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Full text of "La peinture au 19iéme siècle, d'aprés les chefs-d'oeuvre des mâitres et les meilleurs tableaux des principaux artistes; ouvrage orné de 400 illus. et de 13 planches en couleurs"

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LEONCE    BENEDITE 

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LA  PEINTURE 


AU  XIX^^^  SIÈCLE 


OUVRAGE  ORNE  DE  400  ILLUSTRATIONS  ET  DE  13  PLANCHES 

EN  COULEURS 


PARIS 

Ernest  FLAMMARION,  Éditeur 


LA  PEINTURE  AU  XIX""  SIÈCLE 


LKOXCi:   BÉXÉDITH 

COXSKRXAlKrR  Dl     Ml  SKK  NAIIOXAI,  Dl     I.IXKMIK  )rk(  ; 


LA  PEINTURE 

AU  XIX'™  SIÈCLE 

D'APRÈS  LES  CHEFS-DŒl'MŒ  DES  MAITRES 

ET  LES 

MEILLEIRS  TABLEAIX  DES  PRIX(  H^AL'X  ARTISTES 


OUVRAGE  ORXE  DE  400  ILLUSTRATIONS  i:  F  DE  13  FLANCHES  EN  COULEURS 


F  A  R  I  S 

U  R  X  E  S T    F  L  A  M  M  A  R I  O  N,    E  D I T  E  T  R 

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TOIS  IJKOITS  RKSEltVKS 


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JKAX-ANTuiNK,  BARUiN   GROS. 

Chkistink  Bover,  tremière  femme  de  Lucien  Bonaparte. 

(Musée  du  Louvre). 


iXTRonrc ^v\()\  ( ;h\hi< ai .r, 


I. 

L'ART,  en  France,  an  XIX<^  Siècle,  a  brillé  d'un  éclat  pareil  à  celui  des  i)lus  grandes 
époques  du  passé.  Cet  éclat  est  dû  ])rincipalement  à  la  ])einturc  qui  a  pris,  durant  tout 
le  cours  de  ce  siècle,  la  prédominance  sur  les  autres  modes  de  manifestation  de  la 
pensée  artistique.  C'est  qu'elle  était  par  sa  nature  plus  mobile  plus  ])rimesautière,  filus 
spontanée,  apte  comme  aucune  autre  à  se  tenir  en  correspondance  a\ec  toutes  les  \icissitudes 
subies  par  les  sociétés  humaines  depuis  la  grande  crise  politieine,  sociale  et  morah;  causée 
par  la  Révolution. 

Cette  date  solennelle  marque  en  effet  le  point  de  dé])art  d'une  ère  nouvelle  non 
seulement  dans  l'histoire  du  peuple  français,  mais  dans  le  déveloiipement  de  la  civilisation 
occidentale  tout  entière.  Et  ce  qui  caractérise  l'art  au  XIX''  Siècle,  justement,  ce  sera 
d'avoir  repris  sa  mission  naturelle,  d'être  rentré  dans  sa  Cduditinn  e>scnticllc,  (|ui  est  de 
donner  aux  générations  l'image  de  leur  pr<ipre  \ie.  de  résumer  leurs  aspirati(in>.  de  li.xer  leur 
idéal,  d'être  le  miroir  fidèle  à  la  fois  de  leur  aspect  extérieur  et  de  K-ur  ;ime. 

Or,  depuis  près  de  trois  siècles,  l'art,  en  France  a\'ait  dé\'ié;  il  avait  ])erdu  la  notion 
de  son  rôle  représentatif  du  caractère  national  t-l  de  l'idéal  populaire.  Il  a\-ait  sui\i  le 
mouvement  de  la  \'ie  publique  qui  était  tout  entière  concentrée  dans  la  jjersonne  du 
souverain.  Aussi,  si  \-ous  sui\'ez  l'histoire  de  l'art  depuis  l'avènement  de  l'^rançois  l'-',  \-ous 
constatez  qu'il  adopte  un  caractère  de  plus  en  plus  exclusif  de  haut  dilettantisme  aristocra- 
tique :  il  est  de\'enu  tm  art  de  cour,  asser\"i  à  l'olfice  de  pour\"nir  aux  poiupes  de  la  majesté 
royale,  destiné  à  satisfaire  les  caprices  ou  à  tlatter  la  vanité  du  s<anerain  et  de  ses  courtisans. 
Ce  caractère  s'accentue  juscpi'à  rexclusi\isme  pendant  la  période  de  monarchie  absolue  de 
Louis  XIV.  L'art,  rigoureusement  discipliné  sous  l'autorité  de  Lebrun,  ist  tout  entier  affecté 
à  la  glorification  du  roi.  La  peinture  prend  alors  une  orie/ntation  ])n--(iuc  uniquement  déco- 
rative, mvthologique,  allégoricpie,  religieuse  ou  historique,  cunçue  dans  un  esprit  d'adulation 
plus  ou  moins  directe,  et  lorscjne,  par  exception,  l'histoire  qu'elle  célèbre  touche  à  des  faits 
contemporains,  ce  sont  toujom's  des  faits  destinés  à  exalter  la  gloire  du  roi.  (  )n  ne  ])eut  ji.is 
dire  que  le  peuple  en  soit  exclu:   il  n'existe  pas. 

De  plus,  au  lieu  de  vivre  en  se  dcvelopjiant  sur  le  \ieux  fonds  du  passé  national,  l'art 
a  subi  l'empreinte  profonde  et,  semble-t-il,  indélébile  d'un  art  étranger.  L'art  italien  >'e>t 
imposé  au  monde  par  Téclat  de  ses  nombreuses  écoles  et  le  j^restigc  incomparable  de  ses 
maîtres.  Il  a  été  importé  en  France  par  les  rois  ([ni  ont  entrepris  la  conquête  de  la  péninsule, 
et  qui,  éblouis  comme  au  retour  d'une  sorte  de  croisade,  ont  rêvé  de  faire  orner  leurs  demeures, 
édifiées  somptueusement  dans  le  goût  nou\'eau  formé  au  delà  des  Alpes,  par  le  pinceau  des 
plus  grands  peintres  de  Milan  ou  de  Bologne,  de  Florence  ou  de  Rome.  Il  a  été  acclimaté 
définitivement  par  nos  artistes,  attirés  dans  les  principautés  italiennes  déjà  peuplées  d'innom- 
brables merveilles,  ou  même  envoyés  officiellement  pour  parachever  des  études,  basées, 
d'ailleurs,   sur  les  doctrines  de  ces  grands  maîtres  étrangers.   An  X\'IL-  Siècle,  l'Italie  règne 


II 


Intrc )(lucti( )n   ox'ncrale. 


sur  le  monde  pur  la  pensée  de  ses  sculpteurs  et  de  ses  peintres  et  les  petits  peuples  septen- 
trionaux, eux-mêmes,  qui  étaient  restés  si  Irdèlement  attachés  à  leurs  traditions  locales, 
résistent  mal  à  cette  puissante  et  comme  magnétique  attraction. 

Au  X\'III<"  Siècle,  la  situation  continue  sans  se  modifier,  bien  que  l'esprit  public  ait 
changé  de  mode.  A  la  haute  élégance  décorative  des  superbes  praticiens  franco-italiens  de  la 
Renaissance,  à  l'emphase  granchose  des  habiles  metteurs  en  scène  de  \'ersailles,  succède 
une  autre  manière  aussi  artificielle,  un  petit  genre,  toujours  décoratif,  principalement 
d'espagnoleries,  de  turqueries,  de  chinoiseries,  de  pastorales  poudrées,  de  scènes  chevaleres- 
ques, sans  oublier  les  mytho- 
logies  amoureuses,  genres  qui 
alternaient  ou  se  confondaient 
sur  les  dessus  de  portes  et  les 
trumeaux  des  , .petites  mai- 
sons" et  ,,des  Trianons".  Car 
la  peinture,  du  service  des 
rois,  passait  à  celui  des  favo- 
rites et  des  danseuses  d'Opéra, 
liitretenues,  à  l'imitation  du 
]  irince,  par  les  petits  marquis 
rt  les  gros  traitants.  Ce  n'était 
plus  qu'un  art  charmant  et 
frivole,  de  parade  et  de  décor, 
im  art  de  théâtre,  né  d'ail- 
leurs cki  théâtre,  où  il  puisait 
toutes  ses  inspirations. 

Sans  doute,  pendant 
cette  période  de  plus  de  trois 
siècles,  il  est  bien  quelques 
hautes  personnalités  excep- 
tionnelles cjui,  pour  n'avoir 
l>as  reproduit  l'aspect  des 
réalités  de  leur  temps,  n'en 
I  mt  pas  moins  traduit  les 
\éritables  aspirations  intimes 
des  esprits  d'éhte,  abstraction 
faite  de  l'étroit  milieu  de 
société  aristocratique  pour 
laquelle  elles  semblaient  avoir 
exclusivement  travaillé.  L'au- 
stère philosophie  ou  la  volupté 
gra\-e  de  Poussin,  la  tendresse  sérieuse  de  Le  Sueur,  les  contemplations  exaltées  devant  la 
nature  de  Claude  Lorrain,  pour  s'être  portées  sur  des  thèmes  antiques  ou  rehgieux,  la  fantaisie 
souriante  et  mélancolique  de  Watteau,  pour  s'être  répandue  sur  tout  un  petit  monde  de 
caprice  et  de  rêve,  ne  nous  dévoilent  pas  moins  un  coin  de  l'âme  de  leurs  contemporains. 
Et  c'est  ce  qui  explique  que  ces  maîtres  serviront  encore  de  guides  ou  de  conseillers  à  leurs 
héritiers  lointains  du  XIX-^'  siècle. 

^lais  on  ne  voit  guère  que  deux  grands  noms  qui  rappellent  que,  derrière  le  décor 
factice  d'vme  cour  brillante,  égoïste  et  sensuelle,  il  y  avait  en  France  une  bourgeoisie  probe. 


Lk  Nain.  —   Un  .Marcchal  dans  sa  l'orye  (Musée  du  Louvre). 


[iitrodiiction 


«'■(■ncralc. 


aux  vertus  solides,  un  ])cui)lf  lionnéle,  sini])le  et  liihnneux,  diiut  riiunianité  était  aussi  inté- 
ressante à  raconter  ou  à  jjeindre  que  les  actions  imaginaires  ou  réelles  des  dieux  de  la  Fable, 
des  héros  du  passé,  voire  des  i)rinces  du  i)résent.  I/un,  au  WIl''  siècle,  est  celui  de  Lenain; 
l'autre,  au  XVII h',  est  celui  de  Chardin. 

Le  premier  t'st  jiorté  par  trois  frères  dont  l.i  hint^Taphii'  e>t  uial  connue  et  à  chacun 
desquels  il  est  dillicile  de  fain>  la  jiart  individuelle  d:in>  Tienvre  comnnme.  Ces  , .sortes 
d'Espagnols  égarés  en  France"  comme  l'écrivait  le  crili(|ue  Thoré.  apportaient  jiour  la  ])remière 
fois  en  notre  {ïays,  dans  lenrs  peiutures  de  la  vie  popul.ure  et  rurale,  avec  un  sens  profond 
des  réahtés,  qni,  en  effet,  semblait  \-enir  iriCspagne,  un  seutnneut  de  gravité,  de  dignité,  de 
vraie  grandeur,  qui.  de  très  loin,  annonce  déjà   Millel. 


NicoL.\s  Poussin. 


(Muscu  du   [..luvre). 


Le  second,  Chardin,  proche  parent  des  jx-tits  maîtres  de  la  Hollande  ou  des  l'"Luulres 
cjui  avaient  exalté  a\'ec  tant  de  vérité,  d'esprit  pittoresque  et  de  beauté  expressi\-e,  la  \-ie 
bourgeoise  de  leur  propre  temps  dans  ses  actes  solennels  ou  familiers  :  parades  corporatives, 
groupement  d'olTiciers  mimicipaux,  de  professeurs  ou  de  syndics,  asseuiblées  galantes,  réunions 
de  famille,  et  surtout  dans  sa  plus  étroite  intimité,  Chardin  a  été  l'interprètt^  exceptionnel 
de  cette  modeste,  \igoureuse  et  saine  bourgeoisie  (jui  formait  la  base  iuébranlable  de  la 
nation  et  qui  devait  en  devenir  la  principale  force  émancipatrice.  II  a  i>eint  ces  intérieurs 
propres  et  rangés,  ces  ménagères  sérieuses  et  avenantes,  exactes  (;t  ordonnées,  et  jusqu'à  ces 
coins  de  table  aux  dessertes  frugales  et  appétissantes,  enlln  toute  cette  existence  honorable, 
digne,  grave    et   souriante,   qui    faisait   singulièrement  contraste  avec  les  mann-s  dissolues  do 


Introduction  orénérale. 


la  minorité  favorisée,  étourdie  et  cynique  qui,  pour  quelques  années  encore,  prenait  la  place 
de  la  nation,  avant  de  s'effondrer  complètement. 

L'exemple  de  Chardin  commença  à  dessiller  les  yeux.  Par  un  revirement  du'goût.  les 
petits  maîtres  de  Hollande,  si  irrévérencieusement  traités  par  la  grandeur  du  Roi-Soleil,  étaient 
maintenant  recherchés.  Les  philosophes,  comme  Jean-Jacques  Rousseau,  réveillaient  par 
leur  ardeur  lyrique  le  sens  endormi  jusqu'ici  des  beautés  de  la  nature,  ou.  comme  Diderot, 
célébraient  les  vertus  domestiques  et  prêchaient  déjà  les  artistes  de  délaisser  les  drames  de 
l'histoire  pour  essayer  de  traduire  les  sentiments  et  les  émotions  de  la  vie  familiale  et  bourgeoise 
de    leur  temps.     C'est  directement  sous  cette  nnpulsion  que,  tandis  que  Sedaine  portait  ces 


Cl.MDK  Lorr.mn.  —   Vue  d  un  purt  de 


ilu   Louvie). 


acteurs  nouveaux  sur  la  scène  du  théâtre,  Greuze  les  adoptait  comme  héros  de  ses  composi- 
tions sentimentales  qui,  par  malheur,  rappelaient  plus  le  théâtre  que  la  nature.  En  même 
temps  Joseph  Vernet,  d'une  brosse  alerte,  facile  et  féconde,  répondait  aux  premiers  besoins 
de  grand  air  et  de  soleil. 

l'n  mouvement  de  réaction  semble  donc  se  préparer  dans  la  deuxième  moitié  du 
XVIIIe  siècle  contre  le  dévergondage  fade  et  rebattu  de  bergères  enrubannées,  de  Chinois  ou 
d'Espagnols  d'opéra-comique  et  de  trop  aimables  divinités  potelées.  Mais  c'était  là  bien  peu 
de  chose  encore  et  le  changement  dans  les  mœurs  pittoresques  était  loin  d'être  opéré. 

La  première  croisade  vigouT'euse  fut  tentée  par  le  peintre  \'ien,  qui  s'efforça  de  relever 


■11,    SlMKi'N    (■ll\i;MN.    —    I.i-    Ik-lK-ilicitr    l'Mll-t'f    >lil     1. 


Introduction  gcncralc.  \'II 

la  peinture  liistoriti^ue  et  religieuse  eu  lui  infusant  plus  de  rétlexion.  de  tenue  et  de  dit;nité. 
Il  s"appuyait  sur  tout  un  niouveiuent  nouveau  d'études  de  ranti(iuité  (jui  \-enait  de  se 
produire  avec  les  tra\'au.\  des  archéologues  français  et  allemands  tout  autour  d'un  événement 
sensationnel:  les  fouilles  d'Herculanuni.  enfouie  tout  entière,  depuis  les  tem[)s  anciens,  sous 
les  cendres  du  \'ésuve  cpii  en  avaient  préservé  les  précieux  restes.  On  re\ient  donc  à  des 
doctrines  plus  élevées  et  l'on  se  plaît  à  clierclier  dans  les  cliefs-d'(eu\re  de  l'antiipiité  les 
lois  éternelles  du  Beau. 

IMais  il  fallait  mieux  tpi'une  simple  tentati\-e  de  réforme  pour  rompre  a\-ec  les  fâcheu- 
ses pratiques  du  passé.  Il  fallait,  dans  les  arts  comme  dans  la  \'ie  politi(|ue  et  sociale,  une 
transformation  radicale,  ime  \-éritable  révolution. 

Cette  révolution,  il  a])]xirtiendra  à  Dax^id  de  l'accompHr.  Ses  premiers  ou\Tages:  Les 
Horaccs,  La  Mort  de  Soerate.  exposés  à  la  veille  des  grands  é\'énements  de  ij^f).  assurèrent 
la  rupture  nécessaire  avec  le  passé  en  créant  un  art  héroïque,  austère,  tendu,  qui  seul 
pouvait  répondre  à  l'exaltation  passionnée  de  ces  grands  jours  tragiques. 

Dès  lors  le  destin  de  l'art  moderne  est  fixé.  Son  é\olution  va  se  p(jursui\re  a\ec 
logique  au  milieu  des  conflits  ardents  et  des  luttes  fécondes  entre  l'esprit  de  tradition  et  celui 
d'indépendance,  entre  les  courants  qui  dirigent  l'inspiration  soit  dans  le  sens  de  l'observation, 
soit  dans  le  sens  de  l'imagination.  Comme  nous  le  verrons  au  cours  de  cette  histoire  d'un 
siècle,  racontée  par  ses  maîtres  et  par  leurs  chefs-d'œuvre,  c'est  ce  continuel  contrepoids  de 
forces  opposées  qui  a  maintenu  l'équilibre  de  l'Ecole  française  en  même  temps  que  cette 
atmosphère  toujours  ardente  tenait  les  cerveaux  en  perpétuelle  ébullition. 

La  développement  de  l'histoire  de  la  peinture  au  XIX^  siècle  se  partage,  à  ])artir  de 
cette  date,  en  quatre  phases  principales,  séparées  par  les  grandes  dates  de  iSjo,  de  1848,  de 
1870,  qui  correspondent,  comme  on  le  voit,  aux  grandes  dates  de  l'histoire  nationale,  sociale  et 
politique,  et  sont  caractérisées  par  les  crises  de  transformation  (ju'ou  a  appelées  le  Riinhinlisine. 
le  Réalisme  et  Vliiipressioiinisiiie. 

Première  Période.  De  iSoo  à  iSjo.  En  1801.  à  la  date  exacte  du  counneiieement  du 
siècle,  l'art  moderne  était  déjà  constitué  dans  ses  éléments  essentiels.  David  a\-ait  accompli 
ses  premiers  chefs-d'œuvres.  Son  autorité  s'étendait.  sou\-eraine.  non  seulement  sur  toute  la 
France,  mais  encore  sur  toute  l'Europe.  Cette  autorité  avait  été  unanimement  acceptée,  au 
point  que  son  \-ieux  maître.  \'ien.  son  ri\-al,  Regnault  et  les  pauvres  petits  peintres  sur\i\ants 
du  passé  enseveh,  les  Greuze  ou  les  P'ragonard,  essayaient  de  se  mettre  à  l'unisson  de  la  mode 
nouvelle.  La  toute-puissance  impériale  avait  besoin,  elle  aussi,  connue  la  monarchie  absolue 
de  Louis  XI\'.  d'un  art  fortement  discipliné  au  service  de  son  faste  et  de  sa  gloire.  EUe 
avait  trouvé  en  Da\-id  un  génie  capable  de  le  diriger  énergiquement  et  en  mesure  de  rem- 
plir lui-même  la  haute  mission  historique  qu'on  lui  assignait.  B(ina})artc  se  souciait  peu  des 
héros  de  l'antiquité  et  trouvait  qu'il  avait  fourni  aux  artistes  assez  de  sujets  digne.-  d'être 
traités  pour  la  postérité.  Il  encouragea  donc,  par  ce  point  de  vue  tout  personnel,  l'orientation 
de  David  et  de  ses  élèves  dans  le  sens  de  la  peinture  des  faits  contemporains  et  contribua 
ainsi  à  mettre  l'art  en  possession  de  ses  i)remiers  caractères  vraiment  modernes. 

Il  se  forma,  par  suite,  dans  l'ateher  de  David  deux  grands  courants  directi'urs  :  le 
premier  qui  continuera  la  grande  tradition  anthropomorphique  de  recherche  du  P>eau  par 
l'étude  épurée  du  tvpe  humain:  le  second  qui,  de  jour  en  jour,  va  s'efforcer  de  dégager  leur 
grandeur  et  leur  beauté  des  réalités  contemporaines,  ou  d'infuser  le  sentiment  plus  concret 
des  réalités  de  la  \-ie  avec  ses  mou\ements  et  ses  passions  dans  le  passé  de  l'Histoire,  qui 
n'est  plus  hmitée  k  l'antiquité,  mais  choisie  dans  un  rayon  de  temps  plus  proche  de  nous. 

A  la  tête  de  ce  premier  niovivement  se  trouvera  Ingres.    .\  la  tête  de  l'autre  est  dros. 


VIII 


Introduction  générale. 


suivi  de  Géricault,  remplacés  tous  deux  par  Delacroix.  Et  lorsque  le  règne  despotique  de 
David  fut  fini  par  l'exil  du  maître,  que  le  le\-ain  d'indépendance,  qui  fermentait  depuis 
longtemps,  eut  soulevé  de  nouvelles  générations,  ces  deux  courants  opposés,  qui  paraissaient 
représenter  respectivement  les  forces  de  conservation  et  les  forces  d'émancipation,  entrèrent 
violemment  en  lutte  et  donnèrent  lieu  à  ce  qu'on  appelle  la  querelle  des  Classiques  et  des 
Romantiques,  ou  encore  des  partisans  de  la  Ligne  et  des  partisans  de  la  Couleur,  qu'on  eût 
pu  appeler,  comme  on  a\-ait   fait  pnur  la  littérature,  dans  un  cas  pareil,  au  XVII<=  siècle,  la 

querelle  des  Anciens  et  des  Modernes. 
Cette  querelle  fut  excessi- 
xcnient  \"i(ik-nte.  Les  combats  se 
li\rèrent  sur  les  champs  de  bataille 
<lcs  sahms.  où  les  classiques,  par 
l'Institut,  (pii  formait  les  Jurys, 
iiccupaicnt  toutes  les  positions.  Les 
assauts  furent  n(.)mbreux  et  meur- 
triers, mais  les  assaillants  avaient 
à  leur  tête  un  chef  incomparable, 
peu  Soucieux  de  diriger  ses  troupes, 
mais  dont  chacune  des  victoires 
personnelles  profitait  à  tous.  Ils 
a\aient  a\'ec  eux  aussi  cette  magni- 
ticjue  phalange  des  paysagistes,  qui 
contribuèrent  le  plus  utilement,  le 
Inng  du  siècle,  à  l'affranchissement 
définitif  de  l'art  des  formules  tyran- 
niques  et  surannées  du  passé,  à  lui 
i}u\-rir  des  horizons  nouveaux  à 
l'infini  et  qui  ont  porté  glorieuse- 
ment à  tra\"ers  le  monde  le  renom 
de  l'LciiIe  française. 

Tcius  les  esprits  vaillants 
et  généreux  étaient,  d'ailleurs,  avec 
eux.  Une  détente  générale  s'était 
produite,  après  les  grandes  tueries 
i-t  la  compression  écrasante  du 
régime  inrpérial,  suivie  d'une  grande 
fièvre  d'indépendance.  Les  ardeurs 
politiques  faisaient  cause  commune 
avec  les  ardeurs  httéraires  ou  artis- 
titjues.  Et  c'était  aussi  de  grands  jours  p(.>ur  les  lettres  a\"ec  Chateaubriand,  dont  le  Génie  du 
Christianisme  eut  une  si  profonde  influence  sur  la  pensée  contemporaine,  avec  Madame  de 
Staël,  avec  Lamartine,  Alfred  de  Vign\',  Victor  Hugo,  sans  parler  des  influences  étrangères, 
des  romans  de  l'écossais  W'alter  Scott,  qui  réveillent  le  sentiment  de  la  ^•ie  réelle  dans  l'histoire, 
de  Lord  Byron,  etc.  Car  la  pensée  \-ivement  éveillée  s'ouvrait  à  tous  les  vents  du  ciel.  Victor 
Hugo,  s'appuyant  sur  Shakespeare,  attaquait,  avec  le  drame,  la  vieille  tragédie  dogmatique 
et  remuait  toute  sa  génération.  Le  théâtre,  en  effet,  fut  le  plus  actif  champ  de  bataille,  celui 
qui,  au  miheu  d'un  véritable  tumulte,  mettait  aux  prises  le  pubhc  lui-même  des  spectateurs. 
On  sait  que  la  date  de  la  première   représentation  à'Hcrnani,  le  25  février  1830,  fut  celle 


Antune  Watteat.  —  Finette  (Musée  du  Louvre). 


Intruduction   <r<^iii^'r;ilc, 


IX 


du  triomphe  de  la  cau>e  tlu  romantisme,  au  moment  juste  oii  la  nation  brisait  une  couronne 
et  une  dynastie  et  franchissait  \ictorieusement.  par  une  deuxième  révolutiini,  une  étape 
nouvelle  de  sa  vie  politique. 

Deuxième  Période.  De  iSjoà  1S4S.  La  romantisme  axait  donc  rompu  le  moule  classique. 
C'est-à-dire  qu'au  formulaire  étroit  qui  panjuait  l'inspiration  en  f^enres  déterminés  et  fermés, 
et  qui  ne  permettait  de  traduire  les  formes  (ju'en  s'asservissant  à  des  règles  établies  sur  une 
fausse  interprétation  des  chcfs-d"(euvrc  de  rantiepiité,  s'était  substituée  la  liberté  absolue 
dans  l'inspiration  et  dans  le  choix  des  mo\-ens  d"exi)ression. 


Ikan-Iîai  iisiK  Crkizk.  —  VAc 


;Mu<(.-c  <1u  t.. 


Le  romantisme,  par  mallieiir,  n'en  sut  point  user  intégralement.  Il  a\ait  brisé  toutes 
les  barrières,  mais  il  était  resté  cantonné,  à  son  tour,  sur  un  seul  point  du  domaine  de 
rinspiration  et  il  péchait  par  les  mêmes  abus  qu'il  avait  reprochés  si  cruellement  à  son 
adversaire  vaincu.  Les  classiques  s'étaient  enfermés  dans  le  cercle  étroit  des  temps  antiques. 
Les  romantiques  crurent  avoir  suftisamment  réagi  en  ti.xant  leur  Muse  historique  dans  la 
période,  elle  aussi  limitée,  du  moyen  âge.  Les  premiers  avaient  affecté  pour  la  couleur  un 
dédain  que  les  seconds,  à  leur  tour,  affectèrent  pour  le  dessin.  Les  gothiques  devinrent  bientôt 
aussi  insupportables  que  les  anciens.  Quelques  voix  se  firent  déjà  entendre  qui  affirmaient 
les  droits  de  la  vie  moderne,  ou  plutôt  les  droits  de  l'homme  de  tous  les  temps,  qui  ne  serait 


X 


Introtluctiun   cfcn craie. 


ni  dieu,  ni  héros,  ni  prince,  ni  chevalier,  à  être  représenté  par  l'art.  D'antre  part,  la  peinture 
de  paysage,  qui  s'était  manifestée  d'abord  avec  une  large  envolée  lyricjue,  revient  bientôt  de 
ces  vastes  synthèses  poétiques  vers  l'étude  de  la  nature  examinée  a\'ec  un  goût  d'observation 
chaque  jour  plus  accentué,  un  esprit  d'anah'se  plus  scrupuleuse  de  ses  aspects  intimes,  familiers, 
plus  proches  de  l'homme.  Ce  moment  constitue,  dans  l'histoire  du  paysage  et  du  paysage 
animé,  entre  le  romantisme  et  le  réalisme,  une  période  transitionnelle  à  laquelle  on  avait 
donné  déjà  dans  le  même  temps  le  nom  de  iiaturalisiiic. 

Mais  cette  é\'olution,  lente  et  régulière,  était  imjjuissante  à  réagir  etïicacement  contre 
le  relâchement  dans  le  goût  et  dans  les  pratiques  occasionné  par  les  e.xcès  du  r(jmantisme 
ou  par  les  compromis,  plus  on  moins  heureux,  nés  de  la  fusion  des  doctrines  opposées.  Au 
moment  même  oii  la  \'ie  jiolitique  du  pays  est  profondément  remuée  par  une  nou\'elle  crise 
nationale,  où  la  ré\'olution  de  1.S4S  \ient  marquer  une  autre  grande  étape  de  la  France  dans 
la  marche  vers  l'établissement  de  son  idéal  républicain  et  démocratique;  au  moment  où  la 
littérature  se  jiroclame  hautement,  avec  le  grand  cycle  de  la  Ciuucdic  liitiiun'iic,  de  Balzac, 
pour  la  traduction  des  réalités  de  la  \'ie  moderne,  la  peinture  fait,  de  S(.)n  côté,  dans  ce  sens, 
im  pas  décisif.  Ces  tendances  réalistes,  tantôt  profondément  subiecti\'es,  tantôt  vigoureuse- 
ment objectives,  sont  incarnées  à  cette  date  par  les  deux  grandes  hgures,  là,  de  Millet,  ici,  de 
Courbet.  Leur  (eu\'rc  jalonne  cette  période,  qui  doit  être  considérée  comme  le  point  culmi- 
nant de  l'évolution  de  la  peinture  française  au  XIX*^  siècle,  au  jioint  de  vue  de  sa  constitution 
vraiment  moderne.  La  lutte  des  partis  rétrogrades  se  poursuit  a\ec  autant  d'énergie  que  jadis 
contre  le  réalisme,  au  nom  moins  des  principes  que  des  situations  acquises.  Le  champ  de 
bataille  est  toujours  le  terr<iin  des  expositions  annuelles.  Les  injustices  des  jurys  atteignent 
même  à  un  tel  degré  de  scandale  qu'elles  obligent  le  gou^•ernement  impérial  à  inter\-enir 
en  faveur  des  excommuniés. 

Dans  le  développement  de  l'école,  où  se  mêlent  et  se  confondent  toutes  les  anciennes 
formules,  on  distingue,  à  ce  moment,  deux  groupes  essentiels,  qui  sont  à  1;l  fois  l'aboutissement 
du  passé  et  le  point  de  départ  de  la  nouvelle  période  d'évolution.  D'un  côté  se  tenait  à 
l'écart  un  petit  rci'(  !<■  de  xisionnaires  et  de  songeurs  qui  protestaient,  par  un  ardent  amour 


Le  Ponte  Rotto  .i  Ruine  (Musée  du   Louvre). 


Introduction   lirnéralc. 


XI 


de  la  Beauté,  tiu'ils  ne  séiiaraient  pas  de  la  \'érité,  par  tin  retour  direct  aux  grandes  traditions 
du  passé  et.  en  pautieulier,  des  naturalistes  ])()éti(|ues  de  l'Italie  du  X\'>--  siècle,  contre  les 
tendances  fri\-()Ies  et  les  i)rati(iucs  relâchées  des  arti-.tes  brillants  et  faciles  au.xquels  étaient 
prodigués  les  encouragements  du  gouvernement  impérial.  Ils  tonnaient  un  véritable  groupement 
d'Idcalistts.  De  l'autre  se  dessinait  nettement  le  camj)  de  ceux  qui  s'intitulaient  eux-mêmes, 
avec  lierté.  les  lù'nlis/cs  et  cpii  s'étaient  réunis,  ])om-  tenir  tète  à  l'orage,  derrière  la  bannière 
de  Courbet,  en  évoquant  le  gr.ind  souvenir  de  Delacroix,  mort  depuis  {)eu,  pcnn-  relier  les 
indépendants  du  présent  aux  in(ié]H'nd,ints  du  jjassé.  Leur  action  s'étend  jien  à  i)eu,  mais 
les  effets  ne  s'en  feront  guère  ressentir  qu'à  I,i  période  sui\-antc.  Les  réalistes  s'appuyaient 
sur  l'étude  attentive  de  la  nature  t-l 
de  la  vie  et,  en  même  temjis.  sur  l.i 
tradition  des  maitris  (pii.  de  leur 
temps,  les  avaient  exalté^  l'une  et 
l'autre,  et  poursuiwiient  le  ré\-e  de 
traduire,  à  l'exemple  des  peintres  tir 
Hollande,  de  Flandre  ou  d'iispagne. 
l'humanité  de  leur  temps,  aussi  bien 
dans  ses  aspects  les  plus  contin- 
gents que  dans  ses  aspirations  et 
ses  émotions. 

Trcisiànc  l'rriodc.  De  iSjo 
à  içoo.  La  date  de  1S70  est  solen- 
nelle pour  la  France.  C'est  la  date 
de  grandes  épreii\-es.  qui  furent  aussi 
de  grandes  leçons.  C'est,  en  même 
temps,  la  date  de  l'établissement 
définitif  du  régime  politique  et  social 
de  démocratie  républicaine,  cpii 
caractérise  désormais  toute  ré\"olu- 
tion  future  de  la  vïe  nationale. 
L'art,  lui  aussi,  a  protité  de  la  grande 
leçon  des  événements  et  sui\'i  l'orien- 
tation désormais  unanime  de  toutes 
les  manifestations  de  la  pensée.  Le- 
semences  cpii  fermentaient  dans  le 
sol  agité  du  second  empire  lè\-ent 
alors.  L'idéalisme,  qui  tlorissait  à 
l'écart,  s'épanouit,  dans  un  magni- 
fique renouveau  de  la  peinture  monumentale,  dont  l-5audry  et  Pu\is  de  Cli,i\annes  furent  les 
grands  initiateurs.  Tandis  que  l'esprit  hautement  allégorique,  historique  et  légendaire  était 
relevé  par  ce  dernier,  son  émule.  Gustave  Moreau,  élargissait  à  son  tour  l'horizon  des  idées 
générales  dans  lequel  la  peinture  est  appelée  -à  se  mouvoir  par  une  pénétration  jusqu'ici 
inconnue  des  mvthes  et  un  rare  esprit  symboli(]ue.  qui  donnaient  à  l'art  une  puissance  de 
signification  nou\"elle. 

D'autre  part  le  mouvement  réahste  s'accentue  d.ins  uu  sens  tlémocraticjue  et  popu- 
laire, qui  suit  la  marche  des  progrès  politiques  et  avec  un  caractère  inédit  de  méthode  et 
d'objectivité  dans  l'obserxation,    qui  est  en  concordance  a\-ec  le  développement  intense  de 


l'Iliieu  iCulkxtiaii 


Wallace.  Lmul.cs). 


XII  Introduction   o^énérale. 

l'esprit  scientilkiuc.  Cette  orientation  du  réalisme  dans  un  sens  d'analyse  suraigùe  des 
phénomènes  jjhysiques  de  la  nature  comme  aussi  des  caractères  sociaux  de  l'humanité 
contemporaine  est  ce  (ju'on  a  appelé  Vliiiprcssioniiismc.  Stimulée  en  même  temps  par  la 
Httératurc,  (pii  a  précédé  la  peinture  dans  cette  voie,  encouragée  par  le  prestige  que  prend 
tout  à  coup,  après  leur  mort,  rœu\'re  de  Corot,  de  Courbet  et  de  jMiUet,  cette  formule,  elle 
aussi  comme  le  romantisme  ou  le  réalisme,  a  suscité  contre  ses  partisans  les  discussions  les 
plus  \-i()lentes  et  les  attaques  les  plus  passionnées. 

L'Impressionnisme  occupe  pourtant,  dans  l'histoire  de  l'art  contemporain,  une  place 
de  jjremière  imjiortance  par  l'impulsion  qu'il  a  donnée  à  la  peinture  de  paysage,  par  le  rôle 
qu'il  a  imposé  à  l'obserwition  des  phénomènes  physiques  dans  l'étude  de  la  figure  humaine, 
par  la  secousse  salutaire  qu'il  a  fait  ressentir,  sur  d'autres  points,  à  toute  l'Ecole.  Son  influence 
se  produit  non  seulement  sur  l'école  française,  où  elle  est  considérable  et  fait  naître,  entre  autres, 
en  se  greffant  sur  les  doctrines  traditionnelles,  un  compromis  célèbre,  sous  le  nom  d'Ecole  du 
plein  air,  mais  elle  s'étend  également  sur  toutes  les  écoles  eur(_)péennes  et  jusqu'en,  Amérique. 

Un  sens  de  la  beauté  plus  noble  et  plus  aftiné.  un  haut  esprit  de  jihilosophic  qui 
pénètre  à  nouveau  l'art  et  élè\'e  l'inspiration,  des  habitudes  d'observation  qui  perdent  leur 
ancien  caractère  empirique  et  individuel  pour  se  revivifier  par  les  moyens  de  la  méthode 
des  sciences  naturelles,  tel  est  l'acquis  de  l'art  dans  cette  dernière  partie  du  siècle.  Les  maîtres 
qui  l'illustrent,  continuent,  chacun  dans  son  sens,  et  innt  aboutir  définitivement  l'effort  de 
leurs  grands  devanciers.  Du  mélange  de  ces  divers  courants  sortent  les  inspirations  les  plus 
diverses,  les  plus  nobles  comme  les  plus  familières,  pour  répondre  aux  besoins  de  vérité,  de 
beauté,  d'idée  ou  de  sentiment,  qui  sont  au  fond  de  la  pensée  humaine.  Et  cette  pensée  est 
devenue  plus  consciente,  plus  éclairée,  plus  sensible,  non  plus  seulement  dans  le  cercle  étroit 
de  quelques  intelligences  privilégiées,  mais  dans  la  générahté  de  la  foule  qui  aspire,  elle  aussi, 
à  comprendre,  à  sentir,  à  être  émue  par  le  grand  mirage  de  l'art. 

La  peinture,  à  la  fin  du  XIX*"  siècle,  est  donc  en  possession  de  tous  ses  moyens 
d'expression.  Elle  a  ressaisi  le  fil  perdu  de  sa  tradition  primitive,  nationale  et  populaire. 
Elle  est  remise  désormais  dans  sa  voie  normale,  en  commimication  définitive  avec  l'âme  des 
générations  auxquelles  elle  correspond  et  dont  elle  est  le  miroir  suprême. 

C'est  ce  processus  agité,  mais  toujours  distinct,  de  faits  dissimulés  dans  la  confu- 
sion et  la  complexité  de  la  \'ie,  mais  logiquement  et  nécessairement  reliés  entre  eux,  qui  va 
nous  être  présenté  dans  ses  grands  traits  par  les  maîtres  dont  les  chefs-d'ieuvre  ont  été  les 
principaux  anneaux  de  cette  glorieuse  chaîne  ininterrompue. 

IL 

Le  développement  de  l'histoire  de  la  peinture  au  cours  du  XIX^'"'^  siècle,  dans  tout 
le  reste  de  l'Europe,  ne  dift'ère  pas  essentiellement  de  ce  qui  se  produisit  en  France.  Car  les 
graves  événements  qui  se  sui\-irent  sur  ce  sol  fertile  en  ré\'olutions  eurent  leur  contre-coup 
dans  toutes  les  régions  de  l'Occident.  Les  grandes  guerres  de  la  Ré\'olution  et  de  l'Empire 
créèrent,  après  le  mouvement  philosophique  du  XVIII^'""=  siècle,  le  \-aste  courant  des  idées 
françaises  à  travers  le  monde.  Dans  le  domaine  de  l'art  proprement  dit,  il  ne  faut  pas  oublier, 
du  reste,  que,  depuis  la  décadence  des  grandes  écoles  des  Pays-Bas  et  d'Italie,  la  France  joiùs- 
sait  d'un  prestige  exceptionnel  et  fournissait  toutes  les  cours  d'Europe  et  jusqu'aux  plus 
importantes  de  l'Asie  de  sculpteurs,  de  peintres  ou  d'architectes.  Cette  domination  du  goût 
français  fut  maintenue  et  étendue  encore  par  l'influence  presque  unanimement  acceptée  de 
David.    Son  ateher  ou  celui  de  ses  élèves  avaient  fonné  les  principaux  artistes  de  toutes  les 


Introduction    «'(.'•ne  raie. 


XllI 


écoles.  Peiidaiit  l;i  ]ircini('rr  mnitif  du  ^ii'-clc,  (raillrurs,  la  iM'ancc  (icciipc  à  peu  pn's  seule 
l'attentiou  du  monde  en  (e  cpii  toueiie  la  jinidurtion  artisticiue.  L"Anglcterre  fait  i)eut-êtrc 
exceptiim  a  la  rè.i^le  eu  raisun  de  son  état  d'isdleiiient  f,'éof;ra]>liique  (jui,  malgré  la  part 
inijKirtaiile  (lu'elle  |)reud  aux  é\(''nementN  de  l'épiKiue.  la  tient  i)lus  à  l'abri  des  b(iule\-erscnu-nts 
eiintineutaux.     M.d>    tnutes    les   auti"e>  natiiius   sont    |)liiugée>  dan>  de>  préoixupations  siiigu- 


lut( 


aussi.  ])iiur  raflraueliissement  de  l'indixidu  et 
i  enn>tituer  leui'  miité.  qui  ne  >"étalilit  que  ])ar 
■Il    tard   que   la  lîelgiiiue.  les  l'a\'s-l^i>  ou  l'Italie, 


lièrement  absorbantes.  1 
rindé])endance  des  jieuples  et  >ont  longue- 
la  guerre  et  dans  le  sang.  Ce  n'est  i|u'un 
anti(iues  foyers  d'art.  peu\en1  se  leiiieillir. 
faire  apjiel  à  leurs  \ieilles  traditions  et 
essa\'er  de  reformer  un  arl.  sinon  national. 
du    moins   local. 

Car,  pliéiiomèiii'  i|in  ne  peut  sur- 
]irendre.  le  développement  d<-  l'ait  \m 
continuer  à  suivre  le  dé\eloppeinent  de 
la  \-ie.  Il  n'y  a  })as  plus,  à  proprenieiii 
parler,  d'écoles  distinctes  ciu'il  n'\'  a  d'ide.i  1 
distinct  dans  la  conscience  des  peuplis. 
L'union,  faite  depuis  longtemps  par  de 
communes  admirations  jiour  les  génies 
supiérienrs.  qui  sont  connue  les  pli, ires  d<- 
riuimanité,  à  quel(]ue  ra(-e  ([u'ils  appar- 
tiennent, quel  que  s-oit  le  tem])s  où  ils  .dent 
\'écu,  cette  union,  qui  a  brisé  toutes  les 
barrières  géographiques,  s'est  faite  aussi 
par  le  rappprochement  matériel  des  jieu- 
pies,  qui  se  pénètrent  mutuellement  ,i\ie 
une  ardeur  chaque  jour  plus  \i\e,  gr.u f  ,i 
la  communauté  des  intérêts,  à  la  frétiiu'uce 
])our  ne  pas  dire  à  la  quotidiemn'té  des 
échanges  et  aux  moyens  extraordiiiains. 
inconnus  jadis,  de  conuuunic.itioii  entre 
eux.  Les  mêmes  mouveiuents  et  les  mêmes 
réactions  se  manifestent  donc  dans  l'éxii- 
lution  de  Fart,  chez  tous  les  peuj^les,  a\-ec 
des  causes  identiques  qui  ]>roduist'nt  des 
effets  semblables.  Si  l'orient, ition  est  tou- 
jours donnée  par  l'école  iranç.iise.  c'est 
qu'elle   a   une   tradition   plus  vigoureuse.  iCuii.ciion  Wuiiac-,  i...ii,ii.-s). 

que   les   crises   de   la   vie   nationale  n'ont 

jamais  interrompue  mais,  au,  contraire,  ont  chatiue  fois  rexixiliee  a\ee  une  nouvelle  inii)iilsion 
en  avant;  c'est  aussi  que  renseigneiuent  de  l'école  française  .i  été  prodi-ue.  tlepuis  un  .siècle, 
à  des  générations  entières  de  jeunes  arristes  étrangers,  attirés  par  son  r,i\dunement  et  par  les 
facilités  d'instruction  fournies  par  ses  ateliers.  Ces  circonstances  n'ont  pas  peu  contribué  à 
unifier  davantage  l'idéal  dans  l'inspir.ition  et  dans  la  technique  de  toutes  les  écoles  de  l'ancien 
et  du  nouveau  monde.  Il  n'y  a  donc  plus  guère,  au  XI.X'^''"'-  siècle,  ([u'une  seule  école  univer- 
selle, parlant  une  seule  langiu'  artisti(Hie,  où  chaque  nationalité  ne  se  différencie  des  autres 
que  par  les  nuances  des  idiotismes  particuliers  et  de  l'accent  local. 


.If   M  ~   K..hins 


XIV 


Introduction   o-^nérale. 


Avant  le  XVI II^''"<-' siècle,  la  Grande-Bretagne  n'avait  pas  eu  d'école  propre.  Tous  les 
artistes  lui  venaient  de  l'étranger.  Ce  phénomène  s'est,  en  partie,  reproduit  au  XIXème  siècle. 
Une  floraison  exceptionnelle  s'épanouit  pourtant  au  milieu  du  XVIIIè'ne  siècle  avec  le  groupe 
des  grands  portraitistes  et  paysagistes.  Elle  se  prolonge,  en  s'affaiblissant,  jusqu'aux  premières 
années  du  XIX'^""^'  siècle,  mais  se  relève  bientôt  en  produisant  les  trois  extraordinaires  figures 
de  Turner,  de  Constable  et  de  Bonington.  Le  dernier,  d'ailleurs,  vit  en  France  et  les  deux 
autres,  fort  discutés  alors  chez  eux,  sont  surtout  appréciés  dans  le  milieu  romantique  français, 
(|u'ils  ne   fuimt    iki>   s.ins  influencer.    Le   reste   de   l'école  s'énerve  et  se  dilue  en  médiocres 

élucubrations  d'amateurs,  occasionnant 
\-ers  le  milieu  du  siècle  une  réaction 
dans  l'inspiration  et  dans  la  technique, 
(jui  s'affirma  par  le  mouvement  com- 
jilexe,  passager  et  assez  artificiel  qu'on 
a  appelé  le  préraphaélisme,  réaction  à 
la  fois  naturaliste  et  archaïsante,  qu'on 
retrou\"e  sous  d'autres  aspects  dans  les 
autres  écoles  européennes.  Si  instruc- 
tiw  et  curieuse  que  fût  cette  manifes- 
tation, elle  ne  laisse  pas  de  germe 
fécondant  dans  l'école.  L^n  académisme, 
formé  d'influences  hybrides,  auquel 
jirirent  part  eux-mêmes  les  principaux 
protagonistes  de  la  petite  révolution 
précédente,  lui  succéda.  Mais  le  con- 
tact avec  les  écoles  continentales, 
nntamniont  a\'ec  la  France,  de\'ient 
de  jilus  en  plus  fréquent  et  de  plus  en 
plus  étendu  et  les  mêmes  mouvements 
de  préoccupations  analytiques  ou  d'in- 
spiration synthétique  s'y  font  sentir. 
En  ce  qui  concerne  l'Amérique 
du  Nord,  qu'il  convient  de  rapprocher 
de  l'éciile  de  Grande-Bretagne,  le  mou- 
\'ement  artistique  y  est  devenu  intense 
au  cours  du  XlXèii":  siècle.  Les  pre- 
n^iers  peintres  locau.x  sont  naturelle- 
ment d'origine  anglaise  et  un  certain 
accent  britannique  continue  à  percer 
dans  l'inspiration  ;  mais  le  dév'eloppe- 
ment  des  arts  y  est  pres(|ue  t'xclusi\-ement  français,  soit  que  les  artistes  américains  aient 
fixé  leur  résidence  à  l'aris,  ce  i\m  est  le  cas  d'un  très  grand  nombre,  soit  qu'ils  soient  retournés 
dans  leur  pays,  leur  éducation  faite  dans  nos  académies,  soit  même  que,  n'ayant  pas  quitté 
le  sol  natal,  ils  aient  subi  l'influence  de  leurs  camarades,  ravivée  par  les  riches  collections 
publiques  ou   privées  d'art  français  contemporain. 

Parmi  les  j^etits  peuples  septentrionaux,  intelligents,  réfléchis,  actifs  et  industrieux, 
qui  bordent  les  mers  du  Nord  et  de  la  Baltique,  et  dont  l'apport  à  l'histoire  de  l'art  au 
XIX*="i<=  siècle  est  très  notable,  par  la  qualité  sinon  par  la  quantité,  la  Belgique  et  les 
Pays-Bas  tiennent  la  première  place.   Les  anciens  foyers  assoupis  se  sont  réveillés-pour  former 


Francis 


GoVA.   —  Jeune  femme  espagnole  (Musée  ilii   Louvre J. 


Introduction    <>'cnénilc. 


XV 


des  générations  d'artistes,  <iui  se  distinguent  des  autres  écoles  eurii]u''ennes  en  ce  sens  ([u'ils 
sont,  sans  doute  par  la  \'ertu  de  la  race,  de  \'rais  ..peintres""  dans  toute  l'acceiition  du  mot. 
L'origine  de  leur  déxeloppenienf  moderne  est  conunune  et.  d"ailleurs.  jus(iu'."i  la  date  de  la 
révolution  de  i8]o,  (jui  proclama  rindépendance  de  la  Helgi(iue.  les  i-'landrts  et  les  i*ays-P>as 
sont  luiies  par  la  conununauté  d"e\istence  politique.  C"est  Daxid.  ]>riiscrit  et  fixé  à  Bruxelles, 
qui,  naturellement,  en  dirigea  le>  débuts.  I-ài  lîelgiciue.  ]iar  suite  des  aûiniti's  de  race  a\-ec 
la  France  et  de  contri'-coups  ([uc  le>  éxénements  politi(|ues  de  ce  pa\'s  \-  firent  sentir,  les 
divers  mouvements  jnnduits  daii>  ri'((ilc  lrani,ai>e  :  li;  ronianti>ini'.  le  n'Mlisme  ou  rim])res>inn- 
nismc,  les  tendances  idéalistes 
ou  les  aspirations  sociales 
eurent  leurs  échos  parmi  les 
peintres.  Une  véritable  renais- 
sance, pleine  d'activité,  a  fait 
succéder  Fart  belge  à  l'art 
flamand.  Certains  maîtres  de 
cette  école,  tel  Constantin 
Meunier,  ont  pris  dans  liiir 
temps,  par-dessus  les  fronti  ères 
de  leur  pays,  une  place  tle 
première  ordre. 

En  Hollande,  la  jk'- 
riode  davidienne  fut  sui\ii' 
d'un  retour  timide  \"ers  les 
anciens  maîtres  nationau-\  et 
de  contacts  avec  les  jieintres 
de  l'école,  voisine,  de  Dussi-l- 
dorf,  qui  jouirent  mi  iiKiment 
de  \'ogue  et  n'étaient  guère, 
eux  aussi,  que  des  imitateurs 
des  vieux  maîtres  de  Hollande. 
Le  \"éritable  réveil  se  ]>rodui>it 
autour  de  la  haute  persdu- 
nalité  d'Isracls,  f(jrmé  ]>rès 
des  maîtres  français  de  l'h-coli 
de  1830,  mais  qui  a\'ait  gardé 
sa  ph3'sionomie  profondément 
originale  et  dont  l'influence 
s'étend  bien  au  delà  de  S(.)n 
pays.  Comme  l'école  belge, 
l'école    hollandaise    moderne, 

revenue  à  de  fortes  et  saines  tradition,  constitue  un  des  foyers  d'art  les  j)lu>  intenses  autour 
d'une  pléiade  de  maîtres  justement  renommés. 

Les  pays  scandina\-es  sui\-eut  à  peu  près  tous  la  même  direction  artisti(iue.  Les  premières 
influences  qui  se  font  sentir  sont  celles  de  l'F.cole  ancienne  de  Hollande,  ce  ciui  s'exidique  natu- 
rellement par  des  affinités  de  races,  de  niciiirs  et  de  religion,  de  l'érole  de  Dusseldorf.  pour 
les  mêmes  motifs  que  précédemment  et,  ultérieurement,  de  l'école  française,  surtout  du  cote 
des  peintres  luministes.  Car  les  Danois,  Norvégiens,  Suédois  ou  Finlandais  ont  excellé  dans 
ces  recherches  spéciales  de  grande  lumière  au  dehors  et  de  clair-obscur  dans  les  intérieurs. 


Giusri'i'K  .-\Nr,i-,i.i. 


1,<-  iH-i,t 


X\l  Introduction  g-cncralc. 

lui  Alli'nia,t;iK',  le  inouwinciit  de^  arts,  au  XIX'^'"'^  siècle,  a  ])ris  une  inipurtance  qui  n'a 
ces>é  de  croître  a\'ec  les  ambitions  mondiales  du  nouxcl  empire  ,t;erma nique.  On  a  créé  avec 
activité  des  écoles,  des  musées,  (RU'ert  des  expositions.  Mais,  dans  cette  race  réiléchie,  volon- 
taire et  ti'uace,  la  sensibilité,  qui  est  la  condition  même  de  l'art,  est  moins  grande  que  la  \-(jlonté, 
la  persévérance  et  \c  raisonnement.  Pour  (jnelques  personnalités  indépendantes  qui  s'imposent, 
mais  sans  imposer  leur  es]irit  dr  lii)erté,  l'art,  à  toutes  les  périodes,  prend  un  caractère  d'art 
à  idées,  d'art  à  systèmes.  .\u  début  du  >iècle.  les  tra\'aux  d'érudition  sur  l'antiquité  produisent, 
en  les  dépassant,  les  nirme-.  phénomènes  (pi'en  France.  Une  réaction  orientée  \-ers  les  primitifs 
suivit,  connne  dans  l'atelier  de  l)a\'id.  mais  ax'ec  un  caractère  ])lus  mystique  que  plasticjue.  C'est 
ce  ([u'on  a  appelé  les  Nazciri-ciis.  i^'i'oupés  à  Rome  autour  d'Overbeck.  Plus  tard,  des  foyers 
distincts  se  fondent  à  Alunieli.  i)umt  de  ralliement  de  l'école  historique,  philosophique  et  ency- 
clojiédique,  (pu  de\iendia  un  de^  i>lus  importants  centres  d'enseignement  artistique  de  l'Europe 
centrale;  à  In-rlin.  (pu  lui  fera  une  active  concurrence  :  à  Dusseldorf,  milieu  plus  réaliste,  plus 
en  contact  avec  les  \-ieux  maîtres  de  Hollande  et  les  grands  français  de  1830,  d^où  sortirent 
les  maîtres  les  plus  originaux  de  l'art  allemand  et  notamment  Adolf  ]\Ienzel. 

Plus  tard  un  groujie  essaiera  de  former,  autour  du  ])eintre  bâlois  Boecklin,  une  sorte 
d'école  nationale,  d'un  romantisme  très  sjiécial,  tandis  cjue,  avec  Liebermann,  un  souffle  venu 
de  France  et  de  Hollande  essaie  de  \-i\-ifier  cette  atmosphère,  saturée  de  miasmes  de  musées. 

En  Suisse  les  influences  paraissent  se  di\'iser,  sui\'ant  les  voisinages  de  frontières, 
entre  la  France.  l'Italie  et  l'Allemagne.  C'est  dans  son  sein  (jue  l'Allemagne  prendra  son 
chef  d'école.   Boecklin.  comme  elle  awiit  jiris  autrefois  Holbein. 

En  .\utriclif-Hongrie  le  mouvement  dt's  arts  est  très  important.  Le  dilettanttisme  pour- 
tant règne  en  maitre.  dans  un  pays  riche  en  C(_illections  du  passé,  mais  (jui  n'a  pas  de  tradition 
propre.   Ouekiues  noms  célèlires.  quelques  ieu\-res  retentissantes  lui  ont  donné  un  certain  éclat. 

En  Russie,  après  un  petit  niouv'ement  créé,  au  XX'nP'  siècle,  autour  des  peintres 
français  appelés  à  la  cour,  l'art  russe  a  longtemps  \-égété  dans  le  genre  en  subissant  l'influence 
de  l'école  de  Dusseldorf.  Tandis  que  la  pensée  russe,  par  la  littérature,  ébranlait  le  monde, 
l'art  restait  fort  en  arrière.  Mais  depuis,  soit  en  s'aj^pru-ant  sur  k's  efforts  tentés  en  Allemagne, 
soit  en  se  ra])pr()cliant  de  la  France,  il  a  ])ro(hut  ipiehpies  i)ersonnalités  très  intéressantes  qui 
font  bien  augurer  (le  l'av-enir. 

Au  début  du  siècle  l'Italie,  comme  la  France,  perd  le  S(.iuvenir  des  derniers  petits 
maîtres  qui  ont  gardé  (pielque  sen>ibilité  d'art,  pour  se  jeter  à  corps  perdu  dans  l'érudition 
du  faux  anliiiue.  Le  laliorieux  enfantement  de  m  m  imité  retardait,  d'ailleurs,  t(_)ut  rencniveau 
d'art.  Le  risuri^iiiieiiln  lit  surtout  des  jjoètes  et  des  hommes  d'action.  Une  f(_)is  constituée  en 
nation,  les  xieilles  facultés  se  réx'eillent.  I^e  mouwment  ]iart  du  Sud  et  se  maintient  surtout 
dans  le  genre.  Puis,  peu  à  peu.  à  Turin,  à  Milan,  à  \'enise,  car  c'est  plutôt  dans  le  nord  que 
remonte  et  se  concentre  l'activité,  se  créent  divers  foyers  très  viv'ants.  De  l'un  d'eux  se  dessine 
une  personnalité  très  marquée,  celle  de  Segantini,  f(jrmée  en  partie  sous  l'action  des  maîtres 
français,  qui  a  donné  à  l'Italie  une  orientation  nouvelle  dans  les  \-oies  modernes. 

En  Espagne,  l'individualité  la  plus  haute  est,  tout  au  début  du  siècle,  ce  survivant  du 
passé,  qui,  d'ailleurs,  est  si  en  avance  sur  son  temps,  ce  Goya,  si  étrange,  si  original  et  si  divers. 
Après  lui  l'art  dégénère  dans  le  ,, genre"  et  le  ,, genre  historique",  surtout  après  l'influence 
de  Fortuny,  qui  s'exerça  de  même  dans  les  milieux  italiens.  ]\Iais  les  vieilles  traditions  ont 
été  relevées  par  quelques  jeunes  artistes,  coutumiers  des  Expcjsitions  parisiennes,  et  l'Espagne 
a  le  droit  d'aspirer  à  reprendre  sa  place  aux  premiers  rangs  des  peuples  qui  ont  créé  du 
beau  avec  du  réel,  fut-ce  même,  suivant  son  génie  propre,  avec  de  l'horrible  et  du  laid. 


—        Ci. 


>    o 


ClIAlTIRl'.  I. 

l'.COl.K     FRANÇAISE. 

Pki:mii":kM';  I'kkiodi;.  —  Dr.   iSoi    a   iS;o. 

DAMIJ  peut  rtrr  ap|icl(-  juslcincnt  le  prie  de  Fart  au  XIX''  siècle.  S'il  iTa  pas,  à 
proprement  |:)arler.  suscité  la  ré\-(ihiti(in  qui  a  ri'couslilui''  Fart  lundeinr  sui'  des  hases 
définitives,  il  Ta.  du  niciins,  fait  ahoutii".  I''t  ce  lôle  est  (T.iutant  plus  nii'i  it<iir<\  (pTil 
n"a  pas  été  seulement  instinctif  et  spuntané,  mais  conscient  el  xnlontaire,  et  (pie  David  >'e>t 
appliqué  avec  une  énergie  faruuche  à  détruire  tdUt  ce  <pii  re>tait  de-,  iiraticpies  di^plorahles 
d'un  passé  d'élégances  maniérées  et  di'  teclnuques  faussées.  ])(iur  a^^.iiiiir  ren-,eii^nenient  et 
relever  la  peinture  dans  la  dignité  de  sa  haute  mission.  On  sait,  en  eltrt.  i|u'il  pi)ur>ui\it  de 
sa  haine  l'ancienne  Académie  royale  et   ipi'il  [larv'int  à  la  faire  {JiNSoudic. 

On  a  pu  lui  reprocher,  sans  douti',  d'ax'nir  créé  à  sim  tniir,  par  l'exagératiim  rJe 
l'esprit  de  système,  im  académisme  nnu\-eau  aussi  insu])])(irt.d)le  que  l'autre,  cnnlre  lequel 
les  générations  nouvelles  s'insurgeront.  Il  n'en  est  pourtant  pa^  eiitièreuien'  responsahle, 
et  ce  sont  surtout  certains  de  ses  discijiles,  qui  ont  répandu  ces  tlognus  couiniode-,  pour  aliriter 
leur  médiocrité  et  leur  impuissance.  Les  élè\'es  si  divers  ([u'il  a  formés  et  (pi'il  n'a  cessé 
d'encourager  dans  la  \"oie  où  les  ])ortait  leur  tempérament  personnel,  non  seidement  les 
Girodet,  les  Gérard,  les  Ingres,  m;iis  encore  les  Gros,  les  Gr.met.  le--  I.éopold  Robert,  les 
Drolling,  les  Isabey,  les  Schnetz,  montrent  bien  (pielle  était  l'étendue  de  sou  libéralisme. 
Maintenant  que  nous  le  jugeons  à  distance,  avec  l'impartialité  di-  l'instoire.  nous  comprenons 
mieux  son  caractère  d'intelligence,  de  raison,  de  \'olonté,  ce  réali-^nie  ]io-.ilil,  mais  élevé,  qui 
savait  puiser  à  toutes  les  sources  du  Beau,  s'adressant,  tour  à  tour,  aux  \igoureu.\  rhétoriciens 
de  Bologne  ou  de  Naples,  aux  antiques  de  Rome  ou  d'Herculanum,  aux  peintures  de  vases 
grecs  et,  encore,  aux  primitifs  florentins  ou  a.ux  anciens  flamands. 

C'est,  d'ailleurs,  de  son  atelii'r  ([ue  sortiront  toutes  les  tendances  (|ui  \-ont  se  laire 
jour  peu  après. 

Jacques-Louis  D.\vil>  est  né  à  Paris  le  ]n  août  1741^.  Il  était  lils  de  gen-.  aisés  — son 
père  tenait  un  commerce  de  fer  —  qui  lui  donnèrent  une  bonne  édutalion  cla--si(iue.  11  mon- 
tra de  si  bonne  heure  des  dispositions  pour  le  dessin  que  sa  mère,  de\-emu'  \-eu\e,  céd.mt  aux 
instances  de  parents  et  d'amis,  se  décida  à  le  faire  présenter  au  vieux  peintre  lîoucher,  qui 
était  un  ancien  ami  de  la  famille.  Celui-ci  s'adressa  à  Vien.  alors  dans  tout  l'éclat  de  sa 
réputation.  Le  Jeune  David  fit  dans  cet  atilier  de  rapides  ]irogrès  et,  aprè^s  divers  essais 
infructueux  au  concours  de  Rome,  il  obtml  le  grand  prix  en  1774.  Il  accompagna  à  Rome 
son  maître,  Vien,  qui  venait  d'être  nonuné  Directeur  de  l'.Vcadénue  de  iMance.  I)a\id  a\-ait 
alors  27  ans.  Les  tableaux  exécutés  avant  son  départ  sont  tout  à  lait  conçus  dans  res])rit 
du  XVIIIème  siècle,  des  Boucher  et  des  \'an  Loo,  (ju'il  attacpiera  >i  vivement  plus  tard.  A 
Rome,  sous  l'influence  du  mihcu  nouveau  où  il  se  trouve,  parmi  les  érudits  cpii  ont  ])réparé, 
dirigé  ou  suivi  le  mouvement  récent  d'études  archéologiques,  par  l'observation  ]xitiente,  atten- 
tive, éclairée  des  maîtres  italiens,  (pi'il  choisit  un  peu  à  tâtcms,  pour  l'instant,  en  commençant 


La  Peinture  au 


XIX' 


siècle. 


par  les  Bolonais  et  les  Napolitains,  son  dessin  se  réforme,  sa  manière  s"agrandit_jet  il  se 
dépouille  presque  entièrement  de  ce  qui  restait  en  lui  des  habitudes  de  son  passé.  C'est  à 
cette  date  qu'appartient  la  Pcsic  de  St  Rocli.  qui  est  placée  dans  la  Chapelle  de  la  Santé,  à 
!Marscille.  A"réé  de  l'Académie  rovale,  puis  reçu  académicien  en  1783,  il  retourne  en  Italie 
et  peint  à  Rome  son  tableau  des  Horaces,  qui  fixe  la  nouvelle  orientation  de  l'art. 

De  retour  à  Paris,  il  continue  dans  cette  voie  awc  Lii  Mort  de  Socrate.  Les  fils  de 
Briiius,  Paris  et  Hélène.  Lors  des  événements  de  1789,  il  prend  une  part  active  au  mouvement 
révolutionnaire.  Nommé  membre  de  la  Convention,  oii  il  siégea  parmi  les  ,,]Montagnards", 
compromis  avec  le  parti  de  Iv  '     :  •  -v.  il  fut  même  incarcéré  au  Luxembourg  où  il  resta 


"Ks-I,ori^  UAVin. 


(.Mus 


du  Louvie). 


plusieurs  mois,  durant  lesquels  il  ne  cessa  de  travailler.  Rendu  à  la  liberté  le  4  bnimaire  an 
IV,  il  renonça  à  la  politique,  mais  s'attacha  bientôt  à  la  fortune  du  premier  consul  qui,  devenu 
empereur,  en  fit  son  premier  peintre.  Sous  la  Restauration,  compris  sur  la  liste  de  proscrip- 
tion du  16  Jan\'ier  1S16,  qui  atteignait  les  régicides,  David  se  fixa  à  Bnixelles,  où  il  mourut 
le  29  Décembre  1825. 

Le  tableau  du  Seyiiie>it  des  Horaces  est  le  point  de  départ  de  l'art  nouveau  que  Da\"id 
inaugurait.  Il  semble  même  qu'il  devance  l'idéal  révolutionnaire  auquel  il  répondait  si  pleine- 
ment, c'est  pourtant  le  fruit  d'une  commande  de  la  royauté.  Le  sujet  avait  été  agréé  dès  1783. 
David  exécuta  son  tableau  à  R  ;/me  en  17S5.  Il  l'avait  conçu  d'après  la  tragédie  de  Corneille, 
qui  l'avait  toujours  très  vivement  frappé:  mais  un  premier  projet,  auquel  il  ne  s'arrêta  pas. 


Lcolc   française.  3 

compurtail  une  autre  scène,  celle  où  le  \ieil  Horace  défend  son  lils,  meurtrier  de  sa  sfcur, 
de\-<int  le  jxniple.  n"inlluenc(ï  du  milieu  romain  a\"ec  ses  !,'rands  souvenirs,  la  société  des 
savants  qui  Favait  déjà  transformé  à  son  premier  voyage,  furent  particulièrement  favorables 
à  ce  travail.  David  raclu'\-a  vn  onze  mois,  vu  se  faisant  aider  }xir  son  élève  de  prédilection,  le 
jeune  Germain  Dnniais.  lîxjiosée  dans  son  atelier,  cette  toile  eut  un  succès  énorme  au  ])oint 
que  le  pape  pût  désirer  ([u'cm  la  lui  portât  au  \'atican.  Au  Salon  de  17S5,  le  succès  ne  fut  pas 
pas  moins  considérable.  l).i\itl  ne  se  méprenait  pas.  cependant,  sur  les  défauts  de  cette 
œu\'re  :  il  la  jugeait  plus  tard  assez  sévèrement,  reconnaissant  la  division  du  tableau  en 
deu.x  effets  qui  en  rompaient  l'unité,  la  comjxisition  tliéâtrale,  K:  dessin  qu'il  troux'ait  ])(-'tit 
et  la  couleur  contestable.    L'enthousiasme  ([u'il  déeh.iina  tenait  à  l'exaltation  ardente  et  mal 


Jacvicks-I.ouis  IXwin. 


S:il)ines  (Mu>ci-  <lii   I.cnivrc). 


contenue  des  esprits,  mais  on  ne  peut  lui  contester,  a\-ec  le  mérite  circonstanciel  de  la 
nouveauté  et  de  rimpré\-u  par  rapport  aux  ouvrages  antérieurs  de  l'Ecole,  un  caractère 
d'héroïsme  (jui  frappa  vivement  les  contemporains,  nourris  d'antiquité.  1 1  (pii  ne  laisse  pas 
de  nous  toucher  encore.    Ce  tableau  a  été  payé  à  David  6.000  francs. 

La  Mort  de  Socrate  et  Les  Fils  de  Brutus  établirent  universellement  l'intluence  du 
maître  et  l'engagèrent  dans  la  mêlée  politique.  Son  activité  productrice  est  momentanément 
ralentie  par  l'exercice  de  sa  vie  publique  et  toute  reportée  sur  les  grandes  réalités  du  jour. 
C'est  à  cette  heure  que,  partageant  cette  sorte  d'enivrement  républicain  et  patrioticjue  qui 
était  général,  il  dédie  à  la  Convention  les  images  de  Lepeletier  de  Saint-Fargeau,  tombé  sous 
les  coups  d'un  assassin,  du  jeune  Bara  et  de  IMarat. 


4 


La  Peinture   au   XIX''   siècle. 


lequel  étaient  placés  de  1" 


].e  lendemain  de  la  mort  de  Marat,  cunmie  une  députation  tle  la  section  du  Contrat 
Social  venait  présenter  à  la  Convention  les  regrets  du  peuple,  un  de  ces  délégués,  faisant  allu- 
sion à  la  précédente  peinture  de  David,  celle  de  Lepeletier,  sY-cria  :  „0ù  es-tu.  David  ?  il  te 
reste  un  tal>leau  à  faire.  —  Je  le  ferai!"  s'écria  David,  cpii,  de  tout  temps,  s'était  montré  un 
partisan  lanati(iue  tlu  farouche  ..Montagnard".  Il  se  mit  en  effet  à  l'œuvre  sans  tarder, 
se  servant  pour  la  tête  du  moulage  qu'il  avait  fait  faire  sur  nature,  et  représentant  Marat 
tel  qu'il  l'avait  vu  a])rès  le  coup  fatal.  ..Il  avait  près  de  lui.  dit  David,  un  billot  de  bois  sur 
'encre  et  du  papier,  et  sa  main,  sortie  de  la  baignoire,  écrivait  ses 

dcrnic'res  pensées  pour  le  salut  du 
[leuple". 

David  annonça  le  il  octo- 
bre 17OJ  (20  \'endémiaire),  que  son 
tableau  était  achevé  et,  le  24  bru- 
maire, il  l'offrait  à  la  Convention. 
Rentré  peu  après  en  sa  possession  et 
resté  après  sa  mort  dans  sa  famille, 
ce  tableau  a  été  offert  en  1893,  par 
son  petit-iils.  au  Musée  de  Bruxelles. 
Le  Musée  de  \'ersailles  en  possède 
une  répétition  par  son  élève  Langlois. 
Ces  quelques  tableaux  révo- 
lutionnaires, franchement  inspirés 
jiar  des  réalités  immédiates,  par  des 
faits  d'actualité,  préparent  admira- 
blement Da\-id  au  rôle  essentielle- 
ment moderne  que  lui  assignera  la 
volonté  impériale.  Néanmoins,  il  ne 
perd  i^ias  de  vue  son  premier  objectif. 
11  poursuit  toujours  la  recherche  de 
(I-  ([u'il  appelait  le  beau  visible  et 
li-nti'  de  hxer  les  caractères  éternels 
de  grandeur  et  de  beauté  du  type 
humain,  en  se  soumettant  à  l'étude 
respectueuse  de  la  Nature,  mais  en 
s'éclairant  sur  les  chefs-d'œuvre  des 
anciens  et  cette  fois,  non  plus  des 
Romains,  mais  des  Grecs.  C'est  dans 
cet  état  d'esprit  qu'il  attaqua  son 
tableau  des  Sabitics.  aucpu-l  il  pensait  déjà  du  fond  de  sa  prison  du  petit  Luxembourg.  Il 
a\'ait  entrepris,  disait-il,  une  chose  toute  noii\-elle,  il  voulait  ramener  l'art  aux  principes 
qu'on  suivait  chez  les  Crées;  il  de\'ait,  en  particulier,  restaurer  le  culte  du  Nu. 

Il  est  vrai  de  dire  cpie  cette  période  du  Directoire,  pendant  laquelle  ce  tableau  fut 
entrepris,  se  déroula  comme  une  vaste  orgie  antique.  C'était  la  détente  inévitable  après  tant 
de  lourds  cauchemars.  David  suivit  le  mouvement  qu'il  avait  contribué  à  créer,  et  même, 
il  semble  avoir  également  subi  l'influence  de  quelques-uns  de  ses  propres  élèves  :  ce  petit 
groupe  des  penseurs  ou  des  primitifs,  réuni  autour  de  l'un  d'eux.  Maurice  Quay,  qui, 
précédant  de  loin  les  Nazaréens  allemands  ou  les  préraphaélites  anglais,  déclaraient  que  la 
décadence  de  l'art  avait  commencé  à  partir  de  Phidias. 


Jacques-Louis  Daviii. —  X.)]» liée Jii  au  Mi.mSt-l'.' 


Kc'oK'   tiMiiçaisc.  7 

l)a\i(l  se  mit  lir  suite  à  ruiiNri'.  Sa  toile,  rommcncée  en  i7')3.  lut  terminée  en  i /()<): 
olle  iT'présente  non  p.is  ri{niè\enient  des  Sabines.  ain>i  (ju'nn  le  voit  rhe/  l'oussin.  mais  les 
SabiiK's.  (!e\-enues  mèiCs.  apportant  huis  enfants,  à  la  suite  crileisilie.  femme  de  Ronuilus. 
au  milieu  de  la  bataille  entre  le>  Rom.iius,  leurs  é]>ou.\.  et  le>  Sabins.  leiu-s  fières,  pour  apaiseï 
le  différent  sur\emi  entre  les  deux  chefs:  Ronudus.  ipron  \-oit  à  droite,  dardant  son  ja\'elot, 
et  T.itius,  à  i,'auelie.   ciui   se  baisse   ]ionr  éviter  le   trait. 

Cette  toile  était  déjà  célèbre  .i\-ant  d'être  terminée.  Ouelques  ]iri\'iléL;ié's  ax'aieiit  été 
admis  à  la  x'oir  dans  l'atelier  et  l'on  disait  couramment  que  ]>lusieiirs  dime>  de  la  haute 
société  n'a\aient  |)as  hésité  à  offrir  à  r.irti>te  le  concour>  de  leurs  charmes.  Il  |)araît  \'rai 
seulement   ([ue   la   tète  de   la   jeune   femme   brune,   af^enouillée  au  ]5remier  plan,  a  été  reprise 


Iaci.ujks-I.ocis  Davih, 


l'orlniii  (U-  M""-  K 


(MusOc  au   l.cmvi.-). 


d'après  le  visage  d'une  très  jolie  jeune  femme  à  la  mode.  M""'  de  P>elle,L;arde.  Ce  tableau 
ne  fut  exposé  au  Salon  cpi'en  iSoS;  il  obtint  la  [Memière  mention  lors  du  concours  décennal 
de  1810.  :\[ais  l'auteur  avait  eu  l'idée,  prise  aux  coutimies  d'Outre-Manche  et  (pii  a  été  si 
souvent  suivie  depuis,  de  faire  de  son  table.ui  une  exposition  privée,  spéciale  et  payante. 
Elle  eut  lieu  dans  une  des  salles  du  I. ouvre,  tlura  cinq  ans  et  rapporta  65.627  francs.  Les 
Sabines  furent  acquises  en  1819.  de  M.  de  l.i  Ha\e.  avec  le  Uonidas  aux  Tlicnnopylcs,  pour 
la  somme  de  50.000  francs. 

Passionnément  loué  et  critiqué,  ce  tableau  représente  sinon  le  plus  grand  effort,  du 
moins  le  plus  lieureux  du  peintre  dans  ce  style  héroïque.  Si  l'on  fait  la  |)art  des  conventions 
de  ce  genre  quasi  sculptural  et  de  ce  ton  un  peu  solennel,  ou  ne  peut  nier  qu'il  ne  nous  touche 


La  Peinture  au   XIX''  siècle. 


par  un  mélange  de  noblesse  et  de  charme,  une  beauté  fiùre  qui  u"a  pas  encore  la  pureté 
mélodicpie,  l'imprévu  discret  de  nature  du  style  définitif  que  trouvera  son  élève  Ingres,  mais 
qui  Fannonce  hautement.  La  couleur  est  sobre,  mais  sans  aigreur  ni  froideur:  la  composition, 
elle-même,  si  discutée  pourtant,  est  d'un  beau  désordre  logique.  C'est  une  mêlée  corps  à 
corps,  mais  sans  trouble  pour  le  regard,  où  le  rôle  de  chacun  est  nettement  assigné  et  où  le 
mouvement,  du  moins  chez  les  femmes,  a  un  certain  élan  qui  n'est  pas  coutumier  au  maître, 
Lorscjuc  Bonaparte  revint  en  France,  après  le  traité  de  Campo-Formio,  David  s'empressa 

de  renouer  avec  lui  leurs  rela- 
t  inns  déj  à  anciennes.  Bonaparte 
nr  manqua  point  d'attacher  à 
s.i  flirtant'  un  homme  qui 
(U'\-ait  rtrc  si  nécessaire  à  sa 
i;l(iirc.  11  Cl  insentit  à  poser, 
|Miur  l)a\-id,  un  portrait  dont 
la  tête,  enlevée  en  une  séance 
(If  trois  heures,  fut  seule  ache- 
\'ée.  Elle  servit  au  peintre  à 
exécuter  le  tableau:  Le  premier 
iousitl  iraiiiliissant  le  mont  Si 
Ikriiard  (20  mai  1800),  placé 
.lu  Musée  de  Versailles  et  dont 
il  existe  quatre  autres  répé- 
titions. Bojraparte,  suivant  son 
désir  et  ses  propres  termes, 
rst  représenté  ,, calme  sur  un 
che\-al  fougueux".  A  ses  pieds, 
--nr  11'  nicher,  sont  écrits  les 
noms  d'Annibal  et  de  Charle- 
magne.  Ce  tableau  a  été  peint 
en    1S05. 

Devenu  le  premier 
printre  de  l'Empereur,  David 
liit  à  exécuter  quatre  tableaux, 
([ui  ck'waient  représenter chacrm 
mie  des  quatre  principales 
cérémonies  ayant  marqué  l'avè- 
nement au  trône  de  Napoléon  : 
le  Sacre,  l'Intronisation,  la  Dis- 
tribution des  Aigles,  la  Récep- 
tion de  l'Empereur  à  l'Hôtel 
de  Ville.  Deux  seulement  de  ces  compositions  furent  exécutées  :  la  première  et  la  troisième. 
Le  Sacre  de  Xapoléon  et  le  Couronnement  de  Joséphine  à  l'Eglise  de  Notre  Darne  est, 
assurément,  la  composition  qui  domine  l'œuvre  de  David  conune  elle  est  aussi  une  de  celles 
qui  dominent  tout  l'art  contemporain.  Elle  a  été  exécutée  de  1805  à  1808,  non  sans  avoir 
subi  quelques  changements  exigés  par  le  protocole  impérial,  l'nité  de  composition,  unité  de 
clair-obscur  et  d'harmonie,  unité  d'intérêt  et  d'émotinn  recueillie,  tout  y  est  réuni  et  combiné 
pour  rendre  la  solennité  exceptionnelle  de  ce  spectaclejgrandiose. 

Au  {)ied  de  l'autel  est  assis  le  pape  Pie  VII,  ,,ce  vrai  prêtre,  humble  et  pauvre",  dont 


h'.AN-IlAri  I  - 1  K  Kt.(;\,\r[,r.  —   I,. 


Ecole  française.  9 

David  avait  peint  \X'n  avant  le  portrait  avec  cette  dédicace:  .Jionaruin  cirtium  patroni" ,  entouré 
du  cardinal-légat  Caprara.  du  cardinal  Braschi.  debout,  mitre  en  tête,  et  de  son  clergé.  En 
arrière  sont  les  ambassadeurs:  sur  le  premier  plan,  à  droite,  rarchitrésorier  (Lebrun)  tenant 
l'aigle,  rarchichancelier  (Cambacérès)  tenant  la  main  de  Justice,  et  le  prince  de  Neufchâtel, 
portant  le  globe  impérial  sur  un  coussin:  puis  c'est  Talleyrand,  prince  de  Bénévent:  le  vice-roi 
d'Italie,  appuyé  sur  son  sabre:  le  grand  écuyer  Caulaincourt,  le  jîrince  de  Ponte  forvo,  le 
Cardinal  Fesch  en  a\ant  d"nn  groupe  de  prêtres  et  d'enfants  de  cho-ur. 


TlKRRE  (Ukris.  —  \.c  rctuur  de  Marcus  SeNlus  (MusOe  <lu  Louvre). 


Au  milieu,  les  deux  acteurs  principaux.  Napoléon,  revêtu  du  grand  manteau  impé- 
rial de  \elours  pourpre,  un  laurier  d'or  dans  les  che\-eux,  a  pris  la  couronne  des  mains  du 
pontife  et  la  pose  sur  la  tête  de  Joséphine  agenouillée  sur  les  degrés  de  l'autel.  Son  manteau 
impérial  est  tenu  par  ses  dames  d'honneur,  M'"*=  de  La  Rochefoucauld  et  M"'<^  de  la  \'alette. 
Derrière  elles  on  aperçoit  l'archevêque  de  Paris,  accompagne  de  ses  vicaires  généraux,  puis  le 
général  Junot,  la  famille  de  l'Empereur,  la  reine  de  Naples,  la  reine  de  Hollande  tenant  son 
fils  par  la  main,  la  princesse  Bacciochi,  la  princesse  Borghèse,  la  grande-duchesse  de  Berg, 
le   roi   de   Naples  et  le  roi  de  Hollande.    En  arrière  les  maréchaux  et  les  chambellans  et,  au 


lO 


La   Peinture   ;ai    XLV  siècle. 


milieu,  dans  une  tribune  devant  latiuelle  sont  dt^ljout  (juelques  autres  maréchaux,  Serrurier, 
iMducey,   Bessières,  i-st  assise  la  reine-mère. 

Dans  cet  ensemble  si  parfait,  l'individualité  des  ligures,  le  caractère  propre  de  chacun 
des  pers(inna;..;es  est  ma!.;i>tralemeiit  trailuit.  de])uis  les  héros  de  cette  imposante  solennité 
ju.-^tprau.x  phis  himililes  desser\'ants  nu  enfants  de  clueur.  marquant  discrètement,  derrière 
les  hauts  lamiiadaires  de  Tautel.   leur  intérêt   ou   leur  curidsite. 

juste  en  face  du  Siicrc.  à  ciité  des  Snhiiic^.  se  trouve,  dans  la  Salle  des  Sept  Cheminées, 
au  Liiuvre,  un  pditrait  inachevé,  mais  cpii  e>t  d'un  cliarme  extrême  de  grâce,  de  simphcité 
et  (rabandiiu.    Heureux  fut   le  contre-temps  qui   l'arrêta  en  route!    C'est  le  ])(>rtrait  de  cette 


A\\K-I,..l|s    ClkMl.l    1.    —    1,, 


LUI    (.Mu,L-e    illl    1...UV 


délicieuse  .1/""'  Rccaiiiicr,  célèbre  autant  par  sa  b(_inté  que  par  sa  beauté.  La  jolie  et  capricieuse 
créature,  ajirès  ax'oir  posé  pour  Dax'id,  s'était  laissée  toucher  par  le  succès  de  son  élève, 
Gérard,  vers  qui  montait  la  vogue;  Da\'id,  dépité,  abandonna  ce  travail.  La  toile  fut  acquise 
à  sa  vente  posthume  pour  6.130  francs. 


Au  moment  où  il  exposait  les  Sahiiics,  David,  si  souverain  qu'il  parut  î'tre  dans  l'empire 
des  arts,  awiit  pourtant  un  rival,  peu  dangereux  d'ailleurs,  et  qui,  quoi  (]u'il  pût  faire  ou 
qu'il  pût  croire,  subit  l'action  générale  exercée  par  le  maitre.  C'était  Jil.xn-B.aitiste  Regnault. 

Ce  peintre,  né  à  Paris  en  1754,  avait  eu  l'enfance  la  plus  aventureuse  et  s'était 
vraiment    formé    lui-même.     Son    père    s'embarqua  un  jour  pour  l'Amérique  avec  toute  sa 


K 


colv 


trancaisc, 


I  I 


laniilU'  et  le  confia^  à  un  rapitaiiu'  au  lonti  cours  en  qualilc  di-  mousse.  Il  avait  alui>  dix 
ans.  >()n  jière  mort,  sa  mî-vr  n-ntrail  vn  l'vancv.  vt  cv  n\'sl  <|u".iu  h<iul  de  ciiui  ans  qu'elle 
découvrit  r>on  tils,  qui  fut  ramené  à  l'an>.  Tu  amateur,  qui  avait  encourat,'é  ses  f,'oûts 
]-réc()ces  iH.ur  ],■  d,-s>in,  i^oùts  (ju'ij  n'avait  jjoint  laissé  perdre,  le  lit  entrer  ciiez  le  peintre 
Fiardin  :  celui-ci  l'rminena  a\ei-  lui  à  Rome  où  il  lit  toute  son  éducation  artisli(iue.  Il 
revint  en  France  ])our  prendre  part  au  concours  du  grand  pri.x,  qu'il  obtint  en  177').  Agréé  de 
l'Académie  en  1782.  il  lut  nommé  académicien  en  17S3.  Formé  spécialement  en  Italie,  sous 
l'influence  particulière  des  ('arrache,  K<-gnault  affectionne  les  effets  de  clair-obscur  et.  chose, 
curieuse  ]iour  son  /■poqiie.  il  >'cst  même  in-^]iiré  de  Rembrandt,  comme  en  témoigne  telle  de 


.\NM.-1,<'!.  1>    (.IKOliKl,    ,\la 


'[\,nd.,'Ail    i.Mu-cc   .lu    I...UV 


ses  rares  eaux-fortes.  En  dehors  de  ses  grandes  compositions  mythologiques  ou  religieuses, 
Regnault,  surtout  dans  la  dernière  partie  de  sa  carrière,  s'est  plu  à  exécuter  des  tableaux 
de  genre  sur  ces  mêmes  sujets,  avec  des  (jualités  imprc\ues  de  lumini^ti'  intelligent.  Il  a 
exécuté  aussi   140  dessins  pour  les  métamorphoses  d'Ovide. 

En  l'an  \'III,  pour  protester  contre  l'exposition  des  Sahiiics.  il  eut  l'idée.  j)lutôt 
fâcheuse,  d'exposer  de  la  même  façon  son  tableau  des  Trois  Grâces,  exécuté  dans  ce  dessein. 
Traitées  avec  un  naturalisme  élégant,  mais  assez  proche  du  modèle,  ces  trois  jeunes  beautés 
essayent  de  protester  contre  les  tendances  artirtcielles  du  système  sculptural  de  David  et  de 
réaliser,  sans  v  parvenir,  ce  que  Ingres  saura  trouver  plus  tard;  l'union  de  la  beauté  et  de  la 


12 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


vérité,  de  la  réalité  et  du  stvle.  Ce  tableau  fait  partie  de  la  collecticjn  léguée  au  Lou\'re  par 
L.  La  Caze.  Kegnault.  couiblé  d'houneurs,  créé  baron,  mourut  à  Paris  le  12  no\'embre  1829. 

Comme  Da\'id.  Regnault  a\'ait  tenu  école.  Son  élè\-e  le  plus  connu  est  Pierre  (jUÉrin, 
né  à  l'aris  le  13  Mars  1774.  C'était  un  esprit  délicat  et  modeste,  distingué  et  culti\'é.  Il 
obtint  le  grand  j^rix  et,  bien  que  les  é\'énements  ne  permissent  jxis  de  se  rendre  à  Rome, 
il  t'xécuta  les  tra\'aux  prescrits  par  le  règlement.    En  17Q7.  il  expdsa  son  tableau:  Le  Retour 

de  Marcits  Sextits,  personnage  pure- 
ment imaginaire,  échappé,  censé- 
ment, aux  proscriptions  de  Sylla,  qui 
trouve,  à  son  retour,  sa  tille  en  pleurs 
près  de  sa  femme  morte.  La  com- 
]iosition  savamment  calculée,  la 
mimique  sobre  et  forterftent  expres- 
sive, le  claii--obscur  qui  frappe  en 
])leine  lumière  le  cadavre  étendu  sur 
Ir  lit  et  le  charmant  et  triste  visage 
de  la  jeune  irlle  agenouillée, ^^pour 
envelopper,  avec  une  discrétion 
émue,  dans  la  pénombre  transpa- 
rente, tout  le  drame  qui  se  joue  sur 
le  \isage  douloureusement  contracté 
du  proscrit,  font  de  cette  toile, 
malgré  sa  facture  trop  impersonnelle, 
sui\ant  la  fcjrmule  de  l'époque,  une 
iLiure  d'art  \"raiment  tragique,  dans 
la  grande  tradition  du  Poussin.  Cette 
[leinture  eut,  d'ailleurs,  par  son 
mérite  propre,  mais  surtout  par  les 
allusions  pohtiques  qu'on  voulut  y 
voir,  un  succès  sans  précédent.  Les 
ennemis  de  Dax'id,  qui  croyaient 
lui  a\"oir  truu\x'  un  ri\-al,  y  contri- 
buèrent de  leur  côté.  ^lais  Guérin 
ne  se  laissa  pas  griser  par  le  succès. 
Cette  toile  fut  acquise  en  1830,  sur 
la  liste  civile,  au  pri.x  de  3.005  francs. 
Le  Louvre  possède  encore  de  cet 
artiste,  dont  le  caractère  tendu, 
théâtral,  d'une  recherche  aigûe,  se 
l'approche  des  tendances  de  la  petite 
secte  des  primitifs  archaïsants  de  l'atelier  de  David,  cinq  autres  ouvrages,  parmi  lesquels 
Phèdre  et  Hippo'yte,  Enée  et  Dido)i,  et  surtout  Clyteniiiestre  se  préparant  à  assassiner  Aga- 
memnon,  derrière  un  rideau  rouge  dont  les  reflets  éclairent  la  scène  d'une  lueur  sanglante, 
sont  justement  considérés.  Créé  baron,  membre  de  l'Institut,  de  la  Légion  d'honneur  et  de 
l'ordre  de  St-^Iichel,  Guérin  fut  encore  nommé  Directeur  de  l'Académie  de  France  à  Rome. 
]\Iais  son  état  de  santé  ne  lui  permit  pas  d'accepter  ce  poste.  Il  fut  remplacé  par  Horace 
Vernet,   qu'il  accompagna  en  Itahe,  où  il  mourut  le  16  juillet  1833. 


Fr.\NÇ01s  Gf.r.\RIj.  —  Porlrait  du  peimie  Isabey  et  5.1  fille  (Musée  .lu  Louvre). 


Kcok-    trancaisc. 


I 


Parmi  U-s  élrvcs  dv  l)u\i(l.  il  en  est  trois  qui  occuju-nt  une  place  à  part  dans  Tt-cole 
vt  dont  la  gloire  i)ersonnelle  contriliua  à  accroître  celle  du  maitre.  Ce  sont  dirodet.  (iérardet 
dros.  On  ne  peut  voir,  au  reste,  natures  plus  dissemblables,  ce  qui  montre  combien  l'apjjarente 
uniformité  de  cette  ]H''riode  artisticpie  n'est  qu'im  préjugé,  légué  par  les  rancunes  romanticiues. 

A.NNii-Loris  (iiKoDKT  IM-;  Kotev,  par  exemple,  est  vraiment  une  nature  très  singulière. 
Artiste,  lettré,  érudit.  poète  mènie.  avec  les  qualités  et  les  travers  de  son  époque,  mais  sensible, 
spontané  et  même  com]>liqué.  mystérieux  et  fantascjue.  Né  à  Montargis  le  3  janvier  1767. 
il  de\int  orplielin  de  bonne  heure 
et  eut  ])our  tuteur  et  pèreadciptif 
M.  Trioson,  médecin  des  armées. 
dont  il  prit  le  nom  pour  le  joindre 
au  sien.  Après  différents  concours 
sans  succès,  il  obtint  le  grand 
prix  en  1789.  resta  cimi  an>  en 
Italie,  où  il  counit  de  grands 
dangers  à  l'occasion  de  l'émeute 
autour  de  l'Académie  de  France 
à  Rome.  Il  y  peignit  le  Soinincil 
d'Endyniioii  en  1792.  exposé  au 
Salon  de  la  même  année  avec  un 
succès  considérable.  Endymion 
est  endormi  au  pied  d'un  platane, 
couché  sur  son  manteau  et  sur 
ime  peau  de  tigre.  L'AuKJur,  sous 
la  ligure  de  Zéphire.  écarte  dou- 
cement le  feuillage  pour  cpie  le- 
rayons  d'Hécate  %'iennent  se  poMr 
sur  les  lèvres  et  la  poitrine  du 
jeune  et  beau  chasseur.  La  délica- 
tesse de  l'allégorie,  le  réel  charme 
de  nature,  l'effet  mystérieux  et 
insinuant  de  ces  jeux  de  lumièn- 
nocturne  en  font  tme  ceuvre  ran- 
pour  son  époque  ;  elle  ne  fut  pa^ 
sans  toucher  un  songeur  sohtairc 
qui  poursuivait  à  l'écart  songranil 
rêve  corrégien  :  Pnid'hon. 

Emu  par  toutes  les  idée> 
nouvelles,  Girodet  sacrifia  au  culte 
d'Ossian,  le  héros  septentrional. 
rendu  célèbre  par  le  fameux  pas- 
tiche de  l'écossais  Mac  Pherson,  que  tout  le  monde  lisait:  il  fut.  de  même,  avec  son  Atala 
au  tombeau,  portée  par  Chactas  et  le  père  Aubry  avec  une  douleur  d'une  grandeur  simple 
et  touchante,  le  plus  éloquent  interprète  de  Chateaubriand,  dont  le  Génie  du  Christianisme 
fut  aussi  un  des  évangiles  de  l'époejue.  Les  deu.x  précédents  tableaux,  ainsi  que  le  Déluge, 
également  placé  au  Louvre,  furent  acquis  pour  le  prix  de  50.000  francs  en  1818.  (iirodet 
était  mort  le  21  mars  1816.  Il  était  membre  de  l'Institut  :  la  croix  d'ofticier  de  la  Légion 
d'honneur  fut  placée  sur  son  cercueil. 


KkANi.oIS    r.KKARIi. 


Psyché 
(.Mus. 


;cevam   le  pn 
(tu   Louvre). 


baiser  de  IWmour 


14 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


La  physionomie  de  François  Gérard  est  assurément  moins  personnelle.  l\Iais  j^eu 
de  carrières  furent  aussi  brillantes.  Son  art,  abondant,  facile,  intelligent,  f(_)rmé  d'habiles 
compromis  entre  les  tendances  opposées,  s'imposa  sans  peine  à  tous  les  \'eux.  C'était,  en 
même  temps,  il  faut  l'avouer,  —  ce  qui  ne  contribua  pas  peu  à  son  succès  —  un  parfait 
homme  du  monde,  d'un  esprit  judicieux,  lin  et  culti\'é.  Il  naquit  à  Rome,  où  son  père  était 
ambassadeur,  le  4  mai  1770.  Après  avoir  étudié  le  dessin  chez?  di\'ers  maîtres,  entre  autres  le 
sculpteur  Pajou,  il  entra  chez  David  en  17S6.  Il  concourut  pour  le  grand  jirix,  mais  ne  put 
obtenir  que  le  second,  en  1789,  et  dut  renoncer  à  concourir  }Xir  suite  de  la  mort  de  son  père 
et  d'autres  chagrins  ou  revers  domestitiues  qui  l'obligèrent  à  gagner  sa  vie  et  celle  de  sa 
famille.  Parti  pour  l'Italie  en  i7<)0,  il  rentra  en  France  en  jilein  dans  les  événements  de  la 
Ti-rreur  et  écluqipa  p,ir  une  maladie  feinte  à  l'honneur  redouté  de  siéger  dans  le  tribunal  révo- 


Antoine-Jkan,  ]!ar(in  Gkc 


Napole 


i^ilant  le  champ  de  bataille  d'Kylau  (Musée  du  Louvre). 


lutionnaire.  Les  succès  de  ses  premiers  tableaux  ne  lui  donnant  pas  les  moyens  de  vi\-re,  il 
fit  alors  de  nombreuses  illustrations.  Ce  ne  fut  guère  qu'avec  l'empire  que  commença  sa  répu- 
tation, bientôt  universelle,  comme  peintre  de  portraits.  Dès  ce  moment,  de  tous  les  points 
de  l'Europe,  les  membres  de  la  plus  haute  société  :  rois,  princes,  généraux,  savants,  femmes  à 
la  mode,  veulent  être  peints  par  lui.  C'est  dans  ce  genre,  assurément,  qu'il  montra,  sinon  le 
plus  d'originalité,  du  moins  le  plus  d'aisance,  de  distinction,  d'élégance  aristocratique. 

Le  portrait  de  son  ami,  le  peintre  Isabcy,  tenant  sa  fillette  par  la  main,  qu'il  exécuta 
en  1795  et  qu'il  e.xposa  l'année  suivante,  surpasse  de  beaucoup,  par  sa  simplicité,  son  naturel, 
son  joli  éclairage  discret,  son  décor,  qui  est  le  milieu  accoutumé  du  modèle,  toute  la  collec- 
tion de  ses  plus  nobles  effigies  impériales  ou  royales.  Gérard  a  peint,  comme  tous  ses  confrères, 
de  grandes  toiles  à  la  gloire  de  l'Empire  ou  de  la  Restauration,  qu'on  retrouve  au  Musée  de 


Kcolc    iraïu.iisc 


1/ 


\'c'i>-,iilh-~.  D.in^  xiii  iiu\  rr,  l'svclh'  rcccunil  le  [^rriuicr  Ijuiscr  de  F  Aiiuntr  montre  un  a>i)i-ct  ilc 
sdii  t;ilcnt  i|ui  .•v.xn'u'.  Im  ,iu^>i,  Ir  -(nnciiir  du  Ljiniipr  arcli.iïsanl  de  !".itfli(T  dé  David,  ("f 
tal)lc,iii  distiiii^iK'.  d'un  cliaMnc  un  [xu  finul,  aiiiidicr  de  Sdii  (■ut('  rM.u\-iT  prdchainc  d'Infircs 
(lui,  d'ailleurs,  r.ipprrciail  cnnuiie  ..\c  ])lus  beau  tableau  <le])uis  David".  11  a  été  expu.sé  en 
I7()S  et  acipiis  en    iS',_>.  à   l,i   \ente  du  i,'énéral   i'îapp,  pour  la  somme  dc'  22.100  francs. 

I-^'  niiiu  de  Ciros  a  une  si-inlieat  ion  i)lu>  spéciale  dan>  ré\-olution  de  l'I'.eole.  Il 
représente  en  eilet  li  continua- 
tion des  teudaiiee>  ln--loi  i(|ue^, 
réalistes  et  actuelle-,  d,-  D.ivid  et 
il  est,  inconscieunuent  il  e>t  \rai, 
et  même  contre  ^a  xoloutc',  le 
jjoint  de  départ  de  l.i  ri'action 
\'ioleute  (jui  \'a  se  prodniie  pour 
renuu'r  et  colorer  le  ciel  t;lacé  et 
lifi;é  de  la  l'einture.  <iros  a  été 
le  jjrécurseur  du  Romantisme. 
Antoixe-Ji-:.\.\,  1!aK(1N  (Ikos.  est 
né  à  Paris  le  i()  mars  1771.  Il 
était  lils  d'un  peintre  en  nuni.i- 
ture.  Entré  dans  l'atelier  de  I  ),i\id 
en  1785,  il  concourut  ])oui-  Rome 
sans  succès,  dut  inti-rronijin'  ses 
études  à  la  mort  de  son  père. 
pour  gagner  sa  \ie  en  fais.int  des 
portraits,  et  se  décida  à  aller  de 
lui-même  en  Italie,  (ji'i  il  u<'  put 
guère  se  rendre,  en  raison  de  hi 
gravité  des  é\'énements  \n  ilitiiiues. 
cjn'à  Florence  et  àdénes.  II  lut 
très  frappé,  dans  <-ette  \ille.  p.ir 
les  ])eintures  di'  Kuben^  et  de 
\'an  Dyck.  Il  \- eoninit  jo->epliine 
Bonaparte,  (|ui  le  mit  en  lei.ition^ 
avec  le  général;  il  fut  altaclu'  à 
l'armée  et  peignit  le  portrait  de 
Bonaparte  au  ])ont  d'.Arcole, 
aujourd'hui  au  I.ou\'re.  Pendant 
r<'xpé(lition  iri'',i;\-pte.  <  nos  re\int 
d'Italie  a\cc  beaucoup  de  ]ieine 
et  arri\'.i  même  m.dade  à  M.ll-^eille. 
Rentré  à  Paris,  il  rempoi  ta  le  i>nx 

dans  le  concours  institué  par  les  CousuN  i)our  célébrer  l.i  \ictoire  de  junoi  à  N.i./,iretli.  Celte 
toile  ne  fut  jxis  exécutée,  mais  il  rei.ut  la  comuKinde  des  l'cslijircs  de  Jiij/ci.  de  la  Inilaillc 
dWboukir  et  de  la  l'Hitiitlh-  d'l--\liiu.  <\n\  et.iblireut  hautement  s,i  ré|)Ut,ition  et  sont  ce  qu'on 
])eut  ,i])pt'ler  >es  liiefs-iroinre.  Il  ,1  peint  un  grand  nombre  de  p(]rlr.iits,  des  toiles  historupio. 
la  coupole  du  l'.mlheon.  etc.  Comble  de  titre-  et  d'honnem-,  considéré  comme  leur  chef  par 
les   jeunes   généi.ilion>  <|in  le\aient  l.i    bamuere  de    rindé])eu<l,ince.    il  fui  elfr.ivé  du   rôle  qui 


.\n  ioim;-Ikan,   I;.\U' 


■^.irlovive  (Mii>ec  .In    1 ,. 


i8 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


lui  était  échu  et,  vn  élève  soumis  des  principes  de  David,  essaya  de  réagir.  L'insuccès  des 
ouvrages  qu'il  tenta  de  produire  dans  cet  esprit  fut  tel,  qu'il  en  conçut  un  \il  chagrin  et  s(; 
donna  la  mort  en  se  noyant  dans  un  bras  de  la  Seine,  au  Bas-Meudon,  le  26  juui  1835. 

Les  Pestiférés  de  Jaffa  furent  commandés  à  Gros  en  iSo',.  .\u  milieu  d'une  mosquée 
c()n\-ertie  en  hôpital,  qui  laisse  entrevoir,  à  travers  ses  arcades,  tout  un  extraordinaire  paysage 
d'Orient,  au  ciel  x'oilé  par  les  fumées  lointaines  de  la  poudre,  Bonaparte,  accompagné  des 
.M'iii'r.mx    1'..  rtliier   et    Bei^ièrc^.    de    l'administrateur  en   chef    Daure  et   du  médecin  en  chef 


Pierre  PRi-n'iinx.  —    [,a  Justice  ui   l.i  \"./ni^earicf  divine  poiusuivant   le  Crime  !Mu-ee 


Desgenette,   touche  sans  crainte   les   tumeurs   pestilentielles  d'un  marin,  dehnut,  demi-nu,  au 
milieu   des  malades  qui  gémissent   et   de>  agonisants  qui  râlent. 

A\-ec  la  puissance  communicati\-e  de  sa  couleur,  l'exotisme  profond  de  son  paysage, 
qui,  certainement,  fut  le  point  de  départ  de  la  formation  de  l'école  orientaliste  en  France, 
avec  son  parti-pris  de  clair-obscur  puissant  et  mystérieux,  le  rôle  suggestif  de  ce  décor  et  de 
ce  spectacle,  vus  par  les  yeux  intérieurs  de  l'ame  cnmme  par  un  \-éritable  voyant,  avec  cette 
liberté  et  cette  énergie  toutes  nmn'elles  dans  la  technit|ur,  hardie,  personnelle,  mouvementée, 
cette  toile  d'un  pathétique  inattendu,  qui  [larlait  un  langage  depuis  longtemps  inconnu  ou 
désappris,  causa  un  enthousiasme  indescriptible  et  unanime.  Elle  allait  de\'enir  comme  le 
point    de    ralliement    des    jeunes    révolutionnaires    (|ui    commençaient    à    se   soule\"er    contre 


Kcole    trancaisc 


19 


rétruitesse  tyranniejuc  dv  l\'nscignfnu-nt  (ju'dii  leur  donnait,  et  en  effet,  à  et'  sal(jn  de  ibo^, 
eut  lieu  la  ])remière  manifestation  de  cet  esprit  nouveau.  Les  artistes  réunis  \inrent  solen- 
nellement attacher  une  palme  au  cadre,  qui  fut  cou\ert  de  couronnes. 

Napoléon  visite  le  champ  de  bataille  d'Eylau  (9  février  1807)  avant  de  passer  la  revue 
des  troupes.  Cette  toile  est  le  résultat  d"un  concours  qui  eut  lieu  en  1807  et  où  Gros  obtint 
le  prix.  C'est  un  spectacle  grandiose,  d"un  pathétique  aussi  émouvant  cpie  les  précédentes 
compositions  du  maître,  a\'ec  le  rôle  toujours  suggestif  du  paysage  et  une  nouvelle  mise  en 
scène  à  la  fois  éclatante  et  sinistre.  I. "empereur,  revêtu  de  sa  pelisse  de  fourrure,  monté 
sur  son  che\al  blanc,  est  en- 
touré de  brillants  officiers  aux 
uniformes  chamarrés,  caraco- 
lant autour  de  lui,  tandis  que. 
à  chaque  pas,  des  blessés  râlent 
ou  supplient,  couchés  sur  la 
neige  en  des  amoncellements 
indescriptibles,  avec  le  fond 
blafard  où  serpentent  les  lignes 
de  troupes,  où  montent  les 
fumées  noires  de  l'artillerie. 
C'est  un  des  plus  beaux  et  des 
plus  navrants  spectacles  de 
bataille  qu'on  ait  évoqués. 

A  côté  de  ces  grandes 
toiles  mouvementées,  Gros  a 
fait  nombre  de  portraits  deve- 
nus célèbres.  Le  Louvre  permet 
d'admirer,  entre  autres,  avec 
le  portrait  de  Bonaparte,  celui 
du  Lieutenant-Général Fouruier- 
Sarlovèze,  (exposé  au  Salon  de 
1812)  dans  son  costume  rouge 
tout  soutaché  d'or,  debout  au 
milieu  du  champ  de  bataille  de 
Lugo  en  Gahce  et  celui  de  Cltris- 
tine  Boyer,  première  femme  de 
Lucien  Bonaparte,  frère  de 
Napoléon.  Cette  belle  créature 
songeuse,  vêtue  de  blanc,  avec 
une  écharpe  de  crêpe  cramoisi 
pailleté  d'or,  dans  ce  paysage 

humide  d'arbres  et  d'eau,  cpii  reg.irde  mélancolifiuement  une  rose  gli>ser  le  long  du  courant, 
était  la  sœur  d'un  petit  aubergiste  chez  (jui  Lucien  logeait  à  Saint-Maximin.  et  (pi'il  épousa 
en  1794,  alors  qu'il  n'était  guère  encore  ([u'un  maigre  ambitieux  très  remuant.  l-.Ue  mourut 
en  1800  en  laissant  à  Lucien  deux  lilles.  Ce  portrait,  qui  ajjpartient  aux  premières  annee> 
de  la  carrière  de  Gros,  est  d'un  charme  de  nature,  de  couleur  et  de  poésie  <|ui  lui  permet  dv 
rivaliser  avec   les  meilleur>   portraits  de  l'école  anglaise,  tant  vantée. 


l'iKKKl,    rKLlill"N. 


l'Mclic  iMusOo  .iu   1. 


•ncore  dans  \'V. 


'écart  il  est  \nii.  une  phv-innomie  exceptionnel 


!0 


La   l'einturc  au   XIX'   siècle. 


(|ul  montif  riiinbicii.  en  art.  la  \rrtu  dr  la  jicisnnnaiitr  l'st  plus  fdite  que  tontes  les  ddctriiics  ot 
<|ue  tniis  les  cnseii^iiemenls.  C'est  ecllc  dr  l'iiuriion.  Ni-  à  Clun\-  (Saùne-et-1  j  live)  le  4  août  173'*^. 
PHiK'i^'i:  l'Kri)"U(ix.  Iils  d'un  ]),in\ic  iiiai;i>n  qui  axait  eu  dc'jà  diiu/e  eidauts.  de\int  (Hplielin 
de  Ixmue  heure.  Les  moines  de  rAi)liavi'  s'intire-sèreut  à  lui  ])ar  eliant('  et  l'exècjne  de  Maeon 
l'adressa  à  M.  l)e\-osL;e  iiui  dirit^eait  récolc  t\v  dessin  de  I)i|on.  Find'lion  a\-.nt  alors  if)  ans. 
lui  ijSo.  il  \int  à  Paris,  puis  concourut  pour  le  i>rix  triennal  tonde  p.ir  les  Mtats  de 
j-îourgo.tine    et    l'obtint,    bien  qu'un   niouvenient   troj)  généreu.x  de  solidarité  ait   lailli  le  faire 

donner  a  nu  eouiurreut  (pi'il 
a\ait  aidé,  niais  ([ni  eut  le  scru- 
pule de  ne  pas  accejiter.  Il  ])artit 
donc  pour  Rome  en  1782  et  resta 
-ept  ans  en  Italie.  C'est  là  qu'il 
tut  fr.qipé  par  le  Corrcge,  Léonard 
de  \'inei  et  André  ciel 5arte  et  qu'il 
les  prit  jionr  guides  ;  phénomène 
assez  singulier,  c(}mme  il  aniva 
piiur  (iros,  dans  ce  courant  tout 
,L;ri''i;o-romain.  Ce  n'est  pas  que 
l'rnd'hon  fût  insensible  aux  beau- 
tés du  monde  antique.  Tout  au 
contraire  et  ranticpiité  n'a  pas 
eu,  ilans  les  temps  modernes, 
d'iuteri)rète  plus  excjuis,  plus 
pénétré  des  jnires  voluptés  du 
re\-e  jxiïeii.  Prud'hon  est  comme 
un  petit-lils  ressuscité  de  \'irgile 
et  d"()\ide.  !\Iais  il  dut  à  ces 
rnaitres  qu'il  avait  adoptés  de 
iiiieux  comprendre  la  grâce  et  la 
be.iuté  anticpie  et  de  la  traduire 
a\ec  cette  enveloppe,  cette  mor- 
liidesse,  ce  charme  profond  qui 
n'a   j)oiiit   été  dépassé. 

Mcdheureusement,  marié 
trop  jenne  à  une  jeune  femme 
acariâtre  et  X'ulgaire.  cette  union 
fut  pour  lui  la  cause  de  nombreu.x 
soucis  et  de  chagrins.  Rentré  à 
Paris.  pau\'re  et  inconnu,  il  fit, 
pour  \i\re.  de  nombreu.x  dessins 
de  vignettes.  Le  succès  \'int.  quoique  un  peu  tard.  Nommé  chewdier  de  la  Légion  d'honneur, 
membre  de  l'Institut,  il  fut  aussi  choisi  comme  professeur  de  l'impératrice  Marie-Louise.  ^lais 
sa  fin  fut  douloureus<'.  l'ne  de  ses  élè\es,  W^'-  Constance  .Mayer.  a\'ait  pris  à  son  foyer,  par 
sou  déx'ouement  inlassable,  la  place  ([n'occupait  la  femme  dont  il  s'était  séparé.  Dans  un 
moment  d'égarement  elle  se  suicida,  le  26  mai  1S21.  Prud'lion  ne  se  remit  [xis  de  cette  secousse 
et  mourut  deux  ans  après,  le  i()  fé\-rier  182/,. 

La  Justice  (V  lu  ]'c)ii^ciiiicc  divine  poursuivant  le  Crime  peut   iusteineut  passer  pour  un 
de  ses  chefs-d'(eu\re.    Dans  un  milieu  abrnjil  et  sauwige,  sous  la  clarté  fr(iide  de  la  lune,  qui 


l'iKKkl.  l'KrillI.  .N. 


■JoNCi.hinc^ilaMal 


.colc 


fr; 


ancaisc. 


semble  se  lever  pour  .éclairer  l'horreur  du  forfait,  un  être  farouche,  le  poitjnard  à  la  main. 
fuit  rapidement  en  jetant  un  re,t;ard  d'épou\ante  vers  le  cada\re  nu  qu'il  \ient  d'étendre  à 
ses  pieds.  C'est  le  premier  crime,  le  fratricide  de  Gain.  Dans  le  ciel  orageux  et  comme  irrité, 
voient  la  Justice,  impassible,  tenant  son  glaive  et  sa  balance  symbolique  et  l.i  N'enge.ince.  ipii 
lui  montre  le  chemin  a\ec  une  torclie  et  tend  sa  main  comme  pour  saisir  le  meurtrier. 

Cette  t(jile  émouvante,  où  l'allégorie  revêt  un  caractère  si  dramatique,  fut  commandé»^ 
à  Prud'hon  i)ar  M.  Frochot  pour  la  Chambre  criminelle  du  Palais  de  Justice.  Klle  figura  ;ui 
Salon  de  1808  et  aussi  de  1814.  Remplacée  au  P.dais  de  Justice  par  un  crucifix,  elle  fut  cédée 


Musée  du  Luxembourg  jusciu'en  1823. 


par  la  \'ille,  par  voie  d'échange.  Elle  demcur 

\.' Knlcvcinoit  de  Psxclic.  ou, 
pour  l'appeler  comme  le  li\ret  du 
Salon  :  Psyché,  exposée  sur  le  rociter. 
est  enlevée  par  les  Zéphyrs  tjiii  la 
transportent  dans  la  demeure  de 
r Amour,  est  un  legs  de  la  Comtesse 
de  Sommariva  à  notre  grand  Musée 
National.  C'est,  ainsi  cjue  le  pré- 
cédent, un  en\-oi  du  Salon  de  iSoS, 
comme  si  Pnid'hon  eût  \-oulu  mon- 
trer, par  ce  contraste,  que  son  pin- 
ceau était  aussi  propre  à  rendre  les 
chastes  voluptés  dt  cette  féerie 
antique  que  le  tragique  poignant  de 
sa  sinistre  allégorie.  Le  !M\-stère.  ici. 
est  léger  et  déhcieux.  Les  Zépluus. 
agitant  leurs  ailes  irisées  de  libellules, 
soulèvent  doucement  ce  beau  corps 
jeune  et  pur  sur  lequel  la  clarté 
complice  de  la  lune  se  répand  a\-ec 
amour.  C'est  là  qu'il  semble  bien 
que  Prud'hon.  qui  a  pensé  à  Corrège. 
ait  pu  penser  aussi  à  Girodet. 

C'est  toujours  le  nu'stère. 
mais  le  mystère  de  la  réalité,  qui 
noie  le  beau  paysage  dans  lequel 
Joséphine  songe,  solitaire,  au  milieu 
du  parc  de  la  Malmaison.  Quelle 
ombre  de  mélancolie  passe  dans  k- 
regard  de  cette  reine  heureuse  et 
choyée  qui  eut  la  fortime  la  plus  singulière  du  monde  ?  Est-ce  l'ombre,  encore  imprécise,  de 
l'avenir  prochain  qui  l'attend  ?  C'est,  plus  encore  peut-être  que  le  portrait  de  Christine  Bo\-er. 
une  de  ces  images  qui  font  honneur  à  l'Ecole  française. 


TliK. 


KK  (.;i£RicArL  1 .  —  I  iliiciet  Je  la  i'. 


iiiipi 


aie  .Mii»c 


Le  Salon  de  1S19  \it  naitre  une  leuvre  qui,  depuis,  a  pris  une  place  considérabl*- 
dans  l'histoire  de  la  peinture  moderne.  C'est  Le  Radeau  de  la  Méduse,  de  Géricault.  Xou'- 
sommes  maintenant  sous  la  Re>tauration.  en  plein  dans  une  génération  noiuelle.  Le  ferment 
d'indépendance  qui  agitait  sourdement  l'école  sous  le  règne  de  l)a\"id  \m  bientôt  lever.  Le 
romantisme  est  en  pleine  marche;  il  a  trou\-é.  cette  fois,  son  chef,  un  chef,  héla>l  qui  n'aura 


24  La    Peinture:   au   XIX''  siècle. 

p.is  riioniu'ur  dv  \v  contluiir  à  la  \-ict(iin',  car  la  nmit  \v  fauchiTa  tiop  lût.  di-KH  Ari,r 
(TliK(.)l)OKE)  est  ne  à  Kiaicii  le  zh  septembre  ïj^ti.  Il  nidutra  île  Ikuiih'  hcui-e  des  dispdsitidiis 
]i()ur  le  dessin  et  dn  i^oût  ])inir  les  clie\-aux.  Hien  ipie  sa  fainillr  ne  U-  de>tinat  ])oint  aux  arts, 
elle  ne  mit  pas  nn  obstacle  in^nrmimtable  a  sa  xocitinn.  Il  entra  chez;  Carie  \'ernet,  ])uis 
cliex  Ciuérin  où  il  eut  ]iiiui"  camarades  n-u.\  cpii  de\'aient  de\cnir,  à  sa  suite,  les  principaux 
chami)i(>ns  du  nmiantisme:  Delacroix,  Cliani}>martin.  Léon  Cot^niet.  Ary  Sclieffer.  En  1S14  il 
s'engaf^ea  dans  les  mous(iuetaires,  mais  il  re,i,'retta  liientot  son  acte  et.  son  régiment  étant 
licencié,  il  reprit  ses  j.nnceaux.  .Vnimé  d'une  curiosité  inlassable,  de  scru])ules  de  conscience 
jamais  apaisés,  il  ne  se  contentait  pas  d'étudier  la  nature  axcc  le  cra\'on,  ]r  ])inceau  et  même 
l'éLiauchoir,  mais  il  se  plaisait  à  interroger  les  maîtres  les  plus  di\'ers  d'Italie,  de  France  ou 
des  I^'landres.  11  \'oyagea  en  Italie,  puis  à  Londres  où  il  se  [)lut  à  \-i\-re,  partout,  au  milieu  de 
la  \'ie  présente  et  des  clu'is-d'o'u\-re  du  passe.  Son  ,ime  ardente,  impétueuse  et  généreuse 
rêvait  de  créer  rm  art  \-i\'ant  et  humain,  mie  ])einture  subjecti\'i.'.  (pu  prit  sa  ])art  dans  toutes 
les  émotions,  les  joies  et  h's  souitrances  d(.'s  hommes.  C'est  |)ouri|uoi  il  choisit,  a\'ec  cette 
scène  de  naufrage,  d'autrt's  sujets  aussi  p,itliéti<|ues,  tels  <pie  hi  'ffuilc  des  Xô^rcs,  FOuvcrture 
des  l'or/cs  de  F Inqiti^itio)i.  etc.  A  Londre-;,  ou  en  rewnant  de  Londres,  il  jjeignit  ou  lithographia 
un  grand  nombre  de  sujets  de  clie\aux  et  de  scènes  populaires  tel  le  Derbv  d'Iîpsoiii.  Malheu- 
reusement, atteint  d'un  mal  aggra\é  par  ses  imprudences,  il  meurt  à  Paris,  le  18  janvier  1824, 
après  onze  mois  de  souitrances  courageusement  supportées. 

L'idée  du  Rudeaii  de  la  Méduse  était  \'enue  à  Céricault  d'un  fait  du'ers  cjui  ax'ait  porté 
l'horreur  dans  tous  les  esjirits.  La  frégate  la  Méduse,  accouip, ignée  de  trois  autres  bâtiments, 
a\'ait  (piitté  la  France,  le  17  juin  1816.  ])our  transporter  à  Saint-Louis  tlu  Sénégalle  gouverneur 
et  les  principaux  em]ilo\'és  di'  cette  colonie.  /,(/  Méduse  a\-ait  à  bord  près  de  cpiatre  cents 
marins  ou  passagers.  Le  2  juillet  elle  hmirtait  un  liane  et  ne  poiu'ait,  après  cinq  jours 
d'efforts,  être  remise  à  tlot.  (  )n  construisit  un  radeau  qui  rei;ut  cent  ([uarante-neuf  personnes. 
Les  autres  [iiirent  place  dans  des  canots  qui  dewdent  le  traîner  à  la  reniorciue.  Mais  bientôt 
les  canots  coupèrent  les  amarres  (pii  les  reliaient  au  radeau  et  celui-ci  erra  à  la  dérive  dans 
l'immensité.  Alors  la  faim,  la  soif,  le  désespoir,  armèrent  ces  hommes  les  uns  contre  les  autres 
et,    le    dou/ième    jour,    quand    l'Argus    les  recueillit,  ils  n'étaient  plus  que  quinze  mourants. 

Ce  sujet  était  tout  un  programme  ré\'olutionnaire,  bien  cjue  Ciéricault,  respectueux 
des  maîtres,  ne  se  llattat  point  de  faire  une  rc''\i)lution.  Il  ])eignait  un  fait,  tout  d'actualité, 
non  pas  dans  les  dimensions  attriliuees  au  ..genre",  ni.iis  d.nis  le  format  de  ,, l'histoire"  ;  il 
protestait  contre  la  théorie  du  ,.beau  \-isible"  de  Dax'id  par  la  recherche  du  beau  expressif, 
né  de  riniité  des  accords  et  de  l'émotion  ressentie,  et  il  employait  lui  aussi  le  mi,  mais,  dans 
ce  cas,  jiour  des  raisons  \-raiseuiblables.  Tout  le  pathéticpie  cju'il  emprunte  à  Cros  se  double 
ici  d'une  énergie  noiuH-lle.  l'n  grand  souffle  tragicjue  d'épouvante  et  de  pitié  tra\'erse  cette 
scène  de  détresse  au  milieu  des  éléments  déchaînés.  L'ne  étape  noiu'elle  est  ouverte  à  l'art, 
(|ui  \-a  paljiiter,  souffrir,  sentir,  aimer  awc  l'humanité  et  l'humanité  de  son  temps. 

Cette  toile  ni-  proiluisit  pas  au  Salon  tout  l'effet  cpi'on  eût  jni  attendre  et  le  Directeur 
des  Musées  Nation, LUX,  le  Comte  de  Forbin.  eut  toutes  les  peines  du  monde  à  la  faire  acquérir 
et  n'\'  par\int  (ju'à  la  mort  de  l'auteur,  pour  le  ]n\\  de  ()ooo  francs. 

L'vjjicier  de  chasseurs  éi  eheeul  de  lu  garde,  chargeant  et  le  Cuirassier  blessé  quittant  le 
feu  sont  aussi  deux  toiles  ])o]iiilaires  de  Ciéricault.  Le  premier  est  un  portrait.  Il  fut  exposé 
en  1812,  ]>uis  en  1S14  ,i\-ec  le  second.  Tous  deux  a\aient  été  enle\'és  au  liout  du  pinceau 
en  une  douz.inie  de  jours.  Ils  furent  accpiis  à  Li  \ente  du  roi  Louis-Philiiipe,  leur  premier 
ac(iuéreur,   le  29  a\ril   1851,  jxiur  la  somme  de  23.400  francs. 


_i  - 


3      A 


CI1AP1TRI-;  II. 


^:  c.o  L  !•:  f  r  a  x  ç  a  i  s  li. 


Or.   iSoi   A   1S30  {Si(ift'). 


Première  Période. 

L'AXXKE  1824  est  exceptionnelle 
dans  l'histoire  de  la  lutte  entre 
Classiques  et  Romantiques. 
C'est  Tannée  de  la  mort  de  (iirodet 
qui  ralliera  un  instant  les  é]è\-es  de 
David  depuis  longtemps  désemparés, 
c'est  l'année  de  la  mort  de  Géricault 
qui,  de  son  côté,  semble  laisser  sans 
chef  le  parti  des  indépendants.  C"est, 
enfin,  la  date  d'un  Salon  qui  fut  le 
champ  de  bataille  où  se  régla  Faction 
décisive  et  ovi  les  deux  adversaires 
trouvèrent  chacun  leurs  chefs  défi- 
nitifs. 

Du  côté  romantique  Dela- 
croix est  conduit  à  prendre  la  place 
de  Géricault;  du  côté  classique  surgit 
presque  soudainement  Ingres. 

Jusqu'à  ce  jour,  en  eft'et. 
l'ancien  élève  de  David,  retiré  à 
Rome  ou  à  Florence,  n'avait  guère 
fait  parler  de  lui  et  les  envois  qu'il 
avait  adressés  antérieurement  aux 
salons,  peu  goûtés  des  miheux  oftî- 
ciels.  n'étaient  vraiment  appréciés 
que  d'un  petit  nombre  d'artistes. 
parmi  lesquels  il  faut  même  signaler 
Delacroix.  Les  sujets  qu'il  choisis- 
sait, pris  tantôt  dans  les  temps 
antiques,  tantôt  et  encore  assez  sou- 
vent dans  les  temps  modernes  et  même  dans  l'histoire  anecdotique,  semblaient  le  désigner 
plutôt  comme  un  adepte  des  idées  nouvelles  que  comme  un  esprit  étroitement  académique. 
II  avait  déjà  produit,  à  cette  date,  quelques-uns  de  ses  plus  indiscutés  chefs-d'œuvre,  tel  son 
Œdipe  dévoilant  l'énigme,  exécuté  à  Rome  en  1808.  simple  tigure  d'envoi  du  jeune  pension- 
naire, qui  ne  fut  pas  exposée  au  salon,  et  ne  devint  célèbre  qu'à  l'Exposition  Universelle  de 
1855.   où  l'on  se  rendit    compte  de  ce  (jue   Ingres  avait  réalisé.    Acquis  en  1839  par  le  duc 


lKAN-.\rurM  1-1 1 


'MIM'.TI 

(Mus 


lNr,RE>.    —     .\ 

f  de   Nantes). 


26 


La  Peinture  au   XLV  siècle. 


JKAN-Al 

des  fiers  ii 


r,lK-lluMINIi 

aturalistes 


(rOrlc.ms,  j-luis  jxissé  chez  le 
(■(imte  Duchâtel,  il  lut  léf^ué 
par  cet  amateur  au  Luuvre. 
Ce  que  David  avait  laissé 
échajiper  ponfs'être  trop  pré- 
Kcnipé  de  la  statuaire,  ce  que 
cpielques-tuis  de  ses  élèves 
avaient  cherché  en  étudiant 
lis  peintuies  des  \-ases  grecs, 
,.etrus(|ues"  dis:iit-(in  alors,  ce 
([ue  Sun  n\-al  Kegnault  tentait 
\ainfniiiit  en  s'appuyant  de 
trop  ])iès  '=ur  la  réalité  du 
modèle.  Ingres,' mieux  pré- 
paré, ]ilus  sensible  surtout, 
le  décDVivre  en  regardant  la 
nature  avec  amour  et  en  étu- 
(hant  ri'hi^ieusement  les  maî- 
tres qui  Timt  le  plus  haute- 
ment cumprise. 

Né  à  Montauban  le 
2g  août  1780,  d'un  père  qui 
était  sculiiteur  ornemaniste, 
JEAN -Auguste -Dominique 
Incres.  hésita  d"abord  dans 
sa  carrière  et  commença  à 
g.igner  sa  vie  avec  son  violon. 
11  vint  à  Paris  en  1796,  entra 
bientôt  dans  l'atelier  de  David 
et  obtint  le  grand  prix  en 
iiSoi.  Mais  en  raison  des  cir- 
constances politiques  il  ne  put 
se  rendre  en  Italie  qu'en  1806. 
Il  s'y  établit,  d'ailleurs,  assez 
longtemps,  tantôt  à  Rome 
jusqu'en  1820,  tantôt  à  Flo- 
rence jusqu'en  1824,  dans  une 
situation,  à  plusieurs  reprises, 
proche  de  la  misère,  au  cours 
de  laquelle  il  vivait  surtout 
du  prix  modique  de  ces  mer- 
veilleux portraits  au  dessin, 
disputés  aujourd'hui  par  les 
grandes  collections  publiques 
ou  privées. 

Pénétré  de  la  beauté 
ii-K  Ingres.  —  La  Sou.cl-  (Musée  du  L.uivrc).  ^^^^  antiques,  vivaut  au  milieu 

florentins  du   X^■ème  siècle,  que  son  maitre  avait  pressentis  seulement, 


JKAN-Al  i.lbTlL-DiiMiM.AL    l.NcaUS.    —    \,.u    ,1c    l.ouis    Mil    (ClltlRJr 


I^coK'    tiancaisc'. 


29 


mais  (lu'il  est  le  picniiiT  à  foniinciulic  ilaiis  leur  f^éiiic  de  force,  de  "^racr  «m  dr  \éritc.  conduit 
bientôt  \cis  l\aj)liarl.  (lui  dc\iciidia  son  dieu.  yrdV  ce  culte  niélodiiiue  tle  la  ligne,  ce  sens 
à  la  lois  si  ])récieuseuient  ingénu  et  si  supérit'urenienl  conscient  de  la  foi  nie.  tians  les  caractères 
imprévais  de  charmante  inégalité  <]u"elle  re\ét  dans  la  nature,  alors  ([ue  les  i>rincij)es  de 
l)a\id  tendaient  constamment  à  mie  correcte  et  fioide  s\'in(''trie,  Ingres  est  vraiment 
l'instigateur  d'une  sorte  de  renaissance  du  sens  de  la   beauté  |)lasti(iue. 

Il  est  alois  si  ma.l  compris  dis  rejjréseiitants  de  racatléiiiisme  (]Ue  son  dessin  fait 
u.utre  toutes  sorti'^  de  railkn'ies  et.  justenu-nt.  dans  ce  cam|)  même  (|u'il  \a  l)ienté)t  diriu;er. 
On  le  tr.uie  di'  (  iothi<iue.  de  Cliinoi-, 
parce  (pTil  se  i)lait  à  admirer  nos 
vieux  peintres  français  des  livres 
d'heures  ou  encore  les  miniatures 
persanes  ou  indienni's. 

La  période  d'Italie  est  aussi. 
Y>onv  Ingres,  la  i^éric-de  de  ses  plus 
beaux  portraits:  di-  l.i  belle  Zélie; 
de  .M'"*"  Dev.iuçav.  de  dranet.  et  en 
particulier  de  cette  exquise  ligure 
de  Madame  de  Séiioiiiies.  qui  appar- 
tient au  ]\Iusée  de  Nantes.  C'est  un 
ouvrage  exécuté  entre  1806  et  iSio. 
Tout  le  charme  de  l'art  d'Ingre-, 
dans  l'étude  de  l.i  jihysiononur 
humaine  est  concentré  dans  ce 
portrait,  où  le  dessin  a  traduit  avec 
grandeur  et  délicatesse  ce  qui  dis- 
tingue particulièrement  ce  visage  de 
femme,  ce  qui  le  fait  projM'e  i-t 
interdit  de  le  confondre  avec  tout 
autre.  Kt  ce  n'est  point,  certes,  jiar 
la  minutie,  par  le  détail,  pas  plus 
que  par  la  reclierche  d'une  correc- 
tion savante  qu'il  arrive  à  ces  in- 
comparables résultats,  mais  par  cette- 
intelligence  rare  du  caractère  qin 
désigne  à  son  pinceau  les  éléments 
essentiels,  les  seuls  (pii  méritent 
d'être  retenus  et.  en  même  tem]is, 
par   ce   haut   esprit  de  sacrihce  qui 

lui  fait  dédaigner  et  rejeter  tous  les  autres  connue  inutiles  à  l'expression  du  modèle.  Ingres  a 
aussi  retrouvé  le  procédé  de  Holbein  et  de  Clouet  du  ,, modelé  dans  le  clair"  (im,  après  lui,  sera 
poursuivi  par  des  héritiers  bien  inattendus,  nés  dans  ce  milieu  révolutionnaire  de  l'avenir  qu'on 
appellera  l'Impressionisme.  Il  n'est  pas  jusqu'à  la  couleur,  dont  la  localisation  franchement 
voulue  n'ait  une  forte  valeur  expressi\-e.  LOdalisque,  qui  figure  aujotn-d'hui  orgueilleusement 
au  Louvre,  est  encore  une  des  (l'uxtcs  d'Ingres  qui  furent  les  plus  discutées.  L'un  trouvait 
qu'elle  n'avait  .,m  os.  ni  muscles,  m  .sang,  ni  vie,  ni  rehef",  l'autre  (lu'elle  possédait  quelques 
vertèbres  en  trop.  Cette  exquise  synthèse  de  la  beauté  féminine,  ..ce  sujet  gracieux  et  un 
peu   étrange"    ainsi  que  le  maître  c}ualitiait  son  charme  exoti(iue,  trouva  même  à  peine  un 


irNTK-ll(iMiNiv>rF.  Ini;ki:>. 
(Musée  au  !.. 


(i;,li,H-  .le 


La  Peinture  au   XIX''   siècle. 


-Aii-.r,  1 1  -IloMiM,  jri-;  In 


aciiuéifur.  Elle  a\-ait  été  commandée  par  la  reine  Caroline  Murât,  en  iSij,  et  peinte  en  1814. 
Les  circonstances  politiques  lui  tirent  changer  de  destination:  elle  fut  acquise  par  M.  de  Pour- 
talès  pour  le  [)rix  de  Soo  francs.  Elle  tîgura  au  Salon  de  1819.  Ce  sujet  oriental  montre  encore 
coml)ien   Ingres  était   ou\-ert  à  tous  les  souilles  de  Tinspiration  du  moment. 


JEAN-Arca-STE-DOMINK.IE  Ingres.  —  La  Stiatonice  (Musée  Conilé,  à  Chantilly). 


llcolc    traiicaise. 


I 


(  ftait  (liinc.a\-i'c  tout  rc  Ijuf^ugr  passe  ot  bien  irautics  clicfs-d'uaurf  Cjiu'  Ingres 
apparaissait  au  Salon  de  1824,  où  il  exposait  le  Viru  de  Louis  XI II.  Bien  qu'il  fût  alors 
méconnu  des  siens,  il  était  loin  d'être  un  jeune  honune  :  il  avait  alors  quarante-cinq  ans.  Son 
adversaire.  Delaevoix.  au  contraire,  n'avait  guère,  lui.  que  vingt-six  ans.  D'une  culture  plus 
générale,  d'une  intelligence  ])lus  étendue  en  dehors  de  l'horizon  des  préoccupations  profes- 
sionnelles, d'une  \ision  philosophique  plus  haute,  le  jeune  ronianti(|ue  pouvait  se  montrer 
assez  libre  i)i>iir  admirer  son  vitnix  rival.  Celui-ci.  ulcéré  peut-être  par  un  trop  long  oubli, 
ne  put  ou  ne  voulut  jamais  comprendre  les  chefs-d'ceuvre  les  moins  discutables  de  Delacroix, 
qu'il  jugeait  avec  des  mots  malheureux 
qu'on  doit  oublier,  et  ne  désarma  jamai- 
devant  ce  (ju'il  aiijielait  ..la  lourbe  roman- 
tique", ("est  le  sentiment  d'orgueil  et 
peut-être  de  rancune  qui  le  jionssa.  dan- 
ime  bouffée  de  gloire  t.ii'divement  \'cnu' 
avec  le  succès  de  son  table. m.  à  iirendu 
la  tête  de  la  réaction. 

Malgré  les  réminisctiices  ou.  si  l'on 
veut,  les  transpositions  trop  é\'identes.  ei 
d'ailleurs  si  franchement  a\'ouées,  (L 
Raphaël,  au  point  qu'Ingres  écrit:  ..}<■ 
n'épargne  rien  pour  rendre  la  cho>,- 
raphaëlesque  et  à  moi"  cette  (eu\rf. 
vraiment  forte,  méritait  le  suciès  (|u"ell< 
eut  et  les  honneurs  ([u'elle  wdut  à  son 
auteur,  nommé,  la  même  année.  che\alier 
de  la  Légion  d'honnem"  l't  membre  de 
l'Institut.  Elle  avait  été  conmiandée  par 
le  ^Ministère  de  l'Intérieur  ])our  la  Cathé- 
drale de  Monîauban.  au  prix  de  j.ooo 
francs,  qui  fut.  du  reste  doublé,  en  raison 
du  succès  du  Sali^n.  et  commencée,  en 
1821,  à  Florence,  Ingres  s'y  mit  d'abord 
avec  mécontentement,  fâché  de  ce  mélange 
de  réalité  et  de  rêve,  dont  le  contraste, 
pourtant,  le  séduira  dans  son  Apothéose 
d'Homère  ou  dans  son  portrait  de  Chéru- 
bini.  Peu  à  peu  il  sentit  ce  qu'il  jxiuv.iit 
obtenir  de  la  figure  du  roi,  vivante  d'une 
\\&  concrète  et  déterminée,  faisant  rejious- 
soir  à  celle  de  la  Vierge,  (pii  soulève  d'un 

charmant  geste  maternel  son  enfant  divin  >ur  les  genoux,  tandis  (jue  deux  anges,  aux  corp^ 
d'adolescents,  vêtus  de  robes  i^lanches,  écartent  brusquement  les  courtines  qui  semblaient  la 
voiler.  Ce  v<xni  de  Louis  XIII  est  celui  cjue  le  roi  lit  à  la  X'ierge  de  son  sceptre  et  de  sa 
couronne  pour  qu'il  lui  fût  donné  un  héritier.  L'Apothéose  d' Homère  a  aussi  son  histoire.  Elle 
est  celle  des  principaux  cliefs-d'(euvre  d'Ingres.  V.Wc  fut,  à  l'origine,  mal  accueillie  et  ce  ne  fut 
qu'à  l'exposition  de  1855  qu'on  en  comprit  la  portée.  Exécutée  en  1827,  en  un  an.  condition 
expresse  de  la  commande,  pour  être  placée  en  j)lafond  dans  une  des  salles  du  Lou\re.  elle  y  fut 
remplacée  par  une  copie  due  à  deux  de  ses  élèves  et.  après  le  Salon,  accrochée  au  Luxembourg. 


lK-I).iMIM.jrK    1^|■.KI.^.    —    l,'.A|.L.lllco»<.-    .1  llo! 

(.Musce  ilu   Louvre). 


La  Peinture  au   XIX''  sièele. 


("est  une  sorte  de  i('|)ri>c  île  l'idcc  de  V J-'.colc  il'.l  tlicncs  de  Kaiiliui'l,  ([ui  grouix'  autour 
trHonièn'.  courouiir  ])ar  la  N'ictoiic.  rt  au  pied  dr  ([ui  sont  assises,  comme  ses  filles.  l'Iliade 
et  rOdyssee,  tous  ceux,  saxauts.  arti>tes.  jioètes.  orateurs,  qui.  dans  tous  les  temps  et  dans 
tous  les  l>.iys.  ont  illustré  l.i  ]>ensée  luuiiaine.  Si  rexécution  se  ressent  un  lieu  de  la  liate  du 
trav.iil  dans  les  portniils  des  ])ersonnages.  les  fi.Ljures  allé;.,'on(iues  rentraleN.  ]),ir  leur  .grandeur, 
leur  sunplieité.  leur  sii^inlKation  jiersounelle.  ])our  tout  dire  leur  st\-le,  app.irtiemient  à  ce  ([ue 
hilares  a   réalisé  de  plus  éle\é  dans  l,i  jioursuite   de  son  idé'al  de   beauté. 

Cette  recherche  de  la  beauté  dans  ce  i|u'elle  ])i'ut  olfnr  .1  la  lois  de  plus  rare  et  de  plus 
pur  l'St  encore  marquée  d'une  manière  incomparal)le  en  deux  toile>  (pii  se  iil.icent  ])ourtant, 
chatame.  à  de>  éi^icpies  bien  diric'reiites  de  l,i   \-ie  de  Tauteur.    L'une  est   la  Styiitmiiic.  l'autre 

hi  Source.  (  )n  ((iuuait  le  sujet  delà 
première.  I)a\'id  l'avait  déjà  traité 
a\'.int  Intjres  et  d'autres  encore.  Antio- 
cliu-<,  fils  de  Séleucus  I^r,  l'rui  des 
successeurs  d'-Mexandri',  est  de\'enu 
follement  amoureu.x  de  Stratonice, 
deu.xième  femme  de  son  père.  Appelé 
à  reconnaître  la  maladie,  le  médecin 
lù.isistrate  en  de\-ine  la  cause  en 
\'o\-ant  l'émoi  extraordinaire  du  malade 
lorsi|ue  jKisse,  dans  la  chambri-  où  il 
est  concile,  Stratonice,  lente  et  son- 
deuse. Cette  , .grande  miniature  liisto- 
ri<ine"  comme  il  l'appelait,  donna  à 
Iiifues  un  mal  inlini  et  on  le  comprend 
en  \'oy.int  tous  les  détails  airxquels  il 
s"(''tait  minutieusement  soimiis.  C'était 
une  Commande  du  duc  d'Orléans,  en 
iN  ',4,  pour  ser\ir  de  |)endant  à  la  Mori 
il  II  duc  de  (,ui\c  de  Delaroclie.  Ingres 
s'\'  mit  aussit(")t  et  ne  termina  cette 
]>einiure  <pi'en  lii^').  ..après  lui  avoir 
donné  jusipCan  dernier  moment  les 
soins  les  ])lus  tendres".  Dans  cette 
'etite  toile  où  il  s'est  plu  à  tracer 
scru|iuleusement  un  riche  intérieur 
antique,  tel  que  le  conce\ait  l'érudition 
de  cette  époque.  Ingres  n"a  pas  perdu  de  vue  ses  oersonnages  et  surtout  cette  délicieuse 
hgure  de  Stratonice,  cpn  s'avance  a\'ec  hésitatior  r  la  chamlire,  la  tête  a]ipuyée  sur  sa 
main,  comnre  si  elle  se  sentait  jiénétrée  ])ar  les  eltUu'es  de  ce  violent  amour. 

Ç)uant  à  la  Source,  elle  fut  l)ien,  sans  doute,  commencée  à  la  tin  d<'  son  premier 
séjour  en  Italie,  comme  une  sinij^le  étude,  mai>  elle  ne  lut  reprise  (pi'en  1S53.  Ingres  avait 
alors  soixante-quin/e  ans.  Cette  toile,  que  le  Lou\-re  doit  encore  à  la  générosité  du  comte 
Duchâtel,  reste,  [i'  'tant,  l'expression  l.i  plus  haute  de  l'idéal  d'Ingres  et  de  l'idéal  de  l^eauté 
cju'aura   conçu  notre  tem])s. 

Comlili'  d'honneurs  jusqu'à  ses  derniers  jours.  Ingres  mourut  à  Paris  le  14  janvier 
1867:  il  sur\i\-aii  de  quatre  ans  à  son  glorieux  ad\-ersaire  envers  lequel  son  obstination  into- 
lérante ne  ^^•'■'•irma  jamais. 


Eur.ÈNE  Delacroix.  —  Massacres  ik-  Scio  (Musée  ilu  Louvre). 


cole   française. 


03 


EuGÈNK  Delackoix,  en  effet,  mourut  à  Paris  en  1863.  le  13  août.  Il  était  né  à 
Charenton  le  26  avril  1798.  tils  d'un  diplomate  qui  devint  jiréiVt  et  petit-fils  d'un  général  dr 
l'Empire.  Ingres  était  un  enfant  du  peuple;  Delaeruix,  tils  de  haute  bourgeoisie,  reçoit  um- 
éducation  classiqne  complète.  Son  esprit  culti\é  est  avide  de  connaissances  dans  tous  les 
ordres  divers  de  la  pensée:  il  se  passioime  pour  la  littérature,  essaie  lui-même  de  faire  des 
\-er5,  suit  le  théâtre,  adore  la  musique  dont  il  associe  les  sensations  à  celles  de  son  art.  mai-. 
en  grand  harmoniste,  tandis  que  Ingres,  musicien  lui  aussi,  n'a  subi  l'intlnence  de  la  mu>i(iur 
que  par  le  côté  mél(idi(iue.   Tempérament  septentrional,  doué  d'unr  imagination  qm  i-~t  peiit- 


tuuKNi;   Dei.alR» 'ix.    —   L'Entrée  .It---  eVoi^cs  à  L'on^t.-imiuople  (Mu 


être  la  plus  ardente  qu'on  ait  connue  dans  les  arts,  son  cer\'eau  est.  en  même  temps,  si 
ordonné,  sa  raison  si  discii)linée,  >on  jugement  ^i  clair\oyant  qu'il  a  écrit  des  pages  de 
critique  de  premier  ordre.  Il  axait  connu  Géricault  à  l'atelier  duérin.  où  se  rencontrèrent, 
nous  l'avons  dit.  le^  principau.x  adeptes  des  idées  nouvelles.  Il  fut  un  peu  son  élè\-e  et 
surtout  son  ami.   Le-  circonstances  allaient  l'appeler  à  lui  succéder. 

Son  premier  envoi  au  Salon  date  de  1822.  ..Dante  et  Virgile"  conduits  par  Phlégias, 
traversent  le  lac  qui  entoure  les  murailles  de  la  ville  infernale  de  Dite.  Des  coupables 
s'attachent  à  la  barque  et  s'efforcent  d'y  entrer.  Dante  reconnaît  parmi  eux  des  florentins". 
Tel  est  le  libellé  exact  du  titre  inscrit  au  livret  de  ce  salon.    Le   sujet,  à  lui  seul,  était  un'- 


36 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


déclaration  de  romantisme.  Cette  toile  grandiose,  par  son  dessm  tonrmenté.  par  rélocjucnce 
véhémente  de  ses  harmonies  colorées,  par  je  ne  sais  (luclle  puissance  commnnicati\-e  qui  gagne 
entièrement  le  spectateur,  eut  aussitôt  un  succès  immense.  Elle  était  le  prolongement  du 
pathétique  inauguré  par  les  Pcstiin'is  i/i-  /((//(/  et  continué  par  le  Radcait  de  la  Méduse,  avec 
une  chaleur  et  une  hauteur  poétique  nouwlk-s.  L'<eu\'re  enthousiasmii  le  public  et  la  crititjue 
et  elle   l'ut  achetée  jiour  le  Musée  du  Luxi'mbourg  au  prix  de   I2oo  francs. 

("est  que.  pas  ]ilus  que  pour  les  débuts  de  (iro>  ou  de  Ciéricault.  on  n"a\'ait  deviné  ce 
qu'annonçait  cette  première  toile  et  ce  que  promettait  ce  commençant.     On  ne  tarda  pas  à 


EccKNE  Delacroix. 


La  lîarricade  (Musée  du  Louvre). 


ouvrir  les  yeux.  Les  idées  romantiques,  cependant,  avaient  fait  du  chemin,  soit  dans  les  lettres, 
soit  dans  les  arts  et  lorsque,  au  salon  de  1824,  Delacroix  exposa  les  Massacres  de  Scio,  le 
gouvernement,  qui  venait  de  décorer  Ingres,  se  rendit  acquéreur  de  cette  admirable  et 
émouvante  peinture,  pour  le  Luxembourg  et  au  prix  de  6.000  francs. 

C'était  la  toile  que  le  romantisme  opposait  au  Weu  de  Louis  XIII.  Les  événements 
de  Grèce  remuaient  toutes  les  consciences,  ardentes,  surtout  dans  un  pays  sans  cesse  en 
ébullition  pour  les  idées  de  liberté.  L'imagination  de  Delacroix  en  fut  fortement  secouée  et 
en  produisit  plusieurs  chefs-d'ccu\'re. 

Cette  puissance    d'évocation  d'un   pays  qu'il  ne  connaissait   pas.    de  scènes  doulou- 


É 


colc 


fn 


mcaisc. 


37 


relises  qu'il  n"av;iit  point  vues,  où  l'éclat  du  ciel,  la  richesse  et  le  pittoresque  des  costumes, 
la  beauté  des  êtres.  If  piquant  de  cette  singularité  exotique,  et,  comme  récrivait  Théophile 
Gautier,  l'un  des  participants  de  ces  grandes  luttes  ,,cc  dessin  liévreux  et  convulsif.  cette 
couleur  violente,  cette  furie  de  brosse  qui  soulevaient  Tindignation  des  classiques,  enthou- 
siasmaient les  jeunes  peintres  par  leur  hardiesse  étrange  et  leur  nouveauté,  que  rien  ne  faisait 
pre:sentir"".  On  raconte  que,  ce  tableau  étant  achevé  et  porté  au  Louvre.  Delacroix  aperçut 
les  envois  de  Constable.  qu"on  venait  d'apporter.  11  fut  tellement  frappé  de  la  puissance  de 
leur  technique  si  audacieuse  et  si 
frère  qu'il  obtint  de  faire  descendre 
son  tableau  et  d"v  retoucher. 

Lorsque,  au  Salon  de  1831. 
appanit  le  tableau  de  la  Barricade 
(le  titre  exact  était  :  le  28  Juillet 
1830)  la  cause  romantique  était 
gagnée.  Les  événements  politiques 
avaient  aidé  à  la  victoire.  Delacroix, 
comme  la  plupart  des  artistes,  vibra 
à  ce  souffle  de  liberté  que  Auguste 
Barbier  avait  fait  passer  dans  ses 
ïambes.  On  en  retrouve  comme  un 
écho  dans  la  Barricade.  Delacroi.x 
inaugurait  ici  une  manière  nou^■elIe. 
Il  sortait  du  monde  de  son  imagina- 
tion, peuplée  des  songes  des  poètes. 
des  historiens  et  des  romanciers. 
pour  s'attaquer,  à  son  tour,  à  un 
grand  tableau  de  réahté  et  même 
d'actuahté,  avec  toutes  les  diffi- 
cultés que  paraissait  soulever  l'em- 
ploi du  costume  moderne.  Gros,  en 
pareil  cas,  s'était  toujours  tiré 
d'affaire  avec  les  uniformes.  Géri- 
cault  avec  le  nu  ou  le  demi-nu  de 
ses  naufragés.  Delacroi.x  aborda  et 
résolut  hardiment  ce  problème  pitto- 
resque, que  Courbet  et  ses  succes- 
seurs, Manet  et  Fantin-Latour. 
entre  autres,  résoudront  définiti\e- 
ment  plus  tard,  en  dissipant  le  pré- 
jugé d'après  lequel  le  costume  de 
nos  jours  n'était  acceptable  en  art 

que  dans  le  portrait.  Le  brave  Etienne  Arago.  plus  tard  maire  de  Pans,  qui  de^•alt  mourir 
à  90  ans  conservateur  du  ]\Iusée  du  Luxembourg,  et  qui  ne  manc|uait  jamais  l'occasion  d'un 
coup  de  feu  sur  un  tas  de  pavés,  démontre  victorieusement,  dans  cette  toile,  a\"ec  sa  redingote 
et  son  chapeau  haut-de-forme,  que  ces  prétendues  difficultés  ne  provenaient  guère  que  de  la 
pusillanimité  des  artistes.  L'Etat  acquit  également  cette  toile  j)our  le  Luxembourg,  d'où 
elle  est  allée  au  Louvre  avec  les  précédentes. 

Les  Massacres  de  Scio  montrent  combien  Delacroix  était  sensible  à  la  jioésie  exotique 


F.r( 
(Chai 


EN  F.  Delacroix.  - 
elle   lies    Saints    .■ 


Heliodore  clia> 
laes   à    l'Eclisc 


se  du  Temple 
Saint-Siil|iice). 


;8 


La  Peinture  au  XIX*"  siècle. 


de  la  ci\iliscitinn  uiinitaU'  iiui  grisait  alors  toutes  les  imaginations  des  écrixains  et  des  artistes, 
à  quelque  camp  (ju'ils  appartinssent.  Nous  a\'ons  vu  que  Ingres  avait.  Ini  aussi,  sacrifié  à  ce 
culte.  On  juge  de  ce  que  put  être  pour  lui  le  \-oyage  qu"il  effectua  en  i8j3  au  Maroc,  voj^age 
de  quelques  mois  qui  rem[)lit  toute  sa  \ie  de  cliefs-d"(envre.  Son  imagination  fut  vivement 
ébranlée  par  ce  qu'il  appi-lait  ..ce  sublime  \i\ant  et  frappant  qui  court  ici  dans  les  rues  et 
vous  assassine  de  sa  réalité".  Les  Iciiiiius  ifAI'j^o'.  nonchalantes  dans  leur  intérieur  bariolé  de 
faïences  et  de  ta])is.  au  milieu  de  cette  harmonie  singulière  de  verts,  de  blancs  et  d'orangés, 

est  une  des  plus  calmes  et  des  plus 
e.xquises  (  irchestrations  dues  au  pinceau 
de  ce  grand  musicien  (\i-  la  couleur. 
Ce  tableau,  exposé  au  Salon  de  1834. 
fut  acquis  par  l'iùat  au  prix,  fort 
médiocre,  étant  donnée  la  réputation 
de  Delacroix  à  cette  époque,  de  3.000 
francs,  jiour  le  Luxembourg.  !Mais, 
comme  comjiensation.  on  lui  donnait 
la  commande  de  flintrcc  des  Croises 
â  (_\>iistiiiitiiioplc. 

Otte  toile  devait  lui  fournir 
une  occasion  exceptionnelle  de  traduire 
le  grand  rêve  de  poésie  orientale  qui 
ne  cessait  de  se  déverser  en  toutes 
sortes  de  menues  compositions.  Dela- 
croix n'a  pas  eu  besoin  d'aller  jusqu'à 
Constantinople,  ce  Stamboul  qui  faisait 
déjà  renchantement  de  Théophile 
(îautier.  pour  voir  avec  les  yeux  du 
dedans  cette  magnificence  d'une  nature 
]irivilégiée.  Ivst-il.  dans  toute  la  pein- 
ture vénitienne,  une  composition  d'un 
l)ittores(jue  aussi  saisissant,  aussi  im- 
pressionnant par  l'imprévu  de  l'ara- 
besque des  silhouettes  et  la  richesse 
intense  de  la  couleur  et  qui  vous 
frajipe  comme  si  l'on  contemplait, 
t(  lut  d'un  coup,  avec  les  wux  de  la  tête, 
cet  admirable  et  émou\'ant  spectacle.-^ 
Le  comte  l'îaudouin  fait  son 
entrée  sur  un  che\al  (jui  hennit  en 
reniflant  l'odeur  des  cada\"res;  il  est 
sui\'i  de  tiuelques  ca\aliers.  Ciisqués  et  armés  comme  lui.  la  lance  droite  au.x  oriflammes  agités, 
tous  vêtus  d'acier,  d'or  ou  d'étoffes  à  la  fois  somptueuses  et  barbares.  Leur  silhouette  singulière 
se  découpe  à  contre-jour  sur  le  fond  magique  de  la  Corne  d'or,  avec  ses  coupoles  blanches, 
ses  colhnes  bleues,  sa  mer  étincelante  et  son  ciel  brouillé  par  toutes  les  fumées  des  incendies. 
A  leurs  pieds,  sous  les  portiques,  se  pressent  des  \ieillards.  des  enfants,  des  femmes  demi-nues, 
poursuivis  par  les  sauvages  guerriers,  qui  agonisent  au  milieu  des  trésors  éparpillés  sur  le  sol 
ou  implorent  la  pitié  des  vainqueurs,    i  >  :.\  ,\  f  it\i}  .»  ' 

Ventrée  des  Croisés  est  une  des  plus  extraordinaires  é\'ocations  de  la  peinture  moderne 


El"(;ÉNF.    l>KI.ArK(iIX.    — 

(Ch.ipelle  ik-s  Saillis   Ang 


Jacob   luttant   avec   l'.Ang 
■s  à   l'Eglise  Saint-Sulpia 


Hcolc   traiicaisc. 


39 


("t.  peut-être,  bien  (]ue  sa  carrit'rc  abonde  en  cliets-d'uinrc.  la  lui].-  (lu'dn  ])eut  appeU-r  la 
niaitresse-ieuvre   de   Delacroix. 

Ce  tableau,  signé  et  daté  de  ïS^n.  a\-ait  été  rommandé  pour  h-  Musée  de  X'ersailles 
avec  la  Bataille  de  Taillebourg.  qui  est  restée  dan-  ce  Mu-ée.  1/iuiport.inec  de  cette  com- 
position dans  riiistoire  de  notre  Kcole  apjxirut  telle  cju'on  la  p(jrta  au  Louvre  et  (lu'elle 
fut  remplacée  à  \"ersailles  p'dv  une  copie. 

Drlacroi.x  a  exécuté  pour  nos  édifices  j^ublics.  un  assez  grand  noinhn-  de  peintures 
murales:    à    l'Hôtel   de   \'ille.   pAV  exemple,    où   elles  ont   i)éri  dans   l'incendie  de  cet  édifice; 


EiGÉNE  Dia..\rRoix. 


de  la  Ch.-im!)ie  des  Hé:n\lù 


au  Palais  du  Luxembourg  et  au  Palais-Bourbon,  notamment  dans  la  Bibli(jthcque  de  la 
Chambre  des  Députés.  L'éducation  d'Achille  occupe  le  deii-xième  pendentif  de  la  première 
coupole  de  ce  magnifique  ensemble.  C'est  un  des  morceaux  auxquels  Delacroix  attachait 
le  plus  de  prix.  On  connaît  le  plafond  célèbre  de  la  Galerie  d'Apollon,  au  Louvre,  mais  on 
connaît  moins  la  décoration  de  la  Chapelle  des  Saints  Anges,  à  l'I^glise  Saint-Sulpice.  qui  est 
assurément,  une  des  plus  belles  conceptions  de  ce  genre  pittoresque.  Elle  awiit  été  commandée 
en  1849,  mais,  tout  en  v  pensant.  Delacroix  ne  se  mit  guère  à  l'ouvrage  qu'en  1853  et  ce 
n'est  même  que  de  1857  à  1861.  après  maintes  interruptions  dues  à  son  état  de  santé  (pii 
s'accommodait  mal  de  la  fraîcheur  du  local,  que  le  maître  y  tra\-ailla  régulièrement. 


40 


La   Peinture   au 


XIX' 


siècle. 


L'un  dus  piinncaux,  à  gauche,  R-présente  Jacob  lutta)it  avec  rAngc.  La  scène  se  passe 
dans  un  large  paysage  occupé  presque  entièrement  par  le  développement  d'un  chêne  magni- 
l'ique.  (]ui  semble  s^miboliser  la  puissance  d'Israël.  Elle  offre  une  impression  singulièrement 
émouN'antê  d'irréel  et  de  nature.  L'énergie  de  Jacob  et  la  noblesse  simple,  la  force  calme  de 
l'Ange  forment  un  contraste  saisissant,  en  même  temps  que  la  solennité  de  cette  lutte  qui  va 
consacrer  le  père  des  douze  tribus  du  pru])le  élu.  est  accusée  par  la  s])lendeur  du  décor. 

C'est  un  autre  décor,  aussi  splendide,  mais  un  décor  d'architecture,  qui  forme  le  théâtre 
de  la  --cène  qui  occupe  le  panneau  de  droite  de  cette  chapelle:  H éliodore  chassé  du  Temple. 
Nous  sommes,  car  il  semlile  toujuurs  (pi'on  v  est  vraiment,  devant  le  \'estibule  du  Temple, 


^^^^^^Bv'-                -'^^^^^^^^^^^1 

^■|l^H||  .'V'  ^ 

^^^^^^^fen        rÉMri'  -'M^l^^^^^^^^^^^^^ 

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^HSm^^k. ''>É?E^ 

H^BBK^^ 

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Sii^Ai.oN  (Xavier).  —  La  Courtisane  (Musée  du.  Lo 


tel  fiu'une  imaginatidu  comme  celle  de  Delacroix  pouvait  le  concevoir,  coupé,  au  milieu,  de 
hautes  colonnes  qui  portent  la  cage  d'un  vaste  et  majestueux  degré.  Des  fidèles,  des  femmes, 
des  lévites,  entourent  le  grand  prêtre  Onias,  sur  le  palier  supérieur,  tous  saisis  de  gtupeur  et 
d'admiration  devant  le  miracle  qui  s'accomplit,  en  bas.  sous  leurs  yeux.  Car  le  lieutenant  de 
Séleucus  Philopator,  Héliodore,  pour  avoir  \-oulu  s'emparer  des  richesses  du  Jemple,  est 
frappé  par  les  verges  d'airain  d'une  troupe  d'anges  volants,  descendus  du  ciel,  et  son  corps 
est  foulé  par  les  sabots  d'un  beau  cheval  gris  de  fer,  portant  sur  ses  reins  le  plu^  noble  et  le 
plus  charmant  cavalier,  cuirassé  et  casqué  d'or,  qui  s'avance,  sceptre  en  main,  avec  toute  la 
grâce,  toute  la  jeunesse  et  toute  la  majesté  céleste  du  roi  des  archanges.    Consacré  désormais 


Ecole   française. 


41 


depuis   l'E.\po>itiun    Ljiixciscllf   de    1855.  (jù  il  ;i]>panit  dans  toute  >a  ]niissance  et  sa  gloire, 
Delacroix  était  entin  accepté  par  rinstitut  en   i<S57.   Il  mourut  le  t.;  août   i86j. 

Ce  fameux  camp  des  romantiques  qui  m.irrliait,  en  1824.  à  la  victoire  derrière  la 
bannière  de  Delacroix,  comprenait  l'année  la  ])lus  diverse,  la  plus  hétéroclite.  Du  reste,  la 
bataille  gagnée,  chacun  reprit  sa  voie  et  Ton  \erra  bientôt  queUpies-uns  de  ceux  qui  étaient 
au  premier  rang  des  révolutionnaires  faire  leur  entrée  à  l'Institut,  conmie  H.  \'ernet  ou  Paul 
Delaroche.  Celui-ci  même  évoluera  peu  à  peu  i)ar  de  tels  compromi-  qu'il  devint,  par  son 
atelier,  l'héritier  de  l'enseignement  d'Ingres.  .\  cette  heure,  il  y  avait  le  ])au\re  Sh.alox 
(Xavier),  né  à  l'zès  en  1788.  cjui  avait  étudié  à  Ximes  et  jirès  d'un  élève  de  Da\id.  connu 


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Hi'KAle  Verni,  i. 


L'iipa  aux   I.Mii|i^  (Musée  'IWvigiiuii , 


surtout  pour  avoir  fait  partie  du  ju-tit  cercle  des  Priiiiitih,  Monrose.  et  qui  était  venu  à 
Paris  avec  quelques  économies.  Il  se  distingua  par  son  tableau  de  la  Courtisane,  acquis  au 
prix  de  2000  fr.  pour  le  Luxembourg  et  placé  aujourd'hui  au  Lou\re.  puis  par  la  Locuste,  du 
Musée  de  Nîmes,  qui  eut  un  énorme  succès  au  Salon  de  1S24.  Il  \-égéta  longtemps  dans  la 
misère,  et  comme  il  commençait  à  se  tirer  d'embarras  par  ses  copies  de  la  Chapelle  Sixtine. 
de  ilichel-Ange.  qui  décorent  la  Chapelle  de  l'I-xole  des  Beaux-Arts  de  Paris,  il  mourut  du 
choléra  en  18^,7.  à  Rome,  où  il  allait  continuer  ses  travaux. 


HoR.\cE  \'ernet  (né  à  Paris  en  178g)  hls  de  Carie,  et  petit-fils  de  Joseph,  eut  une 
carrière  autrement  heureuse.  Il  avait  reçu  une  médiocre  éducation  classique,  mais,  dès 
l'enfance,  dans  l'atelier  paternel,  il  passait  son  temps  à  dessinailler  des  soldat>.  Tout  jeune, 


42 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


il  gagnait  déjà  sa  vie  avec  des  vignettes  ou  des  dessins  de  mode.  M,ii>  il  \iVcdt  surtout  au 
milieu  de  militaires  et,  bien  qu'il  eût  été  exempté  du  service,  il  aimait  à  en  prendre  les  airs. 
Il  donna  d'abord  dans  le  romantisme,  s'inspira  de  \\'alter  Scott  et  de  Lord  Byron,  et  son 
Mazcppa,  peint  en  1825,  est  peut-être  une  des  meilleures  toiles  de  ce  genre. 

Sa  fécondité  était  inépuisable  et  il  a  touché  à  tous  les  sujets,  mais  c'est  surtout  par 
le  troupier,  et  le  troupier  d'Afi'ique  au  moment  de  la  campagne  d'Algérie,  que  sa  popularité 
est  devenue  universelle.  Le  Musée  de  \'ersailles,  où  ses  ouvrages  abondent,  comprend  deux 
salles  presque  entièrement  réservées  à  cette  période  de  l'artiste.  Les  di\Trs  tableaux  du 
Siège  de  Coiistantine.  et  surtout  l'immense  toile  de  la  Prise  de  la  Siualn.  exposée  au  Salon  de 

1845  et  qui  mesure  21  mètres  39  de 
largeur,  en  sont  les  morceaux  les  plus 
célèbres.  Cette  dernière  composition, 
une  des  plus  vastes  qui  aient  été  peintes, 
montre  avec  toutes  ses  qualités  et  tous 
ses  défauts,  l'esprit  pittoresque  de 
l'artiste,  abondant,  plein  de  verve  et 
d'entrain,  mais  d'un  esprit  anecdotique, 
terre  à  terre  et  superficiel.  Dans  cette 
suite,  plus  ou  moins  habilement  bien 
reliée,  d'incidents  parfois  vaudevilles- 
ques,  il  en  est  d'un  piquant  facile  mais 
assez  heureux  comme  celui  des  femmes 
du  Chérit  essayant  de  se  sauver  dans 
leur  palanquins.  Horace  ^'emet  eut 
tous  les  honneurs,  et  même  d'assez 
inattendus  pour  son  talent,  comme 
celui  de  Directeur  de  l'Académie  de 
France  à  Rome.  Ce  bon  romantique 
était  d'ailleurs  de  l'Institut  dès  1826. 
Il  mourut  à  Paris  en  1863,  le  17  janvier. 


LÉON  CoGXiET  est  né  à  Paris 
en  1794  et  mourut  dans  la  même  ville 
en  1880.  Il  a  laissé  un  nom  surtout 
par  son  enseignement  qui  a  formé 
d'innombrables  élèves. 

Prix  de  Rome  en  1817,  che- 
\  alier  de  la  Légion  d'honneur  en  1823, 
iSbique.    Il  s'enrôla  bientôt  dans  la  phalange 


HoRAi-K  Vernet. 


Les  Palanquins,  détail  tle  la  prise  de  la  Smala) 
(Musée  de  Versailles). 


ses  débuts  furt-nt  tout  à  fait  ceu.x  d'un  peintre  c 
plus  vivante  des  indépendants  et  exposa,  en  1824,  un  épisode  du  Massaere  des  Innocents  qui  eut 
un  vif  succès;  plus  tard,  en  1845,  le  Tintoret  peignant  sa  fille  morte  mit  k'  comble  à  sa  célébrité. 
Il  a  peint  de  nombreux  tableau.x  pour  le  Musée  de  Versailles  et  notamment  le  Départ 
de  la  garde  nationale  en  iyg2  (Salon  de  1836).  des  décorations  au  Louvre  et  à  l'Hôtel  de 
A'ille,  des  portraits,  des  sujets  militaires,  etc.  Conuiit-  I,i  plupart  des  lutteurs  de  la  petite 
troupe  romantique,  son  tempérament  pondéré  reprit  le  dessus  après  la  bataille  gagnée,  et  ses 
tableaux  sérieux,  réfléchis,  bien  composés,  sont  de  sages  compromis  entre  les  tendances  les 
plus  diverses.  Bailly  proclamé  maire  de  Paris,  qui  appartient  aux  collections  municipales  du 
Petit-Palais,  est  un  des  meilleurs  spécimens  de  son  talent. 


Kcolc   Iraiicaisc. 


43 


Le  nicnir  caractère  incertain  niar<iuera  rouvre  de  deux  autre>  C()iiil)attants  df  la 
même  époque,  Ary  Stliet^er  et  Paul  Ddaroclie.  Ils  durent  ])cut-ctre  même  leur  vof,nie  à  cet 
esprit  de  juste  milieu  impropre,  sans  doute,  à  la  création  des  chefs-d'<euvre,  mais  plus  de 
nature  à  plaire  à  la  foule  qui  est  heureuse  d'y  trouver  ses  goûts  de  conservatisme  et  ses 
demi-hardiesses  pusillanimes.  Arv  Se  iikmI'K  est  né  en  1795,  à  Dordrecht,  en  HoUaudr.  où 
un  Musée  est  consacré  à  son  ceirvre  et  où  sa  mémoire  est  gardée  par  un  monument.  Mais  il 
s'établit  en  France  avec  son  frère  Henry,  qui  a  laissé  aussi  une  certaine  réputation  connue 
peintre.    Les  parents,  d'ailleurs,  le  père  et  la  mère,  cultnaient  les  arts.    Arv  débuta  c(inune  un 


LÉON  Cdc.NIET.  —   r.ailly  indclamé   Maire  .1.-  l'ai 


(le  la   Ville  .le.   Taris). 


petit  prodige,  car,  dès  l'âge  de  dou/^e  ans,  il  exjiosa  à  Amsterdam  un  tableau  d'histoire.  L,i 
famille  vint  à  Paris,  lors  de  la  réunion  de  la  Hollande  à  la  France:  Ar\'  avait  alors  quinze  ans. 
Il  étudia  à  l'ateher  de  Guérin  où  il  connut  les  principaux  membres  du  futur  groupe  romantique. 
Il  ne  se  rallia  pourtant  point  tout  de  suite  à  ces  tendances.  Il  débuta  au  Salon  de  1812  par 
des  sujets  de  genre  classique,  mais  peu  à  peu  fut  entraîné  dans  le  mouvement  et  cette  période 
de  sa  vie  se  marque  par  des  tableaux  qui,  soit  comme  couleur,  soit  comme  sujet  se  rattachent 
directement  à  l'inspiration  romantiqui-.  Telles  sont,  par  exemple,  ses  Foiuiics  Souliolcs.  du 
Salon  de  1827,  qui  furent  acquises  par  rh'.tat  pour  le  Musée  du   Luxembourg  et  qu'on  voit 


44 


La  Pcintun-   au   XIX^'  siècle. 


/ 


aujourd'liui  au  1. cuivre.  C"est  un  de  co  tableaux  suf^gérés  par  les  événements  de  (irèce,  comme 
nous  en  avons  vu  chez  Delaeroix.  Les  jeunes  liéroines  grecques,  voyant  leurs  maris  défaits 
jnir  les  troupes  d'Ali  paelia  de  Janina.  prennent  la  résolution  de  se  précipiter  du  haut  des 
rochers  dans  la  mer.  ^Mais  hientijt  cette  chaleur,  ce  mi>u\'ement.  cette  ccmleur  vont  disparaître 
de  sa]xdette;  Ary  Scheher  tournera  son  inspiration  vers  les  ])oètes  de  l'Allemagne  et  peut- 
être  tro[)  \i'rs  les  peintres.  Sa  peinture  s'anémie  dans  le  mysticisme  et  les  rêveries  extatiques, 
un  }>eu  troublée  aussi  par  les  grandes  songeries  d<'s  saints-simoniens  et  des  fouriéristes, 
ccinnne  il  arri\era  à  mainte  autre  noble  intelligence,  à  la  \'eille  des  é\-énements  de  1848. 
.\])rès  les  sujets  empruntés  aux  héromes  de  (ifethe,  Marguerite  ou  Mignon,  ses  deux  toiles 
les  j>lus  célèbres  dans  ce  nouveau  genre,  qui  se  rapprcichent  tout  à  fait  de  l'école  des  élèves 

d'Ingres,  sont  Dante  cl  Hcatricc  et  surtout 
Ai(giisliii  et  sa  mère  Monique,  du  Salon 
de  1846.  aujourd'hui  au  Louvre.  Ce 
tableau,  sage  de  dessin  et, froid  de  cou- 
leur, a.  en  effet,  mie  certaine  grandeur 
jiar  la  snnplicité  de  la  composition  et 
]v  ne  sais  quel  attrait  cjui  provient  de 
ri'X])ression  d'un  sentiment  vraiment 
éjirou\'é.  Il  y  a  bien  des  noms  encore  à 
citer  dans  ce  petit  camp  si  vivant,  si 
grouillant  et  si  turbulent  des  roman- 
ticpies.  des  noms  intéressants  à  retenir 
et  (|u"()n  est  ici  dans  la  nécessité  de 
sacrilii'r.  .\  côté  d'Ary  Scheffer,  son  frère 
Henr\';  les  frères  Devéria.  Achille  et 
lùigène,  le  premier  connu  surtout  par 
ses  lithographies  et  ses  dessins;  le  second, 
élève  de  Girodet,  qu'on  aurait  peut-être 
oublié  comme  ])eintre  si  le  Louvre  ne 
tiiUM'rwnt  sa  Xaissaiiee  de  Henri  IV. 
Puis  Louis  lîoulanger,  cher  à  Victor 
Hugd.  \-oli:)ntiers  pcjrté  vers  le  fantas- 
tique, les  trois  frères  Johannot  et  sur- 
tiuit  les  deux  derniers,  Alfred  et  Tony, 
di\-enus  célèbres  comme  illustrateurs. 
Tiiny  s'est  fait  aussi  une  petite  place 
comme  peintre  et  sa  Mort  de  Duguesclin 
a  été  revue  a\ec  plaisir  à  l'Exposition 
Universelle  de  iqoo.  Il  y  a\-ait  encore  Charlet,  dessinateur  populaire  des  \-ieux  grenadiers  de 
la  Garde,  j)eintre  superbe  à  ses  heures  comme  dans  sa  Retraite  de  Russie,  du  Musée  de  Lyon. 
Il  y  avait  enlm  le  petit  Poterlet,  qui  faisait  de  si  charmantes  pochades  d'après  les  vieux 
maîtres  de  Flandres  et  de  Hollande  et  qu'estimait  fort  Delacroix.  Mais  les  seconds  grands  rôles, 
après  le  jemie  et  ardent  chef  du  romantisme,  étaient  tenus  par  Paul  Delaroche  et  Jean  Gigoux. 


.\i;v  Schkhi;k. 


Muiii,]iu-  (Mu^cc.hil.. 


Pai'L  Dhl.JiROChe  (ou,  ])our  être  plus  exact  selon  son  état  civil.  Hippolyte,  dit  Paul) 
est  né  à  Paris  le  6  juillet  1797.  Il  était  fils  d'un  expert  en  tableaux  très  connu  et  fut  élevé 
a\-ec  tous  les  a\-antages  de  l'éducation  bourgeoise  d'un  nnlieu  fortuné.  Son  frère  aîné  avait, 
lui  aussi,  commencé  par  la  peinture  et  Paul  ne  fut  autorisé  par  son  père  à  l'aborder  à  son 


E( 


fr: 


colc   trancaisc. 


45 


l'AlL   LiELARMLiu;.   —   La   Moil   aÉlisalu-lli   .l'Aiiyletene  (Mustie  du   I,..uvri| 


tour  que  lorsque  Faîne  y  renonça.  Il  avait  débuté  par  le  paysage  et  concourut  même  pour 
le  grand  prix  spécial  attribué  au  paysage  historique,  concours  dans  lequel  il  fut  battu  pai- 
]\Iichallon.    Il  passa  ensuite  chez  Gros  où  il  se  mit  à  étudier  la  figure  rt  (<ù  il  fut  en  contact 


46 


La  Peinture   au   XIX''  siècle. 


avec    les    ])rincipaux  artistes  qui  allaient  figurer  dans  le  grdupe  romantique:    les  Carter,    les 
Pxmington,  les  Roqueplan,  les  Bellanger,  etc. 

Delaroche  exposa  pour  la  première  fois  en  1822.  Il  reçut,  à  cette  occasion,  les  conseils 
de  Géricault,  puis  subit  bientôt  rinfluence  du  jeune  maître  dont  Taube  commençait  à  ra\'onncr 
si  vivement  et  allait  guider  de  sa  clarté  fulgurante  tout  le  mouvement  nouveau:  Eugène 
Dclacroi.x.  Son  premier  succès  date  de  cette  fameuse  année  1824,  si  glorieuse  pour  le  roman- 
tisme, avec  une  Jeanne  d' Arc  et  un  Saint  ]'inccnt  de  Paul,  dans  lesquels  il  montrait  déjà,  en  face 
des  belles  folies  de  son  chef  ou  des  froideurs  académicpies  des  partisans  du  groupe  opposé, 
ces    qualités    de    mesnri\    (rnrilre.    de    sagesse,    qui    ùrent    ^a   rt''putatinn   ]irès  de  cette   haute 


l'Ail.    1Jk|..\I-( 


I.L-s  Enfant-  dtaouanl  (Mu-ce   du  Louvre). 


bourgeoisie  que  le  roi  bourgeois  lui-même  appelait  le  parti  du  ,, Juste-milieu"'.  Le  ,, Juste 
milieu"  c'est  là,  en  effet,  le  caractère  de  cet  art  ingénieux.  sa\'ant,  discret,  qui  ne  s'aventure 
jamais  trop  loin  dans  l'histoire  ou  dans  le  drame,  là  s'attachant  à  l'épisode  piquant,  se  can- 
tonnant dans  les  intimités  de  l'anecdote,  ici  redoutant  la  violence  des  conflits  armés  ou  des 
effusions  de  sang,  se  tenant  toujours,  comme  au  théâtre,  en  deçà  ou  au  delà  du  moment 
critique;  combinant,  enfin,  prudemment  le  dessin  d'Ingres  avec  la  couleur  de  Delacroix, 
soignant  le  détail  et  le  pittoresque.  Il  devint  rapidement  célèbre,  dès  1830,  avec  la  révolution 
qui  amenait  l'avènement  de  la  bourgeoisie:  il  en  fut  le  ])eintre  privilégié.  Chevalier  de  la 
Légion   d'honneur  en  182S.  Delaroche  était  élu  membre  de  l'Institut  en  1832  et  était  nommé 


Ecole    trancaisc. 


47 


prufesseur  à  ri'Icole  dt-s  P.fau\-Ait-~  en  i.S  ;  ;.  Il  s'était  marie  à  Rdiiic  en  i^.;5-  'i^'''''  ''i  l'"''  nni<iui- 
d'Horace   Vernet.   qm   nimirut    en  1S4;.     Dclamclu-  monrut.  lui-nirinr.   ji'  4   ii(i\cini)rf   1856. 

Paul  Delaroche  a  pnidnit  un  j^rand  iioiuhrc  d'ouvraj^cs:  >ii|i-t>  liistm  i(|iirs.  Mijcts  rt-ii- 
gieux.  —  principalemt'iit  à  la  lin  de  >a  \ic  (iiu'l([Ufsdi''Corations.  et  -.urtmit  la  f^'r.mdc  décnratioii 
de  l'hémicycle  de  l'Ecole  drs  licaux-Art^.  rendue  célèbre  par  l.i  ,i;raviin' d'IIcnriciuel-Dupunt. 
Il  a  laissé  aussi  quelques  biin>  purtrait^.  tels  ceux  de  Ciui/ot.  di'  M.  de  SaKaiid\-.  de  .M.  de 
Rémusat,  de  F.  Delessert.  d'iimile  l'ereire.  de  Thiers.  de  M.  de  l'a-turet.  Snixant  le  tjoùt  du 
temps,  éveillé  par  les  romans  de  Walter  Scott  et  par  l'orientatidU  ]>nliti(iiie  de  la  liourgeciisie 
française,  tournée  vers  l'Angleterre  ]xir- 
lementaire,  Delaroche  choisit  \iil(intiers 
ses  sujets  dans  l'histoire  de  ce  i)a\-s. 
C'est  tantôt  la  Mort  d'Kli^^ithctli,  tantut 
celle  du  petit  roi  Edouard  \'  et  di-  son 
frère  le  duc  d'York:  tantôt  Crnmwell 
ouvrant  le  cercueil  de  Charles  l'''  et 
contemplant  son  ennemi  défunt;  Jane 
Grey  ;  Strafford  conduit  au  supplice,  etc. 
Mais  les  sombres  tragédies  de  ces  pério- 
des troublées  ne  lui  inspirent  point  de 
ces  œu^■res  palpitantes  et  passionnées 
comme  les  concevait  Delacroix;  il  en 
fait  des  spectacles  de  sentiment,  où 
l'horreur  est  toujours  exclue,  et  où  la 
raison  s'associe  toujours  à  l'émotion. 

La  Mort  d'Elisabeth  d' A  nolctcrrc. 
exposée  en  1827,  cjui  ajip;irtient  <ui 
Louvre,  n'est  pas  assurément,  au  point 
de  vue  de  la  compréhension  du  sujet, 
un  de  ses  meilleurs  ouvrages:  trrais  c'est 
Tun  de  ceux  qui  lui  valurent,  à  l'origine. 
le  plus  de  succès  par  les  qualités  cpi'il 
révélait  et  aussi  par  des  défauts  qui 
étaient  faits  pour  flatter  le  mauvais 
goût  public.  Le  drame  qui  se  joue  par  la 
mort  de  cette  vieille  reine,  intelligente 
mais  égoïste,  insensible  et  méchante, 
avide  de  pouvoir  et  insatiable  de  vie, 
est  tout  perdu  dans  l'avalanche  des 
velours,    des  brocarts,   des   satins,    des 

tentures,  des  coussins  et  des  somptueux  costumes,  dans  lesquels  le  i>eintre  essayait  sa  \irtuosite 
naissante.  Mais  Delaroche  s'était  \-ite  ressaisi  et  arrêté  sur  la  pente  dangereuse  de  ce  dilettan- 
tisme facile,  il  revient  à  une  manière  plus  sobre,  plus  grave,  plus  expressive,  plus  conforme 
à  son  tempérament  pittoresque  et  à  son  naturel  moral.  Les  Enjantf.  d' l'.doiiard.  exposés  en 
1831.  qui  furent  placés  au  I,uxembourg.  puis  au  Louvre,  caractérisent  tout  à  fait  cette  manière 
qui  est  bien  sa  manière  propre.  On  connaît  le  sujet  de  ce  petit  drame  cpie  son  pinceau  a  rendu 
si  touchant  et  qui  fut  repris  sur  le  théâtre,  deux  ans  après,  en  1S3J.  par  l.i  tragédie  de  Casimir 
Delavigne.  On  se  plaisait,  d'ailleurs,  à  trou\-er  des  analogies  entre  le  talent  du  peintre  et 
celui  de  l'auteur  dramatuiue.    Les  deux  malheureux  fils  d'Edouard  1\'.  \v  jeune  mi  Edouard  \". 


Than-Françiiis  GiGoex.  —  Purlraii  tic  Chark' 
(Mu5cf  .lu   I,..uvie). 


48 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


âgé  ik"  {vv\/.v  ans  cl  S(.)n  frère  le  duc  d"Yurk,  (int  été  enfermés  à  la  Tour  de  Lnndres  par  ordre  de 
Richard  de  dloucester.  qui  usurpa  le  trône  sous  le  nom  de  Ivicliard  III.  Assis  sur  le  bord  du 
lit.  enlacés  Tun  à  l'autre,  dans  la  terreur  de  la  solitude  et  le  pressentiment  de  leur  triste  sort, 
ils  lè\'ent  la  tète  du  saint  livre  dans  lequel  ils  puisent  de  pieuses  consolations,  en  entendant  le 
bruit  sourd,  derrière  la  porte,  du  pas  des  assassins  envoyés  pour  les  égorger.  Cette  petite  scène 
muette,  d'une  éloquence  si  simple  dans  sa  mimique  sobre.  le  choix  discret  des  accessoires, 
toujours  rendus  a\ec  un  accent  \-oidu  de  \'érité  réaliste,  l'idée  ingénieuse  du  petit  chien  qui  se 
se  précipite  \"ers  la  ])orte  et  annonce  ainsi  la  \'enue  des  sombres  \"alets  de  l'usurpateur,  tout 
cela    resta    dans    le  sou\'enir  du  public  et  assura  à  l'auteur  une  popidarité  qui  dure  encore. 

Je.\n-Fk.\nÇ()1S  (iii.or.x  est  né  à  Besançon  le  N  )an\-ier  1806.    Son  père  était  médecin 
X'étérinaire    et    le    destinait    à    la    même  profession.     Mais  sa  \"ocation  pour  le  dessin  s'était 


manifestée  de  bonne  heure  à  l'.Académie  de  j-îesançon  où  il  étudiait  et  a\-ait  été  encouragée 
par  le  succès  que  lui  wdurent  (pielques  premiers  portraits  exécutés  à  ce  moment  dans  sa  \'ille 
natale.  Il  obtint  enfin  de  -e  rendre  à  Paris,  où  il  entra  à  l'I'lcole  des  Beaux-Arts  en  1828. 
Il  débuta  d'abord  jiar  des  lithographies  commerciales,  puis  par  des  illustrations,  comme  celles 
du  Gil  Blas.  qui  sont  demeurées  célèbres.  Il  e.xposa  jiour  la  ]U"emière  fois,  au  Salon  de  1831, 
des  hthographies  et  des  dessins.  En  1833  parut  le  portr.iit  du  général  polonais  Dwernicki, 
que  le  Lu.xembourg  a  cédé  au  Louvre,  image  ex]iressi\-e  et  \'i\'ante  dans  laquelle  le  jeune 
peintre  montrait  la  vaillance  et  la  souplesse  d'une  techni(iue  nerveuse,  fluide  et  colorée, 
comparable  aux  plus  beaux  morceaux  de  l'École  anglaise.  En  1835,  il  exposa  sa  Mort  de  Léonard 
de  1  incî.  aujourd'hui  au  .Musée  de  Besançon,  (pii  contirma  sa  réputation  comme  peintre. 
En  1836,  il  envoyait  au  Salon  le  portrait  de  Charles  I-'ourier.  fondateur  du  Phalanstère,  que 
^IM.  y.  Considérant  et  Juste  Muiron.  disciples  du  philosophe  socialiste,  offrirent  au  Musée  du 
Luxembourg  qui  l'a.  récemment,  cédé  au  Lou\"re. 


Ecole    française. 


49 


FtiuritT  et. lit  un  (■(iiiip.itriotc  ilr  (.ii^oiix.  Il  innuriit  le  (>  ii<i\riiil)rr  iiSj^  à  suixanlr- 
trtiis  uns.  Le  jinitr.ik  .iwint  ri,t;uic  ,iu  Salon  de  iN  ;fi.  i.ii  [MUt  -c  (Icniaiidcr  -'il  a  été  iwccnté 
d'après  nature  avant  rcttc  date,  (m  si  <  'est  une  ((iinpositidn  ultéinnirc  à  la  mort  du  fondateur 
du  Phalanstère  et  conuuandee  \>.\r  >es  disripjes.  Ij  ,st.  ])(iMrtant.  \-raiseinl.lalile  (|ue  (.ij^oux 
connut  Fourier.  Les  artistes.  (Tailleurs,  étaient  assez  ])enelres  |)ar  ce  niouxcnient  uto|)isti' 
d'idées  nouvelles,  ([ui  s'alliait  awe  les  id.'es  prises  dans  linr  nnllien  dénioeratic|ue  originel  et 
leurs  espérances  professi.mnelles.  Sauit-Sinion.  Fourier  et  .\n,i;uste  (dnite  eurent  des  adei)tes 
parmi  les  peuitres.  les  sculpteurs  et  nu;-nie  les  musiciens  et.  de  plus,  il  \-  eut.  nous  le  \-errons  en 
une  autre  occasion,  un  ess.n  d'irt   pliaLin-térien.  (hioi  qu'il  en  soit,  l.i  ])emture  de  (  .ij^on.x  ne 


.^^\KllN  Ukmi  I IX,;   —  iiiic 


sent  pas  rou\'rage  fait  après  coup  a\"ec  des  documents.  Le  pluloso])lie.  .issis  tle  trois  (piarts 
sur  inr  rocher,  en  pleine  lumière  sur  un  fond  de  ciel  orageux,  la  tète,  austère  et  songeuse, 
émergeant  du  haut  jabot  bl.mc,  est  ime  noble  image  pleine  de  grandeur  et   de   vérité. 

l'n  des  princii>aux  éléments  de  réaction  contre  l'absolutisme  des  dogmes  classicpies  et 
contre  l'étude  abusi\-e  et  mal  comprise  de  l'anti'p.iite  fut  l'inlluence  des  idées  sejitentrionales, 
répandues,  soit  par  les  manifestations  des  lettres,  soit  par  celles  des  arts.  On  était  revenu 
vers  Rembrandt  et  \'ers  Kul)ens  comme  on  .ill.iit  wrs  Shakespeare,  vers  (i(etlie.  \-ers  Lord 
Byron  et  Walter  Scott.  Au  point  de  vue  des  habitiuli's  de  l'observation  <'t  de  la  teclini(|ue, 
la  fréquentation  des  Musées  contril)ua  beaucoup  à  cette  orientation  nouxclle  \-ers  les  llamands 


50 


La  Peinture  au   XIX'   siècle. 


et  les  hollandais.  Le  Luxembourg,  entre  autres,  par  les  ehefs-d'ieuvre  recueillis  durant  le 
rè^ne  précédent,  fut  la  véritable  école  de  tout  le  monde  de  petits-maîtres  qu'on  voit  se  remuer, 
dès  le  début  du  nouveau  siècle,  à  l'ombre  des  guerriers  casqués  de  David.  On  les  voit  jusque 
dans  son  atelier  et.  il  faut  ^a^■ouer  en  fa\-eur  du  libéralisme  de  sa  pensée,  encouragés  par  lui 
dans  leur  voie  jilus  intime  et  plus  humaine.  Ils  procèdent,  de  leur  côté,  par  un  travail  lent 
et  sûr.  au  mouvement  d'émancipation  de  l'art,  et  le  préparent  à  son  nouveau  rôle  de  traducteur 
de  la  vie  contemporaine.  Aussi  les  Teniers.  les  Metsu.  les  Mieris.  les  Pieter  de  Hooghe,  les 
\'an  Ostade  furent-ils  les  guides  de  ces  premiers  peintres  de  genre,  peintres  de  mœurs  ou 
d'intérieurs,  <iui,  sans  se  préoccuper  des  vastes  élucubrations  héroïques  ou  lyriques  du  classi- 
cisme  et   du   romantisme,  chrent  tout  bonnement,  à  l'iniit.itinn  des  braves  petits  flamands  ou 


François-Marrs  Gk.ane r. 


d'miL-  Sallu   il'.Viilc  (Musée  d'.Vix-eu-l'ruvence). 


•hollandais,  les  simples  actes  de  la  vie  de  tous  les  jours  et  créèrent,  de  cette  façon,  le  courant 
qui,  en  grossissant,  deviendra  la  principale  source  d'inspiration  de  l'art  moderne. 


Parmi  ces  petits  hollandais  de  France,  le  plus  en  vue  à  coup  sûr,  et  sans  doute  le  plus 
plaisant,  est  Louis-Léopold  Boillv.  Il  naquit  à  la  Bassée,  près  de  Lille,  le  5  juillet  1761 
et  mourut  à  Paris  le  5  janvier  1845.  c'est-à-dire  à  quatre-vingt-quatre  ans,  tenant  toujours 
sa  palette  en  mains.  Son  père  était  sculpteur  sur  bois.  Elevé  dans  ce  milieu  modeste  de 
petite  bourgeoisie,  Boillv  resta  le  peintre  des  petits  milieux  bourgeois.  II  se  forma  tout  seul, 
près  de  son  père,  sans  maîtres  et  débuta  en  faisant  des  portraits,  dès  l'âge  même  de  douze  à 
treize  ans.  -En  1774,  il  alla  à  Douai  où  il  exécuta  quelques  travaux  chez  le  prieur  des  Augustins, 
et,  trois  ans  plus  tard,  à  Arras.  appelé  par  M.  de  Couzié.  évèque  de  cette  ville,  où  il  resta  deux 
ans,  y  exécutant  plus  de  trois  cents  portraits,  qu'il  enlevait  chacun  en  deux  heures.  Vers 
1787,   il  s'établit   à   Paris;    il   'ibtint   au   conccnirs   divers   prix,    entre   autres   une   première 


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cole 


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ancaise. 


médaille  au  Salun  de  1S04;  ]i  fut  fait  chevalier  de  la  Légion  d'iionneur  en  18-;,;.  On  fixe  à  cinq 
mille  le  nombre  de  ses  portraits.  Celui  de  ses  tableaux  de  genre  est  également  considérable. 
Il  a  peint,  d'un  petit  pinceau  vif.  alerte,  abondant  et  facile,  un  peu  trop  jxufois  sans  doute. 
les  gros  et  menus  incidents  de  la  vie  quotidienne  au  milieu  de  ces  grandes  épo(]ues  troublées 
de  la  Révolution  et  de  TEmpire.  Il  est  le  s])ectateur  aimable,  amusé,  un  peu  superficiel,  des 
scènes  de  la  rue.  des  jardins,  des  lieu.x  publics,  dans  lesquels  grouillent  ses  petits  personnages 
au  visage  enfantin  et  pouponnier.  l^Arri-réc  d'une  diligence  dans  la  cour  des  Messageries,  (jui 
appartient  au  Musée  du  Louvre,  est.  assurément,  im  de  ses  meilleurs  tableaux,  tant  par 
l'heureux  arrangement  de  la  composition,  le  paysage  piquant  de  \ieilles  bâtisses  formant 
décor,  que  par  les  johes  petites  scènes  sjnrituelles.  sentimentales  et  })ittores(]ues  aux(]uelles 
donne  heu  cet  événement,  qui  comptait  du  temps  de  nos  pères:  chevaux  dételés,  bagages 
que   l'on   descend,   effusions,    embrassades,   à  travers  les  chiens  qui  aboient  et  les  poules  (jui 


V.iu  a   la  M.-nl..ue  :  Musc-  .1;.   1, 


criaillent.  Exécuté  en  1803.  il  a  été  exposé  au  Salon  de  1S04  et  c'est  lui  (|ui  valut  sa  première 
médaille  à  Boillv.  Le  roi  Louis-Philippe  l'acheta,  en  1845.  des  héritiers  du  peintre  qui  l'avait 
conser^-é  jusqu'à  sa  mort.    Il  fut  payé  2000  francs. 

Parmi  ces  hollandais  de  la  première  heure,  il  en  est  deux  autres  qui  méritent  une 
place  à  part  dans  l'histoire  de  ce  temps:  l'un  est  Drolling.  l'autre  dranet.  Le  premier  est 
encore  tm  homme  du  Nord.  ]\L\rtin  Drolling  est  né.  en  effet,  à  Oberbergheim.  près  de  Colmar, 
en  1752;  il  est  mort  à  Paris  en  1S17.  Ses  ou^•rages  sont  assez  rares  et  ils  se  rapprochent  de 
très  près  des  anciens  hollandais,  qu'ils  arrivent,  piarfois.  presque  à  pasticher  tels  ces  petits 
sujets  encadrés  dans  la  fenêtre  chère  aux  Gérard  Dou,  aux  ^letsu  et  aux  Mieris.  Son  art  est 
un  art  d'imitation  pure,  mais  comme  il  est  fait  de  simplicité,  de  sincérité,  de  fidélité  émue! 
L'Intérieur  de  Cuisine,  du  Musée  du  Louvre,  en  est  un  charmant  exemplaire,  digne  des  maîtres 
qu'il  rappelle.  C'est  un  des  derniers  ouvrages  de  l'artiste.  Exécuté  en  1815.  il  fut  exposé  en  1817. 
date  de  la  mort  de  Drolling  et  acquis,  la  même  année,  à  son  fils  pour  la  sonuue  de  4000  francs. 


5  2  La  Peinture  au  XIX''  siècle. 

Ouant  à  Fkan'iois-Marius  Graxet.  c'est  un  linmme  du  ^lidi.  car  il  est  né  à  Ai.\-en- 
Provcnce  le  17  décembre  1775.  et  il  est  venu  y  mourir  en  1849.  le  21  novembre.  Mais,  de 
bonne  heure,  il  avait  été  ]>orté  à  aimer  les  sujets  d'intimité,  .t^race  à  ([uelciues  estampes 
d'après  Téniers.  (|ui  lui  avaient  été  jirétées  dans  son  rntancc  qu'il  se  plut  à  copier  et  dans 
lesquelles  il  avait  trouN'é,  disait-il.  ..la  manière  d'aj)frccvoir  la  nature".  Fils  d'un  maître 
maçon,  qui  le  plaça  à  l'école  du  paysagiste  Constantin,  il  tr.L\'ailla  d'abord  connue  ]ieintre 
en  bâtiments  dans  l'Arsenal  de  Toulon.  l'Jexeuu  ensuite  à  Aix,  il  s'y  lia  d'une  étroite  amitié 
avec  le  comte  de  Forbin.  cpii  de\'mt  plus  tard  directeur  des  Musées  Nationaux.  Il  ^-int  à 
Paris  avec  celui-ci  et,  grâce  à  son  inter\-ention.  entra  dans  l'atelier  de  David.  Le  maître  ne 
découragea  point  Granct  dans  sa  voie,  déjà  toute  tracée.  Bien  au  contraire  et  il  appréciait 
particulièrement  ses  qualités  de  clair-obscur  et  de  couleur,  lui  1802.  il  partit  pour  Rome 
et   il  y  fit   un   séjour  de  dix-^ept  ans.    puisqu'il  ne   rentra   à   Paris  i]u"en  i8i().    Les  tableaux 


L'Arrivée  des  Mo 


tiineurs  dans   les  Ma 


F..iUin,   (Muser   du   I.ulivie). 


qu'il  exécuta  dans  les  milieux  ]iopulaire>  et  pittorescjnes  de  l'Italie  lui  \'alurent  un  succès 
considérable  et  commencèrent  la  x'ogue  de  ces  sujets  de  jiaysaiineries  romaines,  qui  dura  si 
longtemps  dans  notre  école,  dranet  retourna  à  Rome  à  plusieurs  reprises,  ne  pouvant  se 
détacher  du  charme  de  la  Mlle  Eternelle.  Après  la  Révolution  de  1848,  il  se  retira  à  Aix.  et 
c'est  là  qu'il  mourut,  laissant  à  sa  ville  natale  sa  fortune  et  ses  tableaux. 

C'est  justement  à  cette  collection  qu'appartient  cet  Iiitcnciir  d'école,  dont  le  clair- 
obscur  paisible,  l'intimité  recueillie  font  S(.)nger  aux  meilleurs  ou\-rages  de  Pieter  de  Hooghe. 

Décoré  en  i8iq,  clie\-alier  de  l'Ordre  de  Saint-Michel.  conser\-ateur  des  tableau.x  du 
Louvre  en  1826,  membre  de  l'Institut  en  1830,  Granet  a  exercé  une  réelle  influence  sur  son 
temps,  soit  dans  la  peinture  dite  ,,de  genre",  soit  dans  celle  de  genre  historique,  soit  sur  la 
,, peinture  d'intérieurs",  qui  de\'iendra  plus  tard  la  peinture  de  la  ^■ie  moderne.  .\  ces  dix'ers 
titres,  il  a  précédé  Robert  Fleury.  ^leissonier  et  Bonvin. 


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iiuaisc. 


(iiant't  a  été  c^aliinriil  riiiitiatcur  de  deux  peintres  (|ui  sortaii'iit  cdiiiuie  lui  de  l'atelier 
de  r)a\-id.  que  les  de-ux  camps  (i])pnsés  se  dis]iutèrent  et  ddiit  le  rôle,  un  i)eu  tr(ip  méconnu 
aujdurcrimi.  a  été  snigulièrement  utile  à  la  Inrmation  de  notre  école  dans  sa  voie  toute 
moderne.  N'ont-ils  pas  été.  en  eflet  les  jirecurseurs  de  Millet  et  (\r  Jules  P.reton  et  de  tous  les 
peintres  de  la  vie  rurale  et  jiopuhnre,  (pi'ils  lirent  accepter  alors  sous  conK'ur  d'e.xotisme? 
Ce  sont  Mctor  Schnetz  et   Léopold   Roi)ert. 

Tous  deu.x  étaient  intimement  liés,  dés  l'atelier  de  David  où  il-,  >e  rencontrèrent;  ils 
étaient  même  juscprà  un  certain  point  compatriotes.  \'ic  kik  Si  iimi/.  plu>  âgé  de  sept  ans 
que  son  camarade,  était  né  à  \'ersailles  l,-  14  avril  1787.  mais  il  était  d'origine  suisse  ;  il 
mourut  à  Paris  le  if)  mars  1870.  Schnetz.  après  (luelques  succès  aux  salons,  où  il  obtint  une 
première  médaille  en  1811).  avec  des  scènes  de  genre  et  des  sujets  religieux.  ])artit  jxiur  ivime. 


où  il  connut  Granet.  Celui-ci  rencouragea.  ainsi  ([ue  >on  camarade  qui  était  \'enn  le  rejoindre, 
à  peindre  la  vie  populaire  di-  l'Italie,  qui  l'aNait  lui-même  si  profondément  passionné.  Schnetz 
suivit  ses  traces  et  s'attacha  à  la  grande  Cité  antique  et  catholique,  où  il  de\'ait  re\'enir  plus 
tard  deu.x  fois,  de  1840  à  1847  et  de  1852  à  1866.  ct)mme  directeur  de  l'Académie  de  France. 
Il  se  ht  une  spécialité  de  manière  italienne  en  granchssant  ces  sujets  pojîulaires  au  format 
de  l'histoire  et  en  s'efforcant  de  leur  donner  le  caractère  et  le  style  que  l'on  était  habitué  à 
réserver  aux  sujets  prétendus  ncililes.  Sa  Diseuse  de  bonne  aventure  assura  son  succès  au  Salon 
de  1824.  Dès  lors,  pendant  des  années,  il  se  li\-ra  à  l'étude  des  mieurs  des  euntadiiu  et  des 
brigands  de  la  campagne  de  Rome  et  de  Nai)les,  dont  le  Va-u  à  la  Madone  du  Musée  thi  Louvre, 
exposé  au  Salon  de  1831  et  ])lacé  ensuitt'  au  Luxembourg,  donne  une  juste  et  forte  idée, 
avec  ses  figures  nettement  écrites  dans  uni'  forme  ]>eut-être  trop  corii'cte  et  ses  colorations 
chaudes,  mais  un   peu   nnmotones. 


54 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


LÉoi'OLD  Robert,  lui,  était  né  à  la  Chau\-de-Fonds  le  13  mai  171)4.  11  était  lils  d'un 
horloger  et  avait  appris  le  dessin  et  la  graxaire  prés  de  Charles  Girardet.  Il  siii\-it  son  maître 
à  Paris,  entra  chez  David  et  concourut,  comme  gra\-eur,  pour  le  grand  prix  de  Rome.  Une 
première  fois,  il  n'obtint  que  le  second:  une  deuxième  fois  il  fut  exclu  comme  étranger,  le 
comté  de  Neuchàtel  ayant  été  détaché  de  la  France  après  le  retour  des  Bourbons.  Il  put. 
néanmoins,  se  rendre  à  Rome,  conduit  par  un  amateur  de  son  pays,  qui  lui  avança  les  frais  du 
voyage.  Il  y  trouva  ses  amis  Schnetz  et  Navez,  le  peintre  belge,  également  élève  de  David. 
Encouragé  lui  aussi  par  Granet.  il  peignit  les  brigands  emprisonnés  au  Château  Saint-Ange 
et  s'adonna  tout  entier  à  la  peinture  de  ces  mœurs,  dont  il  s'efforça  de  traduire  la  grandeur 
primiti\-e  et  la  noblesse  ingénue  avec  le  style  consacré  aux  sujets  héroïques.  Nature  profon- 
dément scnsiti\-e  et  mélancolique,  —  il  a\'ait  eu  un  frère  qui  s'était  suicidé  juste  dix  ans  avant 


Al.EXAMiRK-flABKIPU.    HeCAMI'ï 


La  Sortie  de  l'Ecole  turque  (Musée  du   Louvre;  Collection   Mon 


sa  propre  mort,  —  il  mit  un  à  ses  jours  le  20  mars  1835,  dévoré  par  une  passion  secrète,  à  laquelle 
il  ne  \-oyait  point  d'issue,  pour  la  princesse  Charlotte,  fille  ainée  du  roi  Joseph  Bonaparte. 
En  outre  des  tableaux  de  genre  disant  les  mœurs,  les  passions,  les  joies,  les  deuils, 
les  espoirs  et  les  angoisses  de  cette  vie  demi-sauvage  des  brigands  et  des  paysans  italiens,  il 
avait  conçu  une  sorte  de  cycle  répondant  à  la  fois  aux  quatre  saisons  et  aux  quatre  princi- 
pales races  de  l'Italie.  Le  Retour  du  pèlerinage  à  la  Madone  de  l'Arc,  exposé  au  Salon  de  1827, 
avec  un  succès  considérable  et  qui  fut  acquis  par  le  roi  pnur  le  Luxembourg  au  prix  de- 4000  fr., 
répondait  au  printemps  et  à  la  province  de  Naples.  L'Arrivée  des  Moisso7nieurs  dans  les 
Marais  Pontins,  exposée  d'abord  au  Capitole,  à  Rome,  puis  au  Salon  de  1831,  où  elle  produisit 
une  grande  sensation  et  fut  acquise  au  prix  de  8000  fr.  par  le  roi  Louis-Phihppe,  qui  le  donna 
]-ilus  tard  au  Louvre,  représentait  l'été  et  le  peuple  de  R(ime.    Ces  deux  toiles  sont  devenues 


Rcolc    française. 


33 


classiques.  Elles  ont  eu  une  inlhicuce  considérable  sur  la  pensée  de  leur  temps.  au>>i  i)ien  au 
point  de  vue  des  idées' qu'à  celui  de  Fart.  Si  démodées,  momentanément,  (ju'elles  paraissent 
et  malgré  les  réserves  quinipose  l,ur  technique,  elles  sont  de  très  préci.'u.x  documents  pour 
notre  histoire. 

Si  ces  deux  précédents  niaitr«-s  >e  rattachaient  indistinctement  à  Tim  ou  à  Tautre 
parti,  il  est.  non  loin  d"eux.  im  artiste,  de  beaucouj)  leur  cadet  il  est  vrai,  qui  se  montra  aussi 
indépendant,  bien  que  ses  sympathies  le  ])ortassent  plus  près  du  camp  roiuantieiue.  C'est 
Alex.\NDRE-G.\briel  Decamps.  Né  à  Paris  le  3  mars  1803.  il  mourut  à  Fontainebleau,  des 
suites  dune  chute  de  cheval,  le  22  août  1860.  Il  était  élève  de  Bouchot  et  d'Abel  de  Pujoh 
maître  classique   par   excellence.    Mais,    de   bonne   heure,   il    tra\-ailla   suivant    son  caprice  t-t 


Alexaniiri  ■(Iai:kih.   Dk.'ami's.  —    I.f  Kcniouleui    (  \Iusi-f  .l.i    I 


devant  la  nature.  Il  débuta  par  nombre  de  lithographies,  sujets  de  genre  ou  pièces  satiriques, 
dont  certaines  sont  de\"enues  célèbres.  Son  premier  salon  date  de  1827.  au  plein  miheu  de 
la  bataille  romantique,  mais  il  se  garda  de  s'enrégimenter  dans  aucun  camp,  même  dans 
celui  de  ses  amis.  Ses  premiers  envois  étaient  des  scènes  de  la  \ie  des  animau.K  et  des  aspects 
de  campagne,  qui  répondaient  aux  souvenirs,  toujours  vifs,  de  son  enfance  assez  sauvage. 
Entre  1827  et  1830,  il  entreprit  un  premier  voyage  en  Orient,  d'où  il  rapporta  diverses  compo- 
sitions, notamment  sa  Patrouille  turque,  un  peu  caricaturale  et  fort  rembranesque.  qui  eut 
un  succès  énorme  près  de  la  jeunesse  romantique.  On  peut  dire  que  Decamps  a  été  le  père 
de  l'orientalisme  au  XIX*^""?  siècle.  La  Sortie  de  l' Ecole  turque,  qnc  le  don  généreux  de 
M.  Moreau-Nélaton  a  fait  entrer  au  Louvre,  est  un  des  plus  libres  et  des  plus  charmants 
échantillons  de  cette  manière.  a\"ec  sa  bande  joyeuse  d'enfants  (]ui  s'égaille  par  la  cour  de 


56 


La   Peinture  au  XIX'  siècle. 


l'école,  fil  se  bousculant  de  ])laisir  dans  un  viwmt  raynn  de  soleil,  taudis  i\ue.  daus  rombre 
de  la  [lorte  ouverte,  luisent   les  lunettes  sévères  du  mai,'ister  enturbauné. 

.Mais  Decamjis  ne  s'arrêta  point  à  un  seul  fleure.  .\vec  une  curiosité  ardente  et 
inlassable,  il  toucha  à  tous  les  sujets  comme  il  se  ])réoccupa  de  tous  les  ratïmements  des 
techniques  les  plus  sa\'antes.  Il  a  traité  l'antiquité  j)aïenne  et  les  temjis  bibliques  avec  un 
style  granchose  et  un  accent  local  et  f.in>uclie;  il  a,  en  même  temps,  aimé  la  vie  dans  ses 
aspects  les  plus  familiers,  se  ])laisant  au  paysa.^'.  au.\  animaux,  à  l'e.xistence  des  humbles. 
Le  Rémouleur,  de  la  collection  Tliomy-'lliiéry  au  Lou\'re.  ddune  une  excellente  idée  de  cette 
manière,  aux  oppositit)ns  puissantes  de  clair-obscur,  à  la  mimitjue  fortement  exiiressive.  A 
ce  dernier  titre,   il  est  le  continuateur  de  Géricault,  le  précurseur  de  .Millet.    11  a  été  le  \Tai 


1>A1'.KV  (  Eu(-.i:ni.  1.  —  I.'.\n-ivée  an  CluUcau  (.Musée  du   Louvre). 

guide  de  toute  la  génération  de  petits  peintres  qui  ont  évolué,  entre  1830  et  i84<S,  du  roman- 
tisme au  réalisme  :  les  Roqueplan,  les  frères  Leleu,  les  Jeanron,  etc. 


Pour  terminer  parmi  ces  manifestants  de  la  première  heure  du  romantisme,  il  fau- 
drait ne  pas  oubher  cet  Eugène  Lami  (Paris  1800 — 1891)  petit  imagier,  si  vif,  si  brillant  et 
si  coloré,  et  surtout  cet  Is.-\bev  (Eugène),  né  à  Paris  en  1804  et  mort  dans  cette  ville  en  1886, 
fils  du  célèbre  miniaturiste,  Jean-Baptiste  Isabev.  qui  fut.  dans  ses  tableaux  papillottants  le 
type  du  romantique  pittoresque,  le  devancier  des  Diaz  et  des  Monticelli,  comme  en  témoigne 
cette  Arrivée  an  Châteœu,  du  Louvre,  et  devint  plus  tard,  par  ses  études  de  marine,  l'annon- 
ciateur des  premier  impressionnistes.  Jongkindt  et   lîoudin. 


: X. 

r. 

r.     r-; 


I  -y       X 


CHAPITRE  m. 

i;(  OLK    FKAXÇAISK. 

Premièrk   Pékiode.  —  Dh   i8oi  a  1830  (Suite). 

L'EVEIL  du  sentiment  de  la  nature  fut  un  des  facteurs  les  plus  puissants  de  la  renaissance 
romantique.  Ce  sentiment,  éclos  dès  le  XVIIIème  siècle,  sous  l'impulsion  première 
de  Jean-Jacques  Rousseau,  avait  été  assez  long  à  trouver  en  art  sa  formule  définitive. 
Jusqu'alors  Joseph  ^'ernet,  Hubert  Robert^et  quelques  autres,  en  reprenant  la  tradition  de 
Claude  Lorrain.  ravi\"ée  près  des  derniers  vénitiens,  ax'aient  suffi  à  satisfaire  des  goûts 
naturalistes,  qui  aimaient  à  s'épancher  dans  1rs  amusements  assez  enfantins  des  jardins 
anglo-chinois.  Bien  qu"a\ec  mi  peu  d"a]iprèt.  le  naturali^nn-  de  ce^  artistes  n'était  pas, 
toutefois,  sans  vérité  et  ^ans  grâce. 


(',E<iKr,K>  Mu  m  I,.  —  Vi 


Moulin   a..-  Montmartre  (Co11ectio[i   pj 


58 


La   Peinture   au   XIX'  siècle, 


Au  tlrbut  (.lu  ni)U\f.ui  >irrU-.  ces  pn-uiiiTrs  luc'ui>  |i,ir.n>M'nt  s'tHeindrr.  Lr  it'tjne 
df  l);i\-id  ]5èsc  sur  11-  p.iysa.iic.  qui  a  tiiiu\('-  snu  rt\i,'(iit  nu  son  uiaf^isti-r  a\-fc  le  peintre 
Vak'ncii'iines.  Parmi  ceux  mêmes  epii  se  xouenint  a  peindre  les  aspects  de  la  nature,  ce  (jui 
fait  totalement  défaut  c'est  la  \-ertu  essentielle  du  paysagiste;  la  sensibilité.  Les  tableaux, 
composés  sur  des  rébus  mythologiques  ou  hi^toriqiu/s.  ne  sunt  plus  que  de  froids  décors 
sa\'amment  m.ichinés  pour  un  si)ectacle.  théâtral  et  puéril  à  la  fois,  de  dieux  vt  de  demi-dieux 
auxcjuels  (m  faisait  gra\-ement  seml>lant  de  crciire.  l'.t  à  furce  di'  cunsiiféi-er  le  matin  sous 
la  hgure  de  la  riante  .Aurore,  les  ])hases  du  jour  ^(lu~^  la  finuie  de>  ..Ih'ures  attelant  le  char 
du  Soleil"  (jui  lui-même  ne  s'ap]>elait  jilus  (|u'.\piilliin  nu  l'hebus.  a  fnrce  de  ne  penser  aux 
forêt>  ipie  pour  en  \'oir  sortir,  connue  le  \iinl.iit  le  candide  pedanti-me  de  ^'alenciennes, 
des  hamadrvack'S  ou  des  faunes,  de  ne  contempler  les  sourc<'s  et  les  rui>seaux  que  comme  la 


l'AiI,   Hri  1.   —   In,.vi,laliun   ilaii.   \c   l'an    ,li-  Sainl-Clou.l   (Mu-ée  du  Lnuvre). 

demeure  des  nymphes  et  des  naïades,  on  jierdait  de  \ue  le  \rai  spectacle  mer\-eilleux  de  cette 
grande  fantasmagorie  mystérieuse  et  splendide.  <|ue  la  ]ilume  des  littérateurs  aA"ait  cependant 
exprimée  avec   une  chaleur  comnuinicati\"e. 

Sans  doute  à  côté  de  ces  rite^  Sl)lennel^.  les  seuls  qui  lussent  pigés  dignes  des  grands 
pontifes  de  l'art,  rendait-on.  d'autre  jiart.  un  culte  plus  discret  à  la  nature.  A  côté  du  genre 
noble,  il  y  a\'ait  le  genre  familii'r.  à  côté  du  st\'le  hcroïquc  ou  idéal  il  \'  .\\W\{  le  style  champêtre 
ou  pastoral.  ..Tout  est  grand  dans  le  premier,  nous  dit.  en  iSoh.  l'honnête  et  docte  Millin, 
dans  son  Dictiomaivc  des  Beaux-Arts,  les  >ites  sont  ]iittores(|ues  et  romantiques  —  mot 
nouveau  qui  n'a\ait  jkis  encore  jnis  son  sens  ré\-olutionnaire  —  les  fabiicpies  sont  des  temples, 
des  pyramides,  des  (ibéliscjues.  d'antiques  sculptures,  de  riches  fontaines;  les  accessoires  sont 
«les  statues,  des  autels:    la  nature  nflre  de^  rothes  brisées,  des  cascades,    des  cataractes,    des 


Kcolc    traïK'aisc. 


59 


arlircs  (|ui  nicn.ictnt  l.i  iiuc  l),in>  le  >t\-lc  ihain]H"'trf.  \,\  naturr.  .m  contrain-.  se  roinmuiiiiiuc 
sans  (irnriiieiit  vt  ^an>  l.inl.  ..Va  \r  >a\'ant  tTrixain  rontimu-  par  riiulicatidii  dt-  <|ucl(iucs 
recettes  pmiv  rele\-fr  lr>  ladi-uiN  naturelle-,  de  la  nature.  I)e>  deux  parts,  donc,  ci'  n'était  (|ue 
convention.  Si.  dans  le  jMemier  j^'enre.  la  cinnposition  e\it,'eait  l'eniploi  de>  ,.rénota])lies,  ci[)pes, 
tonibeau.x.  pyramides,  colonnes  l)ri>ee>"".  dans  l'autre,  cm  disposait  d'un  leii  d'accessoires 
indispensables:  ..éelielle>.  ha<[uetN,  (U\e>.  \ieille>  futailles,  auges,  charrettes,  charrue--",  (pii 
peuvent  ..accompagner  a\'ec  gnut  le>  denieure>  champêtres".  Dans  l'un  et  l'autre  ca>.  on 
procédait  par  mie  sorte  d'imitation,  non  pa--  di'  la  nature.  (]u'on  é\-itait  de  regarder.  niai>  des 
maîtres  du  passé,  là  Claudi-  Lorrain  ou  l'oussin.  ici  les  llamand--  et  le>  hollandais,  pastichés. 
les  uns  et  les  autres.   ,i\-ec  une  désolante  médiocrité. 

A'alenciennes   et    W'atelet.    a    cette  date,  représenti.'ut   chacun,    l'ini   et    l'autre  genre. 


P.UI     llria.  —    l.r,   l'.ri-.iiit-,   .i  (imnavillc  (Mu 


Watelet  invente  même  le  genre  mi.xte.  Cepentlant.  malgré  tout.  aprè>  toutes  le--  grandes 
querelles  de  peuples  qui  avaient  houlexerse  le  monde  et  mis  brutalement  les  natums  en 
contact,  dans  la  détente  générale  des  esprits  qui  aspiraient  à  la  \ie  libre.  ,it tendaient  du 
nouveau,  recherchaient  les  déiilacemenfs.  le  sentiment  de  curiosité  ([ni  s'était  maniiesté  à 
la  fin  du  siècle  précédent  si'  ré\-eilla  a\'ec  une  certaine  \-i\'acité.  On  reiirend  i)laisir  aux 
voyages,  on  veut  scjrtir  du  cercle  étroit  du  décor  habituel  où  l'on  a  soulfert  ou  langui.  De 
nombreuses  pubHcations  attestent  ce  goût  de  vagabondages  j)ittores(iues  à  tra\-ers  les  régions 
les  plus  diverses  de  l'étranger  ou  de  l,i  iMance  elle-même,  pour  contenii)!er  les  m<'rveilles  de 
la  nature  aussi  bien  que  celles  du  génie  luuiiain. 

Ce   regain   de   sensibilité    touch.i    même,    autant    ([u'il   se  put.  les  pauvres  décorateurs 
patentés     de    , .fabriques"    d'Opéra    ou    de    i  haumiêres    d'Opéra-comiciue.    (|ui    renoncèrent, 


6o 


La  Peinture   au 


XIX^ 


siècle. 


pour  un  temps,  à  sortir  leurs  Apolluns.  k-urs  I);iplmés.  leurs  Pyrrhus  el  leurs  l'iiiloctètes  et, 
suivant  la  mode  nouvelle,  leurs  Tancrèdes,  leur  Chéreberts,  leurs  Vellédas  et  leurs  Malvinas, 
ou  remisèrent  leurs  chalets,  leurs  moulins,  leurs  petits  ponts  de  boîtes  à  joujoux,  pour  s'essayer, 
plus  ou  moins  gauchement,  à  des  efftis  de  matin,  des  effets  de  |)luie.  des  effets  de  vent,  enfin 
à  des  études,  tout  simplement. 

Tout  cela  était  encore  bien  timide  et  pusillanime.  On  se  détaisait  maladroitement  des 
souvenirs  insidieux  des  JMusées.  11  falhiit  \raiment  qu"un  t^iand  souille  jniissant  et  libre 
vînt  balaver  tous  ces  cartonnages  artificifls  et  n-\"i\'ifier  Tarèni'  artistiqur.  Ce  tut  le  rôle  du 
romantisme. 


■■^! 


In.is  Iirritf:. 


Soleil   couchant  (Collecti 


On  avait  f)u  remartpier  ilejà,  par  une  transjiosition  ]>our  auisi  dire  parado.xale,  que, 
tandis  que  les  paysagistes  jiaraîssaient  plus  i)ré(.)ccupés  de  leurs  perstjunages  que  du  milieu 
qui  devait  les  entoirrer.  les  peintres  de  figures  témoignaient  d'une  sensibilité  autrement 
clairvoyante  devant  les  aspects  des  lieux  où  se  déroulaient  leiu's  scènes  de  l'histoire,  antique 
ou  moderne,  leurs  drames  ou  leurs  tragédies,  dros  et  Prud'hon.  entre  autres,  se  montraient 
essentiellement  paysagistes,  non  seulement  par  la  compréhension  des  fonds  de  leurs  tableaux, 
pris  en  plein  air,  mais  par  le  juste  accord  de  leurs  personnages  a\-ec  le  milieu,  sous  la  lumière 
et  l'atmosphère  du  dehors.  Il  n'est  point  pourtant  jusqu'à  Girodet,  et  même  jusqu'à  Guérin  qui, 
sur  ce   point,  ne  montrent  des  qualités  d'oljservation  supérieures    à  celles  des  paysagistes. 


Hioto   Brmm   Clcmnil  S 


lri.i>   In  l'KK-      -   If   Matin  (Muscc  .lu   1. ouvre). 


Kcole    française. 


63 


(réricanlt  i-n^uiti'.  rt  ciiliii  1  ).l;irr(ii.\  ass(jci(:-ivnt.  a\-(.-c  toute  la  i)ui>>,iii(T  tic  leur  iin.i.t^inalidu 
réaliste,    les  splendeur^  ou   lc>  tumultes  de  la  nature  au  pathéti(iue  des   spectacles  liuuiaiiis. 

Ce  sont  donc  \-rainient  les  peintres  de  ligures  (pii  commencèrent  la  réaction  vi\ante 
contre  rentjourdissement  momentané  de  l'i'cole  de  [laysaf^e.  Point  n"est  besoin  de  chercher 
d'explication  dans  um-  préti'udue  orientation  donnée  i)ar  les  maitre-  an,t,dais.  l.'inlluence 
incontestable  des  grand  ])ay>a,uistes  d'outre-Maïuhe.  tels  cpie  Constable  et  Turner  je  n<- 
cite  pas  à  dessein  Bonington.  (]ui  se  confond  avec  les  français  —  \-int  f,i\driser  le  monxcment. 
hâter  réclusion,  mais  ne  fut  jias  le  ])oiiit  de  déi)art. 

Sans  parler  des  Moreau  l'aine,  des  Lantar.i  et  des  liruandet.  (jui.  tout  au  début  de 
cette  évolution,   annoncent  jilus  nu  moins  confusément  le  relèvement  du  genre  ])ar  ra])])ort 


Thhôiiokp:  KoisbKAC. 


.Il-   la  lurC-t  ae  l-oiitaineblr:iu  (-\liiM:f  du   l.mivn-). 


hbre  d'une  \-eritable  sensibilité  de\-ant  la  nature,  il  est  deux  noms  (|ue  la  jiostérité  r<'connais- 
sante  a  retirés,  l'un  de  l'obscurité  dans  huiuelle  il  était  ense\'i-li.  l'autre  de  ce  ([ui  commen- 
çait à  devenir  un  injuste  oubli:  ce  sont  <  leorges  ^lichel  et  l-'aul  Huet. 


Georc.es  Michel,  ([u'on  ap))ela  .lussi  cour.unment  Michel  de  Montmartre,  est  une  de 
ces  singulières  figures  d'artistes  (uiginaux.  qui  jxissent  inconnus  ou  méconnus  d.ms  leur 
temps  et  qui.  Irélas!  sont  assez  fréquents  dans  toutes  les  écoles.  11  est  ne  ,"i  l'aiis  en  1 7');,  et  mort 
dans  cette  ville  en  1843.  Il  fut  élève  de  Taunay.  gentil  petit  peintre  à  cheval  sur  les  deux 
siècles,  qui  a  même  fait,  ji.irfois.  des  ligures  à  ses  tableaux,  comme  dans  celui  qui  appartient 
au   Musée   de    Nantes.    Michel    i>rit    goût    à   la    peinture  des  maîtres  en  restaurant,  nettoyant 


64 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


et  vernissant  des  tableaux  hollandais,  alors  recherchés.  Il  s'apjiliqua  d'alxjrd  à  les  imiter  el- 
les suivit  si  exactement  que  ses  premiers  tableaux  et  surtout  ses  dessins  peuvent  être  con- 
fondus avec  de  vrais  hollandais.  Plus  tard,  peut-être,  lui  aussi,  sous  la  poussée  générale  des 
événements  et  des  idées,  il  élargit  sa  manière  et,  s'il  reste  toujours  dans  la  dunnée  hollandaise, 
du  moins  se  rapproche-t-il  des  vrais  maîtres  par  son  style  simple  et  grandmse  qui  atteint  déjà 
aux  effets  synthétiques  du  romantisme.  Son  horizon  est  très  borné  et,  comme  ses  maîtres  de 
prédilection,  il  ne  quitta  pas  le  coin  de  terre  où  il  était  né,  le  paysage  subiu-bain  de  Montmartre, 
alors  tout  à  fait  campagne  avec  sa  ..butte"'  peuplée  de  moulins.  Ce  solitaire  n'eut  aucune 
influence  sur  les  destinées  de  l'Ecole.  Ses  tableaux,  longtem]is  dédaignés,  qui  commencèrent 
à  monter  dans  les  \'entes  publiques,  il  y  a  vingt-cinc^  ans.  éjioiiue  nù  l'on  s'étonnait  de  voir 
Etienne  Arago  les  pousser  jusqu'à  50  francs,  figurent  maintenant  au  Lou\'re  en  place  d'honneur 


.1..'   f.irct  (Mus 


et  Sont  reeherehés  par  les  grandes  ciillectinns  américaines  à  l'égal  dt 
connue  en  témoigne  le   ]'icnx  inoitliu  de  Montiiuntrc  re]irésenté  ici. 


maîtres  de  Barbizon. 


Le  \erital)le  initl.iteur  <le  la  reno\"ati(in  du  i)a\-sage  et  de  l'éclosion  romantique  fut 
donc  P.AL'L  Htet.  Celui-ci  et, ut  eiirore,  liien  ([ue  plus  culti\ee.  une  i)hysi(.inonue  indépendante 
et  un  peu  farouche.  Son  éducation  ^'était  faite  au  Lou\-re,  de\'ant  les  paysages  de  Rubens  et 
devant  Rembrandt  et,  aussi,  dans  ce  petit  paradis  humide  et  feuillu  de  l'île  Seguin,  près  du 
Parc  de  Saint-Cloiul,  <]ui  n'i'tait  guère  fré(|uenté  alors  (]ue  par  des  maraudeurs  et  des  bracon- 
niers. C'est  là  que.  (U'^s  1S22.  il  exécute  sur  nature  ces  premières  études,  qui  sont  le  prélude 
du  prochain  chœur  des  grands  mmantupies. 

Paul  Huet  est  né  à  Pari>  le  ;,o  octobre  liSoj  d'une  f.unille  de  nrarchands  de  rouenneries 
ruinée  jiar  la  Révolution.     Il  travailla  ([ui'lque  temps  chez  (iros.  où  il  c(.)nnut  Bonington,  il 


Ecole    trançaise. 


6s 


se  lia  étruitemeiit  <i\-cc  lui  et  Li  ic>M'inl)]arici-  .•ntic  lcur>  Uilculs  oi  >.i  i^randc.  à  cette  date, 
que  Huet  ayant  copie  une  étude  de  s(in  camarade,  celui-ci  prit  la  c(i|)ie  ixiur  sou  (eu\re  même. 
Huet  était  également  lié  avec  Delacroix,  qui  i"aj)préciait  beaucoup.  11  c'si,  pai"  la  date,  le 
précurseur  des  vrais  paysagistes  romantiques  et  il  est  aussi  le  premier  du  groupe  des  lyriques. 
Nul  n'a  traduit  avec  une  pareille  véhémence  les  déchainement>  de  l'orai^'e  et  la  fureur  de> 
flots;  nul  n'a  dit,  non  plus,  avec  une  sensibilité  aussi  émue  le  calme  du  matin,  la  Iraiciieur  des 
sous-bois,  les  pluies  mêlées  de  soleil.  Son  premier  Salon  date  de  1S27.  Ses  grands  morceaux 
classiques  appartiennent,  pourtant,  à  la  fin  de  sa  carrière,  telle  cette  Iiwndaluiit  dans  le  Parc 
de  Saint-Cloud,  du  Louvre,  où  les  masses  rousses  des  feuillages,  les  eaux  giau(iu<'s  du  fleuve 
débordé,  le  ciel  chargé,  déchiré  de  lueurs  stridentes,  forment  une  maguiri(|ue  et  |)i()fonde 
symphonie  naturaliste.    Ce  tableau  a  liguré  au  Salon  de  1855. 


lili-.iiDuKh  km  >M  AT.   —   l,fs  c'hcnrs  (.\hiM;p  «lu    I.uuvre). 

Les  Bn'siiiits.  à  drand-i'ille.  au|iiurd']ini  eg.ilemeiit  au  Lou\Te,  smii  de  deux  .nw  anté- 
rieurs; ils  (jnt  été  exposés  au  Salon  de  1S3;.  T'est  le  grandiose  spectacle  des  llol>  t  umultueux 
écumant  contre  les  rochers,  dans  les  lueurs  s.LUgJantes  du  soleil   couchant. 

Paul  Huet  est   mort  à  Nice  en   i8fi(). 


Jules  DuprÉ,  qu'on  a  souvent  inexactement  }irésenté  comme  le  pieuiier  roui. intique, 
n'a,  pourtant,  exposé  pour  la  première  fois  t\\\\'\\  1831.  Il  a  donc  sui\i  le  uiouxement  créé  par 
Paul  Huet.  C'est  un  de  ceux  qui  ont  subi  le  plus  vivement  rintluen( c  de  rècoK-  .luglaise: 
les  circonstances  même  le  servirent  car.  dès  i8]i.  il  eut  occasion  d'.iller  dans  ce  p.i\-s  où  il 
prit  le  sujet  de  tableaux  exposés  (pielques  annei's  plus  tard.  11  était  ne  a  Xanti's  le  3  avril 
1811.  Son  père  était  fabricant  de  porcelaines.  C'est  dans  ce  milii'u  <|u'il  .ii)i)ril  sim  métier; 
à    12    ans,  il  fut  conduit  à  Paris  et  placi-  chez  un  oncle  également  m.iii  hand  de  porcelaines. 


66 


La  Peinture  au   XIX''  siècle. 


elle/  ([ui  il  pcif^iKiit  tlr>  taises  t-t  des  assiettes  en  comixignie  de  Raftet  et  de  C'aliat.  (|ui  débu- 
tèrent ain>i.  Il  sni\it  >nn  i)ère,  parti  pour  installer  une  fabrique  de  céramique  à  Limoges,  et 
c'est  dans  ce  pays,  (lù  il  aima  revenir,  qu'il  peignit  ses  premières  études  >nr  nature.  On  était 
alors  en  i.S.'j  nu  iNjN.  11  débuta  en  1830  à  Tlt.xpositidn.  ouverte  au  Lu.xembourg,  pour  les 
blessés  de  jinllet.  S<iii  premier  envoi  au  Salon  ])assa  inaperçu  mais,  dès  1833,  on  fut  frappé  de 
sa  manièiv  lobuste  et  grasse  de  modeler  les  terrains  et  de  distribuer  la  lumière,  ("e  modelé 
puissant   thi    pa\>age   est   .sa   caractéristique;   c'est   ce  qui  donne  à  ses  t<iiles  cette  magistrale 

imité,  (lu'il  recdunuandait  lui-même  à 
Rousseau,  lorscprd  le  \-oyait  se  perdre 
dans  les  détails.  Car  les  deux  maîtres 
lurent  longtemps  étroitement  liés  ensemble 
a\ant  d'être  séparés  ]iar  une  brouille  mal- 
heureuse et  Dupré  prodigua  souvent  des 
encouragements  amicaux  à  Rousseau,  alors 
mal  compris.  Il  a  eu  aussi  la  passion  des 
techniques  savantes,  et,  comme  Decamps, 
il  a  été  quelquefois  \-ictime  de  ses  abus. 
Ses  empâtements,  qui  gagnent  même  les 
ciels,  ont  compromis  jilus  d'un  tableau. 
Il  a  travaillé  un  peu  partout,  en  Angle- 
ti-rre.  dans  les  Landes,  en  Sologne,  dans 
les  lî.isses-Pvrénées,  en  Picardie,  dans  le 
l'xrrw  eu  Normandie,  mais  particulière- 
ment dans  le  Limousin  et  surtout  à  l'isle- 
.\(lani.  où  il  s'était  lixé  de  bonne  heure 
et  où  il  était  entouré  de  tout  un  groupe 
d'artistes  formant  école,  i^armi  lesquels 
son  frère  Victor  Dupré  et  Auguste  Bou- 
l.ird.  Jules  Diqu'é  est  hautement  coté,  en 
iMance  et  dans  les  collections  étrangères, 
dans  ce  t;roupe  ]ilus  ou  moins  exactement 
apiiele  l'école  de  1830  ou  l'Ecole  de 
l'>arbi/îon.  parce  que  Rousseau  et  Millet, 
nous  le  \'errons  tout  à  l'heure,  y  furent 
donùciliés.  l'n  grand  nombre  de  ses  toiles 
est  aujoiud'hui  en  possession  des  prin- 
1  i])ales  collections  américaines,  comme  le 
Soleil  cuiichivit  reproduit  ici.  On  y  trouve 
ses  éléments  de  prédilection,  des  silhouettes 
de  chênes  tordant  leurs  branches  noueuses 
vers  le  ciel  mou\'emeuté  du  soir,  et,  de 
préférence,  en  .lutouuie;  quekpu'  llaqiu'  d'e.iu  ou  ([uekiue  tournant  de  rivière,  mirant  les 
nuages  et  la  tache  ronsse  et  mouxante  d'une  ou  deux  wiches  wnant  se  désaltérer. 

Le  Malin,  cpn  ligure  ^uiioind'hui  au  Lou\-re,  apparteUidt,  il  n'y  a  pas  longtemps,  au 
Luxembomg.  11  y  était  entré,  en  1S80,  avec  son  jiendaut  le  Soir,  à  la  suite  de  la  vente  de  San 
Donato  où  ils  axaient  été  acquis  par  l'Etat.  C'étaient,  en  effet,  deux  panneaux  décoratifs  pour 
l'hôtel  du  prince  Demidoff.  Ils  montrent  à  quel  point  ces  paysagistes  —  ^lillet  le  prouvera 
de  son  côté  —  ])ou\aieiit  à  l'occasion  comprendre  la  décoration.  Ce  sont  toujours  les  grands 


.lu    l,.,uvie). 


Ecole    française. 


(^1 


cliriifS,  (|ui  (IroM'iil  huis  1  lorus  tdiirmi'iiti's,  mai-,  ici  >ur  iiii  cirl  <r;niiiirr,  (Liii>  l,i  l)ruinc  {,'rise 
et  ,11-gt'ntei'  du  niatiur  r'ot  t()U](iuis  1.-  Ix.id  d'im  ciiiii-  d'.MU.  dont  !.■  luiinii  iraïuiuillr  ot 
tiiiublé.   ici.   |Mr  un  cduplc  de  clic\rcuiN. 

TliÉODDRi-  RoissHAr  (st  i.i  pkiv  ccinplctc  rt  au»!  1,1  j)lu^  cuiiiph'xc  d.'  (■(•■.  liiandcs 
physionomies  arti>tiqur>.  11  a  au  plus  haut  point  la  vision  large  de  i'cnsfinblc  et  cependant 
il  distingue  tou>  les  éléments  indnidueU  cpii  li-  composent.  Dans  le  grand 'cliceiir  universel 
de    la  nature  on  dirait  que,  tel  que  celui  (|ui  dirige  rorche^lre.  il  i)erçoit   toute>  les  voix.     11 


l>l\/    (\aK(   )SS|.-l"l.YssK).    —    SoU<-lH)is    (Mu-,éf    (lu     1. 


a  toute  la  puissance  des  plus  \-.istes  s\-ntheses  et  r.icuitc  de-,  plu-  ^uhtilc^  .iu,i1\m-.  11  est  un 
lyrique  passionné  et  il  est  dé\iire  par  le  besoin  le  plus  ,ir(leni  di'  \(''iiti'.  Aussi  est-il  le  |)roto- 
type  du  paysagiste  dans  rÉcole.  Il  n'\-  ,i  (jm-  l,i  -^éri'iiité'  di\iuc  di-  (Omi  (|ui  puisse  -.'cpjjoser 
à  la  grandeur  de  cette  angoisse  profondément  Inim.iine.  (]ui  cheiche.  -^einble-t-il,  a  jK-uétrer 
les  grandes  lois  et  à  formuler  les  grandes  haiinonie--  de  ITuiNei-.. 

C'est  ce  qui  e.\pli([ue  ([ue  Rousseau  fut  d',ibonl  ^i  peu  ou  si  lu.il  cominis.  Il  lut  en 
effet  refusé  quator-^e  fois  par  les  ]ur\-s  des  S.doii^.  Sun  gi.uid  c,iiii,ir,ide.  Millet,  ne  sera  i),is 
plus  persécute.  11  oi:cupe  une  place  exceptionnelle  d,m^  le  p,i\s,ige  eu  te  sens  (pi'il  ré, dise 
tout   ce  qu"a\'ait   ré\é  le   romantisme  d,ins  la   contem|)latioii   de   la    ii.ituie  et   ([ue.   p.ir  cette 


68 


La  Peinture  au  XIX""  siècle. 


soif  anxieuse  de  \éiité,  ces  strupules  (|ui  finirent  même  j)ar  dewnir  mal.idifs,  il  prélude  à 
révolution  prociiaine  du  paysage,  qui  \a  devenir  plus  analytique,  plus  objectif. 

Th.  Rousseau  est  né  à  Paris  le  13  avril  1812.  Il  était  le  fils  d'un  petit  marchand  tailleur, 
qui  était  apparenté,  de  di\ers  côtés,  à  quelques  artistes.  Dès  l'enfance  il  >"appliquait  à 
dessiner  et  se  préoccupait  déjà.  dan>  ^es  i)remiers  dessins,  de  mettre  les  objets  dans  leurs 
milieux,  de  traduire  des   ensembles. 

Son  jjremier  Salon  date  de  18 ',4.  11  >"y  \it  décerner  une  médaille  de  y"^<^  classe, 
ce  qui  ne  le  garantit  ]ias  des  injustices  à  venir.  Ce  n'est  (pi'en  1849  qu'il  obtint  une  médaille 
de  lére  classe  et  en  1852  qu'il  fut  décoré.  11  recevait  la  médaille  d'honneur  à  l'Exposition 
de  1867,  avec  I.i  rosette  d"oflicier  de  la  Légion  d"honneur.  mais  c'était  Tannée  même  de 
sa  mort,  qui  tenuina  nue  longue  et  doulonn'U-e  maladie,   le  22  décembre  1867.  à  Barbizon. 


,U,   Louv,-^). 


Rousseau  a  beaucoup  x'ovagé.'  comme  tous  li'^  romantiques.  11  a  travaillé  dans  le 
Berry,  le  Cantal,  la  \'endée,  la  Sologne,  la  Normandie,  à  ITsle-Adam.  i)rès  de  son  ami  Dupré, 
dans  les  Landes,  où  il  accomplit  >on  clief-d'a-u\-re  du  Louxre  et  surtout  dans  la  forêt  de  Fon- 
tainebleau, où  il  ^'étabht  en  1831.  i)resque  en  même  temp>  que  Millet,  avec  qui  il  se  lia  dès 
lors  d'une  étroite  amitié,  brisée  sevdement  par  la  mort.  Il  en  a  dit  tous  les  aspects:  la  splendeur 
solennelle  des  hautes  futaies,  le  charme  des  clairières  ensoleillées,  la  désolation  de  ses  étendues 
de  roches  éboulées:  carrefour  du  Bas-Bréau,  plaines  de  Barbizon,  gorges  d'Apremont.  Ill'a 
aimée  passionnément,  cette  forêt,  ce  petit  coin  privilégié  du  monde,  qui  semblait  seul  garder 
le  souvenir  de  la  beauté  grandiose  et  >auvage  de  la  terre  d'autrefois.  La  Sortie  de  forêt, 
au  coucher  du  soleil,  avec  ses  chênes  tourmentés  qui  encadrent  le  riche  décor  du  soir;  \a.  Lisière 
de  forêt,  beUe  et  puissante  est[uisse,  en  sont  le  magnilique  témoignage.  Ces  deux  toiles 
appartiennent  aux  anciennes  collections  nationales;  elle>  ont  ligure  toutes  deux  au  Musée 
du  Luxembourg  et  la  première  fut  exposée  au  Salon  de  1855.  C)uant  aux  Chênes,  ce  merveilleux 


É 


c'olc    tramaise. 


l)()iujuct     d'arbres    > 
soleil,    dont    Tonibn 


•ulaircs.    MUf^i    au    miliru    de  la  jilaiiie.   dans  l'atmosplière  irradiée  de 
'large    abrite    un    troupeau    de    moutons,    cette   toile  fait  partie  de  la 
collection   Thnmy-Tliiéry,   (lui  a  -i  précieusement  enrichi  le  Louvre  pour  la  période  de   iS;o. 


S'il  est  vraiment  \m  rumanticiue  parmi  le>  romantitjnes,  c'est  bien  Di.i/.  11  unit  !<• 
papillotage  des  premiers  romanriques,  les  pittorestiues  :  Isabey  ou  Lami,  à  cette  iiassion  exaltée 
de  la  nature  qui  caractérise  les  grands  lyricpies.  11  \écut,  d'ailleurs,  prés  de  Rousseau,  dans 
cette  forêt  de  Fontainebleau,  où  il  se  plaisait  à  ])eindre  les  hêtres  ensoleillés,  pré^  du  sentier 
de  la  Reine  Blanche  et  les  longs  fûts  mince-  <],■■,  bniilcuix  b!;inr-.  11  ,i\;iit  .lin-i  n,-,  nn  '■■  nre 
de  sous-bois  pétillants,  très  pastiché 
par  les  falsificateurs,  et  Ton  raconte 
même  qu'il  allait  en  forêt  avec  un 
panneau  préparé  à  ra\'ance  de  ton- 
brillants,  mais  sans  forme,  ne  s'arrê- 
tant  que  lorsqu'il  trou\ait  entin  le 
mo\'en  d'utiliser  ce  qu'il  appelait 
sa  ..tartouillade"  de  couleiu's.  La 
jéc  aux  perles,  du  ilusée  du  Louvre. 
a  été  exposée  au  Salon  de  1S57. 
d'où  elle  passa  au  Luxembourg. 
C'est  un  type  excellent  de  ces  pein- 
tures de  figures,  où  Diaz  mêle  à  sa 
fantaisie   les    souvenirs   de  Corrège 

et  de  Watteau.    Le  Sons-bois  a  été 

acquis   par    le    I^uxembourg     à      la 

\"ente    posthume    de  l'artiste. 

Diaz  (Xarcisse-Ulvsse)  était 

né    à     Bordeaux    le    20    aoùt*iSoj 

d'une  famille  de  proscrits  espagnols. 

Orphelin     à     dix    ans.    il    avait  été 

recueilli   par  un  ])asteur  protestant 

de  Bellevue.  Conune  Dupré.  Raftet 

et  Cabat,  il  débuta  par  la  peinture 

sur  porcelaine.     Il   reçoit  des  leçons 

de    Souchon    et    de    Sigalon.     Son 

premier     Salon     date    de    1S31    et 

l'apogée  de  son  talent  se  marque  en 

1855.     Ses    pavsages.    ses    mvtho- 

logies  galantes,   ses  (irientaleries  et  ses  fantaisies  de  bohémiens   eurent    un  succès    cpii    s'est 

longtemps  continué.    Diaz   a   subi   fortement   l'intluence  de    Delacroix:  il  .1  de  son  coté,  par 

son    amitié   et    ses   conseils,    exercé    une   action  certaine  sur  la  première  manière   de  .Millet. 

Chevalier  de   la  Légion  d'iionneur  en   1851.  il  est  mort  à  Menton  le   i.S  novembre   iSjb. 

Pendant  ce  temps  la  fornude  classique  du  ])a\-sage.  le  jiaysage  hi-torique.  s'obstinait 

à   poursuivre  son  cours  en  face  du  mouvement  romantique  et  malgré  ses  progrès  en\-aliissants. 

.Mais  elle  perdait  de  son  intransigeance  dogmati(iue.  de  -es  puérilités  d'érudition  et  elle  allait 

aboutir    à    un   a\'atar    singulier  et   impré\'u.   la   formation   d'une  des  ])lus  hautes  personna- 
lités   de   l'art  moderne,  de  celle,  peut-être,  dont  l'inlluence  a  été  la  plus  étendue  et  la  jilus 

féconde,  celle  de  Corot. 


Doiuii  (.MiisO,-  ,1,1    I., 


72 


La  Peinture  au   XIX^  siècle. 


Ce  qu'on  ;ippelle  le  paysage  compost'  n'dfîpartieiit  p;is,  (railk-uis.  en  pnjpre.  au  seul 
genre  classique.  Ce  mode  se  rencontre  dans  toutes  les  écoles  et  dans  tous  les  temps;  il  est  même, 
sans  doute,  assez  sympathique  à  une  race  qui  a  comme  qualité  essentielle  le  goût  de  l'ordre. 
de  l'arrangement,  de  la  composition.  Cela  est  si  vrai  qu'il  se  retrou\'e  à  l'occasion  chez 
les  [)lus  ardents  romantiques. 

Ce  n'est  donc  pas  e.\clusi\-enient  sur  ce  point  que  la  ionuule  classique  différait  de  hi 
formule  adverse,  d'autant  plus  (ju'avec  la  nouvelle  génération  des  }tIicliallon,  des  Rémond, 
des  Edouard    Bertin   et    des  .\ligny.  auxquels  il  faudra  joindre  les  Alexandre  Desgoffe  et  les 

Paul  I-'landrin.  le  st\de  héroïque  pre- 
n.iit  un  c.iractère  plus  proche  de  la 
\érité  en  se  contentant,  la  plupart  du 
temps,  d'interprétations  élevées,  mais 
un    peu    rigides,  de  sites  choisis,  mais 

Vvrh. 

(était  aussi,  comme  dans 
l'ordre  de  la  ligure  humaine,  une 
question  de  technique  qui  séparait  ces 
lieux  groupes,  les  romantiques  et  les 
iieo-rlassiques.  Ceux-ci  défendaient  la 
ir.idition,  s'attachaient  un  peu  étroite- 
ment au  rendu  ])ar  le  dessin,  la  ligne, 
-uixant  les  inéceptes  d'Ingres  et  on  les 
iplielait.  pour  ce  motif,  les  Ingrisies 
du   p^ivsage. 

Corot  sui\it  longtemps  leur 
\"(iie.  Il  leur  dut  ses  premières  leçons, 
>(>  premiers  encouragements,  et  garda 
idu jours  de  cette  longue,  austère  et 
rdbuste  préparation  la  discipline  qui 
lui  ]iermit  plus  tard  de  traduire  avec 
une  aisance  et  une  sûreté  inégalables 
,.1,1   force  et  la  grâce  de  la  nature'". 

Je.\n-Baptiste-Camille  Corot 
(i|ui     répondait      habituellement     au 
)ireniim   de  Camille)   est  né  à  Paris  le 
20  Juillet  ijqG.  d'une  famille  de  bons 
Corot.  —  lioliémienne  rêveuse.  bourgeois,   qul    tenaient    un    magasin 

de  modes,  au  coin  de  la  rue  du  Bac 
et  du  quai.  Madame  Corot  était  même  célèbre  conune  niodi^ti-.  .Vprès  une  instruction  classique 
un  ])eu  cahotée,  du  collège  de  Rouen  à  une  institution  de  Poi^sy.  il  fut  mis  dans  le  com- 
merce, successivement  dans  deux  maisons  de  marchands  drajners.  11  n'y  réussit  guère, 
obtint  enfin  de  se  livrer  à  ses  goûts,  qu'il  avait  manifestés  depuis  longtemps  —  il  avait  alors 
vingt-six  ans  —  et  il  put  commencer  sur  nature,  en  sui\ant  les  conseils  que  lui  avait  donnés 
Michallon  et  les  principes  reçus  à  l'atelier  de  Bertin.  Dans  un  premier  v(jyage  à  Rome,  il 
connut  Ahgny  qui  s'intéressa  tout  particulièrement  à  lui:  il  s'attacha  à  ce  beau  ciel  dont  la 
pure  lumière  lui  permettait  des  études  apphquées  et  sui\-ies;  il  y  retourna  en  1834.  C'est  de 
là  qu'en  1827  il  en\-oyait  au  Salon,  pour  la  jireniière  fois,  une  \-ue  ]irise  à   Xanii. 


colc  française. 


7  3 


Ces  peintures  d'Italie  forment  dans  ]"<euvre  de  Corc^t  ce  qu'on  a})pelle  sa  j)remière 
manière.  Longtemps  _  elles  furent  dédaignées  des  amateurs,  mais  Corot  en  connaissait  assez 
le  prix  lui-même  pour  les  conserver  et  en  léguer  deux  au  Louvre,  telle  cette  VucduColiséc 
prise  des  jardins  Farncsc,  qui  fut  exposée  au  Luxembourg  du  jour  tle  la  mort  de  Corot  jusqu'en 
1886.  Elle  a  été  peinte  sur  nature  en  Mars  1826.  Avec  le  lointain  de  ses  maisons  rosées  et  les 
ruines  colossales  du  cirque,  au  milieu  du  fouillis  des  herbes  et  des  feuillages,  son  clair  soleil 
et  son  ciel  pur,  elle  égale  en  fluidité  et  subtilité  les  plus  limpides  Claude  Lorrain. 

Corot  garda  toujours  de  sa  première  éducation  et  de  son  milieu  le  goût  des  mytho- 
logies.  Il  aime  à  peupler  ses  bois  et  ses  étangs  de  nymphes  et  d'hamadryades.  .Mais  ce  ne 
sont  pas  de  vains,  inutiles  et  obscurs  figurants  destinés  à  anoblir  des  sites  choisis.  Ces  déesses, 
chez  Corot,  sont  connue  des  émanations  même  des  lieux.    C'est  ainsi  <|ue  dans  le  tableau  célèbre 


ProSI'ER   M.\rii.ha-i. 


.lu  c;ilife  Hakfin  au  Caire  (.Mu.-, 


du  Louvre  :  Une  Matinée,  les  nymphes  qui  dansent  dans  une  clairière  sous  les  hauts  bou- 
quets d'arbres,  estompés  par  la  lirume  qui  sY'claircit,  disent  bien  la  joie  de  la  \-ie  à  l'aube 
du  jour.  Cette  toile  fut  acquise  par  l'Etat  pour  1500  francs,  au  Salon  de  1851,  où  elle  figura. 
EUe  fut  placée  au  Luxembourg  jusqu'en  1887.  Le  Beffroi  de  Douai,  entré  depuis  deux  ans  au 
Louvre,  est  une  œuvre  des  derniers  temps  de  la  \i.Q  de  Corot,  puisqu'elle  date  de  mai  1871. 
Elle  provient  de  la  vente  d'Alfred  Robaut.  le  grand  ami  de  Corot,  chez  qui  le  maître  allait 
volontiers  passer  plusieurs  semaines  en  famille,  à  Douai  même.  C'est  ime  toile  à  laquelle 
Corot  attachait  une  grande  importance.  Il  y  consacra  jusqu'à  vingt  séances  d'après-midi  et 
il  a  donné  là,  avec  cet  alignement  de  \-ieilIes  maisons,  ces  toits  de  tuiles  noircies,  ces  devan- 
tures coloriées  de  bputiques,  le  grouillement  des  personnages,  peut-être  l'e.xpression  la  plus 
complète  de  cette  connaissance  si  profonde  et  si  subtile  des  valeurs  et  des  phénomènes  de 
l'atmosphère.    .\  cette  date,  où  l'impressionnisme  est  en  train  d'éclore  du  réalisme  par  une 

6 


74 


MiituiX'   au 


XIX 


SI  ce  le. 


ubscnatidii  ])lus  aigui'  des  lois  de  ratinnsphèie  et  de  la  lumière,  cette  toile  montre  l'aboutis- 
sement  de  Corot,  l't  explique  toute  rinfluence  (|u"il  eut  alors  >ur  ee  groupe  et  qu'il  exerça 
ensuite  jm'stjue  uni\'ersclk'mcnt   sur  Fécole. 

Vu  as})ect  sous  lequel  Corot  est  assez  impréxai.  c'est  celui  de  peintre  de  figures.  C'est 
un  côté  de  l'art  qu'il  ne  dédaigna  jamais.  Il  estimait  qu'un  peintre  qui  sait  bien  modeler  une 
tigurt'  sait  mieux  contluire  un  paysage.  Il  aime,  d'aillem-s,  à  animer  ses  tableaux,  à  y  faire 
sentir  la  trace  de  riiomme.  Dans  son  ceu\"re,  prodigieuse  conmie  labeur,  les  études  de  figures 
nues  ou  \ètues  forment  un  petit  ensemble  imposant.  Longtemps  dédaignées  elles  sont  au- 
jourd'hui précieusement  recherchées,  et  le  plus  grand  nombre,  malheureusement,  sinon  les 
plus  belles,  sont  recueillies  par  les  collections  d'Amérique,  telle  la  Iluhéiuienne  rêveuse, 
exécutée  entre  1860  et  1865.  Comme  on  le  voit  par  l'accoutrement  dont  il  a  affublé  son 
modèle,  Corot  subit  l'influence  du  \'oisinage  de  ses  amis  romanticiues.  Il  a  dans  son  atelier 
tout    un  bazai"  d'oripe.iux    i>oin'   bohémiennes,  tsiganes,  odalisques,   toute  l'orientalerie  à  la 


I    11  AKI  1^-1'"k  \M.ciIs    |)  \i-|;1i 


(.Ml|.,C.-    .lu     1,<.II 


Delacroix  et  surtout  à  la  Dia 
tons,  et  il  obtient  dan>  ce  tj 
exquis  \"ernieer  de   Di'lft. 


Mais  ce  n'est  pour  lui  qu'un  prétexte  à  un  assemblage  de 
re  des  effets  d'accords  et  de  matière  comparables  aux  plus 


Il  est,  n((n  loin' de  (  orot.  dont  il  lut  l'ami,  en  contact  a\ee  le  milieu  romantique,  mais 
sunant  plutôt,  lui  au>>i.  l'éducation  traditionnelle  de  l'école,  une  charmante  physionomie 
d'artiste,  qui  a  laissé  une  (euvre^ d'une  sensibiUté  fine  et  délicate:  c'est  Prosper  Marilh.'vt. 
Né  à  Vertaizon,  près  Thiers,  en  .Auvergne,  en  1811.  il  \int  .'i  Paris  en  i82q.  ses  études  faites  et 
ayant  appris  le  dessin  au  collège  de  sa  ville  natale.  Recommandé  à  Cicéri.  celui-ci  l'adressa  à 
Roqueplan.  Comme  pour  Corot,  'ses  débuts  sont  tout  à  lait  d'un  classique,  l'n  incident 
imprévu  décida  de  sa  carrière  et  "en  ht  un  des  premiers  maîtres  de  l'orientalisme.  Un  riche 
voyageur  allemand,  qui  entreprenait  mw  tournée  scientifique  en  Orient,  le  prit  comme  des- 
sinateur pour  l'accompagner  dans  ce  \-oyage.  Ils  i),utirent  en  .\\  ril  i8;,i.  parcourant  la  Grèce, 
la  Syrie,  la  Palestine  et  l'Egypte.  Le  baron  de  Hugel  continuant  dans  l'Inde,  Marilhat 
le    (piitta     et    rentra    en    France    en    1853.     Il    enx'ova    de    ces   pa\-s    des    toiles    comme    les 


Ecole   ti-aiuaise 


75 


Charles-Frani.mi^  l)Ari:i(;\\ . 

L'inquiétude  de  Th.  Roussua 
premier  témoignage  de  cette 
d'autres  maîtres  d'importance 
plus  familiers,  plus  sensibles 
moins  grandioses  mais  plus 
préparant,  sans  le  sa\  oir  et  s; 
Les  maîtres  qui,  à  cette 
sition  entre  le  romantisme  et  1 


Ruines  de  la  Musquée  du  calife 
Uakeui,  où  sa  \ision  contraste 
a\ec  celle  de  Decainps,  si 
larouclie  et  si  suljjectivc,  par 
--a  francliîse  délicate  et  son 
.limaille  \-érilé.  Mariliiat  tra- 
\ailla  en>uite  en  .Auvergne, 
à  I""(intainebleau  cX  en  Italie;, 
mais  sans  retrouvi'r  ses  succès 
d'orientali>te.  Tombé  malade, 
il  perdit  la  r.iison  en  1846  et 
mourut   en    1847,  à    ;(>  .uis. 

L'e.xaltatiou  imagina- 
ti\e  des  premiers  lyricjues  du 
romantisme     s'était     apaisée 
j  , M     ■     1    I  de\-ant    leurs  c(jntemplations 

plus  attentives  de  la  nature. 

u,    dans  son  ardent  et  ronnne  maladif  besoin  de  vérité,  est  le 

évolution   nouvelle.    Elle  se  marque  de  diverses  façons  avec 

moindre  :  les  Fiers,  les  Cabat,  les  de  la  Berge,  les  Chintreuil, 

aux    spectacles   coutumiers    du   pavsage   voisin   de  l'homme, 

\'éridîcjues.   mêlés  eu-\    aussi    au    groupe    des  premiers,  mais 

ins  le  \'oiUoir,  la  réaction  contre  le  romantisme. 

date,    marquent    le    plus  hautement  cette  péri(jde  de   tran- 
e  réalisme,  bientôt  juet  à  -.urgir  après  les  événements  de  1848, 


ii^lJlÉBiSi^HHKw^    --V    m|^MmBB|m  ^ê   ^[    |7-r-^ — "^^^'^^^^^^^SBI^^ 

il 
i 

m 

[                                            .;f«»r5',l>fc         ,., 

./*- 

CON.SIANI'     IkUVDN. 


ll.Liif^  -.c  K-nilaiU  au   hi 


^.Mu.cL-  >lu   Louvre; 


76 


La  Peinture  au  XIX^  siècle. 


sont  Daubigny,  Troyùii,  K(i>;i  Bonheur  et  Jacque.  Ce  sont  ce  qu'on  a  appelé  les  naturalistes, 
ou,  en  face  des  lyriques  qui  les  précédaient,  les  grands  prosateurs  du  paysage. 

Charles-Fkançois  Daubigny,  né  à  Paris  le  15  février  1817  et  décédé  en  1878,  était 
issu  d'une  famille  où  tout  le  monde  était  artiste,  son  père,  son  oncle,  sa  tante,  comme  son 
fils  le  fut  aussi.  Il  étudia,  au  début,  avec  son  père,  puis  entra  chez  Delaroche.  Il  com- 
mença à  gagner  sa  vie  en  peignant  des  dessus  de  boites  à  bonbons,  puis  aussi  en  dessinant 
des  illustrations.  Il  parut  suivre  d'abord  la  manière  minutieuse  de  de  la  Berge,  mais  il  se  trouva 
bientôt  lui-même  de\'ant  les  petits  paysages  modestes  et  avenants,  intimes  et  familiers,  des 

en\'irons  de  Paris.  Son  premier 
Salon  date  de  1838,  où  il  envoyait 
une  vue  de  Notre-Dame  de  Paris. 
Il  exposa  ensuite  plus  ou  moins 
régulièrement  aux  Salons,  où, 
malgré  les  sévérités  du  Jury,  il 
conquit  peu  à  peu  tous  ses  grades. 
Il  a  voyagé  en  Italie,  en  Angleterre, 
où  il  put  être  impressionné  par 
Constable,  a\-er  qui  il  a  bien  des 
affinités  dans  sa  touche  hardie,  sa 
manière  robuste,  grasse  et  plantu- 
reuse et  ses  heureuses  abréviations. 
Par  ses  qualités  de  technique,  son 
accent  de  vérité,  de  sincérité,  la 
fraîcheur  et  la  vivacité  de  ses  tons, 
la  fluidité  de  son  atmosphère,  la 
simplicité  de  ses  motifs,  il  prépara 
de  loin  l'évolution  de  l'impression- 
nisme. Dans  son  œuvre,  le  Printemps, 
du  Louvre,  exposé  en  1857,  avec 
ses  pommiers  en  fleurs,  ses  verdures 
neuves,  (ju  la  Vanne,  avec  ses  eaux 
transparentes,  sont  des  toiles  typi- 
ques de  ce  maître  naturaliste,  au 
vrai  sens  du  mot,  qui  ne  travaillait 
que  devant  la  nature,  suivant  ses 
effets  les  plus  fugitifs  sur  son  atelier 
flottant. 


CONST.-^NT    TkiiYON. 


1,1-  Matin  (Musée  tlu  l^ouvre). 


Constant  Troyon  naquit  à  Sèvres  le  28  août  1810.  Il  est  mort  à  Paris  le  20  mars  1865. 
Ainsi  que  nous  l'avons  vu  pour  plusieurs  de  ses  confrères,  il  commença  par  la  pein- 
ture sur  porcelaine.  Il  était  né,  d'ailleurs,  à  cê)té  de  la  manufacture  nationale,  où  il  reçut  les 
leçons  de  Riocreux  et  où  il  fut  employé  comme  décorateiu'.  Il  perça  lentement  et  suivit  d'abord 
la  voie  des  romantiques  et  en  particulier  de  Jules  Dupré.  Après  un  tour  de  France  à  pied 
comme  les  , .compagnons"  d'autrefois,  il  se  risqua  au  Salon,  en  1833,  avec  une  vue  prise  du 
pont  de  Sèvres.  Sa  vraie  personnalité  ne  se  dégagea  qu'à  la  suite  d'un  voyage  en  Hollande 
et,  de  même  que  pour  ce  dernier  groupe  qui  nous  occupe,  que  vers  la  date  de  1848.  Il  obtint 
]iourtant    ses    médailles    aux   Salons   de  1838,  1840  et  1846,  mais  ne  fut  décoré  qu'en  184g. 


Ecok'   iraïuaiSL- 


11 


Lf>  riiinaiitiquo.  .1  l.i  ivchenlir  de  Mto  ;u-ci(lciilc-  et  pittorcsiiut-,.  clian,t,'fairnl  \  ul(jntiL-i>. 
le  champ  de  lfur>  '-ibsrr\atii)n>.  Tni\(in,  nialf,Mr  <iiu-l(|urs  excursions  dans  le  I.inKjusin,  en 
Bretagne,  en  Hollande,  ou  à  Fontainebleau,  ne  «luitta  guère  l'iiori/on  n.ital  de  Saint-CIoud 
et  de  Sèvres  et  surtout  cette  verti'  et  grasse  Xcirinandie  aux  niagnitigue-  ruminants.  (|ui  lui 
servaient  d"iiicom])ar,d)les  modèles. 

De  même,  le  romantisme,  poétique  par  essence.  >e  p!ai>,nt  de  préférence  au.\  ellets 
colorés  du  couchant  et  des  rousseurs  de  l'automne;  le  groupe  des  naturalistes  nouveaux  pré- 
fère le  matin,  la  lumière  fine  du  soleil  qui  se  lève,  les  gris  légers  des  brumes  aurorales  et  les 
verdeurs  aiguës  et  fraîches  du  printemps.  Troyon  a  magistralement  rendu  ce  réveil,  robuste 
et  plein  de  grâce,  de  la  terre;  ses  Bocujs  se  rendant  an  lalioiir.  expo>és  en  1855  et  qui  tigurèrent 
ensuite  au  Luxembourg,  exhalent  au  plus  haut  point  cette  poésie  rustique,  faite  de  vérité  et 
aussi  de  grandeur,  sans  transpositions  littéraires  ni  exagérations  Imaginatives,  où  le  l.doeur 
de  l'homme  et  la  magie  de  la  lumière  suffisent  à  .anoblir  le  sjtectacle  médiocre  et  sans  incidente 


\*>' 


-A  ilosmiK. 


l,.-iboura,t;i-  iiivcrn.Ti^  (Mu^ct-  .lu   1, 


de  la  plaine,  renniee  >ou>  le  large  ciel  du  matin.  ..J.e  Mtilui"  tel  e>t  simplement  le  titre  et 
tel  est  encore  et  toujours  Teffet  cher  à  Tro\'on.  dans  cette  seconde  toile  de  dimensions 
modestes,  celle-ci  par  rapport  à  la  précédente,  qui  .itteignait  des  proportions  ])eu  usitées 
encore  dans  le  pa\'sage.  C'est  une  vision  moins  solennelle,  mais  uni'  imi>ression  plu>  intinir 
dans  un  motif  très  séduisant. 

Cet  amour  de  la  nature  domestique,  si  Ton  peut  employer  ce  nvA.  pour  le  paysage 
proche  de  l'homme,  pour  la  terre  retournée  et  fécondée  jiar  son  travail.  s'<issocie  chez  Ros.i 
Bonheur,  comme  chez  Trovon.  comme  nous  le  verrons  aussi  chez  Charles  Jacque.  à  r.imour 
des  robustes,  patients  et  fidèles  serviteurs  qui  l'aident  clans  r.Lccomphssement  (!<■  cette 
tâche  sacrée. 


Kosa  Bonheur,  en  j>articuliei'.  apporta,  dans  cet  amour  des  compagnons  inférieurs 
de  l'homme,  non  point  seulement  un  goût  d'artiste  épris  de  belles  et  puissantes  formes, 
mais    une    sorte    de    véritable    exaltation    philosophique.    Xée  à    I-5ordeaux  le   22  mars  1822. 


78 


La  Peinture   au   XIX"'  siècle. 


Makie-Rosa  BoMii-L'K  était,  en  effet,  tille  du  peintre  Rayinonil  fJonlieur.  (jm  était  atfilié  à 
l'église  de  Ménilmontant  et  avait  même  publié  im  Carnet  du  'rhcugynodéniuphilc,  ou  carnet 
de  l'ami  de  Dieu,  di'  la  femme  et  du  peuple.  Rosa  fut  iKnirrie  de  Lamennais,  et  ., Lamennais 
disait-elle,  définit  tout  ce  (pu-  j'ai  cherché'".  N"étaicnt-ce  ]ki>  les  niéuH's  UKjbiles  d'exalta- 
tion philosophicpie  qui  animident  la  plume  de  sa  grande  rivale  littéraire,  Georges  Sand, 
dans  ses  peintures  à  la  fois  d'une  simplicité  si  charmante  et  d'un  accent  si  enthousiaste  de 
la  vie  lairale  ?  Rosa  Bonheur  jouit  d'une  célébrité  exceptionnelle  jusqu'à  la  fin  de  sa  longue 
carrière;  elle  est  morte  le  25  mai  189g,  dans  sa  propriété  de  By,  en  Seine-et-Mame,  qu'elle  ne 
déserta  pas  sou\-ent.  En  dehors  de  toutes  les  médailles  qu'elle  obtint,  elle  fut  nommée 
directrice  de  l'Ecole  de  dessin  pour  les  jeunes  filles.  L'impératrice  lui  décerna  la  croix  de  la 
Lé,gion  d'honneur  —  bien  rarement  prodiguée  alors  ;iux  femmes  —  en  1865  et  la  lîJépublique 
lui  oft'rit   la  rosette  d'officier  en    181)4. 


Chaules  Jacock.  —  I.o  iroupeau  (Musée  «lu  I.nuvrc). 

Dans  son  œu\-re,  awç  le  Marche  aux  chevaux,  de  la  National  (ialler\'  de  Londres,  le 
Labourage  Nivernais  est  le  tableau  le  plus  célèbre.  Exécuté  en  1847.  niais  exposé  en  1849, 
il  eut  un  succès  qui  scandalisait  même  l'excellent  Galimard,  peintre  mystique  et  écrivain, 
parce  que  , .l'admiration  du  public  s'attardait  trop  à  des  scènes  ordinaires  dont  les  héros  sont 
des  bceufs  et  des  moutons".  Sous  la  claire  lumière  du  matin,  ])ar  un  ciel  lileu  et  tendre,  deu.x 
attelages  de  six  superbes  bœufs  blancs  ,, tachés  de  roux",  cumnif  ceux  immortalisés  par  Pierre 
Dupont,  tirent  la  charrue  dans  les  mottes  remuées  qui  fument. 


Charles  Jacque,  ne  à  Paris  le  23  mai  1813,  est  mort  dans  cette  xilk-  en  1894.  Sa 
carrière  fut  moins  illustre,  ou  du  moins,  plus  sevrée  des  grandes  récompenses  officielles,  car 
on  a  remarqué   qu'il    n'obtint  prescpie   jamais  que  des   î'-'"""'  médailles.    Il  ne  fut  décoré  qu'en 


E 


cole 


fr: 


mcaise. 


79 


1867.  Sa  carrière  cumnience  dan>  la  gra\-ure.  ajjrès  des  débuts  assez  accidentés  comme  clerc  de 
notaire  ou  caporal  d-infanterie;  il  s'inspira  d'abord  des  maîtres  hollandais,  dont  il  copia  même 
avec  un  rare  talent  certaines  eaux-fortes.  Son  œuvre  gravée  est  désormais  célèbre;  il  apparat 
au  Salon  de  1845,  mais  comme  graveur:  c'est  cependant  la  date  oii  il  se  mit  à  peindre.  Porclu- 
ries,  poulaillers  et  plus  tard  surtout,  bergeries,  il  exprime  tous  ces  animaux,  dont  il  se  j)lait 
à  s'entourer  et  qu'il  exploite  même  en  véritable  agriculteur,  avec  une  vvr\'c,  un  entrain, 
et  un  robuste  accent  de  vérité.  Il  exerça  une  influence  très  certaine,  dans  ce  sens  rural, 
sur  l'orientation   momentanément  héritante  de  Millet.    Son  Troupeau  de  montons,  du  Salon  de 


HlPFOLVIK  Fi.ANUKIN.   —   l'assage  de  la  mer  Rouge  (Eglise  SaiiU-Cieimain-des-rrés). 

1861,   sous   un    ciel    gris    où    pointent    ipielques    rares  trouées  bleues,  est  une  des  œuvres  les 
plus  hautement  significati\-es  de  son   talent. 

Après  1830,  le  romantisme  triomphant  semble  avoir  en\-ahi  tous  les  boulevards  de 
l'Ecole.  Il  n'v  a  plus  de  batailles  glorieuses  pour  les  principes;  les  luttes  dégénèrent  en 
querelles  mesquines  de  coteries,  en  persécutions,  de  ceux  qui  détiennent  les  honneurs  et  les 
places,  contre  les  indépendants  ou  simplement  les  nouveaux  venus.  Les  rivalités  des  deux 
grands  protagonistes,  Ingres  et  Delacroix,  suffisent  d'ailleurs  à  remphr  l'arène  de  l'art.  La 
plupart  des  romantiques  de  la  première  heure,   nous  l'avons  vu. --'étaient  vite  très  assagis. 


8o 


La   Peinture   au   XIX''   siècle. 


quclques-ini>.  à  ce  moment  même,  s'asseyaient  à  l'Institut.  L'Iicuii-  (li>  .ii"cleur>  enthuusiastes 
et  des  belles  folies  était  passée.  Le  ..(îothiqne'",  du  reste,  cher  aux  niuiantiques,  lassera  bientôt 
Us  générations  qui  montent  aussi  bien  que  l'antique.    On  va  surtout  \i\ri'  de  compromis. 

La  tradition  classique,  toutefois,  plus  vivace  que  la  conception  romantique,  parce 
([u'elle  était  moins  individuelle,  qu'elle  reposait  surun  fond  solide  d'enseignement  méthodique 
et  discipliné,  essaie,  derrière  Ingres  et  sous  son  égide,  de  poursui\'re  son  é\-ohition.  Elle  va 
donner  naissance,  dans  la  peinture  décorative,  au  petit  groupe  mx'stiqur  de-,  h-onnais.  et  plus 
tard  à  ce  qu'on  apjielk-ra  les  néo-grecs. 

La  \tlle  de  L\'on.  au  commencement  du  siècle.  a\ait  \u  ii.iitrc  un  premier  groupe 
d'artistes:   Ré\-oil.   Fleurv.   Richard,  Bergeret.  qui  jouèrent  ini   ])etit   rôle  intéressant  dans  le 

renou\eau  de  peinture  d'histoire 
anecdotiquc.  autiuel  se  donna,  de 
son  côté,  Ingres,  avant  même  les 
romantiques,  l'n  deu.xième  groupe 
s'était  formé,  d'abord  sous  les 
enseignements  de  Ré\'oil,  puis  sous 
la  direction  du  grand  maître  clas- 
sique, et  se  distingua  dans  une 
manière  e.xpressive  et  philosophique 
(jui  semble  bien  porter  l'empreinte 
du  caractère  lyonnais.  En  contact, 
à  Rome,  a\-ec  les  Nazaréens  alle- 
mands, ils  paraissent  avoir  subi 
l'influence  de  leurs  idées  et,  comme 
eux.  s'être  \-(ilijntiers  tournés  vers 
les  primitifs. 

.\  Paris  le  groupe  s'accrut 
d'autres  noms.  U'onnais  ou  autres  ; 
et  Orsel,  Périn.  dabriel  Tyr,  Sébas- 
tien Cornu.  Janmot  et  Hippolyte 
Flandrin  créèrent  un  petit  mouve- 
ment religieux  principalement  sous 
la  forme  décorative,  tandis  que,  en 
face.  ("liena\ard.  avec  Papety, 
VicTOK  Moi  11/.       r..iiiait  .it-  M"i'-  M   i\\u-.,j,-  .lu  i.uvcmbourg).         portaient    leur    encens  à  une  autre 

éghse.  l'église  phalanstérienne,  qui 
tentait  de  substituer  ,tux  \ieux  cultes  déchus  une  religion  nouvelle,  exclusivement  morale 
et  humaine.  Dans  ce  groupe  de  mystiques,  Hippolyte  Fl.andrin  est  resté  le  plus  célèbre  et 
le  plus  significatif.  Il  était  né  à  Ly(jn  le  24  mars  i8og  et  il  mourut  à  Rome  le  21  mars 
1864.  Il  eut  un  frère  aîné.  Auguste,  qui  fut  aussi  peintre,  mais  qui  n'a  pas  laissé  de 
nom  et  un  frère  cadet,  Paul,  bien  connu  comme  paysagiste  de  style  et  l'un  de  ceux  qui  se 
sont  le  plus  particulièrement  distingués  dans  le  groupe  dit  des  Ingyistcs. 

Hippolyte  obtint  le  grand  prix  de  Rome  en  1832.  Son  premier  Salon  date  de  1836.  II 
fut  l'élève  de  prédilection  d'Ingres,  dont  il  suivait  les  grandes  traces  en  s'appliquant  avec 
bonheur  à  la  peinture  décorative  et  en  renouvelant  cette  tradition  par  le  souvenir  des  mosaï- 
ques de  Ravenne.  Il  est  justement  considéré  comme  l'un  des  peintres  les  plus  heureusement 
doués  du  sens  religieux.     Plusieurs  grandes  basiliques  lui  doi\ent  d'importantes  décorations. 


xolc 


fr.' 


incaise. 


81 


A  Pariï.  celle  de  Saint-\'incent-de-P;uil,  conslruile  >ur  le>  pi, m-  irilittortt,  d:iii>  It-  M-ntinieiu 
renouvelé  de  Fart  antique,  où  Flandrin  trou\-ait  le  cadre  le  plus  opportun  pour  son  talent: 
l'église  Saint-Gennain-des-Prés.  restaurée  et  ra\i\-ée  dans  son  primitif  caractère  roman; 
Saint-Paul  de  Nîmes,  édifié  dans  ce  style  méridional  par  Ouestel:  la  vieille  basilique  d'Ainay 
à  Lyon.  Dans  toutes  ces  vastes  entreprises,  à  rimitation  de  la  fresque  ou  de  la  mosaïque,  Hip- 
polyte  Flandrin  a  montré  de  hautes  et  vraies  qualités  de  style,  de  la  noblesse  sans  emphase, 
de  la  grandeur  unie  à  la  simphcité,  de  l'expression  et  du  sentiment,  sans  grimaces  ni  fausses 
gesticulations.  On  en  peut  juger  par  ce  panneau  de  Saint-demiain-des-Prés  où  Moïse,  debout 
sur  un  rocher,  lève  sa  baguette,  (pii  commande  au.x  flots  de  la  mer.  où  s'engouffrent  les 
i-nncmis  du    |i.mi|i1.-  -  In      \  -1  -  ])icds  s'agenouillent  les  mèri-  1  r,iiriii\  ^  -,  1  11  arrière  les  Hébreux 


P.ML    ChEN.WAKI 


di.1  (Mus 


lèvent  les  bras  et  contemplent  le  miracle  a\ec  un  étonnement  religieux;  .Myriam  agite  son 
tambourin  sacré  dans  un  geste  héroïque  de  \-aillance  et  de  foi.  Flandiin  a  peint  aussi  quel- 
ques beaux  portraits.  Oflicier  de  la  Légion  d'honneur  en  1853.  il  a\ait  été  élu  membre  de 
rinstitut  la  même  année. 


Victor-Louis  Mottez,  qui  appartenait  à  ce  groupe,  a  ete  longtemps  célèbre  par  les 
fresques  qu'il  avait  peintes  dans  le  péristyle  de  Saint-Germain-l'.Auxerrois.  .Malheureusement 
elles  n'ont  pu  résister  aux  ravages  du  temps,  dans  un  cUmat  qui  ne  permet  guère  l'emploi  de 
ce  procédé  à  l'extérieur.  Il  n'en  reste  plus  trace  \-isible.  Il  était  né  à  Lille  le  13  février  1809 
et  il  mourut  à  Bièvre  le  7  juin  1807.  Il  était  élève  d'Ingres  et  de  l'icot  :  il  fut  décoré  en 
1846.  On  lui  doit  diverses  décorations  dans  les  églises  de  Saint-François-dc-Sales.  de  Saint- 


82  La  Peinture   au   XIX""  siècle. 

Sulpice,  de  Saint-Scn-ciin,  t-tc.  ainsi  ([ue  quelques  piutniit^.  Celui  de  >,i  lenuue.  (ju'il  exécuta  à 
la  fresque,  à  Rome,  en  1840,  et  qui  est  maintenant  plaee  au  Luxembuuif^,  montre  les  belles 
qualités  de  style  de  cet  .irtiste  et  la  technique  si  simple,  si  franche  et  si  séduisante  de  sa  fresque. 
Ingres,  qui  considérait  hautement  Motte/,  appréciait  ti'llenient  ce  morceau,  que  c'est  sur  son 
conseil  qu'il  fut  détaché  du  mur.  qu'il  ornait  à   Rome.  ])our    être    transporté  à  Paris. 

Le  lyonnais  l'.vUL  Ciii-:XA\  akd  semble  placé  tout  à  l'opposé  de  ce  j^roupe  de  décora- 
teurs religieu.x.  il  est  pourtant,  à  sa  façon,  un  mysti(}ue.  mais  ce  qu'on  appellerait  un 
mystique  laïque.  Dans  cet  élan  général  de  fermentation  des  esprits  pénétrés  d'idéalisme, 
Chenavard  représente  particuhèrement  l'exaltation  philosophique;  il  est,  dans  le  groupe  des 
peintres  phalanstériens.  celui  (\m  résume  la  doctrine  dans  son  ceuvre.  Né  à  Lyon  le  9  décembre 
1S08,   mort   en    1895.   Chenavard   fut  élève  d'Ingres  ;  mais  il  était  iilutôt  porté_par  la  culture 


(IIAkl.l-.s    C;i,F.VKK. 


■auL-s  (.Mu~^c   .In    1. 


de  son  esprit  \'ers  Delacroix,  d(jnt  il  fut  l'ami.  11  fréquentait  d'ailleurs  tcais  les  milieux, 
même  le  cénacle  de  ((jurbet.  et  se  plaisait  a\'ec  les  sa\-ants.  ecri\"ains.  poètes,  hommes 
poUtiques,  que  recherchait  son  insatiable  curiosité  d'esprit,  tandis  (lu'il  était  lui-même  fort 
apprécié  pour  l'étendue  de  ses  connaissances  et  la  \'ariéte  di'  sa  con\ersation.  11  avait  pour 
principe  que  l'art  a\ait  luii  son  rôle  purement  plasti(|ue.  ipi'on  ne  saurait,  sans  répéter 
ce  qui  a  été  dit  awuit  nous  et  mieux  que  nous.  ])erse\erer  dans  cette  voie  et  que  l'art 
devait  av(jir.  dans  la  nouxclle  société  démocratique,  une  mission  essentiellement  expressive 
et  morale,  ("est  pourquoi  il  axait  conçu  un  vaste  cycle  lnstori(iue  et  i)hilosophique,  où  se 
mêlaient  les  doctrines  de  Saint-Simon,  de  Fourier  et  d'Auguste  Comte,  sorte  de  religion 
de  l'humanité  p.ir  le  <ulte  de  ses  grands  génies.  C'est  l'inspiration  sous  laquelle  a  été  conçue 
sa  Palyngcncsic  iimvcy\elh\  gigantesque  ensemble  décoratif  qui  devait  c(.iu\-rir  tous  les  murs 
du  Panthéon,  et  dont  la  Divina  tragœdia,  du  !\lusée  du  Luxembourg,  i/st  un  des  épisodes  les 
plus  significatifs,  tant  ,111  point  de  vue  des   tendances    philosophiques    du    maitre    que_|  de   sa 


EcoK;   trancaisc. 


technique.  Ce  grand  carton,  conçu  à  la  manière  de>  célèbre-  encvclopè  listes  alli'mandi. 
Cornélius  et  Kaulbach.  avec  ([ni  il  était  lié  d'amitié.  —  tandis  que  ses  camarades  lyonnais 
se  tournaient  de  préférence  \-ers  ()\-erbet'k.  —  représente  la  fin  des  religions  anticjues  et 
l'avènement  de  la  Trinité  chrétienne.  Il  eut.  dans  ce  genre,  un  émule  (jui  jouit  d'un  instant 
de  réputation  et  fut  son  colla- 
boratem' :  Dominique  P;qici\-. 


A  ce  milieu  d'idéalist-  - 
Ivonnais  il  con\-ient  de  rattache; 
aussi  Charles  (^leyre.  poète 
délicat,  bien  que  praticien  un 
peu  mince,  qui  serait  sans  doute 
complètement  oublié  —  et  bien 
injustement,  si  inie  de  ses  toiles 
n'était  restée  très  populaire. 
C'est  la  peinture  du  Soir,  exposée 
au  Salon  de  1843.  acquise  pa: 
l'Etat  pour  le  ^lusée  du  Luxeni 
bourg  et.  depuis,  placée  ;•.  1: 
Louvre,  que  la  voix  publique 
baptisée  du  nom  qui  lui  r-- 
demeuré:  Les  lUiisions  perdue^. 
Un  poète  désabusé  est  assi:> 
tristement  au  bord  de  l'eau, 
voyant  fuir  dans  l'or  du  cou- 
chant tous  les  rêves  de  sa 
jeunesse  :  un  chœur  de  belle> 
jeunes  femmes  enlacées,  tenant 
des  palmes  et  chantant,  que 
l'amour  guide  siu"  une  barque 
qui  glisse  au  loin  silencieuse- 
ment. Gleyre  en  avait  eu  la 
vision,  comme  l'hallucination. 
un  soir  qu'il  se  promenait  au 
bord  du  Nil.  au  cours  d'un 
voj'age  en  Orient  qu'il  acciimplit 
à  la  suite  d'un  riche  Américain. 
Il    était    d'origine    suisse,   né    à 


'L»'RE   Cli.ASSÉlU.M'. 
(  .Vppanienî  a  M. 


-  Les  (iftix 

Chasscrian  ) 


Chevilly.  dans  le  canton  de  \'aud.  en  1807:  il  mourut  à  Paris  en  1876.  Orphelin  de  bonne 
heure  et  montrant  des  dispositions  pmn-  le  dessin,  il  fut  envoyé  à  Lyon,  où  il  se  lia  avec 
Sébastien  Cornu.  Ses  opinions  politiques  et  philosophiques  et  ses  idées  sociales  le  rappro- 
chent plutôt  de  Chenavard.  car  il  fut  un  de  ceux  qui  attendirent  les  é\-énements  de  1848  et 
qui  en  furent  émus.  Sa  \"ie  fut  assez  mélancolique:  artiste  discret  et  un  i)eu  farouche,  il 
ne  rechercha  pas  et  ne  connut  guère  les  grands  succès.  Cependant  son  atelier,  (jui  fut  la 
continuation  de  celui  de  Delaroche,  a  formé  des  élè\es  illustres;  il  est  un  des  {)remiers 
qui  marquent  le  retour  sympathique  des  artistes  aux  inspirations  de  l'antiquité.  C'est  de 
ce  foyer  que  sortira  le  petit  groupe  qu'on  appela  les  néo-grecs  et  dont  Gérôme,  l'héritier  de 
son  enseignement,  fut  le  représentant  le  plus  attitré. 


86 


La   PeintuR'   au   XK""  siècle. 


Cil('\'rc  était  cv  qu  on  ,ij)[)cl,iit  .ili)r>  un  cck'ctiquc:  c'est-à-dire  an  de  ceux  qui,  connue 
Delaroche,  a\-aient  essayé  des  transactions  entre  les  deux  jiartis  de  la  ligne  et  de  la  couleur. 
De  tous  les  compromis  cini  furent  tentés  à  cette  date,  les  deux  plus  célèbres  sont  ceux 
auxquels  s'attachent  les  noms  de  Couture  et  de  Chassériau.  Le  premier  demeura  stérile,  il 
n'était  fondé  sur  aucune  base  solide.  Thom.\s  CorTt'RE,  né  à  Senlis  (Oise)  le  21  décembre  1813, 
mort  à  \'iIliers-le-Hel  le    ;o    Mars    1871).     était    un  élè\-e  de  dros  et  de  Delaroche.     Il    reçut 

le  second  grand  prix  de  Rome  en 
i8j7  et  obtint  en  1847  mi  succès 
considérable,  qui  enfla  son  orgueil 
naturel,  avec  le  tableau  longtemps 
célèbre  au  Luxembourg,  et  au- 
jourd'hui placé  au  Louvre,  les 
RdiiKiins  de  la  décadence,  qu'on 
désigne  aussi  couramment  sous  le 
titre  de  VOrgic  romaine.  La  scène 
se  passe  dans  un  vaste  intérieur  de 
])alais  à  la  \'éronèse,  à  travers  les 
colonnades  chupiel  on  voit  le  jour 
se  le\'er.  Tout  autoiu"  d'une  table. 
chargée  de  fleurs,  de  fruits,  de  vic- 
tuailles et  de  vins,  des  hommes  et 
des  courtisanes  sont  assis  ou  cou- 
chés au  milieu  des  vases  répandus, 
la  plupart  assoupis  par  l'ivresse, 
hhitre  les  colonnes,  les  statues 
austères  des  ancêtres  semblent 
exprimer  silencieusement  leur  dou- 
loureuse indignation.  A  droite  un 
jeune  buveur  nargue  de  sa  coupe 
une  de  ces  graves  et  tristes  images, 
tandis  que  deux  personnages,  debout 
à  gauche,  les  seids  qui  ne  partici- 
pent pas  à  l'orgie,  contemplent 
cette  scène  d'un  air  pensif. 

L'idée  a  de  la  grandeur,  le 
contraste  est  dramatique  et  la  mise 
en  scène,  bien  que  théâtrale  et 
dans  le  goût  des  vastes  machines  décorati\es  du  X\TII''  siècle,  est  combinée  avec  beaucoup 
d'habileté  dans  un  sentiment  de  réelle  unité;  mais  l'harmonie  est  accordée  dans  une  gamme 
trouble  et  un  peu  louche  de  tons  romjius.  le  dessin  est  assez  \-ulgaire,  l'ensemble  manque 
de  cette  haute  distinction  qui  s'impose  et  qui  s'appelle  le  style.  Rien  de  nouveau  pour 
l'évolution   de  l'art  ne  pouwiit  sortir  de  ces  combinaisons,  qui  restaient  pluttit  rétrogrades. 


Théodore  Chassekiau.  —   Estlier  se  parant  pour  être  présentée 

.iu  lui   .\ssuénis. 

(.Appartient  à  M.  A.  Chassériau) 


Tout  autre  fut  le  rôle  de  TiiÉoix.iKH  Cilassérlau.  C'est  lui,  \'raiment,  cjui  assure  la 
continuité  de  la  tradition  et  est  le  point  de  déjiart  du  nouvel  essor  de  l'art  pour  traduire 
le  rêve  anthropomorphiquc'  dont  sont  hantés,  à  chaque  génération,  les  penseurs  épris  de  beauté 
et  de  vérité,  lorsqu'ils  veulent  donner  re\pressit)n  des  grandes  idées  générales.  Élève  chéri 
d'Ingres,   mais   entraîné   \-ers    Delacroix   ])ar  son    tempérament   ardent   et   concentré,  surtout 


Ecolt'   trancaise. 


87 


après  un  voyage  qu'il  fit  en  Algérie,  dont  il  revint  tre>  nui>ressionné.  il  é\-olua  naturellement, 
instinctivement,  sans  intention  préconçue,  de  l'idéal  un  jieu  abstrait  de  -.an  jireuiier  maitre 
vers  les  conceptions  plus  concrètes,  vivantes  et  passionnées  du  grand  romanti(iue.  Il  n'es- 
-aya  pas  de  mettre  des  tons  dans  des  contours,  de  faire  ce  qu'on  appelait  le  mari;ige  du  dessin 
et  de  la  couleur.  Il  se  ser\-it  de  l'un  et  de  l'autre,  indistinctement,  comme  de  moyens 
d'expression  pour  traduire  son  ré\-e  de  plastique  et  de  poésie  et  l'on  trouve,  réunies  dans  son 
(euvre.  les  larges  simplitications  et  les  exagérations  expressives  dans  les  lignes  et  dans  le> 
accords  qui  distinguent  les  deux  maîtres  ri\-aux.  C'est  de  Cliassériau  que  sortiront  directement 
dans    les    générations    ultérieures    les    deux    maîtres    de    l'idéalisme  contemporain  :  Puvis  de 


Chavannes  et  (..ustave  More.iu.  Il  e>t  donc  le  cliainon  indis]ien>able  ijui  relie,  dans  cet  ordre 
d'idées,  l'art  de  la  deuxième  moitié  du  siècle  à  la  première.  11  était  né  le  20  septembre  1829, 
à  Sainte-Barbe  de  Samana.  Amérique  espagnole,  où  son  i>ère.  agent  di])lom,itique.  s'était  marié 
avec  une  femme  créole.  Il  aj)partenait  lui-même  à  une  \-ieille  famille  de  la  R<iclielle.  Il  fut 
amené  à  Paris  à  l'âge  de  deux  ans.  Sa  \-ocation  artistique  fut  très  précoce.  Accepté  dan> 
l'atelier  d'Ingres,  à  peine  âgé  de  plus  de  dix  ans.  il  exposa  pour  la  ])reniière  fois,  en  1836.  à 
l'âge  de  seize  ans:  il  (jbtint  d'emblée  mu-  médaille  de  lroi^ième  classe  en  1838:  il  exposait  la 
Vénus  Anadyomcuc  et  la  Siiuniih-.  conçues  dans  l'inspiration  d'Ingres,  mais  où  déjà  perçaient 
des  hardiesses  singulières,    .pii     sacrifiaient    la    correction    aiiatomique   à    l'expression  signiti- 


88 


La   Peinture   au   XIX''  siècle. 


ritive  Les  deux  sœurs  (Mesdemoiselles  C).  \v>  sieur,  du  pcuitiv,  du  Salcu  de  184,;.  M.iidcnt. 
avec  une  certaine  liberté,  une  entente  plus  souple  et  plu>  ehaude  des  haruKniies  et  du  clan- 
obscur,  une  allure  ingresque;  mais.  Esthey  se  parant  pour  être  présentée  an  roi  Assnerus.  qui 
liî^urait  au  Salon  de  Tannée  précédente,  est  un  des  morceaux  caractéristiques  du  jeune  maître. 
Quant  à  la  Paix,  reproduite  ici.  c-est  un  fragment  de  l'importante  décoration  de  la 
Cour  des^Compte.  .pii  eut  >uiti  à  rendre  son  nom  illustre.  De  ce  vaste  ensemble,  consumé  par 
les  flammes,  il  ne  reste  que  (luelcpies  débris  précieux,  préservés  par  la  piété  d'un  parent, 
le    baron    .\rtluir   Chassériau.    (pn    en     a  fait   don    au    l.ouvre.    Commence    en     1.S44.    cette 

admirabli'  suite  fut  linie  en  1848.  Elle 
a  été  longuement  décrite  par  Théophile 
dautier.  Le  groupe  qui  a  pu  être  sauvé 
représente  de-^  femmes  allaitant  leurs 
enfants  sur  le.  gerbe,  accumulées.  ,,0n 
ne  saurait  ..rien  imaginer.""  écrit  le 
critique.  ..de  plus  gai.  de' plus  frais,  de 
plus  souriant  (|uc  ces  belles  ,, créatures 
di>rée>  par  une  douce  lumière".  On 
aperçoit,  à  droite,  le  bras  droit  de  la 
figure  svmbolique  de  la  Paix  étendant 
une  branche  d'olivier  vers  le  groupe 
de.  travailleurs  de  la   terre. 

ïli.  Chassériau  a  encore  peint 
de.  décorations  pour  les  églises  de  Saint- 
Merri.  de  Saint-Roch,  de  Saint-Philippe- 
du-Roule.  Chevalier  de  la  Légion  d'iion- 
,i,ui-  en  1849.  il  est  mort  à  Paris  pré- 
maturément  le  8  octobre   1856. 

A  côté  de  tous  ces  maîtres  aux 
conceptions  grandioses,  charmantes  ou 
fortes,  il  est  une  ligure  de  genre,  qui 
mérite  d'être  retenue.  C'est  celle  Octave 
'rA...\i:KT.  11  e.t  né  à  Paris  le  26  juillet 
1800  et  mort  dans  cette  ville  le  24  avril 
1874.  Ce  n'est  pa.  qu'tm  puisse  le 
rattacher  aux  mystiques  lyonnais  par  ses 
clucubrations  .éraphiques.  où  il  dépeint 
avec  X'idal.  Calnnard  ou  Jaiimot,  lavie 
t-t  les  amour,  des  anges,  suivant  les 
poèmes,  alors  célèbres,  de  Lamartine  ou  d'.\lfred  de  X'ignv:  ce  n'e^t  pas  que  sa  mémoire  gagne 
à  ce  qu'on  rappelle  ses  conception,  plu.  terre  à  terre,  de  sujets  voluptueux  et  presque  erotiques, 
mais  il  avait  retroux-é  sur  sa  palette  les  harmonies  lactées  de  Corrège  et  de  Prud  hon.  Il  est,  a  ce 
moment  de  techniques  un  peu  négligées,  un  des  praticiens  les  plus  déhcats  et  les  plus  sensibles. 
Ce  n'est  pas  son  seul  point  de  ressemblance  a^■ec  Prud'hon.  car,  comme  lui.  sa  fin  fut  doulou- 
reuse; elle  fut  même  tragique,  et  comme  lui  il  a  traduit  dan.  se.  dernier.  ..uvrages  ses  propres 
souffrances.  La  Famille  malheureuse,  du  Salon  de  184. i.  m.pirée  d'un  passage  des  Paroles  du 
croyant,  de  Lamennais,  annonce  la   triste  façon  dont   il  mit   un   terme  à  ses  douleurs. 


Octave  Tassaekt.  —  lue  faniUlt 


riI'.RRI':    l'IXIS  DE  CIIAVAXN'I'.S, 

I,  IvMANCK    DK    SaIXTK    GlAKVIÎAi;. 
(  l'ail  lln-on). 


CHAPITRE  IV 


laOLM    FRANÇAISE. 
Troisièmi-:   Pkriodk.  —  Dh   1S48  a   i.Sjc 

LA  tlitc  de  i,S4.s  ,.>t  une 
dciti-  niéninrablf  (Ims 
riii^tdirc  de  I\irt  comme 
dans  riiistoire  politique  et 
sociale  de  la  nation.  Tous  les 
ferments  que  la  grande  Ré\-o- 
lution  a\-ait  laissés  dans  l,i 
pensée  depuis  plus  d'vn  demi- 
siècle  et  ([ui  ra\-aient  sourde- 
ment agitée,  vont  lewr  brus- 
quement dans  un  élan  unminii 
d'enthousiasme,  de  solid.inti-, 
d'esprit  altrui>te  de  liberté 
et  de  fraternité  universelle. 
Il  semblait  \-raiment  qu'une 
ère  nouvelle  se  le\-àt  [Jour  le 
monde:  les  cieurs  étaient 
ou\-erts  à  touteslesespérances, 
les  rêves  les  plus  utopiques  des 
philosophes  et  des  sociologues 
ne    paraissaient    jilus    in\rai- 

>emblables,  et  les  plus  .^encreuses  chimères  semblaient  devoir  être  proehauniiieut  des  réallle-^. 
La  République  de  1848  fut  établii'  dans  une  >orte  d'ardent  mvsticisme  démocratique 
qui,  malgré  l'avortement  de  cette  deuxième  tentative  d'affranchissement,  laissa  dans  la  nation 
des  traces  profondes.  C'est  une  date  capitale  dans  la  vie  ]niblique  du  pays  et  une  étape  nouvelle 
et  solennelle  dans  sa  marche  en  avant,  malgré  les  obstacles  et  les  chutes  momentanées. 
Cette  date  comptera,  du  reste,  pour  tonte  l'Kurojie,  car  les  événements  de  février  euniit  leur 
contre-coup  sur  toutes  les  autres  nations.  L'n  des  contemporains  de  ces  luttes  artistiques  et 
p(3litiques,  Jules  Breton,  nous  dit  lui-même  que  ,,res))iit  revohitionnaire.  qui  aUait  bouleverser 
l'ordre  social,  préparait  en  inêmt.'  temjis  une  transformation  dans  les  arts  et  dans  la  littérature". 
Les  artistes  furent  d'autant  jilus  \'i\'ement  émus  par  les  courants  qui  avaient  produit 
cette  grande  crise  nationale,  qu'ils  confondaient  leurs  aspirations  politiques  a\"ec  leurs  intérêts 
professionnels,  et  qu'ils  luttaient  infructueusement  depuis  bien  des  années  contre  l'intolérance 
des  jurys  privilégiés.  Vn  grand  nombre  d'artistes  étaient  déjà  pénétrés  des  idées  saint-simo- 
niennes  et  fouriéristes  et  plus  ou  moins  mêlés  au  phalanstère:  nous  avons  déjà  cité  Gigou.x. 
Chenavard,   Raymond   lionheni-.    Il   f.uidrait  en   indicpier  bien  d'autres. 


Jkan-Frani,''1->  Miiirr.    —   l'ay 


90 


La  Peinture  au   XIX'  siècle. 


Une  grande  effervescence  régnait  dimc  dans  les  ateliers;  nn  des  eft'ets  particuliers  de 
la  révolution  de  1848  fut  d'orienter  plus  franchement  les  artistes  vers  la  peinture  des  aspects 
})()])ulaires.  Ce  souffle  démocratique  les  portait  vers  les  milieux  d'où  ils  étaient  la  plupart 
ISSUS  et  qu'ils  avaient  si  longtemps  méconnus  jimir  de  froides  et  pâles  fictions.  Ce  fut  une 
grande  poussée  réaliste,  qui  canalisa  en  un  seul  grand  courant  toutes  les  sources  antérieures 
jaillies  isolément,  soit  du  sein  de  l'œuvre  de  Ciros  ou  de  Géricault,  suit  de  celle  de  Delacroix 
DU  de  Decamps,  soit  du  groupe  des  grands  paysagistes. 

Un  des  principes  exaltés  par  les  sociologires  et  les  philosophes,  Saint-Simon,  Fourier, 
.\ugu>t('  Comte  nu  Proudlum.  principe  (jue  la  République  tenta  de  consacrer  par  l'établissement 


Jean-Fr.\.nçois  Millet.  —  La  Baigneuse. 


chimérique  et  malheureu.x  des  ateliers  nationaux,  exerça,  de  son  côté,  son  prestige  sur  la 
pensée  artistique.  Le  travail,  considéré  comme  l'obligation  sacrée  de  tout  citoyen,  fut  érigé 
en  une  sorte  de  culte  moral.  L'art  y  sacrifia  sans  tarder  et  c'est  de  ce  jour  que  date  le  point 
de  départ  de  cette  inspiration  qui,  de  la  peinture,  gagnera  bientôt  la  statuaire  et  se  vouera  à 
fixer  l'expression  de  ces  deux  types  essentiels  du  travailleur:  Vouvrier  et  le  paysan.  Ils  vont 
s'incarner  dans  l'reuvre  des  deux  maîtres  qui  dominent  cette  époque:   Millet  et  Courbet. 

Pour  bien  comprendre  le  rôle  de  ces  deux  grands  initiateurs  et  l'importance,  dans 
l'histoire,  de  la  date  de  leur  ajjparition,  il  faut  imaginer  la  peine  qu'éprouva  notre  école  à 
trouver  l'expression  picturale  de  ces  milieux  populaires,  expression  qui  avait  été  jadis  réalisée 
si  aisément  par  les  maîtres  hollandais.  Un  vieux  préjugé  d'école  pesait  sur  notre  temps;  des 
souvenirs  de  théâtre  traînaient   au  fond  des  imaginations.    On  se  faisait  une  idée  étroite  de 


Ecole    Irancaisc. 


93 


ce  qu'cin  appelait  Ir  ..pil  inrcMiUf"',  (|ii'(in  nr  ciiiucx'ait  jilu-.  (iiraxcc  h-  |)i(|nant.  riiiattiiidu.  ce 
([ui  pouwiit  distraire'  nu  .miiKer  i'ceil.  an  lien  de  (léj;agcr.  dans  t(mte>  fnrnie-.,  le^  earaeleres 
e\pre>>if>  ipii  les  rendent  pi(i]ii(>  à  la  penitnre.  An^si  tardait-mi  à  trnuver  ^expre•^^illn  delà 
\-ie  rurale  un  ]in])nlaire  el  a\'ait-iin  tnurné  le  prnhlènie  en  s'adics^ant  aux  milieux  qui  ^tiraient 
des  suiet>  HÙ  11-  ..]iitt(ires(ine'".  cnnuue  un  l'entendait.  ^"uni>N:iit  a  la  ri'.ditr-.  1  )e  la  la  l,i\cnr 
de  la  peinture  eXdtiqne;  exnti^nie  d'Italie,  exnli^ini'  d'l''.>p,i,i;ne  nu  d'Alriiiue.  et.  à  l'épixine 
(lù  niius  ^unîmes,  tniites  ces  péi"é,!;rinati(ins  de-^  aiti-^te^  de  pi(i\in(  e  en  prii\ince.  à  l.i  recliercdie. 
de   l'Alsace   à  la    l'>reta,t,'ne  «m  aux   l'\l<'lli'e-,   de  i  e-^  élément-,  de   eci>luiue  et   de  décin,   indi^^pen- 

sables  encore  à  leuis  hahilude-^  d'edu<  atimi  tmite 
romantiiiiie. 

Les  rdmantiques.  t-n  effet,  parmi  ceux 
qui  se  consacrèrent  à  l.i  ])einture  des  re, dites 
extérieures,  s'attachèrent  surtniif  .1  la  nature 
isolée:  la  nature  semble  écraser  leur  ima.t;ination 
par  la  grandeur  de  ses  s])ectat  les  :  ils  ne  \"oient 
qu'elle  et  ses  grandes  harmonies.  L'iinmnie  et 
le5  animau.x  n'y  occupent  qu'une  place  lointaiiu' 
et  accessoire:  ils  meublent  leur^  t.ibleaiix.  Les 
naturalistes  tirent  un  ]ias  de  jilus  dans  leur  amour 
plus  étroit  de  la  nature  dnmestique:  ils  jjeignirent 
les  bêtes,  les  humble-,  cnll.djor.itenis  di-  l'hiimme. 
mais  sans  oser  encore  s"atta(iuer  directement  à 
celui-ci.  Clie/  Troynn.  chez  J.iciiui-  ou  chez  Ru>a 
Bonheur,  l'inimme  n'app. irait  (pi'à  ente  de  l'ani- 
mal, qu'accessoirement   à   lui. 

Le  réalisme  allait  enfin  ,di(irder  le  pro- 
blème de  r/ioiiiiiii'.  ..Jadis.  jKun'ait  écrire  Tlidré'. 
le  critique  ([ui  Im'ait.  dès  Ims.  le  plus  haut  l,i 
bannière  de  l'art  niDderiie.  j.ulis.  nn  f.iis.nt  de 
l'art  pour  les  dieux  et  ]iiiui  lo  princis.  l'eut- 
être  que  le  temps  est  \-enu  de  f.iire  l'tiyt  f^nitr 
rhoiiiiiic'\  Aussi,  derrière  I)ecamp>.  (pu  jiré-ludeà 
tout  ce  mou\'ement.  où  de  \ieux  rnmaiitiques. 
comme  Roqutqjlaii,  se  mêlent  à  des  lu  mimes 
nou\'eau-x.  x'oit-nn  fnurmiller  tmit  un  gmiipe  de 
peintres,  peintres  de  t'igiires  et  de  p.ivsages.  qui 
ne  dissocient  plus  guère,  d'ailleurs,  ces  deux 
termes,  s'attachant  à  traduire  les  spectacle> 
simples    et   coutumiers  de  la  \'ie  de  leur  temps. 

Millet  n'ét.iit  dduc  ]>a>  uiu'  excejitinii 
lorsqu'il  apiiarut  .lU  S.ilon  de  iN4iS  ax'ec  le  \'a)incur.  iiui  est  le  ])(iiiit  de  déjiart  de  sa  grande 
leuvre  rurale.  .\\.int  lui  d'antres  a\-. lient  tenté  d'exprimer  hs  mêmes  (dmses.  et.  cepeiid.iiit. 
quand  il  parla,  il  sembl.i  <iiie  e'et.iit  la  première  fni-  (lu'on]  le- 'di-..iit.  ,  11  repnudait  si  li.iute- 
ment  au.x  préoccup.itions  du  jnur  que  le  cnn-ei  xati-me  tinuiré.  l.i  ]iii>ilLiniiiuté  imiuiète  du 
public,  V  virent  de>  manifestes  et  \iiuèrent  une  haine  implac  .iMe  à  cet  ,irt.  (in'nn  iireii.iil  pniir 
un  art  de  déclam, itinn  et  tle  ))rorl.iination. 

Rien    n'ét.iit.    pinirtallt.    pln>    Inin    de    l,i    pell-ee    de    Millet,     lù.    ju-teinellt.  ce  i|ui  le 
distingue    de    ceux    (|ui   le  jireeèdeut.  i'e-,t    (lUe   h'-  un--  -nllt   resté--  tle   pur--  l>lt  liireMlUes.   i»Ur, 


[e.\n-I-'kaN',"I-   Miia.i-i.  —   !,<;  Printemp 
(.\|il>;ii  lient   a   M.    lUiian(l-r<uel  ). 


94 


La  Peinture  au  XIX*"  siècle. 


du  romantisme,  que  les  autres  abordent  leurs  sujets  populaires  avec  des  préoccupations 
démocratiques  et  socialistes,  c'est-à-dire  d'ordre  politique  ou  philosophique,  tandis  que,  lui, 
est  simplement  l'homme  de  son  renuTe,  qu'il  peint  l'existence  de  la  plèbe  rurale  sans  esprit 
de  protestation  ni  de  re\"endication.  uniquement  parce  ciu'il  a  été  et  qu'il  est  resté  au  fond 
du  cœur  l'un  d'entre  ses  frustes  héros. 

Ji-:ax-Fra\çois  Millht,  en  effet,  était  un  paysan,  fils  de  paysan.  Il  est  né  le  4  octobre 
1814  à  (iruchy  (Planche),  d'une  famille  de  cultivateurs,  au  milieu  de  laquelle  il  prit  sa  part 
des  tra\'aux,  jusqu'à  l'âge  de  vingt  ans.  Ses  goûts  pour  le  dessin  s'étaient  manifestés  de  bonne 
heure.    Son  père,  un  jnur.   en  fut  si  surpris  qu'il  décida  de  ren\'o\-er  à  Cherbourg  prendre  des 


Je.\n-Fkani,'iis  Mii.i.Ki. 


Le  Piiiitenips  (Musée  ilu   Louvr 


leçons.  C'était  en  1835,  il  a\"ait  donc  21  ans.  II  resta  quelques  mois  chez  un  premier  maitre, 
modeste  artiste  de  province,  tout  à  fait  inconnu,  dont  le  num  n'est  même  pas  siir,  ^louchel, 
Moncel  ou  du  .Moncel.  qui  ne  l'écarta  point  de  sa  voie  naturelle,  car,  ainsi  que  lui,  il  était 
passionné  pour  la  nature  et  pour  les  bètes,  et  ses  maîtres  de  prédilection  étaient  les  flamands 
et  les  hollandais:  Rembrandt,  Téniers,  Brouwers  et  Breughel.  Son  père  venant  à  décéder 
subitement,  il  retourna  à  Gruchy  reprendre  la  direction  de  la  famille  et  des  travaux  des  champs. 
Mais  sa  pensée  est  désormais  ailleurs.  Sa  mère  et  son  aïeule  le  sentent  si  bien  qu'on  le 
décide  à  repartir  pour  Cherbourg,  où  il  fmit  d'étudier  dans  l'atelier  d'un  ancien  élève  de  David, 
Langlois.  Là,  il  développa  son  instructinn.  commencée  avec  s(jin,  d'ailleurs,  par  le  curé  de  son 


É 


colc 


fi%' 


"ancaise. 


95 


village.  Il  obtient  la  b()ur>c  (li-partenifutalf  et  vient  à  Paris  en  janvier  1857.  Les  ])reinier> 
temps  de  ce  séjour  Jurent  très  douloureux.  Il  était  coup  sur  coup  frappé  j)ar  les  deuil>  (pii 
faisaient  le  vide  dans  sa  famille  et  poursuivi  ])ar  la  misère.  C"est  alors  que.  sur  le  conseil  d'un 
ami,  il  se  résolut  à  faire  des  sortes  de  pastiche-,  dans  le  goût  du  X\'1II>-  siècle,  en  faveur  en  ce 
moment,  qu'il  vendait  pour  un  loui>.  11  retourne  à  (.rucliy.  fait  un  >éjour  à  Cherbourg,  où 
il  se  marie  avec  une  de  ses  élèves,  premier  mariage  malheureux  avec  une  femme  malade, 
qui  mourut  trois  ans  après.  Rentré  à  Paris  en  1842,  il  repart  en  1844  ])our  (inichy  et  Cher- 
bourg, après  le  décès  de  sa  femme,  et  se  remarie  en  1845  a\-ec  celle  qui  lut  la  comjiagne 
dévouée  de  toute  sa  vie  et  lui  donna  ses  neuf  enfants.  Après  un  jx-tit  -éjour  au  Ha\re.  il 
revient  à  Paris  et,  en  1849,  fuyant  le  choléra  et  les  discordes  civiles,  il  >e  réfugie,  momentané- 
ment croit-il,  à  Barbizon.  Il  y  demeura  tout  le  restant  de  sa  \-ie.  Le  i)remier  Salon  île  .Millet 
est  celui  de  1840,  a\'ec  un 
portrait.  Jusqu'à  cette 
date  de  1848,  où  apparaît 
le  Vanncui',  la  manière 
de  ;\Iillet  se  présente 
sous  deux  aspects.  Lors- 
qu'il affronte  la  publicité 
des  Salons,  il  reste  dans 
la  vieille  donnée  antique 
ou  biblique:  Tentation  de 
St- Jérôme.  Œdipe  détaehé 
de  l'arbre,  du  Salon  de 
1847.  qui  le  fit  déjà  re- 
mai'quer  de  la  critique: 
Captivité  des  Juifs  à 
Babylone,  exposée  en 
1848  avec  le  ]'anneiir, 
etc.  Dans  lespetitestoiles 
qu'il  produit  pour  la 
vente,  il  reste  sous  l'in- 
spiration mythologique 
duXVIIIesiècle.  Ilsubit 
tantôt  l'influence  de 
Delacroix  et  de  Decamps, 
très    marquée    dans    les 

premiers  sujets,  et  tantôt  de  Dia/.  Celui-ci  l'encourageait  par  son  affection  .idmirative  dans 
cette  seconde  voie,  qui  n'était  pas  sa  voie  \-éritable.  mais  dans  laquelle  il  commençait  à  obtenir 
de  réels  succès.  Cependant,  un  peu  avant  cette  date  de  1848,  il  semble  que  l'amitié  qui 
l'unissait  à  Charles  Jacque  fit  contre-poids  à  ces  premières  influences  et  ramenât  ^lillet  \"ers 
ses  conceptions  naturelles.  .\près  quelques  hésitations,  sensibles  dans  certaines  toiles,  où  il 
traite  des  sujets  de  réalité  rustique,  il  renonça  brusquement  à  ce  qu'on  a  appelé  sa  , .manière 
fleurie"  pour  se  vouer,  dès  1849,  en  face  des  spectacles  grandioses  de  la  vie  des  champs,  qui 
désormais  va  être  de  nouveau  la  sienne,  à  l'exaltation  des  travaux,  des  luttes,  des  peines  et 
des  rares  et  monotones  joies  de  cet  être  qu'il  sent  son  frère,  le  paysan. 

Chercher  dans  l'ieuvre  de  Millet  ce  qu'on  appelle  le  chef-d'ieu\re  est  chose  malaisée: 
dans  le  labeur  considérable  de  cette  existence  si  jalousement  consacrée  au  tra\'ail,  il  n'est 
point  de   pièce   qui  ne  compte.    \'anneur,   semeur,   botteleurs,   paysan   greffant   un   arijre   ou 


(/.l'STAVK    CoCKr.KT 


96 


La  Peinture  au   XIX*^  siècle. 


raïuasscurs  de  ]ii)ninn.'S  ck-  terre.  S'H'deiises  d'oies  nu  tmideurs  de  moutuns,  tueurs  de  codions 
ou  \i^neroiis  au  rei)os;  jjetite  beri^ère  songeuse,  ijui  tricote  en  gardant  ses  ouailles,  pâtre 
méditatif  appuyé  sur  son  bâton,  au  milieu  de  ses  troui>eaux,  dans  la  solitude  de  la  lande  et 
le  silence  de  la  nuit:  mères  ])ensi\"es  iienchées  sur  les  berceaux,  ménagères  diligentes  occupées 
aux  soins  de  la  maisomiée,  toutes  ces  ligures  et  toutes  ces  scènes  s'impriment  dans  le  sou\'enir 
a\'ec  la  ])uissance  de  t\"pes  et   de   table. lux   inoubliables. 

Les  (,iiiin-iisi-s  sont  entrées  au  Lou\re  }iar  le  legs  de  M"^'^  Pommery,  de  Reims.  Elles 
apparurent  au  Salon  de  1S37.  Mcdgré  l'estime  croissante  cjn'il  s'attirait  chaque  année  dans 
resjij-it   d'un   jiublic   d'élite.    Millet    était   encore   \ivement   discuté  et   sa  situation  matérielle 

demeurait  tout  à  fait  pénible.  Les 
(i/cinciiscs  lui  amenèrent  une  sorte 
(le  relè\-enient.  du  ukjIus  moral,  par 
le  succès  jilus  ét(-ndu  qu'elles  obtin- 
rent. Car.  pour  le  prix(iu'ilentr(nu-a, 
il  fut  asse^  médiocre;  il  les  vendit 
a\'ec  peine  2.oon  francs,  à  M.  Binder, 
de  risle-.\dam. 

La  critique,  d'ailleurs,  fut 
.issex  partagée.  Paul  de  St-Victor,  qui 
montrera  en  maintes  circonstances 
-^i  ]ieu  de  clair\oyance  à  l'égard  de 
Millet,  distnigue  bien  dans  ces  trois 
ligures  de  pauvresses,  l'influence 
de  .Michel-.\nge.  mais  c'est  pour 
rn  faire  un  crime  à  l'artiste.  Millet 
en  effet,  fut  de  très  bonne  heure, 
alors  c]u"il  allait  au  Louvre,  étudier 
les  dessins  des  maîtres,  impressionné 

LWtelier;   fragment  (Cullection   Desfossés).  J^ar  la  manière  puissautC  et  la  visloU 


Gustave  CouKBEr. 


Ecole    française 


97 


austère  du  grand  tl<irfntiii  ;  iiiai>  la  ^raiidi'ur  (•piiiuc  de  ses  personnages  n"est  point  faite 
d'amplification  ni  de -grandilo(|ucn(c,  elle  e>t  faite  de  ^implication  et  de  conviction,  et  Ton  ne 
j)eut  voir  de  spectacle  à  la  foi>  |>lus  grantluKe  et  plu-,  >impli'  (pie  celui  de  ce>  troN  fennnes, 
courbées  sur  les  éteules.  dans  la  large  hmuère  ditluse  du  jour.  D'autres  écri\-ains.  par  contre, 
soutinrent  l'artiste,  et  .Ma.xniie  Du  Cami)  écri\ait  ces  mot-,  qui  (le\aient  aller  au  cour  du 
peintre;  ..Je  cniis  qui'  la  bonne  foi  en  |)einture  a  été  rarement  p(ju»ee  au->i  loin,  ("est 
lionnête  et  franc  comme  du   bon   pain   bi>'". 

UA>igclns  est.  dans  l'ieuvre  de  Millet,  la  plus  popul.nre.  l.e  coté  >enlunental  inhérent 
à  ce  sujet  y  a  contribué.  Millet  s'est  point, int  toujours  défendu  d'emiilovi'r  ces  moveiis  faciles. 
Mais,  ici,  il  avait  cru  ])ou\(ur  exprimer  cette  , .nuance  d'émotion  particulière,  comme  l'écrit 
M.   Henry  Marcel,   l'espèce  d'attendrissement   instinctif,   qui  doit    saisir  iiarfois   aux  champs 


AVI    C.  Titiu  I.      -   Vcuus  et   PsvL-lii 


les  plus  frustes  natures,  à  l'audition  lointaine  de  ces  cloches,  ([ui  ont  annoncé  leur  entrée 
dans  la  société  chrétienne  .  cèlébie  leur  mariage,  pleuré  la  mort  de  leurs  proches,  et  sonneront 
leurs  propres  funérailles".  Il  fut  acquis  par  l'intermédiaire  du  marchand  belge,  .\ithur  Ste\'ens, 
frère  du  peintre,  par  M.  win  l'raet.  Mnustre  de  Belgique,  dont  la  collei-tiou  fut  célèbre.  De 
là,  elle  passa  à  M.  John  W'ilson.  puis  à  .M.  Secrétan  en  1881.  .\  la  dispersion  de  cette  collection, 
en  1889,  x\ntonin  Proust,  député,  pritsur  lui  de  pousser  les  enchères  au  heu  et  place  des  ;\Iusées 
Nationaux  et  ce  tableau  lui  fut  adjugé  au  {)rix  de  582.650  francs.  Celte  .icquisition  ne  fut 
pas  ratifiée  par  le  gouvernement.  Le  tableau,  acheté  par  un  Américain,  fut  luoinené  à  travers 
les  Etats-Unis,  puis  acc]uis  jnir  M.  Chauchard  au  prix  de  800.000  francs. 

Le   Pavsai!  appitxc  sur  sa  Imite  fut  exposé  au  Salon  de  1S63.    I)e])uis  deux  ans.  Millet 
se  trouvait  libéré  momentanément,  par  un  contrat  avec  Arthur  Stevens.  des  soucis  d'argent. 


98 


La  Peinture  au  XIX*^^  siècle. 


(jui  rongeaient  sa  \'ie.  Il  p(.>u\-ait  se  laisser  aller  entièrement  à  touti^s  les  hardiesses  de  sa 
pensée  et  traduire  enrin  cette  âpre  figure  du  paysan  ..tout  erréné.  dunt  on  a  entendu  les  han 
depuis  le  matin,  qui  tâche  de  se  redresser  un  in>tant  i)our  souttler"".  L'Homme  à  la  houe  a 
fait  couler  beaucoup  d'encre.  On  Ta  rapproché  justmient  du  célèbre  passage  de  Labruyère: 
,,l.'on  \()it  certains  animau.x  l'arouches.  des  maies  et  des  femelles,  répandus  par  la  campagne, 
noirs,  livides  et  tout  brûlés  de  soleil  ....""  La  bataille  fut  .icharnée  entre  les  partisans  et  les 
détracteurs  de  Millet.  Cette  image,  sauvage  et  poignante,  fut  de  celles  qu"on  considéra  comme 
un  manifeste  pohtiipie  et  social,  ^lillet  s'en  défendit  près  de  son  ami  Sensier,  dans  une  lettre 
admirable:  ,.0n  ne  [leut  donc  pas  admettre  tout  simplement.  écri\'ait-il.  les  idées  qui  peuvent 
\'enir   à   l'esprit    à  la  \'ue  de  l'honune    \'oué  à  gagner  sa  \ie  à  la  siicitr  de  son  jrunt.    Ce  n'est 


(UblAVK    ('iiLiRlllil  . 


ilu   l'iiits   noir  (.Musée  <lu  Louvre). 


pas  de  mon  invention,  et  il  y  a  longtemps  que  cette  exjiression  ..le  cri  de  la  terre"  est  trouvée". 
h'Homme  à  la  hotte  awiit  été  payé  2.000  francs. 

La  Baigneuse,  gardant  ses  oies,  qui  s'allonge  au  bord  de  la  rivière,  son  jeune  corps 
tout  nu,  en  tâtant  l'eau  de  ses  pieds,  fait  un  contraste  singulier  avec  le  précédent  ouvrage 
et  montre  quelle  pouvait  être  la  sensibilité  du  maitre  devant  toutes  les  formes  de  la  beauté. 
Un  souvenir  du  temps  où  il  peignait  les  nymphes  et  les  naïades  semble  a\dir  conduit  son  pinceau. 
Le  Printemps,  peinture  décorati\"e,  date  de  1865.  C'est  un  ixameau  qui  a\"ait  été  commandé,  avec 
l'Eté  et  L'Hiver,  pour  la  salle  à  manger  d'un  amateur  cd>acien.  M.  Thomas,  de  Colmar.  Il 
appartient  aujourd'hui  à  M.  Durand-Ruel.  Millet  >'inspirait.  pour  ses  décorations,  des  grands 
italiens  qui  ont  cou\'ert  les  nuns  de  Fontainebleau,  mais  il  garde,  dans  ce  genre  nouveau  pour 
lui,  et  où  il  sendilercUt  devoir  être  embarrassé,  une  grâce  antique  et  comme  prud'honnienne. 


É 


cole 


fr: 


incaise. 


99 


Ouant  au  pa\->,igi'  du  I'nnttiiif)s.  il  aiipai  tient  aux  (Icrnu'-rcs  aimées  de  la  vie  du 
maître;  il  fait  partie 'd'un  ensemble  de  cnnunandes  exécutées  ])our  M.  Hartmann,  de  Munster, 
qui  a  légué  ce  chef-d'a-uvre  au  Louvre,  ("est  ime  incomparable  symphonie  natur.diste;  elle 
dit  toute  la  magnificence  tragique  de  l'orage  et  toute  la  .tzrace  des  ])etites  ili-ur>  (pu  -^'ouvrent 
au  bord  des  sentiers.  C'est  là  qu'on  comprend  cette  ])liraM-  d'une  lettre  de  Millet:  ,.I1  en  est 
qui  me  disent  que  je  nie  les  cliarnu-,  de  la  caiiqiagui-.  J'\-  tnnue  bien  \A\\~.  cpu-  des  charmes, 
d'infinies  splendeurs.  J'y  voi>.  tout  comme  i-ux.  le>  petib's  lleur>  dont  le  Chri-t  disait:  .,Je 
vous  assure  que  Salomon.  même  dans  toute  sa  gloire,  n'a  jamais  été-  \etu  comme  l'une  d'elles." 
Je  vois  très  bien  les  auréolo  de-,  |)i-,seiilit>  et  le  soleil  qui  étale.  là-ba>.  bien  loin  par  delà  les 
pa\-s,  sa  gloire  dans  les  nuages".   Millet  est  mort  le  20  jan\-ier  1S75.   Il  a\-ait  été  décoré  en  1868. 

Le  grand  mérite  de  ^lillet  près  de  la  postérité  et  son  action  sur  elle  i)roviennent  donc 
de  ce  qu'il  a  été,  sans  esprit  de  protestation  ni  de  revendication,  tout  >imiileinent.  par  ses 
origines  et  sa  propre  mentalité,  l'homme  de  son  lemre.  La  grande  force  de  Courbet  près  de 
ses  contemporains,   ce   qui   en    ht  le  chef  du  niotn'ement  nouveau  ([ni  se  dessinait.  1  'est  (|n'il 


prétendit  résumer  dans  son  art  toutes  les  théories  artistiques.  ]ihilosoplii(Hies.  jx.ilitiques  et 
sociales,  qui  couraient  les  tavernes,  qu'il  se  plut  à  froisser  le  sentiment  public  et  à  rechercher 
une  impopularité  qui  imposait  son  nom  aux  foules.  Il  in\-enta,  ou  du  moins  il  incarna,  le 
réalisme.  Affichant,  par  principe,  qu'il  ne  fallait  faire  (.pie  d(.'  l'art  \i\ant.  m-  représenter  que 
les  choses  que  l'on  a  vues,  il  déclarait  que  son  art  était  un  art  xoloiitaire.  m:ithématique.  de 
raisonnement  et  de  logique.  Il  fut  jiris  au  sérieux  par  Proudhon.  ipii  en  lit  le  peintre  sui\ant 
sa  doctrine.  Ce  grand  hâbleur  était,  jiar  bonheur,  un  artiste  ou  pluti'it  un  peintre  doué  d'une 
puissance  prodigieuse  de  vision  et  d'exécution.  Dans  la  période  de  pratiques  troubles  et  de 
louches  compromis  entre  toutes  les  anciennes  formules,  il  centralisait  les  efforts  de  ses 
devanciers  obscurs  ou  hésitants,  il  ramenait  aux  saines  et  vigoureuses  traditions  du  passé, 
tout  en  se  donnant  des  airs  de  les  combattre.  Car  il  connaissait  mieu.x  le  Louvre  et  les  maîtres 
du  passé  qu'il  ne  voulait  le  laisser  croire,  et.  dès  son  arrivée  à  Paris,  il  copiait  attentivement 
Rembrandt  et  Franz  Hais,  ^'an  D\ck  et  ^'élasquez  et.  iustiu'.iu  Luxembourg,  Delacroix  et 
même  Schnetz.  Gustave  CorRiuii  est  né  à  Ornans  (Doubs)  le  10  juin  iNk).  dans  une  famille 
de  propriétaires  fonciers,  qui  a\ait  (.pielque  aisance,  et  dans  un  milieu  de  xignerons  comtois. 
Il  garde,  lui  aussi,  les  traces  indélébiles  de  ses  origines,  qui  domieut  leur  grande  unité  à  son 


oo 


La  Peinture  au  XIX*"  siècle. 


(L'iuTC.  A]n"ès  d'assez  médiocres  études  au  Séminaire  de  I-icsanedii.  quelques  premiers  tra\'au.\ 
dans  sa  \'ille  natali'.  nù  il  trnu\'a  des  encduraf^ements.  il  partit  ]i(>ur  l'aiis,  reçut  quelques 
conseils  de  A.  Messe,  mais  tra\ailla  surtout  seul.  de\ant  la  n.iture.  en  s'aid.mt  des  maîtres. 
De  1844  à  1848.  il  e.xjiosa  aux  Salons  des  morceau.x  d'une  inspiration  .issez  incohérente:  sujets 
de  réalité  dans  lescpiels  il  eonunence  à  se  prendre  complaisanuuent  [lour  modèle,  compositions 
romanticiues  ou  .dl(''i;ories  fumeuses,  sans  ])arler  des  tableaux  refusés,  ce  qui  f.iit  i|n"il  prend 
déjà  au  séneu.x  son  rôle  de  futur  révolutionnaire,    lui   1841),  .i\-ee  le  doiuci  iicment  nou\-eau 

it  le  iur\-  élu  par  les  artistes, 
C  ourliet  put  exposer  sept 
toiles,  parmi  lesquelles  figurait 
L\\  l^rcs-diiii'c  d'Oi'iuiiis.  du 
Musée  de  Lille,  >on  premier 
clief-d'(eu\re.  Mn  1850,  enhar- 
di par  ses  succès',  —  médaille 
et  acquisition  par  Tl^tat  — 
il  SI'  lança  résolument  dans 
des  i)eintures  qui  étaient,  elles, 
de  N'éritables  manifestes.  Il 
eut  le  succès  et  le  scandale 
(pi'il  attendait,  car  il  ne  sépa- 
r.iit  pas  l'un  de  l'autre.  Le 
S. lion  de  1850  comprenait,  en 
effet,  huit  tableau.x,  paysages, 
portraits,  scènes  composées, 
l>armi  lesquelles  deux  ouvra- 
ges des  plus  significatifs:  les 
(\issriti's  de  pierres  et  flintcr- 
reuieiit  d'Onuins.  Ce  premier 
t.dileau.  tpii  est  entré  au  ^lusée 
de  Dresde,  au  prix  de  50.000 
francs  en  1904,  à  la  vente 
j-îinant,  où  le  I,ouvre  ht  un 
\',iin  eiïnrt  pour  l'acfiuérir.  fut 
inspiré  à  (durbet,  fortuite- 
ment, sans  idée  présumée  de 
protestation  politique,  par  une 
scène  réelle  dont  il  fut  frappé, 
un  jour,  sur  une  route  de  son 
pa\>.  11  fait  aussitôt  poser  les 
deux  personnages:  le  vieillard 
coiirlié  sur  son  trawul.  la  iiia>se  en  l'air  et  le  jeune  homme  dépenaillé  portant  un  panier  de 
pierres  cassées.  (  (Hirhef  a\'ait  été  saisi  jiar  ce  mél.inge  de  pittoresque  et  de  misère.  On  lui 
imputa,  dans  son  entourage,  des  idées  politiciues.  Il  com]>rit  aussitôt.  a\-ec  ce  génie  prodigieux 
de  hâblerie  qui  de\ait  faire  son  malheur,  le  ]iarti  qu'il  en  ]iou\ait  tirer:  dès  lors  il  fut  le 
peintre  de  la  (|iiestion  sociale. 

L' Eiiterreiiieiit  d'Onuiits.  s'il  n'ét.iit  pa>  un  manifeste  |)oliti(iue.  était  un  manifeste 
artistique.  Cette  puissante  et  magniiiiiue  toile,  qui  témogine  d'une  indépendance  de  \'ision 
et   d'une   \-aillance  de  pratique  extraordinaires,  l.ioulex'ersa  tout  le  monde  et  même  beaucoup 


CamiijJ'    Riic.iUKriAN-  —   La  Fnnta 


.lu   gi-aiia   ligiiie 


xole 


frr 


ancaise. 


lOI 


des  amis  du  peintre.  Paul  .Mantz.  pouvait  dire  avec  raison  (pie  cY-tait  ..les  colonnes  d"Hercnle 
du  réalisme"".  qu"on.ne  pouvait  pas  aller  plus  loin.  Sur  l'instant,  et  étant  donné  le  miiiieu 
aveuli  des  expositions,  cette  mâle  peinture,  sans  réserve,  sans  retenue,  ejui  prenait  même  un 
malicieux  plaisir  à  étaler  toutes  les  médiocrités  grotescpies  de  la  \-ie  de  petite  province.  de\'ait 
faire  une  tache  brutale.  Elle  ne  pouxait  attirer  (}u"un  ])etit  nombre  d'esprits  clairvoyants 
et  devait  révolter  tous  les  autres.  La  composition  est  sans  artifice.  Elle  groujK;  simplement 
autour  d"une  fosse  le  curé  du  village,  les  bedeaux,  les  chantres  awc  leurs  toques  et  leurs  robes 
rouges,  les  porteurs,  la  famille  et  les  amis,  c'est-à-dire  près  de  cimiuantc^  portraits,  tous  sur 
nature,  des  habitants  d'Ornans.  Cet  enterrement,  on  le  voit,  n'était  (jne  le  prétexte  à  sortir 
toute  la  défroque  colorée  de  la  sacristie  en  la  joignant  aux  beaux  noirs  des  \'êtements  de 
deuil,  sous  l'effet  d'un  simple  et  grandiose 
pa\-sage.  L'accord,  si  difficile  à  obtenir 
entre  tous  ces  éléments,  est  complet.  Aussi 
l'intîuence  de  ce  tableau  fut-il  considérable 
sur  l'école.  Huit  ou  dix  ans  plus  tard,  les 
jeunes  réalistes  qui  se  grouperont  autour 
du  maître,  les  Fantin.  les  Legros.  les 
Whistler  y  puiseront  leurs  premiers  en- 
seignements et  on  \'  retrouve  les  origines 
de  générations  plus  lointaines  comme  celles 
des  Simon  et  des  Cottet. 

L'Atelier  date  de  1855.  Courbet  se 
dépêcha  de  le  terminer  en  \'ue  de  l'Expo- 
sition L'niverselle.  Il  calculait  quil  n"a'\"ait 
mis  que  deux  jours  par  5)ersonnage  sur 
les  trente-trois  que  contient  le  tableau.  Il 
l'envoya  à  rExposition  avec  rEnterremcnt 
d'Ornans  et  un  certain  nombre  d"autre> 
toiles.  Le  jury  accepta  tout  sauf  les  deux 
superbes  envois.  Courbet  se  résolut  alor> 
à  organiser  une  exposition  privée,  accolée 
aux  bâtiments  de  TExposition  l'niverselle. 
sur  un  terrain  loué  Avenue  Montaigne, 
avec  ce  titre  sur  la  porte:  Le  Réalisme. 
G.  Courbet.  Exhibition  de  40  tableaux  de 
son  œuvre.  Les  discussions  furent  violentes 
autour  de  ces    ouvrages    et    Courbet    les 

avait  alimentées  par  toutes  les  prétentions  qu'il  a\ait  introduite^  dans  son  dernier  tableau. 
Car  l'Atelier  était  ce  qu'il  appelait  ,.une  allégorie  réelle",  déterminant  une  phase  de  sept  années 
de  sa  vie  artistique.  Il  avait,  à  cette  intention,  groupé  sans  grande  cohésion,  autour  de  sa 
propre  personne,  occupée  à  peindre  un  pavsagc,  tandis  qu'un  modèle  nu  le  contemple,  une 
trentaine  de  figurants,  soi-disant  s\'mboliques.  qui  représentaient  s(jit  les  amis  qui  axaient 
encouragé  son  leuvre:  Baudehiire.  Bruyas.  Ch.imptleury.  soit  les  sujets  qu'il  avait  traités:  un 
braconnier  indique  les  sujets  de  chasse,  une  irlandaise  l;i  misère:  soit  les  différentes  catégories 
de  personnages  qui  se  rencontrent  dans  la  vie:  un  juif,  un  x-igneron.  un  paillasse,  un  croque- 
mort,  un  peintre,  un  enfant:  soit,  encore,  à  droite,  un  groupe  d';unateurs  mondains.  Courbet 
montrait  par  là  la  pauvreté  de  sa  jjhilosophie  et  la  richesse  et  la  puissance  de  sa  palette.  Cette 
œuvre  le  classa   prè>   des  esprits   clairvoyants  et   de   bonne   foi.    Il   n"\-  a  qu'à   lire,   dans  le 


.AiiOLi'llE-I-'KI.lx  C.xT  ^.   —   Ml-ic  et  Enf.ml. 


I02 


La  Peinture  au   XIX*"'  siècl 


e. 


journal  de  Delacroix,  l'impression  produite  siu'  le  niaitre,  (]ui  déclare  n'a\'oir  pu  ..s'arracher 
à  cette  vue".  Cette  incomparable  toile,  où  Courbet  a  mis  tout  la  vigueur  et  aussi  toute  la 
délicatesse  de  son  tempérament  de  peintre  supérieur,  appartient  à  M'"»?  \'^'<"  Desfossés,  qui  l'a 
rachetée  à  la  vente  de  la  collection  de  sou  mari,  où  le  Lou\rr  avait  poussé  l'enchère  jusqu'à 
soixante  mille  francs.  Le  regretté  amateur  l'axait  acquise  dans  des  circonstances  assez  cu- 
rieuses. A  ce  moment  cette  toile  n'était  pas  considérée  à  son  juste  mérite;  elle  était  convoitée, 
à  l'occasion  d'une  x'ente  publique,  juir  des  marchands  qui  espéraient  en  tirer  parti  en  la 
morcelant.  M.  Desfossés  assistait  à  la  vente  avec  son  ami  Lut/.  Celui-ci  lui  lit  observer  que 
C(^tte    comjiosition  ferait  un  admirable  ridi^iu  pour  la  scène  cju'il  faisait  établir  diins  sa  galerie 

en  construction.  M.  Desfossés  se 
r.illia  aussitôt  à  cette  idée  ingé- 
nieuse, ac(|uit  le  tableau  et  le  sauva 
ainsi  d'une  destruction  certaine. 

Dans  cette  toile  de  l'Atelier, 
le  nioree.iu  du  modèle  nu  est  d'une 
IxMUte  et  d'une  distinction  assez 
r.ircs  daii^  l'u.-ux're  du  grand  réaliste. 
Le  \ii  [lourtant  l'a  hanté  maintes 
fois:  la  toile  de  l'âius  et  Psyché 
montre  iiu'il  n'y  a  pas  été  ime  fois 
heureux  }iar  hasard.  Il  attribuait 
encore  à  cette  comjiosition,  suivant 
son  incorrigible  tra\'ers,  une  signi- 
licition  ]>hilosophique  et  niorale  ; 
mais  si  en  lui  le  philosophe  était 
tout  superficiel  et  artihciel,  le  peintre 
et, lit  solidement  constitué  et  ne 
s'oceui),ut,  fort  matériellement,  que 
de  la  realité  des  formes.  Ici  même 
elles  sont  d'une  belle  plénitude,  et 
g.irdent  cette  grande  tenue  d'art  (jui 
est  le  style.  Ce  tableau,  exécuté  en 
i(S64.  ne  put  être  jirèt  pour  le  Salon 
de  F, iris  et  fut  exjiosé  à  celui  de 
hîruxelles. 

Courbt't.  comme  paysagiste, 
n'a  jamais  été  contesté.  C'est  sur 
ce  ])oint  (jue  les  pusillanimes  affec- 
t. lient  de  lui  témoigner  leur  admira- 
tion, pour  avoir  le  droit  de  condamner  plus  sévèrement  le  reste  de  son  <eu\'re.  C'est  sur  ce 
point  également  que  ses  amis  lui  reprochèrent,  plus  tard,  ses  concessions  au  goût  du  public, 
lorsqu'il  parut  fatigué  des  fanfaronnades  de  Courbet  et  que  celui-ci  renonça  pour  quelque 
temps  à  ses  frgures.  Il  n'apporte,  en  effet,  dans  ce  mode,  aucune  de  ses  violences  ni  surtout 
aucune  de  ses  prétentions  symboliques  et  propagandistes.  Ses  marines  de  Troinille,  ses  bords 
de  la  Loire,  ses  environs  d'Ornans,  jouent,  de  leur  côté,  un  rôle  capital  dans  l'histoire  du 
paysage.  Whistler  imita  les  premières,  et  les  impressionnistes  comme  !Monet,  Cézanne  ou 
Pisarro  s'inspirèrent  longtemps  de  la  pratique  robuste  des  autres.  Le  Ruisseau  du  Puits  noir, 
aujourd'hui  au  Lou\-re.  après  être  resté  une  quinzaine  d'années  au  Luxembourg,  date  de  1865. 


HONliKÉ   1  i.\i'mii:r. 


L'.Ani.iteui" 


Ecole  française. 


lO 


C'est  un  de  ses  paysages  les  i)lus  luimides  et  les  plus  frais.  Il  a  fait  maintes  rééditions  avec 
modifications  de  ce  motif.  La  tin  de  la  carrière  de  Courbet  fut  fort  agitée.  Par  la  folie  orgueilleuse 
de  jouer  un  rôle,  il  s'était  de  plus  en  plus  fourvoyé  dans  la  politicpie.  Sous  l'Empire,  il  a\-ait 
hautement  refusé  la  croi.x  de  la  Légion  d'honneur.  Après  les  événements  de  1870,  il  se  mêla 
aux  hommes  de  la  Commune.  Comme  il  faisait  jjartout  plus  de  bruit  cpie  tous  les  autres,  il  fut 
particulièrement  compromis,  accusé,  injustement  semble-t-il,  d'avoir  i)articipé  au  renversement 
de  la  Colonne  \'endôme,  condamné  à  six  mois  de  prison,  500  francs  d'amende  et  aux  frais 
du  procès.  Plus  tard,  ses  ennemis  s'acharnant  après  lui,  tirent  saisir  tous  ses  tableaux  pour 
•payer  les  frais  de  reconstruction  de  la  Colonne.  Il  dut  s'exiler  en  Suisse  en  1873,  et  mourut 
à  la  Tour  de  Peilz,  près  \'evey,  le    ;i  décembre  1877. 


Honoré  DaI'MIKR.  —  Le   W.itjon  de  troisième  cl.isse. 

Entre  Millet  et  Courbet  il  est  une  figure  intermédiaire,  qui  est  loin,  certes,  (i'ax'oir 
dans  l'histoire  leur  importance  initiatrice  et  leur  portée  exceptionnelle,  mais  qui.  peut-être, 
par  le  caractère  même  de  son  talent,  a  le  plus  fait  pour  répandre  dans  le  grand  jniblic  ce 
goût  des  sujets  rurau.x,  dont  il  était  détourné  par  tous  les  préjugés  causés  par  l'austérité  du 
premier  ou  l'intransigeance  du  second.  C'est  Jules  Breton.  Il  est  né  à  Courrières  (Pas-de- 
Calais)  le  i<^''  mai  1827.  Après  avoir  étudié  en  Belgique  près  du  peintre  gantois  De  \'igne,  dont 
il  devait  épouser  la  fille,  il  vint  à  Paris  en   1S47  et  entra  à  l'atelier  dr   Drolling. 

Son  premier  Salon  date  de  1849,  et  il  s'y  montra,  lui  aussi,  avec  des  sujets  roman- 
tiques et  pathétiques:  Misère  et  désespoir.  Le  pain.  M.iis.  né  dans  un  milieu  libéral,  il  fut  très 
sensible  aux  idées  et  aux  événements  de  184S,  et  il  e>t  un  de  ceux  qui?  le  mouvement  démo- 


104 


La  Peinture  au   XIX^  siècle. 


M  11  ■..■.■  .lu   I.uxen.liou 


l't  la  maniiTf  pittnresque.  du  rythme  des  litjne^ 
]irenait  pcnir  le  style.  Poète  a\"ec  la  brosse,  il 
le  fut  aussi  avec  la  plume  et  il  a  publié  des 
romans,  des  souvenirs  et  des  \'oliuiies  de  vers 
très  estimés.  Son  frère  Emile  a  été.  lui  aussi, 
un  pavsagiste  de  talent  poétique,  et  sa  tille, 
Madame  Deniont-Breton.  s'est  fait,  à  côté  de 
>nn  mari,  le  peintre  .\drien  Demont.  un  nomtrès 
populaire  comme  peintre.  Jules  Breton,  dont 
rieu\'re  est  très  a]ipréciée  jusqu'en  .\méricjue, 
où  elle  atteint  de  très  hauts  pri-\.  était  membre 
de  l'Institut  depuis  iS86.  et  Commandeur  de 
la  Légion  d'honneur  depuis  1885. 

Dans  le  nombre  des  artistes  clair- 
\-oyants,  qui  ont  préludé  au  dé\"eloppement 
artistique  de  la  deu.xième  moitié  du  XIX'^^ siècle, 
hi  plupart,  on  ne  sait  [lar  quelle  injustice  du 
sort,  sont  restés  obscurs  ou  méconnus.  Le 
Lu.xembourg  s'est  peut-être  un  peu  prc-ssé  de 
les  en\"uyer  en  province.  La  spéculation  s'étant 
portée  sur  les  grandes  figures,  à  un  moment  ou 
les  plus  illustres  romantiques  tni  naturalistes 
étaient  cL\ns  toute  leur  gloire,  ils  disparurent 
peu  à  peu  de  la  circulation.  On  ne  \'oit  plus 
pa>ser   (lue    de    loin    en    loin,    dans    les    \'entes 


i  raticpie  ramena  vers  le 
lieu  de  ses  origines,  sinon 
pojiulaires,  du  moins  semi- 
rurales.  11  peignit  donc,  dès 
183  ],  un  Retour  des  Mois- 
sonneuses et,  en  1855,  cette 
Ile  II  édiet  ion  des  Blés,  acquise 
par  l'Etat  pour  5000  francs, 
placée  au  Lu.xembourg  et 
qui  est  demeurée  son  œuvre 
la  plus  saine  et  la  plus  sim- 
ple. Jules  Breton  consacra 
toute  sa  carrière  à  la  glori- 
fication de  la  vie  des  champs, 
continuant  la  tradition  de 
Léopold  Robert  pour  lequel 
il  professait,  d'ailleurs,  une 
admiration  éclairée,  par  un 
compromis  entre  le  natura- 
lisme et  la  tradition,  un 
souci,  qui  l'entraîne  parfois 
dans  l'affectation  poétique 
de  la   \'ibration  des  harmonies,  de  ce  quMl 


.\l.i  REii  DehouenCij.  —   Fête  juive  au   Maroc 
(Musée  de  Poitiers) 


E 


cok! 


fn 


mcaisc. 


lo: 


])ubliques,  et  ce  n'est  plus  s,nière  (jue  dans  les  nnisées  des  dép.irlenients  (lu'i)n  pt-ut  étudier 
des  artistes  comme  Jeanron.  Luuhon.  le  i)rovençal  (jui  a  fondé  l'école  marseillaise,  (niignet, 
Guillemin,  Lessore.  \'erdier.  Antijiiia.  lui.  I'>ère.  Fortin,  (kirbet.  Hatïner.  etc.  Le  Luxembourg 
en  a  sauvé  quelques  uns  connue  les  frères  .\rmand  et  .\dolplie  Leleux.  Hédouin,  .Amand 
Gautier,  Gustave  Colin,  et  surtout.  Cals,  Daumier,  Dchodencc]  et  Bonvin.  les  trois  premiers, 
qui  ont  été  rejoindre  an  Mu-^ée  du  Louvre.  Servin.  entré  depuis  peu.  Ces  derniers  noms 
ont  une  signification  tmite  particulière.  Le  brave  .Adolphe  Féli.k  C.\ls.  né  à  Paris  le 
1/  octobre  1810.  mort  le  j  octobre  1880.  mérite  une  attention  tnutt-  syiniiatliitiuc.  car  cet 
excellent  homme,  bon  (uurier  et  fils  d'ouvrier,  a.  douze  ou  quinze  ans  a\-;uit  Millet  et  Courbet, 
dit,  avec  la  tiédeur  d'une  émotion  simple  et  contenue,  dans  une  atmosiilière  enveloi)pante  de 
tendresse,  les  humbles  joies  et  les  austères  devoirs  des  ces  ..gens  du  commun"  comme  on  disait 


Lel'X  Bellv. 


L.T  .Meciuc  (.Mu=c 


du  temps  de  Chardin,  qui,  trente  ans  après  la  mort  de  Cals,  feront  marcher  le  monde.  .\\"ec 
ses  Vieux  pauvres,  ses  Petits  Vagabonds,  sa  Pauvre  Famille  en  prière,  ses  Liseuses,  ses  Jeunes 
Filles  lisant.  Jeunes  filles  travaillant.  Sollicitude  maternelle,  Jeune  mère  allaitant  son  enfant, 
Education  maternelle,  il  annonce  même,  de  loin,  Legros,  Fantin-Latour  et  Carrière. 


Quant  à  Hoxoré  D.\rMii%K,  né  à  Marseille  le  26  février  180S.  mort  à  \'almondois  le 
II  février  1879,  il  '?*t  remis  aujourd'hui  à  sa  place  au  premier  rang  de  notre  école.  Il  était 
le  fils  d'un  pauvre  vitrier,  commença  par  être  ,,saute-i"uis5eau"  puis  commis  de  librairie,  ht  son 
éducation  tout  seul  et  gagna  d'abord  sa  \ie  comme  lithographe.  Il  a  surtout  été  connu  par 
ses  caricatures,  publiées  dans  le  Charivari,  où  il  créa  ce  tvpe  inoubliable  de  Robert  Macaire. 
A   ce   titre,   sa  gloire  est   incontestable,   mais,   comme   peintre,  il  mérite  d'être  rajiproché  de 

S 


io6 


La   Peinture  au   XIX^  siècle. 


Millet,  car  il  a  fait  pimr  le  menu  peuple  des  villes  ce  que  ce  dernier  a  fait  pour  le  peuple 
des  campagnes.  Il  est  essentiellement  peintre  par  sa  palette  rousse  et  chaude,  mais  riche 
et  profonde.  Comme  peintre,  Daumier  a  exposé  au  Salon,  dès  184g,  a\ec  une  interprétation  de  la 
fable  de  La  Fontaine:  Le  Meunier,  sou  Fils  et  l'âne,  acquise  pour  le  Luxembourg  à  la  vente 
Doria  et  placée  aujourd'hui  au  Louvre.  L'Aiiuiteu)'  est  un  type  de  la  rue,  comme  il  s'en  trouvait 
beaucoup  jadis,  alors  que  les  quais  offraient  leurs  étalages  d'estampes  en  plein  \-ent  et  que 
les  boutiques  s'ouvraient  avec  leurs  empilements  de  cartons  où  l'on  rêvait  des  trésors. 
Le  Wagon  de  y  classe,  sujet  repris  plusieurs  fois  par  Daumier,  est  une  de  ces  représentations 
humoristiques  de  personnages  populaires,  dans  lesquelles  l'extraordinaire  observateur  qu'était 
ce  grand  enfant  distrait  et  bien\'eillant  de  Daumier  mettait  toute  sa  féroce  bonhomie. 


\'iie  de  Venise  (Musée  du   Luxembourg). 


François  Bonvin,  lui,  est  un  peu  plus  jeune;  il  est  né  à  Paris,  ou  plutôt  à  Vaugirard, 
comme  on  disait  alors,  le  22  novembre  1817  et  il  est  mort  à  Saint-Germain-en-Laye,  où  il 
s'était  retiré,  le  18  décembre  1887. 

Cals  et  Daumier  trouvèrent  dans  leur  vie  des  protecteurs,  l'un  avec  le  comte  Doria, 
l'autre  avec  Corot,  qui,  on  le  sait,  le  ht  si  gentiment  propriétaire.  La  vie  de  Bonvin,  elle,  fut 
mélancolique  du  commencement  à  la  fin:  d'une  famille  de  robe  et  d'épée,  ainsi  qu'il  disait 
plaisamment,  —  sa  mère  était  couturière  et  son  père  garde  champêtre,  —  il  eut  une  enfance 
assez  pénible  dans  les  milieux  faubouriens  et  se  forma  un  peu  tout  seul.  Il  étudia  d'abord  à 
l'école  de  dessin  de  la  me  de  l'Lcole  de  Médecine,  qui  devait  plus  tard  préparer  une  si  belle 
génération  d'artistes,  et  reçut  les  leçons  de  Granet,  pour  qui  il  professait  une  grande  vénération. 
Pendant  ce  temps  il  gagnait  sa  \-ie  dans  une  imprimerie  —  il  y  resta  onze  ans  —  et  plus  tard 


Hknki  U.\Rrii;N 


hcoK,'   française. 


109 


il   fut   obligé  d'uccfptrr   une  pl.uc  (rin^pcctcur  au  ni;iirlu'  aux  Ims 

pcigiuiit-il  guère  pendant  longtemps  (pir  !,■  matin  de  trùs  bonne  lu 

par  des  effets  de  lam]ie.    11  cxixi^a  ponr  la  pivnurrc  fois  en  i.Sjd.  .1  r 

organisée  par   Bocage,   jiuis,   ru    1.S47.   an   Sahm.   et    il  fut  bientôt 

artistes  et  des  amateurs,  qui,  ]>ourtanl,  ne  |etaicnt  pa^  l'or  a  plein 

ses  tableaux  d'écoles.  d"liô])itaux  ou  de  c(]n\iiit>.  fel>  (|ue  le  l\ii,\/< 

bourg  qu'à  la  \-eille  de  sa   mort;   car  il  ne  fui  pas  gâte  n.m  plu-,  p 

peinture   date   du   Salon   de  i.S;  ;.    Saint-Niclor  ecrnait  d'elle:  ..T 

dégage  de  cette  petite  toile;  c'est  celle  d'nn 

repas  d'Emmaûs:   Jésus  est    là.  iii\-isible. 

derrière  ces  humbles  filles  ix'nétrées  de  sa 

foi  et  dt'  sa  présence".    L;i  cécitt'  le  frap|)a 

à  la  fin  de  sa  vie  et  il  niouriit  ;ui  moment 

cil  les  artistes,  émus  de  sa  triste  situation. 

venaient  d'organiser  une  \-ente  ]Hnir  aider 

ses  derniers  jours.  Il  a  joue  un  certain  n'ile. 

en  dehors  de  son  talent,   d.ms  le  iiiou\e- 

ment  réaliste,  bien  qu'il  se  défendit  énergi- 

quement    contre  cette  qualification  :    c'est 

lui  qui,   le  premier,  conduisit  Courbet  au 

Louvre  et  c'est  par  lui  que  Legros.  ?^intiii. 

Ribot  et  Whistler  furent  mis  en  relations 

avec  le  maître  d'Ornans. 


^liaux  d 

•    l'oissv 

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début  :i 

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dans  le 

monde 

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toiles. 

par 

III  < 

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radministr.it 

ion.     C, 

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iiiipi 

■ssion  SI 

ileimelli 

se 

Alfred  DehodI';^  d  'appartient. 
comme  Bonvin,  à  la  r.ice  de  ces  rt'alistes. 
ardemment  épris  des  grandeurs  et  (les 
beautés  de  la  \-ie.  qui  ne  s'attachent  p;is 
à  traduire  littéralement  les  réalites.  m:iis 
à  recueillir  toute  la  poésie  qui  s'en  di^gage. 
Il  est  né  à  Paris  le  23  a\a"il  iSiJ  et  nu  ut 
dans  cette  ville  le  7  jainaer  i.S.Sj.  11  était 
fils  d'un  ancien  officier  qui  ;i\".iit  démis- 
sionné pour  se  mettre  dans  les  affaires  et 
mourut  jeune.  Ses  études" faites,  il  obtint 
de  sa  mère  de  sui\"re  sa  \-ocation  qui 
l'entraînait  vers  la  peinture  et  il  entr.i  chez 
Léon  Cogniet  en  183g.  Il  exiiosa  ])onr  la 
première  fois  en  1844 et  obtint  une  mi'd.iiUe 
en  1846.  En  1848  il  prit  p;irt  aux  |ournees  de  juin,  fut  bles; 
dans  les  Pyrénées.    De  là  il  eut  \-ite  fait  de  passer  en  Espagn 


lIChl.LI  (.XliDi  l'iih).  —   l'aJincau  (k\  oi.ilil 
(.Xppai-lirnt   a    M.   1  )iuan(l-kllfl  ]. 


au  coude  et  dut  ;iller  se  remettre 
et  ensuite  ail  M  ii'oc.  11  a  exécuté 
dans  ces  deux  pays  des  toiles  cpii  le  classent  comme  un  des  plus  pnis.ints  orient, ilistes  et 
comme  un  des  coloristes  les  plus  suggestifs.  Le  Luxembourg  a  posséd('  la  (Oin-sf  lii  /iiinrdiix.  qui 
est  aujourd'hui  au  Musée  de  Pau;  le  .Musée  de  Poitiers  garde  sa  l-'iii  inivc  ciii  Marac.  du 
Salon  de  1870.  qui  donne,  plus  fi>rtenient  encore  que  ne  l'avaient  f.iit  des  m. litres  tels  même 
que  Delacroix,  la  couleur,  l'accent  t-t  comme  l'odeur  singulière  de  ces  pa\s  exonques.  11  fut 
décoré  à  cette  occasion. 

Dehodencq.  comme  orient;diste,  représente  donc  le  réalisme,  mais  un  réalisme  exinessil  ; 


I  lO 


La  Peinture  au  XIX*^  siècle. 


il  est,  pour  ainsi  dire,  entre  Delacroix  et  Courbet.  LÉox  Belly,  lui,  se  rapproche  des  naturalistes, 
et  il  a,  en  effet,  débuté  comme  élève  de  Troyon.  Il  était  né  à  Saint-Omer  le  23  mars  1827; 
son  père,  officier  d'artillerie,  mourut  de  bonne  heure  et  il  fut  élevé  par  sa  mère,  femme  d'esprit 
élevé  et  de  grande  culture,  qui  avait  quelque  talent  comme  miniaturiste.  Il  s'adonna  à  la 
peinture  a])rès  avoir  passé  ses  examens  pour  1" Ecole  jjolytechnique,  suivant  le  désir  de  sa  mère. 
Puis,  attiré  \-ers  l'Orifiit,  il  jiartit  pour  la  Syrie  en  compagnie  de  j\I.  de  Saulcy  et  de  M.  Edouard 
Delessert.  Il  visita  le  Liban,  la  Palestine,  et  il  exposa  en  1853  ses  premiers  ouvrages:  Environs 
de  Xapluiisc,  et  \'iic  de  Beyrouth,  qui  furent  très  reniar(]ués.  Il  repartit  en  Orient,  mais  cette 
fois  en  l^gvpte  et  il  exposa,  à  partir  de  1857,  des  sujets  pris  au  bord  du  Nil,  qui  le  classèrent 
définitivement  à  un  haut  rang  dans  l'école.    C'est  en  1861  que   s'établit  sa  réputation  avec  un 

groupe  de  tableaux  dont  se  détachait 
magistralement  la  toile  des  Pèlerins 
allant  à  la  Meeque,  qui  figura  longtemps 
au  Luxembourg  avant  d'être  accrochée 
au  Louvre.  Tout  le  monde  connaît  cette 
peinture  saisissante  de  la  caravane, 
s'avançant  de  face,  morne,  sommolente, 
silencieuse,  de  pèlerins  accablés  par  la 
chaleur  ou  engourdis  dans  la  fièvre,  qui 
sont  penchés  sur  leurs  hautes  bêtes 
cagneuses.  C'est  un  spectacle  grandiose 
et  farouche.  Belly,  revenu  en  France, 
tomba  gravement  malade  en  1872  et 
resta  deux  ans  alité.  11  ne  reprit  plus 
qu'accessoirement  ses  sujets  orientaux 
et  travailla  surtout  à  Fontainebleau  et 
en  Sologne,  où  il  avait  ime  propriété. 
Mais  son  nom  restera  surtout  comme 
(irientaliste;  il  a  été  un  des  premiers  qui 
aient  analysé  avec  sagacité  et  rendu 
a\'ec  puissance  les  effets  extraordinaires 
dus  à  la  diffusion  de  la  lumière,  dans 
des  régions  où  elle  se  répand  a\'ec  une 
prodigieuse  intensité.  Il  est  un  précur- 
seur de  ces  peintres  qui,  bientôt,  vont  se 
préoccuper  des  grands  problèmes  pitto- 
resques de  la  lumière  et  de  l'enveloppe. 
Belly  est  mort  à  Paris  en  Mars  1878, 
L'orientalisme,  à  cette  date,  était  particulièrement  florissant.  Le  prestige  de  Delacroix 
était  dans  toute  sa  force:  on  va  chercher  dans  des  pays  plus  neufs,  plus  riches  en  ressources 
pittoresques,  ces  éléments  de  réalité  et  de  beauté,  que  l'on  demandait  jadis  à  l'exotisme  de 
l'Italie.  L'un  des  plus  brillants  coloristes  qui  aient  été  séduits  par  cette  fascination  de 
l'Orient  est  Félix  Ziem,  né  à  Beaune  le  25  février  1821,  qui  est  aujourd'hui,  bien  vivant  dans 
sa  robuste  vieillesse,  le  vice-doyen  des  peintres  français.  Porté  de  bonne  heure  vers  la  pein- 
ture, il  dut  choisir  une  carrière  voisine,  mais  plus  pratique  pour  satisfaire  aux  exigences 
paternelles.  Il  étudia  donc  l'architecture.  En  1839,  il  remportait  les  trois  prix  à  l'École  de 
Dijon  et  obtenait  ainsi  la  bourse  d'études  à  Paris.  Cette  bourse  lui  ayant  été  retirée  à  la 
suite  de  son  attitude  envers  les  autorités,  il  quitte  la  iiKiison  paternelle  et^décide  de  se  rendre 


JVh'/o  Braiin,  CUiiuntJ,'  Cic. 

T.-L.-E.  Meissiinier.  —  Mailame 


Ferriot    (Musée  du  Louvre). 


Kcolc    française 


I  I  I 


à  Rome,  en  gagnant  sa  vie  i)ar  son  lia\ail  tmii  !,•  l,,ng  du  rlirnnn.  11  ani\-e  ainsi  à  Nice, 
après  quelques  mois- de  séjour  à  Marseille  est  patronne  par  le  duc  dr  Devonsliire,  (jui 
s'intéresse  à  ses  aquarelles.  Le  \(iilà  donc  lancé.  Il  |)art  ixjur  Rome  X.ipli-,.  N'cnise  et  c"est  là 
qu'il  se  découvrit.  II  ne  cessa  d"\-  retourner,  am>i  (|u'à  ('oustantmoplc.  et  il  srmhlait  ([ue 
personne  ne  pût  plus  peindn-  \'cni>e  aiirè-,  lui.  t.int  il  l'a  laite  Menu.-.  Le  l.u.\einl)ourg 
possède  deux  exemplaires  de  cette  nispuation.  La  grande  ]'iir  de  \\-iusc.  (jui  a  figuré  au  Salon 
de  1852,  est  peut-être  son  che[-(l'(eii\  re,  comme  elle  i-.t  un  de>  plus  glorieux  morceaux  de 
l'École  contemporaine.  Ziem  oi)tiiit  a\ec  elle  une  première  medailh-.  11  est  oIIk  ier  de  hi  Légion 
d'honneur  depuis  1878. 


Le  marseillais  Montk  iîli.i 
(Adolphe),  né  à  ^Marseille  le  24 
octobre  1824  et  décédé  dans  cette 
ville  le  29  juin  1886,  pourrait  se 
rattacher  à  cette  école.  Connue 
Ziem,  surtout  dans  sa  dernière 
manière,  il  aime  le  papillotage  de 
la  couleur.  Il  se  rapproclie  plutèit. 
cependant,  par  la  technique  et 
l'inspiration,  des  derniers  roman- 
tiques, Diaz  et  Isabey,  par  ce  goût 
de  rêverie  assez  romanesque,  de 
décamérons,  de  fêtes  galantes,  de 
cours  d'amour,  de  sujets  de  la  \ie 
de  château,  qui  le  rattache  crailleurs, 
plus  haut,  à  Watteau.  Ce  fut.  du 
reste,  ce  maître  qui  le  fra])pa  le 
plus  profondément  à  son  premier 
voyage  à  Paris.  Il  v  vint,  après  ses 
études  faites  à  Marseille  sous  la 
direction  de  Loubon.  Avec  Watteau. 
Delacroix  l'attira  de  suite,  ainsi  que- 
Rembrandt  et  les  Vénitiens.  A  Paris, 
il  travaille,  mais  n'expose  pas  au 
Salon  ;  il  est  cependant  coté  par  les 
artistes  qui  le  connaissent  et  il  faut 
bien  qu'il  eût  déjà  quelque  réputa- 
tion, puisqu'il  obtint  pour  l'Impé- 
ratrice une  commande  de  quatre  ] 


(Culk-ctiuii   Wall.ice). 


anneaux  décoratifs.  L'un  d"enx.  reproduit  ici.  .Lpjiartieiit 
à  M.  Durand-Ruel.  C'est,  on  le  \'oit,  une  de  ces  scènes  habituelles.  >aii>  luotil  bien  di-^tmct. 
d'élégances  féminines,  mais  qui  n'oltre  pas  encore  ces  chatoiements  mystérieux,  ces  scintille- 
ments jaillis  de  la  profondeur  de  l'ombre,  ces  sa\'antes  orchestrations,  en  apparence  confuses, 
de  couleurs  voluptueusement  musicales,  ijui  marquent  la  période  de  iS-o  à  1876.  alors  qu'il 
est  revenu  au  pays  natal.  Vers  la  fin,  le  talent  de  Monticelli  s'exaspéra:  sa  santé  s'était  altérée, 
son  cerveau  était  atteint.  Il  contiiuKut,  lU'anmoins,  de  peindre.  C'est  cette  tlernière  m.mière 
qui  a  donné  lieu  aux  plus  odieuses   falsifications. 


Si  Ziem  est  le  vice-doyen,  Hi:xki  11aki'1(,nii;s  est.  lui.  le  do\-en  des  jK^ntres  de  notre 


I  I  2 


La  Peinture  au  XIX'"'  siècle. 


écdle.  Il  est  né  le  2S  juillet  i8i<)  à  \'alencienne>.  Il  fut  élève  d'Achard,  envers  qui  il  garde  un 
S()u\enir  pieusement  reconnais>ant  ;  mais  il  >e  rattachait  au  mouvement  classique,  quoique 
assez  librement,  en  suiwant  la  \(iie  tracée  par  Corot.  Il  était  tils  d'un  grand  ..sucrier"'  du  pays, 
<]ui  \'i}ulait  en  faire  im  ingénieur.  Sa  \'ncation,  pourtant,  ne  fut  point  trop  contrecarrée.  Il 
lut  en\'oyé  à  Paris  et  bientôt  p.irtit  pour  Kome.  Comme  Corot,  de  qui  il  relève  étroitement 
dans  sa  première  manière,  ce  fut  l'Italie  qui  le  forma.  Il  a\ait  exposé  dès  1853,  mais  ce  fut 
en  iSbi  ([ue  son  nom  sortit  de  la  foule,  avec  une  Lisicrc  tic  bois  sur  les  bords  de  l'Aliter.  Il 
fut  médaillé  successi\"ement  en  1866.  1868  et  iSbg.  Décoré  en  1875.  il  reçut  la  rosette 
d'officier  en  18S3  et  la  craxate  de  commandeur  en  kjoi.    11  est  un  des  rares  paysagistes  qui 

.lient  I  il  )tenu  la  médaille  d'honneur.  Il  a  peint 
en  Italie,  sur  la  côte  d'Azur,  d'où  provient 
ce  Soiiveiiir  d'Aiitibcs,  en  Flandre,  en  Au- 
\ergne.  sur  les  bords  de  la  Loire,  à  Paris 
même,  et  surtout  dans  l'Yonne,  où  il  s'est 
li-xé,  l'été,  depuis  plus  de  vingt-cinq  ans. 
Harpignies  est  aussi  célèbre  comme  aqua- 
relliste que  comme  peintre:  sa  manière  est 
l.irge.  décorati\'e,  il  aime  les  silhouettes 
découpées  des  arbres,  à  contre-jour  sur  de 
grands  ciels  lumineux.  En  vieillissant,  son 
exécution  s'est  assouplie  et  enveloppée. 
Comme  le  \ieux  peintre  japonais  Hok'sa'i, 
il  doniii'.  d  son  âge.  une  grande  leçon,  car, 
a  près  de  quatre-\ingt-dix  ans,  il  fait  encore 
des  progrès. 

Lti  réaction  réaliste  ou  naturaliste, 
c  iimme  écri\'ait  Laviron,  que  le  critique 
romb.itif  .innouçait  dès  1833,  allait  prendre, 
presque  au  lendemain  de  ce  jour,  une  forme 
l'xceptionnelle  à  côté  du  développement 
norm.Ll  dont  nous  avons  fait  connaître  les 
principaux  représentants.  C'est  un  nouveau 
témoignage  de  ce  que  la  puissance  d'ime 
forte  individualité  peut  apporter  d'imprévu 
dans  l'histoire  des  arts.  Cette  personnalité 
exceptionnelle,  qui  semble  en  contradiction 
a\ec  son  temps  au  moment  où  elle  paraît, 
est  celle  de  Ernest  Meissonier.  Le  rôle  de  ce 
peintre,  dont  la  carrière  glorieuse  connut  ti.ius  les  succès  et  tous  les  honneurs,  sera  considérable 
dans  la  deuxième  moitié  du  XlXe  siècle.  Elle  s'exercera  dans  im  sens  réaliste  et  documentaire, 
mais  en  une  \'oie.  certes,  tout  à  fait  différente  de  celle  qui  a  été  si  largement  ouverte  par 
Millet  et  Courbet.  Mêlé  au  milieu  romantique.  Meissonier  ht  contraste  aussitôt  avec  ses 
camarades  par  son  horreur  de  l'à-peu-près.  de  l'à-côté.  du  ..chic",  qui  régnait  en  maître  sur 
ces  imaginations  passionnées,  abandonnées  à  des  improxàsations  faciles  et  lâchées.  Et  cela, 
simplement,  sans  idée  de  protestation,  grâce  à  la  constitution  physique  de  son  organe  visuel 
tout  à  fait  prodigieux.  [Il  voit  tout  et  il  a  besoin  de  tout  voir  et  cette  clairvoyance  de  l'ieil 
a  pour  complément  une  étroite  et  scrupuleuse  probité  tjui  a  besoin  également  de  tout  savoir 


T.-L.-E.  Meissonikr. 


I.f  Fumc-ur    ((  ollectiun   M.   V: 


p-colc   française 


I  I 


et  de  ne  rien  laisser  clan>  le  \a,i;ue  nu  l'inderisi,,!,.  H  u'a.  -^ans  d.mte.  à  aucun  degré,  le  sens 
du  mj'stère,  mais  cetfe  soif  ardente  de  vente.  r<' geni.- lait  ddi.mneteté.  de --eience,\le  volonté 
et  de  réflexion,  a  donné  une  impiiUioii  salutanx-  à  rertaiiis  modes  de  la  peinture,  (jui  en  ont  été 
revivifiés:  l'histoire,  qui  sort  des  nxascarades  théâtrales  et  de-  rmuiKi-rie  nulit.iire,  pour  se 
baser  sur  l'étude  des  documents  et  des  monuments  et  s'appuyi-r  sur  la  vie;  le  sfcuye  qui 
renonce  au  ,, sujet"  et  sort  des  niaiseries  sentiment. îles  ou  des  sons-eiilendus  \-aude\illes(iues 
pour  se  renouveler  par  des  (jualités  d'ohserxation  <\\u  le  relèvent. 

Ji;A\-Loris-EKXHST  Mkiss(imi  i<  e>t  ur  a  Lvon  le  21  le\rier  1N15:  il  e>t  iu..rt  dan>  sa 
propriété  de  Poissy  le  ,]i  j.mvier  iSi,i.  H  rtait  fiN  d'un  commissionnaire  eu  deiiieo  coloniales, 
qui  établit  à  P'aris,  dans  le  (|uartier  du  M. irai-,  une  Ixintique  d'é'picerie  et  de  droguerie. 
C'est  là  que  Meissonier  fut  élevé  et  ([u'il  prit  la  Mnuve  de  garçdu  ('■])icier.  ,iprés  toutes  sortes 
de  vicissitudes  scolaires.  Sa  mère,  en  effet,  était  morte  de  bonne  heure  et  >nu  père,  occupé 
à  ses  affaires,  veillait  distraitement  à  son  éducatidii.  Il  lut.  entre  aiiiro  changements,  envoyé 
à  Grenoble  et  mis  en  pension  chez  un  professeur.  c|iii  de\-iiit  plu>  tard  (l(i\-i-ii  de  la  faculté 
et  c'est  là  qu'il  peignit  deux  jinr- 
traits,  dont  l'un,  celui  de  M.  h^erriot, 
est  au  Musée  de  Rouen  et  dont 
l'autre,  celui  de  M»'^  Fcrnot.  ac<]uis 
par  le  Luxembourg  en  iSg  ;,  est 
placé  aujourd'hui  au  Lou\-re.  Ce 
morceau,  remarquable  d'exjiressinn 
et  de  modelé,  simple,  attentil.  fut 
exécuté  à  l'occasion  d'un  séjour 
ultérieur  à  Crrenoble  en  i''~>.î4.  Le 
jeune  artiste  a\'ait  alors  dix-neul 
ans.  Toutes  ses  qualités  futures  \- 
sont  apparentes  avec  une  largeur 
qu'il  n'a  pas  conservée. 

]\Ieissiinier.  juscju'alors.  des- 
sinait en  cachette  de  son  père,  le 
soir,  après  des  journées  passées  à 
faire  des  paquets  de  \'ermicelle  on  t-l,.-i:,  Miissomus.  —  t.,.-  Vin  du  iiû. 

de    bougies.    Il    obtient    enfin    une 

pension  de  quinze  francs  par  mois,  jirend  cjuekiues  leçons  d'mi  ol>Miir  lith(>gr.i]>he  tlii  nom  de 
Julien  Pottier  et.  par  Tony  Johannot.  est  mis  eu  relations  a\"ec  l'éditeur  (uriner.  i)our  qui  il 
fît  des  illustrations  pour  Paul  et  Viri:,tnic  et  surtmit  pour  la  Chnituiicrc  Indienne,  minuscules 
et  admirables  vignettes,  qui.  bientôt,  le  sortirent  de  l'obscurité.  Lu  i'*^  ',4.  il  s't'tail  hasardé 
au  Salon  avec  un  tout  petit  tal)leau  de  Boiiri^ems  /iiviumds.  aujourd'hui  ,1  la  galerie  W.dlace, 
à  Londres,  qui  fut  déjà  remarqué  comme  un   heureux  pastiche  des  maîtres  ancien>. 

Quel  dommage  que  Meiss(.)nier  n'ait  porté  (pie  si  rarement  ses  dons  uniques  sur  des 
réalités  de  son  temps  et  ait  sacrifié  à  la  mode,  régnante  alors,  qu'il  consacra  et  ])erpétiia  par 
son  talent  même,  de  déguisements  du  passé!  Il  reprit,  en  effet,  les  thèmes  de  corps  de  garde, 
de  tabagies,  de  beuveries,  que  les  romantiques  a\-aient  empnmtés  aux  petits  maîtres  flamands 
et  hollandais,  et  il  les  aggrava  avec  ses  suites  de  scènes  Louis  W  ou  de  personnages  du 
XVI^  ou  XVUe  siècles,  mousquetaires,  hallebardiers,  reîtres,  s]i.idassins,  bravi.  Lu  Barricade, 
qui  est  une  scène  vue,  montre  ce  dont  Meissonier  était  capable  dans  ce  sens  nioderiie.  Meis- 
sonier  était,  pendant  les  journées  de  Juin,  capitaine  de  la  garde  nationale,  il  \-it  hii-inènre, 
le   soir,    rue    de    la    Mortellerie,    aujourd'hui   disjiarue,  ce  spectacle  de  décombres  et  de  sang. 


I  14 


La  Peinture  au  XIX'^  siècle. 


Delacroix  en  lut  si  frappé  que  Meissonier  lui  lit  don  de  l'aquarelle  laite  ^ur  nature.  Les  liravi 
font  partie  de  la  collection  Richard  Wallace.  Ce  petit  drame  à  deux  personnages  est  ém(ju\'ant 
par  l'expression  saisissante  des  deux  sinistres  acteurs.  Cette  peinture,  sobre  de  tons,  dans  son 
h.irmonie  de  bruns,  de  bleus  et  de  rouges,  appartient  à  la  période  où  Meissonier  est  dans 
tnute  sa  maîtrise,  sans  tomber  dans  les  excès  de  précision  et  de  fini  minutieux  qu'on  pourra 
lui  reprocher  plus  tard.  C'est  le  moment  où  sa  célébrité  C(jmmence  et.  deux  ans  après, 
TEmpereur  lui  commandera  la  A'/.vc,  pour  l'offrir  à  la  reine  \'ictiiria.  Il  était  d'ailleurs  décoré 
depuis  1846.  Les  Uravi,  exposés  au  Salnn  de  185  ;,  furent  ac(|uis  par  le  marchand  .Arthur 
Stevens  pour  <Soo(i  francs  et  vendus  28000  au   ^lar(|uis  d'Hertfnrd. 

Le   l'umcnr.    reproduit    ici,    \'a    à    s(Hi    tour  entrer  tlans  une  collection  publique  par 


Ferdin'AXIi  BiiISSAKli   i>K   lloisiiKNiK-R.   —   Episode  de   la  retraite  de   Russie  (Musée  de   Rouen). 


suite  de  la  libéralité  faite  par  M.  \'a^nier  à  la  \-ille  de  Reims.  E.xposé,  en  igoo,  à  l'Exposition, 
c'est  un  de  ces  types  de  fumeurs  cm  de  liseurs,  personnages  isolés  auxquels  se  plaît  par- 
ticulièrement Meissonier  et  dans  l'obserx-ation  desquels  il  met  toute  la  biographie  d'un  être. 
Le  ,, fumeur  gris"  —  il  v  a  aussi  le  ..fumeur  noir",  et  le  ,, fumeur  rouge"  —  date  de  1857.  Ils 
apjiartiennent  tous  à  la  série  de  scènes  du  XVIIIe  siècle,  époque  vers  laquelle  il  fut  entraîné 
par  ses  premières  illustrations  de  la  Chaumicrc  Indiouic.  Le  ^'in  du  cru  relève  de  la  même 
inspiration,  mais  c'est  une  véritable  scène  animée,  avec  tant  de  fidélité  et  de  naturel  qu'il 
semble  qu'on  entende  l'éloge  du  cru  fêté  par  le  bon  curé  gourmand.  Ce  tableau  date  de  1860. 
Cette  date  est  dans  la  carrière  de  Meissonier  une  date  caractéristique.  La  guerre  d'Italie  l'avait 
dirigé  vers  la  peinture  des  choses  militaires;  il  suivit  les  opérations  et  en  rapporta  l'admirable 
peinture  de  Snlfcrino.    Puis  la  grande  figure  de  Napoléon  commence  à  le  lianter.    Il  ,i\-ait  toujours 


?f  r«i^ 


KroK;   française. 


I  I 


professé  j)()ur  elle  un  cultt 
fervent  :  mais,  dès  lors, -il  s'<ii- 
tache  à  elle  a\-ec  nne  sorte  dr 
relipinn  faiKiti(|ur.  lien  ré\ail 
Li  unit  ;  il  s'ciitnurc  alors  de 
tous  les  rensrii^nenients  cl 
de  tous  les  doennients  (jui 
peuvent  ri'el.iui'r  >nr  la  ])i-i- 
sonnallte,  le>  li,d)itude>.  Ie> 
manies  de  son  idole.  Son  génie 
de  conscience  et  de  rétlexion 
se  décuple  de  jiatience  et  de 
sagacité  pour  redire  les  prm- 
cipaux  actes  de  cette  gran- 
diose épopée.  Ce  cvcle  de\a.it 
comprendre  eiiii|  grandes 
pages;  179b,  le  Matin  de 
Castiglione:  iSo-,  l-ncdlaud :  \y„^  ckkùmi  — 
1810,  Erjiirl.  qui  n'a  p,is  été 
fait:  1814  et  1S15.  celui-ci  non  exécute  non  plus.  /,V/^.  ..ce  n'est  jias  la.  nMiaite  de  Russie,  ni.iis 
la  campagne  de  France,  disait  :\leis>onier.  l.e>  \-i>;iges  .diattus.  irrité's,  exprnnent  le  découra- 
gement, la  défaillance,  l.i  trahison  peut-etri\  X.ipojeon  m.irclie  lenti-uient .  le  cor[)s  .iffaissé, 
mais  le  regard  en  a\ant.  Tout  peut  se  rétablir  encore  si  ceux  .pu  le  suiwnl  ji.irtagent  sa  foi"". 
Ce  chef-d'œuvn'  d'histoire  moderne  et  de  iisvcliologie.  comnience  des  i.soo  p.ir  d'iniiomhrahles 
études,  ne  fut  terminé  (lu'en  1804.     Il  ai)]),irtieiit  à  l.i  collection  de  Al.  (  haucliard. 

Cette  lamentable  odyssée  de  la  rctr.iite  de  Russie,  (pu  a\,iit  de|a  inspiré  à  Cliarlet  iir.e 


>i|s  (Muscf  du  l.ii.\<-ml)oin 


r/iot,)  liniun,  riaiitnl  .\'-  Cit. 


LÉON  Gf:i:.>\ii  .         I.,    V. 


:.Mii.séc  .If  Nank-s 


i8 


La   Peinture   au   XIX""  siècle. 


page  éni()u\-ante,  a  donné  à  un  élè\-e  de  (jids,  un  peu  oublié  jusqu'en  1900,  l'occasion  d'une 
toile  saisissante  qui  sauvera  son  nom  de  l'obscurité.  C'est  le  pathétique  Episode  de  la  retraite 
de  Russie,  du  Musée  de  Rouen,  exécuté  en  1835  par  Ferdinand  Boissard  de  Boisdenier, 
né  à  Châteauroux,  le  4  mars  181,5,  mort  à  Paris  en  décembre  1866,  peintre,  écrivain,  musicien, 
esprit   mer\-eilleusement    doué,   qui  gaspilla   son    talent   en    dilettantismes   dissolvants. 

11  est,  à  cette  date,  un  autre  réaliste  du  même  ordre  (}ue  iMeissonier  qui,  près  de  lui  et 
à  côté  de  lui,  jouit  d'une  grande  faveur  près  du  public  et  eut,  de  même,  la  carrière  la  plus 
heureuse  et  la  plus  honorée.  C'est  LÉON  Gérôme.  11  était  né  à  Vesoul  le  21  mai  1824,  d'une 
i'amille  de  modestes  orfè\"res.  11  ht  ses  études  classiques,  prit  son  baccalauréat  et  alla  à  Paris 
où   il   entra   à   l'Ecole   des  Beaux-Arts  dans  l'atelier  de  Delaroche.    11  échoua  au  concours  de 


RoUEKT-Fl.EURV.  —  Le  Colloque  de   Poissy  (Musée  ilu  Louvre). 


Rome  et  se  lança  résolument,  au  Salon  de  1847,  avec  ses  Jeunes  Grecs  faisant  battre  des  coqs. 
On  était  en  plein  dans  ce  goût  de  renouveau  pour  l'antiquité,  une  antiquité  plus  vivante  et 
plus  colorée,  occasionné  à  la  suite  des  fouilles  de  Pompéi.  Nous  avons  signalé  déjà  cette 
direction  du  goût  à  propos  de  Chassériau,  de  Couture  et  de  Gleyre.  Gérôme  sut  en  profiter 
et  il  fut  le  chef  du  petit  groupe  qu'on  appela  les  néo-grecs  et  dont  les  artistes  les  plus  marquants 
furent,  près  de  lui,  Hamon  et  Picou.  Ce  tableau  fit  une  grande  sensation  et  suscita  même 
des  prophéties  singulières.  Les  critiques  avancés  prirent  Gérôme  pour  un  des  futurs  novateurs 
attendus,  alors  qu'en  réalité  il  allait  reprendre  et  diriger,  on  sait  avec  quelle  énergie,  la  tradition 
classique.  Son  œuvre,  considérable,  qui  s'étend  même  à  la  sculpture,  est  également  très  variée. 
De  1847  à  1857,  elle  est  plutôt  classique,  avec  ce  caractère  de  renouvellement  pittoresque, 
par  la  couleur  et  par  l'anecdote,  par  le  document  et  par  l'observation  réaliste  du  modèle  vivant, 


xolc    trancaisc. 


I  19 


qui  rapprochait,  avec  une  inf;cni(i>itr  inquaiitc  ces  anticpu's  sujrts  dr  iKilrf  humanitt- rontrni- 
poraine.  Puis  il  touché  à  Thistoire  moderne,  toujours  \r,ir  le  petit  côté,  au  f;enre  i)roprcin(!nt 
dit,  et,  enfin,  son  besoin  de  vérité  dans  le  ])ittoresque,  ([ui  l'avait  conduit  vers  ]"archéologii;„ 
l'entraîne  vers  l'ethnographie.  Il  \-oyagca  en  Orient  et  rapporta  de  là  de  savantes  et  fortes 
études  et  de  nombreuses  compositions,  qui  sont  célèbres.  Le  Prisonnier,  du  j\lusée  de  Nantes, 
(Salon  de  1863)  est  un  type  parfait  de  cet  art  ])récis  et  documentaire  en  même  temps  que 
réfléchi,  tendu  et  nerveux.  Gérôme  est  mort  à  Paris  le  10  janvier  i()04  en  pleine  possession 
de  ses  facultés,  en  plein  tra\-ail,  après  luie  e.xistence  glorieuse  et  des  mieux  remplies. 

La  longue  carrière  de  Joseph,  Nicol.as,  Robert  Fleukv,  dit  Kohert-Fletry,  s'est 
étendue  à  tra\-ers  prescpie  tout  le  sièdi-.  11  est  né,  en  effet,  à  Cologne,  de  parents  français,  le 
8  août  i/QJ  et  mort  à  Paris  le  5  mai  iSijo:  mais  c'est  dans  la  deuxième  partie  de  sa  vie  que 
s'établit    le    plus  haut  sa  réputation.     Le  Colloque  de  l'oissv,  du  Salon  de  1840.  aujourcrini; 


Al,K.\.\NLiKK    C'AB.'iNKI.. 


La  Naissance  de   V( 


(Mus 


(lu   I,u\._-nil)(nirg). 


au  Louvre,  est  le  meilleur  spécimen  de  cet  art.  qui  ressuscite  le  pa>se  par  un  sentiment 
d'observation  réfléchie,  une  sorte  d'exaltation  contenue  et  à  cpn  on  doit  le  relè\-ement  du 
genre,  affadi  par  l'éclectisme  prudent  de  Delaroche. 

Il  est.  à  côté  de  Gérôme,  dans  l'ordre  plus  particulièrement  académique,  deux  figures 
qui  ont  joui  de  leur  vivant,  dans  le  monde  entier,  d'une  très  haute  réputation,  justifiée  par 
de  savants  et  habiles  ouvrages.  L'un  est  Cabanel,  l'autre  Bouguereau.  Ils  représentent,  à  eux 
trois,  les  personnalités  les  plus  distinguées  du  développement  classique  et  traditionnel. 

Cabanel  est  né  à  Montpellier  le  28  novembre  1824  et  mort  à  Paris  le  23  janvier  1889. 
Sa  carrière  a  été  heureuse  et  fortunée,  il  a  reçu  toutes  les  distinctions  et  a  laissé  rm  nom  aussi 
estimé  pour  son  enseignement  libéral  que  pour  ses  travaux.  Il  a  exécuté  des  décorations, 
notamment  à  l'Hôtel  de  \'ille  de  Paris,  des  portraits,  dont  les  plus  appréciés  sont  l'exquise 
figure    aristocratique    de    la    duchesse    de    \'allombrosa    et    les  simples  et  grandes  effigies  du 


I  20 


La  Peinture 


au 


XIX 


siècle. 


londiteur  et  de  lu  fondatrice  des  petites  sieurs  des  pauvres,  et  surtout  des  sujets  d'histoire 
d'iui  ])atliétique  assez  théâtral.  La  Xuissmicc  de  ]'é}uis.  du  .Musée  du  Luxembourg,  qui,  en 
i8()j,  lit  une  si  heureuse  concurrence  à  ht  Perle  de  Haudrv  e>t.  malgré  la  ribambelle  puérile  des 
petits  amours,  un  des  plus  cliarmants  morceaux  de  nu  produits  dans  notre  école  et  à  une 
époque  où  le  nu  était  très  en   fawur. 

l-îoLK.iHKK.Jvr  (\V]LLi.A.M),  né  à  la  Kociielle  le  .;()  novembre  1825,  mort  à  Paris  le 
20  août  1905.  était  un  camarade  de  (aijaneJ  à  l'.itelier  Picot:  \\  fut  aussi  son  émule  et  sa  carrière 
est,  de  même,   heureusement    n-nifilie  par  la   fortune  et   par  les  honneurs.    Arrivé  à  Paris  en 


(Musée  du  Luxemliourg). 


iS4(),  il  obtint  le  prix  de  Rome  en  1850  et  exjiosa,  pour  la  jjiemière  fois,  en  1849.  Le  Triomphe 
du  Martyre,  qui  représente  une  foule  de  chrétiens  conduisant,  dans  les  catacombes,  le  corps 
de  sainte  Cécile,  est  un  de  ses  ouvrages  les  plus  recueillis,  dans  la  tradition  d'HippolvteFlandrin, 
et  peut-être  avec  un  accent  plus  robuste  de  \-érité.  Ce  tableau,  actuellement  au  Luxembourg, 
est  un  de  ses  envois  de  Rome.  P)Ouguereau  modifia  plus  tard  son  genre  et  s'est  rendu  célèbre 
da.ns  les  deux  mondes  par  de  trop  aimables  créations,  caressées  d'une  brosse  égale  et  facile. 
Il  est  mort  grand  oificier  de  la  Légion  d'honneur  et  membre  de  l'Institut. 


'■4 


EDGAR  DEGAS. 
Danseuse  sir  la  Scène. 
(Musée  du  Luxembourg). 


CHAPITRE  \' 


ECOLE    FRANÇAISE. 
Troisième  Période.  —  P)k  184S  a  1S70  (Suite). 

LE  g(.>u\"i.Tnt.'mont  impciial.  (jui  succéda  si  rapidement  à  la  deuxième  répid)liqLie,  essa\"a,  à 
sa  laçuii.  d"enci>iiraf.;er  les  art>.  Il  distribua  le>  dec(lratilln^.  funda  un  prix  de  100.000  francs, 
mais  fa\'<insa  surtDUt  réclusion  d'une  sorte  d'art  de  cour,  d'art  oll'iciel.  dont  nous  a\'ons 
signalé  précédemment  les  plus  illustres  repré>entants.  Toutftoi>  l'administration  di'>  Beaux- 
Arts  offre  à  son  actif  maintes  mesures  libérales  comme  ror,i;.ini-.,ition.  en  1S63,  de  la  fameuse 
Exposition  des  refusés,  qui  répondait  aux  intolérance^  des  Jurys,  et  la  réorganisation,  l'année 
suivante,  de  renseignement  de  lT2cole  des  Beaux-Art^.  Il  cré<i  même  le>  grandes  manifesta- 
tions récapitulati\'es  des  exjmsitions  décennales,  (jui  lurent  d'un  utile  enseignement  et 
semblèrent  marquer,  dans  l'axi-nir,  les  étapes  du  dé\elii]ipement  arti>ti(|ue.  La  [ircmière 
exposition,  celle  de  1855.  en  mettant  hors  de  pair  les  deux  illustres  ad\-ersaires  qui  occupaient 


Ernest  Hkhf.ki. 


(Musc..'  (lu  Luxeiiilwurg). 


1  2  2 


La  Peinture  au   XIX^  siècle. 


chacun  un  des  jKiles  opposés  de  ]"art,  en  appnrtant  luic  sorte  de  consécration  unanime  aii\ 
grands  paysagistes,  romantiques  et  naturalistes,  exerça  une  sérieuse  influence  sur  les  esprits. 
Au  demeurant,  depuis  1848,  Timpulsion  était  donnée  et,  dans  la  confusion  de  l'école, 
où  se  coudoient,  se  croisent  et  se  mêlent  toutes  les  anciennes  formules,  où  se  multi]:>lient  les 
adroites  transactions  et  les  louches  compromis,  on  \-a  \-oir  se  dégager  peu  à  jx'u.  et  d'abord  à 
l'écart,  deux  groupes,  (jui  occuperont  une  place  exceptionnelle  dans  cette  nouvelle  période, 
en  répondant  aux  plus  hautes  aspirations  des  esprits  élevés  du  temps. 

l'n  même  culte  pour 
|l  la  vérité  et  ]iour  la  beauté  les 
rappr<ichait  l'un  de  l'autre, 
juscui'à  les  confondre  sur  leurs 
limites.  Ils  s'attachaient,  avec 
le  même  intérêt  passionné,  à  la 
contemplation  de  la  nature  et  à 
l'étude  des  maîtres,  désavouant 
l'un  et  l'autre  les  traditions  de 
seconde  mam  dans  lesquelles 
s'abéltardissait  l'école  et  se 
préoccupant,  dans  l'aveulisse- 
ment général  du  métier,  des 
fortes  et  sa\-antes  techniques. 
Dans  la  réalité,  les  artistes  du 
premier  groupe  recherchaient 
surtout  les  caractères  essentiels 
de  la  beauté  humaine,  repre- 
nant le  grand  rêve  anthropo- 
morphique  d'Ingres  et  de  Dela- 
croix, à  cette  heure  dans  toute 
leur  gloire,  que  venait  d'exalter 
encore  leurs  ensembles  à  l'Ex- 
jiosition  l'niverselle,  et  conti- 
nuant l'heureux  compromis 
de  leur  précurseur  reconnu, 
Chassériau.  Ils  s'attachaient  de 
préférence,  dans  un  rêve  à  la 
fois  plastique  et  expressif,  à  la 
traduction  des  idées  générales, 
aux  conceptions  héroïques,  et 
c'est  parmi  eux  que  se  recrutent 
les  plus  illustres  décorateurs  de 
ce  temps.  C'est  le  groupe  des 
grands  imaginatifs,  des  fervents  de  l'idéalisme.  D'autre  part,  leurs  maîtres  de  prédilection 
étaient  ^surtout  les  fiers  florentins  du  XX'"?  siècle,  les  prenuers  vénitiens  si  singuliers  et  si 
colorés,  comme  ce  Carpaccio,  pour  ainsi  dire  découvert  par  eux,  ou  le  hautain  ]\Iantegna. 
Les  autres  s'intitulaient  eux-mêmes  fièrement  les  Kcdlistcs  et,  en  effet,  ils  s'étaient 
groupés  dans  le  sillage  de  Courbet,  affirmant,  à  sa  suite,  leur  foi  dans  la  mission  de  l'art  à 
donner  l'expression  la  plus  haute  de  la  vie  contenrporaine  et  s'attachant  à  dégager,  du  spectacle 
des  réalités  voisines,   leur  beauté  méconnue  ou  cachée  et  leurs  caractères  expressifs.    Ici,  les 


Hki:EK  1 


École  irancaise. 


I  2^ 


maîtres  préférés  étaient  surtout.  a\-ec  les  ^'éIlitiens  aussi,  sans  doute,  (lui  ont  été  si  amoureux 
des  choses  extérieure»,  les  Espagnols  et  les  Hollandais,  qui  ont  si  puissamment  exalté  la  vie. 

Dans  le  premier  groupe,  celui  qui  était  le  plus  ancien  et  qui  est  resté,  jusqu'à  ces  dernières 
années,  le  doyen  de  l'école  est  Erxest  Hébert,  né  à  Grenoble  le  8  novembre  1817  et  décédé  à 
la  Tronche  (Isère)  le  4  novembre  1908.  Son  père  était  notaire.  En  1835  il  quitta  le  collège  pour 
préparer  son  droit  à  Paris,  tout  en  se  faisant  inscrire  à  TF-cole  des  Beaux-Arts,  car  ses  goûts 
étaient  déjà  très  décidés  pour  la  peinture.  Il  avait  été  élève,  à  Grenoble,  d"un  ancien  disciple 
de  David,  directeur  de  l'Ecole  de  dessm  et  du  ilusée.  Benjamin  de  Rolland.  A  Paris,  il  fut 
élève  de  ]\I(mvoisin,  de  David  d'Angers  et  de  Delaroche.  Mais  ce  fut  surtout  l'atelier  du  grand 
statuaire,  les  conseils  du  maître  et  le  milieu  ardent  <.|u'il  v  tn>u\-a.  qui  agirent  le  plus  sur  sa 
vocation.  En  1839,  il  avait  eu  la  satis- 
faction d'enlever  sa  licence  ès-lettres 
avec  son  grand  prix.  Il  partait  pour 
Rome  en  compagnie  de  Gounod.  avic 
qui  il  se  lia  d'une  amitié  si  étroite,  qu'il- 
semblaient  représenter,  chacmi.  si'  .- 
deux  modes  différents,  le  même  caractère 
d'inspiration.  Hébert,  du  reste,  comme 
son  vieil  ami  Harpignies,  était  un  musi- 
cien accompli  et  un  excellent  exécutant. 

Cette  même  année,  1S39,  Hébert 
exposait  pour  la  première  fois  au  Salon. 
On  était  encore  en  plein  dans  la  mêlée 
romantique.  Il  s'y  engageait  discrète- 
ment en  envoyant  un  Tasse  en  prison 
visité  par  Expilly  (au  [Musée  de  Gre- 
noble), où  se  marquait  l'influence  de 
Delacroix.  Les  événements  de  1S48 
exercèrent  à  leur  tour  leur  action  réaliste 
sur  cet  esprit  clairvoyant  et  il  envoyait 
à  ce  Salon,  au  moment  même  où  [Millet 
exposait  son  Vanneur,  une  Jeune  femme 
battant  du  beurre.  [Mais  le  séjour  de  Rome 
avait  modifié  la  direction  de  sa  pensée. 
Il  s'était  étroitement  attaché  à  ce  pays, 
plein  de  si  augustes  sou\"enirs  et  à  ce  i.i -iwt  Kp  aki.  —  M.iu.uuc  Jl- (.uorme  Mu-ce  au  Luxemiiourgi. 
peuple  qui,  dans  sa  distinction  native. 

dans  sa  grâce  et  sa  mélancolie,  semblait  garder  la  nostalgie  de  ce  glorieux  passé.  Il  ne  pouvait 
plus  s'arracher  de  Rome,  il  n'en  revint  que  huit  ans  après  et,  plus  tard,  sa  plus  grande  joie 
fut  d'être  nommé  Directeur  de  cette  Académie,  de  même  que  son  grand  chagrin  fut  d'être 
obligé  de  céder  la  place  à  un  successeur.  A  Rome,  le  Directeur.  Schnetz  l'encouragea  dans  une 
voie  où  il  avait  eu  tant  de  bonheur  lui-même.  C'est  de  là  que  vint  cette  Malaria,  exécutée 
à  Paris,  au  retour,  comme  pour  se  consoler  du  paradis  quitté.  Elle  fut  exposée  au  Salon  de 
1850.  Son  succès  fut  considérable  et  c'est  un  des  rares  succès  cjui,  après  cette  longue  épreuve 
de  près  d'un  demi-siècle,  ne  se  soit  pas  démenti.  Nul  n'avait  dit  encore,  parmi  tous  les 
chantres  passionnés  de  l'Italie,  cette  poésie  languide  de  la  maremme,  cette  beauté  mélanco- 
lique de  la  race,  avec  des  accents  aussi  musicalement  émus.  Nul  n'avait  encore,  dans  ce  genre 
exotique,  qu'il  réveilla  a\-ec  une  \-ivacité  nouvelle,  fait  sentir  avec  de  si  chaudes  harmonies. 


124 


La   Peinture  au 


XIX^ 


siècle. 


raccord  des  figures  a\-ec  le  paj-sage.   C'est  quf.  un  ]>i-u  a\-ant  d'envoyer  ce  tableau  au  Salon, 

Hébert   a\-ait   reçu   de   précieux   conseils   d'un    des   plus   illustres   harmonistes  du  paysage: 

Jules  Du])ré,  intéressé  par  un  paysage  du  jeune  artiste.  e.\]iosé  au  Salon  précédent.    Hébert 

reju'it  son   tableau  sur  ces  indications,  qu'il  n'oublia  ]ilus  jamais. 

La  Malaria  tut  sui\'ie  de  ncunbre  de  compositions  {lopulancs  et  [toétiques  empnmtées 

à   l'Italie,   telk-s  que  les  Ccrvayollcs.  les  I-iciiaralcs.  1<'S  billes  d'Alvitn,  k-s   Trois  âges  de  la  vie. 

le  Matin  et  le  soir  de  la  rie,  la    Laeaiidara.  la  Zingara.  etc.     .\   la   suite  d'un   V(eu,  qu'il  tit, 

au  Icndrmain  des  douloureux  événe- 
ments (le  1X70.  il  exécuta  une  Vierge 
de  la  Délivraiiee,  placée  dans  le  chœur 
tle  l'éghsr  du  x'illage  de  la  Tronche, 
où  >(■  trouxait  sa  propriété  pater- 
nrllc.  Il  se  sou\'int,  dans  ce  type 
oriental  d'une  grâce  ^maladive,  des 
figures  Ijy^antines  qu'il  avait  con- 
templées, a\'ec  son  ami  Papety, 
(l.ms  les  catacombes  de  Rome.  De 
ce  jour,  tant  le  succès  fut  grand 
|irès  du  public,  ■:iii\'it  tout  un  peuple 
de  Madones  songeuses:  la  Vierge  de 
Lémi  XIII.  la  \'ierge  au  Jardin,  la 
\'!erge  an  baiser,  etc.,  qui  le  firent 
->nrnonuiier  le  Bellini  moderne.  II 
eMcut.iit.  en  même  temps,  nombre 
de  beaux  portraits  de  femmes  d'un 
1  liarme  aristocratique  un  peu  mor- 
l)ide  et  d'exquises  figures  d'expres- 
sion, très  à  la  mode  dans  ce  milieu 
idéaliste,  sui\-ant  le  goût  des  floren- 
tins de  la  Renaissance. 

La  noble  allégorie:  Aux 
liérns  sans  glaire  appartient  à  cette 
(  ategoiie  de  créations  poétiques  et 
musicales.  Assise  sous  un  bouquet 
d'arbres,  la  che\'elure  dénouée,  les 
grands  yeu.x  baissés  noyés  dans 
l'ombre,  une  belle  jeune  créature, 
couronnée  de  lauriers,  s'appuie 
contre  un  cipjie,  ciu'elle  protège  de 
son  bras  droit  en  le  couvrant  de 
fleurs   de  vt.lubilis.    Cette    toile,   exposée   au  Salon  de   iS.SS.    fait   jiartie   de   la  collection  de 

M"ie  Cirandin,  une  admiratrice  fervente  du  maître.   Ernest  Hébert  était  membre  de  l'Institut 
depuis  1.S74  et   grand-croix   de  la   Légion   d'honneur  deiniis   i<)o;. 


Ei'i.KNK  Fkcimkmin.  —   l.a  Chasse  au  faucon  en   Algérie 
(Musée  ilu  Louvre). 


hn  re\-enant  de  Rome,  retenu  à  Marseille  par  suite  d'un  at'cident.  Hébert  eut  occasion 
de  se  lier  avec  un  singulier  jeune  homme,  qui  de\-ait  exercer  sur  ce  groupe  le  prestige  de  sa 
forte  culture,  de  son  admiration  si  compréhensive  des  maîtres,  de  ses  recherches  passionnées 
du  caractère  dans  la  ])hysionomie  humaine  et  de  sa  préoccu]iation  rare  de  subtiles  techniques. 


Ecole  française. 


I  2 


C'est  Gustave  Ricaki'.  l(jiii;trni])>  inécunnu  ciminie  uiu-  Mirti-  de  dilettante  exciuis  mais 
impuissant,  qui,  depuis,  a  été  remis  à  sa  \Taie  place  et  dont  on  distini;ue  Tinlluence  jusque 
chez  des  maîtres  étrangers,  comme  Lenbach. 

Ricard  est  né  à  Marseille  le  i^i-  septembre  1823  et  il  est  mort  à  Paris  le  2j  jan\iei 
1873.  Son  père  était  changeur  et  affineur  de  métaux.  Dès  que  l'éducation  du  jeune  homme 
fut  terminée,  il  lut  placé  dans  la  petite  liciutitiue  paternelle,  près  du  vieux  port.  Il  a^■ait 
commencé  à  dessiner  dans  riii>titution  où  on  Tawiit  placé;  il  continua  à  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts  de  la  ville  et  obtint,  à  dix-sept  ans,  im  prix  de  modèle  \-i\-ant.  Son  père  finit  par  céder 
à  cette  vocation  obstinée.  Il  tra\'aille  alors  avec  une  opiniâtreté  nou\-elle,  est  autorisé  à  partir 
pour  Paris,  où  il  entre  dans  l'atelier  de 
Cogniet  et  concourt  sans  succès  pour  Rome. 
Mais,  alors,  son  laboratoire  devient  le  Lou\re. 
Il  y  vécut  des  années,  comme  lieaucoup.  du 
reste,  y  vivaient  alors,  dans  l'étude  ardente 
des  maîtres,  dont  il  analysait  les  cliels- 
d'œuvre  avec  une  patience  faite  d'admira- 
tion, de  respect,  de  tendresse  et  d'en\'ie.  Il 
décomposait  et  recomposait  les  technit|ues 
les  plus  sa\'antes,  non  point  dans  le  but 
stérile  et  vain  de  parvenir  à  l'établissement 
de  recettes  commodes,  mais  jiour  pénétrer 
le  secret  de  la  beauté.  Il  copia  beaucoup, 
surtout  des  portraits,  car  c'est  la  pliv-^ionomie 
humaine  qui  le  tenta  le  plus.  \'an  Dyck, 
Titien,  Rembrandt,  Corrège.  et  l.e(.inard 
furent  ses  guides  de  prédilection.  Il  \-ecut 
pendant  près  de  dix  ans.  à  P. iris,  cette  \ie 
de  dilettantisme  enthijusiaste,  \"oyagea  à 
Venise,  où  il  troiu'a  une  seconde  patrie  et 
un  confrère,  Ziem,  cpu  de\'ait  de\'enir  son 
meilleur  ami.  Il  retourne  à  Marseille  en 
1847,  où  il  se  lie  avec  Hébert.  ]niis  jxircourt 
la  Belgique,  la  Hollande.  l'Angleterre,  pour 
retourner  se  fixer  à  Paris  en  1850. 

Il  expose  au  Salon  seulement  à  jxu-tir 
de  cette  date,  et  touj(nirs  des  portraits:  il 
enlève  presque  aussitôt,  en  1851  et  1S52, 
ses  médailles  de  seconde  et  première  classe. 
Il  avait  envoyé,  en  1850,  un  portrait  de  M 
seule  figure  de  femme  qui  sut  inspirer  Mei 
assura  aussitôt  sa  réputation. 

Ses  principaux  ou\"rages  sont  répandus  dans  la  société  marseillaise,  où  il  awiit  gardé 
de  la  famille  et  de  très  intimes  amis,  tels  que  M.  Jules  Charles-Roux,  dont  il  peignit  la  jeune 
femme  et  pour  qui  il  exécuta,  la  dernière  année  de  sa  \'ie.  son  propre  portrait.  Le  Musée  de 
cette  ville  possède  celui  de  Loubon,  son  maître,  et  de  Cliena\ard,  ciui  lut  le  compagnon 
préféré  de  ses  tournées  artistiques  et  un  guide  très  >ui\'i  et  très  cher  près  des  maîtres.  Il  a 
peint  surtout  avec  amour  des  figures  de  femmes.  Il  en  est  une  dont  nos  ^Musées  gardent  la 
précieuse  effigie.    C'est  celle  de  .1/»"'  de  Caloiinc.  dont  un  portrait  assis,  à  mi-c<u-ps  est  exposé 


-TAVE    MiiRE.M'. 


Diphé.--. 


Siilhiticr.  singulier  et  séduis. mt  modèle  —  la 
nier.  —  Ce  portr.iit.  très  admiré  ])ar  les  artistes, 


I  26 


La  Peinture  au   XIX*^  siècle. 


au  Louvre,  t-t  dont  hi  tète  de  f.icc  appartient  au  Luxenibnurf,'.  nù  elle  entra  en  18(85.  t  t'tte 
dernière  image  est  une  des  plus  mystérieuses  peintures  ipii  ^ment  dues  à  la  magie  de  ses 
pinceaux.  Elle  est  datée  de  1852.  La  jeune  femme  est  de  face,  tourné  à  peini-  \-ers  la  droite. 
Son  corsage  noir  est  échancré  en  carré  au  cou  et  garni  de  dentelles.  Les  clie\"eu.\  noirs,  séparés 
en  bandeaux  ondulés  sur  le  front  et  retenus  ]xir  un  mban  noir,  qui  pend  derrière.  Les  yeux 
noirs,  grands  ouverts,  profonds  et  troublants,  regardent  en  face.  Cet  étrange  et  fascinant 
visage  a  évoqué  maintes  fois,  sous  la  plume  des  écrivains,  le  sou\enir  de  Léonard,  et  nul  ne 

Ta  fait  ])lus  justement. 

El  GÈNE  Fromentin, 
né  à  la  Rochelle  le  27  octobre 
1820.  appartient  à  la  même 
génération  et  au  même  milieu 
social,  culti\"é  et  lettré.  Son 
père  était  médecin,  son  grand- 
père  a\-ocat  au  parlement. 
Pour  continuer  les  traditi(_)ns 
de  la  famille,  son  frère  fut 
destiné  à  la  médecine  et  lui  au 
barreau.  Après  de  brillantes 
études  au  lycée  de  la  \'ille, 
au  cours  desquelles  il  publia 
(pielques  vers  dans  les  feuilles 
de  la  localité,  il  vint  à  Paris 
en  i83(),  entra  chez  un  avoué 
rt  se  tit  inscrire  à  l'Ecole  de 
Droit.  Mais  il  continuait  à 
s'occuper  d'art  et  de  littéra- 
ture et  envoyait  à  une  Revue 
de  la  Rochelle  un  Salon,  celui 
de  1845,  et  quelques  articles 
sur  la  poésie.  Au  moment  de 
commencer  son  doctorat,  il 
parxint,  avec  l'appui  d'un 
ami,  à  persuader  son  père  de 
i.i-iwi  M^iKiAT.  —  Hruni,  ,:  l'iiy.iir  le  hùsscr   se  livrer  à  la  pein- 

ture.   Il   entra   donc   chez  le 
jiaysagiste   Rémond.  puis  chez  Cabat,  qui   fut   surtout   son  maitre. 

Tenté  juir  les  pays  du  soleil,  il  liésita  entre  l'Italie  et  l'Algérie  et  se  décida  pour  cette 
dernière  région,  toute  nou\'eIle  encore  et  pour  ainsi  dire  toute  vierge  aux  yeux  des  artistes.  En 
1846,  il  partit  donc  jiour  l'Algérie  a\ec  son  ann  .Vrmand  du  Mesnil,  dont  il  devait  bientôt 
épouser  la  nièce.  A  son  retour,  en  1847,  il  exposait,  pour  la  première  fois,  au  Salon,  avec  un 
paysage  des  environs  de  la  Rochelle,  deux  tableaux  d'Algérie:  Une  Mos^quéc  près  d'Alger  et  les 
Gorges  de  la  Chiffa.  Il  continua  les  années  suixantes,  et  en  1850,  il  envoyait  même  onze 
tableaux  pris  dans  la  région  de  Biskra.  C'était  une  poussée  nouvelle  de  l'orientalisme,  qui 
devait  fleurir  tout  particulièrement,  à  cette  date,  avec  les  Belly,  les  Dehodencq,  les  Ziem,  les 
Tournemine;  mais  elle  s'offrait  sous  un  aspect  à  peu  près  inédit,  celui  de  cette  civilisation 
musulmane,  qui   gardait  encore  les  caractères  che\'aleresques  de  la  domination,  assez  récente 


AVE   M-KI   \,        -    1,  Apiianth.a   (M.i.ec   ,!u    I, 


xolc 


fr: 


ancaisc. 


I  29 


alors,  des  deys  Omar  et  Hussein.  Les  deux  \-ulumes:  Un  iic  dans  le  Scduirn  et  U}h'  A)inéc 
dans  le  Sahcl.  qu'il  -l'apporta  d'un  second  xoywg^c.  en  Algérie  a\'ec  sa.  jeune  fi'mme,  en  1852, 
ajoutèrent  un  grand  éclat  à  sa  réputation  et  Ton  ne  sa\'ait  lequi-1  l'un  dt-xait  priser  le  plu> 
hautement,  de  l'artiste  ou  de  l'écriN'ain,  cjui  s'étaient  partagé  le  dimiaint-  des  sensations,  île 
nature  si  diverse,  écloses  dans  ce  singulier  pavs,  au  milieu  de  ces  nueiirs  singulières,  et  sous 
un  ciel  dont  la  lumière  faisait  poser  au  peintre  tant  de  questions  inquiètes.  Fromentin, 
dans  ces  deux  livres.  ain>i  que  dans  les  Maîtres  d'autrefois,  a  donné  la  mesure  de  l'éléx'ation 
de  son  jugement  et  de  la  clair\'i)vance  de  son  esprit  critique.  Rien  ne  lui  a  échappé  des 
problèmes  nou\-eaux  que  snulevait  la  traduction  de  ces  pa\-s  exreptKmnels.    Il  appartenait  a 


El.IK    IdlAlNAV. 


ses  successeurs  de  les  résnutlre  pluti'it  ([u'à  lui-même.  Son  éducation  classi(iue.  ses  habitude> 
des  maîtres  du  passé,  touti'  >a  culture  même  l'empêchèrent  d'oser  asM-z  et  l'on  se  demande 
si,  ainsi  qu'il  parait  en  a\"oir  eu  conscience  hu-meuie.  l'écrivain  ne  restera  pas  su])érieur  à 
l'artiste.  Il  n'en  a  pas  moms  été  comme  rin\'enteur  de  l'Algérie,  dont  il  .a  trachut,  avec  une 
brosse  ner\-euse  et  savante,  et  une  palette  rare  et  distinguée,  un  de^^m  fier  et  élégant,  les 
nobles  aspects  et  les  grandioses  spectacles.  La  Chasse  au  faucon  en  Algérie  fut  exposée  au 
Salon  de  187J,  d'où  elle  entra  au  Luxembourg.  C'est  un  des  exemplaires  achevés  de  son  art. 
Fromentin  s'v  est  plu  à  cette  union  de  l'homme  et  du  cheval,  qu'il  avait  réalisée,  d'autre 
part,  dans  une  série  de  compositions,  dont  le  Centaure,  l'homme-chexal,  cette  création  du 
génie   antique  qu'il   admirait   particulièrement,    était   le   prétexte.    L.i    ('liasse  ein  jaucon  est 


I  ^o 


La  Peinture  au   XIX'^'  siècle. 


I^lacce  ;ui    LuiuTC  depuis   iSS6.   Frunifiitiii,  ufticier  dt-  ki  Légion  d'ImniK-ur  en  iJ^bq.  est  mort 
accidenttdlement  à  lu   Rochelle,  le   27  août   1876. 


Les  deux  individualités  artistiques  qui  se  sont  manifestées  le  plus  hautement  dans 
cette  orientation  de  l'idéalisme  sont,  sans  contredit,  Pu\is  de  Chavannes  et  Gustave  ^loreau. 
Nous  reparlerons  du  premier,  comme  nous  ferons  également  de  Baudr3',  qui  appartient  à  la 
même  famille,  lorsque  nous  serons  parvenus  à  la  période  sui\-ante,  dans  laquelle  leur  œuvre 
a  été  le  point  de  départ  du  subit  renouveau  de  la  peinture  monumentale.  Puvis  de  Chavannes, 
comme  Gustave  Moreau.  relève  directement  de  la  double  tradition  jilastique  et  expressive 
d'Ingres  et  de  Delacroix,  confondue  et  unifiée  par  Chassériau.  Celui-ci  fut  \'raiment  leur  initia- 
teur et  leur  maitre.  Gusta\e  Moreau  l'a 
reconnu  publiquement  par  le  touchant 
hommage  de  sa  composition:  Le  jeune 
liDiiiiiie  cl  la  mort,  dédiée  à'cette  grande 
et  séduisante  mémoire. 

Né  à  Paris,  le  5  a\Til  1826,  dans 
une  famille  bourgeoise  et  aisée  —  son 
père  était  architecte.  —  GUSTAVE  MoRE.^U 
reçut  une  excellente  instruction.  Entré  à 
ri'À^ole  des  Beaux-Arts  en  1846,  dans 
r.itelier  de  Picot,  il  concourut  pour  le 
prix  de  Rome,  m^iis  éclioua  et  y  renonça. 
Il  n'en  fit  pas  moins,  un  peu  plus  tard, 
le  \tivage  d'Italie,  au  cours  duquel  il  se 
h.i  intimement  avec  Delaunay,  pension- 
n.ine  à  la  \'illa  Médicis,  depuis  la  fin  de 
1, innée  1836.  Il  s'attacha  tout  particu- 
hrrement  à  l'étude  des  hardis  et  élégants 
ii.ituralistt's  poétiques  du  X\'*  siècle, 
lliirentins.  lombards  ou  ^'énitiens,  en  par- 
ticulier M.mtegna  et  surtout  Carpaccio, 
dont  le  sou\'enir  est  marqué  longtemps 
dans  ses  <eu\'res,  a\'ec  les  francs  et  éclatants 
rehauts  de  rouge  qui  en  réveillent  les 
harmonies  graws  et  profondes.  Son  pre- 
mier Salon  date  de  1S52,  avec  une  Piéta, 
([ui  est  à  la  cathédrale  d'Angoulême.  Il 
i  la  suite  de  deuils  et  de  chagrins  intimes, 
;on  atelier  de  la  rue  de  la  Rochefoucauld,  converti 
i  solitude  qu'à  la  fin  de  sa  \'ie.  lorsqu'il  fut  nommé 
se   \"oua  alors  avec  passion  à  son  enseignement  et 


El  11:   Di  I-  WN  \v. 


Matlaiiie  Toulmuuchf. 


puis 


exposa  d'abord  régulièrement  aux  Salon 
il  se  renferma  dans  la  tour  d'i\'oire  de 
aujourd'hui  en  Musée.  Il  ne  sortit  de 
professeur  à  l'I^cole  des  Beaux-.\rts.  I 
nous  verrons  plus  tard  quels  en  furent  les  résultats.  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur  en  1875, 
officier  en  1883,  il  fut  élu  membre  de  rinstitut  en  1889.  Il  est  mort  à  Paris  le  ig  avril  1898. 
Son  art  ccjmplexe  est  fait,  comme  celui  ([<•  toute  sa  génération  et  de  ce  milieu, 
peintres  ou  sculpteurs,  formés  principalement  en  Italie,  du  don  précieux  de  la  sensibilité 
uni  à  un  grand  fonds  de  culture.  Il  procède  par  une  assimilation  intelligente  des  maîtres,  et 
des  maîtres  les  plus  divers  et  les  plus  opposés,  aussi  bien  les  .-Mlemands  comme  Cranach  ou 
les  Hollandais  comme   Rembrandt,   (lue   les   Italiens  ou  les   Persans  eux-mêmes.    Il  se  sert 


,c()lc   française. 


I  ".  I 


de  leurs  formes  comme  d'un  inéjniisable  X'orabulaire  pnur  i'c\i\'itier  k's  légendes  de  hi  Bible 
ou  les  ^lythes  de  l'antiquité,  dégageant,  avec  les  magnificences  de  son  verbe,  tout  ce  (|u"il 
V  a  d'essentiellement  et  d'éternellement  humain  au  fond  de  ces  \-ieilles  croyances  et  de  ces 
obscurs  svmboles.  II  s'était  créé  connue  uni'  sorte  de  philosophie  ésotérique,  à  la  fois  esthéticjue 
et  UKirale.  exprimée  en  quatre  grand>  c\-cles:  le  c\-cle  de  l'Homme,  le  cvcle  de  La  Femme,  le 
cycle  de  la  Lyre  et  le  cycle  de  la  Mort. 

Orphée  ou.  ce  qui  serait  plus  exact.  Jeune  fille  trinreanl  la  léte  d'Orp/iée.  est  uni' 
des  ieu\-res  de  la  toute  ])remiére  manière  de  d.  Moreau:  elle  date  de  1865  et  a  été  exposée  en 
1866.  l^Ile  est.  ])ar  le  dessin,  très  ])arente  encore  des  figures  de  Chassériau.  de  VK^ther  ou  de 
la  \'énus  Aiuidvonièiie:  la  coloration  tout  en  se  rattachant  encore  à  Delacroix,  modifiée  p.ir 
l'influence  de  Léonard  de  \'inci.  si  manifeste  dans  le  ,])a\-sage.  est  déjà  personnelle.  a\'i'C  cetti' 


richesse,  que  le  maître  <q)pelait  ..la  richesse  nécessaire".  Llle  annonce  déjà  l.i  formation  de- 
ce  cycle  de  la  L\-re.  destiné  à  exalter  les  dieux,  les  héros,  les  poètes  et  les  conducteurs  dr 
peuples,  qui  se  sont  \"oucs  à  répandre  par  le  monde  la  grande  clarté  de  l'Esprit  pur. 

II  ère  nie  et  l'Hvdre  et  VApparilioii  s(int  postérieurs  d'une  douzaine  d'années,  ayant  été 
e.xposés  tous  deux  en  187b,  et  sont  tout  à  fait  dans  la  grande  manière  originale  du  maître. 
Ces  peintures  singulières  eurent  un  succès  considérable.  L'Apparition,  \-aste  aquarelle  qu'on 
peut  considérer  comme  son  chef-d'ceuvre,  coïncidait  avec  une  toile  représentant  la  Danse  de 
Salomé.  La  Saloiné  devint  bientéit  célèbre  et  a  été  décrite  a\-ec  am<jur  dans  le  curieux  roman 
de  J.-K.  Huysmans.  .1  Rebmirs.  comme  un  des  échantillons  les  ])lus  extraordinaires  de  l'art 
moderne.  Hereiile  et  l'Hvdre  rentre  dans  le  cvcle  de  l'Homme  ou  de  l'héroisme.  La  perfide  et 
adorable  figure  de  Salonn.'  ddinine  tout  son  cycle  de  la  Femme. 


132 


La  Peinture  au  XIX*^  siècle. 


Orphcc  et  l'Af^parition  appartiennent  au  Luxembourg,  ce  dernier  chef-d"(euvre  a  été 
donné  au  Musée  par  Charles  Hayem.  admirateur  enthousiaste  de  Gustave  Moreau,  avec  treize 
autres  peintures  ou  aquarelles  du  maître. 


Ei.iE  Delai'nav  est  né  à  Nantes  le  12  juin  1828.  Il  est  mort  à  Paris  le  5  août  1891. 
II  fut  élevé  dans  un  milieu  de  très  modeste  bourgeoisie  —  son  père  était  cirier  —  mais  dans 
im  foyer  très  religieux  et  très  uni.  Il  resta  toujours  étroitement  attaché  à  sa  famille  comme 
à  sa  \'\\\e  natak'.  où  il  a  ])rodigué  ses  travaux.  Il  étudia  d'abord  dans  une  maison  ecclésiastique, 
il  y  marqua  ses  premiers  goûts  pour  le  dessin,  combattus  d'abord  par  son  père,  puis  acceptés 
sur  les  instances  de  sa  mère  et  de  ses  tantes.  Après  une  préparation  près  d'un  professeur 
de  la  localité,  il  fut   envoyé  à  Paris  et  placé  dans  l'atelier  d'Hippolyte  Flandrin,  en  1848. 

L'influence  de  ce  maître,  dont  le  talent  et  le 
caractère  convenaient  si  bien  au  jeune  artiste, 
se  marqua  très  fortement  sur  les  débuts  de  sa 
I  arrière.  La  trace  en  resta  longtemps  sensible, 
comme  il  jiaraît  encore  dans  cette  Communion 
des  Apôtres,  du  Luxembourg,  exécutée  en  1861. 
Son  premier  Salon  date  de  1853,  année  où  il 
nbtmt  le  second  grand  prix  de  Rome.  En  1856, 
il  n'eut  également  que  le  second,  mais  bénéficia 
lie  ce  cjire  le  prix  n'awiit  ])as  été  donné  l'année 
précédente,  et  partit  pour  l'Italie.  Ce  séjour, 
comme  à  tous  ses  coreligionnaires  artistiques, 
donna  une  empreinte  définitive  à  son  talent.  A 
Rome,  il  se  lia  avec  Gustave  Moreau  et  ces 
rapports  se  rencontrèrent,  toute  leur  vie,  dans 
leurs  leuM'es  orientées  \-ers  le  même  idéal  plas- 
tique et  expressif.  Il  s'adonna,  à  son  tour,  aux 
m\-thes  de  l'antiquité  et  se  passionna  pour  les 
grandes  figures  symboliques  d'Orphée,  de  Diane, 
de  Persée,  d'Andromède,  etc.  Il  a  exécuté  un 
certain  nombre  de  décorations  murales,  à  Nantes, 
à  l'Opéra,  à  Compiègne,  au  Conseil  d'État,  à  la 
Trinité,  à  Saint-François-Xavier,  etc.  Officier  de 
la  Légion  d'honneur  en  1878,  il  fut  élu  membre 
de  rinstitut_^en  1879. 
!  La  Peste  à  Route  date  de  i86g.  Ce  sujet  empitmté  à  la  Légende  de  St-Sébastien,  dans 
la  Légende  dorée  de  Jacques  de  Voragine,  montre,  dans  ime  me  de  l'antique  Rome,  sous 
un  ciel  chargé  d'orage,  un  ange  drapé  de  rouge,  aux  ailes  d'un  blanc  sinistre,  un  glaive 
à  la  main;  il  indique,  en  passant,  dans  un  \'ol  rapide,  la  porte  d'une  maison  à  un  génie 
funèbre,  qui  la  frappe  d'un  pieu,  l'ne  femme  se  tord  dans  l'agonie  en  menaçant  la  statue 
du  dieu  impuissant:  un  jeune  homme  grelotte  dans  ses  haillons  près  de  la  porte;  de  tous 
cotés,  au  milieu  du  sol  jonché  de  cadavres,  des  figures  fuient  a\'ec  épouvante.  On  ne  peut, 
après  Poussin,  de  qui  l'artiste  s'est  souvenu  sans  faiblesse,  exprimer  une  pareille  scène  avec 
une  accent  aussi  tragique. 

Comme  Hébert,  comme  Ricard,  et  comme  presque  tous  ses  camarades,  Delaunay, 
s  attache  a\-ec  une  sorte  de  fièvre  passionnée  à  la  traduction  de  la  physionomie  de  ses  contem- 
p<jrains.     Ils   étaient   là   dans  la  plus  forte  tradition  du  génie  français,  qui  développe  sur  le 


.-J.    llEN 


L'Idylle  (Musée  du  Liixcmboiirg). 


fr: 


coïc   irancaisc. 


.■)>5 


portrait  tdutes  ^ts  qualitc^  ])r()lnndi'>  nu  cK-licatcs  d"nbser\',iti(iii.  Dclauii.iw  dans  ce  gi'nre, 
a  accompli  des  n_'uvres  incomparables  et  qui  eussent  sulli  à  >,i  ,L;loire.  11  a  donné,  même  à  c<')té 
de  Ricard,  un  caractère  inoubliable  à  ses  portraits,  tant  par  leur  psychologie  pénétrante 
que    par  leur  technique  savante  et  personnelle,   tanti)t  grave  et  paisible,   tantôt   incpiiète  et 


/■//('/,>  Bniu/;,  Ckiiicnt  .V  Cl 


Lkon   I;.  innai.  —   1,0  iM.iityrc  do  Saint   Denis  (l'anthcun). 


tourmentée,  toujours  si  e.\pressi\-e  de  l'iiidixidualité  du  modèle.  Le  jiortrait  de  sa,  mère  est 
un  des  plus  sobrement  et  des  j)lus  ])ieusement  conduits.  Celui  de  i'I/"''^  Tuuliiii>iu-lh\  dans  sa 
grâce  exquise  et  sa  rareté,  reste  son   cln-f-d'ieUNie. 

Il  est  peu  d'artistes,  au  cours  de  ce  siècle,  (jui  aient  été  aussi  épri>  de  la  Ije.uite  que 


134 


La  Peinture  au  XIX*"  siècle. 


J.-J.  Henner.  Depuis  Prud'lKni.  nul  n'avait  ressenti  avec  un  ])art'il  friss(jn  It-  charme  de 
la  l'orme  et  la  splendeur  de  la  matière.  Il  est  telles  pièces  de  son  (euvre,  comme  la  Xaîadc 
ou  ïldyllc.  du  Luxembourg,  la  Biblis.  du  -Musée  de  Dijon,  VEglognc  du  petit  Palais  et 
d'autres  encore,  qui  demeureront  comme  les  témoignages  les  plus  concluants  que  notre  temps 
de  science  et  d'industrie,  de  houille  et  de  fumée,  n'a  pas  été  moins  sensible  que  les  plus 
grandes  époques  de  l'art  aux  émotions  du  beau.  Si  simple  et  si  une,  en  apparence,  que  soit 
cette  physionomie  artistique,  elle  est.  cependant,  plus  complexe  qu'on  ne  pourrait  croire,  du 

moins  pour  ses  origines:  car  si 
Henner  peut  se  rattacher  au  milieu 
des  idéalistes  par  toute  cette  (euvre 
plastique  dans  laquelle  il  a  plus 
particulièrement  exalté  la  beauté 
de  la  femme,  ses  débuts  le  présen- 
tent Cl  mime  un  réaliste  convaincu, 
■^'dttacliant  étrc.iitement  à  la  vérité, 
LU  caractère  et  sui\'ant  plutôt  les 
traces  de  Holbein  que  du  Corrège, 
i|ui  de\'int  plus  tard,  ainsi  que 
Titien,  son  guide  préféré. 

Les  c(.)mmencements  de  sa 
carrière  ne  faisaient  pas.  en  effet, 
présager  les  suites  qui  l'ont  rendu 
célèbre.  Né  à  Bernwiller,  Haute- 
Alsace  ,  ancien  département  du  Haut- 
Rhin,  le  5  mars  1829,  Jean-Jacques 
Hexxer  était  le  plus  jeune  des  six 
enfants  d'une  famille  d'honnêtes  et 
laborieux  cultivateurs,  qui  firent 
tous  les  sacrifices  pour  son  éduca- 
tion. A  la  mort  de  son  père,  qui 
le  laissa  orphelin  de  bonne  heure, 
Cl-  furent  sa  sieur  et  son  frère  aînés 
qui  prirent  soin  de  son  avenir.  Il 
étudia  d'abord  à  Altkiixh.  sous  la 
direction  de  (ioutzwiller,  à  qui  il 
uarda  toujours  ime  vive  gratitude 
et,  à  Strasbourg,  sous  celle  de 
i  rabriel  Guérin.  \'enu  à  Paris  en 
1S46,  il  entra  dans  l'atelier  de 
Drôlling,  puis  dans  celui  de  Picot, 
mais  reçut  surtout  les  conseils  de 
son  compatriote  Heim.  Il  parut,  d'abord,  s'acclimater  fort  mal  au  régime  de  l'école  et 
retourna  dans  son  pays,  où.  de  juin  1S53  à  février  1857.  il  produisit  quelques  compositions 
de  sujets  populaires  et  des  portraits,  tels  l'Abbé  Hugard  du  Luxembourg,  qui  marque  l'influence 
profonde  produite  sur  lui  par  la  contemplation,  à  Bàle,  des  chefs-d'ceuvre  de  Holbein.  En 
même  temps  il  semble  avoir  été  très  frappé  par  la  manière  de  Courbet  et  s'intitule  lui-même 
assez  fièrement  réaliste.  De  retour  à  Paris,  il  enlè\-e  le  prix  de  Rome  en  1858  et  là,  devant 
les  chefs-d'i euvre  des  maîtres  italiens,  il  subit   une  transformatiim  radicale,  qui  est  affirmée 


:;r4o.^^;.^. 

_-lS85. 

Viffi'  Pmmi, 

Ca-nicnt  ,' 

e  a 

LÉiiN  ]: 

ÔN\ 

\.v  Cardinal    l„ 


Ecole   française, 


J)3 


par  M)n  t-nvoi  de  Rome,  la  Sicuinu-.  .utuellement  au  Luxcmlxini!,'.  \S Idylle,  exposée  en  1872. 
est  le  premier  oiuTage  sur  ce  mode,  dans  lequel  Henner  -e  montre  entièrement  lui-même 
avec  les  caractères  essentiels  de  son  talent.  Le  beau  rvthme  simple  de  lignes,  le  grand  éclat 
très  intense  et  très  doux  des  chairs,  l'accord  des  figures  et  du  paysage,  l'impressictn  de  suavité 
grave  et  de  charme  profond  qui  ^'en  dégage,  se  retrouwnt  au  suprême  degré  dans  la  j^etite 
Naïade  couchée,  du  Salon  de   187S.  qui  est  une  des  perles  du  Luxembourg. 

Henner  a  été.  de  même,  -ensible  quelqui-fois  au  pathétique  ou  du  moins  à  la  grande 
beauté  silencieuse  de  la  Murt.  La  figure  du  Christ,  de  Hnlbein,  l'a  hanté  souvrnt.  mais  il  Ta 
reprise  dans  sa  nature  projn'e,  en  clierchant  l'émotion  par  la  beauté  de  la  plastique,  la  noblesse 
des  lignes  et  la  puissance  du  modi-lé  dans  l'unité  de  la  gnmde  lumière. 


Henner  est  mort  à  Paris  le  23  juillet  I0"5.  membre  de  rinstitut  depuis  i88()  et 
commandeur  de  la  Légion  d'honneur  depuis  i8g8. 

Il  est  deux  autres  personnalités  artistiques,  qui  semblent  occuper  une  place  inter- 
médiaire entre  le  groupe  des  idéalistes  et  celui  des  réalistes,  par  leur  double  préoccupation 
de  style  et  de  vérité.  Parmi  les  maîtres,  qu'ils  ont  choisis  dans  le  passé  comme  guides,  leurs 
préférences  sont  pour  les  grands  réalistes  espagnols.  Ce  sont  Léon  Bonnat  et  Jean-Paul  Laurens. 

Léon  Bonx.^t  est  né  à  Bavonne  le  25  juin  1833.  Sa  famille  ayant  été  se  fixer  à  .Madrid, 
il  y  fut  frappé  par  les  chefs-d'œuvre  des  maîtres,  obtint  de  se  vouer  à  la  peinture  et  entra 
dans  l'atelier  de  Frederico  da  Madrazo.  Ce  point  de  départ  de  sa  carrière  ne  sera  jamais 
oublié.   Rappelé  en   France  par  la   mort   de  son  père,  il  \-ient  à  Paris  et  entre  à  l'Ecole  des 


I  36 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


Beaux- Art  s,  dans  l'atelier  de  Léon  Cogniet.  en  1854.  En  1857  il  ci>nc<mrt  ])nur  Ronir,  ne  se 
^•()it  décerner  que  le  second  prix,  mais  est  envoyé,  néanmnins,  à  Rome,  aux  frais  de  sa  ville 
natale.  Il  s'y  lia,  dès  lors,  a\-ec  les  pensionnaires  présents,  tels  (jue  Henner  et  Delaunay.  Cette 
même  année  1857  est  la  date  de  son  premier  envoi  au  Salon  avec  deux  portraits.  Avec  quelques 
sujets  de  style,  (|ui  aHirment  les  tendances  de  son  goût  espagnol  pour  les  scènes  tragiques  ou 
pathéti()Ufs:  li'  Hdh  Stinuirihiiii  (1831)).  Adam  et  Eve  trouvant  le  eorps  d'Aliel  «/o;-/ (1861),  le 
Martvi-e  de  Sanit-Aiidré  (i8();;).  il  cimuncnce  à  se  faire  connaître,  à  son  tour,  après  Hébert, 
par  des  sujets  d'in>])initioii  po])ul.iire  italienne,  qui  obtinrent  lui  très  vif  succès.  Sa  Pasqua 
Maria,  du  Salon  de  1865,  est  restée  célèbre.  Ses  Pèlerins  aux  pieds  de  la  statue  de  saint  Pierre 
dans  r église  Saint-Pierre  de  Rome  furent  acquis  par  rini])ératrice   (1864). 


JtAN-I'ALl.    L.MKKNS.  —  1  .'El.it-.Majui   aiitrichiL-ii  devant   le  corps  de  M.arceau. 


A  la  suite  d'un  \'o\-age  en  Orient,  accompli  \'ers  1870,  lîonnat  se  fit  connaître  sous 
luie  nou\-eIle  note  exotique  avec  des  toiles  très  remarquées:  Cne  rue  à  Jérusalem  (1870),  Cheik 
de  l'Akahah  (1872),  Barbier  ture  (1873),  Barbier  nègre  à  Sue:  (187b),  etc. 

^lais  c'est  en  1866  (jne  commença  l'ascension  de  cette  carrière,  particulièrement 
brillante,  dont  chaque  étape  est  marquée  jiar  (lueliiue  succès  et  quia  été  couronnée  par  les 
suprêmes  honneurs,  avec  son  Saint  Vineeiit  de  Paul  prenant  la  plaee  d'un  galérien.  Ccjmpris 
dans  la  listes  des  maîtres  chargés  de  partici])er  à  la  décoration  du  Pantliéon,  par  Ph.  de 
(-hennevières,  en  1874,  il  fut  chargé  de  ])eindre  le  Martyre  de  Saint  De)iis.  qu'il  exposa  au 
Salon  de  1S85.  Le  bourreau  \-ient  d'a,ccom]ilir  son  leuxae,  le  sang  des  martyrs  jaillit  de  tous 
côtés  des  cada\-res  décapités.   Le   tour  de  saint  Denis  est   arri\-é,  mais  aussitôt  que  sa  tête  a 


E 


colc   irancaisc. 


139 


été  séparéf  par  la  luiclu',  le  saint  s'est  précipité  et  l'a  rainassi'c  timdi^  ((u'uiie  lueur  >uriia- 
turelle  cache  l'iiurrilile  blessure  et  que  les  sjiectateiirs  et  les  auteurs  de  ce  drame,  é])i]U\antés, 
s'enfuient  de  toutes  parts,  l'n  ant^e  descend  du  ciel  dans  un  nuage  et  a.i)p()rte  au  martyr  la 
couriiiuie  et  la  jialme.  ("est  une  des  (euvres  les  plus  signilrcati\'i-s  des  ([ualités  de  \-igueur. 
de  relief  et  de  puissance  de  ré,di>.Ltiiin  de  ce  maître;  mais  le  genre  (|ui  lui  a  \'alu.  par-dessus 
tout,  sa  haute  réputation,  c'est  le  portrait.  Il  a  été  le  peintre  de  ses  contemporains  les  i)lus 
illustres:  depuis  M'"''  l'asca,  grand  succès  de  i<^75,  suivie  de  Thicrs,  (jYcvv.  dirnut,  ju'-qu'à 
/;'.  Lnubct :  tous  les  présidents  de  la  République,  ainsi  que  tous  les  snu\-erains,  ont  tenu  à 
a\'oir  leur  effigie  de  son  pinceau.  Ses  portraits  de  Victor  Hugo,  l'iivis  de  (Ihirainws.  Alcxaiuirc 
Dumas.  Jules  l-crr\\  sont  restés  célèbres.  Le  Luxembourg  possède  le  portrait  (|u'il  lit  de  son 
maître  vénéré.  Lcon  Cognid  et  qu'il  olfrit  en  hoiumage  au  Musée,  ainsi  (pie  celui  du  Carduud 
Lavigcrie.  du  Sal(jn  di^  1888.  L'illustre  prélat  est  assis  de  face,  à  côté  d'tnie  t.ilile  chargée  de 
papiers,  dans  sa  robe  rouge  éclatante.  a\'ec  l'attitude  fine  et  batailleuse  de  diplomate  et  de 
conquérant,  qui  consacra  cette  plu'sionomie  si   originale. 

Léon  Bonnat  est  ineml)r(.' 
de  l'Institut  depuis  1881.  grand 
croi-X  de  la  Légion  d'hoiun  ur 
depuis  1900.  Il  est  actuellement 
Directeur  de  l'i'^cole  des  Beaux- 
Arts  et  Président  du  Conseil  de> 
Musées. 

Je.vn-P.ml  L.M'KHXS  e-,1 
né  le  29  mars  1838.  dans  le  jietn 
village  de  Fourcjuexaux.  dan^  la 
Haute-Garonne.  Son  enfiince  se 
passa  dans  ce  milieu  rustique.  Il 
en  fut  tiré  par  une  troiqie  de 
peintres  italiens  ambulante,  qui 
étaient  venus  décorer  la  chapelle 
du  village.  Le  jeune  homme  en 
fut  si  émer\'eillé  t|u'il  fut  atitorisé 
à  sui\'re  la  troupe,  engagé  parmi 
les   barbouilli'urs;    mais    lassé    de 

cette  existence  nomade  et  de  la  dureté  de  son  maître,  il  m-  s;iu\a  à  Toulouse,  on  il  fut  re(  ueilli 
par  un  parent.  Il  entra  à  l'Lcole  des  Beaux-.\rts  de  cette  ville  en  iSbo.  emporta  le  prix  (pu 
donnait  droit  à  la  bourse  d'étude  à  Paris  et.  là.  entra  à  l'atelier  de  Léon  Cogniet.  Son  premier 
Salon  date  de  1863,  mais  c'est  en  1872  que  se  dessina  sa  carrière  avec  Le  pape  loruuise  et 
Etienne  VII,  dans  lequel  se  marquait  son  goût  pour  les  scènes  tragiiiues  de  l'histoire  et  ses 
dispositions  jiour  les  fortes  techniques  des  maîtres  espagnols,  lui  1873  il  exposait.  <i\'ec  V Interdit. 
VExcoiniuuiiieutuni  de  Kohert  le  pieux,  atijourd  liiii  au  Luxi-mhourg.  ipii  montre  a\'ec  quels 
moyens  discrets,  mais  avei  cpiel  M'otimeiit  profond  de  la  réalite,  il  sa\-ait  n'vi\-ifier  l'histoire. 
La  scène  est  choisie  au  moment  le  plus  i>athétique.  Le  clergé  se  retire  ,iu  fond,  par  la  jiorte  à 
droite,  et  la  reine  épouvantée  se  jette  sur  l'épaule  chi  roi.  hébété  de  douleur,  tandis  ([ue  fume 
lentement  le  cierge  jeté  à   terre,  symbole  de  l'excommunication   du  sein   de  l'église. 

J.-P.  Laurens  a  excellé  d:ins  cette  restitution  vivante  de  notre  histoire  nationale;  il 
était  le  peintre  tout  troux'e  pour  Augustin  Thierry,  dont  il  a  illustré  les  récits.  11  n'a  ])as 
moins  réussi  dans   les   sujets  moderne-,  et  ])rincipjlement  dans  ceux  qui  -,'oftraient  à  lui  ,ivec 


Hknki   Faniin-I.,\i 


140 


La  Peinture  au   XIX*^  siècle. 


ck-  r  Institut  depuis 
Laurens  est  com- 
Légion    d'honneur 


un  car.ictère  pathétique,  ("est  ainsi  que  Y Etat-Majur  aiilnchicn  devant  le  corps  de  Marceau 
lui  valut  justement  la  médaille  dliunneur  en  1S77.  Cette  surtr  de  solennité  militaire  autour 
du  lit  de  parade  du  jeune  héros,  rigide  dans  sa  tenue  de  eumbat,  revêt  un  caractère  de 
simple  grandeur  et  de  forte  énuition  contenue,  par  sun  accent  de  réalité  violente,  sous  ce 
grand  jour  morne  tjui  éclaire  les  uniformes  blancs  aux  iundcrics  d'or,  serrés  dans  l'étroite 
chambre,  et  surtout  par  ce  ton  dr  cimxictinn  sincère  ([ui  s'impose  au  spectateur.  Person- 
nalité fortement  trempée,  Jean-Paul  Paurens  n'en  a  pas  moins  montré  la  souplesse  toute 
méridionale  de  son  talent  par  les  travau.x  les  plus  divers,  entre  autres  par  ses  grandes  décora- 
tions de  l'Hôtel  de  Ville  de  Paris,  ou 
du  (apitoie  de  sa  ville  natale.  Il  a 
fonde.  ])ar  son  enseigment  et  mieu.\ 
par  son  exemple,  avec  les  sculpteurs 
r'alguière,  .Mercié,  Idrac  et  Marqueste, 
ce    ([u'oii    a    pu    appeler    l'école    de 

T.iUlnllSc. 

Mcmlire 
iNi)i.  jcan-Paul 
maiidrur  de  la 
di'puis   iqoo. 

\'ers  cette  date  de  1860,  les 
jurys  des  expositions  cjui,  après 
maintes  \'icissitudes,  étaient  rede- 
\i'nus  les  maîtres,  avaient  montré 
une  telle  intolérance  que  le  Gouver- 
nement se  crut  obligé  d'intervenir 
et  organisa,  en  1863,  la  fameuse 
<-xi)osition  des  Refusés.  Pe  catalogue 
i-omprcnait  entre  noms  particulière- 
ment sub\'ersifs  ceux  de  Cals,  de 
Chintreuil,  d'Harpignies,  de  Jong- 
kind,  et  même  de  Jean-Paul  Laurens. 
<  )n  y  trou\-ait  encore  quelques  noms, 
,LsM-/  nou\eaux  alors,  mais  qui  ne 
tardèrent  pas  à  s'illustrer:  c'étaient 
ceux  des  gra\eurs  Bracquemond, 
daillard.  et  des  peintres  Fantin- 
Latonr,  Pegros,  Whistler,  Wanet, 
Kibot .  \'ollon,  l'issarro,Cazin,etc.,les 
jeunrs  artistes,  (|u'on  appelait  déjà, 
a\ec  une  horreur  sacrée:  les  réalistes. 
P'ostracisme  dont  ils  étaient  victimes  durait  depuis  ([uelque  temps.  En  1859,  comme 
Pegros,  Pantin,  Kibot  et  Whistler  venaient  d'être  i)roscrits,  l't'xcellent  Bonvin,  qui  avait 
considéré  avec  sympathie  leiu's  premiers  en\-ois  et  qui  les  accompagnait  de  ses  conseils  au 
Pouvre.  où  tout  ce  monde  se  réunissait  alors,  le  bra\'e  Bonvin  eut  l'idée  de  faire  dans  son 
propre  atelier  une  exposition  de  ces  ou\'rages,  y  attira  des  visiteurs  et  y  conduisit  Courbet, 
à  qui  il  présenta  la  petite  bande.  Ils  n'hésitèrent  pas  à  s'enrôler  sous  la  bannière  du  maître, 
qui  représentait  au  plus  haut  point  l'idée  d'indépendance.  Courbet  eut  même,  quelque  temps, 
un  atelier  où  (inelques-uns.  Pantin  entre  autres,  travaillèrent. 


HkN'KI    l'ANTlN-l.A  liiHK.    -        iMlwil]    1 
(Xalional   (  ialk-rv   >lf    1,. 


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mcaisc. 


141 


Le  jeune  Fantin  était  alors  le  plus  ardent  de  la  petite  i)lialange.  Henri  Fantix-Latouk 
était  né  à  Grenoble,"  le  14  ian\-ier  1836,  d'une  bonne  famille  de  bourgeoisie  dauphinoise,  du 
côté  paternel,  et  d'une  mère  russe,  Hélène  de  Naidenoff,  fille  adoptive  de  la  comtesse  Zolojï. 
Son  père  Théodore  était  peintre,  d'un  tali-nt  estimable  et  c'est  près  de  lui  que  se  forma  son 
fils.  La  famille  étant  venue  à  Paris  en  1S41.  le  jeune  Fantin  compléta  son  éducation  à  l'école 
de  dessin  de  la  rue  de  TEcole-de-Médecine.  où  professait  alors  Lecoq  de  Boisbaudran.  et  où  il 
connut  ses  premiers  amis:  Legros,  Ottin,  (juillaume  Régamey,  Qt  surtout  au  Lou\Te,  où  il 
se  lia  avec  \\'histler,  a\-ec  Ricard,  avec  Camhis  Duran  et  a\-ec  M*"'!''  \'icti>ria  Dubourg,  qu'il 


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HkNRI    KANTIN-LAT"rR. 


Le-  l)an-es  (  Mu>ce  de  l'au). 


devait  épouser  en  1876.  Ce  jeune  révolutionnaire  conquit  de  bonne  heure  une  certaine  noto- 
riété dans  les  milieux  artistiques  par  la  grande  tenue  de  ses  ceuvres;  son  influence  s  exerça 
autour  de  lui  sur  quelques-uns  de  ses  camarades  et ,  entre  autres,  sur  les  débuts  de  l'américain 
Whistler,  dont  nous  parlerons  ultérieurement.  Fantin  commença  par  des  portraits,  ceux  de 
ses  sœurs  en  particulier,  telles  ces  Brodeuses,  si  attentives  et  si  recueillies,  qui  ajjpartiennent 
à  Mme  V.  Klotz  et  qui  furent  refusées  au  Salon  de  1859;  puis  par  des  compositions  groupées 
dans  le  genre  des  grands  Hollandais:  Rembrandt,  Franz  Hais  ou  \'an  der  Helst.  Fantin  a 
exécuté  cinq  de  ces  grandes  compositions,  qui  réunissent,  chacune,  une  dizaine  de  personnages. 
Il  en  est  une.  le  Toasl.  qu'il  a  détruite  lui-même.  Les  autres  sont  :  VH(i/ui)ia!;c  à  Dehicraix  {1H64), 


142 


La  Peinture   au   XIX"'  siècle. 


r.l/(7;'tT  ((«.V  Biitii^iiolles  (1870),  le 
Coin  de  table  (1872)  et  Autour  du 
piano  (1885).  Ces  quatre  toiles  méri- 
teraient chacune  une  notice  spéciale 
par  la  place  qu'elles  tiendront  dans 
notre  histoire.  Il  en  est  deux,  les 
premières,  qui  sont  plus  particu- 
lièrement importantes,  par  le  carac- 
tère d'art,  par  les  personnages  qu'il 
a  mis  en  scène  et  par  la  signification 
de  ces  groupements. 

L'Hommage  à  Delacroix  fut 
conçu  au  lendemain  de  la  mort  du 
maître,  dont  l'admiration  des  jeunes 
révoltés  avait  fait  le  réaliste  par 
excellence.  Fantin  conçut  ce  tableau 
comme  une  (euvre  de  piété  et  de 
dé\()tion  à  la  mémoire  du  maître 
et  comme  une  démonstration  ,, réa- 
liste". Il  réunissait,  en  effet,  autour 
portrait  du  ,L;rand  romantique,  ses  principaux  fer\ents.  qui  étaient  aussi  les  premiers  rôles 
la  petite  trou})e:  lîracquenrond  et  Legros.  .Manet  et  W'histler,  celui-ci  un  bouquet  à  la 
main,  les  écrivains  Champfieurv,  Duranty  et  Baudelaire,  représentant  le  , .réalisme"  et  le 
..modernisme",  puis  deux  autres  amis,  cpii  n'ont  pas  laissé  de  nom  dans  la  suite,  Cordier  et 


Al.llInNSK    Lki 


l.Ex 


(Milscc    dr    Uijull). 


du 
de 


de  Balleroy;  enfin  Fantin  lui-même. 
Cette  peinture  magistrale 
et  si  peu  ré\"olutionnaire.  tant  elle 
prticède  des  plus  grandes  et  des  plus 
pures  traditions,  a  été  donnée  au 
Lomre  par  M.  ]\Ioreau-Nélaton  et 
ligure  dans  la  collection  exposée  au 
]\Iusée  des  Arts  décoratifs. 

Dans  le  nombre  de  ces  figu- 
rations si  intenses  de  vie.  d'ime 
technique  si  simple,  si  savante  et  si 
belle,  qui  chaque  jour  semblent 
prendre  une  place  plus  haute  dans 
notre  art  contemporain,  il  faut  citer 
en  première  ligne  le  double  portrait 
du  graveur  Ediiin  Edicards  et  de 
sa  femme,  exécuté  en  1875.  que 
celle-ci  à  légué  à  la  National  Galler\' 
de  Londres.  Il  s'y  tient  avec  éclat 
près  des  chefs-d'œu\Te  de  tcms  les 
temps.  Fantin  se  lassa  un  jour  de 
ces  importants  tra\aux.  si  difficiles 
à  mener  à  bien,  ne  fut-ce  qu'en 
raison   des  exigences   des   modèles. 


bras  de  chemise,  palette  à  la  main,  prêt  à  l'attaque. 


.\irilON~.E    LeGRi: 


L".\men)le  lionorable  (Musée  du  Luxembourg). 


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Ecole   française. 


145 


Il  peignit  des  mi-rwilles  de  fleurs  et  il  s";il).uuliinn;i  à  tout  uu  geure  de  sujets  d'imagination 
romantique  et  d'allégories  ou  mythologies,  conçues  dans  le  goût  du  Corrège.  de  Watteau  ou  de 
Fragonard,  en  de  chaudes  harmonies  enveloppées.  Il  s'ador* -^  surtout  à  des  inspirations 
musicales  prises  dans  le  monde  héroïque  ou  fabuleiix  de  Wagner,  de  Berlioz,  de  Rossini  ou 
de  Brahms,  car  Fantin  fut  toute  sa  vie,  lui  aussi,  un  ardent  mélomane.  Les  Danses,  du  Musée 
de  Pau  (Salon  de  1891)  sont  ime  reprise  d'un  pastel  du  Salon  de  1888,  qu'il  reprit  une  troisième 
fois  en  1893,  en  précisant  sa  signification  musicale  inspirée  du  Ballet  des  Troyens,  de  Berlioz. 
Fantin-Latour,  longtemps  méconnu  du  grand  public,  a  pu  jouir,  à  la  fin  de  sa  vie,  de 
cette  gloire  qui  n'a  cessé  de  croître.  Il  est  mort  le  25  aoiit  1904,  dans  sa  propriété  de  Buré 
(Orne).  Il  était  officier  de  la  Légion  d'hrmneur  depuis  1900. 


TllÊODlI.E  KlEOT.  —  Saint  Sébastien,  Martvr  (-Musée  du  Luxembourg) 


Son  camarade  de  jemiesse,  Alphonse  Legros.  est  né  à  Dijon  le  S  mai  1837.  Il  était 
fils  d'un  petit  comptable  et  le  deuxième  de  ses  sept  enfants.  Après  a\'oir  étudié  à  l'Ecole 
des  Beaujc-Arts  de  Dijon,  il  fut  placé  à  treize  ans  chez  un  peintre  en  bâtiment,  d'origine 
italienne,  qui  coloriait  des  images  de  sainteté.  Parti  en  1S51  pour  Paris,  où  il  pensait  occuper 
une  place,  il  s'arrêta  six  mois  à  Lyon:  il  y  fut  employé  pour  la  première  fois  à  quelques 
travaux  élémentaires  de  décoration.  A  Pans,  il  travailla  chez  le  décorateur  Cambon  et  surtout 
avec  Lecoq  de  Boisbaudran  qui,  par  la  méthode  du  dessin  de  mémoire,  forma  une  si  belle 
génération  d'artistes.  Legros,  comme  aussi  Cazin,  également  son  élève,  continua  ses  enseigne- 
ments. Ses  premiers  travaux,  inspirés  de  Holbein  et  ses  eaux-fortes  eurent  un  très  grand  succès 
dans  le  petit  milieu  réaliste.   ;\Iais  la  \ie  était  fort  difficile  pour  lui  et.  sur  la  proposition  de 


146 


La  Peinture   au   XIX^  siècle. 


Whistler,  (jui  ;i\Mit  déjà  entrainé.  qiK'l<iui.'s  mois,  leur  camarade  Fantin.  il  se  rendit  à  Londres 
en  1836.  (jràce  à  Tamitié  dévouée  de  quelques-uns  de  ses  nouveaux  amis  d'Outre-Manche, 
il  y  trouva  une  situation  honorable  comme  professeur,  s'y  maria  et  v  est  demeuré  fixé. 
L'œuvre  de  Legros  s'étend  sur  la  peinture,  la  scvrlpture  et  la  gravure,  \-()ire  la  gra\iire  en 
médaille.  La  peinture  occupe  siutout  la  première  partie  de  sa  carrière,  a\'ant  (ju'il  fût  par 
trop  absorbé  par  le  professorat.  Son  iru\r('  comprend  un  certain  nombre  de  portraits,  comme 
celui  de  Canihctta,  que  Sir  Charles  Dilke  lui  commanda  et  que  l'illustre  et  généreux  homme 
d'état  anglais  a  donné  d'avance  à  la  France,  et  des  scène-.  |)opuUiires,  principalement  prises 
dans  le  milieu  des  choses  religieuses  comme  VKx-vuto.  les  fciiiiiu-s  en  f)riÎYcs.  ou  quelques  sujets 
plus  généraux  touchant  aux  légendes  sacrée.^:  comme  le  RcU'ur  de  l'cnfiinl  prodiiiHC.  le  Songe 
de  J(ieoh,  le  Christ  murl  et   V Amende  honorable. 


Jamk>  Tii^m 


ilu   I.iKcnilioiiit;) 


IJ'Ex-voto  appartient  au  ]\hisée  de  Dijon:  il  \"  ;i  été  placé  par  l'Ftat.  Il  fut  e.xposé 
en  1861  et  produisit  une  grande  sensation  au  Salon,  où  il  fut  accueilli  de  façons  très 
diverses.  Les  uns  y  \'irent  le  développement  prochain  d'un  esprit  profondément  religieux, 
les  autres,  plus  clairvoyants,  distinguaient  l'influence  de  F lînterrement  d'Ornans  et  accablaient 
le  jeune  artiste  sous  l'épithète  injurieuse  de  réaliste.  Cette  influence  est  manifeste,  mais  à 
côté  des  robustes  qualités  que  Legros  empruntait  à  Courbet,  il  offrait  en  propre  un  sentiment 
intense  d'émotion  contenue,  de  foi  profonde,  avec  une  distinction  et  une  tenue  dans  le  dessin 
qui  devaient  le  conduire  bientôt  vers  Ingres.  Cette  progi'ession  se  marque  avec  une  maîtrise 
calme  et  grandiose,  un  style  sobre  et  digne,  une  impression  de  beauté  et  de  recueillement 
dans  cette  admirable  toile  des  Jeunes  femmes  en  prières  de  la  Tate  Gallery,  à  Londres,  qui 
date  de  1882. 


Ecole   trancaise. 


147 


Quant  à  ÏAiiiciulc  hoiinrahlc.  l'ik-  fut  cxpusée  au  Salon  de  i8hS  et  mérita  à  l'artiste  une 
médaille.  C"est  une  scène  de  Flnquisition.  (la.n>  hKiuelle  l'inlluence  de  son  maitre  de  pré- 
dilection à  cette  date,  Holbein,  se  confond  avec  celle  des  Espagnols.  L'austérité  des  figures 
\  fait  contraste  a\ec  l'éclat  argentin  des  couleurs  et  produit  cette  impression  de  majesté 
froide  et  de  sérénité  inflexible,  cpii  est  le  caractère  de  l'église  espagnole  et  qu'il  semblait 
emprunter  à  la  palette  de  Zurbaran. 

Car  les  Espagnols  furent,  a\-ec  les  Hollandais,  les  maîtres  préférés  de  ce  groupe. 
Manet.  Whistler  ou  Carolus  Uuran  s'attacheront  à  \'élas(juez.  que  Pantin  eut  le  regret  de 
ne  poiu-oir  aller  admirer  sur  jilace.  Mais  l'un  de  ceu.x  qui  semblent  sVn  être  inspirés  de  plus 
près  est  Ribot. 


C.\KOLl>     UCKAN 


Théodule  Ribot  naquit  à  Breteuil  (Eure)  le  S  avril  iSij  et  il  est  décédé  à  Paris 
le  II  septembre  iSqi.  Son  père  était  ingénieur.  Orphelin  à  dix-sept  ans,  il  entra  comme 
comptable  chez  un  tailleur  d'Elbeuf.  Marié  de  bonne  heure,  il  vint  à  Paris  en  1844  et  entra 
dans  l'atelier  de  (ilaize,  en  faisant  un  peu  tous  les  métiers  pour  vivre.  Il  séjourna  même 
trois  ans  à  Oran  comme  contremaître  d'un  entrepreneur  en  bâtiments.  Son  premier  Salon 
date  de  1861.  avec  des  scènes  de  cuisine  qui  le  firent  particulièrement  remarcjuer.  En  1865, 
il  exposait  le  Saint  Scbastioi.  Martyr.  c|ui  fut  récompensé  d'une  médaille  et  acheté  pour  le 
Luxembourg.  Cette  robuste  et  sa\'ante  peinture,  d'une  rare  maîtrise  d'exécution,  montre 
bien  le  rattachement  de  Ribot  à  Ribera.  11  était  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  1887. 
Il  faut  relever  encore,  dans  ce  milieu.  Vollcjn  (Antoink).  né  à  Lyon  en  1833,  décédé  à 
Paris  le  25  août  iqoo,  admirable  peintre  de  natures  mortes,  qui  se  rapproche  des  Hollandais 


4^ 


La   Peinture   au   XIX^  siècle. 


et  notumnuiit  de  Franx  Hais;  Rovbet  ( Ferdinand) .  né  à  Uzès  le  20  avril  1840,  qui  reprit 
la  donnée  des  personnages  costumés  de  Meissonier:  reîtres,  mousquetaires,  buveurs,  avec 
une  palette  riche  et  puissante,  de  belles  matières  grasses  triturées  d'une  brosse  vaillante.  Sa 
/ciiiic  liUc  iiii  pcn-iH/iict.  du  Musée  du  Luxembourg,  appartient  à  ce  qu'on  peut  appeler  son 
ancienne  manière,  celle  de  petit  format,  car  )i]us  tard  il  s'est  plu  à  reprendre  ces  mêmes 
scènes  a\'ec  des  portraits  de  ])ersonnage>  connus  et  de  grandeur  naturelle. 


CaROLUS    DcRAN.    —    I..1    D.ilu 

à  l'ancien  TestannMit.  Tis 
personnalités  qui  M>nt  de\ 
le  3  ian\-ier  iS_;4.  1 


est  mort 
■\"enut.'>  illustrt 
dans  la,  même 


James  ïissot  appartient 
également  à  cette  génération  et  à 
ce  groupement.  Né  à  Nantes  le 
15  octobre  1856,  il  étudia  d'abord 
.L\-ec  Flandrin  et  Lamothe,  mais  il 
>ubit  tour  à  tour  d'autres  influences, 
qm  se  sont  marquées  sur  ses  cEuvres. 
(  "est.  d'abord,  celle  du  peintre 
belge.  Henry  Leys,  dont  les  fortes 
harmonies  suggestives  ont  de  sonores 
échos  dans  la  Rencontre  de  Faust  et 
de  Marguerite  du  Musée  du  Luxem- 
bourg (Salon  de  1861),  puis  celle  de 
("ourbet,  dans  Les  deux  Sœurs  (Salon 
de  1864).  A  la  suite  des  événements 
de  la  Commune  où  il  craignait  d'être 
compromis,  pour  avoir  organisé 
une  .imliulance  dans  son  hôtel,  il 
partit  pour  Londres  et  il  y  demeura 
ti-\é  asse/î  longtemps.  Il  y  était 
d'ailleurs  allé  en  1863,  en  même 
temps  que  Fantin,  Legros,  et  aussi 
Ste\'ens,  qui  touche  à  ce  milieu,  et  il 
1  essentit  déjà  le  contact  des  maîtres 
.Lnglais  contemporains,  tels  que  Sir 
John  M.  Millais.  Il  reparut  à  l'Expo- 
sition de  la  Société  Nationale  des 
Heaux-.\rts,  en  1894,  avec  290 
aquarelles  sur  la  ]'ie  de N .-S.  Jésus- 
Christ,  qu'il  était  allé  recueillir 
Ui  i,u\._ii.i...uio).  pendant  dix  ans,  en  Palestine.  Elles 

furent  suivies  d'une  série  consacrée 
Paris  en  i()02.  Il  est  encore,  dans  ce  voisinage,  deux 
L'une  est  Claude-Ferdinand  Gaillard,  né  à  Paris 
ille  le  ic)  janvier  1S87.   Celui-ci  s'est  fait  non  seule- 


ment un  nom  exceiitionnel  comme  graveur  et.  à  ce  titre,  il  occupe  dans  son  art  une  place 
de  premier  ordre,  mais,  comme  peintre,  il  a  laissé  un  certain  nombre  d'ouvrages  d'un  art 
austère,  et  d'une  rare  puissance  expressive.  On  ne  peut  oublier,  une  fois  qu'on  les  a 
vues,  ni  cette  face  vulgaire  au  visage  éclairé  de  bonté,  de  sa  tante,  ni  la  hautaine  et  mordante 
physionomie  du  prélat  a\-eugle.  Mgr  de  Ségur.  Gaillard  était  né  dans  une  famille  très 
modeste.    Ses   goûts   furent    dé\-el<ippés   par   les   siens.    Il   étudia    d'aljord    chez  les  frères  du 


Ecole  trancaisc. 


149 


Gros-Caillou,  puis  à  la  , .Petite  Ecole"",  près  de  Lecoq  de  Boisbaudran.  David  d'Angers  s'intéressa 
également  à  lui.  Il  obtint  le  second,  puis  le  premier  prix  de  Rome  (1856),  passa  cinq  ans  en 
Italie  et  reconcounit,  à  son  retour,  mais  sans  succès,  pour  le  prix  de  Rome  de  peinture.  -Il 
s"était  enrôlé  volontairement  pendant  la  guerre  et  se  battit  à  Buzenval.  Très  religieux,  il  a 
surtout  peint  ou  gravé  des  portraits  de  personnages  ecclésiastiques,  et  il  est  mort  affilié 
lui-même  à  un  ordre  religieux. 

Quant  à  Tautre.  C.^Koi.rs  DiK.w.  m  ses  débuts  furent  difficiles,  nulle  carrière  ne 
s'est  montrée  plus  brillante  ni  plus  fertile  en  heureuses  productions.  La  bonne  fée  de  la 
peinture  était  penchée  sur  son  berceau,  le  4  juillet  iSjj.  jour  où  la  ville  de  Lille  le  vit 
naître.  Le  jeune  Charles-Auguste-Emile,  qui  se  donna  le  nom  romantique  de  Carolus.  étudia 
d'abord  dans  sa  ville  natale,  puis,  subventionné  par  le  Conseil  ^hinicipal,  il  vint  se  perfec- 


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CARlII.rs    DlRAN. 


tionner  à  Paris.  La  ville  de  Lille  ren\Mya  également  à  Rome,  où  il  se  rendit  en  1861.  Mais 
il  s'isola  surtout  pour  tra\'ailler  et  il  s"enferma  pendant  six  mois  entiers  dans  le  couvent  de 
Subiaco,  où  il  peignit  La  prière  du  soir  et  cette  toile  si  pathétiqtie.  d"une  si  mâle  et  fière 
exécution:  L'assassiné  (1866).  Carolus  Duraii  v  montrait  ses  dons  e.xceptionnels  de  peintre 
et  sa  clairvoyance,  qui  lui  avait  ouvert  les  \-eux  sur  le  maitre  d'Omans,  si  discuté  encore,  et 
sur  les  grands  Espagnols,  Flamands  ou  \'énitiens.  Car  Titien.  Rubens  et  \'élasquez  furent 
ses  maîtres  et,  semble-t-il.  ses  ancêtres.  Il  a  retrouvé  le  secret  de  leurs  audaces  et  de  leurs 
bonheurs.  Il  a  peint  quelques  décorations,  comme  le  plafond  A  In  gloire  de  Marie  Médieis, 
primitivement  destiné  au  Luxembourg,  aujourd'hui  placé  au  Louvre,  et  quelques  tableaux 
de  style;  mais  il  s'est  fait,  surtout,  une  réputation  universelle  comme  peintre  de  portraits. 
Il  a  traduit  avec  fermeté  nombre  de  physionomies  d'honunes.  mais  c'est  avec  les  effigies  de 
femmes  qu'il  a  montré  toute  la  richesse  de  sa  nature  pittoresque  si  primesautière.    Nul  n'a 


I  .o 


L;i   PcnitLiR-   ail   XIX^  siècle. 


itnuiu  a\'ec  i^ius  d'éclat  la  somptuosité  des  étoffes  et  la  splendeur  de  cette  pidpe  di\-ine  de 
lu  chair,  et,  cependant,  sa  palette  s'assagit  et  sa  brosse  se  calme  pour  traduire  le  recueille- 
ment de  ses  modèles.  C'est  ainsi  qu'à  côté  des  brillants  portraits  de  femmes  des  Musées 
de  ]-ille  et  de  Bnixelles.  la  Daine  an  gaii/.  du  Luxembourg,  se  présente  a\-ec  le  plus  simple 
appareil  de  charme  et  de  gra\ité,  de  noljlesse  et  de  grâce.  C'est  une  <eu\'re  qui  date  dans 
son   {LMU're   et   dans  ce   temps. 

A  côté  de  ces  images  de  femmes,  dans  les(iuelles  sa  famille  tient  une  grande  place 
(.1/""'  Caidlits  Ditniii,  .!/'"'■  ('ynizctfc.  sa  belle-s(eur.  M""'  l-'i-vdcaii.  sa  lille.  etc.)  ("arolus  Duran 
ne  ]iou\ait  manquer  d'être  S(]Ilicité  ])ar  le  ;;//.  <  e  fut,  d'ailleurs,  nous  l'ax'ons  \'u,  un  goût 
commun  à  toute  sa  génération.  11  a  donc  ])eint.  lui  aussi,  des  Aiuiroiiicdc.  de^  M aric-M addcine. 


('iIII.I..\lMK    Kll'.AMI-V. 


lie  h   Caidc  (Musée  de  Pau). 


des    iJaiiac.    L'J^vcil.    exposé    au   S, don  de   1886.   est  une  de  ces  jeunes  et  fraîches  créations, 
jaillies  connue  spontanément  sous  la  caresse  ardente  de  ses  pinceaux. 

Cariilus  Duran  est  actTiellement  Directeur  de  l'Académie  de  France  à  Rome.  Il  a  été 
président  de  la  Société  Nationale  des  Beaux-Arts,  dont  il  est  l'un  des  fondateurs.  Il  a  obtenu, 
en  1879.  la  médaille  d'iionneur  et  a  été  élu  membre  de  l'Institut  en  11)04.  Il  est  grand  officier 
de  la  Légion  ci'honneur  depuis  i()oo.  Son  enseignement  a  formé  de  nombreux  élèves,  notam- 
ment dans  l'école  américaine.    Il   faut  signaler  parmi  eux,  en   première  ligne,  John  Sargent. 


Plus  modeste,  certes,  est  la  figure  de  Cirii.L.'WMH  RÉ(;.\mi:v.    L'exposition  de  1900  et 
le    .Musée   de    Luxembourg   l'ont    réhabilitée,   mais  elle   n'est  pas  encore  à  sa  vraie  place  car, 


Ecole    française. 


I  ^  1 


dans  un  niilii-u  de  hcanx  jieintres,  Cf  lut.  lui  aussi,  un  \r,u  iicintir.  11  (■•liiit  nr  à  Pa.vis,  le 
27  septembre  liSjj.  Il  a\-.i.it  deux  autres  frères  qui  se  \iiuèrent  ;i.u>^i  à  l,i  ]ieintun'.  II  >ui\it, 
avec  Fantin  et  LegrdS.  les  eours  de  la  ..Petite  l-Icole"  de  de>sin  et  eut.  à  ec")té.  pnur  maitR' 
Bonvin  qui  Taimait  et  l'aj^préciait  beaueciup.  Comme  ses  camarades,  il  détnita  ;i,u  S;diin  de 
1859.  Dès  1863  il  essay;iit  un  de  ces  t;djleau.\  de  militaires  dans  les(]Uels.  en  restant  tiuijdurs 
sous  le  point  de  vm-  \-raiment  pittnresque,  en  em])l(iyant  tme  technitiue  robuste  et  col(.irée, 
il  savait  donner  une  snrte  de  ,L;randissement  héroïque  à  ses  soudards  d'Itidie,  de  Crimée  ou 
d'Africjue.  Le  Musée  du  Luxembourg  garde  une  excellente  petite  toile  de  cuirassiers  attablés 
dans  un  cabaret.  Plus  heureux. 
le  ^lusée  de  Pau  conserve  la 
Batterie  de  faiiiboitrs  des  i^yeua- 
diers  de  la  darde:  eciiupir^iie 
d'Italie,  du  Salon  de  1865.  (jui 
est  ime  forte  et  superbe  ju-m- 
ture.  Ciuillaume  Régame-y 
travailla  quelque  temps  à  Lon- 
dres, où  il  a  donné  beaucoup 
de  dessins  pour  les  journaux 
illustrés.  Il  fut  très  affecté  par 
les  événements  de  la  guerre  de 
1870  et  s'éteignit  à  Paris.  ])eu 
après,  le  3  janvier  1875. 

Une  des  plus  doulou- 
reuses victimes  de  ces  tristes 
jours  a  été  Hexri  Regxaui.t. 
qui  fut  tué  le  ic)  jan\-ier  1871. 
à  Buzenval.  par  ime  balle  })er- 
due,  alors  qu'il  persistait  à 
rester  sur  le  champ  de  bataille. 
Ce  deuil  fut  vivement  ressenti 
par  la  France  entière,  à  Pheure. 
cependant,  oii  elle  ne  comptait 
plus  les  deuils.  C'est  que  peu 
de  natures  se  UKintmient  aussi 
généreuses,  aussi  vaillantes  et 
s'annonçaient  a\'ec  un  aussi 
magnifique  avenir.  II  était  né, 
à  Paris  dans  les  murs  du  Collège 

de  France,  le  30  octobre  1843,  deuxième  fils  du  célèbre  savant  \'ictor  Kegnault.  membre  de 
l'Académie  des  sciences,  qui  dirigea  un  certain  temps  la  manufacture  nationa.le  de  Sèvres. 
La  vocation  de  Kegnault  fut  si  précoce  qu'elle  semble  tenir  du  prodige:  dès  l'âge  de  trois 
ans,  on  ne  pouvait  le  faire  tenir  tranquille  cpi'avec  un  crayon  et  un  bout  de  jxipier.  Son  père 
exigea  qu'il  terminât  toutes  ses  études  avant  de  se  donner  à  la  peinture.  En  sortant  du  collège, 
en  1869,  il  entra  chez  Lamothe,  élève  de  Flandrin,  mais  il  n'.ivait  jamais  cessé  de  dessiner, 
surtout  des  animaux,  qu'il  ahait  voir  au  Jardin  des  Plante>  et  cpi'il  crocjuait  de  ménroire  en 
rentrant  chez  lui.  Ses  ]M-ogrès  furent  très  rajiides  :  il  enlex'a  le  jnix  de  Rome  et  partit  dans 
cette  ville  en  1866.    Son  iiremier  envoi.  Autoinédun  domptmit  les  eaiirsiers  d'Achille  fit  sensation; 


IIknki  I';ki;nai  I, 


I  ^2 


La  Peinture  au   XIX^  siècle. 


on  croyoit  retruiu'er,  dans  cette  peinture  inipéteuse,  la  brosse  énergique  et  emportée  d'un 
nouveau  Géricault.  En  1861S,  il  partit  pour  l'Espagne,  qui  Tattirait  irrésistiblement.  Il 
arrivait  en  pleine  révolution.  Il  assista  avec  enthousiasme  aux  frénétiques  débordements  des 
passions  populaires  et  il  a  tâché  de  les  rendre  autour  de  la  figure  du  célèbre  conspirateur  Juan 
Prim.  Ce  tableau,  qui  fut  exposé  au  Salon  de  1869,  produisit  une  profonde  émotion  et  l'État 
l'acquit  pour  le  ïMusée  du  Luxembourg,  d'où  il  est  passé  ensuite  au  Louvre.  Le  jeune  artiste 
montrait,  dans  l'image  de  cet  extraordinaii'e  aventurier,  toutes  ses  qualités  de  fougue  et  de 
générosité  natives.  ,, C'est  un  petit  homme  maigre,  d'une  tournure  très  amusante  et  dont 
la  tête  est  pleine  de  caractère",  écrit  H.  Regnault.  .,11  vient  de  gravir  une  pente;  arri\-é  au 
sommet,  il  arrête  court  son  clieval.  à  la  mode  espagnole,  et  salue  à  la  fois  la  liberté  et  sa 
patrie,  qu'il  lui  est  permis  de  revoir,  non  î)1us  en  proscrit,  mais  en  maître". 

Regnault  retourna  à  Rome,  d'où  il  en\-oy;u  sa  Judith  et  sa  Saloiné,  puis  il  repartit  pour 
l'I'lspagne,  visita  Grenade  et  passa  au  Maroc:  il  y  tut  séduit,  à  son  tour,  après  Delacroix  par 
le  pittoresque  prodigieux  de  ces  nueurs  et  de  ces  types  et  par  la  splendeur  de  ce/ ciel.  Il  revint 
en  France,  vers  le  milieu  de  septembre  1870,  en  hâte  pour  entrer  à  Paris  avant  l'investissement. 
Il  s'engagea  dans  un  bataillon  de  m.irche,  où  il  \-(iuhit  rester  comme  simple  s(jldat.  Il  fut 
frappé  en  plein  bonheur,  car  il  \-enait  de  se  fiancer,  et  en  plein  talent,  car  il  était  de  ceux  dont 
on  pouvait  beaucoup  attendre. 


Claiiie-Fekiiinami  Oaillaki'.    —   Piiitiait  lie  femme 
(.Musée  iJii   l.iixemboiui,'). 


ALBERT  BESNARD. 

Etude  de  femme. 
(Pastel,   ColUctiou  de  M.   le  Dr.   Pierre  Delbet). 


CHAPITRE  \"I. 

I-:('()LK    FRANÇAISE. 
OrATKiKMi-    PKKionr;.  —  Di:   iSyn  a   niuo 


LA  puriiide  qui  s'ett-nd  Mir  \r^  tniitc 
dernières  années  dn  sièile  a  été 
l).irticulièrement  fa\'ural)Ii'  ^au 
développement  des  arts.  Elle  est,  jiar  la 
force  même  des  chnses,  Tabontissement 
de  tous  les  effurts  LLCcmnulés  an  cdurs 
des  précédentes  étapes.  Mais  les  e\éne- 
ments  nou\'eaux  dont  la  natinn  tut  le 
théâtre  exercèrent,  de  leur  rote,  li-ur 
action  '  énergique  sur  la  ennscience 
générale.  Les  diverses  manifest.itiuns  de 
la  pensée  en  furent  fortement  ébranlées 
et,  après  la  littérature  et  l'art  drama- 
tique, la  peinture  en  rei.nt  directement 
le  \'i(  lient  contre-coup. 

La  date  de  1S70  est,  en  effet, 
particulièrement  solennelle,  l'.lle  marcpie 
l'heure  d'un  grand  déchirement,  unis 
elle  ouvre  aussi  celle  d'une  ère  niMi\-elle 
de  liberté  démocratique  et  dej)ni[,'ies 
social.  La  grave  leçon  qui  se  degcLgeait 
de  ces  jours  critiques  jiorta  immediatt- 
ment  ses  fruits,  l'ne  ammatiim  uiti  um 
régna  partout,  dans  tous  les  nulus  dt 
l'activité  nationale;  c'était  plus  (pi  un 
réveil,  c'était  une  résurrection. 

L'art  français  s'était  n  1(  \  t 
aussitôt  avec  une  énergie  extrême  ;  les 
Salons  reprenaient  immédiatement  leurs 
cours  et,  dès  1873,  à  l'Expositinn  internatinnale  de  \'ienne.  il  aflii-in.iit  hautement  sa  \"italité 
en  prenant  la  première  place  entre  tous  les  cDUcurrents.  Les  m.iitre^  ([ui  >'et. lient  produits 
au  cours  des  générations  antérieures  et. lient  dans  toute  la  maturité  triomph.inte  de  leur 
talent;  de  nouveaux  venus  surgissaient  qui  \enaient  grossir  ce>  glorieuses  eohortes.  De  tous 
côtés,  du  milieu  traditionnel,  comme  des  groupes  indépendants,  l'ardeur  était  égale  et  \"i\'e. 
Dans  le  développement  régulier  de  l'école,  une  génération  nou\'elle  marchait  dans  les 
traces  des  précédentes  avec  des  artistes  de  talent  souple  et  dix'ers  (|iii  touchaient  .1  toutes  les 


Jei.i 


Nymplif  et   lîaccli 


de  Lyon). 


154 


La  Peinture  au   XIX^  siècle. 


ciirdes  de  rinspiratinn  t-t  tiardaicnt,  i-n  s"effi}rçant  dr  la  icnuiucliT,  la  traditiiin  de  la  ])ciiitu]C 
d'histoire,  du  nu  et  du  portrait.    Les  aines  étaient  Jules  Lefelivre  et  Tony  Robert-I<leury. 

Né  à  Tournon  (Seine-et-Marne),  le  lo  mars  i<S,;().  dans  une  famille  de  f^ens  modestes, 
Jui.es  Lefebvre,  après  a\'oir  ccmnnencé  ses  étndt-s  de  dessin  dans  sa  \ille  natale.  \'int  à  Paris 
à  l'âge  de  seize  ans.  a\'er  une  recommandation  de  ré\-êque  d'Amiens  jiour  Paulin  duérin, 
ipii,  de  son  côté,  l'adressa  à  Léon  Cogniet.  Celui-ci  l'admit  dans  son  atelier.  Il  xécut  pendant 
plusieurs  années  avec  une  petit<'  pension  de  la  \  ille  d'.\nncns,  eoncnurut  cpuitre  fois  pour 
Rome,  obtint  le  second  prix  en  1S51)  et  enfin  le  grand  jirix  en  iSdi.  Sun  premier  Salon  date 
de  1861.  Il  envoyait,  de  Rome,  un  groupe,  Nymphe  et  Ininliiis.  (jui  fut  exposé  au  Salon  de 
iS6()  et  fut  accjuis  par  l'L'.tat  pour  le  Musée  du  Luxembourg,  où  il  resta  longtemps  accroché 
avant  d'être  attribué  au  Musée  de  Lyon.  Cette  charmante  composition,  dans  le  goût  antique, 
et  vue  à  travers  les  maîtres  de  la  Renaissance,  a  été  reproduite  en  tapisserie  par  les  Gobelins. 
J.  Lefebvre,  d'ailleurs,  se  plaçait  bientôt  à  côté  des  Henner.  des  Cabanel,  des  Delaimay,  des 

r-)audr\-,  par  ses  figures  isolées 
nu  groupées  de  femmes  nues 
l't  cdutribuait.  ]Kir  ses  études 
d'un  dessin  épuré  et  d'une 
grande  distinction,  à  la  con- 
servatiiiu  de  ce  genre  particu- 
lièrement cher  à  l'école  fran- 
çaise. '>d  l' cniiitc  couchée,  1868, 
sa  ]'énté.  1870,  aujourd'hui  au 
Luxembourg,  lui  valurent  de 
grands  succès,  rappelés  par  sa 
Diane  surprise.  Psyché,  etc. 
Comme  ses  prédéces- 
seurs, Jules  Lefebvre  s'est  plu 
également  à  la  peinture  de  ces 
tètes  d'expression,  emprun- 
tées soiu'cnt  aux  t\'pes  popu- 
laires d'Italie,  Pensierosa,  la 
LiDiDiiara  ou  Mignon,  VOr- 
l>lie/nie,  vie.  Il  a  surtout  excellé 
T..NV  K..i:n;i.i-i,i  I  Kv.  —  Lev  .ifini.i .  jour,  .le  Corinih.-    fi.igiiR-iit.  dans    le  portrait,   genre  dans 

lequel  il  a  montré  au  pIus  haut 
jioint  ses  qualités  de  haute  élégance  et  de  style.  Les  iirinciiiaux  snnt  Miss  Laitrance,  M .  Pclpel, 
le  Prince  Inipérial.  la  princesse  de  Carainaii-Chiniay,  M'!^'  Yronue  Lefebvre,  sa  fille,  au  Musée 
du  Luxembourg,  etc.  Jules  Lefelnri'  est  membre  de  l'Institut  dejniis  i8()7  et  commandeur  de 
la   Légion   d'honneur  depuis    i8()3. 


Tony  RonEKT-FLEi'KV  est  le  fils  du  célèbre  ])eintre  d'histoire.  11  est  né  à  Paris  en 
1837,  le  !'■'  se|)tembre.  Klève  de  Delaroche  et  de  Léon  Cogniet.  il  eut  naturellement  sous  les  yeux 
les  exemples  de  son  père,  si  ce  n'est  ses  conseils  et  ses  leçons,  puisqu'il  eut  la  bonne  fortune 
de  le  conserver  jnscju'à  un  âge  très  avancé.  Il  renonça  à  concourir  ])our  Rome,  mais  s'y 
rendit  en  1862.  St)n  ju-emier  Salon  date  de  i86b,  a\'ec  un  tableau  à  la  fms  historique  et  tout 
d'actualité  brûlante,  t[ui  marquait,  chez  le  fils,  cet  enthousiasme  pour  les  causes  des  grands 
sacrifiés  cjui  avait  entraîné  le  père:  C'était  Wirsovie,  le  8  avril  1861,  accompagné  d'une  peinture 
d'observation  de  la  \'ie  populaire:  les  ]'ieilles  de  la  place  Navone,  qui  fut  acquise  pour  le  Luxem- 


Ecole  française. 


bourg.  En  1870  il  expos. ut  sa  grande  coinj^isitinn  I.is  dcniicrs  jours  de  (\ii-ni/lh\  (|m  lui  \-,ilut 
la  médaille  d'honneur.  ( Ct  épisode  (k'  l'histoire  antiipie  de  l,i  (  irèee  est  eniiirunte  à  un  passage 
de  Tite-Live.  Le  edusul  Mumniius,  triomphant,  l'utre  dan-.  la  \ille,  e\'aeuée  et  sans  défenseurs. 
Les  femmes  et  les  enfants,  qui  se  prosternent  en  sui3]iliant,  sont  \endus  comme  escla\-es  tandis 
que  la  ville  est  pillée  et  li\'rée  aux  Hammes.  Tony  Robert-Meury  continua  à  s'adonner  à  la 
peinture  d'histoire  et  aussi  à  la  peinture  décorati\'e.  Dans  ces  dernières  années,  son  esprit 
curieux,  éveillé  par  les  i^roductions  des  milieux 
indépendants,  clierchii  une  forme  d'art  plus  libre, 
plus  dégagée  de  la  \'ision  traditionnelle,  en  même 
temps  que  des  sujets  [ilus  intimes  jn'is  dans  la 
réalité  contemporaine.  L\Ai!xn'ti\  du  Musée  du 
Luxembourg,  a  été  C(in(,ue  sous  cette  nou\'elle 
orientation. 

Tony  Robert-Fleury  a  été  président  de 
la  Société  des  Artistes  français  et  il  est  président 
de  cette  si  utile  association  (]u'on  appelle  \ul- 
gairemejit  du  nom  de  son  fondateur,  l'association 
Taylor.  Il  est  commandeur  de  la  Légion  d'honneur 
depuis  1907. 

Viennent    ensuite,    par    la    date   de    leur 
naissance,  Humbert  et  Benjamm  (  onstant.  Coi 
mon,  Maignan  et  Luc-01i\-ier  Merson. 

Feri)IN.-\nm>  Hi'mheki  est  né  à  Paris  le 
8  octobre  1842.  Comme  celle  de  loin'  Robert 
Fleury,  sa  carrière  présente  deux  aspects  très 
marqués,  l'ne  première  période  dans  hKjuelle 
l'artiste  s'engage  avec  intelligence  dans  la  \die 
traditionnelle  et  une  deuxième  dans  laquelle  s,i 
sensibilité  très  aigiii',  son  esprit  très  délié  poussent 
son  talent  \'ers  les  nou\'eaiités,  si  iiassionm-meiit 
discutées,  de  la  recherche  de  l'atmiisphère.  dr 
l'enveloppe  et  de  l'accord  des  tigures  a\-ec  li 
décor  environnant.  Il  a,  de  plus,  évolue  des 
sujets  d'histoire  ou  de  jieinture  rejigii'use  \-ers  la 
peinture  décoratn'e,  puis  \-ers  le  portrait,  génie 
dans  lequel  il  s'est  rajiproclu''  heureusement  di 
l'école  iinglaise. 

11  fut  élè\'e  de  l'icot  et  de  Cabanel. 
mais  reçut  surtout  de  pré'cieux  conseils  de  hro- 
mentin.    Il  exposa  pour  la  première  fois,  an  Salon 

de  1865,  avec  une  l'iiitc  de  Xcraii  et  (ihtiiit  aux  Salniis  sni\'.nits  une  s('rie  de  succès,  athrmés 
par  des  médailles  et  conlirmés  ])ar  s.i  Mi-ssuiiiidd .  hgure  orientale,  du  salDU  de  i86().  Itn  1874 
sa  Vierge  ct  Fcnjaiil  Jésus,  d'une  lielle  coloration  distinguée,  était  acquise  pour  le  Luxembinirg. 
Appelé  à  participer  à  la  tlécoration  du  Panthéon,  il  sortit  des  sujets  liist(iri(|iies,  commandés 
par  la  destinatinn  priniiti\'e  de  l'édihce  et  di'\-elo]>pa,  d.iiis  les  (putie  ji.iniieaiix  mis  à  sa 
disposition,  ce  thème  d'ordre  philusophifiue:  Les  quatre  cultes  de  t'Iioiiniie.  (jti'il  traita  dans  la 
manière  décorati\-e  de  Pu\-is  de  Cha\-annes,  en  se  sou\-eiiant.  lui  aussi,  très  à  jiropos  de  toutes 


1' KKhlNAMi    lll\ll;l  I 


156 


La  Peinture  au   XIX'^  siècle. 


Mli^c-   (lu   I.u^cnibour: 


les  tentatives  qui  a\-aient  été  faites  pour  traduire  les  phéru.imènes  de  l'atmosphère  et  de  la 
lumière.  lùitni.  il  se  ré\-élait  snus  un  avatar  mnn'eau  comme  jiortraitiste  d'élégances  aristo- 
cratiques. Le  Lu.xembourg  pcjssède,  dans  cet  ordre  de  pemtures,  deux  portraits  de  fines 
tonalités  grises  d'une  grande  distinction.  Ferdinand  Humbert  est  membre  de  l'Institut  depuis 
1902   et   commandeur  de   la   Légion   d'honneur  depuis   igob. 

Bien    que  né  à  Paris,  le  10  juin  1845,  Benj.a.mix  Coxst.wi  (Jean  Joseph)  appartient 
à    ce   qu'on   appelle   l'école   de   Toulouse.    Il   fut,   en   eftet.  élevé  dans  cette  ville,  y  apprit  les 


;\iiiN.   —  Ç.uii   ;Mu-tc  .lu   Lux 


Ecole  française. 


3  / 


éléments  de  son  ;irt  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  et  ayant,  en  i^hh.  (ihtrnu  le  ])n.\  di-  la  \'ille.  il 
vint  à  Paris  où  il  entra,  l'année  suivante,  dans  Tatelier  de  Ctixinrl.  Il  appartenait  à  la 
vieille  famille  languedocienne  des  Constant  de  Saligné.  apparentée,  au  .WII'-  siècle,  avec Jes 
Constant  de  Rebecque.  d'où  était  sorti  l'illustre  homme  d'I'.tat  dont  H  portait  le  n(im.  Il 
était  allié  par  son  mariage  à  la  famille  Arago.  a\-ant  épousé  une  des  filles  d'Emmanuel  .Aragn. 
sénateur  et  ambassadeur  à  Benie. 

Son  premier  Salon  date  de  iS6().  avec  un  Hnnihi.  trè-  iniii.iutiMur.  Peu  apr<'->,  il 
partait  pour  l'Espagne,  où  il 
rencontra  Fortun\-.  qui  exerça 
sur  lui  le  prestige  de  sa  palette 
éclatante  et  chatoyante;  passa 
au  Maroc  et  fut  conquis  par  ce 
pays.  Dès  lors,  à  partir  de  1873. 
il  expose  toute  une  série  de  scènes 
orientales,  prétexte  à  des  effet-- 
dramatiques  et  au  déploiement 
d'une  virtuosité  extraordinaire 
de  peintre:  Entrée  de  Mahomet  à 
Constantinople.  les  Chérijas.  au 
Musée  de  Carcassonne.  et  /<( 
Justice  du  Cher  if  (.Alusée  du 
Luxembourg):  les  derniers  Rebelles. 
au  même  Musée  (Salon  de  1860). 
qui  sont  ses  ouvrages  les  plus 
typiques  dans  ce  genre  d'orienta- 
lisme où  semble  passer  le  souffle. 
à  la  fois  tragique  et  magnitîqui-. 
de  Leconte  de  Lisle.  Le  mèmi- 
goût  fastueux  et  dramatique  ]•■ 
porta  vers  l'Orient  ancien.  a\"e. 
Judith,  Hérodinde.  Jiistiiiieii  et 
Théodora.  Il  a  été  chargé  de 
grandes  décoration^  murales. 
notamment  à  la  Sorl)onne:  à  la 
fin  de  sa  vie  il  s'adonna  surtout 
au  portrait,  vovagea  en  Amérique 
et  en  Angleterre,  où  il  peignit 
diverses  hautes  personnalités: 
Lady  Hélène  \'incent.  Lnrd  Dut-  aldf.ki  Mal-nan. 

ferin,  la  reine  \'ictoria.  Le  Luxem- 
bourg possède  le   portrait    de   si  m    liL  et  celui  de   ^a   tante   qui   smit    ]i.irmi    les   exemplaires 
les  plus  recueillis  de   cette   forme   de   son   talent.    Membre   de   rinstitut    en    1S93,   médaille 
d'honneur  en    i8()6,   commandeur   de   la   Légion  d'honneur  en  kjoo.    Benjamin  Constant  est 
mort  à  Paris  le  26  mai  1902. 


Matilil.1  (Musée  d'Amiens). 


Fekxand  CtJK.MON.  fils  de  l'auteur  dramatique,  connu  ])ar  de  nombreux  succès,  est 
né  à  Paris  le  22  décembre  1845.  Ses  dispositions  précoces  pour  le  dessin  furent  encouragées 
par  son  père  qui   h-  conlia   au   peintre   anversois  Portaëls.    11  entra  ensuite  chez  Cabanel  et 


158 


La  Peinture  au 


siècle. 


reçut  les  conseils  de  Fromentin.  Il  exjiosa  pour  ht  prenrière  fois  en  1870,  avec  une  scène  des 
Noces  des  Niebelungen  et  continua,  les  années  sui\'antes,  dans  cette  note  d'orientalisme 
somptueux  et  farouche,  in\-enté  en  littérature  par  Leconte  de  Lisle  et  par  Flaubert,  et  à 
laquelle  a.\-ait  sacrifié,  nous  Tavons  vu,  Benjamin  Constant.  C'était  Silâ  (1873),  La  mort  de 
Ravaini  (1875).  Il  obtenait,  cette  même  année,  le  prix  du  Salon,  de  fondation  toute  récente, 
partait  pour  la  Tunisie  et  en  rapportait  de  nombreuses  études.  Fn  1880  il  obtenait  un  succès 
considérable  avec  son  Caïn,  inspiré  du  poème  de  Victor  Hugo,  qui  est  resté  son  œuvre  la 
plus  populaire.  Il  montrait  certaines  qualités  épiques  dans  cette  marche  haletante  et  rapide, 
à  travers  le  désert  brûlant,  du  \ieu\  réprouvé,  suivi  de  sa  famille  harassée,  fuyant  on  ne  sait 
où  toujours,  le  geste  incertain,  perdu  dans  son  rêve  et  dans  son  remords.  Cette  vaste  compo- 
sition fut  acquise  par  l'I^tat  et  placée  au  Musée  du  Luxembourg.  Cormon  parut,  dès  lors,  se 
vouer  à  ces  sujets  d'huni.inité  primitive.    Il  t'xposait  Le  Retour  d'une  chasse  a  l'ours  (1884)  au 


Musée  de  Saint-tiermain  ;  Les  L uiiéraUles  d'un  Cliej  de  l'à'^e  de  fer  (1802)  et  tout  un  ensemble 
de  décorations  dans  cette  donnée  pour  le  Muséum  d'histoire  naturelle.  Une  grande  toile,  les 
Vainqueurs  de  Salaniine.  qui  lui  wilut  la  médaille  d'iiouneur  en  1887,  fut  placée  au  Musée 
du  Luxembourg  et,  depuis,  a  été  attribuée  au  ^lusée  de  Rouen. 

Cormon,  qui  a  beaucoup  \'oyagé,  lu  et  vu,  s'est  aussi  \"olontiers  tourné  vers  d'autres 
genres.  Il  a  peint  des  intérieurs,  des  fleurs,  des  sujets  d'histoire  moderne  tels  que  les  Grena- 
diers de  la  garde  à  Lssling,  et  surtout  des  portraits,  remaniuables  par  leur  tenue  sérieuse,  sobre 
et  leur  caractère  expressif.  (Henry  Maret.  Lehoux,  M.  Fniile  Loubet,  ces  deux  derniers  au 
Luxembourg).  Fernand  Cormon  est  membre  de  l'Institut  depuis  iS()8  et  officier  de  la  Légion 
d'honneur  depuis  i88q. 


A  la  même  génération  et  au  même  milieu  d'intelligente  culture  appartiennent  Albert 
Maigx.an  et  Luc-Olivier  Merson.  Le  premier,  né  à  Beaumont  (Sartlie)  le  14  Octobre  1845,  est 


École   française . 


i6i 


AlMF.-XlcoLAS  .\IOKi>r.  —   Kezonville  (.Musée  du  Luxembourg). 

mort  à  Saint-Pri.x  le  29  septembre  1908.  Après  ses  études  de  drdit.  il  s'adonna  à  la  peinture  et 
travailla  dans  Tatelier  de  Luminais  qui  avait,  un  des  premiers,  traité  ces  sujets  de  Tépoque 
mérovingienne,  mis  à  la  mode  par  les  récits  d'Augustin  Thierrv.  Son  premier  Salon  remonte 
à  1867.  Il  débuta  par  des  paysages,  des  intérieurs,  puis,  après  un  voyage  en  Espagne,  revint 
avec  le  goût  de  la  couleur,  suivit  son  maître  et  sembla  se  rapprocher  de  Jean-Paul  Laurens, 
par  le  choix  de  ses  sujets  historiques  et  dramatii|ues:  Frédéric  Barhcroussc  aux  pieds  du 
pape  (1876),  L'Attentat  d'Aiiagiii  (1877).  Lnuis  IX  cunsolc  uu  lépreux  (1S78).  Derniers  moments 


K.Al'H.^tL    Cm. LIN. 


i'ioreai  (.Musée  du   l.uxembo 


102 


La  Peinture  au  XIX*^  siècle. 


de  Chlodobcrt  (iS8o);   Dante  yenemitra   Matihia   (iS8i),  aujuurcriiui  ;iu  Musée  d'Amiens  après 
a\'oir  fit^uré  au  Luxembourt;. 

lisprit  lettré,  curieux  et  uu\-ert,  ^laignan  a  touché  aux  sujets  les  plus  variés.  Il  s'est 
plu,  entre  autres,  à  des  formes  d'allégories  renouvelées  comme  les  l'o/.v  (/;(  Tiicsiii  (Salon  de 
1888.  au  ;\Iusée  d'Amiens),  L\lhs!)il/ie,  la  Fortune  qui  passe,  et  surtmit  Curf^eniix.  qui  lui  \"alut 
Il  médaille  d'honneur  en  i8q2  et  est  exposé  an  ^lusée  du  Luxembourg.   Maignan  était  officier 

de  la  Légion  d'honneur  depuis  1895. 


Lrc-Oi,i\ii:K  Mkksox  est 
né  à  Paris  le  21  mai  1846.  Il  est 
le  fils  d'01i\'ifr  Merson,  cjui  a  laissé 
un  nom  t-stimé  cumme  critique  d'art. 
11  était  donc  déjà  à  bonne  école  et 
tr(]U\-a  aussitôt  tous  les  encourage- 
ments que  réclamait  sa  vocation. 
Elè\'e  de  Chassevent  et  de 
rUs.  il  remporta  le  grand  prix  de 
Knme  en  1869.  En  Italie,  il  s'attacha 
a\'ec  une  prédilection  marquée  aux 
ii'u\-res  de  ceux  qu'un  appelait 
encore  les  priiuitijs:  Masaccio  et 
ira  Angelicii,  (îhirlandaio  et  Botti- 
eelli.  On  comprend  qu'il  fût  frappé 
pj.r  la  légende  de  Saint-François 
d'Assise,  qui  a  inspiré  tant  d'artistes. 
l'"lle  Cl  in\-enait  au  naturalisme  délicat 
d'un  ]ieintre.  dont  le  talent  s'éveillait 
.lu  nulieu  de  toutes  les  discussions 
sur  le  naturalisme  nouveau  qui 
;dlait  re\'ivifier  l'école.  Le  loup 
d' A'j^iihhio,  du  Salon  de  1878,  reprise 
d'ime  jietite  esquisse  envoyée  de 
Rome,  \alut  à  l'auteur  un  premier 
succès.  Il  lut  accru,  l'année  suivante, 
]}ar  un  autre  charmant  sujet  reli- 
gieux qui  dex'int  \'ite  populaire.  Le 
Repos  en  Egypte  et.  en  1880,  il 
re\-enait  à  son  sujet  de  prédilection, 
a\'ec  im  Saint  François  préchant 
aux  poissons,  (eu\'re  d'un  art  à  la 
lois  archaïsant  et  précieux,  imprévu 
et  subtil,  traitée  avec  le  sentiment 
lé  \-raiment  par  son  sujet.  Olivier  Merson  a  peint  nombre 
i\-ec  la  même  sensibilité  naturaliste  et  poétique  les  légendes 


Gaiskiel  Ferrikr. 


Le  Ciéiieial   Aûilié  (Musée  du  Luxembourg) 


de   pure  émotion  d'un  artiste  tou' 

d'autres  petites  toiles  oià  il  traduit 

religieuses.    .Mais   il  s'est  surtout  donné  à  la  décoration  et  a  exécuté  des  travaux  importants 

à  la  Cour  de  Cassation,   à  l'Hôtel  de  Ville,  à  l'Opéra-Comique,  au  château  de  Chantilly.   Il  a 

composé  beaucoup  de  cartons  de  vitraux  et  nombre  d'illustrations.    Luc-Olivier  ^lerson  est 

membre  de  l'Institut  depuis  i8()2  et  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  igoo. 


École    française. 


i^\S 


Un  peu  plus  jcuni'  est  Detaii.lk  (Iùmjiakd,  Jean-P.aptisti;)  (|ui  est  né  à  Paris  le 
5  iictobre  1S48.  C'est  le  peintre  populaire  de  Farmée  fiançaise.  Il  manifesta  de  bonne  heure 
des  goûts  ]iour  la  peinture  et  notamment  jiour  la  peinture  militaire.  Cette  x'ocation  ne  firt 
pas  contrariée  par  s.i  famille,  mais  on  lui  fit  d'abord  ache\-er  ses  études.  Bachelier  à  di.x-sept 
ans,  il  fut  conduit  c\w/,  .Meissonier,  qui  se  l'attacha  comme  élè\-e  et  aussi  comme  ami. 
Jusqu'en  1870,  il  le  suit  pour  ainsi  dire  pas  à  jxis  dans  ses  sujets  militaires  et  dans  ses  scènes 
de  genre,  choisies  de  préférence  à  l'époque  du  Directoire,  Conmie  il  re\-enait  d'un  voyage  en 
Espagne  et  en  Algérie,  la  guerre  éclate;  il  s'engage  comme  simple  soldat  dans  les  mobiles  et 
assiste  à  toute  la  lutte  liéroïque  autour  de  Paris,  Son  talent  en  fut  forti-nient  impressionné' 
et,  dès  lors,  a\'ec  S(.in  ami  Alphonse 
DH  Neiviei.e  (1836-  1S85),  qui  fut 
pour  lui  comme  mi  frère  intellectuel 
et  moral,  ils  relèvent  les  cœurs  des 
vamcus  d'hier  par  toutes  ces  toiles 
vibrantes  de  ]Xitriotisme  et  vi\'antes 
de  réalité  \'écue.  Le  pdiiuyania  de 
Champigny,  dont  l'épisode  princijial 
est  conservé  au  JMusée  de  Versailles, 
unit  dans  une  étroite  collaboration 
le  talent  des  deux  anris.  De  ce  jour 
Détaille  agrandit  sa  manière  et  dé\'e- 
loppe  au  format  de  la  nature  ses 
nouvelles  compositions,  telles  que  la 
Reddition  de  Huiiiiigiie  et  Le  Kéve  du 
Musée  du  Luxemlxinrg.  (  ette  der- 
nière toile  est  comme  le  couronne- 
ment de  toutes  ses  études  sur  l'armée 
française  moderne,  le  petit  troupier 
qu'il  a  si  bien  connu.  Elle  a  valu,  au 
Salon  de  18S8,  la  médaille  d'honneur 
à  son  auteur.  Détaille  a  peint  de;, 
décorations  pour  l'Hôtel  de  \'ille.  le 
Panthéon  et  fait  (pielques  portrait- 
militaires  entre  autres  celui  du  ])rince 
de  Galles  à  cheval  (di-pnis  l^dmiard 
VII).  Il  est  membre  de  l'Institut 
(1892)  et  commandeur  de  la  Légion 
d'hi.inneur  (1897). 

Aimé  ^lorot  et  Ra})haëlCollin 
sont  si  proches  contemporains  ([u'ils  se  sui\'ent  dans  la  \'ie  à  un  jour  seulement  de  distance. 
Aimé-Nicolas  Morot  est  né  le  i()  juin  1S50,  à  N.mcy,  où  son  père  exerçait  la  profession  de 
tapissier.  Ses  goûts  pour  le  dessin  se  manifestèrent  à  l'école  de  sa  \'ille  nat.ile.  qui  l'envoya 
comme  pensionnaire  à  Paris.  Il  entra  à  l'atelier  de  Cabanel  et  remporta  le  grand  prix  en  1873. 
Cette  date  est  également  celle  de  son  ]:)remier  Salon.  Ses  succès  furent  rapides,  car  il  enlevait 
progressivement  toutes  ses  médailles,  y  compris  la  médaille  d'honneur  en  1880.  pour  son  Bon 
Samaritain.  Il  s'est  distingué  dans  les  di\ers  genres  de  l'histoire,  de  la  décoration,  du  portrait 
{le  prince  d\irenberg,  Gérônte.  H.  Hébert,  celui-ci  au  Musée  du  Lu.xeml_)ourg),  et  il  s'est  créé,  à 
son  tour,  une  place  comme  ])eintre  militaire,  avec  les^toiles  pleines  d'énergie  et  de  mouvement, 


l'ALL  llArpKY. 


Lnine  t^nlant  (.Mu 


<iu  Luxembourg). 


1  64 


La  Peinture   au   XI X*^  siècle. 


de  Kcischofjoi,  au  Musée  de  \'er>,iilles,  de  Rcziiuvillc.  16  udût  1870.  au  Musée  du  Luxembourg. 
Ce  tableau  représente  la  charge  célèbre.  Au  ]>n-iuier  plan,  un  groupe  de  quatre  ou  cinq 
cuirassiers  prussiens  fuient  à  gauche,  en  se  retournant  contre  quelques  cuirassiers  français 
mêlés  dans  leurs  rangs.  .\u  fond,  à  droite,  le  légiment  français  charge  par  un  mouvement 
tournant,  dans  im  élan  furieux,    ("e  talileau  a  hgiué  au  Salon  de  1886. 

Aimé  Morot  a  fait  aussi  de  la  sculptun-  (.-t  il  rxétute  à  cette  heure  le  monument  de  son 
beau-père,  Gérôme.  Il  est  membre  de  l'Institut  (181)8)  et  ollicier  de  la  Légion  d'honneur  (igoo). 


R.\i>n.\i-:i.  ('(iLLi.x  e^t  donc  ne  le  17  juin  1^30.  à  P.iris.  Il  \-  fit  d'abord  ses  études  au 
L_ycée  Saint-Louis,  puis  les  continua  à  \'erdun.  où  il  se  rencontra  a\'ec  Bastien  Lepage.  Il  se 
décida,   comme   son    cmiarailr,   pinir  l,i   |>einture  et.  re\<'nu  à  Paris,  il  entra  dans  l'atelier  de 

lîougiiereau,  ]>uis  dans  celui  de  Cabanel, 
où  il  se  retrou \'a  a\'ec  son  ami  et  avec 
.Moiot,  Cormon  et  Benjamin  Constant. 
Son  jin'iniii"  Salon  date  de  1873;  il  y  ob- 
tenait d'i-mblée  une  deuxième  médaille, 
a\'ec  11'  SiinDucil  (Musée  de  Rouen),  qui 
marquait  son  sentiment  délicat  des 
formes  nues.  11  l'affirma  par  mainte 
autre  toile:  uiu'  Idylle  (1875):  Daphnis 
et  Chloé  (1877);  une  autre  Idylle  (1882): 
I-té  t-t  enfin  l-lvréal.  acquis  par  l'Etat 
au  Salon  de  1886  et  placé  au  Luxem- 
bourg. C'est  une  des  plus  charmantes 
études  de  nu  en  plein  air  de  l'école 
actuelle,  l'ne  jeune  femme  nue  est 
eteiidur  sur  le  gazon  printanier,  mor- 
dilhint  un  lirin  d'herbe,  les  yeux  légère- 
ment \iiiles  jiar  la  griserie  de  l'air  et  de 
la  hunière  qui  se  répand  sur  son  corps 
laiteu.x.  Raphaël  Collin  est  officier  de 
l.i  Légion  d'honneur  depuis  1899.  Il  est 
le  dernier  élu  (iqoq)  des  membres  de 
l'Institut. 

Son  prédécesseur  immédiat  dans 
cette  illustre  compagnie  est  Gabriel 
Fekrier,  élu  en  ic)o6,  (jui  est  né  à  Nimes  le  29  septembre  1847.  II  fit  sa  première  éducation 
artistique  dans  cette  \ille.  \int  à  Paris,  sui\'it  les  leçons  'de  Lecoq  de  Boisbaudran,  puis 
fut  élè\-e  de  Pils  et  de  Hébert.  Il  olnint  li-  grand  prix  de  Rome  en  1872  et  fut  médaillé  à 
son  premier  en\'oi  au  Salon:  Ditvul  etiniqiieur  de  (icluilh  (187b).  au  Musée  de  Nimes.  Il 
obtint  un  nouwau  succès  a\"ec  sa  Suinte  Agnès  niarivrc  (1878)  iMusée  de  Rouen.  Il  a  exécuté, 
avec  des  tableaux  d'histoire,  nombre  de  décorations,  telle  La  Glorification  (/es -4 ris,  à  l'Ambas- 
sade de  France,  à  Berlin,  et  enle\a  la  médaille  d'honneur  en  1903  avec  sa  Piéta  et  surtout 
avec  le  \'igoureux  portrait  de  belle  tenue  du  Général  André,  alors  ministre  de  la  guerre, 
(Musée    du    Luxt'mbourg).    (.abriel    Ferrier    est  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  1903. 


r.\LL  i;.\ei)Rv. 


(,)uali-t   h. 


du  jour  (  rragmt_-nt). 


Le  plus  jeune,  comme  âge,  des  peintres  membres  de  l'Institut,  est  Fr.-wçois  Flameng, 


hcole   française. 


i6.- 


fils  du  célèbre  graveur  Léopold  Flameng.  né  à  Pans  le  6  décembre  1856.  11  est  élève  de 
Cabanel  et  de  Jean-Paul  Laurens.  Son  premier  Salon  date  de  1873.  En  iSjq  il  remportait. 
avec  tme  deuxième  médaille,  le  grand  prix  du  Salon. 

Il    a   peint    des   sujets   historiques   et    s"est    plu    particulièrement    à   Fépoque  de   la 
Révolution,  comme  en  témoigne  sa  Bataille  à'Eylaii,  du  Musée  du  Luxembourg.  Il  s'est  li\Té 
aussi  au  genre  et,   en   dernier  lieu,  a   obtenu   en  France  et  en  .\ngleterre  de  grands  succès 
avec  des  portraits,  conçus  sous  l'inspiration  des 
maîtres   anglais   du  X\'III«   siècle,   notamment 
de  Gainsborough.  Officier  de  la  Légion  d'honneur 
en    1896,    François    Flameng    est    membre    dr 
rinstitut  depuis  1905. 

A  côté  du  processus  régulier  de  l'écoli 
dans  la  voie  traditionnelle,  deux  faits  principaux 
dominent  la  production  artistique  de  cette  der- 
nière période;  i^  dans  l'inspiration  d'ordrr 
Imaginatif,  le  grand  mouvement  de  la  peinturr 
monumentale:  2^  dans  l'inspiration,  basée  sur 
Tobsen'ation,  le  développement  exceptionnel  d< 
la  peinture  de  paysage,  son  action  prépondérante 
et  ses  conséquences  sur  la  pemture  de  figures  ,1 
l'extérieur. 

Depuis  les  grandes  décorations  de  Dela- 
croix, de  Chassériau  et  d'Hippolyte  Flandrin. 
la  peinture  mommaentale  n'avait  plus  guèn 
brillé  d'im  pareil  éclat.  Le  gouvernement  du 
second  empire  tenta  bien  quelques  efforts  en 
\Tie  d'encourager  cette  manifestation  de  l'art. 
qui  est  bien  la  plus  haute,  mais  il  était  impuis- 
sant à  faire  naître  des  chefs-d"œu\"re  du  milieu 
académique  auquel  il  accordait  ses  préférences. 
Toutefois  ce  renouveau  se  prépare  dès  la  fin  dr 
la  période  précédente,  avec  deux  maîtres  qui 
occuperont,  dans  la  période  actuelle,  ime  place 
tout  à  fait  à  part.  Ce  sont  Paul  Baudry  et 
Puvis  de  Chavannes. 

P.\UL  B.AUDRY  est  né  à  La  Roche-sur- Yon 
le  7  novembre  1828  et  il  est  mort  à  Paris  le 
17  janvier  1886.  Il  était  fils  d'un  himible  sabotier 
qui  élevait  courageusement  les  six  enfants  qui 
lui  restaient  des  treize  qu'il  a\-ait  eus.  Sa  famille 
rêvait  pour  lui  la  profession  de  violoniste  et,  en 

effet,  le  jeune  Baudrv  apprit  le  violon,  gagnant,  dès  l'âge  de  treize  ans,  sa  vie  a\'ec  son 
instrument.  Mais  le  goût  du  dessin  était  \-enu  et  l'emporta  sur  la  musique.  Baudry,  encouragé 
par  le  professeur  de  dessin  du  Lvcée.  obtint  de  ses  parents  de  se  livrer  à  sa  vocation.  Après  ses 
premières  études  à  la  Roche-sur- Yon.  il  \-int  à  Paris  en  1844,  avec  une  pension  municipale, 
entra  à  l'école  des  Beaux-Arts,  dans  l'atelier  de  Drôlling,  obtint  le  second  prix  de  Rome 
en  1847  et  le  grand  prix  en   1S50.  en  même  temps  que  Bouguereau. 


L.^inent  ,r  Çic. 

Pacl  B.wdry.  —  Urani' 


i66 


La  Peinture  au  XIX*^  siècle. 


H;iudr\'  trouva  en  Italie  les  maitres  qui  de\-aifnt  diriger  l'inspiration  de  toute  sa  vie. 
Il  s'attacha  d'abord  aux  primitifs,  puis  se  tourna  wrs  Raphaël,  Corrège  et  surtout  vers  les 
^'énitiens.  Le  beau,  calme  et  séduisant  tableau  du  Musée  du  Luxembourg,  La  Fortune  et  le 
jeune  entant,  du  Salon  de  1857.  affirme  cette  parenté,  qu'il  ne  cherche  pas  à  déguiser,  avec 
Titien.  On  v  retrou\'e,  dans  la  chaleur  ambrée  des  carnations,  dans  ces  beaux  accords  de 
rouges  et  de  bleus  profonds,  dans  la  composition  et  les  attitudes,  le  souvenir  vivant  de  la 
célèbre  toile  du  palais  Borghèse,  connue  sous  le  nom  de  rAniour  saeré  et  l'Ainour  profane. 
A  jiartir  de  1865  malgré  les  succès  répétés  de  ses  envois,  il  cessa  d'exposer,  afin  de 
se  consacrer  entièrement  à  l'œuvre  colossale  qui  lui  était  échue  et  qui  semblait  devoir  remplir 

sa  \'ie  :  la  décoration  du  foyer 
de  l'Opéra,  reconstruit  par 
Ch.  (Tarnier.  Il  y  travailla 
dou/e  ans.  Pour  s'y  préparer 
il  \()\'agea  successivement  à 
Rome,  en  1864,  en  Angleterre 
et  en  Espagne  en  1868,  à 
W-nise  en  1870,  d'où  il  revient 
brusquement,  à  la  déclaration 
de  guerre,  pour  s'engager  dans 
les  compagnies  de  marche.  Il 
retourne  ensuite  à  Rome, 
hanté,  cette  fois,  par  Michel- 
.Ange,  qu'il  étudie  et  qu'il 
copie  passionnément.  Enfin 
prêt,  il  Se  met  à  l'ieuvre  et, 
en  1874,  on  put  \-oir,  exposé 
à  l'Ecole  des  Beaux- Arts,  cet 
ensemble  vaste  et  magnifique, 
de  trente-trois  peintures,  con- 
sacrées à  exprimer  le  triomphe 
de  la  musique  et  surtout  de 
la  musique  de  théâtre.  Cette 
exposition  fut  un  événement 
capital  fiour  la  gloire  de  notre 
école  et  l'honneur  de  notre 
pays,  au  lendemain  de  ses 
désastres.  C'est  que,  si  le 
souxenir  des  grands  italiens 
de  la  Renaissance  lawiit  guidé  et  soutenu,  Baudr\'  n'en  a\"ait  pas  moins,  avec  une  haute 
indépendance,  créé  im  art  tout-à-fait  sien  et  tout-à-fait  moderne,  art  d'une  souveraine 
élégance,  d'une  grâce  à  la  fois  fière  et  piquante,  qui  renouvelait  l'allégorie  par  je  ne  sais  quel 
beau  rythme  ardent,  plein  de  mouvement  et  de  vie.  Baudry,  qui  fut  chargé  ultérieurement 
des  décorations  à  la  Cour  de  Cassation,  au  Château  de  chantilly,  s'était  essayé,  au  moment  de 
se  mettre  à  l'œuvre  pour  l'Opéra,  dans  les  décorations  des  Quatre  heures  du  jour,  pour  l'hôtel 
d'une  .célèbre  personnalité  demi-mondaine,  mariée  au  Comte  Henckel  de  Donnersmarck,  connue 
sous  le  nom  de  la  Païva,  avenue  des  Champs-Elysées. 

Intelligence  libre,  curieuse  et   inquiète,  Baudry  n'était   pas  seulement  sensible  aux 
ceuvres  des  maîtres,  il  était  ou\-ert  à  toutes  les  nouveautés  qui  se  produisaient  autour  de  lui. 


P.-C.  PlVIS   IIE  Chavannes 


L'Été  (fragment). 


Ecole    trancaise. 


169 


Aussi,  sur  la  lin  de  sa  carrière,  sa  manière  s'était-elle  mudiliéc  dans  le  sen?.  de  la  clarté.  La 
Vérité,  du  Luxembourg,  est  un  des  plus  charmants  exemples  de  cet  asi^ect  frais  et  argentin 
de  son  talent.  Il  a  exécuté  aussi  nombre  de  portraits.  Elu  membre  de  Tlnstitut  sans  s'être 
présenté,  en  1870,  il  fut  fait  commandeur  de  la  Légion  d'honmair  en  1875. 

Près  de  Baudry.  il  e^t  un  a.utre  artiste  qui,  bien  qui-  \i\-ant  à  l'écart  des  expositions, 
exerça  une  certaine  influence  sur  le  mouvement  décoratif,  par  ses  qualités  de  forte  culture, 
d'esprit  méthodique  et  de  goût,  c'est  \'i(  tôk  (i.\ll.\X[>  (né  ,\  ('u-néxe  de  parents  français  en 
1822,  mort  à  Paris  en  i8()2)  dont  le  Luxembourg  possède  iini-  .limable  petite  composition: 
Le  jour  des  Cuivres,  mais  qui  fut  surtnut  chargé  de  décoratinn>  importantes  pour  l'Hôtel  de 
Ville,    le    Panthéon.    l'Hôtel 

Continental,  l'hôtel  de  M.  \'an      ^  "^~  '^       : 

der    Bilt,    à    New- York,    le^      ' 

Gobelins     et     divers     hôtels      ;  ..,,,- 

privés. 


l'.-C.  Prvis  DE  Ch.av.\nxes.  —   Le  P.iuvre   Pêchi 


Mais  celui  dont  l'anuie 
monumentale  domine  entiéri-- 
ment  notre  époque  est  Pu\i> 
de  Chavannes,  Xé  li-  14 
décembre  1824,  à  Lyon,  nù 
son  père  était  ingénieur  c-n 
chef  des  mines,  Pierre-CÉ(  ILE 
Puvis  DE  Chavannes  était 
bourguignon  d'origine  et  de 
tempérament.  Après  ses 
études  terminées  au  lycei- 
Henri  IV,  il  sembla  hésiter 
entre  l'Ecole  Polvtechnique 
et  le  droit,  mais,  à  la  suite 
d'un  voyage  en  Italie, il  résolut 
d'être  peintre.  Il  étudia  a\"ec 

Henry  Scheffer  et  Couture,  toutefois  >a  directiini  ,irti>tiqur  lui  \int  d'un  second  V(jyage  en 
Italie,  en  1848.  Il  s'inspira  d'abord  des  maîtres  du  X\'L  --lècli-.  fii  particulier  des  \'énitiens 
et  aussi  des  décorateurs  de  l'école  de  Fontainebleau,  subit,  en  même  temps,  les  mlluence> 
opposées  d'Ingres  et  de  Delacroix  et,  surtout,  celle  de  son  ami  Chassériau  qui  le>  a\-ait 
confondues;  il  remonta  ensuite  vers  les  premiers  florentins  iiui.  .i\ec  les  antiques,  eurent  plus 
tard,  une  action  décisive  sur  son  inspiration. 

Il  avait  débuté  en  1850.  fut  refusé  aux  salons  suivants  et  repanit  ïeulemeiit  en  183g. 
avec  le  Retour  de  chasse,  encore  incertain,  du  Musée  de  Marseille.  C'est  en  1861  seulement 
qu'il  s'affirma,  et  pour  ainsi  dire  du  premier  coup,  par  une  (eu\re  qui  est  restée  une  de 
ses  plus  séduisantes  créations,  fut  accueillie  avec  enthousiasme  t-t  ser\-it  même,  près  de  ses 
détracteurs,  à  discréditer  ses  œu\"res  ultérieures,  plus  indépendantes.  C'est  le  premier  groupe 
du  magnifique  ensemble  décoratif  du  Musée  d'Amiens,  comprenant  six  grandes  compositions, 
accompagnées  de  quatre  figures  monumentales  et  de  décors  accessoires  en  camaïeu,  qui  occupe 
une  place  exceptionnelle  dans  sa  carrière.  La  Paix  et  la  Guerre  avaient  été  conçues  sans  but 
déterminé.  L'architecte  Diet,  qui  construisait  le  Musée  d'Amiens,  comprit  le  parti  admirable 
qu'il  en   pouvait   tirer  et.  avec  le  concours  de  l'Etat,  mais  -urtout  grâce  au  désintéressement 


I70 


La   Peinture   au   XIX'    siècle. 


di_'  r.irtistc.  assni.i  leur  san\rg;irdo.  Kicn  n'est  plus  (■X(iuis  (pu'  cotte  f^rdiuk'  xision  élyséenne 
de  ];i  /'i(/v.  lielle  eiiiiime  un  réxc  aiitiiiue  et  (]iii  e\ii(iiie  les  n(inis  de  \'irt,'ile  et  de  l'ciussin, 
ces  deux  noms  (pu  hantaient   de).!  l'i  spiit  de  son   initiatiur.  eiiasséiiau. 

En  delidis  de  ce  \-aste  enseniiile  d'Amiens,  aucpiel  il  tia.\ailla  encun-  a  tmis  reprises, 
avec  le  Travail  et  le  Repos  (1863):  .la,-  l'uardia  niilnx  (1^(15)  l.udiis  pro  pa/na  (i.S,S2).  Puvis 
a  exécute  des  décnratnms  célèbres  à  Marsedle  (1870),  à  Poitiers  (1874 — 75).  au  Panthéon: 
L\'iilaiuc  de  Stiiiitc-ùciicvicvc  {1878  et  i87())  et  sa  dernière  (eu\re.  le  Raritaillcincnt  de  Paris 
(1897-1898);  au  Musée  de  Lyon,  à  la  Sorbonne  (1887).  au  :\lusee  de  Rouen  ( i8()()-i8c)i) ;  à 
l'Hôtel  de  X'Ule  de  Paris  (i8()3)  et  pour  le  palais  de  la  l^ibliothècpie  de  lîoston  {i8()3).   Lorsqu'en 

187(1  ai))>anit  le  ])remier  panneau 
de  r II  n faille'  de  Sainte  (Geneviève, 
Siiiiile-deiu-eiève  en  prière,  ce  fut 
une  \-éritable  surj>rise  dans  la 
critiipie  et  le  jniblic  qui,  depuis 
le  succès  de  La  Paix,  gardaient 
rancune  à  l'artiste  et  ne  compre- 
naient pas  son  é\'oliition.  On  fut 
séduit  jiar  ce  charme  de  jeunesse, 
de  traicheur.  de  sincérité,  d'émo- 
tion contenue,  par  cet  accord  si 
heureux  et  si  inaccoutumé  des 
figures  et  du  paysage.  Dès  ce  jour 
sa  réputation  s'établit  et  son 
iniluence  s'e.xerça  sur  le  mou\'e- 
meiit  de  ])einture  murale,  cpii  se 
]iroduisait  à  un  moment  où  tous 
nos  édifices,  relevés  des  ruines  de 
l'incendie,  ou  construits  pour  les 
besoins  nou\"eaux  de  la  démo- 
cratie, oftraient  aux  décorateurs 
tant  de  murailles  vierges.  Ce 
charme  de  re\'e  et  de  réalité  si 
heureusenient  confondues,  de 
\-érité  et  de  beauté,  de  convention 
et  de  \'raisemblance,  parut  encore 
plus  pénétrant  dans  ces  compo- 
sitions d'ordre  tout  à  fait  général, 
comme  l'IIreer  et  l'Été,  de  l'Hôtel 
de  \'ille,  a\ec  ses  belles  femmes 
(pu  s'ébattent  ,iu  bord  du  tleuve:  le  Unis  sacré,  cher  aux  M  uses  :  ]'isi(in  anliijne.  la  Surbonne,  ou 
les  .l///,sc.s  nispiratriees  ijiti  aeelanieut  le  Messa'^er  de  lumière,  de  P>oston.  .Mais  toute  l'acuité 
de  sa.  ]iensee,  de  cette  plulosophie  sérieuse  et  melancoli(|Ui-.  où  la  grâce  se  mêle  à  l'austérité, 
est  peut-être  eucoie  plus  sensible  clans  ses  toiles  de  clie\-alet,  longtemps  discutées,  même  après 
ses  succès.  Tel  est  le  Pauvre  Peelieiir.  du  Musée  du  Luxembourg:  il  dit.  dans  sa  parabole 
aisément  déchifirable.  par  son  dessin  un  i)eu  fruste,  son  \\\nv  pa\-sage.  ses  accords  si  savants 
et  si  subtils,  la  poésie  navrée  de  la  \ie  (|ui  se  consume  sans  résultats,  tandis  que  l'enfance,  au 
milieu  des  dunes  stériles,  trouve  le  moyen  île  cueillir  les  iiauvies  fleurs  rares  de  l'Espérance. 
Puvis   de  Clia,vannes  est  mort  à  Paris  le  24  octobre  l8()8. 


iKANClUKl.hs    r..\/,|.N. 


L-1    I-mael   (Musc- 


Il  \N-('ii AKIKS  Cazin.  —  Souvenir  île  Fête  (Appartient  à  la  Ville  de  Paris). 


École    trancaise. 


/  0 


Le  pays.ige  juin-  un  nilr  li,irin(mi(iuc  inipdrtunt  d.in^  l'uuxic  de  l'in'is  dt-  Cli,i\-,inncs, 
il  est  un  des  grands  éléments  de  rharnie  et  de  persiuisidii.  Il  .itlinm-  le  caractère  mural 
de  ses  compositions.  Elles  M'inlilcnt  appeler  nécessairement  le  décnr  (|iii  les  entnnre,  les 
complète  et  en  quelque  sorte  les  explicjue.  Chez  Ji:ax-Ciiakli;s  Ca/ix.  li-  iiliénomène  e>t 
opposé.  Cazin  est  essentiellement  paysagiste.  Mais,  à  de  certams  niuni<'nt>.  la  n.iture  prend 
pour  lui  une  ame.  qui  semble  se  résumer  et  se  concentrer  en  (iUfl(]Uf  tigurf  (ju  iiufli|uc  scène. 
exprimant,  sous  la  forme  humaine.  Timpression  de  Theure  et  di.-s  lieux.  (  'i-^t  ainsi  ijue.  dans 
cette  lande  désolée,  au  milieu  des  ajoncs  et  des  genévriers,  notre  imagination,  comme  la  sienne, 
place  inévitablement  ce  petit  groupe  émoux-ant  de  la  mère  chassée.  a\-er  >on  jeune  lil>,  dM^iï^ 


EliolWRl)   Manki. 


Le   Oéjeuiier  sur  Therbe  (Collection   Moieau). 


et  Ismaël.  Ce  tableau,  cjui  a])}>artient  <ui  Musée  du  Luxembourg,  lut  i/xposé  au  Salon  de  i8So. 
Cazin  était  alors  dans  tout  son  succès,  assez  récent  d'ailleurs,  car  il  ne  s'était  manifesté  bien 
nettement  qu'en  1876.  11  avait  alors  39  ans,  étant  né  le  29  mai  1841  à  S.imer  (Pas-de-Cahds). 
Ses  débuts,  sans  être  agités,  furent  cependant  mouvementés.  l'^ils  d'un  médecin  du  pay-..  il 
fît  toutes  ses  classes  soit  à  Boulogne  soit,  en  partie,  en  Angleterre,  obtint  de  \enir  étudier  la 
peinture  à  Paris  et  fut  l'élève  de  prédilection  de  Lecoq  de  Boisbaudran,  à  la  ..Petite  Kcole'" 
de  dessin.  Il  professa  lui-même,  un  instant,  à  l'école  d'architecture  fondée  par  Trélat.  })uis  à 
Tours,  où  il  fut  directeur  de  l'Ecole  et  C(.inser\-ateur  du  ^lusée:  c'était  au  moment  de  la  guerre. 
Il  sauva  le  fammix  Mantegna.  Parti  pour  l'Angleterre,  avec  sa  femme.  M'""-'  Marie  Cazin,  et 
son  jeune  fils  Michel  ciui.  plus  t.ird.  continueront  ses  traditions  et  son  leiu're,  il  se  li\'ra,  à  ce 


174 


La   Peinture   au   XIX^'  siècle. 


moniL-nt.  à  son  giu'it  pour  la 
céramique  et  fut  un  des  précur- 
seurs les  plus  distingués  de  la 
renaissance  moderne  des  Arts 
du  feu.  Revenu  en  France,  ses 
premiers  tableaux  surprirent 
]iar  leur  mélange  de  nature  et 
de  poésie,  de  paysage  et  de 
légende,  leur  originalité  de  mise 
en  toile  et  la  transposition, 
avec  des  éléments  modernes 
de  costume,  des  scènes  de  la 
Bible  et  de  rM\-angile.  Mais 
on  ne  put  résiste'r  longtemps  à 
ce  charme  insinuant,  à  la  ten- 
dresse émue  de  ces  accords,  à 
ce  mélange  de  gra\'ité  et  de 
>u,i\'ite. 

Le  SoKVLilir  ilc  /-Wt',  ([ui  appartient  à  la  \'ille  de  Paris,  est  un  essai  de  décoration. 
Car  Cazin  se  sentait  l'amr  d'un  décorateur  et.  dès  son  .irri\-ée  à  Paris,  il  avait  voulu  trav'ailler 
a\'ec  Pux'is  de  Chavannes.  (  'ot  une  sorte  d'allégorie  républicaine,  au  lendemain  de  l'institution 
de  la  fête  nationale  du  14  juillet,  des  rêves  et  des  espoirs  nés  de  l'union  du  Courage,  de  la 
Science  et  du  Tra\'ail.  ]Hiur  étalilir  le  règne  de  la  Concorde.  Mais,  clans  l'allégorie  comme 
dans  la  légende,  tout  le  cliarnu-  di'  Ca/in  provient  non  de  rébus  et  d'emblèmes,  mais  toujours 
de  la,  poésie  ([ui  émani-  de   la   réalité  elle-même.    Cette   toile  avait   été  exposée  en   1881. 

Ca/in  lut  un  de>  fondateurs  de  la  Société  Nationale  des  Beaux-Arts;  il  avait  été 
promu  commandeur  de  i.i  Légion  d'honneur  en  igoo.  11  est  mort  au  La\-andou  le  17  mars  1901. 


(Musée  du   Louvre). 


,\  la  date  de  l.Sjo,  ce 
(lu'on  apj^elle  la  yieinture  de 
pavsage  a\ait  {ii"i>  une  impor- 
tance clu'.que  jour  accrue, 
(hielques-uns  des  maitres  anté- 
rieurs \'i\Mient  encore.  entouré> 
d'une  auréole  de  gloire.  Leur 
exemple  :i\'ait  fait  naître  un 
pullulement  de  \'ocations.  11 
n'est  plus  jiossible  ici  ciue  de 
citer  des  noms,  tant  le  talent 
est  répandu  communément 
dans  cette  \'aill.inte  ainiéi', 
toujours  à  l'ax'.'nt  de  l'art. 
Ii)utes  les  ac<]uisitioii>  du 
romantisme,  du  natur.ilisnie 
et  du  réalisme,  mêlées  et  C(in- 
fondues.  donnaient  à  l'école 
une  richesse  et  une  \-ariété 
extrême.     De    tous    Ces    effort'. 


ElHiiAKl)  -Manki.  —   L:i  Serre  (Musée  île  llerlin). 


Lcole    trancaise. 


17 


m 


multii)le>  ft  pas^ioiiiit^  ])(piu  >ui  pniulrc  les  st-crcts  et  les  lois  dr  l.i  ii;itnrc  devait  sortir  une 
formule  iKUU'elle,  plus  subtile,  ])lus  .lij^nir-.  |ilu>  p(''ni''tiaute  encore,  ([ui  allait  caractériser  la 
fin  du  siècle:   C'est   rimpi-c-\si(iiinisiiu\ 

L'histoire  de  rimpri'^sionni->ui<-  a  été  faite  de  liien  de-,  la(;nns.  Suivant  le>  points  de 
vile  où  l'on  s'est  iilace.  on  \-  ,1  apporté  des  passions  contraire^.  Il  n'en  poin-ait  ,!:;uère  être 
autrement,  en  pleine  fumée  tlu  combat.  Kien  n'est  plus  simple  à  démêler,  pourtant  (pu'  >es 
origines.  Les  Impressionnistes,  comme  les  Komanti(pie>  et  les  Réalistes,  lurent,  au  début. 
des  artistes  indépendants  c]ui  se  ,i;roupèrent  soit  par  s\-m]iatlues  ])ersonnelles.  camar.ideries 
d'atelier,  affinités  de  goûts,  soit  ]iar  besoin  de  protister  contre  lc>  >e\-érités  di>  iur\'s  ou  contre 
les  tendances  générales  d'un  enseignement  con\eiitionnel  et  deinimant.  ('es  fondateurs  de 
l'impressionnisme  étaient  pirs([ui-  tous  déjà  dans  le  camj)  ré.iliste.  Xous  les  \-ovons  figurer 
dans  les  tableaux  de  Fantiu,  autour  de  Delacroix  ou  à  céité  de  Zola,  et  celui-ci  les  (pialitie 
expressément  de  ;'âï/(s/f's.dans 
son  Salon  de  1866.  Ce  sont 
d'abord,  Manet.  Claude  Monet 
et  Renoir,  dont  les  origines 
marc]uent  nettenn'nt  l'in- 
fluence première  de  Courbet  ; 
de  même  Pissarro  ou  Cézanne, 
les  paysagistes  qui  se  join- 
dront à  eux.  ainsi  que  Sislew 
camarade  d'atelier  de  Renoir; 
puis  Bazille,  tué  pendant  la 
guerrede  1870:  ensuite  Degas, 
sorti  d'un  tout  autre  iniln'U 
et  revenu  depuis  peu  d'Italie. 
Fantin,  alors,  faisait  comme 
on  l'a  \'u,  cause  commune  awc 
eux.  Enfin  des  transfuges  di' 
tous  les  camps,  plus  ou  moins 
réguliers,  tels  que  Ijoudin. 
Lépine,  Bracquemond.  Liou- 
lard.  Cals.  Ciusta\-e  Colin. 
Guillaumin,  Desboutin.  l'ita- 
lien de  Nittis.  On  y  eut  même 
tn aivé  des  hommes  plus  j  euiK  s 

tels  que  Raffaëlli.  Lebourg.  ou  meiiH'  l'orain  et  La  Touche.  <  )n  \'  \'it  aussi  la  belle-sieur 
de  Manet.  cette  ex(]uise  artiste  (pie  fut  M""^'  Herthe  Mori/ot,  l'.imericaine  .Miss  C.issatt  et 
celui  qui  ser\'it  si  utili-meiit  leur  cause  i.'U  constituant  uin-  salle  spi-cude  au  Luxembourg: 
Gustave  Caillebotte. 


El»;  \K-IIiL,.\iRK-(  ■.i:km.\ 


I)|.. 


l,f.  Illanclii 


Au  début,  awuit  les  expositions  combati\'es,  organisées  en  manière  de  protestation 
chez  Nadar  et  chez  Durand-Ruel.  on  se  réunissait  au  café  Guerbois.  boule\'ard  des  Hatignolles. 
La  personnalité  qui  dominait  à  ce  moment  était  celle  de  Manet.  bjioiWRD  M.\net.  en  effet, 
avait  déjà  un  passé.  11  était  né  à  Paris  le  23  jam'ier  1832,  cLuis  une  famille  bourgeoise, 
d'aisance  cossue.  Le  père  était  m.igistrat  et  le  jeune  Edouard  était  \"oué  au  barreau  :  après 
quelque  résistance  de  la  part  de  sa  famille,  il  finit  par  obtenir  de  suiMe  sa  vocation  et  entra 
dans  l'atelier  de    Couture.    11    n'\-    fit    pas   grand    profit,   se   mit  à  \-oyager  et   fut  attiré  par 


I  76 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


Rfinhrandt.  I<'raiiz  IIilIs,  Titien  et  X'élasquc/.  1rs  lucnirs  m, titres  (|iu  ,i\-,iiciit  ])cissi(iiini'-  ses 
amis  l'^antiu  et  W'histler.  Les  l''.spaf,'n(ils  reinpm  tèieiit  ])iès  de  lui  et  il  mminença  par  peindre 
et  i>ar  exposer  des  sujets  d"Ms]ia,L;ne.  ("est  une  jneiiiière  manière  très  déterminée  dans  son 
(en\'re.  Ajirès  quelques  \'icissitudes  dans  les  Salnns.  dti  il  ne  cessa  de  se  présenter  et  de  lutter 
[)uur  obtenir  ses  titres  oiliciels.  Manet  exjHisa.  eu  iM')-;,  le  Déjeniicy  sur  l'herbe  ou,  jîlus 
ex.u'tement.  du  titre   <ju"il    lui   a\ait    donne  alors:   le  lUini.    (diuiue  il  jioiuait  sV  attendre,  il 

lut  exclu  et  sa  toile  alla  grossir  le 
sc.uid.ile  de  l'exposition  des  Refusés. 
I^lle  \-  lit  sensation,  on  se  doute  dans 
(|uel  sens.  I^lle  l'st  pourtant  à  cette 
heure  au  Loiurt'.  t;race  au  don  généreu.x 
de  M.  .Moieau-N'(T.iton.  Manet  y  repre- 
nait, sunant  une  de  ses  coutumes 
iaxdntes,  le  sujet  d'uu  rtaître  d'autre- 
fois, eu  l'espèce  le  Coiiccrt  champêtre 
de  (iioi>;ion<-,  ([u'il  adaptait  à  notre 
temps,  ("était  une  jeune  femme,  sortie 
de  l'eau  et  assise  j^rès  de  deux  jeunes 
f^ens,  —  l'un,  celui  de  gauche  était 
.\rmand  (lou/ieii.  cntic-iue  et  inspecteiu' 
des  l!eaux-.\rts,  -  c]iii  causent, 
deiui-couclies  sur  l'herbe,  en  attendant 
de  hure  1,1  collation,  tandis  qu'une 
,iutre  ]eiiiie  feiuiue  est  en  train  de 
se  rh.ibiller.  Cette  association  du  nu 
et  du  1  ostume  moderne  n'était  pas 
iiomelle;  Courbet  ra\ait  tentée  déjà, 
nous  i'axdns  \u.  I'".iiitin  lui  aussi  en 
,i\-alt    ('tè'   olisede. 

1  )eux  .LUS  |ilus  tard,  en  1865, 
?\lanet  .itteif^nit  au  [laroxysme  du 
scand.ile  ,i\ec  un  t.ibleau  de  nu  dans 

lequel      il      ellolKait      fr.mcllc  mCUt      SOU 

e\()lutioii    de    peinture    uoiu'elle    par 
larges  échantillonnages  localisés  et  par 
..modelés   dans    le   clair".    C'était,  au 
fond,  la  \'ieille  formule  d'Ingres,  mais 
rajeunie  jxir  un  jicintre  ayant  le  senti- 
ment de  la  matière  et  des  harmonies. 
Cette    Olympia,    qui    fit    tant    couler 
d'encre,    fut    offert^'    en    i8qo   par   un 
Comité   d'admir.iteurs  du  maître,   non 
sans    biuit    d'ailleurs,    aux    Musées   X.itionaux  (|ui   s'i.'m]ii  essèreiit .  quoi  ipi'ou    en    ait  dit,  de 
l'agréer  et  de  la  )>lacer  au  l.uxtmhourg.     I)epuis  un  an,  elle  est  .iccrochee  au   L(.)U\'re,   où  elle 
fait  excellente  tii^ure  an  milieu  lies  cliefs-d'( euNie  de  l'art  moderne. 

La  Serre  a})partient  .lu  Musée  de  Berlin.  C'est  un  des  morceaux  de  la  manière 
ultérieure  de  Manet.  Il  a  été  exjiosé  en  187(1.  Manet  est  tout-à-fait  dans  sa  période  de  ,, plein 
air".   La  mort  de  Millet  et  de  Corot  l'U  iNjs.  puis  celle  de  Courbet  en  1877,  avaient  donné  un 


Kl"...\k   lin  .\IKK.(a-.R.M,\L\     il 


l'enimt  à  su  tcdlelle. 


hculc  trancaisc 


177 


nouvel  élun  ,m  nimu  (■nient  i),i\>,Lf;islc  en  ])<Tnictt,in(  de  idiiMilérrr  ,1  Irnr  monir  rcs  trois 
grands  noms  et  ces  trois  j^'imiuIo  nu\ics  fxrrptioniicllc-,.  M, met  a\;iit  «'■te  un  de-,  picniirrs 
à  se  préoccuper  de  re\-enir  sur  ces  délie, i.ts  prolilrinrs  de  l,i  limurri'  rt  di-  l'einrloppr,  (]«i 
tourmentaient  tant  d'artistes.  Il  les  résolut  u\ee  une  tr.uelieur  ran;  de  jtalette,  ramena  la 
vision  obscurcie  de  ses  contc'ini)oraiiis  \i'rs  I.l  clarté  et  la  légèreté  et  exerça  de  ce  chef  une 
influence  considérable  sur  toute   la  suite  de  re\-olution   moderne. 

Les   deux   ])ersiiiiiiages  re]irésentes  sont  'SI""-  duillemet,  It'mnie  du  peintre  paysagiste, 
qui  ligure,  lui,  dans  le  JUiIcoii,  au  Luxembinirg,  et  le  frère  même  de  Maiiet.    Manet  est  moit 


Rk.noir  (Ai 


Ma.l.unr   CharinTili^ 


.■nfaiiis  (Mii^e.-   Mélmiiolitain   de  Kew-Vurk). 


le   30  avril    l88j.     Il    a\'ait    obtenu,    peu    aiipa,ra\'.uil ,    en    iN.Si,   une  deiiMeine  médaille  et  mi 
1882  la  croix  de  la   Légion   d'honneur. 


S'il  ne  créa  pas,  au  sens  propre  du  mot,  une  lormule  uiiKiue,  c'est-à-dire  si  l'imiiression- 
nisme  ne  correspond  pas  \'raiment  à  ce  ([n'ini  appelle  une  (h»  trme.  (c  i^roii peinent  ne  manqua 
pas  de  produire  chez  ses  adhérents  ime  certaine  unité' d'orientation.  Ces  .nlhereiits  pro\-enaient 
en  majorité  du  milieu  réaliste;  ils  continuèrent  à  ]>niser  leurs  in-,pii.itinii-,  dans  les  réalités 
vivantes.  Elles  étaient,  d'ailleurs,  à  cette  date,  puissamment  exaltées  par  la  liltératiu'e  et  le 
théâtre,  notamment  par  les  principaux  romans  du  t^r.uid  c\'cle  e]>i(|ue  et  poi)ulaire  de  Zola. 
Le  succès  et  le  scandale  de  rAssdniiiidiy  (1878)  et  de  Xtiiin  (1880),  multipliés  par  la  scène. 


i/S 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


i-'urent,  rntif  .intics.  iiiic  mtlucnce  très  activL-  sur  Ir  militu  aiti>ticiuc.  Si  Xaiia  est  peinte 
]);ir  Manet,  !' Assiiiiuiinir  nlfre  les  sujets  de  ses  H/ivichis>.LUSi-s  à  Défias,  ([ui  leur  consacre  toute 
une  série  célèhn'.  ccinune  il  nisjiire  à  Renoir  ses  scènes  pdjmlaires  de  guinguettes  et  de  bals 
pidilics.  Le  [iremier  de  ci's  deux  artistes  est  une  des  jîlus  singulières  figures  du  groupe  et, 
mieux,  de  l'art  t-()nteni])()rain  tout  entier,  .^u  sens  qu'on  donne  à  ce  mot,  il  n'a  absolument 
mil  d'un  iniprrssidiniiste  et  nul  ne  se  rattache  plus  sûrement  et  pins  ostensiblement  à  la 
traditiiin,  nrns  a  la  x'r.iie  tradition.  Il  est,  sur  ce  ponit,  bien  plu^  pari-nt  des  Pantin,  des 
Legros.  des  ISiacipieinond,  des  Piu'is  tjue  des  ]),iysagistes  du  groupe,  bien  qu'il  ait  été  on 
ne   peut    ]ilus   sensil)lc   aux    lois    de    l'enwloppe.    aux    jeux   des   jours  <'t  di'S  retk'ts.  de  même 


Kenuik   (.^rc.LislEJ.  —   Ll-  .Moulin   .11-   l;i  (la 


qu'il  réunit  à  la  fois  les  mérites,  qui  semblaient  inconciliabU'S.  d'un  dessinateur  inimitable  et 
d'un  rare  eoloriste.  Né  à  Paris  le  iq  juillet  i8;,4,  1ùti..\k-Hii  aii<h-(iEKM.'\in  Di-;  (lAs,  qui  signe 
simplement  Di-i.as.  entra  à  l'Pcole  des  P>eaux-.'\rts  en  Ii'^t.t.  dans  l'atelier  de  Pamothe,  mais, 
cimime  les  \-rais  artistes  de  ce  temps-là,  il  se  forma  surtout  au  Pnu\-ie.  où  il  copia  beaucoup. 
Il  visita  rit.die.  fit  un  V(jyage  en  Américjne,  au  cours  duquel  il  peignit  le  cnrii'ux  tableau  du 
Musée  di-  Pau:  Intcriciir  d'un  coinfytair  de  coton  à  la  Nditvcllc-ihlcaiis.  Il  exposa  une  première 
fois,  .m  Salon  de  i8()5.  un  sujet  assez  romantique:  Scène  de  'guerre  nu  moyen  âge,  exécuté  au 
jiastel,  procédé  (|u'il  emploiera  le  plus  \'olontiers  désormais.  Pu  li^bG.  il  en\^oya  une  scène 
du   stee])le-cliase.    prélude   de   toute  la  série   qu'il   consacn.'ra   à   ci'S   études   d'obser\'ation  du 


Ecole  française. 


79 


cht'N'al  sur  le  turf,  cL\>-i'  h:  \if  barinhiiïr  dus  jockeys  dans  ratniusphric  i^iisr.  Il  iX'prcnait  vt 
continuait  la  tradition  de  <  icricanlt.  comme  elle  fut  n|in>c  dr  lui  jiar  John  Lewis  lîrown.  lùi 
1868,  il  exposait  k'  portrait  de  M'i--  K.  F.,  a  propos  du  ballet  de  la  Saiirct-  t-X  c'est  peut-être  là 
l'origine  de  toute  Textraordinaire  série  tles  Danseuses,  pleine  de  morceaux  d'un  charme  mii(|ue, 
comme  l'exquise  Dcinscnsc  sur  la  sccnc  de  la  collection  Caillebotte.  ou  niar(|ués  au  coin  d'une 
étrange  ironie.  Car  le  caractère  de  l'art  de  Degas,  au  point  de  \ue  philosophique,  est  une 
objectivité  outrée  et.  au  milieu  du  printemps  mer\'eilleux  de  ces  fraîches  cohirations  délicieuse- 
ment épanouies,  une  sorte  de  pessimisme  mordant  qui  si-  plait  à  montrer  dans  la  femme,  objet 
du  culte  de  l'homme,  les  tares  de>  formes  épaissies,  la  ridicule  puérilité  des  gestes,  tout  le 
côté  purement  animal.  C'est  ainsi  cjue  jnès  de  ces  ..étoiles",  il  a  pt'int  les  bii^nrauts  grotesques 
du  Luxembourg,  et  tout  un  cycle  de 
femmes  à  la  toilette.  ..femmes  se 
peignant,  se  lavant  ou  s'essuyant". 
inspirées  probablement  par  les  suites 
japonaises  de  courtisanes,  d'actrices 
et  de  femmes  à  leur  toilette  d'Outamam 
et  de  Ki\'onaga.  Car  le  Japon,  décou- 
vert récemment  par  l'un  d'entre  eux. 
Bracquemond.  eut  sur  tout  le  groupe 
des  réalistes  et  surtout  sur  les  impres- 
sionnistes, une  influence  considérable, 
soit  dans  la  mise  en  toile,  dans  la 
présentation  des  sujets,  soit  dans  les 
colorations  juxtaposées  en  des  harmo- 
nies franches  et  hardies,  soit  dans  les 
sujets  eux-mêmes.  Le  p.iysage  imjires- 
sionniste  en  fournit  la  preina-  p<ir  tous 
les  aspects  nou\-eaux  qu'il  ajijiorte. 

Quant  à  Ri-:xoiK  (An.rsTH) 
c'est  là  une  physionomie  tout  autre. 
Son  art.  t>.>ut  optimiste,  n'a  jamais  dit 
que  le  charme  de  la  beauté,  ki  grâce 
de  la  jeunesse  et  de  l'enfance,  les 
splendeurs  des  paysages  lumineux  et 
l'éclat  des  fleurs.    Il  est  né  à  Limoges 

le      25      février      1S4I.      Son     père     était  Ri-nmik  (  Ai  e.i.ug.   -   l-emm.-  mu-. 

tailleur.  On  lui  fit  apprendre  l'industrie 

du  pays,  et  il  commença  par  peindre  sur  ixirceLuiie.  11  jiemnit  ensuite  des  stores,  mais  le 
goût  s'était  développé  a\'ec  le  métier,  il  x'ouhit  se  jx-rfectionner  dans  l'art  de  |)eindre.  entra 
chez  Gleyre  où  il  connut  Claude  Monet.  Sisk-y  et  lîazille.  Refuse  en  iNd;,.  son  premier  Salon, 
sur  un  sujet  tout  romantifiue.  il  persévère  assez  longtemps  à  figurer  aux  expositions  officielles. 
Nul  n'a  été  plus  mobile  ni  plus  impressionnable  et  n"a  donné  la  sensation  d'un  impré\u  plus 
continuel.  Il  a  peint  des  portraits,  des  nus.  des  scènes  p(.)pulaires  de  cabarets,  de  canotage 
et  de  danse,  des  sujets  d'Algérie,  des  femmes,  des  enfants,  des  paysage-,  des  natures  mortes, 
portant  partout  la  siioiitanéité  heureuse  de  sa  nature,  douée  du  don  de  l'éternelle  ingénuité. 
Le  portrait  de  .1/'"'  Charpentier  est  un  de  ses  chefs-d'ieiure  ckissiques.  dans  l'ordre  du  portrait. 
Exposé  en   1874.  chez  N'adiir.   Boulewird    des    Cajiucines.    il   n'intéress.i   guère   cpie   qiiekjues 


i8o 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


;iinati'urs  et  ;inii>  i-t  réditcur  ClKuiicntit-r  jiarut  a\-(ur  fait  i)n-u\-c  d'une  grande  hardiesse  en 
dnnnant  à  rarti>te  cette  commande.  Il  a  été  acquis,  il  y  a  di'U.K  ans  par  le  Musée  Métropolitain 
de  Xe\v-V(irk.  pciur  la  somme  de  oî.ckki  francs.    Cela  indi(]ui'  les  changements  du  goût. 

Le  iiKiiiIiii  (/(•  /(/  (liilcttc  (lu,  d'aprè>  le  titre  antérieurement  donné.  Le  bal  à  Montmartre. 
lut  exposé  cluv  Dnrand-Ruel  en  1N77.  11  hgure  au  Luxenrbourg  dans  l'ensemble  de  la 
•  •ollection  léguée  i)ar  ('ailleliotte.    C'est   un  des  e.xemjjlaires  les  plus  séduisants  des  tentatives 

du  maitre  pour  traduire  le 
mouwments  des  êtres  dans  la 
moliilité  des  lumières  et  des 
ombres.   .A.  Renoir  a  été  décoré 


■n    i()( 


I.( 


grand    impression- 

nist(.-    |)ar    excellence    ou,    du 

1  .î^jjfi    1  .p   "    y^ïÊ^^'^^^^^^^WÎ^'  W^         moins,  celui  qui  a  été  cause  du 

%  '^**K^      ^-  **       3.^^éM^S^^^  '.'  a'  *      baptême     de    ce    groupe    par 

^^    A«k.      A   «^    **jar.  ^  if  .mSaf    ^3lB<  «1  Jt  suite  d'un  de  ses  tableaux  qu'il 

a\'ait  appelé:  Impression;  soleil 
levant,  est  Claude  Monet: 
Cl.'M'de-Oscar  Monet  est  né 
à  l'aris  le  J14  novembre  1840. 
Il  passa  Son  enfance  au  Havre 
et  y  fut  encouragé  par  le 
peintre  Eugène  Boudin  (né  à 
Honileur  le  12  juillet  1824. 
mort  à  Paris  le  8  août  1898), 
qui  est  le  père  du  paysage 
imj)ressionniste,  ctmime  son 
ami  le  peintre  hollandais,  Jong- 
kindt,  en  est  le  grand-père. 
Les  parents  de  Claude  Monet 
'talent  dans  le  commerce  et 
\oulurent  \-  faire  entrer  leur 
lils.  Celui-ci  persista  dans  son 
idée  de  se  faire  peintre  et, 
n'ayant  pas  été  remplacé  à  la 
conscription,  partit  pour  l'Algé- 
rie accomplir  son  service  mili- 
taire. Ce  ciel  pur  et  cette 
grande  lumière  commencèrent 
à  opérer  sur  sa  vision.  Mis  en 
rapport  par  Boudin  avec  Amand  Cautier  et  Trovon,  il  fut  mêlé  de  bonne  heure  au  milieu 
des  artistes  mdépend.mts,  débuta  dans  la  voie  réaliste  de  Courbet  et  se  développa  peu 
à  peu  sous  la  double  influence  de  ce  maitre  et  de  Corot.  Un  voyage  en  Angleterre  le  mit  en 
contact  avec  Constable  et  surtout  Turner.  En  même  temps,  il  subit  a\'ec  ses  camarades,  le 
prestige  de  l'art  japonais.  Il  résulta  de  tout  cela  un  art  d'une  si'n>ibihté  extrême  qui  percevait 
les  effets  les  plus  fugaces  de  la  nature,  les  jeux  les  plus  subtils  des  rayons,  le  rôle  nrystérieux 
et  enveloppant  des  couches  atmosi)héri(jues.   Il  est  le  poète  de  l'heure,  qu'il  nu.mce  a\'ec  une 


La  Catliédiali/  <lc   Kouen   (Musée  dii   Luxenibuurg). 


.cole 


"ancaisc. 


i8i 


intinif  dé]ic;itessc,  t;uidi>  (ju'il  :i  été,  é.L;;ilemi'nt  à  inrcc  de  ])(''nétr;i.tii)n  des  pliéiiomènes 
naturels,  un  des  lyriques  les  |)Ius  \■i!)r;u^t■^  du  L;r:ind  -^piTl.nli-  de--  cluises.  Argcnteuil,  de  la 
ciillectiun  Faure,  est  une  des  toiles  \-i\-cs.  tr.iic  li(>  it  (  nidiec^  des  détnits  de  sa  période  impres- 
sionniste, a\"ant  1878.  Bientôt,  jjnur  nurquer  da\antaL;i'  l'inipurlanee  de  ce  choix  de  riieure 
et  la  nécessité  de  peindre  un  l'ffet  de  nature  daji^  ^a  striit<-  durée,  si  Ton  \-eut  conserver  à  la 
peinture  sa  juste  harmonie  et  sa  \-erital>k-  unité,  il  cmidoit-  uniformément  le  même  motif 
pour  traduire  toutes  les  \-ariatioiis  de  la  lumién-  aux  dixrrscs  périodes  du  jour.  Il  accomplit 
ainsi  une  suite  de  séries.  de\enucs  ci'lébn-s.  di->  Meules,  drs  Pcnfilicrs.  des  (\tthcdnilcs.  des 
XyiiiMiéds.  des   ]'iics  ch'  lu    'funnsc.  qui.  individuellement,  srinblent  les  analv^-s  les  |)lus  rares 


'^:V' 


I.e   puni   .r.\i- 


d'un    (eil    doué    d'une    piii-^saiic(>  exceptionnelle  d'ol.)ser\Mtioii   et   de  perception,  et  i.[Ui,  dans 
leurs  ensembles,  constituent  comme  de  magniticiues  >\'mphonie>  à  la  gloire  de  la  lumière. 

.  Claude  Monet  avait  adopté,  comme  technique,  le  système,  employé  d'ailleurs  par  bien 
des  maîtres  antérieurs,  de  la  décomposition  du  ton.  Les  décou\'ertes  de  Chevreul  sur  ..le 
contraste  simultané  des  couleurs"  axaient  >uscité  toutes  sortes  de  jiroblèmes  optiques  qui 
passionnèrent  les  artistes.  Claude  ;\lonet  se  basait  sur  cette  fameuse  loi  des  , .complémentaires" 
d'après  laquelle  chacune  des  couleurs  priinordude^  du  prisme  appelle  les  deux  autres  réunies 
et  est  exalté  par  leur  voisinage,  c'est-à-dire  <iue  le  bleu  est  ex;dté  jiar  le  viiisinage  de  Tôrangé, 
mélange  de  rouge  et  de  jaune,  le  rouge  j)ar  le  voisiage  du  \-ert.  mélange  de  jaune  et  de  bleu 
'  t  réciproquement.   La   juxtaposition  de  ces  (duleur--.  au  lieu  de  leur  mélange,  décuplait  ainsi 


82 


La   PcintLire   au   XIX'   siècle. 


^^£^^SÏ. 


.."  315x5- 


Camille  Pissakkh.  —  Soleil  lmikIuu 


y 


i-rfJÉBàiàatf 


la  ])uis-^;uiCL'  cxpressiN'c  de  la 
palette,  l'n  de  ses  confrères, 
CamillI'.  l'issAKKo  (né  le  i8 
juillet  i(S;(i  à  St-Tliiunas,  aux 
Antilles,  de  parents  français, 
mort  à  Paris  le  12  nox'embre 
ii)(),;)  re])rit  cette  donnée  et 
e\a,L;éra  h',  métliodi'  par  Tem- 
]iloi  systéniaticine  de  la  divi- 
Mon  du  ton.  (ju'on  a  appelé 
h-  pinittillisluc.  D'ailleurs, 
t,indi>  (|ue  ce  jirocédé  arbi- 
trairi'  était  continué  par  un 
eertain  nombre  d'artistes  — 
(iuek]ue>-uns  comme  Seurat, 
Signac.  le  iieintre  belge  Van 
Rj'sselberghe  l'ont  fait  non 
sans  talent,  —  ii  revenait  à 
une  manière  jjIus  libre  et. 
après  a\-oir  jjeint  des  \-ergers, 
des    potagers,    des    coins    de 


Alikkii  Sisley.  —  Les  Moulins,   Morct. 


École  française. 


183 


cninpagnc  dumestiquc,  a\-t'c  l'accc'iit  d'un  MiIIct  imiiiT-  L;iamlii)>c-  et  inoni--  ni\sti(|Uc.  lUdis 
plus  <)l>jrctif  vt  plus  \-éri(li(iue,  il  a  lixr.  à  l.i  lin  de  sa.  vu-,  drs  \-ncs  ca,valiùn;s  de  Paris,  ([u'il 
pci^mait  du  haut  dr  sa  fcnétiw  son  ctat  di-  ^a.nt('  nr  lui  jn-rnit-ttant  jdus  de  sortir. 

Près  de  ces  i)n.iniers  paysa.!.,'istes,  Alfiu-:!)  Sisli:y  né  à  Paris  le  ji>  octubrc  i''^,V), 
de  parents  anglais,  mort  à  Miux-t.  où  il  sr  fixa  et  où  il  jieignit  ses  ])rinei]ia,ux  t.dile.nix.  le 
29  janx'ier  1899,  s'est  montré  comme  lui  des  (jrganisnies  les  plus  délicats  (]ui  se  soient 
rencontrés  parmi  les  peintres  de  la  nature.  Il  en  saisit  tontes  les  grâces,  en  note  les  [ilns  fines 
harmonies.   a\'ec  une  exquise  distinction   d'accords.    Puis,  on  ne  peut  oublier  la.   figure  assez 


P.\iiL  Ck/.annk.  —   I,a  koutL'. 

fruste,  très  austère  et  asse^  à  part  de  P.\ri.  Chz.xnnk  (né  à  Aix-('n-i'ro\(nec  \r  K)  janvier 
1839,  mort  dans  cette  ville  le  23  octobre  ii)o6),  ipii  ,1  ]iris.  tout  d'un  coup,  uui-  importance 
capitale  sur  les  dernières  générations.  C'est  une  pli\>ionomic,  .osnrément  trr-,  incomplète, 
mais  qui  a  séduit  les  jeunes  déliciuescents,  trop  satures  de  culture  de  Musées,  par  ses  qualités 
natives  de  probité  âpre,  de  droiture  brutale,  de  praticjue  robuste  et  Ir.mclie  tlans  la  matière 
et  les  col(.)rations,  et  qui  préféra  ses  insuffisances,  peut-être  par  tro]i  exaltées  <iujourd"hui, 
au.x  cocjuetteries  et  aux  compromis. 


Au  moment  où  elles  étaient  Ir  plus  discutées,  et  ])our  cette  raison  même,  les  nou\eautés 
hardies  des  im])ressionnistes  ]ia.ssinnnaient  di\-ersement  tous  les  ateliers  où  elles  gagnaient  inu 


i84 


La   Peinture   au   XIX'   sièele. 


à  peu  du  terrain.  On  se  rendait  compte  dr  ce  cju'ils  apportaient  de  sain  et  de  neuf  dans 
le  fonds  des  vieilles  routines  surannées  sur  lesquelles  vi\-ait  l'école,  mais  on  n'osait  pas  les 
sui\'re  directement.  On  cherchait  tni  comjmimis  entre  la  tradition  et  la  ré\-oIution.  Cette 
transaction  fut  trou\-ée  et  elle  aboutit  ]),irce  (jn'elle  n'était  pas  le  jirodnit  d'une  o])ération 
concertée,  qu'elle  était  T'euxie  toute  spontanée,  toute  naturelle  d'un  |einie  artiste,  (pn  se 
trou\'ait  dans  les  conditions  \oulues  pour  acconiphr  cette  fusion  difficile.  (  l't  artiste  c'était 
JrLKS    Bastuîn-Lhp.m.k.   né   a    l)am\illiers    (Meuse)   le    i<->    no\einfue    1.S4.S.   mort    à   Pans  le 

m  décembre  1884.  Il  fit  ses  études 
à  \'erdim,  prit  son  baccalauréat 
et  \int  à  Paris,  où  il  fut  élève  de 
('abaïu'l.  Fils  de  jiaysans,  élevé 
dans  un  milieu  rural,  il  n'oublia 
pas,  au  milieu  de  l'enseignement 
con\'entionni-l  de  l'atelier,  les 
leçiiUs  plus  hautes  qu'il  avait 
reçues  du  ciel  natal  au  cours  de 
ses  \-agabondages  d'écolier.  Ami 
de  Zola,  il  subit,  lui  aussi,  son 
influence,  comme  il  subissait  celles 
de>  événements  qui  portaient 
tous  les  esprits  vers  les  choses 
du  peuple.  Il  sut  concilier  son 
amour  de  la  nature  avec  son 
respect  des  maîtres:  ses  insuccès 
même  à  l'école  —  il  ne  put  obtenir 
le  prix  de  Rome  —  le  ramenèrent 
quehpie  tenijîs  à  son  \'illage  et  le 
rattachèrent  da\'antagi'  à  son 
milieu  origint'l.  L'apparition  du 
p(jrtrait  du  (irand-pcre,  en  1874, 
fut  une  date  p(mr  la  jeunesse. 
La  formule  cherchée  était  trouvée 
et  l'école  du  ., plein  nir"  se  dé\-eloppait  entre  les  c(jnser\-ateurs  et  les  indépendants,  gagnant 
bientôt  toute  l'école  française  et  même  les  écoles  étrangères.  Ce  fut  désormais  une  évolution 
universelle  \'ers  les  études  analvticpies  de  la  lumière  et  de  l'atmosiihère  (i).  Dans  cette  œuvre, 
interrompue  trop  tôt  par  la  mort,  où  figurent  de  délicats  et  intelligents  portraits  conçus  dans 
l'esprit  des  vieux  italiens,  et  surtout  des  \ieux  français  du  XVIéme  siècle,  des  compromis 
entre  l'histoire  et  la  réalité,  comme  sa  Jctiini^'  d'Arc  et  des  scènes  toutes  rustiques,  son 
tableau  des  Foins,  du  Salon  de  1878,  est  s.i  toile  la  plus  caractéristique.  Elle  souligne  sa 
formule  personnelle,  de  naturalisme  qui  ne  proscrit  pas  la  poésie,  de  hardiesse  qui  n'exclut 
pas  le  savoir,  et  d'ambiance  qui  s'associe  a\'ec  la  fermeté  t't  la  netteté  de  la  technique. 
Bastien-Lepage  avait   été  décoré  en    187Q. 

(i)  Parmi  les  paysagistes  qui  sl-  sont  siguak-s  dans  cette  période  il  convient  de  signaler,  autour  du  doyen 
Harpignies,  les  noms  de  Busson,  Bareau,  L.  de  Belléc,  Victor  et  Adolphe  Binet,  Damoye,  Desbrosses,  Dufour, 
Gagliardini,  Antoine  Guillemet.  Hanoteau,  Lavieille,  Le  Sénéchal  de  Kerdréoret.  Aug.  Lcpère.  graveur  et  peintre, 
Montenard,  peintre  de  !a  Provence,  ainsi  que  Olive  et  Allègre.  Quignon,  Ouost.  peintre  de  fleurs,  Auguste  Pointelin, 
les  penitres  de  paysages  animés:  Adan  et  Deinont  ou  les  animaliers  Van  Marcke,  de  Vuillefroy,  Veyrassat, 
BariUot,   etc. 


jrLi-.s  BAsTiF.N-LEr.\c,i;. 


LHAPITRH  \'I[. 


E  C  O  L  i;    F  R  A  X  C  A  I  S  E. 
Otatrième  période.  —  De   1S70  a  1900  (Suite  cl  fia). 

L 'INFLUENCE  de  Bastien-Lepage  fut  dune  générale  et  immédiate.  Ce  compromis  sincère 
engloba  toutes  les  énergies  indépendantes  de  la  jeunesse  et  créa,  parallèlement  au 
mouvement  impressionniste,  un  foyer  ardent  d'études  analytiques,  d'observations  désin- 
téressées de  la  nature  et  aussi  de  l'humanité,  examinée  sous  toutes  les  formes  de  son  activité 
et  de  sa  modernité.  Le  paysan  et  surtout,  maintenant,  l'ouvrier,  depuis  les  succès  d'Emile 
Zola  et  depuis  les  premiers  conflits  entre  ce  qu'on  appelait  le  Capital  et  le  Tra\-ail,  en  sont 
les  principaux  héros:  les  Salons  furent  bientôt  tellement  inondés  de  sujets  riirau.x  ou  populaires 
qu'on  appela  ce  genre  l'Ecole  de  la  blouse  bleue.  Cette  inspiration,  de  caractère  tout  objectif, 
ne  manqua  pas   de  tomber  peu   à   peu   dans   la   médiocrité   du  terre  à  terre,  mais  elle  a\-ait 


Alfred-Philippe  Roll.  —  En  .Avant  (.Mi 


iS6 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


nettdvé  la  \isicin  de  ïvcnlv.  vUv  l'axait  lanu'iU'c  \-i'is  la  \c'ritt'.  vérité  un  peu  étmitt'  t_'t  un 
peu  vulgaire,  sans  doute,  mais  dont  un  s'était  par  tn.ip  éloif^né  et  que  les  audaces  impression- 
nistes étaient  alors  impuissantes  à  faire  acbnettre.  Mlle  permit  en  outre  à  quelques  fortes 
personnalités  de  trouver  leur  vdie. 

En  première  ligne  il  faut  citer  celle  d'ALiKi-n-PiiiLii'i'E  Roi.L  cpii  a  gardé  son  rang 
jusqu'à  la  génération  présente.  Né  à  Paris  le  lo  mars  1N47,  d'une  famille  de  souche  alsacienne, 
Roll  semblait  destiné  à  continuer  l'industrie  d'ébémsterie  ([ue  M)n  jière  dirigeait,  faubourg 
Saint-Antoine.  C'est  même  en  \'ue  de  cet  a\'enir  cpi'on  lui  lit  apprendre  les  éléments  du  dessin. 
Ses  études  classicjues  terminées,  il  se  sentit  purté  \-ers  la  })einture,  \-(icatiiin  tpii  ne  fut  point 
contrariée,  et  entr<i  dans  l'atelier  di'  Géré)me,  à  ri''.ciile  des  1  )eau.\-.\rts.  Il  n'y  lit  |)nint  un 
long  séjour  et   ne   tira  guère   profit  de  cet  enseignement.    .Mais  il  se  lançait  déjà  de  lui-même, 

regardait  beaucoup, 
aussi  bien  les  maîtres 
(|uel,i  iiat'ure.  et  étudiait 
a\ec  une  telle  énergie 
que  son  éducation  était 
bientôt  formée.  Il  fut 
d'abord  porté  d'instinct 
\(  rs  le  paysage  et  les 
an imau.x,  subissant  plus 
([ue  tout  autre,  par  son 
indépendance  même, 
l'influence  des  grands 
naturalistes,  consacrés 
définit  i\'ement  d'hier 
])ar  la  mort.  11  exposait, 
en  1875,  un  grcnipe  de 
deux  cavaliers,  un  fran- 
çais et  un  allemand,  au.x 
jirises  dans  un  violent 
Corps  à  corps,  enlevé 
a\-ec  une  fougue  géné- 
reuse qui  évocjuait  le 
nom  de  Ciéricault  ;  deux 
ans  après,  en  1877,  il 
s'imposait  plus  forte- 
ment à  l'attention  par 
une  grande  toile  conçue  sous  le  même  mode  pathétique:  L'I iioiuiation  (/tins  la  banlieue  de 
Toulouse.  Puis  son  inspiration  se  di\'ise.  Toujours  orientée  \-ers  les  réalités  \i\-antes,  elle  se 
porte  tantôt  vers  l'expression  de  la  beauté  nue,  épanouie  dans  la  splendeur  de  la  lumière,  dont 
les  éclats  s'amortissent  doucement  à  travers  rép;iisseur  des  couches  atmosjihériques:  tantôt 
vers  l'obserx^ation  directe  de  la  vie  populaire.  La  jète  de  Silène  (1870),  Baeetiantes,  Enfant  et 
taureau.  Eté,  Les  Joies  de  la  l'ie,  vaste  peinture  décorati\-e  jilacée  à  l'Hôtel  de  \'ille;  Femme 
et  taureau,  se  rapportent  à  cette  conception  optimiste,  à  cette  vision  joyeuse  des  formes 
humaines  au  milieu  dt.'  la  nature.  Cette  dernière  toile  est  une  des  plus  expressives  en  ce  genre. 
Une  belle  jeune  femme,  aux  chairs  nacrées,  à  la  chevelure  d'or  roux,  se  frotte  avec  câlinerie  sur 
le  garot  d'un  jeune  taureau  noir,  aux  naseaux  dilatés,  aux  \-eiix  ardents  et  troubles,  au  milieu 
d'un  chaud  paysage  estival.    C'est  comme  une  variation  imprévue  de  la  fable  de  Jupiter  et 


Fcmnir  .■(   taiiixau  (Mus 


Ecole    française. 


1S7 


d'Iùmipr.  qui  nu't  ;iux  prises,  d;ins  uiir  scriu'  rcx'cc,  ni,i.is  avec  des  clrnu'iits  de  réalité,  lus  deux 
grands  principes,  mâle  et  femelle,  de  lune  it  de  j^raee.  de  \iiileuee  et  de  ((Hpietterie.  Cette 
toile   a   ete   exposée   au   Salon   de    1883:    elle   appartient   au    Musée   de    l'iuenus-Avres. 

l.ors(iu"il  s'adonne  à  la  peinture  des  sujets  populaires.  Roll  e-,t  nu  de  (  i-ux  qui  niearnent 
le  plus  hautement  Tidéal  démocratique  de  sa  génération.  Cette  partie  de  >on  ou\re  C(7rrespond, 
en  art,  exactement  au  progranmie  documentaire.  scientifKpie  —  et,  ce])endant,  à  de  certaines 
heures  et.  connnt-  malgré  lui.  haicpie  et  ejiicpie  —  de  la  grande  ieu\-re  littéraire  de  Zola.  Il 
s'attache  à  traduire  l,i  vie  du  peui)le  des  \-illes  et  des  campagnes  par  l'expression  des  types 
indi\'iduels  et  sous  le  point  de  \  ne. 
tout  à  fait  nou\-eau  en  art,  de  ..la 
foide".  La  Foule  qui,  ]3our  la  jire- 
mière  fois,  a  été  exprimée  en  litté- 
rature avec  ses  passions, ses  \'iolences. 
ses  élans  généreux,  toute  son  ame 
enfin,  turbulente  et  impressionnable, 
et  à  laquelle  Roll  ou\re  le>  porter 
de  l'art,  a\'ec  /</  (,>'crc  des  luiiicuys 
(1880),  /r  Chantier  de  Siiresues  (  i8,S4). 
En  avant  (i887),/('  Centenaire  (i8c)  ;). 
la  Puse  de  la  première  pierre  du 
pont  Alexandre  III  (iSgg),  va-tes 
compositions  annnees  (pu  fixent 
chacune  une  }iage  de  l'existence  du 
peuple,  dans  ses  labeurs  ip.iotidieus, 
dans  ses  luttes  et  ses  ré\'oltes,  dans 
ses  grands  de\'oirs  et  dans  les 
exubérances  de  ses  joies  nationales. 
Le  Luxembourg  possède  deux  toiles 
essentiellement  caractéristiipies  de 
cette  double  fcirme  d(:-  son  insjii- 
ration  jKipnlairi;.  Manda  Laniétrie. 
fermière,  dont  la  ])h\'sionomie  rurale 
est  nettement  déterminée,  d'une 
brosse  à  la  fois  \'ig(jureuse  et  sou]ile, 
est  une  toile,  datée  de  1887,  et 
exposée  au  Sal(_)n  de  1888.  lîn  Avant 
est  un  épisode  de  la  guerre,  telle' 
qu'elle  est  conçue  dans  les  temps 
modernes.    Nous   sommes    loin    de^ 

jours  où  les  peintres  représentaient  les  batailles  en  exhibant  au  premier  plan  un  général 
empanaché,  suivi  de  son  brillant  état-major,  au  milieu  de  bombes  qui  éclatent,  a\ec  quelques 
cadavres  étendus  dans  un  coin  pour  préciser  le  spectacle,  tandis  (pie  la  masse  des  combattants 
est  perdue  au  loin.  Ici  la  guerre  c'est  encore  l.i  foule  anon\-me,  disciplinée,  avec  ses  engins 
scientifiques,  ses  chefs  mêlés  aux  soldats.  —  Roll,  qui  est  commandem-  de  la  Lé,i,;ion  d'honneur 
depuis  1900,  est  président  de  la  S(jciété  Nationale  des  Beaux-Art--. 

Dans  cette  même  lignée  de  naturalistes  formés  à  l'école  de  Bastien-Lepage,  à  C(Jté  de 
Ernest  Dtez   (Paris,   1843 — 18()6),  (pii  peignit  des  scènes  de  la  vie  bourgeoise  et  mondaine 


Manda  Laméli 


du    Liixembouig). 


iSS 


La  Peinture  au  XIX*^  siècle. 


et  même  des  sujets  religieux,  sous  des  effets  de  plein  air;  de  I'lvsse  Butin  (Saint-Quentin, 
1838 — Paris  1883),  qui  fixait  d'une  brosse  discrètement  émue  les  épisodes  dramatiques  de  la 
vie  du  marin;  de  Lucien  Doucet  (1856 — 1895),  qui  suivait  plus  directement  lu  tradition  du 
maître  en  se  divisant  entre  la  vie  des  champs,  les  sujets  mondains  et  les  portraits,  etc.,  se 
dessinent  nettement  quelques  autres  personnalités  qui  ont  pris  im  rang  distingué  dans  l'école. 
C'est  d'abord  D.\gnan-Bouveret  (P.'\sc.\l-Adolpiie-Je.\n),  né  à  Paris  le  7  février  1852.  Il 
entra  dans  l'atelier  de  Gérôme  en  1869,  concourut  pour  le  jirix  de  R(ime,  mais  n'obtint  que  le 

second,  en  1876;  il  avait  exposé,  dès 
1873.  au  Salcin,  des  sujets  classiques, 
qui  nr  marquaient  pas  encore  l'orien- 
tatii.m  de  son  talent,  lorsqu'elle  fut 
décidée  par  l'influence  de  Bastien- 
Lepage,  a\-ec  qui  il  était  très  lié.  A 
partir  de  1879,  il  exposa  une  série 
de  scènes  de  la  vie  réelle,  traitées 
d'abnrd  a\'ec  im  esprit  d'observation 
j^icpiante.  comme  la  Noce  chez  le 
p/idlni^niphe,  mais  dont  le  style 
s'élargit  chaque  jour  en  même  temps 
que  le  métier  prenait  plus  de  force 
et  de  sobriété.  C'est  ensuite  rJcr/- 
(h-iif,  (jui  lui  valut,  en  1880,  une 
niéd.iille  de  première  classe,  la  Béné- 
dutivn  des  jeunes  époux  avant  le 
nhiriii'^e  (1882),  les  Chevaux  à  Tabrcu- 
eoi)\  du  Salon  de  1885,  qui  figurèrent 
,111  Musec  du  Luxembourg,  et  le 
/'(;/;/  liéiiit.  du  Salnn  de  1886,  exposé 
au  .Musée  du  Luxembuurg,  qui 
caractérise  le  jilus  lieureusement 
iittc  iinniièri'  manière,  tout  en 
.innunrant  déjà  rév()]uti(.)n  prochaine 
\ers  un  idéal  plus  expressif,  plus 
poétique,  ]iour  ne  pas  dire  plus 
nn^tique.  C'est  un  coin  d'une  petite 
église  de  \  illage  où  jirient  a\'ec  fer- 
\"eur  une  dizaine  de  fidèles,  femmes, 
jeunes  et  \-ieilles,  en  habit  des 
dimanches,  les  visages  recueillis;  un 
enfant  de  chœur  passe,  en  distri- 
buant le  pain  bénit  et  sa  robe  rouge  met  une  note  religieuse  éclatante  dans  cette  sobre 
harmonie;  une  fillette  à  gauche  est  comme  perdue  en  extase. 

I)agnan-Bou\'eret  a  peint  ensuite  des  sujets  bretons  qui  lui  wdurent  de  grands  succès 
et  même  la  médaihe  d'honneur,  en  1889,  avec  le  rardnn.  Ils  maniurnt  sa  direction  nouvelle 
dans  le  sens  poétique  en  même  temjis  que  \-ers  une  tecliniiiue  de  jihis  en  plus  légère  et 
subtile.  La  Cène,  qui  décore  le  fond  de  la  salle  de  musique  de  la  comtesse  de  Béarn,  est  son 
'eu\-re  pruicii^ale  dans  le  genre  religieux  et  mystitiue.  11  s'est  surtout  adonné,  dans  ces 
dernières   années,   au  portrait,  et  a  peint,  avec  des  recherches  de  distinction  et  de  style,  un 


DA(;NAN-I!(irvi£iu:r.  —   Le  P.iin   Ijônil  (Musée  .lu   Luxembourg). 


xole 


fi-.^ 


ancaisc. 


189 


or- 


certain  iKimbrr  clr  damrs  dr  raristucrutic  parisicnuc.  I),iL;ii;in-I^)ciu\-tii-t  t'st  mcnibiL-  de 
rinstitut  depuis  Kino  et  (illiciiT  de  lu  Lc\i,'i(in  d'Iifinncur  tli-])uis  i8()2. 

Au  même  mciment,  c;ir  ils  s<int  tout  à  l;i,it  cdntcmjjorains,  apparaissait  Hiîxki  ("iKKVi:x, 
né  à  Paris  le  10  décembre  1S52.  inèw  de  lîrisset,  de  Fromentin  et  de  Cabanel,  il  se  trouwi 
en  ciintdct  a,\-ec  l>astien-Lepa,;j;e  et  a,di)iita,  ;L\'ec  l'esprit  assez  combatif  d'indépendance  qui 
maniue  ses  déiiuts.  les  ]>rincipes  de  la  peinture  claire,  des  nus  en  ])k-in  air.  11  ex])(isa  pour  la 
jiremière  luis  en  i^}].  Dès  iSj().  il  abordait  une  série  de  sujets,  ipii  sur]irirent  d'aburd.  mais 
qui  bienti")t  lirent  école.  (rer\'ex  jx'it^UcLit  des  portraits,  et  en  particulier  des  {jortraits  groupés, 
animés  par  une  action  déterminée, 
dans  le  jour  clair  des  intérieurs  et 
même  sous  les  effets  du  plein  air. 
Son  premier  tableau  dans  ce  !.;enre 
est  Y  Autopsie  à  l'Holcl  Dieu  (iN;*»). 
Puis  \'iennent  :  le  Jury  du  Seilnu  </<• 
peinture,  e.xposé  en  11^83  et  donné 
jiar  W'aldeck-Rousseau  au  Musée 
du  Lu.xembourg,  la  Rédaetuni  de  lu 
République  jrunçaise  (i8()0),  etc. 

Avtiiit  ropération  (18S7), 
entre  autres,  qui  représente  le  f^rand 
chirurgien  Péan  entouré  de  st's 
élèves,  appartient  à  ce  genre  de 
peintures  d'hôpitaux,  de  cliniques, 
de  laboratoin.'s  et  de  iili.irm.icie-- 
qu'il  ax'ait  inauguré  et  (pu  eut  tant 
de  vogue.  Le  Lu.xembourg  jmsséde 
également  le  ])ortrait  de  Muduine 
J'ultesse  de  lu  Hii^iie  (i8.S())  conçu 
dans  la  note  }ilus  directe  de  IManet. 
C'est  un  des  premiers  portraits  en 
plein  air.  H.  dervex  est  officier  de 
la   Légion    d'honneur    de]niis    iScSi). 

Un  des  tableau.x  (pii  montre, 
avec  des  cpralités  excei)tionnelles. 
jusqu'où  peut  aller  cette  formule 
réaliste  d'ubser\-ation  attenti\e  et 
de    technic"[ue    savante,     inaugurée 

par  Bastien-Lepage,  est  la  'l'oussuiiit,  ^\uï  est  exjiosée  au  Musée  du  Luxemlidurg  deimis  i(SS(). 
Une  famille  en  deuil,  à  la  porte  d'un  cmu'tiére,  en\a]ii  ])ar  la  neige:  à  gauche,  un  \-ieil  a\eugle 
emmitoullé  dans  un  cajiuchon  et  S(]US  sa  coinerture,  à  (|ui  une  hllette  se  ])répare  à  donner 
un  Sou,  \'oilà  toute  la  scène.  Les  physiijuomies  sont  Ijourgeoises.  un  [k-u  \'nlgaires.  Il  n'\'  a 
là  pas  la  moindre  trace  de  seiitunent.  C'est  un  spectacle  tel  (pi'on  l'a  \u  sans  rien  \'  ajouti/r 
de  soi.  Mais  il  est  traité  a\'ec  une  telle  puissance  de  \-érité.  une  telle  décision  d.ins  l'expression 
picturale,  que  cette  \'ision  s'imjxjse  aux  \'eux  comme  une  \'ision  de  realite.  Cette  ieu\-re  \alut 
à  son  auteur  le  prix  du  Salon  et  la  croix  de  la  Légion  (riionneiir;  c'était  la  consécration 
d'une  carrière  encore  bien  courte,  car  l'auteur  n'a\ait  (]ue  \ingt-six  ans.    Emilk  Fki.xnt.  en 


Ue.ski    (a.KVKX. 


1  ço 


La  Peinture   au   XIX''  siècle. 


Emile  Fkiant. 


La  Toussaint  (Musée  du  Luxemliouig). 


effut,  est  né  le  lo  ;i\-ril  1863,  à 
Dieuze  (Alsace  Lorraine).  Après 
les  événements  de  1870,  sa  famille 
vint  se  fixer  à  Nancy,  où  il  com- 
mença son  éducation  artistique. 
11  fut  en\'o\'é  à  Paris,  a\'ec  une 
IjDurse,  par  sa  \-ille  natale,  entra 
chez  Cabanel,  concourut  pour  le 
jiri.x  de  Rome,  et  n'obtint  que 
le  second.  Mais  il  enlevait  une 
mention  dès  son  premier  Salon 
de  1882,  recueillait  coup  sur  coup 
ses  médailles  et  se  voyait  décerner 
une  bourse  de  voyage  en  1886. 
Priant,  depuis,  s'est  fait  une  place 
à  part  a\-ec  ses  sujets  empruntés 
à  la  \-ie  contemp<]raine:  Un  peu 
de  repos  {1883),  le  Coin  favori 
(1884),  les  Canotiers  de  la  Meurthc 
(1888),  Discussion  poliinjuc.  (i8()o).  Ombres  portées  (i8gi),  et  du'erses  scènes  de  deuil,  qui 
Sont  comme  des  éclKjs  de  sa  foitssaint.  traités  a\'ec  une  sûreté,  de  vision,  et  ime  précision 
de  métier  qui  sont  peu  communes.  Il  a  peint  aussi  et  dessiné  nombre  de  portraits.  Il 
est  l'une  des  personnalités  les  plus  marquantes  de  ce  groupe  provincial  qu'on  appelle 
ri'xole  de  Nancy  —  comme  il  y  a  Tlicole  de  Toulouse  —  qui  comprend  les  Aimé  Morot, 
les  ^'ictor  Prouvé,  les  Henri   Royer.  etc. 

Il  est,  juste  face  à  face  à  la  Toussaint,  au  Musée  du  Luxembourg,  une  leuvre  qui 
mérite,  ainsi  que  son  auteur,  d'être  mise  à  part  dans  cette  inspiration  spéciale.  C'est  la 
Paye  des  Moissonneurs  de  Léon  Lhf.rmitte. 

Cet  artiste  est,  par  la  date  de  sa  naissance,  le  d(.)yen  de  tout  ce  groupe.    Il  est  né,  en 

effet,  à  Mont-Saint-Père  (Aisne) 
]r  ji  juillet  1844.  Son  éducation, 
de  même,  le  rattache  à  des  géné- 
rations plus  lointaines,  car  il  fut, 
lui  aussi,  un  élè\-e  et  un  des  élèves 
fa\"oris  de  Lecoc]  de  Boisbaudran. 
Il  touche  donc  par  certains 
cotés  au  milieu  des  ,, réalistes", 
et  il  montre  de  bonne  heure, 
grâce  à  la  discipline  vigoureuse 
d'enseignement  à  laquelle  il  avait 
été  soumis,  des  qualités  tout  à 
fait  exceptionnelles  de  dessina- 
teur. C'est  d'ailleurs  ainsi  qu'il 
débute,  dès  1864,  et  il  se  fait 
rapidement  une  réputation  par 
ses  fusains  et  ses  pastels,  ou 
plutôt  ces  sortes  .de  crayons  noirs 

La  l'ave  des  .Moissonneurs  (.Musée  du  Luxembourg).         relevés. de     pastel,     daUS     le'gOÛt 


Leo.n  LiiERMirTE. 


.cole 


fra 


ncaise. 


191 


de  Millet,  qui  fut.  évidemment,  scin  principal  guide.  Il  s'est  voué,  lui  aussi,  presque  exclusi- 
\-ement  à  la  peinture  des  scènes  de  la  \-ie  rurale,  mais  loin  de  la  manière  synthétique  et 
comme  symbolique  du  maître,  décrivant  d'une  vision  tout  objective,  qnï  le  rattache  au 
groupe  de  Bastien-Lepage.  les  principaux  épisodes  des  travaux  des  champs:  Au  pressoir,  la 
Moisson  (1874),  le  Lavage  des  moutons,  la  ]'cudange  (1876),  le  Repos  des  moissonneurs,  (1890), 
la  Mort  et  le  Bûcheron,  (1893).  etc.  La  Paye  des  moissonneurs.  (1882),  est  si  caractéristique 
de  sa  manière  personnelle  que.  malgré  nombre  d'ouvrages  devenus  célèbres,  cette  toile  est 
restée  sa  composition  la  jilus  populaire.  Lhermitte  est  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis 
1894,  et  membre  de  l'Institut  depuis  1905. 

Tous  les  artistes  qui  viennent  d'être  nommés  au  début  de  ce  chapitre,  appartiennent 
à  la  Société  Nationale  des  Beaux- Arts, 
c'est-à-dire  à  la  Société,  fondée  en  i8go. 
par  suite  d'une  scission,  opérée  dans 
la  Société  des  Artistes  français  qui, 
depuis  1881,  avait  recueilli  de  l'JOtat 
la  mission  d'organiser  les  expositions 
annuelles. 

Ce  petit  é\'énement,  bien  qu'il 
semble  ne  présenter  qu'un  intérêt  pn.i- 
fessionnel,  eut  cependant  une  certaine 
influence  sur  l'orientation  de  réc(]Ie 
dans  les  dernières  années  du  siècle.  Il 
mit  en  effet,  de  part  et  d'autre,  en 
é\-idence  certaines  personnalités  qui 
jusqu'alors  étaient  moins  dégagées  dans 
le  vaste  ensemble  de  la  production 
artistique.  La  sécession  s'établit  dans 
un  des  palais,  encore  debout,  de  l'Expo- 
sition de  1889.  au  Champs  de  Mars.  La 
Société  première  resta  au  Palais  de 
l'Industrie,  aux  Champs-Elysées,  et  ces 
deux  expressions  de  quartier  désignèrent 
bientôt  les  deux  camps.  Le  jxirti  tra- 
ditionnel, avec  tous  les  ^Membres  de 
l'Institut,  moins  un.  Meissonier.  qui 
fut  l'auteur  principal  de  la  séparation. 
restèrent  aux  Champs-Elysées.  Les  indépendants,  ou  soi-disant  tels,  passèrent  au  Champ  de 
Mars.  Cette  première  scission  sembla  donc,  sauf  exceptions,  marquer  assez  nettement  les 
tendances.  Au  Champ  de  ;\Iars,  derrière  ]\Ieissonier,  c'étaient,  parmi  les  peintres:  Puvis  de 
Chavannes,  Carolus  Duran,  Bracquemond.  Roll.  Cazin,  Gervex,  Ribot,  Lewis  Brown.  Boudin, 
Whistler.  Près  d'eux,  certaines  autres  personnalités  plus  jeunes  allaient  occuper  tout  d'un 
coup  le  rang  exceptionnel  qui  leur  était  dû.  Tel  était  le  cas.  par  exemple,  de  .\lbert  Besnard 
et  d'Ernest  Carrière. 

Au  point  de  vue  de  la  complexion  morale,  on  ne  peut  guère  rêver  deux  phvsionomies 
plus  dissemblables  que  ces  deux  hautes  indi\'idualités  artistiques.  Elles  paraissent  occuper 
chacune  un  des  pôles  opposés  dans  l'ordre  du  sentiment.  L'un  aime  la  lumière,  la  joie,  le 
mouvement,  la  couleur,  la  splendeur  de  la  nature  et  le  luxe  de  rindustrie  humaine:  il  se 
plaît   au   milieu   des^ nudités   éclatantes,   des   fleurs  qui  s'épanouissent,  des  che\-aux  élégants 


P.-A.    P.ESNAKD. 


hautïe  (Musée  du  Luvemliouig). 


192 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


qui  piaftcnt,  df  tous  les  jeux  et  de  tous  les  ccintlits  des  luuaières  du  ciel  et  des  lumières 
créées  par  l'homme.  L'autre  recherche  la  profondeur  de  l'ombre,  la  tiédeur  dis  intimités,  la 
douceur  apaisante  du  silence,  le  recueillement  dans  le  cercle  étroit  de  la  famille,  car  il  se 
confine  dans  les  intérieurs,  laisse  peu  de  place,  dans  son  (euvre,  aux  manifestations  de  la 
nature,  abhorre  le  mouvement,  restreint  sa  couleur  et  fait  toute  son  éloquence  et  sa  force 
de  sa  sobriété  ou,  si  Ton  veut,  de  son  apparente  pauvreté.  Mais  il  est  un  jxiiiit  sur  lequel 
ces  deux  natures  contraires  de  Besnard  et  de  Carrière  s'accordent  entièrement  :  c'est  sur  la 
compréhension  des  formes.  Ils  ont,  tous  deux,  à  un  rare  degré,  le  sens  de  ce  qu'on  appelle 
le    ,, modèle",    c'est-à-dne    la    determm.ition    des   \dlumes    des    corps    dans    l'espace,    par    le 


r'.\ri.-.\l,iiEKT  I;esn.\ri>.  —   La   riastique  (plafond   pour  le   IV-lit  Palais). 


calcul   sa\-ant   des   (.)ppositions   d'ombre  et   de  lumière.    Les   corps    cju'ils  créent   ,. tournent"; 
ils  ont  la  plénitude  des  statues. 

(.et  admirable  et  inépuisable  poème  de  la  forme,  P.-m'l-Aleert  Besnako  l'a  dit  dans 
une  ien\-re,  qu'on  peut  juger  d'ensemble  à  cette  heure,  bien  qu'elle  soit  loin,  on  peut 
l'espérer,  d'être  close.  Elle  a  débuté  au  Salon  de  1868  où  Besnard,  âgé  de  19  ans  —  il  est 
né  à  Paris  le  2  juin  1849  —  encore  à  l'école,  n'hésitait  pas  à  se  lancer.  Il  appartient  à  une 
famille  d'artistes;  son  père  était  élè\'e  d'Ingres  et  sa  mère  miniaturiste.  Son  père  étant 
mort  jeune,  ce  fut  celle-ci  qui  réle\'a.  Il  entra  à  l'Kcole  des  Beaux-Arts,  dans  l'atelier  de 
Cabanel.    mais    il    reconnaît    surtout    pour    son  maitre,   un  peintre  délicat,  trop  injustement 


Ecole    irançaisc. 


93 


oublR-:  Jc.ui  I')icmniul._  Sos  premiers  l'ssais  smit  nitturcllcniciit  dis  jiniductiniis  toutes  sculanx-s, 
grâce  auxquelles  il  lînit  jKir  enlf\cr  Ir  prix  de  Ruine  en  1.S74.  A  son  retour  de  l'Académie, 
il  épousa  la  tille  du  sculpteur  \'ital  Duhray,  seuli)teur  t-IU-meme,  qui  a  dirij^'é  avec  talen-t 
sa  carrière  près  de  la  grande  voie  glorieuse  de  sou  mari:  il  s'installe  deux  ans  à  Londres, 
où  il  reçoit  toutes  les  émanations  de  Fart  anglais  et  des  gra.nds  tlamands,  qui  se  mêleront 
subtilement  dans  son  esprit  aux  ellhn'es  de  l'art  italien.  II  rexient  en  France  en  plein  dans 
la  floraison  intense  de  l'iniiiressionnisme  et  d.uis  ]'e])anouisM'nient  plus  s,ii,'e  de  l,i  l.nneuse 
école  du  pk'in-air.  Ses  facultés 
recepti\T's  ne  laissèrent  rien  perdre 
de  ces  rayonnements  nou\eaux.  Il 
acquérait  toujours  sans  rien  perdre 
et  assimilait  tout  ce  iirodigieux 
acquit,  mêlé  aux  richesses  de  son 
fonds  propre.  Il  s'en  dégageait 
bienté)t  la  plus  étrange  et  la  plus 
heureuse  personnalité. 

C'est  en  1886  que  se  dessina 
nettement  sa  physionomie  a\-ec  le 
portrait  d'une  jeune  femme.  Mcnhiinc 
R.  J.  (Mtiddiiu-  Ixo^cy-Jimnidiii). 
s'avançant  sur  une  terrasse  en 
brillante  toilette  de  soirée  et  éclairée 
fantastiquement  par  les  ors  chauds 
des  lustres  luttant  contre  li'  jour 
bleuissant  et  fmid  du  soir  ipu 
baissait.  Il  s'est  longtemps  plu  a 
ces  effets  de  jours  contrariés  et  la 
Feiiinic  qui  se  cluiuljc,  du  .Musee  du 
Luxembourg,  (Salon  de  i88()),  est 
un  des  exemplaires  les  plus  cJiar- 
mants  et  les  plus  signihcatifs  de 
cette  manière. 

Ces  sortes  d'exercices  ache- 
vèrent de  donner  à  Besnard  une 
souplesse  incomparable  pour  tra- 
duire tous  les  aspects  des  formes  et 
surtout  des  fcjrmes  en  moiu'ement. 
Il  employait,  au  besoin,  les  procédés 
les  plus  divers  de  l'huile,  de  la 
détrempe,  de  l'aquarelle  et  du  pastel. 

Dans  ce  dernier  genre,  il  a  répandu  d'innoiubr.djles  études,  ipii  riwdisent  a\-ec  les  chefs- 
d'œuvre  des  \-ieux  maîtres  fran(;a.is,  comme  cette  délicieuse  fantaisie  d'après  \v  modèle,  aiijxir- 
tenant  au  Dr  Pierre  Delbet.  Mais  le  triomphe  de  Besnard,  sa  hiculté  essentielle,  c'est  la 
décoration.  Il  y  est  porté  non  seulement  par  ses  (]u. dites  de  goût,  de  méthode  et  de  logiipie, 
alliées  à  son  riche  tempérament  d'artiste  propre  à  com'rir  de  \-astes  muranies.  mais  aussi 
par  l'essence  curieusement  ]ihilosi>{)hi(iue  de  sou  esprit,  qui  lui  fait  conce\iur  l'allégorie  sur 
des  modes  tout  à  fait  nou\'eaux,  en  dehors  des  lieux  communs  du  passé,  et  conformes  aux 
conceptions  que  le  dé\'eloppenieut  scientifique  moderne  a  inspirées  à  nos  imaginations  en  face 


.\i)i  ii.i'iiK  Willette. 


94 


La   Peinture   au   XIX''  siècle. 


des  grands  spectacles  de  runi\eis.  Toutes  ses  décorations,  à  partir  de  celle  de  l'Ecole  de 
Pharmacie  —  (Platnnd  de  la  Salle  des  Sciences,  du  Théâtre  français,  de  la  Sorbonne,  de 
l'Hôtel  de  Mlle,  la  Plastique,  jilafond  pour  le  petit  Palais)  montrent  avec  quelle  aisance 
l'artiste  se  meut  dans  les  sphères  supérieures  du  rêve.  Sa  fantaisie  y  déploie  toute  sa  sensibilité 
et  toutes  ses  audaces,  et  atteint,  comme  dans  son  dernier  ouvrage,  qui  réunit  Pallas,  \'énus, 
Apollon  et  Pégase,  cabré  dans  Téther.  la  jibis  sereine  majesté.  Albert  Besnard  est  comman- 
deur de   la   Légion   d'honneur  depuis    njoj,. 


Dans    ce    domaine    de   l.i  fantaisie  et   dr   la   tr<uIition, 


toute  française,  des  Wattean 
et  des  Fragonard,  il  faut  au 
nom  de  Besnard  rattacher 
ceu.x  de  Jules  Chéret  et  de 

AnOLPHE     \\'ILLETTE.      Ils     se 

sont  surtout  'illustrés,  l'im 
et  l'autre  comme  dessinateurs 
et  lithographes.  Mais  ils  ont 
été  à  l'occasion  décorateurs 
et  peintres.  Chéret,  avec  ses 
affiches  bariolées,  n'a-t-il  pas 
créé  le  vrai  décor  des  rues? 
Quant  à  Willette,  s'il  est 
célèbre  grâce  à  ses  dessins  du 
Courrier  français  et  de  maint 
autre  journal  illustré,  il  s'est 
exercé  di\-erses  fois  avec  suc- 
cès à  la  décoration  murale, 
témoins  ses  peintures  du 
cabaret  du  ..Chat  noir"  et 
de  la  ,, Taverne  de  Paris". 
La  W'uvc  de  Pierrot,  qui  a 
figuré  à  l'Exposition  Centen- 
nale  de  1900,  est  un  heureux 
spécimen  de  cet  art  spirituel, 
plein  d'himiour  et  de  verve, 
délicat  jusque  dans  ses  plus 
\-i\-es  légèretés.  Chéret  est 
né  à  Paris  en  1836;  il  est 
officier  de  la  Légion  d'hon- 
neur. Willette,  qui  fut  élève 
de   Cabane],  est  né  à  Châlons- 


sur-lMarne  en   1857.   Il   t^^t  che\-alit 


Légion  d'honneur. 


Quant  à  Eugène  Carrière,  un  seul  mot  dira  l'importance  de  l'action  cju'il  a  exercée 
sur  les  esprits  de  ses  contemporains.  Il  a  presque  fondé  une  religion.  Car  il  y  a  un  culte  de 
Carrière.  La  beauté  morale  de  l'homme  et  la  grandeur  de  l'œuvre,  par  leur  austérité  même, 
abordables  seulement  d'un  petit  nombre,  a  fait  naitre  des  partisans  très  ardents  qu'exaltaient 
davantage  l'indifférence  et  les  sarcasmes  du  public.  On  lui  contestait,  en'effet,  son  parti-pris 
de  clair-obscur  noyé  dans  l'ombre,  son  dédain  de  plus  en  plus  prononcé  pour  les  coquetteries 


Ec 


Ole 


frr 


ancaisc. 


195 


de  la  cnuk'ur,  l'apparente  m(_)nutonie  de  ses  étemelles  )uatcrniti's.  L'iîxposition  posthume  du 
maître,  qui  a  expliqué  le  cours  de  sa  vie  et  a  montré  le  développement  logique  et  fatal  de 
son  feu\re,  Font  mis  cette  fois  à  la  portée  du  grand  public.  Carrière  avait  débuté  avec  de 
véritables  dons  de  coloriste.  Né  le  29  janvier  1849.  à  (iournav-sur-Marne  (Seine-et-Oise),  il 
entra  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts,  en  iSGy,  dans  l'atelier  de  Cabanel.  \'int  la  guerre  de  1870. 
Il  s'engagea  comme  soldat,  fut  fait  prisonnier  à  Neuf-Brisach  et  interné  à  Dresde.  Il  concourut 
pour  Rome  en  1S76,  année  où  il  exposa  aussi  pour  la  première  fois,  mais  renonça  bientôt 
au  concours.    La  hasard  d'un  séjour  à  Saint-Ouentin  l'avait  mis  en  présence  des  pastels  de 


ErcÉNE    ('AKklKKK. 


La  Maternité  (Musée  du  Luxembourg). 


La  Tour,  qui  exercèrent  une  première  influence  sur  son  esprit.  11  parait  aussi  avoir  reçu, 
au  début,  les  conseils  de  Henner.  qui  ne  pouvait  que  le  diriger  dans  le  même  sens  du  modelé. 
Mais  il  fut  surtout  impressionné  par  Rubens  et  plutôt  par  \'élasquez.  Toute  sa  première 
manière,  délicatement  pittoresque,  où  de  fines  colorations  distinguées,  roses,  bleues,  jaunes 
pâles,  sont  accordées  avec  des  neutres  bruns  ou  gris,  relève  de  cette  inspiration.  Les  sujets 
sont  alors  principalement  des  enfants  plus  on  moins  accoutrés  de  \'agues  défroques  du  passé, 
tenant,  ici  un  bock,  là  un  plateau,  ailleurs  jouant  avec  un  chien.  Le  Premier  voile,  du  IMusée 
de   Toulon,   en    1886.   marcjue   une   (jrientation   nou\'elle   dans   un   sens  plus  austère:  elle  est 


196 


La  Peinture   au   XIX''  siècle. 


accentuée  par  le  beau  portrait  en  [ned  du  sculpteur  Dcrillcz  (1887).  artiste  ddublé  d'un  amateur 
éclairé,  c]ui  a  créé  clu'/  lui.  à  Mons.  une  surte  de  \-rai  Musée  (.'arriért-.  Ce  portrait,  profon- 
dément piivsionomi(iue.  d'une  richesse  sobre  de  tons,  cjui  jaillit  en  belle  lumière  limpide  de 
1,1  profon(l<-ur  léf^èrt'  de  l'ombre,  peut  compter  parmi  les  cliefs-d"ieu\'re  du   maitre. 

^lais  ])eu  à  peu,  il  déponille  les  grâces  aimables  du  coloriste  et  év(ilue  a\'ec  décision 
\-ers  une  compréhension  phis  \-irile  et  ]>his  austère  des  formes,  qui  correspond  à  son  nouvel 
idéal   moral  dr  philosophie  humaine'  vt  attendrie.    Il  sembk'  être  alors  iniluencé  par  la  large 

construction  du  dessin  de 
Michel-.Vnge  et  il  se  rapproche 
parfois  de  Daumier  par  son 
arabesque  sinueuse,  qui,  dans 
ses  dernii'rs  dessins,  va  même 
jusqu'à  une  exagération  cur- 
sive.  Cette  lïlanière  grave, 
sé\'ère  et  tendre  à  la  fois, 
s'étend  sur  tout  un  cycle 
d'intimités  familiales  et  de 
..M.iternités",  dont  le  Luxem- 
i)ourg  possède  trois  admirables 
ixemplaires.  La  Maternité  a  été 
exposée  à  la  Société  Nationale 
des  Beaux-Arts  en  1893.  Dans 
la  jiénomlire  \'aporeuse  d'un 
Ultérieur,  une  jeune  femme 
tient  sur  ses  genoux  un  enfant 
blond  (pi'elle  presse  contre  son 
sein,  et  se  penche  jiour  baiser 
une  fillette  dont  elle  prend  les 
joues  dans  la  main  tandis 
(pi'une  autre  petite  fille,  qui 
a  déjà  reçu  le  baiser  du  soir, 
s'éloigne  de  hi  chambre.  Car- 
rière et;iit  oilicier  de  la  Légion 
d'honneur  deiniis  1889.  Il  est 
mort  le  2j  mars  1906,  après 
de  longues  souffrances,  sup- 
liortées  a\'ec  le  ]ilus  simple  et 
le  |)lus  admirable  courage. 

Une  autre  figiu'e  excep- 
tionncHe.  qui  se  dégageait  à  la 
même  date  de  ce  milii'U  des  sécessionnaires,  est  celle  de  Raffarlli.  ..Ratfaèlli.  écrit  Rodin,  est 
un  artiste  pcjur  lequel  le  mot  ..original"  est  fait."  Et  il  l'st,  en  effet,  peu  de  phvsionomies  aussi 
singulières  dans  l'école.  Ses  débuts  ont  été  assez  agités  et  sou  jioint  de  départ  imprévu. 
Je.\n-François  R.\FF.\iu.Li  est  né  à  Paris  le  20  avril  1830.  Son  père,  qui  tenait  une 
maison  de  commerce,  ayant  été  runié,  il  dut,  très  jeune  encore,  chercher  une  carrière  qui  lui 
donnât  le  moyen  de  vi\'re.  tout  en  lui  jx-rmettant  d'apprendre  la  peinture,  vocation  qu'il 
sentait    irrésistible   en    lui.    Il   fit   donc    toutes   sortes   de   métiers,   dès   l'âge  de  quatorze  ans. 


Ecole    française. 


197 


^ 


tirant  parti  de  sa  voïx  puur  chanter  dans  les  églises  et  au  théâtre,  donnant  des  leçons,  et 
faisant  lui-même  son  éducation  générale  et  son  instruction  professionnelle  avec  une  énergie 
extrême.  Il  entra  quelque  temps  dans  l'atelier  de  Gérôme,  mais  son  indépendance  native; 
était  mal  à  Taise  dans  cette  geôle.  Marié  de  bonne  heure,  il  se  met  en  route  avec  sa  jeune 
femme,  à  travers  Tltalie,  l'Espagne,  l'Algérie,  et  finit  par  s'arrêter  dans  la  banlieue  de  Paris, 
à  Asnières,  où  sa  vision  pénétrante,  aiguisée  par  tous  ces  déplacements  et  toutes  ces  compa- 
raisons, distingue  un  monde,  nouveau 
pour  l'art,  méconnu  sinon  inconnu.  .\ftilié 
d'abord  au.x:  impressionnistes,  il  participa 
à  leurs  premières  expositions  che^  N'adar. 
Mais  il  devait  bientôt  se  détacher  de  ce 
milieu,  comme  du  milieu  réaliste,  pour 
tracer  sa  voie  tout  à  fait  à  part.  Ce  qu'il 
y  a  de  curieux  et  de  particulièrement 
instructif,  au  point  de  vue  général  de 
l'évolution  historique  de  l'école,  c'est 
que  le  point  de  départ  de  cette  direction, 
désormais  solitaire,  est  d'ordre  philoso- 
phique. Ce  n'est  pas,  sans  doute,  une 
philosophie  de  la  nature  de  celle  de 
Besnard,  vaste  panthéisme  contemplatif, 
ni  même  de  celle  de  Millet  ou  de  Cazin, 
toute  subjective,  parfois  jusqu'au  mvsti- 
cisme.  Raft'aëlli,  à  propos  d'une  exposition 
de  ses  reu\"res,  qu'il  organisa  en  18S4, 
28  his  Avenue  de  l'Opéra,  a  e.xpi.isé.  dans 
la  notice  qui  précède  le  catalogue,  son 
système  de  ce  qu'il  a  appelé  ,,le  Ijeau 
caractériste".  Et  il  arrivait  à  cette  con- 
clusion, qui  nous  amène  à  un  rapiiro- 
chement,  bien  impré\-u.  puis(iue  c'e-t 
avec  la  doctrine  de  Chenavard;  ..([ii- 
l'art  du  passé  a  dit  tout  ce  qu'il  \-  a\Mii 
à  dire  sur  la  beauté  purement  j)la>tique 
et  que  le  devoir  du  peintre  moderne 
était  la  recherche  du  ,, beau  caractériste", 
du  ,,beau  essentiel"  à  une  époque  positi- 
viste". C'est-à-dire  la  recherche  des 
,, caractères",  ou  encore  ,.des  lois  uK^rales 
et  physiques  déterminant  les  indi\-idua- 
lités  et  les  phénomènes  de  la  nature".  Et 

ce  catalogue  divisait  ses  sujets  sous  diverses  rubriques  où  l'on  rencontrait,  entre  autres, 
,,les  portraits  types  des  gens  du  bas  peuple"  (chiffonniers,  déclassés,  buveurs  d'absinthe, 
voleurs  et  receleurs,  etc.),  de  petits  bourgeois  et  de  ..caractères  de  la  banlieue",  pavsages 
singulièrement  expressifs,  tracés  as-ec  une  technique  qui  pourrait  sembler  la  négation  de  la 
technique,  tant  c'est  peu  du  ..métier"  pour  du  métier,  mais  une  sorte  de  langage  résumé, 
rapide,  abrégé,  n'insistant  que  sur  les  éléments  essentiels  du  caractère,  bien  que  les 
soulignant  a\'ec  une  rare  puissance  signihcati\"e. 


.i^m 


Ii:an-FkaN' 


198 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


Les  Forgerons  buvant,  ('Xj^isés  à  ri^xpcisitidii  cfutunnale  de  l'Art  français  en  iqoo, 
sont  un  de  ces  morceaux  classKiues  Av  types  et  de  paysages  populaires.  Ce  goût  jiarticulier 
de  la  poésie  des  choses  humbles  ou  niiséraljles  n"a  ])oint  ôté,  cependant,  chez  M.  Kafiaëlli, 
le  sens  de  la  beauté  et  des  j)lus  délicates  luumonies.  11  a  su  le  montrer  dans  cette  excpiise 
, .symphonie  en  blanc",  eût  dit  Whistler,  cpii  s'appelle  la  l'>cllc  Mutinée,  et  dans  ce  délicieux 
])ortrait  de  la  fille  de  Fauteur,  d'une  distinction  si  rare,  d'une  tenu<'  si  sobre,  si  discrète, 
d'un  charme  de  jeunesse  et   de  virginité  dans  toutes  ces  ])l.uicheurs  réunies. 

Raffaélli  est   ollicicr  de  la   Légion   d'honneur  depius    i()oo. 


De  ce  côté  des  Salons  se  signalaient  encore  à  l'attention  GriLL.\rME  Dubufe  (né  à 
Paris  le  16  mai  1853,  mort  en  mer  sur  la  route  de  Buenos-Ayres  le  23  mai  1909),  Victor 
Prouvé,  Fr.  Auburtin,  (peintures  décoratives),  Armand  Bertox  (nus),  René  Billotte,  (né  à 
Tarbes  (Hautes-Pyrénées)  le  24  juin  1846,  élève  et  allié  de  Fromentin,  (paysages  et  notamment 
vues  délicates  de  la  banlieue  parisieime);  Je.W  Bér.^UD  (peintures  de  genre  et  de  mcïurs, 
telles  que  la  célèbre  réunion  de  la  .s'((//('  draffard),  Je.^nnigï  et  L,  Lki,k.\xi):  Hellel"  et  Caro- 
Delvaille  (scènes  et  figures  de  la  vie  moderne);  Erni-st  Laurent  (portraits  dans  une  note 
délicatement  attendrie);  Lobre  (intérieurs  de  palais);  Lekolle,  Muenier,  Eliot  (figures  et 
paysages);  Lepère,  Lagarde,  Lebasoue  (pavsages  et  pavsages  animés);  Weerts,  (portraits 


Ecole  Irancaisc. 


201 


décoruti(in).  etc..  ttc.  De  l'autre  côté,  aux  Cliamps-EK'sées.  se  distiugiKUeiu  eu  dehors  du 
peuple  des  paysagistes."  indiqué  antérieurement:  Albert  D.^want,  né  à  P.iris  le  21  septembre 
1852,  élève  de  Jean-Paul  Laurens:  premier  Salon  1870:  (sujets  dliistoire  et  de  la  \"ie  moderne, 
comme  la  Maîtrise  d'ciifiiiits  de  chœur,  du  Luxembourg).  Fk.\ncis  T.\ttf.(,k.mn,  né  à  Péronne 
le  II  octobre  1852:  (sujets  dliistoire  combinés  aupa}-sage:  sujets  de  la  \"ie  maritime).  Bordes, 
André  Brouillelt,  de  Richemond.  E.  Renard  (sujets  divers,  portraits),  Lecomte  du  Xouy 
(sujets  classiques),  L.  Adan  (scènes  rurales).  \'.  Gilbert  fvcènes  jiupulan--),  Rkné  Gilbkrt 
(portraits);  Guillonnet  (décorations 
scènes  exoticpies).  Et  tout  un  monde 
de  jeunes,  très  actifs,  qui  st-ront 
l'honneur  des  premières  ;uinées  du 
siècle  suivant:  les  Avv,  Paul  Chabas. 
Déchenacd.  Dewambez.  Hoff- 
bauer.  Henri  Royer.  Sabatté. 
Troncv,  du  Gardier.  d'Estienne. 
Hanicotte.  Albert  et  J.  Pierre 
Laurens.  Laparra.    F.  Lauth.  Zo. 

Dans  ce  milieu  il  convient  de 
distinguer  à  part  certaines  person- 
nalités artistiques  auxquelles  le  suf- 
frage de  leurs  confrères  a  attribué  la 
médaille  d'honneur. 

Cette  haute  récompense  était 
accordée,  en  1902.  à  Joseph  Bail. 
pour  son  tableau  des  Dentellières.  Xé 
à  Limonest  (Rhône),  le  22  jan\ier 
1862,  Joseph  Bail  appartient  à  toute 
une  famille  d'artistes.  Il  a  été  élève 
de  Jean-Antoine  Bail,  son  père:  sim 
frère  Franck  est  également  peintre. 
Joseph  Bail  se  faisait  connaître  de 
bonne  heure  par  des  natures  mortes 
d'une  rare  virtuosité  d'exécution, 
comme  les  Bibelots  du  Musée  de  Cluiiy 
(1886),  qui  figurèrent  longtemps  au 
Luxembourg,  où  ils  ont  été  remplacés 
par  un  autre  superbe  morceau,  la 
Ménagère,  occupée  à  préparer  un 
bocal   de   condiments,   du    Salon    de 

1897.  .  Il  élargissait  aussi  sa  manière  et  obtenait  un  succès  grandissant  à  l'occasion  de  ses 
scènes  de  personnages  dans  des  intérieurs,  avec  de  puissants  effets  de  clair-obscur,  dans  la 
manière  hollandaise.  A  la  suite  de  ses  Dentellières.  Le  Bénédicité  des  dames  de  Beaicne.  du 
Salon  de  1903,  qui  réunissait,  au  milieu  des  boiseries  luisantes  de  leur  réfectoire,  les  religieuses 
du  célèbre  hôpital,  où  rien  n'a  été  changé  du  passé,  en  leur  pittoresque  co.stume  du  moyen- 
âge,  sous  la  lumière  dorée  du  jour  enveloppant,  confirma  la  réputation  que  \-enait  de  se 
conquérir  le  jeune  artiste. 

Joseph  Bail  est  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  1900.  .  ,        • 

14 


"HEGKOSSE.  —   VitelIiiH   traîné  dans  les  rues  de  Rome 
par  la  populace  (Musée  du   Sens). 


202 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


En  igo6  la  mùme  distincti(jn  exceptionnelle  était  votée  en  faveur  de  Georges  Roche- 
grosse.  Elle  récompensait  une  carrière  déjà  débordante,  bien  que  l'auteur  ait  atteint  à  peine 
sa  cinquantième  année.  Rochegrosse  est  né  le  2  août  1859,  à  Versailles,  dans  un  milieu  fait 
pour  éveiller  toutes  ses  curiosités  précoces  d'artiste.  Il  est,  en  effet,  le  beau-fîls  de  Théodore 
de  Banville  et  quelque  chose  de  ce  prodigieux  talent  pittoresque  et  raffiné  est  resté  dans  son 
propre  talent.  Il  produisit  de  très  bonne  heure  et  se  lança  d'abord  dans  l'illustration,  genre 
auquel  il  est  volontiers  revenu.  Le  premier  succès  qui  lui  ouvrit  la  voie  fut  son  Vitellius 
traîné  dans  les  rues  de  Rome  par  la  populace  (Salon  de  1S82),  toile  où  l'archéologie  se  faisait 

\ivante,  où  les  passions  de  la  plèbe 
déchaînée  contre  le  corps  pantelant 
de  l'ignoble  fantoche  impérial, 
éveillait  une  forte  sensation  de 
réalité.  Rochegrosse  obtint  une 
deuxième  médaille';  son  tableau, 
acquis  par  l'Etat,  fut  placé  au 
Musée  de  Sens.  L'année  suivante, 
il  disputait  et  enlevait  à  Henri 
Martin  le  prix  du  Salon  avec  son 
Androinaqiic.  Depuis,  il  puisa  soit 
aux  sources  d'inspiration  de  l'anti- 
ciuité  et,  surtout,  de  l'antiquité 
iirientale,  comme  dans  sa  Mort  de 
Babylone  (1891),  Horde  de  Huns 
pillant  une  villa  Gallo-romaine,  soit 
à  l'histoire  du  moyen-âge,  comme 
dans  sa  Jacquerie,  unissant  dans 
M)n  art  complexe,  soucieux  de 
vérité,  l'esprit  de  résurrection  des 
Th.  Gautier  et  des  Flaubert  avec 
les  dons  d'archéologue  et  d'ethno- 
graphe des  Gérôme  et  des  Alma- 
Tadema.  Rochegrosse  a  été  décoré 


Son  concurrent  d'autrefois, 
Hi;.\Ri  M.iiRTiN,  est  né  à  Toulouse 
le  5  août  1860.  Elevé  dans  un 
milieu  très  modeste,  il  manifesta 
de  bonne  heure  ses  dons  pour  la 
peinture,  étudia  d'abord  à  l'Ecole  des  Beaux-Arts  de  Toulouse  et  fut  envoyé  à  Paris,  où  il 
entra  dans  l'atelier  de  son  compatriote  J.-P.  Laurens.  Ses  travaux  de  début  ne  tranchent 
sur  la  production  courante  que  par  leur  caractère  de  réaction  poétique  au  milieu  des  tendances 
documentaires,  presque  universelles,  de  l'époque.  Il  expose  une  série  de  tableaux  tour  à  tour 
inspirés  par  Dante  ou  Lord  Byron,  Alfred  de  Musset  ou  Baudelaire.  Il  était  alors  affilié  à 
une  petite  coterie  artistique:  le  Salon  de  la  Rose -t- Croix,  qui  défendait  les  droits  de  l'idéalisme; 
il  affirmait  pourtant,  dès  ce  moment,  ses  préoccupations  de  luministe,  qui  se  marquèrent 
assez  violemment  dans  sa  Fête  de  la  Fédération  et  VEntréc  du  président  Carnot.  Ce  fut  une 
crise,  crise   réaliste,   qui    l'entraîna    vers  les  procédés  techniques  de  l'impressionnisme,  mais 


M.XKUKL    liA-CHEl. 


Henri   Ruchcfoit  (IVtit   Palais). 


Ecole   trancaise. 


20 


dont  il  sut  tirer  le  parti 
le  plus  heureux  dans  les 
vastes  décorations  pour 
le  Capitole  de  Toulousr. 
l'Hôtel  de  Ville  de  Paris, 
et  la  Caisse  d'Epargne  de 
Marseille,  où  l'allégorie 
évolue  de  plus  cn^plus 
chaque  jour,  du  passé  de 
l'histoire  aux  réalités  du 
présent  et  où  les  figure^ 
sont  délicieusement  ac 
cordées  au  paysage,  sous 
les  jeux  à  la  fois  les  plus 
éclatants  et  les  plus  ten- 
dres de  la  lumière.  Après 
toute  une  suite  relative 
à  Clémence  Isaure,  les 
Faucheurs,  qui  représen- 
tent un  des  âges  de  la  vie  dans  la  décoration  du  Capitok-  de  Toulmisc,  cimipu^ 
naturahste,  émouvante  de  vérité  dans  sa  gloire  estivale  et  son  labeur  r\-tlimé,  c-st 
la  plus  magistrale.  Elle  a  figuré  au  Salon  de  1903.  Henri  ;\Iartin  a  nbtrnu  ' 
d'honneur  en  1907:  il  est  officier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  1903. 


fMlIséf    "lu    I.ll\ 


iti(_in  toute 
son  leuvre 
a    médaille 


En  1908,  la  médaille  d'honneur 
(Seine  et  Oise),  le  5  août  1862.  Elle  était 
enlevée,  non  sans  lutte,  par  le  succès  du 
portrait  de  Henri  Rochejort,  d'une  mâle 
probité  de  métier  et  d'une  expression  très 
intense.  Cette  distinction  supérieure  s'éten- 
dait d'ailleurs  à  tout  un  passé,  rempli  par 
une  production,  toujours  savante  et  loj-ale, 
d'aimables  ou  francs  portraits.  ^larcel 
Baschet,  qui  est  élève  de  Jules  Lefebvre 
et  de  Boulanger,  a  obtenu  le  grand  prix 
de  Rome  en  1883;  il  a  été  décoré  en  1898. 

Une  des  particularités,  qui,  à  la  fin 
du  XIXe  siècle  et,  plus  activement  encore 
au  commencement  du  siècle  suivant,  \"a 
marquer  l'organisation  des  arts,  est  la 
formation  de  nombreux  petits  groupes  et 
le  développement  des  expositions  privées, 
qui  arriveront  bientôt  au  pullulement. 
Produits,  plus  tard,  en  vue  d'échapper  à 
la  cohue  des  grands  salons,  pour  des  raisons 
d'ordrej  économique  ou  par  suite  de  divi- 
sions intestines  au  sein  de  certaines  sociétés, 


était   atribiiée   à   M.akcel    1-).\S(  iiet.    né    à    Gagny. 


DlNET.  —  .\btlel-r,hfr 


dul.ii\emb..iirg). 


204 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


divisions  suivies  de  scissions,  ces  groupements  ;i\-;dent  primitivement  pour  but  de  réunir  des 
artistes  qui  s'étaient  spécialisés  soit  par  l'emploi  de  certains  procédés,  tels  les  pastellistes, 
les  aquarellistes,  soit  par  la  direction  d^■  leurs  études,  comme  les  orientalistes,  ou  simplement 
qui  s'étaient  associés  par  affinités  de  goûts  et  de  tendances.  Après  avoir  tendu  longtemps 
\-ers  une  grande  organisation  unique  et  centralisée.  l'Ecole  penche  donc  aujourd'hui  de  plus 
plus  \'ers  l'iudix'idualisatinn.  sinon  des  ])ersonnaIités,  du  moins  des  ])etites  familles  artistiques. 
.\  cette  heure  il  n'est  plus  guère  piissitile  de  les  c(jmpter,  car  chaque  société  existante  en 
produit    quotidiennement    de   nouwlles   jKir   une   sorte   de   travail   cellulaire.    Mais   il   en   est 


Etienne  Dinet.  -    Lu  Fils  du  Saint  Miabeth. 


quelques  unes  qui  ont  continué  leur  évolution  régidière,  depuis  leur  formation  dans  les 
dernières  années  du  siècle  précédent,  et  qui  ont  eu  une  influence  sur  le  cours  de  l'inspiration 
artistique  par  le  lien  qu'elles  ont  établi  entre  certaines  individualités  et  la  place  que  celles-ci 
ont  prise  dans  l'histoire  de  notre  temps. 


l'ne  de  ces  plus  anciennes  sociétés  est  celle  des  Peintres-Orientalistes.  Elle  avait  été 
projetée  dès  la  mort  du  peintre  Gustave  Guill.^umet.  Cet  artiste  s'était  acquis,  après 
Frtjmentin  et  les  autres  peintres  de  la  vie  arabe,  ime  notmiété  très  grande  par  son  inter- 
prétation nouvelle  de  ces  sujets   exotiques  qui.  depuis  le  début  du  siècle,  avaient  passionné 


Ecole   française. 


;o: 


notre  école.  Formé  en  j)leine  période 
de  préoccupations  naturalistes,  après 
avoir  hésité  à  la  suite  de  Delacroi.\, 
été  influencé  quelque  peu  par  BelK'. 
il  avait  subi,  à  la  fin.  la  direction 
de  Millet  et  il  a\"ait  \'oiilu.  à  sa 
manière,  résoudre  les  grands  pro- 
blèmes lumineu.x  soule\-és  par  ce 
ciel  exceptionnel  et  traduire  les 
grands  côtés  dliumanité  des  popu- 
lations pastorales. 

Laghoiiat  (Salon  de  iS7r)),;iu 
matin,  en  hiver,  avec  ses  indigènes 
encapuchonnés  qui  sortent  pour 
s'imprégner  des  premiers  rayons  du 
soleil,  et  surtout  la  Séguia  (le  ruis- 
seau) près  de  Biskra,  (Salon  de 
1884),  avec  ses  robustes  silliouettes 
à  contre  jour,  dans  leurs  waleurs 
exactement  notées,  leurs  ombres 
mangées  de  reflets,  leur  large  lumière 
diffuse,  disent  fortement  la  poésie 
âpre  et  virile  de  ces  contrées.  Ces 
deiLX  tableaux  appartiennent  au 
Luxemb(jurg. 

Guillaumet  était  né  à  Paris 
le  26  mars  1840.  dans  une  famille  de 
riches  teinturiers  de  Puteaux,  qui 
ne  firent  point  obstacle  à  sa  voca- 
tion. Il  avait  été  élève  de  Picot. 
carrière,  un  peu  par  hasard.  Il  est 
mort  le  14  mars  18S7. 

Le  prestige  de  son  (eu\'re 
groupa  donc  quelques  jeunes  artistes. 
qui  l'avaient  suivi  de  près  ou  de 
lom  dans  ces  pays  de  soleil  et  qui 
avaient  formé  une  première  tenta- 
tive d'union,  à  l'occasion  de  TE.xpo- 
sition  de  i88g,  dans  le  pa\-illon 
spécial  de  l'Algérie.  A  la  suite  de 
Gérôme  et  de  Benjamin  Ci:)nstant  se 
constitua  bientôt  la  société  a\-ec 
Ch.  Cottet,  Maurice  Bomp.ard,  qui 
reportait  à  Venise  sa  vision  colorée 
d'Algérie;  CHrD.A.XT.  peintre  des 
nocturnes  du  désert:  P.\rL  Lekov. 
subtil  et  déhcat  analyste  des  ardentes 
lumières  sahariennes,  qu'il  adaptait 


Au   moulin  d<_-   la   (  ialet;. 


puis  de   Barrias   et  était  parti  pour  l'Algérie,  où  il  fit  sa 


2o6 


La  Peinture  au  XIX^  siècle. 


à  ses  grandes  compositions  de  figures;  Makius  Perret  (Moulins  1853  —  Sindanglaija;  Java, 
1900),  dont  le  nom  restera  comme  celui  d'un  des  plus  exacts  observateurs  de  ces  effets  de 
lumière;  Maurice  Potter  (1865 — 1898)  tué  en  revenant  du  Nil  blanc;  LuNOis,  universel- 
lement connu  comme  lithographe;  L.  A.  Girardot,  qui  a  dit  toute  la  poésie  des  crépuscules 
marocains  et  des  cimetières  Israélites;  les  frères  Paul  et  Amedée  Buffet,  H.  Vollet,  J.  de 
LA  NÉZIÈRE  et  tant  d'autres.    ;\lais  de  ce  groupe  se  détache  une  personnalité  exceptionnelle: 

c'est  celle  de  Etienne  Dinet. 

Cet  artiste  est  né  à  Paris  le 
28  mars  1861.  Après  avoir  fait  toutes 
ses  études,  libéré  du  service  militaire, 
il  entra  à  l'Académie  Julian  et  s'inti- 
tula d'abord  élève  de  Bouguereau. 
Son  instruction  technique  fut  rapide 
et  il  arriva  très  vite' à  une  fermeté 
et  à  une  souplesse  de  métier  tout  à 
fait  rares.  Il  avait,  dès  l'origine,  le 
don  du  dessin,  le  sens  de  la  vie,  de 
l'expression,  du  geste  et  du  mouve- 
ment, qualités  qu'il  a  portées  au  plus 
liant  point  dans  ses  œuvres  ultérieures. 
En  1882,  il  fut  entraîné  un  peu  par 
hasard,  de  même  que  Guillaumet, 
vers  les  côtes  de  l'Algérie.  Il  se  pro- 
posait de  partir  pour  l'Italie  quand 
il  se  décida  à  suivre  Lucien  Simon 
et  son  frère,  qui  traversaient  la 
Méditerranée.  Il  fut  tellement  cap- 
tivé par  ce  premier  voyage  qu'il 
retourna  en  Algérie,  l'année  suivante, 
à  l'occasion  de  la  bourse  de  voyage 
ipi'il  \-enait  d'obtenir.  Depuis,  pen- 
dant près  de  vingt-cinq  ans,  il  n'a 
«essé  d'y  retourner  et  d'y  séjourner, 
^e  pénétrant  de  plus  en  plus  des 
raractères  locaux  du  paysage  et  des 
populations  indigènes,  et  en  extra- 
yant tous  les  éléments  pittoresques, 
avec  une  puissance  de  réalisation 
qui  dépasse  tout  ce  qui  avait  été 
tenté  par  ses  plus  illustres  devanciers.  Dinet  restera  comme  le  peintre  et  le  poète  de  la  vie 
arabe.  Il  y  est  entré  non  pas  en  occidental,  mais  en  vrai  oriental  et  comme  avec  une 
âme  de  musulman.  Abdel-Gheram  et  Nour-el-Aîn,  ainsi  que  le  Fils  du  Mrabeth,  appartiennent 
tous  deux  au  même  Salon  de  1901.  Ils  résument  chacun  sa  manière;  l'un,  ce  nocturne 
amoureux,  sur  le  mode  féminin  et  attendri  de  charme,  de  beauté  et  de  rêverie;  l'autre,  cet 
enfant  sacré,  porté  par  une  sorte  de  St.  Christophe,  vers  qui  se  précipite  la  fanatisme  des 
fidèles,  sur  le  mode  viril  de  mouvement,  de  foule,  de  lumière  ardente,  de  physonomies 
mobiles  et  expressives,  de  gestes  violents  ou  tumultueux.  Le  premier  de  ces  ouvrages,  qui  est 
comme   l'illustration    d'un    poème   de  son  compagnon' de  route  et  de  travail.   Si_Sliman  ben 


Maukick   UtMs 


-cole  trancaise. 


207 


Ibrahim  Bamer,  appartient  au  Musée  du  Luxembourg.   Dinet  est  oilicier  de  la  Légion  d'iionneur 
depuis  1905. 


\'ers  1895,  on  ]iouvait  remarquer  une  certaine  agitation  parmi  les  jeunes.  Ils 
protestaient,  à  leur  tour,  contre  la  stagnation  de  FEcole  dans  l'obserN-ation  étroite  et  le 
documentarisme  morne.  Une  réaction  se  produisait,  idéaliste  ou  coloriste;  elle  provenait  des 
milieux  les  plus  divers.  On  voyait  poindre  le  Salon  de  la  Rose  +  Croix,  sous  le  patronage  du 
,,Sâr"  Joséphin  Péladan,  le  groupe  des  néo-impressionnistes  et  symbolistes,  qui  ouvrait  ses 
expositions  rue  Le  Peletier.  L'atelier  de  Gustave  ;\Ioreau,  d'autre  part,  était  en  pleine  effer- 
vescence. Il  serait  aisé  de  rattacher 
tous  ces  mouvements  artistiques  aux 
mouvements  littéraires  et  de  marquer 
les  rapports,  conscients  ou  incon- 
scients, de  ces  jeunes  peintres  avec 
les  Stéphane  Mallarmé,  les  Paul  Ver- 
laine, les  Jean  Moréas  et  les  autres 
poètes  plus  jeunes,  symbolistes  ou 
décadents,  sans  parler  de  l'influence 
des  Anglais  Shelley  et  Swinbume, 
très  appréciés  par  la  jeunesse  en  ce 
moment.  Du  milieu  impressionniste, 
qui  semblait  alors  le  milieu  indé- 
pendant par  excellence,  et  auxquels 
s'étaient  rattachés  les  esprits  les  plus 
ardents  et  les  plus  libres,  sortirent 
quelques  individualités,  violemment 
discutées,  mais  qui  finirent  par 
s'imposer  grâce  au  fort  accent  per- 
sonnel de  leur  vision.  Il  faut  citer  en 
tête  Henri  de  Toulouse-L.autrec 
et  Paul  Gauguin.  Tous  deux  expo- 
saient à  la  date  indiquée  dans  la 
boutique  du  marchand  Le  Barc  de 
Boutteville,  47,  nie  Le  Peletier.  Le 
premier,  descendant  d'une  ancienne 
et  illustre  famille  de  France,  est  né  à 

Albi  le  24  novembre  1864.  Ses  études  Aman-Ji:an.  -  Pui-n-ait. 

achevées,   il  s'adonna  à  la  peinture 

pour  laquelle  il  se  sentait  une  véritable  vocation.  Il  étudia  avec  le  peintre  animalier 
Princeteau,  puis  à  l'atelier  Cormon,  mais,  fut  surtout  attiré  par  les  pastels  de  Degas  et  dirigé 
par  les  conseils  de  Forain.  De  terribles  accidents,  dont  il  fut  victime  dans  le  premier  âge, 
l'avaient  rendu  difforme  et  cette  infériorité  physique  était  d'autant  plus  douloureuse  que 
l'homme  était  doué  d'une  vive  intelligence  et  animé  d'une  soif  ardente  de  vie.  Il  eut  aimé 
les  chevaux,  les  sports  et  le  reste.  De  dépit  il  se  lança  dans  une  existence  qui  l'usa  et  l'enleva 
à  l'âge  de  trente-sept  ans,  le  9  novembre  1901.  Il  a  peint  le  monde  dans  lequel  il  a  vécu:  turf, 
hôpitaux,  cafés-concerts,  bals  publics  et  mauvais  lieux,  a\'ec  un  dessin  mordant,  nerveux, 
expressif  jusqu'à  l'exaspération  et  les  accords  les  plus  rares  et  les  plus  délicats  de  colorations, 
à  l'exemple  des  Japonais.   Il  a  surtout  employé  le  pastel  et  la  lithographie  en  couleurs. 


2o8 


La  Peinture  au  XIX'^  siècle. 


L'horreur  du  convenu,  un  besoin  profond  de  nouveauté  et  d'ingénuité,  produisit,  à 
la  fin  du  siècle,  chez  certains  jeunes  artistes  les  mêmes  tendances  archaisantes  que  celles 
qui  s'étaient  dé\-eloppées  au  sein  même  de  l'atelier  de  David.  Tantôt  à  la  suite  de  Degas, 
tantôt  derrière  Pu\-is  de  Chavannes,  puis  à  côté  de  Cézanne,  mais  très  librement,  et  en 
regardant  surtout  vers  ces  primitifs  tant  prônés  alors,  la  figure  de  V.wl  (i.-\UGrix  émerge 
d'un  groupe  de  déliquescents,  amoureux  des  abréviations  outrées  et  des  synthèses  décoratives. 
Gauguin  (1851 — 1903)  eut  une  vie  très  accidentée.  Né  d'un  père  breton  et  d'une 
métisse  péruvienne,  il  travailla  d'abord  en  Bretagne,  où  il  fonda,  a\"ec  quekjiies  disciples, 
ce  qu'on  appela  l'Ecole  de  Pont-Aven,  en  cherchant  des  juxtapositions  franches  de  couleurs, 
montées  de  tons,  mais  délicates  de  rapports,  dans  un  dessin  volontairement  simplifié  jusqu'à 
en    être  fruste.    L'exotisme  de  la  Bretagne  ne  lui  sufl'isant  plus,  pas  jilus  (pie  les  primitifs  de 

Mnrence  ou  de  la  Grèce 
antique,  il  s'expatria  en 
Polynésie  et  il  essaya  ce 
qu'il  croyait  une  régé- 
nération de  l'art  en 
employant  les  moj'ens 
de  la  plus  extrême  sim- 
plicité. Quelle  que  soit 
cette  affectation  d'ar- 
chaïsme rudimen  taire, 
ses  (cuvres  tahitiennes 
iint  une  fraîche  et  sau- 
\'age  saveur  exotique, 
ses  harmonies  une  dou- 
ceur attendrie  et  ses 
compositions  offrent 
souvent  un  charmant 
aspect  de  fresques 
décoratiws. 

Des  mêmes 
Sdurces  est  jailliletalent 
de  M.WRicE  Denis,  né 
à  (rranville  (Manche) 
le  25  novembre  1870, 
qui  essaya  de  satisfaire  ses  premiers  instincts  d'idéalisme  au  Salon  de  la  Rose  4- Croix.  Mais 
il  apporta  dans  son  dévek)ppement  plus  de  persévérance  que  Paul  Gauguin,  qui  parait  avoir 
été  son  initiateur  indirect.  Un  peu  comme  tout  le  monde,  il  avait  étudié  à  l'Académie 
Julian;  mais  il  aimait  les  maîtres  et  surtout  les  naïfs  et  exquis  florentins.  Ils  lui  servirent 
longtemps  de  guides,  dans  sa  première  période  mystique,  d'une  ingénuité  assez  maniérée 
mais  déjà  très  séduisante,  avec  le  charme  candide  et  raffiné,  sensuel  et  religieux,  des  poèmes 
de  \'erlaine  qu'il  illustrait.  L'Italie  l'avait  formé,  la  Grèce  le  paracheva  et  le  conteur 
adorablement  virginal  et  subtil  des  ^Madones,  des  Mages,  de  l'Imitation  et  de  Saint  François, 
des  petits  angelots  bien  sages  dans  leur  paradis  printanier  tout  fleuri  de  lys,  est  devenu  le 
narrateur  aussi  délicieusement  simple  et  singulier,  tout-à-fait  antique,  par  la  grâce  ingénue 
et  jusque  par  la  gaucherie  charmante  des  formes,  des  ébats  de  Nausicaa  et  de  Calypso,  dans 
des   paysages  méridionaux   nierxeilleux.  bleus,  rouges  et   or,  verts  et  \'iolets.  Les  panneaux 


J.ACcjUEs  liLANLllE.  —  La   famille  Thaulow  (Musée  du   Luxembourg). 


Ecole    française. 


209 


que  ce  décorateur  né  a  exécuté  en  dernier  lieu  jxiur  un  .M('-eéne  de  Moseuu,  l'IIis/oirc  de 
Psyché,  marquent  nuf  nouvelle  éta,]>e,  plus  lart,'r,  plus  sûre.  ])lus  ..classi(iue""  jinur  ]irendre 
ce  mot  dans  son  acception  la  ])lus  haute,  dans  ré\'(ilution  de  cet  artiste. 

A  cette  date  de  i!S(}5.  parmi  les  jeunes  artistt'S  qui  })rotestairnt  le  plus  c)U\a-rtement 
contre  les  tendances  anémiées  du  milieu  environnant,  figurait  un  petit  groupe  qu'on  baptisa 
bientôt  la  „bande  noire",  parce  que  leurs  productions  contrastaient  par  le  ton  monté  de 
leurs  colorations  avec  l'ensemble  des  Salons,  Les  uns  étaient  déjà  des  camarades  d'atelier  ou 
d'école,  d'autres  vinrent  à  eux,  attirés  par  des  affinités  de  goûts  ou  poussés  par  les  excitations 
de  la  critique.  On  désignait  les  physionomies  déjà  distinctes  d'Aman-Jean,  de  Cottet,  de 
Simon,  de  René  Ménard,  de  J.  Blanche,  de  Prinet,  suivis  par  x\ndré  Dauchez,  Henri  Duhem, 
Lobre,  Ulmann,  avec  des  éléments  nou\-eaux  \-enus  d'ailleurs.  Ils  fondèrent  plus  tard  la 
Société  Nouvelle,  qui  s'est  reconstituée  ensuite,  dans  les  premières  années  du  XX'^'  siècle,  sous 
la  rubrique  de  ,,Ex]i()siti(in  de  pi-intres 
et  sculpteurs  sous  la  présidence  dr 
Rodin'".  Le  plus  âgé  de  ces  jeunes 
était  Am.-\n-Je.\x,  né  à  Chevry-Cos- 
signy  (Seine-et-Marne)  le  i(S  n(i\-embre 
1860.  Élève  de  Hébert  et  de  Puvis 
de  Chavannes,  il  a\'ait  gardé  de  ces 
deux  maîtres  un  sentiment  des  har- 
monies chaudes  et  vibrantes  l't  un 
goût  pour  les  sujets  poétiques.  II 
débute,  en  effet,  par  des  compositions 
prises  dans  le  monde  de  la  légende. 
de  l'histoire  ou  de  la  fable,  telles  que 
St.  Julien  l'hospitalier.  Ste.  Geueviève 
ou  Jeanne  d'Are,  l'n  voyage  à  \'enise 
porta  ce  double  esprit  harmonique  et 
poétique  sur  les  réalités  contempo- 
raines et  il  peignit  des  ]'éiiitiennes. 
puis  des  parisiennes  avec  toutes  les 
grâces  les  plus  déliquescentes  de  leurs 
toilettes  modernes,  en  des  assemblages 

de  tons  très  rares,  des  combinaiscms  d'arabesques  très  expressives.  é\'oluant  chaque  jnur  \-ers  ce 
qui  semblait  être,  dès  ses  débuts,  sa  vocation:  la  décoratiem  sur  le  mode  poéticiue.  Aman-Jean, 
qui  avait  obtenu  une  bourse  de  voyage  en  1885,  est  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  depuis  iqoo. 

J.-VCQUES  Bl.vxche  est  né  le  30  janvier  1861.  Ses  premiers  ouvrages  le  firent  déjà 
remarquer  par  des  dons  qui  marquaient  une  forte  culture,  un  sentiment  juste  des  conditi(.>ns 
de  son  art  et  une  distinction  innée  dans  le  goût.  Il  semblait,  à  ce  moment,  suivre  phis  volontiers 
la  voie  réaliste  de  Manet.  mais  mitigée  par  l'influence  des  maîtres  anglais,  not, miment  de 
Gainsborough,  comme  il  apparaît  dans  ce  portrait  de  la  jainille  l'ihiulow.  du  Musée  du 
Luxembourg,  exposé  au  Salon  de  1896.  qui  est  un  exemplaire  typique  de  cette  ]K-riodc-  aux 
tons  gris,  frais  et  argentés.  Depuis,  sa  manière  s'est  échauffée,  sa  palette  s'est  rnrichie,  sa 
compréhension  s'est  encore  étendue  et  il  a  exécuté,  dans  des  accords  impré\"us  et  puissants, 
des  portraits  sa\-ants  et  forts  et  les  ]ilus  désirables  natures  UKjrtes.  Le  Luxembourg  possède 
de  cette  époque  le  portrait  du  romancier  Paul  .Adani.  ([ui  a  un  beau  style  classi(]ue. 


René  MÉN.\Rn.  —  Portrait  de  Louis  Méimrd  (.Musée  du  Luxembourg). 


2IO 


La  Peinture  au  XIX^'  siècle. 


Né  dans  un  cercle  essentiellement  lettré  et  cultivé,  René  Ménakd  est,  lui  aussi,  un 
esprit  de  forte  culture.  Près  de  son  père  et  de  son  oncle,  le  philosophe  Louis  Ménard,  son 
intelligence  ne  pouvait  que  s'ouvrir  à  toutes  les  formes  de  la  Beauté,  dans  la  réalité  ou  dans 
le  Rêve.  Son  premier  Salon  date  de  1883;  il  hésita  quelque  temps  entre  les  sujets  antiques 
et  les  sujets  modernes,  visiblement  influencé,  comme  tous  ses  camarades,  par  l'évolution 
naturaliste  du  moment.  Puis  vers  1890,  il  trouve  sa  voie  dans  laquelle  il  marche  chaque 
jour  d'un  pas  plus  assuré,  entre  le  portrait,  physionomique,  attentif,  fouillé,  —  tel  celui  de 
Louis  Ménard,  au  Luxembourg  —  et  des  visions  synthétiques  de  paysages  aux  colorations 
d'un   éclat   grave,   sous  des  cieux  mouvementés,  peuplés  de  troupeaux  épiques  ou  de  belles 

femmes  nues  aux  formes  pures,  qui  se 
mirent  dans  les  eaux.  Un  voyage  en 
Sicile  accentua  son  contact  premier  avec 
l'antiquité.  De  là  ces  belles  toiles  ,, histo- 
riques" (ÏAgrigente  (iSgo),'  Terre  antique 
(1901),  etc.  René  Ménard  est  chevalier  de 
la   I^égion  d'honneur  depuis   1900. 

Les  deux  personnalités  qui  pre- 
naient, dès  le  premier  jour,  la  tête  du 
petit  groupe  par  la  vigueur  de  leur  tempé- 
rament, leurs  audaces  et  même  leurs 
outrances,  sont  celles  de  Lucien  Simon  et 
de  Charles  Cottet.  Le  jugement  public 
les  associait  déjà  avant  qu'une  étroite 
amitié  vînt  les  unir.  Tous  deux  venaient 
de  reconquérir  la  Bretagne,  envahie  déjà 
par  tant  de  peintres,  et  donnaient  une 
expression  d'une  énergie  encore  inconnue 
de  la  vie  de  ces  populations  maritimes  à 
l'extérieur  exotique  et  au  caractère  pri- 
mitif. Tous  deux,  comme  leurs  autres 
camarades,  appartenaient  à  des  milieux 
bourgeois,  aisés,  et  recevaient  une  instruc- 
tion première  très  développée. 

Lucien  Simon,  l'aîné,  est  né  à 
Paris  le  18  juOlet  1861.  Il  enleva  ses  grades 
universitaires  et  parut  hésiter  un  instant 
entre  les  lettres  et  les  arts;  mais  son  parti 
fut  vite  pris.  Il  entra  à  l'Académie  Julian, 
ovi  il  se  trouva  avec  Dinet,  Desvallières  et  René  Ménard,  et  exposa  dès  1885.  Pendant  quelques 
années  il  tâtonne,  à  son  tour,  entre  les  sujets  scolaires  et  les  aspects  attirants  de  la  réalité. 
Puis  il  se  donne  tout  à  elle.  Tantôt  il  se  consacre  à  la  peinture  des  mœurs  et  des  paysages 
bretons,  qu'il  traduit  avec  une  puissance  d'observation  objective,  une  pénétration  des  types, 
des  physionomies  et  jusque  des  caractères  de  la  race,  en  portraitiste  clairvoyant  et  implacable, 
à  l'œil  duquel  rien  n'échappe  et  dont  la  main  hardie,  nerveuse,  mais  assurée  est  la  serve  obéissante 
du  cerveau.  Tantôt  il  se  livre,  comme  jadis  Fantin,  à  des  groupements  intimes  de  portraits,  où 
ses  facultés  exceptionnelles  s'assouplissent  et  se  détendent  sur  le  visage  de  personnes  aimées, 
de  parents,  d'amis  et  en  des  combinaisons  de  lumière  inattendues,  d'un  haut  effet  pittoresque. 


Rkné  Menakd. 


Ecole   française. 


2  I 


La  Pfoccssidii  (Sabni  ck-  iC)iil),  nu  Musée  du  Luxiiiilinuii;,  couinic  l.i  < 'd  i!><(-yiL-  dit  Soir  (i(}"2), 
cette  toile  si  intense  de  \ii'  dans  sa  double  huniric,  du  Musti'  de  Stoekliolui,  sont  des 
exemplaires  typiques  du  ees  deux  forniLS  de  son  uis])iration.  Lueien  Simon  a  été  déc<u'é  en  1900. 
Madame   Lucien  Simon  est  également  peintre  de  taV'Ut. 


Charles  CcrriEx  est  né.  le  12  juillrt  i8()  ;,  a.u  l'uv.  où  son  père  était  alors  juge  de  jiaix. 
mais  d'une  \'ieille  famille  sa\"o\'arde.  Ses  maitres  nu  ])lutè)t  ses  jn'emiers  conseillers  furent 
Puvis  de  Cha\'annes  et  Roll.  mais  son  esprit  d'indépendance  le  porta  à  chercher  tout  seul  sa 
voie.  Il  crut  la  trou\'er  d'abord  parmi  les  impressionnistes  et  exposa  dans  la  boutique  de  la 
rue  Lepeletier,  a\ec  Maurice  Denis  et  X'uillard.  Ses  del)uts  sont  d'esprit  tout  analytique,  ce 
qui  est  dans  la  loi  de  l'évolution  naturelle,  et  ra])j)ellent  les  paysages  de  Lépine.  Son  premier 
Salon  date  de  iSSi).  Il  est  déjà  établi  en  Bretagni:.  dans  ce  coin  de  Caiiuirct.  ipTil  a  rendu 
célèbre  par  ce  premier  paysage  aux  nuages  cui\'rés,  ac(piis  par  l'I^tat  ]iour  le  Luxembourg  et 
qui  a  été  tant  imité  depuis. 
En  1892,  il  allait  en  Algérie  ; 
en  1894  en  Egypte,  après 
l'attribution  d'une  bourse 
de  voyage.  Sa  manière  se 
colorait  de  plus  en  plus  et 
en  1895  il  arrivait  a\'ec  cet 
Enterrement  breton,  aujom'- 
d'hui  au  IMusée  de  Lille, 
qui  lit  scandale.  Essen- 
tiellement peintre,  mais 
peintre  expressif.  Cottet 
diffère  de  Simon  par  sa 
vision  subjective.  Il  mêle 
les  ardeurs  généreuses  de 
son  âme  à  tous  les  spec- 
tacles qu'il  contempl(.".  De 
là  la  forte  émotion  qui 
émane  de  ces  paysages  et 
de  ces  sujets  de  la  vie 
maritime  et  surtout  de  ces 

DeMî/s  marins,  si  profondement  ]ioignants  et  humains.  Le  grand  triptyque  du  Salon  de  189S. 
qui  résume  sa  série  ..An  [>iivs  de  lu  /iier^\-  l\[dieii  :  eenx  qui  s'en  vont:  eelles  qui  restent. 
est  à  la  fois  la  composition  la  plus  signilicati\-e  de  son  (euvre  en  même  temps  qu'une  des 
compositions  —  avec  la  Prueessinn  de  Simon  —  les  plus  significatives  de  cette   génération. 

Cottet  a  été  décoré  en   i<)0o. 

Gaston  La  Touche  et  Henri  Le  Sidaner.  bien  qu'associés  à  ce  groupe,  sont  loins  d'être 
issus  de  la  „bande  noire".  Ils  sont  partis  tous  deux  du  point  opposé,  d.xsrox  r.\  TorciiE. 
qui  est  un  des  aines  —  il  est  né  à  St.  Clond  le  29  octoliiv  1S54  —  a  toujours  été  préoccupé 
des  problèmes  luministes;  il  exposait,  jeune  encore,  cIkv  Nadar  a\-ec  les  impressionnistes  et 
longtemps  il  fut  compris  j)armi  eux;  mais  il  était  accepté  du  public  à  cause  de  cette 
originalité,  qui  perçait  déjà,  et  qui  de\-ait  s'é]ianouir  si  heureusement  en  décorations  de  la 
plus  aimable  et  de  la  plus  alerte  fantaisie.  11  est  de  la  \raie  lignée  de  W'atteau  et  de 
Fragonard.  Une  grâce  bien  française,  où  entre  (luehiue  chose  des  carnavals  \  énitiens.  martjue. 


LUCIK.N    Sl.MON. 


ilu  Soir  (Musée  de  Stuckholm). 


2  14 


La  Peinture  au  XIX"'  siècle. 


en  effet,  toutes  ces  Conversations  et  ces  Fêtes  galantes,  dont  la  Fête  de  Nuit,  du  Luxembourg, 
avec  son  feu  d'artifice  brisé  sur  les  eaux,  ses  figures  amoureuses  glissant  dans  la  barque, 
conduite  par  un  vieux  faune,  est,  pour  ainsi  dire,  le  bouquet.  Cette  toile  a  été  exposée  en 
i()o6.    (kiston  La  Touche  est  oflicier  de  la  Légion  d'iionneiu"  (1909). 

Henki  le  Sidaner  est  né  à  l'Ile  Maurice  le  7  août  1862.  Élève  de  Cabanel,  il  fut 
entraîné  de  suite  vers  la  peinture  des  réalités,  mais  il  y  portait  un  esprit  mystique,  qui  se 
modifia  heureusement  pour  prendre  ce  délicieux  caractère  de  poésie  intime  et  familiale,  si 
attirant  dans  ses  tableaux  de  dessertes  sous  la  lampe  ou  de  jardins  au  soleil.    Ce  sujet  de  la 


Table,  avec  ce  que  les  éléments  discrets  de  la  nature-morte  appellent  de  rêves  sous  les 
jeux  des  rayons  lumineux,  a  été  souvent  repris  par  lui.  Il  s'en  trouve  deux  exemplaires 
différents  au  Musée  du  Luxembourg.     Le  Sidaner  est  décoré  depuis  1906. 

Lîn  des  phénomènes  les  plus  singuliers,  qui  se  soient  produits  dans  le  développement 
de  la  peinture  à  la  fin  du  siècle  passé  est  la  brusque  é\'olution  réaliste  du  petit  milieu 
archaïsant  formé  par  l'enseignement  de  Gustave  Moreau.  Il  était  apparu  d'abord  comme 
un  des  plus  actifs  éléments  de  réaction  idéaliste;  il  était  saturé  de  l'œuvre  des  maîtres  et 
ses  membres  opposaient  volontiers  les  Musées  à  la  Nature.  Bientôt,  à  la  mort  de  celui  qui 
dirigeait   si   passionnément  leur  conscience  artistique,  on  les  vit  abandonner  le  monde  de  la 


É 


colc 


fi-r 


ancaise. 


2  I 


chimère,  du  rêve,  de  la  fable,  de  la  légende  et  de  riiistoire  pour  se  griser  de  m(jdemité 
et  renoncer  aux  conseils  des  vieux  primitifs  florentins  ou  vénitiens  pour  prendre  leur  mot 
d'ordre  des  Espagnols.  Simon  Bussy,  Milcendeau,  Du  Gardier,  E.  Martel,  Besson.  Maxence, 
Béronneau,  se  lancèrent,  chacun,  suivant  son  tempérament,  dans  l'expression  de  la  vie 
moderne.  Bien  mieux,  quelques  uns  se  tournèrent  vers  les  plus  outrés  et  l'on  vit  bientôt 
H.  Matisse,  Ch.  Guérin,  Flandrin.  Rouault,  et  même  Georges  Desvallières,  l'élève  de  prédi- 
lection de  Delaunay  et  de  Gustave  Moreau,  faire  amende  honorable  de  leur  dilettantisme 
savoureu.x  et  bâtir  chacvm  sa  nouvelle  maison  sur  un  coin  de  la  Thébaïde  austère  de  Cézanne. 
C'est    ce   milieu    qui    forma,   au   début   du    siècle   nouveau,    en    se  combinant   avec  d'autres 


t.\-MN    I  \    r.  itrut:.   —    Ictf  .le   Xuit   :  Mu^L•c  du   LuxcnibourL;  ). 

éléments,  la  dernière  importante  scission  du  Salon  d'.\utomne.  On  y  trou\-ait,  \'enus  de 
l'Exposition  des  Indépendants,  les  néo-impressionnistes  de  jadis,  Maurice  Denis  et  E.  \'riLL.-\RD, 
celui-ci  doué  d'une  si  exquise  sensibilité  de  vision,  d'une  si  délicate  originalité  d'intimiste 
et  de  décorateur,  ou  d'autres,  partis  des  milieux  traditionnels,  mais  ayant  évolué  à  la  suite 
de  Constantin  Meunier  et  de  Carrière,  vers  les  tendances  sociales  et  l'expression  de  la  vie 
populaire,  comme  Jules  .\dler  (né  à  Luxeuil,  Haute-Saône  le  lo  juillet  1865),  chevalier  de 
la  Légion  d'honneur  en  1907,  dont  le  Luxembourg  possède  le  tableau  caractéristique  des 
Haleurs  (Salon  de  1904). 


Une   des  personnalités,  qui  >'<,->t  le  plus_distinguée  à  côté  des  précédentes  est  celle  de 


i6 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


HeNKI    LK    SlIiANKR. 


René  Piot  (né  à  Paris  le  21  jan- 
\-ier  1868).  ancien  élève  de  Gustave 
Moreaii,  revenu  à  son  point  de 
départ,  \'ers  les  maîtres,  dont  les 
fresques  aux  fortes  harmonies 
évoquent  le  souvenir  complexe 
des  vieux  italiens  de  Padoue  et  de 
Ferrare  confondu  avec  celui,  plus 
moderne  de  Chassériau,  dans  des 
Hores  tropicales  à  la  Gauguin. 
On  ne  peut  conclure  sans 
signaler  le  mouvement  féministe 
qui,  dans  les  arts,  a  fourni  des 
rt'crucs  si  exceptionnelles  depuis 
cjue  l'enseignement  s'est  étendu 
également  aux  femmes  comme 
;uix  hommes.    Après  Ros.A.  BoN- 

IIEIR        et        VlRCIXIE       DeMONT- 

Bri:T()X  (née  à  Courrières,  Pas- 
de-C;dais.  en  i85()).  Mademoiselle  Axgèle  Delasalle.  ;M.'da.me  Chacchet-Guilleré,  et 
particulièrement  Mademoiselle  Hélèxe  Clémextixe  Dupau.  se  sont  conquis  une  place  élevée 
dans  nos  Salons.  Mademoiselle  Dufau  est  née  à  Ouinsac  (Gironde)  en  1869.  Venue  à  Paris 
à  Page  de   vingt   ans.  elle  entra   à  IWcadémie  Julian,  exposa  pour  la  première  fois  en  1895, 

et.  tout  de  suite,  se  fît  remarquer 
par  la  décision  de  son  dessin, 
kl  souplesse  de  son  métier  de 
jieintre.  la  fraîcheur  et  l'éclat 
de  sa  \"îsîon.  qualités  qu'elle 
de\-eloppa  encore,  plus  tard, 
dans  des  toiles  de  caractère  déco- 
r.itif,  telle  cjue  YAiitoiinic  du 
Musée  du  Luxembourg  (Salon 
(le  iQob),  d'une  haute  distinction 
lie  conception  et  d'une  exécution 
souple  et  voluptueuse,  pleine  de 
charme.  Elle  a  été  décorée  en  1909. 
Ces  dernières  générations 
et  ces  derniers  noms  forment  la 
transitii.in  entre  le  XIX^  siècle 
et  le  XX^'""-".  En  considérant  la 
direction  de  leur  pensée  et  l'acti- 
\-ité  de  leurs  efforts,  il  est  permis 
d"en\'isager  sans  inquiétude  Pave- 
nir  de  l'école  française.  Les  der- 
niers venus  sauront  se  montrer 
dignes  de  leurs  aines. 


HELENE  Clémentine  DrEAC. 


(  Musée  du   Liixenil 


G.  FRÉDÉRIC  WATTS. 

l'Amour  et  la  Vie. 
(MiiSfe  lin   [.uxenibourg). 


CHAPITRE  \III. 

ÉCOLES    ANGLAISE    ET   AMERICAINE. 

^  I.     Ecole  Anglaise. 


APRES  le  brilknt 
épanouissement 
qui  marque  la  lîn 
du  siècle  précédent 
dans  le  portrait  et  le 
paysage,  une  longue 
période  de  somnolence 
se  produit  au  sein  dr 
l'école  anglaise.  Les 
générations  nouvelles 
vivent  sur  le  sou\'enir 
des  glorieux  aînés  qu'ils 
exploitent  mollement 
et  l'art  dégénère  dans 
les  conventions  lâchées 
de  l'académisme  et  les 
puérilités  du  ..genre'". 
Trois  grands  nom-- . 
pourtant,  dominent 
cette  période,  tmis 
noms  qui  suffiraient  à 
illustrer  l'école  insu- 
laire, car  ils  sont  parmi  ceux  des  plus  hardis  initiateurs  de  notre  temps.  ^luis  ils  y  figiu-ent 
en  qualité  de  grandes  individualités  exceptionnelles,  tout  à  fait  isnlées,  qui  n'exercent  pas 
d'influence  autour  d'elles.    Ce  sont  les  noms  de  Bonington.  de  Constable  et  de  Turner. 

Le  premier,  et  de  beaucouj)  le  plus  jeune,  iniisqu'il  est  le  cadet  de  25  ans  des  deux 
autres,  Bonington,  semble  appartenir  plutôt  à  l'école  française  qu'à  son  milieu  local:  c'est 
en  France,  en  effet,  que  s'est  formée  toute  son  éducation  et  que  s'est  déroulée  presque  toute 
sa  carrière.  Les  anciens  catalogues  du  Louvre  le  comprennent  même  au  milieu  de  l'école 
française,  près  de  Delacroix  et  de  Paul  Huet,  ses  camarades  de  lutti"  et  ses  amis.  Richard 
Parkes  Bonington  est  né  au  village  d'Arnold,  près  de  Nottingham.  le  25  octobre  1801.  Son 
père  était  un  peintre  amateur,  qui  fut  obligé  de  tirer  parti  de  son  talent,  après  avoir  perdu, 
par  son  inconduite,  la  place  qu'il  occupait  dans  l'administration  de  la  prison  du  Comté,  tandis 
que  sa  mère  dirigeait  une  école.  C'est  près  de  son  père  que  Bonington  reçut  les  premières 
notions  du  dessin.  \'enu  à  Paris  à  l'âge  de  15  ans.  il  entra  à  l'École  des  Beaux-Arts,  dans 
l'atelier  de  Gros  et.  ainsi  que  ses  camarades,  fréquentait  assidûment  le  Louvre.  C'est  là, 
pour  lui  comme  pour  eux,  que  se  lit  vraiment  son  éducation.    Il  exposa  aux  Salons  de  1822, 


-1./   Ver-aïUes  (Mu-,l-c  ..lu   Cuv 


2l8 


La  Peinture  au  XIX^  siècle. 


1824  et  1827,  célèbres  d^ms  les  fastes  roniantitjues,  y  (ibtint  un  grand  succès  et  fut  médaillé 
en  1824.  En  1827  il  fit  un  voyage  à  Venise,  fertile  en  heureuses  productions  où  s'affirme  sa 
sensibilité  délicate  devant  les  phénomènes  de  la  lumière  et  de  l'atmosphère;  il  pousse  une 
petite  excursion  à  Londres  et  revient  à  Paris,  où  il  obtient  de  nouveaux  succès.  Mais  sa 
santé  était  très  atteinte;  comme  il  faisait  une  tournée  en  Normandie  avec  son  camarade 
Paul  Huet,  il  dut  partir  brusquement  pour  Londres,  où  il  mourut,  peu  de  jours  après  son 
arrivée,  le  23  septembre  1828. 

Bonington  peut  être  considéré  sous  le  double  aspect  de  la  peinture  d'histoire  et  de  la 
peinture  de  paysage.  Sous  le  premier  aspect,  il  reste  tout  à  fait  dans  la  tradition  romantique 
du  , .genre  historique",  c'est-à-dire  de  l'iiistoire  vue  par  le  côté  anecdoticiue.    Mais  il  y  apporta 


J01[N    CllNSTABl.l- 


.ires). 


ses  qualités  natives  et  toutes  britanniques  de  distinction  et  d'élégance  et  sa  technique  brillante, 
fluide  et  aisée.  On  connaît  son  fameux  tableau  de  François  !'">'  et  la  duchesse  d'Etanipes,  au 
Louvre,  et  surtout  François  /"■  et  Marguerite  de  Navarre,  de  la  galerie  Wallace  à  Londres; 
Henri  IV  et  les  Ambassadeurs  espagnols,  de  la  même  collection,  etc.  Il  y  niontre  l'heureuse 
assimilation  de  tout  ce  qu'il  devait  aux  maîtres  de  Flandre,  de  Hollande  ou  de  Venise:  colora- 
tions chaudes,  limpidité  de  la  lumière,  transparence  des  ombres,  profondeur  mystérieuse  des 
intérieurs  dans  laquelle  se  noient  les  contours.  Comme  paysagiste,  il  offre  une  technique  encore 
plus  libre.  Il  peut  rivaliser  avec  les  plus  beaux  vénitiens,  soit  pour  la  chaleur  de  leur  coloris, 
soit  pour  la  fraîcheur  argentine  des  ciels  et  la  grâce  divine  de  la  lumière.  Il  procède,  tantôt  par 
œuvres  finies  et  caressées,  mais  avec  franchise,  éclat  et  sans  mollesse,  tantôt  par  notations 
rapides,  nerveuses,  heurtées,  d'une  si  heureuse  audace  de  vision  et  de  touches  si  vivement 


racole  ani'iaise. 


2  19 


abrégées  qu'un  y  pressent  toute  révolution  future  de  rimpressi(jnmsine.  L'esquisse  du  l'arc 
de  Versailles,  du  Louvre,  avec  les  bruseiues  et  alertes  notes  de  vermillon  des  culottes  de 
soldats  dans  les  marbres  et  les  verdures,  sommairement,  mais  si  nettement  et  si  justement 
indiqués,  ne  présentent-elles  pas  Bonington  connue  le  premier  des  impressionnistes? 

John  Coxstable  est  né  à  East  Bergholt,  dans  le  Suffolk,  en  1776,  le  11  juin.  Son 
père,  qui  était  meunier,  le  destinait  d'abord  à  l'église:  mais  il  lui  permit  enfin  de  suivre  sa 
vocation.  Il  travailla,  au  début,  autour  de  sa  ville  natale,  alla  à  Londres  en  1795,  re\-int 
dans  son  pays  et  retourna  à  Londres  en  1799.  Il  entra  alors  comme  élève  à  l'Académie  royale 
et  reçut  quelques  leçons  des  paysagistes  Joseph  Farington  et  Richard  Reinagle.  Il  se  maria 
en  1816  et,  à  partir  de  1820, 
s'installa  près  de  Londres. 
à  Hampstead,  où  il  a  pres- 
que toujours  travaillé.  Son 
premier  paysage  fut  exposé 
en  1802.  Il  fut  associé  à 
l'Académie  rovale  en  1819 
et  nommé  titulaire  en  1829. 
Mais  il  fut  peu  goûté  de  son 
temps,  du  public  anglais: 
il  ne  vendait  aucun  de 
ses  ouvrages,  alors  qu'en 
France  il  était  célèbre  et 
profondément  admiré  par 
les  maîtres  les  plus  en 
renom  tels  que  Delacroix. 
C'est  ainsi  qu'au  Salon  de 
1824,  à  Paris,  il  reçut  une 
médaille  d'or.  Il  mourut 
subitement  à  Londres  le 
ler  avril  1837. 

L'admiration  des 
romantiques  français  ne 
s'était  pas  trompée  dans 
l'accueil  enthousiaste 
qu'elle  fit  à  Constable.  Il 
est     vraiment     unes     des 

individualités  les  plus  puissantes  et  les  plus  originales  du  paysage  moderne,  le  plus  libre  et 
le  plus  hardi  précurseur.  Sa  vision  indépendante,  sa  technique  fougueuse  et  personnelle 
devancent  et  même  réalisent  déjà  toutes  les  audaces  des  révolutionnaires  ultérieurs  du  paysage, 
dans  la  matière,  dans  la  touche  et  dans  la  couleur.  Il  a  exercé  une  influence  très  féconde 
sur  le  paysage  en  France,  depuis  les  romantiques  comme  Paul  Huet  ou  les  naturalistes 
comme  Daubigny,  jusqu'aux  derniers  impressionnistes.  Le  Louvre  comprend  plusieurs  œuvres 
instructives  de  ce  maître,  telles  que  l'admirable  esquisse  de  F  Arc-eu-ciel,  prélude  de  celui  de 
Millet,  donné  par  Mr.  John  Wilson.  Mais  c'est  surtout  à  Londres,  à  la  National  Gallery  et  au 
Musée  de  South  Kensington.  qu'on  peut  l'étudier  dans  toute  sa  variété  et  à  sa  mesure.  La 
Charrette  de  foin,  de  la  National  dallery,  représentant  une  charrette,  conduite  par  deux 
paysans,  qui   traverse  un  ruisseau   près  d'un  C(3ttage  aux  toits  de  tuile  aigus,  à  demi  caché 


|i>^Kril    W.    TlKNEK. 


Peace  (Nation.nl  t.allery  do  Londres). 


220 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


dans  les  arbres,  est,  justement,  le  tableau  cjui  fut  courimné  à  Paris,  au  Salon  de  1824. 
Quant  à  Turner,  c"est  une  des  plus  étranges  en  même  temps  qu'une  des  plus  grandes 
figures  de  l'art  moderne.  On  avait  nommé  le  vieux  maître  japonais  Hok'saï,  le  , .vieillard 
fou  de  dessin",  on  aurait  pu  appeler  le  \ieux  Turner,  caché  sous  un  faux  nom  dans  im 
réduit  de  Chelsea,  où  il  mourut  inconnu  le  19  décembre  1851,  ,,le  vieillard  fou  de  lumière". 
Joseph  \V.  Turner  naquit  le  23  avril  1775,  dans  Maiden  Lane,  Covent-Garden,  oii  son 
père  était  perruquier.  11  s'était  lié  de  bonne  heure  avec  Thomas  Girtin,  qui  devait  devenir 
célèbre  comme  aquarelliste,  fut  entraîné  par  lui  dans  cette  voie  et  s'exerça  d'abord  à  faire 
des  copies  de  la  collection  de  dessins  du  Dr.  ]\lonro,  qui  lui  payait  ces  reproductions  une 
demi-guinée.  Il  étudia  ensuite  à  l'Académie  Royale  en  1789,  exposa  un  dessin  dès  l'année 
suivante  et  sa  première  peinture  en  1793.  En  1799,  il  fut  nommé  associé  et  en  1802  membre 
de  cette  illustre  compagnie;  il  y  fut  même  élu  professt'ur  de  perspective.    Il  visita  en  1802 

la  France  et  la  Suisse,  puis  plus  tard 
l'Italie  où  il  séjourna  trois  fois  en  1819, 
1829  et  1840.  Il  travailla  beaucoup 
pour  les  éditeurs  et  a  exécuté,  dans 
le  prodigieux  labeur  de  son  œuvre, 
un  nombre  d'aquarelles  considérable. 
Dans  la  première  partie  de  sa  carrière, 
après  a\'oir  suivi  les  traces  de  Wilson 
cpù.  lui-même,  marchait  de  loin,  à 
(  r>té  de  Joseph  Vemet,  dans  celles  de 
(  laude  Lorrain,  Tumer  subit  fortement 
l'influence  des  peintres  hollandais  Van 
de  \'elde,  Cuyp  et  "Van  Goyen;  puis 
son  admiration  pour  Claude  Lorrain 
fut  si  exclusive  qu'il  s'attacha  à  l'imiter 
étroitement,  publia,  à  partir  de  1807, 
un  Liber  Studiorum,  à  l'imitation  du 
Liber  Veritatis  du  maître  français  et 
rivalisa  si  loin  a\-ec  lui  que,  dans  son 
testament,  par  lequel  il  léguait  sa 
fortune  à  l'état  anglais  avec  tous  ses 
tableaux  à  la  National  Gallery,  il 
mettait  comme  condition  que  deux  de 
ses  toiles:  Didon  et  le  Soleil  se  levant  dans  le  brouillard,  seraient  exposées  entre  deux  Claude 
Lorrain.  A  partir  de  1830  il  s'abandonna  en  toute  liberté  à  cette  sorte  de  lutte  passionnée 
pour  traduire,  avec  les  médiocres  ressources  de  la  peinture,  toutes  les  splendeurs  et  toutes 
les  fantasmagories  de  la  lumière  solaire,  décuplées  sur  la  surface  éblouissante  de  la  mer.  Il 
reste  parfois  au-dessous  de  son  rêve,  mais  parfois  aussi  il  atteint,  par  ses  folles  audaces,  à  des 
impressions  qui  touchent  au  sublime.  ,,Pcace"  ou  les  Funérailles  du  peintre  Sir  David  Wilkie, 
dont  le  corps  est  jeté  à  la  mer,  du  bord  d'un  steamer,  sur  la  côte  de  Gibraltar,  au  retour  d'un 
voyage  à  Constantinople,  le  i^r  juin  1841,  avec  ses  contrastes  de  lumière  et  de  fumées,  son 
caractère  de  solennité  grandiose  et  comme  d'apothéose,  sont  un  des  exemplaires  indiscutables 
de  cette  manière  du  maître.  Ce  tableau,  exposé  en  1842  à  la  Royal  Academy,  fait  partie^du 
legs  Tumer  à  la  National  Gallerv. 

Au  moment  même  où  se  dessinaient  en  France  les  premiers  symptômes  distincts  du 


The  l.iM  uf  Enolana. 


2  2  I 


mouvement  qui  alhiit  devenir  le  réalisme,  c'est-à-dire  à  cette  grande  date  critique  de  1848, 
se  déclarait  en  Angleterre  une  crise  à  peu  près  semblable,  du  moins  en  apparence,  mais  qui 
n'eut  ni  les  mêmes  causes  ni  les  mêmes  résultats.  C'est  le  mouvement  qu'on  a  appelé  le 
préraphaélisme.  On  entend  par  là  une  tentative  de  réaction,  produite  par  un  petit  groupe 
d'artistes,  qui  voulaient  protester  contre  le  relâchement  général  dans  la  technique  et  les 
habitudes  d'observation  de  l'école  anglaise.  L'influence  de  Bonington,  de  Constable  et  de 
Tumer  n'avait,  en  effet,  guère  laissé  de  traces  dans  leur  propre  milieu  et  l'on  sait  que  ce  fut 
surtout  en  France  qu'ils  recrutèrent,  même  le  dernier,  les  adhérents  les  plus  enthousiastes. 
En  France,  l'évolution  réaliste 
correspondait  exactement, 
nous  l'avons  vu,  au  développe- 
ment social  et  moral  de  la 
nation.  En  Angleterre  cet 
essai  de  réaction  fut  purement 
artificiel.  II  n'avait  pas  été 
amené  insensiblement ,  par 
transition,  du  fait  d'artistes 
clairvoyants,  qui,  plus  ou 
moins  timidement  ou  plus  ou 
moins  hardiment ,  s'efforçaient 
de  répondre  à  un  vœu  général. 
Ce  fut  une  initiative  spon- 
tanée et  une  entreprise  con- 
certée, et  comme  il  n'était 
pas  constitué  en  conformité 
avec  l'état  présent  des  mœurs, 
ce  mouvement  n'eut  pas  de 
continuité.  Ce  fut  un  phéno- 
mène isolé.  Il  n'en  est  jxis 
moins  curieu.v  au  point  de 
vue  des  produits  qui  en  sont 
sortis  et  du  groupe  de  hauts 
esprits  exceptionnels  qui  le 
conçurent.  C'est  un  des 
épisodes  les  plus  instructifs 
de  l'histoire  des  arts  l'inteni- 
porains. 

Le  groupe  des  préra- 
phaélites était  donc  une  petite  ,,^^^^,  ,,,(., A.K.M  ù,AK,.h,nANn).-llea...l;.alnc.MTa..-(;all.,y,I.on,l,cs). 
confrérie    de    sept    membres, 

qui  s'étaient  imposé  un  programme  commun  et  faisaient  sui\Te  leur  signature  des  lettres 
fatidiques  P.  R.  B.  (Pre-Raphaelite  Brother).  Ce  mode  de  groupement  est  tout  anglais  et  il 
y  avait  eu  précédemment,  autour  du  \ieux  \isionnaire  William  Blake  (1757 — 1827),  une 
confrérie  de  cette  nature  sous  le  nom  de  l^octic  Brothcrood.  Leur  esthétique  fut  formulée  avec 
une  énergie  extrême  par  un  critique  et  un  historien  illuminé,  qui  mit  à  leur  défense,  comme 
il  avait  déjà  fait  pour  l'œuvre  de  Turner,  l'admirable  apostolat  de  lu  plume  la  plus  éloquente: 
John  Ruskin.  Cette  esthétique  consistait,  en  ce  qui  concernait  le  sujet,  à  le  pénétrer  profon- 
dément et  à  le  traduire  dans  sa  ])lus  absdlue  vérité,  sans  soustraire  à  son  observation  aucun 


2  22  La  Peinture  au  XIX'''  siècle. 

détail  de  la  scène,  qui,  tous,  doivent  avoir  leur  intérêt  et  leur  signification.  Au  point  de  vue 
propre  de  la  technique,  elle  affirmait,  par  voie  de  conséquence,  la  nécessité  de  pratiques  plus 
franches,  de  dessin  précis  et  même  minutieux,  d'analyse  subtile  des  effets  de  clair-obscur  et 
de  coloris.  Les  habitudes  louches  et  veules  de  ,, frottis",  de  ,, glacis",  de  ,, dessous"  répandues 
dans  l'école  étaient  rigoureusement  répudiées  et  le  ton  était  posé  aussi  purement  et  aussi 
hardiment  cjuc  possible  sur  la  toile  vierge.  Le  procédé  de  la  division  du  ton,  qui  fut  inspiré 
au.\  impressionnistes  français  par  les  découvertes  scientifiques  de  Chevreul,  fut  donc  employé 
déjà  d'une  manière  systématique  par  les  préraphaélites.  Quant  à  l'explication  de  ce  terme, 
on  entend  par  là  un  retour  à  ce  qu'on  appelait  jadis  les  primitifs,  c'est-à-dire  vers  les  maîtres, 
non  pas  avant  Raphaël,  mais  comme  l'a  déclaré  explicitement  un  des  grands  préraphaélites 
mêmes,  Holman  Hunt,  avant  les  artistes  qui  imitèrent  Raphaël.    Le  véritable  vocable,  selon 


(  I  .  A 1 1 1;  1 1  L    L  11  A  K  I  1- 


(G.Tlerif  municipale  tle  Liverpool). 


lui,  aurait  donc  dû  être:  prcraphalitcismc.  Le  premier  prévalut  pour  la  commodité  du 
langage.  Ce  retour  vers  les  naturalistes  italiens  du  XV^me  au  XIII^  siècle  s'était  déjà  produit 
en  France,  nous  l'avons  \-u.  dans  l'atelier  de  David  lui-même.  Nous  retrouverons  ces  tendances, 
identiques,  dans  l'art  allemand,  a\'ec  la  secte  des  Nazaréens. 

Des  sept  frères  préraphaélites,  qui  se  renouvelèrent  durant  les  courtes  années  de 
l'existence  régulière  du  groupe,  les  seuls  illustres  furent:  Holman  Hunt,  Millais  et  Rossetti. 
Les  autres,  parmi  lesquels  se  trouvent  le  frère  de  Rossetti,  Michaël-W'illiam,  qui,  d'ailleurs 
n'était  pas  artiste,  et  Arthur  Hughes,  dont  il  reste  quelques  toiles  de  valeur,  n'étaient  que 
d'obscurs  figurants  recrutés  pour  faire  nombre. 

^lais,  en  dehors  des  fondateurs,  le  préraphaélisme  eut  un  père,  ou  du  moins  un  père 
putatif.    C'est   FoKD  ^l.\DOX  Browx,  en  effet,  qui.  involontairement,  en  prépara  la  formule. 


Ecole   an<>"laisc. 


Cet  artiste  naquit  à  Calais,  de  parents  anglais,  le  i6  avril  1821:  il  .st  mort  à  l.ondres  le 
6  octobre  1893.  Il  reçut  sa  première  éducation  en  Belgique,  en  i)artieulier  à  l'Aradémie 
d'Anvers,  célèbre  par  son  enseignement,  et  sous  la  direction  de  C^ustave  Wappers.  .Madox 
Brown  commença.  lui  aussi,  vers  1835.  par  des  sujets  romantiques  imités  de  Lord  Byron, 
puis  il  voyagea  en  Italie,  où  il  connut,  à  Rome,  les  Nazaréens  allemands  et  vint  ensuite  à 
Paris.  Il  y  travailla  de  1841  à  1S44.  et  s'y  prépara,  notamment,  au  fameux  concours  institué 
en  1843  pour  la  décoration  du  palais  de  Westminster.  De  tous  ces  \-ovages,  de  tous  les 
ferments  qui  levaient  dans  tous  ces  milieu.x  plus  ou  moins  i-ntiévrés.  et  surtout  de  ces  fortes 
poussées  naturalistes,  qui.  en  France. 
avaient  jaiUi  presque  an  lendemain 
de  réclosion  romantique,  le  jeune 
peintre  rapportait  une  ardente  soif 
de  vérité,  un  désir  de  réformation 
de  Fart,  dans  son  caractère  mtiral 
et  dans  ses  moyens  d'e.xpression. 
Il  prêchait  même  que  le  fondement 
de  la  peinture  d'histoire  était  la 
fidélité  exclusive  dans  la  reproduc- 
tion du  modèle,  sans  généralisation 
ou  idéalisation,  et.  pour  les  acces- 
soires, la  reconstitution  exacte 
d'après  les  documents  et  les  monu- 
ments anciens.  Il  exposait  bientôt 
un  portrait,  qui  marquait  vers  quel 
maitre  d'autrefois  étaient  tournées 
ses  sympathies,  car  il  l'intitulait 
„un  moderne  Holbein". 

Ses  principaux  tableaux 
sont:  Le  roi  Lear  et  Cordclia,  exposé 
en  1849.  Chanecr  à  la  cour  d' Edouard 
IIL  (1851),  Jésus  lavant  les  pieds  de 
Saint  Pierre  (Tate  Gallery  (1852),  Le 
Travail,  au  Musée  de  ^lanchester, 
sur  lequel  il  resta  douze  ans  et  qui 
montre,  avec  la  minutie  extrême  de 
l'exécution,  toutes  les  préoccupa- 
tions philosophiques  et  sociales  de 
cette  peinture  :  Roméo  et  Juliette, 
Elie  et  le  fils  de  la  l'euve  et  les  douze 
panneaux   décoratifs   de  l'hôtel   de 

ville  de  Manchester,  Son  art  est  tendu,  passionné,  tragique,  d'une  \eritable  f<jrce  expressive, 
qui  dépasse  heureusement  ses  principes  d'exactitude  littérale.  Il  a.  comme  son  ancien  camarade 
de  l'atelier  Wappers,  le  belge  Henry  Levs.  le  sens  de  l'histoire  et  il  a  rendu  a\'ec  un  certain  carac- 
tère de  grandeur  héroïque  les  mceurs  des  vieux  rois  barbares,  saxons,  danois  ou  Scandinaves. 

The  last  of  England  (le  dernier  regard  à  l'Angleterre),  qui  appartient  à  la  galerie 
municipale  de  Birmingham,  est  un  de  ces  tableaux  de  réalité  contemporaine,  aux  colorations 
violentes,  aigiies,  vivement  reflétées  dans  l'éclat  de  la  lumière,  qui  frappent  par  l'accent  de 
conviction  profonde  et  l'intensité  de  l'expression.  Conçu  en  1851.  à  (iravesend.  où  Madox  Brown 


h  MIN  F,.  Mil  I  Al^. 


224 


La  Peinture  au  XIX'"  siècle. 


était  allé  souhaiter  bon  voyage  à  son  ami  le  sculpteur  W'oolner.  qui  partait  pour  l'Australie 
avec  sa  femme,  il  a  été  commencé  deux  ans  plus  tard  et  terminé  en  1855.  L'auteur  s'y  est 
peint  lui-même  avec  sa  jeune  femme,  la  main  dans  la  main. 


En  1848,  alors  qu'il  était  encore  inconnu  ou  méconnu,  Madox  Brown  vit  venir  à  lui 
un  jeune  artiste,  qui  demandait  à  entrer  chez  lui  comme  élève.  C'était  Rossetti.  Ils  se  lièrent 

étroitement.  Madox  Brown  n'entrait 
pas,  pourtant,  dans  le  nouveau  groupe 
(|u"allait  fonder  son  disciple,  bien  qu'il 
lui  montrât  toutes  ses  sympathies. 
Ce  jeune  peintre  était  bien  une  des 
plus  singulières  iigures,  qu'ait  fournie 
l'histoire  de  l'art  de  notre  temps. 

Rossetti  (G.^ériel  Charles 
Dante)  était  fils  d'un  proscrit  poli- 
tique chassé  du  royaume  de  Naples, 
où  il  avait  été  conservateur  des  anti- 
quités, et  de  Frances  Mary  Lavinia 
Polidori,  jeune  anglaise,  d'origine 
toscane,  dont  le  père  avait  été  secré- 
taire d'AItreri.  Il  naquit  à  Londres 
le  12  mai  1828  et  il  est  mort  à 
Birchin^ton,  près  Margate,  le  8  avril 
1882.  Il  fit  ses  études  à  King's  CoUege, 
entra  au  cours  d'après  l'antique  de 
l'Académie,  en  1845 — 46,  mais  ne  fut 
pas  admis  à  ceux  d'après  le  modèle 
\ivant.  En  1848,  il  entra  donc  chez 
iladox  Brown  et  s'associa  avec  deux 
camarades  de  l'Académie,  William 
Holman  Hunt  et  John  Everett  MiUais, 
pour  fonder,  avec  son  frère  et  quelques 
autres  amis,  la  petite  coterie  préra- 
phaélite, qui  fit  bientôt  tant  de  bruit 
à  Londres. 

Jlalgré  ses  protestations  de 
réalisme,  l'art  de  cet  Anglo-italien 
mystique  est  éminemment  poétique 
et  tout  ce  qu'il  y  a  de  moins  préra- 
phaélite, car  il  est  étroitement  appa- 
renté avec  les  maîtres  vénitiens  du 
XVIème  siècle.  Poète  en  même  temps  que  peintre,  il  puise  les  sujets  de  ses  compositions,  soit 
dans  ses  propres  poèmes,  soit  dans  l'œuvre  de  Dante,  que  son  père  avait  commenté,  soit 
dans  les  poèmes  chevaleresques  et  amoureux  du  moyen-âge,  les  vieilles  ballades  anglaises, 
où  puisa  si  souvent  l'inspiration  des  poètes  anglais,  ses  contemporains. 

Son  art  est  un  singulier  mélange  de  l\T"isme  ardent  et  passionné,  fougueux  et  contenu, 
que  traverse  un  souffle  fiévreu.x  de  mysticisme  et  de  s\Tnbolisme  méridional  et  qu'avive  urne 
grâce   subtile    faite    d'étrangeté  toute   britannique.    Son    dilettantisme   enthousiaste,  qui  se 


TOHN    E.    -MlI.I.AlS. 

(Musé 


—  La  jeune  fille  aveugle  (the  blinil  girl) 
municipal  de  Birmingham). 


xole  ano"laise. 


--3 


dispersait  sur  tous  les  modes  de  la  fiensée  et  toutes  les  manifestations  des  arts:  vitraux, 
enluminures,  illustrations,  etc.,  unit,  a\'ec  une  éloquence  voluptueuse  et  poignante,  les  chaleurs 
des  Giorgione  et  des  Titien  aux  exagérations  linéaires  des  Lippi  et  des  Botticelli.  Sa  première 
peinture,  l'Enfance  de  la  Vierge,  fut  exposée 
en  1849  dans  un  cercle  privé.  En  1850. 
il  donna  Ecce  Ancilla  Domini,  qui  appar- 
tient maintenant  à  la  National  Ciallery 
of  British  Art,  ouvrage  tout  à  fait  daiis 
l'esprit  des  primitifs  florentins.  Il  épousa, 
en  1860,  son  modèle,  Miss  Elisabeth  E. 
Siddal,  qu'il  avait  connue  di.x  ans  plus 
tôt  et  qui  lui  a  longtemps  donné  ce  type 
inoubliable  de  grâce  douloureuse  et  pas- 
sionnée, tel  qu'on  le  voit  dans  la  Bcata 
Béatrice,  de  la  Tate  Gallery.  Ce  tableau, 
inspiré  de  la  Vita  Nuova  du  Dante,  fut, 
en  effet,  exécuté  en  1863,  peu  de  temps 
après  la  mort  de  cette  femme  adorée,  qui 
le  laissa  pendant  plusieurs  années  dans  un 
profond  désespoir.  Cette  peinture  célèbre 
a  été  répétée  deux  autres  fois  par  l'artiste  : 
une  de  ces  répétitions  appartient  au  Musée 
de  Birmingham,  l'autre  est  dans  une  col- 
lection privée  en  Amérique. 

Daiite's  dream  (le  rêve  de  Dante) 
appartient  à  la  galerie  municipale  de 
Liverpool.  (W'alker  art  Gallery).  C'est 
encore  un  sujet  emprunté  à  la  Vita  Xiiova. 
Le  jour  même  de  la  mort  de  Béatrice. 
Dante  rêve  qu'il  est  conduit  près  d'elle 
par  l'Amour.  Le  beau  et  éblouissant 
pèlerin  ailé  attire  d'une  main  vers  la  morte 
le  poète,  qui  s'avance,  absorbé  comme 
dans  le  sommeil.  Deux  jeunes  femmes, 
vêtues  de  vert,  aux  grands  yeux  mysté- 
rieux et  fixes,  soulèvent  le  voile  qui  couvre 
la  couche  de  Béatrice  et  l'Amour  pose  sur 
ses  lèvres  le  baiser  qu'elle  ne  reçut  jamais 
dej  son  amant.  Cette  composition  en 
chaude  harmonie  vert  et  rouge,  est  la  plus 
importante  de  l'œuvre  de  Rossetti.  Com- 
mencée, en  1869,  d'après  une  aquarelle 
qui  datait  de  1855,  elle  n'a  été  terminée 
qu'en  1881,  àla  veille  de  la  mort  de  l'artiste. 

Les  deux  autres  camarades  de  Rossetti  différaient  essentiellement.  John  Everett 
MiLLAis  est  né  à  Southampton  le  8  juin  iS^q  et  il  est  décédé  à  Londres  le  13  août  1896.  Il 
passa  les  premières  années  de  son  enfance  à  Jerst-y,  puis  à  Dinan.  où  ses  premières  dispositions 
pour  le  dessin  se  firent  jour.  En  1837.  sa  famille  étant  retournée  à  Londres,  il  fut  envoyé  au 


Hmlman  IIim.— LalumiciL-.lu  mumlL- (  Chi  i>t   Cluirch  .M  )xford). 


226 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


cours  de  Henry  Sass.  peintre  de  portraits.  Ses  progrès  furent  si  rapides  qu'il  enleva  une 
médaille  d'argent  à  l'âge  de  neuf  ans.  Il  n"avait  pas  dix-sept  ans  qu'il  peignait  et  exposait 
son  premier  tableau:  Pizarrc  délivrant  les  lucas  du  Pérou.  En  1847,  il  emportait  une  médaille 
d"or  décernée  par  la  Royal  Academy  et,  en  même  temps,  il  se  faisait  remarquer  au  concours 

de  décoration  pour  West- 
minster avec  son  carton  du 
Denier  de  la  Veuve.  C'est 
l'année  suivante,  on  l'a  vu, 
qu'il  se  joignait  à  ses  cama- 
rades d'atelier,  Rossetti  et 
Holman  Hunt,  pour  fonder 
la  petite  confrérie  préra- 
phaélite. Il  en  fut,  momen- 
tanément du  moins,  l'ex- 
pression la  plus  typique  et 
ses  principes  minutieux'de 
réalisme  aigu  furent  appli- 
qués avec  ime  technique 
serrée,  brillante  et  sûre,  et 
de  rares  dons  d'observation 
pittoresque  et  expressive; 
il  les  délaissa  malheureuse- 
ment trop  tôt,  lorsque  le 
succès  lui  vint,  pour  con- 
sener  la  fa\'eur  du  public 
et  gravir  les  degrés  des 
honneurs  officiels.  Cette 
première  période  de  sa 
carrière  restera  la  plus 
éclatante.  Sa  première 
peinture  préraphaélite  est 
le  tableau  de  Lorenzo  et 
Isabella  (1849),  sujet  "^pris 
dans  le  poème  de  Keats,  Le 
pot  de  Basilic,  dans  lequel 
chacun  des  fondateurs  du 
groupe  avait  décidé  de 
choisir  le  thème  de  son 
tiibleau;  V Echoppe  du  Char- 
pcntier,  1850;  Mariana,  la 
Fille  du  forestier,  185 1;  le 
Huguenot  et  Ophélia,  1852, 
(celui-ci  à  la  Tate  Gallery); 
L'ordre  d'élargissement,  1853,  la  Jeune  aveugle,  1856.  En  1853,  il  a\-ait  vingt-quatre  ans,  le 
succès  du  jeune  révolutionnaire  était  tel  qu'il  était  élu  associé  de  l'Académie;  en  1863,  il 
était  nommé  académicien.  En  1885  il  fut  créé  baronnet  et.  à  la  mort  de  Lord  Leighton,  peu 
de  temps  avant  son  propre  décès,  il  fut  choisi  comme  président  de  l'Académie  Royale.  Il 
était  officier  de  la  Légion  d'honneur  et  correspondant  de  1" Institut.  On  é\-alue  à  227  le  nombre 


J'àaU  Holtycr. 

EnWARI)    BURNK-ToNES 


—  The  Meiciful   Knight  (le  Chevalier  MiséricordieUN). 


É 


colc   ant^'laisc. 


de  ses  peintures  à  rhuilu.  dans  lesqucl! 
Le  Hussard  de  Bninsu'ick.  en  1863,  à 
l'apogée  de  son  talent,  V Enfance  de 
Sir  Walter  Raleigh,  1870.  Le  passiit;^ 
Nord-Ouest,  1875,  Le  garde  royal,  1877, 
et  nombre  de  paysages  et  de  portraits 
parmi  lesquels  ceux  du  Cardinal  Netv- 
man,  de  Lord  Beaeo)isfield.  de  Lord 
Salisbury,  de  Gladstone,  etc. 

L'ordre  d'élargissement,  iy4<j. 
est  la  représentation  d'une  petite  scène 
simplement  pathétique,  dans  laquelle 
Millais  a  concentré  t(nis  ses  moyen> 
sobres  et  forts  de  réalisme  expressif. 
Une  jeune  femme,  tenant  un  enfant 
dans  ses  bras,  tend  à  un  geôlier,  vêtu 
de  rouge,  qui  l'examine  attentivement, 
l'ordre  qui  permet  à  son  mari,  jeune 
écossais,  le  bras  en  écharpe,  condamné 
pour  rébellion,  d'être  relâché.  Celui-ci 
laisse  tomber,  d'émotion,  sa  tête  sur 
l'épaule  de  sa  femme  souriante,  tandis 
que  le  grand  chien  noir  se  dresse  en 
bonds  joyeux.  La  scène  est  exactement 
circonscrite  autour  des  personnages, 
comme  sur  une  plaquette,  sans  acces- 
soires aucun,  ni  rien  qui  puisse  détour- 
ner l'attention  de  cet  humble  drame 
émouvant.  Ce  tableau,  signé  et  daté 
de  1853,  appartient  à  la  Tate  Gallery. 
Il  a  été  exposé  à  la  Roj-al  Academy 
en  1853  et  à  l'Expositinn  Universelle 
de  Paris  en   1855. 

La  jeune  fille  aveugle  (the  hlind 
girl)  appartient  au  Musée  ^lunicipal 
de  Birmingham.  Ce  tableau,  peint  en 
1856,  obtint  le  prix  de  l'Académie  de 
Liverpool  en  1858,  et  fut  vendu,  à 
cette  date,  à  un  marchand  pour  7.500 
francs.  C'est  une  scène  extrêmement 
simple,  mais  très  émouvante  dans  sa 
conception.  Deux  jeunes  filles  sont 
assises  au  bord  d'une  route,  l'une 
âgée  de  dix-huit  à  vingt  ans,  une 
simple  mendiante,  ,,not  a  poetical  or 
vicions  one",  comme  écrit  Ruskin,  qui 
a  dépeint  amoureusement  ce  tableau  : 
elle  tient  sur  ses  genoux  un  accordéon. 


il  f.iut  citer  en,  mr   /.,.    I  ' 


,/,'    >,//;;/,■ 


lÙAVARl)    IlrKNK-JeNES 


l.e  rui  C'ii|)lirtu.-i  i-t   la  pi-tilt 


.a  tète  est  recou\'erte  d'ime  mante,  dans  ses  bras 


228 


La  Peinture  au  XIX^  siècle. 


joue  une  fillette  de  huit  à  dix  ans,  son  guide;  elle  est  immobile  sous  la  caresse  chaude  des 
rayons  ardents  qui  ont  percé  les  nuages  lourds  et  que  cherchent  en  vain  ses  yeux  fermés. 
Ces  pauvres  yeux  clos  semblent  voir  en  dedans  cette  glorieuse  fantasmagorie  de  la  lumière, 
les  maisons,  l'église  du  village,  qui  se  détachent  au  loin  avec  une  netteté  précieuse  et  charmante, 
les  herbes  et  les  véroniques,  ravivées  par  la  pluie,  qui  brillent  comme  des  ,, émaux  byzantins" 

et  le  double  arc-en-ciel 
ouvrant  au  loin  son  gran- 
diose et  magnifique  éven- 
tail sur  les  nuées  sombres 
qui  s'éloignent.  Elle  est 
si  immobile, observe  Rus- 
kin,  qu'un  beau  papillon 
est  venu  se  poser  sur  elle 
et  s'expcfser  à  la  douce 
chaleur  du  soleil. 

Le  troisième  des 
principaux  fondateurs 
du  préraphaélisme,  seul 
survivant  aujourd'hui, 
William  Holman  Hunt, 
est  né  à  Londres  le  2  avril 
1827.  Ses  dispositions 
pour  le  dessin  se  mani- 
festèrent de  bonne  heure. 
Il  étudia  aux  cours  de  la 
Royal  Academy  et  abor- 
da les  expositions  en 
1846.  Ses  premiers  ta- 
bleaux sont  conçus  sous 
l'inspiration  ramantico- 
réaliste  de  ses  confrères 
en  préraphaélisme, 
d'après  des  sujets  pris 
chez  les  poètes.  En  1848, 
il  exposait  Rienzi  criant 
vengeance;  en  iS^q,  Clau- 
dio et  Isabella,  d'après  le 
Pot  de  basilic  de  Keats, 
suivant     le    programme 

II,,:,  K,  x,.N-  iiEKKoMKR.  --- Tiu-  last  Ml,...,.  commun     et     Les    deux 

gentilshommes  de  Vérone, 
'(Musée  Municipal  de  Birmingham).  Mais  ce  qui  le  distingue  de  ses  deux  autres  confrères,  c'est 
que  si  Rossetti  reste  voluptueusement  mystique  et  païen,  si  Millais  estjexclusivement  pitto- 
resque, Holman  Hunt  est  animé  d'une  foi  profonde,  dont  il  fait,  à  partir  de  cette  date  de 
1850,  le  but  principal  de  son  art  et  qu'il  est  resté,  dans  sa  verte  vieillesse,  conséquent  avec 
ses  origines  et  demeuré  le  seul  et  dernier  préraphaélite.  Ses  tableau.x  chrétiens  sont  :  Une 
famille  de  llrctons  convertis  protégeant  un  niissiojuhiire  chrétien  contre  la  persécittioii  des  Druides 


Ecole   anoiaisc. 


Photoi^rapkiiclu   Ge.cihouijl,   h 


Lawkeni.e  Alma  Taijkma.  —  A   l.-rture  from  Hu, 


(1850),  Le  berger  jiiereeiuiire  (1852),  Le  Réveil  de  lu  emiseieiiee  (1854),  le  Hune  éiinssuire  (1856), 
célèbre  peinture  symbulique,  de  même  que  L'ombre  île  la  Mort  (1873),  dans  laquelle  l'ombre 
portée  de  Jésus  priant  forme  sur  le  mur  une  croix,  que  Marie,  agenouillée,  contemple  avec 
épouvante.  Holman  Hunt  a\-ait  voyagé,  en  1854,  en  I-'gypte  et  en  Palestine,  pour  étudier  les 
lieu.x  saints,  comme  fit  plus  tard,  à  son  exemple,  notre   fanii's  Tissot.    Ce  séjour  dans  ces  pays 


Fkkdf.kh;  Wai.klk.   —    La 


.le  Refuye  (Tait-  CalUiv.  ],<.n.i. 


232  La  Peinture  au  XIX''  siècle. 

influa  sur  le^caractère  lumineux  de  ses  tableaux.  Il  s'acquit  une  popularité  universelle  dans 
les  pays  anglo-saxons  avec  sa  peinture  symbolique:  La  lumicrc  du  monde,  peinte  en  1854,  qui 
est  placée  dans  Christ  Church,  à  Oxford. 

Si  nous  suivons  Ruskin  dans  l'explication  qu'il  en  donne,  après  Holman  Hunt  lui-même, 
il  n'y  a  pas  un  détail  si  infime  soit-il,  qui  n'ait  sa  signification  dans  cette  peinture  dont  le  rébus 
est  indéchiffrable  pour  tout  autre  qu'un  anglais,  nourri  du  symbolisme  biblique  et  évangélique. 
Le  Christ  apparaît,  suivant  le  mot:  ,,\'oici,  je  me  tiens  à  la  porte  et  je  frappe".  Il  est  vêtu  de 
sa  _robej  blanche  sans  couture,  symbole  de  la  domination  de  l'âme  sur  le  corps,  et  recouvert 
d'un  riche  manteau  sacerdotal,  omé  de  pierreries.  Sur  son  front  une  couronne  d'or,  mêlée 
à  la  couronne  d'épines.  La  porte  est  fermée,  les  clous  sont  rouilles:  c'est  l'esprit  humain 
devant  lequel  ont  poussé  les  herbes  folles  et  desséchées  de  la  paresse  et  de  l'ignorance.   Dans 


William  (Hillkk  ()ki;iiaki>' 


Napoloun  a  boiil   du   Hellc-ioijlion  (  Tatt-Gallery,   Londres). 


le  fond  est  un  verger  d'où  les  fruits,  les  pommes  du  péché,  ont  roulé  par  terre.  Le  Christ  frappe, 
tenant  une  lanterne  à  la  main.  Des  esprits  ingénieux  ont  calculé  qu'il  y  avait  dans  ce  tableau 
jusqu'à  cinq  lumières  différentes:  celle  de  la  lune,  répandue  dans  le  ciel,  celle  des  étoiles,  celle 
du  nimbe  de  Jésus,  celle  de  la  lanterne  et  celle  du  givre  qui  couvre  les  fleurs.  Quelles  que 
soient  les  minuties  du  symbolisme,  qui  se  combinent  avec  les  préciosités  de  l'observation  et 
de  l'exécution,  toujours  d'après  nature,  il  n'en  reste  pas  moins  que  c'est  une  des  œuvres  les 
plus  singulières  et  les  plus  nobles  de  l'idéalisme  moderne. 


Bien  qu'ils  eussent  figuré  chez  nous  à  plusieurs  de  nos  grandes  Expositions,  les 
préraphaélites  ne  produisirent  pas  d'impression  durable  sur  le  public  français.  L'artiste  qui, 
pour  lui,  sembla  incarner  le  préraphaélisme,  n'accompagna  jamais  son  nom  des  trois  lettres 
maçonniques  P.  R.  B.,  il  ne  fut  pas  l'un  des  sept  et  il  ne  se  rattache  à  ce  mou\'ement  que  par 


E 


colc  aniJ-laisc. 


ses  rapports  avt-c  l'un  des  fondateurs,  ([ui  fut  s<,u  maitre  et  son  ami.  Cet  artiste  est  sir 
Edward  Bukne-Jone-s.  Il  naquit  à  Hirmuigham  le  28  août  183-  ,1  fit  de  sérieuses  études 
classiques  et  montra  toute  sa  vie  un  goût  très  vii  pour  les  lettres.  Il  fut  destine,  au  début, 
à  la  carrière  ecclésiastique  et  entra  à  PZxeter  Collège,  à  Oxford,  en  1853.  Mais  sa  \-ocation 
artistique  s'étant  éveillée. 
il  vint  à  Londres,  en  1856, 
avec  Tintention  de  la  déve- 
lopper, et  courut  aussitôt 
chez  Rossetti,  dont  les 
premiers  ouvrages  avaient 
fait  naître  en  lui  une  \-ive 
admiration.  Les  prérapha- 
élites étaient  déjà  dispersés. 
Bume-Jones  s'unit  à  son 
maître  et  à  un  autre  cama- 
rade d'Exeter  Collège,  des- 
tiné primitivement  comme 
lui  au  sacerdoce,  William 
Morris,  et  il  créèrent  bientôt 
avec  les  encouragements  et 
l'appui  du  grand  apôtre  de 
la  Beauté,  Ruskin,  une 
sorte  d'association,  de 
caractère  esthétique,  moral 
et  social,  pour  restaurer  les 
industries  d'art  et  répandre 
l'idée  du  beau  jusque  dans 
la  demeure  du  pauvre. 
C'est  de  ce  mouvement .  qui 
toucha  à  toutes  les  formes 
de  l'industrie  des  arts  : 
architecture  domestique, 
ébénisterie,  vitraux,  étoffes, 
papiers  peints,  céramique, 
verrerie,  mosaïque,  livre, 
etc.,  qu'est  dérivé  l'élan  un 
peu  artificiel,  mais  unanime 
dans  toute  l'Europe,  vers 
la  recherche  d'un  stvle 
nouveau. 

Dans  la  première 
partie  de  sa  carrière,  l'art 
de  Bume-Jones  est  essen- 
tiellement poétique  et  ex- 
pressif et  il  se  rattache- directement  à  l'inspiration  de  son  maitre  Rossetti  et  de  ses  guides 
préférés,  les  A'énitiens -du  X\"ème  et  du  commencement  du  XVIème  siècle;  il  puise  dans  les 
sujets  de  la  vieille  littérature  anglaise,  suivant  le  but  que  lui  et  ses  amis  s'étaient  également 
proposé,  de  fonder  un  art  national  et  populaire.    Les  romans  du  cycle  de  la  Table  ronde  lui 


du  Luxemhour 


-'34 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


fournissent  ses  thèmes  de  prédilection,  et,  dès  i<S57 — 1858,  il  trawiille  en  cummun  avec 
Rossetti,  William  iMorris  et  quelques  autres  j^iur  décorer  de  fresques,  sur  le  cycle  d'Arthur, 
les  murs  de  l'Union  Club  d'Oxford.  Parmi  les  onnres  de  cette  première  période,  dans  laquelle 
il  produit  surtout  des  aquarelles,  The  Mcnijul  Kiii'^ht  (le  Chevalier  Miséricordieux),  aquarelle 
qui  date  de  1863,  est  un  de  ses  chefs-d'ieu\re  de  composition  et  de  couleur  expressives.  Le 
sujet  est  emprunté  à  deux  lignes  de  \ieille  légende:  ..D'un  cli"\alier  (pii  fut  miséricordieux 
à  son  ennemi,  (pi'il  ]3ou\'ait  détruire,  et  comment  l'image  du  Christ  le  l>aisa  en  témoignage  que 
son  acte  avait  été  plaisant  à  Dieu".    Sur  les  marches  d'un  autel,  un  ehe\-alier  est  agenouillé 


Frank  ]!r.'\ng\vvn. 


Marche  .111  Man.c  (Mu,-ee  ilu   Luxeiiib. 


dans  son  armure  de  fer,  son  heaume  et  son  épée  sont  à  ses  côtés,  et  tandis  qu'il  prie  avec 
ferveur,  l'image  du  Christ  se  détache  de  la  croix  et  se  penche  pour  l'embrasser.  Au  fond,  dans 
un  haut  et  wvt  paysagt-,  (jui  cache  tout  le  ciel,  un  cavalier  semble  s'éloigner. 

A  la  suite  de  son  \'oyage  en  Italie  et  a\-ec  ses  préoccupations  d'ordre  décoratif,  une 
modification  se  produit  dans  le  talent  du  maitre.  Il  est  subjugué  par  les  grands  italiens  du 
XVIème  siècle.  Sa  manière  alors  cherche  le  style,  sa  coloration  se  refroidit  et  il  est  hanté  par 
la  manie  du  décor.  C'est  l'aspect  de  son  œuvre  le  plus  populaire  et  il  a  plu  autant  par  ses 
travers  que  par  ses  qualités.  Il  s'adonne  toujours  à  ses  sujets  j^référés,  mais  il  les  présente 
sous  une  forme  narrative,  ])ar  séries  de  tableaux  distincts,  mais  se  rapportant  au  même  cycle: 


.cole  anirlaisc. 


les  histoires  dWrtliur,  de  Tristan,  le  cunte  de  la  Ihilc  au  liuis  dormant,  ou  les  léi;endes  de 
Tantiquité.  transposées  à  la  façon  de  Boccace.  comme  l'histoire  de  Pyginalion,  de  Psyché  et  de 
Pcrséc.  Il  a  exécuté,  aussi,  un  certain  nombre  d'allégories  ou  de  sujets  généraux  devenius 
célèbres,  comme  Laus  Vcncris.  (1S73 — 75).  Le  Miroir  de  Vénus  (1875).  Le  Chant  d'amour. 
(peint  de  1868  à  1S77);  les  Jours  de  la  Création,  ingénieuses  peintures  décoratives  en  six 
panneaux  (1876),  rEscalier  d'or  (18S0),  La  Roue  de  la  Fortune  (1883).  Les  Profondeurs  de  la 
mer  (1886).  l'Amour  dans  les  ruines  (1S94).  etc.  Parmi  ces  ouvrages,  Le  roi  Cophetua  et  la  petite 
mendiante  est  peut-être  son  chef-d'reuvre.  Ce  tableau,  exécuté  en  1884,  appartient  à  la  Tate 
Galler}'.  Cette  toile  a  été  inspirée  par  une  ballade  du  temps  d'Elisabeth,  qui  a  formé  le  sujet 
d'un  poème  connu  de  Tennyson.  La  peinture  est  toute  en  hauteur.  Le  roi,  dans  sa  brillante 
armure,  assis  sur  les  marches 

du  trône,  tient  dans  les  mains  1 

sa  couronne  inutile  et  con- 
temple avec  adoration  la  petite 
mendiante  assise  à  la  place 
royale,  souriante  et  sans  sur- 
prise dans  sa  jeune  beauté,  qui 
illumine  ses  haillons.  Par  sa 
composition  heureuse  et  sin- 
gulière, son  harmonie  riche  et 
profonde,  cette  œuvre  garde 
la  tension  et  l'émotion  des 
jiremiers  ouvrages  du  maître. 
15ume-Jones,  avait  été  créé  ba- 
ronnet en  1894  ;  il  était  che\-alier 
de  la  Légion  d"honneur(i889). 
Il  est  décédé  le  16  juin  i8qS. 

A  côté  et  en  dehors  des 
miheux  précédents,  il  est  une 
grande  physionomie  artistique, 
la  plus  haute  peut-être  de 
l'Angleterre  contemporaine. 
par  la  puissance  de  son  indivi- 
dualité     et      par     l'éloquente 

énergie  de  son  idéalisme.    C'est  Charlk^  Siunnon.  —  La  Femme  sculpteur  iMu.ee  au   Luxcuibuu.^,. 

George  Frédéric  W.\tts.  Il 

est  né  à  Londres  le  23  fé\-rier  181 7  et  mort  le  it^r  juillet  1904.  Ses  goûts  pour  le  dessin  furent 
très  précoces;  aussi  ses  parents  le  lîrent-ils  entrer  de  bonne  heure  aux  cours  de  l'Académie. 
mais  sa  nature  indépendante  ne  s'y  trou\a  pas  à  l'aise  et  il  travailla  p(nir  ainsi  dire  tout  seul 
en  étudiant  les  maîtres  et  en  s' attachant  surtout  aux  marbres  de  Phidias,  qui  lui  donnèrent 
ses  premières  grandes  émotions  d'art.  Il  s'essaya  d'abord  sur  des  sujets  romantiques,  d'après 
Walter  Scott,  exposa  en  1837  ses  premiers  portraits  puis,  en  1842.  des  motifs  empruntés  à 
Shakespeare  et  à  Boccace:  et.  à  cette  date,  il  était  assez  solidement  préparé  pour  emporter 
un  prix  au  premier  concours  pour  la  décoration  du  palais  du  Parlement.  La  valeur  de  ce  prix 
lui  permit  d'entreprendre  en  Italie  un  \-oyage.  qui  laissa  en  lui  les  traces  les  plus  profondes. 
Il  resta  quelques  semaines  à  Paris,  séjourna  à  \'enise,  s'arrêta  assez  longtemps  à  Florence,  et 
r -vînt   tout  pénétré   du    Corrège   et    de    Ciorgione.   et    surtout    de  Titit-n  et  de  Tintoret.  qui 


236 


La  Peinture  au  XIX'"  siècle. 


rc-^trrnit  ses  pjnides  de  prédilection.  En  1846,  il  obten 


Tames  Mac'Neii.i,  Whisti.er.  —  I.a  Fille  blanche 
(Appuitient   M.  J.   H.   Whittemurc-j. 

et    intiuiète,    à    gravir   les    âpres  sentiers  rocailleux 
L'école  anglaise  a  toujours  compté  en  tnut 


lit  le  premier  ])rix  au  troisième  concours 
pour  la  décoration  de  W'estnunster 
et,  dès  ce  moment,  sa  ré]iutationn 
était  établie.  Il  entreprit  alors  un  cer- 
tain nombre  de  décorations  murales, 
ncitamnient  à  Lincoln's  Inn  (Palais 
de  Justice  de  Londres),  et  conçut,  à 
la  façon  de  Clienax'ard  ou  de  Gustave 
Moreau,  son  art  comme  mi  moyen 
exclusif  d'exj)ression  pour  traduire 
le  monde  de  ses  sentiments  et  de 
ses  idées;  car  l'art,  pour  lui,  jusque 
dans  ses  portraits,  choisis  parmi  les 
hommes  illustres  de  son  temps  comme 
de  glorieux  exemples,  doit  av^oir  une 
purtée  morale.  Ce  qui  ne  l'empêche 
pas.  d'ailk'urs,  d'être  ime  des  per- 
sonnalités les  plus  fortement  douées, 
au  point  de  vue  pittoresque,  de  toute 
l'école  anglaise.  Ses  compositions 
mou\-ementées,  aux  lignes  véhé- 
mentes, aux  colorations  ardentes  et 
suggestives,  comprennent,  soit  des 
cycles  héroïques  ou  historicpies;  La 
Création  de  la  faiiiiic.  La  Tentation 
d'Eve.  La  Mort  d'Abel,  Le  Déluge,  soit 
des  conceptions  symboliques  prises 
dans  les  sujets  de  la  fable  ou  de  la 
légende:  Orphée  et  Euridyce,  Eiidy- 
iiiion,  Paolo  et  Franecsca,  soit  des 
généralités  allégoriques,  dont  les  plus 
célèbres  Sont:  Sie  Transit,  L'Espé- 
rance, L'Amour  et  la  Mort,  T Amour 
et  la  Vie.  Cette  dernière  toile  a  été 
répétée  trois  fois  par  Watts,  qui  la 
idusitlérait  c(mime  son  ceu\-re  pré- 
férée, l'n  exemplaire  est  à  la  Tate 
dallery,  l'autre  à  Washington,  le 
troisième  a  été  expressément  peint 
pour  le  Luxembourg  par  le  maître, 
qvii  y  mit  tout  son  talent  pleùi  de 
généreuse  ardeur  et  l'offrit  en  termes 
t(juchants  à  la  France.  L'Amour, 
sous  la  forme  d'un  beau  jeune 
homme  aux  ailes  flamboyantes,  aide 
la  Vie,    jeune  fille  timide,   hésitante 

tpii  doi\'ent  la   conduire  aux  sommets. 

temps  certains  api^orts  étrangers,  qu'il 


Ecole  anirlaise. 


237 


airive  le  plus  sinivent,  (ruilliur^.  à  s'assimiler  tout  à  lait:  e'est  ainsi  ([ue  \r  ll(jllandais 
Aima  Tadenia  et  le  liax'arois  Herkonier  ligurent  ])armi  les  [ilus  hautes  perse mnalités  ilr  l-urt 
an,t;lais  nidderne.  Sir  La\vri:x(  i-;  Aima  Tadkma  est  né  dans  la  Frise,  à  Dninriip,  le  S  janvier 
i<Sj6.  11  fit  au  f^fyinnase  de  Leuwarden  d'excellentes  études,  qui  le  préparèrent  admirablement 
]ieur  S(.)n  avenir,  et  fut  destiné  à  la  carrière  médicale.  Mais  il  était  possédé  par  le  démun 
de  la  peinture,  accident  arrix'e  déjà  à  qnel([iies  autres  grands  hollandais.  Sa  famille  finit 
par  céder  et,  en  1852,  il  alla  à  Anvers  étudier  à  l'Académie,  sous  la  direction  de  Wappers  et 
de  Henry  Leys.  Puis  il  \-int  en  France,  vu  il  se  maria  une  première  fois,  mariage  dont  il 
eut  deu.x  tilles:  l'une  est  écri\-ain,  l'autre  peintre.  En  1870,  il  se  rendit  en  Angleterre;  étant 
devenu  veuf,  il  y  contracta  un  second  mariage,  s'y  fixa  et  se  ht  naturaliser  anglais.  Membre 
de  la  Royal  Academy,  Membre  correspondant  de  l'Institut  de  P'rance,  Sir  Lawrence  a  con(iuis. 
à  nos  Salons  et  Exposi- 
tions universelles  toutes 
ses  médailles  et  il  est 
officier  de  la  Légion 
d'honneur. 

Son  (eu\'re,  de 
caract  ère  essentiellement 
historique,  appartient  à 
la  fois  au  renouveau  de 
résurrection  de  l'histoire 
par  l'exagération  des 
caractères  expressifs, 
comme  l'avait  comprise 
Leys,  et  au  mouvement 
réaliste  de  vérité  docu- 
mentaire créé  par  Meis- 
sonier  et  par  Gérôme. 
Ce  dernier  artiste  a  eu, 
du  reste,  au  point  de 
vue  des  préoccupations 
archéologiques  comme 
de  la  technique,  ime 
certaine  influence  sur 
son   ami   le   peintre  an-  |amk: 

glais.  L'œuvre  de  Aima 
Tadema  comprend  deux 

grandes  manières,  correspondcUit  à  ses  deu.x  sources  d'inspiration  i)rincipales.  Dans  la 
première  partie  de  sa  carrière,  il  est  surtout  frappé  par  les  récits  d'Augustin  Thierry  et  il 
les  traduit  en  pages  fortement  colorées,  telles  que  Ulùiiicti/ioii  des  ['ctils-fils  de  Clothilde 
(1861),  Venantius  Fortiinatus  et  Radegonde  (1862),  Frédegonde  et  Prétextât  (1864),  composition 
qui,  bien  avant  les  succès  de  Jean-Paul  Laurens,  produisit  une  grande  impression  par  la 
vigoureuse  sensation  qu'elle  donnait  de  cette  époque  semi-barbare. 

Sa  seconde  manière,  plus  précise,  plus  claire,  plus  serrée,  est  consacrée  |n-es(jue 
uniquement  aux  temps  antiques;  il  les  a  fait  re\-ivre  dans  leur  vérité  familière,  qui  les 
rapproche  de  nous,  avec  une  science  d'érudition  imjx'ccable,  jointe  à  un  sentiment  très  vif 
de  la  réalité,  comme  un  daston  Boissier  ou  un  Ferrero.  .\  cette  inspiration  appartiennent 
Catulle  chez  Lesbie  (1865),  La  danse  romaine  {1866),  l'arqitin  le  Superbe  (1867),  Ave  Caesar, 


^m^^^^^^^^^^^^m 

^H 

Mai.  Xl.ILL    WlIWTl.KK.    —    Pultiait    ili-    In 

(Musée  du   Luxembourg). 


238 


La   Peinture   au   XIX''  siècle. 


lo  Satiiriiiilia  (1871).  Joseph  uitcnduiit  de  l'Iiarauii.  Hadrien.  La  jeté  du  vin.  La  route  du  temple 
Une  leeture  d'Hcnière  et.  dans  ces  demières  années,  la  toile  de  Caraealla  et  Ceta  (un  ré\-e  du 
Colisée).  ([ui  ninntre.  dans  ses  milliers  de  personnages  assis  >nr  les  gradins  autour  de  la 
loge  impériale,  la  prodigieuse  habileté  de  ce  savant  virtuose,  «pu  se  joue  de  toutes  les 
difficultés  a\'ec  sa  \'oIonté  patiente  et  son  sa\'oir. 

Lad\-    .\lni,i    Tadema,   également    peintre,   s'est    fait    remarquer,  de  son  côté,  par  des 

tableaux  délicats  dans  le  goût 
hollandais. 

Sir  Hri'.EKT  vox  Her- 
komi-;k  est  né  le  26  mai  1849 
au  \"illage  de  W'aal,  près  Lands- 
berg,  en  Bavière'.  Son  père 
était  un  m(.ideste  sculpteur  sur 
bois,  ruiné  par  la  révolution 
de  1S4S,  qui  commença  par 
chercher  fortune  en  Amérique, 
puis  en  Angleterre,  où  il  débar- 
(jua  en  1857,  à  Southampton, 
avec  sa  femme  et  son  enfant. 
Le  père  reprit  son  métier  et 
la  mère  donna  des  leçons  de 
musique.  Appelé  à  Munich 
pour  un  travail,  la  famille  s'y 
in>tcdla  quelque  temps  et  le  fils 
apprit  à  dessiner  à  l'Académie. 
Retournés  en  Angleterre,  le 
jeune  Herkomer  parvint  à 
gagner  sa  vie  avec  des  dessins 
ou  caricatures  pour  des  jour- 
naux. Il  e.xposa  à  l'Académie, 
en  1873,  sa  première  toile, 
Après  le  travail  du  jour,  exécu- 
tée dans  la  manière  sentimen- 
tale et  colorée  de  Frédéric 
W'alker;  ce  fut  son  premier 
succès.  Sa  réputation  se  con- 
firma solidement  par  un  ta- 
bleau, devenu  célèbre,  qui  fut  exposé,  en  1878,  à  l'Exposition  Universelle  de  Paris,  où  il 
obtint  une  médaille  d'or.  C'est  La  Dernière  Asse)nblée.  qui  réunit  les  invalides  de  l'hôpital 
militaire  de  Chelsea,  alignés  dans  leurs  tuniques  rouges  sur  les  bancs  de  la  chapelle.  Il 
montrait,  dans  ce  choix  de  physionomies  t\"piques  de  \ieux  débris  guerriers,  dans  leurs 
attitudes  lasses  et  leurs  gestes  usés,  cette  force  de  pénétration  du  caractère  individuel,  qui 
devait  lui  assurer  une  si  remarquable  carrière  de  portraitiste  et,  a\ec  cette  analyse  serrée  du 
détail  expressif,  le  sentiment  profond  de  l'unité  de  la  scène.  L'Assemblée  des  Administrateurs 
de  Chaterhousc  et  la  Session  des  Magistrats  de  Landsbcrg  ont  rappelé  ce  succès.  Sa  manière  a 
gardé  beaucoup  de  rapports  a.vec  hi  technique  continentale.  Elle  a  pris,  néanmoins,  une 
coloration  assez  britannique.  Parmi  les  portraits  célèbres  de  Herkomer  il  faut  citer  la  célèbre 


Jami-^  Mac  Xi-iLi.  Wiiiii  li.r. 


hvColc  ans>"laise. 


241 


Dame  cil  lilaiic  (Miss -Grant).  !a  Dame  eu  iicir.  le  pdrtrait  de  sou  père,  de  sa  mère,  de  Riiskin. 
de  \\'a,t,'ner.  de  Tennysun,  de  Stanley,  etc.  Sir  Hubert,  établi  à  Bushey,  près  Londres,  y  a 
fondé  nue  importante  école  de  peinture;   on  lui  d(iit  aussi  des  écrits  distiu!:;ués  sur  les  arts. 

Celui  que  nous  avons  nommé  plus  haut  comme  le  niaitre  qui  influa  sur  les  débuts  de 
Herkomer.  Fki'îdÉrk  Wai.kek.  est  une  des  plus  charmantes  et  des  jjIus  touchantes  figures  de 
Fart  anglais  moderne.  Son  Part  de  Kcjiii^c.  di-  la  Ta  te  (iallerv,  reste  dans  la  mémoire  di-  tous 
ceux  qui  ont  \'u  cette 
singulière  toile,  où  le 
sourire  des  arbres  en 
fleurs  se  mêle  à  la  tris- 
tesse douce  du  couchant, 
où  la  mélancolie  des 
vieux  jours  contraste 
avec  l'image  de  la  jeu- 
nesse, représentée  ici  par 
cette  jeune  fille  soute- 
nant sa  mère,  là,  par  ce 
robuste  jardinier,  qui 
fauche  hardiment  h- 
gazon  de  la  pelouse. 

Frédéric  Walk.  : 
était  né  à  Londres,  d.in- 
le  quartier  de  Mar\ir 
bone,  le  24  mai  1840.  Il 
montra,  dès  son  ]euii 
âge,  ses  goûts  pour  le 
dessin.  A  seize  ans,  il  fut 
placé  chez  un  architecte, 
mais  ce  fut  la  peinture 
qui  l'attira.  Il  gagna  sa 
vie  de  bonne  heure  a\-ec 
des  dessins  et  gra\'ures 
d'illustrations  p(.iur 
divers  journaux.  Sa  pre- 
mière peinture  à  l'huile 
est  Le  chemin  perdu  en 
1863.  En  1867,  il  exposa. 
à  la  Royal  Academv  les 
Baigneurs,  qui  eurent  un 
grand  succès;  en  1868 
les  Vagabonds,  en  1869, 
la  Vieille  Grille,  qui  figura 
à  l'Exposition  L'ni\-erselle  de  1878.  Il  a  exécuté  aussi  de  nombreuses  aquarelles.  Atteint^de  con- 
somption, il  passa  l'hiver  de  1873-74  à  Alger,  revint  en  Angleterre  et  se  réfugia  en  Ecosse  pour 
trouver  un  climat  plus  doux.  II  y  mourut  à  Saint-Fillan,  dans  le  comté  de  Perth,  le  5  juin  1875. 

Dans  les  dernières  manifestations  des  arts  du  Royaume  uni.  l'hlcosse  occupe  une  place 
exceptionnelle;  il  y  a  même  un  petit  groupe  écossais,  très  connu  dans  nos  expositions,  auquel, 
d'ailleurs,  il  se  mêle  quelques  irlandais,  voire  des  Gallois.    Le  doyen  de  ces  contemporains  est 


Loup- 


242 


La  Peinture   au  XIX'   sièele. 


Sir  Wu  i.iAM  OriLLEK  Okciiardsox.  né  à  l*-dimbourg  en  1S35,  célèbre  jusque  chez  nous  par 
ses  [xirtraits  et  par  ses  j^eintures  de  genre,  brossées  légèrement  en  chaudes  harmonies  rousses 
et  inspirées  le  plus  souvent  de  l'histoire  anecdotique  de  notre  pays.  au.\  périodes  de  la 
Ré\'olution  ou  de  1" Empire.  Il  a  remporté  toutes  ses  médailles  à  nos  Salons  et  Expositions 
Universelles,  a  été  nommé  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur  en  1895.  et  est  membre  corres- 
pondant de  l'Institut.  Il  est  membre  de  la  Roval  Academ\-.  On  peut  se  sou\'enir  de  la  Reine 
lies  Epées.  qui  eut  un  grand  succès  chez  nous  en  1878.   du  Mariage  de  convenance,  (1884),  du 

S(i/(i)i  de  .!/'««  Récamicr  (1885).  Xapoléon 
à  hiifd  dit  Bellcropbon,  qui  est  un  de  ses 
tableaux  les  plus  célèbres,  appartient  à 
la  Tate  Gallery.  Il  a  été  exposé  à  la 
Royal  Academy  en  1880.  Cette  peinture 
représente  l'Empereur,  se«l.  en  avant  de 
ses  généraux,  sur  le  pont  du  navire  cjui 
l'emporte. songeur,  tandis  que  s'éloignent 
lentement  les  côtes  de  France. 

Dans  les  générations  plus  récen- 
tes, on  a  désigné  sous  le  nom  d'Ecole 
de  (ilasgow  \m  groupe  d'harmonistes 
sa\'ants  et  raflinés.  dans  une  gamme 
un  peu  sombre,  qui  ont  subi,  avec 
l'uitluence  colorée  de  la  vieille  tradition 
écossaise,  celle  des  romantiques  français 
avec  l'action  très  directe  du  peintre 
franco-américain  W'histk'r.  Ce  milieu  de 
chauds  coloristes  écossais,  irlandais  ou 
gallois  a  fait  sensation  dans  nos  Salons 
et  a  aidé  au  réveil  du  sens  un  peu  perdu 
des  harmonies  au  lendemain  des  abus 
de  l'école  du  plein  air.  à  côté  du  groupe 
français  baptisé  chez  nous:  la  bande 
nuire.  Ce  sont  :  Sir  James  Guthrie,  Ch. 
Ricketts.  Ch.  Shannon,  Conder,  Arthur 
!\lelville,  Alexander  Roche,  John  Lavery, 
etc.  Ne  en  1856,  à  Belfast,  John  L.averv 
lit  ses  études  à  Paris,  sous  la  direction 
de  Houguereau.  Robert-Fleury  et  Meis- 
sonier.  et  reçut,  en  Angleterre,  les  con- 
seils de  \\'atts  et  de  Whistler.  On  con- 
naît, dans  notre  Musée  National,  le 
Portrait  de  Fauteur  et  de  sa  fille  et  surtout 
cette  chaimante  ligure  du  Printemps,  une  jeune  femme  en  toilette  bhmche.  qui  semble  rentrer 
du  jardin  les  bras  chargés  de  Heurs.  Cette  peinture  a  été  acquise  au  Salon  de  la  Société  Natio- 
nale des  Beaux-Arts. 

Fk.vxk  Bk.\x>,\vvx.  lui,  (pii  se  rattache  indirectement  à  ce  milieu,  est  d'origme 
galloise,  mais  il  est  né  à  lîruges  en  iShj.  Il  eut  une  jeunesse  assez  agitée,  car  il  avait  une  soif 
d'exotisme  qui  le  conduisit  à  travers  tout  l'Orient.  Ses  débuts  en  France,  en  1893,  a\-ec  son 
tableau  des  Boucaniers,  furent  très  remarquées.    Le  jeune  peintre  s'annonçait  comme  un  futur 


John  S.^kgent.  —  La  CaimenciLi  (Mi'.>ée  <lu  Luxembuurg). 


Ecole  anHaisc. 


maitre  et  lie  tiivdait  pas  à  prendre  dans  son  pa\-s  la  place  qu'un  lui  donnait  déjà  en  l-rance. 
Le  Marché  ait  Maroc  a  été  acquis  par  l'Etat  pour  le  Luxembourg,  au  Salon  de  i'^i)5.  C'es-t 
un  exemplaire  heureux  de  cette  peinture  orientaliste,  aux  tons  richenTiit  exaltés  par  larges 
échantillonages  localisés,  a^•ec  les  sonorités  chaudes  et  profondes  d'un  beau  tajiis  marocain 
ou  persan.  Il  relève,  en  toute  é\"idence,  assez  directement  de  la  tradition  des  grands  roni.in- 
tiques  orientalistes  français,  Delacroix  et  Decamps.  Il  a  depuis,  exécuté,  notamment  pour 
la  Bourse  de  Londres,  de  grandes  peintures  décoratifs  et  s'est  distingué  comme  un  aipia-fortiste 
de  premier  ordre.  Ciiarlp:s  Sh.wxijx  à  été  remarcpié  aux  exjiositions  où  il  a  participé  en  Fr.mce, 
par  ses  qualités  de  haut  style,  son  dessin  ample,  sa  com]»  isition  originale,  ses  chaudes  et  fcjrtes 


WiN^i-'iu    Hlimkk.  —  Xiiit  il'ete  (Musée  du  Luxembourg). 

harmonies.    La  iciiiiiic  sculpteur,  du  Salon  de  1909.  récemment  acquise  pour  le  Luxembourg, 
donne  une  excellente_idée  de  la   belle   tenue  de  cet   art.  d'un  charme  profond  et  gra\'e. 

^  II.     Ecole  Amékk  aixe. 

L'histoire  de  la  peinture  dans  les  États-Unis  d'Amérique  peut  se  di\-iser  en  deux 
larges  périodes,  égales  en  durée.  L'une  qui  comprend  exactement  la  première  moitié  du  siècle, 
est  pour  ainsi  dire  de  caractère  exclusivement  britannique;  la  deuxième,  qui  correspond  à 
l'autre  moitié,  est  plus  particulièrement  sous  l'influence  française;  mais  c'e>t  de  ce  moment 
que  date  ce  qu'on  peut  appeler  plus  exactement  la  constitution  d'une  école  Icjcale. 

Dans  la  première  partie,  en  etîet,  on  peut  rattacher  directement  —  et  c'est,  du  reste, 


244 


La  Peinture  au   XIX*  siècle. 


ce  qui  se  fait  jiour  la  plupart  d'entre-eux  —  les  maîtres  américains  à  l'école  d'Angleterre. 
Prescjue  tous  y  ont  travaillé,  quelques-uns  y  ont  à  peu  près  constamment  vécu  et  même  ont 
obtenu  des  distinctions  réservées  d'habitude  aux  seuls  sujets  britanniques. 

Tels  sont,  par  exemple:  John  Sixgleton  Coplev  (1737 — 1815);  Benjamin  West 
(ly^S — 1820)  qui  fut  président  de  l'Académie  royale;  Gilp.ert  Stuart,  célèbre  par  son  portrait 
de  Washington,  au  Musée  de  Boston  {1755— 182S);  Washington  Allston  (1777— 1807)  ; 
Thomas  Si'llv  (1783 — 1S72)  et  Charles  R.  Leslie  (1794 — 185(1)  dont  on  connaît,  à  la  Tate 
Gallery,  l'excellent  tableau  de  genre,  si  spirituellement  observé,  de  rOiu/c  Toby  et  la  veuve,  etc. 

La  période  proprement  américaine  commence  avec  trois  grandes  personnalités  à  demi 
ou  même  plus  qu'à  demi  françaises:  les  peintres  Whistler  et  La  Large  et  le  sculpteur  Augustus 
Saint-Gaudens,  noble  et  grand  artiste  de  l'ceuvre  duquel  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici. 


AlIiXANIiER   IIarkison.  —  En  Arc;ulif  (Musée  du   Lu\iml>uuiL;). 

James  Abbott  Whistler,  qui  signa  plus  tard  James  Mac'Neill  Whistler,  en  faisant  précéder 
son  nom  patronymique  de  celui  de  sa  mère,  est  né  à  Lowell  (Massachussets)  le  11  Juillet 
1834.  Il  était  originaire  d'une  famille  du  sud  et  fils  du  Major  George  Washington  Whistler, 
ofHicier  du  génie,  qui  coopéra  à  l'établissement  des  chemins  de  fer  en  Amérique,  et  en  Russie. 
L'enfance  de  James  Whistler  se  passa  dans  ce  dernier  pays  jusqu'en  1849,  date  de  la  mort  de 
son  père.  Destiné  d'abord  à  l'état  militaire,  il  entra  à  l'école  de  Westpoint  en  1851,  il 
y  fut  congédié,  entra  en  1854,  comme  dessinateur  au  service  cartographique  de  la  marine,  mais 
se  vit  refuser  ses  planches  à  cause  des  croquis  qu'il  griffonnait  dans  les  coins  et  qui  annoncent 
les  prochains  débuts  de  sa  glorieuse  carrière  de  graveur.  Sa  vocation  paraissant  manifeste, 
il  fut  envoyé  à  Paris  en  1855,  entra  à  l'atelier  Gleyre,  fréquenta  surtout  le  Louvre  et  s'y  lia 
étroitement  avec  Fantin-Latour,  qui  exerça  bientôt  une  influence  marquée  sur  son  talent. 


xolc  amcncainc. 


245 


Refusé,  avec  son  ami, "au  Salon  de  185g,  son  tableau  .1»  Piano  lit  partie  clc  la  petite  exposition 
organisée  par  Bonvin  dans  son  atelier.  C'est  à  cette  occasion  qu'il  lut  mis  en  relation  avec 
Courbet  et  qu'il  travailla  sous  son  action  et  même  ([uchiuefois  à  ses  côtes  jusqu'en  i8b6. 

C'est  l'époque  de  ses  premières  marines.  Ajnès  une  période  de  va-et-\-ient  entre  la 
France  et  l'Angleterre,  ïl  se  fixa  à  peu  près  définitixenirnt  à  Londres.  Il  s'\-  lia  avec  Rossetti, 
Millais,  Albert  Moore  et  il  est,  à  ce  moment,  très  jiarticnlièrement  influencé  par  eux,  comme 
il  apparaît  dans  les  diverses  Sy)nphûnics  en  blanc  qu'il  exposa  entre  1862  et  1866.  La  Uillc 
blanche  est  la  première.  Elle  fit  partie,  en  i86j,  du  Salon  des  Refusés,  où  elle  forma  la  pièce 
capitale  et  eut  un  succès  inouï  de  scandale,  qui  assura  la  renommée  du  jeune  artiste.  Ce 
scandale  nous  surprend  aujourd'hui.  Cette  ceuvi-e,  qu'on  prétendait  être  l'reuvre  d'un  spirite, 
d'un  visionnaire,  est  pourtant  un  morceau  sérieux 
de  peinture  où  l'on  voit  formulés  pour  la  première 
fois  les  recherches  symphoniques  de  couleur  et 
surtout  les  accords  subtils  de  tons  siu"  tons  qui 
sont  un  des  charmes  rares  de  son  art.  La  physin- 
nomie  seule  est  un  peu  singulière,  avec  ses  yeux 
extatiques,  sa  démarche  somnambulesque,  ses 
airs  égarés  d'Ophélie,  empruntés  à  ce  mysticisme 
préraphaélite,  qui  était  bien  loin  de  son  tempéra- 
ment foncièrement  réaliste.  Ce  tableau  appartient 
à  un  amateur  américain,  M.  J.  H.  Whittemore. 
Whistler  évolue  ensuite  sous  l'influence  du  Japon 
puis  adopte  définitivement  le  système  de  com- 
binaisons harmoniques  des  tons,  analogue  à 
celui  des  sons,  et  désignées  par  des  intitulés  pris 
au  langage  musical.  Il  donne,  à  ce  moment,  {1864 
à  1868)  ses  principaux  Nocturnes.  En  1867  ou  68, 
par  un  nouveau  travail  de  sa  pensée,  abjurant 
les  coquetteries  de  la  couleur,  il  modifie  complè- 
tement sa  palette  dans  le  sens  de  l'austérité,  se 
préoccupe  avec  soin  de  l'arabesque  des  lignes 
et  atteint,  à  force  de  simplification,  une  pui-^- 
sance  pittoresque,  expressive  et  synthétique,  in- 
connue dans  ce  genre  avant  lui.  Ses  accents  sobres 
de  tons  le  rapprochent  alors  de  la  manière  de 
\'elasquez.  Il  ne  peint  plus  guère,  comme  grandes 
compositions,  que  des  portraits  et  les  plus  célèbres 
sont  alors  ceux  de  sa  mère  et  celui  du  philosophe 
Carlyle. 

Le  Portrait  de  la  nicrc  de  Whistler,  (pii 
appartient  au  Musée  du  Luxembourg,  où  il  fut  placé  en  1891,  après  son  acquisition  par  l'Etat 
français,  est  à  coup  sur  le  chef-d'œuvre  de  l'auteur,  par  son  émouvante  simplicité,  son  pieux 
recueillement,  tout  ce  que  les  harmonies  graves  disent  de  Pâme  du  modèle.  Whistler  l'a  peint 
avec  amour,  avec  toute  la  tendresse  qu'il  garda  à  sa  mère.  Cette  toile  portait  le  titre  sym- 
phonique:  , .arrangement  en  gris  et  noir".  Exécutée  en  1871 ,  ex])osée  à  la  Royal  Academy  en  1872, 
elle  figura  en  1883  au  Salon  de  Paris,  où  elle  obtint  une  médaille.  Le  portrait  du  philosophe 
Thomas  Carlvle  est  contemporain  du  jnécédent.  C'est  encore  un  ,, arrangement  en  gris  et 
noir",  mais  dans  un  demi-jour  égal,  clair,  moins  mj'stérieux,  avec  un  fond  gris  indéfinissable, 


246 


La   Peinture   au   XIX''  siècle. 


sur  k'(iiicl  s"ciiK'\'cnt,  dans  un  i-tirt  ti.nKunllr,  k's  chairs  rosées  des  joui-s  au  miliru  du  f^ris 
ari;cnté  des  chr\-eux  et  de  la  iKuhf,  rt  Ir  noir  di'S  \-êtements,  qui  dessinent  le  roriis  de  profil, 
(lins  une  arabesque  expressiw.  ("est  d'tur  art  tendu,  réfléchi,  sévère,  ([ui  dit  toute  la 
hautaine  mélancolie  de  ce  grand  songeur  Sdlitaire.  Ce  tal)leau  appartient  au  Musée  de 
Cilasgow;   il   a   été  exi^osé  à    Paris  au   Salon   de    18S4. 

C'est  une  date  où  \Miistler,  las  des  pcrsécutiiuis  subies  en  Angleterre  et  flatté  de  l'ac- 
cueil (pi'il  trou\'ait  vn  France,  \int  s'y  étalilir  à  nou\-eau  et  ouvrit  un  atelier  d'enseignement. 
11  a\ait  éjxiuse  en  i8(S8  .Miss  Beatrix  Birnie  Philip,  fille  du  sculptt'ur  de  ce  nom  et  veuve 
de    l'architecte    (nidwin.     .\    la    mort    de    celle-ci.    en    i8()6,   il  se  réinstalla  à  Londres,  où  il  est 

décédé  le  17  juillet  1903.  \\'liistler 
était  ohicier  de  la  Légion  d'honneur. 
Whistler  était  français  par 
son  éducation,  ]iar  ,ses  goûts  et 
juscpie  par  l'iniluence  des  maîtres 
anciens  (jifil  subit  tour  à  tour: 
Rembrandt  et  \'élasquez,  qui  furent 
les  grands  demi-dieux  de  l'école 
réaliste.  Il  appartient  directement 
à  ce  milieu.  John  L.^  F.-^rce,  lui, 
est  d'abord  français  jiar  le  sang.  Fils 
d'un  (lUieier  IrcUiçais,  Jean-Frédéric 
de  la  F'arge,  qui  \'int  s'établir  en 
1806,  en  Américjue,  après  toutes 
sortes  d'a\-entures  dans  l'expédition 
de  Saint-Domingue,  où  il  fut  fait 
|)i'is()nnier  jiar  les  nègres  insurgés, 
John  La  Farge  est  né  le  31  mars 
1835  à  New-York.  C'est  là  que  s'est 
})assée  son  enfance,  au  milieu  des 
livres  et  des  tableaux  hollandais 
t\nv  son  père  aimait  à  recueillir.  Il 
nçut  une  excellente  éducation  et, 
((innne  il  avait  des  dispositions  pour 
les  arts,  on  le  laissa  partir  pour  Paris. 
Il  y  arriva  en  1856  et  entra  dans 
l'atelier  de  Couture.  On  ne  peut 
M\i;\  (AssAii.  —  y,.,.   -:  M,i,,n:.  dire   ([u'il   profita   beaucoup  de  cet 

enseignement,  mais  il  était,  par  sa 
mère,  apparenté  avec  le  célèbre  critiipu'  Paul  de  Saint-\'ictor,  et  il  fut  introduit  dans  la  maison 
de  Chassériau,  pour  qui  il  épnitna  de  suite  la  plus  svm]iatliique  admiration.  Delacroix  était 
alors  dans  toute  sa  gloire.  La  F'arge  en  fut  très  impressionné  et  cette  influence  directe  se 
cnnfondit  avec  son  culte  pour  les  grands  italiens  du  ,\\'L'  siècle  et  pour  Rembrandt,  qu'il  allait 
admirer  au  Louvre.  Sa  carrière  fut  décidée.  S(in  (eu\re,  peu  connue  en  France,  parce  qu'elle 
est  surtout  décorati\-e  et  murale,  est  remarquable  ixir  le  nombre  et  l'importance  des  morceaux, 
n  a  décoré  l'église  d'Ascension  Cliurch  à  New-York,  de  la  Trinité  à  Pioston.  le  Palais  de  Justice 
de  Baltimore,  etc.,  etc.  Il  est  aussi  i>articulièrem(Mit  célèbre  comme  rénovateur  de  la  peinture 
sur  verre,  par  des  procédés  qui  en  augmentent  la  puissance  expressive  et  l'intensité  colorée.  Il  a 
vécu  un  certain  temps  au  Japon  et   dans  les  iles  Samoa  et  il  a  rajiporté  de  ces  voyages  des 


Ec 


Ole   américaine. 


-M7 


suites  de  belles  aquarelles  d'un  grand  charme  exotùiue.  Enfin,  il  a  publié  un  certain  nombre 
d'ouvrages  sur  les  maîtres  anciens,  les  maîtres  français  de  i8;,ii  et  sur  son  séjour  au  Japon. 

Le  Charmeur  de  Loups  est  une  peinture  étrange  inspirée  d'un  poénie  de  Longfellow, 
qu'il  a\-ait  d'abord  traité  en  dessin  d'illustration.  Elle  donm-  riniprrs^iou  de  forte  saveur 
de  nature  qu'on  retr(iu\"e  aussi  dans  ses  paysages.  "L'Ascension  du  Christ  occupe  le  fond  de 
l'autel  de  l'église  de  ce  nom  à  New-York.  Elle  a  été  exécutée  en  1887,  au  retour  d'un  \-uyage 
au  Japon,  et  c'est  dans  ce  Jiays  même  q^i'a  été  faite  l'étude  du  fond  montagneux  di'  cette 
vaste  composition.  On  y  sent 
le  souvenir  de  Delacroix  et 
le  grand  style  des  maîtres. 

A  côté  de  ces  deux 
glorieux  fondateurs  de  l'école 
Américaine,  il  est  un  nom. 
qui  s'est  rendu  illustre  en 
Europe,  c'est  celui  de  John 
S.\K(',ENT.  Sargent  est  né  à 
Florence,  de  parents  améri- 
cains, en  1856;  il  a  commencé 
à  étudier  à  Florence,  mais, 
surtout,  a  été  élève  de  Carolus 
Duran  et  son  talent  a  gardé 
des  affinités  avec  celui  de 
son  maître.  Il  a  eu  la  carrière 
la  plus  brillante.  Son  talent 
vif,  souple,  nerveux,  a  tra- 
duit avec  une  sou\'eraine 
élégance  les  pln'sionomies 
des  femmes  de  l'aristocratie 
anglaise  du  sang  cm  de  la  fi- 
nance. Il  a  commencé  à  ex- 
poser à  nos  Salons  en  1877  et 
il  y  a  en\-oyé  des  portraits 
devenus  célèbres  :  Carolus 
Duran  en  i8-jq.Mrs.  Playfair, 
en  1888,  E/loi  Terry,  dans  le 
rôle  de  .Macbeth,  plus  tard  Mr. 
Wertheimer,  Mme  Mever  et  ses 
enfants,  etc.  A  la  suite  d'un 
voyage  en  Espagne,  il  exposa 

en  1882,  une  danse  de  Gitanes.  /:/  Jaleo.  et.  pins  tard,  sur  ce  souvenir,  La  Cdrineiuita.  du 
Musée  du  Luxembourg  (Salon  de  1892),  dans  sa  robe  jaune  pailletée,  l'attitude  provoquante,  qui 
est  une  des  toiles  les  plus  populaires  de  ce  Musée.  Membre  de  l'Académie  royale  de  Londres,  où 
il  réside,  John  Sargent  est  également  membre  de  l'Institut  et  officier  de  la  Légion  d'honneur. 

Parmi  les  nombreux  peintres  qui  forment  l'école  américaine,  on  distingue  ceux  qui 
sont  établis  en  Europe,  et  particulièrement  en  France,  (pu  est  un  peu  leur  petite  patrie  et 
ceux  qui  se  sont  développés  en  Amérique,  bien  (pie  le  plus  souvent  sous  l'influence  française. 
Dansées  derniers  il  en  est  deux  ijui  sont  des  figures  exceptionnelles:  le  paysagiste  George 
Inxess,   né  à  Newburg  (Etat  de  New-York)  en  1825,  mort  au  Pont  d'Allan  (Ecosse)  en  1894. 


Ru  ii.^Rii  Miller.  —  La  tasse  de  thé. 


24S 


La  Peinture 


au 


XIX' 


siècle. 


qui  n'a  été  malheuix-usemcMit  connu  clu'z  nuus  ([u'à  l'uccasion  de  nos  grandes  expositions.  Il 
avait  eu  p(.>ur  maitre  un  français.  François  Régis  (iignou.x,  de  Lyon,  avec  qui  il  apprit  à 
aimer  nos  grands  paysagistes  et  il  les  admira  mieux  encore  en  France,  durant  un  séjour 
qu'il  iit  en  lùn'ope  de  1871  à  1875.  Ses  tableaux,  dans  lesquels  il  affectionne  les  rousseurs 
automnales,  sont  sonores,  intenses  et  profonds.  Près  de  lui:  Homer  M.\rtin  (1836-1897),  et 
surtout  WixsLow  HoMiîK,  né  à  Boston  en  i8j6,  avec  ses  tableaux  mystérieux,  étranges  et 
forts,    comme   cette   Xiiif   d'ctc.   du  ^Musée  du    Luxembourg,  acquise  en  1900,  où   des    jeunes 

femmes  enlacées  dansent  au  bord 
de  la  mer,  honorent  hautement 
cette  école  locale.  On  citerait 
volontiers,  à  leur  suite,  les  noms 
d'artistes  plus  jeunes  tels  que  : 
Childe  Hassam,  clans  la  manière 
impressionniste.  Ben  Foster, 
Chase,  Alden  Weir,  etc. 

Du  côté  de  l'Europe:  Ed- 
wiN  A.  Abbey,  né  à  Philadelphie 
en  1852  a  smtout  fait  sa  carrière 
à  Londres,  où  il  est  membre  de 
l'Académie  royale,  avec  des  ta- 
bleaux historiques  ou  des  peintures 
décoratives.  C'est  en  France  surtout 
que  se  sont  distingués:  William  T. 
Dannat,  né  en  1853,  à  New- York, 
dont  le  Luxembourg  possède  la 
Fcniiiic  en  rouge  çt\e  Contrebandier 
uragonais,  Ale.xander  Harrison, 
né  en  1853  à  Philadelphie,  élève 
de  Gérome,  qui  s'est  fait  une  place 
exceptionnelle  comme  peintre  de  la 
mer,  et  obtint  un  vif  succès,  au 
Salon  de  1885,  avec  son  grand 
tableau  de  nus  en  plein  air,  En 
Arcadie,  aujourd'hui  au  Luxem- 
bourg :  Walter  Gay,  né  à  Hing- 
ham,  Massachussetts,  en  1856, 
élève^de  Bonnat,  qui  s'est  d'abord 
fait  connaître  par  des  scènes  d'inti- 
mités rurales,  puis  par  des  scènes 
espagnoles,  comme  les  Cigarières, 
du  Luxembourg,  enfin  par  des  petits  intérieurs,  pittoresquement  traduits, en  accords  délicats. 
George  Hitchcock,  Gari  Melchers,  Walter  M.ac-Ewen,  qui  ont,  de  préférence,  choisi  leurs 
sujets  en  Hollande;  Miss  Mary  Cassatt,  née  à  Pittsburgh,  qui  s'est  conquis  une  place  brillante 
au  milieu  du  groupe  impressionniste  avec  ses  pastels  de  mères  et  d'enfants;  Miss  Elisabeth 
Nurse,  et  enfin,  dans  les  générations  plus  jeunes:  Richard  Miller,  né  à  St.  Louis,  Frédéric 
Frieseke,  né  à  Michigan  city  (Indiana),  en  1875,  Manuel  Barthold,  Lionel  Walden,  la 
plupart  représentés  au  Musée  du  Luxembourg  par  un  ouvrage  significatif  de  leur  talent. 


KkHirFKii;  Fkik^kke. 


Devant  la  Glace 


JOZEF  ISRAËLS. 

Un  F  II.  s  du  peuple  ancien. 

{J///S(r    inu)iicipal,    Aiiislerdani). 


CHAPITRE  IX. 


E  r  OLE    H  ()  L  L  A  N  I  )  A  I  S  E. 

L'AKT  liollandiiis  nitidLTiiu  iif  ci.)mmence,  à  proprement  parler,  i.ju'avec  la  deuxième 
mciitié  du  XIX''  siècle.  DurcUit  tnute  la  première  moitié,  il  se  débat  coutre  des  iniluences 
et  des  souvenirs  qui  sont  loin  d'actix'er  sa  constitution  dètmiti\'e.  Juscju"en  i^^,ci,  du 
reste,  date  qui  martjue  remanri[)ation  de  la  Belgique  de  la  tutelle  des  Pays-Bas,  l'histoire 
de  la  peinture  se  confond  dans  la  Hollande  et  dans  les  Flandres.  La  doctrine  de  David, 
qui  étend  son  empire  sur  jiresque  toutes  les  parties  de  TEuroiie,  domine  d'autant  plus  dans 
ces  régions  que  l'illustre  proscrit  e>t  fixé  à  Bruxelles,  entoure  de  l'admiration  universelle, 
appelé  même  par  \v  roi  de  Hollande,  aux  sollicitations  duquel  il  refuse  de  se  rendre. 

Il  n'est  donc  ]kis  surprenant  cpie  les  élèves  flamand-,  de  Hax'id.  les  Navez,  les 
Paelinck,  les  Odevaere,  etc.,  aient  pris  une  place  prépondérant'-  dan->  le  développement 
artistique  des  Pays-Bas.  au  cours  des  premières  années  du  siècle. 

Le  romantisme  fram.ais  et  ses  modalités  flamandes  ]irodui>irent,  à  leur  tour,  leurs 
effets  sur  le  milieu  hollandais  et  ces  deux  ordres  de  tendances,    classicpies  et  romantiques, 


m. 


"^ 


Weissenisrcch.  —  Kamasseuià  de  cuciiiillage 


2SO 


La  Peinture  au   XIX'  siècle. 


si  contraiix-s  à  la  nature  du  tempérament  national,  juxtaposées  ou  sujjerposées.  ne  Taidèrent 
j^as  à  se  retrouver. 

D'un  autre  côté,  les  artistes  qui  paraissaient  être  demeurés  fidèles  aux  anciennes 
traditions  locales  se  tenaient  plus  près  des  maîtres  décadents  d'.-  la  tin  du  WUI'^  siècle 
que  des  grands  originaux  du  XVIP  et,  comme  partout  ailleurs  où  le  guut  des  sujets  intimes 
s'était  éveillé,  par  contraste  ou  par  dérivatif  aux  solennités  moroses  de  l'Histoire,  ils 
s'attachaient  beaucoup  plus  au  fini  du  rendu,  aux  minuties  de  l'exécution,  à  l'imitation 
littérale  des  petits  maîtres  précieux  et  maniérés  qu'à  l'observation  sincère  des  phénomènes 
de  la  nature  et  des  actes  de  la  \ie.  Il  ne  s'y  trouve  encore,  comme  en  France,  ni  im 
dranet,  ni  un  deorges  Michel,  ni  un  Paul  Huet  pour  renouer  la  chaîne  de  la  grande 
tradition.    De  même  que  pour  la   Belgique,  ce  sera  le  contact  avec   les  grands  naturalistes 


G.\BR1EL  (l'.VUL-JiisEl'II-Co.NSTANTIN).  —   Il   vifiit   ilc   loin  (Collection   A.   .\.   linkker,   La   Haye). 


français  qui  sortira  l'école  hollandaise  de  cette  sorte  d'engourdissement.  Toutefois,  les 
qualités  natives  de  la  race  ne  disparaissent  pas  entièrement  de  ce  sol  fécond  et,  si  endonnies 
soient-elles,  en  découvre-t-on  les  traces  à  certains  degrés  chez  divers  artistes  appartenant 
à  cette  longue  période  préliminaire.  On  trouve,  au  début,  la  famille  des  Kruseman  avec 
CoRNELis  Kruseman,  d'Amsterdam  (1797 — 1857)  peintre  de  genre  qui  voyagea  en  Italie 
et  en  revint  avec  les  ambitions  de  la  peinture  d'histoire;  son  cousin  et  élève  Jan  Kruseman, 
de  Harlem  (1804 — 1862)  qui  étudia  sous  David,  à  Bruxelles,  s'est  livré  au  portrait,  au  genre 
et  à  l'histoire,  et  aussi  à  l'enseignement.  Il  a  été,  entre  autres,  un  des  maîtres  d'Israëls; 
il  eut  également  un  fils  qui  fut  peintre.  Les  deux  Pieneman,  Jax-Willem  (1779 — 1853) 
qui  commença  par  le  paysage,  s'adonna  ensuite  à  l'histoire  et  montra  un  vrai  talent  dans 
le  portrait;  puis  son  lils  Nicolaas,  né  à  Amersfoort  le  !•-"'  janvier  iSio,  mort  à  .Amsterdam 
le    30    décembre    1S60,    dont    les  portraits  sont  loin  d'être  sans  mérite.     Si  l'on  y  joint  le 


Ecole  hollandaise. 


2^1 


paysagiste  Koekkoek  (Bernard-Cornelis)  de  Middelburg  {1803— 1S62)  ou  David  Blés, 
de  La  Haye  (1821— 1899),  sorte  de  Biard  ou  de  Madou  hollandais:  Hermax  Ten  Cate,  de 
La  Haye  (1822— 1891)  qui  cultive  le  genre  Meissonier:  Charles  Rochussen,  de  Rotterdam 
(1874— 1894),  peintre  de  batailles  historiques,  de  sujets  militaires  et  principalement  illustrateur 
animé  et  pittoresque,  etc..  on  aura  ce  qu"on  pourrait  a])peler  l'état-major  des  producteurs 
les  plus  intéres- 
sants de  cette 
époque. 

On  serait 
tenté  ensuite  de 
faire  une  place 
un  peu  à  part 
à  tels  artistes 
contemporains 
ou  un  peu  ulté- 
rieurs, dont  la 
sensibilité,  plus 
év-eillée  devant 
les  spectacles  de 
la  réalité,  pré- 
pare lentement 
réclusion  à  ve- 
nir. Tels  sont 
Bartholomeus 
VAN  HovE,  né 
à  La  Haye  le 
20  octobre  1790, 
mort  dans  cette 
ville  le  8  avril 
1880, paysagiste 
qui  peignait  des 
vues  de  villes 
et  fut  le  maître 
de  Verveer,  de 
Bosboom  et  de 
Weissenbnich  ; 
son  fils  Hubert 
VAN  Hove  (La 
Haye,  13  mai 
1814  —  An\-ers 
!«:■■  septembre 
1865)  qui  se 
livra  au  pay- 
sage, puis  à  la  peinture  d'intérieurs  ;  .-Vndkeas  Schelfhout  (La  Hâve,  16  juin  1787 — 
19  avril  1870)  un  des  premiers  paysagistes  qui  annonce  de  loin  révolution  prochaine  et 
sera  le  maître  des  débuts  de  Jongkind  ;  son  élève  et  gendre,  Wvnand  Jan  Joseph  Xuijen 
(La  Haye,  4  mars  1813— 2  juin  1839).  Joannes  Bilders  (Utrecht,  18  août  1811  —  Ooster- 
beek,    29    octobre    1890)    qui    fut    un    des    maîtres    préférés    de  Mauve.  Samuel  Léonard 


JoiiANXEs  Bosboom.  —  L'Église  a'.\Ikmaar  (Mu>éo  Mesd.it;). 


252 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


\'I':rvei-:r  (La  Ha^w  _;i)  nox-mibrc  1.S13 — 5  jan\-ior  1876)  qui  s'est  fait  un  nom  comme 
peintre  de  vues  de  villes  et  d'aspects  de  villages  maritimes.  <'ntîn,  dans  le  genre,  August 
Allebé,  (né  à  Amsterdam  le  19  avril  1838)  et  surtout  Chkistui  f]:l  Bisschopp  (Leeu- 
warden,  22  avril  1828,  —  La  Hâve,  5  octobre  1904)  dont  les  tableaux  de  genre  et  surtout 
d'intérieurs  montrent  un  fonds  de  ju-nbité  et  un  sentiment  d'intimité  tpii  font  passer  sur 
ce  que  leur  technique  a  encore  d'un  ])eu  mince  et  leur  insjiiration  d'encore  un  peu  roman- 
tiiiue.  Bisschopp  a  été  i)endant  cinq  ans,  à  Paris,  de  1850  à  1855,  élève  de  Gleyre  et  de 
Charles  Comte:   il  est   un  des  premiers  qui  regardent   \'ers  les  \-rais  ancêtres. 

Lnlin   Odus  arri\dns  aux   \-érital)les  précurseurs,    et   l'un  ]ient   dire  de  deux    d'entre 


JoiiAN   l'.Auriioi.i,  (  Jean-1:aitimk)  JijNnKiNii.  —  Vue  tic  Ilollunik-  (Cuil.   Duraml-Kiifl). 

eux  tout  au  UKiins.  aux  grands  précurseurs  de  la  période  contempdraine.  Bien  que  nés 
dans  le  premier  ipiart  du  siècle,  leur  carrière  s'est,  du  reste,  prolongée  juscju'aux  dernières 
années  du  XIX''  et  même  aux  ]Tremières  années  du  XX"^  siècles,  tandis  (pie  le  développe- 
ment de  leur  carrière  s'est  produit  parallèlement  au  grand  uKunenii-nt  ([u'ils  ont  préparé. 
Ce  sont  d'abord  les  paysagistes  Roelofs,  Weissenbruch  et  Cabriel.  Willem  RoELOFS 
est  né  à  Amsterdam  le  10  mars  1822  et  il  est  mort  à  Berchem.  près  Anvers,  le  12  mai 
1897.  Il  étudia  siius  Van  de  Sande  liakhuijsen.  à  La  Haye,  en  1847:  il  se  fixa  à  Bruxelles 
en  1848,  y  demeura  près  de  quarante  ans,  re\-mt  à  La  Haye  en  1887  et  retourna  finir  sa 
\'ie  en  Belgique:  on  le  comjjrend  même,  j^arfois.  dans  son  école.  Ses  premiers  tableaux 
rappellent    la  manière  étroite   et  correcte  de   Koekkoek.  mais    il  se  dégage  bientôt  par  une 


.colc   hollandaise. 


253 


étude    attentive    des  -jeux  de   l,i   luuiière  et   s'auuonee  tdut  à  fait  eouiini'  uu  (1( 
des  paysagistes  mndernes.   Il   tut  l'un  des  maitres  dr  Mod.u;. 


précurseurs 


Jax-Hexkik  WiassEXURUCH.  né  à  La  H.iye  le  30  novemlire  1824,  nmrt  dans 
cette  \ille  le  24  mars  1903.  était  élève  de  K.irtlnildnieus  \an  H()\-e  et  de  Schelfhout.  C'est 
déjà  un  \'rai  hnUandais  de  Hollande,  car  il  a  m  [impri-  la  plupart  des  belles  qualités  natu- 
ralistes qui  vont  distinguer  les  maîtres  de  l'Hcole  de  La  Haye.  Son  dessin  est  large,  sa 
couleur  expressive,  il  a  le  sentiment  de  l'atmcisphère  chargée  de  ces  pays  saturés  d'humidité, 
comme  il  apparaît  dans  la  toile  si  simple  et  si  grande  d'effet  de  ses  Raiiuisscurs  de  coquillages. 
Il  a  peint  des  plages,  des  xùllages  de  ])êcheurs.  des  moulins  au  milieu  des  prés  fleuris, 
peuplés    de    vaches,  des    ruisseaux    bordés    de    saules   j>rès    desquels   )iointe    la  llèche    d'une 


modeste  église  campagnarde.  Ses  ac^uarelles.  largement  la\'ées.  ont  de  même  beaucoup  de 
grandeur.  Il  a  surtout  travaillé  à  Noorden.  Malgré  tout  son  talent  et  bien  qu'i'  ait  été 
entouré  de  la  considération  de  ses  confrères,  ce  n'est  pourtant  ([u'à  Li  fin  de  sa  \ie  que 
^^'eissenbruch  fut  estimé  commi-  un  iiiaitre. 


G.-\BKIEL  (P.-\rL-JosEPH-CuxsTAXTix)  est  peut-etic  [jlus  counu  en  France,  où  il  a 
souvent  exposé,  mais  où  il  est  aussi  confondu  a\-ec  un  homonyme  fr.mçais.  J.  J.  dabriel, 
paysagiste  provençal  de  talent.  II  est  ne  à  .\m>terdain  le  5  juillet  1N28  et  décédé  à 
Scheveningue  le  23  août  1903.  Dès  (jue  sa  \'ocation  fut  décidée,  il  étudia  dans  sa  \'ille  natale, 
puis  se  l'endit  à  Clèves,  près  de  Koekkcjek,  mais  il  ne  jiut  se  faire  à  la  manière  do  sim 
maître,  revint  à  Amsterdam,  se  fixa  ensuite,  en  1S52.  à  Harlem,  où  il  se  lia  avec  Mauve, 
et,  suivant  les  habitudes  de  déplacement  des  peintres  hollandais,  continue  ses  pérégrinations 


54 


La   Peinture   an   XIX'   siècle. 


i'n~s"établissant  sviccc'ssivcniL'nt  à  OosterbeL'k.  à  Amsterdam,  piii>,  vn  iSbo.  à  ISiuxrllcs,  où 
il  se  fixe  jusqu'en  1.S84,  tout  en  revenant  chaque  année  travailler  en  Hollande.  A  partir 
de  cette  date,  il  finit  st->  jours  à  Scheveningue.  On  Fa  appelé  le  peintre  des  ..polders"  et 
nul,  en  effet,  n"a  donne  connue  lui    l'aspect  de  la  grande  plaine   marécageuse,   sillonnée  de 

routes  et  de  canaux,  et  le 
sentiment  de  la  distance. 
Qu'on  en  juge  par  le  tableau: 
//  vioit  de  loin,  de  la  collec- 
tion .\.  .\.  Bakker.  à  La  Haye, 
qui,  au  tiout  d'iule  route, 
s'enioneant  de  face,  en  ligne 
droite,  jusqu'à  l'horizon,  bor- 
dée de  ses  st;uls  poteau.x 
télégraphiques,  nous  montre 
le  train  s'avançant  avec  son 
panache  de  fumée  éparpillé 
dans  l'air  humide. 

Les  précédents  artistes 
se  rattachent  déjà,  de  près 
ou  de  loin,  au  mouvement 
n.iturali^tc  français  avec  lequel 
ils  ont  été  en  contact,  soit 
en  Hollande,  soit  en  Belgique, 
près  des  tableaux  de  maîtres 
ciui  comnrençaient  à  v  être 
recherchés.  Le  rôle  de  la  col- 
lection Mesdag,  si  riche  en 
cliefs-d'ieuvre  français,  aura, 
pour  sa  part,  e.xercé,  dans  le 
dernier  tiers  du  siècle,  la  plus 
salutaire  influence.  Il  est, 
maintenant,  deux  figures 
exceptionnelles  qui  dépassent 
cette  première  génération  des 
\-rais  maîtres  de  Hollande, 
(le  toute  l'imjiortance  de  leur 
personnalité  et  dont  l'un  tient, 
dans  l'école  française,  une 
place  plus  considérable  que 
dans  son  école  nationale.  Ce 
sont    les    peintres    Bosboom 

JOZEI-    Isi;Ai:i.s.   —  (Ju.iud  on  vieillit.  et    Jongkiud. 

JoHANNES  Bosboom 
est  né  à  La  Haye  le  icS  février  1817  en  même  temps,  qu'un  frère  jumeau;  il  est  décédé 
dans  sa  ville  natale  le  14  janvier  1891.  Ses  goûts  pour  le  dessin  se  manifestèrent  dès  l'école 
primaire  et  ils  furent  encouragés  par  le  voisinage  du  peintre  B.  van  Hove,  que  l'enfant 
voyait  travailler.     Il  entra  donc  en   1837  en  apprentissage  chez  ce  maître  qui  l'employa,  au 


Écol 


c   hollandaise. 


3  3 


niilifu  de  ses  études  scolaires,  à  des  tra\au.\  de  decoiatum  ptnir  ]e>  théâtres.  Ce  fut  pour  le 
jeune  homme  le  plus  utile  exercice,  car  il  s'y  assouplit  à  tnus  les  problèmes  de  perspective, 
apprit  de  bonne  heure  à  trouver  ce  ([u'on  aitpelle  reiïet  et  s'entraina.  en  même  temps,  à  la 
connaissance  de  l'architecture.  Il  exjiosa  pour  la  jireniière  fois  en  1835  et  reçut,  dès  ce  jour, 
un  précieux  encouragement,  car  sa  toile  fut  acquise  p<ir  le  peintre  Schelfhout,  qui  était  un 
des  plus  en  renom  à  cette  date.   L'année  suivante,  il  (|nitt.i  son  maître;   il  avait  déjà  trnuvé 


JoZKK   IsRAliLS 


sa  voie.  Sa  manière,  ajcjrs,  est  caractérisée  par  un  dessin  très  minutieux  et  une  précisidn 
pittoresque  et  colorée  ({ui  fait  penser  à  Bonington.  Le  romantisme,  d'ailleurs,  a  pénétré  en 
Hollande  et  Bosboom  devait  se  1  assimiler:  mais  cette  fois  c'était  par  les  grands  côtés.  Il 
peint  des  intérieurs  d'églises,  de  vastes  nefs  et  de  mvstérieuses  chapelles,  qu'inonde  une 
large  et  pénétrante  lumière,  ou  dont  l'ombre  chaude  et  transparente  est  traversée  par  le 
poudroiement  doré  d'un  rayon  de  soleil.  L'église  iVAlkmaar.  du  I\Iusée  Mesdag,  avec  un 
coin  de  bas-côté  dans  la  pénombre,  qui  laisse  voir  à  travers  ses  arceaux  gothiques  le  transept 


256 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


\-i\-cnu>nt  éclairé,  est  un  inagi>tral  cxi-miilaire  de  cet  art  robuste,  viril,  coloré,  (jui  relève 
des  plus  belles  traditions  classiques  de  la  Hollande.  Plus  tard,  Bosboom  peindra  des  fermes, 
des  chaumières,  des  étables  dans  les  environs  d'Utrecht,  avec  des  rutilances  de  tons  dignes 
d'im  Jules  Dupré.  et  (|ui  semblent  inéhuler  aux  intérieurs  de  fermes  ou  d'étables  du  belge 
Stobbaerts.  Il  jieignit  aussi,  à  Sehe\enin.!.;ue.  les  sujets  de  la  \'ie  des  pécheurs,  thème  favori 
désormais  des  maîtres  locaux.  Il  se  li\-re  à  roccasiun  à  la  nature  morte,  car  ce  romantique, 
dans  la   phw    riche  aci-cptinn   ilu   mnt.   ,1    l^'  L;init   mmantique  du  bibelot  et  a  formé  un  petit 

musée  dans  son  atelier.  Il 
e.xcellc  aussi  dans  l'aqua- 
relle et  notamment  dans 
des  dessins  à  la  sépia, 
relevés  sobrement  de  quel- 
ques tons,  /qu'il  jetait  à 
profusion  sur  le  papier 
enmanière  de  délassement 
et  dont  (jn  trouva  ses 
cartons  pleins  après  sa 
mort.  Sa  palette,  d'abord 
très  colorée,  s'était  à  la 
fin,  allégée  et  éclaircie, 
sous  l'effet,  assurément, 
des  modifications  géné- 
rales de  la  \'ision.  Bos- 
boom avait  épousé,  en 
1851,  Anne-Louise-Ger- 
trude  Toussaint,  née  à 
Alkmaar  en  1812,  décédée 
à  La  Haye  en  1886,  qui 
est  célèbre  en  Hollande 
comme  romancière  et  pour 
la  jiart  ([u'elle  prit  à  la 
réni.i\'ati(jn  littéraire  de 
son  i)ays,  ajirès  la  révo- 
lution belge  de  1830.  Le 
Diajor  Frantz  (1874),  un 
de  ses  romans  les  plus 
connus,  a  été  traduit  en 
français. 

J  \<  (11;  Maris.  —   Le  .Moulin. 

Ji)H.\.\     B.\RTHOLD 

(Je.-\n-B.-\ptiste)  J(iX(.Ki.\i)  est  une  j)h\-.-.iononne  auj(.uird"hui  familière  au  public  français.  Ce 
n'est  guère  pourtant  tpi'après  sa  mort,  suivant  ime  triste  règle  tri_>p  commune,  que. son 
nom  a  conquis  cette  popularité;  encore  n"a-t-elle  pénétré  dans  son  propre  pays  qu'après 
s'être  répandue  en  France.  Il  est  \'rai  de  dire  que  s'il  resta  fidèle  de  c<eur  à  la  vieille  petite 
patrie  d'origine,  il  était  devenu  entièrement  des  nôtres.  Né  à  Latdorp.  près  Rotterdam,  le 
3  juin  1819,  J.-B.  Jongkind  est  décédé  à  la  Côte-Saint-André  (Isère)  le  9  fé\-rier  1891.  Sa 
famille  s'était  établie  à  l\Iaass!uis  en  1830;  elle  le  destinait  au  notariat,  mais  sa  vocation 
pour  l'art  était  si  é\-idente  qu'elle  n'\-  mit  point  obstacle.   Il  fut  donc  placé  comme  élève  de 


École  hollandaise. 


259 


Schelflumt  à  Lu  Hâve.  lVn>iiinm'-  en  1N45.  il  ^i-  n-ndit  m  Fr.incc  nù  il  dc-niriira  tixé.  l>iiii 
qu'il  fit.  à  maintes  reprises,  des  exeiusidiis  daii>  --(in  p.i\'s  natal.  Mn  arri\ant  à  l'ari-.  il 
était  entre  chez  Is.ibey  et  il  reste  bien  chez  Jimj^kmd  i]neliiue  chose  de  ce  ])assage  ]irès  du 
vieux  nimantique  i[ui. 
ainsi  que  Boningtun 
et  même  Paul  Huet, 
offre  déjà,  dans  se> 
études,  certains  traits 
de  la  large  écriture 
synthétique  et  abrégée 
si  caractéristique  du 
talent  énergiquement 
expressif  de  Jongkind. 
Il  obtint  une  médaille 
en  1852,  fut  refusé 
avec  tous  les  indépen- 
dants au  fameux  salon 
de  1S63,  et  malgré  les 
encouragement  des  cri- 
tiques, tels  que  Zola, 
Castagnary,  Burty,  de 
Goncourt,  et  les  amitiés 
pleines  de  considération 
de  ses  confrères:  tu- 
rot,  Diaz,  Rousseau, 
Troyon,  Daubigny, 
Boudin,  Claude  Monet, 
etc.,  parmi  lesquels 
plusieurs  avaient  acquis 
de  ses  tableaux,  il  était 
si  peu  prisé  du  grand 
public  et  si  m.ilheureux , 
au  début,  qu'il  lut 
obligé  d'accepter  le  pro- 
duit d'une  vente  orga- 
nisée par  quelques 
artistes  sur  l'initiative 
du  brave  Cals.  Sau- 
vage, ombrageux,  fa- 
rouche, il  s'isolait  pour 
travailler,  procédant 
avec  réflexion  et  lenteur 
et    reprenant    souvent  I         Mak      —  L     (  il 

ses  ouvrages.  lia  habité 

Paris,  dont  il  aTrendu  admu-ablement  les  aspects  pittoresques  et  animés,  le  Nivernais,  la 
Normandie,  en  particulier  Honfleur,  près  de  son  ami  Boudin,  sur  lequel  il  a  influé  nette- 
ment, comme  il  a  influé  aussi  sur  Daubigny.  sur  Lépine,  sur  Claude  Monet.  formant,  pour 
ainsi  dire,  le  trait  d'unum  entre  le  romantisme  et  l'impressionisme;   il  a  travaille  en  Provence. 


26o 


La  Peinture  au   XIX'  siècle. 


et  il  s'était  retiré  dans  l'Isère,  près  d'une  famille  amie,  la  famille  Fesser.  (|ui  lui  ierma  les 
yeux.  Jongkind  a  peint  volontiers  soit  dans  son  pays,  soit  au  retour,  de  s(uivenir,  des  effets 
de  Hollande:  moulins  à  vent,  canaux,  bateaux  aux  mâtures  effilées,  patiueurs  dans  des 
paysages  de  neige  —  sujet  poiu'  k'quel  il  maniue  ciutl([ue  pn-dilection  --et  i)artienlièrement, 
comme  son  ancêtre  Van  der  Neer,  des  effets  de  lune,  mystérieux,  brouillés,  dans  les  palpi- 
tations de  la  nuit.  Sa  peinture  nerveuse,  fébrile,  est  puissamment  expressive.  Quant  à  ses 
aquarelles,  avec  leur  magistrale  écriture  cursive,  elles  sont  incomparables.  C'est  du  reste,  un 
procédé  qui  sera  exceptionnellement  fécond  et  heureux  entre  les  mains  des  maîtres  hollandais. 


Wii.i.KM  Maris 


Nous  voici  parvenus,  maintenant,  à  la  ]ilus  grande  figure  de  l'art  hollandais 
moderne.  Josej)h  Israëls  oin-re,  en  eftet.  les  temps  nou\'eaux.  Comme  Constantin  Meunier 
ou  Whistler,  son  influence  rayonne  au  delà  de  sou  pays  et  sa  biographie  appartient  à 
l'Histoire  générale. 

JozEF  ISKAËLS  est  né  à  (ironingue  le  z-j  ian\'ier  1.S27.  Il  était  fils  de  parents  juifs. 
fut  élevé  religieusement  et  même  destiné  à  devenir  r.ibbin.  Son  nom  suffirait  à  détruire 
le  préjugé  accrédité,  d'après  lequel  les  juifs  ne  sont  })as  doués  pour  être  artistes,  s'il  n'y 
avait  à  citer  après  lui  Pissarro,  Liebcrmann.  Lévitau  et  bien  d'autres  ])armi  les  initiateurs. 
Son  père  était   un  petit  agent  de  change  qui  remp]o\'a  bientôt  près  de  lui.    Son  talent  se 


Écol 


c   Hollandaise. 


261 


•_,.i*-'^^' 


révéla  jxir  hasard.  Ih  aimait  hcancoii])  à  (lo-in.r  et  empli ivait  tous  si-s  loi-irs  à  (-(ipier  des 
lithographies  et  des  gra\-ur(  s.  II  n.ait  ses  ])remiers  con-i-iL-  de  deux  uiaitres  iKimuiés  Buvs 
et  ^'aI^  \'icheren  cjui.  ^-^\ant  ^e- progrès.  lui  uiirent  l>ient<)t  le  piueeau  en  maui-.  11  tra\-aillait 
en  compagnie  de  peintre-  en  latiments  et  ^"ex.n.ait  en  faisant  les  jiortrait-  de  tous  ceux 
qui  l'entouraient.  Ce  que  vo\aiU.  son  p.'-re  se  décida  à  l'envover  à  Am-terdam.  dans 
l'atelier,  alors  célèbre,  de 
Jan  Kruseman.  C'étiiit 
eni840.  Le  ji-nneliomme. 
installe  chez  un  de  ses 
coreligionnaires,  en  plein 
Ghetto,  sui\-it  a\-ec  un 
vif  intérêt  de  curiosité 
ces  mœurs  pittoresques 
et  comme  exotiques  qui 
a\"aient  si  \d\"ement  ému. 
jadis,  son  grand  ancêtre 
Rembrandt.  En  1845. 
frappé  par  des  tableaux 
de  peintres  français, 
entre  autres  d'Ary  Schcf- 
fer,  il  se  décida  à  partir 
pour  Paris  avec  une 
modicjue  pension  de  ses 
parents.  Il  y  resta  deux 
ans,  suivit  les  cours  de 
l'École  des  Beaux-Arts, 
inscrit  à  l'atelier  de  Picot, 
et  reçut  les  corrections 
de  Pradier,  d'Horace 
^'ernet  et  de  Deiaroche. 
Mais  il  se  formait  sur- 
tout au  Louvre,  et  s'il 
tira  peu  de  profit  de 
l'enseignement  ofiiciel.  il 
fut  du  moins  très  pénétré 
par  ces  milieux  dans 
lesquels  fermentait  la 
révolution  prochaini-. 
artistique  et  politique. 
et  qui  formaient  un\-aste 
foyer  intellectuel  si  in- 
tense et  si  laborieux.  En 

1848.  juste  comme  la  révolution  éclatait  en  Fr.mce.  il  rentre  en  H(]llande  et  ^e  met  au 
travail.  Ses  premier-  tableaux,  pris  dans  I''>  sujet>  de  l'histoire  aneieniie  juixe  ou  de  l'histoire 
nationale  hollandaise,  voin,'  empruntés  aux  subsistances  romanti(|iies  de  chex'aleries  dans  les 
clairs  de  lune,  sont  loin  encore  d'annoncer  son  avenir.  Sa  Rcrcric  et  son  Adagio  cou  csprcs- 
sione  lui  valurent,  du  moins,  (pie^pies  succès.  L'n  hasard  })ro\-idi>ntiel  lui  montra  sa  voie. 
Très  malade  et  misérable.   Israëls  s'était  rendu  dans  un  petit  village  de  pécheurs.  Zandvoort. 


Wil.LEM    M.^R1^.    —    Pi 


202 


La  Peinture  au   XIX'   siècle. 


près  de  Hurleni,  pour  essayer  de  remettre  sa  santé.  Installé  chez  de  pauvres  gens,  il 
s'intéressa  à  leur  vie.  les  dessina,  les  portraitura,  revint  guéri,  avec  un  nombre  considérable 
d'études  et,  comme  Millet  était  en  train  de  faire,  de  son  côté,  avec  les  paysans  de  Barbizon, 
il  résolut  de  se  consacrer  à  traduire  la  grandeur  de  la  vie  dt-s  humbles.  Ses  premiers  tableaux 
dans  ce  genre,  devenus  célèbres,  comme  Premier  amour,  le  Xuufrage,  le  Berceau  et  surtout 
Le  long  du  cimetière  {1856)  (au  Musée  Royal  d'Amsterdam)  sont  d'un  pathétique  encore  tout 
conventionnel,  avec  des  effets  de  clair-obscur  combinés  théâtralement.  Il  a  évolué  dans  le 
sujet,  mais  non  encore  dans  hi  manière.  Peu  à  peu,  cependant,  sa  sensibilité  s'exalte.  Marié, 
dciinis    186;.    .i\('C    la    tille    d'un   avcjcat   de  (ironinguc,  il  se  fixe  à  La  Hâve,  de  manière  à 


Matihvs  -Maris 


Les  quatre  MoiiHns. 


p(_)uvoir  travailler  à  Scheveningue  et  là,  parmi  les  pécheurs,  éclairé  peut-être  par  la  divine 
lumière  de  son  aïeul,  Rembrandt,  il  pénètre  ces  âmes  simples  et  ces  humbles  milieux  grâce 
à  la  puissance  d'une  organisation  des  plus  singulières,  formée  de  la  sensibilité  la  plus  aiguë 
en  face  des  phénomènes  naturels  comme  de  l'impressionnalité  la  plus  vive  devant  les  moindres 
émotions  humaines.  Il  vibre  à  l'unisson  de  ses  modèles,  il  s'extériorise  en  eux  par  une 
faculté  rare  de  réceptivité  absorbante  et  de  sympathie  rayonnante.  C'est  ce  qui  lui  constitue 
un  caractère  unique,  même  à  côté  de  Millet  et  de  Constantin  Meunier,  bien  que  l'ceuvre 
symbolique  de  ces  derniers  ait  une  signification  d'une  portée  plus  générale. 

Chez  Israëls,   en  effet,    la  sensation  est   plus  présente,    plus  directe,   il  y  a  presque 
toujours    dans    son  œuvre   un  petit  intérêt  actif,  un   ..sujet".     Il  est  piquant,  à  ce  propos. 


xole   hollandaise. 


26^ 


de  relever  rohser\-ation  de  Fromentin,  dans  ses  Muilycs  d\iiitrciois.  Constatant  ,, l'absence 
totale  de  ce  cjne  nous  appelons  aujourd'hui  un  sujet",  dans  l'art  luillandais,  il  fait  porter 
sur  ce  point  la  différence  entre  le  génie  mvcntif  de  l'art  français  et  le  génie  purement 
pittoresque  de  l'autre.  Les  faits  démentent  cette  règle  pour  les  temps  modernes.  Le  tableau 
du  Musée  d'Amsterdam,  Seule  au 
Monde,  est  un  des  plus  touchants 
exemplaires  de  cet  art  ému. 
C'est  un  pauvre  intérieur  de 
pêcheur,  au  plafond  bas,  tout 
noyé  dans  la  pénombre  profonde 
que  traverse  un  pale  rayon 
lumineu.x  venant  de  la  fenêtre 
au_|  fond,  et  s'arr étant  sur  les 
humbles  acteurs  de  ce  })etit 
drame  intime  et  poignant,  un 
vieille  femme  assise,  la  tête 
dans  son  tablier,  au  chevet  d'un 
moribond.  L'atmosphère  est 
voilée,  brouillée,  en\"el(>ppant 
les  formes  et  les  figures,  et  ce 
clair-obscur  délicat  et  subtil, 
d'où  se  dégagent  lestonsatténués 
et  dégradés  en  harmonies  mélan- 
coliques, est,  de  son  côté,  sin- 
gulièrement expressif.  Durant\- 
pouvait  écrire  d'une  des  toiles 
du  maître  qu'elle  était  peinte 
avec  ,,de  l'ombre  et  de  la 
douleur".  C'est  le  même  senti- 
ment] de  sympathie  pénétrante 
qui  marque  un  autre  sujet,  à 
peu  près  le  même,  bien  que 
moins  tragique:  cette  vieillt- 
femme  qui  étend  ses  mains 
glacées  devant  le  foyer  solitaire: 
Quand  on  vieillit. 

Il  y  a  peut-être  au  fond 
de  cet  esprit  altruiste  et  sym- 
pathique et  dans  ces  accords 
sourds  et  douloureu.x  une  sub- 
sistance de  l'antique  génie  hé- 
braïque et  un  souvenir  ata\ique 
de  l'existence  solidaire  et  mena- 
cée des  ghettos.  Si  Israëls  a  été 

le  peintre  des  pêcheurs  dans  leurs  intérieurs  misérables  comme  au  milieu  de  leur  atmosphère 
marine,  dans  le  doux  éblouissement  de  la  lumière  qui  vient  de  l'eau  comme  du  ciel,  il  a  été 
aussi  le  peintre  de  sa  race,  de  ce  qui  en  survit  d'un  peu  intact  ou  du  moins  de  caractéristique 
et   qui   ne    se_  découvre   plus    qu'à   Amsterdam.     Il   a  retrouvé   les  accents    si  expressifs  de 


Mai  iiiv>  Mai<i>. 


264 


La   Peinture  au  XIX'  siècle. 


Hl.NIiRiK    WlI.I.EM    >Ie--^ai;.    —    1 

frères.    C'est   le  moment  1 
est  un  Intcncur  de  cuisiin 


Rembrandt  vieilli,  cette  technique  cjui  n'en 
est  plus  une,  tant  elle  est  libre,  personnelle, 
dégagée  de  toute  règle  professionnelle, 
flottante  et  négligée  en  apparence,  mais  si 
spontanée,  si  vivante,  si  justement  adaptée 
ui  sujet,  pour  traduire  cette  physionomie 
d'-  \ieux  brocanteur  assis  sur  sa  porte  et 
surtout  ce  Mariage  juif,  si  peu  représen- 
tatif dans  ses  habits  modernes,  son  chapeau 
de  soie  couvert  du  \-oile  sacré,  mais  qui 
nous  prend,  avec  la  même  émotion  que  les 
toiles  de  Rembrandt,  par  son  recueillement, 
sa  gra\-ité.  cette  puissance  cçmmunicative 
de  sympathie. 

Autour  d'Israëls.  bien  que  d'une 
génération  beaucoup  plus  jeune  et  derrière 
Bosboom,  Gabriel  et  Weissenbruch,  brille 
d'un  vif  éclat  une  famille  d'artistes  juste- 
ment célèbre:  la  famille  Claris.  Les  trois 
frères,  en  effet.  Jacob,  ^latthys  et  Willem 
se  sont  particulièrement  distingués  comme 
peintres.  Ils  étaient  fils  d'un  ouvrier  typo- 
graphe dont  les  grands-pères  étaient  ancien- 
m  ment  venus  de  Pologne,  et  qui  s'était 
1  tabli  à  la  Haye  en  1830.  Il  avait  eu  trois 
;il>  et  deux  filles  et  réussit  à  les  élever  non 
--ans  difficulté.  L'aîné  des  fils  se  plaisait  à 
dessiner,  ses  deux  jeunes  frères  l'imitèrent: 
c'est  là  l'origine  de  leur  vocation. 

L'ainé,  J.-\lob  Maris  (J.^cobus 
Hexdrik)  naquit  à  La  Haye  le  25  août 
1S37  et  est  décédé  à  Carlsbad  le  7  aoirt 
1899.  Dès  l'école  communale  il  passait  ses 
récréations  à  dessiner.  Le  maître  s'intéressa 
à  ces  débuts  qui  promettaient  et  recom- 
manda son  élève  à  un  peintre  connu  alors, 
Stroebel.  qui  le  fit  travailler  et  lui  fit  sur- 
tout faire  des  aquarelles  d'après  des  natures 
mortes.  Il  passa  ensuite  dans  l'atelier  de 
Hubert  van  Hove  (1852)  qu'il  accompagna 
deux  ans  après  à  Anvers;  un  peu  trop 
accaparé  par  son  maître,  il  le  quitta  et 
suivit  pendant  trois  ans  les  cours  de  l'Aca- 
i,P„-,  ,i^.  j.  demie  de  cette  ville.   Il  revint  ensuite  à  La 

Haye  en  1857  et,  là,  étudia  avec  ses  deux 
ù  il  commence  à  travailler  pour  lui-même.  Son  premier  tableau 
.   Il  recommence  bientôt  à  vovager.   En  1860,  il  est  en  Allemagne 


266 


La  Peinture   au   XIX''  siècl 


e. 


et  en  Suisse,  en  1865,  il  est  à  Paris;  il  y  fait  un  assez  long  séjour.  11  y  gagnait  sa  vie.  avec 
son  compatriote  et  ami  Kaemmerer.  qu'il  avait  suivi,  à  faire  des  figures  d'italiennes,  mises 
à  la  mode  par  Hébert.  Inscrit  à  l'École  des  Bcau.\-Arts,  il  entra,  d'ailleurs,  dans  l'atelier  de 
ce  dernier  maitre.  En  1868,  il  exposait  au  Salon  une  ]'i(c  du  Rhin  qui  fut  remarquée  et 
acquise  par  un  marchand  de  Londres,  ce  qui  était  le  commencement  du  succès.  Entre  temps 
il  s'était  marié.  En  1S71,  après  le  Siège  et  la  Commune,  il  rentra  en  Hollande  et  se  fixa  à 
La  Haye.  Jacob  Maris  est  essentiellement  ce  qu'on  appelle  un  peintre.  11  est  de  la  race  des 
grands    hollandais    et    il    se   rattache,  tout  en  gardant  son  originalité  locale,  à  la  lignée  des 

romantiques  ou  naturalistes 
français,  voire  même  des 
réalistes:  Decamps,  Millet  et 
Courbet,  mais  surtout  Dupré, 
par  le  caractère,  souvent  im- 
posant de  ses  paysages,  quoi- 
qu'il soit  plus  réaliste  et  moins 
lyrique,  et  plutôt  de  Daubigny, 
avec  lequel  il  présente  certaines 
aflinités.  Sa  matière  est  riche, 
son  métier  franc  et  robuste, 
les  aspects  les  plus  simples  de 
nature  prennent  sous  sa  main 
une  véritable  grandeur.  Ce 
n'est  pas  un  descriptif;  son 
exécution  fougueuse,  bien  que 
reprise  très  souvent,  est  large 
et  synthétique,  en  ce  sens  que, 
comme  J  nies  Dupré,  il  n'exécute 
jamais  des  portraits  de  lieux. 
Ainsi  que  le  maître  français,  il 
peint  volontiers  de  mémoire; 
mais  cette  mémoire  fidèle  garde 
toute  la  fraîcheur  des  impres- 
sions reçues  et  sa  peinture, 
grave  et  puissante,  a  aussi  dans 
la  lumière  de  ses  ciels,  brouillés 
ou  éclairés,  de  la  légèreté,  de 
la  délicatesse  et  de  l'éclat.  Il 
■\i-i;m  I   \iiii;,-.       rrima  Vera.  a   peint    aiix    environs    de  La 

Haye,  d'Amsterdam  et  de 
Rotterdam,  des  moulins  qui  dressent  leur  tour  ronde  et  leurs  grandes  ailes  dans  le  ciel  nuageux, 
des  petits  ponts  sur  les  ruisseaux  dans  la  campagne,  ou  des  ponts-levis  aux  armatures 
peintes  sur  les  canaux  des  villes,  des  vues  de  ports,  comme  celle  qui  est  reproduite  ici  et 
qui  appartient  au  JMusée  royal  d'Amsterdam,  ou  des  petits  coins  familiers  et  pittoresques  de 
faubourgs,  connne   l'ii  cuin  de  Délit. 


Le  plus  jeune  des  frères,  Willem  M.\ris,  est  celui  qui  se  rapproche  le  plus  de  la 
voie  de  son  frère  aîné.  Il  est  né  à  La  Ha\-e  le  18  février  1844.  Il  fut  formé  par  ses  frères 
et    n'eut  pas  leurs  débuts  agités,  car  il  ne  quitta  guère  son  pa\-s  natal,  si  ce  n'est  pour  un 


Écol 


colc  noiiaiulaise. 


267 


voyagr  en  Xurvègc."  Il  a  établi  sa  rcsidenct-  à  La  Ha\-e  mi  aux  ciuinms.  Ses  premiers 
travaux  unt  un  caractère  minutieux  et  anecdotique,  mais  sa  facture  ne  tarde  pas  à  s"élargir. 
Willem  est  à  la  fois  paysagiste  et  animalier,  c'est-à-dire  qu'il  aime  peupler  la  nature  de 
ces  belles  vaches  blanches  et  tachetées  qui  s'abreuvent  auprès  des  ruisseaux,  comme  dans 
cette  toile  si  fine  de  lumière  diftuse  qui  pétille  sur  les  feuillafjes  et  caresse  les  croupes 
luisantes  des  bêtes,  du  Musée  royal  de  La  Ha\'e:  ]'nchi-s  hiivatit,  ou  ses  canards  qui 
barbottent  dans  Teau  jaillissante.  Mais  ce  n'est  })as,  lui  non  i^lus.  un  portraitiste  ni  un 
descripteur.  Les  animaux,  les  maisons,  les  arbres  et  les  eaux  ne  semblent  pour  lui  qu'un 
prétexte  pour  saisir  les  jeux  les  plus  vifs  ou  les  plus  subtils  de  la  lumière.  Il  aime  les 
ciels  très   hauts   et    brouillés  des    aubes   un  peu   mystérieuses,   les    eft'ets   à  contre-jour,  la 


r--       ''     «*^<te*r  ^'f -r 


verdure  grise  des  saules,  la  grande  plaine  humide  des  polders,  semée  de  joncs,  coupée  de 
flaques,  bornée  au  loin  jiar  les  toits  coniques  rt  les  ailes  des  moulins.  Il  excelk'  à  traduire 
d'une  palette  argentée  les  vibrations  de  l'atmosphère,  les  frissons  de  l'eau  moirée  de  reflets. 
Ses  saisons  préférées  sont  certaines  heures  de  l'été  et  le  printemps.  Le  talileau.  qui  ligure 
ici  sous  ce  nom,  donne  une  idée  de  cette  sensibilité  très  \'ive.  C'est  ce  cjui  fit  que.  en  Hollande, 
on  appela  les  Maris  des  impressionnistes.  Jacob  avait  été  long  à  être  admis,  Willem  fut 
plus  longtemps  discuté  encore.  Ils  fijrmèrent  ])rès  d'israëls  ce  qu'on  était  cc_in\Tnu  d'appeler, 
vers  1880,  ,. l'École  de  La  Haye". 


Le  dernier  des  frères  Maris. 


second  comme 


M.\Tiiivs  (M.ATiiiEr)  M.\Ris, 


268 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


ou,  ainsi  qu'on  l'apipelle  dans  son  pays  par  abrévation:  Thys  Maris,  diffère  essentiellement 
de  ses  frères  comme,  du  resti-,  de  tous  ses  confrères  hollandais;  il  représente  dans  les 
Pays-Bas,  pays  protestant,  un  esprit  tout  à  fait  nou\'eau  qui  va  se  faire  jour  avec  la 
génération  prochaine:  l'esprit  mystique  II  est  né  à  La  Haye  en  1839  ^'t  sui\'it  les  traces 
de  son  frère  aine,  mais  il  montrait  de  bonne  heure,  même  devant  la  nature,  les  tendances 
idéalistes  de  sa  vision  toute  subjective.  Il  fut  pensionné  en  1857  jiar  la  princesse  Marianne 
et  accompagna  son  frère  à  l'académie  d'An\-ers.  11  h.ibita  quehpie  temps  Paris,  puis  se 
rendit  à  Londres  où  il  s'est  définitivement  fi.xé  et  où  il  \-it  dans  la  solitude.  Ses  œuvres 
sont  peu  connues,  car  depuis  le  refus  qui  fut  infligé  à  un  de  ses  envois,  il  ne  \'oulut  plus 
participer  à  aucune  exposition. 

C'est  une  physionomie  bien  particulière,  très  étrange  et  très  sympathique.  Son  art 
est  fait  plus  de  sentiment  que  de  réalité,  ou  du  moins  la  réalité  est  transposée  dans  son 
cerveau  qui  en  distille  toute  l'essence  poétique.  Son  art  est  une  sorte  de  romantisme  con- 
centré, intense  et  profond,  au  dessin  naïf  et  précieux  comme  chez  un  primitif,  aux  colorations 
profondes,  ardentes  et  mystérieuses. 


Breitner  'Geori;e  IIendrik).  —  Les  Che 


dans  la  neiye  (Appartient  à  M.   Bildeibeek  de   Donlrecht), 


II  a  des  raffinements  d'harmonies  à  la  Whistler  et  il  fait  penser  un  peu,  par  ce 
qu'il  y  a  de  romantique  et  de  sentimental  dans  son  naturalisme,  à  la  personnalité  britannique, 
déjà  vue,  de  F.  Walker.  Il  semble,  du  reste,  que  Mathieu  Maris  fut  plus  fait  pour  être 
compris  en  Angleterre  qu'en  Hollande.  Ses  paysages  sont  vus  comme  à  travers  le  grandisse- 
ment  du  rêve  ou  du  souvenir,  tels  ces  Quatre  moulins  qui  dressent,  grandioses  et  fantastiques 
dans  l'or  du  soir,  leurs  hautes  tours  ailées  par-dessus  les  arbres  et  les  maisons,  assoupies 
dans  l'ombre,  au  bord  de  l'eau.  Ses  personnages.  Petite  eitisinièrc  assise  pri:s  de  son  poêle, 
ou  Jeune  fille  regardant  manger  ses  poules,  dans  un  décor  de  paysage  très  lointain  de  vieille 
petite  ville  fabuleuse,  hérissée  de  clochers  et  de  donjons,  sont  parentes  de  ces  filles  de  roi 
qui  attendent,  assises  devant  leur  rouet,  quelque  Prince  Charmant;  ce  sont  des  paysannes 
ou  des  servantes  de  contes  de  fées:  Peau-d'Ane  ou  Cendrillon.  A  ce  titre,  la  physionomie 
de  Mathys  Maris  est  donc  exceptionnelle  dans  une  école  exclusivement  réaliste  par  la 
force  de  la  tradition  et  la  vertu  du  terroir;  il  est  l'unique  expression,  vraiment  sincère, 
personnelle  et  non  apprêtée,  de  l'inspiration  d'ordre  imaginatif.  Il  a  été  sensible  à  l'art 
de  Millet,  dont  il  a  gravé  une  pièce  et  auquel  il  a  emprunté  la  plénitude  de  ses  silhouettes. 


Ecole  hollandaise. 


269 


Pour  en  revenir  aux  maîtres  de  l'École  de  La  Haye  et  à  ses  puissants  et  féconds 
réalistes,  à  l'occasion  toutefois  si  expressifs,  il  faut  joindre  à  Israëls  et  aux  frères  Maris 
quelques  autres  personnalités  dont  le  nom^est  plus  familier  en  France,  où  leurs  feuvres  ont 
figuré  couramment  à  nos  expositions.  Il  en  est  dmix  (jui  méritent  une  place  à  part:  ce  sont 
Anton   Mauve  et  H.  W.  ^Mesdag. 

Comme  âge  ce  dernier  est  le  plus  ancien,  mais  sa  carrière  s'est  tardivement  décidée. 
Anton  Mauve,  lui,  est  né  le  18  septembre  1838  à  Zaandam  et  il  est  décédé,  le  5  février 
1888,  à  Arnhem,  subitement,  comme  il  se  trouvait  en  séjour  chez  son  frère.  Il  était  fils 
d'un  pasteur  protestant  fixé 
à  Harlem.  Ses  dispositions 
pour  le  dessin  furent  précoces. 
C'est  du  reste  ainsi  que  com- 
mencent toutes  les  biographies 
d'artistes.  Vers  1852,  sa  voca- 
tion étant  bien  décidée,  son 
père  se  propose  d'en  faire  un 
professeur  de  dessin  et  il  entre 
dans  l'atelier  de  P.  C.  van  Os, 
peintre  d'animaux.  Mais  il 
quitte  son  maître  et  va  s'in- 
staller à  Oosterbeek,  où  il 
travaille  près  de  Bilders  et 
où  il  fait  la  connaissance  de 
Willem  Maris,  qui  agit  à  ce 
moment  sur  la  direction  de 
son  talent.  Il  habita  ensuite 
Amsterdam,  puis  La  Haye  et 
enfin  Laren;  c'est  là  qu'il  se 
développa.  Il  débute  dans  la 
manière  desanciensanimaliers 
hollandais  et,  du  reste,  sous 
l'influence  de  son  maitre,  avec 
un  dessin  d'abord  très  étudié. 
Ses  personnages  jouent  alors 
un  rôle  assez  actif  dans  ses 
compositions;  ils  ne  lui  sont, 
d'ailleurs,  même  plus  tard, 
jamais  indifférents,  bien  qu'il 
ait  traité  l'animal  plutôt  sous 
la  forme  d'agglomération  qu'à 

l'état  individuel.  Sa  manière,  en  s'élargissant,  garde  quelque  chose  d'intime,  de  familier,  de 
subjectif,  de  très  doucement  poétique,  d'une  poésie  réelle,  sans  apprêt  sentimental,  faite  de 
vérité  dans  une  harmonieuse  simplicité.  C'est  gris,  d'un  joli  gris  de  perle  très  fin,  c'est  triste, 
doux  et  velouté.  Il  y  a,  chez  cet  Anton  Mauve,  de  la  grâce  insinuante  et  du  charme  mélo- 
dique de  Corot.  Il  rend  le  moutonnement  des  troupeaux,  leur  piétinement  dans  la  poussière, 
la  fine  et  délicate  coloration  des  bruyères  rosées,  dans  les  sables  fauves  des  dunes,  comme 
dans  ce  charmant  et  mélancolique  tableau  de  la  collection  J.-C.-J.  Drucker. 

Quant    à    Mesdag,   ce  n'est   pas  seulement  un  beau  et  puissant  peintre,  c'est  aussi 


liAl'ER    (MaRII-s)    —    C; 


■ilrale  de  Rouen. 


270 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


une  des  personnalités  les  jilus  impurtantes  de  son  pays  par  rinfluence  personnelle  qiril 
s'est  acquise  et  qu"il  à  employée  au  jirofit  des  arts.  En  ]iarticulier,  c'est  grâce  à  cette 
admirable  collection  dont  il  a  fait  le  ..Musée  Mesdag"  que.  depuis  près  d'un  demi-siècle, 
par  les  cliefs-d'<euvre  qui  y  sont  rassemblés,  il  a  prodigué  ses  leçons  aux  artistes  régionaux. 
Henoiuk  WiLLiiM  Mi:sD.\G  est  né  à  (ironingue,  le  23  février  1831.  Il  est  fils  d'un 
banquier,  qui  dirigea  d'abord  une  grande  maison  de  grains.  Lui-même  fut  associé  à  son 
père.  Dès  l'enfance  il  se  plaisait  à  dessiner.  De  même  qu'Israëls,  il  reçut  les  premiers 
éléments  du  dessin  à  Groningue,  du  professeur  Buys.  Puis  il  se  mit  à  peindre  dans  les 
loisirs  que  lui  laissaient  ses  occupations.  Ce  n'est  fiu'à  trente-cinq  ans  qu'il  se  décida  à 
les  quitter  définitivement  pour  se  donner  entièrement  à  la  peinture.  Il  était  alors  marié 
et  fut  encouragé  par  sa  femme.  Il  alla  étudier  à  Bruxelles  près  de  son  ami  et  neveu 
Alma-Tadema   et    sur    les  conseils    de  Koelofs.     Ses  débuts  sont  de  scrupuleuses  études  de 


W'IIIKM    I'.\^I1AAN   Tlioij-N.   —    l'av^a 


maisons,  de  jardins,  d'intérieurs.  En  186S.  il  se  décide  à  exposer:  il  envoie  en  même 
temps  en  Belgique  et  en  Hollande.  Il  n'a  pas  grand  succès  dans  son  pays,  mais,  en 
revanche,  il  trouve  en  Belgique  des  sympathies  encourageantes.  Il  se  rend  à  Norderney 
et,  dès  ce  jour,  commence  la  grande  suite  de  marines  qui  ont  illustré  son  nom.  En  i86g,  il 
se  fixe  à  La  Haye,  pour  être  près  de  Schr\eningue  et.  cette  même  année,  il  remporte  une 
médaille  au  salon  de  Paris  avec  les  Brisaiils  de  la  >ncr  du  iu>rd.  Sa  première  manière,  plus 
détaillée,  se  poursuit  jusqu'en  1876.  A  cette  date,  sa  facture  s'élargit,  sa  brosse  procède  par 
fougueuses  abréviations  et  il  n'est  pas  un  salon  où  notre  public  n'ait  admiré  ses  barques  de 
pêche  aux  voiles  brunes  et  rousses  voguant  sur  des  mers  glauques  et  tourmentées  et  ses  soleils 
se  levant  ou  se  couchant  majestueusement  sur  les  eaux.  Le  Luxembourg  possède  de  cet 
artiste  un  beau  Soleil  eouchant  sur  la  mer.  Il  a  le  sens  de  l'étendue  et  il  n'y  a  guère  peut- 
être  que  Henry  Moore,  en  Angleterre,  qui  ait  rendu  comme  lui,  les  masses  pesantes  des 
eaux  et  la  palpitation  de  ce  grand  organisme  en  perpétuelle  animation  de  l'Océan. 


.colc   lii)il;in(laise. 


2/1 


Mme  SiNA  MïSDAG — \'ax,Houtex,  iiéf  le  23  décembre  1834,  à  Groningue,  et  mariée 
à  Mesdag  en  1856,  est  un  'peintre  de  talent;  elle  s'est  formée  devant  la  collection  de  son 
mari  et  a  peint  surtout  des  bruyères  et  des  natures  mortes. 

Mesdag  a  exécuté,  en  1881.  le  panorama  de  Sche\-eningue  en  collabdration  a\-ec  sa 
femme  et  les  peintres  de  Bock  et  lîreitner. 

Il  faut  rattacher  à  ces  maîtres  Adoli-  .Vrtz,  né  à  La  Hâve  le  18  décembre  1837, 
mort  le  9  novembre  1890,  élève  d'Israéls,  ijui  a  peint  avec  talent  des  scènes  rurales,  des 
troupeaux,  etc.,  et  qui  a  exposé  sou\ent  aux  salons  de  Paris,  où  il  résida  de  1866  à  1874, 
puis  Albert  Neuhuys  et  Blommers. 

Albert   Neuhuys  est  né  à  l'trecht  le  10  jum  1844.    Sa  famille  s'opposa  d'abord  à 


WlI.LEM    l'K    ZWAKI 


Vaches  dans  le  pi 


sa  vocation.  Il  travailla  à  Anvers,  (lù  il  exécuta  de  186S  à  1872,  suivant  la  formule  de 
l'Académie,  des  compositions  historicjues  et  romanticjues.  Il  revint  en  1870  en  Hollande:  il 
y  subit  l'influence  d'Israëls  et  de  Jacob  ilaris;  il  demeura  quelques  années  à  Hilversum, 
où  il  a  peint  nombre  de  ses  tableaux,  et,  depuis  1900,  est  fixé  à  Amsterdam.  Ses  sujets  ne 
sont  guère  variés:  c'est  toujours  à  peu  près  la  même  chambre  rustique,  a\'ec  quelque  femme 
qui  file,  comme  dans  cette  charmante  et  modeste  idylle  campagnarde  qui  porte  un  titre 
italien  un  peu  prétentieux  Prima  W-ra.  ou  quelque  mère  occupée  avec  ses  marmots.  Mais 
Neuhuys  est  un  peintre  par  excellence:  son  métier  a  une  robustesse  virile,  sa  matière  est 
riche,  ses  colorations  simt  fortes,  avec  des  rouges  superbes,  les  beaux  rouges  des  grands  aïeux. 
C'est  un  art  réaliste  et  véridique,  à  la  manière  de  celui  de  Courbet,  où  l'on  sent  que  la 
peinture  veut  être  belle  pour  elle-même. 


27  2 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


Assez  différent  est  Blommeks  (Beknakdus  Johannes),  né  à  La  Haye  le  30  janvier 
1845.  Élève  de  l'Académie  de  La  Haye  et  de  Bisschop,  au  début,  il  se  plaît  aux  déguisements 
pittoresques  de  personnages  costumés.  Il  se  dégage  bientôt  sous  Fintluence  de  Jacob  Maris 
et  d'Israëls,  mais  son  art  essentiellement  optimiste,  dans  sa  manière  brouillée,  noyée,  est 
sain,  frais,  vivant,  ne  montre  que  des  scènes  d'activité  et  de  travail  en  de  joyeux  tableaux 
enfantins,  avec  une  très  fine  sensibililé  devant  les  phénomènes  de  la  lumière  et  de  l'atmos- 
phère entre  le  ciel  et  la  mer.    Ses  Pêcheurs  de  coquillages  en  sont  un  exemple. 


Les   artistes  qui  viennent  d'être  examinés  coii'^titui'nt 


•1" 


ippellf  rn   Hollande 


>»-—»'**"  C^.i.  iMT"—  iiijBe^ 


Jan  VntRMAN.  —  Reflets  sur  l'Vsel! 


les  ,, Anciens  ou  les  ,, Vieux".  C'est  l'art  d'hier,  glorieux  et  respecté,  qui  a  formé  l'école 
nationale.  Mais  ici,  comme  ailleurs  et  comme  partout,  une  des  particularités  de  l'histoire 
de  l'art  et  spécialement  de  l'art  moderne,  ce  sont  ces  luttes  d'anciens  et  de  nouveaux,  ces 
réactions  continues.  En  Hollande,  ces  oppositons  ne  prennent  pas  le  caractère  de  conflits 
violents,  de  querelles  aiguës,  dans  lesquels  les  maîtres  anciens  se  montrent  hostiles  aux 
nouveautés  du  présent  tandis  que  les  jeunes  méconnaissent  injustement  les  grandeurs  du 
passé.  La  figure  d'Israëls  domme  toujours  paternellement  toute  l'école,  et  son  fils,  même,  est 
un  des  promoteurs  du  mouvement  nouveau.  Il  y  a  donc  en  Hollande  des  vieux  et  des 
jeunes:    les  anciens  et  les  nouveaux    ,,gidsers",  du  nom  des  publications  qui  défendent  les 


Ecole  hollandaise. 


-'7  3 


doctrines  opposées.  On  a  qualifié,  nous  l'avons  vu,  d'impressionniste  le  talent  des  j\laris 
DU  des  Mauve;  en  appelle,  ici,  néo-impressionnisme  l'évolution  actuelle  de  l'art  hollandais^: 
mais  ces  termes  n'ont  pas  le  sens  précis  que  nous  leur  donnons  chez  nous,  ils  sont  dérivés  de  leur 
acception  primitive  et  correspondent,  comme  partout  du  reste  à  l'étranger,  à  l'idée  de 
nouveauté,  de  réaction  plus  ou  moins  combative  contre  les  formules  du  passé. 

La  quiétude  de  l'art  hollandais  a  donc  été  troublée,  les  générations  suivantes  ont 
voulu  un  art  plus  en  rapport  avec  les  préoccupations  de  la  pensée  contemporaine,  sinon  avec 
les  exigences  plus  vives  de  la  vision.  A  la  tète  de  cette  jeune  Hollande  est  Breitnek 
(George  Hendrik)  né  à  Rotterdam  le  12  septembre  1857.  Il  fut  d'abord  destiné  au 
commerce,  mais  se  sentant  plus  de  dispositions  pour  la  peinture  que  pour  les  affaires,  il 
étudia   d'abord  avec  Rochussen  à  Rotterdam,  puis  à  l'Académie  de  La  Haye.    Il  fut  ensuite 


Fl<.iR!s  Vekster.  —   Maisoiinelto  aux  pots  <lc   tlciir 


l'élève  de  prédilection  de  Willem  Maris.  Il  commença  à  peindre  en  1880  et  débuta  par  une 
étude  de  hussards  lancés  au  galop.  Il  parut,  en  effet,  au  début,  s'adonner  aux  sujets 
militaires  et  aux  charges  de  cavalerie.  Il  a  peint  du  reste,  tous  les  sujets,  figures  grandeur 
nature,  fleurs,  natures  mortes,  effets  de  nuit.  Mais  il  est  surtout  di'venu  célèbre  par  les 
incomparables  impressions  de  ville,  de  vues  des  \-ieux  quartiers  d'Amsterdam  aux  colorations 
fortes  des  maisons  qui  contrastant  avec  la  blancheur  de  la  neige,  aux  rues  boueuses  où  les 
chevaux  trapus  tirent  les  lourds  camions.  Il  mimtre  un  sens  rare  des  accords  expressifs  et 
ces  paysages  de  rues,  d'une  poésie  nostalgique  et  poignante,  donnent,  à  leur  façon,  le  même 
frisson  que  certains  tableaux  du  belge  Baertsoen.  Les  chevaux  dans  la  Xcige,  qui  appartien- 
nent à  M.  Bilderbeek,  de  Dordrecht.  ont  été  admirés  à  notre  exposition  universelle  de  1900. 
Ce    qu'il    y    a    ,,d'impressioniste"'    dans    l'art  de  Breitner  lui  vient  d'une  sensibilité 


2/4 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


liersoniiellc  très  développée,  et  peut-être  aussi,  dans  la  technique,  de  Finflucnce  de  Manet. 
Son  camarade  Isaac  Israëls  est,  avec  lui,  un  des  promoteurs  de  ce  prétendu  néo-impres- 
sionnisme. Le  fils  du  vieux  Joseph  Israëls  est  et  a  voulu  être  essentiellement  moderne.  Il 
est  né  à  La  Haye  en  1S65,  et.  naturellement,  fut,  au  début,  dirigé  par  son  père,  en  même 
temps  qu'il  suivait  les  cours  de  l'Académie  de  la  Haye.  Il  débuta  lui  aussi  par  des  sujets 
militaires  et  il  subit  l'influence,  toute  récente  et  toute  rayonnante  alors,  de  Bastien-Lepage. 
En  1882,  il  obtenait  un  premier  succès  avec  un  tableau  de  ce  genre.  Il  travaillait  alors  à 
Amsterdam  et  toujours  très  scrupuleusement,  sur  nature.  Depuis  il  \it  surtout  à  Paris  où 
il  a,  sans  doute,  été  placé  au  milieu  des  courants  les  plus  modernes. 

A   côté    de  Breitner.   Bauer    (Marits)   mérite    une   place    à  part   parmi  les  jeunes 

maitres  des  dernières 
générations.  Il  est  né  à 
La  Haye  en  1867;  son 
père  était  peintre  déco- 
rateur, ses  dispositions  se 
révélèrent  de  bonne  heure 
sous  cette  influence.  Il 
étudia  à  r.\cadémie  de 
La  Haye  et  y  fut  élève 
du  peintre  1^.  van  Witsen, 
ami  intime  d' Israëls,  qui 
hii  infusa  son  admiration 
pour  le  grand  maître 
national.  Il  commença 
par  s'essayer  à  l'aquareUe 
et  montra  de  bonne  heure 
l'originalité  de  son  tempé- 
rament. En  1885,  il  eut 
l'occasion  de  faire  un 
voyage  à  Constantinople 
et  en  rapporta  une  série 
d'impressions  extraordi- 
naires de  grandeur  et  de 
fantastique,  qu'il  traduisit 
en  peinture  à  l'aquareUe, 
et  particulièrement  à  l'eau-forte,  a\ec  un  caractère  de  personnalité  inoubliable.  Il  y  a  dans 
ces  visions  orientales,  d'une  si  belle  lumière  contrastée,  comme  un  souvenir  magique  de 
Rembrandt  alliée  au  pittoresque  de  Fortuny.  C'est  en  i88f)  qu'il  exécuta  sa  première 
planche  sous  la  direction  de  son  ami  Philippe  Zilcken  qui  a  tant  fait  pour  cet  art  par  ses 
travaux  et  par  ses  écrits;  il  fut  immédiatement  maitre  de  sa  technique.  Bauer  retourna  à 
Constantinople,  en  Egypte,  dans  l'Inde  même.  Il  a  aussi  voyagé  en  France  et  il  s'est  essayé, 
après  Claude  Monet,  à  rendre  l'aspect  grandiose  de  la  façade  de  la  cathédrale  de  Rouen, 
à  la  pierre  sculptée,  fouillée  et  refouillée,  rongée  par  la  pluie,  patinée  par  le  temps,  prodigieuse 
et  merveilleuse  éclosinn  architecturale  dans  une  matière  qui  semble  inconnue.  Bauer  n'a 
pas  été  inférieur  à  sa  tache.  Il  a  peint  aussi  la  Cathédrale  de  Strasbourg  et  des  vues  de 
Paris  (I.Iusée  ;\lesdag). 

Il   est  ensuite  un  groupe  de  paysagistes  qui  s'est  créé  une  certaine  réputation  à  la 
même  date.  Ce  sont:   \V.   B.  Tholen,  W.   de  Zwart,  Jan  \'oerman  et  \'erster. 


l.a   Halte  .les  liohémiens 


-cole   nollandaisc. 


-/:5 


Willem  Bastiaa.n  Tholex  est  né  à  Amsterdam  le  13  février  1860.  Il  débuta  dans 
I"art  vers  1880,  influencé  alors  par  Gabriel,  par  INIauve  et  par  \V.  Maris.  Il  s'assouplit  bientôt 
dans  une  voie  plus  personnelle  et  exposait  en  1888  une  série  de  bateaux  et  de  carrières 
de  sable  qui  furent  remarqués.  Il  se  livra,  Tannée  suivante,  à  des  études  de  boucheries  et 
d'abattoirs,  telle  la  Bête  morte  (1890).  Sa  couleur,  qui  montait  de  ton.  devenait  chaque  jour 
plus  ardente,  comme  il  apparaît  dans  les  ou\Tages  ultérieurs  L'arbre  jaune  (1892),  La  grange 
(1895),  Le  port  (1897)  et  jusque  dans  ses  portraits  de  fillettes,  datés  de  1893.  Sa  palette 
se  calme  ensuite,  son  exécution  est  plus  aflinée,  plus  allégée  et  ses  dernières  œuvres.   Une 


Jan  Te 


trois  Epouses. 


Kermesse    à    Moitnikeudaiii  (1906). 
délicatesse  poétique. 


ses    vues    de  tleu\-e5.  marines,  paysages  di\'ers.  ont   une 


Willem  de  Zwart  est  né  à  La  Haye  en  1862-.  il  étudia  à  IWcidémie  de  cette  ville 
et  sous  la  direction  de  Jacob  Maris.  Ses  premières  peintures  sont  fines,  blondes  et  distinguées; 
sa  manière  se  colore  ensuite  puissamment,  suivant  l'évolution  qui  semble  marquer  la  dernière 
période  du  paysage  hollandais  contemporain.  C'est  un  riche  tempérament  pittoresque.  Il  a 
peint  des  vues  de  villes,  prises  particulièrement  au.x  environs  de  la  Haye,  des  groupes  d'ani- 
maux au  milieu  des  routes,  des  figures  de  femmes  et  de  beaux  paysages  animés,  des  aspects 


276 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


de  marchés  aux  bestiaux,  peuplés  de  vaches  tachetées,  comme  cette  mare,  sous  le  ciel  clair, 
près  de  laquelle  un  paysan  trait  une  vache  dans  un  groupe  de  paisibles  ruminants.  De  Zwart 
est  également  graveur.  Voerman  (Jan)  né  à  Kampen,  en  1857,  appartient  au  même  milieu. 
11  étudia  à  l'Académie  d'Amsterdam,  débuta  avec  des  tableaux  de  figures,  puis,  vers  1885, 
peignit  des  vues  de  villes  et  principalement  des  fleurs,  avec  un  sentiment  d'intimité  très 
émue.  'Vers  1890,  sa  manière  se  modifie  et  se  simplifie,  avec  une  largeur  qui  rappelle  en 
quelque  manière  le  style  des  grands  Japonais.  Ses  Reflets  sur  rYselle  montrent  toute  la 
délicatesse  de  sa  vision.  Flokis  Verster,  né  à  Leyde  en  1861,  s'affirme  dans  les  mêmes 
tendances  fortement  colorées;  ses  harmonies  sont  singulières  et  même  violentes,  sa  manière 

rst  d'abord  brusque,  vive  et  nerveuse. 
Il  a  commencé  par  des  animaux: 
vaches,  chevaux,  sous  l'influence  de 
Breitner.  Il  lave  ensuite  de  magis- 
trales aquarelles  de  volailles  plumées, 
(le  roses  trémières,  etc.,  d'une  facture 
large  et  pleine  d'éclat  puis,  comme 
Voerman,  se  modifie  et  peint  des 
natures  mortes,  quelques  fleurs  dans 
un  vase  ou  des  coins  de  ville,  telle  la 
vieille  église  de  Leyde,  avec  un  grand 
sentiment,  malgré  le  travail  menu, 
patient  et  attentif.  On  cite  volontiers 
parmi  ses  meilleurs  ouvrages,  avec 
les  Casseurs  de  pierres  de  1887;  sa 
iiinisoiiiuile  aux  pofs  de  fleitrs,  1885. 

Nous  arrivons  maintenant  à 
une  des  figures  les  plus  extraordi- 
naires et  les  plus  discutées  de  l'art 
moderne,  non  seulement  pour  la  Hol- 
lande, mais  pour  la  France,  car  elle 
appartient  autant  à  notre  école  qu'à 
son  pays  d'origine.  C'est  celle  de 
Vincent  van  Gogh.  Lorsqu'on  le 
place  à  côté  de  ses  confrères  hollan- 
dais plus  jeunes,  que  nous  venons  de 
voir,  on  s'explique,  à  la  fois,  l'influence 
joiiAN  iii.Mii;ii_  ii\MKM\>,  —  i,ii..iiui.-.  qu'il  a  eue  sur  eux  et  cette  tendance 

générale  de  la  jeune  école  néerlandaise 
vers  toutes  les  ardeurs  de  la  lumière  et  la  vivacité  des  colorations.  Le  ton  pur  y  règne  en 
maître  et  le  pauvre  "Vincent,  ainsi  qu'il  a  signé  toutes  ses  œuvres  de  France,  est  mort  victime 
de  cette  hyperesthésie  du  sens  visuel  qui  lui  fit  poursuivre  jusqu'à  la  fin,  dans  les  affres  de 
l'impuissance,  la  chimère,  non  d'interpréter  et  de  transposer,  -  ce  qui  nous  est  seulement 
permis  —  mais  de  reproduire  et  de  fixer  les  splendeurs  et  les  fantasmagories  de  la  nature 
avec  les  pauvres  moyens  matériels  bornés  à  la  palette  du  peintre. 

Vincent  van  Gogh  est  né  à  Groot-Zundert  (Brabant  néerlandais)  le  30  mars  1853 
et  il  est  décédé  en  France,  à  Auvers-sur-Oise,  le  29  juillet  1890.  11  était  fils  d'un  ministre 
protestant  qui  le  destinait  au  commerce.  Dès  qu'il  fut  d'âge  de  choisir  un  état,  il  fut  placé,  en 


Écol 


c   hollandaise. 


277 


effet,  chez  son  oncle  Van  (jogh,  marchand  de  tableaux,  attaché  à  la  Maison  Goupil  de  Paris. 

Il  y  resta  jusqu'en  1876.  A  cette  date  il  partit  pour  Londres,  afin  de  se  vouer,  avec 
une  sorte  de  foi  apostolique  qui  annonce  le  caractère  généreusement  exalté  de  son  esprit,  à 
l'enseignement  du  peuple  dans  les  quartiers  ou\Tiers.  Il  y  prêche,  suivant  l'usage,  dans  les 
rues.  L'année  suivante,  il  revint  à  Amsterdam  avec  la  pensée  d'y  faire  ses  études  l'U  théologie 
et  d'aller  prêcher,  cette  fois,  les  mineurs  du  borinage.  C'est  à  ce  moment  qu'il  parait  com- 
mencer à  dessiner.  En  1880,  on  le  trou\'e  chez  son  père  à  Etten,  où  il  se  voue  à  l'art,  avec  la 
même  foi  ardente  qu'il  a\ait  montrée  pour  les  choses  de  la  religion.  Il  étudie  quelque  temps 
à  la  Haye,  sous  l'influence  de  Mauve,  se  rend  en  1885  à  .\nvers,  puis  bientôt  à  Paris.  Il  y 
travaille  quelque  temps  et  y  subit 
fortement  l'action  des  milieux 
impressionnistes  et  néo-impression- 
nistes, bien  que  ses  maîtres  de  pré- 
dilection fussent  Rembrandt,  Dela- 
croix et  Millet,  dont  il  se  plait  à 
transposer  certaines  ceuvres,  à  la 
manière  dont  usent  les  compositeurs 
sur  les  ouvrages  des  maitres.  Au 
printemps  de  1886,  il  se  rend  en 
Provence,  la  Provence  claire  et 
lumineuse  des  bords  du  Rhône,  et 
s'installe  à  Arles,  à  St-Remy  puis 
aux  Saintes-Mariés.  II  y  travaille 
avec  l'ardeur  passionnée  qu'il 
apportait  à  toute  chose,  et  se  sur- 
mène tellement  dans  la  poursuite 
douloureuse  de  son  idéal  inattein- 
gible  que,  malade  et  découragé,  il 
remonte  vers  Paris .  se  fixe  à  Au  vers- 
sur-Oise,  en  mai  1890,  pour  y 
mourir  subitement  trois  mois  après. 

L'ceuvre  de  \'an  (j(igh 
comprend  deux  manières  distinctes: 
celle  de  Hollande,  dans  le  sentiment 
des  vieux  maîtres,  oî^i  il  s'essaie, 
comme  il  dit,  à  traduirr  ,,le  clair 
dans  le  brun";  la  manière  française, 
où  l'on  sent  les  influences  mêlées 
ou  juxtaposés,  d'abord  de  Courbet, 

de  Millet,  de  Delacroix,  puis  de  Corot  et  des  divers  Maitres  impressionnistes:  Sisley  ou 
Pisarro,  Renoir  ou  Cézanne,  voire  Toulouse-Lautrec  et  Gauguin:  il  s'en  dégage  bientôt  pour 
créer  cette  vision  personnelle,  exaltée  et  comme  frénétique  où  il  joint  aux  exagérations 
expressives  les  plus  outrées  du  dessin,  des  harmonies  \'iolentes  mais  savoureuses  et  parfois  des 
accords  très  délicats  et  très  subtils  de  tons.  Parmi  ses  figures  on  cite  son  propre  portrait,  le 
Gardien  de  l'hôpital,  le  lùictcur:  dans  ses  pa\-sages  nu  intérieurs,  les  Vignes  en  Provence,  les 
Oliviers,  rintérieur  de  sa  chambre  à  coucher.  La  halle  des  Bohémiens  (appartient  à  M.  Druet), 
que  nous  reproduisons  ici,  est  un  de  ses  morceaux  les  plus  brillants  de  lumière  et  de  coloris. 

Le    mysticisme  de  Mathieu  Maris  avait  paru  un  phénomène  tout  à  fait  unique  dans 


JAX  Vktii. 


itiail  lie  Jozef  Israels. 


278 


La  Peinture  au  XIX'^'  siècle. 


riiistoirt'  de  Fart  en  Hollande.  Il  parait,  cependant,  qu"un  certain  malaise  s'est  produit  dans 
la  pensée  des  jeunes  peintres  hollandais  des  générations  suivantes,  comme  chez  leurs  confrères 
de  France,  de  Belgique,  d'Allemagne  et  d'ailleurs.  L'inquiétude  de  l'art  hollandais  ne  s'est 
pas  manifestée  seulement  dans  l'ordre  des  préoccupations  positives  de  lumière  et  de  couleur. 
On  avait,  semble-t-il.  besoin  d'autre  chose,  et  comme  on  avait  vécu  dans  la  belle  et  robuste 
simplicité  d'un  art  un  peu  matériel,  on  eut  la  nostalgie  d'une  esthétique  plus  compliquée, 
plus  ralTmée,  plus  spirituelle.  C'était  ..l'esprit  nouveau"  qui  se  manifestait  chez  nous,  au  Salon 
de    la  Rose  +  Croix.    Le  mysticisme   ou  plutôt  le  sentimentalisme  romantique  et  poétique  de 

Mathieu  Maris  était  le  produit 
sincère  d'une  idiosyncrasie 
intellectuelle  et  morale,  le 
mysticisme  plus  récent  de 
l'art  hollandais' offre  un  carac- 
tère plus  artificiel,  plus  com- 
posite, formé  d'alliages  étran- 
gers mal  amalgamés  avec  le 
fonds  national. 

Le  type  le  plus  par- 
ticulier de  ces  tendances  est 
le  peintre  Jan  Toorop.  Il  est 
né  à  Poerworedjo  (Java), 
Indes  néerlandaises,  le  20 
décembre  1860,  d'un  père 
colon,  d'origine  norvégienne, 
et  d'une  mère  javanaise, 
d'origine  anglaise.  Il  fît  ses 
études  scolaires  à  Batavia 
jusqu'à  l'âge  de  quatorze  ans 
et  ce  premier  milieu  si  forte- 
ment exotique  agit  sur  son 
imagination  et  devait  l'im- 
pressionner pour  l'avenir.  En 
1S74.  on  l'envoya  en  Hollande, 
où  il  devait  étudier,  à  Delft, 
dans  une  école  spéciale  afin 
d'entrer  ensuite  dans  la  Com- 
pagnie des  Indes  néerlan- 
daises. Mais  le  goût  des  arts 
l'emporta  sur  l'attrait  d'une 
profession  commerciale;  sa  famille  ne  s'opposa  pas  à  cette  vocation  à  la  condition  qu'il 
s'inscri\it  à  l'Académie  d'Amsterd.im.  Il  \-  resta  deux  ans,  se  rendit  ensuite  à  Bru.xelles 
avec  une  pension  du  gou\-ernement  et  (.'Utra  dans  l'atelier  de  Portaëls,  près  de  qui  il  resta 
deux  ans.  En  1884,  il  exposait  une  vaste  toile  romantique:  Rcspcii  à  la  mort.  On  le  vit 
ensuite  participer  activement  aux  diverses  sociétés  artistiques  belges  de  tendances  avancées: 
l'Essor,  les  XX,  à  coté  d'Ensor  et  de  Khnopfï.  Il  fit  de  fréquents  voyages  à  Paris,  où  il 
subit  l'influence  des  pointillistes;  en  Angleterre,  où  celle  de  William  ]\Iorris  se  fit  sentir 
tant  au  point  de  \-ue  socialiste  qu'au  point  de  vue  décoratif.   Il  retourna  en  Hollande,  marié 


Tu.    V.    lu  VI.— S(  HWAKTZK. 


Ec 


COIC 


Imllandaisc. 


279 


avec  une  Anglaise  en- 1887  et,  après  quekiues  va-et-vient  entre  la  Hollande  et  la  Belgiciue, 
il  se  fixe  à  Katwijck.  Son  mysticisme  se  déclara  en  i88g,  à  la  suite  d'une  gravi'  maladitt; 
il  se  convertit  même  au  catholicisme.  Sa  jieinture  se  ressentit  de  ces  modiftcations  morales 
et  intellectuelles.  Au  début,  elle  s'étale  au  couteau,  à  la  façon  de  Courbet,  puis  procède 
par  division  du  ton,  à  la  manière  pointilliste,  enirn  sa  manière  symbolique  revêt  un  aspect 
linéaire,  agité  et  tourmenté,  où  se  mêlent  les  anciens  souvenirs  ja\-anais  avec  les  dénatura- 
tions  expressives,  les  combinaisons  décoratives  des  Ensor,  des  Khnopff.  des  Odilon  Redon  ou 
des  Carlos  Schwabe.  A  ce  moment  on  lui  doit  la  Sphy>igc,  Jardin  des  suufjrcDiccs,  Les  trois 
Épouses,  reproduites  ici  même,  où 
l'on  peut  \'oir  l'union  de  tous  ces 
éléments  pour  traduire  la  pensée 
mystique,  exaltée  et  confuse  d'un 
néo-boudlùsme  ésotérique.  Toorop 
qui  est  gra\'eur,  ornemaniste,  déco- 
rateur, a  exécuté  aussi  des  portraits 
et  a  été  chargé  de  décorer  la  nouvelle 
Bourse  d'Amsterdam.  Ses  décorations, 
en  sgraffiti  ou  en  grès  émaillé,  repro- 
duisent au  moyen  de  sujets  allégo- 
riques le  Passé,  le  Présent  et  l'Avenir. 

Cet  esprit  mystique  est ,  comme 
il  est  arrivé,  chez  nous,  fortement 
teinté  d'archaïsme.  C'est  cette  ten- 
dance plus  particulière  que  l'on  re- 
marque dans  le  talent  de  Haverman 
ou  de  Jean  Veth. 

Hendrick  J()H.\n.\  H.wkk- 
M.-w  est  né  à  Amsterdam  en  1837; 
il  se  forma  à  l'Académie  Rovale  en 
même  temps  tpie  Voi'rman:  en  1879. 
il  se  rendait  à  Anvers,  où  il  étudiait 
sous  la  direction  de  \'erlat.  En  1890, 
il  accomplit  un  voyage  en  Espagne, 
au  Maroc  et  en  Algérie,  d'où  il  rap- 
porta de  très  intéressantes  études.  II 
a  exécuté  des  figures  nues,  ce  qui  est 
assez  rare  en  Hollande,  et  des  portraits 
très  expressifs  et  caractéristiques 
dans    un    art    précis    et    serré    à    la 

manière  des  vieux  maîtres  allemands  ("est  en  particulier  le  souvenir  de  Holbein,  qui  semble 
dominer  l'inspiration  de  Jean  Veth.  Cet  artiste  est  né  à  Dordreclit  en  1864.  C'est  une  des 
personnalités  les  plus  intéressantes  du  milieu  jeune  hollandais,  tant  par  ses  tra\aux  artistiques 
que  par  ses  écrits  sur  l'art  d'aujourd'hui  et  d'autrefois.  Jean  \'eth  a  fondé,  en  18S5,  avec 
quelques  amis,  le  Néerlandsch  Ets  Klub,  où  l'on  exposait  des  eaux-fortes.  Son  domame  est 
le  portrait  qu'il  traite  en  peinture,  dessin,  gravure  et  lithographie:  la  plupart  ont  été  publiés 
dans  la  revue  de  Kroniek,  il  s'est  attaché  surtout  à  reproduire  de  hautes  physionomies  de 
son  pays  et  de  l'étranger.  Il  a  peint  et  gravé  la  figure  fine,  bien\-eillante  et  compréhensive 
de  Jozef  Israëls,  avec  une  brosse  ou  une  pointe  douée  de  la  plus  intelligente  sympathie. 


Sr/.E  i;isv(  ii,,i'_Riii:i:r  1  SUN.  —  leiine  fille  dormant. 


2  8o  La  Peinture  au   XIX'  siècle. 

Le  groupe  des  peintres-graveurs  est  particulièrement  nombreux  en  Hollande;  Les 
Israëls,  les  Jongkind,  les  Maris  ou  Mauve  ont  de  plus,  un  leuvre  gravé  plus  ou  moins  étendu. 
Plus  tard,  à  côté  de  Bauer,  de  W.  de  Zwart,  de  Toorop,  de  J.  Veth,  il  faut  signaler  encore 
WiTSEN,  BocH,  Dupont,  et  plus  particulièrement  Storm  vax  's  Gravesaxde  et  Zilcken. 
Le  premier  est  né  en  1841  à  Bréda.  Après  avoir  étudié  à  Leyde,  il  se  rendit  à  Bruxelles, 
travailla  sous  la  direction  de  Roelofs  et  fut  mis  par  Alma-Tadema  en  rapport  avec  Rops. 
Ce  fut  l'origine  de  son  orientation  vers  la  gravure:  il  a  longtemps  séjourné  en  France,  où 
ses  estampes  sont  très  estimées.  Le  Musée  du  Lu.xembourg  en  possède  un  certain  nombre, 
ainsi  qu'une  peinture  représentant  une  ]'nc  de  Dordrecht.  Quant  à  Philippe  Zilckex,  il  est 
né  à  La  Haye,  où  il  réside,  en  1857.  Après  a\'oir  terminé  ses  études  classiques,  il  entra 
à  l'Université  pour  étudier  en  \-ue  de  de\-enir  a\ocat  mais  il  renonça  bientôt  à  cette  carrière  et 
s'inscrivit  à  l'Académie  des  Beaux-Arts;  il  reçut  les  conseils  de  Mauve  et  les  encouragements 
d'Israëls  et  de  Mesdag.  Le  Luxembourg  possède  son  œuvre  gravé  qui  est  considérable  et 
varié,  en  même  temps  qu'une  petite  peinture,  très  fine,  dans  le  sentiment  de  Corot,  Un 
coin  de  Paris,  vu  du  Pont-Neuf.  Zilcken  a  également  beaucoup  écrit  en  hollandais  et  en 
français  soit  sur  les  maitres  néerlandais  d'aujourd'hui,  qu'il  a  contribué  le  plus  activement 
à  vulgariser  chez  nous  suit  sur  divers  sujets  littéraires;  souvenirs  de  voyage,  correspondance 
avec  Verlaine,  etc. 

Dans  ce  milieu  si  fécond  en  artistes,  où  l'on  de\"rait  encore  citer  les  noms  de  Pieter 
TER  Meulex  né  à  Bodegraven  en  1S43,  élève  de  \'an  de  Sande  Backhuysen,  peintre  de 
paysages  et  de  troupeaux;  de  Lodewijk  Apoi.,  né  à  La  Haye  en  1850;  de  J.  Christiax 
Klinkerberc  né  à  La  Haye  en  1852;  de  J.  S.  H.  Kever,  né  à  Amsterdam  en  1854;  de 
Ten  Cate,  décédé  à  Paris,  en  1907:  de  L.  Vax  Soest;  de  Briet,  etc.  il  reste  à  signaler 
quelques  noms  de  femmes  peintres  qui  se  sont  conquis  une  place  très  estimée  dans  l'école. 
C'est,  à  la  suite  de  Margaretha  Rosexboom,  1843 — 1893,  de  Henriette  Roxxer,  née  Knip 
(1821 — 1909)  célèbre  par  ses  scènes  de  chiens  et  surtout  de  chats,  et  de  Mme  Mesdag — Van 
Houten,  Mme  Vax  Duyl — ScHWARTZE  et  Mme  BisscHOP — RoBERTSON.  La  première  est  née 
à  Amsterdam  le  20  décembre  1852;  elle  est  fille  du  peintre  portraitiste  Jean  George  Schwartze, 
qui  est  mort  en  1874.  Elle  étudia  à  Munich,  puis  à  Paris  et  se  fixa  à  Amsterdam.  Elle  s'est 
fait  connaître  par  des  portraits  des  figures  d'orphelines,  avec  leurs  vêtements  mi-partie 
noir  et  rouge,  de  communituites,  de  paysannes,  qu'elle  fixait  avec  gra\-ité  dans  leurs  costumes 
pittorestiues.  Sa  couleur  est  chaude  et  sa  facture  a  quelque  chose  de  viril.  On  a  vu  d'elle, 
l'Exposition  de  iqoo,  le  portrait  du  (jénéyal  Jonhert.  Elle  était  vouée  aux  grands  hommes 
du  malheureux  et  brave  peuple  boer,  car  elle  a  tracé  l'efirgie  du  président  Kriiger  avec  sa 
bonne,  droite  et  sérieuse  figure  hollandaise,  la  main  appuyée  sur  la  Bible. 

;\Ime  SuzE  RoBERTSox,  femme  du  peintre  Richard  Bisschop,  qu'elle  épousa  en  1892, 
est  née  à  la  Haye  le  17  décembre  1857.  fille  sui\it  les  cours  de  l'Académie  de  cette  ville 
et  enseigna  le  dessin  durant  cinq  ans  à  l'Ecole  supérieure  de  Jeunes  filles  de  Rotterdam. 
Elle  étudia  ensuite  pendant  deux  ans  dans  l'atelier  de  P.  van  de  \'elde.  Elle  fut  professeur 
de  dessin  à  Amsterdam,  puis  se  décida  à  renoncer  au  professorat  pour  se  donner  entièrement 
à  la  peinture.  Dans  ce  but,  elle  se  rendit  à  la  Haye.  Elle  a  subi,  avec  l'influence  des  maitres 
anciens,  celle  des  maîtres  de  l'Ecole  de  la  Haye  et  de  Breitner.  Sa  manière  est  large  et 
libre,  son  coloris  très  intense  et  très  expressif.  Elle  a  peint  des  figures  comme  cette  Jeune 
fille  dormant,  des  études  de  son  atelier,  des  paysages  de  maisons,  de  cours  et  de  rues,  tels 
que  la  Ruelle  ou  la  Maison  Blanche,  morceau  très  apprécié,  qu'elle  a  repris  plusieurs  fois. 


LEON  FREDERIC. 
La  Vieille  Servante. 
(Musée  dit  Luxembourg). 


CHAP1TRI-:  X. 


ECOLE    F.  E  L(,E. 


Jl'SOU'A  la  date  de  i8jo.  date 
de  S(.)n  émancipation,  le  sort  de 
la  Belgique  a  été  lié  à  celui  des 
Pays-Bas,  et  l'histnire  de  son  école 
confondue  avec  celle  de  Tlicole 
hollandaise.  A  vrai  dire,  comme 
nous  l'avons  constaté,  toute  cette 
première  période  relève  directement 
de  rÉcole  française,  car  si  Tinfluence 
de  David  s'étendit  sur  presque  tout 
le  Continent,  elle  s'imposa  particu- 
lièrement à  la  Belgique,  étant  donné 
le  séjour  à  Bru.xelles.  où  il  est 
décédé,  du  grand  e.xilé.  Cette  corré- 
lation entre  l'art  belge  et  Fart  fran- 
çais sera  du  reste,  continue  dans 
tout  le  cours  du  siècle.  De  même 
que  tous  les  mou^•ements  politiques 
ou  sociau.x  auront  leur  répercussion 
sur  le  développement  politique  ou 
social  de  ce  pays,  de  même  les 
grandes  crises  subies  par  l'art  fran- 
çais auront  leur  contre-coup  inévi- 
table sur  le  développement  de  l'art 
belge,  même  lorsque  son  individua- 
lité se  sera  assez  fortement  consti- 
tuée pour  qu'il  offre  un  certain 
caractère  local  bien  distinct. 

Parmi  les  élèves  flamands  de  David,  continuateurs  de  sa  doctrine,  celui  qui  a  laissé 
r(euvre  la  plus  estimable  est  Fr.\nçois  Joseph  N.wez,  né  à  Charleroi  le  i6  no\'embre  1787, 
mort  à  Bruxelles  le  12  octobre  1869.  Il  étudia,  à  Paris,  dans  l'atelier  du  maître  et  voyagea, 
de  1817  à  1822,  en  Italie.  Il  fut,  de  1830  à  185g,  Directeur  de  l'Académie  royale  de  Bruxelles. 
C'est  un  peintre  d'incontestable  mérite,  mais  de  talent  inégal,  très  impressionnable,  et  qui 
est,  tour  à  tour,  touché  par  David  ou  par  Ingres,  puis  par  Géricault  ou  Delacroi.x,  sans 
qu'on  discerne  bien  nettement  sa  propre  individualité.  Le  portrait  de  la  Famille  Auguste  de 
Hemptinne,  qui  appartient  au  Musée  de  Bru.xelles  et  a  été  e.xécuté  en  1816,  est  un  e.xcellent 
morceau  de  peinture,  dans  l'esprit  de  David,  correct  sans  froideur,  modelé  avec  décision 
dans  des  colorations  un  peu  fortes,  et  une  réelle  intelligence  des  physionomies. 

19 


n 

Wm 

^^^^BH^Hj  f  ^Hyflftivm^Bs 

m 

^EFll   \avez.   —   I.a   laiii 
(Musée  de  Unix 


ille  .^ug 
■lies). 


28: 


La  Peinture  au   XIX'   siècle. 


Navez  a  eu  pour  émuk-  un  singulier  artiste,  assez  peu  connu  et  même  trop  méconnu, 
François  Simonau,  né  à  Bornhem  en  1783,  mort  à  Londres  en  185g,  qui  paraît  avoir  une 
certaine  parenté,  bien  curieuse  à  cette  date,  a\'ec  les  vieux  anglais  près  desquels  il  allait 
mourir.  Il  y  a,  en  effet,  de  lui  au  ;\Iusée  de  Bruxelles,  un  portrait  d'homme,  d'une  peinture 
forte,  empâtée,  avec  les  chaudes  r(jusseurs  et  les  beaux  blancs  éclatants  de  Reynolds,  et 
surtout  cet  excellent  morceau  du  Joueur  d'orgue,  daté  de  1828,  robuste,  franc,  peint  en  belles 
pâtes,  offrant  en  plus,  ici,  comme  un  souvenir  de  Franz  Hais.  Élève  deFricx,  à  Bruges,  il  avait 
été,  également,  à  Paris,  élève  de  Gros,  à  qui  il  doit  aussi  peut-être  la  chaleur  de  son  coloris. 
La  révolution  qui,  en  1830,  renversait  en  France  une  dynastie,  eut  son  écho  en 
Belgique.  Cette  nation  proclamait  son  indépendance  et  assurait,  de  ce  jour,  toute  sa  vie 
propre,  sociale  et  politique  ;  ce  fut  aussi  une  date  d'affranchissement  pour  son  art.  Le  roman- 
tisme français  pénétrait,  à  son  tour,  en 
libérateur,  à  la  suite  de  \\'appers  (le  baron 
GusTAF  \'V.\PPEKS,  né  à  Anvers  en  1803, 
mort  à  Paris  en  1874),  qui,  formé  dans 
les  nouveaux  milieux  français,  rompait 
avec  les  tutelles  académiques  |^des  pâles 
successeurs  de  David  et  créait  même,  en 
remontant  jusqu'à  Rubens,  une  sorte  de 
mouvement  national.  Ses  premières  expo- 
sitions au  Salon  de  Bruxelles,  en  1833  et 
1834,  produisirent  une  grande  sensation 
dans  toute  la  jeune  école  et  furent  l'origine 
de  la  réputation  de  l'école  d'Anvers,  qui 
devint  bientôt  un  foyer  célèbre  d'en- 
seignement. 

L'art  de  Wappers,  malgré  sa 
fougue  apparente  et  son  éclat  superficiel, 
était  tout  artificiel  et  théâtral;  celui  de 
Louis  Gallait  (né  à  Tournai,  le  9  mai 
181 2,  mort  à  Bruxelles  le  20  novembre 
1887),  moins  dispersé,  plus  mesuré,  cor- 
respond à  celui  de  notre  Delaroche.  Le  vrai 
romantisme  français  ne  devait  produire 
des  adeptes,  de  talent  sincère  et  original, 
que  dans  le  monde  des  paysagistes. 


Franchis  Simi 


d'orgue  (Mii^éc  de  liruvelles). 


Toute  cette  première  période  n'est,  du  reste,  en  quelque  sorte,  que  la  période  prépa- 
ratoire de  l'art  belge.  Si,  plus  tard,  l'influence  de  Courbet,  par  ses  expositions  en  Belgique 
et  par  le  séjour  qu'il  y  fit  lui-même,  donna  une  vigoureuse  impulsion  à  l'école  et  la  remit 
franchement  dans  sa  voie  naturelle  d'observation  réaliste  et  de  technique  robuste,  les  véritables 
fondateurs  de  l'art  belge  furent  Henri  Leys,  Henri  de  Braekeleer  et  Charles  de  Groux. 

Henri  Leys  occupa  de  son  temps  une  place  considérable,  non  seulement  dans  son 
milieu  national,  mais  dans  l'ensemble  des  écoles  européennes.  Sa  renommée  dépassa  les 
frontières  de  sa  petite  patrie  et  son  influence  s'est  exercée  jusqu'en  France  et  en  Angleterre. 
Il  était  né  à  Anvers  le  18  février  1815  et  il  y  mourut  le  25  avril  1869.  Son  père  faisait  le 
commerce  d'imagerie  religieuse.  Il  étudia  à  l'Académie  de  1829  à  1833  et  fut  élève  de  son 
beau-frère,  Ferdinand  de  Braekeleer,  petit  peintre  de  genre,  qui  essaya  quelquefois,  sans  grand 


Ecole  belire. 


283 


bonheur,  de  se  hausser  jusqu'à  l'histoire.   Leys  débuta  presque  en  même  temjjs  (jue  Wappers, 
au  Salon  de  1833,  à  dix-huit  ans.  avec  un  Massacre  d'An','t-rs  par  /es  lispagiials.  dans  un  fjoût 


Henri   Leys.  —  Le  Serment  de  loveuse  Entrée  de  l'Archiduc  Charles  d'Autriche  (Musée  Moderne  de  P>ruxelle>). 


de  truculences  toutes  romantiques.    Il  devait,  d'ailleurs,  se  rendre  à  Paris  en  1835  et  1839  et 
y  subir  de  plus  près  l'influence  du  romantisme.    Toutes  les  teuvres  des  premières  années  de 


2  84 


La  Peinture   au   XIX'  siècle. 


sa  carrière  (itïrcnt  ce  caractère  de  })ittiiresque.  de  couleur  et  de  nnnu-ement;  ses  sujets  ne 
sont  guère  tiue  des  corps  de  garde,  des  l)atailles  et  des  massacres.  Un  voyage  en  Hollande, 
en  1839,  niodilia  cette  première  manière.  Il  se  calme,  il  s'assagit  sous  l'influence  pacifiante 
de  Rembrandt  et  de  Pieter  de  Honch.  et  peint  alors,  à  leur  façon,  des  intérieurs  bourgeois, 
des  scènes  d/  la  vie  hollandaise  au  XX'H''  siècle,  qui  touchent  prescpie  au  pastiche.  Enfin  un 
troisième  voyage,  celui-ci  en  Allemagne,  en  1832,  en  le  mettant  en  contact  avec  les  Holbein 
et  les  Cranach.  lui  indiqua  sa  véritable  voie.  Il  est,  dès  lors,  tout  entier  lui-même  et  procède  à 
la  grande  (cu\re  liistori(iue,  ([ui  a  assuré  sa  gloire  et  donné  une  première  orientation  nationale 
à  Fart  belge  moderne.  Levs  possède  vu  effet  au  pins  haut  point  \v  don  de  Thistoire;  il  a 
essentiellement   le  sens  rétrospectif.    Il  revit   et  il   nous   fait   revivre   dans  le   ixissé;   il  ne  le 


IIlNKl     I.KV^. 


enilanl   .à  une   fèlf 


rapproche  pas  du  présent,  comme  ont  fait  certains  grands  réalistes  contemporains,  mais,  au 
contraire,  il  nous  éloigne  de  notre  temps,  nous  fait  remonter  le  cours  des  âges  et  il  nous  mêle 
aux  vieilles  sociétés  batailleuses,  encore  farouches  dans  leurs  goûts  de  faste  et  d'apparat,  du 
XVIeiii'-'  siècle  flamand.  Il  agit  sur  nous,  non  point  par  la  précision  du  document,  la  recon- 
stitution littérale  du  milieu  et  des  accessoires,  mais  par  des  moyens  d'une  plus  haute  portée 
pittoresque:  un  dessin  cerné,  ti-ndu.  \'olontaire,  archaïque,  tpii  accentue  le  caractère  avec  une 
singulière  énergie  et  des  harmonies  suggestives  de  tons  rares  et  expressifs,  juxtaposés  par 
larges  localisations,  qui  opèrent  sur  n(jtre  imagination  avec  la  \-ertu  évocatrice  des  parfums. 
On  hii  doit,  dans  cette  période,  maint  tableau  de  chevalet  comme:  V Institution  de  la 
Toison  d'Or  (au  roi  des  Belges),  YOisclciir  (Musée  d'Anvers),  Y.Uclicr  de  Truns  l-loris  (1868) 


Éc( 


)ic   nelee. 


28 


(:\Iusée  .Moderne  de  Bruxelles),  ou  le  ScrDicul  de  Jovciisc  Entrée  de  /".  I  rchidiic  Charles  d'  A  utriche. 
(même  Musée,  1863).  qui  est  répété  sur  les  murs  de  THÔtel  de  \'ille  d'Anvers.  .Mais  c'est 
surtout  l'œuvre  décorative  qu'il  a  accomjjlie  dans  cet  éditice  qui  le  classe  au  premier  rang 
de  l'art  moderne,  parmi  les  maîtres.  Ces  quatre  grands  panneau.x,  a\-ec  leur  frise  de  hauts 
personnages:  empereurs,  cardinau.x,  magistrats,  chevaliers,  j)rincesses,  dans  leur  bariolage 
profond,  calme  et  chaud,  ont  des  accords  riches  et  sourds  de  vieilles  tapisseries.  On  sort  de 
cette  salle,  hanté  par  ces  scènes  et  ces  personnages,  qui  vous  sui\-ent  des  veux  comme  des 
portraits  du  temps.  Cette  décoration  a  été  exécutée  de  1863  à  1869.  Leys  avait  également 
orné  sa  demeure,  à  An\-ers.  dans  le  même  esprit  rétrospectif,  en  se  ser\-ant  des  siens  comme 
modèles  de  ses  personnages.  Les  apprêts  du  festin,  qui  faisaient  partie  de  cette  décoration, 
aujourd'hui  recueillie  toute  entière  au  ^lusée  dWnvers.  ont  été  gravés  par  Bracquemond. 
Leys  avait  été  fait  baron  en  1862. 


Ch.^rles  de  Groi'x.  —   Le  Bénédicité  (Miuée  de  Bruxell 


Ce  maître  a  laissé  en  Belgique  un  certain  nombre  d'élèves,  qui  ont  répété,  en  l'affaiblissant, 
sa  manière,  tels  que:  Féhx  de  Vigne  (1806 — 1862),  Joseph  Lies  (1821 — 1865),  Victor  Lagve 
{1825 — 1896).  Il  a  surtout  influé  momentanément  sur  Alma-Tadema,  qui  fut  son  élève  et 
sur  notre  compatriote  James  Tissot.  Leys  avait  réveillé  l'ancienne  âme  nationale  flamande: 
il  laissait  derrière  lui  deu.x  héritiers,  qui  devaient  remuer  le  \-ieux  fonds  populaire  et  pour- 
suivre son  œuvre,  en  achevant  de  donner  à  l'art  belge  conscience  de  sa  propre  personnalité. 
Ce  sont  Charles  de  Groux  et  Henri  de  Braekeleer. 

Ch.^rles  de  Groux  est  né  à  Comines  (France)  de  parents  français  et  par  conséquent 
français  lui-même,  le  4  août  1825  et  il  est  mort  à  Bru.xelles  le  30  mars  1870.  Sa  famille  vint 
s'établir  à  Bruxelles  en  1833.  Il  était  le  septième  des  dix  enfants  de  Joseph  de  Groux.  fabri- 
cant rubanier.  Naturalisé  belge  à  sa  majorité,  il  avait  étudié  sous  Xavez,  en  1843.  Plus  tard. 
en  1851,  il  alla  travailler  à  Dùsseldorf.  Son  premier  tableau  réaliste  date  de  1853.  Menant 
une  vie  médiocre  dans  un  faubourg  retiré,  en  plein  dans  les  milieu.x  populaires,  humble  de 
fortune  et  malingre  de  santé,  il  peignit  surtout  l'existence  des  êtres  parmi  lesquels  il  vivait. 
Il  est  le  premier  peintre  plébéien  de  la  Belgique.    Mais  il  la  voit,  cette  existence,  avec  toute 


286 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


la  mélancolie  de  sa  nature  physique  et  morale,  et  les  scènes  de  Kermesses  et  d'estaminets,  si 
chères  aux  bons  flamands  d'autrefois,  prennent  sous  sa  brosse  un  aspect  douloureux  et  parfois 
tragique.  Il  est,  comme  l'a  dit  si  justement  Camille  Lemonnier,  ,,le  peintre  des  malheureux". 
Contemporain  de  Millet  et  de  Courbet,  on  ne  distingue  pas  ce  qu'il  doit  au  premier,  si  ce  n'est 
ce  qu'il  put  respirer  de  cette  atmosphère  de  sympathie  pour  les  humbles,  que  les  événements 
de  1848,  en  France,  avaient  répandue  par  toute  l'Europe,  créant  le  mouvement  démocratique 
qui  a,  depuis,  entraîné  une  grande  partie  de  l'inspiration  contemporaine.  ]\Iais  Millet,  dans 
sa  grandeur  austère,  est  recueilli,  robuste,  souvent  calme  et  reposé;  son  art  a  une  allure  toute 
biblique.  Il  peint  les  efforts  de  l'homme,  ses  luttes  contre  le  sol  et  les  éléments;  il  célèbre 
le  travail  du  paysan  ou  le  repos  toujours  actif  des  ménagères,  qui  veillent  sur  les  berceaux; 
il  exalte  l'énergie  et  la  résignation  des  populations  rurales.  De  Groux  est  plutôt  le  peintre  des 
faubourgs,  des  ouvriers  de  fabrique,  au  teint  blafard,  au  corps  amaigri,  au.x  gestes  étriqués 
par  l'habitude  du  travail  de  l'usine,  exhibant  toutes  les  tares  de  la  misère  et  de  l'alcoolisme. 

Comme  dit  toujours  Camille 
Lemonnier:  ,,il  peignit 
ï Assommoir,  avant  qu'on 
en  fit  des  romans."  Ce  qu'il 
tient  de  Courbet  ne  lui  est 
point  particulier,  puisque 
cette  influence  devint  géné- 
rale dans  l'école,  quant  à 
l'inspiration  et  surtout 
quant  à  la  technique.  De 
ce  dernier  côté  l'art  de  de 
Groux  laisse  sans  doute  bien 
à  désirer  :  ses  formes  sont 
souvent  indécises  et  ses 
types  d'une  certaine  con- 
vention par  l'habitude  qu'il 
a  de  vivre  exclusivement 
dans  le  monde  de  son  ima- 
gination, sans  se  renouveler 
suffisamment  devant  la 
nature.  Son  dessin,  souvent 
gauche  et  gêné,  manque,  par  suite,  d'imprévu  et  souvent  de  style;  sa  coloration  expressive, 
empruntée  à  la  palette  de  Leys,  ou  plutôt  à  celle  de  Breughel  le  vieu.x,  cher  aux  trois  premiers 
initiateurs,  comme  il  le  sera  plus  tard  à  toute  l'école  belge,  est  parfois  discordante  par  l'emploi 
de  tons  très  localisés,  trop  aigus  ou  trop  délicats.  De  Grou.x  n'en  est  pas  moins,  par  son 
ingénuité  réelle,  sa  conviction  émue,  ce  vrai  don  de  sympathie  pour  les  faibles  et  les  déshérités, 
une  des  figures  les  plus  marquantes  de  son  école,  à  laquelle  il  ouvre  la  voie  si  humaine 
qu'élargira  plus  tard  Constantin  Meunier.  Ses  principaux  tableaux  sont  :  /c  Départ  du  Conscrit, 
VIvrogne,  VEssai  de  Réconciliation,  Enterrement,  la  Charité,  Regrets,  le  Pèlerinage  de  Saint 
Guidon,  à  Anderlecht,  etc.  Dans  son  œuvre,  le  Bénédicité  du  Musée  de  Bruxelles  tient  une  place 
à  part  par  la  simplicité  heureuse  et  le  naturel  de  la  composition,  la  dignité  des  expressions, 
le  sentiment  contenu,,  la  grande  unité  qui  résulte  de  l'accord  entre  la  composition,  les  har- 
monies et  le  sujet.  On  y  est  plus  près  de  Millet;  on  y  pense  à  certains  anciens  tableaux  de 
Legros  et  on  pressent  Y  A  dieu,  de  Cottet. 

Neveu  et  élève  de  Levs,  Henri  de  Br.\ekeleer,  fils  de  Ferdinand  de  Braekeleer, 


Hknri   liE  Bkakkeleer.  —   Le  Géographe  (-Mu«ée  île  Rruxelles). 


Ecole  hclee. 


287 


est  né  à  Anvers  en  1840  et  est  mort  dans  sa  ville  natale  le  21  juillet  1884.  Il  mt  pour 
premier  guide  un  frère  plus  âgé  que  lui  de  douze  ans,  qui  mourut  en  1847.  Il  travailla  à 
l'Académie  jusqu'en  1861,  mais  exposait  déjà  sa  naïve  et  charmante  Blanchisserie,  de  fa 
Collection  Van  Cutsem.  Il  garde,  par  certains  côtés,  la  trace  de  ses  origines  près  de  son 
maître,  notamment  dans  le  choix  des  colorations  aux  tons  rares,  empruntées,  elles  aussi,  à 
la  palette  savoureuse  du  vieux  Breughel;  mais  il  relève  surtout  des  Hollandais,  des  Pieter  de 
Hooch  et  des  Vermeer  de  Delft,  et  il  représente,  en  Belgique,  à  peu  près  ce  que  Bonvin  a  été 
en  France.  C'était  une  nature  assez  sauvage  et  ombrageuse,  vivant  à  l'écart,  dans  un  coin 
du  vieil  Anvers  qui  suflisait  à  sa  curiosité,  de  même  que  sa  ])einture  satisfaisait  à  tous  ses 


Mii^i-e  <lc   !!ni\elk- 


besoins  intellectuels.  11  était  bien  de  la  race  de  ces  vieu.x  hollandais  qui  n"épr(ju\'aient  de 
joie  qu'à  peindre,  et  à  peindre  ces  vieilles  mêmes  choses  qu'ils  connaissaient,  ou  plutôt  qu'ils 
semblaient  ne  jamais  connaître  assez.  De  Groux  avait  peint  des  petites  gens  avec  le  décor 
qui  les  entoure,  Henri  de  Braekeleer  peint  le  décor  vétusté  et  délabré  des  antiques  maisons, 
des  meubles  du  passé,  des  jardins  resserrés  entre  les  murs  mitoyens  et  les  êtres  vieillots, 
falots,  qui  en  semblent  les  accessoires  naturels.  Pendant  la  première  partie  de  sa  carrière,  il 
reste  directement  dans  la  tradition  des  maîtres  de  Hollande  et  ses  débuts,  tel  son  tableau 
des  Oiseaux  empaillés  (1865),  montrent  un  métier  savant,  puissant  de  tons,  mais  appliqué, 
littéral  et  menu,  dans  l'esprit  de  certains  faiseurs  de  natures  mortes  néerlandais.  Il  s'échauffe 
ensuite,   s'assouplit   et  peint   des  intérieurs  dans  une  lumière  rousse,  profonde  et  mordorée. 


288 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


comme  la  Maison  hvdraiiliquc.  du  Musée  de  Bruxelles,  ou  comme  V Echoppe,  du  même  Musée, 
avec  un  joli  bariolage,  si  vi\-ant,  sur  la  commode  ou  sur  la  fenêtre,  où  sont  disposés  les  bocaux 
pleins  de  bonbons  de  couleur,  les  sucres  d'orge  et  les  oranges;  ou  la  Fctc  de  Grand-Mère  (1873), 
dans  un  intérieur  de  classe  enfantine;  ou  la  Place  Téniers.  petite  place  provinciale  et  déserte, 
vue  de  la  fenêtre  de  l'atelier  du  peintre,  que  contemple  une  jeune  femme,  songeuse,  envahie, 
elle  aussi,  par  la  grande  clarté  douce  et  tranquille,  un  peu  triste  et  un  peu  poignante  de  ce 
ciel  gris,  sur  lequel  se  détachent  les  toilets  d'ardoise  de  l'Eglise,  les  façades  ocreuses  des 
maisons,  quekpies  coins  de  tuiles  rouges  et  les  caractères  blancs  des  enseignes. 

Plus    tard  H.  de  Braeckeleer   se  dégage   entièrement  des  influences  premières  pour 
arriver  à  une  dernière  manière,  tout  à  fait  personnelle  et  caractéristique,  d'accords  joyeux  de 

tons  purs  les  plus  vifs,  qu'il  dispose 
en  pleine  lumière  comme  une  sorte 
de  mosaïque  serrée  de  petites  touches 
ào  pâte  sèche.  Le  Musée  du  Luxem- 
bourg possède  une  petite  toile  de 
Bibelots,  peints  à  cette  date,  tout  à  la 
hn  de  sa  vie.  Le  Géographe  (1872),  du 
Musée  de  Bruxelles,  qui  est  devenu 
classique  et  qui  est  un  chef-d'œuvre 
de  peinture.  relè\"e  encore,  dans  son 
frais  et  vif  bariolage  localisé,  se  déta- 
chant, sur  l'accompagnement  de  vieil 
or  roux  du  fond,  de  l'influence  de 
Leys,  nitiis  en  faisant  pressentir  déjà 
sa  dernière  transformation. 

.\  côté  de  ces  véritables  initia- 
teiu's  de  l'art  belge,  il  convient  de 
placer  un  autre  personnalité  très 
importante,  apparentée_^de  plus  près 
à  l'école  française,  mais  qui  ne  perdit 
jamais  le  souvenir  de  ses  origines 
flamandes  et  dont  Tieuvre  a  laissé 
des  traces  dans  l'école  locale.  C'est 
Alfred  Stevens. 

Alfred  Stevens  est  né  à 
Bruxelles  le  11  mai  1828;  il  est  décédé 
à  Paris  le  24  août  1906.  Ils  étaient 
trois  frères:  Joseph  Stevens.  né  à  Bruxelles  en  1819,  mort  en  1892,  robuste  animalier,  de  la 
race  des  Decamps  et  des  Courbet,  qui  s'est  voué  particulièrement  à  raconter  les  splendeurs 
et  les  misères  des  héros  de  la  race  canme.  C'est  un  peintre  admirable,  du  métier  le  plus  viril, 
qui  renoua  son  temps  à  la  tradition  des  grands  animaliers  flamands.  Il  avait_^  débuté  en  1845. 
Certains  de  nos  musées  français  possèdent  des  œuvres  de  ce  maître  qui  a,  du  reste,  beaucoup 
travaillé  en  France.  Le  Musée  de  Rouen  conserve  la  toile  intitulée:  un  Métier  de  chien  et  le 
Luxembourg  le  Supplice  de  Tantale.  On  admire  au  Musée  de  Bruxelles,  avec:  Bruxelles,  le 
matin,  daté  de  1848,  et  un  Épisode  du  Marché  aux  Chiens  à  Paris  (1857),  leChien  au  Miroir, 
spirituelle,  vivante  et  brillante  peinture,  exposée  en  1880.  L'autre  frère,  Arthur  Stevens, 
critique  d'art  de  valeur  et  marchand  de  tableaux,  a  exercé  une  réelle  action  sur  le  goût  de 


Alfreu  Stevens 


Retour  du  ll.il  (Mu^êe  du  Luxembourg). 


Xolc 


bel 


ee. 


2S9 


son  temps  et  de  sdii  p;iys,  où  il  fît  Cdnnaitre,  ]);ir  ses  écrits  et  aussi  ])ar  son  commerce,  les 
vrais  grands  maitres  français  (lui  devaient   inlhu-ncer  les  artistes  helt^es. 

Alfred  Stevens  a\-ait  été  élève  de  Naxx'z:  ses  progrès  furent  très  raj)ides,  mais  sc§ 
débuts  hésitèrent  queUpie  temps  entre  les  sujets  sentimentaux  vt  exjjressifs,  les  gentilhomme- 
ries  Louis  XIII  à  la  Meissonier  ou  les  orientaleries  et  autres  motifs  se  rattachant  au  roman- 
tisme. Il  a\'ait  pourtant,  <à  ce  moment,  perçu  sa  vraie  voie,  lors^m'en  1H55,  il  peignait  un 
sujet  moderne  ,,(licz  soi".  \U\f  lui  fut  indiquée  par  son  ami  FLfjRExr  Willems  (né  à  Liè^ge  le 
8  janvier  1823.  mort  à  Xeuillv  (Seine)  le  9  octobre  1905),  qui  avait  débuté  dans  la  peinture 
comme  restaurateur  de  talileaux.  s'était  assimilé  les  procédés  des  petits  maitres  hollandais, 
et  jouit  longtemps  en  France  et  en  Belgique 
d'une  brillante  réputation  {)oiu"  ses  petits 
panneaux  à  la  Metsu.  Ste\-ens  le  sui\-it  à  Paris, 
où  il  étudia  sous  Camille  Koqueplan.  Il  entra 
bientôt  dans  le  sillage  de  Courbet,  à  côté  des 
jeunes  réalistes,  les  Fantin.  les  Legros.  les 
Whistler,  les  Tissot,  près  de  qui  on  le  ren- 
contre en  1863,  à  Londres.  Il  subit,  comme 
eux,  avec  l'influence  du  maitre  d'Ornans  dans 
la  technicpie,  l'action  décisive  des  arts  du 
Japon,  qu'ils  \-enaient  de  décou\'rir  et  qui,  eu 
éveillant  leur  fantaisie,  ou\-rirent  leurs  yeux  à 
des  besoins  nou\'eaux  de  \'i\acité  dans  le 
coloris.  Les  tableaux  de  Ste\-ens  sont  remplis 
de  ces  splendides  mobiliers  ou  de  ces  mer- 
veilleux bibelots  d'extreme-Ôrient.  para\-ents, 
kimonos,  kakémonos,  potiches,  émaux  cloi- 
sonnés, que  sa  brosse  savante  excelle  à  traduire 
dans  leur  éclat  doucement  amorti  par  la  lumière 
voilée  et  l'atmosphère  profonde  des  intérieurs. 
C'est  en  1857  qu'il  commence  à  s'adonner  à 
ses  sujets  féminins.  A  l'Exposition  de  1867, 
il  se  montrait  dans  toute  la  richesse  et  la 
variété  de  ce  talent  extraordinaire,  tour  à  tour 
ferme  et  précis,  souple  et  insinuant,  qui  semble 
tout  dire  et  ne  dit  pourtant  que  ce  qu'il 
veut,  tantôt  riche,  sonore  et  lumineux,  tantéit 
mystérieux,  enveloppé  et  troublant.  C'est  un 
des  plus  admirables  praticiens  du  siècle  et,  à 

ce  titre,  il  est  bien  de  sa  race.  11  a  eu.  comme  personne,  le  sens  de  la  femme,  de  ses  accoutre- 
ments, de  son  milieu.  Il  peint  d'abord  la  fenune  du  monde,  la  femme  élégante  de  cette  \-ie 
d'apparat  et  de  plaisir  du  second  empu'e,  en  sujets  où  il  se  plait  à  mettre  toujours  un  petit 
intérêt  d'ordre  sentimental,  sans  rien  sacrifier,  du  reste,  des  conditions  pittoresques  de  ses 
compositions.  Ce  sont  les  Rniiiciiiix,  la  \'isifc,  Tous  les  Bonheurs,  la  I-'iii  du  Ménage,  Souvenirs 
et  regrets,  VInde  à  Paris,  la  Visite,  la  Surprise,  la  Tasse  de  thé,  la  Psyché,  la  Robe  japonaise. 
Douloureuse  eertitude,  la  Désespérée,  Billet  de  faire  part.  Confidence,  etc.  En  même  temps  que 
sa  manière  se  modifie  en  s'élargissant  et  en  perdant,  peut-être,  certaines  de  ses  (pialités 
primitives,  pour  verser  dans  les  recherches  du  ,, plein  air"  et  de  l'impressionnisme,  dont  il 
subissait  l'influence,  non  sans  protester  toutefois  contre  ces  tendances  nom'elles  de  l'art,  sans 


14  ,'. 

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290 


La  Peinture  au  XIX^  siècle. 


doute  aussi  au  contact  de  la  littératuiv  nouvelle,  la  direction  de  Stevens  s'oriente  vers  le 
milieu  énigmatique,  mystérieux  et  inquiétant  de  la  demi-mondaine,  qu'il  traduit  en  types 
inoubliables.  La  bête  à  bon  Dieu,  le  Masque  Japonais,  la  Femme  au  bain,  détruite  dans  un 
incendie  et  surtout  le  Sphynx  parisien,  du  Musée  d'Anvers,  annoncent  l'art  futur  de  Rops.  Le 
Musée  du  Luxembourg  possède  d'Alfred  Stevens  le  Chant  passionné,  belle  peinture  d'une  tonalité 
un  peu  sourde  et  le  Retour  du  Bal,  ou,  comme  on  l'appelle  plus  communément,  la  Femme  en 
jaune,  un  des  plus  délicats  et  des  plus  brillants  morceaux  dûs  à  la  brosse  nerveuse  et  vivante 
du  maître.  Parmi  les  nombreux  ouvrages  que  possède  le  Musée  de  Bruxelles,  la  Z)fl me  en  rose, 
debout,  examinant  un  petit  bibelot,  près  d'une  commode  chinoise  de  Riesener,  est  un  de  ses 
ouvrages  les  plus  subtils  de  tons  et  les  plus  délicieusement  enveloppés.  Il  a  été  exposé  en  1866, 

à  Bruxelles.  Alfred  Stevens  était  comman- 
deur de  la  Légion  d'honneur  depuis  1878. 

Dans  les  générations  ultérieures, 
l'I'xole  belge  continuera  à  s'orienter  plus 
décidément  chaque  jour  dans  le  sens  du 
réalisme.  L'histoire,  comme  en  France, 
perd  chaque  jour  du  terrain,  abandonnée 
d'ailleurs  aux  productions  officielles  des 
milieux  académiques.  De  ces  milieux ,  toute- 
fois, émergent  quelques  personnalités,  qui 
même  dans  cet  ordre  d'idées,  font  honneur 
à  l'école  belge.  De  l'atelier  du  peintre 
bibhque  et  orientahste  Portaëls,  sortirent, 
entre  autres,  trois  artistes  dont  les  noms 
sont  à  retenir:  Agneessens,  E.  Wauters  et 
J.  de  Lalaing.  C'est  à  dessein  qu'il  faut 
passer  sur  la  figure  étrange,  d'une  étrangeté 
toute  voulue,  d'ailleurs,  grandiloquente  et 
boursoufflée,  d' Antoine  Wiertz  (né  à 
Dinant  le  22  février  1806,  mort  à  Bruxelles 
le  18  juin  1865),  qui  a  constitué,  en  mou- 
rant, dans  la  capitale  belge,  un  musée  de 
ses  élucubrations  historico-philosophiques. 
Edouard  Agneessens  est  né  à 
Bruxelles  le  24  août  1842  et  il  est  décédé 
le  20  août  1885.  Fils  d'un  rédacteur  de  Y  Indépendance  belge,  il  entra  chez  Portaëls  en  1859 
et  obtint  le  prix  de  Rome  dix  ans  plus  tard.  Atteint  d'une  lésion  au  cerveau,  il  a  laissé  son 
œuvre  inachevé.  On  n'a  guère  de  lui  que  des  portraits  et  des  études  et  quelques  sujets  de 
fantaisie.  Mais,  dans  les  unes  comme  dans  les  autres,  il  montre  des  qualités  précieuses  de  vrai 
peintre;  sa  matière  est  belle  et  grasse,  ses  carnations  fines  de  ton  et  modelées  dans  les  gris 
les  plus  délicats.  Le  Musée  de  Bruxelles  conserve  trois  portraits  de  lui  et  la  collection  Van 
Cutsem  possède  de  cet  artiste  plusieurs  de  ces  excellentes  études  de  nu  dans  lesquelles  il 
excellait,  en  se  gardant  avec  une  certaine  indépendance  des  souvenirs  scolaires. 


Edouard  Agnekssens.  —  La  Uaïue  au  gant  (Musée  ilo  Riuxelles). 


Plus  jeune  de  quatre  ans,  il  est  né  à  Bruxelles  en  1846,  Emile  Wauters  est  assurément 
le  seul  maître,  qui,  depuis  Leys,  ait  pénétré  avec  succès  dans  le  domaine  de  l'histoire.  Il  n'y 
a,  du  reste,  aucun  rapprochement  à  établir  entre  son  art  savant,  réfléchi,  fortement  discipliné 


xolc    hcme. 


291 


et  les  dons  suggestifs  et  synthéticiucs  de  sdii  grand  prédécesseur.  Mais  bien  qu'il  ne  s'écarte 
gvière  de  la  donnée  traditiimmllr  de  riiistuire  anecdotitiue,  Wauters  apporte,  dans  ses  reconsti- 
tutions du  passé,  de  l'intelligence,  du  tact,  de  la  mesure  et  un  réalisme  sobre  et  expressif.  Il- 
avait  débuté,  en  1869,  avec  le  Lciidcuuiin  de  la  hataillc  rf'//«si'!«gs  et,  €01872,  il  devenait  célèbre 
avec  la  Folie  de  Hugues  Van  dey  dues  qui,  à  l'Exposition  de  1878,  à  Paris,  obtint  avec  Jean 
IV  et  les  Métiers  de  Ilruxelles,  une  médaille  d'or.  Ce  premier  tableau  est  placé  au  Musée  de 
Bruxelles.  .,En  14S2,  le  peintre  Hugd  \'an  der  (ioes,  de  Gand,  qui  s'était  retiré  au  prieuré  de 
Rouge-Clnitre,  y  fut  atteint  d'une  maladie  nu'ntale.  Il  fut  ramené  au  refuge  de  Bruxelles  où 
le  prieur,  Thomas,  se  rappelant  le  soulagement  qu'éprouvait  le  mi  Saûl,  quand  David  jouait 
de  la  cytliare,  permit  d'exécuter  de  la  musique  devant  le  malade  et  de  le  récréer  par  d'autres 


La   FuliL-  .k-   Iliit;ui-s   Vaii  .Ici    C. 


spectacles."  (i)    La  scène  est  disposée  simplement  et  dramatiquement  en  jjlein  relief  et  forte 
lumière,  dans  un  sentiment  d'unité  qui  est  d'un  pathétique  émou\-ant. 

Kmile  Wauters  avait  fait,  en  1870,  un  premier  voyage  en  (3rient,  à  l'occasion  du 
percement  du  Canal  de  Suez;  il  retourna  en  Egypte  en  1880,  à  la  suite  du  prince  héritier 
d'Autriche;  il  en  rapporta  des  scènes  locales,  qui  le  mettent  au  premier  rang  des  Orientalistes 
nombreux,  les  Verlat,  les  Portaëls,  les  Clans,  les  Van  Rysselberghe,  les  Van  Strydonck,  etc., 
qui  se  sont  distingués  en  Belgique.  Il  est  également  célèbre  par  des  portraits  d'une  grande 
distinction,  tels  ceux  de  M""^  Somzée,  du  jeune  Sondée,  à  cheval  sur  un  {>oney,  du  général 
Goffinet,  etc.  —  h^mile  Wauters  est  correspondant  de  l'Institut  de  Erance  et  Officier  de  la 
Légion  d'honneur. 

(l)      Alphonse  Wauters.     Notice  sur  rhistoirc  de  notre   première  école  de  peinture. 


292 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


Le  comte  jAcyuKS  de  Lalaing  appartient  à  une  génération  de  beaucoup  plus  jeune. 
Il  est  né  à  Londres  en  1858.  Peintre  et  sculpteur,  il  affectionne  les  concepts  vastes,  les  formes 
amples,  qu'il  traite  avec  une  certaine  grandiloquence  un  })eu  théâtrale,  mais  non  sans  carac- 
tère. Le  Musée  de  Bruxelles  possède  de  lui  le  Chasseur  pnmitij.  d'un  style  un  \»-\\  démesuré, 
qui  date  de  1885;  mais,  presque  à  ses  débuts,  en  1878,  son  Portrait  équestre,  aujourd'hui  au 
Musée  de  Gand,  d'ofhcier  de  lanciers,  s'avançant  entre  les  lignes  de  ses  troupes,  le  front 
découvert,  le  \-isage  rasé,  énergique,  tourné  de  face,  avec  l'air  hautain  d'un  ancien  condottiere, 
produisit  une  grande  sensation  lorsqu'il  fut  exposé  en  Belgique  et  à  Paris,  et  le  rendit  célèbre. 
Il  a  exécuté  de  savantes  décorations  à  l'Hôtel  de  Ville  de  Bruxelles. 

Toutes  ces  tendances  et  tous  ces  noms  représentent  plus  particulièrement  l'art  belge 


J.M'iJUKS    DE    LaLAIN 


r.irtrait  équestre  (Musée  de  Ganil). 


d'hier.  Le  tableau,  toutefois,  n'en  serait  pas  complet  si  l'on  en  omettait  la  nombreuse  et 
vivante  pléiade  des  paysagistes.  Comme  leurs  confrères  de  France,  dont  ils  ont  suivi  de 
près  ou  de  loin  le  brillant  sillage,  ils  ont  été  constamment  à  l'avant-garde  de  l'école  et  tout 
en  s'orientant  sur  le  mouvement  venu  de  Paris,  ils  ont  montré,  assez  souvent,  avec  de  la 
puissance  ou  de  la  délicatesse,  une  certaine  originalité,  qui  tient  à  la  vertu  réaliste  du 
terroir.  Tels  sont,  puisqu'il  n'est  guère  permis  ici  que  de  les  citer:  Théodore  Fourmois, 
(1814— 1871),  Xavier  de  Cock  (1818— 1896),  Alfred  de  Kxvfe  (1819 — 1886),  Paul-Jean 
Cl.avs,  le  beau  peintre  de  l'Escaut  (1819 — 1900),  François  Lamoriniere,  le  mariniste  Louis 
Artan  (1831 — 1890),  HiPPOLVTE  Boulenger  (1837 — 1874),  qui  mériterait  une  mention  plus 
spéciale  pour  sa  sensibilité  exceptionnelle  et  l'impulsion  qu'il  donna  an  paysage  belge  par  la 
fondation    de    ..l'école    de    Tervueren",    Théodore    Baron    (1840 — 1899),     Adrien-Joseph 


.colc    IjcIuc. 


293 


Hi:\MA\s.  nr  à  An\'i'rs  m  iN;i|.  ilrlmul  .i\fc  \aillancf  à  (  cttc  linin-;  ,ni\(|nrls  il  faudrait 
ajouter,  beaucoup  plus  jcuui-.  le  (.,iutoi>  (iTmam-;  Den  Drvi^  (1X50  i."^!);).  sau>  omethv 
Louis  Dubois  (1830 — 1880),  >u])rrl)c  pruitrr  de  tigures.  de  paysages  et  de  uature^-uiortes  et 
son  digne  héritier  Alfred  \'eki!ai;ke\  mi  F'kaxz  Couktexs.  l^t  à  enté  d'i-ux  sont  les 
animaliers,  jiarmi  lesquels  deux  figures  un  piii  à  part.  eelK'  de  X'erwee  et  ei'Ilr  de  Stobbaerts. 
Alekei>-Ja(  iiUES  \'ek\véi-:  est  ne  a  St.  Jo-^e-ten-Xoode.  faubourg  de  Bruxelles,  le 
23  a\-ril  1838  et  il  est  décédé  à  lîruxellrs  le  15  septemlire  181)3.  11  fut  dirigé  par  son  père, 
également  peintre  et  reçut  les  cinisrils  (!;■  \'erboeckoven,  mais  il  axait  débuté  dans  la  vie 
comme  géomètre.  Il  exposa  pour  la  ])ri'mière  fois  à  Bruxelles  en  1^37  et  il  rst  récompensé  en 
1863.  pour  des  Animaux  en  prairie,  qui  annimçaient  un  peintre  du  [dus  riche  tempérament. 


"«fcwS 


ri''.iiilj.>uchuie  de  l'Escaut  (Musée  dr   l!iu\rllrs). 


Mettant  à  jnotit  Texpérience  acquise  près  des  maîtres  français,  il  se  créa  à  leur  suite  une 
personnalité  bien  déterminée,  personn.dité  puissante  et  heureuse,  essentiellement  flamande,  qui 
dit  toute  la  richesse  plantureuse  de  cette  terre  fertile,  saturée  d'iumiidité  et  la  beauté  de 
ces  races  animales:  taureaux  lustrés  au.x  naseaux  fumants,  vaches  paisildes  et  somnolentes 
traversant  les  gués  de  l'Escaut,  che\'eaux  géants  et  trapus,  à  la  croupe  massi\-e.  à  la  forte 
encolure  arrondie,  aux  jamlies  courtes  et  rolnistes.  que  des  cavaliers  enrubannés,  élevant  des 
étendards,  conduisent  dans  les  fêtes  de  gildes.  T(jute  cette  animalité  est  traduite,  dans  la 
fine  atmosphère  grise  et  les  verdures  vi\'es,  avec  une  plénitude  de  formes  toute  sculpturale. 
Ses  principaux  tableaux^sont  :  le  Vcriicr  (i8b6),  VEtalun  (1860).  Aftcla'^c  Zclaïuiais  (1872)  (au 
Musée  de  Bruxelles),  Aux  hiiviroiis  d'Ostcndc  (1878),  A  F  Embouchure  de  i'Iiseau/  (1880).  Au 
beau  pays  de  Flandre  (1884).  /ujuinoxe.  tous  trois  au  même  muséi'. 


294 


La  Peinture  au  XIX*"  siècle. 


Jan  Stobbaerts  est  exactement  son  contemporain,  puisqu'il  est  né  la  même  année 
1838,  le  18  mars.  Il  appartenait  à  une  famille  de  pauvre  ouvriers,  —  le  père  était  ébéniste  —  et 
il  fut  mis  apprenti  dès  l'âge  de  huit  ans  chez  un  ébéniste,  puis  chez  un  peintre  en  bâtiments, 
ensuite  chez  un  décorateur.  Ne  sachant  encore  ni  lire  ni  écrire,  il  se  forma,  et  s'instruisit  tout 
seul,  .\nversois  de  race,  il  a  été  le  camarade  de  Henri  de  Braekeleer  avec  qui  il  était  peut-être 
seul  fait  pour  s'entendre.  Par  lui,  il  reçut  les  conseils  de  Leys,  qui  les  éloigna  tous  deux  de 
l'enseignement  de  l'Académie,  et  il  se  développa,  comme  son  camarade,  en  pleine  nature,  en 
peignant  dans  les  milieux  populaires  auxquels  il  appartenait.  C'est  en  1857  qu'il  exposa 
pour  la  première  fois.  Son  art,  fort  matérialiste,  est,  suivant  le  mot  de  C.  Lemonnier,  d'une 
,, superbe  vulgarité".  Sa  peinture,  au  début  grise  et  enveloppée,  passe  vers  1870  par  une 
période  de  brutalité  savoureuse;  peu  à  peu  elle  s'amende  sans  s'affaiblir  et  l'on  peut  dire  qu'il 


JxN    M-]:i;alki.  La  S-nie  de  l'Etaljle  (Musée  d'Anvers). 

n'est  guère  parmi  les  maîtres  les  plus  virils  et  les  plus  véridiques,  dans  le  passé  comme  dans 
le  présent,  de  peintre  qui  ait  rendu  avec  une  telle  intensité,  un  relief  si  saisissant,  un  modelé 
si  approfondi,  par  un  travail  indéfinissable,  lent,  patient,  pris  et  repris,  les  croupes  rondes 
et  lustrées  des  chevaux  qui  piaffent  devant  leurs  mangeoires,  le  grouillement  gras  et  rose  des 
porcs  barbottant  dans  de  rembranesques  purins  ou  les  beaux  noirs  luisant  des  taureaux 
accroupis  dans  l'or  des  litières.  Le  Musée  de  Bruxelles  possède  de  Stobbaerts  VÉtable,  refusée 
au  Salon  d'Anvers,  en  1885,  qui  est  un  chef-d'œuvre.  On  a  pu  voir,  à  notre  Exposition  de 
1900,  son  Tondeur  de  chiens  (1875)  et  sa  Boucherie  anversoise  (1873),  morceaux  antérieurs 
comme  exécution,  d'une  vérité  d'observation  et  d'une  puissance  de  technique  peu  communes. 
Le  Musée  d'Anvers  possède  la  Sortie  de  fÉtable  (1882)  et  Chiens  (1892),  Ses  principaux 
tableaux  appartiennent  aux  collections  Van  Cutsem  et  Lequime.  Jan  Stobbaerts  est  chevalier 
de  la  Légion  d'honneur  depuis  1900. 


École  belee. 


295 


Nf^i, 


Constantin  Meunier.  —  Les  Hauts  I-oiirneau\  (d'après  une  eau-forte  de  Cari  Meunier  lils). 

Les  derniers  maîtres  que  nous  venons  de  voir  méritent  de  dépasser  les  frontières  de 
leur  école  et  de  prendre  place  dans  le  Panthéon  de  l'histoire  générale.    Il  en  est  un  qui  a  eu 


TiiEODi.iKE  VeksIraete.   —  Verçer  en  Zélande. 


296 


La   Peinture:   au   XIX''  siècle. 


la  satislactiim  <li'  |()iur  dr  crttc  L^hnv  durant  sa  vie.  C'est  Constantin  Meunier.  Sa  vraie 
inissKiii,  e\Kleininent,  est  plutôt  du  cnir  de  la  statuaire.  Il  lui  a  (juvert  la  grande  voie  populaire, 
([u'elle  hesit.ii)  à  aborder  et  Ta  mise  en  corrélation  avec  les  UKeurs  de  notre  temps.  Il  occupe, 
de  ce  c(')té.  dans  Thistoire  de  la  seuljiture  contemporaine,  une  place  e.xceptionnelle  de  grand 
initiateur.  Mais  il  a  été  également  ])eintre;  c'est  de  ce  côté  ([u'il  a  obtenu  ses  prenuers  succès 
et  les  p.intur.'s  de  sa  dernière  manière,  .[u'il  a  exécutées  sous  l'inspiration  ciui  dirigeait  sa 
sculptmv,  ont  eu  une  inllueuce  sur  la  nouvelle  orii'ntation  de  la  peinture  belge.  Hien  cju'il  soit 
un  couteniporam  di-s  iirécédents.  il  appartient,  peut-on  dire,  à  la  période  snivante  de  l'art 
belge.  ,\  la  \i'rite,  son  (eu\re  hautement  expressive  et  personnelle,  dans  laquelle  il  exalte  le 
travail  de  l'ouvrier  de  hi  mine  et  de  la  fabrique,  ne  remonte  qu'aux  dernières  années  de  sa  vie, 
car  ce  n'est  que  vers  l'àge  de  cinquante  ans  qu'il  a  tr.mvé  tout-à-fait  sa  route.  Né  le  12  avril 
iN  ;!  à  Etterbeek,  faubourg  de  Bruxelles,  dans  im  milieu  très  modeste,  —  le  père  était  receveur 


,'  Ç'^  *'^^^^ 


ml    la    Ev-  (Miisee  de  liiuxellt-s). 


des  contrilMitions  —  Constantin  ^Meunier  traina  une  enfance  maladive  qin  inllua  peut-être  sur 
sa  compréhension  des  choses  de  la  vie.  Son  amitié  avec  de  Groux,  près  de  qui  il  se  plaisait 
à  travailler,  ne  pouvait  qu'agir  sur  lui  dans  ce  sens.  II  débuta  d'abord  par  la  sculpture,  puis 
se  mit  à  la  peinture,  plus  propre  à  lui  assurer  un  gagne-pain,  d'autant  plus  qu'il  s'était  marié 
jeune  avec  une  française,  fille  d'un  officier.  11  commença  par  peindre  des  sujets  romantiques 
oii  il  rechercha  le  pathétique,  tel  rEiitcrrcincnt  d'un  Trappiste,  qui  date  de  1858,  au  Musée  de 
Courtrai,  le  Martyre  de  Saint  Etienne,  ou  cet  Épisode  de  la  Guerre  des  paysans,  au  Musée  de 
Bruxelles,  qui  date  de  1875.  Conduit  par  son  neveu.  Camille  Lcmonnier,  dans  les  mines  du 
Val  de  St.  Lambert,  il  est  frappé  pour  la  première  fois  par  la  grandeur  de  ces  spectacles.  Mais 
il  est  envoyé,  en  1880,  en  Espagne  oii  le  gouvernement  lui  avait  donné  une  copie  à  exécuter, 
travail  qu'il  avait  accepté  en  raison  de  sa  situation  très  précaire.  L'aspect  tragique  et  violem- 
ment pittores(jue  de  ce  pays  le  toucha  \-i\emi-nt  et,  durant  quelque  temps,  il  exposa  des  sujets 


É 


cole  belee. 


297 


espagnols,    tel  la  Maini/actiire  de  tabuc  à  Sévillc  (1883)  du    .Musée  de  Bruxcllo.  L;randc  tuile 
chaude,  vi\'aiite  et  fortement  exoticiue. 

C"est  en  1884  seulement  que  se  produit  son  évolution  sculpturale  et  sa  direction  \ers 
le  Peuple  et  vers  le  Travail.  Il  rêve,  dès  lors,  de  ce  monument  à  la  fj;lorilication  du  Travail 
dans  leciuel  il  fera  rentrer  toutes  ses  grandes  ceuvres.  La  peinture  n'est  plus,  à  dater  de  ce 
jour,  qu'un  accompagnement  de  la  statuaire,  un  délassement  ou  une  préparation  à  ses  grands 
labeurs.  Il  peint  des  puddleurs,  des  marteleurs,  des  hercheuses,  le  grisou,  toutes  ces  vies  et 
tous  ces  pavsages  qui  se  résument  dans  ce  mot;  Ait  Pays  noir.    Le  Lu.xembourg  possède  de 


ce  maître,  qui  a  trouvé  en  art  la  formule  démocratique  la  plus  haute,  après  Millet,  une  toile 
fortement  synthétique  et  expressive  ipn  porte  ce  titre':  elle  fut  acquise  en  1896,  à  l'Exposition 
de  , .l'Art  Nouveau",  d'où  commença  sa  réputation.  —  Ce  grand  artiste  est  mort  à  Lxellcs, 
le   4  avril   1905.     Il  était  oùicier  de  la  Légion  d'honneur. 

L'école  belge  a  donc,  dès  à  présent,  sa  physionomie  bien  déterminée:  elle  continuera 
sans  doute,  connne  tous  les  centres  européens,  à  prendre  son  mot  d'ordre  près  de  1  Lcole 
française,  mais  elle  gardera,  sinon  un  caractère  national,  ce  qui  n'est  plus  possUile  pour  les 
raisons  qui  ont  été  exposées,  du  moins  un  accent  local  très  marque. 


'.gS 


La  Peinture  au   XIX''  siècle. 


l'nc  ])articulariU'\  du  reste,  qui  est  essentielle  à  noter,  c'est  l'iniluence  active  des  sociétés 
et  gnnipeinents  artisticiues.  L'esprit  de  solidarité,  si  développé  dans  les  mœurs  de  ce  petit  État, 
s'est  altuiné  maintes  fois  avec  bonheur  dans  les  arts.  Après  l'Art  libre,  fondé  par  Louis  Dubois, 
par  Constantin  Meunier  et  autres,  qui  luttaient,  comme  en  France,  contre  l'ostracisme  des 
iurys  officiels,  apparaissent  les  XX,  Flissor,  la  Libre  Esthétique.  Ces  sociétés  trouvent  l'aide 
précieuse  d'une  critique  avisée,  à  la  tète  de  latiuelle  est  placé  im  des  maitns  écri\'ains  modernes, 
l'historien  même  de  l'art  belge,  Camille  Lemonnier,  et  les  sympathies  d'un  milieu  littéraire  cpii 
com])rend   les   ^Maeterlinck,    les  Rodenbach.  les  Verhaeren,  les  O.    Maus.   etc. 

Deu.x;  grandes  directions  bien  dessinées,  de  même  qu'en  France,  divisent  dès  ce 
moment  l'inspiration  de  l'art  belge:  l'une  réaliste,  c'est-à-dire  prenant  pour  sujets  les  aspects 
immédiats  des  êtres  et  des  choses,  l'autre  idéaliste,  c'est-à-dire  préoccupée  de  la  traduction, 
par  les  formes  humaines,  des  grandes  idées  générales.  On  a  coutume,  assez  arbitrairement 
semble-t-il.    d'attribuer   à    l'un   et   l'autre   de   ces   deux   ordres  d'inspiration  unfe  signification 

j)rovinciale  et  on  les  oppose 
en  tendances  flamandes  et 
tendances  wallonnes. 

Sans  doute  y  a-t-il  des 
iniluences  de  cercles  locaux. 
C'est  d'.\n\-ers  qu'est  partie 
rimpul>ion  initiale  avec  Leys, 
(le  droux,  de  Braekeleer,  aux- 
quels il  faudrait  rattacher 
Constantin  ^leunier  et  Stob- 
baerts.  C'est  à  Gand  que  se 
Sont  formés  les  principaux 
maîtres  n()U\'eaux  du  réalisme: 
\'erstraete,  Clauset  Baertsoen. 

ThÉOD.  VERSTR-^iETE, 

qui  est  né  à  (ïand  le  5  janvier 
1850,  est  décédé  à  Anvers  le 
8  ian\'ier  1907,  à  la  suite  d'une 
longue  et  douloureuse  maladie 
qui  le  priva  de  l'usage  de  la 
raison.  Il  était  fils  d'une  actrice 
du  théâtre  flamand  où  son  père  était  lui-même  chef  d'orchestre.  Entraîné  dans  une  ,, tournée" 
en  Hollande,  c'est  là  que  se  déclara  sa  vocation.  Au  retour,  en  1867.  il  entra  à  l'Académie,  où 
il  parut  débuter  comme  gra\'enr  et  exjiosa  à  .\nvers  dès  1S7J.  un  Paysage  aux  Environs  de 
Bereheni.  Il  obtint  à  Paris,  en  18S2.  sa  première  récompense,  une  mention  honorable,  avec  sa 
toile  :  /^<?;;.s  la  bruyère.  Très  encouragé  par  un  bienwillant  et  très  éclairé  amateur  des  arts,  Henri 
van  Cutsem,  qui  a  beaucoup  aidé  à  l'essor  de  l'art  belge  moderne,  ses  principales  compositions 
appartiennent  à  cette  collection,  appelée  à  être  installée,  par  le  statuaire  (iuillaimie  Charlier, 
au  Musée  de  Tournai.  Robuste  et  beau  praticien,  il  a  tantôt  la  fraîcheur  la  plus  vive  et  l'éclat 
le  plus  printanier.  comme  dans  cet  exquis  Verger  en  Zélande,  a\-ec  ces  jolies  filles  aux  coiffes  ailées, 
aux  bijoux  d'or  dans  les  yeux,  qui  cueillent  dans  le  pré  vert,  sous  la  neige  des  arbres  en  fleurs, 
les  pervenches  et  les  pâquerettes:  tantôt  il  est  d'une  mélancolie  très  pénétrante  avec  ses  scènes 
funéraires:  le  Viatique  {1886),  VEnterreuwnt  en  Canipine  (1888),  Collection  \'an Cutsem;  la  Veillée 
d'un  mort  en  Canipiue  (i8()i)  (au  ^lusét'  d'.\n\'ers),  .Au  Cimetière  (i8()4),  (Musée  de  Bruxelles). 


Jkan  Delvin. 


Ecole  bclire. 


299 


La  carrière  d'KMiLE  Claus  a  été  assez  accidentée,  du  moins  au  début  et  au  point  de 
vue  tout  professionnel.  Né  à  \'ive  Saint  Éloi  (Flandre  orientale)  le  27  septembre  1849.  il  était 
le  seizième  enfant  de  la  famille.  Sun  père  était  un  modeste  épicier,  établi  au  barrage  de  la  Lys. 
pour  la  consommation  des  bateliers.  11  eut  beaucoup  à  lutter  pnur  convaincre  ses  parents 
de  la  vocation  artistique  (pii  lui  était  vt'nuc  de  la  contemplation  du  pax'sage  environnant. 
Toutefois,  avec  la  complicité  de  -.a  mère  et  du  compositeur  Peter  ISenoit.  que  le  hasard 
avait  conduit  d.ms  le  pays,  il  fut  autorisé  à  se  rendre  à  TAcadémie  dWnvers.  où  il  étudia 
sous  de  Keyser.  Ses  débuts  se  ressentent  assez  longuement  de  ces  influences  scolaires.  De  1874 
à  1889  il  peint  des  sujets  épisodiques  et  sentimentaux,  pris  dans  la  réalité,  tels  que:  Richesse 
et  pauvreté,  le  Chcuiin  des  écoliers,  le  Bateau  qui  passe,  la  Veille  de  la  fête,  en  particulier  un 


,.\N   RvssEI.BlcRi'.llE.  —  l>'heiue  embrasée. 


Combat  de  coqs.  a\-ec  des  souvenirs  de  Bastien  Lepage.  qui.  en  iSSo.  annonçait  quel  réaliste 
puissant  il  pourrait  être:  il  exécute  notamment  beaucoup  de  sujets  et  d_-  portraits  d'enfants, 
("ette  peinture  lui  \'alut.  du  reste,  de  nombreux  succès.  Il  \-oyagea  en  L^spagne.  au  ^Llroc.  en 
Algérie,  sans  modifier  beaucoup  son  talent.  Esprit  profondément  observateur  et  raisonneur,  il 
distinguait  toutefois,  plus  clairement  chaque  jour.  ré\-olution  (]ui  se  produisait  autour  de 
lui  et  la  route  fâcheuse  dans  laquelle  son  succès  même  l'embourbait.  Il  eut  le  courage  de 
rompre,  perdit  aussitôt,  près  du  public  et  des  milieux  officiels,  le  renom  (pi'il  axait  gagné, 
mais  n'hésita  pas  à  tous  les  sacrifices  ])our  jKUA'enir  à  ce  qu'il  pressentait  d  ■  m-uf  à  réaliser. 
S'appuyant  sur  les  données  de  l'impri-ssionnisme.  m. lis  a\'ec  une  liberté  .ibsolue.  il  traduisit 
avec  la  sensibilité  la  plus  tînement  émue,  toute  cette  vive,  fraîche  et  lumineuse  région  de  la 


;oo 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


Lys,  aux  wrdurcs  aiguës,  diaprées  de  fleurs,  aux  maisons  peintes,  aux  arbres  majestueux, 
aux  larges  horizons  animés  par  les  belles  vaches  tachetées.  Toute  son  ceuvre  tient  désormais 
autoiu"  (le  son  quartier  général  d'Astene,  sur  la  Lys,  près  de  Gand.  On  lui  doit  alors:  Ferme  en 
Flandre  (1S84),  Quand  fleurissent  les  lyclails  (1885),  le  Vieux  jardinier  et  Sarcleurs  de  lin  en 
Flandre  (1887),  La  Crue  de  la  Lys,  octobre  (1888),  la  Rentrée  des  Vaehcs  (1889),  la  Récolte  des 
betteraves  en  Flandre  (1890),  le  Passage  des  Vaches  (1899),  la  récolte  du  lin  (1905),  tous  deux 
au  Musée  de  Bruxelles,  etc.,  auxquels  il  faut  joindre  quelques  sujets  de  Zélande. 

Le  Luxembourg  possède  de  cet  artiste  une  exquise  toile  toute  illuminée,  qui  porte 
bien  le  nom  donné  par  l'artiste  à  sa  demeure:  ..Zonneschijn",  c'est-à-dire  ,, Rayon  de  soleil". 
E.  Claus  est  chevalier  de  la  Légion  d'honnem-. 


Tournant   ilu  Canal   di-   liruc 


Albert  Baektsoen  fait  avec  Claus  le  plus  frappant  contraste,  comme  origine,  comme 
tempérament,  comme  sujets.  Il  est  né  à  Gand  en  1867,  dans  une  riche  famille  d'industriels,  qui 
le  destinait  à  la  même  voie,  c'est  d'abord  en  amateur  qu'il  commença  à  peindre.  Il  avait 
cependant  débuté  fort  jeune  et  tra\-aillé  avec  assez  d'assiduité  pour  pouvoir  exposer  au 
Salon  de  Paris,  en  1SS7,  un  Canal,  Matinée  de  Mars;  cette  toile  lui  valut  des  encourage- 
ments, qui  le  décidèrent  à  se  donner  définitivement  à  l'art.  Il  vint  dès  lors  à  Paris  et  entra 
dans  l'atelier  de  Roll,  où  il  resta  pendant  deux  ans.  En  1889,  il  reprit  ses  expositions  avec 
un  Dernier  rayon  et  n'a  cessé  d'e.xposer  à  nos  Salons,  (Société  Nationale).  Nul  n'a  traduit 
avec  un  métier  plus  sobre,  une  palette  plus  expressive,  un  art  plus  austère  et  plus  viril,  la 
mélancolie  des  canaux  gantois,  leurs  quais  mornes,  leurs  maisons  délabrées,  les  vastes  cours 
désertes  de  béguinages  ou  les  petites  places  de  Flandre,  entourées  de  façades  exigiies,  aux  toits 


Ecole  belge. 


;oi 


de  tuiles  rouge  tendre.  On  lui  doit:  ]'uii.\  canal  /laniand  (1895),  au  Musée  du  Luxembourg, 
Matin  de  neige  en  Flandre  (1895),  Curdicrs  sur  les  remparts  (1896),  le  Soir  à  F  Asile  (1897), 
le  Soir  sur  VEscaid,  Rivière  01  décembre:  (iraiidc  rue  à  Nieuporl;  Vieux  quai  en  novembre,  etc. 
Le  Musée  de  Bruxelles  garde  de  cet  artiste  La  chalands  sous  la  neige  (1901),  un  de  ses  plus 
beaux  ouvrages,  et  au  Luxembourg  appartient  le  Dégel  (1904),  plein  de  frissons  et  d'humidité, 
d'une  poignante  tristesse  sous  son  ciel  morne,  qui  est  peut-être  son  chef-d'œuvre. 

Deux  autres  gantois  méritent  une  mention  spéciale:  l'un,  Je.^n  Dei.vi.n',  a  étudié  les 
formes  et  la  vie  des  animaux  a\ec  un  certain  caractère  de  grandeur  héroïque,  qui  rappelle  la 
conception  des  Géricault  et  des  Dela- 
croix. Ses  principau.x  ouvrages  sont, 
après  quelques  essais  historiques,  bien- 
tôt abandonnés:  Pêcheurs  de  crevettes 
(Musée  de  Gand);  Combat  de  chevaux, 
la  Baignade;  Courses  de  taureaux,  l'Atte- 
lage (1909)  (Musée  du  Luxembourg) 
etc.  Né  à  Gand  le  9  juin  1853,  il  fut 
élève  de  Portaëls,  de  Cluysenaer  et 
surtout  de  l'Académie  de  Gand.  dont 
il  est,  depuis,  devenu  Directeur. 

L'autre,  Théo  v.-\n  Rvssel- 
BERGHE,  relève  de  plus  près  de  l'école 
française.  De  même  que  Claus,  il  est 
apparenté  avec  les  impressionnistes  :  de 
plus  près  même,  car  il  fait  exactement 
partie  du  groupe  des  ,, pointillistes". 
Mais,  malgré  le  procédé,  qu'il  a  adopté, 
de  la  décomposition  du  ton,  il  montre 
une  certaine  liberté  dans  la  touche  et 
s'est  sagement  tenu  en  garde  contre 
l'esprit  de  système  e.xagéré.  Il  est  né 
à  Gand  le  23  novembre  1862.  Il  étudia 
d'abord  à  Gand,  puis  à  Bruxelles:  c'est 
en  1886  qu'il  se  rallia  aux  tendances 
nouvelles  de  France;  il  vit  d'ailleurs 
principalement  à  Paris.  Un  voyage  en 
Espagne  et  au  Maroc  développa  chez 

lui  le  sentiment  de  la  lumière.  Théo  \-an  Rysselberghe  a  peint  dans  une  gamme  fraîche  et 
fleurie,  des  portraits,  des  sujets  de  nu  et  même  des  décorations  mmales  importantes  comme 
celles  de  l'hôtel  Solvay.  L'Heure  embrasée  est  une  des  compositions  ipii  montrent,  avec  son 
souci  de  la  forme,  sa  prédilection  pour  les  pleines  lumières  de  midi. 


Al.EXANIlRK-TnÉODQRE.    Hi  INORÉ    SlKlYS, 

(Collectioû   Van  CiUs 


Plus  jeune,  George  Morrex  bien  que  né  à  Hoogboone  près  d'Anvers,  en  1868, 
relève  de  ce  milieu  gantois,  comme  élève  de  Claus  et  comme  se  rattachant  à  cette  direction 
impressionniste  française,  mais  plus  près  de  Renoir  que  du  pointillisme  de  Pissarro.  Il 
commença  à  peindre  à  l'Académie  d'Anvers,  après  avoir  terminé  ses  études  de  droit,  et 
entra,  à  Paris,  dans  l'atelier  de  RoU  et  de  Carrière. 


;o2 


La  Peinture  au 


siècle. 


Enlin,  diix  beaux  i-t  puissants  réalistes  du  paysage,  à  la  suite  de  Baertsoen,  mais 
contrastant  a\ec  ce  maîtrt-  par  son  caractère  tout  optimiste,  son  tempérament  sanguin  de 
coloriste  chaud  et  vibrant,  il  faut  rattacher  Victor  (iiLSOUL,  né  à  Bruxelles  le  9  octobre 
1867,  qui  a  peint  avec  un  sentiment  ému  les  Lueurs  crépusculaires  sur  les  canaux  de  Flandre  et 
des  Pays-Bas,  les  petites  lumières  clignotantes  des  Maisons  au  bord  de  l'eau,  les  coins  les  plus 
solitairement  pittoresques  de  Nieuport,  de  Bruges  ou  du  Brabant.  Son  père  était  cabaretier; 
il  dessina  dès  qu'il  sut  tenir  un  crayon;  ses  maîtres  furent  Artan  et  Courtens;  sa  première 
exposition  date  de  1884.  Le  Musée  du  Luxembourg  possède  de  cet  artiste  Soir  en  Brabant. 
Celui  de   Bruxelles  possède  de  lui  Sur  le  chenal.  Un  soir  de  novembre,  Dordrecht  et  Accalmie. 


LÉON  Fréhékil 


Maichands  de  ciaii/  (Musée  de   Bruxelles). 


l'n  de  ses  plus  remarquables  (UU'rages  est  ce  Tottrnaiit  dit  canal  de  Bruges,  si  curieux  avec 
ses  lignes  de  hauts  peupliers  qui  s'enchevêtrent.  Madame  GiLSorL.  née  IvETTV  Hoppe,  est 
également  aquarelliste  de  talent. 


Il  est  maintenant,  dans  l'ordre  des  représentati(.ins  humaines,  deux  figures  exception- 
nelles, qui  dominent  cette  génération.  Elles  sont  bien  connues  en  France  où  elles  ont  conquis 
tous  leurs  grades.   Ce  sont:  Alexandre  Struys  et  Léon  Frédéric. 

Alex.\ndre-Théodore,  Honoré  Struys  est  [né  à  Berchem,  le  24  janvier  1852.  Il 
est  d'origine  hollandaise  et  appartient  à  une  famille  de  modestes  artistes.  Le  grand-père 
était   peintre,   et    le   père   peintre   verrier.    Sa   vocation   se   dessina,   dès  l'enfance,  à  l'école 


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communale  de  Dordrecht.  On  le  conduisit  quelque  temps  v\u/.  un  ptintre,  à  Rotterdam, 
puis  ses  parents  vinrent  s'installer  à  Anvers,  atin  qu"il  pût  étudier  à  l'Académie.  Il  avait 
alors  douze  ans.  Sa  première  peinture  fut  exposée  à  Gand  en  1871.  Ses  tableaux  de  début 
touchent  au  ,, genre".  Il  subit  bientôt  une  première  modification  et  produit  de  nouvelles 
compositions  de  caractère  fortement  académique,  mais  qui  attestent  déjà  un  tempérament 
d'artiste  préoccupé  de  l'expression  ou  de  l'émotion,  c'est-à-dire  ayant,  avec  les  soucis  de 
métier,  qui  n'abandonnent  jamais  un  vrai  flamand,  le  désir  de  dire  quelque  chose  de  l'humanité 
de  son  temps.  Ce  sont  des  sujets,  dans  le  sens  propre  du  mot,  avec  des  intentions  souvent 


ElIC.KNE    L.iERM.^NS. 


trop  soulignées  par  la  dimension  des  compositions,  toujours  de  grandeur  nature.  Tels 
sont:  les  Oiseaux  de  proie,  exécutés  en  1874,  encore  à  .envers,  qui  réunit  au  chevet  d'un  mori- 
bond deux  Jésuites,  l'un  brandissant  sa  croix  d'un  geste  menaçant,  l'autre  qui  écrit  un 
testament  d'un  air  d'avidité.  Ce  tableau,  du  reste,  fit  scandale  dans  la  Belgique  catholique 
et  fut  refusé  par  le  jury  de  l'Exposition  de  Paris  en  1878,  en  même  temps  qu'il  commençait 
la  réputation  de  l'auteur.  C'est  un  curieux  point  de  départ  pour  arriver  à  tous  ces  tableaux 
ultérieurs  où  le  prêtre,  acteur  principal,  jouera  un  rôle  touchant  et  consolateur.  A  ce  moment, 
on  lui  offre  la  place  de  professeur  à  l'Académie  de  Weimar,  occupée  par  Verlat;  il  accepte  et 
enseigne  jusqu'en  1883,  époque  où  il  se  rend  en  Hollande.    Il  s'y  marie,  retourne  en  Belgique 


ù 


06 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


et  dès  lors  sa  \'(iie  est  tracée.  Il  s'instalK'  à  Malines,  dans  la  solitude:  il  y  est  pris  par  la  vie 
populaire  et.  comme  de  Grou.x,  par  ses  misères  et  ses  détresses,  par  les  humbles  milieux  où 
les  actes  quotidiens  et  les  é\'énements  qui  marquent  l'existence  revêtent  également  un  carac- 
tère de  simj)lc  grandeur.  Il  peint  lentement,  posément,  avec  recueillement,  toujours  sur  nature, 
dans  des  harmonies  roussatres.  a\-ec  une  conscience  supérieure  de  réaliste  expressif;  il  sait  tout 
\-oir,  mettre  chacun  à  sa  ])lace  et  donner  son  rôle  à  tous  ces  obscurs  témoins  de  la  vie,  à  tous 

ces  meubles,  compagnons  de  tous 
les  jours,  qui  ont  déjà  vu  passer  des 
générations,  à  tous  ces  ustensiles  ou 
bibelots  du  ménage,  dont  on  sent 
([ue  chacun  a  son  histoire,  qui  marque 
un  épisode  de  celle  des  çtres  destinés 
à  \-i\-re  et  à  mourir  au  milieu  d'eux. 
('"est  d'abord  la  Potion,  1887,  puis 
ÏHiihint  iiuiladc  {1888):  c'est  le 
\'iiiliqiic.  une  vieille  femme  con- 
duisant dans  une  seconde  pièce  un 
]irétrc  portant  l'hostie  sacrée  à  un 
mourant;  c'est  la  Prière,  une  bonne 
\ieille  en  jupe  rouge,  agenouillée,  le 
dos  à  la  fenêtre,  dé\'idant  un  cha- 
pelet, tandis  que  son  chat  ronronne 
sur  une  chaise;  c'est  la  Dentellière 
jMX'jiarant  quelque  nappe  d'autel, 
c[u'examine  un  prêtre,  devant  la 
fenêtre  d'où  l'on  voit  se  dresser 
le  clocher  de  la  Cathédrale.  C'est 
entin  la  Cunfiance  en  Dieu  (1891), 
de  la  collection  \'an  Cutsem.  Un 
homme  est  couché  dans  son  lit,  la 
cou\erture  jusqu'au  menton,  dans 
un  triste  intérieur  au  jour  rare;  près 
de  lui  une  pau\"re  vieille  est  assise, 
douloureuse  et  résignée,  et  comme 
priant  intérieurement.  Rien  ne  peut 
rendre  cette  angoisse  et  cette  détresse 
au.xquelles  participent  toutes  les 
choses  inanimées. 

LÉox  Frédéric  est  né  à 
Bruxelles  le  26  août  1856;  il  a  du 
sang  français  dans  les  veines,  car 
ses  'grands  parents  étaient  de  St.  Quentin.  Il  serait  d'ailleurs  le  principal  représentant  de 
la  prétendue  direction  Wallonne,  car  presque  Ums  ses  tableaux,  depuis  bien  des  années, 
sont  exécutés  dans  les  Ardennes,  au  village  de  Nafraiture,  exactement  contre  la  frontière. 
Son  père,  qui  était  horloger,  avait  un  certain  goût  pour  les  arts,  qui  allait  jusqu'à  peindre 
en  amateur.  Frédéric  doit  à  son  éducation  une  habileté  manuelle  surprenante  en  toute 
chose,   qui  l'a   conduit   à  son  développement   artistique   avec   une   grande  rapidité.    Élève  de 


Fau,i   (CjlUxli.jn  Huoy(;udijk). 


Ecole   hcli^e. 


307 


Portaëls,  il  éclioua  au  concours  de  Kcimc,  mais  voyagea  néanmoins  en  Italie  en  compagnie 
du  statuaire  Dillens.  11  y  subit  fortement  Tinfluence  des  maîtres,  en  particulier  des  primitifs, 
et  ce  culte  s'associa  dans  son  esprit  awc  l'influence  des  peintres  anglais  qui  s'en  sont  inspirés. 
comme  Bnrne  Jones,  et  surtout  a\-ec  celle  du  mouvement  français  créé  par  Bastien  Lepage. 
Les  Marchands  de  eraie  (1882)  Musée  de  Bru.xelles,  l'attestent  positivement.  La  vieille  servante. 
du  Musée  du  Lu.xembourg,  si  touchante  dans  son  attitude  de  pauvre  \'ieille  chose  fidèle 
et  résignée,  affirme  également,  à  cette  heure,  chez  ce  réaliste,  qui,  ainsi  (jue  Struys,  cherche 
toujours  le  fonds  d'humanité,  un  sentiment  de  coloriste  délicat.  îl  le  «nrrifie  plus  tard  à  un 
métier  d'un  dessin  cerné,  rigoiu-eu.\,  incisif,  e.xtra- 
ordinairement  \-olontaire  et  significatif,  et  de 
tons  assemblés  en  discordances  aigiies,  mais 
supérieurement  expressives,  avec  lequel  il  traduit. 
soit  les  actes  de  l,i  \'ie  du  paysan  ou  de  l'ouxTit.r. 
soit  les  rêves  qui  hantent  le  cer\'eau  des  honuucs 
modernes  en  face  du  grand  spectacle  de  la  nature 
et  devant  les  inégalités  des  conditions  humaines. 
Car  son  art,  tendu,  \-iolent,  àprement  éloquent, 
mais  toujours  par  des  m<i\-ens  d'ordre  essentielle- 
ment pittoresques,  est  un  art  foncièrement 
idéaliste,  sous  les  deu.x  aspects  qu'il  re\'èt.  de 
représentations  réelles  ou  d'allégories. 

Le  Musée  de  Bru.xelles  comprend  presqu<' 
une  salle  de  lui  avec  les  ^L^rchallds  de  cnne  (  1S82). 
la  frise  des  Ages  du  paysan  (18S7).  les  Petites 
communiantes  et  un  paysage  en  tripty([ue.  Clair 
de  lune  (icjoo).  Le  Musée  d'An\-ers  possède  les 
Boëchelles  (1888).  celui  de  (iand  le  Repas  des 
Funérailles  (1886),  celui  de  Liège  le  Pnvsaii  morl 
(1885).  Le  Lu.xembourg.  près  de  la  \'ieille  ser- 
vante, de  1885,  conserve  le  triptyque,  (jui  réunit, 
avec  l'accent  âpre  et  poignant  d'une  forte  mora- 
lité réaliste,  les  différents  actes  de  la  vie  de 
l'ouvrier:  les  Ages  de  l'Ouvrier,  depuis  l'enfance 
qui  se  traîne  dans  le  ruisseau,  l'amour  dans  les 
promiscuités  de  l'usine  et  de  la  rue.  la  mort  entn 
la  prison  et  l'hôjjîtal,  a\X'C  le  corbillard  de\aut 
lequel  flotte  le  drapeau  rouge  de  la  ré\-oIte:  mai-. 
aussi,  les  deu.x  grandes  consolations  du  ]ieuple: 
le  travail  et  la  maternité.  Ce  musée  possède  aussi 

les  trois  grandes  toiles  de  VAge  d'or,  léguées  par  (ieorges  Michouis.  1  )ans  les  1  eu\-res  ]>roprement 
allégoriques  il  faut  citer  :  Le  peuple,  un  jour,  verra  le  Soleil  (i8gi).  La  Wunté  des  grandeurs  (i8q2). 
Tout  est  mort  (1894).  qui  disent  sa  pensée  sociale,  tandis  que  la  Xature  (i^i).;)  ou  le  Ruisseau 
(1900)  e.xaltent.  avec  les  compositions  consacrées  à  St.  François  d'Assise,  le  jiremier  des 
naturalistes  des  temps  modernes,  la  splendeur  de  son  grand  rêve  panthéiste.  Un  cycle  de 
vastes  dessins:   /(•  Blé  et  le  Lin   (1888 — iSSq)  appartient  à   l.i  princesse  Tenichetf. 


FkKN..\N1)  Khxopff. 


Les    grands    problèmes    sociaux    et   moraux  ont,  du   reste.   préoeeu])é  au   plus  haut 
degré  les  dernières  générations  de  l'école  belge.   Au  point   de  vue  populaire,  si  la  France  a 


;o8 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


ouvert  la  voie,  la  Pjelgique,  ])ays  d'industries,  d'usines  et  de  mines,  a  suivi  de  près  les  con- 
flits entre  le  Capital  et  le  Travail  et  assisté  quotidiennement  au  soulèvement  de  toutes  les 
revendications  prolétariennes.  Son  art  y  a  pris  un  accent  d'énergie  particulière,  de  tension 
et  de  tragique,  qu'on  a  pu  sentir  déjà  chez  Constantin  Meunier  et  Léon  Frédéric.  Ce  caractère 
de  réalisme  fortement  expressif,  dans  l'ordre  des  choses  populaires,  se  marque  encore  d'une 
façon  intense  chez?  Eugène  Laermaxs.  Il  est  né  Molenbeek  St  Jean,  quartier  de  Bruxelles,  le 
21  octobre  1864;  son  père  était  caissier  à  la  Banque  internationale.  Comme  tout  le  monde,  il 
étudia   à    l'Académie,    mais  il   travailla  surtout  en  solitaire,  tel  que  son  prédécesseur  Ch.  de 

Ci  roux  à  qui  il  ressemble  par 
ses  vertus  expressives  et  aussi 
par  son  défaut  de  renouvelle- 
ment devant  la  nature.  Il 
s'inspire,  de  même,  du  vieux 
Breughel,  mais  avec  un  pessi- 
misme tout  moderne,  une 
sorte  d'exaspération  pathé- 
tique, qui  touche  parfois  à  la 
caricature.  Il  affectionne,  du 
reste,  particulièrement  Dau- 
mier.  Ses  groupes  de  prolé- 
taires, ses  troupeaux  d'émi- 
grants,  sont  taciturnes  et 
farouches;  ce  n'est  pas  dans 
leurs  rangs  pressés,  qui  roulent 
comme  un  fleuve  fatal,  qu'on 
découvrirait  le  petit  marmiton 
classique  des  foules  révolution- 
naires de  France.  Rien  n'est 
plus  tristement  saisissant  que 
cet  Aveugle  qu'une  fillette 
C(  induit  à  grands  pas  sur  une 
longue  route  au  crépuscule,  et 
rien  n'est  plus  lamentable  que 
son  Ivrogne,  inerte,  ramené 
par  sa  femme  et  ses  enfants 
sur  le  chemin  chargé  de  neige. 
Le  Musée  du  Luxembourg 
possède  de  cet  artiste  Fin 
d'Automne. 
Ce  fonds  de  mysticité,  qui  pèse  à  travers  les  divers  modes  réalistes,  se  dégage  en  toute 
liberté  dans  un  autre  groupe,  qu'on  traite  de  groupe  Wallon.  Nous  avons  vu  qu'on  pouvait 
déjà,  pour  une  part  de  son  œuvre,  y  inscrire  Xeon  Frédéric.  Faut-il  mettre  à  leur  tête  un 
singulier  artiste  qui,  du  reste,  appartient  à  une  génération  bien  antérieure  et  dont  l'œuvre, 
fort  restreinte  pour  la  partie  peinture  proprement  dite,  est  surtout  célèbre  dans  le  dessin, 
et  surtout  dans  l'estampe:  Félicien  RopsP^On  ne  peut  nier,  dans  tous  les  cas,  que  cette  œuvre 
n'ait  eu  quelque  influence  sur  certaines  tendances  ultérieures. 

Rops  (FÉLICIEN,  Joseph,  Victor)  est  né  à  Namur,  en  Wallonie,  le  7juillet  1833  et  il 
est  décédé  en  1898  à  Paris,  où  il  avait  fixé  principalement  sa  résidence.  Il  appartenait  à  une 


J.\MES    EnSOK. 


lO 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


famille  bourgeoise,  enrichie  dans  le  commerce  des  toiles  imprimées.  Il  prit  de  bonne  heure 
goût  aux  images,  ne  fut  pas  découragé  par  les  siens  et  vint  travailler  à  Bruxelles,  à  Fateher 
St  Luc.  où  il  se  trouva  en  compagnie  de  de  Groux,  de  Constantin  Meunier,  de  Louis  Dubois, 
etc.  Il  débuta  par  des  dessins  et  des  caricatures  pour  des  journaux  locaux  et  dans  l'esprit 
de  (iavarni  ou  de  Daumier;  subit  fortement  l'influence  de  Courbet,  lorsqu'il  se  mit  à  peindre, 
comme  il  apparaît  dans  son  Bois  de  la  Cai)ibn\  puis  momentanément  de  Millet:  il  illustre  les 
vieilles  légendes  flamandes  de  Charles  de  Coster  et  enfm  il  vient  s'installer  à  Paris  en  1865. 
C'est  de  ce  moment  que  commence  son  développement  \raiment  personnel,  d'abord  en  images 
vives  et  libertines,  jniis  en  une  sorte  d'érotisme  morose,  d'hystérie  si  poignante  et  si  exaspérée 
qu'elle  atteint  un  caractère  de  tragique  grandeur.  Alfred  Stevens  avait  peint  le  monde  et  le 
demi-monde,  Rops  peint  ,.la  fille"  et  il  crée,  à  la  manière  romanticiue  de  f-Saudelaire.  de  Barbey 


Aui.L.siK  LLvfrji'K.  —   Lf  Triumphe  de   la  Mort. 


d'Aure\-illy  ou  de  Hu^'smans,  une  sorte  d'épopée  terrible  et  angoissante  de  la  prostituée,  dans 
laquelle  il  accouple  furieusement  la  Lu.xure  et  la  ilort.  Mais  Rops  ne  perd  jamais  les  fortes 
vertus  du  terroir;  chez  lui  la  forme  n'e.st  jamais  sacrifiée  à  l'intention  et  il  est  un  des  plus  purs 
plastiques  de  l'art  belge.  Toute  cette  ieu\re  est  plus  particulièrement  dessinée  ou  gra\-ée.  Le 
Luxembourg  possède,  grâce  au  don  Charles  Havem.  quatre  dessins,  parmi  lesquels  le  frontispice 
des  Diaboliques  de  Barbey  d'.-\ure\-ill\-  et  le  frontispice  du  Mce   suprême  de  Péladan. 

Ce  qu'il  y  a  de  particulier,  dans  ce  développement  de  romantisme  dégénéré  en  e.xagéra- 
tions  expressives,  c'est  qu'il  est  sorti  du  sein  d'un  réaliste  originel.  C'est  le  même  cas,  qui 
s'est  produit  pour  Fernand  Khnopft'  cm  James  Ensor,  tous  deux  contemporains,  qui  ont  débuté 
dans  une  voie  réaliste  de  scènes  modernes,  voisinant  même  a\-ec  l'impressionnisme,  pour 
évoluer  dans  un  sens  tout  idéaliste  et  mvstique.  Ferx.^xh  Khnopii-.  dans  sa  dernière  manière, 


Ecole  bclire. 


1 1 


se  rattache,  en  un  certain  sens,  sinon  à  l'esprit,  dn  ninin^  aux  lurnies  de  K(ips.  .Mais  ses  débnts 
nons  le  reportent  à  nne  manière  tdute  différente.  Né  an  château  de  Grembergen  près  ^e 
Terninnde,  le  12  septembre  1N5S.  d'une  famille  anciennement  originaire  d'Autriche,  il  fut  élevé 
à  Bruges  et  ce  premier  séjour  laissa  une  empreinte  profonde  sur  son  esprit.  Il  fit  des  études 
littéraires  complètes  à  l'Université  de  Bruxelles,  étudia  le  dessin  à  r.A.cadémie  de  cette  ville 
en  1S77,  puis  sous  la  direction  de  X.  Mellery.  1-hihn  il  \-int  à  Paris,  on  il  s'incrivit  ([uelciues 
mois  à  r.-\cadémie  Julian.  11  fut  déjà  séduit  à  ce  moment  par  A.  Stevens  et  F.  Kops,  mais  il 
sentit  surtout  l'influence  du  mou\'oment  impressionniste  français  et  aihrma  ses  tendances,  au 
cercle  de  V Essor,  en  1882.  a\-ec  di'ux 
curieuses  toiles:  Boulevard  du  Rc'^oit 
et  En  écoutant  du  Schiiiuatni.  toile 
d'intérieur  d'une  exécutionrecueillie. 
de  beaux  accords  sobres  et  r.ires. 
qui  évoquent  le  sou\-enir  des  premiers 
^Vhistler  et  Fantin.  Mêlé  au  mon\-e- 
ment  du  journal  dr  la  Jeunt'  Piel- 
gique  et  du  Salon  des  X.\.  il  évolue 
sous  l'influence  des  idéalistes  anglais 
et  français:  Burne-Jones  et  Gustave 
Moreau  ou  même  des  rêveries  fan- 
tastiques d'Odilon  l'Jedon  et.  aprè'- 
quelques  sujets  modernes  i)ris  dans 
la  vie  anglaise,  tels  que:  La-aii-tcnuis. 
il  se  borne  presque  exclusivement  à 
un  genre  de  symliolisme  m\-sti(|uc. 
avec  Sf^hvngcs.  J/arpic  niodcriic. 
rOffrandc.  L'ailc  hicnc.  i'Eiicciis.  /es 
Lèvres  rouges  etc. 

Xé  à  Ostende  le  i  ;  axTil 
1S60,  d'une  familled'origineanglaisi'. 
J.^MES  ExsoR  étudia  à  l'Acadénhe 
de  Bruxelles  de  1877  à  1881,  sons  la 
direction  de  Portaëls.  Son  premier 
Salon  date  de  1881.  .\insi  (pic 
Khnopff.  il  fit  partie  du  cercle  de 
l'Essor  et  de  la  Soeiété  des  XX.  Il 
subit,  lui  aussi,  de  b(jnne  heure, 
l'influence  des  impressionnistes  fran- 
çais en  s'assimilant  leurs  principes 
sous  une  forme  originale  qui  annonce 

les  notations  subtiles  et  délicates  des  néo-impressionnistes.  Tels  sont  le  Sakui  bourgeois  eu  1881, 
dans  une  harmonie  distinguée  de  tons  froids,  bleus,  \'erts  et  blancs,  relevés  de  quelques  rou.x 
et  Après-dîner  à  Ostende.  Ce  sentiment  si  intime  des  intérieurs  fut  à  son  tour  abandonné  et 
James  Ensor  s'est  de  préférence  livré  à  la  gra\-ure.  genre  dans  lequel  il  a  traduit  des  \àsions 
fantastiques  et  de  sombres  cauchemars. 

Mais  le  véritable  idéalisme  s'est  manifesté  en  Belgique  sous  un  aspect  beaucoup  plus 
large,  atteignant  jusqu'à  l'ampleur  de  la  peinture  murale  avec  tout  un  groupe  d'élite  intel- 
lectuelle, dont  certains  représentants  ont  \-oulii  réiiandre  leurs  jirincipes  par  la  plume  aussi 


.Kl     E\  I- M- !'■  iKL. 


L'K>l.,i!.;nul   à  Paris  (.Miiscc  .le  Cm  M 


312  La  Peinture  au  XIX''  siècle. 

bien  que  par  le  pinceau.  A  leur  tête  se  trouvent  Jean  Dklville  et  Auguste  Lévèque,  tous 
deux  du  pays  Wallon,  ce  (jui  justifie  jusqu'à  un  certain  point  la  désignation  locale  qu'on  donne 
à  leur  groupe.  Ils  se  sont  fait  connaître  par  des  productions  littéraires  en  même  temps  que 
par  des  travaux  artistiques.  Delville  a  publié  le  Frisson  du  Sphinx,  Lévêque  est  l'auteur  de 
Aîi  cours  des  âges,  sans  compter  les  articles  de  combat  pour  répandre  leurs  doctrines  et  soutenir 
les  droits  de  la  pensée  en  face  de  la  matière.  De  même  que  les  jeunes  idéalistes  français,  ils 
prirent  leur  mot  d'ordre  au  Salon  de  la  „Rose  +  Croix",  près  du  ,,Sar"  Péladan  et  sous  l'influence 
des  poètes  symbolistes  de  France  et  d'Angleterre.  Après  avoir  participé  aux  expositions  très 
actives  des  XX,  ils  fondèrent  de  leur  côté,  à  Bru.xelles,  vers  1895,  un  Salon  des  Idéalistes  pour 
défendre  le  sens  de  la  Beauté,  qui  leur  semblait  menacé.  Ils  ont  créé  un  art  hautain,  d'imagination 
et  de  rêve,  relevant,  comme  celui  de  Frédéric,  qui  les  devance,  des  grands  florentins  Botticelli 
ou  Signorelli,  évoquant  de  loin  le  souvenir  de  Gustave  Moreau.  Si  Wallons  qu'on  veuille  bien 
les  dire,  leur  symbolisme  représente  ce  qu'il  y  a  de  subtil  et  de  mystique  dans  l'âme  flamande 
depuis  Memlinc  et  Quentin  Matsys.  Ils  ont  montré,  de  plus,  une  aptitude  décorative,  qui  est 
tout-à-fait  dans  l'esprit  de  la  race  flamande.  On  doit  à  Delville:  Cycle  passionnel,  Trésors  de 
Sathan,  Impéria,  La  fin  d'un  règne,  U amour  des  Ames,  exposé  à  l'Exposition  de  Paris  en  1900 
et  r École  de  Platon,  qui  a  figuré  à  Paris  au  Salon  de  1898.  C'est  une  vaste  composition  qui  groupe, 
dans  un  jardin  merveilleux,  peuplé  de  cj^arès  et  d'arbres  aux  fleurs  singulières,  traversé  par  des 
paons  aux  longues  queues  blanches,  les  disciples  du  Maître,  au  nombre  de  douze  comme  les 
apôtres  du  Christ,  le  corps  nu,  longs,  minces  et  fièrement  élégants,  réunis  en  nobles  attitudes 
pt>ur  recevoir  de  leur  côté,  apôtres  de  l'Esprit  pur,  la  révélation  de  la  Vérité  et  de  la  Beauté. 

Essentiellement  pessimiste,  M.  Lévêque  est  l'auteur  de  Joh,  Circé,  les  Portes  de  l'Enfer, 
le  Doute,  la  Parque,  les  Ouvriers  tragiques,  triptyque  qui  appartient  au  Musée  de  Bruxelles. 
Le  Triomphe  de  la  Mort,  a  figuré  au  Salon  de  igoo.et  représente,  dans  un  beau  paysage  d'été, 
d'une  splendeur  douloureusement  ironique,  la  Mort,  sous  la  forme  d'un  vieux  moissonneur 
qui  fauche,  au  milieu  des  épis,  les  hommes,  les  femmes,  les  enfants,  tandis  que  des  amou- 
reux, le  dos  tourne,  s'embrassent  pleins  d'illusions  et  qu'une  jeune  mère  donne  le  sein  à  un 
enfant,  absorbée  dans  son  amour  maternel.  A  cette  inspiration,  il  faut  rattacher  M.  Emile 
Fabry,  né  à  Verviers  le  30  décembre  1865,  qui,  après  s'être  occupé  d'art  industriel,  se  livra 
exclusivement  à  l'art  pur.  Il  est  professeur  à  l'Académie  royale  des  Beaux-Arts  de  Bruxelles. 
On  lui  doit  des  ceuvres,  surtout  sur  le  mode  décoratif,  notamment  au  théâtre  de  la  Mon- 
naie, parmi  lesquelles  il  faut  citer:  Souvenirs,  Vierge  a)ixieusc.  Poète  évocateur,  les  Heures, 
la  Nature  et  le  Rêve,  Orphée,  la  Danse,  etc. 

Appartiennent  encore  à  ce  groupe:  Constant  Montald,  Charles  Doudelet,  Ciamberlani, 
Emile  Motte. 

Enfin,  parmi  les  artistes,  qui  se  distinguaient  dans  les  dernières  années  du  siècle,  il 
faut  citer  Auguste  Oleffe,  né  à  St.  Josse-ten-Noode  (Bruxelles)  en  1867,  qui  débuta  à  quatorze 
ans  dans  un  atelier  de  lithographe  et  fut  encouragé  spécialement  par  le  Mécène  bruxellois,  dont 
nous  avons  déjà  signalé  les  bienfaits,  Henri  Van  Cutsem,  qui  lui  acquit  plusieurs  tableau.x 
parmi  lesquels  la  Dame  au  bord  de  la  Mer.  Il  peint  de  préférence  la  figure  et  le  portrait,  avec 
un  métier  vigoureux,  curieux  d'harmonies,  de  touche  hardie.  Puis  Henri  Thomas  et  Henri 
EvENEPOEL.  Celui-ci,  né  à  Nice  en  1872,  est  mort  à  Paris  en  1900.  Il  fit  partie  de  l'atelier 
Gustave  Moreau  et,  comme  la  plupart  de  ses  camarades,  évolua  vers  la  vie  et  s'orienta  du  côté 
des  Espagnols.  Cet  artiste,  doué  de  dons  supérieurs  de  coloriste,  a  laissé,  du  moins,  à  sa  mort 
si  prématurée,  quelques  morceaux  qui  conserveront  son  souvenir,  dont  nous  citons  comme  le 
plus  important  le  portrait  du  pemtre  Iturrino,  l'Espagnol  à  Paris,  drapé  dans  son  large 
manteau,   avec   le   fond    du   paysage  du  Moulin-Rouge,  qui  appartient  au  Musée  de  Gand. 


OrAKTiKR  iii>  Juifs  a  Amsterdam. 
I Collt'ctio)!  di-  M.   A.   RotluriHinid,  Dresde; 


cn.xrirRK  xi. 
i-:coLi-:s  Di:  srissK.  dalli-imagni-:  kt  DWUTRirHK-Hoxi.Kii:. 

§    I.      l-^COLK   SrissE. 

GEO(iRAPHI()ri-:MP:XT.  U  Suisse  est  située  ;iu  entre  de  riùinipe.  entre  truis  .grandes 
nations  dnnt  elle  emprunte  la  kin^ne  et  à  l'influence  desquelles  elle  est  naturellement 
exposée,  dan>  l'ordre  intellectuc-l  et  moral.  De  même  les  manifestations  de  la  jiensée  \' 
sont  facilement  absorbées  par  ses  puissantes  \-oisines.  Dan-,  le  domaine  de  l'art,  si  la  Fr.mce 
a  adopté  Liotard  et  Léopold  Robert,  ]'.\llema,L;ne,  ([ui  lui  awiit  ])ris  autrefois  Holbein,  lui  a 
emprunté  aujourd'hui  Bo_-cklin.  L'accent  {)roprement  local  est  donc  assez  peu  marqué  dans 
les  productions  hel\-étiques  et  les  tendances  de  rin-jiiratiim  artistique  se  répartissent  selon 
trois  orientations  différentes,  suivant  l'attraction  exercée  du  côté  de  la  frontière  française, 
allemande  ou  italienne.  Ici,  c'est  dans  le  sens  de  l'observation  réaliste,  là  dans  une  directiim 
de  romantisme  historique  ou  m\'thi(iue,  ailleurs,  du  ci'ité  du  sud,  avec  l'ambition  de  se 
mesurer  aux  tentatives  des  artistes  du  nord  de  l'Italie  pour  traduire  les  aspects  pittoresques 
des  sites  alpins. 


H.'^NS  S.\Ni>REi  TKR.  —  .\  la  l'oile  du  ciel. 


3H 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


Cl'  ne  sont  guère,  durant  la  première  moitié  du  siècle,  les  talents  d'Auc.usTE  Calame 
(\'evey  1810 — Menton  1864)  célèbre  dans  les  fastes  des  pensionnats  ori  ses  dessins  ont  servi 
de  modèles,  ni  de  Karl  Bodmer  (ZiJrich  i8og — Chailly  1893)  installé  près  de  Barbizon,  prisé 
dans  les  milieux  romantiques  et  prôné  par  Théophile  Gautier,  qui  suffiront  à  donner  une 
pliysionomie  très  distincte  à  l'Ecole  helvétique.  On  ne  peut  guère  également  que  citer 
Barthélémy  Menn  (Genè\'e  1815 — 1893),  professeur  à  l'École  des  Beaux-Arts  de  Genève 
depuis  1848,  qui  a  droit  à  une  place  dans  l'histoire  de  l'art  de  son  pays,  moins  par  ses  propres 
travaux  que  par  le  rôle  exceptionnel  d'éducateur  qu'il  a  rempli  a\'ec  son  enseignement  de 
caractère  si  élevé,  aussi  bien  philosophique  que  technique. 


Dans  la  deuxième  partie  du  siècle,  la  peinture,  comme  en  tout  le  reste  de  l'Europe, 
prend  un  dé\'eloppement  assez  notable.  Du  côté  de  l'inspiration  germanique  va  dominer  la 
personnalité  exceptionnelle  de  Bœcklin.     Nous  la  retrouvenms  un  peu  plus  loin,  au  chapitre 

de  l'art  allemand,  puisquec'est 
là  qu'elle  a  pris  sa  place.  Mais 
Bœcklin  a  laissé  dans  son  pays 
natal  quelques  disciples.  Il  y 
a  d'abord  son  ami,  le  bâlois 
Sandreuter  et  le  bernois  Hod- 
1er.  Le  premier  H.^iNS  S.-^nd- 
REUTER  est  né  à  Bâle  le  11 
mai  1850  et  il  y  est  décédé  le 
1^'  juin  1901.  On  l'avait  mis 
en  pension  à  Orbe  (Canton'de 
Vaud)  chez  un  vétérinaire 
empailleur;  de  retour  à  Bâle, 
on  le  plaça  trois  ans  chez  un 
lithographe,  puis  il  est  envoyé 
en  1870  à  Wùrzbourg,  où  il 
eut  l'occasion  de  voir  des 
tableaux  de  Bœcklin,  qui  le 
frappèrent  \'ivement.  Il  ac- 
complit ensuite  un  voyage 
en  Italie,  en  Ba\"ière  et  en 
France.  En  1873,  il  revient  à 
-Munich,  travaille  près  de  Barth,  et  de  là  il  entre  chez  Bœcklin,  son  maitre  de  prédilection, 
auquel  il  s'attacha  et  qu'il  suivit  à  Florence  en  1875.  Cmieux  de  tous  les  procédés,  il  a  peint 
à  l'huile,  a  tempera,  c'est-à-dire  à  l'œuf,  et  à  fresque.  Son  œ-uvre  comprend  des  compositions 
de  figures  et  des  paysages.  Les  figures  sont  tout  à  fait  dans  la  tradition  de  Bœcklin,  d'une 
coloration  très  montée  de  tons  et  d'un  réalisme  pittoresque,  parfois  assez  terre  à  terre.  Il 
peint  surtout  des  sujets  de  genre  historique,  le  plus  souvent  sur  le  mode  décoratif,  comme  on 
voit  au  Casino  de  Baden,  en  Argovie,  à  Zurich  ou  à  Bâle,  dans  divers  palais  publics  ou  maisons 
privées.  Il  aime,  en  particulier,  le  bariolage  des  costumes  de  reitres  et  de  lansquenets,  très 
puissant  d'effet  sur  des  fonds  de  neige  :  Lansquenets  dans  la  neige.  Lansquenets  enlevant  un 
chariot,  ou  allégories,  dans  la  forme  de  son  maître,  comme  la  Fontaine  de  Jouvence,  du  Musée 
de  Bâle.  Mais  si  son  réalisme  nous  semble  un  peu  gros  et  tudesque,  ses  paysages,  en  revanche, 
sont  bien  personnels  et  tracés  avec  une  écriture  virile,  nerveuse  et  hardie. 

Ferdinand  Hodler  est  né  à  Berne  en  1853.   Il  a  suivi  les  traces  de  Bcecklin  dans  le 


EeRIiINAMi    Ilnlil-KK. 


a  el  jemie   Fille. 


xolc  suisse. 


315 


choix  de  ses  sujets,  et,  au  début,  dans  sa  manière  forte  et  colorée:  mais  il  se  développe  plus 
tard  en  un  style  âpre,  violent  et  même  xolontairement  brutal,  au  dessin  fortement  cerné,  aux 
lignes  combinées  parallèlement  et  aux  tons  établis  en  larges  et  violentes  localisations.  On  a 
appelé  cela  de  Timpressionnisme  de  l'autre  côté  du  Rhin;  c'est  plutôt  une'sorte  d'académisme 
archaïque  et  farouche,  qui  rappelle,  d'ailleurs,  bien  plus  les  œuvres  du  passé  qu'il  n'évoque 
les  vraisemblances  de  la  nature.  La  Xiiit.  Eurythmie,  appartiennent  à  sa  première  manière; 
la  Vérité,  le  Jour,  à  la  dernière. 

L'influence  française  est  assez  étendue  sur  l'art  helvétique  et  contrebalance  par  son 
esprit  de  mesure  les  excès  de  l'école  de  Biecklin.  De  ce  côté,  il  conviendrait  de  rappeler  le 
nom  de  la  nombreuse  famille  des  Girardet,  graveurs,  décorateurs,  peintres  d'histoire  ou  (orien- 
talistes; du  décorateur  L.  P.  Robert,  de  Ch.  Giron,  peintre  de  scènes  de  UKeurs,  de  portraits 


EUCÈNE   IUkNAM'. 


Les  Disciples  (Musée  du  Luxembourg). 


et  de  paysages,  excellent  et  brillant  praticien;  de  Nicolet,  Cari  et  Otto  Vautier,  Vahet,  etc.  On 
pourrait  se  souvenir  que  la  France  a  recueilli  dans  son  école  le  peintre-décorateur  (irasset 
et  le  peintre-graveur  Steinlen  et  \'allotton  et  A.  Stengehn.  Eugène  Burn.and,  beau-frère  de 
Jules  et  d'Eugène  Girardet,  n'est-il  pas  beaucoup  des  nôtres?  Né  en  1850,  à  Moudon.  il  fut 
d'abord  élève,  à  Genève,  de  Barthélémy  Menn,  puis,  à  Paris,  où  il  entra  à  l'Ecole  des  Beaux- 
Arts,  de  Gérôme.  Durant  la  première  partie  de  sa  carrière,  il  se  dirigea  dans  un  sens  purement 
réaliste  d'observation  des  scènes  de  la  vie  rurale,  et  suivant  le  mouvement  d'études  en  plein 
air  créé  par  Bastien  Lepage.  Il  exposa  des  sujets  empruntés  à  la  vie  pastorale  de  son  pays: 
Taureau  des  Alpes,  Changement  de  pâturage,  dans  lesquels  il  se  plaisait  à  traduire  les  belles 
formes  mouvantes  des  animaux  dans  leur  paysage  alpestre.  S'étant  ultérieurement  établi  dans 
le  Languedoc,  en  pleine  campagne,  non  loin  de  ^Montpellier,  il  reprit  avec  succès  ses  thèmes 
ruraux  sous  ce  nouvel  aspect  méridional,  peignit  en  Provence  les  troupeau.x  de  la  Crau  et  de 


10 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


la  CamurgiU'  et  lit,  de  la  Mireille  de  Mibtial,  une  illustration  poétique  et  naturaliste,  (|iii  est 
restée  célèbre.  \'ers  i8qo,  le  talent  de  Burnand  c\'olua  dans  un  sens  relit^'ieii.x,  un  jx-u  au 
moment  oii  la  même  éxolution  se  produisait  chez  son  ami  Dagnan-Bouveret.  Mais  Burnand 
n'est  pas  un  mysti(iue.  Animé  d'une  foi  profonde,  mais  d'une  foi  de  cah'iniste,  son  inspiration 
a  surtout  un  caractère  réaliste.  Tandis  que  les  uns  ont  cherché  à  renou\-eler  l'expression  du 
sentiment  religieux  en  art  en  recourant  au.\  artitices  d"imit<ition  des  maîtres  primitifs  ou 
d'adai^tation  des  mceurs  et  des  costumes  orientaux,  Burnand  est  resté  dans  l'ancienne  donnée 
générale,  mais  re\i\ahée  par  l'étude  attenti\'e  des  réalités  familières  qui  l'entouraient.  Il  a 
donné  ainsi:  la  l'araholc  du  grand  souper,  lu  Cène,  les  Diseiples,  Pierre  et  Jean,  courant  au 
tombeau  à  la  nouvelle  de  la  résurrection  du  maitre.  Ce  dernier  tableau  est  entré  au  Musée 
du  Luxemlxiurg  en  i()oi.  \i.  Burnand  a  fait  aussi  quelques^incursions  dans  le  domaine  de 
l'histoire  et  il  a  expose,  en  iS()5,  un  Charles  le  l'éméraire.  juvahdCaprès  la  bataille  de  .Moral, 
sous  la  haute  futaie  de  pins,  qui  a  un  grand  caractère  de  \raisemblance  rétrospective. 


Dans  ce  milieu  à  demi 
français  C.^RLOS  Schwabe  repré- 
sente l'esprit  mystique  et  allégo- 
rique, inspiré  des  préraphaélites 
anglais  et  des  ipiattrocentisti 
italiens:  il  a  exposé  en  l8c)2  à  la 
Rose  +  Croix  et  a  été  l'illustrateur 
du  Rêve.  d'Iùnile  Zola,  de  VJivaii- 
gile  de  l'Enjanee.  etc.  Le  Luxem- 
bourg possède  delui:  SurlcChemin 
et  /('  I-dssdveur.  imjiortantes  aqua- 
relles, pro\'enant  du  legs  Michonis. 
Mademoiselle  Loi'iSE  Bkesl.vi'  a 
ete  formée,  après  ses  premières 
études  à  Zurich,  où  elle  est  née 
en  1858,  sous  l'influence  de  Bastien 
Lepage,  très  sensible  dans  ses 
]iremiers  mu'rages,  comme  sa 
I'>r étonne  (1851)  et  de  Degas.  Elle 
se  sert  de  la  peinture  à  l'huile  et  surtout  du  pastel,  aime  à  traduire  de  préféi'ence  les  figures  de 
jeunes  femmes  et  d'enfants  et  \'  a})ji<irte,  a\ec  un  dessin  intelligent,  des  colorations  très  délicates. 
L'expression  picturale  des  paysages  de  montagne  est  un  problème  qui  a  passionné 
nombre  d'artistes.  On  s'est  demandé  comment  des  spectacles  aussi  grandioses,  qui  nous 
émeuvent  si  profondément  dans  la  réalité,  par\iennent  si  jxni  à  nous  toucher,  en  général, 
dans  leur  représentation  peinte.  C'est  parce  tpie  nous  nous  jilaçons.  en  art.  comme  de\'ant  la 
nature,  à  un  point  de  \aie  exclusivement  panoramiipie.  (  )r  il  v  a  là  une  (.piestion  d'échelle: 
d  ms  la  mesure  étroite  du  cadre,  l'impression  d'unité  produite  par  les  sensations  multiples 
d'étendue,  de  hauteur,  d^'  lumière,  d'effets,  ne  se  reproduit  que  rarement  et  difficilement;  il 
n'est  pas  nécessaire  d'embrasser  de  si  vastes  horizons  pour  traduire  la  majesté  des  montagnes. 
Ce  que  l'italien  Segantini  a  tenté,  de  son  côté,  nous  le  verrons  un  peu  plus  loin,  avec  tant  de 
résolution  et  d'audace,  a  été  essayé,  naturellenn'ut.  par  des  artistes  suisses  qui  se  trouvaient 
dans  les  mêmes  conditions  géographiques.  Celui  qui  s'est  montré  le  plus  opiniâtre  et  qui  est 
parvenu  aux  plus  heureux  résultats  est  .\ri,rsTi-:  i;.\ri)-l)i>\'v.  Né  à  Cienève  en  février  1848, 
il  est  décédé  à  Davos  le  j  juin   1899.    Si  on  le  rapproche  du  mou\-ement  italien,  ce  n'est  pas 


;|E    B.Mli-lîoVV. 


Sérénité  (.Musée  du   Luxcmbuui, 


.COR'     suisse. 


317 


qu'il  en  ait  subi  l'iutluence  —  du  reste  ce  courant  italien  dc.->  Al])cs  e>t  lui-même  sous 
l'influence  du  naturalisme  français  —  mais  c'est  qu'il  a  lutté  avec  lui  pour  tixer  la  splendeur 
de  ces  spectacles.  Après  avoir  commencé  ses  études  au  collège  de  sa  ville  natale,  il  entra  à 
quatorze  ans  dans  l'atelier  de  Barthélémy  Menn.  Il  le  quitta  à  l'âge  de  vingt  ans  pour  se 
marier  avec  une  parente,  M^He  Bovy,  d'une  famille  d'artistes  connus.  Il  fut  nommé  à  22 
ans  professeur  à  l'Ecole  des  Beau.x-Arts  de  Genève.  En  1S77,  il  eut  l'occasion  de  montrer  à 
Castagnary  et  à  Courbet,  de  passage  à  Genè\-e,  quelques-tmes  de  ses  études.  Il  le  décidèrent 
à  aller  étudier  à  Paris,  où  il  se  rendit  en  1S80.  Il  y  séjourna  neuf  ans  et  v  exposa  des  vues 
de  mfintagnes,  prises  des  liautenrs  nv'ine.  in;iis  dans  des  limites  qui  permettent  à  la  peinture 


d'évoquer  la  magnificence  imposante  des  ces  aspects.    Le  Musée  du  Luxembourg  possède  un 
tableau:  Sérénité,  qui  dit  la  grande  paix  des  sommets  dans  la  lumière. 

On  peut  enfin  signaler,  à  ses  côtés  ou  à  sa  suite,   les  <eu\'res  de  I''ran;înni.    Kehtou--, 
Gos,  de  Goumois,  etc. 

S  IL     E(  (_)Li-;  .Alle.\i.\nde. 


Un  grand  pays  C(jmme  r.VIlemagne  ne  ])(]u\-ait  manquer,  au  cours  du  XIX''  siècle, 
d'offrir,  en  face  des  autres  hautes  manifestations  de  la  pensée,  le  spectacle  d'une  vie  artistique 
assez  intense.  Le  développement  des  arts,  en  effet,  y  a  été  activé  par  la  culture  générale  et 
particulièrement  fa\'(irisé  p>ar  l'amour-propre  national,  surtnut  après  la  fondation  de  l'empire. 


3i8 


La   Peinture  au   XIX"   siècle. 


A  toute  époque  et.  nalurellement,  clans  les  trente  (U-rnières  années  de  cette  périnde.  nul  effort 
n"a  été  négligé,  nu!  sacrifice  n'a  été  épargné  pour  arri\"rr  à  la  constitution  d'un  art  cpii  exerçât 
sa  prééminence  sur  le  reste  du  monde.  IMais  l'art  \-it  essentiellement  de  liberté;  il  fuit  les 
magisters  et  les  férules,  et  l'on  ne  crée  pas  une  école  comme  on  recrute  un  régiment.  Aussi  la 
pliysionomie  de  l'art  allemand,  malgré  f]uel(pies  rares  et  hautes  exceptions,  présente-t-elle, 
d'un  bout  du  siècle  à  l'autre,  un  car, ictère  académicpie,  c]uelles  que  soient  les  formes  que 
re\'étent  cet  académisme  et   les  traditions  auxcpielles  il  puisi". 

Du  reste,    depuis  les  temps  lointains  où  il  donnait  les  grandes  ligures  d'Albert  Uiirer, 


l'KrFK  VON  CoKNi'i.u-s.  —    Les  Civalieis  <le  rA|ioc.ily|i>e  (Muscl-  .le   lleilin) 


de  Holbein  et  de  Cranach,  l'esprit  germanique  n'avait  guère  produit  par  lui-même  que  des 
imitateurs  littéraux  et  médiocres  comme  les  Dietrich  et  les  Denner.  ou  les  talents  aimables, 
mais  secondaires  et  sans  vraie  originalité  locale,  de  Chodowiecki,  qu'on  appelle  avec  indulgence 
le  , .Chardin  allemand"  et  de  la  fondante  et  cosmopolite  .\ngelica  Kautfmann,  qui  ne  fait  pas 
oublier  Madami-  \'igée-Lebrun. 

Il  y  .1  mcore  Raphaël  Mengs,  dont  la  personn.ilité  ])rend  (pielipie  importance  à  la 
veille  du  nou\-eau  siècle,  parce  que  ses  doctrines  appliquent  et  commencent  à  répandre  les 
principes  dv  son  ami,  l'archéologue  Winckelmann,  de  Salomon  Gessner,  du  poète  Lessing,  aux- 


.colc  allcniande. 


319 


qufls  devait  se  rallier  lui-menir  r(ilynii)ien  doëthe,  qui  plaçaient  d.nis  l'iinitatidn  de  l'art 
antique  le  critérium  de  toute  beauté.  Tcnit  ce  mouvement  d'érudition,  «jui  se  développa  sur 
le  sol  même  de  la  Ville  éternelle,  (jù  \inrent  bientôt  affluer  les  écrivains  et  li->  artistes  allemands, 
eut.  on  le  sait,  son  contre-eciup  sur  l'art  français  et  accéléra  le  nniuvcment  anal()f:;ue  qui  s'v 
était  formé  en  exerçant  sim  influence  sur  David,  alors  en  contact  à  Rome,  avec  ces  milieu.x 
archéologiques. 

Le  Damas  Carstens  (Asmus  Jacoh)  1754 — 1798.  est  le  plus  célèbre  représentant  de 
la  nouvelle  formule  classique;  il  offre,  dans  ses  compositions  modelées  sur  la  sculpture  grecque 
un  ton  savant  et  doctoral,  qui  est  déjà  très  allemand.  ^lais  la  réaction  contre  l'art  classique 
ne  tarda  pas  à  se  produire  en  Allemagne. 
Le  romantisme  litténiiri'  allemand, 
qui  était  un  mr  u\'ement  de  réaction 
nationaliste,  historique,  poétique  et 
mystique,  eut  sa  répercussion  dans 
l'art.  Tout  audébut  du  siècle,  en  face 
du  classicisme  triomphant,  Wacken- 
roder,  Tieck,  les  frères  Schlegei  oppo- 
sent à  l'art  d'une  civilisation  morte 
un  verbe  nouveau,  destiné  à  \i\-ifier 
l'art  et  fondé  sur  la  foi,  les  croyances 
et  les  traditions  du  temps.  Ils  exaltent, 
de  leur  côté,  comme  Chateaubriand 
chez  nous,  au  même  moment,  le  ,, génie 
du  christianisme",  qui  devient  syno- 
nyme, aux  jours  de  résistance  contre 
ren\'ahisseur  étranger,  de  génie  de  la 
race  germanique,  opposé  au  génie 
français  classique  et  païen. 

Un  courant  religieux  et  mystique 
se  forma  donc  dans  l'inspiration  artis- 
tique. On  prenait  comme  idéal  le 
mo3^en-âge:  on  rêvait  l'alliance  de 
l'église  et  de  l'art;  on  ne  regardait  plus 
que  les  maîtres  antérieurs  à  Raphaël, 
car  la  décadence  de  l'art  avait  com- 
mencé avec  Raphaël,  Léonard,  Titien, 
et  Michel-Ange,  et  nous  nous  trou\-ons 

devant  la  même  crise  que  celle  qui  s'était  pr(.)duite  dans  l'atelier  de  Da\'id  a\-ec  les  priinitijs 
et  en  présence  des  devanciers  des  préraphaélites  anglais.  Vw  grand  mou\'ement  de  conversion 
se  fit  vers  le  catholicisme;  tout  un  groupe  d'artistes  suivit  l'excemple  de  Frédéric  Schlegei 
et  vint  se  grouper  à  Rome,  qui  devint  le  point  de  concentration  des  m\sti<iues  comme  des 
classiques,  dans  le  couvent  désaffecté  de  San  Isidoro.  où  il  menèrent  une  \ie  toute  monacale, 
mêlée  de  contemplations  et  de  pastiches  enthousiastes,  mais  lamentabk'S,  des  maîtres  du 
XlVe  et  du  XIIL-  siècle. 


Knaus.  —  I.a  Promenaile  aux  Tuileiies 
(Mu'iée  du  Luxemliourg). 


Le  premier  des  artistes  cpii  forma  le  groupe,  qu'on  bajitis.i  ironiiiuemi'ut,    d'abord, 
du  nom  qu'ils  conservèrent:    les  Nazaréens,  est  Frederick  Johaxx  ()vi;kiu;ck,  né  à  Liibeck  le 


320  La  Peinture  au  XIX''  siècle. 

_;  juillet  1789,  mort  à  Rome  le  12  novembre  1869.  Il  est  resté  l'expression  la  plus  typique  de 
cet  art  minutieux  et  pauvre  à  la  fois,  qui  réagit  contre  les  errements  du  classicisme,  non  point 
par  un  contact,  indispensable,  avec  la  nature,  mais  par  un  retour  servile  vers  des  maîtres 
dont  on  ne  pouvait  avoir  les  fraîches  et  naïves  ignorances  ni  la  verdeur  ingénue.  Overbeck, 
formé  à  l'Académie  de  Vienne  en  1806,  vint  à  Rome  avec  son  ami  Pforr  en  1810;  le  Zurichois 
\'ogel  les  rejoignit:  puis  vinrent  se  joindre  au  groupe,  en  1811,  Cornélius,  en  1815  Schadow 
et  \'eit,  de  Berlin.  Schnorr  von  Carosfeld,  de  Leipzig  et  les  \-ienn(iis  Fiiricli  et  Steinle. 

Peter  vo\  Cor.xelu's.  l'un  des  plus  célèbres  d'entre  eux,  était  né  à  Diisseldorf  le 
23  septembre  1783.  Il  est  mort  à  Berlin  le  6  mars  1867.  Il  étudia  d'abord  à  l'Académie  de 
Diisseldorf,  commença  par  des  travaux  d'illustrati(jns,  entre  autres  du  Faust  de  Gfethe.    En 


.XiMU.i'ii   Mknzh.. 


I.c  Concerl  >]<.-  flûte  (Mu^ 


1809,  il  est  appelé  à  Frcmcfort  par  le  prmce-primat  jiour  exécuter  quelques  commandes  qui 
cnmnu-ncent  sa  réputation.  En  1811,  il  est  à  Rome,  au  milieu  des  Nazaréens.  Un  moment 
il  parut  comme  le  chef  de  ce  groupe,  mais  son  tempérament  plus  robuste  l'entraînait  bientôt 
vers  les  maîtres  du  XYI*"  siècle.  Durant  son  séjour  à  Rome,  il  exécuta  avec  Overbeck  les 
décorations  d'une  salle  de  la  maison  du  consul  allemand  Bartholdv,  qui  ont  pour  sujet 
rHistoire  de  Joseph  et  qui  sont  conservées  aujourd'hui  au  Musée  de  Berlin.  En  i8ig,  il  est 
appelé  par  le  roi  Louis  de  Bavière  pour  décorer  la  Glyptothèque  de  Munich  et,  après  avoir 
réorganisé  l'Académie  de  Diisseldorf,  qui  de\-ait  prendre  ensuite  tant  d'éclat,  il  est  appelé  en 
1825  à  diriger  celle  de  Munich.  Il  a  formé  toute  une  école  de  peinture  philosophique, 
historique  et  encyclopédique  de  cartons  incolores,  qui  a  quelque  rapport  avec  la  manière  de 
Chenavard,  avec  qui,  du  reste,  il  se  lia  à  Rome  et  qui  resta  son  ami. 


École  allemande. 


2  I 


Après  la  disliication  du  grouix'  niniain  dv  San  Isiddiu  et  IdiMiuc  Ir  calnu-  fut  un  peu 
revenu  en  Europe,  après  tant  de  sanglantes  luttes,  il  se  Inrnia  l)ienti>t.  dans  les  petits  étais 
allemands,  des  centres  d'enseignement  f(irt  sui\'is.  Ceux  qui  jirirent  la  tète  furent  les  Acadé- 
mies de  Dûsseldorf.  de  Berlin  et  de  Munich.  L'Hcdle  de  Dùsseldnrf  devait  jnuer  un  rôle  actif 
dans  le  développement  de  Técole  allemande  cijntemporaine.  Après  la  direction  de  Cornélius, 
celle  de  son  ancien  camarade  de  San  Isidoro,  Frederick  Willielni  Schadcw.  fils  du  célèbre 
sculpteur,  né  à  Berlin  en  i/Sq.  décédé  à  Dûsseldorf  en  1862.  fut  particulièrement  brillante 
et  réagit  vignureusement  contre  les  doctrines  classiques,*  dans  un  sens  italien  et  religieux. 
Diverses  tendances  s"y  manifestèrent,  et.  à  côté  des  tendances  historiques,  se  forma  une  école 


Une  FniQe  rie  Villa 


de  peinture  de  genre  et  de  paysage,  à  l'imitation  des  anciens  maitres  de  Hollande,  mieux 
compris  d'ailleurs,  et  sans  doute  aussi  grâce  à  des  facilités  plus  grandes  de  pénétration  de 
l'influence  romantique  française.  Parmi  les  nombreux  artistes  allemands  qui  se  formèrent  ou 
vivaient  même  à  Paris  —  plusieurs,  du  reste,  se  firent  naturaliser  français  —  on  n'a  pas  oublié 
les  noms  des  frères  Achenbach  et  de  Knaus,  qui  figurent  sur  le  catalogue  du  Luxembourg. 
LuDWiG  Kn.-\us,  en  effet,  fut  de  ceux  qui  travaillèrent  quelque  temps  en  France.  Né  le 
5  octobre  1829  à  Wiesbaden,  il  fit  ses  études  artistiques  à  l'Académie  de  Dûsseldorf  entre 
1845  et  1852,  puis  voyagea  en  Italie  et  séjourna  à  Paris  jusqu'en  1860.  Il  est  aujourd'hui 
professeur  à  l'Académie  de  Berlin.  Sa  Promenade  aux  Titileries,  du  Luxembourg,  est  restée 
populaire.    Elle  est  bien  le  type  de  cette  peinture  de  genre,  pittoresque  et  anecdotique. 


,22 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


Berlin,  pourtant,  pendant  la  première  moitié  du  siècle,  semble  l'emporter  sur  les 
autres  centres  artistiques  allemands  par  l'indépendance  et  par  la  puissances  des  talents.  Il  y 
avait  déjà  eu  K.arl  Begas  (1794— 1854).  élève  de  Gros,  à  Paris,  fécond  comme  peintre  de 
portraits,  qui  montre,  avec  une  brillante  techni([ue,  de  solides  qualités  d'expression  et  de  vie. 
Il  est  le  père  de  toute  une  lignée  d'artistes.  Il  y  avait  eu  aussi  un  certain  nombre  de  peintres 
peu  connus  et  très  intéressants,  soit  comme  le  portraitiste  K.\kl  Wilhelm  W.^chs  (1787 — 
1845),  élève  de  David,  camarade  de  Begas  chez  Gros,  soit  comme  les  petits  peintres  Frantz 
Kruger  (1797 — 1857),  peintre  de  portraits  et  de  sujets  de  genre  et  surtout  de  chevau.x;  Eduard 
Gartner  (1801 — 1877).  paysages,  et  Karl  Blechex  (1798 — 1840),  physionomie  instructive 
bien  qu'incomplète,  qui.  comme  ^lenzel,  qu'il  prépare,  a  déjà  une  vision  assez  libre  du 
paysage,  peint  des  vues  de  toits,  d'usines,  etc.,  et  traite,  avant  Bœcklin,  les  sujets,  devenus 
fastidieux  à  force  d'être  répandus  en  Allemagite.  de  faunes  et  de  nymphes.  Mais  la  person- 
nalité qui  domine  ce  groupe,  comme  elle  domine  tout  l'art  allemand,  est  celle  de  Menzel. 

AnoLPH  Menzel  est  né  à  Breslau  le  8  décembre  1813  et  il  est  mort  à  Berlin  le  9  février 
1905.     Il  était  fils  d'un  lithdgraphe  de  commerce,  (jui  vint  s'établir  à  Berlin  en  i8jo  et  qu'il 

aidait  dans  ses  travaux.  Après  un  court  séjour 
à  l'Académie,  en  1833,  il  se  forma  de  lui-même 
et  commença  à  peindre  dès  1837.  C'est  une 
des  grandes  figures  de  l'époque  contemporaine. 
Il  représente,  en  particulier,  pour  l'Allemagne, 
le  premier  mou\'ement  d'émancipation  vers 
la  liberté  et  la  vérité.  Il  est  le  premier  grand 
réaliste  allemand  des  temps  modernes.  Son 
œuvre  est  considérable  et  touche  à  tous  les 
sujets,  rétrospectifs  ou  actuels,  car  il  a  aussi 
bien  le  sens  du  passé  que  celui  du  temps 
présent.  De  1840  à  1860  son  œuvre  historique 
se  concentre  tout  autour  du  grand  Frédéric, 
dont  il  illustre  la  vie  de  dessins  devenus 
célèbres  et  qui  lui  a  fourni  les  sujets  de  pein- 
Les  iioiiiKicns  du  Village.  tures,   la  plupart   au  Musée  de  Berlin,  dans 

lesquelles  il  uKuitre  toutes  ses  qualités  supé- 
rieures de  mise  en  scène,  de  compréhension  des  caractères,  ses  d(ins  d'observation  exceptionnels 
des  attitudes,  des  gestes,  des  effets  de  la  lumière.  Tels  sont  :  Voltaire  chez  Frédéric  (1850)  dans 
la  petite  salle  à  manger  de  Sans-Souci,  d'une  peinture  un  peu  lourde,  et  surtout  le  Concert 
de  flûte  (1852),  où  le  royal  flûtiste  se  fait  entendre  dans  l'intimité  d'une  brihante  assemblée, 
accompagné  par  un  quatuor  de  musiciens,  parmi  lesquels,  au  clavecin,  on  remarque  le  com- 
positeur Bach.  C'est  d'un  très  j(.)li  effet  de  lumière,  par  la  clarté  des  bougies,  qui  mettent  dans 
l'air  un  léger  tremblotement,  et  d'un  charmant  esprit  rétrospectif.  De  1860  à  1880,  Menzel  se 
porta  sur  l'histoire  contemporaine  et  peignit  les  fastes  de  la  cour  de  l'empereur  Guillaume  I^'' . 
Sa  physonomie  a  longtemps  un  caractère  exceptionnel  et  isolé  et,  néanmoins,  il  a  exercé  une 
influence  marquée  sur  la  production  allemande.  Il  a.  d'instinct,  par  son  tempérament  clair- 
voyant et  perspicace,  des  affinités  avec  les  réalistes  français,  qu'il  eut  l'occasion  de  connaître 
dans  ses  divers  voyages  en  France,  en  1855,  1867  et  1868,  surtout  en  1867,  où  il  se  lia  avec 
Meissonier  et  où  il  connut  Courbet.  C'est  de  France  que  lui  \-int  la  célébrité  et  c'est  en  France 
ou  au  retour  de  Paris  qu'il  produisit  ses  ouvrages  populaires  modernes,  le  Théâtre  du  Gymnase, 
le  Jardin  des  Tuileries,  le  Jardin  des  Plantes,  où  il  montre  cette  faculté  peu  commune  de 
saisir  le  grouillement  des  foules  dans  les  jeux  animés  de  la  lumière.    Car  il  est  le  premier,  en 


Wii.iiKi.M   l,rii;i,. 


Ecole  allcnianclc. 


J"Ô 


Alk-magnu.  qui  tuntè  de  résoudra  ces  problèmes  de  ratiiKisphèrt.'  ta  de  la  lumii-rc  ([ui  ont 
si  vivement  préoccupé  les  naturalistes  français.  Dans  cet  ordre  d'idées  réalistes,  il  a  ])cint  des 
églises,  au  style  rococo,  avec  des  foules  de  femmes  en  prière,  des  salons,  des  rues,  des  marchés, 
comme  cette  Piazza  dcW  Erbc,  à  \'érone.  et  des  usines,  des  fabriques  comme  sa  fameuse  Forge, 
du  Musée  de  Berlin,  qui  date  de  1S73.  C'est,  sans  contredit,  son  (cuvre  la  plus  considérable 
11  y  a  de  la  foule  et  du  mouxeincnt  sans  confusion,  de  la  lumière  et  tle  la  fumée,  une 
atmosphère  épaisse  et  chargée.  Malgré-  Min  goût  tn.ip  martpié  pour  la  nniltiplicité  des  petits 
incidents  pittcjresques.  cette  scène  ].)uissante  a  de  l'ensemble.  C'est  un  des  \Aus  beaux  morceau.x 
d'études  sur  la  vie  de  l'art  allemand.  .\  jxirtie  de  i8ci2  .Menzel  ne  ])eignit  plus  à  l'huile,  il 
s'adonna    surtout    à    la   gouache,    comme    dans  sa  Pâtisserie   de  Kissiiigeii.   qu'il  exposait  en 


Fr.\NZ    vos    I.lNBArlI. 


Pelit   Meigcr   italien  (Lullecliun  Schack). 


France,  en  1900.    On  a  rapproché,  plus  ou  moins  exactement  Menzel  de  Meissonier,  en  raison 
soit  des  analogies  de  leurs  sujets  rétrospectifs,  soit  de  leurs  dons  d'obser\-ati(jn. 


Un  autre  réaliste  qui  mérite  une  mention  toute  spéciale  dans  l'histoire  de  l'art  alle- 
mand contemporain  est  Wilhelm  Leip.l.  11  était  né  à  Cologne  le  23  octobre  1844  et  il  est  mort 
à  \\'ùrzbourg  le  4  décembre  1900.  11  était  hls  d'un  maître  de  chapelle  de  la  cathédrale.  Il 
étudia  d'abord  à  ^lunich.  avec  Piloty  et  Ramberg  en  1864.  C'est  là.  en  1869,  à  l'exposition  de 
cette  ville,  où  l'art  français  était  brillamment  représenté  par  ses  plus  grands  maîtres,  et  où 
une  salle  spéciale  avait  été  réservée  à  Courbet,  ([u'il  fut  vivement  frappé  par  les  <euvres  du  grand 
réaliste.    Cela  le  décida  à  partir  immédiatement  pour  Paris,  où  il  resta  ius([u'en  1870  et  où  il 


324 


La  Peinture  au  XIX'  siècle. 


reçut  les  encouragements  de  Courbet  lui-même.  La  guerre  l'obligea  à  s'éloigner.  Il  se  lixa 
en  Bavière,  peignant  les  paysans  de  la  région,  à  l'existence  desquels  il  se  plaisait  à  se  mêler. 
Leibl  est  vraiment  un  excellent  peintre,  doué  d'une  vision  objective  très  droite  et  d'un  senti- 
nu'Ut  de  la  technique  très  net  et  très  ferme.  Il  peint  ce  qu'il  voit  sans  y  rien  ajouter  de  lui-même, 
mais  simplement,  fortement,  sans  petitesse,  avec  une  grande  puissance  d'expression  et  de 
vie.  Ses  deux  Paysannes  de  Dachan  (1875)  provenant  de  la  collection  Munkacsy,  qui  figurent 
au  Musée  de  Berlin,  attablées  dans  un  cabaret,  en  leur  pittoresque  costume  exotique,  ou  les 
Trois  jcinmcs  dans  une  église  (1882)  de  la  Kunsthalle  de  Hambourg,  sont  des  exemplaires 
t\-piques  de  ce  talent. 

11  est  encore  un  illustre  artiste,  que  l'on  classe  volontiers  parmi  les  réalistes,  parce  qu'D 
s'est   surtout    attaché   à   la   peinture  de   la  physionomie  humaine.   C'est  Fr.-^nz  vON  Lenbach, 


Max  I,ii:i;kkm.\nn.  —   I  es  I•il^■lise^. 


né  à  Schrobenhausen  (Haute-Ba\ière),  le  13  décembre  1836.  mort  le  6  mai  1904  à  Munich. 
Lenbach  est,  pourtant,  moins  un  réaliste  qu'un  dilettante.  Il  est  nourri  des  maîtres  jusqu'à 
la  moelle  et  ne  voit  jamais  la  nature  qu'à  travers  eu.x.  Mais  il  se  les  est  assimilés  avec  une  rare 
faculté  d'absorption  et  il  puise  dans  le  vaste  vocabulaire  que  lui  fournissent  Titien,  Rembrandt, 
\'an  Dyck  et  Reynolds,  avec  une  puissante  maestria.  Il  y  a  beaucoup  d'analogies  entre 
Lenbach  et  notre  Ricard,  qu'il  connut  à  Rome  et  qui  influa  sur  son  talent,  mais  Ricard  est  une 
nature  enthousiaste,  anxieuse  et  passionnée,  tandis  que  Lenbach  est  un  esprit  savant,  maître 
de  soi,  extraordinaire  produit  de  culture  et  de  ^•olonté.  Lenbach  a  étudié  à  l'Académie  de 
Munich,  avec  Piloty,  qu'il  accompagna  en  Italie  en  1858.  C'est  là  qu'il  se  développa.  Il  y  a 
de  lui  à  ^Munich,  à  la  collection  Schack.  un  Petit  berger  italien  couché,  daté  de  1860,  en  pleine 
lumière  sous  un  ciel  au  zénith,  sur  un  coin  de  lande  semé  de  fleurs,  comme  dans  un  tableau 
de  préraphaélite,  (}ui  montre  les  dons  de  peintre  qu'il  possédait  déjà.  II  a  peint,  comme 
notre  Bonnat.  tous  les  personnages  illustres  de    son   pavs,  avec   ce   métier   sa\-ant,   souple   et 


XolC 


ail 


cnianae. 


o-  ."* 


liardi  et.  ce  tiui  a  contribué  à  S(in  succès,  awc  une  rc.llc  pcnt'tr.itidU  j)s\'c1i(iI(jj;i(|uc.  (  )ii  lui 
doit  entre  autres,  les  portraits  de  l'empereur  (,iiillait'nr  I .  inie  collection  innombrable  de  lli-s- 
marck  et  de  Moltkc.  le  pi.utrait  de  Wuiincr,  de  MiDiiiiiscii.  etc..  à  la  galerie  nationale  de  i^>erlin. 

La  formule  la  plus  directe  et  la  plus  énergiciue  du  réalisme  dans  récoir  allemande  a 
été  donnée  par  ;\Lax  Liei'.i:kM-\nx.  11  est  vraiment  le  prenmr  (]ui  ait  aéré  lart^'einent  l'école 
en  ouvrant  toutes  les  fenêtres  aux  courants  \-enus  d,'  Frani'e  l't  de  Hollan(l(\  Né  à  Herlin  le 
20  juillet  1847.  d'une  famille  Israélite  qui  lui  lit  donner  une  mstruction  très  d''\'elop])ée.  il 
suivit  les  cours  du  Gymnase  de  Berlin  et  se  dirii^ea  à  ri'nixersite  \'ers  les  études  philoso- 
phicjues;  mais  ses  dispositions  pour  la  peinture  l'emportant  sur  tout  autre  \-ocation.  sa  famille 
le  plaça  dans  l'atelier,  célèbre  ]i.ir  son  enseignement,  de  Karl  Steft'eck,  peintre  d'animaux, 
d'histoire  et  de  sujets  militaires.  Les  progrès  de  Lieb:  rmann  furent  si  rapides  (pie  son  maitri' 
ne  craignit  pasjde  l'associer  à  ses  tra\-aux  pour  traiter  des  parties  accessoires.  Il  étudi.i 
ensuite,  en  1868,  à  W'eimar. 
sous  la  direction  de  Pau- 
wels.  et  surtout  de  \'erlat. 
peintres  belges,  qui  pro- 
fessèrent dans  cette  aca- 
démie. Liebemiann  mon- 
trait déjà  ses  goûts  pour 
les  choses  de  la  réalité: 
aussi,  après  cpielques  pre- 
mières tentatives.  \ite 
abandonnées,  sru'  le  mode 
historique,  s'attaqua-t-il. 
en  1872,  à  un  sujet  de  \'ie  : 
ses  Pliiincuscs  d'oies,  qu'il 
exposa,  en  1874,  à  Paris 
et  qui  appartiennent  à  la 
galerie  Nationale  de  Berlin. 
Mais  son  tempérament 
réaliste  l'appelait  \'ers  la 
France.  Il  \-ient  à  Paris 
en  1873  et  se  rend  aussitôt 
à  Barbizon.  où  ]\Iillet  de- 
meurait seul  de  la  grande  pléiade,  mais  où  il  M-mblait  qu'il  restait  i-ncore  dans  ratmo>phère 
la  subsistance  de  ces  fortes  tradition>.  Il  y  avait,  en  outre,  toute  une  nomlireiise  colonie 
artistique  française  et  étrangère  et  notamment  les  autrichiens  Kibarz.  Jettel  et  le  Hongrois 
ÎMunkacsy  avec  son  camarade  L.  de  Pal.  Liebermann  se  lia  a\-ec  Munkacsy  et  ce  tut  par 
lui  qu'il  reçut  la  première  communication  de  l'inthience  des  n,iturali>tes  français;  et'  qui 
explique  le  ton  assez  monté  des  jiremiers  oux'rages  conçus  sous  cette  inspiration.  Il  s'installa 
donc  quelques  années  à  Paris  —  de  1873  à  l87<S  inclusivement  —  et  se  trouva  mêlé  en 
plein  à  ré\-oliition  (pii.  à  ce  moment,  remuait  si  [irofondément  l'école  française.  Lieber- 
mann quitta  la  France  très  pénétré  par  ce  contact  ([uotidien  awc  rim])ressionnisme  et  k'S 
tentatives  de  l'école  du  plein  air.  Entre  temjis  il  awiit  fait  ipiekpics  excursions  en  Hollande 
et  il  y  peignait  même  les  jirincipaux  tableaux  ([u'il  expo.-ait  à  Paris.  Il  y  trouvait  les  conseils 
et  l'appui  moral  de  son  illustre  et  grand  corréligionnaire.  Joseph  Israëls.  et  désormais  la 
Hollande  devenait  sa  petite  patrie,    ("est.  en  elfet.  là  ([u'il  a  i)ris  presque  tons  les  motifs  de  ses 


,  (Mii-éc.lu  I.ux 


26 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


tableaux.  -Vu  début,  cummt-  dans  les  ])remiers  sujets  de  son  maitre  Israëls,  ses  peintures 
offrent  un  certain  caractère  sentimental:  le  Veuf  (1873),  la  Sœur  aînée  (1874),  Mère  et  enfant 
(1878);  mais  sa  vision  devient  bientôt  plus  objective  et  il  peint  les  populations  des  petits 
villages  marins  de  Hollande,  soit  en  types  individuels,  comme  V Échoppe  du  savetier  hollandais, 
la  Petite  rcpriseuse  de  bas  (1881),  la  Dentellière  flamande  (1881),  les  Petites  orphelines  hollan- 
daises (1887),  les  Rdceoniinodenses  de  filets  (iS88).la  Petite  herf^ère  (i8go),  soit  en  compositions 
plus  importantes,  tant  par  la  ])lace  faite  au  décor  intérieur  ou  extérieur  que  par  le  nombre 
des  ])ersonnages  groupés.  Ce  sont  jxir  t'xemple  des  scènes  d'asiles  ou  d'hospices,  comme  le 
Jardin  d'une  maison  de  retraite  à  Amsterdam  (1880),  cette  Cour  de  la  Maison  des  orphelines 
à  Amsterdam  (1881),  qu'il  a  nqirise  de  différentes  façons,  avec  ses  jeunes  filles  assises  et 
travaillant  dans  l'ombre  tachetéi'  de  lumière,  en  leur  costume   mi-]iartie   noir  et   rouge. 


EliUARD    VON    (IeBHARUT. 


L.i  Cène  (Musée  .le  lierliii). 


En  se  développant,  le  talent  de  Liebermann  évolue  dans  un  sens  chaque  jour  plus 
austère,  plus  simple  et  plus  expressif,  soit  dans  la  composition,  soit  dans  la  couleur.  Ses 
personnages  sont  moins  nombreux  et  plus  absorbés  par  leur  action;  sa  manière  est  plus  âpre 
et  son  atmosphère  plus  enveloppée.  C'est  vers  1890  qu'il  atteint  l'apogée  de  sa  personnalité. 
A  cette  date  appartient  la  Vieille  femme  à  la  chèvre  de  la  Pinacothèque  de  Munich,  exposée  à 
Paris  en  1900,  qui  montre,  dans  la  solitude  d'un  stérile  paysage  de  dunes,  une  vieille  femme 
tirant  sa  chèvre  et  sa  chevrette,  sous  un  ciel  gris  et  bas  de  Hollande.  Cet  humble  et  médiocre 
spectacle  est  fortement  émouvant  par  l'emploi  des  moyens  pittoresques  les  plus  simples  et  les 
plus  sobres.  Liebermann  s'est  fait  aussi  connaître  comme  portraitiste  et  paysagiste.  Longtemps 
discuté  dans  son  pays,  où  il  a  eu  à  lutter  contre  la  coalition  des  influences  académiques, 
Liebermann  a  fini  par  exercer  une  salutaire  action   sur  les  milieux   jeunes  et  indépendants. 


Ecole  allemande. 


327 


A  ce  cercle  plus  oinert.  plus  libre,  appartiennent  certaines  plix-siomimies  bien  connues 
en  France,  où  elles  ont  participé  à  toutes  nos  expositions.  En  première  ligne,  il  con\-ient  de 
citer  Fritz  von  Uhde.  Xé  à  Wolkenburg  (Saxe)  le  22  mai  1848,  Fritz  Karl  Hermaxx  von 
Uhde  fit  ses  premières  études  à  TAcadémie  de  Dresde.  Après  un  passage  de  dix  ans  dans 
la  cavalerie  saxonne,  il  vint  à  Paris,  où  il  fut,  lui  aussi,  élève  de  Munkacsv.  Comme  son  ami 
Liebermann,  qu"il  devait  suivre  en  Hollande,  il  subit  en  France  une  complète  transformation, 
abandonna  les  \ieilles  méthodes  de  peinture  contrastée,  dans  les  roux  bitumineux,  pour  placer 
ses  figures  dans  la  grande  clarté  du  plein  air.  Après  quelques  sujets  choisis  à  travers  la  vie 
moderne  dans  le  genre  impressionniste,  il  reprit  a\-ec  bonheur  la  tentative,  à  laquelle  s"était 
li\Té  un  jour  Liebermann  et  qui  avait  été  inaugurée  en  France  avec  les  premiers  chefs-d"ieu\Te 
de  Cazin,  de  porter  les  sujets  de 
l'histoire  religieuse  dans  les  milieux 
populaires  des  temps  modernes.  Cet 
essai  de  renou\"ellement  de  Fart 
chrétien  a  été  repris  maintes  fois 
dans  tous  les  pays  depuis  le  com- 
mencement du  siècle.  En  Allemagne, 
en  particulier.  Edi'ard  vox  Geb- 
H.ARDT,  né  le  13  juin  1838  à  St-Jo- 
hannes,  paraissait  avoir  résolu  le 
problème  en  s'appuyant  sur  les  vieux 
maîtres  nationaux  et  en  portant  ses 
regards  sur  les  temps  d'Albert  Durer 
et  de  Luther.  Elève  de  l'Académie 
de  Dùsseldorf ,  il  reprenait  la  tradition 
historique  et  religieuse  de  cette  école, 
où  il  est  resté  professeur,  par  im 
mélange  d'archaïsme  et  de  réalisme, 
mais  d'un  réalisme  emprunté  plutôt 
aux  exagérations  expressives  des 
maîtres  anciens  qu'à  l'observation 
directe  de  la  vie;  il  y  apportait  toute- 
fois une  conviction  qui  donne  uii' 
certaine  force  à  ses  ceuvres. 

Ces  résurrections,  que  son 
premier  maitre  Munkacsv  crovait 
avoir  réalisées  a\-ec  ses  mises  en 
scène  théâtrales,  Fritz  von  Uhde  les 

obtenait  par  le  simple  moyen  de  sa  sensibilité  naturelle  dewint  les  phénomènes  de  la  nature 
et  devant  les  spectacles  de  la  vie.  Ses  sujets  évangéliques  :  Laissez  venir  à  moi  les  petits  etiiants. 
Jésus  chez  les  paysans,  au  ;\Iusée  du  LiLxembourg,  jolie  et  fraîche  reprise,  sous  une  autre 
forme  et  d'autres  dimensions,  du  tableau  du  Musée  de  Berlin:  Entre,  Seigneur  Jésus,  sois  notre 
hôte,  la  Nuit  de  Xoêl,  la  Cène,  le  Sermon  sur  la  Montagne,  etc.,  disent  avec  une  discrète  et 
intime  émotion,  une  simplicité  touchante  et  une  certaine  grandeur  familière,  les  principau.x 
épisodes  de  la  vie  de  Jésus  et  comme  dans  l'atmosphère  pacifiante  de  sa  doctrine.  F.  von  l'hde 
s'est  montré  aussi,  à  l'occasion,  excellent  portraitiste  et  il  a  peint  des  scènes  d'enfants  avec 
beaucoup  de  naturel  et  de  délicatesse. 

Dans  cet  ordre  d'idées    naturalistes  Gottharp  Rteiil   n'a  de  religieux  que  son  goût 


(JUTTIURD    KlElII.. 


tue  «nieslion  difficile  (Musée  «lu  Luxembourg). 


32S 


La   Peinture   au   XIX''  siècle. 


])uiir  les  églises,  les  bonnes  églises  en  style  vococo.  de  Liibeck,  de  Hambourg,  ou  de  Munich, 
comme  aimait  à  les  peindre  Menzel  et  dont  il  traduit  les  architectures  chantournées  avec  un 
véritable  brio.  Né  en  1850,  le  28  novembre,  à  Li.il)eck,  il  étudia  à  Dresde,  vint  en  1878  à 
l'.iris,  où  il  lut  frappé  par  les  icuvres  de  Fortunv  et  par  les  tendances  pleinairistes  et  luministes. 
Il  tra\-ailla  ensuite  en  Hollande  et  subit,  dans  ses  premiers  tableaux,  l'influence  de  Lieber- 
niann:  il  y  (dni})osa  (iuel(]ues  charmant(_'s  pc'inturt'S  d'intéric-urs.  tels  que  celle  du  Lu.xembourg: 
l'iii-  ijiic'^ticii  diljicilc.  d'une  exécution  \-ive  et  brillante  et  d'une  couleur  délicate.  Franz 
Sk.\ki-.ix.\.  né  le  24  fé\'rier  1841).  à  Berlin,   est  aussi  un  de  ceux  qui  cmt  marché  les  premiers 

sans  liésitation  dans  cette  voie  moderne. 
Fléw  de  Menzel.  il  débuta  dans  son  genre, 
égak'mi-nt  sur  des  sujets  de  la  vie  du 
grand  l'rédéric,  avec  des  effets  papillotants 
(IV'clairage.  Il  travailla  en  1885  et  1886  à 
Paris,  où  se  modifia  son  talent  dans  le  sens 
(1rs  réalités  contemporaines  et  du  plein  air; 
il  [a  peint  a\-ec  habileté  des  effets  de  lampe 
et  de  jour  contrariés. 

Il  faut  également  citer,  dans  cet 
es|)rit  naturaliste  et  moderniste,  les  beaux 
et  forts  animaliers  \'ictor  Weishaupt,  né 
a  Munich  le  6  mars  1848,  Heixrich  ZiiGEL, 
né  le  22  octobre  1850  à  Murrhardt,  Wurten- 
berg  et,  beaucoup  [plus  jeune,  Rudolf 
SciiRAMM-ZiTTAu  .(né  le  II  mai  1874  à 
Zittau),  célèbre  par  ses  volatiles:  Jank,  (né 
a  Municli  k'  30  octobre  1868)  et  ses  scènes 
lie  chasse  et  de  sports;  Hans  von  Bartels, 
ne  a  Hambourg  le  25  décembre  1856,  établi 
,1  Alnnich,  peintre  de  marines  et  de  scènes 
de  la  \-ie  des  pêcheurs;  W.\lter  Leistikow, 
ne) à  Bromberg  le  25  octobre  1865,  élève 
de  Hans  Gude  et  surtout  de  Liebermann; 
LmwK,  Dettmaxx.  né  à  Adelbye,  près 
Flensburg,  le  25  juillet  1865;  Arthur 
Kaiipf,  né  à  Aix-la-Chapelle  le  26  septembre 
1864,  sans  oublier  Wilhelm  Trubner,  né 
An.  I  Ml.  1 ,  i  ,-,;n>  M.  —  a  la  Source.  à    Heidelberg   en    1851.   Wilhelm   Stein- 

HAUSKX,  né  à  Sorau  en  1868  ;  Karl  Haider, 
LuDWiG  Herterich,  etc.,  etc.  Quant  à  l'inspiration  idéaliste,  qui  a  trouvé  en  France  et  en 
Angleterre  de  si  nobles  représentants  elle  a  été,  à  sein  tour,  revi\-ifiée  en  Allemagne,  à  peu 
près  à  la  même  date,  par  des  personnalités  exceptionnelles.  Il  en  est  une,  du  moins,  qui  a  pris 
une  importance  capitale  dans  l'école  germanique  contemporaine  et  qui,  malgré  les  inégalités 
de  son  talent,  mérite  une  place  d'honneur  dans  l'histoire  générale  des  écoles  européennes: 
c'est  celle  d'Arnold  Bœckhn. 


Arnold  Bœcklin  est  de  nationalité  suisse.    Il  est  né  à  Bâle  le  16  octobre  1827,  mais 
il  est  bien  un  suisse   de   nature  germanique  et  il  ne  pouvait  man(]uer  d'être  absorbé  par  l'école 


H 


colc   allcmaiule. 


329 


allemande',  qui  se  cherchait  un  guide  dans  cette  direction  néo-romantique,  si  conforme  à  son 
tempérament.  Son  père  était  marchand.  Pour  développer  ses  dis]>ositions  artistiques,  il  fut 
envoyé  en  1846  à  Dùsseldorf,  où  il  étudia  sous  Schirmer.  C'était  un  milieu  où  les  grands 
maîtres  français  du  XVII''  siècle.  Poussin  et  Claude  Lorrain,  étaient  très  en  faveur.  C'est  peut- 
être  là  qu'il  prit  le  goût  qu'il  niuntra  longtemps  pour  ces  deux  m.iitres.  Il  étudia  ensuite  à 
Bruxelles  et  poussa  jusqu'à  Paris,  où  il  travailla  beaucoup  au  Lou\re.  Il  retourna  à  Bâle  et, 
en  1870,  il  est  à  Rome.  Il  y  est  admis,  dans  le  cercle  d'un  de  ses  compatriotes  qu'on  essaie  de 
tirer  de  la  pénombre  dans  laquelle  son  nom  était  un  peu  oublié,  Anselme  Feuekb.a.ch  (né  le 
12  septembre  1829,  à  Spire,  mort  le  4  janvier  1880  à  Venise),  qui,  élève  lui  aussi  de  l'Académie 
de  Diisseldorf,  awiit   étudié  à  Munich,  à  An\'ers  a\'ec   W'appers,  i-t  à  Paris,  dans  l'atelier  de 


Chami.^   Ely-CL-s  (.Mii>cc  ^Ic  JlL-ilin). 


Couture.  Il  a  ensuite  professé  à  l'Académie  de  Vienne.  11  reste  un  ]ieu  de  l'esprit  de  tou.s^ces 
maîtres  dans  son  art  hybride  où  le  nmiantisme  s'assagit  à  son  c<intact  a\'ec  la  tradition  et  i[u'un 
réalisme  prudent  essaie  de  réveiller.  Cela  ne  suffit  pas  à  constituer  une  formule  très  originale, 
mais  à  cette  date  elle  a\'ait,  a\'ec  un  certain  charme  qui  subsiste,  quelque  valeur  pour  l'école 
allemande,  où  l'inspiration  idéaliste  était  toute  sous  l'influence  des  encyclopédistes  de  Munich. 
Bœcklin  y  fut-il  sensible  ?  Il  est  plus  \-raisemblable  de  croire  qu'il  fut  frappé,  comme  tous 
les  artistes  qui  vont  se  rassembler  sous  ce  ciel  pri^•ilégié,  par  la  s]ilendeur  du  pays,  la  beauté 
de  la  race  et  la  grandeur  des  maîtres.  A  Rome,  Boecklinse  marie  avec  une  romaine,  Angela 
Rosa  Lorenza  Pascucci,  qui  est  l'éternel  modèle  féminin  de  ^toute  son  ^œuvre.  Après  de 
nombreuses  pérégrinations,  il  se  fixe  à  Florence,  dans  sa  villa,  près  de  Fiesole,  où  il  est  mort 
le  16  janvier  1901. 


i30 


La  Peinture   au   XIX''  siècle. 


La  grandi'  réputation  de  Brecklin  ne  lui  vint  qu'assez  tard;  sa  première  manière  est 
loin  d'annoncer  l'originalité  puissante  et  même  outrée  qui  marque  les  œuvres  auxquelles  il 
doit  sa  réputation.  Elles  sont  sur  le  mode  classique  de  Poussin  et  de  Claude  Lorrain  :  paysages 
jieuplés  de  faunes  et  de  nymphes,  d'une  coloration  très  sobre,  mais  d'un  sentiment  de 
nature  déjà  intense,  où  ses  acteurs  commencent  à  jciuer.  encore  discrètement,  leur  rôle 
de  divinités  impulsives  et  farouches.  La  galerie  Schack,  à  Munich,  comprend  nombre 
d'ouvrages  très  instructifs  de  cette  période. 

C'est  vers  1866  ou  1868  que  sa  manière  s'accentue  dans  le  sens  des  fortes  colorations  et 
de  son  réalisme  mythologique.  Dès  lors,  son  imagination  met  au  jour  tout  un  monde 
de  divinités  singulières,  qui  n'ont  aucun  rapport  avec  les  dieux  conventionnels  de  la  Fable 
et  semblent  vraiment  l'expression  exacte  des  forces  de  la  nature,  qu'elles  représentaient 
pour  les  cerveaux  enfantins  des  peuples  primitifs.  Ce  sont  des  faunes  velus  'et  hirsutes, 
(les  satyres  cornus,   au  pelage  blond  hérissé   sur   leurs  corps  bruns,    demi-dieux    bestiaux. 


(.Mus 


de  lîale). 


grotesques  et  farouches,  miiilissant  les  furets  des  éclats  de  leur  rut  perpétuel.  Ces  brutes 
privilégiées  pourchassent  les  nymphes  le  long  des  sources  et  leur  concupiscence  va  jusqu'à 
s'embusquer  pour  contempler  avec  avidité  le  corps  de  la  chaste  déesse  endormie.  Ce  sont 
des  hamadryades  montées  sur  des  licornes,  apparaissant  brusquement  à  la  lisière  d'un  bois, 
entre  les  hauts  fûts  droits  des  sapins;  ce  sont  des  tritons  et  des  néréides,  demi-dieux 
mixtes,  monstres  marins,  sirènes  aux  extrémités  d'oiseaux  dont  les  idylles  d'une  grosse 
sensualité  se  déroulent  au  milieu  des  flots.  Le  Jeu  des  vagues,  de  la  nouvelle  Pinacothèque 
de  Munich,  est  le  chef-d'œuvre  de  ce  genre.  Un  Centaure  bedonnant,  accompagné  de  tritons 
barbus,  couronnés  de  nénuphars,  s'est  précipité  au  milieu  de  néréides  effrayées  qui  plongent 
au  fond  des  eaux.  L'eau  est  d'un  mouvement  et  d'une  transparence  extraordinaire, 
la  scène  est  d'un  imprévu,  d'un  accent  de  vie  et  de  \Taisemblancc.  d'une  impression  intense 
du  milieu  marin,  qu'on  ne  peut  oublier.  Bœcklin  a  peint  aussi  a\ec  cette  palette  étrange, 
qui  semble  celle  d'un  Jordaëns  à  l'école  d'un  Carpaccio  et  d'un  Botticelli,  le  monde  turbulent 


rLcole  alIcniaïKlc.  333 

des  Centaures,  qu'it  a\ait  peut-être  ajipris  à  c(jnnaitre.  à  M^reuce.  dans  les  tableaux  de 
Bellini  ou  de  Basait!,  ou  sur  les  Cassouc  de  l'iere»  di  Cosimu.  Mais  c'est  dans  un  style  tout  autre 
que  V Éducation  cf  Achille  de  Delacroix,  nu  que  les  hommes-clie\-aux  ner\-eux  et  fiers.  \Tais 
demi-dieux  que  Gustave  Moreau  et  Fromentin  considéraient  cnmnif  l'une  des  plus  belles 
créations  du  génie  anticjue.  Bcecklin  les  peint,  tantôt  avec  une  \isiun  hnmérique.  luttant  le> 
uns  contre  les  autres,  comme  dans  le  Combat  de  Centaures  du  Musée  de  Bàle,  tantôt  avec  une 
grosse  humour  joviale,  d'une  manière  plus  digne  d'un  peintre  de  genre  comme  Spitzweg,  que 
de  lui,  allant  se  faire  ferrer  chez  quelque  maréchal  de  village.  Son  goût,  il  est  vrai,  est  p^irfois 
détestable  et  ses  compositions  d'un  esprit  puéril.  Il  y  a.  malheureusement,  nombre  de  ses 
ouvrages  qui  sont  insupportables  par  leurs  outrances,  leur  mancpie  de  mesure,  la  vulgarité 
et  la  lourdeur  des  formes.  C'est  en  quoi  son  œuvre  est  très  inégale,  mais  cela  n'ôte  rien  à  la 
valeur  des  autres  créations,   et   il   en  est   quelques-unes  qui  mettent   \rainient    l'xecklin  h(.irs 


IIan-  'liLiMA  [..■   Klim   a  Sackiiigen  lMii>ec  de   Ilerlin:. 

pair.  Sa  fantaisie  inépuisable.  pui>sanniient  triviale,  est  d'une  comjjréhension  panthéiste,  qui 
n'a  d'égale  que  cehe  de  Wagner,  ^ur  !e  mude  musical.  Si  pénétré  d'italianisme  et  d'antiquité 
que  parut  Brecklin.  il  est.  avant  tout,  septentrional  et  germain.  Cela  explique  son  influence 
sur  les  milieux  allemands  des  générations  ultérieures,  et.  bientôt,  on  ne  \-erra  plus  dans  les 
expositions  allemandes  que  faunes,  satyres  et  centaures  renchérissant  en  divertissements  plus 
ou  moins  facétieux  sur  tout  ce  (lu'avait  tenté  ce  maitre.  et  que  cyprès  tendant  leurs  pointes 
dans  le  ciel,  comme  ceux  qu'il  cnpi.i  si  souvent  dans  son  jardin  de  Fu-Mile. 


Tout  autour  de  B<ecklin  se  hinna  donc  une  école  nén-rc.manticpie  (|in  ^'upposa  au 
mouvement  naturaliste  issu  d'inihiences  étrangères,  avec  des  airs  d'école  nationale.  De  ce 
milieu  émergent  certaines  personnalités  caractéristiques:  nou>  axons  signale  déjà,  à  propos  de 
la  Suisse,  celle  de  Sandreuter.  Il  consent  maintenant  de  s'arrêter  en  preinièn-  ligne  sur  celle 
de  H.\xs  Thoma.    Si  inégale,  elle  aus>i.  que  puisse  nous  sembler  miu  ieu\re.    Hans  Tlmma  est 


1  l  /l 


La  Peinture  au   XIX'   siècle. 


un  des  maîtres  les  plus  originaux  de  TécdU'  allenKindc  11  ne  ressemble,  du  reste,  à  Bœcklin, 
que  d'assez  loin  et  leur  tempérament  personnel  est  tout  à  l'opposé.  Hans  Thoma  est  un 
rêveur  tranquille,  un  contemplateur  paisible,  et  son  imagination  plus  calme  se  complaît  dans 
un  horizon  assez  étroit.  Né  à  Bernau,  grand-duché  de  Bade,  le  2  octobre  183g,  d'une  famille 
de  bonnes  gens  peu  fortunés,  Hans  Thoma  grandit  au  milieu  des  bois,  et  fut  vivement  touché 
par  ces  premières  impressions  de  nature.  Ses  dispositions  précoces  pour  l'art  furent  remar- 
quées et  le  grand-duc  de  Bade  lui  donna  une  pension,  qui  lui  permit  de  suivre  les  cours  de 
l'Académie  de  Karlsruhe.  Il  avait  alors  vingt  ans.  Il  eut  pour  maître  Schirmer.  Il  alla  ensuite 
à  Dûsseldorf  en  1867,  puis  à  Paris,  en  1868,  où  il  subit  fortement  l'influence  de  Courbet.  En 
1870,  il  est  à  Munich,  en  1874  en  Italie,  et  en  1877  il  s'établit  à  Francfort-sur-le-Mein  jusqu'en 


■^,J^^'.  ^^^^/ri^ 


Max   Ki.iNiiEK.  —   Kiagmeiit  d'une   j^' 


le  dans  ^l"nive|■^i;c   île   Leip/ig. 


1899,  date  à  laquelle  il  a  été  appelé  à  la  Direction  du  Musée  et  de  cette  Académie  de  Karls- 
ruhe, où  il  avait  débuté  comme  élève.  Ses  premiers  travaux  n'ont  rien  de  bien  significatif. 
Ce  sont  des  sujets  vigoureusement  peints,  mais  sans  personnalité  bien  précise.  Il  se  dégage 
bientôt,  sa  manière  s'élargit  et  s'allège;  après  avoir  été  fort  violemment  discuté,  il  commença 
à  être  accepté  dans  son  pays,  en  1889,  à  l'occasion  de  l'ensemble  qu'il  exposa  à  Munich. 
Son  (Euvre,  il  est  vrai,  n'est  pas  indiscutable  et  l'esprit  germanique  des  vieilles  légendes,  qui 
règne  dans  son  art  et  qui  en  fait  le  charme,  se  manifeste  quelquefois  fâcheusement  sur  sa 
plastique.  Comme  paysagiste  il  a  traduit  avec  beaucoup  d'éclat,  de  puissance  ou  même  de 
grâce,  les  vallées  de  la  Forêt-Noire,  avec  leurs  horizons  de  montagnes  et  les  lourds  nuages 
blancs  dans  le  ciel  bleu,  les  lisières  des  bois,  les  prairies  traversées  de  rivières,  aspects 
de  nature  pris  toujours  autour  de  lui,  qu'il  anime  de  paysans  au  travail  ou  au  repos.  D'autres 


ncolc   allemande.  335 

fois,  la  poésie  qui  s'fxluilr  dv  ces  iia\-sat,'rs  prmd  un  cdips,  r{  sr  traduit  mjus  hi  foiuic 
humaine,  en  figures  contemp]ati\H>  de  n\niplu-s,  assises  près  des  sources,  de  faunes  jiiuant^de 
la  syrinx,  de  pêcheurs  héroïques  des  temps  lointains  cluirmanl  leur  re]ii]>  aux  sons  de 
la  ffûte,  tandis  que  des  cygnes  s'ajipruehent  pour  les  écouter.  Cette  é.^lci.i^ue  per}iétuelle 
remonte  même  aux  jours  édéniciues  de  Thumanité  j^remière  et  il  se  ])lait  à  ]ieindre.  a\ec 
le  charme  aimablement  puéril  iTun  \ieux  inaitre  allemand,  .\dani  et  l{\-e.  :\\i  milieu  des 
merveilles  du  Paradis. 


D'une  génération  beaucouj)  plu.s  jeune  scuit  Mlix  Klinger  et  Frant/  \iin  Sluck,  cjui 
comptent  parmi  les  représentants  les  plus  autorisés  de  cette  formule  idéaliste.  Ma.k  Ki.inger, 
connu  surtout,  au  début,  comnx'  grawur  origni  i'  ■  i\  nlué  \'ers  la  sculpture,  (ju'il  traite  a\'ec 
des  préoccupations  expres- 
sives et  des  matières  polv- 
chromes,  mais  il  a  pris,  en 
même  temps,  une  place 
marquante  dans  la  peinture 
entre  la  voie  de  Biecklm  et 
celle  de  E.  von  Gebhardt. 
Il  est  né  à  Plagwitz,  jirès 
de  Leipzig,  le  i8  fé\'rier 
1857.  Il  étudia  en  1874  à 
l'Ecole  des  Beaux-Arts  de 
Karlsruhe  avec  dusse  )\\, 
qu'il  sui\'it  à  Berlm  en  1873. 
Vers  1880,  il  se  rendit  à 
Bruxelles,  à  Munich  et  à 
Paris,  où  il  s'occupa  surtout 
de  gravure.  Il  séjourna  à 
Rome  de  1888  à  i8g2.  Il 
se  fit  connaître  en  1S78  par 
un  en\'oi  à  l'Exposition  de 
Berlin,  de  deu.x  séries  de 
gravures  originales,  les 
unes  sur  la  \'ie  du  Christ, 
les  autres  sur  un  thème  très 
profane    et    très    moderne 

„Fantaisic  sitj  un  gant  trouve" ,  (|ui  causa,  ]xirait-il,  un  certcun  scandale.  11  contmua,  quelques 
années,  à  se  produire  comme  gra\-eur.  Son  teuvre,  très  ahemande  ])ar  l'esprit  philosophique 
qu'elle  s'efforce  de  dégager,  par  ses  mtentions  mystiques,  ses  préoccujiatious  de  signification 
morale  ou  intellectuelle,  se  répartit  en  une  sorte  de  cycle  païen,  comprenant  et  reprenant 
tous  les  demi-dieux  de  Bœcklin,  et  un  cycle  clirétien  traitant  les  scènes  de  la  l'assi(.in  a\-ec  une 
sorte  de  sens  mythique,  de  caractère  mystique  et  de  réalisme  archaïque.  Le  Musée  de  Berlin 
comprend  de  ce  premier  cycle  sept  ])aysages  jK'uplés  de  centaures,  de  naïades,  de  tritons  et 
de  sirènes.  Parmi  ses  table, uix  chrétiens,  la  Crucifixion,  la  Picta  (au  .Musée  de  Dresde),  etc. 
le  Christ  dans  FOlvuipc.  au  milieu  des  dieux  ri\'aux,  fut  une  (eu\'re  jiassionnement  discutée. 


Fkaniv.  von  Su 


La  ("lUt-'nx-  (  Xouv 


jlhciiiR-,   Muiiicli). 


Fi^.ANTZ  \"OX  SrucK  est  né  à  'l'ettenufis,  Ba\'ière.  le  23  fé\'rier  i86_;.    Fils  d'un  meunier, 
il  montra  tout  jeune  des  dispositions  (pii  furent  encouragées  ]iar  sa  mère.    11  étudia  à  Munich 


La  Peinture  au   XIX'   siècle. 


et  débuta  dans  l'art  industiiul.  Sa  premitiv  jn'intun-  date  de  iNSf);  c'est  le  Cjardicn  du  Paradis, 
personnage  ailé,  éclairé  à  contre-jour  et  s'aj^puyant  a\-ec  emphase  sur  un  immense  glaive. 
Tantôt  il  suit  les  traces  de  Brecklin,  ccimme  dans  son  re;;;/;^^  </(' /<;»;;(\s.  ses  BflCcAflHff/rs,  ses 
chevauchées  de  centaures,  avec  un  sentiment  plus  délicat  de  la  forme  et  de  l'esprit  antique. 
Tantôt  s(in  imagination  se  plait  dans  des  élucubrations  d'un  romantisme  violent  et  fantastique, 
où  donnuent  les  \-eu\  \-erts.  les  lèvres  rouges,  les  bouches  tordues  et  tous  les  reptiles  sataniques, 
avec  le  l'cihc.  Ri-'^u»is  iiiicrnalcs.  le  (jcnic  du  mal,  la  Ciicrrc.  Ce  dernier  tableau,  qui  appartient 
à  la  niiu\-elle  I'inacotlié(iue  de  Munich,  représente  un  compierant.  le  front  lauré,  le  corps  nu, 
portant  sur  l'épaule  une  épée  sanglante,  monté  siu"  une  noire  haciuenée,  harrassée,  qui  foule 
des  cadavres  se  tordant  dans  la  douleur.  Sa  peinture  est  scunbre  et  fortement  colorée,  d'un 
tragique  théâtral  et  voulu.  Frantz  von  Stuck  est  professeur  à  l'-A-cadémie  des  Beaux-Arts  de 
^lunich.     Il  s'est  également  distingué  comme  sculpteur. 


(  )uels  (jue  soient  les  dons 


upérieurs  cju'on  ait  pu 


i-onstater  chez  les  idéalistes  allemands, 
ce  (|ui  leur  a  fait  le  plus  défaut  jus- 
(pi'ici,  c'est  k  sentiment  raffiné  de  la 
forme.  Il  est,  pourtant,  quelques  rares 
.irtistes  c]ui  ont  été  sensibles  à  la 
plastique  et  il  en  est  un,  entre  autres, 
<[ui  a  ré\'élé  à  l'école  allemande  le 
sens  de  1,1  beauté.  Malheureusement 
c'est  une  ligure  incomplète,  dont 
l'(eu\-re  reste  à  peu  près  à  l'état 
d'machevé  et  ijui  est  mort  mélan- 
coli(|uement  sans  a\-oir  connu  le  retour 
de  justice  qui  s'est  produit  envers  ses 
(euvres  dédaignées.  C'est  Hans  von 
M.\KKHS.  Ce  peintre  est  né  à  Elber- 
feld  le  24  décembre  1837  et  il  est 
mort  a  Rome  le  5  juin  1887.  Ce 
n'est  ([u'en  i8qi.  à  l'Exposition  de 
.Munich,  devant  un  ensemble  de  ses 
(eu\res,  qu'on  se  rendit  compte  de 
leur  \-aleur.  Hans  von  Marées  avait 
été  élè\'e  de  Steffeck,  à  Berlin  et 
c'est  peut-être  près  de  ce  peintre  de  sujets  militaires  et  de  chevaux,  qu'il  prit  le  goût  de 
ces  scènes  de  cavalerie  que  l'on  rencontre  à  ses  débuts,  comme  le  Cuirassier  du  Musée  de 
Berlin.  Mais  cette  peinture  rctppelle  peu  celle  de  son  maitre.  elle  a  plutôt  des  ressemblances 
avec  celle  des  petits  romantiques  français.  Après  dixers  déplacements,  il  se  rend  en  1864 
à  Rome,  puis  à  Florence,  où  il  exécute  des  copies  pour  l'amateur  Schack.  II  accomplit 
quelques  voyages  d'études,  d'abord  en  Hollande,  puis  en  Espagne  et  en  France,  où  il 
est  en  i86g  et,  après  quelques  pérégrinations  à  Berlin,  à  Dresde  et  à  Naples,  où  il  est  chargé 
de  peindre  à  fresque  la  bibliothèque  du  Musée  zoologi(|ue.  seule  commande  qu'il  ait  jamais 
reçue,  il  se  fixe  à  Rome  à  partir  de  1875.  C'est  là  qu'il  poursuit  cet  œuvre,  toujours  pris, 
repris  et  abandonné,  dans  l'angoisse  d'un  noble  esprit  <\\\'\  sent  la  réalisation  toujours  au-des- 
sous de  son  rêve.  Il  peint  quelques  rares  compositions  sur  des  sujets  modernes,  vues,  d'ailleurs, 
très  synthétiquement,  mais  son  rêve  est  un  grand  rêve  paisible  de  contemplatif  émerveillé 
qui  n'a  aucun  souci  des  idées,  des  faits,  de  la  philosophie  et  de  l'histoire  et  qui  se  contente, 
comme  Puvis  de  Chavannes  dans  ses  Visions  antiques     ou  son  Doux  pays,  de  fixer  de  belles 


JIaNS    VeN    MaRKI 


Portr.iit   de   [.enlxich  et  de  lu 


École  allemande. 


o  o  "7 
00/ 


et  liéroiques  images  de  cavaliers  primitifs,  de  belles  femmes  nues,  dans  un  l'ays  inconnu,  se 
mouvant,  se  reposant,  cueillant  de  beaux  fruits  vermeils.  Il  y  a  plusieurs  sujets,  justement, -au 
Musée  de  Berlin,  de  ces  humains  de  l'âge  d'or  cueillant  des  oranges.  Il  y  a  également  un  Saint 
Martin  taillant  son  manteau  et  im  S(  Georges  qui  semblent  marquer  une  influence  momentanée 
des  maîtres  espagnols:  \'elasquez  et  même  le  Greco.  Ce  grand  méconnu  n"a  pourtant  guère 
laissé  qu'un  héritier  ayant  le  vrai  sens  de  la  décoration  monumentale  et  le  goût  des  belles 
formes:  Ludwig  vox  Hofm.\xx,  né  à  Darmstadt  le  17  août  1S61.  II  a  étudié  à  l'Académie 
de  Dresde,  à  Karlsr^]^e,  avec  Frédéric  Keller.  et  à  Paris,  à  IWcadémie  Julian.  Il  alla  en- 
suite à  Berlin,  puis  à  Rome,  et  depuis  iqo  ;  est  professeur  à  l'éciik^  d'art  di'  \\'eimar.  On  \-()it, 
dans  le  Musée  de  cette  ville,  des  sujets  décoratifs  de  Da>iiies,  dans  le  goût  antiqui.',  avec  un 
charmant  sentiment  des  formes  nues  en  mou\'ement  et  des  colorations  très  montées  et  sympho- 
niquement   combinées.    Adam   et  Eve.   Da^liuis   cl   Chloé.  et  maint  autre  sujet  dans  cet  ordre 


I.iDwii:   VON  Hoffmann. 


de  lieux  communs  généraux,    tout  cela  est  traité  avec  un  sens  plasti(iue  peu  commun  dans 
cette  école.     Cela  rentre  dans  la  donnée  de  notre  Maurice  Denis. 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 

§    III.       ]{COLE    D'AuTRK  HE-HONC.KIE. 


La  peinture,  en  Autriche-Hongrie,  occupe  l'activité  d'un  très  grand  nombre  d'artistes. 
Mais,  de  même  cjue  l'unité  de  l'empire  est  faite  d'un  ensemble  de  royaumes  et  de  jirin- 
cipautés  plus  ou  moins  rivaux,  de  même  l'art  est  partagé,  non  seulement  suivant  les 
divisions  géographiques,  mais  suivant  les  influences  extérieures  et  les  tendances  locales.  Les 
scissions,  que  nous  a\-ons  remarquées  dans  les  expositions,  en  France,  existent  en  effet  en 
Autriche    comme  en  .\llemagne  et  les  Sécessions  luttent  pour  la  vision  des  temps  modernes 

contre  celle  du  passé,  que  défendent  les 
Académies  constituées.  Quant  aux  in- 
fluences étrangères,  il  y  en  a  deux  pré- 
dominantes ;  l'influence  allemande  et 
l'influence  française,  très  souvent  mélan- 
gées, du  reste,  dans  leur  action.  Il  s'ensuit 
((u'il  n'y  a  pas  précisément  d'art  national, 
mais  une  production  intense  et  éclectique 
de  talents  souvent  distingués,  mais  rare- 
ment personnels  et  originaux.  Les  pre- 
mières figures  intéressantes  que  l'on  ren- 
contre à  l'origine  se  confondent  avec  l'art 
allemand.  Elles  sont  mêlées  au  mouvement 
mystique  des  Nazaréens.  Overbeck  avait 
étudié  à  Vienne;  les  deux  frères  Schnorr 
\()N  C.'\ROSFELD  y  firent  leur  éducation  et 
l'ainé,  Ludwig,  né  le  il  octobre  1788  à 
Koenigsberg,  mourut  à  Vienne  le  13  avril 
1S53.  Celui-ci  n'avait  pas  accompagné  son 
frère  au  delà  des  Alpes,  mais  il  vivait  dans 
la  communauté  des  vieux  maîtres  alle- 
mands et  italiens  au  Musée  du  Belvédère, 
([ui  était  confié  à  ses  soins.  Jacob  Eduard 
VON  SïEiNLE  (Vienne,  2  juin  1810 — 
Francfort  18  septembre  1886),  lui,  alla  à 
Rome,  retrouver  Overbeck,  ainsi  que  son 
camarade  Joseph  Fuhrich  (Rantzau,  9 
février  1800 — Vienne,  13  mars  1876).  Puis 
l'on  trouve,  toujours  rattachés  au  milieu 
allemand,  deux  physionomies  très  intéres- 
santes: celle  de  Ferdinand  Waldmuller 
(Vienne,  15  janvier  1793 — 23  août  1865) 
et  MoRiTZ  VRN  S(  iiwiND  (Vienne,  21  janvier  1804 — Munich,  8  février  1871).  Le  premier  est 
un  artiste  que  les  Allemands  considèrent  comme  une  sorte  de  précurseur.  Il  a,  en  effet, 
dans  ses  paysages,  la  plupart  animés  de  figures  rurales,  de  l'éclat,  de  la  couleur  et  un 
certain  sentiment  des  effets  atmosphériques.  C'est  un  tempérament  sensible  aux  choses  de 
la  nature.  Il  s'est  montré,  aussi,  excellent  peintre  de  portraits.  Quant  au  second,  avec  tous 
ses  travers  et  ses  insuffisances,  il  est  inoubliable,  car  il  représente  tout  un  côté  de  l'esprit 
allemand,  sentimental,  romantique  et  romanesque,  amoureux  des  antiques  légendes  et  fleurant, 
dans  sa  candeur  et  sa  gaucherie,  un  parfum  suranné  qui  n'est  pas  sans  charme.  Il  commença 


MoRIT/,   viiN  HriiwiN'i). 


Adieu  à  l'aiibe  (Mus 


.-lia). 


340 


La  Peinture   au   XIX''  siècle. 


comme  disciple  de  Sclinorr,  dans  le  goût  mysti(jue  des  Nazaréens,  mais  se  livra  bientôt  au 
plaisir  de  sortir,  en  petites  toiles  pittoresques,  hérissées  de  donjons,  peuplées  de  princesses  de 
contes  de  fées,  de  petits  pages  et  de  bouffons,  ou  dans  des  souvenirs  de  voyages,  sujets  modernes 
aussi  romantiques  dans  leur  décor,  le  fond  de  son  âme  songeuse,  optimiste,  aimable  et  naïve. 
Son  Adieu  à  l'aube,  du  Musée  de  Berlin,  qui  date  de  1859,  représente  bien  cette  dernière 
manière.  Nous  trouvons  ensuite  l'allemand  Feuerb.^ch,  qui  s'établit  à  Vienne  et  Gabriel 
M.'\.\  de  Prague  (né  le  23  août  1840),  qui  se  fixe  à  Munich;  c'est  un  réaliste  de  talent  qui, 
après  avoir  peint  des  fantaisies  d'après  des  morceaux  de  musique  et  des  sujets  de  genre 
moderne,  s'est  amusé,  comme  notre  Decamps,  à  représenter,  d'une  brosse  savante,  des  scènes 
simiesques.  Il  v  a  aussi  le  peintre  d'architectures  et  de  paysages,  Rudolf  von  Alt  (né  à 
Vienne  le  28  août  1812  et  décédé  le  12  mars  1905),  qui  a  traversé,  dans  sa  longue  vie,  toutes 
les  évoluti(ms  artistiques  du  siècle.  Il  est  célèbre  en  .Autriche  par  ses  vues  de  Vienne  et 
notamment  par  ses  innombrables  répliques  de  la  Tour  de  Saint-Etienne.  Nous/avons  encore 
C(mnu  en  France,  mêlés  à  notre  école,  les  Jettel,  les  Ribarz.  les  Otto  \'on  Thoren,  les  Ladislas 


l^'ilANN     Al.l 


L.a   IJatailk-  de  C, 


1410  (lialérit/   NcUioimle,   Ciacuvie). 


de  Pal.  pavsagistes  ou  animaliers,  élevés  près  de  nos  maîtres  de  Barbizon.  Mais  les  trois 
grandes  figures  qui  ont  illustré  le  groupe  austro-hongrois  débutent,  presque  en  même  temps, 
\'ers  1860.  Elles  représentent  chacune  une  des  écoles  de  l'empire:  ]\Iakart,  TAutriche  propre- 
ment dite.  Mateyko,  la  Pologne  et   Munkacsv  la  Hongrie. 


H.AXS  .Makart  est  né  à  Salzbourg  le  29  mai  1840  et  mort  à  \'ienne  le  3  octobre  1884. 
Il  était  fils  d"un  garde  forestier,  s'essaya  d'abord  à  la  gravure  et  peignit  des  enseignes  pour 
\i\re.  Elève  de  l'Académie  de  Vienne,  il  en  fut  d'abord  renvoyé  comme  n'ayant  aucun  talent; 
il  se  rendit  à  Munich,  oii  il  étudia  sous  Piloty  (1861 — 1865),  mais,  après  ses  premiers  succès, 
entre  autres  ses  Amourettes  modernes,  triptyque  sur  fond  d'or,  et  les  Sept  -péchés  capitaux, 
autre  triptyque,  il  fut  appelé  par  l'empereur  François-Joseph,  qui  lui  fit  donner  un  atelier 
à  \'ienne.  Makart  a  beaucduji  produit:  Juliette  sur  son  cercueil.  Galerie  de  Vienne;  V Hom- 
mage de  Venise  à  Catarina  Cornaro,  ;\Iusée  de  Berlin,  exécuté  en  1873;  le  Rêve  d'un  libertin: 
Vénus  retenant  le  Tannhaiher:  •léopâtre  sur  le  Nil,  Musée  de  Stuttgart:  VEntrée  de  Charles- 
{>uui!  à  Anvers.    Musée  de   Hamlmurg,   qui   fut   très  remarquée  à   l'Exposition  de  1878,  etc. 


Ecole  (rAutnclie-Hono-ne. 


o4o 


]\Iakart  jouit  durant  sa  vie  d'un  succès  extraordinairr.  11  était  l'idnlc  de  l'aristocratie 
viennoise,  et  son  art,  abondant,  facile,  superficiel,  où  se  mêlent  les  souvenirs  de  Rubens  et  des 
Vénitiens  du  X\'I''  siècle,  dans  unr  manière  débordante,  d'une  sensualité  un  peu  vulgaire  et 
d'une  coloration  roussàtre.  cjui  fit  fureur  sur  Ir  moment,  influa  non  seulement  sur  l'école 
autrichienne,  mais  s'étendit  à  l'école  allemandr.      [1  momut  fou. 


Le  polonais  Matevko  (JonAXX-ALOSirs)  est  né  à  Cracovie  le  30  juillet  1838  et  il  y  est 
mort  le  i*^""  novembre  1893.  C'est  un  polonais  dans  l'âme:  toute  son  œuvre  est  dédiée  à  l'exal- 
tation de  sa  malheureuse  patrie.  Il  fit  ses  études  classiques  au  lycée  de  sa  ville  natale,  puis  étudia 
sous  la  direction  du  peintre  Albert 
Stattler.  Il  débuta  à  vingt  ans  par 
des  compositions  historiques  impor- 
tantes, qui  commencèrent  sa  répu- 
tation. En  1858,  il  se  rendit  à  Munich, 
puis  en  1860,  à  Vienne.  Très  influencé 
par  les  romantiques  français,  belges 
ou  allemands,  il  a,  comme  Makart, 
une  fécondité  qui  a  nui  à  la  tenue 
de  son  œuvre.  Elle  est  théâtrale, 
démesurée,  mais  malgré  ses  énormes 
défauts,  vibrante  et  viwante.  On  lui 
doit,  avec  des  portraits,  nombre  de 
sujets  historiques  empruntés  aux 
fastes  de  la  Pologne;  VH))ip()isoiiiic- 
ment  de  la  reine  Bonci.  Ivan  le  Ter- 
rible. Ladislas  le  Blane.  la  Balaille  de 
Griine'ieald .  Sohieski  sous  les  Murs  de 
]'ieniu'  etc. 

Michel  Lieh  dit  Menkac  sv 
est  né  à  Munkacs  (Hongrie)  le  10 
octobre  1844  et  il  est  mort  à  Endenich. 
près  Bonn,  en  1900.  Ses  débuts  furent 
très  modestes,  mais  il  n'était  pas 
berger  comme  on  l'a  dit  ;  il  était  fils 
d'un  fonctionnaire,  décédé  en  1848. 
Il  fut  adopté  par  son  oncle,  qui  était 
avocat;  celui-ci  ayant  perdu  sa 
fortune,  Munkacsy,  pour  éviter  de  lui 

être  à  charge,  apprit  l'état  de  menuisier.  De  meilleurs  jours  ayant  lui,  son  oncle  le  retira  de 
son  établi  et  le  mit  chez  un  peintre.  Il  étudia  ensuite  à  Pesth.  où  il  exécuta  ses  premiers 
tableaux  de  chevalet,  entre  autres  son  Idylle  paysanne,  qui  le  fit  remarquer  en  1865.  II  vint 
plus  tard  à  Vienne,  puis  à  Munich,  puis  à  Dùsseldorf  (1868)  près  de  Knaus,  qui  influe  sur 
lui  à  ce  moment.  C'est  là  qu'il  fit  son  Condamné  à  mort,  exposé  à  Paris,  au  Salon  de  1870, 
et  qui  y  fut  médaillé.  Ce  fut  le  commencement  de  son  succès.  Il  vient  alors  en  France, 
séjourne  à  Barbizon  et,  à  partir  de  1872,  il  se  fixe  â  Paris.  Après  une  série  de  tableaux  de 
genre:  Episode  de  la  guerre  de  Hongrie  en  1848  (1873),  le  Mont-dc-Piéié,  les  Rôdeurs  de  Nuit 
(1874),  le  Héros  de   ]'illage   (1875).  Intérieur  d'Atelier  {1876),   il  expose,  en  1878.  son  Milton 


Eri.rip  [..v^/Li 


lit-   Hoheiilohe-Schillinyfurst. 


344  I-^^   Peinture  au   XIX'   siècle. 

aveugle  dictant  le  Paradis  perdu  â  ses  filles.  ;i\-cc  un  succès  qui  lui  valut,  à  rExposition  de 
1878,  la  rosette  d'Officier  de  la  Légion  d'honneur;  il  était  chevalier  depuis  Tannée  précédente 
seulement.  Sa  couleur,  d'aboi'd  très  sombre,  s'était,  à  ce  moment,  éclairée  et  échauffée,  et  sa 
réputation  atteignait  à  son  apogée  en  1881,  avec  le  Christ  devant  Pilate,  puis  le  Christ  au 
Calvaire  (1884),  exposés  chez  Sedelmeyer,  exportés  en  Amérique,  en  Angleterre,  en  Hongrie, 
en  Allemagne,  trouvant  partout  le  même  enthousiasme  unanime.  Le  Christ  au  Calvaire  fut 
payé  par  les  américains  120.000  dollars.  En  1886  il  exposait,  toujours  dans  une  galerie  privée, 
avec  une  mise  en  scène  de  clair-obscur  et  de  musique,  les  Derniers  moments  de  Mozart,  vendus 
50.000  dollars.  Vers  ce  moment,  frappé  par  les  progrès  des  impressionnistes,  des  survivants 
de  Bastien-Lepage  et  par  les  vastes  décorations  de  Baudry,  sa  manière  s'éclairait  tout  à  fait 
et  c'est  sur  ce  mode  plus  libre  qu'il  e.xécute  le  Triomphe  des  Arts  pour  le  Musée  de  Vienne. 
Munkacsy  avait  épousé  la  Comtesse  de  Marsh  et  avait  été  fait  baron;  il  connut  tous  les 
triomphes  de  la  gloire  et  de  la  fortune,  mais  perdit  la  raison.  Ses  deux  grands  tableaux 
religieux  durent  leur  puissant  intérêt  à  de  fortes  qualités  de  réalisme  qui  tranchaient,  par 
leur  accent  véridique  et  parfois  même  anecdotique  et  familier,  avec  les  productions  académiques 
du  temps,  à  sa  robuste  technique  et  à  ses  partis  pris  artificiels,  mais  dramatiques,  dans  la 
composition,    le  décor  et  le  clair-obscur. 

La  Hcmgrie  a  vu  naitre  également  un  maitre  plus  jeune,  qui  jouit  à  cette  heure  d'une 
grande  réputation  dans  toute  l'Europe.  C'est  Fulop  Laszlo.  Né  à  Budapest  le  i'^'  juin  1869, 
Lâszlô  fut,  à  Paris,  élève  de  Benjamin  Constant.  Il  a  pris  la  virtuosité  de  ce  maître,  mais  sa 
manière  brillante,  nerveuse,  pénétrante,  se  rapproche  davantage  de  celle  de  Sargent.  Son 
portrait  du  Prince  de  Hohenlohe-Schillingfurst,  chancelier  de  l'empire  d'Allemagne,  fit  immédia- 
tement sa  réputation.  Elle  a  été  étendue  depuis  par  les  portraits  du  Pape  Léon  XIII ,  du 
Cardinal  Rampolla,  du  Violoniste  Joachini.  du  musicien  Jan  Kubelik,  et  de  nombre  de  person- 
nalités masculines  et  féminines  de  l'aristocratie  viennoise,  parisienne  ou  londonienne. 

Il  conviendrait  de  signaler  encore  dans  cette  école,  pour  l'Autriche,  Hynais  (Vojtech), 
né  à  \'ienne  en  1854,  élève,  à  Paris,  de  Gérôme,  décorateur  brillant  dans  le  goût  français, 
qui  a  décoré  le  grand  théâtre  national  de  Prague  et  le  Hoftheater  de  Vienne;  Clemens  von 
Pausinger,  né  à  Salzbourg  en  1855,  peintre  de  talent  dans  le  genre  et  le  portrait,  qui  vit  à 
Paris;  G.  Klimt,  une  des  principales  figures  des  sécessionnistes;  Moll,  Mehofer,  Bernatzik, 
Robert  Schiff,  etc.  Pour  la  Hongrie,  le  professeur  Heixrich  von  Angeli,  né  en  1840  à  Olden- 
burg,  Benczur  (Gyula)  né  en  1844,  Bruck  (Lajos),  né  en  1846,  Rippl  Ronai,  Czok,  Paul  von 
Szinyei-Merse,  né  en  1845,  très  intéressant  paysagiste  et  peintre  de  réalités  modernes, 
Zemplenyi,  Ferencsy,  etc.,  pour  la  Dalmatie,  Blaise  Bukov.-\.c,  élève  de  Cabanel,  né  en 
1855,  et  pour  la  Bohême,  Brozik  (Vasclaw),  né  en  1851,  bien  connu  chez  nous  par  ses  sujets 
de  genre  historique.  ;     .  ,  .  ■  ,     •    -   .•.• 


l(_i.\AL.ii.)  Zli.uAGA. 

PoRTRAIIS. 
Mii.sc'c   Xatimiai  tin    I.KXiiitboiii-o). 


CHAriTRK  XII. 


VA'  ()  L  K  s    S  (■  A  X  1)  1  X  A  \'  l'.  S. 


DAXEMARK.    —    Lrs    pt^tite^ 
nations  qui  longent  les  mers 
du  Xord  ont  montré,  au  cours 
du  XIX>^""i«;  siècle,  particulièrement 
dans  la  dernière  partie,  uni'  intelli- 
gente acti\"ité  artistique. 

Xiius  a\-iins  \u  la  ])]ace  de 
premier  ordre  que  la  Belgique  et  la 
Hollande  tiennent  dans  l'ensemble 
de  Fart  européen.  Le  Danemark  a 
toujours  été  im  foyer  très  \-i\-ant 
de  culture  intellectuelle:  les  arts 
ne  pouvaient  manquer  d"y  être  en 
faveur.  Cependant  il  ne  s'y  forme 
qu'assez  tard  une  école  natii.male. 
Au  XVIII<-'™''  siècle,  (in  \-  ajipelle 
volontiers,  comme  ce  sera  l'iisaee 


en  Suède 


■n  Russie,  des  artistes  français,  et  c'est  un 
français,  le  sculpteur  Sah'.  de  \'alenciennes.  ([ui  fimde  la  première  académie  d'art,  à  Charlnttcn- 
bourg.  sous  le  règne  de  F'rédéric  \'.  .\u  début  du  XIX''""' siècle,  l'art  dan(.iis  offre  deu.x  figure- 
importantes:  runi' est  le  sculpteur  TlinrwaMseii.  r.iutre  le  peintn-  ('ar>tfns  ipii  a  été.  du  reste, 
rattaché  à  l'écnle  allemande,  sur  la(]uellc  il  a  particulièrement  inilue.  .\\'(c  (nuis  K  )ph.  W'iriiKLM 
EcKCERSBERc,  (1/8;, — 1853)  élè\-e  de  l)a\id.  qui  tra\aill.i  à  Rome  près  dr  Thorwall^en.  il- 
introduisirent  en  Danemark  une  influence  toute  classique,  moitié  française,  moitié  allemande. 
Cependant  ce  dernier  lui-même,  une  fois  de  retour  dans  son  i)ays.  est  pris  par  l'intérêt  di's 
spectacles  locau.x  et  il  montre,  ainsi  que  ses  élèves  ou  suivants,  les  J.  \'.  So.vxE  (1801  —  i8qo). 
ou  les  \".  ^I.-\RSTK.\xii  (1810 — 187/,)  les  (lualités  de  sensibilité  et  d'honnêteté  foncière  (pii  sont 
le  propre  de  l'art  danois.  l'roclie  voisine  de  la  Hollande  et  proche  ]);irente  ii:u'  les  imeurs.  la 
religion,  le  caractère  du  ]>avs  et  de  la  race,  l'école  danoise  dewiit  subir,  naturellement,  une 
fois  qu'elle  fut  orientée  ver>  l'observation  des  choses  de  la  \ie.  l'inthience  des  maîtres  de 
Hollande.  C'est  ce  (pii  ne  manqua  pas  d"arri\ei  avec  les  Ekxhst  Mi:vi:r.  les  JrLirs  Hxxhk. 
les  Frederick  \'kriimkkex.  les  Chkistex  D.\Lsi,.\.\Rn.  peintres  de  sujets,  de  uKeurs  ou  de 
genre,  les  Joh.\xx  LrxDr.VE,  les  P.  Cil  Skovl.wrii.  ou  le>  .XxKix  Mi;m!VE.  paysagistes  ou 
animaliers.  Timides  encon'  et  méticuleux,  ils  se  tiennent  plus  près  de>  imitateurs  de  l'école  de 
Diisseldorf  que  des  maîtres  hollandais.  Mais  lorscpie  le  Danemark  sortit  de  ses  dernières  crises 
nationales  et  politupies.  après  i86b.  un  nouvel  essor  fut  donné  aux  forces  intellectuelles  du 
paj's;  il  prit  un  contact  plus  fréquent  avec  les  nations  centrales  de  l'iùiroiie  et  notamment 
avec  la  France  et.  ]ieu  à  peu.  la  comjirehension  des  artistes  d:inoi>  s'él,u-git  en  même  temji- 


346 


La   Peinture   au   XIX'  siècle. 


que  kur  éducation  technique  progresse  rapidement.    On  a  pu  en  juger  aux  diverses  étapes  de 
nos  expositions  universelles. 

La  personnalité  qui  domine  la  dernière  période  de  l'art  danois  est  celle  de  Krôyer. 
Peter  Severin  Krôyer  est  né  à  Stavanger,  Danemark,  le  23  juillet  1851.  Orphelin  de 
bonne  heure,  il  fut  recueilli  par  un  parent,  savant  ichthyographe,  pour  les  ouvrages  duquel 
il  grava  ses^premiers  dessins.  11  fut  élève  de  l'Académie  de  Copenhague,  obtint  une  bourse 
de  voyage  en  1874,  et  vint  à  Paris  i.ù  il  étudia  dans  l'atelier  de  Bonnat.  Il  séjourne  quelque 
temps  en  Bretagne  où  il  peint  une  Sardinerie  à  Concarneau,  puis  il  voyage  en  Espagne  et  subit 
momentanément  l'influence  de  Vélasquez,  ensuite  en  Italie  d"où  il  rapporte  ses  Chapeliers, 
qui  lui  valurent  une  médaille  au  Salon  de  Paris  en  1882.  Très  impressionné  par  les  tendances 
de  l'école  française,  notamment  par  les  recherches  luministes  de  Besnard,  Krôyer  s'appliqua, 
de  son  côté,  à  rendre  dans  son  pays  les  effets  de  lumière  et  d'atmosphère  ^ur  les  rivages 
de  la  mer''en-  ]irenant  pour  sujets  de  ses  compositions  les  scènes  de  l'existence  animée  des 

populations  maritimes.  Il 
s'installe  à  Skagen  et  vécut 
parmi  les  pêcheurs:  c'est  de  là 
que  proviennent  ces  Pêcheurs 
à  Skagen,  ou  ces  Barques  de 
Pèche,  sur  une  mer  opaline  et 
laiteuse,  dans  un  effet  d'aube 
septentrionnale  mystérieuse, 
d'une  lumière  comme  surna- 
turelle, toile  qui  fut  donnée 
à  Besnard  par  suite  d'un 
échange  et  que  Besnard  offrit 
généreusement  au  Luxem- 
bourg. Krôyer  a  peint  aussi 
des  portraits  et  notamment  des 
portraits  réunis  par  groupes 
souvent  nombreux  avec  une 
aisance  extraordinaire  dans 
l'agencement  des  personnages, 
les  dispositions  de  la  lumière  et  une  interprétation  du  caractère  d'une  pénétration  peu 
commune.  Il  a  représenté  ainsi  une  Soirée  à  Karlsherg,  réunion  d'artistes  danois  auprès  du 
grand  amateur  Jacobsen,  le  Comité  de  l'Exposition  française  à  Copenhague  en  1888:  une  Séance 
à  r Académie  des  Sciences,  exposé  chez  nous  en  1900. 

Les  Chapeliers  de  Krôyer  tirent  à  leur  apparition,  dans  son  pays,  une  révolution 
réaliste  qui  remit  l'art  danois  dans  sa  voie  normale.  Bientôt  surgit  toute  une  école  de  bons 
et  loyaux  artistes  sincères,  simples,  véridiques  et  expressifs.  Tels  sont  Viggo  Joh.^vnsen,  né 
à  Copenhague  le  3  janvier  1851,  qui  montre  une  rare  puissance  d'émotion  intime  dans  ses 
sobres  intérieurs  où  il  traduit  aussi  avec  un  sens  d'une  subtilité  tout  à  fait  exquise  les  jeux 
les  plus  délicats  et  les  plus  imprévus  de  la  lumière.  On  n'a  pu  oublier  les  nombreux  envois  si 
instructifs  qu'il  fît  à  notre  exposition  de  1900:  Une  soirée  chez  moi,  dans  l'atmosphère  rousse 
des  lampes,  si  doucement  et  si  tièdement  familière,  Les  enfants  à  leur  travail,  ou  la  Fête  de  la 
Grand' fnère.  C'est  encore  Julius  Paulsen,  né  à  Odense  le  22  octobre  1860,  avec  ses  chauds 
intérieurs  et  ses  nus  lumineux  vigoureusement  peints,  Anna  Ancher,  née  le  18  août  1859  à 
Skagen,  puis  Peter  Ilsted,  né  le  14  février  1861,  et  Georg  Achex.  né  le   23  juillet    1860, 


JoHANï-EN.   —    Une  Suil 


xolcs  scan(lina\'es. 


347 


délicats  luministes  et  intimistes  lînement  émus,  (U'scjuels  le  Luxembourg  conserve  de  charmants 
tableaux.  Carl  Thomsen  (6  avril  1847)  et  W.  Irmin(;er  (29  décembre  1850)  plus  songeurs  jet 
sentimentaux:  les  paysagistes  Theopor  Philipsen,  né  à  Copenhague  le  16  juin  1840,  Viggo 
Pedersen,  né  à  Copenhague  le  11  mars  1854.  Niels  Skovgaard,  né  en  1858,  et  enfin,  dans 
cet  ordre  d'idées  réaliste  et  intimiste,  une  autre  physionomie  exceptionnelle,  celle  de  Wilhelm 
Hammershoi,  né  à  Copenhague  le  15  mai  1864:  il  étudia  dans  l'Académie  de  cette  ville  sous 
la  direction  de  Krôyer.  Il  voyagea  en  1893  en  Italie.  Il  s'est  créé  une  véritable  originalité  par 
des  effets  d'une  simplicité  extrême,  dans  des  intérieurs  à  peine  meublés,  sur  lesquels  jouent 
quelques  ra3-ons  de  soleil.  On 
ne  peut  imaginer  l'intensité 
qu'arrive  à  produire  cet  art 
sobre  jusqu'à  l'austérité  et  la 
puissance  de  vie  contenue  qui 
en  émane.  Avec  une  sensibilité 
toute  moderne,  il  éveille  le 
souvenir  des  plus  beaux  petits 
luministes  hollandais  d'autre- 
fois. Il  reste  à  signaler  les 
compositions  historiques  du 
professeur  L.  R.  Tixen.  né  à 
Copenliague  en  1853,  les  œuvres 
décoratives  et  mystiques  d<- 
Jo.\CHiM  Skovgaard,  néeni83f) 
à  Copenliague  et  les  illustra- 
tions si  localement  savoureuses 
deHAXsTEGNER,  LorexzFro- 
LicH   et    .ArorsT    Ierxdorff. 


SUEDE.  —  La  culture 
artistique  est  ancienne  dans 
ces  pays  du  nord,  du  moins  en 
ce  qui  concerne  la  Suède,  et  les 
rapports  de  ce  pays  avec  l'art 
français  sont  de  longue  date. 
Au  XYIIP  siècle,  il  s'opérait 
entre  les  deux  nations  une  sorte 
d  '  échange ,  la  France  incorpora  it 
dans  son  école  divers  artistes 
suédois  comme  Roslin,   La\Teinc 


Wri.ilKl.M    Hammfk>1i.'1.   —   Intérieur  e 
[Galerie  Nationale  de  Herlin\ 


Hall  et  en\"i)vait  à  la  Suède  quelques-uns  des  siens, 
comme  Taraval,  ou  les  œuvTes  de  ses  maîtres,  que  recueillait  avec  soin  un  ambassadeur  avisé,  le 
comte  de  Tessin,  pour  une  reine,  amie  des  arts,  la  reine  Louise  l'irique.  Tessin  fonda  même  à 
Stockholm  une  Académie  des  Beaux-Arts  qui  ne  produisit  guère,  au  début  du  XIX''  siècle  que 
des  peintres  tout  académiques,  comme  Fer  Krafft  (1780 — 1856).  du  reste  élè^e  de  David,  et 
qui  transporta  jusque  dans  ces  régions  septentrionales  éloignées  les  doctrines  du  classicisme.  Il 
y  eut  ensuite  une  lutte  d'influences  entre  les  écoles  allemande  et  française.  La  réaction  contre 
le  classicisme  est  dans  le  goût  du  romantisme  allemand:  tel  artiste  comme  Karl  Plageman, 
suit  les  Xazaréens  de  Rome,  tel  autre,  comme  Nils  Blommer  (1816 — 1853)  traite  sur  un  mode 
semblable  les  mvtholoçies  et  les  légendes  scandina\-es.  Puis  l'école  de  Dûsseldorf.  très  prospère. 


34S 


La   rV'inturc   au   XIX'   siècle. 


accuse  sa  ])rép<iiulci-ancf.  (runc  façon  très  mar(|ucc,  jusipra  lM;i;ni;KiK  ]I()i;ki;ki  (i<S2f) — i<S6'j) 
qui  apporte,  le  premier,  dans  la  j)i'inture  de  ses  intérieur-^,  un  accent  local  un  peu  plus 
personnel,  ("est  alors  Finlluence  fran,.iisc  cpu  l'emporte  dehnif ivement  et  -on  courant 
natur.diste  et  analvticpie  entraine  recule  suédoise  dans  l'étude  plus  methodupie,  plus  appro- 
fondie, mieux  comprise,  du  caractère  du  pays  et  de  Li  race.  P.u'mi  ces  [ireniiers  artistes  formés 
en  France,  il  faut  citer  le  paysagiste  Alfkhd  \\'.\hli;kk<,.  né  à  Stockholm  le  6  août  1834.  Nils 
FoRSiii-Rc,.    ne    en    1841    à  Riseberga.  peintre  de  sujets  d'histoire.  Ar(,rsTE  H.ackorg,  né  à 

(Witenbourg  en  1852  et  Hugo  S.\lm- 
S()X.  né  à  Stockholm  en  1843.  décédé 
l'U  i()o8.  ]>lus  ipi'a  di'mi  français 
puiscpi'ils  résident  la  plupart  du 
tem])s  en  France  et  que  l'un  d'eux, 
F()rsberg,  a  combattu  clans  nos  rangs 
en  1870.  A  leur  suite,  on  peut  citer 
parmi  les  portraitistes  ou  peintres 
de  figures  et  de  mieurs,  All.\n 
OsTERLiXD  (né  en  1853),  R.  Bergh 
(né  en  1858),  Robert  Theghestrom 
(1854),  ()sc.\R  BjORK  (1860),  Georg 

l'.M'LI    (1855).   H.\NNA   PAULI,  ARON 

(  iERIj: .  Parmi  les  peintres  de  scènes 
locales  il  faut  signaler  spécialement 
K.VKL  ^\'lI.HHL^IS()^".  né  à  Boliusliin 
le  i'^'  no\'embre  1860,  observateur 
intelligent  des  populations  maritimes 
des  côtes  suédoises  et  des  phéno- 
mènes lumineux  de  ces  ciels  d"un 
éclairage  si  singulier:  Carl  Lakssox, 
ne  à  St<ickholm,  le  28  mai  1853, 
aquarehiste  délicat,  charmant  pein- 
tre de  l'enfance  et  décorateur  excep- 
tionnel dans  ces  pays  du  nord;  puis 
r>Rrx()  LiLjEFORS,  né  à  Upsal  le 
14  mal  1860,  peintre  original  de 
])a\sages  peuplés  d'animaux  aux 
l)remiers  plans,  dans  de  clairs  effets 
décoratifs,  mi-français,  mi-japonais; 
enfin  la  personnalité  tout  à  fait  à 
jjart  d'AxDERS  ZoRN,  qui  a  pris  une 
am.kks  /...kn,  —  lu  iv-cii.-ui  (Musé.-  .lu  1  ,i.xc-ini„.iiij,.).  place  de  premier  rang  dans  le  mouve- 

ment général  des  écoles  européennes. 
Zorn  est  né  le  i8  fe\ricr  i8()()  a  Mora.  petit  \-illage  jjrès  de  Stockholm,  dans  une  famille  de 
simples  paysans.  Il  \ouliit  d'abord  être  sculpteur,  car  ses  débuts  se  manifestèrent  par  des 
images  haï\'es  c|u'il  taillait  a\-ec  son  canif  sur  des  menus  morceaux  de  bois.  Entré  à  l'Académie 
de  Stockholm,  il  bifurqua  vers  la  peinture;  plus  tard,  cependant  en  1899,  il  revint  momenta- 
nément à  la  sculpture  et  tailla  diverses  petites  figurines,  entre  autres  un  petit  portrait  en  bois 
de  sa  mère.  Après  un  \-oyage  en  Espagne  et  en  Angleterre  de  1881  à  1885.  il  vint  s'établir  à 
Paris  de  1888  à  i8()fi.   ("est  là  (pi'ilse  forma  entièrement  sous  les  influences  les  plus  vivantes  de 


Ecoles  scandmax'cs. 


j:) 


l'école,  et  qu'il  exécuta  siiii  jiremicr  tal)Ir;ui.  lu  l'ichcur.  elKirinanl  inniceau.  jiris  surnature, 
qui  annonçait  tout  si.m  a\-enir  et  ([ui  fut  acquis,  après  ri''.\p()sitinn  de  i(S,S<).  pai'  le  Musée  du 
Luxembourg.  Zorn  a  exécuté  des  scènes  de  nueurs.  prises  dans  son  ])a\-s  nat.il  m'i  il  réside 
désormais,  des  nus  dans  des  intérieurs  et  en  plein  air  et  dis  jxirtraits.  Sa  jialette  est  \'i\"e  et 
colorée,  sa  facture  hardie  et  sinnitanee,  il  \-  a  en  lui  dr  la  luaiuère  de  Sargent  et  di-  Besnard. 
a\-ec  une  verve  audacieuse  pleine  de  bonheur.  Zorn  juuit  d'une  grande  réjMitatinn  dans  les 
deux  mondes.  Comme  graveur,  son  métier  extraordinaire  de  libei-té.  de  franchise  et  de  force 
expressi^•e  l'a  placé  parmi  les  maîtres  de  ce  temps. 

Il  reste  à  citer  la  nombreuse  phalange  des  paysagistes,  les  \\'.\li.a\I)i:i;,  k-s  Si<)i',Ei;<;. 
les  J.\xssox.  et.  parmi  eux,  le  pkixce  Etgène  de  Scèiie  lui-uu''me,  né  à  Stockholm  le 
I'-'    a<iût    1865,   qui    tient    a\-ec   honneur   son   rang   dans  l'école  et  M""'  Axx.\  Boijeri,.  née  à 


iiis  la  iieii^e  (Musée  du   Luxeuili. 


Stockh(ilm  en  1864.  qui  s'est  Vduée  a\-ec  succès  aux  paysages  du  nord,  ai)rès  s'être  livrée  à 
l'art  décoratif.    Son  mari,  Ferdinand  Bolu-rg,  est  un  architecte  d'un  goût  très  ndlme. 

NC)K\'K(tE.  —  La  Norvège,  récemment  constituée  en  état  distinct  de  l.i  Suède,  a-t-elle 
nn  art  qui  ditfère  de  sa  grande  s.eur  Scandinave?  Quels  que  soient  les  liens  par  lesquels  les 
aient  longtemps  unis  la  géographie  et  l'histoire,  les  deux  peuples  dilïèr.'Ut  essentiellement  par 
le  caractère  et  par  les  m-eurs  et  c'est  la  raison  qui  devait  fatalement  .uni'uer  une  separatinn. 
La  Suède  est  un  pavs  aristocratique,  la  X,.rN-ège.  au  contraire,  comme  le  Danemark,  est 
d'esprit  fortement  démocraticpu-  et  ses  inaiseurs,  ses  écrivains,  ses  poètes,  ses  auteurs  drama- 
tiques ont  été  ouverts  à  toutes  les  UKpuétudes  et  à  toutes  les  aspirations  de  la  conscience 
crmtemporaine.  C'est  le  pavs  de  Bi-nnstern.'  i^iorns,m  et  d'Ibsen.    L'art  a-t-il  suivi  cette  voie 


0 


^2 


La  Peinture  au   XIX'  siècle. 


et  a-t-il  ddUiK'  iiiH'  Innnulc  ([ui  currespondf  à  ces  tendances:'  (  )n  n")-  troiu'e  guère  récho'de 
ces  gra\-es  préoccupatiens.  Tcmt  au  plus  ])eut-(in  dire,  ce  qui  est  du  reste  à  peu  près  général 
dans  les  nations  du  nord,  «pie  l'école  nor\'egieniie  est  orientée  dans  un  sens  populaire.  L'origine 
de  ce  qu'on  peut  appeler  une  école  est,  du  reste,  peu  ancienne.  .\u  début,  dans  le  premier 
tiers  du  siècle,  l'influence,  \-oisine.  de  l'école  de  Diisseldorf.  prédomine,  suivie  de  l'exode  des 
jeunes  peintres  \'ers  Karlsruhe  où  professe  Hans  (iriii-,  né  à  (hristiania  le  13  mars  1825,  mort 
à  Berlin  le  17  août  1903,  peintre  de  marines  dont  l'cnscignrment  eut  un  grand  succès  en 
Allemagne.  Munich  attira  ensuite  les  jeunes  artistes  nor\egiens,  mais  bientôt  ils  sentent,  eux 
aussi,  que  c'est  du  ci")té  de  la  l<"rance  qu'est  la  \"éritabli'  \'oie  pour  leur  œuvre  réaliste.  C'est, 
en  effet,  à  partir  de  son  contact  a\'ee  l'art  fram.ais  ipie  l'école  norvégienne  se  dégage  et 
commence    à    ])rendre    un  caractère  local.    L'iiistoirc  et   la  décoration,  dans  cette  école,  sont 


-^^-^ 


(Mu 


Ti-.-liaknf  a   M.,sc,.u). 


représentées  inir  une  jiersonnalite  pour  ainsi  dire  unique,  celle  de  ÇrERH.-\RD  MuNTHE,  né  à 
Aarôen  le  11  mars  1841,  fixé  à  Diisseldorf,  qui  a  créé  un  genre  archaïque  de  décorations 
vivement  bariolées,  en  interprétant  les  anciennes  légendes  septentrionales  d'après  le  style 
primitif  norvégien.  Toute  l'inspiration,  en  dehors  de  cette  curieuse  exception,  est  purement 
réaliste  et  comprend,  avec  des  artistes  de  talent  qui  se  sont  distingués  dans  le  portrait,  comme 
Heyerdahl,  Borghild  Arnesen,  Cari  Konow,  M-^''^-  Kristine  Laache,  des  paysagistes  comme 
Johannes  Mûller,  Borgen,  Gloersen,  Nils  Hansteen,  Hjerlow,  Hjalmar  Johnsen,  Bernhard 
Hinna,  Otto  Hennig,  M'-'i'^^  Marie  Tannoer,  Kitty  Kieland,  ou  des  peintres  de  mœurs  dans  les 
intérieurs  ou  dans  le  décor  de  nature,  comme  Eilif  Petersen,  Jacobsen,  Stenersen,  Christian 
Skredsvig,  Otto  Sinding,  Wentzel,  Eylof  Soot,  Eiebakke,  etc.,  parmi  lesquels  se  dégagent 
plus  distinctement  quelques  ligures  mieux  connues  de  nous.  C'est  entre  autres:  Johannes 
M.  Grimelund,  né  en  1842  à  Christiania,  destiné  à  la  carrière  théologique,  mais  qui,  attiré 


xoics   scanamax'cs 


dii 


J)  ?  0 


\-ers  la  peinture-,  alla  étudit-r  auprès  de  Hans  (jude.  a\"ant  de  \Tnir  à  Paris  ciù  il  s'est  fixé 
et  où  il  a  fait  connaître  un  des  ])reiniers  l'art  norvégien,  ("est  ICkik  \\'kki:nskiold,  né  à 
Kongsvinger  le  ii  février  1853.  le  jiortraitiste  d'Ibsen,  jn-intre  compréhensif  des  scènes  de 
la  vie  rurale  dans  la  \ive  lumière  des  soleils  du  nord.  C'est  ensuite  H.m.i'DAX  Stkôm,  né  en 
1863  à  Christiania:  après  avoir  commencé  à  étudier  dans  son  pays,  il  alla  travailler  quelque 
temps  à  !\Iunich  et  exposa  à  Christiania,  en  1885,  divers  ouvrages  qui  commencèrent  sa 
réputation.  II  obtint  une  bourse  de  \-oyage  et  vint  se  perfectionner  à  Paris  dans  l'atelier  de 
Roll.  Marié  à  Paris,  il  se  fixa  cjuelque  temps  en  Bretagne,  retourna  dans  son  pays  et  e.xposa 
en  1900  un  tableau.  Jeune  Mère,  qui  fut  recompensé  d'une  méd.iillr  d'nr  et  ncquis  par  le 
Musée  du  Luxembourg.  C'est  enhn 
Fritz  Thaulow,  qui,  lui,  est  resté 
tout  à  fait  des  nôtres.  Né  à  Christiania 
le  20  dctobre  1847.  il  est  mort  à  Volen- 
dam  (Hollande)  le  6  novembre  1906. 
Après  avoir  étudié  à  Copenhague  de 
1866  à  1870,  et  à  Karlsruhe  près  de 
Hans  Gude.  il  vint  à  Paris  en  1882  et 
trouva  sa  direction  dès  qu'il  fut  en 
contact  a\'ec  le  milieu  impressionniste. 
Il  a  travaillé  à  Paris  dont  il  a  rendu 
les  aspects  pittoresques  sur  les  bords 
de  la  Seine  avec  une  très  vive  com- 
préhension de  son  atmosphère  spéciale; 
en  Normandie,  notamment  à  Dieppe, 
en  Hollande,  à  Venise  et  dans  son 
pays.  Le  ÎMusée  du  Luxembourg  pos- 
sède de  lui  un  paysage  de  neige,  acquis 
à  l'Exposition  de  1889  où  il  se  révèle, 
et  un  beau  pastel:  Vieilles  fabriques 
sous  la  neige,  qui  exprime  cette  faculté 
rare  de  traduire  les  neiges,  les  dégels. 
les  frissons  de  l'hiver. 

FINLANDE.  —  Bien  que  rat- 
tachée politiquement  à  la  Russie,  la 
Finlande  reste,  en  art,  fidèle  à  ses 
origines  Scandinaves.  Comme  dans  tous 
les  pays  du  nord,  on  y  trouve  des  natu-  1  :  1     n  :    1    -  i         Le  r.n-u-.m  .le  Léon  loistoi. 

ralistes  d'une  vive  sensibilité,   formés. 

eux  aussi,  presque  tous  sous  l'influence  des  analystes  français.  Entre  les  peintres  Halonen, 
Jaernfeit,  Blomsted,  Wlasoff,  Rissanen,  etc.,  on  distingue  Axel  (iALLEN,  peintre-décorateur  dans 
le  style  archaïque  et  Albert  Edelfelt,  né  àHelsingfors  en  1854,  mort  à  Borgo  en  1905.  Edelfelt 
est  resté  populaire  en  France,  où  il  était  fixé  la  moitié  de  l'année  depuis  1874.  Il  avait  étudié  en 
1873  à  Anvers,  puis  entra  à  Paris  dans  l'atelier  de  Gér.:me.  Il  a  exécuté  d'excellents  portraits: 
ceux  de  M.  Koecklin-Schwartz.  de  Dagnan-Bouveret,  de  Pasteur,  acquis  par  l'État  et  placé  à  la 
Sorbonne;  d'Alexandre  III.  du  grand-duc  Vladimir;  car  il  était  très  estimé  et  aimé  à  la  cour 
de  Russie.  Il  a  peint  aussi  nombre  de  sujets  et  de  paysages  de  son  pays  natal,  parmi  lesquels, 
le  Service  divin  au  bord  de  ta  mer.  du  Luxembourg,  médaillé  au  Salon  de  1882,  est  resté  célèbre. 


54 


La  Peinture  au  XIX"  siècle. 

ÉCOLE  RUSSE. 


1, 1  Russie  (lui,  il  \'  a  doux  cents  ans  à  peine,  était  une  \-aste  réunion  de  pri)\  inces  d'une 
(•i\ilisation  tnut  (irientale.  a  nmntré,  dans  la  culture  des  arts,  la  rapide  faculté  d"assimilati(in 
diint  elle  a  fait  ])reu\-e  jinur  les  autres  manifestations  de  la  \-ie  l't  de  la  pensée.  On  sait  le  soin 
qu'apportèrent  les  siun'erains  et  surtout  les  souveraines  de  ce  pays,  entre  autres  la  grande 
Elisabeth,  pui--  Catherine  II.  pour  attirer  en  Russie  d'excellents  artistes  de  l'étranger.  La  France 
\'  contribua  par  nombre  de  ses  meilleurs  peintres  et  sculpteurs,  tels  que  Toqué,  Lagrenée, 
Falconet  et  plus  tard  la  \-agabonde  ^I'"e-  \'igée-Lebrun.  En  1757,  Elisabeth  fondait  une 
académie  des  h!iMu\-.\rts  à  Saint-Pétersbourg  et  bientôt  se  distinguaient   des  artistes  locaux 

rekn-ant   encore  directement  des 


^ 


milieux  étrangers,  mais,  comme 
Dmitki  Levitzkv  (17J5 — 1822)  et 
X'l.kdi.mik  Boro\iko\  skv  (1758 
1826)  peintres  de  portraits  heu- 
reusement doués,  offrant  un  point 
de  départ  excellent  pour  l'avenir. 
Au  XL\^'  siècle,  chose  curieuse 
pour  un  pa\'s  si  à  l'écart,  semble- 
t-il.  lies  mon\'ements  européens, 
se  produisent  les  mêmes  évolu- 
tions, les  mêmes  entraînements, 
les  mêmes  réactions  que  l'on  con- 
state dans  les  autres  écoles  con- 
tuientales.  Ainsi  le  début  du  siècle 
est  mar(piê  par  un  engouement 
jiour  les  choses  de  Tantiquité  qui 
établit  dans  ce  pays  les  principes 
de  David  et  le  style  de  l'envahis- 
M'iu".  l'ne  réaction  romantique  et 
sentimentale  se  produit  ensuite 
et  met  au  jour  une  première  phy- 
>iononiiejntéressante  au  point  de 
\ue  russe,  celle  de  Alexis  Vene- 
Tzi.\xo\v  (1780 — 1847)  peintre  de 

.Makik  lixMiKiKiMn.    -  i,e  Med.nji  (Mu..e  au  luxeu.b.u.g,  ^"H't^  populaires  qui,  malgré  les 

imperfections  de  sa  technique,  est 
le  précurseur  de  l't-cole  réaliste  moderne.  On  pourrait,  à  ce  moment,  rele\-er  les  noms  du 
])ortraitiste  Ch.\ki.ks  P>i-;ri,i.i)\v  (I7q(:) — 1852).  qm  tra\-aille  dans  le  sentiment  dTngres  et 
Th.  Bruni  (1800 — 1875).  le  décorateur  de  la  cathédrale  St-Isaac.  Toute  une  abondante  éclosion 
de  peintres  de  genre  sui\"it.  entre  les  influences  de  Diisseldorf  et  de  Paris:  le  plus  notoire  est 
P.\UL  FÉDOTOW  (1816 — 1832).  Nous  avons  connu  en  France,  où  plus  d'un  a  travaillé  et  même 
a  vécu,  Henri  Siemir.miskv  (1S43 — 1902),  Constantin  M.vkowskv,  né  en  183g,  Alexis 
BoGOLUîEOFF  (1824 — i8()b).  N<.ius  arri\-ons  au  moment  où  la  pensée  russe  va  prendre  une 
part  exceptionnelle  aux  préoccupations  de  l'humanité  contemporaine  et  une  place  de  premier 
ordre  dans  le  nvnuemept  des  idées  par  les  grandes  figures  d'écri\'ains  qui  ont  illustré  les 
lettres  russes.  La  puissante  impulsion  que  les  Tourgueniew,  les  Tolsto;  et  les  Dostoiewsky 
donneront  dans  le  domaine  de  la  philosophie  et  de  la  morale,  dans  la  compréhension  mystique 


Ecole   russe 


JD 


et  religieusf  du  dev\)ir  social,  l.i  huiditr  de  leur  \isi(in  uljjfctixc.  la  diMicatcssc  de  leur  sensibilité 
émue  de\"ant  les  spectacles  de  la  nature.  leur  s\-inpatlue  é\ani,'éli(iiie  d'un  es|)rit  de  Sùlidariti'' 
inconnu  jusqu'à  ce  jour,  tnus  ces  éléments  sinim  n(iu\-e.iux.  du  nmin-'  ren<iiivel('-s  a\'ec  une 
protonde  originalité,  sont  loin  encore  de  se  décoinrir  d.ms  l'ait.  Le  monde  des  images  est 
plus  difficile  à  pénétrer  (jue  le  monde  des  idées;  toutefoi>.  smtout  ajin's  les  é\'énements  de 
Crimée,  on  perçoit  un  ess<u  de  motncmeiit  nationaliste  a\-ec  \'.\ssn.\'  Sihkikdi  .  n('  en  1S4N. 
peintre  d"hist(jire  sur  la  \-ie  nationale.  \'i(  TOR  \'asnetz()W  i-t  Nkol.Vs  K('>iikI(  11.  landj^  i|ue, 
ici  \'erescliagin.  là  Nicolas  ('ia\-  et  Répine.  ces  deu.x  derniers,  iiortraitistes  et  anus  de  Tolstoi. 
inaugurent  la  période  conti.-m])oraine  a\ic  un  art  qui  commi-nce  à  être  touclié  par  la  jiarole 
de  ce  n<iu\"eau  messie  des  temps  modernes.  Leur  ieu\'re  \'eut  jxirti'r  vu  elle  une  signification 
morale  et  humaine. 

\'.\ssiLY  \'.AssiLiK\vrn  H  \'KKi';srn.\(;iN  est  né  à  Tscherepo.ct  ((■ouxi'rneinent  de 
No\-ogorod)  le  26  octobre  1842.  lùitré  d'abord  dans  la  carrière  militaire,  sa  \dcation  se  ré\éla 
au  cours  de  ses  voyages; 
il  travailla  de  1861  à  1865 
à  Saint-Pétersbourg,  puis  à 
Paris  près  de  Gérôme.  dont 
l'enseignement  a  beaucoup 
influé  sur  la  iormation  de 
son  talent.  Il  sui\"it  en  1867 
le  (iénércd  Kauftmann 
chargé  deréprimer  la  re\i  )l  te 
du  Turkestan,  résida  au 
retour  cjuelques  années  à 
Munich,  puis  repartit  en 
1875  pour  rinde  et  le  Tlu- 
bet.  Il  letourna  à  Paris. 
mais  n'y  séjourna  pas  long- 
temps, car  il  sui\'ait  en  187g 
les  opérations  de  l.i  guerre 
russo-turque.  .\mi  lureu.x 
d'aventures,  il  s'était,  de 
nou\"eau.  lait  attaclier  a 
l'état-major  dans  la  guerre  i-\\e  i.kmi  w.  —  i...-  Cuiiirii.i.rnii.ni  .ir.  piimcmi». 

russo-japonaise;  il  y  périt  à 

Port-Arthur  en  IQ04.  dans  l'explosion  du  cuirassé  PetroPaulowsk.  11  a  été  très  connu  vn  France, 
où  il  y  a  eu  plusieurs  ex]iositions  de  ses  (euvres.  Ses  randonnées  milit;iires  ne  lui  firent  pas 
aimer  la  guerre  et  l.i  plujxirt  de  ses  toils  ont  été  conçues  a\-ec  le  désir  tl'en  rendre  sensible 
le  côté  odieux  et  douloureux.  Tels  sont  ses  tableaux  de  Y liDipcreitr  tirnvdiit  à  Muscnii.  de  la 
Retraite  de  FEitil^creur.  et  surtout  la  l'yrniuide  de  Cnvies  (Alusét'  Tretiakof  à  .Moscou).  Il  s'est, 
montré  un  orientaliste  intelligi'Ut.  curieux,  éveillé,  et  les  tra\-aux  r.qijxntes  de  ses  \-oyages 
dans  les  Indes  et  en  Palestine  sont  demeures  célèbres,  en  particulier  la  fameuse  Miiniille  de 
Salomon  où  les  pèlerins  juits  \-iennent  jiar  centaines  prier  sur  les  ruines  de  leur  teniple. 

Il|.\  (Ei.ie)  iHSiMôvrreii  Kkpixh  est  né  à  ïcliuguew  (gouveriienienf  de  Charkow).  le 
25  juillet  1844.  Il  était  fils  d'un  paiure  officier  et  re:ut  sa  jiremieie  instruction  dans  l'école 
du  village,  dirigée  par  sa  mère;  il  entra  ensuite  dans  une  école  militaire,  dissoute  comme  il 
avait    13  ans.    Intéressé  par  le  tra\ail  d'un  ])eintre  d'iconi's.  il  ;q)prit  de  lui  a  dessiner  et  gagna 


356 


La  Peinture  au  XIX''  siècle. 


bientôt  sa  vie  en  rimitant.  Il  se  rendit  ensuite  à  TAcadémie  de  Saint-I^étersbourg,  uù  il  resta  six 
ans.  Il  obtint  une  bourse  de  voyage,  alla  à  Paris  et  à  Rome,  où  il  étudia  les  anciens  maîtres. 
Son  premier  succès  date  de  1873  avec  ses  Haleurs  de  bateaux,  exposés  à  Saint-Pétersbourg, 
qui  sont  une  des  premières  manifestations  du  réalisme  russe  et  le  premier  témoignage 
artistique  de  sympathie  virile  pour  les  humbles.  Toute  l'œuvre  de  Répine  a  ce  caractère  mâle, 
énergique,  ardent  pour  les  causes  des  opprimés,  qui  transparaît  dans  la  plupart  de  ses  oeuvres 
d'histoire  ou  de  genre  :  Ivan  le  terrible,  Saint  Nicolas  arrêtant  une  exécution.  Retour  de  Sibérie,  etc. 

Il  a  peint  avec  la  même  vigueur,  la  même 
forte  et  savante  technique,  nombre  de 
portraits:  ceux  de  Rubinstein.  de  Mous- 
sorgski,  et  en  particulier  celui  de  Léon 
Tolstoï,  dans  sa  blouse  de  moujik. 

Nicolas  GAy(i83i — i894),petit- 
nls  d'un  français  expatrié  en  Russie  à 
l'époque  de  la  Révolution,  étudia  à 
l'Académie  de  St.-Pétersbourg  et  peignit 
d'abord  des  sujets  de  genre  dans  le  goût 
du  temps.  Il  séjourna  longtemps  à  Flo- 
rence, au  milieu  des  nombreux  agitateurs 
et  littérateurs  russes  ftxés  dans  cette 
ville  cosmopolite,  et  se  pénétra  de  bonne 
heure  des  sentiments  d'altruisme  et  de 
solidarité  que  devait  répandre  le  nouvel 
évangile  de  Tolstoï,  dont  il  fut  le  fidèle 
ami.  Il  peignit  donc,  avec  un  sens  réaliste , 
expressif  et  populaire,  des  sujets  de  la 
vie  du  Christ:  Jésus  à  Gethsémani,  le 
Christ  et  Pilate,  le  Crucifiement  (Musée 
du  Lu.xembourg),  etc. 

Dans  la  génération  suivante,  il 
est.  tout  à  fait  à  part  du  mouvement 
russe  et  relevant  plus  exactement  de 
l'école  française,  une  touchante  physio- 
nomie universellement  connue  par  les 
dons  qu'elle  a  montrés,  la  carrière 
qu'elle  promettait  et  la  mort  qui  vint 
faucher  cette  jeune  vie  à  peine  éclose: 
c'est  celle  de  Marie  Bashkirtseff. 
Fille  d'un  maréchal  de  la  noblesse,  elle 
est  née  à  Poltawa  en  1860  et  morte  à  Paris  en  1884;  elle  commença  à  peindre  en  1878  et  s'y 
mit  avec  toute  l'ardeur  de  sa  nature,  fit  des  progrès  très  rapides  et  pouvait  bientôt  exposer 
une  série  d'études  de  la  vie  parisienne  en  plein  air,  dans  le  sentiment  de  son  maître  Bastien 
Lepage,  qui  préparèrent  sa  réputation.  Le  Meeting,  qui  figure  au  Jlusée  du  Luxembourg, 
avec  deux  fermes  et  expressifs  portraits  au  pastel  et  une  statuette  de  Psyché  en  bronze,  est 
une  des  œuvres  les  plus  répandues  de  ce  Musée.  ]\Iarie  Bashkirtseff  a  laissé  également  un 
Journal,  publié  en  1887,  qui  montre  mieux  encore  les  dons  de  cette  nature  d'élite. 

Répine  avait  été,  à  son  apparition,  comme  une  sorte  de  Courbet.   Toute  la  jeune  école 


Mil   liEL     WKi.ri'.KI.. 


Écol 


c   russe. 


o:?  / 


sui\"it  cette  direction.  i)uissamincut  rrali>tc  t-t  (■.\])rcssi\-c,  qui  oiuTait  toulc  L;raii(li'  mu-  x'oie 
personnelle  à  l'art  russe.  \'ers  i.S()(i  si-  produisit  une  déri\'atiiin  naturaliste,  plus  ohjcc^ix'e. 
moins  tendancieuse,  et  même,  suixanl  \r  mot  tl'un  tles  jeunes  histdiicns  di'  l'art  rusx-.  \r  peintre 
Alexandre  Renois.  ..purement  (•^théti(lue".  Les  protat^ijnistes  en  M)nt  :  Ir  printrr  Si-.ivow. 
(\'ai.entix),  né  le  20  janvier  i<S()3  à  Moscou,  élè\t-  de  Répine,  ])eintre  de  suiit>  et  de  jxirtraits, 
sonple  et  brillant,  dans  de  \-ifs  mi  délicats  effets  de  lumière;  Consianiix  Kokomxe  et  Is.\.\( 
Levit.\x.  Ces  deux  derniers  artistes  en  particulier,  sont  considérés  par  la  jeune  Ivussie  comme 
les  initiateurs  de  l'art  n(.)u\-eau.  Constantin  Koro\-ine  est  né  en  i8f)i:  il  a  été  de  bonne  heure 
en  contact  avec  les  imj)ressionnistes  Irani.ais  et  il  leur  doit  celte  sensibilité  ])art'culière  dans 
la  lumière  et  dans  la  couleur,  qui  faisait  C(mtraste  a\'ec  les  manières  lourdes  et  brunâtres 
de  l'ancienne  écok'  et  fut.  par  suite,  traitée  de  vell  ité  révolutionnaire  dans  les  milituix 
académiques.  Il  a  vnyw^é  de  di\-ers  côtés,  en  France  et  en  Espagne,  et  il  a  r.qiporté  de  ce  pays 
des  études  charmantes  de  finesse  et  d'accords  délicats.  Il  s'est  fait  à  Moscou  et  à  Saint-Péters- 
bourg une  grande  réputation  par  ses  décors  originaux  d'opéra  et,  en  1900,  il  fut  chargé  de  la 
décoraticjn  du  Pa\"illon  natio- 
nal russe, 

Is.\AC  Lh\'IT.\X  e>t  ne 

en  1S61  dans  une  famille 
Israélite.  Il  est  mort  en  1900. 
Il  est  le  premier  grand  pa\'s;t- 
giste  russe.  Elève  de  Sar- 
rasow,  qui  était  déjà  un  jiré- 
curseur,  il  a  donné  au  pavsage 
russe  une  direction  on  peut 
dire  nationale  en  intéressant 
les  yeux  à  la  nature  propre  de 
ce  pays,  la  natuie  médiocre, 
misérable  et  presque  déser- 
tique de  la  Russie  centrale. 
Il  a  tiré,  avec  une  sensibilité 
profonde,  des  sensations  et 
des  émotions  inconnues  de 
ces  steppes  mornes  et  de  ces 

vagues  bouleaux,  avec  la  même  i)oésie  subtile  que  che/C  nous  Ca^in  devant  les  \-ulgaires  potagers 
aux  rangées  de  choux  et  de  hettera\"es. 


KflH|^^^Hn|^?    .''v^^'^Sjr*^-   .^p 

CliN    ,SoM,il., 


Conversation  "alante. 


A  c;".té  d'eux  il  faut  placer  une  ligure  exceptionnelle  dans  une  direction  purement 
idéaliste  ou  décorative,  celle  de  Michel  Wroubel,  né  en  1856,  aujourd'hui  <iveiigle  et  atteint 
d'aliénation  mentale.  Il  a  peint  de  grandioses  décorations  pour  la  cathédrale  de  S.nnt-\  ladimir 
à  Kiew,  et  toutes  sortes  de  songes  étranges  et  mystérieux  où  se  rencontrent  toutes  les  cos- 
mogonies  et  toutes  les  mythologies,  et,  à  côté  des  visions  terribles  de  l'enfer  chrétien,  les  plus 
exquises  et  imprévues  apparitions  de  per.sonnages  rêvés  de  contes  orientaux  mi  de  légendes 
russes.  Telle  est  cette  figure  de  Koupara.  empruntée  à  un  conte  russe,  la  princesse-cygne 
couronnée  d'un  haut  diadème  de  diamants  et  de  perles  sur  ses  grands  yeux  noirs  et  se  mouvant 
au  milieu  de  ces  \-agues  blanclieurs  où   l'on  de\-ine  des  ailes. 


\'ers    iqoo   une   nouvelle   génération    s'avançait   dans   la    voie  de  la  précédente,    mais 
avec  des  préoccupations  encore  plus  subtiles  :  d'une  ])art  on  tri>u\-e  un  dillettantisme  délicat 


35'^ 


La  Peinture  au  XIX'^  siècle. 


et  raffiné  qui  combine  avec  toutes  les  acquiMtinns  ni)U\'cllrs  de  hi  palette,  les  souvenirs  du 
passé  et  notamment  d"un  XVIII''  siècle  rococo,  vu  à  travers  Tn-onie  un  peu  tendre  d'un 
Verlaine.  Le  principal  représentant  de  ce  genre  est  Constantin  Somof,  né  en  1869.  Il  est  le 
chef  d'un  petit  groupe,  soutenu  par  une  revue,  Mir  Iskoutsva.  qui  a  beaucoup  contribué  au 
développement  des  Arts  en  Russie  et  dont  le  directeur,  Serge  Diaghilew,  a  été  le  promoteur,  à 
Paris,  de  l'exposition  russe  de  1906,  au  Salon  d'automne,  et  des  représentations  théâtrales  et 
musicales  à  l'Opéra  et  au  Chatelet,  de  1908  et  1909.  Il  a  été  aidé  dans  cette  entreprise  par 
un'très  intelligent  et  délicat  artiste,  membre  de  ce  groupe,  Alexandre  Benois,  domicilié  à 
Paris,  peintre  et  écrivain  de  talent,  qui  a  tracé  en  charmantes  aquarelles,  comme  ses  amis 
S()mof  et  Eugène  Lan(  ekav.  des  ,.con\"ersations  galantes",  des  illustiations  et  toutes  sortes 
de   fantaisies    écloses   entre   \'ersailles   et    Trianon.     Somof   a  exécuté  aussi  d'exquises  petites 

tigurines  en  porcelaine  sur  ce 
mode  spirituel  et'  moqueur. 
l'armi  les  Moscovites,  les  uns 
sont  plus  portés  à  la  peinture 
monumentale,  comme  le  pein- 
tre de  décors  Alexandre 
(joLOViNE;  parmi  les  autres, 
jilus  réalistes  et  rappellant  nos 
néo-impressionnistes,  il  faut 
signaler  Igo  Grabar,  peintre 
et  écrivain,  et  Victor  Mous- 
s.VTOF.  Enfin  un  peu  en  dehors 
de  ces  courants,  Léonide 
Pasternack,  né  en  1863,  s'est 
fait  un  nom  par  ses  intelli- 
gentes peintures  de  genre  (la 
Veille  de  Vcxamen,  au  Musée 
du  Luxembourg)  et  surtout 
par  ses  belles  et  émouvantes 
illustrations  pour  Résurrection 
de  Tolstoï.  Puis  Philippe 
Maliavine,  né  en  1869,  aux 
environs  de  Moscou,  qui  s'est 
fait  remarquer,  à  l'Expostion 
de  1900,  par  une  superbe  étude 
de  Paysanne  en  rouge,  et  par  le  Rire,  audacieuse  peinture  pleine  de  lumière,  d'éclat,  de  gaieté, 
d'une  vaillance  endiablée,  qui  a  été  acquise  pour  la  Cialerie  Moderne  de  Venise. 


.•\l.EX.\NnRF,    r.F.NllIS. 


ECOLE  ESPAGNOLlî. 

Bien  qu'elle  appai tienne  à  la  période  précédente,  la  grande  figure  de  Goya  domine 
en  Espagne  le  nouveau  siècle.  Ce  génie  puissamment  original,  réaliste  et  Imaginatif,  le 
plus  fantaisiste  comme  le  plus  fantastique,  est  aussi,  à  l'occasion,  le  plus  naturel  et  le  plus 
simple,  et  de  même  le  plus  peintre  selon  les  belles  traditions,  c'est-i-dire  le  plus  classique.  C'est 
vers  lui  que  se  tourneront,  à  la  fin  du  XIX^"  siècle,  les  jeunes  artistes  espagnols  qui  tenteront 
de  remettre  dans  la  vraie  voie  leuv  école  perdue  par  le  maniérisme  et  les  fallacieuses  habiletés. 
Ils  auront  dû  attendre  que  l'admiration  clair\-(ivante  des  réalistes  français  ait   redonné  au 


Ecole   espai^nuk' 


>59 


nom  de  Goya  le  lustre  qu'il  méritait  et,  au  début  du  XIX'  siècle,  ce  n'est  pas  sun  influence 
qui  dirige  l'école,  mais,  comme  partout  ailleurs,  celle  de  la  F'rance  et  particulièrement  de  David. 
L'Espagne  a.  du  reste,  à  ce  moment,  à  la  tête  des  arts  une  haute^'personnalité  savante  et 
distinguée  avec  José  de  Madrazo  v  Ag^do,  chef  de  la  célèbre  dynastie  des  Madrazo.  Il  était 
né  à  Santander  en  1781:  il  est  décédé  à  ^ladrid  en  185g.  Elève  de  David,  il  fut  pensionné 
par  le  roi  Charles  I\'  et  s'établit  à  Rome,  où  il  resta  jusqu'en  i8i8.  A  cette  date,  il  revint  à 
Madrid,  où  il  dirigea  r.-\cadémie  de  Saint-Ferdinand.  Il  fut  nonuné  peintre  du  roi.  directeur  du 
Musée  du  Prado,  au  recrutement  et  à  la  réorganisation  duquel  il  présida.  De  ses  trois  fils, 
il  en  est  un  de  particulièrement  célèbrj,  Frederico  de  [Madrazo  y  Kuntz,  né  à  Rome  en  1815, 
mort  à  Madrid  en  1892.  Il  fut  dirigé  par  son  père  et  produisit  son  premier  tableau  à  l'âge 
de  14  ans.  Il  a  exécuté  nombre  de  portraits  parmi  lesquels  ceu.x  du  baron  Taylor,  d'Ingres,  etc., 
des  peintures  d'histoire  et  des  travaux  décoratifs.  Il  y  a  de  lui.  au  Musée  de  Versailles,  un 
Godefroy  de  Bouillon  proclamé  roi  de  Jérusalem.  Il  a  tra\-aillé  beaucoup  à  Rome,  où  est  né 
son  fils  Ravmondo  (1841)  peintre,  lui  aussi,  de  talent  brillant  et  aimable.  Il  succéda  à  son  père 


rHII-I-llil     MaLIA\  INE. 


comme  président  de  l'Académie  de  Saint-Ferdinand  et  directeur  du  Musée  du  Prado.  Il  a  peint, 
comme  plus  tard  son  élève  Bonnat,  nombre  de  portraits  de  souverains  ou  de  personnages 
illustres.  Membre  correspondant  de  l'Institut  de  France.  F.  de  Madrazo  était  également 
estimé  comme  écrivain.  La  célébrité  de  la  famille  des  ^ladrazo  passe  ensuite  à  son  gendre, 
Mariano  Fortuny. 

Mari.^no,  José-Maria.  Bernardo  Fortuxv  est  la  physionomie  la  plus  t\pique  de 
cette  nouvelle  période  de  l'art  espagnol,  sur  laquelle  il  a  imprimé  fortement  sa  marque.  Il 
naquit  à  Reuss.  viOe  de  la  provmce  de  Tarragone  (Catalogne),  le  11  juin  1838  et  mourut  le 
21  novembre  1874,  à  Rome,  enlevé  presque  subitement  par  une  fièvre  pernicieuse.  Son  père 
était  menuisier:  dès  l'enfance  il  montra  des  goûts  pour  le  dessin,  qu'on  développa  dans  une 
école  spéciale  lorsqu'il  quitta  l'école  primaire.  A  12  ans,  il  faisait  ses  premiers  essais  de 
peinture.  Devenu  orphelin  dès  1849,  il  fut  recueilli  par  son  aïeul,  esprit  industrieux  qui  eut 
l'idée  de  gagner  sa  vie  en  promenant  de  ville  en  ville  des  figures  de  cire  modelées  par  lui  et 
peintes  par  l'enfant.  Un  sculpteur,  qui  eut  l'occasion  de  juger  de  ses  talents,  s'intéressa  à  lui. 
En  1852,  il  se  rend  à  Barcelone,  où  il  obtient  une  pension  mensuelle  de  160  réaux  (42  francs); 


0 


6o 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


il  V  tra\':iilla  à  l'Académie  sous  la  direction  de  Claudio  Lorenzale.  peintre  c]ui  composait  dans 
la  manière  d'(  )\erl)eck.  A  ce  moment  Fortunw  pour  vivre,  peint  des  ex-voto,  des  sujets  de 
dévotion  \-endns  à  la  dou/aine.  l-'.n  1853.  (pielques  lithographies  de  Gavarni  qui  tombèrent 
entre  ses  mains  jiroduisirent  sur  >()n  esprit  une  profonde  impression.  A\'ant  obtenu  le  prix 
de  Rome  en  18.57.  il  partit  pour  citte  x'ille  l'année  sun'ante.  Mn  1860.  il  fut  chargé  de  suivre 
l"ex]iédition  du  Maroc,  \-  i)rit  de  nombreux  crocpiis.  fut  f.iit  prisonnier,  ri  rut  roccasi(jn 
d'étudier    de    près    le.s    mteurs    indigènes.      C'est    de   ce    jour   cpi'il    manite>te    im    goût    tout 

particulier  pour  les  sujets 
arabes,  lin  1866,  il  \-int  à  Paris. 
C'est  de  ce  moment  que  date 
sa  réputation:  il  entra  en  rela- 
tions a\'ec  la  maison  Cioupil, 
qui  lui  lit  des  comrfiandes  et  y 
exposa  ses  principaux  tableaux  : 
/(/  ]'icaria  (le  Mariage  espagnol) 
exécuté  en  1868,  le  Choix  du 
Modèle,  etc.  Ce  fut  une  grande 
sensation  en  1870,  lorsque  ce 
premier  tableau  fut  exposé. 
En  18Ô7,  il  avait  épousé  Me''^ 
Cecilia  de  Madrazo.  En  1874, 
il  était  parti  pour  l'Angleterre, 
1  il  fit  de  nombreux  croquis 
'  il  était  re\"enu  à  Rome  avec 
Il  pensée  de  retourner  en 
.\ trique,  lorsqu'il  fut  terrassé 
]iar  la  maladie.  La  manière  de 
Fortun\-  t'st  originale  et  singu- 
lière. Il  lut  très  frappé,  durant 
son  \-o\-age  au  ]\Iaroc,  par  la 
richesse  de  couleurs,  lebariolage 
animé,  pittoresque  et  harmo- 
nieux des  intérieurs  et  des 
costumes.  Sa  manière  orien- 
tale toucha  vivement  Henri 
Regnault,  qui  s'était  particu- 
lièrement lié  a^•ec  lui  à  Rome. 
Lors  de  son  passage  à  Paris,  il 
avait  étudié  quelque  temps  avec 
Gérôme  et  fut  séduit,  étant 
donné  la  dextérité  native  de  sa  main  \-i\-e  et  alerte,  par  les  feu\'res  de  Meissonier,  notam- 
ment par  ses  spirituels  sujets  du  X\'III''  siècle.  C'est  le  point  de  départ  de  ce  genre  costumé, 
qu'il  traita  avec  une  virtuosité  déconcertante  dans  une  manière  chatoyante,  miroitante  en 
mille  détails  papillotants.  Ce  genre  eut  un  succès  considérable  en  Espagne  et  en  Italie,  où 
s'installait,  près  de  lui  et  derrière  lui,  toute  une  colonie  espagnole,  et  cette  influence,  qui  fut 
déplorable  dans  l'une  et  l'autre  école,  en  les  détournant  \-ers  les  tours  de  force  de  l'habileté 
manuelle  et  les  artifices  du  décor  d'autrefois,  dure  encore  aujourd'hui.  Ensuite,  au  milieu  de 
tout  un  groupe  d'espagnols  établis  à  Paris  ou  :i  Rome,  comme  Mei.ih.^,  beau-frère  de  Bonnat, 


MaRI.\NO    FiiRItNV. 


Le  Kémoiileur  au  Maroc. 


Ecole   espa^'iiolc. 


36  I 


JusE  Ji.MEXES  Akanda.  Ht-  à  Si'villf  en  i!^37.  tons  dmx  à  demi  Ir.iui.wis.  dii  Kamon  TisorETS 
{Barcelone  183g — Rome  1804),  (|ui  ;icci)m])a,t;n;i  son  ami  I'"(irt\in\'  à  Rume  et  y  peignit  le 
tableau  de  ses  funérailles  (au  Musée  de  Piareclone).  Maktin  Rk  d.  lu  oakho  ZA>E\cois, 
Francisco  Domingo.  Ethjakdo  Rosaeès.  Ramon  Rudkii.ii:/,  la  ])lupart  camarades  du  maître, 
jusqu'aux  plus  jeunes  ..romains".  José  X'ilmj.as.  né  à  Sé\ille  en  1848.  José  I-îenlucke 
Y  GiL,  né  à  Valence  en  1855.  Exkkjue  Sekr.\,  né  à  Barcelone  en  1860,  celui-ci  iirescjue  italien, 
qui  s'est  depuis  tourné  \'ers  le  paysage,  on  ne  distingue  j)lus.  un  ])eu  à  part,  (jue  Francisco 
Pr.\pilla.  né  en  1847  à  Mllanueva  de  (lallego  (près  Saragosse)  fixé,  lui  aussi,  à  Rome  et  connu 
par  des  compositions  historiques  d'un  dramatique  pittores(]ue.  telles  (pie  son  tableau  émouvant 
de  Jeanne  hi  I-o'/e.  rpu  obtint  un  grand  succès  ])ublic  et  une  médaille  d'or  à  l'exposition 
universelle   de    1878:   (in   encore   José  Moreno  CARr.oxEl^().  lui  aussi  jieintre  d'histoire  anec- 


dotique,  qui  a  illustré  avec  verve  celle  de  l'illustre  chevalier  Don  (huchulte  de  la  Manche. 
C'est  enfin  l'incomparable  dessinateur  Daniel  \'ieroe  l'RKAr,iET.\  (1847—1004).  «pu  a  vécu 
constamment  à  Paris,  où  il  s'est  fait  une  légitime  et  grande  réputation  après  les  C.igdux.  les 
Meissonier,  les  Edmond  Murin.  par  ses  \-ives.  nerveuses,  pittoresques  et  expressi\-es  illustrations 
des  TravaiUcuYS  de  la  Mer.    de  l'Homme  qui  rit.   de  Don  Ouiehotte.  .m  de   l'ahU^  de  Ségovic. 

Arrivant  droit  aux  générations  qui  se  sont  distinguées  dans  les  dix  dernières  années 
du  siècle,  on  constate  un  essor  nouveau  dans  l'école,  des  préocciq.mtions  d'un  caractère  plus 
élevé  dans  le  choix  du  sujet  et  dans  la  technique.  On  renonce  aux  jMiérihtés  du  genre  costumé 
et  aux  habiletés  écœurantes  pour  regarder  la  \-ie  et  la  natme  de  jilus  près  et  la  traduire  avec 
plus  de  franchise  et  de  vaillance. 

Tout  ce  mouvement  nouveau  vient  de  N'aleiice,  du  pays  basque  et  surtout  de  Barce- 


362 


La  Peinture   au   XIX'   siècle. 


lonc.  Le  premier  qui  iiiari[ua  a\'ec  éclat  un  retuur  à  une  vision  [)]us  saine  est  Joaouim 
SoKOLLA  Y  Bastiha.  Il  est  né  à  \'alence  en  1862;  il  étudia  dans  son  pays.  En  1883,  il 
obtint  un  premier  succès  a\ec  une  ]3einture  exposée  à  Madrid:  Le  _'  mai  1808,  épisode  de  la 
résistance  espagnole  contre  Napoléon,  exécuté  dans  le  goût  alors  courant  dans  la  péninsule. 
Il  obtint  la  pension  jxiur  Rome,  séjourna  à  Paris  et  ce  passage  fut  décisif  pour  son  talent  en 
l'orientant  décidément  vers  les  spectacles  de  la  vie  et  de\-ant  les  phénomènes  de  la  nature. 
Il  retourne  en  Italie,  séjourne  quelque  temps  à  Assise,  ri'\-ient  en  Espagne  en  1892  et  à  ce 
moment  commence  sa  carrière  avec  sa  Barque  de  halage  liréc  par  des  boeufs,  exposée  au  Salon 
de  1895  et  qui  fut  acquise  par  l'État  pour  le  Luxembourg.  On  y  sent  nettement  l'influence  des 
tendances  du  groupe  de  Bastien  Lepage.  Sa  palette  est  alors  assez  grise:  peu  à  peu  elle  s'éclaire 
et  s'échauffe   et  il  cherche  des  effets  lumineux  et  colorés  dans  le  sentiment  de  Besnard  ou  de 


Hkrmrn   .\ni;i,  \ii,\   v  Cam,\r\  a. 


;ile"  (Mii^cf  du  Luxembourg). 


Zorn.  mais  avec  un  éclat  très  intense,  très  particulier,  comme  seuls  peuvent  le  donner  le  ciel 
et  la  mer  du  Midi.  Il  ])eint  des  portraits  enlevés  de  verve  et  avec  caractèiT  et  des  scènes 
de  la  vie  des  pécheurs  de  la  petite  plage  de  Ja\'er  où  il  passe  jilusieurs  mois  tous  les  ans:  les 
Raccomodeurs  de  filets,  les  Repriseiises  de  voiles,  la  Bénédietion  des  bateaux.  Soleil  du.  soir,  etc. 
Une  exposition  de  Sorolla  a  on  lieu  aux  (raleries  ("icorges  Petit  en  iqo6  et  a  été  couronnée 
par  im  grand  succès. 


Plus  jeune  de  S  ans,  il  est  né  le  26  juillet  1870  à  Eibar  (Guipuzcoa),  Ignacio  Zuloaga 
Zab.aleta  est  originaire  d'une  vieille  famille  bascjue  et  fils  d'un  artiste,  Placidio  Zuloaga,  qui 
s'est  particulièrement  distingué  dans  l'art  tout  espagnol  du  ter  damasquiné.  Le  Luxembourg 
possède  un  coffret  de  cet  habile  ciseleur-damasquineur.  Sou  éducation  s'est  faite  sous  la 
direction  de  son  père,  mais  d'elle-même,  en  dehors  de  t.iute  école,  bien  qu'avec  un  respect 


Ecole   <,-s[)a!4n()K'. 


36. 


ivligifux  pour  les  maitivs.  Il  rst  \v  pinnirr.  in  I';>i>,i^ur,  c|iii  ^oit  revenu  wrsdoy.i,  \'élasque^ 
et  le  Greco,  que'Zuloaga  ne  nnninn'  cpie  cdinmi  l'en  parh-  (le>  dit-ux.  Aujourd'hui  que  le 
succès  a  répondu  à  son  talent,  sa  seule  joie  en  dehors  du  bonheur  de  peindre,  est  de  dénicher, 
dans  tous  les  coins  d'Espagne,  des  morceaux  de  ses  maîtres  de  prédilection.  Aussi  se 
rattache-t-il  à  eux  en  ligne  directe  et  sans  aucun  intermédiaire,  si  ce  n'est  quelques  regards 
sur  Manet.  Ses  débuts  suscitèrent  une  violente  hostihté  dans  son  pays  et  ses  tableaux  furent 
refusés  par  le  jury  espagnol  en  1900.  Sa  première  peinture  fut  son  jM-opre  poitrait  exposé  à 
Paris  en  1S98,  puis  en  1.S99,  les  deux  Portraits  si  vi\-ants.  si  alertes,  si  subtils  de  coloration, 
de  ses  cousines,  où  il  y  a.  avec  une  jialette  si  rare  de  tons,  on  n(/  sait  cpiel  mystère  charmant 
qui  fait  penser  à  ses  maitres  et  à  \Mustler.  Son  nom  lut  tiré  au>siti;it  de  la  foule  et  sa 
réputation  alla  grandissant,  les  années  suiwintes,  aux  Expositions  de  Bruxelles,  de  Munich  et 
de  Venise.  Les  Musées  d'Europe  ou  d'Américjue  se  dispiitèrent  ses  reuvres.  Tous  ses  sujets, 
ou  du  moins  presque  tous  sont  pris  dans  la  vie  populaire  des  villes  d'Espagne:  danseuses, 
toreros,  gitanes,  courtisanes,  poètes  ou  impro\-isateurs  locaux,  ([u'il  traite  avec  un  large  stvle. 
fortement  coloré,  en  riches  matières  n 
avec  des  accords  de  tons  très  raffini  - 
Par  ses  tendances  et  ses  goûts,  Zuloag 
qui  vit  principalement  à  Paris,  s'e-i 
rattaché  au  groupe  des  Encien  Simon 
Charles  Cottet,  René  ^Ménard,  etc.  l'n^ 
autre  physionomie  tout  à  fait  à  pai 
dans  l'école  espagnole,  à  côté  de  Zuloag, 
est  un  camarade  et  contemporain  Hei 
MEN  Angl.^d.a.  y  C.-^m.a.r.\s.\.  ué  à  Barc' 
lone  en  1872.  Son  père  était  fabricant 
de  carrosserie  et  faisait  de  l'aquarelle  en 
amateur.  Il  le  perdit  lorsqu'il  n'a\'ait  que 
sept  ans.  Sa  vocation  s'était  montrée 
par  de  naïfs  modelages.  .Après  quelque 
résistance  de  la  part  de  sa  mère,  il  obtint 
d'être  envo\-é  au.x  cours  de  l'Académie. 
Il  commença  par  des  études  de  ])aysage. 
\'enu  de  bonne  heure  à  Paris,  il  étudia 
pendant  quatre  ans  avec  Jean-Paul  Laurens  et  Benjamin  Constant.  Mais  ses  regards  étaient 
tournés  d'un  tout  autre  côté.  11  était  séduit  par  les  aspects  de  la  vie  parisienne  et  vivement 
intéressé  par  les  artistes  qui  s'étaient  essayés  à  la  traduire,  parmi  les  impressionnistes,  surtout 
parmi  ceux  de  la  dernière  génération,  tels  que  Toulouse-Lautrec.  C'est  de  préférence  le  Paris 
nocturne  qui  l'attire  avec  l'éclat  de  ses  lumières  artificielles,  des  projections  électriques,  qui 
exaltent  les  couleurs  a\-ec  une  sorte  d'intensité  fébrile  et  qui  met,  sur  les  masques  tardés  des 
courtisanes,  des  accents  étranges  et  fantastiques.  Il  a  peint  ainsi  nombre  de  sujets  de  cafés- 
concerts  où  se  promènent  des  figures  spectrales  de  filles  luxueusement  empanachées  et  parées, 
avec  une  richesse  d'accirds  (jbtenus  par  des  coult.-urs  qui  ont  quelque  chose  de  surnaturel,  un 
accent  à  la  fois  voluptueux  et  macabre.  C'est  bien  im  art  issu  du  \-ieux  f(jnds  espagnol.  Anglada 
a  peint  aussi  nombre  de  scènes  et  même  des  figures  de  grandeur  nature  de  son  pays:  gitanes, 
danseuses,  et  jusqu'à  des  natures  mortes,  avec  cette  palette  magique.  Le  Luxembourg  possède 
de  cet  artiste  un  groupe  de  Bohcniiois,  donné  par  le  baron  Henri  de  Rothschild. 

La  ville  de   Barcelone   a   vu  encore  naitre  le  décorateur  José  M.\ki.\  Sert,  (pii  vit 
à  Paris  et  y  a  exécuté  les  \-astes  décorations,   dans  un  goût   classique  et   michelangelesque. 


Kl  >LSOI.    (S.XNTlAi 


a  E.i,. 


'Jj 


4 


La  Peinture  au   XIX''  siècle. 


dénotant  un  IrinpiiMiiirut  jicu  Drdinalrc.  jxiur  la  catlii'dralc  ilc  \H  h  ;  les  peintres  Bakkau, 
Casas,  et  le  pa\sa,i,M'-te  Inîtsinoi,  (Samia(,()),  né  en  iN()i.  l'.'intiv.  critKiue.  aiitenr dramatique, 
ce'.ui-L'i  est  une  ]>li\si(iniiune  exeeptinnnelle  et  même  uuKjur  daus  la  peinture  espagnole  de 
paysas;e.  Après  a\(iir  \()ya,t,'é  en  Italie,  en  France  et  en  Hollande,  il  trouva  sa  voie  en  1896 
en  parcour.int  rAndalou>ie;  il  y  pei,t,'nit  les  vieux  jardins  de  (irenade  avec  leurs  verdures 
taillées,  leurs  fontaines  de  marbre,  leurs  ^■/e;-;(-/'((.s.  leur  ..ar(iuitectura  verde":  il  fut  le  Lobre  ou 
le  Helleu  des  jardms  d'Mspagne,  de  (n-enadc  à  ^lalaga.  île  Cordoue  à  ^lajorque.  Le  Luxem- 
bourg possède  deux  de  ses  toiles  d'un  accent  xraimcnt  si   local. 

Il  reste  à  signaler,  dans  les  scènes  de  la  vie  réelle,  les  noms  de  Pinazo  Martine/,  Carlos 


Vasquez,  .Menender  l'idal,  Filhol  y  (^ranel,  Checa,  Kamon  Pichot.  Castelucho,  Cardona,  etc.; 
pour  le  paysage,  ceux  de  ^Morera  et  de  Aureliano  de  Beruete  (né  à  Madrid  en  1845),  célèbre 
autant  par  ses  savants  écrits  sur  les  maîtres  du  passé  que  par  ses  vues  de  Tâjire  Tolède. 


ECOLE  ITALIFINNI-:. 

L  Italie  est  loin,  sans  doute,  d'avoir  repris  la  place  (lu'elle  occupait  jadis  dans  les  arts, 
à  la  tète  de  toute  les  nations,  l'ne-  si  longue  et  si  prodigieuse  lloraison  devait  amener  une 
pérKjde  d'épuisement  ou  du  moins  de  ralentissement.  De  jilus  l,i  situation  critique  qui  lui 
fut   faite  pendant    les   soixante  premières   années  du  siècle  n'était  guère  propre  à  favoriser  le 


Ecole   ilalK'nnc. 


relèvement  des  arts.  'lOiit  l'rllurl  du  ,i;riiir  italim  est  conecntic  \  rrs  un  >c\il  t^rand  liut  : 
conquérir  l'indépendance  et  eonstituir  l'imite  de  la  n.itien.  II  ist  au>^i  une  caiisf  <iiii  retarda 
l'éclosion  d'une  \"éritable  école  lneale.  c'est  l'insasinii  même  de  l'Italie  ])ar  <le>  colnuies  iniKim- 
brables  de  peintres  étrantjers.  l'dle  est  restée  tdujour.--  le  terntuire  sacré  où  toutes  le>  écoles 
viennent  prendre  contact  a\ec  les  plu>  niil)les  imagination>  du  [lassc'.  iM'an.ais.  Allemands. 
Anglais,  espagnols  s'\-  sont  installes  par  des  fondations  à  demeure,  ou  \-  ont  t  u\o\-é  leurs  jeunes 
artistes.  Il  en  est  résulte  sur  un  peuple  de  com])réhension  ra])i(le.  assinnlateur  et  imitateur 
comme  les  \'raies  races  artistupies.  une  adaptation  étroite  à  toutes  les  inllueiices  étrangères. 
Ce  phénomène,  m.inifeste  d.ms  toute  l,i  jiremière  période  de  ce  dévelo])])ement  d'un  siècle,  est 
encore  sensible  de  notre   temps. 

L'unité,  qui  est  com]>lète 
au  point  de  \-ue  jiolitiipie.  ne  s'est 
du  reste  pas  encore  produite'  entière- 
ment dans  le  domaine  des  arts,  et  il 
y^a  moins  une  école  italienne  (|u'une 
série  de  petits  groupes  ])ro\'inciair\ 
assez  distincts,  malgré  les  transfuges 
qui  passent  d'un  milieu  dans  l'autre. 
Au  début  du  siècle,  l'inlfuence  de 
David  et  des  français  établis  à  Rome, 
dont  rieu\"re,  comme  celle  de 
Léopold  Robert  et  de  Schnet/;.  est 
consacrée  à  la  glorification  de  l,i  \ie 
populaire  italienne,  ne  peut  manquer 
de  s'exercer,  et  les  peintres  d'histoac 
Camucini  puis  Stepliano  l'ssi  ne'  sont 
que  des  pâles  reflets  de  la  tradition 
classique  fran7aise.  continuée  par  les 
romains  (iustax'o  Simoni  i.'t  .\ugusto 
Corelli. 

C'est  du  sud  que  \int  le 
premier  mouvement  d'émancijia  t  Ion . 
avec  le  napolitain  Domexko  Me 
RELLi,  né  à  Santa  Lucia  le  zi)  .loi'il 
1826,  mort  à  Xaples  le  24  août  njoi. 
Enfant  du  peuple,  il  fut  un  instant 
apprenti  mécanicien  et  sui\it  tout 
jeune  les  coiu's  de  l'Académie,  où 
il  se  m(jntrait  assez  rebelle  au.\  lei 
des  œuvres  d'art  et  la  lectur<'  des  p( 
d'Overbeck  et  des  Nazai 
sacrés.    ;\Iais 


|ii>i;rii  i>K  Ni  lus 


l.a  IMacc  aes  Pvr 


.les  (.\Iiisrc  .lu  I.uxfmli. 


US  (|ui  lui  et.uent  données.  I''.x,ilte  iiar  la  conleinpl.itiou 
tes.  il  suivit  droit  son  cliennu  et  ,illa  étudier  à  Rome  ])rès 
d'où  \-int  s.ins  doute  ce  goût,  ([u'il  eut  toujours,  pour  les  sujets 
m  tempérament  \  igoureii.\  et  réaliste  ne  pou\-.ut  s'accoiunioiler  à  ces  doctrines. 
II  voyagea  en  Allemagne,  en  .Vngleterre  et  en  France,  où  il  si'iiible  qu'il  .lit  été  touché  par 
Delacroix,  dans  toute  sa  gloire  au  moment  où  il  commence  sa  c.irrière.  en  1.S33,  a\-ec  les 
Iconoclns/cs.  Ses  peintures  religieuses.  ,s„.//  ,■/  Duvid.  F Ascrnsioii .  ht  Dcpusitinii  de  Croix,  le 
Christ  iiuirchant  sur  la  Mer.  lu  l-'illc  de  Juïrc.  1' I:\/^itlsiiiii  des  iiiurcluiiids  du  l'cmMc.  Marie 
Madeleine,  la  Tentation  de  Saint  Ant"ine.Mnn  conçues,  en  effet,  dans  le  goût  de  l'orient. ilisuie  tout 
nouveau,    et   avec    un    moin'enient.  une  couleur  et  une  force  e\])ressi\-e  .ibsolunieiit    inconnus 


-^66 


La   Peinture   au   XIX'   siècle. 


alurs  dans  la  péninsule  Morulli  fonda  en  1863  la  Société  ])romotrice  des  Beaux-Arts  qui  fut 
le  point  de  départ  du  mou\-ement  de  rénovation  artisti<|uc.  11  fut  professeur,  puis  directeur 
de  l'Académie  royale  et  du  .Musée,  et  sénateur.  Il  y  eut  dès  lors  à  Naples  tout  un  mouvement 
artistique  que  vint  déx'elopjicr  plus  tard  le  séjour  de  Fortunv  et  le  prestige  qu'il  e.xerça  autour 
de  lui.  II  \'  avait  eu  déjà,  du  reste,  un  certain  nombre  de  paysagistes,  d'esprit  assez  libre, 
dégagés  des  anciennes  formules  et  s"(jrientant.  srmble-t-il.  \-ers  les  romantiques  français,  tels 
que  GiAi'iXTO  CiiGAxri-:  (1M05 — 1S76),  qui  rappelle  de  loin  notre  Isabey. 

C'est  de  Naples  que  vint  encore  la  physionomie  cosmopolite  de  Joseph  de  Nittis. 
Né  en  1846  à  Harletta.  dans  les  Fouilles,  il  vint  tout  jeune  à  Naples,  où  il  entra  à  l'école  des 
Beaux-.\rts,  après  la  mort  de  son  père  et  malgré  ro[)ji(>sition  de  son  frère  aîné  qui  était  son 


l'AiJLo    Mk'HETTI. 


tuteur.  Il  exposa  pour  la  première  fois  à  l'âge  de  18  ans  à  l'Exposition  de  la  Société  promotrice 
de  Naples,  et  vint  en  France  en  1867.  Il  s'y  maria  en  1869,  première  année  où  il  e.xposa  au  Salon. 
Il  fut  séduit  aussitôt  jiar  la  \'ie  parisienne  et  les  maîtres  français;  il  \-oyagea  en  1876  et  1877  à 
Londres,  où  il  peignit  divers  tableaux  londoniens,  tels  que  le  Derby  :  mais  c'est  à  Paris,  qu'il 
vécut  surtout,  touchant  de  près  le  milieu  impressionniste.  Son  joli  tableau  si  lumineux  de  la 
Place  du  Carrousel,  exposé  en  1883,  fut  acquis  par  le  Gouvernement.  Le  Ministre  ayant  regretté 
qu'on  ne  pût  acquérir  en  même  temps  la  Place  des  Pyramides,  de  Nittis  racheta  cette  toile 
à  la  Maison  Cioupil  et  l'offrit  à  l'I^tat.   Il  mourut  à  Paris  le  21  août  1884. 

On  peut  rattacher  à  l'école  napolitaine,  bien  qu'il  ait  eu  une  carrière  tout  à  fait  à 
part,  FR.AXCisro  P.aolu'Mk  hktti,  né  à  Tosco  de  Casauria,  dans  les  .Abruzzes,  le  2  octobre 
1851,  mais  qui  étudia  tout  jeune  près  de  ■Morelli,  à  Naples,  en  compagnie  du  sculpteur  Gemito 
et  de  ]\Iancini.    Sa  première  manière  est  toute  dans  le  goût  précieux  et  minutieux,  alors  à  la 


Ecole  italienne. 


367 


mode  à  Xaples.  fuis  il  abandonna  ces  tableautins  ingonieuN  jxmr  se  li\rei  à  de  \astes  com- 
positions, conçues  un  peu  en  décor,  d'une  exécution  résolue,  a\ec  une  extraordinaire  habjleté 
et  même  une  véritable  force  expressive.  Le  Vœu,  à  la  Galerie  d'art  Moderne  de  Rome,  la 
Procession  des  Estropiés,  exposée  à  Paris  en  1900.  la  Fille  de  Jorio.  épisode  de  la  \ie  populaire 
des  Abruzzes,  Galerie  Nationale  de  Berlin,  récompensée  d'une  médaille  d'or  à  rExp(jsition 
internationale  de  A'enise  en  1895,  sont  des  ccuxTes  vi\-antes  et  hardies,  traitées  a\-ec  un  sen- 
timent rare  des  robustes  réalités. 

Antonio  Mancini.  né  à  Ktmre  en  1832  peut,  de  même,  être  rattaché  à  ce  groupe.  Il 
passa  à  Naples  ses  années  d'adolescence  et  étudia  sous  la  diicction  de  ]\Iorelli.  C'est  là  aussi 
qu'il  a  exposé  ses  premières  (eu\-res:  Aime  ton  prochain  comme  toi-mànc  et  les  Fils  d'un  ouvrier 
(1877).  Il  a  peint  nombre  de  portraits  d'une  technique  robuste  et  colorée,  recherchant  l'effet  et 
l'éclat  jusqu'à  incorporer  dans  la  pâte  des  frag- 
ments de  nacre  ou  des  paillettes  de  métal.  Il  y  a 
beaucoup  de  ses  portraits  en  Angleterre  où  il  est 
très  prisé.  Le  Petit  Ecolier,  du  Musée  du  Luxem- 
bourg, œuvre  d'une  époque  déjà  éloignée  est  un 
don  du  peintre  Ch.  LandeUe. 

C'est  ensuite  vers  le  nord  que  le  mouve- 
ment s'est  continué,  dans  le  Piémont,  en  Lom- 
bardie,  à  \'enise.  La  ville  des  doges  est  le  dernier 
coin  de  ciel  privilégié  où  se  soit  prolongé  le  rayon- 
nement de  la  grande  tradition  passée.  Le  séjour 
des  étrangers  enthousiastes  qui  viennent  en  hxei 
les  aspects  uniques  au  monde,  a  sans  doute  été 
un  stimulant  pour  les  maîtres  locaux.  Ils  y 
accueillirent  les  premiers,  semble-t-il.  le  renou- 
veau, venu  de  Naples.  Gi.\como  F.wketto.  né 
à  Venise  le  11  août  1849.  mort  le  12  juin  1887  et 
LuiGi  NoNO,  né  en  1S50  à  Fusina,  reprennent  ce 
mouvement  avec  une  \er\e.  un  esprit,  un  senti- 
ment pittoresque  des  réalités  et  une  fermeté  dans 
la  technique,  qui  sont  de  belle  race. 

Le  tj'pe  du  peintre  \énitien  par  excellence 
est  aujourd'hui  Ettork  Tito,  bien  qu'il  appar- 
tienne par  sa  naissance  à  l'Italie  méridionale.  Il 
a  la  grâce  facile  et  légère,  les  tonalités  argentées, 
la  fluidité  atmosphérique,  l'élégance  et  la  vivacité  de  ses  ancêtres  du  X\TIL'  siècle.  Il  est  né 
à  Castellamare  di  Stabia  en  1859.  vint  de  bonne  heure  à  \'enise,  où  il  fut  élève  de  Fa\Tetto. 
Toute  son  œuvre  est  à  la  gloire  de  la  grande  cité  marine,  dont  il  a  peint  les  jolies  filles, 
'Vénitiennes  ou  Chioggiottes,  réunies  sur  les  jondamenta,  à  blanchir  le  linge,  à  raccommoder  des 
filets  ou,  sur  les  places,  à  bavardei  au  milieu  de  l'animation  des  marchés.  Il  a  traité  aussi 
la  grande  décoration  avec  un  certain  maniérisme  aimable  et  distingué. 

On  trouve  ensuite  toute  une  série  d'artistes  très  intéressants,  peintres  de  paysages. 
de  marines  ou  de  sujets  de  la  \ie  populaire,  tels  que  Pietro  Fr.^gi.acomo.  né  à  Trieste  en 
1856,  qui  s'est  formé  à  l'Académie  de  \'enise  et  s'est  voué  à  peindre,  avec  de  chaudes  colorations 
doucement  amorties,  des  scènes  de  r.\driatique:  le  \'éronais  Axgelo  Dall'oca  Bi.\nca,  né  en 
1858,  qui  réside  dans  sa  viUe  natale,  dont  il  raconte  la  vie  quotidienne  en  tableaux  fortement 
colorés,    d'une  jolie  sensibilité  naturaliste  avec  un  certain  accent   britanniciue  à  la  W'alker. 


..    M.A 


tlu  Luxembourg). 


368 


La   Peinture  au   XIX'   siècle. 


Fk.  Sartorklli,  FiiKKi'(  CIO  ScATTOLA,  Mario  VoLi'i  OU  di's  pnrtraitistL's  comme  Luuh 
Selvatico  et  Alexaxdrk  .Mii.ksi.  Mais  on  ne  {xiit  manquer  de  citer  à  part  le  paysagiste 
Bartolomeo  Bezzi,  né  en  1851,  à  Fucine  in  \'al  di  Solo,  dans  le  Trentin,  qui  étudia  à 
l'Académie  de  Milan,  et  a,  dans  son  talent  souple  et  enveloppé,  de  la  tendresse  et  du  mystère 
d'un  Corot  ou  d'un  Mau\e;  entin,  la  famille  Ciardi,  avec  le  doyen  Guillaume,  né  le  13  septembre 
1842.  jieintre  des  lai,'unis  di-  la  campagne  vénitienne,  avec  de  belles  vibrations  lumineuses 
dans  l'atmosphère  autonm<ile  et  mouillée:  son  fils.  Giuseppe  Clardi,  né  en  1875,  qui  eut,  dès 
l'âge  de  \-ingt  ans.  un  vrai  succès  avec  un  grand  triptyque,  Terre  en  /leurs,  sui\'i  de  l'A  nie  de 
la  nuit,  1901,  et  des  Wiehes  à  Falireuvoir,  de  la  Galerie  Moderne  de  Venise,  esprit  pc.iétique  et 
mystique,  et  sa  S(tur  Fm.ma  Ciakdi.  qui  peint  d'e.xquises  fantaisies,  où  l'àme  songeuse  et  tendre 
de  Watteau  se  mêle  à  la  grâce  désinvolte  de  Guardi. 

L'Hmilie  offre  (pieliiues  noms  intéressants;  ceux  de  (iIovaxni  Muzzioli  (1854 — 1894) 
peintre    d'histoire    et    de    fantaisies    macabres,    influencé    par    la^ France    et    l'Allemagne  et 

f.i'iGi  Serra  (1846— 1888), 
décorateur  ingénieux  et  pitto- 
resque. C'est  encore  Marius 
PicTOR  (M.ARio  de  Maria),  né 
à  Bologne  en  1853,  mais  domi- 
cilié à  \'enise,  vigoureux  et 
mystérieux  exécutant  dans  le 
sentiment  romantique;  puis 
Cesare  Laurexti,  peintre 
d'histoire  et  de  décorations 
allégoriques,  né  à  Musole,  près 
Ferrare,  mais  fixé  à  Venise, 
enfin  le  plus  célèbre  d'entre 

tous,  BOLDINI   (GlOVANXl),  né 

à  Ferrai-e  en  1853.  Fils  d'un 
]U'intre  d'imagerie  religieuse, 
(jui  s'opposa  d'abord  à  sa 
\ocation,  Boldini,  tout  jeune, 
dessinait  en  cachette  des  sujets 
romantiques  à  la  Walter  Scott. 
Son  père,  ayant  découvert  ces 
dessins,  se  décida  à  l'envoyer 
étudier  à  l'Académie  de  Florence.  De  là  il  alla  à  Londres,  puis  à  Paris,  exécutant  des  portraits 
et  surtout  des  scènes  de  genre  dans  le  goût  de  Meiss(.)nier.  (.)U  pluti'it  de  Fortum',  des  paysages 
et  des  scènes  de  la  \ir  de  Paris.  Mais  il  s'est  distingué,  en  dernier  lieu,  par  des  portraits  d'une 
élégance  très  moderne,  d'un  maniérisme  très  aristocratique,  étatdis  a\-ec  certains  partis-pris 
de  mise  en  toile  à  la  Whistler.  une  teclini(iue  nerx'euse  et  l:)rillante  et  de  fortes  et  savantes 
harmonies,  où  le  noir  domine  On  lui  doit  les  portraits  de  Wliistler,  du  ('ointe  de  Montesquioît, 
de  Lndv  Hulland.  de  la  Dtiehesse  de  Westminster,  de  .1/""    F.  /'..  etc. 

La  Toscane  semble  a\-oir  jtroduit  plutôt  des  sculpteurs  que  des  peintres.  Rome  offre 
du  moins  deux  artistes  assez  exceptionnels  dans  l'école  moderne,  car  ils  se  sont  attaqués 
avec  vaillance  à  la  peinture  d'histoire  et  à  la  décoration.  L'un  est  Cesare  Maccari,  né  à  Sienne 
le  9  mai  1840,  qui  connnen':a  son  éducation  dans  cette  \ilk'.  étudia  ensuite  à  Florence  et  à 
Rome  et  se  fixa  dans  cette  capitale.  Esprit  laborieux,  mais  libre  et  ouvert,  il  a  revécu  le 
passé   de   Tantique  Rome  a\-ec  une  érudition  enthousiaste  et  passionnée,  et  on  n'a  pas  oublié 


?;thikk  Trn 


Sur   la   l.a,L;uiH-  ((lalerie  Mudeine  de  Venise). 


Ecole  italienne. 


369 


l'impression  produite  à  l'Expiisition  de  i88()  par  ses  cartons  pour  la  décoration  du  Sénat  italien. 
Il  a  décoré  également  la  coupole  de  la  Basilique  de  Loreto.  (iiuuo-ARiSTiDK  Saktorio  est  né  à 
Rome  le  5  février  1861.  Il  eut  pour  maîtres  José  Villegas  et  Miclietti  et  ses  débuts  furent  tout  à 
fait  dans  les  tendances  espagnoles.  Mais  il  voyagea  à  Londres,  lut  frappé  par  les  préraphaélites 
qui  exercèrent  sur  lui  une  longue  inllucnce,  sensible  dans  sa  Madone  des  Auges,  son  triptyque 
des  Vierges  sages  et  des  Vierges  folles,  etc. 
Il  a  été  appelé  à  professer  à  \\'eimar.  C'est 
un  décorateur  de  style  réel,  bien  que  sa 
manière  soit  assez  agitée;  il  a  aussi  fait  de 
la  sculpture.  La  Lombardie  et  le  Piémont 
sont  les  premiers  pays  où  s'est  peut-être  le 
plus  activement  développé  le  goût  des  arts. 
A  Milan,  l'impulsion  est  donnée  par  MosÉ 
BiAXCHi,  né  à  Monza  en  1840,  mort  dans 
cette  ville  en  1904.  C'était  le  fils  d'un 
peintre  restaurateur  de  tableaux  qui  lui 
donna  les  premiers  enseignements  sur  la 
technique;  il  étudia  à  l'Académie  Brera, 
puis  en  1859  s'engagea  dans  les  troupes  de 
Garibaldi.  Ses  succès  commencèrent  en 
1864  avec  des  sujets  de  genre,  des  portraits 
et  des  aquarelles  enlevés  avec  beaucoup 
de  verve  dans  l'esprit  vénitien;  il  a  été 
aussi  graveur.  En  1898,  il  fut  nommé 
directeur  de  l'Académie  de  \'érone.  C'est  de 
son  enseignement  que  sont  sortis  presque 
tous  les  nombreux  artistes  de  l'école  lom- 
barde. Derrière  les  anciens,  les  Induno  ou 
les  Pagliano,  qui  se  rattachent  à  l'ancien 
genre,  se  groupe  toute  une  école  de 
remarquables  naturalistes,  tels  que  Filippo 
Carcano  (né  à  ]\Iilan  en  1840),  dont  le 
Luxembourg  possède  une  belle  toile,  duii- 
pagne  dWsiago,  Leoxardo  Bazzarù  et 
GlUSEPPE  S.ARTORI,  milanais  établis  à 
Venise,  qui  en  peignent  la  \'ie  marine  avec 
beaucoup  de  sentiment,  puis  ^Morbelli 
(Angelo),  né  à  Alexandrie  le  18  juillet  1863, 
qui,  après  avoir,  lui  aussi,  débuté  dans  le 
genre  à  la  mode,  s'est  distingué  par  des 
études  très  impressionnantes  d'asiles  et 
d'hôpitaux,    à   la   manière    des   Invalides 

d'Herkonier,  avec  une  entente  réelle  de  l'effet  et  une  grande  sensibilité  de\-ant  les  jeux  de  la 
lumière.  Il  exposait  chez  nous  en  i88g  Giorni  Ultinii,  et  en  1900.  son  Hospice  Trivulzio,  très 
admiré  et  qui  a  pris  place  au  Muséi'  du  Lu.xembourg. 

C'est  le  Piémont  qui  a  eu  l'honneur  de  donner  le  jour  à  la  figure  devenue  la  plus 
populaire  de  l'art  italien  moderne:  (liowxxxi  Segaxtixi.  Voisine  de  la  France  et  assez  proche 
j)ar   les   mœurs,    cette   province  axait  subi  de  bonne  heure  l'influence  des  m.u'tres  français  et 


riu'to  Br.iu:!,  diiiicnt  \-  C:,. 
riIoVANNI   BOLDINI. 


P,irti.iit  ae  Whistler. 


3  70 


L;i   Peinture   au   XIX'   siècle. 


il  s"v  troiu-e  déjà  un  imysas^istf  de  talent,  qui  iai>])cllc  nos  naturalistes,  Antonio  Fontamcsi, 
né  à  Reggio  d'iùnilia  le  2]  lé\-rier  1818.  mort  à  Turin  le  17  a\-ril  1882,  qui  fut  appelé  quelque 
temps  au  Japon  où  il  dirigea  l'Académie  de  Tokio;  il  a  laissé  un  élève  distingué  dans  son 
biographe  Marco  Cai.dekim.  Mais  Segantini  ouvre  une  ère  nouvelle  au  paysage  italien,  il  lui 
apprend  à  traduire  les  grands  spectacles  de  la  montagne,  la  subtilité  de  son  atmosphère,  la 
pureté  et  Téclat  de  sa  lumière  ré\-erbérée  par  les  neiges  éternelles,  problème  maintes  fois 
tenté  et  jamais  résolu.  Né  le  13  janvier  1858  à  .\rco.  il  est  mort  presque  subitement  à  la 
Maloja.  dans  ITÎngaclme.  le  28  se])tembre  1899.  ()r)>lielni  de  bonne  lieure.  il  fut  d'abord  pâtre 
et  eomnicnra  ])ar  dessmer  ses  l)etes  comme  diotto.  Il  (•miiA'eilla  si  bien  cen.\  qui  l'entou- 
raient (|n'on  le  lit  partir  jiimr  .Milan  a\'ec  quelipie  argent  ])our  étudiera  l'.Kcadémie  Brera.  Il 
se    retua    bientôt    à  la     campagne,  dans  l'Engadine.  oà   il  se  fixa  a\ec  la   nombreuse  famille 


fan\,\NM  St.c;.\NriM. 


Le  Toiuleui-  (Culleclion   E.    II.   Ci 


.Ain>teri.latn  ). 


fju'il  s'était  créée.  Par  son  ami  drubicy.  de  .Milan,  ])eintre  et  marchand  de  tableaux,  il  fut 
mis  au  courant  des  (eu\'res  des  maîtres  français;  il  était  également  lié  avec  quelques  artistes 
belges  ou  hollandais.  i)ar  cpii  il  connut  le  m(un-ement  moderne.  Ses  débuts  partent  de  Millet 
ou  Troyon  j^our  arri\-er  inconscit-nunent  au.x  jirocédés  fie  l'imprt'ssionnisme.  Ses  en\'ois  à 
l'exposition  de  i8H()  ])roduisirent  une  \'i\'e  imjiression.  Il  a  traite  des  sujets  réalistes  et  ruraux 
de  la  vie  pastorale  de  la  montagne;  c'est  là  qu'il  montre  ses  plus  \-iriles  et  ses  plus  franches 
qualités;  puis  des  allégories  symboliques,  dans  l'esprit  des  (piattrocentistes  et  des  maîtres 
anglais,  où  il  est  moins  à  son  aise.  Son  procédé  de  division  du  ton  ,1  créé  tout  un  groupe  de 
divisionnistes,  réalistes  comme  Carlo  Fornara,  idéalistes  et  symbolistes  comme  G.aet.ANO 
Previati,  paysagistes  et  peintres  de  genre  comme  Anorea  Taverxikk,  Lorexzo  Delleani, 
Alberto  Falchetti.  A  signaler  encore  Giaco.mo  Grosso,  décorateur  et  portraitiste  habile. 


INDIiX  ALPHABHTlori^  1)1{S  IM-:i.\  IRHS  (  ITHS, 


gtolif. 


Abbev  (BUviii  A.). 

Acliefi  (lioorg) 

Aclicnbach 

Adaii 

Adan  (L.l 

Adler  (.Iules).. 

Agneessens  (Kd'>u:i] 
Allebt-  (Augiist)  . . . 

Allègre 

Allston  (Wasbii 

Ahna  Tadenia  i  Lawrem 

Alt  (Hiidnir  von) 

Aniaii-.lean 

Ancher  (.\iina) 

Angell  (Heiniirb  v.nil 
.\nglada  y  Cainarasal  II 

men) 

Antisna 

Apol  (Lodcwijk) 

Aranda  (.lose  Jinienes) 
Ainesen  (B"igbild). . . 

Artaii  (Louis) 

Artz  (Adcll'l 

Auburtin  (Fr.) 


naer.stsoen  (Albert).    ... 

Bail  (Joseph) 

Baretiu 

Barillot 

Baron  (.Thë.jdore) 

Barran 

Bartcls  (Han-  von) 

Baithold  (Manuel) 

Bas.-liet  I  Marcel» 

Baslikirtseir  (Marie)  .... 
Bastien-Lepago  (.Iules).. 
Baud-Bovv  (.\ugustej... 

Baiidrv  (Pauh 

Bauer  (Marius) 

Bazzaro  (l.eonardo) 

Begas  (Karl) 

Bellanïer 

Bellée  (  L.  de) 

Belly  (Léon) 

Benczur  ((jvula) 

Benjamin  Constant  (.Ira 

Joseph» 

BeidIiore  y  cil  (José)... 
BetlMis  l.xiexantlre)  . .    -. 

Béran.l  (Jeani 

Bergeret  

Bergh  (R.) 

Bernat/.ik 

Beroniieaii 

Bertun  (Armand) 

Berupte  (Aurelianu  de)  . 
Besnard  (Panl-Alberti. . 


2'i8  liailly  (Louis-Léop..ld) 

;)'ili  lioiss'ard     de    lii.isden 

;«1         .Ferdinand. 

is',  H,. l.l, ni  (laf.va.iiiii    .. 

■201  lii.ni|.ard  .  Main-  .  .'1.    , 


(  .inslable  (J..hnl 

C.pley  (J..hn  Si,igle(,.n.).. 

(  ..l'elli  (Angusl.ii 

t  '..rinon  (l-'ernaiid) 

1    .rnelius  (Peter  von) 

I    rnu  (Sébastien) 

1   ir-'t    i.lean-Baptiste-Ca- 

niillei 

C.itt.-t  diiarlesl 

(  ...irl.et  .Custavci 

Conrteiis  (Franz. 

(  .iillnre  Cl'honias) 


ikovsky  (Vladimii).  3ô'i    C: 


3'iG    lii.sli.iom  (J..hannesl 


3(53    B..nlanL'er  lly. 
Ufi    B.Milard.. 


•2(H     Breslaii  (  Lo 


iHippohtei 

?ui.,nd 

eer  (Henri  de ). 
■vn  (Franki... 
r(Ge..rseHenili 
id  (Jean) 


Hrniiillelt  (An.Iré)  . 
lir.nvn  (F.jrd  Mad.i 
lirozik  I  VaKiawi.. 

Hr.ii-k  (Lajosi 

lîrullow  (Charles)  . 

lirnni  (Th.) 

lînlVet,  (Ain.:'déi-)..  . 

Ballet  (Paul) 

Bnk..vae  (Biaise)  .. 


1,1  (  Eu 


Kvi    Bunie-Joni-s  lEilwa 

•274    liiissMii 

3119    Ba-sv  (Sim.iii) 

322    Butin  (Ulvsse) 

4(i  , 

IS'i  j  Cabanel 

110    Cailleb.tte  ((j.islav 

3'i'i    Calanio  (AusTUste) . 

Cal.lerini  (Mareoi.. 

15(1  I  Cals  (Feli.sl 

3GI  I  Caniiieini 

ffiS    Carb..uero  (Jos..  M. 
Ws    Carcano  (Filippo).. 

KO    Canl..na 

3VS    Caro-Delvaille 

34'i    Carrière  (Eugéiiei  . 
215    Carstens  (.\snius  .1 

lys    (/asas 

3Gi    Cassatt  (Miss  .Mary 

1VI2    Castelucho 

215    Cate  (Ten) 


Bezzi  (Bartoh.me..) 

.  :f)i.s 

Ca[er 

Bianca  (Angelo  l)air..eal 

1  :îC7 

Cazin  (Jean-Cl.ail, 

Blanchi  (Moséj 

.  3(i'.l 

Cézanne  (Panll... 

Bilders  iJoannes) 

.  2f>l 

Chabas  (Paul)    ..  . 

BiU.itte  (René) 

,  1'.is 

cl.arlet 

Binet  lAd.ilphe) 

.   is'i 

Chas.' 

Binet  (Vi.,-tor) 

.   ix'i 

Cliasscriau  (Thé... 

Bisschopp  (Cliristolfeh. . 

252 

Chanchet-Cinillere 

Bisschop-Robertson  ...    . 

.  2X0 

Che.-a ,  . 

Bjork  (Oscar  1 

.  34-S 

Ch.aiavard  (Paul) 

Blake  (William) 

.  -ÎM 

(  héret  (Jules)... 

Blanche  (J.) 

.  20!) 

Chiidant 

Ble.dien  (Karli 

.   322 

Ciainberlani 

Blés  (David  1  

.   201 

Ciar.li  lEnimai  ... 

Bl..mmer  (Nils) 

3'i7 

Ciardi  iCiuillaurne 

Blommers  (Bernardns  J.. 

Ciar.li  (Ciiiseppei. 

hannes) 

272 

(huis  (Emile). .   .. 

Blomsted . 

'.  353 

Clavs  (Paul-Jean), 

Boberg  (Anna) 

.  351 

(.'.ick  (Xavier  de). 

B.jch 

280 

Cogniet  (Léon) — 

B. jdmer  (Karl) 

.  314 

Colin  ((iùstave).. . 

Bo'cklin  (Arnold. 

32K 

Collin  (Raphaël,!... 

Bogoliiib..lT  (.\le\is)  ..  .. 

.  35 'i 

c..i.dcr 

Uagiian-BouveietiPas. 

A.l.lphe-Jean 

Dalfgaard  (Christen.. . 

Damove 

Dannàt  iWilliaio  M'.... 


Faiitin  — Latoiir  .Henri). 

Favrelt.i  ((iiacin... 

Fed..l..\v  (Pa..l) 

Fercncsv  

Ferrier  (Gabriel) 

Fe.ierbach 

Filh..|   v  Glaiiel    

Flameng  (Frau.-Mis) 

Flaudriu  (llipp.ilvie..... 

Flelirv 

F..iitaiicsi  (Ant ..) 

Forain 

Fnrnara  (Carlo) 

sberg  (Nils) 


F.irtiii 
Fortu 


(Ma 


rharl.?s-F 


iiar.l")., 

heUi.i.'.^ 
iPieliv.) 


IS). 


up,    ,Ale 


çs-L" 
it).. 


.■d.Tic  (Lê..ii 
ére(E,l.)..., 
iant,  (Eniihî) 
icsekc  (Fréd. 
■  ilich  iL,.renz 


laieh 
llrrli.-iia.ld. 
|leg:.siEd;;:l 

l)eli".leii.-.| 


(El 


liela 
liela 


.Elis:.-...!, 
i.die    illi|.pulyt 


Paul). 
Ilelasalle  (AulivI.-). 
Delaunav  (Eliel.  ... 
Delleai.i  (Lniei.Z"). 


Fuhri.-h  (J..seph) 

liuich 

Calinel(Paiil-.l"S.i.h-c 
staotiiii 

(;a;:liar.liiii 

(i.aillai-.l  (Cland.'-F. 
uiiiidl 

Caliiiiar.l 

(fallait  (1....11S) 

l.nllao.l  (Vi.-tor 

Galleii  (.\xel) 


rb.d. 
ardi. 


rivsse) 


llesvallières  (Georges)  210. 
Détaille   ^E.louard.    Jean- 
Baptiste) 

Deltmaiin  iLudwig.- 

D.'veria  (Achilli-l 

Dcvcr.a  (Eugène. 

Dewainbez 

Diaz  iNaici 
Diuet  (Etienne) 
Domingo  (Franci-i 
Doucet  (Lucien)... 
Doudelet  (i-harles-i 
Dr.jlling  (Martini. 
Duli,.is"(L.uis)  ... 
Dub.oug  .Victoria 
DulM.té  (Gnillaunii 
Duez  (  Efitest)  .... 
Ilul'aiu  Hélène  Cl.li 

Dnf.oir 

Duliem  1  Henri) 

'out • ■ 

l>o|.rè  (Jules) 

D.iraii  (Carolus) 

IHivl— Schwartze  (  van).. . 
Duyts  (Gustave  Den) 

Iv-kcersberir    (Clnist'.ph, 

Wdhelinr. 

Edelfeit  lAlb.-rti 

Eiebakke 

Eliot 

Ensor  (Jam.-s) 

Eslienne  id") 

Evenepiiel  (Henri) 

Exiler  (Julius). 


OUI  (Paul). 
tii.-r  lAniaii 
I  Ni.-. .las)  .  • 

Walter)... 
ai. Il    (l-'.dna 

d  i|.|auc..i 
■ault  (Thi-fJl 


(Ar 


Gerl 
(iéroiii,.  (Léon 
Gervex  (Henr 
Gi!.'ante  (Giac- 
(iisoux  (Jeaii-Fra 

lidb.M-t  (lieué)... 

Gilbert  (V.) 

Gil~M,il    (Mme.  11. 

ii-iM"-; 

Cds..iii  (Vi.-t-.r... 


M. 


(juillanmet  (Gustave). 

(iiiillaumin 

(iuiUemet  (Antoine).. . 


340    (  iuthrie  (James) 2-42 

304 

lO'i    Hallner 105 

KO    Hagborg  (Auguste) :*48 

KO    llaider  (Karl) 32K 

370    Haloneii 3.53 

175  HammershoÎ!  WillieliiO..  347 

370    llamon 11k 

34k    Hanicotte 2ol 

1115    Haiioteau Ik'i 

Hansteen  (Nils).  :J.52 

359    llarpignies  (H.-nri) 111 

2'iK  Harrison  (.Xlexanden  . . . .  248 

292    Hassam  ( (L'iiilde i 24K 

307  llaverman  (  Hendri.-k  Joh.)  279 

317    Hébert  (Erne.st) 123 

300    lle.l..iiin 105 

105    Hellen 19K 

1.K'.)  Henncr  (Jeaii-.lac.iues). . .   134 

2'iS    Hennis  i Ott.) 3.52 

347  Herk..mer  (Hubert  von)..  î'» 

120    Uerterich  (Liidwig) 32S 

33K    Heverdahl 352 

32.)  Hevmans  (Adrien-Joseph)  2SW 

Ilinna  (Bernhard) 352 

Hitchcock  (George) 2-'iK 

2.53    Hjerlow '■&! 

IK'i     ll.idler  (Ferdinand) 31  i 

lloekert  (Frederik) 34K 

14k    H..llbauer 201 

KK  ii.irmann  (  Lu.hvit.'  von)..  :«7 

2K2  Ibive  iBartb.dom.us  van)  251 

109    Ho\e  .Hubert  vaii. 251 

3.53    lluei  (Paul) t/i 

105  llumbert  (Fer.liiiaiid)...     1.55 

215  llunt  1  William    llolmau).  22S 

322    Hvnais  (Vojtech    3'i'i 

20K 

105    llsteil  (Peter) 3'i); 

3.50  Ingres  (Jean- Auguste- Do- 

24K       iiiini.iue) . .     20 

327    Iniiess  (George) 247 

14    Irminger  (W.) :t47 

24    Isatiey  (Eugène) r^G 

3'iK    Isiaëls  (Isaac) 274 

us    I-iaids  (J.izef) 260 

IK'.l 

300    Jacobsen 352 

4K    Jac.|ue  (Charles) 7K 

201     Jaernl'elt 3.53 

201    Jank 32K 


-il" 

,      |Ki 

.   209 


11  (Cl..)... 
re  (.(.harle 


G..nm..is  (de) 

Giabar  (Igo) 

(irauei  (Fran.-..îs-Mariiis 

Grasset  '. ' 

Gravesande(St..iiii  vans, 
GrinieliDid  (Johai.nes  .M.; 


-Je 


Gioiix  (Ciiarles  de) 

Giidf  (Dans) 

Cu.rm  (Ch.) 

Gueiiii  (Pien-e) 

Guignet 


J,.l 
J..I 

iaiin.:.t  (T..n 

5.'V 

Johnsen  iHjall 

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1.). 

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a..d. 

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rovine  .Coi 

)stan 

tiii)!. 

Kr 

afft  (Per).. 

3/ 


Index  xALl})habéthique  des  Peintres  cités. 


Pages 

Krover  (Peter  Severin)..  346 

Kruger  (Frantz)    322 

Knisemun  (Cornélis! 250 

Kruseinaii  (Janl 250 

Kuehl  (Gotthard) 327 


Laache  (Kristine) 

Laermans  (Eugène) 

La  Farge  (Jolnr.     

Logarde 

Lagye  (Victor^ 

LalàiiifT  (Jacques  de»-.    .. 

I^mi  (Kiigènej 

Laniorjiiière  (Fnimf'isi . . 

Lanceray  (Eugène) 

Lapaira 

Larsson  (Cari  i 

Laszlo  (Fulop) 

La  Touche  (Gaston)   .    . 

Laurens  (Albert) . 

Laurens  (Jean-Paul  i 

Laurens  (  J  -Pierre) 

Laurent  (Ernest)  - 

Laurent!  (Cesare) 

Lauth  (F.) 

Lavery  (Jnbn) 

LavieiUe    

LebasTue  

Lebourg 

Lecomte  du  Nouy 

Lefebvre  rjules) 

Legrand  (t..) 

Legros  CAIphonseï  .  , 

Leibl  (Wilhelm) 

Leistikow  (Walter') 

Leleu 

Leleux  (Adolphe  i 

Leleux  (Armand). . . 

Lenbach  (Franz  von  i 

Lepère  (Auguste) 

Lépine 

Lerolle 

Lerov  (Paul) 

Le  sénéchal  de  Kerdi-éoret 

Le  Sidaner  (Henri) 

Leslie  (Charles  R.) 

Lessore 

Lévêque  (Auguste) 

Lévitan  (Isaac)     

Levitzkv  f Dmitri  i 

Leys  (Henri) 

Lhermitte  (Léoni  

Liebermann  (Max) 

Lies  (Joseph  i . 

Liljefors  (Brun..) 

Lobre  

Louhon 

Lundbye  (Johann) 

Lunois 

Maccari  (Cenare) 

Mac-Ewen  (Walter)...   . 
Madrazo  y  Agudo  (José  de) 
Madrazo   y  Kuntz  \V     cle- 

rico  de) 

.Maignan  f  Albert! 

Makart  (lions). 

Makowsky  (Constantin). . 
Maliavine  (Philippe)    .    .. 

Mancini  (Antoninj 

Manet  (Edouard) 

Marcke  (Van) 

Marées  (Hans  von) 

Marilbat  (Prosper) . . 

Maris  (Jacob) ... 

Maris  (Matthvs) 

Maris  (Willem) 

Marslranil  (V.) 

Martel  (E  ) .. 

.Martin  (Henri) 

Martin  (Ilûiiier) 


Ma)-ti.i  (Wiiislow) : 

.Martinez  (Pinazo) : 

Matevko  (Johann-Alosius)  ; 

.Matisse  (H.) : 

Mauve  (Anti>n) : 

Max  (Gabriel) : 


a.v. 


Pl'orr. 


)2U 


Mehofer 

Meissonier     (Jean-Louis- 

Ernest)  

Melbve  (Anton) : 

Melchers  (Oari) ' 

Melirla...    

Melville  (A)-thii.) 

Ménard  (René) : 

Mej)n  (liartbelemv) 

.Menzel  (.\d..lpb).'. 

Mei-son   (L)ic-(  )livier) 

Mesdag  (llendi-ik  Willen)) 
.Mesdag-Van  Houten(Mme 

^^iria) : 

.Meulen   (Pieter) : 

.Meunier  (Constantin)....  ' 

Mever  (Ernest) : 

Miil-hallon 

\liflicl  iiieoiges) 

Mi.'iirttii  I  rancisco  Paolo) 


\lil.,i  i.\l.  x.indre)..- 
Mcll.iÉ--  (John  Evei-ett). 

.M]||er  (Richard) 

.Millet  (Jean-François). . 
MoU 


onDceili  (.\dulphe). 
orbelli  (Angelo).... 
nreau  (Gustave).. . 


orizôt  (Berthe)- 

orot  (Aimé) 

orot  (Aimé-Nicolas).... 

orren  (George) 

otte  (Emile) 

ottez  (V'ictu)'- Louis ).. .. 

oiissatof  )  Victoi-) 

uenier 

nller  (Johannes) 

unkacsy(.MichelLiebdit) 

unthe  (Gerhai'd) 

uzzioli  (Giovanni) 


N'avez  (Fram-ois  Joseph) 

Neubuys  (.Mbert) 

Neuville  (Alphonse  de).. 

Néziére  (J.  de  la) 

Nicolet  . 


eph  de) 


\l!<s  Klisabeili). 


359    OlefTe  (Auguste) 


(Drchanlson    (William 

Quiller) 242 

(Jrsel su 

Osterlind-(Allan) '.m 

Ottin 141 

Overbeck  (Frederick  Joh.)  319 

Pal  (Ladislas  de) 340 

264    Papetv    80 

2(57    Pasternak  (l.éonid) 3.-)S 

260    Pauli  ((;eorK. 34K 

345    Paoli  (Hanna  34.S 

215    Paulsen  (Julius) 346 

202  Pausinger  (Clemens  void  344 

24.S    Pedersen  (Vigg.i) 3'i7 


Philipsen  (Theodor) 347 

Pieneman  (.lan-Willeni)..  250 

Pieneman  (Nicoiaas) 250 

Pichot  (Ramon) 364 

Picou 118 

Pietor  (Marins) 368 

Pidal  (ilenenderj. .  • 364 

Piot  (René) 216 

Pissaro  (Camille) 1H2 

Plageman  (  Karl) 347 

Pointelin  (Auguste) 1S4 

Poterlet 44 

Potter  (Maurice) 206 

Pradilla  (Francisco; :J61 

Previati  (Gaetano) 370 

Prinet 209 

Prouvé  (Victiu-) 198 

Prud'hon  (Pierre) 20 

Puvis  de  Cbavannes 
(Pierre-Cécile) 169 

Quignon  184 

(juost 184 

RafTaëlli  (Jean-Fiani;ois) .  196 

Régamey  (Guillaume) 150 

Regnaul't  (Henri) 151 

Regnault    (Jean-Baptiste)    10 

Rehfous 317 

Renard   (E.) .  201 

Renoir  (Auguste; 179 

Répine  (Ilja   Jesimovitch)  355 

RevoiL, 80 

Ribarz    340 

Ribot  (Théodule) 147 

Ricard  (Gustave) 125 

Richard 80 

Richeinond  (do 201 

Ricketts  (Ch.)    242 

Rico  (.Martin) 361 

Rissaneu 3.53 

Robert  iLéopobl) 54 

R..bert  (L.  P.) 315 

Robert— Fleury  (Jean  Ni- 
colas)   Itvt 

Robei-t— Fleurv  (Tonv)...  154 
Roche  (Alexander) .......  242 

Rocheg]-osse  (Georges)  ..  202 

Rocbussen  (Charles) 25! 

Rodrigiiez  (Ramon) 361 

Roelofs  (Willem) 252 

Rùhrich  (Nie.  .las; 355 

RoU  (Alfred-Philippe) 186 

Ronai  (Rippl) ■ 344 

Ronner  (Henriette) 280 

Rops   (Félicien.  Joseph. 

Victor) 308 

Roqueplan 4ti — 56 

R.jsalés  (Ed(.ardo) 361 

Rosenboom  (Marga]-etha).  280 
Rosetti    (Galjriel    Charles 

Dante) 224 

R..nauU 215 

Rousseau  (Théodore) 67 

Rovbet  (Ferdina])d)  148 

Rover  (Henri) 190,  201 

Rusinol  (Santiago; 364 

Rysselberghe  (van;..  182,  301 


s.-li.iriii.iii  lAiidreas).. 

>illlll    iK..lj._Tt) 

ciiipgel. 


Sch  nctz  (Viol  or) 53 

Schnorr      von    Carosfeld 

(Ludwig)  338 

Scliram)n-Zittau  (Rudolf)  328 

Schwabe  (Carlos) 316 

Scbxvind  (.Moritz  von) 338 

Sei.'antir)i  (Giovanni) 369 

Seivatico  (Luigi) 368 

Sei-ow  ( Valentin) 357 

Séria  (Knrique) 361 

Scri-a  (Luigi) 368 

Sert  (José  .Maiia)   363 

Seurat 182 

Shadow  (Frederick 

Wilhelm) 321 

Sbaiinon  (Charles) 243 

Sicmiradsky  (Henri).     ..354 

Sigalon  (Xavier) 41 

Signac    182 

Simon  (Lucien) 210 

Simonau  (François) 282 

Simoni  (Gustavo)   365 

Sinding  (Otto) 352 

Sislev  (Alfred) 183 

Sjobérg 3,51 

Skarbina  (Franz) 328 

Skovgaard  (Joachim) 347 

Skovgaard  (Niels) 347 

Skovgaard  (P.  Ch.) 345 

Skredsvig  (Christian) 352 

Soest  (L.  van) 280 

Somof  (Constantin) 358 

Sonne  (J.  V.) 345 

S.)ot  (EvL.f) 352 

Soroll;i  y  Bastida(Joachim)  362 

S.iurikof  (Vassily) 355 

Steinhausen  (Wilhelm)...  328 
Stei  nie  (Jacob  Eduard  von)  338 

Steinlen 315 

Stenersen 352 

Stengelin 315 

Stevens  (Alfred) 288 

Stevens  (Joseph) 288 

Stûbbaerts  (Jan) 294 

Sti'Km  (Halfdan) 353 

Struvs    (Alexandre-Théo- 
dore. Honoré) 3i  2 

Stuart  (Gilbert; 244 

Stuck  (Frantz  von) 335 

Suède  (Prince  Eugène  de)  351 

Sully  (Thonms) 244 

Szinyei-Merse  (Paul  von)  344 


Tannoer  (.Marie) 352 

Tassaert  (Octave) 88 

Tattegrain  (Francis)   201 

Tavernier  (Andréa)  370 

Tegner  (Hans) 347 

Ten    Kate  (Herman; 251 

Thaulow  (Fritz) 353 

Theghestrom  (Robert)  ..  34S 
Tholen  (Willem  Bastiaan)  275 

Th. .nia  (Hans) 333 

Thomas  iHenri) 312 

Th.  .rasen  (Cari) 347 

Thoren  (Otto  von) 340 

Tieck 319 


Sabatte  201 

Salmson  (Hugo) 348 

Sandreuter  (Hans) 314 

Sargent  (John) 247 

Sartorelli  (Fr.) :J68 

Sartori  (Giuseppe) 369 

Sartorio  (Giulio.  Aristide)  369 
Scattola  (Ferruccio) 368 


Tissot  (James). 

Tito  (Ettore) 

Toorop  (Jan)    

Toulouse-Lautrec    (Henri 

de) 

Tùurnemine 

Troncy  .   

Ti'ovon  (Constant) 

Trubner  (Wilhelm) 

Turner  (Joseph  W.).   . . . . 


Pages 

Tusquets  (Ramon) 361 

Tuxen  (L.  R.) 347 

Tyr  (Gabriel) 80 

Uhde  (Fritz  Karl  Hermann 

von) 327 

Ulmann 209 

Urrabieta  (Daniel  Vierge)  361 
UsEi  (Stephans) 365 

Vallet 315 

Vallotton 315 

Vasnetzow  (Victor) 355 

Vasfjuez  (Carlos) 364 

Vautier  (Cari 315 

Vautier  (Otto) 315 

Veit 320 

Venetzianow  (Alexis) 354 

Verdier 105 

Verescbîigin  (Vassily  Vas- 

siliewitch) 355 

Verhaeren  (Alfred) 293 

Verhmeren  (Frederick)...  345 

Vernet  (Horace) 41 

Yerster  (Floris) 276 

Vei-stroete  (Théodore) 298 

Verveer(Samuel  Léonard)  252 
Verwée  (Alfred-Jacques).  293 

Veth  (Jean) 279 

Vevrassat 1&4 

Vidal 88 

Vigne  (Félix  de) 285 

Villegas  (José) 361 

Voerman  (Jan) 276 

Vogel 310 

Vollet  (H.) 206 

Vollon  (Antoine) 147 

V..lpi  (Mario) 368 

Vuillard  (E.) 215 

Vuillefroy  (de) 184 

Wachs  (Karl  Wilhelm)  . .  322 

Wackenroder 319 

Wahlberg  (Alfred) 348 

Walden  (Lionel) 248 

Waldmuller  (Ferdinand).  338 

Walker  (Frédéric) 241 

Wallander 351 

Wappers  (Gustaf  ) 282 

Watts  (George  Frédéric).  235 

Wauters  (Emile) 290 

Weerts 198 

Weir  (.\lden) 248 

Weishaupt  (Viktor) 328 

Weissenbruch  (Jan  Hen- 

rik) 253 

Wentzel 352 

Werenskiold  (Erilî) 353 

\^'est  (Benjamin) 244 

Whistler      (James     Mac' 

Neill) 244 

Wiertz  (Antoine) 290 

Wilhelmson  (Karl) 348 

Willette  (.\dolphe) 194 

Witsen 280 

WlasolJ 353 

Wroubel  (Michel) 357 

Zabaleta    (Ignacio    Zulo- 

aga)     362 

Zamacoïs  (Edoardo) 361 

Zemplenyi     344 

Ziem  (Félix) 110 

Zilcken  (Philippe) 280 

Z, 201 

Zorn  (Anders) 348 

Zïigel  (Heinrich) 328 

Zw.art  (Willem  de) 275 


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