Peinture Antique
Paul GIRARD
ERNEST GRUND, Éditeur
9. Rue Mazarlne, PARIS (VD
380 (Pittura antica) GIRARD P. (CollT^dï^
Arti) La Pentuire Antique. Paris Quintin,
1892. 16 pp. 336 con 205 illustraz. in fine
bibliografia. r- '78
Marius Michel del.
COLLECTION PLACEE SOUS LE HAUT PATRONAGE
I>E
l'administration des beaux-arts
COURONNÉE PAR l'aCADÉMIE FRANÇAISE
(Prix Montyon)
et
PAR l'académie des BEAUX-ARTS
(Prix Bordin)
Droits de traduction et de reproduction réservés.
Cet ouvrage a été déposé au Ministère de l'Intérieur
en février 1892.
BIBLIOTHEQUE DE L'ENSEIGNEMENT DES BEAUX-ARTS
PUBLIÉE SOUS LA
DIRECTION DE M. JULES COMTE
LA
PEINTURE
ANTIQUE
PAUL GIRARD
Ancien membre de l'Kcole française d'Athènes,
Maître de conférences à la Faculté des lettre$ de Paris
PARIS
ANCIENNE MAISON QUANTIN
LIBRAIRIES-IMPRIMERIES RÉUNIES
M Aï & MoTTEROz, Directeurs
7, rue Saint-Benoit.
THfe6©rTYrrî:T5B
AVANT-PROPOS
Un sujet aussi délicat, et aussi neuf en France, que
l'histoire de la peinture dans Pantiquité, eût exigé de
longs développements et l'appareil d'une érudition
s'étalant à l'aise; mais ici la brièveté était nécessaire;
il fallait, de plus, s'interdire les démonstrations sa-
vantes, tout ce qui rebute le lecteur peu familier avec
les instruments et les méthodes de l'archéologie con-
temporaine. Le plan de ce petit livre est fort simple :
il commence par l'Egypte, ce berceau de tous les arts;
viennent ensuite l'Orient, notamment les grandes mo-
narchies orientales telles que l'Assyrie et la Perse, puis
la Grèce, l'Etrurie, enfin Rome. On ne s'étonnera pas
de la place considérable qui a été faite, dans cette revue
des différentes peintures du monde ancien, à la peinture
grecque : plus que les autres, elle méritait de nous atti-
rer et de nous retenir par les chefs-d'œuvre qu'elle a
produits et par ce continuel effort vers la perfection
qui en est la marque propre.
Je ne puis, naturellement, citer toutes mes sources;
une courte bibliographie, placée à la fin du volume,
donne la liste des principaux ouvrages dont je me suis
servi et offre aux esprits curieux de détails techniques le
6 AVANT- PROPOS.
moyen de pousser plus avant leurs recherches. Les
guides que j'ai suivis de préférence sont d'ailleurs les
monuments et les textes, dont Pétude attentive m'a
souvent conduit à des conclusions différentes de celles
qu'on en avait tirées jusqu'à ce jour. Je me ferais scru-
pule, en terminant, de ne pas rappeler les secours que
j'ai trouvés auprès de M. Maspero, qui a bien voulu
me signaler quelques documents intéressants, et auprès
de M. Pottier, dont l'enseignement à l'École du Louvre
m'a fourni, plus d'une fois, de précieuses indica-
tions.
Les dessins, exécutés par M. Faucher-Gudin avec
une rare conscience, ont été de notre part l'objet d'une
attention toute particulière. Puissent quelques-uns
d'entre eux donner aux artistes, auxquels est surtout
destiné notre ouvrage, la saveur de cet art antique si
éloigné de la science et des raffinements du nôtre, mais
qui recèle encore, dans sa simplicité, tant d'instructives
leçons !
Novembre i8gi.
LA
PEINTURE ANTiaUE
CHAPITRE PREMIER
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE
Les Egyptiens se vantaient, au dire de Pline,
d'avoir employé la couleur six mille ans avant les
Grecs. Quoi qu'il faille penser de cette prétention, c'est
en Egypte qu'ont été trouvées les plus anciennes pein-
tures du monde connu. Sous ce ciel limpide, rien ne
s'altère. Quand Mariette découvrit, en i85i, la sépul-
ture des Apis, il vit dans une des tombes, celle de
l'Apis mort la vingt-sixième année du règne de Ram-
sès II, « l'empreinte des pieds nus des ouvriers qui,
trois mille deux cents ans auparavant, avaient couché
le dieu dans son sarcophage ». Le musée de Gizeh (an-
cien musée de Boulaq) possède une pièce de lin mer-
veilleusement conservée, qui porte le nom du roi Pépi,
de la VP dynastie, et compte, par conséquent, plus
de cinq mille ans. La pyramide d'Ounas a fourni des
morceaux d'étoffe encore plus vieux. On conçoit que
dans un pays où d'aussi frêles objets durent tant de
8 LA PEINTURE ANTIQUE.
siècles, les peintures qui décoraient les temples et les
tombeaux aient été, en beaucoup d'endroits, épargnées
par le temps et que quelques-unes d'entre elles gardent
encore une surprenante fraîcheur. Si Ton veut en
juger, il faut aller au Louvre contempler, dans la salle
égyptienne du rez-de-chaussée, le beau bas-relief qui
représente Séti P'' et la déesse Hathor. Les chairs rouge
brun des deux personnages, leurs cheveux d'un noir
franc ou tirant sur le bleu, leurs vêtements blancs,
leurs bijoux multicolores, forment un tableau si vif de
tons et si harmonieux, qu'on a peine à se figurer
qu'une pareille enluminure remonte au début de la
XIX' dynastie. Tandis que la peinture grecque n'est
plus qu'un souvenir, la peinture égyptienne existe donc
encore, bien que beaucoup plus vieille, et nous avons,
pour la connaître, des originaux qui nous en donnent
une idée fort précise.
Mais quand on parle de peinture égyptienne, il faut
s'entendre. Si anciennement que les Egyptiens se soient
mis à peindre, ils n'ont pas connu la peinture propre-
ment dite, celle qui se suffit à elle-même; la peinture,
chez eux, n'a guère servi qu'à rehausser de tons variés
les édifices et les statues. Hérodote nous montre bien
le roi Amasis consacrant dans le temple d'Athéna,
à Cyrène, son image peinte; par malheur, ses expres-
sions sont si générales et si vagues, qu'on ne saurait
dire exactement ce qu'elles désignent. Amasis, d'ail-
leurs, vivait au vi^ siècle avant notre ère, dans un
temps où l'Egypte était largement ouverte aux Grecs,
où lui-même, admirateur passionné de la civilisation
hellénique, accueillait avec faveur tout ce qui venait
LA PEINTURE EGYPTIENNE. 9
de Grèce. Qui sait si ce portrait n'avait pas subi Tin-
fluence des idées nouvelles? Ce qui est certain, c'est
qu'aux beaux siècles de la puissance des pharaons,
la peinture égyptienne s'offre à nous comme l'humble
auxiliaire de la sculpture et de l'architecture. Elle n'a
donc que de lointains rapports avec celle que nous pra-
tiquons.
.^ I". — La peinture, élément essentiel
de la décoration.
Les Egyptiens avaient pour la couleur un goût si
vif, qu'ils coloriaient tout ce qui sortait de leurs mains.
Peut-être, à l'origine, leurs temples n'étaient-ils point
décorés intérieurement; mais, dès qu'ils le furent, leur
décoration fut polychrome. Comme ils figuraient le
monde en raccourci, que leur toiture était censée re-
présenter le ciel, leur dallage, la terre, chacune de ces
parties reçut de bonne heure des ornements appro-
priés à sa signification. Le pied des parois et les bases
des colonnes furent parés d'une végétation luxuriante,
lotus en boutons ou superbement épanouis, dressant
leurs hautes tiges au-dessus d'une forêt de feuilles
(fig. i), plantes aquatiques baignant dans l'eau, fleurs
et arbustes de toute espèce, tantôt disposés dans ce
bel ordre géométrique qui est un des traits de l'orne-
mentation égyptienne, tantôt groupés plus librement.
Les plafonds, peints en bleu, furent semés d'étoiles
jaunes, parmi lesquelles on fit planer, d'espace en
espace, de grands vautours tenant dans leurs serres
différents emblèmes. Entre ce ciel constellé d'astres
LA PEINTURE ANTIQUE.
et cette terre égayée par mille végétaux, il y avait
place pour des tableaux montrant le roi dans ses rap-
ports officiels avec le dieu habitant du sanctuaire. Ces
tableaux couvraient les murs, tournaient autour des
colonnes, reproduisant des scènes d'adoration ou d'of-
frande, dans lesquelles le pharaon, soit
seul, soit accompagné des membres de
sa famille, sacrifiait la victime, brûlait
l'encens, versait le vin, l'huile ou le lait.
Gravées ou sculptées sur les surfaces
qu'elles revêtaient, de pareilles scènes
étaient toujours rehaussées de couleurs
vives, qui formaient, avec la bigarrure
des soubassements et des plafonds, la
riche enluminure des chapiteaux, une
décoration multicolore propre à en-
chanter le regard. A l'extérieur, sur
les pylônes, ces propylées monumen-
taux qui précédaient l'entrée des grands
temples, on voyait également de vastes
compositions sculptées et peintes, où se
pressaient les souvenirs de l'histoire
contemporaine, combats de terre et de mer, prises de
forteresses, retours triomphants de princes suivis d'in-
nombrables prisonniers. Tels étaient les sujets figurés
sur les pylônes du Ramesséum, dont chaque face rap-
pelait un épisode de la campagne de Ramsès II contre
les Khiti, en l'an V de son règne. Si l'on rétablit par
l'imagination, en avant de ces massifs pyramidaux
ornés de peintures, les statues colossales qui en gar-
daient les abords, les obélisques dressés devant ces
Fig, I.
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
Fig. 2.
Statues, les mâts qui partaient du pied des pylônes et
au sommet desquels flottaient des banderoles aux bril-
lantes couleurs, on aura quelque
idée de l'aspect varié et éclatant que
présentaient, de loin, les grands
sanctuaires de l'antique Egypte.
Les habitations privées, quoique
plus simples, étaient, elles aussi,
coloriées au dehors comme au de-
dans. La façade extérieure en était
tantôt peinte, tantôt simplement
blanchie à la chaux; des tons vifs en diversifiaient les
parois intérieures. Les palais, construits en matériaux
légers, faits de brique et de bois, devaient en partie
leur physionomie avenante et gaie à leur décoration
polychrome. Des colonnettes de bois peint en déco-
raient la façade; au dedans, les murs, passés à la chaux
ou couverts d'une teinte uniforme, étaient ornés de
bandes multicolores. Mais c'est sur les plafonds que
se donnait particulièrement carrière la fantaisie du
décorateur. Un certain nombre de
plafonds peints, relevés dans les
tombeaux, ne sont que des répliques
de ceux qui paraient les demeures
seigneuriales : rien n'égale la variété
des motifs qu'ils représentent. Les
plus anciens reproduisent le décor
géométrique dans sa régularité
sèche et timide ; bientôt, aux lignes
droites se mêlent les lignes courbes; des essais de
rosaces apparaissent (fig. 2), puis la main de l'ornema-
Fig- 3-
LA PEINTURE ANTIQUE.
niste, assouplie et sûre d'elle-même, imagine d'ingé-
nieuses combinaisons de courbes et de cercles (fig. 3),
pour aborder enfin la décoration végétale, les tiges
symétriquement opposées les unes aux autres, les bou-
quets de feuilles s'épanouissant entre des volutes', les
enroulements semés de bucrânes, etc. La figure 4 — où,
dans un cadre composé d'enroulements et de feuillages,
de larges rosaces alter-
nent avec des scarabées
qui supportent le disque
du soleil, où le rouge, le
vert, le bleu, le jaune, le
blanc et le noir se ma-
rient harmonieusement
— est un des spécimens les
plus riches qu'on puisse
produire de cette inven-
tive ornementation.
Une architecture à
ce point polychrome ne
pouvait s'accommoder
d'une sculpture blanche. Bas-reliefs et statues étaient,
le plus souvent, revêtus de couleurs voyantes. Si cer-
taines matières, colorées naturellement, se passaient
d'une semblable parure, si les pierres dures telles que
le granit, le basalte, le diorite, la serpentine, offraient
des surfaces lisses plus difficiles à peindre et que leur
beauté même dispensait d'une coloration artificielle,
le grès, le calcaire et le bois étaient toujours enluminés
avec soin. Les scènes en relief, les portraits sculptés
sur les parois des chambres funéraires, recevaient de la
Fig,
LA PEINTURE EGYPTIENNE. ij
main du peintre une décoration sans laquelle ils eussent
été regardés comme inachevés. Le bas-relief que repro-
duit la figure ci-dessous, et qui provient d'une tombe
de la période memphite, est une preuve concluante de
Fig. 5. — Bas-relief peint du tombeau de Ti, V" dynastie.
cet usage. Le mort y est peint, suivant la coutume, en
rouge brun, sa femme en jaune bistre; les cheveux
sont noirs, les étoffes blanches; chacun des deux per-
sonnages porte au cou un collier de pierres noires
et de pierres vertes. Ce groupe se détache sur un fond
de sparterie vert et crème, que notre dessin ne rend
14
LA PEINTURE ANTIQUE.
pas, et qui forme un arrière-plan d'une tonalité char-
mante ^ Les statues dressées dans les tombeaux étaient
peintes des pieds à la tête; c'est ce dont on peut se
convaincre en examinant celles qui sont au Louvre
et dont beaucoup ont conservé des traces de couleur.
Les Égyptiens poussaient si loin Pamour de la poly-
chromie, qu'ils l'ap-
pliquaient, dans leur
sculpture, aux moin-
dres détails de la toi-
lette. La statue de la
dame Nofrit, du mu-
sée de Gizeh (fig. 6),
avec son énorme per-
ruque noire serrée par
un élégant bandeau
sous lequel on aper-
çoit les cheveux véri-
tables, lissés et parta-
gés sur le milieu du
front, avec sa robe
Pig^ (5 échancrée par devant
et la riche parure qui
orne sa poitrine, montre quelle minutie ils apportaient
dans l'exécution de pareils accessoires. Les tombes de
l'ancien Empire, dans la nécropole de Saqqarah, sont
pleines de bas-reliefs figurant des personnages aux yeux
soulignés d'une bande verte, en souvenir du fard que
I. Voyez au Louvre, dans la galerie égyptienne du rez-de-
chaussée, les reliefs qui portent les n°' £63, 169, 280, 333, 358,
373. Sur tous la couleur est encore visible.
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE. 15
les Egyptiens des deux sexes aimaient à s'étendre sous
la paupière inférieure. C'étaient là de ces traits carac-
téristiques que le statuaire, ou le peintre qui lui prêtait
son concours, se fussent gardés de passer sous silence.
Après le grand art. voyez les arts industriels : vous
y trouverez le même goût pour la polychromie. Les
étoffes des Egyptiens, leurs meubles, étaient multico-
Fig. 7. — Peintres décorant un coffre.
lores; les premières, brodées avec une fantaisie ingé-
nieuse, les seconds, tantôt peints, tantôt incrustés
d'ivoire et d'ébène. Leurs ustensiles de verre, au lieu
d'être incolores comme les nôtres, étaient rehaussés de
tons qui en faisaient valoir les formes élégantes. Leurs
coffres, ces grands coffres encore employés dans tout
l'Orient pour serrer les objets de prix, étaient ba-
riolés de raies de différentes couleurs ou décorés de
figures d'animaux (fig. 7). Leurs momies, une fois
enveloppées des bandelettes traditionnelles, recevaient
des ornements en toile stuquée et peinte, destinés à
i6 LA PEINTURE ANTIQUE.
rappeler les ornements réels qu^on devait déposer avec
elles dans le cercueil, tels que colliers, figurines, sca-
rabées, etc. On sait quelle riche enluminure parait
les caisses qui les contenaient; les momies royales,
particulièrement, dormaient dans des cercueils dont le
décor était souvent d'une somptuosité extraordinaire.
Les recueils de prières qu'on remettait aux morts pour
les préserver des périls qui les menaçaient dans Tautre
monde, surtout le rituel connu sous le nom de Livre
des morts, dont la plupart des momies portaient un
exemplaire, étaient ornés de vignettes exécutées parfois
avec une grande habileté. Les hiéroglyphes mêmes,
répandus à profusion dans le champ des bas-reliefs,
ceux qu'on déchiffrait sur les statues et dans les
temples, étaient coloriés. Les deux personnages que
représente la figure 8 sont-ils occupés à étendre de la
couleur, l'un sur une statue, l'autre sur un autel, ou
à y peindre des hiéroglyphes ? La question est difficile
à trancher. .L'enluminure des inscriptions était, dans
tous les cas, d'un constant usage; comme les inscrip-
tions grecques, peintes à la cire avec du minium,
les hiéroglyphes égyptiens étaient rehaussés de tons
vifs qui les faisaient ressortir sur les fonds et en ren-
daient plus aisée la lecture.
La brique émaillée passe, en général, pour avoir
été principalement employée par les Assyriens et par
les Perses. Les Egyptiens, eux aussi, y avaient recours,
du moins pour parer leurs édifices royaux; une belle
brique verte, conservée à Gizeh et qui porte, à l'encre
noire, le nom de Ramsès III (XX« dynastie), une
brique jaune du temps de Pépi l" (VP dynastie),
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE.
17
des fragments rouges, blancs, bleus, remontant à
diverses époques, attestent l'ancienneté et la perpé-
tuité de ce mode de décoration. Ils connaissaient égale-
ment les pâtes de verre de couleurs variées; ils s'en
servaient pour figurer les yeux, les sourcils de leurs
statues, les bracelets dont ils les ornaient; ils en com-
posaient des légendes hiéroglyphiques et des scènes
Fig. 8.
Personnages occupés à peindre différents objets
ou à enluminer des hiéroglyphes.
qu'ils incrustaient dans le bois ou le stuc et qui for-
maient, en simulant les pierres précieuses, des en-
sembles polychromes d'une richesse inouïe. Une
tombe de Meïdoum offre une particularité curieuse :
hiéroglyphes et figures y ont été, par endroit, dessinés
en creux et remplis jusqu'au bord de cailloux multico-
lores qui donnent à la décoration un éclat surprenant ^
On voit quelle invention les Egyptiens surent dé-
I. Mariette, les Mastabas de l'Ancien Empire, p. 476.
PEINT. ANTIQUE.
i8 LA PEINTURE ANTIQUE.
ployer dans la polychromie. Etait-elle une conséquence
de leur caractère, naturellement gai, ou une nécessité
de leur climat? L'employaient-ils en architecture pour
atténuer, sous la lumière crue, la blancheur de la pierre,
pour accentuer les saillies et les contours, qu'émousse
un jour trop vif? Peu nous importe. Constatons que,
chez eux, la couleur avait partout sa place et que la
peinture était presque aussi vieille que Part lui-même.
Mais cette peinture n'avait qu'une fonction décorative.
S'ils la mêlaient à tout ce qu'ils faisaient, ils n'imagi-
naient pas qu'elle pût, à elle toute seule, produire des
chefs-d'œuvre. La peinture de chevalet, qu'a connue
la Grèce, le tableau qui par lui-même est un tout, ils
ne l'ont pas soupçonné. Ils ont été des enlumineurs
d'une fécondité merveilleuse; ils n'ont point été des
peintres, au sens où nous employons ce mot.
^11. — Étroite union de la peinture et du dessin.
Si l'on veut se faire une idée de la peinture égyp-
tienne, c'est sur les murs des temples qu'il faut la cher-
cher, ou, mieux encore, sur les parois des tombeaux. On
sait le soin que les Egyptiens prenaient de leurs nécro-
poles, véritables villes funèbres ayant leurs rues, leurs
places et leurs quartiers, habitées et surveillées par de
nombreux fonctionnaires chargés de répartir les ter-
rains de concession et d'entretenir les sépultures. C'est
que la tombe était pour eux la maison éternelle, l'asile
définitif où le mort continuait à vivre de cette vie
étrange qu'ils lui prêtaient par delà les funérailles.
LA PEINTURE EGYPTIENNE. 19
Aussi Templissaient-ils de scènes destinées à assurer,
par leur vertu magique, sa perpétuité et son bien-être.
C'est dans ces scènes que s'exerçait librement l'art du
peintre. Les tombeaux de l'ancien Empire connus
sous le nom de mastabas sont, à ce point de vue, par-
ticulièrement intéressants*. Composés, en général, d'une
chapelle extérieure, où les parents et les amis se réu-
nissaient à de certains jours pour offrir au défunt les
repas et les libations accoutumés, d'une chambre funé-
raire contenant le sarcophage, et d'un puits ou d'un
couloir conduisant de la chapelle à la chambre, ils
représentent pour nous la tombe privée de l'ancienne
Egypte sous sa forme la plus pure. Dans les tombeaux
de ce genre, le couloir ne recevait point d'ornements;
il en était de même de la chambre funéraire. La cha-
pelle, en revanche, était couverte de scènes sculptées et
peintes, ou simplement peintes, distribuées dans des
registres étages les uns au-dessus des autres, et qui
formaient sur ses murailles une tapisserie variée. On y
voyait le mort, assis ou debout, goûtant les mets qui
lui étaient offerts, inspectant ses propriétés, surveil-
lant la rentrée de ses troupeaux. Des serviteurs, de
plus petite taille, lui apportaient, en longues files, les
produits de ses domaines, fruits, légumes, oies, canards,
tourterelles, antilopes ; ils abattaient et dépeçaient pour
son usage des bœufs et des mouflons; ils l'accompa-
gnaient à la chasse dans les marais; ils s'empressaient
I. Mastaba, au propre, désigne un banc de pierre ou de bois.
Donné par les fellaiis aux tombeaux de Saqqarah à cause de leur
forme, qui rappelle assez exactement celle du divan oriental, ce
nom a été adopté par Mariette et conservé depuis.
ao LA PEINTURE ANTIQUE.
autour de lui, tandis qu'il péchait au harpon ou à la
senne. Ailleurs, le défunt n'était pas figuré; mais on se
trouvait transporté sur ses terres, où des esclaves fai-
saient la moisson et chargeaient les gerbes sur des ânes,
oti des scribes, le calame et la palette en main, enregis-
traient minutieusement ses richesses. A ces images de
la vie rustique en étaient mêlées d'autres, qui repro-
duisaient différents métiers. Des groupes de chanteurs
et de joueuses d'instruments, des mariniers luttant
de vitesse, des joueurs de dames, faisaient allusion
aux plaisirs qui coupaient les travaux des champs
et détendaient l'esprit du maître.
Ce n'est pas seulement dans les mastabas qu'on
trouve, encore aujourd'hui, de semblables représenta-
tions. Tous les tombeaux en renfermaient d'analogues
sur les parois de leurs chambres de réception, de ces
chapelles où avaient lieu les sacrifices funéraires et par
lesquelles le mort était censé communiquer avec les
vivants. Les scènes recueillies à Béni-Hassan, dans le
cimetière des princes héréditaires de Meh, où les cha-
pelles ont été creusées à même la montagne, sont plus
précises encore que celles des mastabas de Saqqarah;
les renseignements biographiques sur le défunt s'y ren-
contrent plus nombreux et plus variés. Toute cette
imagerie s'explique par les croyances religieuses des
Egyptiens. Pour eux, la mort n'anéantissait point la
personnalité humaine; Phomme se survivait dans ce
qu'ils appelaient le double. « projection colorée, mais
aérienne de son corps », et qui en rendait exactement les
traits. Pendant que l'âme, sous la forme d'un oiseau,
et le lumineux j parcelle détachée du feu céleste, avaient
LA PEINTURE EGYPTIENNE. 21
la faculté de quitter la tombe pour se mêler aux dieux,
le double l'habitait sans cesse et y recevait les dons et
les hommages de ses parents et de ses amis. Il fallait,
en effet, à ce corps immatériel, des présents matériels
pour assurer sa durée, et comme, un jour ou Tautre,
ces présents devaient lui manquer, comme on prévoyait
qu'au bout de deux ou trois générations, la négligence
ou l'oubli des vivants le
priverait de sa pitance
habituelle, on figurait d'a-
vance, sur les parois de
sa tombe, les actes néces-
saires à sa subsistance; on
l'entourait de personnages
dont l'unique fonction
était de pourvoir à ses be-
soins; on groupait autour
de lui sa maison tout en-
tière, occupée à le servir;
on exagérait même, dans ces tableaux, l'importance de
ses biens et de ses domaines, et l'on pensait, par ce
pieux mensonge, lui procurer paur l'éternité plus de
bien-être et de plaisir. « Après tout, ce monde de vas-
saux plaqué sur le mur était aussi réel que le double
dont il dépendait : la peinture d'un serviteur était
bien ce qu'il fallait à l'ombre d'un maître. L'Egyptien
croyait, en remplissant sa tombe de figures, qu'il assu-
rait, au delà de la vie terrestre, la réalité de tous les
objets et de toutes les scènes représentées*. »
Fig. 9. — Peintre coloriant
un bas-relief.
I. Maspero, Guide du visiteur au musée de Boulaq, p. 207.
aa LA PEINTURE ANTIQUE.
Ces scènes nous fournissent de précieux enseigne-
ments. Soit qu'elles aient été exécutées au ciseau, puis
coloriées, soit qu'elles nous apparaissent simplement
peintes à plat, elles nous révèlent avec une étonnante
précision les ressources et les procédés du peintre
égyptien. Nous y voyons, entre autres choses, qu'il
ignorait l'art de faire tourner les corps, et n'a jamais su
rendre les jeux de lumière et d'ombre que présente la
réalité. Il peignait à teintes plates, sans tenir compte
des sombres et des clairs que produit naturellement le
modelé des objets. S'agissait-il d'orner de reliefs une
muraille? Le sculpteur dessinait sur la surface à déco-
rer les motifs qu'il avait choisis, puis, abattant les fonds
tout autour, il faisait saillir ses figures en un relief
léger qu'il modelait finement; après quoi, soit lui-
même, soit un spécialiste, les recouvrait des couleurs
appropriées (fig. 9). Fallait-il peindre sur fond uni?
L'artiste procédait exactement de même : il traçait les
contours qu'il ne devait pas dépasser; seulement, au
lieu de recourir au ciseau, il remplissait tout de suite
l'intérieur de son esquisse avec de la couleur, juxtapo-
sant les teintes comme tout à l'heure sur les figures
en relief, supprimant le modelé interne ou le rédui-
sant au strict nécessaire, évitant par-dessus tout le péril
des tons dégradés, dont il semble, d'ailleurs, que le
besoin ne s'imposât point à son esprit. Ainsi comprise
et pratiquée, la peinture manquait presque complète-
ment de perspective : on n'y voyait ni clair-obscur ni
lointains; les plans successifs ne s'y faisaient pas sen-
tir; c'était un assemblage de silhouettes coloriées, dis-
posées toutes à la même distance du regard. Et pour-
LA PEINTURE EGYPTIENNE. 2}
tant, cette peinture avait d'incontestables qualite's
décoratives. L'absence même de fonds la rendait essen-
tiellement propre à la décoration monumentale. Il est
absurde, quand on y prend garde, de peindre sur les murs
d'un temple ou d'un palais des perspectives savantes.
Qu'on y suspende des toiles, la raison n'y contredit
pas; mais qu'on les traite comme des toiles et qu'on y
creuse des horizons, elle se révolte. Aussi, ceux de nos
peintres le mieux doués pour le décor sont-ils ceux
dont la peinture éveille le moins l'idée d'un tableau.
Les Égyptiens ne raisonnaient pas sur cette matière,
mais leur inexpérience les gardait de nos erreurs; en
recouvrant leurs édifices d'un simple tissu colorié qui
en respectait scrupuleusement l'architecture, ils don-
naient, sans s'en douter, une preuve de leur bon sens;
leur naïveté était plus logique que notre science.
§ II L — Les conventions de la peinture
chei les Egyptiens.
Si les peintres égyptiens n'ont guère fait que des-
siner, c'est leur dessin surtout qu'il faut étudier pour
nous rendre compte des qualités de leur peinture. Or
ce dessin dénote tout ensemble une étrange timidité et
une heureuse audace; qu'il s'essaye à modeler délicate-
ment le calcaire ou qu'il esquisse des figures sur un
fond plat, pour recourir dans les deux cas à l'enlumi-
nure, dernière opération nécessaire à l'achèvement de
l'œuvre, il est remarquable par un curieux mélange de
gaucherie et d'habileté.
2+ LA PEINTURE ANTIQUE.
Toute sa gaucherie peut presque s^expliquer par
l^ignorancë de ce que les peintres appellent si joliment
des sacrifices. En art, comme en littérature, il est des
choses qu'on ne doit pas dire; quand on les dit de
parti pris, pouvant s''en dispenser, on tombe, par
exemple, dans cet abus de la description qui infeste
le roman contemporain, ou dans ce faire méticuleux
de certains Hollandais que quelques peintres de grand
talent s'efforcent de faire revivre ; quand on les dit par
impuissance à les taire, ori commet l'erreur de tous
les archaïsmes, qui est de croire qu'il faut tout rendre
et qu'une vérité sous-entendue n'existe pas. Tel est le
cas des Egyptiens. Voyez leur façon d'exprimer la figure
humaine. Un visage de face n'offre de saillant, sur son
pourtour, que les oreilles. Pour qui ne sait que tracer
des silhouettes, comment faire sentir l'enfoncement
des yeux, la proéminence du nez, celle des lèvres et du
menton? Sans ces traits, cependant, point de ressem-
blance. L'Egyptien s'en tirera en les rendant de profil.
Mais l'œil, alors, sera sacrifié : il le dessinera de face,
pour conserver ce qui fait le charme du visage, le feu
de la prunelle largement ouverte. Arrivé aux épaules,
nouvelle difficulté. Une épaule de profil empêche de
voir l'autre; d'ailleurs, pour la rattacher au cou, un
raccourci est nécessaire, et ce sont là de ces tours de
force où l'artiste égyptien ne se risque pas. Il présen-
tera donc les deux épaules de face, rendant brutale-
ment la carrure de son modèle. Avec le torse, il tri-
chera : il le posera de trois quarts, pour l'accorder tant
bien que mal avec la tête et passer plus aisément au
dessin des jambes, qu'il montrera franchement de pro-
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE. 2$
fil, car, dessinées de face, elles ne laisseraient aperce-
voir ni la saillie des genoux ni celle des pieds. C'est
ainsi que ses personnages seront une bizarre combi-
naison de la face, du trois quarts et du profil, sans
que, pour Justifier cet étrange assemblage, il faille ima-
giner autre chose qu'un excès de scrupule, une préci-
sion laborieuse qui tenait avant tout à ne rien sacrifier.
Fig. lo. — Émigrants asiatiques arrivant en Egypte.
Mais des figures ainsi construites se prêtaient, à la
rigueur, à des attitudes simples, comme celle du mort
assis, allongeant la main vers le guéridon placé devant
lui et chargé d'offrandes, ou celle du roi debout, adres-
sant ses prières à quelque dieu. Ailleurs, il fallait rendre
des mouvements plus compliqués, et rien, alors, n'est
amusant comme l'effort du dessinateur pour y parvenir.
Les lutteurs de Béni-Hassan lui mettent l'esprit à la
torture, et il invente une anatomie fantastique pour
traduire l'enchevêtrement de leurs corps. Un person-
nage doit-il porter les deux bras du même côté, par
2(5 LA PEINTURE ANTIQUE.
exemple, pousser devant lui une antilope, une main
posée sur le dos de Panimal et l'autre lui tenant les
cornes? Impossible, dans ce cas, d'indiquer les deux
épaules : il faut à toute force qu'il y en ait une qui
cache l'autre. L'artiste se dédommage en donnant à
celle qu'il montre une importance exagérée; sa figure,
de profil, a l'épaule comme si elle était de dos. Quel-
quefois, il résout autrement le problème. Considérez
ces deux Asiatiques (fig. lo) qui font partie d'une bande
d'émigrants venus en Egypte sous la XI I" dynastie. L'un
d'eux, celui qui tient une sorte de lyre, dont il joue,
laisse voir à la fois son épaule droite et son épaule
gauche, mais indiquées avec quelle inexpérience! On
dirait qu'il est pourvu d'un buste à charnières, par-
tagé dans le sens de la hauteur, et capable de s'ouvrir
et de se fermer à volonté.
C'est le propre de l'archaïsme de ne reculer devant
rien. Avec leur impuissance à rendre la perspective,
les Égyptiens n'ont pas craint de dessiner des foules.
Les tableaux exécutés à Karnak. et au Ramesséum, pour
célébrer les exploits de Ramsès II contre les Khiti,
montrent des champs de bataille couverts de combat-
tants. Les guerriers, les chars, s'y pressent en grand
nombre, tous de même taille, sans que la distance
rapetisse les plus éloignés (fig. ii). Si les dimensions
données au pharaon y sont supérieures à celles de ses
ennemis, c'est seulement parce qu'il est le principal
personnage; mais l'artiste n'a pas voulu, par cette
disproportion, marquer une différence de plan entre
eux et lui. Le même souci de tout dire se retrouve
dans la manière dont il représente les bataillons serrés
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
27
d'une armée en marche. Il étage les soldats les uns au-
dessus des autres, les faisant se dépasser du torse ou
de la tête, sans que ceux du dernier rang soient plus
petits ni moins finis que ceux du premier.
Dans les tombeaux, l'occasion était moins fréquente
Fig. II.
Combat de Ramsès II contre les Khiti,
sur les bords de l'Oronte.
de grouper ensemble d'aussi nombreuses figures. Il
fallait cependant faire voir les escouades de serviteurs
moissonnant ou labourant à la houe, les troupeaux
d'ânes ou de bœufs marchant dans le même sens sous le
bâton de leur gardien. Pour donner l'illusion des plans
successifs, le dessinateur fait mordre ses figures les unes
sur les autres (fig. 12 et i3), de façon que la première
apparaisse seule tout entière et que, des suivantes, on
ne distingue qu'un étroit profil. C'est un acheminement
28
LA PEINTURE ANTIQUE.
Fig. 13.
vers la perspective, mais un acheminement seulement :
la ligne des têtes est loin de s'a-
baisser toujours comme il fau-
drait, et la même ligne de terre
sert invariablement de support à
tous les pieds. Ce défaut de pro-
fondeur Tempêche de multiplier
les plans. Le terrain dont il dis-
pose se réduisant à une ligne, il
nY peut faire tenir un nombre illi-
mité de personnages, et comme,
pour éviter qu'ils se nuisent par
trop, il les figure tous, ou à peu
près, faisant le même geste, il
manque ce pittoresque qui naît de
Pirrégularité et qu'ont si bien rendu, avec leur science
des indications sommaires, les Japonais du xv!!!*" siècle.
Mêmes procédés dans le dessin du paysage. Nous
possédons l'image de plusieurs
villas, avec leurs bosquets,
leurs vergers et leurs pièces
d'eau. Un artiste moderne n'en
eût montré qu'une partie; il se
fût contenté, pour en donner
une idée, d'en reproduire la
façade, avec son cadre de ver-
dure, ou de chercher dans
l'immense parc un coin qui en
fît connaître les retraites em-
baumées et les épais ombrages. C'est à quoi l'Egyptien
n'a pu se résigner : il a tracé un rectangle qui en marque
Fig. 13.
LA PEINTURE EGYPTIENNE,
29
les limites, et couché dans ce champ tout ce que contient
la demeure princière, bâtiments, arbres, fleurs, ani-
maux. C'est une vue cavalière dont les quatre côtés sont
parallèles deux à deux et où tous les objets sont pré-
sentés en géométral. Veut-il rendre un canal bordé de
palmiers? S'il le dessinait à plat, de façon à en faire ap-
précier la largeur, les palmiers n'auraient plus de tronc;
il n'en resterait qu'un bouquet de feuilles. S'il leur
donnait tout leur développement, lé canal, à ras de
terre, échapperait au spec-
tateur. Il le suspend entre
les deux rangs d'arbres
(fig. 14) ; ainsi rien n'est
sacrifié. La figure i5, qui
représente des ouvriers
puisant de l'eau dans un
bassin pour la fabrication
de la brique, est, au point
de vue qui nous occupe,
d'un intérêt tout particulier. Le bassin y a la forme
d'un carré long qui permet d'en embrasser la super-
ficie entière, et les objets qui devraient être perpen-
diculaires à ce plan, hommes, plantes aquatiques,
touffes d'herbes, arbres, sont figurés comme s'ils lui
étaient parallèles. Parmi eux, le briquetier plongé dans
l'eau jusqu'à mi-corps est surtout remarquable : logi-
quement, il devrait faire la planche; ses jambes, ca-
chées par l'eau et qui prennent évidemment leur point
d'appui au fond du lac, nous obligent à le concevoir
dans une posture contraire à toute vraisemblance.
C'est ainsi que les Égyptiens, en voulant tout rendre,
Fig. 14.
JO
LA PEINTURE ANTIQUE.
sans posséder Part d'indiquer les fonds, ont été
amenés à un dessin conventionnel qui fait que leurs
tableaux sont souvent peu intelligibles. Faut-il ratta-
cher à ce système de conventions un curieux monu-
ment du Louvre ? Je veux parler de cet hippopotame en
faïence bleue, sur lequel on aperçoit, tracés à Fencre
noire, des plantes
grasses et des in-
sectes (fig. i6), ingé-
nieux expédient
pour montrer Fani-
mal dans le paysage
qui lui sert de cadre
ordinaire ^ Ce mo-
nument n'est pas
unique : le Louvre
même en possède
deux autres du
même genre ; ils rap-
pellent ce bélier de
pierre trouvé en
Phrygie et dont les flancs laissent voir, en léger relief,
d'un côté, quelques chèvres simulant un troupeau, de
l'autre, deux cavaliers, probablement deux bergers à
cheval comme ceux qui gardent le bétail dans les pays
de grandes pâtures*. Mais ce sont là des exceptions qui
nous éloignent, d'ailleurs, du dessin proprement dit et
de la peinture. Les hippopotames du Louvre n'en sont
1. Seconde salle des Dieux, n° 1634.
2. Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans f antiquité, t. V,
fig. 1 15 et 116.
Fig. is.
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
31
pas moins des exemples frappants des conventions aux-
quelles les Egyptiens avaient recours et de l'effort qui
est parfois nécessaire pour saisir toutes leurs intentions.
Conventionnelles aussi étaient leurs couleurs. De
bonne heure ils s'aperçurent que, chez eux, la femme
avait les chairs moins foncées que Thomme. Ils tra-
duisirent cette différence par une différence de colora-
tion dans le nu de leurs personnages : les hommes
furent uniformément coloriés en rouge brun , les
femmes en jaune
clair. Il y a pourtant
des exceptions : le
bas-relief de Séti !*"■
et d'Hathor, au mu-
sée du Louvre, nous
montre la déesse
avec les chairs rouge
brun, comme le roi.
On trouve, par contre, des hommes badigeonnés en
jaune au temps de la V* et de la XIX® dynastie : tel
est le cas sur les bas-reliefs du petit temple d'Ibsam-
boul, où dieux, rois et reines sont tous enluminés à
l'aide de ce ton. Dans un temple de la Nubie, les
pharaons ont le nu peint en bleu. Ailleurs, des Amons,
des Osiris, qui devraient, semble-t-il, être recouverts
du rouge brun des personnages mâles, ont les chairs
bleues ou vertes. Le plus souvent, les mêmes êtres et
les mêmes objets offrent, partout où ils se rencontrent,
la même coloration. Il se perpétuait dans les ateliers
des recettes relatives à l'enluminure qui convenait à
toute chose ; des instructions détaillées, analogues,
Fig. 1(5.
j2 LA PEINTURE ANTIQUE.
sans doute, à celles du moine Denys pour le moyen
âge oriental, enseignaient les tons conventionnels à
employer dans les divers tableaux, et les générations
successives s^ conformaient. C'est ainsi que, dans
le vêtement, les plis sont rendus par des empâtements
de couleur qui laissent le ton vif de la chair aux par-
ties sur lesquelles Pétoffe est tendue. La verdure des
arbres est exprimée par du vert uni mêlé de nervures
rougeâtres figurant les branches, le bleu de Peau par du
bleu, tantôt uni, tantôt rayé de flots noirs en zigzag, les
reflets indécis des plumes de certains oiseaux par du
rouge ou du bleu franc, le tiquetage du chien, le pelage
varié de la vache par de violentes taches noires,
blanches, rouges, suivant les cas. Sans négliger de parti
pris la nature, les Egyptiens ne s'attachaient point à la
reproduire telle qu'elle est; ils la simplifiaient, l'idéali-
saient, cherchant moins la ressemblance que les effets
décoratifs, plus soucieux de présenter les choses sous
un bel aspect que dans le menu détail de leurs nuances
réelles. Autant ils sont minutieux quand ils dessinent,
autant, quand ils peignent, ils procèdent largement,
uniquement préoccupés de l'impression d'ensemble et
gardant à la peinture ce caractère monumental qui est,
chez eux, sa raison d'être, le but qu'elle doit atteindre
et ne pas dépasser.
S IV. — Le j'éalisme.
On se demande comment, gênés par tant d'entraves,
ils ont réussi à exprimer la vie. Ils l'ont rendue, cepen-
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
îi
dant, avec une Justesse et une intensité souvent extra-
ordinaires, moins, il est vrai, par la coloration que par
le dessin. Leur coloration resta toujours convention-
nelle. Il faut pourtant noter de curieuses tentatives,
comme la couleur rose substituée au rouge pour les
figures d'hommes dans les tombeaux de Thèbes et
d'Abydos, sous la XVI IP dynastie, comme le ton brun,
presque noir, des serviteurs d'origine étrangère qui
Fig. 17 et 18. — Lutteurs de Béni-Hassan.
apparaissent dans quelques scènes de Fancien Empire,
mêlés aux indigènes. Il y a des tableaux où la transpa-
rence des étoffes est étudiée avec une curiosité très digne
d^intérêt. Un beau portrait de la reine Taïa, femme
d'Harmhabi, montre un tissu léger, analogue à nos
soies de Brousse, qui laisse voir, sous ses rayures dia-
phanes, la teinte plus foncée et presque le modelé des
bras. Ce sont là des exceptions, des audaces qui ne
durent pas, qui ne parviennent pas à vaincre la rou-
tine. Elles passent sans laisser de trace, et Ton retombe
dans l'ornière des anciens canons.
Le dessin a plus d'indépendance; sans s^affranchir
PEINT. ANTIQUE. 3
34 LA PEINTURE ANTIQUE.
des règles traditionnelles, il profite mieux des progrès
accomplis; il reflète plus fidèlement les vicissitudes de
l'art. C'est un préjugé de croire à l'immobilité de l'art
égyptien. Platon, qui l'admettait, se trompe et par-
tage à ce sujet l'erreur de ses contemporains. L'art s'est
transformé en Egypte, comme partout, avec le temps.
Aux formes trapues de l'ancien Empire ont succédé, à
partir de la XP dynastie, des proportions plus grêles,
une silhouette plus élancée. La XVIII'' dynastie, qui
suit l'expulsion définitive des Pasteurs et sous laquelle
l'Egypte devient conquérante, la XXVP, à laquelle
Psamitik I" donne une grandeur inattendue, sont des
époques de renaissance incontestable. Les bas-reliefs
peints du nouvel Empire, au moins sous les premières
dynasties, marquent sur ceux des âges précédents un
progrès sensible; la composition en est plus savante, la
perspective mieux entendue. Il faut tenir compte, en
outre, des témérités individuelles qui se sont produites
un peu à tous les moments et qui trahissent de méri-
toires efforts pour rendre plus exactement la vérité.
Voyez les scènes de lutte copiées à Béni-Hassan, où sub-
sistaient encore, au commencement de ce siècle, tant
de peintures admirablement conservées. Ces jeunes
hommes qui s'étreignent et s'enlacent deux à deux, dé-
jouent les ruses de leurs adversaires et parent leurs
coups (ng. 17), les enlèvent de terre pour les projeter au
loin (fig. 18), ont, malgré la maladresse de certains
traits, une vie et un mouvement qui font songer aux
jolies scènes de palestre dessinées sur les vases athé-
niens de la première moitié du v" siècle avant notre
ère. Les épisodes de la vie champêtre sculptés ou
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE.
ÎS
peints sur les parois des chapelles funéraires, la traite
des vaches, les soins donnés aux troupeaux et à la
basse-cour, le labourage, les métiers, si nombreux dans
les grottes de Béni-Hassan, fournissent des attitudes
d'une justesse remarquable. Le tableau auquel est em-
pruntée la figure i5, et qui décore une tombe thébaine,
nous fait voir des prisonniers fabriquant des briques
pour la construction d'un temple d'Amon : ceux
CZZ]
Fig. 19. — Prisonniers moulant des briques
pour la construction d'un temple.
d'entre eux qui apportent la terre et qui la moulent,
sous Toeil de leur sui'veillant égyptien (fig, 19), ceux
qui la chargent sur leurs épaules ou transportent les
briques déjà sèches, font des gestes naturels qui té-
moignent d'une scrupuleuse observation de la réalité.
Des essais de perspective se rencontrent : un des bas-
reliefs du tombeau de Chamhati, intendant des do-
maines royaux sous la XVIIP dynastie, offre, au pre-
mier plan, des serviteurs qui piochent la terre avec la
houe, au second, sur une ligne fortement ondulée qui
marque un relief du sol, un personnage, d'ailleurs de
même taille, occupé à labourer; une deuxième ondula-
J6
LA PEINTURE ANTIQUE.
tion, vers le haut du registre, indique un plan plus re-
culé encore. Mais Teffort le plus curieux dans ce sens
est celui qui est attesté par une peinture sur bois du
musée de Gizeh (fig. 20), où Ton voit la représenta-
tion d'un Jardin funéraire avec, au dernier plan, une
femme qui se lamente. La montagne figurée à gauche
est peinte en jaune rayé de rouge. On est frappé, dans
cette image, de Part avec lequel le peintre a ménagé les
lointains. La femme agenouillée occupe visiblement le
Fig. 20. — Essai de perspective dans une peinture funéraire.
fond du tableau ; la tombe qui est devant elle et l'arbre
qui est derrière ne se trouvent pas sur le même plan.
C'est un rare exemple de perspective dans le paysage.
On ne connaît, jusqu'ici, que deux peintures analogues.
Tune à Gizeh, l'autre à Turin.
Les Egyptiens se sont aussi essayés à la figure de
face. Eux si timides dans le dessin du visage, si pru-
demment attachés au profil, ils ont osé, dans quelques
occasions, présenter leurs personnages résolument tour-
nés du côté du spectateur. Un bas-relief de Karnak
montre Séti I" levant sa masse d'armes sur des captifs
parmi lesquels il y en a deux qui sont de face; une
file de prisonniers, au Ramesséum, contient une ex-
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE.
J7
ception du même genre. Considérez ces musiciennes
accroupies à la manière orientale, et qui font danser,
dans une fresque de Béni-Hassan , de gracieuses
aimées habillées d''une ceinture (fig. 21). Les deux
premières, de face, sont traitées avec une grande
liberté. Les plis transparents de leurs vêtements de lin,
leur cou souple, leurs cheveux indisciplinés, jusqu^à
Fig. 21. — Musiciennes de Béni-Hassan.
cette coiffure coquettement posée sur le sommet de la
tête et qui rappelle le kavouki actuellement en usage
dans certaines îles du nord de PArchipel, ou la toque
brodée des juives de Salonique, tout, dans leur per-
sonne, est d^ne modernité surprenante et contraste
singulièrement avec la raideur archaïque des figures
ordinaires.
Mais où les Egyptiens ont surtout excellé, c'est dans
Pexpression des traits propres à chaque race. Une terre
féconde et riche comme PÉgypte devait, de toute
38 LA PEINTURE ANTIQUE.
part, attirer les e'migrants. Avant même Tinvasion des
Pasteurs, il est probable que des familles, peut-être des
tribus emières, étaient venues s'y établir, fascinées par
cette antique civilisation dont la renommée s'étendait
au loin. Nous ne connaîtrons sans doute jamais bien
ces fluctuations de peuples qui, des déserts du pays
nègre aux plateaux de la haute Asie, entretinrent pen-
dant des siècles comme un remous continuel d'huma-
nité errante. Ce qu'il y a de sûr, c'est que les Pasteurs
jetèrent dans la vallée du Nil les nations les plus
diverses, soit par la conquête, soit par les migrations qui
la suivirent et la fortifièrent. Puis vinrent les guerres
des princes thébains pour chasser les envahisseurs du
sol national, puis les campagnes aventureuses de ces
mêmes princes, entraînés par le succès à des centaines
de lieues de leurs frontières, soumettant la Syrie et en
ramenant d'innombrables captifs, refoulant, au Midi,
les Éthiopiens, ces ennemis héréditaires, et rétablissant
sur eux la domination des anciens pharaons. Ces per-
pétuels conflits avec des étrangers, et surtout les grands
travaux que ces étrangers, prisonniers de guerre, exé-
cutaient sous le bâton de leurs vainqueurs, les construc-
tions auxquelles on les employait, les canaux qu'ils
creusaient, les routes qu'ils traçaient, les mines qu'ils
exploitaient pour le compte des rois, rendaient leurs
traits familiers aux artistes, et quand il s'agissait d'im-
mobiliser leur silhouette sur les parois de quelque
temple ou de quelque tombeau, le peintre ou le sculp-
teur n'était point embarrassé; de bonne heure, nous
voyons son œil exercé saisir rapidement leurs particu-
larités ethniques, et sa main souple les rendre avec une
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE.
Î9
sûreté admirable. On trouve déjà, dans les tombes de
Saqqarah, des personnages au crâne aplati, au front
dénudé, à la barbe touffue, au teint basané, presque
noir, vêtus d'un caleçon blanc et frangé qui n'est pas
le même que celui des Égyptiens. Selon toute vraisem-
blance, ce sont des étrangers qui sont venus se mettre
au service des riches fa-
milles de Memphis. Plus
tard, apparaissent les pri-
sonniers faits sur le champ
de bataille : l'Européen à
la peau blanche, aux mem-
bres tatoués, qui porte une
longue tunique ornée de
dessins bizarres et, sur la
tête, deux grandes plumes ;
l'Africain aux cheveux cré-
pus, au nez camard, aux
grosses lèvres, vêtu d'un
pagne soutenu par une
large bande d'étoffe qui
lui traverse la poitrine en
écharpe. Les deux esquisses à l'encre que nous repro-
duisons (fig. 22 et 23), et qui ont été calquées dans le
tombeau inachevé d'un haut fonctionnaire contempo-
rain de Khouniaton (XV1II«^ dynastie), montrent bien
cette habileté à fixer par le pinceau la physionomie et
le costume des vaincus. La première représente quatre
figures de profil, parmi lesquelles on distingue, à leurs
yeux clairs, deux hommes originaires d'Asie. Dans la
seconde, quatre prisonniers implorent la clémence du
Fig. 22.
LA PEINTURE ANTIQUE.
roi : un nègre, couvert d'une peau de panthère; deux
Asiatiques, reconnaissables à leur barbe, et un captif
imberbe, prosterné, dont la nationalité reste indécise.
Si nombreux que fussent les modèles, jarnais les
Égyptiens ne les eussent rendus avec autant de bon-
heur, s'ils n'avaient, de tout temps, été passés maîtres
dans le portrait. Avant
d'exprimer la ressem-
blance collective, ils
s'étaient exercés à ex-
primer la ressemblance
individuelle, et ils y
avaient tout de suite
acquis une adresse
merveilleuse. Leurs
dons naturels y étaient
pour quelque chose,
leurs idées religieuses
pour beaucoup.
Comme ils croyaient
que le mort continuait
à vivre dans le tom-
beau sous la figure immatérielle du double, tout l'ef-
fort de leur piété tendait à prolonger sa vie le plus
possible. De là les sacrifices qu'ils lui offraient pour
le nourrir et leS images sculptées ou peintes dont
ils l'entouraient pour perpétuer à travers les siècles,
par des illusions qui devenaient des réalités, les soins
nécessaires à sa conservation et à son bien-être. Mais
le double n'avait pas une existence propre : il dépen-
dait immédiatement du corps, dont il personnifiait,
Fig. 23.
LA PEINTURE EGYPTIENNE. +i
pour ainsi dire, la survivance. Le corps détruit, c'était
pour lui la fin, le néant; et qui pouvait répondre que
le corps durerait toujours? Tout embaumé quUl était,
un jour ou Tautre, il pouvait périr. Il fallait conjurer
les effets d'un pareil malheur. « On donnait pour sup-
pléants au corps de chair des corps de pierre ou de
bois, reproduisant exactement les traits du défunt, des
statues. Les statues étaient plus solides, et rien n'em-
pêchait qu'on les fabriquât en la quantité qu'on vou-
lait. Un seul corps était une seule chance de durée pour
le double : vingt statues représentaient vingt chances.
De là ce nombre vraiment étonnant de statues qu'on
rencontre quelquefois dans une seule tombe. La pré-
voyance du mort et la piété des parents multipliaient
les images du corps terrestre, et, par suite, les supports,
les corps impérissables du double, lui assurant par cela
seul une presque immortalité ^ »
On devine combien une semblable pratique dut
influer sur l'art. Il était nécessaire qu'entre le mort et
ses images la ressemblance fût parfaite, non pour les
survivants, — les statues étaient placées hors de leur
vue et de leur portée, dans l'étroit couloir muré qui
séparait la chambre funéraire de la chambre de récep-
tion,— mais pour le double, qui ne se fût pas reconnu
sous un autre visage que le sien. Si le corps qu'on don-
nait à ces représentations était, en général, une sorte de
corps anonyme, qui reproduisait le défunt au moment
le plus avantageux de son développement physique, la
tête devait rendre avec une fidélité scrupuleuse les
I. Maspero, Guide du visiteur, p. 21 5.
42 LA PEINTURE ANTIQUE.
moindres particularités de la face vivante. C'est ce qui
explique le réalisme saisissant de quelques portraits,
comme celui du Scribe accroupi, au musée du Louvre,
ceux du Sheikh-el-beled, du Scribe agenouillé, de Râhot-
pou et de sa femme Nofrit (fig. 6), au musée de Gizeh.
Avec leurs traits accentués et si personnels , leurs
yeux de quartz et de cristal enchâssés dans des pau-
pières de bronze, leur prunelle lumineuse au fond de
laquelle un clou d'argent simule parfois la flamme du
regard, ces figures ont une expression de vie extraordi-
naire qui ne peut manquer de frapper l'observateur le
plus distrait.
Il était naturel que, des statues, la ressemblance
passât aux peintures et aux bas-reliefs, que le mort, assis
ou debout sur les parois de la chapelle où il recevait les
offrandes de sa maison, fût représenté, non avec un
visage d'emprunt, mais avec son vrai visage. N'était-ce
pas pour le double qu'étaient tracées ces scènes, et ne
fallait-il pas, pour qu'il crût jouir effectivement des
biens qu'il y voyait prodigués à son effigie, qu'il se
reconnût dans cette effigie, qu'il s'y retrouvât avec tous
les signes qui le distinguaient, pendant la vie, de ses
contemporains? C'est à cette nécessité impérieuse de
faire ressemblant que les Egyptiens durent leur talent
de portraitistes. Joignez à cela un coup d'œil sûr qui,
sous la pure lumière de ce ciel méridional, saisissait
rapidement les moindres inflexions de contours, une
main légère qui les reportait sans effort sur la pierre,
le calcaire ou le bois, et vous comprendrez comment
l'art du portrait, non, à vrai dire, du portrait indépen-
dant, isolé, comme le nôtre, mais du portrait décora-
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
4?
Fig. 24.
tif, jouant son rôle dans de grands ensembles, fut de
bonne heure, en Egypte, un art
très répandu et qui ne tarda pas
à atteindre la perfection.
On en rencontre un peu par-
tout de ces portraits dont la res-
semblance, même en l'absence de
tout terme de comparaison, est
attestée par la personnalité qui
s'en dégage. Il y en a dans les
tableaux en relief des temples,
dans les hypogées royaux, dans
les sépultures particulières. Les
rois sont figurés revêtus du cos-
tume officiel, avec la raie de fard se prolongeant sur la
tempe, à l'aide de laquelle ils s'agrandissaient Poeil,
parfois, avec la barbe postiche, en crin ou en cheveux,
qu'ils s'attachaient sous le menton. Des dalles conte-
nant leur profil gravé étaient mises,
dans les ateliers, entre les mains des
apprentis sculpteurs, afin de les fami-
liariser avec des traits qu'ils pouvaient
être souvent appelés à reproduire. Les
particuliers, pour n'avoir point l'hon-
neur d'être un objet permanent d'é-
tude, n'en étaient pas moins, quand
l'occasion se présentait, rendus avec
une grande sûreté, qui prouve, chez
les artistes, l'habitude de pareils tra-
vaux. Plusieurs portraits d'hommes et de femmes, en
léger relief colorié, sont d'une grâce ou d'une vigueur
4*
LA PEINTURE ANTIQUE.
qui étonne, témoin ce profil féminin (fig. 24) dont la
rondeur un peu molle est pleine de douceur; témoin
encore ce visage dur, aux lèvres épaisses (fig. 25), qui
est celui d'un prêtre de Tépoque saïte, et dans lequel on
jurerait voir la figure d'un de ces âniers d'Alexandrie
ou du Caire, dont s'est
tant occupée, il y a deux
ans, notre badauderie pa-
risienne.
On ne saurait être
surpris que des mains
aussi agiles aient eu, à
fixer le profil des ani-
maux, une incroyable
aisance. Comme tous les
primitifs, les Egyptiens
ont été de grands ani-
maliers. A part quelques
exceptions, ils n'ont pas
su rendre la grâce ner-
veuse du cheval; mais
l'âne, le bœuf, le chien,
Fig. 2(5. l'antilope, la gazelle,
l'oie, le canard, tout le
peuple des poissons, ont été reproduits par eux avec
une vérité étonnante. Ils ont multiplié dans leurs
tombeaux le bœuf de labour, les vaches passant le Nil
entre deux barques qui les surveillent et les empêchent
de céder au courant, les troupeaux d'ânes et d'anti-
lopes, tantôt chassés à coups de bâton par leur gar-
dien, tantôt broutant paisiblement sous un arbre, et
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
+S
toutes ces bêtes diverses ont les attitudes et les mouve-
ments familiers des originaux. La lassitude du chien
après la chasse (fig. 26), la posture tassée du pélican
au repos, l'allongement de son cou quand il se gratte
(fig. 27), le dandinement de Poie et sa démarche non-
chalante (fig. 28), sont figurés d'un trait juste qui
donne à ces images un air de vie vraiment merveilleux.
Fig. 27. — Étude de pélicans.
Les ébats des quadrupèdes en liberté, leurs pour-
suites et leurs luttes amoureuses, témoignent d'une
longue expérience de la vie des champs et d'une con-
naissance profonde des moindres drames qui l'animent.
Mais plus on descend dans l'histoire, plus se perd cette
maîtrise dans la peinture des animaux. C'est sous l'an-
cien Empire qu'elle éclate surtout, et peu de scènes
agricoles sont comparables à celles qui décorent la
tombe de Ti, à Saqqarah.
Un pinceau aussi souple avait tout ce qu'il fallait
♦6
LA PEINTURE ANTIQUE.
Fig. 28. — Étude d'oies.
pour traduire le côté grotesque des choses. La carica-
ture n'a point été, en Egypte, un genre à part; mais elle
paraît, à l'occasion, dans
l'enluminure des manu-
scrits. Ce n'est pas ici le
lieu de rechercher longue-
ment à quels sentiments
elle se rattachait. On y a vu
la preuve d'une opposition
frondeuse, d'une rancune
de sujets opprimés par leurs rois, et qui s'en seraient
vengés en s'en moquant. C'est une erreur. Ces compo-
sitions burlesques ont bien plutôt leur origine dans la
verve satirique qui couve chez tous les peuples, pour
s'échapper par intervalle en fusées joyeuses, sous la
forme de dessins ou de chansons. D'ailleurs, les scènes
comiques qui nous ont été conservées par les papyrus
ne sont pas, à proprement parler, des caricatures; elles
ne visent, ou ne semblent viser spécialement aucun
individu; ce sont des
fables en action, d'une
portée très générale ,
où les hommes sont
remplacés par des ani-
maux, et dont tout le
mordant consiste
presque uniquement
dans cette substitu-
tion. Ici, un âne, un
lion, un crocodile et un singe exécutent un quatuor
avec divers instruments (fig. 29); là, c'est un troupeau
Fig. 29. — Parodie d'un concert,
sur un papyrus.
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE.
47
d'oies en rébellion contre trois chats qui le gardent,
c'est un hippopotame monté sur un sycomore d'où
s'apprête à le déloger un épervier qui le rejoint à
l'aide d'une échelle. L'allusion, parfois, est plus trans-
parente : un âne accoutré en pharaon, le sceptre en
main, reçoit les hommages d'un chat qu'un bœuf lui
présente; un rat juché sur un char royal, traîné par
des chiens, s'élance à l'assaut d'une forteresse que
défend une armée de Raminagrobis. Les papyrus ne
sont pas seuls à
nous montrer de pa-
reilles fantaisies :
un ostracon du mu-
sée de New -York
nous fait voir un
chat, la queue entre
les jambes, offrant
à une lionne, sa su-
zeraine apparem-
ment, l'oie qui représente la dîme qu'il lui doit
(fig. 3o). Ces parodies reflètent la gaieté native des
Egyptiens. Laissez les siècles s'écouler : ce même
esprit innocemment railleur, vous le retrouverez dans
la poésie alexandrine. Les Grecs du ni" et du u® siècle
avant notre ère, qui viendront se fixer sur la terre
des pharaons, hériteront de l'humeur caustique de
ceux qui l'habitaient avant eux. Ce sera le même
souci des petits et des humbles, la même attention à
étudier leur façon de vivre, la même facilité à saisir
leurs ridicules et à les rendre d'un crayon sûr et
alerte. Dans les vignettes satiriques des papyrus de
Fig. 30.
Caricature, sur un ostracon.
48 LA PEINTURE ANTIQUE.
Londres et de Turin, circule déjà le souffle qui égayera
certaines épigrammes de l'Anthologie et les Sj^ra-
cusaines de Théocrite. L'art ne restera pas en arrière.
Le principal caricaturiste dont nous aurons à nous
occuper est le peintre Antiphilos, un Egyptien. Sous
ce ciel léger, le rire est dans Pair et le moindre
heurt le fait éclater.
§ V. — Les procédés techniques.
Il reste à indiquer sommairement comment on s'y
prenait, en Egypte, pour dessiner et pour peindre. Il
s'agissait d'abord de préparer la surface à décorer. Si
elle était de pierre, on la recouvrait d'un enduit. Le
grès ou le calcaire des temples de Thèbes présentent
partout ce stucage léger, dont le but était de dissimuler
les joints des miatériaux, d'empêcher que la pierre
n'absorbât trop de couleur et de faire que celle qui y
était étendue eût plus de solidité et d'éclat. Mais ces
grands édifices ne comportaient, en général, que la
peinture sur fond sculpté, soit en relief, soit en creux.
La peinture proprement dite était réservée aux mu-
railles des tombes, bien que, là aussi, le relief peint fût
fréquent; on la rencontre encore sur les stèles en bois
et les papyrus, sur les caisses de momies, les toiles
stuquées, etc. C'est dans les tombes qu'elle offre le plus
d'intérêt. Quand on creusait un hypogée dans le cal-
caire, les surfaces qu'on obtenait contenaient souvent
des corps étrangers, des rugosités qu'il fallait faire
disparaître : on les enlevait et on bouchait les vides
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
49
avec du pisé. Souvent, on revêtait la paroi tout en-
tière d\m crépi analogue, plus ou moins épais, qu'on
égalisait à la planche et sur lequel on étendait un
lait de chaux. Cest sur ce fond que le peintre appli-
quait ses figures. Cette façon de peindre à plat est fort
ancienne. On a cru à tort la voir apparaître pour la
première fois dans les ca-
vernes de Béni- Hassan *.
Bien qu'à Saqqarah ce soit
le relief colorié qui do-
mine, on y trouve aussi
des peintures sur fond uni.
Un des plus grands masta-
bas de Meïdoum, dont
l'époque est indécise, mais
qui remonte certainement
très haut dans l'histoire,
montre des scènes de chasse
et de pêche simplement peintes sur du pisé enduit
d'une mince couche de stuc.
Pour recevoir des tableaux sculptés, la surface était
seulement polie, puis passée à la chaux; dans certains
cas, on lui faisait subir une préparation spéciale. Mais
qu'on dût décorer à plat ou en relief, la surface une
fois peinte, on y traçait l'esquisse. On la dessinait à
l'encre rouge ou à l'encre noire, parfois d'abord à
l'encre rouge, très largement, après quoi, on la repre-
nait en noir, en la poussant davantage et en corrigeant
les lignes défectueuses. Beaucoup de ces esquisses
I. Perrot et Chippiez, Histoire de l'art dans V antiquité, t. l'^',
p. 792-
PEINT. ANTIQUE. ^
Fig. 31.
50 LA PEINTURE ANTIQUE.
ont été trouvées dans des tombes ou des parties de
tombes inachevées; plusieurs sont curieuses par les
tâtonnements qu'elles révèlent. Afin de déterminer
Paplomb de ses personnages, le dessinateur tirait, dans
le champ à décorer, des lignes verticales sur lesquelles
il indiquait, par des traits horizontaux ou par des
points, la place des genoux, celle des hanches et des
épaules (fig. 3i). Il est probable aussi que, pour gui-
der sa main, il employait le fil à plomb, mais il ne se
servait pas de poncifs, comme le feraient croire la res-
semblance de certaines figures entre elles et leur suc-
cession régulière. Regardez de près les processions
d'individus ou les groupes qui animent de si nom-
breuses scènes : vous n'y verrez pas deux silhouettes
identiques. Les poncifs n'étaient donc pas en usage chez
les Egyptiens, mais leur grande habitude du dessin
leur rendait aisée l'exécution de ces figures sœurs, qui
ne le sont qu'en apparence et dont la diversité n'échappe
point à un œil attentif.
Le procédé le plus usité, pour éviter les erreurs de
composition ou de dessin, était le quadrillage de la
paroi. On reportait sur ce quadrillage, à une échelle
supérieure, les figures d'hommes ou d'animaux tracées
en petit sur une tablette également quadrillée et qui
jouait le rôle de modèle. Cette mise au carreau préli-
minaire est visible dans quelques tombeaux inachevés;
elle apparaît même, là où Je peintre a passé, sous la
peinture, aux endroits où la couleur s'est détachée, ce
qui prouve qu'on ne prenait pas la peine de l'effacer
avant de peindre. On voit ici ce treillis conducteur
reconstitué intégralement (fig. 32), tel que, sans doute.
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
S'
il existe encore sous une figure de Saqqarah qui ne le
laisse apercevoir que par places. Il faut se garder de
prendre^ comme on l'a fait, ces divisions pour des di-
visions canoniques. Il nV a rien à conclure du nombre
des carrés que comprend le quadrillage ni de la répar-
tition des différentes lignes du corps dans ces carrés.
Jamais les Egyptiens ne
semblent avoir possédé un
canon proprement dit,
fondé, par exemple, sur la
longueur du doigt ou celle
du pied. Ils construisaient
leurs figures au juger, avec
l'expérience qu'ils devaient
à leur longue pratique, et
les efforts qu'on a tentés
pour rapporter leurs pro-
portions à des règles fixes,
se modifiant seulement à
de longs siècles d'inter-
valle et formant des ca-
nons correspondant aux
grandes époques de l'art, n'ont pour point de départ
rien de solide.
A l'esquisse succédait le modelage au ciseau, s'il
fallait présenter le sujet en relief; sinon, le peintre
prenait tout de suite possession du champ à enlumi-
ner. Il n'y a pas lieu d'admettre, chez les Égyptiens,
une extrême division du travail. Tout porte à croire
que les mêmes artistes se chargeaient également de
peindre et de sculpter, et que, dans le cas d'une décora-
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Fig. 32.
sa LA PEINTURE ANTIQUE.
tion en relief, c^étaient le sculpteur ou ses élèves qui
revêtaient de couleurs les scènes ciselées par eux. Nous
possédons plusieurs tableaux qui nous font voir des
sculpteurs peignant eux-mêmes les statues sorties de
leurs mains. L'enluminure était, pour le bas-relief
comme pour la ronde bosse, un complément si indis-
pensable, que les deux opérations devaient être, le plus
souvent, pratiquées par les mêmes personnes. Quoi
qu'il eR soit, les Egyptiens disposaient dMn assez grand
nombre de couleurs. On en compte jusqu'à sept sur les
palettes qui remontent aux premières dynasties : c'est
le rouge, le bleu, le jaune, le vert, le brun, le blanc et
le noir. Sous le moyen Empire, on rencontre deux va-
riétés de rouge, deux de bleu, trois de jaune, deux de
vert, trois de brun, ce qui porte à une quinzaine le
nombre des tons parmi lesquels le peintre pouvait choi-
sir. La teinte violacée qu'on trouve sur quelques bas-
reliefs semble provenir d'une dorure aujourd'hui effa-
cée. La plupart de ces couleurs étaient minérales. Une
des plus résistantes était le bleu qu'on obtenait à l'aide
de verre coloré au moyen d'un oxyde de cuivre, puis
réduit en poussière. On en fabriquait aussi avec du
lapis-lazuli broyé. Les rouges étaient de l'ocre natu-
relle ou brûlée, peut-être du cinabre, plus tard du
vermillon, quand les victoires de Thoutmos III sur
les Syriens eurent répandu l'usage du minium d'Asie.
Les jaunes étaient de l'ocre ou du sulfure d'arsenic. Le
principe colorant du vert, la moins solide des couleurs
égyptiennes, était le cuivre. Les bruns étaient naturels
ou produits par le mélange du noir avec de l'ocre
rouge. Le noir était tiré d'os d'animaux calcinés; on
LA PEINTURE EGYPTIENNE.
53
avait recours aussi aux noirs de charbon, comme
Tatteste la teinte bleuâtre de certaines chevelures.
Le blanc, dont Téclat et la conservation sont si
remarquables, était du plâtre délayé dans une sub-
stance gommeuse. On a cru constater que, dans la
composition de quelques couleurs, il entrait du miel.
Les couleurs, à l'état de pains, de
grains menus ou de poudre fine, étaient
conservées dans des sachets. Trois
petits paquets de pâte bleue, au musée
de Gizeh, portent encore l'empreinte
de la toile, depuis longtemps pourrie,
qui les enveloppait. Quelquefois, on
les gardait dans des joncs évidés. Pour
s'en servir, on les triturait avec une
molette sur une pierre creusée en
forme d'auge, puis on les détrempait
dans de l'eau additionnée de gomme
adragante. On les étalait avec des ro-
seaux dont l'extrémité se divisait, à
l'humidité, en fibres ténues, d'une
grande souplesse. Cet instrument pou- Fig- il-
vait tracer les lignes les plus déliées,
comme le prouvent les vignettes qui ornent les rituels
de l'époque hellénique. On employait également, dans
certains cas, la brosse, peut-être le pinceau de poils.
Pour les badigeonnages de peu d'importance, le peintre
tenait d'une main son pot à couleur, tandis que, de
l'autre, il maniait le pinceau (fig. 7). Ailleurs, on le
voit armé de la palette. Il y en avait de plusieurs sortes.
Celle que reproduit la figure 33 est curieuse par l'en-
s*
LA PEINTURE ANTIQUE.
H lï,'
I
taille qui aidait le pouce à la serrer, et surtout par le
couvercle à pivot qui la protégeait. Ce couvercle a dis-
paru, mais on distingue encore le petit trou
dans lequel était engagé Taxe qui lui per-
mettait de se mouvoir. La palette la plus
ordinaire était une planchette oblongue,
quadrangulaire, dans laquelle étaient
creusés, à la partie supérieure, un nombre
plus ou moins grand de godets, tantôt
deux, un pour le rouge, un pour le noir,
s^il ne s'agissait que de dessiner ou d'écrire,
tantôt six, accouplés deux à deux, d'autres
fois sept et même davantage. On disposait
tïEj ii 7 7.^ dans ces godets les couleurs à l'état de
pains. La partie inférieure de la palette
offrait, dans le sens de la longueur, une
rainure assez large pour contenir les ca-
lâmes; cette rainure était, en général, fer-
mée par un couvercle à coulisses qui, ne
la recouvrant pas tout- entière, laissait
échapper l'extrémité des pinceaux (fig. 34).
Il existe des palettes de peintres ou de
scribes dans toutes les grandes collections;
quelques-unes sont encore garnies de leurs
couleurs (fig. 35). Mais il faut distinguer
celles qui ont servi, ou qui auraient pu
servir, des palettes votives, uniquement
destinées à figurer dans le mobilier funéraire; celles-ci,
de dimensions moindres, sont souvent en albâtre, par-
fois en ivoire, en ébène, etc. Le Louvre en possède une
série intéressante.
LA PEINTURE ÉGYPTIENNE. js
On tenait la palette de la main gauche, horizonta-
lement, bien que les bas-reliefs et les peintures lui don-
nent volontiers la position verticale (fig. 8) ; mais c'est
là un effet des conventions dont j'ai parlé. L'œuvre
achevée, on laissait sécher la couleur. On s'avisa,
sous la XX^ dynastie, d'y étendre un vernis qu'on
F'g- Î5' — Palette chargée de couleurs.
appliquait sur tout le tableau ou seulement sur les or-
nements et les accessoires. On y renonça quand on
reconnut que ce vernis se craquelait et noircissait avec
le temps. Quelques masques de momies indiquent que
les Egyptiens n'ignoraient pas la peinture à l'encaus-
tique, mais ce procédé apparaît tard dans leurs ateliers.
Sans doute, ils l'avaient reçu des Grecs, qui en étaient
les inventeurs.
CHAPITRE II
LA PEINTURE ORIENTALE
Passons d'Afrique en Asie, considérons les grands
empires qui se sont succédé, plusieurs siècles avant
notre ère, entre la Méditerranée et le golfe Persique,
les États de moindre importance qui ont laissé des
traces de leur civilisation au nord du Taurus et le long
du littoral de la mer Egée : nous y trouvons, pour la
couleur, le même goût qu'en Egypte. Dans ces pays
de chaude lumière, où le ciel reste sans nuage pendant
de longs mois, la polychromie apparaît comme une
condition essentielle de Tart ; qu'on l'explique par la
nécessité d'atténuer l'éclat du Jour ou par un vague
désir d'imiter la nature, qui colore tout ce qu'elle crée,
nulle part elle n'est absente, partout elle embellit les
œuvres des hommes. Ni l'Assyrie ni la Perse ne nous
offrent, par malheur, de ces scènes comme celles qui
ornent les tombes égyptiennes; point de ces tableaux
gravés et peints comme ceux que nous avons vus se
dérouler, aux bords du Nil, sur les pylônes et les mu-
railles des temples. Les monuments, d'ailleurs, sont
ici moins nombreux, et la peinture n'est représentée
que par de rares spécimens. Ils suffisent pour nous en
LA PEINTURE ORIENTALE. 57
faire comprendre le caractère. Comme chez les Egyp-
tiens, elle était purement décorative; elle servait de
complément aux autres arts, elle n^était pas, par elle-
même, un art. Elle n'en a pas moins eu ses mérites
propres; avec ses tonalités brillantes et délicates, elle
fait honneur à Pimagination orientale et vaut la peine
que nous nous attardions quelque temps à la contem-
pler.
§ I". — La peinture che^ les Chaldéens
et les Assyriens.
Des différents Etats dont il sera question dans ce
chapitre, c'est la Chaldée qui se présente à nous comme
le premier où ait paru la décoration polychrome. Nous
ne pouvons, malheureusement, nous en faire qu'une
idée approximative, faute de documents. On sait que
des fouilles récentes, dues à M. de Sarzec, un de nos
consuls qui continue la tradition des Botta, des Place,
des Delaporte, ont mis au jour, dans la basse Chaldée,
sur les bords d'un canal qui relie le cours du Tigre à
celui de l'Euphrate, les ruines d'une antique cité, Sir-
pourla, que ne mentionne aucune histoire. Là ont été
trouvés de précieux débris, dont les plus anciens nous
reportent à près de quarante siècles avant notre ère et
attestent l'existence d'une civilisation originale, qui ne
doit rien à l'Egypte. Ce sont des bas-reliefs, des sta-
tues, des cylindres de terre cuite couverts d'écriture
cunéiforme, etc. Parmi tous ces monuments, pas un
reste de peinture. Il paraît bien, cependant, que, dès la
plus haute antiquité, les Chaldéens pratiquèrent l'orne-
58 LA PEINTURE ANTIQUE.
mentation polychrome, sinon par la peinture, du moins
par les industries qui s'en rapprochent. Si le palais
dont M. de Sarzec a pu dresser le plan à Tello — c^est
le nom qui désigne remplacement de Sirpourla — était
fait de briques cuites entièrement nues, si nulle trace
d'enduit colorié ni d'émail ne se laisse apercevoir sur
ces briques, dont toute la parure consistait dans l'al-
ternance régulière de leurs assises, il est plus que pro-
bable qu'à l'intérieur, tout au moins, cette sévérité
d'aspect était corrigée par des boiseries appliquées sur
les parois et par des tapisseries servant de tentures *.
Les boiseries nous sont clairement révélées par un
texte : une inscription de Tello fait allusion au revête-
ment de cèdre qui décorait une des salles du palais
et dont on voit au Louvre un échantillon, dans la
belle collection que notre musée doit à M. de Sarzec-.
Quant aux tapisseries, comme, de tout temps, la Chal-
dée et la Babylonie en fabriquèrent, c'est à peine
une hypothèse d'admettre que les patési ou chefs sacer-
dotaux qui résidaient à Sirpourla en faisaient, dans
leur demeure, un large emploi.
Les Chaldéens ont-ils connu la peinture à la dé-
trempe? S'en sont-ils servis pour décorer leurs inté-
rieurs? Rien, jusqu'ici, ne permet de l'affirmer; mais
on peut conjecturer que les détrempes assyriennes, dont
on a retrouvé quelques fragments, étaient un reflet des
peintures analogues qui égayaient les chambres des
1. L. Heuzey, Un palais chaldéen d'après les découvertes de
M, de Sar:^ec, p. i8.
2. E. de Sarzec, Découvertes en Chaldée, p. 65, note de
M. Heuzey.
LA PEINTURE ORIENTALE. S9
palais mésopotamiens. Ils ont, dans tous les cas, pra-
tiqué rémaillerie de la brique ; il est hors de doute qu'à
Babylone, par exemple, cet art fut cultive' de très bonne
heure avec succès, et si nous le voyons prendre, en As-
syrie et en Perse, un développement aussi considé-
rable, c'est aux Chaldéens qu'en revient l'honneur. Le
palais chaldéen qu'un explorateur anglais, Loftus, a en
partie dégagé à Ouarka, l'ancienne Erech, présente un
curieux essai de décoration par l'argile peinte. Une
des façades était ornée de chevrons et de losanges
Jaunes, rouges et noirs, formés par des cônes de terre
cuite à base coloriée; tandis que les sommets de ces
cônes, noyés dans le pisé qui les reliait, n'étaient pas
visibles, les bases, avec leurs tons vifs, paraissaient au
dehors et figuraient une mosaïque assez voisine, par le
dessin, de certains tapis qui nous viennent d'Orient.
Mais ce sont là d'assez pauvres indices ; si nous vou-
lons savoir ce qu'était la peinture dans ces régions,
c'est aux ruines assyriennes qu'il faut nous adresser.
Bien que l'Assyrie soit loin de nous avoir livré tous
ses secrets, les grands palais de Kalach et de Ninive
(Nimroud, Kouioundjik), la splendide résidence bâtie
par Sargon à Dour-Sharoukîn, la ville de Sharoukîn
ou de Sargon (Khorsabad), nous en ont assez appris
sur l'art assyrien pour que nous ayons une idée de sa
magnificence. Ces royales demeures, véritables villes
munies d'enceintes crénelées et qui donnaient asile à
tout un peuple de serviteurs et de soldats, étaient dé-
corées de la façon la plus somptueuse; avec leurs
vastes cours et leurs appartements aux chambres in-
nombrables, leur harem, leurs communs, leurs maga-
(5o LA PEINTURE ANTIQUE.
sins, leurs écuries, elles assuraient à leurs farouches
possesseurs tout le confort de la vie orientale telle
qu'on l'entendait alors, et ils n'en sortaient guère que
pour aller se battre ou pour se donner le plaisir de ces
grandes chasses au lion dont les bas-reliefs ninivites
nous ont conservé le souvenir. La sculpture n'y était
pas épargnée; soubassements et portes y étaient ornés
de figures en relief ou en ronde bosse. La peinture,
elle aussi, concourait à les embellir. La tour à étages
du palais de Khorsabad, qu'on appelle communément
VObservatoire et qui n'est autre chose qu'un temple,
était revêtue, du haut en bas, d'un stucage colorié dont
le ton variait d'un étage à l'autre : le premier étage, à
partir du sol, était peint en blanc, le second en noir, le
troisième en rouge et le quatrième en bleu. Un passage
d'Hérodote, relatif aux fortifications d'Ecbatane, la ca-
pitale des Mèdes, autorise à croire que, des trois
étages qui manquent, l'un était couvert d'un badigeon-
nage vermillon, l'autre argenté et le plus élevé doré.
Cette combinaison de couleurs, d'origine chaldéenne,
avait un sens symbolique : dans l'argenture et la do-
rure des deux derniers étages, il est aisé de voir une
allusion à la discrète clarté de la lune et à la lumière
plus éclatante du soleil.
Ce genre d'enluminure était d'ailleurs assez rare; on
avait recours, le plus souvent, pour décorer l'extérieur
des édifices, à la brique émaillée. En revanche, à l'in-
térieur, on faisait amplement usage de la peinture.
A Khorsabad, régnait autour des chambres une plinthe
noire, destinée à atténuer l'effet des maculatures qui
pouvaient salir le pied des parois; la même plinthe
LA PEINTURE ORIENTALE.
6i
noire ou de couleur sombre se retrouve encore aujour-
d'hui chez les fellahs de la Mésopotamie. Certaines
pièces, dans lesquelles on a cru reconnaître des cham-
bres à coucher, étaient pourvues d'une sorte d'alcôve
dont le fond était badigeonné en noir. D'autres offraient
une ornementation plus gaie : on a relevé quelque
Fig. 36.
Fragment de fresque du palais de Sargon,
à Khorsabad.
part des figures d'hommes et de chevaux s'enlevant sur
un fond vert, avec une vivacité de coloris qui devait
être du plus bel effet (fig. 36). Nous ne savons pas si
les appartements des Assournazirhabal, des Sargon, des
Sennachérib et de leurs successeurs renfermaient des
peintures représentant des scènes analogues à celles
qu'on voit sur les bas-reliefs. Si de telles peintures ont
existé, nous pouvons sans trop de peine en imaginer
l'aspect, grâce à ces mêmes bas-reliefs dont le nombre
est, par bonheur, si considérable. Pas plus que les
62 LA PEINTURE ANTIQUE.
Egyptiens, les Assyriens n'ont su rendre la perspective;
aussi les personnages de leurs tableaux sculptés sont-
ils étage's les uns au-dessus des autres, sans différence
de taille. Leurs paysages n'ont pas de fond; les palais,
les forteresses, les arbres, s'y superposent sans qu'il
y ait entre eux ni air ni espace; les terrains montueux
y sont indiqués par de petits cônes dont la réunion
forme un quadrillage en losanges qui paraît incom-
préhensible, quand on n'a pas la clef de cette bizarre
convention; les eaux y sont traduites par des lignes
ondulées, mêlées d'enroulements pour figurer les flots,
quelquefois par des hachures qui se coupent à angle
droit, et font songer à quelque ouvrage de sparterie.
Quant à la figure humaine, presque toujours de profil
avec l'œil de face, elle est construite à peu de chose
près comme en Egypte; pourtant, la têie repose sur des
épaules qui sont parfois de profil, et les parties nues
sont rendues avec une exagération anatomique que ne
présente pas la sculpture égyptienne. Par contre, les
parties vêtues sont d'une raideur surprenante; la timi-
dité de l'artiste ne s'y permet aucun pli, à peine quel-
ques petites ondulations dans les franges. L'ensemble
est puissant et lourd, et demeure bien au-dessous des
hardiesses légères si familières aux sculpteurs de la
vallée du Nil.
Le même dessin conventionnel se retrouvait sans
aucun doute dans les fresques des appartements royaux.
La coloration en était, de plus, fort éloignée de la na-
ture, si l'on en juge par les briques émaillées. Il est
inadmissible, par exemple, que tous les Assyriens aient
été vêtus de jaune : c'est ce que semble, pourtant, indi-
LA PEINTURE ORIENTALE.
63
quer une brique de Nimroud, qui représente le roi
suivi d'un eunuque et d'un garde, et offrant une liba-
tion à quelque dieu. Le nu même de ces figures est
peint en jaune clair; des retouches noires ou blanches
font saillir la prunelle, les cheveux, la barbe, les arcs,
les sandales, certains ornements du costume. L'archi-
volte émaillée décou-
verte à Khorsabad mon-
tre des génies ailés dont
Paccoutrement Jaune res-
sort sur un magnifique
fond bleu bordé de mar-
guerites blanches. Le
personnage ci -contre
(fig. 37), qui faisait par-
tie d'une frise émaillée
placée, dans le même
palais, près de l'une des
portes du harem, s'en-
lève, lui aussi, en jaune
sur un fond bleu. Ce
sont là des conventions
qui prouvent que le
peintre cherchait uniquement l'effet décoratif. On
trouve ailleurs d'autres tons, également convention-
nels. Une brique de Nimroud, qui entrait dans la com-
position d'un tableau de bataille, laisse apercevoir un
char attelé de chevaux bleus. Mais c'est le jaune qui
est employé de préférence, surtout dans les peintures
de grande dimension. La frise du harem, à Khorsabad,
contient un taureau et un aigle jaunes. On y voit, près
Fig- 37.
6+
LA PEINTURE ANTIQUE.
d'une charrue Jaune, un figuier au tronc et aux rameaux
de la même couleur (fig. 38), avec des fruits jaunes qui
ont la forme de pommes, et des feuilles vertes d'un des-
sin très primitif. On y admire un beau lion jaune à
retouches bleues (fig. Sg), qui témoigne du goût des
Assyriens pour la représentation de ce fauve, que leurs
bas-reliefs nous montrent tantôt traqué par les chas-
seurs, tantôt blessé, d'autres fois porté mort par des
Fig. 38. — Fragment de la frise émaillée du harem,
à Khorsabad (restauration).
serviteurs qu'il accable de son poids. On ne saurait tirer
de là des conclusions certaines : si les palais étaient
ornés de fresques à sujets, peut-être n'étaient-elles pas
coloriées exactement comme les briques ; faites, en gé-
néral, pour le dehors, destinées à supporter une
lumière intense, celles-ci pouvaient se contenter de
touches sommaires; les fresques, réservées pour les
intérieurs, comportaient une plus grande variété de
tons. Mais, encore une fois, si les Assyriens ont exé-
cuté de pareilles fresques — et l'avenir, probablement,
éclaircira ce point — c'étaient, comme en Egypte, des
peintures à teintes plates, sans clair-obscur ni modelé.
LA PEINTURE ORIENTALE.
«S
et qui visaient plutôt au décor monumental qu'à l'ex-
pression du réalisme de la vie.
L'Assyrie a également connu la peinture d'orne-
ment. A Nimroud, dans certaines chambres, couraient
le long des murs de simples bandes horizontales
rouges, vertes et jaunes, qui se continuaient sur le
revêtement lapidaire servant de plinthe, quand ce revé-
Fig' 39* — Fragment de la frise émaillée du harem,
à Khorsabad (restauration).
tement n'était pas sculpté. Des rosaces entre deux
lignes de chevrons, des franges réunies en touffes et
retenues par des rondelles posées à plat, des taureaux
blancs, affrontés, se détachant sur un fond paille, entre
une rangée de créneaux bleus et une bordure de ces
mêmes franges agrémentée de noir, de rouge et de
blanc (fig. 40), figuraient au haut des parois des frises
multicolores, dont l'harmonie devait être charmante.
Peintures de genre et peintures d'ornement étaient
appliquées sur un enduit de trois à quatre millimètres
d'épaisseur, composé de chaux cuite et de plâtre. Étendu
PBINT. ANTIQUE. J
<î(5
LA PEINTURE ANTIQUE.
à la planche cet enduit formait un mastic blanc très
adhérent à Targile des murailles et très doux au pin-
ceau, qui s''y promenait sans obstacle. Si l'on replace
par la pensée, à côté de ces enluminures, les tapis qui
y mêlaient leur chatoyant éclat, si Ton rétablit les
appliques de métal, les incrustations d'ivoire qui diver-
sifiaient les portes et les lambris, on concevra le luxe
de ces habitations princières, où les grands conquérants
qui régnèrent à
S70
Ninive du x'^ au
vir siècle avant
notre ère venaient
se reposer de leurs
victoires et goûter
les douceurs du
Ar/e/ oriental.
J'ai dit que,
pour décorer le de-
hors des édifices ,
on préférait à la peinture la brique émaillée. C'est sur-
tout à Babylone qu'on la voit employée. L'émaillerie
y avait été de tout temps florissante. Quand Nabucho-
donosor, le héros du second empire chaldéen
(vi« siècle av. J.-C), y fit exécuter ces grands travaux
qui marquent dans l'histoire de l'art, en Chaldée, une
•sorte de renaissance, il y eut recours pour orner les
diverses enceintes de son palais ; des briques coloriées
.y figuraient des chasses, des paysages, que les voyageurs
jgrecs nous vantent dans leurs récits. On peut se rendre
compte, au Louvre, de l'aspect que présentaient les
ibriques babyloniennes, par les quelques spécimens
LA PEINTURE ORIENTALE.
67
qu'en possède le musée; chacun de ces fragments garde
un peu du bitume à l'aide duquel on soudait les bri-
ques entre elles et qui en assurait la cohésion*. A Nim-
roud, à Khorsabad, des briques émaillées ont de même
été retrouvées, sans qu'on puisse dire toujours à quelle
Fig. \\. — Brique émaillée de Nimroud.
construction elles appartenaient. C'est aux portes et à
leurs abords que l'architecte assyrien semble avoir
réservé ce genre de décoration; on eA a, du moins,
la preuve dans cette superbe archivolte qui encadrait
une des portes de la cité de Sargon, et dans la frise
I. Salle asiatique (petits monuments), vitrine des missions
Botta et Place. Voyez A. de Longpérier, Musée Napoléon III,
pi. IV.
68 LA PEINTURE ANTIQUE.
f
placée près de l'entrée du harem. Ces briques étaient
peintes sur la tranche, avant la cuisson, et il en fal-
lait plusieurs pour former une seule figure; on les
assemblait grâce à des marques de pose, comme les
pièces d'un immense jeu de patience, et en ayant sous
les yeux uncarifonsur lequel était tracée Pimage qu'on
voulait reproduire, avec les signes indiquant la place
de chaque morceau. Les ruines de Nimroud ont fourni
des briques d'une autre espèce, peintes non sur la
tranche, mais sur la face principale. L'échantillon que
nous en donnons (fig. 41) montre quatre prisonniers
de race blanche, la corde au cou, la tête ornée d'une
plume; les deux premiers portent un pagne rayé, les
deux autres, une sorte de chemise ouverte sur la poi-
trine. Le pied et le bras qu'on aperçoit au-dessus et en
avant de ce groupe prouvent qu'il faisait partie d'une
scène analogue à celles qui se déroulent sur les bas-
reliefs. D'autres fragments font voir des combattants,
des chars de guerre, des profils et des plans de forte-
resses (fig. 42 et 43). Ces différentes figures sont beau-
coup plus petites que celles de Khorsabad, et une seule
brique pouvait, dans certains cas, suffire à tout un
tableau. Cette décoration n'était point extérieure; elle
servait probablement à parer certaines salles où, pla-
cée à une faible hauteur, elle se laissait admirer dans
tous ses détails.
Tandis que les sujets représentés sur les briques ba-
byloniennes s'enlevaient en relief léger sur le fond,
ceux des briques assyriennes étaient peints aplat; une
simple ligne tracée au pinceau en cernait seulement les
contours. Cette ligne est parfaitement visible sur quel-
LA PEINTURE ORIENTALE.
rtp
ques briques du Louvre provenant de Khorsabad^;
on Taperçoit aussi sur les briques de Nimroud (fig. 41).
C'est le bleu et le jaune qui dominaient à Khorsa-
bad; à Nimroud, sur les briques affectées aux revête-
ments intérieurs, on note le vert, le bleu, le Jaune, le
rouge, le blanc, le noir. La polychromie des briques
babyloniennes était
de même assez riche ;
le bleu y est plus
foncé et plus beau
que sur les briques
assyriennes.
Le bleu de Khor-
sabad était, comme
en Egypte, du lapis-
lazuli pulvérisé ; on
en a retrouvé un
bloc, du poids d'un
kilogramme, dans
une des chambres
du palais de Sargon.
C'est ce bleu, délayé
avec un corps gras, qu'on étendait sans doute sur la
sculpture, aux endroits où on la coloriait. Le bleu de
Nimroud était donné par un oxyde de cuivre mêlé
de plomb. Le rouge, à Khorsabad, était de la san-
guine; on en a découvert un pain d'une vingtaine de
kilogrammes, à côté du pain de bleu. A Nimroud, la
Fig. 42.
I. Salle asiatique (petits monuments), vitrine des missions
Botta et Place.
ro
LA PEINTURE ANTIQUE.
même couleur était fournie par un sous-oxyde de
cuivre. Le jaune était un antimoniate de plomb conte-
nant une certaine quantité d^étain, le blanc, un oxyde
d'étain, le noir, probablement du noir animal. On
connaît mal la composition du vert.
C'est une question de savoir dans quelle mesure les
Assyriens peignaient leur sculpture. Les couleurs dont
on a relevé des traces sur
les monuments sculptés
de la région ninivite se ré-
duisent au rouge, au bleu,
au noir et au blanc. Elles
sont, en général, appli-
quées sur les accessoires
ou sur certaines parties
. que FaTtiste a voulu spé-
cialement désigner à Pat-
Fig. 4j. tention. C'est ainsi qu'on
remarque des arbres au
feuillage bleu, au tronc et aux rameaux rouges, des
oiseaux aux pattes rouges et aux ailes bleues. Sur les
reliefs à personnages, le globe de Pœil est souvent
indiqué en blanc, la prunelle et le sourcil en noir; la
barbe est noire; la coiffure est rehaussée de rouge, la
chaussure, de bleu. Ces deux mêmes tons se rencon-
trent sur les sceptres ou les fleurs que tiennent quelques
figures, sur les armes, sur les harnais des chevaux.
Dans plusieurs tableaux qui représentent des incend'ies
de forteresses, les flammes sont coloriées en rouge. Il
y a des cas où, lors même que la pierre se montre à nu,
tout porte à croire qu'elle était peinte. Ces carrés con-
LA PEINTURE ORIENTALE. yj
centriques, parfois coupés de rosaces, qui bordent les
vêtements, et qui sont simplement dessinés à la pointe,
étaient- évidemment revêtus de couleur : ils eussent,,
même de près, échappé à la vue sans la polychromie,
qui les faisait valoir. Un bas-relief de Khorsabad, au,
musée du Louvre, offre Timage d'un écuyer debout
près de quatre chevaux^ : or, aux quatre têtes, parfai-
tement distinctes, ne correspondent que huit jambes et
un seul poitrail. L'inadvertance semble étrange, quand
on songe aux scrupules du sculpteur assyrien, qui se
fait de la précision, comme tous les primitifs, une loi
sévère et donne cinq jambes à ses taureaux ailés, pour
que, de profil, ils paraissent en avoir quatre. Qui sait,
si ces chevaux si bizarrement construits n'appelaient
pas la peinture à leur aide, et si les membres que le
ciseau leur a refusés n'étaient pas exprimés par le
pinceau?
L'opinion généralement admise aujourd'hui est
que la sculpture assyrienne n'était coloriée qu'en par-
tie, que ces touches discrètes de blanc et de noir, de
rouge et de bleu, suffisaient à réveiller la teinte grise
de la pierre; elles auraient mis en évidence les sourcils
et les yeux, les chevelures et les barbes, les tiares, les
baudriers, les glands, les franges, les éventails, les pa-
rasols, les sandales, les armes; partout ailleurs, la mar
tière se serait montrée telle qu'elle est. Sans avancer,
comme on l'a fait, qu'un ton monochrome couvrait
toutes les surfaces où n'apparaît nulle trace de couleur^
je serais porté à croire que la peinture jouait, dans la
1. Galerie assyrienne du rez-de-chaussée, à droite en entrant,.
78 LA PEINTURE ANTIQUE.
sculpture des Assyriens, un rôle plus considérable. Je
me figure difficilement ces monstres ailés à tête d'homme,
ces lions colossaux qui gardaient Pentrée des demeures
royales, avec de simples touches de couleur sur la tête;
ces points enluminés eussent paru bien peu de chose,
et c'est à peine si, de loin, on les eût distingués.
D'autre part, les matériaux dont se servaient les Assy-
riens, le calcaire et Talbâtre dans lesquels ils taillaient
leurs figures, n'étaient pas assez beaux pour que leur
seul poli pût être agréable à l'œil. La couleur y devait
être largement répandue ; autrement , ces masses
ternes eussent été singulièrement tristes et peu d'ac-
cord avec la riche décoration de certaines parties exté-
rieures des palais dont elles ornaient les abords. Enfin,
il faut se garder d'attacher trop d'importance aux restes
de couleur qu'on y a trouvés, et ne point se hâter de
dire que, là où l'on ne voit rien, il n'y avait rien en
effet. Les bas-reliefs de Sennachérib et d'Assourbani-
pal, au Musée britannique, n'offrent pas trace de pein-
ture : il est cependant impossible de supposer qu'ils
avaient été laissés à l'état naturel, ou bien l'on doit
admettre qu'ils sont inachevés. Le bleu et le rouge, qui
dominent dans la sculpture assyrienne, étaient proba-
blement des tons plus solides que les autres; mais de
ce que seuls, ou à peu près, ils se sont maintenus,
faut-il conclure qu'ils n'étaient point accompagnés
d'autres tons, et que le jaune, par exemple, pour lequel
les Assyriens avaient une prédilection si marquée, ne
leur était pas opposé dans certains cas? Peut-être un
jour en saurons-nous là-dessus davantage. Ce qui reste
vrai, c'est que la polychromie de la sculpture, en Assy-
LA PEINTURE ORIENTALE. 73
rie, ne visait pas plus que la peinture à rendre la re'alité.
C'était une enluminure monumentale, dont Tunique
but était de produire de beaux effets d'ensemble, en
harmonie avec le ciel qui Téclairait. Quand nous ren-
contrerons en Grèce les mêmes tons de fantaisie, nous
nous souviendrons des bas-reliefs et des statues de la
vallée de PEuphrate : ils nous aideront à comprendre
la polychromie des Grecs, elle aussi toute convention-
nelle à ses débuts.
§ II. — La peinture en Phénicie
et en Asie Mineure.
Il y a peu de chose à dire de la peinture chez les
peuples qui habitaient la côte de Syrie ou la vaste pé-
ninsule limitée par la mer de Chypre, le Bosphore et
la mer Noire. Soit faute de documents, soit pauvreté
de Part chez ces différents peuples, rien, dans ce qu'ils
ont laissé, ne mérite le nom de peintures, et il suffira
d'un rapide coup d'œil pour noter partout, dans leurs
monuments, la persistance de cette polychromie qui
était chez eux, comme dans tout l'Orient, la parure né-
cessaire de l'architecture et de la statuaire.
Les Phéniciens, ces admirables caboteurs qui, du-
rant tant de siècles, sillonnèrent la Méditerranée de
leurs vaisseaux, n'ont pas eu, à proprement parler,
d'art à eux. Leurs formes leur venaient de la Mésopo-
tamie et de l'Egypte. On en peut dire autant de leur
décoration. S'ils n'ont pas couvert les parois de leurs
édifices de ces tableaux variés qui remplissaient les
7+
LA PEINTURE ANTIQUE.
temples et les tombeaux de la vallée du Nil, s'ils n'ont
pas eu recours à la brique émaillée, comme les Ghal-
déens et les Assyriens, ils ont dû, dès l'origine, être
frappés de l'heureux parti que ces nations, avec les-
quelles ils entrete-
naient de continuels
rapports, avaient su
tirer de la couleur ;
aussi, à leur exem-
ple. Font-ils partout
employée. Bien que
leurs plus anciennes
tombes soient au-
jourd'hui absolu-
ment nues, rien ne
s'oppose à ce qu'ils
en aient revêtu l'in-
térieur de tons plus
ou moins gais. Leurs
hypogées de l'épo-
que gréco-romaine
présentent parfois
des vestiges d'orne-
ments peints : c'était
sans doute l'écho d'une antique tradition. Ils colo-
riaient leurs sarcophages anthropoïdes; ils coloriaient
aussi leurs stèles funéraires. Celle qui est reproduite
ici (fig. 44), et qui provient de Sidon, appartient au
Louvre : le fond seul en est stuqué et contient le por-
trait d'un personnage debout, drapé dans son manteau,
la main gauche munie d'un objet indistinct; au-dessus
Fig. 4t'
LA PEINTURE ORIENTALE. 7$
de sa tête court une guirlande retenue des deux côtés
par un nœud de rubans'. Il existe un certain nombre
de stèles analogues, qui descendent, comme celle-ci,
assez bas dans Thistoire. Elles sont, en général, tout
entières enduites de stuc, et le fronton en est colorié,
ainsi que les antes. Là encore, nous sommes évidem-
ment en présence d'une ancienne tradition.
La sculpture phénicienne était peinte : la preuve
en est fournie par les statues de Cypre, cette grande
île syrienne que se partagèrent de bonne heure les Phé-
niciens et les Grecs. Les découvertes de M. de Cesnola
à Athiéno, où il faut peut-être voir l'emplacement du
temple de Golgos, ont mis au jour une riche série de
statues sur la plupart desquelles la couleur paraissait
encore, assez vive, au moment des fouilles. Plusieurs
morceaux de sculpture cypriote, dispersés dans les
musées et les collections particulières, en gardent éga-
lement des traces fort visibles. Comme chez les Assy-
riens, des teintes franches faisaient valoir les détails
importants. On distingue des restes de rouge sur les
lèvres, les cheveux et la barbe; la pupille de l'œil est
indiquée à l'aide du même ton; d'autres fois, elle est
noire, ainsi que la chevelure. Les boucles d'oreilles^
les colliers, sont ordinairement peints en rouge; rouge
aussi est le ruban qui sert de coiffure à certaines têtes,
de style grec plutôt que phénicien, et sur lesquelles la
couronne de feuillage , serrée par une bandelette, a
remplacé le haut bonnet barbare. Des bandes rouges
I. Salle des fresques antiques, n» 116 de la Notice sommaire
des moniimejrts phéniciens, ]par E. Ledrain.
76 LA PEINTURE ANTIQUE.
OU bleues bordent les vêtements. L'une de ces deux
couleurs couvre même toute la tunique chez quelques
statues de petite taille. Rien ne prouve que, là où la
peinture ne se montre pas, la matière apparaissait. Ce
tuf poreux et tendre dans lequel sont taillées les sta-
tues cypriotes se fût mal accommodé de Pair libre, et
les grandes surfaces qu'affectionnait l'art sommaire du
sculpteur eussent semblé bien monotones sans le secours
de la polychromie. Quoi qu'il en soit, nous retrou-
vons là le même système d'enluminure qu'en Mésopo-
tamie, du rouge, du bleu, du noir, probablement aussi
du blanc, aux endroits qui doivent frapper le regard.
Même convention dans le choix des couleurs : on ne se
met pas en peine de copier la nature ; on recherche
avant tout les tons voyants qui flattent l'œil et s'har-
monisent avec le ciel.
Dans les contrées situées au delà du Taurus et
dont une partie était occupée par l'ancien royaume de
Phrygie, il n'y a guère à signaler que quelques tombes
coloriées. Le pays, d'ailleurs, est assez pauvre en mo-
numents. Si célèbre qu'il ait été jadis par les légendes
de Tantale et de Niobé, quelque popularité que lui ait
acquise auprès des Grecs le nom déjà historique de
Midas, il renferme peu d'indices des différentes civili-
sations qui s'y sont succédé. Des débris d'acropoles,
des niches pratiquées dans les rochers du Sipyle, des
amoncellements de pierres ayant servi de sépultures, des
ruines à peine reconnaissables de sanctuaires, tels sont
à peu près les seuls souvenirs qu'on y rencontre de la
population primitive. Ailleurs, il est vrai, plus avant
dans les terres, sur la branche occidentale du fleuve
LA PEINTURE ORIENTALE. 77
Sangarios, qui se jette dans le Pont-Euxin, subsistent
encore des tombes monumentales d'un haut intérêt; le
même district a fourni quelques morceaux de sculp-
ture, mais tout cela ne nous éclaire que très imparfaite-
ment sur l'art phrygien. Nous savons cependant que
les Phrygiens aimaient la couleur et qu'ils l'ont fait
servir à la décoration de leurs tombeaux. Les fa-
çades de quelques-uns de ces tombeaux, taillés dans
le roc, présentent par endroit
des restes d'un stuc épais, sur JT^ïliiJj^^
lequel on a noté des traces de cnB5rpjTl-ry^^
EnËanHnË
plus connu d'entre eux, le mo- li7~£fïjirfi^^
nument de Midas, est décoré à p ^llr' SUr' 1 Lm
rouge, de blanc et de noir. Le r-Ul^-^TLÎT^^
l'extérieur d'un dessin géomé- ]L^[=]c=îpi77]i^|=ic:jp
trique en relief (fig. 45), qui
paraît imité de quelque tapis, pjg. ^5.
et oii Tornemaniste avait cer-
tainement reporté les couleurs qui paraient son mo-
dèle. Cette influence de la tapisserie se retrouve sur
les façades de la plupart des tombes phrygiennes, et
cela n'a rien de surprenant, si l'on songe à la faveur
dont jouissaient et dont jouissent encore, dans ces ré-
gions, l'industrie du tisserand et la broderie.
Le royaume de Crésus, la Lydie, n'a guère été ex-
ploré jusqu'à ce jour. Les tumulus de Sardes, presque
tous pillés dans l'antiquité, inspirent peu de con-
fiance aux chercheurs, qui appréhendent de les trouver
vides. De là vient que l'art lydien nous est à peu près
inconnu. On a cependant recueilli, non loin de Sardes,
quelques monuments polychromes. Tels sont ces lits
78
LA PEINTURE ANTIQUE.
^>^%
funéraires en pierre, munis, aux pieds comme à la tête,
d'une sorte de clievet. La figure 46, qui reproduit la
moitié de Pun d'eux, donne une idée des ornements
peints qui les décoraient : c'étaient des grecques et des
étoiles, très irrégulièrement tracées. Les deux couleurs
qu'on y a remarquées sont le vert et le rouge; peut-
être le vert n'est-il que du bleu altéré.
La polychromie était, nous le savons, largement
pratiquée en Lycie. Bien
que les tombeaux récem-
ment dessinés dans ce pays
soient tous postérieurs à la
conquête perse , c'est-à-dire
au VI* siècle avant notre ère,
on y a relevé des particu-
larités qui datent certaine-
ment de l'antiquité la plus
haute. Très ancienne est,
par exemple, cette imitation de la construction en bois,
qui donne à la tombe lycienne, sculptée dans le ro-
cher, l'aspect d'une habitation en charpente. Très an-
cien également est l'usage de rehausser de couleur
cette bizarre architecture. Des traces de peinture ont
été aperçues sur les monuments en forme de tours qui
représentent un des types les plus archaïques de sépul-
ture Ivcienne; sur l'un d'eux, à la place où d'ordinaire
s'étalent des bas-reliefs, on a cru reconnaître les restes
d'une décoration entièrement due au pinceau. Nous
reviendrons, à propos de la Grèce, sur la polychromie
des bas-reliefs lyciens. Prenons acte, en attendant, de
cette prédilection pour la couleur qui apparaît partout
Fig. 46.
LA PEINTURE ORIENTALE. 79
en Lycie et se rattache évidemment à des habitudes
traditionnelles. Les inscriptions elles-mêmes étaient
peintes : elles s'enlevaient, sur le roc où elles étaient
gravées, soit en rouge, soit en bleu. Dans ces vallées
où la verdure mariait si gracieusement ses nuances va-
riées au ton laiteux du ciel, on comprend que la poly-
chromie fût en faveur et que partout la couleur jetât
ses notes claires sur ces fonds de feuillage qui en avi-
vaient Téclat.
§ III. —La peinture che:{ les Perses.
De tous les grands empires qui se sont élevés en
Asie, le plus riche, le plus magnifique est Tempire des
Perses. Les trésors amassés à Ecbatane et à Suse,
les vases d'or et d'argent du grand Roi et de ses favo-
ris, les splendides costumes de ses soldats, de ces Im-
mortels tout chamarrés d'or qui formaient autour de
lui une garde d'élite, sont des thèmes sur lesquels les
écrivains grecs aiment à revenir, soit qu'ils content,
comme Hérodote, la désastreuse campagne de Xerxès
en Occident, soit qu'ils chantent, comme Eschyle, un
épisode de cette campagne et le triomphe de l'hellé-
nisme sur la barbarie. Un peuple fastueux comme le
peuple perse devait avoir un art en rapport avec ses
goûts. Héritier des arts de la Chaldée et de l'Assyrie,
imitateur de l'art égyptien, surtout depuis la conquête
de rÉgypte par Cambyse, l'art perse nous apparaît, en
effet, comme la synthèse grandiose de toutes les élé-
gances du monde oriental. C'est sur les palais que se
8o LA PEINTURE ANTIQUE.
concentre son effort. Le palais est la demeure du sou-
verain, et le souverain est l'âme de Tempire : il lui
faut une résidence somptueuse, qui donne à ses peuples
une haute idée de sa puissance, oii il trouve en même
temps tout le bien-être imaginable, le mystère, le si-
lence, aussi nécessaires à son repos qu'à son prestige.
Ses appartements privés sont assez simples; des fleurs,
des arbres, des ruisseaux, y entretiennent la fraîcheur
et l'ombre. En revanche, un luxe inouï éclate dans ces
salles d'apparat où il se montre entouré de ses courti-
sans, dans ces vastes pavillons couverts en bois de
cèdre, qui s'emplissent, à de certains jours, d'une foule
respectueuse, admise à contempler le monarque dans
toute sa gloire. Il existait de ces édifices à Persépolis et
à Suse; il y en avait probablement aussi à Ecbatane.
Les documents nous font défaut pour en imaginer la
décoration intérieure. Nous ignorons si la peinture y
jouait un rôle. Les fouilles récentes exécutées à Suse
par la mission Dieulafoy ont cependant mis au jour
des fragments d'un enduit assez épais, badigeonné de
rouge à plusieurs couches, et qui ferait croire que les
murailles étaient, au dedans, tapissées de stucs colo-
riés. Si le rouge y dominait, comme tout porte à le
croire, ce ton chaud devait s'accorder de la façon la
plus heureuse avec les ors et les ivoires plaqués çà et
là, les boiseries de diverses couleurs et les tentures ré-
pandues à profusion dans ces immenses salles.
A l'extérieur, les Perses, comme les Assyriens, fai-
saient usage de la brique émaillée. Il suffit de voir au
Louvre les merveilleux ensembles reconstitués par
M. et M'"" Dieulafoy, pour avoir une idée de l'art con-
LA PEINTURE ORIENTALE,
8i
sommé avec lequel ils remployaient. Tantôt ils en for-
maient des taches lumineuses qu'ils semaient sur les
murs, et le bleu de l'émail se mariant au gris rosé des
briques non coloriées communiquait aux façades une
chaleur et une harmonie de tons à peine concevables;
tantôt ils en composaient des figures qui, placées à une
Fig. 47. — Lion de la frise émaillée
du palais d'Artaxerxès Mnémon, à Suse (restauration).
grande hauteur et se détachant en relief sur un fond
également émaillé, couronnaient heureusement cer-
taines parties de Pédifice. Tel était le cas de ces lions
trouvés à Suse, parmi les débris du palais d'Artaxerxès
Mnémon, où, selon toute apparence, ils décoraient
Pentablement des propylées (fig. 47). L'art assyrien, si
habile à exprimer la force et la souplesse de ce roi des
fauves, l'éternel ennemi des princes ninivites, n'a rien
produit de plus beau que cette file de lions à l'encolure
puissante, qui s'avancent la gueule ouverte et dont cri
croit entendre le rugissement. Les archers, découverts'i^
PEINT. ANTUJUE. • 6
82 LA PEINTURE ANTIQUE.
eux aussi, dans les ruines de Suse, ornaient sans doute,
à Tabri de l'air, sous un portique, une des façades du
palais de Darius. Ils sont, par conséquent, beaucoup
plus anciens que les lions. Neuf d'entre eux ont été
restaurés à coup sûr : ce sont des figures d'archers
noirs. Quelle qu'ait été leur disposition par rapport les
uns aux autres, qu'il faille ou non nous les représenter
partagés en deux groupes se faisant face et séparés par
ces lignes d'écriture d'où les Perses, comme les Assy-
riens, comme les Turcs de nos jours, tiraient de si jolis
effets décoratifs, ce qu'ils ont d'intéressant pour nous,
c'est leur costume et leur armement, c'est le fond bleu
vert sur lequel ils s'enlèvent et dont la valeur était
augmentée par le beau stuc gris, poli comme le marbre,
qui revêtait le bas de la paroi, ce sont les gracieuses
rangées de denticules et de palmettes qui leur servent
d'encadrement. Les uns portent une tunique jaune
d'or rehaussée d'étoiles blanches, les autres une tunique
blanche sur laquelle on distingue, dans de petits car-
rés, le profil, très sommairement indiqué, de la cita-
delle susienne. Robes blanches^ et _ robes jaunes alter-
nent régulièrement (fig. 48). Avec la corde verte qui
leur enserre la tête comme un turban, avec leurs bou-
cles d'oreilles et leurs bracelets d'or, leur énorme car-
quois muni de pendeloques, leurs vêtements aux vives
couleurs, leurs chaussures de cuir souple boutonnées
sur le cou-de-pied, leur grand arc et leur lance garnie,
à la base, d'une grenade d'argent, ces soldats répon-
dent assez exactement aux descriptions des auteurs
grecs et au portrait qu'ils tracent de certains corps pri-
vilégiés des armées de Darius et de Xerxès.
LA PEINTURE ORIENTALE.
8?
Il n'est pas toujours facile de se rendre compte de
la place qu'occupaient, dans cette riche ornementation,
Fig. 48. — Archers du palais de Darius à Siise (restauration).
les nombreux fragments émaillés exhumés des tumulus
de Suse. Les uns appartenaient à des mains courantes
d'escaliers ; d'autres servaient à des usages qui nous
8+ LA PEINTURE ANTIQUE.
sont inconnus. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'à Suse
rémaillerie contribuait pour une grande part à la pa-
rure des bâtiments royaux. Elle différait sensiblement
de rémaillerie assyrienne. Elle s'en distinguait d'abord
par le relief : les archers et les lions sont de véritables
sculptures émaillées, dans lesquelles les jeux de cou-
leurs se compliquent des effets produits par les ombres
portées. Remarquez, de plus, Taspect nouveau que
donne aux archers l'effort de l'artiste pour indiquer le
moelleux des étoffes : ni l'émaillerie ni la sculpture
des Assyriens n'offrent rien d'analogue. Faut-il voir là
une tradition chaldéenne? Comme l'attestent les statues
drapées de Tello au musée du Louvre, l'art de plisser
les vêtements n'était point ignoré des vieux maîtres mé-
sopotamiens; or on ne saurait nier l'influence des ate-
liers chaldéens sur les frises de Suse : une pareille vir-
tuosité dans le maniement de la couleur trahit une
pratique séculaire. Il est pourtant plus naturel de rat-
tacher cet essai de modelé à l'art grec, avec lequel les
Perses étaient depuis longtemps familiers, grâce à leurs
possessions d'Ionie. L'influence de cet art éclate dans
les lions; elle se fait déjà sentir dans les tuniques des
archers. Les plis qui les sillonnent sont d'invention
récente; leur timidité même en est la preuve. Si vous
les regardez de près, vous verrez qu'ils se réduisent à
des stries légères, qui n'altèrent en rien la forme des
ornements. Le modeleur inconséquent a bien plissé
l'étoffe, mais il n'a pas su rendre les déformations que
ce plissement devait produire dans les motifs brodés
qu'il traversait.
La couleur des émaux de Suse est souvent conven-
LA PEINTURE ORIENTALE.
8$
tionnelle; elle Test cependant moins que celle des
émaux assyriens. Si les lions d'Artaxerxès ont la face,
pour ainsi dire, tatouée de lignes bleues, si des retou-
ches bleues et jaunes marquent la saillie de leurs os et
de leurs muscles, la coloration des archers paraît se
rapprocher beaucoup de la nature. Leurs robes bario-
lées, garnies d'un galon ver:, leurs souliers jaunes,
Fig. 49. — Fragment de la robe d'un archer.
leurs carquois noirs, constellés de croissants clairs,
sont probablement l'exacte reproduction de détails
réels, que le peintre a transportés tels quels dans
son tableau. Une particularité curieuse est Tespèce de
cloisonnage qui sépare les uns des autres les différents
tons. Des nervures saillantes, coloriées en brun ou en
gris, et sans doute obtenues à Taide d'une composition
liquide qu'on répandait en mince filet sur la surface et
qui durcissait en séchant, cernent chaque couleur, la-
quelle se trouve ainsi confinée dans un compartiment
où elle est seule. Très visibles dans les grands dessins,
26 LA PEINTURE ANTIQUE.
ces nervures le sont peut-être plus encore dans les
petits, comme le prouve cette bordure de la robe d'un
archer dont les fragments n'ont pu être assemblés
(fig. 49). Une pareille technique s'explique à la fois
par une raison de métier et par une- raison d'art.
D'abord, ces lignes saillantes empêchaient les cou-
leurs de se pénétrer; ensuite, leur ton sombre et les
ombres légères qu'elles projetaient ménageaient, pour
l'œil, la transition d'une couleur à l'autre, et pré-
venaient les effets heurtés ou discordants qui pou-
vaient résulter de leur juxtaposition. La hardiesse de
l'émailleur susien était grande ; tout en ne disposant que
d'un petit nombre de tons, il ne s'interdisait point les
rapprochements audacieux; il lui fallait, déplus, comp-
ter avec les surprises de la cuisson, qui ne donnait pas
toujours les nuances prévues. Le cloisonnage servait
de sourdine à ce concert de notes éclatantes : il rame-
nait les notes fausses à la sonorité voulue, et, joint au
quadrillage formé par les assises de briques superpo-
sées, il adoucissait pour la vue l'impression de ces
brillants ensembles, dont l'harmonie savante se re-
trouve encore aujourd'hui dans le décor des beaux tapis
persans *.
Les tons sont quelquefois si variés et si vifs, que,
sans le cloisonnage, l'effet en serait insupportable.
Voyez, par exemple, ces deux carreaux de terre émaillée,
I. On trouvera cette théorie savamment développée dans l'ou-
vrage que M. Dieulafoy achève en ce moment sur les résultats
de ses fouilles et dont la première partie a paru sous ce titre :
l'Acropole de Siise. Je dois, à son obligeance d'en avoir pu don-
ner ici un très rapide aperçu.
LA PEINTURE ORIENTALE,
87
découverts à Suse sous] un épais remblai, et dont la fi-
gure ci-dessous offre une restauration. Sans les lignes de
'rxScH&R.M'-
Fig, 50, — Carreaux de terre émaillée trouvés à Suse
(restauration).
démarcation tracées entre les couleurs, ils auraient l'as-
pect criard d'un justaucorps d'arlequin. Rien de doux,
au contraire, comme ce treillis de baguettes grises dans
lequel sont répartis des losanges et des triangles vert
88 LA PEINTURE ANTIQUE.
tendre, vert foncé, blancs, gris bleu, bruns et Jaunes, et
que surmonte un élégant rinceau de fleurs de lotus
entremêlées de palmettes d'une facture tout hellénique.
Quelle que soit, d'ailleurs, l'importance du cloison-
nage, un fait est à noter, c'est la liberté du dessin; pas
plus en Perse qu'en Egypte, les poncifs n'étaient de
mise : on s'en aperçoit bien à l'irrégularité des espaces
qui séparent les rosaces semées sur les tuniques des
archers, et au peu de ressemblance qu'elles présentent
entre elles. Cette ignorance ou ce mépris du procédé
mécanique, cette répétition indéfinie du même effort,
ces recommencements qui jamais ne se lassent, sont un
des grands charmes de la décoration perse et, il faut le
dire, de l'art antique en général. On y sent une pensée,
une volonté toujours présente, dont les écarts ou les
défaillances touchent infiniment plus que la froide sû-
reté de nos machines. Et la même personnalité paraît
dans le dosage des couleurs, dans ces taches laissées
à dessein sur les fonds pour en rompre la monotonie,
ou pour rappeler quelque ton éloigné. C'est ce mélange
de calcul et de hasard qui fait que l'émailleur perse est
un artiste incomparable, et que rien, chez les modernes,
n'égale les tableaux sortis de ses mains.
On s'est demandé si les Perses avaient l'habitude de
peindre leur sculpture, si les bas-reliefs de Persépo-
lis étaient enluminés comme les bas-reliefs assyriens.
Un explorateur, Texier, a cru y découvrir des parcelles
d'enduit colorié ; il lui a semblé voir, sur les vêtements,
des rosaces dessinées à la pointe et qui Jadis avaient
reçu un ton. De même, les tiares royales sont parfois
percées de trous qui porteraient à penser qu'elles étaient
LA PEINTURE ORIENTALE 89
décorées d'appliques de métal. On ne peut rien conclure
d'aussi faibles indices. Il est possible que certains mor-
ceaux, comme ces taureaux ailés, d'aspect tout assy-
rien, qui ornent encore une des façades des propylées
de Xerxès, aient été rehaussés de couleur. L'opinion
reçue aujourd'hui est que la sculpture perse, générale-
ment, n'était pas peinte. Elle est trop soignée dans le
détail pour avoir fait appel à la peinture. La matière,
aussi, en est trop belle. Si la Perse ne produisait pas de
bois, si les charpentes colossales qui entraient dans la
construction des édifices royaux étaient amenées de bien
loin, à force de bras, par-dessus les crêtes du mont Za-
gros, on trouvait dans le pays un calcaire compact qui
se prétait admirablement au travail du ciseau. C'est
dans cette pierre dure, d'un gris tantôt foncé, tantôt
clair, et presque aussi résistante que le marbre, qu'ont
été taillés les bas-reliefs persépolitains. Des touches
d'or les réveillaient par endroit; nous ignorons dans
quelle mesure les sculpteurs perses doraient leurs
figures, mais, selon toute probabilité, ils avaient re-
cours à ces touches lumineuses pour souligner les traits
importants. Les énormes chapiteaux à têtes de tau-
reaux qui soutenaient la toiture du grand palais de Suse
ont conservé des traces de cette dorure discrète : les
oreilles et les cornes de bronze des taureaux étaient
recouvertes d'une mince feuille d'or; il en était de
même de leurs yeux, de leurs colliers et de leurs sa-
bots. Mais la tradition perse paraît avoir été d'utiliser,
autant que possible, la coloration des matériaux em-
ployés, et de laisser aux boiseries, aux marbres, aux
porphyres, leur ton naturel. Cette réserve aboutissait à
ço LA PEINTURE ANTIQUE.
de saisissants effets de coloris, et peut-être Fantiquité
n'a-t-elle rien connu de plus enchanteur que cette poly-
chromie tempérée et luxueuse qui faisait l'ornement
des palais du grand Roi.
CHAPITRE III
LA PEINTURE GRECQUE
Nous abordons enfin ce qui doit être l'obiet princi-
pal de ce livre, Pétude de la peinture grecque. On s'est
souvent demandé si la peinture des Grecs avait égalé
leur sculpture. Il est bien difficile, dans Pétat de nos
connaissances, de répondre à une pareille question. Ce
qui est certain, c'est que la peinture, en Grèce, a été un
grand art, que les Grecs l'ont aimée et cultivée pour
elle-même et qu'ils ont su, à l'aide de la couleur, ex-
primer la vie et la passion. Mais où sont les chefs-
d'œuvre dont les auteurs anciens nous entretiennent?
Que sont devenus les fresques de Polygnote, les ta-
bleaux de Zeuxis, de Parrhasios et d'Apelle ? Les
guerres, les pillages les ont détruits; le temps, à lui
tout seul, se fût chargé de les anéantir, car c'étaient
choses frêles, incapables d'opposer à la lente action des
ans la résistance du bronze ou de la pierre. Toujours
est-il que rien n'en subsiste et qu'il faut probablement
renoncer pour toujours à Pespoir d'en retrouver même
d'informes fragments.
Essayer de ressusciter cet art disparu pourra sem-
bler une entreprise téméraire; moins téméraire qu'on
92 LA PEINTURE ANTIQUE.
ne serait tenté de le croire au premier abord. Il existe,
en effet, sur la peinture grecque, des témoignages nortl-
breux, épars chez les écrivains ; elle a fait trop de bruit
dans le monde pour passer inaperçue des littérateurs,
et plus d'un nous a transmis des descriptions de ta-
bleaux, des appréciations du mérite de tel ou tel peintre,
qui jettent sur son histoire un jour précieux. Nous
avons aussi, pour nous en faire une idée, le secours
des vases peints. On n'a pas oublié cet atelier de po-
tier restitué, d'après des documents authentiques, à
l'Exposition de 1889 ^ Tandis que, sous un auvent,
le maître maniait le tour, des subalternes, près de lui,
remplissaient des tâches accessoires; une femme adap-
tait une anse à une amphore; un jeune homme prome-
nait son pinceau sur un cratère; un serviteur activait
le feu du four. Des inscriptions tracées çà et là, des
vases rangés sur des tablettes, formaient la décoration
de cette scène d'un caractère à la fois très réaliste et
très simple. Dans beaucoup de villes de Grèce, il y
avait des ateliers du même genre; on en voyait un
grand nombre à Athènes, où tout un quartier leur était
réservé. L'Attique, qui n'était riche qu'en vin et en
huile, rachetait l'insuffisance de ses produits naturels
par son industrie, et, parmi les objets qu'elle fabriquait
de préférence, il faut mettre au premier rang les pote-
ries historiées. La céramique attique était si renom-
mée, qu'on la recherchait partout : des vaisseaux la
répandaient par cargaisons sur toutes les côtes; elle
pénétrait par les caravanes jusque dans les déserts de
I. Par MM. Perrot et CoUignon.
LA PEINTURE GRECQUE. 9j
l'Ethiopie. Gela suppose une perfection rare. Cette
perfection éclate dans les spécimens qui nous en sont
parvenus. Plusieurs des vases grecs que possèdent nos
musées, et dont la provenance athénienne n'est pas dou-
teuse, sont décorés avec un art admirable. Ceux qui les
ont peints n'étaient pourtant que d'humbles artisans,
parfois des étrangers à peu près sans culture; mais ils
vivaient à Athènes, au milieu des chefs-d'œuvre de la
peinture et de la statuaire; ils n'avaient qu'à ouvrir
les yeux pour apercevoir autour d'eux de merveilleux
modèles : c'est à ces modèles qu'ils se sont reportés.
La grande peinture surtout les a, plus d'une fois, heu-
reusement inspirés : on retrouve dans leurs composi-
tions quelques-uns des sujets qu'elle aimait à traiter;
on y retrouve également un écho de ses procédés tech-
niques^ Nous aurons recours, à l'occasion, à cet art
industriel pour essayer de comprendre l'art supérieur
qu'il a pris pour guidée A défaut de tableaux de
maîtres, nous nous attarderons à contempler cette ima-
gerie, qui reflète les maîtres. Nous demanderons aussi
d'utiles enseignements aux peintures de l'Italie méridio-
nale, à ces peintures de Pompéi, si médiocres d'exécu-
tion, mais si précieuses quand elles reproduisent des ta-
bleaux célèbres. Nous consulterons les stèles funéraires
1. Voir, sur ce point, les excellentes remarques d'O. Rayet,
Histoire de la céramique grecque, p. ibô-ibj.
2. Qu'il soit entendu, une fois pour toutes, que les vases dont
nous parlerons ne sont autre chose que ceux qu'on a long-
temps appelés, à tort, vases étrusques. On n'ignore pas qu'il faut
renoncer à cette dénomination et restituer aux vases peints
leur véritable origine, qui est la Grèce et, la plupart du temps,
l'Attique.
94 LA PEINTURE ANTIQUE.
ornées de portraits peints; frappé des emprunts que se
font entre eux les différents arts, nous fondant sur l'es-
pèce de confraternité qui les unit dans tous les temps,
nous interrogerons les œuvres de la plastique pour tâ-
cher d'y découvrir quelques souvenirs de la peinture;
nous ne négligerons pas les figurines de terre cuite, ces
gracieuses imaginations des coroplastes, dont beaucoup
rappellent les créations du grand art. Telles seront nos
ressources. Elles ne vaudront pas, à elles toutes, un
seul original; elles nous aideront cependant à suivre
les progrès de la peinture chez les Grecs, à en marquer
les évolutions essentielles et, s'il se peut, à en définir
le caractère.
§ P"". — Les premières peintures.
Avant l'époque des premiers peintres, il s'écoula de
longs siècles durant lesquels la peinture grecque, si
tant est qu'on puisse lui donner ce nom, fut anonyme
et décorative, comme la peinture des Egyptiens et
celle des peuples de l'Asie. C'est à cette période qu'ap-
partiennent les plus anciens essais de décoration poly-
chrome qui aient été notés sur le sol de la Grèce.
Étaient-ce des Grecs, ces primitifs habitants de l'île de
Théra dont on a retrouvé les demeures, dans la mo-
derne Santorin, sous une épaisse couche de ponce? Ce
qui est incontestable, c'est que leur civilisation était
relativement avancée : ils cultivaient diverses céréales ;
ils pressuraient Tolive pour en tirer de l'huile; ils
nourrissaient des troupeaux de chèvres et de moutons;
LA PEINTURE GRECQUE.
9S
ils travaillaient le bois et la pierre; ils fabriquaient au
tour, au moule ou à la main des vases d'argile pour
leurs usages domestiques; ils connaissaient le cuivre et
l'obsidienne, dont ils faisaient des outils et des armes
et qui, n'étant pas des produits du pays, supposent des
échanges avec l'étranger, par conséquent, une vie com-
merciale. Ce peuple, jusqu'ici sans nom dans l'histoire,
avait une esthétique à lui; il recourait à la couleur
pour orner ses habitations.
On a découvert, dans une
maison, des restes d'un
enduit peint qui témoigne
d'une entente déjà savante
de la polychromie. Cet
enduit, qui recouvrait les
parois intérieures, peut-
être aussi les plafonds,
était formé de terre battue
sur laquelle on avait étendu de la chaux pure : c'est
sur ce fond blanc que s'enlevaient les ornements colo-
riés. On y a relevé quatre tons différents : un rouge vif,
qui n'est autre chose que de la sanguine ; un jaune pâle ;
un bleu d'une intensité très remarquable au moment
de la découverte, mais que l'air n'a pas tardé à décolo-
rer; enfin, un brun noirâtre. Des bandes parallèles de
ces quatre couleurs couraient au bas des murs : on
aperçoit encore, sur des fragments de stuc assez bien
conservés, les lignes légères, tracées à la pointe, qui ont
servi à limiter le champ de chaque ton. Les plafonds
paraissent avoir été peints comme les parois : des dé-
bris d'enduit, qu'on croit en être tombés, portent des
Fig. SI.
96 LA PEINTURE ANTIQUE.
fleurs et des feuillages absolument semblables à ceux
qui décorent certains vases trouvés dans les mêmes
fouilles (fig. 5i) et qui se rattachent, comme les mai-
sons, à la civilisation primitive de File^
Quelle date assigner à cette civilisation? Les plus
vieilles traditions relatives à Théra nous reportent au
XVI* siècle avant notre ère, et depuis lors il ne semble
pas y avoir eu d'interruption, dans les souvenirs des
Grecs, touchant Fhistoire de cette île fameuse. Or aucun
auteur grec ne mentionne le cataclysme qui en détrui-
sit les antiques cités et les recouvrit de cette ponce sous
laquelle leurs ruines apparaissent aujourd'hui. Ce ca-
taclysme serait donc du xvi» siècle au plus tard, et les
habitations qu'il a englouties remonteraient, selon
toute apparence, à cette époque reculée. Nous serions
ainsi en présence d'une sorte de Pompéi préhistorique,
surprise, comme sa sœur cadette d'Italie, en pleine
activité par le fléau qui l'anéantit : un squelette humain
affaissé sur lui-même à l'intérieur d'une chambre, les
restes d'une étable encore jonchée de paille et contenant
de nombreux ossements de moutons et de chèvres, suf-
firaient à attester, à défaut d'autres indices, la soudai-
neté de la catastrophe. Ce peuple violemment supprimé
de l'histoire était, en somme, contemporain de la
XVIII«dynastieégyptienne,et il est curieux de trouver
chez lui une polychromie déjà compliquée, qui est la
première qu'ait révélée une terre grecque.
Théra n'est pas le seul point oii se soient rencontrées
I. Voyez Fouqué, Santorin et ses éruptions, p. m; Dumont
et Chaplain, les Céramiques de la Grèce propre, t. 1", p. 19 et
suiv.
LA PEINTURE GRECQUE.
97
i»W
des traces d^une population préhistorique. Dans
d'autres îles et sur le continent même, dans le Pélo-»
ponnèse et dans la Grèce du Nord, des recherches ré-
centes ont mis au jour des monuments qui remontent
bien au delà de l'époque où, d'ordinaire, on fait com-
mencer rhistoire grecque. Nul doute que ces anciens
habitants de la Grèce n'aient connu la peinture et le
parti qu'on en peut
tirer pour la décora-
tion des édifices; la /À
preuve en est dans
les débris des palais
de Mycènes et de
Tirynthe. Personne
n'ignore aujourd'hui
les fouilles célèbres
exécutées sur l'em-
placement de ces
deux vieilles cités
par M. Schliemann
et par la Société archéologique d'Athènes. Les sépul-
tures royales ouvertes à Mycènes, dans l'enceinte de
l'agora, les vases d'or qu'on en a exhumés, les diadèmes
et les baudriers d'or trouvés sur les cadavres qui y
étaient ensevelis, les armes ciselées déposées à côté
d'eux, les innombrables plaques d'or qui avaient servi à
parer leurs vêtements, les masques d'or qui couvraient
leur visage, tout ce luxe étrange et solennel est encore
dans la mémoire de ceux qui s'intéressent aux choses de
l'antiquité et dont Fesprit s'égare volontiers dans les
régions mystérieuses de son histoire. Non loin de ces
PEINT. ANTIQUE. 7
Fig. S2.
98
LA PEINTURE ANTIQUE.
tombes princières s'élevaient des constructions : le
sotnmet de la citadelle portait un palais, avec ses appar-
tements et ses cours; plus bas, se dressait un bâtiment
moins vaste. L'un et l'autre étaient ornés, à Tintérieur,
de peintures dont on a peu recuillir quelques frag-
ments. Il en est qui représentent des bandes parallèles
rouges ou grises, sur
lesquelles s'enlèvent
en noir des carrés,
des losanges, des spi-
rales, des lignes on-
dulées, des écailles,
des plumes, même
des animaux marins,
tels que le poulpe.
D'autres faisaient
partie d'une grande
composition qui dé-
corait, dans le palais
de l'acropole, la salle
réservée aux hom-
mes : c'était, semble-
t-il, un tableau de bataille, dans lequel figuraient des
guerriers et des chevaux. Les chevaux avaient la cri-
nière divisée en touffes (fig. 52); les guerriers, armés
de la lance, étaient munis de la cuirasse et du bouclier;
des bracelets entouraient leurs poignets; ils portaient
des Jambières retenues aux genoux et aux chevilles à
l'aide de courroies (fig. 53).
Il y a de ces fragments peints sur enduit qui sont
pour nous de véritables énigmes. Tel est celui que re-
I*"ig- $3-
LA PEINTURE GRECQUE.
99
produit la figure ci-après et qui montre, sur un fond
bleuâtre, trois personnages à tête d'âne tournés vers la
droite (fig. 54). Ce sont bien des êtres humains : leurs
bras, leurs mains Pindiquent; mais Pétrange tête qui
les surmonte, avec ses longues oreilles et ses bouquets
de poils, l'espèce de crinière bigarrée de rouge, de jaune
et de bleu qui leur couvre le dos, la ceinture qui leur
serre la taille, la corde tendue qui pose sur leur épaule
et qu'ils soutiennent
avec la main , pa-
raissent défier toutes
les interprétations.
Faut-il songer à une
caricature ? Ces trois
formes fantastiques
faisaient certaine-
ment partie d'une
procession, dont la
suite, évoquée par
l'imagination, rappelle ces interminables files de pri-
sonniers qui, sur les bas-reliefs égyptiens, traînent des
colosses à travers les sables. Hérodote, d'autre part,
raconte qu'une peuplade d'Asie portait, en guise de
casques, pour aller à la guerre, des têtes de chevaux,
dont les oreilles toutes droites et les crins flottants ajou-
taient à l'air farouche des combattants ^ Enfin, on a
rapproché de cette peinture certaines pierres gravées
trouvées un peu partout et dont deux spécimens, mer-
veilleusement conservés, ont été découverts récemment
Fig. Si-
I . Hérodote, VII, 70.
loo LA PEINTURE ANTIQUE.
à Vaphio, dans une tombe préhistorique dont il sera
question tout à Theure. Ces pierres, qui se rattachent
à la série connue sous le nom de gemmes des îles, parce
que, jusqu'à présent, ce sont les îles de la mer Egée qui
en ont fourni les plus nombreux exemplaires, repré-
sentent des monstres assez semblables à ceux de My-
cènes. Ils sont figurés dans des attitudes diverses, tantôt
chargés de quelque gros gibier, lion, cerf, bœuf sau-
vage, tantôt tenant un vase et s'apprêtant à en verser le
contenu au pied d'un palmier, comme de bienfaisants
génies des eaux. Suivant une opinion assez vraisem-
blable, c'est parmi ces êtres surnaturels qu'il convien-
drait de ranger les personnages du tableau mycénien,
et leur origine devrait être cherchée en Orient, dans la
patrie de tous les symbolismes et de tous les mystères,
selon toute apparence, en Assyrie ou en Chaldée.
Tirynthe n'a pas fourni le riche butin archéologique
qu'ont donné l'acropole mycénienne et ses abords.
Mais M. Schliemann, et, après lui, M. Dœrpfeld, le
directeur actuel de l'Ecole allemande d'Athènes, y ont
déblayé un grand palais dont les ruines sont singu-
lièrement instructives. Bâti sur le point culminant de
l'acropole et protégé par ces formidables murailles
dont les anciens, dans leur admiration, rapportaient
la construction aux cyclopes, ce palais offre l'image la
plus exacte qu'on connaisse d'une résidence royale dans
ces temps reculés. On y voit distinctement l'apparte-
ment des hommes, avec son foyer central et ses propy-
lées donnant sur une cour, dans laquelle se dres-
sait l'autel domestique; on y reconnaît l'habitation des
femmes ou le gynécée. Puis, apparaissent des cham-
LA PEINTURE GRECQUE. loi
bres en grand nombre, des escaliers, des corridors,
une citerne, jusqu'à une salle de bains où Ton a re-
trouvé les débris d'une baignoire en terre cuite munie,
à l'extérieur, de fortes poignées et décorée, au dedans,
de dessins en spirale dans le goût de certains orne-
iiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiii-^^^H:inn!iiiiii;uiiiiiiiiii!! i^^iiiiii^iîmi lin
F'g- s s- — Peinture décorative du palais de Tirynthe
(restauration).
ments mycéniens. Près de ce groupe de bâtiments,
sur une terrasse un peu moins élevée, habitaient sans
doute les hommes d'armes et les serviteurs; une
troisième plate-forme, toujours comprise dans l'enceinte
fortifiée, contenait les magasins et les écuries.
La décoration intérieure de ce palais était luxueuse ;
la polychromie y tenait une place considérable. Sur les
I02 LA PEINTURE ANTIQUE.
pavements, formés de chaux et de petits cailloux, qui
se voient encore dans la plupart des chambres, on a re-
marqué des lignes creuses simulant le décor géomé-
trique d'un tapis; des traces de rougç et de bleu, rele-
vées çà et là, prouvent que ces pavements étaient
revêtus de couleur. Des frises sculptées, d''une pierre
vert clair, égayaient le pourtour de certaines salles;
d'autres, composées de plaques d'albâtre incrustées de
verre bleu, figuraient au bas des murs une sorte de
plinthe d'un effet très harmonieux. Mais ce qui contri-
buait le plus à embellir cette princière demeure,
c'étaient les fresques qui en recouvraient presque par-
tout les parois. Les murailles, enduites d'une couche
d'argile sur laquelle était étendu un mince crépi de
chaux, présentaient toutes, ou peu s'en faut, une enlu-
minure multicolore, dont nous possédons d'assez nom-
breux spécimens. Rien de plus varié que ces dessins
polychromes consistant en volutes plus ou moins com-
pliquées (fig. 55), en stries, en enroulements évoluant
autour d'une espèce d'œil, en chapelets de feuilles res-
semblant à des cœurs, en courbes sinueuses mêlées de
cercles et inscrites dans des carrés que limitent en haut
et en bas des lignes dentelées (fig. 56). Un fragment
laisse voir une tige fleurie. Sur un autre, on distingue
les tentacules d'une pieuvre peinte en rouge et en bleu.
D'autres faisaient partie de grandes ailes isolées, trai-
tées comme des motifs ayant par eux-mêmes une valeur
décorative, ou qui appartenaient à des sphinx ailés ana-
logues à celui qui figure sur une plaque d'or de My-
cènes. Les couleurs employées dans ces diverses pein-
tures sont le blanc, le noir, le bleu, le rouge et le
LA PEINTURE GRECQUE. lOj
jaune. Les difFérentes nuances de bleu et de rouge
tiennent à des degrés différents de conservation. Les
blancs ne sont autre chose que le fond de la paroi, ré-
servé par le peintre. Les tons ont été étalés au pinceau
de poils, comme Tattestent certaines traînées significa-
tives, encore visibles par endroit.
Le décorateur de Tirynthe ne s'en était pas tenu à
la peinture d'orne-
ment; il avait aussi
composé de grandes
scènes, comme son
confrère mycénien.
C'est ce que prouve
un curieux morceau,
malheureusement in-
complet, qui repré-
sente un homme
poursuivant un tau-
reau sauvage (fig. 5 7).
L'homme et l'animal
s'enlèvent sur un
fond bleu que bornent en haut deux bandes Jaunâtres,
dont l'une est striée de rouge. Le taureau est peint
en jaune clair; de larges taches rouges accusent les
parties plus foncées de la robe. Emporté par une
course folle, les jambes de devant presque horizon-
tales, l'œil dilaté par la terreur, il fouette l'air de sa
queue, tandis que le chasseur, courant éperdument,
lui aussi, essaye de le saisir, ou serre déjà une de ses
cornes. Il y a peu de mois encore, on s'accordait à voir
dans ce tableau l'image d'un dompteur exécutant de
Fig. 56. — Peinture du palais de Tirynthe
(restauration).
104
LA PEINTURE ANTIQUE.
périlleuses voltiges sur la croupe d^un taureau rendu
furieux à plaisir. Une découverte récente a montré
que c'était une erreur. Dans une tombe préhistorique
depuis longtemps connue, mais qui n'avait point été
explorée, près du village moderne de Vaphio, non loin
du cours de l'Eurotas, des recherches heureuses ont
Fig- S7.
Peinture de Tirynthe représentant une chasse au taureau.
fait mettre la main sur deux gobelets d'or, d'un mer-
veilleux travail, et dont l'analogie avec la fresque de Ti-
rynthe est frappante. Nous donnons le développement
des scènes en relief qui les décorent. Une de ces scènes
(fig. 58) est une scène de chasse ou, plus exactement,
de panneautage. Dans un filet aux larges mailles, un
taureau a été pris, qui mugit pitoyablement, impuissant
à se dégager. Un autre, sur la droite, a vu le piège et
s'enfuit; un troisième, à gauche, se précipite tète bais-
sée sur deux hommes, qu'il lance en l'air avec ses
LA PEINTURE GRECQUE.
lOJ
cornes : pendant que le premier retombe lourdement
sur le sol, le second est enlevé de terre et projeté dans
l'espace. Rien n'égale le mouvement de cette composi-
Fig. 58-
Taureau pris dans un filet.
tion, dont le sujet paraît d'autant plus dramatique, que
celui de l'autre est plus paisible. Ici, en effet, l'homme
a repris sa supériorité (fig. 59) : un personnage sem-
blable à ceux du premier tableau pousse devant lui un
taureau dompté, dont un pied de derrière est retenu par
Taureaux domptés
un lien solide, que l'homme serre dans ses deux mains.
Vaincu, mais protestant contre la violence qui lui est
faite, l'animal lève la tête en laissant échapper un beu-
glement plaintif. Derrière, marchent trois autres tau-
reaux, résignés, comme lui, à la servitude; le dernier,
io6 LA PEINTURE ANTIQUE.
le mufle au sol, paraît flairer, non sans crainte, ces
traces humaines encore peu familières à son odorat.
On ne peut imaginer un plus vivant commentaire de
la peinture de Tirynthe. Comparez cette peinture aux
gobelets de Vaphio : les animaux, les personnages sont
identiques. Chez les premiers, même puissance, même
rapidité dans la fuite; chez les seconds, même maigreur
élancée et nerveuse, même buste étranglé à la ceinture,
mêmes jambes grêles, entourées de lanières qui fixent
la. chaussure. Les trois monuments appartiennent à la
même civilisation, et comme le sens des scènes de Va-
phio n'est pas douteux, celui de la fresque de Tirynthe
ne saurait Pêtre davantage : elle représente bien, elle
aussi, un épisode de ces chasses aventureuses qui sem-
blent avoir été le plaisir favori de cette race robuste.
Seulement, au lieu de figurer son chasseur courant à
côté du taureau qu'il cherche à atteindre, le peintre,
en vertu d'une convention naïve, l'a représenté courant
au-dessus. On voit de même, sur un fragment de
fresque de Mycènes, une tête de guerrier placée à la
hauteur des pieds d'un cheval : évidemment, l'artiste
avait disposé ses personnages par étage, incapable de
les grouper suivant les lois de la perspective.
On pourrait relever, dans la peinture de Tirynthe,
bien d'autres traces d'inexpérience. Les vases de Va-
phio lui sont très supérieurs. Sont-ils moins anciens?
Datent-ils d'un temps où l'on était plus habile, ou bien
faut-il admettre que cette race primitive excellait à tra-
vailler l'or et que là se dépensait toute sa dextérité?
Ce sont là des questions qui, pour le moment, ne sau-
raient recevoir de réponse.
LA PEINTURE GRECQUE. 107
Mais quel était-il, ce peuple si versé dans la pra-
tique des arts? On a pu noter déjà les rapprochements
que nous avons faits entre Tirynthe et Mycènes. Mêmes
constructions, mêmes procédés de décoration et d'enlu-
minure. Voici maintenant Vaphio, c'est-à-dire le terri-
toire de Tantique Amyclée, dans la vallée de TEurotas,
qui nous livre un art analogue. Les environs de Nauplie
ont fourni des poteries très voisines, par le décor, des
poteries mycéniennes. Sur divers points de PAttique,
et jusque sur TAcropole d'Athènes, on a recueilli des
fragments du même genre. A Spata, à Ménidi, des
sépultures préhistoriques ont été explorées, qui sont
presque identiques aux tombes de Mycènes et de Va-
phio. Orchomène des Minyens, sur le lac Copaïs, a fait
connaître un édifice dont le plafond sculpté rappelle
exactement un des motifs picturaux du palais de Ti-
rynthe (fig. 55). Dans différentes localités de la Béotie
et de la Grèce du Nord, à Dimini (près de Volo), aux
alentours de l'ancienne Pagasées, on a mis au jour des
tombeaux semblables à celui de Ménidi et renfermant
des débris de vases, des bijoux, des pâtes de verre com-
parables aux objets de même nature trouvés à Mycènes
et à Spata. Puis, ce sont les îles qui sont venues jeter
leur note dans ce concert de révélations étranges,
Chypre, la Crète, Amorgos, Rhodes. Les vases d'Ia-
lysos, dans l'île de Rhodes, portent la pieuvre mycé-
nienne (fig. 60), cette pieuvre énorme, aux souples ten-
tacules, que montrent les plaques d'or et les poteries
d'argile rendues à la lumière par les fouilles de
M. Schliemann. D'autres vases de même provenance
sont ornés de ces lignes sinueuses qu'on rencontre dans
io8
LA PEINTURE ANTIQUE.
les peintures murales de Tirynthe (fig. 56). D'autres
témoignent d'une sorte de parenté entre l'industrie
céramique d'Ialysos et celle de cette Théra où subsis-
tent les vestiges d'une si lointaine civilisation '. Que
tous ces monuments soient contemporains, c'est ce
qu'on ne saurait prétendre; l'étude attentive de leur fa-
brication, la comparaison
minutieuse de leur orne-
mentation, prouvent qu'il
en est qui sont plus an-
ciens que les autres. Il n'en
est pas moins vrai que
tous se tiennent, comme
si, pendant une période
qu'il faut placer entre le
XVI® et le xii" siècle avant
notre ère, la Grèce conti-
nentale et les îles avaient
été occupées par les diverses tribus d'une même race,
une par l'origine et la civilisation.
Or une de ces tribus, particulièrement puissante, a
laissé de durables traces en Argolide et dans la vallée
de Sparte, en Attique, en Béotie, en Thessalie. On est
d'accord aujourd'hui pour voir dans ce rameau détaché
de la population préhistorique qui habitait la Grèce et
les îles, ces grands Achéens dont Homère a chanté les
exploits. Mycènes et Tirynthe étaient deux de leurs ca-
Fig. 60.
I. L'art de Théra présente même avec celui de Mycènes des
rapports inattendus. C'est ainsi que les fleurs dont étaient semées
les fresques découvertes dans cette île (fig. 5i) apparaissent sur
le manche d'un poignard trouvé à Mycènes.
LA PEINTURE GRECQUE. 109
pitales. Rien de frappant, en effet, comme les analogies
qui existent entre ces deux vieilles cités, telles que nous
les connaissons, et la société peinte par les poèmes ho-
mériques. Ce n'est pas ici le lieu d'insister, mais voyez
la façon dont ces deux villes sont construites : sur la
colline, une citadelle qu'occupe le roi avec ses servi-
teurs; au pied, dans la plaine, les maisons des labou-
reurs et des artisans. En cas de péril, de brusque dé-
barquement de ces innombrables pirates qui infestent
la mer Egée, le peuple de la ville basse se réfugie dans
la cité royale, dont l'enceinte cyclopéenne lui assure un
inviolable abri. N'est-ce pas là le régime féodal qui,
dans Homère, est le régime de toute la Grèce? Si, lais-
sant de côté l'organisation politique, vous considérez
l'art, l'industrie, vous trouvez le même rapport.
Qu'est-ce que cette pâte de verre coloriée en bleu et
sertie dans l'albâtre, avec lequel elle forme frise dans
certaines salles du palais de Tirynthe, sinon le kyanos
employé au même usage dans le palais d'Alkinoos?
Que sont ces vases et ces ornements d'or trouvés dans
les tombeaux de Mycènes, sinon la forme la plus ordi-
naire de ce luxe mycénien vanté par Homère et qu'il ré-
sume d'un mot, roT^uj^poGoç, qui lui sert à qualifier la
cité d'Agamemnon? Ces peintures murales qui ont pour
nous tant d'intérêt, ces chasses au taureau dont les péri-
péties s'étalaient sur les murs de Tirynthe et que les
vases de Vaphio reproduisent dans tout le détail de
leurs tragiques incidents, l'épopée homérique en a gardé
le souvenir : pour peindre un guerrier atteint par une
lance ennemie et qui suit en résistant le mouvement de
l'arme, que tire à lui son adversaire, elle n'imagine
iio LA PEINTURE ANTIQUE.
rien de mieux que de le comparer à un taureau « que
des pâtres ont attaché par la force et malgré lui à l'aide
de liens solides, et qu'ils mènent ainsi à travers les
montagnes ^ ». Rapprochez ce texte du deuxième gobelet
de Vaphio (fig. 59) : ne décrit-il pas exactement une
des scènes qui y sont figurées? Le costume même et la
manière de porter la chevelure se ressemblent beau-
coup dans nos monuments et dans l'épopée. Ces hautes
guêtres serrées autour de la jambe par des lanières font
songer aux cnémides des Achéens : il suffira d'un
léger changement pour transformer ces guêtres rus-
tiques en ces jambières de métal sur lesquelles le cise-
leur déploiera tout son art, et qui seront la parure des
guerriers réunis devant Troie. Quant à ces longs che-
veux légèrement ébouriffés sur le front et qui retombent
sur les épaules en mèches ondulées retenues par un
peigne, il faudrait être aveugle pour n'y pas recon-
naître la coiffure nationale des Grecs d'Homère. Exa-
minez les personnages de Vaphio : ne donnent-ils pas
l'idée de ces « Achéens à la têie chevelue », )capyixo{xocovT8ç
'A/atot, si fréquemment nommés dans V Iliade^ ou
mieux, de ces primitifs habitants de l'Eubée, de ces
Abantes « à l'opulente chevelure rejetée en arrière »,
oTCiÔsv y.o[/.owvTe; ^, dont une tradition faisait remonter
l'origine à Abas, roi d'Argos ?
Ainsi, ce peuple qui dominait à Tirynthe et à My-
cènes et dont les ramifications s'étendaient, dans la
Grèce septentrionale, jusqu'au massif du Pélion, peut-
1. Iliade, XIII, v. 571 et suiv.
2. Iliade, II, V. 542. Cf., sur cette coiffure des Abantes, un
curieux passage de Plutarque, Thésée, 5.
LA PEINTURE GRECQUE. m
être au delà, nous le voyons revivre sous nos yeux,
grâce aux découvertes de l'archéologie; cette race qui
remplit Vllîade de ses hauts faits, dont VOdyssée conte
par le menu les merveilleuses aventures, se dresse de-
vant nous, puissante et magnifique, telle qu'elle exis-
tait bien avant les poèmes qui ont immortalisé son sou-
venir. Cette nation belliqueuse avait le goût des arts;
elle couvrait ses palais d'ornements peints et de ta-
bleaux. Mais ces tableaux étaient-ils bien son œuvre ?
Il vient, à ce sujet, un scrupule, quand on regarde de
près les collections de Mycènes, de Ménidi, de Spata,
de Vaphio, etc. Il s'y trouve tant d'objets d'aspect
étranger, tant de monuments qui rappellent l'Egypte
ou l'Asie, qu'on se demande si cet art n'a pas été im-
porté. Et, de fait, les Achéens entretenaient avec le
dehors des relations actives. Hérodote nous les montre,
au début de son histoire, en rapport avec les Phéni-
ciens, qui fréquentaient les ports de l'Argolide. Il est
trop souvent question, dans Homère, de ces marchands
de la côte de Syrie, le poète parle trop des bijoux qu'ils
colportent, des séjours prolongés qu'ils font dans cer-
taines villes d'où, après avoir vendu leur cargaison,
ils emportent les denrées du pays, pour que nous dou-
tions des liens commerciaux qui les unissaient aux ha-
bitants du continent grec. C'étaient, entre eux, de quo-
tidiens échanges, les Grecs débitant les produits de leur
sol, les Phéniciens livrant les objets de prix et les bibe-
lots ramassés aux quatre coins de l'Archipel, étalant
leurs pacotilles à l'arrière de leurs vaisseaux, retenant
le public autour de ces expositions flottantes que les
femmes surtout visitaient avec empressement, parfois
LA PEINTURE ANTIQUE.
à leur grand dommage, car ces trafiquants e'taient aussi
des pirates qui, par ruse ou par violence, se saisissaient
d'elles et les vendaient comme esclaves loin de leur
patrie. UOdjrssée est pleine de leurs méfaits : ils ré-
pandaient la terreur
sur toutes les côtes.
Par eux donc, par
ces navigateurs hardis
et insinuants, qu'on
craignait et que, pour-
tant, on n'avait pas le
courage de repousser,
il y a lieu de croire
que les cités achéennes
recevaient les mar-
chandises d'Egypte et
d'Orient*. Peut-être
est-ce par leur entre-
mise que sont venus
en Grèce ces cachets
gravés dont quelques-
uns portent de si
étranges empreintes ,
cette admirable tête de
vache en argent, munie de cornes d'or, avec une ro-
sace d'or au milieu du front (fig. 6i), ces œufs d'au-
truche, ces fragments de porcelaine égyptienne, ce
scarabée trouvé dans un tombeau de Mycènes et sur
Fig. 6i.
I. Hérodote le dit en propres termes : 'ATtaYtvéovta; çopTÎa AlyûnTià
TE y.at 'Adffûpia.
LA PEINTURE GRECQUE. iij
lequel on lit le nom de la reine Taïa, femme d'Amen-
hotpou III (XVIIP dynastie). Apportaient-ils aussi les
objets de fabrication phénicienne, les pièces d'orfèvre-
rie dont Homère loue le travail, les broderies aux-
quelles il fait de si fréquentes allusions et que les femmes
de Sidon variaient avec tant d'habileté ? Parmi les mo-
numents découverts à Mycènes, aucun ne porte la
marque d'une origine proprement phénicienne. Mais
l'art phénicien est si composite, il reflète si fidèlement
les autres arts, il est si dépourvu, par lui-même, d'ori-
ginalité, qu'il est très difficile de trancher la question
et d'affirmer, par exemple, que tel bijou, tel ivoire,
telle pâte de verre, n'a point été directement importé
de Phénicie. Il paraît bien, dans tous les cas, que le
cabotage phénicien, dont le souvenir est si vivant dans
les poèmes homériques, avait, dès cette époque, une
importance considérable et que, par lui, les relations
de la Grèce avec l'extérieur se trouvaient continuelle-
ment renouvelées.
Les Achéens, de leur côté, avaient une marine, avec
laquelle ils parcouraient la Méditerranée. Agamemnon,
dans VIliade, nous est représenté étendant sa domina™
tion sur des îles nombreuses*. A défaut d'Homère, la
pieuvre, si souvent reproduite sur les objets de My-
cènes, la pourpre, qu'on y croit reconnaître, prouve-
raient que ce peuple était un peuple de pêcheurs, que
la mer n'effrayait point. 11 s'y aventurait pour guer-
royer au loin, pour se rendre notamment à l'embou-
chure du Nil, où il y avait toujours de fructueuses
I. Iliade, II, V. io8. Voyez encore Thucydide, I, 9, 3.
PEl.NT. ANTIQUE. 8
114 LA PEINTURE ANTIQUE.
razzias à faire. Des Achéens figurent parmi les « peuples
de la mer », Lyciens, Sicules, Tyrsènes, Shardanes, qui
attaquent l'Egypte sous le règne de Menephtah I"
(XIX'' dynastie). Ils connaissaient si bien cette route
d'Egypte, qu'Homère, à chaque instant, parle du pays
des pharaons comme d'une contrée dont le nom est
familier à ses auditeurs. Il y place des épisodes entiers
de ses poèmes : on se souvient des aventures d'Hé-
lène et de Ménélas, revenant de Troie, et du long
temps qu'ils passent en Egypte, avant de pouvoir ren-
trer à Sparte. Cette terre féconde tentait tous les cor-
saires; tous les brigands de la mer Egée — et les
Achéens étaient du nombre — s'y donnaient rendez-
vous; on y organisait des expéditions dont on se pro-
mettait de magnifiques résultats. Il suffit de lire, pour
s'en convaincre, le récit que fait Ulysse au porcher
Eumée ^ Tout mensonger qu'il est, il se compose
d'éléments empruntés à la vie réelle, et l'on voit, par
ce roman, combien de pareilles courses étaient dans les
mœurs, quel prestige avait aux yeux des pirates ce
plantureux Delta, d'un abord si facile.
Ainsi, directement ou indirectement, les Achéens
étaient en rapport avec l'Egypte et le monde oriental.
Il est donc naturel qu'au nombre des objets de My-
cènes, il y en ait qui viennent d'Egypte ou d'Orient;
mais tous n'en viennent pas, on peut l'affirmer, et si
ceux qui ont été fabriqués sur place rappellent encore
l'Asie ou l'Egypte, c'est que les Achéens avaient avec
ces deux contrées des liens plus étroits que ceux que
I. Odyssée, XIV, v. 199 et suiv.
LA PEINTURE GRECQUE.
"S
créent le commerce et la conquête. N^e'taient-ils pas
eux-mêmes des Orientaux ? Ne
descendaient-ils pas de ces tribus
asiatiques qui, gagnant d'île en
île le continent européen, y
avaient implanté la civilisation
de leur pays ? Une série de mi-
grations avait encore cimenté la
parenté qui les unissait à TAsie.
Leurs légendes contaient que le
Tantalide Pélops était venu jadis,
de Lydie ou de Phrygie, se fixer,
avec ses trésors, dans la vaste pé-
ninsule à laquelle il avait donné
son nom. Des bandes lyciennes
avaient aidé Proitos à bâtir la
citadelle de Tirynthe. Persée, le
fondateur de Mycènes, était, lui
aussi, originaire de la Lycie. Non
seulement le Péloponnèse, mais
la Grèce du Nord, avait donné
asile à des colons partis, soit des
îles, soit de divers points de la
côte orientale. Le Phénicien Cad-
mos y avait fortifié Thèbes, et les
habiles ouvriers qui l'accompa-
gnaient avaient acclimaté autour
de la'Cadmée Tindustrie du mé-
tal. Part de forger et de décorer
les armures. De Crète était venu le mystérieux Rhada-
mante , dont on montrait le tombeau près d'Ha-
Fig. 62.
11(5 LA PEINTURE ANTIQUE.
liarte, en Béotie. Si obscures que soient ces traditions,
elles nous laissent entrevoir, vers le xv*' siècle , de
grands mouvements de peuples qui avaient eu pour
conséquence de resserrer les rapports de la Grèce avec
l'Orient. Des déplacements analogues Pavaient mise en
relation très intime avec l'Egypte : des bouches du Nil,
où ils avaient de bonne heure élu résidence, des marins
phéniciens, peut-être même des Grecs, représentés pour
nous par les noms fabuleux de Danaos et de Cécrops,
y avaient émigré, apportant avec eux les secrets de Tart
égyptien, sans doute aussi certaines croyances, certains
rites funéraires particuliers au sol qui avait été pour
eux une seconde patrie.
Tout cela explique le caractère étrange de Part
mycénien. Soit par le fait de Timportation, soit, plus
encore, par suite de durables souvenirs, il rappelle à
la fois l'Asie et l'Afrique. Originaire d'Asie, régénéré
par de riches et puissantes colonies asiatiques, le
peuple qui Ta créé est imbu des formes et des motifs
familiers à son pays natal. De là ces chasses au lion
sur les poignards de Mycènes (fig. 62), ces lions se pour-
suivant ou dévorant des cerfs sur les coupes d'or et les
plaques d'or repoussé exhumées des tombes royales,
ces palmiers qui s'épanouissent sur les vases de Va-
phio, ce haut bonnet et ces cheveux ondulés qui
distinguent les figurines d'ivoire de Mycènes et de
Spata. En même temps, ces hommes d'Asie ont admis
parmi eux des hommes de même race, qui avaient
longtemps habité l'Egypte et qui ont exercé sur eux
une profonde influence. De là ces sphinx ailés en or
ou en ivoire, cette fresque de Tirynthe (fig. 55) et ce
LA PEINTURE GRECQUE.
"7
Fig. 6}.
Fragment d'un vase d'argent.
plafond sculpté d'Orchomène qui font songer aux pein-
tures des hypoge'es
égyptiens, ces rosaces
qui décorent la porte ((^;^.
d\ine sépulture récem-
ment ouverte, et dont
il faut chercher l'ori-
gine en Egypte, sur
les plafonds multico-
lores des tombeaux
(fig. 4). Pourtant, cet
art, qui n'a vécu que
d'emprunts, est origi-
nal. A travers ses ré-
miniscences se font
jour des qualités qui
ne sont qu'à lui. Sa personnalité se montre dans le dé-
cor, qu'il varie avec une fantaisie singulière; elle éclate
également dans la composition. Voyez cette curieuse
scène figurée sur un fragment de vase en argent, cette
ville assiégée que défendent des guerriers armés d'arcs,
de frondes, de lances, ces remparts où s'agi-
tent des femmes éperdues (fig. 63) : au premier
abord, cela fait penser à l'Assyrie, mais quelle
liberté n'apparaît pas dans le détail, dans le
mouvement des combattants, dans les reliefs
du sol, dans les arbres, si semblables à ceux
des gobelets deVaphio! Les personnages de
Vaphio sont uniques dans leur genre ; ils ne
ressemblent à rien de ce qu'ont produit l'Egypte, l'Asie
Mineure ou la Phénicie. Je ne connais guère qu'un
Fig. 64.
Ii8 LA PEINTURE ANTIQUE.
monument où le même type se rencontre, et ce monu-
ment a été trouvé à Mycènes : c'est une de ces gemmes
(fig. 64) comme celles qu'on a recueillies dans tout le
bassin de la Méditerranée orientale et qui, vraisembla-
blement, sont l'œuvre des races qui les employaient, —
la diversité même de leurs provenances l'atteste, — nou-
velle preuve que Fart de Mycènes est un art local qui,
né d'inspirations étrangères à la Grèce, a pris en Grèce
conscience de lui-même. Les
princes qui régnaient sur l'Ar-
golide tiraient sans doute leur
or des flancs du Tmolos ou des
sables du Pactole ; la Phénicie
leur procurait l'électrum et le
lapis-lazuli, l'Egypte, les pierres
de différentes couleurs, mais de
'^' ^* tout cela s'est formée une indus-
trie nationale, ayant son style et sa physionomie propres.
La grande majorité des monuments mycéniens est
donc, en résumé, sortie de mains achéennes, et tel est,
notamment, le cas des peintures; sans quoi, elles n'au-
raient pas une telle parenté avec les poteries de Ti-
rynthe et de Mycènes. Rappelez-vous ces triangles si-
nueux mêlés de cercles (fig. 56), qui sont un des
principaux motifs picturaux de Tirynthe : ils repa-
raissent sur les vases découverts parmi les ruines de
l'antique cité (fig. 65); ce motif, d'ailleurs, était si ré-
pandu, qu'on le rencontre à lalysos, en Crète, à My-
cènes, à Nauplie. C'était un des motifs préférés des
ornemanistes. Les feuilles cordiformes , les grandes
ailes notées dans les peintures de Tirynthe, sont au
LA PEINTURE GRECQUE.
119
nombre des ornements qui décoraient la céramique de
Mycènes. Il y a même plus d'un rapport entre ces pein-
tures et certains vases d'époque postérieure qui, par
une curieuse persistance de la tradition, rappellent en-
core les fresques achéennes. Par exemple, un fragment
de poterie mycénienne, qu'on ne saurait rapporter à
Pépoque des tombes royales, représente des taureaux
grossièrement dessinés, qui ne sont pas sans analogie
avec le taureau de Tiryn-
the, ou mieux, avec ceux de
Vaphio; le champ, comme
à Vaphio, laisse voir des
arbres; des lignes brisées
simulent un terrain ro-
cheux. Sur un autre frag-
ment, on distingue une tête
de cheval dont les crins
sont partagés en touflfes
(fig. 66], comme dans une
fresque de Mycènes (fig. 52); la même disposition se
remarque sur plusieurs tessons de Tirynthe et trahit,
à n'en pas douter, une mode locale. Ces points com-
muns sont des indices que nous avons affaire à des
peintres indigènes. Nous sommes encore loin du temps
où les poteries voyagent; ces vases, d'époques très
différentes, ont tous été fabriqués dans le pays. Les
rapprochements qu'on peut établir entre eux et les
peintures prouvent que peintres et potiers, quelque
intervalle de temps qui les séparât, copiaient les mêmes
modèles. Ainsi, ces fresques antérieures à Homère
appartiennent bien à Part que nous pouvons appeler,
lao LA PEINTURE ANTIQUE.
sans témérité, Part achéen. On voit que, tout en étant,
comme Fensemble de cet art, imprégnées des souve-
nirs d'Egypte et d'Orient, elles sont, elles aussi, par
certains traits, originales. Elles le sont principale-
ment par les sujets qu'elles traitent, par les allusions
qu'elles font aux habitudes nationales, à ces chasses
périlleuses où se complaisaient la force et l'agilité de
ces rudes populations. Nous saisissons déjà, dans ces
tableaux, un des mérites de l'art grec, qui est d'em-
prunter beaucoup au dehors, en imprimant à tout sa
marque personnelle. C'est ce qui rend si précieuses
ces vieilles peintures et justifie les développements que
nous leur avons consacrés.
§ II. — Les premiers peintres : Eumarès d'Athènes
et Cimon de Cléonées.
Aux périodes de brillante civilisation succèdent
parfois, dans l'histoire des peuples, des périodes de
barbarie relative durant lesquelles l'art, au lieu de
marcher vers de nouveaux progrès, paraît subir une
sorte de recul. Après l'époque des princes achéens, la
Grèce passa par une de ces phases, et ce qui l'y amena,
ce fut le grand et mystérieux événement connu sous le
nom d^invasion dorienne. Le mouvement partit du
Nord, des plateaux de la Macédoine, et gagna peu à
peu la Béotie, le Parnasse, Delphes. Comme les nations
qu'ils chassaient devant eux, ces envahisseurs étaient
de race hellénique; c'étaient des Grecs venus jadis
d'Asie en franchissant le Bosphore, au lieu de suivre
LA PEINTURE GRECQUE. isi
la route de mer, qu'avaient prise d'autres tribus. Ils
s'étaient fixés dans la Grèce septentrionale, et voici que
maintenant, trop nombreux sans doute, à l'étroit dans
leurs montagnes, ils débordaient de tous côtés, s' éten-
dant de préférence dans la direction du Sud et refoulant
lentement les populations qui leur barraient le passage.
Ils arrivèrent ainsi jusque dans le Péloponnèse. Là,
ils firent le siège des forteresses achéennes; non que la
violence fût leur unique procédé : il y eut des contrées,
comme la Messénie, où ils s'établirent pacifiquement,
où ils reçurent des terres et laissèrent subsister, au
moins pendant quelque temps, les anciennes dynasties
royales; mais l'Argolide, avec ses citadelles, dut leur
opposer une énergique résistance; ils y apportaient des
revendications qui devaient mal disposer les habitants
en leur faveur: tout porte à croire que, pour la réduire,
ils eurent recours à la force. Les anciens occupants
se réfugièrent où ils purent, les uns sur les bords du
golfe de Corinthe, où ils se retranchèrent dans des
postes inexpugnables, les autres, en plus grand nombre,
en Attique et dans la partie orientale de la Béotie,
respectées, on ne sait comment, par l'invasion.
Ces terres demeurées libres devinrent le refuge de
tous les exilés , et comme ils y affluaient en troupes
considérables, on y organisa des migrations, des re-
tours vers cet Orient d'où l'on était parti Jadis pour
coloniser la Grèce d'Europe. C'est de l'un de ces re-
tours que la légende, toujours prompte à amplifier les
faits réels, tira le roman de la guerre de Troie.
L'invasion dorienne dans le Péloponnèse eut pour
l'art les plus graves conséquences. L'art achéen, si dé-
122 LA PEINTURE ANTIQUE.
licat, si expert dans le travail de Tor, disparut, semble-
t-il, à peu près complètement. Ce serait pourtant une
erreur de croire que Fancienne civilisation périt tout
entière. Ces durs montagnards ne purent manquer de
subir rinfluence des vaincus; ils ne résistèrent point à
l'ascendant d'une race supérieure, qui avait longtemps
possédé le sol. Il n'en est pas moins vrai que ce change-
ment de maîtres amena un grand changement dans
l'activité industrielle de la contrée. On n'y vit plus sub-
sister que cette technique rudimentaire représentée par
ces terres cuites et ces stèles grossièrement sculptées,
dont la présence parmi les trésors mycéniens reste un
sujet d'étonnement bien légitime, et qu'il faut, selon
toute apparence, rapporter à une très ancienne popu-
lation indigène qui aurait continué de vivre sous la do-
mination achéenne, en cherchant maladroitement à
imiter les chefs-d'œuvre de ses vainqueurs. Quant aux
ateliers proprement achéens, ils furent abandonnés ou
tombèrent dans une rapide décadence, et cela n'a rien
de surprenant. On comprend, par exemple, que cette
riche orfèvrerie, que ce luxe approprié aux besoins de
princes puissants et magnifiques, ait cessé d'avoir sa
raison d'être, quand, à ces grands potentats, eurent
succédé des associations politiques aux mœurs simples,
aux goûts austères. Les Doriens, sans doute, étaient
loin d'être des barbares; c'était une race grave, pro-
fondément religieuse, ayant au plus haut point l'esprit
•fédératif, et qui déjà, probablement, possédait une
esthétique à elle; mais le régime n'était plus le même;
la vie avait pris un autre tour, et l'on conçoit que cette
transformation des idées politiques et sociales ait pré-
LA PEINTURE GRECQUE. laj
cipité la chute d'un art qui n'avait plus sa place dans le
nouvel état de choses.
C'est ainsi que s'étendit, sur le Péloponnèse tout au
moins, une sorte de nuit qui mit des siècles à se dissi-
per. Ce moyen âge nous est très mal connu. Ce qui
paraît certain, c'est qu'il ne fut point favorable à la
peinture : dans ce pays où, jadis, elle avait produit des
œuvres si intéressantes, tout fut pour elle à recom-
mencer ; le terrain gagné fut à reconquérir, et elle le
reconquit sans se douter
qu'elle l'avait perdu.
Jusqu'au vi" siècle avant
l'ère chrétienne, l'histoire
de la peinture grecque est
on ne peut plus obscure. Ce
n'est pas que la polychro- Fig. 67.
mie fût négligée, du moins
celle qu'on obtient par le rapprochement de diffé-
rentes matières, naturellement colorées. Ainsi, le cé-
lèbre coffre consacré à Olympie par Kypsélos, tyran de
Corinthe , et dont on reporte la fabrication au
viir siècle, offrait un remarquable spécimen de ce
genre de décoration. Construit en bois de cèdre, il était
couvert de scènes figurées par des incrustations d'or et
.d'ivoire qui devaient former avec le fond sombre de la
boiserie le plus gracieux contraste. C'est par un procédé
de polychromie analogue qu'avait été décoré le trône
d'Apollon Amycléen (commencement du vi" siècle
av. J.-C), dont Bathyclès de Magnésie était l'auteur.
Du vm® au vi*' siècle, la marqueterie, d'ailleurs, nous
apparaît comme un des arts les plus cultivés en Grèce;
124 LA PEINTURE ANTIQUE.
c'est aussi la période pendant laquelle la toreutique
atteint le dernier degré de perfection, et où les grands
sanctuaires, comme celui de Delphes, s'enrichissent de
beaux vases de métal chargés de figures rapportées,
d'un métal différent, et fournissant les éléments d'une
véritable ornementation polychrome.
La couleur est donc toujours dans le goût de la
race grecque. Mais la peinture proprement dite, que
devient-elle pendant ce temps? Il est bien difficile de le
dire. A en juger par la céramique, les peintres d'alors
auraient été sin-
gulièrement inha-
biles. Voici , par
exemple, un frag-
ment de vase atti-
que (fig. 6j)^ de la
série connue sous le nom de vases du Dipylon, parce
que c'est au Dipylon, une des portes de l'ancienne
Athènes, qu'on en a trouvé les premiers exemplaires.
Ces morts aux membres gigantesques, naïvement en-
tassés sur un pont de navire, trahissent un art tout à
fait gauche. Ils rappellent les perspectives de certaines
fresques égyptiennes (fig. 1 1), mais sans qu'il y ait lieu
de supposer la moindre imitation : c'est un défaut
commun à tous les primitifs que ces superpositions
de figures sur un même plan.
Le procédé habituel des potiers du Dipylon consiste
à disposer les personnages sur une seule ligne. C'est
ainsi que font les enfants, qui se plaisent à aligner tout
ce qui leur tombe sous la main, même les objets qui ne
se ressemblent pas, comme si, de leur simple juxtapo-
Fig. 68.
LA PEINTURE GRECQUE. 125
sition, naissait une vague beauté qui les enchante. Voyez
Fig. 69 — Vase du Dipylon.
cette barque munie de ses rameurs, tous dessinés de
126 LA PEINTURE ANTIQUE.
face, et qui paraissent se tenir par la main (fig. 68). Leur
symétrie, contraire à la réalité, est un expédient com-
mode pour rendre leur grand nombre; en même temps,
il s'en dégage une impression d'ordre dont se contente
une esthétique élémentaire. Même dans les tableaux
d'une composition plus savante éclate cette prédilec-
tion pour les processions de figures identiques. Ainsi,
les vases du Dipylon reproduisent souvent des cérémo-
nies funèbres. Fabriqués, à ce qu'il semble, pour être
portés dans les funérailles et brisés sur la tombe après
rensevelissement, on ne saurait être surpris d'y voir
représentées des scènes de deuils Or, dans ces pein-
tures, la famille et les assistants sont figurés avec une
désespérante monotonie; des files entières de person-
nages font le même geste; les guerriers, montés sur des
chars, ont tous le même air et le même maintien (fig. 69).
L'artiste semble avoir eu pour unique souci de remplir
tous ses vides de la même manière; il n'a pas cherché
le pittoresque, loin de là; il s'est efforcé d'être régulier
et géométrique dans le groupement de ses figures,
comme dans les ornements dont il a couvert les parties
accessoires.
Les vases de ce style sont d'une époque difficile à
préciser. Ils ne paraissent guère avoir dépassé la fin du
viii" siècle. Mais cette timidité éprise de symétrie, qui
caractérise leur décoration, leur survécut. Elle apparaît
encore sur les vases du vu® siècle qui servent de transi-
I. On peut se rendre compte, au Louvre, des dimensions mo-
numentales de cette céramique par deux beaux spécimens restau-
rés, un cratère et une amphore. Voyez musée Campana, salle
des Origines comparées.
LA PEINTURE GRECQUE.
tion entre le style géométrique et un retour au décor
oriental, comnne le prouve ce fragment d'une œnochoé
attique qui représente un chœur d^hommes et un chœur
de femmes se faisant face (fig. 70). Le sujet, il est vrai,
invitait à la régularité; mais le peintre y a mis toute la
raideur dont il était capable, et il y a peu de différence,
pour la composition, entre ces quatre femmes qui se
donnent la main en tenant une branche verte, et les
rameurs qu'on a vus plus
haut. Sur un curieux tes-
son trouvé à Mycènes,
on aperçoit des hommes
armés qui partent en
campagne, tandis qu'une
femme leur adresse un
geste d'adieu (fig. 71). De
quel pays sont-ils, ces
guerriers au casque orné
d'une paire de cornes, au
bouclier rond, échancré par le bas, au justaucorps
bordé de franges, à la lance munie d'une double
pointe et qui supporte une espèce de havresac? C'est ce
qu'il n'est pas aisé de déterminer. Une chose, dans tous
les cas, mérite d'être notée dans ce tableau très posté-
rieur à l'époque mycénienne et qu'on peut faire des-
cendre jusqu'au milieu du vu" siècle, c'est l'ordre régu-
lier des combattants. Ici encore, le peintre a dessiné une
sorte de chœur, comme la chose à laquelle sa main
était le plus habituée, preuve que l'art de composer est
encore bien rudimentaire et s'en tient aux combinaisons
de figures les plus simples.
Fig. 70.
128
LA PEINTURE ANTIQUE.
Pourtant, sur certains vases d'une époque reculée,
la recherche du pittoresque commence à se faire sentir.
Elle se montre déjà sur quelques produits céramiques
du Dipylon, où les scènes d'enterrement sont rempla-
cées par des mêlées, des danses armées, des chasses aux
monstres. Un des plus anciens vases signés, le cratère
'l'Aristonophos (fin du vu" siècle), laisse voir, sur une
Fig. 71. — Guerriers allant au combat,
sur un vase peint de Mycènes.
de ses faces, un combat naval qui ne manque ni de va-
riété ni de mouvement (fig. 72). Il est vrai que l'autre
face, qui représente Ulysse crevant l'œil unique de Po-
lyphème, rappelle encore l'ancienne symétrie : le héros
et ses compagnons y sont disposés en file, dans des
attitudes identiques, et pesant tous ensemble, avec une
parfaite similitude de gestes, sur le pieu qu'ils enfoncent
dans l'œil du cyclope.
Que conclure de cette imagerie ? Quels rapports
pouvait avoir, avec ces grotesques bonshommes, la
peinture contemporaine? Dessinait-elle avec cette ma-
ladresse? Portait-elle dans la composition celte insi-
LA PEINTURE GRECQUE. laj)
pide régularité? Procédait-elle ainsi par silhouettes
noires à peine rehaussées de quelques retouches
blanches, comme celles qu'introduit déjà dans ses ta-
bleaux le potier Arisionophos? Les textes seuls, à dé-
faut de spécimens de la grande peinture, pourraient
nous aider à répondre à ces différentes questions.
Voyons ce qu'ils nous apprennent.
Ils nous disent que la peinture, dans l'opinion des
Fig. 72. — Combat naval, sur un vase peint
portant la signature d'Aristonophos.
Grecs, avait été inventée à Sicyone ou à Corinthe,
et qu'elle n'était, à l'origine, qu'un simple dessin. On
avait eu l'idée de marquer par des traits, sur une sur-
face plane, le contour des ombres qui s'y projetaient,
et de là était sortie une première esquisse qu'on avait,
dans la suite, imaginé de remplir de couleur noire;
c'est ainsi que s'était formée la peinture monochrome,
encore pratiquée au temps de Pline l'Ancien. Les pre-
miers peintres avaient été Cléanthès de Corinthe ou
Philoclès l'Egyptien ; mais ceux-ci n'étaient guère
allés au delà du trait de pinceau indiquant le relief
extérieur des corps. Aridikès de Corinthe et Téléphanès
de Sicyone avaient, les premiers, tracé dans cette
silhouette, soigneusement noircie, des lignes marquant
PEINT. ANTIQUE. 9
ijo LA PEINTURE ANTIQUE.
les contours internes, et comme les objets ainsi figurés
n'étaient point reconnaissables à leur couleur, on avait
pris Phabitude de les désigjier par des inscriptions. Le
Corinthien Ecphantos avait égayé ces images mono-
chromes par des retouches rouges obtenues avec de la
brique pilée.
Tels sont les renseignements que nous fournissent
les auteurs. Ils concordent, sur plus d^un point, avec
rhistoire de la céramique. Cette peinture dont Tunique
moyen d^expression consistait à cerner les contours
par un trait, nous la retrouvons sur les poteries de
Tirynthe; la figure 70 en donne, de même, une idée
assez exacte. On remarquera seulement que la sil-
houette, dans ces barbouillages, n'est déjà plus vide;
elle est, en partie, remplie de noir, et là où le noir ne
s'étend pas en larges plaques, il sert à marquer certains
détails internes. Ce progrès est sensible dans le tableau
des guerriers de Mycènes (fig. 71). En réalité, la pé-
riode du simple trait cernant les contours, si elle a
jamais existé, dut être fort courte, et de bonne heure le
noir s'introduisit dans l'intérieur des figures. La con-
cordance des textes et de la technique des vases n'en
est pas moins frappante. Aux lignes indiquant les con-
tours internes répondent, sur les vases, les incisions à
la pointe. Aux retouches rouges d'Ecphantos, corres-
pond l'engobe rouge dont les potiers, particulièrement
à Corinthe, font, dès qu'ils le connaissent, un si singu-
lier abus.
Une chose digne de remarque est la patrie que les
-écrivains anciens assignent à la peinture. Elle naquit,
affirment-ils, à Sicyone ou à Corinthe. Or Sicyone et
LA PEINTURE GRECQUE. 131
Corinthe sont deux puissantes cités, dans lesquelles
Part, dès le vu*" siècle, prend un merveilleux essor.
A Sicyone s'établit la dynastie des Orthagorides, dont
Tavènement est le signal d'une réaction énergique et
bientôt triomphante contre Télément dorien. L'an-
cienne population ionienne, reléguée dans la ville
basse, sur le rivage de la mer, recouvre dans TÉtat le
rang qu'elle a perdu : gouvernée par des tyrans qui dé-
ploient un faste royal, elle entretient avec le dehors
des relations suivies ; de l'Italie méridionale, de l'Epire,
de l'Eubée, de l'Attique, des principales contrées du
Péloponnèse, les étrangers viennent prendre part aux
fêtes de ses princes et admirer leur magnificence.
Ceux-ci, pendant un siècle (670-570), fixent sur eux
l'attention du monde hellénique et rivalisent de luxe
avec les souverains de l'Orient. Quant à Corinthe,
vieille cité phénicienne où, de temps immémorial, on
travaille la pourpre, où l'on fabrique de fines étoffes
de laine et des tapis, elle est de même une des villes les
plus civilisées de l'ancienne Grèce. Son heureuse situa-
tion entre deux mers lui livre le commerce de l'Orient
et de l'Occident. Sous les Bacchiades, sous les Kypsé-
lides, leurs successeurs, elle étend au loin son in-
fluence et domine jusqu'en Thrace par ses colonies. On
comprend que les historiens postérieurs de la peinture,
voulant rattacher l'origine de cet art aux plus brillantes
civilisations de ces temps lointains, aient eu l'idée d'en
placer le berceau dans ces deux grands centres; et, par
le fait, ils ne se trompaient pas. Tout porte à croire
qu'après l'oubli où était tombée la peinture achéenne,
ce furent les Sicyoniens et les Corinthiens qui, les pre-
ij2 LA PEINTURE ANTIQUE.
miers des Grecs, se remirent à faire des tableaux de
quelque importance. A Corinthe, notamment, si cé-
lèbre par sa céramique, et où le tour à potier avait été
inventé, où la tradition faisait vivre, au début du
VII* siècle, un Eucheir, un Eugrammos, dont les noms
significatifs trahissent une habileté particulière de la
main, il est aisé d'admettre que, de bonne heure, se
forma une école de peinture dont l'action rayonna sur
tout le voisinage.
Un fait plus singulier est le rôle qu'aurait joué,
dans cette renaissance de la peinture grecque, l'Egyp-
tien Philoclès. Ce nom, d'abord, ne laisse pas que d'é-
tonner : il désigne évidemment, non un Egyptien de
naissance, mais un Grec venu d'Egypte, où il avait
longtemps vécu, et d'où, sans doute, il avait rapporté
quelques-uns des secrets de la peinture égyptienne. On
ne voit pas, néanmoins, du premier coup, ce que vient
faire le souvenir de cette peinture dans l'histoire de la
peinture hellénique. Si l'on rapproche cette tradition
de quelques autres, tout s'éclaircit. Pline dit formelle-
ment que les Egyptiens étaient regardés comme les in-^
venteurs de la peinture; il fait même allusion au désac-
cord qui existait sur ce point entre eux et les Grecs, les
Egyptiens se vantant d'avoir pratiqué l'art de peindre
six mille ans avant qu'il passât en Grèce, les Grecs
avouant qu'ils ne venaient que les seconds, mais leur
contestant cette prodigieuse antériorité. N'a-t-on pas
le droit d'en conclure qu'à l'époque où les Hellènes
plaçaient les origines de leur peinture, la peinture
égyptienne n'avait point été, sur eux, sans influence?
Ainsi, la plus ancienne peinture digne de ce nom
LA PEINTURE GRECQUE.
IJÎ
aurait été, en Grèce, une peinture noire reiiaussée de
rouge et sillonnée de lignes
tracées au burin ou figu-
rées en clair pour indiquer
le modelé intérieur. Cette
peinture se serait déve-
loppée simultanément à
Sicyone et à Corinthe ; elle
aurait été, dans une cer-
taine mesure, influencée
parla peinture égyptienne.
A côté de cet art mo-
nochrome, riche, au plus,
de deux tons, il est certain
que, de très bonne heure,
il en exista un autre dont
les ressources étaient plus
variées. Pline distingue
très nettement des pre-
miers peintres monochro-
mes un certain Boular-
chos, auteur, à ce qu'il
paraît, d'un tableau de
bataille que Candaule, roi
de Lydie, avait payé son
pesant d'or. Or le roi Can-
daule vivait à la fin du
VIII* siècle, et le combat
représenté par Boularchos
était un épisode de l'une des plus grandes guerres du
temps, la guerre des Ephésiens contre les Magnètes,
lU LA PEINTURE ANTIQUE.
illustrée par les élégies belliqueuses du vieux poète
Callinos, Callinos et Boularchos étaient donc contem-
porains, et tandis que le poète avait, par ses chants,
contribué à la victoire d'Ephèse, sa patrie, le peintre
avait immortalisé la gloire des Éphésiens en fixant
par le pinceau le souvenir de leur succès. Mais quel
était le caractère de sa peinture? C'était, sans aucun
doute, une peinture polychrome, qui procédait de l'an-
tique peinture achéenne. Chassée de la Grèce d'Europe
par les Doriens, celle-ci avait émigré dans les îles où,
après l'invasion dorienne dans le Péloponnèse, on
trouve tant de traces de l'art achéen; elle s'était réfu-
giée dans les îles et en Asie Mineure, comme cette
orfèvrerie jadis si florissante à Mycènes et qui repa-
raît, après l'époque mycénienne, à Chypre, à Rhodes,
en Lydie. Nous assisterons bientôt au retour de cette
polychromie dans la Grèce propre : après un long exil,
elle y reviendra, plus ou moins modifiée par des
influences étrangères^ Rendons-nous compte, en atten-
dant, de ce que produit, au vu' et au vi' siècle, la pein-
ture monochrome.
Les anciens connaissaient, ou croyaient connaître
des tableaux de Cléanthès. Ils lui attribuaient une Pn^e
de Troie et une Naissance d'Athéna. qui ornaient un
sanctuaire voisin d'Olympie. C'est probablement dans
ce dernier tableau que figurait un Poséidon mentionné
par Athénée et qui tenait à la main, comme attribut,
un dauphin. Le même temple renfermait une composi-
I. Holwerda, Jahrbuch des kais. deutsch. archceol. Instituts,
1890, p. 256, 259 et suiv.
LA PEINTURE GRECQUE.
ïJI
tion d'Arégon de Gorinthe, représentant Artémis sur
un griffon. La peinture monochrome était aussi cul-
tivée dans les îles et en Orient. On citait un certain
Saurias de Samos comme Payant, un des premiers,
pratiquée dans son pays. Craton de Sicyone imagina,
pour mieux faire ressortir ses silhouettes noires, de les
appliquer sur un fond blanc. D'autres peintres, dont
l'antiquité elle-même savait fort peu de chose, nous
sont encore donnés comme s'étant exercés dans le
genre monochrome : Hygiainon, Deinias, Charmadas.
Rien n'est plus vague, on le voit, que ces indications.
Les monuments qui se rapprochent le plus de cette
peinture sont les curieux sarcophages en terre cuite
trouvés dans l'île de Rhodes et surtout aux environs de
Clazomène, non loin de Smyrne. Il existe de ces caisses
d'argile peinte, soit entières, soit à l'état pig. 7+.
de fragments, à Smyrne, Constantinople,
Berlin, Vienne, Londres, Paris. Celle
que nous reproduisons dans son inté-
grité (fig. 73) se voit au musée de Tchin-
li-Kiosk, à Constantinople. Ce sont de
grands récipients de terre rouge, généra-
lement plus larges au sommet qu'à la
base, et qui portent aux pieds et à la tête,
ainsi que sur les bords latéraux, une
décoration extrêmement riche. Scènes de
;:i::t^a5i:;v7ii;iT^iJi]ii:ii:asiiJiL^^
eiTiîL'TirRLi.iL^j I '1 i5i:;L'.:ira
ij<î LA PEINTURE ANTIQUE.
combats, de chasses, guerriers luttant Tun contre l'autre
pour la possession d'un cadavre, gazelles, taureaux,
sangliers attaqués par des lions, tels sont les motifs qui
occupent le plus souvent les deux extre'mités de ces
cuves, c'est-à-dire les parties qui offrent au peintre le
champ le plus étendu et le plus facile à remplir. Un
des sujets favoris du décorateur, dans ces tableaux, est
celui de la course de chars (fig. 74). Ajoutez à cela les
rangées de sphinx, les grecques, les oves qui courent de
distance en distance, l'élégante torsade compliquée de
palmettes (fig. 75) qui s'enroule sur la tranche des pa-
rois latérales et qui semble avoir été si populaire en
Asie Mineure et sur la côte, qu'au ni° siècle avant l'ère
chrétienne on en retrouve encore le souvenir affaibli
sur certains monuments funéraires de l'île de Chios, et
vous concevrez le luxe de cette ornementation, qui sur-
passe de beaucoup celle des plus beaux vases à figures
noires. Elle nous offre, à mon avis, l'image la plus
exacte que nous puissions rencontrer de la peinture
monochrome, non pas à ses débuts, mais déjà presque
parvenue à la perfection. Sur les plus anciens de ces
sarcophages, les motifs sont simplement exécutés en
noir, avec des lignes claires qui en dessinent les sail-
lies internes. Sur les autres apparaissent déjà ces
retouches rouges qu'Ecphantos introduira dans la
grande peinture corinthienne; on peut même y noter
quelques-unes de ces retouches blanches si ancienne-
ment usitées dans la décoration des vases peints. Mais
ce que ces fresques sur argile ont peut-être de plus
remarquable, c'est l'engobe blanc qui leur sert de fond.
Sur toute l'étendue de la surface à décorer, l'artiste a
LA PEINTURE GRECQUE.
137
étalé une mince couche de couleur blanche, dont Teffet
est de supprimer la porosité de la terre, d'en rendre la
superficie plus lisse et d'y faire se détacher plus vigou-
reusement les sujets noirs. Vous recon-
naissez là le procédé de Craton de
Sicyone. Ce sera celui de la peinture
du v'' siècle; cet engobe blanc annonce
déjà les fonds blancs du plus grand
peintre d'Athènes, PolygnotedeThasos.
C'est cette perfection technique, c'est
le mouvement et la variété de ces com-
bats, de ces concours équestres, qui
autorisent à supposer une certaine res-
semblance entre les sarcophages de
Clazomène et les œuvres du premier
peintre célèbre que nous connaissions,
Eumarès d'Athènes. Il vivait, selon
toute apparence, dans la première moi-
tié du vi'' siècle. Son fils, Anténor, fut
un des sculpteurs les plus renommés
de l'époque des Pisistratides; c'est lui
qui fit le fameux groupe des meurtriers
d'Hipparque, Harmodios et Aristogiton,
dont une copie très postérieure existe au
musée de Naples. On a récemment dé-
couvert sur l'Acropole une statue de femme qui porte sa
signature. Il signait: « Fils d'Eumarès »,ce qui établit
clairement sa parenté avec le peintre. En plaçant sa ma-
turité entre 53o et 52o, on se tromperait probablement
de fort peu, et cela reporterait celle d'Eumarès vers 56o
ou 55o. Eumarès était donc contemporain de Solon.
F'g- 75-
138 LA PEINTURE ANTIQUE,
Un de ses mérites, nous dit Pline, fut de représen-
ter toute sorte de figures, c''est-à-dire de rompre avec
la raideur et la monotonie de Tancienne peinture mo-
nochrome. Mais son innovation capitale consista à
distinguer les femmes des hommes. Le moyen qu'il em-
ploya pour cela n'est pas douteux : il coloria leurs
chairs en blanc, suivant un procédé universellement
adopté, après lui, par les potiers du vi" siècle (fig. 76).
C'est là un des effets de cette influence égyptienne
dont il a été question plus haut. Vous vous souvenez
que les Egyptiens, pour rendre la différence de ton qui
existait chez eux entre le nu des hommes et le nu des
femmes, avaient, de très bonne heure, imaginé de
peindre les premiers en rouge brun, les secondes en
jaune pâle. C'est ce jaune qui devint, dans les tableaux
d'Eumarès, le blanc neigeux dont les vases peints nous
donnent une idée. Il suffit, pour le comprendre, de
jeter un rapide coup d'œil sur l'histoire.
Depuis que l'Egypte avait exercé sur la Grèce, à
l'époque achéenne, l'action que l'on sait, ses relations
avec le monde hellénique n'avaient sans doute jamais
été interrompues. On ne voit pas, cependant, qu'elles
aient continué avec la Grèce d'Europe, où dominaient
les Doriens; mais elles subsistèrent avec la côte d'Asie
et les îles, sans qu'on en puisse nettement déterminer
le caractère. Tout à coup, au vn*^ siècle, se produit un
fait important. Un pharaon, Psamitik I", concède des
terres, le long de la branche pélusiaque du Nil, aux
Ioniens et aux Cariens qui l'ont aidé, comme merce-
naires, à faire la guerre dans la haute Egypte. Des co-
lons de Milet, encouragés par cet exemple, ne tardent
LA PEINTURE GRECQUE.
'39
pas à venir, eux aussi, s'établir dans le Delta, où ils
fondent une sorte de comptoir fortifié, qui prend le
nom de Camp des Milésiens. A partir de ce moment,
les Grecs se succèdent, de plus en plus nombreux, sur
le rivage africain. Leur
race active et entrepre- .«î^^^i, -î^^îiS^âAS^.
nante, pleine d'enthou- «j^* ÊBÊê'^^uJIp ^^K
siasme pour la civili-
sation égyptienne, la
répand, par le com-
'merce, dans toutes les
échelles d'Orient. Enfin,
sous Amasis, qui leur
livre, près de la bouche
canopique, la ville de
Naucratis, ils achèvent
de s'implanter à l'em-
bouchure du Nil. Ces
événements ne pou -
valent laisser indiffé-
rente la Grèce conti-
nentale. Dès le temps
de Psamitik, nous la
voyons en rapport avec
l'Egypte. A Corinthe, règne un Psamétichos, le dernier
des Kypsélîdes, dont le nom tout égyptien prouve
l'existence de liens de famille entre le roi de Sais et les
princes corinthiens. Après l'incendie du temple de Del-
phes, en 548, les Delphiens envoient de tout côté des
ambassadeurs pour réunir l'argent nécessaire à sa recon-
struction, et parmi les souverains amis auxquels ils
Fig. 715.
i+o LA PEINTURE ANTIQUE.
s^adressent, se trouve Amasis, qui s'acquitte en nature
et leur donne généreusement mille talents d^alun. Le
même Amasis est populaire à Athènes : son nom est
porté par un maître potier de la seconde moitié du
vi^ siècle. Son libéralisme, son amour pour la Grèce,
font que les Athéniens se rendent volontiers dans ses
États, afin d'y trafiquer. C'est là que Solon va faire un
long séjour, après avoir terminé ses réformes. C'est de
là que viennent, sous Pisistrate et ses fils, maints se-
crets de métier qui ont sur l'art athénien la plus décisive
influence. L'engouement pour l'Egypte est universel ;
on la découvre de nouveau, sans soupçonner la part
qu'elle a eue jadis dans le développement artistique de
la Grèce. C'est ce qui explique l'invention d'Eumarès,
postérieure de cent ans peut-être aux importations de
Philoclès l'Égyptien, dont elle marque la suite. Depuis
longtemps, les retouches blanches étaient pratiquées
dans la peinture de vases et, semble-t-il, aussi dans la
grande peinture; elles avaient dû naître du désir d'imi-
ter les incrustations d'ivoire, si fréquentes, au vni« et
au vu" siècle, dans l'ébénisterie de luxe, comme les
retouches rouges des Corinthiens, mises en honneur
par les poteries de Rhodes et de Mélos, avaient eu
pour point de départ l'intention de reproduire les ap-
pliques de cuivre dont les grands toreuticiens tels que
Glaucos de Chios, Rhoicos et Théodoros de Samos,
avaient, les premiers, décoré les vases de bronze. Mais
l'idée d'employer le blanc à distinguer les sexes n'avait
point, à ce qu'il semble, eu cours avant Eumarès; c'est
lui, dans tous les cas, qui en fit le premier l'application
à Athènes, et sa trouvaille eut tant de succès, qu'on
LA PEINTURE GRECQUE. i+i
voit Thespis, le plus ancien des tragiques, la transpor-
ter, vers 535, dans la mise en scène. Le blanc de céruse
dont il barbouillait ses acteurs, les masques de toile
blanche dont il leur couvrait le visage, n'avaient évi-
demment d'autre but que d'accuser les personnages
féminins^ en les opposant aux hommes, frottés de lie^
Nous ne saurions dire quels sujets traitait Euma-
rès. Il peignait probablement de grandes compositions
historiques ou religieuses. Les scènes de combats figu-
rées sur les plus beaux sarcophages de Clazomène, les
processions de divinités comme celles que représente le
vase François, du musée de Florence, peuvent donner
un aperçu de ses tableaux. Son talent trouvait sans doute
à s'exercer dans les temples, peut-être déjà dans les
habitations privées, dans les maisons de ces nobles
contre lesquels fut dirigé le coup d'Etat de Pisistrate.
Sur la décoration picturale des temples, nous avons
des documents précis. On a vu que d'antiques fresques,
attribuées aux premiers peintres monochromes, bien
qu'elles leur fussent certainement très postérieures, or-
naient, près d'Olympie, le sanctuaire d'Artémis Al-
pheionia. Quand Harpagos, lieutenant de Cyrus, pilla,
en 544, la ville de Phocée, il en trouva les temples tout
couverts, à l'intérieur, de peintures variées. La plupart
de ces tableaux étaient inspirés par Homère et les
poèmes cycliques, qui sont, au vi" siècle, la source
commune où puisent à l'envi poètes et artistes. C'est
cette source qui devait alimenter la peinture d'Eumarès.
Il eut pour successeur Cimon de Cléonées, qui fit
1. Revue des études grecques, 1891, p. i68 et suiv.
14» LA PEINTURE ANTIQUE.
faire à Fart de peindre des progrès considérables en in-
ventant les raccourcis (jcara-ypaipa), ce qui revient à dire
que, tout en employant encore les teintes plates, il
chercha, par le dessin, à rendre tant bien que mal la
perspective. Il imagina, de plus, de varier les attitudes
de ses personnages, de les montrer tournant la tête,
abaissant leurs regards vers la terre ou les levant au
ciel. Enfin, il réussit à exprimer Panatomie du corps
humain, ainsi que le moelleux des étoffes. C'étaient
là de grandes nouveautés. Malheureusement, les té-
moignages anciens sur ce peintre ne citent de lui aucun
tableau. Mais, d'après les inventions techniques qu'ils
lui prêtent, on devine que ses efforts se concentrèrent
principalement sur Pétude de la draperie et sur celle du
nu. Aux rigides vêtements d'Eumarès, il substitua des
vêtements plus souples, dont nous pouvons nous faire
une idée par une curieuse stèle trouvée, en i83g,
à Vélanidéza, près de Marathon, et sur laquelle on
n'avait rien distingué, lorsque, en 1878, l'ayant débar-
rassée de la terre qui y adhérait encore, on y vit appa-
raître l'image que nous reproduisons (fig. 'j-j). L'in-
scription gravée au bas indique que ce marbre était
dressé sur la tombe de Lyséas, dont il contient le por-
trait. Le cavalier représenté au-dessous de la figure
principale prouve que nous avons affaire à un de ces
nobles Athéniens qui entretenaient, en vue des con-
cours, de somptueuses écuries. Les caractères de l'in-
scription nous reportent vers 53o ou 520. Or telle est
à peu près l'époque où il convient de placer Cimon de
Cléonées, plus jeune qu'Eumarès et contemporain
d'Anténor. Ce corps élégamment drapé dans un ample
LA PEINTURE GRECQUE,
i+î
manteau nous fait comprendre la manière dont il
traitait les plis. On voit combien ce large rendu est
déjà loin de la sécheresse que
portent dans les représentations
analogues les peintres de vases
à figures noires.
Mais ce que Cimon semble
avoir peint de préférence, ce sont
des figures d'athlètes, où il pou-
vait, suivant l'expression de
Pline, faire saillir les veines
[venas protulit) et témoigner de
sa science de Tanatomie. C'était
le moment où Pisistrate venait
de réorganiser les Panathénées
en y introduisant les exercices
gymnastiques à côté des courses
de chevaux, qui y avaient, jus-
que-là, figuré à peu près seules
et auxquelles l'aristocratie sur-
tout prenait part. Il était naturel
que ces luttes en plein air et
l'entraînement qu'elles néces-
sitaient dans les palestres fissent
sur les artistes une vive impres-
sion. Tous ces corps jeunes et
vigoureux s'arc-boutant, se cam-
brant, s'enlaçant dans de ner-
veuses étreintes, offraient aux peintres, comme aux
sculpteurs, les plus heureux motifs. On ne saurait dou-
ter de l'influence de ces exercices sur la peinture de
Fig. 77. — Stèle de Lyséas,
peinture sur marbre.
14+ LA PEINTURE ANTIQUE.
Cimon de Cléonées. De là lui vint évidemment ce souci
du détail an'atomique, que nous voyons, vers le même
temps, si naïvement poursuivi parles premiers potiers
qui décorent leurs vases de figures rouges. La même
préoccupation se retrouve chez les peintres de stèles,
comme l'atteste ce fragment de marbre peint (fig. 78),
postérieur de peu d'années à la stèle de Lyséas. Pein-
tres et potiers exagèrent les articulations; ils s'in-
génient aussi à pré-
senter leurs figures
dans les postures les
plus diverses, à pra-
tiquer les raccourcis
mis à la mode par
Cimon. Voyez ce
Jeune discobole qui
tient son disque de
la main droite et lève
le bras gauche pour faire contrepoids (fig. 79). Le geste
de ce bras et ce dos presque de face, sur des reins de
profil, sont d'une gaucherie incontestable. Il n'y en a
pas moins là un effort intéressant pour rendre les sur-
faces fuyantes et donner l'illusion de la profondeur.
Ce praticien si habile, ce Cimon dont on s'accorde
à reconnaître la grande influence sur la peinture de
vases à figures rouges, peignait-il, comme son prédé-
cesseur, des silhouettes noires, rehaussées de rouge et
de blanc ? On l'a cru jusqu'ici, sur la foi de Pline. Con-
trairement à l'opinion reçue, je verrais en lui un
peintre polychrome. Etudiez, en effet, attentivement le
texte de Pline : aucune phrase, aucun terme n'y prouve
Fig. 78. — Peinture sur marbre.
LA PEINTURE GRECQUE.
'+5
nécessairement que Cimon s'en tint à la peinture mo-
nochrome. Eumarès, par l'emploi du blanc pour dis-
tinguer les sexes, avait fait un premier pas dans la voie
Fig. 79. — Discobole,
étude de raccourci sur un vase peint à figures rouges.
du réalisme; Cimon en fit un second, beaucoup plus
considérable, en essayant de rendre la perspective, en
donnant à ses figures des attitudes plus conformes à la
réalité, en y accusant la musculature et le moelleux
des draperies. Voilà ce que Pline veut signifier. Là
PEINT. ANTIQUE. lO
1^6 LA PEINTURE ANTIQUE.
nature même des inventions dont il lui fait honneur
indique que ses tableaux étaient à plusieurs tons. Ces
plis, ces articulations apparentes, tout cela n'était pas
nouveau; il y avait de longues années que les peintres
de vases à figures noires savaient se tirer de pareilles
difficultés : ce qui le fut, c'est le soin, c'est la délica-
tesse que Cimon y apporta, ce sont les traits légers par
lesquels il marqua jusqu'à la saillie des veines et qui
dénotent l'usage de fonds clairs , sur lesquels les
moindres retouches produisent tout leur effet. S'il
s'était borné à rééditer, même en les perfectionnant,
les procédés de la technique noire, il n'eût pas, à ce
point, mérité l'admiration des critiques. Il fit plus :
il remplaça la figure noire par la figure polychrome,
et c'est là ce qui lui permit de donner tant d impor-
tance au modelé interne. Considérez, en outre, le
temps oti il vivait : c'était le temps de Pisistrate, où
nous voyons se produire, précisément, une véritable
invasion d'Athènes par la polychromie. Édifices,
statues, marbre, pierre, tout est enluminé de vives
couleurs; soit contagion de l'Egypte, avec laquelle
l'Athènes du vi« siècle a de si fréquents rapports, soit
influence de l'Orient et des îles, d'où la polychromie
n'a jamais disparu, et qui sont, eux aussi, en relation
si étroite avec les Pisistratides, il y a comme une dé-
bauche de décoration polychrome à laquelle il serait
bien singulier que la grande peinture fût demeurée
étrangère. Cimon fut entraîné par le mouvement gé-
néral, ou plutôt, il fut un de ceux qui le provoquèrent.
N'était-il pas de Cléonées, près de Corinthe, un pays
depuis longtemps célèbre par ses innovations pictu-
LA PEINTURE GRECQUE.
«47
raies? Qui sait si, à côté des monochromes à retouches
rouges, ce pays, d'assez bonne heure, n'avait pas pro-
duit des tableaux polychromes, dans le goût de la vieille
peinture achéenne dont les îles avaient gardé le secret?
Le commerce actif qu'il entretenait avec elles et avec
tout l'Orient autoriserait
à le croire. Eucheir, que
la légende fait venir à Co-
rinthe, au vu" siècle avant
notre ère, et qu'elle met au
nombre des inventeurs de
la peinture, était parent
de Dédale, un Cretois. Il
n'est pas impossible d'ad-
mettre qu'héritier de ces
lointaines traditions, Ci-
monles transporta à Athè-
nes, quand, à l'exemple
de tant d'artistes, il vint
grossir la cour de l'un des
princes les plus magnifi-
ques de son temps.
Veut-on d'autres preu-
ves? On n'a qu'à jeter les
yeux sur les stèles peintes. La stèle de Lyséas, qui se
rattache intimement à la peinture de Cimon, était poly-
chrome; on n'y voit plus aujourd'hui que la place
des couleurs; mais sur toute cette surface, dont la colo-
ration actuelle va du blanc jaunâtre au rouge brun,
étaient, à l'origine, étendus différents tons. On dis-
tingue même encore, sur le manteau, des traces de
Fig. 80. — Stèle d'Antiphanès,
peinture sur marbre.
1^8 LA PEINTURE ANTIQUE.
pourpre. Une stèle du même temps, ou quelque peu
postérieure, qui ornait la sépulture d'un certain Anti-
phanès, montre un coq très librement esquissé en noir
et dont les plumes gardent des restes de rouge et de
bleu (fig. 80). La palmette qui le surmonte, et que nous
n'avons pas cru devoir reproduire, offre des vestiges
très visibles de ces deux couleurs. Voyez encore cette
jolie tête d'éphèbe peinte sur marbre, trouvée, il y a
peii d'années, dans les environs du cap Sunium (fig. 81).
Comme la stèle de Lyséas, elle n'offre plus que la place
des couleurs, représentées par un ton rougeâtre, tantôt
foncé, tantôt clair; mais, selon toute vraisemblance, ce
n'est pas en noir que les chairs y étaient peintes; ce
qui l'indique, c'est la ligne blanche qui contourne le
visage et qui, elle, est un souvenir du trait noir dont il
était cerné. Or, si ce trait, en s'écaillant, a laissé une
trace blanche, on en doit conclure que, là où la trace
est sombre, il y avait autre chose que du noir. Ce pré-
cieux monument, qui appartient aux dernières années
du VI* siècle, est tout voisin de Cimon de Cléonées. Il
constitue donc un nouveau témoignage en faveur de la
thèse que nous soutenons.
S'il faut enfin un dernier argument, j'irai le cher-
cher dans l'évolution qu'accomplit la céramique vers
la fin du Vf siècle. On sait que les vases grecs forment
deux grandes catégories, ceux où les figures sont peintes
en noir sur fond rouge, et ceux où elles sont peintes en
rouge sur fond noir. C'est la première technique qui
est la plus ancienne. La seconde lui succéda, aux envi-
rons de 520, non sans hésitation; il y a des potiers, et
des plus habiles, qui s'obstinent à peindre en noir;
LA PEINTURE GRECQUE,
»49
d'autres, plus hardis, comme Nicosthène, comme Épic-^
tétos, abordent résolument la figure rouge, sans renon-
cer tout à fait à la vieille méthode. Leur exemple est
suivi avec la lenteur qui caractérise parfois les grandes
révolutions industrielles : nous connaissons des po-
tiers de ce temps
qui peignent tantôt
en rouge, tantôt en
noir, et les mêmes
vases, souvent, nous
montrent réunies
ces deux techni-
ques différentes. En-
fin, le rouge prend
le dessus, et nous
sommes en présence
de cette belle céra-
mique attique du
v^ siècle, dont la
coloration, sans re-
touches rouges ni
Fig. 8i. — Tête d'éphèbe,
peinture sur marbre.
blanches, est toute
conventionnelle, mais qui tire du dessin un si mer-
veilleux parti. On a cru découvrir Torigine de ce chan-
gement dans les ateliers mêmes des céramistes, dans
le perfectionnement de certains de leurs procédés *.
Les procédés, sans doute, y furent pour quelque chose;
mais le branle fut donné par les ateliers des peintres.
Ce fut la vue des peintures polychromes qui fit que
I. Klein, Euphronios, 2" édition, p. 29 et suiv.
ISO
LA PEINTURE ANTIQUE.
les maîtres potiers quittèrent le noir pour le rouge;
sans pouvoir reproduire exactement leurs modèles, ils
tentèrent de s^en rapprocher en peignant des silhouettes
claires. Cela leur permettait d'accuser, comme les
peintres, les détails anatomiques. Nous les voyons
d'abord s'y essayer timidement; bientôt, ils s'enhar-
Fig. 82. — Plaque d'argile peinte, à figures noires.
dissent et imaginent ces menus traits jaunes, moins
durs que les traits noirs, qui leur servent à exprimer
les modelés les plus délicats. Qui pourrait nier, dans
ce progrès, l'influence de Cimon de Cléonées ? C'est à
lui, selon toute apparence, que doit être rapportée cette
transformation de la céramique. Tous les archéologues
sont d'accord pour rattacher à ses innovations les amé-
liorations de détail que subit, vers cette époque, la
LA PEINTURE GRECQUE. i$l
peinture de vases à figures rouges; mais ce qu'il faut
y rattaciier surtout, c'est l'idée même de la technique
nouvelle, où il semble difficile de ne pas voir un argu-
ment décisif en faveur du caractère polychrome de ses
tableaux.
A partir de ce moment, la polychromie fait fureur,
Fig. 83. — Plaque polychrome d'argilo peinte.
et on la trouve jusque sur les plaques d'argile peinte.
Il existe aujourd'hui plusieurs centaines de ces monu-
ments, dont les uns, comme ceux qui proviennent de
Corinthe et qu'on peut voir en si grand nombre au mu-
sée de Berlin, étaient des ex-voto qu'on suspendait
dans les temples, tandis que les autres, plus spéciale-
ment attiques, figuraient en général, dans l'intérieur des
sépultures, de longues frises représentant les divers
1S2 LA PEINTURE ANTIQUE.
actes des funérailles i. Or ces plaques, au vi" siècle,
suivent la technique des vases de style noir : il est aisé
d'en Juger par la figure 82, qui montre huit person-
nages drapés, exécutant, avec le geste traditionnel, la
lamentation qui précédait la déposition au tombeau.
Mais il vient un temps où, la grande peinture étant po-
lychrome, les plaques d'argile, elles aussi, s'efforcent
de l'être à leur manière, comme le prouve ce guerrier
colorié en jaune, qui porte ceinte autour de la taille
une chlamyde noire, et s'enlève, dans un cadre noir et
rouge, sur un fond blanc crème (fig. 83). Ce petit ta-
bleau, qui est de la fin du vi" siècle ou du commence-
ment du v^, est un curieux témoignage de la popularité
dont jouit désormais la polychromie. C'est à Cimon
qu'est dû cet engouement. Nous ignorons quels tons
possédait sa palette; sa peinture, très sobre, était cer-
tainement conventionnelle , et nous ne devons point
la supposer capable de rendre toutes les nuances de la
réalité. L'essentiel est qu'elle ouvrit des voies incon-
nues. Tout est prêt, maintenant, pour les chefs-d'œuvre
du siècle de Cimon et de Périclès. Les vrais grands
peintres peuvent paraître : la technique qu'ils porte-
ront à la perfection est trouvée.
§ III. — Vécole attique : Polygnote.
On sait qu'au v* siècle, c'est Athènes qui devient la
capitale intellectuelle de la Grèce. Merveilleusement
I. Voyez Rayet et Collignon, Histoire de la céramique grecque,
p. 143 et suiv.
LA PEINTURE GRECQUE. 155
préparée par Pisistrate à prendre en main Thégémonie,
elle trouve dans la seconde guerre médique Toccasion
de s'en emparer, et la garde pendant cinquante ans.
Le bel élan de patriotisme qui lui fait affronter les Bar-
bares à Marathon, qui, plus tard, la met aux prises,
dans les eaux de Salamine, avec TAsie coalisée, lui
assure la suprématie sur toutes les cités de THellade.
Avec la puissance lui vient la richesse ; avec la richesse,
le goût du luxe et des arts. Le rôle qu'a joué Sparte au
VII* siècle, quand elle appelait à elle les grands ly-
riques de Lesbos et de Crète pour réorganiser ses solen-
nités religieuses, celui qu'ont joué, vers le même temps,
les florissantes tyrannies de Sicyone et de Corinthe,
celles de Samos et d'Athènes même au siècle suivant,
l'Athènes démocratique, victorieuse des Perses, va le
Jouer, désormais, avec un incomparable éclat. A elle
vont accourir littérateurs et artistes; elle-même en
produira de très grands, qui feront son orgueil. Poé-
sie, architecture, sculpture, peinture, tout se réunira
pour l'embellir; elle élèvera à ses dieux des temples
magnifiques, qui s'empliront de merveilles; ses fêtes,
rehaussées par les représentations dramatiques, attire-
ront en foule les étrangers dans ses murs. Il n'y a
peut-être pas, dans l'histoire du monde, de période
aussi courte ayant donné naissance à autant de chefs-
d'œuvre. C'est de cette période que date l'ascendant
des Grecs sur les autres nations; et quand, plus tard,
le génie de la Grèce, selon l'énergique expression d'Ho-
race, conquerra Rome triomphante, c'est, en réalité, au
génie d'Athènes que reviendra l'honneur de la conquête.
De grands peintres apparaissent durant ces belles
IS4 LA PEINTURE ANTIQUE.
années où Athènes tient la tête de la civilisation. Si
tous ne sont pas Athéniens de naissance, c^est à Athènes
qu'ils se forment et produisent leurs œuvres les plus
remarquables. Le premier par Pancienneté, et peut-
être par le génie, est Polygnote. Nous savons peu de
chose sur sa vie. Il était originaire de Thasos, cette
île qui se dresse en face de la Thrace « comme Téchine
d'un âne, avec des bois sauvages en couronne », selon
la pittoresque image d^Archiloque. Ce pays monta-
gneux et verdoyant avait été jadis le centre d'un puis-
sant empire. Au temps du roi Gygès, c'est-à-dire vers
la fin du viu" siècle avant notre ère, des colons de Pa-
ros étaient venus s'y établir et y avaient fondé, après
bien des revers, un Etat qui se prolongeait sur la côte
opposée, comprenant les mines d'or et d'argent de la
Thrace, autrefois exploitées par les Phéniciens. Forte
de sa situation et soutenue par une marine redoutable,
cette petite république avait prospéré, jusqu'au Jour
où Mardonius l'avait incorporée à la monarchie perse.
Mais les Thasiens regrettaient leur indépendance. Au
commencement du v siècle, nous les voyons rêver de
s'affranchir, quand le Perse, averti, fond sur eux et
prend leur ville. Ils durent raser leurs murailles et
remettre leurs vaisseaux aux mains du vainqueur.
Thasos, privée de défense, ne fut plus qu'une des in-
nombrables provinces du grand Roi (491). C'est peut-
être à la suite de ces événements que Polygnote, encore
jeune, vint à Athènes. Depuis longtemps les Athéniens
s'étaient posés en adversaires des Perses. Les encoura-
gements qu'ils avaient donnés à la révolte de Tlonie,
la part même qu'ils avaient prise à cette guerre désas-
LA PEINTURE GRECQUE. 15S
treuse pour les rebelles, avaient montré leur résolu-
tion de s'opposer à tout progrès des Barbares en Occi-
dent. Il était naturel qu'Athènes fût considérée comme
le refuge de quiconque fuyait devant la domination
orientale. Polygnote y fut bien accueilli dans la fa-
mille de Miltiade, dont la femme, Hégésipylé, était la
fille du roi thrace Oloros et que, par conséquent, des
liens de parenté rattachaient à la patrie du jeune
peintre. Il s'y lia avec le fils du vainqueur de Mara-
thon, Cimon, qui ne cessa, à ce qu'il semble, de lui
porter un vif intérêt et l'associa aux grands travaux
qu'il fit plus tard exécuter à Athènes.
Nous savons le nom du père de Polygnote : il s'ap-
pelait Aglaophon. Peintre lui-même, il avait été le
professeur de son fils. Un frère de Polygnote, Aristo-
phon, était peintre également, et peintre de talent. L'an-
tiquité connaissait de lui un Philoctète mourant dont
l'expression était des plus touchantes. Il avait, un des
premiers, personnifié dans ses tableaux des abstractions
comme la Naïveté et l'Astuce. Son fils Aglaophon mar-
cha dans la même voie. Il peignit sous des figures allé-
goriques les victoires d'Alcibiade aux jeux Olympiques
et aux jeux Pythiques. Une autre de ses peintures repré-
sentait le même Alcibiade, « plus beau, dit un ancien,
que les plus belles femmes », la tête posée sur les ge-
noux d'un génie qui personnifiait les jeux Néméens.
Nous sommes donc en présence d'une famille de
peintres dont le membre le plus illustre appartient aux
premières années du v siècle. On place d'ordinaire
Polygnote plus bas. L'amitié qui l'unissait à Cimon,
dont il avait à peu près l'âge, s'y oppose formelle-
iStf LA PEINTURE ANTIQUE.
ment. Nous possédons d'ailleurs, sur Tépoque où il
vivait, un renseignement chronologique qui a son
importance : c'est un distique écrit par Simonide pour
servir de légende à Tune des grandes compositions
qu'il avait peintes dans la Lesché de Delphes. Or Simo-
nide, qui avait fait Tornement de la cour d'Hipparque,
avait quitté Athènes, après le meurtre du tyran, pour
se rendre en Thessalie, auprès des Scopades de Phar-
sale, puis auprès des Aleuades de Larisse. Il y revint
après la bataille de Marathon (490) et continua d'y sé-
journer jusqu'en 476, moment oti il partit pour la
Grande Grèce et la Sicile et se mit à fréquenter les
cours d'Anaxilas de Rhégium, de Hiéron de Syracuse,
de Théron d'Agrigente, etc. Il mourut, probablement à
Syracuse, en 467. C'est donc avant 476 qu'il dut faire
le distique dont nous avons parlé, ce qui oblige à
reporter les peintures de Delphes à une date assez an-
cienne. Furent-elles exécutées avant la seconde guerre
médique? L'inquiétude générale qui précéda l'invasion
de Xerxès ne permet guère de le croire. Sans doute,
ces belles fresques furent peintes à la faveur de la
paix qui suivit le triomphe définitif de l'hellénisme.
Déjà à ce moment Polygnote était un grand peintre.
Formé par les leçons de son père, il y avait ajouté les
enseignements que lui avait fournis l'œuvre de Cimon
de Cléonées. On voit qu'il se trouvait à Athènes lors
de l'arrivée des Perses, et qu'il assista à cette lutte
héroïque qui ne fut pas sans influence sur le dévelop-
pement de son génie.
Nous ignorons son caractère. Vivant parmi la
haute aristocratie athénienne, il semble en avoir pris
LA PEINTURE GRECQUE. 157
les mœurs et les allures. C'était un peintre grand sei-
gneur : quand il s'agit de décorer le Pœcile, il refusa
l'argent qu'on lui offrait, tandis que son collaborateur
Micon se faisait payer. Les Athéniens, reconnaissants,
lui conférèrent le droit de cité. On lui prêtait des
aventures galantes : il avait eu, disait-on, pour maî-
tresse la sœur de Cimon, Elpiniké, dont la conduite
passait pour légère, et, comme les peintres de la Re-
Fig. 8.^. — Attentat d'Ajax contre Cassandre,
d'après un vase peint.
naissance, il avait immortalisé ses traits dans un de ses
tableaux. On reconnaissait, paraît-il, la noble patri-
cienne sous la figure de Laodiké, une des captives
troyennes représentées au Pœcile. Telle est la biogra-
phie de Polygnote.
Sa première œuvre importante fut la décoration de
la Lesché de Delphes. C'est ainsi qu'on désignait un
vaste portique qui servait de promenoir aux pèlerins
et qui avait été bâti près du temple d'Apollon par les
soins des habitants de Cnide. Les peintures qu'y avait
exécutées Polygnote sont décrites en détail par Pausa-
iS8 LA PEINTURE ANTIQUE.
nias, qui les vit encore intactes au ii" siècle de notre
ère. Elles formaient deux compositions distinctes, se
faisant suite sur le même panneau. Dans Tune, on voyait
Troie et la campagne troyenne au lendemain de la vic-
toire des Achéens; Pautre e'tait une image du monde
infernal. Grâce à la description de Pausanias et aux
nombreux souvenirs qu'on trouve de ces fresques cé-
lèbres sur les vases peints, on peut se faire une idée de
la façon dont y étaient groupés les personnages.
Le principal épisode de V Ilioupersis \ le plus dra-
matique, le plus émouvant, était Tattentat d'Ajax, fils
d'Oïlée, contre Cassandre, ou plutôt le jugement d'Ajax,
après cet attentat, par les principaux chefs des Grecs.
Qui n'a dans la mémoire ces beaux vers de Virgile :
Ecce trahebatur passis Priameïa virgo
Crinibus a templo Cassandra adytisque Minervae,
Ad cœlum tendens ardentia lumina frustra,
Lumina, nam teneras arcebant vincula palmas.
« Voici qu'arrachée du temple et de l'autel de Minerve, la
vierge fille de Priam, Cassandre, était entraînée, les
cheveux épars, levant vers le ciel, hélas! en vain, ses
yeux suppliants, ses yeux, car des liens enchaînaient ses
mains délicates. » Toute Pantiquité a été touchée de cette
scène. Elle figurait déjà sur le coffre de Kypsélos. Au
VI* siècle, les coroplastes s'en inspirent, comme le
prouve une de ces plaques d'argile façonnées au moule,
I. Pour plus de brièveté, j'emploierai ce mot, qui signifie ^ri*e
d'Ilion, en parlant de la fresque de Polygnote; mais qu'il soit
bien entendu que le sujet de ce tableau était Ilion prise, et non
le sac même de la ville.
LA PEINTURE GRECQUE. iSÇ»
qui ont plus d^un rapport avec les vases à figures
noires, et reproduisent, comme eux, les chefs-d'œuvre
de la grande peinture ^ Mais les plus beaux spécimens
de ce motif nous sont fournis par les vases à figures
rouges. Est-il rien de pathétique comme celui que
nous reproduisons (fig. 84), et où l'on voit Cassandre
éperdue, saisissant d'une main l'idole d'Athéna, dont
la lance levée semble vouloir la défendre, tandis que
de l'autre elle supplie son farouche agresseur? Ce n'est
pourtant pas ce moment de l'action que Polygnote
avait choisi pour en faire le centre de son tableau. 11
eût été en désaccord avec l'ensemble de sa composi-
tion, dont le but était de peindre, non les horreurs
brutales de l'assaut, mais les sentiments des vain-
queurs et ceux des vaincus après la prise d'Ilion. Aussi,
en dehors de Cassandre tenant encore embrassée l'image
de la déesse, ce qui attirait particulièrement l'attention,
c'étaient les rois achéens Polypoitès, Acamas, Ulysse,
Agamemnon, Ménélas, intervenant au nom du droit
d'asile et reprochant sévèrement à Ajax son sacrilège.
La fresque tout entière offrait d'ailleurs le même
intérêt psychologique et moral. Plusieurs groupes y
représentaient des captives troyennes gémissant sur
la ruine de leur patrie, tandis qu'Hélène, la cause de
ce désastre, était assise au milieu de ses femmes, oc-
cupées à la parer. Puis venaient des blessés, des
morts, parmi lesquels le vieux roi Priam. Des guer-
riers grecs, ici et là, achevaient les restes des malheu-
reux Troyens ; Epéos faisait tomber les remparts de
I. Pottier, les Statuettes de terre cuite dans Vantiqitité, p. 44-46.
i(5o LA PEINTURE ANTIQUE.
la ville, au-dessus desquels apparaissait la tête du
funeste cheval; Néoptolème, après avoir donné le coup
de grâce à Elasos, frappait de son épée Astynoos à
terre; le traître Sinon, aidé d^Anchialos, traînait le
cadavre de Laomédon. C'étaient les dernières scènes de
la grande tuerie qui avait commencé la veille, les der-
niers actes d'atrocité d'un vainqueur qui abusait de
sa victoire. Le sens général du tableau n'en était pas
modifié. S'inspirant de différents poètes, peut-être de
Stésichore, dans tous les cas, de Leschès et des au-
teurs de Retours, Polygnote, avant tout, s'était préoc-
cupé d'une chose : il avait voulu traduire par le pin-
ceau les différents états d'âme des Troyens et des
Grecs, les uns en proie à la douleur, les autres triom-
phants, mais poursuivis, dans leur triomphe, par la
Némésis, souillés par la violence impie de l'un d'entre
eux et pressentant déjà les maux sans nombre qui bien-
tôt accableront les vainqueurs de Troie.
Tous les groupes disposés à droite et à gauche de
celui de Cassandre étaient enfermés entre deux scènes
qui leur servaient de limites et se faisaient pendant.
A l'une des extrémités de la fresque, les Grecs se prépa-
raient à partir; les soldats de Ménélas démontaient sa
tente. A l'autre, un Troyen, Anténor, dont la maison
avait été respectée parce qu'il avait jadis reçu à titre
d'hôtes Ménélas et Ulysse, venus à Troie comme
ambassadeurs, faisait, lui aussi, ses préparatifs de
départ; entouré de sa femme et de ses enfants, il jetait,
avant de prendre le chemin de l'exil, un dernier regard
sur la ville dévastée, pendant qu'un serviteur chargeait
sur un âne un coffre et d'autres objets.
LA PEINTURE GRECQUE.
i6i
La seconde composition peinte dans la Lesché était
empruntée à la Nékyia d'Homère, c'est-à-dire au
chant de V Odyssée dans lequel Homère montre Ulysse
se rendant chez les Cimmériens pour consulter
Tombre de Tirésias, et où, à ce propos, il décrit
le monde infernal. Telle n'était pas, d'ailleurs, l'unique
Fig. 8j. — Charon dans sa barque,
sur un lécythe blanc attique.
source de Polygnote. Avec cette liberté qui caractérise
l'art grec, et dont témoignait Vllioupersis, il s'était
inspiré de divers autres poèmes, tels que les Chants
cypriens et une Minyade dont l'auteur est inconnu.
C'est cette dernière œuvre qui lui avait fourni le type de
Charon, le nocher des enfers; il l'avait peint dans sa
barque, sur l'Achéron, exigeant des morts le prix du
passage. On sait combien cette représentation devint
populaire par la suite et que de fois on la rencontre, au
PEINT. ANTIQUE.
i6z LA PEINTURE ANTIQUE.
V® et au iv« siècle, parmi les scènes funéraires qui déco-
rent les lécyihes attiques à fond blanc (fig. 85). '
Le centre du tableau était occupé par Ulysse, ac-
croupi, l'épée nue, au bord de la fosse où les âmes des
trépassés venaient boire le sang des victimes. Près de
lui se tenait son compagnon Elpénor, vêtu de la bure
grossière des matelots. L'ombre de Tirésias s'avançant
vers la fosse et celle d'Anticlée, la mère d'Ulysse, assise
sur une pierre, complétaient ce groupe central. Peut-
être n'était-ce pas celui qui intéressait le plus le visi-
teur. Ce qui devait surtout fixer son attention, c'était
la peinture des supplices infernaux, le châtiment du
mauvais fils et celui de l'impie, la vue des grands auda-
cieux comme Thésée et Pirithoûs, des femmes coupa-
bles comme Phèdre, des légendaires criminels comme
Tityos, Sisyphe, Tantale. Il faut remarquer, à ce sujet,
que Polygnote ne s'était point complu dans les détails
horribles ; cette galerie de suppliciés n'avait rien,
semble-t-il, de la laideur des martyres que le peuple
de Rome va contempler, à de certains jours, dans
l'église de Saint-Étienne-le-Rond, Ce que l'artiste
avait cherché à rendre, c'était moins la peine elle-même
que l'appréhension de la peine ou ses effets. Son Tan-
tale, tourmenté par la faim et la soif, levait les yeux
vers un rocher suspendu au-dessus de sa tête et qui
menaçait de lui broyer le crâne; l'expression de la ter-
reur sur ce visage plein d'angoisse était évidemment
ce qui avait séduit le peintre. De même, il n'avait pas
représenté Tityos offrant au bec et aux serres du vau-
tour son foie sans cesse renaissant : il l'avait figuré
épuisé par son supplice, dans un de ces courts répits
LA PEINTURE GRECQUE.
i6î
plus poignants à la réflexion que Paspect sanglant du
supplice même.
A ces lugubres scènes, d'autres, plus gaies, s'oppo-
saient. Polygnote avait mêlé aux tortures infernales la
peinture des félicités élyséennes. C'est ainsi qu'on
voyait, dans son tableau, les héros et les héroïnes du
temps jadis se livrant
à d'innocentes dis-
tractions. Les filles
de Pandarée, cou-
ronnées de fleurs,
jouaient aux osse-
lets; peut-être ser-
virent-elles de pro-
totype à toutes ces
joueuses d'osselets
ou de balle qui vont
se multipliant, à
partir d'une cer-
taine époque, dans
l'industrie des coro-
plastes (fig. 86). Ailleurs, Ajax, fils de Télamon, Pa-
lamède, Thersite, remuaient les dés en présence de
l'autre Ajax et de Méléagre. Il y avait le coin des
poètes, où Orphée, appuyé contre un saule, chantait
en s'accompagnant sur la lyre; près de lui était Tha-
myris aveugle; non loin de là, le satyre Marsyas ensei-
gnant à jouer de la flûte à Olympos enfant. Les grands
champions de la guerre de Troie, Achille, Patrocle,
Agamemnon , Hector, Sarpédon , Memnon , Paris ,
l'Amazone Penthésilée, étaient groupés dans des atti-
Fig. 86.
i6+ LA PEINTURE ANTIQUE.
tudes diverses. Des scènes symboliques, de mysté-
rieuses pratiques d'initiés, rappelaient les cérémonies
éleusiniennes et les rapports du monde terrestre avec le
monde souterrain de l'Hadès.
Il est difficile de ne pas apercevoir, entre cette
fresque et la précédente, une étroite relation. D'un côté,
l'artiste avait représenté la vie humaine, avec ses misères
Fig. 87. — Ulysse tuant les prétendants,
d'après un vase peint.
et ses crimes, ses fortunes changeantes, ses gloires
passagères; de l'autre, il avait peint la vie des enfers,
avec ses peines et ses récompenses. Ici, c'étaient les
actions des hommes, là leur sanction. Ces deux pein-
tures, rapprochées, contenaient donc de graves ensei-
gnements, conformes à ceux de la religion delphique.
On ne peut, en outre, s'empêcher d'être frappé d'une
vive ressemblance entre ces muettes leçons, données
par le peintre, et les leçons articulées que lançait,
vers le même temps, du haut de la scène son contem-
porain Eschyle. Chez l'un comme chez l'autre, même
LA PEINTURE GRECQUE.
16$
intention, même sentiment, et rien n'éclaire mieux cer-
taines trilogies eschyléennes que ces deux composi-
tions très différentes au premier abord, mais où se
faisait jour, pour peu qu^on y prît garde, une remar-
quable unité de sujet.
Il faut encore ranger, semble-t-il, parmi les pre-
mières œuvres de Polygnote, un tableau qui décorait
Fig. 88. — Suite de la même représentation,
sur l'autre face du vase.
le temple d'Athéna Areia à Platée, temple bâti, nous
dit Pausanias, avec le butin conquis à Marathon. Ce
tableau, tiré de Fépopée, comme ceux de Delphes,
représentait le Meurtre des prétendants, ou plutôt
Ulysse dans son palais, au milieu des prétendants
morts ou expirants. Ici encore, on voit que ce n'est
pas le vif môme de Faction qui avait tenté le peintre,
mais ses suites et Thorreur de ce palais ensanglanté,
rendu à son maître vengé et satisfait. Parut-il plus
dramatique aux peintres postérieurs de figurer la ven-
geance elle-même? Existait-il, à la même époque,
f66 LA PEINTURE ANTIQUE.
d'autres peintures sur le même sujet? Toujours est-il
que nous voyons cet e'pisode de V Odyssée jouir dans
l'art, après Polygnote, d'une popularité singulière;
témoin ce vase du milieu du v« siècle, dont une face
nous montre Ulysse lançant d'une main sûre ses flèches
contre les prétendants, dessinés sur l'autre face (fig. 87
et 88); témoin cette curieuse frise sculptée qui ornait
un hérôon dont les ruines subsistent encore à Gjôlbachi,
en Lycie (fig. 89), et qui nous fait voir le même héros,
accompagné de Télémaque, accablant les prétendants
de ses redoutables traits. On retrouve cette légende
jusqu'en Italie, où les sarcophages étrusques s'en inspi-
rent, comme le prouvent deux monuments de ce genre
provenant de Volterra.
Nous savons aussi que Polygnote exécuta de grandes
peintures décoratives à Thespies, probablement dans
un sanctuaire. Nous en ignorons le sujet; elles furent,
plus tard, restaurées assez maladroitement par Pau-
sias. Sa réputation s'étendait donc au loin, mais ce
fut surtout pour Athènes qu'il travailla. Cimon, qui,
après l'invasion des Perses, avait entrepris de relever
Athènes de ses ruines, lui confia la décoration de plu-
sieurs édifices. Dans le marché public, qu'il avait planté
d'arbres, se dressait un portique construit par un de ses
parents, Peisianax. Il voulut que ce portique fût orné
de peintures, et c'est Polygnote qu'il chargea de ce
soin. Polygnote s'adjoignit deux peintres de valeur,
Panainos et Micon, et bientôt le portique de Peisianax,
devenu le Portique peint ou Pœcile (noixtV/i aroa),
excita l'admiration par les belles fresques dont il était
rempli. Nous reviendrons sur les tableaux de Micon et
LA PEINTURE GRECQUE.
167
de Panainos. Disons, pour le moment, que Polygnote
s'était réservé, dans le panneau central, la place d'hon-
neur. Entre deux compositions dues à ses collabora-
teurs, il avait représenté, comme à Delphes, une Iliou-
persis, dont le principal épisode était toujours Tattentat
contre Cassandre; seulement, au lieu de montrer Ajax
jugé par les chefs achéens, il Pavait figuré se purifiant
Fig, 89. — Frise sculptée de Gjôlbachi,
représentant le meurtre des prétendants.
auprès de Pautel d'Athéna et implorant la clémence
de ces mêmes chefs.
Lorsque Cimon, en 469, eut rapporté de Skyros les
prétendus ossements de Thésée, et qu'un temple fut
élevé pour honorer la mémoire du héros national des
Athéniens, c'est encore Polygnote qui dut, avec Micon,
en décorer l'intérieur. C'est lui qui, avec l'aide du
même Micon, enrichit l'Anakeion, ou sanctuaire des
Dioscures, de peintures rappelant les aventures de ces
deux héros. Enfin, sur l'Acropole, à gauche des Pro-
pylées, le dévot qui s'acheminait vers le Parthénon
rencontrait un édifice, sorte de chambre assez vaste dont
la destination est difficile à déterminer, et qu'on désigne
habituellement sous le nom de Pinacothèque. Là se
trouvaient réunis un certain nombre de tableaux, parmi
168
LA PEINTURE ANTIQUE.
lesquels, à ce qu'il semble, plusieurs de Polygnote.
L'un d'eux représentait VEnlèvement du Palladion par
Ulysse et Diomède, ou le rapt de l'antique idole
d'Athéna, dont la disparition des murs de Troie devait
assurer la victoire des Grecs. La figure ci-dessous, em-
pruntée à un vase peint signé du maître potier Hiéron,
prouve combien ce motif était en faveur dans les ate-
Fig. 90. — Enlèvement du Palladion,
d'après un vase peint.
liers; une convention naïve y montre les deux ravis-
seurs tenant chacun dans leurs bras le Palladion, c'est-
à-dire se disputant la gloire de l'avoir dérobé, et
courant l'un sur l'autre, l'épée nue, tandis que les chefs
des Grecs, Agamemnon, Phénix, Démophon, Acamas,
s'efforcent de les séparer. On voyait encore, dans la
Pinacothèque, Ulysse^ et Philoctète dans Vile de Lem-
nos , Polyxène imjnolée sur le tombeau d'Achille,
Oreste tuant Egisthe, meurtre célèbre dont le souvenir
s'est également conservé dans la peinture de vases
LA PEINTURE GRECQUE. 169
(tig. pr). On y voyait Ulysse et Nausicaa se rencon-
trant pour la première fois sur les bords du fleuve où
la jeune fille était venue, avec ses servantes, laver les
vêtements du roi Alkinoos; on y voyait Achille à
Skyros^ parmi les filles de Lycomède, peut-être au
moment même où il se jetait sur les armes apportées
Fig. 91. — Oreste tuant Égisthe, d'après un vase peint.
par Ulysse, comme le représentent plusieurs peintures
de Pompéi (fig. 92). Tous ces tableaux étaient-ils de
Polygnote? Pausanias, qui les décrit, ne le dit pas
d'une manière certaine. Quoi qu'il en soit, ils rentraient
dans ses goûts, et si tous n'étaient pas sortis de son pin-
ceau, comme Achille à Skyros, Nausicaa, Polyxène,
dont les yeux, dit un poète de V Anthologie, contenaient
l'histoire entière de la guerre de Troie, tous apparte-
naient sans aucun doute à son école.
VI70 LA PEINTURE ANTIQUE,
Il reste à dire un mot de la technique de ce peintre
illustre et du caractère de son talent. Sa peinture était
polychrome. Thasos avait été, d'après la légende, une
des étapes du vieux Cadmos, dans son voyage d'Orient
en Occident. Les arts y avaient fleuri de très bonne
heure; la polychromie y avait été de tout temps culti-
vée. On a vu plus haut que, vraisemblablement, Poly-
gnote la trouva déjà installée à Athènes; il avait donc
mille raisons de la pratiquer. Les anciens admiraient
la sobriété de son coloris; sur la foi de Cicéron et de
Pline, nous serions tentés de croire qu'il ne peignait
qu'avec quatre tons, le blanc, le jaune, le rouge et le
noir. Sans doute, c'étaient là, pour lui, comme pour
ses contemporains, comme pour les premiers de ses
successeurs, les couleurs fondamentales ; mais ces quatre
couleurs lui fournissaient, par le mélange, un nombre
de tons relativement considérable; Denys d'Halicar-
nasse le dit en termes très clairs. Nous ignorons la
nuance précise de ses couleurs; nous ignorons aussi les
combinaisons par lesquelles pouvaient passer, entre ses
mains, ces éléments primordiaux. Il est étrange quMl
n'ait pas eu recours au bleu; il y avait autour de lui
tant de bleu sur les édifices et les statues, qu'on est
surpris de ne pas trouver cette couleur au nombre de
celles dont il se servait. Il est certain, pourtant, qu'il y
avait du noir bleuâtre dans ses tableaux; la Nékyia
contenait l'image d'un vampire, Eurynomos, qui se
nourrissait de la chair des morts, et dont la peau était
d'un ton intermédiaire entre le noir et le bleu, « sem-
blable, dit Pausanias, aux mouches qui piquent la
viande ». Peut-être aussi la teinte de l'eau tirait-elle
LA PEINTURE GRECQUE.
171
légèrement sur le bleu, bien que les flots de PAchéron,
dans la Lesché, semblent plutôt avoir été gris, avec des
poissons qui paraissaient au travers, en silhouettes
fugitives, à peine visibles. Quant aux feuillages, aux
roseaux qui bordaient la rive infernale, aux saules, aux
peupliers, à Tombre
desquels se repo-
saient les poètes, ils
n'étaient pas figurés
en vert, puisque ce
ton était absent de la
palette du peintre et
qu'aucune combi-
naison ne lui per-
mettait de l'obtenir;
il est probable qu'ils
étaient esquissés en
noir ou en bistre,
avec une grande dé-
licatesse. A ces tons
indécis, d'un charme
pénétrant, étaient
associés des tons
francs, comme la
pourpre de certains manteaux, la bigarrure de certaines
coiffures de femmes. De hardis effets de coloration
étaient demandés au blanc, sans doute additionné de
quelque matière cristalline, peut-être de sel : ainsi,
Ajax, fils d'Oïlée, avait le corps tout brillant d'une sorte
d'efflorescence saline, en souvenir du naufrage qui
l'avait, au retour de Troie, précipité dans le royaume
Fig. 92. — Achille à Skyros,
peinture de Pompéi.
i/a LA PEINTURE ANTIQUE.
d'Hadès. On ne saurait douter que cette simplicité de
coloris ne fût voulue; il faut se garder d^ voir une
preuve d'ignorance ou une indigence de moyens.
L'éclatante polychromie alors à la mode en sculpture
et en architecture n'eût pas manqué de réagir sur la
peinture, si celle-ci se fût laissé faire; mais, de plus en
plus, elle tendait à la sobriété, mettant tous ses efforts
à tracer de belles lignes, enivrée, pour ainsi dire, de la
noblesse de son dessin. Au vr siècle, elle avait été con-
ventionnelle par impuissance; au v", elle le fut de
parti pris, et nous voyons la même tendance se mani-
fester dans la céramique, par l'abandon des retouches
rouges et blanches. Dans cet art épuré, et qui ne
rêve, en quelque sorte, qu'idéal contour, le dessin est
presque tout, la couleur n'est qu'accessoire; le potier
s'en passe, ou peu s'en faut ; le peintre n'y cherche
que de discrètes indications qui soulignent, dans ses
tableaux, la beauté des formes et fassent valoir l'élé-
gance des figures.
A cette convention s'opposait, chez Polygnote, un
réalisme supérieur, qui visait surtout à exprimer la
vérité des sentiments et des passions. On a vu que ce
qu'il recherchait de préférence, c'étaient les situations
où pouvaient paraître les troubles intérieurs qui bou-
leversent l'âme. A Delphes, les captives figurées dans
V Ilioiipersis et la famille d'Anténor fuyant Troie témoi-
gnaient, par leurs regards et leur attitude générale, de
l'affliction profonde et des cuisants soucis qui les tor-
turaient. Des enfants étaient mêlés à ces scènes de
désolation, les uns insouciants, comme ce fils d'An-
dromaque tranquillement occupé à sucer le lait de sa
LA PEINTURE GRECQUE,
>7Î
mère, ou comme ce petit enfant d^Anténor déjà juché
sur le dos de Pane prêt à partir; les autres épouvantés
à la vue de ce qui se passait autour d'eux, comme celui
qui s'attachait, rempli de crainte, à un autel, ou comme
cet autre, porté par un vieil eunuque, et qui, pour ne
pas voir, se cachait les yeux avec la main. Mais ce
qu'il y avait déplus émouvant,
c'était l'expression de Cas-
sandre, dont les sourcils et les
joues , colorées d'une légère
rougeur, rendaient si bien l'an-
goisse pathétique. La grande
supériorité de Polygnote sur
Cimon, qui avait varié les
mouvements de la tête, était
d'avoir varié ceux du visage.
Pline nous dit que, le premier,
il ouvrit les bouches et y fit
apercevoir les dents {instituit
os adaperire, dentés ostenderé).
Cela répond bien à ces mas-
ques passionnés dont il avait
pourvu la plupart de ses héros et que laissent deviner
les descriptions de Pausanias.
Il avait de même imaginé certaines postures dont le
naturel et l'expressive beauté semblent avoir produit
sur les contemporains une vive impression. Par exemple,
la Nékyia montrait Hector assis, l'air profondément
triste, et tenant son genou gauche avec les deux mains.
Cette attitude fit fortune, comme l'attestent de nombreux
vases. N'est-ce pas un souvenir d'elle qu'on retrouve
Fig- 9i-
174
LA PEINTURE ANTIQUE.
dans cette figure qui fait partie d'une scène empruntée
à la légende des Argonautes (fig. gS)? Elle eut tant de
succès, que tout le monde s'en empara. La même chose
s'est passée à toutes les époques. Une heureuse trou-
vaille, dans le domaine de l'art, a toujours suscité
une armée d'imitateurs. Parce qu'un peintre, de nos
jours, a eu l'idée de faire galoper les chevaux comme
Fig. 94. — Ambassade d'Ulysse auprès d'Achille,
d'après un vase peint.
ils galopent en effet, avec les quatre pieds ramassés
sous le ventre, nos Salons annuels ont été pris d'as-
saut par des régiments entiers galopant de même.
Parce qu'un autre, de grand talent, fait d'intéressants
efforts pour rendre les reflets dont tout objet est
coloré par les objets voisins, nous voyons une légion
de peintres s'ingénier à donner aux choses des cou-
leurs autres que celles qui leur sont propres. Les
Athéniens ne procédaient pas autrement. L'homme
au genou devint vite populaire chez les potiers, et ils
le mirent partout, souvent hors de propos. Voyez ce
petit tableau tiré d'une peinture de vase qui représente
LA PEINTURE GRECQUE.
«7$
Ulysse en ambassade auprès d'Achille, pour le décider
à reparaître dans les combats (fig. 94). Bien que le
besoin ne s'en fasse pas sentir, le rusé fils de Laërte y
a, à peu de chose près, la position de l'Hector de Poly-
gnote. Cela donnait une jolie ligne du dos; il n'en
fallait pas plus pour tenter une main grecque. Le même
tableau contient une autre imitation du même genre :
cet Ajax assis qui y figure, un
bâton à la main, rappelle le pé-
dagogue d'une coupe de Douris
(fig. 95), lequel est lui-même un
souvenir de quelque grande fres-
que. Ces emprunts nous révèlent
une loi éternelle de l'art, qui veut
que les belles formes s'imposent
à l'imagination et s'insinuent
sournoisement dans le bagage
d'idées de chaque artiste. Si
quelque chose peut aider à com-
prendre la supériorité de Polygnote et celle des grands
peintres ses contemporains, ce sont bien toutes ces
réminiscences qui pullulent à côté d'eux dans la céra-
mique et qui sont autant d'hommages inconsciemment
rendus à leur génie.
Une autre audace de Polygnote, dans la façon de
présenter ses personnages, était de les avoir en partie
dissimulés derrière un pli de terrain. C'était conforme
à la nature, et cela permettait d'exprimer d'une ma-
nière plus saisissante certains états d'âme, comme l'ac-
cablement de Tityos après les cruels assauts du vau-
tour. On le voyait, à ce qu'il semble, affaissé sur son
Fig- PS-
176
LA PEINTURE ANTIQUE,
rocher, et son corps, dit Pausanias, « ne paraissait pas
tout entier ». Il était probablement dans une position
analogue à celle qu^occupe ici (fig. 96) ce jeune Nio-
bide blessé par Apollon et qui, mourant, les yeux déjà
clos, s'appuie contre un tertre qui le cache à demi.
Le réalisme du maître se manifestait encore ailleurs
que dans la peinture des passions ou de la douleur
physique. Il avait le
sens de la couleur
locale : il y avait une
cuirassedans Vlliou-
persis, une cuirasse
posée sur un autel,
dont Taspect était
tout à fait archaï-
que; elle ressemblait
à celle que portait
Ajax dans un tableau
de Calliphon de Sa-
mos, qui ornait le temple d'Artémis à Ephèse. Peut-être
Polygnote connaissait-il ce tableau ; il avait, dans tous
les cas, cherché à mettre un certain rapport entre cette
arme et les temps reculés auxquels elle était censée
appartenir. Il fut aussi le premier à rendre la transpa-
rence des étoffes, surpassant par là Cimon de Cléonées,
qui n'avait su peindre que les lourdes draperies. Im-
portés d'Egypte par les Phéniciens, les tissus diaphanes
s'étaient de bonne heure répandus dans le monde grec;
les Athéniens du vi« siècle les employaient certainement,
mais aucun peintre ne s'était essayé à les reproduire;
Polygnote l'osa et, après lui, les peintres de vases,
Fig. 96.
LA PEINTURE GRECQUE.
177
comme on en peut juger par ce beau fond de coupe dont
Toriginal est au Louvre (fig. 97), et qui montre Thésée
adolescent recevant d'Amphitrite, à laquelle Athéna le
F'g- 97- — Thésée chez Amphitrite,
d'après un vase peint,
présente, Panneau d'or que Minos a jeté dans la mer
et que le jeune héros s'est engagé à aller chercher. On
voit par cette admirable peinture, œuvre d'Euphro-
nios, le potier dont le faire donne le mieux Tidée de
ce qu'étaient le genre et la manière de Polygnote, com-
PEINT. ANTIQUE. la
178
LA PEINTURE ANTIQUE.
Fig. 98
bien étaient légères ces fines étoffes dont les artistes
revêtaient alors leurs personnages. Ce n'est là qu'un
commencement : d'autres, comme le
potier Hiéron, iront plus loin en-
core, et des sculpteurs comme Phi-
dias emprunteront, eux aussi, à la
grande peinture l'art de faire vivre
et palpiter les corps sous leurs tu-
niques de lin. Polygnote traitait
d'ailleurs avec la même habileté les
étoffes opaques : Eriphyle, dans la
Nékyia, portait, sous son manteau,
une de ses mains au collier qu'elle avait reçu de Po-
lynice pour trahir Amphiaraos, son époux, et l'on
devinait, aux plis, le geste de ses doigts caressant avec
amour le prix de sa trahison. Il excellait encore à des-
siner la chevelure, dont les sculpteurs du vi" siècle lui
avaient appris à exprimer les boucles savantes et les
gracieuses ondulations : deux têtes, dans une coupe
d'Euphronios à fond blanc
(fig. 98 et 99), montrent le soin
qu'il apportait à ce détail, ainsi
qu'à l'exécution des cils. Il sa-
vait enfin saisir les particula-
rités ethniques, les traits indivi-
duels qui distinguent les races :
aux côtés de Memnon, dans la
Nékyia, il avait placé un jeune
Ethiopien que Pausanias se
borne à mentionner sans le décrire, mais dont le teint,
sans doute, et le profil camard indiquaient suffisam-
LA PEINTURE GRECQUE.
179
ment Torigine ; peut-être ressemblait-il à ces nègres
qu'Amasis, un maître potier de la fin du vi* siècle,
a introduits dans quelques-uns de ses tableaux. De
même, le petit enfant qui mettait la main devant ses
yeux, dans Vllioupersis, était assis sur les genoux d'un
vieillard ridé et cassé, dont nous pouvons nous faire
une idée par cette étrange figure,
due au pinceau du potier Pis-
toxénos (fig. 100), lequel fait
de ce personnage le précepteur
d'Hercule adolescent. Selon
toute vraisemblance, Polygnote
en avait trouvé le modèle au-
tour de lui, parmi ces esclaves
thraces tatoués et décrépits aux-
quels les riches Athéniens con-
fiaient les fonctions de portier
ou de pédagogue.
Avons-nous, par ces remar-
ques, réussi à faire comprendre
le caractère de ces œuvres
anéanties? Nous n'osons nous
en flatter. La grande difficulté sera toujours d'ima-
giner le groupement de toutes ces figures et l'harmonie
secrète qui les reliait les unes aux autres. Plusieurs
restaurations ont été proposées pour en rendre
compte : aucune n'est satisfaisante *. Si l'on veut
essayer de se représenter ces vastes ensembles, il faut
I. Hàtons-nous de dire que la plus acceptable est celle qu'a ima-
ginée récemment M. Benndorf pour l'//joi/^er5/s et qu'il a publiée
dans les Wiener Vorlegeblœlter de 1888 (Vienne, 1889), pi. 12.
c!,cv<7'..-3
Fig. ICO.
i8o LA PEINTURE ANTIQUE.
d'abord les supposer dépourvus de cette unité qu'offre
de nos jours la peinture décorative, grâce au fond
commun sur lequel s'en détachent les divers épisodes.
Aujourd'hui, quand un peintre veut, par exemple,
figurer FÉté dans le champ d'un panneau livré à sa
fantaisie, il compose un paysage qui lui serve de cadre
et dans lequel il puisse enfermer les scènes symbo-
liques à l'aide desquelles il rendra la chaleur du jour,
l'accablement d'une nature échauffée par un ardent so-
leil, que bravent cependant de rustiques travail-
leurs. Au pied d'une rangée de collines, dont les pentes
molles s'élèvent, comme lassées, vers le ciel, il peindra
un bouquet de bois sombre, autour duquel il étendra
des cultures, des blés mûrs pour la moisson, des foins
qu'entassent sur un char des paysans demi-nus, aux
membres robustes; puis, sur le devant, il fera courir
une rivière où viendront se rafraîchir de chastes bai-
gneuses, sur les bords de laquelle des mères allaiteront
leurs enfants, à l'ombre grêle de quelque vieux saule.
Tous ces groupes épars seront distincts les uns des
autres; ils ne concourront point à une action com-
mune, et pourtant le fond qui les relie en fera comme
les notes individuelles d'urte grande symphonie très
poétique et très touchante, d'où se dégagera une im-
pression d'unité incontestable. Ce n'est pas ainsi qu'il
faut nous représenter les fresques de Polygnote. Elles
étaient composées à la manière d'un fronton de
temple, sans fond de paysage qui leur servît de lien ;
chaque scène avait son fond, prestement silhouetté sur
l'enduit blanc qui recouvrait tout le panneau : ici des
arbres, là les murs de Troie, juste ce qu'il fallait pour
LA PEINTURE GRECQUE. - ^ i8i
indiquer le lieu de la scène et guider la rêverie du
spectateur. Elles étaient réparties dans de longs re-
gistres parallèles, mais qui empiétaient les uns sur les
autres et n'avaient rien de la régularité que présentent,
par exemple, les vases d'ancien style. Pausanias mêle
à ses descriptions des renseignements comme ceux-ci :
Fig. loi. — Fragment de coupe altique à fond blanc.
au-dessus^ au-dessous, à la suite, qui ont torturé les
archéologues. Les uns en ont conclu qu'il s'agissait de
deux registres, les autres de trois, quelques-uns de
quatre; il n'y a pas lieu de procéder avec cette rigueur.
Concevez un art très libre, qui tire parti de tous les
espaces avec une merveilleuse adresse, qui superpose,
ici, trois et quatre groupes, tandis qu'ailleurs il n'en
met qu'un, auquel il donne plus d'importance, une
symétrie cachée, un équilibre moins apparent que réel,
soucieux du moindre effet, mais où l'on ne sent ni
l82
LA PEINTURE ANTIQUE.
Teffort ni la raideur, et vous aurez les éléments néces-
saires pour pénétrer le secret de la composition de Po-
lygnote.
Si vous voulez maintenant restituer le dessin et la
couleur, c'est parmi les lécythes attiques à fond blanc
qu'il vous faudra aller chercher vos modèles, ou mieux,
parmi ces belles coupes à fond laiteux de la première
moitié du v^ siècle, où revit,
si fidèle, le souvenir des
grands peintres. Voici préci-
sément deux fragments d'une
de ces coupes qu'on croit
pouvoir attribuer à Euphro-
nios et qui ont été trouvés, il
y a peu de temps, à Athènes
(fig. lor et 102) : le sujet était
Orphée mis à mort par les
Ménades. Je ne pense pas
qu'on puisse rêver dessin plus
pur ni plus voisin de ce que
devait être la peinture de Po-
lygnote. Il y faut seulement imaginer moins de séré-
nité et des physionomies un peu plus tragiques, car
telle est la qualité qui lui valut surtout l'admiration
des anciens : le premier, il avait fait entendre cette voix
des passions qui allait rencontrer de si pathétiques
accents sur la scène et susciter des enthousiasmes qui,
depuis, ne furent jamais atteints.
Fig. 102.
LA PEINTURE GRECQUE. i8j
§ IV. — Suite de l'Ecole attique :
Micon et Panainos ; Pauson, Agatharqiie de Samos,
Apollodore d'Athènes.
Nous insisterons moins sur les peintres qui suivent,
même sur les très grands, comme Apelle, faute de do-
cuments qui nous éclairent sur leur valeur. Nous
avons déjà cité, parmi les contemporains de Polygnote,
Micon et Panainos, qui travaillèrent sous sa direction.
Le premier était d'Athènes; son père s'appelait Phano-
machos; il eut une fille, Timarété, qui s'occupa égale-
ment de peinture : on voyait d'elle, à Ephèse, une Ar-
témis qui ne manquait pas de mérite. Le second était
le frère de Phidias. Avec lui paraît un nouvel usage,
celui des expositions de tableaux. Les grands jeux de
la Grèce, qui attiraient un tel concours de spectateurs,
avaient, jusque-là, consisté en exercices physiques :
maintenant, à ces épreuves, on sent le besoin d'en
ajouter d'autres, plus propres à satisfaire l'esprit; on y
introduit des concours entre peintres. Bientôt, on y
fera des récitations de prose et de vers; le sophiste
Hippias d'Élis y donnera des consultations de philoso-
phie, jusqu'au jour où les sectes s'y livreront bataille
et où ces vieilles solennités ne seront plus qu'un pré-
texte à vaine déclamation. C'est à Delphes et à Co-
rinthe, à l'occasion des jeux Pythiques et des jeux
Isthmiques, qu'eurent lieu les premières expositions.
Panainos prit part à celle de Delphes et eut la douleur
de n'y pas remporter le prix. Plus tard, nous voyons
184. LA PEINTURE ANTIQUE.
Zeuxis et Parrhasios aux prises Pun avec l'autre dans
un concours analogue. Zeuxis y avait exposé des rai-
sins si saisissants de vérité, que les oiseaux, trompés
par l'apparence, vinrent les picorer. Le tableau de Par-
rhasios représentait un simple voile, mais qui sem-
blait jeté si naturellement sur le panneau de bois dont
il recouvrait toute la superficie, que Zeuxis le prit pour
un tissu véritable et, déjà sûr du succès, d'un ton hau-
tain, ordonna de l'enlever, afin que la comparaison pût
être faite entre les deux œuvres. Reconnaissant son
erreur : « Je n'ai trompé que les oiseaux, dit-il à son
concurrent; tu m'as trompé, moi un artiste », et il lui
céda de bonne grâce la victoire. Parrhasios devait
être moins heureux à Samos, dans un concours avec
Timanthe, où tous deux avaient traité le même sujet,
Ajax et Ulysse se disputant les armes d'Achille. Cette
fois, ce fut lui qui eut le dessous, et il en éprouva un
violent dépit. Les jurys de ce temps-là soulevaient
déjà, par leurs décisions, des protestations et d'amères
critiques.
Les Grecs ont aussi connu les expositions particu-
lières. Apelle soumettait ses œuvres au jugement du
public dans une sorte de galerie ouverte, où il se tenait
caché pour recueillir les impressions de la foule. On
sait qu'un cordonnier, examinant un de ses tableaux,
remarqua qu'il s'y trouvait une chaussure mal dessi-
née. Apelle corrigea la faute; mais l'homme, le lende-
main, s'étant permis de blâmer la jambe, le peintre,
se montrant : « Que le cordonnier, dit-il avec impa-
tience, s'en tienne à la chaussure et ne juge pas ce qui
est au-dessus. » Le mot passa en proverbe : Ne sutor
LA PEINTURE GRECQUE.
i3^
supra crepidam. Mais revenons à Panaînos et à Micon.
Tous deux, on s'en sou-
vient, contribuèrent à dé-
corer le Pœcile. A gauche
de la grande composition
de Polygnote représentant
Y Ilioiipersîs j, ils avaient
peint en collaboration la
Bataille de Marathon. Le
moment de Faction qu'ils
avaient choisi était la dé-
faite des Barbares, qu'on
voyait, d'un côté, refoulés
dans les marais, de l'autre,
chassés vers les vaisseaux
phéniciens qui bordaient
le rivage et où ils se pré-
cipitaient pêle-mêle, har-
celés par les vainqueurs.
Il est intéressant de re-
trouver, parmi les frises
sculptées de Gjôlbachi, un
souvenir très précis de
cette fresque (fig. io3).
Seulement, au lieu du
combat de Marathon, la
frise de Gjôlbachi met sous
nos yeux une des batailles
livrées dans la plaine du
Scamandre, sous les murs
de Troie. L'imitation n'en est pas moins évidente
i86
LA PEINTURE ANTIQUE.
voyez ces vaisseaux grecs qui limitent, à gauche, le
fragment que nous reproduisons ; ils correspondent
exactement à la flotte phénicienne qui occupait la même
position dans le tableau de Micon et de Panainos.
A la Bataille de Marathon faisait pendant, de
l'autre côté de Vllioupersis, une composition de Micon
Fig. 104.. — Combat de Grecs et d'Amazones, sur un vase peint.
figurant la Lutte de Thésée contre les Amazones, en-
core un sujet traité par le sculpteur de Gjôlbachi; mais
au lieu de Thésée et des Athéniens, c'est Achille qu'il
avait représenté poursuivant, dans les campagnes
troyennes, l'Amazone Penthésilée. Ce tableau répon-
dait à la bataille sur les bords du Scamandre, dont le
séparait une Ilioiipersis, de sorte que les reliefs de cette
partie de la frise offraient absolument le même ordre
que les peintures du Pœcile, curieuse preuve de l'in-
fluence de la grande peinture sur ce monument con-
struit, vers la fin du 111° siècle avant notre ère, par
LA PEINTURE GRECQUE. 187
quelque satrape, avec Taide d'artistes venus de Grèce
et dont rimagination était pleine des merveilles qu'ils
y avaient vues.
A partir de Micon, les combats d'Amazones vont
d'ailleurs se multipliant dans le grand art et dans les
arts industriels. Phidias y aura recours pour décorer
Fig. 105. — Suite du même combat.
le piédestal de sa statue de Zeus, à Olympie, et le bou-
clier de son Athéna Parthénos; quant aux peintres de
vases, ils trouveront dans ce motif une source inépui-
sable de tableaux. Le plus beau est, à coup sûr, celui
qui orne un vase de Cume, de la classe des aryballes,
et qu'on peut voir au musée de Naples. Nous en don-
nons ici la décoration développée (fig. 104 et ro5). Ces
guerriers grecs, armés du bouclier et de la lance, agiles
et souples dans leur robuste nudité, ces Amazones au
costume compliqué, aux tuniques rayées ou mouche-
tées suivant la mode barbare, le mouvement qui anime
i88
LA PEINTURE ANTIQUE.
ces divers personnages, leur groupement harmonieux,
la symétrie savante qui les oppose les uns aux autres,
tout cela forme un ensemble d\ine grâce inimitable qui
devait rappeler de très près la peinture de Micon. Il
faut remarquer le lieu de la scène : elle se passe dans
les montagnes, ou, tout au moins, parmi des accidents
de terrain que le peintre a discrètement indiqués, çà et
là, d/un trait rapide. La légende contait, en effet, que
Fig. 10(5. — Combat d'Amazones, sur un vase peint.
c'était sur le Pnyx et sur les collines environnantes
que l'invasion des Amazones avait été repoussée par
Thésée. Toutes les peintures de vases qui reproduisent
cet événement sont restées fidèles à ce détail. Qu'elles
figurent les Amazones à pied ou à cheval (fig. io6),
des lignes ondulées y marquent toujours les aspérités
du sol. C'était évidemment un des traits caractéris-
tiques du tableau de Micon, et ce souci de la tradition
et du pittoresque se retrouvait dans VAma\onoma-
chie qu'il avait peinte au Théseion. Au Pœcile, ce
respect de la légende lui avait suggéré une invention
fort remarquée des contemporains. Un de ses héros,
LA PEINTURE GRECQUE. 189
Boutés, l'ancêtre d'une des plus vieilles familles de l'At-
tique, y paraissait au sommet d'une colline dont la
saillie ne laissait apercevoir que son casque et le haut
de son visage, dérobant le reste aux yeux du specta-
teur. Vous reconnaissez là le procédé appliqué par
Polygnote à son Tityos dans la Nékyia; mais tandis
que Polygnote s'était probablement contenté de dissi-
muler derrière un pli de terrain une minime partie
de son personnage, Micon, plus
hardi, avait sous-entendu plus des
trois quarts du sien. Cette façon de
peindre expéditive frappa, et même
scandalisa quelque peu les Athé-
niens, habitués à la consciencieuse
précision de l'archaïsme. Il leur
sembla que ce Boutés n'avait guère
coûté à son auteur, et, pour carac- ^.
' ' ^ Fig. 107.
tériser une œuvre dont la rapide
exécution ne trahissait qu'un faible effort, ils s'accou-
tumèrent à dire : « Voilà qui est plus prestement enlevé
que Boutés » (©ôcttov ti Bour/i;). La figure 107, em-
pruntée au vase peint d'où nous avons déjà tiré les
figures gS et 96, paraît bien être un timide souvenir de
ce subterfuge osé de Micon.
J'ai fait allusion au combat d'Amazones qui ornait
un des panneaux intérieurs du Théseion. Ce temple
contenait d'autres peintures du maître, toutes relatives
aux exploits de Thésée. On y voyait, par exemple, une
composition qui devait inspirer plus tard les auteurs
des métopes du Parthénon , la Lutte des Lapithes
contre les Centaures, où Thésée figurait du côté des
ipo LA PEINTURE ANTIQUE.
Lapithes, aux prises avec un Centaure qu**!! venait de
terrasser. Les sujets de ce genre sont fréquents sur les
vases peints, témoin ce vase de Vienne, qui représente
les Centaures attaquant le Lapithe Pirithoûs le jour
de ses noces et faisant irruption dans la salle du festin
(fig. io8). On y voyait encore la Visite de Thésée à
Amphitrite et à Poséidon. Comme ce héros, disait la
fable, était en Crète avec les jeunes gens et les jeunes
filles d'Athènes destinés à servir de proie au Mino-
taure, Minos s'emporta contre lui, parce qu'il faisait
obstacle à sa passion pour Périboia; il Taccabla d'ou-
trages et lui reprocha, entre autres choses, de n'être pas
le fils de Poséidon; puis, pour l'éprouver, il lança son
anneau dans la mer, l'invitant ironiquement à le lui
rapporter, Thésée, sans hésiter, se précipite dans les
flots, où il est recueilli par des tritons et des dauphins
qui le conduisent mollement jusqu'au roi de la mer,
lequel lui remet l'anneau de Minos; en même temps,
Amphitrite lui fait don d'une couronne d'or. Nous ne
savons pas exactement quel épisode de cette légende
Micon avait mis en oeuvre, mais tout porte à croire
que le sujet de sa fresque était Thésée paraissant devant
Poséidon et Amphitrite. On a vu ce thème très libre-
ment traité par Euphronios (fig. 97). D'autres potiers
s'en emparèrent, comme l'atteste ce vase qui parait plus
voisin de la peinture de Micon (fig. 109) et qui nous
offre un admirable spécimen de ce que savaient faire,
dans la première moitié du v siècle, les céramistes
athéniens.
Il y avait encore, dans le Théseion, un tableau de
Micon représentant la Mort de Thésée. Quand nous
LA PEINTURE GRECQUE.
191
aurons cité, dans TAnakelon, une fresque figurant le
Départ des Argonautes et montrant les héros prenant
part, à lolcos, aux jeux funèbres donnés par Acastos en
rhonneur de son père Pélias, nous aurons à peu près
achevé la liste des œuvres que Tantiquité attribuait à
Micon.
Nous ne pouvons que malaisément nous faire une
idée des qualités de ce peintre. Il ne valait pas Poly-
Fig. 108. — Combat de Lapithes et de Centaures,
d'après un vase peint.
gnote. En quoi lui était-il inférieur? Nous Fignorons.
Il travaillait, semble-t-il, avec plus de négligence et
en regardant de moins près la nature. On contait à ce
propos une anecdote significative : il avait peint un
cheval avec des cils à la paupière inférieure, ce qui est
contraire à la réalité. Non seulement il était peintre,
mais il sculptait. Tel était aussi, d^ailleurs, le cas de
Polygnote. On voyait à Olympie une statue de bronze
de l'Athénien Caillas, vainqueur au pancrace, qui
était due à son ciseau; on en a récemment retrouvé la
base avec sa signature. Les anciens connaissaient de
lui plusieurs statues d'athlètes.
Après ce qui a été dit de la Bataille de Marathon,
192
LA PEINTURE ANTIQUE.
œuvre commune de Micon et de Panainos, il reste peu
de chose à ajouter sur ce dernier artiste. Collaborateur
de son frère, il contribua à décorer le trône de Zeus
Olympien. Ce trône était soutenu par des colonnes
ilElIllIllPIHIMlBiiJIMl/ElHIJlJlliriilIfffll
->-/»i/e;n£-«jr-''»^
Fig. 109. — Thésée devant Poséidon et Amphitrite,
d'après un vase peint.
entre lesquelles étaient engagées des espèces de mé-
opes lisses, que Panainos couvrit de peintures. Hercule
et Atlas, Hercule luttant contre le lion de ISIémée, le
Jardin des Hespérides, Thésée et Pirithoils, des figures
allégoriques comme VHellade et Salamine, celle-ci
tenant à la main un de ces ornements que les Grecs
plaçaient à l'avant de leurs vaisseaux; Hippodamie, le
LA PEINTURE GRECQUE. ipj
Supplice de Prométhée, la Mort de Penthésîlée , V At-
tentat d'Ajax contre Cassandre , telles sont les scènes
variées que son alerte pinceau traça sur le siège mo-
numental du dieu ^. Nous savons aussi qu^on admirait
dans le temple de Zeus plusieurs fresques dont il était
l'auteur, mais le sujet ne nous en est pas connu. En-
fin, il passait pour avoir peint, en Élide, le bouclier
d^une statue d'Athéna sculptée par Colotès, disciple de
Phidias.
LMnnovation capitale de Micon et de Panainos
consista dans Tintroduction de la peinture d'histoire.
Ils n'en étaient pas cependant les inventeurs. Bien
avant eux, on s'en souvient, Boularchos avait eu l'idée
de fixer par le pinceau le souvenir d'un grand événe-
ment contemporain. En 514 avant notre ère, Mandro-
clès de Samos, l'ingénieur qui avait construit sur le
Bosphore le pont de bateaux destiné à livrer passage à
l'armée de Darius se rendant en Thrace, avait consa-
cré dans le sanctuaire de Héra Samienne un tableau
où l'on voyait ce même pont chargé de soldats et Da-
rius assis à l'une des extrémités, surveillant le passage
de ses troupes. Mais c'étaient là des faits isolés ; on
n'avait point, jusqu'à Micon, érigé la peinture histo-
rique en système. Polygnote s'en était tenu aux allu-
sions transparentes : ses deux Ilioupersis rappelaient la
prise d'Athènes par les Perses; son Ulysse vainqueur
des prétendants faisait penser aux Grecs débarrassant
I. J'ai groupé ces scènes suivant les analogies qu'elles présen-
taient entre elles, et non suivant l'ordre donné par Pausanias. La
place exacte occupée par chacune d'elles est presque impossible
à déterminer.
PEINT. ANTIQUE. IJ
194 LA PEINTURE ANTIQUE.
leur patrie des Barbares. Le voile de la légende lui sem-
blait nécessaire pour rehausser et faire valoir la réalité.
Micon peignit la réalité même ; la bataille de Mara-
thon était de Thistoire d^hier pour ceux qui en contem-
plaient l'image au Pœcile, et cette image les frappait
d'autant plus, qu'à côté de divinités comme Athéna,
Hercule, Thésée, le héros Marathon, ils y reconnais-
saient les traits idéalisés de leurs généraux, Calli-
maque, Miltiade, ceux de Cynégire, ceux des princi-
paux chefs barbares, tels que Datis et Artapherne.
Il y avait au Pœcile une autre peinture dont nous
ignorons l'auteur, mais qui rappelait de même un évé-
nement historique considérable, la bataille d'Œnoa,
livrée aux Lacédémoniens par les Athéniens et les Ar-
giens coalisés^. Là aussi, probablement, on voyait des
portraits, et le réel se trouvait mêlé au merveilleux. On
ne peut s'empêcher de rapprocher cette tendance d'une
tendance analogue qui se manifeste, vers le même
temps, dans la littérature. C'est l'époque où les tra-
giques, sans renoncer à la mythologie, cherchent vo-
lontiers leurs sujets de drames dans l'histoire, où Phry-
nichos met sur la scène la prise de Milet, le plus
sanglant épisode de la révolte de l'Ionie; où, peu de
temps après la seconde guerre médique, il fait jouer
ses Phéniciennes, qui en glorifient l'issue; où Eschyle
excite l'enthousiasme des Athéniens en leur montrant,
dans ses Perses, Atossa pleine d'angoisse et Xerxès
vaincu et humilié. Une ivresse patriotique fait qu'on
I. Voyez, sur cette peinture, C. Robert, Hermès, 1890, p. 412
et suiv.
LA PEINTURE GRECQUE. 195
se porte avec ardeur vers ces images , qu'on ose les
peindre dans les édifices publics et les figurer au
Fig. iio. — Grec et Barbare combattant,
d'après un fond de coupe du v'' siècle.
théâtre, à côté des vieux mythes qui alimentaient seuls,
auparavant, la poésie et la peinture. De là, dans les
arts industriels comme la céramique, ces allusions de
plus en plus fréquentes aux Barbares, ces représenta-
jçG ^ LA PEINTURE ANTIQUE.
tions de Perses terrassés, tantôt habillés à la grecque
(fig. no), tantôt revêtus de ce costume bariolé que
tant de vases reproduisent et dont nous donnons ici
un spécimen (fig. m), d'après une coupe du Louvre
en partie restaurée*. Quand on ne va pas jusqu'à ce
réalisme, on a recours au symbole : les Centaures, les
Amazones, tous ces êtres violents et hétéroclites dont
on s'occupait depuis des siècles sans se demander ce
qu'ils signifiaient, deviennent autant de personnifica-
tions de la force barbare domptée par le génie grec,
puissant et mesuré. La guerre de Troie elle-même
apparaît comme le début de la querelle entre l'Orient
et l'Occident, comme l'acte initial qui a donné nais-
sance à l'antique inimitié de l'Europe et de l'Asie. Il
ne faudrait point exagérer, mais soyez sûr que l'Athé-
nien contemporain de Polygnote et de Micon saisis-
sait dans leurs tableaux ces secrètes intentions; ces
belles fresques pleines d'idées flattaient son amour-
propre national, et il éprouvait d'autant plus de plaisir
à les contempler.
A côté de cette influence incontestable des faits, les
peintres de cette époque en subissent une autre, celle
de la littérature. On a vu ce que l'épopée avait fourni à
Polygnote; on verra tout à l'heure ce que Parrhasios
et ses successeurs ont dû à la tragédie. Notons, en atten-
dant, l'apparition, dans la peinture, d'un goût nouveau,
qui lui vient de la comédie sicilienne, le goût pour
I. Les restaurations sont indiquées en pointillé. Cette coupe
comme celle que reproduit la figure iio, est l'œuvre du potier
Douris. Remarquez l'espèce d'étendard ou de guidon que tient
le Barbare dans la main gauche.
LA PEINTURE GRECQUE.
197
certaines scènes religieuses d'un caractère familier et
légèrement comique. Pausanias signale, parmi les
tableaux qui décoraient l'un des temples de Dionysos,
Fig. m. — Barbare terrassé par un Grec,
d'après un fond de coupe du v« siècle.
une fresque représentant le Retour d'Héphaistos dans
l'Olympe. Ce dieu, disait la légende, voulant punir
Héra, sa mère, de la dureté qu'elle avait montrée à son
égard, lui avait envoyé un trône d'or muni de mille
liens invisibles. Héra y était restée attachée, et les
ipS LA PEINTURE ANTIQUE.
efforts des dieux pour la délivrer avaient été vains,
quand Dionysos s^était avisé d'aller trouver le coupable
à Lemnos, de Penivrer et de le ramener dans TOlympe
pour mettre fin au supplice de la déesse. C'est ce retour
du divin forgeron qu'on voyait peint dans le temple de
Dionysos. Or ce mythe était depuis longtemps exploité
par les peintres; on le rencontre, au vi^ siècle, sur le
vase François. Le comique sicilien Epicharme Pavait
rajeuni en le portant sur la scène, dans sa pièce inti-
tulée Héphaistos ou les Comastes. De là la popularité
de cette fable à Athènes, où le théâtre d'Épicharme
jouissait d'une réputation méritée. Les peintres y re-
vinrent, et c'est sans doute à cet engouement qu'il faut
attribuer le tableau décrit par Pausanias, ainsi que les
nombreuses peintures de vases qui reproduisent le
même sujet (fig. 112).
Il ne nous reste plus, pour cette période, qu'à
nommer quelques artistes d'une valeur secondaire, ou
sur lesquels les documents nous font défaut. Citons,
parmi les premiers, Pauson, dont se moque Aristo-
phane. On contait de lui une charge d'atelier qui semble
indiquer peu de sérieux dans le caractère. Comme
quelqu'un lui avait demandé de peindre un cheval se
roulant dans la poussière après les exercices du stade,
il figura un cheval galopant et soulevant avec ses pieds
des nuages de poussière. L'amateur s'étant plaint, Pau-
son retourna son tableau, de façon à présenter Panimal
les pieds eri Pair et la tête en bas. On ne nous dit pas
si l'amateur se déclara satisfait.
Un peintre très supérieur fut, vers le même temps,
Agatharque de Samos, à la fois contemporain d'Es-
LA PEINTURE GRECQUE. 199
chyle et de Zeuxis. Vitruve parle d'une décoration
peinte qu'il exécuta pour une tragédie d'Eschyle et sur
laquelle il rédigea une sorte de mémoire théorique.
C'était une grande nouveauté. La scène improvisée
qu'on dressait, pour chaque série de représentations,
dans l'orchestre du Lénaion, au pied de l'Acropole,
' Fig. 112. — Retour d'Héphaistos dans l'Olympe,
d'après un vase peint.
avait été, jusqu'alors, ornée de tapisseries et de ces
riches tissus que l'invasion perse avait rendus familiers
aux Athéniens. Peut-être à ces tissus mêlait-on déjà
quelques peintures. Mais c'est Sophocle qui, le pre-
mier, fit de la peinture, au théâtre, un usage raisonné
et méthodique. Vers la fin de sa carrière, Eschyle
l'imita, et de ce goût du vieux poète pour les nouveaux
procédés d'ornementation scénique sortit l'œuvre d'Aga-
tharquede Samos. Nous en ignorons les mérites. Il est
probable qu'elle contenait un essai de perspective. Dé-
200 LA PEINTURE ANTIQUE.
mocrite et Anaxagore,qui écrivirent, après Agatharque,
sur la scénographie, donnaient, paraît-il, les règles à
observer pour produire l'illusion de la profondeur et
figurer des édifices dont certaines parties eussent l'air
de s'enfoncer dans l'éloignement, tandis que d'autres
semblaient saillir au dehors. Nous ne savons pas si
Agatharque alla aussi loin, mais il y a lieu de croire
que ses décors étaient déjà à plusieurs plans. On peut
s'en faire une idée approximative par ces curieuses
vues de villes et d'enceintes fortifiées sculptées en léger
relief sur les portes de quelques tombeaux lyciens
(fig. Il 3). Il y a déjà, dans ces tableaux, des lignes
fuyantes qui témoignent d'un sérieux effort pour rendre
la perspective, en même temps qu'on y remarque le
procédé de superposition propre à l'ancienne ma-
nière.
Agatharque peignait très vite et se vantait de sa ra-
pidité, qui contrastait avec la lenteur de Zeuxis. Cette
qualité convenait essentiellement à la fabrication des
décors, ainsi qu'à la décoration des intérieurs, dans la-
quelle ce peintre paraît avoir excellé. Un jour, Alci-
biade l'ayant prié d'exécuter chez lui une série de
fresques, comme il s'y refusait, prétextant les nom-
breuses commandes dont il était accablé, le jeune aris-
tocrate, qui n'aimait point la résistance, l'emmena de
force et le tint, pendant quatre mois, prisonnier dans
sa maison; il y fût resté plus longtemps encore et, sans
doute, jusqu'à l'achèvement des travaux, s'il n'avait
réussi à tromper la vigilance de ses gardiens.
Il y aurait peu de chose à dire d'ApoUodore
l'Athénien, contemporain d' Agatharque, bien que plus
LA PEINTURE GRECQUE.
jeune de quelques années, si ce nom ne marquait dans
Phistoire de la peinture le commencement d'une révo-
lution capitale. Jusqu'alors, les Grecs avaient peint à
teintes plates, suivant la vieille méthode égyptienne et
achéenne ; Poly-
gnote, tout en sa-
chant reproduire
le moelleux et la
transparence des
étoffes, avait ignoré
Part de faire tour-
ner les corps. Plu-
sieurs causes, assu-
rément , détermi-
nèrent l'éclosion
de cet art ; mais ce
qui contribua sur-
tout à sa naissance,
ce fut l'influence du
théâtre. On vient de
voir que l'introduc-
tion de la peinture
sur la scène avait
bien vite amené à
composer des décors dans lesquels se faisaient sentir des
intentions de perspective, que les palais, les paysages
tracés par Agatharque sur les toiles ou les panneaux
devant lesquels se mouvaient les acteurs, offraient,
selon toute apparence , de timides effets de rapproche-
ment ou d'éloignement obtenus par de simples combi-
naisons de lignes. Il était naturel qu'on cherchât à ap-
Fig. iij.
202 LA PEINTURE ANTIQUE.
pliquer ce procédé à la représentation des personnages.
C'est, semble-t-il, Apollodore d'Athènes qui, le premier,
tenta l'entreprise. Les auteurs anciens le surnomment
skiagraphe (cxiaypacpo;), c'est-à-dire habile à peindre
l'ombre. Plutarque affirme, d'autre part, qu'il inventa
l'art de dégrader les tons et de noyer les contours. Tout
cela indique clairement une technique nouvelle. Nous
ignorons l'aspect que pouvaient avoir certains tableaux
très vantés de ce peintre, tels que le Prêtre en prières,
Ajax foudroyé , Alcmène et les Héraclides suppliant les
Athéniens, Ce qui est certain, c'est que ces peintures ne
ressemblaient pas à celles de la première moitié du
V*' siècle. Plus d'air y circulait; moins belles, probable-
ment, moins pures de dessin que les fresques des Poly-
gnote, des Panainos et des Micon, elles étaient moins
conventionnelles et rendaient plus fidèlement la nature.
Voilà, certes, un grand changement. Tous les peintres,
désormais, marcheront dans cette voie; il suffira de
perfectionner l'invention d'Apollodore pour en venir
aux chefs-d'œuvre de Parrhasios et d'Apelle.
§ V. — L'Ecole ionienne : Zeuxis et Parrhasios ;
Timanthe.
Ces mots à'^Ecole ionienne ne doivent pas tromper le
lecteur. Ils font allusion à la patrie des peintres dont
nous allons nous occuper, ou à leur résidence prolongée
en lonie, plutôt qu'à une grande école de peinture dont
ils auraient été les chefs. Ainsi, Zeuxis et Parrhasios,
les plus illustres représentants de ce groupe, n'ont
LA PEINTURE GRECQUE.
20J
pas, semble-t-il, donné naissance, en Asie Mineure,
à un art nouveau, portant la marque de leur génie ;
ils n'ont pas, à proprement parler, fondé une école, et
Fig. 114. — Hercule enfant étouffant les serpents,
d'après une peinture de Pompéi,
ce terme n'est qu'une dénomination commode pour
désigner leur origine ou leur patrie d'adoption.
Zeuxis était d'Héraclée; mais, comme beaucoup de
villes portaient ce nom, on ne saurait dire avec certi-
tude dans quelle Héraclée il avait vu le jour. Le fait
d'avoir eu pour professeur un certain Damophilos
20^. LA PEINTURE ANTIQUE.
d'Himéra autoriserait à croire quMl s'agit d'Héracléede
Sicile, à moins qu'il ne faille songer à une autre Héra-
clée située dans l'Italie méridionale. On lui donnait
aussi pour maître Néseus de Thasos,ce qui indiquerait
qu'il fit un voyage dans cette île. Il vécut longtemps à
Athènes, où il connut Socrate. Il vécut également à la
cour d'Archélaos, roi de Macédoine, qui se plaisait
dans le commerce des poètes et des artistes. Enfin,
il paraît avoir résidé de longues années à Ephèse : de
là, chez quelques auteurs, l'opinion qu'il y était né. Il
s'offre à nous comme un peintre magnifique, ami du
faste, plein de morgue et possesseur d'immenses
richesses. Il finit, dit un ancien, par donner ses ta-
bleaux, ne pouvant fixer de prix qui en fût digne.
Les sujets qu'il traita étaient encore, en grande par-
tie, empruntés à la mythologie; mais il sut les rajeunir
par l'expression et par la place qu'il y donna aux figures
de femmes et d'enfants. Ainsi, à côté de tableaux tout
mythiques comme le Supplice de Marsyas, Pan, Borée,
Triton^ Ménélas priant sur la tombe d'Agamemnony il
avait peint Hercule enfant, étouffant les serpents envoyés
par Héra pour le faire périr, et ce précoce héroïsme,
contrastant avec la frayeur d'Amphitryon et d'Alcmène,
témoins du courage de leur fils au berceau, cette fable
enfermée dans un cadre bourgeois, cette anecdote lé-
gendaire rapprochée de l'humanité par les sentiments
tout humains qui s'y faisaient jour, tout cela l'avait
si heureusement inspiré, que nous voyons, longtemps
après, les peintres de Pompéi reproduire son œuvre
en l'interprétant chacun à sa manière (fig. 1 14).
C'est à ce désir d'humaniser la légende qu'il faut
LA PEINTURE GRECQUE.
205
attribuer un des plus beaux tableaux du maître, Une
famille de Centaures. Pour les anciens Grecs, le Cen-
taure était un ennemi ; c'était le monstre violent et bru-
tal qui infestait les forêts du Pélion; plus tard, ce fut
le Perse et sa fougue barbare donnant Passant à la ner-
veuse vigueur de la race hellénique. Mais voici que,
Fig. 11$. — Centaures attaqués par des fauves,
mosaïque de la villa d'Hadrien.
les idées ayant pris un autre tour, on s'apitoie sur ces
êtres farouches ; on leur prête les passions, les affec-
tions des hommes, et Zeuxis figure leurs ébats; il les
montre chez eux, dans leurs sauvages retraites, goû-
tant, comme les humains, les douceurs de la vie con-
jugale et de la paternité. Le centre de sa composition
était occupé par une Gentauresse à demi couchée sur
une herbe épaisse et allaitant ses enfants, tandis que le
père, élevant en l'air un jeune lionceau, produit de sa
2o6 LA PEINTURE ANTIQUE.
chasse, souriait à ce tableau familial. Il faut sans doute
voir un souvenir de cette peinture dans une mosaïque
de la villa d'Hadrien qui représente, elle aussi, une
famille de Centaures, mais attaquée par des fauves
dont Tun déchire de ses griffes la Centauresse terrassée
(tig. II 5). C'est la contre-partie du tableau de Zeuxis,
la vengeance de la lionne privée de son lionceau. On
ne saurait nier, dans tous les cas, le rapport qui exis-
tait entre les deux oeuvres.
J'ai dit que Zeuxis avait une prédilection pour les
figures féminines. C'est le temps, en effet, où la femme
envahit l'art, où les potiers la peignent sur le pourtour
die leurs coupes, vaquant aux soins multiples de sa toi-
lette, parmi ses coffrets et ses miroirs, au milieu de ses
servantes empressées à la servir, sous l'œil de petits
génies qui la frôleat de leurs ailes en lui apportant des
rubans et des couronnes. Toutes cesgracieuses esquisses
de boudoirs athéniens ont été mises à la mode par
la grande peinture. Zeuxis fut un de ceux qui contri-
buèrent le plus à les répandre. Il aimait les scènes élé-
gantes et familières où la femme jouait le principal
rôle, et dans lesquelles pouvait paraître sa merveilleuse
habileté à la représenter. Deux héroïnes le tentèrent
par-dessus tout, Pénélope et Hélène. Sa Pénélope était
un chef-d'œuvre de tristesse résignée et de pudique
réserve. Mais le tableau sur lequel l'antiquité ne tarit
pas d'éloges, c'est VHélène au bain ou à sa toilette qu'il
avait peinte pour les habitants de Crotone, en faisant
poser devant lui cinq des plus belles filles de la ville
et en copiant de chacune d'elles ce qu'elle avait de
plus parfait.
LA PEINTURE GRECQUE.
207
De cette peinture des gynécées héroïques à la simple
peinture de genre, il n^y avait qu'un pas. Aussi les sujets
de genre étaient-ils nombreux dans l'œuvre de Zeuxis.
On citait de lui une Vieille femme supérieurement exé-
cutée. On se souvient de cette nature morte, de ces
Raisins avec lesquels il lutta contre Parrhasios. 11 avait
peint aussi un Enfant aux }~aisins que les connaisseurs
estimaient fort. C'est à ce tableau que quelques auteurs
rapportent Tanec-
dote des oiseaux
trompés par l'appa-
rence; Zeuxis en
aurait eu moins de
satisfaction que de
dépit : « Si j'avais
fait, dit-il, l'enfant
aussi vrai que les rai-
sins, les oiseaux en
auraient eu peur. »
De pareilles compo-
sitions devaient avoir une grande influence sur l'indus-
trie des coroplastes, si habiles à représenter les côtés
familiers de la vie, et peut-être doit-on voir une rémi-
niscence de VEnfant aux raisins dans ces gracieuses
figures de jeunes filles qui jouent en minaudant avec une
grappe mûre (fig. 116). Zeuxis lui-même, paraît-il, s'amu-
sait à modeler de ces figurines, preuve nouvelle de
l'afiinité qui existait entre sa manière et l'art délicat des
fabricants de terres cuites. On rangeait, enfin, parmi ses
meilleurs morceaux, un Amour couronné de roses et
uri Athlète où éclatait probablement sa maîtrise dans
Fig. 11(5.
2o8
LA PEINTURE ANTIQUE.
la peinture du nu. Vers la même époque, les figures de
femmes nues apparaissent de plus en plus nombreuses
Fig. 117. — Zeus sur son trône, peinture murale d'ÉIeusis.
chez les coroplastes, et c'est à lui, sans doute, autant
qu'à Scopas et à Praxitèle, qu'il faut faire honneur de
cette invention.
Ce peintre novateur ne fut pas sans subir l'ascendant
LA PEINTURE GRECQUE.
209
d'autres artistes. Il subit, par exemple, celui de Phi-
dias. Il est intéressant de rapprocher du Zeus d'Olym-
pie, de l'illustre sculpteur, un tableau où Zeuxis avait
AAe lANii^Ol
AOHNAlOÎ AHta
CrPAiJlEN
NIOBW (JoiBH
w-
Fig. 118. — Joueuses d'osselets, monochrome d'Herculanum.
peint le maître de l'Olympe assis sur son trône au
milieu des dieux; peut-être est-ce un souvenir de
ce tableau qu'on retrouve dans une peinture murale
d'Eleusis qui date du temps d'Hadrien (fig. 117), et qui
PEINT, ANTK^UE.
'4
2IO LA PEINTURE ANTIQUE.
est un des rares spécimens de fresque antique qu'ait
produits la Grèce propre.
Au point de vue technique, Zeuxis fut un ciiercheur.
Suivant la route tracée par Apollodore, il s'essaya à
rendre les jeux de la lumière et de l'ombre. Par un de
ces retours aux procédés anciens dont la fin du v^ siècle
et le commencement du iv*^ fournissent plus d'un
exemple, il cultiva aussi le monochrome, mais un mo-
nochrome d'une nature particulière et très différent des
silhouettes à teintes plates où se dépensait la science
rudimentaire des peintres d'autrefois. C'étaient, semble-
t-il, des espèces de grisailles dans lesquelles le modelé
des corps était exprimé à l'aide d'une seule couleur
additionnée de blanc en quantité variable ^ Nous avons
déjà dit que cette technique demeura longtemps popu-
laire dans les ateliers. C'est à ce goût d'archaïsme qu'il
faut rapporter les belles peintures sur marbre décou-
vertes à Herculanum, et dont l'une, figurant des
jeunes filles jouant aux osselets, est signée Alexandre
d'Athènes (fig. 1 18). Une autre, de la même main, paraît
seirattacher à la légende de Déméter et montrer la déesse
donnant à boire au vieux Silène (fig. 1 19). Ces mono-
chromes, aujourd'hui très endommagés, ne semblent
point avoir été exécutés d'après le procédé de Zeuxis;
mais ils prouvent la persistante faveur d'un genre que
la curiosité de ce maître avait rajeuni.
Parrhasios vivait, comme Zeuxis, vers la fin de la
guerre du Péloponnèse. Il était d'Ephèse et vint proba-
I. MiWiet, Études sur les premières périodes de la céramique
grecque, Appendice, p. i63.
LA PEINTURE GRECQUE. an
blement de bonne heure à Athènes. Sa vanité était pro-
verbiale. Il prétendait descendre d^Apollon et se vantait
de voir les dieux en songe. Vêtu de pourpre, le front ceint
d'une couronne d'or, il déployait un luxe oriental. Il pei-
gnait, comme Zeuxis, pour ceux qui le payaient cher, et
travailla pour différentes villes telles que Rhodes et
Fig. 119. — Épisode de la légende de Déméter,
monochrome d'Herculanum.
Lindos. Il paraît s'être particulièrement inspiré des
légendes mises en honneur par la tragédie. Ainsi, c'est
au théâtre qu'il prit l'idée de son Prométhée, de son Phi-
loctète, de son Télèphe, pour ne citer que ceux de ses
tableaux dont les titres rappellent des drames célèbres.
A côté de ces sujets héroïques, il faut faire la part, dans
;on œuvre, des sujets familiers, comme le Prêtre et l'En-
fant, le Navarque, les Deux hoplites, dont l'un, courant
laissait apercevoir la sueur dont il ruisselait, tandis que,
LA PEINTURE ANTIQUE.
l'autre semblait hors d'haleine et posait ses armes à terre,
comme ces figures d'enfants où se peignaient si bien la
sécurité et l'innocence propres à cet âge, comme cette
Nourrice thrace aux pendantes mamelles, dont l'image
revient si fréquemment parmi les figurines de terre cuite
(fig. 120). Il cultiva aussi
la peinture allégorique, que
nous voyons se développer
à cette époque grâce au pro-
grès des idées philosophi-
ques et morales. A ce genre
appartenait ce fameux por-
trait du Peuple athénien qui
était évidemment un souve-
nir de la comédie et dans le-
quel Parrhasios avait incar-
né toutes les qualités et tous
les vices du Démos, irritabi-
lité, injustice, inconstance,
faiblesse, clémence, miséri-
corde, orgueil, hauteur, bas-
sesse, arrogance, enfin les
mille passions de cet être mobile dans l'âme duquel ont
si profondément pénétré Thucydide et Aristophane.
Pour qui sait quels motifs étaient alors en vogue
parmi les peintres, il n'y a rien, dans tout cela, qui mé-
rite qu'on s'y attarde. Parrhasios est surtout intéres-
sant pour nous par sa technique; c'est par elle, bien
plutôt que par le choix des sujets, qu'il nous apparaît
comme un très grand peintre et comme un peintre ori-
ginal. C'est de lui que date véritablement dans la pein-
Fig. 120.
LA PEINTURE GRECQUE.
2IJ
ture cette liberté qui marque une rupture définitive avec
l'archaïsme. Non seulement il excella dans la composi-
tion et mit dans ses tableaux une symétrie savante à
Fig. J2I. — Stèle peinte du iv" siècle.
laquelle n'avaient point atteint ses prédécesseurs; non
seulement il fit exprimer au visage des nuances de sen-
timent qu'on n'avait pas rendues avant lui, mais, pro-
fitant de Texpérience de Zeuxis et d'Apollodore, il
porta beaucoup plus loin qu'eux la science des dé-
gradations, noya d'ombre les contours, fit saillir, aU
314 LA PEINTURE ANTIQUE.
contraire, les parties éclairées, donna, en un mot, aux
corps de l'épaisseur et une consistance ignorée jusque-
là. La grande révolution qui fit succéder le modelé à la
teinte plate était enfin accomplie. Il avait fallu des
siècles pour réaliser ce progrès. Les Egyptiens, avec
toute leur habileté, ne Pavaient pas soupçonné. C'est aux
Grecs qu'en devait revenir Thonneur et, chose étrange,
ce pas décisif vers la peinture telle que nous l'entendons
devait se faire à une époque où commençait la décadence^
où Part, comme la littérature, cherchait des voies nou-
velles et inclinait déjà vers la préciosité de l'époque
hellénistique.
Il serait aisé de trouver dans les peintures de Pompéi
des exemples qui feraient comprendre la technique de
Parrhasios. Mais il existe fort heureusement quelques
monuments plus anciens, qui ont subi l'influence
directe de cette technique et montrent quelle faveur elle
rencontra dès qu'elle parut. De ce nombre est une
curieuse peinture presque effacée, qui ornait une stèle
funéraire du iv siècle, la stèle d'un certain Tokkès,
Macédonien (fig. 121). On y voit un homme assis,
tenant de la main droite une amphore de Rhodes, de la
gauche, un flacon à huile; près de lui, on distingue,
avec quelque attention, une grande jarre. Malgré l'état
très fruste de cette peinture, il est visible qu'elle n'a
point été exécutée selon la méthode anciennement
adoptée pour les stèles peintes. Ainsi, la stèle d'Anti-
phanès (fig. 80) porte la trace encore apparente d'une
esquisse au trait noir, que le peintre a remplie de cou-
leur et dans laquelle les tons avaient partout la même
intensité. Ici, il en est tout autrement : les contours
21(5 LA PEINTURE ANTIQUE.
sont indiqués, non par un trait brutal, mais par un ton
plus foncé qui fait tourner l'objet et en oppose les extré-
mités, perdues dans l'ombre, aux parties médianes, vive-
ment éclairées. Rien ne répond mieux à cette règle de
Pline, que Parrhasios aurait, le premier, appliquée dans
toute sa rigueur : Ambire se ipsa débet exlremitas et
sic desinei'e ut promittat alla post se ostendatque etiam
qiiae occultât.
Deux autres monuments, d'un très grand intérêt,
attestent la popularité du procédé de Parrhasios : ce
sont deux lécythes attiques du musée de Berlin, qui
appartiennent l'un et l'autre au iv*^ siècle ^ Les scènes
qu'ils représentent n'ont rien que d'ordinaire : sur l'un,
figure l'épisode banal et souvent répété de l'exposition
du mort (fig. 122); sur l'autre (fig. i23), on voit la
visite à la stèle : au pied d'une grande stèle ornée de
feuilles d'acanthe, le mort assis est censé recevoir les
hommages de ses amis et de ses proches, prendre part
à leurs entretiens et Jouir encore de cette douce lumière
du Jour que le Grec ne quittait qu'à regret. Le style de
ces peintures est lâche et très inférieur à celui d'autres
peintures analogues, où le dessin est d'une pureté et
d'une élégance rares ; mais ce qu'elles ont de particulier,
c'est leur technique. Considérez, dans la première, la
façon dont sont ira,ités les vêtements : de véritables
empâtements de couleur en marquent les plis. Le
vieillard qui se lamente, appuyé sur un bâton, est en-
I. Voyez Furtwaengler, Beschreibung, n°' 2684 et 2685. C'est à
l'aimable complaisance de ce savant que je dois de pouvoir re-
produire ici ces deux peintures inédites, d'après les aquarelles
qu'en possède le musée de Berlin.
LA PEINTURE GRECQUE.
217
veloppé d'un manteau qui contient des parties éclairées
et des parties sombres; bien plus, ce manteau projette
des ombres sur ses pieds, des ombres rendues à l'aide
de hachures qui sont une nouveauté dans la peinture
de vases. Ces mêmes hachures se retrouvent sous
Faisselle et sur le bras. Elles sont surtout sensibles
dans les figures du second lécythe où, répandues sur
2i8 LA PEINTURE ANTIQUE.
la poitrine et sur le cou des deux personnages à demi
nus, elles en accusent très nettement le modelé. Le
procédé, si Ton veut, est enfantin; mais c'est celui que
les peintres emploieront longtemps encore pour ex-
primer le clair-obscur, et l'on ne peut se défendre dV
voir un souvenir plus ou moins fidèle du grand chan-
gement dont Parrhasios fut Fauteur.
Fig. 124.
Ulysse et Ajax se disputant les armes d'Achille,
d'après un vase peint.
A rÉcole ionienne se rattachent encore quelques
artistes de deuxième ordre dont nous ne ferons que
citer les noms, tels qu'Androcyde de Cysique, qui avait
peint le monstre Scylla, et Colotès de Téos. Mais le
peintre le plus renommé de ce groupe, après Zeuxis et
Parrhasios, est Timanthe de Kythnos. On a vu plus
haut que, dans un concours, à Samos, il l'emporta sur
Parrhasios. Tous deux avaient représenté Ulysse et
Ajax se disputant les armes d'Achille. Le sujet n'était
pas nouveau. 11 figure, au v« siècle, parmi ceux
LA PEINTURE GRECQUE.
219
qu'aiment à traiter les peintres de vases, comme on
peut s'en convaincre par ce beau dessin du potier
Douris, qui montre les chefs achéens s'interposant
entre les deux concurrents et les empêchant de se jeter
l'un sur l'autre (fig. 124). Il faut croire que Timanthe
y mit tant d'expression, que Parrhasios, malgré tout
son art, ne put recueillir la majorité des suffrages; il
Fig. 125. — Le sacrifice d'Iphigénie, peinture de Pompéi
se retira plein, de colère et déplorant le sort d'Ajax,
vaincu, disait-il, pour la seconde fois.
Tel n'était pas, cependant, le tableau le plus admiré
de Timanthe. Ce que l'antiquité vante de préférence
parmi ses œuvres, c'est le Sacrifice d'Iphigénie, où
l'on voyait Calchas, Ulysse, Ménélas, exprimant diver-
sement la poignante émotion qui leur serrait le cœur,
tandis qu'Agamemnon, la tête voilée, se détournait de
l'horrible spectacle. Était-ce calcul? Était-ce impuis-
sance? L'une et l'autre explication ont été proposées;
220 LA PEINTURE ANTIQUE.
mais tout porte à croire qu'avec sa connaissance pro-
fonde du cœur humain, le peintre avait mieux aimé
laisser deviner la douleur paternelle que de la traduire
par des traits précis, qui fussent toujours restés au-
dessous de ce que la sensibilité de, chacun pouvait
concevoir; et il y avait dans ce sous-entendu tant d'élo-
quence, ce visage invisible était si pathétique, qu'il
captivait les regards et concentrait tout Tintérét tra-
gique du tableau. On retrouve à Pompéi des imitations
de cette composition célèbre; mais pendant que Fart
grossier de certains décorateurs, prétendant peut-être
corriger Timanthe, découvre indiscrètement le visage
d'Agamemnon (fig. I25), d'autres, plus délicats, suivent
de plus près le maître de Kythnos et reproduisent tant
bien que mal son heureux artifice (fig. 126).
Avec Timanthe, la peinture grecque atteint, dans
l'expression des sentiments, une force et une souplesse
qu'elle ne dépassera guère; elle touche à l'idéal que
doit poursuivre toute œuvre d'art : elle fait penser.
« Timanthe, d'après Pline, donnait à entendre plus
qu'il n'avait peint, et quoique le plus grand art se
manifestât dans ses ouvrages, on sentait que son génie
allait encore au delà de son art. » Nous voilà loin du
temps où les tableaux avaient besoin de légendes, où,
malgré toute la science et toute l'habileté d'un Poly-
gnote, il fallait, pour qu'une scène fût parfaitement intel-
ligible, y nommer chaque personnage par des inscrip-
tions. A l'époque où nous sommes, on se passe de ce
secours ; non qu'il ne puisse être encore nécessaire,
mais on se soucie moins de savoir à qui l'on a affaire,
quels dieux, quels héros sont les acteurs des drames
LA PEINTURE GRECQUE. aaj
figurés parle pinceau; on s'intéresse plus à leurs pas-
sions qu'à leur histoire; on est plus touché des mouve-
ments qui les agitent que de leurs origines ou de leur
généalogie. D'ailleurs, on les connaît mieux : la tra-
gédie a rendu leurs aventures populaires, et c'est elle
Fig. 126. — Autre peinture de Pompéi
représentant le sacrifice d'Iphigénie.
aussi qui a créé ce besoin d'émotions dramatiques que
la peinture du iv« siècle prend à tâche de satisfaire. Elle
règne sur les esprits; elle est le cadre naturel dans
lequel se présentent à l'imagination tous les souvenirs,
toutes les légendes du passé. De là sa grande influence
sur la peinture et la psychologie qu'elle y répand à flot.
LA PEINTURE ANTIQUE.
§VI. — L'Ecole de Sicyone. L'Ecole thébano-attique.
Les indépendants : Apelle et Protogène.
On se souvient de la prospérité et de la gloire de
Sicyone à Tépoque des Orthagorides. Cette vieille cité
où avait lui, après Pinvasion dorienne, la première
aurore d'une sorte de Renaissance, devait encore briller
d'un vif éclat dans les arts : nous y voyons, au iv*' siècle,
des sculpteurs en grand nombre, et il s'y forme une
école de peinture. Cette école a pour chef un certain
Eupompos, dont nous ne savons à peu près rien, si ce
n'est qu'il fut un admirable professeur. Au nombre de
ses élèves se trouvait Pamphilos d'Amphipolis, peintre
savant, théoricien érudit et profond, qui pensait que
la peinture ne peut se passer des sciences exactes et
que l'arithmétique et la géométrie lui sont d'un pré-
cieux secours. Il faisait payer ses leçons fort cher et
fut un des maîtres d'Apelle. A son nom reste attachée
une innovation intéressante, l'introduction du dessin
dans les écoles; grâce à lui, les jeunes Sicyoniens,
bientôt, les enfants de toute la Grèce, apprirent à dessi-
ner sur des tablettes de buis, et cet exercice conquit une
telle faveur, que nul ne put décemment le négliger.
Un de ses plus illustres disciples fut Mélanthios,
qui surpassait Apelle dans l'art de grouper les person-
nages. C'était aussi un écrivain : les anciens connais-
saient de lui un ouvrage sur la peinture. Comme on le
voit, l'Ecole de Sicyone était une école d'enseigne-
ment et de principes, dont les représentants se recom-
LA PEINTURE GRECQUE.
22j
mandaient moins par le pathétique de leurs tableaux
que par Texcellence de leur méthode et par leur science
du métier.
Il faut, semble-t-il, faire exception pour Pausias,
fils d'un peintre obscur, Bryès, qui fut son premier
maître, et plus tard élève de Pamphilos. Nous le con-
naissons déjà par la
restauration malheu- X* ■'*'"' v
reuse qu'il avait faite j/C^K^^^
des fresques de Po- v/^Xj
lygnote à Thespies. /\/^Â
Son genre était si ^^>0
différent de celui du
maître thasien, que
le médiocre résultat
de cette tentative ne
saurait surprendre.
Il y avait dans sa ma-
nière plus de fan-
taisie que chez la
plupart des peintres sicyoniens. Il était né décorateur
et fut le premier, au dire de Pline, qui peignit des
plafonds. Comme peintre de chevalet, il avait un goût
marqué pour les petits tableaux; il rendait les enfants
dans la perfection. C'est avec lui que commence cet
art précieux et maniéré qui fera si rapidement fortune
à Alexandrie, puis à Pompéi et à Rome même. On
croit retrouver un souvenir de Pausias dans la déco-
ration d'une sépulture de la Voie latine et dans cer-
taines peintures de l'Italie méridionale qui montrent
de petits Éros ailés vaquant gentiment à différentes
Fig. 127.
234 LA PEINTURE ANTIQUE.
occupations (fig. 127). Personne n'ignore la place
qu'occupe ce monde
Fig. 128. — Amours fleuristes.
lilliputien dans Tor-
nementation pom-
péienne. Amours
assis ou debout,
Amours se jouant
au milieu des fleurs,
Amours dansant ou
faisant de la mu-
sique. Amours tra-
vestis en personnages de théâtre ou prêtant leur minis-
tère à quelque cérémonie religieuse, Amours cavaliers,
chasseurs, gladiateurs. Amours vendangeurs, Amours
tressant des guirlandes (fig. 128) ou, plus prosaïque-
ment, fabriquant des chaussures (fig. 129), Amours au
bain, Amours montés sur des chars en miniature traî-
nés par des dauphins qui se cabrent sans leur faire
de mai (fig. i3o), tels sont les motifs que le peintre de
Pompéi aime à se-
mer sur les parois
qu'il enlumine,
peuplant les inté-
rieurs de ces êtres
légers dont les grâ-
ces potelées font
songer à l'enfance,
mais qui ont de
plus que les enfants
la sérénité et l'indépendance, à qui tout est possible,
que rien ne fâche ni ne rebute, génies descendus de
Fig. lap. — Amours cordonniers.
LA PEINTURE GRECQUE.
225
la région du rêve comme pour faire voir aux tristes
humains que la vie n'est pas aussi dure qu'ils le
croient, et pour égayer d'un sourire leur misère. Ces
gracieux fantômes ne datent pas de l'époque pom-
péienne. C'est dans la Grèce du iv^ siècle qu'il faut
chercher leur origine, sur ces petits vases que produit
Fig. 130. — Amours traînés par des dauphins,
d'après une peinture de Pompéi.
Athènes, précisément au temps de Pausias, et où se
meuvent de minuscules personnages qui tiennent le
milieu entre le réel et l'idéal, enfants accompagnés de
Victoires ailées, Eros poussant des escarpolettes, etc.
Cette mode a même pris naissance au v« siècle, mais elle
se développe surtout au siècle suivant. De là naîtront
les mièvreries de la période alexandrine. C'est déjà
presque la décadence qui s'annonce, la décadence d'un
peuple qui se transforme sans vieillir et garde, à travers
les âges, son éternelle jeunesse.
On citait, parmi les plus célèbres tableaux de Pau-
sias, le portrait de Glykéra, une de ses compatriotes
qu'il avait aimée et qu'il peignit en Faiseuse de cou-
ronnes, allusion au métier qu'elle exerçait quand il la
vit pour la première fois. A côté de ces tableaux de
genre, il avait exécuté des compositions plus vastes, où
PEINT. ANTIQUE. IJ
226 LA PEINTURE ANTIQUE,
paraissait Phabileté technique de l'école à laquelle il
appartenait. Tel était le tableau des Bœufs au sacj'ijîce,
où il y avait un raccourci d'une grande hardiesse : au
lieu de montrer de profil l'animal prêt à être immolé,
Pausias l'avait présenté de face, et l'on en. devinait
cependant la taille et les énormes proportions. C'est
là qu'il appliqua un procédé de clair-obscur absolument
nouveau : rejetant l'usage de ses contemporains, qui
indiquaient en clair les parties saillantes, en sombre
les parties rentrantes, c'est-à-dire, probablement, re-
nonçant aux hachures dont il a été question plus haut,
il figura le bœuf tout en noir, en ménageant dans la
pâte même de ce ton unique des reflets qui suffisaient
à marquer le modelé du corps. On lui prêtait encore
une autre invention, qui consistait à rendre la transpa-
rence du verre. Il avait peint dans la Tholos d'Épi-
daure, édifice rond voisin du temple d'Esculape, une
figure allégorique de l'Ivresse buvant dans un verre à
travers lequel on distinguait son visage. Les potiers de
l'âge précédent avaient déjà dessiné des buveurs de ce
genre, comme le prouvent cette hétaïre d'une peinture
d'Euphronios (fig. i3i) et ce personnage barbu, sur
fond blanc, qui se rattache à son école (fig. i32). Mais
ils avaient affaire à des vases opaques, qui ne se prê-
taient point à un tour de force que ni le grand art ni
l'art industriel n'eussent, d'ailleurs, été capables d'exé-
cuter. Quand nous voyons, dans ces tableaux, les
traits du visage se continuer derrière le vase, c'est pure
inexpérience de l'artiste, qui ne sait pas dissimuler ce
que le regard ne doit point apercevoir. Pausias les fit
paraître derrière le verre, comme cela est légitime, et sa
LA PEINTURE GRECQUE.
227
Méthé excita radmiration de Tantiquité tout entière.
Si cet entliousiasme
nous semble puéril et
rappelle un peu celui
d'un certain public de
nos jours qui, dans un
portrait, admire sur-
tout le binocle du
modèle, il faut songer
que c'étaient là des
nouveautés qui ne pouvaient manquer de frapper la
foule. Ce sont ces coups d'éclat, ces progrès considé-
rables réalisés dans la technique, qui paraissent avoir
caractérisé PÉcole de Sicyone. Après Pausias et ses
Fig. iji.
Fig. 132. — Buveur, sur une coupe attique à fond blanc.
•disciples, tels qu'Aristolaos, son fils, Nicophanès, etc.,
elle déclina rapidement.
Vers le même temps, naissait en Béotie une autre
2a8 LA PEINTURE ANTIQUE.
école de peinture dont l'éclosion semble avoir coïncidé
avec la grandeur éphémère de Thèbes, sous Epaminon-
das. Il est difficile d'en fixer la durée; elle paraît avoir
vécu jusque vers la fin du iv° siècle et s'être confondue,
à ce moment, avec la nouvelle Ecole athénienne. Aussi
désigne-t-on les peintres de ce groupe aux frontières
indécises par le nom d'Ecole thébano-attique. Celui
qui le représente le plus brillamment est Aristide de
Thèbes. Il avait eu pour maîtres son père Nicomachos
et un certain Euxénidas, contemporain de Parrhasios
et deTimanthe. Lui-même était contemporain d'Apelle.
Il se rendit célèbre par sa façon de peindre les affec-
tions de Tâme ; son coloris un peu dur excellait à
traduire les passions. On portait aux nues son tableau
de la Mère mourante, qui représentait une femme
expirant parmi les horreurs d'une ville prise d'assaut,
tandis que son jeune enfant, suspendu à sa mamelle,
y cherchait encore quelques gouttes de lait. La dou-
leur de cette mère, ses angoisses à ce moment su-
prême, sa crainte de voir son fils sucer, au lieu de
lait, le sang de sa blessure, tout cela était si vrai et si
pathétique, qu'on en ressentait une émotion profonde.
Quand Alexandre se fut emparé de Thèbes, en 334,
saisi d'admiration à la vue de ce tableau, il le fit trans-
porter à Pella, sa capitale. Une autre peinture très
vantée d'Aristide était le Malade, qu'Attale, roi de
Pergame, acheta cent talents (près de 600,000 francs).
On voit que les folies de ce genre sont bien vieilles et
que les anciens avaient déjà nos engouements. Nous
savons d'ailleurs qu'Aristide était fort exigeant. 11 s'était
engagé à peindre pour le tyran d'Élatée, Mnason, un
LA PEINTURE GRECQUE,
aap
combat de Perses et de Grecs qui ne devait pas con-
tenir moins de cent personnages; le prix convenu pour
chaque figure était dix mines, ce qui mettait le tableau
à 100,000 francs environ.
Citons encore, parmi les œuvres d'Aristide, un 5'î^j7-
pliant si expressif, quUl semblait,
nous dit Pline, qu'on Tentendît
parler, et un Acteur tragique qui
passait pour une merveille. Il est
vrai que la rigidité du masque an-
tique ôtait au peintre la ressource
des Jeux de physionomie; mais,
sur la scène grecque, les gestes et
les attitudes suppléaient à cette im-
mobilité du visage et, du masque
même, en apparence si froid, les
acteurs tiraient de surprenants effets.
On en a la preuve dans les rares
statuettes de terre cuite qui repré-
sentent des tragédiens, et dans cette
figurine d'ivoire, délicatement co-
loriée (fig. i33), qui est peut-être
un souvenir du maître de Thèbes.
Aristide eut pour principal dis-
ciple Euphranor de Corinthe, à la
fois peintre et sculpteur. On lui
devait le Combat de cavalerie ou la peinture de l'en-
gagement qui avait précédé la bataille de Mantinée
(302 av, J,-C.), Ulysse contrefaisant la folie, sujet
déjà traité par Parrhasios, et beaucoup d'autres com-
positions. Il travailla surtout pour Athènes, ou il dé-
Fig. IJ3.
2J0 LA PEINTURE ANTIQUE.
cora le Portique Royal, au Ce'ramique. C'est là que se
trouvait le Combat de cavalerie, qui faisait si grand
honneur aux armes athéniennes. Là aussi Ton voyait
Timage de Thésée accompagné des figures allégoriques
de la Démocratie et du Peuple, ainsi que la représen-
tation des douze dieux.
Quand nous aurons nommé Nicias, qui vivait,
comme Euphranor, en même temps que Praxitèle, nous
aurons cité tous les peintres de ce groupe qui méri-
tent qu'on s'y arrête. Il était d'Athènes et peignit pour
sa patrie une Nékyia où il s'était particulièrement
inspiré d'Homère. Le roi d'Egypte Ptolémée lui en
ayant offert soixante talents, il refusa de la lui vendre.
De ses nombreux tableaux, deux nous intéressent
d'une façon toute spéciale, à cause de leur popularité et
des mille façons dont ils furent imités ou reproduits.
L'un représentait la jeune lo gardée par Argus et sur
le point, semble-t-il, d'être délivrée par Mercure : on
sait que ce sujet figure parmi ceux qui décoraient la
maison de Livie au Palatin (fig. 134). Sur l'autre, on
voyait la Délivrance d'Andromède, motif familier aux
peintres de Pompéi (fig. 1 35). Ce morceau avait d'ail-
leurs une telle réputation, qu'on en retrouve la copie
jusque sur une monnaie thrace de l'époque romaine,
qui offre avec la peinture de Pompéi une frappante
analogie (fig. i36).
Nous ne saurions dire exactement à quelle époque
Nicias et Euphranor produisirent ces différentes œuvres;
mais ce qui frappe dans leurs tableaux, c'est le sérieux
et la noblesse des sujets. Euphranor, affirme Pline,
excellait à peindre les héros; Nicias, d'après Démé-
LA PEINTURE GRECQUE,
aji
trius de Phalère, méprisait les sujets de genre, fleurs,
oiseaux etc., et ne se plaisait qu'aux engagements de
Fig. IJ4.. — lo gardée par Argus, peinture du Palatin, à Rome.
cavalerie, aux combats navals, aux représentations qui
pouvaient lui fournir l'occasion de grouper ensemble
un grand nombre de personnages et de les montrer
dans une action violente et dramatique. Tout cela
sja
LA PEINTURE ANTIQUE.
marque un retour au grand art, à Tart décoratif des
Polygnoteet des
Micon. La Né-
kyia de Nicias
n'était-elle pas
un hommage
rendu à la fres-
que de Delphes?
Cette façon
même d'orner
de peintures des
portiques, d'y
mêler le réel à
l'idéal, d'y figu-
rer Thésée, le
héros national,
d'y rappeler les
exploits de l'ar-
mée athénienne,
ne fait-elle pas
penser à la dé-
coration du Pœcile? Il y a comme un désir de rajeunir
les antiques légendes , de glorifier
Athènes en faisant revivre à ses yeux
ses mythes nationaux et les actions
d'éclat de son histoire. Or il existe
une période, au iv® siècle, durant
laquelle des soucis analogues se font
jour dans l'esprit des Athéniens :
c'est celle qui suit immédiatement
la défaite de Chéronée (338 av. J.-C.) et que signale
Fig. 13 S- — Persée délivrant Andromède,
peinture de Pompéi.
Fig. 116.
LA PEINTURE GRECQUE. ajj
l'administration de l'orateur Lycurgue. Investi par le
peuple de pouvoirs étendus, cet homme d'Etat entre-
prend de refaire les finances, d'accroître la marine, de
donner aux cultes publics une splendeur nouvelle,
de construire ou de restaurer de nombreux édifices.
En même temps, il se fait le dénonciateur des coupa-
bles; son éloquence austère accable les traîtres qui se
sont vendus à la Macédoine ou qui ont fui au moment
du danger. Ne sont-ce pas là autant de preuves d'un
subit et merveilleux réveil du patriotisme, qui tente un
suprême effort pour rendre à Athènes le rang qu'elle a
perdu? Peut-être convient-il de rattacher à ce généreux
élan le retour au passé que personnifient Euphranor
et Nicias. Songez que Nicias fut en rapport avec Ptolé-
mée Soter, un des premiers successeurs d'Alexandre;
il était donc contemporain de Lycurgue. Euphranor,
quoique plus ancien, vivait aussi, selon toute appa-
rence, sous le gouvernement de cet orateur. Qui sait si
son Combat de cavalef~ie n'était pas très postérieur à
l'événement qu'il rappelait ? Dans cet engagement,
que Xénophon vante comme un des plus beaux faits
d'armes de la cavalerie athénienne et où son fils Gryl-
los avait trouvé la mort, les Athéniens, pleins d'ar-
deur, malgré la marche rapide qu'ils venaient d'exé-
cuter, s'étaient montrés à la hauteur de leur antique
réputation, et je serais porté à croire qu'après leur
récent désastre, ils aimaient à se souvenir de cette
brillante chargé, qui les consolait, dans une certaine
mesure, de leur défaite et leur apparaissait comme un
gage de revanche. De là, au temps de Lycurgue, la
popularité de cet épisode militaire, dont Euphranor
234 LA PEINTURE ANTIQUE.
aurait consacré la gloire en le figurant dans le Portique
Royal.
Nous voici venu au peintre qu'on a longtemps
regardé comme le plus grand peintre de la Grèce, à
Apelle, fils de Pythéas, de Colophon. Si je l'ai rangé
parmi les indépendants, ce n'est pas qu'il faille voir en
lui un révolté : ce mot, ici, n'a nullement le sens qu'on
lui attribue quelquefois de nos jours; mais, moins
qu'aucun autre, Apelle se rattache à un groupe, à une
école; il a été formé par différents maîtres, s'est développé
d'une manière originale et n'a point eu de successeur.
C'est à ce titre seulement qu'il occupe une place à part
dans la série des artistes que nous énumérons.
Il semble avoir vécu assez longtemps à Ephèse,
où il eut pour professeur un certain Ephoros; puis,
sans doute, il voyagea et suivit les leçons de Pamphilos
et de Mélanthios. L'aménité de son caractère et proba-
blement aussi son talent établirent de bonne heure,
entre Alexandre et lui, des liens qui paraissent avoir été
très étroits. Alexandre en fit son peintre ordinaire et
défendit même, par une ordonnance, qu'aucun autre
le portraiturât. Des anecdotes qui sont partout circu-
laient, dans l'antiquité, sur les relations de l'illustre
peintre avec le roi de Macédoine, celle-ci, entre autres :
le roi, voyant à Ephèse le portrait équestre qu'Apelle
avait fait de lui, ne le loua pas, dit-on, comme il le mé-
ritait; mais son cheval se mit à hennir, ce qui amena
ce reproche du maître : « O roi, ton cheval se connaît
beaucoup mieux que toi en peinture! » Alexandre, à
ce qu'il semble, prit la chose en riant. C'est peut-être
de ce portrait que s'empara plus tard la peintresse
LA PEINTURE GRECQUE.
23$
Héléna, quand elle représenta la Bataille d'Issus. On
connaît la belle mosaïque du musée de Naples qui,
vraisemblablement, est une copie de ce tableau.
L'Alexandre à cheval qui y figure et que nous repro-
Fig. ij7. — Alexandre dans la Bataille d'Issus,
mosaïque de .Pompéi.
duisons, tout mutilé qu'il est (fig. i3y), a grand air, et
Ton peut conjecturer qu'il n'est pas sans rapport avec
lé chef-d'œuvre d'Apelle.
Apelle séjourna aussi en Egypte, à la cour de Pto-
lémée I". Là, il connut le peintre Antiphilos, qui, jaloux
de son talent, le calomnia auprès du roi. Ptolémée,
d'abord irrité contre Apelle, ne tarda pas à revenir de
2j(5 LA PEINTURE ANTIQUE.
son erreur et, pour la réparer, lui fit don d'une somme
considérable. La haine d'Antiphilos est d'autant plus
inexplicable, qu'Apelle paraît avoir été, avec ses rivaux,
d'une douceur et d'une courtoisie charmantes. C'est lui
qui mit en relief la valeur de Protogène, lequel vivait
à Rhodes dans l'obscurité et presque la misère. On sait
d'ailleurs l'estime qu'avaient l'un pour l'autre ces deux
artistes. L'anecdote suivante est dans toutes les mé-
moires. Apelle, qui ne connaissait encore Protogène
que de réputation, se rendit un jour à Rhodes pour voir
ses œuvres. Il ne le trouva pas dans son atelier; il n'y
vit qu'un grand tableau dressé sur un chevalet et prêt
pour le travail du maître. Une servante était auprès;
elle lui demande son nom : il se contente de tracer sur
le tableau, avec un pinceau, une ligne très ténue et
s'en va. Protogène, de retour, reconnaît la ihain d'Apelle
et, prenant un pinceau lui aussi, trace, sur ce mince
filet, avec une couleur différente, un filet plus mince
encore, puis sort, recommandant à la servante, si Apelle
revient, de le lui montrer. Bientôt, en effet, Apelle
rentre, et sépare les deux lignes, à l'aide d'un troisième
ton, par un trait si fin, qu'on ne pouvait aller au delà.
Protogène s'avoua vaincu.
L'œuvre d'Apelle la plus renommée, celle qu'ont
chantée les poètes et dont le souvenir revit dans maintes
pièces de V Anthologie, est V Aphrodite anadyomène, qui
décorait, à Cos, le temple d'Esculape. L'idée de peindre
Vénus sortant de l'onde lui était venue, disait-on, à la
suite d'une fête d'Eleusis où la courtisane Phryné, se
dépouillant de ses vêtements et dénouant sa chevelure,
s'était plongée dans la mer sous les yeux des Grecs
LA PEINTURE GRECQUE.
237
assemblés. Il est plus simple de croire que le joli geste
d'une baigneuse tordant ses cheveux
au sortir du bain, les lignes sinueuses
du cou, du torse et des hanches, la
gracieuse saillie des bras, furent au-
tant d'images qui se formèrent len-
tement dans le cerveau du peintre et
qui, prenant corps dans son imagi-
nation, devinrent un jour VAphro-
dite de Cos; mais on reconnaît là le
goût des Grecs pour Panecdote et
leur habitude de rattacher tout ce qui
les frappait à un événement précis.
Quoi qu'il en soit, ce tableau excita
une si vive admiration, qu'il lui ar-
riva ce que nous avons vu arriver
déjà à d'autres
tableaux également célèbres : on
l'imita, on l'interpréta de mille fa-
çons différentes, et depuis la grande
sculpture jusqu'aux statuettes de
terre cuite (fig. i38 et iSg), jus-
qu'aux peintures décoratives de
l'Italie méridionale (fig. 140), tout
le rappela, tout en fut plein.
Comme il existe, encore aujour-
d'hui, des artistes qui montrent une
sorte de prédilection pour certains
types et reproduisent, par exemple,
'"' ' '' amoureusement la figure de Diane,
de même, Apelle semble avoir eu une préférence mar-
238
LA PEINTURE ANTIQUE.
quée pour Aphrodite, suivant d'ailleurs en cela l'exemple
de Praxitèle, dont ï Aphrodite de Cnide était une mer-
veille de délicatesse et de grâce, et qui avait multiplié,
dans le monde grec, les images de cette déesse. C'est
ainsi que, vers la fin de sa vie, le maître éphésien avait
conçu le projet de peindre
pour Cos une nouvelle
Aphrodite plus belle que
la première ; la mort le
surprit avant qu'il l'eût
achevée; il n'en put exé-
cuter que la tête et le haut
du corps, mais avec une
telle perfection, qu'au-
cun peintre n'osa termi-
ner son œuvre.
Une Artémis mêlée à
un chœur de jeunes filles,
une Charité, un Hercule,
complètent la galerie my-
thologique d'Apelle.
Notons encore le goût
qu'il manifesta pour les abstractions divinisées et
pour les personnifications de phénomènes de la nature.
A cette dernière classe appartenaient les figures
de Bronté, âCAstrapé, de Kéraunobolia (le Tonnerre,
l'Eclair, la Foudre). Dans la première, il faut ranger
un beau portrait de la Fortune, et surtout cette Calom-
nie dont Lucien nous a laissé une description détaillée,
véritable scène de genre uniquement composée d'allé-
gories et où paraissait une science profonde du cœur
Fis.
140.
LA PEINTURE GRECQUE. 2J9
humain. Nous avons déjà rencontré, bien avant cette
date, des peintures allégoriques, mais citait Texcep-
tion; jamais, de plus, avant Apelle, on n'avait porté
dans ces sortes de représentations la psychologie sa-
vante que trahissait le tableau de la Calomnie, C'était
le résultat du progrès c!cs idées morales, l'effet de cette
-puissance d'observation et d'analyse qu'avaient com-
muniquée à l'esprit grec les grandes écoles philosophi-
ques du IV* siècle. Personniher les passions humaines,
faire en peinture ce que faisaient, vers le même temps,
en littérature, Théophraste et les poètes de la Comédie
Nouvelle, était une tentative digne de ce siècle raffiné.
Apelle aborda la difficulté et en' triompha; il sentait
probablement que de pareilles images étaient dans le
goût du public, d'autant plus porté à s'y plaire qu'elles
n'étaient point, à ses yeux, aussi froides qu'aux nôtres
et qu'il les animait inconsciemment d'une réalité que
leur refuse notre monothéisme '.
Un autre mérite d'Apelle fut de cultiver largement
l'art du portrait. Notis sommes à une époque où l'on
ne se contente plus de la reproduction idéale des traits
individuels, où la ressemblance telle que nous l'enten-
dons est la condition même et la loi du genre. Ce qui
prouve qu' Apelle en avait conscience, c'est qu'ayant à
peindre Antigone, qui était borgne, nous le voyons
tourmenté à la fois par le souci de l'exactitude et par le
désir de dissimuler, autant que possible, la difformité
de son modèle. Il s'en tira en montrant le roi de profil,
I. Voir, sur ce point, les fines remarques de M. Pottier, dans
les Monuments grecs de 1889-1890 (Paris, i8gi), p. i et suiv.
a^o
LA PEINTURE ANTIQUE.
du bon côté. Mais c'est surtout Alexandre qu^il repré-
senta dans toutes les attitudes, à cheval, tenant la foudre,
groupé avec les Dioscures et la Victoire, etc. De tous les
grands hommes de Tantiquité, il n'en est pas, d'ailleurs,
dont les traits aient été plus souvent rendus par le
pinceau ou par le
ciseau, et il est pos-
sible que ce soit
Apelle qui ait don-
né le branle à cette
iconographie, re-
présentée dans les
principaux musées
de l'Europe par un
certain nombre de
bustes comme ce-
lui que nous repro-
duisons, à titre de
spécimen, et qu'on
peut voir au musée
deNaples(fig. 141).
Outre Alexandre et
Antigone, Apelle
avait peint Clitus à cheval (il avait un talent particu-
lier pour rendre les chevaux, et l'on connaissait de lui
un cheval de guerre admirable de vie et d'expression),
le roi de Carie Ménandre, l'acteur tragique Gorgos-
thénès, etc. Lui-même avait fait son propre portrait;
c'était évidemment une spécialité, et de lui datent à la
fois la vogue du portrait et la virtuosité dans ce genre
de peinture.
Fig. 141.
LA PEINTURE GRECQUE. 241
Son habileté technique était très grande. Sa visite à
Protogène nous a montré chez lui une légèreté de main
extraordinaire; il ne passait point, paraît-il, un seul
jour sans dessiner, assouplissant son pinceau par un
continuel exercice. Cette science du dessin et, probable-
ment, cette pureté de lignes qui caractérisaient sa ma-
nière, ne Tempechaient pas de rendre avec un art con-
sommé la lumière et Tombre. Son Alexandre armé de la
foudre^ qui ornait le temple d''Artémis à Ephèse, était,
à ce point de vue, d'une exécution si merveilleuse, que
les doigts du roi y semblaient être en saillie, et la
foudre sortir du cadre. On retrouve là cette technique
savante de PEcole de Sicyone dans laquelle Apelle
avait puisé ses premiers principes. Pour éviter que ses
tableaux ne se ternissent, il avait inventé un vernis
dont le secret se perdit après lui, mais qui donnait à sa
peinture un éclat que nulle autre ne possédait. Sa qua-
lité maîtresse était la grâce ; c'est là ce que vantent
surtout les critiques anciens dans ses œuvres. Peut-
être y avait-il quelque gaucherie dans sa façon de
grouper les figures; sa composition semble avoir été
un peu lâche, mais il rachetait ce défaut par sa con-
naissance profonde du métier. Ce fut, en résumé, un
peintre de premier ordre, dont on s'est fait peut-être
une trop haute idée. Né dans un temps où la peinture
était pleinement maîtresse de tous ses procédés, il n'a
pas eu la gloire de lui faire accomplir un de ces pro-
grès décisifs qui avaient illustré la carrière de quel-
ques-uns de ses prédécesseurs. Il s'est servi avec bon-
heur des inventions des autres ; son originalité a surtout
consisté dans un éclectisme éclairé et judicieux. Aussi,
PEINTi ANTlCiUE. 16
s^a LA PEINTURE ANTIQUE.
tout en le saluant comme le peintre le plus parfait
qu'ait produit la Grèce, garderons-nous nos sympa-
thies pour les maîtres chez lesquels Teffort est plus
sensible, pour ceux qui, sans le valoir, ont eu plus à
lutter avec les difficultés de l'art naissant et qui, sur
quelques points, ont remporté des victoires qui valent
mieux que la sereine et continue possession du succès*.
Il y a peu de chose à dire du grand contemporain
d'Apelle, Protogène. Il était de Caunos, en Carie, et
avait débuté dans la peinture en décorant des vaisseaux.
Pendant de longues années, il demeura fort pauvre et,
semble-t-il, méconnu du public. Pourtant, nous le
voyons, vers 804 avant J.-C, établi à Rhodes et y
jouissant d'une grande célébrité. A ce moment, les
Rhodiens tentaient de repousser Démétrius Poliorcète,
qui assiégeait leur ville. Protogène, pendant ce temps,
peignait dans son atelier, situé hors des murs. Mandé
auprès du roi, comme celui-ci s'étonnait d'un pareil
calme : « Je te savais, répondit-il, en guerre avec
Rhodes, et non avec les beaux-arts. » Démétrius vou-
lant, dit-on, sauver les œuvres du maître, qui eussent
péri dans l'assaut, leva le siège.
Les documents nous manquent pour apprécier le
talent de ce peintre. Son chef-d'œuvre éiahVIalj'sos, ou
le portrait du héros qui avait fondé la cité de ce nom,
dans l'île de Rhodes. Il avait mis sept ans, suivant
d'autres, onze ans à l'exécuter. La première fois
qu'Apelle avait vu ce tableau, il était resté muet d'ad-
I. Voyez, dans les nouveaux fragments d'Hérondas, IV, v. 59
et suiv. (éd. Ruiherford, Londres, 1891), plusieurs allusions à des
tableaux peu connus d'Apelle, qui décoraient l'Asclépieion de Cos.
LA PEINTURE GRECQUE. 34J
miration. Il faut encore ranger parmi ses plus belles
œuvres le Satyre au repos, qui faisait, avec le fameux
Colosse, Porgueil des Rhodiens. Il avait peint enfin,
pour les Athéniens, la Paralos et VAmmonias, deux de
leurs galères sacrées, et, dans la salle de délibération
du Conseil des Cinq-Cents, le Collège des Thesmothètes.
Comme beaucoup de peintres, il était aussi sculpteur,
et Ton connaissait de lui plusieurs statues de bronze
qui n'étaient pas sans mérite. C'était un artiste d'une
conscience méticuleuse, auquel on pouvait même repro-
cher un excès de scrupule. Il peignait à plusieurs
couches, afin que le temps épargnât ses œuvres ; Vlaly-
sos avait reçu quatre couches successives, Sa peinture
léchée, sa minutie laborieuse rendent la perte de ses ta-
bleaux d'autant plus regrettable, que c'étaient là des qua-
lités qu'il ne devait qu'à lui-même, et que, plus encore
qu'Apelle, il est digne de figurer parmi ces indépendants
qui ne se rattachaient proprement à aucune école.
§ VII. — La peinture hellénistique : Antiphilos.
Les portraits du Fayoum.
Nous ne nous sommes, depuis longtemps, occupé
que des maîtres; il y avait, à côté d'eux, une foule de
peintres secondaires et même d'enlumineurs de dernier
ordre, qui mettaient à profit les découvertes des grands
peintres et entretenaient partout le goût de la couleur.
Ainsi, à Tanagre, en Béotie, les maisons, extérieure-
ment, étaient ornées de peintures qui leur donnaient
l'aspect riant que présentent certaines villas italiennes.
24+
LA PEINTURE ANTIQUE.
Sur un autre point très éloigné du monde ancien, dans
ces florissantes cités du Bosphore oii
Ton a trouvé tant de traces de la civili-
sation hellénique la plus pure, dont
les tombeaux ont fourni ces lambeaux
d'étoffe, ces bijoux, ces vases ciselés,
ces innombrables monuments d^argile,
qui témoignent d'un commerce si actif
avec la Grèce ou d'une industrie locale
si profondément pénétrée d^esprit grec,
la peinture était également en honneur.
C'est dans ces régions que les vases,
vers le milieu du iv* siècle, revêtent
ces tons voyants, blanc, bleu, jaune,
évidemment destinés à flatter le goût
barbare; c'est là qu'ont été mises au
jour quelques peintures d'une grande
valeur, comme celle qui recouvre ce
fragment de lyre provenant d'un tu-
mulus de Kertsch (fig. 142) et sur le-
quel était représenté l'enlèvement des
Leukippides; malgré l'état déplorable
de ce tableau et les nervures du bois,
qui l'altèrent encore, on y distingue
des traits d'une finesse et d'une élé-
h gance qui rappellent les plus beaux
produits de la céramique athénienne.
Passons du Bosphore à la Cyré-
naïque : voici de curieuses décorations
Fig. 142.
peintes trouvées, au commencement
de ce siècle, par le voyageur Pacho dans un tombeau
LA PEINTURE GRECQUE. 845
de Cyrène; elles figurent des chœurs de musiciens et
des chœurs tragiques, et, bien que sensiblement posté-
rieures à la lyre de Kertsch, elles n'en sont pas moins
grecques de sujet et de style. Dans les de'crets honori-
fiques des Athéniens, il est souvent question, à l'époque
macédonienne, de portraits peints accordés comme
récompense aux personnages qui ont bien mérité de
la cité; portraits en pied ou médaillons sont fréquem-
ment substitués, à ce moment, aux statues de bronze
jadis décernées dans les occasions analogues. Il semble
qu'à partir du iv* siècle, il y ait un goût général pour
la peinture, qui tient aux progrès qu'a accomplis cet art
et aux nombreux usages auxquels la perfection des pro-
cédés techniques permet de l'employer.
Il ne nous reste plus, pour en finir avec la Grèce,
qu'à considérer une dernière période, la période hellé-
nistique, sorte de prolongement de l'hellénisme durant
lequel, en art comme en littérature, on n'invente plus
guère. Cette fois, c'est bien la décadence qui s'offre à
nous, mais une décadence pleine de grâce. La civilisa-
tion grecque est morte en riant; elle n'a point été,
comme la civilisation romaine, tragiquement submer-
gée par le flot longtemps contenu, mais à la fin irré-
sistible, d'une barbarie à demi sauvage. Elle s'est lente-
ment éteinte en faisant l'éducation du monde. Peut-on
dire même qu'elle se soit éteinte? C'est elle encore
qu'on retrouve à Byzance et sous le ciel régénéré de la
moderne Hellade. Quoi qu'il en soit, l'art hellénistique
est notablement inférieur à celui qui l'a précédé : non
qu'il n'y ait, à cette époque, des peintres de talent,
comme Aétion, comme Théon de Samos, comme tous
2^6 LA PEINTURE ANTIQUE.
ces peintres d^Asie Mineure qui appartiennent au if ou
au I" siècle avant notre ère, et dont les œuvres sont si
prisées des Romains; mais ils n'ont rien d'original et
ne font que suivre, pour la plupart, les traces de leurs
devanciers. Nous ne retiendrons de cette foule qu'un
seul nom, celui d'Antiphilos l'Égyptien. Il a déjà été
question de cet artiste à propos d'Apelle; on se souvient
de son odieuse conduite envers le maître, à la cour de
Ptolémée Soter. Il ne manquait pas d'ha-
bileté, et l'on citait de lui un Philippe, deux
Alexandre, un Dionysos, nnHippolyte. qui
furent plus tard transportés en Italie, où ils
excitèrent une admiration légitime. Il avait
peint aussi un satyre exécutant une sorte
de danse appelée skopos, dans laquelle on
élevait la main à la hauteur des yeux ,
Fig- '43 • comme pour regarder au loin. Un grand
nombre d'œuvres d'art reproduisent cegeste,
bien fait pour inspirer sculpteurs et coroplastes. La
figure ci-dessus, empruntée à un sarcophage romain,
montre à quel point était populaire, dans l'antiquité,
le Satyre surnommé aposkopeuôn.
Antiphilos ouvrit le grand art à la caricature. Il
avait fait la charge d'un certain Gryllos, et de là vint la
mode des peintures satiriques auxquelles on conserva
longtemps le nom de grylli. Jusqu'alors, le comique,
très ancien dans la littérature, puisqu'il remonte à
Thersite et à Vulcain, dont la démarche claudicante
provoquait le « rire inextinguible » des dieux, ne
s'était guère donné carrière que dans les arts indus-
triels. Encore faut-il se garder de l'y apercevoir trop
LA PEINTURK GRECQUE. 2^7
tôt. On a pris à tort pour des caricatures certaines pein-
tures de vases provenant de Phalère (fig. 144) et qui ne
sont que de grossiers essais pour rendre
le profil très caractéristique d'une race dé-
terminée. Ce qui est vrai, c'est que, dès le
vi* siècle, la charge apparaît sur les vases
peints; elle s'enroule, parmi les graves
peintures religieuses, autour du vase Fran-
çois, dans la personne de ces pygmées
montes sur des animaux fantastiques et
qui soutiennent contre les grues d'homériques com-
bats (fig. 145). Mais remarquez que l'artiste n'a point
déformé ses personnages : plus tard, on rapetissera les
corps, on grossira les têtes suivant un procédé encore
usité de nos jours, comme c'est le cas sur ce vase du
Louvre où l'on voit parodiée l'apothéose d'Hercule
Combat de pygmées et de grues, sur le vase François.
(fig. 146). Au vi** siècle, on n'a pas recours à de pareils
moyens : la caricaturen'est que souriante; elle demeure
dans les limites de ce comique discret qui semble avoir
2^8
LA PEINTURE ANTIQUE.
été le propre du drame satyrique. Il faut descendre
assez bas dans l'histoire pour rencontrer de véritables
grotesques : ils sont nombreux, surtout à partir
d'Alexandre, dans la classe des figurines de terre cuite
et des petits bronzes. A dater de ce moment, les peintres,
qui n'employaient jadis leur talent qu'à des œuvres sé-
rieuses, donnent, eux aussi, dans le burlesque et l'extra-
V Vx Cx Cn C "^ V XV ?^ /^^ y.
ammi!!«['iPii^«M^^^
Fig. i4(î. — Parodie de l'apothéose d'Hercule, sur un vase peint.
vagant. Antiphilos en est la preuve. N'était-il pas d'un
pays où la caricature avait existé de tout temps et où
l'aptitude à saisir les ridicules, la promptitude à s'en
moquer, faisaient partie des mœurs nationales? C'est
à la même époque que se place le tableau d'un disciple
d'Apelle, Ctésilochos, qui avait représenté Zeus accou-
chant de Dionysos et passant par toutes les douleurs
d'une femme en travail. Des scènes analogues sont figu-
rées sur les vases d'ancien style (fig. 147), mais avec line
gravité où l'on sent toute la distance qui séparait ces
naïfs tableaux, exécutés par des croyants, de la paro-
LA PEINTURE GRECQUE.
2+9
die du peintre hellénistique, déjà voisine des irrévé-
rences de Lucien '.
Terminons par quelques remarques sur une série de
monuments très postérieurs à Antiphilos, mais qui ap-
partiennent encore à l'art grec et sur lesquels Tatten-
tion du public a été récemment attirée par d'importantes
découvertes. Nous voulons parler de ces portraits sur
Fig. 1+7. — Athéna sortant du cerveau de Zeus,
d'après un vase peint du vi"* siècle.
bois dont une collection très complète a été exposée,
en 1889, à Paris, où elle n'a pas, d'ailleurs, obtenu le
succès auquel elle avait droit. Tous ces portraits vien-
nent d'Egypte ou, plus exactement, de la moyenne
Egypte, du Fayoum. Ils ne remontent pas à une an-
tiquité très recul-ée : on les échelonne, sans pouvoir les
dater individuellement, sur l'espace de temps compris
entre le if et le v* siècle de notre ère. Peut-être les plus
anciens sont-ils contemporains de Domitien. Leur des-
1. Sur la caricature dans l'art grec, voyez Pottier, Nécropole de
Myrina, p. 476 et suiv.
250
LA PEINTURE ANTIQUE.
tination était toute funéraire : on les encastrait à la par-
tie supérieure de la momie en dis-
simulant les bords sous les bande-
lettes, de manière à faire croire que
le mort, qu'ils représentaient, re-
gardait au dehors par une ouver-
ture (fig. 148). Curieuse persistance
des rites funèbres! Autrefois, c'était
un masque modelé qui figurait les
traits du défunt; maintenant, c'est
une peinture, mais on retrouve tou-
jours, dans cet usage, l'antique
croyance qui veut que le mort vive
dans sa bière et puisse y recevoir
les hommages des vivants.
Il existe de ces images peintes à
Paris, à Londres, à Saint-Péters-
bourg, à Florence, au musée de
Gizeh. Le Louvre en possède quel-
ques-unes qui sont remarquables,
comme ce portrait de jeune fille
qui incline légèrement la tête sur
l'épaule droite (fig. 149), en ouvrant
de grands yeux un peu tristes'. Il
se trouve, par exception, que nous
savons qui elle est : elle appartenait
à la famille de PoUius Soter, ar-
chonte de Thèbes au temps d'Ha-
drien. Ce sont des membres de la même famille que
Fig. 148.
I. Muscc cyyptien, salle des Monuments funéraires.
LA PEINTURE GRECQUE.
2SI
représentent les autres portraits du Louvre, mais aucun
ne vaut celui-ci pour la délicatesse du modelé et le
charme de Texpression.
La plus riche de beaucoup et la plus variée de ces
collections de por-
traits sur bois est
celle qu'on a pu
voir à Paris, il y a
deux ans, et dont
le possesseur est un
Viennois, M. Graf.
Composée presque
uniquement de
monuments décou-
verts à Rubaijat,
dans le Fayoum,
elle comprend plus
de quatre-vingt-dix
pièces de valeur très
inégale, mais dont
quelques-unes sont
de premier ordre.
Ce qui frappe,
quand on passe en
revue tous ces vi-
sages, immobiles sur leurs tablettes de cèdre, c'est
l'extraordinaire expression de vie qui s'en dégage.
Hommes, femmes, jeunes gens, jeunes filles, ont, en
général, une intensité de regard qui déconcerte ; cer-
taines figures féminines, en particulier, où les yeux ont
été démesurément agrandis, soit pour idéaliser le mo-
Fig. 149.
3S2
LA PEINTURE ANTIQUE.
dèle, soit pour rendre Tagrandissement artificiel pro-
duit par le maquillage, paraissent suivre le visiteur et
s'attacher, pour ainsi dire, à ses pas. Je n'en veux
pour exemple que cette
tête de jeune fille, qui,
sans être belle, inté-
resse par sa naïveté et
par les contours enfan-
tins de sa physionomie
(fig. i5o).
Une chose digne
d'attention, c'est l'air
moderne de beaucoup
de ces portraits. Les
personnages qu'ils figu-
rent semblent avoir
vécu il y a quatre ou
cinq siècles, quelques-
uns même tout près de
nous. Voyez cette jeune
femme aux lèvres min-
ces, à l'imperceptible
sourire, au nez droit,
aux cheveux artiste-
ment crépelés en forme
de bonnet; cette autre,
aux lourds bandeaux que surmonte un diadème d'or,
à la riche parure de perles enroulées autour du cou ou
pendant aux oreilles : ne dirait-on pas deux peintures
de la Renaissance italienne? La figure i5o rappelle la
manière de Greuze ; une tête virile (fig. i5i) à la che-
Fig. 150.
LA PEINTURE GRECQUE.
2SÎ
velure savamment ébouriffée, au regard à la fois éner-
gique et spirituel, à la barbe rare, fait penser aux ta-
bleaux des vieux maîtres toscans. On rencontre, à côté
de cela, des visages tout antiques. Nous avons rappro-
ché à dessein un por-
trait de femme et un
portrait d^homme
(fig. i52 et r53) entre
lesquels le contraste
est saisissant. Peut-on
rien imaginer de plus
actuel que le premier,
avec sa coiffure élé-
gante et libre, ses yeux
prêts au sourire, sa
bouche aimable et
quelque peu sensuelle ?
Tout, Jusqu'au vête-
ment, dont les plis in-
distincts procurent Pil-
lusion d'un corsage
drapé, donne à cette
figure un aspect de mo-
dernité surprenant.
L'homme, au con-
traire, avec ses cheveux
crépus à la Vérus, sa moustache clairsemée, le collier
de barbe frisée qui lui ombrage les joues et le menton,
reproduit plutôt le type romain tel que nous le con-
naissons, et doit être rangé dans la catégorie de ces
personnages munis du laticlave, ou d'une couronne et
•^cW<\->-
Fig. isi.
^5 +
LA PEINTURE ANTIQUE,
d'un baudrier d'or, qui paraissent, pour la plupart,
appartenir à la race latine.
Un mérite de ces portraits est leur ressemblance.
Bien que nous ignorions les originaux, il y a trop de
Fig. 1$.
Fig- iSJ-
vie dans ces images, et la vie s'y marque par des traits
trop individuels, pour que nous doutions de leur fidé-
lité. Et pourtant, ce qui étonne, c'est la Jeunesse de
tous ces morts. A Londres comme à Saint-Pétersbourg,
au Louvre comme dans la collection Graf, la grande
LA PEINTURE GRECQUE. ass
majorité de ces peintures funéraires représente des
hommes et des femmes dans la force de l'âge, souvent
même encore dans Fadolescence. On ne peut cependant
admettre que la moyenne de la vie humaine se soit à
ce point abaissée en
Egypte, durant les
premiers siècles du
christianisme. De là
l'hypothèse que ces
portraits ont été exé-
cutés du vivant de
leurs modèles. Il est
possible aussi qu'ils
n'aient été peints
qu'après leur mort,
mais que les artistes
y aientvolontairement
rajeuni ceux dont ils
étaient chargés de per-
pétuer le souvenir.
Nous retrouverions
là un écho de cette
vieille coutume égyp-
tienne qui voulait
qu'on figurât le dé-
funt, non dans l'état
de décrépitude qu'amène un âge avancé, mais en
possession de toutes ses facultés physiques et pouvant
jouir pleinement de la félicité qui lui était promise au
delà du tombeau. Si le rajeunissement a été une règle,
il comportait, d'ailleurs, des exceptions. La collection
Fig. 154-
256
LA PEINTURE ANTIQUE.
Graf contient un médaillon de femme âgée et ridée où
il n'y a nulle trace d'embellissement systématique. On
en peut dire autant de ce portrait de vieillard chauve
(fig. 154), dont notre dessin ne rend qu'imparfaitement
le visage craquelé et noirci
par le temps. De même, il
y a des figures maladives
dont la souffrance ou la
disposition morbide est in-
diquée avec un bien curieux
réalisme. Tel est le cas de
cette femme aux paupières
tombantes, aux poches la-
crymales singulièrement
développées, et qui paraît
minée par quelque mal in-
térieur (fig. i55).
Nous dirons tout à
l'heure un mot des ensei-
gnements techniques que
fournissent ces précieux
tableaux du Fayoum. Con-
statons, en attendant, l'in-
térêt psychologique et mo-
ral de cette galerie, qui
met sous nos yeux les types les plus variés de l'anti-
quité à son déclin, grands seigneurs et bourgeois de
l'Egypte gréco romaine, avec les insignes de leurs
fonctions publiques, ou la simple parure de leur con-
dition privée, physionomies tantôt vulgaires, tantôt
fines, où mille sentiments, mille passions se lisent,
Fig. '5S-
LA PEINTURE GRECQUE. 257
pittoresque réunion de nationalités diverses, qui éclaire
d''une vive lumière la société de ces temps lointains.
Rien ne permet mieux que ces portraits de mesurer le
chemin qu^a parcouru la peinture grecque, depuis les
monochromes sans expression et sans vie où s'exer-
çait la main timide des premiers maîtres.
^ VIII. — Les procédés
de la peinture en Grèce; l'encaustique.
Originalité de la peinture grecque.
Nous ne reviendrons pas sur les indications déjà
données çà et là relativement à la technique des pein-
tres grecs. Quelques mots suffiront pour compléter ce
que nous avons dit. Les couleurs dont se servaient
Polygnote et ses contemporains étaient les suivantes :
la terre de Mélos pour le blanc, le sil attique (espèce
d'ocre) pour le jaune, la sinopis pontique pour le
rouge et, pour le noir, Vatramentum, c'est-à-dire le
noir de fumée additionné d'une matière agglutinante.
Telles étaient, on s'en souvient, les quatre couleurs des
primitifs du v siècle. Quoi qu'en dise Pline, Apelle
avait une palette beaucoup mieux fournie, et c'est
Cicéron qui est dans le vrai quand, opposant les pein-
tres du IV® siècle à ceux de l'âge précédent, il écrit :
In Aetione, Nicomacho, Protogene, Apelle, jam per-
/ecta sunt omnia. 11 est certain qu'Apelle, outre qu'il
possédait, pour chacun des anciens tons, plusieurs
nuances, disposait encore du bleu et du vert, et peut-
être était-ce déjà le cas de ses prédécesseurs immédiats,
PEINT. ANTKiUE. 17
2s8 LA PEINTURE ANTIQUE.
ce qui expliquerait la riche polychromie des lécythes de
ce temps.
On s'est demandé si l'œil des Grecs percevait toutes
les couleurs que perçoit le nôtre, s'il était capable de
la même précision, de la même délicatesse d'analyse.
Ce qui est vrai, c'est que leurs mots ne désignent pas
toujours ce que nous croyons ; mais il ne suit pas
de là qu'ils connussent un moins grand nombre de
tons ou de nuances que nous. Il suffit, pour s'en con-
vaincre, de se reporter à Pline; on y voit, par exemple,
que leurs peintres employaient plusieurs variétés de
rouge : la sinopis, à elle seule, leur en fournissait
trois, et non seulement ils la faisaient venir de Sinope,
dans le Pont (de là son nom), mais l'Egypte, l'Afrique,
les Baléares, Lemnos, la Cappadoce, leur en procu-
raient d'excellente. Ils avaient de même plusieurs
jaunes : pour peindre les parties ombrées, ils recou-
raient au jaune de Skyros ou au jaune lydien, plus
foncé que le sil d'Athènes. En outre, l'esprit inventif
de chacun, cette curiosité industrieuse qui caractérise
le génie grec, tendait encore à multiplier les tons ou à
perfectionner ceux qui existaient déjà. Polygnote et
Micon avaient imaginé de faire du noir avec de la lie
de vin séchée et cuite; Apelle en obtenait de l'ivoire
calciné; Parrhasios trouvait à la craie d'Erétrie des
qualités que n'avait aucun autre blanc; Kydias de
Kythnos, peintre peu connu de l'époque hellénistique,
avait eu, le premier, l'idée de brûler du jaune pour
avoir du vermillon. A toutes ces ressources s'ajoutaient
celles qui provenaient des mélanges, dont on a vu que
Polygnote tirait déjà des effets suffisamment variés. Ils
LA PEINTURE GRECQUE.
2S9
devinrent, naturellement, plus savants après lui, et
l'un des plus compliqués était celui à Paide duquel on
rendait la couleur de chair (àv^pei/.e)ov). Un certain
nombre de témoignages, qu'il serait trop long de dis-
cuter, prouvent Timportance que les Grecs attachaient
à cette coloration et Phabileté qu'ils y déployaient ^
Un problème longtemps agité par les archéologues
est celui de la matière sur laquelle peignaient les anciens
Hellènes. Les peintures
préhistoriques de Mycè-
nes et deTirynthe étaient,
comme on Va vu, exécu-
tées sur un enduit qui
adhérait aux parois
qu'elles décoraient. En
était -il de même, par
exemple, des grandes
compositions murales de Polygnote? Un texte de Syné-
sius, qui vivait au v* siècle de notre ère, nous apprend
que les peintures du Pœcile étaient sur bois et, quoi
qu'on en ait dit, il n'y a aucune raison de douter de la
véracité de ce témoignage. Cela ne prouverait pas, d'ail-
leurs, qu'à Delphes il en fût ainsi. Certaines décorations
pouvaient être appliquées directement sur la surface
qu'elles devaient recouvrir, tandis que d'autres étaient
peintes sur des panneaux (cavi^eç) fixés d'avance à la mu-
raille qu'il s'agissait d'enluminer, ou transportés sur
cette muraille quand le peintre avait achevé son œuvre.
Fig. 156.
I. Pïsiton, Cratyle, p. 424 E; Athénée XIII p. 604 A; Over-
beck, io53, 1862, 2144(1. 19).
a(îo
LA PEINTURE ANTIQUE.
Je croirais volontiers que, des deux méthodes, c'est la
première qui était la plus ancienne, et que les vieilles
peintures monochromes qui ornaient les temples du
vi« siècle étaient exécutées sur les murs mêmes de ces
édifices. Mais, de bonne heure, sans doute, on eut Tidée
de peindre sur bois; ces ais faciles à remplacer, en cas
d'accident, offraient des avantages que ne présentait pas
la pierre immobile; et si
Ton admet qu'ils n'étaient
fixés qu'après coup, ils
avaient encore cette supé-
riorité de pouvoir être
peints dans l'atelier tout à
loisir. Ce qui est certain,
c'est que le jour où, au lieu
de décorer des murailles,
on voulut faire de la pein-
ture aisément transporta-
ble, on ne se servit que du
bois. C'est sur bois
qu'étaient les tableaux de Zeuxis et de Parrhasios, de
Timanthe et d'Apelle, et ils étaient, en général, de
petite dimension. Aussi Pausanias, quand il visita la
Grèce, ne les vit-il pas; tous avaient été transportés en
Italie, tandis qu'il vit les chefs-d'œuvre des grands dé-
corateurs du v siècle, qui, sur bois ou sur enduit,
étaient de proportions colossales et avaient été laissés
en place.
Il ne paraît pas que les Grecs de l'époque classique
aient peint sur toile, du moins sur toile libre. Les
décors d'Agatharque et de ses successeurs étaient, selon
Fig- IS7.
Peintresse coloriant une statue.
LA PEINTURE GRECQUE.
261
toute vraisemblance, sur panneaux de bois. Pline a l'air
de citer comme une exception un portrait de Néron, sur
toile, qui était plus grand que nature. Les quelques
textes que nous possédons relativement à de pareilles
peintures appartiennent à la plus basse grécité. Deux
toiles peintes de provenance égyptienne, qui sont au
Louvre, datent également d'un temps fort rapproché de
nous. Ce que nous savons,
c'est qu'on connaissait en
Grèce l'usage du chevalet
(oxpiêaç, xiXXiêa;). C'est sur
un chevalet que semble po-
sé, dans l'atelier de Proto-
gène, le tableau sur lequel
Apelle trace ses lignes de
plus en plus ténues. Une
caricature de Pompéi, qui
représente un peintre fai-
sant un portrait (fig. i56),
prouve qu'à l'époque hellé-
nistique, sinon antérieurement, le chevalet avait exac-
tement la même forme qu'aujourd'hui.
On connaissait aussi l'usage du cadre. Nos rensei-
gnements sur ce point ne remontent pas, il est vrai,
au delà de la période romaine, mais tout porte à croire
que cette façon de protéger et de faire valoir les tableaux
était fort ancienne. Pline parle de peintures grecques
sur enduit, qu'on voyait à Rome, et qui, détachées du
temple qu'elles décoraient, étaient conservées dans des
châssis de bois. Une fresque pompéienne montre une
femme peintre occupée à colorier une statue de Priape
Fig. i$8.
2<îa LA PEINTURE ANTIQUE.
(fig. iSy): à ses pieds, on aperçoit l'esquisse qui lui
sert de modèle, et qui est enfermée dans un cadre; une
image analogue, encadrée et plus petite, est accrochée
au mur dePatelier. Mais le monument le plus instructif
à cet égard est celui qu'a récemment découvert M. Pé-
trie dans un tombeau du Fayoum, à Haouara. C'est un
portrait sur bois, peint à la cire, comme ceux que
nous avons étudiés tout à l'heure, et fixé dans un cadre
de bois (fig. i58) qui se compose de quatre montants,
munis intérieurement d'une double rainure. Dans la pre-
mière de ces rainures, en partant du fond, s'engage le
bord, taillé en biseau, du châssis qui retient le portrait.
La seconde rainure, la rainure extérieure, était probable-
ment destinée à recevoir un verre; telle est, du moins,
la conjecture qu'a suggérée à M. Pétrie la découverte,
faite par lui à Tanis, d'une plaque de verre transpa-
rente, sur laquelle on voit tracés les signes du zo-
diaque, et qui est de la même époque que le portrait
de Haouara, dont elle reproduit à peu près les dimen-
sions. La corde attachée au haut du cadre sçrvait à le
suspendre. Ce précieux objet, conservé au Musée bri-
tannique, est Tunique spécimen de peinture encadrée
que l'antiquité nous ait transmis.
Les procédés de peinture en usage chez les Grecs ont
été l'objet de nombreuses discussions. Connaissaient-
ils la fresque ou la peinture à l'eau sur l'enduit frais d'un
mur? Tel était, probablement, le procédé employé pour
les grandes compositions murales, quand elles étaient
directement appliquées sur la paroi. Mais il semble
que, de très bonne heure, ils aient aussi pratiqué
la détrempe, qui consiste à délayer les couleurs dans
LA PEINTURE GRECQUE. 26}
une substance qui les lie, comme la colle, la gomme,
Tœuf, le lait, et à les étendre sur une surface préparée
avec la même substance. Les peintures égyptiennes,
auxquelles nous avons quelquefois donné le nom de
fresques par un abus de langage, étaient, en général,
exécutées à la détrempe, et ce serait une raison de
croire que les Grecs, dès une haute antiquité, usèrent
de ce procédé. C'est celui qui semble avoir été parti-
culièrement en faveur auprès des grands peintres du
iv« siècle, comme l'atteste l'anecdote suivante : Pline
rapporte que Protogène, peignant le chien d'Ialysos
et désespérant de rendre l'écume qui devait lui sortir
de la gueule, jeta, de dépit, sur cette partie de son ta-
bleau, son éponge imbibée de différentes couleurs,
et obtint du hasard ce que de longs efforts n'avaient
pu produire. Ce fait demeurerait inexplicable, si l'on
ne supposait qu'il peignait à la détrempe. C'est à la
même technique qu'avait eu recours Panainos, quand
il avait orné le temple d'Athéna, à Elis, de peintures
appliquées sur un enduit de sa composition, dans
lequel entraient du lait et du safran.
Un procédé également très usité était l'encaus-
tique. Quelques auteurs en attribuaient l'invention à
Polygnote; d'autres lui donnaient pour inventeur
Aristide. L'écart est grand , on le voit , entre les
deux dates. C'est l'Ecole de Sicyone qui semble, la pre-
mière, y avoir excellé. Pamphilos ne peignait guère que
d'après cette méthode; il l'enseigna à Pausias, qui y
acquit une grande réputation. Notons que cette perfec-
tion de l'encaustique coïncide avec la vogue des petits
tableaux. C'était, en effet, un procédé difficile à em-
26i
LA PEINTURE ANTIQUE.
ployer, du moins avec la précision nécessaire, sur les
surfaces de quelque qtendue. Apelle aussi le pratiqua.
Plusieurs épigrammes de VAnthologie font de claires
allusions à Temploi de cette technique, ce qui prouve
sa faveur à Tépoque alexandrine. Une peintresse de
Cyzique, laia ou Laia, établie à Rome au commence-
ment du I®'' siècle avant notre ère, y faisait, à Pencaus-
tique, des miniatures sur ivoire. Nous possédons enfin
un certain nombre de monuments, entre
autres, les portraits égypto- grecs du
Fayoum, qui nous permettent d'étudier
de près ce procédé. Nous n'y insisterons
pas, après les beaux travaux de MM. Otto
Donner, Gros et Henry. Bornons-nous
aux remarques indispensables.
La façon la plus ordinaire de se ser-
vir de Tencaustique consistait, semble-
t-il, à former tout d'abord, avec de la
cire blanche et des couleurs pulvérisées, des pains de
nuances variées que l'on conservait dans une boîte.
Pour peindre, on liquéfiait ces pains dans des godets
métalliques ou sur une palette à manche, également
en métal, et analogue à celle que nous reproduisons
(fig. iSq). On étalait ensuite la cire ainsi fondue avec
un pinceau; mais, comme elle se figeait rapidement
en refroidissant, le pinceau ne suffisait pas à lier les
tons. C'est alors qu'avait lieu la kausis. que les Latins
rendent par les mots picticram inurere. A l'aide d'un
fer chauffé, on reprenait les touches de cire déposées
sur le pan^neau et on les étendait, on les liait avec soin.
C'était là la partie délicate de l'opération ; l'autre, à la
Fig. IS9-
LA PEINTURE GRECQUE.
2()5
rigueur, pouvait être confiée à un simple praticien.
Aussi les peintres qui pratiquaient Tencaustique em-
ployaient-ils, pour signer leurs tableaux, la formule :
Un tel a brûlé (âvexaev), au lieu de : Un tel a peint
(£ypat];£v). Rien ne montre mieux que cette substitu-
tion rimportance qu'ils attachaient à la kausis. Les
fers qui servaient à ce dernier travail portaient le nom
générique àc cautères (/.auTrlpia). Ils avaient
différentes formes et durent varier suivant
les temps, suivant, aussi, la pratique per-
sonnelle de chaque artiste. L'un d'eux, le
cestrum, était surtout d'un usage fréquent;
comme son nom l'indique, c'était une tige
terminée par une sorte de spatule finement
dentelée, qui rappelait la feuille de la bétoine
(y.eVrpovj. On comprend fort bien qu'avec
un pareil instrument (tig. i6o), on ait pu
étaler les cires colorées, sauf à les lier en- Fis- i<îo.
suite plus intimement encore avec une
pointe mousse ou avec la spatule même du cestrum,
dont la convexité se prêtait admirablement à cet office.
Il est très difficile de décider, parmi les rares pein-
tures antiques que nous possédons, quelles sont celles
qui ont été exécutées à l'encaustique. La Muse de Cor-
tone, peinte sur ardoise, n'offre pas de ce procédé un
spécimen dont on puisse répondre; son antiquité
même est douteuse. Les portraits du Fayoum sont des
documents d'une bien autre valeur. Plusieurs ont été
peints entièrement à la détrempe (fig. i5o); ce ne sont
pas, en général, les meilleurs. Le plus grand nombre
a été exécuté à l'encaustique et porte la trace encore
266 LA PEINTURE ANTIQUE.
visible du fer (fig. 154); mais, tandis que la chevelure
et le visage y sont traite's avec soin, les étoffes, qui
devaient être en partie recouvertes par les bandelettes
de la momie, n'y sont qu'indiquées sommairement au
pinceau. Ailleurs, on reconnaît Pemploi simultané des
deux procédés : la cire a été combinée, chaude encore,
avec de l'œuf, auquel on a ajouté un peu d'huile, et le
tout a formé, avec la poudre colorée, une pâte aisément
maniable au cestrum. Le portrait achevé, on l'a parfois
surchargé de traits et de hachures au pinceau, suivant la
technique de la détrempe ordinaire; tel est le cas pour
une des plus remarquables de ces peintures (fig. i5i).
L'encaustique a duré aussi longtemps que le monde
ancien, et lui a même survécu. On l'employait partout.
Dans un tombeau gallo-romain ouvert, en 1847, à
Saint-Médard-des-Prés, on a trouvé un attirail complet
de peintre à l'encaustique (fig. 161), composé, entre
autres objets, d'une boîte à couleurs en bronze et d'une
spatule dont la forme rappelle celle du cestrum. Plus
d'un, parmi nos lecteurs, est au courant des récentes
tentatives faites par M. Gros pour restituer ce procédé
au profit de l'art moderne. Quiconque a vu, dans l'ate-
lier de l'industrieux artiste, ces portraits à la cire qu'il
a essayé de peindre d'après la méthode des anciens,
reste convaincu qu'il y a là des efforts intéressants à
poursuivre et des effets à obtenir que la peinture à
l'huile ne donne pas.
Il resterait à dire un mot des fonds sur lesquels
peignaient les Grecs et de la façon dont ils y traçaient
leur esquisse, mais ces questions sont si obscures qu'on
ne peut que les signaler à l'attention des chercheurs.
LA PEINTURE GRECQUE.
267
Que les peintures de Polygnote fussent de la fresque ou
de la détrempe — il semble bien qu'on doive écarter
Tencaustique, — elles étaient certainement appliquées
sur fond blanc, le fond des enluminures égyptiennes,
qui dut être le premier sur lequel on fit s'enlever des
figures en couleur. De là ces coupes à couverte laiteuse,
Fig. 161. — Attirail de peintre trouvé à Saint-Médard-des-Prés.
qui avaient la prétention d'imiter la grande peinture et
que nous voyons en faveur au v* siècle, pendant un
temps, il est vrai, assez court; de là, plus tard, les lé-
cythes blancs. On a soutenu également qu'à la belle
époque l'usage existait des champs bleus, rouges, jaunes,
verts, noirs; on a prétendu que les peintures dont Pa-
nainos avait orné le trône de Zeus à Olympie se déta-
chaient sur un fond d'azur, mais ce ne sont que des con-
jectures, et trop peu solides pour qu'il faille s'y arrêter.
Nous sommes un peu mieux renseignés sur l'es-
268
LA PEINTURE ANTIQUE.
quisse. Elle était tracée en noir dans les monochromes
du vi*^ siècle et dans les premières peintures poly-
chromes. Elle apparaît nettement sur la stèle d'Anti-
phanès (fig. 80), où elle a Paspect d'un dessin très som-
maire, que le peintre n'a pas scrupuleusement suivi.
Sur les stèles de Vélanidéza et de Sunium (fig. j-j et 81),
elle n'est plus repré-
sentée que par des
lignes claires, mar-
quant la place du
noir qui s'est écaillé.
Etait-ce à l'encre
noire ou à la san-
guine que dessinait
Polygnote? Se ser-
vait-il, comme les
potiers, d'une pointe
en bois, très émous-
sée, pour tracer une
première esquisse,
qu'il recouvrait en-
suite au pinceau? Nous ne saurions le dire. Ce qui
paraît certain, c'est que, plus tard, on prit l'habitude
de jeter l'esquisse au crayon blanc, comme l'indique
un passage, d'ailleurs très controversé, d'Aristote. Cela
s'appelait leukographein. Ce changement dut s'accomplir
quand le modelé succéda aux teintes plates. Avec les
teintes plates, l'esquisse subsistait, tandis que le modelé
la faisait disparaître; dès lors, il était naturel qu'on
s'efforçât de la rendre aussi légère et aussi peu gênante
que possible; de là, pour la tracer, l'emploi de la craie.
Fig. 162.
LA PEINTURE GRECQUE.
26c
C'est le détail de ces perfectionnements techniques,
c'est cet esprit inventif en toute chose qui donnent de
la peinture grecque une haute idée, quand on la consi-
dère dans son ensemble. Trouvailles de génie dans le
domaine de la composition, de l'expression, des pro-
cédés, voilà ce qu'on y admire. A l'exception du pay-
sage, qui n'a jamais été, dans l'art grec, qu'un cadre,
elle a tout abordé, panneaux décoratifs et tableaux de
Fig. 163. — Type sémitique, sur un vase peint du vii*^ siècle.
chevalet, sujets d'histoire et sujets de genre, portrait,
allégorie, nature morte. Elle a rendu les animaux avec
une maîtrise qu'atteste la réputation des bœufs de Pau-
sias, des chiens de Nicias, des chevaux d'Apelle, et qui
paraît déjà dans les plus anciens monuments de la céra-
mique,, comme on peut le voir par ce motif pris au
hasard parmi ceux qui décorent les sarcophages de
Glazomène (fig. 162). Elle a surtout reproduit la figure
humaine avec une puissance et une individualité
auxquelles l'Egypte même n'a jamais atteint.
Il serait intéressant de noter, sur ce point, les varia-
tions du goût chez les Grecs. Dès les temps les plus
reculés, ils ont été frappés, comme les Egyptiens, des
270
LA PEINTURE ANTIQUE.
traits propres à certaines races, et ils les ont fixés avec
une précision merveilleuse; je n'en veux pour preuve
que ce profil dessiné sur un vase peint du vii^ siècle, et
qui rend si fidèlement quelques-uns des caractères du
type sémitique (fig. i63). Puis, il semble que leurs
figures soient volontiers devenues plus impersonnelles,
sans toujours prendre
pour modèle le même
idéal de beauté. Aux
visages anguleux, aux
nez longs et aquilins du
vi^ siècle, ont succédé des
visages ronds, des nez
retroussés, comme ceux
que montrent quelques
coupes du potier Douris,
ou ce gracieux portrait
de Jeune fille, jeté par
une main d'artiste sur un
morceau de tuf trouvé
Fig. 164. dans l'île de Samos
(fig. 164)*. Enfin, ces
spirituelles physionomies ont été abandonnées, à leur
tour, pour le visage sévère et un peu froid, dans sa
régularité, que nous nous sommes, à tort, habitués à
regarder comme l'unique canon de la figure humaine
chez les Grecs. Ces changements, que nous ne pouvons
guère constater que dans la céramique, se sont-ils pro-
duits aussi dans la grande peinture? Nous n'en sau-
I. Ce fragment est aujourd'hui au musée du Louvre.
LA PEINTURE GRECQUE. 37»
rions douter; mais ce que la céramique ne reflète qu'im-
parfaitement, c'est le mouvement dont la peinture ani-
mait ces traits, quels qu'ils fussent. L'art d'intéresser
par des visages expressifs, par des gestes, des attitudes
en rapport avec des situations déterminées, telle a été
la grande originalité de la peinture grecque. Elle n'a
pas eu nos délicatesses de coloris, nos exigences de
blasés, rendus plus difficiles par des siècles d'art et,
d'ailleurs, affinés par une observation chaque jour plus
pénétrante; mais elle est profondément entrée dans le
cœur de l'homme et a produit au dehors ses sentiments,
ses passions. L'expression, voilà où elle a excellé, et
cela seul suffirait pour nous en faire à jamais déplorer
la perte.
§ IX. — La polychromie des édifices
et des statues.
On a vu qu'en Egypte et dans tout l'Orient, l'ar-
chitecture et la sculpture étaient polychromes. La
même loi était observée chez les Grecs; il n'est plus
permis aujourd'hui de l'ignorer. 11 y aurait un livre à
écrire sur la polychromie de leurs temples, un autre
sur celle de leurs statues et de leurs bas-reliefs. C'est
dire que nous ne pouvons qu'effleurer le sujet et en
marquer rapidement les grandes lignes.
L'idée de peindre les monuments vint en Grèce,
comme partout, de la nécessité d'atténuer, sur ces
grandes surfaces, l'éclat de la lumière; elle vint aussi
du goût inné chez tous les peuples jeunes pour la cou-
27» LA PEINTURE ANTIQUE.
leur et de Tinstinct qui les porte à en faire une des con-
ditions de la beauté. Parce que nous ne connaissons
de l'antiquité que des ruines et que ces ruines sont
incolores, nous croyons que les édifices dont elles sont
les débris offraient au regard des masses nues; la pen-
sée que ces masses étaient rehaussées de tons éclatants
nous répugne ; nous nous les figurons volontiers avec
cette belle patine dorée dont le temps et le soleil ont re-
vêtu les ruines de Grèce, et qui tranche si heureuse-
ment sur le ciel. Les textes sont là pour nous détrom-
per, et aussi les fragments d'architecture peinte qu'on a
trouvés dans différents endroits, ou qui subsistent encore
en place. Depuis les travaux d'Hittorff en Sicile, les
fouilles exécutées à diverses reprises à Athènes, celles
d'Olympie, de Délos, d'Elatée, etc., nous nous rendons
compte, beaucoup mieux que nous ne pouvions le faire
auparavant, de ce qu'était la décoration picturale d'un
temple grec. Il reste, néanmoins, bien des doutes sur la
répartition des couleurs, et ces doutes tiennent à plu-
sieurs causes. D'abord, il n'y avait point de règle fixe;
le même ordre d'architecture présentait, selon les pays,
de sensibles divergences : ainsi, l'architrave du Par-
thénon était blanche et décorée seulement de boucliers
dorés, dont on distingue encore la place, tandis que
celle du temple d'Egine était entièrement peinte en
rouge. Ensuite, il faut faire une différence entre les
ordres : l'ordre dorique aimait la couleur; les autres
comportaient une ornementation plus sobre. Mal-
gré tous les travaux qui ont paru sur la matière, une
étude définitive ne sera possible que le jour oii l'on
aura dressé un catalogue minutieux des moindres
LA PEINTURE GRECQUE.
a7i
fragments gardant des restes de peinture. 11 n'en
est pas qui sbit à négliger et, comme le prouve la
figure ci-dessous, les morceaux les plus insignifiants
en apparence fournissent parfois de pre'cieuses indi-
cations.
Tout porte à croire que les anciens temples en bois
étaient peints. Les parties de terre cuite qui y entraient,
et qui leur survécu-
rent, telles que ché-
neaux , gargouilles ,
antéfixes, etc., étaient
ornées de dessins
d'une grande variété
et dont beaucoup rap-
pellent la décoration
des vases. Grecques,
losanges, palmettes, rais de cœur,
s'y déploient avec une charmante
fantaisie. Les couleurs qui s'y op-
posent sont le rouge, le noir et le
blanc crème. On a retrouvé en Si-
cile et dans la Grèce propre un
nombre considérable de ces fragments d'architecture
polychrome; celui que nous reproduisons (fig. i66),
et qui vient d'Olympie, appartenait, non à un temple,
mais à l'un des nombreux trésors construits aux abords
du sanctuaire de Zeus.
Descendons un peu plus bas dans l'histoire : au
vi" et au v« siècle, l'entablement dorique nous apparaît
surchargé de couleur; la corniche, le larmier, les tri-
glyphes et probablement aussi le fond des métopes y
PEINT. ANTrQUE. 18
Fig. 165.
374
LA PEINTURE ANTIQUE.
sont peints. On recueille encore aujourd'hui, sur l'Acro-
pole d'Athènes, des parcelles de rouge et de bleu demeu-
rées attachées aux mutules des Propylées : tels étaient,
en effet, les deux tons employés pour enluminer la
pierre ou le marbre; ce sont ceux, on s'en souvient,
qui prédominent dans la polychromie orientale. La
question de savoir si l'échiné du chapiteau dorique
était peinte reste indécise. Il
semble pourtant que, dans les
restaurations, on ait raison de la
couvrir de palmettes. Les Grecs
n'appliquaient pas seulement la
couleur sur les moulures; ils en
ornaient aussi les surfaces unies,
comme l'attestent, sur les ruines
que nous connaissons ces légères
esquisses brunes et ces tracés à la
pointe qui sont autant de souvenirs d'une polychromie
effacée par le temps.
Quel était le rôle de la peinture dans le temple
ionique? C'est là un problème non encore résolu. Il
est certain cependant qu'elle y avait sa place. L'Erech-
theion l'admettait. La volute, d'ailleurs, ne se prêtait-
elle pas merveilleusement à la décoration polychrome ?
Les chapiteaux de l'Erechtheion paraissent avoir reçu
des appliques de métal, des dorures, peut-être des in-
crustations de verre colorié ou de pierres précieuses.
L'ancienne architecture ionique de l'Acropole était
complètement peinte, comme on le voit par les curieux
fragments découverts au cours des fouilles récentes et
dont nous donnons ici un spécimen (fig. 167). Quant
Fig. 166.
LA PEINTURE GRECQUE. 275
à Tordre corinthien, bien qu'il eût, lui aussi, sa
polychromie particulière, nous ne saurions dire exacte-
ment en quoi elle consistait.
Deux difficultés s'offrent à qui tente de restituer la
décoration peinîe d'un temple grec : dans quelle me-
sure, d'abord, convient-il d'y enluminer la sculpture?
Ensuite, quelle coloration donner aux grandes sur-
faces, comme les murs extérieurs de la cella? J'essayerai
Fig. 167. — Chapiteau ionique colorié.
tout à l'heure de répondre à la première question. Pour
ce qui est de la seconde, elle a embarrassé plus d'un
architecte. Ceux d'entre eux qui ont revêtu l'extérieur
de la cella d'un ton uniforme, comme le rouge sombre,
ou qui, séduits par ces vastes espaces, se sont laissés
aller à les recouvrir de scènes mythologiques ou his-
toriques, ont, semble-t-il, fait fausse route. Il serait
étrange que tant de couleur eût entièrement disparu,
qu'il n'en restât aucun vestige dans les joints ; et si
ces murs portaient des tableaux, si l'on admirait jadis,
autour du Parthénon, d'immenses fresques rappelant
l'histoire ou les légendes d'Athènes, comment ne pas
s'étonner qu'aucun texte n'en parle, que Pausanias,qui
cite et même décrit les peintures de la Pinacothèque,
2/5 LA PEINTURE ANTIQUE.
nY fasse pas la moindre allusion ? S'il les passe sous
silence, c'est qu'elles n'existaient pas, et, de fait, on
aurait quelque peine à comprendre que des œuvres
aussi délicates eussent occupé de pareils emplace-
ments, exposés à toutes les injures de Tair, sous un
ciel beaucoup moins clément que celui de l'Egypte
et que la pluie obscurcit plus souvent qu'on ne le
croit.
Ce qu'il est permis de penser, c'est que, là où la
couleur était absente, on faisait subir au marbre un
traitement spécial, qui avait pour objet tout ensemble
de le protéger contre les intempéries et d'en adoucir
l'éclat. Peut-être le passait-on à l'encaustique : l'en-
caustique des murailles était d'un fréquent usage chez
les anciens; Vitruve et Pline en donnent chacun la re-
cette. C'était, d'ailleurs, à l'encaustique qu'étaient co-
loriés triglyphes et métopes. Mais, au lieu de cire de
couleur, on se serait servi de cire blanche. Seuls, delà
sorte, les membres de l'édifice destinés à tirer l'œil ou
à se détacher sur le ciel auraient été peints; le reste,
d'une tonalité uniforme, se serait contenté de quelques
rappels placés avec art. Il est, du reste, essentiel de
tenir compte de la différence des époques : à l'encontre.
de l'architecture et de la sculpture égyptiennes, qui de-
viennent, avec le temps, de plus en plus polychromes,
l'architecture des Grecs semble de moins en moins
avoir fait appel à la couleur. Les monuments con-
struits sous Péridès étaient certainement plus sobres
de tons que ceux du siècle précédent; on peut s'en
convaincre par les nombreux fragments polychromes
trouvés dans les dernières fouilles de l'Acropole, et qui
LA PEINTURE GRECQUE.
277
faisaient presque tous partie de temples élevés par
Pisistrate ou par ses fils.
Nier la polychromie dans Tarchitecture grecque,
c'est, de toute façon, nier Févidence. Tandis que nous
n'avons, pour égayer
nos façades , que les
jeux de lumière et
d'ombre produits par
des saillies plus ou
moins savantes, les
Grecs avaient la cou-
leur, à Taide de la-
quelle ils arrivaient à
des effets d'une bien
autre valeur, et,
commeils possédaient
aussi , au plus haut
degré, l'art des sail-
lies heureuses, il en
résultait pour leur ar-
chitecture une variété
de ressources que la
nôtre ne connaît point.
La couleur jouait de même un rôle important dans
leur sculpture. Leurs vieilles statues de bois, ces
antiques idoles qu'on voit souvent reproduites sur les
vases peints, au v» et au iv« siècle, — preuve curieuse
de la piété dont on les entourait encore à une époque
où, depuis longtemps, on sculptait le marbre et la
pierre, — étaient enduites de vermillon et, par endroit,
dorées ; la couleur et l'or, en les parant, les préservaient
l-ig. i68.
2/8 LA PEINTURE ANTIQUE.
de Phumidité et de la pourriture. On a découvert à
Athènes, sur PAcropole, une riche série de sculptures
en tuf, qui décoraient un monument bâti en tuf égale-
ment, et qui sont entièrement peintes. Ces sculptures,
qu'on rapporte à la fin du vu® siècle ou à la première
moitié du siècle suivant, représentent des épisodes de
la légende d'Hercule : héros et monstres y sont revêtus
de tons vifs, parmi lesquels il faut citer au premier rang
le rouge et le bleu ; mais on y trouve aussi le jaune,
un brun d'une nuance indéterminée, le noir et le blanc.
C'est à cette collection qu'appartient une bizarre tête
virile (fig. i68), dont la polychromie est aujourd'hui
très peu visible, mais où l'on distinguait nettement, au
moment de la découverte, des chairs rouges, une barbe
et des cheveux bleus, des sourcils noirs, des yeux dont
l'iris était peint en vert, — peut-être une altération de
quelque bleu, — et le globe en jaune pâle. Cette tête,
devenue populaire sous le nom de Barbe-bleue, montre
à quel point l'enluminure de ces vieilles sculptures
était peu d'accord avec la réalité. Un groupe, très mu-
tilé, contenait des chevaux bleus; un autre se compose
d'un taureau bleu, à la queue rouge, terrassé par deux
lions dont la crinière rouge brun contraste avec le
rouge pâle de leur corps. Cela rappelle les conventions
de la peinture égyptienne et, plus encore peut-être,
celles de la sculpture assyrienne, dans laquelle le rouge
et le bleu occupaient la place qu'on sait. Est-ce une
raison pour faire intervenir l'influence de l'Egypte ou
celle de l'Assyrie? L'hypothèse, en soi, n'aurait rien
d'inadmissible; mais remarquez que ce bleu, ce rouge,
dont abusaient les anciens sculpteurs grecs, étaient les
LA PEINTURE GRECQUE. 279
tons '^qui convenaient le mieux aux effets décoratifs
qu'ils cherchaient à produire; peut-être, à cause de cela,
Fig. 169. — Torse polychrome de l'Acropole,
avec l'image agrandie de l'un des motifs semés sur le vêtement.
est-il plus naturel d'en rattacher Temploi à d'antiques
traditions qu'une esthe'tique commune aurait fait pré-
valoir, pendant des siècles, dans l'Orient tout entier.
aSo LA PEINTURE ANTIQUE.
Quand, au lieu de tuf, on se servit de marbre, on
continua à peindre les statues, mais partiellement. Nous
possédons sur ce point des renseignements fort instruc-
tifs, grâce aux nombreuses statues de type féminin
mises au jour par les fouilles de TAcropole. Qu'il y
faille voir des divinités ou des prêtresses d'Athéna, ou
bien encore des allégories personnifiant la Dîme préle-
vée par de riches particuliers sur leurs propres biens et
offerte par eux à la déesse, suivant un procédé fami-
lier aux Egyptiens, qui peuplaient leurs tombeaux de
figures féminines, sculptées ou peintes, représentant les
domaines du défunt, ces images nous renseignent de
la façon la plus précise sur la polychromie en usage
à Athènes chez les sculpteurs de la fin du vi^ siècle.
C'est toujours le rouge et le bleu qui y dominent, mais
ils n'y sont appliqués qu'à certains endroits, par
exemple, sur les bandes brodées qui traversent le vête-
ment ou qui en forment la bordure (fig. 169). Les
lèvres sont rouges, les sourcils noirs; le bord des pau-
pières est colorié en noir pour simuler les cils; l'iris
de l'œil est rouge, la pupille noire; la chevelure est
généralement rouge, parfois jaune d'ocre. Plusieurs
de ces statues portaient des couronnes, des boucles
d'oreilles et des colliers de bronze doré.
L'application partielle de la polychromie sur ces
monuments s'explique par la beauté de la matière
employée. Une matière rugueuse et défectueuse comme
le tuf appelait impérieusement la couleur pour cacher
ses imperfections; il n'en était pas de même du marbre,
dont le grain serré offre des surfaces si agréables à
l'œil. Mais il faut se garder de croire qu'on laissait à
LA PEINTURE GRECQUE. 281
ces parties non enlumine'es leur brutal éclat; éblouis-
santes sous le soleil, elles eussent éteint ces rouges et
ces bleus discrètement répartis sur Tensemble de
l'œuvre. On les patinait par un procédé quelconque,
peut-être à la cire, «de façon que le marbre amortît son
éclatante et dure blancheur et prît un ton plus moel-
leux, un peu ambré, un brillant doux et ferme, voisin de
celui de Pivoire* », Vitruve et Pline décrivent un pati-
nage à la cire dont on usait de leur temps pour le nu
des statues, et qu'on appelait ganôsis. Une inscription
trouvée dans l'île de Délos fournit sur cette opération
de curieux renseignements : elle débutait, du moins à
Délos, par un lavage à l'eau mélangée de nitre, avec des
éponges, et se continuait par une friction à l'huile et à
la cire ; on y ajoutait, pour parfumer le marbre, un
onguent à la rose-. Est-ce là ce qu'on pratiquait à
Athènes au VI* siècle? Nous ne saurions l'affirmer; mais,
sans doute, on y avait recours à un procédé analogue.
Il ne semble pas qu'à la composition dont on frottait
les parties non peintes on mêlât, pour les chairs, aucun
coloris; le visage lui-même demeurait d'une pâleur
toute conventionnelle. On ne saurait nier le caractère
décoratif d'une pareille enluminure. Comme celle des
édifices, elle s'harmonisait avec le ciel, et c'était là son
principal objet.
Cette polychromie dut subsister longtemps, peut-
être toujours, pour les sculptures qui décoraient les
frises et les frontons des temples. Du bleu, du rouge,
1. Lechat, Bulletin de correspondance hellénique, 1890, p. 566.
2. HomoUe, ibid., 1890, p. 497.
282 LA PEINTURE ANTIQUE.
des appliques de bronze doré, quelques touches noires
pour souligner certains traits du visage, voilà de quels
éléments elle se composait. Je ne crois pas, pour ma
part, que dans ces ensembles les chairs fussent peintes;
à moins d'imaginer le rouge vif Jadis appliqué au tuf,
la coloration rosée des chairs eût passé inaperçue à
une telle hauteur, ou elle eût fait avec les rouges
répandus sur les divers membres deTédifice un pénible
contraste. Tout autre était la condition des statues
isolées : celles-là furent, de bonne heure, enluminées
avec plus de réalisme, comme l'atteste un passage
instructif de Platon ^ comme le prouve également
rintimité de Praxitèle avec Nicias. Un jour qu'on de-
mandait à Praxitèle quelles étaient celles de ses œuvres
qu'il préférait : « Celles, répondit-il, auxquelles
Nicias a collaboré », tant, ajoute Pline qui rapporte
cette anecdote, il prisait l'habileté de ce peintre à pra-
tiquer la ganosis. Or on a peine à croire que cette
opération se réduisît, dans de pareilles mains, à une
simple friction à l'huile et à la cire; ce devait être un
patinage savant, qui ménageait sur les nus du marbre
les transitions les plus délicates et les animait d'une
morbidesse pleine d'art. Une tâche de ce genre n'avait
rien que de relevé. De même, Van Eyck ne dédaignait
point d'enluminer des sculptures, et l'on sait qu'il avait
colorié de sa main six des statues destinées à l'hôtel
de ville de Bruges^.
1. République, IV, p. 420 C-D.
2. Courajod, la Polychromie dans la statuaire du moyen âge
et de la Renaissance {Mém. de la Soc. nat. des Antiquaires de
France, 1887, p. 214).
LA PEINTURE GRECQUE.
28j
Nous possédons, du reste, des témoignages irrécu-
sables de la coloration des chairs dans les statues :
telle est cette tête casquée d'Athéna qu''on peut voir au
musée de Berlin, et
dont les joues gar-
dent encore des tra-
ces de rose(fig. 170);^
telle est cette autre
tête de jeune femme
ou de jeune fille con-
servée au Musée bri-
tannique , et qui
montre un visage
complètement peint
en rose, avec des
cheveux coloriés en
blond. On peut trou-
ver médiocres ces
deux spécimens : cela
ne prouverait pas,
comme on Ta dit,
qu'ils fussent des ex-
ceptions ; je croirais
plutôt qu'à partir
d'une certaine époque l'enluminure des chairs devint
l'usage habituel et que, partout où n'intervenait pas
une nécessité monumentale, partout où l'on pouvait se
passer de convention, le réalisme de l'esprit grec repre-
nait ses droits en rapprochant, autant que possible, de
l'humanité ces formes muettes, qui en étaient l'image
à la fois idéale et fidèle.
Fig. 170.
28+ LA PEINTURE ANTIQUE,
Nous ne saunons aborder ici la question de savoir
s'il convient ou non de revenir, en sculpture, à la
polychromie; une semblable étude nous conduirait
beaucoup trop loin^ Rappelons seulement que notre
sculpture, comme notre architecture, procède d'un mal-
entendu. Elle a pris pour modèles les statues décolo-
rées trouvées dans les ruines antiques, et elle a cru que
là était la vérité. Cette croyance commence à s'ébranler;
on a pu voir, à nos derniers Salons, une gracieuse
figure de femme, en marbre, polychromée des pieds
à la tête, des plâtres égayés par des touches de cou-
leur ou d'or, des pâtes de verre coloriées, qui témoi-
gnent d'une connaissance plus exacte de l'histoire.
On n'en restera pas là, mais il est à craindre que le
public ne se montre longtemps encore rebelle à ces
audaces. Parmi les causes multiples de sa répugnance,
il en est une qui subsistera toujours. Une statue, pour
un Grec, était un être animé ; même quand elle ne repré-
sentait pas une divinité, son polythéisme la douait
d'une vie latente et mystérieuse, analogue à celle que
la crédulité populaire, surtout celle des peuples du
Midi, place dans certaines figures de madones. De là
ses sentiments, très différents des nôtres, en présence des
œuvres de la plastique. Eschyle peint Ménélas, après
la fuite d'Hélène, essayant de se consoler par la vue des
belles statues qui ornaient son palais. On a vu avec
quel soin les statues de Délos étaient parfumées; la
même coutume existait à Chéronée et, sans doute, dans
beaucoup de sanctuaires de la Grèce. C'est là, en par-
I. Voyez Treu, Sollen wir uttsere Statiien bemalen? Berlin, 1884.
LA PEINTURE GRECQUE.
a85
tie, ce qui explique la polychromie de la sculpture
chez les Grecs. A ces statues qui avaient une âme, il
fallait donner les apparences de la vie, et quel moyen
y était plus propre que la couleur? Il en est, pour nous,
tout autrement. Une statue, à nos yeux, n'est quVne
œuvre d'art; nous n'y voulons que la beauté des lignes
et il nous répugnerait de la
voir descendre à une imi-
tation trop scrupuleuse de
l'humanité contrefaite ou
vulgaire. Voilà pourquoi,
instinctivement, la poly-
chromie nous choque et
pourquoi il nous faudra
toujours faire un effort
pour Paccepier.
Un mot, pour finir, de
la coloration des bas-re-
liefs. Ils étaient peints
comme les statues, mais
leur mode d'enluminure
paraît avoir varié suivant
les lieux. Les beaux sarcophages du iv*^ siècle décou-
verts à Saïda, et qui seront prochainement publiés',
portent les traces d'une polychromie compliquée et
somptueuse. On a trouvé en Lycie, dans ce pays où
la couleur éclatait partout en notes vives, des ex-voto
où le nu des personnages a le ton de la chair, tandis que
leurs vêtements présentent les nuances les plus variées.
Fig. 171.
I. Par Hamdi Bey et M. Th. Reinach
28(5 LA PEINTURE ANTIQUE.
Les ex-voto attiques étaient peints, semble-t-il, d'une
manière plus conventionnelle : le fond en était bleu;
les cheveux des personnages y étaient coloriés en rouge
ou dorés. Sur un curieux ex-voto de Mégare (fig. 171),
on distingue, entre deux figures en relief représentant
Aphrodite et un suppliant, un autel et un arbre peints,
réduits à Tétat d'esquisse à peine visible. Si dépour-
vus de mérite que soient ces monuments, ils prouvent
l'étroite alliance qui existait entre la sculpture et la
peinture. Si l'on songe que beaucoup de peintres étaient
aussi sculpteurs, que Phidias avait été peintre et que,
parmi ceux qui avaient fait faire à l'encaustique les plus
grands progrès, la tradition rangeait Praxitèle, on
sera plus frappé encore de cette intime union, qui
rendait, aux yeux des Grecs , la couleur inséparable
de la forme et l'associait à la sculpture comme un élé-
ment indispensable de beauté.
CHAPITRE IV
LA PEINTURE ETRUSQUE
Quittons maintenant la Grèce pour suivre rapidement
l'iiistoire de la peinture dans l'Italie méridionale et à
Rome. Le plus ancien peuple par qui nous la voyions
cultivée dans ces contrées est le peuple étrusque. D'où
venait-il? C'est là un point sur lequel on n'est pas encore
fixé. Peut-être le plus sage est-il de s'en tenir au témoi-
gnage d'Hérodote, qui le représente comme originaire de
la Lydie. Chassé de son pays natal par un de ces grands
mouvements qui suivirent l'invasion dorienne, il aurait
pris la mer, longeant timidement les côtes, et aurait
abordé au fond de l'Adriatique; de là, il se serait ré-
pandu dans la direction du Sud, gagnant, de proche en
proche, jusqu'à la merTyrrhénienne. Quoi qu'il en soit,
les Etrusques — eux-mêmes le reconnaissaient — étaient
des Orientaux. Riches, amis du luxe et du bien-être, ils
entretenaient avec l'Orient, la Grèce, la Sicile, Car-
thage, des relations actives. Leur domination s'étendait
sur toute l'Italie centrale, de Florence à Capoue, et
même au delà. Ils furent, avant les Romains, les véri-
tables maîtres de la péninsule, et si obscure que soit
leur histoire, si impénétrable que soit leur langue, ils
288
LA PEINTURE ANTIQUE.
s'offrent à nous comme une puissante nation qui a eu
ses siècles de gloire et dont l'influence sur Rome a été
considérable.
Ce peuple fastueux aimait la couleur. Il la répan-
dait sur ses édifices, dont il rehaussait encore l'ar-
chitecture à Taide d'appliques de terre cuite ou de
Fig. 172. — Peinture dans une tombe de Véies.
métal; il en revêtait ses statues et ses bas-reliefs. Mais
c'est principalement dans ses tombeaux qu'il l'a em-
ployée. Les peintures funéraires trouvées dans les sé-
pultures étrusques ne sont pas toutes du même style.
II en est de très anciennes, qui remontent au commen-
cement du vi« siècle avant notre ère, et qui sont curieuses
par leur ressemblance avec la céramique archaïque de
Mélos et la céramique corinthienne. Telles sont ces
zones d'animaux qui décorent une tombe de Véies et
dans le champ desquelles courent de bizarres enroule-
ments, des tiges et des fleurs de lotus (fig. 172). Il est
LA PEINTURE ÉTRUSQUE. 289
impossible de ne pas voir dans ces peintures un fidèle
souvenir de la Grèce, dont les produits inondaient
alors TEtrurie. Le rouge, le noir et le jaune qui y
figurent, se détachant sur un fond grisâtre, rendent
exactement la coloration des
antiques poteries qui leur ont
servi de modèles.
Très supérieurs déjà sont
les tableaux sur panneaux
d'argile dont le Louvre pos-
sède quelques beaux spéci-
mens, trouvés à Cervetri.
Quatre d'entre eux garnis-
saient, en se faisant suite,
l'intérieur d'une tombe. Ils
représentent une procession
funéraire qui se dirige vers
un autel, pendant qu'à droite
deux vieillards, assis sur des
pliants, causent ensemble, et
que l'âme de celle qui les a
quittés, sous la torme d'une
figurine ailée, voltige au-des-
sus de la tête de l'un d'eux
(fig. 173). On sent encore dans cette composition, qu'il
faut probablement rapporter à la seconde moitié du
VI® siècle, l'influence de la Grèce. Ce rouge brun qui
colore les chairs des hommes, ce blanc employé pour
distinguer les femmes, la simplicité même de ce coloris
élémentaire, qui se réduit au rouge, au blanc, au' jaune
et au noir, enfin, la disposition de ces panneaux dans
PEINT. ANTIQUE. Ip
Fig. 173-
290 LA PEINTURE ANTIQUE.
la sépulture, où ils jouaient le rôle des plaques d'argile
peinte dont nous avons noté la faveur chez les Grecs,
sont autant de liens avec Tart et la civilisation hellé-
niques. La personnalité du peintre étrusque commence
cependant à se faire jour dans ces enluminures encore
si peu originales. Elle se montre d'abord dans le sujet,
qui est purement indigène; elle apparaît, en outre,
dans certains détails du costume, comme ces hauts
souliers à la poulaine,la chaussure nationale de l'Étru-
rie, qui rappellent si étrangement les bottes des Hit-
tites.
Mais les plus curieuses, parmi les fresques étrusques,
sont celles qu'on peut voir dans quelques nécropoles
toscanes, particulièrement à Corneto et à Chiusi. Là
subsistent encore des chambres sépulcrales tapissées
de peintures qui vont en s'échelonnant du v^ au
m® siècle. Les sujets en sont singulièrement variés :
scènes de banquets, de chasse, de pêche, danseurs et
danseuses, musiciens, lutteurs, funérailles et défilés
funèbres, légendes grecques transformées par le génie
étrusque, animaux réels ou fantastiques, paysages,
telles sant les principales représentations qui égayent
ces sombres demeures. Si incertaine qu'en soit la chro-
nologie, il en est qui sont antérieures aux autres: elles
se reconnaissent aux sujets, tirés, pour la plupart, de
la vie familière, ainsi qu'à une certaine raideur ar-
chaïque. L'interprétation de ces divers tableaux pré-
sente de grandes difficultés : il y faut faire la part des
motifs traditionnels qui s'imposaient au pinceau des
artistes et dont le sens primitif s'était oblitéré; il est
certain aussi que beaucoup avaient un étroit rapport
LA PEINTURE ETRUSQUE,
291
avec la religion des Étrusques, avec leurs idées sur la
mort et la vie future. Nous nous tiendrons à Te'cart de
ce débat; constatons seulement la différence qui existe,
au point de vue technique, entre ces fresques et celles
dont il a été question tout à Pheure. Ces personnages
qui luttent entre eux ou qui dansent, dénotent une
remarquable habileté de main; ceux qui les ont peints
Fig. 174. — Lutteurs étrusques.
observaient la nature et la rendaient plus fidèlement
que leurs naïfs prédécesseurs. Ils avaient d'ailleurs une
palette mieux fournie : aux quatre tons des vieux enlu-
mineurs se sont ajoutés le bleu, puis le vert et le ver-
millon. Ces ressources nouvelles permettent des com-
binaisons plus nombreuses, des mélanges plus savants,
plus délicatement nuancés. Il semble que le décorateur
étrusque se soit dégagé de Timitation servile de la céra-
mique grecque, pour produire des œuvres personnelles
et vraiment nationales.
Et pourtant, à regarder de près cette imagerie funé-
raire, on y relève plus d'un trait qui rappelle encore la
iiÇ2
LA PEINTURE ANTIQUE.
Grèce. Voyez ces Jeunes gens qui se livrent à différents
exercices (fig. 174); le joueur de flûte qui rythme leurs
mouvements se retrouve dans les scènes de gymnastique
dessinées sur les vases grecs à figures rouges. Une des
plus anciennes tombes de Corneto montre une fausse
porte peinte en rouge, et de chaque côté de laquelle se
Fig. 175. — Scène funéraire dans une tombe de Corneto.
tiennent deux personnages entourés d'arbrisseaux bleus
(fig. 1 75). Leur geste est celui de la lamentation grecque,
telle que la reproduisent les plaques d'argile peinte, les
amphores du cap Colias et les lécythes attiques à fond
blanc. Remarquez, de plus, au-dessus de la porte, ces
fauves qui se font face et paraissent se menacer : ce
sont les lions de la céramique corinthienne, auxquels
Tornemaniste étrusque ne renoncera qu'à regret.
On ne saurait contester, à côté de cela, l'originalité
LA PEINTURE ÉTRUSQUE.
293
d^un grand nombre de ces peintures. Celles qui mettent
sous nos yeux des danses, des festins, peuvent être
considére'es comme de fidèles images des mœurs natio-
nales ; elles donnent bien l'idée de cette vie plantureuse
qui semble avoir été la vie du peuple étrusque, au
milieu de ces riches campagnes aujourd'hui dépeuplées
par la fièvre, mais
que couvraient jadis
d'opulentes cultures.
Les costumes y tra-
hissent des usages
locaux ; les femmes y
ont souvent des coif-
fures compliquées,
des robes semées de
fleurs ou de points,
des écharpes, qui
ressemblent fort peu
à l'accoutrement des
femmes grecques
(fig. 176). Les types
mêmes y sont fran-
chement étrusques,
comme l'atteste le profil si expressif et si parlant du
joueur de lyre, dans la tombe dite del citaredo.
Un autre trait de ces tableaux est la manière dont y
est travestie la mythologie grecque. Voici, par exemple,
le personnage de Charon : au lieu du vieillard aimable
et doux que nous montrent les lécythes athéniens, c'est
un monstre hideux, au nez crochu, aux cheveux hérissés,
rendu plus effrayant encore par deux grandes ailes, par
Fig. 176. — Danseuse.
294 LA PEINTURE ANTIQUE.
les serpents qui sifflent autour de lui, par le lourd
maillet dont il est armé et qui lui sert à assommer ses
victimes (fig. 177). Dans une fresque qui représente
Ulysse chez Polyphème, la transformation est plus
sensible encore. Ce cyclope à l'œil énorme au milieu
du front, à la barbe inculte, au ventre proéminent, aux
^^^^^^^______^__^^__________ membres trop petits
""^"""^^"^""^^""""'^"""^ pour son corps, n'a
rien du robuste et pla-
cide géant qui figure
sur les vases grecs
d'ancien style ; on le
prendrait plutôt pour
un de ces grotesques
imaginés par la Co-
médie Moyenne, ou
pour un de ces mas-
ques horribles et re-
poussants, familiers
aux farces de l'Italie
méridionale (fig. 178).
Il y a donc, en ré-
sumé, dans les fresques étrusques, une part d'imita-
tion et une part d'invention. L'invention paraît dans
la reproduction des mœurs nationales, dans le sombre
réalisme des images relatives aux enfers et à leurs
supplices; l'imitation se retrouve dans le détail des
gestes et des attitudes, dans la prédilection pour cer-
taines formes ornementales, dans la couleur, dans le
dessin. Jamais, quelque effort qu'il ait tenté pour le
faire, le peintre toscan n'a secoué le joug des mo-
Fig. 177. — Charon étrusque.
LA PEINTURE ETRUSQUE.
29S
dèles grecs. Tantôt plus libre vis-à-vis d'eux, tantôt
plus dépendant, il n'a jamais re'ussi à en débarrasser
complètement son imagination. On peut distin-
guer, dans son imitation, deux périodes : Tune où il a
surtout subi Tinfluence de la céramique, l'autre où il
a subi celle de la grande peinture. C'est à la seconde
qu'appartiennent les fresques de Chiusi et de Corneto.
Fig. 178. — Ulysse crevant l'œil de Polyphème.
On ne peut nier le rapport qui existe entre elles et la
peinture grecque du v® et du iv« siècle. Dans plus d'une
on voit appliqués les procédés nouveaux misa la mode
par Polygnote et ses contemporains. Cela semblerait
prouver que ceux qui les ont peintes étaient familiers
avec les œuvres de ces maîtres. Or ce n'est pas, évidem-
ment, à Athènes ni à Delphes qu'ils les avaient étu-
diées; l'art leur en avait été révélé par les peintures
analogues de l'Italie méridionale. 11 est même probable
qu'il y avait, en Étrurie, des artistes grecs, venus pré-
cisément de ce midi de l'Italie qui entretenait avec la
29<î
LA PEINTURE ANTIQUE.
Grèce de si continuelles relations, et c'est à eux peut-
être qu'il faut attribuer certaines peintures d'un âge
postérieur, comme celles qui décorent les sarcophages
de marbre. Celle que nous reproduisons, malgré le
mauvais état où elle nous est parvenue (fig. 179), et
qui représente un combat d'hoplite et d'Amazone, est
Fig. 179. — Peinture sur un sarcophage étrusque.
si grecque de composition et de facture, qu'elle peut
passer pour un exact spécimen de ce qu'était l'art des
Euphranor et des Nicias.
La technique des peintres étrusques est assez bien
connue. Ils peignaient à fresque, sur le tuf calcaire,
légèrement humecté, dans lequel étaient creusées la
plupart des grottes sépulcrales, ou sur un enduit de
quelques millimètres d'épaisseur. Ils traçaient proba-
blement leur esquisse à la pointe sèche, comme les
LA PEINTURE ÉTRUSQUE. 297
décorateurs de Pompéi, puis reprenaient ce contour
creux avec un pinceau cliargé de la couleur dont ils
voulaient enluminer leur figure; ils étendaient ensuite
cette même couleur, à plat, dans Tintérieur et cernaient
le tout d'un trait noir. Quelques hachures à ladétrempe
étaient ajoutées après coup pour accentuer certains
détails ou pour produire des effets de modelé. La colo-
ration de ces tableaux était conventionnelle. Nous
avons noté des arbustes bleus ; on a trouvé ailleurs
des chevaux de la môme couleur et des lions mouchetés
de vert. Un fait digne de remarque est qu'entre les
figures, le fond, le plus souvent, apparaît avec sa teinte
jaune clair ou blanchâtre : c'est, on s'en souvient, le
procédé des grands peintres athéniens du v siècle, et
il est intéressant de relever dans ces fresques, si diffé-
rentes des fresques grecques par l'inspiration, ce nou-
veau trait de ressemblance qui en augmente pour nous
le prix.
CHAPITRE V
LA PEINTURE ROMAINE
Les Romains, qui ont eu une sculpture et une
architecture, n'ont pas eu, proprement, de peinture
à eux; leurs peintres, plus encore que ceux des
Etrusques, ont été les élèves et les imitateurs des Grecs.
Ils ont cependant produit des œuvres intéressantes,
dans le goût de la société pour laquelle ils travaillaient.
Nous n'en ferons pas une étude approfondie. Qui ne
connaît aujourd'hui Herculanum et Pompéi? Qui n'a
lu quelques-uns des nombreux ouvrages consacrés aux
fouilles qui y ont été faites ? De toutes les peintures dont
nous avons entretenu le lecteur, celle-ci est celle qui lui
est le plus familière; quelques remarques suffiront
pour lui en remettre en mémoire les principaux traits.
§ P''. — La -peinture à Rome,
C'est à Rome même, semble-t-il, qu'il faut chercher
les débuts de cet art d'emprunt que nous avons, pour
plus de commodité, qualifié de peinture romaine. Au
commencement du v« siècle avant J.-C, alors que les
LA PEINTURE ROMAINE. 299
Romains n'étaient encore qu'un fort petit peuple, à
peine délivré du joug des rois, nous les voyons déjà
montrer du goût pour la peinture et confier à deux
peintres, Gorgasos et Damophilos, la décoration d'un
temple de Gérés. G'étaient, comme leurs noms l'indi-
quent, deux Grecs, dont la présence à Rome, peu
d'années après la révolution de 509, prouve que Rome
républicaine était encore, ou peu s'en faut, la cité
étrusque qu'elle avait été sous les Tarquins, et qu'à
l'exemple des princes et des riches particuliers de
l'Etrurie, elle accueillait volontiers les artistes grecs
qui venaient mettre à son service leur expérience et
leur talent.
Cette tradition ne sera jamais interrompue. Il y
aura toujours, à Rome, des peintres grecs, et leur
nombre ira croissant à mesure que les rapports des
Romains avec la Grèce seront plus directs et plus
suivis. Le poète tragique Pacuvius, qui enlumine,
au if siècle, le temple d'Hercule, sur la place du
marché aux bœufs, est de Brindes, dans la Grande
Grèce. Lycon, qui devient citoyen d'Ardée pour y
avoir orné de fresques le sanctuaire de Jupiter, est ori-
ginaire d'Asie Mineure. Névius parle d'un peintre, son
contemporain, qui barbouillait des figures de Lares
pour la fête des Compitalia, et dont le nom, Théodotos,
indique clairement l'origine hellénique. Métrodore, le
peintre du triomphe de Paul-Émile et le précepteur
de ses enfants, Dionysios, Sérapion, Sopolis, Antio-
chos, sont tous des Grecs. Plus Rome grandit, plus
elle attire à elle les artistes de la Grèce et de l'Orient.
Ils y arrivent en foule, en 186, à l'occasion des jeux
JOO
LA PEINTURE ANTIQUE.
donnés par Fulvius Nobilior. Ils y sont fêtés et y ac-
quièrent de grandes situations; ils y recueillent les rois
en exil, comme ce Démétrios, peintre d'Alexandrie,
qui reçoit chez lui Ptolémée Philométor,
chassé d'Egypte par un coup d'État. L'Ita-
lie est leur domaine, et l'on ne peut
s'y passer d'eux.
Pourtant, les Ro-
mains ont eu des
peintres indigènes,
parmi lesquels le
premier en date est
Fabius Pictor, qui
décora, en 304, le
temple du Salut. De-
nys d'Halicarnasse
vante la délicatesse
de son dessin et le
charme de son co-
loris. Nous ne pou-
vons que difficile-
ment nous en faire
une idée. Ses ta-
bleaux rappelaient
sans doute de très
près la peinture
grecque, que la récente conquête de la Campanie avait
rendue familière aux Romains. Peut-être avaient-ils
quelque rapport, pour la composition et la façon de
distribuer les personnages, avec ce curieux fragment
de décoration peinte trouvé, il y a quinze ans, dans un
Fig. 180.
LA PEINTURE ROMAINE. joi
tombeau, sur PEsquilin (fig. i8o). Tout mutilé quUl
est, ce morceau laisse voir une forteresse, au pied de
laquelle se tiennent des guerriers en armes ; au-dessous,
s'allongeaient deux autres registres également remplis
de figures. Cette fresque, qu'on rapporte à la première
moitié du iii° siècle, n'est pas, on le voit, sans analogie
avec la grande peinture décorative des Hellènes : même
fond blanc ou Jaunâtre ; même division en zones étageant
les différentes scènes les unes au-dessus des autres ;
même manière de désigner les principaux personnages
par des inscriptions. Mais ce qui est purement romain,
c'est l'armement, ce sont les costumes : ces manteaux
militaires et ces caleçons serrés à la taille, ces lances,
ces jambières, ces casques surmontés d'ailes, font allu-
sion à des coutumes locales, qui n'ont avec la Grèce
rien de commun.
Quels étaient les sujets qu'avait traités Fabius dans
le temple du Salut? Nous serions fort embarrassé de
le dire. Il semble qu'avec les procédés grecs, les sujets
grecs aient fait de bonne heure irruption en Italie. Un
passage de Quintilien nous apprend qu'on voyait re-
présentées, dans de vieux sanctuaires, les légendes
troyennes. Mais la peinture qui paraît avoir eu le plus
de succès auprès du public de ce temps est la peinture
d'histoire, surtout celle qui reproduisait des épisodes
de l'histoire nationale. Ainsi, dès que Rome entre en
lutte avec Carthage, on figure volontiers par le pin-
ceau les principaux incidents de ce duel tragique.
Messala expose, en 265, dans la curie Hostilia, un
tableau représentant la victoire qu'il a remportée en
Sicile sur Hiéron et les Carthaginois. Mancinus, qui a
}02 LA PEINTURE ANTIQUE.
le premier forcé les remparts de la vieille cité punique
(146 av. J.-C), montre au peuple, sur le Forum, une
peinture où Ton voit Garthage subissant Tassaut des
Romains; les explications qu'il donne à qui veut l'en-
tendre lui gagnent la faveur des électeurs, lesquels le
récompensent de sa bonne grâce, auxprochains comices,
par le consulat.
La plupart de ces tableaux avaient été portés dans
des triomphes, car c'était l'usage de faire suivre le
cortège des généraux vainqueurs de peintures rappe-
lant les circonstances mémorables de leur victoire.
C'est ainsi que Marcellus, ayant pris Syracuse, pro-
mena, à son triomphe, un panneau peint représentant
le sac de cette ville; que Scipion, vainqueur de l'Asie,
étala devant les Romains les portraits des cent trente-
quatre cités qu'il y avait soumises. On allait même
jusqu'à peindre sous des traits allégoriques des nations
entières, des fleuves, des montagnes, comme au triomphe
de Cornélius Balbus sur les Garamantes, où l'on vit
toute une géographie de l'Afrique personnifiée. Quand
Sempronius Gracchus eut conquis la Sardaigne, il
exhiba à son triomphe une carte de cette île, avec
l'image de tous les combats dont elle avait été le théâtre.
Le peuple goûtait fort ces représentations : c'étaient de
grandes pages d'histoire romaine qui défilaient sous
ses yeux en lui retraçant la gloire de ses armées. Elles
le touchaient d'autant plus, que parfois elles l'initiaient
à de véritables tragédies. Telles étaient, au triomphe de
Pompée, la mort de Mithridate et celle de ses femmes;
telle, au triomphe de César, la fin lamentable des
citoyens vaincus, Scipion se précipitant dans la mer
if . <«. . jf ■ <@. ■ içc <^ if.-'^-if-'^-if.-'^ià,<Q>-H-'& ^
_JLJ
Fig. i8i. — Paroi peinte, dans une maison romaine.
30+ LA PEINTURE ANTIQUE.
après s'être frappé de sa main, Pétreius se donnant la
mort au milieu d'un repas, Caton déchirant ses en-
trailles. Ces scènes, paraît-il, excitèrent des gémisse-
ments, bientôt suivis d'applaudissements et d'éclats de
rire, quand s'offrirent aux regards le supplice de
Pothin et d'Achillas, qui avaient livré Pompée, et la
fuite honteuse de Pharnace, probablement figurée en
charge. La perte de ces tableaux est infiniment regret-
table : bien qu'exécutés en général par des Grecs, ils
reflétaient les mœurs romaines et le génie pratique de
ce peuple qui demandait à la peinture de civiques en-
seignements.
A côté de cette imagerie historique et militaire, il
faut signaler, d'assez bonne heure, l'apparition d'une
peinture décorative. Vers la fin du ii*' siècle avant J.-C,
aux jeux donnés par Claudius Pulcher, nous voyons les
Romains admirer, pour la première fois, une scène
ornée de décors représentant des édifices si artistement
peints, que les corbeaux s'y laissent tromper. Mais c'est
plus tard, sous Auguste, que ce genre de peinture fait
surtout de grands progrès. A ce moment, Ludius ima-
gine ces perspectives qui auront tant de succès à Pompéi ;
il couvre les parois intérieures des maisons de villas, de
portiques, de bois, de collines; il y creuse des golfes
qu'il peuple de navires; il y fait serpenter des fleuves
et des ruisseaux, animant ces paysages de gens qui
vont, qui viennent, qui se rendent à la campagne à
âne ou en voiture, qui tendent des filets, qui pèchent,
qui chassent, ou se livrent au doux passe-temps de la
vendange. On a trouvé à Rome, dans les jardins de la
Farnésine, les restes d'une maison des premiers temps
LA PEINTURE ROMAINE.
30$
de Tempire, où ce système de de'coration est spirituelle-
ment appliqué. Sur une paroi noire, que coupent, à in-
tervalles re'guliers, d'élégantes colonnettes surmontées
de cariatides et re-
liées entre elles par
des guirlandes, sont
semés des arbres,
des constructions,
des personnages in-
diqués d'un trait ra-
pide et qui forment,
sur ce fond con-
ventionnel, une
sorte de broderie du
plus heureux effet
(fig- 181).
A partir de ce
moment, le paysage
envahit tout, mais
non le paysage tel
que nous l'enten-
dons, celui qui peint
tous les aspects de la
nature et découvre,
dans les moins poé-
tiques en apparence,
la secrète poésie qui s'y trouve cachée. Ce que les
Romains aimaient dans les prés, dans les bois, dans
les flots bleus de la mer de Baies, c'était le bien-être
que tout cela leur procurait; la campagne, pour eux,
était un lieu de repos, où l'on goûte l'ombre et la frai-
PEINT. ANTiqOE. 20
Fig. 1O2. — Vue d'une rue de Rome,
dans la maison de Livie.
30(5
LA PEINTURE ANTIQUE.
cheur au fort de Pété; ce n'était point un ensemble
de spectacles parlant à
l'âme et servant de
cadre à la rêverie. Ils
eussent mal compris ce
joli mot de La Bruyère :
« Il y a des lieux que
Ton admire; il y en a
d'autres qui touchent,
et où l'on aimerait à
vivre. » Un certain sen-
sualisme est au fond de
ces vers du plus rêveur,
Fig. i8j. — Scène de magie.
pourtant, et du plus mélancolique de leurs poètes :
O qui me gelidis convallibus Hœmi
Sistat, et ingenti ramorum protegat umbra !
Quoi qu'il en soit, les vues champêtres, les jardins,
deviennent, sous l'em-
pire, les motifs de pré-
dilection des peintres.
C'est aussi le temps de
la vogue des trompe-
l'œil, de ces fenêtres
feintes qui laissent aper-
cevoir des horizons plus
ou moins éloignés. La
maison de Livie, au Pa-
latin , offre plusieurs
Fig. 184. — Scène d'initiation.
exemples de ce genre
de décoration. Voyez cette ouverture par laquelle le re-
LA PEINTURE ROMAINE.
307
gard est censé plonger dans une rue de Rome (fig. 182) :
cet enchevêtrement de maisons et de terrasses où se
montrent des femmes, des enfants, de'note un sens du
pittoresque assez rare chez les décorateurs romains.
Ailleurs, Tartiste nous
fait indiscrètement pé-
nétrer dans des inté-
rieurs; il nous ouvre
le laboratoire d'une ma-
gicienne de bas étage
(fig. i83), le cabinet
d'une prophétesse dans
lequel se prépare une
scène d'initiation
(fig. 184), ou, à travers
une large baie, il nous
convie à contempler un
paysage mythologique,
une vue de mer et de
montagnes qu'anime
Polyphème dompté par
l'Amour et poursuivant
jusque dans les flots
l'insaisissable Galatée
(fig. i85).
Un fait à noter est
le grand nombre de sujets qu'on empruntait, pour ces
enluminures murales, aux fables de la Grèce. Vitruve
nous apprend que les principaux épisodes de la guerre
de Troie revenaient fréquemment dans ces décors; on
y exploitait aussi la légende d'Ulysse. On a découvert,
Fig. 185. — Polyphème et Galatée
(maison de Livie).
joS
LA PEINTURE ANTIQUE.
sur TEsquilin, de curieux paysages qui pourraient ser-
vir d'illustration à deux chants de VOdyssée, les chants X
Fig. i8(j. — Ulysse et ses compagnons
poursuivis par les Lestrygons.
et XI. L'un d'eux représente Ulysse chez les Lestrygons
(fig. 1 86), au moment où le roi du pays, Antiphatès, sou-
lève contre lui les géants, ses sujets, qui font pleuvoir
sur le héros et sur ses compagnons d'énormes rochers.
Fig. 187. — Les Noces Aldobrandines, peinture romaine.
D'autres nous le font voir aux rivages cimmériens, se
préparant à évoquer les âmes des morts. Môme les
LA PEINTURE ROMAINE.
309
sujets romains étaient traités à la grecque. Il n'est per-
sonne qui n'ait entendu parler de cette scène nuptiale
connue sous le nom
de Noces Aldobran-
dînes et qu'on peut
voir à Rome, au
Vatican (fig. 187).
Ce tableau, qui date
du début de l'empire
et qui est, pour le
fond, essentielle-
ment romain, a cer-
tainement subi l'in-
fluence de modèles
grecs; la preuve en
est dans la ressem-
blance qui existe en-
tre le groupe central
et un beau groupe de
terre cuite du musée
du Louvre, qui re-
produit, à ce qu'il
semble, quelque
œuvre célèbre de l'é-
poque grecque ou de
l'époque hellénisti-
que ^ Les procédés aussi étaient grecs, comme la com-
position. Les panneaux peints de la Farnésine sont ornés
Fig. if
Peinture de la Farnésine.
I. Salle des fouilles de Myrina, exécutées par l'École fran-
çaise d'Athènes, vitrine du milieu, n» 268.
JIO
LA PEINTURE ANTIQUE.
de dessins au trait bistre, rouge ou noir, sur fond
blanc, qui rappellent exactement la décoration des
lécythes blancs d'Athènes : même habileté dans le des-
sin; même emploi des teintes plates juxtaposées. Signa-
lons notamment un
portrait en pied de
Jupiter tenant la
foudre (fig. i88) et
une gracieuse figu-
re de fileusedont le
profil et Pattitude
font songer aux
plus beaux spéci-
mens de la céra-
mique attique du
iv° siècle (fig. 189).
Cest donc quel-
que chose d'abso-
lument grec que la
peinture romaine
de l'époque impé-
riale. Les Romains
eux-mêmes en
avaient conscience;
ils la cultivaient
comme un art venu
du dehors et dont l'étude ne messeyait point aux plus
grands personnages. Nous ignorons la condition de
Ludius, celle d'Arellius, célèbre par ses débauches,
celle de Fabullus, auteur d'une Minerve qui paraissait
suivre des yeux le spectateur, celle de Pinus et de
Fig. 189. — Peinture de la Farnésine.
LA PEINTURE ROMAINE. jii
Priscus, qui décorèrent, sous Vespasien, les temples
de PHonneur et de la Vertu. Mais nous savons que
Turpilius, qui peignait de la main gauche, et dont
Fœuvre se voyait à Vérone au temps de Pline, était de
la classe des chevaliers; que Titidius Labéo, peintre
de miniatures, avait été préteur et proconsul de la
Narbonaise; que Q. Pedius appartenait à une famille
consulaire, dont un membre, cohéritier de César avec
Auguste, avait obtenu les honneurs du triomphe. Ces
indications sont précieuses. Elles prouvent que la pein-
ture était regardée à Rome comme une occupation de
grand seigneur, et que des hommes considérables par
la situation ou par la naissance ne dédaignaient pas de
s'y adonner. C'était en proclamer l'origine étrangère. Ils
apprenaient à peindre comme ils apprenaient à lire et
à parler le grec. Peindre était un luxe à l'usage de
l'aristocratie, et cela n'avait point commencé sous l'em-
pire, mais dès l'époque de Fabius Pictor. N'y a-t-il
pas là un aveu significatif, qui montre que les Romains
n'ont Jamais eu, en peinture, de sérieuses prétentions
à l'originalité et qu'ils rangeaient cet art parmi les
bienfaits que devait à la Grèce le « sauvage Latium » ?
§ II. — La peinture dans l'Italie méridionale
et à Pompéi.
Nous venons de voir, à Rome, l'influence de la
peinture grecque. Dans le sud de l'Italie, c'est cette
peinture elle-même qui s'offre à nous, à une époque
où Rome est encore à demi barbare. Là se dressent, en
312
LA PEINTURE ANTIQUE.
effet, de puissantes cités, grecques d'origine et de civi-
lisation. De Tarente à Gumes, ce ne sont que colonies
des Chalcidiens de TEubée, des Ioniens et des Achéens
du Péloponnèse, des Locriens de la Grèce du Nord.
Dans toutes ces villes, la peinture est florissante; elle
se rattache à Tantique polychromie achéenne, trans-
Fig. ipo. — Peinture de Pœslum (époque grecque).
plantée en Italie, au vui" siècle et même avant, par tous
ces colons grecs qui sont venus s'y établir. Qu'avait-
elle produit à l'origine? Nous l'ignorons; mais nous
pouvons nous faire une idée de ce qu'elle était au
v« siècle avant notre ère, grâce à de précieux fragments
trouvés près de Paestum, dans un hypogée ^ Le tableau
I. Ces fragments, aujourd'hui détruits, ont été calqués et colo-
riés, il y a près de cinquante ans, par le Français Geslin, dont
l'aquarelle est le seul souvenir qui en reste. Voir une reproduction
de cette aquarelle dans la Ga^jette archéologique, i883, pi. 46-48.
LA PEINTURE ROMAINE. jij
dont ils faisaient partie représentait une scène de
deuil, comme Tindique ce cavalier qui porte en croupe
le cadavre de son compagnon, qu'il tient par les deux
mains, ramenées en avant (fig. 190). A gauche de ce
groupe étaient figurés une femme vêtue de blanc et un
guerrier coiffé d'un casque à longue crinière; à droite
marchait un écuyer armé de deux lances. On ne peut
Fig. 191. — Peinture de vase attique
analogue, pour le dessin, à la peinture ci-contre de Paestum.
rapporter cette peinture à une époque postérieure à
l'occupation de Paestum par les Lucaniens. Tout, en
effet, y est purement grec : les couleurs, qui sont le
bleu, le rouge, le noir et le blanc, avec un ton de chair
sur les parties nues, les teintes plates et l'absence com-
plète de modelé, le fond jaunâtre du tableau, jusqu'à
certaines particularités du dessin, qui rappellent la cé-
ramique attique du v« siècle, comme ces touffes de poils
qui ondulent sur le cou du cheval et qu'on retrouve
dans un dessin du potier Pamphaios, contemporain,
JI4 LA PEINTURE ANTIQUE.
OU à peu près, de Polygnote et de Micon (fig. 191).
Mais ce que cette fresque a de plus curieux, c'est Tex-
pression qui y est répandue. L'air profondément triste
du jeune cavalier, la tête ballante et les yeux clos de son
ami, sont des effets cherchés par le peintre. Le visage du
personnage qui marche derrière le cheval est plus ex-
pressif encore et plus saisissant; il a l'œil effaré et dé-
mesurément ouvert (fig. 192),
comme si, à la vue de ce mort
qu'on emmène, il se sentait pris
d'une indicible terreur.
PiEstum a fourni d'autres
peintures funéraires qui, pour
être plus récentes, n'en présen-
Fig- 192- . .r . . ^
tent pas moins un vu intérêt.
Tels sont ces combattants à cheval, parmi lesquels on en
voit un qui revient vainqueur du champ de bataille. La
figure ci-après, dont l'original est au musée de Naples,
montre avec quel art sont dessinés ces cavaliers, et de
quelle grâce nerveuse l'artiste a su douer leurs chevaux ^
C'est encore de la peinture grecque à teintes plates,
mais les armes, les costumes, sont ceux des populations
italiotes qui avaient fini par se rendre maîtresses de
la contrée; ces casques ornés de plumes, ces tuniques
ajustées, ces énormes boucliers, probablement rehaus-
sés d'or, ces étendards bariolés, rappellent le luxe des
soldats campaniens. auquel Tite-Live fait allusion.
I. Le dessin que nous publions reproduit une copie de M. Jules
Lefebvre, conservée à la Bibliothèque de l'Ecole des beaux-arts,
où l'on peut voir aussi un calque de la même figure, parle peintre
.Gaillard.
LA PEINTURE ROMAINE.
31S
Il y aurait beaucoup à dire sur ces peintures et sur
les peintures analogues qui ont été trouvées ailleurs,
Bornons-nous, pour finir, à signaler de curieuses
danses funèbres découvertes à Ruvo, et dont le musée
Fig. 193. — Peinture de Picstum (époque ilaliote).
de Naples possède quelques fragments très endomma-
gés. Le spécimen que nous en donnons (fig. 194) est
peu fidèle, mais une reproduction exacte de Poriginal
n'eût point été intelligible. Il s'agit, comme on le voit,
de chœurs de femmes conduits par des hommes. Les
couleurs employées sont le blanc, le noir, le bleu, le
ji6 LA PEINTURE ANTIQUE.
rouge et le jaune, avec un ton rosé sur les chairs. Ces
couleurs sont appliquées à plat. Ce sont toujours les
procédés de la peinture grecque, et le sujet même
paraît emprunté aux moeurs helléniques : la chaîne
que forment ces femmes est identique à celles que figu-
rent, encore aujourd'hui, les Mégariennes, quand elles
Fig, 194. — Peinture de Ruvo.
exécutent leurs danses nationales, précieux témoignage
de la vitalité des anciennes coutumes, dans cet Orient
où rien ne périt.
On comprend qu'un pays qui rappelait de si près
la Grèce et d'où, semble-t-il, Télém.ent grec ne disparut
jamais complètement, se soit aisément engoué de la
grande peinture grecque, quand les conquêtes des
Romains l'eurent fait connaître en Italie. Ce qui
frappe, en effet, dans la décoration pompéienne, ce
n'est pas seulement ce fait que tout y est grec d'inspi-
ration et de sentiment; c'est le nombre prodigieux de
souvenirs qu'on y rencontre d'oeuvres grecques déter-
minées. La vogue de ces copies n'a rien de surprenant :
l'Italie entière était pleine de chefs-d'œuvre sortis des
LA PEINTURE ROMAINE. J17
mains des maîtres hellènes. Les uns y e'taient venus
livrés par les villes mêmes où ils se trouvaient : c'est
ainsi que Sicyone, endettée, avait vendu les tableaux
de Pausias, que Cos avait cédé V Aphrodite attadj^o-
mène contre une remise de loo talents sur le tribut
qu'elle devait aux Romains; les autres étaient le fruit
de la victoire; les triomphes les avaient amenés à
Rome par charretées. Aussi les lieux publics en étaient-
ils remplis. Des portiques comme ceux de Philippe et
de Pompée étaient de vrais musées qui renfermaient des
morceaux de premier ordre, tels que VHélène de
Zeuxis, les Bœufs de Pausias, V Alexandre de Ni-
cias, etc. Le temple de la Paix contenait le Héros de
Timanthe, Vlalysos de Protogène et la Bataille d'Issus^
de la peintresse Hélène, Le sanctuaire de la Concorde
possédait le Marsyas de Zeuxis, celui de Cérès,
V Artaménès et le Dionysos d'Aristide. On voyait au
Capitole le Thésée de Parrhasios et deux panneaux
du peintre béotien Nicomachos, le Rapt.de Proserpine
et la Victoire s'enlevant dans les airs sur un quadrige.
Au Forum d'Auguste étaient exposés un Alexandre
d'Apelle, accompagné des Dioscures et de la Vic-
toire, ainsi qu'un second portrait de ce conquérant,
figuré sur son char de triomphe et traînant derrière lui
la Guerre enchaînée. Le temple de Vénus Génitrix,
celui de la Bonne Foi, la Curie, le temple d'Auguste,
étaient également ornés de tableaux grecs appartenant
aux principales écoles. Les maisons privées rivali-
saient avec les monuments. Depuis que Mummius,
vainqueur de Corinthe, avait inondé Rome d'objets
d'art, le goût des arts de la Grèce s'était développé
3i8 LA PEINTURE ANTIQUE.
chez les particuliers. L'orateur Hortensius avait acheté
très cher les Argonautes de Kydias et les avait pla-
cés dans sa villa de Tusculum, au fond d'une sorte
de chapelle construite exprès pour les recevoir. Tibère
avait dans sa chambre VArchigallus de Parrhasios,
ainsi que Méléagre et Atalante, du même peintre.
Cette dispersion des chefs-d'œuvre grecs avait même,
un moment, inquiété certains esprits, qui eussent pré-
féré les voir groupés dans le même lieu et servant à
former le goût des Romains. Il existait, au temps de
Pline, un discours d' Agrippa qui démontrait la néces-
sité de réunir toutes ces merveilles, au lieu de les
laisser disséminées dans les villas, où elles étaient comme
en exil. Ce vœu ne devait recevoir satisfaction que
plus tard, quand s'établit l'usage des expositions per-
manentes, et que de grandes cités telles que Naples
eurent des galeries de tableaux comme celle que décrit
le rhéteur Philostrate ^ Quoi qu'il en soit, la présence
en Italie de tant de peintures renommées ne pouvait
manquer d'avoir sur l'art une grande influence ; c'étaient
autant de modèles offerts aux décorateurs, une source
inépuisable de motifs pour leur pinceau; de là ces
reproductions ou ces adaptations que présentent à
chaque pas les maisons pompéiennes.
On se tromperait, d'ailleurs, si l'on croyait retrou-
ver, dans chacun de ces tableaux, le souvenir d'une
œuvre célèbre. Beaucoup rappellent de médiocres com-
positions, dont les auteurs anciens ne nous parlent
I. Voyez Bougot, Une galerie antique de soixante-quatre
tableaux, Paris, 1881 ; E. Bertrand, Un critique d'art dans l'anti-
quité, Philostrate et son école, Paris, 1881.
LA PEINTURE ROMAINE,
319
pas; beaucoup aussi sont originaux, mais ceux-là
mêmes sont grecs de sujet et de facture. Le nombre des
peintures de Pompéi ou d'Herculanum qu'ont inspirées
les mythes italiens est relativement fort peu considé-
rable. C'est de la Grèce qu'elles sont pleines, surtout
de la Grèce alexandrine, de celle qui, en art comme en
Fig. I9S- — La marchande d'Amours,
peinture de Pompéi.
littérature, aime le spirituel et le sentimental, qui conte
volontiers les scandales de l'Olympe, note les soupirs
et les défaillances des héros. Telle est la mine où pui-
sent les peintres pompéiens. On le voit bien aux
Amours qu'ils sèment dans leurs décors, à ces petits
Eros malicieux et mutins dont nous avons, plus haut,
décrit les gentillesses, et qu'il leur arrive de figurer en
cage, portés par une marchande de boudoir en boudoir
(fig. 195). C'est cet esprit maniéré et précieux qui trans-
3 20
LA PEINTURE ANTIQUE.
forme entre leurs mains les antiques légendes. Tout
le monde connaît Thistoire de Thésée se dévouant
pour sauver les jeunes Athéniens destinés à repaître
le Minotaure. Rien de tragique comme le duel du
héros et du monstre, comme le combat livré par cet
athlète adolescent pour affranchir son pays d'un odieux
tribut. C'est ce com-
bat qui touchait au-
trefois les artistes; à
Pompéi, c'en est la
suite, c'est la naïve
reconnaissance des
victimes entourant
leur libérateur et lui
baisant les mains
(fig. 196). L'idée, en
soi, est charmante;
mais on voit com-
ment la fable épique
des premiers temps
est devenue une
anecdote qui n'a plus
rien d'héroïque; la foule tremblante et respectueuse
des parents, dans le coin de droite, ajoute encore à la
délicatesse un peu mièvre du tableau.
Il y a pourtant des cas où le peintre de Pompéi
sait être dramatique. L'entrée du cheval de Troie dans
la ville démantelée, au son des instruments, la querelle
d'Achille et d'Agamem.non, l'enlèvement de Briséis,
Achille traînant le cadavre d'Hector, le sacrifice
d'Iphigénie, Oreste en Tauride, sont des compositions
Fig. iç6. -^ Thésée vainqueur
du Minotaure.
LA PEINTURE ROMAINE.
J2I
où le pathétique des sujets a triomphé de la préciosité
alexandrine et où se marque Fintention d'intéresser le
spectateur par une ac-
tion sérieuse et émou-
vante. Nulle part cette
intention ne paraît
mieux que dans les
peintures relatives au
crime de Médée. On
connaît cette belle
Médée du musée de
Naples qui, un glaive
à la main, est sur le
point d'accomplir son
forfait, et dont l'atti-
tude reflète si bien les
sentiments contraires
qui l'agitent (fig. 197).
Un autre tableau, non
moins populaire, la
montre livrée aux mê-
mes incertitudes, pen-
dant qu'à côté d'elle,
ses enfants jouent aux
osselets sous l'œil
de leur précepteur
(fig. 198). Les deux
œuvres, sans doute, sont imitées de Timomachos de
Byzantion, dont la Médée et un Ajax ornaient, à
Rome, le temple de Vénus Génitrix; mais il faut savoir
gré à l'artiste pompéien d'avoir été touché de ce drame
PEINT. ANTIQUE. 21
Fig. IÇ7.
322
LA PEINTURE ANTIQUE.
et d'en avoir rendu, tant bien que mal, les péripéties.
Nous ne saurions faire la revue de tous les sujets
traités dans les fresques de Pompéi. Rien n'en égale
la variété. On y rencontre, non seulement des souvenirs
de la grande peinture, mais des réminiscences, parfois
même des co-
pies de la grande
sculpture, té-
moin ce jeune
satyre qui porte
un petit Éros
en lui montrant
une grappe de
raisin, et dans
lequel on re-
connaît, au pre-
mier coup d'œil,
une reproduc-
tion de l'Her-
mès de Praxitèle
(fig. 199). On y
trouve des pay-
sages, des per-
spectives mon-
tagneuses semées de chapelles, près desquelles des
chevriers demi-nus font paître leurs troupeaux (fig. 200),
des vignobles, des marines, des ports avec leurs môles
et leurs estacades, des vues du Nil et de ses rives peu-
plées de crocodiles et d'oiseaux rares, qui s'ébattent
parmi les lotus et les palmiers. On y voit des natures
mortes, poissons, gibier, fruits, fleurs, ustensiles de
Fig. i|;8. — Médée méditant son forfait.
LA PEINTURE ROMAINE.
323
ménage, des scènes de genre remplies d'allusions à
la vie quotidienne, et qui mettent sous nos yeux des
boulangers, des foulons, des porte-faix, des saltim-
banques, des oisifs causant sur le Forum, des e'coliers
apprenant à lire, tout le mouvement d'une ville popu-
leuse et active comme Pétaient ces
petites municipalités du Vésuve,
plus grecques que latines, et reten-
tissant du bruit, des colloques, des
cris qu'on peut encore entendre, à
certaines heures, dans quelques
rues de Naples. A ces représenta-
tions se rattache un curieux mor-
ceau, le portrait de Paquius Pro-
culus et de sa femme (fig. 201) :
c'était un boulanger, que l'estime
de ses concitoyens avait élevé aux
fonctions de juge [duutnvir jiiri
dicundo), et qui avait eu l'idée tou-
chante de se faire peindre avec sa
femme dans le même cadre, lui,
muni d'un parchemin, emblème
de sa charge, elle, en bonne ména-
gère, armée du style et de la tablette
qui lui servaient à tenir ses comptes. Ces deux por-
traits, plus anciens que ceux du Fayoum, et qui en
diffèrent, d'ailleurs, par le procédé, sont intéressants à
plus d'un titre : contentons-nous d'en noter le réalisme,
qui frappe surtout dans la figure du mari. Ce type
plutôt africain que romain, ces traits vulgaires où se
lisent la ténacité et la bonhomie, ont été finement ren-
Fig. 199.
32*
LA PEINTURE ANTIQUE.
dus par le peintre, qui en a fait une physionomie bien
vivante et bien personnelle.
Il faut enfin signaler les caricatures, qui sont nom-
Fig. 200. — Paysage, dans une peinture de Pompéi.
breuses à Pompéi et aux environs. Ces populations de
l'Italie méridionale avaient l'humeur gaie et le rire
facile; elles saisissaient rapidement le côté plaisant
des choses; c'était là, du reste, encore un héritage
d'Alexandrie. Elles se plaisaient aux figures grotesques,
LA PEINTURE ROMAINE.
in
aux nains, aux pygnnées pourvus d'énormes têtes, po-
sées sur des corps grêles et chétifs. Elles les représen-
Fig. 201. — Portraits du boulanger et de sa femme.
talent dans toutes les attitudes et en faisaient les acteurs
des parodies les plus variées. Cette irrévérence, qui
semble avoir été un besoin de nature, ne respectait pas
même les légendes nationales, comme on le voit parce
320 LA PEINTURE ANTIQUE.
tableau trouvé à Stable, et qui montre Enée fuyant
Troie, avec Anchise, son père, et Ascagne, son jeune
fils, ornés comme lui d'une tête de chien (fig. 202).
Toutes ces compositions, peintes à fresque et colo-
riées avec un luxe qui faisait regretter à Pline Tan-
cienne sobriété, contiennent, sur la technique de la
peiiiture et sur la vie des Italiens de la région napoli-
taine, sur leurs mœurs, leurs goûts, leurs passions,
les enseignements les plus
précieux; mais, il faut le
reconnaître, à part de rares
exceptions, elles sont fort mé-
diocres, et le touriste qui croit,
après les avoir vues, connaî-
tre la peinture antique, n'en
„. a qu'une idée très inexacte;
Fig. aoa, ' '
il n'est pas plus à même d'en
juger qu'on n'est à même de juger de la peinture mo-
derne, quand on a regardé des papiers peints à sujets,
représentant les principales vues de la Suisse ou les
Aventures de Monte-Cristo. C'est que ces peintres de
Pompéi, qu'ils fussent latins ou grecs, n'étaient que
de simples ornemanistes, auxquels faisait défaut l'édu-
cation nécessaire pour aborder le grand art et qui, d'ail-
leurs, n'y prétendaient point. Leur savoir n'allait pas
au delà du décor; mais là, du moins, ils ont excellé.
Il est intéressant de suivre, dans les peintures pom-
péiennes, les progrès de leur fantaisie de plus en plus
aventureuse. Ils commencent par simuler, sur les parois
qu'ils enluminent, des incrustations de marbres de dif-
férentes couleurs ; tel est le mode de décoration em-
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LA PEINTURE ROMAINE.
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ployé dans plusieurs édifices publics et dans une cen-
taine de maisons particulières qui remontent au ii« ou
au f siècle avant notre ère. LMdée n'était pas originale;
il y avait à Alexandrie un
grand nombre de palais
ornés de la même manière,
mais où cette polychromie
était formée par de vrais
fragments de marbre, tirés
des carrières du monde
entier. Bientôt, ces mo-
saïques paraissent trop
simples, et Ton y mêle des
représentations de colon-
nes, de portiques, dont la
figure ci-contre offre un
spécimen; on ne se con-
tente plus de reproduire,
à Taide de tons variés, la
parure polychrome des pa-
lais alexandrins : on figure
des parties entières de ces
palais, et le bourgeois de
Pompéi ou d'Herculanum
peut se croire, avec un peu
dUmagination, logé dans
une de ces splendides demeures qui faisaient l'orne-
ment de la ville des Ptolémées. C'est le temps où Ludius
dessine sur les murs de ces faux palais les paysages
dont il a été question plus haut, où l'on perce ces
mêmes murs de fausses ouvertures par lesquelles l'œil
J28
LA PEINTURE ANTIQUE.
plonge au dehors. Voyez celle-ci, que ferme une grille
(tig. 204) : elle est censée s'ouvrir sur une cour au
fond de laquelle, bien loin, on aperçoit un puits. Pour
donner mieux encore l'illusion de la profondeur, l'ar-
tiste a fait passer sa muraille de fond sous une série de
portiques absolu-
ment inutiles, mais
qui montrent son
habileté à rendre la
perspective.
On a essayé de
noter les phases de
cette ornementation,
d^en classer chrono-
logiquement les har-
diesses. Nous n^en-
trerons pas dans un
pareil détail. Con-
statons seulement
qu'entre l'an 80 avant
J.-C. et l^an 5o de
notre ère, elle de-
vient de plus en plus
compliquée. Elle n'imite plus des constructions habi-
tables; elle imagine de fantastiques architectures où
tout est élégance, légèreté, invraisemblance (fig. 2o5);
elle élève à de prodigieuses hauteurs des colonnettes
d'une gracilité inquiétante, sur lesquelles elle fait poser
des architraves, des frontons, qui semblent suspendus
dans les airs ; elle multiplie les saillies et les rentrants,
les couloirs, les escaliers, les corniches, les moulures,
Fig. 204.
LA PEINTURE ROMAINE.
J29
logeant dans chaque vide un
motif décoratif, enroulant de
flexibles lianes autour des sup-
ports, faisant Jaillir ces sup-
ports mêmes de tiges ou de
calices audacieusement super-
posés, tout cela avec tant de
grâce et d'aisance, avec une
telle entente de la composition
et du dessin, qu'on n'a nulle-
ment le sentiment de la sur-
charge et qu'on n'éprouve au-
cune fatigue à s'égarer dans les
méandres de ces aériennes fan-
taisies. C'est là qu'est le vrai
mérite des peintures de Pom-
péi; c'est par là qu'elles sont
originales. 11 faut leur pardon-
ner l'abus que nous en avons
fait, sous un ciel et dans des
lieux qui ne les comportaient
guère; nos maladroites imita-
tions, qui nous les ont rendues
banales, ne sauraient être une
raison de leur en vouloir. Si
l'on prend la peine de les étu-
dier dans leur pays, si l'on -s'at-
tarde à contempler ces parois
noires, rouges ou jaunes, cou-
vertes des plus hardies et des
Fig. 20$.
plus capricieuses combinaisons de lignes, on restera
no LA PEINTURE ANTIQUE.
confondu de l'esprit dont elles sont pleines et de
l'étonnant effort d'invention qu'elles supposent. Rien
ne reflète mieux la société contemporaine, ce peuple
raffiné, héritier de l'hellénisme, qui s'endormit un
soir, insouciant, au pied du Vésuve, pour ne plus se
réveiller qu'au bout de dix-huit siècles, sous la pioche
des antiquaires.
BIBLIOGRAPHIE
La liste" que nous donnons ici est loin de comprendre tous les
ouvrages qui peuvent servir à étudier l'histoire de la peinture
antique ; nous nous sommes borné aux indications essentielles.
Les travaux cités en note, dans le corps du volume, et qui portent
sur des points spéciaux, ont été, naturellement, éliminés de ce
catalogue.
OUVRAGES GÉNÉRAUX.
K. Wœrmann, Die Malerei des Alterthums, dans la Geschichte
der Malerei, d'A. Woltmann, Leipzig, 1878; — Baumeister,
Denkmœler, aux mots Malerei, Polychromie, Pompeji; — Bœckh,
Encyklopœdie und Méthodologie der philol. Wissenschaften ,
2" éd., p. 486, 5i5 (bibliographie considérable).
EGYPTE.
Passalacqua, Catalogue raisonné et historique des antiquités
découvertes en Egypte, Paris, 1826; — Rosellini, Momimenti delV
Egitto et délia Nubia, mon. civ., t. II, p. 160 ; — Prisse d'Avennes,
Histoire de l'art égyptien diaprés les monuments, Paris, 1878-
1879; — Perrot et Chipiez, Histoire de l'art dans l'antiquité,
t. P', p. 781 ; — Maspero, l'Archéologie égyptienne.
Perrot et Chipiez, t. II, p. 272, 653, 7o3; t. III, p. 663; t. V,
p. 535, 653; — Dieulafoy, l'Art antique de la Perse, t. III, p. 17.
Schliemann et Dœrpfeld, Tirynthe, p. 224, 257, 277, 323; —
Perrot, Journal des savants, août 1890, p. 457; — Brunn, Ges-
JJ2 BIBLIOGRAPHIE.
chichte der griech. Kûnstler, %^ éd., Stuttgart, 1889; — Overbeck,
Die antiken Schriftqiiellen :{ur Gesch. der bild. Kilnste bei den
Griechen, Leipzig, i868; — Furtwaengler, Plinius und seine Qitellen
ilber die bild. Kilnste, dans les Jahrb. fur cl. Philol., t. IX
(suppl.), p. I ; — Robert, Arch. Mcerchen, p. 83 et 121; — Klein,
Euphronios, 2" éd.. Vienne, 1886; Id., Studien ^ur griech. Maler-
geschichte, dans les Arch.-epigr. Mittheil. ans Œsterreich, t. XI,
p. igS; — Studniczka, Antenor, der Sohn des Eumares und die
Gesch. der arch. Malerei, dans le Jahrb. des k. d. arch. Inst.,
1887, p. i35; — O. Jahn, Die Gemcelde des Polygnotos in der
Lesche fw Delphi; — K.-Fr. Hermann, EjpîTfr. Betrachtungen iiber
die polygnot. Gemœlde in der Lesche ^11 Delphi, Gœtiingue, 1849;
— Gœttling, Ueber die Stoa Poikile, dans les Sœchs. Berichte,
phil.-hist. CL, i853, p. 59 ; — Ch. Lenormant, Mémoire sur les
peintures que Polygnote avait exécutées dans la Lesche de Delphes,
Bruxelles, 1864; — Gebhardt, Die Komposition der Gem. des
Polygnot in der Lesche ;fu Delphi, Gœttingue, 1872; — H. Blûm-
ner, Beitrcege :{ur Gesch. der griech. Malerei, dans le Rhein.
Muséum, t. XXVI, p. 353; — Wustmann, Apelles' Leben und
Werke, Leipzig, 1870; — E. Gebhart, Essai sur la peinture de
genre dans l'antiquité. Archives des missions scientifiques, 2*^ série,
t. V (186S), p. I ; — Graul, Die ant. Porlrœtgemœlde aus den
Grabstœtteti des Faijum, Leipzig, 1888; — Ebers, Eine Gallerie
antiker Portraits, Berlin, 1889; — Wilcken, Die hellen. Por-
trœts aus El-Faijum, dans le Jahrb. des k. d. arch. Inst., 1889,
Arch. An^eiger, p. i ; — Catalogue de la galerie de portraits
antiques appartenant à M. Th. Graf, Bruxelles, 1889; — Flin-
ders Pétrie, Hawara, Biahmu and Arsinoe, Londres, 1889; —
Raoul Rocheite, Peintures antiques inédites, Paris, i836; — Le-
tronne, Lettres d'un antiquaire à un artiste, Paris, i836; — Gros
et Henry, l'Encaustique et les autres procédés de peinture che:![ les
anciens, Paris, 1884; — O. Donner, Ueber Technisches in der
Malerei der Allen, insbes. in deren Enkaustik, Munich, i885;
— W'\X\.or^, Restitution du temple d'Empédocle à Sélinonte, ou lar-
chitecture polychrome che^ les Grecs, Paris, i85i; — H. Blûm-
ner, Technologie und Terminologie, t. 111, p. i^g et 2o3.
É T RURI E.
Boissier, Nouvelles promenades archéologiques, p. 63; — J. Mar-
tha, l'Art étrusque, p. 377.
BIBLIOGRAPHIE.
3ÎJ
Uriichs, Die Malerei in Rom vor Cœsar's Dictaiur, Wurz-
bourg, 1876; — E. Bertrand, Cicéron artiste, Grenoble, 1890; —
Renier et Perrot, les Peintures du Palatin, dans la Rev. arch.,
1870, p. 326 et 387; 1870-1871, p. 47 et igS; — K. Wœrmann,
Die antiken Odyssee-Landschajten vom esquilinischen Hiigel ^t<
Rom, Munich, 1876; — Id., Die Landschaft in der Kunst der
alten Vœlker, Munich, 1876; — E. Michel, le Paysage dans les
arts de l'antiquité, Revue des Deux Mondes du i5 juin 1884,
t. LXIII, p. 856; — Raoul Rochette, Choix de peintures de Pom-
péi, Paris, 1848; — Niccolini, le Case ed i monumenti di Pompei,
Naples, 1854 et années suiv. ; — Helbig, Wandgemœlde Campa-
niens, précédé d'O. Donner, Die ant. Wandmalereien in techn.
Be^^iehung, Leipzig, 1868; — Helbig, Untersuchungen ûber die
campan. Wandmalerei, Leipzig, 1873; — J. Martha, /'^rc/z^o/o^je
étrusque et romaine, p. 235; — Presuhn, Die pompeianischen
Wanddecorationen, Leipzig, 1882; — Mau, Gesch. der décor.
Wandmalerei in Pompeji, Berlin, 1882; — Overbeck et Mau,
Pompeji in seinen Gebœuden... dargestellt, p. 563.
TABLE DES MATIÈRES
Avant-propos
Pages,
S
Chapitre premier. — La peinture égyptienne 7
§ l*^"". — La peinture, élément essentiel de la décoration . . 9
§ II. — Étroite union de la peinture et du deasa _ . . . . 18
^ III. — Les conventions de la peinuue chez les Égyptiens.. 23
^ IV. — Le réalisme - . 3 a
§ V. — Les procédés techniques 48
Chap ke II, — La peinture orientale j6
§ I"*". — La peinture chez les Chaldéens et les Assyriens . . 57
'i II. — La peinture en Phénicie et en Asie Mineure. ... jj
§ III. — La peinture chez les Perses 79
Chapitre III. — La peinture grecque 91
§ I*"". — Les premières peintures 94.
§ II — Les premiers peintres : Eumarès d'Athènes et Ci-
mon de Cléonées lao
§ III. — L'Ecole attique : Polygnote 152
§ IV. — Suite de l'Ecole attique : Micon et Panainos; Pauson,
Agatharque de Samos, Apollodore d'Athènes. . . 183
§ V. — L'Ecole ionienne : Zeuxis et Parrhasios; Timanthe. ao2
}j(5 TABLE DES MATIERES.
Pages.
Chapitre III. — g VI. — L'École de Sicyone. L'École thébano-
attique. Les indépendants : Apelle et Protogène . 222
g VII. — La peinture hellénistique : Antiphilos. Les por-
traits du Fayoum 24}
§VIII. — Les procédés de la peinture en Grèce; l'encaustique.
Originalité de la peinture grecque 257
g IX. — La polychromie des édifices et des statues 271
Chapitre IV. — La peinture étrusque 287
Chapitre V. — La peinture romaine 298
g F''. — La peinture à Rome 298
g II. — La peinture dans l'Italie méridionale et à Pompéi . jii
Bibliographie jji
Pans. Lib.-Imp. réunies, 7, r. Saint-Benoît
PRIX francsr