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Full text of "L'angoisse de Pascal. Édition suivie d'une étude sur Les deux maisons de Pascal à Clermont-Ferrand"

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EXEMPLAIRE    SUR   PAPIER    DE    RIVES 


N»   £0ô; 


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University  of  Ottawa 


littp://www.arcli  ive.org/details/langoissedepascaOObarr 


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MAURICE    BARRES 

DE    l'académie    française 


LANGUISSE 

DE  PASCAL 


edition   suivie 

d'une  Étude  sur  les  deux  maisons  de  pascal 

a  clermont-ferrand 

AVEC   DN   PORTHAIT   Di:    B1.AISE    PASCAL  GRAVÉ    SUR    BOIS 


PARIS 

GEORGES    CRÈS    ET    C'' 

LES    VARIÉTÉS    LITTÉRAIRES 

116,   BOULEVARD    SAIM-GERMAIN,  116 
MCMXVIII 


'7 


3 

JjZ/ 


Mon  cher  Corpechot, 


/'espère  écrire  un  jour  la  Tenta- 
tion de  Biaise  Pascal  et  puis  le 
Pauvre  de  M.  Pascal,  deux  études 
qui,  je  crois,  mériteront  mieux  votre 
attention  que  ne  peut  faire,  aujour- 
d'hui, ce  commentaire  du  Talis- 
man. Alais  enfin,  ce  bref  commen- 
taire, ce  petit  discours  d'une  heure, 
vous  êtes  venu  V entendre  et  vous  y 


-^   VI   ^- 

avez  distingué  V accent  d'un  profond 
respect.  Nous  sommes  d'accord,  mon 
cher  Corpechoty  pour  reconnaître, 
définir  et  servir  les  supériorités  de 
la  France.  Laissez-moi  inscrire  ici 
votre  nom  comme  un  témoignage  de 
cette  entente  d'idées  qui  fait  notre 
amitié. 

MAURICE  BARRÉS. 


L'ANGOISSE  DE  PASCAL 


Cette  conférence  a  été  donnée 
le  3  et  le  8  mars  1909,  à  V  Uni- 
versité des  Annales  et  répétée, 
peu  après,  dans  la  salle  de  la 
Société  de  Géographie,  au  pro- 
fit de  la  Ligue  des  Patriotes. 


Messieurs, 


IL  y  a  certains  auteurs,  Corneille 
et  Pascal,  au  premier  rang,  ([ue 
nous  étudions  non  pas  seulement 
})Our  nous  y  plaire,  mais  pour  deve- 
nir meilleurs.  Cela  tient  à  la  i;ran- 

1 


deur  de  leur  âme.  Mais,  précisément 
à  cause  de  cette  haute  qualité,  je  suis 
inquiet,  je  crains  de  vous  fournir  une 
image  de  Pascal  inférieure  à  celle 
que  vous  tireriez  ^ous-même  de  sa 
lecture,  je  crains  de  diminuer  la  vertu 
de  son  œuvre  par  une  interprétation 
médiocre.  Aussi  veux-je  mettre,  au 
début  de  cette  leçon,  une  sorte  d'acte 
de  modestie,  ne  rien  dire  qu'en  me 
déclarant  tout  prêt  à  me  rectifier  si 
l'on  m'aide  à  mieux  voir.  Je  suis  tout 
prêt  à  m'excuser,  si  j'ai  fait  tort,  pai' 
mes  raisons,  à  ce  grand  homme,  le 
plus  vénérable  assurément  dans  toute 
la  suite  des  héros  français.  Je  vou- 


(Irais  employer,    au  seuil   de   cette 
causerie,  la  formule  religieuse  : 

«  Que  ce  (jui  n'est  pas  utile  à  la 
gloire  de  Pascal  soit  efï'acé,  je  le  ré- 
tracte. » 

D'abord,  posons  nettement  que  je 
ne  cherche  pas  ici  à  vous  donner  une 
idée  complète  de  Pascal.  Je  veux 
seulemenl  vous  indiquer  ce  ([ue, 
pour  ma  pari,  je  suis  capable  d'y 
prendre.  Et,  cela  même,  comment 
vous  le  communiquer  ?  11  nous  fau- 
drait un  certain  nombre  de  médita- 
tions en  commun  que  vous  prolonge- 


riez  chez  vous.  Il  faudrait  beaucoup 
de  silence  après  mes  commen- 
taires et  laisser  Pascal  s'éveiller  dans 
vos  consciences.  Ce  n'est  pas  en  trois 
(juarts  d'heure  qu'on  peut  donner 
rintellii^ence  d'une  œuvre  qui  est 
une  conception  globale  de  la  vie. 
Mais  peut-être  qu'en  trois  quarts 
d'heure,  on  peut  susciter,  chez  quel- 
ques auditeurs,  le  désir  de  Pascal, 
les  orienter  vers  sahaute  religion. 

Il  s'agit,  messieurs,  devons  mettre 
sur  le  chemin  de  Pascal,  de  vous 
permettre,  non  pas  de  l'accompagner 
(grands   dieux  !  il  ne  s'agit   pas  de 


cela),  mais  de  le  voir  passer  et  de  le 
suivre,  tant  bien  que  mai,  du  regard. 

Je  vais  donc  ramasser  toutes  mes 
remarques  sur  un  même  point,  sur 
un  texte  très  bref,  mais  le  plus  si- 
gui  licatif,  afin  de  vous  amener  aussi 
près  que  possiljle  de  cette  grande 
âme.  J'essaierai  de  vous  conduire  où 
palpitent  les  minutes  sublimes,  et 
cette  leçon  va  porter  tout  entière  sur 
l'interprétation  de  quelques  lignes 
seulement,  —  à  mon  avis,  les  plus 
importantes  pour  l'illumination  de 
Pascal. 

Toutefois,  avant  d'en   venir  à  ce 


commentaire,  apprenons  un  peu  à 
connaître  l'homme  que,  tout  à  l'heure, 
nous  allons  voir  dans  sa  plus  grande 
crise  morale. 


Il  y  a  beaucoup  d'endroits  où  l'on 
peut  aller  songer  à  Pascal,  où  l'idée 
que  nous  nous  faisons  de  lui  prend  de 
la  chair,  redevient  humaine,  vivante. 

«  Qui  veut  comprendre  le  poète, 
dit  Gœthe,  doit  aller  dans  le  pays  du 
poète.  » 

Vous  éprouveriez  ime  grande émo- 


lion  si,  après  avoir  lu,  par  exemple, 
le  livre  très  sûr  et  très  charmant 
d'André  Hallays,  vous  vous  prome- 
niez quelques  heures,  paisiblement, 
dans  les  fonds  de  Port-Royal.  Mais 
c'est  à  Glermont  que  Ton  peut  le 
mieux  se  rendre  compte  des  assises 
humaines  de  ce  grand  chrétien,  dis- 
tinguer ce  qu'il  y  a  de  commun  entre 
lui  et  nous,  voir  sa  part  française, 
bourgeoise  et  provinciale. 

Tous  les  ans,  j'ai  l'occasion  de 
passer  plusieurs  semaines  auprès  de 
Glermont  et  de  parcourir  la  terre 
natale  de  Pascal.  J'ai  vu  et  décrit  les 


^  8  -* 

derniers  vestiges  de  sa  maison  na- 
tale, au  moment  où  l'on  achevait  de 
la  démolir.  Régulièrement,  chaque 
été.  je  visite  le  château  de  Bien- 
Assis,  qui  appartenait  aux  Périer, 
parents  et  amis  de  sa  famille.  Je  vais 
saluer,  dans  la  salle  des  Actes  de 
l'Hôpital  général,  le  portrait  de  sa 
sœur  Gilberte,  Madame  Périer.  Que 
ne  puis-je,  enfin,  vous  raconter  la  pro- 
menade que  j'ai  faite  avec  le  savant 
M.  Elie  Jaloustre,  dans  la  Limagne, 
au  petit  village  de  Gerzat,  patrie  de 
la  mère  de  Pascal,  née  Bégon.  Nous 
avons  examiné  le  vieux  domaine  de 
Donas-Vignas,  que  possédaient  les 


-^  9  -^ 

Bégoii,  qui  passa  aux  mains  de  la 
nièce  de  Pascal,  Marguerite  Périer, 
la  miraculée,  qui  fut  vendu  par  elle, 
en  1714.  aux  hospices  de  Clermont 
et  qui  leur  appartient  encore.  Ah! 
combien  j'aimerais  vous  mener  sur 
tous  les  points  de  cet  horizon  où 
Pascal  se  forma.  Ces  réalités  pitto- 
resques nous  aideraient,  je  crois  à 
mieux  fixer  notre  esprit  sur  cette 
bourgeoisie  de  Clermont,  sur  ces  fa- 
milles Pascal  et  Périer,  sur  les  senti- 
ments que  Biaise  Pascal  a  reçus  de 
naissance.  "S'oilà  les  lieux  où  ce  grand 
homme  a  hérité  de  sa  religion  et  de 
son   Credo  ;    c'est  là  que  lui   et  les 


^  10  ^ 

siens,  sur  une  longue  durée,  ont  reçu 
l'empreinte  ;  c'est  là  qu'avant  l'âge 
de  la  réflexion  critique,  la  foi  se  dé- 
posa pour  toujours  dans  sa  cons- 
cience. A  Tombre  de  ces  fortes 
églises  bâties  en  lave,  selon  le  style 
roman-auvergnat,  qui  est  tout  de 
sincérité  et  de  force,  ses  parents  ont, 
pour  la  vie,  joint  les  mains  de  ce  pe- 
tit enfant.  Ici,  bien  des  générations 
ont  préparé  patiemment  le  rêve  in- 
térieur qu'il  a  exprimé  d'un  coup  de 
génie  :  il  a  été  la  passion  de  celte  pa- 
tience. On  s'imagine  respirer  encore, 
à  Glermont,  cette  atmosphère  de 
grande  dignité  bourgeoise  que  l'on 


respirait  dans  la  maison  de  Pascal. 
Ce  n'est  pas  une  pure  imagination. 
Écoutez  plutôt  ce  petit  billet  que 
m'écrivait  im  vieux  Clermontois  : 

«<  (^uand  j'étais  jeune,  me  disait- 
il,  les  Péghoux,  qui  étaient  les  voi- 
sins des  Pascal  au  temps  de  la  nais- 
sance de  Biaise,  habitaient  toujours 
leur  vieille  maison  de  famille.  Je  me 
rappelle  qu'en  1852,  il  y  avait  là  une 
vieille  demoiselle.  Ma  mère  lui  ren- 
dait souvent  visite,  et,  quand  j'étais 
sage,  —  j'avais  alors  six  ans,  —  elle 
m'emmenait  avec  elle.  Je  garde  une 
impression  profonde  du  respect  dont 


^  12  --§- 

était  entourée  Mademoiselle  Pé- 
ghoux.  C'est  ainsi  que  devait  rece- 
voir son  monde  Mademoiselle  Périer, 
qui  a  habité  la  maison  de  la  rue  des 
Gras  et  le  château  de  Bien-Assis.  » 

Sur  l'éducation  que  Pascal  reçut 
dans  cette  maison  de  Glermont,  nous 
avons  le  témoignage  le  plus  pré- 
cieux :  celui  de  sa  sœur. 

«  Mon  frère,  dit  Madame  Périer, 
voulait  savoir  la  raison  de  toutes 
choses,  et,  comme  elles  ne  sont  pas 
toutes  connues,  lorsque  mon  père  ne 
les  disait  pas,  ou  qu'il  disait  celles 
qu'on  allègue  d'ordinaire,  qui  ne  sont 


^  13 

pi'opreinciiL  que  des  défaites,  cela  ne 
le  eonlenlait  pas,  car  il  a  toujours  eu 
une  netteté  d'esprit  admirable  pour 
discerner  le  faux.  Et  on  peut  dire  que 
toujours,  et  en  toutes  choses,  la  vé- 
rité a  été  le  seul  objet  de  son  esprit.  » 

La  principale  maxime  d'Etienne 
Pascal,  dans  cette  éducation,  était 
de  tenir  toujours  le  jeune  Biaise  au- 
dessus  de  son  ouvrage,  c'est-à-dire 
de  ne  le  mettre  à  rien  dont  il  ne  pût 
entendre  la  raison.  11  s'appliquait  à 
lui  donner  une  véritable  éducation 
du  jugement.  Ainsi,  avant  de  lui 
apprendre  les  langues,  il  lui  montrait 


-^  14  ^ 

comment  on  les  avait  réduites  en 
grammaire,  sous  de  certaines  règles. 
Il  en  allait  de  même  pour  ce  qui  fait 
l'objet  des  sciences  naturelles.  Le 
résultat  de  cette  éducation  et  du  gé- 
nie qui  était  en  Pascal  fut  que,  dès 
son  enfance,  il  ne  pouvait  se  rendre 
qu'à  ce  qui  lui  paraissait  vrai  avec 
évidence.  Quand  on  ne  lui  disait  pas 
de  bonnes  raisons,  il  en  cherchait 
lui-même,  et  il  s'attachait  à  cette 
recherche  jusqu'à  ce  qu'il  eût  trou- 
vé une  raison  capable  de  le  satis- 
faire. 

Et,   maintenant,    comprenez,   sur 


^  15  ^- 

une  anecdote,  à  quel  degré  Biaise 
Pascal  en  vint  à  pousser  l'amour  de 
la  vérité  : 

«  Un  jour,  MM.  Arnauld,  Nicole, 
de  Sainte-Marthe  et  quelques  autres, 
s'étaient  assemblés  chez  M.  Pascal 
pour  y  examiner  une  question  reli- 
gieuse. Chacun  expliqua  son  senti- 
timent  et  le  soutint.  Tous  ceux  qui 
étaient  présents  se  rendirent  au  sen- 
timent de  MM.  Arnauld  et  Nicole. 
M.  Pascal,  qui  aimait  la  vérité  par- 
dessus toutes  choses...,  et  qui  avait 
parlé  très  vivement  pour  mieux  faire 
sentir  ce  qu'il  sentait  lui-même,  fut 


-^  16  ^ 

si  pénétré  de  douleur  qu'il  se  trouva 
mal  et  perdit  la  parole  et  la  connais- 
sance... » 

Après  Glermont,  il  serait  intéres- 
sant de  le  suivre  à  Rouen,  où  lui  et 
les  siens  vécurent  dans  la  familiarité 
de  Fauteur  du  Cid.  On  voit,  en  lisant 
les  Pensées,  que  de  beaux  passages 
de  Corneille  revenaient  aisément  à 
l'esprit  de  Pascal.  Lun  et  l'autre 
sont  dans  la  lignée  catholique  et  che- 
valeresque, dans  la  même  tradition 
française.  On  aime  à  se  figurer  le 
jeune  Biaise  Pascal  dans  une  sorte 
de    veillée     d'armes,    recevant     de 


-i--  17  -* 

Corneille  rentraîncment  héroïque  de 
ràmc. 

Au  risque  de  trop  simplifier,  lais- 
sez-moi dire  que  Biaise  Pascal  esl 
l'élève  de  la  grande  bourgeoisie  fran- 
çaise, mûrie  dans  les  études  juridi- 
ques et  théologiques,  et  de  la  poésie 
cornélienne. 

Cet  homme,  ainsi  formé,  était  mal- 
heureux, vivait  dans  l'angoisse.  Eh 
bien  !  messieurs,  qu'est-ce  donc  que 
la  douleur  de  Pascal  ? 


18 


On  a  mêlé  de  raisons  bien  mé- 
diocres les  explications  qu'on  nous 
fournissait  sur  l'angoisse  de  Pascal, 
angoisse  poussée  jusqu'à  la  dou- 
leur. On  a  dit  que,  durant  sa  «  pé- 
riode mondaine  » ,  il  souffrait  de  la 
médiocrité  de  son  nom  et  du  manque 
de  ses  ressources,  qui  ne  lui  permet- 
taient pas  de  traiter  en  égal  les  jeunes 
grands  seigneurs  qu'il  fréquentait. 
C'est  prêter  à  Pascal  des  froissements 
d'honnête  fonctionnaire  en  province. 
Pascal  souffrir  du  manque  d'argent, 
du  manque    d'égards  !   Ces   médio- 


^  19  ^ 

crités  peuvent-elles  loucher  une  âme 
si  forte!  Elles  valent  pour  expliquer 
un  Julien  Sorel.  Mais  quoi  de  com- 
mun, je  vous  prie,  entre  le  person- 
nage de  Stendhal,  jeune  bcte  de 
proie,  et  Pascal,  qui  a  la  noblesse 
ardente  des  archanges  ?  Un  Pascal 
se  fait  de  l'univers  une  vue  qui  ne 
lui  permet  pas  de  connaître  ces 
pointes  et  ces  insolences  de  caste  sur 
lesquelles  un  Julien  Sorel  ou  bien  en- 
core une  jeune  Madame  Roland  vont 
s'ulcérer.  Il  ne  peut  pas  voir  les  dé- 
dains des  gens  du  monde.  Les  na- 
tures vulgaires  s'écartent  instincti- 
vement de  lui  avant  même  qu'il  ait 


^  20  =-^ 

enregistré  leur  existence.  Ce  n'est 
pas  donné  à  n'importe  qui  de  prendre 
rano-  dans  la  vie  intérieure  de  Pas- 
cal.  D'ailleurs  où  qu'il  pénètre,  il  est 
bientôt,  d'une  certaine  manière,  non 
pas  l'égal,  mais  le  plus  noble.  D'une 
noblesse  qui  ne  se  marque  point  par 
la  place  que  l'on  occupe  à  tal)le.  Il  se 
fait  reconnaître  comme  une  supério- 
rité dans  l'ordre  de  l'esprit  et  du 
cœur  ;  il  devient  l'objet  de  l'attache- 
ment et  du  respect  partout  où  il  y  a 
de  l'humanité. 

Je  sais  bien    que   Gœthe    (grand 
homme  qui  fut  l'antithèse  exacte  de 


-^  21  -^ 

Pascal,  cl  celui  qui  sentirait  ces  deux 
êtres  aurait  senti  loute  l'humanilé 
supérieure),  je  sais  bien  que  Gœthe 
nous  montre  un  Werther  attristé  par 
la  morgue  des  grands.  Et  l'on  se  rap- 
pelle que  Napoléon,  à  Erfurt,  lit  re- 
proche au  romancier  d'avoii'  donné  à 
son  personnage  cette  suscepLibililé 
mesquine.  Mais  Werther,  au  milieu 
de  ses  effusions  poétiques,  demeure 
un  pied  plat  allemand.  Sa  sensibilité 
à  la  nature,  si  belle,  si  touchante,  est 
d'un  déprimé.  ^^  crther  n'est  pas  un 
héros... 

Croire  qu'un  Pascal  pouvait  être 


^  22  ^ 

humilié  faute  d'argent  et  faute  de 
naissance,  c'est  méconnaître  la  puis- 
sance rayonnante,  aussi  bien  que  le 
ressort  intérieur  du  héros. 

Au  reste,  faites  attention  qu'un 
Pascal,  s'il  avait  été  froissé  par 
l'ordre  social  de  son  temps,  il  l'aurait 
témoigné  par  de  terribles  coups. 
L'auteur  des  Provinciales  eût  tout 
pulvérisé. 

La  douleur  de  Pascal  ne  vient 
pas  du  dehors.  Elle  ne  peut  naître 
que  de  son  génie.  C'est  une  grande 
tragédie  intérieure,  qui  n'emprunte 


s-  23  ^- 

aucuii  ressort  à  la  comcclie  bour- 
geoise. Celte  âme  forte  et  frémis- 
sante, quand  elle  se  dirige  vers  la 
solitude  des  sommets,  ne  fait  qu'ac- 
complir sa  destinée,  obéir  à  sa  loi. 

Il  faut  d'abord  considérer  que  Pas- 
cal a  été  torturé  de  douleurs  physi- 
ques, malade  depuis  sa  plus  tendre 
enfance  jusqu'à  sa  mort.  C'était  une 
maladie  mobile  :  il  se  disait  sujet  au 
changement.  A  l'âge  d'un  an,  il  tomba 
en  langueur  et  présenta  des  phobies. 
Il  ne  pouvait  voir  de  l'eau  sans  se 
livrer  à  des  emportements  très 
grands.  Il  ne  pouvait  voir  son  père 


^  24  ^ 

et  sa  mère  l'un  auprès  de  l'autre, 
sans  crier  et  se  débattre  violemment. 
Il  faillit  mourir.  Sa  sœur  nous  dit 
qu'à  partir  de  l'âge  de  dix-huit  ans, 
il  n'eut  pas  un  jour  sans  souffrance. 
Il  ne  supportait  de  boire  que  du  li- 
quide chaud,  et  goutte  à  goutte  ;  il 
ne  cessait  de  ressentir  de  violentes 
douleurs  de  tête  et  d'entrailles.  A 
vingt-quatre  ans,  il  se  trouva  dans 
une  espèce  de  paralysie  depuis  la 
ceinture  jusqu'en  bas  ;  il  était  réduit 
à  marcher  avec  des  potences  ;  ses 
membres  inférieurs,  ses  pieds  sur- 
tout, étaient  toujours  froids  comme 
du  marbre.  On  raconte,  mais  ce  n'est 


^  25  =^ 

pas  certain,  ([u'à  partir  de  1654,  il 
croyait  toujours  avoir  à  sa  gauche  un 
abîme,  et  ([ue,  pour  se  rassurer,  il 
faisait  mettre  de  ce  côté  une  chaise. 
Après  trente-cin([  ans,  ses  quatre  der- 
nières années  ne  furent  qu'une  per- 
pétuelle langueur.  Il  soulfrait  de 
telles  douleurs  qu'il  ne  pouvait  ni 
converser,  ni  lire,  ni  travailler.  Ce 
renouvellement  de  ses  maux  avait 
commencé  par  un  mal  de  dents  qui 
lui  ôtait  tout  sommeil.  11  fut  pris  de 
dégoûts  qui  l'empêchèrent  de  se 
nourrir,  et  d'une  douleur  de  tête  qu'il 
disait  extraordinaire.  Des  convul- 
sions le  secouèrent  et  ne  le  (juittèrent 


^  26  ^ 

plus  jusqu'à  sa  mort,  qui  survint  en 
sa  trente-neuvième  année. 

Au  milieu  de  ces  soullrances  pro- 
téiformes,  Descartes  eut  la  bonté  de 
venir  le  voir  pour  le  soigner.  Des- 
cartes n'était  pas  médecin,  mais  il 
connaissait  très  bien  la  physiologie. 
Il  conseilla  le  lit  et  des  bouillons. 
C'est,  aujourd'hui,  le  traitement  clas- 
sique des  neurasthéniques. 

Ces  infirmités  ne  sont  rien  auprès 
des  sublimes  tristesses  dont  Pascal 
était  la  proie.  Son  véritable  mal,  l'an- 
goisse de  Pascal,  c'est  la  rigueur  et 
l'intensité  de  la  pensée.   Entre  mille 


-^    27    -r 

témoignages  familiers  aux  lecteurs 
des  Pensées,  écoutons  cette  note  que 
Port-Royal  n'avait  pas  osé  publier 
et  que  Faugère  a  mise  au  jour  en 
1844: 

<<  Le  monde  ordinaire,  écrit  Pas- 
cal, a  le  pouvoir  de  ne  pas  songer. 
Ne  pensez  pas  au  passage  du  Messie, 
disait  le  Juif  à  son  fils.  Ainsi  font  les 
nôtres  souvent.  Ainsi  se  conservent 
les  fausses  religions  et  la  vraie  même, 
à  l'égard  de  beaucoup  de  gens.  Mais 
il  y  en  a  qui  n'ont  pas  le  pouvoir  de 
s'empêcher  ainsi  de  songer,  et  qui 
songent  d'autant  plus  qu'on  leur  dé- 


-^  28  ^ 

fend.  Ceux-là  se  défendent  des 
fausses  religions,  et  de  la  vraie 
même,  s'ils  ne  trouvent  des  dis- 
cours (c'est-à-dire  des  raisonne- 
ments) solides.  » 

Pascal  était  de  ceux  qui  ne  peu- 
vent s'empêcher  de  songer.  Il  vou- 
lait que  toutes  les  choses  sur  les- 
quelles son  attention  s'arrêtait  lui 
devinssent  intellioibles.  Il  avait  be- 
soin  de  comprendre  la  cause  de 
chaque  phénomène  particulier  et  la 
cause  de  toutes  les  causes,  c'est-à- 
dire  Dieu. 


^  29  -^ 

Voilà  un  état  d'esprit  dont,  vous 
et  moi,  messieurs,  nous  ne  pouvons 
pas  avoir  im  sentiment  exact.  Dans 
le  cours  ordinaire  de  la  nature,  l'ac- 
tion divine,  la  Cause  se  dérobe  à  nos 
regards.  Vous  et  moi,  nous  en  pre- 
nons notre  parti.  Mais  non  pas  un 
Pascal.  C'est  que  nous  ne  sommes 
pas  des  génies  scientifiques.  Et  lui, 
ne  l'oublions  pas,  il  est  avant  tout 
l'homme  qui  a  fait  faire  des  progrès 
décisifs  à  la  physique  et  aux  mathé- 
matiques. 

C'est  un  savant.  Mais  qui,  des  mé- 
ditations, passe  tout  droit  au  résul- 


^  30  ^ 

tat  pratique.  Un  songeur,  mais  qui, 
dans  les  songes,  poursuit  des  instru- 
ments de  vie.  S'il  voit  son  père  acca- 
blé par  des  travaux  de  financier,  il 
construit  la  machine  k  calculer  ;  s'il 
monte  au  puy  de  Dôme,  il  en  rap- 
porte le  baromètre  ;  s'il  vient  à  Pa- 
ris, il  invente  l'omnibus,  et,  à  la 
campagne,  la  brouette.  Du  jour  qu'il 
entendra  les  querelles  de  ces  Mes- 
sieurs de  Port- Royal,  il  leur  fournira 
cette  arme  :  les  Provinciales.  Admi- 
rons ce  génie  à  la  César,  ce  clair  et 
rapide  conquérant.  En  voilà  un  à  qui 
ça  ne  suffit  pas  de  reconnaître  la  vé- 
rité, comme  un  astronome  avec  sa 


lunette  constate  la  marche  des  astres, 
ou  comme  un  chimiste,  dans  sa 
cornue,  distingue  les  éléments  qui 
compose  les  corps.  Pour  lui,  rien  ne 
demeure  un  problème  abstrait,  et 
chacune  de  ses  songeries  tourne  droit 
sur  une  réalité.  Que  sera-ce  donc  s'il 
aborde  une  méditation  qui  intéresse 
notre  salut  ?  A  la  poursuite  de  la  vé- 
rité suprême,  c'est  un  ébranlement 
de  tout  son  être. 

L'angoisse  de  Pascal,  ce  n'est  pas 
la  peur  de  l'enfer,  comme  l'a  cru 
Barbey  d'Aurevilly  ;  ce  n'est  pas. 
non    plus    la    mélancolie    d'Hamlel 


-^  32  ^ 

devant  la  tête  de  mort,  et  ce  n'est 
pas  davantage  le  vertige  d'un  phi- 
losophe qui  se  jette,  par  désespoir, 
dans  la  solution  chrétienne.  Pascal 
c'est  un  esprit  scientifique  qui  cher- 
che la  vérité  totale,  la  vérité  qui 
discipline  le  monde  de  l'âme,  comme 
elle  gouverne  les  phénomènes  phy- 
siques. Il  voudrait  recevoir  de  l'u- 
nivers une  règle  de  vie,  mais  il 
constate  l'impuissance  de  la  science 
à  nous  livrer  ce  secret  essentiel.  Ce 
qui  l'effraye,  l'effroi  de  Pascal,  c'est 
«  le  silence  éternel  de  ces  espaces 
infinis  ». 


^-  33  -i- 

Pascal  a  fait  la  critique  de  nos  fa- 
cultés. Il  a  reconnu  leurs  limites  et 
notre  impuissance.  Cet  éternel  igno- 
rnbimus,  qui  fait,  encore  aujourd'hui, 
souffrir  les  hommes  prédisposés  à  la 
grande  curiosité,  c'est  proprement  le 
mal  de  Pascal. 

Pour  en  avoir  l'idée,  il  faudrait 
participer  de  la  puissance  intellec- 
tuelle et  sentimentale  de  ce  grand 
homme,  il  faudrait  être  capable  de 
se  former  des  images,  égales  en 
force  et  en  netteté  à  celles  que  son 
génie  se  formait  du  clair-obscur 
de  l'univers  et  de  la  vie.  Il  fau- 
drait,   comme    lui,    être,  à   la    fois, 


-^  34  -^ 

l'émule  de  Descartes  et  l'ami  de  Cor- 
neille. Cependant,  une  âme  moyenne, 
pourvu  que  la  sensibilité  chrétienne 
soit  vivace  en  elle,  peut  s'émouvoir 
auprès  de  Pascal,  car  le  tourment 
de  ce  grand  homme  a  les  accents 
catholiques.  L'auteur  des  Pensées 
ne  fait  qu'animer,  avec  sa  prodi- 
gieuse imagination,  des  idées  reli- 
gieuses qui  sont  déposées  au  fond 
de  chacun  de  nous.  Quand  nous 
croyons  admirer  son  génie  dans  ce 
qu'il  y  a  de  plus  personnel,  nous 
admirons,  en  même  temps,  toute 
l'architecture  chrétienne.  S'il  avait 
fallu  que  Pascal  réinvenlât  un  sys- 


-^'   00   ^s- 

tcme  de  vie  intérieure,  comme,  en- 
fant, il  réin\  entait  la  i;éométrie 
d'Euclide,  même  avec  son  sens 
exceptionnel  du  divin,  il  ne  serait 
pas  allé  très  loin.  Ce  qui  le  porte, 
c'est  tout  le  christianisme.  Ce  mys- 
térieux Pascal  n'est  un  être  d'ex- 
ception que  par  son  intensité  :  c'est 
l'un  de  nous,  mais  sublime.  C'est  le 
héros  catholique. 

Ardente  curiosité  pour  les  pro- 
blèmes des  mathématiques  et  de  la 
nature,  aspirations  à  la  Corneille, 
toutes  les  puissances  de  la  poésie  et 
de  la  science,  toutes  les  grandeurs 
de  l'homme,  voilà  ce  cpii  se  mêle  en 


^  36  ^ 

Pascal,  mais  tout  cela  dans  un  rythme 
catholique  (1). 

La  Portia  de  Shakespeare  parle, 
({uelque  part,  d'une  musique  que  tout 
homme  porte  en  soi.  «  Malheur,  dit- 
elle,  à  qui  ne  l'entend  pas.  »  Pascal 
aspire  à  vivre  selon  ses  voix.  De  là, 
cette  exaltation  perpétuelle  de  l'hon- 

(1)  11  suit  de  là  que,  pour  comprendre  Pascal, 
il  faut  s'adresser  à  des  commentateurs  chrétiens 
(de  même,  par  exemple,  que  s'il  s'agit  de  com- 
prendre les  prophètes  d'Israël,  nul  ne  peut  être 
écouté  avec  plus  de  profit  qu'un  James  Darmes- 
teter).  Le  jour  où  le  catéchisme  ne  serait  plus 
appris  par  cœur,  l'intelligence  de  l'œuvre  de 
Pascal  baisserait.  Des  âmes  où  la  sensibilité 
chrétienne  est  éteinte,  avec  toutes  les  éruditions 
du  monde,  n'arriveront  jamais  au  sentiment  de 
Pascal. 


^  37  -=^ 

neur,  delà  fierté,  du  sacrilice.  De  là, 
cet  idéal  de  renoncement  à  tout  ce 
qui  n'est  pas  le  plus  noble.  11  rejette 
tout  ce  qui  diminue,  abaisse  l'ûme.  lia 
un  préjugé  contre  tout  ce  qui  est  facile, 
aisé,  agréable.  Il  est  le  modèle  achevé 
de  ceux  qui  résistent  à  tous  les  assauts 
par  lesquels  la  nature,  avant  de  nous 
anéantir,  essaye,  chaque  jour,  de 
nous  entamer.  Il  veut  se  contraindre 
soi-même,  s'imposer  aux  choses,  ré- 
sister à  l'univers,  ne  pas  se  dissoudre, 
durer.  «  Je  ne  veux  pas  construire  sur 
les  fleuves  »,  dit-il.  Dans  l'universel 
écoulement,  il  n'entrevoit  de  paix  et 
de  sécurité,  de  refuge  qu'en  Dieu. 


^  38  -^ 


Poursuite  angoissante  de  la  vé- 
rité suprême  !  Nous  ne  saurions 
en  refaire,  comme  autant  d'étapes, 
tous  les  raisonnements.  Du  moins 
sommes-nous  capables  de  saisir 
l'état  d'esprit  de  Pascal.  Nous  ne 
pouvons  pas  entendre  la  musique 
sublime  qui  emplissait  cette  âme, 
mais  nous  pouvons  retrouver  le 
thème,  le  livret  de  ce  drame  éternel 
aux  couleurs  chrétiennes. 

Ce    livret,    sans   simplifier   outre 


^  39  ^ 

mesure,  il  nous  est  permis  de  dire 
que  c'est  le  Psaume  118,  un  long- 
psaume  que  Pascal  méditait  chaque 
jour  et  pour  lequel,  nous  dit  sa  sœur 
Gilberte,  il  avait  un  amour  sensible. 
Il  y  voyait  tant  de  choses  admirables, 
qu'il  trouvait  de  la  délectation  à  le 
réciter,  et  quand  il  s'entretenait  avec 
ses  amis  de  la  beauté  de  ce  psaume, 
il  se  transportait  d'une  telle  manière 
qu'il  paraissait  hors  de  lui-même. 

Gomme  il  sérail  intéressant  de 
suivre,  strophe  par  strophe,  ce  che- 
min que  parcourait  quotidiennement 
la  pensée    de    Pascal  !    Ce  Psaume 


^  40  -^ 

118  —  Beati  immaculati  in  via, 
((  Heureux  ceux  qui  sont  intègres 
dans  leur  ^'oie  et  qui  marchent  dans 
la  loi  de  T Éternel  »  —  est,  dans 
chacun  de  ses  versets,  une  invitation 
pressante  et  répétée,  la  sollicitation 
d'une  âme  qui  demande  le  chemin 
pour  rejoindre  Dieu.  Il  commence  et 
finit  en  parlant  des  Voies  du  Sei- 
gneur, du  Chemin  de  rÉternel.  C'est 
cette  idée  indéfiniment  reprise  qui 
fait  l'unité  de  ce  psaume,  le  plus 
long  de  tous.  David  y  répète,  cent 
soixante-seize  fois,  la  voie  du  Sei- 
gneur, la  loi  du  Seigneur,  son  com- 
mandement,   son    décret,  son    en- 


-#-  41   ^ 

seignemenl,  sa  science.  A  chaque 
instant,  réapparaissent  les  mots  :jus- 
tifîcatioiu  se  justifier ,  être  justifié, 
être  blanchi.  Ce  ne  sont  que  reprises, 
métaphores  orientales  :  une  exubé- 
rante [profession  de  foi,  un  perpétuel 
jaillissement.  On  n'y  trouve pasl'unité 
classique,  mais  l'unité  tout  de  même, 
en  ce  qu'il  est  tout  entier  une  adju- 
ration à  bien  vivre.  Il  s'accorde  avec 
l'appel  de  Pascal  dans  son  angoisse  : 
«  Où  trouverai-je  ma  voie  ?  » 

Cette  préoccupation  de  trouver  sa 
voie,  qui  relie  le  roi  David  à  Biaise 
Pascal,  n'est  étrangère  à  aucun  esprit 
supérieur.  Elle  prend,  chez  Pascal, 


^  42  ^ 

une  forme  chrétienne  et  catholique  ; 
mais  voulez-vous  me  permettre  de 
vous  montrer,  par  une  belle  histoire, 
quelle  forme  elle  peut  prendre  chez 
un  Gœthe  ? 

Ce  n'est  pas  m'écarter  de  mon  su- 
jet, mais  vous  aider,  je  crois,  à  mieux 
apprécier,  par  un  saisissant  con- 
traste, le  génie  pascalien. 

En  1822,  il  V  avait,  à  Weimar,  un 
jeune  homme  de  dix-sept  ans,  qui 
é  tait  rempli  d'admirat  ion  pour  Gœthe . 
Il  désirait  vivement  le  voir.  Il  réus- 
sit à  pénétrer  dans  im  jardin  qui  do- 
minait celui  de  son  grand  homme,  et 
de  là,  caché  derrière   un  buisson,  il 


^  43  ^ 

suivait  les  mouvements  du  vieillard. 
On  possède  une  lettre  de  ce  jeune 
i^arçon. 

«■  Dans  toute  la  personne  de  Goe- 
the, dit-il,  éclate  sa  grandeur.  Sa 
démarche  majestueuse,  son  front,  la 
belle  forme  de  sa  tête,  son  œil  de 
feu,  tout  cela  rappelle  Faust,  Mar- 
guerite, Goetz,  Iphigénie,  le  Tasse. 
Je  n'ai  jamais  vu  un  homme  si  grand, 
si  robuste,  et  si  beau,  à  un  âge  si 
avancé.  Je  le  vois,  maintenant,  tous 
les  jours,  dans  son  jardin,  et  j'éprouve 
autant  de  plaisir  que  d'autres  en  trou- 
veraient à  considérer  des  bustes  ou 


-#-  44  ^ 

à  étudier  de  beaux  portraits  et  de 
belles  gravures.  Il  marche,  d'ordi- 
naire, à  pas  lents,  ça  et  là,  dans  les 
allées  du  jardin,  sans  s'asseoir;  mais 
souvent,  debout  devant  quelque  pro- 
duit du  règne  minéral,  il  se  livre  à 
des  réflexions  qui  durent  une  demi- 
heure.  Si  je  pouvais  deviner  sa  pen- 
sée et  son  langage  avec  lui-même, 
dans  de  pareils  moments  î  II  joue 
avec  les  jolis  enfants  de  son  fds,  après 
avoir  quitté  les  fleurs  et  les  plantes. 
Au  fond,  c'est  mieux  que  si  je  l'avais 
approché  et  entretenu.  Supposons 
qu'il  s'engage  dans  une  conversation 
véritable  avec  moi,  que  serait-ce  pour 


-^  A^  ^■ 

lui  \m  garçon  de  dix-sept  ans?  Mais 
je  me  félicite  beaucoup  d'être  au 
printemps,  où  les  boutons  s'épanouis- 
sent, car  j'épierai  assidûment  les 
conversations  de  Gœthe  avec  les 
fleurs  et  les  oiseaux,  et  je  vous  écri- 
rai tout  ce  que  j'en  saurai,  ou,  du 
moins,  tout  ce  que  j'en  pourrai  de- 
viner. » 

Nous  ne  savons  pas  si  ce  jeune  en- 
thousiaste a  deviné  la  conversation 
de  Gœthe  avec  les  plantes,  les  bêtes 
et  les  cailloux  du  jardin  ;  mais,  cette 
conversation,  nous  la  connaissons. 
En  eiïet,  un   Anglais,  de  passage  à 


-^  46  ^ 

Weimar,  vers  1830,  parlait  au  grand 
poète  de  l'émancipation  des  catholi- 
ques en  Angleterre,  et  celui-ci  lui 
déclara  : 

—  Ces  questions  religieuses  ne 
m'intéressent  pas. 

L'Anglais,  fort  choqué,  répliqua 
que  toute  vérité  vient  de  Dieu  et  par 
la  voie  de  l'Église.  Goethe  tenait,  à 
ce  moment,  une  fleur  dans  la  main, 
et  un  papillon  voltigeait  dans  la 
chamhre. 

—  Sans  doute,  fit  le  vieillard,  toute 
vérité  vient  de   Dieu,  mais  l'Église 


^-  47  ^§- 

n'a  rien  à  y  voir.  Dieu  nous  parle  par 
celle  fleur,  parce  pai)illon,  seulement 
ces  gaillards-là  ne  rculendenl  pas. 

Vous  le  voyez,  un  Gœthe^un  Pas- 
cal, tous  en  reviennenl  au  problème 
essenliel  :  par  quelle  voie  trouver  la 
vérité?  Pour  ini  Gœlhe,  un  homme 
peut  se  perfectionner  en  jouissant  de 
tout  ce  qu'il  y  a  de  noble  dans  la  vie. 
Pour  lui  l-*ascal,  non.  Et,  pourtant, 
son  âme,  a  été  tentée  par  son  génie, 
qui  lui  montrait  la  volupté,  la  gloire 
et  la  curiosité  scientifique  plus  belles, 
plus  tentantes  qu'aucun  homme  ne 
les  a  vues,  car,   u  à  mesure  ([u'on  a 


-^  48  -^ 

plus  d'esprit,  les  passions  sont  plus 
grandes  ».  Il  a  été  sollicité  par  tous 
les  grands  divertissements  ;  il  a  connu 
la  grandeur  de  tout  ce  qu'il  décidait 
de  rejeter,  la  grandeur  des  plaisirs 
empestés,  comme  il  appelle  la  gloire 
et  les  autres  délices.  Ah  I  qui  pour- 
rait écrire  la  tentation  de  Pascal  ! 

Il  était  tenté  par  l'amour,  en  tout 
cas,  touché  tendrement  par  ses 
sœurs,  et  il  se  reprochait  les  amitiés 
particulières.  Il  était  tenté  par  l'am- 
bition. ((  Une  des  choses,  raconte 
Nicole,  sur  lesquelles  feu  M.  Pascal 
avait  plus  de  vues,  était  l'instruction 
d'un  prince  que  l'on  tâcherait  d'éle- 


-^  49  ^- 

ver  de  la  manière  la  plus  propor- 
tionnée à  l'état  où  Dieu  Tappcllc,  et 
la  plus  propre  pour  le  rendre  capable 
d'en  remplir  tous  les  devoirs  et  d'en 
éviter  tous  les  dangers.  On  lui  a  sou- 
vent ouï  dire  qu'il  n'y  avait  rien  à 
quoi  il  désirât  plus  contribuer,  s'il  y 
était  engagé,  et  qu'il  sacrifierait  vo- 
lontiers sa  vie  pour  une  chose  si  im- 
portante. » 

Quand  je  regarde  ce  liévreux  Pascal 
aux  prises  avec  ces  grandes  sollicita- 
tions, il  me  revient  à  l'esprit  le  beau 
mot  si  triste  et  si  lier  qui  soulève, 
exalte  l'àme,  le  mol  qui  fait  toute 
l'oraison  funèbre  d'un  héros  du  Nord 

4 


^  oO  ^ 

dans  Shakespeare  :  «  C'était  un  com- 
battant. » 

Pascal  est  malheureux;  mais,  aux 
yeux  d'un  chrétien,  la  douleur  est 
précieuse.  A  condition,  toutefois, 
qu'un  mouvement  d'amour  vienne 
détendre,  amollir  celui  qui  la  subit. 
«  Si  l'amour  ne  se  joint  pas  à  la  dou- 
leur, écrit  l'abbesse  de  Sainte-Cécile 
de  Solesmes,  celle-ci  nous  entraîne 
dans  les  sombres  demeures  où  habite 
l'esprit  du  mal.  »  Chez  celui  qui  esl 
atteint  par  la  douleur,  encore  faut-il 
que  les  sources  de  la  tendresse,  de  la 
bonté,  de  l'amour,  viennent  à  s'ou- 
vrir.  Et,   pour   vous  rendre  intelli- 


-^  51  -^ 

<^iblc  celle  sulilime  psyclioloi^ie  des 
chrélicns.  \'oici  un  Irail  (jue  je  me 
rappelle  a\  oir  lu  clans  la  règle  de 
saint  Benoît.  Ce  grand  homme,  après 
avoir  ordonné  d'excommunier  et  de 
mettre  à  l'écart  tels  frères  qui  ont 
commis  de  graves  fautes,  ajoute  ceci, 
c[ui  est  très  touclianl  :  «  L'abbé  en- 
verra, comme  sous-main,  pour  con- 
soler l'excommunié,  des  frères  âgés 
et  sages,  qui,  comme  à  la  dérobée, 
réconforteront  ce  frère  chancelant  et 
l'engageront  à  faire  une  humble  sa- 
tisfaction. Qu'ils  le  consolent  surtout, 
de  peur  qu'il  ne  soit  absorbé  par 
l'excès  de  la  tristesse.  » 


■*-  52  -4- 

Evidemment,  cela  ne  s'applique 
pas  tout  droit  à  Pascal,  mais  je  vous 
le  raconte  pour  vous  aider  à  com- 
prendre qu'il  ne  suffisait  pas  au  per- 
fectionnement de  ce  grand  homme 
qu'il  souffrît  ;  il  fallait  encore  que  sa 
souffrance  fût  attendrie  par  l'amour. 

Qui  donc  a  ouvert  les  sources  de 
la  tendresse  et  de  la  vie  du  cœur  chez 
Pascal  ?  Qui  donc  a  consolé  ce  héros 
malheureux  ?  C'est  ici  qu'intervien- 
nent ses  sœurs,  Jacqueline,  devenue 
en  religion  sœur  sainte  Euphémie, 
et  Gilberte,  devenue  Madame  Périer. 

Cette  Jacqueline,  dans  sa  première 
jeunesse,  était  un  type  charmant  de 


^  53  "^ 

Précieuse.  A  Rouen,  l'auteur  du  Cid 
s'élail  amusé  à  lui  enseigner  l'art  des 
vers.  Au  couvent,  elle  se  consacra 
particulièrement  aux  petits  enfants. 
Elle  écrivit  un  petit  livre  tendre  et 
réser\é,  un  Règlement  pour  les  En- 
fants, ((  d'après  ce  qui  s'est  pratiqué 
à  Port-Royal-des-Ghamps  pendant 
de  longues  années  ». 

Elle  avait  été  poussée  dans  les 
ordres  par  Pascal,  et,  maintenant, 
elle  s'employait  à  le  ramener  à  la  re- 
ligion stricte.  Ce  frère  et  cette  sœur 
sont  des  jaloux  sublimes.  Il  déplai- 
sait à  Pascal  que  sa  sœur  s'enga- 
geât dans  le  mariage,  c'est-à-dire,  à 


^  54  ^ 

son  jugement,  dans  «  la  plus  pénible 
et  la  plus  basse  des  conditions  du 
christianisme,  condition  vile  et  pré- 
judiciable, car  les  maris,  quoique 
riches  et  sages,  sont  de  vrais  païens 
devant  Dieu  ».  Quant  à  Jacqueline, 
elle  voulait  que  Pascal  eût  pour  prin- 
cipal et  unique  objet  Tidéal  dans  le- 
quel elle-même  s'emprisonnait.  Pas- 
cal ne  veut  pas  que  Jacqueline  appar- 
tienne au  monde. 'Jacqueline  ne  veut 
pas  c[ue  son  frère  appartienne  au 
monde. 

Depuis  une  année  que  son  angoisse 
avait  pris  cette  intensité,  Pascal  allait 
fréquemment  et  de  plus  en  plus  vi- 


-^  55  -^ 

siter  sa  sœur  au  parloir  du  Port- 
Royal  (le  Paris,  et  celle-ci  a  raconté 
toute  celte  crise  dans  les  termes  mo- 
dérés et  pleins  qui  sont  le  style  et 
même  la  dignité  de  cette  famille.  Je 
veux  vous  rappeler  cette  lettre,  pour 
({uc  l'état  d'esprit  de  Pascal  soit  de- 
vant vous  comme  une  chose  sen- 
sible : 

«  Vers  la  fin  de  septembre  dernier 
(1654),  écrit  Jacqueline  à  sa  sœur 
Gilberte,  il  me  vint  voir  ;  et,  à  cette 
visite,  il  s'ouvrit  à  moi  d'une  manière 
qui  me  fit  pitié,  en  avouant  qu'au 
milieu  de  ses  occupations  qui  étaient 


-ê-  56  -^ 

grandes,  et  parmi  toutes  les  choses 
qui  pouvaient  contribuer  à  lui  faire 
aimer  le  monde  et  auxquelles  on 
avait  raison  de  le  croire  fort  attaché^ 
il  était  de  telle  sorte  sollicité  à  quitter 
tout  cela,  et  par  une  aversion  extrême 
qu'il  avait  des  folies  et  des  amuse- 
ments du  monde,  et  par  le  reproche 
continuel  que  lui  faisait  sa  conscience , 
qu'il  se  trouvait  détaché  de  toutes 
choses  à  un  point  où  il  ne  Tavait  ja- 
mais été  ;  mais  que,  d'ailleurs,  il  était 
dans  un  si  grand  abandonnement  du 
côlé  de  DieUy  qu'il  n'éprouvait  aucun 
attrait j  mais  qu'il  sentait  bien  que 
c'était  plus  sa  raison  et   son  propre 


^  57  ^ 

esprit  ({uircxcilait  à  ce  qu'il  connais- 
sait de  meilleur,  ({ue  non  pas  le  mou- 
vement de  celui  de  Dieu... 

«  Cette  confession  me  surprit  au- 
tant qu'elle  me  donna  de  joie.  Dès 
lors,  je  conçus  des  espérances  ([ue  je 
n'avais  jamais  eues,  et  je  crus  vous 
en  devoir  mander  quelque  chose,  afin 
de  vous  obliger  à  prier  Dieu.  Si  je 
racontais  toutes  les  autres  visites 
aussi  en  particulier,  il  faudrait  en 
faire  un  volume,  car,  depuis  ce  temps, 
elles  furent  si  fréquentes  et  si  lon- 
gues, que  je  pensais  n'avoir  plus 
d'autre  ouvrage  à  faire.  Je  ne  faisais 
que  le    suivre,  sans  user  d'aucune 


^  58  -^ 

sorte  de  persécution,  et  je  le  voyais, 
peu  à  peu,  croître  de  telle  sorte  que 
je  ne  le  connaissais  plus  (je  crois  ([ue 
vous  en  ferez  autant  que  moi,  si  Dieu 
continue  son  ouvrage),  particulière- 
ment en  humilité,  en  soumission,  en 
défiance,  en  mépris  de  soi-même  et 
en  désir  d'être  anéanti  clans  l'estime 
et  la  mémoire  des  hommes.  Voilà  ce 
qu'il  est,  à  cette  heure;  il  n'y  a  que 
Dieu  qui  sache  ce  qu'il  sera  un 
jour.  » 

Ainsi,  les  deux  sœurs  et  le  frère 
sont  inspirés,  tous  les  trois^  par  le 
même  esprit.  Ils  ont  les  mêmes  traits 


-t-  59  -^ 

sur  le  visage  el  les  mêmes  sentiments 
dans  le  cœur.  Jacqueline  et  Gilberte 
ont  participé,  en  l'adoucissant,  au 
développement  de  cette  longue  crise 
d'angoisse  (cpie  j'ai  essayé  de  rendre 
intelligible  I,  par  où  Pascal  s'ache- 
minait vers  cette  soirée  fameuse, 
vers  cette  veille  remplie  de  toutes  les 
ardeurs  mystiques  où  il  vit  face  à 
face  la  vérité  sublime  quil  cher- 
chait. 


De  cette    veille,    à   laquelle    nous 
arrivons,    de    ce    haut    moment,    il 


^-  60  -^ 

nous  reste  un  documeni  à  la  fois 
mystérieux  et  précis  :  c'est  le  papier^ 
je  dirais  le  grimoire,  dont  vous  avez 
une  copie  dans  les  mains. 

Ce  papier  fut  trouvé  après  la  mort 
de  Pascal  dans  des  conditions  sin- 
gulières, qui  semblent  appartenir  au 
roman,  et  que  je  veux  vous  rappeler. 

Peu  de  jours  après  la  mort  de 
M.  Pascal,  un  domestique  de  la 
maison  s'aperçut,  par  hasard,  que, 
dans  la  doublure  du  pourpoint  de  cet 
illustre  défunt,  il  y  avait  quelque 
chose  qui  paraissait  plus  épais  que  le 
reste .  Ayant  d écousu  cet  endroit,  pour 
voir  ce  que  c'était,  il  y  trouva   un 


\ 


^  01  -#- 

petit  parchemin  plié  et  écrit  tie  la 
main  de  Pascal,  et,  dans  ce  parche- 
min un  papier  écrit  de  la  même  main  : 
Tun  élait  une  copie  lidèle  de  Tautrc. 
Ces  deux  pièces  lurent  aussitôt  mises 
entre  les  mains  de  Madame  l^érier 
(la  sœur  de  Pascal),  qui  les  fît  voir 
à  plusieurs  de  ses  amis  particuliers. 
Tous  convinrent  qu'on  ne  pouvait 
pas  douter  que  ce  parchemin,  écrit 
avec  tant  de  soin,  et  avec  des  carac- 
tères si  remarquables,  ne  fût  une 
espèce  de  Mémorial,  qu'il  gardait 
très  soigneusement,  pour  conserver 
le  souvenir  d'une  chose  qu'il  voulait 
avoir    toujours  présente  à  ses  yeux 


^  62  -* 

el  à  son  esprit,  puisque,  depuis  huit 
ans,  il  prenait  soin  de  le  coudre  et  le 
découdre,  à  mesure  qu'il  changeait 
d'habit.  » 

De  ces  deux  originaux,  celui  sur 
parchemin  a  disparu  ;  l'autre,  sur  pa- 
pier, est  à  la  Bibliothèque  Nationale 
de  Paris.  Il  forme  la  première  page 
du  manuscrit  autographe  des  Pen- 
sées. C'est  une  feuille  in-folio,  où 
l'écriture  de  Pascal  est  plus  soignée, 
mieux  lisible  qu'à  l'ordinaire.  On  y 
remarque  encore  la  trace  du  pliage 
subi  dans  le  pourpoint.  Évidemment, 
s'il  tenait  ainsi  cette  feuille  sur  lui, 


^  63  -^ 

c'esl  ([u'il  \'c)iilail  avoir  loujours  à 
l'cspril  le  l'ail  qu'elle  lui  rappelait. 
Il  voulait  garder  toujours  présents 
la  sensation,  l'état  d'àme,  le  senti- 
ment qui  avaient,  décidément,  trans- 
figuré sa  vie.  Ce  papier,  cousu  dans 
son  pourpoint,  à  la  portée  de  sa 
main,  c'est  cpielque  chose  d'ana- 
logue au  nœud  que  l'on  fait  à  son 
mouchoir. 

A  l'examen,  cet  écrit  est  tout  pa- 
reil aux  autres  papiers  ([ue  l'on  a 
trou^  es  dans  le  tiroir  de  Pascal,  et 
(jui  composent  le  manuscrit  des  Pen- 
sées. Vous  savez  que  Pascal  jetait  sur 


le  papier  des  petites  phrases  coupées 
on  de  simples  mots.  Tel  mot  isolé  lui 
rappelait  un  ordre  entier  d'idées.  Eh 
bien  !  les  idées  qu'il  a  jetées  sur  le 
papier  que  vous  avez  dans  les  doigts, 
les  retrouverons-nous  ? 

Qu'expriment  ces  phrases  brisées, 
ces  tournures  elliptiques,  ces  méta- 
phores bibliques,  ces  exclamations, 
ces  invocations,  ce  mot  Feu,  qui  les 
précède,  ces  croix  latines? 

Quelque  temps  après  la  mort  de 
Madame  Périer,  vingt-cinq  années 
environ  après  la  mort  de  son  frère, 
ses  enfants,  c'est-à-dire  les  neveux  et 


^^  65  ^- 

nièces  de  Pascal,  communiquèrent 
cette  pièce  à  im  carme  déchaussé, 
(jui  était  un  de  leurs  plus  intimes 
amis,  homme  très  éclairé.  Ce  religieux 
tira  une  copie  de  l'écrit  de  Pascal  et 
en  donna  une  explication  de  vingt  et 
une  pages  in-folio...  A  ce  commen- 
taire du  carme,  Marguerite  Périer, 
la  nièce  de  Pascal,  joignit  deux  pages 
in-cpiarto,  relatives  seulement  aux 
deux  avant-dernières  lignes  du  Mé- 
morial. «  Soumission  totale...  »  Ces 
commentaires  sont  perdus. 

Nous  allons  essayer  d'y  suppléer. 

En  tête  du  papier,  vous  voyez  une 
croix.  D'après  la  copie  de  Tabbé  Pé- 


^  66  ^ 

rier,  qui  a  été  faite  sur  l'original  dis- 
paru, cette  croix  était  entourée  de 
rayons  de  feu...  Voilà  déjà  qui  parle 
à  l'imagination  et  qui  nous  invite  à 
croire,  ce  que  nous  saurons  plus 
loin,  que  la  chambre  où  méditait 
Pascal  fut  éclairée  par  une  lumière 
divine. 

Uan  de  grâce  i654,  lundi  23  no- 
vembre... 

Il  n'est  pas  indifférent  que  cette 
soirée  soit  du  mois  de  novembre,  si 
grave.  Les  mystiques  attachent  beau- 
coup d'importance  aux  dates,  à  mille 
nuances,  aux  influences  de  la  nature. 


^«  67  "-^ 

...  jour  de  saint  Clénienl,  Pape  et 
niartyr,  et  autres  au  martyrologey 
veille  de  saint  Chrysogone  martyr 
et  autres... 

Dans  le  milieu  de  Pascal,  on 
connaissait  parfaitement  la  vie  des 
saints.  Sa  sœur  Jacqueline  raconte 
dans  le  Règlement  pour  les  Enfants 
qu'elle  faisait  lire,  durant  les  repas, 
aux  petites  tilles  de  Port-Royal,  le 
martyrologe  du  jour.  Certainement 
qu'aux  yeux  de  Pascal  ce  n'est  pas  un 
hasard  que  ce  grand  événementlui  soi  t 
arrivé  en  quelque  sorte  sous  la  pré- 
sidence de  saint  Clément,  le  second 


^^  68  -^ 

pape,  et  de  saint  Ghrysogone,  un  des 
premiers  martyrs.  Ces  primitifs  sont 
au  sommet  de  la  hiérarchie  sacrée. 

Depuis  environ  dix  heures  et  demi 
du  soir  jusques  environ  minuit  et 
demi.  Feu... 

Nous  sommes  ici  au  centre  du 
l)roblème.  Le  recueil  d'Utrecht  dit 
({ue  Dieu,  comme  gage  de  sa  volonté 
et  de  ses  desseins  sur  Pascal,  lui  en- 
voya une  vision.  Nul  ne  peut  l'affir- 
mer. Ce  qui  se  passa  dans  cette  soirée 
mémorable  est  resté  le  secret  de 
Pascal.  A  qui  se  serait-il  confié  ?  A 


l 


-^(59^- 

son  directeur,  peiil-èlre.  Le  recueil 
d'Utrecht,  qui  le  suppose,  n'en  peut 
rien  savoir.  C'est  une  alîaire  person- 
nelle entre  Dieu  et  Pascal.  Jeanne 
d'Arc,  dans  son  procès,  refuse  de 
s'expliquer  sur  ses  voix.  Il  faut  donc 
que  nous  méditions  sur  ces  deux 
lignes,  sans  plus. 

Ceux  qui  se  placent  au  point  de  vue 
physiologique  appelleraient  ces  deux 
heures  du  23  novembre  une  halluci- 
nation. Les  croyants  y  verront  une 
extase  miraculeuse,  un  fait  surnatu- 
rel. Ce  débat  ne  nous  arrêtera  pas. 
Je  crois  qu'il  serait  puéril,  sans  vi- 
gueur et   même  sans  franchise,    de 


-*-  70  ^- 

contester  c[u'il  y  eut  là  une  vision.  A 
d'autres  de  l'expliquer  par  des  rai- 
sons naturelles  ou  surnaturelles.  Le 
certain,  c'est  ([ue  les  idées  encore 
mal  saisissables,  que  Pascal  portait 
en  lui  el  qui  le  tourmentaient,  ont 
pris  un  corps  et  la  vision  a  éclaté. 

Dans  la  vie  spirituelle,  ces  mo- 
ments d'extrême  abondance,  de  crise 
décisive  sont  connus.  Descartes  eut 
une  sorte  d'extase  lumineuse,  à  la 
suite  de  laquelle  il  lit  vœu  d'un  pèle- 
rinage à  Notre-Dame-de-Lorette.  Et 
pour  passer  à  des  êtres  plus  humbles 
ou  bien  à  des  états  moins  extrêmes, 
songez  à  la  nuit  de  Jouffroy  et  à  ce 


que  Secrctan  raconte  d'une  abon- 
dance d'amour  divin  qui  transfigura 
soudain  sa  croyance. 

Ces  hauts  états  ne  sont  que  le  déve- 
loppement du  christianisme  dans  sa 
plénitude.  Les  Pères  de  l'Église  ont 
minutieusement  décrit  cette  union 
parfaite  avec  Dieu,  qui  est  le  der- 
nier mot  de  la  contemplation.  Ils  en 
détaillent  les  caractères,  et  c'est 
toujours  d'un  enseignement  accom- 
pagné de  lumière  qu'ils  parlent, 
«  Les  paroles  de  la  vision,  écrit  la 
grande  prophétesse  sainte  Hildegar- 
de,  ne  ressemblent  pas  à  ce  que  pro- 
fère la  bouche  des   hommes  ;  elles 


-^  72  -f 

sont  comme  une  flamme  brillante.  » 
Nul  doute  qu'ici,  avec  Pascal, 
nous  ne  'soyons  montés  sur  le  som- 
met de  l'extase.  Ici,  Pascal  se  parle 
à  lui-même.  Il  ne  se  met  pas  à  notre 
portée,  à  la  portée  des  esprits  infé- 
rieurs. Il  parle  à  son  génie,  à  son 
âme  ;  il  lui  parle  de  ce  qui  lui  est  le 
plus  important.  Une  telle  page,  cette 
vision  lyrique,  cette  vision  divine,  la 
vision  par  excellence,  il  ne  la  destine 
à  aucun  correspondant.  C'est  son 
plus  grand  efTort  d'approche  devant 
Dieu. 

Dieu    d'Ahraham,  Dieu    d'Isaac, 


-*-  73  =^ 

Dieu  de  Jacob,  non  des  philosophes 
et  des  savants... 

Ce  titre,  donné  à  Celui  qui  lui  appa- 
raît dans  sa  vision,  est  très  clair  pour 
qui  vient  d'assisler  comme  nous 
aux  angoisses  de  Pascal.  Celui  qu'il 
salue,  ce  n'est  pas  le  Dieu  que  l'on 
ne  pourrait  atteindre  que  par  l'intel- 
ligence, et  que  celle-ci,  d'ailleurs,  est 
impuissante  à  saisir,  mais  c'est  un 
Dieu  qui  a  rempli  l'âme  et  le  cœur 
des  justes.  Cela  revient  à  dire  que 
l'on  n'entre  dans  la  vérité  que  par 
l'amour,  par  les  mouvements  du 
cœur. 


-^  74  ^ 

Le  fait  de  cette  soirée  est  que  le 
cœur  de  Pascal  a  reconnu  Dieu.  La 
cause  dernière,  la  vérité,  est  devenue 
sensible  à  Pascal. 

Cette  vision  crée  dans  Pascal  un 
état  nouveau,  qu'il  exprime  par  une 
suite  de  mot  elliptiques  et  redou- 
blés : 

certitude,  certitude, 
sentiment,  joie,  paix. 

Ici,  messieurs,  j'ai  une  observation 
à  vous  faire.  Le  texte  que  vous  avez 
dans  les  mains,  c'est  le  texte  auto- 
graphe de  Pascal,  conservé  à  la  Bi- 
bliothèque Nationale  en  tête  du  ma- 


nuscrit  des  Pensées.  Je  crois  que  c'est 
un  papier  écrit  par  Pascal  dans  la 
nuit  où  il  eut  sa  vision.  Peu  après 
il  en  lit  une  copie  remarquable  par  le 
grossissement  donné  à  certains  mots 
pour  en  accuser  la  valeur.  Ce  second 
autographe,  nous  ne  l'avons  plus, 
mais  nous  en  possédons  une  copie 
qu'en  a  faite  le  Père  Guerrier.  Eh 
bien  !  à  la  ligne  qui  nous  occupe,  elle 
contient  une  variante  importante. 
Au  lieu  de  cerfilude,  certitude,  senti- 
liment,  joie,  paix,  nous  lisons  certi- 
tude, joie,  certitude,  sentiment,  vue, 
joie.  Qu'est-ce  à  dire,  messieurs? 
Pascal  a  voulu  appuyer  sur  le  sen- 


-^  76  =^ 

timent  de  joie  qu'il  éprouve  par  le 
redoublement  du  mot  joie,  et  par  le 
mot  de  vue,  qu'il  introduit  dans  son 
MémoriaL  il  a  voulu  préciser  le  ca- 
ractère sensible  de  la  connaissance 
qu'il  vient  d'avoir  de  la  Vérité. 

Ces  mots  isolés  sont  le  thème  sur 
lequel  l'âme  de  Pascal  entonne  un 
chant  de  triomphe,  que^,  jusqu'à  sa 
mort,  il  poursuivra.  Il  est  un  victo- 
rieux^ celui  que  nous  avons  vu  lutter 
si  douloureusement.  Il  possède  le 
bien-être,  la  joie  et  la  paix,  parce 
qu'il  est  devant  le  Dieu  de  Jésus - 
Christ.  Il  se  sentait  si  loin,  si  aban- 
donné devant  la  cause  des  causes  qui 


^  77  "=#- 

nous  échappe  élernellement  !  11  lui 
fallait  un  appui.  La  hauteur  de  son 
esprit  et  la  délicatesse  de  son  senti- 
ment exigeaient  de  Jésus-Christ, 
c'est-à-dire  le  médiateur  entre  Dieu 
et  l'homme,  celui  qui  réunit,  réconci- 
lie en  lui  les  deux  natures.  Un  Dieu 
fait  homme  !  Quelle  fraternité  si  le 
Christ  dit  : 

—  Deiim  meiim  et  Deum  vestriim. 
(Mon  Dieu  est  votre  Dieu.) 

Comme  on  comprend  l'élan  avec 
lequel  Pascal  lui  répond  : 

—  Ton  Dieu  sera  mon  Dieu. 


-^  78  ^ 

Mais,  pour  bien  entendre  toute 
cette  première  partie  du  Mémorial, 
nous  disposons  d'une  magnifique 
leçon  que  Pascal  lui-même  avait  faite 
à  sa  sœur  Gilbertc  : 

Pascal  avait  remarqué  que  les 
hommes  étaient  dans  un  aveuglement 
dont  ils  ne  pouvaient  sortir  que  par 
Jésus-Christ,  hors  duquel  toute  com- 
munication avec  Dieu  nous  est  ôtée, 
parce  qu'il  est  écrit  que  personne  ne 
connaît  le  Père  que  le  Fils  et  celui  à 
qui  il  plaît  au  Fils  de  le  révéler.  La 
divinité  des  chrétiens  ne  consiste  pas 
en  un  Dieu  simplement  auteur  des 


-s-  79  -^ 

vérités  géométriques  et  de  l'ordre 
des  éléments.  Elle  ne  consiste  pas 
dans  un  Dieu  qui  exerce  sa  provi- 
dence sur  la  vie  et  sur  les  biens  des 
hommes...  Maisle  Dieu  d'Abraham  et 
de  Jacob,  le  Dieu  des  chrétiens,  est 
un  Dieu  d'amour  et  de  consolation. 
C'est  un  Dieu  qui  emplit  l'âme  et  le 
cœur  de  ceux  qui  le  possèdent.  C'est 
un  Dieu  qui  leur  fait  sentir  intérieu- 
rement leur  misère  et  sa  miséricorde 
infmie;  qui  s'unit  au  fond  de  leur 
âme  ;  qui  les  remplit  d'humilité,  de 
foi,  de  confiance  et  d'amour;  ([ui  les 
rend  incapables  d'autre  fin  que  de 
lui-même.  Le  Dieu  des  chrétiens  est 


-^  80  ^ 

un  Dieu  qui  fait  sentir  à  l'ame  qu'il 
est  son  unique  bien,  que  tout  son 
repos  est  en  lui,  qu'elle  n'aura  de 
joie  qu'à  l'aimer,  et  qui  lui  fait  en 
même  temps  abhorrer  les  obstacles 
qui  la  retiennent  et  l'empêchent  de 
l'aimer  de  toutes  ses  forces... 

Maintenant,  Pascal  va  prendre  des 
résolutions.  Il  fera  mieux  que  de  sur- 
monter les  tentations.  Désormais,  ce 

sera  F 

oubli  du  monde 

et  de  tout,  hoï^mis  Dieu. 

Lui  qui  a  tant  cherché  sa  voie,  il 
sait  maintenant,  que  Dieu 


-&^  81  ^ 

ne  se  trouve  que  par  les 
voies  enseiynées  dans  FEvângile. 

Dieu  ne  se  trouve  pas 
par  la  mcditalion  des  preuves  méta- 
physiques, non  plus  que  par  l'exa- 
men de  l'univers.  Il  se  trouve  par  la 
diminution  des  passions.  En  se  tai- 
sant, celles-ci  laissent  parler  l'àme, 
enfin  libérée  et  d'esclave  devenue 
une  affranchie  bondissant  vers  son 
Dieu. 

Ici,  Pascal  s'interrompt  pour  faire 

un  retour  sur  l'humanité  en  général 

et  pour  s'émerveiller  de  la  grandeur 

de  Vâme  humaine^  c'est-à-dire  de  la 

c 


-^  82  -^ 

pensée.    Rappelez-vous  les  phrases 
fameuses  : 

((  L'homme  n'est  qu'un  roseau,  le 
plus  faible  de  la  nature,  mais  c'est  un 
roseau  pensant...  Quand  l'univers 
l'écraserait,  l'homme  serait  encore 
plus  noble  que  ce  qui  le  tue,  parce 
qu'il  sait  qu'il  meurt,  et  l'avantage 
que  l'univers  a  sur  lui,  l'univers  n'en 
sait  rien...  Toute  notre  dignité  con- 
siste donc  en  la  pensée.  C'est  de  là 
qu'il  faut  nous  relever  et  non  de  l'es- 
pace et  de  la  durée  que  nous  ne  sau- 
rions remplir.  Ce  n'est  point  de  l'es- 
pace que  je  dois  chercher  ma  dignité, 


^-  83  =4- 

mais  c'csl  du  rôglemenl  de  ma  })cn- 
sée.  Par  l'espace,  ^uIli^'ers  me  com- 
preml  elm'cngloutil  comme  un  point. 
Par  la  pensée,  je  le  comprends... 
Bien  plus,  les  hommes  peiivenl  domp- 
ter leurs  passions.  Quelle  matière 
l'a  pu  faire  ?  » 

Cette  supériorité  de  l'Ame  sur  le 
monde,  Pascal  la  trouve  dans  cette 
belle  formule  des  Écritures  :  «  Père 
juste,  le  monde  ne  Ca  point  connu, 
mais  je  t'ai  connu.  »  D'où  cette  eliu- 
sion  :  Joie,  joie,  pleurs  de  joie!  sorte 
de  «  magnificat»  qu'il  entame.  Puis  un 
retour,  un  remords  :  Je  m'en  suisse- 


4-  84  -?- 

paré.  Dereliquerunt  me  fontein  aquœ 
vivœ.  J'étais  une  source  tarie.  Pareil 
malheur  m'arrivera-t-il  encore  ? 

«  Mon  Dieu,  me  qiiitterez-vous?)) 

Que  je  n'en 
sois  pas  séparé  éternellement. 

Sur  ce  mot,  éternellement,  il  fait 
sa  profession  de  foi.  La  vie  éternelle, 
c'est  la  possession  de  la  vérité,  c'est 
la  connaissance  de  la  cause  dernière, 
et  celui  qui  sert  d'intermédiaire  entre 
cette  cause  et  les  hommes,  c'est  celui, 
ne  nous  lassons  pas  de  le  répéter, 
qui  peut  toucher  le  cœur  :  c'est  Jésus- 


-^  85  -^ 

Chrisl.  Avec  quelle  complaisance 
Pascal  cite  ces  textes  des  Écritures, 
pleins  d'une  musique  peut-être  ou- 
bliée de  nous,  insaisissable  pour 
nous,  mais,  pour  lui,  familière  et 
qui  multipliait  la  force  de  ses 
preuves  : 

«  Cette  est  la  vie  éternelle,  qu'ils 
te  connaissent  seul  vrai  Dieu,  et  celui 
que  tu  as  envoyé,  Jésus-Christ.  » 

Jésus-Christ. 

Jésus-Christ. 

Par  trois  fois  il  répète  ce  grand 

nom.  Il  se  plaît  k  ébranler  sa  propre 

P       sensibilité,  à  faire  jaillir  de  son  cœur 


-^  86  ^ 

les  effusions,  les  tendresses,  les  vé- 
nérations, l'amour  amassé  en  lui  par 
des  milliers  de  parents  catholiques. 
On  dit  que,  dans  les  réunions  pu- 
bliques, au  pays  d'Angers,  le  mot 
Dieu  ne  peut  être  prononcé  sans 
faire  frémir  l'auditoire,  sans  le  sou- 
lever d'enthousiasme.  Ces  paysans  se 
groupent  au  cri  saisissant  de  :  «  Vive 
Dieu  !  »  C'est  vive  tout  ce  qu'il  y  a 
de  sacré  dans  les  profondeurs  de 
chacun  d'eux  ;  c'est  le  mot  où  ils 
accumulent  toutes  les  richesses  mo- 
rales de  leur  race.  Dans  une  émotion 
identique,  Pascal  dit  et  répète  le  nom 
de  Jésus-Christ  ;  il   y   célèbre   l'hu- 


^  87  -^ 

manité  dont  il  vient  de  dire  la  gran- 
deur, qui  est  la  pensée  et  il  y  célèbre 
Dieu,  l'auteur  des  vérités  géomé- 
triques que  sa  curiosité  scientifique 
a  toujours  poursuivies. 

Puis,  de  nouveau,  un  remords  et 
une  crainte  : 

Je  m  en  suis  séparé,  je  l'ai  fui,  re- 
noncé, crucifié.  Que  je  n'en  sois  ja- 
mais séparé. 

Gomment  le  garder  ?  Sachons  qu'il 
ne  se  conserve  que  par  les  voies  en- 
seignées dans  r Évangile,  par  le  re- 
noncement absolu  qui,  cette  fois,  ne 


4-  88  ^ 

lui  coûtera  plus  d'elîort,  car  il  pro- 
clame :  Renonciation  totale  et  douce. 
Cette  renonciation  sera  facilitée 
par  le  directeur  que  Pascal  choisira. 
Gela,  c'est  le  suprême  effort  pour 
dompter  son  amour  de  soi-même, 
pour  dompter  un  reste  d'indépen- 
dance caché  dans  le  fond  de  son 
cœur.  Soumission  totale  à  Jésus- 
Christ  et  à  mon  directeur.  Qu'im- 
porte, d'ailleurs,  un  peu  de  tribula- 
tion,  quelques  épreuves.  Ne  sera-t-il 
pas  éternellement  en  joie  pour  un  jour 
d'exercice  sur  la  terre.  Et  il  conclut 
en  reprenant  une  phrase  du  Psaume 
118  :  Non  obliviscar  sermones  tuos. 


^  89  ^ 

(Je    n'oublierai    pas    tes   enseigne- 
ments. M  77?e  aï. 

Enfin,  il  dessine,  au  bas  de  son 
Mémorial ^  cette  même  croix  flam- 
boyante qu'il  avait  mise  en  tête,  et 
qui  a  dû  présider  à  ces  deux  heures 
d'illumination. 


Messieurs, 

Je  crois  que  notre  interprétation 
ne  prête  pas  à  la  critique.  Ce  papier, 
c'est,  évidemment,  l'attestation  de 
la  lumière  que  Pascal  a  reçue,  le 
mémorial  de  la  réponse  accordée  à 


^  90  =^ 

son  cri  crangoisse,  le  bulletin  de  sa 
victoire  sur  les  ténèbres,  son  action 
de  grâce  et  son  acte  de  ferme  propos. 
Messieurs,  cette  soirée  du  23  no- 
vembre, c'est  le  plus  haut  sommet  de 
la  vie  de  Pascal,  et  d'où  l'on  em- 
brasse toutes  les  époques  de  sa  vie. 
Jetons  de  là,  avant  de  terminer  cet 
entretien,  un  regard  sur  la  suite  delà 
vie  de  ce  héros,  où  il  n'est  pas  de 
notre  programme  de  le  suivre. 

Un  mois  après  cette  grande  scène, 
sa  sœur  Jacqueline  écrivait  à  Ma- 
dame Gilberte  Périer  :  «  Quoiqu'il  se 
trouve  plus  mal  qu'il  n'ait  fait  depuis 


I 


-^  91  ^ 

longtemps...,  je  remarque  en  lai  une 
humilité  et  une  soumission,  même  en- 
vers moi,  qui  me  surprennent.  Enfin, 
je  n'ai  plus  rien  à  vous  dire,  sinon 
qu'il  paraît  clairement  que  ce  n'est 
plus  son  esprit  naturel  qui  agit  en 
lui.  »  Dans  le  môme  moment,  Pas- 
cal quittait  son  cachet  habituel,  pour 
en  prendre  un  qui  représentait  un 
ciel  enfermé  dans  une  couronne 
d'épines  avec  cette  devise  :  Scio  cui 
credidi.  (Je  sais  en  qui  j'ai  cru). 
Phrase  d'immense  importance.  Ai-jc 
bien  lu?  Il  semble  déclarer  que,  main- 
tenant, il  possède  la  connaissance 
complète  ;   qu'il   sait,    alors    qu'au- 


^  92  ^ 
paravant  il    ne  faisait   que    croire. 

Dorénavant,  sa  vision  va  com- 
mander sa  vie.  Il  ne  cessera  pas  de 
la  méditer  en  esprit  et  d'y  conformer 
sa  conduite.  Ces  messieurs  de  Port- 
Royal,  à  qui  il  ne  veut  rien  refuser^ 
pourront  bien  remployer  dans  leurs 
querelles.  Pour  les  servir  il  écrira^ 
sur  les  notes  qu'ils  lui  fourniront,  les 
Provinciales  :  mais  que  lui  font  pro- 
fondément ces  polémiques  ?  Il  repense 
toujours  le  papier  cousu  dans  son 
pourpoint,  mémorial  du  soir  oiu 
dans  un  mouvement  d'une  inten- 
sité surhumaine,  il  a  découvert  que 


^  93  -^ 
le  cœur    est    supérieiu'  à  la  raison. 

En  écrivant  ses  Pensées,  il  écrira 
l'histoire  de  sa  conversion,  l'histoire 
des  angoisses  par  lesquelles  il  est 
parvenu  au  repos  et  au  bien-être  de 
l'àme.  Une  fera  plus  que  commenter 
indéfiniment  son  illumination  de  no- 
vembre 1654. 

Dans  les  (jualre  dernières  années 
de  sa  vie,  comme  la  maladie  l'empê- 
chait de  travailler,  il  avait  un  alma- 
nach  qui  l'instruisait  des  églises  où 
il  y  avait  des  cérémonies  particu- 
lières, des  reliques  exposées  ou  quel- 


^  94  ^ 

que  solennité,  et  il  s'y  rendait.  Il  y 
méditait  indéfiniment  (et  sans  en 
épuiser  le  sens)  tous  les  sentiments 
qui  Tavaicnt  assailli  dans  sa  vision. 
Une  âme  religieuse  dispose  de  deux 
sortes  de  prières.  Elle  peut  répéter 
les  prières  liturgiques  dont  les  formes 
ont  été  fixées  par  l'Eglise.  Elle  peut 
aussi  laisser  un  filtre  cours  aux  pen- 
sées de  l'esprit  et  aux  effusions  du 
cœur.  Dans  les  églises,  où  il  suivait 
les  plus  humbles  offices,  Pascal  lisait 
son  Psaume  118  et  puis  il  songeait. 
Mais,  maintenant,  celui  que  nous 
avons  vu  songer  avec  angoisse  songe 
avec  amour.  Et  le  recueil  de  ses  son- 


I 


-^  95  =^ 

geries,  nous  le  possédons  :  c'est  le 
recueil  de  la  Bibliothèque  Nationale, 
que  nous  appelons  les  7^e/ïsee.s\  Livre 
sublime  où  l'esprit  des  cloîtres  réap- 
paraît ai)rcsuu  inlcr^'alle  de  plusieurs 
siècles. 

En  suivant,  à  travers  les  paroisses 
et  selon  les  indications  de  son  alma- 
nach,  tous  les  exercices  de  dévotion, 
Pascal  refaisait  les  gestes  automa- 
ti(pies  pour  mieux  laisser  les  rêves 
remontera  lasurface  de  sa  conscience. 
Il  s'enivrait  dans  cet  abîme  de  mono- 
tonie. C'est  ici  qu'il  faudrait  com- 
menter son  sublime  ((  abêtissez- 
vous  »,  puissante  idée  exprimée  par 


^  96  ^ 

un  trait  d'humour  et  d'exagération 
pittoresque. 

Puis,  il  rentrait  chez  lui,  pour  soi- 
gner le  pauvre  qu'il  y  avait  installé. 
On  a  raison  de  l'en  admirer  ;  mais, 
dans  les  soins  qu'il  lui  donnait,  il 
a  montré  moins  d'héroïsme  que  le 
jour  où,  pour  devenir  le  frère  de  cet 
humble,  il  s'est  éloigné  du  Dieu  des 
philosophes  et  des  savants. 


LES  DEUX  MAISONS  DE  PASCAL 

A 

CLERMONT-FERRAND 


Les  deux  chapitres  qui  suivent 
ont  paru  dans  /'Écho  de  Paris, 
l'un  le  li  et  l'autre  le  18 septembre 
1900.  Ils  portaient  alors  pour 
titre:  I.  Peul-on  conserver  la 
maison  de  Pascal  ?  II.  Faut-il 
sauver  la  maison  de  Pascal? 
Le  second  chapitre  a,  déplus,  été 
reproduit,  en  grande  partie,  dans 
Vouvrage  suivant  :  Auvergne  et 
Limousin,  par  Ad.  van  Bever, 
Paris,  Devambez,  s.  d.   [1912], 


LA  MAISON  NATALE 


DE     LA 


RUE  DES  GRAS 


JE  viens  (le  jeler  à  Clcrmonl-Fei- 
rand,  sur  la  maison  où  naquit 
Biaise  Pascal,  un  des  derniers  coups 
d'œil  qu'elle   recevra.  Parfaitemenl. 

On  va  la  démolir.  Déjà  lou(  im  cor[)s 


^  100  ^ 

de  bâtiment  n'a  plus  de  toit;  les  pau- 
vres chambres  où  les  Pascal  mirent 
une  si  noble  atmosphère  d'ordre,  de 
discipline,  bayent  nues  et  souillées 
de  cette  abjection  particulière  aux 
appartements  éventrés.  Et  malgré 
les  appels  d'un  distingué  journaliste 
local,  M.  Dumont  (dans  V Avenir  du 
Puy-de-Dôme),  à  qui  M.  André  Hal- 
lays  fait  écho,  les  Clermontois  qui 
côtoient  cette  vénérable  condamnée, 
ne  se  soucient,  semble-t-il,  que 
d'éviter  les  matériaux  descellés  par 
des  ouvriers  gais  et  actifs. 

Ce  serait  agréable  qu'un  architecte 
en    vacances   s'amusât,  passant  par 


^   101  ^ 

Glermont,  à  nous  restilucr  eu  Ijrcf 
croquis  la  première  honuêteté  de 
cette  bâtisse  que  le  simple  passant  ne 
parvient  pas  à  se  représenter  sur  la 
triste  mine  qu'elle  présente.  Prenons 
du  moins  une  photographie  in-exire- 
mis.  Peut-être  voudrez-vouslai'lisser 
dans  votre  bibliothèque  sur  le  rayon 
«  Pascal  ». 

Telle  que  je  l'ai  vue  ces  derniers 
jours,  la  maison  natale  de  Pascal  est 
un  vaste  quadrilatère  à  quatre  étages, 
triste  et  malpropre.  De  ses  trois 
faces  libres,  l'une  s'étend  sur  une 
bonne  voie,  la  rue  des  Gras  ;  la 
deuxième  est  séparée  delà  cathédrale 


^  102  ^ 

])ar  un  élroit  couloir  et  se  continue 
sur  une  place  nommée  «  la  place  der- 
rière Glermont  »  ;  enfin  la  troisième 
borde  la  rue  des  Gbaussetiers,  mes- 
quine et  resserrée.  Elle  abrite  dans 
ses  porches  une  dizaine  de  boutiques, 
les  unes  modernes,  les  autres  infini- 
ment vieillottes.  Elle  est  irrégulière, 
bizarre,  tourmentée  ;  ses  murs  font 
des  coudes,  et  des  escaliers  extérieurs 
la  flanquent.  Mais  sa  principale  sin- 
gularité, c'est  un  passage  qui  la  troue, 
où  coulent  deux  filets  d'eau  mal- 
propre, où  s'embranchent  de  nom- 
breux escaliers,  tous  divers,  tous  sor- 
dides,   et    qui    débouche    sur    une 


-^  103  -4- 

terrasse,  formant  une  cour  intérieure. 
Cette  cour-terrasse,  grâce  h  la  pente 
du  terrain  qui  supporte  tout  l'im- 
meuble,  se  trouve  au  premier  étage  ; 
on  en  descend  par  un  escalier  en  plein 
air,  devant  la  cathédrale,  ou  bien, 
franchissant  un  nouveau  porche, 
enfilant  unnouveau  boyau,  on  gagne, 
sur  la  rue  des  Gras,  un  balcon  qui,  le 
le  long  de  la  maison  Pascal,  au-dessus 
des  boutiques,  s'en  va  desservir  une 
maison  voisine. 

Est-ce  pour  mon  plaisir,  pour  le 
vôtre,  que  j'essaie  de  mener  à  bien 
cette  description  où  Gautier  et  Hugo 
se  seraient  soûlés   de  pittoresque  ? 


^  104  ^ 

C'est  qu'il  faut  cataloguer  de  notre 
mieux  une"  relique  qui  va  dispa- 
raître. 

Cet  immense  capliarnaûm,  où  l'on 
trouve  même  une  chapelle,  appar- 
tient à  plusieurs  propriétaires,  qui 
Font  distribué  en  une  infinité  de  lo- 
gements plus  que  modestes.  Eux- 
mêmes,  ils  ont  fui.  Comme  je  deman- 
dais, pour  une  raison  qu'on  trouvera 
plus  loin,  à  une  des  mercières  logées 
dans  la  maison  Pascal,  si  M.  Peghoux 
habite  la  maison  voisine. 

—  Non,  monsieur,  me  répondit - 
elle  de  son  air  le  plus  entendu,  et  en 
personne  qui  connaît   les  rangs  so- 


^  105  =-f 

ciaux;  il  n'y  a  point  ici  de  logement 
pour  M.  Doininic[ue  Peghoux. 

Ces  bâtiments  si  méprisés,  sacri- 
fiés, faisaient  au  seizième  siècle,  où 
ils  furent  construits,  un  noble  hôtel. 
On  le  nomma  hôtel  Langhac.  Et 
cjuand  le  père  du  grand  Pascall'acheta 
en  1614,  c'était  l'hôtel  de  Vernines. 
Déjà  la  propriété  en  était  fractionnée, 
et  Etienne  Pascal  n'acheta  que  deux 
corps  de  logis  sur  quatre  qui  font 
l'ensemble. 

Dans  lequel  de  ces  deux  corps 
naquit  Biaise  Pascal?  C'est  un  pro- 
blème et  d'autant  plus  intéressant 
qu'à  l'heure  où  vous  me  lisez  il  ne 


-^  106  ^ 

subsistera  plus  sans  doute  qu'un  de 
ces  deux  bâtiments  où  habitèrent  les 
Pascal;  on  démolit  l'un  et  l'autre  est 
marqué  pour  être  jeté  bas,  dans  l'en- 
semble du  projet  voté  par  le  conseil 
municipal  de  Glermont. 

Un  mouvement  de  l'opinion 
pourra- t-il  mettre  le  holà  ?  Il  y  a 
quelques  années,  on  a  déjà  rasé  un 
des  angles  de  cette  maison,  par  où 
elle  s'accotait  à  la  cathédrale  :  et 
c'est  ainsi  que  fut  créé  le  passage, 
le  couloir,  qu'il  s'agit  d'agrandir  par 
une  nouvelle  démolition  partielle. 

Depuis  longtemps,  d'ailleurs,  tout 
a  été  bouleversé,  escaliers,  fenêtres, 


-^  107  °^ 

cloisons,  dans  celle  grande  carcasse 
déshonorée,  où  seuls  les  murs  de  la 
cour  intérieure  m'ont  paru  garder 
quelque  caractère  architectural  du 
seizième  siècle.  Et  pour  vous  dire 
franc,  la  piété  ne  sait  trop  où  se 
prendre  dans  cette  masure  qui  pue  les 
misères  à  la  Balzac  plus  qu'elle  n'em- 
baume les  fortes  vertus  de  l'incompa- 
rable famille  Pascal. 

Si  j'y  trouvai  quekiue  plaisir,  ce 
fut  à  retrouver  le  soutènement  du 
balcon,  dans  la  rue  des  Gras,  et  ce 
dernier  pilier  de  droite  (en  regardant 
la  maison)  à  propos  duquel  Etienne 
Pascal  soutint  un  procès,  en  1614, 


^  108  ^ 

quand  il  imagina  de  transformer  ses 
écuries  du  rez-de-chaussée  en  bou- 
tiques qui  durèrent  jusqu'à  cette  se- 
maine. Il  y  a  bien  deux  cents  per- 
sonnes, parmi  lesquelles  je  me  range 
sans  honte,  qui  peuvent  amuser  leur 
imagination  avec  ces  vestiges  :  mais 
à  chaque  heure,  dans  ce  quartier  très 
fréquenté  de  Glermont,  deux  cents 
passants  trouvent  trop  étroit  le  cou- 
loir de  deux  mètres  à  peine,  où 
s'étrangle  soudain  ^la  rue,  entre  le 
perron  de  la  cathédrale  et  la  maison 
de  Pascal.  Et  que  leur  chante  notre 
piété  littéraire  ? 

Les  Parisiens  qui  détruisent  féro- 


^^  109  "^ 

oement  tous  les  vestiges  historiques, 
au  point  que  Paris,  toutes  propor- 
tions gardées,  est  peut-être  la  ville  de 
France  la  plus  vide  de  souvenirs, 
vont  parler  du  vandalisme  provin- 
cial. Eh  !  grand  Dieu  !  n'allez  pas 
croire  que  les  Glermontois,  d'une 
façon  générale,  coupent  aisément 
leurs  traditions.  Je  n'ai  pas  vu  sans 
une  espèce  d'émotion  intellectuelle 
que,  dans  la  rue  des  Gras,  la  maison 
qui  touche  au  corps  de  logis  d'Etienne 
Pascal  appartient  aujourd'hui  encore 
à  la  famille  ([ui  l'habitait  lors  de  la 
naissance  de  Biaise  Pascal.  Oui,  cette 
contestation  sur  le  pilier,  dont  nous 


^  110  -^ 

parlons  plus  haut,  Etienne  Pascal 
Teut  avec  son  voisin,  Robert  Pé- 
ghoux,  en  1614.  et  aujourd'hui  en- 
core cette  maison  appartient  à 
M.  Dominique  Peghoux,  descendant 
de  l'adversaire  de  Pascal.  On  voudrait 
croire  que  cette  famille  honorée  par 
une  telle  querelle,  a  conservé  des 
traditions  sur  l'enfant  prodige,  sur 
l'admirable  père,  sur  Jacqueline,  sur 
Marguerite.  Ils  ne  sont  pas  rares,  me 
dit-on,  les  Clermontois  aussi  profon- 
dément enracinés,  et  Ton  me  cite 
une  maison,  celle-là  même  occu- 
pée par  V Avenir  du  Puy-de-Dôme. 
qui    depuis   le   quatorzième    siècle. 


-^  m    - 

est  restée  dans  la  même  famille. 
Est-ce  donc  alors  qu'attaches  à 
leur  ville,  les  Clermontois  se  désin- 
téressent de  sa  gloire  ?  Non  pas  ! 
toujours  ils  servirent  de  leur  mieux 
les  intérêts  de  Pascal.  C'est  un  bi- 
bliothécaire de  la  ville  de  Glermont, 
M.  Gonod,  qui  accompagna,  guida 
parfois  M.  Faugère,  dans  sa  pour- 
suite en  Auvergne  des  manuscrits  de 
Pascal.  C'est  une  communication 
d'iui  Clermontois,  M.  Bellaigue  de 
Bughas,  à  l'Académie  de  Clermont, 
qui  a  déterminé  en  1880  cette  mai- 
son oii  est  né  Pascal  ;  ses  recherches 
me  guident  et  je  l'en  remercie  bien 


^  112  ^ 

sincèremenl .  Mais  on  ne  peut  pas 
raisonnablement  demander  au  suf- 
frage universel,  dont  le  conseil  muni- 
cipal de  Clermont  est  l'instrument,  de 
se  placer  au  point  de  vue  où  sont  tout 
naturellement  des  lettrés. 

L'Auvergne  a  donné  Pascal  à  la 
littérature  française  et  à  la  religion. 
S'il  appartient  à  la  nation  entière,  les 
philosophes,  les  artistes  et  le  clergé 
sont  plus  immédiatement  chargés  de 
servir  son  œuvre  et  sa  mémoire.  Or, 
voici  où  j'en  veux  venir^  c'est  l'im- 
prévoyance de  son  monde,  de  ses 
serviteurs  responsables,  qui  a  com- 
promis pour  Pascal  les  choses  d'une 


-^  113  -^ 

façon  irrémédiable  comme  nous  les 
voyons. 

Ne  vous  en  prenez  pas  an  charre- 
tier qui  veut  conduire  ses  chevaux 
de  la  rue  des  Gras  à  la  «  place  der- 
rière Glermont  »,  ni  à  la  mère  de  fa- 
mille qui  redoute  son  gamin  écrasé 
par  une  automobile  soudainement 
surgie.  Ces  gens-là  ont  raison,  après 
tout!  Ils  font  de  leur  cervelle,  de 
leur  petite  influence,  un  emploi  selon 
leur  qualité.  Mais  sachez  ceci  : 

Vers  1886,  sur  la  sollicitation  du 
clergé,  le  ministre  a  attribué  une 
somme  de  30.000  francs  à  la  cons- 
truction d'un  perron,  en  avant  de  la 

8 


^  114  ^- 

cathédrale,  sur  la  rue  des  Gras. 
C'était  réduire  le  passage  de  telle 
manière  que  la  démolition  de  la  mai- 
son de  Pascal  devait  en  résulter  un 
jour  ou  l'autre . 

Je  propose  une  solution,  qui  me 
semble  seule  pratique.  Qu'il  faille 
approuver  ou  blâmer  les  préoccupa- 
tions utilitaires  d'un  conseil  muni- 
cipal, c'est  un  problème,  mais  nous 
sommes  dans  l'ordre  des  faits  et  je 
vous  assure  que,  tôt  ou  tard,  les  élus 
de  Clermont,  quand  ils  reviendraient 
cette  fois  sur  leur  vote,  seront  mis  en 
demeure  d'élargir  le  passage,  et  par 
conséquent  de  jeter  bas  toute  la  mai- 


son  de  Pascal,  l^oiir  conserver  le 
corj3S  de  logis  qui  est  encore  intact, 
un  seul  moyen  :  que  la  cathédrale  re- 
nonce à  son  perron. 

Pascal  a  fait  d'autres  sacrifices  à 
la  religion,  le  clergé  peut  bien  sacri- 
fier à  Pascal  une  commodité  dont  on 
se  passa  jusqu'en  1886.  (Retenez  ce 
dernier  point,  ce  perron  est  une  re- 
touche toute  moderne.) 

Je  prie  André  Hallays  de  me  croire 
sur  parole  ou  plutôt  de  se  renseigner, 
d'examiner  les  lieux,  telle  est  la  solu- 
tion —  qui  va  peut-être  mécontenter 
d'abord  les  avocats  de  Pascal.  Mais 
quoi  !  je  le  répète,  c'est  à  ceux  qui 


L 


^  116  ^ 

jouissent  du  génie  de  ce  grand  homme 
de  payer  leur  dette,  et  nous  sommes 
sans  doute  quelques  amis  de  Pascal 
et  des  cathédrales,  qui  trouverions 
fort  noble  cette  amputation  d'un 
membre  architectural  —  qui  ne  com- 
promettra pas  Torganisme  de  l'édi- 
fice —  par  pitié  envers  le  haut  et  rare 
génie  dea  Pensées. 

Au  reste,  j'y  veux  revenir,  et,  après 
avoir  dit  comment  on  peut,  selon 
moi,  sauver  la  «  Maison  de  Pascal  », 
je  voudrais  examiner  s'il  faut  la  sau- 
ver. Gela  me  permettra  de  décrire  une 
seconde  maison  de  Clermont,  bien 
mieux  parlante,    plus    poétique,    et 


-^   117  -4^ 

qui  intéresse  de  1res  près  Pascal. 
Il  me  semble  (jue  ces  menus  ren- 
seignements méritent  qu'on  les  glisse 
dans  le  commentaire  abondant,  et 
jamais  trop  abondant,  que  la  pensée 
française  a  donné  sur  le  plus  sublime 
de  nos  chefs  intellectuels. 


II 


LE  CHATEAU  DE   BIEN-ASSIS 


Nous  nous  a  Hachons  aux  lieux  où 
vécut  le  génie,  autant  qu'ils  le 
formèrent  et  nous  aident  à  le  com- 
prendre. Lan  dernier  à  pareille 
époque,  dans  un  entr'acte  de  la  tra- 
gédie nationale,  j'allais  de  Rennes  à 


:^   1111  -^ 

Gombourg  où  vécut  le  jeune  René  de 
Chateaubriand,  et,  parcourant  la  fa- 
meuse Tour  du  Chat,  les  rives  de 
l'étang  et  ce  ([ui  fut  une  lande  semée 
de  pierres  druidiques,  je  retrouvais 
des  traits  nombreux  qui  furent  trans- 
portés par  le  père  de  René  et  de  Vel- 
léda  dans  la  physionomie  littéraire  de 
la  France. 

Sources  modestes  de  lueurs  ma- 
gnifiques, comment  supporterions- 
nous  que,  sous  d'ignobles  fascines, 
on  vous  fît  disparaître  !  Dans  la  cam- 
pagne imaginaire  où  la  gratitude 
d'un  romantique  se  plairait  à  grouper 
l'École  de  Brienne  («  Pour  ma  pen- 


^  120  ^ 

sée,  disait  Bonaparte,  Brienne  est  ma 
patrie  ;  c'est  là  que  j'ai  ressenti  les 
premières  impressions  de  l'homme  »), 
lesGliarmettesde  Rousseau,  le  Saint- 
Point  de  Lamartine,  le  Gombourg 
de  Chateaubriand,  on  voudrait  aussi 
qu'un  point  du  paysage  évoquât  la 
figure  passionnée  de  Pascal.  Mais 
qu'est-ce,  dans  la  vie  de  l'auteur  des 
Pensées,  que  cette  maison  de  la  rue 
des  Gras,  à  Glermont  ? 

Il  en  partit  à  l'âge  de  sept  ans  pour 
n'y  plus  revenir.  Peut-on  du  moins 
l'appeler  sa  maison  de  famille?  Bien 
qu'il  n'y  ait  été,  dans  un  âge  si 
tendre,  qu'un  petit  animal,  un  véri- 


-^  121  -^ 

table  légume,  à  demi  insensible,  elle 
nous  serait  sacrée,  certes,  si  elle  avait 
abrité  le  développement  de  la  famille 
Pascal,  de  cet  arbre  majestueux,  la 
plus  puissante  végétation  de  cette 
Auvergne  où  l'un  des  plus  beaux 
arbres  de  France,  le  noyer,  étage  et 
noue  ses  branches... 

Hélas  !  la  maison  de  Glermont  ne 
l)cut  pas  être  dite  la  maison  des  Pas- 
cal. Ces  grands  bourgeois  ne  font 
qu'un  moment  dans  ses  fortunes  suc- 
cessives. Pas  plus  qu'ils  ne  la  bâti- 
rent, ils  ne  la  marquèrent  de  leurs 
mœurs.  Elle  avait  déjà  une  centaine 
d'années,  quand  Etienne  Pascal  en 


-i-  122  ^ 

acheta  deux  corps  de  logis,  en  1(514  ; 
il  les  revendit  en  1633.  Et,  s'il  est 
vrai  que  Biaise  Pascal  naquit  rue  des 
Gras,  à  Glermont,  et  qu'à  trois  ans, 
il  y  perdit  sa  mère,  c'est  à  Paris,  rue 
Tixeranderie,  sur  la  paroisse  de  Saint- 
Jean-de-Grève,  où  sa  famille  vint 
s'installer  dès  1631,  que  s'éveilla  son 
2fénie. 

Et  puis,  pour  tout  dire,  Pascal 
n'est  point  de  ceux  qui  reçoivent  leur 
génie  du  dehors  ou  qui  le  transpor- 
tent sur  les  choses.  Il  renferme  en 
lui-même  toutes  ses  puissances  ;  il  les 
lire  de  sa  méditation,  il  les  attribue  à 
l'influence  directe  de  l'Etre  Infini,  et 


-^  123  -.- 

pour  cnlrcr  en  coininunication  avec 
l'auteur  des  Pensées,  il  n'y  a  pas  de 
Clermont  ([ui  nous  aide  :  il  faut  que 
nous  nous  fassions  l'homme  de  son 
livre. 

Pourtant,  si  vous  lenez  à  situer 
dans  un  décor  matériel  la  pensée 
de  ce  grand  homme,  et  s'il  vous 
faul  une  autre  atmosphère  ({ue  celle 
(jui,  se  levant  de  son  œuvre  même, 
emplit  votre  cabinet,  à  deux  pas  de 
Paris,  vous  trouverez  le  vallon  de 
Port-Royal-des-Champs,  et,  sur  la 
berge  droite  de  la  Seine,  à  cin- 
quante mètres  au-dessous  du  pont 
de    Neuilly,   le    point    oii    Pascal, 


-^  124  ^ 

en   carrosse ,    faillit   être   précipité. 

Lieu  sacré,  celui-là,  qui  haussa  la 
plus  admirable  folie  à  ses  accents 
désespérés!  Il  vaudrait  alors  même 
que  l'humanité  demanderait  à  d'autres 
doctrines  qu'au  catholicisme  un  point 
de  vue  pour  élever  la  nature  humaine 
et  une  force  pour  se  soulever,  au 
moins  de  désir,  hors  des  intelhgences 
obtuses  et  courtes,  contentes  d'être, 
satisfaitesdu  monde  et  de  la  destinée. 

M.  Boutmy  vient  de  consacrer  à 
Pascal  une  noble  étude.  Livre  trop 
apaisé  pourtant,  qui  supprime,  atté- 
nue l'âpreté,  et  croyant  épurer  ce 
grand  malade    farouche,    le    réduit 


-^  125  ^^ 

presque  en  galant  homme.  Il  sup- 
prime, ne  mentionne  même  pas 
r  «  accident  du  pont  de  Neuilly  ». 
C'est  indirectement,  j'en  conviens, 
cpie  l'on  connaîl  la  portée  reconnue 
par  Madame  Périer  à  cet  accident.  Et 
pourtant,  pour  ma  part,  je  continue 
d'admetlre  sa  grande  importance. 
On  sait  par  quels  à-coups  se  dé- 
cidait Pascal;  on  ne  peut  pas  nier 
([u'un  soir  de  novembre  1634  il  soit 
tombé  dans  une  sorte  de  ravissement, 
dans  une  magnifique  hallucination. 
Sur  un  tel  tempérament,  la  secousse 
du  })onl  de  Xeuillydut  être  féconde. 
Ce  n'est  point  d'une  façon  incidente 


^  126  ^ 

que  Ton  peut  aborder  cette  question, 
une  des  plus  belles  de  la  haute  cul- 
ture, mais  nous  sommes  autorisés  à 
comprendre  que,  sous  l'influence 
d'un  choc,  des  parties  de  nous-mêmes 
entrent  en  activité,  élaborent  des 
images  et  des  sentiments  que  nous  ne 
savions  pas  abriter  dans  nos  replis 
profonds. 

Au  reste,  de  quelque  manière  que 
l'esprit  d'humihté,  d'ascétisme  et  de 
solitude  soit  né  en  Pascal,  c'est  à 
Port-Royal-des-Ghamps  qu'il  le  sa- 
tisfit. A  trois  lieues  de  Versailles, 
dans  ce  vallon  légèrement  maréca- 
geux, où  l'on  distingue  une  sorte  de 


^  127  ^ 

dignité  morale,  des  sites  qui  n'ont 
pas  changé  encadrèrent  les  impres- 
sions de  Pascal,  des  impressions 
qu'ils  n'avaient  pas  créées,  certes, 
mais  qu'ils  surent  ne  point  lroul)ler. 

Il  faut  accepter  la  mort  môme  des 
choses.  Par  une  jolie  après-midi  de 
septembre,  j'ai  profité  de  la  maison 
de  Pascal  qu'on  commençait  à  démo- 
lir. J'ai  jeté  mon  cri  d'alarme.  Ayant 
satisfait  à  mon  devoir  de  lettré,  je 
n'avais  plus  qu'à  goûter  la  volupté  de 
A'oir  ce  t{ui  va  cesser.  Plaisir  appro- 
prié aux  couleurs  de  l'automne  ! 

Mais  si  quelqu'un  par  la  suite,  en  se 
l)romenant  à  Clermont,  veut  rcvei- 


^  128  ^ 

de  Pascal,  je  lui  signale  des  vestiges 
où  il  prendra  mieux  son  imagination 
qu'il  n'eût  fait  rue  des  Gras. 

Depuis  la  place  d'Espagne,  si  l'on 
se  tourne  vers  la  campagne  de  Cler- 
mont,  et  si  l'on  parvient  à  orienter 
son  regard  entre  des  constructions 
toutes  proches  qui  embarrassent  le 
panorama,  on  distingue,  à  deux  cents 
mètres  en  contre-bas,  une  vaste  mai- 
son couverte  de  tuiles  roses  et  fïan- 
c|uée  de  deux  pavillons.  C'est  Bien- 
Assis,  à  demi  ruiné  et  qu'on  traite 
encore  de  château  :  c'est  l'antique 
campagne  de  la  famille  Périer. 

J'y  suis  allé  par  un  soir  charmant. 


-4-  129  "^ 

Ces  terrains,  encore  peu  bâtis  et  qui 
furent  le  vaste  parc  du  château,  sont 
divisés  entre  des  jardiniers,  ama- 
teurs des  plus  beaux  tournesols.  Sous 
le  soleil  incliné,  les  têtes  de  ces 
plantes  venaient  par-dessus  les  pa- 
lissades, décorer  la  ruelle  que  je  sui- 
vis jusqu'à  une  belle  entrée  en  demi- 
lune,  flanquée  de  deux  pavillons  bas, 
délabrés  et  désaffectés.  Je  fis  vingt 
mètres  dans  cette  avenue  et,  fran- 
chissant des  restes  de  fossés, je  pé- 
nétrai par  un  joli  arceau  dans  une 
cour,  sur  le  côté  de  la  maison.  Ses 
deux  façades  régnent  sur  des  jardins 
où  su])siste   une   large   fontaine   en 


^  130  ^ 

pierre,  agréable  d'abondance  et  de 
vétusté. 

Je  visitai  le  tout  fort  indiscrète- 
ment. Je  vis  dans  la  maison  un  esca- 
lier de  style,  avec  des  peintures  dans 
le  ciel,  puis  de  l'intérieur,  je  passai 
de  plain-pied  sur  une  terrasse  qu'en- 
serrent les  deux  ailes.  Elle  domine  de 
huit  marches  les  jardins  et  prend  une 
belle  vue  sur  Glermont  qui,  tout  en 
face,  s'étend  et  allonge  sa  cathédrale 
aur  la  colline.' 

Ce  fut  assurément  la  plus  aimable 
des  propriétés,  bien  assise,  comme 
son  nom  le  dit,  avec  deux  étages  de 
sept  fenêtres  chacun  dans  le  corps 


-^  131  -s- 

principal,  et  de  trois  fenêtres  dans  les 
ailes.  Elles  sont  grillées  au  rez-de- 
chaussée.  Quant  au  jardin,  puisque 
c'est  déjà  la  Limagne,  vous  pensez 
s'il  dcA  ait  être  bon  fruitier. 

Peut-être  avez- vous  eu  l'occasion 
de  visiter  dans  l'Ouest,  près  de  Vi- 
tré, le  château  des  Rochers,  qui  garde 
tout  intact  un  des  décors  où  vécut 
Mme  de  Sévigné.  Les  choses  aident 
à  comprendre  les  esprits.  Bien-Assis 
n'eut  jamais  ce  grand  caractère  sei- 
gneurial, mais  c'était,  on  s'en  assure 
dès  l'abord,  bien  mieux  qu'une  maison 
bourgeoise  ;  les  Pascal,  les  Périer 
étaient  de  condition  et  d'état  recom- 


-^  132  ^ 

mandables,  plutôt  que  de  qualité,  et, 
faisaient  partie  du  haut  tiers-état. 
Florent  Perier,  fils  du  propriétaire  de 
cette  maison  et  mari  de  Gilberte  Pas- 
cal, était  conseiller  en  la  cour  des 
Aides,  à  Clermont,  où  son  beau-père, 
Etienne  Pascal,  le  père  de  Biaise,  avait 
été  second  président.  On  prend  ici 
sur  le  vif  les  mœurs  de  ces  ifamilles 
([ui  demeurent  l'honneur  de  notre 
société  française  et  d'incomparables 
modèles  pour  la  modération,  la  di- 
gnité, l'autorité  morale. 

Tandis  que  je  m'attardais  dans 
cette  maison  et  ces  jardins,  je  déran- 
geai des  jeunes  filles  qui  jouaient  au 


^  133  -< 

tonneau  et  qui  voulurent  bien  ne  pas 
s'étonner  immodérément  de  mon 
inventaire.  Elles  faisaient  figure  utile 
dans  le  paysage.  Je  pensais  que  le 
petit  Biaise,  malgré  son  sérieux  pré- 
coce, avait  dû,  par  une  même  soirée 
d'automne,  jouer  à  des  jeux  analo- 
gues, sur  ce  même  terrain,  devant  ce 
même  horizon,  avec  ses  sœurs,  Gil- 
berte,  Jacqueline  et  avec  les  enfants 
Périer. 

En  vérité,  peu  importe  qu'on  jette 
bas  la  maison  natale  de  la  rue  des 
Gras.  Mille  fois  transformée,  et  déjà 
amputée,  elle  n'a  rien  à  nous  dire  et 
n'intéresse  que  notre  excusable  féti- 


+-  134  ^ 

chisme.  C'est  chez  les  Périer,  dans 
cette  maison  fatiguée,  mais  toujours 
pareille  à  elle-même,  que  l'imagina- 
tion, même  la  plus  distraite,  sentira 
l'enfance  du  génie  dont  la  maturité 
demeure  attachée  au  vallon  intact  de 
Port-Royal. 


APPENDICE 


MEMORIAL 


DE 


BLAISE   PASCAL'' 


L'an  de  grâce  1654, 
luiidy  23  novembre,  jour  de  St-Clcmenl  pape  et  martir 

et  autres,  au  marlirologe, 
Veille  de  Sl-Chrysogone  marlir  et  autres, 
Depuis  environ  dix  heures  et  deniy  du  soir 
Jusques  environ  minuit  et  demy, 

Feu. 
«  Dieu  d'Abraham,  Dieu  d'isaac,  Dieu  de  Jacob, 

non  des  philosophes  et  des  scavans. 

Certitude,  Certitude,  Sentiment,  Joye,  Paix 
Dieu  de  Jesus-Chrisl. 
Dcani  nu'uni  et  Deuin  vestrani. 
«  Ton  Dieu  sera  mon  Dieu.  » 
Oubly  du  monde  et  de  tout,  hormis  Dieu. 

U)  Bibliothèque  Nationale.  Ms.  Fr.  9202.  Pensées  de  Pascal, 
fol.  D.  —  Une  reproduction  en  fac-similé,  de  ce  manuscrit,  a  été, 
publiée  en  1905,  par  M.  Léon  Brunschvicg  (Paris,  Hachette 
in-folio.)  Au  verso  du  fol.  D.  de  ce  document,  on  lit  ce  qui  suit: 
«  Je  soussigné,  Prestre,  chanoine  de  l'église  de  Clermont,  cer- 
tifie que  le  papier  de  l'autre  part  collé  sur  cette  feuille,  est  écrit 
de  la  main  de  M.  Pascal,  mon  oncle,  et  fut  trouvé  après  sa 
mort  cousu  dans  son  pourpoint,  sous  la  doubleure  avec  une 
bande  de  parchemin  où  étoient  écrits  les  mesmes  mots  et  en  la 
mesme  forme  qu'ils  sont  icy  copiez.  «  Fait  à  Paris,  ce  25  sepf're 
mil  sept  cent  onze.  Perier.   » 

9* 


^  138  ^ 

Il   ne   se    trouve    que    par   les    voyes    enseignées   dans 

l'Evangile. 

Grandeur  de  l'âme  humaine. 
«  Père  juste,  le  monde  ne  t'a  point  connu,  mais  je  t'ay 

connu.  » 
Joye,  joye,  joye,  pleurs  de  joye. 
Je  m'en  suis  séparé... 
Dereliquerunt  me  fontem  aqiiœ  vivœ. 
«  Mon  Dieu  me  quitterez-vous...  » 
Que  je  n'en  soyes  pas  séparé  éternellement. 
«  Cette  est  la  vie    éternelle,  qu'ils   te    connoissent  seul 

vray  Dieu,  et  celuy  que  tu  as  envoyé.  J.-G.  » 

Jesus-Christ 

Jesus-Ghrist 

Je- m'en  suis  séparé,  je  t'ay  fuy,  renoncé,  crucifié. 

Que  je  n'en  soyes  jamais  séparé... 

Il  ne  se   conserve    que  par    les   voyes    enseignées   dans 

l'Evangile. 
Renonciation  totale  et  douce. 

[Soumission  totale  à  Jesus-Christ  et  à  mon  directeur.] 
[Eternellement   en  joye  pour   un  jour  d'exercice  sur  la 

terre.] 
[Non  obliviscar  sermones  tuos.  Amen.]  (I). 


(1)  Les  dernières  lignes,  placées  entre  crochets,  ne  figurept 
pas  dans  l'original.  Elles  nous  ont  été  fournies  par  une  copie 
insérée  dans  le  même  manuscrit  des  Pensées  (fol.  E.)  et  qui 
porte  au  début  cette  note  marginale  :  «  C'est  icy  la  copie  figurée 
d'un  parchemin  trouvé  après  la  mort  de  M.  Pascal,  mon  oncle, 
écrit  de  sa  main,  et  cousu  dans  la  doublure  de  son  pourpoint. 
Perier,  Prestre  Chanoine,  de  lEglise  Cathédrale  de  Glermont.  » 
En  regard  de  la  dernière  phrase,  après  ces  mots  :  sermones 
tiios,  l'abbé  Perier  a  noté,  en  marge  :  «  On  n'a  pu  voir  distinc- 
tement que  certains  mots  de  ces  deux  lignes.  »     , 

{Note  des  Editew-s.) 


TABLE 


TABLE 


L  A.Î(GOISSE  DE  PASCAI 

LES  DEUX  MAISONS  DE  PASCAL      ,       .       . 

I.  LA  MAISON  NATALE  DE   LA  RUE  DBS  GRAS. 

II.  LE  CHÂTEAU  DE  BIEN-ASSIS 

APPENDICE  :  MEMORIAL  DE  BLAISE  PASCAL 


1 

97 

99 

118 

135 


CE    LIVRE,   LE    CINQUIEME    DE    LA 
COLLECTION    DES  «  VARIÉTÉS   LIT- 
TÉRAIRES   »,   A    ÉTÉ    ÉTABLI    PAR 
AD.    VAN     BEVER.    TIRÉ    A     MILLE 
SIX     CENT    DIX     EXEMPLAIRES,  SOIT    :  30   EX.     SUR 
VIEUX  JAPON  IMPÉRIAL  (DONT  8  HORS  COMMERCE), 
NUMÉROTÉS  DE   1    à  22   ET    DE    23    A    30;    30    EX. 
SUR  CHINE  (dont  2  HORS  COMMERCE),  NUMÉROTÉS 
DE  31    A  58    ET    DE  59    A  60  ;    ET    1550    EX.    SUR 
PAPIER   VÉLIN   DE  RIVES,    TEINTÉ  (dONT    50  HORS 

commerce),  numérotés   de   61  A   1560  et  de 
1561  A  1610,  le  présent  ouvrage  a  été  achevé 

d'iMPRIAIER,  ATOURS,  PAR  l'imprimerie  ARRAULT, 
LE XXV  janvier MCMX VIII.  LES  OR- 
NEMENTATIONS   TYPOGRAPHIQUES 
ONT    ÉTÉ    DESSINÉES  ET   GRAVÉES 
SUR    BOIS     PAR     PIERRE    VIBERT. 


4363 


^>   1903 

B27 


L'angoisse  de  Pascal 


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