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Full text of "La papauté et les Zouaves Pontificaux, quelques pages d'histoire"

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LA    PAPAUTE 


ET 


LES  ZOUAVES  PONTIFICAUX 


QUELQUES  PAGES  D'HISTOIRE 

^      £PAR 

C-E.  ROULEAU, 

CHEVALIER   DE   SAINT  GREGOIRE-LE-GRAND   ET   DE   PIE   IX 


QUÉBEC  : 
Imprimé  par  la  Cie  de  publication  "  Le  Soleil  " 

1905   - 


SA  SAINTETÉ  PIE  IX 


INTRODUCTION 


Nous  livrons  ce  travail  au  public  avec  le  ferme 
espoir  de  faire  connaître  davantage  la  grandeur  de 
la  Papauté  et  la  mission  du  Régiment  des  Zouaves 
Pontificaux. 

C'est  un  rapide  exposé  historique,  de  1860  à  1870, 
du  corps  militaire  auquel  nous  avons  eu  l'honneur 
et  le  bonheur  d'appartenir  ;  mais  nous  rappellerons 
auparavant  les  attaques  sans  cesse  renouvelées  de  la 
Révolution  contre  le  Saint-Siège,  afin  de  faire  ressor- 
tir avec  plus  de  clarté  la  nécessité  qu'il  y  avait  pour 
le  Pape  de  s'entourer  d'une  petite  armée  de  coura- 
geux défenseurs. 

Depuis  1848  jusqu'à  la  bataille  de  Mentana,  le  3 
novembre  1867,  ou  jusqu'au  commencement  de 
1868,  nous  avons  été  forcé  de  consulter  plusieurs 
historiens  et  de  leur  faire  des  emprunts  pour  donner 
un  aperçu  aussi  fidèle  que  possible  de  cette  période 
de  neuf  ans,  tour  à  tour  douloureuse  et  glorieuse 


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pour  la  Papauté.  A  partir  de  cette  célèbre  bataille, 
nous  entrons  pour  ainsi  dire  sur  un  domaine  que 
nous  avons  parcouru  nous-même  en  tous  sens.  C'est 
donc  comme  témoin  ou  comme  acteur  que  nous 
exposerons  les  principaux  événements  qui  ont  eu 
lieu  dans  les  Etats  de  l'Eglise,  pendant  nos  deux 
années  et  trois  mois  de  service  dans  le  Régiment 
des  Zouaves  Pontificaux. 

Nous  avons  l'intime  conviction  que  notre  popula- 
tion, si  franchement  catholique,  accueillera  favora- 
blement ces  quelques  pages  d'histoire  de  la  Papauté 
et  de  nos  croisés  modernes. 


LA  REVOLUTION  A  L'ŒUVRE 


En  1848,  la  Révolution  qui  menaçait  déjà  de 
saper  l'ordre  social  par  sa  base,  se  déchaîne  sur 
Rome.  Le  15  novembre,  le  comte  de  Rossi,  le  vail- 
lant soutien  de  la  Papauté  et  premier  ministre  du 
gouvernement  papal,  tombe  sous  le  poignard  des 
adeptes  du  carbonarisme — société  secrète  italienne. 
Le  lendemain,  une  foule  furieuse,  inspirée  par  Maz- 
zini,  assiège  le  palais  du  Quirinal,  où  Pie  IX  s'était 
réfugié  pour  échapper  au  glaive  des  assassins.  L'o- 
rage grandit  ;  on  essaie  d'incendier  le  Quirinal. 
Les  balles  pleuvent  ;  l'une  d'elles  tombe  dans  la 
chambre  où  le  Pape  priait  pour  ses  bourreaux,  et 
blesse  mortellement  Sa  Grandeur  Mgr  Palma.  Le 
Souverain-Pontife  se  croit  à  sa  dernière  heure,  lors- 
qu'une femme  courageuse,  la  comtesse  de  Spaur, 
forme  avec  son  mari,  le  duc  d'Harcourt,  le  projet  de 
sauver  le  roi  de  Rome.     L'héroïne  met  son  projet  à 


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exécution  et  le  24  au  soir,  Pie  IX,  déguisé,  monte 
dans  le  carosse  de  M.  d'Harcourt,  qui  le  transporte 
à^Gaète,  dans  le  royaume  de  Naples,  où  il  est  reçu  à 
bras  ouverts  par  le  roi  Ferdinand  II. 

Dans  son  exil,  le  Saint-Père  ne  cesse  de  protester 
contre  les  spoliations  de  la  révolution.  Il  lance  l'ex- 
communication contre  les  membres  de  la  Jeune  Italie 
et  contre  les  révolutionnaires,  qui  saccageaient 
Rome,  pillaient  les  églises  et  chassaient  les  religieux 
de  leurs  monastères.  L'iniquité  s'était  débordée  sur 
la  Ville  Sainte,  comme  un  torrent  dévastateur. 
Mazzini  poussa  même  l'impiété  et  le  cynisme  jus- 
qu'à parodier  le  Pape  en  montant  dans  la  loge  de 
la  basilique  Saint- Pierre,  où  le  Pontife  romain  donne 
la  bénédiction  urbi  et  orbi. 

L'Europe  s'émeut  enfin  de  tant  d'audace  et  de 
sacrilèges.  L'Espagne  offre  de  délivrer  Rome  du 
joug  des  vandales  de  1848.  L'Autriche  occupe  Fer- 
rare,  dans  le  Piémont.  Les  Napolitains  passent  la 
frontière  et  pénètrent  même  jusqu'à  Velletri,  à  dix 
lieues  de  Rome.  Mazzini,  le  chef  des  révolution- 
naires, veut  tenir  tête  à  l'Europe.  Tout  à  coup,  la 
France  se  réveille  ;  elle  prend  les  devants  et  débar- 
que des  troupes  à  Civita-Vecchia,  le  25  avril  1849. 
Napoléon  III  occupe  militairement  un  point  en 
Italie,  "  afin  de  garantir  l'intégrité  du   Piémont  et 


de  sauvegarder  les  intérêts  de  la  France  "  ;  mais  les 
catholiques  de  la  fille  aînée  de  l'Eglise  demandaient 
au  président  de  la  république  de  rétablir  le  Pape  sur 
son  trône  et  de  continuer  à  le  protéger  contre  les 
révolutionnaires.  Le  général  Oudinot  reçut  alors 
l'ordre  de  marcher  sur  Rome,  où  il  arriva  le  30  avril. 
L'armée  française  ayant  subi  un  échec,  le  général 
demanda  des  renforts,  qui  n'arrivèrent  qu'au  mois 
de  juin.  Le  22  du  même  mois,  l'armée  française 
donne  un  premier  assaut.  Le  29,  le  général  Oudinot 
s'empare  de  l'ancienne  ville  des  Césars,  et  le  colonel 
Niel  est  chargé  de  porter  les  clefs  de  Rome  à  Pie  IX, 
qui  se  trouvait  alors  à  Portici. 

Le  Souverain-Pontife,  ivre  de  joie,  reprend,  quel- 
ques mois  plus  tard,  le  chemin  de  Rome,  dans 
laquelle  il  fait  son  entrée  triomphale  le  12  avril  1850. 
Son  retour  fut  salué  par  des  salves  d'artillerie,  par 
le  son  de  toutes  les  cloches  de  la  ville  et  par  les  cris 
de  "  Vive  Pie  IX  !  Vive  notre  Saint-Père  !  "  Le 
peuple  romain  était  au  comble  du  bonheur. 

Les  révolutionnaires  ayant  été  chassés  de  Rome, 
l'Eglise  continua  de  gouverner  le  monde  catholique 
avec  sa  sollicitude  ordinaire  et  de  répandre  partout 
les  bienfaits  de  son  ardente  charité. 

L'occupation  de  Rome  par-  l'armée  française  pro- 
cura à  la  Papauté  une  ère  apparente  de  paix  et  de 


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tranquillité,  qui  dura  jusqu'en  1859,  alors  que  Victor- 
Emmanuel  annexa  les  Romagnes  au  Piémont,  tout 
en  protestant  de  sa  fidélité  et  de  son  dévouement  au 
Saint-Siège.  L'hypocrite  !  il  se  conduit  comme  un 
enfant  qui,  pour  prouver  son  amour  et  son  affection 
à  Fauteur  de  ses  jours,  lui  enlève  une  partie  de  ses 
biens.  La  France,  gouvernée  alors  par  Napoléon  III, 
laisse  commettre  ce  vol  sans  faire  entendre  aucune 
protestation.  "  Depuis  longtemps,  dit  un  écrivain 
français,  l'Etat  Pontifical  n'était  plus  organisé  de 
manière  à  faire  la  guerre.  Paternel  et  pacifique  par 
sa  nature,  ce  gouvernement  n'avait  pu  suivre  le 
développement  de  la  centralisation  et  des  armées  per- 
manentes, qui  livraient  désormais  l'Europe  aux  con- 
voitises de  quelques  grandes  puissances,  employant 
les  ressources  de  la  science  et  de  la  richesse  moder- 
nes à  accroître  leur  empire  aux  dépens  de  leurs  voi- 
sins. Du  moment  que  la  révolution  universelle  était 
libre  de  diriger  contre  Rome  toutes  les  forces  de 
l'Italie  et  qu'elle  agissait  avec  la  complicité  ou  du 
moins  avec  l'assentiment  de  la  France,  la  résistance 
pouvait  paraître  insensée. 

"  Aussi,  en  même  temps  que  les  Autrichiens 
s'étaient,  concentrés  sur  le  Mincio,  les  délégats  du 
Saint-Siège  s'étaient-ils  empressés  d'évacuer  les  Ro- 
magnes. Avant  même   qu'un  danger  sérieux  les  eût 


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menacés,  ils  abandonnèrent  Bologne,  Ravennes, 
Ferrare  et  jusqu'à  Pérouse  à  une  poignée  d'émeu- 
tiers  et  de  soldats  déguisés,  envoyés  parle  Piémont." 

"  Dans  un  moment  de  péril  semblable,  saint  Pie  V 
n'avait  pas  craint  de  confier  des  pouvoirs  illimités  au 
général  Marc- Antoine  Colonna,  qu'il  mit  à  la  tête  de 
ses  armées  et  qui  remporta  sur  les  Turcs  la  victoire 
décisive  de  Lépante.  Pie  IX  suivit  cet  exemple. 
Résolu  à  ne  pas  céder  sans  combat  la  couronne  qu'il 
avait  juré  de  transmettre  à  ses  successeurs,  abandonné 
des  grandes  puissances,  ne  pouvant  faire  appel  qu'au 
dévouement  individuel  de  ses  enfants,  il  lui  fallait 
avant  tout  un  chef  capable  de  porter  un  tel  fardeau 
et  d'organiser  la  résistance  avec  les  faibles  ressources 
que  présentait  l'Etat  pontifical,  et  avec  les  éléments 
quelque  peu  désordonnés  qui  viendraient  s'offrir  des 
quatre  coins  du  monde.  Il  choisit  pour  cette  mission 
le  généralde  La  Moricière." 

"  Mais  accepterait-il  ?  Général  illustre  entre  tous 
de  la  plus  brave  armée  du  monde,  consentirait-il  à 
devenir  soldat  du  Pape,  chef  d'une  armée  qui  n'exis- 
tait pas  et  qui  pouvait  être  condamnée  aux  plus  humi- 
liantes défaites  ?  Ministre  de  Cavaignac,  n'ayant  qu'à" 
demi  ratifié  l'expédition  de  1849,  dont  il  avait 
ensuite  refusé  le  commandement,  imbu  par  Tocque- 
ville   de  toutes  les  illusions  libérales  de   l'Europe, 


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irait-il  soutenir  un  pouvoir  qu'on  représentait  comme 
un  reste  de  l'ancien  régime,  tout  hérissé  d'abus  et 
d'imperfections,  et  qui  était  le  type  de  l'union  par- 
faite de  l'Eglise  et  de  l'Etat.  N'y  avait-il  pas  là,  au 
point  de  vue  de  sa  gloire,  un  sacrifice  au-dessus  de 
ses  forces,  au  point  de  vue  de  ses  idées  un  obstacle 
infranchissable  ?  " 

Il  fallait  donc  connaître  les  sentiments  du  général 
La  Moricière.  Pie  IX  chargea  de  cette  mission  déli- 
cate M.  de  Corcelles,  ambassadeur  français  à  Rome 
en  1849,  et  ami  dévoué  de  la  Papauté.  Le  messager 
papal  rencontra  le  général  à  Paris,  au  mois  d'octo- 
bre 1859,  et  lui  demanda,  dans  le  cours  de  la  con- 
versation, ce  qu'il  pensait  du  commandement  de 
l'armée  du  Pape.  "  Je  pense,  répondit-il,  que  c'est 
une  cause  pour  laquelle  je  serais  heureux  de  mourir." , 

Cette  noble  réponse  fut  aussitôt  communiquée  au 
Souverain  Pontife,  dont  le  cœur  fut  rempli  de  joie  à 
la  pensée  d'avoir  bientôt  à  la  tête  de  sa  petite  troupe 
le  plus  grand  guerrier  des  temps  modernes.  Mgr 
de  Mérode,  ancien  capitaine  belge  qui  avait  servi 
dans  l' état-major  de  LaMoricière  en  Afrique,  reçut 
instruction  d'aller  demander  immédiatement  et  offi- 
ciellement, le  secours  de  l'épée  du  nouveau  Bayard 
français  ;  il  arriva,  le  3  mars  1860,  au  château  de 
Prouzel,  où  il  s'acquitta  de   la  mission  qu'il  avait 


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reçue  de  Pie  IX.  Le  général  répondit  à  l'envoyé  du 
Pape  :  "  Quand  un  père  appelle  son  fils  pour  le 
défendre,  il  n'y  a  qu'une  chose  à  faire,  y  aller."  Mme 
LaMoricière,  femme  chrétienne  et  courageuse,  répon- 
dit aussi  à  Mgr  de  Mérode  :  "  On  ne  discute  pas 
l'appel  d'un  père." 

Le  général  LaMoricière  fit  ses  préparatifs  de  voya- 
ge à  la  hâte  et  partit,  le  19  mars,  pour  la  ville  des 
Papes,  où  il  arriva  dans  la  nuit  du  1er  au  2  avril. 
Sa  Sainteté  Pie  IX  pressa  sur  son  cœur  le  comman- 
dant en  chef  de  l'armée  papale  et  le  fondateur  du 
Régiment  des  Zouaves  Pontificaux. 


LE  GENERAL  LA  M0R1CIERE 


LE  GENERAL  LAMORICIERE 


Avant  d'aller  plus  loin,  il  importe  de  faire  con- 
naître le  père  ou  le  créateur  d'un  corps  militaire  qui 
a  joué  un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  de  la  Papauté 
ou  de  l'Eglise  catholique  pendant  une  période  de  dix 
années.  Nous  allons  donc  vous  présenter .  immédia- 
tement une  courte  biographie  du  général  LaMori- 
cière. 

Louis-Christophe-Léon  de  La  Moricière  descendait 
d'une  ancienne  et  noble  famille,  qui  avait  pris  pour 
devise  :  "  Spes  mea  Deus.  Mon  espoir,  c'est  Dieu."  Il 
naquit  à  Nantes,  le  5  février  1805.  Son  grand-père 
servit  d'abord  dans  les  mousquetaires  du  roi,  et  après 
la  mort  de  Louis  XVI,  il  rejoignit  l'armée  de  Condé 
avec  ses  deux  fils.  Il  y  mourut,  ainsi  que  son  fils 
aîné  ;  et  son  second  fils,  nommé  Sylvestre,  âgé  à  peine 
de  seize  ans,  émigrait  en  Angleterre.  A  son  retour 
en  France,  Sylvestre  de  La  Moricière,  s'enrôla  dans 
l'armée  du  général  de  Charette,  l'illustre  chef  monar- 


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chiste  de  la  Vendée,  et,  la  révolution  terminée,  il 
épousa  Mlle  de  Robineau  de  Bougon,  dont  la  famille 
avait  embrassé  les  principes  de  89,  mais  qui  sut 
cependant  conserver  la  foi  religieuse  et  sauver  un 
grand  nombre  de  prêtres  pendant  le  règne  de  la 
Terreur.  C'est  de  ce  mariage  que  naquit  Léon,  qui 
fut  plus  tard  le  général  La  Moricière. 

Léon  de  La  Moricière  perdit  son  père  en  1821, 
alors  qu'il  n'avait  que  15  ans.  Doué  d'un  amour 
passionné  pour  l'étude,  d'une  intelligence  supérieure 
et  d'un  courage  chevaleresque,  il  sut  vaincre  toutes 
les  difficultés  qui  se  présentaient  sur  son  chemin  et 
se  fraya,  «en  peu  d'années,  une  brillante  carrière  mili- 
taire. Après  avoir  fait  ses  études  classiques  à  Nantes, 
il  entra  à  l'Ecole  Polytechnique,  puis  il  passa  à 
l'école  d'artillerie  de  Metz,  pour  aller  de  là  à  Mont- 
pellier comme  sous-lieutenant  du  génie. 

La  France'  ayant  déclaré  la  guerre  à  l'Algérie,  le 
général  de  Clermont-Tonnerre  chargea  le  comte  de 
Bourmont  du  commandement  du  corps  d'armée 
expéditionnaire.  La  Moricière  faisait  partie  de  cette 
expédition  comme  officier  du  génie.  Le  4  juillet 
1830,  l'armée  française,  comprenant  40.000  hommes 
commençait  le  siège  d'Alger.  Cette  ville  capitula 
après   dix  heures  de  combat,    et   La  Moricière   fut 


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choisi  pour  arborer  le  drapeau  blanc  de  la  France 
sur  la  capitale  de  l'Algérie. 

Pendant  que  l'armée  française  remportait  une  si 
grande  victoire  en  Afrique,  Charles  X  était  chassé  de 
son  trône  et  remplacé  par  Louis-Philippe,  duc  d'Or- 
léans. 

Ce  changement  d'allégeance  força  le  général  de 
Bourmont  à  donner  sa  démission  ;  plusieurs  officiers 
imitèrent  son  exemple  et  brisèrent  leur  épée  pour 
rester  fidèles  au  roi  exilé  et  à  la  monarchie  légitime. 
La  Moricière  resta  au  service  de  la  France. 

Le  général  Clausel,  le  successeur  de  M.  de  Bour- 
mont, arriva  à  Alger  le  2  septembre.  Son  premier 
soin,  d'après  les  conseils  du  jeune  La  Moricière,  fut 
de  créer  un  corps  de  troupes  composé  d'indigènes  et 
de  Français,  et  qui  prit  le  nom  de  Zouaves.  Le  mot 
zouave  est  emprunté  de  la  tribu  qui  a  fourni  d'abord 
le  plus  grand  nombre  de  soldats  à  ce  régiment.  La 
Moricière  fut  nommé  capitaine  de  cette  troupe  d'élite  ; 
il  avait  alors  24  ans. 

Voici  ce  que  Mgr  Dupanloup  dit  du  régiment  des 
Zouaves  : 

"  Les  Zouaves,  c'est  La  Moricière  qui  les  forma. 

Placé  à  leur  tête  au  moment  même  de  leur  création, 

c'est  lui  qui  contribua  plus  que  tout  autre  à  leur 

donner  l'esprit  militaire  qui  les  distingua,  à  les  faire 
2 


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ce  qu'ils  sont  ;  et  il  les  fit,  pour  ainsi  dire,  à  son 
image,  du  moins  en  ce  qu'ils  ont  de  chevaleresque 
et  de  français." 

C'est  avec  cette  troupe  que  La  Moricière  remporta 
de  si  brillantes  victoires  en  Algérie  contre  le  célèbre 
émir  Abd-el-Kader,  qui  prétendait  descendre  de 
Fatma,  fille  oie  Mahomet,  et  qui  avait  su  conquérir 
l'estime  et  la  vénération  des  musulmans  par  son 
prestige,  ses  aptitudes  militaires  et  sa  vie  d'austérité 
exemplaire. 

La  Moricière  se  distingua  à  la  prise  de  Mascara, 
où  il  reçut  le  brevet  de  lieutenant-colonel. 

Le  13  octobre  1837,  Constantine,  capitale  de  la 
province  d'Oran,  tomba  au  pouvoir  des  Français  ; 
mais  ce  fut  encore  La  Moricière  qui  se  signala  le  plus 
par  sa  bravoure,  en  cette  journée  mémorable.  La 
forteresse,  construite  sur  des  rochers  élevés  et  escar- 
pés, semblait  inaccessible  et  imprenable.  Arrivés  à 
300  pieds  environ  des  remparts,  les  Français  s'arrê- 
tent et  hésitent.  Aussitôt  La  Moricière  de  s'écrier  : 
"  Mes  zouaves,  à  vous  !  Debout  !  au  trot,  marche  !" 
Et,  au  milieu  d'une  fusillade  des  plus  terribles,  il 
s'élance,  monte  sur  le  rempart  et  arbore  le  drapeau 
français.  Une  explosion  se  fait  entendre  ;  c'est  le 
magasin  de  poudre  qui  vient  de  sauter.  La  Mori- 
cière est  enseveli  sous  les  décombres  ;  les  zouaves  le 


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retirent  ;  il  a  les  yeux,  le  visage  et  les  mains  brûlés; 
il  se  croyait  aveugle.  Ses  soldats  entourent  sa  tente 
et  déposent  sur  son  lit  le  drapeau  rouge  à  l'épée 
flamboyante  pris  sur  la  citadelle.  Le  duc  de  Nemours 
lui  envoie  le  brevet  de  colonel  et  un  superbe  pisto- 
let d'honneur.  On  lui  décerne  le  glorieux  titre  de 
Vainqueur  de  Comtantine. 

Une  fois  rétabli,  La  Moricière  se  mit  à  faire  la 
chasse  à  Abd-el-Kader  partout  où  l'illustre  chef  des 
Arabes  portait  ses  pas.  Il  rejoignit  sa  tribu  ou  sa 
smala  près  des  sources  de  Tagguin,  et,  aidé  du  duc 
d'Aumale,  il  tua  300  guerriers  arabes  et  en  fit  3000 
prisonniers.  Abd-el-Kader  s'enfuit  au  Maroc.  Le 
duc  d'Aumale  et  La  Moricière,  en  récompense  de 
leurs  services  signalés,  sont  nommés  généraux  de 
division,  et  le  général  en  chef  Bugeaud  est  promu 
au  grade  de  maréchal. 

Le  duc  d'Aumale,  devenu  gouverneur  général  de 
l'Algérie,  continua  la  chasse  à  Abd-el-Kader,  qui 
avait  reparu  aux  environs  de  Mascara  ;  mais  pour- 
suivi vigoureusement  par  le  général  La  Moricière, 
Abd-el-Kader  prend  la  résolution  de  se  réfugier  au 
Sahara,  lorsqu'il  est  cerné  par  les  troupes  de  La 
Moricière.  Obligé  de  se  rendre,  l'émir  ne  consent  à 
remettre  son  épée  qu'entre  les  mains  du  héros  de 
Constantine.     La  capture  du  chef  arabe  eut  lieu  le 


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23  septembre  1847.  Ce  fut  le  dernier  acte  de  la  car- 
rière militaire  du  général  La  Moricière  en  Afrique. 

La  Moricière  fut  ensuite,  successivement,  ministre 
de  la  guerre,  sous  Cavaignac,  et  ambassadeur  en 
Russie.  Dans  la  nuit  du  2  décembre  1850,  La  Mori- 
cière, qui  portait  ombrage  à  Napoléon  III  à  cause 
de  ses  principes  politiques  et  de  son  prestige,  fut 
arrêté  à  Paris,  jeté  en  prison  à  Ham  et  exilé  ensuite 
à  Bruxelles,  où  il  demeura  pendant  dix  ans.  .C'est 
au  retour  de  son  exil  qu'il  fut  choisi  par  Pie  IX  pour 
être  le  commandant  en  chef  de  l'armée  papale. 

Le  général  La  Moricière  avait  épousé,  le  27  avril 
1847,  Mlle  Gaillard  de  Ferré  d' Auberville.  Elle  était 
la  petite-fille  de  la  marquise  de  Montagu  et  par  là 
se  rattachait  à  la  maison  de  Noailles  qui,  dans  la 
journée  du  22  juillet  1794,  vit  périr  sur  l'échafaud 
la  duchesse  de  Noailles,  sa  fille  la  duchesse  d'Ayen, 
et  sa  pètite-fille  la  vicomtesse  de  Noailles. 

Mme  La  Moricière  est  morte  à  Paris,  au  mois  de 
mai  dernier,  à  l'âge  de  79  ans. 

Pie  IX  avait  fait  Mme  La  Moricienne  patricienne 
romaine. 


CASTELFIDARDO-LAMORICIERE 
DE  CHARETTEDE 
LES  FRANCO-BELCES 


En  1859,  Victor-Emmanuel  avait  enlevé  les  Ro- 
magnes  aux  Etats  de  l'Eglise  ;  mais  la  révolution 
n'était  pas  encore  satisfaite — l'enfer  n'est  jamais  ras- 
sasié. La  Révolution  pousse  le  roi  larron  plus  loin 
dans  la  voie  de  l'iniquité  ;  elle  veut  les  Marches  et 
l'Ombrie.  Victor-Emmanuel  se  rend  à  son  désir  ;  il 
écrit  au  Saint-Père  de  céder  au  Piémont  ses  deux 
plus  belles  provinces,  et  cela,  pour  le  plus  grand 
bien  de  l'Eglise  ! 

Le  fourbe  !  il  va  même  jusqu'à  protester  de  son 
attachement  à  l'Eglise  et  à  demander  au  Pape  la 
bénédiction  apostolique. 

Quelques  jours  plus  tard,  en  septembre  1860,  sans 
aucune  déclaration  de  guerre,  l'armée  piémontaise, 
sous  le  commandement  de  Cialdini,  envahit  le  terri- 


—  22  — 

toire  de  l'Eglise.  Voici  l'ordre  du  jour  que  le  géné- 
ral Piémontais  adressa  à  ses  troupes  avant  de  fran- 
chir la  frontière  : 

"  Soldats,  je  vous  conduis  contre  une  bande  d'a- 
venturiers que  la  soif  de  l'or  et  du  pillage  a  amenés 
dans  votre  pays.  Combattez,  dispersez  inexorable- 
ment ces  misérables  sicaires  ;  que,  par  votre  main, 
ils  sentent  la  force  et  la  colère  d'un  peuple  qui  veut 
son  indépendance.  Soldats  !  Pêrouse  demande  ven- 
geance, et  bien  qu'il  soit  tard,  elle  l'aura  !" 

Cialdini,  ton  nom  figurera  toujours  dans  l'his- 
toire impartiale,  non  couvert  de  gloire  et  d'honneur, 
mais  de  honte  et  d'opprobre. 

C'est  là  un  échantillon  des  invectives  et  des  infa- 
mies dont  les  défenseurs  du  Pape  ont  été  l'objet  de 
la  part  des  coryphées  de  la  révolution  ou  des  prin- 
cipaux dignitaires  des  loges  maçonniques. 

Le  général  La  Moricière  qui,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  venait  d'organiser  la  petite  armée  pontificale, 
avec  le  concours  de  Mgr  de  Mérode,  s'empressa  de 
voler  au-devant  des  Piémontais  qu'il  rencontra  près 
de  Castelfidardo,  le  18  septembre. 

Le  célèbre  général  français  fut  rejoint  par  le  géné- 
ral de  Pimodan  à  la  tête  de  2000  soldats  ;  ce  qui 
porta  l'effectif  de  l'armée  du  Pape  à  5000  hommes. 
Cialdini  commandait  45,000  guerriers.   Malgré  cette 


énorme  différence  dans  la  force  numérique  des  deux 
armées,  La  Moricière  n'hésita  pas  cependant  à  faire 
face  à  l'envahisseur.  La  petite  division  commandée 
par  M.  de  Pimodan,  et  dans  laquelle  figurait  avec 
honneur  le  corps  des  300  franco-belges  qui  devint 
plus  tard  le  régiment  des  Zouaves  Pontificaux,  fit 
des  prodiges  de  valeur.  Pendant  trois  heures,  cette 
poignée  de  braves  tint  en  échec  toute  une  division 
piêmontaise,  en  se  barricadant  dans  la  ferme  Cro- 
cette,  qu'ils  avaient  enlevée  à  l'ennemi  à  la  pointe  de 
la  baïonnette.  Ces  vaillants  défenseurs  de  la  Papauté 
s'étaient  confessés  et  avaient  reçu  la  sainte  commu- 
nion avant  le  combat  ;  ils  possédaient  Dieu  dans 
leur  cœur  ;  le  champ  de  bataille  fut  couvert  de  leur 
sang  généreux  et  pur.  Parmi  ces  illustres  martyrs 
de  la  foi,  nous  trouvons  le  général  de  Pimodan  et 
cent  à  cent  cinquante  franco-belges.  Avant  le  com- 
bat, le  valeureux  capitaine  français  s'était  contenté 
de  dire  aux  zouaves  :  "  Souvenez-vous  que  vous  êtes 
catholiques  et  Français."  Il  reçut  trois  blessures 
coup  sur  coup,  et  à  chaque  balle  qui  lui  entrait  dans 
le  corps,  il  répétait  :  "Dieu  est  avec  nous."  Il  mou- 
rut le  lendemain. 

En  apprenant  le  glorieux  trépas  de  son  mari, 
Madame  de  Pimodan,  qui  était  restée  en  France,  prit 
son  fils  unique  dans  ses  bras  et  le  couvrit  de  baisers 


—  24  — 

en  lui  disant  :  "  Toi  aussi,  tu  seras  soldat  du  Pape." 
Il  n'y  a  que  l'amour  chrétien  qui  puisse  allier  ainsi 
la  sublimité  à  l'héroïsme. 

Ecrasée  par  le  nombre  et  amoindrie  par  la  défec- 
tion de  deux  bataillons  des  chasseurs  et  du  premier 
escadron  des  Dragons  qui  furent  pris  de  panique, 
malgré  les  efforts  des  colonels  Allet  et.  Cropt  et  du 
major  Odescalchi,  la  petite  armée  pontificale  dut 
battre  en  retraite.  Quatre  cents  hommes  environ, 
conduits  par  La  Moricière,  se  replièrent  sur  Ancône. 
Les  Franco -Belges  et  le  reste  de  la  troupe  papale  se 
réfugièrent  à  Lorette,  où  ils  durent  déposer  les  armes, 
le  soir  même,  après  avoir  pris  l'engagement  de  ne  pas 
servir  dans  l'armée  du  Pape  pendant  un  an  et  de 
retourner  dans  leur  pays.  Les  Franco-Belges  refu- 
sèrent de  souscrire  à  cet  engagement  et  s'enfuirent 
dans  les  montagnes  ;  plusieurs  d'entre  eux  purent 
atteindre  Ancône  à  la  faveur  des  ténèbres. 

Castelfidardo  !  si  tu  nous  remets  à  la  mémoire  de 
bien  tristes  souvenirs,  tu  nous  rappelles  en  même 
temps  le  nom  d'un  grand  capitaine,  qui  a  étonné  ses 
chefs  par  ses  valeureux  exploits,  et  frappé  d'admira- 
tion l'armée  de  Cialdini.  Ce  capitaine,  tout  le  monde 
le  connaît,  c'est  le  baron  de  Charette,  que  nous  avons 
été  si  heureux  de  recevoir  dans  nos  murs  lors  de  la 
célébration  de  notre  fête  nationale  en  1882. 


—  28  — 

Pendant  que  les  balles  pleuvent  et  que  les  obus 
sillonnent  l'air  en  tous  sens  et  sèment  la  terreur  et 
la  mort  sur  le  champ  de  bataille,  le  capitaine  de 
Charette,  du  corps  de  Franco-Belges,  encourage  ses 
soldats  de  la  parole  et  de  l'exemple.  Son  épée  ne  cesse 
de  frapper,  et  tous  les  coups  qu'elle  porte  sont  mortels. 

Au  lieu  de  reculer  devant  le  nombre,  il  s'avance  ; 
il  s'avance  toujours,  jusqu'à  ce  qu'il  soit  sur  le  front 
de  bandière  de  l'armée  ennemie.  Là,  il  s'arrête,  il 
promène  un  regard  de  défi  et  de  dédain  sur  ses 
adversaires,  il  les  invite,  il  les  provoque  à  se  mesurer 
avec  lui  :  mais  personne  ne  bouge.  Il  brandit  son 
épée  avec  colère  et  traite  les  Piémontais  de  lâches  et 
de  poltrons.  Cette  dernière  apostrophe  produit  son 
effet.  Un  officier  piémontais,  ayant  nom  Tromboni, 
sort  des  rangs  et  accepte  le  combat.  Les  deux  armées 
s'arrêtent  un  moment  pour  contempler  les  deux 
athlètes. 

Les  épées  se  croisent,  et  deux  fois  Tromboni  est 
touché  et  puis  blessé  grièvement.  De  Charette  ne 
reçoit  aucune  blessure.  "  Capitaine,  s'écrie  le  vaincu, 
je  vous  rends  mon  épée." 

— Il  est  mon  prisonnier,  dit  de  Charette  à  ses 
zouaves,  ayez-en  bien  soin. 

Les  Franco-Belges  ou  les  zouaves,  ivres  de  joie, 
acclament  leur  capitaine  et  le  portent  en  triomphe. 


—  26  — 

Les  Piémontais  courbent  la  tête  cte  honte  et  de 
dépit.  Cialdini  écume  de  rage. 

Le  combat  reprend  plus  acharné  et  plus  meurtrier. 
Malgré  ses  prouesses,  le  corps  des  Franco-Belges  est 
presque  anéanti,  et  de  Charette  reçoit  deux  balles 
dans  le  corps.  C'était  la  fin  de  cette  sanglante  tra- 
gédie. 

Le  baron  de  Charette  venait  de  se  montrer  ce  qu'il 
a  toujours  été  :  un  héros  sans  peur  et  sans  reproche  ; 
mais  ce  n'est  pas  la  dernière  fois  qu'il  sera  donné  à 
l'armée  pontificale  d'admirer  sa  bravoure  et  ses 
glorieux  exploits.  Voilà  comment  se  bat  le  soldat  qui 
aime  son  Dieu  et  le  Pape. 

Ancône,  défendue  par  5.200  soldats  pontificaux 
environ  et  assiégée  par  45.000  hommes,  400  bouches 
à  feu  et  une  flotte  armée  de  canons  rayés,  capitula  le 
28  septembre,  après  un  siège  de  dix  jours  et  des 
assauts  meurtriers  sans  cesse  renouvelés.  Ce  fut  avec 
la  plus  cruelle  douleur  que  le  général  La  Moricière 
donna  l'ordre  d'arborer  le  drapeau  blanc  sur  la  cita- 
delle ;  on  peut  en  juger  par  les  paroles  suivantes  du 
major  de  Quatrebarbes,  gouverneur  de  la  ville  : 

"  J'étais  monté  à  la  citadelle  où  je  trouvai  le 
général  se  promenant  seul  dans  la  casemate.  Les 
officiers  de  l' état-major  respectaient  son  silence.  De 
temps  en  temps,  il  s'arrêtait,  ses  épais  sourcils  se  con- 


—  27  — 

tractaient,  et  ses  yeux  noirs  lançaient  des  éclairs. 
Dieu  seul  sait  la  lutte  qui  se  passait  alors  dans  son 
cœur. 

"  Sur  combien  d'hommes  puis-je  compter,  si  la 
capitulation  n'est  pas  acceptée  ?  me  dit-il  en  m'a- 
percevant. — Sur  mille  ou  douze  cents  hommes,  mon 
Général. — C'est  assez  pour  le  camp  retranché  et  pour 
la  citadelle,  et  nous  pourrions,  en  abandonnant  la 
ville,  prolonger  au  besoin  la  défense  de  quarante- 
huit  heures.  Ce  serait  mon  devoir,  si  nous  avions 
seulement  une  vague  espérance  de  secours .  . .  Au- 
jourd'hui, ce  serait  un  suicide  inutile. 

"  Je  regardais  avec  une  profonde  émotion  ce  glo- 
rieux et  loyal  soldat,  ce  vainqueur  d'Abd-el-Kader 
et  des  Arabes,  qui  n'avait  jamais  connu  la  défaite, 
cet  héroïque  défenseur  de  la  société  et  de  la  civilisa- 
tion chrétienne  aujourd'hui  vaincu,  prisonnier  de 
guerre,  à  la  merci  d'un  ennemi  obscur  qui  ne  doit 
ses  succès  qu'au  nombre  et  à  la  perfidie." 

Oui,  M.  de  Quatrebarles  avait  raison  de  se  servir 
de  l'expression  de  perfidie  en  parlant  de  la  France  ; 
car  la  fille  aînée  de  l'Eglise,  entraînée  dans  la  voie 
de  l'iniquité  et  de  la  trahison  par  l'empereur  Napo- 
léon III,  abandonna  alors  le  successeur  de  Pierre  à 
la  fureur  de  ses  ennemis  et  laissa  consommer  la 
trame  ourdie  quelques  jours  auparavant  par  le  roi. 


—  28  — 

d'Italie  et  l'empereur  des  Français.    L'histoire  nous 
en  fournit  des  preuves  incontestables. 

Le  11  septembre,  le  consul  de  France  à  Ancône, 
reçut  de  M.  de  Gramont,  ambassadeur  à  Rome,  la 
dépêche  suivante  :  "  L'empereur  a  écrit  de  Marseille 
au  roi  de  Sardaigne  que,  si  les  troupes  piémontaises 
pénètrent  sur  le  territoire  pontifical,  il  sera  forcé  de 
s'y  opposer.  Des  ordres  sont  déjà  donnés  pour  em- 
barquer des  troupes  à  Toulon,  et  ces  renforts  doivent 
arriver  sans  retard.  Le  gouvernement  de  l'Empereur 
ne  tolérera  pas  la  coupable  agression  du  gouverne- 
ment Sarde. .." 

Jamais  homme  n'a  affublé  le  manteau  de  la  four- 
berie avec  autant  d'aisance  que  l'empereur  Napo- 
léon III.  En  effet,  la  vérité  ne  tarda  pas  à  se  faire 
jour.  Après  avoir  pris  connaissance  de  cette  dépêche, 
M.  de  Quatrebarbes  donna  l'ordre  à  un  employé  du 
consulat  français  d'aller  communiquer  cet  important 
document  au  général  Caldini,  commandant  en  chef 
de  l'armée  piémontaise,  et  de  le  prier  de  cesser  les 
hostilités.  "  Calmez-vous,  répondit-il  à  l'envoyé  fran- 
çais ;  nous  avons  vu,  il  y  a  quinze  jours,  votre  Em- 
pereur à  Chambêry,  et  nous  savons  à  quoi  nous  en 
tenir." 

Cet  aveu  du  général  Cialdini  ne  laisse  aucun  doute 
sur  les  dispositions  de  l'empereur  des  Français  à 


—  29  — 

l'égard  du  chef  de  l'Eglise  catholique.  Comme  Judas 
il  l'avait  vendu  au  roi  de  la  Sardaigne.  Du  reste, 
les  documents  officiels,  publiés  par  le  gouvernement 
français,  prouvent  que  Napoléon  III  rencontra  Cial- 
dini  à  Chambéry'  et  qu'il  l'autorisa  à  envahir  les 
Etats  de  l'Eglise,  en  lui  disant  :  "  Faites  vite,  "  et  à 
écraser  La  Moricière  avant  qu'il  ait  eu  le  temps  d'or- 
ganiser l'armée  pontificale.  C'est  en  conséquence  de 
ce  complot  infâme  que  fut  décidé  le  guet-apens  de 
Castelfidardo.  Pour  sauver  les  apparences  et  con- 
server l'amitié  des  catholiques  français,  Napoléon 
feignit  d'exercer  une  fausse  protection  sur  Rome,  et 
pour  cela  il  donna  l'ordre  de  lui  envoyer  du  renfort, 
mais  seulement  après  que  La  Moricière,  son  ennemi 
personnel,  aurait  été  vaincu  et  mis  dans  l'impossi- 
bilité de  lui  nuire  dans  l'accomplissement  de  ses 
projets  anti-chrétiens.  Sachant  que  tous  ces  atten- 
tats ne  manqueraient  pas  d'éveiller  l'opinion  publi- 
que en  France  et  de  lui  attirer  des  reproches  bien 
mérités,  Napoléon  III  eut  recours  à  la  fourberie  pour 
dissimuler  sa  complicité  avec  les  révolutionnaires  et 
les  spoliateurs  des  Etats  Pontificaux  :  au  moment 
même  où  les  Piémontais  mettaient  le  pied  sur  le 
territoire  papal,  il  partait  pour  l'Algérie,  où  il  vou- 
lait, disait-il,  fonder  un  royaume  arabe.  Et  quel- 
ques jours  plus  tard,  l'iniquité  était  consommée. 


—  30  — 

C'est  en  présence  de  tous  ces  faits  incontestables 
et  incontestés  que  Son  Eminence  le  cardinal  Pie, 
évêque  de  Poitiers,  s'écria  un  jour,  en  parlant  de 
l'empereur  des  Français  :  "Lave  tes  mains,  ô  Pilate!" 

Mais,  ne  l'oublions  pas,  la  divine  Providence  ne 
laisse  jamais  le  crime  impuni.  En  effet,  dix  ans  après, 
Napoléon  III  était  fait  prisonnier  à  Sedan  et  allait 
mourir  sur  une  terre  étrangère,  tandis  que  la  France 
perdait  l'Alsace  et  la  Lorraine.  Le  traître  est  disparu; 
mais  la  Papauté  vit  encore  et  vivra  jusqu'à  la  con- 
sommation des  siècles. 

Permettez-nous  de  citer  quelques  paroles  que  le 
général  de  Charette  prononçait  sur  la  bataille  de  Cas- 
telfidardo,  en  1885,  aux  noces  d'argent  de  notre 
régiment  : 

"  Le  17,  nous  bivaquions  au-dessus  de  Lorette,  et 
le  18  nous  recevions,  à  Castelfldardo,  le  baptême  du 
feu.  "  La  veille,  le  commandant  de  Becdelièvre  nous 
réunit  :  "  Messieurs,  dit-il,  demain,  vous  allez  voir 
le  feu  pour  la  première  fois  ;  afin  d'être  sûrs  de 
faire  honneur  à  votre  uniforme,  passez  au  confes- 
sionnal, j'en  sors." 

"Je  ne  vous  raconterai  pas  la  bataille  de  Castel- 
fldardo ;  je  rappellerai  seulement  l'ordre  du  jour  du 
commandant   de   Becdelièvre  :  "  Nommez-les  tous, 


—  31  — 

ou  ne  nommez  personne,  car  tous  ont  fait  leur 
devoir." 

"  Une  centaine  de  volontaires  n'avaient  pu  re- 
joindre le  bataillon  à  Terni,  sous  les  ordres  du 
colonel  de  Mortiîlet,  de  MM.  de  Saisy  et  Thomalé, 
ils  firent  une  pointe  sur  Monte  Corvo.  Quelques 
zouaves,  après  la  bataille,  rejoignirent  Ancône  :  un 
seul  revint  à  Rome  avec  armes  et  bagages,  il  s'ap- 
pelle Rouleau. — C'était  un  Vendéen  ! 

"  A  Castelfidardo,  ce  sont  des  enfants  comme 
d'Héliand  qui  tombent  !  Sa  mère,  apprenant  sa 
mort,  chante  le  Te  Deum. 

"  Cs  sont  là  de  vieux  zouaves  d'Afrique,  c'est 
Colombeau  qui  meurt  en  criant  :  "  Vive  la  France  !" 
C'est  un  saint  comme  Guérin,  dont  le  cercueil,  oublié 
dans  une  gare  en  Autriche,  est  enfin  rapporté  à 
Nantes  en  triomphe,  et  opère  des  miracles..." 


LE  GENERAL   KANZLER 


UNE  GUERISON  MIRACULEUSE 


Nous  interrompons,  un  moment,  notre  récit  histo- 
rique pour  mentionner  la  guérison  miraculeuse  d'un 
officier  italien,  racontée  par  le  sergent-major  Wibaud, 
zouave  pontifical  et  ensuite  jésuite,  et  attribuée  à 
l'intercession  du  saint  du  régiment  : 

"  Le  jeune  officier  italien  dont  il  s'agit  se  nomme 
Stanislas  Garroni  ;  il  a  vingt-doux  ans.  A  Castelfi- 
dardo,  il  se  battit  bien  et  montra  qu'il  n'y  a  pas  de 
nationalité  pour  la  vaillance,  quand  elle  est  inspirée 
par  l'amour  du  Pape  et  du  droit.  Blessé  très  griève- 
ment à  la  hanche,  il  se  trouva  couché  à  Macerata, 
sur  une  mauvaise  paillasse,  près  du  capitaine  de 
Charette.  Depuis  cette  époque,  il  fut  toujours  souf- 
frant. Il  y  a  trois  semaines  environ,  il  fut  pris  d'une 
fièvre  très  violente  qui  ne  tarda  pas  à  se  porter  au 
cerveau,  et  le  mit  à  toute  extrémité.  Déjà  il  avait 
reçu  le  saint  Viatique  et  fait  à  Dieu  le  sacrifice  de  sa 
vie  :  les  médecins  l'avaient  condamné  ;  bref,  il  allait 

mourir. 
3 


—  34  — 

Un  de  ses  frères,  qui  est  prêtre,  vint  le  voir  au 
moment  où  il  était  le  plus  bas  ;  le  malade,  toutefois, 
n'avait  pas  encore  perdu  toute  connaissance.  "  Pour- 
quoi, lui  dit-il,  ne  te  recommanderais-tu  pas  à  Guérin, 
ton  ancien  compagnon  d'armes,  mort  saintement  à 
Osimo  des  suites  de  ses  blessures  de  Castelfidardo, 
qui  a  déjà  fait  des  miracles  dans  son  pays  et  même 
à  Rome  ?  Invoque-le  de  tout  ton  cœur,  peut-être 
t'obtiendra-t-il  ta  guérison."  Le  mourant  fit  signe 
qu'il  se  recommandait  de  grand  cœur  à  Guérin  ;  puis, 
levant  les  yeux  au  ciel,  il  murmura  une  prière  et 
s'assoupit.  C'était  un  doux  sommeil  qui  commen- 
çait pour  lui  et  dura  plus  de  trois  quarts  d'heure.  Sa 
sœur,  restée  près  de  lui  pour  le  garder,  s'étonnait  du 
calme  et  de  la  tranquillité  de  cet  heureux  sommeil, 
qui  contrastait  étrangement  avec  l'agitation  du  ma- 
lade peu  d'instants  auparavant.  "  Je  craignais,  me 
disait-elle  quand  je  l'interrogeai,  qu'il  ne  fût  mort, 
et  j'allai  prévenir  ma  mère,  qui  fut  saisie  comme 
moi  d'une  grande  frayeur  en  le  voyant  si  paisible  ; 
cependant  il  respirait  encore,  mais  nous  pensions 
vraiment  que  c'était  la  fin  ;  j'étais  occupée  avec  ma 
mère  à  lui  faire  sur  la  poitrine  une  friction  qu'avait 
ordonnée  le  médecin,  quand  il  ouvrit  les  yeux  et  me 
dit  tout  à  coup  d'un  ton  calme  :  "  Ne  me  donnez 
aucun  remède  ;  c'est  inutile,  je  suis  guéri. — Pour- 


ôo 


quoi  ?  lui  demandai-je. — Joseph  Guérin,  le  zouave, 
est  venu  nie  voir  tout  à  l'heure,  s'est  assis  là  sur  mon 
lit  et  m'a  dit  que  je  guérirais,  mais  que  ma  conva- 
lescence serait  longue." 

Ceci  se  passait  le  onze  décembre,  vers  les  trois 
heures  de  l'après-midi.  Le  zouave, — son  ami  le 
zouave,  comme  il  disait — lui  était  donc  apparu,avait 
réellement  causé  avec  lui  et  lui  avait  promis  sa  gué- 
rison.  Aussi,  à  partir  de  ce  moment  ne  cessa-t-il  de 
parler  de  Guérin,  de  l'invoquer,  de  le  remercier,  ne 
doutant  plus  de  guérir.  Instruit  de  ce  fait,  son  frère 
se  procura  aussitôt  une  relique  de  Guérin,  un  mor- 
ceau de  la  cravate  qu'il  portait  étant  zouave,  et  vint 
la  lui  présenter  ;  il  la  baisa  avec  effusion,  la  mit  sur 
son  cœur  et  ne  voulut  plus  s'en  séparer. 

Quelques  jours  après,  dans  la  nuit  du  quinze  au 
seize  décembre,  Guérin  revint  encore  voir  son  ami  et 
lui  dit  que  la  fièvre  le  quitterait  le  dix-huit  au  matin, 
lorsque  que  les  vésicatoires  qu'il  avait  aux  jambes 
seraient  secs.  Le  seize  au  matin,  le  malade,  en  se 
réveillant,  appela  sa  sœur  :  "  Quel  jour  est-ce  aujour- 
d'hui ?  lui  demanda-t-il. — Pourquoi  ?  reprit  sa  sœur. 
— Parce  que,  ajouta-t-il,  Guérin  m'a  dit  cette  nuit  que 
je  guérirais  le  18." 

Rien  ne  semblait  annoncer  un  si  heureux  résultat, 
l'état  du  malade   ne  s'était  pas  amélioré  depuis  la 


—  36  — 

première^apparition  de  Guérin  ;  la  fièvre,  au  contraire, 
était  devenue  plus  forte,  et,  malgré  tout,  le  malade 
ne  cessaiÇde  répéter  :  "Ne  me  donnez  aucun  remède, 
c'est  inutile,  je  guérirai."  Son  frère,  ayant  été  assez 
heureuxjpour  trouver,  après  quelques  jours  de  recher- 
che, le  portrait  de  Guérin,  vint  en  toute  hâte  le  lui 
porter.  En  voyant  l'image  de  son  ami,  Garonni 
s'écria  :  "  C'est  lui,  c'est  Joseph  le  zouave,  qui  m'a 
dit  que  je  guérirais.  Seulement  on  lui  a  fait  les  joues 
trop  grosses,  et  il  est  trop  grand."  Ces  défauts  existent, 
en  effet,  .dans  le  portrait  lithographie  de  Guérin  :  bien 
d'autres  avant  Garronni  les  avaient  remarqués.  Il 
ne  pouvait  détacher  les  yeux  de  cette  chère  image  ;  il 
eût  voulu  l'avoir  constamment  à  la  portée  de  ses 
regards,  et  quand  il  fut  lassé  de  la  fixer,  il  la  mit 
sous  son  oreiller. 

A  voir  la  joie  qui  rayonnait  sur  son  front  et  la 
vivacité  de  son  regard,  on  eût  dit  qu'il  tenait  un 
trésor.  C'était,  en  effet,  pour  lui  le  plus  précieux  des 
trésors  de  ce  monde  :  la  santé.  Enfin  le  18  arriva  ; 
je  courus,  ce  jour-là  même,  chez  Garroni  ;  sa  sœur 
m'ouvrit  la  porte  et  me  dit  d'un  air  joyeux  que  la 
fièvre  avait  disparu  dès  le  matin  même  comme  par 
enchantement.  Les  vésicatoires  s'étaient  desséchés. 
"  Mais  je  vous  l'avais  bien  dit  !  ne  cessait  de  répéter  le 
malade  ;  je  savais  bien  que  la  guérison  ne  se  ferait 


pas  attendre."  Depuis  ce  jour,  je  l'ai  vu  plusieurs 
fois,  il  va  bien,  mais  est  toujours  faible  et  au  lit.  Ce 
qui  le  vexe  un  peu,  c'est  que  Guérin  lui  a  dit  que  sa 
convalescence  serait  longue.  Tout  ceci  est  merveilr 
leux,  et  le  docteur  militaire  a  déclaré  qu'humaine- 
ment parlant,  Garroni  ne  pouvait  revenir  à  la  santé. 
Gloire  à  Dieu,  qui  veut  récompenser  nos  faibles  efforts 
en  nous  envoyant  cette  nouvelle  consolation,  et  gloire 
à  Guérin,  notre  protecteur." 

Garroni  était  complètement  guéri  au  mois  de 
janvier. 

Le  correspondant  du  Monde,  de  Paris,  a  raconté, 
dans  le  numéro  du  22  décembre  1861,  la  guérison 
miraculeuse  de  Garroni  qu'il  attribue  au  zouave 
Guérin,  l'un  des  martyrs  de  Castelfidardo. 


LA  MORICIERE  ET  PIE  IX 


Le  lendemain  de  la  capitulation  d'Ancône,  le 
général  La  Moricière  se  rendit  à  bord  de  la  frégate 
de  l'amiral  Persano  et  fut  transféré  aussitôt,  avec 
tous  les  officiers  de  son  état-major  et  de  la  garnison, 
sur  un  petit  bateau  à  vapeur,  le  Cavour,  qui  les 
transporta  à  Gênes,  où  ils  débarquèrent  le  7  octobre. 
En  arrivant  en  cette  ville,  La  Moricière  reçut  une 
lettre  de  Sa  Sainteté  Pie  IX,  qui  fait  ressortir  toute 
la  grandeur  d'âme  du  chef  de  la  chrétienté  et  la 
reconnaissance  de  l'Eglise  catholique. 

"  Si  je  me  tourne  vers  Dieu,  écrivait  Pie  IX  à  La 
Moricière  le  5  octobre,  et  si  je  considère  le  cours  des 
derniers  événements,  je  courbe  la  tête  et  je  m'hu- 
milie devant  la  divine  Majesté,  qui,  dans  ses  juge- 
ments impénétrables,  a  cru  devoir  les  permettre  ; 
c'est  là  le  sentiment  de  résignation  que  je  me  sens, 
quant  à  moi,  obligé  de  mettre  en  pratique.  Mais,  en 
me  tournant  vers  vous,  mon  très  cher  Général,  je 


—  40  — 

sens  toute  ma  dette  de  gratitude  pour  la  grande 
oeuvre  que  vous  avez  faite  pour  le  Saint-Siège  et 
pour  l'Eglise  catholique,  et  je  prends  une  part  de 
votre  juste  douleur,  vous  conseillant  toutefois  de 
lever  les  yeux  vers  Dieu,  qui  a  déjà  écrit  dans  le 
livre  de  vie  vos  actes  et  vos  généreuses  résolutions." 

"  Les  ennemis  de  la  vérité  et  de  lajustice  peuvent 
à  leur  gré  défigurer  les.  événements  ;  mais  tous  les 
bons  catholiques  et  toutes  les  urnes  honnêtes  célébre- 
ront toujours  comme  un  triomphe  pour  l'Eglise  tout 
ce  qui  est  arrivé  dans  les  Etats  Pontificaux  dans  ces 
dermers  temps,  où  l'on  a  vu  une  petite  armée,  orga- 
nisée en  peu  de  mois  grâce  à  votre  activité,  à  votre 
zèle  et  à  votre  intelligence,  armée  plus  que  suffisante 
pour  comprimer  la  Révolution,  si  celle-ci  n'avait  pas 
été  protégée  par  des  mains  puissantes,  par  des  forces 
incomparablement  supérieures  aux  nôtres,  et  aidée 
par  tous  les  moyens  que  peuvent  suggérer  la  fraude 
et  le  mensonge. 

"  Dieu  a  permis  ce  qui  est  arrivé,  et  que  sa  sainte 
volonté  s'accomplisse  ;  mais  je  désire,  cher  Général, 
que  vous  soyez  persuadé  de  la  continuation  de  mon 
estime  et  de  ma  tendresse  paternelle.  C'est  avec  ces 
sentiments  que  je  vous  envoie  de  cœur,  à  vous,  à 
votre  épouse  et  à  vos  filles  la  bénédiction  apostoli- 
que." 


—  41  — 

Le  général  La  Moricière  brûle  du  désir  de  retour- 
ner à  Rome.  Après  en  avoir  obtenu  la  permission, 
il  s'empressa  d'aller  se  jeter  aux  genoux  du  Pape. 
Nous  ignorons  ce  qui  s'est  passé  dans  cette  entrevue 
entre  le  chef  de  l'Eglise  et  le  glorieux  vaincu  de 
Castelfidardo.  Tout  ce  que  nous  savons,  c'est  qu'au 
sortir  de  la  chambre  du  Pape  le  général  La  Mori- 
cière se  renferma  dans  son  hôtel,  rédigea  un  rapport 
détaillé  des  événements  qui  venaient  d'avoir  lieu  et 
demanda  ensuite  un  congé  de  dix  mois,  après  avoir 
refusé  le  portefeuille  de  la  guerre,  qui  resta  à  Mgr 
de  Mérode,  son  ami  intime.  La  Moricière  avait  eu 
à  lutter  contre  les  préjugés  locaux  dans  la  réorgani- 
sation de  l'armée  pontificale  ;  il  savait  que  la  diplo- 
matie ne  cessait  de  protester  contre  la  création  d'une 
armée  papale  ;  mais  tous  ces  obstacles  n'étaient  pas 
encore  assez  puissants  pour  faire  échec  à  sa  vaillance, 
à  son  dévouement  au  Saint-Siège  et  à  la  noble  mis- 
sion qu'il  avait  entreprise.  Ce  qui  le  décida  à  s'éloi- 
gner de  Rome  pour  quelque  temps,  ce  fut  la  fourbe- 
rie de  Napoléon  III,  qui,  tout  en  se  constituant  le 
protecteur  apparent  de  la  Papauté,  faisait  tout  en 
son  pouvoir  pour  écraser  le  commandant  en  chef  de 
l'armée  pontificale  au  lieu  de  l'aider.  Comme  il  était 
convaincu  que  c'était  surtout  à  lui  que  l'empereur  des 
Français  en  voulait,  à  cause   du   prestige   dont   il 


—  42  — 

jouissait  dans  toutes  les  armées  de  l'Europe,  La 
Moricière  retourna  en  France,  en  conservant  le  titre 
de  général  en  chef  de  l'armée  pontificale  et  en  conti- 
nuant de  travailler  par  ses  sages  conseils  à  sa  réorga- 
nisation. 

La  Moricière  se  retira  dans  son  château  en  décli- 
nant tous  les  honneurs  qu'on  voulait  lui  conférer.  Le 
roi  de  Naples,  Ferdinand  II,  lui  offrit  le  commande- 
ment de  son  armée  sur  le  Volturne  ;  il  refusa.  Le 
Sénat  de  Rome  voulut  le  nommer  prince  romain  ;  il 
refusa.  Les  catholiques  de  France  organisèrent  une 
souscription  pour  lui  présenter  une  épée  d'honneur. 
Prévenu  de  cette  généreuse  démarche  par  un  ami,  il 
écrivit  la  lettre  suivante  pour  s'opposer  à  ce  projet  : 

Prouzel,  12  janvier  1861. 
Monsieur, 

"  Vous  avez  bien  voulu  me  faire  part  de  l'inten- 
tion qu'auraient  un  grand  nombre  de  catholiques  de 
me  décerner  une  épée  d'honneur,  en  mémoire  de  la 
campagne  que  j'ai  faite  l'année  dernière  dans  les 
Marches  et  l'Ombrie. 

"  Je  suis  profondément  touché  de  l'extrême  bien- 
veillance avec  laquelle  on  apprécie  mes  efforts, 
matériellement  stériles,  pour  défendre  le  pouvoir 
temporel  du  Saint-Siège.  Mais  il  est  de  mon  devoir 
de  vous  faire  remarquer  que  si  j'acceptais  l'êpée  qui 


—  43  — 

m'est  offerte,  je  me  placerais  en  dehors  de  toutes  les 
traditions  et  de  tous  les  usages  reçus  à  cet  égard  dans 
mon  pays,  où  tout  ce  qui  tient  aux  choses  militaires 
est  l'affaire  de  tout  le  monde. 

"  Suivant  ces  traditions,  on  donne  une  épée 
d'honneur  à  un  général  pour  une  bataille  gagnée,pour 
une  place  forte  enlevée  dans  des  circonstances  mémo- 
rables, pour  avoir  défendu  vaillamment  une  forte- 
resse au-delà  du  temps  assigné  à  la  résistance  par 
les  gens  du  métier.  Or,  on  ne  le  sait  que  trop,  je  n'ai 
rien  fait  de  pareil.  Les  provinces  que  je  défendais 
ont  été  envahies,  les  villes  prises,  le  matériel  de 
guerre  a  été  perdu  et  l'armée  entière  amenée  en 
captivité. 

"  Que  si,  depuis  nos  désastres,  la  situation  morale 
du  pouvoir  temporel  du  Saint-Siège  semble  s'amé- 
liorer, que  si  la  confiance  et  la  force  sont  revenues 
aux  défenseurs  du  droit,  tandis  que  l'esprit  de  divi- 
sion, d'incertitude  et  de  vertige  s'emparait  de  ses 
ennemis,  que  si  la  France,  ce  noble  et  vieux  cham- 
pion de  la  cause  de  Dieu,  n'a  pas  cessé  de  sentir  son 
coeur  ému  de  ces  généreux  élans  de  dévouement  et 
d'audace  qui  ne  lui  font  jamais  défaut  dans  les  grands 
jours,  ce  n'est  pas  la  main  des  hommes  qu'il  faut 
chercher  dans  toute  sces  choses;  et  je  ne  puis  oublier 
qu'un  général  qui  n'a  fait  que  sauver  l'honneur  de 


—  44  — 

son  drapeau  ne  mérite  et  ne  peut  recevoir  aucune 
récompense. 

"  Telles  sont,  monsieur,  les  raisons  qui  m'obligent 
à  refuser,  d'une  manière  absolue,  l'épée  que  vous 
aviez  mission  de  m' offrir  ;  permettez-moi  de  compter 
sur  votre  obligeance  pour  faire  connaître  ma  réponse 
à  ceux  au  nom  de  qui  vous  m'aviez  écrit." 

Pie  IX  aurait  aimé  prouver  au  général  La  Mori- 
cière  la  reconnaissance  de  l'Eglise  en  le  comblant 
de  distinctions  ;  mais  le  général  les  refusa  toutes, 
excepté  la  croix  du  Christ  que  le  Saint-Père  lui  avait 
envoyée  avec  la  lettre  suivante  : 

"  J'apprends  que  votre  modestie  refuse  les  titres 
par  lesquels  je  voulais,  en  quelque  manière,  mani- 
fester ma  reconnaissance  pour  l'acte  chrétien  et  géné- 
reux que  vous  avez  accompli  en  soutenant  les  droits 
du  Saint-Siège.  Ma  détermination  était  dictée  par 
mon  cœur,  et  je  dois  dire  qu'elle  était  réclamée  ou, 
au  moins,  désirée  par  tous  les  amis  de  la  justice  et 
de  la  religion,  qui,  grâce  à  Dieu,  sont  très  nombreux. 
Mais,  si  vous  me  demandez  d'y  renoncer,  j'y  renon- 
cerai pour  vous  être  agréable.  Toutefois  je  veux 
absolument  que  vous  soyez  décoré  d'un  ordre  qui  ne 
peut  être  mieux  placé  que  sur  votre  poitrine,  laquelle 
fut  exposée  à  recevoir  les  coups  des  ennemis  du 
patrimoine  de  l'Eglise  de  Jésus-Christ,  et  cet  ordre 


—  45  — 

porte  précisément  le  nom  du  Maître  Suprême  de  ce 
patrimoine.  Ce  sera  un  nouveau  lien  qui  vous 
unira  au  Vicaire  de  Celui  dont  je  suis  l'indigne 
représentant  sur  la  terre,  et  qui,  je  l'espère,  sera 
notre  récompense' à  tous  deux  dans  l'éternité." 

La  Moricière  ne  pouvait  donc  pas  refuser  cet 
honneur,  qui  lui  était  offert,  en  termes  si  paternels 
et  si  pressants  à  la  fois,  par  le  Successeur  de  Pierre. 
Aussi,  son  acceptation  fut-elle  accueillie  avec  des 
transports  d'allégresse  par  Sa  Sainteté  Pie  IX. 

Les  révolutionnaires,  les  garibaldiens  et  les  carbo- 
naristes— les  trois  ne  font  qu'un — se  réjouissaient 
du  désastre  de  Castelfidardo  ;  mais  leur  soif  de  ven- 
geance contre  la  Papauté  n'était  pas  encore  assouvie  ; 
ils  voulaient  détrôner  le  Pape  et  le  chasser  de  ses 
Etats  comme  en  1848.  C'est  pour  accomplir  cet 
ignoble  projet  que  des  bandes  garibaldiennes  mar- 
chèrent sur  Rome  en  1862  :  mais  elles  furent 
repoussées  par  l'armée  pontificale.  En  apprenant 
cette  nouvelle  tentative  d'invasion,  le  général  La 
Moricière,  qui  brûlait  du  désir  de  ceindre  sa  vieille 
épée  d'Afrique  pour  voler  au  secours  du  Saint-Siège, 
mais  qui  craignait  en  même  temps  que  sa  personna- 
lité ne  fût  pour  le  roi  de  l'univers  catholique  la  cause 
de  nouvelles  difficultés,  écrivit-  au  Pape  ce  qui  suit  : 


—  46  — 

"  Dans  les  tristes  jours  que  nous  traversons,  en 
présence  des  douleurs  et  des  périls  de  toutes  sortes 
qui  environnent  Votre  Sainteté,  je  viens  mettre  à 
ses  pieds  la  nouvelle  expression  de  mon  entier  et 
inaltérable  dévouement. 

"  Dès  les  premiers  bruits  de  guerre,  je  serais  parti 
pour  Rome  si  je  n'avais  pas  craint,  par  ma  présence, 
d'irriter  le  gouvernement  français,  de  gêner  l'opéra- 
tion de  ses  troupes  et  de  lui  fournir  un  prétexte  pour 
une  inaction  qui  pourrait  devenir  fatale. 

"  Mais  si  Votre  Sainteté  jugeait  autrement  les 
choses,  je  suis  prêt  à  marcher  au  premier  appel,  et 
j'ai  cru  de  mon  devoir  de  le  lui  dire." 

Notre  Saint-Père  lui  répondit  le  16  avril  1862  : 

"  Très  cher  Général,  les  sentiments  que  vous 
m'exprimez  dans  votre  lettre  et  l'intérêt  que  vous 
prenez  à  ma  situation  me  consolent,  mais  ne  me  sur- 
prennent pas.  Ils  sont  déjà  nombreux  les  gages  de 
votre  attachement  filial  pour  moi  et  pour  la  cause 
que  je  représente.  Que  Dieu  bénisse  votre  dévoue- 
ment et  que  votre  famille  ressente  toujours  les  effets 
salutaires  des  divines  bénédictions. 

"  Les  menaces  de  ce  général  (1)  qui  sert  à  la  fois  le 
Piémont  et  la  Révolution,  et  qui   reçoit  les  encoura- 


(1)  Garibaldi. 


—  47  — 

gements  de  l'un  et  de  l'autre,  ne  semblent  pas,  au 
moins  pour  le  moment,  pouvoir  éveiller  la  moindre 
inquiétude.  L'abandon  de  notre  frontière  actuelle 
par  une  partie  de  l'armée  française  pouvait  donner 
lieu  à  quelque  désordre.  Mais  les  zouaves  étant  venus 
la  remplacer  avec  d'autres  corps  de  nos  troupes,  tout 
s'est  bien  passé  et  à  l'honneur  de  notre  armée,  qui 
se  rappelle  avoir  été  formée  par  vous,  et  qui,  si  elle 
est  limitée  par  le  nombre,  ne  l'est  pas  pour  la  disci- 
pline, pour  le  courage  et  pour  l'amour  de  son  souve- 
rain. 

"  Mais  voici  que  l'armée  française  a  repris  ses 
anciennes  positions,  et  que  nos  soldats  sont  de  nou- 
veau dans  l'état  d'expectative.  Vous  voyez  donc  bien 
que  je  n'ai  pas  le  courage  de  vous  inviter  à  venir 
commander  une  troupe  qui  se  tient  prête  à  agir, 
mais  qui,  dans  les  circonstances  actuelles,  n'a  rien  à 
faire.  Cependant,  si  vous  jugez  qu'un  nouveau  coup 
d'œil  donné  à  vos  soldats  puisse  les  réconforter,  ce 
dont  je  ne  doute  pas,  je  vous  re verrai  et  vous 
embrasserai  volontiers." 

Quelle  correspondance  admirable  entre  un  général 
et  son  souverain,  mais  un  illustre  capitaine  ayant  la 
foi  et  un  roi  chargé  de  conduire  la  barque  du  Pêcheur 
de  la  Galilée  ! 


LA  MORT  DE  LA  MORiCIERE 


Le  premier  soin  du  général  La  Moricière,  en  pre- 
nant le  commandement  de  l'armée  pontificale,  fut 
de  former  un  corps  d'infanterie  légère  semblable  à 
ses  chers  zouaves  d'Afrique.  Ce  corps  fut  constitué 
le  1er  juin  1860  et  prit  le  nom  de  Tirailleurs  Pontifi- 
caux ou  plutôt  de  Volontaires  Franco-Belges.  M.  de 
Becdelièvre,  capitaine  dans  les  Chasseurs  à  pied,  en 
fut  le  commandant,  et  M.  le  baron  de  Charette,  le 
capitaine.  L'effectif  de  cette  troupe  d'élite,  à  la 
bataille  de  Castelfidardo,  s'élevait  à  environ  300 
hommes.  Le  6  octobre  de  la  même  année,  M.  de 
Becdelièvre  fut  promu  au  grade  de  lieutenant-colonel. 
Le  bataillon  comprenait  alors  six  compagnies. 

Le  1er  janvier  1861,  le  corps  prit  officiellement  le 

nom  de  Zouaves  Pontificaux.  M.  de  Moncuit  et  M. 

de  Charette  eurent  l'honneur  de  porter  les  premiers 

l'uniforme  de  zouave,  qui  fut  adop'té  par  Pie  IX,  le 

général  La  Moricière  et  Mgr  de  Mérode. 
4 


—  50  — 

M.  de  Becdelièvre  donna  sa  démission,  le  21  mars 
1861,  et  retourna  en  France.  Il  fut  remplacé  comme 
lieutenant-colonel  par  M.  Allet,  un  des  héros  de 
Castelfidardo.  Le  capitaine  de  Charette  fut  élevé  au 
grade  de  commandant.  Au  mois  d'août  suivant,  le 
bataillon  fut  porté  à  huit  compagnies.  Un  des  sol- 
dats de  M.  Becdelièvre  annonça  la  retraite  de  son 
colonel  dans  les  termes  suivants  : 

"  Notre  brave  colonel  M.  Becdelièvre  nous  a  quit- 
tés à  la  suite  de  différends  avec  Mgr  de  Mérode.  Il 
ne  m'appartient  pas  d'apprécier  les  motifs  qui  ont 
dicté  son  départ. ..  Trois  ou  quatre  officiers  ont  cru 
devoir  suivre  le  colonel  dans  sa  retraite,  et  il  y  a  eu, 
cela  va  sans  dire,  un  peu  d'émotion  et  d'agitation 
parmi  nous.  Mais  ça  n'a  duré  qu'un  jour.  Tous  les 
esprits  se  sont  vite  calmés,  grâce  aux  belles  paroles 
du  capitaine  de  Charette,  qui  nous  a  déclaré  que  le 
désir  du  Saint-Père  était  de  nous  voir  rester  sous  son 
drapeau  et  qu'un  tel  désir  devait  être  pour  nous  plus 
qu'un  ordre.  On  a  crié  :  "  Vive  Charette  !  "  Tout 
a  continué  à  marcher  avec  le  même  entrain,  et  nous 
avons  fait  le  meilleur  accueil  à  notre  nouveau  colo- 
nel, M.  Allet.  M.  Allet  est  suisse,  de  très-noble 
famille  et  de  très-vieux  sang.  Digne  descendant  du 
héros  d'Ivry,  auquel  Henri  IV  donna  le  collier  de 
nos  Ordres  sur  le  champ  de  bataille  ;  il  a  déjà  trente 


—  51  — 

ans  de  service  dans  l'armée  du  Pape,  et  s'est  magni- 
fiquement conduit  à  Castelfidardo. 

"  Mgr  de  Mérode  a  nommé  M.  le  capitaine  de 
Charette,  chef  de  bataillon,  et  nous  avons  applaudi 
à  cette  nomination  :  "  Mais  c'est  un  drapeau  que 
vous  donnez  là  aux  zouaves,  "  lui  a  représenté  quel- 
qu'un à  Rome. —  "  C'est  vrai,  a  répondu  Mgr  de 
Mérode  ;  mais  un  drapeau  qui  a  été  percé  de  balles 
à  Castelfidardo  et  qui  a  le  droit  par  conséquent 
d'être  déployé  en  face  du  tombeau  de  Saint-Pierre." 
A  la  bonne  heure  !  Voilà  qui  est  parler  en  ministre 
des  armes  de  Notre  Saint-Père  le  Pape  Pie  IX." 

En  1865  parut  l'annonce  officielle  du  retrait  des 
troupes  françaises  de  Rome.  La  fille  aînée  de  l'Eglise 
abandonnait  encore  une  fois  la  Papauté  à  la  fureur 
des  révolutionnaires  et  des  sociétés  secrètes.  A  cette 
nouvelle  alarmante,  le  général  La  Moricière  résolut 
de  partir  immédiatement  pour  la  Ville  Eternelle  et 
de  se  mettre  de  nouveau  à  la  tête  de  la  petite  armée 
pontificale,  qui  s'était  épurée  et  fortifiée.  Certains 
corps  étrangers  sur  lesquels  on  ne  pouvait  guère 
compter,  étaient  retournés  dans  leurs  pays  respectifs. 
La  petite  troupe  des  zouaves*  pontificaux  avait  vu 
son  effectif  s'élever  au  chiffre  de  1,500  hommes,  sous 
la  direction  du  colonel  Allet  et  du  lieutenant-colonel 
de  Charette.   La  gendarmerie  formait  un  magnifique 


corps  de  4,500  à  5,000  soldats  réguliers  et  dévoués 
au  Saint-Siège.  Avec  les  Dragons  et  les  Chasseurs 
indigènes,  l'armée  pontificale  formait  un  total  de 
10,000  hommes  parfaitement  aguerris.  C'est  de  cette 
troupe  choisie  que  le  général  La  Moricière  se  prépa- 
rait à  reprendre  le  commandement,  lorsque  la  mort 
vint  l'enlever  subitement  à  l'affection  des  siens  et  au 
service  de  l'Eglise  catholique. 

Voici  comment  son  historien   raconte  ses  derniers 
moments  :  ^ 

"  Quand  vint  l'heure  du  départ,  la  Providence 
avait  à  dessein  écarté  de  lui  et  la  généreuse  ivresse 
du  champ  de  bataille  et  les  caresses  d'une  femme  et 
de  deux  filles  bien-aimées.  Il  était  seul  à  seul  avec 
Celui  devant  lequel  il  allait  paraître.  Plusieurs  fois 
déjà  depuis  son  séjour  à  Ham,  il  avait  eu  au  cœur 
des  crises  d'étouffement  qui  avaient  failli  l'enlever, 
et  il  vivait  dans  l'attente  d'une  mort  subite, .  prêt  à 
la  recevoir  au  moment  que  Dieu  aurait  fixé.  Toute- 
fois rien  ne  lui  annonçait  un  péril  prochain  ;  depuis 
quelques  mois  sa  goutte  avait  diminué  ;  il  était  plus 
animé,  plus  vif,  plus  causant  que  jamais.  Si  cette 
santé  eût  encore  pu  être  employée  à  la  défense  de 
l'Eglise,  il  se  fut  estimé  trop  heureux.  Il  était  à 
Prouzel  et  sepréparait  à  rejoindre  sa  famille  en  Anjou. 


-<*  53  — 

Sa  dernière' journée,  le  dimanche  10  septembre  1865, 
ûit  consacrée  à  ses  devoirs  de  chrétien  et  à  ses 
apprêts  de  voyage  pour  le  Chillon.  La  soirée  se 
passa  avec  le  curé  de  l'endroit  à  parler  (un  incrédule 
en  peut  sourire  dans  son  ignorance),  de  l'efficacité 
des  indulgences  pour  les  âmes  qui,  après  leur  mort, 
ont  encore  des  fautes  à  expier.  Soumis  d'avance  à 
la  doctrine  de  l'Eglise,  La  Moricière  tenait  à  la  con- 
naître sur  ce  point,  comme  s'il  eût  pressenti  qu'il 
allait  quitter  ce  monde.  A  dix  heures,  il  se  retira 
dans  sa  chambre,  et,  selon  son  habitude,  se  mit  à 
lire  quelques  pages  dans  l'histoire  de  l'Eglise  de 
l'abbé  Darras.  Il  s'était  endormi  paisiblement, 
lorsque,  entre  une  et  deux  heures,  il  se  réveilla  avec 
un  étouftement  terrible  et  sonna  son  domestique.  Le 
fidèle  serviteur  accourut  ;  il  ne  fut  question  ni  de 
remède  ni  de  médecin  :  M.  le  curé  !  vite  M.  le  curé; 
allez  chercher  M.  le  curé.  Heureusement  que  le 
presbytère  touchait  au  château.  En  moins  de  dix 
minutes  le  prêtre  et  le  serviteur  arrivaient,  et,  en 
montant  l'escalier,  ils  entendaient  le  Général  qui, 
d'une  voix  forte,  appelait  :  "  M.  le  Curé  !"  Quand 
ils  entreront,  ils  le  trouvèrent  agenouillé  devant  son 
lit,  serrant  sur  ses  lèvres  le  crucifix  qu'il  venait  de 
décrocher  de  la  muraille.  Le  prêtre  se  mit  à  genoux 
à  côté  de  lui,  lui  donna  l'absolution  ;  puis  il  voulut 


—  54  — 

le  relever,  l'asseoir  dans  son  fauteuil,  l'approcher  de 
la  fenêtre  ouverte,  Mais  le  mourant  n'avait  plus  de 
parole  ;  son  œil  seul  était  encore  vivant,  indiquant 
qu'il  avait  tout  compris.  Un  instant  après,  il  rendit 
le  dernier  soupir.  Son  visage  garda  toute  sa  noble 
sérénité,  image  de  la  limpidité  de  son  âme,  et  quand 
son  épouse,  accourue  à  cette  foudroyante  nouvelle, 
le  contempla  une  dernière  fois,  elle  put  dire  qu'elle 
ne  l'avait  jamais  vu  plus  beau. 

"  Cependant,  la  France  avait  frémi  en  apprenant 
ce  trépas.  La  ville  d'Amiens  la  première  voulut 
honorer,  comme  il  le  méritait,  celui  qui  avait  expiré 
à  ses  portes.  L'évêque  monta  en  chaire,  et,  au  milieu 
d'un  auditoire  bouleversé  par  l'émotion,  il  trouva 
une  éloquence  qu'il  ne  connaissait  point,  pour  pleu- 
rer le  défenseur  de  l'Eglise.  A  Paris,  une  foule  res- 
pectueuse escorta  son  cercueil.  A  Nantes,  la  ville 
entière  se  pressait  dans  la  cathédrale.  A  Saint-Phil- 
bert,  terme  de  ce  douloureux  voyage,  le  général 
Trochu  parla  au  nom  de  l'armée  française,  le  comte 
de  Quatrebarbes  au  nom  de  l'armée  pontificale, 
l'abbé  Richard  fut  l'interprète  des  sentiments  du 
clergé  français.  Pendant  des  semaines,  sur  tous  les 
points  .  du  territoire,  des  services  spontanés  furent 
célébrés  pour  le  repos  de  cette  âme  que  les  évêques 
les  plus  illustres  louèrent  à  l'envi. 


00 


"  Evidemment  ce  n'était  pas  là  une  mort  ordi- 
naire. Un  militaire  couvert  de  lauriers,  un  ministre 
succombant  au  service  de  sa  patrie,  un  prélat  cher  à 
l'Eglise,  n'auraient  point  obtenu  ce  concours  de 
regrets,  de  reconnaissance  et  d'admiration.  Celui  qui 
venait  de  quitter  la  vie  réunissait  toutes  ces  gloires, 
rehaussées  par  l'éclat  de  l'adversité.  Où  treuver  un 
soldat  qui  ait  plus  fait  pour  sa  patrie,  et  qui  ait 
recueilli  autant  d'ingratitude  ?  Quel  homme  d'Etat 
a  autant  souffert  pour  la  défense  de  nos  libertés 
publiques  ?  Quels  sacrifices  peuvent  se  comparer  à 
ceux  .de  ce  chrétien  voué  à  la  défense  du  Saint- 
Siège  ?  Que  n'eut-il  pas  fait,  s'il  eût  vécu  davantage  ? 
N'était-ce  pas  lui  qui  pouvait,  à  un  jour  donné,  raf- 
fermir le  trône  de  Saint-Pierre,  relever  en  France  le 
drapeau  de  l'honneur  et  de  l'indépendance,  cimenter 
l'union  de  l'Eglise  avec  sa  fille  aînée,  et  obtenir  des 
honnêtes  gens  de  tous  les  partis  cette  réconciliation 
sincère  seule  capable  de  nous  rendre  la  paix." 

Voilà  le  fondateur  du  régiment  des  zouaves  ponti- 
ficaux qui,  comme  ses  aînés  les  zouaves  d'Afrique, 
fit  des  prodiges  de  valeur  sur  tous  les  champs  de 
bataille.  Voilà  l'homme  illustre  qui  créa  ce  batail- 
lon de  preux  défenseurs  de  la  Papauté  dont  "  la 
légende  a  été  souvent  sanglante,  mais  toujours  glo- 


—  56  — 

rieuse.  "  Voilà  notre  modèle  comme  militaires  et 
citoyens.  Voilà  la  boussole  qui  doit  nous  guider 
dans  la  mission  que  nous  avons  entreprise  lorsque 
nous  avons  endossé  l'uniforme  de  zouave. 


LE  DEVOUEMENT  DES  ZOUAVES 


Pendant  les  années  de  paix  que  la  Papauté  a  tra- 
versées entre  1862  et  1867,  on  s'est  souvent  posé  la 
question  suivante  : 

"  Que  font  les  zouaves  du  Pape  à  Rome  ?  " 

Nous  trouvons  la  réponse  à  cette  question  dans  le 
discours  que  Pie  IX  adressa  à  nos  officiers  le  27 
décembre  1865  : 

"  Je  me  réjouis  d'entendre  si  bien  exprimer  les 
sentiments  de  cette  armée  et  du  monde  catholique 
pour  notre  personne  et  pour  le  Saint-Siège.  J'y  veux 
répondre  et  je  pense  à  quelque  coutume  que  nous 
avons  ici.  Il  est  d'usage,  le  saint  jour  de  Noël,  que 
nous  bénissions  une  épée.  Elle  doit  être  envoyée  au 
prince  qui  a  le  mieux  mérité  de  l'Eglise,  et  qui  s'en 
servira  pour  la  cause  de  la  justice. 

"  Au  milieu  de  tant  de  grandes  nations  armées, 
de  tant  de  glaives  tirés,  je  regarde  et  je  vois  :  je  vois 
que  cette  épée  de  la  justice,  je  dois  la  garder  pour 


-  ùi 


moi.     C'est  moi  qui  dois  la  ceindre,  et  c'est  à  vos 
mains  que  je  la  confie. 

"  Soyez  fiers,  marchez  la  tête  levée  devant  Dieu, 
soyez  pleins  de  confiance  parmi  les  hommes,  parce 
que  c'est  vous,  vous  seuls,  qui  portez  l'épée  pour  la 
justice  et  la  vérité,  pour  la  dignité  et  la  liberté  du 
genre  humain.  Vous  êtes  ainsi  armés  à  l'encontre 
de  ces  hommes  malheureux  qui  ensanglantent  leurs 
mains  au  profit  des  causes  injustes,  appuis  de  l'ini- 
quité, ennemis  de  Dieu  qu'ils  espèrent  follement 
atteindre,  oppresseurs  de  son  Eglise  et  de  ses  minis- 
tres. 

"  Je  vous  raconterai  un  trait  de  deux  officiers 
de  deux  armées  différentes,  l'un  général  et  l'autre 
capitaine  de  marine.  M'ayant  été  présentés,  ils  me 
prièrent  de  poser  mon  pied  sur  leurs  épées  couchées 
à  terre,  afin,  disaient-ils,  qu'ils  ne  les  portassent 
jamais  que  pour  une  cause  juste.  Le  général  est 
mort  dans  une  guerre  dont  je  n'ai  point  à  parler,  et 
il  a  gardé  son  serment.  Quant  au  marin,  depuis 
longtemps  je  l'ai  perdu  de  vue.  J'espère  qu'il  vit 
encore  ;  j'espère  surtout  qu'il  se  souvient  de  la  pro- 
messe qu'il  a  faite  à  mes  pieds  et  de  la  bénédiction 
donnée. 

"  Vous  aussi,  souvenez-vous  de  ne  porter  l'épée 
que  pour  la  justice,  et  alors  ne  craignez  aucun  péril, 
levez  la  tête,  vos  cœurs  auront  la  paix. 


—  50  — 

"Il  s'en  est  trouvé  qui  se  sont  laissé  emporter  par 
des  idées  d'erreur  et  de  mensonge,  par  des  illusions 
de  jeunesse,  et  ils  s'en  sont  allés  servir  dans  une 
certaine  armée  ;  j'ai  vu  les  lettres  qu'ils  écrivaient  de 
là,  j'ai  vu  leurs  mères  en  pleurs,  leurs  pères  désolés. 
Ces  pauvres  enfants  écrivaient  :  "  Nous  nous  sommes 
fourvoyés,  nous  avons  été  trompés  ;  demandez  notre 
pardon  au  Pape,  notre  conscience  ne  nous  laisse  pas 
de  repos.  Nous  sommes  dans  l'avilissement,  dans 
l'esclavage  !".  .et,  suivant  moi,  ils  sont  aussi  dans  le 
péché. 

"  Mais  vous,  avec  quelle  consolation  je  vois  votre 
respect,  vos  sentiments  d'amour  et  de  dévouement 
pour  ce  Saint-Siège  !  Portez  l'épée,  gardez  l'épée  pour 
la  défense  de  la  cause  la  plus  juste,  la  plus  sainte,  qui 
est  celle  de  l'Église  de  Jésus-Christ. 

"  Par  là,  quoiqu'il  arrive,  et  pour  la  troisième  fois, 
je  le  répète,  marchez  en  assurance,  soyez  fiers. 

"  J'ose  dire  que  vous  vous  présenterez  avec  sécurité 
au  tribunal  du  Juge  Suprême,  devant  lequel  ils 
devront  paraître  aussi  ceux  qui  portent  l'épée  pour 
l'injustice  et  l'oppresseur. 

"  J'agrée  donc  avec  bonheur  l'expression  de  votre 
fidélité.  Recevez  en  retour  ma  bénédiction,  qui  vous 
confirme  dans  tous  ces  bons  sentiments  ;  qu'elle  vous 


—  60  — 

affermisse  dans  les  périls  et  qu'elle  vous  accompagne 
toute  votre  vie." 

Afin  de  "  porter  l'épée  pour  l'a  justice  et  la  vérité, 
pour  la  dignité  et  la  liberté  du  genre  humain  "  et 
"  marcher  la  tête  haute  devant  Dieu  ",  les  zouaves 
se  préparaient  à  combattre  les  bons  combats  ;  ils 
faisaient  la  manœuvre  tous  les  jours,  ils  faisaient  des 
marches  forcées,  ils  faisaient  des  guerres  simulées, 
ils  s'initiaient,  en  un  mot,  à  l'art  militaire,  tout  en 
montant  la  garde  auprès  du  trône  du  Pape  et  en 
priant  pour  les  ennemis  de  l'Eglise.  Les  zouaves 
s'élevaient  ainsi  dans  la  considération  et  l'estime  des 
catholiques  :  ils  rendaient  le  bien  pour  le  mal,  en 
pratiquant  la  charité  chrétienne  envers  ceux  qui 
voyaient  leur  présence  d'un  mauvais  œil.  Le  cho- 
léra qui  éclata  à  Albano,  au  mois  d'août  1867, 
fournit  aux  zouaves  l'occasion  de  montrer  publique- 
ment leur  esprit  de  sacrifice,  d'abnégation  et  de 
dévouement  héroïque  envers  leurs  semblables.  Voici 
ce  que  nous  a  raconté,  à  propos  de  ce  terrible  fléau, 
un  sergent  de  la  2ème  compagnie  du  1er  bataillon, 
qui  fut  envoyée  en  garnison  à  Albano  : 

"  Le  jour  même  de  notre  arrivée  à  Albano,  le 
choléra  éclata  avec  une  violence  inouïe.  En  un 
instant  tout  est  désert  ;  plus  personne  pour  assister 
les  malades  et  enterrer  les  morts.     Notre  lieutenant 


—  Gi- 
de Résimond  donne  le  premier  l'exemple.  Il  prend 
sur  ses  épaules  un  cadavre  et  le  transporte  au  cime- 
tière ;  tous  l'imitent  ;  nos  camarades  de  la  sixième 
ont  lutté  d'abnégation.  Sur  un  champ  de  bataille 
l'odeur  de  la  poudre  et  l'enthousiasme  vous  cachent 
le  danger  ;  mais,  en  présence,  d'un  cadavre  ou  d'un 
mourant  qui  se  débat,  combien  il  faut  de  force  et  de 
véritable  courage  ! 

Voyez-vous  ces  zouaves  prodiguant  à  des  étran- 
gers, qui  les  haïssaient,  tout  ce  qui  leur  est  donné 
de  force  et  de  dévouement  ?  La  population  nous 
était  tout  à  fait  hostile  et  même  résolue  de  s'opposer 
à  notre  entrée  ;  les  zouaves  ont  été  les  anges  conso- 
lateurs. 

Albano  offrait  en  ce  moment  le  spectacle  admira- 
ble de  la  charité  se  pratiquant  au  milieu  de  la  ter. 
reur  et  de  la  mort.  Les  habitants  valides  fuyaient 
au  loin,  ou  demeuraient  hébétés  devant  le  fléau  ; 
aucune  autorité  pour  organiser  le  service  des  malades, 
qui  restaient  abandonnés  dans  les  maisons  vides  ; 
les  membres  de  la  Commune  avaient  disparu  ;  le 
gonfalonnier  avait  passé  la  frontière  ;  partout  des 
cadavres  en  décomposition,  gisant  dans  les  maisons 
et  dans  les  rues. 

Au  milieu  de  ce  désarroi,  sous  un  soleil  insuppor- 
table, dans  une  atmosphère  empestée,'  les  soldats  du 


—  62  — 

Pape  s'étaient  partagé  la  besogne.  Les  uns  s'établis- 
sent au  cimetière  qu'ils  ne  quittent  ni  le  jour  ni  la 
nuit  ;  durant  la  première  nuit,  on  leur  apporte 
quatre-vingt-dix  cadavres.  Le  lieutenant-colonel 
(M.  de  Charette)  venu  de  Rome  pour  encourager  ses 
soldats,  apprend  que  deux  zouaves,  occupés  à  faire 
des  fosses,  n'ont  pas  même  pris  le  temps  de  déjeu- 
ner,  et  déjà  il  se  fait  tard  ;  il  faut  un  ordre  de  leur 
chef  pour  contraindre  ces  braves  à  prendre  quelque 
nourriture.  D'autre  part,  dans  la  ville,  les  zouaves 
vont  et  viennent  au  chevet  de  centaines  de  malades; 
ils  les  déshabillent,  les  soignent,  les  frictionnent,  les 
aident  à  mourir  chrétiennement,  on  dirait  qu'ils 
n'ont  rien  fait  d'autre  chose  de  leur  vie.  Autour 
d'eux,  tout  ce  qu'il  y  a  d'âmes  vaillantes  rivalisent 
de  sainte  charité  ;  les  Filles  de  St-Vincent  de  Paul 
donnent  l'exemple,  comme  toujours  ;  plusieurs  prê- 
tres succombent,  martyrs  de  leur  saint  ministère  ;  le 
roi  de  Naples,  qui  n'a  pas  voulu  fuir,  soigne  lui- 
même  ses  frères,  sa  famille,  ses  domestiques  ;  la 
reine-mère  a  été  une  des  premières  victimes.  Deux 
zouaves  hollandais  gagnent  la  terrible  maladie, 
tandis  qu'ils  portent  sur  leurs  épaules  des  cadavres 
en  putréfaction  ;  tous  deux  meurent  joyeux  le  même 
jour.  Henri  Peters,  l'un  d'eux,  n'a  pas  même  de 
paille  pour  s'étendre,  mais  il  se  console  en  pressant 


—  63  — 

le  crucifix  sur  son  cœur  ;  que  lui  faut-il  de  plus  ! 
Il  l'embrasse  et  dans  ce  suprême  baiser,  il  oublie  la 
terre  et  les  souffrances.  "  Je  vois  le  ciel  au  bout  de 
tout  cela."  disait-il  en  expirant. 

Le  cardinal  Altieri,  évêque  d'Albano,  se  trouvait 
à  Rome  lorsqu'il  apprit  les  angoisses  de  sa  ville  : 
malgré  son  état  de  souffrance,  malgré  les  protesta- 
tions de  son  entourage,  il  partit  aussitôt  pour  don- 
ner à  son  peuple  le  reste  de  sa  vie.  Tout  le  jour,  il 
confessait,  consolait,  administrait  les  mourants,  et  se 
reposait  la  nuit  en  veillant  à  l'hôpital.  Sur  son  lit 
de  mort,  voyant  les  zouaves  qui  l'entouraient,  il  les 
bénit,  leur  recommanda  ses  malades,  leur  promit  ses 
prières.  On  décida,  pour  ne  pas  ajouter  à  la  pani- 
que de  la  population,  que  l'enterrement  se  ferait 
durant  la  nuit.     A  cette  nouvelle  tout  le  peuple 

accourt  ;  les  hommes  se  précipitent  pour  traîner  le 

• 
carosse,  les  zouaves  s'alignent  deux  à  deux  devant  la 

voiture,  la  population  entière  fait  escorte  avec  des 

torches,  au  chant  du  cantique  :  "  Fête  lugubre  et 

triomphale,  pleine  de  larmes  et  de  reconnaissance  !" 

Voilà  ce  que  faisaient  les  zouaves  dans  les  Etats 

de  l'Eglise,  lorsque  la  révolution  ne  les  forçait  pas  à 

courir  aux  armes  et  à  se  battre  pour  la  défense  du 

Vatican.     A-t-on  jamais 'vu  une-  armée  montrer  un 

dévouement   aussi  sincère,  aussi  héroïque  et   aussi 

sublime  ? 


L'INVASION  GAR1BALDIENNE 


Le  15  septembre  1864,  Napoléon  III  signa  une 
convention  passée  entre  la  France  et  l'Italie  et  en 
vertu  de  laquelle  l'empereur  des  Français  s'engageait 
à  retirer  ses  troupes  des  Etats  Pontificaux,  dans  un 
délai  de  deux  ans,  à  charge  pour  le  Piémont  de  res- 
pecter le  territoire  du  Saint-Siège  et  de  ne  pas  s'oppo- 
ser à  l'organisation  d'une  armée  papale.  C'était 
livrer  la  Papauté  aux  mains  des  révolutionnaires 
d'abord,  et  au  roi  Victor-Emmanuel  ensuite,  comme 
l'histoire  va  nous  le  démontrer.  C'était  afficher  de 
nouveau  la  politique  de  fourberie  inaugurée  en  1859. 
C'était  le  règne  des  convoitises  de  l'Italie  qui  s'an- 
nonçait à  courte  échéance.  En  effet,  le  gouvernement 
du  Piémont  tendait  secrètement  la  main  à  Garibaldi, 
le  chef  des  révolutionnaires,  tout  en  protestant  de  son 
dévouement  au  Saint-Siège. 

Pie  IX  fit  entendre  sa  voix  pour  dénoncer  la  viola- 
tion du  traité  de  1864  et  les  injustices  flagrantes  dont 


—  66  — 

il  était  l'objet.  Les  catholiques  de  France  tentèrent, 
mais  en  vain,  d'obtenir  de  l'empereur  un  délai  au 
retrait  de  ses  troupes  :  notre  ancienne  mère  patrie 
devait  continuer  à  descendre  dans  l'abîme  creusé  par 
la  politique  néfaste  et  anti-chrétienne  de  Napoléon  III. 

A  la  fin  de  l'année  1866,  l'iniquité  fut  consommée  : 
les  troupes  françaises  quittèrent  Rome.  A  leur 
départ,  Sa  Sainteté  Pie  IX  leur  adressa  ces  admira- 
bles paroles  : 

"  Allez,  mes  enfants  ;  partez  avec  ma  bénédiction, 
avec  mon  amour.  Si  vous  voyez  l'empereur,  dites- 
lui  que  je  prie  chaque  jour  pour  lui.  On  dit  que  sa 
santé  n'est  pas  très  bonne,  je  prie  pour  sa  santé.  On 
dit  que  son  âme  n'est  pas  tranquille,  je  prie  pour  son 
Ame.  La  nation  française  est  chrétienne,  son  chef 
doit  être  chrétien  aussi.  Ne  croyez  pas  que  vous  me 
laissez  seul,  le  bon  Dieu  me  reste." 

Ne  rencontrant  plus  d'obstacle  à  leur  ambition,  à 
leur  cupidité  et  à  leur  rage,  les  bandes  garibaldiennes 
se  ruèrent,  en  1867,  sur  le  territoire  pontifical  ;  elles 
saccageaient  les  villages,  elles  pillaient  les  caisses 
municipales,  elles  profanaient  les  couvents  et  les  sanc- 
tuaires et  rançonnaient  les  habitants.  Les  zouaves 
et  les  gendarmes  s'opposèrent  à  leurs  déprédations  et 
les  repoussèrent  sur  la  frontière.  Les  garibaldiens 
passèrent  à  travers  les  troupes  italiennes,  qui  étaient 


—  G7  — 

chargées,  en  apparence,  de  veiller  à  la  sûreté  des 
Etats  de  l'Eglise,  mais  qui  fermaient  les  yeux  sur  les 
faits  et  gestes  des  révolutionnaires,  et  ceux-ci  péné- 
traient librement  dans  le  Piémont  pour  aller  chercher 
des  hommes  et  des  munitions,  qui  leur  étaient  fournis 
par  le  gouvernement  de  Victor-Emmanuel  lui-môme. 
L'histoire  nous  donne  des  preuves  irréfutables  de  la 
complicité  des  autorités  italiennes. 

Le  théâtre  des  hostilités  que  couvraient  les  bandes 
garibaldiennes,  comprenait  toute  la  province  de 
Viterbe.  Comme  on  le  voit,  c'était  un  vaste  champ 
de  bataille.  Pour  faire  face  au  danger,  les  Zouaves 
Pontificaux  et  la  gendarmerie  papale  furent  forcés 
de  se  diviser  en  petits  détachements  et  de  se  porter 
à  tous  les  endroits  menacés.  Malgré  son  infériorité 
numérique,  l'armée  pontificale  était  applaudie  pour 
ses  brillants  faits  d'armes  à  Acquapendente,  à  Bagno- 
rea,  à  Nerola,  à  Farnèse,  à  Valentano,  à  Monte 
Libretti  et  à  quinze  autres  villes  ou  villages. 

A  Nerola,  le  lieutenant-colonel  de  Charette  battit 
les  garibaldiens,  qui  étaient  trois  fois  plus  nombreux 
que  les  zouaves  ;  il  a  eu  son  cheval  tué  sous  lui, 
mais  il  a  fait  dix-huit  prisonniers. 

A  Farnèse,  le  sous-lieutenant  Dufournel  trouva  la 
mort,  le  19  octobre,  dans  les  circonstances  suivantes  : 
Il  partit  à  onze  heures  du  matin  de  Valentano  pour 


.  _  68  — 

chasser  trois  cents  garibaldiens  qui  s'étaient  emparés 
de  Farnèse  ;  il  n'avait  que  vingt  zouaves  sous  ses 
ordres.  Le  capitaine  de  ligne  Sparacanna  l'accom- 
pagnait avec  une  trentaine  de  ses.  hommes.  En 
arrivant  à  un  demi-mille  de  Farnèse,  la  petite  troupe 
pontificale  reçut  soudainement  des  coups  de  fusil, 
partis  d'une  grande  maison  occupée  par  les  garibal- 
diens. Le  sous-lieutenant  Dufournel  tire  alors  son 
sabre  et  fait  avec  la  lame  le  signe  de  la  croix  en 
disant  :  "  Au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit,  en  avant  !"  Et  il  s'élance  suivi  de  ses 
zouaves.  Les  garibaldiens  ne  peuvent  résister  à  ce 
choc  impétueux  ;  ils  abandonnent  la  maison  dont 
ils  s'étaient  emparés  et  retraitent.  Les  zouaves 
s'installent  dans  la  même  maison  pour  <  délibérer, 
mais  ils  sont  attaqués  aussitôt  par  un  corps  de  deux 
cents  garibaldiens.  Emmanuel  Dufournel  donne 
l'ordre  d'ouvrir  la  porte  et  s'écrie  :  "  Chassons-les  à 
la  baïonnette  !"  Et  il  se  précipite  en  frappant  de 
son  sabre  un  garibaldien  qui  se  tenait  près  de  la 
porte  ;  mais  le  coup  est  si  violent  que  la  lame  casse 
en  deux  et  lui  échappe  des  mains.  Les  garibaldiens 
se  jettent  sur  lui  et  lui  portent  quatorze  coups  de 
baïonnette.  Tout  semble  désespéré  pour  les  zouaves  ; 
mais  il  n'en  est  rien  :  Ferdinand  de  Charette,  un 
des  frères  de  notre  lieutenant-colonel,  et  quelques 


—  69  — 

autres  zouaves  accourent  au  secours  de  leur  officier 
et  font  une  immense  trouée  parmi  les  garibaldiens, 
qui  prennent  la  fuite. 

Le  brave  sous-lieutenant  Dufournel,  mortellement 
blessé,  fut  transporté  immédiatement  à  Valentano, 
où  il  expira  le  lendemain  en  remerciant  Dieu  de  lui 
avoir  procuré  le  bonheur  de  mourir  pour  sa  sainte 
mère  l'Eglise  catholique. 

Cette  triste  nouvelle  fut  télégraphiée  à  son  frère 
Adéodat,  capitaine  adjudant-major  alors  en  garnison 
à  Rome.  Le  frère  bien-aimé  arriva  le  même  soir  à 
Valentano  ;  il  se  prosterna  la  face  contre  le  cercueil 
et  donna  l'ordre  d'envoyer  à  Rome  la  dépouille 
mortelle  de  son  cher  Emmanuel. 

Dix  jours  plus  tard,  Adéodat  Dufournel  était 
blessé  à  l'attaque  de  la  villa  Crecchina,  à  Rome,  et 
mourait  le  5  novembre.  Le  matin  de  son  trépas 
Adéodat  avait  entendu  la  messe  qu'un  de  nos  aumô- 
niers, le  R.  Père  de  Gerlache,  avait  dite  à  la  confes- 
sion de  Saint-Pierre.  La  messe  terminée,  le  Père  se 
retourna,  trouva  le  zouave  la  face  contre  terre  et  lui 
demanda  la  cause  du  rayonnement  de  toute  sa 
figure  :  "  Mon  Père,  j'ai  demandé  à  la  sainte  Vierge 
la  grâce  de  mourir  pour  l'Eglise."  Cette  grâce  lui 
fut  accordée  le  même  soir.  Voici  ce  que  nous  a 
raconté  au  sujet  d' Adéodat  Dufournel,  M.  de  Clisson 


—  70  — 

qui  était  à  ses  côtés  quand  il  tomba  frappé  d'une 
balle  en  pleine  poitrine  : 

"  Je  me  trouvais  sur  la  place  Saint-Pierre  avec 
quarante  hommes  de  ma  compagnie,  lorsque  M. 
Dufournel  vint  et  dit  à  M.  Ledieu,  notre  lieutenant  : 
"  Rassemblez  vos  hommes,  nous  allons  tout  près  d'ici 
voir  une  villa  où  l'on  prétend  qu'il  y  a  des  garibal- 
diens." Il  nous  fit  diviser  en  bandes  de  huit  hommes, 
conduite  chacune  par  un  gradé  chargé  de  les  placer 
autour  de  la  maison  et  de  diriger  le  feu.  Il  était  cinq 
heures  et  demie  du  soir  environ,  et  la  nuit  était  déjà 
descendue.  Nous  eûmes  bientôt  atteint  la  porte  de 
la  villa  que  nous  devions  visiter.  A  peine  le  premier 
zouave  avait-il  gravi  les  deux  ou  trois  marches  de 
l'entrée,  que  des  hommes  se  précipitèrent  pour  sortir 
du  jardin.  M.  Dufournel  s'élança  en  criant  :  "  En 
avant  !  "  et  c'est  à  ce  moment  qu'il  fut  atteint  par 
une  balle.  Je  commandais  le  second  groupe  ;  voyant 
quelqu'un  tomber,  j'étendis  la  main,  et  ce  n'est 
qu'alors  que  je  reconnus  celui  que  j'avais  dans  mes 
bras.  Aidé  d'un  homme  de  ma  compagnie,  je  le 
transportai  dans  la  rue,  et,  m'étant  assis  par  terre,  je 
F  appuyai  sur  mes  genoux.  Il  ouvrit  alors  les  yeux 
qu'il  avait  fermés  un  moment  et  me  dit  en  me  pres- 
sant la  main  :  "  C'est  fini,  je  suis  mort.  .." 


—  71  — 

Transporté  à  l'hôpital,  Adéodat  Dufournel  rendit 
son  âme  à  Dieu  le  5  novembre. 

Emmanuel  Dufournel  avait  27  ans,  et  Adéodat, 
29  ans.  Leurs  corps  reposent  dans  le  cimetière  de 
Saint-Laurent  hors  les  murs. 

Comprenant  l'immense  douleur  que  ressentirait  M. 
Dufournel,  père,  en  présence  de  ces  deux  fins  tragi- 
ques, arrivées  presque  coup  sur  coup,  notre  Saint- 
Père  Pie  IX  lui  écrivit  pour  le  consoler  :  "  Vous 
m'avez  donné  deux  soldats  ;  je  vous  rends  deux 
saints ."  Ces  paroles  du  successeur  de  Pierre  valent 
à  elles  seules  tous  les  éloges  que  nous  pourrions  faire 
de  ces  deux  glorieux  martyrs  de  la  foi. 

A  Monte  Libretti,  le  lieutenant  Guillemin  donne 
une  nouvelle  preuve  de  la  valeur  et  de  l'héroïsme 
des  zouaves.  Douze  cents  garibaldiens  occupaient 
cette  forteresse,  construite  sur  une  montagne  et 
dominant  la  route. 

Guillemin,  avec  ses  quatre-vingt-dix  zouaves, 
n'hésite  pas  à  gravir  la  montagne  au  milieu  d'une 
grêle  de  balles  et  essaye  d'enlever  à  la  baïonnette 
cette  ville  ferrhée  et  défendue  par  un  ennemi  puissant 
en  nombre,  commandé  par  Menotti  Garibaldi.  Les 
zouaves  ne  peuvent  réussir  à  enfoncer  les  portes  : 
mais  les  garibaldiens,  effrayés  da  tant  de  courage  et 


—  72  — 

d'audace,  évacuent  la  ville  pendant  la  nuit  et  fuient 
devantjes  soldats  du  Pape. 

Au  milieu  de  la  mêlée,.  Guillemin  est  tombé  pour 
ne  plus  se  relever  :  Dieu  voulait  une  victime  pure. 
Ce  brave  des  braves  était  mûr  pour  le  ciel  ;  car,  le 
matin,  il  avait  dit  à  l'aumônier  :  "Je  me  confesserais 
volontiers,  mais  je  n'ai  rien  sur  la  conscience."  Ce 
héros  chrétien  n'avait  pas  peur  de  la  mort. 

Que  de  prodiges  cette  petite  poignée  de  soldats  du 
Pape  n'a-t-elle  pas  accomplis  pendant  cet  assaut 
meurtrier  !  C'est  alors  que  le  caporal  de  Jong  s'est 
jeté  au  milieu  des  garibaldiens  et  qui,  sans  recevoir 
la  moindre  égratignure,  en  a  assommé  ou  percé 
quatorze.  Epuisé  de  fatigue,  il  se  jeta  à  genoux  et 
attendit  la  mort  avec  calme,  comme  autrefois  les 
martyrs  du  Colisée.  Les  garibaldiens,  furieux  comme 
des  démons,  le  criblèrent  de  coups  de  baïonnette. 
C'est  ce  jeune  homme  qui  écrivait,  un  jour,  à  sa 
mère  :  "  Quand  les  protestants  vous  diront  que  la 
chaire  de  saint  Pierre  est  vermoulue,  répondez-leur 
que  cela  n'est  pas  vrai.  Dites-leur  que  Pierre  Jong 
et  son  cousin  Guillaume  l'ont  vue,  et  aj'outez  qu'elle 
est 'solide." 

Nous  pourrions  citer  une  foule  d'autres  traits  sem- 
blables ;  mais  ces  citations  retarderaient  inutilement 
notre  récit  historique.  Nous  disons  inutilement,  parce 


—  73  — 

que  nous  possédons  le  témoignage  de  Pie  IX  et  des 
officiers  de  plusieurs  armées  de  l'Europe  sur  les 
exploits  glorieux  des  Zouaves  Pontificaux  depuis 
Castelfidardo  jusqu'à  leur  licenciement. 


LA  REVOLUTION  A  ROME 


Pendant  que  ces  graves  et  sinistres  événements  se 
passaient  sur  différents  points  des  Etats  de  l'Eglise, 
la  plus  grande  tranquillité  régnait  à  Rome.  Ce  calme 
plat  n'était  que  le  précurseur  de  la  tempête.  En 
effet,  le  22  octobre  au  soir,  la  révolution  se  déchaîna 
avec  une  furie  épouvantable  dans  tous  les  quartiers 
de  la  ville  sainte.  A  six  heures,  le  cri  "  Aux  Armes  "! 
fit  sortir  tous  les  zouaves  de  leurs  casernes  ;  toutes  les 
boutiques,  les  cafés,  les  restaurants  et  les  magasins  se 
fermèrent.  Des  patrouilles  de  zouaves  et  de  gen- 
darmes s'organisèrent  dans  toutes  les  rues  pour  faire 
face  à  l'orage  ;  car  des  bandes  furieuses  voulaient 
s'emparer  des  postes  et  des  casernes  de  l'armée  ponti- 
ficale et  se  dirigeaient  vers  le  Capitole  pour  sonner 
la  cloche  d'alarme.  Mais,  partout,  les  zouaves,  les 
gendarmes  et  les  chasseurs,  (  'qœciatari,  repoussèrent 
les  émeutiers. 


—  76  — 

L'on  n'entendait  que  d'effroyables  détonations 
dans  toutes  les  directions,  lorsque,  tout  à  coup,  une 
explosion  formidable  jeta  la  terreur  dans  toutes  les 
âmes.  C'était  la  caserne  de  Serristori,  occupée  par 
des  zouaves,  qui  venait  de  sauter.  Trois  étages 
furent  renversés,  et  du  milieu  des  ruines  amoncelées 
s'élevaient  les  plaintes  déchirantes  des  blessés.  Mgr 
de  Mérode,  M.  l'abbé  Daniel,  aumônier  du  régiment, 
et  le  colonel  Allet  accoururent  aussitôt  sur  la  scène 
tragique  et  organisèrent  un  service  de  sauvetage. 
On  retira  des  décombres  vingt-deux  cadavres  et 
douze  blessés  ;  les  autres  zouaves  étaient  sains  et 
saufs. 

Les  bombes  Orsini  jouèrent  un  grand  rôle  pendant 
cette  lugubre  nuit.  Un  révolutionnaire  fut  arrêté 
au  moment  où  il  en  lançait  une.  Interrogé  sur  son 
action  infâme,  il  répondit  qu'il  faisait  cela  pour 
s'amuser.  C'était,  en  effet,  un  agréable  passe-temps 
au  milieu  des  ténèbres  !  Un  autre  bandit,  porteur 
de  deux  bombes,  reçut  sur-le-champ  la  punition  de 
son  crime  ;  l'une  d'elles  fit  explosion  sur  lui,  et  il 
fut  tué  raide.     On  le  trouva  baigné  dans  son  sang. 

Ce  n'est  qu'à  deux  heures  du  matin  que  l'ordre 
fut  rétabli.  Les  révolutionnaires,  battus  et  repoussés 
dans   tous   les   quartiers,    disparurent   comme   par 


—  77  — 

enchantement   et   s'éloignèrent    de    Rome  au   pas 
gymnastique. 

Les  garibaldiens  voulaient  anéantir  le  régiment 
des  zouaves  en  soulevant  cette  émeute  au  milieu  des 
ténèbres  et  en  voulant  miner  toutes  les  casernes  ; 
mais  leur  diabolique  projet  fut  déjoué,  et  les  lâches 
durent  chercher  leur  salut  dans  la  fuite,  suivant  leur 
habitude. 


LE  GENERAL  DE  CHARETTE  A  PATAY. 


LA  BATAILLE  DE  MENTANA 


Pendant  ce  temps-là,  Garibaldi,  l'ermite  révolu- 
tionnaire de  Caprera,  sort  de  son  île,  située  en  face 
de  Naples,  se  rend  à  Florence  et,  à  la.  tête  de  10,000 
aventuriers  et  soldats,  fond  comme  un  ouragan,  le  3 
novembre,  sur  Mentana,  petite  ville  d'environ  1,000 
âmes,  à  cinq  lieues  au  nord-est  de  Rome.  Un  fait 
historique  important  se  rattache  à  cette  bourgade  : 
c'est  là  que  l'illustre  Charlemagne  eut  une  entrevue 
avec  le  pape  Léon  III,  lorsque  l'empereur  des  Francs 
se  rendait  à  Rome,  en  l'an  800,  pour  y  recevoir  la 
couronne  impériale. 

Les  étrangers  qui  visitent  la  Ville  Eternelle  se 
font  un  devoir  d'aller  à  Mentana  fouler  le  champ  de 
bataille  où  l'armée  pontificale  remporta,  le  3  novem- 
bre 1867,  une  si  brillante  victoire  sur  le  porte-éten- 
dard des  révolutionnaires  et  des  sociétés  secrètes, 
Garibaldi,  le  général  en  chef  du  bataillon  ou  du 
régiment  des  Chemises  Rouges.      A  l'approche  de 


—  80  — 

cet  implacable  ennemi  de  la  Papauté  et  de  l'Eglise 
catholique,  Rome  trembla.  La  population  était 
tellement  terrifiée  qu'elle  se  préparait  à  s'enfuir  vers 
les  montagnes  en  apprenant  cette  nouvelle  alar- 
mante. Un  deuil  universel  enveloppait  la  ville  aux 
sept  collines.  La  crainte  avait  glacé  le  sang  dans 
les  veines  des  plus  intrépides.  Les  églises  regor- 
geaient de  fidèles  implorant  la  protection  du  Très- 
Haut.  Partout,  à  chaque  coin  de  rues,  sur  les  places 
publiques,  on  entendait  des  gémissements  et  des 
sanglots.  Encore  quelques  heures,  et  Rome  et  le 
Père  commun  des  fidèles  seront  au  pouvoir  des  révo- 
lutionnaires, entre  les  mains  d'un  homme  sans  cœur 
et  sans  honneur.  Quels  maux  vont  fondre  sur  la 
ville  des  Papes  ! 

Mais,  consolons-nous  ;  l'auguste  vieillard  du 
Vatican  avait  prié  pour  l'Eglise  et  le  Ciel  avait 
exaucé  sa  prière. 

Pie  IX  bénit  sa  petite  mais  vaillante  armée  et  lui 
donne  l'ordre  de  marcher  au  combat.  Les  zouaves 
volent  à  Mentana,  taillent  en  pièces  les  bandes  gari- 
baldiennes  et  rentrent  dans  Rome  couverts  de  lau- 
riers et  de  blessures.  L'Eglise  venait  d'ajouter  une 
nouvelle  page  glorieuse  à. sa  glorieuse  histoire,  et  le 
Canada  avait  arrosé  de  son  sang  pour  la  première 
fois  le  sol  romain  dans  la  personne  de  M.  H.  Murray 


—  81  — 

de  Québec,  et  de  M.  Alfred  LaRocque,  de  Montréal, 
tous  deux  décorés  de  la  croix  de  Pie  IX  pour  leur 
bravoure,  et  dormant  aujourd'hui  leur  dernier  som- 
meil, le  premier  sur,  la  terre  d'Espagne,  et  le  second 
dans  le  cimetière  de  Montréal.  Honneur  à  la  natio- 
nalité franco-canadienne  ! 

Le  combat  avait  duré  cinq  heures.  Garibaldi, 
bien  plus  poltron  que  brave,  avait  pris  la  fuite  pen- 
dant la  bataille,  en  laissant  ses  Chemises  Rouges  à 
leur  triste  sort.  Se  voyant  cerné  par  les  zouaves,  il 
sauta  sur  son  cheval  et  galoppa  vers  Monte-Rotondo 
en  disant  à  ses  officiers  de  le  rejoindre  dans  cette 
ville.  Mais  le  fuyard  fit  tellement  jouer  les  éperons 
que  sa  monture  prit  le  mors  aux  dents  et  ne  s'arrêta 
avec  son  cavalier,  bien  entendu,  que  lorsqu'elle  eut 
franchi  la  frontière  du  Piémont. 

Les  officiers  garibaldiens  retournèrent  à  Monte- 
Rotondo,  suivant  l'ordre  de  leur  général  ;  mais  le 
triste  sire  avait  pris  la  poudre  d'escampette,  comme 
nous  venons  de  le  voir.  Les  vainqueurs  et  les  vain- 
cus, en  apprenant  la  fuite  de  ce  héros — soulignons  le 
mot — ,  s'écrièrent  :  "  Le  général  Montre-ton-dos  a 
disparu."  C'est  Monte-Rotondo  qu'on  avait  changé 
en  montre  ton  dos,  et,  il  faut  l'avouer,  le  qualificatif 
était  bien  choisi. 
6 


—  82  —    ' 

Nous  avons  raconté  la  bataille  de  Mentana  au  pas 
de  course  ;  mais  n'allez  pas  croire  que  la  victoire  a 
été  gagnée  aussi  rapidement  et  aussi  facilement  que 
vous  venez  de  le  voir.  Non,  la  lutte  a  été  acharnée 
et  chaudement  contestée.  Plusieurs  zouaves  sont 
morts  victimes  de  leur  dévouement  à  la  cause  de 
l'Eglise,  et  un  grand  nombre  d'autres  ont  été  plus 
ou  moins  grièvement  blessés.  La  petite  troupe  des 
zouaves  ne  comprenait  que  3,000  hommes,  et  les 
garibaldiens  étaient  au  nombre  de  10,000  combat- 
tants, comme  nous  l'avons  déjà  dit.  La  partie  n'était 
donc  pas  égale.  Et  puis  l'ennemi  occupait  la 
ville,  se  tenant  à  l'abri  des  vignes  et  des  collines  qui 
entourent  Mentana  ;  sa  position  était  excellente  ; 
tandis  que  les  zouaves  pontificaux  se  trouvaient  en 
rase  campagne,  n'ayant  d'autre  défense  que  leur 
courage  et  leur  bravoure,  stimulés  par  le  vaillant 
lieutenant-colonel  de  Charette.  C'est  le  héros  de 
Castelfidardo  que  nous  retrouvons  ici. 

Pendant  cette  bataille,  le  futur  général  de  Charette 
s'est  conduit  comme  un  digne  fils  de  la  Vendée.  Les 
garibaldiens  avaient  établi  leurs  quartiers-généraux 
dans  la  vigne  Santucci,  à  deux  pas  de  Mentana,  et 
c'est  là  qu'ils  avaient  concentré  le  gros  de  leur  armée. 
Cette  vigne  était  entourée  d'un  mur  de  brique.  C'était 
donc  une  véritable  citadelle  pour  l'ennemi.   En  pro- 


—  83  — 

fitant  des  accidents  de  terrain,  les  zouaves  étaient  par- 
venus à  une  centaine  de  verges  de  cette  forteresse  et 
se  tenaient  cachés  derrière  de  petits  arbres  disséminés 
ca  et  là,  tout  en  continuant  un  feu  de  tirailleurs  des 
mieux  nourris.  M.  de  Charette  trouve  que  la  besogne 
ne  va  pas  assez  vite.  Il  commande  donc  une  charge 
à  la  baïonnette.  Les  zouaves  se  lancent  de  l'avant 
comme  des  lions  furieux  ;.  accueillis  par  une  grêle 
de  balles,  ils  s'arrêtent,  ils  hésitent  en  présence  d'un 
aussi  grand  danger  ;  mais  ils  ne  perdent  pas  courage 
— les  zouaves  n'ont  jamais  donné  ce  triste  spectacle. 
Les  balles  continuent  de  tomber  dru  comme  mou- 
ches et  commencent  à  faire  des  vides  dans  les  rangs 
pontificaux. 

M.  de  Charette  réalise  bientôt  la  situation.  Un  seul 
moment  d'hésitation  peut  faire  perdre  la  bataille  et 
être  la  cause  de  la  ruine  complète  de  l'armée  du 
Pape.  "  En  avant  les  zouaves,  s'écrie-t-il,  ou  je  me 
fais  tuer  sans  vous."  Et,  agitant  avec  la  pointe  de 
son  épée  un  bonnet  rouge  d'un  chef  garibaldien  qu'il 
venait  de  mettre  hors  de  combat,  il  se  précipite  sur 
l'ennemi.  Ses  paroles  et  son  exemple  électrisent  les 
zouaves,  qui  se  ruent  au  pas  de  charge  sur  la  vigne 
Santucci,  en  bondissant  comme  des  cerfs  dans  la 
forêt.  Rien  ne  peut  alors  résister  à  leur'élan  impé- 
tueux :  rien  n'arrête  leur  marche  précipitée  ;  c'est  un 


—  84  — 

torrent  qui  renverse  tout  sur  son  passage.  D'un  saut 
ils  arrivent  à  la  porte.  Une  nouvelle  pluie  de  balles 
inonde  l'armée  pontificale.  Le  lieutenant-colonel  de 
Charette  et  les  zouaves  y  répondent  par  les  cris  de  : 
".Vive  le  Pape  !  Vive  Pie  IX  !  "  Ils  franchissent  le 
mur,  ils  culbutent  les  garibaldiens  et  les  chassent 
devant  eux  à  coups  de  crosse  de  sabre.  Des  centaines 
de  garibaldiens  tombent  pour  ne  plus  se  relever. 
Plusieurs  chemises  rouges  déposent  les  armes,  se 
jettent  à  genoux  et  demandent  grâce  en  criant  : 
"  Vive  Pie  IX,  "  et  en  maudissant  le  monstre  de 
Caprera. 

Du  même  élan,  les  zouaves,  toujours  guidés  par 
M.  de  Charette,  pénètrent  dans  Mentana  et  mettent 
en  déroute  de  reste  de  l'armée  de  Garibaldi.  Les 
révolutionnaires  prennent  leurs  jambes  à  leur  cou 
et  regagnent  la  frontière. 

M.  le  baron  de  Charette  venait,  par  un  coup  de 
sublime  audace,  de  décider  du  sort  de  la  bataille  et 
de  sauver  Rome  de  la  domination  sectaire.  C'est  le 
véritable  soldat  chrétien  qui  nous  donne  ainsi  l'ex- 
emple d'un  courage  de  héros  et  se  distingue  par  des 
actes  dignes  des  anciens  Croisés,  et  lui  seul  peut  se 
battre  en  brave,  parce  qu'il  ne  craint  pas  la  mort. 

Le  colonel  Allet  ne  se  montra  pas  moins  coura- 
geux que  son  lieutenant-colonel  ;  mais  il  était  moins 


—  85  — 

bouillant  que  lui  ;  son  sang-froid  excitait  l'admira- 
tion de  tous  les  zouaves.  Les  balles  ne  lui  faisaient 
pas  courber  la  tête,  à  celui-là.  Voici  un  trait  de 
bravoure  qui  vient  à  1* appui  de  notre  thèse  : 

Pendant  la  bataille,  papa  Allet,  comme  nous  l'ap- 
pelions au  régiment,  se  tenait  au  front  et  un  'peu  à 
côté  de  son  armée  et 'suivait  les  différentes  péripéties 
de  la  mêlée,  tout  en  fumant  tranquillement  un 
cigare,  lorsqu'il  aperçut  un  garibaldien  qui  le  met- 
tait en  joue.  Sans  laisser  percer  la  moindre  émotion, 
le  colonel  Allet  le  regarde  viser.  Le  garibaldien 
fait  feu  et ...  le  colonel  ne  reçoit  aucune  blessure. 
Alors,  se  tournant  vers  les  zouaves,  Allet  dit  en 
riant  :  "  Oh  !  qu'il  est  bête  !  il  me  vise,  il  tire  et  il 
ne  me  tue  pas." — "  Donne-moi  ta  carabine  ",  ajoute- 
t-il  en  s'adressant  à  un  zouave.  Notre  bon  colonel 
épaule  sa  carabine,  pointe  le  garibaldien,  fait  feu  et 
le  soldat  à  la  chemise  rouge  tombe  raide  mort. 
"  Tiens,  dit-il  en  remettant  l'arme  qu'il  avait  em- 
pruntée, c'est  comme  cela  qu'on  vise  dans  l'armée 
pontificale."  Un  tel  sang-froid  et  un  tel  courage  se 
passent  de  commentaires. 

Ce  sont  les  zouaves  pontificaux,  et  non  les  soldats 
de  l'armée  française,  comme  on  l'enseigne  fausse- 
ment en  France  aujourd'hui,  qui  ont  culbuté  les 
garibaldiens  en  cette  journée  mémorable,  s  Voici,  à 


—  86  — 

ce  sujet,  le  témoignage  d'un  Français  présent  à 
cette  bataille  : 

"  Yers'trois  heures  et  demie,  les  Français  arri- 
vèrent devant  les  murs  de  Mentana,  s' annonçant 
d'une  manière  significative  par  une  décharge  de 
cinq  minutes.  Quelle  chose  épouvantable  que  ces 
fusils  chassepots  ! 

On  aurait  cru  entendre  un  roulement  de  tambour. 
C'était  la  première  fois  que  nos  soldats  se  servaient 
de  pareilles  armes,  et  il  est  heureux  que  l'expérience 
en  ait  été  faite  sur  les  ennemis  de  la  Papauté. 

"  Certes  !  loin  de  nous  la  pensée  de  diminuer  le 
rôle  de  l'armée  française  et  de  lui  ravir  la  moindre 
parcelle  d'une  gloire  bien  acquise.  Mais  il  est  bon 
de  flétrir  l'injustice  de  ceux  qui  s'obstinent  à  lui  attri- 
buer tout  l'honneur  de  la  journée.  Son  drapeau  fut 
comme  une  menace  sur  le  champ  de  bataille  et  jeta 
l'épouvante  au  cœur  des  garibaldiens  ;  elle  contint 
par  sa  présence  les  bataillons  piémontais  campés  à 
quelques  milles  du  terrain  de  la  lutte  :  enfin,  grâce 
aux  habiles  manœuvres  exécutées  par  elle  aux  abords 
de  Monte-Rotondo  et  dans  la  plaine,  elle  intercepta 
les  renforts  ennemis.  Mais,  encore  une  fois,  toutes 
les  positions  avaient  été  enlevées  lorsqu'elle  vint 
prendre  une  part  active  à  l'affaire. 

"  Les  vaincus  jugèrent  moins  humiliant  de  rejeter 


—  87  — 

leur  défaite  sur  les  merveilles  des  chassepots,  et  ce  fut 
pour  tous  les  ennemis  de  l'Eglise  un  dédommagement 
que  d'exclure  l'armée  pontificale  d'un  triomphe 
acheté  par  sajbravoure." 


LES  ZOUAVES  PONTIFICAUX 
CANADIENS 


Cette  brillante  victoire  procura  une  ère  de  paix  de 
trois  ans  au  Vicaire  de  Jésus-Christ  ;  mais  elle  donna 
lieu,  en  même  temps,  à  la  glorieuse  croisade  cana- 
dienne de  1868.  En  effet,  émue  avec  raison  des 
échauffourées  sans  cesse  répétées  et  de  la  hardiesse 
des  bandes  garibaldiennes  ou  des  cohortes  révolu- 
tionnaires, Sa  Sainteté  Pie  IX  éleva  la  voix  et  con- 
jura les  nations  catholiques  de  lui  envoyer  des  bras 
valeureux  pour  le  défendre  contre  les  formidables 
assauts  des  ennemis  de  l'Eglise. 

Sa  Grandeur  Mgr  Bourget,  évêque  de  Montréal, 
publia  aussitôt  un  mandement  invitant  la  jeunesse 
de  son  diocèse  à  s'enrôler  sous  le  drapeau  pontifical, 
et,  nouveau  Pierre  l'Ermite,  il  lança  cet  appel 
sublime  :  "  Dieu  le  veut,  enfants  du  Canada,  partez 
pour  Rome."  Mgr  Baillargeon,  archevêque  de  Qué- 
bec, Mgr  Laflèche,  évêque  des   Trois-Rivières,  Mgr 


—  90  — 

Langevin,  évêque  de  Rimouski,  tous  les  évêques  et 
les  prêtres  canadiens,  en  un  mot,  joignirent  leur  voix 
à  celle  de  l' évêque  de  Montréal,  et  cinq  cents  jeunes 
Canadiens  allèrent  se  ranger  sous  l'étendard  du  Pape 
pendant  les  années  1868,  1^69  et  1870. 

La  croisade  des  Zouaves  Pontificaux  Canadiens  est 
connue  de  tous  nos  compatriotes.  M.  le  chanoine 
Moreau,  l'un  de  nos  dévoués  aumôniers,  s'en  est  fait 
l'historien  et  nous  en  a  donné  un  récit  détaillé. 
Nous  n'avons  donc  pas  à  nous  occuper  de  cette  glo- 
rieuse épopée — "  Nos  Croisés  "  renferment  tous  les 
renseignements  désirables  sur  les  jeunes  gens  du 
Canada  qui  ont  pris  les  armes  pour  la  défense  de  la 
Papauté. 

Nous  nous  contenterons  de  rappeler  ici  deux 
appréciations  sur  cette  page  de  notre  histoire  :  l'une 
de  Sa  Seigneurie  le  juge  Routhier,  et  l'autre  de  feu 
Mgr  Bourget. 

Voici  les  paroles  que  l'honorable  juge  Routhier 
prononçait  dans  le  cours  de  son  magnifique  discours 
à  l'ouverture  du  Congrès  Catholique  tenu  à  Québec, 
en  1880  : 

"  La  France  avait  un  autre  devoir  découlant  de 
son  alliance  :  c'était  de  défendre  l'Eglise  dans  le 
danger  ;  et  vous  savez  que  lorsqu'elle  y  a  manqué, 
elle  a  toujours  senti  le   contre-coup  des  malheurs  de 


—  91  — 

l'Eglise.  Il  est  possible  que  Dieu  nous  destine  à  ce 
rôle  dans  l'avenir  comme  notre  ancienne  mère  patrie, 
et  c'est  un  des  événements  les  plus  glorieux  de  notre 
histoire  d'avoir  pu,  déjà  figurer  à  côté  de  la  France 
dans  les  armées  de  l'Eglise. 

"  Il  y  a  dix  ans  que  le  pontife  de  Rome  a  vu  ce 
spectacle  magnifique  :  la  mère  et  la  fille  unies  dans 
le  même  amour  et  le  même  dévouement,  traversant 
les  mers  pour  la  défense  de  la  même  cause  et  deve- 
nant toutes  deux  sentinelles  du  Vatican  !  La  mère 
enseignant  à  sa  fille  le  dur  métier  des  armes  qu'elle 
a  pratiqué  pendant  tant  de  siècles,  et  la  fille  rappe- 
lant à  sa  mère  la  foi  ardente  de  ses  jeunes  années  ! 

"  Ce  souvenir  vous  fait  tressaillir  et  produit  sans 
doute  un  gonflement  d'orgueil  dans  vos  poitrines. 
C'est  un  bonheur  pour  moi  de  vous  le  rappeler  en 
ce  moment  où  j'aperçois  réunis  nos  excellents  zoua- 
ves. Honneur  à  eux  !  puisqu'en  offrant  généreuse- 
ment leur  vie  à  l'Eglise  de  Dieu,  ils  ont  ratifié  et 
sanctionné  de  nouveau  le  pacte  sacré  qui  nous  unit 
à  elle  !" 

Sa  Grandeur  Mgr  Bourget  se  rendit  à  Rome  en 
1869.  Voici  ce  qu'il  écrivait  à  l'administrateur  de 
son  diocèse,  au  mois  de  mars  de  cette  même  année, 
en  parlant  des  Zouaves  canadiens  : 


—  92  — 

"  Par  principe  de  foi,  ils  sont  sincèrement  dévoués, 
affectionnés,  dévots  même  envers  le  Père  commun 
des  fidèles.  On  n'en  saurait  douter,  quand  on  fait 
attention  aux  sacrifices  qu'ils  ont  dû  faire  pour  lui 
prouver  leur  attachement  filial.  Il  leur  a  fallu,  en 
effet,  s'arracher  à  la  tendresse  de  leurs  parents, 
renoncer  aux  douceurs  de  la  patrie,  tourner  le  dos  à 
un  avenir  plus  ou  moins  flatteur,  affronter  les  dan- 
gers d'un  climat  qu'ont  à  redouter  les  étrangers, 
embrasser  un  genre  de  vie  qui  a  ses  souffrances  et 
ses  ennuis,  s'assujétir  à  un  régime  qui  impose  à  de 
grandes  privations  à  quiconque  n'y  est  pas  accou- 
tumé, faire  de  longues  et  péuibles  marches,  sac  au 
dos  et  l'arme  au  bras,  au  risque  de  s'écorcher  les 
pieds  en  traversant  les  marais  et  de  n'avoir,  la  nuit, 
pour  abris  que  de  misérables  étables  ou  écuries, 
exposées  à  tous  les  vents.  A  ces  souffrances  physi- 
ques viennent  se  joindre  les  peines  morales,  les 
ennuis  de  la  caserne,  les  misères  des  caractères,  les 
brusqueries  militaires,  les  punitions  sévères,  surtout 
quand  elles  ne  sont  pas  méritées,  mais  auxquelles  il 
faut  cependant  se  soumettre  sans  réplique,  l'assujé- 
tissement  journalier  aux  règles  d'une  discipline  rigou- 
reuse. Tout  cela,  et  bien  d'autres  choses  encore, 
froisse  et  irrite  d'ordinaire  des  jeunes  gens  qui  ont  eu 
toutes  leurs  aises,  dans  la  maison  paternelle. 


—  93  — 

Lorsqu'ils  ont  à  souffrir  quelque  mauvais  traite- 
ment, qu'il  leur  faut  faire  une  marche  forcée,  que  la 
gamelle  ne  peut  suffire  à  satisfaire  leur  appétit  dévo- 
rant, on  les  entend  dire  :  "  C'est  pour  la  bonne  cause  ; 
c'est  pour  le  Pape  que  nous  souffrons  "  ;  et  les  voilà 
contents,  gais  et  joyeux.  "  On  nous  l'avait  dit  ; 
nous  l'avons  bien  voulu  ;  nous  n'avons  donc  pas  à 
nous  plaindre.  Au  commencement  cette  vie  nous 
paraissait  bien  dure  ;  maintenant  nous  y  sommes  faits 
et  rien  ne  nous  coûte.  Nous  n'avons  plus  qu'une 
chose  à  désirer  :  c'est  de  verser  notre  sang  pour  le 
Pape.  Nous  "espérons  bien  que,  pour  l'amour  de 
notre  bon  Père,  nous  nous  battrons  avant  que  notre 
engagement  soit  fini,  et  que  nous  laisserons  dans  le 
cimetière  de  Saint-Laurent  avant  de  partir,  quelques 
uns  des  nôtres,  et  que  nous  nous  en  retournerons  dans 
notre  cher  Canada  avec  de  glorieuses  blessures". . 

"Le  général  Kanzler,  le  colonel  Allet,  le  colonel 
d'Argy,  le  lieutenant-colonel  de  Charette  et  plusieurs 
autres  officiers  de  l'armée  pontificale,  que  j'ai  vus 
tour  à  tour,  n'ont  que  des  éloges  à  faire  de  nos  com- 
patriotes ;  et  tous  m'ont  témoigné  leur  désir  de 
grossir  leurs  bataillons  respectifs  de  nouvelles  recrues 
faites  au  Canada,  On  voudrait  les  enrôler  dans 
l'artillerie,  dans  la  légion,  dans  -le  corps  des  carabi- 
niers, mais  les  officiers  zouaves  prétendent  avoir  droit 


—  94  — 

d'enregistrer  dans  leur  corps  tous  ceux  qui  seront  de 
nouveau  envoyés  comme  renforts  à  l'armée  pontifi- 
cale, qui  en  a  grandement  besoin,  comme  tout  le 
monde  en  convient." 

Ces  belles  paroles  de  Mgr  Bourget  nous  dispensent 
de  parler  des  fatigues  et  des  privations  que  nous  avons 
eues  à  endurer  pour  nous  former  au  régime  militaire, 
de  nos  marches  forcées,  de  notre  vie  de  camp  et  de 
garnison,  du  bonheur  que  nous  avons  éprouvé  à 
l'ombre  du  drapeau  pontifical,  et  de  l'estime  dont 
nous  avons  été  l'objet  de  la  part  de  Sa  Sainteté  Pie 
IX  et  de  tous  les  officiers  du  régiment  des  zouaves 
pontificaux,  depuis  le  général  en  chef  jusqu'au  plus 
humble  sous-lieutenant.  Nous  nous  bornerons  donc  à 
relater  les  principaux  événements  qui,  de  1868  à 
1870,  ont  ajouté  de  nouvelles  pages  aux  annales 
de  notre  régiment  et  à  l'histoire  de  l'Eglise.  Jusqu'à 
la  bataille  de  Mentana,  comme  nous  le  disons  dans 
notre  introduction,  nous  avons  été  forcé  de  consul- 
ter différents  historiens  et  de  leur  faire  des  em- 
prunts pour  donner  un  aperçu  aussi  fidèle  que  possi- 
ble de  cette  période  de  neuf  ans,  tour  à  tour  glorieuse 
et  douloureuse  pour  la  Papauté.  Maintenant,  nous 
entrons  pour  ainsi  dire  sur  un  domaine  que  nous 
avons  nous-même  parcouru  en  tous  sens.  C'est 
comme   témoin  et  comme  acteur  que   nous   allons 


—  95  — 

exposer  brièvement  les  principales  actions  auxquelles 
le  régiment  des  zouaves  pontificaux  a  été  mêlé  pen- 
dant ses  deux  dernières  années  de  service  dans  les 
•Etats  de  l'Eglise. 


LE    COLONEL    ALLET 


LE  BRIGANDAGE 


Quelques  mois  après  notre  arrivée  à  Rome,  le 
troisième  dépôt,  composé  presque  entièrement  de 
Canadiens,  fut  envoyé  en  garnison  à  Velletri,  ville 
importante  des  anciens  Volsques  et  située  à  36 
milles  environ  au  sud  de  Rome. 

La  vie  de  garnison  en  province  est  assez  mono- 
tone et  ennuyeuse  ;  mais,  à  Velletri,  nous  n'étions 
pas  exposés  à  subir  ces  deux  inconvénients,  puisque 
nous  n'avions  pas  un  seul  jour  de  repos.  Aussitôt 
la  manœiîvre  terminée,  il  nous  fallait  faire  la 
patrouille  dans  la  ville  et  la  chasse  aux  brigands 
dans  les  montagnes. 

Le  brigandage,  en  Italie,  est  une  véritable  plaie 
sociale  et  s'y  pratique  sur  une  grande  échelle.  De 
tous  temps  les  souverains  ont  travaillé  à  faire  dispa- 
raître ce  fléau  ;  mais  ils  ont  toujours  échoué  dans 
leur   courageuse    entreprise,    et  l'on    n'en  doit  pas 

être  surpris,  si  l'on  fait  attention  à  la  conformation 

7 


—  98  — 

de  ce  pays  qui,  par  ses  nombreues  chaînes  de  mon- 
tagnes, offre  un  refuge  assuré 'aux  brigands. 

Les  brigands  qui  se  tiennent  cachés  dans  les  mon- 
tagnes sont  assez  nombreux.  Ces  voleurs  de  grands 
chemins  n'ont  pas  de  demeure  fixe.  Un  soir,  ils 
s'installeront  dans  une  grotte  profonde,  et,  un  autre 
jour,  ils  se  logeront  à  plusieurs  milles  de  là  dans  une 
autre  habitation  caverneuse.  Ils  connaissent  parfai- 
tement toutes  les  montagnes  et  les  collines  :  cre- 
vasses, grottes,  cavités  souterraines,  déniés,  tout  leur 
est  familier  ;  ils  peuvent  donner  la  topographie  des 
rochers  aussi  facilement  qu'un  enfant  récite  son 
catéchisme.  Il  est  plus  difficile  de  mettre  la  main 
sur  un  brigand  que  d'abattre  un  orignal  au  milieu 
de  nos  vastes  forêts.  Vous  croyez  les  saisir,  vous 
n'êtes  plus  qu'à  quelques  arpents  des  fuyards,  vous 
les  voyez  courir  devant  vous,  et  tout-à-aoup  il  n'y  a 
plus  rien.  Les  brigands  ont  disparu  comme  par 
enchantement.  On  dirait  qu'ils  possèdent  une  vraie 
baguette  de  fée.  Vous  fouillez  toutes  les  sinuosités, 
tous  les  coins  et  recoins  et  toutes  les  fissures  des 
rochers  sur  lesquels  ils  glissaient,  pour  ainsi  dire,  il 
n'y  a  qu'un  instant,  et  vous  ne  trouvez  aucune  trace 
de  leur  passage,  aucun  vestige,  aucun  indice  qui 
puisse  vous  guider  dans  vos  recherches.  La  mon- 
tagne s'est  entr' ouverte  sur  leurs  pas  pour  les  cacher 


—  90  — 

dans  ses  entrailles,  et  toute  empreinte  s'est  évanouie 
comme  au  passage  des  Israélites  sur  la  mer  Rouge. 

Nous  avons  fait  plusieurs  fois  la  chasse  aux  bri- 
gands pendant  que  nous  étions  à  Yelletri,  et  nos 
démarches  n'ont  pas  toujours  été  couronnées  de 
succès  pour  les  raisons  que  nous  venons  d'-énumérer. 
Si,  dans  nos  patrouilles,  nous  avons  réussi  à  capturer 
quelques-uns  de  ces  bandits  ou  à  en  tuer  un  certain 
nombre,  c'est  que  nous  les  avons  surpris  au  milieu 
de  leurs  orgies  ou  qu'ils  ont  été  trahis  par  leurs 
complices.  Nous  appelons  de  ce  nom  les  paysans 
que  la  crainte  d'être  immolés  à  la  fureur  de  ces 
monstres  humains  rend  muets,  quand  on  veut  avoir 
des  informations  sur  leurs  faits  et  gestes.  La  plupart 
des  campagnards  et  des  bergers  d'Italie,  résidant 
près  des  montagnes  ou  des  forêts,  sont  pour  cette 
raison  de  petits  brigands,  qui  font  cause  commune 
avec  les  grands. 

L'histoire  des  brigands  fait  frémir  de  crainte  et 
d'horreur  et  paraît  même  invraisemblable  ;  mais  les 
faits  nombreux  que  nous  avons  recueillis  sur  leur 
compte  à  Velletri,  ne  nous  permettent  pas  de  douter 
un  seul  instant  de  l'authenticité  des  terribles  tragé- 
dies dont  ils  ont  été  les  sinistres  héros.  Voici  ce 
qu'un  zouave  français  écrivait  à  sa  famille,  en  1866, 
lorsque  sa  compagnie  était  en  garnison  à  Frosinone  : 


—  100  — 

"  Melza,  juge  au  tribunal  civil  de  Rome,  ayant 
été  condamné  à  une  suspension  d'un  an,  était  venu 
se  réfugier  à  Sonnino. 

Durant  une  promenade  solitaire  aux  environs  de 
San-Lorenzo,  près  d'une  petite  casale  di  eampagna,  le 
malheureux  fut  surpris  par  les  brigands.  Sa  mise 
plus  soignée  que  celle  des  autres  habitants  du  pays 
leur  fit  conjecturer  qu'il  devait  être  riche  :  c'est 
pourquoi,  l'ayant  garrotté,  ils  l'emmenèrent  sur  le 
territoire  napolitain.  De  là,  ils  envoyèrent  des 
émissaires  à  Sonnino  réclamer  de  la  famille  une  ran- 
çon de  cinquante  mille  francs  :  point  davantage.  La 
famille  déclara  qu'elle  n'avait  pas  le  moyen  de 
payer  une  pareille  somme  ;  ces  messieurs,  grands  et 
généreux,  voulurent  bien  alors  rabattre  de  leurs  pré- 
tentions en  diminuant  la  taxe  de  dix  mille  francs  ; 
mais  les  pauvres  Melza  ne  pouvait  pas  plus  faire 
porter  quarante  mille  francs  que  cinquante,  et  les 
émissaires  revinrent  de  nouveau  bredouille. 

"  Le  lendemain  la  signora  Melza  recevait  un  pli 
ensanglanté  contenant  une  des  oreilles  de  son  mari. 
Ta  t'imagines  la  stupeur  de  la  pauvre  femme.  Le 
jour  suivant  ce  n'était  plus  seulement  une  oreille, 
mais  une  main  du  malheureux  juge,  avec  l'anneau 
au  doigt,  pour  que  la  famille  n'eût  pas  l'ombre  d'un 
doute  sur  l'identité  cfe  la  victime.     Pauvres  gens 


—  101  — 

leur  torture  était  épouvantable  ;  le  troisième  jour, 
c'était  une  jambe  qui  leur  arrivait.  Oh  !  les  mons- 
tres !  Enfin,  le  cinquième  jour,  c'était  la  tête.  L'in- 
fortuné Melza  avait  fini  de  souffrir,  mais  après  quelle 
épouvantable  agonie  !  Rien  qu'en  y  pensant,  je 
frémis  de  la  tête  aux  pieds." 

Voici  un  autre  trait  de  cruauté  inouïe  : 
"  Ces  jours  dernier,  dit  le  même  zouave,  un  peco- 
raro  (pâtre),  des  environs  de  Sonnino  a  délivré  une 
victime  d'Andreozzi  (chef  brigand),  et  beaueoup  de 
nos  soldats  cantonnés  dans  les  parages  de  Frosinone 
ont  déjà  entendu  la  victime  elle-même  raconter  son 
épouvantable  histoire  ;  ça  fait  ni  plus  ni  moins 
frissonner  de  la  tête  aux  pieds,  même  sans  fièvre,  et 
vice-versa. 

"  Maitre  Andredzzi  a  donc  fait  'main  basse,  tout 
récemment,  sur  deux  frères  propriétaires,  habitant 
Lenola,  près  Sonnino,  sans  doute  dans  l'espoir  d'en 
retirer  une  grosse  rançon  ou  par  vengeance.  Les 
ayant  conduits  dans  la  montagne»  il  les  a  liés  dos  à 
dos  ;  cela  fait,  il  s'est  donné  l'atroce  jouissance  de 
les  larder  de  coups  de  poignard  dans  toutes  les  par- 
ties du  corps  ;  puis,  quand  il  les  a  vus  dans  les  der- 
nières convulsions  de  l'agonie,  il  a  déchargé  sa  cara- 
bine sur  les  deux  infortunés,  et  alors,  les  roulant 
jusqu'au  bord  d'un  précipice  d'une  insondable  pro- 


—  102  — 

fondeur,  il  les  a  poussés  du  pied.  Mais  l'un  des  deux 
frères  était  encore  vivant,  le  cœur  n'avait  pas  été 
touché  ;  en  dépit  de  ses  souffrances,  le  pauvre  diable 
avait  eu  l'énergie  d'étouffer  ses  cris  et  de  faire  le 
mort.  Jugez  de  la  sensation  qu'il  a  dû  éprouver 
dans  cette  chute  qui  pouvait  l'achever  cent  fois.  Il 
est  demeuré  un  jour  et  une  nuit  attaché  au  cadavre 
de  son  frère,  baigné  dans  son  sang  et  se  démenant 
en  vain  pour  briser  ses  entraves.  Peut-on  imaginer 
une  position  plus  horrible  ?  Dieu,  qui  voulait  l'en 
tirer,  dans  un  dessein  de  miséricorde,  a  permis  qu'un 
pâtre  ait  entendu  des  gémissements  sortir  de  cet 
■abîme  et  ait  pu  en  retirer  le  pauvre  agonisant,  qui, 
à  force  de  soins,  est  re\enu  à  la  vie." 

Les  brigands  de  la  Province  de  Velletri  étaient 
d'une  impudence  et  d'une  audace  vraiment  éton- 
nantes. Ils  venaient  souvent  dans  les  villes  prendre 
le  café,  le  soir,  dans  les  hôtels  les  plus  fréquentés,  et 
ils  échappaient  presque  toujours  aux  recherches  les 
plus  actives  de  la  gendarmerie.  Et  pourtant  la 
gendarmerie  pontificale  jouissait  d'une  excellente 
réputation  de  zèle  et  de  fidélité.  C'était  le  plus  beau 
corps  de  police  que  nous  ayons  jamais  vu.  La  ville 
de  Velletri  a  reçu,  à  plusieurs  reprises,  la  visite  des 
brigands.     En  voici  une  preuve  entre  mille  : 

Un  soir,  nous  étions  de  patrouille  en  compagnie  de 


—  103  — 

MM.  Charles  Trudelle  et  Napoléon  Courteau,  zouaves 
canadiens,  et  d'un  zouave  français,  dont  nous  avons 
oublié  le  nom.  Cette  patrouille  était  commandée, 
comme  toutes  les  autres  du  reste,  par  un  gendarme. 
En  parcourant  la  plus  grande  rue  de  la  ville,  le 
Corso,  s'il  vous  plaît — chaque  ville  d'Italie  a  son 
Corso — nous  passons  devant  le  Café  du  Soleil.  Notre 
commandant  ralentit  le  pas  et  jette  un  regard  scruta- 
teur sur  la  foule  des  buveurs  qui  encombrent  le  café, 
dont  la  porte  est  toute  grande  ouverte. 

Nous  remarquons  que  le  gendarme  est  vivement 
% excité;  mais,  tout  de  même,  nous  continuons  notre 
promenade  militaire.  Quelques  arpents  plus  loin, 
nous  nous  arrêtons,  et  nous  faisons  volte-face.  Notre 
chef  pro  tempore  nous  recommande  de  marcher  piano, 
piano,  en  arrivant  au  Café.  Un  grand  nombre  de 
buveurs  ont  déjà  déserté  le  restaurant  :  il  reste  cepen- 
dant encore  cinq  ou  six  joyeux  convives  assis  à  une 
table  placée  dans  un  coin,  assez  obscure.  Le  gendar- 
me s'arrête  en  face  de  la  porte  d'entrée  et  nous 
ordonne  de  faire  halte  et  de  mettre  la  baïonnette  au 
canon.  Cette  halte  et  ce  dernier  commandement  donné 
à  voix  basse  nous  intriguent  excessivement.  Nous 
ne  voyons  rien  qui  puisse  nécessiter  une  charge  à  la 
baïonnette,  et  pourtant  notre  commandant  a  des  rai- 
sons excellentes  pour  nous  placer  sur  la  défensive,  et 


—  104  — 

tout  prêts  même  à  recevoir  l'attaque.  Obéissons  donc 
sans  murmurer  ;  c'est  la  discipline  qui  le  veut,  et 
c'est  pour  la  bonne  cause  qu'il  nous  faut  obéir. 

L'énigme  s'explique  bientôt  ;  car  le  gendarme 
nous  donne  le  commandement  de  porter  armes  et 
d'entrer  dans  le  Café.  Vous  pouvez  vous  figurer 
facilement  la  surprise  et  la  binette  des  habitués  du 
restaurant  en  voyant  arriver  cinq  militaires  armés 
jusqu'aux  dents.  L'un  des  convives,  entre  autres, 
nous  paraît  mal  à  l'aise,  et  c'est  vers  lui  que  nous 
nous  dirigeons.  Le  gendarme  lui  frappe  sur  l'épaule 
en  lui  disant  :  "  Vous  êtes  mon  prisonnier. — Pour 
quelle  raison  ?"  réplique  l'homme  interpellé  par  le 
gendarme.  Pour  toute  réponse,  ce  dernier  lui  ordonne 
d'ôter  sa  blouse — un  habit  de  drap  noir.  Le  buveur 
obéit  sur-le-champ,  mais  en  faisant  une  grimace.  Le 
gendarme  prend  l'habit,  l'examine,  le  tourne,  le 
retourne  et  l'approche  d'un  bec  de  gaz.  Une  lettre 
apparaît  entre  la  doublure  et  l'étoffe  de  la  blouse. 
En  un  clin  d'œil  la  doublure  est  enlevée  d'un  coup  de 
sabre,  et  la  lettre  tombe  aux  pieds  d'un  zouave,  qui 
la'ramasse  et  la  remet  au  gendarme. 

Notre  commandant  est  satisfait  de  ses  investiga- 
tions ;  il  a  appris  ce  qu'il  voulait  savoir  :  "  Habil- 
lez-vous, dit-il  au  buveur,  et  suivez-nous  à  la  prison." 
Le  convive  se  fâche,  frappe  la    table  du  poing,  casse 


—  105  — 

les  verres  et  se  met  en  état  de  résister  à  la  patrouille 
en  se  servant  d'une  chaise  comme  d'un  bouclier.  Le 
commandant  reste  impassible  ;  les  zouaves  ne  sont 
nullement  effrayés  des  menaces  de  cet  énergumène  ; 
ils  attendent  l'ordre  d'agir.  "  Zouaves,  dit  le  com- 
mandant, en  avant  !  "  Nous  avançons  et  nous  poin- 
tons la  baïonnette  vers  la  poitrine  du  forcené.  Sa 
résistance  n'est  pas  de  longue  durée  ;  car,  se  voyant 
menacé  d'une  mort  certaine,  il  demande  grâce  pour 
la  vie,  et,  devenu  aussi  doux  qu'un  agneau,  il  pro- 
met de  nous  suivre.  Nous  le  conduisons  à  la  prison 
de  l'Etat  entre  quatre  baïonnettes. 

Après  avoir  confié  notre  prisonnier  au  geôlier, 
nous  reprenons  notre  course  à  travers  la  ville.  Che- 
min faisant,  nous  demandons  au  gendarme  la  cause 
de  l'arrestation  que  nous  venons  d'opérer.  "  C'est, 
répondit-il,  un  brigand  de  la  pire  espèce  que  nous 
avons  pincé  ce  soir.  Il  fait  partie  de  la  bande  qui 
rôde  depuis  quelque  temps  aux  environs  de  Cori, 
l'ancienne  Cora,  la  patrie  de  Ponce-Pilate,  et  il  était 
venu  en  cette  ville  chargé  de  remplir  une  terrible 
mission.  Comme  j'ai  pu  m'en  convaincre  par  la 
lettre  qu'il  tenait  cachée  dans  la  doublure  de  son 
habit,  ce  brigand  devait  voler -un  enfant  d'un  des 
plus  riches  citoyens  de  cette  ville,  l'emporter  dans 
les  montagnes  et  demander  ensuite  une  forte  rançon. 


—  106  — 

Heureusement  que  je  le  connaissais  ;  car  c'est  un 
ancien  résidant  de  Velletri  qui,  après  avoir  commis 
les  crimes  les  plus  horribles,  avait  échappé  à  la 
justice  en  se  réfugiant  dans  une  forêt,  et  en  s'enrô- 
lant,  quelques  jours  plus  tard,  dans  une  bande  de 
brigands." 

Deux  semaines  après  son  arrestation,  notre  bri- 
gand subit  son  procès  et  est  condamné  à  être  fusillé. 
Deux  religieux  se  rendent  à  la  cellule  du  condamné 
et  offrent  leurs  services  pour  le  préparer  à  la  mort. 
Le  malheureux  pêcheur  refuse  :  il  ne  veut  pas 
entendre  parler  de  Dieu.  Les  zélés  religieux  revien- 
nent plusieurs  fois  à  la  charge,  mais  en  vain  ;  leurs 
paroles  de  consolation  sont  accueillies  par  des  jure- 
ments et  des  blasphèmes.  Le  cœur  de  ce  brigand 
reste  aussi  dur  que  le  roc. 

La  veille  de  l'exécution,  les  courageux  apôtres 
entrent  "de  nouveau  dans  le  cachot  du  prisonnier  et 
lui  parlent,  avec  des  larmes  dans  la  voix,  du  sort 
épouvantable  qui  lui  est  réservé,  s'il  meurt  dans 
l'impénitence  finale.  "  C'est  trop  tard,  répond  le 
brigand,  et  je  suis  trop  criminel  pour  que  Dieu  me 
pardonne.  Rien  ne  peut  m' arracher  des  flammes  de 
l'enfer,  que  je  vois  déjà  entr' ouvert  sous  mes  pieds." 
Les  religieux  redoublent  d'efforts  et  de  courage.    Le 


—  107  — 

brigand  résiste  toujours  à  la  grâce  en  répétant  : 
"  C'est  trop  tard." 

Minuit  sonne,  et  toujours  la  même  obstination  de 
la  part  de  ce  grand  criminel.  La  nuit  s'écoule  au 
milieu  des  pleurs  et  des  prières  des  dignes  fils  de 
saint  François.  Et  le  prisonnier  continue  de  hurler 
qu'il  est  damné  et  que  rien  ne  peut  le  sauver. 

Il  est  cinq  heures  du  matin.  Encore  trois  heures, 
et  le  brigand  va  paraître- chargé  d'iniquités  devant 
son  souverain  Juge.  Les  prêtres  se  jettent  à  ses 
pieds  et  le  conjurent  de  réciter  avec  eux  le  Souvenez- 
Vom  de  saint  Bernard.  A  cette  ardente  supplication, 
le  condamné  porte  les  yeux  vers  la  voûte  de  son 
obscur  cachot,  joint  les  mains  sur  sa  poitrine  oppres- 
sée^ récite  le  Souvenez-vous,  éclate  en  sanglots  et 
tombe  à  genoux  en  criant  :  "  Mon  Dieu,  pardon  !  " 
La  glace  était  rompue,  et  le  brigand  converti.  Il 
fait  une  confession  générale,  assiste  au  saint  sacrifice 
de  la  messe,  reçoit  la  sainte  communion,  et,  dix 
minutes  plus  tard,  tombe  sur  la  place  publique 
frappé  de  six  balles. 

Avant  de  mourir,  le  condamné  adresse  la  parole 
à  la  foule,  énumère  tous  les  crimes  qu'il  a  commis 
pendant  sa  vie  et  demande  pardon  à  tous  ceux  qu'il 
a  offensés*."  Je  meurs  content,  dit-il,  car  je  meurs 
réconcilié  avec  mon  Dieu,   que  j'ai  tant  outragé,  je 


—  108  — 

dois  ma  conversion  à  la  bonne  Madone.  Sur  son  lit 
de  mort,  ma  mère  m'avait  fait  promettre  de  réciter 
le  Souvenez-vous  tous  les  jours.  J'étais  bien  jeune 
alors,  et  je  n'ai  jamais  manqué  à  ma  promesse.  C'est 
la  vierge  Marie  qui  m'a  ouvert  les  yeux  et  sauvé 
des  flammes  de  l'enfer.  Mes  amis,  priez  toujours 
Marie,  et  elle  vous  tendra  une  main  secourable  dans 
les  circonstances  les  plus  pénibles.     Adieu  ! .  . . 

Et  le  converti  est  lancé  dans  l'Eternité. 

La  cinquième  compagnie  du  1er  bataillon  des 
zouaves  qui  était  en  garnison  à  Velletri  en  même 
temps  que  nous,  fit,  un  jour,  une  patrouille  des  plus 
fructueuses. 

Ayant  appris  par  des  paysans  qu'une  bande  de 
brigands  habitaient  une  forêt  voisine  de  Frosinône 
depuis  quelques  jours,  les  zouaves,  au  nombre  de 
quarante,  partirent  aussitôt  pour  les  chasser  de  cet 
endroit.  Deux  gendarmes  les  accompagnaient,  l'un 
à  pied  et  l'autre  à  cheval.  Après  deux  jours  de 
marche  à  travers  la  forêt  même,  les  zouaves  ne  trou- 
vèrent aucun  briand,  et,  par  surcoît  de  malheurs, 
une  pluie  abondante  ne  cessa  de  tomber  sur  ces 
courageux  jeunes  gens,  qui  supportaient  sans  mur- 
murer toutes  leurs  privations  et  leurs  fatigues.  La 
faim  même  commençait  à  se  faire  sentir  chez  un  bon 
nombre  d'entre  eux,  qui  n'avaient  pas  emmagasiné 


—  109  — 

dans  leurs  sacs  à  pain  une  quantité  suffisante  de 
vivres.  Que  faire  en  pareille  occurrence  ?  Va-t-on 
renoncer  à  la  chasse  ?  se  demandèrent  les  zouaves. 
Les  uns  se  montraient  encore  disposés  à  continuer 
leur  poursuite,  mais  plusieurs  inclinaient  à  la  retraite. 

Pendant  qu'ils  s'entretenaient  ainsi  sur  le  parti 
qu'ils  devaient  prendre,  un  léger  bruit  se  fait  enten- 
dre sur  la  lisière  de  la  forêt.  D'un  bond  tous  les 
zouaves  ont  gagné  le  lieu  d'où  était  parti  le  bruit  ; 
mais  quel  désappointement  !  ils  se  trouvent  face  à 
face  avec  un  pauvre  berger  qui  agite  tranquillement 
sa  houlette,  pendant  que  son  troupeau  broute  l'herbe 
tendre  des  champs.  Tous  alors  de  rire  en  voyant 
ce  brigand  d'un  nouveau  style,  comme  dirait  l'An- 
glais. Nous  n'avons  pas  besoin  d'ajouter  que  le 
berger  en  fut  quitte  pour  un  tribut  assez  considérable 
à  la  peur.  Mais  l'air  enjoué  des  soldats  du  Pape  le 
ramena  bientôt  à  son  état  normal.  Après  avoir 
échangé  quelques  paroles  avec  le  vieux  paysan,  les 
zouaves  résolurent  de  retourner  sur  leurs  pas  et  de 
se  déployer  en  tirailleurs  sur  la  lisière  de  la  forêt. 

On  peut  bien  se  demander  pourquoi  ce  change- 
ment si  subit  survenu  dans  tous  les  esprits  et  pour- 
quoi cet  empressement  à  obéir  au  commandement 
de  :  Peloton,  en  tirailleurs  !  Le  mot  de  l'énigme  est 
facile  à  trouver.     Pendant  leur  conversation  avec  le 


—  110  — 

berger,  les  zouaves  prirent  des  informations  sur  le 
lieu  où  devaient  se  trouver  les  brigands  ;  et  le  bon 
vieillard,  qui  les  avait  vus  de  ses  propres  yeux,  il  y 
avait  deux  jours,  leur  dit  que  les  brigands  devaient 
passer  par  tel  chemin  le  lendemain  matin.  "  C'est 
moi,  ajouta-t-il  qui  leur  ai  recommandé  de  suivre 
cette  voie  pour  échapper  à  votre  poursuite.  Ils 
m'avaient  demandé  auparavant  si  je  vous  avais  vus. 
Sur  ma  réponse  affirmative,  ils  ont  voulu  savoir 
quelle  direction  vous  prendriez.  Alors,  je  leur  ai 
indiqué  une  direction  toute  contraire  à  celle  que 
■  vous  suiviez,  pensant  par  là  les  faire  tomber  dans  le 
piège.  Mais  je  me  suis  trompé  dans  mon  attente. 
Demain  cependant,  j'espère  que  mes  vœux  seront 
exaucés,  et  voici  pour  quelle  raison  :  en  s' éloignant 
de  moi,  ils  ont  répété  deux  fois  les  paroles  suivan- 
tes :  "  Au  revoir,  dans  deux  jours  nous  viendrons 
te  voir  en  passant  par  le  chemin  que  tu  nous  as 
montré.  Mais  sois  bien  averti  :  si  tu  nous  trahis  ou 
si  tu  dévoiles  le  lieu  de  notre  retraite,  ta  vie  sera  la 
rançon  de  ton  infâme  conduite."  Ils  dirent,  et  puis 
ils  disparurent  dans  l'épaisseur  des  bois. 

Il  était  huit  heures  du  soir  lorsque  les  zouaves 
reprirent  leur  faction  ;  chacun  se  plaça  au  pied  d'un 
arbre  pour  se  garantir  de  la  pluie,  qui  ne  diminuait 
pas,  et  attendit  en  silence.     La  nuit  fut  assez  belle 


— 111  — 

néanmoins  ';  car,  vers  minuit,  la  pluie  cessa,  les  nuages 
se  dispersèrent  et  la  lune  se  montra  à  travers  le  feuil- 
lage mollement  agité  par  une  légère  brise  du  midi. 
Le  beau  temps  ranima  le  courage  des  zouaves,  mais 
aussi  il  leur  emporta  un  doux  sommeil  vers  les  trois 
ou  quatres  heures  du  matin.  C'était  la  première  fois 
que,  depuis  leur  départ,  ils  prenaient  un  peu  de 
repos.  Il  faut  l'avouer,  l'heure  n'était  pas  bien  choisie 
pour  se  jeter  dans  les  bras  de  Morphée  ;  mais  les  forces 
de  ces  preux  jeunes  gens  étaient  complètement  épui- 
sées par  les  marches,  les  veilles  et  la  faim.  Ainsi, 
point  de  reproches. 

Cependant  les  heures  s'écoulent  rapidement,  et  pas 
un  brigand  ne  se  montre  la  figure.  Il  est  un  adage 
populaire  qui  dit  :  "  Vous  ne  perdez  rien  pour  atten- 
dre." C'est  ce  que  firent  les  chasseurs  de  brigands  ; 
ils  attendirent  jusqu'à  sept  heures,  toujours  sommeil- 
lant légèrement,  un  œil  fermé  et  l'autre  ouvert,  et 
assis  au  pied  des  arbres  avec  leurs  carabines  sur  les 
genoux.  Enfin,  leur  espérance  va  être  exaucée. 
Voilà  qu'une  détonation  se  fait  entendre.  Aussi 
prompts  que  l'éclair,  les  zouaves  se  lèvent  et  épaulent 
leurs  carabines.  "  Qu'y  a-t-il?  crie-t-on  de  toutes 
parts. — Cinq  brigands,  répond  un  gendarme.  Les 
voilà  à  dix  pas  de  nous.     Le  chef  est  à  cheval." 

Un  zouave  français  du  nom  de  Marchand,  qui  se 


—  112  — 

trouvait  à  vingt  pieds  du  chef,  ajuste  ce  dernier  et 
presse  la  détente  ;  mais  le  fusil  rate.  De  son  côté,  le 
chef  des  brigands  met  le  zouave  en  joue  et  fait  feu. 
Et  le  coup  ne  part  pas  non  plus.  Marchand  fait  une 
volteface  et  se  cache  derrière  un  arbre  pour  armer  de 
nouveau.  Le  chef  épaule  une  autre  carabine — les  bri- 
gands en  avaient  presque  toujours  deux, — mais,  au 
moment  où  il  tirait  la  gâchette,  une  balle  lancée  par 
un  caporal,  que  nous  avions  baptisé  du  nom  de  l\iit 
Jean,  vint  le  frapper  au  cœur  et  le  renverser  par  terre 
baigné  dans  son  sang.  Au  même  instant,  deux  autres 
brigands  tombent  sous  un  véritable  orage  de  balles. 
Un  quatrième  est  blessé  par  Petit  Jean,  mais  il  trouve 
son  salut  dans  la  fuite.  Le  cinquième  s'était  éclipsé 
au  commencement  de  la  mêlée.  Inutile  de  faire 
observer  que  cette  "capture  causa  une  grande  joie  aux 
zouaves. 

Lorsque  nos  camarades  furent  de  retour  à  Velletri 
avec  les  brigands  qu'ils  avaient  tués,  nous  exposâmes 
les  trois  cadavres  sur  la  plus  grande  place  de  la  ville, 
afin  de  jeter  la  terreur  dans  le  cœur  de  la  population, 
parce  que  les  brigands  avaient  des  affiliés  ou  des  com- 
plices dans  la  plupart  des  petites  villes  de  cette  pro- 
vince, et  à  Velletri  plus  qu'ailleurs. 

Cette  exposition  de  cadavres  a  obtenu  les  plus 
beaux    résultats  ;  car,  depuis    cette   époque,    nous 


—  113  — 

n'avons  plus  entendu  parler  de  .vols,  de  pillages,  de 
meurtres,  etc. 

Nous  avons  traité  longuement  la  question  du 
brigandage  pour  deux  raisons  :  la  première,  c'est 
parce  que  les  brigands  faisaient  cause  commune  avec 
les  révolutionnaires  ou  les  garibaldiens,  et  la  seconde, 
c'est  parce  que  les  zouaves  ont  réussi,  dans  une 
grande  mesure,  à  purger  le  sol  italien  de  ces  monstres 
humains,  du  moins  pendant  leur  séjour  dans  les 
Etats  de  l'Eglise. 


LE  CAMP  D  ANNIBAL  ET  PIE  IX 


Le  28  juillet  1868,  nous  recevions  l'ordre  d'éva- 
cuer Velletri  et  de  nous  transporter  à  Rome.  Nous 
pensions  faire  un  long  séjour  dans  la  Ville  Eternelle, 
mais  vaine  illusion  !  A  peine  avons-nous  établi  nos 
quartiers-généraux  aux  Termini,  c'est-à-dire  aux 
fameux  thermes  de  Dioclétien,  que  le  clairon  sonne 
"  Sac  au  dos."  Nous  partons  pour  Rocca-di-Papa, 
ou  camp  d'Annibal,  en  suivant  la  route  de  Grotta- 
Ferrata.  La  distance  que  nous  avons  à  parcourir 
est  de  vingt-quatre  milles  environ. 

Après  dix  heures  de  marche,  nous  foulons  le  ter- 
rain sur  lequel  Annibal,  illustre  général  carthaginois, 
vint  établir  son  camp  quelques  jours  avant  la 
célèbre  bataille  du  lac  de  Trasimène,  pendant 
laquelle  les  Romains,  commandés  par  Flaminus. 
Caïus  furent  taillés  en  pièces,  en  l'an  217  avant 
Jésus-Christ.  C'est  pour  cela  que  cet  endroit  est 
connu  sous  le  nom  de   Camp  cV Annibal.     Le  grand 


—  116  — 

capitaine  africain  avait  certainement  étudié  la  topo- 
graphie de  l'Italie,  car  il  n'y  avait  pas  de  lieu  plus 
propre  au  campement  d'une  armée  de  plus  de  cent 
mille  hommes. 

Il  est  difficile  de  se  former  une  juste  idée  des  souf- 
frances que  nous  avons  endurées  pendant  que  nous 
étions  campés  à  Rocca-di-Papa.  Nous  dormions  sur 
la  dure,  quelques  brins  de  fugère  ou  de  paille  nous 
séparant  de  la  terre  humide,  et  nous  couchions  tout 
habillés.  L'avant-midi,  nous  faisions  l'exercice  de 
bataillon  ;  le  midi,  le  clairon  sonnait  l'appel  de  pro- 
preté avec  sac  au  dos,  au  front  de  bandière,  et 
l'après-midi  se  passait  en  corvées  de  toutes  sortes. 

Malgré  nos  rudes  labeurs,  nous  étions  toujours 
heureux  et  joyeux.  Heureux,  parce  qu'il  nous  était 
donné  de  souffrir  pour  la  bonne  cause.  Joyeux,  parce 
que  nous  savions  que  les  fatigues  que  nous  endu- 
rions nous  seraient  d'un  grand  secours,  quand  nous 
aurions  à  combattre  les  ennemis  de  la  Papauté.  Par 
cette  vie  active  et  dure,  les  corps  se  brisaient  à  l'en- 
durance, et  ni  la  faim,  ni  la  soif,  ni  la  chaleur,  ni  le 
froid  ne  pourront  plus  tard  nous  arrêter  au  milieu 
des  batailles.  Pendant  le  jour,  il  faisait  très  chaud, 
et,  pendant  la  nuit,  le  froid  était  rigoureux  ;  nous 
étions  campés  à  2,700  pieds  au-dessus  du  niveau  de 
la  Méditerranée. 


—  117  — 

Le  10  août  fut  pour  nous  un  jour  de  fête,  que 
nous  n'oublierons  jamais.  Sa  Sainteté  Pie  IX  vint 
rendre  visite  à  son  armée  et  célébrer  le  saint  sacri- 
fice de  la  messe  au  milieu  de  ses  chers  soldats. 

Quelle  belle  cérémonie  !  Quelle  pompe  !  Figurez- 
vous  huit  mille  hommes  sous  les  armes,  rangés  eu 
ordre  de  bataille,  la  tête  haute  et  fière,  l'œil  vif  et 
pénétrant,  gardant  un  silence  solennel,  et  tous  tour- 
nés vers  un  magnifique  autel  élevé  pour  la  circons- 
tance à  l'est  du  camp.  Voyez  apparaître  à  la  gau- 
che de  ces  valeureux  guerriers,  dans  la  direction  de 
Rocca-di-Papa,  l'auguste  Pie  IX,  le  vicaire  de  Jésus- 
Christ,  escorté  de  trois  cardinaux,  d'un  grand  nom- 
bre' de  prélats,  de  la  Garde  Noble,  d'un  nombreux 
piquet  de  zouaves,  de  l'état-major  du  régiment  et  de 
plusieurs  princes  qui  considèrent,  avec  raison,comme 
une  insigne  faveur  le  privilège  d'accompagner 
l'Evêque  de  Rome.  Aussitôt  que  le  Pape  commence 
à  gravir  les  Monts  Algides,  une  bruyante  salve  d'ar- 
tillerie salue  le  roi  de  l'uniuers  catholique  ;  le  corps 
de  musique  des  zouaves  et  celui  des  Chasseurs  indi- 
gènes, Caceiatori,  font  entendre  leurs  harmonieux 
accords,  et  ne  cessent  de  jouer  que  lorsque  Notre 
Saint  Père  est  arrivé  à  la  chapelle  militaire.  Pendant 
qu'il  traverse  les  rangs  de  ses  nombreux'  enfants  et 
qu'il  les  bénit  affectueusement,  ceux-ci  se  tiennent 
dans  la  position  de  genou-terre. 


—  118  — 

Aussitôt  que  le  Pape  fut  descendu  de  voiture,  il 
revêtit  de  riches  ornements  pontificaux  et  commença 
le  divin  sacrifice.  Quelle  majesté  dans  toute  sa  per- 
sonne !  quelle  sainteté  brille  sur  son  auguste  visage  ! 
quelle  tendre  affection  dans  le  regard  !  Ce  n'est  plus 
un  simple  mortel,  mais  un  ange  sous  la  forme 
humaine. .  Pendant  tout  l'office,  nous  restâmes  les 
veux  sur  l'immortel  successeur  de  Saint  Pierre, 
et  cette  vue  nous  apporta  à  l'âme  un  charme  indéfi- 
nissable. 

Après  la  messe,  le  Saint-Père  se  rendit  sur  un  balcon, 
con'struit  par  la  compagnie  du  génie,  fit  son  action 
de  grâces  et  monta  ensuite  sur  un  magnifique  trône 
érigé  au  milieu  du  balcon.  L'heure  solennelle  était 
arrivée.  Pie  IX  venait  de  prier  pour  ses  chers 
zouaves  ;  mais  ce  n'était  pas  assez  :  il  devait  répandre 
sur  eux  les  bénédictions  célestes.  Nous  l'entendîmes 
alors  réciter  d'une  voix  forte  et  vibrante  le  Benedicat 
vos  Omnipotens  Deus,  etc.  Que  cette  bénédiction, 
donnée  par  le  Pontife-Roi  nous  a  fait  du  bien  !  En 
relevant  nos  fronts  courbés  dans  la  poussière,  nous 
étions  complètement  changés  :  nous  étions  redevenus 
les  véritables  enfants  de  La  Moricière. 

Il  était  alors  deux  heures  de  relevée.  Le  Pape 
monta  dans  son  carosse,  visita  le  camp  en  passant  au 
front  des  tentes,  prit  un  peu  de  nourriture  â  la   pen- 


—  119  — 

sion  des  officiers  et  se  dirigea  ensuite  vers  Rome.  La 
fête  était  terminée.  Nous  pouvons  bien  répéter  ces 
paroles  de  l'Ecriture  Sainte  :  "  Pleni  dies.  "  Oui, 
c'était  réellement  un  jour  plein  pour  nous,  plein  de 
bonheur,  de  faveurs  célestes  et  de  consolations,  et  un 
jour  plein  qui  mérite  sa  place  dans  les  annales  du 
régiment. 


NOCES  D'OR  DE  PIE  IX  ET  OUVERTURE 
DU  CONCILE  DU  VATICAN 


Le  11  avril  1869  est  une  date  à  jamais  mémorable 
pour  l'Eglise  catholique  :  Pie  IX  célèbre,  à  la  confes- 
sion des  apôtres  saints  Pierre  et  Paul,  le  cinquième 
anniversaire  de  son  élection  au  sacerdoce,  entouré  de 
cardinaux,  de  prélats,  de  plusieurs  membres  de  sa 
famille,  entre  autres  Louis  Mastaï  Ferretti,  fils  du 
comte  Gabriel,  retenu  à  Sinagaglia  par  la  vieillesse, 
de  tous  les  représentants  des  cours  étrangères  et  de 
70,000  à  80,000  pèlerins  venus  de  toutes  les  parties 
du  monde.  Jamais  fôtes  ne  furent  aussi  pompeuses 
et  aussi  universelles  parce  que  jamais  Pape  n'avait  été 
entouré  de  tant  d'amour  et  de  vénération,  parce  que 
jamais  Pape  n'avait  vu  un  règne  aussi  glorieux  et 
aussi  rempli  de  persécutions  et  d'amertume. 

Les  fêtes  des  noces  d'or  de  Pie  IX  commencèrent 
le  10  avril  et  durèrent  trois  jours.  Il  nous  est  impos- 


122  

sible  de  peindre  convenablement  toute  la  grandeur 
et  la  magnificence  de  ce  jubilé.  Ce  fut  un  véritable 
déluge  de  réjouissances  pour  toute  la  chrétienté. 
Pie  IX  lui-même  ne  put  contenir  les  flots  de  joie  et 
de  bonheur  qui  inondaient  son  cœur  et  laissa  échap- 
per ces  paroles  devant  quelques  pèlerins  prosternés 
à  ses  pieds  :  "  Mon  Dieu,  ayez  pitié  de  moi,  c'est 
trop  de  bonheur  !  J'ai  peur  que  bientôt,  quand  je 
paraîtrai  devant  votre  justice,  vous  ne  me  disiez  : 
"  Tu  as  été  récompensé."  Non  pas  à  moi,  mais  à 
vous,  ô  mon  Dieu,  à  vous  seul  l'amour  des  chré- 
tiens." 

L'archevêque  de  Cologne,  Mgr  Melchers,  a  peint 
ces  fêtes  d'un  seul  trait  :  "  Jamais  Pape,  a-t-il  dit, 
ne  s'est  vu  en  relations  à  la  fois  si  intimes  et  si  uni- 
verselles avec  le  cœur  de  l'humanité. 

La  journée  du  10  avril  fut  consacrée  à  la  lecture 
des  adresses  présentées  à  Pie  IX  par  les  différentes 
associations  catholiques  de  la  terre.  En  jetant  les 
yeux  sur  ces  adresses  couvertes  de  plusieurs  millions 
de  signatures,  le  Pape  dit  a  ceux  qui  l'entouraient  : 
"  Voici  la  véritable  expression  du  suffrage  universel 
catholique."  Dans  l'après-midi,  le  Pape,  accompa- 
gné de  sa  cour,  alla  faire  une  visite  à  la  petite  église 
de  Sainte-Anne  de  Faiegnami,  où,  le  11  avril  1819, 
Jean-Marie  Mastaï  Ferretti  disait  sa  première  messe, 


—  123  — 

à  l'âge  de  27  ans.  Le  soir,  la  coupole  de  Saint- 
Pierre  fut  illuminée.  Nous  avions  déjà  contemplé 
cette  scène  grandiose  ;  mais  c'est  un  spectacle 
toujours  nouveau.  Nous  étions  placé,  à  cette  heure- 
là,  sur  le  mont  Pincio,  non  loin  de  l'église  de  la 
Trinité-des-Monts.  La  coupole  nous  parut  comme 
un  immense  globe  de  feu  suspendu  dans  les  airs. 
La  profonde  obscurité  qui  recouvrait  la  ville  aug- 
mentait encore  l'effet  féerique  de  l'illumination.  La 
basilique  de  Saint-Pierre  était  alors  la  véritable 
image  de  la  "  Jérusalem  céleste  qui  éclaire  des 
rayons  de  sa  gloire  les  ténèbres  et  les  combats  de 
Sion." 

Le  11,  de  bonne  heure  le  matin,  la  vaste  basilique 
de  Saint-Pierre  est  littéralement  remplie  de  fidèles. 
A  sept  heures  et  trois  quarts,  Pie  IX,  porté  sur  la 
Sedia  gestatoria,  fait  son  entrée  dans  la  basilique, 
passe  au  milieu  des  zouaves  qui  forment  la  haie  de 
chaque  côté  de  la  grande  nef,  depuis  la  porte  de» 
bronze  jusqu'à  la  confession,  et  monte  à  l'autel  pour 
y  célébrer  le  saint  sacrifice  de  la  messe.  L'office 
divin  terminé,  le  Souverain  Pontife  retourne  au 
Vatican. 

La  journée  se  termine  par  un  magnifique  feu 
d'artifice  ou  girandola,  devant  l'église  de  San  Piedro 
in  Montorio,  non  loin  de  l'endroit  où  Saint-Pierre 


—  124  — 

fut  crucifié  la  tête  en  bas.  La  girandola,  à  Rome, 
surpasse  tous  les  feux  d'artifice  de  l'univers  ;  il  n'y 
a  que  les  Romains  qui  possèdent  le  secret  de  créer 
des  merveilles  de  ce  genre. 

Le  12,  Rome  célèbre  le  double  anniversaire  du 
retour  de  Pie  IX  de  Gaète  et  sa  préservation  mira- 
culeuse à  l'église  de  Sainte-Agnès.  Nous  avons  déjà 
relaté  le  premier  événement  ;  nous  n'y  reviendrons 
pas.  Voici  comment  les  historiens  de  l'époque  rap- 
portent le  second  : 

Le  12  avril  1855,  le  Très  Saint- Père  alla  célébrer 
l'office  divin  à  la  basilique  de  Sainte- Agnès,  bâtie 
en  324  par  Constantin,  à  la  prière  de  sa  fille  Cons- 
tance, guérie  miraculeusement  par  l'intercession  de 
la  jeune  vierge  martyre,  sainte  Agnès. 

Après  la  messe,  le  Pape  se  rendit  dans  la  salle  du 
chapitre  pour  prendre  le  déjeuner  avec  les  nombreux 
invités  et  passa  ensuite  dans  la  chambre  voisine  pour 
admettre  au  baisement  des  pieds  les  élèves  de  la 
Propagande.  Pie  IX  était  à  peine  assis  que  la  poutre 
principale  de  l'édifice  se  rompit,  et  le  plancher  s'ef- 
fondra. Le  Pape  et  sa  suite  furent  précipités  dans 
l'étage  inférieur.  Après  quelques  instants  d'un 
lugubre  silence,  on  vit  sortir,  du  milieu  des  décom- 
bres, Pie  IX,  qui  n'avait  reçu  aucune  contusion. 
Personne  de  l'assistance  ne  fut  blessé.  Le  Pape  entra 


—  125  — 

aussitôt  dans  le  temple  sacré,  où  il  entonna  le  Te 
Deum  en  l'honneur  de  sainte  Agnès,  à  laquelle  il 
attribua  sa  préservation  miraculeuse.  A"  son  retour, 
Pie  IX  parcourut  le  Corso  dans  toute  sa  longueur. 
La  population  entière  se  porta  sur  son  passage  pour 
l'acclamer  et  implorer  sa  bénédiction.  On  entendait 
de  toutes  parts  :  "  Viva  Pio  Nono  !  Viva  il  santissimo 
Padre  !  Vive  Pie  IX  !  Vive  le  Très  Saint-Père  !  " 
On  viendra  nous  dire  ensuite  que  le  Pape  n'était  pas 
aimé  de  son  peuple.  Il  n'y  a  que  ses  ennemis  qui 
puissent  proférer  cet  impudent"  mensonge,  fabriquer 
cette  monstrueuse  calomnie.  Nous  avons  vécu  au 
milieu  du  peuple  romain,  et  nous  sommes  convaincu 
que  le  peuple  romain  aimait  Pie  IX,  comme  il  a  aimé 
Léon  XIII  et  comme  il  aime  encore  Pie  X. 

Le  bouquet  des  noces  d'or  du  Pape  fut  l'illumina- 
tion générale  de  la  ville  de  Rome.  Ce  fut  un  spec- 
tacle ravissant.  .  Une  personne  qui  serait  tombée 
tout  à  coup  au  milieu  de  la  ville  de  Romulus,  sans 
savoir,  qu'il  se  trouvait  dans  la  capitale  du  monde 
catholique,  aurait  cru  assister  à  un  vaste  incendie. 

Nous  arrivons  au  plus  grand  événement  de  l'année 
1869  :  nous  voulons  parler  du  Concile  Oecuménique 
du  Vatican,  convoqué  par  une  bulle  du  29  juin  1868. 
Tous  les  évêques  de  la  catholicité  furent  invités  à 
prendre  part  aux  délibérations  de  ce  Concile,  et  tous 


—  126  — 

— il  faut  excepter  ceux  qui  en  furent  empêchés  par  la 
vieillesse  ou  la  maladie — répondirent  à  l'appel  de 
leur  chef. 

Le  S  décembre  1869,  jour  de  la  fête  de  l'Imma- 
culée Conception,  à  cinq  heures  du  matin,  toutes  les 
troupes  pontificales  furent  appelées  sous  les  armes  et 
échelonnées  sur  la  place  Saint-Pierre.  Nous  étions 
près  de  l'obélisque  de  Néron,  la  carabine  au  bras 
depuis  deux  heures  et  exposés  à  une  pluie  torren- 
tielle, lorsque  le  colonel  Allet  nous  donna  l'ordre  de 
marcher  de  l'avant.  Cet  ordre  arrivait  à  temps  : 
nous  étions  mouillés  jusqu'aux  os  et  transis  de  froid, 
nous  grelottions  comme  si  nos  membres  avaient  été 
mis  en  mouvement  par  des  ressorts  invisibles.  Nous 
entrons  dans,  l'immense  basilique  constantinienne,  et 
nous  formons  la  haie  comme  aux  grandes  fêtes  des 
noces  d'or  de  Pie  IX.  Les  zouaves  étaient  les  enfants 
gâtés  du  Saint-Père  ;  car,  dans  toutes  les  circonstances 
solennelles,  les  officiers  supérieurs  nous  assignaient 
invariablement  la  place  d'honneur.  Après  quelques 
moments  d'attente,  notre  bon  papa  Allet  commande 
le  genou-terre.  Toute  l'assistance  tombe  à  genoux 
comme  foudroyée,  à  la  vue  du  vénérable  vieillard 
du  Vatican  et  des  sept  cents  soixante-onze  têtes 
mitrées  qui  le  précèdent.  Quelle  majestueuse  pro- 
cession nous  voyons  alors  défiler  !  Quelle  grandeur 


—  127  — 

et  quelle  vertu  !  Nous  avons  devant  nous  ce  que 
l'Eglise  renferme  de  plus  saint.  Nous  avons  devant 
nous  les  prélats"  les  plus  illustres  que  le  catholi- 
cisme ait  jamais  donnés  à  la  terre.  Nous  avons 
devant  nous  les  plus,  courageux  athlètes  qui  aient 
jamais  figuré  sur  la  scène  catholique.  Nous  avons 
devant  nous,  enfin,  les  plus  nobles  défenseurs  du 
droit  et  de  la  Papauté. 

Les  cérémonies  de  l'ouverture  du  Concile  se  pro- 
longèrent jusqu'à  deux  heures  de  l'après-midi.  Nous 
retournons  à  nos  casernes  complètement  épuisés  de 
fatigue  et  de  faim.  Etre  debout  depuis  cinq  heures  ' 
du  matin  jusqu'à  deux  heures  de  l'après-midi,  sans 
bouger  un  seul  instant  et  n'ayant  pris  pour  toute 
nourriture  qu'un  demi-litre  de  café  noir  !  C'est 
presque  incroyable.  Pourtant  c'est  la  vérité,  et 
encore  le  temps  nous  a  paru  court,  tant  le  cœur 
avait  éprouvé  de  si  douces  jouissances. 

Les  délibérations  du  Concile  du  Vatican,  qui  pro- 
clama néanmoins  le  dogme  de  l'infaillibilité  du 
Pape,  furent  interrompues  en  1870,  à  la  veille  des 
grands  et  tristes  événements  que  nous  raconterons 
dans  le  prochain  chapitre. 


LE  20  SEPTEMBRE  1870 


Montalembert  écrivait  au  lendemain  de  l'invasion 
des  Romagnes,  en  1870  : 

"  La  pièce  s'est  jouée  en  trois  actes  :  la  diffama- 
tion, l'usurpation,  la  votation  ;  chaque  acte  a  eu  ses 
acteurs  :  les  écrivains,  les  fantassins,  les  électeurs  ; 
c'est  un  procédé  désormais  connu. 

"  On  dénonce  un  souverain.  Son  gouvernement 
est  imparfait,  intolérable  ;  ses  sujets  sont  mécontents 
opprimés,  exaspérés.  Il  ne  se  soutient  plus  que  par 
les  armes  étrangères,  il  manque  de  force  morale,  de 
force  matérielle,  il  est  perdu.  Voilà  le  souverain 
diffamé,  et  si  la  dénonciation  tombe  de  haut,  tous 
les  matins  deux  mille  journalistes  en  répètent  à 
deux  millions  de  lecteurs  l'écho  retentissant. 

"  Tout  d'un  coup  on  affirme  que  ce  souverain  si 

faible  est   menaçant,  qu'il   songe   à   attaquer,  qu'il 

groupe  quelques  soldats  ;  il  faisait  pitié,  il  fait  peur. . 
9 


—  130  — 

Prenons  nos  précautions,  violons  ses  frontières  !  C'est 
le  second  acte  :  on  envahit  le  territoire. 

"  Puis,  maître  du  pays,  on  consulte  les  sujets. 
Etes-vous  heureux  ? — Non.  Voulez-vous  le  devenir  ? 
— Oui. — Le  malheur,  c'est  Pie  IX  ;  le  bonheur,  ce 
sera  Victor-Emmanuel.  Vive  Victor-Emmanuel  ! 
La  pièce  est  jouée,  la  toile  tombe  ;  on  s'endort 
Romain,  on  se  réveille  Piémontais,  mais  toujours 
contribuable,  et,  de  plus,  conscrit." 

C'est  la  même  comédie  qui  se  joua  en  1870.  Le 
comte  Ponza  dit  San-Martino  se  chargea  de  jouer  le 
premier  acte  en  portant  au  Pape  la  lettre  qu'on  va 
lire,  c'est  un  monument  d'irypocrisie  : 

"  Très  Saint-Père, 

"  Avec  une  affection  de  fils,  avec  une  foi  de  catho- 
lique, avec  une  loyauté  de  roi,  avec  un  sentiment 
d'Italien,  je  m'adresse  encore,  comme  j'eus  à  le  faire 
autrefois,  au  cœur  de  Votre  Sainteté. 

"  Un  orage  plein  de  périls  menace  l'Europe.  A 
la  faveur  de  la  guerre  qui  désole  le  centre  du  conti- 
nent, le  parti  de  la  révolution  cosmopolite  augmente 
de  hardiesse  et  d'audace  et  prépare,  spécialement  en 
Italie  et  dans  les  provinces  gouvernées  par  Votre 
Sainteté,  les  derniers  coups  contre  la  monarchie  et  la 
Papauté. 


—  131  — 

"  Je  sais,  Très  Saint-Père,  que  la  grandeur  de 
Votre  âme  ne  le  céderait  jamais  à  la  grandeur  des 
événements,  mais  moi,  roi  catholique  et  roi  italien, 
et,  comme  tel,  gardien  et  garant,  par  la  disposition 
de  la  divine  Providence  et  par  la  volonté  de  la 
nation,  des  destinées  de  tous  les  Italiens,  je  sens  le 
devoir  de  prendre,  en  face  de  l'Europe  et  de  la  catho- 
licité, la  responsabilité  du  maintien  de  l'ordre  dans 
la  Péninsule  et  de  la  responsabilité  du  Saint-Siège. 

"  Or,  Très  Saint-Père,  l'état  d'esprit  des  popula- 
tions gouvernées  par  Votre  Sainteté  et  la  présence 
parmi  elles  de  troupes  étrangères  venues  de  lieux 
divers  avec  des  intentions  diverses,  sont  un  foyer 
d'agitation  et  de  périls  évidents  pour  tous.  Le 
hasard  ou  F  effervescence  des  passions  peut  conduire 
à  des  violences  et  à  une  effusion  de  sang  qu'il  est  de 
mon  devoir  et  du  Vôtre,  Très  Saint-Père,  d'éviter  et 
d'empêcher. 

"  Je  vois  l'inéluctable  nécessité,  pour  la  sécurité 
de  l'Italie  et  du  Saint-Siège,  que  mes  troupes,  déjà 
préposées  à  la  garde  des  frontières,  s'avancent  et 
occupent  les  positions  qui  seront  indispensables  à  la 
sécurité  de  Votre  Sainteté  et  au  maintien  de  l'ordre. 

"  Votre  Sainteté  ne  voudra  pas  voir  un  acte  d'hos- 
tilité dans  cette  mesure  de  précaution.  Mon  gou- 
vernement et  mes  forces  se  restreindront  absolument 


132  — 

à  une  action  conservatrice  et  tutélaire  des  droits 
facilement  conciliables  des  populations  romaines  avec 
l'inviolabilité  du  Souverain-Pontife,  et  de  son  auto- 
rité spirituelle  avec  l'indépendance  du  Saint-Siège. 

"  Si  Votre  Sainteté,  comme  je  n'en  doute  pas,  et) 
comme  son  caractère  sacré  et  la  bonté  de  son  âme 
me  donnent  le  droit  de  l'espérer,  est  inspirée  d'un 
désir  égal  au  mien  d'éviter  tout  conflit  et  d'échapper 
au  péril  d'une  violence,  Elle  pourra  prendre  avec 
le  comte  Ponza  di  San-Martino,  qui  lui  remettra  cette 
lettre  et  qui  est  muni  des  instructions  opportunes 
par  mon  gouvernement,  les  accords  qui  paraîtront 
mieux  devoir  conduire  au  but  désiré. 

"  Que  Votre  Sainteté  me  permette  d'espérer 
encore  que  le  moment  actuel,  aussi  solennel  pour 
l'Italie  que  pour  l'Eglise  et  la  Papauté,  rendra 
efficace  l'esprit  de  bienveillance  qui  n'a  jamais  su 
s'éteindre  dans  votre  cœur,  envers  cette  terre  qui  est 
aussi  Votre  patrie,  et  les  sentiments  de  conciliation 
que  je  me  suis  toujours  étudié  avec  une  persévérance 
infatigable  à  traduire  en  actes,  afin  que,  tout  en  satis- 
faisant aux  aspirations  nationales,  le  chef  tle  la 
catholicité,  entouré  du  dévouement  des  populations 
italiennes,  conservât  sur  les  rives  du  Tibre  un  siège 
glorieux  et  indépendant  de  toute  souveraineté 
humaine. 


"  Votre  Sainteté,  en  délivrant  Rome  de  troupes 
étrangères,  en  l'enlevant  au  péril  continuel  d'être  le 
champ  de  bataille  clés  esprits  excessifs,  aura  accompli 
une  œuvre  merveilleuse,  rendu  la  paix  à  l'Eglise,  et 
montré  à  l'Europe  épouvantée  par  les  horreurs  de  la 
guerre,  comment  on  peut  gagner  de  grandes  batailles 
et  remporter  des  victoires  immortelles  par  un  acte 
de  justice  et  par  un  seul  mot? d'affection. 

"  Je  prie  Votre  Sainteté  de  vouloir  bien  m'accor- 
der  sa  bénédiction  apostolique,  et  je  renouvelle  à 
Votre  Sainteté  l'expression  des  sentiments  de  mon 
profond  respect. 

Florence,  8  septembre  1870. 

"  De  Votre  Sainteté, 

"  Le  très  humble,  très  obéissant 

et  très  dévoué  fils, 

"  Victor  Emmanuel." 

La  diffamation  est  consommée  par  un  roi  ;  mais 
elle  est  repoussêe  avec  indignation  par  un  autre  roi. 
Pie  IX  répondit  à  Ponza,  après  avoir  pris  connais- 
sance de  ces  impudents  mensonges  et  de  ces  préten- 
dues expressions  de  dévouement  à  l'Eglise  :  "À 
quoi  bon  cet  effort  d'hypocrisie  inutile  ?  Ne  valait- 
il  pas  mieux  me  dire  tout  simplement  qu'on  voulait 
me  dépouiller  de  mon  royaume  ?  " 


—  134  — 

Ponza  ayant  commenté  la  lettre  de  Victor-Emma- 
nuel dans  un  sens  favorable,  le  Pape  lui  répliqua  : 
"  Mais  enfin,  vous  parlez  toujours  des  aspirations 
des  Romains  !  Eh  bien  !  vous  pouvez  voir  de  vos 
propres  yeux  combien  ils  sont  tranquilles."  Le  comte 
Ponza  se  trouvait  donc  en  présence  d'un  démenti 
formel. 

Lorsque  Pie  IX  congédia  le  "  commissaire  géné- 
ral des  Etats  romains,  "  il  lui  dit  :  "  je  puis  bien 
céder  à  la  violence,  mais  adhérer  à  l'injustice... 
jamais  !" 

Le  comte  Ponza  di  San-Martino  était  arrivé  à 
Rome  le.  9  septembre  ;  il  s'en  éloignait  le  11,  avec 
la  lettre  suivante,  que  Pie  IX  adressait  à  Vietor- 
Emmanuel,  le  roi  galant-homme. 

"  Au  roi  Victor-Emmanuel, 

"  Sire, 

"  Le  comte  Ponza  di  San-Martino  m'a  remis  une 
lettre  que  Votre  Majesté  m'a  adressée  ;  mais  elle 
n'est  pas  digne  d'un  fils  affectueux  qui  se  fait  gloire 
de  professer  la  foi  catholique  et  se  pique  d'une 
royale  loyauté.  Je  n'entre  pas  dans  les  détails  de  la 
lettre  elle-même,  pour  ne  pas  renouveler  la  douleur 
que  sa  première  lecture  m'a  causée.  Je  bénis  Dieu, 
qui  a  permis  à  Votre  Majesté  de  combler  d'amer- 


—  135  — 

tume  la  dernière  partie  de  ma  vie.  Du  reste,  je  ne 
puis  admettre  certaines  demandes,  ni  me  conformer 
à  certains  principes  contenus  dans  cette  lettre.  J'in- 
voque Dieu  de  nouveau,  et  je  remets  entre  ses  mains 
ma  cause  qui  est  entièrement  la  sienne.  Je  le  prie 
d'accorder  de  nombreuses  grâces  à  Votre  Majesté,  de 
la  délivrer  des  périls  et  de  lui  dispenser  des  miséri- 
cordes dont  Elle  a  besoin. 

"  Du  Vatican,  le  11  septembre  1870, 

"  Pio  PP.  IX  " 

C'est  ainsi  que  parle  le  roi  diffamé,  et  c'est  ainsi 
que  se  termine  le  premier  acte  de  la  pièce.  Passons 
maintenant  au  second,  c'est-à-dire  à  l'usurpation. 

Le  même  jour  que  le  comte  Ponza  di  San-Martino 
quittait  Rome,  les  troupes  piémontaises  franchis- 
saient la  frontière  romaine  et  s'emparaient  de  Bagno- 
rea  et  de  Montefiascone,  que  les  zouaves  avaient 
évacuées  quelques  instants  auparavant.  L'invasion 
était  commencée,  et  cela  sans  raison  aucune  et  sans 
aucune  déclaration  de  guerre.  Ce  n'est  pas  le  mot 
invasion  qu'il  faudrait  employer,  mais  bien  l'expres- 
sion de  vol  de  territoire.  Victor-Emmanuel  repré- 
sente ici  le  lion  de  la  fable  :  "  Je  m'appelle  lion,  se 
dit-il  ;  par  conséquent  je  prends  le  royaume  du 
Pape."     Et  le  nouveau  Judas  envoie  le  lieutenant- 


—  136  — . 

général  Itaffael  Cadorna  exécuter  ses  ordres  iniques. 

Cadorna  entre  alors  dans  les  Etats  de  l'Eglise 
avec  cinq  divisions  et  une  réserve,  formant  trois 
corps  d'armée.  Les  forces  piémontaises  se  répartis- 
sent comme  suit  :  quatre-vingts  bataillons  d'infante- 
rie, dix-sept  bataillons  de  bersaglieri  ;  cent  quatorze 
pièces,  cinq  compagnies  de  train  et  une  compagnie 
de  pontonniers.  L'effectif  de  l'armée  s'élevait  à 
81,478  hommes. 

Cadorna,  ayant  trois  divisions  sous  son  comman- 
dement, s'avançait  du  côté  des  Légations  et  de  la 
Sabine.  Bixio,  à  sa  droite,  avec  la  2ème  division, 
menaçait  les  frontières  du  côté  de  la  Toscane,  et 
Angioletti,  à  la  gauche,  quittait  le  royaume  de 
Naples  avec  le  3ème  corps  d'armée.  Avant  même 
de  prévenir  le  Pape,  l'armée  piémontaise  avait  pris 
ses  positions  sur  la  frontière  ;  car,  le  7  septembre, 
Bixio  avait  son  quartier  général  à  Orvieto  ;  Cadorna, 
à  Rietti  ;  Mazé  de  la  Roche,  à  Terni  ;  Ferrero,  A 
Narni  ;  et  Angioletti,  à  Cassino. 

Pendant  que  ces  différents  corps  d'armée  s'avan- 
çaient sur  Rome,  une  flotte  de  douze  navires  de 
guerre,  commandée  par  le  contre-amiral  Del  Caretto, 
se  dirigeait  vers  le  port  de  Civita-Vecchia. 

Telle  était  la  position  de  l'armée  piémontaise  au 
commencement  de  l'invasion.  Rome  était  donc 
cernée  de  toutes  parts. 


—  137  — 

Maintenant,  quels  moyens  ou  quelles  forces  Pie 
IX  avait-il  à  sa  disposition  pour  défendre  son  terri- 
toire de  cinquante  lieues  de  longueur  sur  quinze  de 
largeur  en  moyenne  ?  Treize  mille  six  cent  quatre- 
vingt-quatre  hommes  de  troupes — chiffre  officiel, — 
et  encore  disséminés  dans  les  cinq  provinces  romaines 
savoir  :  Velletri,  Frosinone,  Viterbe,  Civita-Yec- 
chia  et  Comarca.  Plusieurs  bataillons  se  trouvaient 
à  Rome  dans  le  moment  pour  protéger  notre  Saint- 
Père.  Défendre  cinq  provinces,  avec  une  poignée 
de  soldats,  contre  trois  corps  d'armée,-  c'eût  été  une 
folie  et  un  sacrifice  inutile  de  vies.  Aussi,  le  général 
Kanzler,  pro-ministre  des  armes,  donna-t-il  Tordre 
d'abandonner  les  provinces  à  l'approche  de  l'ennemi 
et  de  converger  vers  Rome,  tout  en  laissant  aux 
commandants  la  latitude  de  faire  une  "  honorable 
résistance."  Cet  ordre  fut  ponctuellement  exécuté, 
comme  nous  le  verrons  dans  le  cours  de  ce  récit. 

La  retraite  des  zouaves  de  la  province  de  Viterbe, 
sous  la  direction  du  lieutenant-colonel  de  Charette, 
a  été  un  des  exploits  les  plus  glorieux  et  les  plus 
hardis  accomplis  par  notre  régiment.  Nous  en  ferons 
donc  une  narration  aussi  fidèle  que  possible,  en  nous 
appuyant  sur  le  témoignage  de  nos  camarades  de  la 
6ème  compagnie  du  4ème  bataillon  à  laquelle  nous 
avons  eu  le  bonheur  d'appartenir,  et  sur  celui  du 


—  138  — 

comte  de  Beaufort,  témoin  oculaire  du  vol  commis 
par  Victor-Emmanuel. 

Bixio,  l'ancien  lieutenant  de  Garibaldi,  s'empare 
d'abord  de  Bagnorea,  le  11  septembre,  comme  nous 
l'avons  dit  précédemment.  Cette  ville  n'était  défen- 
due que  par  vingt  zouaves  commandés  par  le  lieu- 
tenant de  Kervyn.  Ce  dernier,  averti  à  trois  heures 
par  un  courrier  de  Capraccia  que  l'ennemi  s'avance, 
prend  alors  le  parti  de  se  replier  sur  Montefiascone  ; 
mais,  trompé  par  un  faux  rapport,  il  retarde  son 
départ  et,  surpris  par  les  Piémontais,  il  est  fait 
prisonnier  avec  son  détachement.  On  les  promena 
ensuite  à  travers  l'Italie,  dit  M.  de  Beaufort,  en 
butte  aux  mauvais  traitements  de  leurs  vainqueurs 
et  aux  insultes  d'une  lâche  populace. 

Les  Italiens  marchent  tout  de  suite  sur  Montefias- 
cone qu'ils  croient  surprendre  :  mais  le  commandant 
de  Saisy  ayant  reçu,  la  veille,  l'ordre  de  retraiter  sur 
Viterbe  avec  ses  deux  compagnies  de  zouaves,  "  au 
dernier  moment  et  sans  engager  d'action,"  quitte 
cette  ville  à  dix  heures  du  soir  alors  que  l'armée 
piémontaise  pénètre  dans  Montefiascone  par  une  porte 
opposée,  et  arrive  à  Viterbe,  la  même  nuit,  sans  avoir 
été  inquiété  dans  sa  retraite.  Du  reste,  M.  de  Saisy 
avait  pris  ses  mesures  pour  protéger  sa  petite  colonne 
en  la  flanquant  de  tirailleurs.  L'arrivée  de  ces  deux 


—  139  — 

compagnies  de  zouaves  à  Viterbe  fut  saluée  par  les 
cris  de  :  "  Vive  Pie  IX  !  " 

Bixio  passe  la  nuit  à  Montefiascone.  Le  lende- 
main matin,  il  lève  le  camp,  et,  pour  couper  la 
retraite  à  de  Charette  et  à  ses  zouaves  qui  se  trou- 
vaient alors  à  Viterbe,  au  lieu  de  marcher  sur  cette 
dernière  ville,  il  prend  un  chemin  à  droite  et  se 
dirige  sur  Civita-Vecchia  par  la  route  de  Toscanella  et 
de  Corneto,  en  laissant  un  bataillon  derrière  lui, 
afin  de  cerner  la  petite  armée  pontificale  commandée 
par  notre  brave  lieutenant-colonel. 

Le  baron  de  Charette,  qui  avait  été  mis  au  cou- 
rant de  la  démarche  du  comte  Ponza  di  San-Martino, 
avait  averti  tous  les  avant-postes  de  se  tenir  prêts  à 
se  replier  en  cas  d'attaque  ;  et  tous  les  détachements 
avaient  obéi  à  ses  ordres.  Les  deux  mille  hommes 
échelonnés  dans  la  province  de  Viterbe,  étaient  donc 
alors  réunis  -sous  le  commandement  du  héros  de 
Mentana.  Mais  quel  parti  prendre  dans  cette  situa- 
tion périlleuse  ?  Combattre  ou  retraiter,  pas  d'autre 
issue.  M.  de  Charette,  après  avoir  mûrement  réfléchi, 
se  décide  à  la  retraite.  Pour  exécuter  cette  manœu- 
vre audacieuse,  de  Charette  n'avait  plus  le  choix  des 
routes.  Cadorna  devait  nécessairement  bloquer  la 
voie  la  plus  directe  :  celle  de  Ronciglione  et  de  Mon- 
terosi.     Il   ne   restait   donc   que    celle    de    Civita- 


—  140  — 

Vecchia  par  Vetralla  ;  c'était  parcourir  la  base  d'un 
triangle  dont  Rome  occupait  le  sommet,  Mais  il 
fallait  bien  passer  par  là  pour  ne  pas  tomber  entre 
les  mains  de  l'ennemi  et  priver  ainsi  Rome  de  l'élite 
de  ses  troupes. 

Ce  parti  pris,  de  Charette  se  prépare  à  la  retraite. 
Mais,  pour  ne  pas  paraître  fuir  devant  l'armée 
piémontaise  et  lui  laisser  le  champ  libre,  il  prend  la 
résolution  de  se  fortifier  à  Yiterbe  et  d'y  attendre 
Bixio.  Le  12,  à  sejDt  heures  du  matin,  les  barricades 
et  les  autres  travaux  de  fortification  sont  terminés. 
En  un  mot,  la  ville  est  mise  en  état  de  défense.  De 
Charette,  placé  dans  l'observatoire  établi  au  sommet 
de  la  tour  de  la  caserne,  examine  les  mouvements 
de  l'ennemi,  qui  était  campé  sur  les  hauteurs  de 
Montefiascone  et  à  Bagnorea,  située  à  droite  de  Mon- 
tefîascone  et  à  six  milles  environ  de  Yiterbe.  Vers  dix 
heures  et  demie,  le  brave  commandant  des  zouaves 
voit  une  colonne  piémontaise  lever  le  camp  et  se 
diriger  vers  Toscanella  et  Carcanello  dans  le  but 
évident  de  couper  la  route  de  Corneto,  et  une  autre 
colonne  se  porter  sur  Yiterbe.  En  même  temps, 
des  paysans  arrivent  à  Yiterbe  et  préviennent  de 
Charette  que  deux  colonnes  du  corps  de  Cadorna 
s'avancent  du  côté  d'Orte  et  de  Soriano.  Quelques 
minutes  s'étaient  à  peine  écoulées,  que  les  zouaves 


—  141  — 

aperçoivent  distinctement  l'ennemi  sur  la  route  de 
Ronciglione. 

Il  n'y  avait  plus  à  retarder  le  départ  sans  être 
complètement  investi.  De  Charette  assemble  alors 
son  conseil  de  guerre,  et  il  est  résolu  d'évacuer  Viterbe 
immédiatement.  Des  ordres  sont  donnés  aux  offi- 
ciers, et  les  troupes  pontificales  abandonnent  Viterbe 
et  se  retirent  au  casino  Polidori,  à  un  mille  et  demi 
de  cette  ville.  Les  habitants  saluent  leur  départ  par 
les  cris  de  :  "  Corraggio,  Zuavi  !  Courage,  zouaves  ! 
Corraggio,  figli  !  Courage,  enfants  !  "  Encore  un  dé- 
menti à  la  lettre  de  Victor-Emmanuel.  Toute  la 
petite  troupe  pontificale  se  trouvait  réunie  au  casino 
Polidori,  à  l'exception  de  quelques  vedettes  et  de 
douze  hommes  de  garde  au  poste  de  la  Place  qui 
avaient  été  faits  prisonniers,  parce  que  l'ordre  de  la 
retraite  avait  été  mal  compris. 

Le  lieutenant-colonel  de  Charette  donne  le  com- 
mandement de  marcher  de  l'avant.  Les  troupes  pon- 
ticales  prennent  la  route  de  Vetralla  où  elles  arrivent 
à  six  heures  du  soir.  Deux  heures  avant  d'atteindre 
cette  petite  ville,  des  cavaliers  piémontais  ont  rejoint 
la  troupe  du  Pape  ;  mais  ils  sont  obligés  de  rebrous- 
ser chemin  en  voyant  l'attitude  fière  et  menaçante 
des  zouaves.  . 

Le  13  septembre,  à  6  heures  du  matin,  la  petite 


—  142  — 

troupe  pontifieale  sort  de  Vetralla  et  se  dirige,  par 
une  chaleur  suffocante,  sur  la  petite  ville  de  Monte- 
Romano,  où  elle  fait  son  entrée  à  dix  heures,  au 
milieu  des  vivats  de  la  population.  De  Charette 
accorde  quelques  heures  de  repos  à  ses  soldats  avant 
de  commencer  la  célèbre  retraite  de  Viterbe  propre- 
ment dite.  Les  hommes  tombent  de  fatigue  ;  une 
soif  dévorante  les  brûle  ;  et  pourtant  ils  sont  encore 
pleins  de  courage.  De  temps  à  autre,  on  les  entend 
crier  :  "  Vive  Pie  IX  !  "  Après  avoir  récupéré  leurs 
forces,  les  zouaves  se  mettent  en  marche  pour  se 
rendre  à  Civita-Vecchia  ;  mais  la  route  qui  conduit 
de  Monte-Romano  à  Corneto,  par  où  ils  doivent 
passer,  est  déjà  occupée  par  les  Piémontais.  Comment 
de  Charette  s'y  prit-il  pour  sortir  de  cette  impasse  ? 
Pour  répondre  à  cette  question,  nous  laissons  la 
parole  à  M.  de  Beaufort  : 

•  "  Essayer  de  forcer  le  passage  eût  été  téméraire, 
vu  l'infériorité  numérique  des  troupes  romaines,  et 
la  forte  position  de  Bixio  à  Corneto.  Si  l'on  était 
obligé  de  combattre  pour  s'ouvrir  la  route,  mieux 
valait-il  le  faire  le  plus  près  possible  de  Civita- 
Vecchia,  où  l'on  trouverait  des  soutiens  et  un  asile  ; 
il  fallait  donc  gagner  Civita-Vecchia  le  plus  tôt 
possible  ;  pour  cela,  on  n'avait  qu'une  route  longue, 
difficile,    passant    près    des    montagnes   escarpées, 


—  143  — 

inconnues,  et  c'était  pendant  la  nuit  qu'on  devait  la 
suivre .  . . 

"  Le  temps  presse  cependant.  La  troupe  s' étant 
un  peu  reposée,'  M.  de  Charette  adresse  quelques 
mots  à  ses  soldats,  et,  sans  même  avoir  le  temps 
d'achever  le  repas  commencé,  par  une  accablante 
chaleur  et  au  cri  de  "  Vive  Pie  IX,  "  on  commence, 
vers  trois  heures  et  demie,  cette  retraite  de  douze 
heures  qui  ne  devait  finir  qu'à  Civita-Vecchia,  et 
qui  serait  admirée  comme  elle  le  mérite,  si,  exécutée 
en  autre  temps,  elle  eût  trouvé  un  historien  digne 
d'elle. 

"  A  quelque  distance  de  Monte-Romano,  il  fallait 
quitter  la  grande  route  pour  se  jeter  à  gauche  dans 
la  traverse.  Le  chemin  que  l'on  prit,  mauvais  dès 
l'abord,  était  cependant  praticable.  Au  bout  de 
quelques  milles,  il  cesse  complètement  •  c'est  à  gué, 
et  de  l'eau  jusqu'au  dessus  du  genou,  qu'on  passe  le 
petit  fleuve  du  Mignone  ;  puis,  on  se  trouve  en 
pleine  montagne,  dans  des  sentiers  bons  seulement 
pour  des  bêtes  de  somme.  C'est  pourtant  le  seul 
chemin  possible  pour  la  colonne  ;  il  faut  y  faire 
passer  l'artillerie  ;  et  avec  le  jour  qui  baisse,  aug- 
mentent les  difficultés.  Tantôt  descendant  au  fond 
des  ravins  escarpés,  tantôt  gravissant  des  pentes 
abruptes,  tantôt  par  de  brusques  détours  contournant 


—  144  — 

des  saillies  de  rochers,  gênés  par  l'inégalité  même 
d'un  sol  raboteux,  hérissé  de  pierres  aux  arrêtes 
vives,  on  triomphe  de  tous  les  obstacles.  On  avance 
là  même  où  la  marche  semble  impossible  ;  quand 
les  deux  canons  et  la  mitrailleuse  ne  peuvent  passer, 
on  leur  attache  des  cordes  et  on  les  hisse  à  force  de 
bras.  Deux  fois  ainsi,  l'on  doit  monter  séparément 
les  caissons  et  les  pièces  ;  ailleurs,  il  faut  aux  six 
chevaux  d'attelage  joindre  une  vingtaine  de  soldats. 
Pour  les  bagages,  il  en  est  de  même,  et  parfois  on 
doit  les  transporter  et  enlever  en  quelque  sorte  les 
chariots.  Un  ou  deux  se  brisent,  qu'on  abandonne  ; 
les  autres  passent,  ainsi  que  les  canons,  grâce  aux 
efforts  soutenus  de  la  troupe. 

"  Les  hommes  tombent  de  fatigue,  mais  aucun  ne 
se  plaint,  et  le  courage  leur  donne  une  force  nou- 
velle, maintenue  par  le  bon  esprit  de  tous  et  l'éner- 
gie que  savent  inspirer  le  lieutenant-colonel  de  Cha- 
rette  et  le  lieutenant  d'artillerie  Maldura. 

"  On  avait  encore  à  courir  un  autre  risque  :  une 
fois,  dans  la  nuit,  on  aperçut  du  sommet  d'une  hau- 
teur les  feux  de  nombreux  bivouacs  ennemis  entre 
Corneto  et  Civita-Vecchia.  Ils  étaient  encore  éloignés  ; 
mais  la  route  s'en  approchait.  A  force  d'efforts,  on 
avait,  en  continuant  cette  marche  nocturne,  gagné 
Allumiera  et  rejoint  la  route  allant  de  Bracciano  à 


—  145  — 

Civita-Vecchia,  mais  bientôt  on  vit  qu'en  la  suivant 
on  tombait  au  milieu  des  Italiens  :  on  était  même  si 
près  d'eux  qu'il  n'était  pas  certain  qu'on  pût  éviter 
leur  rencontre.  '  On  fait  une  halte  un  instant  ;  de 
Charette  donne  à  voix  basse  ses  instructions  aux 
officiers  pour  le  cas  d'une  attaque,  et  échange  avec 
eux  une  poignée  de  main  d'adieu  ;  puis,  quittant  de 
nouveau  la  route  frayée  que  suivent  seuls  les  bagages 
et  leur  garde,  on  se  jette  à  travers  les  champs,  traî- 
nant encore  les  canons  sur  un  sol  parsemé  de  rochers 
jetés  en  désordre,  et  marchant  ainsi  en  ligne  droite 
et  le  plus  vite  dans  la  direction  de  Civita-Vecchia. 

Tant  d'efforts  furent  récompensés,  et  l'ennemi  ne 
s'aperçut  pas  de  la  proximité  des  zouaves  pontificaux. 
Bixio  se  promettait  bien  cependant  de  leur  couper 
le  passage.  Il  avait  occupé  par  ses  troupes  la  route 
de  Corneto  à  Monte-Romano,  et  le  pont  du  Mignone, 
où  il  les  attendait  au  passage.  Ce  qu'il  n'avait  pas 
prévu,  c'est  que  des  chemins  impraticables  les  déro- 
baient à  son  atteinte. 

"  Vers  deux  heures  du   matin,   la  petite  troupe 

romaine  entendit  un  bruit  lointain  ;  c'était  celui  de 

la    mer,    on   approchait   de   Civita-Vecchia.      Tout 

n'était  pas  sauvé  encore,  et  des  fusées  que  l'on  vit 

alors  s'élever  au-dessus  de  la  ville,  dans  le  ciel  encore 

sombre,  et  dont  le  sens  était  connu,   donnèrent  bien 
10 


—  146  — 

quelques  inquiétudes  ;  mais  celles-ci  ne  furent  pas 
confirmées.  La  marche  se  poursuivit  heureusement  : 
à  trois  heures,  Pavant-garde  atteignit  les  portes  de 
la  ville,  et  le  reste  de  la  colonne  arriva  à  trois  heures 
et  demie  dans  Civita-Yecchia  ;  elle  était  en  sûreté .  . 

"  Pendant  que  les  troupes  de  la  prcvince  de  Viterbe 
effectuaient  avec  tant  de  bonheur  une  retraite  si 
périlleuse,  le  général  Bixio,  que  nous  avons  laissé  à 
Corneto  avec  sa  division,  y  attendait  toujours  la 
colonne  pontificale.  Il  y  demeura  jusqu'au  soir  du 
14.  Ce  jour-là,  cependant,  il  avait  poussé  sa  cava- 
lerie et  les  bersaglieri  jusqu'en  vue  de  Civita-Vecchia, 
et  ayant  enfin  appris  que  ceux  qu'il  attendait  lui 
avaient  échappé,  il  ne  songea  plus  qu'à  s'emparer  de 
Civita-Yecchia.  La  flotte  italienne,  étant  venue  dans 
la  journée  sous  Corneto,  au  Porto-Clementino,  Bixio 
alla,  vers  deux  heures  et  demie,  à  bord  du  vaisseau- 
amiral  "  Roma,  "  se  concerter  avec  l'amiral  Caretto 
pour  le  siège  de  la  place,  et,  se  portant  lui-même  en 
avant,  le  15,  il  établissait  son  quartier-général  à 
Torre-Orlando,  devant  Civita-Arecchia. 

"  Vers  le  même  temps,  (au  moment  où  Bixio  eut 
un  entretien  avec  le  contre-amiral  Del  Caretto)  le 
lieutenant-colonel  de  Charette  partait  avec  ses  trou- 
pes. Le  train  qu'il  prit  était  le  train  ordinaire  de 
Civita-Vecchia  à  Rome.     Entre   la  première  de  ces 


—  147  — 

deux  villes  et  une  station  voisine,  il  y  eut  un  instant 
de  sérieuse  crainte.  Le  chemin  de  fer  côtoyait  de 
très  près  le  rivage  et  l'on  vit  à  une  faible  portée  de 
terre  une  frégate'ennemie  embossée,  et  qui  semblait 
prête  à  prendre  en  écharne  le  train  à  son  passage. 
Le  danger  était  réel  et  grand  ;  mais  on  n'en  eut  que 
la  crainte  ;  la  présence  de  voyageurs  civils  dans  le 
convoi  et  la  certitude  de  tirer  sur  eux  en  même  temps 
que  sur  les  troupes  arrêtèrent-elles  la  frégate  italien- 
ne ?  Celle-ci  ignorait-elle  que  nos  soldats  étaient 
dans  le  train,  crut-elle  qu'ils  allaient  suivre  dans  un 
train  spécial,  ou  bien  n'eut-elle  pas  d'ordres  ?  Quoi 
qu'il  en  soit,  le  convoi  poursuivit  sa  marche  et  fut 
bientôt  hors  d'atteinte  ;  on  arriva  ainsi  jusqu'aux 
portes  de  Rome.  Au  pont  du  Tibre,  le  train  s'arrêta; 
le  triste  souvenir  de  la  caserne  Serristori  et  de  tenta- 
tives analogues  faisaient  craindre  que  des  mains 
criminelles  n'eussent  essa}ré  de  miner  le  pont  pour 
le  faire  sauter  au  moment  du  passage  des  troupes. 
Celles-ci  descendirent  du  train,  qui  poursuivit  sans 
elles,  et,  suivant  la  rive  droite,  elles  entrèrent  dans 
Rome  par  la  porte  Porthèse.  L'anxiété  sur  leur  sort 
n'était  pas  moindre  à  Rome  qu'à  Civita-Vecchia  ;  la 
joie  de  les  devoir  y  fut  égale..  Le  pro-ministre  des 
armes  les  attendait  lui-même  à  la  porte  avec  sa 
famille  ;  et  ce  fut  au  milieu  des  vivats  et  des  accla- 


—  148  — 

mations  poussées  par  les  troupes  rangées  près  des 
murailles  et  par  le  peuple  répandu  dans  les  rues, 
que  nos  soldats  de  Viterbe  firent  leur  entrée  dans  la 
capitale,  où  bientôt  ils  durent  se  rendre  aux  postes 
de  combat  qu'on  leur  avait  assignés." 

Les  jours  suivants  furent  consacrés  aux  préparatifs 
de  défense.  Presque  toute  l'armée  pontificale  avait  pu 
retraiter  sur  Rome  :  quelques  détachements  isolés, 
mais  peu  nombreux,  avaient  été  faits  prisonniers. 

Les  soldats  pontificaux  étaient  rangés  en  bataille, 
autour  de  Rome,  en  dedans  et  près  des  murs. 

Le  20  septembre,  l'année  piémontaise  enveloppait 
la  Ville  Eternelle  dans  un  cercle  de  feu.  Le  général 
Cadorna  avait  placé  les  Xle  et  Xlle  divisions  et  la 
réserve  au  nord-est  de  la  ville,  en  face  des  Portes 
Pia  et  Salaria  ;  Ferrero  se  trouvait  à  l'est,  près  de  la 
porte  Majeure  ;  Angioletti  devait  attaquer  le  sud  vers 
la  porte  Latine,  et  Brixio  était  chargé  de  la  partie 
qui  fait  face  au  Transtévôre. 

A  cinq  heures  et  dix  minutes,  le  premier  coup  de 
canon  est  tiré  par  l'ennemi,  et  un  boulet  vient  frapper 
le  mur  à  droite  de  la  Porte  Pia.  C'est  le  signal  de 
l'attaque.  Bientôt  "la  fusillade  devient  générale.  Les 
Italiens  sont  moisonnés  par  la  mort,  tandis  que  les 
pontificaux  n'éprouvent  que  des  pertes  insignifiantes. 
Malgré  l'active  et  ■  courageuse  défense  des  assiégés, 


—  140  — 

l'armée  ennemie  pratique  une  brèche  dans  le  mur 
qui  avoisine  la  Porte  Pia.  Les  Piémontais  essaient 
par  trois  fois  de  pénétrer  dans  Rome  par  cette  brèche  ; 
mais,  à  chaque  attaque,  les  bersaglieri,  les  meilleurs 
soldats  des  troupes  assiégeantes,  sont  repoussés  par 
les  zouaves,  qui  font  des  charges  à  la  baïonnette  des 
plus  brillantes.  Le  général  Kanzler  envoie  un  rap- 
port au  Saint-Père  sur  ce  qui  se  passe  à  la  Porte  Pia. 
Le  Pape,  pour  éviter  une  plus  grande  effusion  de  sang, 
arbore  le  drapeau  blanc  à  dix  heures  et  dix  minutes. 
L'armée  pontificale  obéit  au  successeur  de  Pierre  : 
elle  cesse  le  combat  et  se  dirige  vers  la  cité  Léonine. 
Rome  capitule  et  tombe  au  pouvoir  du  Piémont. 

Nous  ne  vous  parlerons  pas  des  scènes  dégoûtantes 
et  indignes  d'un  peuple  civilisé,  qui  eurent  lieu  après 
la  capitulation.  Les  Italiens  ont  manqué  alors  à 
toutes  les  lois  de  l'honneur  et  se  sont  conduits  comme 
les  barbares  des  premiers  siècles  de  l'Eglise. 

Nos  pertes,  dans  cette  journée  tout-à-fait  glorieuse 
pour  les  soldats  du  Pape,  s'élevèrent  à  seize  tués  et 
cinquante-huit  blessés  ;  celles  de  l'ennemi  dépas- 
sèrent mille,  tués  ou  blessés.  Un  écrivain  allemand 
a  dit  :  "La  perte  de  l'ennemi  devant  Rome,  le  20, 
monte  environ  à  deux  mille  hommes  tués  ou  blessés. 
Je  sais  ce  que  je  dis  et  pourquoi  je  le  dis  ;  je  sais 
aussi  combien  le  Piémont  a  donné  dans  ses  journaux 


—  150  — 

des  pertes  mensongèrement  petites  ;  mon  calcul 
s'appuie  sur  le  dire  des  soldats  ennemis." 

Reportons-nous  de  quelques  heures  en  arrière  et 
voyons  ce  que  faisait  Pie  IX  pendant  que  les  Re- 
montais bombardaient  Rome. 

Après  avoir  dit  sa  messe  à  sept  heures  et  demie  et 
être  resté  en  prières  jusque  vers  neuf  heures,  le  Pape 
passa  dans  sa  bibliothèque  particulière,  où  étaient 
réunis  les  membres  du  corps  diplomatique  au  nombre 
de  dix-sept.  Pie  IX  dit  quelques  mots  aux  ambas- 
sadeurs, mais  sa  voix  est  entrecoupée  de  sanglots. 
Voici  quelques-unes  de  ses  touchantes  paroles  : 

"  J'ai  écrit  au  roi  ;  je  ne  sais  s'il  a  reçu  ma  lettre  ; 
je  l'avais  envoyée  cependant  sous  l'adresse  de  son 
ministre  des  affaires  étrangères.  Je  pense  qu'elle  lui 
sera  parvenue,  mais  je  n'en  sais  rien. 

"  Bixio,  le  fameux  Bixio,  est  là  avec  l'armée 
italienne.  Aujourd'hui,  il  est  général.  Bixio,  du 
temps  où  il  était  républicain,  avait  formé  le  projet 
de  jeter  dans  le  Tibre,  quand  il  entrerait  dans  Rome, 
le  Pape  et  les  cardinaux ...  1 1  est  là,  à  la  porte 
San-Pancrazio  ;  ce  côté-là  est  le  plus  exposé.  11  y  a 
des  maisons  qui  souffriront,  entre  autres  celle  de 
Torlonia.  Les  souvenirs  du  Tasse  courent  beaucoup 
de  risques  avec  les  libérateurs  de  l'Italie  ;  mais  ces 
gens-là  s'en  enquiètent  peu. .." 


—  151  — 

"  Hier,  j'ai  été  à  la  maison  où  fut  condamné  Jésus- 
Christ  ;  j'ai  monté  la  Scala-Santa,  et  c'était  avec 
beaucoup  de  peipe,  et  j'avais  un  soutien  ;  enfin,  j'y 
suis  parvenu.  C'est  cet  escalier  qu'il  a  monté  pour 
être  condamné.  En  le  montant,  je  me  disais  :  peut- 
être  demain,  moi  aussi,  je  serai  condamné  par  les 
catholiques  d'Italie,  filii  mairis  mea  pugna/verfirU  coittra 
me.  Il  me  faut  beaucoup  de  force,  et  Dieu  me  la 
donne  !  Deo  Ghratim  ! 

"  Les  élçves  du  séminaire  américain  m'ont  deman- 
dé de  prendre  les  armes,  mais  je  les  ai  remerciés,  et 
je  leur  ai  dit  de  se  joindre  à  ceux  qui  soignent  les 
blessés. 

"  Voici  maintenant  que  Rome  est  enveloppée  et 
que  l'on  commence  à  manquer  de  beaucoup  de 
choses.  . 

"  Hier,  en  revenant  de  la  Scala-Santa,  j'ai  vu  tous 
les  drapeaux  que  l'on  a  mis  dans  Rome  pour  se  pro- 
téger. Il  y  en  a  des  anglais,  des  américains,  des 
allemands,  même  des  turcs.  Le  prince  Doria  en  a 
mis  un  anglais,  je  ne  sais  pourquoi. 

"  Quand  je  suis  revenu  de  Gaète,  ajouta  tristement 
le  Pontife,  j'ai  vu  aussi  sur  mon  passage  beaucoup 
de  drapeaux  qui  avaient  été  mis  en  mon  honneur. 
Aujourd'hui,  c'est  différent  ;  ce  n'est  pas  pour  moi 
qu'on  les  a  mis. 


—  152  — 

"  Ce  n'est  pas  la  fleur  de  la  société  qui  accompa- 
gne les  Italiens  quand  ils  attaquent  le  Père  des  ca- 
tholiques ;  c'est  une  miniature  de  ce  que  faisaient 
les  jeunes  Romains  qui  se  rendirent  au  camp  de 
César  quand  il  passa  le  Rubicon.  Le  Rubicon  est 
passé.  .      Fiat  vohintm  tua  in  cœlo  et  in  terra.  . . 

Après  avoir  fait  arborer  le  drapeau  de  la  paix,  Sa 
Sainteté  dit  aux  ambassadeurs  : 

"  Je  viens  de  donner  l'ordre  de  capituler.  On  ne 
pourrait  plus  se  défendre  sans  répandre  beaucoup  de 
sang,  ce  que  je  ne  veux  pas.  Je  ne  vous  parle  pas 
de  moi  ;  ce  n'est  pas  pour  moi  que  je  pleure,  mais 
sur  ces  pauvres  enfants  qui  sont  venus  me  défendre 
comme  leur  Père.  Vous  vous  occuperez  chacun  de 
ceux  de.  votre  pays.  Il  y  en  a  de  toutes  les  nations .  . 
Pensez  aussi,  je  vous  prie,  aux  Anglais  et  aux  Cana- 
diens, dont  personne  ne  représente  les  intérêts  ici. .  . 

"  Je  vous  les  recommande,  je  vous  les  recommande 
tous,  pour  que  vous  les  préserviez  des  mauvais  trai- 
tements dont  d'autres  eurent  .tant  à  souffrir,  il  y  a 
quelques  années  (en  1860.) 

"  Je  délie  mes  soldats  du  serment  de  fidélité  qu'ils 
ont  fait,  afin  de  leur  laisser  leur  liberté." 

Le  Pontife-Roi  congédia  ensuite  les  membres  du 
corps   diplomatique  ;  il  pleurait  comme  un  enfant. 

La  capitulation  fut  signée  le  20,  et  le  lendemain, 


—  158  — 

21,  le  général  Kanzler  annonça  le  licenciement  de 
l'armée  pontificale,  dans  les  termes  suivants  : 

"  Officiers,  sous-officiers  et  soldats  ! 

u  Le  moment  fatal  est  venu  où  nous  devons  nous 
séparer  et  abandonner  par  la  force  ce  service  du  Saint- 
Siège  qui,  plus  que  tout  au  monde,  nous  tient  tant  à 
cœur  ! 

"  Rome  est  tombée  !  mais,  grâce  à  votre  courage, 
à  votre  fidélité,  à  votre  admirable  union,  elle  est 
tombée  avec  honneur  ! 

"  Quelques-uns  d'entre  vous  se  plaindront  sans 
doute  de  ce  que  la  défense  n'ait  pas  été  plus  prolon- 
gée ;  mais  une  lettre  de  Sa  Sainteté  éclaircira  tout. 
Ce  témoignage  de  l'auguste  Pontife  sera  "la  consola- 
tion de  tous  et  la  plus  belle  récompense  que  nous 
puissions  obtenir  dans  les  circonstances  actuelles.  Je 
dois  également  vous  faire  connaître  que,  séparée,  par 
la  violence,  de  son  armée,  Sa  Sainteté  a  daigné  vous 
délier  de  tous  vos  serments  militaires. 

"  Adieu,  mes  chers  compagnons  d'armes  !  N'ou- 
bliez pas  votre  chef,  qui  conservera  de  vous  tous  un 
grand  et  impérissable  souvenir. 

"  Rome,  le  21  septembre  1870. 
"  Kanzler.  " 

Le  colonel  Allet  adresse  aussi  quelques  paroles 
d'adieu  à  ses  chers  zouaves. 


—  154  — 

Et  l'heure  de  la  séparation  est  arrivée. 

Il  se  passe  alors  une  scène  que  les  soldats,  du  Pape 
n'oublieront  jamais.  Tous  les  défenseurs  de  la  Papauté 
auraient  désiré  voir  encore  une  fois  leur  Père  bien- 
aimé,  et  cette  faveur  allait  leur  être  refusée, — puisque 
,  l'ordre  de  se  mettre  en  marche  était  déjà  donné — 
lorsque  tout-à-coup  une  fenêtre  du  Vatican  s'ouvre. 
Et  l'on  voit  apparaître  dans  l'embrasure,  le  véritable 
roi  de  Rome.  Levant  le  bras  vers  le  ciel,  Pie  IX 
commence  la  bénédiction  solennelle  :  "  Benedicto  Dei 
Omnipotentis.  Le  cri  de  "  Vive  Pie  IX  "  s'échappe 
de  toutes  les  poitrines.  Les  zouaves  sont  ivres  de  joie 
et  de  bonheur  :  les  uns  lancent  leurs  képis  en  l'air  : 
les  autres  présentent  les  armes. 

Des  balcons  des  résidences  qui  entourent  la  place 
Saint-Pierre,  des  milliers  de  personnes  répètent  : 
"  Vive  notre  Saint-Père  !  ATive  le  Pape  !  Vive  Pie 
IX,  notre  roi  !  "  C'en  est  trop  pour  le  cœur  du 
Souverain- Pontife.  Succombant  à  l'émotion  qui  les 
suffoque,  il  tombe  évanoui  dans  les  bras  de  ceux  qui 
l'environnent.  La  fenêtre  se  ferme,  et  les  soldats 
pontificaux  prennent  la  route  de  leur  pays  respectif, 
en  versant  d'abondantes  larmes  sur  le  sort  de  l'au- 
guste prisonnier  du  Vatican. 

Les  Français  furent  recueillis  à  bord  de  la  frégate 
française,  Y  Orênoque,    en  station    à  Civita-Vecchia. 


—  155  — 

Le  commandant  Briot  les  reçut  avec  les  plus  grands 
égards. 

"  Le  25  septembre,  qui  était  un  dimanche,  écrit 
le  capitaine  Jacquemont,  après- la  messe  célébrée  par 
leur  aumônier  sur  le  pont  de  la  frégate,  les  zouaves 
se  rassemblèrent  autour  de  leur  colonel.  Le  capi- 
taine de  Fumel  déploya  le  drapeau  du  régiment, 
qu'il  avait  emporté  en  le  cachant  dans  les  plis  de  sa 
ceinture,  et  après  avoir  salué  une  dernière  fois  ce 
glorieux  drapeau,  troué  des  balles  de  Mentana,  les 
zouaves  se  le  partagèrent.  Chacun  voulut  en  emporter 
un  fragment  et  garder  sur  son  cœur  cette  relique, 
talisman  de  la  foi,  du  courage  et  de  l'honneur. 
Selon  l'expression  du  commandant  d'Albiousse, 
c'étaient  pour  la  plupart  d'entre  eux  les  dépouilles 
opimes  de  leurs  campagnes.  Ensuite,  les  zouaves 
passèrent  du  bord  de  l' Orénoque  sur  un  paquebot  des 
Messageries,  Ylllissus,  qui  était  venu  les  chercher,  et 
ils  quittèrent  aussitôt  le  port  de  Civita-Vecchia. 

Le  second  acte  du  drame  étant  terminé,  la  toile 
tombe. 

Le  troisième  acte  fut  joué  le  2  octobre  :  c'est  la 
votation  ou  le  plébiscite.  Affiches  mensongères, 
menaces,  bulletins  forgés  ;  tout  a  été  employé  par 
les  partisans  de  la  Révolution  pour  accomplir  cette 
scène  de  bouffonnerie,  obtenir  un  vote  unanime — 


—  156  — 

les  catholiques  avaient  reçu  du  Pape  l'instruction  de 
ne  pas  voter — et  faire  comprendre  aux  autres  nations 
que  "  Victor-Emmanuel  était  aimé  par  tout  le 
peuple  romain." 

Le  drame  était  donc  fini.  Pie  IX,  le  roi  légitime, 
est  dépouillé  de  sa  couronne,  et  Victor-Emmanuel, 
le  roi  spoliateur,  s'installe  à  Rome,  au  Palais  du 
Quirinal  appartenant  au  Pape. 


TROIS  GRANDES  FIGURES 


LE  GENERAL  KANZLER 

Herman  Kanzler,  général  de  l'armée  pontificale, 
naquit  dans  le  duché  de  Bade,  (Allemagne).  Sa 
famille  ne  portait  aucun  titre  de  noblesse.  Kanzler 
a  su,  par  ses  précieuses  qualités,  s'élever  à  la  vraie 
noblesse  :  celle  de  l'honneur  suivant  les  principes  de 
l'Eglise.  Il  a  passé  plusieurs  années  au  service  du 
Saint-Siège,  et,  pendant  toute  cette  période,  il  s'est 
distingué  par  un  jugement  supérieur,  une  bravoure 
hors  ligne  et  un  sang-froid  raisonné. 

En  1866,  Kanzler  fut  promu  au  grade  de  général 
et  appelé  au  poste  important  de  pro-ministre  des 
armes  à  la  place  de  Mgr  de  Mérode.  Cette  nomina- 
tion fut  mal  accueillie,  mais  le  nouveau  général 
parvint  à  fermer  la  bouche  à  ses  ennemis  par  son 
honorabilité,  sa  distinction,  ses  brillantes  qualités  du 


—  158  — 

cœur  et  de  l'esprit  et  son  exquise  politesse  envers 
tous  ses  subalternes. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  toutes  les  batail- 
les dans  lesquelles  le  général  Kanzler  se  couvrit  de 
gloire,  depuis  Castelfidardo  jusqu'à  la  prise  de  Rome, 
en  1870.  Les  nombreuses  décorations  qu'il  portait 
sur  sa  poitrine,  le  prouvaient  d'une  manière  écla- 
tante. 

Kanzler  était  lieutenant-colonel  à  Castelfidardo  ; 
il  fut  ensuite  tour  à  tour  colonel,  général  et  pro-mi- 
nistre  des  armes.  Après  la  prise  de  Rome,  il  aima 
mieux  rester  au  Vatican  plutôt  que  de  retourner 
dans  sa  famille. 

LE  COLONEL  ALLET 

Tout  le  régiment  des  zouaves  pontificaux  avait 
décerné  à  notre  colonel  Allet  le  titre  de  papa  ;  et 
certes,  il  le  méritait  bien  ;  car  jamais  père  n'aima 
plus  tendrement  ses  enfants.  Plusieurs  fois  on  lui 
avait  offert  le  grade  de  général  de  brigade  ;  mais  il 
avait  toujours  décliné  cet  honneur  en  disant  :  "  Je 
demande  qu'on  me  laisse  à  la  tête  de  mon  régiment. 
Il  y  a  beaucoup  de  généraux,  mais  il  n'y  a  qu'un 
colonel  des  zouaves  pontificaux." 

Le  colonel  Allet  était  courtois,  brave,  et  se  faisait 


—  159  — 

surtout  remarquer  par  un  grand  sang-froid.  La 
bataille  de  Mentana  nous  en  fournit  une  preuve 
éloquente.  Il  a  passé  plus  de  trente  ans  au  service 
du  Saint-Siège,  et,  pendant  tout  ce  laps  de  temps,  il 
n'a  cessé  d'entretenir  les  meilleurs  rapports  avec  ses 
supérieurs  et  ses  inférieurs.  En  dehors  du  service 
militaire,  il  se  faisait  un  plaisir  de  causer  avec  le 
plus  simple  soldat. 

Notre  colonel  était  un  parfait  chrétien.  Il  savait 
braver  le  respect  humain.  A  toutes  les  retraites  qui 
avaient  lieu  chaque  année,  à  l'occasion  de  la  com- 
munion pascale,  on  le  voyait  prendre  place  le  pre- 
mier à  la  Sainte  Table. 

Notre  papa  n'aimait  par  à  sortir  dans  le  grand 
monde.  Quand  les  convenances  le  forçaient  à  figu- 
rer dans  la  haute  société,  il  ne  le  faisait  qu'à  contre- 
cœur, et  alors,  lui  si  brave,  il  paraissait  timide  et 
gardait  presque  toujours  le  silence. 

Un  jour,  on  lui  demanda,  dans  un  salon,  de  vou- 
loir bien  raconter  la  bataille  de  Mentana,  où  les 
zouaves  s'étaient  immortalisés.  Après  de  pressantes 
sollicitations,  il  se  décida  à  parler.  "  O  mon  Dieu, 
dit-il,  c'est  bien  simple  et  bien  court  :  la  colonne 
défilait  par  la  voie  Nomentana.  J'étais  avec  l'état- 
major  ;  à  cinq  ou  six  kilomètres  de  Mentana  on 
entendit   commencer   la   fusillade,    et  en  quelques 


—  160  — 

minutes  le  feu  devint  des  mieux  nourris.  Je  piquai 
de  l'éperon  pour  voir  où  en  étaient  les  zouaves  ;  déjà 
ils  étaient  tous  lancés,  éparpillés  par  les  vignes  et 
jouant  de  la  baïonnette  comme  de  bons  enfants."  Et 
puis  ? — "  Et  puis. ..  Mon  Dieu  !  ils  sont  revenus  le 
soir  se  ranger  autour  de  leur  drapeau,  et  ils  avaient 
remporté  la  victoire." 

Tel  est  l'homme  que  les  zouaves  avaient  à  leur 
tête. 

Après  l'invasion  des  Etats  de  l'Eglise,  le  colonel 
Allet  retourna  à  son  château,  en  Suisse,  où  il  mou- 
rut subitement  quelques  années  plus  tare1. 

LE  LIEUTENANT-COLONEL    DE  CHARETTE 

Si  le  célèbre  Bayard  n'eût  pas  existé,  nous  pour- 
rions appeler  M.  le  baron  de  Charette  le  "  chevalier 
sans  peur  et  sans  reproche."  Sa,  bravoure  était  et 
est  encore  proverbiale.  On  disait,  dans  le  régiment 
des  zouaves  :  "  Brave  comme  de  Charette."  Dans 
tous  les  combats  auxquels  il  a  pris  part,  et  ils  sont 
nombreux,  il  s'est  toujours  conduit  comme  un  véri- 
table lion. 

M.  Athanase  de  Charette  descend  d'une  ancienne 
famille  noble.  Le  chef,  Pierrot  Charette,  marquis 
de  Final,  était  venu  s'établir,  au  treizième  siècle,  en 


—  161  — 

Bretagne,  où  il  avait  épousé  Jeanne  Dubois  de  la 
Salle,  demoiselle  d'honneur  d'Alix,  duchesse  de 
Bretagne. 

Le  baron  de  Charette  est  le  petit-neveu  de  l'illus- 
tre chef  vendéen,  François-Athanase  de  Charette  de 
la  Condrie,  qui  fut,  le  28  mai  1796,  fusillé  par  les 
révolutionnaires  à  Nantes,  sur  la  place  des  Agricul- 
teurs, en  prononçant  ces  paroles  :  "  J'ai  été  cent  fois 
à  la  mort  sans  crainte,  et  j'y  vais  pour  la  dernière 
fois."  Il  tomba  en  brave,  après  avoir  lui-même 
commandé  le  feu. 

Le  lieutenant-colonel  des  zouaves  pontificaux  est 
né  à  Nantes,  le  18  septembre  1832,  du  mariage  d'A- 
thanase-Charles-Marin  de  Charette  et  de  la  comtesse 
de  Vierzon.  De  son  premier  mariage  avec  Mlle  de 
Fitz-James,  fille  du  duc  de  Fitz-James,  il  eut  une 
fille  et  un  fils  ;  la  mère  et  les  enfants  furent  enlevés 
en  pleine  jeunesse.  Il  a  un  fils,  Antoine,  de  son 
second  mariage  avec  Mlle  Antoinette  Polk,  fille  du 
colonel  Andrew  Polk,  mort  de  ses  blessures  après  la 
guerre  de  Sécession.  Le  Président  James  K.  Polk 
était  le  grand-oncle  de  Mme  de  Charette.  Mme  Polk, 
mère  de  Mme  de  Charette,  descendait  de  Penn,  qui 
donna  son  nom  à  la  Pennsylvanie. 

M.  le  baron  de  Charette  a  fait  ses  études  classiques 

chez  les  Eudistes  et  ses  études  militaires  à  l'Acadé- 
11 


—  162  — 

mie  de  Turin,  de  1846  à  1848.  "  Le  25  mai  1852, 
écrit  le  comte  de  Puget,  il  entrait  comme  sous-lieu- 
tenant dans  les  troupes  du  duc  de  Modène  qui  le 
nommait  son  officier  d'ordonnance,  le  14  août  1856. 

"  A  la  déclaration  de  guerre  contre  l'Autriche  par 
Napoléon  III  (1859),  il  donna  sa  démission,  ne  vou- 
lant pas,  Français  avant  tout,  se  trouver  exposé  à 
porter  les  armes  contre  sa  patrie  (15  mai  1859). 

"  Le  18  mai  1860,  Charette  répondit  le  premier  à 
l'appel  de  La  Moricière  auquel  Pie  IX  confiait  la 
mission  de  défendre  le  patrimoine  de  Saint-Pierre,  et 
reçut  le  grade  de  capitaine,  ayant  le  commandement 
des  quinze  volontaires  franco-belges  qui  furent Ue 
premier  contingent  des  futurs  zouaves  pontificaux. 
Pie  IX,  dans  une  audience  qu'il  donnait  à  ce  groupe 
de  jeunes  gens  accourus  pour  se  donner  à  lui,  leur 
dit  :  "  N'ayez  crainte,  car  vous  êtes  au  service  du 
Droit,  de  la  Justice  et  de  la  Vérité."  Le  capitaine 
était  désigné  à  la  première  compagnie,  à  la  constitu- 
tion, commandé  par  le  lieutenant-colonel  de  Becde- 
lièvre." 

M.  de  Charette  fut  ensuite  commandant,  puis  lieu- 
tenant-colonel des  zouaves  pontificaux,  et  enfin 
général  des  Volontaires  de  l'Ouest,  le  14  janvier 
1871. 

Un  auteur  a  dit  :  Nascuntur  poetœ.     Je  crois  qu'on 


—  163  — 

peut  dire  avec  plus  de  raison  en  parlant  de  M.  de 
Charette  :  Nascitur  miles  ;  car  c'est  le  type  du  véri- 
table soldat.  '  Haute  stature,  épaules  larges,  figure 
énergique,  regard  sévère  mais  en  même  temps  sym- 
pathique, doué  d'une  grande  souplesse,  brave  comme 
l'épée  du  roi,  possédant  l'art  si  difficile  de  se  faire 
aimer  tout  en  châtiant,  ayant  un  caractère  bouillant 
et  quelquefois  emporté,  mais  tempéré  par  une  grande 
sensibilité,  il  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  faire  un 
soldat  ;  il  est  né  pour  se  battre  et  pour  conduire  sur 
le  chemin  de  la  victoire,  sinon  d'une  glorieuse 
défaite.  Il  a  un  passé  brillant  ;  pas  une  tache  n'a 
souillé  les  magnifiques  pages  de  l'histoire  de  sa  vie, 
et  son  nom  est  inscrit  dans  le  livre  des  plus  vaillants 
défenseurs  de  la  Papauté.  Il  semble  avoir  gravé 
sur  son  écusson  :  "  Combattre  et  mourir  pour  V église 
catholique." 


LA  BATAILLE  DE  PATAY 


Pendant  que  le  lugubre  drame  de  la  Porte  Pia 
s'accomplissait  et  que  Rome  tombait,  en  1870,  au 
pouvoir  du  Piémont,  un  autre  drame  de  honte  et  de 
sang  se  déroulait  en  France.  Ah  !  cette  belle  France, 
cette  France  catholique  que  nous  aimions  tant,  avait 
attiré  sur  elle  de  bien  tristes  châtiments,  et  certes  ! 
la  divine  Providence  l'a  rudement  frappée  pour  lui 
faire  ouvrir  les  yeux  sur  les  crimes  sans  nombre  de 
ses  gouvernants. 

Mais  notre  ancienne  mère  patrie,  ou  plutôt  la 
France  libre-penseuse  n'a  pas  voulu  profiter  des 
grandes  leçons  qui  lui  étaient  données,  et  la  franc- 
maconnerie  et  la  libre  pensée  continuèrent  de  la 
miner  et  de  la  pousser  vers  le  gouffre  béant  de  l'ini- 
quité. Bonaparte,  celui  que  l'histoire  désigne  sous  le 
nom  de  Napoléon  III,  contribua  grandement  à  l'hu- 
miliation et  à  la  ruine  de  la  fille  ainée  de  l'Eglise  ;  il 
obéissait   aux   sociétés  secrètes  dont  il  était   l'ami, 


—  166  — 

l'esclave  et  l'instrument.  Bonaparte  abandonna 
Rome  et  la  Papauté  ;  mais,  aussi,  il  fut  délaissé  de 
Dieu  dans  la  lutte  sanglante  qu'il  eut  la  folie  d'en- 
treprendre contre  la  Prusse.  Bonaparte  trahit  Pie 
IX,  comme  il  avait  trahi  les  catholiques  français  ; 
mais  sa  trahison  fut  punie  comme  elle  le  méritait. 
En  effet,  qu'arriva-t-il  à  Napoléon  III  et  à  son  armée 
à  cette  époque  néfaste  ?  L'histoire  est  là  pour  nous 
le  rappeler. 

Le  6  août  1870,  l'armée  française,  jusque  là  fidèle 
gardienne  du  Vatican,  quitta  Civita-ATecchia  pour 
revenir  en  France  ;  elle  comprenait  6000  soldats.  Le 
6  août  1870,  l'histoire  enregistre  la  défaite  des  Fran- 
çais à  Reischoffen.  Le  2  septembre  1869,  Bonaparte 
écrivait  à  Cialdini  :  "  Faites  vite,"  en  parlant  de 
l'envahissement  des  Etats  de  l'Eglise  par  les  Piémon- 
tais.  Le  2  septembre  1870,  l'empereur  des  Français 
et  son  armée  de  100,000  hommes  sont' faits  prison- 
niers à  Sedan.  Le  20  septembre  1870,  Pie  IX  est  fait 
prisonnier  au  Vatican,  parce  que  Napoléon  III  l'a 
lâchement  livré  à  ses  ennemis.  Le  20  septembre  1870, 
Paris  est  investie  par  l'armée  prussienne. 

Oui,  Bonaparte  abandonna  Pie  IX,  comme  il  avait 
abandonné  l'empereur  Maximilien  au  Mexique.  Il 
livra  le  successeur  de  Saint-Pierre  à  ses  bourreaux 
pour  trois  régiments,   6,000  hommes,  et  trois  cent 


—  107  — 

mille  soldats  furent  livrés  par  lui  à  la  Prusse.  II 
trahit  l'Eglise,  sa  sainte  mère,  qu'il  devait  protéger  ; 
mais  quelles  funestes  conséquences  ne  résultèrent- 
elles  pas  de  la  fourberie  de  ce  nouveau  Judas  ? 

Vous  vous  le  rappelez,  rien  ne  put  arrêter  la 
marche  triomphale  des  armées  prussiennes,  en  1870, 
à  travers  la  France,  toute  couverte  de  sang.  C'était 
une  marée  montante  qui  culbutait  et  engloutissait 
tout  ce  qu'elle  rencontrait  sur  son  passage.  Les 
Français,  battus  et  écrasés  sur  tous  les  points  de  leur 
territoire,  avaient  complètement  perdu  courage,  et 
l'honneur  national  même  approchait  rapidement  de 
son  agonie.  La  France  n'était  plus  la  France  d'au- 
trefois ;  on  aurait  dit  qu'elle  n'avait  plus  sa  tête  à 
elle.  En  effet,  comment  expliquer,  à  la  tête  de  ses 
armées,  la  présence  du  bras  droit  de  Mazzini,  d'un 
mangeur  de  prêtres,  de  la  chemise  rouge  de  1869  et 
de  1867,  de  l'avocat  de  la  république  universelle,  de 
Garibaldi  enfin,  que  des  écervélés  de  Lyon  étaient 
allés  chercher  dans  son  île  de  Caprera  ?  La  France 
ne  savait  donc  plus  ce  qu'elle  faisait  :  l'esprit  d'im- 
piété qui  la  débordait,  l'avait  aveuglée  ou  avait  jeté 
d'épaisses  ténèbres  sur  son  intelligence  d'ordinaire 
si  lucide.  La  France  mentait  à  ses  quatorze  siècles 
de  grandeur  militaire,  comme  elle  avait  menti  à  son 
Dieu.     Elle  avait  oublié  que,  pour  faire  un  pacte 


—  168  — 

avec  la  victoire  et  l'immortalité,  Clovis  planta  un 
crucifix  sur  la  terre  des  Francs,  qu'il  consacra  au 
Dieu  de  Clotilde. 

Une  seule  armée,  l'armée  des  Volontaires  de 
l'Ouest,  fut  fidèle  aux  traditions  de  ses  illustres 
ancêtres  ;  et  ce  fut  cette  vaillante  troupe  qui  sauva 
l'honneur  de  son  pays,  en  arborant  la  bannière  du 
Sacré-Cœur  sur  le  champ  de  bataille  et  en  donnant 
au  Vainqueur  des  vainqueurs'  la  place  qui  lui  est 
réservée  dans  les  combats.  Pendant  que  Lyon 
exalte  et  acclame  l'ennemi  de  l'Eglise  catholique, 
le  monstre  de  Caprera,  une  voix  puissante  et  inspirée 
domine  cette  sanglante  orgie.  Cathelineau  appelle 
la  Vendée  aux  armes  ;  il  conjure  les  défenseurs  de 
la  Papauté  de  sauver  la  France,  et  M.  de  Charette, 
le  héros  de  Castelfidardo,  de  Mentana  et  de  Viterbe, 
accourt  avec  ses  zouaves  pontificaux.  De  Charette 
avait  été  trahi  à  Rome  par  Napoléon  III  ;  mais, 
malgré  cette  trahison  et  les  principes  légitimistes 
bien  connus  de  notre  ancien  lieutenant-colonel,  il 
n'hésite  pas  un  instant  à  ceindre  l'épée  pour  com- 
battre sous  le  drapeau  de  l'empire,  parce  que  le 
devoir  l'appelle  encore  comme  soldat  chrétien  :  sa 
patrie  est  en  danger.  Les  zouaves  pontificaux,  qui 
arrivent  de  Rome,  volent  au  combat  en  s' écriant  : 
"  Dieu,  sauvez  la  France  !  " 


—  169  — 

C'était  la  première  fois  que  le  peuple  français 
entendait  cette  pieuse  et  ardente  invocation  depuis 
que  son  pays  marchait  de  désastre  en  désastije.  Aussi 
l'apparition  de  ces  preux  fut-elle  saluée  par  les  plus 
vifs  transports  d'allégresse.  C'était  le  courage,  c'était 
la  valeur,  c'était  la  bravoure  qui  renaissait  dans  le 
cœur  du  soldat. 

Le  vendredi,  2  décembre  1870,  les  zouaves  se  diri- 
gent du  côté  de  Patay,  alors  inconnu,  mais  aujour- 
d'hui aussi  célèbre  que  le  défilé  des  Thermophyles  ; 
ils  sont  conduits  par  le  colonel  de  Charette  et  le 
lieutenant-colonel  de  Troussures.  Le  général  de  Sonis, 
qui  commandait  en  chef  cette  vaillante  armée,  les 
rejoint  à  l'endroit  même  où  Jeanne  d'Arc  fit  mordre 
la  poussière  aux  Anglais  ;  et,  navré  de  douleur  en 
présence  des  nombreuses  défaillances  qu'il  constate 
dans  les  différents  corps  d'armée  de  la  France,  il 
s'adresse  à  de  Charette  en  ces  termes.  "  0  vous,  au 
moins,  mon  colonel,  vous  ne  m'abandonnerez  pas 
comme  ceux-là,"  en  montrant  les  fuyards.  "Non, 
non,  répond  de  Charette.  Vive  Pie  IX  !  Vive  la 
France  !" 

Vite,  de  temps  presse.  Il  faut  emporter  Loigny  et 
conserver  à  une  division  la  -position  qu'elle  aban- 
donne et  dont  dépend  le  salut  de  toute  l'armée.  Trois 
cents  zouaves  font  aussitôt  une  charge  à  la  baïonnette, 


—  170  — 

en  essuyant  le  feu  de  12,000  Prussiens.  Au  moment 
où  le  général  de  Sonis  enlève  les  zouaves  par  ces 
paroles  pleines  de  fea  :  "Mes  enfants,  montrons  com- 
ment se  battent  des  hommes  de  cœur  ;  suivez  moi,  " 
M.  de  Troussures  répond  :  "  Vous  nous  menez  à  une 
bien  belle  fête."  Et  il  se  lance  à  la  tête  de  ses  frères 
d'armes.  Quelques  instants  avant  la  bataille,  de 
Troussures  était  descendu  de  son  cheval,  s'était  mis  à 
genoux  en  présence  de  l'armée,  avait  fait  le  signe  de 
la  croix  et  reçu  l'absolution.  Le  matin  même,  la 
plupart  des  anciens  soldats  du  Pape  s'étaient  appro- 
chés de  la  Table  Sainte.  Les  zouaves  savaient  qu'ils 
marchaient  à  une  mort  certaine  ;  mais  ils  n'hésitent 
pas  cependant  ;  ils  se  précipitent  sur  l'ennemi  ;  ils 
font  une  charge  vraiment  héroïque  et  délogent  les 
Prussiens  des  positions  qu'ils  viennent  d'enlever  aux 
Français.  Mais  que  cette  victoire  coûte  cher  aux 
zouaves  !  Le  général  de  Sonis  est  grièvement  blessé 
à  une  cuisse  ;  de  Charette  reçoit  deux  coups  de  feu 
et  tombe  baigné  dans  son  sang.  Les  zouaves  l'entou- 
rent et  veulent  le  transporter  à  l'ambulance.  "  Non, 
s'écrie-t-il,  laissez-moi  mourir  ici.  Mais  vous,  conti- 
nuez de  combattre  sans  moi.  En  avant  et  vive  Pie 
IX!" 

Les  zouaves  continurent  la  bataille. 

De  Troussures  tombe  à  son  tour  mortellement 
blessé  en  plein  poitrine. 


—  171  — 

L'étendard  des  zouaves,  la  bannière  du  Sacré- 
Cœur,  passe  en  sept  mains.  Verthamon  reçoit  une 
balle  et  roule  inanimé  dans  la  poussière.  Bouille 
lui  succède  et  subit  le  même  sort  ;  le  fils  remplace  le 
père,  mais  il  succombe  aussitôt.  De  Gazenove  saisit 
la  bannière  et  tombe  mort.  Le  sergent-major  Lan- 
deau  n'est  pas  non  plus  épargné  par  les  balles  prus- 
siennes. Un  septième  porte-drapeau,  dont  nous 
oublions  le  nom,  a  les  deux  mains  amputées  par  un 
boulet  ;  mais  il  reste  à  son  poste  d'honneur.  Enrou- 
lant l'étendard  du  Sacré-Cœur  sur  le  moignon  de  sa 
main  droite  et,  agitant  ensuite  son  bras  avec  un 
courage  sublime,  il  crie  de  toutes  ses  forces  :  "  Suivez 
le  drapeau,  mes  amis  :  il  vous  conduit  à  la  victoire." 

Les  zouaves  sont  victorieux  ;  la  valeur  et  l'impé- 
tuosité l'ont  emporté  sur  le  nombre.  Mais  que  de 
blessés  !  que  de  morts  !  que  de  martyrs  !  Le  com- 
mandant Legonidec  et  Traissan  fait  l'appel  ;  sur 
neuf  capitaines,  il  n'en  est  revenu  que  deux,  et  de 
300  zouaves  218  sont  restés  sur  le  champ  de  bataille. 
Ils  sont  morts,  ces  braves  enfants  du  Pape  et  de 
l'Eglise,  et  sur  le  tertre  qui  recouvre  ces  immortels 
croisés,  la  France  se  lève,  se  grandit  et  s'approche 
du  ciel. 

Un  témoin  de  ce  brillant  fait  d'armes,  le  plus  beau 
des  temps  modernes  et  digne  de  l'époque  de  la  vieille 


—  172  — 

chevalerie,  nous  rapporte  une  scène  bien  touchante 
qui  eut  lieu  après  le  combat. 

"  De  Troussures  fut  enseveli  avec  un  de  Vogué  ; 
c'était  le  troisième  de  cette  noble  race  qui  donnait 
sa  vie  pour  la  France  depuis  le  commencement  de  la 
guerre.  "  Une  femme,  une  de  celles  que  l'Evangile 
appelle  fortes  et  courageuses,  traversa  la  France  et 
vint  errer  sur  le  champ  de  bataille.  Elle  cherchait 
son  fils.  Elle  trouva  le  zouave  étendu  à  coté  de  son 
commandant.  Elle  s'agenouilla  devant  ces  pieux  et 
illustres  restes,  qu'elle  couvrit  de  ses  baisers.  Si  le 
fils  de  l'Homme  eût  alors  passé  sur  la  terre,  en 
voyant  tant  de  douleur  maternelle,  mélangée  à  tant 
de  foi,  il  eût  pleuré  et  aurait  dit  :  "  Jeune  homme, 
veni  foras,"  mais  il  fallait  que  le  sang  le  plus  pur 
fût  versé  pour  la  rédemption  des  Français." 

Dans  le  récit  rapide  que  nous  venons  de  faire  de 
la  bataille  de  Patay,  vous  pourriez  peut-être  croire 
que  notre  qualité  d'ancien  zouave  pontifical  nous 
porte  à  exagérer  la  bravoure  des  soldats  du  Pape. 
Ecoutez  les  éloges  que  leur  adresse  M.  Davesne,  dans 
son  livre  intitulé  :   "  Devant  l'ennemi  ": 

"Tranquilles  sur  leurs  destinées  éternelles,  con- 
tents de  faire  leur  devoir  de  chaque  jour,  ces  nobles 
jeunes  gens  avaient  veillé  auprès  du  tombeau  de  S. 
Pierre  et  ils  étaient  morts  pour  le  droit  foulé  aux 


—  173  —       , 

pieds.  Descendants  pour  la  plupart  de  races  illus- 
tres, riches  des  biens  de  la  terre,  leur  cœur  était 
demeuré  libre,  leur  âme  forte  et  prête  au  sacrifice. 
Tour  à  tour  insultés,  calomniés,  ridiculisés,  ils  étaient 
demeurés  impassibles  sur  les  marches  du  trône  pon- 
tifical, ne  s' ébranlant  que  pour  faire,  un  moment, 
reculer  la  force,  et  de  leur  sang  écrire  d'immortelles 
pages  dans  l'histoire  de  leur  siècle.  La  victoire  refusa 
de  s'avancer  pour  couronner  leur  héroïsme,  mais  le 
ciel  leur  réservait  l'éclat  d'une  défaite  aussi  glorieuse 
que  l'eût  été  le  plus  beau  succès,  et  un  jour  vint  où, 
dans  les  champs  de  Patay,  les  soldats  du  Pape  se 
virent  salués  des  acclamations  universelles  de  l'armée, 
parce  qu'ils  avaient  sauvé  l'honneur  français  agoni- 
sant. 

"  L'histoire  d'un  pareil  corps  ne  s'écrit  pas  à 
petits  traits.  Chaque  zouave  mériterait  presque  une 
page,  depuis  Du  Chênes  de  Thiennes,  qui  seul  va, 
le  pistolet  au  poing,  reconnaître  un  village  occupé 
par  l'ennemi,  juspu'à  l'adjudant-major  Lallemant, 
qui,  sur  le  plateau  d'Auvours,  essuie  la  décharge 
d'une  compagnie  entière  de  Prussiens,  les  bras  croi- 
sés, la  tête  haute  et  qui,  avec  une  poignée  d'hommes 
culbute  après  "ces  maladroits",  comme  il  les  appelle. 

"  Pour  se  rapeler  ce  que  les  zouaves  ont  fait,  il 
suffit  de  nommer  :  Cercottes,  où  Légonidec  de  Trais- 


—  174  — 

son,  avec  170  hommes  embusqués  dans  un  bois, 
arrête  les  Bavarois  et  les  empêche  de  prendre  l'armée 
à  revers  ;  Bellesme,  où  de  Couëssin,  couvre  la  retraite 
des  soldats  du  général  Jaurès  débandés  ;  Patay,  où  de 
Charette  force  l'admiration  des  Prussiens  eux-mêmes 
et  le  Mans,  où,  suivant  le  général  Chanzy,  les 
"  Volontaires  de  l'Ouest  se  montrèrent  héroïques.  " 

Le  général  Gougeard,  qui  était  à  la  tête  des  zouaves 
au  Mans,  disait  devant  une  commission  d'enquête  : 
"  Je  n'ai  pas  besoin  messieurs,  de  faire  l'éloge  des 
zouaves  pontificaux.  Je  dois  cependant  dire  que  j'y 
ai  trouvé  des  hommes  d'une  valeur,  je  ne  voudrais 
paê  dire  héroïque,  on  a  un  peu  abusé  du  mot,  mais 
je  ne  crains  pas  de  dire  qu'ils  le  méritent.  Ce  sont 
des  hommes  qui  se  sont  admirablement  conduits." 

Gambetta  lui-même,  le  lendemain  d'une  de  ces 
batailles  où  les  zouaves  pontificaux  avaient  versé 
leur  sang  à  flot,  ne  put  s'empêcher  de  télégraphier 
au  gouvernement  de  Paris  que  "  les  zouaves  s'étaient 
conduits  en  héros."    . 

Après  que  M.  de  Charette  eût  été  élevé,  en  janvier 
1871,  au  grade  de  général  par  le  gouvernement 
français,  un  journal  de  notre  ancienne  mère-patrie, 
"  Le  Calvaire,  "  croyons-nous,  disait  de  notre  lieute- 
nant-colonel : 

"  On  l'a  fait  général  ;  cela  n'y  fait  ni  chaud,  ni 


—  175  — 

froid.  Qu'il  soit  capitaine,  colonel  ou  général,  baron 
ou  duc,  il  est  mieux  que  cela  :  il  est  de  Charette  ; 
mieux  que  cela  encore  :  il  est  de  Charette  second. 
Les  dynasties  des  rois  couvrent  le  monde.  Les  dynas- 
ties de  héros,  c'est  plus  rare." 

Lorsque  l'heure  du  licenciement  fut  arrivée,  le  13 
août  1871,  les  zouaves,  commandés  par  le  général  de 
Charette,  eurent  l'insigne  honneur  de  recevoir  du 
ministre  de  la  guerre  un  ordre  du  jour  qui,  après  la 
conscience  du  devoir  accompli,  a  été  sans  doute  leur 
plus  belle  récompense  : 

"  Officiers,  sous-officiers,  soldats  des  Volontaires 
de  l'Ouest,  au  moment  où  la  France  a  été  envahie  et 
accablée  sous  le  poids  des  malheurs,  vous  n'avez  pas 
hésité  à  venir  lui  offrir  votre  bras,  votre  cœur  et  le 
meilleur  de  votre  sang. 

"  Partout  où  votre  belle  légion  a  combattu  et  prin- 
cipalement à  Cercottes,  à  Brou,  à  Patay  et  au  Mans, 
elle  s'est  distinguée  au  premier  rang  par  son  courage, 
par  son  dévouement  et  son  élan  devant  l'ennemi, 
aussi  bien  que  par  sa  discipline  et  son  excellent 
esprit. 

"  Vous  avez  montré  un  noble  exemple  qui  fait  le 
plus  grand  honneur  au  vaillant  général  de  Charette, 
votre  commandant,  votre  guide.  L'armée  vous  en 
remercie  par  ma  voix. 


—  176  — 

"  La  légion  des  Volontaires  de  l'Ouest  va  être 
licenciée,  mais  je  me  sépare  de  vous  avec  la  profonde 
conviction  que  la  France  pourra  toujours  compter 
sur  votre  valeur  et  votre  dévouement  contre  les 
ennemis  du  dehors  et  contré  ceux  du  dedans. 
"  Le  ministre  de  la  guerre, 
"  Général  de  Cissey.  " 

C'est  ainsi  que  se  termina  la  sanglante  et  glorieuse 
épopée,  commencée  à  Castelfidardo  par  les  zouaves 
franco-belges,  continuée  à  Mentana  par  les  zouaves 
pontificaux  et  couronnée  à  Patay  par  les  Volontaires 
de  l'Ouest, — ces  trois  corps  de  troupes  n'ont  toujours 
formé  qu'un  seul  et  même  régiment  :  celui  des 
Zouaves  Pontificaux,  les  nobles  et  courageux  défen- 
seurs de  la  patrie  et  de  la  Papauté. 


LES  ZOUAVES  PONTIFICAUX 
CANADIENS 


D'après  les  conditions  de  la  capitulation  de' Rome, 
tous  les  zouaves  étrangers  furent  transportés  à 
Civita-Vecchia,  où  on  les  divisa  par  nationalités 
pour  les  conduire  ensuite  aux  frontières  de  leur  pays 
respectif.  Les  Canadiens  et  les  Anglais  furent  envoyés 
à  Livourne,  d'où  le  gouvernement  italien  se  proposait 
de  les  diriger  sur  l'île  d'Elbe,  qu'il  croyait  être  la 
frontière  canadienne.  Comme  on  le  voit,  les  enva- 
hisseurs étaient  très  forts  en  géographie.  Nos  aumô- 
niers et  nos  officiers,  puissamment  aidés  par  le  consul 
anglais  de  Livourne  et  Mgr  Stoner,  aumônier  des 
zouaves  anglais,  réussirent  à  faire  comprendre  aux 
autorités  du  Piémont  qu'elles  étaient  dans  l'erreur 
et  les  décidèrent  à  transporter  les  Canadiens  en 
Angleterre,  mais  sans  avoir  un  sou  à  débourser. 

Après  avoir  passé  huit  j  ours  en  prison  à  Livourne, 
12 


—  178  — 

où  ils  endurèrent  toutes  sortes  de  misères,  de  priva- 
tions et  de  souffrances,  les  zouaves  canadiens  et 
anglais  s'embarquèrent  sur  un  paquebot  avarié,  qui 
les  transporta  en  Angleterre,  après  quatorze  jours 
d'une  navigation  périlleuse.  Le  vaisseau  fut  assailli 
par  de  violentes  tempêtes,  et  les  zouaves  crurent,  à 
plusieurs  reprises,  que  leur  heure  dernière  était 
arrivée.  Mais  l'Etoile  de  la  mer  veillait  sur  les 
défenseurs  de  la  Papauté  ;  elle  les  sauva  même 
d'un  naufrage  inévitable  près  des  côtes  d'Irlande,  et 
voici  dans  quelle  circonstance  :  le  capitaine  et  les 
matelots  avaient  complètement  perdu  la  tête  et  la 
carte,  et  le  vaisseau,  qui  n'obéissait  plus  à  la  main 
du  pilote,  allait  être  précipité  sur  un  énorme  rocher, 
lorsque  plusieurs  zouaves  se  saisissent  de  la  barre  du 
gouvernail  et  réussissent  à  diriger  la  proue  du 
steamer  vers  le  large.  Il  était  temps,  car  la  poupe 
effleura  le  cap  au  moment  où  le  steamer  changea  de 
direction.  Encore  quelques  secondes,  et  tout  était 
fini.  > 

Les  zouaves  canadiens  passèrent  trois  jours  à 
Liverpool,  où  ils  furent  reçus  à  bras  ouverts  par  les 
familles  catholiques,  qui  considéraient  comme  un 
grand  honneur  de  leur  donner  l'hospitalité  la  plus 
généreuse.  Lord  Denbigh  et  le  marquis  de  Bute 
quittèrent  même   leurs  importantes   occupations   à 


—  179  —  - 

Londres  pour  venir  presser  la  main  des  soldats  du 
Pape  et  leur  offrir  leurs  services. 

Le  19  octobre,  les  zouaves  canadiens  quittaient 
Liverpool  à  bord  de  Y Idalio -pour  se  diriger  sur  New- 
York.  Deux  jours  après  le  départ,  une  violente 
tempête  déchaîna  la  furie  des  vagues  de  l'océan 
contre  le  steamer.  Voici  une  courte  description  de 
cet  ouragan,  que  nous  empruntons  à  notre  brave  et 
distingué  aumônier,  M.  l'abbé  Moreau  : 

"  L'océan  grondait,  sifflait,  hurlait,  rugissait  avec 
plus  de  force  et  de  rage,  les  montagnes  d'eau  qui 
venaient  s'abattre  tantôt  sur  la  proue,  tantôt  sur  la 
poupe  du  vaisseau,  étaient  de  plus  en  plus  lourdes 
et  menaçantes  ;  la  charpente  du  navire  semblait  se 
disjoindre  ;  lorsque  tout-à-coup  un  bruit  épouvan- 
table, comme  celui  de  la  foudre  tombant  sur  l'avant, 
se  fait  entendre  ;  en  même  temps  on  ressent  une 
secousse  terrible  comme  si  le  navire  eût  frappé  sur 
un  rocher,  et  avant  de  se  rendre  compte  de  l'acci- 
dent, les  zouaves  entendent  d'immenses  colonnes 
d'eau  se  précipiter  dans  leur  compartiment  ;  une 
ancre  a  été  emportée,  par  une  forte  lame,  du  pont 
supérieur  et  est  venue  tomber  au  milieu  des  passa- 
gers, laissant  derrière  elle  une  large  issue  aux  vagues 
qui  viennent  inonder  l'entrepont  ;  on  se  croit  en 
face  de  la  mort,  et  ces  flots   semblent  venir  chercher 


■  —  180  — 

des  cadavres  ;  pendant  que  les  uns  se  cramponnent 
aux  objets  qu'ils  peuvent  rencontrer  sous  la  main, 
que  les  autres  se  jettent  à  la  nage  dans  cette  petite 
mer  intérieure,  une  voix  dominant  tout  le  bruit,  se 
fait  entendre  ;  c'est  un  zouave  qui  commande  à  ses 
camarades  d'élever  le  cœur  à  Marie  et  de  lui  pro- 
mettre un  ex-voto,  s'ils  arrivent  à  bon  port. 

"  C'était  vers  minuit. 

"  Le  lendemain,  les  flots,  comme  fatigués,  ne 
faisaient  plus  qu'obéir  au  mouvement  imprimé  la 
veille,  le  vent  était  tombé,  le  ciel  était  pur,  tous  les 
passagers,  montés  sur  le  pont,  respiraient  avec  l'air 
frais,  l'espérance  et  le  bonheur  ;  les  Zouaves  remer- 
ciaient la  Vierge  Marie,  à  qui  ils  attribuaient  leur 
salut." 

Le  5  novembre,  VIdaho  atteignait  le  port  de  New- 
York,  et  le  lendemain,  à  deux  heures  de  l'après-midi, 
les  zouaves  pontificaux  canadiens  faisaient  une  véri- 
table entrée  triomphale  dans  la  ville  de  Montréal, 
au  milieu  des  acclamations  de  cinquante  mille  per- 
sonnes qui  étaient  accourues  à  la  gare  pour  leur 
souhaiter  la  bienvenue.  Leur  défilé  de  la  gare  à 
l'église  de  Notre-Dame  fut  salué  par  les  cris  d'enthou- 
siasme de  "Vivent  les  Zouaves  !  Vive  Pie  IX  !"  Après 
le  chant  du  Te  Deum  dans  cette  église,  d'où  le  pre- 
mier détachement  canadien  était  parti  pour  Rome  le 


—  181  —    • 

19  février  1868,  les  Zouaves  assistèrent,  dans  les 
salles  du  Cabinet  de  Lecture,à  un  somptueux  banquet 
qui  leur  fut  offert  par  les  messieurs  du  Séminaire  de 
St-Sulpice.  Avant  de  se  séparer  et  de  voler  dans  les 
bras  de  leurs  parents,  les  soldats  de  Pie  IX,  accom- 
pagnés de  l'évêque  de  Montréal,  se  rendirent  à  l'église 
de  Bonsecours  pour  s'acquitter  de  leur  vœu  envers 
la  Vierge  Marie.  Un  petit  navire  d'argent,  un  fac- 
similé  de  VIdako,  se  balance  aujourd'hui  à  la  voûte 
de  cette  église  ;  c'est  V ex-voto  promis  par  les  zouaves 
canadiens. 

La  croisade  canadienne  était  terminée. 

Le  soldat  chrétien  aime  non-seulement  sa  religion, 
mais  aussi  sa  patrie,  qu'il  est  prêt  à  défendre  au  prix 
de  son  sang.  Le  zouave  pontifical  a  prouvé  cette 
dernière  proposition  en  France,  en  l'année  1870  ;  le 
zouave  pontifical  l'a  encore  prouvée  au  Canada,  en 
prenant  les  armes  pour  voler  au  secours  de  son  pays 
en  1885  et  en  1890.  Même  avant  leur  départ  pour 
Rome,  plusieurs  zouaves  canadiens  étaient  allés  sur 
la  frontière  pour  repousser  les  invasions  féniennes 
dont  le  Canada  fut  menacé  en  1865,  en  1866  et  en 
1870  ;  et  ce  fait  glorieux  est  attesté  par  les  décora- 
tions que  vous  voyez  briller  aujourd'hui  sur  la  poi- 
trine d'un  grand  nombre  de  nos  anciens  compagnons 
d'armes.     Au  Canada,  comme  à  Rome,  le  zouave 


•     —  182  — • 

canadien  a  su  se  distinguer  par  son  activité,  son 
intelligence,  son  courage  et  sa  valeur  guerrière.  Le 
témoignage  flatteur  que  lui  adressa,  le  5  mai  1894, 
le  général  anglais  Herbert,  alors  commandant  de  la 
milice  canadienne,  démontre  à  l'évidence  que  nous 
n'exagérons  pas  ;  voici  ce  qu'il  disait  à  Montréal, 
aux  officiers  et  aux  soldats  du  65ieme  bataillon  : 

"  Je  m'estime  heureux  de  vous  rencontrer,  parGe 
que  vous  me  rappelez  les  pages  les  plus  belles  de  l'his- 
toire du  Canada.  Je  retrouve  en  vous  les  descendants 
de  ces  héros  qui  combattaient  sous  les  ordres  du 
général  de  Montcalm,  du  chevalier  de  Lévis  et  du 
marquis  de  Vaudreuil. 

"  N'oubliez  jamais  non  plus  que  vous  appartenez 
à  la  même  race  que  ceux  de  vos  vaillants  compa- 
triotes qui  firent  partie  du  régiment  des  zouaves 
pontificaux,  ces  croisés  du  dix-neuvième  siècle.  Vous 
savez  combien  ce  noble  régiment  s'est  illustré  en 
défendant  l'Eglise  à  Castelfidardo,  à  Mentana,  à 
Monte  Libretti,  à  Monte  Rotondo  et  sous  les  murs 
de  Rome,  la  Ville  Eternelle.  Les  bons  exemples 
vous  viennent  donc  de  tous  les  côtés.  " 

Les  zouaves  pontificaux,  quoique  disséminés  dans 
les  différentes  parties  du  pays,  continuèrent  à  vivre 
pour  ainsi  dire  de  la  vie  du  régiment  et  à  en  perpé- 
tuer les  belles  traditions,  en  se  réunissant  presque 


—  183  — 

tous  les  ans,  tantôt  dans  une  ville,  tantôt  dans  une 
autre.  C'est  l'Association  de  l' Union- Allet  qu'ils 
fondèrent  en  1871,  qui  contribua  le  plus  au  "maintien 
de  la  bonne  camaraderie  entre  les  défenseurs  de  la 
Papauté. 


LA  FRANGE  ET  LE  CANADA 


L'ORIGINE    D'UNE    BELLE    DEVISE 

Nous  croyons  intéresser  nos  lecteurs  en  reprodui- 
sant ici  les  beaux  vers  que  M.  Victor  de  LaPrade, 
de  l'Académie  Française,  dédia  à  nos  braves  cana- 
diens, lorsqu'ils  traversèrent  la  France,  en  1868,  en 
route  pour  la  Ville  Eternelle.  On  se  rappelle  la 
sensation  produite  en  Europe  par  cette  troupe  d'élite 
qui  valut  au  Canada  la  réclame  la  plus  retentissante 
et  les  compliments  les  plus  flatteurs.  Voici  ces  vers 
qui  leur  étaient  adressés  à  Lyon,  le  6  mars  1868  : 

AUX    CANADIENS-FRANÇAIS 

SOLDATS   DE   PIE   IX 

"  AIME    DIEU    ET    VA    TON    CHEMIN." 

(Devise  du  Canada  inscrite  sur  le  drapeau  des  volontaires) 

Allez  votre  chemin,  Français  du  Nouveau-Monde  ! 
Race  de  nos  aïeux  tout-à-coup  ranimés. 
Allez,  laissant  chez  nous  une  trace  féconde, 
Offrir  un  noble  sang  au  Dieu  que  vous  aimez. 


—  1S6  — 

De  nos  jeunes  croisés  vous  êtes  deux  fois  frères, 

Marchez  aux  mêmes  cris  et  dans  les  mêmes  rangs, 

Faisant  dire  comme  eux  par  vos  œuvres  guerrières  : 

Quand  Dieu  frappe  un  grand  coup,  c'est  de  la  main  des  Francs. 

De  l'Océan  dompté  vous  connaissez  la  route  ; 
Vous  ne  portez  le  frein  d'aucune  injuste  loi  ; 
Venez  donc  et  montrez  à  l'Europe,  qui  doute, 
La  jeune  liberté  servant  la  vieille  foi. 

Lorsqu'hier,  étonnant  et  charmant  notre  ville, 
Comme  chez  des  amis  joyeux  et  familiers, 
Vous  marchiez,  jeunes  gens,  au  port  mâle  et  tranquille, 
J'ai  reconnu  le  sang  de  nos  preux  chevaliers. 

C'était  leur  franc  visage,  et  leur  allure  franche, 
Toute  l'antique  France  en  un  vivant  miroir, 
Tout  :  leur  sainte  devise  et  leur  bannière  blanche, 
Et  ce  noble  parler  sentant  son  vieux  terroir. 

Oui,  c'est  le  même  sang  et  le  même  génie 
Gardés  purs  et  sauvés  de  nos  récents  revers, 
La  France  d'autrefois  alerte  et  rajeunie, 
Par  la  liberté  sainte  et  la  vie  aux  déserts. 

Allez  votre  chemin,  celui  de  nos  ancêtres, 
Ce  chemin  des  martyrs,  qu'ils  ont  fait  tant  de  fois  ; 
Gardez  Rome  éternelle  au  plus  clément  des  maîtres, 
Image  de  son  Dieu,  trônant  sur  une  croix. 

Allez  comme  eux  souffrir,  mourir  pour  la  justice, 
Notre  Europe  est  livrée  aux  plus  sombres  hasards  ; 
Au  seuil  de  l'avenir,  il  faut  que  l'on  choisisse 
Entre  le  joug  du  Christ  et  celui  des  Césars. 

Libres  soldats,  nourris  près  d'une  république, 
Fils  d'une  terre  où  l'homme  a  toute  sa  fierté, 
Vous  témoignez,  au  nom  de  la  jeune  Amérique, 
A  la  fois  pour  le  Christ  et  pour  la  liberté. 


—  1S7  —      ' 

Portez  au  Roi  Pasteur  votre  sang  et  nos  larmes 
Nos  droits  sont  dans  le  sien  confondus  aujourd'hui, 
Vous,  qui  baisez  les  pieds  de  ce  vieillard  sans  armes, 
Nul  César  ne  vous  voit  inclinés  devant  lui. 

Amis,  de  vos  forêts,  à  travers  notre  France, 
Je  ne  sais  quel  parfum  se  répand  sur  vos  pas  ; 
Une  clarté  vous  suit,  une  fraîche  espérance, 
Un  souvenir  sacré  qui  ne  périra  pas. 

Vous  nous  laissez  heureux  d'avoir  reçu  des  frères, 
Fiers  d'avoir  pu  serrer  votre  royale  main. 
Dieu  vous  aime  ! . . . .  il  fera  tomber  les  vents  contraires  ; 
Français  du  Nouveau-Monde,  allez  votre  chemin  ! 

Victor  de  LaPrade, 

De  l'Académie  française. 
Lyon,  6  mars  1868.  ' 

Plusieurs  journaux  français  saluèrent  les  zouaves 
canadiens  en  termes  flatteurs,  nous  en  reproduisons 
quelques  extraits  : 

M.  Louis  Veuillot  écrivait  dans  l' Univers  :  "  Paris 
a  vu  passer  une  troupe  de  Croisés  ;  c'est  un  specta- 
cle auquel  on  ne  devait  pas  s'attendre  ;  cependant 
le  voici." 

Le  Monde  disait  : 

"  Nous  avons  vu  passer  les  jeunes  Canadiens  qui 
se  rendent  à  Rome  pour  la  défense  de  l'Eglise  catho- 
lique et  du  Souverain  Pontife  :  d'autres,  en  aussi 
grand  nombre,  sont  en  route  pour  les  suivre.  Qui 
n'admirerait  ce  pieux  élan  ?  C'est  l'ancienne  France 
qui  se  retrouve  avec  son  esprit  de  foi  et  ses  hautes 


—  188  — 

vertus.  Le  Canada  est  resté  fidèle  à  des  mœurs  que 
nous  désertons  chaque  jour  ;  il  n'a  pas  été,  comme 
la  mère-patrie,  ravagé  par  les  révolutions." 

La  Semaine  Religieuse  de  Rouen,  du  16  octobre 
1869,  s'exprimait  ainsi,  en  parlant  du  passage  du 
quatrième  détachement  des  Zouaves  canadiens  à 
Rouen  : 

"  Un  de  ces  événements  qui  se  rencontrent  rare- 
ment dans  le  cours  d'un  siècle  et  qui  laissent  après 
eux  les  plus  douces  émotions,  a  réjoui,  mercredi 
dernier,  la  ville  métropolitaine. 

"  Quatre-vingt-seize  jeunes  gens  du  Canada,  con- 
duits par  M.  le  chanoine  Moreau,  de  Montréal,  et 
commandés  par  un  capitaine  de  l'armée  nationale, 
M.  Guilbault,  ont  séjourné  dans  notre  ville,  venant 
du  Havre  et  se  rendant  à  Rome,  comme  volontaires 
dans  le  corps  des  zouaves  pontificaux.  Ces  jeunes 
gens  avaient  le  plus  grand  désir  de  voir  la  métro- 
pole normande,  berceau  de  leur  nation,  dont  ils  con- 
naissent parfaitement  l'histoire,  et  dont  le  souvenir 
est  toujours  vivant  parmi  eux.  Salués  au  Havre  par 
M.  l'abbé  Boullard,  qui  s'était  rendu  au-devant  du 
détachement,et  qui  devait  leur  servir  de  guide  en  Nor- 
mandie, ils  sont  arrivés  en  bon  ordre  à  Rouen,  qu'ils 
ont  traversé  en  rang  et  dans  une  attitude  toute  mar- 
tiale.    Ils  ne  portaient  pas  d'uniforme.     Ils  avaient 


—  180  — 

seulement  un  képi  d'ordonnance,  et  le  pantalon 
retroussé  militairement  sur  des  bas  de  couleur  brune. 

"  A  trois  heures  et  demie,  ils  faisaient  leur  entrée 
dans  la  cour  du  palais  archiépiscopal.  Leur  première 
visite  devait  être  pour  Son  Em.  Monseigneur  le  Car- 
dinal-Archevêque (1),  en  qui  ils  aimaient  à  saluer 
non-seulement  un  Prince  de  l'Eglise,  mais  encore  leur 
ancien  Primat.  On  sait,  en  effet,  que  jusqu'à  la  fin 
du  siècle  dernier  les  archevêques  de  Rouen  portaient 
le  titre  de  Métropolitains  de  Québec  au  Canada.  Son 
Eminence  accueillit  avec  la  plus  paternelle  bonté 
ces  jeunes  volontaires  ;  Elle  leur  adressa  quelques 
paroles  de  bienvenue,  et,  parcourant  leurs  rangs,  fut 
touchée  dé  leur  air  digne  et  modeste,  de  leur  exté- 
rieur tout  français,  et  s'entretint  avec  quelques-uns 
d'entre  eux. 

"  Les  volontaires,  qui  appartiennent  aux  diocèses 
de  Montréal,  de  Québec  et  des  Trois-Rivières,  parlent 
parfaitement  notre  langue,  et  portent  pour  la  plu- 
part des  noms  normands  :  ainsi  Bélanger,  Valois, 
Moreau,  Masson,  Faucher,  Leroux,  de  Champlain, 
de  St.  Arnaud,  Archambault,  de  Bourbon.  Plusieurs 
d'entre  eux  appartiennent  à  des  familles  considé- 
rables et  jouissent  d'une  grande  fortune.  Le  dévoue- 
ment de  ces  volontaires  est  admirable.  Non  contents 


(1)  Le  cardinal  de  Bonnechose. 


—  190  — 

de  s'expatrier  et  d'offrir  gratuitement  leurs  services 
au  Saint-Siège,  ils  ont  supporté  tous  les  frais  du 
voyage.  Son  Eminence,  voulant  leur  témoigner 
tout  son  intérêt,  les  invita  à  dîner  le  soir  à  son 
grand  Séminaire. 

"  Nos  Canadiens  allèrent  visiter  les  principaux 
monuments  de  la  ville.  Rien  ne  peut  rendre  l'émo- 
tion qu'ils  éprouvèrent  à  la  vue  de  notre  Cathédrale 
de  Saint-Ouen,  et  des  autres  églises,  dont  ils  avaient 
souvent  entendu  parler  au  Canada.  Ils  se  disaient 
tout  joyeux,  en  touchant  la  terre  de  Normandie,  ils 
se  croyaient  encore  dans  la  patrie.  Le  soir,  le  sémi- 
naire leur  offrait  la  plus  large  et  la  plus  généreuse 
hospitalité.  Un  véritable  banquet  leur  fut  servi, 
chose  touchante,  par  les  séminaristes  eux-mêmes. 
Il  fallait  voir  l'air  radieux  de  ces  jeunes  gens,  qui, 
se  voyant  l'objet  des  plus  délicates  et  des  plus  pater- 
nelles attentions,  ne  savaient  comment  exprimer 
leur  reconnaissance. 

a  Son  Eminence,  accompagnée  de  ses  vicaires 
généraux  et  de  ses  secrétaires,  parut  à  la  fin  du 
repas.  Les  toasts  commencèrent  aussitôt.  M.  le 
chanoine  Moreau  de  .Montréal  se  fit  l'interprète  des 
sentiments  de  ses  compatriotes  et  porta  la  santé  de 
Son  Eminence  !  Monseigneur  le  Cardinal  remercia 
ces  braves  jeunes  gens  et  les  félicita  de  nouveau  de 


—  191  — 

leur  dévouement.  Puis,  leur  parlant  de  la  mission 
qu'ils  allaient  remplir,  il  les  exhorta  à  demeurer 
toujours  fidèles  à  leur  foi,  à  leurs  convictions,  à  leur 
amour  pour  le  Saint-Père,  et  proposa  la  santé  de  Pie 
IX.  Aussitôt  les  cris  d'éclater  :  Vive  Pie  IX  !  par 
trois  fois  répétés.  Un  ecclésiastique  lut  alors  une 
pièce  de  vers  improvisés,  où  il  saluait  les  volontaires 
canadiens  au  nom  de  l'Eglise,  au  nom  de  la  France, 
au  nom  de  la  Normandie.  Le  commandant  du  déta- 
chement porta  un  toast  à  la  France,  au  milieu  des 
acclamations  renouvelées  de  l'assemblée. 

"  Les  volontaires  passèrent  ensuite  dans  la  grande 
salle  de  récréation  du  Séminaire,  et  Son  Eminence 
ayant  pris  place  sur  un  fauteuil,  entourée  des  prêtres 
qui  l'accompagnaient  et  des  professeurs  du  Séminaire, 
les  Canadiens  firent  entendre  trois  chœurs  exécutés 
avec  une  mâle  énergie  et  un  ensemble  harmonieux. 
Ils  commencèrent  par  ce  chant  si  bien  choisi,  et  qui 
avait  une  grâce  particulière  dans  leur  bouche  :  J'irai 
revoir  ma  Normandie . .  .  Puis  deux  chants  nationaux 
d'un  effet  saisissant.  On  remarque  qu'ils  ont  con- 
servé le  style  du  XVIIe  siècle.  Ils  parlent  encore  de 
tambourin,  de  chalumeau,  de  musette,  et  se  servent 
encore  dans  le  langage  de  locutions  vieillies  pour 
nous,  mais  qui  avaient  un  charme  pénétrant.  Son 
Eminence  leur  a  adressé  la  parole,  et  a  accompagné 


—  192  — 

ses  conseils  des  plus  affectueux  souhaits.  "  Je  vais 
bientôt  vous  suivre,  leur  a-t-il  dit,  sur  cette  route  de 
Rome  où  je  vous  retrouverai."  Les  Canadiens  ont 
alors  entonné  le  Salve  Regina,  comme  ils  avaient  cou- 
tume de  le  faire  chaque  soir  à  bord  de  leur  navire, 
et  ils  ont  rendu  cette  douce  antienne  avec  une  expres- 
sion touchante.  Monseigneur  le  Cardinal  leur  a 
donné  sa  bénédiction  solennelle,  et  a  été  reconduit  à 
sa  voiture  par  les  volontaires  aux  cris  de  vive  Son 
Eminence  ! 

"  Les  Canadiens,  avant  de  se  retirer,  ont  voulu 
exprimer  à  M.  le  supérieur  du  grand  Séminaire  leur 
gratitude  pour  l'accueil  si  cordial  et  si  empressé  qu'il 
avait  bien  voulu  leur  faire,  et  ont  échangé  avec  les 
élèves  de  fraternels  adieux.  C'était  vraiment  un 
spectacle  bon  à  contempler.  Dans  notre  siècle,  il  y 
a  encore  autre  chose  que  l'égoïsme  et  l'amour  de 
l'argent.  On  y  rencontre  de  chevaleresques  dévoue- 
ments, de  généreux  sacrifices  qui  puisent  leur  force 
dans  la  foi.  Honneur  aux  Canadiens,  et  que  Dieu 
veille  sur  eux  !  Ils  portent  noblement  leur  fière 
devise  :  Aime  Dieu  et  va  ton  chemin  !  " 

On  s'est  souvent  demandé  quelle  était  l'origine  de 
la  belle  devise  des  zouaves  pontificaux  canadiens  : 
"  Aime  Dieu  et  va  ton  chemin.  "  M.  l'abbé  Denis 
Gérin,  ancien  zouave  et  aujourd'hui  curé  de  Saint- 


—  193  — 

Justin,  explique  clairement  cette  origine  dans  l'his- 
toire du  Séminaire  de  Nicolet  publiée,  il  y  a  quel- 
ques années,  par  M.  l'abbé  J.-A.-T.  Douville.  Voici 
le  précieux  renseignement  que  nous  fournit  notre 
ancien  compagnon  d'armes  : 

"  Dans  l'automne  de  1867  avait  lieu  l'invasion  du 
territoire  pontifical  par  les  nouveaux  barbares  du 
nord.  Après  les  brillants  faits  d'armes  de  Bagnorea, 
de  Monte-Libretti  et  de  Nerola,  quelques  cents  soldats 
pontificaux  se  réunissaient  à  Mentana,  où  ils  atta- 
quaient et  mettaient  en  déroute  les  hordes  garibal- 
diennes.  Deux  soldats  canadiens,  Murray  et  Laroc- 
que,  avaient  pris  part  à  cette  victoire,  en  se  couvrant 
de  glorieuses  blessures.  Watts  Russel,  agonisant,  des 
dernières  gouttes  de  son  sang,  venait  d'écrire  sur  une 
pierre  les  mots  devenus  chers  à  tous  les  Canadiens  : 
Ama  Dio  e  tira  via. — Aime  Dieu  et  va  ton  chemin. 
Ces  événements,  télégraphiés  à  l'univers  catholique, 
créèrent  un  saint  enthousiasme  partout,  mais  nulle 
part  plus  qu'en  Canada.  Le  vieux  sang  gaulois  se 
réveilla.  La  soif  du  dévouement  descendit  au  cœur 
d'une  foule  de  jeunes  gens,  et  bientôt  l'on  commença 
à  ébaucher  le  plan  d'une  croisade  canadienne." 


13 


S.  G.  Mgr  BEGIN, 
Patron  des  Zouaves  de  Québec. 


LES  ZOUAVES  DE  QUEBEC 


Voilà  plus  de  trente-cinq  ans  que  nous  avons  cessé 
de  vivre  à  l'ombre  du  drapeau  pontifical.  Ce  long 
espace  de  temps  signifie  naturellement  que  nous 
avons  vieilli  d'autant  et  que  nous  approchons  rapi- 
dement vers  la  tombe.  Plusieurs  d'entre  nous  déjà 
dorment  leur  dernier  sommeil.  Constatant  que  nos 
rangs  s'éclaircissaient  d'année  en  année,  les  zouaves 
pontificaux  de  Québec  prirent  la  résolution  de  com- 
bler les  vides  en  appelant  sous  leur  étendard  leurs 
fils  et  les  citoyens  en  général  de  cette  ville.  Leur  appel 
fut  entendu  ;  car  le  corps  des  zouaves  de  Québec 
compte  aujourd'hui  un  effectif  de  cent  vingt-cinq 
hommes.  C'est  un  magnifique  résultat  que  nous 
devons,  en  grande  partie,  aux  encouragements  que 
nous  avons  reçus  de  la  classe  dirigeante  de  notre 
ville,  du  clergé  et  en  particulier  de  Sa  Grandeur 
Mgr  Bégin.  Voici  ce  que  notre  digne  archevêque 
écrivait,  en  1901,  au  commandant  des  zouaves,  qui 


—  196  — 

l'avait  prié  d'accepter  le  patronage  de  notre  nouveau 
corps  militaire  : 

"  Québec,  le  7  février  1901. 

A  M.  C.-E.  Rouleau, 

Président  des  zouaves  pontificaux  de  Québec. 

Cher  monsieur, 

J'acquiesce  volontiers  au  désir  que  vous  me  formu- 
lez dans  votre  lettre  d' avant-hier,  et  je  consens  à  être 
le  Patron  de  votre  association  des  "  Zouaves  de 
Québec.  " 

Il  me  fait  plaisir  de  vous  voir,  avec  un  certain 
nombre  d'excellents  catholiques  de  notre  ville,  per- 
pétuer le  glorienx  souvenir  de  nos  croisés  canadiens 
qui,  en  1868,  volèrent  si  courageusement  à  la  défense 
du  Souverain  Pontife  et  de  son  domaine  temporel. 
L'épopée  religieuse  et  guerrière  dont  nos  jeunes  gens 
furent  alors  les  héros,  demeurera,  grâce  à  votre  asso- 
ciation, plus  facilemet  et  plus  profondément  gravée 
dans  la  mémoire  de  notre  peuple.  Le  nom  de  zouave, 
en  même  temps  qu'il  rappellera  la  gloire  que  se  sont 
acquise  nos  preux  chevaliers,  sera  toujours  pour 
notre  Canada,  synonyme  de  courage  chrétien,  de 
noblesse  de  sentiments,  de  foi  ardente,  de  dévoue- 
ment aux  successeurs  de  saint  Pierre,  aux  chefs  de 
la  sainte  Eglise  ;    il  sera  comme  un  drapeau  qui 


—  197  — 

renfermera  dans  ses  plis  l'une  des  plus  brillantes 
pages  de  notre  histoire,  en  même  temps  qu'un  grave 
enseignement  pour  les  générations  futures. 

Ancien  zouave  pontifical,  vous  ne  manquerez  pas, 
j'en  suis  sûr,  de  redire  aux  membres  de  votre  asso- 
ciation québecquoise  les  exploits  de  votre  cher  batail- 
lon d'autrefois  et  de  maintenir  parmi  eux  un  invio- 
lable attachement  au  Pape-Roi,  au  vicaire  de  Jésus- 
Christ. 

Agréez,  cher  monsieur,  l'expression  de  mes  senti- 
ments les  plus  dévoués. 

t  L.-N.,  Arch.  de  Québec." 

Quelques  semaines  auparavant,  M.  C.-J.  Magnan, 
professeur  de  l'Ecole  Normale  Laval  de  Québec  et 
directeur  de  L'Enseignement  Primaire,  avait  adressé  la 
lettre  suivante  au  président  des  zouaves  pontificaux  : 

Québec,  18  décembre  1900. 

M.  C.-E.  Rouleau,  président  des 

zouaves  pontificaux,  Québec. 

Cher  monsieur, 

J'ai  lu  avec  plaisir,  dans  les  journaux  de  Québec, 
que  les  zouaves  pontificaux  de  notre  ville  ont  décidé 
de  former  un  corps  militaire  indépendant,  qui  sera 
connu  sous  le  nom  de  "  Les  zouaves  de  Québec,  "  et 
que  les  membres  de  cette  association  porteront  l'uni- 
forme des  anciens  soldats  de  Pie  IX. 


M.  L'ABBE  F.  X.  FAGUY, 
Aumônier  des  Zouaves  de  Québec. 


—  199  — 

Voilà  une  idée  superbe. 

Les  rangs  des  nobles  croisés  qui  volèrent  à  la 
défense  du  Pape,  lorsque  Rome  fit  entendre  cette 
plainte  sublime  à  laquelle  les  rois  et  les  empereurs 
restèrent  sourds,  s'éclaircissent  chaque  année.  Avant 
longtemps  ils  seront  tous  descendus  dans  la  tombe, 
ces  cœurs  pleins  de  foi  qui  donnèrent  leur  vie  pour 
le  droit  et  pour  Dieu. 

Nous  comprenons  pourquoi  ces  chevaliers  d'une 
époque  à  jamais  glorieuse  pour  le  Canada-français 
veulent,  avant  de  disparaître  de  la  scène  du  monde, 
grouper  autour  d'eux  une  jeunesse  d'élite;  qui  aura* 
pour  mission  de  conserver  sur  le  vieux  roc  de  Qué- 
bec les  belles  traditions  des  zouaves  du  Pape. 

Puis,  M.  le  Président,  vous  et  vos  braves  compa- 
gnons d'armes  de  Québec,  n'avez-vous  pas  l'insigne 
honneur  d'être  les  fidèles  gardiens  du  drapeau  de 
Carillon,  cette  incomparable  relique  sur  laquelle 
"  nos  regards  savent  lire  en  brillants  caractères 
l'héroïque  poème  enfermé  dans  ses  plis." 

Au  jour  de  Saint-Jean-Baptiste,  n'est-ce  pas  encore 
à  vous  qu'incombe  la  douce  tâche  de  promener 
triomphalement,  dans  les  rues  de  la  capitale,  ce  Vieux 
souvenir  français  qui  rappelle  à  nos  cœurs  les  vertus 
de  nos  aïeux  ? 

Je  le  répète,  cette  idée  est  superbe.     J'y  adhère 


—  200  — 

avec  enthousiasme.  Je  sollicite  même  l'honneur 
d'entrer  dans  votre  régiment,  si  vous  m'en  jugez 
digne. 

Oh  !  comme  il  sera  beau  de  voir,  aux  jours  des 
grandes  fêtes  religieuses  et  patriotiques,  les  vétérans 
de  l'armée  pontificale  entourés  d'une  garde  d'hon- 
neur, qui  aura  pour  signe  de  ralliement  la  sainte 
relique  que  le  soldat  de  Carillon  pressait  sur  son 
cœur  dans  une  dernière  étreinte. 

J'ai  l'honneur  d'être, 

Cher  monsieur, 

Votre  tout  dévoué, 

C.-J.  Magnan. 

Le  petit  bataillon  des  zouaves  de  Québec  mérite 
certainement  l'honneur  d'un  chapitre  spécial  dans 
cet  ouvrage.  Mais  comme  cette  association  nous 
touche  de  trop  près,  nous  laissons  cette  tâche  à  un 
journaliste,  M.  Hormisdas  Magnan,  qui  a  publié  un 
travail  élaboré  sur  les  zouaves  de  Québec,  en  1902, 
dans  les  "  Annales  de  la  Société  Saint- Jean-Baptiste." 
Nous  lui  empruntons  donc  les  passages  suivants  de 
son  étude  : 

"  Ces"  deux  lettres  (1)  firent  une  profonde  impres- 
sion sur  la  population  si  catholique  et  si  française  de 


(1)  Celles  de  Sa  Grandeur   Mgr   Bégin  et  de   M.    C.-J.  Magnan 
publiées  précédemment. 


—  201  — 

Québec.  M.  Rouleau  fit  appel  à  la  jeunesse  catho- 
lique de  la  ville,  par  la  voie  des  journaux.  Plus  de 
cinquantes  jeunes  gens,  représentant  toutes  les  classes 
de  la  société,  vinrent  s'inscrire,  et  les  exercices  mili- 
taires, avec  commandements  en  français  à  la  grande 
joie  des  recrues,  commencèrent  sans  retard.  Il  fallait 
voir  avec  quel  entrain  et  quelle  bonne  grâce  cette 
bouillante  jeunesse  obéissait  à  son  chef.  M.  C.-E. 
Rouleau  se  fit  instructeur,  et  le  succès  fut  tel  que, 
trois  mois  plus  tard,  le  corps  des  zouaves  pontificaux 
manœuvrait  avec  la  précision  des  vieux  zouzous  de 
La  Moricière. 

"  Les  uniformes  furent  faits  dans  les  premiers  mois 
qui  suivirent  la  fondation  du  nouveau  corps,  et  à  la 
Fête-Dieu  suivante,  les  zouaves  endossèrent  la  glo- 
rieuse livrée  des  soldats  de  Pie  IX. 

"  La  tenue  des  zouaves  de  Québec  est  en  tous 
points  semblable  à  celle  des  anciens.  Elle  consiste 
en  un  gilet,  une  ample  culotte  et  un  képi  ;  le  tout, 
en  étoffe  gris  foncé,  est  orné  de  galons  rouges  :  des 
guêtres  blanches  et  un  large  ceinturon  rouge  com- 
plètent l'uniforme.  La  tenue  des  officiers  est  en  drap 
bleu  clair  ;  les  ornements  sont  en  galon  d'or.  Dans 
son  ensemble,  l'uniforme  est  très  pittoresque,  et  les 
zouaves,  en  corps,  offrent  un  coup  d'œil  saisissant. 

"  Le'corps  des  Zouaves  de  Québec  est  à  la  fois  une 


M.   L'ABBE  T.  G.   ROULEAU, 
Aumônier  des  Zouaves  de  Québec. 


—  203  — 

société  patriotique  et  religieuse  ;  il  a  été  fondé  au 
mois  de  février  1901,  sous,  le  haut  patronage  de  Sa 
Grandeur  Mgr  Bégin,  archevêque  de  Québec.  La 
nouvelle  association  est  aussi  militaire,  puisque  les 
quelques  survivants  à  Québec  en  sont  comme  le 
noyau. 

"  Le  but  principal  de  cette  Association  est  défini 
dans  la  lettre  de  Mgr  l'archevêque  de  Québec.  Au 
motif  religieux,  les  zouaves  ont  joint  l'idée  patrioti- 
que. Et  pour  mieux  relier  le  présent  au  passé,  ils 
s'efforcent  de  grouper  nos  compatriotes  autour  de 
deux  drapeaux  chers  à  nos'  cœurs  :  le  drapeau  pon-  ^, 
tifical  et  le  drapeau  fleurdelisé  de  Carillon. 

"  L'union  des  Canadiens-français  dans  un  même 
esprit  religieux  et  patriotique,  pour  s'emparer  du  sol 
canadien  par  l'agriculture  et  par  le  développement 
des  ressources  si  variées  offertes  à  l'industrie,  enfin, 
l'effort  commun  pour  conserver  notre,  langue  et  nos 
1nstitutions  civiles  et  religieuses,  voilà  le  présent 
pour  nous.  Notre  fête  nationale  contribue  largement 
à  cette  œuvre  d'union,  et  pour  lui  donner  plus  de 
force  d'action  à  Québec,  les  soldats  de  Pie  IX  ont 
cru,  avec  raison,  qu'avant  de  mourir,  il  était  de  leur 
devoir  de  grouper  autour  d'eux  des  jeunes  gens  qui 
auraient  pour  mission  de  perpétuer  à  jamais  le  souve- 
nir de  leur  croisade  à  Rome,  et  qui  deviendraient  les 


—  204  — 

gardes  d'honneur  du  drapeau  de  Carillon  et  du  dra- 
peau pontifical,  et  les  défenseurs  de  la  grande  cause 
du  pouvoir  temporel  des  Papes. 

"  Cette  fondation  fut  inspirée  aux  zouaves  par  le 
révérend  Père  Hamon,  S.  J.,  à  l'occasion  des  noces 
d'argent  de  notre  régiment,  en  1885.  En  cette  cir- 
constance, le  révérend  Père  Hamon  prononça,  dans 
la  chapelle  historique  de  Notre-Dame  des  Victoires, 
à  la  Basse- Ville  de  Québec,  une  de  ces  allocutions  à 
l'emporte-pièce,  toute  virile  et  toute  patriotique, dont 
il  a  le  secret.  En  présence  de  ces  braves  aux  fronts 
ridés,  à  la  chevelure  blanche,  une  idée  le  frappa,  et 
sur-le-champ  il  l'exprima  :  '•  Il  est  regrettable, .  dit- 
il,  de  voir  disparaître  un  corps  militaire  sorti  du  sein 
même  de  l'Eglise  catholique  et  qu'un  lien  patrioti- 
que unit  désormais  à  la  nation  canadienne-française. 
Enrôlez  vos  fils  dans  la  milice  pontificale  que  vous 
représentez,  et  que  ces  fils  de  soldats  chrétiens  perpé- 
tuent au  Canada  le  souvenir  dû  dévouement  des 
croisés  du  XIXe  siècle  envers  le  Saint-Siège." 

"  Les  zouaves  pontificaux  se  rendirent  avec  bon- 
heur à  ce  conseil  ;  mais  leurs  fils  n'étant  pas  assez 
nombreux,  ils  choisirent  de  jeunes  recrues  en  dehors 
de  leurs  foyers. 

"  L'Association  des  zouaves  de  Québec  est  destinée 
à  rehausser  l'éclat  de  nos  fêtes  religieuses  et  nationa- 


—  205  —     * 

les.  A  la  Fête-Dieu,  les  zouaves  servent  de  garde 
d'honneur  au  Très  Saint  Sacrement,  dans  la  proces- 
sion traditionnelle  qui  se  fait  dans  toutes  les  paroisses 
de  la  ville.  Depuis  1870,  les  zouaves  pontificaux 
n'ont  jamais  manqué  de  prendre  part  à  la  fête  natio- 
nale des  Canadiens-Français. 

"  Chaque  année  aussi,  les  zouaves  se  font  un 
devoir  d'aller  en  pèlerinage  à  la  Bonne  Sainte-Anne. 
Chacun  est  heureux  de  recevoir  la  communion  aux 
pieds  de  la  grande  thaumaturge  du  Canada. 

"  A  l'occasion  de  la  bénédiction  du  fac-similé  du 
drapeau  de  Carillon,  le  25  mai  1902,  M.  l'abbé  Th.- 
G.  Rouleau,  ancien  aumônier  des  zouaves  pontifi- 
caux, à  Québec,  rappelait  les  paroles  émues  que 
l'illustre  vieillard  Léon  XIII  lui  adressait  en  1896, 
alors  qu'agenouillé  devant  le  Saint-Père,  il  lui 
demandait  sa  bénédiction  pour  les  zouaves  pontifi- 
caux de  Québec  :  "  Dites  bien  aux  zouaves  de  Québec 
de  se  tenir  toujours  prêts  à  répondre  à  mon  appel"  ; 
et  le  prédicateur  ajoutait  : 

"  Soldats  de  l'Eglise,  maintenez  vivace  dans  notre 
vieux  Québec  l'idée  du  pouvoir  temporel  du  Pape  : 
c'est  le  désir  du  Souverain  Pontife.  Donc,  Dieu  le 
veut.  Les  intérêts  catholiques  sont  intimement  liés 
à  la  cause  de  la  souveraineté  civile  du  Vicaire  de 
Jésus-Christ.    Nous  ne  connaissons   ni   le  jour   ni 


M.  L'ABBE  E.  ROY, 
Aumônier  des  Zouaves  de  Québec. 


—  207  — 

l'heure  de  la  délivrance  que  le  Seigneur  retient  sous 
son  pouvoir,  mais  nous  pouvons  hâter  ce  jour  par 
nos  prières,  surtout  par  des  prières  adressées  à^la 
Vierge  Immaculée  de  Pie  IX,  qui  est  forte  comme 
une  armée  rangée  en  bataille,  par  notre  conduite 
morale  et  chrétienne,  car  ce  n'est  pas  le  nombre,  mais 
la  qualité  des  soldats  qui  triomphe,  par  une  adhé- 
sion toujours  plus  complète  aux  enseignements  de 
l'Eglise." 

"  Les  zouaves  de  Québec  représentent  donc  une 
grande  idée,  un  principe  de  premier  ordre  ;  l'art 
militaire  n'est  pas  le  but  principal  de  leur  associa- 
tion ;  cet  art  n'en  est  que  l'accessoire  ;  leur  vrai  but 
dans  l'avenir  est  d'enseigner  par  l'exemple,  qu'il 
faut  surtout  se  montrer  catholique  actif;  qu'il  ne 
faut  pas  seulement  croire,  mais  encore  agir. 

"  Quand  les  soldats  de  Pie  IX  seront  descendus 
un  à  un  dans  la  tombe,  la  mission  des  zouaves  sera 
de  maintenir  en  honneur  le  drapeau  pontifical  et  de 
prouver  au  monde  catholique  qu'ils  étaient  dignes 
de  recueillir  l'héritage  légué  par  les  preux  zouaves 
de  Lamoricière. 

"  Puissent  les  zouaves  de  Québec  rester  fidèles  aux 
nobles  traditions  des  soldats  de  Pie  IX,  et  ne  jamais 
oublier  les  paroles  si  éloquentes  qu'un  zouave  expi- 
rant, Watts  Russel,  traça  de  son  sang  sur  une  pierre  : 


—  208  — 

"  Ama  Dio  e  tira  via  "  "  Aime  Dieu  et  va  ton  che- 
min." 

"  Cet  été,  les  zouaves  ont  pris  une  part  très  active 
dans  les  brillantes  fêtes  du  cinquantenaire  de  la 
Société  Saint  Jean-Baptiste  de  Québec.  Les  éloges 
et  les  applaudissements  ne  leur  ont  pas  été  ménagés. 

"  Un  ancien  militaire  qui  a  signé  "  Esculape  ", 
écrivait  ce  qui  suit  dans  un  journal  de  Québec,  au 
lendemain  de  cette  belle  fête  : 

"  Après  la  grandiose  démonstration  religieuse  sur 
la  Terrasse,  le  "  clou  "  a  été  la  parade  des  zouaves 
de  Québec.  Ils  étaient  une  centaine  dont  une  quin- 
zaine de  vieux  zouzous  de  Pie  IX,  et  le  reste,  des 
zouaves  de  récente  création — sorte  de  pupilles  de  la 
Garde  papaline — œuvre  du  commandant  Rouleau  et 
de  ses  compagnons  d'armes  québecquois. 

"  Vous  dire  qu'ils  ont  bien  manœuvré  ne  serait 
pas  rendre  suffisamment  justice  à  ces  gaillards  en 
culottes  larges  et  vestons  courts,  laissant  à  découvert 
la  ceinture  rouge  qui  leur  ceint  plusieurs  fois  la 
taille. 

"  Armés  de  vraies  carabines  et  de  réelles  baïon- 
nettes, ils  ont  montré,  en  divers  assauts  et  parades 
prestement  exécutés,  ce  dont  est  capable  cette  arme 
bien  française,  en  des  mains  canadiennes-françaises. 

"  Je  suis  un  vieux  routier  de  notre  milice  cana- 


—  209  — 

dienne.  J'ai  obtenu  mes  deux  certificats  à  l'Ecole 
Militaire  de  Québec  :  celui  de  seconde  classe  sous  le 
colonel  Gordon,  du  17ème,  retour  de  Crimée,  celui 
de  première,  des  mains  de  lord  Alexander  Russell, 
de  la  "  Rifle  Brigade  ", — aussi  retour  de  Crimée. 

"  J'ai. fait  des  campements  ;  j'ai  suivi  les  fortunes 
diverses  de  notre  excellent  "  neuvième  " — régiment 
québecquois  par  excellence — pendant  des  années. ... 

"  Je  crois  donc  m'y  connaître  un  peu  en  fait  de 
parades  et  d'exercices  militaires. 

"  Eh  bien  !  je  déclare  ici  que  nos  zouaves  de 
Québec  en  remontreront  avant  longtemps,  aux 
vieilles  "  culottes  de  peau  "  de  notre  volontariat. 

"  Ce  qui  ne  contribue  pas  peu  à  l'agrément  de  ces 
parades,  ce  sont  les  commandements  en  français, 
brefs,  rapides,  suggestifs." 

Voici  ce  que  M.  Edmond  Rousseau  écrivait,  en 
1903,  dans  Le  Soleil  et  V Evénement  de  Québec  : 

UNE  JOLIE  PARADE 


"  Un  peu  par  désœuvrement,  beaucoup  pour  faire 
plaisir  à  mon  jeune  fils,  à  8  hrs  hier  soir  je  me  diri- 
geais Vers  le  Manège  de  la  Grande- Allée,  où  il  y  avait 
déjà  près  de  deux  mille  personnes  rendues  pour 
assister  à  la  parade  des  Zouaves  de  Québec. 
14 


M.  L'ABBE  J.  D.   BEAUDOIN, 
Aumônier  des  Zouaves  de  Québec. 


—  211  — 

Franchement,  je  n'étais  pas  trop  rassuré  et  je  nie 
disais  à  moi-même  qu'il  fallait  être  bien  sûr  de  soi 
ou  fort  imprudent  pour  annoncer  par  la  voie  des 
journaux,  avec'  un  .certain  fracas,  la  parade  d'un 
corps  de  volontaires  indépendants,  très  jeune  encore, 
un  corps  que  je  qualifiais  de  simples  amateurs,  et  d'y 
inviter  le 'public.  Je  v  suis  rentré  chez  moi  à  onze 
heures,  absolument  émerveillé,  totalement  charmé, 
qu'on  en  prenne  ma  parole  ;  car,  en  ma  qualité  de 
vieux  critique  d'une  réputation  assez  grincheuse,  je 
n'ai  pas  l'enthousiasme  facile. 

Toutes  les  personnes  qui  assistaient  à  la  parade 
d'hier,  dirent  avec  moi  que  nous  avons  un  corps 
d'élite  dans  les  zouaves  de  Québec,  qui  fera  sa 
marque  dans  tout  le  Dominion  et  que,  s'il  est  possible 
de  lui  trouver  des  égaux,  il  est  certainement  fort 
difficile  pour  ne  pas  dire  impossible  de  lui  trouver 
des  supérieurs. 

Et  d'abord  ce  que  j'appellerai  l'apparence  générale, 
est  unique.  On  dirait  que  le  commandant  s'est  fait 
un  devoir  de  choisir  parmi  notre  population  ce 
qu'elle  renferme  de  plus  jolis  garçons  et  de  plus 
distingué.  Va  sans  dire  que  je  mets  les  officiers  au 
premier  rang.  Quant  aux  manœuvres,  il  me  suffira 
de  dire  que,  pendant  le  défilé  au  pas  accéléré,  hier, 
je  me  reportais  à  cette  époque  où  j'allais,  dans  mon 


212  

enfance,  voir  manœuvrer  les  régiments  réguliers 
anglais  sur  l'Esplanade,  et  que  la  comparaison 
n'était  nullement  choquante  à  mon  esprit.  Les 
zouaves  marchent  en  vieux  troupiers  et  manœuvrent 
avec  un  ensemble  qui  ne  laisse  rien  à  désirer  même 
dans  les  mouvements  les  plus  difficiles,  comme  par 
exemple,  de  former  le  carré  sur  la  marche,  reconsti- 
tuer la  file  et  combien  d'autres  qui  ont  été  fort 
applaudis.  Et  avec  les  zouaves  pas  de  tricherie 
possible,  si  le  pied  n'est  pas  en  ligne,  la  guêtre 
blanche  le  trahira.  Les  zouaves  comptent  un  effectif 
assez  respectable  de  80  à  90  hommes,  m'a-t-on  dit, 
espérons  que  le  temps  n'est  pas  éloigné  où  nous 
verrons  cette  compagnie  se  transformer  en  bataillon. 
Toutes  nos  braves  familles  devraient  se  faire  un 
honneur  d'y  faire  entrer  leurs  enfants.  Outre  qu'elles 
sont  assurées  que  ceux-ci  seront  sauvegardés  sous  le 
rapport  de  la  morale,  ils  y  trouveront  un  exercice 
très  hygiénique  et  beaucoup  d'honneur. 

Les  zouaves  se  rendent  à  Montréal,  pour  les  fêtes  du 
24  juin  ;  certes,  il  s'y  placeront  au  premier  rang,  et 
nous  aurons  raison  d'en  être  fiers.  Soyons-leur  recon- 
naissants des  efforts,  des  fatigues  qu'ils  s'imposent 
pour  leur  satisfaction  personnelle,  il  est  vrai,  mais 
après  tout,  l'honneur  en  rejaillit  sur  notre  ville,  et 
sans  aucun  sacrifice  de  notre  part,  nons  en  profitons. 


—  213  — 

Ils  viennent  d'organiser  une  excursion  à  Montréal 
par  bateau  pour  ces  fêtes  du  24  juin,  faisons-nous  un 
devoir  de  les  accompagner.  Imitons  en  cela  nos  voi- 
sins de  la  métropole  qui  ne  manquent  jamais  d'encou- 
rager quelques-unes  de  leurs  sociétés,  se  rendant  dans 
un  endroit,  soit  pour  concourir,  soit  pour  prendre 
part  à  une  démonstration  quelconque,  ne  manquant 
jamais,  dis-je,  de  les  accompagner  en  grand  nombre 
et  de  leur  prêter  ainsi  leur  appui  moral. 

Edmond  Rousseau. 
Québec,  18  juin  1903. 

"  La  nomination  de  M.  Rouleau  comme  chevalier 
de  l'Ordre  de  Saint-Grégoire-le-Grand  a  été  accueillie 
avec  la  plus  grande  joie  par  les  jeunes  zouaves. 
Tous  ont  compris  que  cette  marque  de  distinction, 
venant  du  chef  de  l'Eglise  catholique,  était  une 
approbation  très  éloquente  de  leur  nouvelle  asso- 
ciation. 

"M.  le  lieutenant-colonel  G.- A.  Drolet,  ancien 
zouave  pontifical,  écrivit  à  M.  Rouleau  la  lettre  sui- 
vante, au  sujet  de  la  décoration  que  Sa  Sainteté  Léon 
XIII  venait  de  lui  décerner  : 

Montréal,  15  octobre  1901. 
Mon  cher  chevalier, 

J'ai  été  bien  heureux  de  lire  dans  le  Soleil  d'hier, 
le  compte  rendu  de  la  jolie  démonstration  dont  tu  as 


—  214  — 

été  l'objet,  à  l'occasion  de  ton  entrée  dans  la  cheva- 
lerie pontificale. 

Je  me  réjouis,  avec  tous  les  amis  de  la  bonne 
cause,  de  la  récompense  que  le  Saint-Père  vient  de 
te  décerner. 

Nul  plus  que  toi,  mon  cher  Rouleau,  ne  méritait 
cet  honneur.  Depuis  ton  retour  de  Rome,  j'ai  été 
plus  ou  moins  mêlé  à  ta  vie,  pendant  ton  séjour  à 
Montréal,  et,  depuis  que  tu  vis  à  Québec,  j'ai  suivi 
avec  intérêt  ta  carrière  professionnelle. 

"  Aime  Dieu  et  va  ton  chemin,  "  a  toujours  été  ta 
devise.  Tu  l'as  non-seulement  pratiquée  toi-même, 
mais  par  tes  vaillants  écrits,  par  tes  exemples,  par 
ta  chaude  et  entraînante  parole  tu  l'as  "  transfusée" 
dans  le  cœur  et  dans  l'esprit  de  la  jeunesse  de  Qué- 
bec. Aujourd'hui,  cette  belle  et  intelligente  jeunesse 
se  groupe  sous  ton  commandement,  sous  les  plis  du 
drapeau  du  régiment  des  zouaves  pontificaux,  pour 
continuer  nos  traditions  de  Rome. 

La  création  de  ce  bataillon,  à  Québec,  est  un  évé- 
nement extraordinairement  heureux  pour  l'Eglise  et 
pour  le  Canada.  Il  fallait  un  apôtre  comme  toi, 
Rouleau,  pour  mener  à  bien  une  création  aussi  diffi- 
cile. Nous  disparaissons,  nous  les  aînés,  rapidement, 
hélas  ! — Hodie  mihi,  cras  tibi. — Ce  rameau  que  tu  as. 
détaché  du  tronc  principal  de  l'Union  Allet,  est  en 


—  215  — 

train  de  pousser  des  racines  vigoureuses  :  tant  mieux, 
mon  Dieu  !  Tu  auras. contribué,  plus  que  tout  autre, 
à  perpétuer  les  traditions  du  Régiment  des  Diables 
du  bon  Dieu,  eh  Canada. 

Nous  n'aurions  jamais  pu,  à  Montréal,  accomplir 
une  œuvre  pareille.  Aussi,  notre  Saint-Père,  en  te 
donnant  la  croix  de  chevalier  de  Saint-Grégoire-le- 
Grand,  a-t-il  récompensé  une  vie  toute  d'honneur  et 
de  dévouement  à  toutes  les  causes  nationales  et  reli- 
gieuses. 

Reçois  mon  affectueuse  accolade,  mon  cher  cheva- 
lier, et  crois  toujours  à  l'entier  dévouement  de 

Ton  ancien  camarade  et  ami, 

G.-A.  Drolet. 


—  216 


SA  SAINTETE  PIE  X 


Au  mois  de  juin  1905,  trois  anciens  zouaves  ponti- 
ficaux de  Québec  reçurent  de  Sa  Sainteté  Pie  X  la 
croix  de  chevalier  :  ce  sont  MM.  C.-E.  Rouleau, 
,  A.-C.  Guilbault  et  L.  Lefebvre.  A  la  réception  de 
cette  consolante  nouvelle,  il  y  eut  grande  fête  aux 
,  quartiers-généraux  des  zouaves  de  Québec.  Voici  ce 
que  le  Soleil  du  30  juin  dit  de  cette  brillante 
démonstration  : 

"  La  fête  charmante  à  laquelle  les  Zouaves  de 
Québec  ont  pris  part,  hier  soir,  à  leur  salle  de  la  halle 
laissera  un  souvenir  que  rien  ne  pourra  effacer. 

"  En  effet,  M.  l'abbé  T.  G.  Rouleau,  principal  de 
l'Ecole    Normale,  se  rendait,  hier  soir,  à  la    halle 


—  217  — 

Berthelot  pour  rendre  visite  aux  Zouaves  de  Québec 
dont  il  est  le  digne  aumônier. 

"  Pour  la  circonstance,  la  salle  avait  été  décorée 
avec  goût  :  une  estrade  avait  été  érigée,  laquelle  on 
avait  artistement  ornée  de  drapeaux.  En  avant  de 
l'estrade,  sur  les  côtés,  on  avait  placé  le  drapeau 
papal  et  le  drapeau  Carillon  ;  M.  le  sergent  P.  Rou- 
leau avait  présidé  aux  décorations. 

"  Quelques  instants  avant  l'arrivée  de  M.  l'aumô- 
nier et  des  officiers  qui  l'accompagnaient,  les  officiers 
Benoit  et  Lockwell  disposèrent  les  Zouaves  sur  deux 
lignes  laissant  un  passage  au  milieu.  A  l'arrivée 
des  invités,  les  Zouaves  présentèrent  les  armes,  tandis 
que  les  clairons  sonnaient  le  salut. 

"  M.  le  chevalier  C.  E.,  Rouleau,  commandant  des 
Zouaves,  s'avança  alors  et  souhaita  la  bienvenue  la 
plus  chaleureuse,  la  plus  enthousiaste  à  M.  l'aumô- 
nier Rouleau. 

Un  tonnerre  d'applaudissements  accueillit  les 
paroles  du  commandant. 

"  M.  l'abbé  Rouleau  répondit  fort  heureusement 
aux  souhaits  de  bienvenue  du  commandant  Rouleau 
et  profita  de  la  circonstance  qui  lui  était  offerte  pour 
féliciter  les  Zouaves  de  la  tenue  irréprochable, 
l'apparence  martiale  de  chaque  homm?. 


—  218  — 

"  Il  ajouta  quelques  conseils  qui  furent  religieuse- 
ment écoutés. 

M.  l'aumônier  a  été  chaleureusement  applaudi. 

M.  le  commandant  Rouleau  s'avançant  alors, 
annonça  qu'il  avait  une  communication  importante 
à  faire  aux  Zouaves  de  Québec.  Il  s'agissait  de  deux 
décorations  conférées  par  Sa  Sainteté  Pie  X  à  deux 
officiers  du  corps  des  Zouaves  de  Québec. 

Le  commandant  Rouleau  fit  la  lecture  des  deux 
lettres  très  importantes  qui  suivent. 

Nous  tenons  à  dire  d'abord  que  les  premières 
démarches  pour  obtenir  ces  deux  décorations  furent 
faites  par  M.  C.-E.  Rouleau.  Comme  on  le  verra  par 
la  date  de  la  lettre  du  général  de  Charette,  les  démar- 
ches furent  commencées  en  décembre  dernier.  Mal- 
heureusement, le  général  de  Charette  tomba  malade 
et  dut  passer  l'hiver  chez  lui. 

Basse  Motte,  Châteauneuf. 

Ile-et-Vilaine, 

ce  1er  décembre  1904. 
Monsieur  Rouleau, 

Lieutenant-colonel  des  Zouaves 
Pontificaux  Canadiens. 

Québec. 
Mon  cher  commandant, 

Et  d'abord  mes  grands  compliments.  La  première 


—  219  — 

qualité  d'un  chef  est  de  savoir  reconnaître  les  mérites   ' 
de  ses  subordonnés. 

Je  devais  partir  pour  Rome  et  y  être  le  8  décem- 
bre, et  j'aurais  été  heureux  de  ^présenter  au  Pape, 
moi-même,  vos  demandes  de  décoration.  Malheu- 
reusement, un  empêchement  imprévu  m'oblige  à 
remettre  mon  voj^age. 

Je  sais,  par  expérience,  que  ces  sortes  d'affaires 
ont  beaucoup  plus  de  chances  de  réussite  lorsqu'elles 
sont  faites  de  vive  voix.  Je  vous  demande  donc  un 
peu  de  patience,  et  j'espère  bien  pouvoir  aller  à 
Rome  sans  trop  tarder.  Les  lettres  de  Votre  arche- 
vêque et  de  votre  aumônier  me  seront  d'un  grand 
secours.  J'ai  reçu,  presqu'en  même  temps  que  la 
vôtre,  une  bien  intéressante  lettre  de  Désilets,  qui  me 
raconte  la  belle  cérémonie  du  couronnement  de  N.- 
D.  du  Cap,  à  laquelle  assistaient  les  deux  bataillons 
de  Québec  et  des  Trois-Rivières. 

Je  suis  heureux  de  pouvoir  vous  redire  combien 
j'aurais  été  fier  de  les  passer  en  revue  et  de  saluer 
mes  vieux  et  les  jeunes  "  Castors.  " 

Je  vous  le  répète,  mes  grands  compliments  et 
laissez-moi  embrasser  avec  l'effusion  de  mon  vieux 
cœur  le  lieutenant-colonel  commandant  tous  les 
Zouaves  canadiens. 

Veuillez  offrir  mes  respectueux  hommages  à  Mon- 


—  220  — 

seigneur  l'archevêque  et  à  l'aumônier  de  votre  batail- 
lon québecquois. 

Tout  vôtre,  affectueusement, 

Charkïte. 


REPONSE  DE  M.  C.-E.  ROULEAU 


Québec,  10  décembre  1904. 
Mon  général, 

Je  vous  remercie  de  tout  cœur  de  votre  bonne 
lettre  et  du  profond  intérêt  que  vous  ne  cessez  de 
porter  à  vos  vieux  "  Castors."  "  Vieux  Castors  !  " 
c'est  une  page  d'histoire  et  des  souvenirs  bien  chers 
que  vous  rappelez  à  ma  mémoire.  Le  camp  d'An- 
nibal,  où  nous  avons  appris  à  évoluer  sous  votre 
commandement  le  jour  de  la  visite  à  jamais  mémo- 
rable de  notre  glorieux  Pape  ;  la  Cour  St-Damase, 
où  il  nous  a  été  donné  de  répéter  ces  exercices  admi- 
rables en  présence  d'une  foule  immense  des  plus 
hauts  dignitaires  de  l'Eglise  catholique  ;  la  vie  de 
garnison  à  Rome,  où  nous  avions  le  bonheur   de 


rencontrer  l'ami  "  des  Castors  "  presque  tous  les 
jours  ;  la  célèbre  retraite  de  Viterbe  ;  en  un  mot, 
les  années  heureuses  que  nous  avons  passées  à 
l'ombre  du  drapeau  pontifical  se  présentent  à  mon 
esprit  comme  autant  de  bouquets  de  roses  dont  le 
parfum  charme  le  cœur,  le  fortifie  et  le  console. 

Mon  général,  vous  me  demandez  d'avoir  un  peu 
de  patience.  C'est  chose  très  facile,  surtout  quand  je 
suis  convaincu  que  la  patience  conduit  à  l'espérance 
et  que  l'espérance,  exprimée  par  vous,  équivaut  à  la 
réalité. 

Oh  !  que  vos  vieux  et  jeunes  "  Castors  "  auraient 
été  fiers  de  vous  voir  passer  en  revue  nos  bataillons 
de  Zouaves  canadiens  à  la  grande  fête  du  Cap  de  la 
Madeleine  !  J'ai  l'espoir  que  le  jour  viendra  où  les 
Zouaves  canadiens  auront  le  bonheur  de  présenter 
les  armes  à  leur  général  et  de  lui  exprimer  de  vive 
voix  toute  l'affection  qu'ils  lui  portent. 

Je  demeure,  mon  général,  avec  les  sentiments  du 
plus  entier  dévouement. 

Votre  ancien  sergent, 

C.-E.  Rouleau. 

Après  la  lecture  de  ces  deux  lettres,  le  comman- 
dant C.-E.  Rouleau  annonça  qu'il  avait  reçu  de 
Rome  les  parchemins  en  vertu  desquels  MM.  C.  A. 


—  222  — 

Guilbault,  capitaine,  et  Louis  Lefebvre,  lieutenant, 
étaient  créés  chevaliers  de  l'Ordre  de  St-Grégoire-le- 
Grand. 

Il  n'est  pas  besoin  de  dire  que  la  remise  de  ces 
précieux  documents  aux  nouveaux  décorés  fut  le 
signal  d'un  enthousiasme  délirant  parmi  les  Zouaves. 


Le  commandant  C.  E.  ROULEAU, 

Chevalier  de  S.  Grégoire-le-Grand  et  de 

Pie  IX. 

Le^capitaine  Guilbault,  visiblement  ému  de  cet 
insigne  honneur  venu  de  Sa  Sainteté  Pie  X,  s'avan- 
ça et'fit  un  discours  on  ne  peut  plus  heureux. 
:vll  remercia  en  termes  choisis  le  commandant 
Rouleau  et  l'aumônier  Rouleau  de  leurs  démarches 
auprès  du  général  de  Charette  et  du  Saint-Siège. 


—  223  — 

Il  se  reconnaît  indigne  de  l'insigne  honneur,  à  lui 
conféré  par  le  Saint-Père,  mais  puisque  le  bataillon 
des  Zouaves  doit  en  bénéficier,  il  l'accepte  avec 
bonheur. 

Le  nouveau  chevalier,  fier  de  son  passé  comme 
"  zouave  "  profita  de  l'occasion  pour  conseiller  aux 
nouveaux  un  attachement  constant  à  la  personne 
auguste  du  Souverain  Pontife  et  à  la  doctrine  de 
l'Eglise. 

M.  Guilbault  fut  très  applaudi. 

Le  lieutenant  Ls  Lefebvre  adressa  ensuite  la 
parole.  Il  protesta  de  son  dévouement  à  la  cause 
du  "  Pouvoir  temporel  "  et  aux  enseignements  de 
l'Eglise. 

Il  accepte  avec  plaisir  l'honneur  qu'il  reçoit  de 
Rome  et  qui  rejaillit  sur  sa  famille  et  sur  le  corps 
des  Zouaves  de  Québec. 

On  allait  se  séparer  '  lorsque  M.  l'aumônier  Rou- 
leau se  leva  pour  annoncer  une  autre  bonne  et 
joyeuse  nouvelle.  Celle  de  la  réception,  de  Rome,  de 
parchemins'en  vertu  desquels  M.  le  commandant 
C.-E.  Rouleau  était  créé  chevalier  de  l'Ordre  de  Pie 
IX.  Cette  nouvelle  fut  accueillie  par  un  tonnerre 
d'applaudissements,  de  vivats. 

Après  avoir  fait  l'éloge  du  nouveau  chevalier  de 
Pie  IX,  le  dévoué  aumônier   des  Zouaves  remit  à 


224  

celui-ci  les  documents  précieux  qu'il  avait  reçus  vers 
les  six  heures. 

M.  le  chevalier  Rouleau  ne  put  que  balbutier 
quelques  mots  tant  son  émotion  était  grande. 

Il  protesta  de  son  dévouement  à  la  cause  de' la 
papauté  et  aux  enseignements  de  l'Eglise. 
-  Avec  effusion  il  remercia  le  Saint-Père,  M.  l'abbé 
Rouleau,  Mgr  Bégin,  le  général  de  Charette,  M.  le 
chevalier  Bussières,  président  général  de  l'Union 
Allet,  et  enfin  ses  chers  Zouaves  de  Québec. 

A  ces  derniers  il  donna  de  bons  conseils  et  leur 
demanda  de  rester  fidèles  à  la  devise  des  vieux 
Zouaves  :  "  Aime  Dieu  et  va  ton  chemin." 

M.  le  commandant  Rouleau  avait  été  créé  cheva- 
lier de  St-Grégoire-le-Grand  par  Sa  Sainteté  Léon 
XIII.  C'est  donc  une  seconde  décoration  que  le  com- 
mandant des  Zouaves  reçoit  du  successeur  de 
S.  Pierre. 

On  présenta  les  armes  aux  nouveaux  chevaliers* 
et  ensuite  il  y  eut  rafraîchissements. 

On  reconduisit  chaque  nouveau  chevalier  à  son 
domicile. 

La  fête  d'hier  laissera  un  souvenir  impérissable 
chez  ceux  qui  y  ont  pris  part. 

En  terminant,  offrons  nos  sincères  félicitations  aux 
trois  nouveaux  chevaliers,  et  nos  compliments  les 


—  225  — 

plus  empressés  au  bataillon  des  Zouaves  de  Québec 
pour  l'insigne  honneur  qui  rejaillit  sur  lui. 
"  Aime  Dieu  et  va  ton  chemin." 

U  Evénement,  rendant  compte  le  même  jour  de  cette 
fête  à  jamais  mémorable,  s'exprimait  dans  les  termes 
suivants  : 

"  Les  Zouaves  de  Québec,  comme  de  bons  soldats 
de  l'Eglise,  ont  dignement  célébré  la  fête  de  saint 
Pierre.  La  démonstration  d'hier  soir  marque  une 
page  mémorable  dans  leurs  annales  et  restera  gravée 
dans  la  mémoire  de  ces  braves  militaires  qui  font 
l'honneur  de  la  vieille  cité  de  Champlain. 

Un  avis  publié  hier  soir  dans  les  journaux,  convo- 
quait d'urgence  tous  les  Zouaves  à  la  salle  Berthelot. 
A  l'heure  réglementaire,  tous  étaient  au  poste.  A 
l'extrémité  de  la  salle,  une  estrade  ornée  de  drapeaux, 
avait  été  dressée,  évidemment  destinée  à  quelque 
visiteur  marquant.  L'attente  ne  fut  pas  longue, 
et  vers  9  heures,  M.  le  commandant  Rouleau  fit  son 
entrée  dans  la  salle,  accompagné  de  l'aumônier  des 
Zouaves  et  du  capitaine  Guilbault  et  du  lieutenant 
Lefebvre.  A  leur  arrivée,  les  clairons  sonnèrent  et 
les  tambours  battirent  au  champ.  Après  avoir  con- 
duit M.  l'aumônier  sur  l'estrade  d'honneur,  le  com- 
mandant Rouleau  lui  annonça  qu'il  avait  été  de 
15 


—  226  — 

nouveau  choisi  comme  aumônier  de  l'association,  et 
le  remercia  de  l'intérêt  qu'il  n'a  cessé  de  porter  au 
régiment  des  Zouaves  de  Québec. 

M.  l'abbé,  qui  portait  sur  sa  poitrine  la  croix  des 
braves,  prononça  un  charmant  discours,  et  dit  qu'en 
effet,  il  aime  les  Zouaves  qu'il  a  eu  l'occasion  de 
voir  à  Rome  où  ils  ont  acquis  cette  belle  réputation 
de  bravoure  dans  les  divers  combats  auxquels  ils 
ont  pris  part.  Il  les  aime  surtout  pour  l'idée  qu'ils 
représentent.  S'adressant  aux  jeunes,  il  dit  qu'ils 
participent  à  la  gloire  des  anciens  et  il  ne  doute  pas 
que  s'ils  en  étaient  requis,  ils  n'hésiteraient  pas, 
comme  leurs  anciens  compagnons,  à  voler  au  secours 
du  Saint-Siège.  Ce  jour  de  la  Saint-Pierre,  dit-il,  ne  - 
pouvait  être  mieux  choisi  pour  une  telle  manifesta- 
tion. Restez  unis  autour  de  vos  chefs,  dit  M.  l'au- 
mônier, et  soyez  prêts  à  tous  les  sacrifices  que  Dieu 
et  la  patrie  attendent  de  vous.  Vous  faites  l'admi- 
ration non  seulement  des  Québécois,  mais  aussi  des 
étrangers  qui  ont  l'occasion  de  vous  voir.  Le  jour 
de  la  fête  nationale,  Lady  Grey  n'a-t-elle  pas  battu 
des  mains  lorsqu'elle  vous  a  vus  défiler  et  lui  présen- 
ter les  armes.  Je  vous  remercie  et  je  ne  vous  cache 
pas  que  votre  confiance  me  fait  grand  plaisir. 

De  chaleureux  applaudissements  accueillirent  ces 
sympathiques  paroles. 


—  227  — 


Le  capitaine  A.  C.  GUILBAULT, 
Chevalier  de  S.  Grégoire-le-Grand. 


NOUVEAUX  CHEVALIERS 


M.  l'aumônier  annonça  ensuite  qu'il  avait  une 
heureuse  nouvelle  à  communiquer  aux  Zouaves. 
Votre  commandant,  dit-il,  qui  aime  ses  soldats  et 
reconnaît  leur  valeur,  a  fait  connaître  à  qui  de  droit 
les  mérites  du  régiment  et  a  mentionné  certains 
noms  de  ceux  qui  ont  vu  le  feu  et  risqué  leur  vie 
sur  les  champs  de  bataille.  Le  général  de  Charette, 
dit  M.  l'aumônier,  a  accédé  aux  désirs  de  votre  com- 


—  228  — 

mandant  en  envoyant  deux  décorations  de  Cheva- 
valiers  de  l'Ordre  de  St-Grégoire,  pour  être  placées, 
l'une  sur  la  poitrine  du  capitaine  Guilbault,  et  l'autre 
sur  celle  du  lieutenant  L.  Lefebvre. 

Inutile  de  dire  que  cette  bonne  nouvelle  fut 
accueillie  par  d'enthousiastes  applaudissements. 

Le  lieutenant-colonel  Rouleau  donne  lecture  de  la 
lettre  expédiée  à  son  ancien  commandant  le  général 
de  Charette,  ainsi  que  la  réponse  de  celui-ci,  qui  a 
été  écoutée  avec  autant  de  plaisir  que  d'intérêt  par 
tous  les  Zouaves,  vieux  et  jeunes  ;  le  brave  général 
rappelle  de  vieux  souvenirs  qui  ont  dû  faire  tres- 
saillir de  joie  les  anciens  qui  sont  encore  dans  les 
rangs  :  la  vie  de  garnison  à  Rome,  les  principales 
étapes  des  défenseurs  du  Pape,  etc.,  et  maints  autres 
détails  qui  prouvent  que  le  général  de  Charette  tient 
en  haute  estime  les  braves  canadiens  qui  ont  servi 
sous  ses  ordres,  et  particulièrement  son  ancien  ser- 
gent C.-E.  Rouleau. 

PRESENTATION   DES  PARCHEMINS 

Le  colonel  Rouleau,  qui  manie  aussi  bien  la  parole 
que  l'épée,  présente  au  capitaine  Guilbault  le  par- 
chemin qui  le  créait  chevalier  de  St-Grégoire  (ordre 
militaire).     M.  Rouleau  accompagna  cette  présenta- 


—  229  — 

tion  de  quelques  paroles  éinues  à  l'adresse  de  son 
frère  d'armes  et  qui  furent  couvertes  d'applaudisse- 
ments, après  quoi  les  clairons  et  les  tambours  firent 
entendre  leur  voix  vibrante,  reflétant  l'enthousiasme 
et  la  joie  des  camarades. 

Le  commandement  "  Présentez  armes  !  "/  se  fit 
ensuite  entendre,  et  ce  suprême  hommage  militaire 
fut  exécuté  avec  une  maestria  et  un  brio  imposants. 

Le  même  cérémonial  se  répéta  pour  le  lieutenant 
Louis  Lefebvre  qui,  lui  aussi,  fut  l'objet  de  sincères 
hommages  de  la  part  de  son  colonel. 

En  présentant  ces  brevets,  M.  Rouleau,  dit  que  la 
chevalerie  est  une  fleur  des  champs  de  bataille  qui 
ne  pourrait  fleurir  sur  plus  noble  poitrine  que  celle 
des  deux  titulaires  des  décorations  de  ce  soir,  MM. 
Guilbault  et  Lefebvre. 

Le  capitaine  Guilbault  prit  le  premier  la  parole  et 
exprima  sa  surprise  à  la  vue  d'un  si  grand  honneur, 
dont,  naturellement,  il  se  déclare  bien  indigne, 
opinion  qui,  soit  dit  en  passant,  n'a  pas  paru  par- 
tagée par  ses  supérieurs  et  tous  ses  camarades. 

En  somme,  M.  Guilbault,  quoique  pris  tout-à-fait 
à  l'improviste,  a  fait  un  discours  spirituel  tout  plein 
et  assaisonné  d'un  bon  sel  gaulois,  qui  démontre  que 
l'ancien  zouave  devait  être,  dans  le  temps,  un  joyeux 
camarade  de  régiment. 


230  — 


Le  lieutenant  LOUIS  LEFEBVRE, 
Cheva,!ier  de  S.  Grégoïre-le-Grand. 

M.  L.  Lefebvre,  avec  une  émotion  visible,  remercia 
vivement  le  commandant  et  M.  l'aumônier,  et  dé- 
clara que  [rien  n'aurait  pu  lui  causer  plus  de  joie 
que  la  décoration  qui  lui  est  transmise  ce  soir. 
C'est  un  bonheur,  dit  M.  Lefebvre,  que  je  n'aurais 
jamais  osé  rêver,  car  je  considère  que  c'est  le  plus 
grand  honneur  dont  un  soldat  puisse  être  l'objet, 
puisqu'elle'vient  de  Fie  X,  le  vicaire  du  Christ,  qui 
est  le  roi  des  rois.  Comme  son  camarade,  M.  Guil- 
bault,  il  est  très  heureux  de  cette  décoration  dont 


—  231  — 

l'honneur   retombe   sur   tout   le   régiment.      (Vifs 
applaudissements). 

M.  l'aumônier  se  lève  ensuite  et  dit  que  les  pa- 
roles des  deux  nouveaux  décorés  lui  rappellent  cette 
histoire  d'un  général  français  qui  devenait  timide 
et  tout  tremblant  lorsqu'on  lui  faisait  des  éloges  et 
déclarait  cm'il  préférait  une  pluie  de  balles  à  une 
averse  de  compliments.  ' 

CHEVALIER  PE  PIE  IX 

Mais  ce  n'était  pas  tout,  et  une  nouvelle  surprise 
attendait  les  Zouaves,  une  surprise  qui  mit  le  comble 
à  leur  enthousiasme,  lorsque  M.  l'aumônier  leur 
annonça  qu'il  avait  à  transmettre  encore  une  déco- 
ration, celle-là  destinée  au  commandant  général  des 
Zouaves  du  Canada,  M.  le  colonel  C.  E.  Rouleau. 
En  effet,  M.  l'abbé  venait  justement  de  recevoir  pour 
le  remettre  au  colonel  un  brevet  créant  celui-ci  Che- 
valier de  l'ordre  de  Pie  IX.  Peindre  la  surprise  du 
nouveau  décoré,  serait  difficile,  mais  en  vieux  mili- 
taire, habitué  à  surmonter  les  émotions,  même  les 
plus  inattendues,  il  remercia  ceux  qui  lui  avaient 
fait  obtenir  ce  nouvel  honneur,  entr'autres  Mgr 
l'Archevêque,  le  général  de  Charette  et  M.  l'abbé 
Rouleau,   et  comme  ses  camarades,  il  en  attribua 


—  232  — 

tout  l'honneur  au  régiment  ;  car,  dit-il,  je  reconnais 
que  personnellement  je  ne  mérite  pas  un  si  grand 
honneur.  Des  applaudissements  unanimes  éclatè- 
rent alors  et  accueillirent  la  fin  de  ces  paroles. 

Les  clairons  et  les  tambours  se  firent  entendre  de 
nouveau,  et  le  "  Présentez,  armes  !  "  retentit  une 
fois  de  plus. 

Cette  imposante  manifestation  se  termina  par  un 
éloquent  discours  de  M.  l'aumônier,  qui  donna  aux 
Zouaves,  aux  jeunçs  surtout,  de  bons  et  sages  con- 
seils leur  démontrant  la  noble  '  mission  qui  leur 
incombe  au  milieu  de  leurs  compatriotes. 

Durant  la  soirée,  tous  les  mouvements  exécutés 
par  le  régiment  étaient  commandés  par  les  lieute- 
nants Benoit  et  Lockwell. 

Avant  de  se  disperser,  des  vivats  enthousiastes 
furent  poussés  en  l'honneur  des  nouveaux  chevaliers 
de  St-Grégoire,  ainsi  qu'en  l'honneur  du  comman- 
dant et  de  l'aumônier,  M.  l'abbé  Rouleau." 

Les  Zouaves  de  Québec  sont  assis,  aujourd'hui, 
sur  des  bases  solides,  et  leur  exemple  a  eu  de  coura- 
geux imitateurs  aux  Trois-Rivières  et  à  Saint-Hya- 
cinthe. Avant  longtemps  nous  aurons  un  bataillon 
de  plus  de  quatre  cents  zouaves  canadiens,  sans 
compter  les  vieux  croisés.  Le  vœu  que  le  colonel 
d'Albiousse,  un  de   nos  anciens    commandants  de 


—  233  — 

bataillon  à  Rome,  formulait,  en  1885,  sera  alors 
accompli.  "  Oui,  disait-il,  les  anciens  peuvent  dispa- 
raître ;  les  jeunes  viendront  combler  les  vides,  et  le 
régiment  restera,  il  restera  pour  défendre  cette 
grande  cause  de  la  papauté,  avec  le  même  dévoue- 
ment et  le  même  enthousiasme." 

Comme  nous  le  disions,  lorsque  nous  reçûmes  la 
croix  de  chevalier  de  Pie  IX,  le  régiment  vivra, 
parce  qu'il  repose  sur  le  roc  immuable  du  Vatican, 
le  phare  lumineux  du  catholicisme. 

Le  régiment  vivra  parce  qu'il  a  eu  pour  fondateur 
l'immortel  Pie  IX,  crux  de  cruce,  pour  protecteur  le 
glorieux  pontife  Léon  XIII,  lumen  in  cœlo,  et  qu'il  a 
encore  pour  appui  Sa  Sainteté  Pie  X,  ignis  ardens. 
La  croix,  la  lumière  et  le  feu  ardent,  voilà  trois 
sources  inépuisables  de  vitalité  pour  le  régiment  des 
zouaves  pontificaux. 

Si  le  régiment  est,  un  jour,  rayé  des  annales  mili- 
taires de  la  vieille  Europe,  il  continuera  d'exister 
dans  la  jeune  Amérique,  surtout  dans  notre  belle 
province  de  Québec,  cette  terre  de  liberté  si  chère  à 
tout  cœur  bien-né  et  arrosée  par  le  sang  de  nos  mis- 
sionnaires et  de  nos  vaillants  soldats  ;  car  le  nom  de 
zouave  pontifical  a  toujours  .été  et  sera  toujours  une 
semence  de  défenseurs  de  la  religion  et  de  la  patrie. 
Oui,  les  zouaves  canadiens  aiment  leur  religion  et 


—  234  — 

leur  patrie  ;  ils  l'ont  prouvé  à  Rome  et  ils  l'ont 
prouvé  au  Canada,  et  si,  un  jour,  le  gouvernement  a 
besoin  du  secours  de  leurs  bras,  ils  seront  prêts  à 
répondre  à  son  appel  et  à  verser  leur  sang  pour  la 
défense  du  sol  natal.  Dans  le  cas  où  les  autorités 
canadiennes  s'opposeraient  au  port  de  notre  uniforme, 
nous  en  revêtirions  une  autre  en  leur  disant  que  "  ce 
n'est  pas  l'habit  qui  fait  le  moine." 


APPENDICE 


BUREAU  DE  DIRECTION 


Officiers  : — Patron  :  Sa  Grandeur  Mgr  Bégin, 
archevêque  de  Québec. 

Président  :  M.  C.  E.  Rouleau,  chevalier  de  St. 
Grégoire  et  de  Pie  IX. 

Vice-président  :  M.  Chs.  E.  Guilbault,  chevalier 
de  St.  Grégoire. 

Trésorier  :  M.  Louis  Lefebvre,  chevalier  de  St. 
Grégoire. 

Ass. -trésorier  :  M.  Alphonse  Lefebvre. 

Sec-correspondant  :  M.  Henri  Nansot. 

Sec-archiviste  :  M.  J.  Goulet. 

* 

Ass.-sec-arch.  :  M.  J.  C.  Lockwell. 

Aumôniers  :  M.  l'abbé  F.  Faguy,  curé  de  la  Basi- 
ligue  ;  M.  l'abbé  T.  G.  Rouleau,  Principal  de  l'école 
normale  Laval  ;  M.  l'abbé  E.  Roy,  curé  de  Jacques- 
Cartier  et  M.  J.  D.  Beaudoin,  curé  de  Saint-Jean- 
Baptiste. 

Membres  :  MM.  F.-X.  Dumontier,  Alphonse 
Bédard,  Dr.  F.-X.  J.  Dorion,  N.  S.  Benoît,  J.  E.  Pio 
Rouleau  et  Stanislas  Lefebvre. 


236  — 


NOMS  DES  OFFICIERS  DES  ZOUAVES 
DE  QUEBEC 


Commandant  :  M.  C.-E.  Rouleau,  chevalier  de 
Saint  Grégoire-le-Grand  et  de  Pie  IX. 

Capitaine  :  M.  A.-C.  Guilbault,  chevalier  de  Saint- 
Grégoire-le-Grand. 

lers  Lieutenants  :  MM.  L.  Lefebvre,  chevalier  de 
Saint-Grégoire-le-Grand,  et  H.  Garneau. 

2nd — Docteur  F.-X.  J.  Dorion. 

1er  Sous-lieutenant  et  adjudant  :  N.  S.  Benoît. 

2nds  Sous-lieutenants  :  C.  J.  Lockwell  et  R.  Ber- 
geron. 


237  — 


33 


NOMS  DES  SOUS-OFFICIES 


MM.  F.  X.  Dumontier,  sergent-major. 

Na^  Cantfn^  }   serSents  porte-drapeau. 
J.  E.  P.  Rouleau,  sergent. 
Alph.  Lefebvre, 
P.  Lévesque, 
•       H.  Nansot, 
J.  Goulet, 
G.  Gagné, 

E.  Gagné,  sergent  des  clairons. 
Alph.  Bouchard,  caporal. 
H.  Paquet, 

E.  Bouchard,  " 

G.  E.  Minville,  " 

J.  St-Pierre, 

A.  Darveau,  caporal  des  clairons. 
A.  Renaud,  caporal  des  tambours. 


—  238  — 


LISTE  ALPHABETIQUE  DES  ZOUAVES 
DE  QUEBEC 


MM.  Allard,  J.  N. 


Belleau,  N. 
Boisbrillant,  E. 
Bouchard,  L. 
Bouret,  W. 
Bouchard,  J.,  clairon. 
Bouchard,  P..  clairon. 
Biais,  A.,  clairon. 
Bélanger,  J.  E. 
Bertrand,  W. 


Côté,  P.  C. 

Côté,  J.  B. 

Charest,  A. 

Cloutier,  A. 

Côté,  E. 

Cantin,  J.,  tambour-major. 


—  239  — 

MM.  Caron,  A. 

Cantin,  H.,  clairon. 

D 

Delisle,  H. 

Dion,  P. 

Dion,  J.  E. 

Dessane,  L. 

Dubois,  G. 

Dionne,  T. 

Doré,  Elz. 

Donati,  A.,  clairon. 

Demeule,  J.,  clairon. 

D'Auteuil,  P.,  tambour. 

D'Auteuil,  A. 

Dugal,  P. 

Douville,  F. 

Dugal,  Z. 

Deniers,  A.,  tambour. 

F 

Falardeau,  J.  A. 
Fortier,  0. 
Fournier,  P. 

G 

Gagnon,  N. 
Godbout,  Th. 


—  240  — 

MM.  Garneau,  Elz. 
Gosselin,  J.  A. 
Gosselin,  C.  A. 
Gauvin,  J.  D.  P. 
'  Gauthier,  0. 
Gosselin,  J.  G. 
Gobeil,  E. 

Gauvin,  C.  E.,  clairon. 
Gingras,  E. 
Godin,  A. 
Gagnon,  E. 

H 

Hardy,  A. 
Huard,  A. 

J 

Julien,  G. 
Julien,  E. 

L 

Langlois,  E. 
Lanouette,  C.  L. 
Lefebvre,  S. 
Lemieux,  J.  B. 
Lemieux,  E. 
Lemieux,  A. 
Lepire,  P. 


16 


—  241  — 

MM.  Lemay,  C. 
Loranger,  A. 
Lizotte,  A. 
Laliberté,  P. 
Langlais,  N.,  clairon. 
Lamontagne,  A.,  tambour. 
Landry,  G. 
Laveau,  J.,  tambour. 
Laverdière,  E. 
Lavigueur,  V. 

M 

Magnan,  C.  J. 
Magnan,  H. 
Masselotte,  V. 
Mercier,  A. 

Michaud,  J.,  tambour. 
Michaud,  H.,  clairon. 
Michaud,  G.,  clairon, 

N 

Noël,  H. 
Normand,  Frs. 
Noreau,  Alph. 
Noreau,  W. 
Noreau,  U. 
Noreau,  R. 
Noreau,  Alb. 


—  242  — 


MM.  Pageau,  J. 
Pageot,  Th. 
Papillon,  S.  sr. 
Papillon,  S.  jr. 
Paquet,  A. 
Pelletier,  E. 
Perrin,  G. 
Pin,  J.  E.  A. 
Poitras,  E. 


Richard,  G. 
Roy,  E. 

Roy,  H.,  clairon, 
Roberge,  J. 
Richard,  E. 
Robitaille,  A. 
Robitaille,  R.,  tambour. 
Rigali,  John 


Sansfaçon,  H. 
Sauviat,  J. 


—  243  — 
T 

MM.  Thivierge,  A. 
-      Thibault,  0. 
Thivierge,  A. 
Tremblay,  A. 


—  244  — 


LES  SURVIVANTS  DES  ANCIENSZOUAVES 

PONTIFICAUX  DU  DISTRICT 

DE  QUEBEC 


MM.  Rouleau,  C.  E. 
Guilbault,  A.  C. 
Lefebvre,  L. 
Couture,  J.  A. 
Toussaint,  F.  X. 
Garneau,  H. 
Garneau,  E. 
Brunelle,  E. 
Bourget,  A. 
Bernier,  R. 
Lemieux,  Ed, 
Fournier,  G. 
»    Papillon,  S. 
Fortin,  A. 
Préfontaine,  J.  H. 
Dumont,  J. 
Boileau,  F.  X. 
Dumontier,  F.  X. 


—  245  — 

MM.  Cantin,  N. 

Chateauvert,  J. 
Lavoie,  E. 
Allard,  J.  N. 
Bédàrd,  A. 
Gagné,  A. 
Dorion,  N. 
Proteau,  C. 
O'Flaherty,  J. 
Ouellet,  J. 
Routhier,  A. 
Giasson,  H. 


TABLE  DES  MATIÈRES 


Page 

Introduction 5 

La  révolution  à  l'œuvre 7 

Le  général  La  Moricière 15 

Castelfidardo  —  La  Moricière  —  De  Charette  —  De  Pimodan  — 

Les  Franco  —Belges 21 

Une  guérison  miraculeuse 33 

La  Moricière  et  Pie  IX   40 

La  mort  de  La  Moricière 50 

Le  dévouement  des  zouaves 57 

L'invasion  garibaldienne 65 

La  révolution  à  Rome 75 

La  bataille  de  Mentana 79 

Les  zouaves  pontificaux  canadiens  à  Rome , 89 

Le  brigandage 97 

Le  camp  d' Annibal  et  Pie  IX   ..    115 

Noces  d'or  de  Pie  IX  et  ouverture  du  Concile  du  Vatican 121 

Le  20  septembre  1870 129 

Le  général  Kanzler 157 

Le  colonel  Allet 158 

Le  lieutenant-colonel  De  Charette 160 

La  bataille  de  Patay 165 

Les  zouaves  pontificaux  canadiens  au  Canada 177 

La  France  et  le  Canada,  l'origine  d'une  belle  divise 185 

Les  zouaves  de  Québec 195 

Bureau  de  direction 235 

Officiers  des  zouaves  de  Québec 236 

Sous-officiers 237 

Liste  alphabétique  des  zouaves  de  Québec 238 

Anciens  zouaves  pontificaux 244 


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