les  louanges  du  Très-Haut,  d'aller  demander  au  désert 
une  sécurité  que  ne  rencontraient  jamais  nos  aïeux,  nous 
pouvons  le  ftiire  librement;  nous  serions  donc  bien  cou- 
pables, si  nous  ne  le  faisions  avec  plus  de  zèle:  prenons 
garde,  car  on  pourrait,  non  sans  apparence  de  raison, 
trouver  que  l'infirmité  de  notre  chant  est  le  refiet  de  la 
faiblesse  de  notre  foi. 


—    7  — 


Toutefois,  il  est  une  objection  que  font,  avec  un  légitime 
fondement,  ceux-là  mêmes  qui  déplorent  le  plus  vive- 
ment le  marasme  oii  se  traîne  notre  Musique  sacrée. 
«Nous  n'avons,  disent-ils,  aucun  recueil  de  cantiques 
satisfaisant.  Au  lieu  d'en  avoir  un  seul  bon,  nous  en  avons 
une  infinité  de  médiocres  »  Je  regrette  plus  que  qui- 
conque cette  indigente  abondance  :  j'ajouterai  que  c'est  là 
la  vraie  cause  de  notre  faiblesse.  Nous  avons  trop  de 
recueils  pour  qu'aucun  soit  bon,  et  tant  que  nous  n'aurons 
pas  pour  notre  chant  sacré  une  sorte  de  Canon  tout  aussi 
respecté  que  celui  de  nos  livres  saints,  notre  chant  restera 
flottant  et  inerte  comme  il  l'est  aujourd'hui. 

Ouvrons,  en  effet,  deux  ou  trois  des  recueils  les  plus 
en  usage  parmi  nos  Églises^,  les  Psaumes  et  Cantiques, 
je  suppose,  les  Chants  chrétiens  et  le  Recueil  des  Eglises 
luthériennes  :  je  défie  qu'on  y  rencontre  un  seul  mor- 
ceau, cantique  ou  psaume  qui  soit  identique  dans  les 
trois  volumes  ;  les  chants  les  plus  admirables  et  les  plus 
incontestés  n'ont  point  échappé  à  la  grilTe  des  manipula- 
teurs de  notre  musique  religieuse  qui  les  ont  tous  défigurés. 
Nous  pouvons  aflirmer,  sans  rien  exagérer,  qu'à  l'heure 
qu'il  est,  en  France,  il  n'est  pas  une  église  où  dans  la 
même  journée  du  dimanche,  à  une  heure  peut-être  d'inter- 
valle, au  catéchisme  et  au  service,  le  même  cantique 
indiqué,  fût-ce  l'inimitable  hymne  de  Luther,  soit  chanté 
de  la  même  manière. 

Ceux  qui  sont  tant  soit  peu  versés  dans  la  connaissance 
de  la  musique  peuvent,  à  la  rigueur,  s'accommoder  de  ces 
divergences,  mais  le  catéchumène  qui  pendant  bien  des 
années  de  son  enfance  a  appris  à  chanter  tel  psaume  ou 


-    8  - 


tel  cantique,  dans  un  ton  et  dans  une  mesure  donnés,  et, 
qui,  admis  dans  l'Église,  y  entend  chanter  ce  même  can- 
tique d'une  tout  autre  façon,  est  naturellement  dérouté;  il 
se  croit  dans  son  tort  de  ne  pouvoir  chanter  avec  l'assem- 
blée ce  morceau  qu'il  connaît  si  bien,  et  sans  se  rendre 
compte  de  ce  qui  cause  son  embarras,  il  se  tait.  —  Ou  bien 
il  ne  s'aperçoit  de  rien,  chante  l'hymne  comme  il  l'a  tou- 
jours chantée,  et  on  s'étonne  ensuite  qu'il  n'y  ait  pas  plus 
d'unité  dans  le  chant  de  l'assemblée.  —  Les  incompréhen- 
sibles divergences  de  nos  recueils  de  cantiques  telle  est 
donc,  à  notre  sens,  l'une  des  principales  causes  de  dé- 
faillance de  notre  chant.  Constater  ces  divergences,  en 
expliquer  les  causes,  pour  autant  que  le  sens  commun 
peut  y  avoir  part,  et  reconstituer  le  texte  original,  ou  à 
défaut  le  plus  raisonnable  de  quelques-uns  des  cantiques 
les  plus  abîmés,  essayer,  par  l'historique  que  nous  esquis- 
serons du  chant  religieux  en  France,  d'intéresser  les  fidèles 
de  nos  églises  à  celte  question  si  captivante  de  la  Musique 
sacrée,  tel  est  le  but  que  nous  nous  proposons  dans  cet 
ouvrage  (i) . 

Puisse  Celui  sous  le  regard  et  à  la  gloire  Duquel  ces 
pages  veulent  avoir  été  écrites,  accomplir  sa  force  au 
travers  de  l'infirmité  de  l'auteur! 

(1)  Noire  point  de  vue  spécial  est  celui  de  la  musique;  pour  les  paroles, 
le  lecteur  trouvera,  sur  cette  question  du  cantique,  des  détails  dans 
une  brochure  publiée  en  1883  à  Genève  par  M.  A.  Alger,  sous  ce  titre: 
Histoire  et  rôle  des  cantiques  dans  les  églises  réformées  françaises. 


CHAPITRE  PREMIER 


LES  PREMIERS  CHANTS  DE  L'ÉGLISE  —  L'ŒUVRE  D'AMBROISE 
LA  NOTATION  NEUMATIQUE 

Avaot  d'aborder  le  sujet  central  de  ce  travail,  il  est 
nécessaire  de  dire  en  quelques  mots  ce  que  fut  le  Chant 
sacré  aux  origines  de  l'Église. 

Le  Nouveau  Testament  ne  nous  donne  que  peu  d'indi- 
cations à  cet  égard ,  et  encore  les  mentions  qu'il  fait  du 
chant  des  fidèles  sont-elles  brèves  et  peu  explicites.  Par  la 
plume  de  deux  de  ses  évangélistes,  Matthieu  et  Marc,  qui 
relatent  dans  des  termes  absolument  identiques  le  même 
fait,  il  nous  apprend  que  Jésus  et  ses  disciples,  vtiuijaav 
veç,  t^fjkeov  eiç  xo  oqoç  tojv  tlaiwv  {^).  D'autre  part, 
saint  Paul,  et  après  lui  saint  Jacques,  recommandent  aux 
fidèles  de  chanter  des  cantiques  et  des  hymnes  (1  Cor.  XIV, 
26;  Ephés.  V,  19  ;  Coloss.  III,  16  ;  Jacques  V,  13)  et  saint 
Jean  dans  l'Apocalypse  emploie  les  mêmes  termes.  Paul 
et  Silas  dans  la  prison  chantent  aussi  un  cantique  {Actes 
XVI,  25). 

Pline  dans  sa  correspondance  à  Trajan  dit  : 

0)  Matth.  XXVI,  30.  Marc  XIV,  26.  Le  verbe  Cijlvs'w,  dans  le  grec 
classique,  a  surtout  le  sens  de:  chanter,  célébrer  par  des  chants  ;  par 
extension  et  surtout  en  poésie  il  peut  signifier  :  vanter,  louer;  mais 
nulle  part  nous  ne  le  trouvons  avec  cette  signification  dans  le  Nouveau- 
Testament,  où  il  veut  toujours  dire  :  chanter  un  cantique  d'actions  de 
grâce  le  plus  souvent,  parfois  d'intercession. 

a 


nière  de  noter  ou  plutôt  de  figurer  par  écrit  la  musique 
à  celte  époque  (i). 

Le  premier  système  de  notation  musicale  fut  en  effet 
celui  des  Neumes.  Il  fut  introduit,  d'après  U.  F.  Clé- 
ment, au  moment  oii  les  liturgies  chrétiennes  furent  éta- 
blies dans  l'Asie-Mineure.  La  notation  neumatique  est 
très  probablement  due  aux  Lombards,  qui,  pendant  les 
deux  siècles  que  dura  leur  domination  en  Italie,  répandi- 
rent et  les  faibles  connaissances  harmoniques  qu'ils  possé- 
daient et  les  premières  notions  d'une  notation  musicale 
qui  fut  certainement  l'origine  de  celle  dont  on  se  sert  au- 
jourd'hui. 

Il  n'appartient  pas  h  la  nature  d'un  travail  tel  que 
celui-ci  d'entrer  dans  les  différentes  discussions  qui  se 
sont  élevées  sur  la  question  si  obscure  des  neumes  ;  nous 

(})  La  plus  grande  obscurité  règne  sur  l'étymologie  de  ce  terme.  Ceux 
qui  veulent  lui  donner  pour  racine  un  mot  grec,  ont  hésité  entre  les 
trois  suivants  : 

lo  :?;£ij|j.a,  «  souffle,  esprit  »,  et  alors  le  mot  neume  signifierait  :  inspi- 
ration. D'après  M.  Félix  Clément,  les  gnostiques  latins  n'auraient  pas 
trouvé  d'autre  explication  à  donner  qu'une  sorte  d'élan  de  l'âme  impuis- 
sante à  exprimer  par  des  paroles  les  sentiments,  et  proférant  des  sons 
inarticulés. 

2°  vs!jij.a;  qui  veut  dire  :  «signe,  témoignage  approbatif ».  Le  neume 
serait  alors  le  signe  désignant  un  son  musical  et  par  extension  le  mor- 
ceau de  musique,  ensemble  de  ces  signes. 

3»  vfîijLoç,  «règle,  loi»,  le  neume  est  la  phrase  musicale  ordonnée,  sou- 
mise à  des  lois,  etc. 

Toutes  ces  étymologies  nous  paraissent  ou  forcées  ou  invraisembla- 
bles. Nous  inclinerions  beaucoup  plus  volontiers  à  croire,  ce  qui  semble 
d'ailleurs  avoir  été  l'avis  de  saint  Augustin  et  de  Odon  de  Cluny,  que 
le  mot  veume,  de  TivsSijLa,  souffle,  désignait  l'ensemble  des  notes,  la 
vocalise,  si  on  veut,  qui  était  dite  d'une  seule  haleine  par  le  chanteur 
dans  un  morceau  liturgique. 


-    13  — 


dirons  seulement  que  ces  neumes  ont  puissamment  contri- 
bué à  l'organisation  du  chant  liturgique  dans  les  différents 
pays  de  la  chrétienté.  —  En  France,  cette  organisation 
remonte  à  Pépin  le  Bref,  mais  elle  ne  fut  définitive  que 
sous  Charlemagne,  qui  fit  venir  de  Rome,  où  la  tradition 
grégorienne  avait  été  fidèlement  conservée,  des  chantres 
qui  devaient  former  dans  les  écoles  de  chant  établies  à 
Metz  et  à  Soissons  une  génération  de  musiciens  sacrés  (^). 

C'est  ainsi  que  nous  trouvons,  au  neuvième  siècle,  le 
chant  grégorien  intronisé  en  France. 

Ce  chant  fut  un  progrès,  mais  il  eût  dû  rester  un  pro- 
grès et  non  devenir  une  institution  :  c'est  là  ce  qu'on  n'a 
pas  su  comprendre,  et  il  semble  étrange,  en  vérité,  qu'à 
l'heure  présente  il  y  ait  encore  des  musiciens  distingués  qui 
puissent  assumer  la  responsabilité  de  soutenir  la  cause  du 
chant  grégorien  {-). 

(1)  Nous  trouvons  dans  les  annales  du  temps,  rédigées  par  le  moine 
d'Angoulème,  une  anecdote  curieuse  qui  montre  bien  les  difficultés 
que  rencontrait  en  France  l'organisation  de  la  musique  religieuse. 

Pépin  le  Bref,  nous  l'avons  dit,  avait  fait  un  effort  dans  ce  sens;  le 
pape  Étienne  lui  avait  envoyé  en  754  des  chantres  et,  ensuite,  le  pape 
Paul  l<"  des  antiphonaires.  Lorsque  Charlemagne,  en  787,  alla  célébrer 
les  fêtes  de  Pâques  à  Rome,  il  emmena  les  chantres  de  la  chapelle  pour 
leur  faire  prendre  des  leçons  auprès  de  ceux  de  Rome.  Mais  les  chantres 
romains,  jaloux  de  la  tradition  et  de  la  véritable  science  du  chant  sacré, 
qu'ils  prétendaient  tenir  de  Grégoire  le  Grand,  bafouèrent  les  chantres 
de  Charlemagne,  les  traitant  de  «  rustres,  d'ignorants  et  de  sauvages 
besles  ».  Le  roi  Charles  dit  alors  à  ses  chantres  :  «  Quelle  est,  à  votre 
avis,  l'eau  la  plus  pure,  celle  qu'on  prend  à  la  source  vive  ou  celle  des 
ruisseau.x  qui  en  sont  éloignés?»  Ils  répondirent  que  c'était  celle  de  la 
source,  tandis  que  celle  des  ruisseaux  était  d'autant  plus  altérée  et 
bourbeuse  qu'elle  venait  de  plus  loin.  «  Remontez  donc  à  la  source  de 
saint  Grégoire,  dit  le  roi,  car  c'est  vous  qui  avez  corrompu  le  chant.  » 

(2)  Entre  autres  M.  Félix  Clément. 


-    14  - 

Peut-être  faut-il  chercher  la  raison  de  ce  dommage  con- 
sidérable qu'a  causé  le  plain-chant  au  développement  de  la 
musique  religieuse  pendant  plus  de  huit  siècles,  dans  le 
fait  de  cette  rudesse  de  gosier,  de  cette  barbarie  que  repro- 
chaient les  chantres  italiens  aux  chantres  gaulois  de 
Charlemagne.  Quoi  qu'on  en  puisse  dire,  le  tempérament 
français,  même  à  l'heure  qu'il  est,  —  nous  le  constatons  à 
regrêt,  —  n'est  pas  musicien.  L'Italie,  à  cet  égard,  a  été, 
dès  l'origine,  la  grande  éducatrice  musicale  de  l'Europe, 
et  il  est  curieux  de  constater  qu'elle  soit  actuellement  évin- 
cée par  l'Allemagne,  qui  fut,  aux  huitième  et  neuvième 
siècles,  sa  plus  rebelle  élève. 

CHAPITRE  II 

LE  CHANT  SACRÉ  AU  MOYEN  AGE  -  LES  SÉQUENCES 

Après  ce  que  nous  avons  dit  du  chant  grégorien,  il  serait 
fastidieux  et  monotone  de  suivre  pas  à  pas  ses  développe- 
ments pendant  le  moyen  âge.  Nous  nous  bornerons  à 
relever  simplement  l'importance  que  prirent  les  Séquences, 
qui  appartiennent  à  sa  plus  belle  époque,  de  Philippe- 
Auguste  à  Saint-Louis.  Elles  marquent  un  important 
progrès  dans  la  musique  religieuse,  progrès  qui  s'est  pour- 
suivi, on  peut  l'affirmer,  jusqu'à  nos  jours. 

Avant  leur  apparition,  on  ne  comptait,  en  effet,  que 
cinq  sortes  de  chants  qui  fissent  partie  de  la  liturgie  cano- 
nique, c'étaient  : 

1°  Les  chants  du  Rituel  et  du  Pontifical  (Préfaces, 
Bénédictions,  etc.). 


-    15  - 

2»  Les  chants  communs  {Kyrie,  Gloria,  Credo,  Sandus, 
Agnus)  et  différentes  antiennes  pour  les  temps  de  l'année. 
Les  Psaumes  sur  les  huit  tons  et  leurs  variantes. 

h°  Les  Antiennes  du  Vespéral  correspondant  à  ces  tons. 

5°  Les  Hymnes  et  les  Cantiques. 

Les  séquences  qui  sont  parvenues  jusqu'à  nous  n'ont  pas 
toutes  fait  partie  de  la  liturgie  officielle,  et  pourtant  il  en 
existe  plusieurs  centaines  de  très  remarquables.  Les  plus 
connues  :  le  Dies  irœ,  le  Lauda  Sion,  le  Stabat  Mater,  le 
Veni,  sancte  Spiritus,  suffisent  à  consacrer  leur  mémoire 
et  à  les  classer  pour  plusieurs  parmi  les  purs  chefs-d'œuvre 
de  la  musique  religieuse. 

Ces  séquences,  dont  l'origine  remonte  au  onzième  siècle, 
étaient  primitivement  des  morceaux  qui,  la  plupart  du 
temps,  avaient  pour  objet  d'exciter  à  l'enthousiasme  et  à 
la  célébration  de  telle  ou  telle  fête  de  l'année  :  c'est  dire 
qu'on  ne  les  exécutait  pas  à  l'office  des  dimanches  ordi- 
naires; elles  étaient  seulement  destinées  à  encourager  les 
chrétiens  à  exhaler  dans  leurs  chants  les  sentiments  qui 
les  animaient  aux  époques  fériées  de  l'année.  Comme  les 
drames  liturgiques  étaient  alors  fort  en  honneur  dans 
l'Eglise,  il  y  avait  plusieurs  séquences  pour  chacun  d'entre 
eux.  Elles  sont  écrites  dans  la  langue  de  la  basse  latinité, 
en  vers  d'un  nombre  de  pieds  déterminé  et  avec  rimes, 
comme  on  peut  en  juger  par  le  commencement  de  la 
séquence  pour  la  féte  de  l'Immaculée  Conception  que  nous 
reproduisons  ici  : 


Dies  leta  celebretur 
In  qua  pia  recensetur 
Marie  conceptio. 


Félix  quidem  est  conceptus 
Per  quem  mundus  est  adeptus 
Salutis  remédia. 


-    16  — 


Cujus  laudes  prosequamur 
Quia  tanto  gratulamur 
Dei  beneficio. 


Hanc  prophète  predixeruut 
Patriarche  recenserunt 
Inspirantur  gratia. 


On  remarquera  l'assonance  du  premier  vers  avec  le 
second  et  celle  des  troisièmes  vers  entre  eux.  Ce  mode  de 
rime  se  retrouve  souvent  dans  les  séquences,  surtout  chez 
Adam  de  Saint- Victor,  l'auteur  d'un  grand  nombre  d'entre 
elles.  Ces  séquences  étaient  chantées  sur  des  morceaux  de 
plain-chant  usités  déjà  dans  la  liturgie,  et  afin  de  rappeler 
aux  fidèles  la  mélodie  et  le  rythme  d'une  séquence,  les 
poètes  empruntaient  le  premier  vers  ou  les  premiers  mots 
du  morceau  qu'ils  imitaient  (i). 


Après  avoir  ainsi  esquissé  ce  que  fut  la  Musique  reli- 
gieuse depuis  ses  origines  jusqu'à  la  Réforme,  il  n'est  pas 
inutile  de  nous  rendre  compte  des  progrès  de  la  notation 
musicale  et  de  l'harmonie  pendant  cette  même  période. 

Il  serait  erroné  d'inférer  de  ce  que  les  plus  anciens 
manuscrits  que  nous  ayons  des  chants  ecclésiastiques 
n'offrent  dans  leur  séméiographie  qu'une  notation  simple, 
qu'on  ait  chanté,  même  aux  temps  les  plus  reculés,  tous  les 
chants  sacrés  à  l'unisson.  De  là  à  conclure  que  l'harmonie, 

(1)  Voir  sur  la  question  des  séquences,  l'ouvrage  de  M.  F.  Clément, 
Histoire  générale  de  la  Musique  religieuse,  auquel  nous  avons  arraché, 
non  sans  peine,  quelques  trop  rares  renseignements. 


CHAPITRE  III 


LES  ORIGINES  DE  L'HARMONIE 


--    17  - 


dans  le  sens  moderne  que  nous  donnons  à  ce  mot,  ait 
commencé  avec  le  chant,  il  y  aurait  aussi  téméraire  exa- 
gération. 

Ainsi  qu'on  Ta  dit  et  répété  bien  souvent  dans  les 
traités  spéciaux,  il  a  suffi  qu'un  homme  et  une  femme 
chantassent  à  l'unisson  un  même  air  pour  produire  l'une 
des  deux  consonances  dites  parfaites  en  musique,  l'octave. 
Ce  simple  fait  fut  évidemment  le  premier  pas  vers  cet  art 
si  complexe  et  si  admirable  qu'on  appelle  THarmonie. 
L'autre  consonance  musicale  parfaite,  la  quinte,  dont  le 
renversement  est  la  quarte,  fut  le  second  pas  et  c'est  sur 
ces  deux  seules  données  que  se  construisit  le  système 
d'accompagnement  appelé  Diaphonie,  qui  se  rapproche 
beaucoup  de  notre  contrepoint  simple,  bien  qu'ils  soient 
séparés  l'un  de  l'autre  par  tout  l'abîme  d'une  hérésie 
musicale,  la  possibilité  d'une  succession  de  quintes  consé- 
cutives sans  une  médiante  formant  tierce  majeure  ou 
mineure. 

La  diaphonie  remonte  certainement  aux  temps  les  plus 
reculés  de  l'ère  chrétienne;  c'est  en  effet,  comme  nous 
venons  de  le  montrer,  la  plus  simple  et  la  plus  naturelle 
des  harmonies  \  '^). 

(1)  M.  F.  Clément  observe  fort  justement  à  ce  propos,  que  si  l'on  veut 
avoir  une  idée  de  l'effet  de  cette  diaphonie,  on  n'a  qu'à  accompagner 
un  chant  liturgique  par  une  seule  note  du  plein-jeu  du  grand  orgue. 
Par  plein-jeu  il  entend,  sans  doute,  ce  qu'on  nomme  plus  communé- 
ment aujourd'hui  un  jeu  de  quinte  harmonique  qu'on  emploie  en  effet 
au  plein-jeu  de  l'orgue.  Chaque  note  de  ce  jeu  de  quinte  harmonique 
fait  parler,  outre  le  tuyau  spécial  de  la  note,  trois  ou  cinq  autres  tuyaux 
formant  la  quinte  supérieure  de  cette  note,  liais  le  son  fondamental 
doit  toujours  être  le  plus  puissant. 


s 


—    18  — 

Ce  système  d'accompagnement,  qu'on  a  aussi  dénommé 
organum,  fut  employé  jusque  vers  la  fin  du  sixième  siècle, 
comme  on  peut  le  conclure  d'après  les  citations  de  Gas- 
siodore  qui,  à  cette  époque,  énumérait  les  différentes 
manières  d'accompagner  le  chant  par  des  quintes  et  des 
quartes  consécutives  (diaphonie)  et  d'après  les  Sentences 
sur  la  Musique  d'Isidore  de  Séville  où  on  lit  ces  mots  : 
«  Harmonica  musica  est  modulatio  vocis  et  concordantia 
plurimoruni  sonorum  et  coaptatio.  » 

A  partir  du  septième  siècle  l'harmonie  fit  quelques  pro- 
grès et  cessa  d'être  la  diaphonie  pure  et  simple  (^)  ;  toutefois, 
on  ne  peut  guère  dire  qu'elle  se  soit  constituée  avant  le 
treizième  siècle.  A  partir  de  ce  moment,  jusqu'au  quin- 
zième siècle,  nous  assistons  à  une  véritable  éclosion  artis- 
tique. 

Il  est  curieux  de  voir,  en  passant,  comment  et  dans 
quelle  succession  les  accords  les  plus  employés  en  musique 
furent  découverts  à  travers  la  suite  des  siècles  jusque  vers 
l'an  l/iOO,  et  surtout  comment  l'épanouissement  de  l'har- 
monie au  treizième  siècle,  dépendit  de  l'usage  qu'on  sut 
faire  de  ces  accords. 

Pendant  les  dix  premiers  siècles  de  l'ère  chrétienne, 

(1)  Les  citations  des  auteurs  contemporains  tels  que  Rémi  d'Auxerre, 
Jean  Scot  Ei'igène  au  neuvième  siècle,  le  moine  Hucbald  au  dixième, 
Jean  Cottou  au  onzième  sont  des  plus  curieuses.  Pour  ne  citer  que  ce 
dernier,  voici  ce  qu'il  dit  :  «  Est  ergo  diaphonia  coni^rua  vocum  disso- 
nantia  qu;c  ad  minus  per  duos  Gantantes  agitur  :  ita  scilicet,  ut  altero 
rectam  modulationem  tenente,  aller  per  aliènes  sonos  apte  circueat  et 
in  singulis  respirationibus  auibo  in  eadem  voce,  vel  per  diapason  con- 
veniant».  S'il  ne  reste  pas  vestige  dans  les  manuscrits  de  ce  genre 
curieux  d'accompagnement,  c'est  que  l'enseignement  du  chant  au  moyen 
âge  était  surtout  oral.  (F.  Clément.  Histoire  de  la  Musique.) 


-    19  — 


nous  l'avons  dit,  on  n'eut  d'autre  système  d'accompagne- 
ment, que  Vorganum  ou  la  diaphonie.  Celle-ci  se  réduisait 
au  seul  emploi  de  la  quinte,  tie  la  quarte  et  du  mouvement 
direct.  Les  instruments  étaient  peu  en  usage,  et  le  plus 
apprécié  —  comme  il  le  sera  toujours  —  était  la  voix 
humaine. 

On  finit  pourtant  par  se  lasser  de  la  monotonie  des 
accompagnements  asservis  aux  mouvements  ascendants 
ou  descendants  de  la  mélodie.  Par  un  esprit  de  con- 
tradiction naturel  à  l'homme  autant  que  par  caprice  du 
goût,  on  s'avisa  de  faire  suivre  à  l'accompagnement  les 
mouvements  contraires  de  ceux  du  chant  et  l'on  découvrit 
ainsi  toute  une  source  d'intonations  variées  qui  séduisirent 
par  leur  étrangeté.  La  mode  nouvelle  fit  fureur  et  les 
phrases  musicales  ne  devinrent  plus  que  des  prétextes  à 
fioritures  innombrables.  Ces  extravagances  retardèrent  plus 
qu'elles  ne  servirent  les  progrès  de  l'Harmonie.  Cepen- 
dant, une  importante  innovation  se  fit  au  onzième  siècle  : 
on  commença  à  distinguer  les  intervalles  consonants  des 
intervalles  dissonants.  On  trouve  dans  les  annales  de 
Francon  de  Cologne  toute  une  théorie  fort  curieuse  sur  ce 
point.  D'après  lui,  les  accords  consonants  sont  la  quinte  et 
l'octave,  axiome  essentiel  aujourd'hui  encore  en  harmonie  : 
il  marque  aussi  comme  consonances  accidentelles  la  tierce 
majeure,  la  tierce  mineure  et  la  sixte  majeure.  Quant  aux 
dissonances,  il  en  compte  seulement  six:  la  seconde 
majeure,  la  seconde  mineure,  l'accord  de  triton  (ou  fausse 
quinte),  la  sixte  mineure,  la  septième  majeure  et  la 
septième  mineure. 

Ces  nouvelles  conquêtes  dans  le  domaine  de  la  musique 


-  20 


donnèrent  naissance  à  un  autre  système  d'accompagnement 
du  chant  sacré,  qui  remplaça  la  diaphonie  et  s'appela  le 
discantus  ou  déchant.  Un  véritable  déchant,  en  effet,  si 
nous  en  jugeons  par  les  nombreux  manuscrits  qui  en  sub- 
sistent. Cette  première  forme  de  l'harmonie,  plus  complète 
que  celle  de  Vorganum ,  fut  longtemps  une  inénarrable 
cacophonie.  Nous  pouvons  difficilement  nous  rendre 
compte  avec  nos  oreilles  soumises  peu  ou  prou  à  une  édu- 
cation musicale  moderne,  de  l'effet  que  pouvait  produire 
ce  déchant  (A).  Outre  que  les  monuments  qui  restent  de  la 
période  la  plus  ancienne  sont  fort  rares  et  très  difficiles  à 
interpréter,  étant  écrits  en  neuraes,  de  plus,  alors  même 
qu'ils  seraient  fidèlement  transcrits  sur  portée  à  cinq  lignes 
et  en  clef  de  sol,  je  ne  crois  pas  qu'il  se  pût  trouver  de 
musiciens  assez  courageux  pour  reproduire  avec  la  voix 
ou  les  instruments  ces  horreurs  musicales,  et  d'auditeurs 
assez  robustes  pour  en  supporter  l'ouïe.  La  lecture  à  vue 
des  morceaux  même  postérieurs  que  nous  possédons,  suffit 
à  nous  donner  l'impression  de  ce  que  furent  ces  premiers 
vagissements  d'une  science  qui,  deux  siècles  plus  tard, 
devait  devenir  entre  les  mains  d'un  Palestrina,  d'un 
Rameau  et  d'un  Haydn  un  instrument  si  merveilleux  et  si 
enchanteur  ! 

Inclinons-nous  toutefois  avec  respect  devant  ces  pre- 
miers pas,  tout  débiles  et  chancelants  qu'ils  soient,  car,  à 
travers  ces  caducs  essais  d'une  science  alors  à  peine  frayée, 
on  sent  frémir  le  souffle  puissant  qui,  grandissant  peu  à 

(1)  Le  nom  de  déchant,  discantus,  a  été  donné  à  cette  manière  de 
chanter  à  l'église,  parce  que  c'était  un  chant  à  deux  parties,  parfois  à 
trois. 


—    21  — 


peu  avec  les  siècles,  devait  plus  tard  animer  le  génie  d'un 
Bach  et  d'un  Beethoven  ! 

Au  milieu  de  tout  le  fatras  harmonique  du  moyen  âge, 
un  point  cependant  demeure  lumineux,  c'est  le  sentiment 
assez  développé  que  nous  rencontrons  de  la  mélodie.  Si 
nous  dégageons  cette  dernière  du  déchant  dont  elle  est 
ornée  (!),  nous  trouvons  souvent  une  phrase  simple,  naïve, 
rythmée  d'après  les  vers  et  qui  n'est  pas  dépourvue  d'une 
certaine  inspiration.  Néanmoins,  et  c'est  ici  un  point  très 
particulier  qu'il  est  bon  de  noter,  car  nous  verrons  le 
même  phénomène  se  reproduire,  dans  la  musique  protes- 
tante au  dix-huitième  siècle  à  l'égard  des  psaumes,  le 
peuple  se  fatiguait  d'entendre  le  fastidieux  et  monotone 
plain-chant  et  lui  préférait  les  déchants,  où  l'introduction 
du  rythme  et  l'union  des  parties  séduisaient  son  oreille. 
Et  puis,  les  vrais  créateurs  de  la  musique,  à  cette  époque, 
ceux  qui  en  trouvaient  les  airs,  les  trouvères,  faisaient  par- 
fois entendre  ces  airs,  en  dehors  de  l'Église,  sur  des  paroles 
profanes.  Le  peuple  retenait  l'air  et  les  paroles  françaises; 
ce  fut  la  cause  de  vrais  scandales,  car  il  arrivait  que  pen- 
dant le  service  divin,  alors  que  les  prêtres  et  les  chantres 
disaient  les  paroles  latines,  le  peuple  accompagnait  en 
sourdine  les  chants,  en  prononçant  les  paroles  profanes  en 
langue  vulgaire. 

Scudo,  dans  son  Encyclopédie ,  va  même  plus  loin  et 
n'hésite  pas  à  affirmer  que  vers  la  fin  du  douzième  siècle, 
les  contrapontistes  ou  harmoniseurs  qui  s'épuisaient  à 
combiner  des  accords  sur  le  fond  monotone  du  plain-chant 
grégorien,  se  voyant  dédaignés  de  la  foule,  qui  préférait  à 
leur  science  l'art  plus  amusant  des  trouvères,  eurent  l'idée 


-    22  - 

de  choisir  les  plus  connus  de  ces  airs  populaires  pour  thème 
de  leurs  compositions  sacrées.  .  .  et  le  scandale  dont  nous 
avons  parlé  se  répétait  chaque  dimanche  à  l'oflice  divin. 

CHAPITRE  IV 

L'ŒUVRE  MUSICALE  DE  LA  RÉFORME 

La  Réforme  ouvrit  les  yeux  de  tous  sur  l'anomalie  du 
culte  catholique,  où  on  laissait: 

A  des  chantres  gagés  le  soin  de  louer  Dieu  ! 

Elle  sut  revendiquer  la  part  des  fidèles  au  culte  public  par 
le  chant  en  commun.  Le  chant  réformé  n'était  plus,  ainsi 
que  le  dit  si  magnifiquement  Michelet,  «  le  morne  chant 
du  moyen  âge,  qu'un  grand  troupeau  humain,  sous  le 
bâton  d'un  chantre  ofliciel,  répétait  éternellement  dans  un 
prétendu  unisson,  chaos  de  dissonances.  »  Ce  n'était  plus  la 
farce  obscène  et  pédantesque  des  messes  galantes ,  dont 
VIntrdil  était  un  appel  à  Vénus  et  dont  le  Te  Deum  ren- 
dait grâce  à  l'Amour.  Ce  fut  un  chant  vrai,  libre,  pur,  un 
chant  du  fond  du  cœur,  le  chant  de  ceux  qui  pleurent  et 
qui  sont  consolés,  la  joie  parmi  les  larmes  de  la  terre,  un 
aperçu  du  ciel. 

«  Voilà  la  vraie  Renaissance,  elle  est  trouvée  !  C'est  la 
Renaissance  du  cœur.  » 

Ce  fut  aussi  la  Renaissance  de  l'art.  La  Renaissance. . . 
il  serait  plus  exact  de  dire  la  naissance ,  car,  jusqu'à  la 
Réforme,  on  peut  avancer,  sans  être  taxé  de  sévérité,  que 
l'art  de  la  musique  en  général,  et  de  la  musique  religieuse 


-    23  - 


en  particulier,  s'était  confusément  agité  dans  des  limbes 
dont  il  n'avait  pas  réussi  à  se  dégager  (i) .  A  la  Réforme 
revient  l'honneur  d'avoir  fait  revivre  la  mélodie  :  on  ne  la 
connaissait  plus  ;  la  musique  était  devenue,  par  l'aberra- 
tion de  tous  les  musiciens  et  harmonistes,  une  sorte  d'échi- 
quier où  chacun  s'épuisait  à  trouver  les  combinaisons  les 
plus  extravagantes,  et  c'était  au  rôle  de  canevas  pour  ces 
fantaisies  qu'avait  été  ravalée  la  mélodie.  L'œuvre  de  la 
Réforme,  dans  le  domaine  musical  comme  au  point  de  vue 
religieux,  fut  donc  une  œuvre  de  bon  sens  et  de  loyauté. 
Il  suffit  de  lire  la  préface  que  mit  Calvin  au  Psautier  de 
Marot,  pour  comprendre  que  ces  lignes  furent  une  révéla- 
tion au  seizième  siècle.  On  est  étonné  de  voir  à  quel  point 
un  homme,  qui  semblait  bien  étranger  aux  choses  de  l'art, 
avait  eu  le  sentiment  net  de  la  sorte  de  chant  qui  conve- 
nait aux  assemblées  chrétiennes. 

Il  abolit  d'un  coup  et  la  somnolente  monotonie  du  plain- 
chant  et  les  inconvenantes  productions  qui  déshonoraient 
l'Église. 

((  Entre  les  choses  qui  sont  propres  pour  récréer  l'homme 
et  luy  donner  volupté,  dit-il,  la  musique  est,  ou  la  pre- 
mière, ou  l'vne  des  principales,  et  il  nous  faut  estimer  que 

(1)  C'est  ce  que  ne  peuvent  se  décider  à  avouer  les  auteurs  catholi- 
ques qui  ont  traité  de  la  question.  Qu'on  ouvre  l'un  des  nombreux  ou- 
vrages d'histoire  de  la  musique  religieuse,  celui  de  Pierre  Bonnet,  du 
R.  P.  Lambillotte,  ou  de  JI.  de  Coussemaker,  ou  le  Dictionnaire  de 
M.  d'Ortigue,  et  l'on  y  verra  avec  stupéfaction  le  silence  complet  dont 
la  musique  protestante  est  enveloppée.  M.  Félix  Clément  lui-même, 
que  nous  avions  appris  à  mieux  apprécier,  demeure  tellement  aveuglé 
dans  son  parti  pris  de  défendre  envers  et  contre  tous  le  plain-chant 
qu'il  ne  nomme  même  pas  Goudimel,  moins  encore  Bourgeois,  et  qu'il 
ne  fait  aucune  allusion  à  la  musique  des  psaumes. 


-    24  - 

c'est  un  don  de  Dieu  député  à  cest  vsage.  Parquoy  d'au- 
tant plus  deuons-nous  regarder  de  n'en  point  abuser,  de 
peur  de  la  souiller  et  contaminer ,  la  conuertissant  en 
nostre  condamnation,  oii  elle  estoit  dédiée  à  nostre  profit 
et  salut...  Il  est  vray  que  toute  parole  mauuaise  peruertit 
les  bonnes  mœurs  ;  mais  quand  la  mélodie  est  avec,  cela 
transperce  beaucoup  plus  fort  le  cœur...  Qu'est-il  donc 
question  de  faire?  —  C'est  d'auoir  chansons  non  seule- 
ment honnestes,  mais  aussi  sainctes,  lesquelles  nous  soyent 
comme  aiguillons  pour  nous  inciter  à  prier  et  louer  Dieu, 
à  méditer  ses  œuures,  à  Hn  de  l'aimer,  craindre,  honorer 
et  glorifier.  » 

Ces  paroles  sont  significatives,  et  on  comprend  avec 
quelle  sévérité  celui  qui  les  a  écrites  repoussa,  dans  la  suite, 
toute  proposition  tendant  à  introduire  dans  le  culte  d'autres 
chants  que  ceux  des  psaumes,  et  des  psaumes  à  l'unisson. 

Nous  n'entrerons  point  ici  dans  le  détail  de  la  formation 
de  cet  admirable  psautier  huguenot  auquel  Marot,  Th.  de 
Bèze,  Goudimel  et  Bourgeois,  ont  à  jamais  attaché  leur 
nom.  Ce  travail  a  été  magistralement  fait  par  31.  0.  Douen 
auquel  nous  emprunterons  quelques  brèves  indications 
pour  ne  point  interrompre  la  suite  de  cette  étude. 

CHAPITRE  V 

LES  PSAUMES  —  LEURS  TRADUCTEURS  ET  LEURS  PREMIÈRES  ÉDITIONS 

Les  Psaumes  furent  traduits  en  vers  français  par  Clé- 
ment Marot,  valet  de  chambre  du  roi. 

Ce  n'était  pas  la  première  traduction  qui  en  fut  faite  en 


français.  Le  moyen  âge  a  eu  toute  une  littérature  de  tra- 
ductions des  Psaumes  en  vers.  Certains  de  ces  psautiers 
sont  loin  d'être  sans  valeur.  Tel  est  celui  qu'a  publié 
M.  Francisque  Michel  et  qui  mériterait  une  nouvelle  et 
meilleure  édition  (i).  Malheureusement  nous  ne  savons 
pas  si  ces  psaumes  en  vers  ont  jamais  été  chantés,  et  ils 
n'avaient  certainement  aucun  rôle  dans  le  service  public. 

Nous  citerons,  pour  en  donner  un  aperçu,  les  strophes 
1,  2,  6,  7  du  psaume  XLTI  (kl)  : 

i.  .  2. 

Si  cum  li  cerf  désirant  M'aime  out  gi  ant  sei, 

La  fontaine  courant  Très  cher  sire,  de  tei 

Si  ai  jeo  désiré  Fontaine  de  vie, 

A  venir  devant  tei,  Bel  sire,  quant  vendrai 

Car  plein  es  de  bunté.  Et  devant  tei  apparrai, 

Sire,  glorius  rei.  Ne  me  dampnez  mie. 


Espeir  en  lui  tut  dis,  M'aime  en  sun  segrei 

Uncore  li  regeïs  Est  triblet  od  mei  ; 

Ki  est  mun  salvur.  Pur  ceo  m'est  subvenu 

Il  est  trestut  puisant  De  la  terre  de  Jordan 

E  sa  merci  mult  grant  U  tun  fiz  out  haan 

Des  faiz  del  peccheûr.  Ki  fut  petit  rien. 

Dès  la  fin  du  quinzième  siècle,  dit  M.  Henri  Bordier, 
on  imprimait  quelques  psaumes  rimés  en  langue  vulgaire. 
On  conserve  dans  nos  bibliothèques  publiques  de  petits 
livrets  populaires  longs  seulement  de  quelques  pages, 
imprimés  vers  l/tOS  et  1500  à  Paris,  à  Lyon,  à  Vienne 

(')  Lïbri  Psalmomm  versio  antiqua  (jallica  una  cum  versione  me- 
U'ica.  O.xford  1860. 

Voir  aussi  Les  Traductions  de  la  Bible  en  vers  français  au  moyen 
âge,  par  J.  Bonnard.  Paris  1884. 


4 


-    26  — 


(en  Dauphiné),  qui  contiennent  une  traduction  rimée  des 
sept  psaumes  de  la  pénitence  el  commencent  ainsi  : 

Domine,  ne  in  furore  tuo  arguas  me 

Dieu,  en  ton  iugement 
Ne  m'argue  pas,  Sire  ; 
En  ce  siècle  présent 
Me  châtie  sans  ire. 

Miserere^  mei  Domine, 

Ayes  mercy  de  raoy, 
Et  me  donnes  santé  ; 
Et  veuilles  ma  pauvre  ame 
Wiener  a  sauueté  (i). 

Ce  ne  fut  qu'un  demi-siècle  plus  tard,  en  1533,  que 
Marot  commença  une  traduction  sérieuse  et  continue  des 
Psaumes.  Le  premier  volume  parut  en  15/i-2,  au  com- 
mencement de  Tannée  ;  il  renfermait  trente  psaumes  :  les 
quinze  premiers  et  les  psaumes  19,  22,  24,  32,  37,  38, 
51,  103,  104,  113,  114,  115,  130,  137,  143.  Ce  premier 
psautier  ne  contenait  ni  musique  ni  indications  d'airs  ou 
timbres  (2)  seulement,  au  titre  des  Psaumes,  Marot  a  joint, 
en  vue  du  chant,  l'indication  du  nombre  de  vers  dont  se 
compose  la  strophe.  C'est  ainsi  qu'on  y  lit  :  «  Pseaulme 
premier^  à  deux  versetz  pour  couplet  à  chanter;  Pseaulme 
second,  à  deux  couplelz  différents  de  chant,  chascun  cou- 
plet d'ung  verset,  etc..  (-')  ». 

(1)  Cette  traduction  des  psaumes  de  la  pénitence  est  fort  ancienne  et  a 
joui  d'une  grande  faveur.  Elle  se  trouve  dans  une  infinité  de  manu- 
scrits du  treizième  au  seizième  siècle.  Voir  Bonnard,  ouv.  cité  p.  139. 

(2)  On  appelait  timbre  l'indication  d'un  air  sur  lequel  pouvaient  se 
chanter  les  couplets. 

(3)  Ces  indications  manquent  au  Psaume  XXII  et  aux  neuf  derniers. 


—    27  — 

Ce  fut  l'édition  française  officielle  et  originale  du  Psau- 
tier de  Marot  (J5/i2),  elle  était  dédiée  à  François  P'. 
On  n'en  connaît  qu'un  exemplaire  dont  voici  le  titre  ; 
ce  Trente  Pseaulmes  de  David,  mis  en  francoys  par  Clément 
Marot,  valet  de  chambre  du  Roy.  Auec  priuilege.  Imprimé 
à  Paris  pour  Estienne  Roffet,  demourant  sur  le  pont  Sainct 
Michel,  à  l'enseigne  de  la  Rose  »  in-16,  sans  date. 

Ce  psautier  unique  est  à  la  Bibliothèque  Nationale.  Mais 
trois  ans  avant  cette  édition  princeps,  en  1539,  les 
psaumes  de  Marot  avaient  paru  à  Strasbourg,  au  nombre 
de  douze,  mêlés  à  d'autres,  dans  une  petite  plaquette  à 
laquelle  Calvin  fait  souvent  allusion  dans  sa  correspon- 
dance (^),  plaquette  demeurée  introuvable  jusqu'à  la  fin 
de  1873,  et  que  M.  0.  Douen  découvrit  à  la  Bibliothèque 
de  Munich. 

Comment  ces  douze  psaumes  étaient-ils  parvenus  à 
Strasbourg?  C'est  ce  qui  n'est  pas  encore  absolument 
expliqué,  mais  ce  dont  on  est  sîjr,  c'est  qu'ils  passèrent 
par  Anvers  où  ils  subirent  quelques  retouches. 

Ce  fut  aussi  à  Anvers  que  parut,  en  J5/il,  la  plus 
ancienne  édition  connue  du  Psautier  :  elle  a  pour  titre  : 
uPsalmes  de  Dauid,  translatez  de  plusieurs  autheurs,  et 
principallement  de  Cle.  Marot.  Veu,  recongneu  et  corrigé 
par  les  théologiens,  nommeement par  F.  Pierre  Alexandre, 
concionateur  ordinaire  de  la  Royne  de  Hongrie  ».  A  la  der- 
nière page  on  lit  :  «  Imprimé  en  Anuers  par  Antoine  des 
Gois,  Van  i54i.  »  Le  volume  est  un  in-16. 

Nous  y  retrouvons  les  inqualifiables  corrections  qu'on 

(1)  Voir  les  lettres  du  28  juin  1539  à  Pierre  Toussaint,  pasteur  à  Mont- 
béliard,  du  8  octobre,  27  octobre,  19  décembre  mênie  année,  à  Farel. 


/ 


fit  subir  aux  douze  psaumes  de  Marot  imprimés  en  1539 
à  Strasbourg,  et  d'autres  non  moins  grossières  d'oii  il 
appert,  ainsi  que  conclut  l'éminent  auteur  auquel  nous 
empruntons  ces  détails,  que  : 

1"  L'édition  d'Anvers  a  été  imprimée  à  l'insu  de  Marot 
qui  n'aurait  jamais  permis  qu'on  publiât  sous  son  nom  une 
œuvre  si  difl'érente  de  la  sienne  ; 

2"  Que  cette  édition  a  été  faite  sur  une  copie  manuscrite 
des  psaumes  de  Marot. 

Quelques  mois  après  l'apparition  de  cette  édition  d'An- 
vers, à  peu  près  en  même  temps  que  paraissait  à  Paris 
l'édition  officielle  des  psaumes  de  Marot,  il  s'éditait  à 
Strasbourg  une  impression  des  psaumes  de  Marot,  dite: 
édition  pseudo-romaine,  qui  sollicite  au  premier  chef  notre 
attention,  par  son  contenu.  Elle  ne  porte  pas  proprement 
le  titre  de  Psautier  ;  c'est  une  plaquette  in-J  8,  en  carac- 
tères gothiques,  de  160  pages,  29  lignes  à  la  page,  dont 
voici  la  suscription  : 

«  La  manye  /  re  de  faire  prières  aux  églises  francoy  /  ses, 
tant  deuant  lapredication  comme  après,  j  ensemble  pseaubnes 
et  cantiques  (^)  franco  /  ys  qu'on  chante  aus  dictes  églises, 
après  sen  /  siiyt  l'ordre  et  façon  d'administrer  les  sa  /  cre- 

(1)  C'est  la  première  fois  que  nous  trouvons  la  mention  Cantiques  dans 
une  véritable  édition  des  Psaumes,  toutefois,  nous  l'avons  vu  plus  haut, 
ce  mot  se  retrouve  au  titre  de  la  petite  édition  de  Strasbourg  1539,  dont 
M.  Douen  a  découvert  l'unique  exemplaire  que  l'on  connaisse.  {Aul- 
cuns  I  Pscaulmes  et  Cantiques  j  mys  en  chant  /  A  Strasbourg,  i539.) 
Ces  cantiques  qui  n'avaient  alors  pas  d'importance  pour  nous,  en 
prennent  avec  l'édition  pseudo-romaine  qui  les  reproduit.  Ce  sont  : 
le  Cantique  de  Siméon,  les  dix  Commandements  et  le  Credo.  Ce  dernier 
est  en  prose  et  ne  forme  qu'un  couplet. 


-    29  - 


ments  de  Baptesme,  et  de  la  saincte  /  Cene  de  nostre  seigneur 
lesu  Christ,  de  es  /  pouser  et  confirmer  le  mariage  deuant  j 
lassemblee  des  fidèles,  aaecques  le  sermon  /  tant  du  Baptesme 
que  de  la  Cene.  Le  tout  /  selon  la parolle  de  nostre  seigneur.  » 

Ce  psautier  contient  une  préface  : 

Av  lectevr  crestien  salut  et  paix  en  lesucrist.  Puis  la 
manière  de  célébrer  le  culte,  qui  commence  par  l'invoca- 
tion, la  confession  des  péchés  (à  très  peu  de  chose  près, 
celle  que  nous  disons  encore  aujourd'hui) ,  suit  ensuite 
l'ordre  détaillé  de  toutes  les  parties  du  culte  jusqu'à  la 
bénédiction  : 

(c  Dieu  vous  bénisse  et  vous  conserue,  le  Seigneur  illu- 
mine sa  face  sur  vous  et  vous  fasse  miséricorde,  le  Seigneur 
retourne  son  visaige  vers  vous  et  vous  conduise  en  bonne 
prospérité.  Amen.  » 

Après  quoi  viennent  les  dix-huit  psaumes  et  les  trois 
cantiques  du  recueil  de  1539,  plus  dix-huit  nouveaux 
psaumes  de  Marot  empruntés  au  recueil  d'Anvers  (les 
Psaumes  li,  5,  6,  7,  8,  9,  10,  11,  12,  13,  U,  22,  24, 
37,  38,  104,  113,  115),  quatre  autres  qui  ne  sont  pas 
de  Marot  (43,  120,  130,  142)  et  le  Pater  de-  Marot. 

L'ouvrage  enfin  se  termine  par  six  appendices  :  1"  Insti- 
tution puérile  de  la  doctrine  chrestienne  faicte  par  manière 
de  dyalogues. 

2"  Du  Sacrement  du  baptesme. 

3"  Exhortation  du  baptesme. 

4°  De  [sic)  Sacrement  de  la  Cene. 

5°  La  forme  de  confirmer  les  mariages. 

6°  Registre  des  psalmes. 

De  l'examen  attentif  de  la  liturgie  de  ce  Psautier  il 


—    30  — 

résulte  qu'il  était  indubitablement  destiné  à  l'Église  luthé- 
rienne de  Strasbourg. 

Remarquons  aussi  en  passant  que  noire  vieille  confes- 
sion des  péchés  s'y  retrouve  telle  quelle ,  ce  qui  prouve 
qu'elle  n'est  pas  de  Th.  de  Bèze,  à  qui  on  a  voulu  l'attri- 
buer. «  Quand  il  la  prononça  d'une  manière  solennelle  au 
colloque  de  Poissy,  dit  M.  0.  Douen,  il  y  avait  vingt  ans 
et  plus  qu'elle  était  partout  récitée  tous  les  dimanches.» 

Et  maintenant,  un  mot  pour  expliquer  la  désignation 
bizarre  de  pseudo-romaine  attribuée  à  cette  édition  :  sous 
le  mot  Fin,  on  y  lit  :  ((Imprimé  à  Home  par  le  commande- 
ment du  pape,  par  Théodore  Brïisz  allemant,  son  impri- 
meur ordinaire.  Le  15  Feburier.  » 

Baulacre,  Desmaiseaux,  Fétis  et  d'autres  qui  ont  vu  ce 
psautier  ont  pris  au  sérieux  cette  inscription  finale,  sans 
réfléchir  que  le  contenu  même  du  volume  et  les  événe- 
ments historiques  au  milieu  desquels  il  est  éclos,  témoi- 
gnaient contre  son  authenticité.  C'était  là,  au  contraire, 
une  supercherie  fort  commune  alors,  et  qui  était  destinée  à 
assurer  parmi  les  catholiques  la  libre  circulation  du  volume. 

Nous  trouvons  cette  ruse  employée  à  la  même  époque 
pour  différents  ouvrages,  entre  autres  pour  les  Épîtres  et 
Évangiles  des  52  dimanches  de  Lefèvre  d'Étaples. 

La  troisième  et  plus  remarquable  des  éditions  qui  virent 
le  jour  en  15/i.5,  celle  de  Strasbourg,  mérite  de  nous  arrê- 
ter un  moment. 

Elle  avait  —  il  faut  mettre,  hélas  !  un  imparfait  depuis 
que  les  obus  du  général  Werder  ont  incendié  et  entière- 
ment détruit  en  1870  les  précieuses  collections  de  la  Biblio- 
thèque de  Strasbourg  qui  renfermait  l'unique  exemplaire 


—    31  — 


connu  de  cette  édition  —  elle  avait  pour  titre:  «Z/ft  forme 
des  prières  et  chant z  ecclésiastiques.  Avec  la  manière  d'ad- 
ministrer les  sacremeiis  et  consacrer  le  mariage,  selon  la 
coustume  de  V Église  ancienne.  Imprimé  à  Strasbourg  Van 
1545.» 

Outre  la  préface,  la  liturgie  et  les  trente-huit  psaumes 
de  l'édition  pseudo-romaine,  nous  dit  M.  Douen,  qui  a 
connu  l'exemplaire  avant  sa  destruction,  ce  Psautier  conte- 
nait dix  des  vingt  nouveaux  psaumes  de  Marot,  et  en  sus 
des  cantiques  de  l'édition  pseudo-romaine,  le  Décalogue 
de  Marot,  la  Salutation  à  Jésus-Christ,  qui  peut  être  con- 
sidérée comme  le  premier  essai  de  cantique  en  dehors  des 
textes  bibliques  et  du  Symbole. 

Voici  les  premiers  vers  de  cette  Salutation,  dont  on  ne 
connaît  pas  au  juste  l'auteur  : 

le  te  salue,  mon  certain  Rédempteur, 
Ma  vraye  fianc'  et  mon  seul  saluateur, 
Qui  tant  de  labeur, 
D'ennuys  et  de  douleur, 
As  enduré  pour  moy  ; 
Oste  de  nos  cueurs 
Toutes  vaines  langueurs, 
Fol  soucy  et  esmoy. 

A  notre  point  de  vue  spécial,  cette  regrettée  édition  de 
1545  était  particulièrement  intéressante,  car  elle  nous 
fournit  les  premiers  indices  d'une  tendance  dans  l'Église  à 
chanter  autre  chose  que  les  psaumes.  Il  s'est,  en  effet, 
passé  dans  l'Église  protestante,  à  l'égard  des  psaumes  et 
de  leur  usage  exclusif  au  culte ,  le  même  phénomène  de 
réaction  que  nous  avons  constaté  au  moyen  âge,  dans 
l'Église  catholique  à  l'égard  du  chant  grégorien. 


-    32  — 

Toutefois,  celle  lendance  que  nous  signale  le  psautier  de 
15/i5  avec  sa  Salutation  et  aussi  avec  la  manière  particu- 
lière dont  y  est  arrangé  le  Décalogue  (^),  tendance  qu'ac- 
cusent aussi  les  psautiers  avec  musique  à  plusieurs  parties 
qui  apparurent  bientôt  après,  ne  put  jamais  se  faire  jour 
en  France  tant  que  vécut  Calvin.  On  sait,  en  effet,  la 
sainte  horreur  que  nourrissait  le  grand  réformateur  à 
l'égard  de  tout  ce  qui  pouvait  ressembler  à  une  intrusion 
de  l'art  dans  le  domaine  religieux.  Il  faut  lire  en  quels 
termes  énergiques  il  repousse  dans  un  passage  de  Vlnsti- 
tution  chrétienne  le  chant  à  quatre  parties. 

«Les  chants  et  mélodies  qui  sont  composés  au  plaisir  des 
aureilles  seulement,  dit-il,  comme  sont  tous  les  fringots  et 
fredons  de  la  Papisterie  et  tout  ce  qu'ils  appellent  musique 
rompue  et  chants  à  quatre  parties,  ne  conviennent  nulle- 
ment à  la  majesté  de  F  Eglise,  et  ne  se  peut  faire  qu'ils  ne 
déplaisent  grandement  à  Dieu». 

Ainsi,  pour  Calvin  il  n'y  avait  de  chant  qui  «convînt  à 
la  majesté  de  l'Église»  que  celui  des  psaumes  et  des 
psaumes  entonnés  à  l'unisson. 

Certes,  nous  ne  méconnaissons  pas  le  caractère  auguste 
que  peut  revêtir  le  chant  des  psaumes  à  une  partie,  mais 
nous  estimons  pourtant  —  peut-être  jugeons -nous  avec 

(1)  D'après  de  Pours,  qui  a  décrit  le  psautier  strasbourgeois  de  1545, 
il  y  a,  outre  le  Décalogue  ordinaire,  un  autre  Décalogue  qui  commen- 
çait par  ces  vers,  qui  étaient  répétés  ù  la  fin  de  tous  les  versets  du  Déca- 
logue : 

Ayons  la  loi  que  de  sa  voix 
Nous  a  donné  le  Créateur, 
De  tous  les  hommes  législateur, 
Nostre  Dieu  souverain  roy, 
Kyrie,  eleison. 


-    33  - 


des  oreilles  mieux  édurjuées  que  ne  pouvaient  l'être  celles  de 
Calvin  et  de  ses  contemporains  —  que  l'harmonie  d'un 
Bourgeois  ou  d'un  Goudimel  ne  peut  qu'accentuer  plus  for- 
tement ce  caractère  simple  et  majestueux  des  psauuies, 
bien  loin  de  les  faire  dégénérer  en  «fringots  et  fredons  de 
la  Papisterie.»  (i) 

C'était  bien  aussi  le  sentiment  général  des  Églises  et  de 
l'autre  côté  du  Rhin,  en  dehors  du  rayon  où  Calvin  pou- 
vait exercer  son  influence  autoritaire  ;  le  chant  en  parties 
y  prit  bientôt  un  grand  développement,  et  c'est  à  toute 
cette  seconde  moitié  du  seizième  siècle  que  nous  devons 
ces  magnifiques  chorals  allemands  qui  sont  la  plus  noble  et 
la  plus  éclatante  expression  de  la  foi  évangélique.  Mais  en 
France  et  à  Genève  il  ne  pouvait  être  question  de  tenir  têle 
à  Calvin,  et  Calvin  ne  devait  jamais  céder  sur  ce  point. 

(1)  Ce  qu'en  revanche  nous  ne  saurions  assez  sévèrement  condamner 
et  rejeter,  c'est  l'harmonie  inquahfiable  qu'a  eu  le  triste  courage  de 
mettre  à  nos  vieux  psaumes  JI.  Duprato. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  existe,  dans  l'Histoire  de  la  musique,  exemple  de 
semblable  profanation.  On  ne  peut,  à  l'heure  qu'il  est,  ouvrir,  avec 
quelque  sens  musical,  un  des  psautiers  de  l'ÉgMse  réformée  sans  être 
révolté  à  cliaque  ligne  de  ce  qu'on  y  lit.  Je  n'ai,  pour  ma  part,  jamais 
pu  comprendre,  comment  des  musiciens,  dont  je  ne  mets  pas  la  science 
en  suspicion,  mais  dont  je  déplore  le  peu  de  compétence  ou  le  défaut 
total  de  tact  en  cette  matière,  ont  pu  assumer  la  responsabilité  de  faire, 
avec  une  telle  désinvolture,  pareille  besogne  de  dégradation.  Il  n'y  a, 
j'en  conviens,  presqu'aucune  faute  d'harmonie;  mais  à  part  cette 
réserve,  on  n'imagine  pas  tout  ce  qu'on  peut  trouver  dans  les  psaumes 
et  cantiques  mis  à  quatre  parties  par  MM.  Duprato  et  Duvernoy.  Les 
accords  de  septième  mineure,  les  accords  de  triton,  les  résolutions  d'un 
accord  de  dominante  d'un  ton  sur  des  accords  parfaits  de  tons  enhar- 
moniques immédiatement  supérieurs  ou  inférieurs,  c'est-à-dire  tout  ce 
qui  fait  la  couleur  particulière  de  l'harmonie  de  la  fin  du  dix-neuvième 
siècle,  y  abondent. 


-    34  - 


A  partir  de  1545,  les  éditions  du  psautier  se  succédèrent 
rapidement  :  nous  devons  dire  ici  quelques  mois  de  celles 
qui  continrent  les  psaumes  au  nombre  de  cent-un,  que 
Marot  n'avait  pas  traduits  et  de  celles  qui  renfermèrent 
enfin  le  psautier  complet. 

Marot  était  arrivé  en  1542  à  Genève,  où  il  publia  les 
Cinquante  Pseaumes.  Il  n'y  demeura  pas  longtemps.  L'an- 
cien protégé  de  François  I"  et  de  la  reine  de  Navarre,  dit 
M.  F.  Bovet,  ne  pouvait  se  faire  à  la  parcimonie  du  Conseil 
et  au  rigorisme  du  Consistoire.  Il  se  rendit  en  Savoie,  où 
il  put  encore  chanter  en  1544  la  naissance  de  François  II 
et  la  bataille  de  Cerisoles,  et  mourut,  dit-on,  à  Turin,  à  la 
fin  de  la  même  année,  (i) 

Calvin  regretta  doublement  le  départ  de  Marot.  Au  point 
de  vue  personnel,  il  dut  tout  d'abord  être  fâché  de  voir  un 
homme  tel  que  lui  se  soustraire  à  son  autorité,  mais  ensuite 
il  déplora  son  départ  en  raison  de  l'inachèvement  de 
l'œuvre  de  traduction  des  Psaumes.  Marot  parti,  qui  pou- 
vait mener  cette  tâche  à  bonne  fin  ?  Cette  préoccupation  se 
fait  jour  à  plusieurs  reprises  dans  la  correspondance  de 
Calvin,  et  notamment  dans  plusieurs  lettres  adressées  à 
Yiret  au  courant  de  l'année  1545.  Mais  pendant  que  le 
grand  réformateur  s'inquiétait  et  déplorait  peut-être  dans 
son  for  intérieur  une  faute  irréparable  que  son  caractère 
altier  ne  lui  eût  jamais  laissé  avouer  publiquement.  Dieu 
qui,  au-dessus  et  en  dépit  des  événements  et  de  toutes  les 
ttiisères  humaines,  dirige  toutes  choses  et  prépare  en  son 
temps  l'instrument  pour  l'œuvre  particulière,  s'était  choisi 

(')  C'est  la  date  donnée  par  Sainte-Marthe,  mais  elle  n'est  pas  cer- 
taine. 


-    35  - 


l'ouvrier  qu'il  fallait  pour  l'achèvement  de  l'édifice  com- 
mencé à  son  honneur  et  à  sa  gloire.  Cet  ouvrier,  Calvin  le 
rencontra  en  la  personne  de  Théodore  de  Bèze. 

C'était  peu  de  temps  avant  le  départ  de  ce  dernier  pour 
Lausanne.  Un  jour  que  Calvin  était  allé  le  voir,  il  ne  le 
trouva  point  chez  lui;  mais  ail  aperçut  sur  sa  table  à 
écrire  un  brouillon  contenant  des  vers  français:  c'était  une 
traduction  du  psaume  XVI:  aSois' moy.  Seigneur,  ma 
garde  et  mon  appuy.  »  Il  emporta  cette  feuille  à  l'insu  de 
l'auteur  et  la  fit  lire  à  ses  collègues.  Les  vers  de  Bèze 
leur  plurent  si  fort,  que  l'on  engagea  celui-ci  à  ne  pas 
tarder  de  traduire  les  autres  psaumes  restants.  » 

Et  c'est  ainsi  que  deux  années  plus  tard  en  1551,  Bèze 
fit  paraître  chez  Jehan  Crespin,  les  trente-quatre  Pseaumes 
de  Dauid,  nouuellement  mis  en  rime  française  au  plus  près 
de  l'hébreu  par  Th.  de  Besze  de  Vezelay  en  Bourgogne. 

Bèze  dédie  son  œuvre  à  l'Église  persécutée.  Cette  dédi- 
cace est  un  pur  chef-d'œuvre  de  poésie,  et  nous  ne  résis- 
tons pas  au  plaisir  d'en  transcrire  ici  la  première  strophe  : 

Petit  troupeau,  qui  en  ta  petitesse 
Vas  surmontant  du  monde  la  hautesse; 
Petit  troupeau,  le  mespris  de  ce  monde, 
Et  seul  thresor  de  la  machine  ronde  ; 
Tu  es  celuy  auquel  gist  mon  courage. 
Pour  te  donner  ce  mien  petit  ouurage  ; 
Petit,  je  di,  en  ce  qui  est  du  mien, 
Mais  au  surplus  si  grand,  qu'il  n'y  a  rien 
Assés  exquis  en  tout  cest  uniuers 
Pour  esgaler  au  moindre  de  ses  vers. 
Voilà  pourquoy  chose  tant  excellente 
A  toy,  sur  tout  excellent,  il  présente. 
Et  suis  trompé,  si  te  la  dédier 
N'est  à  son  poinct  la  chose  approprier. 


—   36  — 


Mais  Th.  de  Bèze  ne  pouvait  travailler  que  dans  ses 
moments  de  loisir  à  la  traduction  des  Psaumes.  Aussi  n'en 
donne-t-il  que  six  nouveaux  dans  l'espace  de  trois  ans 
(155i-155/i).  Il  fallut  attendre  jusqu'en  1562  pour  avoir 
une  édition  complète  du  psautier.  La  traduction  du  premier 
psaume  par  Marot,  avait  commencé  en  4533;  il  ne  fallut 
donc  pas  moins  de  vingt-neuf  années  pour  élaborer  la  mise 
en  vers  français  des  tent  cinquante  psaumes  de  la  Bible. 
A  partir  de  ce  moment  les  éditions  du  psautier  se  multi- 
plièrent dans  une  proportion  incroyable.  M.  0.  Douen  en 
compte  1400  et  ne  pense  pas  les  avoir  énumérées  toutes. 

CHAPITRE  VI 

LES  MUSICIENS  DU  PSAUTIER  :  G.  FRANC,  BOURGEOIS,  GOUDIMEL 

Après  avoir  assisté  à  la  genèse  du  psautier  pour  les 
paroles,  nous  devons  brièvement  essayer  d'exposer  la 
question  épineuse  de  la  musique  et  de  l'harmonie  de  ce 
même  psautier.  Épineuse  question,  c'est  bien  ainsi  que  la 
qualifiait  Baulacre  dans  le  Journal  helvétique  de  1745.  (i) 
A  plus  forte  raison  peut-elle  l'être  un  siècle  et  demi  après  les 
recherches  de  l'érudit  théologien  qui  dirigeait  alors  la 
Bibliothèque  de  Genève.  Toutefois  les  remarquables  travaux 
de  MjM.  Riggenbach,  Bovet  et  Douen  ont  déjà  jeté  bien  de 
la  lumière  sur  ce  qui  n'était  qu'obscurité  pour  Baulacre. 

(1)  Vous  voulez  qu'on  vous  dise  de  quelle  inain  est  lu  musique  des 

psaumes  J'ai  trouvé  ce  point  d'histoire  ecclésiastique  embrouillé. 

Je  ne  peux  donc  vous  promettre  rien  de  précis  sur  la  matière....  Cette 
question  est  des  plus  épineuses.»  Baulacre,  cité  par  M.  Douen,  p.  GOO. 


-    37  - 


Il  faut  dire  que  cette  obscurité  était  due  en  grande  partie 
à  l'inexactitude  et  même  aux  erreurs  grossières  des  docu- 
ments consultés,  et  on  avouera  que  c'est  une  terrible 
épreuve  pour  un  historien  que  d'avoir  à  contrôler  la 
véracité  de  ses  sources. 

Crespin,  par  exemple,  dans  son  Martyrologe,  nous 
apprend  que  Goudimel  «excellent  musicien....  avait  heu- 
reusement besogné  sur  les  psaumes  de  Dauid  en  François, 
lesquels  il  a  mis  en  musique  en  forme  de  motets  à  quatre, 
cinq,  six  et  huit  parties,  et  sans  la  mort  eust  tost  rendu 
cest  œuure  accomph.» 

Or  ce  simple  passage  contient  deux  erreurs,  car  il  semble 
indiquer  que  Goudimel  a  inventé  les  mélodies  des  psaumes, 
ce  qui  n'est  pas,  et  qu'il  ne  put  achever  son  œuvre  ce  qui 
est  également  inexact. 

Deux  autres  historiens,  de  Thou  et  Florimond  de  Rémond 
reproduisent  la  même  erreur.  M.  Douen  semble  cependant 
ne  pas  tenir  compte  d'un  passage  de  ce  dernier  écrivain 
qui  est  plus  juste  et  qui  explique  celui  qu'il  a  cité.  Flori- 
mond de  Rémond  dit  en  effet  «  que  les  psaumes  ne  furent 
pas  d'abord  mis  en  musique  comme  on  les  voit  aujourd'hui, 
pour  estre  chantez  au  presche  »,  mais  que  dans  le  principe 
«  chacun  y  donnoit  tel  air  que  bon  lui  sembloit,  et  ordi- 
nairement des  vaux-de- ville.  {^)  » 

0)  Ce  qui  explique  parfaitement  le  passage  cité  par  M.  0.  Douen: 
«  Calvin  eut  soin  de  mettre  les  psaumes  entre  les  mains  des  plus  excel- 
lents musiciens  qui  fussent  lors  en  la  chrestienneté,  entre  autres  de 
Godimel  (sic)  et  d'un  autre,  nommé  Bourgeois  pour  les  mettre  en  mu- 
sique, »  ce  qui  est  conforme  à  la  réalité  historique.  En  sorte  que  Flor. 
de  Rémond,  loin  d'avoir  tort  comme  le  croit  notre  éminent  prédécesseur, 
serait  le  seul  qui  ait  dit  la  vérité,  à  savoir  que  l'on  chanta  d'abord  les 


-    38  - 


Au  fond,  ce  fut  là  la  véritable  origine  des  mélodies  de 
nos  psaumes.  Mais  ce  qui  a  fait  l'erreur  de  presque  tous 
ceux  qui  ont  traité  de  la  musique  des  psaumes,  MM.  Bovet 
et  Douen  inclus,  c'est  qu'ils  se  sont  mépris  sur  la  portée 
de  l'expression  «mis  en  musique»  que  nous  rencontrons 
chez  les  historiens  du  seizième  et  dix-septième  siècles  et  à 
laquelle  on  a  attribué  le  sens  moderne  :  composer  une  mé- 
lodie et  son  accompagnement  sur  des  paroles  données. 
Mettre  en  musique,  au  seizième  et  dix-septième  siècles,  ne 
signifiait  pas  inventer  une  mélodie,  mais  faire  Vharmonie 
de  la  mélodie  déjà  existante,  et  la  meilleure  preuve  en  est 
que  les  auteurs  du  temps  ajoutent  toujours  à  l'expression 
mettre  en  musique  :  «  à  quatre,  à  cinq,  à  six  et  à  huit 
parties.  »  Qu'on  relise  à  la  lumière  de  cette  explication  les 
sources  qu'on  a  crues  erronées  et  l'on  verra  qu'elles  ne 
s'éloignent  pas  autant  qu'on  a  voulu  le  dire  de  la  vérité 
historique. 

Sans  entrer  dans  la  question  délicate  de  savoir  exacte- 
ment dans  quelle  mesure  ceux  qui  ont  travaillé  à  la  musique 
du  psautier  l'on  fait,  point  qui,  d'ailleurs,  a  été  très 
complètement  traité  par  M.  0.  Douen,  nous  ne  pouvons 
nous  dispenser,  sous  peine  de  lacune  dans  notre  travail, 
d'esquisser  à  grands  traits  le  portrait  des  trois  grands 
musiciens  dont  le  nom  est  à  jamais  attaché  à  nos  psaumes: 
Goudimel,  Bourgeois  et  Guil.  Franc. 

Psaumes  sur  des  airs  profanes  et  que  lorsque  ces  airs  eurent  été  con- 
sacrés ijar  quelques  années  de  tradition,  Goudimel  et  Bourgeois  les 
mirent  en  musique  pour  former  une  sorte  de  canon  ecclésiastique  des 
Psaumes.  C'est  ce  même  travail  que  nous  formulerons  plus  loin  comme 
l'un  de  nos  desiderata  à  l'égard  des  cantiques. 


-    39  - 


GUILLAUME  FRANC 

Pour  suivre  l'ordre  historique,  nous  commencerons  par 
parler  de  Guillaume  Franc.  Les  Registres  du  Conseil  de 
Genève  et  les  travaux  de  MM.  Riggenbach  et  H.  Bordier 
nous  permettent  de  nous  rendre  compte  assez  exactement 
de  sa  vie.  Il  était  né  à  Rouen  à  la  fin  du  siècle  précédent; 
la  date  précise  nous  manque:  chassé,  très  probablement 
de  France  par  la  persécution,  il  sut,  comme  de  Bèze, 
sacrifier  parents,  amis,  intérêts,  fortune  à  sa  foi,  et 
arriva  dans  les  derniers  mois  de  l'année  IS/iO  ou  au  prin- 
temps de  1541,  suivant  d'autres,  à  Genève.  La  première 
date  exacte  que  nous  ayons  de  sa  vie  est  celle  du  17  juin 
1541,  à  laquelle  il  lui  fut  octroyé  «licence  de  tenir  école 
de  musique».  Calvin  était  encore  exilé  à  Strasbourg.  Deux 
ans  après,  Guillaume  Franc,  chargé  d'apprendre  à  chanter 
les  psaumes  aux  enfants,  voit  élever  ses  gages  de  dix  à 
cinquante,  puis  à  cent  florins.  Mais,  le  29  mai  1545, 
ayant  demandé  une  augmentation  qui  lui  fut  refusée,  il 
déclara  au  Conseil  ne  pouvoir  vivre  à  Genève  avec  cent 
florins  par  an,  et  le  3  août,  lui  envoya  sa  démission. 

G.  Franc  partit  immédiatement  pour  Lausanne,  où  il 
rempht  les  fonctions  de  chantre  à  la  cathédrale  et  où  il 
vécut  dans  la  pauvreté  jusqu'à  sa  mort,  en  1570. 

Et  maintenant  quelle  part  prit  G.  Franc  à  la  composition 
du  psautier?  C'est  là  un  point  fort  difficile  à  élucider  et 
que  seul  M.  Douen  est  arrivé  à  éclaircir  par  un  minutieux 
examen  des  Registres  du  Conseil  et  des  exemplaires  raris- 
simes des  psautiers  de  l'époque.  Sans  entrer  dans  autant 


-    40  — 


de  détails,  nous  résumerons  simplement  les  conclusions  des 
différents  historiens  sur  cette  question  : 

f(  Lorsque  Franc  arriva  à  Lausanne,  dit  M.  F.  Bovet,  on 
y  chantait  déjà  des  psaumes,  et,  ce  qui  est  assez  curieux, 
on  les  chantait  sur  d'autres  airs  qu'à  Genève  :  ces  airs, 
introduits  en  1542,  avaient  pour  auteur  le  chanoine 
Gindron.  Viret  les  trouvait  beaucoup  plus  faciles  et  beau- 
coup plus  beaux  que  ceux  dont  on  faisait  usage  à  Genève, 
et  regrettait  qu'on  ne  les  eût  pas  imprimés  de  préférence 
à  ceux-là.  » 

G.  Franc  dut  d'abord  se  conformer  à  la  tradition  de 
l'Église  de  Lausanne,  mais  bientôt  il  s'occupa  de  travailler 
à  l'amélioration  de  la  musique  du  psautier.  Th.  de  Bèze 
traduisait  de  nouveaux  psaumes  qu'on  chantait  sur  des  airs 
adaptés  à  d'autres  de  Marot.  G.  Franc  composa  des  airs 
pour  ces  psaumes,  ainsi  qu'il  résulte  d'une  pièce  datée  du 
Jeudi,  28  juillet  1552  (^).  Puis,  treize  ans  après,  en  1565, 
il  fit  paraître  à  Genève  un  psautier  sous  ce  titre:  «.  le.v 
psaumes  mis  en  rime  française  par  Clément  Marot  et  Théo- 
dore de  Bèze,  avec  le  chant  de  V Eglise  de  Lausanne.  » 

Dans  cette  édition,  nous  constatons  que  G.  Franc  a  ftiit 
un  double  travail.  Il  a  d'abord  adapté  des  mélodies  aux 
27  psaumes  qui  n'en  avaient  pas,  et  ensuite  il  a  recueilli 
tant  à  Lausanne  qu'ailleurs,  des  mélodies  au  nombre  de 
19,  qu'il  a  introduites  dans  son  psautier.  Or  ce  psautier 
est  resté  exclusivement  en  usage  dans  l'Eglise  de  Lau- 

(1) . .  .«faire  imprimer  les  psaulmes  translatez  par  Marot  en  leur  pre- 
mier chant  et  aussy  ceulx  qu'a  translatés  le  sieur  de  Bèze  en  vng  chant 
que  y  a  mis  le  chantre  de  Lausanne  (G.  Franc)  pour  les  chanter. . .  » 
(Extrait  des  Registres  du  Conseil). 


-    41  — 

sanne;  même  cette  Église  adopta  peu  après  le  psautier 
genevois  auquel,  plus  que  probablement,  G.  Franc  ne 
collabora  nullement  (i),  en  sorte  qu'il  ne  reste  actuellement 
rien  de  l'œuvre  de  G.  Franc,  ni  comme  composition,  ni 
comme  arrangement  de  la  musique,  dans  le  psautier  des 
églises  réformées  de  France  (-). 

LOUIS  BOURGEOIS 

Le  successeur  de  G.  Franc,  à  la  place  de  chantre  de 
Saint-Pierre  à  Genève  (15/i5)  fut  Louis  Bourgeois,  sur 
lequel  les  registres  du  Conseil  nous  donnent  aussi  bien  des 
détails  intéressants.  D'après  M.  Fétis(3),  Louis  Bourgeois, 
né  à  Paris  au  commencement  du  seizième  siècle,  s'attacha 
à  Calvin ,  et  le  suivit  à  Genève ,  lorsque  le  réformateur 
rentra  dans  cette  ville  en  15/il.  Ce  dernier  renseignement 
nous  paraît  inexact,  car  les  registres  du  Conseil  portent 
«qu'on  fit  appeler  de  Paris,  en  1541,  un  musicien  nommé 
Louis  Bourgeois,  etc..»  Quoi  qu'il  en  soit,  les  débuts  ne 
sont  pas  trop  malheureux:  «le  24  mai  15/1.7,  le  Conseil  lui 
accorde  gratis  le  droit  de  cité,  attendu  «qu'il  est  homme 
de  bien  et  qu'il  sert  volontiers  pour  apprendre  les  enfants»; 

(^)  Ainsi  qu'on  peut  en  inférer  de  la  lecture  de  la  Préface  qu'a  écrite 
G.  Franc  en  tête  de  son  psautier. 

(2)  Ce  qui,  par  parenthèse,  réduit  à  néant  l'assertion  des  éditeui-s  des 
Chants  chrétiens  qui  attribuent  à  «  Guillaume  Franc  1552  »  la  musique 
(nous  voulons  croire  qu'ils  ne  lui  attribuent  pas  l'harmonie  (!)  qu'ils 
en  donnent)  des  psaumes  42,  116,  86,  25,  du  Cantique  de  Siraéon,  et 
d'un  autre  cantique  inscrit  sous  le  n»  64. 

(^)  Biograpliie  des  musiciens. 

G 


trois  mois  après,  on  l'exempte  «du  guet  et  des  terraultx(i)  » 
pour  qu'il  puisse  «mieux  vacquer  à  son  étude»,  et  l'on 
décide  de  faire  faire  «un  petit  poêle  à  plaque»  dans  son 
appartement.  Mais  bientôt  on  lui  «.décroît»  de  cinquante 
florins  son  salaire.  Il  supplie  qu'on  le  rétablisse  tel  qu'il 
était  et  même  qu'on  l'augmente  quelque  peu  «.  par  contem- 
plation de  sa  pauvreté».  On  se  borne  à  lui  donner  deux 
coupes  de  blé  «  pour  cette  fois  et  pour  contemplation  de  ce 
que  sa  femme  est  prête  k  accoucher».  Un  peu  plus  tard, 
comme  il  revient  à  la  charge,  on  décide  «que  pour  ores  l'on 
n'en  parlera  plus».  En  vain,  maitre  Calvin  intercède  en  sa 
faveur;  le  Conseil  s'en  tient  à  son  arrêté,  et  huit  jours 
après,  indisposé  peut-être  par  l'importunité  du  pauvre 
chantre,  il  le  fait  mettre  en  prison  pour  avoir  changé  «sans 
licence»  le  chant  de  quelques  psaumes.  Mais,  celte  fois 
encore,  Calvin  survient,  prend  le  parti  de  son  protégé  et 
obtient  qu'il  soit  relâché  au  bout  de  vingt-quatre  heures  (-). 

L'œuvre  de  Bourgeois  dans  la  musique  du  psautier  n'a 
pas  eu  le  sort  éphémère  de  celle  de  G.  Franc. 

Huit  psaumes  (5,  7,  iO,  11,  12,  ik,  37,  U5)  n'avaient 
point  de  mélodie  dans  l'édition  pseudo-romaine  de  Stras- 
bourg, 15/i2  :  Bourgeois  mit,  le  premier,  ces  psaumes  en 
musique;  d'autre  part,  il  changea  la  mélodie  de  douze 
psaumes  et  des  commandements  (ce  qui  lui  valut  sans 
doute  sa  condamnation)  et  sa  musique  est  certainement 
supérieure  à  celle  qui  avait  été  primitivement  usitée.  Ces 
douze  psaumes  sont  les  n"'  li,  6,  8,  9,  15,  19,  22,  24, 
32,  38,  51, 113.  Déplus,  Bourgeois  fit  quelques  retouches 

(')  La  corvée  du  travail  des  retranchements. 
(2)  F.  Bovet.  Histoire  du  ■psautier,  p.  60. 


-    43  — 

aux  autres  mélodies  allemandes,  sur  lesquelles  Calvin  avait 
versifié.  Toutes  ces  modifications  semblent  heureuses  et 
frappées  au  coin  du  bon  goût. 

Lorsque  Bourgeois  quitta  Genève  en  1557,  il  restait 
donc  à  traduire  et  à  mettre  en  musique  soixante-deux 
psaumes  auxquels  on  n'adapta  que  quarante  mélodies. 

C'est  à  cette  dernière  œuvre  qu'est,  en  particulier, 
attaché  le  nom  de  Goudimel,  le  premier,  le  plus  noble,  le 
plus  savant  des  harmonistes  de  notre  psautier. 

Goudimel  n'a  pas  vu  sa  mémoire  passer,  éclatante,  à  la 
postérité,  pour  le  seul  fait  a d'auoir  heureusement  besogne 
sur  les  Psaumes  de  Dauid.  en  françois»,  ainsi  que  le  dit 
Crespin  dans  son  Martyrologe.  Sa  réputation  était  déjà 
faite  avant  qu'il  s'occupât  du  psautier,  c'est-à-dire  avant 
que  la  frivolité  et  la  raillerie  à  l'égard  des  choses  saintes 
eussent  fait  place  chez  lui  à  des  sentiments  de  piété  et  de 
conversion. 

CLAUDE  GOUDIMEL 

D'après  MM.  Fétis  et  F.  Clément,  Claude  Goudimel 
naquit  en  j510  dans  la  Franche-Comté,  peut-être  à  Besan- 
çon. Aucun  document  certain  n'a  pu  nous  apprendre  jus- 
qu'ici qui  étaient  ses  parents  et  comment  il  fut  amené  à 
se  vouer  à  la  musique.  Si  nous  en  jugeons  d'après  ses 
écrits  et  particulièrement  d'après  ses  lettres  latines  qui 
sont  tracées  avec  facilité  et  en  une  langue  très  choisie, 
Goudimel,  comme  Th.  de  Bèze,  dut  d'abord  être  destiné 
par  ses  parents  aux  études  littéraires,  sans  doute  au  droit, 
peut-être  à  la  médecine  ;  mais  son  irrésistible  vocation  pour 


-    44  — 


la  musique  vint  se  mettre  au  travers  des  projets  paternels 
et  pour  y  donner  carrière,  autant  peut-être  que  pour  fuir 
des  rigueurs  qu'il  ne  méritait  pas,  il  se  dirigea  vers  Rome, 
qui  était  alors  ce  qu'elle  n'est  plus  aujourd'hui  :  la  ville  des 
arts  par  excellence  et  de  la  musique  en  particulier.  Gou- 
dimel  s'y  établit  moins  pour  apprendre,  sans  doute,  que 
pour  perfectionner  ce  qu'il  savait  déjà.  En  1538,  il  eut  la 
hardiesse  d'y  ouvrir  la  première  école  publique  de  musique. 
C'était  beaucoup  oser,  car  jusqu'alors,  l'enseignement  du 
chant  avait  été  depuis  les  temps  les  plus  reculés  de  la 
chrétienté,  uniquement  entre  les  mains  des  clercs,  qui  for- 
maient dans  la  sainte  routine  du  plain-chant  des  chantres 
destinés  aux  cathédrales.  Ces  écoles  de  chant  sacré  s'appe- 
laient des  psallettss,  et  leur  moindre  défaut  était  de  con- 
fisquer au  profit  d'une  caste  les  connaissances  d'un  art  et 
d'une  science,  auxquelles  ne  pouvait  suffire  l'étroite  prison 
de  la  basilique,  même  la  plus  immense,  pour  laquelle  et  par 
laquelle  seulement  elles  existaient. 

En  dépit  des  difficultés  qu'elle  devait  rencontrer,  l'entre- 
prise de  Goudimel  réussit  au  delà  de  ses  espérances,  et  il 
eut  l'impérissable  honneur  de  former  des  élèves  qui  por- 
taient les  noms  de  Palestrina,  Animucci,  Nanini,  Merle, 
etc.,  etc. 

Ainsi  l'école  italienne,  qui  allait  conquérir  le  sceptre  du 
goût  et  créer  un  véritable  paradis  de  pureté  harmonique, 
l'école  mélodique  enfin,  qui  n'avait  point  eu  de  devancière, 
est  fille  de  Goudimel. 

On  ne  connaît  rien  de  précis  de  la  première  phase  de  la 
vie  de  Goudimel  ;  d'après  ce  qu'on  peut  inférer  de  ses 
ouvrages,  cette  vie  dut  se  passer  au  milieu  des  frivolités 


—    45  — 


d'une  cour  pontificale  d'une  part,  d'une  cour  royale  de 
l'autre.  Mais  il  devait,  lui  aussi,  avoir  son  chemin  de  Damas. 
Ce  fut  sans  doute  vers  l'année  1560,  qu'il  se  tourna  du 
côté  de  la  Réforme.  Bourgeois  était  à  ce  moment  revenu 
à  Paris,  et  des  relations  d'amitié  purent  bientôt  s'établir 
entre  les  deux  musiciens.  Ces  relations,  et  probablement 
aussi  le  chant  des  psaumes  au  Pré-aux-Clercs,  qui  dut  faire 
une  profonde  impression  sur  Goudimel,  eurent  certainement 
la  plus  grande  influence  sur  la  direction  de  sa  vie.  Pour 
n'avoir  point  été  brusque,  sa  conversion  ne  fut  que  plus 
sûre  et  plus  authentique.  Demeura-t-il  encore  à  Paris  ou 
s'éloigna-t-il  aussitôt  de  la  grande  ville,  c'est  ce  qu'aucun 
document  n'est  venu  jusqu'ici  nous  apprendre.  Il  dut 
cependant  fuir  la  persécution  et  se  réfugier  à  Lyon,  l'un 
des  foyers  les  plus  importants  de  la  Réforme.  C'est  là  que 
la  Saint-Barthélemy,  dont  il  fut  une  des  plus  illustres 
victimes,  le  surprit,  encore  «occupé  de  cette  musique  reli- 
gieuse, qui  fut  son  crime  et  la  cause  de  sa  mort». 

Cinq  éditions  du  psautier,  auxquelles  Goudimel  travailla, 
parurent  de  son  vivant.  Elles  reçurent  en  France  et  en 
Suisse  le  meilleur  accueil  ;  toutefois,  il  convient  de  constater, 
à  notre  confusion,  que  les  psaumes  harmonisés  par  Gou- 
dimel furent  autrement  goûtés  à  l'étranger  qu'en  France. 
La  musicienne  Allemagne  sut,  entre  autres,  les  estimer  à 
toute  leur  valeur.  Il  résulte  en  effet,  de  la  bibliographie 
du  sujet  que,  dès  1565,  un  jurisconsulte  saxon,  Ambroise 
Lobwasser,  ravi  de  l'harmonie  de  Goudimel  qu'il  avait 
entendue  en  France,  acheva  de  traduire  les  psaumes  de 
Marot  et  de  Th.  de  Bèze,  en  en  conservant  scrupuleuse- 


-  46 


ment  le  rythme.  La  première  édition  de  ce  psautier  alle- 
mand, dont  un  exemplaire  se  trouve  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  parut  en  1573,  et  depuis  ce  premier  psautier 
de  Lobwasser,  près  de  300  éditions  parurent  en  alle- 
mand, c'est-à-dire  presqu'autant  qu'en  français.  Et  le 
psautier  de  Marot,  de  Th.  de  Bèze  et  de  Goudimel  ne  fut 
pas  moms  populaire  en  Suisse  et  en  Hollande.  M  Félix 
Bovet  ne  cite  pas  moins  de  trente  auteurs,  qui  ont  travaillé 
en  Hollande  au  psautier. 

Quant  à  la  Suisse,  elle  a  conservé,  presque  jusqu'à  nos 
jours,  le  psautier  de  Goudimel  avec  quelques  modifications. 


CHAPITRE  VII 

LES  PREMIERS  CANTIQUES  PROTESTANTS  FRANÇAIS 

Tel  était  donc  à  la  fin  du  seizième  siècle  le  point  de 
développement  de  l'hymne  protestant  français.  Le  chant 
des  Psaumes,  des  Commandements,  du  Décalogue  était 
seul  en  usage.  Calvin  avait  sévèrement  proscrit  toute  autre 
sorte  de  chant  qu'il  eût  qualifiée  de  profane.  Et  de  fait, 
les  paroles  et  la  musique  des  psaumes  convenaient  admi- 
rablement à  la  grandeur  et  à  la  majesté  de  cette  première 
Eglise  réformée,  qui  allait  avoir  tant  de  luttes  à  soutenir 
tant  de  persécutions  à  subir,  tant  d'obstacles  à  surmonter' 
Elle  avait  besoin  d'épancher  toute  son  àme  dans  ses  chants 
comme  le  psalmiste,  de  puiser  auprès  de  son  Dieu  ce 
secours  qui  ne  l'abandonna  point  au  sein  même  des  plus 
grandes  détresses,  et  de  s'écrier  avec  le  roi-prophète- 


«  Éternel,  je  cherche  en  toi  mon  refuge  :  que  jamais  je  ne 
sois  confondu,  car  tu  es  mon  rocher,  ma  forteresse;  sauve 
ton  peuple  et  bénis  ton  héritage  !  » 

Les  psaumes  furent  donc,  à  euK  seuls,  la  vivante  et 
glorieuse  expression  de  cette  vaillante  piété  huguenote  qui, 
dans  son  ensemble,  jamais  ne  défaillit;  ils  furent  pour  ces 
vieux  géants  le  cri  de  guerre  qui  leur  assurait  la  victoire, 
parce  qu'au  delà  de  cette  terre  pour  laquelle  ils  mouraient, 
leur  regard  se  portait  plus  haut,  vers  les  cieux,  vers  la 
patrie  céleste  et  lumineuse  qui  allait  les  recevoir  parmi 
des  chants  de  triomphe.  Mais  les  psaumes  ne  pouvaient 
demeurer  toujours  et  exclusivement  le  cantique  de  l'Eglise. 
A  l'hymne  guerrier  devait  succéder  le  chant  de  paix. 
L'Église,  après  avoir  conquis  et  affirmé  —  au  prix  de 
quelles  luttes  et  de  quel  sang  versé!  —  sa  liberté,  devait 
sentir  le  besoin  de  formuler  sa  foi  et  de  la  proclamer  en 
prose  et  en  vers;  la  personne  de  Jésus-Christ,  le  Dieu  qui 
n'était  plus  l'Éternel  fort  et  jaloux,  punissant  l'iniquité  des 
pères  sur  les  enfants,  mais  le  Père  Céleste,  aimant,  par- 
donnant et  bénissant  a  travers  toutes  les  défaillances,  les 
infirmités  et  les  rebellions,  n'avait  pas  sa  place  dans  les 
psaumes;  à  la  piété  nouvelle,  il  fallait  des  chants  nou- 
veaux. De  ces  tendances  diverses  naquit  le  cantique;  il 
n'eut  dù  être  qu'un  complément  légitime  et  nécessaire  des 
psaumes...  par  un  sentiment  d'exagération  naturel  à 
l'esprit  humain  et  particulièrement  à  l'esprit  français,  il 
fut  une  réaction  contre  les  psaumes.  On  fit  litière  du  passé 
_  de  ce  passé  à  jamais  si  glorieux  —  pour  ne  penser 
qu'au  présent  et  pour  ne  rêver  qu'à  l'avenir.  Nous  ne 
constatons  pas  cette  erreur  de  notre  siècle  sans  la  déplorer 


-    46  - 

meot  le  rythme.  La  première  édition  de  ce  psautier  alle- 
mand, dont  un  exemplaire  se  trouve  à  la  Bibliothèque 
Nationale,  parut  en  1573,  et  depuis  ce  premier  psautier 
de  Lobvvasser,  près  de  300  éditions  parurent  en  alle- 
mand, c'est-à-dire  presqu'autant  qu'en  français.  Et  le 
psautier  de  Marot,  de  Th.  de  Bèze  et  de  Goudirael  ne  fut 
pas  moins  populaire  en  Suisse  et  en  Hollande.  M.  Félix 
Bovet  ne  cite  pas  moins  de  trente  auteurs,  qui  ont  travaillé 
en  Hollande  au  psautier. 

Quant  à  la  Suisse,  elle  a  conservé,  presque  jusqu'à  nos 
jours,  le  psautier  de  Goudimel  avec  quelques  modifications. 

CHAPITRE  VII 

LES  PREMIERS  CANTIQUES  PROTESTANTS  FRANÇAIS 

Tel  était  donc  à  la  fin  du  seizième  siècle  le  point  de 
développement  de  l'hymne  protestant  français.  Le  chant 
des  Psaumes,  des  Commandements,  du  Décalogue  était 
seul  en  usage.  Calvin  avait  sévèrement  proscrit  toute  autre 
sorte  de  chant  qu'il  eût  qualifiée  de  profane.  Et  de  fait, 
les  paroles  et  la  musique  des  psaumes  convenaient  admi- 
rablement à  la  grandeur  et  à  la  majesté  de  cette  première 
Eglise  réformée,  qui  allait  avoir  tant  de  luttes  à  soutenir, 
tant  de  persécutions  à  subir,  tant  d'obstacles  à  surmonter. 
Elle  avait  besoin  d'épancher  toute  son  âme  dans  ses  chants, 
comme  le  psalmiste,  de  puiser  auprès  de  son  Dieu  ce 
secours  qui  ne  l'abandonna  point  au  sein  même  des  plus 
grandes  détresses,  et  de  s'écrier  avec  le  roi-prophète: 


«  Éternel,  je  cherche  en  toi  mon  refuge  :  que  jamais  je  ne 
sois  confondu,  car  tu  es  mon  rocher,  ma  forteresse;  sauve 
ton  peuple  et  bénis  ton  héritage  !  » 

Les  psaumes  furent  donc,  à  eux  seuls,  la  vivante  et 
glorieuse  expression  de  cette  vaillante  piété  huguenote  qui, 
dans  son  ensemble,  jamais  ne  défaillit;  ils  furent  pour  ces 
vieux  géants  le  cri  de  guerre  qui  leur  assurait  la  victoire, 
parce  qu'au  delà  de  cette  terre  pour  laquelle  ils  mouraient, 
leur  regard  se  portait  plus  haut,  vers  les  cieux,  vers  la 
patrie  céleste  et  lumineuse  qui  allait  les  recevoir  parmi 
des  chants  de  triomphe.  Mais  les  psaumes  ne  pouvaient 
demeurer  toujours  et  exclusivement  le  cantique  de  l'Église. 
A  l'hymne  guerrier  devait  succéder  le  chant  de  paix. 
L'Église,  après  avoir  conquis  et  affirmé  —  au  prix  de 
quelles  luttes  et  de  quel  sang  versé!  —  sa  liberté,  devait 
sentir  le  besoin  de  formuler  sa  foi  et  de  la  proclamer  en 
prose  et  en  vers;  la  personne  de  Jésus-Christ,  le  Dieu  qui 
n'était  plus  l'Éternel  fort  et  jaloux,  punissant  Tiniquité  des 
pères  sur  les  enfants,  mais  le  Père  Céleste,  aimant,  par- 
donnant et  bénissant  à  travers  toutes  les  défaillances,  les 
infirmités  et  les  rebellions,  n'avait  pas  sa  place  dans  les 
psaumes;  à  la  piété  nouvelle,  il  fallait  des  chants  nou- 
veaux. De  ces  tendances  diverses  naquit  le  cantique;  il 
n'eût  du  être  qu'un  complément  légitime  et  nécessaire  des 
psaumes...  par  un  sentiment  d'exagération  naturel  à 
l'esprit  humain  et  particulièrement  à  l'esprit  français,  il 
fut  une  réaction  contre  les  psaumes.  On  fit  litière  du  passé 
—  de  ce  passé  à  jamais  si  glorieux  —  pour  ne  penser 
qu'au  présent  et  pour  ne  rêver  qu'à  l'avenir.  Nous  ne 
constatons  pas  cette  erreur  de  notre  siècle  sans  la  déplorer 


48  — 


profondément;  mais  malgré  tout,  nous  avons  encore  foi 
dans  le  bon  sens  de  nos  compatriotes  et  coreligionnaires, 
et  nous  espérons  que  dans  un  contingent  plus  ou  moins 
éloigné,  on  reviendra  de  cet  enthousiasme  immodéré  et 
désordonné  —  nous  Talions  montrer  tout  à  l'heure  —  pour 
le  cantique,  et  qu'on  saura  rendre  au  psaume  la  place 
d'honneur  qu'il  doit  occuper  dans  l'hymnologie  de  l'Église 
protestante  de  France. 

A  côté  du  psautier,  nous  rencontrons,  au  seizième 
siècle,  toute  une  autre  littérature  poétique  et  musicale 
particulièrement  intéressante  :  nous  voulons  parler  des 
chansonniers.  Les  morceaux  qu'ils  renferment  ne  sont 
plus  des  psaumes  et  pas  encore  des  cantiques,  ce  sont 
des  sortes  de  chansons  sérieuses  qui  naquirent  en  partie 
des  persécutions  auxquelles  étaient  en  butte  les  protestants 
de  France.  C'est  ainsi  qu'en  1524,  Marot  faisait  l'une  de 
ses  chansons  intitulée  :  (^Chanson  pour  protester  de  servir 
à  Dieu  toute  sa  vie.  »  Nous  trouvons  aussi  une  chanson 
de  1532  :  «  La  chanson  des  dix  commandements  de  Dieu  » 
par  Anthoixe  Salnier,  pasteur  dans  le  canton  de  Vaud. 

Le  volume  de  M.  Bordier  contient  encore  sept  chansons 
tirées  de  la  seconde  édition  d'un  recueil  que  fit  paraître  en 
1533  l'imprimeur  Pierre  de  Vingle.  La  première  édition 
ou  plutôt  le  premier  recueil  de  P.  de  Vingle  ne  contenait 
que  cinq  chansons  :  il  avait  pour  titre  :  «  Chansons  nou- 
velles, démonstrant  plusieui's  erreurs  et  fauisetés.  »  Sans 
noms  d'auteurs,  par  prudence  vis-à-vis  de  la  persécution. 
—  Le  second  édité  la  même  année  à  Neuchàtel  a  pour 
titre  :  Belles  et  bonnes  chansons  que  les  chrestiens  peuvent 
chanter  en  grande  affection  de  cœur.  »  Jl  contient  dix-neuf 


-    49  — 


pièces.  Un  troisième  recueil  de  1533  encore,  contient 
vingt-quatre  chansons  la  plupart  de  Mathieu  Malingre, 
pasteur  à  Neuchâtel. 

Ce  sont  les  trois  premiers  chansonniers  huguenots  :  ils 
furent  bientôt  suivis  de  plusieurs  autres,  car  la  littérature 
des  chansonniers  va  de  1533  à  1C78.  En  1546,  Eustorg 
de  Beaulieu,  ancien  prêtre  catholique  passé  à  la  Réforme, 
fit  paraître  des  (l  Chansons  spirituelles  sur  la  Sainte-Cène  :d 
et  une  nChrestienne  réjouissance))  contenant  160  chansons 
dont  il  fit  paroles  et  musique. 

M.  H.  Bordier  nous  a  aussi  révélé  l'existence  d'autres 
chansonniers  édités  en  1548,  1560,  à  Lyon.  Enfin,  en 
1555  parut  un  recueil  général  qui  a  été  fréquemment 
réimprimé.  De  tous  ces  chansonniers  il  nous  reste  650  mor- 
ceaux qui  nous  permettent  de  nous  rendre  très  suffisam- 
ment compte  de  ce  que  fut  la  poésie  huguenote  au  seizième 
et  au  dix-septième  siècles.  Le  fond  en  est  sérieux,  la  forme 
enjouée  et  piquante.  L'esprit  non  plus  ne  manque  pas. 
Quant  à  la  musique  qui  accompagne  ces  morceaux,  elle 
est  souvent  empruntée  à  des  airs  profanes  ou  à  ceux  des 
psaumes  ;  parfois  aussi  elle  est  originale. 

Nous  devions  au  chansonnier  huguenot,  et  à  la  place 
qu'il  occupe  dans  notre  histoire  du  protestantisme,  les 
quelques  lignes  que  nous  lui  avons  consacrées.  Nous  ne 
pouvons  mentionner  que  pour  mémoire  les  Noëls  que  Jean 
Daniel,  organiste,  qui  vivait  sous  Henri  II,  composa  ou 
rassembla.  «Ils  n'ont  d'ailleurs,  dit  M.  Lutterolh,  dans  le 
Semeur  de  1837,  d'autre  mérite  que  celui  de  la  plus  folle 
gaieté. 

D'une  tout  autre  valeur  sont  les  Chajisons  spirituelles 


de  Marguerite  de  Valois,  sœur  de  François  P',  qui  sont  de 
véritables  cantiques  dictés,  malheureusement  par  des  cir- 
constances trop  particulières  (^)  pour  pouvoir  être  utilisés 
dans  le  chant  public  et  ternis  aussi,  il  faut  bien  le  dire, 
par  le  souvenir  d'un  autre  ouvrage  qui  sortit  de  cette 
même  plume  royale,  et  qui  s'appelle  VHeptaméron. 

Il  y  eut  encore  une  multitude  d'essais  de  cantiques  aux- 
quels sont  restés  attachés  les  noms  de  Remy  Belleau  et  de 
Joachim  du  Bellay  :  nous  noterons  aussi  ceux  du  sieur  de 
Valagre  et  du  sieur  de  Maizon-Fleur  composés  sur  des 
passages  de  la  Bible  cités  en  marge.  Ces  cantiques  ne 
paraissent  jamais  avoir  été  chantés. 

Quant  aux  cantiques  de  Racine  et  de  P.  Corneille,  nous 
en  parlerons  plus  loin. 

La  première  tendance  d'introduction  de  cantiques  parmi 
les  chants  sacrés  de  l'Église  date  de  Th.  de  Bèze.  Nous 
trouvons  dans  les  Registres  de  la  Compagnie  des  pasteurs 
trois  passages  qui  font  allusion  à  des  cantiques  que  Th.  de 
Bèze  aurait  composés  et  dont  il  aurait  fait  à  la  fois  paroles 
et  musique  (-).  En  effet,  dès  l'année  1595  paraît  une  pre- 

(1)  Ainsi  une  prière  pour  la  guérison  de  François  I",  son  frère  ;  une 
autre  à  l'occasion  de  la  mort  du  Roy;  une  autre  pour  le  triomphe  de  la 
vérité  sur  les  persécutions. 

(2)  Voici  ces  trois  passages  qu'on  peut  lire  dans  l'Histoire  de  la 
uiusique  de  M.  Marcillac  de  Genève  : 

«  Le  31  octobre  1595,  fut  parlé  en  la  Compagnie  de  cantiques  nouvel- 
lement traduits  et  mis  en  rime  et  en  nmsique  i)ar  M.  de  Besze,  et  ce 
parce  que  les  frères  d'Aiigletene  auroient  demandé  s'ils  les  chanteraient 
en  leurs  assemblées.  « 

1597.  «  L'avis  fut  pris  qu'à  cause  que  cela  auait  longtemps  traisné, 
on  prieroit  M.  de  Besze,  auec  trois  ou  quatre  musiciens,  de  corriger 


-    51  - 


mière  édition  des  Saincts  Cantiques  recueillis  tant  du  Vieil 
que  du  Nouueau-Testament,  mis  en  rime  française  par 
Th.  de  bèze. 

Ces  Cantiques  sont  au  nombre  de  dix-sept  :  il  est 
curieux  de  constater,  en  les  examinant,  que  de  Bèze  n'a 
pas  voulu,  malgré  l'autorité  de  sa  personnalité  et  de  son 
grand  âge  (il  avait  alors  environ  quatre-vingts  ans),  heurter 
de  front  l'opinion  publique  et  les  théories  rigoureuses  de 
Calvin  en  matière  de  chant  ecclésiastique.  Son  but  était 
simplement  de  combler  la  lacune  que  laissaient  les  psaumes 
dans  le  chant  sacré;  aussi,  se  contente-t-il  d'abord  de  faire 
seulement  des  paroles  auxquelles  il  adapte  l'air  de  certains 
psaumes.  Sept  de  ses  cantiques  sont  de  ce  nombre,  le 
huitième  est  le  Cantique  de  Siméon  qui  a  conservé  sa 
mélodie  ordinaire,  quant  aux  neuf  autres  cantiques,  si 
leurs  mélodies  ne  sont  pas  exactement  celles  d'autres 
psaumes,  au  moins  s'en  rapprochent-elles  d'assez  près  (i). 

quelques  tons  auxdits  cantiques  et  quand  cela  fait,  on  lespourroit  chan- 
ter en  l'Église  moyennant  le  contentement  de  Jlessieurs.  » 

Mars  1597.  «  Les  cantiques  de  M.  de  Besze  ont  été  remis  en  chant 
par  vn  personnage  d'Auuergne,  pour  voir  si  on  pourroit  les  chanter  en 
l'Église.  Donné  charge  à  M.  Goulart  de  les  essayer  auec  quelques  musi- 
ciens. Ce  que  sachant  M.  de  Besze  a  aussi  fait  la  musique  ;  ces  musi- 
ciens lui  trouvent  plus  d'air  qu'au  personnage  d'Auuergne  :  il  est  adopté, 
en  changeant  quelques  tons  des  pseaumes.  » 

(1)  Nous  ne  serions  pas  éloignés  de  croire  que  Th.  de  Bèze,  en  arran- 
geant lui-même  la  musique  de  ses  cantiques,  n'a  jamais  eu  la  pré- 
tention de  faire  une  œuvre  originale.  Certains  écrivains  lui  ont  préci- 
sément reproché  d'avoir  plagié  des  airs  de  psaumes.  Il  paraît  hien 
difficile  d'admettre  qu'un  vieillard  déjà  sur  le  déclin  ait  soudainement 
entrepris,  sans  connaissances  techniques,  de  composer  de  la  musique 
pour  ses  cantiques  ;  il  nous  paraît  heaucoup  plus  naturel  de  supposer 
qu'il  a  volontairement  fait  ses  mélodies  en  les  tirant  de  celles  des 


Il  est  triste  de  constater  qu'aucun  des  cantiques  de 
Th.  de  Bèze  n'a  subsisté  dans  l'usage  de  l'Église,  non  pas 
seulement  jusqu'à  notre  siècle,  mais  seulement  jusqu'à 
Benedict  Pictet  qui,  en  1703,  n'en  a  pas  même  connais- 
sance. 

De  l'œuvre  hymnologique  musicale  protestante  du 
seizième  siècle,  nous  avons  donc  examiné  les  deux  plus 
importants  monuments:  nos  impérissables  psaumes  et  les 
chansonniers.  Il  nous  reste  à  en  voir  un  troisième  mor- 
ceau, le  plus  ancien,  le  plus  admirable  de  tous,  celui  qui  à 
jamais  demeurera  par  excellence  l'hymne  glorieuse  de 
l'Église  évangélique  de  toute  dénomination,  nous  avons 
nommé  le  Choral  de  Luther. 


CHAPITRE  VIII 

LE  CHORAL  DE  LUTHER 

Il  n'entre  pas  dans  le  cadre  déjà  très  étendu  de  cette 
étude,  de  faire  à  propos  de  ce  cantique  des  recherches  sur 
les  développements  du  chant  sacré  de  l'autre  côté  du  Rhin, 
et  si  nous  nous  départissons  pour  une  fois  de  la  règle  que 
nous  nous  sommes  donnée  de  ne  pas  franchir  les  limites 
de  la  France  et  de  l'Église  réformée,  c'est  parce  que  le 

psaumes.  C'est  ainsi  qu'on  peut  s'expliquer  d'une  manière  fort  plau- 
sible que  son  cantique  III  :  le  parleray,  deux,  donmj  audience,  Terre 
s'apîorestc  à  mon  dire  escouter,  etc..  a  pour  musique  (avec  modifica- 
tions) une  phrase  du  psaume  II,  puis  une  autre  du  psaume  XIII,  puis 
deux  du  psaume  XI  et  enfin  une  dernière  du  psaume  XXXII. 


-    53  - 


Choral  de  Luther  est  tout  aussi  en  honneur  et  en  usage 
dans  nos  Églises  françaises  que  dans  les  Églises  allemandes. 

La  plus  grande  obscurité  a  longtemps  régné  sur  la 
composition  musicale  et  poétique  du  Choral  de  Luther: 
nous  n  enumérerons  point  ici  les  différentes  hypothèses 
qui  ont  eu  cours  jusqu'à  ces  toutes  dernières  années,  puis- 
qu'un livre  récent  de  littérature  allemande  (i)  vient  de 
jeter  une  lumière  complète  sur  ce  point  si  intéressant  de 
critique  historique,  et,  par  la  découverte  du  manuscrit 
même  de  Luther,  a  mis  fin  à  toutes  les  conclusions  plus 
ou  moins  exactes  qu'avaient  pu  tirer  les  historiens  de  docu- 
ments incertains. 

D'un  mot,  nous  dirons  que  le  Choral  de  Luther  a  été 
composé  en  1530,  comme  l'atteste  une  brève  note  de  la 
main  même  de  Luther,  placée  en  tête  du  manuscrit  que 
nous  reproduisons  ci-après.  Cette  note  est  ainsi  conçue  : 

Hat  myr  verehret  meyn  guter  freund 
Herr  Johann  Walther 
Componisl  Musicc 
zu  Torgaw 
1530 
dem  Gott  gnade. 

Martinus  Luther.  {^-) 

Quant  au  manuscrit  du  Choral,  le  voici  tel  que  la  pho- 
togravure nous  a  permis  de  le  reproduire. 

(1)  Deutsche  Literaturgeschichtc  von  Robert  Kœnig.  —  Bielefeld  et 
Leipzig.  1881. 

(2)  «  Mon  bon  ami,  M.  Johann  Walther,  compositeur  de  musique, 
Torgau,  1530  (que  Dieu  lui  fasse  grâce),  m'a  dédié  ceci. 


/  S  l  0 


Çat  mijr  »cref)rct  mcijit  giiter  grcunlt 
Gomponift  ÎOJuîice 
1530 

bem  (Sott  gnabe  \ 


^^^^^^^ 


1 


"T~"     ^  y.  ^   ^  ,i  ,   ^  V  c — 


—    55  - 


En  examinant  attentivement  ce  document,  on  remar- 
quera qu'en  dépit  de  l'absence  totale  de  division  en 
mesures,  il  y  a  cependant  un  signe  métrique  placé  en  tète 
de  la  première  portée  et  que  si  l'on  tente,  sans  changer 
en  rien  la  mélodie  ou  le  rythme,  de  faire  entrer  l'air  dans 
les  divisions  métriques,  on  y  réussit  pleinement  :  même 
les  syncopes  auxquelles  on  est  obligé  d'avoir  recours  dans 
une  telle  transcription,  donnent  un  caractère  singulière- 
ment original  et  vigoureux  à  cette  hymne  magnifique.  Nous 
donnons  ici  le  chant  réduit  de  clef  d'ut  3'"^  ligne  en  clef 
de  sol,  pour  la  commodité  de  la  lecture,  mais  sans  trans- 
position de  ton. 


Musique  originale  du  Choral  de  Luther  (1530)  transcrite  de  clef  d'ut 
3°  ligne  en  clef  de  sol. 


Le  cantique  de  Luther  se  chantait  donc  originellement 
en  fa,  ton  qui  peut  nous  paraître  élevé,  mais  qui  ne  l'était 
guère  en  réalité  pour  les  chanteurs  du  temps,  si  l'on  songe 


-    5(i  - 

d'abord  que  depuis  lors,  la  tonalité  du  diapason  a  été 
exhaussée,  que,  de  plus,  le  timbre  des  voix  était  au  seizième 
siècle  plus  aigu  qu'au  dix-neuvième,  puisque  la  plupart 
de  nos  psaumes  étaient  écrits  dans  des  tons  qui  nous  sont 
impossibles  aujourd'hui,  et  qu'enfin  le  Choral  de  Luther 
n'était  pas  originairement,  ainsi  que  le  prouve  le  manu- 
scrit que  nous  avons  reproduit  plus  haut ,  destiné  à  être 
chanté  en  parties. 

On  voit  quelles  modifications  a  subies  ce  chant  en  pas- 
sant à  travers  les  différents  recueils  pour  parvenir  jusqu'à 
nous.  Quand  on  a  l'oreille  pénétrée  de  la  mélodie  ordinaire 
sur  laquelle  nous  le  chantons,  on  croit  presque  à  un  lapsus 
calami,  à  une  omission  de  note  dans  le  manuscrit  de 
Johann  Walther  entre  la  5"  et  la  6'  note  ;  nous  avons,  en 
eflét,  l'habitude  de  chanter  ce  passage  comme  suit  (nous 
gardons,  pour  faciliter  la  comparaison,  le  ton  de  l'ori- 
ginal) :  _^ 

c'est     un     rem-    part  que       no-  tre  Dieu! 

La  transition  entre  le  ré  et  le  fa  paraît  brusquée,  nous 
avons  introduit  une  note  de  repos.  Celte  note  a  parfaite- 
ment tort,  quelque  étrange  que  cela  puisse  paraître,  preuve 
en  soit  le  parallélisme  parfait  que  le  compositeur  a  observé 
dans  le  rythme  des  deux  premières  phrases  musicales  (i),  et 
qui  se  trouve  rompu  par  l'introduction  d'une  note  de  repos. 

Cette  simple  remarque  témoigne,  à  côté  de  toutes  les 

(1)  Et  aussi  la  dernière  du  morceau  qui  reproduit  la  deuxième. 


—    57  - 


autres  preuves,  de  la  parfaite  antiquité  et  authenticité  du 
manuscrit  reproduit.  Il  est  tout  entier  de  la  main  de 
Johann  Walther,  maître  de  chapelle  et  probablement  aussi 
instituteur  à  Torgau,  qui  composa  la  musique  sur  les 
paroles  que  Luther  avait  faites.  Notre  document  est  tiré 
de  la  collection  d'hymnes  et  de  compositions  de  Johann 
Walther  (1530)  dont  Luther  se  servait. 

Nous  savons,  en  effet,  combien  Luther  aimait  la  mu- 
sique et  quelle  large  place  il  faisait  au  chant  sacré  dans 
l'édification  religieuse.  Il  composa  lui-même  trente-sept 
cantiques,  dont  la  majeure  partie  (20)  fut  écrite  en  1524. 
Huit  d'entre  eux  sont  originaux,  sept  sont  des  imitations  de 
psaumes  qu'il  affectionnait  et  d'autres  ont  été  écrits  soit  à 
l'occasion  de  fêtes  telles  que  Noël  ou  Pâques,  soit  pour  les 
enfants.  Notre  choral  :  Ein  {este  Burg  ist  unser  Gott  (C'est 
un  rempart  que  notre  Dieu)  est  imité  du  psaume  XLVI. 

Ratzeberger,  dans  sa  Vie  de  Luther,  dit  que  le  réforma- 
teur avait  l'habitude,  chaque  jour,  après  le  repas  du  soir, 
d'aller  chercher  dans  son  cabinet  de  travail  ses  livres  de 
musique,  et  de  tenir  avec  ceux  de  ses  amis  qui  étaient 
musiciens,  une  séanfce  de  chant,  où  il  entonnait  d'une  voix 
fraîche  et  joyeuse  ses  plus  beaux  cantiques.  Notre  fac- 
similé  serait  tiré  de  l'une  des  partitions  de  Luther. 

Nous  avons  signalé  la  supériorité  de  la  mélodie  ori- 
ginale sur  l'air  usité  aujourd'hui.  Cette  supériorité  éclate 
aux  yeux  ou  plutôt  aux  oreilles,  de  deux  manières  :  nous 
remarquons  d'abord  le  rythme  alerte  et  vigoureux  des 
trois  premières  phrases,  du  aux  syncopes,  et  qui  cor- 
respond si  parfaitement  aux  paroles  ;  la  troisième  phrase 
notamment  est  admirable,  surtout  lorsqu'on  la  compare 

s 


—    58  — 

aux  monotones  blanches  qui  la  remplacent  dans  nos 
recueils  actuels.  Les  deux  premières  ne  renfermaient  que 
des  noires,  à  la  troisième  phrase,  l'élan  est  plus  vif 
encore  et  nous  voyons  apparaître  deux  croches.  Puis,  nous 
rencontrons  un  véritable  trait  de  génie  dans  le  contraste 
que  forme  le  chant  large  des  deux  phrases  suivantes  en 
blanches,  qui  semble  comme  un  écho  céleste  au  cri  de 
guerre  des  trois  premières  phrases,  et  enfin  la  dernière 
phrase  reprenant  comme  en  un  chant  de  triomphe  la  mé- 
lodie de  la  deuxième.  Il  y  a  dans  tout  ce  morceau  un 
drame  puissant,  admirablement  traduit  en  musique.  Tout 
le  génie  intime  de  la  Réforme  se  trouve  exprimé  dans  ce 
simple  chant. 

Johann  Walther  a  fait  passer  dans  sa  musique,  en  les  y 
exaltant,  les  sentiments  de  foi  et  de  force  qu'avait  mis 
Luther  dans  ses  paroles,  et  le  réformateur  avait  bien  saisi 
toute  la  valeur  de  ce  chant,  lorsqu'il  a  écrit  dans  la  notice 
citée  plus  haut:  «Mon  bon  ami  Johann  Walther,  m'a 
dédié  cette  musique.  ». 

Il  est  douloureux  de  constater  à  quel  point  trois  siècles 
et  demi  ont  pu  décolorer  cette  œuvre  magistrale  à  laquelle 
faire  la  moindre  retouche  est  une  profanation.  La  seule 
excuse  qu'on  pouvait  invoquer  était  l'absence  du  manuscrit 
jusqu'à  la  seconde  moitié  de  ce  siècle.  Maintenant  que 
nous  avons  le  privilège  de  le  posséder,  nous  proposons 
très  catégoriquement  d'en  revenir  au  texte  primitif.  A  cet 
effet,  et  pour  ne  pas  perdre  de  vue  le  but  pratique  de  ce 
travail,  nous  avons  reconstitué  le  Choral  de  Luther  avec 
l'harmonie  du  seizième  siècle,  et  nous  l'avons  transposé 
dans  le  ton  le  plus  convenable  aux  voix.  Tous  ceux  qui 


—    59  - 

sont  soucieux  de  la  vérité  historique  et  de  la  version  ori- 
ginale de  la  musique  apprécieront  à  sa  valeur  cette  vieille 
et  magnifique  hymne  dans  sa  simplicité.  On  a  voulu  l'ar- 
ranger, on  l'a  costumée  au  goût  du  jour,  c'est  encore  dans 
sa  naïveté  première  qu'elle  est  le  plus  belle  (^). 

CHORAL  DE  LUTHER 

Mélodio  originale  de  1530,  réduite  en  mesures  avec  Harmonie 
du  XVIe  siècle. 


(')  Nous  tenons  à  remercier  ici  l'un  de  nos  plus  éminents  musiciens, 
M.  Ch.  M.  "Widor,  organiste  de  Saint-Sulpice,  qui  a  bien  voulu  vérifier 
cette  reconstitution. 


m 


I    r  !  r  i  — 

bras    puis  -  sant  nous 

I        I  1 


I  I  f  •  r 


tien-dra  lieu     Et    de  fort 


i 


4— ^- 


I     I    I  ^ 

et  d'ar  -  mu 


re.  L'en  -  ne    -   mi  con- 


— ^ 

— (&  5^— 

1 

Re  -  dûu  -  Lie  de  courroux 

,        I      I  ^ 


Vai- 


9i 


ne    co  -  lè  -  re  !  Que  pour  -  rait  l'Ad-ver  -  saire  ? 
I    J     ^      >        •       '         ^        I    J  J. 


I 

L'É- 


1  r 


—   61  - 

/  ter-nel    dé -tour    -    -    -    ne  ses  coups! 

La  place  nous  manquerait  si  nous  voulions  noter  ici  les 
transformations  qu'a  subies  le  choral  de  Luther.  —  Outre 
qu'il  a  inspiré  les  plus  magnifiques  pages  à  nos  maîtres- 
compositeurs  (1),  il  a  passé  dans  l'hyranologie  de  l'Église 
évangélique  de  tous  les  pays.  Nous  le  retrouvons  en  Angle- 
terre, en  Suisse,  en  Danemark,  en  Suède,  en  Belgique  et 
en  Hollande.  En  France,  nous  avons,  pour  les  paroles, 
deux  versions  absolument  dissemblables  du  Choral  de 
Luther  :  l'une  est  celle  du  Recueil  de  cantiques  luthérien 
qui  n'est  qu'une  traduction  versifiée  (-)  de  l'allemand, 
l'autre  est  celle  des  Chants  chrétiens,  de  beaucoup  supé- 
rieure et  qui  a  été  uniformément  reproduite  dans  tous  les 
recueils  de  langue  française.  Voici  ces  trois  textes  {^)  : 


Original  allemand  de  Luther. 

Kin'  feftc  S3iir9  ift  uiiier  ®ott, 
Gin'  gutc  2Be^t  mib  Sffiaffen: 
Gr  ^ilft  uii§  î'vei  au§  aller  9îot, 
S)ie  unê  ie^t  ^at  betroffen. 


Recueil  luthérien. 

C'est  un  rempart  que  notre  Dieu, 
Une  invincible  armure, 
Notre  délivrance  en  tout  lieu, 
Notre  défense  sûre. 


(1)  Entre  autres  à  J.  Sébastien  Bach,  Meyerbeer  et  Thalberg. 

(2)  Nous  n'osons  pas  dire  poétique. 

(3)  La  place  nous  fait  défaut  pour  reproduire  les  quatre  strophes,  nous 
nous  bornerons  à  la  première  et  à  la  quatrième. 


-    62  - 


Ser  alte  bofe  g^eir.b 
mit  enift  erê  ie^t  meint; 
©rofj  SJÎoc^it  imb  uiel  Sift 
6ein  graufam  Diiiftung  ift-, 
?liif  Grb'n  tft  nid;t  îeinê  ©leidjen. 

S)a§  aBort  [ie  l'oHen  laffen  [fan 

Unb  fein'  S)anE  barju  ^abeii. 

Gr  ift  bei  un?  m\)[  auf  bcm  î^laii 

5Kit  ©etnem  ©eift  nnb  ©aben. 

3'(e^men  fie  ben  Seib, 

(Sut,  ei)v',  iîinb  unb  2Seit)  : 

©ie  l^aben'ê  fein  (Seroinn  ; 

S)as  Jîeid)  mujj  un§  bodj  bleiben. 


On  voit  maintenant 
Perfide  et  puissant, 
Cruel,  menaçant, 
L'ennemi  rugissant 
Nous  prodiguer  l'injure. 

La  Parole  doit  subsister, 

Elle  est  incorruptible. 

L'Esprit  saint,  qui  peut  nous  l'ôter 

Et  sa  force  invincible? 

Prenez  donc  nos  biens 

Nos  fils,  nos  soutiens, 

Chargez-nous  de  liens  ; 

Notre  Dieu  donne  aux  siens 

Le  règne  indestructible. 


Version  française  du  Choral  de  Luther. 

C'est  un  rempart  que  notre  Dieu. 

Si  l'on  nous  fait  injure, 

Son  bras  puissant  nous  tiendra  lieu 

Et  de  fort  et  d'armure. 

L'Ennemi  contre  nous, 

Redouble  de  courroux 

Vaine  colère  ! 

Que  pourrait  l'Adversaire  ? 

L'Éternel  détourne  ses  coups. 

Dis-le  !  ce  mot  victorieux 

Dans  toutes  nos  détresses  ! 

Répands  sur  nous  du  haut  des  cieux 

Tes  divines  largesses  ! 

Qu'on  nous  ôte  nos  biens, 

Qu'on  serre  nos  liens, 

Que  nous  importe  ! 

Ta  grâce  est  la  plus  forte. 

Et  ton  royaume  est  pour  les  tiens. 


Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  sur  l'incomparable 
valeur  de  cette  traduction,  surtout  lorsqu'on  la  compare 


-    63  - 

aux  quatre  rimes  riches  en  iens  qui  ornent  la  dernière 
strophe  de  la  traduction  luthérienne.  Le  caractère  même 
de  ce  morceau  poétique,  avec  l'apostrophe  de  la  seconde 
personne  du  singulier  (2«  et  strophes),  en  marque  la 
date.  Il  est  contemporain  des  chants  de  Sion  et  du  Réveil 
de  1830  (i). 

Nous  ne  pensons  pas  qu'il  y  ait  rien  à  changer  dans  les 
paroles  du  cantique  de  Luther  (version  française  {-).  Quant 
k  la  musique,  nous  avons  exprimé  notre  pensée.  Nous 
ajouterons  pour  ceux  qu'effraieraient  les  difficultés  d'un 
retour  à  la  mélodie  originale  qu'il  serait  infinirnent  meilleur, 
au  lieu  de  la  médiocre  harmonie  qui  se  trouve  dans  tous 
les  recueils,  d'adopter,  pour  le  chant  à  quatre  parties,  la 
transcription  de  S.  Bach,  qui  est  conforme  pour  la  partie 
de  soprano  à  la  mélodie  reçue.  Voici  cette  transcription 
qui  forme  le  finale  de  la  belle  cantate  :  Ein  [este  Burg  {^). 

(1)  Ces  admirables  paroles  sont,  en  effet,  comme  nous  le  verrons  plus 
tard,  de  M.  II.  Lutterotli. 

(■^)  Nous  engageons  bien  vivement  nos  frères  de  l'Église  luthérienne 
à  se  rallier,  dans  l'intérêt  même  de  l'unité  du  chant  ecclésiastique, 
surtout  pour  un  cantique  de  cette  nature,  à  la  version  française,  la 
seule  qui  soit  digne  de  la  beauté  de  l'original  allemand,  et  de  la  musique. 

(3)  A  ce  propos,  nous  mentionnerons  pour  mémoire  seulement  la 
version  française  (paroles)  du  Glioral  de  Luther  qu'a  donnée  JI.  Maurice 
Bouchor  dans  sa  traduction  de  l'Oratorio  de  S.  Bach  (1885). 


CHORAL  DE  LUTHER 

Harmonie  de  J.-S.  Bach. 


Soprano.  | 

Allo.  ' 

Ténor. 
Basse. 

r  ^  1 

1      ^  1 
--0 — • — 

W  

C'est 

rem  -  part  que  n 

— ,g —  

5-tre  Dieu  Si 

"Tn  j 

— 

'  ^  0  # 

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*  *  #  P  » 

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#  1  1  

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1  ^  •  1 

1  ] 

m-' 

l'on  nous  fait 

in  -  ju 

•       #  ^  

-    -    re.  Son  bras 

•  • 

puis  -  sant  nous 

\^  1  

p- — 

^1  

-y  f— 

m 

À  1 



=^ 

— 1  1  

tien  -  c 

ra   lieu  Et  de 

fort  et 

l'ar  -  mu 

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-   -  re.  L'en- 
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— 1 — ^— >— 
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-    66  - 


CHAPITRE  IX 

DU  CHANT  A  L'UNISSON  ET  OU  CHANT  EN  PARTIES 

Nos  transcriptions  du  Choral  de  Luther  et  nos  recherches 
pour  la  reconstitution  de  l'harmonie  primitive  nous 
amènent  tout  naturellement  à  exprimer  ici  notre  avis  sur 
la  question  si  controversée  du  chant  à  l'unisson  ou  du  chant 
en  parties.  C'est  là  une  difficulté  qu'on  a  trop  souvent 
tranchée  sans  arguments  plausibles,  à  peu  près  comme 
Alexandre  avait  résolu  le  nœud  gordien.  Il  nous  semble 
qu'elle  mérite  un  peu  plus  d'attention.  Nous  dirions 
volontiers  que  de  l'attitude  prise  à  cet  égard,  dépend  la 
vie  ou  la  mort  du  chant  dans  nos  églises.  Nous  nous 
étonnons  toujours  davantage,  de  voir  qu'alors  que  tant  de 
qualités,  tant  de  connaissances  solides  sont,  à  bon  droit, 
requises  chez  les  hommes  appelés  à  être  les  conducteurs 
de  l'Église,  une  seule  demeure  indifférente  ou  négligée: 
celle  de  la  musique.  Et  l'on  s'étonne  après  cela  de  voir 
notre  Chant  sacré  languir  et  se  traîner,  impuissant,  dans 
la  plus  pitoyable  médiocrité!  Il  n'était  point  ainsi  aux 
temps  premiers  de  l'Église,  alors  qu'une  bonne  voix  et  la 
connaissance  du  chant  faisaient  partie  des  attributs  exigés 
de  ceux  qui  se  destinaient  au  ministère;  où,  dans  les  écoles, 
on  apprenait  aux  enfants  leurs  notes  parfois  même  avant 
qu'ils  ne  sussent  lire,  au  temps  oi^i  un  Luther  et  un  Bour- 
geois réclamaient  que  l'Église  chantât.  Nous  répétons  donc, 
ce  qui  est  notre  profonde  conviction  et  ce  que  nous  disions 
au  commencement  de  ce  travail,  a  savoir  :  que  le  chant  est 


-    67  — 


un  des  éléments  essentiels  de  notre  culte  et  qu'il  est  cou- 
pable de  ne  s'en  préoccuper  que  d'une  manière  nonchalante 
et  inefficace.  Or,  pour  que  le  chant  acquière  la  valeur  que 
nous  lui  voudrions  voir,  faut-il  qu'il  soit  à  l'unisson  ou 
en  parties? 

Ici,  nous  sommes  obligés  d'entrer  dans  des  détails 
techniques  indispensables. 

Dans  nos  églises  protestantes,  où  le  chant  n'est  pas 
l'apanage  exclusif  du  ministre,  mais  où  chaque  membre 
de  l'assemblée  y  prend  ou  doit  y  prendre  part,  ce  chant 
est  composé  de  bien  des  éléments  différents.  Il  y  a  d'abord 
les  voix  féminines  qui  font  avec  facilité  les  notes  les  plus 
élevées  de  nos  cantiques;  ces  voix  elles-mêmes  sont  divi- 
sées en  deux  catégories:  les  soprani  qui  montent  le  plus 
haut  et  les  contraltic^i  descendent  le  plus  bas.  Il  y  a  ensuite 
les  voix  d'enfants  dont  la  portée  est  à  peu  près  la  même. 
Puis  viennent  les  voix  d'hommes,  beaucoup  plus  graves 
et  se  subdivisant,  elles  aussi,  en  basses  et  en  ténors.  Or  ces 
voix  doivent  être  utilisées  toutes,  et  telles  que  la  nature  les 
a  faites,  car  nous  n'entrons  pas  ici  dans  l'hypothèse  de 
voix  cultivées  par  l'étude  et  ayant  acquis  une  ou  plusieurs 
notes  qu'elles  n'avaient  pas  naturellement.  Il  est  donc 
nécessaire  de  se  rendre  compte  de  l'étendue  ordinaire  de 
ces  différentes  sortes  de  voix,  de  connaître  quelles  notes 
chaque  catégorie  peut  facilement  produire.  On  peut  compter 
en  moyenne  que  chaque  sorte  de  voix  a  une  étendue  d'une 
octave;  les  voix  de  basse  feront  sans  difficulté  la  gamme 
montante  à  partir  du  sol  grave: 


G  ^ 

-    68  - 

Les  voix  de  ténor  iront  du  ré  au-dessous  de  la  portée  au 
ré     ligne  : 


Les  voix  d'alto  descendront  une  note  plus  bas  : 


i 


— 0- 


Quant  aux  soprani,  ils  ne  peuvent  sans  effort  monter 
au-dessus  du  mi  [?  k'  interliene  : 


1 


Telles  sont  les  ressources  vocales  dont  on  peut  disposer 
partout,  dans  une  église  de  ville  ou  dans  le  plus  humble 
temple  de  village.  Voyons  maintenant  de  quelle  manière 
on  peut  utiliser  ces  ressources. 

Admettons  un  chant  à  l'unisson.  Pour  que  chacun 
puisse  chanter  avec  la  voix  que  la  nature  lui  a  donnée,  il 
faudra  que  la  totalité  des  chants  d'un  recueil  soit  circon- 
scrite dans  la  limite  des  notes  communes  aux  quatre  voix. 
Or  veut-on  savoir  quelle  étendue  embrassent  ces  limites, 
d'après  ce  que  nous  venons  de  dire  des  voix?  Une  octave 
tout  au  plus;  de  Vut  première  ligne  à  ViU     interligne  (^). 


(1)  Voir  à  l'appui  de  ces  assertions,  la.AIéthode  de  Solfège  et  de  Chant 
de  Damoreau,  l'A  B  G  musical  de  Panseron,  l'Harmonie  élémen- 
taire de  Barbereau. 


-    69  - 

Il  faudrait  donc  que  toutes  les  mélodies  de  cantiques,  quel 
que  soit  le  ton  dans  lequel  elles  sont  écrites,  fussent  circon- 
scrites dans  les  limites  de  sept  notes,  d\it  à  ut.  Voilà 
logiquement  à  quelle  nécessité  irréductible  on  est  conduit 
avec  la  prétention  d'un  chant  à  l'unisson.  De  tous  les 
cantiques  ou  psaumes  composés  jusqu'ici  à  notre  connais- 
sance ^  il  ne  s'en  trouve  qu'un  seul  qui  répondiait  à  ce 
programme ,  c'est  le  cantique  de  Malan  :  «  C'est  dans  la 
paix  que  tu  dois  vivre»,  qui,  sans  être  le  moins  du  monde 
monotone,  ne  roule  cependant  que  sur  cinq  notes  de  mi  b 
à  si  b.  Voilà  donc  qui  fait  le  procès  du  chant  à  l'unisson, 
et  nous  ne  pouvons  mieux  faire  pour  achever  ce  raisonne- 
ment fort  simple,  que  de  citer  les  paroles  péremptoires 
par  lesquelles  M.  0.  Douen  termine  l'examen  de  la  même 
question (i).  «Au  lieu  de  forcer  les  voix  de  toute  espèce  à 
sortir  de  leur  diapason,  rendez  à  chacune  son  domaine: 
que  les  voix  de  femmes  et  d'enfants  forment  les  dessus,  et 
les  voix  d'hommes  les  dessous,  tout  rentre  dans  l'ordre. 
Non  seulement  la  ftitigue  et  le  dégoût  disparaissent,  mais 
on  obtient  un  effet  magnifique  et  d'une  grande  puissance, 
l'harmonie  qui  accroît  l'édification,  à  condition  de  rester 
grave  et  simple  comme  le  choral  lui-même». 

Tous  les  réformateurs  ont  désiré  que  la  musique  sacrée 
fut  chantée  en  parties,  preuve  en  soit  les  magnifiques 
chorals  que  nous  a  légués  la  Réformation,  dont  plusieurs 
sont  signés  du  nom  de  Luther,  preuve  en  soit  encore  le 
Irait  que  nous  citions  plus  haut  (v.  page  49)  de  la  vie 
intime  de  ce  même  Luther.  Seul,  Calvin  «qui  n'était  pas 

(^)  Encyclopédie  des  Sciences  religieuses,  Art.  Chant  sacré. 


-    70  - 


musicien,  proscrivit  l'harmonie  avec  un  rigorisme  qui  n'a 
peut-être  pas  été  moins  nuisible  à  la  Réforme  que  le  sup- 
plice de  Servet...  Calvin  se  trompait  gravement  en  repous- 
sant rharmonie  (aussi  bien  que  les  orgues),  mais,  du 
moins,  il  la  condamnait  en  elle-même,  et  non  à  cause  de 
sa  prétendue  difficulté  d'exécution.  11  ne  voulait  que 
l'unisson,  il  est  vrai,  mais  non  l'unisson  cahoteux,  faux, 
pitoyable  des  églises  où  l'on  prétend  chanter  sans  jamais 
s'être  occupé  de  musique,  et  moins  encore  l'unisson  maigre 
et  presque  scandaleux  des  huit  ou  dix  voix  d'une  église  de 
ville,  dont  la  grande  majorité  des  fidèles  dédaigne  de 
chanter.  Calvin  voulait  que  tous  chantassent,  et  que  pour 
cela  ils  apprissent  à  chanter.  Dans  les  collèges  fondés  sous 
son  inspiration,  tous  les  élèves  consacraient  riuatre  heures 
par  semaine  à  la  musique  et  au  chant  des  psaumes,  dont 
ils  chantaient  en  outre  un  grand  nombre  de  strophes  au 
culte  du  mercredi  matin  et  à  ceux  du  dimanche».  (^) 

Nous  croyons  donc  avoir  montré  que  le  chant  à  quatre 
parties  est  non  seulement  nécessaire,  mais  qu'il  est,  à 
l'heure  actuelle,  l'unique  moyen  de  salut  pour  notre  chant 
sacré.  (-)  Qu'on  veuille  bien  ne  pas  arguer  ici  de  difficultés 
matérielles  :  nous  pourrions  invoquer  le  témoignage  de 
tous  ceux  qui  ont  quelque  compétence  en  la  matière,  et  au 
besoin  nous  parlerions  au  nom  de  notre  propre  expérience. 

(1)  0.  Douen.  Ibid. 

(2)  Certaines  Églises  ou  certains  éditeurs  de  Recueils  ne  semblent 
guère  l'avoir  compris  et  nous  ne  sommes  pas  peu  surpris  de  voir  la 
dernière  édition  du  recueil  de  l'Église  de  la  Confession  d'Augsbourg, 
où  cependant  les  traditions  musicales  allemandes  se  sont  le  plus  fidèle- 
ment conservées,  ne  contenir  que  la  mélodie  des  cantiques. 


-    71  - 


Rien  n'est  plus  aisé  que  d'apprendre  aux  personnes  les 
moins  expertes  en  musique  à  chanter  très  convenablement 
en  parties  un  cantique  ou  un  psaume.  Il  ne  s'agit  évidem- 
ment pas  d'une  exécution  artistique  qui  risquerait  d'en- 
traîner dans  une  voie  sortant  des  cadres  de  la  musique 
d'église,  nous  réclamons  seulement  que  chacun  puisse 
utiliser  sa  voix  dans  le  registre  oii  Dieu  l'a  placée.  Nous 
dirons  plus  loin  de  quelle  manière  un  recueil  de  cantiques 
doit  se  prêter  par  sa  composition  et  son  harmonie  à  un  tel 
ensemble;  un  point  seulement  demeure  maintenant  acquis, 
c'est  que  le  chant  à  quatre  parties  est  le  seul  qui  puisse 
convenir  tant  au  caractère  qu'à  la  dignité  de  notre  culte 
protestant. 

CHAPITRE  X 

LE  PREMIER  RECUEIL  DE  CANTIQUES  FRANÇAIS(') 

BÉNÉDIGT  PIGTET  (1703). 

On  a  dit,  non  sans  raison,  que  les  Églises  évangéliques 
des  différents  pays  furent  ce  que  leurs  réformateurs  respectifs 
les  firent.  Les  Églises  issues  de  l'activité  réformatrice  de 
Luther  et  de  Zwingii  qui,  tous  deux,  étaient  musiciens  et 
poètes  (2)  chantèrent  dès  l'origine  des  cantiques  :  celles  qui 
s'étaient  développées  sous  l'autoritarisme  de  Calvin  portèrent 

(')  Nous  parlerons  plus  loin  des  Recueils  de  Cantiques  des  Églises 
françaises  de  Francfort  (par  Balth.  Ritter)  et  de  Berlin,  qui  sont  anté- 
rieurs en  date  à  ceux  qui  virent  le  jour  sur  le  sol  de  la  P'rance  ou  de  la 
Suisse. 

(^)  Zwingle  a  composé  deux  cantiques. 


longtemps  l'empreinte  de  cette  main  de  fer.  C'est  ainsi  que 
pendant  plus  d'un  siècle  et  demi  nous  voyons  Genève  et  la 
France  chanter  sans  la  moindre  altération  les  psaumes  de 
Marot  et  de  Th.  de  Bèze  tels  qu'ils  avaient  paru  sous 
Calvin.  Il  fallut  que  plusieurs  générations  passassent  pour 
qu'on  osât  dire  tout  haut  ce  qu'on  pensait  tout  bas,  à 
savoir:  que  le  chant  des  psaumes  ne  sufiîsait  plus  au  culte 
public  et  que  la  paresse  des  fidèles  à  les  chanter  avait 
besoin  d'être  secouée  par  l'introduction  de  cantiques  nou- 
veaux (^).  C'est  alors  qu'à  Genève  un  homme  s'est  ren- 

(')  C'est  ce  (lu'un  dcnii-sièclc  plus  tôt  avaient  compris  cl  exécuté  les 
Églises  protestantes  françaises  de  réfugiés  à  l'étranger.  Nous  citerons 
en  particulier  celle  de  Francfort  sur  le  'Sle'm  dont  le  pasteur,  Baltliazar 
Ritter,  «  ayant  fait  quelque  temps  la  fonction  de  prédicateur  allemand 
auprès  des  ambassadeurs  de  Sa  Majesté  suédoise  en  France ,  s'y 
appliqua  avec  toute  diligence  et  se  perfectionna  tellement  dans  cette 
langue  »  qu'à  son  retour  de  Paris  on  le  nomma  ministre  de  l'Église 
française  de  Francfort  pour  laquelle  il  composa  un  recueil  de  cantiques. 
Ce  recueil  contenait  150  cantiques  traduits  des  plus  beaux  chants 
allemands  (.principalement  de  Luther)  pour  les  colonies  de  réfugiés 
français  en  Allemagne.  lisse  chantaient  naturellement  sur  les  mélodies 
allemandes.  Le  recueil  de  Balth.  Ritter  a  pour  titre  :  «  Heures  chré- 
tiennes ou  occupations  saintes».  Publié  en  16C3,  il  eut  de  son  vivant 
cinq  éditions  toutes  pourvues  de  suppléments.  «  Après  lui,  M.  Gueis, 
ministre  de  la  même  Église,  se  donna  la  peine  de  faire  imprimer  la 
sixième  édition,  et  les  membres  de  l'Église  se  sont  servis  des  travaux  de 
ces  deux  savants  et  habiles  ministres,  qui  se  sont  acquis  un  grand 
mérite  et  estime  par  leurs  discours  savants  et  desseins  louables,  dont 
nous  profitons  encore  dans  cette  église  ». 

Ces  six  éditions  ne  suffirent  point  ;  en  1740,  Jean  Daniel  Claudi  en 
fit  paraître  une  septième  avec  une  addition  de  200  cantiques,  parce 
que,  dit-il  dans  la  préface  à  laquelle  nous  empruntons  nos  citations, 
«  comme  l'Église  allemande  se  glorifie  d'un  heureux  changement  et 
augmentation  édifiante  de  son  livre  de  cantiques,  les  membres  de  cette 
Église  française  demandèrent  senil)lablenient  une  auguientatiun  des 
cantiques  français  en  quoi  je  les  voulais  donc  gratifier,  principalement 


-    73  - 


contré  en  la  personne  de  Bénédict  Pictet  pour  faire  cette 
œuvre  nécessaire  de  restauration  du  Chant  sacré. 

Bénédict  Pictet  était  né  en  4655  dans  la  cité  de  Calvin. 
Après  avoir  voyagé  en  France,  en  Hollande  et  en  Angle- 
terre il  —  fut  nommé  en  1680  pasteur  de  Saint-Gervais,  et 
six  ans  après,  professeur  de  théologie. 

Il  fut,  dès  les  premiers  temps  de  son  ministère,  frappé 
des  incongruités  et  des  lacunes  du  Psautier.  Cédant  à  ses 
sollicitations,  le  Consistoire  le  chargea  avec  deux  autres 
collaborateurs  d'achever  l'œuvre  de  révision  que  Conrart 
avait  déjà  commencée.  Ce  travail  fut  achevé  en  1693  et 
l'année  suivante  la  nouvelle  version  parut,  grâce  à  la  géné- 
rosité d'un  riche  donateur  qui  offrit  d'en  payer  l'impres- 
sion. Trois  ans  plus  tard,  Pictet  demanda  au  Conseil,  de  la 
part  de  la  vénérable  Compagnie,  de  permettre  l'introduc- 
tion de  la  révision  dans  l'usage  ecclésiastique.  Mais  ce 
n'était  là  qu'un  commencement  :  en  réalité  il  voulait  plus. 

parce  que  le  bon  débit  de  la  dernière  édition  demanda  une  nouvelle 
impression.  Je  vous  présente  donc  la  septième  édition  de  ce  même  livre 
où  vous  trouverez  plus  de  deux  cens  cantiques  spirituels,  nouvellement 
traduits  de  l'Allemand,  et  mis  en  rimes  français  (sic)  dont  la  composi- 
tion m'a  donné  beaucoup  de  peine...  »  Le  volume  contient  381  can- 
tiques, plus  la  «  Liturgie  de  l'Église  protestante  qui  est  à  Francfort 
sur  le  Mayn  avec  un  recueil  des  prières  dévotes  pour  le  matin  et  le 
soir,  auxquelles  on  a  ajouté  les  prières  pour  les  âmes  pénitentes  et  les 
fidèles  communians  avec  d'autres  pour  les  adversités,  »  plus  encore 
des  «  Instructions  chrétiennes,  qui  renferment  le  Catéchisme  de  feu 
Martin  Luther,  les  III  Symboles  de  l'Église  ancienne  et  la  Con- 
fession d/Augsbourg,  que  les  protestants  y  présentèrent  à  l'empereur 
Charles  V  Van  MDXXX.  » 

Les  églises  françaises  de  Saint  Gall,  de  Leipzig  et  de  Berlin  eurent 
aussi  dans  le  dernier  quart  du  dix-huitième  siècle  leurs  recueils  parti- 
culiers de  psaumes  et  de  cantiques. 

10 


Eq  1703,  Piclet  et  ses  collaborateurs  firent  remarquer  à 
la  vénérable  Compagnie  qu'on  ne  possédait  qu'un  seul 
cantique  tiré  du  Nouveau  Testament  (celui  de  Siméon)  et 
qu'il  serait  précieux  de  posséder  et  de  chanter  des  can- 
tiques reproduisant  les  idées  de  l'Évangile,  ne  fût-ce  que 
pour  les  fêtes  chrétiennes  de  l'année,  qu'en  cela  du  reste 
on  ne  ferait  que  suivre  l'exemple  de  l'Église  luthérienne 
qui  depuis  longtemps  chantait  de  telles  hymnes. 
^  La  Compagnie,  frappée  de  ce  raisonnement,  et  sur 
l'appui  du  Conseil,  acquiesça  à  la  proposition  et  chargea 
Pictet  lui-même  de  composer  ces  cantiques.  Peu  de  temps 
après,  Pictet  en  présenta  5k  qu'il  fit  imprimer  :  on  en 
choisit  douze  qui  furent  placés  à  la  suite  du  psautier.  En 
1705  on  les  tira  en  un  recueil  à  part  et  dès  la  communion 
de  septembre  de  la  même  année,  ils  furent  introduits  dans 
l'usage.  «Si  David,  dit-il  dans  la  préface,  contemplant 
les  œuvres  de  Dieu,  ne  pouvait  se  lasser  de  les  publier  par 
ses  cantiques,  les  Chrétiens  ne  célébreraient-ils  pas  par 
leurs  hymnes  le  grand  mystère  de  piété,  Dieu  manifesté 
en  chair,  justifié  en  esprit,  vu  des  Anges,  cru  du  monde, 
prêché  aux  gentils  et  élevé  en  gloire.  » 

A  part  une  tendance  dogmatique  un  peu  trop  accentuée 
et  commune  d'ailleurs  à  la  majorité  de  la  littérature  hym- 
nologique  postérieure  aux  psaumes,  les  cantiques  de  Pictet 
ont  une  réelle  valeur  (i)  et  c'est  avec  raison  que  plusieurs 

G)  Voici  ce  qu'en  dit  M.  H.  Lutteroth  : 

«  Composés  à  l'entrée  d'un  siècle  pendant  toute  la  durée  duquel  le 
culte  ne  devait  se  célébrer  que  dans  le  désert,  au  milieu  de  mille  périls, 
et  où  la  philosophie  allait  s'attaquer  non  seulement  à  la  superstition' 
mais  aux  doctrines  fondamentales  du  christianisme,  ces  cantiques,  qui 


—    75  — 

ont  subsisté  jusqu'à  nos  jours  entre  autres  :  «  Béni  soit  à 
jamais  le  grand  Dieu  d'Israël. ï  A  notre  point  de  vue 
spécial,  ils  ne  sont  peut-être  pas  aussi  intéressants,  puis- 
qu'ils se  chantaient  presque  tous  sur  les  mélodies  des 
Psaumes.  Ces  cantiques  de  Pictet  ont  été  longtemps  en 
usage  dans  l'Église  :  la  dernière  édition  qui  en  ait  paru  et 
que  nous  possédons  est,  croyons-nous,  celle  de  Valence 
1838  publiée  sous  ce  titre  «Les  psaumes  de  David  suivis 
de  cantiques  et  de  prières.  »  Une  note  placée  en  tête  du 
volume  paraît  indiquer  qu'elle  a  été  faite  spécialement  à 
l'usage  de  l'Église  réformée.  Elle  contient  tous  les  can- 
tiques de  Pictet  pour  le  jour  de  Pâques,  pour  Noël,  pour 
la  Pentecôte,  pour  la  cène  de  septembre,  pour  l'Ascension, 
l'histoire  de  la  Pentecôte,  celle  de  la  naissance  de  Jésus- 
Christ,  etc.,  etc. 

Plusieurs  des  cantiques  de  Pictet  ont  avec  raison  été 
conservés  dans  nos  recueils  modernes  :  les  Chants  chré- 
tiens en  contiennent  6.  Ce  sont  les  n"'  35,  64,  151,  178, 
182,  183.  Nous  ferons  seulement  une  objection:  pourquoi 
n'a-t-on  pas  conservé  à  tous  ces  cantiques  la  musique  que 
Pictet  lui-même  leur  avait  choisie?  On  a  eu  le  bon  goût  de 
le  faire  pour  le  n°  6i  et  il  suffit  de  comparer  cette  musique 
avec  celle  que  W  Hérault  a  composée  pour  le  n"  35  — 
musique  dont  nous  n'avons  garde  d'ailleurs  de  contester  la 
valeur  —  pour  se  convaincre  qu'il  vaut  mieux  conserver 
une  mélodie  ayant  le  même  caractère  ancien  que  les  paroles. 
Nous  ne  savons  par  exemple  point  de  plus  belle  mélodie 

les  confessent  avec  tout  l'abandon  delà  foi,  et  où  on  reconnaît  en  même 
temps  la  précision  du  théologien,  étaient  bien  propres  à  soutenir  les 
Huguenots  contre  les  dangers  qu'ils  devaient  avoir  à  combattre.  » 


—    76  — 


pour  le  beau  cantique  de  Pictet  :  »  Esprit  saint,  notre  créa- 
teur» que  celle  qu'en  donnent  les  Critiques  populaires  de 
la  mission  Mac-All  et  qui  est  un  des  plus  purs  morceaux 
de  musique  religieuse  du  seizième  siècle. 

C'est  un  des  Laudi  spirituali  de  J5/i5.  Nous  proposons 
cette  mélodie  à  l'adoption  générale.  La  voici  dans  le  style 
original,  à  quatre  parties  : 


CANTIQUE  DE  BÉNÉDICT  PICTET 

Musique  de  1545. 


mf   cresc.  dim.  p 


Rends-toi  le 
s  ^  ^ 

1 — 

maî 

tre        de  nos 
-^-^ 

—g  g—: 

à  -  mes; 

— s  s —  - 

-    78  - 


CHAPITRE  XI 

CÉSAR  MALflN  ET  LES  CHANTS  DE  SION 

Le  mouvement  religieux  qui  marqua  le  commencement  | 

de  ce  siècle  et  eut  son  apogée  vers  J  830,  donna  naissance  I 

à  deux  recueils  de  cantiques,  tous  deux  dus  à  des  hommes  j 

éminents.  Le  premier  de  ces  recueils  est  celui  de  M.  Malan:  ; 
les  Chants  de  Sion.  {^)  Il  n'en  subsiste  plus  grand'chose 

aujourd'hui  :  à  peine  une  douzaine  de  cantiques  dissémi-  ' 

nés  dans  différents  recueils,  mais  la  personnalité  de  l'au-  ' 

teur,  qui  fut  une  des  plus  intéressantes  figures  de  ce  l 

Réveil  dont  tant  d'Églises  sont  nées,  et  le  caractère  de  j 

l'œuvre  font  aux  Chants  de  Sion  une  place  à  part  et  non  j 

la  moindre  dans  l'Histoire  du  cantique  en  France.  j 

La  première  édition  des  Cantiques  de  Malan  date  de  ' 
1823  :  c'était  une  petite  brochure  qui  a  disparu  aujour-  ' 
d'hui  et  dont  seuls  les  contemporains  de  l'auteur  ont  con- 
servé quelque  souvenir.  Elle  ne  portait  pas  encore  le  titre  | 
de  Chants  de  Sion,  mais  bien  celui  de  Cantiques  chrétiens  j 
pour  les  dévotions  domestiques,  et  ne  contenait  que  trente-  | 
cinq  morceaux.  Ces  morceaux  se  retrouvent  dans  la  der- 
nière édition  des  Chants  de  Sion  (n"'  2,  3,  25,  56,  06,  Sli,  | 
88,  98,  119,  121,  122,  123,  m,  136,  15i,  155,  159,  | 
dSO,  187,  195,  196,  200),  sauf  quatre  (n"^  3,  7,  8  et  3/t  ' 
de  l'édition  de  1823),  qui  n'ont  reparu  dans  aucun  des  ! 
recueils  subséquents.  Elle  fut  bientôt  suivie  d'une  édition  j 

j 

(1)  César  Malan  père,  est  né  à  Genève  en  -1787,  il  y  a  juste  un  sièqle,  < 
et  mort  en  1864. 


-    79  - 


in-/i.°  gravée  en  musique,  éditée  à  Paris  et  contenant 
soixante  cantiques,  sous  ce  titre  :  «  Nouveaux  cantiques 
chrétiens.  »  Le  titre  de  Chants  de  Sion  apparaît  pour  la  pre- 
mière fois  en  tête  d'une  livraison  de  cinquante  psaumes, 
avec  musique  parue  en  1824,  et  suivie  aussitôt  d'une  nou- 
velle édition  de  cinquante  morceaux.  L'édition  de  1828 
contenait  deux  cents  cantiques,  auxquels  fut  ajouté  en 
1832  un  supplément  de  trente-quatre  cantiques,  puis  de 
soixante-six  en  1836  ;  total  trois  cents  cantiques.  On  voit 
avec  quelle  incroyable  fécondité  Malan  produisait.  Les 
deux  dernières  éditions  sont  celles  de  1843  et  de  1855. 
Toutes  ces  éditions  sont  sans  musique.  Celles  qui  en  con- 
tiennent sont,  outre  l'édition  des  soixante  chants,  celle  de 
1826,  publiée  chez  Pacini  en  quatre  cahiers  grand  in-8% 
contenant  quarante  cantiques ,  et  enfin  une  édition  de 
format  oblong,  lithographiée,  contenant  deux  cent  trente- 
quatre  cantiques  (1843). 

Les  éditions  des  Chants  de  Sion  se  succédèrent,  on  le  voit, 
rapidement.  Il  en  existerait,  à  notre  connaissance,  onze. 
On  se  les  procure  aujourd'hui  assez  dillicilement,  bien  que 
leur  valeur  ne  soit  pas  extrême.  {^)  Quand  on  parcourt  ces 

(1)  Outre  les  différentes  éditions  des  Chants  de  Sion  Malan  a  publié 
en  1835  des  Cantiques  pour  le  troisième  jubilé  de  la  Réformation  à 
Genève:  la  même  année  ont  paru  les  Vignettes  parlantes  pour  enfants 
et  les  Chants  d'Israël,  traduction  en  vers  des  Psaumes.  En  1836  : 
Nouvelles  histoires  et  nouveaux  chants.  En  4837  :  Soixante  chants  et 
chansons  pieuses  pour  les  enfants,  qui  furent  très  populaires  et  chantés 
partout,  même  dans  les  écoles  catholiques.  Jlalan  les  composa  en  six 
semaines,  à  la  demande  de  M"'"  Malan  qui  en  avait  besoin  pour  son 
école.  Ce  recueil  eut  quatre  éditions  dont  la  dernière,  de  1853,  contient 
127  chants.  En  1847  :  Hymnes  et  chants  pieux;  en  1848  :  Chants  de  la 
plaine  d'Intcrlaken,  avec  musique  :  et  en  1853  :  Premiers  chants,  sans 


—   80  — 


livres,  qu'on  trouve  dans  les  bibliothèques  publiques  encore 
non  coupés,  on  ne  peut  se  défendre  d'une  impression  de 
regret  et  de  tristesse.  Un  demi-siècle  a  suffi  pour  effacer 
cette  œuvre  vraiment  colossale ,  car  Malan  n'a  pas  com- 
posé moins  d'un  millier  de  cantiques,  qu'il  serait  presque 
impossible  de  réunir  actuellement,  et  dont  il  ne  reste  plus 
que  quelques  fragments,  tous  empreints  d'une  vive  origi- 
nalité, dont  quelques-uns  même  sont  de  vrais  chefs- 
d'œuvre.  Si  l'on  voulait  rechercher  les  causes  de  cette 
désuétude,  on  en  trouverait  peut-être  deux  :  ï°  l'apparition 
des  Chants  chrétiens,  qui  ne  sont  postérieurs  que  de  douze 
ans  aux  premiers  Chants  de  Sion,  dont  la  variété  et  la 
richesse  de  composition  musicale  devaient  forcément  éclip- 
ser un  recueil  qui,  pour  les  paroles  et  la  musique,  était 
l'œuvre  d'un  seul  homme  ;  2"  la  manière  même  dont  sur- 
girent les  Chants  de  Sion,  la  facilité  et  l'abondance  avec 
laquelle  leur  auteur  les  composa. 

Les  détails  à  cet  égard  sont  des  plus  curieux.  Malan  fai- 
sait lui-même,  nous  l'avons  dit,  la  musique  de  tous  ses 
cantiques.  Il  la  composait  sans  être  un  véritable  composi- 
teur: les  airs  lui  venaient  souvent  de  la  façon  la  plus 
inopinée.  Un  jour,  en  voyageant,  il  marchait  derrière  un 
chariot  dont  l'essieu  mal  graissé  faisait  entendre  une 
plaintive  ritournelle  :  Malan  fit  de  cette  ritournelle  une 
mélodie  de  cantique.  Une  autre  fois,  c'était  le  susurrement 
d'une  bouilloire  d'eau  chauffant  sur  le  feu  qui  lui  inspirait 
un  air.  Il  avait  dans  son  cabinet  un  orgue  sur  lequel  il 

compter,  en  1821,  un  poènie  :  Chant  de  paix,  qui,  bien  que  très  cor- 
rectement écrit,  était  trop  personnel  pour  pouvoir  être  beaucoup  lu. 


—    81  — 

étudiait  les  mélodies  qu'il  faisait  :  il  n'en  jouait  d'ailleurs 
qu'avec  effort  ;  mais  pour  s'aider  à  trouver  les  notes  indé- 
cises lorsqu'il  était  hors  de  chez  lui,  en  voyage  ou  en  pro- 
menade, il  s'était  fait  fabriquer  une  sorte  de  boîte  à  mu- 
sique avec  clavier,  qui  le  ravissait.  —  L'ignorance  où  se 
trouvait  Malan  de  la  partie  technique  de  la  musique  l'em- 
pêchait de  faire  l'harmonie  ou  les  accompagnements  de  ces 
chants  ;  ces  accompagnements  ont,  pour  la  plupart,  été 
faits  par  M.  Wolf-Hauloch,  ami  de  Malan ,  dont  la  pro- 
priété était  contiguë  à  la  sienne. 

Tels  étaient  les  procédés  de  composition  de  l'auteur  des 
Chants  de  Sioii.  Quant  à  l'occasion  à  laquelle  ces  chants 
furent  composés,  Malan  laissait  à  Dieu  le  soin  de  la  faire 
naître.  C'est  ce  qui  explique  que  les  tendances  dogmatiques 
ou  ecclésiastiques  percent  si  peu  dans  ses  vers.  Les  circon- 
stances extérieures  ou  son  état  d'âme  lui  dictaient  paroles 
et  musique.  Ainsi  le  beau  cantique  :  «C'esf  dans  la  paix 
que  tu  dois  vivre...»  fut  composé  en  réponse  à  une  vio- 
lente attaque  du  Journal  de  Genève^,  qui  alors  était  l'organe 
radical.  Un  autre:  «iVo/i,  ce  n  est  pas  mourir  que  d'aller 
vers  son  Dieu...n  fut  composé  à  l'occasion  de  la  mort  d'un 
ami  anglais  qui  demeurait  à  Genève.  Malan  fit  aussitôt 
paroles  et  musique  et  les  envoya  par  son  fils,  César,  à  la 
famille  comme  témoignage  de  condoléance. 

Quand  M.  Auguste  Rochat  mourut  à  Rolle,  c'était  un 
dimanche  après-midi  :  on  n'avait  alors  ni  chemins  de  fer 
ni  télégraphes;  cependant,  dès  que  Malan  en  fut  informé, 
il  se  mit  à  l'œuvre,  composa  un  cantique  avec  musique  et 
envoya  des  exemplaires  imprimés  pour  la  cérémonie  d'inhu- 
mation à  Rolle,  le  mardi  suivant. 

11 


—   82  — 


Deux  motifs  peuvent  expliquer  cette  prodigieuse  fécon- 
dité :  une  inspiration  indéniable,  en  premier  lieu,  et  ensuite 
l'extrême  compétence  qu'avait  Malan  de  la  versification 
latine.  On  sent  assez  nettement  cette  influence  quand  on 
lit  ses  divers  cantiques,  dont  quelques-uns  sont  vraiment 
admirables  et  subsisteront  à  côté  de  nos  plus  beaux 
psaumes.  On  a  aussi  de  lui  quelques  poèmes  de  longue 
haleine,  mais  ils  sont  moins  bien  réussis  que  les  cantiques. 
Le  génie  de  Malan  se  déployait  beaucoup  plutôt  dans  les 
œuvres  courtes  qui  naissaient  spontanément  sous  sa  plume. 
Il  serait  bien  difficile  de  caractériser  ce  genre  de  poésie 
religieuse  tout  primesautier  —  si  l'on  peut  ainsi  dire  — 
que  créa  Malan  :  il  faudrait  pour  cela  examiner  en  détail 
presque  chacun  de  ses  cantiques,  ce  serait  un  long  mais 
intéressant  travail,  dont  malheureusement  nous  devons  nous 
abstenir  pour  ne  pas  sortir  des  limites  que  nous  nous  sommes 
assignées  et  qui  sont  celles  de  l'histoire  et  de  la  critique 
musicale.  Mais  quelqu'imparfaite  et  éphémère  qu'ait  été 
son  œuvre,  elle  a  eu  le  grand  mérite  d'avoir  été  la  pre- 
mière (^)  et  d'être  venue  à  point  pour  satisfaire  aux  aspira- 
tions de  l'Église  en  une  époque  de  crise. 

«J'ai  souvenance,  nous  écrit  de  Suisse  un  contemporain 
de  Malan,  combien  ces  cantiques  étaient  une  source  d'édi- 
fication, pour  les  Chrétiens  isolés  et  dans  la  lutte;  ils  va- 
laient à  eux  seuls  un  manuel  d'édification,  parce  que  les 

(})  Nous  n'ignorons  pas  qu'il  existait  avant  ilalan  quelques  cantiques 
isolés,  venus  pour  la  plupart  de  l'étranger  et  réunis  en  de  petits 
recueils  devenus  aujourd'hui  introuvables,  mais  nous  entendons  que 
son  œuvre  fut  la  première  grande  œuvre  française  de  chant  sacré  en 
dehors  des  psaumes,  et  après  Pictet. 


—   83  - 


vérités  qu'ils  contiennent  sont  démontrées  par  des  versets 
en  citation  au  bas  des  pages.»  (^) 

Les  Chants  de  Sion  sont  divisés  en  plusieurs  parties  trai- 
tant chacune  d'un  sujet  spécial,  et  on  peut  dire  aussi,  pres- 
qu'en  chapitres.  La  première  partie  a  pour  titre  :  Objet  de 
la  foi  et  pour  subdivisions,  sous  forme  de  paragraphes, 
§  1  :  La  vérité  donnée  de  Dieu....  publiée.  §  2  :  Le  salut  en 
Jésus-Christ.  §  3  :  Les  privilèges  de  l'Église. 

La  seconde  partie  est  intitulée  :  Profession  de  la  foi. 

La  troisième  :  Travaux  de  la  foi. 

La  quatrième  :  Privilèges  de  la  foi. 

La  cinquième  :  Gloire  de  la  foi.  (2) 

La  musique  des  Chants  de  Sion  est  incontestablement 
empreinte  d'une  vive  originalité.  Elle  est  d'une  facture 
simple  et  d'une  harmonie  facile.  Mais  elle  est  aussi  atteinte 
des  mêmes  défauts  de  composition  que  nous  avons  signalés 
dans  la  poésie.  Malan,  n'étant  ni  un  grand  musicien 
ni  un  grand  poète,  mais  avant  tout  un  chrétien,  tombe 
souvent  dans  des  répétitions,  dans  une  uniformité  qui  lasse 

(1)  C'est,  en  effet,  une  des  caractéristiques  des  Chants  de  Sion  d'être 
pour  la  plupart  composés  sur  des  paroles  de  l'Écriture-Sainte  men- 
tionnées en  tête  de  chaque  cantique. 

(2)  Il  ne  rentre  point  dans  notre  sujet  de  faire  ici  l'analyse  ou  la 
critique  des  paroles  de  Malan.  Nous  le  regrettons  d'autant  plus  qu'un 
jeune  théologien,  dans  une  récente  monographie  sur  les  cantiques 
qu'on  nous  communique  à  l'achèvement  de  ce  travail,  a  cru  s'acquitter 
de  cette  tâche  en  traitant,  à  réitérées  reprises,  de  patois  de  Canaan  toute 
la  poésie  de  Malan,  auquel  il  se  charge  de  dire  vertement  son  fait.  Nous 
aurions  été  bien  reconnaissants  à  l'auteur  de  vouloir  bien  nous  expli- 
quer en  note  le  sens  de  son  expression  favorite  qu'il  trouve  certaine- 
ment plus  commode  d'employer  que  de  définir,  puisqu'elle  le  dispense 
d'examiner  ce  qu'il  condamne  avec  tant  de  désinvolture. 


—   84  — 

bientôt.  Le  prompt  abandon  de  ses  cantiques  par  ceux-là 
même  qui  les  avaient  le  plus  goûtés,  en  est  une  preuve 
évidente.  Néanmoins  il  est  un  bon  nombre  des  Chants  de 
Sion  qui,  par  leur  beauté  et  par  le  souffle  de  vraie  inspi- 
ration qui  les  anime,  a  triomphé  de  l'oubli  où  sont  tombés 
la  plupart  des  morceaux  du  recueil.  Tels  sont  d'abord  : 
Saint  des  Saints..,  Du  rocher  de  Jacob...  Cest  dans  la 
paix...  et  Trois  fois  saint  Jéhovah...  que  nous  retrouvons 
dans  tous  les  recueils  composés  depuis  leur  apparition.  Ce 
sont  ces  cantiques  que  nous  étudierons  tout  d'abord;  puis 
nous  retrouvons  également  reproduits ,  mais  dans  une 
moindre  proportion  :  Saints  messagers,  hérauts  de  la  jus- 
tice... C'est  toi,  Jésus...  Louez  le  nom  de  V Éternel...  Oui, 
cher  Sauveur...  Sur  toi,  Sauveur...  Je  viens.  Seigneur... 
Agneau  de  Dieu...  Nous  examinerons  seulement  le  premier 
groupe  de  ces  chants. 

Saint  des  Saints...  est  certainement  l'un  des  plus  beaux 
morceaux  de  composition  musicale  et  poétique  de  M.  Malan. 
L'allure  tout  entière  du  cantique  est  empreinte  d'un  carac- 
tère de  grandeur  que  les  années  et  les  crises  de  l'Église 
n'ont  pu  réussir  à  faire  méconnaître  et  qui  en  fera  long- 
temps encore  un  de  nos  chants  les  plus  aimés.  Tl  est  en 
si  1?,  mesure  à  quatre  temps  ;  le  rythme  net  et  court  des 
deux  premières  mesures  qui  se  reproduit  dans  les  deux  sui- 
vantes donne  au  cantique  une  allure  ferme  qui  convient 
bien  aux  paroles.  Si  nous  osions  hasarder  une  comparaison 
qui  ne  nous  paraît  pourtant  pas  trop  osée,  nous  dirions  que 
le  genre  de  musique  de  ce  cantique  se  rapproche  de  la  fac- 
ture de  Haydn.  Parmi  les  heureux  effets  de  ce  morceau, 
nous  signalerons  l'introduction  brusque  du  mode  mineur 


—    85  — 


à  la  fin  du  premier  et  au  troisième  vers,  avec  retour  clans 
le  majeur  par  un  simple  accord  de  septième  diminuée,  et 
l'allure  entraînante  de  la  dernière  phrase. 

Ce  cantique,  qui  s'est,  par  sa  beauté,  imposé  à  l'admi- 
ration de  l'Église,  a  subi  peu  de  modifications  dans  les  dif- 
férentes reproductions  qu'on  en  a  faites.  Nous  remarque- 
rons seulement  une  seule  et  légère  divergence  entre  les 
Chants  chrétiens  et  les  Psaumes  et  Cantiques  à  la  quinzième 
mesure,  premier  temps. 


^  1 

1^  i  -rr 

i  1 

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1 — ^ 

Nous  donnons,  pour  cette  fois,  raison  aux  Psaumes  et 
Cantiques,  qui  corrigent  par  l'introduction  du  mi  ^,  qui  en 
réalité  n'est  ici  qu'un  fa  b,  la  dissonance  produite  dans 
les  Chants  chrétiens  par  le  fa  naturel  de  la  partie  d'alto 
sonnant  avec  le  sol  \f  de  la  basse.  Mais,  en  revanche,  il  est 
préférable  comme  harmonie  de  maintenir,  au  quatrième 
temps,  Vut  du  ténor  des  Chants  chrétiens,  formant  accord, 
septième  de  dominante ,  au  lieu  du  ré  b  des  Psaumes  et 
Cantiques. 

Du  Hocher  de  Jacob...  est  une  œuvre  d'un  tout  autre 
genre.  On  pourrait  dire  que  la  musique  en  est  aussi  dog- 
matique que  la  poésie.  Elle  n'est  pas  pour  cela  dépourvue 
de  charme  ni  dénuée  d'une  réelle  inspiration;  mais  elle  n'a 


—   86  - 


pas  le  trait  de  la  musique  du  cantique  précédent.  C'est 
cependant,  et  à  juste  titre,  un  de  nos  meilleurs  cantiques. 
On  y  remarquera  au  dernier  vers  un  souffle  entraînant  qui 
est  une  des  caractéristiques  de  la  musique  de  Malan. 
Comme  critique,  nous  pourrions  relever  dans  ce  cantique 
une  faute,  non  d'harmonie,  mais  de  composition  :  il  y  a 
manque  de  parallélisme  entre  la  seconde  et  la  quatrième 
phrase  musicale  ;  cette  dernière  devrait  avoir  une  mesure 
de  plus,  composée  de  deux  blanches.  L'harmonie  est  aisée 
d'un  bout  à  l'autre  du  morceau  et  n'a  guère  donné  lieu 
à  des  changements  en  passant  dans  les  différents  recueils. 

Nous  avons  déjà  dit  à  quelle  occasion  fut  composé  «C'esf 
dans  la  paix  que  tu  dois  v/rre»...  Ce  cantique  est  certai- 
nement un  des  plus  curieux  de  Malan  :  surtout  au  point  de 
vue  de  la  musique.  Il  roule  tout  entier  sur  quatre  notes  ou 
sur  cinq  en  comptant  la  finale,  et  malgré  le  cercle  restreint 
où  la  mélodie  se  meut,  il  n'est  réellement  pas  dépourvu 
de  charme.  Loin  de  la  taxer  de  monotone,  nous  trouvons 
dans  le  bercement  de  ce  rythme  excessivement  simple 
quelque  chose  de  suave  :  c'est  un  paysage  baigné  dans  la 
douce  et  vaporeuse  lumière  d'un  soleil  d'automne.  Et  là 
encore  la  musique  convient  parfaitement  aux  nobles  senti- 
ments qu'expriment  —  parfois  admirablement  —  les  pa- 
roles. Qu'on  nous  permette  encore  une  comparaison  :  la 
musique  de  a  C'est  dans  la  paix))...  nous  rappelle  —  sans 
que  nous  veuillons  établir  aucun  parallèle  —  la  Marche 
funèbre  du  Saïil  de  Hœndel.  Le  coloris  musical  est  le 
même. 

Le  quatrième  des  cantiques  de  Malan  que  nous  étudions 
à  titre  de  spécimen,  est:  uTrois  fois  saint  Jéhovah...» 


-    87  - 

C'est  peut-être  avec  «.Saint  des  saints»  le  plus  beau  de 
ceux  qu'ait  composés  Malan.  II  fut  fait  spécialenient  pour 
le  recueil  des  Chants  chrétiens  que  préparait  alors  M.  H. 
Lutteroth.  Nous  y  retrouvons  les  mêmes  procédés  de  com- 
position que  nous  avons  surpris  dans  les  trois  autres  et 
qui  sont  les  mêmes  dans  presque  tous  les  cantiques  de 
Malan,  phrases  d'un  rythme  bref  et  marqué,  parallélisme 
entre  les  quatre  premières  puis  entre  les  deux  suivantes, 
effet  heureux  au  milieu  du  morceau  dans  le  présent  can- 
tique, c'est  une  modulation  à  la  tierce  entre  la  partie  d'alto 
et  de  ténor  à  la  quinzième  mesure  et  un  crescendo  marqué 
dans  les  dernières  phrases  des  cantiques. 

Telle  est  l'œuvre  musicale  de  Malan.  Pour  n'être  pas  au- 
dessus  de  toute  critique,  elle  a  cependant  été  précieuse 
entre  toutes,  étant  venue  à  point  pour  combler  une  lacune 
incontestable  dans  l'hymnologie  de  notre  Église.  Seule  une 
douzaine  de  cantiques  a  survécu  et  mérite  d'autant  plus 
d'être  conservée  avec  respect.  Ceux  qu'ont  donnés  les 
auteurs  des  Chants  chrétiens  et  des  Psaumes  et  Cantiques 
nous  paraissent  parfaitement  choisis  et  nous  sommes  d'avis 
de  les  maintenir  tous  (^) .  Les  cantiques  de  3Ialan  ont  une 
grande  qualité  qui  se  retrouve  rarement  ailleurs,  c'est  que 
la  musique  convient  parfaitement  aux  paroles  par  la  simple 
raison  que  toutes  deux  naissaient  d'un  seul  jet  et  simulta- 
nément de  l'inspiration  du  même  homme.  Aussi  ces  can- 
tiques ne  sauraient-ils  être  assez  appréciés  et  respectés. 

(1)  Ce  sont  les  nos  2, 13,  25,  39,  49,  57,  G6,  70,  94,  95,  97,  161,  184. 
des  Chants  Chrétiens. 


—   88  - 


CH\PITRE  XII 

LES  CHANTS  CHRÉTIENS 

Il  nous  reste  enfin  à  parler  du  second  et  plus  remar- 
quable Recueil  de  cantiques  de  ce  siècle,  celui  auquel,  avec 
les  Chants  de  Sion  de  Malan,  les  différents  recueils  de 
notre  Église  réformée  ont  fait  le  plus  d'emprunts,  nous 
voulons  dire  les  Chants  chrétiens. 

Tout  d'abord  nous  nous  sentons  pressé  de  témoigner  ici 
de  notre  gratitude  au  vénérable  auteur  des  Chants  chrétiens, 
qui,  avec  une  amabilité  dont  nous  ne  saurions  assez  le 
remercier,  a  bien  voulu  nous  donner  sur  son  œuvre  tous 
les  détails  inédits  que  nous  avions  sollicité  d'avoir. 

Il  n'est  pas  nécessaire  d'insister  longuement  pour 
prouver  que  les  Chants  chrétiens  sont  de  tous  les  recueils 
publiés  jusqu'ici  le  plus  beau  et  le  plus  riche.  C'est  là  une 
affirmation  qui  n'est  point  contestée  (i).  Le  fait  que  ce 
recueil  fut  composé  d'une  façon  tout  indépendante,  c'est- 
à-dire  en  dehors  des  idées  ecclésiastiques  ou  dogmatiques 
d'une  Église  particulière,  qu'il  contient  une  sélection  des 

(1)  Hormis  peut-être  par  M.  0.  Doueu  (et  par  le  jeune  théologien 
dont  nous  avons  parlé,  lequel  copie  textuellement  la  phrase  de  l'auteur 
de  Cl.  Marol  et  le  Psautier)  qui  estime  que  les  quelques  psaumes  que 
contiennent  les  Citants  chrétiens  sont  ce  qu'ils  renferment  de  mieux. 
Nous  nous  étonnons  d'une  telle  assertion  sortie  d'une  telle  plume,  et 
nous  nous  permettons  d'être  de  l'avis  diamétralement  opposé.  Nous 
croyons  que  les  psaumes  que  donnent  les  Chants  chrétiens  ,  avec  leur 
mesure  et  leur  harmonie  moderne,  sont  peut-être  ce  qu'il  y  a  de  plus  à 
critiquer  dans  le  volume. 


-    89  — 


plus  beaux  morceaux  de  l'hymaologie  ancienne  et  moderne, 
que  la  musique  a  été  transcrite  et  revue  par  une  des  per- 
sonnes les  plus  foncièrement  musiciennes  qui  se  soient 
occupées  de  chant  sacré,  ce  qui  n'est  pas  le  cas  pour  la 
plupart  des  autres  recueils,  assure  aux  Chants  chrétiens 
une  supériorité,  nous  le  répétons,  incontestable.  Depuis 
183/i,  date  de  son  apparition,  les  éditions  s'en  sont  succédé 
nombreuses. 

Il  est,  on  le  conçoit,  difficile  d'analyser  en  détail  une 
œuvre  composée  d'éléments  aussi  différents.  Ce  serait  un 
long  travail  que  nos  limites  ne  nous  permettent  pas  d'en- 
treprendre. Nous  examinerons  seulement  pour  la  musique 
et  les  paroles  les  principales  sources  mises  à  contribution 
pour  la  composition  des  Chants  chrétiens. 

Pour  suivre  un  ordre  chronologique,  les  Chants  chrétiens 
contiennent  d'abord  12  psaumes  y  compris  le  cantique  de 
Siméon(^).  Ces  psaumes  sont  malheureusement  très  altérés 
et  sauf  un  (le  ps.  34,  n"  95,  paroles  et  musique  de  Malan), 
plutôt  en  mal  qu'en  bien.  Les  paroles  ont  été  retouchées, 
et  surtout  les  airs.  On  a  substitué  à  la  belle  musique  de 
Goudimel  ou  de  Bourgeois  des  airs  allemands  qui  ne  con- 
viennent nullement.  Nous  demandons  instamment  pour  les 
futures  éditions,  un  retour  à  l'original. 

Il  y  a  ensuite  7  cantiques  de  Corneille  n°'  84,  92,  126, 
135,  m,  ISa,  158)  et  2  de  Racine  (n"^  130  et  136).  Les 
deux  premiers  :  0  Dieu  de  vérité  pour  qui  seul  je  soupire... 
Parle,  parle  Seigneur  ton  serviteur  écoute...  sont  deux  purs 

(1)  Ce  sont  les  psaumes  :  3  (n°  88)  25  (n»  71)  27  (n"  13)  34  (n»  95) 
42  (no  27)  84  (n»  7)  86  (n»  45)  92  (n"  90)  103  (n»  55)  116  (n"  33)  et  138 
(no  81). 

12 


-    90  - 


chefs-d'œuvre  pour  les  paroles  el  la  musique.  Cette  der- 
nière a  été  composée  pour  les  Chants  chrétiens  par  M.  Bost 
père.  Elle  est  donc  originale  à  ce  seul  détail  près,  que 
Bost  l'avait  donnée  à  3  parties,  et  qu'on  la  complétée  en 
y  ajoutant  la  partie  de  ténor.  31.  Élisée  Bost  a  bien  voulu 
nous  écrire  à  ce  sujet  que  la  nmsique  n'avait  point  été 
modifiée.  Quant  aux.  autres  cantiques  de  Corneille,  ils  nous 
paraissent  moins  heureusement  choisis  et  comme  paroles 
et  comme  musique.  Aussi  n'ont-ils  pas  réussi  à  pénétrer 
dans  l'usage  ecclésiastique  qui,  en  somme,  est  le  meilleur 
juge  de  la  valeur  d'un  cantique.  Ces  cantiques  de  Corneille 
sont  tirés  de  sa  traduction  en  vers  de  V Imitation  de  Jésus- 
Christ  et  des  prières  qui  y  sont  intercalées.  Nous  ne 
sommes  d'avis  de  maintenir  que  les  deux  que  nous  avons 
signalés.  Un  seul  des  cantiques  de  Racine  nous  paraît  digne 
de  subsister,  c'est  le  n"  136  qui  est  une  belle  traduction  en 
vers  de  1  Cor.  XIII. 

Viennent  ensuite  6  cantiques  de  Bénédict  Pictet,  les 
n"^  35,  64,  151,  178,  182,  183. 

Nous  avons  déjà  dit  ce  que  nous  pensions  de  la  musique 
du  n°  35  qui  ne  nous  paraît  pas  pouvoir  convenir  aux 
paroles  :  la  musique  du  6h  est  originale;  pour  le  151 
nous  avons  plus  haut  donné  celle  qui  paraissait  le  mieux 
convenir.  Quant  aux  trois  autres  cantiques,  qui  dans  les 
Chants  chrétiens  n'ont  pas  de  musique,  il  suffit  d'y  laisser 
celle  que  Pictet  avait  lui-môme  choisie  parmi  les  airs  des 
psaumes.  Nous  trouvons  encore  dans  les  Chants  chrétiens 
15  cantiques  de  Vinet  :  ce  sont  les  n"'  1,  3,  k,  3/j,,  37, 
59,  63,  76, 116, 137,  169,  177,  186, 192, 199.  Plusieurs 
de  ces  cantiques  sont  originaux  ;  d'autres,  le  76  par  exemple. 


—   91  — 


sont  traduits  de  l'anglais.  Ils  ont  paru  d'abord  dans  le 
Semeur,  puis  ont  été  aussitôt  mis  en  musique  dans  les  Chants 
chrétiens.  On  en  retrouve  aussi  dans  le  Recueil  des  psaumes 
et  cantiques  de  l'Église  libre  du  canton  de  Vaud.  Les  idées 
exprimées  par  ces  cantiques  sont  plus  belles  et  plus  majes- 
tueuses que  la  forme  qui  les  revêt.  C'est  un  phénomène  un 
peu  incompréhensible  chez  un  écrivain  de  la  valeur  de 
Vinet.  On  sent  l'effort  dans  ces  vers.  M.  Charles  Chatelanat 
dit  des  cantiques  de  Vinet  :  «  Son  âme  débordait  telle- 
ment de  sentiments  généreux  qu'on  s'étonne  de  ne  pas 
voir  jaillir  le  vers  plus  rapide,  plus  ailé.  Cet  homme  aux 
impressions  aussi  vives  que  profondes  ne  savait-il  les  com- 
muniquer qu'au  travers  du  voile  de  la  réflexion  philoso- 
phique? Pourquoi  l'image,  chez  lui,  fait-elle  trop  souvent 
place  à  l'antithèse?» 

Peut-être  ce  jugement  est-il  un  peu  excessif,  car  nous 
trouvons  beaucoup  d'images  dans  les  cantiques  de  Yinet, 
il  suffit  de  citer  les  premiers  vers  du  cantique  si  connu 
(n°  1  des  Ch.  ch.)  : 

Ainsi  que  d'une  lyre 
Un  accord  échappé 
Rapidement  expire 
Dans  l'air  qui  l'a  frappé, 
De  même  chaque  année, 
Prompte  à  s'évanouir. 
N'est  pour  l'âme  étonnée 
Qu'un  nom,  qu'un  souvenir. 

Quant  à  la  musique  que  les  Chants  chrétiens  ont  mise 
aux  paroles  de  Yinet,  elle  ne  nous  paraît  pas  toujours 
licureusement  choisie.  Sur  les  15  cantiques  il  n'en  est  que 
7  qui  se  chantent  couramment.  Ce  sont  les  n"'  1,  3,  3/i, 


\ 


—   92  — 


63,  76,  Jo7.  Les  autres  airs  sont  peu  intéressants  :  et  nous 
le  regrettons  vivement,  car  nous  voudrions  voir  maintenus 
ou  introduits  dans  l'usage  ces  quinze  cantiques  de  Vinet. 

Un  appoint  précieux  a  été  fourni  aux  Chants  chrétiens 
par  les  Chants  de  Sion.  Nous  en  retrouvons  treize  des 
meilleurs:  n"'  2,  13,  25,  57,  66,  70,  94,  95,  97,  J61, 
184,  plus  les  n°'  39  et  49,  spécialement  composés  pour  les 
Chants  chrétiens.  Ces  cantiques  sont  tous  excellents,  et 
l'attachement  qu'a  pour  eux  l'Église  en  fait  foi.  Pour  les 
n°'  2,  13  et  94  on  a  substitué  à  la  musique  de  Malan  des 
morceaux  de  Weber,  Haydn  et  Hœndel.  Sauf  pour  le  94, 
ce  choix  ne  nous  paraît  pas  heureux.  La  musique  du  2  : 
(n  L'Eternel  seul  est  Seigneur  y)...,  est  VAndante  d'un  qua- 
tuor dont  on  a  été  contraint  de  défigurer  le  mouvement 
pour  en  faire  un  cantique.  Elle  a  malheureusement  déjà 
passé  dans  l'usage  ecclésiastique,  mais  son  seul  mérite  est 
d'être  fort  simple.  La  musique  du  n"  13  est  peu  intéres- 
sante. Le  n"  94,  au  contraire,  est  un  chef-d'œuvre.  Il  suf- 
fit d'ailleurs  qu'il  soit  signé  de  Hœndel, 

Nous  rencontrons  aussi  dans  les  Chants  chrétiens  un  can- 
tique de  Félix  Neff,  le  n»  58.  La  musique,  sans  avoir  rien 
de  très  remarquable,  est  déjà  consacrée.  Nous  y  ferons  une 
seule  critique,  c'est  l'absence  d'un  point  d'orgue  au  pre- 
mier temps  de  l'avant-dernière  mesure,  nécessaire  pour  le 
parallélisme  avec  les  deux  phrases  précédentes. 

Arrivons  enfin  à  l'œuvre  capitale  des  Chants  chrétiens, 
à  celle  à  laquelle  la  personnalité  même  des  auteurs  donne 
un  caractère  tout  particulièrement  remarquable,  nous  vou- 
lons parler  des  cantiques  de  M.  H.  Lutteroth  pour  les  pa- 
roles et  de  M"""  H.  Lutteroth  pour  la  musique. 


-    93  — 


Les  premiers  sont  au  nombre  de  quarante-quatre.  Ce 
sont  les  n"^  10,  11,  Ik,  20,  21,  23,  kO,  kl,  46,  /i8, 
54,  69,  73,  7li,  78,  79,  85,  87,  90,  100,  104,  105,  107, 
108,  111,  114, 118,  122,  124,  131, 134, 139, 142, 143, 
146,  147,  148, 150,  165,  187,  188,  196,  200. 

On  comprendra  que  nous  nous  abstenions  d'analyser  ici 
ces  cantiques.  De  notre  part,  en  effet,  toute  critique  envers 
l'auteur  serait  une  outrecuidance ,  et  tout  éloge  une 
naïveté,  (i)  Pour  apprécier  l'œuvre  de  M.  H.  Lutteroth,  il 
nous  suffira  de  désigner  plus  explicitement  quelques-uns 
de  ces  cantiques,  que  tous  savent  par  cœur  et  qui  se 
retrouvent  dans  tous  les  recueils  postérieurs  aux  Chants 
chrétiens.  Nous  citerons  : 

Souvent  Seigneur  en  sa  détresse...  10),  dont  la  mu- 
sique est  de  Bost. 

(1)  De  tels  scrupules  ne  sont  pas  pour  arrêter  le  jeune  critique  que 
nous  avons  déjà  cité,  M.  Atger,  qui  au  contraire  déclare  que  le  cantique 
73  n'est  qu'une  dissertation  parfois  incompréhensible.  «  Ainsi,  dit-il , 
qu'est-ce  que  «  monter  à  Béthel  i>  et  «  garder  le  cœur  autant  que  l'autel  ?  a 

L'homme  offense 
S'il  encense 

Sans  rechercher  l'Esprit  Saint 

(I  Quelle  idée  !  —  de  plus  : 

Ta  louange 

Chère  à  l'ange 

Est  la  gloire  des  pécheurs. 

«  A  quel  ange  ?  n'est-ce  pas  pour  la  rime  seule  ?  i> 

Tout  au  plus  concède-t-il  qu'il  y  a  «  quelques  bons  cantiques,  mais 
les  mauvais  y  sont  cependant  plus  largement  représentés,  et  malgré 
toutes  les  imperfections,  c'est  encore  le  meilleur  qui  ait  paru  jusqu'à 
présent.  Tous  les  recueils  suivants  viendront  puiser  à  cette  source.  » 

Il  est  bien  regrettable  que  ce  critique  des  Chants  chrétiens  n'ait  pas 
su  y  puiser  un  peu  plus  de  modéi^ation. 


-    94  — 


C'est  un  rempart  que  notre  Dieu...  (n"  Ik).  Nous  avons 
dit  plus  haut  —  avant  même  d'en  connaître  l'auteur  —  ce 
que  nous  en  pensions. 

Cest  moi,  cest  moi  qui  vous  console...  (n°  20),  dont  la 
musique  est  magnifique,  mais  d'un  mouvement  trop  vif; 
elle  n'est  pas  de  M.  Lutteroth  mais  de  l'auteur  du  Septuor, 
de  Beethoven. 

//  vient,  il  vient,  c'est  notre  Rédempteur...  (n"  23)  avec 
la  musique  si  majestueuse  qui  l'accompagne. 

Tu  parais,  ô  Jésus...  (n°  Z16). 

Ecoutez  tous  une  bonne  nouvelle...  (n°  54).  Nous  esti- 
mons que  la  musique  des  Cantiques  populaires  de  M.  Mac- 
All  sur  ces  paroles  est  mieux  adaptée  que  celle  des  Chants 
chrétiens,  toute  belle  soit-elle. 

Quant  à  l'œuvre  musicale  de  M'"''  H.  Lutteroth,  nous 
sommes  plus  k  l'aise  pour  en  parler,  car  nous  ne  sachions 
pas  qu'elle  ait  jamais  rencontré  des  détracteurs.  Cette 
œuvre  ne  se  réduit  pas  aux  dix  cantiques  signés  H.  L. 
ou  Heinrich  Roth  (i),  M"'""  Lutteroth  a  choisi  et  a  adapté 
la  plupart  des  airs  sous  lesquels  sont  aujourd'hui  connus 
et  aimés  un  grand  nombre  de  cantiques  qui  jusqu'alors 
n'avaient  jamais  été  chantés.  Il  est  une  seule  critique 
qu'au  nom  d'une  expérience  de  dix  années  déjà  nous 
nous  permettrons  d'adresser  à  ce  travail.  M"""  H.  L.  a 
peut-être  un  peu  trop  cédé  à  la  tentation  —  que  nous 
comprenons  bien  aisément  —  d'adapter  à  ces  cantiques  de 
la  musique  de  grands  maîtres,  qui  ne  convient  pas  toujours 

(1)  C'est  par  un  excès  de  modestie,  bien  rare,  il  faut  l'avouer,  chez  les 
grands  musiciens  que  H.  Luttei'otli  a  inscrit  sous  ce  pseudonyme 
la  plupart  de  ses  compositions. 


-    95  — 

à  la  majesté  du  chant  sacré,  surtout  à  cause  du  défaut 
presque  total  d'éducation  musicale  chez  la  plupart  de  nos 
fidèles.  Nous  citerons  entre  autres  le  n  36  :  «  Dieu  fort  et 
grand,  tu  vois  toute  ma  vie»...  qui  est  un  admirable  mi- 
nuetto  de  Beethoven,  mais  que  nous  n'avons  entendu 
exécuter  convenablement  dans  aucune  église,  car  il  est 
nécessaire  que  les  quatre  parties  y  soient  représentées  et 
que  le  mouvement  y  soit  conservé,  ce  qui  ne  s'est  encore, 
nous  croyons  pouvoir  l'aflirmer,  jamais  rencontré.  Nous 
en  dirions  tout  autant  du  n"  69,  un  scherzo  de  Haydn,  et 
de  quelques  autres. 

Quant  k  l'œuvre  originale  de  M""'  H.  L.,  elle  contient 
plusieurs  morceaux  absolument  admirables  et  dont  l'usage 
ecclésiastique  a  consacré  la  valeur.  Nous  citerons  particu- 
lièrement le  cantique  de  Vendredi-Saint  :  «  Sous  ton  voile 
d'ignominie»...  dont  la  musique  est  toute  frémissante  du 
drame  de  Gethsémané,  le  beau  cantique  de  Pâques  n"  402, 
le  n"  86,  qui  est  peut-être  le  plus  superbe  de  tous,  le 
n°  110,  etc.. 

Ajoutons  encore  que  les  Chants  chrétiens  contiennent 
d'excellents  morceaux  de  Bost,  dont  le  beau  talent  se  prê- 
tait plutôt  à  l'envergure  de  la  cantate.  Il  a  spécialement 
composé  le  cantique  122,  dont  la  musique  est  magistrale, 
sur  les  paroles  de  M.  H.  Lutteroth  ;  il  paraît  même,  nous 
écrit  M.  Élisée  Bost,  que  trouvant  un  peu  large  et  hardie 
la  dogmatique  de  ce  cantique,  il  écrivit  à  l'auteur  :  «  J'ai 
mis  votre  manifeste  en  musique.  » 

De  Bost  sont  aussi  les  cantiques  10,  19,  76,  dont  l'air 
ne  vaut  pas,  il  faut  l'avouer,  celui  de  Paer,  8!i,  92,  122, 
qui  sont  tous  les  trois  des  chefs-d'œuvre,  et  le  IhO"-  La 


-   96  - 


musique  de  Bost  est  d'une  facture  plus  large  et  plus  aisée 
que  celle  de  Malan,  et  le  talent  acquis,  la  connaissance  de 
l'harmonie,  y  soutiennent  l'admirable  don  naturel  ;  ce  qui 
nous  frappe  particulièrement  chez  lui,  c'est  l'exactitude 
avec  laquelle  la  mélodie  revêt  l'expression  des  paroles.  Les 
cantiques  8/|,  92,  122  en  sont  une  preuve  éclatante. 

Il  est  impossible  de  citer  tous  les  auteurs  qui  ont  signé 
quelques  cantiques  des  Chants  chrétiens,  ils  sont  en  grand 
nombre;  la  vieille  musique  allemande  des  seizième  et  dix- 
septième  siècles  a  fourni  le  plus  fort  contingent  ;  des  em- 
prunts ont  aussi  été  faits  à  des  recueils  antérieurs,  dont 
nous  avons  parlé  plus  haut,  celui  de  Francfort  entre 
autres. 

En  résumé,  les  Chants  chrétiens  sont  le  plus  remarquable 
et  le  plus  riche  de  nos  recueils,  et  c'est  là  que  sont  venus 
puiser  tous  les  autres.  C'est  ce  qui  nous  dispense  d'analy- 
ser les  Psaumes  et  Cantiques,  qui  ne  renferment  aucune 
œuvre  originale  :  pour  la  première  partie,  ils  ne  contien- 
nent que  les  psaumes  de  jMarot  et  de  Th.  de  Bèze,  avec 
une  harmonie  et  même  une  mélodie  impudemment  défigu- 
rée, et  pour  la  seconde  partie  les  sources  principales  sont 
les  Chants  chrétiens,  les  Chants  de  Sion,  quelques  cantiques 
du  Recueil  de  Francfort,  et  quelques  autres  assez  rares, 
empruntés  aux  recueils  d'Églises  particulières.  Avec  quel- 
ques puissantes  modifications,  ce  recueil  pourrait  être  le 
meilleur  de  tous,  et  c'est  lui  qui  se  rapproche  du  recueil- 
type  que  nous  désirons  et  en  vue  duquel  nous  avons  fait 
ce  travail. 

Ce  que  nous  avons  dit  des  Psaumes  et  Cantiques  s'ap- 
plique aux  recueils  des  Consistoires  de  Lyon,  de  Tonneins, 


-    97  - 


de  Bordeaux,  de  Castres,  d'Orléans,  de  Nantes,  de  Nîmes (i), 
qu'il  serait  oiseux  et  monotone  d'examiner  ici.  Celui  de 
Lyon,  que  nous  avons  plus  particulièrement  étudié,  nous 
paraît  —  soit  dit  eu  passant  —  le  mieux  fait  de  tous  pour 
les  paroles  et  la  musique.  Il  est  d'ailleurs  dû  aux  soins  d'un 
homme  des  plus  compétents  en  la  matière,  M.  iEschimann 
père. 

CHAPITRE  XIII 

CONCLUSION 

Nos  conclusions  seront  brèves.  Elles  découlent  logique- 
ment de  ce  que  nous  avons  dit  au  cours  de  ces  différents 
chapitres.  —  Il  est  incontestable  que  notre  chant  sacré  se 
traîne  actuellement  dans  une  langueur  désespérante.  Nous 
croyons  avoir  montré  que  des  causes  diverses  ont  con- 
tribué à  ce  triste  état  de  choses.  Ces  causes  sont  au 
nombre  de  trois. 

1"  On  n'a  d'abord  point  assez  relevé  en  ce  siècle  l'impor- 
tance du  chant  dans  nos  églises.  Des  préoccupations  dogma- 
tiques ou  ecclésiastiques  ont  fait  perdre  de  vue  ce  point 
essentiel  de  notre  culte  protestant.  Il  est  temps  que  tous  les 
pasteurs  prennent  à  cœur  cette  œuvre  de  relèvement  du 
chant  dans  leurs  églises  respectives ,  et  que  pour  cela  ils  y 
soient  formés  en  temps  utile.  Une  étude  sommaire  mais 

Sans  parler  du  beau  recueil  de  M.  Bersier,  qui  n'est  malheureuse- 
ment guère  sorti,  que  nous  sachions,  de  l'église  de  l'Étoile,  à  Paris. 

13 


—    98  - 

suffisante  du  solfège  et  de  la  musique  ne  nous  paraît  pas 
devoir  être  beaucoup  plus  ardue  ou  moins  utile  que  celle 
de  l'hébreu.  Si,  d'après  Schleiermacher,  la  théologie  a  pour 
but  de  servir  l'Église,  quel  service  plus  direct  pourrait- 
elle  lui  rendre  que  de  la  former  à  chanter  ? 

2°  La  multiplicité  et  les  incompréhensibles  divergences 
de  nos  recueils  de  cantiques  sont  un  des  ennemis  les  plus 
évidents  de  notre  chant  sacré,  ennemi  qu'il  est  de  notre 
devoir  de  combattre  dans  la  plus  large  mesure. 

3"  On  a  beaucoup  trop  sacrifié  au  préjugé  du  chant  à 
l'unisson,  qui  n'est  pas,  nous  croyons  aussi  l'avoir  montré, 
la  forme  de  chant  traditionnelle  qui  convienne  à  notre  culte. 

Nous  réclamons  donc  instamment  qu'il  existe  pour 
l'hymnologie  de  même  que  pour  nos  Saintes  Écritures  un 
Canon,  avec  cette  différence  que  ce  canon  doit  être  un 
canon  ouvert  auquel  l'Église  ajoutera  au  cours  des  siècles 
les  chants  qui  ont  été  déclarés  le  plus  propres  à  son  édifica- 
tion. Ces  chants,  une  fois  admis  dans  le  canon ,  ne  pour- 
ront subir  aucune  retouche  ou  modification  :  ils  seront  la 
propriété  littéraire  et  musicale  de  l'Église  et  aucun  éditeur 
de  recueil  n'aura  le  droit  de  les  emprunter  sans  son  con- 
sentement et  surtout  sans  la  réserve  expresse  de  n'en 
modifier  ni  les  paroles  ni  la  musique.  —  Ces  chants  seront 
écrits  à  quatre  parties,  d'une  harmonie  aussi  simple  que 
possible  et  leur  caractère  devra  toujours  être  conforme  à 
la  dignité  de  l'Église  et  du  culte.  Nous  ne  croyons  devoir 
préconiser,  ni  proposer  comme  modèles  le  superbe  choral 
allemand  ou  l'agréable  plain-chant  anglais  :  nous  pensons 


-   99  - 

que  la  musique  sacrée  de  l'Église  protestante  française  doit 
conserver  son  caractère  français  (^). 

Pour  les  paroles,  qui  ne  rentrent  pas  directement  dans 
l'objet  de  notre  étude,  nous  croyons  qu'elles  doivent  sur- 
tout être  dictées  par  des  sentiments  de  piété  et  d'édifica- 
tion et  qu'elles  ne  doivent  exprimer  que  le  moins  possible 
des  idées  dogmatiques  ou  des  conceptions  particulières. 
Toutefois  ces  réserves  s'appliqueront  plutôt  à  l'avenir 
qu'au  présent,  car  la  majeure  partie  de  nos  cantiques 
actuels  est  entachée  de  ce  défaut.  Nous  estimons  cepen- 
dant qu'il  faut  conserver  ces  cantiques  dans  leur  forme  la 
plus  originale  qu'on  puisse  retrouver,  car  ils  sont  des 
monuments  d'un  passé  glorieux.  Il  est  infiniment  plus 
difiicile  de  composer  de  bonnes  paroles  qu'une  belle  mu- 
sique. Nous  pensons  que,  dans  une  certaine  mesure,  les 
qualités  de  l'une  peuvent  couvrir  l'imperfection  des  autres. 
Nous  demandons  enfin  qu'on  chante  davantage  dans  nos 
églises,  imitant  l'excellent  exemple  des  églises  de  la  Con- 
fession d'Augsbourg,  et  qu'on  y  chante  nos  vieux  psaumes 
dans  une  plus  large  mesure.  C'est  une  assertion  vide  de 
sens  que  de  dire  que  les  psaumes  sont  inférieurs  ou  supé- 
rieurs aux  cantiques  :  ils  sont  simplement  les  témoins  d'un 
autre  âge  et  à  ce  seul  titre,  au  nom  même  des  vivants 
souvenirs  qui  s'y  rattachent,  ils  ont  droit  à  tout  notre 
respect. 

Le  recueil-type  ou  le  canon  que  nous  réclamons  comme 
une  des  plus  impérieuses  nécessités  de  l'heure  présente, 
contiendrait  donc  aujourd'hui  : 


(^)  Nous  n'entendons  pas  par  là,  il  va  sans  dire,  exclure  tout  emprunt 
à  l'Allemagne  ou  à  l'Angleterre. 


-   400  - 

1°  Les  150  psaumes  de  Marot  et  Th.  de  Bèze,  avec 
l'harmonie  originale  la  plus  simple  de  Bourgeois,  G.  Franc 
ou  Goudimel,  telle  que  l'a  retrouvée  ou  reconstituée  M.  0. 
Douen,  dans  son  beau  travail. 

2°  Le  cantique  de  Siméon  et  les  autres  pièces  contempo- 
raines des  psaumes,  plus  le  Choral  de  Luther  de  1530  avec 
la  mélodie  que  nous  avons  reproduite  d'après  l'original 
récemment  retrouvé  et  l'harmonie  que  nous  avons  recon- 
stituée ;  on  pourra  donner  aussi  celle  de  Sébastien  Bach 
que  nous  admettrions  seule  si  la  mélodie  était  conforme  à 
l'original. 

3"  Les  cantiques  ou  un  choix  des  cantiques  de  Bénédict 
Pictet  avec  les  mélodies  des  psaumes  que  l'auteur  avait 
choisies,  ou  pour  celles  qui  n'en  ont  pas,  des  pièces 
anciennes  de  chant  sacré,  du  même  style  comme  celle 
dont  nous  avons  donné  la  musique. 

Il"  Un  choix  des  cantiques  de  Malan  avec  les  mélodies 
originales. 

5"  Les  principaux  cantiques  de  Bost  père. 

6°  Un  choix  des  cantiques  les  plus  usités  des  Chants 
chrétiens  et  de  tels  autres  recueils. 

7"  Quelques  pièces  de  plus  longue  haleine  pour  les  prin- 
cipales fêtes  de  l'année,  tirées  des  belles  cantates  de  Bost, 
père  et  fils,  et  des  œuvres  des  grands  maîtres,  Séb.  Bach 
entre  autres. 

Ce  recueil  pourrait  être  avantageusement  précédé  d'une 
courte  et  claire  esquisse  historique  de  notre  chant  sacré, 


-    101  — 


pour  la  musique  et  pour  les  paroles,  dans  le  but  d'intéresser 
les  fidèles  au  relèvement  et  à  la  prospérité  de  l'hymnologie 
protestante. 

Tels  sont  nos  vœux,  dictés  par  les  besoins  pressants  de 
l'Église.  Puisse  cette  étude  sommaire,  dans  laquelle  nous 
avons  eu  sans  cesse  devant  les  yeux  le  but  pratique  que 
nous  poursuivons  et  que  nous  espérons  atteindre  en  un 
ouvrage  plus  étendu,  n'être  pas,  malgré  des  imperfections 
dont  l'auteur  a  plus  conscience  que  personne,  stérile  pour 
ceux  qui  pourront  la  lire  et  pour  celui  qui  l'a  tracée  ! 


Strasbourg,  typ.  de  6.  Pischbach.  —  3511. 


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