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LA PAPAUTE
ET
LES ZOUAVES PONTIFICAUX
QUELQUES PAGES D'HISTOIRE
^ £PAR
C-E. ROULEAU,
CHEVALIER DE SAINT GREGOIRE-LE-GRAND ET DE PIE IX
QUÉBEC :
Imprimé par la Cie de publication " Le Soleil "
1905 -
SA SAINTETÉ PIE IX
INTRODUCTION
Nous livrons ce travail au public avec le ferme
espoir de faire connaître davantage la grandeur de
la Papauté et la mission du Régiment des Zouaves
Pontificaux.
C'est un rapide exposé historique, de 1860 à 1870,
du corps militaire auquel nous avons eu l'honneur
et le bonheur d'appartenir ; mais nous rappellerons
auparavant les attaques sans cesse renouvelées de la
Révolution contre le Saint-Siège, afin de faire ressor-
tir avec plus de clarté la nécessité qu'il y avait pour
le Pape de s'entourer d'une petite armée de coura-
geux défenseurs.
Depuis 1848 jusqu'à la bataille de Mentana, le 3
novembre 1867, ou jusqu'au commencement de
1868, nous avons été forcé de consulter plusieurs
historiens et de leur faire des emprunts pour donner
un aperçu aussi fidèle que possible de cette période
de neuf ans, tour à tour douloureuse et glorieuse
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pour la Papauté. A partir de cette célèbre bataille,
nous entrons pour ainsi dire sur un domaine que
nous avons parcouru nous-même en tous sens. C'est
donc comme témoin ou comme acteur que nous
exposerons les principaux événements qui ont eu
lieu dans les Etats de l'Eglise, pendant nos deux
années et trois mois de service dans le Régiment
des Zouaves Pontificaux.
Nous avons l'intime conviction que notre popula-
tion, si franchement catholique, accueillera favora-
blement ces quelques pages d'histoire de la Papauté
et de nos croisés modernes.
LA REVOLUTION A L'ŒUVRE
En 1848, la Révolution qui menaçait déjà de
saper l'ordre social par sa base, se déchaîne sur
Rome. Le 15 novembre, le comte de Rossi, le vail-
lant soutien de la Papauté et premier ministre du
gouvernement papal, tombe sous le poignard des
adeptes du carbonarisme — société secrète italienne.
Le lendemain, une foule furieuse, inspirée par Maz-
zini, assiège le palais du Quirinal, où Pie IX s'était
réfugié pour échapper au glaive des assassins. L'o-
rage grandit ; on essaie d'incendier le Quirinal.
Les balles pleuvent ; l'une d'elles tombe dans la
chambre où le Pape priait pour ses bourreaux, et
blesse mortellement Sa Grandeur Mgr Palma. Le
Souverain-Pontife se croit à sa dernière heure, lors-
qu'une femme courageuse, la comtesse de Spaur,
forme avec son mari, le duc d'Harcourt, le projet de
sauver le roi de Rome. L'héroïne met son projet à
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exécution et le 24 au soir, Pie IX, déguisé, monte
dans le carosse de M. d'Harcourt, qui le transporte
à^Gaète, dans le royaume de Naples, où il est reçu à
bras ouverts par le roi Ferdinand II.
Dans son exil, le Saint-Père ne cesse de protester
contre les spoliations de la révolution. Il lance l'ex-
communication contre les membres de la Jeune Italie
et contre les révolutionnaires, qui saccageaient
Rome, pillaient les églises et chassaient les religieux
de leurs monastères. L'iniquité s'était débordée sur
la Ville Sainte, comme un torrent dévastateur.
Mazzini poussa même l'impiété et le cynisme jus-
qu'à parodier le Pape en montant dans la loge de
la basilique Saint- Pierre, où le Pontife romain donne
la bénédiction urbi et orbi.
L'Europe s'émeut enfin de tant d'audace et de
sacrilèges. L'Espagne offre de délivrer Rome du
joug des vandales de 1848. L'Autriche occupe Fer-
rare, dans le Piémont. Les Napolitains passent la
frontière et pénètrent même jusqu'à Velletri, à dix
lieues de Rome. Mazzini, le chef des révolution-
naires, veut tenir tête à l'Europe. Tout à coup, la
France se réveille ; elle prend les devants et débar-
que des troupes à Civita-Vecchia, le 25 avril 1849.
Napoléon III occupe militairement un point en
Italie, " afin de garantir l'intégrité du Piémont et
de sauvegarder les intérêts de la France " ; mais les
catholiques de la fille aînée de l'Eglise demandaient
au président de la république de rétablir le Pape sur
son trône et de continuer à le protéger contre les
révolutionnaires. Le général Oudinot reçut alors
l'ordre de marcher sur Rome, où il arriva le 30 avril.
L'armée française ayant subi un échec, le général
demanda des renforts, qui n'arrivèrent qu'au mois
de juin. Le 22 du même mois, l'armée française
donne un premier assaut. Le 29, le général Oudinot
s'empare de l'ancienne ville des Césars, et le colonel
Niel est chargé de porter les clefs de Rome à Pie IX,
qui se trouvait alors à Portici.
Le Souverain-Pontife, ivre de joie, reprend, quel-
ques mois plus tard, le chemin de Rome, dans
laquelle il fait son entrée triomphale le 12 avril 1850.
Son retour fut salué par des salves d'artillerie, par
le son de toutes les cloches de la ville et par les cris
de " Vive Pie IX ! Vive notre Saint-Père ! " Le
peuple romain était au comble du bonheur.
Les révolutionnaires ayant été chassés de Rome,
l'Eglise continua de gouverner le monde catholique
avec sa sollicitude ordinaire et de répandre partout
les bienfaits de son ardente charité.
L'occupation de Rome par- l'armée française pro-
cura à la Papauté une ère apparente de paix et de
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tranquillité, qui dura jusqu'en 1859, alors que Victor-
Emmanuel annexa les Romagnes au Piémont, tout
en protestant de sa fidélité et de son dévouement au
Saint-Siège. L'hypocrite ! il se conduit comme un
enfant qui, pour prouver son amour et son affection
à Fauteur de ses jours, lui enlève une partie de ses
biens. La France, gouvernée alors par Napoléon III,
laisse commettre ce vol sans faire entendre aucune
protestation. " Depuis longtemps, dit un écrivain
français, l'Etat Pontifical n'était plus organisé de
manière à faire la guerre. Paternel et pacifique par
sa nature, ce gouvernement n'avait pu suivre le
développement de la centralisation et des armées per-
manentes, qui livraient désormais l'Europe aux con-
voitises de quelques grandes puissances, employant
les ressources de la science et de la richesse moder-
nes à accroître leur empire aux dépens de leurs voi-
sins. Du moment que la révolution universelle était
libre de diriger contre Rome toutes les forces de
l'Italie et qu'elle agissait avec la complicité ou du
moins avec l'assentiment de la France, la résistance
pouvait paraître insensée.
" Aussi, en même temps que les Autrichiens
s'étaient, concentrés sur le Mincio, les délégats du
Saint-Siège s'étaient-ils empressés d'évacuer les Ro-
magnes. Avant même qu'un danger sérieux les eût
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menacés, ils abandonnèrent Bologne, Ravennes,
Ferrare et jusqu'à Pérouse à une poignée d'émeu-
tiers et de soldats déguisés, envoyés parle Piémont."
" Dans un moment de péril semblable, saint Pie V
n'avait pas craint de confier des pouvoirs illimités au
général Marc- Antoine Colonna, qu'il mit à la tête de
ses armées et qui remporta sur les Turcs la victoire
décisive de Lépante. Pie IX suivit cet exemple.
Résolu à ne pas céder sans combat la couronne qu'il
avait juré de transmettre à ses successeurs, abandonné
des grandes puissances, ne pouvant faire appel qu'au
dévouement individuel de ses enfants, il lui fallait
avant tout un chef capable de porter un tel fardeau
et d'organiser la résistance avec les faibles ressources
que présentait l'Etat pontifical, et avec les éléments
quelque peu désordonnés qui viendraient s'offrir des
quatre coins du monde. Il choisit pour cette mission
le généralde La Moricière."
" Mais accepterait-il ? Général illustre entre tous
de la plus brave armée du monde, consentirait-il à
devenir soldat du Pape, chef d'une armée qui n'exis-
tait pas et qui pouvait être condamnée aux plus humi-
liantes défaites ? Ministre de Cavaignac, n'ayant qu'à"
demi ratifié l'expédition de 1849, dont il avait
ensuite refusé le commandement, imbu par Tocque-
ville de toutes les illusions libérales de l'Europe,
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irait-il soutenir un pouvoir qu'on représentait comme
un reste de l'ancien régime, tout hérissé d'abus et
d'imperfections, et qui était le type de l'union par-
faite de l'Eglise et de l'Etat. N'y avait-il pas là, au
point de vue de sa gloire, un sacrifice au-dessus de
ses forces, au point de vue de ses idées un obstacle
infranchissable ? "
Il fallait donc connaître les sentiments du général
La Moricière. Pie IX chargea de cette mission déli-
cate M. de Corcelles, ambassadeur français à Rome
en 1849, et ami dévoué de la Papauté. Le messager
papal rencontra le général à Paris, au mois d'octo-
bre 1859, et lui demanda, dans le cours de la con-
versation, ce qu'il pensait du commandement de
l'armée du Pape. " Je pense, répondit-il, que c'est
une cause pour laquelle je serais heureux de mourir." ,
Cette noble réponse fut aussitôt communiquée au
Souverain Pontife, dont le cœur fut rempli de joie à
la pensée d'avoir bientôt à la tête de sa petite troupe
le plus grand guerrier des temps modernes. Mgr
de Mérode, ancien capitaine belge qui avait servi
dans l' état-major de LaMoricière en Afrique, reçut
instruction d'aller demander immédiatement et offi-
ciellement, le secours de l'épée du nouveau Bayard
français ; il arriva, le 3 mars 1860, au château de
Prouzel, où il s'acquitta de la mission qu'il avait
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reçue de Pie IX. Le général répondit à l'envoyé du
Pape : " Quand un père appelle son fils pour le
défendre, il n'y a qu'une chose à faire, y aller." Mme
LaMoricière, femme chrétienne et courageuse, répon-
dit aussi à Mgr de Mérode : " On ne discute pas
l'appel d'un père."
Le général LaMoricière fit ses préparatifs de voya-
ge à la hâte et partit, le 19 mars, pour la ville des
Papes, où il arriva dans la nuit du 1er au 2 avril.
Sa Sainteté Pie IX pressa sur son cœur le comman-
dant en chef de l'armée papale et le fondateur du
Régiment des Zouaves Pontificaux.
LE GENERAL LA M0R1CIERE
LE GENERAL LAMORICIERE
Avant d'aller plus loin, il importe de faire con-
naître le père ou le créateur d'un corps militaire qui
a joué un si grand rôle dans l'histoire de la Papauté
ou de l'Eglise catholique pendant une période de dix
années. Nous allons donc vous présenter . immédia-
tement une courte biographie du général LaMori-
cière.
Louis-Christophe-Léon de La Moricière descendait
d'une ancienne et noble famille, qui avait pris pour
devise : " Spes mea Deus. Mon espoir, c'est Dieu." Il
naquit à Nantes, le 5 février 1805. Son grand-père
servit d'abord dans les mousquetaires du roi, et après
la mort de Louis XVI, il rejoignit l'armée de Condé
avec ses deux fils. Il y mourut, ainsi que son fils
aîné ; et son second fils, nommé Sylvestre, âgé à peine
de seize ans, émigrait en Angleterre. A son retour
en France, Sylvestre de La Moricière, s'enrôla dans
l'armée du général de Charette, l'illustre chef monar-
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chiste de la Vendée, et, la révolution terminée, il
épousa Mlle de Robineau de Bougon, dont la famille
avait embrassé les principes de 89, mais qui sut
cependant conserver la foi religieuse et sauver un
grand nombre de prêtres pendant le règne de la
Terreur. C'est de ce mariage que naquit Léon, qui
fut plus tard le général La Moricière.
Léon de La Moricière perdit son père en 1821,
alors qu'il n'avait que 15 ans. Doué d'un amour
passionné pour l'étude, d'une intelligence supérieure
et d'un courage chevaleresque, il sut vaincre toutes
les difficultés qui se présentaient sur son chemin et
se fraya, «en peu d'années, une brillante carrière mili-
taire. Après avoir fait ses études classiques à Nantes,
il entra à l'Ecole Polytechnique, puis il passa à
l'école d'artillerie de Metz, pour aller de là à Mont-
pellier comme sous-lieutenant du génie.
La France' ayant déclaré la guerre à l'Algérie, le
général de Clermont-Tonnerre chargea le comte de
Bourmont du commandement du corps d'armée
expéditionnaire. La Moricière faisait partie de cette
expédition comme officier du génie. Le 4 juillet
1830, l'armée française, comprenant 40.000 hommes
commençait le siège d'Alger. Cette ville capitula
après dix heures de combat, et La Moricière fut
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choisi pour arborer le drapeau blanc de la France
sur la capitale de l'Algérie.
Pendant que l'armée française remportait une si
grande victoire en Afrique, Charles X était chassé de
son trône et remplacé par Louis-Philippe, duc d'Or-
léans.
Ce changement d'allégeance força le général de
Bourmont à donner sa démission ; plusieurs officiers
imitèrent son exemple et brisèrent leur épée pour
rester fidèles au roi exilé et à la monarchie légitime.
La Moricière resta au service de la France.
Le général Clausel, le successeur de M. de Bour-
mont, arriva à Alger le 2 septembre. Son premier
soin, d'après les conseils du jeune La Moricière, fut
de créer un corps de troupes composé d'indigènes et
de Français, et qui prit le nom de Zouaves. Le mot
zouave est emprunté de la tribu qui a fourni d'abord
le plus grand nombre de soldats à ce régiment. La
Moricière fut nommé capitaine de cette troupe d'élite ;
il avait alors 24 ans.
Voici ce que Mgr Dupanloup dit du régiment des
Zouaves :
" Les Zouaves, c'est La Moricière qui les forma.
Placé à leur tête au moment même de leur création,
c'est lui qui contribua plus que tout autre à leur
donner l'esprit militaire qui les distingua, à les faire
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ce qu'ils sont ; et il les fit, pour ainsi dire, à son
image, du moins en ce qu'ils ont de chevaleresque
et de français."
C'est avec cette troupe que La Moricière remporta
de si brillantes victoires en Algérie contre le célèbre
émir Abd-el-Kader, qui prétendait descendre de
Fatma, fille oie Mahomet, et qui avait su conquérir
l'estime et la vénération des musulmans par son
prestige, ses aptitudes militaires et sa vie d'austérité
exemplaire.
La Moricière se distingua à la prise de Mascara,
où il reçut le brevet de lieutenant-colonel.
Le 13 octobre 1837, Constantine, capitale de la
province d'Oran, tomba au pouvoir des Français ;
mais ce fut encore La Moricière qui se signala le plus
par sa bravoure, en cette journée mémorable. La
forteresse, construite sur des rochers élevés et escar-
pés, semblait inaccessible et imprenable. Arrivés à
300 pieds environ des remparts, les Français s'arrê-
tent et hésitent. Aussitôt La Moricière de s'écrier :
" Mes zouaves, à vous ! Debout ! au trot, marche !"
Et, au milieu d'une fusillade des plus terribles, il
s'élance, monte sur le rempart et arbore le drapeau
français. Une explosion se fait entendre ; c'est le
magasin de poudre qui vient de sauter. La Mori-
cière est enseveli sous les décombres ; les zouaves le
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retirent ; il a les yeux, le visage et les mains brûlés;
il se croyait aveugle. Ses soldats entourent sa tente
et déposent sur son lit le drapeau rouge à l'épée
flamboyante pris sur la citadelle. Le duc de Nemours
lui envoie le brevet de colonel et un superbe pisto-
let d'honneur. On lui décerne le glorieux titre de
Vainqueur de Comtantine.
Une fois rétabli, La Moricière se mit à faire la
chasse à Abd-el-Kader partout où l'illustre chef des
Arabes portait ses pas. Il rejoignit sa tribu ou sa
smala près des sources de Tagguin, et, aidé du duc
d'Aumale, il tua 300 guerriers arabes et en fit 3000
prisonniers. Abd-el-Kader s'enfuit au Maroc. Le
duc d'Aumale et La Moricière, en récompense de
leurs services signalés, sont nommés généraux de
division, et le général en chef Bugeaud est promu
au grade de maréchal.
Le duc d'Aumale, devenu gouverneur général de
l'Algérie, continua la chasse à Abd-el-Kader, qui
avait reparu aux environs de Mascara ; mais pour-
suivi vigoureusement par le général La Moricière,
Abd-el-Kader prend la résolution de se réfugier au
Sahara, lorsqu'il est cerné par les troupes de La
Moricière. Obligé de se rendre, l'émir ne consent à
remettre son épée qu'entre les mains du héros de
Constantine. La capture du chef arabe eut lieu le
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23 septembre 1847. Ce fut le dernier acte de la car-
rière militaire du général La Moricière en Afrique.
La Moricière fut ensuite, successivement, ministre
de la guerre, sous Cavaignac, et ambassadeur en
Russie. Dans la nuit du 2 décembre 1850, La Mori-
cière, qui portait ombrage à Napoléon III à cause
de ses principes politiques et de son prestige, fut
arrêté à Paris, jeté en prison à Ham et exilé ensuite
à Bruxelles, où il demeura pendant dix ans. .C'est
au retour de son exil qu'il fut choisi par Pie IX pour
être le commandant en chef de l'armée papale.
Le général La Moricière avait épousé, le 27 avril
1847, Mlle Gaillard de Ferré d' Auberville. Elle était
la petite-fille de la marquise de Montagu et par là
se rattachait à la maison de Noailles qui, dans la
journée du 22 juillet 1794, vit périr sur l'échafaud
la duchesse de Noailles, sa fille la duchesse d'Ayen,
et sa pètite-fille la vicomtesse de Noailles.
Mme La Moricière est morte à Paris, au mois de
mai dernier, à l'âge de 79 ans.
Pie IX avait fait Mme La Moricienne patricienne
romaine.
CASTELFIDARDO-LAMORICIERE
DE CHARETTEDE
LES FRANCO-BELCES
En 1859, Victor-Emmanuel avait enlevé les Ro-
magnes aux Etats de l'Eglise ; mais la révolution
n'était pas encore satisfaite — l'enfer n'est jamais ras-
sasié. La Révolution pousse le roi larron plus loin
dans la voie de l'iniquité ; elle veut les Marches et
l'Ombrie. Victor-Emmanuel se rend à son désir ; il
écrit au Saint-Père de céder au Piémont ses deux
plus belles provinces, et cela, pour le plus grand
bien de l'Eglise !
Le fourbe ! il va même jusqu'à protester de son
attachement à l'Eglise et à demander au Pape la
bénédiction apostolique.
Quelques jours plus tard, en septembre 1860, sans
aucune déclaration de guerre, l'armée piémontaise,
sous le commandement de Cialdini, envahit le terri-
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toire de l'Eglise. Voici l'ordre du jour que le géné-
ral Piémontais adressa à ses troupes avant de fran-
chir la frontière :
" Soldats, je vous conduis contre une bande d'a-
venturiers que la soif de l'or et du pillage a amenés
dans votre pays. Combattez, dispersez inexorable-
ment ces misérables sicaires ; que, par votre main,
ils sentent la force et la colère d'un peuple qui veut
son indépendance. Soldats ! Pêrouse demande ven-
geance, et bien qu'il soit tard, elle l'aura !"
Cialdini, ton nom figurera toujours dans l'his-
toire impartiale, non couvert de gloire et d'honneur,
mais de honte et d'opprobre.
C'est là un échantillon des invectives et des infa-
mies dont les défenseurs du Pape ont été l'objet de
la part des coryphées de la révolution ou des prin-
cipaux dignitaires des loges maçonniques.
Le général La Moricière qui, comme nous l'avons
déjà dit, venait d'organiser la petite armée pontificale,
avec le concours de Mgr de Mérode, s'empressa de
voler au-devant des Piémontais qu'il rencontra près
de Castelfidardo, le 18 septembre.
Le célèbre général français fut rejoint par le géné-
ral de Pimodan à la tête de 2000 soldats ; ce qui
porta l'effectif de l'armée du Pape à 5000 hommes.
Cialdini commandait 45,000 guerriers. Malgré cette
énorme différence dans la force numérique des deux
armées, La Moricière n'hésita pas cependant à faire
face à l'envahisseur. La petite division commandée
par M. de Pimodan, et dans laquelle figurait avec
honneur le corps des 300 franco-belges qui devint
plus tard le régiment des Zouaves Pontificaux, fit
des prodiges de valeur. Pendant trois heures, cette
poignée de braves tint en échec toute une division
piêmontaise, en se barricadant dans la ferme Cro-
cette, qu'ils avaient enlevée à l'ennemi à la pointe de
la baïonnette. Ces vaillants défenseurs de la Papauté
s'étaient confessés et avaient reçu la sainte commu-
nion avant le combat ; ils possédaient Dieu dans
leur cœur ; le champ de bataille fut couvert de leur
sang généreux et pur. Parmi ces illustres martyrs
de la foi, nous trouvons le général de Pimodan et
cent à cent cinquante franco-belges. Avant le com-
bat, le valeureux capitaine français s'était contenté
de dire aux zouaves : " Souvenez-vous que vous êtes
catholiques et Français." Il reçut trois blessures
coup sur coup, et à chaque balle qui lui entrait dans
le corps, il répétait : "Dieu est avec nous." Il mou-
rut le lendemain.
En apprenant le glorieux trépas de son mari,
Madame de Pimodan, qui était restée en France, prit
son fils unique dans ses bras et le couvrit de baisers
— 24 —
en lui disant : " Toi aussi, tu seras soldat du Pape."
Il n'y a que l'amour chrétien qui puisse allier ainsi
la sublimité à l'héroïsme.
Ecrasée par le nombre et amoindrie par la défec-
tion de deux bataillons des chasseurs et du premier
escadron des Dragons qui furent pris de panique,
malgré les efforts des colonels Allet et. Cropt et du
major Odescalchi, la petite armée pontificale dut
battre en retraite. Quatre cents hommes environ,
conduits par La Moricière, se replièrent sur Ancône.
Les Franco -Belges et le reste de la troupe papale se
réfugièrent à Lorette, où ils durent déposer les armes,
le soir même, après avoir pris l'engagement de ne pas
servir dans l'armée du Pape pendant un an et de
retourner dans leur pays. Les Franco-Belges refu-
sèrent de souscrire à cet engagement et s'enfuirent
dans les montagnes ; plusieurs d'entre eux purent
atteindre Ancône à la faveur des ténèbres.
Castelfidardo ! si tu nous remets à la mémoire de
bien tristes souvenirs, tu nous rappelles en même
temps le nom d'un grand capitaine, qui a étonné ses
chefs par ses valeureux exploits, et frappé d'admira-
tion l'armée de Cialdini. Ce capitaine, tout le monde
le connaît, c'est le baron de Charette, que nous avons
été si heureux de recevoir dans nos murs lors de la
célébration de notre fête nationale en 1882.
— 28 —
Pendant que les balles pleuvent et que les obus
sillonnent l'air en tous sens et sèment la terreur et
la mort sur le champ de bataille, le capitaine de
Charette, du corps de Franco-Belges, encourage ses
soldats de la parole et de l'exemple. Son épée ne cesse
de frapper, et tous les coups qu'elle porte sont mortels.
Au lieu de reculer devant le nombre, il s'avance ;
il s'avance toujours, jusqu'à ce qu'il soit sur le front
de bandière de l'armée ennemie. Là, il s'arrête, il
promène un regard de défi et de dédain sur ses
adversaires, il les invite, il les provoque à se mesurer
avec lui : mais personne ne bouge. Il brandit son
épée avec colère et traite les Piémontais de lâches et
de poltrons. Cette dernière apostrophe produit son
effet. Un officier piémontais, ayant nom Tromboni,
sort des rangs et accepte le combat. Les deux armées
s'arrêtent un moment pour contempler les deux
athlètes.
Les épées se croisent, et deux fois Tromboni est
touché et puis blessé grièvement. De Charette ne
reçoit aucune blessure. " Capitaine, s'écrie le vaincu,
je vous rends mon épée."
— Il est mon prisonnier, dit de Charette à ses
zouaves, ayez-en bien soin.
Les Franco-Belges ou les zouaves, ivres de joie,
acclament leur capitaine et le portent en triomphe.
— 26 —
Les Piémontais courbent la tête cte honte et de
dépit. Cialdini écume de rage.
Le combat reprend plus acharné et plus meurtrier.
Malgré ses prouesses, le corps des Franco-Belges est
presque anéanti, et de Charette reçoit deux balles
dans le corps. C'était la fin de cette sanglante tra-
gédie.
Le baron de Charette venait de se montrer ce qu'il
a toujours été : un héros sans peur et sans reproche ;
mais ce n'est pas la dernière fois qu'il sera donné à
l'armée pontificale d'admirer sa bravoure et ses
glorieux exploits. Voilà comment se bat le soldat qui
aime son Dieu et le Pape.
Ancône, défendue par 5.200 soldats pontificaux
environ et assiégée par 45.000 hommes, 400 bouches
à feu et une flotte armée de canons rayés, capitula le
28 septembre, après un siège de dix jours et des
assauts meurtriers sans cesse renouvelés. Ce fut avec
la plus cruelle douleur que le général La Moricière
donna l'ordre d'arborer le drapeau blanc sur la cita-
delle ; on peut en juger par les paroles suivantes du
major de Quatrebarbes, gouverneur de la ville :
" J'étais monté à la citadelle où je trouvai le
général se promenant seul dans la casemate. Les
officiers de l' état-major respectaient son silence. De
temps en temps, il s'arrêtait, ses épais sourcils se con-
— 27 —
tractaient, et ses yeux noirs lançaient des éclairs.
Dieu seul sait la lutte qui se passait alors dans son
cœur.
" Sur combien d'hommes puis-je compter, si la
capitulation n'est pas acceptée ? me dit-il en m'a-
percevant. — Sur mille ou douze cents hommes, mon
Général. — C'est assez pour le camp retranché et pour
la citadelle, et nous pourrions, en abandonnant la
ville, prolonger au besoin la défense de quarante-
huit heures. Ce serait mon devoir, si nous avions
seulement une vague espérance de secours . . . Au-
jourd'hui, ce serait un suicide inutile.
" Je regardais avec une profonde émotion ce glo-
rieux et loyal soldat, ce vainqueur d'Abd-el-Kader
et des Arabes, qui n'avait jamais connu la défaite,
cet héroïque défenseur de la société et de la civilisa-
tion chrétienne aujourd'hui vaincu, prisonnier de
guerre, à la merci d'un ennemi obscur qui ne doit
ses succès qu'au nombre et à la perfidie."
Oui, M. de Quatrebarles avait raison de se servir
de l'expression de perfidie en parlant de la France ;
car la fille aînée de l'Eglise, entraînée dans la voie
de l'iniquité et de la trahison par l'empereur Napo-
léon III, abandonna alors le successeur de Pierre à
la fureur de ses ennemis et laissa consommer la
trame ourdie quelques jours auparavant par le roi.
— 28 —
d'Italie et l'empereur des Français. L'histoire nous
en fournit des preuves incontestables.
Le 11 septembre, le consul de France à Ancône,
reçut de M. de Gramont, ambassadeur à Rome, la
dépêche suivante : " L'empereur a écrit de Marseille
au roi de Sardaigne que, si les troupes piémontaises
pénètrent sur le territoire pontifical, il sera forcé de
s'y opposer. Des ordres sont déjà donnés pour em-
barquer des troupes à Toulon, et ces renforts doivent
arriver sans retard. Le gouvernement de l'Empereur
ne tolérera pas la coupable agression du gouverne-
ment Sarde. .."
Jamais homme n'a affublé le manteau de la four-
berie avec autant d'aisance que l'empereur Napo-
léon III. En effet, la vérité ne tarda pas à se faire
jour. Après avoir pris connaissance de cette dépêche,
M. de Quatrebarbes donna l'ordre à un employé du
consulat français d'aller communiquer cet important
document au général Caldini, commandant en chef
de l'armée piémontaise, et de le prier de cesser les
hostilités. " Calmez-vous, répondit-il à l'envoyé fran-
çais ; nous avons vu, il y a quinze jours, votre Em-
pereur à Chambêry, et nous savons à quoi nous en
tenir."
Cet aveu du général Cialdini ne laisse aucun doute
sur les dispositions de l'empereur des Français à
— 29 —
l'égard du chef de l'Eglise catholique. Comme Judas
il l'avait vendu au roi de la Sardaigne. Du reste,
les documents officiels, publiés par le gouvernement
français, prouvent que Napoléon III rencontra Cial-
dini à Chambéry' et qu'il l'autorisa à envahir les
Etats de l'Eglise, en lui disant : " Faites vite, " et à
écraser La Moricière avant qu'il ait eu le temps d'or-
ganiser l'armée pontificale. C'est en conséquence de
ce complot infâme que fut décidé le guet-apens de
Castelfidardo. Pour sauver les apparences et con-
server l'amitié des catholiques français, Napoléon
feignit d'exercer une fausse protection sur Rome, et
pour cela il donna l'ordre de lui envoyer du renfort,
mais seulement après que La Moricière, son ennemi
personnel, aurait été vaincu et mis dans l'impossi-
bilité de lui nuire dans l'accomplissement de ses
projets anti-chrétiens. Sachant que tous ces atten-
tats ne manqueraient pas d'éveiller l'opinion publi-
que en France et de lui attirer des reproches bien
mérités, Napoléon III eut recours à la fourberie pour
dissimuler sa complicité avec les révolutionnaires et
les spoliateurs des Etats Pontificaux : au moment
même où les Piémontais mettaient le pied sur le
territoire papal, il partait pour l'Algérie, où il vou-
lait, disait-il, fonder un royaume arabe. Et quel-
ques jours plus tard, l'iniquité était consommée.
— 30 —
C'est en présence de tous ces faits incontestables
et incontestés que Son Eminence le cardinal Pie,
évêque de Poitiers, s'écria un jour, en parlant de
l'empereur des Français : "Lave tes mains, ô Pilate!"
Mais, ne l'oublions pas, la divine Providence ne
laisse jamais le crime impuni. En effet, dix ans après,
Napoléon III était fait prisonnier à Sedan et allait
mourir sur une terre étrangère, tandis que la France
perdait l'Alsace et la Lorraine. Le traître est disparu;
mais la Papauté vit encore et vivra jusqu'à la con-
sommation des siècles.
Permettez-nous de citer quelques paroles que le
général de Charette prononçait sur la bataille de Cas-
telfidardo, en 1885, aux noces d'argent de notre
régiment :
" Le 17, nous bivaquions au-dessus de Lorette, et
le 18 nous recevions, à Castelfldardo, le baptême du
feu. " La veille, le commandant de Becdelièvre nous
réunit : " Messieurs, dit-il, demain, vous allez voir
le feu pour la première fois ; afin d'être sûrs de
faire honneur à votre uniforme, passez au confes-
sionnal, j'en sors."
"Je ne vous raconterai pas la bataille de Castel-
fldardo ; je rappellerai seulement l'ordre du jour du
commandant de Becdelièvre : " Nommez-les tous,
— 31 —
ou ne nommez personne, car tous ont fait leur
devoir."
" Une centaine de volontaires n'avaient pu re-
joindre le bataillon à Terni, sous les ordres du
colonel de Mortiîlet, de MM. de Saisy et Thomalé,
ils firent une pointe sur Monte Corvo. Quelques
zouaves, après la bataille, rejoignirent Ancône : un
seul revint à Rome avec armes et bagages, il s'ap-
pelle Rouleau. — C'était un Vendéen !
" A Castelfidardo, ce sont des enfants comme
d'Héliand qui tombent ! Sa mère, apprenant sa
mort, chante le Te Deum.
" Cs sont là de vieux zouaves d'Afrique, c'est
Colombeau qui meurt en criant : " Vive la France !"
C'est un saint comme Guérin, dont le cercueil, oublié
dans une gare en Autriche, est enfin rapporté à
Nantes en triomphe, et opère des miracles..."
LE GENERAL KANZLER
UNE GUERISON MIRACULEUSE
Nous interrompons, un moment, notre récit histo-
rique pour mentionner la guérison miraculeuse d'un
officier italien, racontée par le sergent-major Wibaud,
zouave pontifical et ensuite jésuite, et attribuée à
l'intercession du saint du régiment :
" Le jeune officier italien dont il s'agit se nomme
Stanislas Garroni ; il a vingt-doux ans. A Castelfi-
dardo, il se battit bien et montra qu'il n'y a pas de
nationalité pour la vaillance, quand elle est inspirée
par l'amour du Pape et du droit. Blessé très griève-
ment à la hanche, il se trouva couché à Macerata,
sur une mauvaise paillasse, près du capitaine de
Charette. Depuis cette époque, il fut toujours souf-
frant. Il y a trois semaines environ, il fut pris d'une
fièvre très violente qui ne tarda pas à se porter au
cerveau, et le mit à toute extrémité. Déjà il avait
reçu le saint Viatique et fait à Dieu le sacrifice de sa
vie : les médecins l'avaient condamné ; bref, il allait
mourir.
3
— 34 —
Un de ses frères, qui est prêtre, vint le voir au
moment où il était le plus bas ; le malade, toutefois,
n'avait pas encore perdu toute connaissance. " Pour-
quoi, lui dit-il, ne te recommanderais-tu pas à Guérin,
ton ancien compagnon d'armes, mort saintement à
Osimo des suites de ses blessures de Castelfidardo,
qui a déjà fait des miracles dans son pays et même
à Rome ? Invoque-le de tout ton cœur, peut-être
t'obtiendra-t-il ta guérison." Le mourant fit signe
qu'il se recommandait de grand cœur à Guérin ; puis,
levant les yeux au ciel, il murmura une prière et
s'assoupit. C'était un doux sommeil qui commen-
çait pour lui et dura plus de trois quarts d'heure. Sa
sœur, restée près de lui pour le garder, s'étonnait du
calme et de la tranquillité de cet heureux sommeil,
qui contrastait étrangement avec l'agitation du ma-
lade peu d'instants auparavant. " Je craignais, me
disait-elle quand je l'interrogeai, qu'il ne fût mort,
et j'allai prévenir ma mère, qui fut saisie comme
moi d'une grande frayeur en le voyant si paisible ;
cependant il respirait encore, mais nous pensions
vraiment que c'était la fin ; j'étais occupée avec ma
mère à lui faire sur la poitrine une friction qu'avait
ordonnée le médecin, quand il ouvrit les yeux et me
dit tout à coup d'un ton calme : " Ne me donnez
aucun remède ; c'est inutile, je suis guéri. — Pour-
ôo
quoi ? lui demandai-je. — Joseph Guérin, le zouave,
est venu nie voir tout à l'heure, s'est assis là sur mon
lit et m'a dit que je guérirais, mais que ma conva-
lescence serait longue."
Ceci se passait le onze décembre, vers les trois
heures de l'après-midi. Le zouave, — son ami le
zouave, comme il disait — lui était donc apparu,avait
réellement causé avec lui et lui avait promis sa gué-
rison. Aussi, à partir de ce moment ne cessa-t-il de
parler de Guérin, de l'invoquer, de le remercier, ne
doutant plus de guérir. Instruit de ce fait, son frère
se procura aussitôt une relique de Guérin, un mor-
ceau de la cravate qu'il portait étant zouave, et vint
la lui présenter ; il la baisa avec effusion, la mit sur
son cœur et ne voulut plus s'en séparer.
Quelques jours après, dans la nuit du quinze au
seize décembre, Guérin revint encore voir son ami et
lui dit que la fièvre le quitterait le dix-huit au matin,
lorsque que les vésicatoires qu'il avait aux jambes
seraient secs. Le seize au matin, le malade, en se
réveillant, appela sa sœur : " Quel jour est-ce aujour-
d'hui ? lui demanda-t-il. — Pourquoi ? reprit sa sœur.
— Parce que, ajouta-t-il, Guérin m'a dit cette nuit que
je guérirais le 18."
Rien ne semblait annoncer un si heureux résultat,
l'état du malade ne s'était pas amélioré depuis la
— 36 —
première^apparition de Guérin ; la fièvre, au contraire,
était devenue plus forte, et, malgré tout, le malade
ne cessaiÇde répéter : "Ne me donnez aucun remède,
c'est inutile, je guérirai." Son frère, ayant été assez
heureuxjpour trouver, après quelques jours de recher-
che, le portrait de Guérin, vint en toute hâte le lui
porter. En voyant l'image de son ami, Garonni
s'écria : " C'est lui, c'est Joseph le zouave, qui m'a
dit que je guérirais. Seulement on lui a fait les joues
trop grosses, et il est trop grand." Ces défauts existent,
en effet, .dans le portrait lithographie de Guérin : bien
d'autres avant Garronni les avaient remarqués. Il
ne pouvait détacher les yeux de cette chère image ; il
eût voulu l'avoir constamment à la portée de ses
regards, et quand il fut lassé de la fixer, il la mit
sous son oreiller.
A voir la joie qui rayonnait sur son front et la
vivacité de son regard, on eût dit qu'il tenait un
trésor. C'était, en effet, pour lui le plus précieux des
trésors de ce monde : la santé. Enfin le 18 arriva ;
je courus, ce jour-là même, chez Garroni ; sa sœur
m'ouvrit la porte et me dit d'un air joyeux que la
fièvre avait disparu dès le matin même comme par
enchantement. Les vésicatoires s'étaient desséchés.
" Mais je vous l'avais bien dit ! ne cessait de répéter le
malade ; je savais bien que la guérison ne se ferait
pas attendre." Depuis ce jour, je l'ai vu plusieurs
fois, il va bien, mais est toujours faible et au lit. Ce
qui le vexe un peu, c'est que Guérin lui a dit que sa
convalescence serait longue. Tout ceci est merveilr
leux, et le docteur militaire a déclaré qu'humaine-
ment parlant, Garroni ne pouvait revenir à la santé.
Gloire à Dieu, qui veut récompenser nos faibles efforts
en nous envoyant cette nouvelle consolation, et gloire
à Guérin, notre protecteur."
Garroni était complètement guéri au mois de
janvier.
Le correspondant du Monde, de Paris, a raconté,
dans le numéro du 22 décembre 1861, la guérison
miraculeuse de Garroni qu'il attribue au zouave
Guérin, l'un des martyrs de Castelfidardo.
LA MORICIERE ET PIE IX
Le lendemain de la capitulation d'Ancône, le
général La Moricière se rendit à bord de la frégate
de l'amiral Persano et fut transféré aussitôt, avec
tous les officiers de son état-major et de la garnison,
sur un petit bateau à vapeur, le Cavour, qui les
transporta à Gênes, où ils débarquèrent le 7 octobre.
En arrivant en cette ville, La Moricière reçut une
lettre de Sa Sainteté Pie IX, qui fait ressortir toute
la grandeur d'âme du chef de la chrétienté et la
reconnaissance de l'Eglise catholique.
" Si je me tourne vers Dieu, écrivait Pie IX à La
Moricière le 5 octobre, et si je considère le cours des
derniers événements, je courbe la tête et je m'hu-
milie devant la divine Majesté, qui, dans ses juge-
ments impénétrables, a cru devoir les permettre ;
c'est là le sentiment de résignation que je me sens,
quant à moi, obligé de mettre en pratique. Mais, en
me tournant vers vous, mon très cher Général, je
— 40 —
sens toute ma dette de gratitude pour la grande
oeuvre que vous avez faite pour le Saint-Siège et
pour l'Eglise catholique, et je prends une part de
votre juste douleur, vous conseillant toutefois de
lever les yeux vers Dieu, qui a déjà écrit dans le
livre de vie vos actes et vos généreuses résolutions."
" Les ennemis de la vérité et de lajustice peuvent
à leur gré défigurer les. événements ; mais tous les
bons catholiques et toutes les urnes honnêtes célébre-
ront toujours comme un triomphe pour l'Eglise tout
ce qui est arrivé dans les Etats Pontificaux dans ces
dermers temps, où l'on a vu une petite armée, orga-
nisée en peu de mois grâce à votre activité, à votre
zèle et à votre intelligence, armée plus que suffisante
pour comprimer la Révolution, si celle-ci n'avait pas
été protégée par des mains puissantes, par des forces
incomparablement supérieures aux nôtres, et aidée
par tous les moyens que peuvent suggérer la fraude
et le mensonge.
" Dieu a permis ce qui est arrivé, et que sa sainte
volonté s'accomplisse ; mais je désire, cher Général,
que vous soyez persuadé de la continuation de mon
estime et de ma tendresse paternelle. C'est avec ces
sentiments que je vous envoie de cœur, à vous, à
votre épouse et à vos filles la bénédiction apostoli-
que."
— 41 —
Le général La Moricière brûle du désir de retour-
ner à Rome. Après en avoir obtenu la permission,
il s'empressa d'aller se jeter aux genoux du Pape.
Nous ignorons ce qui s'est passé dans cette entrevue
entre le chef de l'Eglise et le glorieux vaincu de
Castelfidardo. Tout ce que nous savons, c'est qu'au
sortir de la chambre du Pape le général La Mori-
cière se renferma dans son hôtel, rédigea un rapport
détaillé des événements qui venaient d'avoir lieu et
demanda ensuite un congé de dix mois, après avoir
refusé le portefeuille de la guerre, qui resta à Mgr
de Mérode, son ami intime. La Moricière avait eu
à lutter contre les préjugés locaux dans la réorgani-
sation de l'armée pontificale ; il savait que la diplo-
matie ne cessait de protester contre la création d'une
armée papale ; mais tous ces obstacles n'étaient pas
encore assez puissants pour faire échec à sa vaillance,
à son dévouement au Saint-Siège et à la noble mis-
sion qu'il avait entreprise. Ce qui le décida à s'éloi-
gner de Rome pour quelque temps, ce fut la fourbe-
rie de Napoléon III, qui, tout en se constituant le
protecteur apparent de la Papauté, faisait tout en
son pouvoir pour écraser le commandant en chef de
l'armée pontificale au lieu de l'aider. Comme il était
convaincu que c'était surtout à lui que l'empereur des
Français en voulait, à cause du prestige dont il
— 42 —
jouissait dans toutes les armées de l'Europe, La
Moricière retourna en France, en conservant le titre
de général en chef de l'armée pontificale et en conti-
nuant de travailler par ses sages conseils à sa réorga-
nisation.
La Moricière se retira dans son château en décli-
nant tous les honneurs qu'on voulait lui conférer. Le
roi de Naples, Ferdinand II, lui offrit le commande-
ment de son armée sur le Volturne ; il refusa. Le
Sénat de Rome voulut le nommer prince romain ; il
refusa. Les catholiques de France organisèrent une
souscription pour lui présenter une épée d'honneur.
Prévenu de cette généreuse démarche par un ami, il
écrivit la lettre suivante pour s'opposer à ce projet :
Prouzel, 12 janvier 1861.
Monsieur,
" Vous avez bien voulu me faire part de l'inten-
tion qu'auraient un grand nombre de catholiques de
me décerner une épée d'honneur, en mémoire de la
campagne que j'ai faite l'année dernière dans les
Marches et l'Ombrie.
" Je suis profondément touché de l'extrême bien-
veillance avec laquelle on apprécie mes efforts,
matériellement stériles, pour défendre le pouvoir
temporel du Saint-Siège. Mais il est de mon devoir
de vous faire remarquer que si j'acceptais l'êpée qui
— 43 —
m'est offerte, je me placerais en dehors de toutes les
traditions et de tous les usages reçus à cet égard dans
mon pays, où tout ce qui tient aux choses militaires
est l'affaire de tout le monde.
" Suivant ces traditions, on donne une épée
d'honneur à un général pour une bataille gagnée,pour
une place forte enlevée dans des circonstances mémo-
rables, pour avoir défendu vaillamment une forte-
resse au-delà du temps assigné à la résistance par
les gens du métier. Or, on ne le sait que trop, je n'ai
rien fait de pareil. Les provinces que je défendais
ont été envahies, les villes prises, le matériel de
guerre a été perdu et l'armée entière amenée en
captivité.
" Que si, depuis nos désastres, la situation morale
du pouvoir temporel du Saint-Siège semble s'amé-
liorer, que si la confiance et la force sont revenues
aux défenseurs du droit, tandis que l'esprit de divi-
sion, d'incertitude et de vertige s'emparait de ses
ennemis, que si la France, ce noble et vieux cham-
pion de la cause de Dieu, n'a pas cessé de sentir son
coeur ému de ces généreux élans de dévouement et
d'audace qui ne lui font jamais défaut dans les grands
jours, ce n'est pas la main des hommes qu'il faut
chercher dans toute sces choses; et je ne puis oublier
qu'un général qui n'a fait que sauver l'honneur de
— 44 —
son drapeau ne mérite et ne peut recevoir aucune
récompense.
" Telles sont, monsieur, les raisons qui m'obligent
à refuser, d'une manière absolue, l'épée que vous
aviez mission de m' offrir ; permettez-moi de compter
sur votre obligeance pour faire connaître ma réponse
à ceux au nom de qui vous m'aviez écrit."
Pie IX aurait aimé prouver au général La Mori-
cière la reconnaissance de l'Eglise en le comblant
de distinctions ; mais le général les refusa toutes,
excepté la croix du Christ que le Saint-Père lui avait
envoyée avec la lettre suivante :
" J'apprends que votre modestie refuse les titres
par lesquels je voulais, en quelque manière, mani-
fester ma reconnaissance pour l'acte chrétien et géné-
reux que vous avez accompli en soutenant les droits
du Saint-Siège. Ma détermination était dictée par
mon cœur, et je dois dire qu'elle était réclamée ou,
au moins, désirée par tous les amis de la justice et
de la religion, qui, grâce à Dieu, sont très nombreux.
Mais, si vous me demandez d'y renoncer, j'y renon-
cerai pour vous être agréable. Toutefois je veux
absolument que vous soyez décoré d'un ordre qui ne
peut être mieux placé que sur votre poitrine, laquelle
fut exposée à recevoir les coups des ennemis du
patrimoine de l'Eglise de Jésus-Christ, et cet ordre
— 45 —
porte précisément le nom du Maître Suprême de ce
patrimoine. Ce sera un nouveau lien qui vous
unira au Vicaire de Celui dont je suis l'indigne
représentant sur la terre, et qui, je l'espère, sera
notre récompense' à tous deux dans l'éternité."
La Moricière ne pouvait donc pas refuser cet
honneur, qui lui était offert, en termes si paternels
et si pressants à la fois, par le Successeur de Pierre.
Aussi, son acceptation fut-elle accueillie avec des
transports d'allégresse par Sa Sainteté Pie IX.
Les révolutionnaires, les garibaldiens et les carbo-
naristes— les trois ne font qu'un — se réjouissaient
du désastre de Castelfidardo ; mais leur soif de ven-
geance contre la Papauté n'était pas encore assouvie ;
ils voulaient détrôner le Pape et le chasser de ses
Etats comme en 1848. C'est pour accomplir cet
ignoble projet que des bandes garibaldiennes mar-
chèrent sur Rome en 1862 : mais elles furent
repoussées par l'armée pontificale. En apprenant
cette nouvelle tentative d'invasion, le général La
Moricière, qui brûlait du désir de ceindre sa vieille
épée d'Afrique pour voler au secours du Saint-Siège,
mais qui craignait en même temps que sa personna-
lité ne fût pour le roi de l'univers catholique la cause
de nouvelles difficultés, écrivit- au Pape ce qui suit :
— 46 —
" Dans les tristes jours que nous traversons, en
présence des douleurs et des périls de toutes sortes
qui environnent Votre Sainteté, je viens mettre à
ses pieds la nouvelle expression de mon entier et
inaltérable dévouement.
" Dès les premiers bruits de guerre, je serais parti
pour Rome si je n'avais pas craint, par ma présence,
d'irriter le gouvernement français, de gêner l'opéra-
tion de ses troupes et de lui fournir un prétexte pour
une inaction qui pourrait devenir fatale.
" Mais si Votre Sainteté jugeait autrement les
choses, je suis prêt à marcher au premier appel, et
j'ai cru de mon devoir de le lui dire."
Notre Saint-Père lui répondit le 16 avril 1862 :
" Très cher Général, les sentiments que vous
m'exprimez dans votre lettre et l'intérêt que vous
prenez à ma situation me consolent, mais ne me sur-
prennent pas. Ils sont déjà nombreux les gages de
votre attachement filial pour moi et pour la cause
que je représente. Que Dieu bénisse votre dévoue-
ment et que votre famille ressente toujours les effets
salutaires des divines bénédictions.
" Les menaces de ce général (1) qui sert à la fois le
Piémont et la Révolution, et qui reçoit les encoura-
(1) Garibaldi.
— 47 —
gements de l'un et de l'autre, ne semblent pas, au
moins pour le moment, pouvoir éveiller la moindre
inquiétude. L'abandon de notre frontière actuelle
par une partie de l'armée française pouvait donner
lieu à quelque désordre. Mais les zouaves étant venus
la remplacer avec d'autres corps de nos troupes, tout
s'est bien passé et à l'honneur de notre armée, qui
se rappelle avoir été formée par vous, et qui, si elle
est limitée par le nombre, ne l'est pas pour la disci-
pline, pour le courage et pour l'amour de son souve-
rain.
" Mais voici que l'armée française a repris ses
anciennes positions, et que nos soldats sont de nou-
veau dans l'état d'expectative. Vous voyez donc bien
que je n'ai pas le courage de vous inviter à venir
commander une troupe qui se tient prête à agir,
mais qui, dans les circonstances actuelles, n'a rien à
faire. Cependant, si vous jugez qu'un nouveau coup
d'œil donné à vos soldats puisse les réconforter, ce
dont je ne doute pas, je vous re verrai et vous
embrasserai volontiers."
Quelle correspondance admirable entre un général
et son souverain, mais un illustre capitaine ayant la
foi et un roi chargé de conduire la barque du Pêcheur
de la Galilée !
LA MORT DE LA MORiCIERE
Le premier soin du général La Moricière, en pre-
nant le commandement de l'armée pontificale, fut
de former un corps d'infanterie légère semblable à
ses chers zouaves d'Afrique. Ce corps fut constitué
le 1er juin 1860 et prit le nom de Tirailleurs Pontifi-
caux ou plutôt de Volontaires Franco-Belges. M. de
Becdelièvre, capitaine dans les Chasseurs à pied, en
fut le commandant, et M. le baron de Charette, le
capitaine. L'effectif de cette troupe d'élite, à la
bataille de Castelfidardo, s'élevait à environ 300
hommes. Le 6 octobre de la même année, M. de
Becdelièvre fut promu au grade de lieutenant-colonel.
Le bataillon comprenait alors six compagnies.
Le 1er janvier 1861, le corps prit officiellement le
nom de Zouaves Pontificaux. M. de Moncuit et M.
de Charette eurent l'honneur de porter les premiers
l'uniforme de zouave, qui fut adop'té par Pie IX, le
général La Moricière et Mgr de Mérode.
4
— 50 —
M. de Becdelièvre donna sa démission, le 21 mars
1861, et retourna en France. Il fut remplacé comme
lieutenant-colonel par M. Allet, un des héros de
Castelfidardo. Le capitaine de Charette fut élevé au
grade de commandant. Au mois d'août suivant, le
bataillon fut porté à huit compagnies. Un des sol-
dats de M. Becdelièvre annonça la retraite de son
colonel dans les termes suivants :
" Notre brave colonel M. Becdelièvre nous a quit-
tés à la suite de différends avec Mgr de Mérode. Il
ne m'appartient pas d'apprécier les motifs qui ont
dicté son départ. .. Trois ou quatre officiers ont cru
devoir suivre le colonel dans sa retraite, et il y a eu,
cela va sans dire, un peu d'émotion et d'agitation
parmi nous. Mais ça n'a duré qu'un jour. Tous les
esprits se sont vite calmés, grâce aux belles paroles
du capitaine de Charette, qui nous a déclaré que le
désir du Saint-Père était de nous voir rester sous son
drapeau et qu'un tel désir devait être pour nous plus
qu'un ordre. On a crié : " Vive Charette ! " Tout
a continué à marcher avec le même entrain, et nous
avons fait le meilleur accueil à notre nouveau colo-
nel, M. Allet. M. Allet est suisse, de très-noble
famille et de très-vieux sang. Digne descendant du
héros d'Ivry, auquel Henri IV donna le collier de
nos Ordres sur le champ de bataille ; il a déjà trente
— 51 —
ans de service dans l'armée du Pape, et s'est magni-
fiquement conduit à Castelfidardo.
" Mgr de Mérode a nommé M. le capitaine de
Charette, chef de bataillon, et nous avons applaudi
à cette nomination : " Mais c'est un drapeau que
vous donnez là aux zouaves, " lui a représenté quel-
qu'un à Rome. — " C'est vrai, a répondu Mgr de
Mérode ; mais un drapeau qui a été percé de balles
à Castelfidardo et qui a le droit par conséquent
d'être déployé en face du tombeau de Saint-Pierre."
A la bonne heure ! Voilà qui est parler en ministre
des armes de Notre Saint-Père le Pape Pie IX."
En 1865 parut l'annonce officielle du retrait des
troupes françaises de Rome. La fille aînée de l'Eglise
abandonnait encore une fois la Papauté à la fureur
des révolutionnaires et des sociétés secrètes. A cette
nouvelle alarmante, le général La Moricière résolut
de partir immédiatement pour la Ville Eternelle et
de se mettre de nouveau à la tête de la petite armée
pontificale, qui s'était épurée et fortifiée. Certains
corps étrangers sur lesquels on ne pouvait guère
compter, étaient retournés dans leurs pays respectifs.
La petite troupe des zouaves* pontificaux avait vu
son effectif s'élever au chiffre de 1,500 hommes, sous
la direction du colonel Allet et du lieutenant-colonel
de Charette. La gendarmerie formait un magnifique
corps de 4,500 à 5,000 soldats réguliers et dévoués
au Saint-Siège. Avec les Dragons et les Chasseurs
indigènes, l'armée pontificale formait un total de
10,000 hommes parfaitement aguerris. C'est de cette
troupe choisie que le général La Moricière se prépa-
rait à reprendre le commandement, lorsque la mort
vint l'enlever subitement à l'affection des siens et au
service de l'Eglise catholique.
Voici comment son historien raconte ses derniers
moments : ^
" Quand vint l'heure du départ, la Providence
avait à dessein écarté de lui et la généreuse ivresse
du champ de bataille et les caresses d'une femme et
de deux filles bien-aimées. Il était seul à seul avec
Celui devant lequel il allait paraître. Plusieurs fois
déjà depuis son séjour à Ham, il avait eu au cœur
des crises d'étouffement qui avaient failli l'enlever,
et il vivait dans l'attente d'une mort subite, . prêt à
la recevoir au moment que Dieu aurait fixé. Toute-
fois rien ne lui annonçait un péril prochain ; depuis
quelques mois sa goutte avait diminué ; il était plus
animé, plus vif, plus causant que jamais. Si cette
santé eût encore pu être employée à la défense de
l'Eglise, il se fut estimé trop heureux. Il était à
Prouzel et sepréparait à rejoindre sa famille en Anjou.
-<* 53 —
Sa dernière' journée, le dimanche 10 septembre 1865,
ûit consacrée à ses devoirs de chrétien et à ses
apprêts de voyage pour le Chillon. La soirée se
passa avec le curé de l'endroit à parler (un incrédule
en peut sourire dans son ignorance), de l'efficacité
des indulgences pour les âmes qui, après leur mort,
ont encore des fautes à expier. Soumis d'avance à
la doctrine de l'Eglise, La Moricière tenait à la con-
naître sur ce point, comme s'il eût pressenti qu'il
allait quitter ce monde. A dix heures, il se retira
dans sa chambre, et, selon son habitude, se mit à
lire quelques pages dans l'histoire de l'Eglise de
l'abbé Darras. Il s'était endormi paisiblement,
lorsque, entre une et deux heures, il se réveilla avec
un étouftement terrible et sonna son domestique. Le
fidèle serviteur accourut ; il ne fut question ni de
remède ni de médecin : M. le curé ! vite M. le curé;
allez chercher M. le curé. Heureusement que le
presbytère touchait au château. En moins de dix
minutes le prêtre et le serviteur arrivaient, et, en
montant l'escalier, ils entendaient le Général qui,
d'une voix forte, appelait : " M. le Curé !" Quand
ils entreront, ils le trouvèrent agenouillé devant son
lit, serrant sur ses lèvres le crucifix qu'il venait de
décrocher de la muraille. Le prêtre se mit à genoux
à côté de lui, lui donna l'absolution ; puis il voulut
— 54 —
le relever, l'asseoir dans son fauteuil, l'approcher de
la fenêtre ouverte, Mais le mourant n'avait plus de
parole ; son œil seul était encore vivant, indiquant
qu'il avait tout compris. Un instant après, il rendit
le dernier soupir. Son visage garda toute sa noble
sérénité, image de la limpidité de son âme, et quand
son épouse, accourue à cette foudroyante nouvelle,
le contempla une dernière fois, elle put dire qu'elle
ne l'avait jamais vu plus beau.
" Cependant, la France avait frémi en apprenant
ce trépas. La ville d'Amiens la première voulut
honorer, comme il le méritait, celui qui avait expiré
à ses portes. L'évêque monta en chaire, et, au milieu
d'un auditoire bouleversé par l'émotion, il trouva
une éloquence qu'il ne connaissait point, pour pleu-
rer le défenseur de l'Eglise. A Paris, une foule res-
pectueuse escorta son cercueil. A Nantes, la ville
entière se pressait dans la cathédrale. A Saint-Phil-
bert, terme de ce douloureux voyage, le général
Trochu parla au nom de l'armée française, le comte
de Quatrebarbes au nom de l'armée pontificale,
l'abbé Richard fut l'interprète des sentiments du
clergé français. Pendant des semaines, sur tous les
points . du territoire, des services spontanés furent
célébrés pour le repos de cette âme que les évêques
les plus illustres louèrent à l'envi.
00
" Evidemment ce n'était pas là une mort ordi-
naire. Un militaire couvert de lauriers, un ministre
succombant au service de sa patrie, un prélat cher à
l'Eglise, n'auraient point obtenu ce concours de
regrets, de reconnaissance et d'admiration. Celui qui
venait de quitter la vie réunissait toutes ces gloires,
rehaussées par l'éclat de l'adversité. Où treuver un
soldat qui ait plus fait pour sa patrie, et qui ait
recueilli autant d'ingratitude ? Quel homme d'Etat
a autant souffert pour la défense de nos libertés
publiques ? Quels sacrifices peuvent se comparer à
ceux .de ce chrétien voué à la défense du Saint-
Siège ? Que n'eut-il pas fait, s'il eût vécu davantage ?
N'était-ce pas lui qui pouvait, à un jour donné, raf-
fermir le trône de Saint-Pierre, relever en France le
drapeau de l'honneur et de l'indépendance, cimenter
l'union de l'Eglise avec sa fille aînée, et obtenir des
honnêtes gens de tous les partis cette réconciliation
sincère seule capable de nous rendre la paix."
Voilà le fondateur du régiment des zouaves ponti-
ficaux qui, comme ses aînés les zouaves d'Afrique,
fit des prodiges de valeur sur tous les champs de
bataille. Voilà l'homme illustre qui créa ce batail-
lon de preux défenseurs de la Papauté dont " la
légende a été souvent sanglante, mais toujours glo-
— 56 —
rieuse. " Voilà notre modèle comme militaires et
citoyens. Voilà la boussole qui doit nous guider
dans la mission que nous avons entreprise lorsque
nous avons endossé l'uniforme de zouave.
LE DEVOUEMENT DES ZOUAVES
Pendant les années de paix que la Papauté a tra-
versées entre 1862 et 1867, on s'est souvent posé la
question suivante :
" Que font les zouaves du Pape à Rome ? "
Nous trouvons la réponse à cette question dans le
discours que Pie IX adressa à nos officiers le 27
décembre 1865 :
" Je me réjouis d'entendre si bien exprimer les
sentiments de cette armée et du monde catholique
pour notre personne et pour le Saint-Siège. J'y veux
répondre et je pense à quelque coutume que nous
avons ici. Il est d'usage, le saint jour de Noël, que
nous bénissions une épée. Elle doit être envoyée au
prince qui a le mieux mérité de l'Eglise, et qui s'en
servira pour la cause de la justice.
" Au milieu de tant de grandes nations armées,
de tant de glaives tirés, je regarde et je vois : je vois
que cette épée de la justice, je dois la garder pour
- ùi
moi. C'est moi qui dois la ceindre, et c'est à vos
mains que je la confie.
" Soyez fiers, marchez la tête levée devant Dieu,
soyez pleins de confiance parmi les hommes, parce
que c'est vous, vous seuls, qui portez l'épée pour la
justice et la vérité, pour la dignité et la liberté du
genre humain. Vous êtes ainsi armés à l'encontre
de ces hommes malheureux qui ensanglantent leurs
mains au profit des causes injustes, appuis de l'ini-
quité, ennemis de Dieu qu'ils espèrent follement
atteindre, oppresseurs de son Eglise et de ses minis-
tres.
" Je vous raconterai un trait de deux officiers
de deux armées différentes, l'un général et l'autre
capitaine de marine. M'ayant été présentés, ils me
prièrent de poser mon pied sur leurs épées couchées
à terre, afin, disaient-ils, qu'ils ne les portassent
jamais que pour une cause juste. Le général est
mort dans une guerre dont je n'ai point à parler, et
il a gardé son serment. Quant au marin, depuis
longtemps je l'ai perdu de vue. J'espère qu'il vit
encore ; j'espère surtout qu'il se souvient de la pro-
messe qu'il a faite à mes pieds et de la bénédiction
donnée.
" Vous aussi, souvenez-vous de ne porter l'épée
que pour la justice, et alors ne craignez aucun péril,
levez la tête, vos cœurs auront la paix.
— 50 —
"Il s'en est trouvé qui se sont laissé emporter par
des idées d'erreur et de mensonge, par des illusions
de jeunesse, et ils s'en sont allés servir dans une
certaine armée ; j'ai vu les lettres qu'ils écrivaient de
là, j'ai vu leurs mères en pleurs, leurs pères désolés.
Ces pauvres enfants écrivaient : " Nous nous sommes
fourvoyés, nous avons été trompés ; demandez notre
pardon au Pape, notre conscience ne nous laisse pas
de repos. Nous sommes dans l'avilissement, dans
l'esclavage !". .et, suivant moi, ils sont aussi dans le
péché.
" Mais vous, avec quelle consolation je vois votre
respect, vos sentiments d'amour et de dévouement
pour ce Saint-Siège ! Portez l'épée, gardez l'épée pour
la défense de la cause la plus juste, la plus sainte, qui
est celle de l'Église de Jésus-Christ.
" Par là, quoiqu'il arrive, et pour la troisième fois,
je le répète, marchez en assurance, soyez fiers.
" J'ose dire que vous vous présenterez avec sécurité
au tribunal du Juge Suprême, devant lequel ils
devront paraître aussi ceux qui portent l'épée pour
l'injustice et l'oppresseur.
" J'agrée donc avec bonheur l'expression de votre
fidélité. Recevez en retour ma bénédiction, qui vous
confirme dans tous ces bons sentiments ; qu'elle vous
— 60 —
affermisse dans les périls et qu'elle vous accompagne
toute votre vie."
Afin de " porter l'épée pour l'a justice et la vérité,
pour la dignité et la liberté du genre humain " et
" marcher la tête haute devant Dieu ", les zouaves
se préparaient à combattre les bons combats ; ils
faisaient la manœuvre tous les jours, ils faisaient des
marches forcées, ils faisaient des guerres simulées,
ils s'initiaient, en un mot, à l'art militaire, tout en
montant la garde auprès du trône du Pape et en
priant pour les ennemis de l'Eglise. Les zouaves
s'élevaient ainsi dans la considération et l'estime des
catholiques : ils rendaient le bien pour le mal, en
pratiquant la charité chrétienne envers ceux qui
voyaient leur présence d'un mauvais œil. Le cho-
léra qui éclata à Albano, au mois d'août 1867,
fournit aux zouaves l'occasion de montrer publique-
ment leur esprit de sacrifice, d'abnégation et de
dévouement héroïque envers leurs semblables. Voici
ce que nous a raconté, à propos de ce terrible fléau,
un sergent de la 2ème compagnie du 1er bataillon,
qui fut envoyée en garnison à Albano :
" Le jour même de notre arrivée à Albano, le
choléra éclata avec une violence inouïe. En un
instant tout est désert ; plus personne pour assister
les malades et enterrer les morts. Notre lieutenant
— Gi-
de Résimond donne le premier l'exemple. Il prend
sur ses épaules un cadavre et le transporte au cime-
tière ; tous l'imitent ; nos camarades de la sixième
ont lutté d'abnégation. Sur un champ de bataille
l'odeur de la poudre et l'enthousiasme vous cachent
le danger ; mais, en présence, d'un cadavre ou d'un
mourant qui se débat, combien il faut de force et de
véritable courage !
Voyez-vous ces zouaves prodiguant à des étran-
gers, qui les haïssaient, tout ce qui leur est donné
de force et de dévouement ? La population nous
était tout à fait hostile et même résolue de s'opposer
à notre entrée ; les zouaves ont été les anges conso-
lateurs.
Albano offrait en ce moment le spectacle admira-
ble de la charité se pratiquant au milieu de la ter.
reur et de la mort. Les habitants valides fuyaient
au loin, ou demeuraient hébétés devant le fléau ;
aucune autorité pour organiser le service des malades,
qui restaient abandonnés dans les maisons vides ;
les membres de la Commune avaient disparu ; le
gonfalonnier avait passé la frontière ; partout des
cadavres en décomposition, gisant dans les maisons
et dans les rues.
Au milieu de ce désarroi, sous un soleil insuppor-
table, dans une atmosphère empestée,' les soldats du
— 62 —
Pape s'étaient partagé la besogne. Les uns s'établis-
sent au cimetière qu'ils ne quittent ni le jour ni la
nuit ; durant la première nuit, on leur apporte
quatre-vingt-dix cadavres. Le lieutenant-colonel
(M. de Charette) venu de Rome pour encourager ses
soldats, apprend que deux zouaves, occupés à faire
des fosses, n'ont pas même pris le temps de déjeu-
ner, et déjà il se fait tard ; il faut un ordre de leur
chef pour contraindre ces braves à prendre quelque
nourriture. D'autre part, dans la ville, les zouaves
vont et viennent au chevet de centaines de malades;
ils les déshabillent, les soignent, les frictionnent, les
aident à mourir chrétiennement, on dirait qu'ils
n'ont rien fait d'autre chose de leur vie. Autour
d'eux, tout ce qu'il y a d'âmes vaillantes rivalisent
de sainte charité ; les Filles de St-Vincent de Paul
donnent l'exemple, comme toujours ; plusieurs prê-
tres succombent, martyrs de leur saint ministère ; le
roi de Naples, qui n'a pas voulu fuir, soigne lui-
même ses frères, sa famille, ses domestiques ; la
reine-mère a été une des premières victimes. Deux
zouaves hollandais gagnent la terrible maladie,
tandis qu'ils portent sur leurs épaules des cadavres
en putréfaction ; tous deux meurent joyeux le même
jour. Henri Peters, l'un d'eux, n'a pas même de
paille pour s'étendre, mais il se console en pressant
— 63 —
le crucifix sur son cœur ; que lui faut-il de plus !
Il l'embrasse et dans ce suprême baiser, il oublie la
terre et les souffrances. " Je vois le ciel au bout de
tout cela." disait-il en expirant.
Le cardinal Altieri, évêque d'Albano, se trouvait
à Rome lorsqu'il apprit les angoisses de sa ville :
malgré son état de souffrance, malgré les protesta-
tions de son entourage, il partit aussitôt pour don-
ner à son peuple le reste de sa vie. Tout le jour, il
confessait, consolait, administrait les mourants, et se
reposait la nuit en veillant à l'hôpital. Sur son lit
de mort, voyant les zouaves qui l'entouraient, il les
bénit, leur recommanda ses malades, leur promit ses
prières. On décida, pour ne pas ajouter à la pani-
que de la population, que l'enterrement se ferait
durant la nuit. A cette nouvelle tout le peuple
accourt ; les hommes se précipitent pour traîner le
•
carosse, les zouaves s'alignent deux à deux devant la
voiture, la population entière fait escorte avec des
torches, au chant du cantique : " Fête lugubre et
triomphale, pleine de larmes et de reconnaissance !"
Voilà ce que faisaient les zouaves dans les Etats
de l'Eglise, lorsque la révolution ne les forçait pas à
courir aux armes et à se battre pour la défense du
Vatican. A-t-on jamais 'vu une- armée montrer un
dévouement aussi sincère, aussi héroïque et aussi
sublime ?
L'INVASION GAR1BALDIENNE
Le 15 septembre 1864, Napoléon III signa une
convention passée entre la France et l'Italie et en
vertu de laquelle l'empereur des Français s'engageait
à retirer ses troupes des Etats Pontificaux, dans un
délai de deux ans, à charge pour le Piémont de res-
pecter le territoire du Saint-Siège et de ne pas s'oppo-
ser à l'organisation d'une armée papale. C'était
livrer la Papauté aux mains des révolutionnaires
d'abord, et au roi Victor-Emmanuel ensuite, comme
l'histoire va nous le démontrer. C'était afficher de
nouveau la politique de fourberie inaugurée en 1859.
C'était le règne des convoitises de l'Italie qui s'an-
nonçait à courte échéance. En effet, le gouvernement
du Piémont tendait secrètement la main à Garibaldi,
le chef des révolutionnaires, tout en protestant de son
dévouement au Saint-Siège.
Pie IX fit entendre sa voix pour dénoncer la viola-
tion du traité de 1864 et les injustices flagrantes dont
— 66 —
il était l'objet. Les catholiques de France tentèrent,
mais en vain, d'obtenir de l'empereur un délai au
retrait de ses troupes : notre ancienne mère patrie
devait continuer à descendre dans l'abîme creusé par
la politique néfaste et anti-chrétienne de Napoléon III.
A la fin de l'année 1866, l'iniquité fut consommée :
les troupes françaises quittèrent Rome. A leur
départ, Sa Sainteté Pie IX leur adressa ces admira-
bles paroles :
" Allez, mes enfants ; partez avec ma bénédiction,
avec mon amour. Si vous voyez l'empereur, dites-
lui que je prie chaque jour pour lui. On dit que sa
santé n'est pas très bonne, je prie pour sa santé. On
dit que son âme n'est pas tranquille, je prie pour son
Ame. La nation française est chrétienne, son chef
doit être chrétien aussi. Ne croyez pas que vous me
laissez seul, le bon Dieu me reste."
Ne rencontrant plus d'obstacle à leur ambition, à
leur cupidité et à leur rage, les bandes garibaldiennes
se ruèrent, en 1867, sur le territoire pontifical ; elles
saccageaient les villages, elles pillaient les caisses
municipales, elles profanaient les couvents et les sanc-
tuaires et rançonnaient les habitants. Les zouaves
et les gendarmes s'opposèrent à leurs déprédations et
les repoussèrent sur la frontière. Les garibaldiens
passèrent à travers les troupes italiennes, qui étaient
— G7 —
chargées, en apparence, de veiller à la sûreté des
Etats de l'Eglise, mais qui fermaient les yeux sur les
faits et gestes des révolutionnaires, et ceux-ci péné-
traient librement dans le Piémont pour aller chercher
des hommes et des munitions, qui leur étaient fournis
par le gouvernement de Victor-Emmanuel lui-môme.
L'histoire nous donne des preuves irréfutables de la
complicité des autorités italiennes.
Le théâtre des hostilités que couvraient les bandes
garibaldiennes, comprenait toute la province de
Viterbe. Comme on le voit, c'était un vaste champ
de bataille. Pour faire face au danger, les Zouaves
Pontificaux et la gendarmerie papale furent forcés
de se diviser en petits détachements et de se porter
à tous les endroits menacés. Malgré son infériorité
numérique, l'armée pontificale était applaudie pour
ses brillants faits d'armes à Acquapendente, à Bagno-
rea, à Nerola, à Farnèse, à Valentano, à Monte
Libretti et à quinze autres villes ou villages.
A Nerola, le lieutenant-colonel de Charette battit
les garibaldiens, qui étaient trois fois plus nombreux
que les zouaves ; il a eu son cheval tué sous lui,
mais il a fait dix-huit prisonniers.
A Farnèse, le sous-lieutenant Dufournel trouva la
mort, le 19 octobre, dans les circonstances suivantes :
Il partit à onze heures du matin de Valentano pour
. _ 68 —
chasser trois cents garibaldiens qui s'étaient emparés
de Farnèse ; il n'avait que vingt zouaves sous ses
ordres. Le capitaine de ligne Sparacanna l'accom-
pagnait avec une trentaine de ses. hommes. En
arrivant à un demi-mille de Farnèse, la petite troupe
pontificale reçut soudainement des coups de fusil,
partis d'une grande maison occupée par les garibal-
diens. Le sous-lieutenant Dufournel tire alors son
sabre et fait avec la lame le signe de la croix en
disant : " Au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit, en avant !" Et il s'élance suivi de ses
zouaves. Les garibaldiens ne peuvent résister à ce
choc impétueux ; ils abandonnent la maison dont
ils s'étaient emparés et retraitent. Les zouaves
s'installent dans la même maison pour < délibérer,
mais ils sont attaqués aussitôt par un corps de deux
cents garibaldiens. Emmanuel Dufournel donne
l'ordre d'ouvrir la porte et s'écrie : " Chassons-les à
la baïonnette !" Et il se précipite en frappant de
son sabre un garibaldien qui se tenait près de la
porte ; mais le coup est si violent que la lame casse
en deux et lui échappe des mains. Les garibaldiens
se jettent sur lui et lui portent quatorze coups de
baïonnette. Tout semble désespéré pour les zouaves ;
mais il n'en est rien : Ferdinand de Charette, un
des frères de notre lieutenant-colonel, et quelques
— 69 —
autres zouaves accourent au secours de leur officier
et font une immense trouée parmi les garibaldiens,
qui prennent la fuite.
Le brave sous-lieutenant Dufournel, mortellement
blessé, fut transporté immédiatement à Valentano,
où il expira le lendemain en remerciant Dieu de lui
avoir procuré le bonheur de mourir pour sa sainte
mère l'Eglise catholique.
Cette triste nouvelle fut télégraphiée à son frère
Adéodat, capitaine adjudant-major alors en garnison
à Rome. Le frère bien-aimé arriva le même soir à
Valentano ; il se prosterna la face contre le cercueil
et donna l'ordre d'envoyer à Rome la dépouille
mortelle de son cher Emmanuel.
Dix jours plus tard, Adéodat Dufournel était
blessé à l'attaque de la villa Crecchina, à Rome, et
mourait le 5 novembre. Le matin de son trépas
Adéodat avait entendu la messe qu'un de nos aumô-
niers, le R. Père de Gerlache, avait dite à la confes-
sion de Saint-Pierre. La messe terminée, le Père se
retourna, trouva le zouave la face contre terre et lui
demanda la cause du rayonnement de toute sa
figure : " Mon Père, j'ai demandé à la sainte Vierge
la grâce de mourir pour l'Eglise." Cette grâce lui
fut accordée le même soir. Voici ce que nous a
raconté au sujet d' Adéodat Dufournel, M. de Clisson
— 70 —
qui était à ses côtés quand il tomba frappé d'une
balle en pleine poitrine :
" Je me trouvais sur la place Saint-Pierre avec
quarante hommes de ma compagnie, lorsque M.
Dufournel vint et dit à M. Ledieu, notre lieutenant :
" Rassemblez vos hommes, nous allons tout près d'ici
voir une villa où l'on prétend qu'il y a des garibal-
diens." Il nous fit diviser en bandes de huit hommes,
conduite chacune par un gradé chargé de les placer
autour de la maison et de diriger le feu. Il était cinq
heures et demie du soir environ, et la nuit était déjà
descendue. Nous eûmes bientôt atteint la porte de
la villa que nous devions visiter. A peine le premier
zouave avait-il gravi les deux ou trois marches de
l'entrée, que des hommes se précipitèrent pour sortir
du jardin. M. Dufournel s'élança en criant : " En
avant ! " et c'est à ce moment qu'il fut atteint par
une balle. Je commandais le second groupe ; voyant
quelqu'un tomber, j'étendis la main, et ce n'est
qu'alors que je reconnus celui que j'avais dans mes
bras. Aidé d'un homme de ma compagnie, je le
transportai dans la rue, et, m'étant assis par terre, je
F appuyai sur mes genoux. Il ouvrit alors les yeux
qu'il avait fermés un moment et me dit en me pres-
sant la main : " C'est fini, je suis mort. .."
— 71 —
Transporté à l'hôpital, Adéodat Dufournel rendit
son âme à Dieu le 5 novembre.
Emmanuel Dufournel avait 27 ans, et Adéodat,
29 ans. Leurs corps reposent dans le cimetière de
Saint-Laurent hors les murs.
Comprenant l'immense douleur que ressentirait M.
Dufournel, père, en présence de ces deux fins tragi-
ques, arrivées presque coup sur coup, notre Saint-
Père Pie IX lui écrivit pour le consoler : " Vous
m'avez donné deux soldats ; je vous rends deux
saints ." Ces paroles du successeur de Pierre valent
à elles seules tous les éloges que nous pourrions faire
de ces deux glorieux martyrs de la foi.
A Monte Libretti, le lieutenant Guillemin donne
une nouvelle preuve de la valeur et de l'héroïsme
des zouaves. Douze cents garibaldiens occupaient
cette forteresse, construite sur une montagne et
dominant la route.
Guillemin, avec ses quatre-vingt-dix zouaves,
n'hésite pas à gravir la montagne au milieu d'une
grêle de balles et essaye d'enlever à la baïonnette
cette ville ferrhée et défendue par un ennemi puissant
en nombre, commandé par Menotti Garibaldi. Les
zouaves ne peuvent réussir à enfoncer les portes :
mais les garibaldiens, effrayés da tant de courage et
— 72 —
d'audace, évacuent la ville pendant la nuit et fuient
devantjes soldats du Pape.
Au milieu de la mêlée,. Guillemin est tombé pour
ne plus se relever : Dieu voulait une victime pure.
Ce brave des braves était mûr pour le ciel ; car, le
matin, il avait dit à l'aumônier : "Je me confesserais
volontiers, mais je n'ai rien sur la conscience." Ce
héros chrétien n'avait pas peur de la mort.
Que de prodiges cette petite poignée de soldats du
Pape n'a-t-elle pas accomplis pendant cet assaut
meurtrier ! C'est alors que le caporal de Jong s'est
jeté au milieu des garibaldiens et qui, sans recevoir
la moindre égratignure, en a assommé ou percé
quatorze. Epuisé de fatigue, il se jeta à genoux et
attendit la mort avec calme, comme autrefois les
martyrs du Colisée. Les garibaldiens, furieux comme
des démons, le criblèrent de coups de baïonnette.
C'est ce jeune homme qui écrivait, un jour, à sa
mère : " Quand les protestants vous diront que la
chaire de saint Pierre est vermoulue, répondez-leur
que cela n'est pas vrai. Dites-leur que Pierre Jong
et son cousin Guillaume l'ont vue, et aj'outez qu'elle
est 'solide."
Nous pourrions citer une foule d'autres traits sem-
blables ; mais ces citations retarderaient inutilement
notre récit historique. Nous disons inutilement, parce
— 73 —
que nous possédons le témoignage de Pie IX et des
officiers de plusieurs armées de l'Europe sur les
exploits glorieux des Zouaves Pontificaux depuis
Castelfidardo jusqu'à leur licenciement.
LA REVOLUTION A ROME
Pendant que ces graves et sinistres événements se
passaient sur différents points des Etats de l'Eglise,
la plus grande tranquillité régnait à Rome. Ce calme
plat n'était que le précurseur de la tempête. En
effet, le 22 octobre au soir, la révolution se déchaîna
avec une furie épouvantable dans tous les quartiers
de la ville sainte. A six heures, le cri " Aux Armes "!
fit sortir tous les zouaves de leurs casernes ; toutes les
boutiques, les cafés, les restaurants et les magasins se
fermèrent. Des patrouilles de zouaves et de gen-
darmes s'organisèrent dans toutes les rues pour faire
face à l'orage ; car des bandes furieuses voulaient
s'emparer des postes et des casernes de l'armée ponti-
ficale et se dirigeaient vers le Capitole pour sonner
la cloche d'alarme. Mais, partout, les zouaves, les
gendarmes et les chasseurs, ( 'qœciatari, repoussèrent
les émeutiers.
— 76 —
L'on n'entendait que d'effroyables détonations
dans toutes les directions, lorsque, tout à coup, une
explosion formidable jeta la terreur dans toutes les
âmes. C'était la caserne de Serristori, occupée par
des zouaves, qui venait de sauter. Trois étages
furent renversés, et du milieu des ruines amoncelées
s'élevaient les plaintes déchirantes des blessés. Mgr
de Mérode, M. l'abbé Daniel, aumônier du régiment,
et le colonel Allet accoururent aussitôt sur la scène
tragique et organisèrent un service de sauvetage.
On retira des décombres vingt-deux cadavres et
douze blessés ; les autres zouaves étaient sains et
saufs.
Les bombes Orsini jouèrent un grand rôle pendant
cette lugubre nuit. Un révolutionnaire fut arrêté
au moment où il en lançait une. Interrogé sur son
action infâme, il répondit qu'il faisait cela pour
s'amuser. C'était, en effet, un agréable passe-temps
au milieu des ténèbres ! Un autre bandit, porteur
de deux bombes, reçut sur-le-champ la punition de
son crime ; l'une d'elles fit explosion sur lui, et il
fut tué raide. On le trouva baigné dans son sang.
Ce n'est qu'à deux heures du matin que l'ordre
fut rétabli. Les révolutionnaires, battus et repoussés
dans tous les quartiers, disparurent comme par
— 77 —
enchantement et s'éloignèrent de Rome au pas
gymnastique.
Les garibaldiens voulaient anéantir le régiment
des zouaves en soulevant cette émeute au milieu des
ténèbres et en voulant miner toutes les casernes ;
mais leur diabolique projet fut déjoué, et les lâches
durent chercher leur salut dans la fuite, suivant leur
habitude.
LE GENERAL DE CHARETTE A PATAY.
LA BATAILLE DE MENTANA
Pendant ce temps-là, Garibaldi, l'ermite révolu-
tionnaire de Caprera, sort de son île, située en face
de Naples, se rend à Florence et, à la. tête de 10,000
aventuriers et soldats, fond comme un ouragan, le 3
novembre, sur Mentana, petite ville d'environ 1,000
âmes, à cinq lieues au nord-est de Rome. Un fait
historique important se rattache à cette bourgade :
c'est là que l'illustre Charlemagne eut une entrevue
avec le pape Léon III, lorsque l'empereur des Francs
se rendait à Rome, en l'an 800, pour y recevoir la
couronne impériale.
Les étrangers qui visitent la Ville Eternelle se
font un devoir d'aller à Mentana fouler le champ de
bataille où l'armée pontificale remporta, le 3 novem-
bre 1867, une si brillante victoire sur le porte-éten-
dard des révolutionnaires et des sociétés secrètes,
Garibaldi, le général en chef du bataillon ou du
régiment des Chemises Rouges. A l'approche de
— 80 —
cet implacable ennemi de la Papauté et de l'Eglise
catholique, Rome trembla. La population était
tellement terrifiée qu'elle se préparait à s'enfuir vers
les montagnes en apprenant cette nouvelle alar-
mante. Un deuil universel enveloppait la ville aux
sept collines. La crainte avait glacé le sang dans
les veines des plus intrépides. Les églises regor-
geaient de fidèles implorant la protection du Très-
Haut. Partout, à chaque coin de rues, sur les places
publiques, on entendait des gémissements et des
sanglots. Encore quelques heures, et Rome et le
Père commun des fidèles seront au pouvoir des révo-
lutionnaires, entre les mains d'un homme sans cœur
et sans honneur. Quels maux vont fondre sur la
ville des Papes !
Mais, consolons-nous ; l'auguste vieillard du
Vatican avait prié pour l'Eglise et le Ciel avait
exaucé sa prière.
Pie IX bénit sa petite mais vaillante armée et lui
donne l'ordre de marcher au combat. Les zouaves
volent à Mentana, taillent en pièces les bandes gari-
baldiennes et rentrent dans Rome couverts de lau-
riers et de blessures. L'Eglise venait d'ajouter une
nouvelle page glorieuse à. sa glorieuse histoire, et le
Canada avait arrosé de son sang pour la première
fois le sol romain dans la personne de M. H. Murray
— 81 —
de Québec, et de M. Alfred LaRocque, de Montréal,
tous deux décorés de la croix de Pie IX pour leur
bravoure, et dormant aujourd'hui leur dernier som-
meil, le premier sur, la terre d'Espagne, et le second
dans le cimetière de Montréal. Honneur à la natio-
nalité franco-canadienne !
Le combat avait duré cinq heures. Garibaldi,
bien plus poltron que brave, avait pris la fuite pen-
dant la bataille, en laissant ses Chemises Rouges à
leur triste sort. Se voyant cerné par les zouaves, il
sauta sur son cheval et galoppa vers Monte-Rotondo
en disant à ses officiers de le rejoindre dans cette
ville. Mais le fuyard fit tellement jouer les éperons
que sa monture prit le mors aux dents et ne s'arrêta
avec son cavalier, bien entendu, que lorsqu'elle eut
franchi la frontière du Piémont.
Les officiers garibaldiens retournèrent à Monte-
Rotondo, suivant l'ordre de leur général ; mais le
triste sire avait pris la poudre d'escampette, comme
nous venons de le voir. Les vainqueurs et les vain-
cus, en apprenant la fuite de ce héros — soulignons le
mot — , s'écrièrent : " Le général Montre-ton-dos a
disparu." C'est Monte-Rotondo qu'on avait changé
en montre ton dos, et, il faut l'avouer, le qualificatif
était bien choisi.
6
— 82 — '
Nous avons raconté la bataille de Mentana au pas
de course ; mais n'allez pas croire que la victoire a
été gagnée aussi rapidement et aussi facilement que
vous venez de le voir. Non, la lutte a été acharnée
et chaudement contestée. Plusieurs zouaves sont
morts victimes de leur dévouement à la cause de
l'Eglise, et un grand nombre d'autres ont été plus
ou moins grièvement blessés. La petite troupe des
zouaves ne comprenait que 3,000 hommes, et les
garibaldiens étaient au nombre de 10,000 combat-
tants, comme nous l'avons déjà dit. La partie n'était
donc pas égale. Et puis l'ennemi occupait la
ville, se tenant à l'abri des vignes et des collines qui
entourent Mentana ; sa position était excellente ;
tandis que les zouaves pontificaux se trouvaient en
rase campagne, n'ayant d'autre défense que leur
courage et leur bravoure, stimulés par le vaillant
lieutenant-colonel de Charette. C'est le héros de
Castelfidardo que nous retrouvons ici.
Pendant cette bataille, le futur général de Charette
s'est conduit comme un digne fils de la Vendée. Les
garibaldiens avaient établi leurs quartiers-généraux
dans la vigne Santucci, à deux pas de Mentana, et
c'est là qu'ils avaient concentré le gros de leur armée.
Cette vigne était entourée d'un mur de brique. C'était
donc une véritable citadelle pour l'ennemi. En pro-
— 83 —
fitant des accidents de terrain, les zouaves étaient par-
venus à une centaine de verges de cette forteresse et
se tenaient cachés derrière de petits arbres disséminés
ca et là, tout en continuant un feu de tirailleurs des
mieux nourris. M. de Charette trouve que la besogne
ne va pas assez vite. Il commande donc une charge
à la baïonnette. Les zouaves se lancent de l'avant
comme des lions furieux ;. accueillis par une grêle
de balles, ils s'arrêtent, ils hésitent en présence d'un
aussi grand danger ; mais ils ne perdent pas courage
— les zouaves n'ont jamais donné ce triste spectacle.
Les balles continuent de tomber dru comme mou-
ches et commencent à faire des vides dans les rangs
pontificaux.
M. de Charette réalise bientôt la situation. Un seul
moment d'hésitation peut faire perdre la bataille et
être la cause de la ruine complète de l'armée du
Pape. " En avant les zouaves, s'écrie-t-il, ou je me
fais tuer sans vous." Et, agitant avec la pointe de
son épée un bonnet rouge d'un chef garibaldien qu'il
venait de mettre hors de combat, il se précipite sur
l'ennemi. Ses paroles et son exemple électrisent les
zouaves, qui se ruent au pas de charge sur la vigne
Santucci, en bondissant comme des cerfs dans la
forêt. Rien ne peut alors résister à leur'élan impé-
tueux : rien n'arrête leur marche précipitée ; c'est un
— 84 —
torrent qui renverse tout sur son passage. D'un saut
ils arrivent à la porte. Une nouvelle pluie de balles
inonde l'armée pontificale. Le lieutenant-colonel de
Charette et les zouaves y répondent par les cris de :
".Vive le Pape ! Vive Pie IX ! " Ils franchissent le
mur, ils culbutent les garibaldiens et les chassent
devant eux à coups de crosse de sabre. Des centaines
de garibaldiens tombent pour ne plus se relever.
Plusieurs chemises rouges déposent les armes, se
jettent à genoux et demandent grâce en criant :
" Vive Pie IX, " et en maudissant le monstre de
Caprera.
Du même élan, les zouaves, toujours guidés par
M. de Charette, pénètrent dans Mentana et mettent
en déroute de reste de l'armée de Garibaldi. Les
révolutionnaires prennent leurs jambes à leur cou
et regagnent la frontière.
M. le baron de Charette venait, par un coup de
sublime audace, de décider du sort de la bataille et
de sauver Rome de la domination sectaire. C'est le
véritable soldat chrétien qui nous donne ainsi l'ex-
emple d'un courage de héros et se distingue par des
actes dignes des anciens Croisés, et lui seul peut se
battre en brave, parce qu'il ne craint pas la mort.
Le colonel Allet ne se montra pas moins coura-
geux que son lieutenant-colonel ; mais il était moins
— 85 —
bouillant que lui ; son sang-froid excitait l'admira-
tion de tous les zouaves. Les balles ne lui faisaient
pas courber la tête, à celui-là. Voici un trait de
bravoure qui vient à 1* appui de notre thèse :
Pendant la bataille, papa Allet, comme nous l'ap-
pelions au régiment, se tenait au front et un 'peu à
côté de son armée et 'suivait les différentes péripéties
de la mêlée, tout en fumant tranquillement un
cigare, lorsqu'il aperçut un garibaldien qui le met-
tait en joue. Sans laisser percer la moindre émotion,
le colonel Allet le regarde viser. Le garibaldien
fait feu et ... le colonel ne reçoit aucune blessure.
Alors, se tournant vers les zouaves, Allet dit en
riant : " Oh ! qu'il est bête ! il me vise, il tire et il
ne me tue pas." — " Donne-moi ta carabine ", ajoute-
t-il en s'adressant à un zouave. Notre bon colonel
épaule sa carabine, pointe le garibaldien, fait feu et
le soldat à la chemise rouge tombe raide mort.
" Tiens, dit-il en remettant l'arme qu'il avait em-
pruntée, c'est comme cela qu'on vise dans l'armée
pontificale." Un tel sang-froid et un tel courage se
passent de commentaires.
Ce sont les zouaves pontificaux, et non les soldats
de l'armée française, comme on l'enseigne fausse-
ment en France aujourd'hui, qui ont culbuté les
garibaldiens en cette journée mémorable, s Voici, à
— 86 —
ce sujet, le témoignage d'un Français présent à
cette bataille :
" Yers'trois heures et demie, les Français arri-
vèrent devant les murs de Mentana, s' annonçant
d'une manière significative par une décharge de
cinq minutes. Quelle chose épouvantable que ces
fusils chassepots !
On aurait cru entendre un roulement de tambour.
C'était la première fois que nos soldats se servaient
de pareilles armes, et il est heureux que l'expérience
en ait été faite sur les ennemis de la Papauté.
" Certes ! loin de nous la pensée de diminuer le
rôle de l'armée française et de lui ravir la moindre
parcelle d'une gloire bien acquise. Mais il est bon
de flétrir l'injustice de ceux qui s'obstinent à lui attri-
buer tout l'honneur de la journée. Son drapeau fut
comme une menace sur le champ de bataille et jeta
l'épouvante au cœur des garibaldiens ; elle contint
par sa présence les bataillons piémontais campés à
quelques milles du terrain de la lutte : enfin, grâce
aux habiles manœuvres exécutées par elle aux abords
de Monte-Rotondo et dans la plaine, elle intercepta
les renforts ennemis. Mais, encore une fois, toutes
les positions avaient été enlevées lorsqu'elle vint
prendre une part active à l'affaire.
" Les vaincus jugèrent moins humiliant de rejeter
— 87 —
leur défaite sur les merveilles des chassepots, et ce fut
pour tous les ennemis de l'Eglise un dédommagement
que d'exclure l'armée pontificale d'un triomphe
acheté par sajbravoure."
LES ZOUAVES PONTIFICAUX
CANADIENS
Cette brillante victoire procura une ère de paix de
trois ans au Vicaire de Jésus-Christ ; mais elle donna
lieu, en même temps, à la glorieuse croisade cana-
dienne de 1868. En effet, émue avec raison des
échauffourées sans cesse répétées et de la hardiesse
des bandes garibaldiennes ou des cohortes révolu-
tionnaires, Sa Sainteté Pie IX éleva la voix et con-
jura les nations catholiques de lui envoyer des bras
valeureux pour le défendre contre les formidables
assauts des ennemis de l'Eglise.
Sa Grandeur Mgr Bourget, évêque de Montréal,
publia aussitôt un mandement invitant la jeunesse
de son diocèse à s'enrôler sous le drapeau pontifical,
et, nouveau Pierre l'Ermite, il lança cet appel
sublime : " Dieu le veut, enfants du Canada, partez
pour Rome." Mgr Baillargeon, archevêque de Qué-
bec, Mgr Laflèche, évêque des Trois-Rivières, Mgr
— 90 —
Langevin, évêque de Rimouski, tous les évêques et
les prêtres canadiens, en un mot, joignirent leur voix
à celle de l' évêque de Montréal, et cinq cents jeunes
Canadiens allèrent se ranger sous l'étendard du Pape
pendant les années 1868, 1^69 et 1870.
La croisade des Zouaves Pontificaux Canadiens est
connue de tous nos compatriotes. M. le chanoine
Moreau, l'un de nos dévoués aumôniers, s'en est fait
l'historien et nous en a donné un récit détaillé.
Nous n'avons donc pas à nous occuper de cette glo-
rieuse épopée — " Nos Croisés " renferment tous les
renseignements désirables sur les jeunes gens du
Canada qui ont pris les armes pour la défense de la
Papauté.
Nous nous contenterons de rappeler ici deux
appréciations sur cette page de notre histoire : l'une
de Sa Seigneurie le juge Routhier, et l'autre de feu
Mgr Bourget.
Voici les paroles que l'honorable juge Routhier
prononçait dans le cours de son magnifique discours
à l'ouverture du Congrès Catholique tenu à Québec,
en 1880 :
" La France avait un autre devoir découlant de
son alliance : c'était de défendre l'Eglise dans le
danger ; et vous savez que lorsqu'elle y a manqué,
elle a toujours senti le contre-coup des malheurs de
— 91 —
l'Eglise. Il est possible que Dieu nous destine à ce
rôle dans l'avenir comme notre ancienne mère patrie,
et c'est un des événements les plus glorieux de notre
histoire d'avoir pu, déjà figurer à côté de la France
dans les armées de l'Eglise.
" Il y a dix ans que le pontife de Rome a vu ce
spectacle magnifique : la mère et la fille unies dans
le même amour et le même dévouement, traversant
les mers pour la défense de la même cause et deve-
nant toutes deux sentinelles du Vatican ! La mère
enseignant à sa fille le dur métier des armes qu'elle
a pratiqué pendant tant de siècles, et la fille rappe-
lant à sa mère la foi ardente de ses jeunes années !
" Ce souvenir vous fait tressaillir et produit sans
doute un gonflement d'orgueil dans vos poitrines.
C'est un bonheur pour moi de vous le rappeler en
ce moment où j'aperçois réunis nos excellents zoua-
ves. Honneur à eux ! puisqu'en offrant généreuse-
ment leur vie à l'Eglise de Dieu, ils ont ratifié et
sanctionné de nouveau le pacte sacré qui nous unit
à elle !"
Sa Grandeur Mgr Bourget se rendit à Rome en
1869. Voici ce qu'il écrivait à l'administrateur de
son diocèse, au mois de mars de cette même année,
en parlant des Zouaves canadiens :
— 92 —
" Par principe de foi, ils sont sincèrement dévoués,
affectionnés, dévots même envers le Père commun
des fidèles. On n'en saurait douter, quand on fait
attention aux sacrifices qu'ils ont dû faire pour lui
prouver leur attachement filial. Il leur a fallu, en
effet, s'arracher à la tendresse de leurs parents,
renoncer aux douceurs de la patrie, tourner le dos à
un avenir plus ou moins flatteur, affronter les dan-
gers d'un climat qu'ont à redouter les étrangers,
embrasser un genre de vie qui a ses souffrances et
ses ennuis, s'assujétir à un régime qui impose à de
grandes privations à quiconque n'y est pas accou-
tumé, faire de longues et péuibles marches, sac au
dos et l'arme au bras, au risque de s'écorcher les
pieds en traversant les marais et de n'avoir, la nuit,
pour abris que de misérables étables ou écuries,
exposées à tous les vents. A ces souffrances physi-
ques viennent se joindre les peines morales, les
ennuis de la caserne, les misères des caractères, les
brusqueries militaires, les punitions sévères, surtout
quand elles ne sont pas méritées, mais auxquelles il
faut cependant se soumettre sans réplique, l'assujé-
tissement journalier aux règles d'une discipline rigou-
reuse. Tout cela, et bien d'autres choses encore,
froisse et irrite d'ordinaire des jeunes gens qui ont eu
toutes leurs aises, dans la maison paternelle.
— 93 —
Lorsqu'ils ont à souffrir quelque mauvais traite-
ment, qu'il leur faut faire une marche forcée, que la
gamelle ne peut suffire à satisfaire leur appétit dévo-
rant, on les entend dire : " C'est pour la bonne cause ;
c'est pour le Pape que nous souffrons " ; et les voilà
contents, gais et joyeux. " On nous l'avait dit ;
nous l'avons bien voulu ; nous n'avons donc pas à
nous plaindre. Au commencement cette vie nous
paraissait bien dure ; maintenant nous y sommes faits
et rien ne nous coûte. Nous n'avons plus qu'une
chose à désirer : c'est de verser notre sang pour le
Pape. Nous "espérons bien que, pour l'amour de
notre bon Père, nous nous battrons avant que notre
engagement soit fini, et que nous laisserons dans le
cimetière de Saint-Laurent avant de partir, quelques
uns des nôtres, et que nous nous en retournerons dans
notre cher Canada avec de glorieuses blessures". .
"Le général Kanzler, le colonel Allet, le colonel
d'Argy, le lieutenant-colonel de Charette et plusieurs
autres officiers de l'armée pontificale, que j'ai vus
tour à tour, n'ont que des éloges à faire de nos com-
patriotes ; et tous m'ont témoigné leur désir de
grossir leurs bataillons respectifs de nouvelles recrues
faites au Canada, On voudrait les enrôler dans
l'artillerie, dans la légion, dans -le corps des carabi-
niers, mais les officiers zouaves prétendent avoir droit
— 94 —
d'enregistrer dans leur corps tous ceux qui seront de
nouveau envoyés comme renforts à l'armée pontifi-
cale, qui en a grandement besoin, comme tout le
monde en convient."
Ces belles paroles de Mgr Bourget nous dispensent
de parler des fatigues et des privations que nous avons
eues à endurer pour nous former au régime militaire,
de nos marches forcées, de notre vie de camp et de
garnison, du bonheur que nous avons éprouvé à
l'ombre du drapeau pontifical, et de l'estime dont
nous avons été l'objet de la part de Sa Sainteté Pie
IX et de tous les officiers du régiment des zouaves
pontificaux, depuis le général en chef jusqu'au plus
humble sous-lieutenant. Nous nous bornerons donc à
relater les principaux événements qui, de 1868 à
1870, ont ajouté de nouvelles pages aux annales
de notre régiment et à l'histoire de l'Eglise. Jusqu'à
la bataille de Mentana, comme nous le disons dans
notre introduction, nous avons été forcé de consul-
ter différents historiens et de leur faire des em-
prunts pour donner un aperçu aussi fidèle que possi-
ble de cette période de neuf ans, tour à tour glorieuse
et douloureuse pour la Papauté. Maintenant, nous
entrons pour ainsi dire sur un domaine que nous
avons nous-même parcouru en tous sens. C'est
comme témoin et comme acteur que nous allons
— 95 —
exposer brièvement les principales actions auxquelles
le régiment des zouaves pontificaux a été mêlé pen-
dant ses deux dernières années de service dans les
•Etats de l'Eglise.
LE COLONEL ALLET
LE BRIGANDAGE
Quelques mois après notre arrivée à Rome, le
troisième dépôt, composé presque entièrement de
Canadiens, fut envoyé en garnison à Velletri, ville
importante des anciens Volsques et située à 36
milles environ au sud de Rome.
La vie de garnison en province est assez mono-
tone et ennuyeuse ; mais, à Velletri, nous n'étions
pas exposés à subir ces deux inconvénients, puisque
nous n'avions pas un seul jour de repos. Aussitôt
la manœiîvre terminée, il nous fallait faire la
patrouille dans la ville et la chasse aux brigands
dans les montagnes.
Le brigandage, en Italie, est une véritable plaie
sociale et s'y pratique sur une grande échelle. De
tous temps les souverains ont travaillé à faire dispa-
raître ce fléau ; mais ils ont toujours échoué dans
leur courageuse entreprise, et l'on n'en doit pas
être surpris, si l'on fait attention à la conformation
7
— 98 —
de ce pays qui, par ses nombreues chaînes de mon-
tagnes, offre un refuge assuré 'aux brigands.
Les brigands qui se tiennent cachés dans les mon-
tagnes sont assez nombreux. Ces voleurs de grands
chemins n'ont pas de demeure fixe. Un soir, ils
s'installeront dans une grotte profonde, et, un autre
jour, ils se logeront à plusieurs milles de là dans une
autre habitation caverneuse. Ils connaissent parfai-
tement toutes les montagnes et les collines : cre-
vasses, grottes, cavités souterraines, déniés, tout leur
est familier ; ils peuvent donner la topographie des
rochers aussi facilement qu'un enfant récite son
catéchisme. Il est plus difficile de mettre la main
sur un brigand que d'abattre un orignal au milieu
de nos vastes forêts. Vous croyez les saisir, vous
n'êtes plus qu'à quelques arpents des fuyards, vous
les voyez courir devant vous, et tout-à-aoup il n'y a
plus rien. Les brigands ont disparu comme par
enchantement. On dirait qu'ils possèdent une vraie
baguette de fée. Vous fouillez toutes les sinuosités,
tous les coins et recoins et toutes les fissures des
rochers sur lesquels ils glissaient, pour ainsi dire, il
n'y a qu'un instant, et vous ne trouvez aucune trace
de leur passage, aucun vestige, aucun indice qui
puisse vous guider dans vos recherches. La mon-
tagne s'est entr' ouverte sur leurs pas pour les cacher
— 90 —
dans ses entrailles, et toute empreinte s'est évanouie
comme au passage des Israélites sur la mer Rouge.
Nous avons fait plusieurs fois la chasse aux bri-
gands pendant que nous étions à Yelletri, et nos
démarches n'ont pas toujours été couronnées de
succès pour les raisons que nous venons d'-énumérer.
Si, dans nos patrouilles, nous avons réussi à capturer
quelques-uns de ces bandits ou à en tuer un certain
nombre, c'est que nous les avons surpris au milieu
de leurs orgies ou qu'ils ont été trahis par leurs
complices. Nous appelons de ce nom les paysans
que la crainte d'être immolés à la fureur de ces
monstres humains rend muets, quand on veut avoir
des informations sur leurs faits et gestes. La plupart
des campagnards et des bergers d'Italie, résidant
près des montagnes ou des forêts, sont pour cette
raison de petits brigands, qui font cause commune
avec les grands.
L'histoire des brigands fait frémir de crainte et
d'horreur et paraît même invraisemblable ; mais les
faits nombreux que nous avons recueillis sur leur
compte à Velletri, ne nous permettent pas de douter
un seul instant de l'authenticité des terribles tragé-
dies dont ils ont été les sinistres héros. Voici ce
qu'un zouave français écrivait à sa famille, en 1866,
lorsque sa compagnie était en garnison à Frosinone :
— 100 —
" Melza, juge au tribunal civil de Rome, ayant
été condamné à une suspension d'un an, était venu
se réfugier à Sonnino.
Durant une promenade solitaire aux environs de
San-Lorenzo, près d'une petite casale di eampagna, le
malheureux fut surpris par les brigands. Sa mise
plus soignée que celle des autres habitants du pays
leur fit conjecturer qu'il devait être riche : c'est
pourquoi, l'ayant garrotté, ils l'emmenèrent sur le
territoire napolitain. De là, ils envoyèrent des
émissaires à Sonnino réclamer de la famille une ran-
çon de cinquante mille francs : point davantage. La
famille déclara qu'elle n'avait pas le moyen de
payer une pareille somme ; ces messieurs, grands et
généreux, voulurent bien alors rabattre de leurs pré-
tentions en diminuant la taxe de dix mille francs ;
mais les pauvres Melza ne pouvait pas plus faire
porter quarante mille francs que cinquante, et les
émissaires revinrent de nouveau bredouille.
" Le lendemain la signora Melza recevait un pli
ensanglanté contenant une des oreilles de son mari.
Ta t'imagines la stupeur de la pauvre femme. Le
jour suivant ce n'était plus seulement une oreille,
mais une main du malheureux juge, avec l'anneau
au doigt, pour que la famille n'eût pas l'ombre d'un
doute sur l'identité cfe la victime. Pauvres gens
— 101 —
leur torture était épouvantable ; le troisième jour,
c'était une jambe qui leur arrivait. Oh ! les mons-
tres ! Enfin, le cinquième jour, c'était la tête. L'in-
fortuné Melza avait fini de souffrir, mais après quelle
épouvantable agonie ! Rien qu'en y pensant, je
frémis de la tête aux pieds."
Voici un autre trait de cruauté inouïe :
" Ces jours dernier, dit le même zouave, un peco-
raro (pâtre), des environs de Sonnino a délivré une
victime d'Andreozzi (chef brigand), et beaueoup de
nos soldats cantonnés dans les parages de Frosinone
ont déjà entendu la victime elle-même raconter son
épouvantable histoire ; ça fait ni plus ni moins
frissonner de la tête aux pieds, même sans fièvre, et
vice-versa.
" Maitre Andredzzi a donc fait 'main basse, tout
récemment, sur deux frères propriétaires, habitant
Lenola, près Sonnino, sans doute dans l'espoir d'en
retirer une grosse rançon ou par vengeance. Les
ayant conduits dans la montagne» il les a liés dos à
dos ; cela fait, il s'est donné l'atroce jouissance de
les larder de coups de poignard dans toutes les par-
ties du corps ; puis, quand il les a vus dans les der-
nières convulsions de l'agonie, il a déchargé sa cara-
bine sur les deux infortunés, et alors, les roulant
jusqu'au bord d'un précipice d'une insondable pro-
— 102 —
fondeur, il les a poussés du pied. Mais l'un des deux
frères était encore vivant, le cœur n'avait pas été
touché ; en dépit de ses souffrances, le pauvre diable
avait eu l'énergie d'étouffer ses cris et de faire le
mort. Jugez de la sensation qu'il a dû éprouver
dans cette chute qui pouvait l'achever cent fois. Il
est demeuré un jour et une nuit attaché au cadavre
de son frère, baigné dans son sang et se démenant
en vain pour briser ses entraves. Peut-on imaginer
une position plus horrible ? Dieu, qui voulait l'en
tirer, dans un dessein de miséricorde, a permis qu'un
pâtre ait entendu des gémissements sortir de cet
■abîme et ait pu en retirer le pauvre agonisant, qui,
à force de soins, est re\enu à la vie."
Les brigands de la Province de Velletri étaient
d'une impudence et d'une audace vraiment éton-
nantes. Ils venaient souvent dans les villes prendre
le café, le soir, dans les hôtels les plus fréquentés, et
ils échappaient presque toujours aux recherches les
plus actives de la gendarmerie. Et pourtant la
gendarmerie pontificale jouissait d'une excellente
réputation de zèle et de fidélité. C'était le plus beau
corps de police que nous ayons jamais vu. La ville
de Velletri a reçu, à plusieurs reprises, la visite des
brigands. En voici une preuve entre mille :
Un soir, nous étions de patrouille en compagnie de
— 103 —
MM. Charles Trudelle et Napoléon Courteau, zouaves
canadiens, et d'un zouave français, dont nous avons
oublié le nom. Cette patrouille était commandée,
comme toutes les autres du reste, par un gendarme.
En parcourant la plus grande rue de la ville, le
Corso, s'il vous plaît — chaque ville d'Italie a son
Corso — nous passons devant le Café du Soleil. Notre
commandant ralentit le pas et jette un regard scruta-
teur sur la foule des buveurs qui encombrent le café,
dont la porte est toute grande ouverte.
Nous remarquons que le gendarme est vivement
% excité; mais, tout de même, nous continuons notre
promenade militaire. Quelques arpents plus loin,
nous nous arrêtons, et nous faisons volte-face. Notre
chef pro tempore nous recommande de marcher piano,
piano, en arrivant au Café. Un grand nombre de
buveurs ont déjà déserté le restaurant : il reste cepen-
dant encore cinq ou six joyeux convives assis à une
table placée dans un coin, assez obscure. Le gendar-
me s'arrête en face de la porte d'entrée et nous
ordonne de faire halte et de mettre la baïonnette au
canon. Cette halte et ce dernier commandement donné
à voix basse nous intriguent excessivement. Nous
ne voyons rien qui puisse nécessiter une charge à la
baïonnette, et pourtant notre commandant a des rai-
sons excellentes pour nous placer sur la défensive, et
— 104 —
tout prêts même à recevoir l'attaque. Obéissons donc
sans murmurer ; c'est la discipline qui le veut, et
c'est pour la bonne cause qu'il nous faut obéir.
L'énigme s'explique bientôt ; car le gendarme
nous donne le commandement de porter armes et
d'entrer dans le Café. Vous pouvez vous figurer
facilement la surprise et la binette des habitués du
restaurant en voyant arriver cinq militaires armés
jusqu'aux dents. L'un des convives, entre autres,
nous paraît mal à l'aise, et c'est vers lui que nous
nous dirigeons. Le gendarme lui frappe sur l'épaule
en lui disant : " Vous êtes mon prisonnier. — Pour
quelle raison ?" réplique l'homme interpellé par le
gendarme. Pour toute réponse, ce dernier lui ordonne
d'ôter sa blouse — un habit de drap noir. Le buveur
obéit sur-le-champ, mais en faisant une grimace. Le
gendarme prend l'habit, l'examine, le tourne, le
retourne et l'approche d'un bec de gaz. Une lettre
apparaît entre la doublure et l'étoffe de la blouse.
En un clin d'œil la doublure est enlevée d'un coup de
sabre, et la lettre tombe aux pieds d'un zouave, qui
la'ramasse et la remet au gendarme.
Notre commandant est satisfait de ses investiga-
tions ; il a appris ce qu'il voulait savoir : " Habil-
lez-vous, dit-il au buveur, et suivez-nous à la prison."
Le convive se fâche, frappe la table du poing, casse
— 105 —
les verres et se met en état de résister à la patrouille
en se servant d'une chaise comme d'un bouclier. Le
commandant reste impassible ; les zouaves ne sont
nullement effrayés des menaces de cet énergumène ;
ils attendent l'ordre d'agir. " Zouaves, dit le com-
mandant, en avant ! " Nous avançons et nous poin-
tons la baïonnette vers la poitrine du forcené. Sa
résistance n'est pas de longue durée ; car, se voyant
menacé d'une mort certaine, il demande grâce pour
la vie, et, devenu aussi doux qu'un agneau, il pro-
met de nous suivre. Nous le conduisons à la prison
de l'Etat entre quatre baïonnettes.
Après avoir confié notre prisonnier au geôlier,
nous reprenons notre course à travers la ville. Che-
min faisant, nous demandons au gendarme la cause
de l'arrestation que nous venons d'opérer. " C'est,
répondit-il, un brigand de la pire espèce que nous
avons pincé ce soir. Il fait partie de la bande qui
rôde depuis quelque temps aux environs de Cori,
l'ancienne Cora, la patrie de Ponce-Pilate, et il était
venu en cette ville chargé de remplir une terrible
mission. Comme j'ai pu m'en convaincre par la
lettre qu'il tenait cachée dans la doublure de son
habit, ce brigand devait voler -un enfant d'un des
plus riches citoyens de cette ville, l'emporter dans
les montagnes et demander ensuite une forte rançon.
— 106 —
Heureusement que je le connaissais ; car c'est un
ancien résidant de Velletri qui, après avoir commis
les crimes les plus horribles, avait échappé à la
justice en se réfugiant dans une forêt, et en s'enrô-
lant, quelques jours plus tard, dans une bande de
brigands."
Deux semaines après son arrestation, notre bri-
gand subit son procès et est condamné à être fusillé.
Deux religieux se rendent à la cellule du condamné
et offrent leurs services pour le préparer à la mort.
Le malheureux pêcheur refuse : il ne veut pas
entendre parler de Dieu. Les zélés religieux revien-
nent plusieurs fois à la charge, mais en vain ; leurs
paroles de consolation sont accueillies par des jure-
ments et des blasphèmes. Le cœur de ce brigand
reste aussi dur que le roc.
La veille de l'exécution, les courageux apôtres
entrent "de nouveau dans le cachot du prisonnier et
lui parlent, avec des larmes dans la voix, du sort
épouvantable qui lui est réservé, s'il meurt dans
l'impénitence finale. " C'est trop tard, répond le
brigand, et je suis trop criminel pour que Dieu me
pardonne. Rien ne peut m' arracher des flammes de
l'enfer, que je vois déjà entr' ouvert sous mes pieds."
Les religieux redoublent d'efforts et de courage. Le
— 107 —
brigand résiste toujours à la grâce en répétant :
" C'est trop tard."
Minuit sonne, et toujours la même obstination de
la part de ce grand criminel. La nuit s'écoule au
milieu des pleurs et des prières des dignes fils de
saint François. Et le prisonnier continue de hurler
qu'il est damné et que rien ne peut le sauver.
Il est cinq heures du matin. Encore trois heures,
et le brigand va paraître- chargé d'iniquités devant
son souverain Juge. Les prêtres se jettent à ses
pieds et le conjurent de réciter avec eux le Souvenez-
Vom de saint Bernard. A cette ardente supplication,
le condamné porte les yeux vers la voûte de son
obscur cachot, joint les mains sur sa poitrine oppres-
sée^ récite le Souvenez-vous, éclate en sanglots et
tombe à genoux en criant : " Mon Dieu, pardon ! "
La glace était rompue, et le brigand converti. Il
fait une confession générale, assiste au saint sacrifice
de la messe, reçoit la sainte communion, et, dix
minutes plus tard, tombe sur la place publique
frappé de six balles.
Avant de mourir, le condamné adresse la parole
à la foule, énumère tous les crimes qu'il a commis
pendant sa vie et demande pardon à tous ceux qu'il
a offensés*." Je meurs content, dit-il, car je meurs
réconcilié avec mon Dieu, que j'ai tant outragé, je
— 108 —
dois ma conversion à la bonne Madone. Sur son lit
de mort, ma mère m'avait fait promettre de réciter
le Souvenez-vous tous les jours. J'étais bien jeune
alors, et je n'ai jamais manqué à ma promesse. C'est
la vierge Marie qui m'a ouvert les yeux et sauvé
des flammes de l'enfer. Mes amis, priez toujours
Marie, et elle vous tendra une main secourable dans
les circonstances les plus pénibles. Adieu ! . . .
Et le converti est lancé dans l'Eternité.
La cinquième compagnie du 1er bataillon des
zouaves qui était en garnison à Velletri en même
temps que nous, fit, un jour, une patrouille des plus
fructueuses.
Ayant appris par des paysans qu'une bande de
brigands habitaient une forêt voisine de Frosinône
depuis quelques jours, les zouaves, au nombre de
quarante, partirent aussitôt pour les chasser de cet
endroit. Deux gendarmes les accompagnaient, l'un
à pied et l'autre à cheval. Après deux jours de
marche à travers la forêt même, les zouaves ne trou-
vèrent aucun briand, et, par surcoît de malheurs,
une pluie abondante ne cessa de tomber sur ces
courageux jeunes gens, qui supportaient sans mur-
murer toutes leurs privations et leurs fatigues. La
faim même commençait à se faire sentir chez un bon
nombre d'entre eux, qui n'avaient pas emmagasiné
— 109 —
dans leurs sacs à pain une quantité suffisante de
vivres. Que faire en pareille occurrence ? Va-t-on
renoncer à la chasse ? se demandèrent les zouaves.
Les uns se montraient encore disposés à continuer
leur poursuite, mais plusieurs inclinaient à la retraite.
Pendant qu'ils s'entretenaient ainsi sur le parti
qu'ils devaient prendre, un léger bruit se fait enten-
dre sur la lisière de la forêt. D'un bond tous les
zouaves ont gagné le lieu d'où était parti le bruit ;
mais quel désappointement ! ils se trouvent face à
face avec un pauvre berger qui agite tranquillement
sa houlette, pendant que son troupeau broute l'herbe
tendre des champs. Tous alors de rire en voyant
ce brigand d'un nouveau style, comme dirait l'An-
glais. Nous n'avons pas besoin d'ajouter que le
berger en fut quitte pour un tribut assez considérable
à la peur. Mais l'air enjoué des soldats du Pape le
ramena bientôt à son état normal. Après avoir
échangé quelques paroles avec le vieux paysan, les
zouaves résolurent de retourner sur leurs pas et de
se déployer en tirailleurs sur la lisière de la forêt.
On peut bien se demander pourquoi ce change-
ment si subit survenu dans tous les esprits et pour-
quoi cet empressement à obéir au commandement
de : Peloton, en tirailleurs ! Le mot de l'énigme est
facile à trouver. Pendant leur conversation avec le
— 110 —
berger, les zouaves prirent des informations sur le
lieu où devaient se trouver les brigands ; et le bon
vieillard, qui les avait vus de ses propres yeux, il y
avait deux jours, leur dit que les brigands devaient
passer par tel chemin le lendemain matin. " C'est
moi, ajouta-t-il qui leur ai recommandé de suivre
cette voie pour échapper à votre poursuite. Ils
m'avaient demandé auparavant si je vous avais vus.
Sur ma réponse affirmative, ils ont voulu savoir
quelle direction vous prendriez. Alors, je leur ai
indiqué une direction toute contraire à celle que
■ vous suiviez, pensant par là les faire tomber dans le
piège. Mais je me suis trompé dans mon attente.
Demain cependant, j'espère que mes vœux seront
exaucés, et voici pour quelle raison : en s' éloignant
de moi, ils ont répété deux fois les paroles suivan-
tes : " Au revoir, dans deux jours nous viendrons
te voir en passant par le chemin que tu nous as
montré. Mais sois bien averti : si tu nous trahis ou
si tu dévoiles le lieu de notre retraite, ta vie sera la
rançon de ton infâme conduite." Ils dirent, et puis
ils disparurent dans l'épaisseur des bois.
Il était huit heures du soir lorsque les zouaves
reprirent leur faction ; chacun se plaça au pied d'un
arbre pour se garantir de la pluie, qui ne diminuait
pas, et attendit en silence. La nuit fut assez belle
— 111 —
néanmoins '; car, vers minuit, la pluie cessa, les nuages
se dispersèrent et la lune se montra à travers le feuil-
lage mollement agité par une légère brise du midi.
Le beau temps ranima le courage des zouaves, mais
aussi il leur emporta un doux sommeil vers les trois
ou quatres heures du matin. C'était la première fois
que, depuis leur départ, ils prenaient un peu de
repos. Il faut l'avouer, l'heure n'était pas bien choisie
pour se jeter dans les bras de Morphée ; mais les forces
de ces preux jeunes gens étaient complètement épui-
sées par les marches, les veilles et la faim. Ainsi,
point de reproches.
Cependant les heures s'écoulent rapidement, et pas
un brigand ne se montre la figure. Il est un adage
populaire qui dit : " Vous ne perdez rien pour atten-
dre." C'est ce que firent les chasseurs de brigands ;
ils attendirent jusqu'à sept heures, toujours sommeil-
lant légèrement, un œil fermé et l'autre ouvert, et
assis au pied des arbres avec leurs carabines sur les
genoux. Enfin, leur espérance va être exaucée.
Voilà qu'une détonation se fait entendre. Aussi
prompts que l'éclair, les zouaves se lèvent et épaulent
leurs carabines. " Qu'y a-t-il? crie-t-on de toutes
parts. — Cinq brigands, répond un gendarme. Les
voilà à dix pas de nous. Le chef est à cheval."
Un zouave français du nom de Marchand, qui se
— 112 —
trouvait à vingt pieds du chef, ajuste ce dernier et
presse la détente ; mais le fusil rate. De son côté, le
chef des brigands met le zouave en joue et fait feu.
Et le coup ne part pas non plus. Marchand fait une
volteface et se cache derrière un arbre pour armer de
nouveau. Le chef épaule une autre carabine — les bri-
gands en avaient presque toujours deux, — mais, au
moment où il tirait la gâchette, une balle lancée par
un caporal, que nous avions baptisé du nom de l\iit
Jean, vint le frapper au cœur et le renverser par terre
baigné dans son sang. Au même instant, deux autres
brigands tombent sous un véritable orage de balles.
Un quatrième est blessé par Petit Jean, mais il trouve
son salut dans la fuite. Le cinquième s'était éclipsé
au commencement de la mêlée. Inutile de faire
observer que cette "capture causa une grande joie aux
zouaves.
Lorsque nos camarades furent de retour à Velletri
avec les brigands qu'ils avaient tués, nous exposâmes
les trois cadavres sur la plus grande place de la ville,
afin de jeter la terreur dans le cœur de la population,
parce que les brigands avaient des affiliés ou des com-
plices dans la plupart des petites villes de cette pro-
vince, et à Velletri plus qu'ailleurs.
Cette exposition de cadavres a obtenu les plus
beaux résultats ; car, depuis cette époque, nous
— 113 —
n'avons plus entendu parler de .vols, de pillages, de
meurtres, etc.
Nous avons traité longuement la question du
brigandage pour deux raisons : la première, c'est
parce que les brigands faisaient cause commune avec
les révolutionnaires ou les garibaldiens, et la seconde,
c'est parce que les zouaves ont réussi, dans une
grande mesure, à purger le sol italien de ces monstres
humains, du moins pendant leur séjour dans les
Etats de l'Eglise.
LE CAMP D ANNIBAL ET PIE IX
Le 28 juillet 1868, nous recevions l'ordre d'éva-
cuer Velletri et de nous transporter à Rome. Nous
pensions faire un long séjour dans la Ville Eternelle,
mais vaine illusion ! A peine avons-nous établi nos
quartiers-généraux aux Termini, c'est-à-dire aux
fameux thermes de Dioclétien, que le clairon sonne
" Sac au dos." Nous partons pour Rocca-di-Papa,
ou camp d'Annibal, en suivant la route de Grotta-
Ferrata. La distance que nous avons à parcourir
est de vingt-quatre milles environ.
Après dix heures de marche, nous foulons le ter-
rain sur lequel Annibal, illustre général carthaginois,
vint établir son camp quelques jours avant la
célèbre bataille du lac de Trasimène, pendant
laquelle les Romains, commandés par Flaminus.
Caïus furent taillés en pièces, en l'an 217 avant
Jésus-Christ. C'est pour cela que cet endroit est
connu sous le nom de Camp cV Annibal. Le grand
— 116 —
capitaine africain avait certainement étudié la topo-
graphie de l'Italie, car il n'y avait pas de lieu plus
propre au campement d'une armée de plus de cent
mille hommes.
Il est difficile de se former une juste idée des souf-
frances que nous avons endurées pendant que nous
étions campés à Rocca-di-Papa. Nous dormions sur
la dure, quelques brins de fugère ou de paille nous
séparant de la terre humide, et nous couchions tout
habillés. L'avant-midi, nous faisions l'exercice de
bataillon ; le midi, le clairon sonnait l'appel de pro-
preté avec sac au dos, au front de bandière, et
l'après-midi se passait en corvées de toutes sortes.
Malgré nos rudes labeurs, nous étions toujours
heureux et joyeux. Heureux, parce qu'il nous était
donné de souffrir pour la bonne cause. Joyeux, parce
que nous savions que les fatigues que nous endu-
rions nous seraient d'un grand secours, quand nous
aurions à combattre les ennemis de la Papauté. Par
cette vie active et dure, les corps se brisaient à l'en-
durance, et ni la faim, ni la soif, ni la chaleur, ni le
froid ne pourront plus tard nous arrêter au milieu
des batailles. Pendant le jour, il faisait très chaud,
et, pendant la nuit, le froid était rigoureux ; nous
étions campés à 2,700 pieds au-dessus du niveau de
la Méditerranée.
— 117 —
Le 10 août fut pour nous un jour de fête, que
nous n'oublierons jamais. Sa Sainteté Pie IX vint
rendre visite à son armée et célébrer le saint sacri-
fice de la messe au milieu de ses chers soldats.
Quelle belle cérémonie ! Quelle pompe ! Figurez-
vous huit mille hommes sous les armes, rangés eu
ordre de bataille, la tête haute et fière, l'œil vif et
pénétrant, gardant un silence solennel, et tous tour-
nés vers un magnifique autel élevé pour la circons-
tance à l'est du camp. Voyez apparaître à la gau-
che de ces valeureux guerriers, dans la direction de
Rocca-di-Papa, l'auguste Pie IX, le vicaire de Jésus-
Christ, escorté de trois cardinaux, d'un grand nom-
bre' de prélats, de la Garde Noble, d'un nombreux
piquet de zouaves, de l'état-major du régiment et de
plusieurs princes qui considèrent, avec raison,comme
une insigne faveur le privilège d'accompagner
l'Evêque de Rome. Aussitôt que le Pape commence
à gravir les Monts Algides, une bruyante salve d'ar-
tillerie salue le roi de l'uniuers catholique ; le corps
de musique des zouaves et celui des Chasseurs indi-
gènes, Caceiatori, font entendre leurs harmonieux
accords, et ne cessent de jouer que lorsque Notre
Saint Père est arrivé à la chapelle militaire. Pendant
qu'il traverse les rangs de ses nombreux' enfants et
qu'il les bénit affectueusement, ceux-ci se tiennent
dans la position de genou-terre.
— 118 —
Aussitôt que le Pape fut descendu de voiture, il
revêtit de riches ornements pontificaux et commença
le divin sacrifice. Quelle majesté dans toute sa per-
sonne ! quelle sainteté brille sur son auguste visage !
quelle tendre affection dans le regard ! Ce n'est plus
un simple mortel, mais un ange sous la forme
humaine. . Pendant tout l'office, nous restâmes les
veux sur l'immortel successeur de Saint Pierre,
et cette vue nous apporta à l'âme un charme indéfi-
nissable.
Après la messe, le Saint-Père se rendit sur un balcon,
con'struit par la compagnie du génie, fit son action
de grâces et monta ensuite sur un magnifique trône
érigé au milieu du balcon. L'heure solennelle était
arrivée. Pie IX venait de prier pour ses chers
zouaves ; mais ce n'était pas assez : il devait répandre
sur eux les bénédictions célestes. Nous l'entendîmes
alors réciter d'une voix forte et vibrante le Benedicat
vos Omnipotens Deus, etc. Que cette bénédiction,
donnée par le Pontife-Roi nous a fait du bien ! En
relevant nos fronts courbés dans la poussière, nous
étions complètement changés : nous étions redevenus
les véritables enfants de La Moricière.
Il était alors deux heures de relevée. Le Pape
monta dans son carosse, visita le camp en passant au
front des tentes, prit un peu de nourriture â la pen-
— 119 —
sion des officiers et se dirigea ensuite vers Rome. La
fête était terminée. Nous pouvons bien répéter ces
paroles de l'Ecriture Sainte : " Pleni dies. " Oui,
c'était réellement un jour plein pour nous, plein de
bonheur, de faveurs célestes et de consolations, et un
jour plein qui mérite sa place dans les annales du
régiment.
NOCES D'OR DE PIE IX ET OUVERTURE
DU CONCILE DU VATICAN
Le 11 avril 1869 est une date à jamais mémorable
pour l'Eglise catholique : Pie IX célèbre, à la confes-
sion des apôtres saints Pierre et Paul, le cinquième
anniversaire de son élection au sacerdoce, entouré de
cardinaux, de prélats, de plusieurs membres de sa
famille, entre autres Louis Mastaï Ferretti, fils du
comte Gabriel, retenu à Sinagaglia par la vieillesse,
de tous les représentants des cours étrangères et de
70,000 à 80,000 pèlerins venus de toutes les parties
du monde. Jamais fôtes ne furent aussi pompeuses
et aussi universelles parce que jamais Pape n'avait été
entouré de tant d'amour et de vénération, parce que
jamais Pape n'avait vu un règne aussi glorieux et
aussi rempli de persécutions et d'amertume.
Les fêtes des noces d'or de Pie IX commencèrent
le 10 avril et durèrent trois jours. Il nous est impos-
122
sible de peindre convenablement toute la grandeur
et la magnificence de ce jubilé. Ce fut un véritable
déluge de réjouissances pour toute la chrétienté.
Pie IX lui-même ne put contenir les flots de joie et
de bonheur qui inondaient son cœur et laissa échap-
per ces paroles devant quelques pèlerins prosternés
à ses pieds : " Mon Dieu, ayez pitié de moi, c'est
trop de bonheur ! J'ai peur que bientôt, quand je
paraîtrai devant votre justice, vous ne me disiez :
" Tu as été récompensé." Non pas à moi, mais à
vous, ô mon Dieu, à vous seul l'amour des chré-
tiens."
L'archevêque de Cologne, Mgr Melchers, a peint
ces fêtes d'un seul trait : " Jamais Pape, a-t-il dit,
ne s'est vu en relations à la fois si intimes et si uni-
verselles avec le cœur de l'humanité.
La journée du 10 avril fut consacrée à la lecture
des adresses présentées à Pie IX par les différentes
associations catholiques de la terre. En jetant les
yeux sur ces adresses couvertes de plusieurs millions
de signatures, le Pape dit a ceux qui l'entouraient :
" Voici la véritable expression du suffrage universel
catholique." Dans l'après-midi, le Pape, accompa-
gné de sa cour, alla faire une visite à la petite église
de Sainte-Anne de Faiegnami, où, le 11 avril 1819,
Jean-Marie Mastaï Ferretti disait sa première messe,
— 123 —
à l'âge de 27 ans. Le soir, la coupole de Saint-
Pierre fut illuminée. Nous avions déjà contemplé
cette scène grandiose ; mais c'est un spectacle
toujours nouveau. Nous étions placé, à cette heure-
là, sur le mont Pincio, non loin de l'église de la
Trinité-des-Monts. La coupole nous parut comme
un immense globe de feu suspendu dans les airs.
La profonde obscurité qui recouvrait la ville aug-
mentait encore l'effet féerique de l'illumination. La
basilique de Saint-Pierre était alors la véritable
image de la " Jérusalem céleste qui éclaire des
rayons de sa gloire les ténèbres et les combats de
Sion."
Le 11, de bonne heure le matin, la vaste basilique
de Saint-Pierre est littéralement remplie de fidèles.
A sept heures et trois quarts, Pie IX, porté sur la
Sedia gestatoria, fait son entrée dans la basilique,
passe au milieu des zouaves qui forment la haie de
chaque côté de la grande nef, depuis la porte de»
bronze jusqu'à la confession, et monte à l'autel pour
y célébrer le saint sacrifice de la messe. L'office
divin terminé, le Souverain Pontife retourne au
Vatican.
La journée se termine par un magnifique feu
d'artifice ou girandola, devant l'église de San Piedro
in Montorio, non loin de l'endroit où Saint-Pierre
— 124 —
fut crucifié la tête en bas. La girandola, à Rome,
surpasse tous les feux d'artifice de l'univers ; il n'y
a que les Romains qui possèdent le secret de créer
des merveilles de ce genre.
Le 12, Rome célèbre le double anniversaire du
retour de Pie IX de Gaète et sa préservation mira-
culeuse à l'église de Sainte-Agnès. Nous avons déjà
relaté le premier événement ; nous n'y reviendrons
pas. Voici comment les historiens de l'époque rap-
portent le second :
Le 12 avril 1855, le Très Saint- Père alla célébrer
l'office divin à la basilique de Sainte- Agnès, bâtie
en 324 par Constantin, à la prière de sa fille Cons-
tance, guérie miraculeusement par l'intercession de
la jeune vierge martyre, sainte Agnès.
Après la messe, le Pape se rendit dans la salle du
chapitre pour prendre le déjeuner avec les nombreux
invités et passa ensuite dans la chambre voisine pour
admettre au baisement des pieds les élèves de la
Propagande. Pie IX était à peine assis que la poutre
principale de l'édifice se rompit, et le plancher s'ef-
fondra. Le Pape et sa suite furent précipités dans
l'étage inférieur. Après quelques instants d'un
lugubre silence, on vit sortir, du milieu des décom-
bres, Pie IX, qui n'avait reçu aucune contusion.
Personne de l'assistance ne fut blessé. Le Pape entra
— 125 —
aussitôt dans le temple sacré, où il entonna le Te
Deum en l'honneur de sainte Agnès, à laquelle il
attribua sa préservation miraculeuse. A" son retour,
Pie IX parcourut le Corso dans toute sa longueur.
La population entière se porta sur son passage pour
l'acclamer et implorer sa bénédiction. On entendait
de toutes parts : " Viva Pio Nono ! Viva il santissimo
Padre ! Vive Pie IX ! Vive le Très Saint-Père ! "
On viendra nous dire ensuite que le Pape n'était pas
aimé de son peuple. Il n'y a que ses ennemis qui
puissent proférer cet impudent" mensonge, fabriquer
cette monstrueuse calomnie. Nous avons vécu au
milieu du peuple romain, et nous sommes convaincu
que le peuple romain aimait Pie IX, comme il a aimé
Léon XIII et comme il aime encore Pie X.
Le bouquet des noces d'or du Pape fut l'illumina-
tion générale de la ville de Rome. Ce fut un spec-
tacle ravissant. . Une personne qui serait tombée
tout à coup au milieu de la ville de Romulus, sans
savoir, qu'il se trouvait dans la capitale du monde
catholique, aurait cru assister à un vaste incendie.
Nous arrivons au plus grand événement de l'année
1869 : nous voulons parler du Concile Oecuménique
du Vatican, convoqué par une bulle du 29 juin 1868.
Tous les évêques de la catholicité furent invités à
prendre part aux délibérations de ce Concile, et tous
— 126 —
— il faut excepter ceux qui en furent empêchés par la
vieillesse ou la maladie — répondirent à l'appel de
leur chef.
Le S décembre 1869, jour de la fête de l'Imma-
culée Conception, à cinq heures du matin, toutes les
troupes pontificales furent appelées sous les armes et
échelonnées sur la place Saint-Pierre. Nous étions
près de l'obélisque de Néron, la carabine au bras
depuis deux heures et exposés à une pluie torren-
tielle, lorsque le colonel Allet nous donna l'ordre de
marcher de l'avant. Cet ordre arrivait à temps :
nous étions mouillés jusqu'aux os et transis de froid,
nous grelottions comme si nos membres avaient été
mis en mouvement par des ressorts invisibles. Nous
entrons dans, l'immense basilique constantinienne, et
nous formons la haie comme aux grandes fêtes des
noces d'or de Pie IX. Les zouaves étaient les enfants
gâtés du Saint-Père ; car, dans toutes les circonstances
solennelles, les officiers supérieurs nous assignaient
invariablement la place d'honneur. Après quelques
moments d'attente, notre bon papa Allet commande
le genou-terre. Toute l'assistance tombe à genoux
comme foudroyée, à la vue du vénérable vieillard
du Vatican et des sept cents soixante-onze têtes
mitrées qui le précèdent. Quelle majestueuse pro-
cession nous voyons alors défiler ! Quelle grandeur
— 127 —
et quelle vertu ! Nous avons devant nous ce que
l'Eglise renferme de plus saint. Nous avons devant
nous les prélats" les plus illustres que le catholi-
cisme ait jamais donnés à la terre. Nous avons
devant nous les plus, courageux athlètes qui aient
jamais figuré sur la scène catholique. Nous avons
devant nous, enfin, les plus nobles défenseurs du
droit et de la Papauté.
Les cérémonies de l'ouverture du Concile se pro-
longèrent jusqu'à deux heures de l'après-midi. Nous
retournons à nos casernes complètement épuisés de
fatigue et de faim. Etre debout depuis cinq heures '
du matin jusqu'à deux heures de l'après-midi, sans
bouger un seul instant et n'ayant pris pour toute
nourriture qu'un demi-litre de café noir ! C'est
presque incroyable. Pourtant c'est la vérité, et
encore le temps nous a paru court, tant le cœur
avait éprouvé de si douces jouissances.
Les délibérations du Concile du Vatican, qui pro-
clama néanmoins le dogme de l'infaillibilité du
Pape, furent interrompues en 1870, à la veille des
grands et tristes événements que nous raconterons
dans le prochain chapitre.
LE 20 SEPTEMBRE 1870
Montalembert écrivait au lendemain de l'invasion
des Romagnes, en 1870 :
" La pièce s'est jouée en trois actes : la diffama-
tion, l'usurpation, la votation ; chaque acte a eu ses
acteurs : les écrivains, les fantassins, les électeurs ;
c'est un procédé désormais connu.
" On dénonce un souverain. Son gouvernement
est imparfait, intolérable ; ses sujets sont mécontents
opprimés, exaspérés. Il ne se soutient plus que par
les armes étrangères, il manque de force morale, de
force matérielle, il est perdu. Voilà le souverain
diffamé, et si la dénonciation tombe de haut, tous
les matins deux mille journalistes en répètent à
deux millions de lecteurs l'écho retentissant.
" Tout d'un coup on affirme que ce souverain si
faible est menaçant, qu'il songe à attaquer, qu'il
groupe quelques soldats ; il faisait pitié, il fait peur. .
9
— 130 —
Prenons nos précautions, violons ses frontières ! C'est
le second acte : on envahit le territoire.
" Puis, maître du pays, on consulte les sujets.
Etes-vous heureux ? — Non. Voulez-vous le devenir ?
— Oui. — Le malheur, c'est Pie IX ; le bonheur, ce
sera Victor-Emmanuel. Vive Victor-Emmanuel !
La pièce est jouée, la toile tombe ; on s'endort
Romain, on se réveille Piémontais, mais toujours
contribuable, et, de plus, conscrit."
C'est la même comédie qui se joua en 1870. Le
comte Ponza dit San-Martino se chargea de jouer le
premier acte en portant au Pape la lettre qu'on va
lire, c'est un monument d'irypocrisie :
" Très Saint-Père,
" Avec une affection de fils, avec une foi de catho-
lique, avec une loyauté de roi, avec un sentiment
d'Italien, je m'adresse encore, comme j'eus à le faire
autrefois, au cœur de Votre Sainteté.
" Un orage plein de périls menace l'Europe. A
la faveur de la guerre qui désole le centre du conti-
nent, le parti de la révolution cosmopolite augmente
de hardiesse et d'audace et prépare, spécialement en
Italie et dans les provinces gouvernées par Votre
Sainteté, les derniers coups contre la monarchie et la
Papauté.
— 131 —
" Je sais, Très Saint-Père, que la grandeur de
Votre âme ne le céderait jamais à la grandeur des
événements, mais moi, roi catholique et roi italien,
et, comme tel, gardien et garant, par la disposition
de la divine Providence et par la volonté de la
nation, des destinées de tous les Italiens, je sens le
devoir de prendre, en face de l'Europe et de la catho-
licité, la responsabilité du maintien de l'ordre dans
la Péninsule et de la responsabilité du Saint-Siège.
" Or, Très Saint-Père, l'état d'esprit des popula-
tions gouvernées par Votre Sainteté et la présence
parmi elles de troupes étrangères venues de lieux
divers avec des intentions diverses, sont un foyer
d'agitation et de périls évidents pour tous. Le
hasard ou F effervescence des passions peut conduire
à des violences et à une effusion de sang qu'il est de
mon devoir et du Vôtre, Très Saint-Père, d'éviter et
d'empêcher.
" Je vois l'inéluctable nécessité, pour la sécurité
de l'Italie et du Saint-Siège, que mes troupes, déjà
préposées à la garde des frontières, s'avancent et
occupent les positions qui seront indispensables à la
sécurité de Votre Sainteté et au maintien de l'ordre.
" Votre Sainteté ne voudra pas voir un acte d'hos-
tilité dans cette mesure de précaution. Mon gou-
vernement et mes forces se restreindront absolument
132 —
à une action conservatrice et tutélaire des droits
facilement conciliables des populations romaines avec
l'inviolabilité du Souverain-Pontife, et de son auto-
rité spirituelle avec l'indépendance du Saint-Siège.
" Si Votre Sainteté, comme je n'en doute pas, et)
comme son caractère sacré et la bonté de son âme
me donnent le droit de l'espérer, est inspirée d'un
désir égal au mien d'éviter tout conflit et d'échapper
au péril d'une violence, Elle pourra prendre avec
le comte Ponza di San-Martino, qui lui remettra cette
lettre et qui est muni des instructions opportunes
par mon gouvernement, les accords qui paraîtront
mieux devoir conduire au but désiré.
" Que Votre Sainteté me permette d'espérer
encore que le moment actuel, aussi solennel pour
l'Italie que pour l'Eglise et la Papauté, rendra
efficace l'esprit de bienveillance qui n'a jamais su
s'éteindre dans votre cœur, envers cette terre qui est
aussi Votre patrie, et les sentiments de conciliation
que je me suis toujours étudié avec une persévérance
infatigable à traduire en actes, afin que, tout en satis-
faisant aux aspirations nationales, le chef tle la
catholicité, entouré du dévouement des populations
italiennes, conservât sur les rives du Tibre un siège
glorieux et indépendant de toute souveraineté
humaine.
" Votre Sainteté, en délivrant Rome de troupes
étrangères, en l'enlevant au péril continuel d'être le
champ de bataille clés esprits excessifs, aura accompli
une œuvre merveilleuse, rendu la paix à l'Eglise, et
montré à l'Europe épouvantée par les horreurs de la
guerre, comment on peut gagner de grandes batailles
et remporter des victoires immortelles par un acte
de justice et par un seul mot? d'affection.
" Je prie Votre Sainteté de vouloir bien m'accor-
der sa bénédiction apostolique, et je renouvelle à
Votre Sainteté l'expression des sentiments de mon
profond respect.
Florence, 8 septembre 1870.
" De Votre Sainteté,
" Le très humble, très obéissant
et très dévoué fils,
" Victor Emmanuel."
La diffamation est consommée par un roi ; mais
elle est repoussêe avec indignation par un autre roi.
Pie IX répondit à Ponza, après avoir pris connais-
sance de ces impudents mensonges et de ces préten-
dues expressions de dévouement à l'Eglise : "À
quoi bon cet effort d'hypocrisie inutile ? Ne valait-
il pas mieux me dire tout simplement qu'on voulait
me dépouiller de mon royaume ? "
— 134 —
Ponza ayant commenté la lettre de Victor-Emma-
nuel dans un sens favorable, le Pape lui répliqua :
" Mais enfin, vous parlez toujours des aspirations
des Romains ! Eh bien ! vous pouvez voir de vos
propres yeux combien ils sont tranquilles." Le comte
Ponza se trouvait donc en présence d'un démenti
formel.
Lorsque Pie IX congédia le " commissaire géné-
ral des Etats romains, " il lui dit : " je puis bien
céder à la violence, mais adhérer à l'injustice...
jamais !"
Le comte Ponza di San-Martino était arrivé à
Rome le. 9 septembre ; il s'en éloignait le 11, avec
la lettre suivante, que Pie IX adressait à Vietor-
Emmanuel, le roi galant-homme.
" Au roi Victor-Emmanuel,
" Sire,
" Le comte Ponza di San-Martino m'a remis une
lettre que Votre Majesté m'a adressée ; mais elle
n'est pas digne d'un fils affectueux qui se fait gloire
de professer la foi catholique et se pique d'une
royale loyauté. Je n'entre pas dans les détails de la
lettre elle-même, pour ne pas renouveler la douleur
que sa première lecture m'a causée. Je bénis Dieu,
qui a permis à Votre Majesté de combler d'amer-
— 135 —
tume la dernière partie de ma vie. Du reste, je ne
puis admettre certaines demandes, ni me conformer
à certains principes contenus dans cette lettre. J'in-
voque Dieu de nouveau, et je remets entre ses mains
ma cause qui est entièrement la sienne. Je le prie
d'accorder de nombreuses grâces à Votre Majesté, de
la délivrer des périls et de lui dispenser des miséri-
cordes dont Elle a besoin.
" Du Vatican, le 11 septembre 1870,
" Pio PP. IX "
C'est ainsi que parle le roi diffamé, et c'est ainsi
que se termine le premier acte de la pièce. Passons
maintenant au second, c'est-à-dire à l'usurpation.
Le même jour que le comte Ponza di San-Martino
quittait Rome, les troupes piémontaises franchis-
saient la frontière romaine et s'emparaient de Bagno-
rea et de Montefiascone, que les zouaves avaient
évacuées quelques instants auparavant. L'invasion
était commencée, et cela sans raison aucune et sans
aucune déclaration de guerre. Ce n'est pas le mot
invasion qu'il faudrait employer, mais bien l'expres-
sion de vol de territoire. Victor-Emmanuel repré-
sente ici le lion de la fable : " Je m'appelle lion, se
dit-il ; par conséquent je prends le royaume du
Pape." Et le nouveau Judas envoie le lieutenant-
— 136 — .
général Itaffael Cadorna exécuter ses ordres iniques.
Cadorna entre alors dans les Etats de l'Eglise
avec cinq divisions et une réserve, formant trois
corps d'armée. Les forces piémontaises se répartis-
sent comme suit : quatre-vingts bataillons d'infante-
rie, dix-sept bataillons de bersaglieri ; cent quatorze
pièces, cinq compagnies de train et une compagnie
de pontonniers. L'effectif de l'armée s'élevait à
81,478 hommes.
Cadorna, ayant trois divisions sous son comman-
dement, s'avançait du côté des Légations et de la
Sabine. Bixio, à sa droite, avec la 2ème division,
menaçait les frontières du côté de la Toscane, et
Angioletti, à la gauche, quittait le royaume de
Naples avec le 3ème corps d'armée. Avant même
de prévenir le Pape, l'armée piémontaise avait pris
ses positions sur la frontière ; car, le 7 septembre,
Bixio avait son quartier général à Orvieto ; Cadorna,
à Rietti ; Mazé de la Roche, à Terni ; Ferrero, A
Narni ; et Angioletti, à Cassino.
Pendant que ces différents corps d'armée s'avan-
çaient sur Rome, une flotte de douze navires de
guerre, commandée par le contre-amiral Del Caretto,
se dirigeait vers le port de Civita-Vecchia.
Telle était la position de l'armée piémontaise au
commencement de l'invasion. Rome était donc
cernée de toutes parts.
— 137 —
Maintenant, quels moyens ou quelles forces Pie
IX avait-il à sa disposition pour défendre son terri-
toire de cinquante lieues de longueur sur quinze de
largeur en moyenne ? Treize mille six cent quatre-
vingt-quatre hommes de troupes — chiffre officiel, —
et encore disséminés dans les cinq provinces romaines
savoir : Velletri, Frosinone, Viterbe, Civita-Yec-
chia et Comarca. Plusieurs bataillons se trouvaient
à Rome dans le moment pour protéger notre Saint-
Père. Défendre cinq provinces, avec une poignée
de soldats, contre trois corps d'armée,- c'eût été une
folie et un sacrifice inutile de vies. Aussi, le général
Kanzler, pro-ministre des armes, donna-t-il Tordre
d'abandonner les provinces à l'approche de l'ennemi
et de converger vers Rome, tout en laissant aux
commandants la latitude de faire une " honorable
résistance." Cet ordre fut ponctuellement exécuté,
comme nous le verrons dans le cours de ce récit.
La retraite des zouaves de la province de Viterbe,
sous la direction du lieutenant-colonel de Charette,
a été un des exploits les plus glorieux et les plus
hardis accomplis par notre régiment. Nous en ferons
donc une narration aussi fidèle que possible, en nous
appuyant sur le témoignage de nos camarades de la
6ème compagnie du 4ème bataillon à laquelle nous
avons eu le bonheur d'appartenir, et sur celui du
— 138 —
comte de Beaufort, témoin oculaire du vol commis
par Victor-Emmanuel.
Bixio, l'ancien lieutenant de Garibaldi, s'empare
d'abord de Bagnorea, le 11 septembre, comme nous
l'avons dit précédemment. Cette ville n'était défen-
due que par vingt zouaves commandés par le lieu-
tenant de Kervyn. Ce dernier, averti à trois heures
par un courrier de Capraccia que l'ennemi s'avance,
prend alors le parti de se replier sur Montefiascone ;
mais, trompé par un faux rapport, il retarde son
départ et, surpris par les Piémontais, il est fait
prisonnier avec son détachement. On les promena
ensuite à travers l'Italie, dit M. de Beaufort, en
butte aux mauvais traitements de leurs vainqueurs
et aux insultes d'une lâche populace.
Les Italiens marchent tout de suite sur Montefias-
cone qu'ils croient surprendre : mais le commandant
de Saisy ayant reçu, la veille, l'ordre de retraiter sur
Viterbe avec ses deux compagnies de zouaves, " au
dernier moment et sans engager d'action," quitte
cette ville à dix heures du soir alors que l'armée
piémontaise pénètre dans Montefiascone par une porte
opposée, et arrive à Viterbe, la même nuit, sans avoir
été inquiété dans sa retraite. Du reste, M. de Saisy
avait pris ses mesures pour protéger sa petite colonne
en la flanquant de tirailleurs. L'arrivée de ces deux
— 139 —
compagnies de zouaves à Viterbe fut saluée par les
cris de : " Vive Pie IX ! "
Bixio passe la nuit à Montefiascone. Le lende-
main matin, il lève le camp, et, pour couper la
retraite à de Charette et à ses zouaves qui se trou-
vaient alors à Viterbe, au lieu de marcher sur cette
dernière ville, il prend un chemin à droite et se
dirige sur Civita-Vecchia par la route de Toscanella et
de Corneto, en laissant un bataillon derrière lui,
afin de cerner la petite armée pontificale commandée
par notre brave lieutenant-colonel.
Le baron de Charette, qui avait été mis au cou-
rant de la démarche du comte Ponza di San-Martino,
avait averti tous les avant-postes de se tenir prêts à
se replier en cas d'attaque ; et tous les détachements
avaient obéi à ses ordres. Les deux mille hommes
échelonnés dans la province de Viterbe, étaient donc
alors réunis -sous le commandement du héros de
Mentana. Mais quel parti prendre dans cette situa-
tion périlleuse ? Combattre ou retraiter, pas d'autre
issue. M. de Charette, après avoir mûrement réfléchi,
se décide à la retraite. Pour exécuter cette manœu-
vre audacieuse, de Charette n'avait plus le choix des
routes. Cadorna devait nécessairement bloquer la
voie la plus directe : celle de Ronciglione et de Mon-
terosi. Il ne restait donc que celle de Civita-
— 140 —
Vecchia par Vetralla ; c'était parcourir la base d'un
triangle dont Rome occupait le sommet, Mais il
fallait bien passer par là pour ne pas tomber entre
les mains de l'ennemi et priver ainsi Rome de l'élite
de ses troupes.
Ce parti pris, de Charette se prépare à la retraite.
Mais, pour ne pas paraître fuir devant l'armée
piémontaise et lui laisser le champ libre, il prend la
résolution de se fortifier à Yiterbe et d'y attendre
Bixio. Le 12, à sejDt heures du matin, les barricades
et les autres travaux de fortification sont terminés.
En un mot, la ville est mise en état de défense. De
Charette, placé dans l'observatoire établi au sommet
de la tour de la caserne, examine les mouvements
de l'ennemi, qui était campé sur les hauteurs de
Montefiascone et à Bagnorea, située à droite de Mon-
tefîascone et à six milles environ de Yiterbe. Vers dix
heures et demie, le brave commandant des zouaves
voit une colonne piémontaise lever le camp et se
diriger vers Toscanella et Carcanello dans le but
évident de couper la route de Corneto, et une autre
colonne se porter sur Yiterbe. En même temps,
des paysans arrivent à Yiterbe et préviennent de
Charette que deux colonnes du corps de Cadorna
s'avancent du côté d'Orte et de Soriano. Quelques
minutes s'étaient à peine écoulées, que les zouaves
— 141 —
aperçoivent distinctement l'ennemi sur la route de
Ronciglione.
Il n'y avait plus à retarder le départ sans être
complètement investi. De Charette assemble alors
son conseil de guerre, et il est résolu d'évacuer Viterbe
immédiatement. Des ordres sont donnés aux offi-
ciers, et les troupes pontificales abandonnent Viterbe
et se retirent au casino Polidori, à un mille et demi
de cette ville. Les habitants saluent leur départ par
les cris de : " Corraggio, Zuavi ! Courage, zouaves !
Corraggio, figli ! Courage, enfants ! " Encore un dé-
menti à la lettre de Victor-Emmanuel. Toute la
petite troupe pontificale se trouvait réunie au casino
Polidori, à l'exception de quelques vedettes et de
douze hommes de garde au poste de la Place qui
avaient été faits prisonniers, parce que l'ordre de la
retraite avait été mal compris.
Le lieutenant-colonel de Charette donne le com-
mandement de marcher de l'avant. Les troupes pon-
ticales prennent la route de Vetralla où elles arrivent
à six heures du soir. Deux heures avant d'atteindre
cette petite ville, des cavaliers piémontais ont rejoint
la troupe du Pape ; mais ils sont obligés de rebrous-
ser chemin en voyant l'attitude fière et menaçante
des zouaves. .
Le 13 septembre, à 6 heures du matin, la petite
— 142 —
troupe pontifieale sort de Vetralla et se dirige, par
une chaleur suffocante, sur la petite ville de Monte-
Romano, où elle fait son entrée à dix heures, au
milieu des vivats de la population. De Charette
accorde quelques heures de repos à ses soldats avant
de commencer la célèbre retraite de Viterbe propre-
ment dite. Les hommes tombent de fatigue ; une
soif dévorante les brûle ; et pourtant ils sont encore
pleins de courage. De temps à autre, on les entend
crier : " Vive Pie IX ! " Après avoir récupéré leurs
forces, les zouaves se mettent en marche pour se
rendre à Civita-Vecchia ; mais la route qui conduit
de Monte-Romano à Corneto, par où ils doivent
passer, est déjà occupée par les Piémontais. Comment
de Charette s'y prit-il pour sortir de cette impasse ?
Pour répondre à cette question, nous laissons la
parole à M. de Beaufort :
• " Essayer de forcer le passage eût été téméraire,
vu l'infériorité numérique des troupes romaines, et
la forte position de Bixio à Corneto. Si l'on était
obligé de combattre pour s'ouvrir la route, mieux
valait-il le faire le plus près possible de Civita-
Vecchia, où l'on trouverait des soutiens et un asile ;
il fallait donc gagner Civita-Vecchia le plus tôt
possible ; pour cela, on n'avait qu'une route longue,
difficile, passant près des montagnes escarpées,
— 143 —
inconnues, et c'était pendant la nuit qu'on devait la
suivre . . .
" Le temps presse cependant. La troupe s' étant
un peu reposée,' M. de Charette adresse quelques
mots à ses soldats, et, sans même avoir le temps
d'achever le repas commencé, par une accablante
chaleur et au cri de " Vive Pie IX, " on commence,
vers trois heures et demie, cette retraite de douze
heures qui ne devait finir qu'à Civita-Vecchia, et
qui serait admirée comme elle le mérite, si, exécutée
en autre temps, elle eût trouvé un historien digne
d'elle.
" A quelque distance de Monte-Romano, il fallait
quitter la grande route pour se jeter à gauche dans
la traverse. Le chemin que l'on prit, mauvais dès
l'abord, était cependant praticable. Au bout de
quelques milles, il cesse complètement • c'est à gué,
et de l'eau jusqu'au dessus du genou, qu'on passe le
petit fleuve du Mignone ; puis, on se trouve en
pleine montagne, dans des sentiers bons seulement
pour des bêtes de somme. C'est pourtant le seul
chemin possible pour la colonne ; il faut y faire
passer l'artillerie ; et avec le jour qui baisse, aug-
mentent les difficultés. Tantôt descendant au fond
des ravins escarpés, tantôt gravissant des pentes
abruptes, tantôt par de brusques détours contournant
— 144 —
des saillies de rochers, gênés par l'inégalité même
d'un sol raboteux, hérissé de pierres aux arrêtes
vives, on triomphe de tous les obstacles. On avance
là même où la marche semble impossible ; quand
les deux canons et la mitrailleuse ne peuvent passer,
on leur attache des cordes et on les hisse à force de
bras. Deux fois ainsi, l'on doit monter séparément
les caissons et les pièces ; ailleurs, il faut aux six
chevaux d'attelage joindre une vingtaine de soldats.
Pour les bagages, il en est de même, et parfois on
doit les transporter et enlever en quelque sorte les
chariots. Un ou deux se brisent, qu'on abandonne ;
les autres passent, ainsi que les canons, grâce aux
efforts soutenus de la troupe.
" Les hommes tombent de fatigue, mais aucun ne
se plaint, et le courage leur donne une force nou-
velle, maintenue par le bon esprit de tous et l'éner-
gie que savent inspirer le lieutenant-colonel de Cha-
rette et le lieutenant d'artillerie Maldura.
" On avait encore à courir un autre risque : une
fois, dans la nuit, on aperçut du sommet d'une hau-
teur les feux de nombreux bivouacs ennemis entre
Corneto et Civita-Vecchia. Ils étaient encore éloignés ;
mais la route s'en approchait. A force d'efforts, on
avait, en continuant cette marche nocturne, gagné
Allumiera et rejoint la route allant de Bracciano à
— 145 —
Civita-Vecchia, mais bientôt on vit qu'en la suivant
on tombait au milieu des Italiens : on était même si
près d'eux qu'il n'était pas certain qu'on pût éviter
leur rencontre. ' On fait une halte un instant ; de
Charette donne à voix basse ses instructions aux
officiers pour le cas d'une attaque, et échange avec
eux une poignée de main d'adieu ; puis, quittant de
nouveau la route frayée que suivent seuls les bagages
et leur garde, on se jette à travers les champs, traî-
nant encore les canons sur un sol parsemé de rochers
jetés en désordre, et marchant ainsi en ligne droite
et le plus vite dans la direction de Civita-Vecchia.
Tant d'efforts furent récompensés, et l'ennemi ne
s'aperçut pas de la proximité des zouaves pontificaux.
Bixio se promettait bien cependant de leur couper
le passage. Il avait occupé par ses troupes la route
de Corneto à Monte-Romano, et le pont du Mignone,
où il les attendait au passage. Ce qu'il n'avait pas
prévu, c'est que des chemins impraticables les déro-
baient à son atteinte.
" Vers deux heures du matin, la petite troupe
romaine entendit un bruit lointain ; c'était celui de
la mer, on approchait de Civita-Vecchia. Tout
n'était pas sauvé encore, et des fusées que l'on vit
alors s'élever au-dessus de la ville, dans le ciel encore
sombre, et dont le sens était connu, donnèrent bien
10
— 146 —
quelques inquiétudes ; mais celles-ci ne furent pas
confirmées. La marche se poursuivit heureusement :
à trois heures, Pavant-garde atteignit les portes de
la ville, et le reste de la colonne arriva à trois heures
et demie dans Civita-Yecchia ; elle était en sûreté . .
" Pendant que les troupes de la prcvince de Viterbe
effectuaient avec tant de bonheur une retraite si
périlleuse, le général Bixio, que nous avons laissé à
Corneto avec sa division, y attendait toujours la
colonne pontificale. Il y demeura jusqu'au soir du
14. Ce jour-là, cependant, il avait poussé sa cava-
lerie et les bersaglieri jusqu'en vue de Civita-Vecchia,
et ayant enfin appris que ceux qu'il attendait lui
avaient échappé, il ne songea plus qu'à s'emparer de
Civita-Yecchia. La flotte italienne, étant venue dans
la journée sous Corneto, au Porto-Clementino, Bixio
alla, vers deux heures et demie, à bord du vaisseau-
amiral " Roma, " se concerter avec l'amiral Caretto
pour le siège de la place, et, se portant lui-même en
avant, le 15, il établissait son quartier-général à
Torre-Orlando, devant Civita-Arecchia.
" Vers le même temps, (au moment où Bixio eut
un entretien avec le contre-amiral Del Caretto) le
lieutenant-colonel de Charette partait avec ses trou-
pes. Le train qu'il prit était le train ordinaire de
Civita-Vecchia à Rome. Entre la première de ces
— 147 —
deux villes et une station voisine, il y eut un instant
de sérieuse crainte. Le chemin de fer côtoyait de
très près le rivage et l'on vit à une faible portée de
terre une frégate'ennemie embossée, et qui semblait
prête à prendre en écharne le train à son passage.
Le danger était réel et grand ; mais on n'en eut que
la crainte ; la présence de voyageurs civils dans le
convoi et la certitude de tirer sur eux en même temps
que sur les troupes arrêtèrent-elles la frégate italien-
ne ? Celle-ci ignorait-elle que nos soldats étaient
dans le train, crut-elle qu'ils allaient suivre dans un
train spécial, ou bien n'eut-elle pas d'ordres ? Quoi
qu'il en soit, le convoi poursuivit sa marche et fut
bientôt hors d'atteinte ; on arriva ainsi jusqu'aux
portes de Rome. Au pont du Tibre, le train s'arrêta;
le triste souvenir de la caserne Serristori et de tenta-
tives analogues faisaient craindre que des mains
criminelles n'eussent essa}ré de miner le pont pour
le faire sauter au moment du passage des troupes.
Celles-ci descendirent du train, qui poursuivit sans
elles, et, suivant la rive droite, elles entrèrent dans
Rome par la porte Porthèse. L'anxiété sur leur sort
n'était pas moindre à Rome qu'à Civita-Vecchia ; la
joie de les devoir y fut égale.. Le pro-ministre des
armes les attendait lui-même à la porte avec sa
famille ; et ce fut au milieu des vivats et des accla-
— 148 —
mations poussées par les troupes rangées près des
murailles et par le peuple répandu dans les rues,
que nos soldats de Viterbe firent leur entrée dans la
capitale, où bientôt ils durent se rendre aux postes
de combat qu'on leur avait assignés."
Les jours suivants furent consacrés aux préparatifs
de défense. Presque toute l'armée pontificale avait pu
retraiter sur Rome : quelques détachements isolés,
mais peu nombreux, avaient été faits prisonniers.
Les soldats pontificaux étaient rangés en bataille,
autour de Rome, en dedans et près des murs.
Le 20 septembre, l'année piémontaise enveloppait
la Ville Eternelle dans un cercle de feu. Le général
Cadorna avait placé les Xle et Xlle divisions et la
réserve au nord-est de la ville, en face des Portes
Pia et Salaria ; Ferrero se trouvait à l'est, près de la
porte Majeure ; Angioletti devait attaquer le sud vers
la porte Latine, et Brixio était chargé de la partie
qui fait face au Transtévôre.
A cinq heures et dix minutes, le premier coup de
canon est tiré par l'ennemi, et un boulet vient frapper
le mur à droite de la Porte Pia. C'est le signal de
l'attaque. Bientôt "la fusillade devient générale. Les
Italiens sont moisonnés par la mort, tandis que les
pontificaux n'éprouvent que des pertes insignifiantes.
Malgré l'active et ■ courageuse défense des assiégés,
— 140 —
l'armée ennemie pratique une brèche dans le mur
qui avoisine la Porte Pia. Les Piémontais essaient
par trois fois de pénétrer dans Rome par cette brèche ;
mais, à chaque attaque, les bersaglieri, les meilleurs
soldats des troupes assiégeantes, sont repoussés par
les zouaves, qui font des charges à la baïonnette des
plus brillantes. Le général Kanzler envoie un rap-
port au Saint-Père sur ce qui se passe à la Porte Pia.
Le Pape, pour éviter une plus grande effusion de sang,
arbore le drapeau blanc à dix heures et dix minutes.
L'armée pontificale obéit au successeur de Pierre :
elle cesse le combat et se dirige vers la cité Léonine.
Rome capitule et tombe au pouvoir du Piémont.
Nous ne vous parlerons pas des scènes dégoûtantes
et indignes d'un peuple civilisé, qui eurent lieu après
la capitulation. Les Italiens ont manqué alors à
toutes les lois de l'honneur et se sont conduits comme
les barbares des premiers siècles de l'Eglise.
Nos pertes, dans cette journée tout-à-fait glorieuse
pour les soldats du Pape, s'élevèrent à seize tués et
cinquante-huit blessés ; celles de l'ennemi dépas-
sèrent mille, tués ou blessés. Un écrivain allemand
a dit : "La perte de l'ennemi devant Rome, le 20,
monte environ à deux mille hommes tués ou blessés.
Je sais ce que je dis et pourquoi je le dis ; je sais
aussi combien le Piémont a donné dans ses journaux
— 150 —
des pertes mensongèrement petites ; mon calcul
s'appuie sur le dire des soldats ennemis."
Reportons-nous de quelques heures en arrière et
voyons ce que faisait Pie IX pendant que les Re-
montais bombardaient Rome.
Après avoir dit sa messe à sept heures et demie et
être resté en prières jusque vers neuf heures, le Pape
passa dans sa bibliothèque particulière, où étaient
réunis les membres du corps diplomatique au nombre
de dix-sept. Pie IX dit quelques mots aux ambas-
sadeurs, mais sa voix est entrecoupée de sanglots.
Voici quelques-unes de ses touchantes paroles :
" J'ai écrit au roi ; je ne sais s'il a reçu ma lettre ;
je l'avais envoyée cependant sous l'adresse de son
ministre des affaires étrangères. Je pense qu'elle lui
sera parvenue, mais je n'en sais rien.
" Bixio, le fameux Bixio, est là avec l'armée
italienne. Aujourd'hui, il est général. Bixio, du
temps où il était républicain, avait formé le projet
de jeter dans le Tibre, quand il entrerait dans Rome,
le Pape et les cardinaux ... 1 1 est là, à la porte
San-Pancrazio ; ce côté-là est le plus exposé. 11 y a
des maisons qui souffriront, entre autres celle de
Torlonia. Les souvenirs du Tasse courent beaucoup
de risques avec les libérateurs de l'Italie ; mais ces
gens-là s'en enquiètent peu. .."
— 151 —
" Hier, j'ai été à la maison où fut condamné Jésus-
Christ ; j'ai monté la Scala-Santa, et c'était avec
beaucoup de peipe, et j'avais un soutien ; enfin, j'y
suis parvenu. C'est cet escalier qu'il a monté pour
être condamné. En le montant, je me disais : peut-
être demain, moi aussi, je serai condamné par les
catholiques d'Italie, filii mairis mea pugna/verfirU coittra
me. Il me faut beaucoup de force, et Dieu me la
donne ! Deo Ghratim !
" Les élçves du séminaire américain m'ont deman-
dé de prendre les armes, mais je les ai remerciés, et
je leur ai dit de se joindre à ceux qui soignent les
blessés.
" Voici maintenant que Rome est enveloppée et
que l'on commence à manquer de beaucoup de
choses. .
" Hier, en revenant de la Scala-Santa, j'ai vu tous
les drapeaux que l'on a mis dans Rome pour se pro-
téger. Il y en a des anglais, des américains, des
allemands, même des turcs. Le prince Doria en a
mis un anglais, je ne sais pourquoi.
" Quand je suis revenu de Gaète, ajouta tristement
le Pontife, j'ai vu aussi sur mon passage beaucoup
de drapeaux qui avaient été mis en mon honneur.
Aujourd'hui, c'est différent ; ce n'est pas pour moi
qu'on les a mis.
— 152 —
" Ce n'est pas la fleur de la société qui accompa-
gne les Italiens quand ils attaquent le Père des ca-
tholiques ; c'est une miniature de ce que faisaient
les jeunes Romains qui se rendirent au camp de
César quand il passa le Rubicon. Le Rubicon est
passé. . Fiat vohintm tua in cœlo et in terra. . .
Après avoir fait arborer le drapeau de la paix, Sa
Sainteté dit aux ambassadeurs :
" Je viens de donner l'ordre de capituler. On ne
pourrait plus se défendre sans répandre beaucoup de
sang, ce que je ne veux pas. Je ne vous parle pas
de moi ; ce n'est pas pour moi que je pleure, mais
sur ces pauvres enfants qui sont venus me défendre
comme leur Père. Vous vous occuperez chacun de
ceux de. votre pays. Il y en a de toutes les nations . .
Pensez aussi, je vous prie, aux Anglais et aux Cana-
diens, dont personne ne représente les intérêts ici. . .
" Je vous les recommande, je vous les recommande
tous, pour que vous les préserviez des mauvais trai-
tements dont d'autres eurent .tant à souffrir, il y a
quelques années (en 1860.)
" Je délie mes soldats du serment de fidélité qu'ils
ont fait, afin de leur laisser leur liberté."
Le Pontife-Roi congédia ensuite les membres du
corps diplomatique ; il pleurait comme un enfant.
La capitulation fut signée le 20, et le lendemain,
— 158 —
21, le général Kanzler annonça le licenciement de
l'armée pontificale, dans les termes suivants :
" Officiers, sous-officiers et soldats !
u Le moment fatal est venu où nous devons nous
séparer et abandonner par la force ce service du Saint-
Siège qui, plus que tout au monde, nous tient tant à
cœur !
" Rome est tombée ! mais, grâce à votre courage,
à votre fidélité, à votre admirable union, elle est
tombée avec honneur !
" Quelques-uns d'entre vous se plaindront sans
doute de ce que la défense n'ait pas été plus prolon-
gée ; mais une lettre de Sa Sainteté éclaircira tout.
Ce témoignage de l'auguste Pontife sera "la consola-
tion de tous et la plus belle récompense que nous
puissions obtenir dans les circonstances actuelles. Je
dois également vous faire connaître que, séparée, par
la violence, de son armée, Sa Sainteté a daigné vous
délier de tous vos serments militaires.
" Adieu, mes chers compagnons d'armes ! N'ou-
bliez pas votre chef, qui conservera de vous tous un
grand et impérissable souvenir.
" Rome, le 21 septembre 1870.
" Kanzler. "
Le colonel Allet adresse aussi quelques paroles
d'adieu à ses chers zouaves.
— 154 —
Et l'heure de la séparation est arrivée.
Il se passe alors une scène que les soldats, du Pape
n'oublieront jamais. Tous les défenseurs de la Papauté
auraient désiré voir encore une fois leur Père bien-
aimé, et cette faveur allait leur être refusée, — puisque
, l'ordre de se mettre en marche était déjà donné —
lorsque tout-à-coup une fenêtre du Vatican s'ouvre.
Et l'on voit apparaître dans l'embrasure, le véritable
roi de Rome. Levant le bras vers le ciel, Pie IX
commence la bénédiction solennelle : " Benedicto Dei
Omnipotentis. Le cri de " Vive Pie IX " s'échappe
de toutes les poitrines. Les zouaves sont ivres de joie
et de bonheur : les uns lancent leurs képis en l'air :
les autres présentent les armes.
Des balcons des résidences qui entourent la place
Saint-Pierre, des milliers de personnes répètent :
" Vive notre Saint-Père ! ATive le Pape ! Vive Pie
IX, notre roi ! " C'en est trop pour le cœur du
Souverain- Pontife. Succombant à l'émotion qui les
suffoque, il tombe évanoui dans les bras de ceux qui
l'environnent. La fenêtre se ferme, et les soldats
pontificaux prennent la route de leur pays respectif,
en versant d'abondantes larmes sur le sort de l'au-
guste prisonnier du Vatican.
Les Français furent recueillis à bord de la frégate
française, Y Orênoque, en station à Civita-Vecchia.
— 155 —
Le commandant Briot les reçut avec les plus grands
égards.
" Le 25 septembre, qui était un dimanche, écrit
le capitaine Jacquemont, après- la messe célébrée par
leur aumônier sur le pont de la frégate, les zouaves
se rassemblèrent autour de leur colonel. Le capi-
taine de Fumel déploya le drapeau du régiment,
qu'il avait emporté en le cachant dans les plis de sa
ceinture, et après avoir salué une dernière fois ce
glorieux drapeau, troué des balles de Mentana, les
zouaves se le partagèrent. Chacun voulut en emporter
un fragment et garder sur son cœur cette relique,
talisman de la foi, du courage et de l'honneur.
Selon l'expression du commandant d'Albiousse,
c'étaient pour la plupart d'entre eux les dépouilles
opimes de leurs campagnes. Ensuite, les zouaves
passèrent du bord de l' Orénoque sur un paquebot des
Messageries, Ylllissus, qui était venu les chercher, et
ils quittèrent aussitôt le port de Civita-Vecchia.
Le second acte du drame étant terminé, la toile
tombe.
Le troisième acte fut joué le 2 octobre : c'est la
votation ou le plébiscite. Affiches mensongères,
menaces, bulletins forgés ; tout a été employé par
les partisans de la Révolution pour accomplir cette
scène de bouffonnerie, obtenir un vote unanime —
— 156 —
les catholiques avaient reçu du Pape l'instruction de
ne pas voter — et faire comprendre aux autres nations
que " Victor-Emmanuel était aimé par tout le
peuple romain."
Le drame était donc fini. Pie IX, le roi légitime,
est dépouillé de sa couronne, et Victor-Emmanuel,
le roi spoliateur, s'installe à Rome, au Palais du
Quirinal appartenant au Pape.
TROIS GRANDES FIGURES
LE GENERAL KANZLER
Herman Kanzler, général de l'armée pontificale,
naquit dans le duché de Bade, (Allemagne). Sa
famille ne portait aucun titre de noblesse. Kanzler
a su, par ses précieuses qualités, s'élever à la vraie
noblesse : celle de l'honneur suivant les principes de
l'Eglise. Il a passé plusieurs années au service du
Saint-Siège, et, pendant toute cette période, il s'est
distingué par un jugement supérieur, une bravoure
hors ligne et un sang-froid raisonné.
En 1866, Kanzler fut promu au grade de général
et appelé au poste important de pro-ministre des
armes à la place de Mgr de Mérode. Cette nomina-
tion fut mal accueillie, mais le nouveau général
parvint à fermer la bouche à ses ennemis par son
honorabilité, sa distinction, ses brillantes qualités du
— 158 —
cœur et de l'esprit et son exquise politesse envers
tous ses subalternes.
Il serait trop long d'énumérer ici toutes les batail-
les dans lesquelles le général Kanzler se couvrit de
gloire, depuis Castelfidardo jusqu'à la prise de Rome,
en 1870. Les nombreuses décorations qu'il portait
sur sa poitrine, le prouvaient d'une manière écla-
tante.
Kanzler était lieutenant-colonel à Castelfidardo ;
il fut ensuite tour à tour colonel, général et pro-mi-
nistre des armes. Après la prise de Rome, il aima
mieux rester au Vatican plutôt que de retourner
dans sa famille.
LE COLONEL ALLET
Tout le régiment des zouaves pontificaux avait
décerné à notre colonel Allet le titre de papa ; et
certes, il le méritait bien ; car jamais père n'aima
plus tendrement ses enfants. Plusieurs fois on lui
avait offert le grade de général de brigade ; mais il
avait toujours décliné cet honneur en disant : " Je
demande qu'on me laisse à la tête de mon régiment.
Il y a beaucoup de généraux, mais il n'y a qu'un
colonel des zouaves pontificaux."
Le colonel Allet était courtois, brave, et se faisait
— 159 —
surtout remarquer par un grand sang-froid. La
bataille de Mentana nous en fournit une preuve
éloquente. Il a passé plus de trente ans au service
du Saint-Siège, et, pendant tout ce laps de temps, il
n'a cessé d'entretenir les meilleurs rapports avec ses
supérieurs et ses inférieurs. En dehors du service
militaire, il se faisait un plaisir de causer avec le
plus simple soldat.
Notre colonel était un parfait chrétien. Il savait
braver le respect humain. A toutes les retraites qui
avaient lieu chaque année, à l'occasion de la com-
munion pascale, on le voyait prendre place le pre-
mier à la Sainte Table.
Notre papa n'aimait par à sortir dans le grand
monde. Quand les convenances le forçaient à figu-
rer dans la haute société, il ne le faisait qu'à contre-
cœur, et alors, lui si brave, il paraissait timide et
gardait presque toujours le silence.
Un jour, on lui demanda, dans un salon, de vou-
loir bien raconter la bataille de Mentana, où les
zouaves s'étaient immortalisés. Après de pressantes
sollicitations, il se décida à parler. " O mon Dieu,
dit-il, c'est bien simple et bien court : la colonne
défilait par la voie Nomentana. J'étais avec l'état-
major ; à cinq ou six kilomètres de Mentana on
entendit commencer la fusillade, et en quelques
— 160 —
minutes le feu devint des mieux nourris. Je piquai
de l'éperon pour voir où en étaient les zouaves ; déjà
ils étaient tous lancés, éparpillés par les vignes et
jouant de la baïonnette comme de bons enfants." Et
puis ? — " Et puis. .. Mon Dieu ! ils sont revenus le
soir se ranger autour de leur drapeau, et ils avaient
remporté la victoire."
Tel est l'homme que les zouaves avaient à leur
tête.
Après l'invasion des Etats de l'Eglise, le colonel
Allet retourna à son château, en Suisse, où il mou-
rut subitement quelques années plus tare1.
LE LIEUTENANT-COLONEL DE CHARETTE
Si le célèbre Bayard n'eût pas existé, nous pour-
rions appeler M. le baron de Charette le " chevalier
sans peur et sans reproche." Sa, bravoure était et
est encore proverbiale. On disait, dans le régiment
des zouaves : " Brave comme de Charette." Dans
tous les combats auxquels il a pris part, et ils sont
nombreux, il s'est toujours conduit comme un véri-
table lion.
M. Athanase de Charette descend d'une ancienne
famille noble. Le chef, Pierrot Charette, marquis
de Final, était venu s'établir, au treizième siècle, en
— 161 —
Bretagne, où il avait épousé Jeanne Dubois de la
Salle, demoiselle d'honneur d'Alix, duchesse de
Bretagne.
Le baron de Charette est le petit-neveu de l'illus-
tre chef vendéen, François-Athanase de Charette de
la Condrie, qui fut, le 28 mai 1796, fusillé par les
révolutionnaires à Nantes, sur la place des Agricul-
teurs, en prononçant ces paroles : " J'ai été cent fois
à la mort sans crainte, et j'y vais pour la dernière
fois." Il tomba en brave, après avoir lui-même
commandé le feu.
Le lieutenant-colonel des zouaves pontificaux est
né à Nantes, le 18 septembre 1832, du mariage d'A-
thanase-Charles-Marin de Charette et de la comtesse
de Vierzon. De son premier mariage avec Mlle de
Fitz-James, fille du duc de Fitz-James, il eut une
fille et un fils ; la mère et les enfants furent enlevés
en pleine jeunesse. Il a un fils, Antoine, de son
second mariage avec Mlle Antoinette Polk, fille du
colonel Andrew Polk, mort de ses blessures après la
guerre de Sécession. Le Président James K. Polk
était le grand-oncle de Mme de Charette. Mme Polk,
mère de Mme de Charette, descendait de Penn, qui
donna son nom à la Pennsylvanie.
M. le baron de Charette a fait ses études classiques
chez les Eudistes et ses études militaires à l'Acadé-
11
— 162 —
mie de Turin, de 1846 à 1848. " Le 25 mai 1852,
écrit le comte de Puget, il entrait comme sous-lieu-
tenant dans les troupes du duc de Modène qui le
nommait son officier d'ordonnance, le 14 août 1856.
" A la déclaration de guerre contre l'Autriche par
Napoléon III (1859), il donna sa démission, ne vou-
lant pas, Français avant tout, se trouver exposé à
porter les armes contre sa patrie (15 mai 1859).
" Le 18 mai 1860, Charette répondit le premier à
l'appel de La Moricière auquel Pie IX confiait la
mission de défendre le patrimoine de Saint-Pierre, et
reçut le grade de capitaine, ayant le commandement
des quinze volontaires franco-belges qui furent Ue
premier contingent des futurs zouaves pontificaux.
Pie IX, dans une audience qu'il donnait à ce groupe
de jeunes gens accourus pour se donner à lui, leur
dit : " N'ayez crainte, car vous êtes au service du
Droit, de la Justice et de la Vérité." Le capitaine
était désigné à la première compagnie, à la constitu-
tion, commandé par le lieutenant-colonel de Becde-
lièvre."
M. de Charette fut ensuite commandant, puis lieu-
tenant-colonel des zouaves pontificaux, et enfin
général des Volontaires de l'Ouest, le 14 janvier
1871.
Un auteur a dit : Nascuntur poetœ. Je crois qu'on
— 163 —
peut dire avec plus de raison en parlant de M. de
Charette : Nascitur miles ; car c'est le type du véri-
table soldat. ' Haute stature, épaules larges, figure
énergique, regard sévère mais en même temps sym-
pathique, doué d'une grande souplesse, brave comme
l'épée du roi, possédant l'art si difficile de se faire
aimer tout en châtiant, ayant un caractère bouillant
et quelquefois emporté, mais tempéré par une grande
sensibilité, il a tout ce qu'il faut pour faire un
soldat ; il est né pour se battre et pour conduire sur
le chemin de la victoire, sinon d'une glorieuse
défaite. Il a un passé brillant ; pas une tache n'a
souillé les magnifiques pages de l'histoire de sa vie,
et son nom est inscrit dans le livre des plus vaillants
défenseurs de la Papauté. Il semble avoir gravé
sur son écusson : " Combattre et mourir pour V église
catholique."
LA BATAILLE DE PATAY
Pendant que le lugubre drame de la Porte Pia
s'accomplissait et que Rome tombait, en 1870, au
pouvoir du Piémont, un autre drame de honte et de
sang se déroulait en France. Ah ! cette belle France,
cette France catholique que nous aimions tant, avait
attiré sur elle de bien tristes châtiments, et certes !
la divine Providence l'a rudement frappée pour lui
faire ouvrir les yeux sur les crimes sans nombre de
ses gouvernants.
Mais notre ancienne mère patrie, ou plutôt la
France libre-penseuse n'a pas voulu profiter des
grandes leçons qui lui étaient données, et la franc-
maconnerie et la libre pensée continuèrent de la
miner et de la pousser vers le gouffre béant de l'ini-
quité. Bonaparte, celui que l'histoire désigne sous le
nom de Napoléon III, contribua grandement à l'hu-
miliation et à la ruine de la fille ainée de l'Eglise ; il
obéissait aux sociétés secrètes dont il était l'ami,
— 166 —
l'esclave et l'instrument. Bonaparte abandonna
Rome et la Papauté ; mais, aussi, il fut délaissé de
Dieu dans la lutte sanglante qu'il eut la folie d'en-
treprendre contre la Prusse. Bonaparte trahit Pie
IX, comme il avait trahi les catholiques français ;
mais sa trahison fut punie comme elle le méritait.
En effet, qu'arriva-t-il à Napoléon III et à son armée
à cette époque néfaste ? L'histoire est là pour nous
le rappeler.
Le 6 août 1870, l'armée française, jusque là fidèle
gardienne du Vatican, quitta Civita-ATecchia pour
revenir en France ; elle comprenait 6000 soldats. Le
6 août 1870, l'histoire enregistre la défaite des Fran-
çais à Reischoffen. Le 2 septembre 1869, Bonaparte
écrivait à Cialdini : " Faites vite," en parlant de
l'envahissement des Etats de l'Eglise par les Piémon-
tais. Le 2 septembre 1870, l'empereur des Français
et son armée de 100,000 hommes sont' faits prison-
niers à Sedan. Le 20 septembre 1870, Pie IX est fait
prisonnier au Vatican, parce que Napoléon III l'a
lâchement livré à ses ennemis. Le 20 septembre 1870,
Paris est investie par l'armée prussienne.
Oui, Bonaparte abandonna Pie IX, comme il avait
abandonné l'empereur Maximilien au Mexique. Il
livra le successeur de Saint-Pierre à ses bourreaux
pour trois régiments, 6,000 hommes, et trois cent
— 107 —
mille soldats furent livrés par lui à la Prusse. II
trahit l'Eglise, sa sainte mère, qu'il devait protéger ;
mais quelles funestes conséquences ne résultèrent-
elles pas de la fourberie de ce nouveau Judas ?
Vous vous le rappelez, rien ne put arrêter la
marche triomphale des armées prussiennes, en 1870,
à travers la France, toute couverte de sang. C'était
une marée montante qui culbutait et engloutissait
tout ce qu'elle rencontrait sur son passage. Les
Français, battus et écrasés sur tous les points de leur
territoire, avaient complètement perdu courage, et
l'honneur national même approchait rapidement de
son agonie. La France n'était plus la France d'au-
trefois ; on aurait dit qu'elle n'avait plus sa tête à
elle. En effet, comment expliquer, à la tête de ses
armées, la présence du bras droit de Mazzini, d'un
mangeur de prêtres, de la chemise rouge de 1869 et
de 1867, de l'avocat de la république universelle, de
Garibaldi enfin, que des écervélés de Lyon étaient
allés chercher dans son île de Caprera ? La France
ne savait donc plus ce qu'elle faisait : l'esprit d'im-
piété qui la débordait, l'avait aveuglée ou avait jeté
d'épaisses ténèbres sur son intelligence d'ordinaire
si lucide. La France mentait à ses quatorze siècles
de grandeur militaire, comme elle avait menti à son
Dieu. Elle avait oublié que, pour faire un pacte
— 168 —
avec la victoire et l'immortalité, Clovis planta un
crucifix sur la terre des Francs, qu'il consacra au
Dieu de Clotilde.
Une seule armée, l'armée des Volontaires de
l'Ouest, fut fidèle aux traditions de ses illustres
ancêtres ; et ce fut cette vaillante troupe qui sauva
l'honneur de son pays, en arborant la bannière du
Sacré-Cœur sur le champ de bataille et en donnant
au Vainqueur des vainqueurs' la place qui lui est
réservée dans les combats. Pendant que Lyon
exalte et acclame l'ennemi de l'Eglise catholique,
le monstre de Caprera, une voix puissante et inspirée
domine cette sanglante orgie. Cathelineau appelle
la Vendée aux armes ; il conjure les défenseurs de
la Papauté de sauver la France, et M. de Charette,
le héros de Castelfidardo, de Mentana et de Viterbe,
accourt avec ses zouaves pontificaux. De Charette
avait été trahi à Rome par Napoléon III ; mais,
malgré cette trahison et les principes légitimistes
bien connus de notre ancien lieutenant-colonel, il
n'hésite pas un instant à ceindre l'épée pour com-
battre sous le drapeau de l'empire, parce que le
devoir l'appelle encore comme soldat chrétien : sa
patrie est en danger. Les zouaves pontificaux, qui
arrivent de Rome, volent au combat en s' écriant :
" Dieu, sauvez la France ! "
— 169 —
C'était la première fois que le peuple français
entendait cette pieuse et ardente invocation depuis
que son pays marchait de désastre en désastije. Aussi
l'apparition de ces preux fut-elle saluée par les plus
vifs transports d'allégresse. C'était le courage, c'était
la valeur, c'était la bravoure qui renaissait dans le
cœur du soldat.
Le vendredi, 2 décembre 1870, les zouaves se diri-
gent du côté de Patay, alors inconnu, mais aujour-
d'hui aussi célèbre que le défilé des Thermophyles ;
ils sont conduits par le colonel de Charette et le
lieutenant-colonel de Troussures. Le général de Sonis,
qui commandait en chef cette vaillante armée, les
rejoint à l'endroit même où Jeanne d'Arc fit mordre
la poussière aux Anglais ; et, navré de douleur en
présence des nombreuses défaillances qu'il constate
dans les différents corps d'armée de la France, il
s'adresse à de Charette en ces termes. " 0 vous, au
moins, mon colonel, vous ne m'abandonnerez pas
comme ceux-là," en montrant les fuyards. "Non,
non, répond de Charette. Vive Pie IX ! Vive la
France !"
Vite, de temps presse. Il faut emporter Loigny et
conserver à une division la -position qu'elle aban-
donne et dont dépend le salut de toute l'armée. Trois
cents zouaves font aussitôt une charge à la baïonnette,
— 170 —
en essuyant le feu de 12,000 Prussiens. Au moment
où le général de Sonis enlève les zouaves par ces
paroles pleines de fea : "Mes enfants, montrons com-
ment se battent des hommes de cœur ; suivez moi, "
M. de Troussures répond : " Vous nous menez à une
bien belle fête." Et il se lance à la tête de ses frères
d'armes. Quelques instants avant la bataille, de
Troussures était descendu de son cheval, s'était mis à
genoux en présence de l'armée, avait fait le signe de
la croix et reçu l'absolution. Le matin même, la
plupart des anciens soldats du Pape s'étaient appro-
chés de la Table Sainte. Les zouaves savaient qu'ils
marchaient à une mort certaine ; mais ils n'hésitent
pas cependant ; ils se précipitent sur l'ennemi ; ils
font une charge vraiment héroïque et délogent les
Prussiens des positions qu'ils viennent d'enlever aux
Français. Mais que cette victoire coûte cher aux
zouaves ! Le général de Sonis est grièvement blessé
à une cuisse ; de Charette reçoit deux coups de feu
et tombe baigné dans son sang. Les zouaves l'entou-
rent et veulent le transporter à l'ambulance. " Non,
s'écrie-t-il, laissez-moi mourir ici. Mais vous, conti-
nuez de combattre sans moi. En avant et vive Pie
IX!"
Les zouaves continurent la bataille.
De Troussures tombe à son tour mortellement
blessé en plein poitrine.
— 171 —
L'étendard des zouaves, la bannière du Sacré-
Cœur, passe en sept mains. Verthamon reçoit une
balle et roule inanimé dans la poussière. Bouille
lui succède et subit le même sort ; le fils remplace le
père, mais il succombe aussitôt. De Gazenove saisit
la bannière et tombe mort. Le sergent-major Lan-
deau n'est pas non plus épargné par les balles prus-
siennes. Un septième porte-drapeau, dont nous
oublions le nom, a les deux mains amputées par un
boulet ; mais il reste à son poste d'honneur. Enrou-
lant l'étendard du Sacré-Cœur sur le moignon de sa
main droite et, agitant ensuite son bras avec un
courage sublime, il crie de toutes ses forces : " Suivez
le drapeau, mes amis : il vous conduit à la victoire."
Les zouaves sont victorieux ; la valeur et l'impé-
tuosité l'ont emporté sur le nombre. Mais que de
blessés ! que de morts ! que de martyrs ! Le com-
mandant Legonidec et Traissan fait l'appel ; sur
neuf capitaines, il n'en est revenu que deux, et de
300 zouaves 218 sont restés sur le champ de bataille.
Ils sont morts, ces braves enfants du Pape et de
l'Eglise, et sur le tertre qui recouvre ces immortels
croisés, la France se lève, se grandit et s'approche
du ciel.
Un témoin de ce brillant fait d'armes, le plus beau
des temps modernes et digne de l'époque de la vieille
— 172 —
chevalerie, nous rapporte une scène bien touchante
qui eut lieu après le combat.
" De Troussures fut enseveli avec un de Vogué ;
c'était le troisième de cette noble race qui donnait
sa vie pour la France depuis le commencement de la
guerre. " Une femme, une de celles que l'Evangile
appelle fortes et courageuses, traversa la France et
vint errer sur le champ de bataille. Elle cherchait
son fils. Elle trouva le zouave étendu à coté de son
commandant. Elle s'agenouilla devant ces pieux et
illustres restes, qu'elle couvrit de ses baisers. Si le
fils de l'Homme eût alors passé sur la terre, en
voyant tant de douleur maternelle, mélangée à tant
de foi, il eût pleuré et aurait dit : " Jeune homme,
veni foras," mais il fallait que le sang le plus pur
fût versé pour la rédemption des Français."
Dans le récit rapide que nous venons de faire de
la bataille de Patay, vous pourriez peut-être croire
que notre qualité d'ancien zouave pontifical nous
porte à exagérer la bravoure des soldats du Pape.
Ecoutez les éloges que leur adresse M. Davesne, dans
son livre intitulé : " Devant l'ennemi ":
"Tranquilles sur leurs destinées éternelles, con-
tents de faire leur devoir de chaque jour, ces nobles
jeunes gens avaient veillé auprès du tombeau de S.
Pierre et ils étaient morts pour le droit foulé aux
— 173 — ,
pieds. Descendants pour la plupart de races illus-
tres, riches des biens de la terre, leur cœur était
demeuré libre, leur âme forte et prête au sacrifice.
Tour à tour insultés, calomniés, ridiculisés, ils étaient
demeurés impassibles sur les marches du trône pon-
tifical, ne s' ébranlant que pour faire, un moment,
reculer la force, et de leur sang écrire d'immortelles
pages dans l'histoire de leur siècle. La victoire refusa
de s'avancer pour couronner leur héroïsme, mais le
ciel leur réservait l'éclat d'une défaite aussi glorieuse
que l'eût été le plus beau succès, et un jour vint où,
dans les champs de Patay, les soldats du Pape se
virent salués des acclamations universelles de l'armée,
parce qu'ils avaient sauvé l'honneur français agoni-
sant.
" L'histoire d'un pareil corps ne s'écrit pas à
petits traits. Chaque zouave mériterait presque une
page, depuis Du Chênes de Thiennes, qui seul va,
le pistolet au poing, reconnaître un village occupé
par l'ennemi, juspu'à l'adjudant-major Lallemant,
qui, sur le plateau d'Auvours, essuie la décharge
d'une compagnie entière de Prussiens, les bras croi-
sés, la tête haute et qui, avec une poignée d'hommes
culbute après "ces maladroits", comme il les appelle.
" Pour se rapeler ce que les zouaves ont fait, il
suffit de nommer : Cercottes, où Légonidec de Trais-
— 174 —
son, avec 170 hommes embusqués dans un bois,
arrête les Bavarois et les empêche de prendre l'armée
à revers ; Bellesme, où de Couëssin, couvre la retraite
des soldats du général Jaurès débandés ; Patay, où de
Charette force l'admiration des Prussiens eux-mêmes
et le Mans, où, suivant le général Chanzy, les
" Volontaires de l'Ouest se montrèrent héroïques. "
Le général Gougeard, qui était à la tête des zouaves
au Mans, disait devant une commission d'enquête :
" Je n'ai pas besoin messieurs, de faire l'éloge des
zouaves pontificaux. Je dois cependant dire que j'y
ai trouvé des hommes d'une valeur, je ne voudrais
paê dire héroïque, on a un peu abusé du mot, mais
je ne crains pas de dire qu'ils le méritent. Ce sont
des hommes qui se sont admirablement conduits."
Gambetta lui-même, le lendemain d'une de ces
batailles où les zouaves pontificaux avaient versé
leur sang à flot, ne put s'empêcher de télégraphier
au gouvernement de Paris que " les zouaves s'étaient
conduits en héros." .
Après que M. de Charette eût été élevé, en janvier
1871, au grade de général par le gouvernement
français, un journal de notre ancienne mère-patrie,
" Le Calvaire, " croyons-nous, disait de notre lieute-
nant-colonel :
" On l'a fait général ; cela n'y fait ni chaud, ni
— 175 —
froid. Qu'il soit capitaine, colonel ou général, baron
ou duc, il est mieux que cela : il est de Charette ;
mieux que cela encore : il est de Charette second.
Les dynasties des rois couvrent le monde. Les dynas-
ties de héros, c'est plus rare."
Lorsque l'heure du licenciement fut arrivée, le 13
août 1871, les zouaves, commandés par le général de
Charette, eurent l'insigne honneur de recevoir du
ministre de la guerre un ordre du jour qui, après la
conscience du devoir accompli, a été sans doute leur
plus belle récompense :
" Officiers, sous-officiers, soldats des Volontaires
de l'Ouest, au moment où la France a été envahie et
accablée sous le poids des malheurs, vous n'avez pas
hésité à venir lui offrir votre bras, votre cœur et le
meilleur de votre sang.
" Partout où votre belle légion a combattu et prin-
cipalement à Cercottes, à Brou, à Patay et au Mans,
elle s'est distinguée au premier rang par son courage,
par son dévouement et son élan devant l'ennemi,
aussi bien que par sa discipline et son excellent
esprit.
" Vous avez montré un noble exemple qui fait le
plus grand honneur au vaillant général de Charette,
votre commandant, votre guide. L'armée vous en
remercie par ma voix.
— 176 —
" La légion des Volontaires de l'Ouest va être
licenciée, mais je me sépare de vous avec la profonde
conviction que la France pourra toujours compter
sur votre valeur et votre dévouement contre les
ennemis du dehors et contré ceux du dedans.
" Le ministre de la guerre,
" Général de Cissey. "
C'est ainsi que se termina la sanglante et glorieuse
épopée, commencée à Castelfidardo par les zouaves
franco-belges, continuée à Mentana par les zouaves
pontificaux et couronnée à Patay par les Volontaires
de l'Ouest, — ces trois corps de troupes n'ont toujours
formé qu'un seul et même régiment : celui des
Zouaves Pontificaux, les nobles et courageux défen-
seurs de la patrie et de la Papauté.
LES ZOUAVES PONTIFICAUX
CANADIENS
D'après les conditions de la capitulation de' Rome,
tous les zouaves étrangers furent transportés à
Civita-Vecchia, où on les divisa par nationalités
pour les conduire ensuite aux frontières de leur pays
respectif. Les Canadiens et les Anglais furent envoyés
à Livourne, d'où le gouvernement italien se proposait
de les diriger sur l'île d'Elbe, qu'il croyait être la
frontière canadienne. Comme on le voit, les enva-
hisseurs étaient très forts en géographie. Nos aumô-
niers et nos officiers, puissamment aidés par le consul
anglais de Livourne et Mgr Stoner, aumônier des
zouaves anglais, réussirent à faire comprendre aux
autorités du Piémont qu'elles étaient dans l'erreur
et les décidèrent à transporter les Canadiens en
Angleterre, mais sans avoir un sou à débourser.
Après avoir passé huit j ours en prison à Livourne,
12
— 178 —
où ils endurèrent toutes sortes de misères, de priva-
tions et de souffrances, les zouaves canadiens et
anglais s'embarquèrent sur un paquebot avarié, qui
les transporta en Angleterre, après quatorze jours
d'une navigation périlleuse. Le vaisseau fut assailli
par de violentes tempêtes, et les zouaves crurent, à
plusieurs reprises, que leur heure dernière était
arrivée. Mais l'Etoile de la mer veillait sur les
défenseurs de la Papauté ; elle les sauva même
d'un naufrage inévitable près des côtes d'Irlande, et
voici dans quelle circonstance : le capitaine et les
matelots avaient complètement perdu la tête et la
carte, et le vaisseau, qui n'obéissait plus à la main
du pilote, allait être précipité sur un énorme rocher,
lorsque plusieurs zouaves se saisissent de la barre du
gouvernail et réussissent à diriger la proue du
steamer vers le large. Il était temps, car la poupe
effleura le cap au moment où le steamer changea de
direction. Encore quelques secondes, et tout était
fini. >
Les zouaves canadiens passèrent trois jours à
Liverpool, où ils furent reçus à bras ouverts par les
familles catholiques, qui considéraient comme un
grand honneur de leur donner l'hospitalité la plus
généreuse. Lord Denbigh et le marquis de Bute
quittèrent même leurs importantes occupations à
— 179 — -
Londres pour venir presser la main des soldats du
Pape et leur offrir leurs services.
Le 19 octobre, les zouaves canadiens quittaient
Liverpool à bord de Y Idalio -pour se diriger sur New-
York. Deux jours après le départ, une violente
tempête déchaîna la furie des vagues de l'océan
contre le steamer. Voici une courte description de
cet ouragan, que nous empruntons à notre brave et
distingué aumônier, M. l'abbé Moreau :
" L'océan grondait, sifflait, hurlait, rugissait avec
plus de force et de rage, les montagnes d'eau qui
venaient s'abattre tantôt sur la proue, tantôt sur la
poupe du vaisseau, étaient de plus en plus lourdes
et menaçantes ; la charpente du navire semblait se
disjoindre ; lorsque tout-à-coup un bruit épouvan-
table, comme celui de la foudre tombant sur l'avant,
se fait entendre ; en même temps on ressent une
secousse terrible comme si le navire eût frappé sur
un rocher, et avant de se rendre compte de l'acci-
dent, les zouaves entendent d'immenses colonnes
d'eau se précipiter dans leur compartiment ; une
ancre a été emportée, par une forte lame, du pont
supérieur et est venue tomber au milieu des passa-
gers, laissant derrière elle une large issue aux vagues
qui viennent inonder l'entrepont ; on se croit en
face de la mort, et ces flots semblent venir chercher
■ — 180 —
des cadavres ; pendant que les uns se cramponnent
aux objets qu'ils peuvent rencontrer sous la main,
que les autres se jettent à la nage dans cette petite
mer intérieure, une voix dominant tout le bruit, se
fait entendre ; c'est un zouave qui commande à ses
camarades d'élever le cœur à Marie et de lui pro-
mettre un ex-voto, s'ils arrivent à bon port.
" C'était vers minuit.
" Le lendemain, les flots, comme fatigués, ne
faisaient plus qu'obéir au mouvement imprimé la
veille, le vent était tombé, le ciel était pur, tous les
passagers, montés sur le pont, respiraient avec l'air
frais, l'espérance et le bonheur ; les Zouaves remer-
ciaient la Vierge Marie, à qui ils attribuaient leur
salut."
Le 5 novembre, VIdaho atteignait le port de New-
York, et le lendemain, à deux heures de l'après-midi,
les zouaves pontificaux canadiens faisaient une véri-
table entrée triomphale dans la ville de Montréal,
au milieu des acclamations de cinquante mille per-
sonnes qui étaient accourues à la gare pour leur
souhaiter la bienvenue. Leur défilé de la gare à
l'église de Notre-Dame fut salué par les cris d'enthou-
siasme de "Vivent les Zouaves ! Vive Pie IX !" Après
le chant du Te Deum dans cette église, d'où le pre-
mier détachement canadien était parti pour Rome le
— 181 — •
19 février 1868, les Zouaves assistèrent, dans les
salles du Cabinet de Lecture,à un somptueux banquet
qui leur fut offert par les messieurs du Séminaire de
St-Sulpice. Avant de se séparer et de voler dans les
bras de leurs parents, les soldats de Pie IX, accom-
pagnés de l'évêque de Montréal, se rendirent à l'église
de Bonsecours pour s'acquitter de leur vœu envers
la Vierge Marie. Un petit navire d'argent, un fac-
similé de VIdako, se balance aujourd'hui à la voûte
de cette église ; c'est V ex-voto promis par les zouaves
canadiens.
La croisade canadienne était terminée.
Le soldat chrétien aime non-seulement sa religion,
mais aussi sa patrie, qu'il est prêt à défendre au prix
de son sang. Le zouave pontifical a prouvé cette
dernière proposition en France, en l'année 1870 ; le
zouave pontifical l'a encore prouvée au Canada, en
prenant les armes pour voler au secours de son pays
en 1885 et en 1890. Même avant leur départ pour
Rome, plusieurs zouaves canadiens étaient allés sur
la frontière pour repousser les invasions féniennes
dont le Canada fut menacé en 1865, en 1866 et en
1870 ; et ce fait glorieux est attesté par les décora-
tions que vous voyez briller aujourd'hui sur la poi-
trine d'un grand nombre de nos anciens compagnons
d'armes. Au Canada, comme à Rome, le zouave
• — 182 — •
canadien a su se distinguer par son activité, son
intelligence, son courage et sa valeur guerrière. Le
témoignage flatteur que lui adressa, le 5 mai 1894,
le général anglais Herbert, alors commandant de la
milice canadienne, démontre à l'évidence que nous
n'exagérons pas ; voici ce qu'il disait à Montréal,
aux officiers et aux soldats du 65ieme bataillon :
" Je m'estime heureux de vous rencontrer, parGe
que vous me rappelez les pages les plus belles de l'his-
toire du Canada. Je retrouve en vous les descendants
de ces héros qui combattaient sous les ordres du
général de Montcalm, du chevalier de Lévis et du
marquis de Vaudreuil.
" N'oubliez jamais non plus que vous appartenez
à la même race que ceux de vos vaillants compa-
triotes qui firent partie du régiment des zouaves
pontificaux, ces croisés du dix-neuvième siècle. Vous
savez combien ce noble régiment s'est illustré en
défendant l'Eglise à Castelfidardo, à Mentana, à
Monte Libretti, à Monte Rotondo et sous les murs
de Rome, la Ville Eternelle. Les bons exemples
vous viennent donc de tous les côtés. "
Les zouaves pontificaux, quoique disséminés dans
les différentes parties du pays, continuèrent à vivre
pour ainsi dire de la vie du régiment et à en perpé-
tuer les belles traditions, en se réunissant presque
— 183 —
tous les ans, tantôt dans une ville, tantôt dans une
autre. C'est l'Association de l' Union- Allet qu'ils
fondèrent en 1871, qui contribua le plus au "maintien
de la bonne camaraderie entre les défenseurs de la
Papauté.
LA FRANGE ET LE CANADA
L'ORIGINE D'UNE BELLE DEVISE
Nous croyons intéresser nos lecteurs en reprodui-
sant ici les beaux vers que M. Victor de LaPrade,
de l'Académie Française, dédia à nos braves cana-
diens, lorsqu'ils traversèrent la France, en 1868, en
route pour la Ville Eternelle. On se rappelle la
sensation produite en Europe par cette troupe d'élite
qui valut au Canada la réclame la plus retentissante
et les compliments les plus flatteurs. Voici ces vers
qui leur étaient adressés à Lyon, le 6 mars 1868 :
AUX CANADIENS-FRANÇAIS
SOLDATS DE PIE IX
" AIME DIEU ET VA TON CHEMIN."
(Devise du Canada inscrite sur le drapeau des volontaires)
Allez votre chemin, Français du Nouveau-Monde !
Race de nos aïeux tout-à-coup ranimés.
Allez, laissant chez nous une trace féconde,
Offrir un noble sang au Dieu que vous aimez.
— 1S6 —
De nos jeunes croisés vous êtes deux fois frères,
Marchez aux mêmes cris et dans les mêmes rangs,
Faisant dire comme eux par vos œuvres guerrières :
Quand Dieu frappe un grand coup, c'est de la main des Francs.
De l'Océan dompté vous connaissez la route ;
Vous ne portez le frein d'aucune injuste loi ;
Venez donc et montrez à l'Europe, qui doute,
La jeune liberté servant la vieille foi.
Lorsqu'hier, étonnant et charmant notre ville,
Comme chez des amis joyeux et familiers,
Vous marchiez, jeunes gens, au port mâle et tranquille,
J'ai reconnu le sang de nos preux chevaliers.
C'était leur franc visage, et leur allure franche,
Toute l'antique France en un vivant miroir,
Tout : leur sainte devise et leur bannière blanche,
Et ce noble parler sentant son vieux terroir.
Oui, c'est le même sang et le même génie
Gardés purs et sauvés de nos récents revers,
La France d'autrefois alerte et rajeunie,
Par la liberté sainte et la vie aux déserts.
Allez votre chemin, celui de nos ancêtres,
Ce chemin des martyrs, qu'ils ont fait tant de fois ;
Gardez Rome éternelle au plus clément des maîtres,
Image de son Dieu, trônant sur une croix.
Allez comme eux souffrir, mourir pour la justice,
Notre Europe est livrée aux plus sombres hasards ;
Au seuil de l'avenir, il faut que l'on choisisse
Entre le joug du Christ et celui des Césars.
Libres soldats, nourris près d'une république,
Fils d'une terre où l'homme a toute sa fierté,
Vous témoignez, au nom de la jeune Amérique,
A la fois pour le Christ et pour la liberté.
— 1S7 — '
Portez au Roi Pasteur votre sang et nos larmes
Nos droits sont dans le sien confondus aujourd'hui,
Vous, qui baisez les pieds de ce vieillard sans armes,
Nul César ne vous voit inclinés devant lui.
Amis, de vos forêts, à travers notre France,
Je ne sais quel parfum se répand sur vos pas ;
Une clarté vous suit, une fraîche espérance,
Un souvenir sacré qui ne périra pas.
Vous nous laissez heureux d'avoir reçu des frères,
Fiers d'avoir pu serrer votre royale main.
Dieu vous aime ! . . . . il fera tomber les vents contraires ;
Français du Nouveau-Monde, allez votre chemin !
Victor de LaPrade,
De l'Académie française.
Lyon, 6 mars 1868. '
Plusieurs journaux français saluèrent les zouaves
canadiens en termes flatteurs, nous en reproduisons
quelques extraits :
M. Louis Veuillot écrivait dans l' Univers : " Paris
a vu passer une troupe de Croisés ; c'est un specta-
cle auquel on ne devait pas s'attendre ; cependant
le voici."
Le Monde disait :
" Nous avons vu passer les jeunes Canadiens qui
se rendent à Rome pour la défense de l'Eglise catho-
lique et du Souverain Pontife : d'autres, en aussi
grand nombre, sont en route pour les suivre. Qui
n'admirerait ce pieux élan ? C'est l'ancienne France
qui se retrouve avec son esprit de foi et ses hautes
— 188 —
vertus. Le Canada est resté fidèle à des mœurs que
nous désertons chaque jour ; il n'a pas été, comme
la mère-patrie, ravagé par les révolutions."
La Semaine Religieuse de Rouen, du 16 octobre
1869, s'exprimait ainsi, en parlant du passage du
quatrième détachement des Zouaves canadiens à
Rouen :
" Un de ces événements qui se rencontrent rare-
ment dans le cours d'un siècle et qui laissent après
eux les plus douces émotions, a réjoui, mercredi
dernier, la ville métropolitaine.
" Quatre-vingt-seize jeunes gens du Canada, con-
duits par M. le chanoine Moreau, de Montréal, et
commandés par un capitaine de l'armée nationale,
M. Guilbault, ont séjourné dans notre ville, venant
du Havre et se rendant à Rome, comme volontaires
dans le corps des zouaves pontificaux. Ces jeunes
gens avaient le plus grand désir de voir la métro-
pole normande, berceau de leur nation, dont ils con-
naissent parfaitement l'histoire, et dont le souvenir
est toujours vivant parmi eux. Salués au Havre par
M. l'abbé Boullard, qui s'était rendu au-devant du
détachement,et qui devait leur servir de guide en Nor-
mandie, ils sont arrivés en bon ordre à Rouen, qu'ils
ont traversé en rang et dans une attitude toute mar-
tiale. Ils ne portaient pas d'uniforme. Ils avaient
— 180 —
seulement un képi d'ordonnance, et le pantalon
retroussé militairement sur des bas de couleur brune.
" A trois heures et demie, ils faisaient leur entrée
dans la cour du palais archiépiscopal. Leur première
visite devait être pour Son Em. Monseigneur le Car-
dinal-Archevêque (1), en qui ils aimaient à saluer
non-seulement un Prince de l'Eglise, mais encore leur
ancien Primat. On sait, en effet, que jusqu'à la fin
du siècle dernier les archevêques de Rouen portaient
le titre de Métropolitains de Québec au Canada. Son
Eminence accueillit avec la plus paternelle bonté
ces jeunes volontaires ; Elle leur adressa quelques
paroles de bienvenue, et, parcourant leurs rangs, fut
touchée dé leur air digne et modeste, de leur exté-
rieur tout français, et s'entretint avec quelques-uns
d'entre eux.
" Les volontaires, qui appartiennent aux diocèses
de Montréal, de Québec et des Trois-Rivières, parlent
parfaitement notre langue, et portent pour la plu-
part des noms normands : ainsi Bélanger, Valois,
Moreau, Masson, Faucher, Leroux, de Champlain,
de St. Arnaud, Archambault, de Bourbon. Plusieurs
d'entre eux appartiennent à des familles considé-
rables et jouissent d'une grande fortune. Le dévoue-
ment de ces volontaires est admirable. Non contents
(1) Le cardinal de Bonnechose.
— 190 —
de s'expatrier et d'offrir gratuitement leurs services
au Saint-Siège, ils ont supporté tous les frais du
voyage. Son Eminence, voulant leur témoigner
tout son intérêt, les invita à dîner le soir à son
grand Séminaire.
" Nos Canadiens allèrent visiter les principaux
monuments de la ville. Rien ne peut rendre l'émo-
tion qu'ils éprouvèrent à la vue de notre Cathédrale
de Saint-Ouen, et des autres églises, dont ils avaient
souvent entendu parler au Canada. Ils se disaient
tout joyeux, en touchant la terre de Normandie, ils
se croyaient encore dans la patrie. Le soir, le sémi-
naire leur offrait la plus large et la plus généreuse
hospitalité. Un véritable banquet leur fut servi,
chose touchante, par les séminaristes eux-mêmes.
Il fallait voir l'air radieux de ces jeunes gens, qui,
se voyant l'objet des plus délicates et des plus pater-
nelles attentions, ne savaient comment exprimer
leur reconnaissance.
a Son Eminence, accompagnée de ses vicaires
généraux et de ses secrétaires, parut à la fin du
repas. Les toasts commencèrent aussitôt. M. le
chanoine Moreau de .Montréal se fit l'interprète des
sentiments de ses compatriotes et porta la santé de
Son Eminence ! Monseigneur le Cardinal remercia
ces braves jeunes gens et les félicita de nouveau de
— 191 —
leur dévouement. Puis, leur parlant de la mission
qu'ils allaient remplir, il les exhorta à demeurer
toujours fidèles à leur foi, à leurs convictions, à leur
amour pour le Saint-Père, et proposa la santé de Pie
IX. Aussitôt les cris d'éclater : Vive Pie IX ! par
trois fois répétés. Un ecclésiastique lut alors une
pièce de vers improvisés, où il saluait les volontaires
canadiens au nom de l'Eglise, au nom de la France,
au nom de la Normandie. Le commandant du déta-
chement porta un toast à la France, au milieu des
acclamations renouvelées de l'assemblée.
" Les volontaires passèrent ensuite dans la grande
salle de récréation du Séminaire, et Son Eminence
ayant pris place sur un fauteuil, entourée des prêtres
qui l'accompagnaient et des professeurs du Séminaire,
les Canadiens firent entendre trois chœurs exécutés
avec une mâle énergie et un ensemble harmonieux.
Ils commencèrent par ce chant si bien choisi, et qui
avait une grâce particulière dans leur bouche : J'irai
revoir ma Normandie . . . Puis deux chants nationaux
d'un effet saisissant. On remarque qu'ils ont con-
servé le style du XVIIe siècle. Ils parlent encore de
tambourin, de chalumeau, de musette, et se servent
encore dans le langage de locutions vieillies pour
nous, mais qui avaient un charme pénétrant. Son
Eminence leur a adressé la parole, et a accompagné
— 192 —
ses conseils des plus affectueux souhaits. " Je vais
bientôt vous suivre, leur a-t-il dit, sur cette route de
Rome où je vous retrouverai." Les Canadiens ont
alors entonné le Salve Regina, comme ils avaient cou-
tume de le faire chaque soir à bord de leur navire,
et ils ont rendu cette douce antienne avec une expres-
sion touchante. Monseigneur le Cardinal leur a
donné sa bénédiction solennelle, et a été reconduit à
sa voiture par les volontaires aux cris de vive Son
Eminence !
" Les Canadiens, avant de se retirer, ont voulu
exprimer à M. le supérieur du grand Séminaire leur
gratitude pour l'accueil si cordial et si empressé qu'il
avait bien voulu leur faire, et ont échangé avec les
élèves de fraternels adieux. C'était vraiment un
spectacle bon à contempler. Dans notre siècle, il y
a encore autre chose que l'égoïsme et l'amour de
l'argent. On y rencontre de chevaleresques dévoue-
ments, de généreux sacrifices qui puisent leur force
dans la foi. Honneur aux Canadiens, et que Dieu
veille sur eux ! Ils portent noblement leur fière
devise : Aime Dieu et va ton chemin ! "
On s'est souvent demandé quelle était l'origine de
la belle devise des zouaves pontificaux canadiens :
" Aime Dieu et va ton chemin. " M. l'abbé Denis
Gérin, ancien zouave et aujourd'hui curé de Saint-
— 193 —
Justin, explique clairement cette origine dans l'his-
toire du Séminaire de Nicolet publiée, il y a quel-
ques années, par M. l'abbé J.-A.-T. Douville. Voici
le précieux renseignement que nous fournit notre
ancien compagnon d'armes :
" Dans l'automne de 1867 avait lieu l'invasion du
territoire pontifical par les nouveaux barbares du
nord. Après les brillants faits d'armes de Bagnorea,
de Monte-Libretti et de Nerola, quelques cents soldats
pontificaux se réunissaient à Mentana, où ils atta-
quaient et mettaient en déroute les hordes garibal-
diennes. Deux soldats canadiens, Murray et Laroc-
que, avaient pris part à cette victoire, en se couvrant
de glorieuses blessures. Watts Russel, agonisant, des
dernières gouttes de son sang, venait d'écrire sur une
pierre les mots devenus chers à tous les Canadiens :
Ama Dio e tira via. — Aime Dieu et va ton chemin.
Ces événements, télégraphiés à l'univers catholique,
créèrent un saint enthousiasme partout, mais nulle
part plus qu'en Canada. Le vieux sang gaulois se
réveilla. La soif du dévouement descendit au cœur
d'une foule de jeunes gens, et bientôt l'on commença
à ébaucher le plan d'une croisade canadienne."
13
S. G. Mgr BEGIN,
Patron des Zouaves de Québec.
LES ZOUAVES DE QUEBEC
Voilà plus de trente-cinq ans que nous avons cessé
de vivre à l'ombre du drapeau pontifical. Ce long
espace de temps signifie naturellement que nous
avons vieilli d'autant et que nous approchons rapi-
dement vers la tombe. Plusieurs d'entre nous déjà
dorment leur dernier sommeil. Constatant que nos
rangs s'éclaircissaient d'année en année, les zouaves
pontificaux de Québec prirent la résolution de com-
bler les vides en appelant sous leur étendard leurs
fils et les citoyens en général de cette ville. Leur appel
fut entendu ; car le corps des zouaves de Québec
compte aujourd'hui un effectif de cent vingt-cinq
hommes. C'est un magnifique résultat que nous
devons, en grande partie, aux encouragements que
nous avons reçus de la classe dirigeante de notre
ville, du clergé et en particulier de Sa Grandeur
Mgr Bégin. Voici ce que notre digne archevêque
écrivait, en 1901, au commandant des zouaves, qui
— 196 —
l'avait prié d'accepter le patronage de notre nouveau
corps militaire :
" Québec, le 7 février 1901.
A M. C.-E. Rouleau,
Président des zouaves pontificaux de Québec.
Cher monsieur,
J'acquiesce volontiers au désir que vous me formu-
lez dans votre lettre d' avant-hier, et je consens à être
le Patron de votre association des " Zouaves de
Québec. "
Il me fait plaisir de vous voir, avec un certain
nombre d'excellents catholiques de notre ville, per-
pétuer le glorienx souvenir de nos croisés canadiens
qui, en 1868, volèrent si courageusement à la défense
du Souverain Pontife et de son domaine temporel.
L'épopée religieuse et guerrière dont nos jeunes gens
furent alors les héros, demeurera, grâce à votre asso-
ciation, plus facilemet et plus profondément gravée
dans la mémoire de notre peuple. Le nom de zouave,
en même temps qu'il rappellera la gloire que se sont
acquise nos preux chevaliers, sera toujours pour
notre Canada, synonyme de courage chrétien, de
noblesse de sentiments, de foi ardente, de dévoue-
ment aux successeurs de saint Pierre, aux chefs de
la sainte Eglise ; il sera comme un drapeau qui
— 197 —
renfermera dans ses plis l'une des plus brillantes
pages de notre histoire, en même temps qu'un grave
enseignement pour les générations futures.
Ancien zouave pontifical, vous ne manquerez pas,
j'en suis sûr, de redire aux membres de votre asso-
ciation québecquoise les exploits de votre cher batail-
lon d'autrefois et de maintenir parmi eux un invio-
lable attachement au Pape-Roi, au vicaire de Jésus-
Christ.
Agréez, cher monsieur, l'expression de mes senti-
ments les plus dévoués.
t L.-N., Arch. de Québec."
Quelques semaines auparavant, M. C.-J. Magnan,
professeur de l'Ecole Normale Laval de Québec et
directeur de L'Enseignement Primaire, avait adressé la
lettre suivante au président des zouaves pontificaux :
Québec, 18 décembre 1900.
M. C.-E. Rouleau, président des
zouaves pontificaux, Québec.
Cher monsieur,
J'ai lu avec plaisir, dans les journaux de Québec,
que les zouaves pontificaux de notre ville ont décidé
de former un corps militaire indépendant, qui sera
connu sous le nom de " Les zouaves de Québec, " et
que les membres de cette association porteront l'uni-
forme des anciens soldats de Pie IX.
M. L'ABBE F. X. FAGUY,
Aumônier des Zouaves de Québec.
— 199 —
Voilà une idée superbe.
Les rangs des nobles croisés qui volèrent à la
défense du Pape, lorsque Rome fit entendre cette
plainte sublime à laquelle les rois et les empereurs
restèrent sourds, s'éclaircissent chaque année. Avant
longtemps ils seront tous descendus dans la tombe,
ces cœurs pleins de foi qui donnèrent leur vie pour
le droit et pour Dieu.
Nous comprenons pourquoi ces chevaliers d'une
époque à jamais glorieuse pour le Canada-français
veulent, avant de disparaître de la scène du monde,
grouper autour d'eux une jeunesse d'élite; qui aura*
pour mission de conserver sur le vieux roc de Qué-
bec les belles traditions des zouaves du Pape.
Puis, M. le Président, vous et vos braves compa-
gnons d'armes de Québec, n'avez-vous pas l'insigne
honneur d'être les fidèles gardiens du drapeau de
Carillon, cette incomparable relique sur laquelle
" nos regards savent lire en brillants caractères
l'héroïque poème enfermé dans ses plis."
Au jour de Saint-Jean-Baptiste, n'est-ce pas encore
à vous qu'incombe la douce tâche de promener
triomphalement, dans les rues de la capitale, ce Vieux
souvenir français qui rappelle à nos cœurs les vertus
de nos aïeux ?
Je le répète, cette idée est superbe. J'y adhère
— 200 —
avec enthousiasme. Je sollicite même l'honneur
d'entrer dans votre régiment, si vous m'en jugez
digne.
Oh ! comme il sera beau de voir, aux jours des
grandes fêtes religieuses et patriotiques, les vétérans
de l'armée pontificale entourés d'une garde d'hon-
neur, qui aura pour signe de ralliement la sainte
relique que le soldat de Carillon pressait sur son
cœur dans une dernière étreinte.
J'ai l'honneur d'être,
Cher monsieur,
Votre tout dévoué,
C.-J. Magnan.
Le petit bataillon des zouaves de Québec mérite
certainement l'honneur d'un chapitre spécial dans
cet ouvrage. Mais comme cette association nous
touche de trop près, nous laissons cette tâche à un
journaliste, M. Hormisdas Magnan, qui a publié un
travail élaboré sur les zouaves de Québec, en 1902,
dans les " Annales de la Société Saint- Jean-Baptiste."
Nous lui empruntons donc les passages suivants de
son étude :
" Ces" deux lettres (1) firent une profonde impres-
sion sur la population si catholique et si française de
(1) Celles de Sa Grandeur Mgr Bégin et de M. C.-J. Magnan
publiées précédemment.
— 201 —
Québec. M. Rouleau fit appel à la jeunesse catho-
lique de la ville, par la voie des journaux. Plus de
cinquantes jeunes gens, représentant toutes les classes
de la société, vinrent s'inscrire, et les exercices mili-
taires, avec commandements en français à la grande
joie des recrues, commencèrent sans retard. Il fallait
voir avec quel entrain et quelle bonne grâce cette
bouillante jeunesse obéissait à son chef. M. C.-E.
Rouleau se fit instructeur, et le succès fut tel que,
trois mois plus tard, le corps des zouaves pontificaux
manœuvrait avec la précision des vieux zouzous de
La Moricière.
" Les uniformes furent faits dans les premiers mois
qui suivirent la fondation du nouveau corps, et à la
Fête-Dieu suivante, les zouaves endossèrent la glo-
rieuse livrée des soldats de Pie IX.
" La tenue des zouaves de Québec est en tous
points semblable à celle des anciens. Elle consiste
en un gilet, une ample culotte et un képi ; le tout,
en étoffe gris foncé, est orné de galons rouges : des
guêtres blanches et un large ceinturon rouge com-
plètent l'uniforme. La tenue des officiers est en drap
bleu clair ; les ornements sont en galon d'or. Dans
son ensemble, l'uniforme est très pittoresque, et les
zouaves, en corps, offrent un coup d'œil saisissant.
" Le'corps des Zouaves de Québec est à la fois une
M. L'ABBE T. G. ROULEAU,
Aumônier des Zouaves de Québec.
— 203 —
société patriotique et religieuse ; il a été fondé au
mois de février 1901, sous, le haut patronage de Sa
Grandeur Mgr Bégin, archevêque de Québec. La
nouvelle association est aussi militaire, puisque les
quelques survivants à Québec en sont comme le
noyau.
" Le but principal de cette Association est défini
dans la lettre de Mgr l'archevêque de Québec. Au
motif religieux, les zouaves ont joint l'idée patrioti-
que. Et pour mieux relier le présent au passé, ils
s'efforcent de grouper nos compatriotes autour de
deux drapeaux chers à nos' cœurs : le drapeau pon- ^,
tifical et le drapeau fleurdelisé de Carillon.
" L'union des Canadiens-français dans un même
esprit religieux et patriotique, pour s'emparer du sol
canadien par l'agriculture et par le développement
des ressources si variées offertes à l'industrie, enfin,
l'effort commun pour conserver notre, langue et nos
1nstitutions civiles et religieuses, voilà le présent
pour nous. Notre fête nationale contribue largement
à cette œuvre d'union, et pour lui donner plus de
force d'action à Québec, les soldats de Pie IX ont
cru, avec raison, qu'avant de mourir, il était de leur
devoir de grouper autour d'eux des jeunes gens qui
auraient pour mission de perpétuer à jamais le souve-
nir de leur croisade à Rome, et qui deviendraient les
— 204 —
gardes d'honneur du drapeau de Carillon et du dra-
peau pontifical, et les défenseurs de la grande cause
du pouvoir temporel des Papes.
" Cette fondation fut inspirée aux zouaves par le
révérend Père Hamon, S. J., à l'occasion des noces
d'argent de notre régiment, en 1885. En cette cir-
constance, le révérend Père Hamon prononça, dans
la chapelle historique de Notre-Dame des Victoires,
à la Basse- Ville de Québec, une de ces allocutions à
l'emporte-pièce, toute virile et toute patriotique, dont
il a le secret. En présence de ces braves aux fronts
ridés, à la chevelure blanche, une idée le frappa, et
sur-le-champ il l'exprima : '• Il est regrettable, . dit-
il, de voir disparaître un corps militaire sorti du sein
même de l'Eglise catholique et qu'un lien patrioti-
que unit désormais à la nation canadienne-française.
Enrôlez vos fils dans la milice pontificale que vous
représentez, et que ces fils de soldats chrétiens perpé-
tuent au Canada le souvenir dû dévouement des
croisés du XIXe siècle envers le Saint-Siège."
" Les zouaves pontificaux se rendirent avec bon-
heur à ce conseil ; mais leurs fils n'étant pas assez
nombreux, ils choisirent de jeunes recrues en dehors
de leurs foyers.
" L'Association des zouaves de Québec est destinée
à rehausser l'éclat de nos fêtes religieuses et nationa-
— 205 — *
les. A la Fête-Dieu, les zouaves servent de garde
d'honneur au Très Saint Sacrement, dans la proces-
sion traditionnelle qui se fait dans toutes les paroisses
de la ville. Depuis 1870, les zouaves pontificaux
n'ont jamais manqué de prendre part à la fête natio-
nale des Canadiens-Français.
" Chaque année aussi, les zouaves se font un
devoir d'aller en pèlerinage à la Bonne Sainte-Anne.
Chacun est heureux de recevoir la communion aux
pieds de la grande thaumaturge du Canada.
" A l'occasion de la bénédiction du fac-similé du
drapeau de Carillon, le 25 mai 1902, M. l'abbé Th.-
G. Rouleau, ancien aumônier des zouaves pontifi-
caux, à Québec, rappelait les paroles émues que
l'illustre vieillard Léon XIII lui adressait en 1896,
alors qu'agenouillé devant le Saint-Père, il lui
demandait sa bénédiction pour les zouaves pontifi-
caux de Québec : " Dites bien aux zouaves de Québec
de se tenir toujours prêts à répondre à mon appel" ;
et le prédicateur ajoutait :
" Soldats de l'Eglise, maintenez vivace dans notre
vieux Québec l'idée du pouvoir temporel du Pape :
c'est le désir du Souverain Pontife. Donc, Dieu le
veut. Les intérêts catholiques sont intimement liés
à la cause de la souveraineté civile du Vicaire de
Jésus-Christ. Nous ne connaissons ni le jour ni
M. L'ABBE E. ROY,
Aumônier des Zouaves de Québec.
— 207 —
l'heure de la délivrance que le Seigneur retient sous
son pouvoir, mais nous pouvons hâter ce jour par
nos prières, surtout par des prières adressées à^la
Vierge Immaculée de Pie IX, qui est forte comme
une armée rangée en bataille, par notre conduite
morale et chrétienne, car ce n'est pas le nombre, mais
la qualité des soldats qui triomphe, par une adhé-
sion toujours plus complète aux enseignements de
l'Eglise."
" Les zouaves de Québec représentent donc une
grande idée, un principe de premier ordre ; l'art
militaire n'est pas le but principal de leur associa-
tion ; cet art n'en est que l'accessoire ; leur vrai but
dans l'avenir est d'enseigner par l'exemple, qu'il
faut surtout se montrer catholique actif; qu'il ne
faut pas seulement croire, mais encore agir.
" Quand les soldats de Pie IX seront descendus
un à un dans la tombe, la mission des zouaves sera
de maintenir en honneur le drapeau pontifical et de
prouver au monde catholique qu'ils étaient dignes
de recueillir l'héritage légué par les preux zouaves
de Lamoricière.
" Puissent les zouaves de Québec rester fidèles aux
nobles traditions des soldats de Pie IX, et ne jamais
oublier les paroles si éloquentes qu'un zouave expi-
rant, Watts Russel, traça de son sang sur une pierre :
— 208 —
" Ama Dio e tira via " " Aime Dieu et va ton che-
min."
" Cet été, les zouaves ont pris une part très active
dans les brillantes fêtes du cinquantenaire de la
Société Saint Jean-Baptiste de Québec. Les éloges
et les applaudissements ne leur ont pas été ménagés.
" Un ancien militaire qui a signé " Esculape ",
écrivait ce qui suit dans un journal de Québec, au
lendemain de cette belle fête :
" Après la grandiose démonstration religieuse sur
la Terrasse, le " clou " a été la parade des zouaves
de Québec. Ils étaient une centaine dont une quin-
zaine de vieux zouzous de Pie IX, et le reste, des
zouaves de récente création — sorte de pupilles de la
Garde papaline — œuvre du commandant Rouleau et
de ses compagnons d'armes québecquois.
" Vous dire qu'ils ont bien manœuvré ne serait
pas rendre suffisamment justice à ces gaillards en
culottes larges et vestons courts, laissant à découvert
la ceinture rouge qui leur ceint plusieurs fois la
taille.
" Armés de vraies carabines et de réelles baïon-
nettes, ils ont montré, en divers assauts et parades
prestement exécutés, ce dont est capable cette arme
bien française, en des mains canadiennes-françaises.
" Je suis un vieux routier de notre milice cana-
— 209 —
dienne. J'ai obtenu mes deux certificats à l'Ecole
Militaire de Québec : celui de seconde classe sous le
colonel Gordon, du 17ème, retour de Crimée, celui
de première, des mains de lord Alexander Russell,
de la " Rifle Brigade ", — aussi retour de Crimée.
" J'ai. fait des campements ; j'ai suivi les fortunes
diverses de notre excellent " neuvième " — régiment
québecquois par excellence — pendant des années. ...
" Je crois donc m'y connaître un peu en fait de
parades et d'exercices militaires.
" Eh bien ! je déclare ici que nos zouaves de
Québec en remontreront avant longtemps, aux
vieilles " culottes de peau " de notre volontariat.
" Ce qui ne contribue pas peu à l'agrément de ces
parades, ce sont les commandements en français,
brefs, rapides, suggestifs."
Voici ce que M. Edmond Rousseau écrivait, en
1903, dans Le Soleil et V Evénement de Québec :
UNE JOLIE PARADE
" Un peu par désœuvrement, beaucoup pour faire
plaisir à mon jeune fils, à 8 hrs hier soir je me diri-
geais Vers le Manège de la Grande- Allée, où il y avait
déjà près de deux mille personnes rendues pour
assister à la parade des Zouaves de Québec.
14
M. L'ABBE J. D. BEAUDOIN,
Aumônier des Zouaves de Québec.
— 211 —
Franchement, je n'étais pas trop rassuré et je nie
disais à moi-même qu'il fallait être bien sûr de soi
ou fort imprudent pour annoncer par la voie des
journaux, avec' un .certain fracas, la parade d'un
corps de volontaires indépendants, très jeune encore,
un corps que je qualifiais de simples amateurs, et d'y
inviter le 'public. Je v suis rentré chez moi à onze
heures, absolument émerveillé, totalement charmé,
qu'on en prenne ma parole ; car, en ma qualité de
vieux critique d'une réputation assez grincheuse, je
n'ai pas l'enthousiasme facile.
Toutes les personnes qui assistaient à la parade
d'hier, dirent avec moi que nous avons un corps
d'élite dans les zouaves de Québec, qui fera sa
marque dans tout le Dominion et que, s'il est possible
de lui trouver des égaux, il est certainement fort
difficile pour ne pas dire impossible de lui trouver
des supérieurs.
Et d'abord ce que j'appellerai l'apparence générale,
est unique. On dirait que le commandant s'est fait
un devoir de choisir parmi notre population ce
qu'elle renferme de plus jolis garçons et de plus
distingué. Va sans dire que je mets les officiers au
premier rang. Quant aux manœuvres, il me suffira
de dire que, pendant le défilé au pas accéléré, hier,
je me reportais à cette époque où j'allais, dans mon
212
enfance, voir manœuvrer les régiments réguliers
anglais sur l'Esplanade, et que la comparaison
n'était nullement choquante à mon esprit. Les
zouaves marchent en vieux troupiers et manœuvrent
avec un ensemble qui ne laisse rien à désirer même
dans les mouvements les plus difficiles, comme par
exemple, de former le carré sur la marche, reconsti-
tuer la file et combien d'autres qui ont été fort
applaudis. Et avec les zouaves pas de tricherie
possible, si le pied n'est pas en ligne, la guêtre
blanche le trahira. Les zouaves comptent un effectif
assez respectable de 80 à 90 hommes, m'a-t-on dit,
espérons que le temps n'est pas éloigné où nous
verrons cette compagnie se transformer en bataillon.
Toutes nos braves familles devraient se faire un
honneur d'y faire entrer leurs enfants. Outre qu'elles
sont assurées que ceux-ci seront sauvegardés sous le
rapport de la morale, ils y trouveront un exercice
très hygiénique et beaucoup d'honneur.
Les zouaves se rendent à Montréal, pour les fêtes du
24 juin ; certes, il s'y placeront au premier rang, et
nous aurons raison d'en être fiers. Soyons-leur recon-
naissants des efforts, des fatigues qu'ils s'imposent
pour leur satisfaction personnelle, il est vrai, mais
après tout, l'honneur en rejaillit sur notre ville, et
sans aucun sacrifice de notre part, nons en profitons.
— 213 —
Ils viennent d'organiser une excursion à Montréal
par bateau pour ces fêtes du 24 juin, faisons-nous un
devoir de les accompagner. Imitons en cela nos voi-
sins de la métropole qui ne manquent jamais d'encou-
rager quelques-unes de leurs sociétés, se rendant dans
un endroit, soit pour concourir, soit pour prendre
part à une démonstration quelconque, ne manquant
jamais, dis-je, de les accompagner en grand nombre
et de leur prêter ainsi leur appui moral.
Edmond Rousseau.
Québec, 18 juin 1903.
" La nomination de M. Rouleau comme chevalier
de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand a été accueillie
avec la plus grande joie par les jeunes zouaves.
Tous ont compris que cette marque de distinction,
venant du chef de l'Eglise catholique, était une
approbation très éloquente de leur nouvelle asso-
ciation.
"M. le lieutenant-colonel G.- A. Drolet, ancien
zouave pontifical, écrivit à M. Rouleau la lettre sui-
vante, au sujet de la décoration que Sa Sainteté Léon
XIII venait de lui décerner :
Montréal, 15 octobre 1901.
Mon cher chevalier,
J'ai été bien heureux de lire dans le Soleil d'hier,
le compte rendu de la jolie démonstration dont tu as
— 214 —
été l'objet, à l'occasion de ton entrée dans la cheva-
lerie pontificale.
Je me réjouis, avec tous les amis de la bonne
cause, de la récompense que le Saint-Père vient de
te décerner.
Nul plus que toi, mon cher Rouleau, ne méritait
cet honneur. Depuis ton retour de Rome, j'ai été
plus ou moins mêlé à ta vie, pendant ton séjour à
Montréal, et, depuis que tu vis à Québec, j'ai suivi
avec intérêt ta carrière professionnelle.
" Aime Dieu et va ton chemin, " a toujours été ta
devise. Tu l'as non-seulement pratiquée toi-même,
mais par tes vaillants écrits, par tes exemples, par
ta chaude et entraînante parole tu l'as " transfusée"
dans le cœur et dans l'esprit de la jeunesse de Qué-
bec. Aujourd'hui, cette belle et intelligente jeunesse
se groupe sous ton commandement, sous les plis du
drapeau du régiment des zouaves pontificaux, pour
continuer nos traditions de Rome.
La création de ce bataillon, à Québec, est un évé-
nement extraordinairement heureux pour l'Eglise et
pour le Canada. Il fallait un apôtre comme toi,
Rouleau, pour mener à bien une création aussi diffi-
cile. Nous disparaissons, nous les aînés, rapidement,
hélas ! — Hodie mihi, cras tibi. — Ce rameau que tu as.
détaché du tronc principal de l'Union Allet, est en
— 215 —
train de pousser des racines vigoureuses : tant mieux,
mon Dieu ! Tu auras. contribué, plus que tout autre,
à perpétuer les traditions du Régiment des Diables
du bon Dieu, eh Canada.
Nous n'aurions jamais pu, à Montréal, accomplir
une œuvre pareille. Aussi, notre Saint-Père, en te
donnant la croix de chevalier de Saint-Grégoire-le-
Grand, a-t-il récompensé une vie toute d'honneur et
de dévouement à toutes les causes nationales et reli-
gieuses.
Reçois mon affectueuse accolade, mon cher cheva-
lier, et crois toujours à l'entier dévouement de
Ton ancien camarade et ami,
G.-A. Drolet.
— 216
SA SAINTETE PIE X
Au mois de juin 1905, trois anciens zouaves ponti-
ficaux de Québec reçurent de Sa Sainteté Pie X la
croix de chevalier : ce sont MM. C.-E. Rouleau,
, A.-C. Guilbault et L. Lefebvre. A la réception de
cette consolante nouvelle, il y eut grande fête aux
, quartiers-généraux des zouaves de Québec. Voici ce
que le Soleil du 30 juin dit de cette brillante
démonstration :
" La fête charmante à laquelle les Zouaves de
Québec ont pris part, hier soir, à leur salle de la halle
laissera un souvenir que rien ne pourra effacer.
" En effet, M. l'abbé T. G. Rouleau, principal de
l'Ecole Normale, se rendait, hier soir, à la halle
— 217 —
Berthelot pour rendre visite aux Zouaves de Québec
dont il est le digne aumônier.
" Pour la circonstance, la salle avait été décorée
avec goût : une estrade avait été érigée, laquelle on
avait artistement ornée de drapeaux. En avant de
l'estrade, sur les côtés, on avait placé le drapeau
papal et le drapeau Carillon ; M. le sergent P. Rou-
leau avait présidé aux décorations.
" Quelques instants avant l'arrivée de M. l'aumô-
nier et des officiers qui l'accompagnaient, les officiers
Benoit et Lockwell disposèrent les Zouaves sur deux
lignes laissant un passage au milieu. A l'arrivée
des invités, les Zouaves présentèrent les armes, tandis
que les clairons sonnaient le salut.
" M. le chevalier C. E., Rouleau, commandant des
Zouaves, s'avança alors et souhaita la bienvenue la
plus chaleureuse, la plus enthousiaste à M. l'aumô-
nier Rouleau.
Un tonnerre d'applaudissements accueillit les
paroles du commandant.
" M. l'abbé Rouleau répondit fort heureusement
aux souhaits de bienvenue du commandant Rouleau
et profita de la circonstance qui lui était offerte pour
féliciter les Zouaves de la tenue irréprochable,
l'apparence martiale de chaque homm?.
— 218 —
" Il ajouta quelques conseils qui furent religieuse-
ment écoutés.
M. l'aumônier a été chaleureusement applaudi.
M. le commandant Rouleau s'avançant alors,
annonça qu'il avait une communication importante
à faire aux Zouaves de Québec. Il s'agissait de deux
décorations conférées par Sa Sainteté Pie X à deux
officiers du corps des Zouaves de Québec.
Le commandant Rouleau fit la lecture des deux
lettres très importantes qui suivent.
Nous tenons à dire d'abord que les premières
démarches pour obtenir ces deux décorations furent
faites par M. C.-E. Rouleau. Comme on le verra par
la date de la lettre du général de Charette, les démar-
ches furent commencées en décembre dernier. Mal-
heureusement, le général de Charette tomba malade
et dut passer l'hiver chez lui.
Basse Motte, Châteauneuf.
Ile-et-Vilaine,
ce 1er décembre 1904.
Monsieur Rouleau,
Lieutenant-colonel des Zouaves
Pontificaux Canadiens.
Québec.
Mon cher commandant,
Et d'abord mes grands compliments. La première
— 219 —
qualité d'un chef est de savoir reconnaître les mérites '
de ses subordonnés.
Je devais partir pour Rome et y être le 8 décem-
bre, et j'aurais été heureux de ^présenter au Pape,
moi-même, vos demandes de décoration. Malheu-
reusement, un empêchement imprévu m'oblige à
remettre mon voj^age.
Je sais, par expérience, que ces sortes d'affaires
ont beaucoup plus de chances de réussite lorsqu'elles
sont faites de vive voix. Je vous demande donc un
peu de patience, et j'espère bien pouvoir aller à
Rome sans trop tarder. Les lettres de Votre arche-
vêque et de votre aumônier me seront d'un grand
secours. J'ai reçu, presqu'en même temps que la
vôtre, une bien intéressante lettre de Désilets, qui me
raconte la belle cérémonie du couronnement de N.-
D. du Cap, à laquelle assistaient les deux bataillons
de Québec et des Trois-Rivières.
Je suis heureux de pouvoir vous redire combien
j'aurais été fier de les passer en revue et de saluer
mes vieux et les jeunes " Castors. "
Je vous le répète, mes grands compliments et
laissez-moi embrasser avec l'effusion de mon vieux
cœur le lieutenant-colonel commandant tous les
Zouaves canadiens.
Veuillez offrir mes respectueux hommages à Mon-
— 220 —
seigneur l'archevêque et à l'aumônier de votre batail-
lon québecquois.
Tout vôtre, affectueusement,
Charkïte.
REPONSE DE M. C.-E. ROULEAU
Québec, 10 décembre 1904.
Mon général,
Je vous remercie de tout cœur de votre bonne
lettre et du profond intérêt que vous ne cessez de
porter à vos vieux " Castors." " Vieux Castors ! "
c'est une page d'histoire et des souvenirs bien chers
que vous rappelez à ma mémoire. Le camp d'An-
nibal, où nous avons appris à évoluer sous votre
commandement le jour de la visite à jamais mémo-
rable de notre glorieux Pape ; la Cour St-Damase,
où il nous a été donné de répéter ces exercices admi-
rables en présence d'une foule immense des plus
hauts dignitaires de l'Eglise catholique ; la vie de
garnison à Rome, où nous avions le bonheur de
rencontrer l'ami " des Castors " presque tous les
jours ; la célèbre retraite de Viterbe ; en un mot,
les années heureuses que nous avons passées à
l'ombre du drapeau pontifical se présentent à mon
esprit comme autant de bouquets de roses dont le
parfum charme le cœur, le fortifie et le console.
Mon général, vous me demandez d'avoir un peu
de patience. C'est chose très facile, surtout quand je
suis convaincu que la patience conduit à l'espérance
et que l'espérance, exprimée par vous, équivaut à la
réalité.
Oh ! que vos vieux et jeunes " Castors " auraient
été fiers de vous voir passer en revue nos bataillons
de Zouaves canadiens à la grande fête du Cap de la
Madeleine ! J'ai l'espoir que le jour viendra où les
Zouaves canadiens auront le bonheur de présenter
les armes à leur général et de lui exprimer de vive
voix toute l'affection qu'ils lui portent.
Je demeure, mon général, avec les sentiments du
plus entier dévouement.
Votre ancien sergent,
C.-E. Rouleau.
Après la lecture de ces deux lettres, le comman-
dant C.-E. Rouleau annonça qu'il avait reçu de
Rome les parchemins en vertu desquels MM. C. A.
— 222 —
Guilbault, capitaine, et Louis Lefebvre, lieutenant,
étaient créés chevaliers de l'Ordre de St-Grégoire-le-
Grand.
Il n'est pas besoin de dire que la remise de ces
précieux documents aux nouveaux décorés fut le
signal d'un enthousiasme délirant parmi les Zouaves.
Le commandant C. E. ROULEAU,
Chevalier de S. Grégoire-le-Grand et de
Pie IX.
Le^capitaine Guilbault, visiblement ému de cet
insigne honneur venu de Sa Sainteté Pie X, s'avan-
ça et'fit un discours on ne peut plus heureux.
:vll remercia en termes choisis le commandant
Rouleau et l'aumônier Rouleau de leurs démarches
auprès du général de Charette et du Saint-Siège.
— 223 —
Il se reconnaît indigne de l'insigne honneur, à lui
conféré par le Saint-Père, mais puisque le bataillon
des Zouaves doit en bénéficier, il l'accepte avec
bonheur.
Le nouveau chevalier, fier de son passé comme
" zouave " profita de l'occasion pour conseiller aux
nouveaux un attachement constant à la personne
auguste du Souverain Pontife et à la doctrine de
l'Eglise.
M. Guilbault fut très applaudi.
Le lieutenant Ls Lefebvre adressa ensuite la
parole. Il protesta de son dévouement à la cause
du " Pouvoir temporel " et aux enseignements de
l'Eglise.
Il accepte avec plaisir l'honneur qu'il reçoit de
Rome et qui rejaillit sur sa famille et sur le corps
des Zouaves de Québec.
On allait se séparer ' lorsque M. l'aumônier Rou-
leau se leva pour annoncer une autre bonne et
joyeuse nouvelle. Celle de la réception, de Rome, de
parchemins'en vertu desquels M. le commandant
C.-E. Rouleau était créé chevalier de l'Ordre de Pie
IX. Cette nouvelle fut accueillie par un tonnerre
d'applaudissements, de vivats.
Après avoir fait l'éloge du nouveau chevalier de
Pie IX, le dévoué aumônier des Zouaves remit à
224
celui-ci les documents précieux qu'il avait reçus vers
les six heures.
M. le chevalier Rouleau ne put que balbutier
quelques mots tant son émotion était grande.
Il protesta de son dévouement à la cause de' la
papauté et aux enseignements de l'Eglise.
- Avec effusion il remercia le Saint-Père, M. l'abbé
Rouleau, Mgr Bégin, le général de Charette, M. le
chevalier Bussières, président général de l'Union
Allet, et enfin ses chers Zouaves de Québec.
A ces derniers il donna de bons conseils et leur
demanda de rester fidèles à la devise des vieux
Zouaves : " Aime Dieu et va ton chemin."
M. le commandant Rouleau avait été créé cheva-
lier de St-Grégoire-le-Grand par Sa Sainteté Léon
XIII. C'est donc une seconde décoration que le com-
mandant des Zouaves reçoit du successeur de
S. Pierre.
On présenta les armes aux nouveaux chevaliers*
et ensuite il y eut rafraîchissements.
On reconduisit chaque nouveau chevalier à son
domicile.
La fête d'hier laissera un souvenir impérissable
chez ceux qui y ont pris part.
En terminant, offrons nos sincères félicitations aux
trois nouveaux chevaliers, et nos compliments les
— 225 —
plus empressés au bataillon des Zouaves de Québec
pour l'insigne honneur qui rejaillit sur lui.
" Aime Dieu et va ton chemin."
U Evénement, rendant compte le même jour de cette
fête à jamais mémorable, s'exprimait dans les termes
suivants :
" Les Zouaves de Québec, comme de bons soldats
de l'Eglise, ont dignement célébré la fête de saint
Pierre. La démonstration d'hier soir marque une
page mémorable dans leurs annales et restera gravée
dans la mémoire de ces braves militaires qui font
l'honneur de la vieille cité de Champlain.
Un avis publié hier soir dans les journaux, convo-
quait d'urgence tous les Zouaves à la salle Berthelot.
A l'heure réglementaire, tous étaient au poste. A
l'extrémité de la salle, une estrade ornée de drapeaux,
avait été dressée, évidemment destinée à quelque
visiteur marquant. L'attente ne fut pas longue,
et vers 9 heures, M. le commandant Rouleau fit son
entrée dans la salle, accompagné de l'aumônier des
Zouaves et du capitaine Guilbault et du lieutenant
Lefebvre. A leur arrivée, les clairons sonnèrent et
les tambours battirent au champ. Après avoir con-
duit M. l'aumônier sur l'estrade d'honneur, le com-
mandant Rouleau lui annonça qu'il avait été de
15
— 226 —
nouveau choisi comme aumônier de l'association, et
le remercia de l'intérêt qu'il n'a cessé de porter au
régiment des Zouaves de Québec.
M. l'abbé, qui portait sur sa poitrine la croix des
braves, prononça un charmant discours, et dit qu'en
effet, il aime les Zouaves qu'il a eu l'occasion de
voir à Rome où ils ont acquis cette belle réputation
de bravoure dans les divers combats auxquels ils
ont pris part. Il les aime surtout pour l'idée qu'ils
représentent. S'adressant aux jeunes, il dit qu'ils
participent à la gloire des anciens et il ne doute pas
que s'ils en étaient requis, ils n'hésiteraient pas,
comme leurs anciens compagnons, à voler au secours
du Saint-Siège. Ce jour de la Saint-Pierre, dit-il, ne -
pouvait être mieux choisi pour une telle manifesta-
tion. Restez unis autour de vos chefs, dit M. l'au-
mônier, et soyez prêts à tous les sacrifices que Dieu
et la patrie attendent de vous. Vous faites l'admi-
ration non seulement des Québécois, mais aussi des
étrangers qui ont l'occasion de vous voir. Le jour
de la fête nationale, Lady Grey n'a-t-elle pas battu
des mains lorsqu'elle vous a vus défiler et lui présen-
ter les armes. Je vous remercie et je ne vous cache
pas que votre confiance me fait grand plaisir.
De chaleureux applaudissements accueillirent ces
sympathiques paroles.
— 227 —
Le capitaine A. C. GUILBAULT,
Chevalier de S. Grégoire-le-Grand.
NOUVEAUX CHEVALIERS
M. l'aumônier annonça ensuite qu'il avait une
heureuse nouvelle à communiquer aux Zouaves.
Votre commandant, dit-il, qui aime ses soldats et
reconnaît leur valeur, a fait connaître à qui de droit
les mérites du régiment et a mentionné certains
noms de ceux qui ont vu le feu et risqué leur vie
sur les champs de bataille. Le général de Charette,
dit M. l'aumônier, a accédé aux désirs de votre com-
— 228 —
mandant en envoyant deux décorations de Cheva-
valiers de l'Ordre de St-Grégoire, pour être placées,
l'une sur la poitrine du capitaine Guilbault, et l'autre
sur celle du lieutenant L. Lefebvre.
Inutile de dire que cette bonne nouvelle fut
accueillie par d'enthousiastes applaudissements.
Le lieutenant-colonel Rouleau donne lecture de la
lettre expédiée à son ancien commandant le général
de Charette, ainsi que la réponse de celui-ci, qui a
été écoutée avec autant de plaisir que d'intérêt par
tous les Zouaves, vieux et jeunes ; le brave général
rappelle de vieux souvenirs qui ont dû faire tres-
saillir de joie les anciens qui sont encore dans les
rangs : la vie de garnison à Rome, les principales
étapes des défenseurs du Pape, etc., et maints autres
détails qui prouvent que le général de Charette tient
en haute estime les braves canadiens qui ont servi
sous ses ordres, et particulièrement son ancien ser-
gent C.-E. Rouleau.
PRESENTATION DES PARCHEMINS
Le colonel Rouleau, qui manie aussi bien la parole
que l'épée, présente au capitaine Guilbault le par-
chemin qui le créait chevalier de St-Grégoire (ordre
militaire). M. Rouleau accompagna cette présenta-
— 229 —
tion de quelques paroles éinues à l'adresse de son
frère d'armes et qui furent couvertes d'applaudisse-
ments, après quoi les clairons et les tambours firent
entendre leur voix vibrante, reflétant l'enthousiasme
et la joie des camarades.
Le commandement " Présentez armes ! "/ se fit
ensuite entendre, et ce suprême hommage militaire
fut exécuté avec une maestria et un brio imposants.
Le même cérémonial se répéta pour le lieutenant
Louis Lefebvre qui, lui aussi, fut l'objet de sincères
hommages de la part de son colonel.
En présentant ces brevets, M. Rouleau, dit que la
chevalerie est une fleur des champs de bataille qui
ne pourrait fleurir sur plus noble poitrine que celle
des deux titulaires des décorations de ce soir, MM.
Guilbault et Lefebvre.
Le capitaine Guilbault prit le premier la parole et
exprima sa surprise à la vue d'un si grand honneur,
dont, naturellement, il se déclare bien indigne,
opinion qui, soit dit en passant, n'a pas paru par-
tagée par ses supérieurs et tous ses camarades.
En somme, M. Guilbault, quoique pris tout-à-fait
à l'improviste, a fait un discours spirituel tout plein
et assaisonné d'un bon sel gaulois, qui démontre que
l'ancien zouave devait être, dans le temps, un joyeux
camarade de régiment.
230 —
Le lieutenant LOUIS LEFEBVRE,
Cheva,!ier de S. Grégoïre-le-Grand.
M. L. Lefebvre, avec une émotion visible, remercia
vivement le commandant et M. l'aumônier, et dé-
clara que [rien n'aurait pu lui causer plus de joie
que la décoration qui lui est transmise ce soir.
C'est un bonheur, dit M. Lefebvre, que je n'aurais
jamais osé rêver, car je considère que c'est le plus
grand honneur dont un soldat puisse être l'objet,
puisqu'elle'vient de Fie X, le vicaire du Christ, qui
est le roi des rois. Comme son camarade, M. Guil-
bault, il est très heureux de cette décoration dont
— 231 —
l'honneur retombe sur tout le régiment. (Vifs
applaudissements).
M. l'aumônier se lève ensuite et dit que les pa-
roles des deux nouveaux décorés lui rappellent cette
histoire d'un général français qui devenait timide
et tout tremblant lorsqu'on lui faisait des éloges et
déclarait cm'il préférait une pluie de balles à une
averse de compliments. '
CHEVALIER PE PIE IX
Mais ce n'était pas tout, et une nouvelle surprise
attendait les Zouaves, une surprise qui mit le comble
à leur enthousiasme, lorsque M. l'aumônier leur
annonça qu'il avait à transmettre encore une déco-
ration, celle-là destinée au commandant général des
Zouaves du Canada, M. le colonel C. E. Rouleau.
En effet, M. l'abbé venait justement de recevoir pour
le remettre au colonel un brevet créant celui-ci Che-
valier de l'ordre de Pie IX. Peindre la surprise du
nouveau décoré, serait difficile, mais en vieux mili-
taire, habitué à surmonter les émotions, même les
plus inattendues, il remercia ceux qui lui avaient
fait obtenir ce nouvel honneur, entr'autres Mgr
l'Archevêque, le général de Charette et M. l'abbé
Rouleau, et comme ses camarades, il en attribua
— 232 —
tout l'honneur au régiment ; car, dit-il, je reconnais
que personnellement je ne mérite pas un si grand
honneur. Des applaudissements unanimes éclatè-
rent alors et accueillirent la fin de ces paroles.
Les clairons et les tambours se firent entendre de
nouveau, et le " Présentez, armes ! " retentit une
fois de plus.
Cette imposante manifestation se termina par un
éloquent discours de M. l'aumônier, qui donna aux
Zouaves, aux jeunçs surtout, de bons et sages con-
seils leur démontrant la noble ' mission qui leur
incombe au milieu de leurs compatriotes.
Durant la soirée, tous les mouvements exécutés
par le régiment étaient commandés par les lieute-
nants Benoit et Lockwell.
Avant de se disperser, des vivats enthousiastes
furent poussés en l'honneur des nouveaux chevaliers
de St-Grégoire, ainsi qu'en l'honneur du comman-
dant et de l'aumônier, M. l'abbé Rouleau."
Les Zouaves de Québec sont assis, aujourd'hui,
sur des bases solides, et leur exemple a eu de coura-
geux imitateurs aux Trois-Rivières et à Saint-Hya-
cinthe. Avant longtemps nous aurons un bataillon
de plus de quatre cents zouaves canadiens, sans
compter les vieux croisés. Le vœu que le colonel
d'Albiousse, un de nos anciens commandants de
— 233 —
bataillon à Rome, formulait, en 1885, sera alors
accompli. " Oui, disait-il, les anciens peuvent dispa-
raître ; les jeunes viendront combler les vides, et le
régiment restera, il restera pour défendre cette
grande cause de la papauté, avec le même dévoue-
ment et le même enthousiasme."
Comme nous le disions, lorsque nous reçûmes la
croix de chevalier de Pie IX, le régiment vivra,
parce qu'il repose sur le roc immuable du Vatican,
le phare lumineux du catholicisme.
Le régiment vivra parce qu'il a eu pour fondateur
l'immortel Pie IX, crux de cruce, pour protecteur le
glorieux pontife Léon XIII, lumen in cœlo, et qu'il a
encore pour appui Sa Sainteté Pie X, ignis ardens.
La croix, la lumière et le feu ardent, voilà trois
sources inépuisables de vitalité pour le régiment des
zouaves pontificaux.
Si le régiment est, un jour, rayé des annales mili-
taires de la vieille Europe, il continuera d'exister
dans la jeune Amérique, surtout dans notre belle
province de Québec, cette terre de liberté si chère à
tout cœur bien-né et arrosée par le sang de nos mis-
sionnaires et de nos vaillants soldats ; car le nom de
zouave pontifical a toujours .été et sera toujours une
semence de défenseurs de la religion et de la patrie.
Oui, les zouaves canadiens aiment leur religion et
— 234 —
leur patrie ; ils l'ont prouvé à Rome et ils l'ont
prouvé au Canada, et si, un jour, le gouvernement a
besoin du secours de leurs bras, ils seront prêts à
répondre à son appel et à verser leur sang pour la
défense du sol natal. Dans le cas où les autorités
canadiennes s'opposeraient au port de notre uniforme,
nous en revêtirions une autre en leur disant que " ce
n'est pas l'habit qui fait le moine."
APPENDICE
BUREAU DE DIRECTION
Officiers : — Patron : Sa Grandeur Mgr Bégin,
archevêque de Québec.
Président : M. C. E. Rouleau, chevalier de St.
Grégoire et de Pie IX.
Vice-président : M. Chs. E. Guilbault, chevalier
de St. Grégoire.
Trésorier : M. Louis Lefebvre, chevalier de St.
Grégoire.
Ass. -trésorier : M. Alphonse Lefebvre.
Sec-correspondant : M. Henri Nansot.
Sec-archiviste : M. J. Goulet.
*
Ass.-sec-arch. : M. J. C. Lockwell.
Aumôniers : M. l'abbé F. Faguy, curé de la Basi-
ligue ; M. l'abbé T. G. Rouleau, Principal de l'école
normale Laval ; M. l'abbé E. Roy, curé de Jacques-
Cartier et M. J. D. Beaudoin, curé de Saint-Jean-
Baptiste.
Membres : MM. F.-X. Dumontier, Alphonse
Bédard, Dr. F.-X. J. Dorion, N. S. Benoît, J. E. Pio
Rouleau et Stanislas Lefebvre.
236 —
NOMS DES OFFICIERS DES ZOUAVES
DE QUEBEC
Commandant : M. C.-E. Rouleau, chevalier de
Saint Grégoire-le-Grand et de Pie IX.
Capitaine : M. A.-C. Guilbault, chevalier de Saint-
Grégoire-le-Grand.
lers Lieutenants : MM. L. Lefebvre, chevalier de
Saint-Grégoire-le-Grand, et H. Garneau.
2nd — Docteur F.-X. J. Dorion.
1er Sous-lieutenant et adjudant : N. S. Benoît.
2nds Sous-lieutenants : C. J. Lockwell et R. Ber-
geron.
237 —
33
NOMS DES SOUS-OFFICIES
MM. F. X. Dumontier, sergent-major.
Na^ Cantfn^ } serSents porte-drapeau.
J. E. P. Rouleau, sergent.
Alph. Lefebvre,
P. Lévesque,
• H. Nansot,
J. Goulet,
G. Gagné,
E. Gagné, sergent des clairons.
Alph. Bouchard, caporal.
H. Paquet,
E. Bouchard, "
G. E. Minville, "
J. St-Pierre,
A. Darveau, caporal des clairons.
A. Renaud, caporal des tambours.
— 238 —
LISTE ALPHABETIQUE DES ZOUAVES
DE QUEBEC
MM. Allard, J. N.
Belleau, N.
Boisbrillant, E.
Bouchard, L.
Bouret, W.
Bouchard, J., clairon.
Bouchard, P.. clairon.
Biais, A., clairon.
Bélanger, J. E.
Bertrand, W.
Côté, P. C.
Côté, J. B.
Charest, A.
Cloutier, A.
Côté, E.
Cantin, J., tambour-major.
— 239 —
MM. Caron, A.
Cantin, H., clairon.
D
Delisle, H.
Dion, P.
Dion, J. E.
Dessane, L.
Dubois, G.
Dionne, T.
Doré, Elz.
Donati, A., clairon.
Demeule, J., clairon.
D'Auteuil, P., tambour.
D'Auteuil, A.
Dugal, P.
Douville, F.
Dugal, Z.
Deniers, A., tambour.
F
Falardeau, J. A.
Fortier, 0.
Fournier, P.
G
Gagnon, N.
Godbout, Th.
— 240 —
MM. Garneau, Elz.
Gosselin, J. A.
Gosselin, C. A.
Gauvin, J. D. P.
' Gauthier, 0.
Gosselin, J. G.
Gobeil, E.
Gauvin, C. E., clairon.
Gingras, E.
Godin, A.
Gagnon, E.
H
Hardy, A.
Huard, A.
J
Julien, G.
Julien, E.
L
Langlois, E.
Lanouette, C. L.
Lefebvre, S.
Lemieux, J. B.
Lemieux, E.
Lemieux, A.
Lepire, P.
16
— 241 —
MM. Lemay, C.
Loranger, A.
Lizotte, A.
Laliberté, P.
Langlais, N., clairon.
Lamontagne, A., tambour.
Landry, G.
Laveau, J., tambour.
Laverdière, E.
Lavigueur, V.
M
Magnan, C. J.
Magnan, H.
Masselotte, V.
Mercier, A.
Michaud, J., tambour.
Michaud, H., clairon.
Michaud, G., clairon,
N
Noël, H.
Normand, Frs.
Noreau, Alph.
Noreau, W.
Noreau, U.
Noreau, R.
Noreau, Alb.
— 242 —
MM. Pageau, J.
Pageot, Th.
Papillon, S. sr.
Papillon, S. jr.
Paquet, A.
Pelletier, E.
Perrin, G.
Pin, J. E. A.
Poitras, E.
Richard, G.
Roy, E.
Roy, H., clairon,
Roberge, J.
Richard, E.
Robitaille, A.
Robitaille, R., tambour.
Rigali, John
Sansfaçon, H.
Sauviat, J.
— 243 —
T
MM. Thivierge, A.
- Thibault, 0.
Thivierge, A.
Tremblay, A.
— 244 —
LES SURVIVANTS DES ANCIENSZOUAVES
PONTIFICAUX DU DISTRICT
DE QUEBEC
MM. Rouleau, C. E.
Guilbault, A. C.
Lefebvre, L.
Couture, J. A.
Toussaint, F. X.
Garneau, H.
Garneau, E.
Brunelle, E.
Bourget, A.
Bernier, R.
Lemieux, Ed,
Fournier, G.
» Papillon, S.
Fortin, A.
Préfontaine, J. H.
Dumont, J.
Boileau, F. X.
Dumontier, F. X.
— 245 —
MM. Cantin, N.
Chateauvert, J.
Lavoie, E.
Allard, J. N.
Bédàrd, A.
Gagné, A.
Dorion, N.
Proteau, C.
O'Flaherty, J.
Ouellet, J.
Routhier, A.
Giasson, H.
TABLE DES MATIÈRES
Page
Introduction 5
La révolution à l'œuvre 7
Le général La Moricière 15
Castelfidardo — La Moricière — De Charette — De Pimodan —
Les Franco —Belges 21
Une guérison miraculeuse 33
La Moricière et Pie IX 40
La mort de La Moricière 50
Le dévouement des zouaves 57
L'invasion garibaldienne 65
La révolution à Rome 75
La bataille de Mentana 79
Les zouaves pontificaux canadiens à Rome , 89
Le brigandage 97
Le camp d' Annibal et Pie IX .. 115
Noces d'or de Pie IX et ouverture du Concile du Vatican 121
Le 20 septembre 1870 129
Le général Kanzler 157
Le colonel Allet 158
Le lieutenant-colonel De Charette 160
La bataille de Patay 165
Les zouaves pontificaux canadiens au Canada 177
La France et le Canada, l'origine d'une belle divise 185
Les zouaves de Québec 195
Bureau de direction 235
Officiers des zouaves de Québec 236
Sous-officiers 237
Liste alphabétique des zouaves de Québec 238
Anciens zouaves pontificaux 244
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