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Full text of "La peinture antique"

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Peinture  Antique 


Paul  GIRARD 


ERNEST  GRUND,   Éditeur 

9.    Rue   Mazarlne,    PARIS   (VD 


380  (Pittura  antica)  GIRARD  P.  (CollT^dï^ 
Arti)  La  Pentuire  Antique.  Paris  Quintin, 
1892.  16  pp.  336  con  205  illustraz.  in  fine 
bibliografia.        r-        '78 


Marius  Michel  del. 


COLLECTION  PLACEE  SOUS  LE  HAUT  PATRONAGE 

I>E 

l'administration    des  beaux-arts 

COURONNÉE     PAR     l'aCADÉMIE     FRANÇAISE 

(Prix   Montyon) 

et 

PAR     l'académie     des     BEAUX-ARTS 
(Prix  Bordin) 


Droits  de  traduction  et  de  reproduction  réservés. 

Cet  ouvrage  a  été  déposé  au  Ministère  de  l'Intérieur 

en  février  1892. 


BIBLIOTHEQUE     DE    L'ENSEIGNEMENT    DES    BEAUX-ARTS 

PUBLIÉE     SOUS     LA 
DIRECTION     DE    M.    JULES    COMTE 


LA 


PEINTURE 

ANTIQUE 


PAUL    GIRARD 

Ancien  membre  de  l'Kcole  française  d'Athènes, 
Maître  de  conférences  à  la  Faculté  des   lettre$  de  Paris 


PARIS 

ANCIENNE      MAISON      QUANTIN 

LIBRAIRIES-IMPRIMERIES      RÉUNIES 

M  Aï    &    MoTTEROz,    Directeurs 
7,    rue  Saint-Benoit. 


THfe6©rTYrrî:T5B 


AVANT-PROPOS 


Un  sujet  aussi  délicat,  et  aussi  neuf  en  France,  que 
l'histoire  de  la  peinture  dans  Pantiquité,  eût  exigé  de 
longs  développements  et  l'appareil  d'une  érudition 
s'étalant  à  l'aise;  mais  ici  la  brièveté  était  nécessaire; 
il  fallait,  de  plus,  s'interdire  les  démonstrations  sa- 
vantes, tout  ce  qui  rebute  le  lecteur  peu  familier  avec 
les  instruments  et  les  méthodes  de  l'archéologie  con- 
temporaine. Le  plan  de  ce  petit  livre  est  fort  simple  : 
il  commence  par  l'Egypte,  ce  berceau  de  tous  les  arts; 
viennent  ensuite  l'Orient,  notamment  les  grandes  mo- 
narchies orientales  telles  que  l'Assyrie  et  la  Perse,  puis 
la  Grèce,  l'Etrurie,  enfin  Rome.  On  ne  s'étonnera  pas 
de  la  place  considérable  qui  a  été  faite,  dans  cette  revue 
des  différentes  peintures  du  monde  ancien,  à  la  peinture 
grecque  :  plus  que  les  autres,  elle  méritait  de  nous  atti- 
rer et  de  nous  retenir  par  les  chefs-d'œuvre  qu'elle  a 
produits  et  par  ce  continuel  effort  vers  la  perfection 
qui  en  est  la  marque  propre. 

Je  ne  puis,  naturellement,  citer  toutes  mes  sources; 
une  courte  bibliographie,  placée  à  la  fin  du  volume, 
donne  la  liste  des  principaux  ouvrages  dont  je  me  suis 
servi  et  offre  aux  esprits  curieux  de  détails  techniques  le 


6  AVANT- PROPOS. 

moyen  de  pousser  plus  avant  leurs  recherches.  Les 
guides  que  j'ai  suivis  de  préférence  sont  d'ailleurs  les 
monuments  et  les  textes,  dont  Pétude  attentive  m'a 
souvent  conduit  à  des  conclusions  différentes  de  celles 
qu'on  en  avait  tirées  jusqu'à  ce  jour.  Je  me  ferais  scru- 
pule, en  terminant,  de  ne  pas  rappeler  les  secours  que 
j'ai  trouvés  auprès  de  M.  Maspero,  qui  a  bien  voulu 
me  signaler  quelques  documents  intéressants,  et  auprès 
de  M.  Pottier,  dont  l'enseignement  à  l'École  du  Louvre 
m'a  fourni,  plus  d'une  fois,  de  précieuses  indica- 
tions. 

Les  dessins,  exécutés  par  M.  Faucher-Gudin  avec 
une  rare  conscience,  ont  été  de  notre  part  l'objet  d'une 
attention  toute  particulière.  Puissent  quelques-uns 
d'entre  eux  donner  aux  artistes,  auxquels  est  surtout 
destiné  notre  ouvrage,  la  saveur  de  cet  art  antique  si 
éloigné  de  la  science  et  des  raffinements  du  nôtre,  mais 
qui  recèle  encore,  dans  sa  simplicité,  tant  d'instructives 
leçons  ! 

Novembre  i8gi. 


LA 

PEINTURE    ANTiaUE 


CHAPITRE    PREMIER 

LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE 

Les  Egyptiens  se  vantaient,  au  dire  de  Pline, 
d'avoir  employé  la  couleur  six  mille  ans  avant  les 
Grecs.  Quoi  qu'il  faille  penser  de  cette  prétention,  c'est 
en  Egypte  qu'ont  été  trouvées  les  plus  anciennes  pein- 
tures du  monde  connu.  Sous  ce  ciel  limpide,  rien  ne 
s'altère.  Quand  Mariette  découvrit,  en  i85i,  la  sépul- 
ture des  Apis,  il  vit  dans  une  des  tombes,  celle  de 
l'Apis  mort  la  vingt-sixième  année  du  règne  de  Ram- 
sès  II,  «  l'empreinte  des  pieds  nus  des  ouvriers  qui, 
trois  mille  deux  cents  ans  auparavant,  avaient  couché 
le  dieu  dans  son  sarcophage  ».  Le  musée  de  Gizeh  (an- 
cien musée  de  Boulaq)  possède  une  pièce  de  lin  mer- 
veilleusement conservée,  qui  porte  le  nom  du  roi  Pépi, 
de  la  VP  dynastie,  et  compte,  par  conséquent,  plus 
de  cinq  mille  ans.  La  pyramide  d'Ounas  a  fourni  des 
morceaux  d'étoffe  encore  plus  vieux.  On  conçoit  que 
dans  un  pays  où  d'aussi  frêles  objets  durent  tant  de 


8  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

siècles,  les  peintures  qui  décoraient  les  temples  et  les 
tombeaux  aient  été,  en  beaucoup  d'endroits,  épargnées 
par  le  temps  et  que  quelques-unes  d'entre  elles  gardent 
encore  une  surprenante  fraîcheur.  Si  Ton  veut  en 
juger,  il  faut  aller  au  Louvre  contempler,  dans  la  salle 
égyptienne  du  rez-de-chaussée,  le  beau  bas-relief  qui 
représente  Séti  P''  et  la  déesse  Hathor.  Les  chairs  rouge 
brun  des  deux  personnages,  leurs  cheveux  d'un  noir 
franc  ou  tirant  sur  le  bleu,  leurs  vêtements  blancs, 
leurs  bijoux  multicolores,  forment  un  tableau  si  vif  de 
tons  et  si  harmonieux,  qu'on  a  peine  à  se  figurer 
qu'une  pareille  enluminure  remonte  au  début  de  la 
XIX'  dynastie.  Tandis  que  la  peinture  grecque  n'est 
plus  qu'un  souvenir,  la  peinture  égyptienne  existe  donc 
encore,  bien  que  beaucoup  plus  vieille,  et  nous  avons, 
pour  la  connaître,  des  originaux  qui  nous  en  donnent 
une  idée  fort  précise. 

Mais  quand  on  parle  de  peinture  égyptienne,  il  faut 
s'entendre.  Si  anciennement  que  les  Egyptiens  se  soient 
mis  à  peindre,  ils  n'ont  pas  connu  la  peinture  propre- 
ment dite,  celle  qui  se  suffit  à  elle-même;  la  peinture, 
chez  eux,  n'a  guère  servi  qu'à  rehausser  de  tons  variés 
les  édifices  et  les  statues.  Hérodote  nous  montre  bien 
le  roi  Amasis  consacrant  dans  le  temple  d'Athéna, 
à  Cyrène,  son  image  peinte;  par  malheur,  ses  expres- 
sions sont  si  générales  et  si  vagues,  qu'on  ne  saurait 
dire  exactement  ce  qu'elles  désignent.  Amasis,  d'ail- 
leurs, vivait  au  vi^  siècle  avant  notre  ère,  dans  un 
temps  où  l'Egypte  était  largement  ouverte  aux  Grecs, 
où  lui-même,  admirateur  passionné  de  la  civilisation 
hellénique,  accueillait  avec  faveur  tout  ce  qui  venait 


LA    PEINTURE   EGYPTIENNE.  9 

de  Grèce.  Qui  sait  si  ce  portrait  n'avait  pas  subi  Tin- 
fluence  des  idées  nouvelles?  Ce  qui  est  certain,  c'est 
qu'aux  beaux  siècles  de  la  puissance  des  pharaons, 
la  peinture  égyptienne  s'offre  à  nous  comme  l'humble 
auxiliaire  de  la  sculpture  et  de  l'architecture.  Elle  n'a 
donc  que  de  lointains  rapports  avec  celle  que  nous  pra- 
tiquons. 

.^  I".  —  La  peinture,  élément  essentiel 
de  la  décoration. 

Les  Egyptiens  avaient  pour  la  couleur  un  goût  si 
vif,  qu'ils  coloriaient  tout  ce  qui  sortait  de  leurs  mains. 
Peut-être,  à  l'origine,  leurs  temples  n'étaient-ils  point 
décorés  intérieurement;  mais,  dès  qu'ils  le  furent,  leur 
décoration  fut  polychrome.  Comme  ils  figuraient  le 
monde  en  raccourci,  que  leur  toiture  était  censée  re- 
présenter le  ciel,  leur  dallage,  la  terre,  chacune  de  ces 
parties  reçut  de  bonne  heure  des  ornements  appro- 
priés à  sa  signification.  Le  pied  des  parois  et  les  bases 
des  colonnes  furent  parés  d'une  végétation  luxuriante, 
lotus  en  boutons  ou  superbement  épanouis,  dressant 
leurs  hautes  tiges  au-dessus  d'une  forêt  de  feuilles 
(fig.  i),  plantes  aquatiques  baignant  dans  l'eau,  fleurs 
et  arbustes  de  toute  espèce,  tantôt  disposés  dans  ce 
bel  ordre  géométrique  qui  est  un  des  traits  de  l'orne- 
mentation égyptienne,  tantôt  groupés  plus  librement. 
Les  plafonds,  peints  en  bleu,  furent  semés  d'étoiles 
jaunes,  parmi  lesquelles  on  fit  planer,  d'espace  en 
espace,  de  grands  vautours  tenant  dans  leurs  serres 
différents   emblèmes.   Entre  ce  ciel  constellé   d'astres 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


et   cette  terre  égayée  par   mille    végétaux,  il  y  avait 
place  pour  des  tableaux  montrant  le  roi  dans  ses  rap- 
ports officiels  avec  le  dieu  habitant  du  sanctuaire.  Ces 
tableaux  couvraient  les  murs,  tournaient  autour  des 
colonnes,  reproduisant  des  scènes  d'adoration  ou  d'of- 
frande, dans  lesquelles  le  pharaon,  soit 
seul,  soit  accompagné  des  membres  de 
sa  famille,  sacrifiait  la  victime,  brûlait 
l'encens,  versait  le  vin,  l'huile  ou  le  lait. 
Gravées  ou  sculptées  sur  les    surfaces 
qu'elles   revêtaient,  de  pareilles    scènes 
étaient  toujours  rehaussées  de  couleurs 
vives,  qui  formaient,  avec  la  bigarrure 
des  soubassements  et  des  plafonds,  la 
riche  enluminure   des  chapiteaux,  une 
décoration    multicolore    propre   à   en- 
chanter  le   regard.    A   l'extérieur,  sur 
les   pylônes,  ces  propylées  monumen- 
taux qui  précédaient  l'entrée  des  grands 
temples,  on  voyait  également  de  vastes 
compositions  sculptées  et  peintes,  où  se 
pressaient   les    souvenirs    de   l'histoire 
contemporaine,  combats  de  terre  et  de  mer,  prises  de 
forteresses,  retours  triomphants  de  princes  suivis  d'in- 
nombrables prisonniers.  Tels  étaient  les  sujets  figurés 
sur  les  pylônes  du  Ramesséum,  dont  chaque  face  rap- 
pelait un  épisode  de  la  campagne  de  Ramsès  II  contre 
les  Khiti,  en  l'an  V  de  son  règne.  Si  l'on  rétablit  par 
l'imagination,   en    avant    de   ces   massifs   pyramidaux 
ornés  de  peintures,  les  statues  colossales  qui  en  gar- 
daient les  abords,  les  obélisques   dressés   devant   ces 


Fig,   I. 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


Fig.  2. 


Statues,  les  mâts  qui  partaient  du  pied  des  pylônes  et 
au  sommet  desquels  flottaient  des  banderoles  aux  bril- 
lantes  couleurs,    on   aura   quelque 
idée  de  l'aspect  varié  et  éclatant  que 
présentaient,    de    loin,   les    grands 
sanctuaires  de  l'antique  Egypte. 

Les  habitations  privées,  quoique 
plus  simples,  étaient,  elles  aussi, 
coloriées  au  dehors  comme  au  de- 
dans. La  façade  extérieure  en  était 
tantôt  peinte,  tantôt  simplement 
blanchie  à  la  chaux;  des  tons  vifs  en  diversifiaient  les 
parois  intérieures.  Les  palais,  construits  en  matériaux 
légers,  faits  de  brique  et  de  bois,  devaient  en  partie 
leur  physionomie  avenante  et  gaie  à  leur  décoration 
polychrome.  Des  colonnettes  de  bois  peint  en  déco- 
raient la  façade;  au  dedans,  les  murs,  passés  à  la  chaux 
ou  couverts  d'une  teinte  uniforme,  étaient  ornés  de 
bandes  multicolores.  Mais  c'est  sur  les  plafonds  que 
se  donnait  particulièrement  carrière  la  fantaisie  du 
décorateur.  Un  certain  nombre  de 
plafonds  peints,  relevés  dans  les 
tombeaux,  ne  sont  que  des  répliques 
de  ceux  qui  paraient  les  demeures 
seigneuriales  :  rien  n'égale  la  variété 
des  motifs  qu'ils  représentent.  Les 
plus  anciens  reproduisent  le  décor 
géométrique  dans  sa  régularité 
sèche  et  timide  ;  bientôt,  aux  lignes 
droites  se  mêlent  les  lignes  courbes;  des  essais  de 
rosaces  apparaissent  (fig.  2),  puis  la  main  de  l'ornema- 


Fig-    3- 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


niste,  assouplie  et  sûre  d'elle-même,  imagine  d'ingé- 
nieuses combinaisons  de  courbes  et  de  cercles  (fig.  3), 
pour  aborder  enfin  la  décoration  végétale,  les  tiges 
symétriquement  opposées  les  unes  aux  autres,  les  bou- 
quets de  feuilles  s'épanouissant  entre  des  volutes',  les 
enroulements  semés  de  bucrânes,  etc.  La  figure  4  —  où, 
dans  un  cadre  composé  d'enroulements  et  de  feuillages, 

de  larges  rosaces  alter- 
nent avec  des  scarabées 
qui  supportent  le  disque 
du  soleil,  où  le  rouge,  le 
vert,  le  bleu,  le  jaune,  le 
blanc  et  le  noir  se  ma- 
rient harmonieusement 
—  est  un  des  spécimens  les 
plus  riches  qu'on  puisse 
produire  de  cette  inven- 
tive ornementation. 

Une  architecture  à 
ce  point  polychrome  ne 
pouvait  s'accommoder 
d'une  sculpture  blanche.  Bas-reliefs  et  statues  étaient, 
le  plus  souvent,  revêtus  de  couleurs  voyantes.  Si  cer- 
taines matières,  colorées  naturellement,  se  passaient 
d'une  semblable  parure,  si  les  pierres  dures  telles  que 
le  granit,  le  basalte,  le  diorite,  la  serpentine,  offraient 
des  surfaces  lisses  plus  difficiles  à  peindre  et  que  leur 
beauté  même  dispensait  d'une  coloration  artificielle, 
le  grès,  le  calcaire  et  le  bois  étaient  toujours  enluminés 
avec  soin.  Les  scènes  en  relief,  les  portraits  sculptés 
sur  les  parois  des  chambres  funéraires,  recevaient  de  la 


Fig, 


LA    PEINTURE   EGYPTIENNE.  ij 

main  du  peintre  une  décoration  sans  laquelle  ils  eussent 
été  regardés  comme  inachevés.  Le  bas-relief  que  repro- 
duit la  figure  ci-dessous,  et  qui  provient  d'une  tombe 
de  la  période  memphite,  est  une  preuve  concluante  de 


Fig.  5.  —  Bas-relief  peint  du  tombeau  de  Ti,  V"  dynastie. 


cet  usage.  Le  mort  y  est  peint,  suivant  la  coutume,  en 
rouge  brun,  sa  femme  en  jaune  bistre;  les  cheveux 
sont  noirs,  les  étoffes  blanches;  chacun  des  deux  per- 
sonnages porte  au  cou  un  collier  de  pierres  noires 
et  de  pierres  vertes.  Ce  groupe  se  détache  sur  un  fond 
de  sparterie  vert  et  crème,  que  notre  dessin  ne  rend 


14 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


pas,  et  qui  forme  un  arrière-plan  d'une  tonalité  char- 
mante ^  Les  statues  dressées  dans  les  tombeaux  étaient 
peintes  des  pieds  à  la  tête;  c'est  ce  dont  on  peut  se 
convaincre  en  examinant  celles  qui  sont  au  Louvre 
et  dont  beaucoup  ont  conservé  des  traces  de  couleur. 
Les  Égyptiens  poussaient  si  loin  Pamour  de  la  poly- 
chromie, qu'ils  l'ap- 
pliquaient, dans  leur 
sculpture,  aux  moin- 
dres détails  de  la  toi- 
lette. La  statue  de  la 
dame  Nofrit,  du  mu- 
sée de  Gizeh  (fig.  6), 
avec  son  énorme  per- 
ruque noire  serrée  par 
un  élégant  bandeau 
sous  lequel  on  aper- 
çoit les  cheveux  véri- 
tables, lissés  et  parta- 
gés sur  le  milieu  du 
front,  avec  sa  robe 
Pig^  (5  échancrée  par  devant 

et  la  riche  parure  qui 
orne  sa  poitrine,  montre  quelle  minutie  ils  apportaient 
dans  l'exécution  de  pareils  accessoires.  Les  tombes  de 
l'ancien  Empire,  dans  la  nécropole  de  Saqqarah,  sont 
pleines  de  bas-reliefs  figurant  des  personnages  aux  yeux 
soulignés  d'une  bande  verte,  en  souvenir  du  fard  que 

I.  Voyez  au  Louvre,  dans  la  galerie  égyptienne  du  rez-de- 
chaussée,  les  reliefs  qui  portent  les  n°'  £63,  169,  280,  333,  358, 
373.  Sur  tous  la  couleur  est  encore  visible. 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE.  15 

les  Egyptiens  des  deux  sexes  aimaient  à  s'étendre  sous 
la  paupière  inférieure.  C'étaient  là  de  ces  traits  carac- 
téristiques que  le  statuaire,  ou  le  peintre  qui  lui  prêtait 
son  concours,  se  fussent  gardés  de  passer  sous  silence. 
Après  le  grand  art.  voyez  les  arts  industriels  :  vous 
y  trouverez  le  même  goût  pour  la  polychromie.  Les 
étoffes  des  Egyptiens,  leurs  meubles,  étaient  multico- 


Fig.  7.  —  Peintres  décorant  un  coffre. 

lores;  les  premières,  brodées  avec  une  fantaisie  ingé- 
nieuse, les  seconds,  tantôt  peints,  tantôt  incrustés 
d'ivoire  et  d'ébène.  Leurs  ustensiles  de  verre,  au  lieu 
d'être  incolores  comme  les  nôtres,  étaient  rehaussés  de 
tons  qui  en  faisaient  valoir  les  formes  élégantes.  Leurs 
coffres,  ces  grands  coffres  encore  employés  dans  tout 
l'Orient  pour  serrer  les  objets  de  prix,  étaient  ba- 
riolés de  raies  de  différentes  couleurs  ou  décorés  de 
figures  d'animaux  (fig.  7).  Leurs  momies,  une  fois 
enveloppées  des  bandelettes  traditionnelles,  recevaient 
des  ornements  en  toile  stuquée  et  peinte,   destinés   à 


i6  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

rappeler  les  ornements  réels  qu^on  devait  déposer  avec 
elles  dans  le  cercueil,  tels  que  colliers,  figurines,  sca- 
rabées, etc.  On  sait  quelle  riche  enluminure  parait 
les  caisses  qui  les  contenaient;  les  momies  royales, 
particulièrement,  dormaient  dans  des  cercueils  dont  le 
décor  était  souvent  d'une  somptuosité  extraordinaire. 
Les  recueils  de  prières  qu'on  remettait  aux  morts  pour 
les  préserver  des  périls  qui  les  menaçaient  dans  Tautre 
monde,  surtout  le  rituel  connu  sous  le  nom  de  Livre 
des  morts,  dont  la  plupart  des  momies  portaient  un 
exemplaire,  étaient  ornés  de  vignettes  exécutées  parfois 
avec  une  grande  habileté.  Les  hiéroglyphes  mêmes, 
répandus  à  profusion  dans  le  champ  des  bas-reliefs, 
ceux  qu'on  déchiffrait  sur  les  statues  et  dans  les 
temples,  étaient  coloriés.  Les  deux  personnages  que 
représente  la  figure  8  sont-ils  occupés  à  étendre  de  la 
couleur,  l'un  sur  une  statue,  l'autre  sur  un  autel,  ou 
à  y  peindre  des  hiéroglyphes  ?  La  question  est  difficile 
à  trancher.  .L'enluminure  des  inscriptions  était,  dans 
tous  les  cas,  d'un  constant  usage;  comme  les  inscrip- 
tions grecques,  peintes  à  la  cire  avec  du  minium, 
les  hiéroglyphes  égyptiens  étaient  rehaussés  de  tons 
vifs  qui  les  faisaient  ressortir  sur  les  fonds  et  en  ren- 
daient plus  aisée  la  lecture. 

La  brique  émaillée  passe,  en  général,  pour  avoir 
été  principalement  employée  par  les  Assyriens  et  par 
les  Perses.  Les  Egyptiens,  eux  aussi,  y  avaient  recours, 
du  moins  pour  parer  leurs  édifices  royaux;  une  belle 
brique  verte,  conservée  à  Gizeh  et  qui  porte,  à  l'encre 
noire,  le  nom  de  Ramsès  III  (XX«  dynastie),  une 
brique   jaune   du  temps   de    Pépi    l"    (VP    dynastie), 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE. 


17 


des  fragments  rouges,  blancs,  bleus,  remontant  à 
diverses  époques,  attestent  l'ancienneté  et  la  perpé- 
tuité de  ce  mode  de  décoration.  Ils  connaissaient  égale- 
ment les  pâtes  de  verre  de  couleurs  variées;  ils  s'en 
servaient  pour  figurer  les  yeux,  les  sourcils  de  leurs 
statues,  les  bracelets  dont  ils  les  ornaient;  ils  en  com- 
posaient des  légendes   hiéroglyphiques  et   des  scènes 


Fig.  8. 


Personnages  occupés  à  peindre  différents  objets 
ou  à  enluminer  des  hiéroglyphes. 


qu'ils  incrustaient  dans  le  bois  ou  le  stuc  et  qui  for- 
maient, en  simulant  les  pierres  précieuses,  des  en- 
sembles polychromes  d'une  richesse  inouïe.  Une 
tombe  de  Meïdoum  offre  une  particularité  curieuse  : 
hiéroglyphes  et  figures  y  ont  été,  par  endroit,  dessinés 
en  creux  et  remplis  jusqu'au  bord  de  cailloux  multico- 
lores qui  donnent  à  la  décoration  un  éclat  surprenant  ^ 
On  voit  quelle  invention  les  Egyptiens  surent  dé- 


I.  Mariette,  les  Mastabas  de  l'Ancien  Empire,  p.  476. 


PEINT.     ANTIQUE. 


i8  LA   PEINTURE   ANTIQUE. 

ployer  dans  la  polychromie.  Etait-elle  une  conséquence 
de  leur  caractère,  naturellement  gai,  ou  une  nécessité 
de  leur  climat?  L'employaient-ils  en  architecture  pour 
atténuer,  sous  la  lumière  crue,  la  blancheur  de  la  pierre, 
pour  accentuer  les  saillies  et  les  contours,  qu'émousse 
un  jour  trop  vif?  Peu  nous  importe.  Constatons  que, 
chez  eux,  la  couleur  avait  partout  sa  place  et  que  la 
peinture  était  presque  aussi  vieille  que  Part  lui-même. 
Mais  cette  peinture  n'avait  qu'une  fonction  décorative. 
S'ils  la  mêlaient  à  tout  ce  qu'ils  faisaient,  ils  n'imagi- 
naient pas  qu'elle  pût,  à  elle  toute  seule,  produire  des 
chefs-d'œuvre.  La  peinture  de  chevalet,  qu'a  connue 
la  Grèce,  le  tableau  qui  par  lui-même  est  un  tout,  ils 
ne  l'ont  pas  soupçonné.  Ils  ont  été  des  enlumineurs 
d'une  fécondité  merveilleuse;  ils  n'ont  point  été  des 
peintres,  au  sens  où  nous  employons  ce  mot. 


^11.  —  Étroite  union  de  la  peinture  et  du  dessin. 

Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  la  peinture  égyp- 
tienne, c'est  sur  les  murs  des  temples  qu'il  faut  la  cher- 
cher, ou,  mieux  encore,  sur  les  parois  des  tombeaux.  On 
sait  le  soin  que  les  Egyptiens  prenaient  de  leurs  nécro- 
poles, véritables  villes  funèbres  ayant  leurs  rues,  leurs 
places  et  leurs  quartiers,  habitées  et  surveillées  par  de 
nombreux  fonctionnaires  chargés  de  répartir  les  ter- 
rains de  concession  et  d'entretenir  les  sépultures.  C'est 
que  la  tombe  était  pour  eux  la  maison  éternelle,  l'asile 
définitif  où  le  mort  continuait  à  vivre  de  cette  vie 
étrange  qu'ils  lui   prêtaient  par  delà  les  funérailles. 


LA    PEINTURE   EGYPTIENNE.  19 

Aussi  Templissaient-ils  de  scènes  destinées  à  assurer, 
par  leur  vertu  magique,  sa  perpétuité  et  son  bien-être. 
C'est  dans  ces  scènes  que  s'exerçait  librement  l'art  du 
peintre.  Les  tombeaux  de  l'ancien  Empire  connus 
sous  le  nom  de  mastabas  sont,  à  ce  point  de  vue,  par- 
ticulièrement intéressants*.  Composés,  en  général,  d'une 
chapelle  extérieure,  où  les  parents  et  les  amis  se  réu- 
nissaient à  de  certains  jours  pour  offrir  au  défunt  les 
repas  et  les  libations  accoutumés,  d'une  chambre  funé- 
raire contenant  le  sarcophage,  et  d'un  puits  ou  d'un 
couloir  conduisant  de  la  chapelle  à  la  chambre,  ils 
représentent  pour  nous  la  tombe  privée  de  l'ancienne 
Egypte  sous  sa  forme  la  plus  pure.  Dans  les  tombeaux 
de  ce  genre,  le  couloir  ne  recevait  point  d'ornements; 
il  en  était  de  même  de  la  chambre  funéraire.  La  cha- 
pelle, en  revanche,  était  couverte  de  scènes  sculptées  et 
peintes,  ou  simplement  peintes,  distribuées  dans  des 
registres  étages  les  uns  au-dessus  des  autres,  et  qui 
formaient  sur  ses  murailles  une  tapisserie  variée.  On  y 
voyait  le  mort,  assis  ou  debout,  goûtant  les  mets  qui 
lui  étaient  offerts,  inspectant  ses  propriétés,  surveil- 
lant la  rentrée  de  ses  troupeaux.  Des  serviteurs,  de 
plus  petite  taille,  lui  apportaient,  en  longues  files,  les 
produits  de  ses  domaines,  fruits,  légumes,  oies,  canards, 
tourterelles,  antilopes  ;  ils  abattaient  et  dépeçaient  pour 
son  usage  des  bœufs  et  des  mouflons;  ils  l'accompa- 
gnaient à  la  chasse  dans  les  marais;  ils  s'empressaient 

I.  Mastaba,  au  propre,  désigne  un  banc  de  pierre  ou  de  bois. 
Donné  par  les  fellaiis  aux  tombeaux  de  Saqqarah  à  cause  de  leur 
forme,  qui  rappelle  assez  exactement  celle  du  divan  oriental,  ce 
nom  a  été  adopté  par  Mariette  et  conservé  depuis. 


ao  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

autour  de  lui,  tandis  qu'il  péchait  au  harpon  ou  à  la 
senne.  Ailleurs,  le  défunt  n'était  pas  figuré;  mais  on  se 
trouvait  transporté  sur  ses  terres,  où  des  esclaves  fai- 
saient la  moisson  et  chargeaient  les  gerbes  sur  des  ânes, 
oti  des  scribes,  le  calame  et  la  palette  en  main,  enregis- 
traient minutieusement  ses  richesses.  A  ces  images  de 
la  vie  rustique  en  étaient  mêlées  d'autres,  qui  repro- 
duisaient différents  métiers.  Des  groupes  de  chanteurs 
et  de  joueuses  d'instruments,  des  mariniers  luttant 
de  vitesse,  des  joueurs  de  dames,  faisaient  allusion 
aux  plaisirs  qui  coupaient  les  travaux  des  champs 
et  détendaient  l'esprit  du  maître. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  mastabas  qu'on 
trouve,  encore  aujourd'hui,  de  semblables  représenta- 
tions. Tous  les  tombeaux  en  renfermaient  d'analogues 
sur  les  parois  de  leurs  chambres  de  réception,  de  ces 
chapelles  où  avaient  lieu  les  sacrifices  funéraires  et  par 
lesquelles  le  mort  était  censé  communiquer  avec  les 
vivants.  Les  scènes  recueillies  à  Béni-Hassan,  dans  le 
cimetière  des  princes  héréditaires  de  Meh,  où  les  cha- 
pelles ont  été  creusées  à  même  la  montagne,  sont  plus 
précises  encore  que  celles  des  mastabas  de  Saqqarah; 
les  renseignements  biographiques  sur  le  défunt  s'y  ren- 
contrent plus  nombreux  et  plus  variés.  Toute  cette 
imagerie  s'explique  par  les  croyances  religieuses  des 
Egyptiens.  Pour  eux,  la  mort  n'anéantissait  point  la 
personnalité  humaine;  Phomme  se  survivait  dans  ce 
qu'ils  appelaient  le  double.  «  projection  colorée,  mais 
aérienne  de  son  corps  »,  et  qui  en  rendait  exactement  les 
traits.  Pendant  que  l'âme,  sous  la  forme  d'un  oiseau, 
et  le  lumineux j  parcelle  détachée  du  feu  céleste,  avaient 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE.  21 

la  faculté  de  quitter  la  tombe  pour  se  mêler  aux  dieux, 
le  double  l'habitait  sans  cesse  et  y  recevait  les  dons  et 
les  hommages  de  ses  parents  et  de  ses  amis.  Il  fallait, 
en  effet,  à  ce  corps  immatériel,  des  présents  matériels 
pour  assurer  sa  durée,  et  comme,  un  jour  ou  Tautre, 
ces  présents  devaient  lui  manquer,  comme  on  prévoyait 
qu'au  bout  de  deux  ou  trois  générations,  la  négligence 
ou  l'oubli  des  vivants  le 
priverait  de  sa  pitance 
habituelle,  on  figurait  d'a- 
vance, sur  les  parois  de 
sa  tombe,  les  actes  néces- 
saires à  sa  subsistance;  on 
l'entourait  de  personnages 
dont  l'unique  fonction 
était  de  pourvoir  à  ses  be- 
soins; on  groupait  autour 
de  lui  sa  maison  tout  en- 
tière, occupée  à  le  servir; 

on  exagérait  même,  dans  ces  tableaux,  l'importance  de 
ses  biens  et  de  ses  domaines,  et  l'on  pensait,  par  ce 
pieux  mensonge,  lui  procurer  paur  l'éternité  plus  de 
bien-être  et  de  plaisir.  «  Après  tout,  ce  monde  de  vas- 
saux plaqué  sur  le  mur  était  aussi  réel  que  le  double 
dont  il  dépendait  :  la  peinture  d'un  serviteur  était 
bien  ce  qu'il  fallait  à  l'ombre  d'un  maître.  L'Egyptien 
croyait,  en  remplissant  sa  tombe  de  figures,  qu'il  assu- 
rait, au  delà  de  la  vie  terrestre,  la  réalité  de  tous  les 
objets  et  de  toutes  les  scènes  représentées*.  » 


Fig.  9.  —  Peintre  coloriant 
un  bas-relief. 


I.  Maspero,  Guide  du  visiteur  au  musée  de  Boulaq,  p.  207. 


aa  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

Ces  scènes  nous  fournissent  de  précieux  enseigne- 
ments. Soit  qu'elles  aient  été  exécutées  au  ciseau,  puis 
coloriées,  soit  qu'elles  nous  apparaissent  simplement 
peintes  à  plat,  elles  nous  révèlent  avec  une  étonnante 
précision   les    ressources  et  les  procédés  du   peintre 
égyptien.    Nous  y  voyons,  entre  autres  choses,  qu'il 
ignorait  l'art  de  faire  tourner  les  corps,  et  n'a  jamais  su 
rendre  les  jeux  de  lumière  et  d'ombre  que  présente  la 
réalité.  Il   peignait  à  teintes  plates,  sans  tenir  compte 
des  sombres  et  des  clairs  que  produit  naturellement  le 
modelé  des  objets.  S'agissait-il  d'orner  de  reliefs  une 
muraille?  Le  sculpteur  dessinait  sur  la  surface  à  déco- 
rer les  motifs  qu'il  avait  choisis,  puis,  abattant  les  fonds 
tout  autour,  il  faisait  saillir  ses  figures   en  un  relief 
léger  qu'il   modelait   finement;    après   quoi,  soit   lui- 
même,  soit  un  spécialiste,  les  recouvrait  des  couleurs 
appropriées  (fig.  9).   Fallait-il  peindre  sur  fond   uni? 
L'artiste  procédait  exactement  de  même  :  il  traçait  les 
contours  qu'il  ne  devait  pas  dépasser;  seulement,  au 
lieu  de  recourir  au  ciseau,  il  remplissait  tout  de  suite 
l'intérieur  de  son  esquisse  avec  de  la  couleur,  juxtapo- 
sant les  teintes   comme  tout  à  l'heure  sur  les  figures 
en  relief,  supprimant  le  modelé  interne  ou  le  rédui- 
sant au  strict  nécessaire,  évitant  par-dessus  tout  le  péril 
des  tons  dégradés,  dont   il  semble,  d'ailleurs,  que   le 
besoin  ne  s'imposât  point  à  son  esprit.  Ainsi  comprise 
et  pratiquée,  la  peinture  manquait  presque  complète- 
ment de  perspective  :  on  n'y  voyait  ni  clair-obscur  ni 
lointains;  les  plans  successifs  ne  s'y  faisaient  pas  sen- 
tir; c'était  un  assemblage  de  silhouettes  coloriées,  dis- 
posées toutes  à  la  même  distance  du  regard.  Et  pour- 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE.  2} 

tant,  cette  peinture  avait  d'incontestables  qualite's 
décoratives.  L'absence  même  de  fonds  la  rendait  essen- 
tiellement propre  à  la  décoration  monumentale.  Il  est 
absurde,  quand  on  y  prend  garde,  de  peindre  sur  les  murs 
d'un  temple  ou  d'un  palais  des  perspectives  savantes. 
Qu'on  y  suspende  des  toiles,  la  raison  n'y  contredit 
pas;  mais  qu'on  les  traite  comme  des  toiles  et  qu'on  y 
creuse  des  horizons,  elle  se  révolte.  Aussi,  ceux  de  nos 
peintres  le  mieux  doués  pour  le  décor  sont-ils  ceux 
dont  la  peinture  éveille  le  moins  l'idée  d'un  tableau. 
Les  Égyptiens  ne  raisonnaient  pas  sur  cette  matière, 
mais  leur  inexpérience  les  gardait  de  nos  erreurs;  en 
recouvrant  leurs  édifices  d'un  simple  tissu  colorié  qui 
en  respectait  scrupuleusement  l'architecture,  ils  don- 
naient, sans  s'en  douter,  une  preuve  de  leur  bon  sens; 
leur  naïveté  était  plus  logique  que  notre  science. 


§  II L  —  Les  conventions  de  la  peinture 
chei  les  Egyptiens. 

Si  les  peintres  égyptiens  n'ont  guère  fait  que  des- 
siner, c'est  leur  dessin  surtout  qu'il  faut  étudier  pour 
nous  rendre  compte  des  qualités  de  leur  peinture.  Or 
ce  dessin  dénote  tout  ensemble  une  étrange  timidité  et 
une  heureuse  audace;  qu'il  s'essaye  à  modeler  délicate- 
ment le  calcaire  ou  qu'il  esquisse  des  figures  sur  un 
fond  plat,  pour  recourir  dans  les  deux  cas  à  l'enlumi- 
nure, dernière  opération  nécessaire  à  l'achèvement  de 
l'œuvre,  il  est  remarquable  par  un  curieux  mélange  de 
gaucherie  et  d'habileté. 


2+  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Toute  sa  gaucherie  peut  presque  s^expliquer  par 
l^ignorancë  de  ce  que  les  peintres  appellent  si  joliment 
des  sacrifices.  En  art,  comme  en  littérature,  il  est  des 
choses  qu'on  ne  doit  pas  dire;  quand  on  les  dit  de 
parti  pris,  pouvant  s''en  dispenser,  on  tombe,  par 
exemple,  dans  cet  abus  de  la  description  qui  infeste 
le  roman  contemporain,  ou  dans  ce  faire  méticuleux 
de  certains  Hollandais  que  quelques  peintres  de  grand 
talent  s'efforcent  de  faire  revivre  ;  quand  on  les  dit  par 
impuissance  à  les  taire,  ori  commet  l'erreur  de  tous 
les  archaïsmes,  qui  est  de  croire  qu'il  faut  tout  rendre 
et  qu'une  vérité  sous-entendue  n'existe  pas.  Tel  est  le 
cas  des  Egyptiens.  Voyez  leur  façon  d'exprimer  la  figure 
humaine.  Un  visage  de  face  n'offre  de  saillant,  sur  son 
pourtour,  que  les  oreilles.  Pour  qui  ne  sait  que  tracer 
des  silhouettes,  comment  faire  sentir  l'enfoncement 
des  yeux,  la  proéminence  du  nez,  celle  des  lèvres  et  du 
menton?  Sans  ces  traits,  cependant,  point  de  ressem- 
blance. L'Egyptien  s'en  tirera  en  les  rendant  de  profil. 
Mais  l'œil,  alors,  sera  sacrifié  :  il  le  dessinera  de  face, 
pour  conserver  ce  qui  fait  le  charme  du  visage,  le  feu 
de  la  prunelle  largement  ouverte.  Arrivé  aux  épaules, 
nouvelle  difficulté.  Une  épaule  de  profil  empêche  de 
voir  l'autre;  d'ailleurs,  pour  la  rattacher  au  cou,  un 
raccourci  est  nécessaire,  et  ce  sont  là  de  ces  tours  de 
force  où  l'artiste  égyptien  ne  se  risque  pas.  Il  présen- 
tera donc  les  deux  épaules  de  face,  rendant  brutale- 
ment la  carrure  de  son  modèle.  Avec  le  torse,  il  tri- 
chera :  il  le  posera  de  trois  quarts,  pour  l'accorder  tant 
bien  que  mal  avec  la  tête  et  passer  plus  aisément  au 
dessin  des  jambes,  qu'il  montrera  franchement  de  pro- 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE.  2$ 

fil,  car,  dessinées  de  face,  elles  ne  laisseraient  aperce- 
voir ni  la  saillie  des  genoux  ni  celle  des  pieds.  C'est 
ainsi  que  ses  personnages  seront  une  bizarre  combi- 
naison de  la  face,  du  trois  quarts  et  du  profil,  sans 
que,  pour  Justifier  cet  étrange  assemblage,  il  faille  ima- 
giner autre  chose  qu'un  excès  de  scrupule,  une  préci- 
sion laborieuse  qui  tenait  avant  tout  à  ne  rien  sacrifier. 


Fig.   lo.  —  Émigrants  asiatiques  arrivant  en  Egypte. 

Mais  des  figures  ainsi  construites  se  prêtaient,  à  la 
rigueur,  à  des  attitudes  simples,  comme  celle  du  mort 
assis,  allongeant  la  main  vers  le  guéridon  placé  devant 
lui  et  chargé  d'offrandes,  ou  celle  du  roi  debout,  adres- 
sant ses  prières  à  quelque  dieu.  Ailleurs,  il  fallait  rendre 
des  mouvements  plus  compliqués,  et  rien,  alors,  n'est 
amusant  comme  l'effort  du  dessinateur  pour  y  parvenir. 
Les  lutteurs  de  Béni-Hassan  lui  mettent  l'esprit  à  la 
torture,  et  il  invente  une  anatomie  fantastique  pour 
traduire  l'enchevêtrement  de  leurs  corps.  Un  person- 
nage doit-il  porter  les  deux  bras  du  même  côté,  par 


2(5  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

exemple,  pousser  devant  lui  une  antilope,  une  main 
posée  sur  le  dos  de  Panimal  et  l'autre  lui  tenant  les 
cornes?  Impossible,  dans  ce  cas,  d'indiquer  les  deux 
épaules  :  il  faut  à  toute  force  qu'il  y  en  ait  une  qui 
cache  l'autre.  L'artiste  se  dédommage  en  donnant  à 
celle  qu'il  montre  une  importance  exagérée;  sa  figure, 
de  profil,  a  l'épaule  comme  si  elle  était  de  dos.  Quel- 
quefois, il  résout  autrement  le  problème.  Considérez 
ces  deux  Asiatiques  (fig.  lo)  qui  font  partie  d'une  bande 
d'émigrants  venus  en  Egypte  sous  la  XI I"  dynastie.  L'un 
d'eux,  celui  qui  tient  une  sorte  de  lyre,  dont  il  joue, 
laisse  voir  à  la  fois  son  épaule  droite  et  son  épaule 
gauche,  mais  indiquées  avec  quelle  inexpérience!  On 
dirait  qu'il  est  pourvu  d'un  buste  à  charnières,  par- 
tagé dans  le  sens  de  la  hauteur,  et  capable  de  s'ouvrir 
et  de  se  fermer  à  volonté. 

C'est  le  propre  de  l'archaïsme  de  ne  reculer  devant 
rien.  Avec  leur  impuissance  à  rendre  la  perspective, 
les  Égyptiens  n'ont  pas  craint  de  dessiner  des  foules. 
Les  tableaux  exécutés  à  Karnak.  et  au  Ramesséum,  pour 
célébrer  les  exploits  de  Ramsès  II  contre  les  Khiti, 
montrent  des  champs  de  bataille  couverts  de  combat- 
tants. Les  guerriers,  les  chars,  s'y  pressent  en  grand 
nombre,  tous  de  même  taille,  sans  que  la  distance 
rapetisse  les  plus  éloignés  (fig.  ii).  Si  les  dimensions 
données  au  pharaon  y  sont  supérieures  à  celles  de  ses 
ennemis,  c'est  seulement  parce  qu'il  est  le  principal 
personnage;  mais  l'artiste  n'a  pas  voulu,  par  cette 
disproportion,  marquer  une  différence  de  plan  entre 
eux  et  lui.  Le  même  souci  de  tout  dire  se  retrouve 
dans  la  manière  dont  il  représente  les  bataillons  serrés 


LA    PEINTURE   EGYPTIENNE. 


27 


d'une  armée  en  marche.  Il  étage  les  soldats  les  uns  au- 
dessus  des  autres,  les  faisant  se  dépasser  du  torse  ou 
de  la  tête,  sans  que  ceux  du  dernier  rang  soient  plus 
petits  ni  moins  finis  que  ceux  du   premier. 

Dans  les  tombeaux,  l'occasion  était  moins  fréquente 


Fig.  II. 


Combat  de  Ramsès  II  contre  les  Khiti, 
sur  les  bords  de  l'Oronte. 


de  grouper  ensemble  d'aussi  nombreuses  figures.  Il 
fallait  cependant  faire  voir  les  escouades  de  serviteurs 
moissonnant  ou  labourant  à  la  houe,  les  troupeaux 
d'ânes  ou  de  bœufs  marchant  dans  le  même  sens  sous  le 
bâton  de  leur  gardien.  Pour  donner  l'illusion  des  plans 
successifs,  le  dessinateur  fait  mordre  ses  figures  les  unes 
sur  les  autres  (fig.  12  et  i3),  de  façon  que  la  première 
apparaisse  seule  tout  entière  et  que,  des  suivantes,  on 
ne  distingue  qu'un  étroit  profil.  C'est  un  acheminement 


28 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


Fig.  13. 


vers  la  perspective,  mais  un  acheminement  seulement  : 
la  ligne  des  têtes  est  loin  de  s'a- 
baisser toujours  comme  il  fau- 
drait, et  la  même  ligne  de  terre 
sert  invariablement  de  support  à 
tous  les  pieds.  Ce  défaut  de  pro- 
fondeur Tempêche  de  multiplier 
les  plans.  Le  terrain  dont  il  dis- 
pose se  réduisant  à  une  ligne,  il 
nY  peut  faire  tenir  un  nombre  illi- 
mité de  personnages,  et  comme, 
pour  éviter  qu'ils  se  nuisent  par 
trop,  il  les  figure  tous,  ou  à  peu 
près,  faisant  le  même  geste,  il 
manque  ce  pittoresque  qui  naît  de 
Pirrégularité  et  qu'ont  si  bien  rendu,  avec  leur  science 
des  indications  sommaires,  les  Japonais  du  xv!!!*"  siècle. 
Mêmes  procédés  dans  le  dessin  du  paysage.  Nous 
possédons  l'image  de  plusieurs 
villas,  avec  leurs  bosquets, 
leurs  vergers  et  leurs  pièces 
d'eau.  Un  artiste  moderne  n'en 
eût  montré  qu'une  partie;  il  se 
fût  contenté,  pour  en  donner 
une  idée,  d'en  reproduire  la 
façade,  avec  son  cadre  de  ver- 
dure, ou  de  chercher  dans 
l'immense  parc  un  coin  qui  en 
fît  connaître  les  retraites  em- 
baumées et  les  épais  ombrages.  C'est  à  quoi  l'Egyptien 
n'a  pu  se  résigner  :  il  a  tracé  un  rectangle  qui  en  marque 


Fig.   13. 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE, 


29 


les  limites,  et  couché  dans  ce  champ  tout  ce  que  contient 
la  demeure  princière,  bâtiments,  arbres,  fleurs,  ani- 
maux. C'est  une  vue  cavalière  dont  les  quatre  côtés  sont 
parallèles  deux  à  deux  et  où  tous  les  objets  sont  pré- 
sentés en  géométral.  Veut-il  rendre  un  canal  bordé  de 
palmiers?  S'il  le  dessinait  à  plat,  de  façon  à  en  faire  ap- 
précier la  largeur,  les  palmiers  n'auraient  plus  de  tronc; 
il  n'en  resterait  qu'un  bouquet  de  feuilles.  S'il  leur 
donnait  tout  leur  développement,  lé  canal,  à  ras  de 
terre,  échapperait  au  spec- 
tateur. Il  le  suspend  entre 
les  deux  rangs  d'arbres 
(fig.  14)  ;  ainsi  rien  n'est 
sacrifié.  La  figure  i5,  qui 
représente  des  ouvriers 
puisant  de  l'eau  dans  un 
bassin  pour  la  fabrication 
de  la  brique,  est,  au  point 
de  vue  qui  nous  occupe, 
d'un  intérêt  tout  particulier.  Le  bassin  y  a  la  forme 
d'un  carré  long  qui  permet  d'en  embrasser  la  super- 
ficie entière,  et  les  objets  qui  devraient  être  perpen- 
diculaires à  ce  plan,  hommes,  plantes  aquatiques, 
touffes  d'herbes,  arbres,  sont  figurés  comme  s'ils  lui 
étaient  parallèles.  Parmi  eux,  le  briquetier  plongé  dans 
l'eau  jusqu'à  mi-corps  est  surtout  remarquable  :  logi- 
quement, il  devrait  faire  la  planche;  ses  jambes,  ca- 
chées par  l'eau  et  qui  prennent  évidemment  leur  point 
d'appui  au  fond  du  lac,  nous  obligent  à  le  concevoir 
dans  une  posture  contraire  à  toute  vraisemblance. 
C'est  ainsi  que  les  Égyptiens,  en  voulant  tout  rendre, 


Fig.   14. 


JO 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


sans  posséder  Part  d'indiquer  les  fonds,  ont  été 
amenés  à  un  dessin  conventionnel  qui  fait  que  leurs 
tableaux  sont  souvent  peu  intelligibles.  Faut-il  ratta- 
cher à  ce  système  de  conventions  un  curieux  monu- 
ment du  Louvre  ?  Je  veux  parler  de  cet  hippopotame  en 
faïence  bleue,  sur  lequel  on  aperçoit,  tracés  à  Fencre 

noire,  des  plantes 
grasses  et  des  in- 
sectes (fig.  i6),  ingé- 
nieux expédient 
pour  montrer  Fani- 
mal  dans  le  paysage 
qui  lui  sert  de  cadre 
ordinaire  ^  Ce  mo- 
nument n'est  pas 
unique  :  le  Louvre 
même  en  possède 
deux  autres  du 
même  genre  ;  ils  rap- 
pellent ce  bélier  de 
pierre  trouvé  en 
Phrygie  et  dont  les  flancs  laissent  voir,  en  léger  relief, 
d'un  côté,  quelques  chèvres  simulant  un  troupeau,  de 
l'autre,  deux  cavaliers,  probablement  deux  bergers  à 
cheval  comme  ceux  qui  gardent  le  bétail  dans  les  pays 
de  grandes  pâtures*.  Mais  ce  sont  là  des  exceptions  qui 
nous  éloignent,  d'ailleurs,  du  dessin  proprement  dit  et 
de  la  peinture.  Les  hippopotames  du  Louvre  n'en  sont 

1.  Seconde  salle  des  Dieux,  n°  1634. 

2.  Perrot  et  Chipiez,  Histoire  de  l'art  dans  f antiquité,  t.  V, 
fig.  1 15  et  116. 


Fig.  is. 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


31 


pas  moins  des  exemples  frappants  des  conventions  aux- 
quelles les  Egyptiens  avaient  recours  et  de  l'effort  qui 
est  parfois  nécessaire  pour  saisir  toutes  leurs  intentions. 
Conventionnelles  aussi  étaient  leurs  couleurs.  De 
bonne  heure  ils  s'aperçurent  que,  chez  eux,  la  femme 
avait  les  chairs  moins  foncées  que  Thomme.  Ils  tra- 
duisirent cette  différence  par  une  différence  de  colora- 
tion dans  le  nu  de  leurs  personnages  :  les  hommes 
furent  uniformément  coloriés  en  rouge  brun ,  les 
femmes  en  jaune 
clair.  Il  y  a  pourtant 
des  exceptions  :  le 
bas-relief  de  Séti  !*"■ 
et  d'Hathor,  au  mu- 
sée du  Louvre,  nous 
montre  la  déesse 
avec  les  chairs  rouge 
brun,  comme  le  roi. 

On  trouve,  par  contre,  des  hommes  badigeonnés  en 
jaune  au  temps  de  la  V*  et  de  la  XIX®  dynastie  :  tel 
est  le  cas  sur  les  bas-reliefs  du  petit  temple  d'Ibsam- 
boul,  où  dieux,  rois  et  reines  sont  tous  enluminés  à 
l'aide  de  ce  ton.  Dans  un  temple  de  la  Nubie,  les 
pharaons  ont  le  nu  peint  en  bleu.  Ailleurs,  des  Amons, 
des  Osiris,  qui  devraient,  semble-t-il,  être  recouverts 
du  rouge  brun  des  personnages  mâles,  ont  les  chairs 
bleues  ou  vertes.  Le  plus  souvent,  les  mêmes  êtres  et 
les  mêmes  objets  offrent,  partout  où  ils  se  rencontrent, 
la  même  coloration.  Il  se  perpétuait  dans  les  ateliers 
des  recettes  relatives  à  l'enluminure  qui  convenait  à 
toute  chose  ;    des  instructions   détaillées,    analogues, 


Fig.    1(5. 


j2  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

sans  doute,  à  celles  du  moine  Denys  pour  le  moyen 
âge  oriental,  enseignaient  les  tons  conventionnels  à 
employer  dans  les  divers  tableaux,  et  les  générations 
successives  s^  conformaient.  C'est  ainsi  que,  dans 
le  vêtement,  les  plis  sont  rendus  par  des  empâtements 
de  couleur  qui  laissent  le  ton  vif  de  la  chair  aux  par- 
ties sur  lesquelles  Pétoffe  est  tendue.  La  verdure  des 
arbres  est  exprimée  par  du  vert  uni  mêlé  de  nervures 
rougeâtres  figurant  les  branches,  le  bleu  de  Peau  par  du 
bleu,  tantôt  uni,  tantôt  rayé  de  flots  noirs  en  zigzag,  les 
reflets  indécis  des  plumes  de  certains  oiseaux  par  du 
rouge  ou  du  bleu  franc,  le  tiquetage  du  chien,  le  pelage 
varié  de  la  vache  par  de  violentes  taches  noires, 
blanches,  rouges,  suivant  les  cas.  Sans  négliger  de  parti 
pris  la  nature,  les  Egyptiens  ne  s'attachaient  point  à  la 
reproduire  telle  qu'elle  est;  ils  la  simplifiaient,  l'idéali- 
saient, cherchant  moins  la  ressemblance  que  les  effets 
décoratifs,  plus  soucieux  de  présenter  les  choses  sous 
un  bel  aspect  que  dans  le  menu  détail  de  leurs  nuances 
réelles.  Autant  ils  sont  minutieux  quand  ils  dessinent, 
autant,  quand  ils  peignent,  ils  procèdent  largement, 
uniquement  préoccupés  de  l'impression  d'ensemble  et 
gardant  à  la  peinture  ce  caractère  monumental  qui  est, 
chez  eux,  sa  raison  d'être,  le  but  qu'elle  doit  atteindre 
et  ne  pas  dépasser. 


S  IV.  —  Le  j'éalisme. 

On  se  demande  comment,  gênés  par  tant  d'entraves, 
ils  ont  réussi  à  exprimer  la  vie.  Ils  l'ont  rendue,  cepen- 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


îi 


dant,  avec  une  Justesse  et  une  intensité  souvent  extra- 
ordinaires, moins,  il  est  vrai,  par  la  coloration  que  par 
le  dessin.  Leur  coloration  resta  toujours  convention- 
nelle. Il  faut  pourtant  noter  de  curieuses  tentatives, 
comme  la  couleur  rose  substituée  au  rouge  pour  les 
figures  d'hommes  dans  les  tombeaux  de  Thèbes  et 
d'Abydos,  sous  la  XVI IP  dynastie,  comme  le  ton  brun, 
presque  noir,    des  serviteurs  d'origine  étrangère    qui 


Fig.   17  et  18.  —  Lutteurs  de  Béni-Hassan. 


apparaissent  dans  quelques  scènes  de  Fancien  Empire, 
mêlés  aux  indigènes.  Il  y  a  des  tableaux  où  la  transpa- 
rence des  étoffes  est  étudiée  avec  une  curiosité  très  digne 
d^intérêt.  Un  beau  portrait  de  la  reine  Taïa,  femme 
d'Harmhabi,  montre  un  tissu  léger,  analogue  à  nos 
soies  de  Brousse,  qui  laisse  voir,  sous  ses  rayures  dia- 
phanes, la  teinte  plus  foncée  et  presque  le  modelé  des 
bras.  Ce  sont  là  des  exceptions,  des  audaces  qui  ne 
durent  pas,  qui  ne  parviennent  pas  à  vaincre  la  rou- 
tine. Elles  passent  sans  laisser  de  trace,  et  Ton  retombe 
dans  l'ornière  des  anciens  canons. 

Le  dessin  a  plus  d'indépendance;  sans  s^affranchir 

PEINT.    ANTIQUE.  3 


34  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

des  règles  traditionnelles,  il  profite  mieux  des  progrès 
accomplis;  il  reflète  plus  fidèlement  les  vicissitudes  de 
l'art.  C'est  un  préjugé  de  croire  à  l'immobilité  de  l'art 
égyptien.  Platon,  qui  l'admettait,  se  trompe  et  par- 
tage à  ce  sujet  l'erreur  de  ses  contemporains.  L'art  s'est 
transformé  en  Egypte,  comme  partout,  avec  le  temps. 
Aux  formes  trapues  de  l'ancien  Empire  ont  succédé,  à 
partir  de  la  XP  dynastie,  des  proportions  plus  grêles, 
une  silhouette  plus  élancée.  La  XVIII''  dynastie,  qui 
suit  l'expulsion  définitive  des  Pasteurs  et  sous  laquelle 
l'Egypte  devient  conquérante,  la  XXVP,  à  laquelle 
Psamitik  I"  donne  une  grandeur  inattendue,  sont  des 
époques  de  renaissance  incontestable.  Les  bas-reliefs 
peints  du  nouvel  Empire,  au  moins  sous  les  premières 
dynasties,  marquent  sur  ceux  des  âges  précédents  un 
progrès  sensible;  la  composition  en  est  plus  savante,  la 
perspective  mieux  entendue.  Il  faut  tenir  compte,  en 
outre,  des  témérités  individuelles  qui  se  sont  produites 
un  peu  à  tous  les  moments  et  qui  trahissent  de  méri- 
toires efforts  pour  rendre  plus  exactement  la  vérité. 
Voyez  les  scènes  de  lutte  copiées  à  Béni-Hassan,  où  sub- 
sistaient encore,  au  commencement  de  ce  siècle,  tant 
de  peintures  admirablement  conservées.  Ces  jeunes 
hommes  qui  s'étreignent  et  s'enlacent  deux  à  deux,  dé- 
jouent les  ruses  de  leurs  adversaires  et  parent  leurs 
coups  (ng.  17),  les  enlèvent  de  terre  pour  les  projeter  au 
loin  (fig.  18),  ont,  malgré  la  maladresse  de  certains 
traits,  une  vie  et  un  mouvement  qui  font  songer  aux 
jolies  scènes  de  palestre  dessinées  sur  les  vases  athé- 
niens de  la  première  moitié  du  v"  siècle  avant  notre 
ère.    Les   épisodes  de   la    vie   champêtre  sculptés   ou 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE. 


ÎS 


peints  sur  les  parois  des  chapelles  funéraires,  la  traite 
des  vaches,  les  soins  donnés  aux  troupeaux  et  à  la 
basse-cour,  le  labourage,  les  métiers,  si  nombreux  dans 
les  grottes  de  Béni-Hassan,  fournissent  des  attitudes 
d'une  justesse  remarquable.  Le  tableau  auquel  est  em- 
pruntée la  figure  i5,  et  qui  décore  une  tombe  thébaine, 
nous  fait  voir  des  prisonniers  fabriquant  des  briques 
pour  la    construction    d'un    temple    d'Amon    :    ceux 


CZZ] 


Fig.  19.  —  Prisonniers  moulant  des  briques 
pour  la  construction  d'un  temple. 


d'entre  eux  qui  apportent  la  terre  et  qui  la  moulent, 
sous  Toeil  de  leur  sui'veillant  égyptien  (fig,  19),  ceux 
qui  la  chargent  sur  leurs  épaules  ou  transportent  les 
briques  déjà  sèches,  font  des  gestes  naturels  qui  té- 
moignent d'une  scrupuleuse  observation  de  la  réalité. 
Des  essais  de  perspective  se  rencontrent  :  un  des  bas- 
reliefs  du  tombeau  de  Chamhati,  intendant  des  do- 
maines royaux  sous  la  XVIIP  dynastie,  offre,  au  pre- 
mier plan,  des  serviteurs  qui  piochent  la  terre  avec  la 
houe,  au  second,  sur  une  ligne  fortement  ondulée  qui 
marque  un  relief  du  sol,  un  personnage,  d'ailleurs  de 
même  taille,  occupé  à  labourer;  une  deuxième  ondula- 


J6 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


tion,  vers  le  haut  du  registre,  indique  un  plan  plus  re- 
culé encore.  Mais  Teffort  le  plus  curieux  dans  ce  sens 
est  celui  qui  est  attesté  par  une  peinture  sur  bois  du 
musée  de  Gizeh  (fig.  20),  où  Ton  voit  la  représenta- 
tion d'un  Jardin  funéraire  avec,  au  dernier  plan,  une 
femme  qui  se  lamente.  La  montagne  figurée  à  gauche 
est  peinte  en  jaune  rayé  de  rouge.  On  est  frappé,  dans 
cette  image,  de  Part  avec  lequel  le  peintre  a  ménagé  les 
lointains.  La  femme  agenouillée  occupe  visiblement  le 


Fig.  20.  —  Essai  de  perspective  dans  une  peinture  funéraire. 


fond  du  tableau  ;  la  tombe  qui  est  devant  elle  et  l'arbre 
qui  est  derrière  ne  se  trouvent  pas  sur  le  même  plan. 
C'est  un  rare  exemple  de  perspective  dans  le  paysage. 
On  ne  connaît,  jusqu'ici,  que  deux  peintures  analogues. 
Tune  à  Gizeh,  l'autre  à  Turin. 

Les  Egyptiens  se  sont  aussi  essayés  à  la  figure  de 
face.  Eux  si  timides  dans  le  dessin  du  visage,  si  pru- 
demment attachés  au  profil,  ils  ont  osé,  dans  quelques 
occasions,  présenter  leurs  personnages  résolument  tour- 
nés du  côté  du  spectateur.  Un  bas-relief  de  Karnak 
montre  Séti  I"  levant  sa  masse  d'armes  sur  des  captifs 
parmi  lesquels  il  y  en  a  deux  qui  sont  de  face;  une 
file  de  prisonniers,   au  Ramesséum,  contient  une  ex- 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE. 


J7 


ception  du  même  genre.  Considérez  ces  musiciennes 
accroupies  à  la  manière  orientale,  et  qui  font  danser, 
dans  une  fresque  de  Béni-Hassan ,  de  gracieuses 
aimées  habillées  d''une  ceinture  (fig.  21).  Les  deux 
premières,  de  face,  sont  traitées  avec  une  grande 
liberté.  Les  plis  transparents  de  leurs  vêtements  de  lin, 
leur  cou  souple,  leurs  cheveux  indisciplinés,  jusqu^à 


Fig.   21.  —  Musiciennes  de  Béni-Hassan. 


cette  coiffure  coquettement  posée  sur  le  sommet  de  la 
tête  et  qui  rappelle  le  kavouki  actuellement  en  usage 
dans  certaines  îles  du  nord  de  PArchipel,  ou  la  toque 
brodée  des  juives  de  Salonique,  tout,  dans  leur  per- 
sonne, est  d^ne  modernité  surprenante  et  contraste 
singulièrement  avec  la  raideur  archaïque  des  figures 
ordinaires. 

Mais  où  les  Egyptiens  ont  surtout  excellé,  c'est  dans 
Pexpression  des  traits  propres  à  chaque  race.  Une  terre 
féconde   et    riche    comme   PÉgypte  devait,    de    toute 


38  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

part,  attirer  les  e'migrants.  Avant  même  Tinvasion  des 
Pasteurs,  il  est  probable  que  des  familles,  peut-être  des 
tribus  emières,  étaient  venues  s'y  établir,  fascinées  par 
cette  antique  civilisation  dont  la  renommée  s'étendait 
au  loin.  Nous  ne  connaîtrons  sans  doute  jamais  bien 
ces  fluctuations  de  peuples  qui,  des  déserts  du  pays 
nègre  aux  plateaux  de  la  haute  Asie,  entretinrent  pen- 
dant des  siècles  comme  un  remous  continuel  d'huma- 
nité errante.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  que  les  Pasteurs 
jetèrent  dans  la  vallée  du  Nil  les  nations  les  plus 
diverses,  soit  par  la  conquête,  soit  par  les  migrations  qui 
la  suivirent  et  la  fortifièrent.  Puis  vinrent  les  guerres 
des  princes  thébains  pour  chasser  les  envahisseurs  du 
sol  national,  puis  les  campagnes  aventureuses  de  ces 
mêmes  princes,  entraînés  par  le  succès  à  des  centaines 
de  lieues  de  leurs  frontières,  soumettant  la  Syrie  et  en 
ramenant  d'innombrables  captifs,  refoulant,  au  Midi, 
les  Éthiopiens,  ces  ennemis  héréditaires,  et  rétablissant 
sur  eux  la  domination  des  anciens  pharaons.  Ces  per- 
pétuels conflits  avec  des  étrangers,  et  surtout  les  grands 
travaux  que  ces  étrangers,  prisonniers  de  guerre,  exé- 
cutaient sous  le  bâton  de  leurs  vainqueurs,  les  construc- 
tions auxquelles  on  les  employait,  les  canaux  qu'ils 
creusaient,  les  routes  qu'ils  traçaient,  les  mines  qu'ils 
exploitaient  pour  le  compte  des  rois,  rendaient  leurs 
traits  familiers  aux  artistes,  et  quand  il  s'agissait  d'im- 
mobiliser leur  silhouette  sur  les  parois  de  quelque 
temple  ou  de  quelque  tombeau,  le  peintre  ou  le  sculp- 
teur n'était  point  embarrassé;  de  bonne  heure,  nous 
voyons  son  œil  exercé  saisir  rapidement  leurs  particu- 
larités ethniques,  et  sa  main  souple  les  rendre  avec  une 


LA    PEINTURE    ÉGYPTIENNE. 


Î9 


sûreté  admirable.  On  trouve  déjà,  dans  les  tombes  de 
Saqqarah,  des  personnages  au  crâne  aplati,  au  front 
dénudé,  à  la  barbe  touffue,  au  teint  basané,  presque 
noir,  vêtus  d'un  caleçon  blanc  et  frangé  qui  n'est  pas 
le  même  que  celui  des  Égyptiens.  Selon  toute  vraisem- 
blance, ce  sont  des  étrangers  qui  sont  venus  se  mettre 
au  service  des  riches  fa- 
milles de  Memphis.  Plus 
tard,  apparaissent  les  pri- 
sonniers faits  sur  le  champ 
de  bataille  :  l'Européen  à 
la  peau  blanche,  aux  mem- 
bres tatoués,  qui  porte  une 
longue  tunique  ornée  de 
dessins  bizarres  et,  sur  la 
tête,  deux  grandes  plumes  ; 
l'Africain  aux  cheveux  cré- 
pus, au  nez  camard,  aux 
grosses  lèvres,  vêtu  d'un 
pagne  soutenu  par  une 
large  bande  d'étoffe  qui 
lui  traverse  la  poitrine  en 
écharpe.  Les  deux  esquisses  à  l'encre  que  nous  repro- 
duisons (fig.  22  et  23),  et  qui  ont  été  calquées  dans  le 
tombeau  inachevé  d'un  haut  fonctionnaire  contempo- 
rain de  Khouniaton  (XV1II«^  dynastie),  montrent  bien 
cette  habileté  à  fixer  par  le  pinceau  la  physionomie  et 
le  costume  des  vaincus.  La  première  représente  quatre 
figures  de  profil,  parmi  lesquelles  on  distingue,  à  leurs 
yeux  clairs,  deux  hommes  originaires  d'Asie.  Dans  la 
seconde,  quatre  prisonniers  implorent  la  clémence  du 


Fig.   22. 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


roi  :  un  nègre,  couvert  d'une  peau  de  panthère;  deux 
Asiatiques,  reconnaissables  à  leur  barbe,  et  un  captif 
imberbe,  prosterné,  dont  la  nationalité  reste  indécise. 
Si  nombreux  que  fussent  les  modèles,  jarnais  les 
Égyptiens  ne  les  eussent  rendus  avec  autant  de  bon- 
heur, s'ils  n'avaient,  de  tout  temps,  été  passés  maîtres 

dans  le  portrait.  Avant 
d'exprimer  la  ressem- 
blance collective,  ils 
s'étaient  exercés  à  ex- 
primer la  ressemblance 
individuelle,  et  ils  y 
avaient  tout  de  suite 
acquis  une  adresse 
merveilleuse.  Leurs 
dons  naturels  y  étaient 
pour  quelque  chose, 
leurs  idées  religieuses 
pour  beaucoup. 
Comme  ils  croyaient 
que  le  mort  continuait 
à  vivre  dans  le  tom- 
beau sous  la  figure  immatérielle  du  double,  tout  l'ef- 
fort de  leur  piété  tendait  à  prolonger  sa  vie  le  plus 
possible.  De  là  les  sacrifices  qu'ils  lui  offraient  pour 
le  nourrir  et  leS  images  sculptées  ou  peintes  dont 
ils  l'entouraient  pour  perpétuer  à  travers  les  siècles, 
par  des  illusions  qui  devenaient  des  réalités,  les  soins 
nécessaires  à  sa  conservation  et  à  son  bien-être.  Mais 
le  double  n'avait  pas  une  existence  propre  :  il  dépen- 
dait immédiatement  du  corps,   dont  il  personnifiait, 


Fig.  23. 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE.  +i 

pour  ainsi  dire,  la  survivance.  Le  corps  détruit,  c'était 
pour  lui  la  fin,  le  néant;  et  qui  pouvait  répondre  que 
le  corps  durerait  toujours?  Tout  embaumé  quUl  était, 
un  jour  ou  Tautre,  il  pouvait  périr.  Il  fallait  conjurer 
les  effets  d'un  pareil  malheur.  «  On  donnait  pour  sup- 
pléants au  corps  de  chair  des  corps  de  pierre  ou  de 
bois,  reproduisant  exactement  les  traits  du  défunt,  des 
statues.  Les  statues  étaient  plus  solides,  et  rien  n'em- 
pêchait qu'on  les  fabriquât  en  la  quantité  qu'on  vou- 
lait. Un  seul  corps  était  une  seule  chance  de  durée  pour 
le  double  :  vingt  statues  représentaient  vingt  chances. 
De  là  ce  nombre  vraiment  étonnant  de  statues  qu'on 
rencontre  quelquefois  dans  une  seule  tombe.  La  pré- 
voyance du  mort  et  la  piété  des  parents  multipliaient 
les  images  du  corps  terrestre,  et,  par  suite,  les  supports, 
les  corps  impérissables  du  double,  lui  assurant  par  cela 
seul  une  presque  immortalité  ^  » 

On  devine  combien  une  semblable  pratique  dut 
influer  sur  l'art.  Il  était  nécessaire  qu'entre  le  mort  et 
ses  images  la  ressemblance  fût  parfaite,  non  pour  les 
survivants,  —  les  statues  étaient  placées  hors  de  leur 
vue  et  de  leur  portée,  dans  l'étroit  couloir  muré  qui 
séparait  la  chambre  funéraire  de  la  chambre  de  récep- 
tion,—  mais  pour  le  double,  qui  ne  se  fût  pas  reconnu 
sous  un  autre  visage  que  le  sien.  Si  le  corps  qu'on  don- 
nait à  ces  représentations  était,  en  général,  une  sorte  de 
corps  anonyme,  qui  reproduisait  le  défunt  au  moment 
le  plus  avantageux  de  son  développement  physique,  la 
tête  devait    rendre    avec   une  fidélité  scrupuleuse   les 

I.  Maspero,  Guide  du  visiteur,  p.  21 5. 


42  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

moindres  particularités  de  la  face  vivante.  C'est  ce  qui 
explique  le  réalisme  saisissant  de  quelques  portraits, 
comme  celui  du  Scribe  accroupi,  au  musée  du  Louvre, 
ceux  du  Sheikh-el-beled,  du  Scribe  agenouillé,  de  Râhot- 
pou  et  de  sa  femme  Nofrit  (fig.  6),  au  musée  de  Gizeh. 
Avec  leurs  traits  accentués  et  si  personnels ,  leurs 
yeux  de  quartz  et  de  cristal  enchâssés  dans  des  pau- 
pières de  bronze,  leur  prunelle  lumineuse  au  fond  de 
laquelle  un  clou  d'argent  simule  parfois  la  flamme  du 
regard,  ces  figures  ont  une  expression  de  vie  extraordi- 
naire qui  ne  peut  manquer  de  frapper  l'observateur  le 
plus  distrait. 

Il  était  naturel  que,  des  statues,  la  ressemblance 
passât  aux  peintures  et  aux  bas-reliefs,  que  le  mort,  assis 
ou  debout  sur  les  parois  de  la  chapelle  où  il  recevait  les 
offrandes  de  sa  maison,  fût  représenté,  non  avec  un 
visage  d'emprunt,  mais  avec  son  vrai  visage.  N'était-ce 
pas  pour  le  double  qu'étaient  tracées  ces  scènes,  et  ne 
fallait-il  pas,  pour  qu'il  crût  jouir  effectivement  des 
biens  qu'il  y  voyait  prodigués  à  son  effigie,  qu'il  se 
reconnût  dans  cette  effigie,  qu'il  s'y  retrouvât  avec  tous 
les  signes  qui  le  distinguaient,  pendant  la  vie,  de  ses 
contemporains?  C'est  à  cette  nécessité  impérieuse  de 
faire  ressemblant  que  les  Egyptiens  durent  leur  talent 
de  portraitistes.  Joignez  à  cela  un  coup  d'œil  sûr  qui, 
sous  la  pure  lumière  de  ce  ciel  méridional,  saisissait 
rapidement  les  moindres  inflexions  de  contours,  une 
main  légère  qui  les  reportait  sans  effort  sur  la  pierre, 
le  calcaire  ou  le  bois,  et  vous  comprendrez  comment 
l'art  du  portrait,  non,  à  vrai  dire,  du  portrait  indépen- 
dant, isolé,  comme  le  nôtre,  mais  du  portrait  décora- 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


4? 


Fig.  24. 


tif,  jouant  son  rôle  dans  de  grands  ensembles,  fut  de 
bonne  heure,  en  Egypte,  un  art 
très  répandu  et  qui  ne  tarda  pas 
à  atteindre  la  perfection. 

On  en  rencontre  un  peu  par- 
tout de  ces  portraits  dont  la  res- 
semblance, même  en  l'absence  de 
tout  terme  de  comparaison,  est 
attestée  par  la  personnalité  qui 
s'en  dégage.  Il  y  en  a  dans  les 
tableaux  en  relief  des  temples, 
dans  les  hypogées  royaux,  dans 
les  sépultures  particulières.  Les 
rois  sont  figurés  revêtus  du  cos- 
tume officiel,  avec  la  raie  de  fard  se  prolongeant  sur  la 
tempe,  à  l'aide  de  laquelle  ils  s'agrandissaient  Poeil, 
parfois,  avec  la  barbe  postiche,  en  crin  ou  en  cheveux, 
qu'ils  s'attachaient  sous  le  menton.  Des  dalles  conte- 
nant leur  profil  gravé  étaient  mises, 
dans  les  ateliers,  entre  les  mains  des 
apprentis  sculpteurs,  afin  de  les  fami- 
liariser avec  des  traits  qu'ils  pouvaient 
être  souvent  appelés  à  reproduire.  Les 
particuliers,  pour  n'avoir  point  l'hon- 
neur d'être  un  objet  permanent  d'é- 
tude, n'en  étaient  pas  moins,  quand 
l'occasion  se  présentait,  rendus  avec 
une  grande  sûreté,  qui  prouve,  chez 
les  artistes,  l'habitude  de  pareils  tra- 
vaux. Plusieurs  portraits  d'hommes  et  de  femmes,  en 
léger  relief  colorié,  sont  d'une  grâce  ou  d'une  vigueur 


4* 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


qui  étonne,  témoin  ce  profil  féminin  (fig.  24)  dont  la 
rondeur  un  peu  molle  est  pleine  de  douceur;  témoin 
encore  ce  visage  dur,  aux  lèvres  épaisses  (fig.  25),  qui 
est  celui  d'un  prêtre  de  Tépoque  saïte,  et  dans  lequel  on 
jurerait  voir  la  figure  d'un  de  ces  âniers  d'Alexandrie 

ou  du  Caire,  dont  s'est 
tant  occupée,  il  y  a  deux 
ans,  notre  badauderie  pa- 
risienne. 

On  ne  saurait  être 
surpris  que  des  mains 
aussi  agiles  aient  eu,  à 
fixer  le  profil  des  ani- 
maux, une  incroyable 
aisance.  Comme  tous  les 
primitifs,  les  Egyptiens 
ont  été  de  grands  ani- 
maliers. A  part  quelques 
exceptions,  ils  n'ont  pas 
su  rendre  la  grâce  ner- 
veuse du  cheval;  mais 
l'âne,  le  bœuf,  le  chien, 
Fig.  2(5.  l'antilope,     la     gazelle, 

l'oie,  le  canard,  tout  le 
peuple  des  poissons,  ont  été  reproduits  par  eux  avec 
une  vérité  étonnante.  Ils  ont  multiplié  dans  leurs 
tombeaux  le  bœuf  de  labour,  les  vaches  passant  le  Nil 
entre  deux  barques  qui  les  surveillent  et  les  empêchent 
de  céder  au  courant,  les  troupeaux  d'ânes  et  d'anti- 
lopes, tantôt  chassés  à  coups  de  bâton  par  leur  gar- 
dien, tantôt  broutant  paisiblement  sous  un  arbre,  et 


LA    PEINTURE   EGYPTIENNE. 


+S 


toutes  ces  bêtes  diverses  ont  les  attitudes  et  les  mouve- 
ments familiers  des  originaux.  La  lassitude  du  chien 
après  la  chasse  (fig.  26),  la  posture  tassée  du  pélican 
au  repos,  l'allongement  de  son  cou  quand  il  se  gratte 
(fig.  27),  le  dandinement  de  Poie  et  sa  démarche  non- 
chalante (fig.  28),  sont  figurés  d'un  trait  juste  qui 
donne  à  ces  images  un  air  de  vie  vraiment  merveilleux. 


Fig.  27.  —  Étude  de  pélicans. 


Les  ébats  des  quadrupèdes  en  liberté,  leurs  pour- 
suites et  leurs  luttes  amoureuses,  témoignent  d'une 
longue  expérience  de  la  vie  des  champs  et  d'une  con- 
naissance profonde  des  moindres  drames  qui  l'animent. 
Mais  plus  on  descend  dans  l'histoire,  plus  se  perd  cette 
maîtrise  dans  la  peinture  des  animaux.  C'est  sous  l'an- 
cien Empire  qu'elle  éclate  surtout,  et  peu  de  scènes 
agricoles  sont  comparables  à  celles  qui  décorent  la 
tombe  de  Ti,  à  Saqqarah. 

Un  pinceau  aussi  souple  avait  tout  ce  qu'il  fallait 


♦6 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Fig.  28.  —  Étude  d'oies. 


pour  traduire  le  côté  grotesque  des  choses.  La  carica- 
ture n'a  point  été,  en  Egypte,  un  genre  à  part;  mais  elle 

paraît,  à  l'occasion,  dans 
l'enluminure  des  manu- 
scrits. Ce  n'est  pas  ici  le 
lieu  de  rechercher  longue- 
ment à  quels  sentiments 
elle  se  rattachait.  On  y  a  vu 
la  preuve  d'une  opposition 
frondeuse,  d'une  rancune 
de  sujets  opprimés  par  leurs  rois,  et  qui  s'en  seraient 
vengés  en  s'en  moquant.  C'est  une  erreur.  Ces  compo- 
sitions burlesques  ont  bien  plutôt  leur  origine  dans  la 
verve  satirique  qui  couve  chez  tous  les  peuples,  pour 
s'échapper  par  intervalle  en  fusées  joyeuses,  sous  la 
forme  de  dessins  ou  de  chansons.  D'ailleurs,  les  scènes 
comiques  qui  nous  ont  été  conservées  par  les  papyrus 
ne  sont  pas,  à  proprement  parler,  des  caricatures;  elles 
ne  visent,  ou  ne  semblent  viser  spécialement  aucun 
individu;  ce  sont  des 
fables  en  action,  d'une 
portée  très  générale , 
où  les  hommes  sont 
remplacés  par  des  ani- 
maux, et  dont  tout  le 
mordant  consiste 
presque  uniquement 
dans  cette  substitu- 
tion. Ici,  un  âne,  un 

lion,  un  crocodile  et  un  singe  exécutent  un  quatuor 
avec  divers  instruments  (fig.  29);  là,  c'est  un  troupeau 


Fig.  29.  —  Parodie  d'un  concert, 
sur  un  papyrus. 


LA    PEINTURE   ÉGYPTIENNE. 


47 


d'oies  en  rébellion  contre  trois  chats  qui  le  gardent, 
c'est  un  hippopotame  monté  sur  un  sycomore  d'où 
s'apprête  à  le  déloger  un  épervier  qui  le  rejoint  à 
l'aide  d'une  échelle.  L'allusion,  parfois,  est  plus  trans- 
parente :  un  âne  accoutré  en  pharaon,  le  sceptre  en 
main,  reçoit  les  hommages  d'un  chat  qu'un  bœuf  lui 
présente;  un  rat  juché  sur  un  char  royal,  traîné  par 
des  chiens,  s'élance  à  l'assaut  d'une  forteresse  que 
défend  une  armée  de  Raminagrobis.  Les  papyrus  ne 
sont  pas  seuls  à 
nous  montrer  de  pa- 
reilles fantaisies  : 
un  ostracon  du  mu- 
sée de  New -York 
nous  fait  voir  un 
chat,  la  queue  entre 
les  jambes,  offrant 
à  une  lionne,  sa  su- 
zeraine apparem- 
ment, l'oie  qui  représente  la  dîme  qu'il  lui  doit 
(fig.  3o).  Ces  parodies  reflètent  la  gaieté  native  des 
Egyptiens.  Laissez  les  siècles  s'écouler  :  ce  même 
esprit  innocemment  railleur,  vous  le  retrouverez  dans 
la  poésie  alexandrine.  Les  Grecs  du  ni"  et  du  u®  siècle 
avant  notre  ère,  qui  viendront  se  fixer  sur  la  terre 
des  pharaons,  hériteront  de  l'humeur  caustique  de 
ceux  qui  l'habitaient  avant  eux.  Ce  sera  le  même 
souci  des  petits  et  des  humbles,  la  même  attention  à 
étudier  leur  façon  de  vivre,  la  même  facilité  à  saisir 
leurs  ridicules  et  à  les  rendre  d'un  crayon  sûr  et 
alerte.  Dans   les  vignettes  satiriques  des  papyrus  de 


Fig.  30. 


Caricature,  sur  un  ostracon. 


48  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

Londres  et  de  Turin,  circule  déjà  le  souffle  qui  égayera 
certaines  épigrammes  de  l'Anthologie  et  les  Sj^ra- 
cusaines  de  Théocrite.  L'art  ne  restera  pas  en  arrière. 
Le  principal  caricaturiste  dont  nous  aurons  à  nous 
occuper  est  le  peintre  Antiphilos,  un  Egyptien.  Sous 
ce  ciel  léger,  le  rire  est  dans  Pair  et  le  moindre 
heurt  le  fait  éclater. 


§  V.  —  Les  procédés  techniques. 

Il  reste  à  indiquer  sommairement  comment  on  s'y 
prenait,  en  Egypte,  pour  dessiner  et  pour  peindre.  Il 
s'agissait  d'abord  de  préparer  la  surface  à  décorer.  Si 
elle  était  de  pierre,  on  la  recouvrait  d'un  enduit.  Le 
grès  ou  le  calcaire  des  temples  de  Thèbes  présentent 
partout  ce  stucage  léger,  dont  le  but  était  de  dissimuler 
les  joints  des  miatériaux,  d'empêcher  que  la  pierre 
n'absorbât  trop  de  couleur  et  de  faire  que  celle  qui  y 
était  étendue  eût  plus  de  solidité  et  d'éclat.  Mais  ces 
grands  édifices  ne  comportaient,  en  général,  que  la 
peinture  sur  fond  sculpté,  soit  en  relief,  soit  en  creux. 
La  peinture  proprement  dite  était  réservée  aux  mu- 
railles des  tombes,  bien  que,  là  aussi,  le  relief  peint  fût 
fréquent;  on  la  rencontre  encore  sur  les  stèles  en  bois 
et  les  papyrus,  sur  les  caisses  de  momies,  les  toiles 
stuquées,  etc.  C'est  dans  les  tombes  qu'elle  offre  le  plus 
d'intérêt.  Quand  on  creusait  un  hypogée  dans  le  cal- 
caire, les  surfaces  qu'on  obtenait  contenaient  souvent 
des  corps  étrangers,  des  rugosités  qu'il  fallait  faire 
disparaître  :  on  les  enlevait  et  on  bouchait  les  vides 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


49 


avec  du  pisé.  Souvent,  on  revêtait  la  paroi  tout  en- 
tière d\m  crépi  analogue,  plus  ou  moins  épais,  qu'on 
égalisait  à  la  planche  et  sur  lequel  on  étendait  un 
lait  de  chaux.  Cest  sur  ce  fond  que  le  peintre  appli- 
quait ses  figures.  Cette  façon  de  peindre  à  plat  est  fort 
ancienne.  On  a  cru  à  tort  la  voir  apparaître  pour  la 
première  fois  dans  les  ca- 
vernes de  Béni- Hassan  *. 
Bien  qu'à  Saqqarah  ce  soit 
le  relief  colorié  qui  do- 
mine, on  y  trouve  aussi 
des  peintures  sur  fond  uni. 
Un  des  plus  grands  masta- 
bas de  Meïdoum,  dont 
l'époque  est  indécise,  mais 
qui  remonte  certainement 
très  haut  dans  l'histoire, 
montre  des  scènes  de  chasse 

et  de  pêche   simplement  peintes   sur  du    pisé  enduit 
d'une  mince  couche  de  stuc. 

Pour  recevoir  des  tableaux  sculptés,  la  surface  était 
seulement  polie,  puis  passée  à  la  chaux;  dans  certains 
cas,  on  lui  faisait  subir  une  préparation  spéciale.  Mais 
qu'on  dût  décorer  à  plat  ou  en  relief,  la  surface  une 
fois  peinte,  on  y  traçait  l'esquisse.  On  la  dessinait  à 
l'encre  rouge  ou  à  l'encre  noire,  parfois  d'abord  à 
l'encre  rouge,  très  largement,  après  quoi,  on  la  repre- 
nait en  noir,  en  la  poussant  davantage  et  en  corrigeant 
les   lignes    défectueuses.    Beaucoup    de  ces  esquisses 

I.  Perrot  et  Chippiez,  Histoire  de  l'art  dans  V antiquité,  t.  l'^', 
p.  792- 

PEINT.     ANTIQUE.  ^ 


Fig.  31. 


50  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

ont  été  trouvées  dans  des  tombes  ou  des  parties  de 
tombes  inachevées;  plusieurs  sont  curieuses  par  les 
tâtonnements  qu'elles  révèlent.  Afin  de  déterminer 
Paplomb  de  ses  personnages,  le  dessinateur  tirait,  dans 
le  champ  à  décorer,  des  lignes  verticales  sur  lesquelles 
il  indiquait,  par  des  traits  horizontaux  ou  par  des 
points,  la  place  des  genoux,  celle  des  hanches  et  des 
épaules  (fig.  3i).  Il  est  probable  aussi  que,  pour  gui- 
der sa  main,  il  employait  le  fil  à  plomb,  mais  il  ne  se 
servait  pas  de  poncifs,  comme  le  feraient  croire  la  res- 
semblance de  certaines  figures  entre  elles  et  leur  suc- 
cession régulière.  Regardez  de  près  les  processions 
d'individus  ou  les  groupes  qui  animent  de  si  nom- 
breuses scènes  :  vous  n'y  verrez  pas  deux  silhouettes 
identiques.  Les  poncifs  n'étaient  donc  pas  en  usage  chez 
les  Egyptiens,  mais  leur  grande  habitude  du  dessin 
leur  rendait  aisée  l'exécution  de  ces  figures  sœurs,  qui 
ne  le  sont  qu'en  apparence  et  dont  la  diversité  n'échappe 
point  à  un  œil  attentif. 

Le  procédé  le  plus  usité,  pour  éviter  les  erreurs  de 
composition  ou  de  dessin,  était  le  quadrillage  de  la 
paroi.  On  reportait  sur  ce  quadrillage,  à  une  échelle 
supérieure,  les  figures  d'hommes  ou  d'animaux  tracées 
en  petit  sur  une  tablette  également  quadrillée  et  qui 
jouait  le  rôle  de  modèle.  Cette  mise  au  carreau  préli- 
minaire est  visible  dans  quelques  tombeaux  inachevés; 
elle  apparaît  même,  là  où  Je  peintre  a  passé,  sous  la 
peinture,  aux  endroits  où  la  couleur  s'est  détachée,  ce 
qui  prouve  qu'on  ne  prenait  pas  la  peine  de  l'effacer 
avant  de  peindre.  On  voit  ici  ce  treillis  conducteur 
reconstitué  intégralement  (fig.  32),  tel  que,  sans  doute. 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


S' 


il  existe  encore  sous  une  figure  de  Saqqarah  qui  ne  le 
laisse  apercevoir  que  par  places.  Il  faut  se  garder  de 
prendre^  comme  on  l'a  fait,  ces  divisions  pour  des  di- 
visions canoniques.  Il  nV  a  rien  à  conclure  du  nombre 
des  carrés  que  comprend  le  quadrillage  ni  de  la  répar- 
tition des  différentes  lignes  du  corps  dans  ces  carrés. 
Jamais  les  Egyptiens  ne 
semblent  avoir  possédé  un 
canon  proprement  dit, 
fondé,  par  exemple,  sur  la 
longueur  du  doigt  ou  celle 
du  pied.  Ils  construisaient 
leurs  figures  au  juger,  avec 
l'expérience  qu'ils  devaient 
à  leur  longue  pratique,  et 
les  efforts  qu'on  a  tentés 
pour  rapporter  leurs  pro- 
portions à  des  règles  fixes, 
se  modifiant  seulement  à 
de  longs  siècles  d'inter- 
valle et  formant  des  ca- 
nons correspondant  aux 
grandes  époques  de  l'art,  n'ont  pour  point  de  départ 
rien  de  solide. 

A  l'esquisse  succédait  le  modelage  au  ciseau,  s'il 
fallait  présenter  le  sujet  en  relief;  sinon,  le  peintre 
prenait  tout  de  suite  possession  du  champ  à  enlumi- 
ner. Il  n'y  a  pas  lieu  d'admettre,  chez  les  Égyptiens, 
une  extrême  division  du  travail.  Tout  porte  à  croire 
que  les  mêmes  artistes  se  chargeaient  également  de 
peindre  et  de  sculpter,  et  que,  dans  le  cas  d'une  décora- 


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Fig.  32. 


sa  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

tion  en  relief,  c^étaient  le  sculpteur  ou  ses  élèves  qui 
revêtaient  de  couleurs  les  scènes  ciselées  par  eux.  Nous 
possédons  plusieurs  tableaux  qui  nous  font  voir  des 
sculpteurs  peignant  eux-mêmes  les  statues  sorties  de 
leurs  mains.  L'enluminure  était,  pour  le  bas-relief 
comme  pour  la  ronde  bosse,  un  complément  si  indis- 
pensable, que  les  deux  opérations  devaient  être,  le  plus 
souvent,  pratiquées  par  les  mêmes  personnes.  Quoi 
qu'il  eR  soit,  les  Egyptiens  disposaient  dMn  assez  grand 
nombre  de  couleurs.  On  en  compte  jusqu'à  sept  sur  les 
palettes  qui  remontent  aux  premières  dynasties  :  c'est 
le  rouge,  le  bleu,  le  jaune,  le  vert,  le  brun,  le  blanc  et 
le  noir.  Sous  le  moyen  Empire,  on  rencontre  deux  va- 
riétés de  rouge,  deux  de  bleu,  trois  de  jaune,  deux  de 
vert,  trois  de  brun,  ce  qui  porte  à  une  quinzaine  le 
nombre  des  tons  parmi  lesquels  le  peintre  pouvait  choi- 
sir. La  teinte  violacée  qu'on  trouve  sur  quelques  bas- 
reliefs  semble  provenir  d'une  dorure  aujourd'hui  effa- 
cée. La  plupart  de  ces  couleurs  étaient  minérales.  Une 
des  plus  résistantes  était  le  bleu  qu'on  obtenait  à  l'aide 
de  verre  coloré  au  moyen  d'un  oxyde  de  cuivre,  puis 
réduit  en  poussière.  On  en  fabriquait  aussi  avec  du 
lapis-lazuli  broyé.  Les  rouges  étaient  de  l'ocre  natu- 
relle ou  brûlée,  peut-être  du  cinabre,  plus  tard  du 
vermillon,  quand  les  victoires  de  Thoutmos  III  sur 
les  Syriens  eurent  répandu  l'usage  du  minium  d'Asie. 
Les  jaunes  étaient  de  l'ocre  ou  du  sulfure  d'arsenic.  Le 
principe  colorant  du  vert,  la  moins  solide  des  couleurs 
égyptiennes,  était  le  cuivre.  Les  bruns  étaient  naturels 
ou  produits  par  le  mélange  du  noir  avec  de  l'ocre 
rouge.  Le  noir  était  tiré  d'os  d'animaux  calcinés;  on 


LA    PEINTURE    EGYPTIENNE. 


53 


avait  recours  aussi  aux  noirs  de  charbon,  comme 
Tatteste  la  teinte  bleuâtre  de  certaines  chevelures. 
Le  blanc,  dont  Téclat  et  la  conservation  sont  si 
remarquables,  était  du  plâtre  délayé  dans  une  sub- 
stance gommeuse.  On  a  cru  constater  que,  dans  la 
composition  de  quelques  couleurs,  il  entrait  du  miel. 

Les  couleurs,  à  l'état  de  pains,  de 
grains  menus  ou  de  poudre  fine,  étaient 
conservées  dans  des  sachets.  Trois 
petits  paquets  de  pâte  bleue,  au  musée 
de  Gizeh,  portent  encore  l'empreinte 
de  la  toile,  depuis  longtemps  pourrie, 
qui  les  enveloppait.  Quelquefois,  on 
les  gardait  dans  des  joncs  évidés.  Pour 
s'en  servir,  on  les  triturait  avec  une 
molette  sur  une  pierre  creusée  en 
forme  d'auge,  puis  on  les  détrempait 
dans  de  l'eau  additionnée  de  gomme 
adragante.  On  les  étalait  avec  des  ro- 
seaux dont  l'extrémité  se  divisait,  à 
l'humidité,  en  fibres  ténues,  d'une 
grande  souplesse.  Cet  instrument  pou-  Fig-  il- 

vait  tracer  les  lignes  les  plus  déliées, 
comme  le  prouvent  les  vignettes  qui  ornent  les  rituels 
de  l'époque  hellénique.  On  employait  également,  dans 
certains  cas,  la  brosse,  peut-être  le  pinceau  de  poils. 
Pour  les  badigeonnages  de  peu  d'importance,  le  peintre 
tenait  d'une  main  son  pot  à  couleur,  tandis  que,  de 
l'autre,  il  maniait  le  pinceau  (fig.  7).  Ailleurs,  on  le 
voit  armé  de  la  palette.  Il  y  en  avait  de  plusieurs  sortes. 
Celle  que  reproduit  la  figure  33  est  curieuse  par  l'en- 


s* 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


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taille  qui  aidait  le  pouce  à  la  serrer,  et  surtout  par  le 
couvercle  à  pivot  qui  la  protégeait.  Ce  couvercle  a  dis- 
paru, mais  on  distingue  encore  le  petit  trou 
dans  lequel  était  engagé  Taxe  qui  lui  per- 
mettait de  se  mouvoir.  La  palette  la  plus 
ordinaire  était  une  planchette  oblongue, 
quadrangulaire,  dans  laquelle  étaient 
creusés,  à  la  partie  supérieure,  un  nombre 
plus  ou  moins  grand  de  godets,  tantôt 
deux,  un  pour  le  rouge,  un  pour  le  noir, 
s^il  ne  s'agissait  que  de  dessiner  ou  d'écrire, 
tantôt  six,  accouplés  deux  à  deux,  d'autres 
fois  sept  et  même  davantage.  On  disposait 
tïEj  ii 7  7.^  dans  ces  godets  les  couleurs  à  l'état  de 
pains.  La  partie  inférieure  de  la  palette 
offrait,  dans  le  sens  de  la  longueur,  une 
rainure  assez  large  pour  contenir  les  ca- 
lâmes; cette  rainure  était,  en  général,  fer- 
mée par  un  couvercle  à  coulisses  qui,  ne 
la  recouvrant  pas  tout-  entière,  laissait 
échapper  l'extrémité  des  pinceaux  (fig.  34). 
Il  existe  des  palettes  de  peintres  ou  de 
scribes  dans  toutes  les  grandes  collections; 
quelques-unes  sont  encore  garnies  de  leurs 
couleurs  (fig.  35).  Mais  il  faut  distinguer 
celles  qui  ont  servi,  ou  qui  auraient  pu 
servir,  des  palettes  votives,  uniquement 
destinées  à  figurer  dans  le  mobilier  funéraire;  celles-ci, 
de  dimensions  moindres,  sont  souvent  en  albâtre,  par- 
fois en  ivoire,  en  ébène,  etc.  Le  Louvre  en  possède  une 
série  intéressante. 


LA    PEINTURE   ÉGYPTIENNE.  js 

On  tenait  la  palette  de  la  main  gauche,  horizonta- 
lement, bien  que  les  bas-reliefs  et  les  peintures  lui  don- 
nent volontiers  la  position  verticale  (fig.  8)  ;  mais  c'est 
là  un  effet  des  conventions  dont  j'ai  parlé.  L'œuvre 
achevée,  on  laissait  sécher  la  couleur.  On  s'avisa, 
sous  la  XX^   dynastie,  d'y  étendre   un   vernis    qu'on 

F'g-  Î5'  —  Palette  chargée  de  couleurs. 

appliquait  sur  tout  le  tableau  ou  seulement  sur  les  or- 
nements et  les  accessoires.  On  y  renonça  quand  on 
reconnut  que  ce  vernis  se  craquelait  et  noircissait  avec 
le  temps.  Quelques  masques  de  momies  indiquent  que 
les  Egyptiens  n'ignoraient  pas  la  peinture  à  l'encaus- 
tique, mais  ce  procédé  apparaît  tard  dans  leurs  ateliers. 
Sans  doute,  ils  l'avaient  reçu  des  Grecs,  qui  en  étaient 
les  inventeurs. 


CHAPITRE    II 


LA     PEINTURE     ORIENTALE 


Passons  d'Afrique  en  Asie,  considérons  les  grands 
empires  qui  se  sont  succédé,  plusieurs  siècles  avant 
notre  ère,  entre  la  Méditerranée  et  le  golfe  Persique, 
les  États  de  moindre  importance  qui  ont  laissé  des 
traces  de  leur  civilisation  au  nord  du  Taurus  et  le  long 
du  littoral  de  la  mer  Egée  :  nous  y  trouvons,  pour  la 
couleur,  le  même  goût  qu'en  Egypte.  Dans  ces  pays 
de  chaude  lumière,  où  le  ciel  reste  sans  nuage  pendant 
de  longs  mois,  la  polychromie  apparaît  comme  une 
condition  essentielle  de  Tart  ;  qu'on  l'explique  par  la 
nécessité  d'atténuer  l'éclat  du  Jour  ou  par  un  vague 
désir  d'imiter  la  nature,  qui  colore  tout  ce  qu'elle  crée, 
nulle  part  elle  n'est  absente,  partout  elle  embellit  les 
œuvres  des  hommes.  Ni  l'Assyrie  ni  la  Perse  ne  nous 
offrent,  par  malheur,  de  ces  scènes  comme  celles  qui 
ornent  les  tombes  égyptiennes;  point  de  ces  tableaux 
gravés  et  peints  comme  ceux  que  nous  avons  vus  se 
dérouler,  aux  bords  du  Nil,  sur  les  pylônes  et  les  mu- 
railles des  temples.  Les  monuments,  d'ailleurs,  sont 
ici  moins  nombreux,  et  la  peinture  n'est  représentée 
que  par  de  rares  spécimens.  Ils  suffisent  pour  nous  en 


LA    PEINTURE    ORIENTALE.  57 

faire  comprendre  le  caractère.  Comme  chez  les  Egyp- 
tiens, elle  était  purement  décorative;  elle  servait  de 
complément  aux  autres  arts,  elle  n^était  pas,  par  elle- 
même,  un  art.  Elle  n'en  a  pas  moins  eu  ses  mérites 
propres;  avec  ses  tonalités  brillantes  et  délicates,  elle 
fait  honneur  à  Pimagination  orientale  et  vaut  la  peine 
que  nous  nous  attardions  quelque  temps  à  la  contem- 
pler. 

§  I".  —  La  peinture  che^  les  Chaldéens 
et  les  Assyriens. 

Des  différents  Etats  dont  il  sera  question  dans  ce 
chapitre,  c'est  la  Chaldée  qui  se  présente  à  nous  comme 
le  premier  où  ait  paru  la  décoration  polychrome.  Nous 
ne  pouvons,  malheureusement,  nous  en  faire  qu'une 
idée  approximative,  faute  de  documents.  On  sait  que 
des  fouilles  récentes,  dues  à  M.  de  Sarzec,  un  de  nos 
consuls  qui  continue  la  tradition  des  Botta,  des  Place, 
des  Delaporte,  ont  mis  au  jour,  dans  la  basse  Chaldée, 
sur  les  bords  d'un  canal  qui  relie  le  cours  du  Tigre  à 
celui  de  l'Euphrate,  les  ruines  d'une  antique  cité,  Sir- 
pourla,  que  ne  mentionne  aucune  histoire.  Là  ont  été 
trouvés  de  précieux  débris,  dont  les  plus  anciens  nous 
reportent  à  près  de  quarante  siècles  avant  notre  ère  et 
attestent  l'existence  d'une  civilisation  originale,  qui  ne 
doit  rien  à  l'Egypte.  Ce  sont  des  bas-reliefs,  des  sta- 
tues, des  cylindres  de  terre  cuite  couverts  d'écriture 
cunéiforme,  etc.  Parmi  tous  ces  monuments,  pas  un 
reste  de  peinture.  Il  paraît  bien,  cependant,  que,  dès  la 
plus  haute  antiquité,  les  Chaldéens  pratiquèrent  l'orne- 


58  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

mentation  polychrome,  sinon  par  la  peinture,  du  moins 
par  les  industries  qui  s'en  rapprochent.  Si  le  palais 
dont  M.  de  Sarzec  a  pu  dresser  le  plan  à  Tello  —  c^est 
le  nom  qui  désigne  remplacement  de  Sirpourla  —  était 
fait  de  briques  cuites  entièrement  nues,  si  nulle  trace 
d'enduit  colorié  ni  d'émail  ne  se  laisse  apercevoir  sur 
ces  briques,  dont  toute  la  parure  consistait  dans  l'al- 
ternance régulière  de  leurs  assises,  il  est  plus  que  pro- 
bable qu'à  l'intérieur,  tout  au  moins,  cette  sévérité 
d'aspect  était  corrigée  par  des  boiseries  appliquées  sur 
les  parois  et  par  des  tapisseries  servant  de  tentures  *. 
Les  boiseries  nous  sont  clairement  révélées  par  un 
texte  :  une  inscription  de  Tello  fait  allusion  au  revête- 
ment de  cèdre  qui  décorait  une  des  salles  du  palais 
et  dont  on  voit  au  Louvre  un  échantillon,  dans  la 
belle  collection  que  notre  musée  doit  à  M.  de  Sarzec-. 
Quant  aux  tapisseries,  comme,  de  tout  temps,  la  Chal- 
dée  et  la  Babylonie  en  fabriquèrent,  c'est  à  peine 
une  hypothèse  d'admettre  que  les patési  ou  chefs  sacer- 
dotaux qui  résidaient  à  Sirpourla  en  faisaient,  dans 
leur  demeure,  un  large  emploi. 

Les  Chaldéens  ont-ils  connu  la  peinture  à  la  dé- 
trempe? S'en  sont-ils  servis  pour  décorer  leurs  inté- 
rieurs? Rien,  jusqu'ici,  ne  permet  de  l'affirmer;  mais 
on  peut  conjecturer  que  les  détrempes  assyriennes,  dont 
on  a  retrouvé  quelques  fragments,  étaient  un  reflet  des 
peintures  analogues  qui   égayaient   les   chambres  des 

1.  L.  Heuzey,  Un  palais  chaldéen   d'après  les  découvertes  de 
M,  de  Sar:^ec,  p.  i8. 

2.  E.    de    Sarzec,   Découvertes    en    Chaldée,    p.  65,    note    de 
M.  Heuzey. 


LA    PEINTURE   ORIENTALE.  S9 

palais  mésopotamiens.  Ils  ont,  dans  tous  les  cas,  pra- 
tiqué rémaillerie  de  la  brique  ;  il  est  hors  de  doute  qu'à 
Babylone,  par  exemple,  cet  art  fut  cultive'  de  très  bonne 
heure  avec  succès,  et  si  nous  le  voyons  prendre,  en  As- 
syrie et  en  Perse,  un  développement  aussi  considé- 
rable, c'est  aux  Chaldéens  qu'en  revient  l'honneur.  Le 
palais  chaldéen  qu'un  explorateur  anglais,  Loftus,  a  en 
partie  dégagé  à  Ouarka,  l'ancienne  Erech,  présente  un 
curieux  essai  de  décoration  par  l'argile  peinte.  Une 
des  façades  était  ornée  de  chevrons  et  de  losanges 
Jaunes,  rouges  et  noirs,  formés  par  des  cônes  de  terre 
cuite  à  base  coloriée;  tandis  que  les  sommets  de  ces 
cônes,  noyés  dans  le  pisé  qui  les  reliait,  n'étaient  pas 
visibles,  les  bases,  avec  leurs  tons  vifs,  paraissaient  au 
dehors  et  figuraient  une  mosaïque  assez  voisine,  par  le 
dessin,  de  certains  tapis  qui  nous  viennent  d'Orient. 

Mais  ce  sont  là  d'assez  pauvres  indices  ;  si  nous  vou- 
lons savoir  ce  qu'était  la  peinture  dans  ces  régions, 
c'est  aux  ruines  assyriennes  qu'il  faut  nous  adresser. 
Bien  que  l'Assyrie  soit  loin  de  nous  avoir  livré  tous 
ses  secrets,  les  grands  palais  de  Kalach  et  de  Ninive 
(Nimroud,  Kouioundjik),  la  splendide  résidence  bâtie 
par  Sargon  à  Dour-Sharoukîn,  la  ville  de  Sharoukîn 
ou  de  Sargon  (Khorsabad),  nous  en  ont  assez  appris 
sur  l'art  assyrien  pour  que  nous  ayons  une  idée  de  sa 
magnificence.  Ces  royales  demeures,  véritables  villes 
munies  d'enceintes  crénelées  et  qui  donnaient  asile  à 
tout  un  peuple  de  serviteurs  et  de  soldats,  étaient  dé- 
corées de  la  façon  la  plus  somptueuse;  avec  leurs 
vastes  cours  et  leurs  appartements  aux  chambres  in- 
nombrables, leur  harem,  leurs  communs,  leurs  maga- 


(5o  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

sins,  leurs  écuries,  elles  assuraient  à  leurs  farouches 
possesseurs  tout  le  confort  de  la  vie  orientale  telle 
qu'on  l'entendait  alors,  et  ils  n'en  sortaient  guère  que 
pour  aller  se  battre  ou  pour  se  donner  le  plaisir  de  ces 
grandes  chasses  au  lion  dont  les  bas-reliefs  ninivites 
nous  ont  conservé  le  souvenir.  La  sculpture  n'y  était 
pas  épargnée;  soubassements  et  portes  y  étaient  ornés 
de  figures  en  relief  ou  en  ronde  bosse.  La  peinture, 
elle  aussi,  concourait  à  les  embellir.  La  tour  à  étages 
du  palais  de  Khorsabad,  qu'on  appelle  communément 
VObservatoire  et  qui  n'est  autre  chose  qu'un  temple, 
était  revêtue,  du  haut  en  bas,  d'un  stucage  colorié  dont 
le  ton  variait  d'un  étage  à  l'autre  :  le  premier  étage,  à 
partir  du  sol,  était  peint  en  blanc,  le  second  en  noir,  le 
troisième  en  rouge  et  le  quatrième  en  bleu.  Un  passage 
d'Hérodote,  relatif  aux  fortifications  d'Ecbatane,  la  ca- 
pitale des  Mèdes,  autorise  à  croire  que,  des  trois 
étages  qui  manquent,  l'un  était  couvert  d'un  badigeon- 
nage  vermillon,  l'autre  argenté  et  le  plus  élevé  doré. 
Cette  combinaison  de  couleurs,  d'origine  chaldéenne, 
avait  un  sens  symbolique  :  dans  l'argenture  et  la  do- 
rure des  deux  derniers  étages,  il  est  aisé  de  voir  une 
allusion  à  la  discrète  clarté  de  la  lune  et  à  la  lumière 
plus  éclatante  du  soleil. 

Ce  genre  d'enluminure  était  d'ailleurs  assez  rare;  on 
avait  recours,  le  plus  souvent,  pour  décorer  l'extérieur 
des  édifices,  à  la  brique  émaillée.  En  revanche,  à  l'in- 
térieur, on  faisait  amplement  usage  de  la  peinture. 
A  Khorsabad,  régnait  autour  des  chambres  une  plinthe 
noire,  destinée  à  atténuer  l'effet  des  maculatures  qui 
pouvaient  salir  le  pied  des  parois;   la  même   plinthe 


LA    PEINTURE    ORIENTALE. 


6i 


noire  ou  de  couleur  sombre  se  retrouve  encore  aujour- 
d'hui chez  les  fellahs  de  la  Mésopotamie.  Certaines 
pièces,  dans  lesquelles  on  a  cru  reconnaître  des  cham- 
bres à  coucher,  étaient  pourvues  d'une  sorte  d'alcôve 
dont  le  fond  était  badigeonné  en  noir.  D'autres  offraient 
une  ornementation  plus  gaie  :   on  a  relevé  quelque 


Fig.   36. 


Fragment  de  fresque  du  palais  de  Sargon, 
à  Khorsabad. 


part  des  figures  d'hommes  et  de  chevaux  s'enlevant  sur 
un  fond  vert,  avec  une  vivacité  de  coloris  qui  devait 
être  du  plus  bel  effet  (fig.  36).  Nous  ne  savons  pas  si 
les  appartements  des  Assournazirhabal,  des  Sargon,  des 
Sennachérib  et  de  leurs  successeurs  renfermaient  des 
peintures  représentant  des  scènes  analogues  à  celles 
qu'on  voit  sur  les  bas-reliefs.  Si  de  telles  peintures  ont 
existé,  nous  pouvons  sans  trop  de  peine  en  imaginer 
l'aspect,  grâce  à  ces  mêmes  bas-reliefs  dont  le  nombre 
est,   par  bonheur,  si  considérable.   Pas  plus  que   les 


62  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Egyptiens,  les  Assyriens  n'ont  su  rendre  la  perspective; 
aussi  les  personnages  de  leurs  tableaux  sculptés  sont- 
ils  étage's  les  uns  au-dessus  des  autres,  sans  différence 
de  taille.  Leurs  paysages  n'ont  pas  de  fond;  les  palais, 
les  forteresses,  les  arbres,  s'y  superposent  sans  qu'il 
y  ait  entre  eux  ni  air  ni  espace;  les  terrains  montueux 
y  sont  indiqués  par  de  petits  cônes  dont  la  réunion 
forme  un  quadrillage  en  losanges  qui  paraît  incom- 
préhensible, quand  on  n'a  pas  la  clef  de  cette  bizarre 
convention;  les  eaux  y  sont  traduites  par  des  lignes 
ondulées,  mêlées  d'enroulements  pour  figurer  les  flots, 
quelquefois  par  des  hachures  qui  se  coupent  à  angle 
droit,  et  font  songer  à  quelque  ouvrage  de  sparterie. 
Quant  à  la  figure  humaine,  presque  toujours  de  profil 
avec  l'œil  de  face,  elle  est  construite  à  peu  de  chose 
près  comme  en  Egypte;  pourtant,  la  têie  repose  sur  des 
épaules  qui  sont  parfois  de  profil,  et  les  parties  nues 
sont  rendues  avec  une  exagération  anatomique  que  ne 
présente  pas  la  sculpture  égyptienne.  Par  contre,  les 
parties  vêtues  sont  d'une  raideur  surprenante;  la  timi- 
dité de  l'artiste  ne  s'y  permet  aucun  pli,  à  peine  quel- 
ques petites  ondulations  dans  les  franges.  L'ensemble 
est  puissant  et  lourd,  et  demeure  bien  au-dessous  des 
hardiesses  légères  si  familières  aux  sculpteurs  de  la 
vallée  du  Nil. 

Le  même  dessin  conventionnel  se  retrouvait  sans 
aucun  doute  dans  les  fresques  des  appartements  royaux. 
La  coloration  en  était,  de  plus,  fort  éloignée  de  la  na- 
ture, si  l'on  en  juge  par  les  briques  émaillées.  Il  est 
inadmissible,  par  exemple,  que  tous  les  Assyriens  aient 
été  vêtus  de  jaune  :  c'est  ce  que  semble,  pourtant,  indi- 


LA    PEINTURE  ORIENTALE. 


63 


quer  une  brique  de  Nimroud,  qui  représente  le  roi 
suivi  d'un  eunuque  et  d'un  garde,  et  offrant  une  liba- 
tion à  quelque  dieu.  Le  nu  même  de  ces  figures  est 
peint  en  jaune  clair;  des  retouches  noires  ou  blanches 
font  saillir  la  prunelle,  les  cheveux,  la  barbe,  les  arcs, 
les  sandales,  certains  ornements  du  costume.  L'archi- 
volte émaillée  décou- 
verte à  Khorsabad  mon- 
tre des  génies  ailés  dont 
Paccoutrement  Jaune  res- 
sort sur  un  magnifique 
fond  bleu  bordé  de  mar- 
guerites blanches.  Le 
personnage  ci -contre 
(fig.  37),  qui  faisait  par- 
tie d'une  frise  émaillée 
placée,  dans  le  même 
palais,  près  de  l'une  des 
portes  du  harem,  s'en- 
lève, lui  aussi,  en  jaune 
sur  un  fond  bleu.  Ce 
sont  là  des  conventions 
qui   prouvent  que  le 

peintre  cherchait  uniquement  l'effet  décoratif.  On 
trouve  ailleurs  d'autres  tons,  également  convention- 
nels. Une  brique  de  Nimroud,  qui  entrait  dans  la  com- 
position d'un  tableau  de  bataille,  laisse  apercevoir  un 
char  attelé  de  chevaux  bleus.  Mais  c'est  le  jaune  qui 
est  employé  de  préférence,  surtout  dans  les  peintures 
de  grande  dimension.  La  frise  du  harem,  à  Khorsabad, 
contient  un  taureau  et  un  aigle  jaunes.  On  y  voit,  près 


Fig-  37. 


6+ 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


d'une  charrue  Jaune,  un  figuier  au  tronc  et  aux  rameaux 
de  la  même  couleur  (fig.  38),  avec  des  fruits  jaunes  qui 
ont  la  forme  de  pommes,  et  des  feuilles  vertes  d'un  des- 
sin très  primitif.  On  y  admire  un  beau  lion  jaune  à 
retouches  bleues  (fig.  Sg),  qui  témoigne  du  goût  des 
Assyriens  pour  la  représentation  de  ce  fauve,  que  leurs 
bas-reliefs  nous  montrent  tantôt  traqué  par  les  chas- 
seurs,   tantôt   blessé,  d'autres  fois  porté  mort  par  des 


Fig.  38.  —  Fragment  de  la  frise  émaillée  du  harem, 
à  Khorsabad  (restauration). 


serviteurs  qu'il  accable  de  son  poids.  On  ne  saurait  tirer 
de  là  des  conclusions  certaines  :  si  les  palais  étaient 
ornés  de  fresques  à  sujets,  peut-être  n'étaient-elles  pas 
coloriées  exactement  comme  les  briques  ;  faites,  en  gé- 
néral, pour  le  dehors,  destinées  à  supporter  une 
lumière  intense,  celles-ci  pouvaient  se  contenter  de 
touches  sommaires;  les  fresques,  réservées  pour  les 
intérieurs,  comportaient  une  plus  grande  variété  de 
tons.  Mais,  encore  une  fois,  si  les  Assyriens  ont  exé- 
cuté de  pareilles  fresques  —  et  l'avenir,  probablement, 
éclaircira  ce  point  —  c'étaient,  comme  en  Egypte,  des 
peintures  à  teintes  plates,  sans  clair-obscur  ni  modelé. 


LA    PEINTURE   ORIENTALE. 


«S 


et  qui  visaient  plutôt  au  décor  monumental  qu'à  l'ex- 
pression du  réalisme  de  la  vie. 

L'Assyrie  a  également  connu  la  peinture  d'orne- 
ment. A  Nimroud,  dans  certaines  chambres,  couraient 
le  long  des  murs  de  simples  bandes  horizontales 
rouges,  vertes  et  jaunes,  qui  se  continuaient  sur  le 
revêtement  lapidaire  servant  de  plinthe,  quand  ce  revé- 


Fig'  39*  —  Fragment  de  la  frise  émaillée  du  harem, 
à  Khorsabad  (restauration). 


tement  n'était  pas  sculpté.  Des  rosaces  entre  deux 
lignes  de  chevrons,  des  franges  réunies  en  touffes  et 
retenues  par  des  rondelles  posées  à  plat,  des  taureaux 
blancs,  affrontés,  se  détachant  sur  un  fond  paille,  entre 
une  rangée  de  créneaux  bleus  et  une  bordure  de  ces 
mêmes  franges  agrémentée  de  noir,  de  rouge  et  de 
blanc  (fig.  40),  figuraient  au  haut  des  parois  des  frises 
multicolores,  dont  l'harmonie  devait  être  charmante. 
Peintures  de  genre  et  peintures  d'ornement  étaient 
appliquées  sur  un  enduit  de  trois  à  quatre  millimètres 
d'épaisseur,  composé  de  chaux  cuite  et  de  plâtre.  Étendu 

PBINT.    ANTIQUE.  J 


<î(5 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


à  la  planche  cet  enduit  formait  un  mastic  blanc  très 
adhérent  à  Targile  des  murailles  et  très  doux  au  pin- 
ceau, qui  s''y  promenait  sans  obstacle.  Si  l'on  replace 
par  la  pensée,  à  côté  de  ces  enluminures,  les  tapis  qui 
y  mêlaient  leur  chatoyant  éclat,  si  Ton  rétablit  les 
appliques  de  métal,  les  incrustations  d'ivoire  qui  diver- 
sifiaient les  portes  et  les  lambris,  on  concevra  le  luxe 
de  ces  habitations  princières,  où  les  grands  conquérants 

qui      régnèrent     à 

S70 


Ninive  du  x'^  au 
vir  siècle  avant 
notre  ère  venaient 
se  reposer  de  leurs 
victoires  et  goûter 
les  douceurs  du 
Ar/e/ oriental. 

J'ai  dit  que, 
pour  décorer  le  de- 
hors des  édifices , 
on  préférait  à  la  peinture  la  brique  émaillée.  C'est  sur- 
tout à  Babylone  qu'on  la  voit  employée.  L'émaillerie 
y  avait  été  de  tout  temps  florissante.  Quand  Nabucho- 
donosor,  le  héros  du  second  empire  chaldéen 
(vi«  siècle  av.  J.-C),  y  fit  exécuter  ces  grands  travaux 
qui  marquent  dans  l'histoire  de  l'art,  en  Chaldée,  une 
•sorte  de  renaissance,  il  y  eut  recours  pour  orner  les 
diverses  enceintes  de  son  palais  ;  des  briques  coloriées 
.y  figuraient  des  chasses,  des  paysages,  que  les  voyageurs 
jgrecs  nous  vantent  dans  leurs  récits.  On  peut  se  rendre 
compte,  au  Louvre,  de  l'aspect  que  présentaient  les 
ibriques    babyloniennes,  par  les  quelques   spécimens 


LA    PEINTURE    ORIENTALE. 


67 


qu'en  possède  le  musée;  chacun  de  ces  fragments  garde 
un  peu  du  bitume  à  l'aide  duquel  on  soudait  les  bri- 
ques entre  elles  et  qui  en  assurait  la  cohésion*.  A  Nim- 
roud,  à  Khorsabad,  des  briques  émaillées  ont  de  même 
été  retrouvées,  sans  qu'on  puisse  dire  toujours  à  quelle 


Fig.  \\.  —  Brique  émaillée  de  Nimroud. 

construction  elles  appartenaient.  C'est  aux  portes  et  à 
leurs  abords  que  l'architecte  assyrien  semble  avoir 
réservé  ce  genre  de  décoration;  on  eA  a,  du  moins, 
la  preuve  dans  cette  superbe  archivolte  qui  encadrait 
une  des  portes  de  la  cité  de  Sargon,  et  dans  la  frise 


I.  Salle  asiatique  (petits  monuments),  vitrine  des  missions 
Botta  et  Place.  Voyez  A.  de  Longpérier,  Musée  Napoléon  III, 
pi.  IV. 


68  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

f 

placée  près  de  l'entrée  du  harem.  Ces  briques  étaient 
peintes  sur  la  tranche,  avant  la  cuisson,  et  il  en  fal- 
lait plusieurs  pour  former  une  seule  figure;  on  les 
assemblait  grâce  à  des  marques  de  pose,  comme  les 
pièces  d'un  immense  jeu  de  patience,  et  en  ayant  sous 
les  yeux  uncarifonsur  lequel  était  tracée  Pimage  qu'on 
voulait  reproduire,  avec  les  signes  indiquant  la  place 
de  chaque  morceau.  Les  ruines  de  Nimroud  ont  fourni 
des  briques  d'une  autre  espèce,  peintes  non  sur  la 
tranche,  mais  sur  la  face  principale.  L'échantillon  que 
nous  en  donnons  (fig.  41)  montre  quatre  prisonniers 
de  race  blanche,  la  corde  au  cou,  la  tête  ornée  d'une 
plume;  les  deux  premiers  portent  un  pagne  rayé,  les 
deux  autres,  une  sorte  de  chemise  ouverte  sur  la  poi- 
trine. Le  pied  et  le  bras  qu'on  aperçoit  au-dessus  et  en 
avant  de  ce  groupe  prouvent  qu'il  faisait  partie  d'une 
scène  analogue  à  celles  qui  se  déroulent  sur  les  bas- 
reliefs.  D'autres  fragments  font  voir  des  combattants, 
des  chars  de  guerre,  des  profils  et  des  plans  de  forte- 
resses (fig.  42  et  43).  Ces  différentes  figures  sont  beau- 
coup plus  petites  que  celles  de  Khorsabad,  et  une  seule 
brique  pouvait,  dans  certains  cas,  suffire  à  tout  un 
tableau.  Cette  décoration  n'était  point  extérieure;  elle 
servait  probablement  à  parer  certaines  salles  où,  pla- 
cée à  une  faible  hauteur,  elle  se  laissait  admirer  dans 
tous  ses  détails. 

Tandis  que  les  sujets  représentés  sur  les  briques  ba- 
byloniennes s'enlevaient  en  relief  léger  sur  le  fond, 
ceux  des  briques  assyriennes  étaient  peints  aplat;  une 
simple  ligne  tracée  au  pinceau  en  cernait  seulement  les 
contours.  Cette  ligne  est  parfaitement  visible  sur  quel- 


LA   PEINTURE   ORIENTALE. 


rtp 


ques  briques  du  Louvre  provenant  de  Khorsabad^; 
on  Taperçoit  aussi  sur  les  briques  de  Nimroud  (fig.  41). 

C'est  le  bleu  et  le  jaune  qui  dominaient  à  Khorsa- 
bad;  à  Nimroud,  sur  les  briques  affectées  aux  revête- 
ments intérieurs,  on  note  le  vert,  le  bleu,  le  Jaune,  le 
rouge,  le  blanc,  le  noir.  La  polychromie  des  briques 
babyloniennes  était 
de  même  assez  riche  ; 
le  bleu  y  est  plus 
foncé  et  plus  beau 
que  sur  les  briques 
assyriennes. 

Le  bleu  de  Khor- 
sabad  était,  comme 
en  Egypte,  du  lapis- 
lazuli  pulvérisé  ;  on 
en  a  retrouvé  un 
bloc,  du  poids  d'un 
kilogramme,  dans 
une  des  chambres 
du  palais  de  Sargon. 
C'est  ce  bleu,  délayé 

avec  un  corps  gras,  qu'on  étendait  sans  doute  sur  la 
sculpture,  aux  endroits  où  on  la  coloriait.  Le  bleu  de 
Nimroud  était  donné  par  un  oxyde  de  cuivre  mêlé 
de  plomb.  Le  rouge,  à  Khorsabad,  était  de  la  san- 
guine; on  en  a  découvert  un  pain  d'une  vingtaine  de 
kilogrammes,  à  côté  du  pain  de  bleu.  A  Nimroud,  la 


Fig.  42. 


I.  Salle  asiatique  (petits  monuments),  vitrine  des  missions 
Botta  et  Place. 


ro 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


même  couleur  était  fournie  par  un  sous-oxyde  de 
cuivre.  Le  jaune  était  un  antimoniate  de  plomb  conte- 
nant une  certaine  quantité  d^étain,  le  blanc,  un  oxyde 
d'étain,  le  noir,  probablement  du  noir  animal.  On 
connaît  mal  la  composition  du  vert. 

C'est  une  question  de  savoir  dans  quelle  mesure  les 
Assyriens  peignaient  leur  sculpture.  Les  couleurs  dont 

on  a  relevé  des  traces  sur 
les  monuments  sculptés 
de  la  région  ninivite  se  ré- 
duisent au  rouge,  au  bleu, 
au  noir  et  au  blanc.  Elles 
sont,  en  général,  appli- 
quées sur  les  accessoires 
ou  sur  certaines  parties 
.  que  FaTtiste  a  voulu  spé- 
cialement désigner  à  Pat- 
Fig.  4j.  tention.  C'est  ainsi  qu'on 

remarque  des  arbres  au 
feuillage  bleu,  au  tronc  et  aux  rameaux  rouges,  des 
oiseaux  aux  pattes  rouges  et  aux  ailes  bleues.  Sur  les 
reliefs  à  personnages,  le  globe  de  Pœil  est  souvent 
indiqué  en  blanc,  la  prunelle  et  le  sourcil  en  noir;  la 
barbe  est  noire;  la  coiffure  est  rehaussée  de  rouge,  la 
chaussure,  de  bleu.  Ces  deux  mêmes  tons  se  rencon- 
trent sur  les  sceptres  ou  les  fleurs  que  tiennent  quelques 
figures,  sur  les  armes,  sur  les  harnais  des  chevaux. 
Dans  plusieurs  tableaux  qui  représentent  des  incend'ies 
de  forteresses,  les  flammes  sont  coloriées  en  rouge.  Il 
y  a  des  cas  où,  lors  même  que  la  pierre  se  montre  à  nu, 
tout  porte  à  croire  qu'elle  était  peinte.  Ces  carrés  con- 


LA    PEINTURE    ORIENTALE.  yj 

centriques,  parfois  coupés  de  rosaces,  qui  bordent  les 
vêtements,  et  qui  sont  simplement  dessinés  à  la  pointe, 
étaient-  évidemment  revêtus  de  couleur  :  ils  eussent,, 
même  de  près,  échappé  à  la  vue  sans  la  polychromie, 
qui  les  faisait  valoir.  Un  bas-relief  de  Khorsabad,  au, 
musée  du  Louvre,  offre  Timage  d'un  écuyer  debout 
près  de  quatre  chevaux^  :  or,  aux  quatre  têtes,  parfai- 
tement distinctes,  ne  correspondent  que  huit  jambes  et 
un  seul  poitrail.  L'inadvertance  semble  étrange,  quand 
on  songe  aux  scrupules  du  sculpteur  assyrien,  qui  se 
fait  de  la  précision,  comme  tous  les  primitifs,  une  loi 
sévère  et  donne  cinq  jambes  à  ses  taureaux  ailés,  pour 
que,  de  profil,  ils  paraissent  en  avoir  quatre.  Qui  sait, 
si  ces  chevaux  si  bizarrement  construits  n'appelaient 
pas  la  peinture  à  leur  aide,  et  si  les  membres  que  le 
ciseau  leur  a  refusés  n'étaient  pas  exprimés  par  le 
pinceau? 

L'opinion  généralement  admise  aujourd'hui  est 
que  la  sculpture  assyrienne  n'était  coloriée  qu'en  par- 
tie, que  ces  touches  discrètes  de  blanc  et  de  noir,  de 
rouge  et  de  bleu,  suffisaient  à  réveiller  la  teinte  grise 
de  la  pierre;  elles  auraient  mis  en  évidence  les  sourcils 
et  les  yeux,  les  chevelures  et  les  barbes,  les  tiares,  les 
baudriers,  les  glands,  les  franges,  les  éventails,  les  pa- 
rasols, les  sandales,  les  armes;  partout  ailleurs,  la  mar 
tière  se  serait  montrée  telle  qu'elle  est.  Sans  avancer, 
comme  on  l'a  fait,  qu'un  ton  monochrome  couvrait 
toutes  les  surfaces  où  n'apparaît  nulle  trace  de  couleur^ 
je  serais  porté  à  croire  que  la  peinture  jouait,  dans  la 

1.  Galerie  assyrienne  du  rez-de-chaussée,  à  droite  en  entrant,. 


78  LA   PEINTURE   ANTIQUE. 

sculpture  des  Assyriens,  un  rôle  plus  considérable.  Je 
me  figure  difficilement  ces  monstres  ailés  à  tête  d'homme, 
ces  lions  colossaux  qui  gardaient  Pentrée  des  demeures 
royales,  avec  de  simples  touches  de  couleur  sur  la  tête; 
ces  points  enluminés  eussent  paru  bien  peu  de  chose, 
et  c'est  à  peine  si,  de  loin,  on  les  eût  distingués. 
D'autre  part,  les  matériaux  dont  se  servaient  les  Assy- 
riens, le  calcaire  et  Talbâtre  dans  lesquels  ils  taillaient 
leurs  figures,  n'étaient  pas  assez  beaux  pour  que  leur 
seul  poli  pût  être  agréable  à  l'œil.  La  couleur  y  devait 
être  largement  répandue  ;  autrement ,  ces  masses 
ternes  eussent  été  singulièrement  tristes  et  peu  d'ac- 
cord avec  la  riche  décoration  de  certaines  parties  exté- 
rieures des  palais  dont  elles  ornaient  les  abords.  Enfin, 
il  faut  se  garder  d'attacher  trop  d'importance  aux  restes 
de  couleur  qu'on  y  a  trouvés,  et  ne  point  se  hâter  de 
dire  que,  là  où  l'on  ne  voit  rien,  il  n'y  avait  rien  en 
effet.  Les  bas-reliefs  de  Sennachérib  et  d'Assourbani- 
pal,  au  Musée  britannique,  n'offrent  pas  trace  de  pein- 
ture :  il  est  cependant  impossible  de  supposer  qu'ils 
avaient  été  laissés  à  l'état  naturel,  ou  bien  l'on  doit 
admettre  qu'ils  sont  inachevés.  Le  bleu  et  le  rouge,  qui 
dominent  dans  la  sculpture  assyrienne,  étaient  proba- 
blement des  tons  plus  solides  que  les  autres;  mais  de 
ce  que  seuls,  ou  à  peu  près,  ils  se  sont  maintenus, 
faut-il  conclure  qu'ils  n'étaient  point  accompagnés 
d'autres  tons,  et  que  le  jaune,  par  exemple,  pour  lequel 
les  Assyriens  avaient  une  prédilection  si  marquée,  ne 
leur  était  pas  opposé  dans  certains  cas?  Peut-être  un 
jour  en  saurons-nous  là-dessus  davantage.  Ce  qui  reste 
vrai,  c'est  que  la  polychromie  de  la  sculpture,  en  Assy- 


LA    PEINTURE   ORIENTALE.  73 

rie,  ne  visait  pas  plus  que  la  peinture  à  rendre  la  re'alité. 
C'était  une  enluminure  monumentale,  dont  Tunique 
but  était  de  produire  de  beaux  effets  d'ensemble,  en 
harmonie  avec  le  ciel  qui  Téclairait.  Quand  nous  ren- 
contrerons en  Grèce  les  mêmes  tons  de  fantaisie,  nous 
nous  souviendrons  des  bas-reliefs  et  des  statues  de  la 
vallée  de  PEuphrate  :  ils  nous  aideront  à  comprendre 
la  polychromie  des  Grecs,  elle  aussi  toute  convention- 
nelle à  ses  débuts. 


§  II.  —  La  peinture  en  Phénicie 
et  en  Asie  Mineure. 

Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  de  la  peinture  chez  les 
peuples  qui  habitaient  la  côte  de  Syrie  ou  la  vaste  pé- 
ninsule limitée  par  la  mer  de  Chypre,  le  Bosphore  et 
la  mer  Noire.  Soit  faute  de  documents,  soit  pauvreté 
de  Part  chez  ces  différents  peuples,  rien,  dans  ce  qu'ils 
ont  laissé,  ne  mérite  le  nom  de  peintures,  et  il  suffira 
d'un  rapide  coup  d'œil  pour  noter  partout,  dans  leurs 
monuments,  la  persistance  de  cette  polychromie  qui 
était  chez  eux,  comme  dans  tout  l'Orient,  la  parure  né- 
cessaire de  l'architecture  et  de  la  statuaire. 

Les  Phéniciens,  ces  admirables  caboteurs  qui,  du- 
rant tant  de  siècles,  sillonnèrent  la  Méditerranée  de 
leurs  vaisseaux,  n'ont  pas  eu,  à  proprement  parler, 
d'art  à  eux.  Leurs  formes  leur  venaient  de  la  Mésopo- 
tamie et  de  l'Egypte.  On  en  peut  dire  autant  de  leur 
décoration.  S'ils  n'ont  pas  couvert  les  parois  de  leurs 
édifices  de  ces  tableaux  variés  qui    remplissaient  les 


7+ 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


temples  et  les  tombeaux  de  la  vallée  du  Nil,  s'ils  n'ont 
pas  eu  recours  à  la  brique  émaillée,  comme  les  Ghal- 
déens  et  les  Assyriens,  ils  ont  dû,  dès  l'origine,  être 
frappés  de  l'heureux  parti  que  ces  nations,  avec  les- 
quelles ils  entrete- 
naient de  continuels 
rapports,  avaient  su 
tirer  de  la  couleur  ; 
aussi,  à  leur  exem- 
ple. Font-ils  partout 
employée.  Bien  que 
leurs  plus  anciennes 
tombes  soient  au- 
jourd'hui absolu- 
ment nues,  rien  ne 
s'oppose  à  ce  qu'ils 
en  aient  revêtu  l'in- 
térieur de  tons  plus 
ou  moins  gais.  Leurs 
hypogées  de  l'épo- 
que gréco-romaine 
présentent  parfois 
des  vestiges  d'orne- 
ments peints  :  c'était 
sans  doute  l'écho  d'une  antique  tradition.  Ils  colo- 
riaient leurs  sarcophages  anthropoïdes;  ils  coloriaient 
aussi  leurs  stèles  funéraires.  Celle  qui  est  reproduite 
ici  (fig.  44),  et  qui  provient  de  Sidon,  appartient  au 
Louvre  :  le  fond  seul  en  est  stuqué  et  contient  le  por- 
trait d'un  personnage  debout,  drapé  dans  son  manteau, 
la  main  gauche  munie  d'un  objet  indistinct;  au-dessus 


Fig.  4t' 


LA    PEINTURE    ORIENTALE.  7$ 

de  sa  tête  court  une  guirlande  retenue  des  deux  côtés 
par  un  nœud  de  rubans'.  Il  existe  un  certain  nombre 
de  stèles  analogues,  qui  descendent,  comme  celle-ci, 
assez  bas  dans  Thistoire.  Elles  sont,  en  général,  tout 
entières  enduites  de  stuc,  et  le  fronton  en  est  colorié, 
ainsi  que  les  antes.  Là  encore,  nous  sommes  évidem- 
ment en  présence  d'une  ancienne  tradition. 

La  sculpture  phénicienne  était  peinte  :  la  preuve 
en  est  fournie  par  les  statues  de  Cypre,  cette  grande 
île  syrienne  que  se  partagèrent  de  bonne  heure  les  Phé- 
niciens et  les  Grecs.  Les  découvertes  de  M.  de  Cesnola 
à  Athiéno,  où  il  faut  peut-être  voir  l'emplacement  du 
temple  de  Golgos,  ont  mis  au  jour  une  riche  série  de 
statues  sur  la  plupart  desquelles  la  couleur  paraissait 
encore,  assez  vive,  au  moment  des  fouilles.  Plusieurs 
morceaux  de  sculpture  cypriote,  dispersés  dans  les 
musées  et  les  collections  particulières,  en  gardent  éga- 
lement des  traces  fort  visibles.  Comme  chez  les  Assy- 
riens, des  teintes  franches  faisaient  valoir  les  détails 
importants.  On  distingue  des  restes  de  rouge  sur  les 
lèvres,  les  cheveux  et  la  barbe;  la  pupille  de  l'œil  est 
indiquée  à  l'aide  du  même  ton;  d'autres  fois,  elle  est 
noire,  ainsi  que  la  chevelure.  Les  boucles  d'oreilles^ 
les  colliers,  sont  ordinairement  peints  en  rouge;  rouge 
aussi  est  le  ruban  qui  sert  de  coiffure  à  certaines  têtes, 
de  style  grec  plutôt  que  phénicien,  et  sur  lesquelles  la 
couronne  de  feuillage  ,  serrée  par  une  bandelette,  a 
remplacé  le  haut  bonnet  barbare.  Des  bandes  rouges 


I.  Salle  des  fresques  antiques,  n»  116  de  la  Notice  sommaire 
des  moniimejrts  phéniciens,  ]par  E.  Ledrain. 


76  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

OU  bleues  bordent  les  vêtements.  L'une  de  ces  deux 
couleurs  couvre  même  toute  la  tunique  chez  quelques 
statues  de  petite  taille.  Rien  ne  prouve  que,  là  où  la 
peinture  ne  se  montre  pas,  la  matière  apparaissait.  Ce 
tuf  poreux  et  tendre  dans  lequel  sont  taillées  les  sta- 
tues cypriotes  se  fût  mal  accommodé  de  Pair  libre,  et 
les  grandes  surfaces  qu'affectionnait  l'art  sommaire  du 
sculpteur  eussent  semblé  bien  monotones  sans  le  secours 
de  la  polychromie.  Quoi  qu'il  en  soit,  nous  retrou- 
vons là  le  même  système  d'enluminure  qu'en  Mésopo- 
tamie, du  rouge,  du  bleu,  du  noir,  probablement  aussi 
du  blanc,  aux  endroits  qui  doivent  frapper  le  regard. 
Même  convention  dans  le  choix  des  couleurs  :  on  ne  se 
met  pas  en  peine  de  copier  la  nature  ;  on  recherche 
avant  tout  les  tons  voyants  qui  flattent  l'œil  et  s'har- 
monisent avec  le  ciel. 

Dans  les  contrées  situées  au  delà  du  Taurus  et 
dont  une  partie  était  occupée  par  l'ancien  royaume  de 
Phrygie,  il  n'y  a  guère  à  signaler  que  quelques  tombes 
coloriées.  Le  pays,  d'ailleurs,  est  assez  pauvre  en  mo- 
numents. Si  célèbre  qu'il  ait  été  jadis  par  les  légendes 
de  Tantale  et  de  Niobé,  quelque  popularité  que  lui  ait 
acquise  auprès  des  Grecs  le  nom  déjà  historique  de 
Midas,  il  renferme  peu  d'indices  des  différentes  civili- 
sations qui  s'y  sont  succédé.  Des  débris  d'acropoles, 
des  niches  pratiquées  dans  les  rochers  du  Sipyle,  des 
amoncellements  de  pierres  ayant  servi  de  sépultures,  des 
ruines  à  peine  reconnaissables  de  sanctuaires,  tels  sont 
à  peu  près  les  seuls  souvenirs  qu'on  y  rencontre  de  la 
population  primitive.  Ailleurs,  il  est  vrai,  plus  avant 
dans  les  terres,  sur  la  branche  occidentale  du  fleuve 


LA    PEINTURE  ORIENTALE.  77 

Sangarios,  qui  se  jette  dans  le  Pont-Euxin,  subsistent 
encore  des  tombes  monumentales  d'un  haut  intérêt;  le 
même  district  a  fourni  quelques  morceaux  de  sculp- 
ture, mais  tout  cela  ne  nous  éclaire  que  très  imparfaite- 
ment sur  l'art  phrygien.  Nous  savons  cependant  que 
les  Phrygiens  aimaient  la  couleur  et  qu'ils  l'ont  fait 
servir  à  la  décoration  de  leurs  tombeaux.  Les  fa- 
çades de  quelques-uns  de  ces  tombeaux,  taillés  dans 
le  roc,  présentent  par  endroit 
des  restes  d'un  stuc  épais,  sur  JT^ïliiJj^^ 
lequel  on  a  noté  des  traces  de     cnB5rpjTl-ry^^ 

EnËanHnË 


plus  connu  d'entre  eux,  le  mo-    li7~£fïjirfi^^ 
nument  de  Midas,  est  décoré  à     p  ^llr'  SUr'    1  Lm 


rouge,  de  blanc  et  de  noir.  Le     r-Ul^-^TLÎT^^ 

l'extérieur  d'un  dessin  géomé-    ]L^[=]c=îpi77]i^|=ic:jp 
trique  en  relief  (fig.  45),  qui 
paraît  imité  de  quelque  tapis,  pjg.  ^5. 

et  oii  Tornemaniste  avait  cer- 
tainement reporté  les  couleurs  qui  paraient  son  mo- 
dèle. Cette  influence  de  la  tapisserie  se  retrouve  sur 
les  façades  de  la  plupart  des  tombes  phrygiennes,  et 
cela  n'a  rien  de  surprenant,  si  l'on  songe  à  la  faveur 
dont  jouissaient  et  dont  jouissent  encore,  dans  ces  ré- 
gions, l'industrie  du  tisserand  et  la  broderie. 

Le  royaume  de  Crésus,  la  Lydie,  n'a  guère  été  ex- 
ploré jusqu'à  ce  jour.  Les  tumulus  de  Sardes,  presque 
tous  pillés  dans  l'antiquité,  inspirent  peu  de  con- 
fiance aux  chercheurs,  qui  appréhendent  de  les  trouver 
vides.  De  là  vient  que  l'art  lydien  nous  est  à  peu  près 
inconnu.  On  a  cependant  recueilli,  non  loin  de  Sardes, 
quelques  monuments  polychromes.  Tels  sont  ces  lits 


78 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


^>^% 


funéraires  en  pierre,  munis,  aux  pieds  comme  à  la  tête, 
d'une  sorte  de  clievet.  La  figure  46,  qui  reproduit  la 
moitié  de  Pun  d'eux,  donne  une  idée  des  ornements 
peints  qui  les  décoraient  :  c'étaient  des  grecques  et  des 
étoiles,  très  irrégulièrement  tracées.  Les  deux  couleurs 
qu'on  y  a  remarquées  sont  le  vert  et  le  rouge;  peut- 
être  le  vert  n'est-il  que  du  bleu  altéré. 

La  polychromie  était,  nous  le  savons,  largement 
pratiquée  en  Lycie.  Bien 
que  les  tombeaux  récem- 
ment dessinés  dans  ce  pays 
soient  tous  postérieurs  à  la 
conquête  perse ,  c'est-à-dire 
au  VI*  siècle  avant  notre  ère, 
on  y  a  relevé  des  particu- 
larités qui  datent  certaine- 
ment de  l'antiquité  la  plus 
haute.  Très  ancienne  est, 
par  exemple,  cette  imitation  de  la  construction  en  bois, 
qui  donne  à  la  tombe  lycienne,  sculptée  dans  le  ro- 
cher, l'aspect  d'une  habitation  en  charpente.  Très  an- 
cien également  est  l'usage  de  rehausser  de  couleur 
cette  bizarre  architecture.  Des  traces  de  peinture  ont 
été  aperçues  sur  les  monuments  en  forme  de  tours  qui 
représentent  un  des  types  les  plus  archaïques  de  sépul- 
ture Ivcienne;  sur  l'un  d'eux,  à  la  place  où  d'ordinaire 
s'étalent  des  bas-reliefs,  on  a  cru  reconnaître  les  restes 
d'une  décoration  entièrement  due  au  pinceau.  Nous 
reviendrons,  à  propos  de  la  Grèce,  sur  la  polychromie 
des  bas-reliefs  lyciens.  Prenons  acte,  en  attendant,  de 
cette  prédilection  pour  la  couleur  qui  apparaît  partout 


Fig.  46. 


LA    PEINTURE    ORIENTALE.  79 

en  Lycie  et  se  rattache  évidemment  à  des  habitudes 
traditionnelles.  Les  inscriptions  elles-mêmes  étaient 
peintes  :  elles  s'enlevaient,  sur  le  roc  où  elles  étaient 
gravées,  soit  en  rouge,  soit  en  bleu.  Dans  ces  vallées 
où  la  verdure  mariait  si  gracieusement  ses  nuances  va- 
riées au  ton  laiteux  du  ciel,  on  comprend  que  la  poly- 
chromie fût  en  faveur  et  que  partout  la  couleur  jetât 
ses  notes  claires  sur  ces  fonds  de  feuillage  qui  en  avi- 
vaient Téclat. 


§  III.  —La  peinture  che:{  les  Perses. 

De  tous  les  grands  empires  qui  se  sont  élevés  en 
Asie,  le  plus  riche,  le  plus  magnifique  est  Tempire  des 
Perses.  Les  trésors  amassés  à  Ecbatane  et  à  Suse, 
les  vases  d'or  et  d'argent  du  grand  Roi  et  de  ses  favo- 
ris, les  splendides  costumes  de  ses  soldats,  de  ces  Im- 
mortels tout  chamarrés  d'or  qui  formaient  autour  de 
lui  une  garde  d'élite,  sont  des  thèmes  sur  lesquels  les 
écrivains  grecs  aiment  à  revenir,  soit  qu'ils  content, 
comme  Hérodote,  la  désastreuse  campagne  de  Xerxès 
en  Occident,  soit  qu'ils  chantent,  comme  Eschyle,  un 
épisode  de  cette  campagne  et  le  triomphe  de  l'hellé- 
nisme sur  la  barbarie.  Un  peuple  fastueux  comme  le 
peuple  perse  devait  avoir  un  art  en  rapport  avec  ses 
goûts.  Héritier  des  arts  de  la  Chaldée  et  de  l'Assyrie, 
imitateur  de  l'art  égyptien,  surtout  depuis  la  conquête 
de  rÉgypte  par  Cambyse,  l'art  perse  nous  apparaît,  en 
effet,  comme  la  synthèse  grandiose  de  toutes  les  élé- 
gances du  monde  oriental.   C'est  sur  les  palais  que  se 


8o  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

concentre  son  effort.  Le  palais  est  la  demeure  du  sou- 
verain, et  le  souverain  est  l'âme  de  Tempire  :  il  lui 
faut  une  résidence  somptueuse,  qui  donne  à  ses  peuples 
une  haute  idée  de  sa  puissance,  oii  il  trouve  en  même 
temps  tout  le  bien-être  imaginable,  le  mystère,  le  si- 
lence, aussi  nécessaires  à  son  repos  qu'à  son  prestige. 
Ses  appartements  privés  sont  assez  simples;  des  fleurs, 
des  arbres,  des  ruisseaux,  y  entretiennent  la  fraîcheur 
et  l'ombre.  En  revanche,  un  luxe  inouï  éclate  dans  ces 
salles  d'apparat  où  il  se  montre  entouré  de  ses  courti- 
sans, dans  ces  vastes  pavillons  couverts  en  bois  de 
cèdre,  qui  s'emplissent,  à  de  certains  jours,  d'une  foule 
respectueuse,  admise  à  contempler  le  monarque  dans 
toute  sa  gloire.  Il  existait  de  ces  édifices  à  Persépolis  et 
à  Suse;  il  y  en  avait  probablement  aussi  à  Ecbatane. 
Les  documents  nous  font  défaut  pour  en  imaginer  la 
décoration  intérieure.  Nous  ignorons  si  la  peinture  y 
jouait  un  rôle.  Les  fouilles  récentes  exécutées  à  Suse 
par  la  mission  Dieulafoy  ont  cependant  mis  au  jour 
des  fragments  d'un  enduit  assez  épais,  badigeonné  de 
rouge  à  plusieurs  couches,  et  qui  ferait  croire  que  les 
murailles  étaient,  au  dedans,  tapissées  de  stucs  colo- 
riés. Si  le  rouge  y  dominait,  comme  tout  porte  à  le 
croire,  ce  ton  chaud  devait  s'accorder  de  la  façon  la 
plus  heureuse  avec  les  ors  et  les  ivoires  plaqués  çà  et 
là,  les  boiseries  de  diverses  couleurs  et  les  tentures  ré- 
pandues à  profusion  dans  ces  immenses  salles. 

A  l'extérieur,  les  Perses,  comme  les  Assyriens,  fai- 
saient usage  de  la  brique  émaillée.  Il  suffit  de  voir  au 
Louvre  les  merveilleux  ensembles  reconstitués  par 
M.  et  M'""  Dieulafoy,  pour  avoir  une  idée  de  l'art  con- 


LA    PEINTURE    ORIENTALE, 


8i 


sommé  avec  lequel  ils  remployaient.  Tantôt  ils  en  for- 
maient des  taches  lumineuses  qu'ils  semaient  sur  les 
murs,  et  le  bleu  de  l'émail  se  mariant  au  gris  rosé  des 
briques  non  coloriées  communiquait  aux  façades  une 
chaleur  et  une  harmonie  de  tons  à  peine  concevables; 
tantôt  ils  en  composaient  des  figures  qui,  placées  à  une 


Fig.  47.  —  Lion  de  la  frise  émaillée 
du  palais  d'Artaxerxès  Mnémon,  à  Suse  (restauration). 


grande  hauteur  et  se  détachant  en  relief  sur  un  fond 
également  émaillé,  couronnaient  heureusement  cer- 
taines parties  de  Pédifice.  Tel  était  le  cas  de  ces  lions 
trouvés  à  Suse,  parmi  les  débris  du  palais  d'Artaxerxès 
Mnémon,  où,  selon  toute  apparence,  ils  décoraient 
Pentablement  des  propylées  (fig.  47).  L'art  assyrien,  si 
habile  à  exprimer  la  force  et  la  souplesse  de  ce  roi  des 
fauves,  l'éternel  ennemi  des  princes  ninivites,  n'a  rien 
produit  de  plus  beau  que  cette  file  de  lions  à  l'encolure 
puissante,  qui  s'avancent  la  gueule  ouverte  et  dont  cri 
croit  entendre  le  rugissement.  Les  archers,  découverts'i^ 

PEINT.     ANTUJUE.  •  6 


82  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

eux  aussi,  dans  les  ruines  de  Suse,  ornaient  sans  doute, 
à  Tabri  de  l'air,  sous  un  portique,  une  des  façades  du 
palais  de  Darius.  Ils  sont,  par  conséquent,  beaucoup 
plus  anciens  que  les  lions.  Neuf  d'entre  eux  ont  été 
restaurés  à  coup  sûr  :  ce  sont  des  figures  d'archers 
noirs.  Quelle  qu'ait  été  leur  disposition  par  rapport  les 
uns  aux  autres,  qu'il  faille  ou  non  nous  les  représenter 
partagés  en  deux  groupes  se  faisant  face  et  séparés  par 
ces  lignes  d'écriture  d'où  les  Perses,  comme  les  Assy- 
riens, comme  les  Turcs  de  nos  jours,  tiraient  de  si  jolis 
effets  décoratifs,  ce  qu'ils  ont  d'intéressant  pour  nous, 
c'est  leur  costume  et  leur  armement,  c'est  le  fond  bleu 
vert  sur  lequel  ils  s'enlèvent  et  dont  la  valeur  était 
augmentée  par  le  beau  stuc  gris,  poli  comme  le  marbre, 
qui  revêtait  le  bas  de  la  paroi,  ce  sont  les  gracieuses 
rangées  de  denticules  et  de  palmettes  qui  leur  servent 
d'encadrement.  Les  uns  portent  une  tunique  jaune 
d'or  rehaussée  d'étoiles  blanches,  les  autres  une  tunique 
blanche  sur  laquelle  on  distingue,  dans  de  petits  car- 
rés, le  profil,  très  sommairement  indiqué,  de  la  cita- 
delle susienne.  Robes  blanches^  et _  robes  jaunes  alter- 
nent régulièrement  (fig.  48).  Avec  la  corde  verte  qui 
leur  enserre  la  tête  comme  un  turban,  avec  leurs  bou- 
cles d'oreilles  et  leurs  bracelets  d'or,  leur  énorme  car- 
quois muni  de  pendeloques,  leurs  vêtements  aux  vives 
couleurs,  leurs  chaussures  de  cuir  souple  boutonnées 
sur  le  cou-de-pied,  leur  grand  arc  et  leur  lance  garnie, 
à  la  base,  d'une  grenade  d'argent,  ces  soldats  répon- 
dent assez  exactement  aux  descriptions  des  auteurs 
grecs  et  au  portrait  qu'ils  tracent  de  certains  corps  pri- 
vilégiés des  armées  de  Darius  et  de  Xerxès. 


LA    PEINTURE    ORIENTALE. 


8? 


Il  n'est  pas  toujours  facile  de  se  rendre  compte  de 
la  place  qu'occupaient,  dans  cette  riche  ornementation, 


Fig.  48.  —  Archers  du  palais  de  Darius  à  Siise  (restauration). 


les  nombreux  fragments  émaillés  exhumés  des  tumulus 
de  Suse.  Les  uns  appartenaient  à  des  mains  courantes 
d'escaliers  ;  d'autres  servaient  à  des  usages  qui   nous 


8+  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

sont  inconnus.  Ce  qu'il  y  a  de  sûr,  c'est  qu'à  Suse 
rémaillerie  contribuait  pour  une  grande  part  à  la  pa- 
rure des  bâtiments  royaux.  Elle  différait  sensiblement 
de  rémaillerie  assyrienne.  Elle  s'en  distinguait  d'abord 
par  le  relief  :  les  archers  et  les  lions  sont  de  véritables 
sculptures  émaillées,  dans  lesquelles  les  jeux  de  cou- 
leurs se  compliquent  des  effets  produits  par  les  ombres 
portées.  Remarquez,  de  plus,  Taspect  nouveau  que 
donne  aux  archers  l'effort  de  l'artiste  pour  indiquer  le 
moelleux  des  étoffes  :  ni  l'émaillerie  ni  la  sculpture 
des  Assyriens  n'offrent  rien  d'analogue.  Faut-il  voir  là 
une  tradition  chaldéenne?  Comme  l'attestent  les  statues 
drapées  de  Tello  au  musée  du  Louvre,  l'art  de  plisser 
les  vêtements  n'était  point  ignoré  des  vieux  maîtres  mé- 
sopotamiens;  or  on  ne  saurait  nier  l'influence  des  ate- 
liers chaldéens  sur  les  frises  de  Suse  :  une  pareille  vir- 
tuosité dans  le  maniement  de  la  couleur  trahit  une 
pratique  séculaire.  Il  est  pourtant  plus  naturel  de  rat- 
tacher cet  essai  de  modelé  à  l'art  grec,  avec  lequel  les 
Perses  étaient  depuis  longtemps  familiers,  grâce  à  leurs 
possessions  d'Ionie.  L'influence  de  cet  art  éclate  dans 
les  lions;  elle  se  fait  déjà  sentir  dans  les  tuniques  des 
archers.  Les  plis  qui  les  sillonnent  sont  d'invention 
récente;  leur  timidité  même  en  est  la  preuve.  Si  vous 
les  regardez  de  près,  vous  verrez  qu'ils  se  réduisent  à 
des  stries  légères,  qui  n'altèrent  en  rien  la  forme  des 
ornements.  Le  modeleur  inconséquent  a  bien  plissé 
l'étoffe,  mais  il  n'a  pas  su  rendre  les  déformations  que 
ce  plissement  devait  produire  dans  les  motifs  brodés 
qu'il  traversait. 

La  couleur  des  émaux  de  Suse  est  souvent  conven- 


LA    PEINTURE   ORIENTALE. 


8$ 


tionnelle;  elle  Test  cependant  moins  que  celle  des 
émaux  assyriens.  Si  les  lions  d'Artaxerxès  ont  la  face, 
pour  ainsi  dire,  tatouée  de  lignes  bleues,  si  des  retou- 
ches bleues  et  jaunes  marquent  la  saillie  de  leurs  os  et 
de  leurs  muscles,  la  coloration  des  archers  paraît  se 
rapprocher  beaucoup  de  la  nature.  Leurs  robes  bario- 
lées, garnies  d'un  galon  ver:,  leurs  souliers  jaunes, 


Fig.  49.  —  Fragment  de  la  robe  d'un  archer. 


leurs  carquois  noirs,  constellés  de  croissants  clairs, 
sont  probablement  l'exacte  reproduction  de  détails 
réels,  que  le  peintre  a  transportés  tels  quels  dans 
son  tableau.  Une  particularité  curieuse  est  Tespèce  de 
cloisonnage  qui  sépare  les  uns  des  autres  les  différents 
tons.  Des  nervures  saillantes,  coloriées  en  brun  ou  en 
gris,  et  sans  doute  obtenues  à  Taide  d'une  composition 
liquide  qu'on  répandait  en  mince  filet  sur  la  surface  et 
qui  durcissait  en  séchant,  cernent  chaque  couleur,  la- 
quelle se  trouve  ainsi  confinée  dans  un  compartiment 
où  elle  est  seule.  Très  visibles  dans  les  grands  dessins, 


26  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

ces  nervures  le  sont  peut-être  plus  encore  dans  les 
petits,  comme  le  prouve  cette  bordure  de  la  robe  d'un 
archer  dont  les  fragments  n'ont  pu  être  assemblés 
(fig.  49).  Une  pareille  technique  s'explique  à  la  fois 
par  une  raison  de  métier  et  par  une-  raison  d'art. 
D'abord,  ces  lignes  saillantes  empêchaient  les  cou- 
leurs de  se  pénétrer;  ensuite,  leur  ton  sombre  et  les 
ombres  légères  qu'elles  projetaient  ménageaient,  pour 
l'œil,  la  transition  d'une  couleur  à  l'autre,  et  pré- 
venaient les  effets  heurtés  ou  discordants  qui  pou- 
vaient résulter  de  leur  juxtaposition.  La  hardiesse  de 
l'émailleur  susien  était  grande  ;  tout  en  ne  disposant  que 
d'un  petit  nombre  de  tons,  il  ne  s'interdisait  point  les 
rapprochements  audacieux;  il  lui  fallait,  déplus,  comp- 
ter avec  les  surprises  de  la  cuisson,  qui  ne  donnait  pas 
toujours  les  nuances  prévues.  Le  cloisonnage  servait 
de  sourdine  à  ce  concert  de  notes  éclatantes  :  il  rame- 
nait les  notes  fausses  à  la  sonorité  voulue,  et,  joint  au 
quadrillage  formé  par  les  assises  de  briques  superpo- 
sées, il  adoucissait  pour  la  vue  l'impression  de  ces 
brillants  ensembles,  dont  l'harmonie  savante  se  re- 
trouve encore  aujourd'hui  dans  le  décor  des  beaux  tapis 
persans  *. 

Les  tons  sont  quelquefois  si  variés  et  si  vifs,  que, 
sans  le  cloisonnage,  l'effet  en  serait  insupportable. 
Voyez,  par  exemple,  ces  deux  carreaux  de  terre  émaillée, 


I.  On  trouvera  cette  théorie  savamment  développée  dans  l'ou- 
vrage que  M.  Dieulafoy  achève  en  ce  moment  sur  les  résultats 
de  ses  fouilles  et  dont  la  première  partie  a  paru  sous  ce  titre  : 
l'Acropole  de  Siise.  Je  dois,  à  son  obligeance  d'en  avoir  pu  don- 
ner ici  un  très  rapide  aperçu. 


LA    PEINTURE   ORIENTALE, 


87 


découverts  à  Suse  sous]  un  épais  remblai,  et  dont  la  fi- 
gure ci-dessous  offre  une  restauration.  Sans  les  lignes  de 


'rxScH&R.M'- 


Fig,  50,  —  Carreaux  de  terre  émaillée  trouvés  à  Suse 
(restauration). 


démarcation  tracées  entre  les  couleurs,  ils  auraient  l'as- 
pect criard  d'un  justaucorps  d'arlequin.  Rien  de  doux, 
au  contraire,  comme  ce  treillis  de  baguettes  grises  dans 
lequel  sont  répartis  des  losanges  et  des  triangles  vert 


88  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

tendre,  vert  foncé,  blancs,  gris  bleu,  bruns  et  Jaunes,  et 
que  surmonte  un  élégant  rinceau  de  fleurs  de  lotus 
entremêlées  de  palmettes  d'une  facture  tout  hellénique. 
Quelle  que  soit,  d'ailleurs,  l'importance  du  cloison- 
nage, un  fait  est  à  noter,  c'est  la  liberté  du  dessin;  pas 
plus  en  Perse  qu'en  Egypte,  les  poncifs  n'étaient  de 
mise  :  on  s'en  aperçoit  bien  à  l'irrégularité  des  espaces 
qui  séparent  les  rosaces  semées  sur  les  tuniques  des 
archers,  et  au  peu  de  ressemblance  qu'elles  présentent 
entre  elles.  Cette  ignorance  ou  ce  mépris  du  procédé 
mécanique,  cette  répétition  indéfinie  du  même  effort, 
ces  recommencements  qui  jamais  ne  se  lassent,  sont  un 
des  grands  charmes  de  la  décoration  perse  et,  il  faut  le 
dire,  de  l'art  antique  en  général.  On  y  sent  une  pensée, 
une  volonté  toujours  présente,  dont  les  écarts  ou  les 
défaillances  touchent  infiniment  plus  que  la  froide  sû- 
reté de  nos  machines.  Et  la  même  personnalité  paraît 
dans  le  dosage  des  couleurs,  dans  ces  taches  laissées 
à  dessein  sur  les  fonds  pour  en  rompre  la  monotonie, 
ou  pour  rappeler  quelque  ton  éloigné.  C'est  ce  mélange 
de  calcul  et  de  hasard  qui  fait  que  l'émailleur  perse  est 
un  artiste  incomparable,  et  que  rien,  chez  les  modernes, 
n'égale  les  tableaux  sortis  de  ses  mains. 

On  s'est  demandé  si  les  Perses  avaient  l'habitude  de 
peindre  leur  sculpture,  si  les  bas-reliefs  de  Persépo- 
lis  étaient  enluminés  comme  les  bas-reliefs  assyriens. 
Un  explorateur,  Texier,  a  cru  y  découvrir  des  parcelles 
d'enduit  colorié  ;  il  lui  a  semblé  voir,  sur  les  vêtements, 
des  rosaces  dessinées  à  la  pointe  et  qui  Jadis  avaient 
reçu  un  ton.  De  même,  les  tiares  royales  sont  parfois 
percées  de  trous  qui  porteraient  à  penser  qu'elles  étaient 


LA    PEINTURE    ORIENTALE  89 

décorées  d'appliques  de  métal.  On  ne  peut  rien  conclure 
d'aussi  faibles  indices.  Il  est  possible  que  certains  mor- 
ceaux, comme  ces  taureaux  ailés,  d'aspect  tout  assy- 
rien, qui  ornent  encore  une  des  façades  des  propylées 
de  Xerxès,  aient  été  rehaussés  de  couleur.  L'opinion 
reçue  aujourd'hui  est  que  la  sculpture  perse,  générale- 
ment, n'était  pas  peinte.  Elle  est  trop  soignée  dans  le 
détail  pour  avoir  fait  appel  à  la  peinture.  La  matière, 
aussi,  en  est  trop  belle.  Si  la  Perse  ne  produisait  pas  de 
bois,  si  les  charpentes  colossales  qui  entraient  dans  la 
construction  des  édifices  royaux  étaient  amenées  de  bien 
loin,  à  force  de  bras,  par-dessus  les  crêtes  du  mont  Za- 
gros,  on  trouvait  dans  le  pays  un  calcaire  compact  qui 
se  prétait  admirablement  au  travail  du  ciseau.  C'est 
dans  cette  pierre  dure,  d'un  gris  tantôt  foncé,  tantôt 
clair,  et  presque  aussi  résistante  que  le  marbre,  qu'ont 
été  taillés  les  bas-reliefs  persépolitains.  Des  touches 
d'or  les  réveillaient  par  endroit;  nous  ignorons  dans 
quelle  mesure  les  sculpteurs  perses  doraient  leurs 
figures,  mais,  selon  toute  probabilité,  ils  avaient  re- 
cours à  ces  touches  lumineuses  pour  souligner  les  traits 
importants.  Les  énormes  chapiteaux  à  têtes  de  tau- 
reaux qui  soutenaient  la  toiture  du  grand  palais  de  Suse 
ont  conservé  des  traces  de  cette  dorure  discrète  :  les 
oreilles  et  les  cornes  de  bronze  des  taureaux  étaient 
recouvertes  d'une  mince  feuille  d'or;  il  en  était  de 
même  de  leurs  yeux,  de  leurs  colliers  et  de  leurs  sa- 
bots. Mais  la  tradition  perse  paraît  avoir  été  d'utiliser, 
autant  que  possible,  la  coloration  des  matériaux  em- 
ployés, et  de  laisser  aux  boiseries,  aux  marbres,  aux 
porphyres,  leur  ton  naturel.  Cette  réserve  aboutissait  à 


ço  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

de  saisissants  effets  de  coloris,  et  peut-être  Fantiquité 
n'a-t-elle  rien  connu  de  plus  enchanteur  que  cette  poly- 
chromie tempérée  et  luxueuse  qui  faisait  l'ornement 
des  palais  du  grand  Roi. 


CHAPITRE    III 


LA     PEINTURE      GRECQUE 


Nous  abordons  enfin  ce  qui  doit  être  l'obiet  princi- 
pal de  ce  livre,  Pétude  de  la  peinture  grecque.  On  s'est 
souvent  demandé  si  la  peinture  des  Grecs  avait  égalé 
leur  sculpture.  Il  est  bien  difficile,  dans  Pétat  de  nos 
connaissances,  de  répondre  à  une  pareille  question.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  la  peinture,  en  Grèce,  a  été  un 
grand  art,  que  les  Grecs  l'ont  aimée  et  cultivée  pour 
elle-même  et  qu'ils  ont  su,  à  l'aide  de  la  couleur,  ex- 
primer la  vie  et  la  passion.  Mais  où  sont  les  chefs- 
d'œuvre  dont  les  auteurs  anciens  nous  entretiennent? 
Que  sont  devenus  les  fresques  de  Polygnote,  les  ta- 
bleaux de  Zeuxis,  de  Parrhasios  et  d'Apelle  ?  Les 
guerres,  les  pillages  les  ont  détruits;  le  temps,  à  lui 
tout  seul,  se  fût  chargé  de  les  anéantir,  car  c'étaient 
choses  frêles,  incapables  d'opposer  à  la  lente  action  des 
ans  la  résistance  du  bronze  ou  de  la  pierre.  Toujours 
est-il  que  rien  n'en  subsiste  et  qu'il  faut  probablement 
renoncer  pour  toujours  à  Pespoir  d'en  retrouver  même 
d'informes  fragments. 

Essayer  de  ressusciter  cet  art  disparu  pourra  sem- 
bler une  entreprise  téméraire;  moins  téméraire  qu'on 


92  LA   PEINTURE   ANTIQUE. 

ne  serait  tenté  de  le  croire  au  premier  abord.  Il  existe, 
en  effet,  sur  la  peinture  grecque,  des  témoignages  nortl- 
breux,  épars  chez  les  écrivains  ;  elle  a  fait  trop  de  bruit 
dans  le  monde  pour  passer  inaperçue  des  littérateurs, 
et  plus  d'un  nous  a  transmis  des  descriptions  de  ta- 
bleaux, des  appréciations  du  mérite  de  tel  ou  tel  peintre, 
qui  jettent  sur  son  histoire  un  jour  précieux.  Nous 
avons  aussi,  pour  nous  en  faire  une  idée,  le  secours 
des  vases  peints.  On  n'a  pas  oublié  cet  atelier  de  po- 
tier restitué,  d'après  des  documents  authentiques,  à 
l'Exposition  de  1889  ^  Tandis  que,  sous  un  auvent, 
le  maître  maniait  le  tour,  des  subalternes,  près  de  lui, 
remplissaient  des  tâches  accessoires;  une  femme  adap- 
tait une  anse  à  une  amphore;  un  jeune  homme  prome- 
nait son  pinceau  sur  un  cratère;  un  serviteur  activait 
le  feu  du  four.  Des  inscriptions  tracées  çà  et  là,  des 
vases  rangés  sur  des  tablettes,  formaient  la  décoration 
de  cette  scène  d'un  caractère  à  la  fois  très  réaliste  et 
très  simple.  Dans  beaucoup  de  villes  de  Grèce,  il  y 
avait  des  ateliers  du  même  genre;  on  en  voyait  un 
grand  nombre  à  Athènes,  où  tout  un  quartier  leur  était 
réservé.  L'Attique,  qui  n'était  riche  qu'en  vin  et  en 
huile,  rachetait  l'insuffisance  de  ses  produits  naturels 
par  son  industrie,  et,  parmi  les  objets  qu'elle  fabriquait 
de  préférence,  il  faut  mettre  au  premier  rang  les  pote- 
ries historiées.  La  céramique  attique  était  si  renom- 
mée, qu'on  la  recherchait  partout  :  des  vaisseaux  la 
répandaient  par  cargaisons  sur  toutes  les  côtes;  elle 
pénétrait  par  les  caravanes  jusque  dans  les  déserts  de 

I.  Par  MM.  Perrot  et  CoUignon. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  9j 

l'Ethiopie.  Gela  suppose  une  perfection  rare.  Cette 
perfection  éclate  dans  les  spécimens  qui  nous  en  sont 
parvenus.  Plusieurs  des  vases  grecs  que  possèdent  nos 
musées,  et  dont  la  provenance  athénienne  n'est  pas  dou- 
teuse, sont  décorés  avec  un  art  admirable.  Ceux  qui  les 
ont  peints  n'étaient  pourtant  que  d'humbles  artisans, 
parfois  des  étrangers  à  peu  près  sans  culture;  mais  ils 
vivaient  à  Athènes,  au  milieu  des  chefs-d'œuvre  de  la 
peinture  et  de  la  statuaire;  ils  n'avaient  qu'à  ouvrir 
les  yeux  pour  apercevoir  autour  d'eux  de  merveilleux 
modèles  :  c'est  à  ces  modèles  qu'ils  se  sont  reportés. 
La  grande  peinture  surtout  les  a,  plus  d'une  fois,  heu- 
reusement inspirés  :  on  retrouve  dans  leurs  composi- 
tions quelques-uns  des  sujets  qu'elle  aimait  à  traiter; 
on  y  retrouve  également  un  écho  de  ses  procédés  tech- 
niques^  Nous  aurons  recours,  à  l'occasion,  à  cet  art 
industriel  pour  essayer  de  comprendre  l'art  supérieur 
qu'il  a  pris  pour  guidée  A  défaut  de  tableaux  de 
maîtres,  nous  nous  attarderons  à  contempler  cette  ima- 
gerie, qui  reflète  les  maîtres.  Nous  demanderons  aussi 
d'utiles  enseignements  aux  peintures  de  l'Italie  méridio- 
nale, à  ces  peintures  de  Pompéi,  si  médiocres  d'exécu- 
tion, mais  si  précieuses  quand  elles  reproduisent  des  ta- 
bleaux célèbres.  Nous  consulterons  les  stèles  funéraires 

1.  Voir,  sur  ce  point,  les  excellentes  remarques  d'O.  Rayet, 
Histoire  de  la  céramique  grecque,  p.  ibô-ibj. 

2.  Qu'il  soit  entendu,  une  fois  pour  toutes,  que  les  vases  dont 
nous  parlerons  ne  sont  autre  chose  que  ceux  qu'on  a  long- 
temps appelés,  à  tort,  vases  étrusques.  On  n'ignore  pas  qu'il  faut 
renoncer  à  cette  dénomination  et  restituer  aux  vases  peints 
leur  véritable  origine,  qui  est  la  Grèce  et,  la  plupart  du  temps, 
l'Attique. 


94  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

ornées  de  portraits  peints;  frappé  des  emprunts  que  se 
font  entre  eux  les  différents  arts,  nous  fondant  sur  l'es- 
pèce de  confraternité  qui  les  unit  dans  tous  les  temps, 
nous  interrogerons  les  œuvres  de  la  plastique  pour  tâ- 
cher d'y  découvrir  quelques  souvenirs  de  la  peinture; 
nous  ne  négligerons  pas  les  figurines  de  terre  cuite,  ces 
gracieuses  imaginations  des  coroplastes,  dont  beaucoup 
rappellent  les  créations  du  grand  art.  Telles  seront  nos 
ressources.  Elles  ne  vaudront  pas,  à  elles  toutes,  un 
seul  original;  elles  nous  aideront  cependant  à  suivre 
les  progrès  de  la  peinture  chez  les  Grecs,  à  en  marquer 
les  évolutions  essentielles  et,  s'il  se  peut,  à  en  définir 
le  caractère. 


§  P"".  —  Les  premières  peintures. 

Avant  l'époque  des  premiers  peintres,  il  s'écoula  de 
longs  siècles  durant  lesquels  la  peinture  grecque,  si 
tant  est  qu'on  puisse  lui  donner  ce  nom,  fut  anonyme 
et  décorative,  comme  la  peinture  des  Egyptiens  et 
celle  des  peuples  de  l'Asie.  C'est  à  cette  période  qu'ap- 
partiennent les  plus  anciens  essais  de  décoration  poly- 
chrome qui  aient  été  notés  sur  le  sol  de  la  Grèce. 
Étaient-ce  des  Grecs,  ces  primitifs  habitants  de  l'île  de 
Théra  dont  on  a  retrouvé  les  demeures,  dans  la  mo- 
derne Santorin,  sous  une  épaisse  couche  de  ponce?  Ce 
qui  est  incontestable,  c'est  que  leur  civilisation  était 
relativement  avancée  :  ils  cultivaient  diverses  céréales  ; 
ils  pressuraient  Tolive  pour  en  tirer  de  l'huile;  ils 
nourrissaient  des  troupeaux  de  chèvres  et  de  moutons; 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


9S 


ils  travaillaient  le  bois  et  la  pierre;  ils  fabriquaient  au 
tour,  au  moule  ou  à  la  main  des  vases  d'argile  pour 
leurs  usages  domestiques;  ils  connaissaient  le  cuivre  et 
l'obsidienne,  dont  ils  faisaient  des  outils  et  des  armes 
et  qui,  n'étant  pas  des  produits  du  pays,  supposent  des 
échanges  avec  l'étranger,  par  conséquent,  une  vie  com- 
merciale. Ce  peuple,  jusqu'ici  sans  nom  dans  l'histoire, 
avait  une  esthétique  à  lui;  il  recourait  à  la  couleur 
pour  orner  ses  habitations. 
On  a  découvert,  dans  une 
maison,  des  restes  d'un 
enduit  peint  qui  témoigne 
d'une  entente  déjà  savante 
de  la  polychromie.  Cet 
enduit,  qui  recouvrait  les 
parois  intérieures,  peut- 
être  aussi  les  plafonds, 
était  formé  de  terre  battue 

sur  laquelle  on  avait  étendu  de  la  chaux  pure  :  c'est 
sur  ce  fond  blanc  que  s'enlevaient  les  ornements  colo- 
riés. On  y  a  relevé  quatre  tons  différents  :  un  rouge  vif, 
qui  n'est  autre  chose  que  de  la  sanguine  ;  un  jaune  pâle  ; 
un  bleu  d'une  intensité  très  remarquable  au  moment 
de  la  découverte,  mais  que  l'air  n'a  pas  tardé  à  décolo- 
rer; enfin,  un  brun  noirâtre.  Des  bandes  parallèles  de 
ces  quatre  couleurs  couraient  au  bas  des  murs  :  on 
aperçoit  encore,  sur  des  fragments  de  stuc  assez  bien 
conservés,  les  lignes  légères,  tracées  à  la  pointe,  qui  ont 
servi  à  limiter  le  champ  de  chaque  ton.  Les  plafonds 
paraissent  avoir  été  peints  comme  les  parois  :  des  dé- 
bris d'enduit,  qu'on  croit  en  être  tombés,  portent  des 


Fig.  SI. 


96  LA  PEINTURE    ANTIQUE. 

fleurs  et  des  feuillages  absolument  semblables  à  ceux 
qui  décorent  certains  vases  trouvés  dans  les  mêmes 
fouilles  (fig.  5i)  et  qui  se  rattachent,  comme  les  mai- 
sons, à  la  civilisation  primitive  de  File^ 

Quelle  date  assigner  à  cette  civilisation?  Les  plus 
vieilles  traditions  relatives  à  Théra  nous  reportent  au 
XVI*  siècle  avant  notre  ère,  et  depuis  lors  il  ne  semble 
pas  y  avoir  eu  d'interruption,  dans  les  souvenirs  des 
Grecs,  touchant  Fhistoire  de  cette  île  fameuse.  Or  aucun 
auteur  grec  ne  mentionne  le  cataclysme  qui  en  détrui- 
sit les  antiques  cités  et  les  recouvrit  de  cette  ponce  sous 
laquelle  leurs  ruines  apparaissent  aujourd'hui.  Ce  ca- 
taclysme serait  donc  du  xvi»  siècle  au  plus  tard,  et  les 
habitations  qu'il  a  englouties  remonteraient,  selon 
toute  apparence,  à  cette  époque  reculée.  Nous  serions 
ainsi  en  présence  d'une  sorte  de  Pompéi  préhistorique, 
surprise,  comme  sa  sœur  cadette  d'Italie,  en  pleine 
activité  par  le  fléau  qui  l'anéantit  :  un  squelette  humain 
affaissé  sur  lui-même  à  l'intérieur  d'une  chambre,  les 
restes  d'une  étable  encore  jonchée  de  paille  et  contenant 
de  nombreux  ossements  de  moutons  et  de  chèvres,  suf- 
firaient à  attester,  à  défaut  d'autres  indices,  la  soudai- 
neté de  la  catastrophe.  Ce  peuple  violemment  supprimé 
de  l'histoire  était,  en  somme,  contemporain  de  la 
XVIII«dynastieégyptienne,et  il  est  curieux  de  trouver 
chez  lui  une  polychromie  déjà  compliquée,  qui  est  la 
première  qu'ait  révélée  une  terre  grecque. 

Théra  n'est  pas  le  seul  point  oii  se  soient  rencontrées 

I.  Voyez  Fouqué,  Santorin  et  ses  éruptions,  p.  m;  Dumont 
et  Chaplain,  les  Céramiques  de  la  Grèce  propre,  t.  1",  p.  19  et 
suiv. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


97 


i»W 


des  traces  d^une  population  préhistorique.  Dans 
d'autres  îles  et  sur  le  continent  même,  dans  le  Pélo-» 
ponnèse  et  dans  la  Grèce  du  Nord,  des  recherches  ré- 
centes ont  mis  au  jour  des  monuments  qui  remontent 
bien  au  delà  de  l'époque  où,  d'ordinaire,  on  fait  com- 
mencer rhistoire  grecque.  Nul  doute  que  ces  anciens 
habitants  de  la  Grèce  n'aient  connu  la  peinture  et  le 
parti  qu'on  en  peut 
tirer  pour  la  décora- 
tion des  édifices;  la  /À 
preuve  en  est  dans 
les  débris  des  palais 
de  Mycènes  et  de 
Tirynthe.  Personne 
n'ignore  aujourd'hui 
les  fouilles  célèbres 
exécutées  sur  l'em- 
placement de  ces 
deux  vieilles  cités 
par  M.  Schliemann 

et  par  la  Société  archéologique  d'Athènes.  Les  sépul- 
tures royales  ouvertes  à  Mycènes,  dans  l'enceinte  de 
l'agora,  les  vases  d'or  qu'on  en  a  exhumés,  les  diadèmes 
et  les  baudriers  d'or  trouvés  sur  les  cadavres  qui  y 
étaient  ensevelis,  les  armes  ciselées  déposées  à  côté 
d'eux,  les  innombrables  plaques  d'or  qui  avaient  servi  à 
parer  leurs  vêtements,  les  masques  d'or  qui  couvraient 
leur  visage,  tout  ce  luxe  étrange  et  solennel  est  encore 
dans  la  mémoire  de  ceux  qui  s'intéressent  aux  choses  de 
l'antiquité  et  dont  Fesprit  s'égare  volontiers  dans  les 
régions  mystérieuses  de  son  histoire.  Non  loin  de  ces 

PEINT.    ANTIQUE.  7 


Fig.   S2. 


98 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


tombes  princières  s'élevaient  des  constructions  :  le 
sotnmet  de  la  citadelle  portait  un  palais,  avec  ses  appar- 
tements et  ses  cours;  plus  bas,  se  dressait  un  bâtiment 
moins  vaste.  L'un  et  l'autre  étaient  ornés,  à  Tintérieur, 
de  peintures  dont  on  a  peu  recuillir  quelques  frag- 
ments. Il  en  est  qui  représentent  des  bandes  parallèles 

rouges  ou  grises,  sur 
lesquelles  s'enlèvent 
en  noir  des  carrés, 
des  losanges,  des  spi- 
rales, des  lignes  on- 
dulées, des  écailles, 
des  plumes,  même 
des  animaux  marins, 
tels  que  le  poulpe. 
D'autres  faisaient 
partie  d'une  grande 
composition  qui  dé- 
corait, dans  le  palais 
de  l'acropole,  la  salle 
réservée  aux  hom- 
mes :  c'était,  semble- 
t-il,  un  tableau  de  bataille,  dans  lequel  figuraient  des 
guerriers  et  des  chevaux.  Les  chevaux  avaient  la  cri- 
nière divisée  en  touffes  (fig.  52);  les  guerriers,  armés 
de  la  lance,  étaient  munis  de  la  cuirasse  et  du  bouclier; 
des  bracelets  entouraient  leurs  poignets;  ils  portaient 
des  Jambières  retenues  aux  genoux  et  aux  chevilles  à 
l'aide  de  courroies  (fig.  53). 

Il  y  a  de  ces  fragments  peints  sur  enduit  qui  sont 
pour  nous  de  véritables  énigmes.  Tel  est  celui  que  re- 


I*"ig-  $3- 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


99 


produit  la  figure  ci-après  et  qui  montre,  sur  un  fond 
bleuâtre,  trois  personnages  à  tête  d'âne  tournés  vers  la 
droite  (fig.  54).  Ce  sont  bien  des  êtres  humains  :  leurs 
bras,  leurs  mains  Pindiquent;  mais  Pétrange  tête  qui 
les  surmonte,  avec  ses  longues  oreilles  et  ses  bouquets 
de  poils,  l'espèce  de  crinière  bigarrée  de  rouge,  de  jaune 
et  de  bleu  qui  leur  couvre  le  dos,  la  ceinture  qui  leur 
serre  la  taille,  la  corde  tendue  qui  pose  sur  leur  épaule 
et  qu'ils  soutiennent 
avec  la  main ,  pa- 
raissent défier  toutes 
les  interprétations. 
Faut-il  songer  à  une 
caricature  ?  Ces  trois 
formes  fantastiques 
faisaient  certaine- 
ment partie  d'une 
procession,  dont  la 
suite,  évoquée  par 
l'imagination,  rappelle  ces  interminables  files  de  pri- 
sonniers qui,  sur  les  bas-reliefs  égyptiens,  traînent  des 
colosses  à  travers  les  sables.  Hérodote,  d'autre  part, 
raconte  qu'une  peuplade  d'Asie  portait,  en  guise  de 
casques,  pour  aller  à  la  guerre,  des  têtes  de  chevaux, 
dont  les  oreilles  toutes  droites  et  les  crins  flottants  ajou- 
taient à  l'air  farouche  des  combattants  ^  Enfin,  on  a 
rapproché  de  cette  peinture  certaines  pierres  gravées 
trouvées  un  peu  partout  et  dont  deux  spécimens,  mer- 
veilleusement conservés,  ont  été  découverts  récemment 


Fig.   Si- 


I .  Hérodote,  VII,  70. 


loo  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

à  Vaphio,  dans  une  tombe  préhistorique  dont  il  sera 
question  tout  à  Theure.  Ces  pierres,  qui  se  rattachent 
à  la  série  connue  sous  le  nom  de  gemmes  des  îles,  parce 
que,  jusqu'à  présent,  ce  sont  les  îles  de  la  mer  Egée  qui 
en  ont  fourni  les  plus  nombreux  exemplaires,  repré- 
sentent des  monstres  assez  semblables  à  ceux  de  My- 
cènes.  Ils  sont  figurés  dans  des  attitudes  diverses,  tantôt 
chargés  de  quelque  gros  gibier,  lion,  cerf,  bœuf  sau- 
vage, tantôt  tenant  un  vase  et  s'apprêtant  à  en  verser  le 
contenu  au  pied  d'un  palmier,  comme  de  bienfaisants 
génies  des  eaux.  Suivant  une  opinion  assez  vraisem- 
blable, c'est  parmi  ces  êtres  surnaturels  qu'il  convien- 
drait de  ranger  les  personnages  du  tableau  mycénien, 
et  leur  origine  devrait  être  cherchée  en  Orient,  dans  la 
patrie  de  tous  les  symbolismes  et  de  tous  les  mystères, 
selon  toute  apparence,  en  Assyrie  ou  en  Chaldée. 

Tirynthe  n'a  pas  fourni  le  riche  butin  archéologique 
qu'ont  donné  l'acropole  mycénienne  et  ses  abords. 
Mais  M.  Schliemann,  et,  après  lui,  M.  Dœrpfeld,  le 
directeur  actuel  de  l'Ecole  allemande  d'Athènes,  y  ont 
déblayé  un  grand  palais  dont  les  ruines  sont  singu- 
lièrement instructives.  Bâti  sur  le  point  culminant  de 
l'acropole  et  protégé  par  ces  formidables  murailles 
dont  les  anciens,  dans  leur  admiration,  rapportaient 
la  construction  aux  cyclopes,  ce  palais  offre  l'image  la 
plus  exacte  qu'on  connaisse  d'une  résidence  royale  dans 
ces  temps  reculés.  On  y  voit  distinctement  l'apparte- 
ment des  hommes,  avec  son  foyer  central  et  ses  propy- 
lées donnant  sur  une  cour,  dans  laquelle  se  dres- 
sait l'autel  domestique;  on  y  reconnaît  l'habitation  des 
femmes  ou  le  gynécée.  Puis,  apparaissent  des  cham- 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  loi 

bres  en  grand  nombre,  des  escaliers,  des  corridors, 
une  citerne,  jusqu'à  une  salle  de  bains  où  Ton  a  re- 
trouvé les  débris  d'une  baignoire  en  terre  cuite  munie, 
à  l'extérieur,  de  fortes  poignées  et  décorée,  au  dedans, 
de  dessins  en  spirale  dans  le  goût  de  certains   orne- 


iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii-^^^H:inn!iiiiii;uiiiiiiiiii!!  i^^iiiiii^iîmi  lin 


F'g-  s  s-  —  Peinture  décorative  du  palais  de  Tirynthe 
(restauration). 


ments  mycéniens.  Près  de  ce  groupe  de  bâtiments, 
sur  une  terrasse  un  peu  moins  élevée,  habitaient  sans 
doute  les  hommes  d'armes  et  les  serviteurs;  une 
troisième  plate-forme,  toujours  comprise  dans  l'enceinte 
fortifiée,  contenait  les  magasins  et  les  écuries. 

La  décoration  intérieure  de  ce  palais  était  luxueuse  ; 
la  polychromie  y  tenait  une  place  considérable.  Sur  les 


I02  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

pavements,  formés  de  chaux  et  de  petits  cailloux,  qui 
se  voient  encore  dans  la  plupart  des  chambres,  on  a  re- 
marqué des  lignes  creuses  simulant  le  décor  géomé- 
trique d'un  tapis;  des  traces  de  rougç  et  de  bleu,  rele- 
vées çà  et  là,  prouvent  que  ces  pavements  étaient 
revêtus  de  couleur.  Des  frises  sculptées,  d''une  pierre 
vert  clair,  égayaient  le  pourtour  de  certaines  salles; 
d'autres,  composées  de  plaques  d'albâtre  incrustées  de 
verre  bleu,  figuraient  au  bas  des  murs  une  sorte  de 
plinthe  d'un  effet  très  harmonieux.  Mais  ce  qui  contri- 
buait le  plus  à  embellir  cette  princière  demeure, 
c'étaient  les  fresques  qui  en  recouvraient  presque  par- 
tout les  parois.  Les  murailles,  enduites  d'une  couche 
d'argile  sur  laquelle  était  étendu  un  mince  crépi  de 
chaux,  présentaient  toutes,  ou  peu  s'en  faut,  une  enlu- 
minure multicolore,  dont  nous  possédons  d'assez  nom- 
breux spécimens.  Rien  de  plus  varié  que  ces  dessins 
polychromes  consistant  en  volutes  plus  ou  moins  com- 
pliquées (fig.  55),  en  stries,  en  enroulements  évoluant 
autour  d'une  espèce  d'œil,  en  chapelets  de  feuilles  res- 
semblant à  des  cœurs,  en  courbes  sinueuses  mêlées  de 
cercles  et  inscrites  dans  des  carrés  que  limitent  en  haut 
et  en  bas  des  lignes  dentelées  (fig.  56).  Un  fragment 
laisse  voir  une  tige  fleurie.  Sur  un  autre,  on  distingue 
les  tentacules  d'une  pieuvre  peinte  en  rouge  et  en  bleu. 
D'autres  faisaient  partie  de  grandes  ailes  isolées,  trai- 
tées comme  des  motifs  ayant  par  eux-mêmes  une  valeur 
décorative,  ou  qui  appartenaient  à  des  sphinx  ailés  ana- 
logues à  celui  qui  figure  sur  une  plaque  d'or  de  My- 
cènes.  Les  couleurs  employées  dans  ces  diverses  pein- 
tures sont  le  blanc,  le  noir,  le  bleu,  le  rouge  et   le 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  lOj 

jaune.  Les  difFérentes  nuances  de  bleu  et  de  rouge 
tiennent  à  des  degrés  différents  de  conservation.  Les 
blancs  ne  sont  autre  chose  que  le  fond  de  la  paroi,  ré- 
servé par  le  peintre.  Les  tons  ont  été  étalés  au  pinceau 
de  poils,  comme  Tattestent  certaines  traînées  significa- 
tives, encore  visibles  par  endroit. 

Le  décorateur  de  Tirynthe  ne  s'en  était  pas  tenu  à 
la  peinture  d'orne- 
ment; il  avait  aussi 
composé  de  grandes 
scènes,  comme  son 
confrère  mycénien. 
C'est  ce  que  prouve 
un  curieux  morceau, 
malheureusement  in- 
complet, qui  repré- 
sente un  homme 
poursuivant  un  tau- 
reau sauvage  (fig.  5  7). 
L'homme  et  l'animal 
s'enlèvent     sur     un 

fond  bleu  que  bornent  en  haut  deux  bandes  Jaunâtres, 
dont  l'une  est  striée  de  rouge.  Le  taureau  est  peint 
en  jaune  clair;  de  larges  taches  rouges  accusent  les 
parties  plus  foncées  de  la  robe.  Emporté  par  une 
course  folle,  les  jambes  de  devant  presque  horizon- 
tales, l'œil  dilaté  par  la  terreur,  il  fouette  l'air  de  sa 
queue,  tandis  que  le  chasseur,  courant  éperdument, 
lui  aussi,  essaye  de  le  saisir,  ou  serre  déjà  une  de  ses 
cornes.  Il  y  a  peu  de  mois  encore,  on  s'accordait  à  voir 
dans  ce  tableau  l'image  d'un  dompteur  exécutant  de 


Fig.  56.  —  Peinture  du  palais  de  Tirynthe 
(restauration). 


104 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


périlleuses  voltiges  sur  la  croupe  d^un  taureau  rendu 
furieux  à  plaisir.  Une  découverte  récente  a  montré 
que  c'était  une  erreur.  Dans  une  tombe  préhistorique 
depuis  longtemps  connue,  mais  qui  n'avait  point  été 
explorée,  près  du  village  moderne  de  Vaphio,  non  loin 
du  cours  de  l'Eurotas,  des  recherches  heureuses  ont 


Fig-  S7. 
Peinture  de  Tirynthe  représentant  une  chasse  au  taureau. 


fait  mettre  la  main  sur  deux  gobelets  d'or,  d'un  mer- 
veilleux travail,  et  dont  l'analogie  avec  la  fresque  de  Ti- 
rynthe est  frappante.  Nous  donnons  le  développement 
des  scènes  en  relief  qui  les  décorent.  Une  de  ces  scènes 
(fig.  58)  est  une  scène  de  chasse  ou,  plus  exactement, 
de  panneautage.  Dans  un  filet  aux  larges  mailles,  un 
taureau  a  été  pris,  qui  mugit  pitoyablement,  impuissant 
à  se  dégager.  Un  autre,  sur  la  droite,  a  vu  le  piège  et 
s'enfuit;  un  troisième,  à  gauche,  se  précipite  tète  bais- 
sée sur  deux   hommes,  qu'il   lance  en   l'air  avec  ses 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


lOJ 


cornes  :  pendant  que  le  premier  retombe  lourdement 
sur  le  sol,  le  second  est  enlevé  de  terre  et  projeté  dans 
l'espace.  Rien  n'égale  le  mouvement  de  cette  composi- 


Fig.  58- 
Taureau  pris  dans  un  filet. 


tion,  dont  le  sujet  paraît  d'autant  plus  dramatique,  que 
celui  de  l'autre  est  plus  paisible.  Ici,  en  effet,  l'homme 
a  repris  sa  supériorité  (fig.  59)  :  un  personnage  sem- 
blable à  ceux  du  premier  tableau  pousse  devant  lui  un 
taureau  dompté,  dont  un  pied  de  derrière  est  retenu  par 


Taureaux  domptés 


un  lien  solide,  que  l'homme  serre  dans  ses  deux  mains. 
Vaincu,  mais  protestant  contre  la  violence  qui  lui  est 
faite,  l'animal  lève  la  tête  en  laissant  échapper  un  beu- 
glement plaintif.  Derrière,  marchent  trois  autres  tau- 
reaux, résignés,  comme  lui,  à  la  servitude;  le  dernier, 


io6  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

le  mufle  au  sol,  paraît  flairer,  non  sans  crainte,  ces 
traces  humaines  encore  peu  familières  à  son  odorat. 

On  ne  peut  imaginer  un  plus  vivant  commentaire  de 
la  peinture  de  Tirynthe.  Comparez  cette  peinture  aux 
gobelets  de  Vaphio  :  les  animaux,  les  personnages  sont 
identiques.  Chez  les  premiers,  même  puissance,  même 
rapidité  dans  la  fuite;  chez  les  seconds,  même  maigreur 
élancée  et  nerveuse,  même  buste  étranglé  à  la  ceinture, 
mêmes  jambes  grêles,  entourées  de  lanières  qui  fixent 
la.  chaussure.  Les  trois  monuments  appartiennent  à  la 
même  civilisation,  et  comme  le  sens  des  scènes  de  Va- 
phio n'est  pas  douteux,  celui  de  la  fresque  de  Tirynthe 
ne  saurait  Pêtre  davantage  :  elle  représente  bien,  elle 
aussi,  un  épisode  de  ces  chasses  aventureuses  qui  sem- 
blent avoir  été  le  plaisir  favori  de  cette  race  robuste. 
Seulement,  au  lieu  de  figurer  son  chasseur  courant  à 
côté  du  taureau  qu'il  cherche  à  atteindre,  le  peintre, 
en  vertu  d'une  convention  naïve,  l'a  représenté  courant 
au-dessus.  On  voit  de  même,  sur  un  fragment  de 
fresque  de  Mycènes,  une  tête  de  guerrier  placée  à  la 
hauteur  des  pieds  d'un  cheval  :  évidemment,  l'artiste 
avait  disposé  ses  personnages  par  étage,  incapable  de 
les  grouper  suivant  les  lois  de  la  perspective. 

On  pourrait  relever,  dans  la  peinture  de  Tirynthe, 
bien  d'autres  traces  d'inexpérience.  Les  vases  de  Va- 
phio lui  sont  très  supérieurs.  Sont-ils  moins  anciens? 
Datent-ils  d'un  temps  où  l'on  était  plus  habile,  ou  bien 
faut-il  admettre  que  cette  race  primitive  excellait  à  tra- 
vailler l'or  et  que  là  se  dépensait  toute  sa  dextérité? 
Ce  sont  là  des  questions  qui,  pour  le  moment,  ne  sau- 
raient recevoir  de  réponse. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  107 

Mais  quel  était-il,  ce  peuple  si  versé  dans  la  pra- 
tique des  arts?  On  a  pu  noter  déjà  les  rapprochements 
que  nous  avons  faits  entre  Tirynthe  et  Mycènes.  Mêmes 
constructions,  mêmes  procédés  de  décoration  et  d'enlu- 
minure. Voici  maintenant  Vaphio,  c'est-à-dire  le  terri- 
toire de  Tantique  Amyclée,  dans  la  vallée  de  TEurotas, 
qui  nous  livre  un  art  analogue.  Les  environs  de  Nauplie 
ont  fourni  des  poteries  très  voisines,  par  le  décor,  des 
poteries  mycéniennes.  Sur  divers  points  de  PAttique, 
et  jusque  sur  TAcropole  d'Athènes,  on  a  recueilli  des 
fragments  du  même  genre.  A  Spata,  à  Ménidi,  des 
sépultures  préhistoriques  ont  été  explorées,  qui  sont 
presque  identiques  aux  tombes  de  Mycènes  et  de  Va- 
phio. Orchomène  des  Minyens,  sur  le  lac  Copaïs,  a  fait 
connaître  un  édifice  dont  le  plafond  sculpté  rappelle 
exactement  un  des  motifs  picturaux  du  palais  de  Ti- 
rynthe (fig.  55).  Dans  différentes  localités  de  la  Béotie 
et  de  la  Grèce  du  Nord,  à  Dimini  (près  de  Volo),  aux 
alentours  de  l'ancienne  Pagasées,  on  a  mis  au  jour  des 
tombeaux  semblables  à  celui  de  Ménidi  et  renfermant 
des  débris  de  vases,  des  bijoux,  des  pâtes  de  verre  com- 
parables aux  objets  de  même  nature  trouvés  à  Mycènes 
et  à  Spata.  Puis,  ce  sont  les  îles  qui  sont  venues  jeter 
leur  note  dans  ce  concert  de  révélations  étranges, 
Chypre,  la  Crète,  Amorgos,  Rhodes.  Les  vases  d'Ia- 
lysos,  dans  l'île  de  Rhodes,  portent  la  pieuvre  mycé- 
nienne (fig.  60),  cette  pieuvre  énorme,  aux  souples  ten- 
tacules, que  montrent  les  plaques  d'or  et  les  poteries 
d'argile  rendues  à  la  lumière  par  les  fouilles  de 
M.  Schliemann.  D'autres  vases  de  même  provenance 
sont  ornés  de  ces  lignes  sinueuses  qu'on  rencontre  dans 


io8 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


les  peintures  murales  de  Tirynthe  (fig.  56).  D'autres 
témoignent  d'une  sorte  de  parenté  entre  l'industrie 
céramique  d'Ialysos  et  celle  de  cette  Théra  où  subsis- 
tent les  vestiges  d'une  si  lointaine  civilisation  '.  Que 
tous  ces  monuments  soient  contemporains,  c'est  ce 
qu'on  ne  saurait  prétendre;  l'étude  attentive  de  leur  fa- 
brication, la  comparaison 
minutieuse  de  leur  orne- 
mentation, prouvent  qu'il 
en  est  qui  sont  plus  an- 
ciens que  les  autres.  Il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que 
tous  se  tiennent,  comme 
si,  pendant  une  période 
qu'il  faut  placer  entre  le 
XVI®  et  le  xii"  siècle  avant 
notre  ère,  la  Grèce  conti- 
nentale et  les  îles  avaient 
été  occupées  par  les  diverses  tribus  d'une  même  race, 
une  par  l'origine  et  la  civilisation. 

Or  une  de  ces  tribus,  particulièrement  puissante,  a 
laissé  de  durables  traces  en  Argolide  et  dans  la  vallée 
de  Sparte,  en  Attique,  en  Béotie,  en  Thessalie.  On  est 
d'accord  aujourd'hui  pour  voir  dans  ce  rameau  détaché 
de  la  population  préhistorique  qui  habitait  la  Grèce  et 
les  îles,  ces  grands  Achéens  dont  Homère  a  chanté  les 
exploits.  Mycènes  et  Tirynthe  étaient  deux  de  leurs  ca- 


Fig.  60. 


I.  L'art  de  Théra  présente  même  avec  celui  de  Mycènes  des 
rapports  inattendus.  C'est  ainsi  que  les  fleurs  dont  étaient  semées 
les  fresques  découvertes  dans  cette  île  (fig.  5i)  apparaissent  sur 
le  manche  d'un  poignard  trouvé  à  Mycènes. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  109 

pitales.  Rien  de  frappant,  en  effet,  comme  les  analogies 
qui  existent  entre  ces  deux  vieilles  cités,  telles  que  nous 
les  connaissons,  et  la  société  peinte  par  les  poèmes  ho- 
mériques. Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'insister,  mais  voyez 
la  façon  dont  ces  deux  villes  sont  construites  :  sur  la 
colline,  une  citadelle  qu'occupe  le  roi  avec  ses  servi- 
teurs; au  pied,  dans  la  plaine,  les  maisons  des  labou- 
reurs et  des  artisans.  En  cas  de  péril,  de  brusque  dé- 
barquement de  ces  innombrables  pirates  qui  infestent 
la  mer  Egée,  le  peuple  de  la  ville  basse  se  réfugie  dans 
la  cité  royale,  dont  l'enceinte  cyclopéenne  lui  assure  un 
inviolable  abri.  N'est-ce  pas  là  le  régime  féodal  qui, 
dans  Homère,  est  le  régime  de  toute  la  Grèce?  Si,  lais- 
sant de  côté  l'organisation  politique,  vous  considérez 
l'art,  l'industrie,  vous  trouvez  le  même  rapport. 
Qu'est-ce  que  cette  pâte  de  verre  coloriée  en  bleu  et 
sertie  dans  l'albâtre,  avec  lequel  elle  forme  frise  dans 
certaines  salles  du  palais  de  Tirynthe,  sinon  le  kyanos 
employé  au  même  usage  dans  le  palais  d'Alkinoos? 
Que  sont  ces  vases  et  ces  ornements  d'or  trouvés  dans 
les  tombeaux  de  Mycènes,  sinon  la  forme  la  plus  ordi- 
naire de  ce  luxe  mycénien  vanté  par  Homère  et  qu'il  ré- 
sume d'un  mot,  roT^uj^poGoç,  qui  lui  sert  à  qualifier  la 
cité  d'Agamemnon?  Ces  peintures  murales  qui  ont  pour 
nous  tant  d'intérêt,  ces  chasses  au  taureau  dont  les  péri- 
péties s'étalaient  sur  les  murs  de  Tirynthe  et  que  les 
vases  de  Vaphio  reproduisent  dans  tout  le  détail  de 
leurs  tragiques  incidents,  l'épopée  homérique  en  a  gardé 
le  souvenir  :  pour  peindre  un  guerrier  atteint  par  une 
lance  ennemie  et  qui  suit  en  résistant  le  mouvement  de 
l'arme,  que  tire  à  lui  son  adversaire,  elle  n'imagine 


iio  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

rien  de  mieux  que  de  le  comparer  à  un  taureau  «  que 
des  pâtres  ont  attaché  par  la  force  et  malgré  lui  à  l'aide 
de  liens  solides,  et  qu'ils  mènent  ainsi  à  travers  les 
montagnes  ^  ».  Rapprochez  ce  texte  du  deuxième  gobelet 
de  Vaphio  (fig.  59)  :  ne  décrit-il  pas  exactement  une 
des  scènes  qui  y  sont  figurées?  Le  costume  même  et  la 
manière  de  porter  la  chevelure  se  ressemblent  beau- 
coup dans  nos  monuments  et  dans  l'épopée.  Ces  hautes 
guêtres  serrées  autour  de  la  jambe  par  des  lanières  font 
songer  aux  cnémides  des  Achéens  :  il  suffira  d'un 
léger  changement  pour  transformer  ces  guêtres  rus- 
tiques en  ces  jambières  de  métal  sur  lesquelles  le  cise- 
leur déploiera  tout  son  art,  et  qui  seront  la  parure  des 
guerriers  réunis  devant  Troie.  Quant  à  ces  longs  che- 
veux légèrement  ébouriffés  sur  le  front  et  qui  retombent 
sur  les  épaules  en  mèches  ondulées  retenues  par  un 
peigne,  il  faudrait  être  aveugle  pour  n'y  pas  recon- 
naître la  coiffure  nationale  des  Grecs  d'Homère.  Exa- 
minez les  personnages  de  Vaphio  :  ne  donnent-ils  pas 
l'idée  de  ces  «  Achéens  à  la  têie  chevelue  »,  )capyixo{xocovT8ç 
'A/atot,  si  fréquemment  nommés  dans  V Iliade^  ou 
mieux,  de  ces  primitifs  habitants  de  l'Eubée,  de  ces 
Abantes  «  à  l'opulente  chevelure  rejetée  en  arrière  », 
oTCiÔsv  y.o[/.owvTe;  ^,  dont  une  tradition  faisait  remonter 
l'origine  à  Abas,  roi  d'Argos  ? 

Ainsi,  ce  peuple  qui  dominait  à  Tirynthe  et  à  My- 
cènes  et  dont  les  ramifications  s'étendaient,  dans  la 
Grèce  septentrionale,  jusqu'au  massif  du  Pélion,  peut- 

1.  Iliade,  XIII,  v.  571  et  suiv. 

2.  Iliade,  II,  V.  542.  Cf.,  sur  cette  coiffure  des  Abantes,  un 
curieux  passage  de  Plutarque,  Thésée,  5. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  m 

être  au  delà,  nous  le  voyons  revivre  sous  nos  yeux, 
grâce  aux  découvertes  de  l'archéologie;  cette  race  qui 
remplit  Vllîade  de  ses  hauts  faits,  dont  VOdyssée  conte 
par  le  menu  les  merveilleuses  aventures,  se  dresse  de- 
vant nous,  puissante  et  magnifique,  telle  qu'elle  exis- 
tait bien  avant  les  poèmes  qui  ont  immortalisé  son  sou- 
venir. Cette  nation  belliqueuse  avait  le  goût  des  arts; 
elle  couvrait  ses  palais  d'ornements  peints  et  de  ta- 
bleaux. Mais  ces  tableaux  étaient-ils  bien  son  œuvre  ? 
Il  vient,  à  ce  sujet,  un  scrupule,  quand  on  regarde  de 
près  les  collections  de  Mycènes,  de  Ménidi,  de  Spata, 
de  Vaphio,  etc.  Il  s'y  trouve  tant  d'objets  d'aspect 
étranger,  tant  de  monuments  qui  rappellent  l'Egypte 
ou  l'Asie,  qu'on  se  demande  si  cet  art  n'a  pas  été  im- 
porté. Et,  de  fait,  les  Achéens  entretenaient  avec  le 
dehors  des  relations  actives.  Hérodote  nous  les  montre, 
au  début  de  son  histoire,  en  rapport  avec  les  Phéni- 
ciens, qui  fréquentaient  les  ports  de  l'Argolide.  Il  est 
trop  souvent  question,  dans  Homère,  de  ces  marchands 
de  la  côte  de  Syrie,  le  poète  parle  trop  des  bijoux  qu'ils 
colportent,  des  séjours  prolongés  qu'ils  font  dans  cer- 
taines villes  d'où,  après  avoir  vendu  leur  cargaison, 
ils  emportent  les  denrées  du  pays,  pour  que  nous  dou- 
tions des  liens  commerciaux  qui  les  unissaient  aux  ha- 
bitants du  continent  grec.  C'étaient,  entre  eux,  de  quo- 
tidiens échanges,  les  Grecs  débitant  les  produits  de  leur 
sol,  les  Phéniciens  livrant  les  objets  de  prix  et  les  bibe- 
lots ramassés  aux  quatre  coins  de  l'Archipel,  étalant 
leurs  pacotilles  à  l'arrière  de  leurs  vaisseaux,  retenant 
le  public  autour  de  ces  expositions  flottantes  que  les 
femmes  surtout  visitaient  avec  empressement,  parfois 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


à  leur  grand  dommage,  car  ces  trafiquants  e'taient  aussi 
des  pirates  qui,  par  ruse  ou  par  violence,  se  saisissaient 
d'elles  et  les  vendaient  comme  esclaves  loin  de  leur 
patrie.  UOdjrssée  est  pleine  de  leurs  méfaits  :  ils  ré- 
pandaient la  terreur 
sur  toutes  les  côtes. 

Par  eux  donc,  par 
ces  navigateurs  hardis 
et  insinuants,  qu'on 
craignait  et  que,  pour- 
tant, on  n'avait  pas  le 
courage  de  repousser, 
il  y  a  lieu  de  croire 
que  les  cités  achéennes 
recevaient  les  mar- 
chandises d'Egypte  et 
d'Orient*.  Peut-être 
est-ce  par  leur  entre- 
mise que  sont  venus 
en  Grèce  ces  cachets 
gravés  dont  quelques- 
uns  portent  de  si 
étranges  empreintes , 
cette  admirable  tête  de 
vache  en  argent,  munie  de  cornes  d'or,  avec  une  ro- 
sace d'or  au  milieu  du  front  (fig.  6i),  ces  œufs  d'au- 
truche, ces  fragments  de  porcelaine  égyptienne,  ce 
scarabée  trouvé  dans  un  tombeau  de  Mycènes  et  sur 


Fig.  6i. 


I.  Hérodote  le  dit  en  propres  termes  :  'ATtaYtvéovta;  çopTÎa  AlyûnTià 
TE  y.at  'Adffûpia. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  iij 

lequel  on  lit  le  nom  de  la  reine  Taïa,  femme  d'Amen- 
hotpou  III  (XVIIP  dynastie).  Apportaient-ils  aussi  les 
objets  de  fabrication  phénicienne,  les  pièces  d'orfèvre- 
rie dont  Homère  loue  le  travail,  les  broderies  aux- 
quelles il  fait  de  si  fréquentes  allusions  et  que  les  femmes 
de  Sidon  variaient  avec  tant  d'habileté  ?  Parmi  les  mo- 
numents découverts  à  Mycènes,  aucun  ne  porte  la 
marque  d'une  origine  proprement  phénicienne.  Mais 
l'art  phénicien  est  si  composite,  il  reflète  si  fidèlement 
les  autres  arts,  il  est  si  dépourvu,  par  lui-même,  d'ori- 
ginalité, qu'il  est  très  difficile  de  trancher  la  question 
et  d'affirmer,  par  exemple,  que  tel  bijou,  tel  ivoire, 
telle  pâte  de  verre,  n'a  point  été  directement  importé 
de  Phénicie.  Il  paraît  bien,  dans  tous  les  cas,  que  le 
cabotage  phénicien,  dont  le  souvenir  est  si  vivant  dans 
les  poèmes  homériques,  avait,  dès  cette  époque,  une 
importance  considérable  et  que,  par  lui,  les  relations 
de  la  Grèce  avec  l'extérieur  se  trouvaient  continuelle- 
ment renouvelées. 

Les  Achéens,  de  leur  côté,  avaient  une  marine,  avec 
laquelle  ils  parcouraient  la  Méditerranée.  Agamemnon, 
dans  VIliade,  nous  est  représenté  étendant  sa  domina™ 
tion  sur  des  îles  nombreuses*.  A  défaut  d'Homère,  la 
pieuvre,  si  souvent  reproduite  sur  les  objets  de  My- 
cènes, la  pourpre,  qu'on  y  croit  reconnaître,  prouve- 
raient que  ce  peuple  était  un  peuple  de  pêcheurs,  que 
la  mer  n'effrayait  point.  11  s'y  aventurait  pour  guer- 
royer au  loin,  pour  se  rendre  notamment  à  l'embou- 
chure du  Nil,  où  il  y  avait  toujours  de   fructueuses 

I.  Iliade,  II,  V.  io8.  Voyez  encore  Thucydide,  I,  9,  3. 

PEl.NT.     ANTIQUE.  8 


114  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

razzias  à  faire.  Des  Achéens  figurent  parmi  les  «  peuples 
de  la  mer  »,  Lyciens,  Sicules,  Tyrsènes,  Shardanes,  qui 
attaquent  l'Egypte  sous  le  règne  de  Menephtah  I" 
(XIX''  dynastie).  Ils  connaissaient  si  bien  cette  route 
d'Egypte,  qu'Homère,  à  chaque  instant,  parle  du  pays 
des  pharaons  comme  d'une  contrée  dont  le  nom  est 
familier  à  ses  auditeurs.  Il  y  place  des  épisodes  entiers 
de  ses  poèmes  :  on  se  souvient  des  aventures  d'Hé- 
lène et  de  Ménélas,  revenant  de  Troie,  et  du  long 
temps  qu'ils  passent  en  Egypte,  avant  de  pouvoir  ren- 
trer à  Sparte.  Cette  terre  féconde  tentait  tous  les  cor- 
saires; tous  les  brigands  de  la  mer  Egée  —  et  les 
Achéens  étaient  du  nombre  —  s'y  donnaient  rendez- 
vous;  on  y  organisait  des  expéditions  dont  on  se  pro- 
mettait de  magnifiques  résultats.  Il  suffit  de  lire,  pour 
s'en  convaincre,  le  récit  que  fait  Ulysse  au  porcher 
Eumée  ^  Tout  mensonger  qu'il  est,  il  se  compose 
d'éléments  empruntés  à  la  vie  réelle,  et  l'on  voit,  par 
ce  roman,  combien  de  pareilles  courses  étaient  dans  les 
mœurs,  quel  prestige  avait  aux  yeux  des  pirates  ce 
plantureux  Delta,  d'un  abord  si  facile. 

Ainsi,  directement  ou  indirectement,  les  Achéens 
étaient  en  rapport  avec  l'Egypte  et  le  monde  oriental. 
Il  est  donc  naturel  qu'au  nombre  des  objets  de  My- 
cènes,  il  y  en  ait  qui  viennent  d'Egypte  ou  d'Orient; 
mais  tous  n'en  viennent  pas,  on  peut  l'affirmer,  et  si 
ceux  qui  ont  été  fabriqués  sur  place  rappellent  encore 
l'Asie  ou  l'Egypte,  c'est  que  les  Achéens  avaient  avec 
ces  deux  contrées  des  liens  plus  étroits  que  ceux  que 

I.  Odyssée,  XIV,  v.  199  et  suiv. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


"S 


créent  le  commerce  et  la  conquête.  N^e'taient-ils  pas 
eux-mêmes  des  Orientaux  ?  Ne 
descendaient-ils  pas  de  ces  tribus 
asiatiques  qui,  gagnant  d'île  en 
île  le  continent  européen,  y 
avaient  implanté  la  civilisation 
de  leur  pays  ?  Une  série  de  mi- 
grations avait  encore  cimenté  la 
parenté  qui  les  unissait  à  TAsie. 
Leurs  légendes  contaient  que  le 
Tantalide  Pélops  était  venu  jadis, 
de  Lydie  ou  de  Phrygie,  se  fixer, 
avec  ses  trésors,  dans  la  vaste  pé- 
ninsule à  laquelle  il  avait  donné 
son  nom.  Des  bandes  lyciennes 
avaient  aidé  Proitos  à  bâtir  la 
citadelle  de  Tirynthe.  Persée,  le 
fondateur  de  Mycènes,  était,  lui 
aussi,  originaire  de  la  Lycie.  Non 
seulement  le  Péloponnèse,  mais 
la  Grèce  du  Nord,  avait  donné 
asile  à  des  colons  partis,  soit  des 
îles,  soit  de  divers  points  de  la 
côte  orientale.  Le  Phénicien  Cad- 
mos  y  avait  fortifié  Thèbes,  et  les 
habiles  ouvriers  qui  l'accompa- 
gnaient avaient  acclimaté  autour 
de  la'Cadmée  Tindustrie  du  mé- 
tal. Part  de  forger  et  de  décorer 

les  armures.  De  Crète  était  venu  le  mystérieux  Rhada- 
mante ,    dont   on   montrait  le    tombeau    près  d'Ha- 


Fig.  62. 


11(5  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

liarte,  en  Béotie.  Si  obscures  que  soient  ces  traditions, 
elles  nous  laissent  entrevoir,  vers  le  xv*'  siècle ,  de 
grands  mouvements  de  peuples  qui  avaient  eu  pour 
conséquence  de  resserrer  les  rapports  de  la  Grèce  avec 
l'Orient.  Des  déplacements  analogues  Pavaient  mise  en 
relation  très  intime  avec  l'Egypte  :  des  bouches  du  Nil, 
où  ils  avaient  de  bonne  heure  élu  résidence,  des  marins 
phéniciens,  peut-être  même  des  Grecs,  représentés  pour 
nous  par  les  noms  fabuleux  de  Danaos  et  de  Cécrops, 
y  avaient  émigré,  apportant  avec  eux  les  secrets  de  Tart 
égyptien,  sans  doute  aussi  certaines  croyances,  certains 
rites  funéraires  particuliers  au  sol  qui  avait  été  pour 
eux  une  seconde  patrie. 

Tout  cela  explique  le  caractère  étrange  de  Part 
mycénien.  Soit  par  le  fait  de  Timportation,  soit,  plus 
encore,  par  suite  de  durables  souvenirs,  il  rappelle  à 
la  fois  l'Asie  et  l'Afrique.  Originaire  d'Asie,  régénéré 
par  de  riches  et  puissantes  colonies  asiatiques,  le 
peuple  qui  Ta  créé  est  imbu  des  formes  et  des  motifs 
familiers  à  son  pays  natal.  De  là  ces  chasses  au  lion 
sur  les  poignards  de  Mycènes  (fig.  62),  ces  lions  se  pour- 
suivant ou  dévorant  des  cerfs  sur  les  coupes  d'or  et  les 
plaques  d'or  repoussé  exhumées  des  tombes  royales, 
ces  palmiers  qui  s'épanouissent  sur  les  vases  de  Va- 
phio,  ce  haut  bonnet  et  ces  cheveux  ondulés  qui 
distinguent  les  figurines  d'ivoire  de  Mycènes  et  de 
Spata.  En  même  temps,  ces  hommes  d'Asie  ont  admis 
parmi  eux  des  hommes  de  même  race,  qui  avaient 
longtemps  habité  l'Egypte  et  qui  ont  exercé  sur  eux 
une  profonde  influence.  De  là  ces  sphinx  ailés  en  or 
ou  en  ivoire,  cette  fresque  de  Tirynthe  (fig.  55)  et  ce 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


"7 


Fig.  6}. 
Fragment  d'un  vase  d'argent. 


plafond  sculpté  d'Orchomène  qui  font  songer  aux  pein- 
tures    des     hypoge'es 
égyptiens,  ces  rosaces 
qui  décorent  la  porte     ((^;^. 


d\ine  sépulture  récem- 
ment ouverte,  et  dont 
il  faut  chercher  l'ori- 
gine en  Egypte,  sur 
les  plafonds  multico- 
lores des  tombeaux 
(fig.  4).  Pourtant,  cet 
art,  qui  n'a  vécu  que 
d'emprunts,  est  origi- 
nal. A  travers  ses  ré- 
miniscences se  font 
jour  des  qualités  qui 
ne  sont  qu'à  lui.  Sa  personnalité  se  montre  dans  le  dé- 
cor, qu'il  varie  avec  une  fantaisie  singulière;  elle  éclate 
également  dans  la  composition.  Voyez  cette  curieuse 
scène  figurée  sur  un  fragment  de  vase  en  argent,  cette 
ville  assiégée  que  défendent  des  guerriers  armés  d'arcs, 
de  frondes,  de  lances,  ces  remparts  où  s'agi- 
tent des  femmes  éperdues  (fig.  63)  :  au  premier 
abord,  cela  fait  penser  à  l'Assyrie,  mais  quelle 
liberté  n'apparaît  pas  dans  le  détail,  dans  le 
mouvement  des  combattants,  dans  les  reliefs 
du  sol,  dans  les  arbres,  si  semblables  à  ceux 
des  gobelets  deVaphio!  Les  personnages  de 
Vaphio  sont  uniques  dans  leur  genre  ;  ils  ne 
ressemblent  à  rien  de  ce  qu'ont  produit  l'Egypte,  l'Asie 
Mineure  ou  la   Phénicie.  Je  ne  connais  guère  qu'un 


Fig.  64. 


Ii8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

monument  où  le  même  type  se  rencontre,  et  ce  monu- 
ment a  été  trouvé  à  Mycènes  :  c'est  une  de  ces  gemmes 
(fig.  64)  comme  celles  qu'on  a  recueillies  dans  tout  le 
bassin  de  la  Méditerranée  orientale  et  qui,  vraisembla- 
blement, sont  l'œuvre  des  races  qui  les  employaient,  — 
la  diversité  même  de  leurs  provenances  l'atteste,  —  nou- 
velle preuve  que  Fart  de  Mycènes  est  un  art  local  qui, 
né  d'inspirations  étrangères  à  la  Grèce,  a  pris  en  Grèce 
conscience  de  lui-même.  Les 
princes  qui  régnaient  sur  l'Ar- 
golide  tiraient  sans  doute  leur 
or  des  flancs  du  Tmolos  ou  des 
sables  du  Pactole  ;  la  Phénicie 
leur  procurait  l'électrum  et  le 
lapis-lazuli,  l'Egypte,  les  pierres 
de  différentes  couleurs,  mais  de 
'^'    ^*  tout  cela  s'est  formée  une  indus- 

trie nationale,  ayant  son  style  et  sa  physionomie  propres. 
La  grande  majorité  des  monuments  mycéniens  est 
donc,  en  résumé,  sortie  de  mains  achéennes,  et  tel  est, 
notamment,  le  cas  des  peintures;  sans  quoi,  elles  n'au- 
raient pas  une  telle  parenté  avec  les  poteries  de  Ti- 
rynthe  et  de  Mycènes.  Rappelez-vous  ces  triangles  si- 
nueux mêlés  de  cercles  (fig.  56),  qui  sont  un  des 
principaux  motifs  picturaux  de  Tirynthe  :  ils  repa- 
raissent sur  les  vases  découverts  parmi  les  ruines  de 
l'antique  cité  (fig.  65);  ce  motif,  d'ailleurs,  était  si  ré- 
pandu, qu'on  le  rencontre  à  lalysos,  en  Crète,  à  My- 
cènes, à  Nauplie.  C'était  un  des  motifs  préférés  des 
ornemanistes.  Les  feuilles  cordiformes ,  les  grandes 
ailes  notées  dans  les  peintures  de   Tirynthe,  sont  au 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


119 


nombre  des  ornements  qui  décoraient  la  céramique  de 
Mycènes.  Il  y  a  même  plus  d'un  rapport  entre  ces  pein- 
tures et  certains  vases  d'époque  postérieure  qui,  par 
une  curieuse  persistance  de  la  tradition,  rappellent  en- 
core les  fresques  achéennes.  Par  exemple,  un  fragment 
de  poterie  mycénienne,  qu'on  ne  saurait  rapporter  à 
Pépoque  des  tombes  royales,  représente  des  taureaux 
grossièrement  dessinés,  qui  ne  sont  pas  sans  analogie 
avec  le  taureau  de  Tiryn- 
the,  ou  mieux,  avec  ceux  de 
Vaphio;  le  champ,  comme 
à  Vaphio,  laisse  voir  des 
arbres;  des  lignes  brisées 
simulent  un  terrain  ro- 
cheux. Sur  un  autre  frag- 
ment, on  distingue  une  tête 
de  cheval  dont  les  crins 
sont  partagés  en  touflfes 
(fig.  66],  comme  dans  une 

fresque  de  Mycènes  (fig.  52);  la  même  disposition  se 
remarque  sur  plusieurs  tessons  de  Tirynthe  et  trahit, 
à  n'en  pas  douter,  une  mode  locale.  Ces  points  com- 
muns sont  des  indices  que  nous  avons  affaire  à  des 
peintres  indigènes.  Nous  sommes  encore  loin  du  temps 
où  les  poteries  voyagent;  ces  vases,  d'époques  très 
différentes,  ont  tous  été  fabriqués  dans  le  pays.  Les 
rapprochements  qu'on  peut  établir  entre  eux  et  les 
peintures  prouvent  que  peintres  et  potiers,  quelque 
intervalle  de  temps  qui  les  séparât,  copiaient  les  mêmes 
modèles.  Ainsi,  ces  fresques  antérieures  à  Homère 
appartiennent  bien  à  Part  que  nous  pouvons  appeler, 


lao  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

sans  témérité,  Part  achéen.  On  voit  que,  tout  en  étant, 
comme  Fensemble  de  cet  art,  imprégnées  des  souve- 
nirs d'Egypte  et  d'Orient,  elles  sont,  elles  aussi,  par 
certains  traits,  originales.  Elles  le  sont  principale- 
ment par  les  sujets  qu'elles  traitent,  par  les  allusions 
qu'elles  font  aux  habitudes  nationales,  à  ces  chasses 
périlleuses  où  se  complaisaient  la  force  et  l'agilité  de 
ces  rudes  populations.  Nous  saisissons  déjà,  dans  ces 
tableaux,  un  des  mérites  de  l'art  grec,  qui  est  d'em- 
prunter beaucoup  au  dehors,  en  imprimant  à  tout  sa 
marque  personnelle.  C'est  ce  qui  rend  si  précieuses 
ces  vieilles  peintures  et  justifie  les  développements  que 
nous  leur  avons  consacrés. 


§  II.  —  Les  premiers  peintres  :  Eumarès  d'Athènes 
et  Cimon  de  Cléonées. 

Aux  périodes  de  brillante  civilisation  succèdent 
parfois,  dans  l'histoire  des  peuples,  des  périodes  de 
barbarie  relative  durant  lesquelles  l'art,  au  lieu  de 
marcher  vers  de  nouveaux  progrès,  paraît  subir  une 
sorte  de  recul.  Après  l'époque  des  princes  achéens,  la 
Grèce  passa  par  une  de  ces  phases,  et  ce  qui  l'y  amena, 
ce  fut  le  grand  et  mystérieux  événement  connu  sous  le 
nom  d^invasion  dorienne.  Le  mouvement  partit  du 
Nord,  des  plateaux  de  la  Macédoine,  et  gagna  peu  à 
peu  la  Béotie,  le  Parnasse,  Delphes.  Comme  les  nations 
qu'ils  chassaient  devant  eux,  ces  envahisseurs  étaient 
de  race  hellénique;  c'étaient  des  Grecs  venus  jadis 
d'Asie  en  franchissant  le  Bosphore,   au  lieu  de  suivre 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  isi 

la  route  de  mer,  qu'avaient  prise  d'autres  tribus.  Ils 
s'étaient  fixés  dans  la  Grèce  septentrionale,  et  voici  que 
maintenant,  trop  nombreux  sans  doute,  à  l'étroit  dans 
leurs  montagnes,  ils  débordaient  de  tous  côtés,  s' éten- 
dant de  préférence  dans  la  direction  du  Sud  et  refoulant 
lentement  les  populations  qui  leur  barraient  le  passage. 
Ils  arrivèrent  ainsi  jusque  dans  le  Péloponnèse.  Là, 
ils  firent  le  siège  des  forteresses  achéennes;  non  que  la 
violence  fût  leur  unique  procédé  :  il  y  eut  des  contrées, 
comme  la  Messénie,  où  ils  s'établirent  pacifiquement, 
où  ils  reçurent  des  terres  et  laissèrent  subsister,  au 
moins  pendant  quelque  temps,  les  anciennes  dynasties 
royales;  mais  l'Argolide,  avec  ses  citadelles,  dut  leur 
opposer  une  énergique  résistance;  ils  y  apportaient  des 
revendications  qui  devaient  mal  disposer  les  habitants 
en  leur  faveur:  tout  porte  à  croire  que,  pour  la  réduire, 
ils  eurent  recours  à  la  force.  Les  anciens  occupants 
se  réfugièrent  où  ils  purent,  les  uns  sur  les  bords  du 
golfe  de  Corinthe,  où  ils  se  retranchèrent  dans  des 
postes  inexpugnables,  les  autres,  en  plus  grand  nombre, 
en  Attique  et  dans  la  partie  orientale  de  la  Béotie, 
respectées,  on  ne  sait  comment,  par  l'invasion. 
Ces  terres  demeurées  libres  devinrent  le  refuge  de 
tous  les  exilés ,  et  comme  ils  y  affluaient  en  troupes 
considérables,  on  y  organisa  des  migrations,  des  re- 
tours vers  cet  Orient  d'où  l'on  était  parti  Jadis  pour 
coloniser  la  Grèce  d'Europe.  C'est  de  l'un  de  ces  re- 
tours que  la  légende,  toujours  prompte  à  amplifier  les 
faits  réels,  tira  le  roman  de  la  guerre  de  Troie. 

L'invasion  dorienne  dans  le  Péloponnèse  eut  pour 
l'art  les  plus  graves  conséquences.  L'art  achéen,  si  dé- 


122  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

licat,  si  expert  dans  le  travail  de  Tor,  disparut,  semble- 
t-il,  à  peu  près  complètement.  Ce  serait  pourtant  une 
erreur  de  croire  que  Fancienne  civilisation  périt  tout 
entière.  Ces  durs  montagnards  ne  purent  manquer  de 
subir  rinfluence  des  vaincus;  ils  ne  résistèrent  point  à 
l'ascendant  d'une  race  supérieure,  qui  avait  longtemps 
possédé  le  sol.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce  change- 
ment de  maîtres  amena  un  grand  changement  dans 
l'activité  industrielle  de  la  contrée.  On  n'y  vit  plus  sub- 
sister que  cette  technique  rudimentaire  représentée  par 
ces  terres  cuites  et  ces  stèles  grossièrement  sculptées, 
dont  la  présence  parmi  les  trésors  mycéniens  reste  un 
sujet  d'étonnement  bien  légitime,  et  qu'il  faut,  selon 
toute  apparence,  rapporter  à  une  très  ancienne  popu- 
lation indigène  qui  aurait  continué  de  vivre  sous  la  do- 
mination achéenne,  en  cherchant  maladroitement  à 
imiter  les  chefs-d'œuvre  de  ses  vainqueurs.  Quant  aux 
ateliers  proprement  achéens,  ils  furent  abandonnés  ou 
tombèrent  dans  une  rapide  décadence,  et  cela  n'a  rien 
de  surprenant.  On  comprend,  par  exemple,  que  cette 
riche  orfèvrerie,  que  ce  luxe  approprié  aux  besoins  de 
princes  puissants  et  magnifiques,  ait  cessé  d'avoir  sa 
raison  d'être,  quand,  à  ces  grands  potentats,  eurent 
succédé  des  associations  politiques  aux  mœurs  simples, 
aux  goûts  austères.  Les  Doriens,  sans  doute,  étaient 
loin  d'être  des  barbares;  c'était  une  race  grave,  pro- 
fondément religieuse,  ayant  au  plus  haut  point  l'esprit 
•fédératif,  et  qui  déjà,  probablement,  possédait  une 
esthétique  à  elle;  mais  le  régime  n'était  plus  le  même; 
la  vie  avait  pris  un  autre  tour,  et  l'on  conçoit  que  cette 
transformation  des  idées  politiques  et  sociales  ait  pré- 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  laj 

cipité  la  chute  d'un  art  qui  n'avait  plus  sa  place  dans  le 
nouvel  état  de  choses. 

C'est  ainsi  que  s'étendit,  sur  le  Péloponnèse  tout  au 
moins,  une  sorte  de  nuit  qui  mit  des  siècles  à  se  dissi- 
per. Ce  moyen  âge  nous  est  très  mal  connu.  Ce  qui 
paraît  certain,  c'est  qu'il  ne  fut  point  favorable  à  la 
peinture  :  dans  ce  pays  où,  jadis,  elle  avait  produit  des 
œuvres  si  intéressantes,  tout  fut  pour  elle  à  recom- 
mencer ;  le  terrain  gagné  fut  à  reconquérir,  et  elle  le 
reconquit  sans  se  douter 
qu'elle  l'avait  perdu. 

Jusqu'au  vi"  siècle  avant 
l'ère  chrétienne,  l'histoire 
de  la  peinture  grecque  est 
on  ne  peut  plus  obscure.  Ce 
n'est  pas  que  la  polychro-  Fig.  67. 

mie  fût  négligée,  du  moins 

celle  qu'on  obtient  par  le  rapprochement  de  diffé- 
rentes matières,  naturellement  colorées.  Ainsi,  le  cé- 
lèbre coffre  consacré  à  Olympie  par  Kypsélos,  tyran  de 
Corinthe  ,  et  dont  on  reporte  la  fabrication  au 
viir  siècle,  offrait  un  remarquable  spécimen  de  ce 
genre  de  décoration.  Construit  en  bois  de  cèdre,  il  était 
couvert  de  scènes  figurées  par  des  incrustations  d'or  et 
.d'ivoire  qui  devaient  former  avec  le  fond  sombre  de  la 
boiserie  le  plus  gracieux  contraste.  C'est  par  un  procédé 
de  polychromie  analogue  qu'avait  été  décoré  le  trône 
d'Apollon  Amycléen  (commencement  du  vi"  siècle 
av.  J.-C),  dont  Bathyclès  de  Magnésie  était  l'auteur. 
Du  vm®  au  vi*'  siècle,  la  marqueterie,  d'ailleurs,  nous 
apparaît  comme  un  des  arts  les  plus  cultivés  en  Grèce; 


124  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

c'est  aussi  la  période  pendant  laquelle  la  toreutique 
atteint  le  dernier  degré  de  perfection,  et  où  les  grands 
sanctuaires,  comme  celui  de  Delphes,  s'enrichissent  de 
beaux  vases  de  métal  chargés  de  figures  rapportées, 
d'un  métal  différent,  et  fournissant  les  éléments  d'une 
véritable  ornementation  polychrome. 

La  couleur  est  donc  toujours  dans  le  goût  de  la 
race  grecque.  Mais  la  peinture  proprement  dite,  que 
devient-elle  pendant  ce  temps?  Il  est  bien  difficile  de  le 
dire.  A  en  juger  par  la  céramique,  les  peintres  d'alors 

auraient  été  sin- 
gulièrement inha- 
biles. Voici ,  par 
exemple,  un  frag- 
ment de  vase  atti- 
que  (fig.  6j)^  de  la 
série  connue  sous  le  nom  de  vases  du  Dipylon,  parce 
que  c'est  au  Dipylon,  une  des  portes  de  l'ancienne 
Athènes,  qu'on  en  a  trouvé  les  premiers  exemplaires. 
Ces  morts  aux  membres  gigantesques,  naïvement  en- 
tassés sur  un  pont  de  navire,  trahissent  un  art  tout  à 
fait  gauche.  Ils  rappellent  les  perspectives  de  certaines 
fresques  égyptiennes  (fig.  1 1),  mais  sans  qu'il  y  ait  lieu 
de  supposer  la  moindre  imitation  :  c'est  un  défaut 
commun  à  tous  les  primitifs  que  ces  superpositions 
de  figures  sur  un  même  plan. 

Le  procédé  habituel  des  potiers  du  Dipylon  consiste 
à  disposer  les  personnages  sur  une  seule  ligne.  C'est 
ainsi  que  font  les  enfants,  qui  se  plaisent  à  aligner  tout 
ce  qui  leur  tombe  sous  la  main,  même  les  objets  qui  ne 
se  ressemblent  pas,  comme  si,  de  leur  simple  juxtapo- 


Fig.  68. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  125 

sition,  naissait  une  vague  beauté  qui  les  enchante.  Voyez 


Fig.  69   —  Vase  du  Dipylon. 

cette   barque  munie  de  ses  rameurs,  tous  dessinés  de 


126  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

face,  et  qui  paraissent  se  tenir  par  la  main  (fig.  68).  Leur 
symétrie,  contraire  à  la  réalité,  est  un  expédient  com- 
mode pour  rendre  leur  grand  nombre;  en  même  temps, 
il  s'en  dégage  une  impression  d'ordre  dont  se  contente 
une  esthétique  élémentaire.  Même  dans  les  tableaux 
d'une  composition  plus  savante  éclate  cette  prédilec- 
tion pour  les  processions  de  figures  identiques.  Ainsi, 
les  vases  du  Dipylon  reproduisent  souvent  des  cérémo- 
nies funèbres.  Fabriqués,  à  ce  qu'il  semble,  pour  être 
portés  dans  les  funérailles  et  brisés  sur  la  tombe  après 
rensevelissement,  on  ne  saurait  être  surpris  d'y  voir 
représentées  des  scènes  de  deuils  Or,  dans  ces  pein- 
tures, la  famille  et  les  assistants  sont  figurés  avec  une 
désespérante  monotonie;  des  files  entières  de  person- 
nages font  le  même  geste;  les  guerriers,  montés  sur  des 
chars,  ont  tous  le  même  air  et  le  même  maintien  (fig.  69). 
L'artiste  semble  avoir  eu  pour  unique  souci  de  remplir 
tous  ses  vides  de  la  même  manière;  il  n'a  pas  cherché 
le  pittoresque,  loin  de  là;  il  s'est  efforcé  d'être  régulier 
et  géométrique  dans  le  groupement  de  ses  figures, 
comme  dans  les  ornements  dont  il  a  couvert  les  parties 
accessoires. 

Les  vases  de  ce  style  sont  d'une  époque  difficile  à 
préciser.  Ils  ne  paraissent  guère  avoir  dépassé  la  fin  du 
viii"  siècle.  Mais  cette  timidité  éprise  de  symétrie,  qui 
caractérise  leur  décoration,  leur  survécut.  Elle  apparaît 
encore  sur  les  vases  du  vu®  siècle  qui  servent  de  transi- 

I.  On  peut  se  rendre  compte,  au  Louvre,  des  dimensions  mo- 
numentales de  cette  céramique  par  deux  beaux  spécimens  restau- 
rés, un  cratère  et  une  amphore.  Voyez  musée  Campana,  salle 
des  Origines  comparées. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


tion  entre  le  style  géométrique  et  un  retour  au  décor 
oriental,  comnne  le  prouve  ce  fragment  d'une  œnochoé 
attique  qui  représente  un  chœur d^hommes  et  un  chœur 
de  femmes  se  faisant  face  (fig.  70).  Le  sujet,  il  est  vrai, 
invitait  à  la  régularité;  mais  le  peintre  y  a  mis  toute  la 
raideur  dont  il  était  capable,  et  il  y  a  peu  de  différence, 
pour  la  composition,  entre  ces  quatre  femmes  qui  se 
donnent  la  main  en  tenant  une  branche  verte,  et  les 
rameurs  qu'on  a  vus  plus 
haut.  Sur  un  curieux  tes- 
son trouvé  à  Mycènes, 
on  aperçoit  des  hommes 
armés  qui  partent  en 
campagne,  tandis  qu'une 
femme  leur  adresse  un 
geste  d'adieu  (fig.  71).  De 
quel  pays  sont-ils,  ces 
guerriers  au  casque  orné 
d'une  paire  de  cornes,  au 

bouclier  rond,  échancré  par  le  bas,  au  justaucorps 
bordé  de  franges,  à  la  lance  munie  d'une  double 
pointe  et  qui  supporte  une  espèce  de  havresac?  C'est  ce 
qu'il  n'est  pas  aisé  de  déterminer.  Une  chose,  dans  tous 
les  cas,  mérite  d'être  notée  dans  ce  tableau  très  posté- 
rieur à  l'époque  mycénienne  et  qu'on  peut  faire  des- 
cendre jusqu'au  milieu  du  vu"  siècle,  c'est  l'ordre  régu- 
lier des  combattants.  Ici  encore,  le  peintre  a  dessiné  une 
sorte  de  chœur,  comme  la  chose  à  laquelle  sa  main 
était  le  plus  habituée,  preuve  que  l'art  de  composer  est 
encore  bien  rudimentaire  et  s'en  tient  aux  combinaisons 
de  figures  les  plus  simples. 


Fig.  70. 


128 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Pourtant,  sur  certains  vases  d'une  époque  reculée, 
la  recherche  du  pittoresque  commence  à  se  faire  sentir. 
Elle  se  montre  déjà  sur  quelques  produits  céramiques 
du  Dipylon,  où  les  scènes  d'enterrement  sont  rempla- 
cées par  des  mêlées,  des  danses  armées,  des  chasses  aux 
monstres.  Un  des  plus  anciens  vases  signés,  le  cratère 
'l'Aristonophos  (fin  du  vu"  siècle),  laisse  voir,  sur  une 


Fig.  71.  —  Guerriers  allant  au  combat, 
sur  un  vase  peint  de  Mycènes. 


de  ses  faces,  un  combat  naval  qui  ne  manque  ni  de  va- 
riété ni  de  mouvement  (fig.  72).  Il  est  vrai  que  l'autre 
face,  qui  représente  Ulysse  crevant  l'œil  unique  de  Po- 
lyphème,  rappelle  encore  l'ancienne  symétrie  :  le  héros 
et  ses  compagnons  y  sont  disposés  en  file,  dans  des 
attitudes  identiques,  et  pesant  tous  ensemble,  avec  une 
parfaite  similitude  de  gestes,  sur  le  pieu  qu'ils  enfoncent 
dans  l'œil  du  cyclope. 

Que  conclure  de  cette  imagerie  ?  Quels  rapports 
pouvait  avoir,  avec  ces  grotesques  bonshommes,  la 
peinture  contemporaine?  Dessinait-elle  avec  cette  ma- 
ladresse? Portait-elle  dans  la  composition  celte  insi- 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  laj) 

pide  régularité?  Procédait-elle  ainsi  par  silhouettes 
noires  à  peine  rehaussées  de  quelques  retouches 
blanches,  comme  celles  qu'introduit  déjà  dans  ses  ta- 
bleaux le  potier  Arisionophos?  Les  textes  seuls,  à  dé- 
faut de  spécimens  de  la  grande  peinture,  pourraient 
nous  aider  à  répondre  à  ces  différentes  questions. 
Voyons  ce  qu'ils  nous  apprennent. 

Ils  nous  disent  que  la  peinture,  dans  l'opinion  des 


Fig.  72.  —  Combat  naval,  sur  un  vase  peint 
portant  la  signature  d'Aristonophos. 


Grecs,  avait  été  inventée  à  Sicyone  ou  à  Corinthe, 
et  qu'elle  n'était,  à  l'origine,  qu'un  simple  dessin.  On 
avait  eu  l'idée  de  marquer  par  des  traits,  sur  une  sur- 
face plane,  le  contour  des  ombres  qui  s'y  projetaient, 
et  de  là  était  sortie  une  première  esquisse  qu'on  avait, 
dans  la  suite,  imaginé  de  remplir  de  couleur  noire; 
c'est  ainsi  que  s'était  formée  la  peinture  monochrome, 
encore  pratiquée  au  temps  de  Pline  l'Ancien.  Les  pre- 
miers peintres  avaient  été  Cléanthès  de  Corinthe  ou 
Philoclès  l'Egyptien  ;  mais  ceux-ci  n'étaient  guère 
allés  au  delà  du  trait  de  pinceau  indiquant  le  relief 
extérieur  des  corps.  Aridikès  de  Corinthe  et  Téléphanès 
de  Sicyone  avaient,  les  premiers,  tracé  dans  cette 
silhouette,  soigneusement  noircie,  des  lignes  marquant 

PEINT.    ANTIQUE.  9 


ijo  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

les  contours  internes,  et  comme  les  objets  ainsi  figurés 
n'étaient  point  reconnaissables  à  leur  couleur,  on  avait 
pris  Phabitude  de  les  désigjier  par  des  inscriptions.  Le 
Corinthien  Ecphantos  avait  égayé  ces  images  mono- 
chromes par  des  retouches  rouges  obtenues  avec  de  la 
brique  pilée. 

Tels  sont  les  renseignements  que  nous  fournissent 
les  auteurs.  Ils  concordent,  sur  plus  d^un  point,  avec 
rhistoire  de  la  céramique.  Cette  peinture  dont  Tunique 
moyen  d^expression  consistait  à  cerner  les  contours 
par  un  trait,  nous  la  retrouvons  sur  les  poteries  de 
Tirynthe;  la  figure  70  en  donne,  de  même,  une  idée 
assez  exacte.  On  remarquera  seulement  que  la  sil- 
houette, dans  ces  barbouillages,  n'est  déjà  plus  vide; 
elle  est,  en  partie,  remplie  de  noir,  et  là  où  le  noir  ne 
s'étend  pas  en  larges  plaques,  il  sert  à  marquer  certains 
détails  internes.  Ce  progrès  est  sensible  dans  le  tableau 
des  guerriers  de  Mycènes  (fig.  71).  En  réalité,  la  pé- 
riode du  simple  trait  cernant  les  contours,  si  elle  a 
jamais  existé,  dut  être  fort  courte,  et  de  bonne  heure  le 
noir  s'introduisit  dans  l'intérieur  des  figures.  La  con- 
cordance des  textes  et  de  la  technique  des  vases  n'en 
est  pas  moins  frappante.  Aux  lignes  indiquant  les  con- 
tours internes  répondent,  sur  les  vases,  les  incisions  à 
la  pointe.  Aux  retouches  rouges  d'Ecphantos,  corres- 
pond l'engobe  rouge  dont  les  potiers,  particulièrement 
à  Corinthe,  font,  dès  qu'ils  le  connaissent,  un  si  singu- 
lier abus. 

Une  chose  digne  de  remarque  est  la  patrie  que  les 
-écrivains  anciens  assignent  à  la  peinture.  Elle  naquit, 
affirment-ils,  à  Sicyone  ou  à  Corinthe.  Or  Sicyone  et 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  131 

Corinthe  sont  deux  puissantes  cités,  dans  lesquelles 
Part,  dès  le  vu*"  siècle,  prend  un  merveilleux  essor. 
A  Sicyone  s'établit  la  dynastie  des  Orthagorides,  dont 
Tavènement  est  le  signal  d'une  réaction  énergique  et 
bientôt  triomphante  contre  Télément  dorien.  L'an- 
cienne population  ionienne,  reléguée  dans  la  ville 
basse,  sur  le  rivage  de  la  mer,  recouvre  dans  TÉtat  le 
rang  qu'elle  a  perdu  :  gouvernée  par  des  tyrans  qui  dé- 
ploient un  faste  royal,  elle  entretient  avec  le  dehors 
des  relations  suivies  ;  de  l'Italie  méridionale,  de  l'Epire, 
de  l'Eubée,  de  l'Attique,  des  principales  contrées  du 
Péloponnèse,  les  étrangers  viennent  prendre  part  aux 
fêtes  de  ses  princes  et  admirer  leur  magnificence. 
Ceux-ci,  pendant  un  siècle  (670-570),  fixent  sur  eux 
l'attention  du  monde  hellénique  et  rivalisent  de  luxe 
avec  les  souverains  de  l'Orient.  Quant  à  Corinthe, 
vieille  cité  phénicienne  où,  de  temps  immémorial,  on 
travaille  la  pourpre,  où  l'on  fabrique  de  fines  étoffes 
de  laine  et  des  tapis,  elle  est  de  même  une  des  villes  les 
plus  civilisées  de  l'ancienne  Grèce.  Son  heureuse  situa- 
tion entre  deux  mers  lui  livre  le  commerce  de  l'Orient 
et  de  l'Occident.  Sous  les  Bacchiades,  sous  les  Kypsé- 
lides,  leurs  successeurs,  elle  étend  au  loin  son  in- 
fluence et  domine  jusqu'en  Thrace  par  ses  colonies.  On 
comprend  que  les  historiens  postérieurs  de  la  peinture, 
voulant  rattacher  l'origine  de  cet  art  aux  plus  brillantes 
civilisations  de  ces  temps  lointains,  aient  eu  l'idée  d'en 
placer  le  berceau  dans  ces  deux  grands  centres;  et,  par 
le  fait,  ils  ne  se  trompaient  pas.  Tout  porte  à  croire 
qu'après  l'oubli  où  était  tombée  la  peinture  achéenne, 
ce  furent  les  Sicyoniens  et  les  Corinthiens  qui,  les  pre- 


ij2  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

miers  des  Grecs,  se  remirent  à  faire  des  tableaux  de 
quelque  importance.  A  Corinthe,  notamment,  si  cé- 
lèbre par  sa  céramique,  et  où  le  tour  à  potier  avait  été 
inventé,  où  la  tradition  faisait  vivre,  au  début  du 
VII*  siècle,  un  Eucheir,  un  Eugrammos,  dont  les  noms 
significatifs  trahissent  une  habileté  particulière  de  la 
main,  il  est  aisé  d'admettre  que,  de  bonne  heure,  se 
forma  une  école  de  peinture  dont  l'action  rayonna  sur 
tout  le  voisinage. 

Un  fait  plus  singulier  est  le  rôle  qu'aurait  joué, 
dans  cette  renaissance  de  la  peinture  grecque,  l'Egyp- 
tien Philoclès.  Ce  nom,  d'abord,  ne  laisse  pas  que  d'é- 
tonner :  il  désigne  évidemment,  non  un  Egyptien  de 
naissance,  mais  un  Grec  venu  d'Egypte,  où  il  avait 
longtemps  vécu,  et  d'où,  sans  doute,  il  avait  rapporté 
quelques-uns  des  secrets  de  la  peinture  égyptienne.  On 
ne  voit  pas,  néanmoins,  du  premier  coup,  ce  que  vient 
faire  le  souvenir  de  cette  peinture  dans  l'histoire  de  la 
peinture  hellénique.  Si  l'on  rapproche  cette  tradition 
de  quelques  autres,  tout  s'éclaircit.  Pline  dit  formelle- 
ment que  les  Egyptiens  étaient  regardés  comme  les  in-^ 
venteurs  de  la  peinture;  il  fait  même  allusion  au  désac- 
cord qui  existait  sur  ce  point  entre  eux  et  les  Grecs,  les 
Egyptiens  se  vantant  d'avoir  pratiqué  l'art  de  peindre 
six  mille  ans  avant  qu'il  passât  en  Grèce,  les  Grecs 
avouant  qu'ils  ne  venaient  que  les  seconds,  mais  leur 
contestant  cette  prodigieuse  antériorité.  N'a-t-on  pas 
le  droit  d'en  conclure  qu'à  l'époque  où  les  Hellènes 
plaçaient  les  origines  de  leur  peinture,  la  peinture 
égyptienne  n'avait  point  été,  sur  eux,  sans  influence? 

Ainsi,  la  plus  ancienne  peinture  digne  de  ce  nom 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


IJÎ 


aurait  été,  en  Grèce,  une  peinture  noire  reiiaussée  de 
rouge  et  sillonnée  de  lignes 
tracées  au  burin  ou  figu- 
rées en  clair  pour  indiquer 
le  modelé  intérieur.  Cette 
peinture  se  serait  déve- 
loppée simultanément  à 
Sicyone  et  à  Corinthe  ;  elle 
aurait  été,  dans  une  cer- 
taine mesure,  influencée 
parla  peinture  égyptienne. 
A  côté  de  cet  art  mo- 
nochrome, riche,  au  plus, 
de  deux  tons,  il  est  certain 
que,  de  très  bonne  heure, 
il  en  exista  un  autre  dont 
les  ressources  étaient  plus 
variées.  Pline  distingue 
très  nettement  des  pre- 
miers peintres  monochro- 
mes un  certain  Boular- 
chos,  auteur,  à  ce  qu'il 
paraît,  d'un  tableau  de 
bataille  que  Candaule,  roi 
de  Lydie,  avait  payé  son 
pesant  d'or.  Or  le  roi  Can- 
daule vivait  à  la  fin  du 
VIII*  siècle,  et  le  combat 
représenté  par  Boularchos 

était  un  épisode  de  l'une  des  plus  grandes  guerres  du 
temps,  la  guerre  des  Ephésiens  contre  les  Magnètes, 


lU  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

illustrée  par  les  élégies  belliqueuses  du  vieux  poète 
Callinos,  Callinos  et  Boularchos  étaient  donc  contem- 
porains, et  tandis  que  le  poète  avait,  par  ses  chants, 
contribué  à  la  victoire  d'Ephèse,  sa  patrie,  le  peintre 
avait  immortalisé  la  gloire  des  Éphésiens  en  fixant 
par  le  pinceau  le  souvenir  de  leur  succès.  Mais  quel 
était  le  caractère  de  sa  peinture?  C'était,  sans  aucun 
doute,  une  peinture  polychrome,  qui  procédait  de  l'an- 
tique peinture  achéenne.  Chassée  de  la  Grèce  d'Europe 
par  les  Doriens,  celle-ci  avait  émigré  dans  les  îles  où, 
après  l'invasion  dorienne  dans  le  Péloponnèse,  on 
trouve  tant  de  traces  de  l'art  achéen;  elle  s'était  réfu- 
giée dans  les  îles  et  en  Asie  Mineure,  comme  cette 
orfèvrerie  jadis  si  florissante  à  Mycènes  et  qui  repa- 
raît, après  l'époque  mycénienne,  à  Chypre,  à  Rhodes, 
en  Lydie.  Nous  assisterons  bientôt  au  retour  de  cette 
polychromie  dans  la  Grèce  propre  :  après  un  long  exil, 
elle  y  reviendra,  plus  ou  moins  modifiée  par  des 
influences  étrangères^  Rendons-nous  compte,  en  atten- 
dant, de  ce  que  produit,  au  vu'  et  au  vi'  siècle,  la  pein- 
ture monochrome. 

Les  anciens  connaissaient,  ou  croyaient  connaître 
des  tableaux  de  Cléanthès.  Ils  lui  attribuaient  une  Pn^e 
de  Troie  et  une  Naissance  d'Athéna.  qui  ornaient  un 
sanctuaire  voisin  d'Olympie.  C'est  probablement  dans 
ce  dernier  tableau  que  figurait  un  Poséidon  mentionné 
par  Athénée  et  qui  tenait  à  la  main,  comme  attribut, 
un  dauphin.  Le  même  temple  renfermait  une  composi- 


I.  Holwerda,  Jahrbuch  des  kais.  deutsch.  archceol.  Instituts, 
1890,  p.  256,  259  et  suiv. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


ïJI 


tion  d'Arégon  de  Gorinthe,  représentant  Artémis  sur 
un  griffon.  La  peinture  monochrome  était  aussi  cul- 
tivée dans  les  îles  et  en  Orient.  On  citait  un  certain 
Saurias  de  Samos  comme  Payant,  un  des  premiers, 
pratiquée  dans  son  pays.  Craton  de  Sicyone  imagina, 
pour  mieux  faire  ressortir  ses  silhouettes  noires,  de  les 
appliquer  sur  un  fond  blanc.  D'autres  peintres,  dont 
l'antiquité  elle-même  savait  fort  peu  de  chose,  nous 
sont  encore  donnés  comme  s'étant  exercés  dans  le 
genre  monochrome  :  Hygiainon,  Deinias,  Charmadas. 
Rien  n'est  plus  vague,  on  le  voit,  que  ces  indications. 
Les  monuments  qui  se  rapprochent  le  plus  de  cette 
peinture  sont  les  curieux  sarcophages  en  terre  cuite 
trouvés  dans  l'île  de  Rhodes  et  surtout  aux  environs  de 
Clazomène,  non  loin  de  Smyrne.  Il  existe  de  ces  caisses 
d'argile  peinte,  soit  entières,  soit  à  l'état  pig.  7+. 

de  fragments,  à  Smyrne,  Constantinople, 
Berlin,  Vienne,  Londres,  Paris.  Celle 
que  nous  reproduisons  dans  son  inté- 
grité (fig.  73)  se  voit  au  musée  de  Tchin- 
li-Kiosk,  à  Constantinople.  Ce  sont  de 
grands  récipients  de  terre  rouge,  généra- 
lement plus  larges  au  sommet  qu'à  la 
base,  et  qui  portent  aux  pieds  et  à  la  tête, 
ainsi  que  sur  les  bords  latéraux,  une 
décoration  extrêmement  riche.  Scènes  de 


;:i::t^a5i:;v7ii;iT^iJi]ii:ii:asiiJiL^^ 


eiTiîL'TirRLi.iL^j  I  '1  i5i:;L'.:ira 


ij<î  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

combats,  de  chasses,  guerriers  luttant  Tun  contre  l'autre 
pour  la  possession  d'un  cadavre,  gazelles,  taureaux, 
sangliers  attaqués  par  des  lions,  tels  sont  les  motifs  qui 
occupent  le  plus  souvent  les  deux  extre'mités  de  ces 
cuves,  c'est-à-dire  les  parties  qui  offrent  au  peintre  le 
champ  le  plus  étendu  et  le  plus  facile  à  remplir.  Un 
des  sujets  favoris  du  décorateur,  dans  ces  tableaux,  est 
celui  de  la  course  de  chars  (fig.  74).  Ajoutez  à  cela  les 
rangées  de  sphinx,  les  grecques,  les  oves  qui  courent  de 
distance  en  distance,  l'élégante  torsade  compliquée  de 
palmettes  (fig.  75)  qui  s'enroule  sur  la  tranche  des  pa- 
rois latérales  et  qui  semble  avoir  été  si  populaire  en 
Asie  Mineure  et  sur  la  côte,  qu'au  ni°  siècle  avant  l'ère 
chrétienne  on  en  retrouve  encore  le  souvenir  affaibli 
sur  certains  monuments  funéraires  de  l'île  de  Chios,  et 
vous  concevrez  le  luxe  de  cette  ornementation,  qui  sur- 
passe de  beaucoup  celle  des  plus  beaux  vases  à  figures 
noires.  Elle  nous  offre,  à  mon  avis,  l'image  la  plus 
exacte  que  nous  puissions  rencontrer  de  la  peinture 
monochrome,  non  pas  à  ses  débuts,  mais  déjà  presque 
parvenue  à  la  perfection.  Sur  les  plus  anciens  de  ces 
sarcophages,  les  motifs  sont  simplement  exécutés  en 
noir,  avec  des  lignes  claires  qui  en  dessinent  les  sail- 
lies internes.  Sur  les  autres  apparaissent  déjà  ces 
retouches  rouges  qu'Ecphantos  introduira  dans  la 
grande  peinture  corinthienne;  on  peut  même  y  noter 
quelques-unes  de  ces  retouches  blanches  si  ancienne- 
ment usitées  dans  la  décoration  des  vases  peints.  Mais 
ce  que  ces  fresques  sur  argile  ont  peut-être  de  plus 
remarquable,  c'est  l'engobe  blanc  qui  leur  sert  de  fond. 
Sur  toute  l'étendue  de  la  surface  à  décorer,  l'artiste  a 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


137 


étalé  une  mince  couche  de  couleur  blanche,  dont  Teffet 
est  de  supprimer  la  porosité  de  la  terre,  d'en  rendre  la 
superficie  plus  lisse  et  d'y  faire  se  détacher  plus  vigou- 
reusement les  sujets  noirs.  Vous  recon- 
naissez là  le  procédé  de  Craton  de 
Sicyone.  Ce  sera  celui  de  la  peinture 
du  v'' siècle;  cet  engobe  blanc  annonce 
déjà  les  fonds  blancs  du  plus  grand 
peintre  d'Athènes,  PolygnotedeThasos. 
C'est  cette  perfection  technique,  c'est 
le  mouvement  et  la  variété  de  ces  com- 
bats, de  ces  concours  équestres,  qui 
autorisent  à  supposer  une  certaine  res- 
semblance entre  les  sarcophages  de 
Clazomène  et  les  œuvres  du  premier 
peintre  célèbre  que  nous  connaissions, 
Eumarès  d'Athènes.  Il  vivait,  selon 
toute  apparence,  dans  la  première  moi- 
tié du  vi''  siècle.  Son  fils,  Anténor,  fut 
un  des  sculpteurs  les  plus  renommés 
de  l'époque  des  Pisistratides;  c'est  lui 
qui  fit  le  fameux  groupe  des  meurtriers 
d'Hipparque,  Harmodios  et  Aristogiton, 
dont  une  copie  très  postérieure  existe  au 
musée  de  Naples.  On  a  récemment  dé- 
couvert sur  l'Acropole  une  statue  de  femme  qui  porte  sa 
signature.  Il  signait:  «  Fils  d'Eumarès  »,ce  qui  établit 
clairement  sa  parenté  avec  le  peintre.  En  plaçant  sa  ma- 
turité entre  53o  et  52o,  on  se  tromperait  probablement 
de  fort  peu,  et  cela  reporterait  celle  d'Eumarès  vers  56o 
ou  55o.  Eumarès  était  donc  contemporain  de  Solon. 


F'g-  75- 


138  LA    PEINTURE    ANTIQUE, 

Un  de  ses  mérites,  nous  dit  Pline,  fut  de  représen- 
ter toute  sorte  de  figures,  c''est-à-dire  de  rompre  avec 
la  raideur  et  la  monotonie  de  Tancienne  peinture  mo- 
nochrome. Mais  son  innovation  capitale  consista  à 
distinguer  les  femmes  des  hommes.  Le  moyen  qu'il  em- 
ploya pour  cela  n'est  pas  douteux  :  il  coloria  leurs 
chairs  en  blanc,  suivant  un  procédé  universellement 
adopté,  après  lui,  par  les  potiers  du  vi"  siècle  (fig.  76). 
C'est  là  un  des  effets  de  cette  influence  égyptienne 
dont  il  a  été  question  plus  haut.  Vous  vous  souvenez 
que  les  Egyptiens,  pour  rendre  la  différence  de  ton  qui 
existait  chez  eux  entre  le  nu  des  hommes  et  le  nu  des 
femmes,  avaient,  de  très  bonne  heure,  imaginé  de 
peindre  les  premiers  en  rouge  brun,  les  secondes  en 
jaune  pâle.  C'est  ce  jaune  qui  devint,  dans  les  tableaux 
d'Eumarès,  le  blanc  neigeux  dont  les  vases  peints  nous 
donnent  une  idée.  Il  suffit,  pour  le  comprendre,  de 
jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur  l'histoire. 

Depuis  que  l'Egypte  avait  exercé  sur  la  Grèce,  à 
l'époque  achéenne,  l'action  que  l'on  sait,  ses  relations 
avec  le  monde  hellénique  n'avaient  sans  doute  jamais 
été  interrompues.  On  ne  voit  pas,  cependant,  qu'elles 
aient  continué  avec  la  Grèce  d'Europe,  où  dominaient 
les  Doriens;  mais  elles  subsistèrent  avec  la  côte  d'Asie 
et  les  îles,  sans  qu'on  en  puisse  nettement  déterminer 
le  caractère.  Tout  à  coup,  au  vn*^  siècle,  se  produit  un 
fait  important.  Un  pharaon,  Psamitik  I",  concède  des 
terres,  le  long  de  la  branche  pélusiaque  du  Nil,  aux 
Ioniens  et  aux  Cariens  qui  l'ont  aidé,  comme  merce- 
naires, à  faire  la  guerre  dans  la  haute  Egypte.  Des  co- 
lons de  Milet,  encouragés  par  cet  exemple,  ne  tardent 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


'39 


pas  à  venir,  eux  aussi,  s'établir  dans  le  Delta,  où  ils 
fondent  une  sorte  de  comptoir  fortifié,  qui  prend  le 
nom  de  Camp  des  Milésiens.  A  partir  de  ce  moment, 
les  Grecs  se  succèdent,  de  plus  en  plus  nombreux,  sur 
le  rivage  africain.  Leur 

race  active  et  entrepre-  .«î^^^i,  -î^^îiS^âAS^. 

nante,  pleine  d'enthou-  «j^*  ÊBÊê'^^uJIp  ^^K 
siasme  pour  la  civili- 
sation égyptienne,  la 
répand,  par  le  com- 
'merce,  dans  toutes  les 
échelles  d'Orient.  Enfin, 
sous  Amasis,  qui  leur 
livre,  près  de  la  bouche 
canopique,  la  ville  de 
Naucratis,  ils  achèvent 
de  s'implanter  à  l'em- 
bouchure du  Nil.  Ces 
événements  ne  pou  - 
valent  laisser  indiffé- 
rente la  Grèce  conti- 
nentale. Dès  le  temps 
de  Psamitik,  nous  la 
voyons  en  rapport  avec 

l'Egypte.  A  Corinthe,  règne  un  Psamétichos,  le  dernier 
des  Kypsélîdes,  dont  le  nom  tout  égyptien  prouve 
l'existence  de  liens  de  famille  entre  le  roi  de  Sais  et  les 
princes  corinthiens.  Après  l'incendie  du  temple  de  Del- 
phes, en  548,  les  Delphiens  envoient  de  tout  côté  des 
ambassadeurs  pour  réunir  l'argent  nécessaire  à  sa  recon- 
struction, et  parmi  les  souverains  amis  auxquels  ils 


Fig.  715. 


i+o  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

s^adressent,  se  trouve  Amasis,  qui  s'acquitte  en  nature 
et  leur  donne  généreusement  mille  talents  d^alun.  Le 
même  Amasis  est  populaire  à  Athènes  :  son  nom  est 
porté  par  un  maître  potier  de  la  seconde  moitié  du 
vi^  siècle.  Son  libéralisme,  son  amour  pour  la  Grèce, 
font  que  les  Athéniens  se  rendent  volontiers  dans  ses 
États,  afin  d'y  trafiquer.  C'est  là  que  Solon  va  faire  un 
long  séjour,  après  avoir  terminé  ses  réformes.  C'est  de 
là  que  viennent,  sous  Pisistrate  et  ses  fils,  maints  se- 
crets de  métier  qui  ont  sur  l'art  athénien  la  plus  décisive 
influence.  L'engouement  pour  l'Egypte  est  universel  ; 
on  la  découvre  de  nouveau,  sans  soupçonner  la  part 
qu'elle  a  eue  jadis  dans  le  développement  artistique  de 
la  Grèce.  C'est  ce  qui  explique  l'invention  d'Eumarès, 
postérieure  de  cent  ans  peut-être  aux  importations  de 
Philoclès  l'Égyptien,  dont  elle  marque  la  suite.  Depuis 
longtemps,  les  retouches  blanches  étaient  pratiquées 
dans  la  peinture  de  vases  et,  semble-t-il,  aussi  dans  la 
grande  peinture;  elles  avaient  dû  naître  du  désir  d'imi- 
ter les  incrustations  d'ivoire,  si  fréquentes,  au  vni«  et 
au  vu"  siècle,  dans  l'ébénisterie  de  luxe,  comme  les 
retouches  rouges  des  Corinthiens,  mises  en  honneur 
par  les  poteries  de  Rhodes  et  de  Mélos,  avaient  eu 
pour  point  de  départ  l'intention  de  reproduire  les  ap- 
pliques de  cuivre  dont  les  grands  toreuticiens  tels  que 
Glaucos  de  Chios,  Rhoicos  et  Théodoros  de  Samos, 
avaient,  les  premiers,  décoré  les  vases  de  bronze.  Mais 
l'idée  d'employer  le  blanc  à  distinguer  les  sexes  n'avait 
point,  à  ce  qu'il  semble,  eu  cours  avant  Eumarès;  c'est 
lui,  dans  tous  les  cas,  qui  en  fit  le  premier  l'application 
à  Athènes,  et  sa  trouvaille  eut  tant  de  succès,  qu'on 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  i+i 

voit  Thespis,  le  plus  ancien  des  tragiques,  la  transpor- 
ter, vers  535,  dans  la  mise  en  scène.  Le  blanc  de  céruse 
dont  il  barbouillait  ses  acteurs,  les  masques  de  toile 
blanche  dont  il  leur  couvrait  le  visage,  n'avaient  évi- 
demment d'autre  but  que   d'accuser   les   personnages 
féminins^  en  les  opposant  aux  hommes,  frottés  de  lie^ 
Nous  ne  saurions  dire  quels  sujets  traitait  Euma- 
rès.  Il  peignait  probablement  de  grandes  compositions 
historiques  ou  religieuses.  Les  scènes  de  combats  figu- 
rées sur  les  plus  beaux  sarcophages  de  Clazomène,  les 
processions  de  divinités  comme  celles  que  représente  le 
vase  François,  du  musée  de  Florence,  peuvent  donner 
un  aperçu  de  ses  tableaux.  Son  talent  trouvait  sans  doute 
à  s'exercer  dans  les  temples,  peut-être  déjà  dans  les 
habitations   privées,  dans  les  maisons  de   ces   nobles 
contre  lesquels  fut  dirigé  le  coup  d'Etat  de  Pisistrate. 
Sur  la  décoration  picturale  des  temples,  nous  avons 
des  documents  précis.  On  a  vu  que  d'antiques  fresques, 
attribuées  aux  premiers  peintres  monochromes,   bien 
qu'elles  leur  fussent  certainement  très  postérieures,  or- 
naient,   près  d'Olympie,  le  sanctuaire  d'Artémis  Al- 
pheionia.  Quand  Harpagos,  lieutenant  de  Cyrus,  pilla, 
en  544,  la  ville  de  Phocée,  il  en  trouva  les  temples  tout 
couverts,  à  l'intérieur,  de  peintures  variées.  La  plupart 
de  ces  tableaux  étaient   inspirés   par   Homère   et   les 
poèmes   cycliques,   qui   sont,  au   vi"  siècle,  la    source 
commune  où  puisent  à  l'envi  poètes  et  artistes.   C'est 
cette  source  qui  devait  alimenter  la  peinture  d'Eumarès. 
Il  eut  pour  successeur  Cimon  de  Cléonées,  qui  fit 

1.  Revue  des  études  grecques,  1891,  p.  i68  et  suiv. 


14»  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

faire  à  Fart  de  peindre  des  progrès  considérables  en  in- 
ventant les  raccourcis  (jcara-ypaipa),  ce  qui  revient  à  dire 
que,  tout  en  employant  encore  les  teintes  plates,  il 
chercha,  par  le  dessin,  à  rendre  tant  bien  que  mal  la 
perspective.  Il  imagina,  de  plus,  de  varier  les  attitudes 
de  ses  personnages,  de  les  montrer  tournant  la  tête, 
abaissant  leurs  regards  vers  la  terre  ou  les  levant  au 
ciel.  Enfin,  il  réussit  à  exprimer  Panatomie  du  corps 
humain,  ainsi  que  le  moelleux  des  étoffes.  C'étaient 
là  de  grandes  nouveautés.  Malheureusement,  les  té- 
moignages anciens  sur  ce  peintre  ne  citent  de  lui  aucun 
tableau.  Mais,  d'après  les  inventions  techniques  qu'ils 
lui  prêtent,  on  devine  que  ses  efforts  se  concentrèrent 
principalement  sur  Pétude  de  la  draperie  et  sur  celle  du 
nu.  Aux  rigides  vêtements  d'Eumarès,  il  substitua  des 
vêtements  plus  souples,  dont  nous  pouvons  nous  faire 
une  idée  par  une  curieuse  stèle  trouvée,  en  i83g, 
à  Vélanidéza,  près  de  Marathon,  et  sur  laquelle  on 
n'avait  rien  distingué,  lorsque,  en  1878,  l'ayant  débar- 
rassée de  la  terre  qui  y  adhérait  encore,  on  y  vit  appa- 
raître l'image  que  nous  reproduisons  (fig.  'j-j).  L'in- 
scription gravée  au  bas  indique  que  ce  marbre  était 
dressé  sur  la  tombe  de  Lyséas,  dont  il  contient  le  por- 
trait. Le  cavalier  représenté  au-dessous  de  la  figure 
principale  prouve  que  nous  avons  affaire  à  un  de  ces 
nobles  Athéniens  qui  entretenaient,  en  vue  des  con- 
cours, de  somptueuses  écuries.  Les  caractères  de  l'in- 
scription nous  reportent  vers  53o  ou  520.  Or  telle  est 
à  peu  près  l'époque  où  il  convient  de  placer  Cimon  de 
Cléonées,  plus  jeune  qu'Eumarès  et  contemporain 
d'Anténor.  Ce  corps  élégamment  drapé  dans  un  ample 


LA    PEINTURE    GRECQUE, 


i+î 


manteau  nous  fait  comprendre  la  manière  dont  il 
traitait  les  plis.  On  voit  combien  ce  large  rendu  est 
déjà  loin  de  la  sécheresse  que 
portent  dans  les  représentations 
analogues  les  peintres  de  vases 
à  figures  noires. 

Mais  ce  que  Cimon  semble 
avoir  peint  de  préférence,  ce  sont 
des  figures  d'athlètes,  où  il  pou- 
vait, suivant  l'expression  de 
Pline,  faire  saillir  les  veines 
[venas  protulit)  et  témoigner  de 
sa  science  de  Tanatomie.  C'était 
le  moment  où  Pisistrate  venait 
de  réorganiser  les  Panathénées 
en  y  introduisant  les  exercices 
gymnastiques  à  côté  des  courses 
de  chevaux,  qui  y  avaient,  jus- 
que-là, figuré  à  peu  près  seules 
et  auxquelles  l'aristocratie  sur- 
tout prenait  part.  Il  était  naturel 
que  ces  luttes  en  plein  air  et 
l'entraînement  qu'elles  néces- 
sitaient dans  les  palestres  fissent 
sur  les  artistes  une  vive  impres- 
sion. Tous  ces  corps  jeunes  et 
vigoureux  s'arc-boutant,  se  cam- 
brant, s'enlaçant  dans  de  ner- 
veuses étreintes,  offraient  aux  peintres,  comme  aux 
sculpteurs,  les  plus  heureux  motifs.  On  ne  saurait  dou- 
ter de  l'influence  de  ces  exercices  sur  la  peinture  de 


Fig.  77.  —  Stèle  de  Lyséas, 
peinture  sur  marbre. 


14+  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Cimon  de  Cléonées.  De  là  lui  vint  évidemment  ce  souci 
du  détail  an'atomique,  que  nous  voyons,  vers  le  même 
temps,  si  naïvement  poursuivi  parles  premiers  potiers 
qui  décorent  leurs  vases  de  figures  rouges.  La  même 
préoccupation  se  retrouve  chez  les  peintres  de  stèles, 
comme  l'atteste  ce  fragment  de  marbre  peint  (fig.  78), 
postérieur  de  peu  d'années  à  la  stèle  de  Lyséas.  Pein- 
tres et  potiers  exagèrent  les  articulations;  ils  s'in- 
génient aussi  à  pré- 
senter leurs  figures 
dans  les  postures  les 
plus  diverses,  à  pra- 
tiquer les  raccourcis 
mis  à  la  mode  par 
Cimon.  Voyez  ce 
Jeune  discobole  qui 
tient  son  disque  de 
la  main  droite  et  lève 
le  bras  gauche  pour  faire  contrepoids  (fig.  79).  Le  geste 
de  ce  bras  et  ce  dos  presque  de  face,  sur  des  reins  de 
profil,  sont  d'une  gaucherie  incontestable.  Il  n'y  en  a 
pas  moins  là  un  effort  intéressant  pour  rendre  les  sur- 
faces fuyantes  et  donner  l'illusion  de  la  profondeur. 
Ce  praticien  si  habile,  ce  Cimon  dont  on  s'accorde 
à  reconnaître  la  grande  influence  sur  la  peinture  de 
vases  à  figures  rouges,  peignait-il,  comme  son  prédé- 
cesseur, des  silhouettes  noires,  rehaussées  de  rouge  et 
de  blanc  ?  On  l'a  cru  jusqu'ici,  sur  la  foi  de  Pline.  Con- 
trairement à  l'opinion  reçue,  je  verrais  en  lui  un 
peintre  polychrome.  Etudiez,  en  effet,  attentivement  le 
texte  de  Pline  :  aucune  phrase,  aucun  terme  n'y  prouve 


Fig.  78.  —  Peinture  sur  marbre. 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


'+5 


nécessairement  que  Cimon  s'en  tint  à  la  peinture  mo- 
nochrome. Eumarès,  par  l'emploi  du  blanc  pour  dis- 
tinguer les  sexes,  avait  fait  un  premier  pas  dans  la  voie 


Fig.  79.  —  Discobole, 
étude  de  raccourci  sur  un  vase  peint  à  figures  rouges. 


du  réalisme;  Cimon  en  fit  un  second,  beaucoup  plus 
considérable,  en  essayant  de  rendre  la  perspective,  en 
donnant  à  ses  figures  des  attitudes  plus  conformes  à  la 
réalité,  en  y  accusant  la  musculature  et  le  moelleux 
des  draperies.  Voilà  ce   que  Pline   veut  signifier.  Là 

PEINT.     ANTIQUE.  lO 


1^6  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

nature  même  des  inventions  dont  il  lui  fait  honneur 
indique  que  ses  tableaux  étaient  à  plusieurs  tons.  Ces 
plis,  ces  articulations  apparentes,  tout  cela  n'était  pas 
nouveau;  il  y  avait  de  longues  années  que  les  peintres 
de  vases  à  figures  noires  savaient  se  tirer  de  pareilles 
difficultés  :  ce  qui  le  fut,  c'est  le  soin,  c'est  la  délica- 
tesse que  Cimon  y  apporta,  ce  sont  les  traits  légers  par 
lesquels  il  marqua  jusqu'à  la  saillie  des  veines  et  qui 
dénotent  l'usage  de  fonds  clairs ,  sur  lesquels  les 
moindres  retouches  produisent  tout  leur  effet.  S'il 
s'était  borné  à  rééditer,  même  en  les  perfectionnant, 
les  procédés  de  la  technique  noire,  il  n'eût  pas,  à  ce 
point,  mérité  l'admiration  des  critiques.  Il  fit  plus  : 
il  remplaça  la  figure  noire  par  la  figure  polychrome, 
et  c'est  là  ce  qui  lui  permit  de  donner  tant  d  impor- 
tance au  modelé  interne.  Considérez,  en  outre,  le 
temps  oti  il  vivait  :  c'était  le  temps  de  Pisistrate,  où 
nous  voyons  se  produire,  précisément,  une  véritable 
invasion  d'Athènes  par  la  polychromie.  Édifices, 
statues,  marbre,  pierre,  tout  est  enluminé  de  vives 
couleurs;  soit  contagion  de  l'Egypte,  avec  laquelle 
l'Athènes  du  vi«  siècle  a  de  si  fréquents  rapports,  soit 
influence  de  l'Orient  et  des  îles,  d'où  la  polychromie 
n'a  jamais  disparu,  et  qui  sont,  eux  aussi,  en  relation 
si  étroite  avec  les  Pisistratides,  il  y  a  comme  une  dé- 
bauche de  décoration  polychrome  à  laquelle  il  serait 
bien  singulier  que  la  grande  peinture  fût  demeurée 
étrangère.  Cimon  fut  entraîné  par  le  mouvement  gé- 
néral, ou  plutôt,  il  fut  un  de  ceux  qui  le  provoquèrent. 
N'était-il  pas  de  Cléonées,  près  de  Corinthe,  un  pays 
depuis  longtemps  célèbre  par  ses  innovations   pictu- 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


«47 


raies?  Qui  sait  si,  à  côté  des  monochromes  à  retouches 
rouges,  ce  pays,  d'assez  bonne  heure,  n'avait  pas  pro- 
duit des  tableaux  polychromes,  dans  le  goût  de  la  vieille 
peinture  achéenne  dont  les  îles  avaient  gardé  le  secret? 
Le  commerce  actif  qu'il  entretenait  avec  elles  et  avec 
tout  l'Orient  autoriserait 
à  le  croire.  Eucheir,  que 
la  légende  fait  venir  à  Co- 
rinthe,  au  vu"  siècle  avant 
notre  ère,  et  qu'elle  met  au 
nombre  des  inventeurs  de 
la  peinture,  était  parent 
de  Dédale,  un  Cretois.  Il 
n'est  pas  impossible  d'ad- 
mettre qu'héritier  de  ces 
lointaines  traditions,  Ci- 
monles  transporta  à  Athè- 
nes, quand,  à  l'exemple 
de  tant  d'artistes,  il  vint 
grossir  la  cour  de  l'un  des 
princes  les  plus  magnifi- 
ques de  son  temps. 

Veut-on  d'autres  preu- 
ves? On  n'a  qu'à  jeter  les 

yeux  sur  les  stèles  peintes.  La  stèle  de  Lyséas,  qui  se 
rattache  intimement  à  la  peinture  de  Cimon,  était  poly- 
chrome; on  n'y  voit  plus  aujourd'hui  que  la  place 
des  couleurs;  mais  sur  toute  cette  surface,  dont  la  colo- 
ration actuelle  va  du  blanc  jaunâtre  au  rouge  brun, 
étaient,  à  l'origine,  étendus  différents  tons.  On  dis- 
tingue même   encore,   sur   le  manteau,  des   traces  de 


Fig.  80.  —  Stèle  d'Antiphanès, 
peinture  sur  marbre. 


1^8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

pourpre.  Une  stèle  du  même  temps,  ou  quelque  peu 
postérieure,  qui  ornait  la  sépulture  d'un  certain  Anti- 
phanès,  montre  un  coq  très  librement  esquissé  en  noir 
et  dont  les  plumes  gardent  des  restes  de  rouge  et  de 
bleu  (fig.  80).  La  palmette  qui  le  surmonte,  et  que  nous 
n'avons  pas  cru  devoir  reproduire,  offre  des  vestiges 
très  visibles  de  ces  deux  couleurs.  Voyez  encore  cette 
jolie  tête  d'éphèbe  peinte  sur  marbre,  trouvée,  il  y  a 
peii  d'années,  dans  les  environs  du  cap  Sunium  (fig.  81). 
Comme  la  stèle  de  Lyséas,  elle  n'offre  plus  que  la  place 
des  couleurs,  représentées  par  un  ton  rougeâtre,  tantôt 
foncé,  tantôt  clair;  mais,  selon  toute  vraisemblance,  ce 
n'est  pas  en  noir  que  les  chairs  y  étaient  peintes;  ce 
qui  l'indique,  c'est  la  ligne  blanche  qui  contourne  le 
visage  et  qui,  elle,  est  un  souvenir  du  trait  noir  dont  il 
était  cerné.  Or,  si  ce  trait,  en  s'écaillant,  a  laissé  une 
trace  blanche,  on  en  doit  conclure  que,  là  où  la  trace 
est  sombre,  il  y  avait  autre  chose  que  du  noir.  Ce  pré- 
cieux monument,  qui  appartient  aux  dernières  années 
du  VI*  siècle,  est  tout  voisin  de  Cimon  de  Cléonées.  Il 
constitue  donc  un  nouveau  témoignage  en  faveur  de  la 
thèse  que  nous  soutenons. 

S'il  faut  enfin  un  dernier  argument,  j'irai  le  cher- 
cher dans  l'évolution  qu'accomplit  la  céramique  vers 
la  fin  du  Vf  siècle.  On  sait  que  les  vases  grecs  forment 
deux  grandes  catégories,  ceux  où  les  figures  sont  peintes 
en  noir  sur  fond  rouge,  et  ceux  où  elles  sont  peintes  en 
rouge  sur  fond  noir.  C'est  la  première  technique  qui 
est  la  plus  ancienne.  La  seconde  lui  succéda,  aux  envi- 
rons de  520,  non  sans  hésitation;  il  y  a  des  potiers,  et 
des  plus  habiles,  qui  s'obstinent  à  peindre  en   noir; 


LA    PEINTURE   GRECQUE, 


»49 


d'autres,  plus  hardis,  comme  Nicosthène,  comme  Épic-^ 
tétos,  abordent  résolument  la  figure  rouge,  sans  renon- 
cer tout  à  fait  à  la  vieille  méthode.  Leur  exemple  est 
suivi  avec  la  lenteur  qui  caractérise  parfois  les  grandes 
révolutions  industrielles  :  nous  connaissons  des  po- 
tiers de  ce  temps 
qui  peignent  tantôt 
en  rouge,  tantôt  en 
noir,  et  les  mêmes 
vases,  souvent,  nous 
montrent  réunies 
ces  deux  techni- 
ques différentes.  En- 
fin, le  rouge  prend 
le  dessus,  et  nous 
sommes  en  présence 
de  cette  belle  céra- 
mique attique  du 
v^  siècle,  dont  la 
coloration,  sans  re- 
touches   rouges    ni 


Fig.  8i.  —  Tête  d'éphèbe, 
peinture  sur  marbre. 


blanches,  est  toute 
conventionnelle,  mais  qui  tire  du  dessin  un  si  mer- 
veilleux parti.  On  a  cru  découvrir  Torigine  de  ce  chan- 
gement dans  les  ateliers  mêmes  des  céramistes,  dans 
le  perfectionnement  de  certains  de  leurs  procédés  *. 
Les  procédés,  sans  doute,  y  furent  pour  quelque  chose; 
mais  le  branle  fut  donné  par  les  ateliers  des  peintres. 
Ce  fut  la  vue  des  peintures  polychromes  qui  fit  que 


I.  Klein,  Euphronios,  2"  édition,  p.  29  et  suiv. 


ISO 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


les  maîtres  potiers  quittèrent  le  noir  pour  le  rouge; 
sans  pouvoir  reproduire  exactement  leurs  modèles,  ils 
tentèrent  de  s^en  rapprocher  en  peignant  des  silhouettes 
claires.  Cela  leur  permettait  d'accuser,  comme  les 
peintres,  les  détails  anatomiques.  Nous  les  voyons 
d'abord  s'y  essayer  timidement;  bientôt,  ils  s'enhar- 


Fig.  82.  —  Plaque  d'argile  peinte,  à  figures  noires. 

dissent  et  imaginent  ces  menus  traits  jaunes,  moins 
durs  que  les  traits  noirs,  qui  leur  servent  à  exprimer 
les  modelés  les  plus  délicats.  Qui  pourrait  nier,  dans 
ce  progrès,  l'influence  de  Cimon  de  Cléonées  ?  C'est  à 
lui,  selon  toute  apparence,  que  doit  être  rapportée  cette 
transformation  de  la  céramique.  Tous  les  archéologues 
sont  d'accord  pour  rattacher  à  ses  innovations  les  amé- 
liorations  de  détail  que  subit,  vers  cette  époque,  la 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  i$l 

peinture  de  vases  à  figures  rouges;  mais  ce  qu'il  faut 
y  rattaciier  surtout,  c'est  l'idée  même  de  la  technique 
nouvelle,  où  il  semble  difficile  de  ne  pas  voir  un  argu- 
ment décisif  en  faveur  du  caractère  polychrome  de  ses 
tableaux. 

A  partir  de  ce  moment,  la  polychromie  fait  fureur, 


Fig.  83.  —  Plaque  polychrome  d'argilo  peinte. 

et  on  la  trouve  jusque  sur  les  plaques  d'argile  peinte. 
Il  existe  aujourd'hui  plusieurs  centaines  de  ces  monu- 
ments, dont  les  uns,  comme  ceux  qui  proviennent  de 
Corinthe  et  qu'on  peut  voir  en  si  grand  nombre  au  mu- 
sée de  Berlin,  étaient  des  ex-voto  qu'on  suspendait 
dans  les  temples,  tandis  que  les  autres,  plus  spéciale- 
ment attiques,  figuraient  en  général,  dans  l'intérieur  des 
sépultures,  de   longues    frises   représentant  les  divers 


1S2  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

actes  des  funérailles  i.  Or  ces  plaques,  au  vi"  siècle, 
suivent  la  technique  des  vases  de  style  noir  :  il  est  aisé 
d'en  Juger  par  la  figure  82,  qui  montre  huit  person- 
nages drapés,  exécutant,  avec  le  geste  traditionnel,  la 
lamentation  qui  précédait  la  déposition  au  tombeau. 
Mais  il  vient  un  temps  où,  la  grande  peinture  étant  po- 
lychrome, les  plaques  d'argile,  elles  aussi,  s'efforcent 
de  l'être  à  leur  manière,  comme  le  prouve  ce  guerrier 
colorié  en  jaune,  qui  porte  ceinte  autour  de  la  taille 
une  chlamyde  noire,  et  s'enlève,  dans  un  cadre  noir  et 
rouge,  sur  un  fond  blanc  crème  (fig.  83).  Ce  petit  ta- 
bleau, qui  est  de  la  fin  du  vi"  siècle  ou  du  commence- 
ment du  v^,  est  un  curieux  témoignage  de  la  popularité 
dont  jouit  désormais  la  polychromie.  C'est  à  Cimon 
qu'est  dû  cet  engouement.  Nous  ignorons  quels  tons 
possédait  sa  palette;  sa  peinture,  très  sobre,  était  cer- 
tainement conventionnelle ,  et  nous  ne  devons  point 
la  supposer  capable  de  rendre  toutes  les  nuances  de  la 
réalité.  L'essentiel  est  qu'elle  ouvrit  des  voies  incon- 
nues. Tout  est  prêt,  maintenant,  pour  les  chefs-d'œuvre 
du  siècle  de  Cimon  et  de  Périclès.  Les  vrais  grands 
peintres  peuvent  paraître  :  la  technique  qu'ils  porte- 
ront à  la  perfection  est  trouvée. 

§  III.  —  Vécole  attique  :  Polygnote. 

On  sait  qu'au  v*  siècle,  c'est  Athènes  qui  devient  la 
capitale  intellectuelle  de  la  Grèce.  Merveilleusement 

I.   Voyez  Rayet  et  Collignon,  Histoire  de  la  céramique  grecque, 
p.  143  et  suiv. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  155 

préparée  par  Pisistrate  à  prendre  en  main  Thégémonie, 
elle  trouve  dans  la  seconde  guerre  médique  Toccasion 
de  s'en  emparer,  et  la  garde  pendant  cinquante  ans. 
Le  bel  élan  de  patriotisme  qui  lui  fait  affronter  les  Bar- 
bares à  Marathon,  qui,  plus  tard,  la  met  aux  prises, 
dans  les  eaux  de  Salamine,  avec  TAsie  coalisée,  lui 
assure  la  suprématie  sur  toutes  les  cités  de  THellade. 
Avec  la  puissance  lui  vient  la  richesse  ;  avec  la  richesse, 
le  goût  du  luxe  et  des  arts.  Le  rôle  qu'a  joué  Sparte  au 
VII*  siècle,  quand  elle  appelait  à  elle  les  grands  ly- 
riques de  Lesbos  et  de  Crète  pour  réorganiser  ses  solen- 
nités religieuses,  celui  qu'ont  joué,  vers  le  même  temps, 
les  florissantes  tyrannies  de  Sicyone  et  de  Corinthe, 
celles  de  Samos  et  d'Athènes  même  au  siècle  suivant, 
l'Athènes  démocratique,  victorieuse  des  Perses,  va  le 
Jouer,  désormais,  avec  un  incomparable  éclat.  A  elle 
vont  accourir  littérateurs  et  artistes;  elle-même  en 
produira  de  très  grands,  qui  feront  son  orgueil.  Poé- 
sie, architecture,  sculpture,  peinture,  tout  se  réunira 
pour  l'embellir;  elle  élèvera  à  ses  dieux  des  temples 
magnifiques,  qui  s'empliront  de  merveilles;  ses  fêtes, 
rehaussées  par  les  représentations  dramatiques,  attire- 
ront en  foule  les  étrangers  dans  ses  murs.  Il  n'y  a 
peut-être  pas,  dans  l'histoire  du  monde,  de  période 
aussi  courte  ayant  donné  naissance  à  autant  de  chefs- 
d'œuvre.  C'est  de  cette  période  que  date  l'ascendant 
des  Grecs  sur  les  autres  nations;  et  quand,  plus  tard, 
le  génie  de  la  Grèce,  selon  l'énergique  expression  d'Ho- 
race, conquerra  Rome  triomphante,  c'est,  en  réalité,  au 
génie  d'Athènes  que  reviendra  l'honneur  de  la  conquête. 
De  grands  peintres  apparaissent  durant  ces  belles 


IS4  LA     PEINTURE    ANTIQUE. 

années  où  Athènes  tient  la  tête  de  la  civilisation.  Si 
tous  ne  sont  pas  Athéniens  de  naissance,  c^est  à  Athènes 
qu'ils  se  forment  et  produisent  leurs  œuvres  les  plus 
remarquables.  Le  premier  par  Pancienneté,  et  peut- 
être  par  le  génie,  est  Polygnote.  Nous  savons  peu  de 
chose  sur  sa  vie.  Il  était  originaire  de  Thasos,  cette 
île  qui  se  dresse  en  face  de  la  Thrace  «  comme  Téchine 
d'un  âne,  avec  des  bois  sauvages  en  couronne  »,  selon 
la  pittoresque  image  d^Archiloque.  Ce  pays  monta- 
gneux et  verdoyant  avait  été  jadis  le  centre  d'un  puis- 
sant empire.  Au  temps  du  roi  Gygès,  c'est-à-dire  vers 
la  fin  du  viu"  siècle  avant  notre  ère,  des  colons  de  Pa- 
ros  étaient  venus  s'y  établir  et  y  avaient  fondé,  après 
bien  des  revers,  un  Etat  qui  se  prolongeait  sur  la  côte 
opposée,  comprenant  les  mines  d'or  et  d'argent  de  la 
Thrace,  autrefois  exploitées  par  les  Phéniciens.  Forte 
de  sa  situation  et  soutenue  par  une  marine  redoutable, 
cette  petite  république  avait  prospéré,  jusqu'au  Jour 
où  Mardonius  l'avait  incorporée  à  la  monarchie  perse. 
Mais  les  Thasiens  regrettaient  leur  indépendance.  Au 
commencement  du  v  siècle,  nous  les  voyons  rêver  de 
s'affranchir,  quand  le  Perse,  averti,  fond  sur  eux  et 
prend  leur  ville.  Ils  durent  raser  leurs  murailles  et 
remettre  leurs  vaisseaux  aux  mains  du  vainqueur. 
Thasos,  privée  de  défense,  ne  fut  plus  qu'une  des  in- 
nombrables provinces  du  grand  Roi  (491).  C'est  peut- 
être  à  la  suite  de  ces  événements  que  Polygnote,  encore 
jeune,  vint  à  Athènes.  Depuis  longtemps  les  Athéniens 
s'étaient  posés  en  adversaires  des  Perses.  Les  encoura- 
gements qu'ils  avaient  donnés  à  la  révolte  de  Tlonie, 
la  part  même  qu'ils  avaient  prise  à  cette  guerre  désas- 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  15S 

treuse  pour  les  rebelles,  avaient  montré  leur  résolu- 
tion de  s'opposer  à  tout  progrès  des  Barbares  en  Occi- 
dent. Il  était  naturel  qu'Athènes  fût  considérée  comme 
le  refuge  de  quiconque  fuyait  devant  la  domination 
orientale.  Polygnote  y  fut  bien  accueilli  dans  la  fa- 
mille de  Miltiade,  dont  la  femme,  Hégésipylé,  était  la 
fille  du  roi  thrace  Oloros  et  que,  par  conséquent,  des 
liens  de  parenté  rattachaient  à  la  patrie  du  jeune 
peintre.  Il  s'y  lia  avec  le  fils  du  vainqueur  de  Mara- 
thon, Cimon,  qui  ne  cessa,  à  ce  qu'il  semble,  de  lui 
porter  un  vif  intérêt  et  l'associa  aux  grands  travaux 
qu'il  fit  plus  tard  exécuter  à  Athènes. 

Nous  savons  le  nom  du  père  de  Polygnote  :  il  s'ap- 
pelait Aglaophon.  Peintre  lui-même,  il  avait  été  le 
professeur  de  son  fils.  Un  frère  de  Polygnote,  Aristo- 
phon,  était  peintre  également,  et  peintre  de  talent.  L'an- 
tiquité connaissait  de  lui  un  Philoctète  mourant  dont 
l'expression  était  des  plus  touchantes.  Il  avait,  un  des 
premiers,  personnifié  dans  ses  tableaux  des  abstractions 
comme  la  Naïveté  et  l'Astuce.  Son  fils  Aglaophon  mar- 
cha dans  la  même  voie.  Il  peignit  sous  des  figures  allé- 
goriques les  victoires  d'Alcibiade  aux  jeux  Olympiques 
et  aux  jeux  Pythiques.  Une  autre  de  ses  peintures  repré- 
sentait le  même  Alcibiade,  «  plus  beau,  dit  un  ancien, 
que  les  plus  belles  femmes  »,  la  tête  posée  sur  les  ge- 
noux d'un  génie  qui  personnifiait  les  jeux  Néméens. 

Nous  sommes  donc  en  présence  d'une  famille  de 
peintres  dont  le  membre  le  plus  illustre  appartient  aux 
premières  années  du  v  siècle.  On  place  d'ordinaire 
Polygnote  plus  bas.  L'amitié  qui  l'unissait  à  Cimon, 
dont  il  avait  à  peu  près  l'âge,  s'y  oppose  formelle- 


iStf  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

ment.  Nous  possédons  d'ailleurs,  sur  Tépoque  où  il 
vivait,  un  renseignement  chronologique  qui  a  son 
importance  :  c'est  un  distique  écrit  par  Simonide  pour 
servir  de  légende  à  Tune  des  grandes  compositions 
qu'il  avait  peintes  dans  la  Lesché  de  Delphes.  Or  Simo- 
nide, qui  avait  fait  Tornement  de  la  cour  d'Hipparque, 
avait  quitté  Athènes,  après  le  meurtre  du  tyran,  pour 
se  rendre  en  Thessalie,  auprès  des  Scopades  de  Phar- 
sale,  puis  auprès  des  Aleuades  de  Larisse.  Il  y  revint 
après  la  bataille  de  Marathon  (490)  et  continua  d'y  sé- 
journer jusqu'en  476,  moment  oti  il  partit  pour  la 
Grande  Grèce  et  la  Sicile  et  se  mit  à  fréquenter  les 
cours  d'Anaxilas  de  Rhégium,  de  Hiéron  de  Syracuse, 
de  Théron  d'Agrigente,  etc.  Il  mourut,  probablement  à 
Syracuse,  en  467.  C'est  donc  avant  476  qu'il  dut  faire 
le  distique  dont  nous  avons  parlé,  ce  qui  oblige  à 
reporter  les  peintures  de  Delphes  à  une  date  assez  an- 
cienne. Furent-elles  exécutées  avant  la  seconde  guerre 
médique?  L'inquiétude  générale  qui  précéda  l'invasion 
de  Xerxès  ne  permet  guère  de  le  croire.  Sans  doute, 
ces  belles  fresques  furent  peintes  à  la  faveur  de  la 
paix  qui  suivit  le  triomphe  définitif  de  l'hellénisme. 
Déjà  à  ce  moment  Polygnote  était  un  grand  peintre. 
Formé  par  les  leçons  de  son  père,  il  y  avait  ajouté  les 
enseignements  que  lui  avait  fournis  l'œuvre  de  Cimon 
de  Cléonées.  On  voit  qu'il  se  trouvait  à  Athènes  lors 
de  l'arrivée  des  Perses,  et  qu'il  assista  à  cette  lutte 
héroïque  qui  ne  fut  pas  sans  influence  sur  le  dévelop- 
pement de  son  génie. 

Nous    ignorons    son   caractère.    Vivant    parmi    la 
haute  aristocratie  athénienne,  il  semble  en  avoir  pris 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  157 

les  mœurs  et  les  allures.  C'était  un  peintre  grand  sei- 
gneur :  quand  il  s'agit  de  décorer  le  Pœcile,  il  refusa 
l'argent  qu'on  lui  offrait,  tandis  que  son  collaborateur 
Micon  se  faisait  payer.  Les  Athéniens,  reconnaissants, 
lui  conférèrent  le  droit  de  cité.  On  lui  prêtait  des 
aventures  galantes  :  il  avait  eu,  disait-on,  pour  maî- 
tresse la  sœur  de  Cimon,  Elpiniké,  dont  la  conduite 
passait  pour  légère,  et,  comme  les  peintres  de  la  Re- 


Fig.  8.^.  —  Attentat  d'Ajax  contre  Cassandre, 
d'après  un  vase  peint. 


naissance,  il  avait  immortalisé  ses  traits  dans  un  de  ses 
tableaux.  On  reconnaissait,  paraît-il,  la  noble  patri- 
cienne sous  la  figure  de  Laodiké,  une  des  captives 
troyennes  représentées  au  Pœcile.  Telle  est  la  biogra- 
phie de  Polygnote. 

Sa  première  œuvre  importante  fut  la  décoration  de 
la  Lesché  de  Delphes.  C'est  ainsi  qu'on  désignait  un 
vaste  portique  qui  servait  de  promenoir  aux  pèlerins 
et  qui  avait  été  bâti  près  du  temple  d'Apollon  par  les 
soins  des  habitants  de  Cnide.  Les  peintures  qu'y  avait 
exécutées  Polygnote  sont  décrites  en  détail  par  Pausa- 


iS8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

nias,  qui  les  vit  encore  intactes  au  ii"  siècle  de  notre 
ère.  Elles  formaient  deux  compositions  distinctes,  se 
faisant  suite  sur  le  même  panneau.  Dans  Tune,  on  voyait 
Troie  et  la  campagne  troyenne  au  lendemain  de  la  vic- 
toire des  Achéens;  Pautre  e'tait  une  image  du  monde 
infernal.  Grâce  à  la  description  de  Pausanias  et  aux 
nombreux  souvenirs  qu'on  trouve  de  ces  fresques  cé- 
lèbres sur  les  vases  peints,  on  peut  se  faire  une  idée  de 
la  façon  dont  y  étaient  groupés  les  personnages. 

Le  principal  épisode  de  V Ilioupersis  \  le  plus  dra- 
matique, le  plus  émouvant,  était  Tattentat  d'Ajax,  fils 
d'Oïlée,  contre  Cassandre,  ou  plutôt  le  jugement  d'Ajax, 
après  cet  attentat,  par  les  principaux  chefs  des  Grecs. 
Qui  n'a  dans  la  mémoire  ces  beaux  vers  de  Virgile  : 

Ecce  trahebatur  passis  Priameïa  virgo 
Crinibus  a  templo  Cassandra  adytisque  Minervae, 
Ad  cœlum  tendens  ardentia  lumina  frustra, 
Lumina,  nam  teneras  arcebant  vincula  palmas. 

«  Voici  qu'arrachée  du  temple  et  de  l'autel  de  Minerve,  la 
vierge  fille  de  Priam,  Cassandre,  était  entraînée,  les 
cheveux  épars,  levant  vers  le  ciel,  hélas!  en  vain,  ses 
yeux  suppliants,  ses  yeux,  car  des  liens  enchaînaient  ses 
mains  délicates.  »  Toute  Pantiquité  a  été  touchée  de  cette 
scène.  Elle  figurait  déjà  sur  le  coffre  de  Kypsélos.  Au 
VI*  siècle,  les  coroplastes  s'en  inspirent,  comme  le 
prouve  une  de  ces  plaques  d'argile  façonnées  au  moule, 

I.  Pour  plus  de  brièveté,  j'emploierai  ce  mot,  qui  signifie  ^ri*e 
d'Ilion,  en  parlant  de  la  fresque  de  Polygnote;  mais  qu'il  soit 
bien  entendu  que  le  sujet  de  ce  tableau  était  Ilion  prise,  et  non 
le  sac  même  de  la  ville. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  iSÇ» 

qui  ont  plus  d^un  rapport  avec  les  vases  à  figures 
noires,  et  reproduisent,  comme  eux,  les  chefs-d'œuvre 
de  la  grande  peinture  ^  Mais  les  plus  beaux  spécimens 
de  ce  motif  nous  sont  fournis  par  les  vases  à  figures 
rouges.  Est-il  rien  de  pathétique  comme  celui  que 
nous  reproduisons  (fig.  84),  et  où  l'on  voit  Cassandre 
éperdue,  saisissant  d'une  main  l'idole  d'Athéna,  dont 
la  lance  levée  semble  vouloir  la  défendre,  tandis  que 
de  l'autre  elle  supplie  son  farouche  agresseur?  Ce  n'est 
pourtant  pas  ce  moment  de  l'action  que  Polygnote 
avait  choisi  pour  en  faire  le  centre  de  son  tableau.  11 
eût  été  en  désaccord  avec  l'ensemble  de  sa  composi- 
tion, dont  le  but  était  de  peindre,  non  les  horreurs 
brutales  de  l'assaut,  mais  les  sentiments  des  vain- 
queurs et  ceux  des  vaincus  après  la  prise  d'Ilion.  Aussi, 
en  dehors  de  Cassandre  tenant  encore  embrassée  l'image 
de  la  déesse,  ce  qui  attirait  particulièrement  l'attention, 
c'étaient  les  rois  achéens  Polypoitès,  Acamas,  Ulysse, 
Agamemnon,  Ménélas,  intervenant  au  nom  du  droit 
d'asile  et  reprochant  sévèrement  à  Ajax  son  sacrilège. 
La  fresque  tout  entière  offrait  d'ailleurs  le  même 
intérêt  psychologique  et  moral.  Plusieurs  groupes  y 
représentaient  des  captives  troyennes  gémissant  sur 
la  ruine  de  leur  patrie,  tandis  qu'Hélène,  la  cause  de 
ce  désastre,  était  assise  au  milieu  de  ses  femmes,  oc- 
cupées à  la  parer.  Puis  venaient  des  blessés,  des 
morts,  parmi  lesquels  le  vieux  roi  Priam.  Des  guer- 
riers grecs,  ici  et  là,  achevaient  les  restes  des  malheu- 
reux Troyens  ;  Epéos  faisait  tomber  les  remparts  de 

I.  Pottier,  les  Statuettes  de  terre  cuite  dans  Vantiqitité,  p.  44-46. 


i(5o  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

la  ville,  au-dessus  desquels  apparaissait  la  tête  du 
funeste  cheval;  Néoptolème,  après  avoir  donné  le  coup 
de  grâce  à  Elasos,  frappait  de  son  épée  Astynoos  à 
terre;  le  traître  Sinon,  aidé  d^Anchialos,  traînait  le 
cadavre  de  Laomédon.  C'étaient  les  dernières  scènes  de 
la  grande  tuerie  qui  avait  commencé  la  veille,  les  der- 
niers actes  d'atrocité  d'un  vainqueur  qui  abusait  de 
sa  victoire.  Le  sens  général  du  tableau  n'en  était  pas 
modifié.  S'inspirant  de  différents  poètes,  peut-être  de 
Stésichore,  dans  tous  les  cas,  de  Leschès  et  des  au- 
teurs de  Retours,  Polygnote,  avant  tout,  s'était  préoc- 
cupé d'une  chose  :  il  avait  voulu  traduire  par  le  pin- 
ceau les  différents  états  d'âme  des  Troyens  et  des 
Grecs,  les  uns  en  proie  à  la  douleur,  les  autres  triom- 
phants, mais  poursuivis,  dans  leur  triomphe,  par  la 
Némésis,  souillés  par  la  violence  impie  de  l'un  d'entre 
eux  et  pressentant  déjà  les  maux  sans  nombre  qui  bien- 
tôt accableront  les  vainqueurs  de  Troie. 

Tous  les  groupes  disposés  à  droite  et  à  gauche  de 
celui  de  Cassandre  étaient  enfermés  entre  deux  scènes 
qui  leur  servaient  de  limites  et  se  faisaient  pendant. 
A  l'une  des  extrémités  de  la  fresque,  les  Grecs  se  prépa- 
raient à  partir;  les  soldats  de  Ménélas  démontaient  sa 
tente.  A  l'autre,  un  Troyen,  Anténor,  dont  la  maison 
avait  été  respectée  parce  qu'il  avait  jadis  reçu  à  titre 
d'hôtes  Ménélas  et  Ulysse,  venus  à  Troie  comme 
ambassadeurs,  faisait,  lui  aussi,  ses  préparatifs  de 
départ;  entouré  de  sa  femme  et  de  ses  enfants,  il  jetait, 
avant  de  prendre  le  chemin  de  l'exil,  un  dernier  regard 
sur  la  ville  dévastée,  pendant  qu'un  serviteur  chargeait 
sur  un  âne  un  coffre  et  d'autres  objets. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


i6i 


La  seconde  composition  peinte  dans  la  Lesché  était 
empruntée  à  la  Nékyia  d'Homère,  c'est-à-dire  au 
chant  de  V Odyssée  dans  lequel  Homère  montre  Ulysse 
se  rendant  chez  les  Cimmériens  pour  consulter 
Tombre  de  Tirésias,  et  où,  à  ce  propos,  il  décrit 
le  monde  infernal.  Telle  n'était  pas,  d'ailleurs,  l'unique 


Fig.  8j.  —  Charon  dans  sa  barque, 
sur  un  lécythe  blanc  attique. 


source  de  Polygnote.  Avec  cette  liberté  qui  caractérise 
l'art  grec,  et  dont  témoignait  Vllioupersis,  il  s'était 
inspiré  de  divers  autres  poèmes,  tels  que  les  Chants 
cypriens  et  une  Minyade  dont  l'auteur  est  inconnu. 
C'est  cette  dernière  œuvre  qui  lui  avait  fourni  le  type  de 
Charon,  le  nocher  des  enfers;  il  l'avait  peint  dans  sa 
barque,  sur  l'Achéron,  exigeant  des  morts  le  prix  du 
passage.  On  sait  combien  cette  représentation  devint 
populaire  par  la  suite  et  que  de  fois  on  la  rencontre,  au 


PEINT.     ANTIQUE. 


i6z  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

V®  et  au  iv«  siècle,  parmi  les  scènes  funéraires  qui  déco- 
rent les  lécyihes  attiques  à  fond  blanc  (fig.  85).  ' 

Le  centre  du  tableau  était  occupé  par  Ulysse,  ac- 
croupi, l'épée  nue,  au  bord  de  la  fosse  où  les  âmes  des 
trépassés  venaient  boire  le  sang  des  victimes.  Près  de 
lui  se  tenait  son  compagnon  Elpénor,  vêtu  de  la  bure 
grossière  des  matelots.  L'ombre  de  Tirésias  s'avançant 
vers  la  fosse  et  celle  d'Anticlée,  la  mère  d'Ulysse,  assise 
sur  une  pierre,  complétaient  ce  groupe  central.  Peut- 
être  n'était-ce  pas  celui  qui  intéressait  le  plus  le  visi- 
teur. Ce  qui  devait  surtout  fixer  son  attention,  c'était 
la  peinture  des  supplices  infernaux,   le  châtiment  du 
mauvais  fils  et  celui  de  l'impie,  la  vue  des  grands  auda- 
cieux comme  Thésée  et  Pirithoûs,  des  femmes  coupa- 
bles comme  Phèdre,  des  légendaires  criminels  comme 
Tityos,  Sisyphe,  Tantale.  Il  faut  remarquer,  à  ce  sujet, 
que  Polygnote  ne  s'était  point  complu  dans  les  détails 
horribles  ;  cette    galerie    de    suppliciés    n'avait    rien, 
semble-t-il,  de  la  laideur  des  martyres  que  le  peuple 
de   Rome  va  contempler,  à   de   certains   jours,   dans 
l'église   de  Saint-Étienne-le-Rond,   Ce    que    l'artiste 
avait  cherché  à  rendre,  c'était  moins  la  peine  elle-même 
que  l'appréhension  de  la  peine  ou  ses  effets.  Son  Tan- 
tale, tourmenté  par  la  faim  et  la  soif,  levait  les   yeux 
vers  un  rocher  suspendu  au-dessus  de  sa  tête  et  qui 
menaçait  de  lui  broyer  le  crâne;  l'expression  de  la  ter- 
reur sur  ce  visage  plein  d'angoisse  était  évidemment 
ce  qui  avait  séduit  le  peintre.  De  même,  il  n'avait  pas 
représenté  Tityos  offrant  au  bec  et  aux  serres  du  vau- 
tour son   foie  sans  cesse  renaissant  :  il  l'avait  figuré 
épuisé  par  son  supplice,  dans  un  de  ces  courts  répits 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


i6î 


plus  poignants  à  la  réflexion  que  Paspect  sanglant  du 
supplice  même. 

A  ces  lugubres  scènes,  d'autres,  plus  gaies,  s'oppo- 
saient. Polygnote  avait  mêlé  aux  tortures  infernales  la 
peinture  des  félicités  élyséennes.  C'est  ainsi  qu'on 
voyait,  dans  son  tableau,  les  héros  et  les  héroïnes  du 
temps  jadis  se  livrant 
à  d'innocentes  dis- 
tractions. Les  filles 
de  Pandarée,  cou- 
ronnées de  fleurs, 
jouaient  aux  osse- 
lets; peut-être  ser- 
virent-elles de  pro- 
totype à  toutes  ces 
joueuses  d'osselets 
ou  de  balle  qui  vont 
se  multipliant,  à 
partir  d'une  cer- 
taine époque,  dans 
l'industrie  des  coro- 
plastes  (fig.  86).  Ailleurs,  Ajax,  fils  de  Télamon,  Pa- 
lamède,  Thersite,  remuaient  les  dés  en  présence  de 
l'autre  Ajax  et  de  Méléagre.  Il  y  avait  le  coin  des 
poètes,  où  Orphée,  appuyé  contre  un  saule,  chantait 
en  s'accompagnant  sur  la  lyre;  près  de  lui  était  Tha- 
myris  aveugle;  non  loin  de  là,  le  satyre  Marsyas  ensei- 
gnant à  jouer  de  la  flûte  à  Olympos  enfant.  Les  grands 
champions  de  la  guerre  de  Troie,  Achille,  Patrocle, 
Agamemnon  ,  Hector,  Sarpédon  ,  Memnon  ,  Paris , 
l'Amazone  Penthésilée,  étaient  groupés  dans  des  atti- 


Fig.  86. 


i6+  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

tudes  diverses.  Des  scènes  symboliques,  de  mysté- 
rieuses pratiques  d'initiés,  rappelaient  les  cérémonies 
éleusiniennes  et  les  rapports  du  monde  terrestre  avec  le 
monde  souterrain  de  l'Hadès. 

Il  est  difficile  de  ne  pas  apercevoir,  entre  cette 
fresque  et  la  précédente,  une  étroite  relation.  D'un  côté, 
l'artiste  avait  représenté  la  vie  humaine,  avec  ses  misères 


Fig.  87.  —  Ulysse  tuant  les  prétendants, 
d'après  un  vase  peint. 

et  ses  crimes,  ses  fortunes  changeantes,  ses  gloires 
passagères;  de  l'autre,  il  avait  peint  la  vie  des  enfers, 
avec  ses  peines  et  ses  récompenses.  Ici,  c'étaient  les 
actions  des  hommes,  là  leur  sanction.  Ces  deux  pein- 
tures, rapprochées,  contenaient  donc  de  graves  ensei- 
gnements, conformes  à  ceux  de  la  religion  delphique. 
On  ne  peut,  en  outre,  s'empêcher  d'être  frappé  d'une 
vive  ressemblance  entre  ces  muettes  leçons,  données 
par  le  peintre,  et  les  leçons  articulées  que  lançait, 
vers  le  même  temps,  du  haut  de  la  scène  son  contem- 
porain Eschyle.  Chez  l'un  comme  chez  l'autre,  même 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


16$ 


intention,  même  sentiment,  et  rien  n'éclaire  mieux  cer- 
taines trilogies  eschyléennes  que  ces  deux  composi- 
tions très  différentes  au  premier  abord,  mais  où  se 
faisait  jour,  pour  peu  qu^on  y  prît  garde,  une  remar- 
quable unité  de  sujet. 

Il  faut  encore  ranger,  semble-t-il,  parmi   les  pre- 
mières œuvres  de  Polygnote,  un  tableau  qui  décorait 


Fig.  88.  —  Suite  de  la  même  représentation, 
sur  l'autre  face  du  vase. 


le  temple  d'Athéna  Areia  à  Platée,  temple  bâti,  nous 
dit  Pausanias,  avec  le  butin  conquis  à  Marathon.  Ce 
tableau,  tiré  de  Fépopée,  comme  ceux  de  Delphes, 
représentait  le  Meurtre  des  prétendants,  ou  plutôt 
Ulysse  dans  son  palais,  au  milieu  des  prétendants 
morts  ou  expirants.  Ici  encore,  on  voit  que  ce  n'est 
pas  le  vif  môme  de  Faction  qui  avait  tenté  le  peintre, 
mais  ses  suites  et  Thorreur  de  ce  palais  ensanglanté, 
rendu  à  son  maître  vengé  et  satisfait.  Parut-il  plus 
dramatique  aux  peintres  postérieurs  de  figurer  la  ven- 
geance elle-même?  Existait-il,   à   la   même    époque, 


f66  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

d'autres  peintures  sur  le  même  sujet?  Toujours  est-il 
que  nous  voyons  cet  e'pisode  de  V Odyssée  jouir  dans 
l'art,  après  Polygnote,  d'une  popularité  singulière; 
témoin  ce  vase  du  milieu  du  v«  siècle,  dont  une  face 
nous  montre  Ulysse  lançant  d'une  main  sûre  ses  flèches 
contre  les  prétendants,  dessinés  sur  l'autre  face  (fig.  87 
et  88);  témoin  cette  curieuse  frise  sculptée  qui  ornait 
un  hérôon  dont  les  ruines  subsistent  encore  à  Gjôlbachi, 
en  Lycie  (fig.  89),  et  qui  nous  fait  voir  le  même  héros, 
accompagné  de  Télémaque,  accablant  les  prétendants 
de  ses  redoutables  traits.  On  retrouve  cette  légende 
jusqu'en  Italie,  où  les  sarcophages  étrusques  s'en  inspi- 
rent, comme  le  prouvent  deux  monuments  de  ce  genre 
provenant  de  Volterra. 

Nous  savons  aussi  que  Polygnote  exécuta  de  grandes 
peintures  décoratives  à  Thespies,  probablement  dans 
un  sanctuaire.  Nous  en  ignorons  le  sujet;  elles  furent, 
plus  tard,  restaurées  assez  maladroitement  par  Pau- 
sias.  Sa  réputation  s'étendait  donc  au  loin,  mais  ce 
fut  surtout  pour  Athènes  qu'il  travailla.  Cimon,  qui, 
après  l'invasion  des  Perses,  avait  entrepris  de  relever 
Athènes  de  ses  ruines,  lui  confia  la  décoration  de  plu- 
sieurs édifices.  Dans  le  marché  public,  qu'il  avait  planté 
d'arbres,  se  dressait  un  portique  construit  par  un  de  ses 
parents,  Peisianax.  Il  voulut  que  ce  portique  fût  orné 
de  peintures,  et  c'est  Polygnote  qu'il  chargea  de  ce 
soin.  Polygnote  s'adjoignit  deux  peintres  de  valeur, 
Panainos  et  Micon,  et  bientôt  le  portique  de  Peisianax, 
devenu  le  Portique  peint  ou  Pœcile  (noixtV/i  aroa), 
excita  l'admiration  par  les  belles  fresques  dont  il  était 
rempli.  Nous  reviendrons  sur  les  tableaux  de  Micon  et 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


167 


de  Panainos.  Disons,  pour  le  moment,  que  Polygnote 
s'était  réservé,  dans  le  panneau  central,  la  place  d'hon- 
neur. Entre  deux  compositions  dues  à  ses  collabora- 
teurs, il  avait  représenté,  comme  à  Delphes,  une  Iliou- 
persis,  dont  le  principal  épisode  était  toujours  Tattentat 
contre  Cassandre;  seulement,  au  lieu  de  montrer  Ajax 
jugé  par  les  chefs  achéens,  il  Pavait  figuré  se  purifiant 


Fig,  89.  —  Frise  sculptée  de  Gjôlbachi, 
représentant   le   meurtre  des   prétendants. 


auprès  de  Pautel  d'Athéna  et  implorant  la  clémence 
de  ces  mêmes  chefs. 

Lorsque  Cimon,  en  469,  eut  rapporté  de  Skyros  les 
prétendus  ossements  de  Thésée,  et  qu'un  temple  fut 
élevé  pour  honorer  la  mémoire  du  héros  national  des 
Athéniens,  c'est  encore  Polygnote  qui  dut,  avec  Micon, 
en  décorer  l'intérieur.  C'est  lui  qui,  avec  l'aide  du 
même  Micon,  enrichit  l'Anakeion,  ou  sanctuaire  des 
Dioscures,  de  peintures  rappelant  les  aventures  de  ces 
deux  héros.  Enfin,  sur  l'Acropole,  à  gauche  des  Pro- 
pylées, le  dévot  qui  s'acheminait  vers  le  Parthénon 
rencontrait  un  édifice,  sorte  de  chambre  assez  vaste  dont 
la  destination  est  difficile  à  déterminer,  et  qu'on  désigne 
habituellement  sous  le  nom  de  Pinacothèque.  Là  se 
trouvaient  réunis  un  certain  nombre  de  tableaux,  parmi 


168 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


lesquels,  à  ce  qu'il  semble,  plusieurs  de  Polygnote. 
L'un  d'eux  représentait  VEnlèvement  du  Palladion  par 
Ulysse  et  Diomède,  ou  le  rapt  de  l'antique  idole 
d'Athéna,  dont  la  disparition  des  murs  de  Troie  devait 
assurer  la  victoire  des  Grecs.  La  figure  ci-dessous,  em- 
pruntée à  un  vase  peint  signé  du  maître  potier  Hiéron, 
prouve  combien  ce  motif  était  en  faveur  dans  les  ate- 


Fig.  90.  —  Enlèvement  du  Palladion, 
d'après  un  vase  peint. 


liers;  une  convention  naïve  y  montre  les  deux  ravis- 
seurs tenant  chacun  dans  leurs  bras  le  Palladion,  c'est- 
à-dire  se  disputant  la  gloire  de  l'avoir  dérobé,  et 
courant  l'un  sur  l'autre,  l'épée  nue,  tandis  que  les  chefs 
des  Grecs,  Agamemnon,  Phénix,  Démophon,  Acamas, 
s'efforcent  de  les  séparer.  On  voyait  encore,  dans  la 
Pinacothèque,  Ulysse^  et  Philoctète  dans  Vile  de  Lem- 
nos ,  Polyxène  imjnolée  sur  le  tombeau  d'Achille, 
Oreste  tuant  Egisthe,  meurtre  célèbre  dont  le  souvenir 
s'est  également   conservé   dans   la   peinture   de  vases 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  169 

(tig.  pr).  On  y  voyait  Ulysse  et  Nausicaa  se  rencon- 
trant pour  la  première  fois  sur  les  bords  du  fleuve  où 
la  jeune  fille  était  venue,  avec  ses  servantes,  laver  les 
vêtements  du  roi  Alkinoos;  on  y  voyait  Achille  à 
Skyros^  parmi  les  filles  de  Lycomède,  peut-être  au 
moment  même  où  il  se  jetait  sur  les  armes  apportées 


Fig.  91.  —  Oreste  tuant  Égisthe,  d'après  un  vase  peint. 

par  Ulysse,  comme  le  représentent  plusieurs  peintures 
de  Pompéi  (fig.  92).  Tous  ces  tableaux  étaient-ils  de 
Polygnote?  Pausanias,  qui  les  décrit,  ne  le  dit  pas 
d'une  manière  certaine.  Quoi  qu'il  en  soit,  ils  rentraient 
dans  ses  goûts,  et  si  tous  n'étaient  pas  sortis  de  son  pin- 
ceau, comme  Achille  à  Skyros,  Nausicaa,  Polyxène, 
dont  les  yeux,  dit  un  poète  de  V Anthologie,  contenaient 
l'histoire  entière  de  la  guerre  de  Troie,  tous  apparte- 
naient sans  aucun  doute  à  son  école. 


VI70  LA    PEINTURE    ANTIQUE, 

Il  reste  à  dire  un  mot  de  la  technique  de  ce  peintre 
illustre  et  du  caractère  de  son  talent.  Sa  peinture  était 
polychrome.  Thasos  avait  été,  d'après  la  légende,  une 
des  étapes  du  vieux  Cadmos,  dans  son  voyage  d'Orient 
en  Occident.  Les  arts  y  avaient  fleuri  de  très  bonne 
heure;  la  polychromie  y  avait  été  de  tout  temps  culti- 
vée. On  a  vu  plus  haut  que,  vraisemblablement,  Poly- 
gnote  la  trouva  déjà  installée  à  Athènes;  il  avait  donc 
mille  raisons  de  la  pratiquer.  Les  anciens  admiraient 
la  sobriété  de  son  coloris;  sur  la  foi  de  Cicéron  et  de 
Pline,  nous  serions  tentés  de  croire  qu'il  ne  peignait 
qu'avec  quatre  tons,  le  blanc,  le  jaune,  le  rouge  et  le 
noir.  Sans  doute,  c'étaient  là,  pour  lui,  comme  pour 
ses  contemporains,  comme  pour  les  premiers  de  ses 
successeurs,  les  couleurs  fondamentales  ;  mais  ces  quatre 
couleurs  lui  fournissaient,  par  le  mélange,  un  nombre 
de  tons  relativement  considérable;  Denys  d'Halicar- 
nasse  le  dit  en  termes  très  clairs.  Nous  ignorons  la 
nuance  précise  de  ses  couleurs;  nous  ignorons  aussi  les 
combinaisons  par  lesquelles  pouvaient  passer,  entre  ses 
mains,  ces  éléments  primordiaux.  Il  est  étrange  quMl 
n'ait  pas  eu  recours  au  bleu;  il  y  avait  autour  de  lui 
tant  de  bleu  sur  les  édifices  et  les  statues,  qu'on  est 
surpris  de  ne  pas  trouver  cette  couleur  au  nombre  de 
celles  dont  il  se  servait.  Il  est  certain,  pourtant,  qu'il  y 
avait  du  noir  bleuâtre  dans  ses  tableaux;  la  Nékyia 
contenait  l'image  d'un  vampire,  Eurynomos,  qui  se 
nourrissait  de  la  chair  des  morts,  et  dont  la  peau  était 
d'un  ton  intermédiaire  entre  le  noir  et  le  bleu,  «  sem- 
blable, dit  Pausanias,  aux  mouches  qui  piquent  la 
viande  ».  Peut-être  aussi  la  teinte  de  l'eau  tirait-elle 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


171 


légèrement  sur  le  bleu,  bien  que  les  flots  de  PAchéron, 
dans  la  Lesché,  semblent  plutôt  avoir  été  gris,  avec  des 
poissons  qui  paraissaient  au  travers,  en  silhouettes 
fugitives,  à  peine  visibles.  Quant  aux  feuillages,  aux 
roseaux  qui  bordaient  la  rive  infernale,  aux  saules,  aux 
peupliers,  à  Tombre 
desquels  se  repo- 
saient les  poètes,  ils 
n'étaient  pas  figurés 
en  vert,  puisque  ce 
ton  était  absent  de  la 
palette  du  peintre  et 
qu'aucune  combi- 
naison ne  lui  per- 
mettait de  l'obtenir; 
il  est  probable  qu'ils 
étaient  esquissés  en 
noir  ou  en  bistre, 
avec  une  grande  dé- 
licatesse. A  ces  tons 
indécis,  d'un  charme 
pénétrant,  étaient 
associés  des  tons 
francs,  comme  la 
pourpre  de  certains  manteaux,  la  bigarrure  de  certaines 
coiffures  de  femmes.  De  hardis  effets  de  coloration 
étaient  demandés  au  blanc,  sans  doute  additionné  de 
quelque  matière  cristalline,  peut-être  de  sel  :  ainsi, 
Ajax,  fils  d'Oïlée,  avait  le  corps  tout  brillant  d'une  sorte 
d'efflorescence  saline,  en  souvenir  du  naufrage  qui 
l'avait,  au  retour  de  Troie,  précipité  dans  le  royaume 


Fig.  92.  —  Achille  à  Skyros, 
peinture  de  Pompéi. 


i/a  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

d'Hadès.  On  ne  saurait  douter  que  cette  simplicité  de 
coloris  ne  fût  voulue;  il  faut  se  garder  d^  voir  une 
preuve  d'ignorance  ou  une  indigence  de  moyens. 
L'éclatante  polychromie  alors  à  la  mode  en  sculpture 
et  en  architecture  n'eût  pas  manqué  de  réagir  sur  la 
peinture,  si  celle-ci  se  fût  laissé  faire;  mais,  de  plus  en 
plus,  elle  tendait  à  la  sobriété,  mettant  tous  ses  efforts 
à  tracer  de  belles  lignes,  enivrée,  pour  ainsi  dire,  de  la 
noblesse  de  son  dessin.  Au  vr  siècle,  elle  avait  été  con- 
ventionnelle par  impuissance;  au  v",  elle  le  fut  de 
parti  pris,  et  nous  voyons  la  même  tendance  se  mani- 
fester dans  la  céramique,  par  l'abandon  des  retouches 
rouges  et  blanches.  Dans  cet  art  épuré,  et  qui  ne 
rêve,  en  quelque  sorte,  qu'idéal  contour,  le  dessin  est 
presque  tout,  la  couleur  n'est  qu'accessoire;  le  potier 
s'en  passe,  ou  peu  s'en  faut  ;  le  peintre  n'y  cherche 
que  de  discrètes  indications  qui  soulignent,  dans  ses 
tableaux,  la  beauté  des  formes  et  fassent  valoir  l'élé- 
gance des  figures. 

A  cette  convention  s'opposait,  chez  Polygnote,  un 
réalisme  supérieur,  qui  visait  surtout  à  exprimer  la 
vérité  des  sentiments  et  des  passions.  On  a  vu  que  ce 
qu'il  recherchait  de  préférence,  c'étaient  les  situations 
où  pouvaient  paraître  les  troubles  intérieurs  qui  bou- 
leversent l'âme.  A  Delphes,  les  captives  figurées  dans 
V Ilioiipersis  et  la  famille  d'Anténor  fuyant  Troie  témoi- 
gnaient, par  leurs  regards  et  leur  attitude  générale,  de 
l'affliction  profonde  et  des  cuisants  soucis  qui  les  tor- 
turaient. Des  enfants  étaient  mêlés  à  ces  scènes  de 
désolation,  les  uns  insouciants,  comme  ce  fils  d'An- 
dromaque  tranquillement  occupé  à  sucer  le  lait  de  sa 


LA    PEINTURE    GRECQUE, 


>7Î 


mère,  ou  comme  ce  petit  enfant  d^Anténor  déjà  juché 
sur  le  dos  de  Pane  prêt  à  partir;  les  autres  épouvantés 
à  la  vue  de  ce  qui  se  passait  autour  d'eux,  comme  celui 
qui  s'attachait,  rempli  de  crainte,  à  un  autel,  ou  comme 
cet  autre,  porté  par  un  vieil  eunuque,  et  qui,  pour  ne 
pas  voir,  se  cachait  les  yeux  avec  la  main.  Mais  ce 
qu'il  y  avait  déplus  émouvant, 
c'était  l'expression  de  Cas- 
sandre,  dont  les  sourcils  et  les 
joues ,  colorées  d'une  légère 
rougeur,  rendaient  si  bien  l'an- 
goisse pathétique.  La  grande 
supériorité  de  Polygnote  sur 
Cimon,  qui  avait  varié  les 
mouvements  de  la  tête,  était 
d'avoir  varié  ceux  du  visage. 
Pline  nous  dit  que,  le  premier, 
il  ouvrit  les  bouches  et  y  fit 
apercevoir  les  dents  {instituit 
os  adaperire,  dentés  ostenderé). 
Cela  répond  bien  à  ces  mas- 
ques passionnés  dont  il  avait 
pourvu  la  plupart  de  ses  héros  et  que  laissent  deviner 
les  descriptions  de  Pausanias. 

Il  avait  de  même  imaginé  certaines  postures  dont  le 
naturel  et  l'expressive  beauté  semblent  avoir  produit 
sur  les  contemporains  une  vive  impression.  Par  exemple, 
la  Nékyia  montrait  Hector  assis,  l'air  profondément 
triste,  et  tenant  son  genou  gauche  avec  les  deux  mains. 
Cette  attitude  fit  fortune,  comme  l'attestent  de  nombreux 
vases.  N'est-ce  pas  un  souvenir  d'elle  qu'on  retrouve 


Fig-  9i- 


174 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


dans  cette  figure  qui  fait  partie  d'une  scène  empruntée 
à  la  légende  des  Argonautes  (fig.  gS)?  Elle  eut  tant  de 
succès,  que  tout  le  monde  s'en  empara.  La  même  chose 
s'est  passée  à  toutes  les  époques.  Une  heureuse  trou- 
vaille, dans  le  domaine  de  l'art,  a  toujours  suscité 
une  armée  d'imitateurs.  Parce  qu'un  peintre,  de  nos 
jours,  a  eu  l'idée  de  faire  galoper  les  chevaux  comme 


Fig.  94.  —  Ambassade  d'Ulysse  auprès  d'Achille, 
d'après  un  vase  peint. 


ils  galopent  en  effet,  avec  les  quatre  pieds  ramassés 
sous  le  ventre,  nos  Salons  annuels  ont  été  pris  d'as- 
saut par  des  régiments  entiers  galopant  de  même. 
Parce  qu'un  autre,  de  grand  talent,  fait  d'intéressants 
efforts  pour  rendre  les  reflets  dont  tout  objet  est 
coloré  par  les  objets  voisins,  nous  voyons  une  légion 
de  peintres  s'ingénier  à  donner  aux  choses  des  cou- 
leurs autres  que  celles  qui  leur  sont  propres.  Les 
Athéniens  ne  procédaient  pas  autrement.  L'homme 
au  genou  devint  vite  populaire  chez  les  potiers,  et  ils 
le  mirent  partout,  souvent  hors  de  propos.  Voyez  ce 
petit  tableau  tiré  d'une  peinture  de  vase  qui  représente 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


«7$ 


Ulysse  en  ambassade  auprès  d'Achille,  pour  le  décider 
à  reparaître  dans  les  combats  (fig.  94).  Bien  que  le 
besoin  ne  s'en  fasse  pas  sentir,  le  rusé  fils  de  Laërte  y 
a,  à  peu  de  chose  près,  la  position  de  l'Hector  de  Poly- 
gnote.  Cela  donnait  une  jolie  ligne  du  dos;  il  n'en 
fallait  pas  plus  pour  tenter  une  main  grecque.  Le  même 
tableau  contient  une  autre  imitation  du  même  genre  : 
cet  Ajax  assis  qui  y  figure,  un 
bâton  à  la  main,  rappelle  le  pé- 
dagogue d'une  coupe  de  Douris 
(fig.  95),  lequel  est  lui-même  un 
souvenir  de  quelque  grande  fres- 
que. Ces  emprunts  nous  révèlent 
une  loi  éternelle  de  l'art,  qui  veut 
que  les  belles  formes  s'imposent 
à  l'imagination  et  s'insinuent 
sournoisement  dans  le  bagage 
d'idées  de  chaque  artiste.  Si 
quelque  chose  peut  aider  à  com- 
prendre la  supériorité  de  Polygnote  et  celle  des  grands 
peintres  ses  contemporains,  ce  sont  bien  toutes  ces 
réminiscences  qui  pullulent  à  côté  d'eux  dans  la  céra- 
mique et  qui  sont  autant  d'hommages  inconsciemment 
rendus  à  leur  génie. 

Une  autre  audace  de  Polygnote,  dans  la  façon  de 
présenter  ses  personnages,  était  de  les  avoir  en  partie 
dissimulés  derrière  un  pli  de  terrain.  C'était  conforme 
à  la  nature,  et  cela  permettait  d'exprimer  d'une  ma- 
nière plus  saisissante  certains  états  d'âme,  comme  l'ac- 
cablement de  Tityos  après  les  cruels  assauts  du  vau- 
tour. On  le  voyait,  à  ce  qu'il  semble,  affaissé  sur  son 


Fig-  PS- 


176 


LA    PEINTURE   ANTIQUE, 


rocher,  et  son  corps,  dit  Pausanias,  «  ne  paraissait  pas 
tout  entier  ».  Il  était  probablement  dans  une  position 
analogue  à  celle  qu^occupe  ici  (fig.  96)  ce  jeune  Nio- 
bide  blessé  par  Apollon  et  qui,  mourant,  les  yeux  déjà 
clos,  s'appuie  contre  un  tertre  qui  le  cache  à  demi. 

Le  réalisme  du  maître  se  manifestait  encore  ailleurs 
que  dans  la  peinture  des  passions  ou  de  la  douleur 

physique.  Il  avait  le 
sens  de  la  couleur 
locale  :  il  y  avait  une 
cuirassedans  Vlliou- 
persis,  une  cuirasse 
posée  sur  un  autel, 
dont  Taspect  était 
tout  à  fait  archaï- 
que; elle  ressemblait 
à  celle  que  portait 
Ajax  dans  un  tableau 
de  Calliphon  de  Sa- 
mos,  qui  ornait  le  temple  d'Artémis  à  Ephèse.  Peut-être 
Polygnote  connaissait-il  ce  tableau  ;  il  avait,  dans  tous 
les  cas,  cherché  à  mettre  un  certain  rapport  entre  cette 
arme  et  les  temps  reculés  auxquels  elle  était  censée 
appartenir.  Il  fut  aussi  le  premier  à  rendre  la  transpa- 
rence des  étoffes,  surpassant  par  là  Cimon  de  Cléonées, 
qui  n'avait  su  peindre  que  les  lourdes  draperies.  Im- 
portés d'Egypte  par  les  Phéniciens,  les  tissus  diaphanes 
s'étaient  de  bonne  heure  répandus  dans  le  monde  grec; 
les  Athéniens  du  vi«  siècle  les  employaient  certainement, 
mais  aucun  peintre  ne  s'était  essayé  à  les  reproduire; 
Polygnote  l'osa  et,  après  lui,  les   peintres  de  vases, 


Fig.  96. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


177 


comme  on  en  peut  juger  par  ce  beau  fond  de  coupe  dont 
Toriginal  est  au  Louvre  (fig.  97),  et  qui  montre  Thésée 
adolescent  recevant  d'Amphitrite,  à  laquelle  Athéna  le 


F'g-  97-  —  Thésée  chez  Amphitrite, 
d'après  un  vase  peint, 

présente,  Panneau  d'or  que  Minos  a  jeté  dans  la  mer 
et  que  le  jeune  héros  s'est  engagé  à  aller  chercher.  On 
voit  par  cette  admirable  peinture,  œuvre  d'Euphro- 
nios,  le  potier  dont  le  faire  donne  le  mieux  Tidée  de 
ce  qu'étaient  le  genre  et  la  manière  de  Polygnote,  com- 

PEINT.    ANTIQUE.  la 


178 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


Fig.  98 


bien  étaient  légères  ces  fines  étoffes  dont  les  artistes 
revêtaient  alors  leurs  personnages.  Ce  n'est  là  qu'un 
commencement  :  d'autres,  comme  le 
potier  Hiéron,  iront  plus  loin  en- 
core, et  des  sculpteurs  comme  Phi- 
dias emprunteront,  eux  aussi,  à  la 
grande  peinture  l'art  de  faire  vivre 
et  palpiter  les  corps  sous  leurs  tu- 
niques de  lin.  Polygnote  traitait 
d'ailleurs  avec  la  même  habileté  les 
étoffes  opaques  :  Eriphyle,  dans  la 
Nékyia,  portait,  sous  son  manteau, 
une  de  ses  mains  au  collier  qu'elle  avait  reçu  de  Po- 
lynice  pour  trahir  Amphiaraos,  son  époux,  et  l'on 
devinait,  aux  plis,  le  geste  de  ses  doigts  caressant  avec 
amour  le  prix  de  sa  trahison.  Il  excellait  encore  à  des- 
siner la  chevelure,  dont  les  sculpteurs  du  vi"  siècle  lui 
avaient  appris  à  exprimer  les  boucles  savantes  et  les 
gracieuses  ondulations  :  deux  têtes,  dans  une  coupe 
d'Euphronios  à  fond  blanc 
(fig.  98  et  99),  montrent  le  soin 
qu'il  apportait  à  ce  détail,  ainsi 
qu'à  l'exécution  des  cils.  Il  sa- 
vait enfin  saisir  les  particula- 
rités ethniques,  les  traits  indivi- 
duels qui  distinguent  les  races  : 
aux  côtés  de  Memnon,  dans  la 
Nékyia,  il  avait  placé  un  jeune 
Ethiopien    que    Pausanias     se 

borne  à  mentionner  sans  le  décrire,  mais  dont  le  teint, 
sans  doute,  et  le  profil  camard  indiquaient  suffisam- 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


179 


ment  Torigine  ;  peut-être  ressemblait-il  à  ces  nègres 
qu'Amasis,  un  maître  potier  de  la  fin  du  vi*  siècle, 
a  introduits  dans  quelques-uns  de  ses  tableaux.  De 
même,  le  petit  enfant  qui  mettait  la  main  devant  ses 
yeux,  dans  Vllioupersis,  était  assis  sur  les  genoux  d'un 
vieillard  ridé  et  cassé,  dont  nous  pouvons  nous  faire 
une  idée  par  cette  étrange  figure, 
due  au  pinceau  du  potier  Pis- 
toxénos  (fig.  100),  lequel  fait 
de  ce  personnage  le  précepteur 
d'Hercule  adolescent.  Selon 
toute  vraisemblance,  Polygnote 
en  avait  trouvé  le  modèle  au- 
tour de  lui,  parmi  ces  esclaves 
thraces  tatoués  et  décrépits  aux- 
quels les  riches  Athéniens  con- 
fiaient les  fonctions  de  portier 
ou  de  pédagogue. 

Avons-nous,  par  ces  remar- 
ques, réussi  à  faire  comprendre 
le  caractère  de  ces  œuvres 
anéanties?  Nous  n'osons  nous 

en  flatter.  La  grande  difficulté  sera  toujours  d'ima- 
giner le  groupement  de  toutes  ces  figures  et  l'harmonie 
secrète  qui  les  reliait  les  unes  aux  autres.  Plusieurs 
restaurations  ont  été  proposées  pour  en  rendre 
compte  :  aucune  n'est  satisfaisante  *.  Si  l'on  veut 
essayer  de  se  représenter  ces  vastes  ensembles,  il  faut 

I.  Hàtons-nous  de  dire  que  la  plus  acceptable  est  celle  qu'a  ima- 
ginée récemment  M.  Benndorf  pour  l'//joi/^er5/s  et  qu'il  a  publiée 
dans  les  Wiener  Vorlegeblœlter  de  1888  (Vienne,  1889),  pi.  12. 


c!,cv<7'..-3 


Fig.  ICO. 


i8o  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

d'abord  les  supposer  dépourvus  de  cette  unité  qu'offre 
de  nos  jours  la  peinture  décorative,  grâce  au  fond 
commun  sur  lequel  s'en  détachent  les  divers  épisodes. 
Aujourd'hui,  quand  un  peintre  veut,  par  exemple, 
figurer  FÉté  dans  le  champ  d'un  panneau  livré  à  sa 
fantaisie,  il  compose  un  paysage  qui  lui  serve  de  cadre 
et  dans  lequel  il  puisse  enfermer  les  scènes  symbo- 
liques à  l'aide  desquelles  il  rendra  la  chaleur  du  jour, 
l'accablement  d'une  nature  échauffée  par  un  ardent  so- 
leil, que  bravent  cependant  de  rustiques  travail- 
leurs. Au  pied  d'une  rangée  de  collines,  dont  les  pentes 
molles  s'élèvent,  comme  lassées,  vers  le  ciel,  il  peindra 
un  bouquet  de  bois  sombre,  autour  duquel  il  étendra 
des  cultures,  des  blés  mûrs  pour  la  moisson,  des  foins 
qu'entassent  sur  un  char  des  paysans  demi-nus,  aux 
membres  robustes;  puis,  sur  le  devant,  il  fera  courir 
une  rivière  où  viendront  se  rafraîchir  de  chastes  bai- 
gneuses, sur  les  bords  de  laquelle  des  mères  allaiteront 
leurs  enfants,  à  l'ombre  grêle  de  quelque  vieux  saule. 
Tous  ces  groupes  épars  seront  distincts  les  uns  des 
autres;  ils  ne  concourront  point  à  une  action  com- 
mune, et  pourtant  le  fond  qui  les  relie  en  fera  comme 
les  notes  individuelles  d'urte  grande  symphonie  très 
poétique  et  très  touchante,  d'où  se  dégagera  une  im- 
pression d'unité  incontestable.  Ce  n'est  pas  ainsi  qu'il 
faut  nous  représenter  les  fresques  de  Polygnote.  Elles 
étaient  composées  à  la  manière  d'un  fronton  de 
temple,  sans  fond  de  paysage  qui  leur  servît  de  lien  ; 
chaque  scène  avait  son  fond,  prestement  silhouetté  sur 
l'enduit  blanc  qui  recouvrait  tout  le  panneau  :  ici  des 
arbres,  là  les  murs  de  Troie,  juste  ce  qu'il  fallait  pour 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  -       ^     i8i 

indiquer  le  lieu  de  la  scène  et  guider  la  rêverie  du 
spectateur.  Elles  étaient  réparties  dans  de  longs  re- 
gistres parallèles,  mais  qui  empiétaient  les  uns  sur  les 
autres  et  n'avaient  rien  de  la  régularité  que  présentent, 
par  exemple,  les  vases  d'ancien  style.  Pausanias  mêle 
à  ses  descriptions  des  renseignements  comme  ceux-ci  : 


Fig.  loi.  —  Fragment  de  coupe  altique  à  fond  blanc. 

au-dessus^  au-dessous,  à  la  suite,  qui  ont  torturé  les 
archéologues.  Les  uns  en  ont  conclu  qu'il  s'agissait  de 
deux  registres,  les  autres  de  trois,  quelques-uns  de 
quatre;  il  n'y  a  pas  lieu  de  procéder  avec  cette  rigueur. 
Concevez  un  art  très  libre,  qui  tire  parti  de  tous  les 
espaces  avec  une  merveilleuse  adresse,  qui  superpose, 
ici,  trois  et  quatre  groupes,  tandis  qu'ailleurs  il  n'en 
met  qu'un,  auquel  il  donne  plus  d'importance,  une 
symétrie  cachée,  un  équilibre  moins  apparent  que  réel, 
soucieux  du  moindre  effet,  mais  où   l'on  ne  sent  ni 


l82 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Teffort  ni  la  raideur,  et  vous  aurez  les  éléments  néces- 
saires pour  pénétrer  le  secret  de  la  composition  de  Po- 
lygnote. 

Si  vous  voulez  maintenant  restituer  le  dessin  et  la 
couleur,  c'est  parmi  les  lécythes  attiques  à  fond  blanc 
qu'il  vous  faudra  aller  chercher  vos  modèles,  ou  mieux, 
parmi  ces  belles  coupes  à  fond  laiteux  de  la  première 

moitié  du  v^  siècle,  où  revit, 
si  fidèle,  le  souvenir  des 
grands  peintres.  Voici  préci- 
sément deux  fragments  d'une 
de  ces  coupes  qu'on  croit 
pouvoir  attribuer  à  Euphro- 
nios  et  qui  ont  été  trouvés,  il 
y  a  peu  de  temps,  à  Athènes 
(fig.  lor  et  102)  :  le  sujet  était 
Orphée  mis  à  mort  par  les 
Ménades.  Je  ne  pense  pas 
qu'on  puisse  rêver  dessin  plus 
pur  ni  plus  voisin  de  ce  que 
devait  être  la  peinture  de  Po- 
lygnote.  Il  y  faut  seulement  imaginer  moins  de  séré- 
nité et  des  physionomies  un  peu  plus  tragiques,  car 
telle  est  la  qualité  qui  lui  valut  surtout  l'admiration 
des  anciens  :  le  premier,  il  avait  fait  entendre  cette  voix 
des  passions  qui  allait  rencontrer  de  si  pathétiques 
accents  sur  la  scène  et  susciter  des  enthousiasmes  qui, 
depuis,  ne  furent  jamais  atteints. 


Fig.  102. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  i8j 


§  IV.  —  Suite  de  l'Ecole  attique  : 

Micon  et  Panainos  ;  Pauson,  Agatharqiie  de  Samos, 

Apollodore  d'Athènes. 

Nous  insisterons  moins  sur  les  peintres  qui  suivent, 
même  sur  les  très  grands,  comme  Apelle,  faute  de  do- 
cuments qui  nous  éclairent  sur  leur  valeur.  Nous 
avons  déjà  cité,  parmi  les  contemporains  de  Polygnote, 
Micon  et  Panainos,  qui  travaillèrent  sous  sa  direction. 
Le  premier  était  d'Athènes;  son  père  s'appelait  Phano- 
machos;  il  eut  une  fille,  Timarété,  qui  s'occupa  égale- 
ment de  peinture  :  on  voyait  d'elle,  à  Ephèse,  une  Ar- 
témis  qui  ne  manquait  pas  de  mérite.  Le  second  était 
le  frère  de  Phidias.  Avec  lui  paraît  un  nouvel  usage, 
celui  des  expositions  de  tableaux.  Les  grands  jeux  de 
la  Grèce,  qui  attiraient  un  tel  concours  de  spectateurs, 
avaient,  jusque-là,  consisté  en  exercices  physiques  : 
maintenant,  à  ces  épreuves,  on  sent  le  besoin  d'en 
ajouter  d'autres,  plus  propres  à  satisfaire  l'esprit;  on  y 
introduit  des  concours  entre  peintres.  Bientôt,  on  y 
fera  des  récitations  de  prose  et  de  vers;  le  sophiste 
Hippias  d'Élis  y  donnera  des  consultations  de  philoso- 
phie, jusqu'au  jour  où  les  sectes  s'y  livreront  bataille 
et  où  ces  vieilles  solennités  ne  seront  plus  qu'un  pré- 
texte à  vaine  déclamation.  C'est  à  Delphes  et  à  Co- 
rinthe,  à  l'occasion  des  jeux  Pythiques  et  des  jeux 
Isthmiques,  qu'eurent  lieu  les  premières  expositions. 
Panainos  prit  part  à  celle  de  Delphes  et  eut  la  douleur 
de  n'y  pas  remporter  le  prix.  Plus  tard,  nous  voyons 


184.  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Zeuxis  et  Parrhasios  aux  prises  Pun  avec  l'autre  dans 
un  concours  analogue.  Zeuxis  y  avait  exposé  des  rai- 
sins si  saisissants  de  vérité,  que  les  oiseaux,  trompés 
par  l'apparence,  vinrent  les  picorer.  Le  tableau  de  Par- 
rhasios représentait  un  simple  voile,  mais  qui  sem- 
blait jeté  si  naturellement  sur  le  panneau  de  bois  dont 
il  recouvrait  toute  la  superficie,  que  Zeuxis  le  prit  pour 
un  tissu  véritable  et,  déjà  sûr  du  succès,  d'un  ton  hau- 
tain, ordonna  de  l'enlever,  afin  que  la  comparaison  pût 
être  faite  entre  les  deux  œuvres.  Reconnaissant  son 
erreur  :  «  Je  n'ai  trompé  que  les  oiseaux,  dit-il  à  son 
concurrent;  tu  m'as  trompé,  moi  un  artiste  »,  et  il  lui 
céda  de  bonne  grâce  la  victoire.  Parrhasios  devait 
être  moins  heureux  à  Samos,  dans  un  concours  avec 
Timanthe,  où  tous  deux  avaient  traité  le  même  sujet, 
Ajax  et  Ulysse  se  disputant  les  armes  d'Achille.  Cette 
fois,  ce  fut  lui  qui  eut  le  dessous,  et  il  en  éprouva  un 
violent  dépit.  Les  jurys  de  ce  temps-là  soulevaient 
déjà,  par  leurs  décisions,  des  protestations  et  d'amères 
critiques. 

Les  Grecs  ont  aussi  connu  les  expositions  particu- 
lières. Apelle  soumettait  ses  œuvres  au  jugement  du 
public  dans  une  sorte  de  galerie  ouverte,  où  il  se  tenait 
caché  pour  recueillir  les  impressions  de  la  foule.  On 
sait  qu'un  cordonnier,  examinant  un  de  ses  tableaux, 
remarqua  qu'il  s'y  trouvait  une  chaussure  mal  dessi- 
née. Apelle  corrigea  la  faute;  mais  l'homme,  le  lende- 
main, s'étant  permis  de  blâmer  la  jambe,  le  peintre, 
se  montrant  :  «  Que  le  cordonnier,  dit-il  avec  impa- 
tience, s'en  tienne  à  la  chaussure  et  ne  juge  pas  ce  qui 
est  au-dessus.  »  Le  mot  passa  en  proverbe  :  Ne  sutor 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


i3^ 


supra  crepidam.  Mais  revenons  à  Panaînos  et  à  Micon. 

Tous  deux,  on  s'en  sou- 
vient, contribuèrent  à  dé- 
corer le  Pœcile.  A  gauche 
de  la  grande  composition 
de  Polygnote  représentant 
Y Ilioiipersîs j,  ils  avaient 
peint  en  collaboration  la 
Bataille  de  Marathon.  Le 
moment  de  Faction  qu'ils 
avaient  choisi  était  la  dé- 
faite des  Barbares,  qu'on 
voyait,  d'un  côté,  refoulés 
dans  les  marais,  de  l'autre, 
chassés  vers  les  vaisseaux 
phéniciens  qui  bordaient 
le  rivage  et  où  ils  se  pré- 
cipitaient pêle-mêle,  har- 
celés par  les  vainqueurs. 
Il  est  intéressant  de  re- 
trouver, parmi  les  frises 
sculptées  de  Gjôlbachi,  un 
souvenir  très  précis  de 
cette  fresque  (fig.  io3). 
Seulement,  au  lieu  du 
combat  de  Marathon,  la 
frise  de  Gjôlbachi  met  sous 
nos  yeux  une  des  batailles 
livrées  dans  la  plaine  du 
Scamandre,  sous  les  murs 
de  Troie.  L'imitation  n'en  est  pas   moins  évidente 


i86 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


voyez  ces  vaisseaux  grecs  qui  limitent,  à  gauche,  le 
fragment  que  nous  reproduisons  ;  ils  correspondent 
exactement  à  la  flotte  phénicienne  qui  occupait  la  même 
position  dans  le  tableau  de  Micon  et  de  Panainos. 

A    la  Bataille   de   Marathon   faisait    pendant,   de 
l'autre  côté  de  Vllioupersis,  une  composition  de  Micon 


Fig.  104..  —  Combat  de  Grecs  et  d'Amazones,  sur  un  vase  peint. 


figurant  la  Lutte  de  Thésée  contre  les  Amazones,  en- 
core un  sujet  traité  par  le  sculpteur  de  Gjôlbachi;  mais 
au  lieu  de  Thésée  et  des  Athéniens,  c'est  Achille  qu'il 
avait  représenté  poursuivant,  dans  les  campagnes 
troyennes,  l'Amazone  Penthésilée.  Ce  tableau  répon- 
dait à  la  bataille  sur  les  bords  du  Scamandre,  dont  le 
séparait  une  Ilioiipersis,  de  sorte  que  les  reliefs  de  cette 
partie  de  la  frise  offraient  absolument  le  même  ordre 
que  les  peintures  du  Pœcile,  curieuse  preuve  de  l'in- 
fluence de  la  grande  peinture  sur  ce  monument  con- 
struit, vers   la  fin  du  111°  siècle  avant  notre   ère,  par 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  187 

quelque  satrape,  avec  Taide  d'artistes  venus  de  Grèce 
et  dont  rimagination  était  pleine  des  merveilles  qu'ils 
y  avaient  vues. 

A  partir  de  Micon,  les  combats  d'Amazones  vont 
d'ailleurs  se  multipliant  dans  le  grand  art  et  dans  les 
arts  industriels.  Phidias  y  aura  recours  pour  décorer 


Fig.  105.  —  Suite  du  même  combat. 

le  piédestal  de  sa  statue  de  Zeus,  à  Olympie,  et  le  bou- 
clier de  son  Athéna  Parthénos;  quant  aux  peintres  de 
vases,  ils  trouveront  dans  ce  motif  une  source  inépui- 
sable de  tableaux.  Le  plus  beau  est,  à  coup  sûr,  celui 
qui  orne  un  vase  de  Cume,  de  la  classe  des  aryballes, 
et  qu'on  peut  voir  au  musée  de  Naples.  Nous  en  don- 
nons ici  la  décoration  développée  (fig.  104  et  ro5).  Ces 
guerriers  grecs,  armés  du  bouclier  et  de  la  lance,  agiles 
et  souples  dans  leur  robuste  nudité,  ces  Amazones  au 
costume  compliqué,  aux  tuniques  rayées  ou  mouche- 
tées suivant  la  mode  barbare,  le  mouvement  qui  anime 


i88 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


ces  divers  personnages,  leur  groupement  harmonieux, 
la  symétrie  savante  qui  les  oppose  les  uns  aux  autres, 
tout  cela  forme  un  ensemble  d\ine  grâce  inimitable  qui 
devait  rappeler  de  très  près  la  peinture  de  Micon.  Il 
faut  remarquer  le  lieu  de  la  scène  :  elle  se  passe  dans 
les  montagnes,  ou,  tout  au  moins,  parmi  des  accidents 
de  terrain  que  le  peintre  a  discrètement  indiqués,  çà  et 
là,  d/un  trait  rapide.   La  légende  contait,  en  effet,  que 


Fig.  10(5.  —  Combat  d'Amazones,  sur  un  vase  peint. 


c'était  sur  le  Pnyx  et  sur  les  collines  environnantes 
que  l'invasion  des  Amazones  avait  été  repoussée  par 
Thésée.  Toutes  les  peintures  de  vases  qui  reproduisent 
cet  événement  sont  restées  fidèles  à  ce  détail.  Qu'elles 
figurent  les  Amazones  à  pied  ou  à  cheval  (fig.  io6), 
des  lignes  ondulées  y  marquent  toujours  les  aspérités 
du  sol.  C'était  évidemment  un  des  traits  caractéris- 
tiques du  tableau  de  Micon,  et  ce  souci  de  la  tradition 
et  du  pittoresque  se  retrouvait  dans  VAma\onoma- 
chie  qu'il  avait  peinte  au  Théseion.  Au  Pœcile,  ce 
respect  de  la  légende  lui  avait  suggéré  une  invention 
fort  remarquée  des  contemporains.  Un  de  ses  héros, 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  189 

Boutés,  l'ancêtre  d'une  des  plus  vieilles  familles  de  l'At- 
tique,  y  paraissait  au  sommet  d'une  colline  dont  la 
saillie  ne  laissait  apercevoir  que  son  casque  et  le  haut 
de  son  visage,  dérobant  le  reste  aux  yeux  du  specta- 
teur. Vous  reconnaissez  là  le  procédé  appliqué  par 
Polygnote  à  son  Tityos  dans  la  Nékyia;  mais  tandis 
que  Polygnote  s'était  probablement  contenté  de  dissi- 
muler derrière  un  pli  de  terrain  une  minime  partie 
de  son  personnage,  Micon,  plus 
hardi,  avait  sous-entendu  plus  des 
trois  quarts  du  sien.  Cette  façon  de 
peindre  expéditive  frappa,  et  même 
scandalisa  quelque  peu  les  Athé- 
niens, habitués  à  la  consciencieuse 
précision  de  l'archaïsme.  Il  leur 
sembla  que  ce  Boutés  n'avait  guère 
coûté  à  son  auteur,  et,  pour  carac-  ^. 

'       '  ^  Fig.  107. 

tériser  une  œuvre  dont  la  rapide 
exécution  ne  trahissait  qu'un  faible  effort,  ils  s'accou- 
tumèrent à  dire  :  «  Voilà  qui  est  plus  prestement  enlevé 
que  Boutés  »  (©ôcttov  ti  Bour/i;).  La  figure  107,  em- 
pruntée au  vase  peint  d'où  nous  avons  déjà  tiré  les 
figures  gS  et  96,  paraît  bien  être  un  timide  souvenir  de 
ce  subterfuge  osé  de  Micon. 

J'ai  fait  allusion  au  combat  d'Amazones  qui  ornait 
un  des  panneaux  intérieurs  du  Théseion.  Ce  temple 
contenait  d'autres  peintures  du  maître,  toutes  relatives 
aux  exploits  de  Thésée.  On  y  voyait,  par  exemple,  une 
composition  qui  devait  inspirer  plus  tard  les  auteurs 
des  métopes  du  Parthénon ,  la  Lutte  des  Lapithes 
contre  les  Centaures,  où  Thésée  figurait  du  côté  des 


ipo  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Lapithes,  aux  prises  avec  un  Centaure  qu**!!  venait  de 
terrasser.  Les  sujets  de  ce  genre  sont  fréquents  sur  les 
vases  peints,  témoin  ce  vase  de  Vienne,  qui  représente 
les  Centaures  attaquant  le  Lapithe  Pirithoûs  le  jour 
de  ses  noces  et  faisant  irruption  dans  la  salle  du  festin 
(fig.  io8).  On  y  voyait  encore  la  Visite  de  Thésée  à 
Amphitrite  et  à  Poséidon.  Comme  ce  héros,  disait  la 
fable,  était  en  Crète  avec  les  jeunes  gens  et  les  jeunes 
filles  d'Athènes  destinés  à  servir  de  proie  au  Mino- 
taure,  Minos  s'emporta  contre  lui,  parce  qu'il  faisait 
obstacle  à  sa  passion  pour  Périboia;  il  Taccabla  d'ou- 
trages et  lui  reprocha,  entre  autres  choses,  de  n'être  pas 
le  fils  de  Poséidon;  puis,  pour  l'éprouver,  il  lança  son 
anneau  dans  la  mer,  l'invitant  ironiquement  à  le  lui 
rapporter,  Thésée,  sans  hésiter,  se  précipite  dans  les 
flots,  où  il  est  recueilli  par  des  tritons  et  des  dauphins 
qui  le  conduisent  mollement  jusqu'au  roi  de  la  mer, 
lequel  lui  remet  l'anneau  de  Minos;  en  même  temps, 
Amphitrite  lui  fait  don  d'une  couronne  d'or.  Nous  ne 
savons  pas  exactement  quel  épisode  de  cette  légende 
Micon  avait  mis  en  oeuvre,  mais  tout  porte  à  croire 
que  le  sujet  de  sa  fresque  était  Thésée  paraissant  devant 
Poséidon  et  Amphitrite.  On  a  vu  ce  thème  très  libre- 
ment traité  par  Euphronios  (fig.  97).  D'autres  potiers 
s'en  emparèrent,  comme  l'atteste  ce  vase  qui  parait  plus 
voisin  de  la  peinture  de  Micon  (fig.  109)  et  qui  nous 
offre  un  admirable  spécimen  de  ce  que  savaient  faire, 
dans  la  première  moitié  du  v  siècle,  les  céramistes 
athéniens. 

Il  y  avait  encore,  dans  le  Théseion,  un  tableau  de 
Micon   représentant  la  Mort  de  Thésée.  Quand  nous 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


191 


aurons  cité,  dans  TAnakelon,  une  fresque  figurant  le 
Départ  des  Argonautes  et  montrant  les  héros  prenant 
part,  à  lolcos,  aux  jeux  funèbres  donnés  par  Acastos  en 
rhonneur  de  son  père  Pélias,  nous  aurons  à  peu  près 
achevé  la  liste  des  œuvres  que  Tantiquité  attribuait  à 
Micon. 

Nous  ne  pouvons  que  malaisément  nous  faire  une 
idée  des  qualités  de  ce  peintre.  Il  ne  valait  pas  Poly- 


Fig.  108.  —  Combat  de  Lapithes  et  de  Centaures, 
d'après  un  vase  peint. 


gnote.  En  quoi  lui  était-il  inférieur?  Nous  Fignorons. 
Il  travaillait,  semble-t-il,  avec  plus  de  négligence  et 
en  regardant  de  moins  près  la  nature.  On  contait  à  ce 
propos  une  anecdote  significative  :  il  avait  peint  un 
cheval  avec  des  cils  à  la  paupière  inférieure,  ce  qui  est 
contraire  à  la  réalité.  Non  seulement  il  était  peintre, 
mais  il  sculptait.  Tel  était  aussi,  d^ailleurs,  le  cas  de 
Polygnote.  On  voyait  à  Olympie  une  statue  de  bronze 
de  l'Athénien  Caillas,  vainqueur  au  pancrace,  qui 
était  due  à  son  ciseau;  on  en  a  récemment  retrouvé  la 
base  avec  sa  signature.  Les  anciens  connaissaient  de 
lui  plusieurs  statues  d'athlètes. 

Après  ce  qui  a  été  dit  de  la  Bataille  de  Marathon, 


192 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


œuvre  commune  de  Micon  et  de  Panainos,  il  reste  peu 
de  chose  à  ajouter  sur  ce  dernier  artiste.  Collaborateur 
de  son  frère,  il  contribua  à  décorer  le  trône  de  Zeus 
Olympien.  Ce  trône   était   soutenu  par  des  colonnes 


ilElIllIllPIHIMlBiiJIMl/ElHIJlJlliriilIfffll 


->-/»i/e;n£-«jr-''»^ 


Fig.  109.  —  Thésée  devant  Poséidon  et  Amphitrite, 
d'après  un  vase  peint. 

entre  lesquelles  étaient  engagées  des  espèces  de  mé- 
opes  lisses,  que  Panainos  couvrit  de  peintures.  Hercule 
et  Atlas,  Hercule  luttant  contre  le  lion  de  ISIémée,  le 
Jardin  des  Hespérides,  Thésée  et  Pirithoils,  des  figures 
allégoriques  comme  VHellade  et  Salamine,  celle-ci 
tenant  à  la  main  un  de  ces  ornements  que  les  Grecs 
plaçaient  à  l'avant  de  leurs  vaisseaux;  Hippodamie,  le 


LA    PEINTURE  GRECQUE.  ipj 

Supplice  de  Prométhée,  la  Mort  de  Penthésîlée ,  V At- 
tentat d'Ajax  contre  Cassandre ,  telles  sont  les  scènes 
variées  que  son  alerte  pinceau  traça  sur  le  siège  mo- 
numental du  dieu  ^.  Nous  savons  aussi  qu^on  admirait 
dans  le  temple  de  Zeus  plusieurs  fresques  dont  il  était 
l'auteur,  mais  le  sujet  ne  nous  en  est  pas  connu.  En- 
fin, il  passait  pour  avoir  peint,  en  Élide,  le  bouclier 
d^une  statue  d'Athéna  sculptée  par  Colotès,  disciple  de 
Phidias. 

LMnnovation  capitale  de  Micon  et  de  Panainos 
consista  dans  Tintroduction  de  la  peinture  d'histoire. 
Ils  n'en  étaient  pas  cependant  les  inventeurs.  Bien 
avant  eux,  on  s'en  souvient,  Boularchos  avait  eu  l'idée 
de  fixer  par  le  pinceau  le  souvenir  d'un  grand  événe- 
ment contemporain.  En  514  avant  notre  ère,  Mandro- 
clès  de  Samos,  l'ingénieur  qui  avait  construit  sur  le 
Bosphore  le  pont  de  bateaux  destiné  à  livrer  passage  à 
l'armée  de  Darius  se  rendant  en  Thrace,  avait  consa- 
cré dans  le  sanctuaire  de  Héra  Samienne  un  tableau 
où  l'on  voyait  ce  même  pont  chargé  de  soldats  et  Da- 
rius assis  à  l'une  des  extrémités,  surveillant  le  passage 
de  ses  troupes.  Mais  c'étaient  là  des  faits  isolés  ;  on 
n'avait  point,  jusqu'à  Micon,  érigé  la  peinture  histo- 
rique en  système.  Polygnote  s'en  était  tenu  aux  allu- 
sions transparentes  :  ses  deux  Ilioupersis  rappelaient  la 
prise  d'Athènes  par  les  Perses;  son  Ulysse  vainqueur 
des  prétendants  faisait  penser  aux  Grecs  débarrassant 

I.  J'ai  groupé  ces  scènes  suivant  les  analogies  qu'elles  présen- 
taient entre  elles,  et  non  suivant  l'ordre  donné  par  Pausanias.  La 
place  exacte  occupée  par  chacune  d'elles  est  presque  impossible 
à  déterminer. 

PEINT.    ANTIQUE.  IJ 


194  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

leur  patrie  des  Barbares.  Le  voile  de  la  légende  lui  sem- 
blait nécessaire  pour  rehausser  et  faire  valoir  la  réalité. 
Micon  peignit  la  réalité  même  ;  la  bataille  de  Mara- 
thon était  de  Thistoire  d^hier  pour  ceux  qui  en  contem- 
plaient l'image  au  Pœcile,  et  cette  image  les  frappait 
d'autant  plus,  qu'à  côté  de  divinités  comme  Athéna, 
Hercule,  Thésée,  le  héros  Marathon,  ils  y  reconnais- 
saient les  traits  idéalisés  de  leurs  généraux,  Calli- 
maque,  Miltiade,  ceux  de  Cynégire,  ceux  des  princi- 
paux chefs  barbares,  tels  que  Datis  et  Artapherne. 

Il  y  avait  au  Pœcile  une  autre  peinture  dont  nous 
ignorons  l'auteur,  mais  qui  rappelait  de  même  un  évé- 
nement historique  considérable,  la  bataille  d'Œnoa, 
livrée  aux  Lacédémoniens  par  les  Athéniens  et  les  Ar- 
giens  coalisés^.  Là  aussi,  probablement,  on  voyait  des 
portraits,  et  le  réel  se  trouvait  mêlé  au  merveilleux.  On 
ne  peut  s'empêcher  de  rapprocher  cette  tendance  d'une 
tendance  analogue  qui  se  manifeste,  vers  le  même 
temps,  dans  la  littérature.  C'est  l'époque  où  les  tra- 
giques, sans  renoncer  à  la  mythologie,  cherchent  vo- 
lontiers leurs  sujets  de  drames  dans  l'histoire,  où  Phry- 
nichos  met  sur  la  scène  la  prise  de  Milet,  le  plus 
sanglant  épisode  de  la  révolte  de  l'Ionie;  où,  peu  de 
temps  après  la  seconde  guerre  médique,  il  fait  jouer 
ses  Phéniciennes,  qui  en  glorifient  l'issue;  où  Eschyle 
excite  l'enthousiasme  des  Athéniens  en  leur  montrant, 
dans  ses  Perses,  Atossa  pleine  d'angoisse  et  Xerxès 
vaincu  et  humilié.   Une  ivresse  patriotique  fait  qu'on 


I.  Voyez,  sur  cette  peinture,  C.  Robert,  Hermès,  1890,  p.  412 
et  suiv. 


LA   PEINTURE    GRECQUE.  195 

se  porte  avec  ardeur  vers  ces  images ,  qu'on  ose  les 
peindre  dans  les   édifices  publics    et    les    figurer  au 


Fig.  iio.  —  Grec  et  Barbare  combattant, 
d'après  un  fond  de  coupe  du  v''  siècle. 


théâtre,  à  côté  des  vieux  mythes  qui  alimentaient  seuls, 
auparavant,  la  poésie  et  la  peinture.  De  là,  dans  les 
arts  industriels  comme  la  céramique,  ces  allusions  de 
plus  en  plus  fréquentes  aux  Barbares,  ces  représenta- 


jçG  ^      LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

tions  de  Perses  terrassés,  tantôt  habillés  à  la  grecque 
(fig.  no),  tantôt  revêtus  de  ce  costume  bariolé  que 
tant  de  vases  reproduisent  et  dont  nous  donnons  ici 
un  spécimen  (fig.  m),  d'après  une  coupe  du  Louvre 
en  partie  restaurée*.  Quand  on  ne  va  pas  jusqu'à  ce 
réalisme,  on  a  recours  au  symbole  :  les  Centaures,  les 
Amazones,  tous  ces  êtres  violents  et  hétéroclites  dont 
on  s'occupait  depuis  des  siècles  sans  se  demander  ce 
qu'ils  signifiaient,  deviennent  autant  de  personnifica- 
tions de  la  force  barbare  domptée  par  le  génie  grec, 
puissant  et  mesuré.  La  guerre  de  Troie  elle-même 
apparaît  comme  le  début  de  la  querelle  entre  l'Orient 
et  l'Occident,  comme  l'acte  initial  qui  a  donné  nais- 
sance à  l'antique  inimitié  de  l'Europe  et  de  l'Asie.  Il 
ne  faudrait  point  exagérer,  mais  soyez  sûr  que  l'Athé- 
nien contemporain  de  Polygnote  et  de  Micon  saisis- 
sait dans  leurs  tableaux  ces  secrètes  intentions;  ces 
belles  fresques  pleines  d'idées  flattaient  son  amour- 
propre  national,  et  il  éprouvait  d'autant  plus  de  plaisir 
à  les  contempler. 

A  côté  de  cette  influence  incontestable  des  faits,  les 
peintres  de  cette  époque  en  subissent  une  autre,  celle 
de  la  littérature.  On  a  vu  ce  que  l'épopée  avait  fourni  à 
Polygnote;  on  verra  tout  à  l'heure  ce  que  Parrhasios 
et  ses  successeurs  ont  dû  à  la  tragédie.  Notons,  en  atten- 
dant, l'apparition,  dans  la  peinture,  d'un  goût  nouveau, 
qui  lui  vient  de  la  comédie  sicilienne,  le  goût  pour 

I.  Les  restaurations  sont  indiquées  en  pointillé.  Cette  coupe 
comme  celle  que  reproduit  la  figure  iio,  est  l'œuvre  du  potier 
Douris.  Remarquez  l'espèce  d'étendard  ou  de  guidon  que  tient 
le  Barbare  dans  la  main  gauche. 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


197 


certaines  scènes  religieuses  d'un  caractère  familier  et 
légèrement  comique.  Pausanias  signale,  parmi  les 
tableaux  qui  décoraient  l'un  des  temples  de  Dionysos, 


Fig.  m.  —  Barbare  terrassé  par  un  Grec, 
d'après  un  fond  de  coupe  du  v«  siècle. 


une  fresque  représentant  le  Retour  d'Héphaistos  dans 
l'Olympe.  Ce  dieu,  disait  la  légende,  voulant  punir 
Héra,  sa  mère,  de  la  dureté  qu'elle  avait  montrée  à  son 
égard,  lui  avait  envoyé  un  trône  d'or  muni  de  mille 
liens   invisibles.   Héra  y    était  restée  attachée,  et   les 


ipS  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

efforts  des  dieux  pour  la  délivrer  avaient  été  vains, 
quand  Dionysos  s^était  avisé  d'aller  trouver  le  coupable 
à  Lemnos,  de  Penivrer  et  de  le  ramener  dans  TOlympe 
pour  mettre  fin  au  supplice  de  la  déesse.  C'est  ce  retour 
du  divin  forgeron  qu'on  voyait  peint  dans  le  temple  de 
Dionysos.  Or  ce  mythe  était  depuis  longtemps  exploité 
par  les  peintres;  on  le  rencontre,  au  vi^  siècle,  sur  le 
vase  François.  Le  comique  sicilien  Epicharme  Pavait 
rajeuni  en  le  portant  sur  la  scène,  dans  sa  pièce  inti- 
tulée Héphaistos  ou  les  Comastes.  De  là  la  popularité 
de  cette  fable  à  Athènes,  où  le  théâtre  d'Épicharme 
jouissait  d'une  réputation  méritée.  Les  peintres  y  re- 
vinrent, et  c'est  sans  doute  à  cet  engouement  qu'il  faut 
attribuer  le  tableau  décrit  par  Pausanias,  ainsi  que  les 
nombreuses  peintures  de  vases  qui  reproduisent  le 
même  sujet  (fig.  112). 

Il  ne  nous  reste  plus,  pour  cette  période,  qu'à 
nommer  quelques  artistes  d'une  valeur  secondaire,  ou 
sur  lesquels  les  documents  nous  font  défaut.  Citons, 
parmi  les  premiers,  Pauson,  dont  se  moque  Aristo- 
phane. On  contait  de  lui  une  charge  d'atelier  qui  semble 
indiquer  peu  de  sérieux  dans  le  caractère.  Comme 
quelqu'un  lui  avait  demandé  de  peindre  un  cheval  se 
roulant  dans  la  poussière  après  les  exercices  du  stade, 
il  figura  un  cheval  galopant  et  soulevant  avec  ses  pieds 
des  nuages  de  poussière.  L'amateur  s'étant  plaint,  Pau- 
son  retourna  son  tableau,  de  façon  à  présenter  Panimal 
les  pieds  eri  Pair  et  la  tête  en  bas.  On  ne  nous  dit  pas 
si  l'amateur  se  déclara  satisfait. 

Un  peintre  très  supérieur  fut,  vers  le  même  temps, 
Agatharque   de   Samos,  à  la  fois  contemporain  d'Es- 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  199 

chyle  et  de  Zeuxis.  Vitruve  parle  d'une  décoration 
peinte  qu'il  exécuta  pour  une  tragédie  d'Eschyle  et  sur 
laquelle  il  rédigea  une  sorte  de  mémoire  théorique. 
C'était  une  grande  nouveauté.  La  scène  improvisée 
qu'on  dressait,  pour  chaque  série  de  représentations, 
dans  l'orchestre  du   Lénaion,  au  pied  de  l'Acropole, 


'   Fig.  112.  —  Retour  d'Héphaistos  dans  l'Olympe, 
d'après  un  vase  peint. 

avait  été,  jusqu'alors,  ornée  de  tapisseries  et  de  ces 
riches  tissus  que  l'invasion  perse  avait  rendus  familiers 
aux  Athéniens.  Peut-être  à  ces  tissus  mêlait-on  déjà 
quelques  peintures.  Mais  c'est  Sophocle  qui,  le  pre- 
mier, fit  de  la  peinture,  au  théâtre,  un  usage  raisonné 
et  méthodique.  Vers  la  fin  de  sa  carrière,  Eschyle 
l'imita,  et  de  ce  goût  du  vieux  poète  pour  les  nouveaux 
procédés  d'ornementation  scénique  sortit  l'œuvre  d'Aga- 
tharquede  Samos.  Nous  en  ignorons  les  mérites.  Il  est 
probable  qu'elle  contenait  un  essai  de  perspective.  Dé- 


200  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

mocrite  et  Anaxagore,qui  écrivirent,  après  Agatharque, 
sur  la  scénographie,  donnaient,  paraît-il,  les  règles  à 
observer  pour  produire  l'illusion  de  la  profondeur  et 
figurer  des  édifices  dont  certaines  parties  eussent  l'air 
de  s'enfoncer  dans  l'éloignement,  tandis  que  d'autres 
semblaient  saillir  au  dehors.  Nous  ne  savons  pas  si 
Agatharque  alla  aussi  loin,  mais  il  y  a  lieu  de  croire 
que  ses  décors  étaient  déjà  à  plusieurs  plans.  On  peut 
s'en  faire  une  idée  approximative  par  ces  curieuses 
vues  de  villes  et  d'enceintes  fortifiées  sculptées  en  léger 
relief  sur  les  portes  de  quelques  tombeaux  lyciens 
(fig.  Il 3).  Il  y  a  déjà,  dans  ces  tableaux,  des  lignes 
fuyantes  qui  témoignent  d'un  sérieux  effort  pour  rendre 
la  perspective,  en  même  temps  qu'on  y  remarque  le 
procédé  de  superposition  propre  à  l'ancienne  ma- 
nière. 

Agatharque  peignait  très  vite  et  se  vantait  de  sa  ra- 
pidité, qui  contrastait  avec  la  lenteur  de  Zeuxis.  Cette 
qualité  convenait  essentiellement  à  la  fabrication  des 
décors,  ainsi  qu'à  la  décoration  des  intérieurs,  dans  la- 
quelle ce  peintre  paraît  avoir  excellé.  Un  jour,  Alci- 
biade  l'ayant  prié  d'exécuter  chez  lui  une  série  de 
fresques,  comme  il  s'y  refusait,  prétextant  les  nom- 
breuses commandes  dont  il  était  accablé,  le  jeune  aris- 
tocrate, qui  n'aimait  point  la  résistance,  l'emmena  de 
force  et  le  tint,  pendant  quatre  mois,  prisonnier  dans 
sa  maison;  il  y  fût  resté  plus  longtemps  encore  et,  sans 
doute,  jusqu'à  l'achèvement  des  travaux,  s'il  n'avait 
réussi   à  tromper  la   vigilance  de   ses  gardiens. 

Il  y  aurait  peu  de  chose  à  dire  d'ApoUodore 
l'Athénien,  contemporain  d' Agatharque,  bien  que  plus 


LA   PEINTURE    GRECQUE. 


jeune  de  quelques  années,  si  ce  nom  ne  marquait  dans 
Phistoire  de  la  peinture  le  commencement  d'une  révo- 
lution capitale.  Jusqu'alors,  les  Grecs  avaient  peint  à 
teintes  plates,  suivant  la  vieille  méthode  égyptienne  et 
achéenne  ;  Poly- 
gnote,  tout  en  sa- 
chant reproduire 
le  moelleux  et  la 
transparence  des 
étoffes,  avait  ignoré 
Part  de  faire  tour- 
ner les  corps.  Plu- 
sieurs causes,  assu- 
rément ,  détermi- 
nèrent l'éclosion 
de  cet  art  ;  mais  ce 
qui  contribua  sur- 
tout à  sa  naissance, 
ce  fut  l'influence  du 
théâtre.  On  vient  de 
voir  que  l'introduc- 
tion de  la  peinture 
sur  la  scène  avait 
bien  vite  amené  à 

composer  des  décors  dans  lesquels  se  faisaient  sentir  des 
intentions  de  perspective,  que  les  palais,  les  paysages 
tracés  par  Agatharque  sur  les  toiles  ou  les  panneaux 
devant  lesquels  se  mouvaient  les  acteurs,  offraient, 
selon  toute  apparence  ,  de  timides  effets  de  rapproche- 
ment ou  d'éloignement  obtenus  par  de  simples  combi- 
naisons de  lignes.  Il  était  naturel  qu'on  cherchât  à  ap- 


Fig.  iij. 


202  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

pliquer  ce  procédé  à  la  représentation  des  personnages. 
C'est,  semble-t-il,  Apollodore  d'Athènes  qui,  le  premier, 
tenta  l'entreprise.  Les  auteurs  anciens  le  surnomment 
skiagraphe  (cxiaypacpo;),  c'est-à-dire  habile  à  peindre 
l'ombre.  Plutarque  affirme,  d'autre  part,  qu'il  inventa 
l'art  de  dégrader  les  tons  et  de  noyer  les  contours.  Tout 
cela  indique  clairement  une  technique  nouvelle.  Nous 
ignorons  l'aspect  que  pouvaient  avoir  certains  tableaux 
très  vantés  de  ce  peintre,  tels  que  le  Prêtre  en  prières, 
Ajax  foudroyé ,  Alcmène  et  les  Héraclides  suppliant  les 
Athéniens,  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  ces  peintures  ne 
ressemblaient  pas  à  celles  de  la  première  moitié  du 
V*'  siècle.  Plus  d'air  y  circulait;  moins  belles,  probable- 
ment, moins  pures  de  dessin  que  les  fresques  des  Poly- 
gnote,  des  Panainos  et  des  Micon,  elles  étaient  moins 
conventionnelles  et  rendaient  plus  fidèlement  la  nature. 
Voilà,  certes,  un  grand  changement.  Tous  les  peintres, 
désormais,  marcheront  dans  cette  voie;  il  suffira  de 
perfectionner  l'invention  d'Apollodore  pour  en  venir 
aux  chefs-d'œuvre  de  Parrhasios  et  d'Apelle. 


§  V.  —  L'Ecole  ionienne  :  Zeuxis  et  Parrhasios  ; 
Timanthe. 

Ces  mots  à'^Ecole  ionienne  ne  doivent  pas  tromper  le 
lecteur.  Ils  font  allusion  à  la  patrie  des  peintres  dont 
nous  allons  nous  occuper,  ou  à  leur  résidence  prolongée 
en  lonie,  plutôt  qu'à  une  grande  école  de  peinture  dont 
ils  auraient  été  les  chefs.  Ainsi,  Zeuxis  et  Parrhasios, 
les  plus  illustres   représentants   de  ce  groupe,  n'ont 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


20J 


pas,  semble-t-il,  donné  naissance,  en  Asie  Mineure, 
à  un  art  nouveau,  portant  la  marque  de  leur  génie  ; 
ils  n'ont  pas,  à  proprement  parler,  fondé  une  école,  et 


Fig.  114.  —  Hercule  enfant  étouffant  les  serpents, 
d'après  une  peinture  de  Pompéi, 

ce  terme  n'est   qu'une   dénomination  commode  pour 
désigner  leur  origine  ou  leur  patrie  d'adoption. 

Zeuxis  était  d'Héraclée;  mais,  comme  beaucoup  de 
villes  portaient  ce  nom,  on  ne  saurait  dire  avec  certi- 
tude dans  quelle  Héraclée  il  avait  vu  le  jour.  Le  fait 
d'avoir    eu    pour   professeur  un   certain   Damophilos 


20^.  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

d'Himéra  autoriserait  à  croire  quMl  s'agit  d'Héracléede 
Sicile,  à  moins  qu'il  ne  faille  songer  à  une  autre  Héra- 
clée  située  dans  l'Italie  méridionale.  On  lui  donnait 
aussi  pour  maître  Néseus  de  Thasos,ce  qui  indiquerait 
qu'il  fit  un  voyage  dans  cette  île.  Il  vécut  longtemps  à 
Athènes,  où  il  connut  Socrate.  Il  vécut  également  à  la 
cour  d'Archélaos,  roi  de  Macédoine,  qui  se  plaisait 
dans  le  commerce  des  poètes  et  des  artistes.  Enfin, 
il  paraît  avoir  résidé  de  longues  années  à  Ephèse  :  de 
là,  chez  quelques  auteurs,  l'opinion  qu'il  y  était  né.  Il 
s'offre  à  nous  comme  un  peintre  magnifique,  ami  du 
faste,  plein  de  morgue  et  possesseur  d'immenses 
richesses.  Il  finit,  dit  un  ancien,  par  donner  ses  ta- 
bleaux, ne  pouvant  fixer  de  prix  qui  en  fût  digne. 

Les  sujets  qu'il  traita  étaient  encore,  en  grande  par- 
tie, empruntés  à  la  mythologie;  mais  il  sut  les  rajeunir 
par  l'expression  et  par  la  place  qu'il  y  donna  aux  figures 
de  femmes  et  d'enfants.  Ainsi,  à  côté  de  tableaux  tout 
mythiques  comme  le  Supplice  de  Marsyas,  Pan,  Borée, 
Triton^  Ménélas  priant  sur  la  tombe  d'Agamemnony  il 
avait  peint  Hercule  enfant,  étouffant  les  serpents  envoyés 
par  Héra  pour  le  faire  périr,  et  ce  précoce  héroïsme, 
contrastant  avec  la  frayeur  d'Amphitryon  et  d'Alcmène, 
témoins  du  courage  de  leur  fils  au  berceau,  cette  fable 
enfermée  dans  un  cadre  bourgeois,  cette  anecdote  lé- 
gendaire rapprochée  de  l'humanité  par  les  sentiments 
tout  humains  qui  s'y  faisaient  jour,  tout  cela  l'avait 
si  heureusement  inspiré,  que  nous  voyons,  longtemps 
après,  les  peintres  de  Pompéi  reproduire  son  œuvre 
en  l'interprétant  chacun  à  sa  manière  (fig.  1 14). 

C'est  à  ce  désir  d'humaniser  la  légende  qu'il  faut 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


205 


attribuer  un  des  plus  beaux  tableaux  du  maître,  Une 
famille  de  Centaures.  Pour  les  anciens  Grecs,  le  Cen- 
taure était  un  ennemi  ;  c'était  le  monstre  violent  et  bru- 
tal qui  infestait  les  forêts  du  Pélion;  plus  tard,  ce  fut 
le  Perse  et  sa  fougue  barbare  donnant  Passant  à  la  ner- 
veuse vigueur  de  la  race  hellénique.  Mais  voici  que, 


Fig.  11$.  —  Centaures  attaqués  par  des  fauves, 
mosaïque  de  la  villa  d'Hadrien. 


les  idées  ayant  pris  un  autre  tour,  on  s'apitoie  sur  ces 
êtres  farouches  ;  on  leur  prête  les  passions,  les  affec- 
tions des  hommes,  et  Zeuxis  figure  leurs  ébats;  il  les 
montre  chez  eux,  dans  leurs  sauvages  retraites,  goû- 
tant, comme  les  humains,  les  douceurs  de  la  vie  con- 
jugale et  de  la  paternité.  Le  centre  de  sa  composition 
était  occupé  par  une  Gentauresse  à  demi  couchée  sur 
une  herbe  épaisse  et  allaitant  ses  enfants,  tandis  que  le 
père,  élevant  en  l'air  un  jeune  lionceau,  produit  de  sa 


2o6  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

chasse,  souriait  à  ce  tableau  familial.  Il  faut  sans  doute 
voir  un  souvenir  de  cette  peinture  dans  une  mosaïque 
de  la  villa  d'Hadrien  qui  représente,  elle  aussi,  une 
famille  de  Centaures,  mais  attaquée  par  des  fauves 
dont  Tun  déchire  de  ses  griffes  la  Centauresse  terrassée 
(tig.  II 5).  C'est  la  contre-partie  du  tableau  de  Zeuxis, 
la  vengeance  de  la  lionne  privée  de  son  lionceau.  On 
ne  saurait  nier,  dans  tous  les  cas,  le  rapport  qui  exis- 
tait entre  les  deux  oeuvres. 

J'ai  dit  que  Zeuxis  avait  une  prédilection  pour  les 
figures  féminines.  C'est  le  temps,  en  effet,  où  la  femme 
envahit  l'art,  où  les  potiers  la  peignent  sur  le  pourtour 
die  leurs  coupes,  vaquant  aux  soins  multiples  de  sa  toi- 
lette, parmi  ses  coffrets  et  ses  miroirs,  au  milieu  de  ses 
servantes  empressées  à  la  servir,  sous  l'œil  de  petits 
génies  qui  la  frôleat  de  leurs  ailes  en  lui  apportant  des 
rubans  et  des  couronnes.  Toutes  cesgracieuses  esquisses 
de  boudoirs  athéniens  ont  été  mises  à  la  mode  par 
la  grande  peinture.  Zeuxis  fut  un  de  ceux  qui  contri- 
buèrent le  plus  à  les  répandre.  Il  aimait  les  scènes  élé- 
gantes et  familières  où  la  femme  jouait  le  principal 
rôle,  et  dans  lesquelles  pouvait  paraître  sa  merveilleuse 
habileté  à  la  représenter.  Deux  héroïnes  le  tentèrent 
par-dessus  tout,  Pénélope  et  Hélène.  Sa  Pénélope  était 
un  chef-d'œuvre  de  tristesse  résignée  et  de  pudique 
réserve.  Mais  le  tableau  sur  lequel  l'antiquité  ne  tarit 
pas  d'éloges,  c'est  VHélène  au  bain  ou  à  sa  toilette  qu'il 
avait  peinte  pour  les  habitants  de  Crotone,  en  faisant 
poser  devant  lui  cinq  des  plus  belles  filles  de  la  ville 
et  en  copiant  de  chacune  d'elles  ce  qu'elle  avait  de 
plus  parfait. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


207 


De  cette  peinture  des  gynécées  héroïques  à  la  simple 
peinture  de  genre,  il  n^y  avait  qu'un  pas.  Aussi  les  sujets 
de  genre  étaient-ils  nombreux  dans  l'œuvre  de  Zeuxis. 
On  citait  de  lui  une  Vieille  femme  supérieurement  exé- 
cutée. On  se  souvient  de  cette  nature  morte,  de  ces 
Raisins  avec  lesquels  il  lutta  contre  Parrhasios.  11  avait 
peint  aussi  un  Enfant  aux  }~aisins  que  les  connaisseurs 
estimaient  fort.  C'est  à  ce  tableau  que  quelques  auteurs 
rapportent  Tanec- 
dote  des  oiseaux 
trompés  par  l'appa- 
rence; Zeuxis  en 
aurait  eu  moins  de 
satisfaction  que  de 
dépit  :  «  Si  j'avais 
fait,  dit-il,  l'enfant 
aussi  vrai  que  les  rai- 
sins, les  oiseaux  en 
auraient  eu  peur.  » 
De  pareilles  compo- 
sitions devaient  avoir  une  grande  influence  sur  l'indus- 
trie des  coroplastes,  si  habiles  à  représenter  les  côtés 
familiers  de  la  vie,  et  peut-être  doit-on  voir  une  rémi- 
niscence de  VEnfant  aux  raisins  dans  ces  gracieuses 
figures  de  jeunes  filles  qui  jouent  en  minaudant  avec  une 
grappe  mûre  (fig.  116).  Zeuxis  lui-même,  paraît-il,  s'amu- 
sait à  modeler  de  ces  figurines,  preuve  nouvelle  de 
l'afiinité  qui  existait  entre  sa  manière  et  l'art  délicat  des 
fabricants  de  terres  cuites.  On  rangeait,  enfin,  parmi  ses 
meilleurs  morceaux,  un  Amour  couronné  de  roses  et 
uri  Athlète  où  éclatait  probablement  sa  maîtrise  dans 


Fig.  11(5. 


2o8 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


la  peinture  du  nu.  Vers  la  même  époque,  les  figures  de 
femmes  nues  apparaissent  de  plus  en  plus  nombreuses 


Fig.  117.  —  Zeus  sur  son  trône,  peinture  murale  d'ÉIeusis. 

chez  les  coroplastes,  et  c'est  à  lui,  sans  doute,  autant 
qu'à  Scopas  et  à  Praxitèle,  qu'il  faut  faire  honneur  de 
cette  invention. 

Ce  peintre  novateur  ne  fut  pas  sans  subir  l'ascendant 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


209 


d'autres  artistes.  Il  subit,  par  exemple,  celui  de  Phi- 
dias. Il  est  intéressant  de  rapprocher  du  Zeus  d'Olym- 
pie,  de  l'illustre  sculpteur,  un  tableau  où  Zeuxis  avait 


AAe  lANii^Ol 

AOHNAlOÎ  AHta 

CrPAiJlEN 


NIOBW  (JoiBH 


w- 


Fig.  118.  — Joueuses  d'osselets,  monochrome  d'Herculanum. 

peint  le  maître  de  l'Olympe  assis  sur  son  trône  au 
milieu  des  dieux;  peut-être  est-ce  un  souvenir  de 
ce  tableau  qu'on  retrouve  dans  une  peinture  murale 
d'Eleusis  qui  date  du  temps  d'Hadrien  (fig.  117),  et  qui 


PEINT,    ANTK^UE. 


'4 


2IO  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

est  un  des  rares  spécimens  de  fresque  antique  qu'ait 
produits  la  Grèce  propre. 

Au  point  de  vue  technique,  Zeuxis  fut  un  ciiercheur. 
Suivant  la  route  tracée  par  Apollodore,  il  s'essaya  à 
rendre  les  jeux  de  la  lumière  et  de  l'ombre.  Par  un  de 
ces  retours  aux  procédés  anciens  dont  la  fin  du  v^  siècle 
et  le  commencement  du  iv*^  fournissent  plus  d'un 
exemple,  il  cultiva  aussi  le  monochrome,  mais  un  mo- 
nochrome d'une  nature  particulière  et  très  différent  des 
silhouettes  à  teintes  plates  où  se  dépensait  la  science 
rudimentaire  des  peintres  d'autrefois.  C'étaient,  semble- 
t-il,  des  espèces  de  grisailles  dans  lesquelles  le  modelé 
des  corps  était  exprimé  à  l'aide  d'une  seule  couleur 
additionnée  de  blanc  en  quantité  variable  ^  Nous  avons 
déjà  dit  que  cette  technique  demeura  longtemps  popu- 
laire dans  les  ateliers.  C'est  à  ce  goût  d'archaïsme  qu'il 
faut  rapporter  les  belles  peintures  sur  marbre  décou- 
vertes à  Herculanum,  et  dont  l'une,  figurant  des 
jeunes  filles  jouant  aux  osselets,  est  signée  Alexandre 
d'Athènes  (fig.  1 18).  Une  autre,  de  la  même  main,  paraît 
seirattacher  à  la  légende  de  Déméter  et  montrer  la  déesse 
donnant  à  boire  au  vieux  Silène  (fig.  1 19).  Ces  mono- 
chromes, aujourd'hui  très  endommagés,  ne  semblent 
point  avoir  été  exécutés  d'après  le  procédé  de  Zeuxis; 
mais  ils  prouvent  la  persistante  faveur  d'un  genre  que 
la  curiosité  de  ce  maître  avait  rajeuni. 

Parrhasios  vivait,  comme  Zeuxis,  vers  la  fin  de  la 
guerre  du  Péloponnèse.  Il  était  d'Ephèse  et  vint  proba- 

I.  MiWiet,  Études  sur  les  premières  périodes  de  la  céramique 
grecque,  Appendice,  p.  i63. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  an 

blement  de  bonne  heure  à  Athènes.  Sa  vanité  était  pro- 
verbiale. Il  prétendait  descendre  d^Apollon  et  se  vantait 
de  voir  les  dieux  en  songe.  Vêtu  de  pourpre,  le  front  ceint 
d'une  couronne  d'or,  il  déployait  un  luxe  oriental.  Il  pei- 
gnait, comme  Zeuxis,  pour  ceux  qui  le  payaient  cher,  et 
travailla  pour  différentes  villes  telles  que   Rhodes  et 


Fig.  119.  —  Épisode  de  la  légende  de  Déméter, 
monochrome  d'Herculanum. 


Lindos.  Il  paraît  s'être  particulièrement  inspiré  des 
légendes  mises  en  honneur  par  la  tragédie.  Ainsi,  c'est 
au  théâtre  qu'il  prit  l'idée  de  son  Prométhée,  de  son  Phi- 
loctète,  de  son  Télèphe,  pour  ne  citer  que  ceux  de  ses 
tableaux  dont  les  titres  rappellent  des  drames  célèbres. 
A  côté  de  ces  sujets  héroïques,  il  faut  faire  la  part,  dans 
;on  œuvre,  des  sujets  familiers,  comme  le  Prêtre  et  l'En- 
fant, le  Navarque,  les  Deux  hoplites,  dont  l'un,  courant 
laissait  apercevoir  la  sueur  dont  il  ruisselait,  tandis  que, 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


l'autre  semblait  hors  d'haleine  et  posait  ses  armes  à  terre, 
comme  ces  figures  d'enfants  où  se  peignaient  si  bien  la 
sécurité  et  l'innocence  propres  à  cet  âge,  comme  cette 
Nourrice  thrace  aux  pendantes  mamelles,  dont  l'image 
revient  si  fréquemment  parmi  les  figurines  de  terre  cuite 

(fig.  120).  Il  cultiva  aussi 
la  peinture  allégorique,  que 
nous  voyons  se  développer 
à  cette  époque  grâce  au  pro- 
grès des  idées  philosophi- 
ques et  morales.  A  ce  genre 
appartenait  ce  fameux  por- 
trait du  Peuple  athénien  qui 
était  évidemment  un  souve- 
nir de  la  comédie  et  dans  le- 
quel Parrhasios  avait  incar- 
né toutes  les  qualités  et  tous 
les  vices  du  Démos,  irritabi- 
lité, injustice,  inconstance, 
faiblesse,  clémence,  miséri- 
corde, orgueil,  hauteur,  bas- 
sesse, arrogance,  enfin  les 
mille  passions  de  cet  être  mobile  dans  l'âme  duquel  ont 
si  profondément  pénétré  Thucydide  et  Aristophane. 

Pour  qui  sait  quels  motifs  étaient  alors  en  vogue 
parmi  les  peintres,  il  n'y  a  rien,  dans  tout  cela,  qui  mé- 
rite qu'on  s'y  attarde.  Parrhasios  est  surtout  intéres- 
sant pour  nous  par  sa  technique;  c'est  par  elle,  bien 
plutôt  que  par  le  choix  des  sujets,  qu'il  nous  apparaît 
comme  un  très  grand  peintre  et  comme  un  peintre  ori- 
ginal. C'est  de  lui  que  date  véritablement  dans  la  pein- 


Fig.  120. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


2IJ 


ture  cette  liberté  qui  marque  une  rupture  définitive  avec 
l'archaïsme.  Non  seulement  il  excella  dans  la  composi- 
tion et  mit  dans  ses  tableaux  une  symétrie  savante  à 


Fig.  J2I.  —  Stèle  peinte  du  iv"  siècle. 

laquelle  n'avaient  point  atteint  ses  prédécesseurs;  non 
seulement  il  fit  exprimer  au  visage  des  nuances  de  sen- 
timent qu'on  n'avait  pas  rendues  avant  lui,  mais,  pro- 
fitant de  Texpérience  de  Zeuxis  et  d'Apollodore,  il 
porta  beaucoup  plus  loin  qu'eux  la  science  des  dé- 
gradations, noya  d'ombre  les  contours,  fit  saillir,  aU 


314  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

contraire,  les  parties  éclairées,  donna,  en  un  mot,  aux 
corps  de  l'épaisseur  et  une  consistance  ignorée  jusque- 
là.  La  grande  révolution  qui  fit  succéder  le  modelé  à  la 
teinte  plate  était  enfin  accomplie.  Il  avait  fallu  des 
siècles  pour  réaliser  ce  progrès.  Les  Egyptiens,  avec 
toute  leur  habileté,  ne  Pavaient  pas  soupçonné.  C'est  aux 
Grecs  qu'en  devait  revenir  Thonneur  et,  chose  étrange, 
ce  pas  décisif  vers  la  peinture  telle  que  nous  l'entendons 
devait  se  faire  à  une  époque  où  commençait  la  décadence^ 
où  Part,  comme  la  littérature,  cherchait  des  voies  nou- 
velles et  inclinait  déjà  vers  la  préciosité  de  l'époque 
hellénistique. 

Il  serait  aisé  de  trouver  dans  les  peintures  de  Pompéi 
des  exemples  qui  feraient  comprendre  la  technique  de 
Parrhasios.  Mais  il  existe  fort  heureusement  quelques 
monuments  plus  anciens,  qui  ont  subi  l'influence 
directe  de  cette  technique  et  montrent  quelle  faveur  elle 
rencontra  dès  qu'elle  parut.  De  ce  nombre  est  une 
curieuse  peinture  presque  effacée,  qui  ornait  une  stèle 
funéraire  du  iv  siècle,  la  stèle  d'un  certain  Tokkès, 
Macédonien  (fig.  121).  On  y  voit  un  homme  assis, 
tenant  de  la  main  droite  une  amphore  de  Rhodes,  de  la 
gauche,  un  flacon  à  huile;  près  de  lui,  on  distingue, 
avec  quelque  attention,  une  grande  jarre.  Malgré  l'état 
très  fruste  de  cette  peinture,  il  est  visible  qu'elle  n'a 
point  été  exécutée  selon  la  méthode  anciennement 
adoptée  pour  les  stèles  peintes.  Ainsi,  la  stèle  d'Anti- 
phanès  (fig.  80)  porte  la  trace  encore  apparente  d'une 
esquisse  au  trait  noir,  que  le  peintre  a  remplie  de  cou- 
leur et  dans  laquelle  les  tons  avaient  partout  la  même 
intensité.  Ici,  il  en  est  tout  autrement  :  les  contours 


21(5  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

sont  indiqués,  non  par  un  trait  brutal,  mais  par  un  ton 
plus  foncé  qui  fait  tourner  l'objet  et  en  oppose  les  extré- 
mités, perdues  dans  l'ombre,  aux  parties  médianes,  vive- 
ment éclairées.  Rien  ne  répond  mieux  à  cette  règle  de 
Pline,  que  Parrhasios  aurait,  le  premier,  appliquée  dans 
toute  sa  rigueur  :  Ambire  se  ipsa  débet  exlremitas  et 
sic  desinei'e  ut  promittat  alla  post  se  ostendatque  etiam 
qiiae  occultât. 

Deux  autres  monuments,  d'un  très  grand  intérêt, 
attestent  la  popularité  du  procédé  de  Parrhasios  :  ce 
sont  deux  lécythes  attiques  du  musée  de  Berlin,  qui 
appartiennent  l'un  et  l'autre  au  iv*^  siècle  ^  Les  scènes 
qu'ils  représentent  n'ont  rien  que  d'ordinaire  :  sur  l'un, 
figure  l'épisode  banal  et  souvent  répété  de  l'exposition 
du  mort  (fig.  122);  sur  l'autre  (fig.  i23),  on  voit  la 
visite  à  la  stèle  :  au  pied  d'une  grande  stèle  ornée  de 
feuilles  d'acanthe,  le  mort  assis  est  censé  recevoir  les 
hommages  de  ses  amis  et  de  ses  proches,  prendre  part 
à  leurs  entretiens  et  Jouir  encore  de  cette  douce  lumière 
du  Jour  que  le  Grec  ne  quittait  qu'à  regret.  Le  style  de 
ces  peintures  est  lâche  et  très  inférieur  à  celui  d'autres 
peintures  analogues,  où  le  dessin  est  d'une  pureté  et 
d'une  élégance  rares  ;  mais  ce  qu'elles  ont  de  particulier, 
c'est  leur  technique.  Considérez,  dans  la  première,  la 
façon  dont  sont  ira,ités  les  vêtements  :  de  véritables 
empâtements  de  couleur  en  marquent  les  plis.  Le 
vieillard  qui  se  lamente,  appuyé  sur  un  bâton,  est  en- 

I.  Voyez  Furtwaengler,  Beschreibung,  n°'  2684  et  2685.  C'est  à 
l'aimable  complaisance  de  ce  savant  que  je  dois  de  pouvoir  re- 
produire ici  ces  deux  peintures  inédites,  d'après  les  aquarelles 
qu'en  possède  le  musée  de  Berlin. 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


217 


veloppé  d'un  manteau  qui  contient  des  parties  éclairées 
et  des  parties  sombres;  bien  plus,  ce  manteau  projette 
des  ombres  sur  ses  pieds,  des  ombres  rendues  à  l'aide 


de  hachures  qui  sont  une  nouveauté  dans  la  peinture 
de  vases.  Ces  mêmes  hachures  se  retrouvent  sous 
Faisselle  et  sur  le  bras.  Elles  sont  surtout  sensibles 
dans  les  figures  du  second  lécythe  où,  répandues  sur 


2i8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

la  poitrine  et  sur  le  cou  des  deux  personnages  à  demi 
nus,  elles  en  accusent  très  nettement  le  modelé.  Le 
procédé,  si  Ton  veut,  est  enfantin;  mais  c'est  celui  que 
les  peintres  emploieront  longtemps  encore  pour  ex- 
primer le  clair-obscur,  et  l'on  ne  peut  se  défendre  dV 
voir  un  souvenir  plus  ou  moins  fidèle  du  grand  chan- 
gement dont  Parrhasios  fut  Fauteur. 


Fig.  124. 

Ulysse  et  Ajax  se  disputant  les  armes  d'Achille, 
d'après  un  vase  peint. 


A  rÉcole  ionienne  se  rattachent  encore  quelques 
artistes  de  deuxième  ordre  dont  nous  ne  ferons  que 
citer  les  noms,  tels  qu'Androcyde  de  Cysique,  qui  avait 
peint  le  monstre  Scylla,  et  Colotès  de  Téos.  Mais  le 
peintre  le  plus  renommé  de  ce  groupe,  après  Zeuxis  et 
Parrhasios,  est  Timanthe  de  Kythnos.  On  a  vu  plus 
haut  que,  dans  un  concours,  à  Samos,  il  l'emporta  sur 
Parrhasios.  Tous  deux  avaient  représenté  Ulysse  et 
Ajax  se  disputant  les  armes  d'Achille.  Le  sujet  n'était 
pas   nouveau.     11    figure,    au    v«    siècle,    parmi   ceux 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


219 


qu'aiment  à  traiter  les  peintres  de  vases,  comme  on 
peut  s'en  convaincre  par  ce  beau  dessin  du  potier 
Douris,  qui  montre  les  chefs  achéens  s'interposant 
entre  les  deux  concurrents  et  les  empêchant  de  se  jeter 
l'un  sur  l'autre  (fig.  124).  Il  faut  croire  que  Timanthe 
y  mit  tant  d'expression,  que  Parrhasios,  malgré  tout 
son  art,  ne  put  recueillir  la  majorité  des  suffrages;  il 


Fig.  125.  —  Le  sacrifice  d'Iphigénie,  peinture  de  Pompéi 


se  retira  plein,  de  colère   et  déplorant  le  sort  d'Ajax, 
vaincu,  disait-il,  pour  la  seconde  fois. 

Tel  n'était  pas,  cependant,  le  tableau  le  plus  admiré 
de  Timanthe.  Ce  que  l'antiquité  vante  de  préférence 
parmi  ses  œuvres,  c'est  le  Sacrifice  d'Iphigénie,  où 
l'on  voyait  Calchas,  Ulysse,  Ménélas,  exprimant  diver- 
sement la  poignante  émotion  qui  leur  serrait  le  cœur, 
tandis  qu'Agamemnon,  la  tête  voilée,  se  détournait  de 
l'horrible  spectacle.  Était-ce  calcul?  Était-ce  impuis- 
sance? L'une  et  l'autre  explication  ont  été  proposées; 


220  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

mais  tout  porte  à  croire  qu'avec  sa  connaissance  pro- 
fonde du  cœur  humain,  le  peintre  avait  mieux  aimé 
laisser  deviner  la  douleur  paternelle  que  de  la  traduire 
par  des  traits  précis,  qui  fussent  toujours  restés  au- 
dessous  de  ce  que  la  sensibilité  de,  chacun  pouvait 
concevoir;  et  il  y  avait  dans  ce  sous-entendu  tant  d'élo- 
quence, ce  visage  invisible  était  si  pathétique,  qu'il 
captivait  les  regards  et  concentrait  tout  Tintérét  tra- 
gique du  tableau.  On  retrouve  à  Pompéi  des  imitations 
de  cette  composition  célèbre;  mais  pendant  que  Fart 
grossier  de  certains  décorateurs,  prétendant  peut-être 
corriger  Timanthe,  découvre  indiscrètement  le  visage 
d'Agamemnon  (fig.  I25),  d'autres,  plus  délicats,  suivent 
de  plus  près  le  maître  de  Kythnos  et  reproduisent  tant 
bien  que  mal  son  heureux  artifice  (fig.  126). 

Avec  Timanthe,  la  peinture  grecque  atteint,  dans 
l'expression  des  sentiments,  une  force  et  une  souplesse 
qu'elle  ne  dépassera  guère;  elle  touche  à  l'idéal  que 
doit  poursuivre  toute  œuvre  d'art  :  elle  fait  penser. 
«  Timanthe,  d'après  Pline,  donnait  à  entendre  plus 
qu'il  n'avait  peint,  et  quoique  le  plus  grand  art  se 
manifestât  dans  ses  ouvrages,  on  sentait  que  son  génie 
allait  encore  au  delà  de  son  art.  »  Nous  voilà  loin  du 
temps  où  les  tableaux  avaient  besoin  de  légendes,  où, 
malgré  toute  la  science  et  toute  l'habileté  d'un  Poly- 
gnote,  il  fallait,  pour  qu'une  scène  fût  parfaitement  intel- 
ligible, y  nommer  chaque  personnage  par  des  inscrip- 
tions. A  l'époque  où  nous  sommes,  on  se  passe  de  ce 
secours  ;  non  qu'il  ne  puisse  être  encore  nécessaire, 
mais  on  se  soucie  moins  de  savoir  à  qui  l'on  a  affaire, 
quels  dieux,  quels  héros  sont  les  acteurs  des  drames 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  aaj 

figurés  parle  pinceau;  on  s'intéresse  plus  à  leurs  pas- 
sions qu'à  leur  histoire;  on  est  plus  touché  des  mouve- 
ments qui  les  agitent  que  de  leurs  origines  ou  de  leur 
généalogie.  D'ailleurs,  on  les  connaît  mieux  :  la  tra- 
gédie a  rendu  leurs  aventures  populaires,  et  c'est  elle 


Fig.    126.  —   Autre    peinture    de    Pompéi 
représentant  le  sacrifice  d'Iphigénie. 


aussi  qui  a  créé  ce  besoin  d'émotions  dramatiques  que 
la  peinture  du  iv«  siècle  prend  à  tâche  de  satisfaire.  Elle 
règne  sur  les  esprits;  elle  est  le  cadre  naturel  dans 
lequel  se  présentent  à  l'imagination  tous  les  souvenirs, 
toutes  les  légendes  du  passé.  De  là  sa  grande  influence 
sur  la  peinture  et  la  psychologie  qu'elle  y  répand  à  flot. 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


§VI. — L'Ecole  de  Sicyone.  L'Ecole  thébano-attique. 
Les  indépendants  :  Apelle  et  Protogène. 

On   se  souvient  de  la  prospérité  et  de  la  gloire  de 
Sicyone  à  Tépoque  des  Orthagorides.  Cette  vieille  cité 
où  avait  lui,   après   Pinvasion    dorienne,   la  première 
aurore  d'une  sorte  de  Renaissance,  devait  encore  briller 
d'un  vif  éclat  dans  les  arts  :  nous  y  voyons,  au  iv*'  siècle, 
des  sculpteurs  en   grand  nombre,  et  il  s'y  forme  une 
école  de  peinture.  Cette  école  a  pour  chef  un  certain 
Eupompos,  dont  nous  ne  savons  à  peu  près  rien,  si  ce 
n'est  qu'il  fut  un  admirable  professeur.  Au  nombre  de 
ses  élèves  se  trouvait  Pamphilos  d'Amphipolis,  peintre 
savant,  théoricien  érudit  et  profond,  qui  pensait  que 
la  peinture   ne   peut  se  passer  des  sciences  exactes  et 
que  l'arithmétique  et  la  géométrie  lui  sont  d'un  pré- 
cieux secours.   Il  faisait  payer  ses  leçons  fort  cher  et 
fut  un  des  maîtres  d'Apelle.   A  son  nom  reste  attachée 
une  innovation  intéressante,  l'introduction  du  dessin 
dans   les  écoles;  grâce  à  lui,  les  jeunes    Sicyoniens, 
bientôt,  les  enfants  de  toute  la  Grèce,  apprirent  à  dessi- 
ner sur  des  tablettes  de  buis,  et  cet  exercice  conquit  une 
telle  faveur,  que  nul  ne  put  décemment  le  négliger. 
Un  de  ses  plus  illustres  disciples   fut  Mélanthios, 
qui  surpassait  Apelle  dans  l'art  de  grouper  les  person- 
nages. C'était  aussi  un  écrivain  :  les  anciens  connais- 
saient de  lui  un  ouvrage  sur  la  peinture.  Comme  on  le 
voit,  l'Ecole  de   Sicyone   était  une  école  d'enseigne- 
ment et  de  principes,  dont  les  représentants  se  recom- 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


22j 


mandaient  moins  par  le  pathétique  de  leurs  tableaux 
que  par  Texcellence  de  leur  méthode  et  par  leur  science 
du  métier. 

Il  faut,  semble-t-il,  faire  exception  pour  Pausias, 
fils  d'un  peintre  obscur,  Bryès,  qui  fut  son  premier 
maître,  et  plus  tard  élève  de  Pamphilos.  Nous  le  con- 
naissons déjà  par  la 

restauration  malheu-  X*  ■'*'"' v 

reuse  qu'il  avait  faite  j/C^K^^^ 

des  fresques  de  Po-  v/^Xj 

lygnote  à  Thespies.  /\/^Â 

Son  genre  était  si  ^^>0 
différent  de  celui  du 
maître  thasien,  que 
le  médiocre  résultat 
de  cette  tentative  ne 
saurait  surprendre. 
Il  y  avait  dans  sa  ma- 
nière plus  de  fan- 
taisie   que    chez    la 

plupart  des  peintres  sicyoniens.  Il  était  né  décorateur 
et  fut  le  premier,  au  dire  de  Pline,  qui  peignit  des 
plafonds.  Comme  peintre  de  chevalet,  il  avait  un  goût 
marqué  pour  les  petits  tableaux;  il  rendait  les  enfants 
dans  la  perfection.  C'est  avec  lui  que  commence  cet 
art  précieux  et  maniéré  qui  fera  si  rapidement  fortune 
à  Alexandrie,  puis  à  Pompéi  et  à  Rome  même.  On 
croit  retrouver  un  souvenir  de  Pausias  dans  la  déco- 
ration d'une  sépulture  de  la  Voie  latine  et  dans  cer- 
taines peintures  de  l'Italie  méridionale  qui  montrent 
de  petits  Éros  ailés  vaquant  gentiment  à  différentes 


Fig.  127. 


234  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

occupations    (fig.    127).    Personne   n'ignore    la    place 

qu'occupe  ce  monde 


Fig.  128.  —  Amours  fleuristes. 


lilliputien  dans  Tor- 
nementation  pom- 
péienne. Amours 
assis  ou  debout, 
Amours  se  jouant 
au  milieu  des  fleurs, 
Amours  dansant  ou 
faisant  de  la  mu- 
sique. Amours  tra- 
vestis en  personnages  de  théâtre  ou  prêtant  leur  minis- 
tère à  quelque  cérémonie  religieuse,  Amours  cavaliers, 
chasseurs,  gladiateurs.  Amours  vendangeurs,  Amours 
tressant  des  guirlandes  (fig.  128)  ou,  plus  prosaïque- 
ment, fabriquant  des  chaussures  (fig.  129),  Amours  au 
bain,  Amours  montés  sur  des  chars  en  miniature  traî- 
nés par  des  dauphins  qui  se  cabrent  sans  leur  faire 
de  mai  (fig.  i3o),  tels  sont  les  motifs  que  le  peintre  de 
Pompéi  aime  à  se- 
mer sur  les  parois 
qu'il  enlumine, 
peuplant  les  inté- 
rieurs de  ces  êtres 
légers  dont  les  grâ- 
ces potelées  font 
songer  à  l'enfance, 
mais  qui  ont  de 
plus  que  les  enfants 

la  sérénité  et  l'indépendance,  à  qui  tout  est  possible, 
que  rien  ne  fâche  ni  ne  rebute,  génies  descendus  de 


Fig.  lap.  —  Amours  cordonniers. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


225 


la  région  du  rêve  comme  pour  faire  voir  aux  tristes 
humains  que  la  vie  n'est  pas  aussi  dure  qu'ils  le 
croient,  et  pour  égayer  d'un  sourire  leur  misère.  Ces 
gracieux  fantômes  ne  datent  pas  de  l'époque  pom- 
péienne. C'est  dans  la  Grèce  du  iv^  siècle  qu'il  faut 
chercher  leur  origine,  sur  ces  petits  vases  que  produit 


Fig.  130.  —  Amours  traînés  par  des  dauphins, 
d'après  une  peinture  de  Pompéi. 

Athènes,  précisément  au  temps  de  Pausias,  et  où  se 
meuvent  de  minuscules  personnages  qui  tiennent  le 
milieu  entre  le  réel  et  l'idéal,  enfants  accompagnés  de 
Victoires  ailées,  Eros  poussant  des  escarpolettes,  etc. 
Cette  mode  a  même  pris  naissance  au  v«  siècle,  mais  elle 
se  développe  surtout  au  siècle  suivant.  De  là  naîtront 
les  mièvreries  de  la  période  alexandrine.  C'est  déjà 
presque  la  décadence  qui  s'annonce,  la  décadence  d'un 
peuple  qui  se  transforme  sans  vieillir  et  garde,  à  travers 
les  âges,  son  éternelle  jeunesse. 

On  citait,  parmi  les  plus  célèbres  tableaux  de  Pau- 
sias, le  portrait  de  Glykéra,  une  de  ses  compatriotes 
qu'il  avait  aimée  et  qu'il  peignit  en  Faiseuse  de  cou- 
ronnes, allusion  au  métier  qu'elle  exerçait  quand  il  la 
vit  pour  la  première  fois.  A  côté  de  ces  tableaux  de 
genre,  il  avait  exécuté  des  compositions  plus  vastes,  où 

PEINT.    ANTIQUE.  IJ 


226  LA    PEINTURE    ANTIQUE, 

paraissait  Phabileté  technique  de  l'école  à  laquelle  il 
appartenait.  Tel  était  le  tableau  des  Bœufs  au  sacj'ijîce, 
où  il  y  avait  un  raccourci  d'une  grande  hardiesse  :  au 
lieu  de  montrer  de  profil  l'animal  prêt  à  être  immolé, 
Pausias  l'avait  présenté  de  face,  et  l'on  en.  devinait 
cependant  la  taille  et  les  énormes  proportions.  C'est 
là  qu'il  appliqua  un  procédé  de  clair-obscur  absolument 
nouveau  :  rejetant  l'usage  de  ses  contemporains,  qui 
indiquaient  en  clair  les  parties  saillantes,  en  sombre 
les  parties  rentrantes,  c'est-à-dire,  probablement,  re- 
nonçant aux  hachures  dont  il  a  été  question  plus  haut, 
il  figura  le  bœuf  tout  en  noir,  en  ménageant  dans  la 
pâte  même  de  ce  ton  unique  des  reflets  qui  suffisaient 
à  marquer  le  modelé  du  corps.  On  lui  prêtait  encore 
une  autre  invention,  qui  consistait  à  rendre  la  transpa- 
rence du  verre.  Il  avait  peint  dans  la  Tholos  d'Épi- 
daure,  édifice  rond  voisin  du  temple  d'Esculape,  une 
figure  allégorique  de  l'Ivresse  buvant  dans  un  verre  à 
travers  lequel  on  distinguait  son  visage.  Les  potiers  de 
l'âge  précédent  avaient  déjà  dessiné  des  buveurs  de  ce 
genre,  comme  le  prouvent  cette  hétaïre  d'une  peinture 
d'Euphronios  (fig.  i3i)  et  ce  personnage  barbu,  sur 
fond  blanc,  qui  se  rattache  à  son  école  (fig.  i32).  Mais 
ils  avaient  affaire  à  des  vases  opaques,  qui  ne  se  prê- 
taient point  à  un  tour  de  force  que  ni  le  grand  art  ni 
l'art  industriel  n'eussent,  d'ailleurs,  été  capables  d'exé- 
cuter. Quand  nous  voyons,  dans  ces  tableaux,  les 
traits  du  visage  se  continuer  derrière  le  vase,  c'est  pure 
inexpérience  de  l'artiste,  qui  ne  sait  pas  dissimuler  ce 
que  le  regard  ne  doit  point  apercevoir.  Pausias  les  fit 
paraître  derrière  le  verre,  comme  cela  est  légitime,  et  sa 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


227 


Méthé  excita  radmiration  de  Tantiquité  tout  entière. 
Si  cet  entliousiasme 
nous  semble  puéril  et 
rappelle  un  peu  celui 
d'un  certain  public  de 
nos  jours  qui,  dans  un 
portrait,  admire  sur- 
tout le  binocle  du 
modèle,  il  faut  songer 
que  c'étaient  là  des 
nouveautés  qui  ne  pouvaient  manquer  de  frapper  la 
foule.  Ce  sont  ces  coups  d'éclat,  ces  progrès  considé- 
rables réalisés  dans  la  technique,  qui  paraissent  avoir 
caractérisé  PÉcole  de  Sicyone.  Après  Pausias  et  ses 


Fig.  iji. 


Fig.  132.  —  Buveur,  sur  une  coupe  attique  à  fond  blanc. 


•disciples,  tels  qu'Aristolaos,  son  fils,  Nicophanès,  etc., 
elle  déclina  rapidement. 

Vers  le  même  temps,  naissait  en  Béotie  une  autre 


2a8  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

école  de  peinture  dont  l'éclosion  semble  avoir  coïncidé 
avec  la  grandeur  éphémère  de  Thèbes,  sous  Epaminon- 
das.  Il  est  difficile  d'en  fixer  la  durée;  elle  paraît  avoir 
vécu  jusque  vers  la  fin  du  iv°  siècle  et  s'être  confondue, 
à  ce  moment,  avec  la  nouvelle  Ecole  athénienne.  Aussi 
désigne-t-on  les  peintres  de  ce  groupe  aux  frontières 
indécises  par  le  nom  d'Ecole  thébano-attique.  Celui 
qui  le  représente  le  plus  brillamment  est  Aristide  de 
Thèbes.  Il  avait  eu  pour  maîtres  son  père  Nicomachos 
et  un  certain  Euxénidas,  contemporain  de  Parrhasios 
et  deTimanthe.  Lui-même  était  contemporain  d'Apelle. 
Il  se  rendit  célèbre  par  sa  façon  de  peindre  les  affec- 
tions de  Tâme  ;  son  coloris  un  peu  dur  excellait  à 
traduire  les  passions.  On  portait  aux  nues  son  tableau 
de  la  Mère  mourante,  qui  représentait  une  femme 
expirant  parmi  les  horreurs  d'une  ville  prise  d'assaut, 
tandis  que  son  jeune  enfant,  suspendu  à  sa  mamelle, 
y  cherchait  encore  quelques  gouttes  de  lait.  La  dou- 
leur de  cette  mère,  ses  angoisses  à  ce  moment  su- 
prême, sa  crainte  de  voir  son  fils  sucer,  au  lieu  de 
lait,  le  sang  de  sa  blessure,  tout  cela  était  si  vrai  et  si 
pathétique,  qu'on  en  ressentait  une  émotion  profonde. 
Quand  Alexandre  se  fut  emparé  de  Thèbes,  en  334, 
saisi  d'admiration  à  la  vue  de  ce  tableau,  il  le  fit  trans- 
porter à  Pella,  sa  capitale.  Une  autre  peinture  très 
vantée  d'Aristide  était  le  Malade,  qu'Attale,  roi  de 
Pergame,  acheta  cent  talents  (près  de  600,000  francs). 
On  voit  que  les  folies  de  ce  genre  sont  bien  vieilles  et 
que  les  anciens  avaient  déjà  nos  engouements.  Nous 
savons  d'ailleurs  qu'Aristide  était  fort  exigeant.  11  s'était 
engagé  à  peindre  pour  le  tyran  d'Élatée,  Mnason,  un 


LA    PEINTURE   GRECQUE, 


aap 


combat  de  Perses  et  de  Grecs  qui  ne  devait  pas  con- 
tenir moins  de  cent  personnages;  le  prix  convenu  pour 
chaque  figure  était  dix  mines,  ce  qui  mettait  le  tableau 
à  100,000  francs  environ. 

Citons  encore,  parmi  les  œuvres  d'Aristide,  un  5'î^j7- 
pliant  si  expressif,  quUl  semblait, 
nous  dit  Pline,  qu'on  Tentendît 
parler,  et  un  Acteur  tragique  qui 
passait  pour  une  merveille.  Il  est 
vrai  que  la  rigidité  du  masque  an- 
tique ôtait  au  peintre  la  ressource 
des  Jeux  de  physionomie;  mais, 
sur  la  scène  grecque,  les  gestes  et 
les  attitudes  suppléaient  à  cette  im- 
mobilité du  visage  et,  du  masque 
même,  en  apparence  si  froid,  les 
acteurs  tiraient  de  surprenants  effets. 
On  en  a  la  preuve  dans  les  rares 
statuettes  de  terre  cuite  qui  repré- 
sentent des  tragédiens,  et  dans  cette 
figurine  d'ivoire,  délicatement  co- 
loriée (fig.  i33),  qui  est  peut-être 
un  souvenir  du  maître  de  Thèbes. 

Aristide  eut  pour  principal  dis- 
ciple Euphranor  de  Corinthe,  à  la 
fois   peintre   et  sculpteur.   On  lui 

devait  le  Combat  de  cavalerie  ou  la  peinture  de  l'en- 
gagement qui  avait  précédé  la  bataille  de  Mantinée 
(302  av,  J,-C.),  Ulysse  contrefaisant  la  folie,  sujet 
déjà  traité  par  Parrhasios,  et  beaucoup  d'autres  com- 
positions. Il   travailla  surtout  pour  Athènes,  ou  il  dé- 


Fig.  IJ3. 


2J0  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

cora  le  Portique  Royal,  au  Ce'ramique.  C'est  là  que  se 
trouvait  le  Combat  de  cavalerie,  qui  faisait  si  grand 
honneur  aux  armes  athéniennes.  Là  aussi  Ton  voyait 
Timage  de  Thésée  accompagné  des  figures  allégoriques 
de  la  Démocratie  et  du  Peuple,  ainsi  que  la  représen- 
tation des  douze  dieux. 

Quand  nous  aurons  nommé  Nicias,  qui  vivait, 
comme  Euphranor,  en  même  temps  que  Praxitèle,  nous 
aurons  cité  tous  les  peintres  de  ce  groupe  qui  méri- 
tent qu'on  s'y  arrête.  Il  était  d'Athènes  et  peignit  pour 
sa  patrie  une  Nékyia  où  il  s'était  particulièrement 
inspiré  d'Homère.  Le  roi  d'Egypte  Ptolémée  lui  en 
ayant  offert  soixante  talents,  il  refusa  de  la  lui  vendre. 
De  ses  nombreux  tableaux,  deux  nous  intéressent 
d'une  façon  toute  spéciale,  à  cause  de  leur  popularité  et 
des  mille  façons  dont  ils  furent  imités  ou  reproduits. 
L'un  représentait  la  jeune  lo  gardée  par  Argus  et  sur 
le  point,  semble-t-il,  d'être  délivrée  par  Mercure  :  on 
sait  que  ce  sujet  figure  parmi  ceux  qui  décoraient  la 
maison  de  Livie  au  Palatin  (fig.  134).  Sur  l'autre,  on 
voyait  la  Délivrance  d'Andromède,  motif  familier  aux 
peintres  de  Pompéi  (fig.  1 35).  Ce  morceau  avait  d'ail- 
leurs une  telle  réputation,  qu'on  en  retrouve  la  copie 
jusque  sur  une  monnaie  thrace  de  l'époque  romaine, 
qui  offre  avec  la  peinture  de  Pompéi  une  frappante 
analogie  (fig.  i36). 

Nous  ne  saurions  dire  exactement  à  quelle  époque 
Nicias  et  Euphranor  produisirent  ces  différentes  œuvres; 
mais  ce  qui  frappe  dans  leurs  tableaux,  c'est  le  sérieux 
et  la  noblesse  des  sujets.  Euphranor,  affirme  Pline, 
excellait  à  peindre  les   héros;    Nicias,  d'après  Démé- 


LA    PEINTURE    GRECQUE, 


aji 


trius  de  Phalère,  méprisait  les  sujets  de  genre,  fleurs, 
oiseaux  etc.,  et  ne  se  plaisait  qu'aux  engagements  de 


Fig.  IJ4..  —  lo  gardée  par  Argus,  peinture  du  Palatin,  à  Rome. 

cavalerie,  aux  combats  navals,  aux  représentations  qui 
pouvaient  lui  fournir  l'occasion  de  grouper  ensemble 
un  grand  nombre  de  personnages  et  de  les  montrer 
dans    une   action   violente  et  dramatique.   Tout  cela 


sja 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


marque   un   retour  au  grand  art,  à  Tart  décoratif  des 

Polygnoteet  des 
Micon.  La  Né- 
kyia  de  Nicias 
n'était-elle  pas 
un  hommage 
rendu  à  la  fres- 
que de  Delphes? 
Cette  façon 
même  d'orner 
de  peintures  des 
portiques,  d'y 
mêler  le  réel  à 
l'idéal,  d'y  figu- 
rer Thésée,  le 
héros  national, 
d'y  rappeler  les 
exploits  de  l'ar- 
mée athénienne, 
ne  fait-elle  pas 
penser  à  la  dé- 
coration du  Pœcile?  Il  y  a  comme  un  désir  de  rajeunir 

les   antiques    légendes ,   de   glorifier 

Athènes  en  faisant  revivre  à  ses  yeux 

ses  mythes  nationaux  et  les  actions 

d'éclat  de  son  histoire.  Or  il  existe 

une  période,  au    iv®   siècle,  durant 

laquelle  des  soucis  analogues  se  font 

jour   dans    l'esprit    des   Athéniens  : 

c'est  celle  qui    suit   immédiatement 

la  défaite  de  Chéronée  (338  av.  J.-C.)  et  que  signale 


Fig.  13 S-  —  Persée  délivrant  Andromède, 
peinture  de  Pompéi. 


Fig.  116. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  ajj 

l'administration  de  l'orateur  Lycurgue.  Investi  par  le 
peuple  de  pouvoirs  étendus,  cet  homme  d'Etat  entre- 
prend de  refaire  les  finances,  d'accroître  la  marine,  de 
donner  aux  cultes  publics  une  splendeur  nouvelle, 
de  construire  ou  de  restaurer  de  nombreux  édifices. 
En  même  temps,  il  se  fait  le  dénonciateur  des  coupa- 
bles; son  éloquence  austère  accable  les  traîtres  qui  se 
sont  vendus  à  la  Macédoine  ou  qui  ont  fui  au  moment 
du  danger.  Ne  sont-ce  pas  là  autant  de  preuves  d'un 
subit  et  merveilleux  réveil  du  patriotisme,  qui  tente  un 
suprême  effort  pour  rendre  à  Athènes  le  rang  qu'elle  a 
perdu?  Peut-être  convient-il  de  rattacher  à  ce  généreux 
élan  le  retour  au  passé  que  personnifient  Euphranor 
et  Nicias.  Songez  que  Nicias  fut  en  rapport  avec  Ptolé- 
mée  Soter,  un  des  premiers  successeurs  d'Alexandre; 
il  était  donc  contemporain  de  Lycurgue.  Euphranor, 
quoique  plus  ancien,  vivait  aussi,  selon  toute  appa- 
rence, sous  le  gouvernement  de  cet  orateur.  Qui  sait  si 
son  Combat  de  cavalef~ie  n'était  pas  très  postérieur  à 
l'événement  qu'il  rappelait  ?  Dans  cet  engagement, 
que  Xénophon  vante  comme  un  des  plus  beaux  faits 
d'armes  de  la  cavalerie  athénienne  et  où  son  fils  Gryl- 
los  avait  trouvé  la  mort,  les  Athéniens,  pleins  d'ar- 
deur, malgré  la  marche  rapide  qu'ils  venaient  d'exé- 
cuter, s'étaient  montrés  à  la  hauteur  de  leur  antique 
réputation,  et  je  serais  porté  à  croire  qu'après  leur 
récent  désastre,  ils  aimaient  à  se  souvenir  de  cette 
brillante  chargé,  qui  les  consolait,  dans  une  certaine 
mesure,  de  leur  défaite  et  leur  apparaissait  comme  un 
gage  de  revanche.  De  là,  au  temps  de  Lycurgue,  la 
popularité   de  cet  épisode  militaire,    dont  Euphranor 


234  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

aurait  consacré  la  gloire  en  le  figurant  dans  le  Portique 
Royal. 

Nous  voici  venu  au  peintre  qu'on  a  longtemps 
regardé  comme  le  plus  grand  peintre  de  la  Grèce,  à 
Apelle,  fils  de  Pythéas,  de  Colophon.  Si  je  l'ai  rangé 
parmi  les  indépendants,  ce  n'est  pas  qu'il  faille  voir  en 
lui  un  révolté  :  ce  mot,  ici,  n'a  nullement  le  sens  qu'on 
lui  attribue  quelquefois  de  nos  jours;  mais,  moins 
qu'aucun  autre,  Apelle  se  rattache  à  un  groupe,  à  une 
école;  il  a  été  formé  par  différents  maîtres,  s'est  développé 
d'une  manière  originale  et  n'a  point  eu  de  successeur. 
C'est  à  ce  titre  seulement  qu'il  occupe  une  place  à  part 
dans  la  série  des  artistes  que  nous  énumérons. 

Il  semble  avoir  vécu  assez  longtemps  à  Ephèse, 
où  il  eut  pour  professeur  un  certain  Ephoros;  puis, 
sans  doute,  il  voyagea  et  suivit  les  leçons  de  Pamphilos 
et  de  Mélanthios.  L'aménité  de  son  caractère  et  proba- 
blement aussi  son  talent  établirent  de  bonne  heure, 
entre  Alexandre  et  lui,  des  liens  qui  paraissent  avoir  été 
très  étroits.  Alexandre  en  fit  son  peintre  ordinaire  et 
défendit  même,  par  une  ordonnance,  qu'aucun  autre 
le  portraiturât.  Des  anecdotes  qui  sont  partout  circu- 
laient, dans  l'antiquité,  sur  les  relations  de  l'illustre 
peintre  avec  le  roi  de  Macédoine,  celle-ci,  entre  autres  : 
le  roi,  voyant  à  Ephèse  le  portrait  équestre  qu'Apelle 
avait  fait  de  lui,  ne  le  loua  pas,  dit-on,  comme  il  le  mé- 
ritait; mais  son  cheval  se  mit  à  hennir,  ce  qui  amena 
ce  reproche  du  maître  :  «  O  roi,  ton  cheval  se  connaît 
beaucoup  mieux  que  toi  en  peinture!  »  Alexandre,  à 
ce  qu'il  semble,  prit  la  chose  en  riant.  C'est  peut-être 
de   ce   portrait   que   s'empara  plus  tard   la   peintresse 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


23$ 


Héléna,  quand  elle  représenta  la  Bataille  d'Issus.  On 
connaît  la  belle  mosaïque  du  musée  de  Naples  qui, 
vraisemblablement,  est  une  copie  de  ce  tableau. 
L'Alexandre  à  cheval  qui  y  figure  et  que  nous  repro- 


Fig.  ij7.  —  Alexandre  dans  la  Bataille  d'Issus, 
mosaïque  de  .Pompéi. 


duisons,  tout  mutilé  qu'il  est  (fig.  i3y),  a  grand  air,  et 
Ton  peut  conjecturer  qu'il  n'est  pas  sans  rapport  avec 
lé  chef-d'œuvre  d'Apelle. 

Apelle  séjourna  aussi  en  Egypte,  à  la  cour  de  Pto- 
lémée  I".  Là,  il  connut  le  peintre  Antiphilos,  qui,  jaloux 
de  son  talent,  le  calomnia  auprès  du  roi.  Ptolémée, 
d'abord  irrité  contre  Apelle,  ne  tarda  pas  à  revenir  de 


2j(5  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

son  erreur  et,  pour  la  réparer,  lui  fit  don  d'une  somme 
considérable.  La  haine  d'Antiphilos  est  d'autant  plus 
inexplicable,  qu'Apelle  paraît  avoir  été,  avec  ses  rivaux, 
d'une  douceur  et  d'une  courtoisie  charmantes.  C'est  lui 
qui  mit  en  relief  la  valeur  de  Protogène,  lequel  vivait 
à  Rhodes  dans  l'obscurité  et  presque  la  misère.  On  sait 
d'ailleurs  l'estime  qu'avaient  l'un  pour  l'autre  ces  deux 
artistes.  L'anecdote  suivante  est  dans  toutes  les  mé- 
moires. Apelle,  qui  ne  connaissait  encore  Protogène 
que  de  réputation,  se  rendit  un  jour  à  Rhodes  pour  voir 
ses  œuvres.  Il  ne  le  trouva  pas  dans  son  atelier;  il  n'y 
vit  qu'un  grand  tableau  dressé  sur  un  chevalet  et  prêt 
pour  le  travail  du  maître.  Une  servante  était  auprès; 
elle  lui  demande  son  nom  :  il  se  contente  de  tracer  sur 
le  tableau,  avec  un  pinceau,  une  ligne  très  ténue  et 
s'en  va.  Protogène,  de  retour,  reconnaît  la  ihain  d'Apelle 
et,  prenant  un  pinceau  lui  aussi,  trace,  sur  ce  mince 
filet,  avec  une  couleur  différente,  un  filet  plus  mince 
encore,  puis  sort,  recommandant  à  la  servante,  si  Apelle 
revient,  de  le  lui  montrer.  Bientôt,  en  effet,  Apelle 
rentre,  et  sépare  les  deux  lignes,  à  l'aide  d'un  troisième 
ton,  par  un  trait  si  fin,  qu'on  ne  pouvait  aller  au  delà. 
Protogène  s'avoua  vaincu. 

L'œuvre  d'Apelle  la  plus  renommée,  celle  qu'ont 
chantée  les  poètes  et  dont  le  souvenir  revit  dans  maintes 
pièces  de  V Anthologie,  est  V Aphrodite  anadyomène,  qui 
décorait,  à  Cos,  le  temple  d'Esculape.  L'idée  de  peindre 
Vénus  sortant  de  l'onde  lui  était  venue,  disait-on,  à  la 
suite  d'une  fête  d'Eleusis  où  la  courtisane  Phryné,  se 
dépouillant  de  ses  vêtements  et  dénouant  sa  chevelure, 
s'était  plongée  dans  la  mer  sous  les  yeux  des  Grecs 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


237 


assemblés.  Il  est  plus  simple  de  croire  que  le  joli  geste 
d'une  baigneuse  tordant  ses  cheveux 
au  sortir  du  bain,  les  lignes  sinueuses 
du  cou,  du  torse  et  des  hanches,  la 
gracieuse  saillie  des  bras,  furent  au- 
tant d'images  qui  se  formèrent  len- 
tement dans  le  cerveau  du  peintre  et 
qui,  prenant  corps  dans  son  imagi- 
nation, devinrent  un  jour  VAphro- 
dite  de  Cos;  mais  on  reconnaît  là  le 
goût  des  Grecs  pour  Panecdote  et 
leur  habitude  de  rattacher  tout  ce  qui 
les  frappait  à  un  événement  précis. 
Quoi  qu'il  en  soit,  ce  tableau  excita 
une  si  vive  admiration,  qu'il  lui  ar- 
riva ce  que  nous  avons  vu  arriver 
déjà   à    d'autres 

tableaux  également  célèbres  :  on 
l'imita,  on  l'interpréta  de  mille  fa- 
çons différentes,  et  depuis  la  grande 
sculpture  jusqu'aux  statuettes  de 
terre  cuite  (fig.  i38  et  iSg),  jus- 
qu'aux peintures  décoratives  de 
l'Italie  méridionale  (fig.  140),  tout 
le  rappela,  tout  en  fut  plein. 

Comme  il  existe,  encore  aujour- 
d'hui, des  artistes  qui  montrent  une 
sorte  de  prédilection  pour  certains 
types  et  reproduisent,  par  exemple, 
'"'  '  ''  amoureusement  la  figure  de  Diane, 

de  même,  Apelle  semble  avoir  eu  une  préférence  mar- 


238 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


quée  pour  Aphrodite,  suivant  d'ailleurs  en  cela  l'exemple 
de  Praxitèle,  dont  ï Aphrodite  de  Cnide  était  une  mer- 
veille de  délicatesse  et  de  grâce,  et  qui  avait  multiplié, 
dans  le  monde  grec,  les  images  de  cette  déesse.  C'est 
ainsi  que,  vers  la  fin  de  sa  vie,  le  maître  éphésien  avait 

conçu  le  projet  de  peindre 
pour  Cos  une  nouvelle 
Aphrodite  plus  belle  que 
la  première  ;  la  mort  le 
surprit  avant  qu'il  l'eût 
achevée;  il  n'en  put  exé- 
cuter que  la  tête  et  le  haut 
du  corps,  mais  avec  une 
telle  perfection,  qu'au- 
cun peintre  n'osa  termi- 
ner son  œuvre. 

Une  Artémis  mêlée  à 
un  chœur  de  jeunes  filles, 
une  Charité,  un  Hercule, 
complètent  la  galerie  my- 
thologique d'Apelle. 
Notons  encore  le  goût 
qu'il  manifesta  pour  les  abstractions  divinisées  et 
pour  les  personnifications  de  phénomènes  de  la  nature. 
A  cette  dernière  classe  appartenaient  les  figures 
de  Bronté,  âCAstrapé,  de  Kéraunobolia  (le  Tonnerre, 
l'Eclair,  la  Foudre).  Dans  la  première,  il  faut  ranger 
un  beau  portrait  de  la  Fortune,  et  surtout  cette  Calom- 
nie dont  Lucien  nous  a  laissé  une  description  détaillée, 
véritable  scène  de  genre  uniquement  composée  d'allé- 
gories et  où  paraissait  une  science  profonde  du  cœur 


Fis. 


140. 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  2J9 

humain.  Nous  avons  déjà  rencontré,  bien  avant  cette 
date,  des  peintures  allégoriques,  mais  citait  Texcep- 
tion;  jamais,  de  plus,  avant  Apelle,  on  n'avait  porté 
dans  ces  sortes  de  représentations  la  psychologie  sa- 
vante que  trahissait  le  tableau  de  la  Calomnie,  C'était 
le  résultat  du  progrès  c!cs  idées  morales,  l'effet  de  cette 
-puissance  d'observation  et  d'analyse  qu'avaient  com- 
muniquée à  l'esprit  grec  les  grandes  écoles  philosophi- 
ques du  IV*  siècle.  Personniher  les  passions  humaines, 
faire  en  peinture  ce  que  faisaient,  vers  le  même  temps, 
en  littérature,  Théophraste  et  les  poètes  de  la  Comédie 
Nouvelle,  était  une  tentative  digne  de  ce  siècle  raffiné. 
Apelle  aborda  la  difficulté  et  en' triompha;  il  sentait 
probablement  que  de  pareilles  images  étaient  dans  le 
goût  du  public,  d'autant  plus  porté  à  s'y  plaire  qu'elles 
n'étaient  point,  à  ses  yeux,  aussi  froides  qu'aux  nôtres 
et  qu'il  les  animait  inconsciemment  d'une  réalité  que 
leur  refuse  notre  monothéisme  '. 

Un  autre  mérite  d'Apelle  fut  de  cultiver  largement 
l'art  du  portrait.  Notis  sommes  à  une  époque  où  l'on 
ne  se  contente  plus  de  la  reproduction  idéale  des  traits 
individuels,  où  la  ressemblance  telle  que  nous  l'enten- 
dons est  la  condition  même  et  la  loi  du  genre.  Ce  qui 
prouve  qu' Apelle  en  avait  conscience,  c'est  qu'ayant  à 
peindre  Antigone,  qui  était  borgne,  nous  le  voyons 
tourmenté  à  la  fois  par  le  souci  de  l'exactitude  et  par  le 
désir  de  dissimuler,  autant  que  possible,  la  difformité 
de  son  modèle.  Il  s'en  tira  en  montrant  le  roi  de  profil, 


I.  Voir,  sur  ce  point,  les  fines  remarques  de  M.  Pottier,  dans 
les  Monuments  grecs  de  1889-1890  (Paris,  i8gi),  p.  i  et  suiv. 


a^o 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


du  bon  côté.  Mais  c'est  surtout  Alexandre  qu^il  repré- 
senta dans  toutes  les  attitudes,  à  cheval,  tenant  la  foudre, 
groupé  avec  les  Dioscures  et  la  Victoire,  etc.  De  tous  les 
grands  hommes  de  Tantiquité,  il  n'en  est  pas,  d'ailleurs, 
dont  les  traits  aient  été   plus  souvent  rendus  par  le 

pinceau  ou  par  le 
ciseau,  et  il  est  pos- 
sible que  ce  soit 
Apelle  qui  ait  don- 
né le  branle  à  cette 
iconographie,  re- 
présentée dans  les 
principaux  musées 
de  l'Europe  par  un 
certain  nombre  de 
bustes  comme  ce- 
lui que  nous  repro- 
duisons, à  titre  de 
spécimen,  et  qu'on 
peut  voir  au  musée 
deNaples(fig.  141). 
Outre  Alexandre  et 
Antigone,  Apelle 
avait  peint  Clitus  à  cheval  (il  avait  un  talent  particu- 
lier pour  rendre  les  chevaux,  et  l'on  connaissait  de  lui 
un  cheval  de  guerre  admirable  de  vie  et  d'expression), 
le  roi  de  Carie  Ménandre,  l'acteur  tragique  Gorgos- 
thénès,  etc.  Lui-même  avait  fait  son  propre  portrait; 
c'était  évidemment  une  spécialité,  et  de  lui  datent  à  la 
fois  la  vogue  du  portrait  et  la  virtuosité  dans  ce  genre 
de  peinture. 


Fig.  141. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  241 

Son  habileté  technique  était  très  grande.  Sa  visite  à 
Protogène  nous  a  montré  chez  lui  une  légèreté  de  main 
extraordinaire;  il  ne  passait  point,  paraît-il,  un  seul 
jour  sans  dessiner,  assouplissant  son  pinceau  par  un 
continuel  exercice.  Cette  science  du  dessin  et,  probable- 
ment, cette  pureté  de  lignes  qui  caractérisaient  sa  ma- 
nière, ne  Tempechaient  pas  de  rendre  avec  un  art  con- 
sommé la  lumière  et  Tombre.  Son  Alexandre  armé  de  la 
foudre^  qui  ornait  le  temple  d''Artémis  à  Ephèse,  était, 
à  ce  point  de  vue,  d'une  exécution  si  merveilleuse,  que 
les  doigts  du  roi  y  semblaient  être  en  saillie,  et  la 
foudre  sortir  du  cadre.  On  retrouve  là  cette  technique 
savante  de  PEcole  de  Sicyone  dans  laquelle  Apelle 
avait  puisé  ses  premiers  principes.  Pour  éviter  que  ses 
tableaux  ne  se  ternissent,  il  avait  inventé  un  vernis 
dont  le  secret  se  perdit  après  lui,  mais  qui  donnait  à  sa 
peinture  un  éclat  que  nulle  autre  ne  possédait.  Sa  qua- 
lité maîtresse  était  la  grâce  ;  c'est  là  ce  que  vantent 
surtout  les  critiques  anciens  dans  ses  œuvres.  Peut- 
être  y  avait-il  quelque  gaucherie  dans  sa  façon  de 
grouper  les  figures;  sa  composition  semble  avoir  été 
un  peu  lâche,  mais  il  rachetait  ce  défaut  par  sa  con- 
naissance profonde  du  métier.  Ce  fut,  en  résumé,  un 
peintre  de  premier  ordre,  dont  on  s'est  fait  peut-être 
une  trop  haute  idée.  Né  dans  un  temps  où  la  peinture 
était  pleinement  maîtresse  de  tous  ses  procédés,  il  n'a 
pas  eu  la  gloire  de  lui  faire  accomplir  un  de  ces  pro- 
grès décisifs  qui  avaient  illustré  la  carrière  de  quel- 
ques-uns de  ses  prédécesseurs.  Il  s'est  servi  avec  bon- 
heur des  inventions  des  autres  ;  son  originalité  a  surtout 
consisté  dans  un  éclectisme  éclairé  et  judicieux.  Aussi, 

PEINTi     ANTlCiUE.  16 


s^a  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

tout  en  le  saluant  comme  le  peintre  le  plus  parfait 
qu'ait  produit  la  Grèce,  garderons-nous  nos  sympa- 
thies pour  les  maîtres  chez  lesquels  Teffort  est  plus 
sensible,  pour  ceux  qui,  sans  le  valoir,  ont  eu  plus  à 
lutter  avec  les  difficultés  de  l'art  naissant  et  qui,  sur 
quelques  points,  ont  remporté  des  victoires  qui  valent 
mieux  que  la  sereine  et  continue  possession  du  succès*. 

Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  du  grand  contemporain 
d'Apelle,  Protogène.  Il  était  de  Caunos,  en  Carie,  et 
avait  débuté  dans  la  peinture  en  décorant  des  vaisseaux. 
Pendant  de  longues  années,  il  demeura  fort  pauvre  et, 
semble-t-il,  méconnu  du  public.  Pourtant,  nous  le 
voyons,  vers  804  avant  J.-C,  établi  à  Rhodes  et  y 
jouissant  d'une  grande  célébrité.  A  ce  moment,  les 
Rhodiens  tentaient  de  repousser  Démétrius  Poliorcète, 
qui  assiégeait  leur  ville.  Protogène,  pendant  ce  temps, 
peignait  dans  son  atelier,  situé  hors  des  murs.  Mandé 
auprès  du  roi,  comme  celui-ci  s'étonnait  d'un  pareil 
calme  :  «  Je  te  savais,  répondit-il,  en  guerre  avec 
Rhodes,  et  non  avec  les  beaux-arts.  »  Démétrius  vou- 
lant, dit-on,  sauver  les  œuvres  du  maître,  qui  eussent 
péri  dans  l'assaut,  leva  le  siège. 

Les  documents  nous  manquent  pour  apprécier  le 
talent  de  ce  peintre.  Son  chef-d'œuvre  éiahVIalj'sos,  ou 
le  portrait  du  héros  qui  avait  fondé  la  cité  de  ce  nom, 
dans  l'île  de  Rhodes.  Il  avait  mis  sept  ans,  suivant 
d'autres,  onze  ans  à  l'exécuter.  La  première  fois 
qu'Apelle  avait  vu  ce  tableau,  il  était  resté  muet  d'ad- 

I.  Voyez,  dans  les  nouveaux  fragments  d'Hérondas,  IV,  v.  59 
et  suiv.  (éd.  Ruiherford,  Londres,  1891),  plusieurs  allusions  à  des 
tableaux  peu  connus  d'Apelle,  qui  décoraient  l'Asclépieion  de  Cos. 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  34J 

miration.  Il  faut  encore  ranger  parmi  ses  plus  belles 
œuvres  le  Satyre  au  repos,  qui  faisait,  avec  le  fameux 
Colosse,  Porgueil  des  Rhodiens.  Il  avait  peint  enfin, 
pour  les  Athéniens,  la  Paralos  et  VAmmonias,  deux  de 
leurs  galères  sacrées,  et,  dans  la  salle  de  délibération 
du  Conseil  des  Cinq-Cents,  le  Collège  des  Thesmothètes. 
Comme  beaucoup  de  peintres,  il  était  aussi  sculpteur, 
et  Ton  connaissait  de  lui  plusieurs  statues  de  bronze 
qui  n'étaient  pas  sans  mérite.  C'était  un  artiste  d'une 
conscience  méticuleuse,  auquel  on  pouvait  même  repro- 
cher un  excès  de  scrupule.  Il  peignait  à  plusieurs 
couches,  afin  que  le  temps  épargnât  ses  œuvres  ;  Vlaly- 
sos  avait  reçu  quatre  couches  successives,  Sa  peinture 
léchée,  sa  minutie  laborieuse  rendent  la  perte  de  ses  ta- 
bleaux d'autant  plus  regrettable,  que  c'étaient  là  des  qua- 
lités qu'il  ne  devait  qu'à  lui-même,  et  que,  plus  encore 
qu'Apelle,  il  est  digne  de  figurer  parmi  ces  indépendants 
qui  ne  se  rattachaient  proprement  à  aucune  école. 


§  VII.  —  La  peinture  hellénistique  :  Antiphilos. 
Les  portraits  du  Fayoum. 

Nous  ne  nous  sommes,  depuis  longtemps,  occupé 
que  des  maîtres;  il  y  avait,  à  côté  d'eux,  une  foule  de 
peintres  secondaires  et  même  d'enlumineurs  de  dernier 
ordre,  qui  mettaient  à  profit  les  découvertes  des  grands 
peintres  et  entretenaient  partout  le  goût  de  la  couleur. 
Ainsi,  à  Tanagre,  en  Béotie,  les  maisons,  extérieure- 
ment, étaient  ornées  de  peintures  qui  leur  donnaient 
l'aspect  riant  que  présentent  certaines  villas  italiennes. 


24+ 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Sur  un  autre  point  très  éloigné  du  monde  ancien,  dans 
ces  florissantes  cités  du  Bosphore  oii 
Ton  a  trouvé  tant  de  traces  de  la  civili- 
sation hellénique  la  plus  pure,  dont 
les  tombeaux  ont  fourni  ces  lambeaux 
d'étoffe,  ces  bijoux,  ces  vases  ciselés, 
ces  innombrables  monuments  d^argile, 
qui  témoignent  d'un  commerce  si  actif 
avec  la  Grèce  ou  d'une  industrie  locale 
si  profondément  pénétrée  d^esprit  grec, 
la  peinture  était  également  en  honneur. 
C'est  dans  ces  régions  que  les  vases, 
vers  le  milieu  du  iv*  siècle,  revêtent 
ces  tons  voyants,  blanc,  bleu,  jaune, 
évidemment  destinés  à  flatter  le  goût 
barbare;  c'est  là  qu'ont  été  mises  au 
jour  quelques  peintures  d'une  grande 
valeur,  comme  celle  qui  recouvre  ce 
fragment  de  lyre  provenant  d'un  tu- 
mulus  de  Kertsch  (fig.  142)  et  sur  le- 
quel était  représenté  l'enlèvement  des 
Leukippides;  malgré  l'état  déplorable 
de  ce  tableau  et  les  nervures  du  bois, 
qui  l'altèrent  encore,  on  y  distingue 
des  traits  d'une  finesse  et  d'une  élé- 
h  gance  qui  rappellent  les  plus  beaux 
produits  de  la  céramique  athénienne. 
Passons  du  Bosphore  à  la  Cyré- 
naïque  :  voici  de  curieuses  décorations 

Fig.   142. 

peintes  trouvées,  au  commencement 
de  ce  siècle,  par  le  voyageur  Pacho  dans  un  tombeau 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  845 

de  Cyrène;  elles  figurent  des  chœurs  de  musiciens  et 
des  chœurs  tragiques,  et,  bien  que  sensiblement  posté- 
rieures à  la  lyre  de  Kertsch,  elles  n'en  sont  pas  moins 
grecques  de  sujet  et  de  style.  Dans  les  de'crets  honori- 
fiques des  Athéniens,  il  est  souvent  question,  à  l'époque 
macédonienne,  de  portraits  peints  accordés  comme 
récompense  aux  personnages  qui  ont  bien  mérité  de 
la  cité;  portraits  en  pied  ou  médaillons  sont  fréquem- 
ment substitués,  à  ce  moment,  aux  statues  de  bronze 
jadis  décernées  dans  les  occasions  analogues.  Il  semble 
qu'à  partir  du  iv*  siècle,  il  y  ait  un  goût  général  pour 
la  peinture,  qui  tient  aux  progrès  qu'a  accomplis  cet  art 
et  aux  nombreux  usages  auxquels  la  perfection  des  pro- 
cédés techniques  permet  de  l'employer. 

Il  ne  nous  reste  plus,  pour  en  finir  avec  la  Grèce, 
qu'à  considérer  une  dernière  période,  la  période  hellé- 
nistique, sorte  de  prolongement  de  l'hellénisme  durant 
lequel,  en  art  comme  en  littérature,  on  n'invente  plus 
guère.  Cette  fois,  c'est  bien  la  décadence  qui  s'offre  à 
nous,  mais  une  décadence  pleine  de  grâce.  La  civilisa- 
tion grecque  est  morte  en  riant;  elle  n'a  point  été, 
comme  la  civilisation  romaine,  tragiquement  submer- 
gée par  le  flot  longtemps  contenu,  mais  à  la  fin  irré- 
sistible, d'une  barbarie  à  demi  sauvage.  Elle  s'est  lente- 
ment éteinte  en  faisant  l'éducation  du  monde.  Peut-on 
dire  même  qu'elle  se  soit  éteinte?  C'est  elle  encore 
qu'on  retrouve  à  Byzance  et  sous  le  ciel  régénéré  de  la 
moderne  Hellade.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'art  hellénistique 
est  notablement  inférieur  à  celui  qui  l'a  précédé  :  non 
qu'il  n'y  ait,  à  cette  époque,  des  peintres  de  talent, 
comme  Aétion,  comme  Théon  de  Samos,  comme  tous 


2^6  LA  PEINTURE    ANTIQUE. 

ces  peintres  d^Asie  Mineure  qui  appartiennent  au  if  ou 
au  I"  siècle  avant  notre  ère,  et  dont  les  œuvres  sont  si 
prisées  des  Romains;  mais  ils  n'ont  rien  d'original  et 
ne  font  que  suivre,  pour  la  plupart,  les  traces  de  leurs 
devanciers.  Nous  ne  retiendrons  de  cette  foule  qu'un 
seul  nom,  celui  d'Antiphilos  l'Égyptien.  Il  a  déjà  été 
question  de  cet  artiste  à  propos  d'Apelle;  on  se  souvient 
de  son  odieuse  conduite  envers  le  maître,  à  la  cour  de 
Ptolémée  Soter.  Il  ne  manquait  pas  d'ha- 
bileté, et  l'on  citait  de  lui  un  Philippe,  deux 
Alexandre,  un  Dionysos,  nnHippolyte.  qui 
furent  plus  tard  transportés  en  Italie,  où  ils 
excitèrent  une  admiration  légitime.  Il  avait 
peint  aussi  un  satyre  exécutant  une  sorte 
de  danse  appelée  skopos,  dans  laquelle  on 
élevait  la  main  à  la  hauteur  des  yeux , 
Fig-  '43 •  comme  pour  regarder  au  loin.  Un  grand 
nombre  d'œuvres  d'art  reproduisent  cegeste, 
bien  fait  pour  inspirer  sculpteurs  et  coroplastes.  La 
figure  ci-dessus,  empruntée  à  un  sarcophage  romain, 
montre  à  quel  point  était  populaire,  dans  l'antiquité, 
le  Satyre  surnommé  aposkopeuôn. 

Antiphilos  ouvrit  le  grand  art  à  la  caricature.  Il 
avait  fait  la  charge  d'un  certain  Gryllos,  et  de  là  vint  la 
mode  des  peintures  satiriques  auxquelles  on  conserva 
longtemps  le  nom  de  grylli.  Jusqu'alors,  le  comique, 
très  ancien  dans  la  littérature,  puisqu'il  remonte  à 
Thersite  et  à  Vulcain,  dont  la  démarche  claudicante 
provoquait  le  «  rire  inextinguible  »  des  dieux,  ne 
s'était  guère  donné  carrière  que  dans  les  arts  indus- 
triels. Encore  faut-il  se  garder  de  l'y  apercevoir  trop 


LA    PEINTURK   GRECQUE.  2^7 

tôt.  On  a  pris  à  tort  pour  des  caricatures  certaines  pein- 
tures de  vases  provenant  de  Phalère  (fig.  144)  et  qui  ne 
sont  que  de  grossiers  essais  pour  rendre 
le  profil  très  caractéristique  d'une  race  dé- 
terminée. Ce  qui  est  vrai,  c'est  que,  dès  le 
vi*  siècle,  la  charge  apparaît  sur  les  vases 
peints;  elle  s'enroule,  parmi  les  graves 
peintures  religieuses,  autour  du  vase  Fran- 
çois, dans  la  personne  de  ces  pygmées 
montes  sur  des  animaux  fantastiques  et 
qui  soutiennent  contre  les  grues  d'homériques  com- 
bats (fig.  145).  Mais  remarquez  que  l'artiste  n'a  point 
déformé  ses  personnages  :  plus  tard,  on  rapetissera  les 
corps,  on  grossira  les  têtes  suivant  un  procédé  encore 
usité  de  nos  jours,  comme  c'est  le  cas  sur  ce  vase  du 
Louvre  où  l'on  voit   parodiée   l'apothéose   d'Hercule 


Combat  de  pygmées  et  de  grues,  sur  le  vase  François. 

(fig.  146).  Au  vi**  siècle,  on  n'a  pas  recours  à  de  pareils 
moyens  :  la  caricaturen'est  que  souriante;  elle  demeure 
dans  les  limites  de  ce  comique  discret  qui  semble  avoir 


2^8 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


été  le  propre  du  drame  satyrique.  Il  faut  descendre 
assez  bas  dans  l'histoire  pour  rencontrer  de  véritables 
grotesques  :  ils  sont  nombreux,  surtout  à  partir 
d'Alexandre,  dans  la  classe  des  figurines  de  terre  cuite 
et  des  petits  bronzes.  A  dater  de  ce  moment,  les  peintres, 
qui  n'employaient  jadis  leur  talent  qu'à  des  œuvres  sé- 
rieuses, donnent,  eux  aussi,  dans  le  burlesque  et  l'extra- 

V  Vx  Cx  Cn  C  "^  V  XV  ?^  /^^  y. 


ammi!!«['iPii^«M^^^ 


Fig.  i4(î.  —  Parodie  de  l'apothéose  d'Hercule,  sur  un  vase  peint. 


vagant.  Antiphilos  en  est  la  preuve.  N'était-il  pas  d'un 
pays  où  la  caricature  avait  existé  de  tout  temps  et  où 
l'aptitude  à  saisir  les  ridicules,  la  promptitude  à  s'en 
moquer,  faisaient  partie  des  mœurs  nationales?  C'est 
à  la  même  époque  que  se  place  le  tableau  d'un  disciple 
d'Apelle,  Ctésilochos,  qui  avait  représenté  Zeus  accou- 
chant de  Dionysos  et  passant  par  toutes  les  douleurs 
d'une  femme  en  travail.  Des  scènes  analogues  sont  figu- 
rées sur  les  vases  d'ancien  style  (fig.  147),  mais  avec  line 
gravité  où  l'on  sent  toute  la  distance  qui  séparait  ces 
naïfs  tableaux,  exécutés  par  des  croyants,  de  la  paro- 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


2+9 


die  du  peintre  hellénistique,  déjà  voisine  des  irrévé- 
rences de  Lucien  '. 

Terminons  par  quelques  remarques  sur  une  série  de 
monuments  très  postérieurs  à  Antiphilos,  mais  qui  ap- 
partiennent encore  à  l'art  grec  et  sur  lesquels  Tatten- 
tion  du  public  a  été  récemment  attirée  par  d'importantes 
découvertes.  Nous  voulons  parler  de  ces  portraits  sur 


Fig.  1+7.  —  Athéna  sortant  du  cerveau  de  Zeus, 
d'après  un  vase  peint  du  vi"*  siècle. 

bois  dont  une  collection  très  complète  a  été  exposée, 
en  1889,  à  Paris,  où  elle  n'a  pas,  d'ailleurs,  obtenu  le 
succès  auquel  elle  avait  droit.  Tous  ces  portraits  vien- 
nent d'Egypte  ou,  plus  exactement,  de  la  moyenne 
Egypte,  du  Fayoum.  Ils  ne  remontent  pas  à  une  an- 
tiquité très  recul-ée  :  on  les  échelonne,  sans  pouvoir  les 
dater  individuellement,  sur  l'espace  de  temps  compris 
entre  le  if  et  le  v*  siècle  de  notre  ère.  Peut-être  les  plus 
anciens  sont-ils  contemporains  de  Domitien.  Leur  des- 


1.  Sur  la  caricature  dans  l'art  grec,  voyez  Pottier,  Nécropole  de 
Myrina,  p.  476  et  suiv. 


250 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


tination  était  toute  funéraire  :  on  les  encastrait  à  la  par- 
tie supérieure  de  la  momie  en  dis- 
simulant les  bords  sous  les  bande- 
lettes, de  manière  à  faire  croire  que 
le  mort,  qu'ils  représentaient,  re- 
gardait au  dehors  par  une  ouver- 
ture (fig.  148).  Curieuse  persistance 
des  rites  funèbres!  Autrefois,  c'était 
un  masque  modelé  qui  figurait  les 
traits  du  défunt;  maintenant,  c'est 
une  peinture,  mais  on  retrouve  tou- 
jours, dans  cet  usage,  l'antique 
croyance  qui  veut  que  le  mort  vive 
dans  sa  bière  et  puisse  y  recevoir 
les  hommages  des  vivants. 

Il  existe  de  ces  images  peintes  à 
Paris,  à  Londres,  à  Saint-Péters- 
bourg, à  Florence,  au  musée  de 
Gizeh.  Le  Louvre  en  possède  quel- 
ques-unes qui  sont  remarquables, 
comme  ce  portrait  de  jeune  fille 
qui  incline  légèrement  la  tête  sur 
l'épaule  droite  (fig.  149),  en  ouvrant 
de  grands  yeux  un  peu  tristes'.  Il 
se  trouve,  par  exception,  que  nous 
savons  qui  elle  est  :  elle  appartenait 
à  la  famille  de  PoUius  Soter,  ar- 
chonte de  Thèbes  au  temps  d'Ha- 
drien. Ce  sont  des  membres  de  la  même  famille  que 


Fig.  148. 


I.  Muscc  cyyptien,  salle  des  Monuments  funéraires. 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


2SI 


représentent  les  autres  portraits  du  Louvre,  mais  aucun 
ne  vaut  celui-ci  pour  la  délicatesse  du  modelé  et  le 
charme  de  Texpression. 

La  plus  riche  de  beaucoup  et  la  plus  variée  de  ces 
collections  de  por- 
traits sur  bois  est 
celle  qu'on  a  pu 
voir  à  Paris,  il  y  a 
deux  ans,  et  dont 
le  possesseur  est  un 
Viennois,  M.  Graf. 
Composée  presque 
uniquement  de 
monuments  décou- 
verts à  Rubaijat, 
dans  le  Fayoum, 
elle  comprend  plus 
de  quatre-vingt-dix 
pièces  de  valeur  très 
inégale,  mais  dont 
quelques-unes  sont 
de  premier  ordre. 
Ce  qui  frappe, 
quand  on  passe  en 
revue  tous  ces  vi- 
sages, immobiles  sur  leurs  tablettes  de  cèdre,  c'est 
l'extraordinaire  expression  de  vie  qui  s'en  dégage. 
Hommes,  femmes,  jeunes  gens,  jeunes  filles,  ont,  en 
général,  une  intensité  de  regard  qui  déconcerte  ;  cer- 
taines figures  féminines,  en  particulier,  où  les  yeux  ont 
été  démesurément  agrandis,  soit  pour  idéaliser  le  mo- 


Fig.  149. 


3S2 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


dèle,  soit  pour  rendre  Tagrandissement  artificiel  pro- 
duit par  le  maquillage,  paraissent  suivre  le  visiteur  et 
s'attacher,   pour  ainsi  dire,  à  ses  pas.  Je   n'en  veux 

pour  exemple  que  cette 
tête  de  jeune  fille,  qui, 
sans  être  belle,  inté- 
resse par  sa  naïveté  et 
par  les  contours  enfan- 
tins de  sa  physionomie 
(fig.  i5o). 

Une  chose  digne 
d'attention,  c'est  l'air 
moderne  de  beaucoup 
de  ces  portraits.  Les 
personnages  qu'ils  figu- 
rent  semblent  avoir 
vécu  il  y  a  quatre  ou 
cinq  siècles,  quelques- 
uns  même  tout  près  de 
nous.  Voyez  cette  jeune 
femme  aux  lèvres  min- 
ces, à  l'imperceptible 
sourire,  au  nez  droit, 
aux  cheveux  artiste- 
ment  crépelés  en  forme 
de  bonnet;  cette  autre, 
aux  lourds  bandeaux  que  surmonte  un  diadème  d'or, 
à  la  riche  parure  de  perles  enroulées  autour  du  cou  ou 
pendant  aux  oreilles  :  ne  dirait-on  pas  deux  peintures 
de  la  Renaissance  italienne?  La  figure  i5o  rappelle  la 
manière  de  Greuze  ;  une  tête  virile  (fig.  i5i)  à  la  che- 


Fig.    150. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


2SÎ 


velure  savamment  ébouriffée,  au  regard  à  la  fois  éner- 
gique et  spirituel,  à  la  barbe  rare,  fait  penser  aux  ta- 
bleaux des  vieux  maîtres  toscans.  On  rencontre,  à  côté 
de  cela,  des  visages  tout  antiques.  Nous  avons  rappro- 
ché à  dessein  un  por- 
trait de  femme  et  un 
portrait  d^homme 
(fig.  i52  et  r53)  entre 
lesquels  le  contraste 
est  saisissant.  Peut-on 
rien  imaginer  de  plus 
actuel  que  le  premier, 
avec  sa  coiffure  élé- 
gante et  libre,  ses  yeux 
prêts  au  sourire,  sa 
bouche  aimable  et 
quelque  peu  sensuelle  ? 
Tout,  Jusqu'au  vête- 
ment, dont  les  plis  in- 
distincts procurent  Pil- 
lusion  d'un  corsage 
drapé,  donne  à  cette 
figure  un  aspect  de  mo- 
dernité  surprenant. 
L'homme,  au  con- 
traire, avec  ses  cheveux 

crépus  à  la  Vérus,  sa  moustache  clairsemée,  le  collier 
de  barbe  frisée  qui  lui  ombrage  les  joues  et  le  menton, 
reproduit  plutôt  le  type  romain  tel  que  nous  le  con- 
naissons, et  doit  être  rangé  dans  la  catégorie  de  ces 
personnages  munis  du  laticlave,  ou  d'une  couronne  et 


•^cW<\->- 


Fig.  isi. 


^5  + 


LA    PEINTURE    ANTIQUE, 


d'un  baudrier  d'or,   qui  paraissent,  pour  la  plupart, 
appartenir  à  la  race  latine. 

Un  mérite  de  ces  portraits  est  leur  ressemblance. 
Bien  que  nous  ignorions  les  originaux,  il  y  a  trop  de 


Fig.  1$. 


Fig-  iSJ- 


vie  dans  ces  images,  et  la  vie  s'y  marque  par  des  traits 
trop  individuels,  pour  que  nous  doutions  de  leur  fidé- 
lité. Et  pourtant,  ce  qui  étonne,  c'est  la  Jeunesse  de 
tous  ces  morts.  A  Londres  comme  à  Saint-Pétersbourg, 
au  Louvre  comme   dans  la  collection  Graf,  la  grande 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  ass 

majorité  de  ces  peintures  funéraires  représente  des 
hommes  et  des  femmes  dans  la  force  de  l'âge,  souvent 
même  encore  dans  Fadolescence.  On  ne  peut  cependant 
admettre  que  la  moyenne  de  la  vie  humaine  se  soit  à 
ce  point  abaissée  en 
Egypte,  durant  les 
premiers  siècles  du 
christianisme.  De  là 
l'hypothèse  que  ces 
portraits  ont  été  exé- 
cutés du  vivant  de 
leurs  modèles.  Il  est 
possible  aussi  qu'ils 
n'aient  été  peints 
qu'après  leur  mort, 
mais  que  les  artistes 
y  aientvolontairement 
rajeuni  ceux  dont  ils 
étaient  chargés  de  per- 
pétuer le  souvenir. 
Nous  retrouverions 
là  un  écho  de  cette 
vieille  coutume  égyp- 
tienne qui  voulait 
qu'on  figurât  le  dé- 
funt, non  dans  l'état 

de  décrépitude  qu'amène  un  âge  avancé,  mais  en 
possession  de  toutes  ses  facultés  physiques  et  pouvant 
jouir  pleinement  de  la  félicité  qui  lui  était  promise  au 
delà  du  tombeau.  Si  le  rajeunissement  a  été  une  règle, 
il  comportait,  d'ailleurs,  des  exceptions.  La  collection 


Fig.  154- 


256 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Graf  contient  un  médaillon  de  femme  âgée  et  ridée  où 
il  n'y  a  nulle  trace  d'embellissement  systématique.  On 
en  peut  dire  autant  de  ce  portrait  de  vieillard  chauve 
(fig.  154),  dont  notre  dessin  ne  rend  qu'imparfaitement 

le  visage  craquelé  et  noirci 
par  le  temps.  De  même,  il 
y  a  des  figures  maladives 
dont  la  souffrance  ou  la 
disposition  morbide  est  in- 
diquée avec  un  bien  curieux 
réalisme.  Tel  est  le  cas  de 
cette  femme  aux  paupières 
tombantes,  aux  poches  la- 
crymales singulièrement 
développées,  et  qui  paraît 
minée  par  quelque  mal  in- 
térieur (fig.  i55). 

Nous  dirons  tout  à 
l'heure  un  mot  des  ensei- 
gnements techniques  que 
fournissent  ces  précieux 
tableaux  du  Fayoum.  Con- 
statons, en  attendant,  l'in- 
térêt psychologique  et  mo- 
ral de  cette  galerie,  qui 
met  sous  nos  yeux  les  types  les  plus  variés  de  l'anti- 
quité à  son  déclin,  grands  seigneurs  et  bourgeois  de 
l'Egypte  gréco  romaine,  avec  les  insignes  de  leurs 
fonctions  publiques,  ou  la  simple  parure  de  leur  con- 
dition privée,  physionomies  tantôt  vulgaires,  tantôt 
fines,    où  mille   sentiments,  mille  passions   se  lisent, 


Fig.  '5S- 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  257 

pittoresque  réunion  de  nationalités  diverses,  qui  éclaire 
d''une  vive  lumière  la  société  de  ces  temps  lointains. 
Rien  ne  permet  mieux  que  ces  portraits  de  mesurer  le 
chemin  qu^a  parcouru  la  peinture  grecque,  depuis  les 
monochromes  sans  expression  et  sans  vie  où  s'exer- 
çait la  main  timide  des  premiers  maîtres. 


^  VIII.  —  Les  procédés 

de  la  peinture   en   Grèce;  l'encaustique. 

Originalité  de  la  peinture  grecque. 

Nous  ne  reviendrons  pas  sur  les  indications  déjà 
données  çà  et  là  relativement  à  la  technique  des  pein- 
tres grecs.  Quelques  mots  suffiront  pour  compléter  ce 
que  nous  avons  dit.  Les  couleurs  dont  se  servaient 
Polygnote  et  ses  contemporains  étaient  les  suivantes  : 
la  terre  de  Mélos  pour  le  blanc,  le  sil  attique  (espèce 
d'ocre)  pour  le  jaune,  la  sinopis  pontique  pour  le 
rouge  et,  pour  le  noir,  Vatramentum,  c'est-à-dire  le 
noir  de  fumée  additionné  d'une  matière  agglutinante. 
Telles  étaient,  on  s'en  souvient,  les  quatre  couleurs  des 
primitifs  du  v  siècle.  Quoi  qu'en  dise  Pline,  Apelle 
avait  une  palette  beaucoup  mieux  fournie,  et  c'est 
Cicéron  qui  est  dans  le  vrai  quand,  opposant  les  pein- 
tres du  IV®  siècle  à  ceux  de  l'âge  précédent,  il  écrit  : 
In  Aetione,  Nicomacho,  Protogene,  Apelle,  jam  per- 
/ecta  sunt  omnia.  11  est  certain  qu'Apelle,  outre  qu'il 
possédait,  pour  chacun  des  anciens  tons,  plusieurs 
nuances,  disposait  encore  du  bleu  et  du  vert,  et  peut- 
être  était-ce  déjà  le  cas  de  ses  prédécesseurs  immédiats, 

PEINT.    ANTKiUE.  17 


2s8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

ce  qui  expliquerait  la  riche  polychromie  des  lécythes  de 
ce  temps. 

On  s'est  demandé  si  l'œil  des  Grecs  percevait  toutes 
les  couleurs  que  perçoit  le  nôtre,  s'il  était  capable  de 
la  même  précision,  de  la  même  délicatesse  d'analyse. 
Ce  qui  est  vrai,  c'est  que  leurs  mots  ne  désignent  pas 
toujours  ce  que  nous  croyons  ;  mais  il  ne  suit  pas 
de  là  qu'ils  connussent  un  moins  grand  nombre  de 
tons  ou  de  nuances  que  nous.  Il  suffit,  pour  s'en  con- 
vaincre, de  se  reporter  à  Pline;  on  y  voit,  par  exemple, 
que  leurs  peintres  employaient  plusieurs  variétés  de 
rouge  :  la  sinopis,  à  elle  seule,  leur  en  fournissait 
trois,  et  non  seulement  ils  la  faisaient  venir  de  Sinope, 
dans  le  Pont  (de  là  son  nom),  mais  l'Egypte,  l'Afrique, 
les  Baléares,  Lemnos,  la  Cappadoce,  leur  en  procu- 
raient d'excellente.  Ils  avaient  de  même  plusieurs 
jaunes  :  pour  peindre  les  parties  ombrées,  ils  recou- 
raient au  jaune  de  Skyros  ou  au  jaune  lydien,  plus 
foncé  que  le  sil  d'Athènes.  En  outre,  l'esprit  inventif 
de  chacun,  cette  curiosité  industrieuse  qui  caractérise 
le  génie  grec,  tendait  encore  à  multiplier  les  tons  ou  à 
perfectionner  ceux  qui  existaient  déjà.  Polygnote  et 
Micon  avaient  imaginé  de  faire  du  noir  avec  de  la  lie 
de  vin  séchée  et  cuite;  Apelle  en  obtenait  de  l'ivoire 
calciné;  Parrhasios  trouvait  à  la  craie  d'Erétrie  des 
qualités  que  n'avait  aucun  autre  blanc;  Kydias  de 
Kythnos,  peintre  peu  connu  de  l'époque  hellénistique, 
avait  eu,  le  premier,  l'idée  de  brûler  du  jaune  pour 
avoir  du  vermillon.  A  toutes  ces  ressources  s'ajoutaient 
celles  qui  provenaient  des  mélanges,  dont  on  a  vu  que 
Polygnote  tirait  déjà  des  effets  suffisamment  variés.  Ils 


LA    PEINTURE   GRECQUE. 


2S9 


devinrent,  naturellement,  plus  savants  après  lui,  et 
l'un  des  plus  compliqués  était  celui  à  Paide  duquel  on 
rendait  la  couleur  de  chair  (àv^pei/.e)ov).  Un  certain 
nombre  de  témoignages,  qu'il  serait  trop  long  de  dis- 
cuter, prouvent  Timportance  que  les  Grecs  attachaient 
à  cette  coloration  et  Phabileté  qu'ils  y  déployaient  ^ 

Un  problème  longtemps  agité  par  les  archéologues 
est  celui  de  la  matière  sur  laquelle  peignaient  les  anciens 
Hellènes.  Les  peintures 
préhistoriques  de  Mycè- 
nes  et  deTirynthe  étaient, 
comme  on  Va  vu,  exécu- 
tées sur  un  enduit  qui 
adhérait  aux  parois 
qu'elles  décoraient.  En 
était -il  de  même,  par 
exemple,     des     grandes 

compositions  murales  de  Polygnote?  Un  texte  de  Syné- 
sius,  qui  vivait  au  v*  siècle  de  notre  ère,  nous  apprend 
que  les  peintures  du  Pœcile  étaient  sur  bois  et,  quoi 
qu'on  en  ait  dit,  il  n'y  a  aucune  raison  de  douter  de  la 
véracité  de  ce  témoignage.  Cela  ne  prouverait  pas,  d'ail- 
leurs, qu'à  Delphes  il  en  fût  ainsi.  Certaines  décorations 
pouvaient  être  appliquées  directement  sur  la  surface 
qu'elles  devaient  recouvrir,  tandis  que  d'autres  étaient 
peintes  sur  des  panneaux  (cavi^eç)  fixés  d'avance  à  la  mu- 
raille qu'il  s'agissait  d'enluminer,  ou  transportés  sur 
cette  muraille  quand  le  peintre  avait  achevé  son  œuvre. 


Fig.  156. 


I.  Pïsiton,  Cratyle,  p.  424  E;  Athénée    XIII    p.  604  A;  Over- 
beck,  io53,  1862,  2144(1.  19). 


a(îo 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


Je  croirais  volontiers  que,  des  deux  méthodes,  c'est  la 
première  qui  était  la  plus  ancienne,  et  que  les  vieilles 
peintures  monochromes  qui  ornaient  les  temples  du 
vi«  siècle  étaient  exécutées  sur  les  murs  mêmes  de  ces 
édifices.  Mais,  de  bonne  heure,  sans  doute,  on  eut  Tidée 
de  peindre  sur  bois;  ces  ais  faciles  à  remplacer,  en  cas 
d'accident,  offraient  des  avantages  que  ne  présentait  pas 

la  pierre  immobile;  et  si 
Ton  admet  qu'ils  n'étaient 
fixés  qu'après  coup,  ils 
avaient  encore  cette  supé- 
riorité de  pouvoir  être 
peints  dans  l'atelier  tout  à 
loisir.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  le  jour  où,  au  lieu 
de  décorer  des  murailles, 
on  voulut  faire  de  la  pein- 
ture aisément  transporta- 
ble, on  ne  se  servit  que  du 
bois.  C'est  sur  bois 
qu'étaient  les  tableaux  de  Zeuxis  et  de  Parrhasios,  de 
Timanthe  et  d'Apelle,  et  ils  étaient,  en  général,  de 
petite  dimension.  Aussi  Pausanias,  quand  il  visita  la 
Grèce,  ne  les  vit-il  pas;  tous  avaient  été  transportés  en 
Italie,  tandis  qu'il  vit  les  chefs-d'œuvre  des  grands  dé- 
corateurs du  v  siècle,  qui,  sur  bois  ou  sur  enduit, 
étaient  de  proportions  colossales  et  avaient  été  laissés 
en  place. 

Il  ne  paraît  pas  que  les  Grecs  de  l'époque  classique 
aient  peint  sur  toile,  du  moins  sur  toile  libre.  Les 
décors  d'Agatharque  et  de  ses  successeurs  étaient,  selon 


Fig-   IS7. 
Peintresse  coloriant  une  statue. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


261 


toute  vraisemblance,  sur  panneaux  de  bois.  Pline  a  l'air 
de  citer  comme  une  exception  un  portrait  de  Néron,  sur 
toile,  qui  était  plus  grand  que  nature.  Les  quelques 
textes  que  nous  possédons  relativement  à  de  pareilles 
peintures  appartiennent  à  la  plus  basse  grécité.  Deux 
toiles  peintes  de  provenance  égyptienne,  qui  sont  au 
Louvre,  datent  également  d'un  temps  fort  rapproché  de 
nous.  Ce  que  nous  savons, 
c'est  qu'on  connaissait  en 
Grèce  l'usage  du  chevalet 
(oxpiêaç,  xiXXiêa;).  C'est  sur 
un  chevalet  que  semble  po- 
sé, dans  l'atelier  de  Proto- 
gène, le  tableau  sur  lequel 
Apelle  trace  ses  lignes  de 
plus  en  plus  ténues.  Une 
caricature  de  Pompéi,  qui 
représente  un  peintre  fai- 
sant un  portrait  (fig.  i56), 
prouve  qu'à  l'époque  hellé- 
nistique, sinon  antérieurement,  le  chevalet  avait  exac- 
tement la  même  forme  qu'aujourd'hui. 

On  connaissait  aussi  l'usage  du  cadre.  Nos  rensei- 
gnements sur  ce  point  ne  remontent  pas,  il  est  vrai, 
au  delà  de  la  période  romaine,  mais  tout  porte  à  croire 
que  cette  façon  de  protéger  et  de  faire  valoir  les  tableaux 
était  fort  ancienne.  Pline  parle  de  peintures  grecques 
sur  enduit,  qu'on  voyait  à  Rome,  et  qui,  détachées  du 
temple  qu'elles  décoraient,  étaient  conservées  dans  des 
châssis  de  bois.  Une  fresque  pompéienne  montre  une 
femme  peintre  occupée  à  colorier  une  statue  de  Priape 


Fig.  i$8. 


2<îa  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

(fig.  iSy):  à  ses  pieds,  on  aperçoit  l'esquisse  qui  lui 
sert  de  modèle,  et  qui  est  enfermée  dans  un  cadre;  une 
image  analogue,  encadrée  et  plus  petite,  est  accrochée 
au  mur  dePatelier.  Mais  le  monument  le  plus  instructif 
à  cet  égard  est  celui  qu'a  récemment  découvert  M.  Pé- 
trie dans  un  tombeau  du  Fayoum,  à  Haouara.  C'est  un 
portrait  sur  bois,  peint  à  la  cire,  comme  ceux  que 
nous  avons  étudiés  tout  à  l'heure,  et  fixé  dans  un  cadre 
de  bois  (fig.  i58)  qui  se  compose  de  quatre  montants, 
munis  intérieurement  d'une  double  rainure.  Dans  la  pre- 
mière de  ces  rainures,  en  partant  du  fond,  s'engage  le 
bord,  taillé  en  biseau,  du  châssis  qui  retient  le  portrait. 
La  seconde  rainure,  la  rainure  extérieure,  était  probable- 
ment destinée  à  recevoir  un  verre;  telle  est,  du  moins, 
la  conjecture  qu'a  suggérée  à  M.  Pétrie  la  découverte, 
faite  par  lui  à  Tanis,  d'une  plaque  de  verre  transpa- 
rente, sur  laquelle  on  voit  tracés  les  signes  du  zo- 
diaque, et  qui  est  de  la  même  époque  que  le  portrait 
de  Haouara,  dont  elle  reproduit  à  peu  près  les  dimen- 
sions. La  corde  attachée  au  haut  du  cadre  sçrvait  à  le 
suspendre.  Ce  précieux  objet,  conservé  au  Musée  bri- 
tannique, est  Tunique  spécimen  de  peinture  encadrée 
que  l'antiquité  nous  ait  transmis. 

Les  procédés  de  peinture  en  usage  chez  les  Grecs  ont 
été  l'objet  de  nombreuses  discussions.  Connaissaient- 
ils  la  fresque  ou  la  peinture  à  l'eau  sur  l'enduit  frais  d'un 
mur?  Tel  était,  probablement,  le  procédé  employé  pour 
les  grandes  compositions  murales,  quand  elles  étaient 
directement  appliquées  sur  la  paroi.  Mais  il  semble 
que,  de  très  bonne  heure,  ils  aient  aussi  pratiqué 
la  détrempe,  qui  consiste  à  délayer  les  couleurs  dans 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  26} 

une  substance  qui  les  lie,  comme  la  colle,  la  gomme, 
Tœuf,  le  lait,  et  à  les  étendre  sur  une  surface  préparée 
avec  la  même  substance.  Les  peintures  égyptiennes, 
auxquelles  nous  avons  quelquefois  donné  le  nom  de 
fresques  par  un  abus  de  langage,  étaient,  en  général, 
exécutées  à  la  détrempe,  et  ce  serait  une  raison  de 
croire  que  les  Grecs,  dès  une  haute  antiquité,  usèrent 
de  ce  procédé.  C'est  celui  qui  semble  avoir  été  parti- 
culièrement en  faveur  auprès  des  grands  peintres  du 
iv«  siècle,  comme  l'atteste  l'anecdote  suivante  :  Pline 
rapporte  que  Protogène,  peignant  le  chien  d'Ialysos 
et  désespérant  de  rendre  l'écume  qui  devait  lui  sortir 
de  la  gueule,  jeta,  de  dépit,  sur  cette  partie  de  son  ta- 
bleau, son  éponge  imbibée  de  différentes  couleurs, 
et  obtint  du  hasard  ce  que  de  longs  efforts  n'avaient 
pu  produire.  Ce  fait  demeurerait  inexplicable,  si  l'on 
ne  supposait  qu'il  peignait  à  la  détrempe.  C'est  à  la 
même  technique  qu'avait  eu  recours  Panainos,  quand 
il  avait  orné  le  temple  d'Athéna,  à  Elis,  de  peintures 
appliquées  sur  un  enduit  de  sa  composition,  dans 
lequel  entraient  du  lait  et  du  safran. 

Un  procédé  également  très  usité  était  l'encaus- 
tique. Quelques  auteurs  en  attribuaient  l'invention  à 
Polygnote;  d'autres  lui  donnaient  pour  inventeur 
Aristide.  L'écart  est  grand ,  on  le  voit ,  entre  les 
deux  dates.  C'est  l'Ecole  de  Sicyone  qui  semble,  la  pre- 
mière, y  avoir  excellé.  Pamphilos  ne  peignait  guère  que 
d'après  cette  méthode;  il  l'enseigna  à  Pausias,  qui  y 
acquit  une  grande  réputation.  Notons  que  cette  perfec- 
tion de  l'encaustique  coïncide  avec  la  vogue  des  petits 
tableaux.  C'était,  en  effet,  un  procédé  difficile  à  em- 


26i 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


ployer,  du  moins  avec  la  précision  nécessaire,  sur  les 
surfaces  de  quelque  qtendue.  Apelle  aussi  le  pratiqua. 
Plusieurs  épigrammes  de  VAnthologie  font  de  claires 
allusions  à  Temploi  de  cette  technique,  ce  qui  prouve 
sa  faveur  à  Tépoque  alexandrine.  Une  peintresse  de 
Cyzique,  laia  ou  Laia,  établie  à  Rome  au  commence- 
ment du  I®''  siècle  avant  notre  ère,  y  faisait,  à  Pencaus- 
tique,  des  miniatures  sur  ivoire.  Nous  possédons  enfin 
un  certain  nombre  de  monuments,  entre 
autres,  les  portraits  égypto- grecs  du 
Fayoum,  qui  nous  permettent  d'étudier 
de  près  ce  procédé.  Nous  n'y  insisterons 
pas,  après  les  beaux  travaux  de  MM.  Otto 
Donner,  Gros  et  Henry.  Bornons-nous 
aux  remarques  indispensables. 

La  façon  la  plus  ordinaire  de  se  ser- 
vir de  Tencaustique  consistait,  semble- 
t-il,  à  former  tout  d'abord,  avec  de  la 
cire  blanche  et  des  couleurs  pulvérisées,  des  pains  de 
nuances  variées  que  l'on  conservait  dans  une  boîte. 
Pour  peindre,  on  liquéfiait  ces  pains  dans  des  godets 
métalliques  ou  sur  une  palette  à  manche,  également 
en  métal,  et  analogue  à  celle  que  nous  reproduisons 
(fig.  iSq).  On  étalait  ensuite  la  cire  ainsi  fondue  avec 
un  pinceau;  mais,  comme  elle  se  figeait  rapidement 
en  refroidissant,  le  pinceau  ne  suffisait  pas  à  lier  les 
tons.  C'est  alors  qu'avait  lieu  la  kausis.  que  les  Latins 
rendent  par  les  mots  picticram  inurere.  A  l'aide  d'un 
fer  chauffé,  on  reprenait  les  touches  de  cire  déposées 
sur  le  pan^neau  et  on  les  étendait,  on  les  liait  avec  soin. 
C'était  là  la  partie  délicate  de  l'opération  ;  l'autre,  à  la 


Fig.  IS9- 


LA   PEINTURE   GRECQUE. 


2()5 


rigueur,  pouvait  être  confiée  à  un  simple  praticien. 
Aussi  les  peintres  qui  pratiquaient  Tencaustique  em- 
ployaient-ils, pour  signer  leurs  tableaux,  la  formule  : 
Un  tel  a  brûlé  (âvexaev),  au  lieu  de  :  Un  tel  a  peint 
(£ypat];£v).  Rien  ne  montre  mieux  que  cette  substitu- 
tion rimportance  qu'ils  attachaient  à  la  kausis.  Les 
fers  qui  servaient  à  ce  dernier  travail  portaient  le  nom 
générique  àc  cautères  (/.auTrlpia).  Ils  avaient 
différentes  formes  et  durent  varier  suivant 
les  temps,  suivant,  aussi,  la  pratique  per- 
sonnelle de  chaque  artiste.  L'un  d'eux,  le 
cestrum,  était  surtout  d'un  usage  fréquent; 
comme  son  nom  l'indique,  c'était  une  tige 
terminée  par  une  sorte  de  spatule  finement 
dentelée,  qui  rappelait  la  feuille  de  la  bétoine 
(y.eVrpovj.  On  comprend  fort  bien  qu'avec 
un  pareil  instrument  (tig.  i6o),  on  ait  pu 
étaler  les  cires  colorées,  sauf  à  les  lier  en-  Fis-  i<îo. 
suite  plus  intimement  encore  avec  une 
pointe  mousse  ou  avec  la  spatule  même  du  cestrum, 
dont  la  convexité  se  prêtait  admirablement  à  cet  office. 
Il  est  très  difficile  de  décider,  parmi  les  rares  pein- 
tures antiques  que  nous  possédons,  quelles  sont  celles 
qui  ont  été  exécutées  à  l'encaustique.  La  Muse  de  Cor- 
tone,  peinte  sur  ardoise,  n'offre  pas  de  ce  procédé  un 
spécimen  dont  on  puisse  répondre;  son  antiquité 
même  est  douteuse.  Les  portraits  du  Fayoum  sont  des 
documents  d'une  bien  autre  valeur.  Plusieurs  ont  été 
peints  entièrement  à  la  détrempe  (fig.  i5o);  ce  ne  sont 
pas,  en  général,  les  meilleurs.  Le  plus  grand  nombre 
a  été  exécuté  à  l'encaustique  et  porte  la  trace  encore 


266  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

visible  du  fer  (fig.  154);  mais,  tandis  que  la  chevelure 
et  le  visage  y  sont  traite's  avec  soin,  les  étoffes,  qui 
devaient  être  en  partie  recouvertes  par  les  bandelettes 
de  la  momie,  n'y  sont  qu'indiquées  sommairement  au 
pinceau.  Ailleurs,  on  reconnaît  Pemploi  simultané  des 
deux  procédés  :  la  cire  a  été  combinée,  chaude  encore, 
avec  de  l'œuf,  auquel  on  a  ajouté  un  peu  d'huile,  et  le 
tout  a  formé,  avec  la  poudre  colorée,  une  pâte  aisément 
maniable  au  cestrum.  Le  portrait  achevé,  on  l'a  parfois 
surchargé  de  traits  et  de  hachures  au  pinceau,  suivant  la 
technique  de  la  détrempe  ordinaire;  tel  est  le  cas  pour 
une  des  plus  remarquables  de  ces  peintures  (fig.  i5i). 

L'encaustique  a  duré  aussi  longtemps  que  le  monde 
ancien,  et  lui  a  même  survécu.  On  l'employait  partout. 
Dans  un  tombeau  gallo-romain  ouvert,  en  1847,  à 
Saint-Médard-des-Prés,  on  a  trouvé  un  attirail  complet 
de  peintre  à  l'encaustique  (fig.  161),  composé,  entre 
autres  objets,  d'une  boîte  à  couleurs  en  bronze  et  d'une 
spatule  dont  la  forme  rappelle  celle  du  cestrum.  Plus 
d'un,  parmi  nos  lecteurs,  est  au  courant  des  récentes 
tentatives  faites  par  M.  Gros  pour  restituer  ce  procédé 
au  profit  de  l'art  moderne.  Quiconque  a  vu,  dans  l'ate- 
lier de  l'industrieux  artiste,  ces  portraits  à  la  cire  qu'il 
a  essayé  de  peindre  d'après  la  méthode  des  anciens, 
reste  convaincu  qu'il  y  a  là  des  efforts  intéressants  à 
poursuivre  et  des  effets  à  obtenir  que  la  peinture  à 
l'huile  ne  donne  pas. 

Il  resterait  à  dire  un  mot  des  fonds  sur  lesquels 
peignaient  les  Grecs  et  de  la  façon  dont  ils  y  traçaient 
leur  esquisse,  mais  ces  questions  sont  si  obscures  qu'on 
ne  peut  que  les  signaler  à  l'attention  des  chercheurs. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


267 


Que  les  peintures  de  Polygnote  fussent  de  la  fresque  ou 
de  la  détrempe  —  il  semble  bien  qu'on  doive  écarter 
Tencaustique,  —  elles  étaient  certainement  appliquées 
sur  fond  blanc,  le  fond  des  enluminures  égyptiennes, 
qui  dut  être  le  premier  sur  lequel  on  fit  s'enlever  des 
figures  en  couleur.  De  là  ces  coupes  à  couverte  laiteuse, 


Fig.  161.  —  Attirail  de  peintre  trouvé  à  Saint-Médard-des-Prés. 


qui  avaient  la  prétention  d'imiter  la  grande  peinture  et 
que  nous  voyons  en  faveur  au  v*  siècle,  pendant  un 
temps,  il  est  vrai,  assez  court;  de  là,  plus  tard,  les  lé- 
cythes  blancs.  On  a  soutenu  également  qu'à  la  belle 
époque  l'usage  existait  des  champs  bleus,  rouges,  jaunes, 
verts,  noirs;  on  a  prétendu  que  les  peintures  dont  Pa- 
nainos  avait  orné  le  trône  de  Zeus  à  Olympie  se  déta- 
chaient sur  un  fond  d'azur,  mais  ce  ne  sont  que  des  con- 
jectures, et  trop  peu  solides  pour  qu'il  faille  s'y  arrêter. 
Nous  sommes  un  peu  mieux  renseignés  sur  l'es- 


268 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


quisse.  Elle  était  tracée  en  noir  dans  les  monochromes 
du  vi*^  siècle  et  dans  les  premières  peintures  poly- 
chromes. Elle  apparaît  nettement  sur  la  stèle  d'Anti- 
phanès  (fig.  80),  où  elle  a  Paspect  d'un  dessin  très  som- 
maire, que  le  peintre  n'a  pas  scrupuleusement  suivi. 
Sur  les  stèles  de  Vélanidéza  et  de  Sunium  (fig.  j-j  et  81), 

elle  n'est  plus  repré- 
sentée que  par  des 
lignes  claires,  mar- 
quant la  place  du 
noir  qui  s'est  écaillé. 
Etait-ce  à  l'encre 
noire  ou  à  la  san- 
guine que  dessinait 
Polygnote?  Se  ser- 
vait-il, comme  les 
potiers,  d'une  pointe 
en  bois,  très  émous- 
sée,  pour  tracer  une 
première  esquisse, 
qu'il  recouvrait  en- 
suite au  pinceau?  Nous  ne  saurions  le  dire.  Ce  qui 
paraît  certain,  c'est  que,  plus  tard,  on  prit  l'habitude 
de  jeter  l'esquisse  au  crayon  blanc,  comme  l'indique 
un  passage,  d'ailleurs  très  controversé,  d'Aristote.  Cela 
s'appelait  leukographein.  Ce  changement  dut  s'accomplir 
quand  le  modelé  succéda  aux  teintes  plates.  Avec  les 
teintes  plates,  l'esquisse  subsistait,  tandis  que  le  modelé 
la  faisait  disparaître;  dès  lors,  il  était  naturel  qu'on 
s'efforçât  de  la  rendre  aussi  légère  et  aussi  peu  gênante 
que  possible;  de  là,  pour  la  tracer,  l'emploi  de  la  craie. 


Fig.  162. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


26c 


C'est  le  détail  de  ces  perfectionnements  techniques, 
c'est  cet  esprit  inventif  en  toute  chose  qui  donnent  de 
la  peinture  grecque  une  haute  idée,  quand  on  la  consi- 
dère dans  son  ensemble.  Trouvailles  de  génie  dans  le 
domaine  de  la  composition,  de  l'expression,  des  pro- 
cédés, voilà  ce  qu'on  y  admire.  A  l'exception  du  pay- 
sage, qui  n'a  jamais  été,  dans  l'art  grec,  qu'un  cadre, 
elle  a  tout  abordé,  panneaux  décoratifs  et  tableaux  de 


Fig.  163.  —  Type  sémitique,  sur  un  vase  peint  du  vii*^  siècle. 

chevalet,  sujets  d'histoire  et  sujets  de  genre,  portrait, 
allégorie,  nature  morte.  Elle  a  rendu  les  animaux  avec 
une  maîtrise  qu'atteste  la  réputation  des  bœufs  de  Pau- 
sias,  des  chiens  de  Nicias,  des  chevaux  d'Apelle,  et  qui 
paraît  déjà  dans  les  plus  anciens  monuments  de  la  céra- 
mique,, comme  on  peut  le  voir  par  ce  motif  pris  au 
hasard  parmi  ceux  qui  décorent  les  sarcophages  de 
Glazomène  (fig.  162).  Elle  a  surtout  reproduit  la  figure 
humaine  avec  une  puissance  et  une  individualité 
auxquelles  l'Egypte  même  n'a  jamais  atteint. 

Il  serait  intéressant  de  noter,  sur  ce  point,  les  varia- 
tions du  goût  chez  les  Grecs.  Dès  les  temps  les  plus 
reculés,  ils  ont  été  frappés,  comme  les  Egyptiens,  des 


270 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


traits  propres  à  certaines  races,  et  ils  les  ont  fixés  avec 
une  précision  merveilleuse;  je  n'en  veux  pour  preuve 
que  ce  profil  dessiné  sur  un  vase  peint  du  vii^  siècle,  et 
qui  rend  si  fidèlement  quelques-uns  des  caractères  du 
type  sémitique  (fig.  i63).  Puis,  il  semble  que  leurs 
figures  soient  volontiers  devenues  plus  impersonnelles, 

sans  toujours  prendre 
pour  modèle  le  même 
idéal  de  beauté.  Aux 
visages  anguleux,  aux 
nez  longs  et  aquilins  du 
vi^  siècle,  ont  succédé  des 
visages  ronds,  des  nez 
retroussés,  comme  ceux 
que  montrent  quelques 
coupes  du  potier  Douris, 
ou  ce  gracieux  portrait 
de  Jeune  fille,  jeté  par 
une  main  d'artiste  sur  un 
morceau  de  tuf  trouvé 
Fig.  164.  dans   l'île   de    Samos 

(fig.  164)*.  Enfin,  ces 
spirituelles  physionomies  ont  été  abandonnées,  à  leur 
tour,  pour  le  visage  sévère  et  un  peu  froid,  dans  sa 
régularité,  que  nous  nous  sommes,  à  tort,  habitués  à 
regarder  comme  l'unique  canon  de  la  figure  humaine 
chez  les  Grecs.  Ces  changements,  que  nous  ne  pouvons 
guère  constater  que  dans  la  céramique,  se  sont-ils  pro- 
duits aussi  dans  la  grande  peinture?  Nous  n'en  sau- 


I.  Ce  fragment  est  aujourd'hui  au  musée  du  Louvre. 


LA    PEINTURE    GRECQUE.  37» 

rions  douter;  mais  ce  que  la  céramique  ne  reflète  qu'im- 
parfaitement, c'est  le  mouvement  dont  la  peinture  ani- 
mait ces  traits,  quels  qu'ils  fussent.  L'art  d'intéresser 
par  des  visages  expressifs,  par  des  gestes,  des  attitudes 
en  rapport  avec  des  situations  déterminées,  telle  a  été 
la  grande  originalité  de  la  peinture  grecque.  Elle  n'a 
pas  eu  nos  délicatesses  de  coloris,  nos  exigences  de 
blasés,  rendus  plus  difficiles  par  des  siècles  d'art  et, 
d'ailleurs,  affinés  par  une  observation  chaque  jour  plus 
pénétrante;  mais  elle  est  profondément  entrée  dans  le 
cœur  de  l'homme  et  a  produit  au  dehors  ses  sentiments, 
ses  passions.  L'expression,  voilà  où  elle  a  excellé,  et 
cela  seul  suffirait  pour  nous  en  faire  à  jamais  déplorer 
la  perte. 


§  IX.  —  La  polychromie  des  édifices 
et  des  statues. 

On  a  vu  qu'en  Egypte  et  dans  tout  l'Orient,  l'ar- 
chitecture et  la  sculpture  étaient  polychromes.  La 
même  loi  était  observée  chez  les  Grecs;  il  n'est  plus 
permis  aujourd'hui  de  l'ignorer.  11  y  aurait  un  livre  à 
écrire  sur  la  polychromie  de  leurs  temples,  un  autre 
sur  celle  de  leurs  statues  et  de  leurs  bas-reliefs.  C'est 
dire  que  nous  ne  pouvons  qu'effleurer  le  sujet  et  en 
marquer  rapidement  les  grandes  lignes. 

L'idée  de  peindre  les  monuments  vint  en  Grèce, 
comme  partout,  de  la  nécessité  d'atténuer,  sur  ces 
grandes  surfaces,  l'éclat  de  la  lumière;  elle  vint  aussi 
du  goût  inné  chez  tous  les  peuples  jeunes  pour  la  cou- 


27»  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

leur  et  de  Tinstinct  qui  les  porte  à  en  faire  une  des  con- 
ditions de  la  beauté.  Parce  que  nous  ne  connaissons 
de  l'antiquité  que  des  ruines  et  que  ces  ruines  sont 
incolores,  nous  croyons  que  les  édifices  dont  elles  sont 
les  débris  offraient  au  regard  des  masses  nues;  la  pen- 
sée que  ces  masses  étaient  rehaussées  de  tons  éclatants 
nous  répugne  ;  nous  nous  les  figurons  volontiers  avec 
cette  belle  patine  dorée  dont  le  temps  et  le  soleil  ont  re- 
vêtu les  ruines  de  Grèce,  et  qui  tranche  si  heureuse- 
ment sur  le  ciel.  Les  textes  sont  là  pour  nous  détrom- 
per, et  aussi  les  fragments  d'architecture  peinte  qu'on  a 
trouvés  dans  différents  endroits,  ou  qui  subsistent  encore 
en  place.  Depuis  les  travaux  d'Hittorff  en  Sicile,  les 
fouilles  exécutées  à  diverses  reprises  à  Athènes,  celles 
d'Olympie,  de  Délos,  d'Elatée,  etc.,  nous  nous  rendons 
compte,  beaucoup  mieux  que  nous  ne  pouvions  le  faire 
auparavant,  de  ce  qu'était  la  décoration  picturale  d'un 
temple  grec.  Il  reste,  néanmoins,  bien  des  doutes  sur  la 
répartition  des  couleurs,  et  ces  doutes  tiennent  à  plu- 
sieurs causes.  D'abord,  il  n'y  avait  point  de  règle  fixe; 
le  même  ordre  d'architecture  présentait,  selon  les  pays, 
de  sensibles  divergences  :  ainsi,  l'architrave  du  Par- 
thénon  était  blanche  et  décorée  seulement  de  boucliers 
dorés,  dont  on  distingue  encore  la  place,  tandis  que 
celle  du  temple  d'Egine  était  entièrement  peinte  en 
rouge.  Ensuite,  il  faut  faire  une  différence  entre  les 
ordres  :  l'ordre  dorique  aimait  la  couleur;  les  autres 
comportaient  une  ornementation  plus  sobre.  Mal- 
gré tous  les  travaux  qui  ont  paru  sur  la  matière,  une 
étude  définitive  ne  sera  possible  que  le  jour  oii  l'on 
aura    dressé   un    catalogue    minutieux    des    moindres 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


a7i 


fragments  gardant  des  restes  de  peinture.  11  n'en 
est  pas  qui  sbit  à  négliger  et,  comme  le  prouve  la 
figure  ci-dessous,  les  morceaux  les  plus  insignifiants 
en  apparence  fournissent  parfois  de  pre'cieuses  indi- 
cations. 

Tout  porte  à  croire  que  les  anciens  temples  en  bois 
étaient  peints.  Les  parties  de  terre  cuite  qui  y  entraient, 
et  qui  leur  survécu- 
rent, telles  que  ché- 
neaux ,  gargouilles , 
antéfixes,  etc.,  étaient 
ornées  de  dessins 
d'une  grande  variété 
et  dont  beaucoup  rap- 
pellent la  décoration 
des  vases.  Grecques, 
losanges,  palmettes,  rais  de  cœur, 
s'y  déploient  avec  une  charmante 
fantaisie.  Les  couleurs  qui  s'y  op- 
posent sont  le  rouge,  le  noir  et  le 
blanc  crème.  On  a  retrouvé  en  Si- 
cile et  dans  la  Grèce  propre  un 
nombre  considérable  de  ces  fragments  d'architecture 
polychrome;  celui  que  nous  reproduisons  (fig.  i66), 
et  qui  vient  d'Olympie,  appartenait,  non  à  un  temple, 
mais  à  l'un  des  nombreux  trésors  construits  aux  abords 
du  sanctuaire  de  Zeus. 

Descendons  un  peu  plus  bas  dans  l'histoire  :  au 
vi"  et  au  v«  siècle,  l'entablement  dorique  nous  apparaît 
surchargé  de  couleur;  la  corniche,  le  larmier,  les  tri- 
glyphes  et  probablement  aussi  le  fond  des  métopes  y 

PEINT.     ANTrQUE.  18 


Fig.  165. 


374 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


sont  peints.  On  recueille  encore  aujourd'hui,  sur  l'Acro- 
pole d'Athènes,  des  parcelles  de  rouge  et  de  bleu  demeu- 
rées attachées  aux  mutules  des  Propylées  :  tels  étaient, 
en  effet,  les  deux  tons  employés  pour  enluminer  la 
pierre  ou  le  marbre;  ce  sont  ceux,  on  s'en  souvient, 
qui  prédominent  dans  la  polychromie  orientale.  La 
question  de  savoir  si  l'échiné  du  chapiteau  dorique 
était  peinte  reste  indécise.  Il 
semble  pourtant  que,  dans  les 
restaurations,  on  ait  raison  de  la 
couvrir  de  palmettes.  Les  Grecs 
n'appliquaient  pas  seulement  la 
couleur  sur  les  moulures;  ils  en 
ornaient  aussi  les  surfaces  unies, 
comme  l'attestent,  sur  les  ruines 
que  nous  connaissons  ces  légères 
esquisses  brunes  et  ces  tracés  à  la 
pointe  qui  sont  autant  de  souvenirs  d'une  polychromie 
effacée  par  le  temps. 

Quel  était  le  rôle  de  la  peinture  dans  le  temple 
ionique?  C'est  là  un  problème  non  encore  résolu.  Il 
est  certain  cependant  qu'elle  y  avait  sa  place.  L'Erech- 
theion  l'admettait.  La  volute,  d'ailleurs,  ne  se  prêtait- 
elle  pas  merveilleusement  à  la  décoration  polychrome  ? 
Les  chapiteaux  de  l'Erechtheion  paraissent  avoir  reçu 
des  appliques  de  métal,  des  dorures,  peut-être  des  in- 
crustations de  verre  colorié  ou  de  pierres  précieuses. 
L'ancienne  architecture  ionique  de  l'Acropole  était 
complètement  peinte,  comme  on  le  voit  par  les  curieux 
fragments  découverts  au  cours  des  fouilles  récentes  et 
dont  nous  donnons  ici  un  spécimen  (fig.  167).  Quant 


Fig.  166. 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  275 

à  Tordre  corinthien,  bien  qu'il  eût,  lui  aussi,  sa 
polychromie  particulière,  nous  ne  saurions  dire  exacte- 
ment en  quoi  elle  consistait. 

Deux  difficultés  s'offrent  à  qui  tente  de  restituer  la 
décoration  peinîe  d'un  temple  grec  :  dans  quelle  me- 
sure, d'abord,  convient-il  d'y  enluminer  la  sculpture? 
Ensuite,  quelle  coloration  donner  aux  grandes  sur- 
faces, comme  les  murs  extérieurs  de  la  cella?  J'essayerai 


Fig.  167.  —  Chapiteau  ionique  colorié. 

tout  à  l'heure  de  répondre  à  la  première  question.  Pour 
ce  qui  est  de  la  seconde,  elle  a  embarrassé  plus  d'un 
architecte.  Ceux  d'entre  eux  qui  ont  revêtu  l'extérieur 
de  la  cella  d'un  ton  uniforme,  comme  le  rouge  sombre, 
ou  qui,  séduits  par  ces  vastes  espaces,  se  sont  laissés 
aller  à  les  recouvrir  de  scènes  mythologiques  ou  his- 
toriques, ont,  semble-t-il,  fait  fausse  route.  Il  serait 
étrange  que  tant  de  couleur  eût  entièrement  disparu, 
qu'il  n'en  restât  aucun  vestige  dans  les  joints  ;  et  si 
ces  murs  portaient  des  tableaux,  si  l'on  admirait  jadis, 
autour  du  Parthénon,  d'immenses  fresques  rappelant 
l'histoire  ou  les  légendes  d'Athènes,  comment  ne  pas 
s'étonner  qu'aucun  texte  n'en  parle,  que  Pausanias,qui 
cite  et  même  décrit  les  peintures  de  la   Pinacothèque, 


2/5  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

nY  fasse  pas  la  moindre  allusion  ?  S'il  les  passe  sous 
silence,  c'est  qu'elles  n'existaient  pas,  et,  de  fait,  on 
aurait  quelque  peine  à  comprendre  que  des  œuvres 
aussi  délicates  eussent  occupé  de  pareils  emplace- 
ments, exposés  à  toutes  les  injures  de  Tair,  sous  un 
ciel  beaucoup  moins  clément  que  celui  de  l'Egypte 
et  que  la  pluie  obscurcit  plus  souvent  qu'on  ne  le 
croit. 

Ce  qu'il  est  permis  de  penser,  c'est  que,  là  où  la 
couleur  était  absente,  on  faisait  subir  au  marbre  un 
traitement  spécial,  qui  avait  pour  objet  tout  ensemble 
de  le  protéger  contre  les  intempéries  et  d'en  adoucir 
l'éclat.  Peut-être  le  passait-on  à  l'encaustique  :  l'en- 
caustique des  murailles  était  d'un  fréquent  usage  chez 
les  anciens;  Vitruve  et  Pline  en  donnent  chacun  la  re- 
cette. C'était,  d'ailleurs,  à  l'encaustique  qu'étaient  co- 
loriés triglyphes  et  métopes.  Mais,  au  lieu  de  cire  de 
couleur,  on  se  serait  servi  de  cire  blanche.  Seuls,  delà 
sorte,  les  membres  de  l'édifice  destinés  à  tirer  l'œil  ou 
à  se  détacher  sur  le  ciel  auraient  été  peints;  le  reste, 
d'une  tonalité  uniforme,  se  serait  contenté  de  quelques 
rappels  placés  avec  art.  Il  est,  du  reste,  essentiel  de 
tenir  compte  de  la  différence  des  époques  :  à  l'encontre. 
de  l'architecture  et  de  la  sculpture  égyptiennes,  qui  de- 
viennent, avec  le  temps,  de  plus  en  plus  polychromes, 
l'architecture  des  Grecs  semble  de  moins  en  moins 
avoir  fait  appel  à  la  couleur.  Les  monuments  con- 
struits sous  Péridès  étaient  certainement  plus  sobres 
de  tons  que  ceux  du  siècle  précédent;  on  peut  s'en 
convaincre  par  les  nombreux  fragments  polychromes 
trouvés  dans  les  dernières  fouilles  de  l'Acropole,  et  qui 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


277 


faisaient   presque   tous  partie   de  temples    élevés  par 
Pisistrate  ou  par  ses  fils. 

Nier  la  polychromie  dans  Tarchitecture  grecque, 
c'est,  de  toute  façon,  nier  Févidence.  Tandis  que  nous 
n'avons,  pour  égayer 


nos  façades ,  que  les 
jeux  de  lumière  et 
d'ombre  produits  par 
des  saillies  plus  ou 
moins  savantes,  les 
Grecs  avaient  la  cou- 
leur, à  Taide  de  la- 
quelle ils  arrivaient  à 
des  effets  d'une  bien 
autre  valeur,  et, 
commeils  possédaient 
aussi ,  au  plus  haut 
degré,  l'art  des  sail- 
lies heureuses,  il  en 
résultait  pour  leur  ar- 
chitecture une  variété 
de  ressources  que  la 
nôtre  ne  connaît  point. 

La  couleur  jouait  de  même  un  rôle  important  dans 
leur  sculpture.  Leurs  vieilles  statues  de  bois,  ces 
antiques  idoles  qu'on  voit  souvent  reproduites  sur  les 
vases  peints,  au  v»  et  au  iv«  siècle,  —  preuve  curieuse 
de  la  piété  dont  on  les  entourait  encore  à  une  époque 
où,  depuis  longtemps,  on  sculptait  le  marbre  et  la 
pierre,  —  étaient  enduites  de  vermillon  et,  par  endroit, 
dorées  ;  la  couleur  et  l'or,  en  les  parant,  les  préservaient 


l-ig.   i68. 


2/8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

de  Phumidité  et  de  la  pourriture.  On  a  découvert  à 
Athènes,  sur  PAcropole,  une  riche  série  de  sculptures 
en  tuf,  qui  décoraient  un  monument  bâti  en  tuf  égale- 
ment, et  qui  sont  entièrement  peintes.  Ces  sculptures, 
qu'on  rapporte  à  la  fin  du  vu®  siècle  ou  à  la  première 
moitié  du  siècle  suivant,  représentent  des  épisodes  de 
la  légende  d'Hercule  :  héros  et  monstres  y  sont  revêtus 
de  tons  vifs,  parmi  lesquels  il  faut  citer  au  premier  rang 
le  rouge  et  le  bleu  ;  mais  on  y  trouve  aussi  le  jaune, 
un  brun  d'une  nuance  indéterminée,  le  noir  et  le  blanc. 
C'est  à  cette  collection  qu'appartient  une  bizarre  tête 
virile  (fig.  i68),  dont  la  polychromie  est  aujourd'hui 
très  peu  visible,  mais  où  l'on  distinguait  nettement,  au 
moment  de  la  découverte,  des  chairs  rouges,  une  barbe 
et  des  cheveux  bleus,  des  sourcils  noirs,  des  yeux  dont 
l'iris  était  peint  en  vert,  —  peut-être  une  altération  de 
quelque  bleu,  —  et  le  globe  en  jaune  pâle.  Cette  tête, 
devenue  populaire  sous  le  nom  de  Barbe-bleue,  montre 
à  quel  point  l'enluminure  de  ces  vieilles  sculptures 
était  peu  d'accord  avec  la  réalité.  Un  groupe,  très  mu- 
tilé, contenait  des  chevaux  bleus;  un  autre  se  compose 
d'un  taureau  bleu,  à  la  queue  rouge,  terrassé  par  deux 
lions  dont  la  crinière  rouge  brun  contraste  avec  le 
rouge  pâle  de  leur  corps.  Cela  rappelle  les  conventions 
de  la  peinture  égyptienne  et,  plus  encore  peut-être, 
celles  de  la  sculpture  assyrienne,  dans  laquelle  le  rouge 
et  le  bleu  occupaient  la  place  qu'on  sait.  Est-ce  une 
raison  pour  faire  intervenir  l'influence  de  l'Egypte  ou 
celle  de  l'Assyrie?  L'hypothèse,  en  soi,  n'aurait  rien 
d'inadmissible;  mais  remarquez  que  ce  bleu,  ce  rouge, 
dont  abusaient  les  anciens  sculpteurs  grecs,  étaient  les 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  279 

tons  '^qui  convenaient   le   mieux  aux  effets  décoratifs 
qu'ils  cherchaient  à  produire;  peut-être,  à  cause  de  cela, 


Fig.  169.  —  Torse  polychrome  de  l'Acropole, 
avec  l'image  agrandie  de  l'un  des  motifs  semés  sur  le  vêtement. 

est-il  plus  naturel  d'en  rattacher  Temploi  à  d'antiques 
traditions  qu'une  esthe'tique  commune  aurait  fait  pré- 
valoir, pendant  des  siècles,  dans  l'Orient  tout  entier. 


aSo  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

Quand,  au  lieu  de  tuf,  on  se  servit  de  marbre,  on 
continua  à  peindre  les  statues,  mais  partiellement.  Nous 
possédons  sur  ce  point  des  renseignements  fort  instruc- 
tifs, grâce   aux   nombreuses   statues  de  type  féminin 
mises  au  jour  par  les   fouilles  de  TAcropole.  Qu'il  y 
faille  voir  des  divinités  ou  des  prêtresses  d'Athéna,  ou 
bien  encore  des  allégories  personnifiant  la  Dîme  préle- 
vée par  de  riches  particuliers  sur  leurs  propres  biens  et 
offerte  par  eux  à  la  déesse,  suivant  un  procédé  fami- 
lier aux  Egyptiens,  qui  peuplaient  leurs  tombeaux  de 
figures  féminines,  sculptées  ou  peintes,  représentant  les 
domaines  du  défunt,  ces   images  nous  renseignent  de 
la  façon  la  plus  précise  sur  la  polychromie  en  usage 
à  Athènes  chez  les  sculpteurs  de  la  fin   du  vi^  siècle. 
C'est  toujours  le  rouge  et  le  bleu  qui  y  dominent,  mais 
ils  n'y   sont    appliqués    qu'à    certains     endroits,    par 
exemple,  sur  les  bandes  brodées  qui  traversent  le  vête- 
ment ou  qui   en  forment   la    bordure  (fig.  169).    Les 
lèvres  sont  rouges,  les  sourcils  noirs;  le  bord  des  pau- 
pières est  colorié  en  noir  pour  simuler  les  cils;  l'iris 
de  l'œil   est  rouge,  la  pupille  noire;  la  chevelure  est 
généralement   rouge,  parfois  jaune    d'ocre.  Plusieurs 
de   ces  statues   portaient  des  couronnes,  des  boucles 
d'oreilles  et  des  colliers  de  bronze  doré. 

L'application  partielle  de  la  polychromie  sur  ces 
monuments  s'explique  par  la  beauté  de  la  matière 
employée.  Une  matière  rugueuse  et  défectueuse  comme 
le  tuf  appelait  impérieusement  la  couleur  pour  cacher 
ses  imperfections;  il  n'en  était  pas  de  même  du  marbre, 
dont  le  grain  serré  offre  des  surfaces  si  agréables  à 
l'œil.  Mais  il   faut  se  garder  de  croire  qu'on  laissait  à 


LA    PEINTURE   GRECQUE.  281 

ces  parties  non  enlumine'es  leur  brutal  éclat;  éblouis- 
santes sous  le  soleil,  elles  eussent  éteint  ces  rouges  et 
ces    bleus    discrètement    répartis    sur    Tensemble    de 
l'œuvre.  On  les  patinait  par  un  procédé  quelconque, 
peut-être  à  la  cire,  «de  façon  que  le  marbre  amortît  son 
éclatante  et  dure  blancheur  et  prît  un  ton  plus  moel- 
leux, un  peu  ambré,  un  brillant  doux  et  ferme,  voisin  de 
celui  de  Pivoire*  »,  Vitruve  et  Pline  décrivent  un  pati- 
nage à  la  cire   dont  on  usait  de  leur  temps  pour  le  nu 
des  statues,  et  qu'on  appelait  ganôsis.  Une  inscription 
trouvée  dans  l'île  de  Délos  fournit  sur  cette  opération 
de  curieux  renseignements  :  elle  débutait,  du  moins  à 
Délos,  par  un  lavage  à  l'eau  mélangée  de  nitre,  avec  des 
éponges,  et  se  continuait  par  une  friction  à  l'huile  et  à 
la  cire  ;    on  y  ajoutait,   pour  parfumer  le  marbre,  un 
onguent  à   la   rose-.   Est-ce  là  ce  qu'on  pratiquait  à 
Athènes  au  VI*  siècle?  Nous  ne  saurions  l'affirmer;  mais, 
sans   doute,  on  y  avait  recours  à  un  procédé  analogue. 
Il  ne  semble  pas  qu'à  la  composition  dont  on  frottait 
les  parties  non  peintes  on  mêlât,  pour  les  chairs,  aucun 
coloris;   le  visage  lui-même   demeurait  d'une   pâleur 
toute  conventionnelle.  On  ne  saurait  nier  le  caractère 
décoratif  d'une  pareille  enluminure.  Comme  celle  des 
édifices,  elle  s'harmonisait  avec  le  ciel,  et  c'était  là  son 
principal  objet. 

Cette  polychromie  dut  subsister  longtemps,  peut- 
être  toujours,  pour  les  sculptures  qui  décoraient  les 
frises  et  les  frontons  des  temples.  Du  bleu,  du  rouge, 


1.  Lechat,  Bulletin  de  correspondance  hellénique,  1890,  p.  566. 

2.  HomoUe,  ibid.,  1890,  p.  497. 


282  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

des  appliques  de  bronze  doré,  quelques  touches  noires 
pour  souligner  certains  traits  du  visage,  voilà  de  quels 
éléments  elle  se  composait.  Je  ne  crois  pas,  pour  ma 
part,  que  dans  ces  ensembles  les  chairs  fussent  peintes; 
à  moins  d'imaginer  le  rouge  vif  Jadis  appliqué  au  tuf, 
la  coloration  rosée  des  chairs  eût  passé  inaperçue  à 
une  telle  hauteur,  ou  elle  eût  fait  avec  les  rouges 
répandus  sur  les  divers  membres  deTédifice  un  pénible 
contraste.  Tout  autre  était  la  condition  des  statues 
isolées  :  celles-là  furent,  de  bonne  heure,  enluminées 
avec  plus  de  réalisme,  comme  l'atteste  un  passage 
instructif  de  Platon  ^  comme  le  prouve  également 
rintimité  de  Praxitèle  avec  Nicias.  Un  jour  qu'on  de- 
mandait à  Praxitèle  quelles  étaient  celles  de  ses  œuvres 
qu'il  préférait  :  «  Celles,  répondit-il,  auxquelles 
Nicias  a  collaboré  »,  tant,  ajoute  Pline  qui  rapporte 
cette  anecdote,  il  prisait  l'habileté  de  ce  peintre  à  pra- 
tiquer la  ganosis.  Or  on  a  peine  à  croire  que  cette 
opération  se  réduisît,  dans  de  pareilles  mains,  à  une 
simple  friction  à  l'huile  et  à  la  cire;  ce  devait  être  un 
patinage  savant,  qui  ménageait  sur  les  nus  du  marbre 
les  transitions  les  plus  délicates  et  les  animait  d'une 
morbidesse  pleine  d'art.  Une  tâche  de  ce  genre  n'avait 
rien  que  de  relevé.  De  même,  Van  Eyck  ne  dédaignait 
point  d'enluminer  des  sculptures,  et  l'on  sait  qu'il  avait 
colorié  de  sa  main  six  des  statues  destinées  à  l'hôtel 
de  ville  de  Bruges^. 

1.  République,  IV,  p.  420  C-D. 

2.  Courajod,  la  Polychromie  dans  la  statuaire  du  moyen  âge 
et  de  la  Renaissance  {Mém.  de  la  Soc.  nat.  des  Antiquaires  de 
France,  1887,  p.  214). 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


28j 


Nous  possédons,  du  reste,  des  témoignages  irrécu- 
sables de  la  coloration  des  chairs  dans  les  statues  : 
telle  est  cette  tête  casquée  d'Athéna  qu''on  peut  voir  au 
musée  de  Berlin,  et 
dont  les  joues  gar- 
dent encore  des  tra- 
ces de  rose(fig.  170);^ 
telle  est  cette  autre 
tête  de  jeune  femme 
ou  de  jeune  fille  con- 
servée au  Musée  bri- 
tannique ,  et  qui 
montre  un  visage 
complètement  peint 
en  rose,  avec  des 
cheveux  coloriés  en 
blond.  On  peut  trou- 
ver médiocres  ces 
deux  spécimens  :  cela 
ne  prouverait  pas, 
comme  on  Ta  dit, 
qu'ils  fussent  des  ex- 
ceptions ;  je  croirais 
plutôt     qu'à     partir 

d'une  certaine  époque  l'enluminure  des  chairs  devint 
l'usage  habituel  et  que,  partout  où  n'intervenait  pas 
une  nécessité  monumentale,  partout  où  l'on  pouvait  se 
passer  de  convention,  le  réalisme  de  l'esprit  grec  repre- 
nait ses  droits  en  rapprochant,  autant  que  possible,  de 
l'humanité  ces  formes  muettes,  qui  en  étaient  l'image 
à  la  fois  idéale  et  fidèle. 


Fig.  170. 


28+  LA    PEINTURE   ANTIQUE, 

Nous  ne  saunons  aborder  ici  la  question  de  savoir 
s'il  convient  ou  non  de  revenir,  en  sculpture,  à  la 
polychromie;  une  semblable  étude  nous  conduirait 
beaucoup  trop  loin^  Rappelons  seulement  que  notre 
sculpture,  comme  notre  architecture,  procède  d'un  mal- 
entendu. Elle  a  pris  pour  modèles  les  statues  décolo- 
rées trouvées  dans  les  ruines  antiques,  et  elle  a  cru  que 
là  était  la  vérité.  Cette  croyance  commence  à  s'ébranler; 
on  a  pu  voir,  à  nos  derniers  Salons,  une  gracieuse 
figure  de  femme,  en  marbre,  polychromée  des  pieds 
à  la  tête,  des  plâtres  égayés  par  des  touches  de  cou- 
leur ou  d'or,  des  pâtes  de  verre  coloriées,  qui  témoi- 
gnent d'une  connaissance  plus  exacte  de  l'histoire. 
On  n'en  restera  pas  là,  mais  il  est  à  craindre  que  le 
public  ne  se  montre  longtemps  encore  rebelle  à  ces 
audaces.  Parmi  les  causes  multiples  de  sa  répugnance, 
il  en  est  une  qui  subsistera  toujours.  Une  statue,  pour 
un  Grec,  était  un  être  animé  ;  même  quand  elle  ne  repré- 
sentait pas  une  divinité,  son  polythéisme  la  douait 
d'une  vie  latente  et  mystérieuse,  analogue  à  celle  que 
la  crédulité  populaire,  surtout  celle  des  peuples  du 
Midi,  place  dans  certaines  figures  de  madones.  De  là 
ses  sentiments,  très  différents  des  nôtres,  en  présence  des 
œuvres  de  la  plastique.  Eschyle  peint  Ménélas,  après 
la  fuite  d'Hélène,  essayant  de  se  consoler  par  la  vue  des 
belles  statues  qui  ornaient  son  palais.  On  a  vu  avec 
quel  soin  les  statues  de  Délos  étaient  parfumées;  la 
même  coutume  existait  à  Chéronée  et,  sans  doute,  dans 
beaucoup  de  sanctuaires  de  la  Grèce.  C'est  là,  en  par- 

I.  Voyez  Treu, Sollen  wir  uttsere  Statiien  bemalen?  Berlin,  1884. 


LA    PEINTURE    GRECQUE. 


a85 


tie,  ce  qui  explique  la  polychromie  de  la  sculpture 
chez  les  Grecs.  A  ces  statues  qui  avaient  une  âme,  il 
fallait  donner  les  apparences  de  la  vie,  et  quel  moyen 
y  était  plus  propre  que  la  couleur?  Il  en  est,  pour  nous, 
tout  autrement.  Une  statue,  à  nos  yeux,  n'est  quVne 
œuvre  d'art;  nous  n'y  voulons  que  la  beauté  des  lignes 
et  il  nous  répugnerait  de  la 
voir  descendre  à  une  imi- 
tation trop  scrupuleuse  de 
l'humanité  contrefaite  ou 
vulgaire.  Voilà  pourquoi, 
instinctivement,  la  poly- 
chromie nous  choque  et 
pourquoi  il  nous  faudra 
toujours  faire  un  effort 
pour  Paccepier. 

Un  mot,  pour  finir,  de 
la  coloration  des  bas-re- 
liefs. Ils  étaient  peints 
comme  les  statues,  mais 
leur  mode  d'enluminure 
paraît  avoir  varié  suivant 
les  lieux.  Les  beaux  sarcophages  du  iv*^  siècle  décou- 
verts à  Saïda,  et  qui  seront  prochainement  publiés', 
portent  les  traces  d'une  polychromie  compliquée  et 
somptueuse.  On  a  trouvé  en  Lycie,  dans  ce  pays  où 
la  couleur  éclatait  partout  en  notes  vives,  des  ex-voto 
où  le  nu  des  personnages  a  le  ton  de  la  chair,  tandis  que 
leurs  vêtements  présentent  les  nuances  les  plus  variées. 


Fig.  171. 


I.  Par  Hamdi  Bey  et  M.  Th.  Reinach 


28(5  LA    PEINTURE  ANTIQUE. 

Les  ex-voto  attiques  étaient  peints,  semble-t-il,  d'une 
manière  plus  conventionnelle  :  le  fond  en  était  bleu; 
les  cheveux  des  personnages  y  étaient  coloriés  en  rouge 
ou  dorés.  Sur  un  curieux  ex-voto  de  Mégare  (fig.  171), 
on  distingue,  entre  deux  figures  en  relief  représentant 
Aphrodite  et  un  suppliant,  un  autel  et  un  arbre  peints, 
réduits  à  Tétat  d'esquisse  à  peine  visible.  Si  dépour- 
vus de  mérite  que  soient  ces  monuments,  ils  prouvent 
l'étroite  alliance  qui  existait  entre  la  sculpture  et  la 
peinture.  Si  l'on  songe  que  beaucoup  de  peintres  étaient 
aussi  sculpteurs,  que  Phidias  avait  été  peintre  et  que, 
parmi  ceux  qui  avaient  fait  faire  à  l'encaustique  les  plus 
grands  progrès,  la  tradition  rangeait  Praxitèle,  on 
sera  plus  frappé  encore  de  cette  intime  union,  qui 
rendait,  aux  yeux  des  Grecs ,  la  couleur  inséparable 
de  la  forme  et  l'associait  à  la  sculpture  comme  un  élé- 
ment indispensable  de  beauté. 


CHAPITRE   IV 


LA    PEINTURE     ETRUSQUE 


Quittons  maintenant  la  Grèce  pour  suivre  rapidement 
l'iiistoire  de  la  peinture  dans  l'Italie  méridionale  et  à 
Rome.  Le  plus  ancien  peuple  par  qui  nous  la  voyions 
cultivée  dans  ces  contrées  est  le  peuple  étrusque.  D'où 
venait-il?  C'est  là  un  point  sur  lequel  on  n'est  pas  encore 
fixé.  Peut-être  le  plus  sage  est-il  de  s'en  tenir  au  témoi- 
gnage d'Hérodote,  qui  le  représente  comme  originaire  de 
la  Lydie.  Chassé  de  son  pays  natal  par  un  de  ces  grands 
mouvements  qui  suivirent  l'invasion  dorienne,  il  aurait 
pris  la  mer,  longeant  timidement  les  côtes,  et  aurait 
abordé  au  fond  de  l'Adriatique;  de  là,  il  se  serait  ré- 
pandu dans  la  direction  du  Sud,  gagnant,  de  proche  en 
proche,  jusqu'à  la  merTyrrhénienne.  Quoi  qu'il  en  soit, 
les  Etrusques —  eux-mêmes  le  reconnaissaient  —  étaient 
des  Orientaux.  Riches,  amis  du  luxe  et  du  bien-être,  ils 
entretenaient  avec  l'Orient,  la  Grèce,  la  Sicile,  Car- 
thage,  des  relations  actives.  Leur  domination  s'étendait 
sur  toute  l'Italie  centrale,  de  Florence  à  Capoue,  et 
même  au  delà.  Ils  furent,  avant  les  Romains,  les  véri- 
tables maîtres  de  la  péninsule,  et  si  obscure  que  soit 
leur  histoire,  si  impénétrable  que  soit  leur  langue,  ils 


288 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


s'offrent  à  nous  comme  une  puissante  nation  qui  a  eu 
ses  siècles  de  gloire  et  dont  l'influence  sur  Rome  a  été 
considérable. 

Ce  peuple  fastueux  aimait  la  couleur.  Il  la  répan- 
dait sur  ses  édifices,  dont  il  rehaussait  encore  l'ar- 
chitecture   à  Taide   d'appliques  de  terre  cuite  ou  de 


Fig.  172.  —  Peinture  dans  une  tombe  de  Véies. 


métal;  il  en  revêtait  ses  statues  et  ses  bas-reliefs.  Mais 
c'est  principalement  dans  ses  tombeaux  qu'il  l'a  em- 
ployée. Les  peintures  funéraires  trouvées  dans  les  sé- 
pultures étrusques  ne  sont  pas  toutes  du  même  style. 
II  en  est  de  très  anciennes,  qui  remontent  au  commen- 
cement du  vi«  siècle  avant  notre  ère,  et  qui  sont  curieuses 
par  leur  ressemblance  avec  la  céramique  archaïque  de 
Mélos  et  la  céramique  corinthienne.  Telles  sont  ces 
zones  d'animaux  qui  décorent  une  tombe  de  Véies  et 
dans  le  champ  desquelles  courent  de  bizarres  enroule- 
ments, des  tiges  et  des  fleurs  de  lotus  (fig.  172).  Il  est 


LA    PEINTURE    ÉTRUSQUE.  289 

impossible  de  ne  pas  voir  dans  ces  peintures  un  fidèle 
souvenir  de  la  Grèce,  dont  les  produits  inondaient 
alors  TEtrurie.  Le  rouge,  le  noir  et  le  jaune  qui  y 
figurent,  se  détachant  sur  un  fond  grisâtre,  rendent 
exactement  la  coloration  des 
antiques  poteries  qui  leur  ont 
servi  de  modèles. 

Très  supérieurs  déjà  sont 
les  tableaux  sur  panneaux 
d'argile  dont  le  Louvre  pos- 
sède quelques  beaux  spéci- 
mens, trouvés  à  Cervetri. 
Quatre  d'entre  eux  garnis- 
saient, en  se  faisant  suite, 
l'intérieur  d'une  tombe.  Ils 
représentent  une  procession 
funéraire  qui  se  dirige  vers 
un  autel,  pendant  qu'à  droite 
deux  vieillards,  assis  sur  des 
pliants,  causent  ensemble,  et 
que  l'âme  de  celle  qui  les  a 
quittés,  sous  la  torme  d'une 
figurine  ailée,  voltige  au-des- 
sus de  la  tête  de  l'un  d'eux 

(fig.  173).  On  sent  encore  dans  cette  composition,  qu'il 
faut  probablement  rapporter  à  la  seconde  moitié  du 
VI®  siècle,  l'influence  de  la  Grèce.  Ce  rouge  brun  qui 
colore  les  chairs  des  hommes,  ce  blanc  employé  pour 
distinguer  les  femmes,  la  simplicité  même  de  ce  coloris 
élémentaire,  qui  se  réduit  au  rouge,  au  blanc,  au' jaune 
et  au  noir,  enfin,  la  disposition  de  ces  panneaux  dans 

PEINT.     ANTIQUE.  Ip 


Fig.   173- 


290  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

la  sépulture,  où  ils  jouaient  le  rôle  des  plaques  d'argile 
peinte  dont  nous  avons  noté  la  faveur  chez  les  Grecs, 
sont  autant  de  liens  avec  Tart  et  la  civilisation  hellé- 
niques. La  personnalité  du  peintre  étrusque  commence 
cependant  à  se  faire  jour  dans  ces  enluminures  encore 
si  peu  originales.  Elle  se  montre  d'abord  dans  le  sujet, 
qui  est  purement  indigène;  elle  apparaît,  en  outre, 
dans  certains  détails  du  costume,  comme  ces  hauts 
souliers  à  la  poulaine,la  chaussure  nationale  de  l'Étru- 
rie,  qui  rappellent  si  étrangement  les  bottes  des  Hit- 
tites. 

Mais  les  plus  curieuses,  parmi  les  fresques  étrusques, 
sont  celles  qu'on  peut  voir  dans  quelques  nécropoles 
toscanes,  particulièrement  à  Corneto  et  à  Chiusi.  Là 
subsistent  encore  des  chambres  sépulcrales  tapissées 
de  peintures  qui  vont  en  s'échelonnant  du  v^  au 
m®  siècle.  Les  sujets  en  sont  singulièrement  variés  : 
scènes  de  banquets,  de  chasse,  de  pêche,  danseurs  et 
danseuses,  musiciens,  lutteurs,  funérailles  et  défilés 
funèbres,  légendes  grecques  transformées  par  le  génie 
étrusque,  animaux  réels  ou  fantastiques,  paysages, 
telles  sant  les  principales  représentations  qui  égayent 
ces  sombres  demeures.  Si  incertaine  qu'en  soit  la  chro- 
nologie, il  en  est  qui  sont  antérieures  aux  autres:  elles 
se  reconnaissent  aux  sujets,  tirés,  pour  la  plupart,  de 
la  vie  familière,  ainsi  qu'à  une  certaine  raideur  ar- 
chaïque. L'interprétation  de  ces  divers  tableaux  pré- 
sente de  grandes  difficultés  :  il  y  faut  faire  la  part  des 
motifs  traditionnels  qui  s'imposaient  au  pinceau  des 
artistes  et  dont  le  sens  primitif  s'était  oblitéré;  il  est 
certain  aussi  que  beaucoup  avaient  un  étroit  rapport 


LA    PEINTURE    ETRUSQUE, 


291 


avec  la  religion  des  Étrusques,  avec  leurs  idées  sur  la 
mort  et  la  vie  future.  Nous  nous  tiendrons  à  Te'cart  de 
ce  débat;  constatons  seulement  la  différence  qui  existe, 
au  point  de  vue  technique,  entre  ces  fresques  et  celles 
dont  il  a  été  question  tout  à  Pheure.  Ces  personnages 
qui  luttent  entre  eux  ou  qui  dansent,  dénotent  une 
remarquable  habileté  de  main;  ceux  qui  les  ont  peints 


Fig.  174.  —  Lutteurs  étrusques. 

observaient  la  nature  et  la  rendaient  plus  fidèlement 
que  leurs  naïfs  prédécesseurs.  Ils  avaient  d'ailleurs  une 
palette  mieux  fournie  :  aux  quatre  tons  des  vieux  enlu- 
mineurs se  sont  ajoutés  le  bleu,  puis  le  vert  et  le  ver- 
millon. Ces  ressources  nouvelles  permettent  des  com- 
binaisons plus  nombreuses,  des  mélanges  plus  savants, 
plus  délicatement  nuancés.  Il  semble  que  le  décorateur 
étrusque  se  soit  dégagé  de  Timitation  servile  de  la  céra- 
mique grecque,  pour  produire  des  œuvres  personnelles 
et  vraiment  nationales. 

Et  pourtant,  à  regarder  de  près  cette  imagerie  funé- 
raire, on  y  relève  plus  d'un  trait  qui  rappelle  encore  la 


iiÇ2 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


Grèce.  Voyez  ces  Jeunes  gens  qui  se  livrent  à  différents 
exercices  (fig.  174);  le  joueur  de  flûte  qui  rythme  leurs 
mouvements  se  retrouve  dans  les  scènes  de  gymnastique 
dessinées  sur  les  vases  grecs  à  figures  rouges.  Une  des 
plus  anciennes  tombes  de  Corneto  montre  une  fausse 
porte  peinte  en  rouge,  et  de  chaque  côté  de  laquelle  se 


Fig.  175.  —  Scène  funéraire  dans  une  tombe  de  Corneto. 


tiennent  deux  personnages  entourés  d'arbrisseaux  bleus 
(fig.  1 75).  Leur  geste  est  celui  de  la  lamentation  grecque, 
telle  que  la  reproduisent  les  plaques  d'argile  peinte,  les 
amphores  du  cap  Colias  et  les  lécythes  attiques  à  fond 
blanc.  Remarquez,  de  plus,  au-dessus  de  la  porte,  ces 
fauves  qui  se  font  face  et  paraissent  se  menacer  :  ce 
sont  les  lions  de  la  céramique  corinthienne,  auxquels 
Tornemaniste  étrusque  ne  renoncera  qu'à  regret. 
On  ne  saurait  contester,  à  côté  de  cela,  l'originalité 


LA    PEINTURE   ÉTRUSQUE. 


293 


d^un  grand  nombre  de  ces  peintures.  Celles  qui  mettent 
sous  nos  yeux  des  danses,  des  festins,  peuvent  être 
considére'es  comme  de  fidèles  images  des  mœurs  natio- 
nales ;  elles  donnent  bien  l'idée  de  cette  vie  plantureuse 
qui  semble  avoir  été  la  vie  du  peuple  étrusque,  au 
milieu  de  ces  riches  campagnes  aujourd'hui  dépeuplées 
par  la  fièvre,  mais 
que  couvraient  jadis 
d'opulentes  cultures. 
Les  costumes  y  tra- 
hissent des  usages 
locaux  ;  les  femmes  y 
ont  souvent  des  coif- 
fures compliquées, 
des  robes  semées  de 
fleurs  ou  de  points, 
des  écharpes,  qui 
ressemblent  fort  peu 
à  l'accoutrement  des 
femmes  grecques 
(fig.  176).  Les  types 
mêmes  y  sont  fran- 
chement  étrusques, 

comme  l'atteste  le  profil  si  expressif  et  si  parlant  du 
joueur  de  lyre,  dans  la  tombe  dite  del  citaredo. 

Un  autre  trait  de  ces  tableaux  est  la  manière  dont  y 
est  travestie  la  mythologie  grecque.  Voici,  par  exemple, 
le  personnage  de  Charon  :  au  lieu  du  vieillard  aimable 
et  doux  que  nous  montrent  les  lécythes  athéniens,  c'est 
un  monstre  hideux,  au  nez  crochu,  aux  cheveux  hérissés, 
rendu  plus  effrayant  encore  par  deux  grandes  ailes,  par 


Fig.  176.  —  Danseuse. 


294  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

les  serpents  qui  sifflent  autour  de  lui,  par  le   lourd 
maillet  dont  il  est  armé  et  qui  lui  sert  à  assommer  ses 
victimes  (fig.  177).    Dans  une  fresque  qui  représente 
Ulysse  chez  Polyphème,   la  transformation    est   plus 
sensible  encore.  Ce  cyclope  à  l'œil  énorme  au  milieu 
du  front,  à  la  barbe  inculte,  au  ventre  proéminent,  aux 
^^^^^^^______^__^^__________     membres   trop    petits 

""^"""^^"^""^^""""'^"""^    pour  son   corps,  n'a 

rien  du  robuste  et  pla- 
cide géant  qui  figure 
sur  les  vases  grecs 
d'ancien  style  ;  on  le 
prendrait  plutôt  pour 
un  de  ces  grotesques 
imaginés  par  la  Co- 
médie Moyenne,  ou 
pour  un  de  ces  mas- 
ques horribles  et  re- 
poussants, familiers 
aux  farces  de  l'Italie 
méridionale  (fig.  178). 
Il  y  a  donc,  en  ré- 
sumé, dans  les  fresques  étrusques,  une  part  d'imita- 
tion et  une  part  d'invention.  L'invention  paraît  dans 
la  reproduction  des  mœurs  nationales,  dans  le  sombre 
réalisme  des  images  relatives  aux  enfers  et  à  leurs 
supplices;  l'imitation  se  retrouve  dans  le  détail  des 
gestes  et  des  attitudes,  dans  la  prédilection  pour  cer- 
taines formes  ornementales,  dans  la  couleur,  dans  le 
dessin.  Jamais,  quelque  effort  qu'il  ait  tenté  pour  le 
faire,   le  peintre  toscan  n'a  secoué   le   joug  des  mo- 


Fig.  177.  —  Charon  étrusque. 


LA    PEINTURE    ETRUSQUE. 


29S 


dèles  grecs.  Tantôt  plus  libre  vis-à-vis  d'eux,  tantôt 
plus  dépendant,  il  n'a  jamais  re'ussi  à  en  débarrasser 
complètement  son  imagination.  On  peut  distin- 
guer, dans  son  imitation,  deux  périodes  :  Tune  où  il  a 
surtout  subi  Tinfluence  de  la  céramique,  l'autre  où  il 
a  subi  celle  de  la  grande  peinture.  C'est  à  la  seconde 
qu'appartiennent  les  fresques  de  Chiusi  et  de  Corneto. 


Fig.  178.  —  Ulysse  crevant  l'œil  de  Polyphème. 


On  ne  peut  nier  le  rapport  qui  existe  entre  elles  et  la 
peinture  grecque  du  v®  et  du  iv«  siècle.  Dans  plus  d'une 
on  voit  appliqués  les  procédés  nouveaux  misa  la  mode 
par  Polygnote  et  ses  contemporains.  Cela  semblerait 
prouver  que  ceux  qui  les  ont  peintes  étaient  familiers 
avec  les  œuvres  de  ces  maîtres.  Or  ce  n'est  pas,  évidem- 
ment, à  Athènes  ni  à  Delphes  qu'ils  les  avaient  étu- 
diées; l'art  leur  en  avait  été  révélé  par  les  peintures 
analogues  de  l'Italie  méridionale.  11  est  même  probable 
qu'il  y  avait,  en  Étrurie,  des  artistes  grecs,  venus  pré- 
cisément de  ce  midi  de  l'Italie  qui  entretenait  avec  la 


29<î 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


Grèce  de  si  continuelles  relations,  et  c'est  à  eux  peut- 
être  qu'il  faut  attribuer  certaines  peintures  d'un  âge 
postérieur,  comme  celles  qui  décorent  les  sarcophages 
de  marbre.  Celle  que  nous  reproduisons,  malgré  le 
mauvais  état  où  elle  nous  est  parvenue  (fig.  179),  et 
qui  représente  un  combat  d'hoplite  et  d'Amazone,  est 


Fig.  179.  —  Peinture  sur  un  sarcophage  étrusque. 

si  grecque  de  composition  et  de  facture,  qu'elle  peut 
passer  pour  un  exact  spécimen  de  ce  qu'était  l'art  des 
Euphranor  et  des  Nicias. 

La  technique  des  peintres  étrusques  est  assez  bien 
connue.  Ils  peignaient  à  fresque,  sur  le  tuf  calcaire, 
légèrement  humecté,  dans  lequel  étaient  creusées  la 
plupart  des  grottes  sépulcrales,  ou  sur  un  enduit  de 
quelques  millimètres  d'épaisseur.  Ils  traçaient  proba- 
blement leur  esquisse  à  la  pointe  sèche,    comme  les 


LA    PEINTURE    ÉTRUSQUE.  297 

décorateurs  de  Pompéi,  puis  reprenaient  ce  contour 
creux  avec  un  pinceau  cliargé  de  la  couleur  dont  ils 
voulaient  enluminer  leur  figure;  ils  étendaient  ensuite 
cette  même  couleur,  à  plat,  dans  Tintérieur  et  cernaient 
le  tout  d'un  trait  noir. Quelques  hachures  à  ladétrempe 
étaient  ajoutées  après  coup  pour  accentuer  certains 
détails  ou  pour  produire  des  effets  de  modelé.  La  colo- 
ration de  ces  tableaux  était  conventionnelle.  Nous 
avons  noté  des  arbustes  bleus  ;  on  a  trouvé  ailleurs 
des  chevaux  de  la  môme  couleur  et  des  lions  mouchetés 
de  vert.  Un  fait  digne  de  remarque  est  qu'entre  les 
figures,  le  fond,  le  plus  souvent,  apparaît  avec  sa  teinte 
jaune  clair  ou  blanchâtre  :  c'est,  on  s'en  souvient,  le 
procédé  des  grands  peintres  athéniens  du  v  siècle,  et 
il  est  intéressant  de  relever  dans  ces  fresques,  si  diffé- 
rentes des  fresques  grecques  par  l'inspiration,  ce  nou- 
veau trait  de  ressemblance  qui  en  augmente  pour  nous 
le  prix. 


CHAPITRE   V 


LA    PEINTURE     ROMAINE 


Les  Romains,  qui  ont  eu  une  sculpture  et  une 
architecture,  n'ont  pas  eu,  proprement,  de  peinture 
à  eux;  leurs  peintres,  plus  encore  que  ceux  des 
Etrusques,  ont  été  les  élèves  et  les  imitateurs  des  Grecs. 
Ils  ont  cependant  produit  des  œuvres  intéressantes, 
dans  le  goût  de  la  société  pour  laquelle  ils  travaillaient. 
Nous  n'en  ferons  pas  une  étude  approfondie.  Qui  ne 
connaît  aujourd'hui  Herculanum  et  Pompéi?  Qui  n'a 
lu  quelques-uns  des  nombreux  ouvrages  consacrés  aux 
fouilles  qui  y  ont  été  faites  ?  De  toutes  les  peintures  dont 
nous  avons  entretenu  le  lecteur,  celle-ci  est  celle  qui  lui 
est  le  plus  familière;  quelques  remarques  suffiront 
pour  lui  en  remettre  en  mémoire  les  principaux  traits. 


§  P''.  —  La  -peinture  à  Rome, 

C'est  à  Rome  même,  semble-t-il,  qu'il  faut  chercher 
les  débuts  de  cet  art  d'emprunt  que  nous  avons,  pour 
plus  de  commodité,  qualifié  de  peinture  romaine.  Au 
commencement  du  v«  siècle  avant  J.-C,  alors  que  les 


LA    PEINTURE    ROMAINE.  299 

Romains  n'étaient  encore  qu'un  fort  petit  peuple,  à 
peine  délivré  du  joug  des  rois,  nous  les  voyons  déjà 
montrer  du  goût  pour  la  peinture  et  confier  à  deux 
peintres,  Gorgasos  et  Damophilos,  la  décoration  d'un 
temple  de  Gérés.  G'étaient,  comme  leurs  noms  l'indi- 
quent, deux  Grecs,  dont  la  présence  à  Rome,  peu 
d'années  après  la  révolution  de  509,  prouve  que  Rome 
républicaine  était  encore,  ou  peu  s'en  faut,  la  cité 
étrusque  qu'elle  avait  été  sous  les  Tarquins,  et  qu'à 
l'exemple  des  princes  et  des  riches  particuliers  de 
l'Etrurie,  elle  accueillait  volontiers  les  artistes  grecs 
qui  venaient  mettre  à  son  service  leur  expérience  et 
leur  talent. 

Cette  tradition  ne  sera  jamais  interrompue.  Il  y 
aura  toujours,  à  Rome,  des  peintres  grecs,  et  leur 
nombre  ira  croissant  à  mesure  que  les  rapports  des 
Romains  avec  la  Grèce  seront  plus  directs  et  plus 
suivis.  Le  poète  tragique  Pacuvius,  qui  enlumine, 
au  if  siècle,  le  temple  d'Hercule,  sur  la  place  du 
marché  aux  bœufs,  est  de  Brindes,  dans  la  Grande 
Grèce.  Lycon,  qui  devient  citoyen  d'Ardée  pour  y 
avoir  orné  de  fresques  le  sanctuaire  de  Jupiter,  est  ori- 
ginaire d'Asie  Mineure.  Névius  parle  d'un  peintre,  son 
contemporain,  qui  barbouillait  des  figures  de  Lares 
pour  la  fête  des  Compitalia,  et  dont  le  nom,  Théodotos, 
indique  clairement  l'origine  hellénique.  Métrodore,  le 
peintre  du  triomphe  de  Paul-Émile  et  le  précepteur 
de  ses  enfants,  Dionysios,  Sérapion,  Sopolis,  Antio- 
chos,  sont  tous  des  Grecs.  Plus  Rome  grandit,  plus 
elle  attire  à  elle  les  artistes  de  la  Grèce  et  de  l'Orient. 
Ils  y  arrivent  en  foule,  en  186,  à  l'occasion  des  jeux 


JOO 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


donnés  par  Fulvius  Nobilior.  Ils  y  sont  fêtés  et  y  ac- 
quièrent de  grandes  situations;  ils  y  recueillent  les  rois 
en  exil,  comme  ce    Démétrios,  peintre  d'Alexandrie, 
qui    reçoit   chez    lui   Ptolémée    Philométor, 
chassé  d'Egypte  par  un  coup  d'État.  L'Ita- 
lie est   leur  domaine,  et  l'on  ne  peut 
s'y  passer  d'eux. 

Pourtant,  les  Ro- 
mains ont  eu  des 
peintres  indigènes, 
parmi  lesquels  le 
premier  en  date  est 
Fabius  Pictor,  qui 
décora,  en  304,  le 
temple  du  Salut.  De- 
nys  d'Halicarnasse 
vante  la  délicatesse 
de  son  dessin  et  le 
charme  de  son  co- 
loris. Nous  ne  pou- 
vons que  difficile- 
ment nous  en  faire 
une  idée.  Ses  ta- 
bleaux rappelaient 
sans  doute  de  très 
près  la  peinture 
grecque,  que  la  récente  conquête  de  la  Campanie  avait 
rendue  familière  aux  Romains.  Peut-être  avaient-ils 
quelque  rapport,  pour  la  composition  et  la  façon  de 
distribuer  les  personnages,  avec  ce  curieux  fragment 
de  décoration  peinte  trouvé,  il  y  a  quinze  ans,  dans  un 


Fig.  180. 


LA    PEINTURE   ROMAINE.  joi 

tombeau,  sur  PEsquilin  (fig.  i8o).  Tout  mutilé  quUl 
est,  ce  morceau  laisse  voir  une  forteresse,  au  pied  de 
laquelle  se  tiennent  des  guerriers  en  armes  ;  au-dessous, 
s'allongeaient  deux  autres  registres  également  remplis 
de  figures.  Cette  fresque,  qu'on  rapporte  à  la  première 
moitié  du  iii°  siècle,  n'est  pas,  on  le  voit,  sans  analogie 
avec  la  grande  peinture  décorative  des  Hellènes  :  même 
fond  blanc  ou  Jaunâtre  ;  même  division  en  zones  étageant 
les  différentes  scènes  les  unes  au-dessus  des  autres  ; 
même  manière  de  désigner  les  principaux  personnages 
par  des  inscriptions.  Mais  ce  qui  est  purement  romain, 
c'est  l'armement,  ce  sont  les  costumes  :  ces  manteaux 
militaires  et  ces  caleçons  serrés  à  la  taille,  ces  lances, 
ces  jambières,  ces  casques  surmontés  d'ailes,  font  allu- 
sion à  des  coutumes  locales,  qui  n'ont  avec  la  Grèce 
rien  de  commun. 

Quels  étaient  les  sujets  qu'avait  traités  Fabius  dans 
le  temple  du  Salut?  Nous  serions  fort  embarrassé  de 
le  dire.  Il  semble  qu'avec  les  procédés  grecs,  les  sujets 
grecs  aient  fait  de  bonne  heure  irruption  en  Italie.  Un 
passage  de  Quintilien  nous  apprend  qu'on  voyait  re- 
présentées, dans  de  vieux  sanctuaires,  les  légendes 
troyennes.  Mais  la  peinture  qui  paraît  avoir  eu  le  plus 
de  succès  auprès  du  public  de  ce  temps  est  la  peinture 
d'histoire,  surtout  celle  qui  reproduisait  des  épisodes 
de  l'histoire  nationale.  Ainsi,  dès  que  Rome  entre  en 
lutte  avec  Carthage,  on  figure  volontiers  par  le  pin- 
ceau les  principaux  incidents  de  ce  duel  tragique. 
Messala  expose,  en  265,  dans  la  curie  Hostilia,  un 
tableau  représentant  la  victoire  qu'il  a  remportée  en 
Sicile  sur  Hiéron  et  les  Carthaginois.  Mancinus,  qui  a 


}02  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

le  premier  forcé  les  remparts  de  la  vieille  cité  punique 
(146  av.  J.-C),  montre  au  peuple,  sur  le  Forum,  une 
peinture  où  Ton  voit  Garthage  subissant  Tassaut  des 
Romains;  les  explications  qu'il  donne  à  qui  veut  l'en- 
tendre lui  gagnent  la  faveur  des  électeurs,  lesquels  le 
récompensent  de  sa  bonne  grâce,  auxprochains  comices, 
par  le  consulat. 

La  plupart  de  ces  tableaux  avaient  été  portés  dans 
des  triomphes,  car  c'était  l'usage  de  faire  suivre  le 
cortège  des  généraux  vainqueurs  de  peintures  rappe- 
lant les  circonstances  mémorables  de  leur  victoire. 
C'est  ainsi  que  Marcellus,  ayant  pris  Syracuse,  pro- 
mena, à  son  triomphe,  un  panneau  peint  représentant 
le  sac  de  cette  ville;  que  Scipion,  vainqueur  de  l'Asie, 
étala  devant  les  Romains  les  portraits  des  cent  trente- 
quatre  cités  qu'il  y  avait  soumises.  On  allait  même 
jusqu'à  peindre  sous  des  traits  allégoriques  des  nations 
entières,  des  fleuves,  des  montagnes,  comme  au  triomphe 
de  Cornélius  Balbus  sur  les  Garamantes,  où  l'on  vit 
toute  une  géographie  de  l'Afrique  personnifiée.  Quand 
Sempronius  Gracchus  eut  conquis  la  Sardaigne,  il 
exhiba  à  son  triomphe  une  carte  de  cette  île,  avec 
l'image  de  tous  les  combats  dont  elle  avait  été  le  théâtre. 
Le  peuple  goûtait  fort  ces  représentations  :  c'étaient  de 
grandes  pages  d'histoire  romaine  qui  défilaient  sous 
ses  yeux  en  lui  retraçant  la  gloire  de  ses  armées.  Elles 
le  touchaient  d'autant  plus,  que  parfois  elles  l'initiaient 
à  de  véritables  tragédies.  Telles  étaient,  au  triomphe  de 
Pompée,  la  mort  de  Mithridate  et  celle  de  ses  femmes; 
telle,  au  triomphe  de  César,  la  fin  lamentable  des 
citoyens  vaincus,  Scipion  se  précipitant  dans  la  mer 


if  .  <«.  .  jf  ■  <@.  ■  içc     <^     if.-'^-if-'^-if.-'^ià,<Q>-H-'&     ^ 


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Fig.  i8i.  —  Paroi  peinte,  dans  une  maison  romaine. 


30+  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

après  s'être  frappé  de  sa  main,  Pétreius  se  donnant  la 
mort  au  milieu  d'un  repas,  Caton  déchirant  ses  en- 
trailles. Ces  scènes,  paraît-il,  excitèrent  des  gémisse- 
ments, bientôt  suivis  d'applaudissements  et  d'éclats  de 
rire,  quand  s'offrirent  aux  regards  le  supplice  de 
Pothin  et  d'Achillas,  qui  avaient  livré  Pompée,  et  la 
fuite  honteuse  de  Pharnace,  probablement  figurée  en 
charge.  La  perte  de  ces  tableaux  est  infiniment  regret- 
table :  bien  qu'exécutés  en  général  par  des  Grecs,  ils 
reflétaient  les  mœurs  romaines  et  le  génie  pratique  de 
ce  peuple  qui  demandait  à  la  peinture  de  civiques  en- 
seignements. 

A  côté  de  cette  imagerie  historique  et  militaire,  il 
faut  signaler,  d'assez  bonne  heure,  l'apparition  d'une 
peinture  décorative.  Vers  la  fin  du  ii*'  siècle  avant  J.-C, 
aux  jeux  donnés  par  Claudius  Pulcher,  nous  voyons  les 
Romains  admirer,  pour  la  première  fois,  une  scène 
ornée  de  décors  représentant  des  édifices  si  artistement 
peints,  que  les  corbeaux  s'y  laissent  tromper.  Mais  c'est 
plus  tard,  sous  Auguste,  que  ce  genre  de  peinture  fait 
surtout  de  grands  progrès.  A  ce  moment,  Ludius  ima- 
gine ces  perspectives  qui  auront  tant  de  succès  à  Pompéi  ; 
il  couvre  les  parois  intérieures  des  maisons  de  villas, de 
portiques,  de  bois,  de  collines;  il  y  creuse  des  golfes 
qu'il  peuple  de  navires;  il  y  fait  serpenter  des  fleuves 
et  des  ruisseaux,  animant  ces  paysages  de  gens  qui 
vont,  qui  viennent,  qui  se  rendent  à  la  campagne  à 
âne  ou  en  voiture,  qui  tendent  des  filets,  qui  pèchent, 
qui  chassent,  ou  se  livrent  au  doux  passe-temps  de  la 
vendange.  On  a  trouvé  à  Rome,  dans  les  jardins  de  la 
Farnésine,  les  restes  d'une  maison  des  premiers  temps 


LA    PEINTURE   ROMAINE. 


30$ 


de  Tempire,  où  ce  système  de  de'coration  est  spirituelle- 
ment appliqué.  Sur  une  paroi  noire,  que  coupent,  à  in- 
tervalles re'guliers,  d'élégantes  colonnettes  surmontées 
de  cariatides  et  re- 
liées entre  elles  par 
des  guirlandes,  sont 
semés  des  arbres, 
des  constructions, 
des  personnages  in- 
diqués d'un  trait  ra- 
pide et  qui  forment, 
sur  ce  fond  con- 
ventionnel, une 
sorte  de  broderie  du 
plus  heureux  effet 
(fig-  181). 

A  partir  de  ce 
moment,  le  paysage 
envahit  tout,  mais 
non  le  paysage  tel 
que  nous  l'enten- 
dons, celui  qui  peint 
tous  les  aspects  de  la 
nature  et  découvre, 
dans  les  moins  poé- 
tiques en  apparence, 

la  secrète  poésie  qui  s'y  trouve  cachée.  Ce  que  les 
Romains  aimaient  dans  les  prés,  dans  les  bois,  dans 
les  flots  bleus  de  la  mer  de  Baies,  c'était  le  bien-être 
que  tout  cela  leur  procurait;  la  campagne,  pour  eux, 
était  un  lieu  de  repos,  où  l'on  goûte  l'ombre  et  la  frai- 

PEINT.    ANTiqOE.  20 


Fig.  1O2.  —  Vue  d'une  rue  de  Rome, 
dans  la  maison  de  Livie. 


30(5 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


cheur  au  fort  de  Pété;   ce  n'était  point  un  ensemble 

de  spectacles  parlant  à 
l'âme  et  servant  de 
cadre  à  la  rêverie.  Ils 
eussent  mal  compris  ce 
joli  mot  de  La  Bruyère  : 
«  Il  y  a  des  lieux  que 
Ton  admire;  il  y  en  a 
d'autres  qui  touchent, 
et  où  l'on  aimerait  à 
vivre.  »  Un  certain  sen- 
sualisme est  au  fond  de 
ces  vers  du  plus  rêveur, 


Fig.  i8j.  —  Scène  de  magie. 

pourtant,  et  du  plus  mélancolique  de  leurs  poètes  : 


O  qui  me  gelidis  convallibus  Hœmi 
Sistat,  et  ingenti  ramorum  protegat  umbra  ! 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  vues  champêtres,  les  jardins, 
deviennent,  sous  l'em- 


pire, les  motifs  de  pré- 
dilection des  peintres. 
C'est  aussi  le  temps  de 
la  vogue  des  trompe- 
l'œil,  de  ces  fenêtres 
feintes  qui  laissent  aper- 
cevoir des  horizons  plus 
ou  moins  éloignés.  La 
maison  de  Livie,  au  Pa- 
latin ,    offre    plusieurs 

Fig.  184.  —  Scène  d'initiation. 

exemples  de  ce  genre 

de  décoration.  Voyez  cette  ouverture  par  laquelle  le  re- 


LA    PEINTURE    ROMAINE. 


307 


gard  est  censé  plonger  dans  une  rue  de  Rome  (fig.  182)  : 
cet  enchevêtrement  de  maisons  et  de  terrasses  où  se 
montrent  des  femmes,  des  enfants,  de'note  un  sens  du 
pittoresque  assez  rare  chez  les  décorateurs  romains. 
Ailleurs,  Tartiste  nous 
fait  indiscrètement  pé- 
nétrer dans  des  inté- 
rieurs; il  nous  ouvre 
le  laboratoire  d'une  ma- 
gicienne de  bas  étage 
(fig.  i83),  le  cabinet 
d'une  prophétesse  dans 
lequel  se  prépare  une 
scène  d'initiation 
(fig.  184),  ou,  à  travers 
une  large  baie,  il  nous 
convie  à  contempler  un 
paysage  mythologique, 
une  vue  de  mer  et  de 
montagnes  qu'anime 
Polyphème  dompté  par 
l'Amour  et  poursuivant 
jusque  dans  les  flots 
l'insaisissable  Galatée 
(fig.  i85). 

Un  fait  à  noter  est 
le  grand  nombre  de  sujets  qu'on  empruntait,  pour  ces 
enluminures  murales,  aux  fables  de  la  Grèce.  Vitruve 
nous  apprend  que  les  principaux  épisodes  de  la  guerre 
de  Troie  revenaient  fréquemment  dans  ces  décors;  on 
y  exploitait  aussi  la  légende  d'Ulysse.  On  a  découvert, 


Fig.  185.  —  Polyphème  et  Galatée 
(maison  de  Livie). 


joS 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


sur  TEsquilin,  de  curieux  paysages  qui  pourraient  ser- 
vir d'illustration  à  deux  chants  de  VOdyssée,  les  chants  X 


Fig.   i8(j.    —  Ulysse  et   ses  compagnons 
poursuivis  par  les  Lestrygons. 

et  XI.  L'un  d'eux  représente  Ulysse  chez  les  Lestrygons 
(fig.  1 86),  au  moment  où  le  roi  du  pays,  Antiphatès,  sou- 
lève contre  lui  les  géants,  ses  sujets,  qui  font  pleuvoir 
sur  le  héros  et  sur  ses  compagnons  d'énormes  rochers. 


Fig.  187.  —  Les  Noces  Aldobrandines,  peinture  romaine. 

D'autres  nous  le  font  voir  aux  rivages  cimmériens,  se 
préparant  à  évoquer  les  âmes  des  morts.    Môme  les 


LA    PEINTURE    ROMAINE. 


309 


sujets  romains  étaient  traités  à  la  grecque.  Il  n'est  per- 
sonne qui  n'ait  entendu  parler  de  cette  scène  nuptiale 
connue  sous  le  nom 
de  Noces  Aldobran- 
dînes  et  qu'on  peut 
voir  à  Rome,  au 
Vatican  (fig.  187). 
Ce  tableau,  qui  date 
du  début  de  l'empire 
et  qui  est,  pour  le 
fond,  essentielle- 
ment romain,  a  cer- 
tainement subi  l'in- 
fluence de  modèles 
grecs;  la  preuve  en 
est  dans  la  ressem- 
blance qui  existe  en- 
tre le  groupe  central 
et  un  beau  groupe  de 
terre  cuite  du  musée 
du  Louvre,  qui  re- 
produit, à  ce  qu'il 
semble,  quelque 
œuvre  célèbre  de  l'é- 
poque grecque  ou  de 
l'époque  hellénisti- 
que ^  Les  procédés  aussi  étaient  grecs,  comme  la  com- 
position. Les  panneaux  peints  de  la  Farnésine  sont  ornés 


Fig.  if 


Peinture  de  la  Farnésine. 


I.  Salle  des  fouilles  de  Myrina,  exécutées  par  l'École  fran- 
çaise d'Athènes,  vitrine  du  milieu,  n»  268. 


JIO 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


de  dessins  au  trait   bistre,  rouge   ou  noir,  sur  fond 
blanc,  qui   rappellent  exactement   la   décoration    des 
lécythes  blancs  d'Athènes  :  même  habileté  dans  le  des- 
sin; même  emploi  des  teintes  plates  juxtaposées.  Signa- 
lons notamment  un 
portrait  en  pied  de 
Jupiter    tenant    la 
foudre  (fig.  i88)  et 
une  gracieuse  figu- 
re de  fileusedont  le 
profil  et  Pattitude 
font     songer     aux 
plus    beaux  spéci- 
mens de   la    céra- 
mique  attique    du 
iv°  siècle  (fig.  189). 
Cest  donc  quel- 
que chose   d'abso- 
lument grec  que  la 
peinture     romaine 
de  l'époque  impé- 
riale. Les  Romains 
eux-mêmes      en 
avaient  conscience; 
ils    la    cultivaient 
comme  un  art  venu 
du  dehors  et  dont  l'étude  ne  messeyait  point  aux  plus 
grands  personnages.  Nous  ignorons  la  condition   de 
Ludius,  celle  d'Arellius,  célèbre   par   ses  débauches, 
celle  de  Fabullus,  auteur  d'une  Minerve  qui  paraissait 
suivre   des  yeux  le   spectateur,  celle  de  Pinus  et   de 


Fig.  189.  —  Peinture  de  la  Farnésine. 


LA    PEINTURE   ROMAINE.  jii 

Priscus,  qui  décorèrent,  sous  Vespasien,  les  temples 
de  PHonneur  et  de  la  Vertu.  Mais  nous  savons  que 
Turpilius,  qui  peignait  de  la   main  gauche,   et  dont 
Fœuvre  se  voyait  à  Vérone  au  temps  de  Pline,  était  de 
la  classe  des  chevaliers;  que  Titidius  Labéo,  peintre 
de  miniatures,  avait   été   préteur  et   proconsul  de  la 
Narbonaise;  que  Q.  Pedius  appartenait  à  une  famille 
consulaire,  dont  un  membre,  cohéritier  de  César  avec 
Auguste,  avait  obtenu  les  honneurs  du  triomphe.  Ces 
indications  sont  précieuses.  Elles  prouvent  que  la  pein- 
ture était  regardée  à  Rome  comme  une  occupation  de 
grand  seigneur,  et  que  des  hommes  considérables  par 
la  situation  ou  par  la  naissance  ne  dédaignaient  pas  de 
s'y  adonner.  C'était  en  proclamer  l'origine  étrangère.  Ils 
apprenaient  à  peindre  comme  ils  apprenaient  à  lire  et 
à  parler  le  grec.  Peindre  était  un  luxe  à  l'usage   de 
l'aristocratie,  et  cela  n'avait  point  commencé  sous  l'em- 
pire, mais  dès  l'époque  de   Fabius  Pictor.  N'y  a-t-il 
pas  là  un  aveu  significatif,  qui  montre  que  les  Romains 
n'ont  Jamais  eu,  en  peinture,  de  sérieuses  prétentions 
à  l'originalité  et  qu'ils   rangeaient  cet  art   parmi  les 
bienfaits  que  devait  à  la  Grèce  le  «  sauvage  Latium  »  ? 


§  II.  —  La  peinture  dans  l'Italie  méridionale 
et  à  Pompéi. 

Nous  venons  de  voir,  à  Rome,  l'influence  de  la 
peinture  grecque.  Dans  le  sud  de  l'Italie,  c'est  cette 
peinture  elle-même  qui  s'offre  à  nous,  à  une  époque 
où  Rome  est  encore  à  demi  barbare.  Là  se  dressent,  en 


312 


LA   PEINTURE   ANTIQUE. 


effet,  de  puissantes  cités,  grecques  d'origine  et  de  civi- 
lisation. De  Tarente  à  Gumes,  ce  ne  sont  que  colonies 
des  Chalcidiens  de  TEubée,  des  Ioniens  et  des  Achéens 
du  Péloponnèse,  des  Locriens  de  la  Grèce  du  Nord. 
Dans  toutes  ces  villes,  la  peinture  est  florissante;  elle 
se  rattache  à  Tantique  polychromie  achéenne,   trans- 


Fig.  ipo.  —  Peinture  de  Pœslum  (époque  grecque). 

plantée  en  Italie,  au  vui"  siècle  et  même  avant,  par  tous 
ces  colons  grecs  qui  sont  venus  s'y  établir.  Qu'avait- 
elle  produit  à  l'origine?  Nous  l'ignorons;  mais  nous 
pouvons  nous  faire  une  idée  de  ce  qu'elle  était  au 
v«  siècle  avant  notre  ère,  grâce  à  de  précieux  fragments 
trouvés  près  de  Paestum,  dans  un  hypogée  ^  Le  tableau 

I.  Ces  fragments,  aujourd'hui  détruits,  ont  été  calqués  et  colo- 
riés, il  y  a  près  de  cinquante  ans,  par  le  Français  Geslin,  dont 
l'aquarelle  est  le  seul  souvenir  qui  en  reste.  Voir  une  reproduction 
de  cette  aquarelle  dans  la  Ga^jette  archéologique,  i883,  pi.  46-48. 


LA    PEINTURE    ROMAINE.  jij 

dont  ils  faisaient  partie  représentait  une  scène  de 
deuil,  comme  Tindique  ce  cavalier  qui  porte  en  croupe 
le  cadavre  de  son  compagnon,  qu'il  tient  par  les  deux 
mains,  ramenées  en  avant  (fig.  190).  A  gauche  de  ce 
groupe  étaient  figurés  une  femme  vêtue  de  blanc  et  un 
guerrier  coiffé  d'un  casque  à  longue  crinière;  à  droite 
marchait  un  écuyer  armé  de  deux  lances.  On  ne  peut 


Fig.  191.  —  Peinture  de  vase  attique 
analogue,  pour  le  dessin,  à  la  peinture  ci-contre  de  Paestum. 

rapporter  cette  peinture  à  une  époque  postérieure  à 
l'occupation  de  Paestum  par  les  Lucaniens.  Tout,  en 
effet,  y  est  purement  grec  :  les  couleurs,  qui  sont  le 
bleu,  le  rouge,  le  noir  et  le  blanc,  avec  un  ton  de  chair 
sur  les  parties  nues,  les  teintes  plates  et  l'absence  com- 
plète de  modelé,  le  fond  jaunâtre  du  tableau,  jusqu'à 
certaines  particularités  du  dessin,  qui  rappellent  la  cé- 
ramique attique  du  v«  siècle,  comme  ces  touffes  de  poils 
qui  ondulent  sur  le  cou  du  cheval  et  qu'on  retrouve 
dans  un  dessin  du  potier  Pamphaios,  contemporain, 


JI4  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

OU  à  peu  près,  de  Polygnote  et  de  Micon  (fig.  191). 
Mais  ce  que  cette  fresque  a  de  plus  curieux,  c'est  Tex- 
pression  qui  y  est  répandue.  L'air  profondément  triste 
du  jeune  cavalier,  la  tête  ballante  et  les  yeux  clos  de  son 
ami,  sont  des  effets  cherchés  par  le  peintre.  Le  visage  du 
personnage  qui  marche  derrière  le  cheval  est  plus  ex- 
pressif encore  et  plus  saisissant;  il  a  l'œil  effaré  et  dé- 
mesurément ouvert  (fig.  192), 
comme  si,  à  la  vue  de  ce  mort 
qu'on  emmène,  il  se  sentait  pris 
d'une  indicible  terreur. 

PiEstum    a    fourni    d'autres 
peintures  funéraires  qui,  pour 

être  plus  récentes,  n'en  présen- 
Fig-  192-  .  .r  .     .  ^ 

tent  pas  moins  un  vu  intérêt. 

Tels  sont  ces  combattants  à  cheval,  parmi  lesquels  on  en 
voit  un  qui  revient  vainqueur  du  champ  de  bataille.  La 
figure  ci-après,  dont  l'original  est  au  musée  de  Naples, 
montre  avec  quel  art  sont  dessinés  ces  cavaliers,  et  de 
quelle  grâce  nerveuse  l'artiste  a  su  douer  leurs  chevaux  ^ 
C'est  encore  de  la  peinture  grecque  à  teintes  plates, 
mais  les  armes,  les  costumes,  sont  ceux  des  populations 
italiotes  qui  avaient  fini  par  se  rendre  maîtresses  de 
la  contrée;  ces  casques  ornés  de  plumes,  ces  tuniques 
ajustées,  ces  énormes  boucliers,  probablement  rehaus- 
sés d'or,  ces  étendards  bariolés,  rappellent  le  luxe  des 
soldats  campaniens.  auquel  Tite-Live  fait  allusion. 

I.  Le  dessin  que  nous  publions  reproduit  une  copie  de  M.  Jules 
Lefebvre,  conservée  à  la  Bibliothèque  de  l'Ecole  des  beaux-arts, 
où  l'on  peut  voir  aussi  un  calque  de  la  même  figure,  parle  peintre 
.Gaillard. 


LA    PEINTURE    ROMAINE. 


31S 


Il  y  aurait  beaucoup  à  dire  sur  ces  peintures  et  sur 
les  peintures  analogues  qui  ont  été  trouvées  ailleurs, 
Bornons-nous,  pour  finir,  à  signaler  de  curieuses 
danses  funèbres  découvertes  à  Ruvo,  et  dont  le  musée 


Fig.  193.  — Peinture  de  Picstum  (époque  ilaliote). 


de  Naples  possède  quelques  fragments  très  endomma- 
gés. Le  spécimen  que  nous  en  donnons  (fig.  194)  est 
peu  fidèle,  mais  une  reproduction  exacte  de  Poriginal 
n'eût  point  été  intelligible.  Il  s'agit,  comme  on  le  voit, 
de  chœurs  de  femmes  conduits  par  des  hommes.  Les 
couleurs  employées   sont  le  blanc,  le  noir,  le  bleu,  le 


ji6  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

rouge  et  le  jaune,  avec  un  ton  rosé  sur  les  chairs.  Ces 
couleurs  sont  appliquées  à  plat.  Ce  sont  toujours  les 
procédés  de  la  peinture  grecque,  et  le  sujet  même 
paraît  emprunté  aux  moeurs  helléniques  :  la  chaîne 
que  forment  ces  femmes  est  identique  à  celles  que  figu- 
rent, encore  aujourd'hui,  les  Mégariennes,  quand  elles 


Fig,  194.  —  Peinture  de  Ruvo. 

exécutent  leurs  danses  nationales,  précieux  témoignage 
de  la  vitalité  des  anciennes  coutumes,  dans  cet  Orient 
où  rien  ne  périt. 

On  comprend  qu'un  pays  qui  rappelait  de  si  près 
la  Grèce  et  d'où,  semble-t-il,  Télém.ent  grec  ne  disparut 
jamais  complètement,  se  soit  aisément  engoué  de  la 
grande  peinture  grecque,  quand  les  conquêtes  des 
Romains  l'eurent  fait  connaître  en  Italie.  Ce  qui 
frappe,  en  effet,  dans  la  décoration  pompéienne,  ce 
n'est  pas  seulement  ce  fait  que  tout  y  est  grec  d'inspi- 
ration et  de  sentiment;  c'est  le  nombre  prodigieux  de 
souvenirs  qu'on  y  rencontre  d'oeuvres  grecques  déter- 
minées. La  vogue  de  ces  copies  n'a  rien  de  surprenant  : 
l'Italie  entière  était  pleine  de  chefs-d'œuvre  sortis  des 


LA    PEINTURE    ROMAINE.  J17 

mains  des  maîtres  hellènes.  Les  uns  y  e'taient  venus 
livrés  par  les  villes  mêmes  où  ils  se  trouvaient  :  c'est 
ainsi  que  Sicyone,  endettée,  avait  vendu  les  tableaux 
de  Pausias,  que  Cos  avait  cédé  V Aphrodite  attadj^o- 
mène  contre  une  remise  de  loo  talents  sur  le  tribut 
qu'elle  devait  aux  Romains;  les  autres  étaient  le  fruit 
de  la  victoire;  les  triomphes  les  avaient  amenés  à 
Rome  par  charretées.  Aussi  les  lieux  publics  en  étaient- 
ils  remplis.  Des  portiques  comme  ceux  de  Philippe  et 
de  Pompée  étaient  de  vrais  musées  qui  renfermaient  des 
morceaux  de  premier  ordre,  tels  que  VHélène  de 
Zeuxis,  les  Bœufs  de  Pausias,  V Alexandre  de  Ni- 
cias,  etc.  Le  temple  de  la  Paix  contenait  le  Héros  de 
Timanthe,  Vlalysos  de  Protogène  et  la  Bataille  d'Issus^ 
de  la  peintresse  Hélène,  Le  sanctuaire  de  la  Concorde 
possédait  le  Marsyas  de  Zeuxis,  celui  de  Cérès, 
V Artaménès  et  le  Dionysos  d'Aristide.  On  voyait  au 
Capitole  le  Thésée  de  Parrhasios  et  deux  panneaux 
du  peintre  béotien  Nicomachos,  le  Rapt.de  Proserpine 
et  la  Victoire  s'enlevant  dans  les  airs  sur  un  quadrige. 
Au  Forum  d'Auguste  étaient  exposés  un  Alexandre 
d'Apelle,  accompagné  des  Dioscures  et  de  la  Vic- 
toire, ainsi  qu'un  second  portrait  de  ce  conquérant, 
figuré  sur  son  char  de  triomphe  et  traînant  derrière  lui 
la  Guerre  enchaînée.  Le  temple  de  Vénus  Génitrix, 
celui  de  la  Bonne  Foi,  la  Curie,  le  temple  d'Auguste, 
étaient  également  ornés  de  tableaux  grecs  appartenant 
aux  principales  écoles.  Les  maisons  privées  rivali- 
saient avec  les  monuments.  Depuis  que  Mummius, 
vainqueur  de  Corinthe,  avait  inondé  Rome  d'objets 
d'art,  le  goût  des  arts  de  la  Grèce   s'était  développé 


3i8  LA    PEINTURE    ANTIQUE. 

chez  les  particuliers.  L'orateur  Hortensius  avait  acheté 
très  cher  les  Argonautes  de  Kydias  et  les  avait  pla- 
cés dans  sa  villa  de  Tusculum,  au  fond  d'une  sorte 
de  chapelle  construite  exprès  pour  les  recevoir.  Tibère 
avait  dans  sa  chambre  VArchigallus  de  Parrhasios, 
ainsi  que  Méléagre  et  Atalante,  du  même  peintre. 
Cette  dispersion  des  chefs-d'œuvre  grecs  avait  même, 
un  moment,  inquiété  certains  esprits,  qui  eussent  pré- 
féré les  voir  groupés  dans  le  même  lieu  et  servant  à 
former  le  goût  des  Romains.  Il  existait,  au  temps  de 
Pline,  un  discours  d' Agrippa  qui  démontrait  la  néces- 
sité de  réunir  toutes  ces  merveilles,  au  lieu  de  les 
laisser  disséminées  dans  les  villas,  où  elles  étaient  comme 
en  exil.  Ce  vœu  ne  devait  recevoir  satisfaction  que 
plus  tard,  quand  s'établit  l'usage  des  expositions  per- 
manentes, et  que  de  grandes  cités  telles  que  Naples 
eurent  des  galeries  de  tableaux  comme  celle  que  décrit 
le  rhéteur  Philostrate  ^  Quoi  qu'il  en  soit,  la  présence 
en  Italie  de  tant  de  peintures  renommées  ne  pouvait 
manquer  d'avoir  sur  l'art  une  grande  influence  ;  c'étaient 
autant  de  modèles  offerts  aux  décorateurs,  une  source 
inépuisable  de  motifs  pour  leur  pinceau;  de  là  ces 
reproductions  ou  ces  adaptations  que  présentent  à 
chaque  pas  les  maisons  pompéiennes. 

On  se  tromperait,  d'ailleurs,  si  l'on  croyait  retrou- 
ver, dans  chacun  de  ces  tableaux,  le  souvenir  d'une 
œuvre  célèbre.  Beaucoup  rappellent  de  médiocres  com- 
positions, dont   les  auteurs   anciens   ne  nous  parlent 

I.  Voyez  Bougot,  Une  galerie  antique  de  soixante-quatre 
tableaux,  Paris,  1881  ;  E.  Bertrand,  Un  critique  d'art  dans  l'anti- 
quité, Philostrate  et  son  école,  Paris,  1881. 


LA    PEINTURE    ROMAINE, 


319 


pas;  beaucoup  aussi  sont  originaux,  mais  ceux-là 
mêmes  sont  grecs  de  sujet  et  de  facture.  Le  nombre  des 
peintures  de  Pompéi  ou  d'Herculanum  qu'ont  inspirées 
les  mythes  italiens  est  relativement  fort  peu  considé- 
rable. C'est  de  la  Grèce  qu'elles  sont  pleines,  surtout 
de  la  Grèce  alexandrine,  de  celle  qui,  en  art  comme  en 


Fig.  I9S-  —  La  marchande  d'Amours, 
peinture  de  Pompéi. 


littérature,  aime  le  spirituel  et  le  sentimental,  qui  conte 
volontiers  les  scandales  de  l'Olympe,  note  les  soupirs 
et  les  défaillances  des  héros.  Telle  est  la  mine  où  pui- 
sent les  peintres  pompéiens.  On  le  voit  bien  aux 
Amours  qu'ils  sèment  dans  leurs  décors,  à  ces  petits 
Eros  malicieux  et  mutins  dont  nous  avons,  plus  haut, 
décrit  les  gentillesses,  et  qu'il  leur  arrive  de  figurer  en 
cage,  portés  par  une  marchande  de  boudoir  en  boudoir 
(fig.  195).  C'est  cet  esprit  maniéré  et  précieux  qui  trans- 


3  20 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


forme  entre  leurs  mains  les  antiques  légendes.  Tout 
le  monde  connaît  Thistoire  de  Thésée  se  dévouant 
pour  sauver  les  jeunes  Athéniens  destinés  à  repaître 
le  Minotaure.  Rien  de  tragique  comme  le  duel  du 
héros  et  du  monstre,  comme  le  combat  livré  par  cet 
athlète  adolescent  pour  affranchir  son  pays  d'un  odieux 

tribut.  C'est  ce  com- 
bat qui  touchait  au- 
trefois les  artistes;  à 
Pompéi,  c'en  est  la 
suite,  c'est  la  naïve 
reconnaissance  des 
victimes  entourant 
leur  libérateur  et  lui 
baisant  les  mains 
(fig.  196).  L'idée,  en 
soi,  est  charmante; 
mais  on  voit  com- 
ment la  fable  épique 
des  premiers  temps 
est  devenue  une 
anecdote  qui  n'a  plus 
rien  d'héroïque;  la  foule  tremblante  et  respectueuse 
des  parents,  dans  le  coin  de  droite,  ajoute  encore  à  la 
délicatesse  un  peu  mièvre  du  tableau. 

Il  y  a  pourtant  des  cas  où  le  peintre  de  Pompéi 
sait  être  dramatique.  L'entrée  du  cheval  de  Troie  dans 
la  ville  démantelée,  au  son  des  instruments,  la  querelle 
d'Achille  et  d'Agamem.non,  l'enlèvement  de  Briséis, 
Achille  traînant  le  cadavre  d'Hector,  le  sacrifice 
d'Iphigénie,  Oreste  en  Tauride,  sont  des  compositions 


Fig.  iç6.  -^  Thésée  vainqueur 
du  Minotaure. 


LA    PEINTURE    ROMAINE. 


J2I 


où  le  pathétique  des  sujets  a  triomphé  de  la  préciosité 
alexandrine  et  où  se  marque  Fintention  d'intéresser  le 
spectateur  par  une  ac- 
tion sérieuse  et  émou- 
vante. Nulle  part  cette 
intention  ne  paraît 
mieux  que  dans  les 
peintures  relatives  au 
crime  de  Médée.  On 
connaît  cette  belle 
Médée  du  musée  de 
Naples  qui,  un  glaive 
à  la  main,  est  sur  le 
point  d'accomplir  son 
forfait,  et  dont  l'atti- 
tude reflète  si  bien  les 
sentiments  contraires 
qui  l'agitent  (fig.  197). 
Un  autre  tableau,  non 
moins  populaire,  la 
montre  livrée  aux  mê- 
mes incertitudes,  pen- 
dant qu'à  côté  d'elle, 
ses  enfants  jouent  aux 
osselets  sous  l'œil 
de  leur  précepteur 
(fig.  198).  Les  deux 
œuvres,  sans  doute,  sont  imitées  de  Timomachos  de 
Byzantion,  dont  la  Médée  et  un  Ajax  ornaient,  à 
Rome,  le  temple  de  Vénus  Génitrix;  mais  il  faut  savoir 
gré  à  l'artiste  pompéien  d'avoir  été  touché  de  ce  drame 

PEINT.    ANTIQUE.  21 


Fig.  IÇ7. 


322 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


et  d'en  avoir  rendu,  tant  bien  que  mal,  les  péripéties. 
Nous  ne  saurions  faire  la  revue  de  tous  les  sujets 
traités  dans  les  fresques  de  Pompéi.  Rien  n'en  égale 
la  variété.  On  y  rencontre,  non  seulement  des  souvenirs 
de  la  grande  peinture,  mais  des  réminiscences,  parfois 

même  des  co- 
pies de  la  grande 
sculpture,  té- 
moin ce  jeune 
satyre  qui  porte 
un  petit  Éros 
en  lui  montrant 
une  grappe  de 
raisin,  et  dans 
lequel  on  re- 
connaît, au  pre- 
mier coup  d'œil, 
une  reproduc- 
tion de  l'Her- 
mès de  Praxitèle 
(fig.  199).  On  y 
trouve  des  pay- 
sages, des  per- 
spectives mon- 
tagneuses semées  de  chapelles,  près  desquelles  des 
chevriers  demi-nus  font  paître  leurs  troupeaux  (fig.  200), 
des  vignobles,  des  marines,  des  ports  avec  leurs  môles 
et  leurs  estacades,  des  vues  du  Nil  et  de  ses  rives  peu- 
plées de  crocodiles  et  d'oiseaux  rares,  qui  s'ébattent 
parmi  les  lotus  et  les  palmiers.  On  y  voit  des  natures 
mortes,  poissons,   gibier,  fruits,  fleurs,  ustensiles  de 


Fig.  i|;8.  —  Médée  méditant  son  forfait. 


LA    PEINTURE    ROMAINE. 


323 


ménage,  des  scènes  de  genre  remplies  d'allusions  à 
la  vie  quotidienne,  et  qui  mettent  sous  nos  yeux  des 
boulangers,  des  foulons,  des  porte-faix,  des  saltim- 
banques, des  oisifs  causant  sur  le  Forum,  des  e'coliers 
apprenant  à  lire,  tout  le  mouvement  d'une  ville  popu- 
leuse et  active  comme  Pétaient  ces 
petites  municipalités  du  Vésuve, 
plus  grecques  que  latines,  et  reten- 
tissant du  bruit,  des  colloques,  des 
cris  qu'on  peut  encore  entendre,  à 
certaines  heures,  dans  quelques 
rues  de  Naples.  A  ces  représenta- 
tions se  rattache  un  curieux  mor- 
ceau, le  portrait  de  Paquius  Pro- 
culus  et  de  sa  femme  (fig.  201)  : 
c'était  un  boulanger,  que  l'estime 
de  ses  concitoyens  avait  élevé  aux 
fonctions  de  juge  [duutnvir  jiiri 
dicundo),  et  qui  avait  eu  l'idée  tou- 
chante de  se  faire  peindre  avec  sa 
femme  dans  le  même  cadre,  lui, 
muni  d'un  parchemin,  emblème 
de  sa  charge,  elle,  en  bonne  ména- 
gère, armée  du  style  et  de  la  tablette 
qui  lui  servaient  à  tenir  ses  comptes.  Ces  deux  por- 
traits, plus  anciens  que  ceux  du  Fayoum,  et  qui  en 
diffèrent,  d'ailleurs,  par  le  procédé,  sont  intéressants  à 
plus  d'un  titre  :  contentons-nous  d'en  noter  le  réalisme, 
qui  frappe  surtout  dans  la  figure  du  mari.  Ce  type 
plutôt  africain  que  romain,  ces  traits  vulgaires  où  se 
lisent  la  ténacité  et  la  bonhomie,  ont  été  finement  ren- 


Fig.   199. 


32* 


LA    PEINTURE    ANTIQUE. 


dus  par  le  peintre,  qui  en  a  fait  une  physionomie  bien 
vivante  et  bien  personnelle. 

Il  faut  enfin  signaler  les  caricatures,  qui  sont  nom- 


Fig.   200.  —  Paysage,  dans  une  peinture  de  Pompéi. 

breuses  à  Pompéi  et  aux  environs.  Ces  populations  de 
l'Italie  méridionale  avaient  l'humeur  gaie  et  le  rire 
facile;  elles  saisissaient  rapidement  le  côté  plaisant 
des  choses;  c'était  là,  du  reste,  encore  un  héritage 
d'Alexandrie.  Elles  se  plaisaient  aux  figures  grotesques, 


LA   PEINTURE    ROMAINE. 


in 


aux  nains,  aux  pygnnées  pourvus  d'énormes  têtes,  po- 
sées sur  des  corps  grêles  et  chétifs.  Elles  les  représen- 


Fig.  201.  —  Portraits  du  boulanger  et  de  sa  femme. 

talent  dans  toutes  les  attitudes  et  en  faisaient  les  acteurs 
des  parodies  les  plus  variées.  Cette  irrévérence,  qui 
semble  avoir  été  un  besoin  de  nature,  ne  respectait  pas 
même  les  légendes  nationales,  comme  on  le  voit  parce 


320  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

tableau  trouvé  à  Stable,  et  qui  montre  Enée  fuyant 
Troie,  avec  Anchise,  son  père,  et  Ascagne,  son  jeune 
fils,  ornés  comme  lui  d'une  tête  de  chien  (fig.  202). 

Toutes  ces  compositions,  peintes  à  fresque  et  colo- 
riées avec  un  luxe  qui  faisait  regretter  à  Pline  Tan- 
cienne  sobriété,  contiennent,  sur  la  technique  de  la 
peiiiture  et  sur  la  vie  des  Italiens  de  la  région  napoli- 
taine, sur  leurs  mœurs,  leurs  goûts,  leurs  passions, 

les  enseignements  les  plus 
précieux;  mais,  il  faut  le 
reconnaître,  à  part  de  rares 
exceptions,  elles  sont  fort  mé- 
diocres, et  le  touriste  qui  croit, 
après  les  avoir  vues,  connaî- 
tre la  peinture  antique,  n'en 
„.  a  qu'une  idée  très  inexacte; 

Fig.  aoa,  '  ' 

il  n'est  pas  plus  à  même  d'en 
juger  qu'on  n'est  à  même  de  juger  de  la  peinture  mo- 
derne, quand  on  a  regardé  des  papiers  peints  à  sujets, 
représentant  les  principales  vues  de  la  Suisse  ou  les 
Aventures  de  Monte-Cristo.  C'est  que  ces  peintres  de 
Pompéi,  qu'ils  fussent  latins  ou  grecs,  n'étaient  que 
de  simples  ornemanistes,  auxquels  faisait  défaut  l'édu- 
cation nécessaire  pour  aborder  le  grand  art  et  qui,  d'ail- 
leurs, n'y  prétendaient  point.  Leur  savoir  n'allait  pas 
au  delà  du  décor;  mais  là,  du  moins,  ils  ont  excellé. 
Il  est  intéressant  de  suivre,  dans  les  peintures  pom- 
péiennes, les  progrès  de  leur  fantaisie  de  plus  en  plus 
aventureuse.  Ils  commencent  par  simuler,  sur  les  parois 
qu'ils  enluminent,  des  incrustations  de  marbres  de  dif- 
férentes couleurs  ;  tel  est  le  mode  de  décoration  em- 


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LA    PEINTURE    ROMAINE. 


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ployé  dans  plusieurs  édifices  publics  et  dans  une  cen- 
taine de  maisons  particulières  qui  remontent  au  ii«  ou 
au  f  siècle  avant  notre  ère.  LMdée  n'était  pas  originale; 

il  y  avait  à  Alexandrie  un 

grand  nombre  de  palais 
ornés  de  la  même  manière, 
mais  où  cette  polychromie 
était  formée  par  de  vrais 
fragments  de  marbre,  tirés 
des  carrières  du  monde 
entier.  Bientôt,  ces  mo- 
saïques paraissent  trop 
simples,  et  Ton  y  mêle  des 
représentations  de  colon- 
nes, de  portiques,  dont  la 
figure  ci-contre  offre  un 
spécimen;  on  ne  se  con- 
tente plus  de  reproduire, 
à  Taide  de  tons  variés,  la 
parure  polychrome  des  pa- 
lais alexandrins  :  on  figure 
des  parties  entières  de  ces 
palais,  et  le  bourgeois  de 
Pompéi  ou  d'Herculanum 
peut  se  croire,  avec  un  peu 
dUmagination,   logé  dans 

une  de  ces  splendides  demeures  qui  faisaient  l'orne- 
ment de  la  ville  des  Ptolémées.  C'est  le  temps  où  Ludius 
dessine  sur  les  murs  de  ces  faux  palais  les  paysages 
dont  il  a  été  question  plus  haut,  où  l'on  perce  ces 
mêmes  murs  de  fausses  ouvertures  par  lesquelles  l'œil 


J28 


LA    PEINTURE   ANTIQUE. 


plonge  au  dehors.  Voyez  celle-ci,  que  ferme  une  grille 
(tig.  204)  :  elle  est  censée  s'ouvrir  sur  une  cour  au 
fond  de  laquelle,  bien  loin,  on  aperçoit  un  puits.  Pour 
donner  mieux  encore  l'illusion  de  la  profondeur,  l'ar- 
tiste a  fait  passer  sa  muraille  de  fond  sous  une  série  de 

portiques  absolu- 
ment inutiles,  mais 
qui  montrent  son 
habileté  à  rendre  la 
perspective. 

On  a  essayé  de 
noter  les  phases  de 
cette  ornementation, 
d^en  classer  chrono- 
logiquement les  har- 
diesses. Nous  n^en- 
trerons  pas  dans  un 
pareil  détail.  Con- 
statons seulement 
qu'entre  l'an  80  avant 
J.-C.  et  l^an  5o  de 
notre  ère,  elle  de- 
vient de  plus  en  plus 
compliquée.  Elle  n'imite  plus  des  constructions  habi- 
tables; elle  imagine  de  fantastiques  architectures  où 
tout  est  élégance,  légèreté,  invraisemblance  (fig.  2o5); 
elle  élève  à  de  prodigieuses  hauteurs  des  colonnettes 
d'une  gracilité  inquiétante,  sur  lesquelles  elle  fait  poser 
des  architraves,  des  frontons,  qui  semblent  suspendus 
dans  les  airs  ;  elle  multiplie  les  saillies  et  les  rentrants, 
les  couloirs,  les  escaliers,  les  corniches,  les  moulures, 


Fig.  204. 


LA    PEINTURE   ROMAINE. 


J29 


logeant  dans  chaque  vide  un 
motif  décoratif,  enroulant  de 
flexibles  lianes  autour  des  sup- 
ports, faisant  Jaillir  ces  sup- 
ports mêmes  de  tiges  ou  de 
calices  audacieusement  super- 
posés, tout  cela  avec  tant  de 
grâce  et  d'aisance,  avec  une 
telle  entente  de  la  composition 
et  du  dessin,  qu'on  n'a  nulle- 
ment le  sentiment  de  la  sur- 
charge et  qu'on  n'éprouve  au- 
cune fatigue  à  s'égarer  dans  les 
méandres  de  ces  aériennes  fan- 
taisies. C'est  là  qu'est  le  vrai 
mérite  des  peintures  de  Pom- 
péi;  c'est  par  là  qu'elles  sont 
originales.  11  faut  leur  pardon- 
ner l'abus  que  nous  en  avons 
fait,  sous  un  ciel  et  dans  des 
lieux  qui  ne  les  comportaient 
guère;  nos  maladroites  imita- 
tions, qui  nous  les  ont  rendues 
banales,  ne  sauraient  être  une 
raison  de  leur  en  vouloir.  Si 
l'on  prend  la  peine  de  les  étu- 
dier dans  leur  pays,  si  l'on -s'at- 
tarde à  contempler  ces  parois 
noires,  rouges  ou  jaunes,  cou- 
vertes des  plus  hardies  et  des 


Fig.  20$. 


plus  capricieuses  combinaisons  de  lignes,    on  restera 


no  LA    PEINTURE   ANTIQUE. 

confondu  de  l'esprit  dont  elles  sont  pleines  et  de 
l'étonnant  effort  d'invention  qu'elles  supposent.  Rien 
ne  reflète  mieux  la  société  contemporaine,  ce  peuple 
raffiné,  héritier  de  l'hellénisme,  qui  s'endormit  un 
soir,  insouciant,  au  pied  du  Vésuve,  pour  ne  plus  se 
réveiller  qu'au  bout  de  dix-huit  siècles,  sous  la  pioche 
des  antiquaires. 


BIBLIOGRAPHIE 


La  liste"  que  nous  donnons  ici  est  loin  de  comprendre  tous  les 
ouvrages  qui  peuvent  servir  à  étudier  l'histoire  de  la  peinture 
antique  ;  nous  nous  sommes  borné  aux  indications  essentielles. 
Les  travaux  cités  en  note,  dans  le  corps  du  volume,  et  qui  portent 
sur  des  points  spéciaux,  ont  été,  naturellement,  éliminés  de  ce 
catalogue. 

OUVRAGES     GÉNÉRAUX. 

K.  Wœrmann,  Die  Malerei  des  Alterthums,  dans  la  Geschichte 
der  Malerei,  d'A.  Woltmann,  Leipzig,  1878;  —  Baumeister, 
Denkmœler,  aux  mots  Malerei,  Polychromie,  Pompeji;  —  Bœckh, 
Encyklopœdie  und  Méthodologie  der  philol.  Wissenschaften , 
2"  éd.,  p.  486,  5i5  (bibliographie  considérable). 

EGYPTE. 

Passalacqua,  Catalogue  raisonné  et  historique  des  antiquités 
découvertes  en  Egypte,  Paris,  1826;  —  Rosellini,  Momimenti  delV 
Egitto  et  délia  Nubia,  mon.  civ.,  t.  II,  p.  160  ;  —  Prisse  d'Avennes, 
Histoire  de  l'art  égyptien  diaprés  les  monuments,  Paris,  1878- 
1879;  —  Perrot  et  Chipiez,  Histoire  de  l'art  dans  l'antiquité, 
t.  P',  p.  781  ;  —  Maspero,  l'Archéologie  égyptienne. 


Perrot  et  Chipiez,  t.  II,  p.  272,  653,  7o3;  t.  III,  p.  663;  t.  V, 
p.  535,  653;  —  Dieulafoy,  l'Art  antique  de  la  Perse,  t.  III,  p.  17. 


Schliemann  et  Dœrpfeld,  Tirynthe,  p.  224,  257,  277,  323;  — 
Perrot,  Journal  des  savants,  août  1890,  p.  457;  —  Brunn,  Ges- 


JJ2  BIBLIOGRAPHIE. 

chichte  der  griech.  Kûnstler,  %^  éd.,  Stuttgart,  1889;  — Overbeck, 
Die  antiken  Schriftqiiellen  :{ur  Gesch.  der  bild.  Kilnste  bei  den 
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(suppl.),  p.  I  ;  —  Robert,  Arch.  Mcerchen,  p.  83  et  121;  —  Klein, 
Euphronios,  2"  éd..  Vienne,  1886;  Id.,  Studien  ^ur griech.  Maler- 
geschichte,  dans  les  Arch.-epigr.  Mittheil.  ans  Œsterreich,  t.  XI, 
p.  igS;  —  Studniczka,  Antenor,  der  Sohn  des  Eumares  und  die 
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phil.-hist.  CL,  i853,  p.  59  ;  —  Ch.  Lenormant,  Mémoire  sur  les 
peintures  que  Polygnote  avait  exécutées  dans  la  Lesche  de  Delphes, 
Bruxelles,  1864;  —  Gebhardt,  Die  Komposition  der  Gem.  des 
Polygnot  in  der  Lesche  ;fu  Delphi,  Gœttingue,  1872;  —  H.  Blûm- 
ner,  Beitrcege  :{ur  Gesch.  der  griech.  Malerei,  dans  le  Rhein. 
Muséum,    t.   XXVI,   p.  353;  —  Wustmann,  Apelles'  Leben   und 

Werke,  Leipzig,  1870;  —  E.  Gebhart,  Essai  sur  la  peinture  de 
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t.  V  (186S),  p.  I  ;  —  Graul,  Die  ant.  Porlrœtgemœlde  aus  den 
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antiker  Portraits,  Berlin,  1889;  —  Wilcken,  Die  hellen.  Por- 
trœts  aus  El-Faijum,  dans  le  Jahrb.  des  k.  d.  arch.  Inst.,  1889, 
Arch.  An^eiger,  p.  i  ;  —  Catalogue  de  la  galerie  de  portraits 
antiques  appartenant  à  M.  Th.  Graf,  Bruxelles,  1889;  —  Flin- 
ders  Pétrie,  Hawara,  Biahmu  and  Arsinoe,  Londres,  1889;  — 
Raoul  Rocheite,  Peintures  antiques  inédites,  Paris,  i836;  —  Le- 
tronne,  Lettres  d'un  antiquaire  à  un  artiste,  Paris,  i836;  —  Gros 
et  Henry,  l'Encaustique  et  les  autres  procédés  de  peinture  che:![  les 
anciens,  Paris,  1884;  —  O.  Donner,  Ueber  Technisches  in  der 
Malerei  der  Allen,   insbes.  in   deren  Enkaustik,  Munich,   i885; 

—  W'\X\.or^, Restitution  du  temple  d'Empédocle  à  Sélinonte,  ou  lar- 
chitecture  polychrome  che^  les  Grecs,  Paris,  i85i;  — H.  Blûm- 
ner,  Technologie  und  Terminologie,  t.  111,  p.  i^g  et  2o3. 

É  T  RURI  E. 

Boissier,  Nouvelles  promenades  archéologiques,  p.  63;  — J.  Mar- 
tha,  l'Art  étrusque,  p.  377. 


BIBLIOGRAPHIE. 


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Renier  et  Perrot,  les  Peintures  du  Palatin,  dans  la  Rev.  arch., 
1870,  p.  326  et  387;  1870-1871,  p.  47  et  igS;  — K.  Wœrmann, 
Die  antiken  Odyssee-Landschajten  vom  esquilinischen  Hiigel  ^t< 
Rom,  Munich,  1876;  —  Id.,  Die  Landschaft  in  der  Kunst  der 
alten  Vœlker,  Munich,  1876;  —  E.  Michel,  le  Paysage  dans  les 
arts  de  l'antiquité,  Revue  des  Deux  Mondes  du  i5  juin  1884, 
t.  LXIII,  p.  856;  —  Raoul  Rochette,  Choix  de  peintures  de  Pom- 
péi,  Paris,  1848;  —  Niccolini,  le  Case  ed  i  monumenti  di  Pompei, 
Naples,  1854  et  années  suiv.  ;  —  Helbig,  Wandgemœlde  Campa- 
niens,  précédé  d'O.  Donner,  Die  ant.  Wandmalereien  in  techn. 
Be^^iehung,  Leipzig,  1868;  —  Helbig,  Untersuchungen  ûber  die 
campan.  Wandmalerei,  Leipzig,  1873;  —  J.  Martha, /'^rc/z^o/o^je 
étrusque  et  romaine,  p.  235;  —  Presuhn,  Die  pompeianischen 
Wanddecorationen,  Leipzig,  1882;  —  Mau,  Gesch.  der  décor. 
Wandmalerei  in  Pompeji,  Berlin,  1882;  —  Overbeck  et  Mau, 
Pompeji  in  seinen  Gebœuden...  dargestellt,  p.  563. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Avant-propos 


Pages, 
S 


Chapitre  premier.  —  La  peinture  égyptienne 7 

§    l*^"".  —  La  peinture,  élément  essentiel  de  la  décoration   .    .  9 

§     II.  —  Étroite  union  de  la  peinture  et  du  deasa  _  .   .    .    .  18 

^    III.  —  Les  conventions  de  la  peinuue  chez  les  Égyptiens..  23 

^     IV.   —   Le  réalisme -  .  3  a 

§      V.  —  Les  procédés  techniques 48 

Chap    ke  II,  —  La  peinture  orientale j6 

§     I"*".  —  La  peinture  chez  les  Chaldéens  et  les  Assyriens  .    .  57 

'i      II.  —  La  peinture  en  Phénicie  et  en  Asie  Mineure.    ...  jj 

§    III.  —  La  peinture  chez  les  Perses 79 

Chapitre  III. —  La  peinture  grecque 91 

§     I*"".  —  Les  premières  peintures 94. 

§       II    —   Les  premiers  peintres  :   Eumarès   d'Athènes  et   Ci- 

mon  de  Cléonées lao 

§     III.  —  L'Ecole  attique  :  Polygnote 152 

§      IV.  —  Suite  de  l'Ecole  attique  :  Micon  et  Panainos;  Pauson, 

Agatharque  de  Samos,  Apollodore  d'Athènes.   .   .  183 

§       V.  —  L'Ecole  ionienne  :  Zeuxis  et  Parrhasios;  Timanthe.  ao2 


}j(5  TABLE    DES   MATIERES. 

Pages. 
Chapitre  III.  —  g  VI.  —   L'École  de  Sicyone.    L'École   thébano- 

attique.  Les  indépendants  :  Apelle  et  Protogène  .  222 
g  VII.  —  La  peinture    hellénistique  :    Antiphilos.    Les   por- 
traits du  Fayoum 24} 

§VIII.  —  Les  procédés  de  la  peinture  en  Grèce;  l'encaustique. 

Originalité  de  la  peinture  grecque 257 

g     IX.  —  La  polychromie  des  édifices  et  des  statues 271 

Chapitre  IV.  —  La  peinture  étrusque 287 

Chapitre  V.  —  La  peinture  romaine 298 

g    F''.  —  La  peinture  à  Rome 298 

g      II.  —  La  peinture  dans  l'Italie  méridionale  et  à  Pompéi  .  jii 

Bibliographie jji 


Pans.       Lib.-Imp.  réunies,  7,  r.  Saint-Benoît 


PRIX  francsr