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LEONCE BENEDITE
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LA PEINTURE
AU XIX^^^ SIÈCLE
OUVRAGE ORNE DE 400 ILLUSTRATIONS ET DE 13 PLANCHES
EN COULEURS
PARIS
Ernest FLAMMARION, Éditeur
LA PEINTURE AU XIX"" SIÈCLE
LKOXCi: BÉXÉDITH
COXSKRXAlKrR Dl Ml SKK NAIIOXAI, Dl I.IXKMIK )rk( ;
LA PEINTURE
AU XIX'™ SIÈCLE
D'APRÈS LES CHEFS-DŒl'MŒ DES MAITRES
ET LES
MEILLEIRS TABLEAIX DES PRIX( H^AL'X ARTISTES
OUVRAGE ORXE DE 400 ILLUSTRATIONS i: F DE 13 FLANCHES EN COULEURS
F A R I S
U R X E S T F L A M M A R I O N, E D I T E T R
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JKAX-ANTuiNK, BARUiN GROS.
Chkistink Bover, tremière femme de Lucien Bonaparte.
(Musée du Louvre).
iXTRonrc ^v\()\ ( ;h\hi< ai .r,
I.
L'ART, en France, an XIX<^ Siècle, a brillé d'un éclat pareil à celui des i)lus grandes
époques du passé. Cet éclat est dû ])rincipalement à la ])einturc qui a pris, durant tout
le cours de ce siècle, la prédominance sur les autres modes de manifestation de la
pensée artistique. C'est qu'elle était par sa nature plus mobile plus ])rimesautière, filus
spontanée, apte comme aucune autre à se tenir en correspondance a\ec toutes les \icissitudes
subies par les sociétés humaines depuis la grande crise politieine, sociale et morah; causée
par la Révolution.
Cette date solennelle marque en effet le point de dé])art d'une ère nouvelle non
seulement dans l'histoire du peuple français, mais dans le déveloiipement de la civilisation
occidentale tout entière. Et ce qui caractérise l'art au XIX'' Siècle, justement, ce sera
d'avoir repris sa mission naturelle, d'être rentré dans sa Cduditinn e>scnticllc, (|ui est de
donner aux générations l'image de leur pr<ipre \ie. de résumer leurs aspirati(in>. de li.xer leur
idéal, d'être le miroir fidèle à la fois de leur aspect extérieur et de K-ur ;ime.
Or, depuis près de trois siècles, l'art, en France a\'ait dé\'ié; il avait ])erdu la notion
de son rôle représentatif du caractère national t-l de l'idéal populaire. Il a\-ait sui\i le
mouvement de la \'ie publique qui était tout entière concentrée dans la jjersonne du
souverain. Aussi, si \-ous sui\'ez l'histoire de l'art depuis l'avènement de l'^rançois l'-', \-ous
constatez qu'il adopte un caractère de plus en plus exclusif de haut dilettantisme aristocra-
tique : il est de\'enu tm art de cour, asser\"i à l'olfice de pour\"nir aux poiupes de la majesté
royale, destiné à satisfaire les caprices ou à tlatter la vanité du s<anerain et de ses courtisans.
Ce caractère s'accentue juscpi'à rexclusi\isme pendant la période de monarchie absolue de
Louis XIV. L'art, rigoureusement discipliné sous l'autorité de Lebrun, ist tout entier affecté
à la glorification du roi. La peinture prend alors une orie/ntation ])n--(iuc uniquement déco-
rative, mvthologique, allégoricpie, religieuse ou historique, cunçue dans un esprit d'adulation
plus ou moins directe, et lorscjne, par exception, l'histoire qu'elle célèbre touche à des faits
contemporains, ce sont toujom's des faits destinés à exalter la gloire du roi. ( )n ne ])eut ji.is
dire que le peuple en soit exclu: il n'existe pas.
De plus, au lieu de vivre en se dcvelopjiant sur le \ieux fonds du passé national, l'art
a subi l'empreinte profonde et, semble-t-il, indélébile d'un art étranger. L'art italien >'e>t
imposé au monde par Téclat de ses nombreuses écoles et le j^restigc incomparable de ses
maîtres. Il a été importé en France par les rois ([ni ont entrepris la conquête de la péninsule,
et qui, éblouis comme au retour d'une sorte de croisade, ont rêvé de faire orner leurs demeures,
édifiées somptueusement dans le goût nou\'eau formé au delà des Alpes, par le pinceau des
plus grands peintres de Milan ou de Bologne, de Florence ou de Rome. Il a été acclimaté
définitivement par nos artistes, attirés dans les principautés italiennes déjà peuplées d'innom-
brables merveilles, ou même envoyés officiellement pour parachever des études, basées,
d'ailleurs, sur les doctrines de ces grands maîtres étrangers. An X\'IL- Siècle, l'Italie règne
II
Intrc )(lucti( )n ox'ncrale.
sur le monde pur la pensée de ses sculpteurs et de ses peintres et les petits peuples septen-
trionaux, eux-mêmes, qui étaient restés si Irdèlement attachés à leurs traditions locales,
résistent mal à cette puissante et comme magnétique attraction.
Au X\'III<" Siècle, la situation continue sans se modifier, bien que l'esprit public ait
changé de mode. A la haute élégance décorative des superbes praticiens franco-italiens de la
Renaissance, à l'emphase granchose des habiles metteurs en scène de \'ersailles, succède
une autre manière aussi artificielle, un petit genre, toujours décoratif, principalement
d'espagnoleries, de turqueries, de chinoiseries, de pastorales poudrées, de scènes chevaleres-
ques, sans oublier les mytho-
logies amoureuses, genres qui
alternaient ou se confondaient
sur les dessus de portes et les
trumeaux des , .petites mai-
sons" et ,,des Trianons". Car
la peinture, du service des
rois, passait à celui des favo-
rites et des danseuses d'Opéra,
liitretenues, à l'imitation du
] irince, par les petits marquis
rt les gros traitants. Ce n'était
plus qu'un art charmant et
frivole, de parade et de décor,
im art de théâtre, né d'ail-
leurs cki théâtre, où il puisait
toutes ses inspirations.
Sans doute, pendant
cette période de plus de trois
siècles, il est bien quelques
hautes personnalités excep-
tionnelles cjui, pour n'avoir
l>as reproduit l'aspect des
réalités de leur temps, n'en
I mt pas moins traduit les
\éritables aspirations intimes
des esprits d'éhte, abstraction
faite de l'étroit milieu de
société aristocratique pour
laquelle elles semblaient avoir
exclusivement travaillé. L'au-
stère philosophie ou la volupté
gra\-e de Poussin, la tendresse sérieuse de Le Sueur, les contemplations exaltées devant la
nature de Claude Lorrain, pour s'être portées sur des thèmes antiques ou rehgieux, la fantaisie
souriante et mélancolique de Watteau, pour s'être répandue sur tout un petit monde de
caprice et de rêve, ne nous dévoilent pas moins un coin de l'âme de leurs contemporains.
Et c'est ce qui explique que ces maîtres serviront encore de guides ou de conseillers à leurs
héritiers lointains du XIX-^' siècle.
^lais on ne voit guère que deux grands noms qui rappellent que, derrière le décor
factice d'vme cour brillante, égoïste et sensuelle, il y avait en France une bourgeoisie probe.
Lk Nain. — Un .Marcchal dans sa l'orye (Musée du Louvre).
[iitrodiiction
«'■(■ncralc.
aux vertus solides, un ])cui)lf lionnéle, sini])le et liihnneux, diiut riiunianité était aussi inté-
ressante à raconter ou à jjeindre que les actions imaginaires ou réelles des dieux de la Fable,
des héros du passé, voire des i)rinces du i)résent. I/un, au WIl'' siècle, est celui de Lenain;
l'autre, au XVII h', est celui de Chardin.
Le premier t'st jiorté par trois frères dont l.i hint^Taphii' e>t uial connue et à chacun
desquels il est dillicile de fain> la jiart individuelle d:in> Tienvre comnnme. Ces , .sortes
d'Espagnols égarés en France" comme l'écrivait le crili(|ue Thoré. apportaient jiour la ])remière
fois en notre {ïays, dans lenrs peiutures de la vie popul.ure et rurale, avec un sens profond
des réahtés, qni, en effet, semblait \-enir iriCspagne, un seutnneut de gravité, de dignité, de
vraie grandeur, qui. de très loin, annonce déjà Millel.
NicoL.\s Poussin.
(Muscu du [..luvre).
Le second, Chardin, proche parent des jx-tits maîtres de la Hollande ou des l'"Luulres
cjui avaient exalté a\'ec tant de vérité, d'esprit pittoresque et de beauté expressi\-e, la \-ie
bourgeoise de leur propre temps dans ses actes solennels ou familiers : parades corporatives,
groupement d'olTiciers mimicipaux, de professeurs ou de syndics, asseuiblées galantes, réunions
de famille, et surtout dans sa plus étroite intimité, Chardin a été l'interprètt^ exceptionnel
de cette modeste, \igoureuse et saine bourgeoisie (jui formait la base iuébranlable de la
nation et qui devait en devenir la principale force émancipatrice. II a i>eint ces intérieurs
propres et rangés, ces ménagères sérieuses et avenantes, exactes (;t ordonnées, et jusqu'à ces
coins de table aux dessertes frugales et appétissantes, enlln toute cette existence honorable,
digne, grave et souriante, qui faisait singulièrement contraste avec les mann-s dissolues do
Introduction orénérale.
la minorité favorisée, étourdie et cynique qui, pour quelques années encore, prenait la place
de la nation, avant de s'effondrer complètement.
L'exemple de Chardin commença à dessiller les yeux. Par un revirement du'goût. les
petits maîtres de Hollande, si irrévérencieusement traités par la grandeur du Roi-Soleil, étaient
maintenant recherchés. Les philosophes, comme Jean-Jacques Rousseau, réveillaient par
leur ardeur lyrique le sens endormi jusqu'ici des beautés de la nature, ou. comme Diderot,
célébraient les vertus domestiques et prêchaient déjà les artistes de délaisser les drames de
l'histoire pour essayer de traduire les sentiments et les émotions de la vie familiale et bourgeoise
de leur temps. C'est directement sous cette nnpulsion que, tandis que Sedaine portait ces
Cl.MDK Lorr.mn. — Vue d un purt de
ilu Louvie).
acteurs nouveaux sur la scène du théâtre, Greuze les adoptait comme héros de ses composi-
tions sentimentales qui, par malheur, rappelaient plus le théâtre que la nature. En même
temps Joseph Vernet, d'une brosse alerte, facile et féconde, répondait aux premiers besoins
de grand air et de soleil.
l'n mouvement de réaction semble donc se préparer dans la deuxième moitié du
XVIIIe siècle contre le dévergondage fade et rebattu de bergères enrubannées, de Chinois ou
d'Espagnols d'opéra-comique et de trop aimables divinités potelées. Mais c'était là bien peu
de chose encore et le changement dans les mœurs pittoresques était loin d'être opéré.
La première croisade vigouT'euse fut tentée par le peintre \'ien, qui s'efforça de relever
■11, SlMKi'N (■ll\i;MN. — I.i- Ik-lK-ilicitr l'Mll-t'f >lil 1.
Introduction gcncralc. \'II
la peinture liistoriti^ue et religieuse eu lui infusant plus de rétlexion. de tenue et de dit;nité.
Il s"appuyait sur tout un niouveiuent nouveau d'études de ranti(iuité (jui \-enait de se
produire avec les tra\'au.\ des archéologues français et allemands tout autour d'un événement
sensationnel: les fouilles d'Herculanuni. enfouie tout entière, depuis les tem[)s anciens, sous
les cendres du \'ésuve cpii en avaient préservé les précieux restes. On re\ient donc à des
doctrines plus élevées et l'on se plaît à clierclier dans les cliefs-d'(eu\re de l'antiipiité les
lois éternelles du Beau.
IMais il fallait mieux tpi'une simple tentati\-e de réforme pour rompre a\-ec les fâcheu-
ses pratiques du passé. Il fallait, dans les arts comme dans la \'ie politi(|ue et sociale, une
transformation radicale, ime \-éritable révolution.
Cette révolution, il a])]xirtiendra à Dax^id de l'accompHr. Ses premiers ou\Tages: Les
Horaccs, La Mort de Soerate. exposés à la veille des grands é\'énements de ij^f). assurèrent
la rupture nécessaire avec le passé en créant un art héroïque, austère, tendu, qui seul
pouvait répondre à l'exaltation passionnée de ces grands jours tragiques.
Dès lors le destin de l'art moderne est fixé. Son é\olution va se p(jursui\re a\ec
logique au milieu des conflits ardents et des luttes fécondes entre l'esprit de tradition et celui
d'indépendance, entre les courants qui dirigent l'inspiration soit dans le sens de l'observation,
soit dans le sens de l'imagination. Comme nous le verrons au cours de cette histoire d'un
siècle, racontée par ses maîtres et par leurs chefs-d'œuvre, c'est ce continuel contrepoids de
forces opposées qui a maintenu l'équilibre de l'Ecole française en même temps que cette
atmosphère toujours ardente tenait les cerveaux en perpétuelle ébullition.
La développement de l'histoire de la peinture au XIX^ siècle se partage, à ])artir de
cette date, en quatre phases principales, séparées par les grandes dates de iSjo, de 1848, de
1870, qui correspondent, comme on le voit, aux grandes dates de l'histoire nationale, sociale et
politique, et sont caractérisées par les crises de transformation (ju'ou a appelées le Riinhinlisine.
le Réalisme et Vliiipressioiinisiiie.
Première Période. De iSoo à iSjo. En 1801. à la date exacte du counneiieement du
siècle, l'art moderne était déjà constitué dans ses éléments essentiels. David a\-ait accompli
ses premiers chefs-d'œuvres. Son autorité s'étendait. sou\-eraine. non seulement sur toute la
France, mais encore sur toute l'Europe. Cette autorité avait été unanimement acceptée, au
point que son \-ieux maître. \'ien. son ri\-al, Regnault et les pauvres petits peintres sur\i\ants
du passé enseveh, les Greuze ou les P'ragonard, essayaient de se mettre à l'unisson de la mode
nouvelle. La toute-puissance impériale avait besoin, elle aussi, connue la monarchie absolue
de Louis XI\'. d'un art fortement discipliné au service de son faste et de sa gloire. EUe
avait trouvé en Da\-id un génie capable de le diriger énergiquement et en mesure de rem-
plir lui-même la haute mission historique qu'on lui assignait. B(ina})artc se souciait peu des
héros de l'antiquité et trouvait qu'il avait fourni aux artistes assez de sujets digne.- d'être
traités pour la postérité. Il encouragea donc, par ce point de vue tout personnel, l'orientation
de David et de ses élèves dans le sens de la peinture des faits contemporains et contribua
ainsi à mettre l'art en possession de ses i)remiers caractères vraiment modernes.
Il se forma, par suite, dans l'ateher de David deux grands courants directi'urs : le
premier qui continuera la grande tradition anthropomorphique de recherche du P>eau par
l'étude épurée du tvpe humain: le second qui, de jour en jour, va s'efforcer de dégager leur
grandeur et leur beauté des réalités contemporaines, ou d'infuser le sentiment plus concret
des réalités de la \-ie avec ses mou\ements et ses passions dans le passé de l'Histoire, qui
n'est plus hmitée k l'antiquité, mais choisie dans un rayon de temps plus proche de nous.
A la tête de ce premier niovivement se trouvera Ingres. .\ la tête de l'autre est dros.
VIII
Introduction générale.
suivi de Géricault, remplacés tous deux par Delacroix. Et lorsque le règne despotique de
David fut fini par l'exil du maître, que le le\-ain d'indépendance, qui fermentait depuis
longtemps, eut soulevé de nouvelles générations, ces deux courants opposés, qui paraissaient
représenter respectivement les forces de conservation et les forces d'émancipation, entrèrent
violemment en lutte et donnèrent lieu à ce qu'on appelle la querelle des Classiques et des
Romantiques, ou encore des partisans de la Ligne et des partisans de la Couleur, qu'on eût
pu appeler, comme on a\-ait fait pnur la littérature, dans un cas pareil, au XVII<= siècle, la
querelle des Anciens et des Modernes.
Cette querelle fut excessi-
xcnient \"i(ik-nte. Les combats se
li\rèrent sur les champs de bataille
<lcs sahms. où les classiques, par
l'Institut, (pii formait les Jurys,
iiccupaicnt toutes les positions. Les
assauts furent n(.)mbreux et meur-
triers, mais les assaillants avaient
à leur tête un chef incomparable,
peu Soucieux de diriger ses troupes,
mais dont chacune des victoires
personnelles profitait à tous. Ils
a\aient a\'ec eux aussi cette magni-
ticjue phalange des paysagistes, qui
contribuèrent le plus utilement, le
Inng du siècle, à l'affranchissement
définitif de l'art des formules tyran-
niques et surannées du passé, à lui
i}u\-rir des horizons nouveaux à
l'infini et qui ont porté glorieuse-
ment à tra\"ers le monde le renom
de l'LciiIe française.
Tcius les esprits vaillants
et généreux étaient, d'ailleurs, avec
eux. Une détente générale s'était
produite, après les grandes tueries
i-t la compression écrasante du
régime inrpérial, suivie d'une grande
fièvre d'indépendance. Les ardeurs
politiques faisaient cause commune
avec les ardeurs httéraires ou artis-
titjues. Et c'était aussi de grands jours p(.>ur les lettres a\"ec Chateaubriand, dont le Génie du
Christianisme eut une si profonde influence sur la pensée contemporaine, avec Madame de
Staël, avec Lamartine, Alfred de Vign\', Victor Hugo, sans parler des influences étrangères,
des romans de l'écossais W'alter Scott, qui réveillent le sentiment de la ^•ie réelle dans l'histoire,
de Lord Byron, etc. Car la pensée \-ivement éveillée s'ouvrait à tous les vents du ciel. Victor
Hugo, s'appuyant sur Shakespeare, attaquait, avec le drame, la vieille tragédie dogmatique
et remuait toute sa génération. Le théâtre, en effet, fut le plus actif champ de bataille, celui
qui, au miheu d'un véritable tumulte, mettait aux prises le pubhc lui-même des spectateurs.
On sait que la date de la première représentation à'Hcrnani, le 25 février 1830, fut celle
Antune Watteat. — Finette (Musée du Louvre).
Intruduction <r<^iii^'r;ilc,
IX
du triomphe de la cau>e tlu romantisme, au moment juste oii la nation brisait une couronne
et une dynastie et franchissait \ictorieusement. par une deuxième révolutiini, une étape
nouvelle de sa vie politique.
Deuxième Période. De iSjoà 1S4S. La romantisme axait donc rompu le moule classique.
C'est-à-dire qu'au formulaire étroit qui panjuait l'inspiration en f^enres déterminés et fermés,
et qui ne permettait de traduire les formes (ju'en s'asservissant à des règles établies sur une
fausse interprétation des chcfs-d"(euvrc de rantiepiité, s'était substituée la liberté absolue
dans l'inspiration et dans le choix des mo\-ens d"exi)ression.
Ikan-Iîai iisiK Crkizk. — VAc
;Mu<(.-c <1u t..
Le romantisme, par mallieiir, n'en sut point user intégralement. Il a\ait brisé toutes
les barrières, mais il était resté cantonné, à son tour, sur un seul point du domaine de
rinspiration et il péchait par les mêmes abus qu'il avait reprochés si cruellement à son
adversaire vaincu. Les classiques s'étaient enfermés dans le cercle étroit des temps antiques.
Les romantiques crurent avoir suftisamment réagi en ti.xant leur Muse historique dans la
période, elle aussi limitée, du moyen âge. Les premiers avaient affecté pour la couleur un
dédain que les seconds, à leur tour, affectèrent pour le dessin. Les gothiques devinrent bientôt
aussi insupportables que les anciens. Quelques voix se firent déjà entendre qui affirmaient
les droits de la vie moderne, ou plutôt les droits de l'homme de tous les temps, qui ne serait
X
Introtluctiun cfcn craie.
ni dieu, ni héros, ni prince, ni chevalier, à être représenté par l'art. D'antre part, la peinture
de paysage, qui s'était manifestée d'abord avec une large envolée lyricjue, revient bientôt de
ces vastes synthèses poétiques vers l'étude de la nature examinée a\'ec un goût d'observation
chaque jour plus accentué, un esprit d'anah'se plus scrupuleuse de ses aspects intimes, familiers,
plus proches de l'homme. Ce moment constitue, dans l'histoire du paysage et du paysage
animé, entre le romantisme et le réalisme, une période transitionnelle à laquelle on avait
donné déjà dans le même temps le nom de iiaturalisiiic.
Mais cette é\'olution, lente et régulière, était imjjuissante à réagir etïicacement contre
le relâchement dans le goût et dans les pratiques occasionné par les e.xcès du r(jmantisme
ou par les compromis, plus on moins heureux, nés de la fusion des doctrines opposées. Au
moment même oii la \'ie jiolitique du pays est profondément remuée par une nou\'elle crise
nationale, où la ré\'olution de 1.S4S \ient marquer une autre grande étape de la France dans
la marche vers l'établissement de son idéal républicain et démocratique; au moment où la
littérature se jiroclame hautement, avec le grand cycle de la Ciuucdic liitiiun'iic, de Balzac,
pour la traduction des réalités de la \'ie moderne, la peinture fait, de S(.)n côté, dans ce sens,
im pas décisif. Ces tendances réalistes, tantôt profondément subiecti\'es, tantôt vigoureuse-
ment objectives, sont incarnées à cette date par les deux grandes hgures, là, de Millet, ici, de
Courbet. Leur (eu\'rc jalonne cette période, qui doit être considérée comme le point culmi-
nant de l'évolution de la peinture française au XIX*^ siècle, au jioint de vue de sa constitution
vraiment moderne. La lutte des partis rétrogrades se poursuit a\ec autant d'énergie que jadis
contre le réalisme, au nom moins des principes que des situations acquises. Le champ de
bataille est toujours le terr<iin des expositions annuelles. Les injustices des jurys atteignent
même à un tel degré de scandale qu'elles obligent le gou^•ernement impérial à inter\-enir
en faveur des excommuniés.
Dans le développement de l'école, où se mêlent et se confondent toutes les anciennes
formules, on distingue, à ce moment, deux groupes essentiels, qui sont à 1;l fois l'aboutissement
du passé et le point de départ de la nouvelle période d'évolution. D'un côté se tenait à
l'écart un petit rci'( !<■ de xisionnaires et de songeurs qui protestaient, par un ardent amour
Le Ponte Rotto .i Ruine (Musée du Louvre).
Introduction lirnéralc.
XI
de la Beauté, tiu'ils ne séiiaraient pas de la \'érité, par tin retour direct aux grandes traditions
du passé et. en pautieulier, des naturalistes ])()éti(|ues de l'Italie du X\'>-- siècle, contre les
tendances fri\-()Ies et les i)rati(iucs relâchées des arti-.tes brillants et faciles au.xquels étaient
prodigués les encouragements du gouvernement impérial. Ils tonnaient un véritable groupement
d'Idcalistts. De l'autre se dessinait nettement le camj) de ceux qui s'intitulaient eux-mêmes,
avec lierté. les lù'nlis/cs et cpii s'étaient réunis, ])om- tenir tète à l'orage, derrière la bannière
de Courbet, en évoquant le gr.ind souvenir de Delacroix, mort depuis {)eu, pcnn- relier les
indépendants du présent aux in(ié]H'nd,ints du jjassé. Leur action s'étend jien à i)eu, mais
les effets ne s'en feront guère ressentir qu'à I,i période sui\-antc. Les réalistes s'appuyaient
sur l'étude attentive de la nature t-l
de la vie et, en même temjis. sur l.i
tradition des maitris (pii. de leur
temps, les avaient exalté^ l'une et
l'autre, et poursuiwiient le ré\-e de
traduire, à l'exemple des peintres tir
Hollande, de Flandre ou d'iispagne.
l'humanité de leur temps, aussi bien
dans ses aspects les plus contin-
gents que dans ses aspirations et
ses émotions.
Trcisiànc l'rriodc. De iSjo
à içoo. La date de 1S70 est solen-
nelle pour la France. C'est la date
de grandes épreii\-es. qui furent aussi
de grandes leçons. C'est, en même
temps, la date de l'établissement
définitif du régime politique et social
de démocratie républicaine, cpii
caractérise désormais toute ré\"olu-
tion future de la vïe nationale.
L'art, lui aussi, a protité de la grande
leçon des événements et sui\'i l'orien-
tation désormais unanime de toutes
les manifestations de la pensée. Le-
semences cpii fermentaient dans le
sol agité du second empire lè\-ent
alors. L'idéalisme, qui tlorissait à
l'écart, s'épanouit, dans un magni-
fique renouveau de la peinture monumentale, dont l-5audry et Pu\is de Cli,i\annes furent les
grands initiateurs. Tandis que l'esprit hautement allégorique, historique et légendaire était
relevé par ce dernier, son émule. Gustave Moreau, élargissait à son tour l'horizon des idées
générales dans lequel la peinture est appelée -à se mouvoir par une pénétration jusqu'ici
inconnue des mvthes et un rare esprit symboli(]ue. qui donnaient à l'art une puissance de
signification nou\"elle.
D'autre part le mouvement réahste s'accentue d.ins uu sens tlémocraticjue et popu-
laire, qui suit la marche des progrès politiques et avec un caractère inédit de méthode et
d'objectivité dans l'obserxation, qui est en concordance a\-ec le développement intense de
l'Iliieu iCulkxtiaii
Wallace. Lmul.cs).
XII Introduction o^énérale.
l'esprit scientilkiuc. Cette orientation du réalisme dans un sens d'analyse suraigùe des
phénomènes jjhysiques de la nature comme aussi des caractères sociaux de l'humanité
contemporaine est ce (ju'on a appelé Vliiiprcssioniiismc. Stimulée en même temps par la
Httératurc, (pii a précédé la peinture dans cette voie, encouragée par le prestige que prend
tout à coup, après leur mort, rœu\'re de Corot, de Courbet et de jMiUet, cette formule, elle
aussi comme le romantisme ou le réalisme, a suscité contre ses partisans les discussions les
plus \-i()lentes et les attaques les plus passionnées.
L'Impressionnisme occupe pourtant, dans l'histoire de l'art contemporain, une place
de jjremière imjiortance par l'impulsion qu'il a donnée à la peinture de paysage, par le rôle
qu'il a imposé à l'obserwition des phénomènes physiques dans l'étude de la figure humaine,
par la secousse salutaire qu'il a fait ressentir, sur d'autres points, à toute l'Ecole. Son influence
se produit non seulement sur l'école française, où elle est considérable et fait naître, entre autres,
en se greffant sur les doctrines traditionnelles, un compromis célèbre, sous le nom d'Ecole du
plein air, mais elle s'étend également sur toutes les écoles eur(_)péennes et jusqu'en, Amérique.
Un sens de la beauté plus noble et plus aftiné. un haut esprit de jihilosophic qui
pénètre à nouveau l'art et élè\'e l'inspiration, des habitudes d'observation qui perdent leur
ancien caractère empirique et individuel pour se revivifier par les moyens de la méthode
des sciences naturelles, tel est l'acquis de l'art dans cette dernière partie du siècle. Les maîtres
qui l'illustrent, continuent, chacun dans son sens, et innt aboutir définitivement l'effort de
leurs grands devanciers. Du mélange de ces divers courants sortent les inspirations les plus
diverses, les plus nobles comme les plus familières, pour répondre aux besoins de vérité, de
beauté, d'idée ou de sentiment, qui sont au fond de la pensée humaine. Et cette pensée est
devenue plus consciente, plus éclairée, plus sensible, non plus seulement dans le cercle étroit
de quelques intelligences privilégiées, mais dans la générahté de la foule qui aspire, elle aussi,
à comprendre, à sentir, à être émue par le grand mirage de l'art.
La peinture, à la fin du XIX*" siècle, est donc en possession de tous ses moyens
d'expression. Elle a ressaisi le fil perdu de sa tradition primitive, nationale et populaire.
Elle est remise désormais dans sa voie normale, en commimication définitive avec l'âme des
générations auxquelles elle correspond et dont elle est le miroir suprême.
C'est ce processus agité, mais toujours distinct, de faits dissimulés dans la confu-
sion et la complexité de la \'ie, mais logiquement et nécessairement reliés entre eux, qui va
nous être présenté dans ses grands traits par les maîtres dont les chefs-d'ieuvre ont été les
principaux anneaux de cette glorieuse chaîne ininterrompue.
IL
Le développement de l'histoire de la peinture au cours du XIX^'"'^ siècle, dans tout
le reste de l'Europe, ne dift'ère pas essentiellement de ce qui se produisit en France. Car les
graves événements qui se sui\-irent sur ce sol fertile en ré\'olutions eurent leur contre-coup
dans toutes les régions de l'Occident. Les grandes guerres de la Ré\'olution et de l'Empire
créèrent, après le mouvement philosophique du XVIII^'""= siècle, le \-aste courant des idées
françaises à travers le monde. Dans le domaine de l'art proprement dit, il ne faut pas oublier,
du reste, que, depuis la décadence des grandes écoles des Pays-Bas et d'Italie, la France joiùs-
sait d'un prestige exceptionnel et fournissait toutes les cours d'Europe et jusqu'aux plus
importantes de l'Asie de sculpteurs, de peintres ou d'architectes. Cette domination du goût
français fut maintenue et étendue encore par l'influence presque unanimement acceptée de
David. Son ateher ou celui de ses élèves avaient fonné les principaux artistes de toutes les
Introduction «'(.'•ne raie.
XllI
écoles. Peiidaiit l;i ]ircini('rr mnitif du ^ii'-clc, (raillrurs, la iM'ancc (icciipc à peu pn's seule
l'attentiou du monde en (e cpii toueiie la jinidurtion artisticiue. L"Anglcterre fait i)eut-êtrc
exceptiim a la rè.i^le eu raisun de son état d'isdleiiient f,'éof;ra]>liique (jui, malgré la part
inijKirtaiile (lu'elle |)reud aux é\(''nementN de l'épiKiue. la tient i)lus à l'abri des b(iule\-erscnu-nts
eiintineutaux. M.d> tnutes les auti"e> natiiius sont |)liiugée> dan> de> préoixupations siiigu-
lut(
aussi. ])iiur raflraueliissement de l'indixidu et
i enn>tituer leui' miité. qui ne >"étalilit que ])ar
■Il tard que la lîelgiiiue. les l'a\'s-l^i> ou l'Italie,
lièrement absorbantes. 1
rindé])endance des jieuples et >ont longue-
la guerre et dans le sang. Ce n'est i|u'un
anti(iues foyers d'art. peu\en1 se leiiieillir.
faire apjiel à leurs \ieilles traditions et
essa\'er de reformer un arl. sinon national.
du moins local.
Car, pliéiiomèiii' i|in ne peut sur-
]irendre. le développement d<- l'ait \m
continuer à suivre le dé\eloppeinent de
la \-ie. Il n'y a })as plus, à proprenieiii
parler, d'écoles distinctes ciu'il n'\' a d'ide.i 1
distinct dans la conscience des peuplis.
L'union, faite depuis longtemps par de
communes admirations jiour les génies
supiérienrs. qui sont connue les pli, ires d<-
riuimanité, à quel(]ue ra(-e ([u'ils appar-
tiennent, quel que s-oit le tem])s où ils .dent
\'écu, cette union, qui a brisé toutes les
barrières géographiques, s'est faite aussi
par le rappprochement matériel des jieu-
pies, qui se pénètrent mutuellement ,i\ie
une ardeur chaque jour plus \i\e, gr.u f ,i
la communauté des intérêts, à la frétiiu'uce
])our ne pas dire à la quotidiemn'té des
échanges et aux moyens extraordiiiains.
inconnus jadis, de conuuunic.itioii entre
eux. Les mêmes mouveiuents et les mêmes
réactions se manifestent donc dans l'éxii-
lution de Fart, chez tous les peuj^les, a\-ec
des causes identiques qui ]>roduist'nt des
effets semblables. Si l'orient, ition est tou-
jours donnée par l'école iranç.iise. c'est
qu'elle a une tradition plus vigoureuse. iCuii.ciion Wuiiac-, i...ii,ii.-s).
que les crises de la vie nationale n'ont
jamais interrompue mais, au, contraire, ont chatiue fois rexixiliee a\ee une nouvelle inii)iilsion
en avant; c'est aussi que renseigneiuent de l'école française .i été prodi-ue. tlepuis un .siècle,
à des générations entières de jeunes arristes étrangers, attirés par son r,i\dunement et par les
facilités d'instruction fournies par ses ateliers. Ces circonstances n'ont pas peu contribué à
unifier davantage l'idéal dans l'inspir.ition et dans la technique de toutes les écoles de l'ancien
et du nouveau monde. Il n'y a donc plus guère, au XI.X'^''"'- siècle, ([u'une seule école univer-
selle, parlant une seule langiu' artisti(Hie, où chaque nationalité ne se différencie des autres
que par les nuances des idiotismes particuliers et de l'accent local.
.If M ~ K..hins
XIV
Introduction o-^nérale.
Avant le XVI II^''"<-' siècle, la Grande-Bretagne n'avait pas eu d'école propre. Tous les
artistes lui venaient de l'étranger. Ce phénomène s'est, en partie, reproduit au XIXème siècle.
Une floraison exceptionnelle s'épanouit pourtant au milieu du XVIIIè'ne siècle avec le groupe
des grands portraitistes et paysagistes. Elle se prolonge, en s'affaiblissant, jusqu'aux premières
années du XIX'^""^' siècle, mais se relève bientôt en produisant les trois extraordinaires figures
de Turner, de Constable et de Bonington. Le dernier, d'ailleurs, vit en France et les deux
autres, fort discutés alors chez eux, sont surtout appréciés dans le milieu romantique français,
(|u'ils ne fuimt iki> s.ins influencer. Le reste de l'école s'énerve et se dilue en médiocres
élucubrations d'amateurs, occasionnant
\-ers le milieu du siècle une réaction
dans l'inspiration et dans la technique,
(jui s'affirma par le mouvement com-
jilexe, passager et assez artificiel qu'on
a appelé le préraphaélisme, réaction à
la fois naturaliste et archaïsante, qu'on
retrou\"e sous d'autres aspects dans les
autres écoles européennes. Si instruc-
tiw et curieuse que fût cette manifes-
tation, elle ne laisse pas de germe
fécondant dans l'école. L^n académisme,
formé d'influences hybrides, auquel
jirirent part eux-mêmes les principaux
protagonistes de la petite révolution
précédente, lui succéda. Mais le con-
tact avec les écoles continentales,
nntamniont a\'ec la France, de\'ient
de jilus en plus fréquent et de plus en
plus étendu et les mêmes mouvements
de préoccupations analytiques ou d'in-
spiration synthétique s'y font sentir.
En ce qui concerne l'Amérique
du Nord, qu'il convient de rapprocher
de l'éciile de Grande-Bretagne, le mou-
\'ement artistique y est devenu intense
au cours du XlXèii": siècle. Les pre-
n^iers peintres locau.x sont naturelle-
ment d'origine anglaise et un certain
accent britannique continue à percer
dans l'inspiration ; mais le dév'eloppe-
ment des arts y est pres(|ue t'xclusi\-ement français, soit que les artistes américains aient
fixé leur résidence à l'aris, ce i\m est le cas d'un très grand nombre, soit qu'ils soient retournés
dans leur pays, leur éducation faite dans nos académies, soit même que, n'ayant pas quitté
le sol natal, ils aient subi l'influence de leurs camarades, ravivée par les riches collections
publiques ou privées d'art français contemporain.
Parmi les j^etits peuples septentrionaux, intelligents, réfléchis, actifs et industrieux,
qui bordent les mers du Nord et de la Baltique, et dont l'apport à l'histoire de l'art au
XIX*="i<= siècle est très notable, par la qualité sinon par la quantité, la Belgique et les
Pays-Bas tiennent la première place. Les anciens foyers assoupis se sont réveillés-pour former
Francis
GoVA. — Jeune femme espagnole (Musée ilii Louvre J.
Introduction <>'cnénilc.
XV
des générations d'artistes, <iui se distinguent des autres écoles eurii]u''ennes en ce sens ([u'ils
sont, sans doute par la \'ertu de la race, de \'rais ..peintres"" dans toute l'acceiition du mot.
L'origine de leur déxeloppenienf moderne est conunune et. d"ailleurs. jus(iu'."i la date de la
révolution de i8]o, (jui proclama rindépendance de la Helgi(iue. les i-'landrts et les i*ays-P>as
sont luiies par la conununauté d"e\istence politique. C"est Daxid. ]>riiscrit et fixé à Bruxelles,
qui, naturellement, en dirigea le> débuts. I-ài lîelgiciue. ]iar suite des aûiniti's de race a\-ec
la France et de contri'-coups ([uc le> éxénements politi(|ues de ce pa\'s \- firent sentir, les
divers mouvements jnnduits daii> ri'((ilc lrani,ai>e : li; ronianti>ini'. le n'Mlisme ou rim])res>inn-
nismc, les tendances idéalistes
ou les aspirations sociales
eurent leurs échos parmi les
peintres. Une véritable renais-
sance, pleine d'activité, a fait
succéder Fart belge à l'art
flamand. Certains maîtres de
cette école, tel Constantin
Meunier, ont pris dans liiir
temps, par-dessus les fronti ères
de leur pays, une place tle
première ordre.
En Hollande, la jk'-
riode davidienne fut sui\ii'
d'un retour timide \"ers les
anciens maîtres nationau-\ et
de contacts avec les jieintres
de l'école, voisine, de Dussi-l-
dorf, qui jouirent mi iiKiment
de \'ogue et n'étaient guère,
eux aussi, que des imitateurs
des vieux maîtres de Hollande.
Le \"éritable réveil se ]>rodui>it
autour de la haute persdu-
nalité d'Isracls, f(jrmé ]>rès
des maîtres français de l'h-coli
de 1830, mais qui a\'ait gardé
sa ph3'sionomie profondément
originale et dont l'influence
s'étend bien au delà de S(.)n
pays. Comme l'école belge,
l'école hollandaise moderne,
revenue à de fortes et saines tradition, constitue un des foyers d'art les j)lu> intenses autour
d'une pléiade de maîtres justement renommés.
Les pays scandina\-es sui\-eut à peu près tous la même direction artisti(iue. Les premières
influences qui se font sentir sont celles de l'F.cole ancienne de Hollande, ce ciui s'exidique natu-
rellement par des affinités de races, de niciiirs et de religion, de l'érole de Dusseldorf. pour
les mêmes motifs que précédemment et, ultérieurement, de l'école française, surtout du cote
des peintres luministes. Car les Danois, Norvégiens, Suédois ou Finlandais ont excellé dans
ces recherches spéciales de grande lumière au dehors et de clair-obscur dans les intérieurs.
Giusri'i'K .-\Nr,i-,i.i.
1,<- iH-i,t
X\l Introduction g-cncralc.
lui Alli'nia,t;iK', le inouwinciit de^ arts, au XIX'^'"'^ siècle, a ])ris une inipurtance qui n'a
ces>é de croître a\'ec les ambitions mondiales du nouxcl empire ,t;erma nique. On a créé avec
activité des écoles, des musées, (RU'ert des expositions. Mais, dans cette race réiléchie, volon-
taire et ti'uace, la sensibilité, qui est la condition même de l'art, est moins grande que la \-(jlonté,
la persévérance et \c raisonnement. Pour (jnelques personnalités indépendantes qui s'imposent,
mais sans imposer leur es]irit dr lii)erté, l'art, à toutes les périodes, prend un caractère d'art
à idées, d'art à systèmes. .\u début du >iècle. les tra\'aux d'érudition sur l'antiquité produisent,
en les dépassant, les nirme-. phénomènes (pi'en France. Une réaction orientée \-ers les primitifs
suivit, connne dans l'atelier de l)a\'id. mais ax'ec un caractère ])lus mystique que plasticjue. C'est
ce ([u'on a appelé les Nazciri-ciis. i^'i'oupés à Rome autour d'Overbeck. Plus tard, des foyers
distincts se fondent à Alunieli. i)umt de ralliement de l'école historique, philosophique et ency-
clojiédique, (pu de\iendia un de^ i>lus importants centres d'enseignement artistique de l'Europe
centrale; à In-rlin. (pu lui fera une active concurrence : à Dusseldorf, milieu plus réaliste, plus
en contact avec les \-ieux maîtres de Hollande et les grands français de 1830, d^où sortirent
les maîtres les plus originaux de l'art allemand et notamment Adolf ]\Ienzel.
Plus tard un groujie essaiera de former, autour du ])eintre bâlois Boecklin, une sorte
d'école nationale, d'un romantisme très sjiécial, tandis cjue, avec Liebermann, un souffle venu
de France et de Hollande essaie de \-i\-ifier cette atmosphère, saturée de miasmes de musées.
En Suisse les influences paraissent se di\'iser, sui\'ant les voisinages de frontières,
entre la France. l'Italie et l'Allemagne. C'est dans son sein (jue l'Allemagne prendra son
chef d'école. Boecklin. comme elle awiit jiris autrefois Holbein.
En .\utriclif-Hongrie le mouvement dt's arts est très important. Le dilettanttisme pour-
tant règne en maitre. dans un pays riche en C(_illections du passé, mais (jui n'a pas de tradition
propre. Ouekiues noms célèlires. quelques ieu\-res retentissantes lui ont donné un certain éclat.
En Russie, après un petit niouv'ement créé, au XX'nP' siècle, autour des peintres
français appelés à la cour, l'art russe a longtemps \-égété dans le genre en subissant l'influence
de l'école de Dusseldorf. Tandis que la pensée russe, par la littérature, ébranlait le monde,
l'art restait fort en arrière. Mais depuis, soit en s'aj^pru-ant sur k's efforts tentés en Allemagne,
soit en se ra])pr()cliant de la France, il a ])ro(hut ipiehpies i)ersonnalités très intéressantes qui
font bien augurer (le l'av-enir.
Au début du siècle l'Italie, comme la France, perd le S(.iuvenir des derniers petits
maîtres qui ont gardé (pielque sen>ibilité d'art, pour se jeter à corps perdu dans l'érudition
du faux anliiiue. Le laliorieux enfantement de m m imité retardait, d'ailleurs, t(_)ut rencniveau
d'art. Le risuri^iiiieiiln lit surtout des jjoètes et des hommes d'action. Une f(_)is constituée en
nation, les xieilles facultés se réx'eillent. I^e mouwment ]iart du Sud et se maintient surtout
dans le genre. Puis, peu à peu. à Turin, à Milan, à \'enise, car c'est plutôt dans le nord que
remonte et se concentre l'activité, se créent divers foyers très viv'ants. De l'un d'eux se dessine
une personnalité très marquée, celle de Segantini, f(jrmée en partie sous l'action des maîtres
français, qui a donné à l'Italie une orientation nouvelle dans les \-oies modernes.
En Espagne, l'individualité la plus haute est, tout au début du siècle, ce survivant du
passé, qui, d'ailleurs, est si en avance sur son temps, ce Goya, si étrange, si original et si divers.
Après lui l'art dégénère dans le ,, genre" et le ,, genre historique", surtout après l'influence
de Fortuny, qui s'exerça de même dans les milieux italiens. ]\Iais les vieilles traditions ont
été relevées par quelques jeunes artistes, coutumiers des Expcjsitions parisiennes, et l'Espagne
a le droit d'aspirer à reprendre sa place aux premiers rangs des peuples qui ont créé du
beau avec du réel, fut-ce même, suivant son génie propre, avec de l'horrible et du laid.
— Ci.
> o
ClIAlTIRl'. I.
l'.COl.K FRANÇAISE.
Pki:mii":kM'; I'kkiodi;. — Dr. iSoi a iS;o.
DAMIJ peut rtrr ap|icl(- juslcincnt le prie de Fart au XIX'' siècle. S'il iTa pas, à
proprement |:)arler. suscité la ré\-(ihiti(in qui a ri'couslilui'' Fart lundeinr sui' des hases
définitives, il Ta. du niciins, fait ahoutii". I''t ce lôle est (T.iutant plus nii'i it<iir<\ (pTil
n"a pas été seulement instinctif et spuntané, mais conscient el xnlontaire, et (pie David >'e>t
appliqué avec une énergie faruuche à détruire tdUt ce <pii re>tait de-, iiraticpies di^plorahles
d'un passé d'élégances maniérées et di' teclnuques faussées. ])(iur a^^.iiiiir ren-,eii^nenient et
relever la peinture dans la dignité de sa haute mission. On sait, en eltrt. i|u'il pi)ur>ui\it de
sa haine l'ancienne Académie royale et ipi'il [larv'int à la faire {JiNSoudic.
On a pu lui reprocher, sans douti', d'ax'nir créé à sim tniir, par l'exagératiim rJe
l'esprit de système, im académisme nnu\-eau aussi insu])])(irt.d)le que l'autre, cnnlre lequel
les générations nouvelles s'insurgeront. Il n'en est pourtant pa^ eiitièreuien' responsahle,
et ce sont surtout certains de ses discijiles, qui ont répandu ces tlognus couiniode-, pour aliriter
leur médiocrité et leur impuissance. Les élè\'es si divers ([u'il a formés et (pi'il n'a cessé
d'encourager dans la \"oie où les ])ortait leur tempérament personnel, non seidement les
Girodet, les Gérard, les Ingres, m;iis encore les Gros, les Gr.met. le-- I.éopold Robert, les
Drolling, les Isabey, les Schnetz, montrent bien (pielle était l'étendue de sou libéralisme.
Maintenant que nous le jugeons à distance, avec l'impartialité di- l'instoire. nous comprenons
mieux son caractère d'intelligence, de raison, de \'olonté, ce réali-^nie ]io-.ilil, mais élevé, qui
savait puiser à toutes les sources du Beau, s'adressant, tour à tour, aux \igoureu.\ rhétoriciens
de Bologne ou de Naples, aux antiques de Rome ou d'Herculanum, aux peintures de vases
grecs et, encore, aux primitifs florentins ou a.ux anciens flamands.
C'est, d'ailleurs, de son atelii'r ([ue sortiront toutes les tendances (|ui \-ont se laire
jour peu après.
Jacques-Louis D.\vil> est né à Paris le ]n août 1741^. Il était lils de gen-. aisés — son
père tenait un commerce de fer — qui lui donnèrent une bonne édutalion cla--si(iue. 11 mon-
tra de si bonne heure des dispositions pour le dessin que sa mère, de\-emu' \-eu\e, céd.mt aux
instances de parents et d'amis, se décida à le faire présenter au vieux peintre lîoucher, qui
était un ancien ami de la famille. Celui-ci s'adressa à Vien. alors dans tout l'éclat de sa
réputation. Le Jeune David fit dans cet atilier de rapides ]irogrès et, aprè^s divers essais
infructueux au concours de Rome, il obtml le grand prix en 1774. Il accompagna à Rome
son maître, Vien, qui venait d'être nonuné Directeur de l'.Vcadénue de iMance. I)a\id a\-ait
alors 27 ans. Les tableaux exécutés avant son départ sont tout à lait conçus dans res])rit
du XVIIIème siècle, des Boucher et des \'an Loo, (ju'il attacpiera >i vivement plus tard. A
Rome, sous l'influence du mihcu nouveau où il se trouve, parmi les érudits cpii ont ])réparé,
dirigé ou suivi le mouvement récent d'études archéologiques, par l'observation ]xitiente, atten-
tive, éclairée des maîtres italiens, (pi'il choisit un peu à tâtcms, pour l'instant, en commençant
La Peinture au
XIX'
siècle.
par les Bolonais et les Napolitains, son dessin se réforme, sa manière s"agrandit_jet il se
dépouille presque entièrement de ce qui restait en lui des habitudes de son passé. C'est à
cette date qu'appartient la Pcsic de St Rocli. qui est placée dans la Chapelle de la Santé, à
!Marscille. A"réé de l'Académie rovale, puis reçu académicien en 1783, il retourne en Italie
et peint à Rome son tableau des Horaces, qui fixe la nouvelle orientation de l'art.
De retour à Paris, il continue dans cette voie awc Lii Mort de Socrate. Les fils de
Briiius, Paris et Hélène. Lors des événements de 1789, il prend une part active au mouvement
révolutionnaire. Nommé membre de la Convention, oii il siégea parmi les ,,]Montagnards",
compromis avec le parti de Iv ' : • -v. il fut même incarcéré au Luxembourg où il resta
"Ks-I,ori^ UAVin.
(.Mus
du Louvie).
plusieurs mois, durant lesquels il ne cessa de travailler. Rendu à la liberté le 4 bnimaire an
IV, il renonça à la politique, mais s'attacha bientôt à la fortune du premier consul qui, devenu
empereur, en fit son premier peintre. Sous la Restauration, compris sur la liste de proscrip-
tion du 16 Jan\'ier 1S16, qui atteignait les régicides, David se fixa à Bnixelles, où il mourut
le 29 Décembre 1825.
Le tableau du Seyiiie>it des Horaces est le point de départ de l'art nouveau que Da\"id
inaugurait. Il semble même qu'il devance l'idéal révolutionnaire auquel il répondait si pleine-
ment, c'est pourtant le fruit d'une commande de la royauté. Le sujet avait été agréé dès 1783.
David exécuta son tableau à R ;/me en 17S5. Il l'avait conçu d'après la tragédie de Corneille,
qui l'avait toujours très vivement frappé: mais un premier projet, auquel il ne s'arrêta pas.
Lcolc française. 3
compurtail une autre scène, celle où le \ieil Horace défend son lils, meurtrier de sa sfcur,
de\-<int le jxniple. n"inlluenc(ï du milieu romain a\"ec ses !,'rands souvenirs, la société des
savants qui Favait déjà transformé à son premier voyage, furent particulièrement favorables
à ce travail. David raclu'\-a vn onze mois, vu se faisant aider }xir son élève de prédilection, le
jeune Germain Dnniais. lîxjiosée dans son atelier, cette toile eut un succès énorme au ])oint
que le pape pût désirer ([u'cm la lui portât au \'atican. Au Salon de 17S5, le succès ne fut pas
pas moins considérable. l).i\itl ne se méprenait pas. cependant, sur les défauts de cette
œu\'re : il la jugeait plus tard assez sévèrement, reconnaissant la division du tableau en
deu.x effets qui en rompaient l'unité, la comjxisition tliéâtrale, K: dessin qu'il troux'ait ])(-'tit
et la couleur contestable. L'enthousiasme ([u'il déeh.iina tenait à l'exaltation ardente et mal
Jacvicks-I.ouis IXwin.
S:il)ines (Mu>ci- <lii I.cnivrc).
contenue des esprits, mais on ne peut lui contester, a\-ec le mérite circonstanciel de la
nouveauté et de rimpré\-u par rapport aux ouvrages antérieurs de l'Ecole, un caractère
d'héroïsme (jui frappa vivement les contemporains, nourris d'antiquité. 1 1 (pii ne laisse pas
de nous toucher encore. Ce tableau a été payé à David 6.000 francs.
La Mort de Socrate et Les Fils de Brutus établirent universellement l'intluence du
maître et l'engagèrent dans la mêlée politique. Son activité productrice est momentanément
ralentie par l'exercice de sa vie publique et toute reportée sur les grandes réalités du jour.
C'est à cette heure que, partageant cette sorte d'enivrement républicain et patrioticjue qui
était général, il dédie à la Convention les images de Lepeletier de Saint-Fargeau, tombé sous
les coups d'un assassin, du jeune Bara et de IMarat.
4
La Peinture au XIX'' siècle.
lequel étaient placés de 1"
].e lendemain de la mort de Marat, cunmie une députation tle la section du Contrat
Social venait présenter à la Convention les regrets du peuple, un de ces délégués, faisant allu-
sion à la précédente peinture de David, celle de Lepeletier, sY-cria : „0ù es-tu. David ? il te
reste un tal>leau à faire. — Je le ferai!" s'écria David, cpii, de tout temps, s'était montré un
partisan lanati(iue tlu farouche ..Montagnard". Il se mit en effet à l'œuvre sans tarder,
se servant pour la tête du moulage qu'il avait fait faire sur nature, et représentant Marat
tel qu'il l'avait vu a])rès le coup fatal. ..Il avait près de lui. dit David, un billot de bois sur
'encre et du papier, et sa main, sortie de la baignoire, écrivait ses
dcrnic'res pensées pour le salut du
[leuple".
David annonça le il octo-
bre 17OJ (20 \'endémiaire), que son
tableau était achevé et, le 24 bru-
maire, il l'offrait à la Convention.
Rentré peu après en sa possession et
resté après sa mort dans sa famille,
ce tableau a été offert en 1893, par
son petit-iils. au Musée de Bruxelles.
Le Musée de \'ersailles en possède
une répétition par son élève Langlois.
Ces quelques tableaux révo-
lutionnaires, franchement inspirés
jiar des réalités immédiates, par des
faits d'actualité, préparent admira-
blement Da\-id au rôle essentielle-
ment moderne que lui assignera la
volonté impériale. Néanmoins, il ne
perd i^ias de vue son premier objectif.
11 poursuit toujours la recherche de
(I- ([u'il appelait le beau visible et
li-nti' de hxer les caractères éternels
de grandeur et de beauté du type
humain, en se soumettant à l'étude
respectueuse de la Nature, mais en
s'éclairant sur les chefs-d'œuvre des
anciens et cette fois, non plus des
Romains, mais des Grecs. C'est dans
cet état d'esprit qu'il attaqua son
tableau des Sabitics. aucpu-l il pensait déjà du fond de sa prison du petit Luxembourg. Il
a\'ait entrepris, disait-il, une chose toute noii\-elle, il voulait ramener l'art aux principes
qu'on suivait chez les Crées; il de\'ait, en particulier, restaurer le culte du Nu.
Il est vrai de dire cpie cette période du Directoire, pendant laquelle ce tableau fut
entrepris, se déroula comme une vaste orgie antique. C'était la détente inévitable après tant
de lourds cauchemars. David suivit le mouvement qu'il avait contribué à créer, et même,
il semble avoir également subi l'influence de quelques-uns de ses propres élèves : ce petit
groupe des penseurs ou des primitifs, réuni autour de l'un d'eux. Maurice Quay, qui,
précédant de loin les Nazaréens allemands ou les préraphaélites anglais, déclaraient que la
décadence de l'art avait commencé à partir de Phidias.
Jacques-Louis Daviii. — X.)]» liée Jii au Mi.mSt-l'.'
Kc'oK' tiMiiçaisc. 7
l)a\i(l se mit lir suite à ruiiNri'. Sa toile, rommcncée en i7')3. lut terminée en i /()<):
olle iT'présente non p.is ri{niè\enient des Sabines. ain>i (ju'nn le voit rhe/ l'oussin. mais les
SabiiK's. (!e\-enues mèiCs. apportant huis enfants, à la suite crileisilie. femme de Ronuilus.
au milieu de la bataille entre le> Rom.iius, leurs é]>ou.\. et le> Sabins. leiu-s fières, pour apaiseï
le différent sur\emi entre les deux chefs: Ronudus. ipron \-oit à droite, dardant son ja\'elot,
et T.itius, à i,'auelie. ciui se baisse ]ionr éviter le trait.
Cette toile était déjà célèbre .i\-ant d'être terminée. Ouelques ]iri\'iléL;ié's ax'aieiit été
admis à la x'oir dans l'atelier et l'on disait couramment que ]>lusieiirs dime> de la haute
société n'a\aient |)as hésité à offrir à r.irti>te le concour> de leurs charmes. Il |)araît \'rai
seulement ([ue la tète de la jeune femme brune, af^enouillée au ]5remier plan, a été reprise
Iaci.ujks-I.ocis Davih,
l'orlniii (U- M""- K
(MusOc au l.cmvi.-).
d'après le visage d'une très jolie jeune femme à la mode. M""' de P>elle,L;arde. Ce tableau
ne fut exposé au Salon cpi'en iSoS; il obtint la [Memière mention lors du concours décennal
de 1810. :\[ais l'auteur avait eu l'idée, prise aux coutimies d'Outre-Manche et (pii a été si
souvent suivie depuis, de faire de son table.ui une exposition privée, spéciale et payante.
Elle eut lieu dans une des salles du I. ouvre, tlura cinq ans et rapporta 65.627 francs. Les
Sabines furent acquises en 1819. de M. de l.i Ha\e. avec le Uonidas aux Tlicnnopylcs, pour
la somme de 50.000 francs.
Passionnément loué et critiqué, ce tableau représente sinon le plus grand effort, du
moins le plus lieureux du peintre dans ce style héroïque. Si l'on fait la |)art des conventions
de ce genre quasi sculptural et de ce ton un peu solennel, ou ne peut nier qu'il ne nous touche
La Peinture au XIX'' siècle.
par un mélange de noblesse et de charme, une beauté fiùre qui u"a pas encore la pureté
mélodicpie, l'imprévu discret de nature du style définitif que trouvera son élève Ingres, mais
qui Fannonce hautement. La couleur est sobre, mais sans aigreur ni froideur: la composition,
elle-même, si discutée pourtant, est d'un beau désordre logique. C'est une mêlée corps à
corps, mais sans trouble pour le regard, où le rôle de chacun est nettement assigné et où le
mouvement, du moins chez les femmes, a un certain élan qui n'est pas coutumier au maître,
Lorscjuc Bonaparte revint en France, après le traité de Campo-Formio, David s'empressa
de renouer avec lui leurs rela-
t inns déj à anciennes. Bonaparte
nr manqua point d'attacher à
s.i flirtant' un homme qui
(U'\-ait rtrc si nécessaire à sa
i;l(iirc. 11 Cl insentit à poser,
|Miur l)a\-id, un portrait dont
la tête, enlevée en une séance
(If trois heures, fut seule ache-
\'ée. Elle servit au peintre à
exécuter le tableau: Le premier
iousitl iraiiiliissant le mont Si
Ikriiard (20 mai 1800), placé
.lu Musée de Versailles et dont
il existe quatre autres répé-
titions. Bojraparte, suivant son
désir et ses propres termes,
rst représenté ,, calme sur un
che\-al fougueux". A ses pieds,
--nr 11' nicher, sont écrits les
noms d'Annibal et de Charle-
magne. Ce tableau a été peint
en 1S05.
Devenu le premier
printre de l'Empereur, David
liit à exécuter quatre tableaux,
([ui ck'waient représenter chacrm
mie des quatre principales
cérémonies ayant marqué l'avè-
nement au trône de Napoléon :
le Sacre, l'Intronisation, la Dis-
tribution des Aigles, la Récep-
tion de l'Empereur à l'Hôtel
de Ville. Deux seulement de ces compositions furent exécutées : la première et la troisième.
Le Sacre de Xapoléon et le Couronnement de Joséphine à l'Eglise de Notre Darne est,
assurément, la composition qui domine l'œuvre de David conune elle est aussi une de celles
qui dominent tout l'art contemporain. Elle a été exécutée de 1805 à 1808, non sans avoir
subi quelques changements exigés par le protocole impérial, l'nité de composition, unité de
clair-obscur et d'harmonie, unité d'intérêt et d'émotinn recueillie, tout y est réuni et combiné
pour rendre la solennité exceptionnelle de ce spectaclejgrandiose.
Au {)ied de l'autel est assis le pape Pie VII, ,,ce vrai prêtre, humble et pauvre", dont
h'.AN-IlAri I - 1 K Kt.(;\,\r[,r. — I,.
Ecole française. 9
David avait peint \X'n avant le portrait avec cette dédicace: .Jionaruin cirtium patroni" , entouré
du cardinal-légat Caprara. du cardinal Braschi. debout, mitre en tête, et de son clergé. En
arrière sont les ambassadeurs: sur le premier plan, à droite, rarchitrésorier (Lebrun) tenant
l'aigle, rarchichancelier (Cambacérès) tenant la main de Justice, et le prince de Neufchâtel,
portant le globe impérial sur un coussin: puis c'est Talleyrand, prince de Bénévent: le vice-roi
d'Italie, appuyé sur son sabre: le grand écuyer Caulaincourt, le jîrince de Ponte forvo, le
Cardinal Fesch en a\ant d"nn groupe de prêtres et d'enfants de cho-ur.
TlKRRE (Ukris. — \.c rctuur de Marcus SeNlus (MusOe <lu Louvre).
Au milieu, les deux acteurs principaux. Napoléon, revêtu du grand manteau impé-
rial de \elours pourpre, un laurier d'or dans les che\-eux, a pris la couronne des mains du
pontife et la pose sur la tête de Joséphine agenouillée sur les degrés de l'autel. Son manteau
impérial est tenu par ses dames d'honneur, M'"*= de La Rochefoucauld et M"'<^ de la \'alette.
Derrière elles on aperçoit l'archevêque de Paris, accompagne de ses vicaires généraux, puis le
général Junot, la famille de l'Empereur, la reine de Naples, la reine de Hollande tenant son
fils par la main, la princesse Bacciochi, la princesse Borghèse, la grande-duchesse de Berg,
le roi de Naples et le roi de Hollande. En arrière les maréchaux et les chambellans et, au
lO
La Peinture ;ai XLV siècle.
milieu, dans une tribune devant latiuelle sont dt^ljout (juelques autres maréchaux, Serrurier,
iMducey, Bessières, i-st assise la reine-mère.
Dans cet ensemble si parfait, l'individualité des ligures, le caractère propre de chacun
des pers(inna;..;es est ma!.;i>tralemeiit trailuit. de])uis les héros de cette imposante solennité
ju.-^tprau.x phis himililes desser\'ants nu enfants de clueur. marquant discrètement, derrière
les hauts lamiiadaires de Tautel. leur intérêt ou leur curidsite.
juste en face du Siicrc. à ciité des Snhiiic^. se trouve, dans la Salle des Sept Cheminées,
au Liiuvre, un pditrait inachevé, mais cpii e>t d'un cliarme extrême de grâce, de simphcité
et (rabandiiu. Heureux fut le contre-temps qui l'arrêta en route! C'est le ])(>rtrait de cette
A\\K-I,..l|s ClkMl.l 1. — 1,,
LUI (.Mu,L-e illl 1...UV
délicieuse .1/""' Rccaiiiicr, célèbre autant par sa b(_inté que par sa beauté. La jolie et capricieuse
créature, ajirès ax'oir posé pour Dax'id, s'était laissée toucher par le succès de son élève,
Gérard, vers qui montait la vogue; Da\'id, dépité, abandonna ce travail. La toile fut acquise
à sa vente posthume pour 6.130 francs.
Au moment où il exposait les Sahiiics, David, si souverain qu'il parut î'tre dans l'empire
des arts, awiit pourtant un rival, peu dangereux d'ailleurs, et qui, quoi (]u'il pût faire ou
qu'il pût croire, subit l'action générale exercée par le maitre. C'était Jil.xn-B.aitiste Regnault.
Ce peintre, né à Paris en 1754, avait eu l'enfance la plus aventureuse et s'était
vraiment formé lui-même. Son père s'embarqua un jour pour l'Amérique avec toute sa
K
colv
trancaisc,
I I
laniilU' et le confia^ à un rapitaiiu' au lonti cours en qualilc di- mousse. Il avait alui> dix
ans. >()n jière mort, sa mî-vr n-ntrail vn l'vancv. vt cv n\'sl <|u".iu h<iul de ciiui ans qu'elle
découvrit r>on tils, qui fut ramené à l'an>. Tu amateur, qui avait encourat,'é ses f,'oûts
]-réc()ces iH.ur ],■ d,-s>in, i^oùts (ju'ij n'avait jjoint laissé perdre, le lit entrer ciiez le peintre
Fiardin : celui-ci l'rminena a\ei- lui à Rome où il lit toute son éducation artisli(iue. Il
revint en France ])our prendre part au concours du grand pri.x, qu'il obtint en 177'). Agréé de
l'Académie en 1782. il lut nommé académicien en 17S3. Formé spécialement en Italie, sous
l'influence particulière des ('arrache, K<-gnault affectionne les effets de clair-obscur et. chose,
curieuse ]iour son /■poqiie. il >'cst même in-^]iiré de Rembrandt, comme en témoigne telle de
.\NM.-1,<'!. 1> (.IKOliKl, ,\la
'[\,nd.,'Ail i.Mu-cc .lu I...UV
ses rares eaux-fortes. En dehors de ses grandes compositions mythologiques ou religieuses,
Regnault, surtout dans la dernière partie de sa carrière, s'est plu à exécuter des tableaux
de genre sur ces mêmes sujets, avec des (jualités imprc\ues de lumini^ti' intelligent. Il a
exécuté aussi 140 dessins pour les métamorphoses d'Ovide.
En l'an \'III, pour protester contre l'exposition des Sahiiics. il eut l'idée. j)lutôt
fâcheuse, d'exposer de la même façon son tableau des Trois Grâces, exécuté dans ce dessein.
Traitées avec un naturalisme élégant, mais assez proche du modèle, ces trois jeunes beautés
essayent de protester contre les tendances artirtcielles du système sculptural de David et de
réaliser, sans v parvenir, ce que Ingres saura trouver plus tard; l'union de la beauté et de la
12
La Peinture au XIX'' siècle.
vérité, de la réalité et du stvle. Ce tableau fait partie de la collecticjn léguée au Lou\'re par
L. La Caze. Kegnault. couiblé d'houneurs, créé baron, mourut à Paris le 12 no\'embre 1829.
Comme Da\'id. Regnault a\'ait tenu école. Son élè\-e le plus connu est Pierre (jUÉrin,
né à l'aris le 13 Mars 1774. C'était un esprit délicat et modeste, distingué et culti\'é. Il
obtint le grand j^rix et, bien que les é\'énements ne permissent jxis de se rendre à Rome,
il t'xécuta les tra\'aux prescrits par le règlement. En 17Q7. il expdsa son tableau: Le Retour
de Marcits Sextits, personnage pure-
ment imaginaire, échappé, censé-
ment, aux proscriptions de Sylla, qui
trouve, à son retour, sa tille en pleurs
près de sa femme morte. La com-
]iosition savamment calculée, la
mimique sobre et forterftent expres-
sive, le claii--obscur qui frappe en
])leine lumière le cadavre étendu sur
Ir lit et le charmant et triste visage
de la jeune irlle agenouillée, ^^pour
envelopper, avec une discrétion
émue, dans la pénombre transpa-
rente, tout le drame qui se joue sur
le \isage douloureusement contracté
du proscrit, font de cette toile,
malgré sa facture trop impersonnelle,
sui\ant la fcjrmule de l'époque, une
iLiure d'art \"raiment tragique, dans
la grande tradition du Poussin. Cette
[leinture eut, d'ailleurs, par son
mérite propre, mais surtout par les
allusions pohtiques qu'on voulut y
voir, un succès sans précédent. Les
ennemis de Dax'id, qui croyaient
lui a\"oir truu\x' un ri\-al, y contri-
buèrent de leur côté. ^lais Guérin
ne se laissa pas griser par le succès.
Cette toile fut acquise en 1830, sur
la liste civile, au pri.x de 3.005 francs.
Le Louvre possède encore de cet
artiste, dont le caractère tendu,
théâtral, d'une recherche aigûe, se
l'approche des tendances de la petite
secte des primitifs archaïsants de l'atelier de David, cinq autres ouvrages, parmi lesquels
Phèdre et Hippo'yte, Enée et Dido)i, et surtout Clyteniiiestre se préparant à assassiner Aga-
memnon, derrière un rideau rouge dont les reflets éclairent la scène d'une lueur sanglante,
sont justement considérés. Créé baron, membre de l'Institut, de la Légion d'honneur et de
l'ordre de St-^Iichel, Guérin fut encore nommé Directeur de l'Académie de France à Rome.
]\Iais son état de santé ne lui permit pas d'accepter ce poste. Il fut remplacé par Horace
Vernet, qu'il accompagna en Itahe, où il mourut le 16 juillet 1833.
Fr.\NÇ01s Gf.r.\RIj. — Porlrait du peimie Isabey et 5.1 fille (Musée .lu Louvre).
Kcok- trancaisc.
I
Parmi U-s élrvcs dv l)u\i(l. il en est trois qui occuju-nt une place à part dans Tt-cole
vt dont la gloire i)ersonnelle contriliua à accroître celle du maitre. Ce sont dirodet. (iérardet
dros. On ne peut voir, au reste, natures plus dissemblables, ce qui montre combien l'apjjarente
uniformité de cette ]H''riode artisticpie n'est qu'im préjugé, légué par les rancunes romanticiues.
A.NNii-Loris (iiKoDKT IM-; Kotev, par exemple, est vraiment une nature très singulière.
Artiste, lettré, érudit. poète mènie. avec les qualités et les travers de son époque, mais sensible,
spontané et même com]>liqué. mystérieux et fantascjue. Né à Montargis le 3 janvier 1767.
il de\int orplielin de bonne heure
et eut ])our tuteur et pèreadciptif
M. Trioson, médecin des armées.
dont il prit le nom pour le joindre
au sien. Après différents concours
sans succès, il obtint le grand
prix en 1789. resta cimi an> en
Italie, où il counit de grands
dangers à l'occasion de l'émeute
autour de l'Académie de France
à Rome. Il y peignit le Soinincil
d'Endyniioii en 1792. exposé au
Salon de la même année avec un
succès considérable. Endymion
est endormi au pied d'un platane,
couché sur son manteau et sur
ime peau de tigre. L'AuKJur, sous
la ligure de Zéphire. écarte dou-
cement le feuillage pour cpie le-
rayons d'Hécate %'iennent se poMr
sur les lèvres et la poitrine du
jeune et beau chasseur. La délica-
tesse de l'allégorie, le réel charme
de nature, l'effet mystérieux et
insinuant de ces jeux de lumièn-
nocturne en font tme ceuvre ran-
pour son époque ; elle ne fut pa^
sans toucher un songeur sohtairc
qui poursuivait à l'écart songranil
rêve corrégien : Pnid'hon.
Emu par toutes les idée>
nouvelles, Girodet sacrifia au culte
d'Ossian, le héros septentrional.
rendu célèbre par le fameux pas-
tiche de l'écossais Mac Pherson, que tout le monde lisait: il fut. de même, avec son Atala
au tombeau, portée par Chactas et le père Aubry avec une douleur d'une grandeur simple
et touchante, le plus éloquent interprète de Chateaubriand, dont le Génie du Christianisme
fut aussi un des évangiles de l'époejue. Les deu.x précédents tableaux, ainsi que le Déluge,
également placé au Louvre, furent acquis pour le prix de 50.000 francs en 1818. (iirodet
était mort le 21 mars 1816. Il était membre de l'Institut : la croix d'ofticier de la Légion
d'honneur fut placée sur son cercueil.
KkANi.oIS r.KKARIi.
Psyché
(.Mus.
;cevam le pn
(tu Louvre).
baiser de IWmour
14
La Peinture au XIX'' siècle.
La physionomie de François Gérard est assurément moins personnelle. l\Iais j^eu
de carrières furent aussi brillantes. Son art, abondant, facile, intelligent, f(_)rmé d'habiles
compromis entre les tendances opposées, s'imposa sans peine à tous les \'eux. C'était, en
même temps, il faut l'avouer, — ce qui ne contribua pas peu à son succès — un parfait
homme du monde, d'un esprit judicieux, lin et culti\'é. Il naquit à Rome, où son père était
ambassadeur, le 4 mai 1770. Après avoir étudié le dessin chez? di\'ers maîtres, entre autres le
sculpteur Pajou, il entra chez David en 17S6. Il concourut pour le grand jirix, mais ne put
obtenir que le second, en 1789, et dut renoncer à concourir }Xir suite de la mort de son père
et d'autres chagrins ou revers domestitiues qui l'obligèrent à gagner sa vie et celle de sa
famille. Parti pour l'Italie en i7<)0, il rentra en France en jilein dans les événements de la
Ti-rreur et écluqipa p,ir une maladie feinte à l'honneur redouté de siéger dans le tribunal révo-
Antoine-Jkan, ]!ar(in Gkc
Napole
i^ilant le champ de bataille d'Kylau (Musée du Louvre).
lutionnaire. Les succès de ses premiers tableaux ne lui donnant pas les moyens de vi\-re, il
fit alors de nombreuses illustrations. Ce ne fut guère qu'avec l'empire que commença sa répu-
tation, bientôt universelle, comme peintre de portraits. Dès ce moment, de tous les points
de l'Europe, les membres de la plus haute société : rois, princes, généraux, savants, femmes à
la mode, veulent être peints par lui. C'est dans ce genre, assurément, qu'il montra, sinon le
plus d'originalité, du moins le plus d'aisance, de distinction, d'élégance aristocratique.
Le portrait de son ami, le peintre Isabcy, tenant sa fillette par la main, qu'il exécuta
en 1795 et qu'il e.xposa l'année suivante, surpasse de beaucoup, par sa simplicité, son naturel,
son joli éclairage discret, son décor, qui est le milieu accoutumé du modèle, toute la collec-
tion de ses plus nobles effigies impériales ou royales. Gérard a peint, comme tous ses confrères,
de grandes toiles à la gloire de l'Empire ou de la Restauration, qu'on retrouve au Musée de
Kcolc iraïu.iisc
1/
\'c'i>-,iilh-~. D.in^ xiii iiu\ rr, l'svclh' rcccunil le [^rriuicr Ijuiscr de F Aiiuntr montre un a>i)i-ct ilc
sdii t;ilcnt i|ui .•v.xn'u'. Im ,iu^>i, Ir -(nnciiir du Ljiniipr arcli.iïsanl de !".itfli(T dé David, ("f
tal)lc,iii distiiii^iK'. d'un cliaMnc un [xu finul, aiiiidicr de Sdii (■ut(' rM.u\-iT prdchainc d'Infircs
(lui, d'ailleurs, r.ipprrciail cnnuiie ..\c ])lus beau tableau <le])uis David". 11 a été expu.sé en
I7()S et acipiis en iS',_>. à l,i \ente du i,'énéral i'îapp, pour la somme dc' 22.100 francs.
I-^' niiiu de Ciros a une si-inlieat ion i)lu> spéciale dan> ré\-olution de l'I'.eole. Il
représente en eilet li continua-
tion des teudaiiee> ln--loi i(|ue^,
réalistes et actuelle-, d,- D.ivid et
il est, inconscieunuent il e>t \rai,
et même contre ^a xoloutc', le
jjoint de départ de l.i ri'action
\'ioleute (jui \'a se prodniie pour
renuu'r et colorer le ciel t;lacé et
lifi;é de la l'einture. <iros a été
le jjrécurseur du Romantisme.
Antoixe-Ji-:.\.\, 1!aK(1N (Ikos. est
né à Paris le i() mars 1771. Il
était lils d'un peintre en nuni.i-
ture. Entré dans l'atelier de I ),i\id
en 1785, il concourut ])oui- Rome
sans succès, dut inti-rronijin' ses
études à la mort de son père.
pour gagner sa \ie en fais.int des
portraits, et se décida à aller de
lui-même en Italie, (ji'i il u<' put
guère se rendre, en raison de hi
gravité des é\'énements \n ilitiiiues.
cjn'à Florence et àdénes. II lut
très frappé, dans <-ette \ille. p.ir
les ])eintures di' Kuben^ et de
\'an Dyck. Il \- eoninit jo->epliine
Bonaparte, (|ui le mit en lei.ition^
avec le général; il fut altaclu' à
l'armée et peignit le portrait de
Bonaparte au ])ont d'.Arcole,
aujourd'hui au I.ou\'re. Pendant
r<'xpé(lition iri'',i;\-pte. < nos re\int
d'Italie a\cc beaucoup de ]ieine
et arri\'.i même m.dade à M.ll-^eille.
Rentré à Paris, il rempoi ta le i>nx
dans le concours institué par les CousuN i)our célébrer l.i \ictoire de junoi à N.i./,iretli. Celte
toile ne fut jxis exécutée, mais il rei.ut la comuKinde des l'cslijircs de Jiij/ci. de la Inilaillc
dWboukir et de la l'Hitiitlh- d'l--\liiu. <\n\ et.iblireut hautement s,i ré|)Ut,ition et sont ce qu'on
])eut ,i])pt'ler >es liiefs-iroinre. Il ,1 peint un grand nombre de p(]rlr.iits, des toiles historupio.
la coupole du l'.mlheon. etc. Comble de titre- et d'honnem-, considéré comme leur chef par
les jeunes généi.ilion> <|in le\aient l.i bamuere de rindé])eu<l,ince. il fui elfr.ivé du rôle qui
.\n ioim;-Ikan, I;.\U'
■^.irlovive (Mii>ec .In 1 ,.
i8
La Peinture au XIX' siècle.
lui était échu et, vn élève soumis des principes de David, essaya de réagir. L'insuccès des
ouvrages qu'il tenta de produire dans cet esprit fut tel, qu'il en conçut un \il chagrin et s(;
donna la mort en se noyant dans un bras de la Seine, au Bas-Meudon, le 26 juui 1835.
Les Pestiférés de Jaffa furent commandés à Gros en iSo',. .\u milieu d'une mosquée
c()n\-ertie en hôpital, qui laisse entrevoir, à travers ses arcades, tout un extraordinaire paysage
d'Orient, au ciel x'oilé par les fumées lointaines de la poudre, Bonaparte, accompagné des
.M'iii'r.mx 1'.. rtliier et Bei^ièrc^. de l'administrateur en chef Daure et du médecin en chef
Pierre PRi-n'iinx. — [,a Justice ui l.i \"./ni^earicf divine poiusuivant le Crime !Mu-ee
Desgenette, touche sans crainte les tumeurs pestilentielles d'un marin, dehnut, demi-nu, au
milieu des malades qui gémissent et de> agonisants qui râlent.
A\-ec la puissance communicati\-e de sa couleur, l'exotisme profond de son paysage,
qui, certainement, fut le point de départ de la formation de l'école orientaliste en France,
avec son parti-pris de clair-obscur puissant et mystérieux, le rôle suggestif de ce décor et de
ce spectacle, vus par les yeux intérieurs de l'ame cnmme par un \-éritable voyant, avec cette
liberté et cette énergie toutes nmn'elles dans la technit|ur, hardie, personnelle, mouvementée,
cette toile d'un pathétique inattendu, qui [larlait un langage depuis longtemps inconnu ou
désappris, causa un enthousiasme indescriptible et unanime. Elle allait de\'enir comme le
point de ralliement des jeunes révolutionnaires (|ui commençaient à se soule\"er contre
Kcole trancaisc
19
rétruitesse tyranniejuc dv l\'nscignfnu-nt (ju'dii leur donnait, et en effet, à et' sal(jn de ibo^,
eut lieu la ])remière manifestation de cet esprit nouveau. Les artistes réunis \inrent solen-
nellement attacher une palme au cadre, qui fut cou\ert de couronnes.
Napoléon visite le champ de bataille d'Eylau (9 février 1807) avant de passer la revue
des troupes. Cette toile est le résultat d"un concours qui eut lieu en 1807 et où Gros obtint
le prix. C'est un spectacle grandiose, d"un pathétique aussi émouvant cpie les précédentes
compositions du maître, a\'ec le rôle toujours suggestif du paysage et une nouvelle mise en
scène à la fois éclatante et sinistre. I. "empereur, revêtu de sa pelisse de fourrure, monté
sur son che\al blanc, est en-
touré de brillants officiers aux
uniformes chamarrés, caraco-
lant autour de lui, tandis que.
à chaque pas, des blessés râlent
ou supplient, couchés sur la
neige en des amoncellements
indescriptibles, avec le fond
blafard où serpentent les lignes
de troupes, où montent les
fumées noires de l'artillerie.
C'est un des plus beaux et des
plus navrants spectacles de
bataille qu'on ait évoqués.
A côté de ces grandes
toiles mouvementées, Gros a
fait nombre de portraits deve-
nus célèbres. Le Louvre permet
d'admirer, entre autres, avec
le portrait de Bonaparte, celui
du Lieutenant-Général Fouruier-
Sarlovèze, (exposé au Salon de
1812) dans son costume rouge
tout soutaché d'or, debout au
milieu du champ de bataille de
Lugo en Gahce et celui de Cltris-
tine Boyer, première femme de
Lucien Bonaparte, frère de
Napoléon. Cette belle créature
songeuse, vêtue de blanc, avec
une écharpe de crêpe cramoisi
pailleté d'or, dans ce paysage
humide d'arbres et d'eau, cpii reg.irde mélancolifiuement une rose gli>ser le long du courant,
était la sœur d'un petit aubergiste chez (jui Lucien logeait à Saint-Maximin. et (pi'il épousa
en 1794, alors qu'il n'était guère encore ([u'un maigre ambitieux très remuant. l-.Ue mourut
en 1800 en laissant à Lucien deux lilles. Ce portrait, qui ajjpartient aux premières annee>
de la carrière de Gros, est d'un charme de nature, de couleur et de poésie <|ui lui permet dv
rivaliser avec les meilleur> portraits de l'école anglaise, tant vantée.
l'iKKKl, rKLlill"N.
l'Mclic iMusOo .iu 1.
•ncore dans \'V.
'écart il est \nii. une phv-innomie exceptionnel
!0
La l'einturc au XIX' siècle.
(|ul montif riiinbicii. en art. la \rrtu dr la jicisnnnaiitr l'st plus fdite que tontes les ddctriiics ot
<|ue tniis les cnseii^iiemenls. C'est ecllc dr l'iiuriion. Ni- à Clun\- (Saùne-et-1 j live) le 4 août 173'*^.
PHiK'i^'i: l'Kri)"U(ix. Iils d'un ]),in\ic iiiai;i>n qui axait eu dc'jà diiu/e eidauts. de\int (Hplielin
de Ixmue heure. Les moines de rAi)liavi' s'intire-sèreut à lui ])ar eliant(' et l'exècjne de Maeon
l'adressa à M. l)e\-osL;e iiui dirit^eait récolc t\v dessin de I)i|on. Find'lion a\-.nt alors if) ans.
lui ijSo. il \int à Paris, puis concourut pour le i>rix triennal tonde p.ir les Mtats de
j-îourgo.tine et l'obtint, bien qu'un niouvenient troj) généreu.x de solidarité ait lailli le faire
donner a nu eouiurreut (pi'il
a\ait aidé, niais ([ni eut le scru-
pule de ne pas accejiter. Il ])artit
donc pour Rome en 1782 et resta
-ept ans en Italie. C'est là qu'il
tut fr.qipé par le Corrcge, Léonard
de \'inei et André ciel 5arte et qu'il
les prit jionr guides ; phénomène
assez singulier, c(}mme il aniva
piiur (iros, dans ce courant tout
,L;ri''i;o-romain. Ce n'est pas que
l'rnd'hon fût insensible aux beau-
tés du monde antique. Tout au
contraire et ranticpiité n'a pas
eu, ilans les temps modernes,
d'iuteri)rète plus excjuis, plus
pénétré des jnires voluptés du
re\-e jxiïeii. Prud'hon est comme
un petit-lils ressuscité de \'irgile
et d"()\ide. !\Iais il dut à ces
rnaitres qu'il avait adoptés de
iiiieux comprendre la grâce et la
be.iuté anticpie et de la traduire
a\ec cette enveloppe, cette mor-
liidesse, ce charme profond qui
n'a j)oiiit été dépassé.
Mcdheureusement, marié
trop jenne à une jeune femme
acariâtre et X'ulgaire. cette union
fut pour lui la cause de nombreu.x
soucis et de chagrins. Rentré à
Paris. pau\'re et inconnu, il fit,
pour \i\re. de nombreu.x dessins
de vignettes. Le succès \'int. quoique un peu tard. Nommé chewdier de la Légion d'honneur,
membre de l'Institut, il fut aussi choisi comme professeur de l'impératrice Marie-Louise. ^lais
sa fin fut douloureus<'. l'ne de ses élè\es, W^'- Constance .Mayer. a\'ait pris à son foyer, par
sou déx'ouement inlassable, la place ([n'occupait la femme dont il s'était séparé. Dans un
moment d'égarement elle se suicida, le 26 mai 1S21. Prud'lion ne se remit [xis de cette secousse
et mourut deux ans après, le i() fé\-rier 182/,.
La Justice (V lu ]'c)ii^ciiiicc divine poursuivant le Crime peut iusteineut passer pour un
de ses chefs-d'(eu\re. Dans un milieu abrnjil et sauwige, sous la clarté fr(iide de la lune, qui
l'iKKkl. l'KrillI. .N.
■JoNCi.hinc^ilaMal
.colc
fr;
ancaisc.
semble se lever pour .éclairer l'horreur du forfait, un être farouche, le poitjnard à la main.
fuit rapidement en jetant un re,t;ard d'épou\ante vers le cada\re nu qu'il \ient d'étendre à
ses pieds. C'est le premier crime, le fratricide de Gain. Dans le ciel orageux et comme irrité,
voient la Justice, impassible, tenant son glaive et sa balance symbolique et l.i N'enge.ince. ipii
lui montre le chemin a\ec une torclie et tend sa main comme pour saisir le meurtrier.
Cette t(jile émouvante, où l'allégorie revêt un caractère si dramatique, fut commandé»^
à Prud'hon i)ar M. Frochot pour la Chambre criminelle du Palais de Justice. Klle figura ;ui
Salon de 1808 et aussi de 1814. Remplacée au P.dais de Justice par un crucifix, elle fut cédée
Musée du Luxembourg jusciu'en 1823.
par la \'ille, par voie d'échange. Elle demcur
\.' Knlcvcinoit de Psxclic. ou,
pour l'appeler comme le li\ret du
Salon : Psyché, exposée sur le rociter.
est enlevée par les Zéphyrs tjiii la
transportent dans la demeure de
r Amour, est un legs de la Comtesse
de Sommariva à notre grand Musée
National. C'est, ainsi cjue le pré-
cédent, un en\-oi du Salon de iSoS,
comme si Pnid'hon eût \-oulu mon-
trer, par ce contraste, que son pin-
ceau était aussi propre à rendre les
chastes voluptés dt cette féerie
antique que le tragique poignant de
sa sinistre allégorie. Le !M\-stère. ici.
est léger et déhcieux. Les Zépluus.
agitant leurs ailes irisées de libellules,
soulèvent doucement ce beau corps
jeune et pur sur lequel la clarté
complice de la lune se répand a\-ec
amour. C'est là qu'il semble bien
que Prud'hon. qui a pensé à Corrège.
ait pu penser aussi à Girodet.
C'est toujours le nu'stère.
mais le mystère de la réalité, qui
noie le beau paysage dans lequel
Joséphine songe, solitaire, au milieu
du parc de la Malmaison. Quelle
ombre de mélancolie passe dans k-
regard de cette reine heureuse et
choyée qui eut la fortime la plus singulière du monde ? Est-ce l'ombre, encore imprécise, de
l'avenir prochain qui l'attend ? C'est, plus encore peut-être que le portrait de Christine Bo\-er.
une de ces images qui font honneur à l'Ecole française.
TliK.
KK (.;i£RicArL 1 . — I iliiciet Je la i'.
iiiipi
aie .Mii»c
Le Salon de 1S19 \it naitre une leuvre qui, depuis, a pris une place considérabl*-
dans l'histoire de la peinture moderne. C'est Le Radeau de la Méduse, de Géricault. Xou'-
sommes maintenant sous la Re>tauration. en plein dans une génération noiuelle. Le ferment
d'indépendance qui agitait sourdement l'école sous le règne de l)a\"id \m bientôt lever. Le
romantisme est en pleine marche; il a trou\-é. cette fois, son chef, un chef, héla>l qui n'aura
24 La Peinture: au XIX'' siècle.
p.is riioniu'ur dv \v contluiir à la \-ict(iin', car la nmit \v fauchiTa tiop lût. di-KH Ari,r
(TliK(.)l)OKE) est ne à Kiaicii le zh septembre ïj^ti. Il nidutra île Ikuiih' hcui-e des dispdsitidiis
]i()ur le dessin et dn i^oût ])inir les clie\-aux. Hien ipie sa fainillr ne U- de>tinat ])oint aux arts,
elle ne mit pas nn obstacle in^nrmimtable a sa xocitinn. Il entra chez; Carie \'ernet, ])uis
cliex Ciuérin où il eut ]iiiui" camarades n-u.\ cpii de\'aient de\cnir, à sa suite, les principaux
chami)i(>ns du nmiantisme: Delacroix, Cliani}>martin. Léon Cot^niet. Ary Sclieffer. En 1S14 il
s'engaf^ea dans les mous(iuetaires, mais il re,i,'retta liientot son acte et. son régiment étant
licencié, il reprit ses j.nnceaux. .Vnimé d'une curiosité inlassable, de scru])ules de conscience
jamais apaisés, il ne se contentait pas d'étudier la nature axcc le cra\'on, ]r ])inceau et même
l'éLiauchoir, mais il se plaisait à interroger les maîtres les plus di\'ers d'Italie, de France ou
des I^'landres. 11 \'oyagea en Italie, puis à Londres où il se [)lut à \-i\-re, partout, au milieu de
la \'ie présente et des clu'is-d'o'u\-re du passe. Son ,ime ardente, impétueuse et généreuse
rêvait de créer rm art \-i\'ant et humain, mie ])einture subjecti\'i.'. (pu prit sa ])art dans toutes
les émotions, les joies et h's souitrances d(.'s hommes. C'est |)ouri|uoi il choisit, a\'ec cette
scène de naufrage, d'autrt's sujets aussi p,itliéti<|ues, tels <pie hi 'ffuilc des Xô^rcs, FOuvcrture
des l'or/cs de F Inqiti^itio)i. etc. A Londre-;, ou en rewnant de Londres, il jjeignit ou lithographia
un grand nombre de sujets de clie\aux et de scènes populaires tel le Derbv d'Iîpsoiii. Malheu-
reusement, atteint d'un mal aggra\é par ses imprudences, il meurt à Paris, le 18 janvier 1824,
après onze mois de souitrances courageusement supportées.
L'idée du Rudeaii de la Méduse était \'enue à Céricault d'un fait du'ers cjui ax'ait porté
l'horreur dans tous les esjirits. La frégate la Méduse, accouip, ignée de trois autres bâtiments,
a\'ait (piitté la France, le 17 juin 1816. ])our transporter à Saint-Louis tlu Sénégalle gouverneur
et les principaux em]ilo\'és di' cette colonie. /,(/ Méduse a\-ait à bord près de cpiatre cents
marins ou passagers. Le 2 juillet elle hmirtait un liane et ne poiu'ait, après cinq jours
d'efforts, être remise à tlot. ( )n construisit un radeau qui rei;ut cent ([uarante-neuf personnes.
Les autres [iiirent place dans des canots qui dewdent le traîner à la reniorciue. Mais bientôt
les canots coupèrent les amarres (pii les reliaient au radeau et celui-ci erra à la dérive dans
l'immensité. Alors la faim, la soif, le désespoir, armèrent ces hommes les uns contre les autres
et, le dou/ième jour, quand l'Argus les recueillit, ils n'étaient plus que quinze mourants.
Ce sujet était tout un programme ré\'olutionnaire, bien cjue Ciéricault, respectueux
des maîtres, ne se llattat point de faire une rc''\i)lution. Il ])eignait un fait, tout d'actualité,
non pas dans les dimensions attriliuees au ..genre", ni.iis d.nis le format de ,, l'histoire" ; il
protestait contre la théorie du ,.beau \-isible" de Dax'id par la recherche du beau expressif,
né de riniité des accords et de l'émotion ressentie, et il employait lui aussi le mi, mais, dans
ce cas, jiour des raisons \-raiseuiblables. Tout le pathéticpie cju'il emprunte à Cros se double
ici d'une énergie noiuH-lle. l'n grand souffle tragicjue d'épouvante et de pitié tra\'erse cette
scène de détresse au milieu des éléments déchaînés. L'ne étape noiu'elle est ouverte à l'art,
(|ui \-a paljiiter, souffrir, sentir, aimer awc l'humanité et l'humanité de son temps.
Cette toile ni- proiluisit pas au Salon tout l'effet cpi'on eût jni attendre et le Directeur
des Musées Nation, LUX, le Comte de Forbin. eut toutes les peines du monde à la faire acquérir
et n'\' par\int (ju'à la mort de l'auteur, pour le ]n\\ de ()ooo francs.
L'vjjicier de chasseurs éi eheeul de lu garde, chargeant et le Cuirassier blessé quittant le
feu sont aussi deux toiles ])o]iiilaires de Ciéricault. Le premier est un portrait. Il fut exposé
en 1812, ]>uis en 1S14 ,i\-ec le second. Tous deux a\aient été enle\'és au liout du pinceau
en une douz.inie de jours. Ils furent accpiis à Li \ente du roi Louis-Philiiipe, leur premier
ac(iuéreur, le 29 a\ril 1851, jxiur la somme de 23.400 francs.
_i -
3 A
CI1AP1TRI-; II.
^: c.o L !•: f r a x ç a i s li.
Or. iSoi A 1S30 {Si(ift').
Première Période.
L'AXXKE 1824 est exceptionnelle
dans l'histoire de la lutte entre
Classiques et Romantiques.
C'est Tannée de la mort de (iirodet
qui ralliera un instant les é]è\-es de
David depuis longtemps désemparés,
c'est l'année de la mort de Géricault
qui, de son côté, semble laisser sans
chef le parti des indépendants. C"est,
enfin, la date d'un Salon qui fut le
champ de bataille où se régla Faction
décisive et ovi les deux adversaires
trouvèrent chacun leurs chefs défi-
nitifs.
Du côté romantique Dela-
croix est conduit à prendre la place
de Géricault; du côté classique surgit
presque soudainement Ingres.
Jusqu'à ce jour, en eft'et.
l'ancien élève de David, retiré à
Rome ou à Florence, n'avait guère
fait parler de lui et les envois qu'il
avait adressés antérieurement aux
salons, peu goûtés des miheux oftî-
ciels. n'étaient vraiment appréciés
que d'un petit nombre d'artistes.
parmi lesquels il faut même signaler
Delacroix. Les sujets qu'il choisis-
sait, pris tantôt dans les temps
antiques, tantôt et encore assez sou-
vent dans les temps modernes et même dans l'histoire anecdotique, semblaient le désigner
plutôt comme un adepte des idées nouvelles que comme un esprit étroitement académique.
II avait déjà produit, à cette date, quelques-uns de ses plus indiscutés chefs-d'œuvre, tel son
Œdipe dévoilant l'énigme, exécuté à Rome en 1808. simple tigure d'envoi du jeune pension-
naire, qui ne fut pas exposée au salon, et ne devint célèbre qu'à l'Exposition Universelle de
1855. où l'on se rendit compte de ce (jue Ingres avait réalisé. Acquis en 1839 par le duc
lKAN-.\rurM 1-1 1
'MIM'.TI
(Mus
lNr,RE>. — .\
f de Nantes).
26
La Peinture au XLV siècle.
JKAN-Al
des fiers ii
r,lK-lluMINIi
aturalistes
(rOrlc.ms, j-luis jxissé chez le
(■(imte Duchâtel, il lut léf^ué
par cet amateur au Luuvre.
Ce que David avait laissé
échajiper ponfs'être trop pré-
Kcnipé de la statuaire, ce que
cpielques-tuis de ses élèves
avaient cherché en étudiant
lis peintuies des \-ases grecs,
,.etrus(|ues" dis:iit-(in alors, ce
([ue Sun n\-al Kegnault tentait
\ainfniiiit en s'appuyant de
trop ])iès '=ur la réalité du
modèle. Ingres,' mieux pré-
paré, ]ilus sensible surtout,
le décDVivre en regardant la
nature avec amour et en étu-
(hant ri'hi^ieusement les maî-
tres qui Timt le plus haute-
ment cumprise.
Né à Montauban le
2g août 1780, d'un père qui
était sculiiteur ornemaniste,
JEAN -Auguste -Dominique
Incres. hésita d"abord dans
sa carrière et commença à
g.igner sa vie avec son violon.
11 vint à Paris en 1796, entra
bientôt dans l'atelier de David
et obtint le grand prix en
iiSoi. Mais en raison des cir-
constances politiques il ne put
se rendre en Italie qu'en 1806.
Il s'y établit, d'ailleurs, assez
longtemps, tantôt à Rome
jusqu'en 1820, tantôt à Flo-
rence jusqu'en 1824, dans une
situation, à plusieurs reprises,
proche de la misère, au cours
de laquelle il vivait surtout
du prix modique de ces mer-
veilleux portraits au dessin,
disputés aujourd'hui par les
grandes collections publiques
ou privées.
Pénétré de la beauté
ii-K Ingres. — La Sou.cl- (Musée du L.uivrc). ^^^^ antiques, vivaut au milieu
florentins du X^■ème siècle, que son maitre avait pressentis seulement,
JKAN-Al i.lbTlL-DiiMiM.AL l.NcaUS. — \,.u ,1c l.ouis Mil (ClltlRJr
I^coK' tiancaisc'.
29
mais (lu'il est le picniiiT à foniinciulic ilaiis leur f^éiiic de force, de "^racr «m dr \éritc. conduit
bientôt \cis l\aj)liarl. (lui dc\iciidia son dieu. yrdV ce culte niélodiiiue tle la ligne, ce sens
à la lois si ])récieuseuient ingénu et si supérit'urenienl conscient de la foi nie. tians les caractères
imprévais de charmante inégalité <]u"elle re\ét dans la nature, alors ([ue les i>rincij)es de
l)a\id tendaient constamment à mie correcte et fioide s\'in(''trie, Ingres est vraiment
l'instigateur d'une sorte de renaissance du sens de la beauté |)lasti(iue.
Il est alois si ma.l compris dis rejjréseiitants de racatléiiiisme (]Ue son dessin fait
u.utre toutes sorti'^ de railkn'ies et. justenu-nt. dans ce cam|) même (|u'il \a l)ienté)t diriu;er.
On le tr.uie di' ( iothi<iue. de Cliinoi-,
parce (pTil se i)lait à admirer nos
vieux peintres français des livres
d'heures ou encore les miniatures
persanes ou indienni's.
La période d'Italie est aussi.
Y>onv Ingres, la i^éric-de de ses plus
beaux portraits: di- l.i belle Zélie;
de .M'"*" Dev.iuçav. de dranet. et en
particulier de cette exquise ligure
de Madame de Séiioiiiies. qui appar-
tient au ]\Iusée de Nantes. C'est un
ouvrage exécuté entre 1806 et iSio.
Tout le charme de l'art d'Ingre-,
dans l'étude de l.i jihysiononur
humaine est concentré dans ce
portrait, où le dessin a traduit avec
grandeur et délicatesse ce qui dis-
tingue particulièrement ce visage de
femme, ce qui le fait projM'e i-t
interdit de le confondre avec tout
autre. Kt ce n'est point, certes, jiar
la minutie, par le détail, pas plus
que par la reclierche d'une correc-
tion savante qu'il arrive à ces in-
comparables résultats, mais par cette-
intelligence rare du caractère qin
désigne à son pinceau les éléments
essentiels, les seuls (pii méritent
d'être retenus et. en même tem]is,
par ce haut esprit de sacrihce qui
lui fait dédaigner et rejeter tous les autres connue inutiles à l'expression du modèle. Ingres a
aussi retrouvé le procédé de Holbein et de Clouet du ,, modelé dans le clair" (im, après lui, sera
poursuivi par des héritiers bien inattendus, nés dans ce milieu révolutionnaire de l'avenir qu'on
appellera l'Impressionisme. Il n'est pas jusqu'à la couleur, dont la localisation franchement
voulue n'ait une forte valeur expressi\-e. LOdalisque, qui figure aujotn-d'hui orgueilleusement
au Louvre, est encore une des (l'uxtcs d'Ingres qui furent les plus discutées. L'un trouvait
qu'elle n'avait .,m os. ni muscles, m .sang, ni vie, ni rehef", l'autre (lu'elle possédait quelques
vertèbres en trop. Cette exquise synthèse de la beauté féminine, ..ce sujet gracieux et un
peu étrange" ainsi que le maître c}ualitiait son charme exoti(iue, trouva même à peine un
irNTK-ll(iMiNiv>rF. Ini;ki:>.
(Musée au !..
(i;,li,H- .le
La Peinture au XIX'' siècle.
-Aii-.r, 1 1 -IloMiM, jri-; In
aciiuéifur. Elle a\-ait été commandée par la reine Caroline Murât, en iSij, et peinte en 1814.
Les circonstances politiques lui tirent changer de destination: elle fut acquise par M. de Pour-
talès pour le [)rix de Soo francs. Elle tîgura au Salon de 1819. Ce sujet oriental montre encore
coml)ien Ingres était ou\-ert à tous les souilles de Tinspiration du moment.
JEAN-Arca-STE-DOMINK.IE Ingres. — La Stiatonice (Musée Conilé, à Chantilly).
llcolc traiicaise.
I
( ftait (liinc.a\-i'c tout rc Ijuf^ugr passe ot bien irautics clicfs-d'uaurf Cjiu' Ingres
apparaissait au Salon de 1824, où il exposait le Viru de Louis XI II. Bien qu'il fût alors
méconnu des siens, il était loin d'être un jeune honune : il avait alors quarante-cinq ans. Son
adversaire. Delaevoix. au contraire, n'avait guère, lui. que vingt-six ans. D'une culture plus
générale, d'une intelligence ])lus étendue en dehors de l'horizon des préoccupations profes-
sionnelles, d'une \ision philosophique plus haute, le jeune ronianti(|ue pouvait se montrer
assez libre i)i>iir admirer son vitnix rival. Celui-ci. ulcéré peut-être par un trop long oubli,
ne put ou ne voulut jamais comprendre les chefs-d'ceuvre les moins discutables de Delacroix,
qu'il jugeait avec des mots malheureux
qu'on doit oublier, et ne désarma jamai-
devant ce (ju'il aiijielait ..la lourbe roman-
tique", ("est le sentiment d'orgueil et
peut-être de rancune qui le jionssa. dan-
ime bouffée de gloire t.ii'divement \'cnu'
avec le succès de son table. m. à iirendu
la tête de la réaction.
Malgré les réminisctiices ou. si l'on
veut, les transpositions trop é\'identes. ei
d'ailleurs si franchement a\'ouées, (L
Raphaël, au point qu'Ingres écrit: ..}<■
n'épargne rien pour rendre la cho>,-
raphaëlesque et à moi" cette (eu\rf.
vraiment forte, méritait le suciès (|u"ell<
eut et les honneurs ([u'elle wdut à son
auteur, nommé, la même année. che\alier
de la Légion d'honnem" l't membre de
l'Institut. Elle avait été conmiandée par
le ^Ministère de l'Intérieur ])our la Cathé-
drale de Monîauban. au prix de j.ooo
francs, qui fut. du reste doublé, en raison
du succès du Sali^n. et commencée, en
1821, à Florence, Ingres s'y mit d'abord
avec mécontentement, fâché de ce mélange
de réalité et de rêve, dont le contraste,
pourtant, le séduira dans son Apothéose
d'Homère ou dans son portrait de Chéru-
bini. Peu à peu il sentit ce qu'il jxiuv.iit
obtenir de la figure du roi, vivante d'une
\\& concrète et déterminée, faisant rejious-
soir à celle de la Vierge, (pii soulève d'un
charmant geste maternel son enfant divin >ur les genoux, tandis (jue deux anges, aux corp^
d'adolescents, vêtus de robes i^lanches, écartent brusquement les courtines qui semblaient la
voiler. Ce v<xni de Louis XIII est celui cjue le roi lit à la X'ierge de son sceptre et de sa
couronne pour qu'il lui fût donné un héritier. L'Apothéose d' Homère a aussi son histoire. Elle
est celle des principaux cliefs-d'(euvre d'Ingres. V.Wc fut, à l'origine, mal accueillie et ce ne fut
qu'à l'exposition de 1855 qu'on en comprit la portée. Exécutée en 1827, en un an. condition
expresse de la commande, pour être placée en j)lafond dans une des salles du Lou\re. elle y fut
remplacée par une copie due à deux de ses élèves et. après le Salon, accrochée au Luxembourg.
lK-I).iMIM.jrK 1^|■.KI.^. — l,'.A|.L.lllco»<.- .1 llo!
(.Musce ilu Louvre).
La Peinture au XIX'' sièele.
("est une sorte de i('|)ri>c île l'idcc de V J-'.colc il'.l tlicncs de Kaiiliui'l, ([ui grouix' autour
trHonièn'. courouiir ])ar la N'ictoiic. rt au pied dr ([ui sont assises, comme ses filles. l'Iliade
et rOdyssee, tous ceux, saxauts. arti>tes. jioètes. orateurs, qui. dans tous les temps et dans
tous les l>.iys. ont illustré l.i ]>ensée luuiiaine. Si rexécution se ressent un lieu de la liate du
trav.iil dans les portniils des ])ersonnages. les fi.Ljures allé;.,'on(iues rentraleN. ]),ir leur .grandeur,
leur sunplieité. leur sii^inlKation jiersounelle. ])our tout dire leur st\-le, app.irtiemient à ce ([ue
hilares a réalisé de plus éle\é dans l,i jioursuite de son idé'al de beauté.
Cette recherche de la beauté dans ce i|u'elle ])i'ut olfnr .1 la lois de plus rare et de plus
pur l'St encore marquée d'une manière incomparal)le en deux toile> (pii se iil.icent ])ourtant,
chatame. à de> éi^icpies bien diric'reiites de l,i \-ie de Tauteur. L'une est la Styiitmiiic. l'autre
hi Source. ( )n ((iuuait le sujet delà
première. I)a\'id l'avait déjà traité
a\'.int Intjres et d'autres encore. Antio-
cliu-<, fils de Séleucus I^r, l'rui des
successeurs d'-Mexandri', est de\'enu
follement amoureu.x de Stratonice,
deu.xième femme de son père. Appelé
à reconnaître la maladie, le médecin
lù.isistrate en de\-ine la cause en
\'o\-ant l'émoi extraordinaire du malade
lorsi|ue jKisse, dans la chambri- où il
est concile, Stratonice, lente et son-
deuse. Cette , .grande miniature liisto-
ri<ine" comme il l'appelait, donna à
Iiifues un mal inlini et on le comprend
en \'oy.int tous les détails airxquels il
s"(''tait minutieusement soimiis. C'était
une Commande du duc d'Orléans, en
iN ',4, pour ser\ir de |)endant à la Mori
il II duc de (,ui\c de Delaroclie. Ingres
s'\' mit aussit(")t et ne termina cette
]>einiure <pi'en lii^'). ..après lui avoir
donné jusipCan dernier moment les
soins les ])lus tendres". Dans cette
'etite toile où il s'est plu à tracer
scru|iuleusement un riche intérieur
antique, tel que le conce\ait l'érudition
de cette époque. Ingres n"a pas perdu de vue ses oersonnages et surtout cette délicieuse
hgure de Stratonice, cpn s'avance a\'ec hésitatior r la chamlire, la tête a]ipuyée sur sa
main, comnre si elle se sentait jiénétrée ])ar les eltUu'es de ce violent amour.
Ç)uant à la Source, elle fut l)ien, sans doute, commencée à la tin d<' son premier
séjour en Italie, comme une sinij^le étude, mai> elle ne lut reprise (pi'en 1S53. Ingres avait
alors soixante-quin/e ans. Cette toile, que le Lou\-re doit encore à la générosité du comte
Duchâtel, reste, [i' 'tant, l'expression l.i plus haute de l'idéal d'Ingres et de l'idéal de l^eauté
cju'aura conçu notre tem])s.
Comlili' d'honneurs jusqu'à ses derniers jours. Ingres mourut à Paris le 14 janvier
1867: il sur\i\-aii de quatre ans à son glorieux ad\-ersaire envers lequel son obstination into-
lérante ne ^^•'■'•irma jamais.
Eur.ÈNE Delacroix. — Massacres ik- Scio (Musée ilu Louvre).
cole française.
03
EuGÈNK Delackoix, en effet, mourut à Paris en 1863. le 13 août. Il était né à
Charenton le 26 avril 1798. tils d'un diplomate qui devint jiréiVt et petit-fils d'un général dr
l'Empire. Ingres était un enfant du peuple; Delaeruix, tils de haute bourgeoisie, reçoit um-
éducation classiqne complète. Son esprit culti\é est avide de connaissances dans tous les
ordres divers de la pensée: il se passioime pour la littérature, essaie lui-même de faire des
\-er5, suit le théâtre, adore la musique dont il associe les sensations à celles de son art. mai-.
en grand harmoniste, tandis que Ingres, musicien lui aussi, n'a subi l'intlnence de la mu>i(iur
que par le côté mél(idi(iue. Tempérament septentrional, doué d'unr imagination qm i-~t peiit-
tuuKNi; Dei.alR» 'ix. — L'Entrée .It--- eVoi^cs à L'on^t.-imiuople (Mu
être la plus ardente qu'on ait connue dans les arts, son cer\'eau est. en même temps, si
ordonné, sa raison si discii)linée, >on jugement ^i clair\oyant qu'il a écrit des pages de
critique de premier ordre. Il axait connu Géricault à l'atelier duérin. où se rencontrèrent,
nous l'avons dit. le^ principau.x adeptes des idées nouvelles. Il fut un peu son élè\-e et
surtout son ami. Le- circonstances allaient l'appeler à lui succéder.
Son premier envoi au Salon date de 1822. ..Dante et Virgile" conduits par Phlégias,
traversent le lac qui entoure les murailles de la ville infernale de Dite. Des coupables
s'attachent à la barque et s'efforcent d'y entrer. Dante reconnaît parmi eux des florentins".
Tel est le libellé exact du titre inscrit au livret de ce salon. Le sujet, à lui seul, était un'-
36
La Peinture au XIX' siècle.
déclaration de romantisme. Cette toile grandiose, par son dessm tonrmenté. par rélocjucnce
véhémente de ses harmonies colorées, par je ne sais (luclle puissance commnnicati\-e qui gagne
entièrement le spectateur, eut aussitôt un succès immense. Elle était le prolongement du
pathétique inauguré par les Pcstiin'is i/i- /((//(/ et continué par le Radcait de la Méduse, avec
une chaleur et une hauteur poétique nouwlk-s. L'<eu\'re enthousiasmii le public et la crititjue
et elle l'ut achetée jiour le Musée du Luxi'mbourg au prix de I2oo francs.
("est que. pas ]ilus que pour les débuts de (iro> ou de Ciéricault. on n"a\'ait deviné ce
qu'annonçait cette première toile et ce que promettait ce commençant. On ne tarda pas à
EccKNE Delacroix.
La lîarricade (Musée du Louvre).
ouvrir les yeux. Les idées romantiques, cependant, avaient fait du chemin, soit dans les lettres,
soit dans les arts et lorsque, au salon de 1824, Delacroix exposa les Massacres de Scio, le
gouvernement, qui venait de décorer Ingres, se rendit acquéreur de cette admirable et
émouvante peinture, pour le Luxembourg et au prix de 6.000 francs.
C'était la toile que le romantisme opposait au Weu de Louis XIII. Les événements
de Grèce remuaient toutes les consciences, ardentes, surtout dans un pays sans cesse en
ébullition pour les idées de liberté. L'imagination de Delacroix en fut fortement secouée et
en produisit plusieurs chefs-d'ccu\'re.
Cette puissance d'évocation d'un pays qu'il ne connaissait pas. de scènes doulou-
É
colc
fn
mcaisc.
37
relises qu'il n"av;iit point vues, où l'éclat du ciel, la richesse et le pittoresque des costumes,
la beauté des êtres. If piquant de cette singularité exotique, et, comme récrivait Théophile
Gautier, l'un des participants de ces grandes luttes ,,cc dessin liévreux et convulsif. cette
couleur violente, cette furie de brosse qui soulevaient Tindignation des classiques, enthou-
siasmaient les jeunes peintres par leur hardiesse étrange et leur nouveauté, que rien ne faisait
pre:sentir"". On raconte que, ce tableau étant achevé et porté au Louvre. Delacroix aperçut
les envois de Constable. qu"on venait d'apporter. 11 fut tellement frappé de la puissance de
leur technique si audacieuse et si
frère qu'il obtint de faire descendre
son tableau et d"v retoucher.
Lorsque, au Salon de 1831.
appanit le tableau de la Barricade
(le titre exact était : le 28 Juillet
1830) la cause romantique était
gagnée. Les événements politiques
avaient aidé à la victoire. Delacroix,
comme la plupart des artistes, vibra
à ce souffle de liberté que Auguste
Barbier avait fait passer dans ses
ïambes. On en retrouve comme un
écho dans la Barricade. Delacroi.x
inaugurait ici une manière nou^■elIe.
Il sortait du monde de son imagina-
tion, peuplée des songes des poètes.
des historiens et des romanciers.
pour s'attaquer, à son tour, à un
grand tableau de réahté et même
d'actuahté, avec toutes les diffi-
cultés que paraissait soulever l'em-
ploi du costume moderne. Gros, en
pareil cas, s'était toujours tiré
d'affaire avec les uniformes. Géri-
cault avec le nu ou le demi-nu de
ses naufragés. Delacroi.x aborda et
résolut hardiment ce problème pitto-
resque, que Courbet et ses succes-
seurs, Manet et Fantin-Latour.
entre autres, résoudront définiti\e-
ment plus tard, en dissipant le pré-
jugé d'après lequel le costume de
nos jours n'était acceptable en art
que dans le portrait. Le brave Etienne Arago. plus tard maire de Pans, qui de^•alt mourir
à 90 ans conservateur du ]\Iusée du Luxembourg, et qui ne manc|uait jamais l'occasion d'un
coup de feu sur un tas de pavés, démontre victorieusement, dans cette toile, a\"ec sa redingote
et son chapeau haut-de-forme, que ces prétendues difficultés ne provenaient guère que de la
pusillanimité des artistes. L'Etat acquit également cette toile j)our le Luxembourg, d'où
elle est allée au Louvre avec les précédentes.
Les Massacres de Scio montrent combien Delacroix était sensible à la jioésie exotique
F.r(
(Chai
EN F. Delacroix. -
elle lies Saints .■
Heliodore clia>
laes à l'Eclisc
se du Temple
Saint-Siil|iice).
;8
La Peinture au XIX*" siècle.
de la ci\iliscitinn uiinitaU' iiui grisait alors toutes les imaginations des écrixains et des artistes,
à quelque camp (ju'ils appartinssent. Nous a\'ons vu que Ingres avait. Ini aussi, sacrifié à ce
culte. On juge de ce que put être pour lui le \-oyage qu"il effectua en i8j3 au Maroc, voj^age
de quelques mois qui rem[)lit toute sa \ie de cliefs-d"(envre. Son imagination fut vivement
ébranlée par ce qu'il appi-lait ..ce sublime \i\ant et frappant qui court ici dans les rues et
vous assassine de sa réalité". Les Iciiiiius ifAI'j^o'. nonchalantes dans leur intérieur bariolé de
faïences et de ta])is. au milieu de cette harmonie singulière de verts, de blancs et d'orangés,
est une des plus calmes et des plus
e.xquises ( irchestrations dues au pinceau
de ce grand musicien (\i- la couleur.
Ce tableau, exposé au Salon de 1834.
fut acquis par l'iùat au prix, fort
médiocre, étant donnée la réputation
de Delacroix à cette époque, de 3.000
francs, jiour le Luxembourg. !Mais,
comme comjiensation. on lui donnait
la commande de flintrcc des Croises
â (_\>iistiiiitiiioplc.
Otte toile devait lui fournir
une occasion exceptionnelle de traduire
le grand rêve de poésie orientale qui
ne cessait de se déverser en toutes
sortes de menues compositions. Dela-
croix n'a pas eu besoin d'aller jusqu'à
Constantinople, ce Stamboul qui faisait
déjà renchantement de Théophile
(îautier. pour voir avec les yeux du
dedans cette magnificence d'une nature
]irivilégiée. Ivst-il. dans toute la pein-
ture vénitienne, une composition d'un
l)ittores(jue aussi saisissant, aussi im-
pressionnant par l'imprévu de l'ara-
besque des silhouettes et la richesse
intense de la couleur et qui vous
frajipe comme si l'on contemplait,
t( lut d'un coup, avec les wux de la tête,
cet admirable et émou\'ant spectacle.-^
Le comte l'îaudouin fait son
entrée sur un che\al (jui hennit en
reniflant l'odeur des cada\"res; il est
sui\'i de tiuelques ca\aliers. Ciisqués et armés comme lui. la lance droite au.x oriflammes agités,
tous vêtus d'acier, d'or ou d'étoffes à la fois somptueuses et barbares. Leur silhouette singulière
se découpe à contre-jour sur le fond magique de la Corne d'or, avec ses coupoles blanches,
ses colhnes bleues, sa mer étincelante et son ciel brouillé par toutes les fumées des incendies.
A leurs pieds, sous les portiques, se pressent des \ieillards. des enfants, des femmes demi-nues,
poursuivis par les sauvages guerriers, qui agonisent au milieu des trésors éparpillés sur le sol
ou implorent la pitié des vainqueurs, i > :.\ ,\ f it\i} .» '
Ventrée des Croisés est une des plus extraordinaires é\'ocations de la peinture moderne
El"(;ÉNF. l>KI.ArK(iIX. —
(Ch.ipelle ik-s Saillis Ang
Jacob luttant avec l'.Ang
■s à l'Eglise Saint-Sulpia
Hcolc traiicaisc.
39
("t. peut-être, bien (]ue sa carrit'rc abonde en cliets-d'uinrc. la lui].- (lu'dn ])eut appeU-r la
niaitresse-ieuvre de Delacroix.
Ce tableau, signé et daté de ïS^n. a\-ait été rommandé pour h- Musée de X'ersailles
avec la Bataille de Taillebourg. qui est restée dan- ce Mu-ée. 1/iuiport.inec de cette com-
position dans riiistoire de notre Kcole apjxirut telle cju'on la p(jrta au Louvre et (lu'elle
fut remplacée à \"ersailles p'dv une copie.
Drlacroi.x a exécuté pour nos édifices j^ublics. un assez grand noinhn- de peintures
murales: à l'Hôtel de \'ille. pAV exemple, où elles ont i)éri dans l'incendie de cet édifice;
EiGÉNE Dia..\rRoix.
de la Ch.-im!)ie des Hé:n\lù
au Palais du Luxembourg et au Palais-Bourbon, notamment dans la Bibli(jthcque de la
Chambre des Députés. L'éducation d'Achille occupe le deii-xième pendentif de la première
coupole de ce magnifique ensemble. C'est un des morceaux auxquels Delacroix attachait
le plus de prix. On connaît le plafond célèbre de la Galerie d'Apollon, au Louvre, mais on
connaît moins la décoration de la Chapelle des Saints Anges, à l'I^glise Saint-Sulpice. qui est
assurément, une des plus belles conceptions de ce genre pittoresque. Elle awiit été commandée
en 1849, mais, tout en v pensant. Delacroix ne se mit guère à l'ouvrage qu'en 1853 et ce
n'est même que de 1857 à 1861. après maintes interruptions dues à son état de santé (pii
s'accommodait mal de la fraîcheur du local, que le maître y tra\-ailla régulièrement.
40
La Peinture au
XIX'
siècle.
L'un dus piinncaux, à gauche, R-présente Jacob lutta)it avec rAngc. La scène se passe
dans un large paysage occupé presque entièrement par le développement d'un chêne magni-
l'ique. (]ui semble s^miboliser la puissance d'Israël. Elle offre une impression singulièrement
émouN'antê d'irréel et de nature. L'énergie de Jacob et la noblesse simple, la force calme de
l'Ange forment un contraste saisissant, en même temps que la solennité de cette lutte qui va
consacrer le père des douze tribus du pru])le élu. est accusée par la s])lendeur du décor.
C'est un autre décor, aussi splendide, mais un décor d'architecture, qui forme le théâtre
de la --cène qui occupe le panneau de droite de cette chapelle: H éliodore chassé du Temple.
Nous sommes, car il semlile toujuurs (pi'on v est vraiment, devant le \'estibule du Temple,
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Sii^Ai.oN (Xavier). — La Courtisane (Musée du. Lo
tel fiu'une imaginatidu comme celle de Delacroix pouvait le concevoir, coupé, au milieu, de
hautes colonnes qui portent la cage d'un vaste et majestueux degré. Des fidèles, des femmes,
des lévites, entourent le grand prêtre Onias, sur le palier supérieur, tous saisis de gtupeur et
d'admiration devant le miracle qui s'accomplit, en bas. sous leurs yeux. Car le lieutenant de
Séleucus Philopator, Héliodore, pour avoir \-oulu s'emparer des richesses du Jemple, est
frappé par les verges d'airain d'une troupe d'anges volants, descendus du ciel, et son corps
est foulé par les sabots d'un beau cheval gris de fer, portant sur ses reins le plu^ noble et le
plus charmant cavalier, cuirassé et casqué d'or, qui s'avance, sceptre en main, avec toute la
grâce, toute la jeunesse et toute la majesté céleste du roi des archanges. Consacré désormais
Ecole française.
41
depuis l'E.\po>itiun Ljiixciscllf de 1855. (jù il ;i]>panit dans toute >a ]niissance et sa gloire,
Delacroix était entin accepté par rinstitut en i<S57. Il mourut le t.; août i86j.
Ce fameux camp des romantiques qui m.irrliait, en 1824. à la victoire derrière la
bannière de Delacroix, comprenait l'année la ])lus diverse, la plus hétéroclite. Du reste, la
bataille gagnée, chacun reprit sa voie et Ton \erra bientôt queUpies-uns de ceux qui étaient
au premier rang des révolutionnaires faire leur entrée à l'Institut, conmie H. \'ernet ou Paul
Delaroche. Celui-ci même évoluera peu à peu i)ar de tels compromi- qu'il devint, par son
atelier, l'héritier de l'enseignement d'Ingres. .\ cette heure, il y avait le ])au\re Sh.alox
(Xavier), né à l'zès en 1788. cjui avait étudié à Ximes et jirès d'un élève de Da\id. connu
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Hi'KAle Verni, i.
L'iipa aux I.Mii|i^ (Musée 'IWvigiiuii ,
surtout pour avoir fait partie du ju-tit cercle des Priiiiitih, Monrose. et qui était venu à
Paris avec quelques économies. Il se distingua par son tableau de la Courtisane, acquis au
prix de 2000 fr. pour le Luxembourg et placé aujourd'hui au Lou\re. puis par la Locuste, du
Musée de Nîmes, qui eut un énorme succès au Salon de 1S24. Il \-égéta longtemps dans la
misère, et comme il commençait à se tirer d'embarras par ses copies de la Chapelle Sixtine.
de ilichel-Ange. qui décorent la Chapelle de l'I-xole des Beaux-Arts de Paris, il mourut du
choléra en 18^,7. à Rome, où il allait continuer ses travaux.
HoR.\cE \'ernet (né à Paris en 178g) hls de Carie, et petit-fils de Joseph, eut une
carrière autrement heureuse. Il avait reçu une médiocre éducation classique, mais, dès
l'enfance, dans l'atelier paternel, il passait son temps à dessinailler des soldat>. Tout jeune,
42
La Peinture au XIX'' siècle.
il gagnait déjà sa vie avec des vignettes ou des dessins de mode. M,ii> il \iVcdt surtout au
milieu de militaires et, bien qu'il eût été exempté du service, il aimait à en prendre les airs.
Il donna d'abord dans le romantisme, s'inspira de \\'alter Scott et de Lord Byron, et son
Mazcppa, peint en 1825, est peut-être une des meilleures toiles de ce genre.
Sa fécondité était inépuisable et il a touché à tous les sujets, mais c'est surtout par
le troupier, et le troupier d'Afi'ique au moment de la campagne d'Algérie, que sa popularité
est devenue universelle. Le Musée de \'ersailles, où ses ouvrages abondent, comprend deux
salles presque entièrement réservées à cette période de l'artiste. Les di\Trs tableaux du
Siège de Coiistantine. et surtout l'immense toile de la Prise de la Siualn. exposée au Salon de
1845 et qui mesure 21 mètres 39 de
largeur, en sont les morceaux les plus
célèbres. Cette dernière composition,
une des plus vastes qui aient été peintes,
montre avec toutes ses qualités et tous
ses défauts, l'esprit pittoresque de
l'artiste, abondant, plein de verve et
d'entrain, mais d'un esprit anecdotique,
terre à terre et superficiel. Dans cette
suite, plus ou moins habilement bien
reliée, d'incidents parfois vaudevilles-
ques, il en est d'un piquant facile mais
assez heureux comme celui des femmes
du Chérit essayant de se sauver dans
leur palanquins. Horace ^'emet eut
tous les honneurs, et même d'assez
inattendus pour son talent, comme
celui de Directeur de l'Académie de
France à Rome. Ce bon romantique
était d'ailleurs de l'Institut dès 1826.
Il mourut à Paris en 1863, le 17 janvier.
LÉON CoGXiET est né à Paris
en 1794 et mourut dans la même ville
en 1880. Il a laissé un nom surtout
par son enseignement qui a formé
d'innombrables élèves.
Prix de Rome en 1817, che-
\ alier de la Légion d'honneur en 1823,
iSbique. Il s'enrôla bientôt dans la phalange
HoRAi-K Vernet.
Les Palanquins, détail tle la prise de la Smala)
(Musée de Versailles).
ses débuts furt-nt tout à fait ceu.x d'un peintre c
plus vivante des indépendants et exposa, en 1824, un épisode du Massaere des Innocents qui eut
un vif succès; plus tard, en 1845, le Tintoret peignant sa fille morte mit k' comble à sa célébrité.
Il a peint de nombreux tableau.x pour le Musée de Versailles et notamment le Départ
de la garde nationale en iyg2 (Salon de 1836). des décorations au Louvre et à l'Hôtel de
A'ille, des portraits, des sujets militaires, etc. Conuiit- I,i plupart des lutteurs de la petite
troupe romantique, son tempérament pondéré reprit le dessus après la bataille gagnée, et ses
tableaux sérieux, réfléchis, bien composés, sont de sages compromis entre les tendances les
plus diverses. Bailly proclamé maire de Paris, qui appartient aux collections municipales du
Petit-Palais, est un des meilleurs spécimens de son talent.
Kcolc Iraiicaisc.
43
Le nicnir caractère incertain niar<iuera rouvre de deux autre> C()iiil)attants df la
même époque, Ary Stliet^er et Paul Ddaroclie. Ils durent ])cut-ctre même leur vof,nie à cet
esprit de juste milieu impropre, sans doute, à la création des chefs-d'<euvre, mais plus de
nature à plaire à la foule qui est heureuse d'y trouver ses goûts de conservatisme et ses
demi-hardiesses pusillanimes. Arv Se iikmI'K est né en 1795, à Dordrecht, en HoUaudr. où
un Musée est consacré à son ceirvre et où sa mémoire est gardée par un monument. Mais il
s'établit en France avec son frère Henry, qui a laissé aussi une certaine réputation connue
peintre. Les parents, d'ailleurs, le père et la mère, cultnaient les arts. Arv débuta c(inune un
LÉON Cdc.NIET. — r.ailly indclamé Maire .1.- l'ai
(le la Ville .le. Taris).
petit prodige, car, dès l'âge de dou/^e ans, il exjiosa à Amsterdam un tableau d'histoire. L,i
famille vint à Paris, lors de la réunion de la Hollande à la France: Ar\' avait alors quinze ans.
Il étudia à l'ateher de Guérin où il connut les principaux membres du futur groupe romantique.
Il ne se rallia pourtant point tout de suite à ces tendances. Il débuta au Salon de 1812 par
des sujets de genre classique, mais peu à peu fut entraîné dans le mouvement et cette période
de sa vie se marque par des tableaux qui, soit comme couleur, soit comme sujet se rattachent
directement à l'inspiration romantiqui-. Telles sont, par exemple, ses Foiuiics Souliolcs. du
Salon de 1827, qui furent acquises par rh'.tat pour le Musée du Luxembourg et qu'on voit
44
La Pcintun- au XIX^' siècle.
/
aujourd'liui au 1. cuivre. C"est un de co tableaux suf^gérés par les événements de (irèce, comme
nous en avons vu chez Delaeroix. Les jeunes liéroines grecques, voyant leurs maris défaits
jnir les troupes d'Ali paelia de Janina. prennent la résolution de se précipiter du haut des
rochers dans la mer. ^Mais hientijt cette chaleur, ce mi>u\'ement. cette ccmleur vont disparaître
de sa]xdette; Ary Scheher tournera son inspiration vers les ])oètes de l'Allemagne et peut-
être tro[) \i'rs les peintres. Sa peinture s'anémie dans le mysticisme et les rêveries extatiques,
un }>eu troublée aussi par les grandes songeries d<'s saints-simoniens et des fouriéristes,
ccinnne il arri\era à mainte autre noble intelligence, à la \'eille des é\-énements de 1848.
.\])rès les sujets empruntés aux héromes de (ifethe, Marguerite ou Mignon, ses deux toiles
les j>lus célèbres dans ce nouveau genre, qui se rapprcichent tout à fait de l'école des élèves
d'Ingres, sont Dante cl Hcatricc et surtout
Ai(giisliii et sa mère Monique, du Salon
de 1846. aujourd'hui au Louvre. Ce
tableau, sage de dessin et, froid de cou-
leur, a. en effet, mie certaine grandeur
jiar la snnplicité de la composition et
]v ne sais quel attrait cjui provient de
ri'X])ression d'un sentiment vraiment
éjirou\'é. Il y a bien des noms encore à
citer dans ce petit camp si vivant, si
grouillant et si turbulent des roman-
ticpies. des noms intéressants à retenir
et (|u"()n est ici dans la nécessité de
sacrilii'r. .\ côté d'Ary Scheffer, son frère
Henr\'; les frères Devéria. Achille et
lùigène, le premier connu surtout par
ses lithographies et ses dessins; le second,
élève de Girodet, qu'on aurait peut-être
oublié comme ])eintre si le Louvre ne
tiiUM'rwnt sa Xaissaiiee de Henri IV.
Puis Louis lîoulanger, cher à Victor
Hugd. \-oli:)ntiers pcjrté vers le fantas-
tique, les trois frères Johannot et sur-
tiuit les deux derniers, Alfred et Tony,
di\-enus célèbres comme illustrateurs.
Tiiny s'est fait aussi une petite place
comme peintre et sa Mort de Duguesclin
a été revue a\ec plaisir à l'Exposition
Universelle de iqoo. Il y a\-ait encore Charlet, dessinateur populaire des \-ieux grenadiers de
la Garde, j)eintre superbe à ses heures comme dans sa Retraite de Russie, du Musée de Lyon.
Il y avait enlm le petit Poterlet, qui faisait de si charmantes pochades d'après les vieux
maîtres de Flandres et de Hollande et qu'estimait fort Delacroix. Mais les seconds grands rôles,
après le jemie et ardent chef du romantisme, étaient tenus par Paul Delaroche et Jean Gigoux.
.\i;v Schkhi;k.
Muiii,]iu- (Mu^cc.hil..
Pai'L Dhl.JiROChe (ou, ])our être plus exact selon son état civil. Hippolyte, dit Paul)
est né à Paris le 6 juillet 1797. Il était fils d'un expert en tableaux très connu et fut élevé
a\-ec tous les a\-antages de l'éducation bourgeoise d'un nnlieu fortuné. Son frère aîné avait,
lui aussi, commencé par la peinture et Paul ne fut autorisé par son père à l'aborder à son
E(
fr:
colc trancaisc.
45
l'AlL LiELARMLiu;. — La Moil aÉlisalu-lli .l'Aiiyletene (Mustie du I,..uvri|
tour que lorsque Faîne y renonça. Il avait débuté par le paysage et concourut même pour
le grand prix spécial attribué au paysage historique, concours dans lequel il fut battu pai-
]\Iichallon. Il passa ensuite chez Gros où il se mit à étudier la figure rt (<ù il fut en contact
46
La Peinture au XIX'' siècle.
avec les ])rincipaux artistes qui allaient figurer dans le grdupe romantique: les Carter, les
Pxmington, les Roqueplan, les Bellanger, etc.
Delaroche exposa pour la première fois en 1822. Il reçut, à cette occasion, les conseils
de Géricault, puis subit bientôt rinfluence du jeune maître dont Taube commençait à ra\'onncr
si vivement et allait guider de sa clarté fulgurante tout le mouvement nouveau: Eugène
Dclacroi.x. Son premier succès date de cette fameuse année 1824, si glorieuse pour le roman-
tisme, avec une Jeanne d' Arc et un Saint ]'inccnt de Paul, dans lesquels il montrait déjà, en face
des belles folies de son chef ou des froideurs académicpies des partisans du groupe opposé,
ces qualités de mesnri\ (rnrilre. de sagesse, qui ùrent ^a rt''putatinn ]irès de cette haute
l'Ail. 1Jk|..\I-(
I.L-s Enfant- dtaouanl (Mu-ce du Louvre).
bourgeoisie que le roi bourgeois lui-même appelait le parti du ,, Juste-milieu"'. Le ,, Juste
milieu" c'est là, en effet, le caractère de cet art ingénieux. sa\'ant, discret, qui ne s'aventure
jamais trop loin dans l'histoire ou dans le drame, là s'attachant à l'épisode piquant, se can-
tonnant dans les intimités de l'anecdote, ici redoutant la violence des conflits armés ou des
effusions de sang, se tenant toujours, comme au théâtre, en deçà ou au delà du moment
critique; combinant, enfin, prudemment le dessin d'Ingres avec la couleur de Delacroix,
soignant le détail et le pittoresque. Il devint rapidement célèbre, dès 1830, avec la révolution
qui amenait l'avènement de la bourgeoisie: il en fut le ])eintre privilégié. Chevalier de la
Légion d'honneur en 182S. Delaroche était élu membre de l'Institut en 1832 et était nommé
Ecole trancaisc.
47
prufesseur à ri'Icole dt-s P.fau\-Ait-~ en i.S ; ;. Il s'était marie à Rdiiic en i^.;5- 'i^''''' ''i l'"'' nni<iui-
d'Horace Vernet. qm nimirut en 1S4;. Dclamclu- monrut. lui-nirinr. ji' 4 ii(i\cini)rf 1856.
Paul Delaroche a pnidnit un j^rand iioiuhrc d'ouvraj^cs: >ii|i-t> liistm i(|iirs. Mijcts rt-ii-
gieux. — principalemt'iit à la lin de >a \ic (iiu'l([Ufsdi''Corations. et -.urtmit la f^'r.mdc décnratioii
de l'hémicycle de l'Ecole drs licaux-Art^. rendue célèbre par l.i ,i;raviin' d'IIcnriciuel-Dupunt.
Il a laissé aussi quelques biin> purtrait^. tels ceux de Ciui/ot. di' M. de SaKaiid\-. de .M. de
Rémusat, de F. Delessert. d'iimile l'ereire. de Thiers. de M. de l'a-turet. Snixant le tjoùt du
temps, éveillé par les romans de Walter Scott et par l'orientatidU ]>nliti(iiie de la liourgeciisie
française, tournée vers l'Angleterre ]xir-
lementaire, Delaroche choisit \iil(intiers
ses sujets dans l'histoire de ce i)a\-s.
C'est tantôt la Mort d'Kli^^ithctli, tantut
celle du petit roi Edouard \' et di- son
frère le duc d'York: tantôt Crnmwell
ouvrant le cercueil de Charles l''' et
contemplant son ennemi défunt; Jane
Grey ; Strafford conduit au supplice, etc.
Mais les sombres tragédies de ces pério-
des troublées ne lui inspirent point de
ces œu^■res palpitantes et passionnées
comme les concevait Delacroix; il en
fait des spectacles de sentiment, où
l'horreur est toujours exclue, et où la
raison s'associe toujours à l'émotion.
La Mort d'Elisabeth d' A nolctcrrc.
exposée en 1827, cjui ajip;irtient <ui
Louvre, n'est pas assurément, au point
de vue de la compréhension du sujet,
un de ses meilleurs ouvrages: trrais c'est
Tun de ceux qui lui valurent, à l'origine.
le plus de succès par les qualités cpi'il
révélait et aussi par des défauts qui
étaient faits pour flatter le mauvais
goût public. Le drame qui se joue par la
mort de cette vieille reine, intelligente
mais égoïste, insensible et méchante,
avide de pouvoir et insatiable de vie,
est tout perdu dans l'avalanche des
velours, des brocarts, des satins, des
tentures, des coussins et des somptueux costumes, dans lesquels le i>eintre essayait sa \irtuosite
naissante. Mais Delaroche s'était \-ite ressaisi et arrêté sur la pente dangereuse de ce dilettan-
tisme facile, il revient à une manière plus sobre, plus grave, plus expressive, plus conforme
à son tempérament pittoresque et à son naturel moral. Les Enjantf. d' l'.doiiard. exposés en
1831. qui furent placés au I,uxembourg. puis au Louvre, caractérisent tout à fait cette manière
qui est bien sa manière propre. On connaît le sujet de ce petit drame cpie son pinceau a rendu
si touchant et qui fut repris sur le théâtre, deux ans après, en 1S3J. par l.i tragédie de Casimir
Delavigne. On se plaisait, d'ailleurs, à trou\-er des analogies entre le talent du peintre et
celui de l'auteur dramatuiue. Les deux malheureux fils d'Edouard 1\'. \v jeune mi Edouard \".
Than-Françiiis GiGoex. — Purlraii tic Chark'
(Mu5cf .lu I,..uvie).
48
La Peinture au XIX' siècle.
âgé ik" {vv\/.v ans cl S(.)n frère le duc d"Yurk, (int été enfermés à la Tour de Lnndres par ordre de
Richard de dloucester. qui usurpa le trône sous le nom de Ivicliard III. Assis sur le bord du
lit. enlacés Tun à l'autre, dans la terreur de la solitude et le pressentiment de leur triste sort,
ils lè\'ent la tète du saint livre dans lequel ils puisent de pieuses consolations, en entendant le
bruit sourd, derrière la porte, du pas des assassins envoyés pour les égorger. Cette petite scène
muette, d'une éloquence si simple dans sa mimique sobre. le choix discret des accessoires,
toujours rendus a\ec un accent \-oidu de \'érité réaliste, l'idée ingénieuse du petit chien qui se
se précipite \"ers la ])orte et annonce ainsi la \'enue des sombres \"alets de l'usurpateur, tout
cela resta dans le sou\'enir du public et assura à l'auteur une popidarité qui dure encore.
Je.\n-Fk.\nÇ()1S (iii.or.x est né à Besançon le N )an\-ier 1806. Son père était médecin
X'étérinaire et le destinait à la même profession. Mais sa \"ocation pour le dessin s'était
manifestée de bonne heure à l'.Académie de j-îesançon où il étudiait et a\-ait été encouragée
par le succès que lui wdurent (pielques premiers portraits exécutés à ce moment dans sa \'ille
natale. Il obtint enfin de -e rendre à Paris, où il entra à l'I'lcole des Beaux-Arts en 1828.
Il débuta d'abord jiar des lithographies commerciales, puis par des illustrations, comme celles
du Gil Blas. qui sont demeurées célèbres. Il e.xposa jiour la ]U"emière fois, au Salon de 1831,
des hthographies et des dessins. En 1833 parut le portr.iit du général polonais Dwernicki,
que le Lu.xembourg a cédé au Louvre, image ex]iressi\-e et \'i\'ante dans laquelle le jeune
peintre montrait la vaillance et la souplesse d'une techni(iue nerveuse, fluide et colorée,
comparable aux plus beaux morceaux de l'École anglaise. En 1835, il exposa sa Mort de Léonard
de 1 incî. aujourd'hui au .Musée de Besançon, (pii contirma sa réputation comme peintre.
En 1836, il envoyait au Salon le portrait de Charles I-'ourier. fondateur du Phalanstère, que
^IM. y. Considérant et Juste Muiron. disciples du philosophe socialiste, offrirent au Musée du
Luxembourg qui l'a. récemment, cédé au Lou\"re.
Ecole française.
49
FtiuritT et. lit un (■(iiiip.itriotc ilr (.ii^oiix. Il innuriit le (> ii<i\riiil)rr iiSj^ à suixanlr-
trtiis uns. Le jinitr.ik .iwint ri,t;uic ,iu Salon de iN ;fi. i.ii [MUt -c (Icniaiidcr -'il a été iwccnté
d'après nature avant rcttc date, (m si < 'est une ((iinpositidn ultéinnirc à la mort du fondateur
du Phalanstère et conuuandee \>.\r >es disripjes. Ij ,st. ])(iMrtant. \-raiseinl.lalile (|ue (.ij^oux
connut Fourier. Les artistes. (Tailleurs, étaient assez ])enelres |)ar ce niouxcnient uto|)isti'
d'idées nouvelles, ([ui s'alliait awe les id.'es prises dans linr nnllien dénioeratic|ue originel et
leurs espérances professi.mnelles. Sauit-Sinion. Fourier et .\n,i;uste (dnite eurent des adei)tes
parmi les peuitres. les sculpteurs et nu;-nie les musiciens et. de plus, il \- eut. nous le \-errons en
une autre occasion, un ess.n d'irt pliaLin-térien. (hioi qu'il en soit, l.i ])emture de ( .ij^on.x ne
.^^\KllN Ukmi I IX,; — iiiic
sent pas rou\'rage fait après coup a\"ec des documents. Le pluloso])lie. .issis tle trois (piarts
sur inr rocher, en pleine lumière sur un fond de ciel orageux, la tète, austère et songeuse,
émergeant du haut jabot bl.mc, est ime noble image pleine de grandeur et de vérité.
l'n des princii>aux éléments de réaction contre l'absolutisme des dogmes classicpies et
contre l'étude abusi\-e et mal comprise de l'anti'p.iite fut l'inlluence des idées sejitentrionales,
répandues, soit par les manifestations des lettres, soit par celles des arts. On était revenu
vers Rembrandt et \'ers Kul)ens comme on .ill.iit wrs Shakespeare, vers (i(etlie. \-ers Lord
Byron et Walter Scott. Au point de vue des habitiuli's de l'observation <'t de la teclini(|ue,
la fréquentation des Musées contril)ua beaucoup à cette orientation nouxclle \-ers les llamands
50
La Peinture au XIX' siècle.
et les hollandais. Le Luxembourg, entre autres, par les ehefs-d'ieuvre recueillis durant le
rè^ne précédent, fut la véritable école de tout le monde de petits-maîtres qu'on voit se remuer,
dès le début du nouveau siècle, à l'ombre des guerriers casqués de David. On les voit jusque
dans son atelier et. il faut ^a^■ouer en fa\-eur du libéralisme de sa pensée, encouragés par lui
dans leur voie jilus intime et plus humaine. Ils procèdent, de leur côté, par un travail lent
et sûr. au mouvement d'émancipation de l'art, et le préparent à son nouveau rôle de traducteur
de la vie contemporaine. Aussi les Teniers. les Metsu. les Mieris. les Pieter de Hooghe, les
\'an Ostade furent-ils les guides de ces premiers peintres de genre, peintres de mœurs ou
d'intérieurs, <iui, sans se préoccuper des vastes élucubrations héroïques ou lyriques du classi-
cisme et du romantisme, chrent tout bonnement, à l'iniit.itinn des braves petits flamands ou
François-Marrs Gk.ane r.
d'miL- Sallu il'.Viilc (Musée d'.Vix-eu-l'ruvence).
•hollandais, les simples actes de la vie de tous les jours et créèrent, de cette façon, le courant
qui, en grossissant, deviendra la principale source d'inspiration de l'art moderne.
Parmi ces petits hollandais de France, le plus en vue à coup sûr, et sans doute le plus
plaisant, est Louis-Léopold Boillv. Il naquit à la Bassée, près de Lille, le 5 juillet 1761
et mourut à Paris le 5 janvier 1845. c'est-à-dire à quatre-vingt-quatre ans, tenant toujours
sa palette en mains. Son père était sculpteur sur bois. Elevé dans ce milieu modeste de
petite bourgeoisie, Boillv resta le peintre des petits milieux bourgeois. II se forma tout seul,
près de son père, sans maîtres et débuta en faisant des portraits, dès l'âge même de douze à
treize ans. -En 1774, il alla à Douai où il exécuta quelques travaux chez le prieur des Augustins,
et, trois ans plus tard, à Arras. appelé par M. de Couzié. évèque de cette ville, où il resta deux
ans, y exécutant plus de trois cents portraits, qu'il enlevait chacun en deux heures. Vers
1787, il s'établit à Paris; il 'ibtint au conccnirs divers prix, entre autres une première
E
cole
frr
ancaise.
médaille au Salun de 1S04; ]i fut fait chevalier de la Légion d'iionneur en 18-;,;. On fixe à cinq
mille le nombre de ses portraits. Celui de ses tableaux de genre est également considérable.
Il a peint, d'un petit pinceau vif. alerte, abondant et facile, un peu trop jxufois sans doute.
les gros et menus incidents de la vie quotidienne au milieu de ces grandes épo(]ues troublées
de la Révolution et de TEmpire. Il est le s])ectateur aimable, amusé, un peu superficiel, des
scènes de la rue. des jardins, des lieu.x publics, dans lesquels grouillent ses petits personnages
au visage enfantin et pouponnier. l^Arri-réc d'une diligence dans la cour des Messageries, (jui
appartient au Musée du Louvre, est. assurément, im de ses meilleurs tableaux, tant par
l'heureux arrangement de la composition, le paysage piquant de \ieilles bâtisses formant
décor, que par les johes petites scènes sjnrituelles. sentimentales et })ittores(]ues aux(]uelles
donne heu cet événement, qui comptait du temps de nos pères: chevaux dételés, bagages
que l'on descend, effusions, embrassades, à travers les chiens qui aboient et les poules (jui
V.iu a la M.-nl..ue : Musc- .1;. 1,
criaillent. Exécuté en 1803. il a été exposé au Salon de 1S04 et c'est lui (|ui valut sa première
médaille à Boillv. Le roi Louis-Philippe l'acheta, en 1845. des héritiers du peintre qui l'avait
conser^-é jusqu'à sa mort. Il fut payé 2000 francs.
Parmi ces hollandais de la première heure, il en est deux autres qui méritent une
place à part dans l'histoire de ce temps: l'un est Drolling. l'autre dranet. Le premier est
encore tm homme du Nord. ]\L\rtin Drolling est né. en effet, à Oberbergheim. près de Colmar,
en 1752; il est mort à Paris en 1S17. Ses ou^•rages sont assez rares et ils se rapprochent de
très près des anciens hollandais, qu'ils arrivent, piarfois. presque à pasticher tels ces petits
sujets encadrés dans la fenêtre chère aux Gérard Dou, aux ^letsu et aux Mieris. Son art est
un art d'imitation pure, mais comme il est fait de simplicité, de sincérité, de fidélité émue!
L'Intérieur de Cuisine, du Musée du Louvre, en est un charmant exemplaire, digne des maîtres
qu'il rappelle. C'est un des derniers ouvrages de l'artiste. Exécuté en 1815. il fut exposé en 1817.
date de la mort de Drolling et acquis, la même année, à son fils pour la sonuue de 4000 francs.
5 2 La Peinture au XIX'' siècle.
Ouant à Fkan'iois-Marius Graxet. c'est un linmme du ^lidi. car il est né à Ai.\-en-
Provcnce le 17 décembre 1775. et il est venu y mourir en 1849. le 21 novembre. Mais, de
bonne heure, il avait été ]>orté à aimer les sujets d'intimité, .t^race à ([uelciues estampes
d'après Téniers. (|ui lui avaient été jirétées dans son rntancc qu'il se plut à copier et dans
lesquelles il avait trouN'é, disait-il. ..la manière d'aj)frccvoir la nature". Fils d'un maître
maçon, qui le plaça à l'école du paysagiste Constantin, il tr.L\'ailla d'abord connue ]ieintre
en bâtiments dans l'Arsenal de Toulon. l'Jexeuu ensuite à Aix, il s'y lia d'une étroite amitié
avec le comte de Forbin. cpii de\'mt plus tard directeur des Musées Nationaux. Il ^-int à
Paris avec celui-ci et, grâce à son inter\-ention. entra dans l'atelier de David. Le maître ne
découragea point Granct dans sa voie, déjà toute tracée. Bien au contraire et il appréciait
particulièrement ses qualités de clair-obscur et de couleur, lui 1802. il partit pour Rome
et il y fit un séjour de dix-^ept ans. puisqu'il ne rentra à Paris i]u"en i8i(). Les tableaux
L'Arrivée des Mo
tiineurs dans les Ma
F..iUin, (Muser du I.ulivie).
qu'il exécuta dans les milieux ]iopulaire> et pittorescjnes de l'Italie lui \'alurent un succès
considérable et commencèrent la x'ogue de ces sujets de jiaysaiineries romaines, qui dura si
longtemps dans notre école, dranet retourna à Rome à plusieurs reprises, ne pouvant se
détacher du charme de la Mlle Eternelle. Après la Révolution de 1848, il se retira à Aix. et
c'est là qu'il mourut, laissant à sa ville natale sa fortune et ses tableaux.
C'est justement à cette collection qu'appartient cet Iiitcnciir d'école, dont le clair-
obscur paisible, l'intimité recueillie font S(.)nger aux meilleurs ou\-rages de Pieter de Hooghe.
Décoré en i8iq, clie\-alier de l'Ordre de Saint-Michel. conser\-ateur des tableau.x du
Louvre en 1826, membre de l'Institut en 1830, Granet a exercé une réelle influence sur son
temps, soit dans la peinture dite ,,de genre", soit dans celle de genre historique, soit sur la
,, peinture d'intérieurs", qui de\'iendra plus tard la peinture de la ^■ie moderne. .\ ces dix'ers
titres, il a précédé Robert Fleury. ^leissonier et Bonvin.
E
colc
fr<-
iiuaisc.
(iiant't a été c^aliinriil riiiitiatcur de deux peintres (|ui sortaii'iit cdiiiuie lui de l'atelier
de r)a\-id. que les de-ux camps (i])pnsés se dis]iutèrent et ddiit le rôle, un i)eu tr(ip méconnu
aujdurcrimi. a été snigulièrement utile à la Inrmation de notre école dans sa voie toute
moderne. N'ont-ils pas été. en eflet les jirecurseurs de Millet et (\r Jules P.reton et de tous les
peintres de la vie rurale et jiopuhnre, (pi'ils lirent accepter alors sous conK'ur d'e.xotisme?
Ce sont Mctor Schnetz et Léopold Roi)ert.
Tous deu.x étaient intimement liés, dés l'atelier de David où il-, >e rencontrèrent; ils
étaient même juscprà un certain point compatriotes. \'ic kik Si iimi/. plu> âgé de sept ans
que son camarade, était né à \'ersailles l,- 14 avril 1787. mais il était d'origine suisse ; il
mourut à Paris le if) mars 1870. Schnetz. après (luelques succès aux salons, où il obtint une
première médaille en 1811). avec des scènes de genre et des sujets religieux. ])artit jxiur ivime.
où il connut Granet. Celui-ci rencouragea. ainsi ([ue >on camarade qui était \'enn le rejoindre,
à peindre la vie populaire di- l'Italie, qui l'aNait lui-même si profondément passionné. Schnetz
suivit ses traces et s'attacha à la grande Cité antique et catholique, où il de\'ait re\'enir plus
tard deu.x fois, de 1840 à 1847 et de 1852 à 1866. ct)mme directeur de l'Académie de France.
Il se ht une spécialité de manière italienne en granchssant ces sujets pojîulaires au format
de l'histoire et en s'efforcant de leur donner le caractère et le style que l'on était habitué à
réserver aux sujets prétendus ncililes. Sa Diseuse de bonne aventure assura son succès au Salon
de 1824. Dès lors, pendant des années, il se li\-ra à l'étude des mieurs des euntadiiu et des
brigands de la campagne de Rome et de Nai)les, dont le Va-u à la Madone du Musée thi Louvre,
exposé au Salon de 1831 et ])lacé ensuitt' au Luxembourg, donne une juste et forte idée,
avec ses figures nettement écrites dans uni' forme ]>eut-être trop corii'cte et ses colorations
chaudes, mais un peu nnmotones.
54
La Peinture au XIX'' siècle.
LÉoi'OLD Robert, lui, était né à la Chau\-de-Fonds le 13 mai 171)4. 11 était lils d'un
horloger et avait appris le dessin et la graxaire prés de Charles Girardet. Il siii\-it son maître
à Paris, entra chez David et concourut, comme gra\-eur, pour le grand prix de Rome. Une
première fois, il n'obtint que le second: une deuxième fois il fut exclu comme étranger, le
comté de Neuchàtel ayant été détaché de la France après le retour des Bourbons. Il put.
néanmoins, se rendre à Rome, conduit par un amateur de son pays, qui lui avança les frais du
voyage. Il y trouva ses amis Schnetz et Navez, le peintre belge, également élève de David.
Encouragé lui aussi par Granet. il peignit les brigands emprisonnés au Château Saint-Ange
et s'adonna tout entier à la peinture de ces mœurs, dont il s'efforça de traduire la grandeur
primiti\-e et la noblesse ingénue avec le style consacré aux sujets héroïques. Nature profon-
dément scnsiti\-e et mélancolique, — il a\'ait eu un frère qui s'était suicidé juste dix ans avant
Al.EXAMiRK-flABKIPU. HeCAMI'ï
La Sortie de l'Ecole turque (Musée du Louvre; Collection Mon
sa propre mort, — il mit un à ses jours le 20 mars 1835, dévoré par une passion secrète, à laquelle
il ne \-oyait point d'issue, pour la princesse Charlotte, fille ainée du roi Joseph Bonaparte.
En outre des tableaux de genre disant les mœurs, les passions, les joies, les deuils,
les espoirs et les angoisses de cette vie demi-sauvage des brigands et des paysans italiens, il
avait conçu une sorte de cycle répondant à la fois aux quatre saisons et aux quatre princi-
pales races de l'Italie. Le Retour du pèlerinage à la Madone de l'Arc, exposé au Salon de 1827,
avec un succès considérable et qui fut acquis par le roi pnur le Luxembourg au prix de- 4000 fr.,
répondait au printemps et à la province de Naples. L'Arrivée des Moisso7nieurs dans les
Marais Pontins, exposée d'abord au Capitole, à Rome, puis au Salon de 1831, où elle produisit
une grande sensation et fut acquise au prix de 8000 fr. par le roi Louis-Phihppe, qui le donna
]-ilus tard au Louvre, représentait l'été et le peuple de R(ime. Ces deux toiles sont devenues
Rcolc française.
33
classiques. Elles ont eu une inlhicuce considérable sur la pensée de leur temps. au>>i i)ien au
point de vue des idées' qu'à celui de Fart. Si démodées, momentanément, (ju'elles paraissent
et malgré les réserves quinipose l,ur technique, elles sont de très préci.'u.x documents pour
notre histoire.
Si ces deux précédents niaitr«-s >e rattachaient indistinctement à Tim ou à Tautre
parti, il est. non loin d"eux. im artiste, de beaucouj) leur cadet il est vrai, qui se montra aussi
indépendant, bien que ses sympathies le ])ortassent plus près du camp roiuantieiue. C'est
Alex.\NDRE-G.\briel Decamps. Né à Paris le 3 mars 1803. il mourut à Fontainebleau, des
suites dune chute de cheval, le 22 août 1860. Il était élève de Bouchot et d'Abel de Pujoh
maître classique par excellence. Mais, de bonne heure, il tra\-ailla suivant son caprice t-t
Alexaniiri ■(Iai:kih. Dk.'ami's. — I.f Kcniouleui ( \Iusi-f .l.i I
devant la nature. Il débuta par nombre de lithographies, sujets de genre ou pièces satiriques,
dont certaines sont de\"enues célèbres. Son premier salon date de 1827. au plein miheu de
la bataille romantique, mais il se garda de s'enrégimenter dans aucun camp, même dans
celui de ses amis. Ses premiers envois étaient des scènes de la \ie des animau.K et des aspects
de campagne, qui répondaient aux souvenirs, toujours vifs, de son enfance assez sauvage.
Entre 1827 et 1830, il entreprit un premier voyage en Orient, d'où il rapporta diverses compo-
sitions, notamment sa Patrouille turque, un peu caricaturale et fort rembranesque. qui eut
un succès énorme près de la jeunesse romantique. On peut dire que Decamps a été le père
de l'orientalisme au XIX*^""? siècle. La Sortie de l' Ecole turque, qnc le don généreux de
M. Moreau-Nélaton a fait entrer au Louvre, est un des plus libres et des plus charmants
échantillons de cette manière. a\"ec sa bande joyeuse d'enfants (]ui s'égaille par la cour de
56
La Peinture au XIX' siècle.
l'école, fil se bousculant de ])laisir dans un viwmt raynn de soleil, taudis i\ue. daus rombre
de la [lorte ouverte, luisent les lunettes sévères du mai,'ister enturbauné.
.Mais Decamjis ne s'arrêta point à un seul fleure. .\vec une curiosité ardente et
inlassable, il toucha à tous les sujets comme il se ])réoccupa de tous les ratïmements des
techniques les plus sa\'antes. Il a traité l'antiquité j)aïenne et les temjis bibliques avec un
style granchose et un accent local et f.in>uclie; il a, en même temps, aimé la vie dans ses
aspects les plus familiers, se ])laisant au paysa.^'. au.\ animaux, à l'e.xistence des humbles.
Le Rémouleur, de la collection Tliomy-'lliiéry au Lou\'re. ddune une excellente idée de cette
manière, aux oppositit)ns puissantes de clair-obscur, à la mimitjue fortement exiiressive. A
ce dernier titre, il est le continuateur de Géricault, le précurseur de .Millet. 11 a été le \Tai
1>A1'.KV ( Eu(-.i:ni. 1. — I.'.\n-ivée an CluUcau (.Musée du Louvre).
guide de toute la génération de petits peintres qui ont évolué, entre 1830 et i84<S, du roman-
tisme au réalisme : les Roqueplan, les frères Leleu, les Jeanron, etc.
Pour terminer parmi ces manifestants de la première heure du romantisme, il fau-
drait ne pas oubher cet Eugène Lami (Paris 1800 — 1891) petit imagier, si vif, si brillant et
si coloré, et surtout cet Is.-\bev (Eugène), né à Paris en 1804 et mort dans cette ville en 1886,
fils du célèbre miniaturiste, Jean-Baptiste Isabev. qui fut. dans ses tableaux papillottants le
type du romantique pittoresque, le devancier des Diaz et des Monticelli, comme en témoigne
cette Arrivée an Châteœu, du Louvre, et devint plus tard, par ses études de marine, l'annon-
ciateur des premier impressionnistes. Jongkindt et lîoudin.
: X.
r.
r. r-;
I -y X
CHAPITRE m.
i;( OLK FKAXÇAISK.
Premièrk Pékiode. — Dh i8oi a 1830 (Suite).
L'EVEIL du sentiment de la nature fut un des facteurs les plus puissants de la renaissance
romantique. Ce sentiment, éclos dès le XVIIIème siècle, sous l'impulsion première
de Jean-Jacques Rousseau, avait été assez long à trouver en art sa formule définitive.
Jusqu'alors Joseph ^'ernet, Hubert Robert^et quelques autres, en reprenant la tradition de
Claude Lorrain. ravi\"ée près des derniers vénitiens, ax'aient suffi à satisfaire des goûts
naturalistes, qui aimaient à s'épancher dans 1rs amusements assez enfantins des jardins
anglo-chinois. Bien qu"a\ec mi peu d"a]iprèt. le naturali^nn- de ce^ artistes n'était pas,
toutefois, sans vérité et ^ans grâce.
(',E<iKr,K> Mu m I,. — Vi
Moulin a..- Montmartre (Co11ectio[i pj
58
La Peinture au XIX' siècle,
Au tlrbut (.lu ni)U\f.ui >irrU-. ces pn-uiiiTrs luc'ui> |i,ir.n>M'nt s'tHeindrr. Lr it'tjne
df l);i\-id ]5èsc sur 11- p.iysa.iic. qui a tiiiu\('- snu rt\i,'(iit nu son uiaf^isti-r a\-fc le peintre
Vak'ncii'iines. Parmi ceux mêmes epii se xouenint a peindre les aspects de la nature, ce (jui
fait totalement défaut c'est la \-ertu essentielle du paysagiste; la sensibilité. Les tableaux,
composés sur des rébus mythologiques ou hi^toriqiu/s. ne sunt plus que de froids décors
sa\'amment m.ichinés pour un si)ectacle. théâtral et puéril à la fois, de dieux vt de demi-dieux
auxcjuels (m faisait gra\-ement seml>lant de crciire. l'.t à furce di' cunsiiféi-er le matin sous
la hgure de la riante .Aurore, les ])hases du jour ^(lu~^ la finuie de> ..Ih'ures attelant le char
du Soleil" (jui lui-même ne s'ap]>elait jilus (|u'.\piilliin nu l'hebus. a fnrce de ne penser aux
forêt> ipie pour en \'oir sortir, connue le \iinl.iit le candide pedanti-me de ^'alenciennes,
des hamadrvack'S ou des faunes, de ne contempler les sourc<'s et les rui>seaux que comme la
l'AiI, Hri 1. — In,.vi,laliun ilaii. \c l'an ,li- Sainl-Clou.l (Mu-ée du Lnuvre).
demeure des nymphes et des naïades, on jierdait de \ue le \rai spectacle mer\-eilleux de cette
grande fantasmagorie mystérieuse et splendide. <|ue la ]ilume des littérateurs aA"ait cependant
exprimée avec une chaleur comnuinicati\"e.
Sans doute à côté de ces rite^ Sl)lennel^. les seuls qui lussent pigés dignes des grands
pontifes de l'art, rendait-on. d'autre jiart. un culte plus discret à la nature. A côté du genre
noble, il y a\'ait le genre familii'r. à côté du st\'le hcroïquc ou idéal il \' .\\W\{ le style champêtre
ou pastoral. ..Tout est grand dans le premier, nous dit. en iSoh. l'honnête et docte Millin,
dans son Dictiomaivc des Beaux-Arts, les >ites sont ]iittores(|ues et romantiques — mot
nouveau qui n'a\ait jkis encore jnis son sens ré\-olutionnaire — les fabiicpies sont des temples,
des pyramides, des (ibéliscjues. d'antiques sculptures, de riches fontaines; les accessoires sont
«les statues, des autels: la nature nflre de^ rothes brisées, des cascades, des cataractes, des
Kcolc traïK'aisc.
59
arlircs (|ui nicn.ictnt l.i iiuc l),in> le >t\-lc ihain]H"'trf. \,\ naturr. .m contrain-. se roinmuiiiiiuc
sans (irnriiieiit vt ^an> l.inl. ..Va \r >a\'ant tTrixain rontimu- par riiulicatidii dt- <|ucl(iucs
recettes pmiv rele\-fr lr> ladi-uiN naturelle-, de la nature. I)e> deux parts, donc, ci' n'était (|ue
convention. Si. dans le jMemier j^'enre. la cinnposition e\it,'eait l'eniploi de> ,.rénota])lies, ci[)pes,
tonibeau.x. pyramides, colonnes l)ri>ee>"". dans l'autre, cm disposait d'un leii d'accessoires
indispensables: ..éelielle>. ha<[uetN, (U\e>. \ieille> futailles, auges, charrettes, charrue--", (pii
peuvent ..accompagner a\'ec gnut le> denieure> champêtres". Dans l'un et l'autre ca>. on
procédait par mie sorte d'imitation, non pa-- di' la nature. (]u'on é\-itait de regarder. niai> des
maîtres du passé, là Claudi- Lorrain ou l'oussin. ici les llamand-- et le> hollandais, pastichés.
les uns et les autres. ,i\-ec une désolante médiocrité.
A'alenciennes et W'atelet. a cette date, représenti.'ut chacun, l'ini et l'autre genre.
P.UI llria. — l.r, l'.ri-.iiit-, .i (imnavillc (Mu
Watelet invente même le genre mi.xte. Cepentlant. malgré tout. aprè> toutes le-- grandes
querelles de peuples qui avaient houlexerse le monde et mis brutalement les natums en
contact, dans la détente générale des esprits qui aspiraient à la \ie libre. ,it tendaient du
nouveau, recherchaient les déiilacemenfs. le sentiment de curiosité ([ni s'était maniiesté à
la fin du siècle précédent si' ré\-eilla a\'ec une certaine \-i\'acité. On reiirend i)laisir aux
voyages, on veut scjrtir du cercle étroit du décor habituel où l'on a soulfert ou langui. De
nombreuses pubHcations attestent ce goût de vagabondages j)ittores(iues à tra\-ers les régions
les plus diverses de l'étranger ou de l,i iMance elle-même, pour contenii)!er les m<'rveilles de
la nature aussi bien que celles du génie luuiiain.
Ce regain de sensibilité touch.i même, autant ([u'il se put. les pauvres décorateurs
patentés de , .fabriques" d'Opéra ou de i haumiêres d'Opéra-comiciue. (|ui renoncèrent,
6o
La Peinture au
XIX^
siècle.
pour un temps, à sortir leurs Apolluns. k-urs I);iplmés. leurs Pyrrhus el leurs l'iiiloctètes et,
suivant la mode nouvelle, leurs Tancrèdes, leur Chéreberts, leurs Vellédas et leurs Malvinas,
ou remisèrent leurs chalets, leurs moulins, leurs petits ponts de boîtes à joujoux, pour s'essayer,
plus ou moins gauchement, à des efftis de matin, des effets de |)luie. des effets de vent, enfin
à des études, tout simplement.
Tout cela était encore bien timide et pusillanime. On se détaisait maladroitement des
souvenirs insidieux des JMusées. 11 falhiit \raiment qu"un t^iand souille jniissant et libre
vînt balaver tous ces cartonnages artificifls et n-\"i\'ifier Tarèni' artistiqur. Ce tut le rôle du
romantisme.
■■^!
In.is Iirritf:.
Soleil couchant (Collecti
On avait f)u remartpier ilejà, par une transjiosition ]>our auisi dire parado.xale, que,
tandis que les paysagistes jiaraîssaient plus i)ré(.)ccupés de leurs perstjunages que du milieu
qui devait les entoirrer. les peintres de figures témoignaient d'une sensibilité autrement
clairvoyante devant les aspects des lieux où se déroulaient leiu's scènes de l'histoire, antique
ou moderne, leurs drames ou leurs tragédies, dros et Prud'hon. entre autres, se montraient
essentiellement paysagistes, non seulement par la compréhension des fonds de leurs tableaux,
pris en plein air, mais par le juste accord de leurs personnages a\-ec le milieu, sous la lumière
et l'atmosphère du dehors. Il n'est point pourtant jusqu'à Girodet, et même jusqu'à Guérin qui,
sur ce point, ne montrent des qualités d'oljservation supérieures à celles des paysagistes.
Hioto Brmm Clcmnil S
lri.i> In l'KK- - If Matin (Muscc .lu 1. ouvre).
Kcole française.
63
(réricanlt i-n^uiti'. rt ciiliii 1 ).l;irr(ii.\ ass(jci(:-ivnt. a\-(.-c toute la i)ui>>,iii(T tic leur iin.i.t^inalidu
réaliste, les splendeur^ ou lc> tumultes de la nature au pathéti(iue des spectacles liuuiaiiis.
Ce sont donc \-rainient les peintres de ligures (pii commencèrent la réaction vi\ante
contre rentjourdissement momentané de l'i'cole de [laysaf^e. Point n"est besoin de chercher
d'explication dans um- préti'udue orientation donnée i)ar les maitre- an,t,dais. l.'inlluence
incontestable des grand ])ay>a,uistes d'outre-Maïuhe. tels cpie Constable et Turner je n<-
cite pas à dessein Bonington. (]ui se confond avec les français — \-int f,i\driser le monxcment.
hâter réclusion, mais ne fut jias le ])oiiit de déi)art.
Sans parler des Moreau l'aine, des Lantar.i et des liruandet. (jui. tout au début de
cette évolution, annoncent jilus nu moins confusément le relèvement du genre ])ar ra])])ort
Thhôiiokp: KoisbKAC.
.Il- la lurC-t ae l-oiitaineblr:iu (-\liiM:f du l.mivn-).
hbre d'une \-eritable sensibilité de\-ant la nature, il est deux noms (|ue la jiostérité r<'connais-
sante a retirés, l'un de l'obscurité dans huiuelle il était ense\'i-li. l'autre de ce ([ui commen-
çait à devenir un injuste oubli: ce sont < leorges ^lichel et l-'aul Huet.
Georc.es Michel, ([u'on ap))ela .lussi cour.unment Michel de Montmartre, est une de
ces singulières figures d'artistes (uiginaux. qui jxissent inconnus ou méconnus d.ms leur
temps et qui. Irélas! sont assez fréquents dans toutes les écoles. 11 est ne ,"i l'aiis en 1 7');, et mort
dans cette ville en 1843. Il fut élève de Taunay. gentil petit peintre à cheval sur les deux
siècles, qui a même fait, ji.irfois. des ligures à ses tableaux, comme dans celui qui appartient
au Musée de Nantes. Michel i>rit goût à la peinture des maîtres en restaurant, nettoyant
64
La Peinture au XIX' siècle.
et vernissant des tableaux hollandais, alors recherchés. Il s'apjiliqua d'alxjrd à les imiter el-
les suivit si exactement que ses premiers tableaux et surtout ses dessins peuvent être con-
fondus avec de vrais hollandais. Plus tard, peut-être, lui aussi, sous la poussée générale des
événements et des idées, il élargit sa manière et, s'il reste toujours dans la dunnée hollandaise,
du moins se rapproche-t-il des vrais maîtres par son style simple et grandmse qui atteint déjà
aux effets synthétiques du romantisme. Son horizon est très borné et, comme ses maîtres de
prédilection, il ne quitta pas le coin de terre où il était né, le paysage subiu-bain de Montmartre,
alors tout à fait campagne avec sa ..butte"' peuplée de moulins. Ce solitaire n'eut aucune
influence sur les destinées de l'Ecole. Ses tableaux, longtem]is dédaignés, qui commencèrent
à monter dans les \'entes publiques, il y a vingt-cinc^ ans. éjioiiue nù l'on s'étonnait de voir
Etienne Arago les pousser jusqu'à 50 francs, figurent maintenant au Lou\'re en place d'honneur
.1..' f.irct (Mus
et Sont reeherehés par les grandes ciillectinns américaines à l'égal dt
connue en témoigne le ]'icnx inoitliu de Montiiuntrc re]irésenté ici.
maîtres de Barbizon.
Le \erital)le initl.iteur <le la reno\"ati(in du i)a\-sage et de l'éclosion romantique fut
donc P.AL'L Htet. Celui-ci et, ut eiirore, liien ([ue plus culti\ee. une i)hysi(.inonue indépendante
et un peu farouche. Son éducation ^'était faite au Lou\-re, de\'ant les paysages de Rubens et
devant Rembrandt et, aussi, dans ce petit paradis humide et feuillu de l'île Seguin, près du
Parc de Saint-Cloiul, <]ui n'i'tait guère fré(|uenté alors (]ue par des maraudeurs et des bracon-
niers. C'est là que. (U'^s 1S22. il exécute sur nature ces premières études, qui sont le prélude
du prochain chœur des grands mmantupies.
Paul Huet est né à Pari> le ;,o octobre liSoj d'une f.unille de nrarchands de rouenneries
ruinée jiar la Révolution. Il travailla ([ui'lque temps chez (iros. où il c(.)nnut Bonington, il
Ecole trançaise.
6s
se lia étruitemeiit <i\-cc lui et Li ic>M'inl)]arici- .•ntic lcur> Uilculs oi >.i i^randc. à cette date,
que Huet ayant copie une étude de s(in camarade, celui-ci prit la c(i|)ie ixiur sou (eu\re même.
Huet était également lié avec Delacroix, qui i"aj)préciait beaucoup. 11 c'si, pai" la date, le
précurseur des vrais paysagistes romantiques et il est aussi le premier du groupe des lyriques.
Nul n'a traduit avec une pareille véhémence les déchainement> de l'orai^'e et la fureur de>
flots; nul n'a dit, non plus, avec une sensibilité aussi émue le calme du matin, la Iraiciieur des
sous-bois, les pluies mêlées de soleil. Son premier Salon date de 1S27. Ses grands morceaux
classiques appartiennent, pourtant, à la fin de sa carrière, telle cette Iiwndaluiit dans le Parc
de Saint-Cloud, du Louvre, où les masses rousses des feuillages, les eaux giau(iu<'s du fleuve
débordé, le ciel chargé, déchiré de lueurs stridentes, forment une maguiri(|ue et |)i()fonde
symphonie naturaliste. Ce tableau a liguré au Salon de 1855.
lili-.iiDuKh km >M AT. — l,fs c'hcnrs (.\hiM;p «lu I.uuvre).
Les Bn'siiiits. à drand-i'ille. au|iiurd']ini eg.ilemeiit au Lou\Te, smii de deux .nw anté-
rieurs; ils (jnt été exposés au Salon de 1S3;. T'est le grandiose spectacle des llol> t umultueux
écumant contre les rochers, dans les lueurs s.LUgJantes du soleil couchant.
Paul Huet est mort à Nice en i8fi().
Jules DuprÉ, qu'on a souvent inexactement }irésenté comme le pieuiier roui. intique,
n'a, pourtant, exposé pour la première fois t\\\\'\\ 1831. Il a donc sui\i le uiouxement créé par
Paul Huet. C'est un de ceux qui ont subi le plus vivement rintluen( c de rècoK- .luglaise:
les circonstances même le servirent car. dès i8]i. il eut occasion d'.iller dans ce p.i\-s où il
prit le sujet de tableaux exposés (pielques annei's plus tard. 11 était ne a Xanti's le 3 avril
1811. Son père était fabricant de porcelaines. C'est dans ce milii'u <|u'il .ii)i)ril sim métier;
à 12 ans, il fut conduit à Paris et placi- chez un oncle également m.iii hand de porcelaines.
66
La Peinture au XIX'' siècle.
elle/ ([ui il pcif^iKiit tlr> taises t-t des assiettes en comixignie de Raftet et de C'aliat. (|ui débu-
tèrent ain>i. Il sni\it >nn i)ère, parti pour installer une fabrique de céramique à Limoges, et
c'est dans ce pays, (lù il aima revenir, qu'il peignit ses premières études >nr nature. On était
alors en i.S.'j nu iNjN. 11 débuta en 1830 à Tlt.xpositidn. ouverte au Lu.xembourg, pour les
blessés de jinllet. S<iii premier envoi au Salon ])assa inaperçu mais, dès 1833, on fut frappé de
sa manièiv lobuste et grasse de modeler les terrains et de distribuer la lumière, ("e modelé
puissant thi pa\>age est .sa caractéristique; c'est ce qui donne à ses t<iiles cette magistrale
imité, (lu'il recdunuandait lui-même à
Rousseau, lorscprd le \-oyait se perdre
dans les détails. Car les deux maîtres
lurent longtemps étroitement liés ensemble
a\ant d'être séparés ]iar une brouille mal-
heureuse et Dupré prodigua souvent des
encouragements amicaux à Rousseau, alors
mal compris. Il a eu aussi la passion des
techniques savantes, et, comme Decamps,
il a été quelquefois \-ictime de ses abus.
Ses empâtements, qui gagnent même les
ciels, ont compromis jilus d'un tableau.
Il a travaillé un peu partout, en Angle-
ti-rre. dans les Landes, en Sologne, dans
les lî.isses-Pvrénées, en Picardie, dans le
l'xrrw eu Normandie, mais particulière-
ment dans le Limousin et surtout à l'isle-
.\(lani. où il s'était lixé de bonne heure
et où il était entouré de tout un groupe
d'artistes formant école, i^armi lesquels
son frère Victor Dupré et Auguste Bou-
l.ird. Jules Diqu'é est hautement coté, en
iMance et dans les collections étrangères,
dans ce t;roupe ]ilus ou moins exactement
apiiele l'école de 1830 ou l'Ecole de
l'>arbi/îon. parce que Rousseau et Millet,
nous le \'errons tout à l'heure, y furent
donùciliés. l'n grand nombre de ses toiles
est aujoiud'hui en possession des prin-
1 i])ales collections américaines, comme le
Soleil cuiichivit reproduit ici. On y trouve
ses éléments de prédilection, des silhouettes
de chênes tordant leurs branches noueuses
vers le ciel mou\'emeuté du soir, et, de
préférence, en .lutouuie; quekpu' llaqiu' d'e.iu ou ([uekiue tournant de rivière, mirant les
nuages et la tache ronsse et mouxante d'une ou deux wiches wnant se désaltérer.
Le Malin, cpn ligure ^uiioind'hui au Lou\-re, apparteUidt, il n'y a pas longtemps, au
Luxembomg. 11 y était entré, en 1S80, avec son jiendaut le Soir, à la suite de la vente de San
Donato où ils axaient été acquis par l'Etat. C'étaient, en effet, deux panneaux décoratifs pour
l'hôtel du prince Demidoff. Ils montrent à quel point ces paysagistes — ^lillet le prouvera
de son côté — ])ou\aieiit à l'occasion comprendre la décoration. Ce sont toujours les grands
.lu l,.,uvie).
Ecole française.
(^1
cliriifS, (|ui (IroM'iil huis 1 lorus tdiirmi'iiti's, mai-, ici >ur iiii cirl <r;niiiirr, (Liii> l,i l)ruinc {,'rise
et ,11-gt'ntei' du niatiur r'ot t()U](iuis 1.- Ix.id d'im ciiiii- d'.MU. dont !.■ luiinii iraïuiuillr ot
tiiiublé. ici. |Mr un cduplc de clic\rcuiN.
TliÉODDRi- RoissHAr (st i.i pkiv ccinplctc rt au»! 1,1 j)lu^ cuiiiph'xc d.' (■(•■. liiandcs
physionomies arti>tiqur>. 11 a au plus haut point la vision large de i'cnsfinblc et cependant
il distingue tou> les éléments indnidueU cpii li- composent. Dans le grand 'cliceiir universel
de la nature on dirait que, tel que celui (|ui dirige rorche^lre. il i)erçoit toute> les voix. 11
l>l\/ (\aK( )SS|.-l"l.YssK). — SoU<-lH)is (Mu-,éf (lu 1.
a toute la puissance des plus \-.istes s\-ntheses et r.icuitc de-, plu- ^uhtilc^ .iu,i1\m-. 11 est un
lyrique passionné et il est dé\iire par le besoin le plus ,ir(leni di' \(''iiti'. Aussi est-il le |)roto-
type du paysagiste dans rÉcole. Il n'\- ,i (jm- l,i -^éri'iiité' di\iuc di- (Omi (|ui puisse -.'cpjjoser
à la grandeur de cette angoisse profondément Inim.iine. (]ui cheiche. -^einble-t-il, a jK-uétrer
les grandes lois et à formuler les grandes haiinonie-- de ITuiNei-..
C'est ce qui e.\pli([ue ([ue Rousseau fut d',ibonl ^i peu ou si lu.il cominis. Il lut en
effet refusé quator-^e fois par les ]ur\-s des S.doii^. Sun gi.uid c,iiii,ir,ide. Millet, ne sera i),is
plus persécute. 11 oi:cupe une place exceptionnelle d,m^ le p,i\s,ige eu te sens (pi'il ré, dise
tout ce qu"a\'ait ré\é le romantisme d,ins la contem|)latioii de la ii.ituie et ([ue. p.ir cette
68
La Peinture au XIX"" siècle.
soif anxieuse de \éiité, ces strupules (|ui finirent même j)ar dewnir mal.idifs, il prélude à
révolution prociiaine du paysage, qui \a devenir plus analytique, plus objectif.
Th. Rousseau est né à Paris le 13 avril 1812. Il était le fils d'un petit marchand tailleur,
qui était apparenté, de di\ers côtés, à quelques artistes. Dès l'enfance il >"appliquait à
dessiner et se préoccupait déjà. dan> ^es i)remiers dessins, de mettre les objets dans leurs
milieux, de traduire des ensembles.
Son jjremier Salon date de 18 ',4. 11 >"y \it décerner une médaille de y"^<^ classe,
ce qui ne le garantit ]ias des injustices à venir. Ce n'est (pi'en 1849 qu'il obtint une médaille
de lére classe et en 1852 qu'il fut décoré. 11 recevait la médaille d'honneur à l'Exposition
de 1867, avec I.i rosette d"oflicier de la Légion d"honneur. mais c'était Tannée même de
sa mort, qui tenuina nue longue et doulonn'U-e maladie, le 22 décembre 1867. à Barbizon.
,U, Louv,-^).
Rousseau a beaucoup x'ovagé.' comme tous li'^ romantiques. 11 a travaillé dans le
Berry, le Cantal, la \'endée, la Sologne, la Normandie, à ITsle-Adam. i)rès de son ami Dupré,
dans les Landes, où il accomplit >on clief-d'a-u\-re du Louxre et surtout dans la forêt de Fon-
tainebleau, où il ^'étabht en 1831. i)resque en même temp> que Millet, avec qui il se lia dès
lors d'une étroite amitié, brisée sevdement par la mort. Il en a dit tous les aspects: la splendeur
solennelle des hautes futaies, le charme des clairières ensoleillées, la désolation de ses étendues
de roches éboulées: carrefour du Bas-Bréau, plaines de Barbizon, gorges d'Apremont. Ill'a
aimée passionnément, cette forêt, ce petit coin privilégié du monde, qui semblait seul garder
le souvenir de la beauté grandiose et >auvage de la terre d'autrefois. La Sortie de forêt,
au coucher du soleil, avec ses chênes tourmentés qui encadrent le riche décor du soir; \a. Lisière
de forêt, beUe et puissante est[uisse, en sont le magnilique témoignage. Ces deux toiles
appartiennent aux anciennes collections nationales; elle> ont ligure toutes deux au Musée
du Luxembourg et la première fut exposée au Salon de 1855. C)uant aux Chênes, ce merveilleux
É
c'olc tramaise.
l)()iujuct d'arbres >
soleil, dont Tonibn
•ulaircs. MUf^i au miliru de la jilaiiie. dans l'atmosplière irradiée de
'large abrite un troupeau de moutons, cette toile fait partie de la
collection Thnmy-Tliiéry, (lui a -i précieusement enrichi le Louvre pour la période de iS;o.
S'il est vraiment \m rumanticiue parmi le> romantitjnes, c'est bien Di.i/. 11 unit !<•
papillotage des premiers romanriques, les pittorestiues : Isabey ou Lami, à cette iiassion exaltée
de la nature qui caractérise les grands lyricpies. 11 \écut, d'ailleurs, prés de Rousseau, dans
cette forêt de Fontainebleau, où il se plaisait à ])eindre les hêtres ensoleillés, pré^ du sentier
de la Reine Blanche et les longs fûts mince- <],■■, bniilcuix b!;inr-. 11 ,i\;iit .lin-i n,-, nn '■■ nre
de sous-bois pétillants, très pastiché
par les falsificateurs, et Ton raconte
même qu'il allait en forêt avec un
panneau préparé à ra\'ance de ton-
brillants, mais sans forme, ne s'arrê-
tant que lorsqu'il trou\ait entin le
mo\'en d'utiliser ce qu'il appelait
sa ..tartouillade" de couleiu's. La
jéc aux perles, du ilusée du Louvre.
a été exposée au Salon de 1S57.
d'où elle passa au Luxembourg.
C'est un type excellent de ces pein-
tures de figures, où Diaz mêle à sa
fantaisie les souvenirs de Corrège
et de Watteau. Le Sons-bois a été
acquis par le I^uxembourg à la
\"ente posthume de l'artiste.
Diaz (Xarcisse-Ulvsse) était
né à Bordeaux le 20 aoùt*iSoj
d'une famille de proscrits espagnols.
Orphelin à dix ans. il avait été
recueilli par un ])asteur protestant
de Bellevue. Conune Dupré. Raftet
et Cabat, il débuta par la peinture
sur porcelaine. Il reçoit des leçons
de Souchon et de Sigalon. Son
premier Salon date de 1S31 et
l'apogée de son talent se marque en
1855. Ses pavsages. ses mvtho-
logies galantes, ses (irientaleries et ses fantaisies de bohémiens eurent un succès cpii s'est
longtemps continué. Diaz a subi fortement l'intluence de Delacroix: il .1 de son coté, par
son amitié et ses conseils, exercé une action certaine sur la première manière de .Millet.
Chevalier de la Légion d'iionneur en 1851. il est mort à Menton le i.S novembre iSjb.
Pendant ce temps la fornude classique du ])a\-sage. le jiaysage hi-torique. s'obstinait
à poursuivre son cours en face du mouvement romantique et malgré ses progrès en\-aliissants.
.Mais elle perdait de son intransigeance dogmati(iue. de -es puérilités d'érudition et elle allait
aboutir à un a\'atar singulier et impré\'u. la formation d'une des ])lus hautes personna-
lités de l'art moderne, de celle, peut-être, dont l'inlluence a été la plus étendue et la jilus
féconde, celle de Corot.
Doiuii (.MiisO,- ,1,1 I.,
72
La Peinture au XIX^ siècle.
Ce qu'on ;ippelle le paysage compost' n'dfîpartieiit p;is, (railk-uis. en pnjpre. au seul
genre classique. Ce mode se rencontre dans toutes les écoles et dans tous les temps; il est même,
sans doute, assez sympathique à une race qui a comme qualité essentielle le goût de l'ordre.
de l'arrangement, de la composition. Cela est si vrai qu'il se retrou\'e à l'occasion chez
les [)lus ardents romantiques.
Ce n'est donc pas e.\clusi\-enient sur ce point que la ionuule classique différait de hi
formule adverse, d'autant plus (ju'avec la nouvelle génération des }tIicliallon, des Rémond,
des Edouard Bertin et des .\ligny. auxquels il faudra joindre les Alexandre Desgoffe et les
Paul I-'landrin. le st\de héroïque pre-
n.iit un c.iractère plus proche de la
\érité en se contentant, la plupart du
temps, d'interprétations élevées, mais
un peu rigides, de sites choisis, mais
Vvrh.
(était aussi, comme dans
l'ordre de la ligure humaine, une
question de technique qui séparait ces
lieux groupes, les romantiques et les
iieo-rlassiques. Ceux-ci défendaient la
ir.idition, s'attachaient un peu étroite-
ment au rendu ])ar le dessin, la ligne,
-uixant les inéceptes d'Ingres et on les
iplielait. pour ce motif, les Ingrisies
du p^ivsage.
Corot sui\it longtemps leur
\"(iie. Il leur dut ses premières leçons,
>(> premiers encouragements, et garda
idu jours de cette longue, austère et
rdbuste préparation la discipline qui
lui ]iermit plus tard de traduire avec
une aisance et une sûreté inégalables
,.1,1 force et la grâce de la nature'".
Je.\n-Baptiste-Camille Corot
(i|ui répondait habituellement au
)ireniim de Camille) est né à Paris le
20 Juillet ijqG. d'une famille de bons
Corot. — lioliémienne rêveuse. bourgeois, qul tenaient un magasin
de modes, au coin de la rue du Bac
et du quai. Madame Corot était même célèbre conune niodi^ti-. .Vprès une instruction classique
un ])eu cahotée, du collège de Rouen à une institution de Poi^sy. il fut mis dans le com-
merce, successivement dans deux maisons de marchands drajners. 11 n'y réussit guère,
obtint enfin de se livrer à ses goûts, qu'il avait manifestés depuis longtemps — il avait alors
vingt-six ans — et il put commencer sur nature, en sui\ant les conseils que lui avait donnés
Michallon et les principes reçus à l'atelier de Bertin. Dans un premier v(jyage à Rome, il
connut Ahgny qui s'intéressa tout particulièrement à lui: il s'attacha à ce beau ciel dont la
pure lumière lui permettait des études apphquées et sui\-ies; il y retourna en 1834. C'est de
là qu'en 1827 il en\-oyait au Salon, pour la jireniière fois, une \-ue ]irise à Xanii.
colc française.
7 3
Ces peintures d'Italie forment dans ]"<euvre de Corc^t ce qu'on a})pelle sa j)remière
manière. Longtemps _ elles furent dédaignées des amateurs, mais Corot en connaissait assez
le prix lui-même pour les conserver et en léguer deux au Louvre, telle cette VucduColiséc
prise des jardins Farncsc, qui fut exposée au Luxembourg du jour tle la mort de Corot jusqu'en
1886. Elle a été peinte sur nature en Mars 1826. Avec le lointain de ses maisons rosées et les
ruines colossales du cirque, au milieu du fouillis des herbes et des feuillages, son clair soleil
et son ciel pur, elle égale en fluidité et subtilité les plus limpides Claude Lorrain.
Corot garda toujours de sa première éducation et de son milieu le goût des mytho-
logies. Il aime à peupler ses bois et ses étangs de nymphes et d'hamadryades. .Mais ce ne
sont pas de vains, inutiles et obscurs figurants destinés à anoblir des sites choisis. Ces déesses,
chez Corot, sont connue des émanations même des lieux. C'est ainsi <|ue dans le tableau célèbre
ProSI'ER M.\rii.ha-i.
.lu c;ilife Hakfin au Caire (.Mu.-,
du Louvre : Une Matinée, les nymphes qui dansent dans une clairière sous les hauts bou-
quets d'arbres, estompés par la lirume qui sY'claircit, disent bien la joie de la \-ie à l'aube
du jour. Cette toile fut acquise par l'Etat pour 1500 francs, au Salon de 1851, où elle figura.
EUe fut placée au Luxembourg jusqu'en 1887. Le Beffroi de Douai, entré depuis deux ans au
Louvre, est une œuvre des derniers temps de la \i.Q de Corot, puisqu'elle date de mai 1871.
Elle provient de la vente d'Alfred Robaut. le grand ami de Corot, chez qui le maître allait
volontiers passer plusieurs semaines en famille, à Douai même. C'est ime toile à laquelle
Corot attachait une grande importance. Il y consacra jusqu'à vingt séances d'après-midi et
il a donné là, avec cet alignement de \-ieilIes maisons, ces toits de tuiles noircies, ces devan-
tures coloriées de bputiques, le grouillement des personnages, peut-être l'e.xpression la plus
complète de cette connaissance si profonde et si subtile des valeurs et des phénomènes de
l'atmosphère. .\ cette date, où l'impressionnisme est en train d'éclore du réalisme par une
6
74
MiituiX' au
XIX
SI ce le.
ubscnatidii ])lus aigui' des lois de ratinnsphèie et de la lumière, cette toile montre l'aboutis-
sement de Corot, l't explique toute rinfluence (|u"il eut alors >ur ee groupe et qu'il exerça
ensuite jm'stjue uni\'ersclk'mcnt sur Fécole.
Vu as})ect sous lequel Corot est assez impréxai. c'est celui de peintre de figures. C'est
un côté de l'art qu'il ne dédaigna jamais. Il estimait qu'un peintre qui sait bien modeler une
tigurt' sait mieux contluire un paysage. Il aime, d'aillem-s, à animer ses tableaux, à y faire
sentir la trace de riiomme. Dans son ceu\"re, prodigieuse conmie labeur, les études de figures
nues ou \ètues forment un petit ensemble imposant. Longtemps dédaignées elles sont au-
jourd'hui précieusement recherchées, et le plus grand nombre, malheureusement, sinon les
plus belles, sont recueillies par les collections d'Amérique, telle la Iluhéiuienne rêveuse,
exécutée entre 1860 et 1865. Comme on le voit par l'accoutrement dont il a affublé son
modèle, Corot subit l'influence du \'oisinage de ses amis romanticiues. Il a dans son atelier
tout un bazai" d'oripe.iux i>oin' bohémiennes, tsiganes, odalisques, toute l'orientalerie à la
I 11 AKI 1^-1'"k \M.ciIs |) \i-|;1i
(.Ml|.,C.- .lu 1,<.II
Delacroix et surtout à la Dia
tons, et il obtient dan> ce tj
exquis \"ernieer de Di'lft.
Mais ce n'est pour lui qu'un prétexte à un assemblage de
re des effets d'accords et de matière comparables aux plus
Il est, n((n loin' de ( orot. dont il lut l'ami, en contact a\ee le milieu romantique, mais
sunant plutôt, lui au>>i. l'éducation traditionnelle de l'école, une charmante physionomie
d'artiste, qui a laissé une (euvre^ d'une sensibiUté fine et délicate: c'est Prosper Marilh.'vt.
Né à Vertaizon, près Thiers, en .Auvergne, en 1811. il \int .'i Paris en i82q. ses études faites et
ayant appris le dessin au collège de sa ville natale. Recommandé à Cicéri. celui-ci l'adressa à
Roqueplan. Comme pour Corot, 'ses débuts sont tout à lait d'un classique, l'n incident
imprévu décida de sa carrière et "en ht un des premiers maîtres de l'orientalisme. Un riche
voyageur allemand, qui entreprenait mw tournée scientifique en Orient, le prit comme des-
sinateur pour l'accompagner dans ce \-oyage. Ils i),utirent en .\\ ril i8;,i. parcourant la Grèce,
la Syrie, la Palestine et l'Egypte. Le baron de Hugel continuant dans l'Inde, Marilhat
le (piitta et rentra en France en 1853. Il enx'ova de ces pa\-s des toiles comme les
Ecole ti-aiuaise
75
Charles-Frani.mi^ l)Ari:i(;\\ .
L'inquiétude de Th. Roussua
premier témoignage de cette
d'autres maîtres d'importance
plus familiers, plus sensibles
moins grandioses mais plus
préparant, sans le sa\ oir et s;
Les maîtres qui, à cette
sition entre le romantisme et 1
Ruines de la Musquée du calife
Uakeui, où sa \ision contraste
a\ec celle de Decainps, si
larouclie et si suljjectivc, par
--a francliîse délicate et son
.limaille \-érilé. Mariliiat tra-
\ailla en>uite en .Auvergne,
à I""(intainebleau cX en Italie;,
mais sans retrouvi'r ses succès
d'orientali>te. Tombé malade,
il perdit la r.iison en 1846 et
mourut en 1847, à ;(> .uis.
L'e.xaltatiou imagina-
ti\e des premiers lyricjues du
romantisme s'était apaisée
j , M ■ 1 I de\-ant leurs c(jntemplations
plus attentives de la nature.
u, dans son ardent et ronnne maladif besoin de vérité, est le
évolution nouvelle. Elle se marque de diverses façons avec
moindre : les Fiers, les Cabat, les de la Berge, les Chintreuil,
aux spectacles coutumiers du pavsage voisin de l'homme,
\'éridîcjues. mêlés eu-\ aussi au groupe des premiers, mais
ins le \'oiUoir, la réaction contre le romantisme.
date, marquent le plus hautement cette péri(jde de tran-
e réalisme, bientôt juet à -.urgir après les événements de 1848,
ii^lJlÉBiSi^HHKw^ --V m|^MmBB|m ^ê ^[ |7-r-^ — "^^^'^^^^^^^SBI^^
il
i
m
[ .;f«»r5',l>fc ,.,
./*-
CON.SIANI' IkUVDN.
ll.Liif^ -.c K-nilaiU au hi
^.Mu.cL- >lu Louvre;
76
La Peinture au XIX^ siècle.
sont Daubigny, Troyùii, K(i>;i Bonheur et Jacque. Ce sont ce qu'on a appelé les naturalistes,
ou, en face des lyriques qui les précédaient, les grands prosateurs du paysage.
Charles-Fkançois Daubigny, né à Paris le 15 février 1817 et décédé en 1878, était
issu d'une famille où tout le monde était artiste, son père, son oncle, sa tante, comme son
fils le fut aussi. Il étudia, au début, avec son père, puis entra chez Delaroche. Il com-
mença à gagner sa vie en peignant des dessus de boites à bonbons, puis aussi en dessinant
des illustrations. Il parut suivre d'abord la manière minutieuse de de la Berge, mais il se trouva
bientôt lui-même de\'ant les petits paysages modestes et avenants, intimes et familiers, des
en\'irons de Paris. Son premier
Salon date de 1838, où il envoyait
une vue de Notre-Dame de Paris.
Il exposa ensuite plus ou moins
régulièrement aux Salons, où,
malgré les sévérités du Jury, il
conquit peu à peu tous ses grades.
Il a voyagé en Italie, en Angleterre,
où il put être impressionné par
Constable, a\-er qui il a bien des
affinités dans sa touche hardie, sa
manière robuste, grasse et plantu-
reuse et ses heureuses abréviations.
Par ses qualités de technique, son
accent de vérité, de sincérité, la
fraîcheur et la vivacité de ses tons,
la fluidité de son atmosphère, la
simplicité de ses motifs, il prépara
de loin l'évolution de l'impression-
nisme. Dans son œuvre, le Printemps,
du Louvre, exposé en 1857, avec
ses pommiers en fleurs, ses verdures
neuves, (ju la Vanne, avec ses eaux
transparentes, sont des toiles typi-
ques de ce maître naturaliste, au
vrai sens du mot, qui ne travaillait
que devant la nature, suivant ses
effets les plus fugitifs sur son atelier
flottant.
CONST.-^NT TkiiYON.
1,1- Matin (Musée tlu l^ouvre).
Constant Troyon naquit à Sèvres le 28 août 1810. Il est mort à Paris le 20 mars 1865.
Ainsi que nous l'avons vu pour plusieurs de ses confrères, il commença par la pein-
ture sur porcelaine. Il était né, d'ailleurs, à cê)té de la manufacture nationale, où il reçut les
leçons de Riocreux et où il fut employé comme décorateiu'. Il perça lentement et suivit d'abord
la voie des romantiques et en particulier de Jules Dupré. Après un tour de France à pied
comme les , .compagnons" d'autrefois, il se risqua au Salon, en 1833, avec une vue prise du
pont de Sèvres. Sa vraie personnalité ne se dégagea qu'à la suite d'un voyage en Hollande
et, de même que pour ce dernier groupe qui nous occupe, que vers la date de 1848. Il obtint
]iourtant ses médailles aux Salons de 1838, 1840 et 1846, mais ne fut décoré qu'en 184g.
Ecok' iraïuaiSL-
11
Lf> riiinaiitiquo. .1 l.i ivchenlir de Mto ;u-ci(lciilc- et pittorcsiiut-,. clian,t,'fairnl \ ul(jntiL-i>.
le champ de lfur> '-ibsrr\atii)n>. Tni\(in, nialf,Mr <iiu-l(|urs excursions dans le I.inKjusin, en
Bretagne, en Hollande, ou à Fontainebleau, ne «luitta guère l'iiori/on n.ital de Saint-CIoud
et de Sèvres et surtout cette verti' et grasse Xcirinandie aux niagnitigue- ruminants. (|ui lui
servaient d"iiicom])ar,d)les modèles.
De même, le romantisme, poétique par essence. >e p!ai>,nt de préférence au.\ ellets
colorés du couchant et des rousseurs de l'automne; le groupe des naturalistes nouveaux pré-
fère le matin, la lumière fine du soleil qui se lève, les gris légers des brumes aurorales et les
verdeurs aiguës et fraîches du printemps. Troyon a magistralement rendu ce réveil, robuste
et plein de grâce, de la terre; ses Bocujs se rendant an lalioiir. expo>és en 1855 et qui tigurèrent
ensuite au Luxembourg, exhalent au plus haut point cette poésie rustique, faite de vérité et
aussi de grandeur, sans transpositions littéraires ni exagérations Imaginatives, où le l.doeur
de l'homme et la magie de la lumière suffisent à .anoblir le sjtectacle médiocre et sans incidente
\*>'
-A ilosmiK.
l,.-iboura,t;i- iiivcrn.Ti^ (Mu^ct- .lu 1,
de la plaine, renniee >ou> le large ciel du matin. ..J.e Mtilui" tel e>t simplement le titre et
tel est encore et toujours Teffet cher à Tro\'on. dans cette seconde toile de dimensions
modestes, celle-ci par rapport à la précédente, qui .itteignait des proportions ])eu usitées
encore dans le pa\'sage. C'est une vision moins solennelle, mais uni' imi>ression plu> intinir
dans un motif très séduisant.
Cet amour de la nature domestique, si Ton peut employer ce nvA. pour le paysage
proche de l'homme, pour la terre retournée et fécondée jiar son travail. s'<issocie chez Ros.i
Bonheur, comme chez Trovon. comme nous le verrons aussi chez Charles Jacque. à r.imour
des robustes, patients et fidèles serviteurs qui l'aident clans r.Lccomphssement (!<■ cette
tâche sacrée.
Kosa Bonheur, en j>articuliei'. apporta, dans cet amour des compagnons inférieurs
de l'homme, non point seulement un goût d'artiste épris de belles et puissantes formes,
mais une sorte de véritable exaltation philosophique. Xée à I-5ordeaux le 22 mars 1822.
78
La Peinture au XIX"' siècle.
Makie-Rosa BoMii-L'K était, en effet, tille du peintre Rayinonil fJonlieur. (jm était atfilié à
l'église de Ménilmontant et avait même publié im Carnet du 'rhcugynodéniuphilc, ou carnet
de l'ami de Dieu, di' la femme et du peuple. Rosa fut iKnirrie de Lamennais, et ., Lamennais
disait-elle, définit tout ce (pu- j'ai cherché'". N"étaicnt-ce ]ki> les niéuH's UKjbiles d'exalta-
tion philosophicpie qui animident la plume de sa grande rivale littéraire, Georges Sand,
dans ses peintures à la fois d'une simplicité si charmante et d'un accent si enthousiaste de
la vie lairale ? Rosa Bonheur jouit d'une célébrité exceptionnelle jusqu'à la fin de sa longue
carrière; elle est morte le 25 mai 189g, dans sa propriété de By, en Seine-et-Mame, qu'elle ne
déserta pas sou\-ent. En dehors de toutes les médailles qu'elle obtint, elle fut nommée
directrice de l'Ecole de dessin pour les jeunes filles. L'impératrice lui décerna la croix de la
Lé,gion d'honneur — bien rarement prodiguée alors ;iux femmes — en 1865 et la lîJépublique
lui oft'rit la rosette d'officier en 181)4.
Chaules Jacock. — I.o iroupeau (Musée «lu I.nuvrc).
Dans son œu\-re, awç le Marche aux chevaux, de la National (ialler\' de Londres, le
Labourage Nivernais est le tableau le plus célèbre. Exécuté en 1847. niais exposé en 1849,
il eut un succès qui scandalisait même l'excellent Galimard, peintre mystique et écrivain,
parce que , .l'admiration du public s'attardait trop à des scènes ordinaires dont les héros sont
des bceufs et des moutons". Sous la claire lumière du matin, ])ar un ciel lileu et tendre, deu.x
attelages de six superbes bœufs blancs ,, tachés de roux", cumnif ceux immortalisés par Pierre
Dupont, tirent la charrue dans les mottes remuées qui fument.
Charles Jacque, ne à Paris le 23 mai 1813, est mort dans cette xilk- en 1894. Sa
carrière fut moins illustre, ou du moins, plus sevrée des grandes récompenses officielles, car
on a remarqué qu'il n'obtint prescpie jamais que des î'-'"""' médailles. Il ne fut décoré qu'en
E
cole
fr:
mcaise.
79
1867. Sa carrière cumnience dan> la gra\-ure. ajjrès des débuts assez accidentés comme clerc de
notaire ou caporal d-infanterie; il s'inspira d'abord des maîtres hollandais, dont il copia même
avec un rare talent certaines eaux-fortes. Son œuvre gravée est désormais célèbre; il apparat
au Salon de 1845, mais comme graveur: c'est cependant la date oii il se mit à peindre. Porclu-
ries, poulaillers et plus tard surtout, bergeries, il exprime tous ces animaux, dont il se j)lait
à s'entourer et qu'il exploite même en véritable agriculteur, avec une vvr\'c, un entrain,
et un robuste accent de vérité. Il exerça une influence très certaine, dans ce sens rural,
sur l'orientation momentanément héritante de Millet. Son Troupeau de montons, du Salon de
HlPFOLVIK Fi.ANUKIN. — l'assage de la mer Rouge (Eglise SaiiU-Cieimain-des-rrés).
1861, sous un ciel gris où pointent ipielques rares trouées bleues, est une des œuvres les
plus hautement significati\-es de son talent.
Après 1830, le romantisme triomphant semble avoir en\-ahi tous les boulevards de
l'Ecole. Il n'v a plus de batailles glorieuses pour les principes; les luttes dégénèrent en
querelles mesquines de coteries, en persécutions, de ceux qui détiennent les honneurs et les
places, contre les indépendants ou simplement les nouveaux venus. Les rivalités des deux
grands protagonistes, Ingres et Delacroix, suffisent d'ailleurs à remphr l'arène de l'art. La
plupart des romantiques de la première heure, nous l'avons vu. --'étaient vite très assagis.
8o
La Peinture au XIX'' siècle.
quclques-ini>. à ce moment même, s'asseyaient à l'Institut. L'Iicuii- (li> .ii"cleur> enthuusiastes
et des belles folies était passée. Le ..(îothiqne'", du reste, cher aux niuiantiques, lassera bientôt
Us générations qui montent aussi bien que l'antique. On va surtout \i\ri' de compromis.
La tradition classique, toutefois, plus vivace que la conception romantique, parce
([u'elle était moins individuelle, qu'elle reposait surun fond solide d'enseignement méthodique
et discipliné, essaie, derrière Ingres et sous son égide, de poursui\'re son é\-ohition. Elle va
donner naissance, dans la peinture décorative, au petit groupe mx'stiqur de-, h-onnais. et plus
tard à ce qu'on apjielk-ra les néo-grecs.
La \tlle de L\'on. au commencement du siècle. a\ait \u ii.iitrc un premier groupe
d'artistes: Ré\-oil. Fleurv. Richard, Bergeret. qui jouèrent ini ])etit rôle intéressant dans le
renou\eau de peinture d'histoire
anecdotiquc. autiuel se donna, de
son côté, Ingres, avant même les
romantiques, l'n deu.xième groupe
s'était formé, d'abord sous les
enseignements de Ré\'oil, puis sous
la direction du grand maître clas-
sique, et se distingua dans une
manière e.xpressive et philosophique
(jui semble bien porter l'empreinte
du caractère lyonnais. En contact,
à Rome, a\-ec les Nazaréens alle-
mands, ils paraissent avoir subi
l'influence de leurs idées et, comme
eux. s'être \-(ilijntiers tournés vers
les primitifs.
.\ Paris le groupe s'accrut
d'autres noms. U'onnais ou autres ;
et Orsel, Périn. dabriel Tyr, Sébas-
tien Cornu. Janmot et Hippolyte
Flandrin créèrent un petit mouve-
ment religieux principalement sous
la forme décorative, tandis que, en
face. ("liena\ard. avec Papety,
VicTOK Moi 11/. r..iiiait .it- M"i'- M i\\u-.,j,- .lu i.uvcmbourg). portaient leur encens à une autre
éghse. l'église phalanstérienne, qui
tentait de substituer ,tux \ieux cultes déchus une religion nouvelle, exclusivement morale
et humaine. Dans ce groupe de mystiques, Hippolyte Fl.andrin est resté le plus célèbre et
le plus significatif. Il était né à Ly(jn le 24 mars i8og et il mourut à Rome le 21 mars
1864. Il eut un frère aîné. Auguste, qui fut aussi peintre, mais qui n'a pas laissé de
nom et un frère cadet, Paul, bien connu comme paysagiste de style et l'un de ceux qui se
sont le plus particulièrement distingués dans le groupe dit des Ingyistcs.
Hippolyte obtint le grand prix de Rome en 1832. Son premier Salon date de 1836. II
fut l'élève de prédilection d'Ingres, dont il suivait les grandes traces en s'appliquant avec
bonheur à la peinture décorative et en renouvelant cette tradition par le souvenir des mosaï-
ques de Ravenne. Il est justement considéré comme l'un des peintres les plus heureusement
doués du sens religieux. Plusieurs grandes basiliques lui doi\ent d'importantes décorations.
xolc
fr.'
incaise.
81
A Pariï. celle de Saint-\'incent-de-P;uil, conslruile >ur le> pi, m- irilittortt, d:iii> It- M-ntinieiu
renouvelé de Fart antique, où Flandrin trou\-ait le cadre le plus opportun pour son talent:
l'église Saint-Gennain-des-Prés. restaurée et ra\i\-ée dans son primitif caractère roman;
Saint-Paul de Nîmes, édifié dans ce style méridional par Ouestel: la vieille basilique d'Ainay
à Lyon. Dans toutes ces vastes entreprises, à rimitation de la fresque ou de la mosaïque, Hip-
polyte Flandrin a montré de hautes et vraies qualités de style, de la noblesse sans emphase,
de la grandeur unie à la simphcité, de l'expression et du sentiment, sans grimaces ni fausses
gesticulations. On en peut juger par ce panneau de Saint-demiain-des-Prés où Moïse, debout
sur un rocher, lève sa baguette, (pii commande au.x flots de la mer. où s'engouffrent les
i-nncmis du |i.mi|i1.- - In \ -1 - ])icds s'agenouillent les mèri- 1 r,iiriii\ ^ -, 1 11 arrière les Hébreux
P.ML ChEN.WAKI
di.1 (Mus
lèvent les bras et contemplent le miracle a\ec un étonnement religieux; .Myriam agite son
tambourin sacré dans un geste héroïque de \-aillance et de foi. Flandiin a peint aussi quel-
ques beaux portraits. Oflicier de la Légion d'honneur en 1853. il a\ait été élu membre de
rinstitut la même année.
Victor-Louis Mottez, qui appartenait à ce groupe, a ete longtemps célèbre par les
fresques qu'il avait peintes dans le péristyle de Saint-Germain-l'.Auxerrois. .Malheureusement
elles n'ont pu résister aux ravages du temps, dans un cUmat qui ne permet guère l'emploi de
ce procédé à l'extérieur. Il n'en reste plus trace \-isible. Il était né à Lille le 13 février 1809
et il mourut à Bièvre le 7 juin 1807. Il était élève d'Ingres et de l'icot : il fut décoré en
1846. On lui doit diverses décorations dans les églises de Saint-François-dc-Sales. de Saint-
82 La Peinture au XIX"" siècle.
Sulpice, de Saint-Scn-ciin, t-tc. ainsi ([ue quelques piutniit^. Celui de >,i lenuue. (ju'il exécuta à
la fresque, à Rome, en 1840, et qui est maintenant plaee au Luxembuuif^, montre les belles
qualités de style de cet .irtiste et la technique si simple, si franche et si séduisante de sa fresque.
Ingres, qui considérait hautement Motte/, appréciait ti'llenient ce morceau, que c'est sur son
conseil qu'il fut détaché du mur. qu'il ornait à Rome. ])our être transporté à Paris.
Le lyonnais l'.vUL Ciii-:XA\ akd semble placé tout à l'opposé de ce j^roupe de décora-
teurs religieu.x. il est pourtant, à sa façon, un mysti(}ue. mais ce qu'on appellerait un
mystique laïque. Dans cet élan général de fermentation des esprits pénétrés d'idéalisme,
Chenavard représente particuhèrement l'exaltation philosophique; il est, dans le groupe des
peintres phalanstériens. celui (\m résume la doctrine dans son ceuvre. Né à Lyon le 9 décembre
1S08, mort en 1895. Chenavard fut élève d'Ingres ; mais il était iilutôt porté_par la culture
(IIAkl.l-.s C;i,F.VKK.
■auL-s (.Mu~^c .In 1.
de son esprit \'ers Delacroix, d(jnt il fut l'ami. 11 fréquentait d'ailleurs tcais les milieux,
même le cénacle de ((jurbet. et se plaisait a\'ec les sa\-ants. ecri\"ains. poètes, hommes
poUtiques, que recherchait son insatiable curiosité d'esprit, tandis (lu'il était lui-même fort
apprécié pour l'étendue de ses connaissances et la \'ariéte di' sa con\ersation. 11 avait pour
principe que l'art a\ait luii son rôle purement plasti(|ue. ipi'on ne saurait, sans répéter
ce qui a été dit awuit nous et mieux que nous. ])erse\erer dans cette voie et que l'art
devait av(jir. dans la nouxclle société démocratique, une mission essentiellement expressive
et morale, ("est pourquoi il axait conçu un vaste cycle lnstori(iue et i)hilosophique, où se
mêlaient les doctrines de Saint-Simon, de Fourier et d'Auguste Comte, sorte de religion
de l'humanité p.ir le <ulte de ses grands génies. C'est l'inspiration sous laquelle a été conçue
sa Palyngcncsic iimvcy\elh\ gigantesque ensemble décoratif qui devait c(.iu\-rir tous les murs
du Panthéon, et dont la Divina tragœdia, du !\lusée du Luxembourg, i/st un des épisodes les
plus significatifs, tant ,111 point de vue des tendances philosophiques du maitre que_| de sa
EcoK; trancaisc.
technique. Ce grand carton, conçu à la manière de> célèbre- encvclopè listes alli'mandi.
Cornélius et Kaulbach. avec ([ni il était lié d'amitié. — tandis que ses camarades lyonnais
se tournaient de préférence \-ers ()\-erbet'k. — représente la fin des religions anticjues et
l'avènement de la Trinité chrétienne. Il eut. dans ce genre, un émule (jui jouit d'un instant
de réputation et fut son colla-
boratem' : Dominique P;qici\-.
A ce milieu d'idéalist- -
Ivonnais il con\-ient de rattache;
aussi Charles (^leyre. poète
délicat, bien que praticien un
peu mince, qui serait sans doute
complètement oublié — et bien
injustement, si inie de ses toiles
n'était restée très populaire.
C'est la peinture du Soir, exposée
au Salon de 1843. acquise pa:
l'Etat pour le ^lusée du Luxeni
bourg et. depuis, placée ;•. 1:
Louvre, que la voix publique
baptisée du nom qui lui r--
demeuré: Les lUiisions perdue^.
Un poète désabusé est assi:>
tristement au bord de l'eau,
voyant fuir dans l'or du cou-
chant tous les rêves de sa
jeunesse : un chœur de belle>
jeunes femmes enlacées, tenant
des palmes et chantant, que
l'amour guide siu" une barque
qui glisse au loin silencieuse-
ment. Gleyre en avait eu la
vision, comme l'hallucination.
un soir qu'il se promenait au
bord du Nil. au cours d'un
voj'age en Orient qu'il acciimplit
à la suite d'un riche Américain.
Il était d'origine suisse, né à
'L»'RE Cli.ASSÉlU.M'.
( .Vppanienî a M.
- Les (iftix
Chasscrian )
Chevilly. dans le canton de \'aud. en 1807: il mourut à Paris en 1876. Orphelin de bonne
heure et montrant des dispositions pmn- le dessin, il fut envoyé à Lyon, où il se lia avec
Sébastien Cornu. Ses opinions politiques et philosophiques et ses idées sociales le rappro-
chent plutôt de Chenavard. car il fut un de ceux qui attendirent les é\-énements de 1848 et
qui en furent émus. Sa \"ie fut assez mélancolique: artiste discret et un i)eu farouche, il
ne rechercha pas et ne connut guère les grands succès. Cependant son atelier, (jui fut la
continuation de celui de Delaroche, a formé des élè\es illustres; il est un des {)remiers
qui marquent le retour sympathique des artistes aux inspirations de l'antiquité. C'est de
ce foyer que sortira le petit groupe qu'on appela les néo-grecs et dont Gérôme, l'héritier de
son enseignement, fut le représentant le plus attitré.
86
La PeintuR' au XK"" siècle.
Cil('\'rc était cv qu on ,ij)[)cl,iit .ili)r> un cck'ctiquc: c'est-à-dire an de ceux qui, connue
Delaroche, a\-aient essayé des transactions entre les deux jiartis de la ligne et de la couleur.
De tous les compromis cini furent tentés à cette date, les deux plus célèbres sont ceux
auxquels s'attachent les noms de Couture et de Chassériau. Le premier demeura stérile, il
n'était fondé sur aucune base solide. Thom.\s CorTt'RE, né à Senlis (Oise) le 21 décembre 1813,
mort à \'iIliers-le-Hel le ;o Mars 1871). était un élè\-e de dros et de Delaroche. Il reçut
le second grand prix de Rome en
i8j7 et obtint en 1847 mi succès
considérable, qui enfla son orgueil
naturel, avec le tableau longtemps
célèbre au Luxembourg, et au-
jourd'hui placé au Louvre, les
RdiiKiins de la décadence, qu'on
désigne aussi couramment sous le
titre de VOrgic romaine. La scène
se passe dans un vaste intérieur de
])alais à la \'éronèse, à travers les
colonnades chupiel on voit le jour
se le\'er. Tout autoiu" d'une table.
chargée de fleurs, de fruits, de vic-
tuailles et de vins, des hommes et
des courtisanes sont assis ou cou-
chés au milieu des vases répandus,
la plupart assoupis par l'ivresse,
hhitre les colonnes, les statues
austères des ancêtres semblent
exprimer silencieusement leur dou-
loureuse indignation. A droite un
jeune buveur nargue de sa coupe
une de ces graves et tristes images,
tandis que deux personnages, debout
à gauche, les seids qui ne partici-
pent pas à l'orgie, contemplent
cette scène d'un air pensif.
L'idée a de la grandeur, le
contraste est dramatique et la mise
en scène, bien que théâtrale et
dans le goût des vastes machines décorati\es du X\TII'' siècle, est combinée avec beaucoup
d'habileté dans un sentiment de réelle unité; mais l'harmonie est accordée dans une gamme
trouble et un peu louche de tons romjius. le dessin est assez \-ulgaire, l'ensemble manque
de cette haute distinction qui s'impose et qui s'appelle le style. Rien de nouveau pour
l'évolution de l'art ne pouwiit sortir de ces combinaisons, qui restaient pluttit rétrogrades.
Théodore Chassekiau. — Estlier se parant pour être présentée
.iu lui .\ssuénis.
(.Appartient à M. A. Chassériau)
Tout autre fut le rôle de TiiÉoix.iKH Cilassérlau. C'est lui, \'raiment, cjui assure la
continuité de la tradition et est le point de déjiart du nouvel essor de l'art pour traduire
le rêve anthropomorphiquc' dont sont hantés, à chaque génération, les penseurs épris de beauté
et de vérité, lorsqu'ils veulent donner re\pressit)n des grandes idées générales. Élève chéri
d'Ingres, mais entraîné \-ers Delacroix ])ar son tempérament ardent et concentré, surtout
Ecolt' trancaise.
87
après un voyage qu'il fit en Algérie, dont il revint tre> nui>ressionné. il é\-olua naturellement,
instinctivement, sans intention préconçue, de l'idéal un jieu abstrait de -.an jireuiier maitre
vers les conceptions plus concrètes, vivantes et passionnées du grand romanti(iue. Il n'es-
-aya pas de mettre des tons dans des contours, de faire ce qu'on appelait le mari;ige du dessin
et de la couleur. Il se ser\-it de l'un et de l'autre, indistinctement, comme de moyens
d'expression pour traduire son ré\-e de plastique et de poésie et l'on trouve, réunies dans son
(euvre. les larges simplitications et les exagérations expressives dans les lignes et dans le>
accords qui distinguent les deux maîtres ri\-aux. C'est de Cliassériau que sortiront directement
dans les générations ultérieures les deux maîtres de l'idéalisme contemporain : Puvis de
Chavannes et (..ustave More.iu. Il e>t donc le cliainon indis]ien>able ijui relie, dans cet ordre
d'idées, l'art de la deuxième moitié du siècle à la première. 11 était né le 20 septembre 1829,
à Sainte-Barbe de Samana. Amérique espagnole, où son i>ère. agent di])lom,itique. s'était marié
avec une femme créole. Il aj)partenait lui-même à une \-ieille famille de la R<iclielle. Il fut
amené à Paris à l'âge de deux ans. Sa \-ocation artistique fut très précoce. Accepté dan>
l'atelier d'Ingres, à peine âgé de plus de dix ans. il exposa pour la ])reniière fois, en 1836. à
l'âge de seize ans: il (jbtint d'emblée mu- médaille de lroi^ième classe en 1838: il exposait la
Vénus Anadyomcuc et la Siiuniih-. conçues dans l'inspiration d'Ingres, mais où déjà perçaient
des hardiesses singulières, .pii sacrifiaient la correction aiiatomique à l'expression signiti-
88
La Peinture au XIX'' siècle.
ritive Les deux sœurs (Mesdemoiselles C). \v> sieur, du pcuitiv, du Salcu de 184,;. M.iidcnt.
avec une certaine liberté, une entente plus souple et plu> ehaude des haruKniies et du clan-
obscur, une allure ingresque; mais. Esthey se parant pour être présentée an roi Assnerus. qui
liî^urait au Salon de Tannée précédente, est un des morceaux caractéristiques du jeune maître.
Quant à la Paix, reproduite ici. c-est un fragment de l'importante décoration de la
Cour des^Compte. .pii eut >uiti à rendre son nom illustre. De ce vaste ensemble, consumé par
les flammes, il ne reste que (luelcpies débris précieux, préservés par la piété d'un parent,
le baron .\rtluir Chassériau. (pn en a fait don au l.ouvre. Commence en 1.S44. cette
admirabli' suite fut linie en 1848. Elle
a été longuement décrite par Théophile
dautier. Le groupe qui a pu être sauvé
représente de-^ femmes allaitant leurs
enfants sur le. gerbe, accumulées. ,,0n
ne saurait ..rien imaginer."" écrit le
critique. ..de plus gai. de' plus frais, de
plus souriant (|uc ces belles ,, créatures
di>rée> par une douce lumière". On
aperçoit, à droite, le bras droit de la
figure svmbolique de la Paix étendant
une branche d'olivier vers le groupe
de. travailleurs de la terre.
ïli. Chassériau a encore peint
de. décorations pour les églises de Saint-
Merri. de Saint-Roch, de Saint-Philippe-
du-Roule. Chevalier de la Légion d'iion-
,i,ui- en 1849. il est mort à Paris pré-
maturément le 8 octobre 1856.
A côté de tous ces maîtres aux
conceptions grandioses, charmantes ou
fortes, il est une ligure de genre, qui
mérite d'être retenue. C'est celle Octave
'rA...\i:KT. 11 e.t né à Paris le 26 juillet
1800 et mort dans cette ville le 24 avril
1874. Ce n'est pa. qu'tm puisse le
rattacher aux mystiques lyonnais par ses
clucubrations .éraphiques. où il dépeint
avec X'idal. Calnnard ou Jaiimot, lavie
t-t les amour, des anges, suivant les
poèmes, alors célèbres, de Lamartine ou d'.\lfred de X'ignv: ce n'e^t pas que sa mémoire gagne
à ce qu'on rappelle ses conception, plu. terre à terre, de sujets voluptueux et presque erotiques,
mais il avait retroux-é sur sa palette les harmonies lactées de Corrège et de Prud hon. Il est, a ce
moment de techniques un peu négligées, un des praticiens les plus déhcats et les plus sensibles.
Ce n'est pas son seul point de ressemblance a^■ec Prud'hon. car, comme lui. sa fin fut doulou-
reuse; elle fut même tragique, et comme lui il a traduit dan. se. dernier. ..uvrages ses propres
souffrances. La Famille malheureuse, du Salon de 184. i. m.pirée d'un passage des Paroles du
croyant, de Lamennais, annonce la triste façon dont il mit un terme à ses douleurs.
Octave Tassaekt. — lue faniUlt
riI'.RRI': l'IXIS DE CIIAVAXN'I'.S,
I, IvMANCK DK SaIXTK GlAKVIÎAi;.
( l'ail lln-on).
CHAPITRE IV
laOLM FRANÇAISE.
Troisièmi-: Pkriodk. — Dh 1S48 a i.Sjc
LA tlitc de i,S4.s ,.>t une
dciti- niéninrablf (Ims
riii^tdirc de I\irt comme
dans riiistoire politique et
sociale de la nation. Tous les
ferments que la grande Ré\-o-
lution a\-ait laissés dans l,i
pensée depuis plus d'vn demi-
siècle et ([ui ra\-aient sourde-
ment agitée, vont lewr brus-
quement dans un élan unminii
d'enthousiasme, de solid.inti-,
d'esprit altrui>te de liberté
et de fraternité universelle.
Il semblait \-raiment qu'une
ère nouvelle se le\-àt [Jour le
monde: les cieurs étaient
ou\-erts à touteslesespérances,
les rêves les plus utopiques des
philosophes et des sociologues
ne paraissaient jilus in\rai-
>emblables, et les plus .^encreuses chimères semblaient devoir être proehauniiieut des réallle-^.
La République de 1848 fut établii' dans une >orte d'ardent mvsticisme démocratique
qui, malgré l'avortement de cette deuxième tentative d'affranchissement, laissa dans la nation
des traces profondes. C'est une date capitale dans la vie ]niblique du pays et une étape nouvelle
et solennelle dans sa marche en avant, malgré les obstacles et les chutes momentanées.
Cette date comptera, du reste, pour tonte l'Kurojie, car les événements de février euniit leur
contre-coup sur toutes les autres nations. L'n des contemporains de ces luttes artistiques et
p(3litiques, Jules Breton, nous dit lui-même que ,,res))iit revohitionnaire. qui aUait bouleverser
l'ordre social, préparait en inêmt.' temjis une transformation dans les arts et dans la littérature".
Les artistes furent d'autant jilus \'i\'ement émus par les courants qui avaient produit
cette grande crise nationale, qu'ils confondaient leurs aspirations politiques a\"ec leurs intérêts
professionnels, et qu'ils luttaient infructueusement depuis bien des années contre l'intolérance
des jurys privilégiés. Vn grand nombre d'artistes étaient déjà pénétrés des idées saint-simo-
niennes et fouriéristes et plus ou moins mêlés au phalanstère: nous avons déjà cité Gigou.x.
Chenavard, Raymond lionheni-. Il f.uidrait en indicpier bien d'autres.
Jkan-Frani,''1-> Miiirr. — l'ay
90
La Peinture au XIX' siècle.
Une grande effervescence régnait dimc dans les ateliers; nn des eft'ets particuliers de
la révolution de 1848 fut d'orienter plus franchement les artistes vers la peinture des aspects
})()])ulaires. Ce souffle démocratique les portait vers les milieux d'où ils étaient la plupart
ISSUS et qu'ils avaient si longtemps méconnus jimir de froides et pâles fictions. Ce fut une
grande poussée réaliste, qui canalisa en un seul grand courant toutes les sources antérieures
jaillies isolément, soit du sein de l'œuvre de Ciros ou de Géricault, suit de celle de Delacroix
DU de Decamps, soit du groupe des grands paysagistes.
Un des principes exaltés par les sociologires et les philosophes, Saint-Simon, Fourier,
.\ugu>t(' Comte nu Proudlum. principe (jue la République tenta de consacrer par l'établissement
Jean-Fr.\.nçois Millet. — La Baigneuse.
chimérique et malheureu.x des ateliers nationaux, exerça, de son côté, son prestige sur la
pensée artistique. Le travail, considéré comme l'obligation sacrée de tout citoyen, fut érigé
en une sorte de culte moral. L'art y sacrifia sans tarder et c'est de ce jour que date le point
de départ de cette inspiration qui, de la peinture, gagnera bientôt la statuaire et se vouera à
fixer l'expression de ces deux types essentiels du travailleur: Vouvrier et le paysan. Ils vont
s'incarner dans l'reuvre des deux maîtres qui dominent cette époque: Millet et Courbet.
Pour bien comprendre le rôle de ces deux grands initiateurs et l'importance, dans
l'histoire, de la date de leur ajjparition, il faut imaginer la peine qu'éprouva notre école à
trouver l'expression picturale de ces milieux populaires, expression qui avait été jadis réalisée
si aisément par les maîtres hollandais. Un vieux préjugé d'école pesait sur notre temps; des
souvenirs de théâtre traînaient au fond des imaginations. On se faisait une idée étroite de
Ecole Irancaisc.
93
ce qu'cin appelait Ir ..pil inrcMiUf"', (|ii'(in nr ciiiucx'ait jilu-. (iiraxcc h- |)i(|nant. riiiattiiidu. ce
([ui pouwiit distraire' nu .miiKer i'ceil. an lien de (léj;agcr. dans t(mte> fnrnie-., le^ earaeleres
e\pre>>if> ipii les rendent pi(i]ii(> à la penitnre. An^si tardait-mi à trnuver ^expre•^^illn delà
\-ie rurale un ]in])nlaire el a\'ait-iin tnurné le prnhlènie en s'adics^ant aux milieux qui ^tiraient
des suiet> HÙ 11- ..]iitt(ires(ine'". cnnuue un l'entendait. ^"uni>N:iit a la ri'.ditr-. 1 )e la la l,i\cnr
de la peinture eXdtiqne; exnti^nie d'Italie, exnli^ini' d'l''.>p,i,i;ne nu d'Alriiiue. et. à l'épixine
(lù niius ^unîmes, tniites ces péi"é,!;rinati(ins de-^ aiti-^te^ de pi(i\in( e en prii\ince. à l.i recliercdie.
de l'Alsace à la l'>reta,t,'ne «m aux l'\l<'lli'e-, de i e-^ élément-, de eci>luiue et de décin, indi^^pen-
sables encore à leuis hahilude-^ d'edu< atimi tmite
romantiiiiie.
Les rdmantiques. t-n effet, parmi ceux
qui se consacrèrent à l.i ])einture des re, dites
extérieures, s'attachèrent surtniif .1 la nature
isolée: la nature semble écraser leur ima.t;ination
par la grandeur de ses s])ectat les : ils ne \"oient
qu'elle et ses grandes harmonies. L'iinmnie et
le5 animau.x n'y occupent qu'une place lointaiiu'
et accessoire: ils meublent leur^ t.ibleaiix. Les
naturalistes tirent un ]ias de jilus dans leur amour
plus étroit de la nature dnmestique: ils jjeignirent
les bêtes, les humble-, cnll.djor.itenis di- l'hiimme.
mais sans oser encore s"atta(iuer directement à
celui-ci. Clie/ Troynn. chez J.iciiui- ou chez Ru>a
Bonheur, l'inimme n'app. irait (pi'à ente de l'ani-
mal, qu'accessoirement à lui.
Le réalisme allait enfin ,di(irder le pro-
blème de r/ioiiiiiii'. ..Jadis. jKun'ait écrire Tlidré'.
le critique ([ui Im'ait. dès Ims. le plus haut l,i
bannière de l'art niDderiie. j.ulis. nn f.iis.nt de
l'art pour les dieux et ]iiiui lo princis. l'eut-
être que le temps est \-enu de f.iire l'tiyt f^nitr
rhoiiiiiic'\ Aussi, derrière I)ecamp>. (pu jiré-ludeà
tout ce mou\'ement. où de \ieux rnmaiitiques.
comme Roqutqjlaii, se mêlent à des lu mimes
nou\'eau-x. x'oit-nn fnurmiller tmit un gmiipe de
peintres, peintres de t'igiires et de p.ivsages. qui
ne dissocient plus guère, d'ailleurs, ces deux
termes, s'attachant à traduire les spectacle>
simples et coutumiers de la \'ie de leur temps.
Millet n'ét.iit dduc ]>a> uiu' excejitinii
lorsqu'il apiiarut .lU S.ilon de iN4iS ax'ec le \'a)incur. iiui est le ])(iiiit de déjiart de sa grande
leuvre rurale. .\\.int lui d'antres a\-. lient tenté d'exprimer hs mêmes (dmses. et. cepeiid.iiit.
quand il parla, il sembl.i <iiie e'et.iit la première fni- (lu'on] le- 'di-..iit. , 11 repnudait si li.iute-
ment au.x préoccup.itions du jnur que le cnn-ei xati-me tinuiré. l.i ]iii>ilLiniiiuté imiuiète du
public, V virent de> manifestes et \iiuèrent une haine implac .iMe à cet ,irt. (in'nn iireii.iil pniir
un art de déclam, itinn et tle ))rorl.iination.
Rien n'ét.iit. pinirtallt. pln> Inin de l,i pell-ee de Millet, lù. ju-teinellt. ce i|ui le
distingue de ceux (|ui le jireeèdeut. i'e-,t (lUe h'- un-- -nllt resté-- tle pur-- l>lt liireMlUes. i»Ur,
[e.\n-I-'kaN',"I- Miia.i-i. — !,<; Printemp
(.\|il>;ii lient a M. lUiian(l-r<uel ).
94
La Peinture au XIX*" siècle.
du romantisme, que les autres abordent leurs sujets populaires avec des préoccupations
démocratiques et socialistes, c'est-à-dire d'ordre politique ou philosophique, tandis que, lui,
est simplement l'homme de son renuTe, qu'il peint l'existence de la plèbe rurale sans esprit
de protestation ni de re\"endication. uniquement parce ciu'il a été et qu'il est resté au fond
du cœur l'un d'entre ses frustes héros.
Ji-:ax-Fra\çois Millht, en effet, était un paysan, fils de paysan. Il est né le 4 octobre
1814 à (iruchy (Planche), d'une famille de cultivateurs, au milieu de laquelle il prit sa part
des tra\'aux, jusqu'à l'âge de vingt ans. Ses goûts pour le dessin s'étaient manifestés de bonne
heure. Son père, un jnur. en fut si surpris qu'il décida de ren\'o\-er à Cherbourg prendre des
Je.\n-Fkani,'iis Mii.i.Ki.
Le Piiiitenips (Musée ilu Louvr
leçons. C'était en 1835, il a\"ait donc 21 ans. II resta quelques mois chez un premier maitre,
modeste artiste de province, tout à fait inconnu, dont le num n'est même pas siir, ^louchel,
Moncel ou du .Moncel. qui ne l'écarta point de sa voie naturelle, car, ainsi que lui, il était
passionné pour la nature et pour les bètes, et ses maîtres de prédilection étaient les flamands
et les hollandais: Rembrandt, Téniers, Brouwers et Breughel. Son père venant à décéder
subitement, il retourna à Gruchy reprendre la direction de la famille et des travaux des champs.
Mais sa pensée est désormais ailleurs. Sa mère et son aïeule le sentent si bien qu'on le
décide à repartir pour Cherbourg, où il fmit d'étudier dans l'atelier d'un ancien élève de David,
Langlois. Là, il développa son instructinn. commencée avec s(jin, d'ailleurs, par le curé de son
É
colc
fi%'
"ancaise.
95
village. Il obtient la b()ur>c (li-partenifutalf et vient à Paris en janvier 1857. Les ])reinier>
temps de ce séjour Jurent très douloureux. Il était coup sur coup frappé j)ar les deuil> (pii
faisaient le vide dans sa famille et poursuivi ])ar la misère. C"est alors que. sur le conseil d'un
ami, il se résolut à faire des sortes de pastiche-, dans le goût du X\'1II>- siècle, en faveur en ce
moment, qu'il vendait pour un loui>. 11 retourne à (.rucliy. fait un >éjour à Cherbourg, où
il se marie avec une de ses élèves, premier mariage malheureux avec une femme malade,
qui mourut trois ans après. Rentré à Paris en 1842, il repart en 1844 ])our (inichy et Cher-
bourg, après le décès de sa femme, et se remarie en 1845 a\-ec celle qui lut la comjiagne
dévouée de toute sa vie et lui donna ses neuf enfants. Après un jx-tit -éjour au Ha\re. il
revient à Paris et, en 1849, fuyant le choléra et les discordes civiles, il >e réfugie, momentané-
ment croit-il, à Barbizon. Il y demeura tout le restant de sa \-ie. Le i)remier Salon île .Millet
est celui de 1840, a\'ec un
portrait. Jusqu'à cette
date de 1848, où apparaît
le Vanncui', la manière
de ;\Iillet se présente
sous deux aspects. Lors-
qu'il affronte la publicité
des Salons, il reste dans
la vieille donnée antique
ou biblique: Tentation de
St- Jérôme. Œdipe détaehé
de l'arbre, du Salon de
1847. qui le fit déjà re-
mai'quer de la critique:
Captivité des Juifs à
Babylone, exposée en
1848 avec le ]'anneiir,
etc. Dans lespetitestoiles
qu'il produit pour la
vente, il reste sous l'in-
spiration mythologique
duXVIIIesiècle. Ilsubit
tantôt l'influence de
Delacroix et de Decamps,
très marquée dans les
premiers sujets, et tantôt de Dia/. Celui-ci l'encourageait par son affection .idmirative dans
cette seconde voie, qui n'était pas sa voie \-éritable. mais dans laquelle il commençait à obtenir
de réels succès. Cependant, un peu avant cette date de 1848, il semble que l'amitié qui
l'unissait à Charles Jacque fit contre-poids à ces premières influences et ramenât ^lillet \"ers
ses conceptions naturelles. .\près quelques hésitations, sensibles dans certaines toiles, où il
traite des sujets de réalité rustique, il renonça brusquement à ce qu'on a appelé sa , .manière
fleurie" pour se vouer, dès 1849, en face des spectacles grandioses de la vie des champs, qui
désormais va être de nouveau la sienne, à l'exaltation des travaux, des luttes, des peines et
des rares et monotones joies de cet être qu'il sent son frère, le paysan.
Chercher dans l'ieuvre de Millet ce qu'on appelle le chef-d'ieu\re est chose malaisée:
dans le labeur considérable de cette existence si jalousement consacrée au tra\'ail, il n'est
point de pièce qui ne compte. \'anneur, semeur, botteleurs, paysan greffant un arijre ou
(/.l'STAVK CoCKr.KT
96
La Peinture au XIX*^ siècle.
raïuasscurs de ]ii)ninn.'S ck- terre. S'H'deiises d'oies nu tmideurs de moutuns, tueurs de codions
ou \i^neroiis au rei)os; jjetite beri^ère songeuse, ijui tricote en gardant ses ouailles, pâtre
méditatif appuyé sur son bâton, au milieu de ses troui>eaux, dans la solitude de la lande et
le silence de la nuit: mères ])ensi\"es iienchées sur les berceaux, ménagères diligentes occupées
aux soins de la maisomiée, toutes ces ligures et toutes ces scènes s'impriment dans le sou\'enir
a\'ec la ])uissance de t\"pes et de table. lux inoubliables.
Les (,iiiin-iisi-s sont entrées au Lou\re }iar le legs de M"^'^ Pommery, de Reims. Elles
apparurent au Salon de 1S37. Mcdgré l'estime croissante cjn'il s'attirait chaque année dans
resjij-it d'un jiublic d'élite. Millet était encore \ivement discuté et sa situation matérielle
demeurait tout à fait pénible. Les
(i/cinciiscs lui amenèrent une sorte
(le relè\-enient. du ukjIus moral, par
le succès jilus ét(-ndu qu'elles obtin-
rent. Car. pour le prix(iu'ilentr(nu-a,
il fut asse^ médiocre; il les vendit
a\'ec peine 2.oon francs, à M. Binder,
de risle-.\dam.
La critique, d'ailleurs, fut
.issex partagée. Paul de St-Victor, qui
montrera en maintes circonstances
-^i ]ieu de clair\oyance à l'égard de
Millet, distnigue bien dans ces trois
ligures de pauvresses, l'influence
de .Michel-.\nge. mais c'est pour
rn faire un crime à l'artiste. Millet
en effet, fut de très bonne heure,
alors c]u"il allait au Louvre, étudier
les dessins des maîtres, impressionné
LWtelier; fragment (Cullection Desfossés). J^ar la manière puissautC et la visloU
Gustave CouKBEr.
Ecole française
97
austère du grand tl<irfntiii ; iiiai> la ^raiidi'ur (•piiiuc de ses personnages n"est point faite
d'amplification ni de -grandilo(|ucn(c, elle e>t faite de ^implication et de conviction, et Ton ne
j)eut voir de spectacle à la foi> |>lus grantluKe et plu-, >impli' (pie celui de ce> troN fennnes,
courbées sur les éteules. dans la large hmuère ditluse du jour. D'autres écri\-ains. par contre,
soutinrent l'artiste, et .Ma.xniie Du Cami) écri\ait ces mot-, qui (le\aient aller au cour du
peintre; ..Je cniis qui' la bonne foi en |)einture a été rarement p(ju»ee au->i loin, ("est
lionnête et franc comme du bon pain bi>'".
UA>igclns est. dans l'ieuvre de Millet, la plus popul.nre. l.e coté >enlunental inhérent
à ce sujet y a contribué. Millet s'est point, int toujours défendu d'emiilovi'r ces moveiis faciles.
Mais, ici, il avait cru ])ou\(ur exprimer cette , .nuance d'émotion particulière, comme l'écrit
M. Henry Marcel, l'espèce d'attendrissement instinctif, qui doit saisir iiarfois aux champs
AVI C. Titiu I. - Vcuus et PsvL-lii
les plus frustes natures, à l'audition lointaine de ces cloches, ([ui ont annoncé leur entrée
dans la société chrétienne . cèlébie leur mariage, pleuré la mort de leurs proches, et sonneront
leurs propres funérailles". Il fut acquis par l'intermédiaire du marchand belge, .\ithur Ste\'ens,
frère du peintre, par M. win l'raet. Mnustre de Belgique, dont la collei-tiou fut célèbre. De
là, elle passa à M. John W'ilson. puis à .M. Secrétan en 1881. .\ la dispersion de cette collection,
en 1889, x\ntonin Proust, député, pritsur lui de pousser les enchères au heu et place des ;\Iusées
Nationaux et ce tableau lui fut adjugé au {)rix de 582.650 francs. Celte .icquisition ne fut
pas ratifiée par le gouvernement. Le tableau, acheté par un Américain, fut luoinené à travers
les Etats-Unis, puis acc]uis jnir M. Chauchard au prix de 800.000 francs.
Le Pavsai! appitxc sur sa Imite fut exposé au Salon de 1S63. I)e])uis deux ans. Millet
se trouvait libéré momentanément, par un contrat avec Arthur Stevens. des soucis d'argent.
98
La Peinture au XIX*^^ siècle.
(jui rongeaient sa \'ie. Il p(.>u\-ait se laisser aller entièrement à touti^s les hardiesses de sa
pensée et traduire enrin cette âpre figure du paysan ..tout erréné. dunt on a entendu les han
depuis le matin, qui tâche de se redresser un in>tant i)our souttler"". L'Homme à la houe a
fait couler beaucoup d'encre. On Ta rapproché justmient du célèbre passage de Labruyère:
,,l.'on \()it certains animau.x l'arouches. des maies et des femelles, répandus par la campagne,
noirs, livides et tout brûlés de soleil ...."" La bataille fut .icharnée entre les partisans et les
détracteurs de Millet. Cette image, sauvage et poignante, fut de celles qu"on considéra comme
un manifeste pohtiipie et social, ^lillet s'en défendit près de son ami Sensier, dans une lettre
admirable: ,.0n ne [leut donc pas admettre tout simplement. écri\'ait-il. les idées qui peuvent
\'enir à l'esprit à la \'ue de l'honune \'oué à gagner sa \ie à la siicitr de son jrunt. Ce n'est
(UblAVK ('iiLiRlllil .
ilu l'iiits noir (.Musée <lu Louvre).
pas de mon invention, et il y a longtemps que cette exjiression ..le cri de la terre" est trouvée".
h'Homme à la hotte awiit été payé 2.000 francs.
La Baigneuse, gardant ses oies, qui s'allonge au bord de la rivière, son jeune corps
tout nu, en tâtant l'eau de ses pieds, fait un contraste singulier avec le précédent ouvrage
et montre quelle pouvait être la sensibilité du maitre devant toutes les formes de la beauté.
Un souvenir du temps où il peignait les nymphes et les naïades semble a\dir conduit son pinceau.
Le Printemps, peinture décorati\"e, date de 1865. C'est un ixameau qui a\"ait été commandé, avec
l'Eté et L'Hiver, pour la salle à manger d'un amateur cd>acien. M. Thomas, de Colmar. Il
appartient aujourd'hui à M. Durand-Ruel. Millet >'inspirait. pour ses décorations, des grands
italiens qui ont cou\'ert les nuns de Fontainebleau, mais il garde, dans ce genre nouveau pour
lui, et où il sendilercUt devoir être embarrassé, une grâce antique et comme prud'honnienne.
É
cole
fr:
incaise.
99
Ouant au pa\->,igi' du I'nnttiiif)s. il aiipai tient aux (Icrnu'-rcs aimées de la vie du
maître; il fait partie 'd'un ensemble de cnnunandes exécutées ])our M. Hartmann, de Munster,
qui a légué ce chef-d'a-uvre au Louvre, ("est ime incomparable symphonie natur.diste; elle
dit toute la magnificence tragique de l'orage et toute la .tzrace des ])etites ili-ur> (pu -^'ouvrent
au bord des sentiers. C'est là qu'on comprend cette ])liraM- d'une lettre de Millet: ,.I1 en est
qui me disent que je nie les cliarnu-, de la caiiqiagui-. J'\- tnnue bien \A\\~. cpu- des charmes,
d'infinies splendeurs. J'y voi>. tout comme i-ux. le> petib's lleur> dont le Chri-t disait: .,Je
vous assure que Salomon. même dans toute sa gloire, n'a jamais été- \etu comme l'une d'elles."
Je vois très bien les auréolo de-, |)i-,seiilit> et le soleil qui étale. là-ba>. bien loin par delà les
pa\-s, sa gloire dans les nuages". Millet est mort le 20 jan\-ier 1S75. Il a\-ait été décoré en 1868.
Le grand mérite de ^lillet près de la postérité et son action sur elle i)roviennent donc
de ce qu'il a été, sans esprit de protestation ni de revendication, tout >imiileinent. par ses
origines et sa propre mentalité, l'homme de son lemre. La grande force de Courbet près de
ses contemporains, ce qui en ht le chef du niotn'ement nouveau ([ni se dessinait. 1 'est (|n'il
prétendit résumer dans son art toutes les théories artistiques. ]ihilosoplii(Hies. jx.ilitiques et
sociales, qui couraient les tavernes, qu'il se plut à froisser le sentiment public et à rechercher
une impopularité qui imposait son nom aux foules. Il in\-enta, ou du moins il incarna, le
réalisme. Affichant, par principe, qu'il ne fallait faire (.pie d(.' l'art \i\ant. m- représenter que
les choses que l'on a vues, il déclarait que son art était un art xoloiitaire. m:ithématique. de
raisonnement et de logique. Il fut jiris au sérieux par Proudhon. ipii en lit le peintre sui\ant
sa doctrine. Ce grand hâbleur était, jiar bonheur, un artiste ou pluti'it un peintre doué d'une
puissance prodigieuse de vision et d'exécution. Dans la période de pratiques troubles et de
louches compromis entre toutes les anciennes formules, il centralisait les efforts de ses
devanciers obscurs ou hésitants, il ramenait aux saines et vigoureuses traditions du passé,
tout en se donnant des airs de les combattre. Car il connaissait mieu.x le Louvre et les maîtres
du passé qu'il ne voulait le laisser croire, et. dès son arrivée à Paris, il copiait attentivement
Rembrandt et Franz Hais, ^'an D\ck et ^'élasquez et. iustiu'.iu Luxembourg, Delacroix et
même Schnetz. Gustave CorRiuii est né à Ornans (Doubs) le 10 juin iNk). dans une famille
de propriétaires fonciers, qui a\ait (.pielque aisance, et dans un milieu de xignerons comtois.
Il garde, lui aussi, les traces indélébiles de ses origines, qui domieut leur grande unité à son
oo
La Peinture au XIX*" siècle.
(L'iuTC. A]n"ès d'assez médiocres études au Séminaire de I-icsanedii. quelques premiers tra\'au.\
dans sa \'ille natali'. nù il trnu\'a des encduraf^ements. il partit ]i(>ur l'aiis, reçut quelques
conseils de A. Messe, mais tra\ailla surtout seul. de\ant la n.iture. en s'aid.mt des maîtres.
De 1844 à 1848. il e.xjiosa aux Salons des morceau.x d'une inspiration .issez incohérente: sujets
de réalité dans lescpiels il eonunence à se prendre complaisanuuent [lour modèle, compositions
romanticiues ou .dl(''i;ories fumeuses, sans ])arler des tableaux refusés, ce qui f.iit i|n"il prend
déjà au séneu.x son rôle de futur révolutionnaire, lui 1841), .i\-ee le doiuci iicment nou\-eau
it le iur\- élu par les artistes,
C ourliet put exposer sept
toiles, parmi lesquelles figurait
L\\ l^rcs-diiii'c d'Oi'iuiiis. du
Musée de Lille, >on premier
clief-d'(eu\re. Mn 1850, enhar-
di par ses succès', — médaille
et acquisition par Tl^tat —
il SI' lança résolument dans
des i)eintures qui étaient, elles,
de N'éritables manifestes. Il
eut le succès et le scandale
(pi'il attendait, car il ne sépa-
r.iit pas l'un de l'autre. Le
S. lion de 1850 comprenait, en
effet, huit tableau.x, paysages,
portraits, scènes composées,
l>armi lesquelles deux ouvra-
ges des plus significatifs: les
(\issriti's de pierres et flintcr-
reuieiit d'Onuins. Ce premier
t.dileau. tpii est entré au ^lusée
de Dresde, au prix de 50.000
francs en 1904, à la vente
j-îinant, où le I,ouvre ht un
\',iin eiïnrt pour l'acfiuérir. fut
inspiré à (durbet, fortuite-
ment, sans idée présumée de
protestation politique, par une
scène réelle dont il fut frappé,
un jour, sur une route de son
pa\>. 11 fait aussitôt poser les
deux personnages: le vieillard
coiirlié sur son trawul. la iiia>se en l'air et le jeune homme dépenaillé portant un panier de
pierres cassées. ( (Hirhef a\'ait été saisi jiar ce mél.inge de pittoresque et de misère. On lui
imputa, dans son entourage, des idées politiciues. Il com]>rit aussitôt. a\-ec ce génie prodigieux
de hâblerie qui de\ait faire son malheur, le ]iarti qu'il en ]iou\ait tirer: dès lors il fut le
peintre de la (|iiestion sociale.
L' Eiiterreiiieiit d'Onuiits. s'il n'ét.iit pa> un manifeste |)oliti(iue. était un manifeste
artistique. Cette puissante et magniiiiiue toile, qui témogine d'une indépendance de \'ision
et d'une \-aillance de pratique extraordinaires, l.ioulex'ersa tout le monde et même beaucoup
CamiijJ' Riic.iUKriAN- — La Fnnta
.lu gi-aiia ligiiie
xole
frr
ancaise.
lOI
des amis du peintre. Paul .Mantz. pouvait dire avec raison (pie cY-tait ..les colonnes d"Hercnle
du réalisme"". qu"on.ne pouvait pas aller plus loin. Sur l'instant, et étant donné le miiiieu
aveuli des expositions, cette mâle peinture, sans réserve, sans retenue, ejui prenait même un
malicieux plaisir à étaler toutes les médiocrités grotescpies de la \-ie de petite province. de\'ait
faire une tache brutale. Elle ne pouxait attirer (}u"un ])etit nombre d'esprits clairvoyants
et devait révolter tous les autres. La composition est sans artifice. Elle groujK; simplement
autour d"une fosse le curé du village, les bedeaux, les chantres awc leurs toques et leurs robes
rouges, les porteurs, la famille et les amis, c'est-à-dire près de cimiuantc^ portraits, tous sur
nature, des habitants d'Ornans. Cet enterrement, on le voit, n'était (jne le prétexte à sortir
toute la défroque colorée de la sacristie en la joignant aux beaux noirs des \'êtements de
deuil, sous l'effet d'un simple et grandiose
pa\-sage. L'accord, si difficile à obtenir
entre tous ces éléments, est complet. Aussi
l'intîuence de ce tableau fut-il considérable
sur l'école. Huit ou dix ans plus tard, les
jeunes réalistes qui se grouperont autour
du maître, les Fantin. les Legros. les
Whistler y puiseront leurs premiers en-
seignements et on \' retrouve les origines
de générations plus lointaines comme celles
des Simon et des Cottet.
L'Atelier date de 1855. Courbet se
dépêcha de le terminer en \'ue de l'Expo-
sition L'niverselle. Il calculait quil n"a'\"ait
mis que deux jours par 5)ersonnage sur
les trente-trois que contient le tableau. Il
l'envoya à rExposition avec rEnterremcnt
d'Ornans et un certain nombre d"autre>
toiles. Le jury accepta tout sauf les deux
superbes envois. Courbet se résolut alor>
à organiser une exposition privée, accolée
aux bâtiments de TExposition l'niverselle.
sur un terrain loué Avenue Montaigne,
avec ce titre sur la porte: Le Réalisme.
G. Courbet. Exhibition de 40 tableaux de
son œuvre. Les discussions furent violentes
autour de ces ouvrages et Courbet les
avait alimentées par toutes les prétentions qu'il a\ait introduite^ dans son dernier tableau.
Car l'Atelier était ce qu'il appelait ,.une allégorie réelle", déterminant une phase de sept années
de sa vie artistique. Il avait, à cette intention, groupé sans grande cohésion, autour de sa
propre personne, occupée à peindre un pavsagc, tandis qu'un modèle nu le contemple, une
trentaine de figurants, soi-disant s\'mboliques. qui représentaient s(jit les amis qui axaient
encouragé son leuvre: Baudehiire. Bruyas. Ch.imptleury. soit les sujets qu'il avait traités: un
braconnier indique les sujets de chasse, une irlandaise l;i misère: soit les différentes catégories
de personnages qui se rencontrent dans la vie: un juif, un x-igneron. un paillasse, un croque-
mort, un peintre, un enfant: soit, encore, à droite, un groupe d';unateurs mondains. Courbet
montrait par là la pauvreté de sa jjhilosophie et la richesse et la puissance de sa palette. Cette
œuvre le classa prè> des esprits clairvoyants et de bonne foi. Il n"\- a qu'à lire, dans le
.AiiOLi'llE-I-'KI.lx C.xT ^. — Ml-ic et Enf.ml.
I02
La Peinture au XIX*"' siècl
e.
journal de Delacroix, l'impression produite siu' le niaitre, (]ui déclare n'a\'oir pu ..s'arracher
à cette vue". Cette incomparable toile, où Courbet a mis tout la vigueur et aussi toute la
délicatesse de son tempérament de peintre supérieur, appartient à M'"»? \'^'<" Desfossés, qui l'a
rachetée à la vente de la collection de sou mari, où le Lou\rr avait poussé l'enchère jusqu'à
soixante mille francs. Le regretté amateur l'axait acquise dans des circonstances assez cu-
rieuses. A ce moment cette toile n'était pas considérée à son juste mérite; elle était convoitée,
à l'occasion d'une x'ente publique, juir des marchands qui espéraient en tirer parti en la
morcelant. M. Desfossés assistait à la vente avec son ami Lut/. Celui-ci lui lit observer que
C(^tte comjiosition ferait un admirable ridi^iu pour la scène cju'il faisait établir diins sa galerie
en construction. M. Desfossés se
r.illia aussitôt à cette idée ingé-
nieuse, ac(|uit le tableau et le sauva
ainsi d'une destruction certaine.
Dans cette toile de l'Atelier,
le nioree.iu du modèle nu est d'une
IxMUte et d'une distinction assez
r.ircs daii^ l'u.-ux're du grand réaliste.
Le \ii [lourtant l'a hanté maintes
fois: la toile de l'âius et Psyché
montre iiu'il n'y a pas été ime fois
heureux }iar hasard. Il attribuait
encore à cette comjiosition, suivant
son incorrigible tra\'ers, une signi-
licition ]>hilosophique et niorale ;
mais si en lui le philosophe était
tout superficiel et artihciel, le peintre
et, lit solidement constitué et ne
s'oceui),ut, fort matériellement, que
de la realité des formes. Ici même
elles sont d'une belle plénitude, et
g.irdent cette grande tenue d'art (jui
est le style. Ce tableau, exécuté en
i(S64. ne put être jirèt pour le Salon
de F, iris et fut exjiosé à celui de
hîruxelles.
Courbt't. comme paysagiste,
n'a jamais été contesté. C'est sur
ce ])oint (jue les pusillanimes affec-
t. lient de lui témoigner leur admira-
tion, pour avoir le droit de condamner plus sévèrement le reste de son <eu\'re. C'est sur ce
point également que ses amis lui reprochèrent, plus tard, ses concessions au goût du public,
lorsqu'il parut fatigué des fanfaronnades de Courbet et que celui-ci renonça pour quelque
temps à ses frgures. Il n'apporte, en effet, dans ce mode, aucune de ses violences ni surtout
aucune de ses prétentions symboliques et propagandistes. Ses marines de Troinille, ses bords
de la Loire, ses environs d'Ornans, jouent, de leur côté, un rôle capital dans l'histoire du
paysage. Whistler imita les premières, et les impressionnistes comme !Monet, Cézanne ou
Pisarro s'inspirèrent longtemps de la pratique robuste des autres. Le Ruisseau du Puits noir,
aujourd'hui au Lou\-re. après être resté une quinzaine d'années au Luxembourg, date de 1865.
HONliKÉ 1 i.\i'mii:r.
L'.Ani.iteui"
Ecole française.
lO
C'est un de ses paysages les i)lus luimides et les plus frais. Il a fait maintes rééditions avec
modifications de ce motif. La tin de la carrière de Courbet fut fort agitée. Par la folie orgueilleuse
de jouer un rôle, il s'était de plus en plus fourvoyé dans la politicpie. Sous l'Empire, il a\-ait
hautement refusé la croi.x de la Légion d'honneur. Après les événements de 1870, il se mêla
aux hommes de la Commune. Comme il faisait jjartout plus de bruit cpie tous les autres, il fut
particulièrement compromis, accusé, injustement semble-t-il, d'avoir i)articipé au renversement
de la Colonne \'endôme, condamné à six mois de prison, 500 francs d'amende et aux frais
du procès. Plus tard, ses ennemis s'acharnant après lui, tirent saisir tous ses tableaux pour
•payer les frais de reconstruction de la Colonne. Il dut s'exiler en Suisse en 1873, et mourut
à la Tour de Peilz, près \'evey, le ;i décembre 1877.
Honoré DaI'MIKR. — Le W.itjon de troisième cl.isse.
Entre Millet et Courbet il est une figure intermédiaire, qui est loin, certes, (i'ax'oir
dans l'histoire leur importance initiatrice et leur portée exceptionnelle, mais qui. peut-être,
par le caractère même de son talent, a le plus fait pour répandre dans le grand jniblic ce
goût des sujets rurau.x, dont il était détourné par tous les préjugés causés par l'austérité du
premier ou l'intransigeance du second. C'est Jules Breton. Il est né à Courrières (Pas-de-
Calais) le i<^'' mai 1827. Après avoir étudié en Belgique près du peintre gantois De \'igne, dont
il devait épouser la fille, il vint à Paris en 1S47 et entra à l'atelier dr Drolling.
Son premier Salon date de 1849, et il s'y montra, lui aussi, avec des sujets roman-
tiques et pathétiques: Misère et désespoir. Le pain. M.iis. né dans un milieu libéral, il fut très
sensible aux idées et aux événements de 184S, et il e>t un de ceux qui? le mouvement démo-
104
La Peinture au XIX^ siècle.
M 11 ■..■.■ .lu I.uxen.liou
l't la maniiTf pittnresque. du rythme des litjne^
]irenait pcnir le style. Poète a\"ec la brosse, il
le fut aussi avec la plume et il a publié des
romans, des souvenirs et des \'oliuiies de vers
très estimés. Son frère Emile a été. lui aussi,
un pavsagiste de talent poétique, et sa tille,
Madame Deniont-Breton. s'est fait, à côté de
>nn mari, le peintre .\drien Demont. un nomtrès
populaire comme peintre. Jules Breton, dont
rieu\'re est très a]ipréciée jusqu'en .\méricjue,
où elle atteint de très hauts pri-\. était membre
de l'Institut depuis iS86. et Commandeur de
la Légion d'honneur depuis 1885.
Dans le nombre des artistes clair-
\-oyants, qui ont préludé au dé\"eloppement
artistique de la deu.xième moitié du XIX'^^ siècle,
hi plupart, on ne sait [lar quelle injustice du
sort, sont restés obscurs ou méconnus. Le
Lu.xembourg s'est peut-être un peu prc-ssé de
les en\"uyer en province. La spéculation s'étant
portée sur les grandes figures, à un moment ou
les plus illustres romantiques tni naturalistes
étaient cL\ns toute leur gloire, ils disparurent
peu à peu de la circulation. On ne \'oit plus
pa>ser (lue de loin en loin, dans les \'entes
i raticpie ramena vers le
lieu de ses origines, sinon
pojiulaires, du moins semi-
rurales. 11 peignit donc, dès
183 ], un Retour des Mois-
sonneuses et, en 1855, cette
Ile II édiet ion des Blés, acquise
par l'Etat pour 5000 francs,
placée au Lu.xembourg et
qui est demeurée son œuvre
la plus saine et la plus sim-
ple. Jules Breton consacra
toute sa carrière à la glori-
fication de la vie des champs,
continuant la tradition de
Léopold Robert pour lequel
il professait, d'ailleurs, une
admiration éclairée, par un
compromis entre le natura-
lisme et la tradition, un
souci, qui l'entraîne parfois
dans l'affectation poétique
de la \'ibration des harmonies, de ce quMl
.\l.i REii DehouenCij. — Fête juive au Maroc
(Musée de Poitiers)
E
cok!
fn
mcaisc.
lo:
])ubliques, et ce n'est plus s,nière (jue dans les nnisées des dép.irlenients (lu'i)n pt-ut étudier
des artistes comme Jeanron. Luuhon. le i)rovençal (jui a fondé l'école marseillaise, (niignet,
Guillemin, Lessore. \'erdier. Antijiiia. lui. I'>ère. Fortin, (kirbet. Hatïner. etc. Le Luxembourg
en a sauvé quelques uns connue les frères .\rmand et .\dolplie Leleux. Hédouin, .Amand
Gautier, Gustave Colin, et surtout. Cals, Daumier, Dchodencc] et Bonvin. les trois premiers,
qui ont été rejoindre an Mu-^ée du Louvre. Servin. entré depuis peu. Ces derniers noms
ont une signification tmite particulière. Le brave .Adolphe Féli.k C.\ls. né à Paris le
1/ octobre 1810. mort le j octobre 1880. mérite une attention tnutt- syiniiatliitiuc. car cet
excellent homme, bon (uurier et fils d'ouvrier, a. douze ou quinze ans a\-;uit Millet et Courbet,
dit, avec la tiédeur d'une émotion simple et contenue, dans une atmosiilière enveloi)pante de
tendresse, les humbles joies et les austères devoirs des ces ..gens du commun" comme on disait
Lel'X Bellv.
L.T .Meciuc (.Mu=c
du temps de Chardin, qui, trente ans après la mort de Cals, feront marcher le monde. .\\"ec
ses Vieux pauvres, ses Petits Vagabonds, sa Pauvre Famille en prière, ses Liseuses, ses Jeunes
Filles lisant. Jeunes filles travaillant. Sollicitude maternelle, Jeune mère allaitant son enfant,
Education maternelle, il annonce même, de loin, Legros, Fantin-Latour et Carrière.
Quant à Hoxoré D.\rMii%K, né à Marseille le 26 février 180S. mort à \'almondois le
II février 1879, il '?*t remis aujourd'hui à sa place au premier rang de notre école. Il était
le fils d'un pauvre vitrier, commença par être ,,saute-i"uis5eau" puis commis de librairie, ht son
éducation tout seul et gagna d'abord sa \ie comme lithographe. Il a surtout été connu par
ses caricatures, publiées dans le Charivari, où il créa ce tvpe inoubliable de Robert Macaire.
A ce titre, sa gloire est incontestable, mais, comme peintre, il mérite d'être rajiproché de
S
io6
La Peinture au XIX^ siècle.
Millet, car il a fait pimr le menu peuple des villes ce que ce dernier a fait pour le peuple
des campagnes. Il est essentiellement peintre par sa palette rousse et chaude, mais riche
et profonde. Comme peintre, Daumier a exposé au Salon, dès 184g, a\ec une interprétation de la
fable de La Fontaine: Le Meunier, sou Fils et l'âne, acquise pour le Luxembourg à la vente
Doria et placée aujourd'hui au Louvre. L'Aiiuiteu)' est un type de la rue, comme il s'en trouvait
beaucoup jadis, alors que les quais offraient leurs étalages d'estampes en plein \-ent et que
les boutiques s'ouvraient avec leurs empilements de cartons où l'on rêvait des trésors.
Le Wagon de y classe, sujet repris plusieurs fois par Daumier, est une de ces représentations
humoristiques de personnages populaires, dans lesquelles l'extraordinaire observateur qu'était
ce grand enfant distrait et bien\'eillant de Daumier mettait toute sa féroce bonhomie.
\'iie de Venise (Musée du Luxembourg).
François Bonvin, lui, est un peu plus jeune; il est né à Paris, ou plutôt à Vaugirard,
comme on disait alors, le 22 novembre 1817 et il est mort à Saint-Germain-en-Laye, où il
s'était retiré, le 18 décembre 1887.
Cals et Daumier trouvèrent dans leur vie des protecteurs, l'un avec le comte Doria,
l'autre avec Corot, qui, on le sait, le ht si gentiment propriétaire. La vie de Bonvin, elle, fut
mélancolique du commencement à la fin: d'une famille de robe et d'épée, ainsi qu'il disait
plaisamment, — sa mère était couturière et son père garde champêtre, — il eut une enfance
assez pénible dans les milieux faubouriens et se forma un peu tout seul. Il étudia d'abord à
l'école de dessin de la me de l'Lcole de Médecine, qui devait plus tard préparer une si belle
génération d'artistes, et reçut les leçons de Granet, pour qui il professait une grande vénération.
Pendant ce temps il gagnait sa \-ie dans une imprimerie — il y resta onze ans — et plus tard
Hknki U.\Rrii;N
hcoK,' française.
109
il fut obligé d'uccfptrr une pl.uc (rin^pcctcur au ni;iirlu' aux Ims
pcigiuiit-il guère pendant longtemps (pir !,■ matin de trùs bonne lu
par des effets de lam]ie. 11 cxixi^a ponr la pivnurrc fois en i.Sjd. .1 r
organisée par Bocage, jiuis, ru 1.S47. an Sahm. et il fut bientôt
artistes et des amateurs, qui, ]>ourtanl, ne |etaicnt pa^ l'or a plein
ses tableaux d'écoles. d"liô])itaux ou de c(]n\iiit>. fel> (|ue le l\ii,\/<
bourg qu'à la \-eille de sa mort; car il ne fui pas gâte n.m plu-, p
peinture date du Salon de i.S; ;. Saint-Niclor ecrnait d'elle: ..T
dégage de cette petite toile; c'est celle d'nn
repas d'Emmaûs: Jésus est là. iii\-isible.
derrière ces humbles filles ix'nétrées de sa
foi et dt' sa présence". L;i cécitt' le frap|)a
à la fin de sa vie et il niouriit ;ui moment
cil les artistes, émus de sa triste situation.
venaient d'organiser une \-ente ]Hnir aider
ses derniers jours. Il a joue un certain n'ile.
en dehors de son talent, d.ms le iiiou\e-
ment réaliste, bien qu'il se défendit énergi-
quement contre cette qualification : c'est
lui qui, le premier, conduisit Courbet au
Louvre et c'est par lui que Legros. ?^intiii.
Ribot et Whistler furent mis en relations
avec le maître d'Ornans.
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ileimelli
se
Alfred DehodI';^ d 'appartient.
comme Bonvin, à la r.ice de ces rt'alistes.
ardemment épris des grandeurs et (les
beautés de la \-ie. qui ne s'attachent p;is
à traduire littéralement les réalites. m:iis
à recueillir toute la poésie qui s'en di^gage.
Il est né à Paris le 23 a\a"il iSiJ et nu ut
dans cette ville le 7 jainaer i.S.Sj. 11 était
fils d'un ancien officier qui ;i\".iit démis-
sionné pour se mettre dans les affaires et
mourut jeune. Ses études" faites, il obtint
de sa mère de sui\"re sa \-ocation qui
l'entraînait vers la peinture et il entr.i chez
Léon Cogniet en 183g. Il exiiosa ])onr la
première fois en 1844 et obtint une mi'd.iiUe
en 1846. En 1848 il prit p;irt aux |ournees de juin, fut bles;
dans les Pyrénées. De là il eut \-ite fait de passer en Espagn
lIChl.LI (.XliDi l'iih). — l'aJincau (k\ oi.ilil
(.Xppai-lirnt a M. 1 )iuan(l-kllfl ].
au coude et dut ;iller se remettre
et ensuite ail M ii'oc. 11 a exécuté
dans ces deux pays des toiles cpii le classent comme un des plus pnis.ints orient, ilistes et
comme un des coloristes les plus suggestifs. Le Luxembourg a posséd(' la (Oin-sf lii /iiinrdiix. qui
est aujourd'hui au Musée de Pau; le .Musée de Poitiers garde sa l-'iii inivc ciii Marac. du
Salon de 1870. qui donne, plus fi>rtenient encore que ne l'avaient f.iit des m. litres tels même
que Delacroix, la couleur, l'accent t-t comme l'odeur singulière de ces pa\s exonques. 11 fut
décoré à cette occasion.
Dehodencq. comme orient;diste, représente donc le réalisme, mais un réalisme exinessil ;
I lO
La Peinture au XIX*^ siècle.
il est, pour ainsi dire, entre Delacroix et Courbet. LÉox Belly, lui, se rapproche des naturalistes,
et il a, en effet, débuté comme élève de Troyon. Il était né à Saint-Omer le 23 mars 1827;
son père, officier d'artillerie, mourut de bonne heure et il fut élevé par sa mère, femme d'esprit
élevé et de grande culture, qui avait quelque talent comme miniaturiste. Il s'adonna à la
peinture a])rès avoir passé ses examens pour 1" Ecole jjolytechnique, suivant le désir de sa mère.
Puis, attiré \-ers l'Orifiit, il jiartit pour la Syrie en compagnie de j\I. de Saulcy et de M. Edouard
Delessert. Il visita le Liban, la Palestine, et il exposa en 1853 ses premiers ouvrages: Environs
de Xapluiisc, et \'iic de Beyrouth, qui furent très reniar(]ués. Il repartit en Orient, mais cette
fois en l^gvpte et il exposa, à partir de 1857, des sujets pris au bord du Nil, qui le classèrent
définitivement à un haut rang dans l'école. C'est en 1861 que s'établit sa réputation avec un
groupe de tableaux dont se détachait
magistralement la toile des Pèlerins
allant à la Meeque, qui figura longtemps
au Luxembourg avant d'être accrochée
au Louvre. Tout le monde connaît cette
peinture saisissante de la caravane,
s'avançant de face, morne, sommolente,
silencieuse, de pèlerins accablés par la
chaleur ou engourdis dans la fièvre, qui
sont penchés sur leurs hautes bêtes
cagneuses. C'est un spectacle grandiose
et farouche. Belly, revenu en France,
tomba gravement malade en 1872 et
resta deux ans alité. 11 ne reprit plus
qu'accessoirement ses sujets orientaux
et travailla surtout à Fontainebleau et
en Sologne, où il avait ime propriété.
Mais son nom restera surtout comme
(irientaliste; il a été un des premiers qui
aient analysé avec sagacité et rendu
a\'ec puissance les effets extraordinaires
dus à la diffusion de la lumière, dans
des régions où elle se répand a\'ec une
prodigieuse intensité. Il est un précur-
seur de ces peintres qui, bientôt, vont se
préoccuper des grands problèmes pitto-
resques de la lumière et de l'enveloppe.
Belly est mort à Paris en Mars 1878,
L'orientalisme, à cette date, était particulièrement florissant. Le prestige de Delacroix
était dans toute sa force: on va chercher dans des pays plus neufs, plus riches en ressources
pittoresques, ces éléments de réalité et de beauté, que l'on demandait jadis à l'exotisme de
l'Italie. L'un des plus brillants coloristes qui aient été séduits par cette fascination de
l'Orient est Félix Ziem, né à Beaune le 25 février 1821, qui est aujourd'hui, bien vivant dans
sa robuste vieillesse, le vice-doyen des peintres français. Porté de bonne heure vers la pein-
ture, il dut choisir une carrière voisine, mais plus pratique pour satisfaire aux exigences
paternelles. Il étudia donc l'architecture. En 1839, il remportait les trois prix à l'École de
Dijon et obtenait ainsi la bourse d'études à Paris. Cette bourse lui ayant été retirée à la
suite de son attitude envers les autorités, il quitte la iiKiison paternelle et^décide de se rendre
JVh'/o Braiin, CUiiuntJ,' Cic.
T.-L.-E. Meissiinier. — Mailame
Ferriot (Musée du Louvre).
Kcolc française
I I I
à Rome, en gagnant sa vie i)ar son lia\ail tmii !,• l,,ng du rlirnnn. 11 ani\-e ainsi à Nice,
après quelques mois- de séjour à Marseille est patronne par le duc dr Devonsliire, (jui
s'intéresse à ses aquarelles. Le \(iilà donc lancé. Il |)art ixjur Rome X.ipli-,. N'cnise et c"est là
qu'il se découvrit. II ne cessa d"\- retourner, am>i (|u'à ('oustantmoplc. et il srmhlait ([ue
personne ne pût plus peindn- \'cni>e aiirè-, lui. t.int il l'a laite Menu.-. Le l.u.\einl)ourg
possède deux exemplaires de cette nispuation. La grande ]'iir de \\-iusc. (jui a figuré au Salon
de 1852, est peut-être son che[-(l'(eii\ re, comme elle i-.t un de> plus glorieux morceaux de
l'École contemporaine. Ziem oi)tiiit a\ec elle une première medailh-. 11 est oIIk ier de hi Légion
d'honneur depuis 1878.
Le marseillais Montk iîli.i
(Adolphe), né à ^Marseille le 24
octobre 1824 et décédé dans cette
ville le 29 juin 1886, pourrait se
rattacher à cette école. Connue
Ziem, surtout dans sa dernière
manière, il aime le papillotage de
la couleur. Il se rapproclie plutèit.
cependant, par la technique et
l'inspiration, des derniers roman-
tiques, Diaz et Isabey, par ce goût
de rêverie assez romanesque, de
décamérons, de fêtes galantes, de
cours d'amour, de sujets de la \ie
de château, qui le rattache crailleurs,
plus haut, à Watteau. Ce fut. du
reste, ce maître qui le fra])pa le
plus profondément à son premier
voyage à Paris. Il v vint, après ses
études faites à Marseille sous la
direction de Loubon. Avec Watteau.
Delacroix l'attira de suite, ainsi que-
Rembrandt et les Vénitiens. A Paris,
il travaille, mais n'expose pas au
Salon ; il est cependant coté par les
artistes qui le connaissent et il faut
bien qu'il eût déjà quelque réputa-
tion, puisqu'il obtint pour l'Impé-
ratrice une commande de quatre ]
(Culk-ctiuii Wall.ice).
anneaux décoratifs. L'un d"enx. reproduit ici. .Lpjiartieiit
à M. Durand-Ruel. C'est, on le \'oit, une de ces scènes habituelles. >aii> luotil bien di-^tmct.
d'élégances féminines, mais qui n'oltre pas encore ces chatoiements mystérieux, ces scintille-
ments jaillis de la profondeur de l'ombre, ces sa\'antes orchestrations, en apparence confuses,
de couleurs voluptueusement musicales, ijui marquent la période de iS-o à 1876. alors qu'il
est revenu au pays natal. Vers la fin, le talent de Monticelli s'exaspéra: sa santé s'était altérée,
son cerveau était atteint. Il contiiuKut, lU'anmoins, de peindre. C'est cette tlernière m.mière
qui a donné lieu aux plus odieuses falsifications.
Si Ziem est le vice-doyen, Hi:xki 11aki'1(,nii;s est. lui. le do\-en des jK^ntres de notre
I I 2
La Peinture au XIX'"' siècle.
écdle. Il est né le 2S juillet i8i<) à \'alencienne>. Il fut élève d'Achard, envers qui il garde un
S()u\enir pieusement reconnais>ant ; mais il >e rattachait au mouvement classique, quoique
assez librement, en suiwant la \(iie tracée par Corot. Il était tils d'un grand ..sucrier"' du pays,
<]ui \'i}ulait en faire im ingénieur. Sa \'ncation, pourtant, ne fut point trop contrecarrée. Il
lut en\'oyé à Paris et bientôt p.irtit pour Kome. Comme Corot, de qui il relève étroitement
dans sa première manière, ce fut l'Italie qui le forma. Il a\ait exposé dès 1853, mais ce fut
en iSbi ([ue son nom sortit de la foule, avec une Lisicrc tic bois sur les bords de l'Aliter. Il
fut médaillé successi\"ement en 1866. 1868 et iSbg. Décoré en 1875. il reçut la rosette
d'officier en 18S3 et la craxate de commandeur en kjoi. 11 est un des rares paysagistes qui
.lient I il )tenu la médaille d'honneur. Il a peint
en Italie, sur la côte d'Azur, d'où provient
ce Soiiveiiir d'Aiitibcs, en Flandre, en Au-
\ergne. sur les bords de la Loire, à Paris
même, et surtout dans l'Yonne, où il s'est
li-xé, l'été, depuis plus de vingt-cinq ans.
Harpignies est aussi célèbre comme aqua-
relliste que comme peintre: sa manière est
l.irge. décorati\'e, il aime les silhouettes
découpées des arbres, à contre-jour sur de
grands ciels lumineux. En vieillissant, son
exécution s'est assouplie et enveloppée.
Comme le \ieux peintre japonais Hok'sa'i,
il doniii'. d son âge. une grande leçon, car,
a près de quatre-\ingt-dix ans, il fait encore
des progrès.
Lti réaction réaliste ou naturaliste,
c iimme écri\'ait Laviron, que le critique
romb.itif .innouçait dès 1833, allait prendre,
presque au lendemain de ce jour, une forme
l'xceptionnelle à côté du développement
norm.Ll dont nous avons fait connaître les
principaux représentants. C'est un nouveau
témoignage de ce que la puissance d'ime
forte individualité peut apporter d'imprévu
dans l'histoire des arts. Cette personnalité
exceptionnelle, qui semble en contradiction
a\ec son temps au moment où elle paraît,
est celle de Ernest Meissonier. Le rôle de ce
peintre, dont la carrière glorieuse connut ti.ius les succès et tous les honneurs, sera considérable
dans la deuxième moitié du XlXe siècle. Elle s'exercera dans im sens réaliste et documentaire,
mais en une \'oie. certes, tout à fait différente de celle qui a été si largement ouverte par
Millet et Courbet. Mêlé au milieu romantique. Meissonier ht contraste aussitôt avec ses
camarades par son horreur de l'à-peu-près. de l'à-côté. du ..chic", qui régnait en maître sur
ces imaginations passionnées, abandonnées à des improxàsations faciles et lâchées. Et cela,
simplement, sans idée de protestation, grâce à la constitution physique de son organe visuel
tout à fait prodigieux. [Il voit tout et il a besoin de tout voir et cette clairvoyance de l'ieil
a pour complément une étroite et scrupuleuse probité tjui a besoin également de tout savoir
T.-L.-E. Meissonikr.
I.f Fumc-ur (( ollectiun M. V:
p-colc française
I I
et de ne rien laisser clan> le \a,i;ue nu l'inderisi,,!,. H u'a. -^ans d.mte. à aucun degré, le sens
du mj'stère, mais cetfe soif ardente de vente. r<' geni.- lait ddi.mneteté. de --eience,\le volonté
et de réflexion, a donné une impiiUioii salutanx- à rertaiiis modes de la peinture, (jui en ont été
revivifiés: l'histoire, qui sort des nxascarades théâtrales et de- rmuiKi-rie nulit.iire, pour se
baser sur l'étude des documents et des monuments et s'appuyi-r sur la vie; le sfcuye qui
renonce au ,, sujet" et sort des niaiseries sentiment. îles ou des sons-eiilendus \-aude\illes(iues
pour se renouveler par des (jualités d'ohserxation <\\u le relèvent.
Ji;A\-Loris-EKXHST Mkiss(imi i< e>t ur a Lvon le 21 le\rier 1N15: il e>t iu..rt dan> sa
propriété de Poissy le ,]i j.mvier iSi,i. H rtait fiN d'un commissionnaire eu deiiieo coloniales,
qui établit à P'aris, dans le (|uartier du M. irai-, une Ixintique d'é'picerie et de droguerie.
C'est là que Meissonier fut élevé et ([u'il prit la Mnuve de garçdu ('■])icier. ,iprés toutes sortes
de vicissitudes scolaires. Sa mère, en effet, était morte de bonne heure et >nu père, occupé
à ses affaires, veillait distraitement à son éducatidii. Il lut. entre aiiiro changements, envoyé
à Grenoble et mis en pension chez un professeur. c|iii de\-iiit plu> tard (l(i\-i-ii de la faculté
et c'est là qu'il peignit deux jinr-
traits, dont l'un, celui de M. h^erriot,
est au Musée de Rouen et dont
l'autre, celui de M»'^ Fcrnot. ac<]uis
par le Luxembourg en iSg ;, est
placé aujourd'hui au Lou\-re. Ce
morceau, remarquable d'exjiressinn
et de modelé, simple, attentil. fut
exécuté à l'occasion d'un séjour
ultérieur à Crrenoble en i''~>.î4. Le
jeune artiste a\'ait alors dix-neul
ans. Toutes ses qualités futures \-
sont apparentes avec une largeur
qu'il n'a pas conservée.
]\Ieissiinier. juscju'alors. des-
sinait en cachette de son père, le
soir, après des journées passées à
faire des paquets de \'ermicelle on t-l,.-i:, Miissomus. — t.,.- Vin du iiû.
de bougies. Il obtient enfin une
pension de quinze francs par mois, jirend cjuekiues leçons d'mi ol>Miir lith(>gr.i]>he tlii nom de
Julien Pottier et. par Tony Johannot. est mis eu relations a\"ec l'éditeur (uriner. i)our qui il
fît des illustrations pour Paul et Viri:,tnic et surtmit pour la Chnituiicrc Indienne, minuscules
et admirables vignettes, qui. bientôt, le sortirent de l'obscurité. Lu i'*^ ',4. il s't'tail hasardé
au Salon avec un tout petit tal)leau de Boiiri^ems /iiviumds. aujourd'hui ,1 la galerie W.dlace,
à Londres, qui fut déjà remarqué comme un heureux pastiche des maîtres ancien>.
Quel dommage que Meiss(.)nier n'ait porté (pie si rarement ses dons uniques sur des
réalités de son temps et ait sacrifié à la mode, régnante alors, qu'il consacra et ])erpétiia par
son talent même, de déguisements du passé! Il reprit, en effet, les thèmes de corps de garde,
de tabagies, de beuveries, que les romantiques a\-aient empnmtés aux petits maîtres flamands
et hollandais, et il les aggrava avec ses suites de scènes Louis W ou de personnages du
XVI^ ou XVUe siècles, mousquetaires, hallebardiers, reîtres, s]i.idassins, bravi. Lu Barricade,
qui est une scène vue, montre ce dont Meissonier était capable dans ce sens nioderiie. Meis-
sonier était, pendant les journées de Juin, capitaine de la garde nationale, il \-it hii-inènre,
le soir, rue de la Mortellerie, aujourd'hui disjiarue, ce spectacle de décombres et de sang.
I 14
La Peinture au XIX'^ siècle.
Delacroix en lut si frappé que Meissonier lui lit don de l'aquarelle laite ^ur nature. Les liravi
font partie de la collection Richard Wallace. Ce petit drame à deux personnages est ém(ju\'ant
par l'expression saisissante des deux sinistres acteurs. Cette peinture, sobre de tons, dans son
h.irmonie de bruns, de bleus et de rouges, appartient à la période où Meissonier est dans
tnute sa maîtrise, sans tomber dans les excès de précision et de fini minutieux qu'on pourra
lui reprocher plus tard. C'est le moment où sa célébrité C(jmmence et. deux ans après,
TEmpereur lui commandera la A'/.vc, pour l'offrir à la reine \'ictiiria. Il était d'ailleurs décoré
depuis 1846. Les Uravi, exposés au Salnn de 185 ;, furent ac(|uis par le marchand .Arthur
Stevens pour <Soo(i francs et vendus 28000 au ^lar(|uis d'Hertfnrd.
Le l'umcnr. reproduit ici, \'a à s(Hi tour entrer tlans une collection publique par
Ferdin'AXIi BiiISSAKli i>K lloisiiKNiK-R. — Episode de la retraite de Russie (Musée de Rouen).
suite de la libéralité faite par M. \'a^nier à la \-ille de Reims. E.xposé, en igoo, à l'Exposition,
c'est un de ces types de fumeurs cm de liseurs, personnages isolés auxquels se plaît par-
ticulièrement Meissonier et dans l'obserx-ation desquels il met toute la biographie d'un être.
Le ,, fumeur gris" — il v a aussi le ..fumeur noir", et le ,, fumeur rouge" — date de 1857. Ils
apjiartiennent tous à la série de scènes du XVIIIe siècle, époque vers laquelle il fut entraîné
par ses premières illustrations de la Chaumicrc Indiouic. Le ^'in du cru relève de la même
inspiration, mais c'est une véritable scène animée, avec tant de fidélité et de naturel qu'il
semble qu'on entende l'éloge du cru fêté par le bon curé gourmand. Ce tableau date de 1860.
Cette date est dans la carrière de Meissonier une date caractéristique. La guerre d'Italie l'avait
dirigé vers la peinture des choses militaires; il suivit les opérations et en rapporta l'admirable
peinture de Snlfcrino. Puis la grande figure de Napoléon commence à le lianter. Il ,i\-ait toujours
?f r«i^
KroK; française.
I I
professé j)()ur elle un cultt
fervent : mais, dès lors, -il s'<ii-
tache à elle a\-ec nne sorte dr
relipinn faiKiti(|ur. lien ré\ail
Li unit ; il s'ciitnurc alors de
tous les rensrii^nenients cl
de tous les doennients (jui
peuvent ri'el.iui'r >nr la ])i-i-
sonnallte, le> li,d)itude>. Ie>
manies de son idole. Son génie
de conscience et de rétlexion
se décuple de jiatience et de
sagacité pour redire les prm-
cipaux actes de cette gran-
diose épopée. Ce cvcle de\a.it
comprendre eiiii| grandes
pages; 179b, le Matin de
Castiglione: iSo-, l-ncdlaud : \y„^ ckkùmi —
1810, Erjiirl. qui n'a p,is été
fait: 1814 et 1S15. celui-ci non exécute non plus. /,V/^. ..ce n'est jias la. nMiaite de Russie, ni.iis
la campagne de France, disait :\leis>onier. l.e> \-i>;iges .diattus. irrité's, exprnnent le découra-
gement, la défaillance, l.i trahison peut-etri\ X.ipojeon m.irclie lenti-uient . le cor[)s .iffaissé,
mais le regard en a\ant. Tout peut se rétablir encore si ceux .pu le suiwnl ji.irtagent sa foi"".
Ce chef-d'œuvn' d'histoire moderne et de iisvcliologie. comnience des i.soo p.ir d'iniiomhrahles
études, ne fut terminé (lu'en 1804. Il ai)]),irtieiit à l.i collection de Al. ( haucliard.
Cette lamentable odyssée de la rctr.iite de Russie, (pu a\,iit de|a inspiré à Cliarlet iir.e
>i|s (Muscf du l.ii.\<-ml)oin
r/iot,) liniun, riaiitnl .\'- Cit.
LÉON Gf:i:.>\ii . I., V.
:.Mii.séc .If Nank-s
i8
La Peinture au XIX"" siècle.
page éni()u\-ante, a donné à un élè\-e de (jids, un peu oublié jusqu'en 1900, l'occasion d'une
toile saisissante qui sauvera son nom de l'obscurité. C'est le pathétique Episode de la retraite
de Russie, du Musée de Rouen, exécuté en 1835 par Ferdinand Boissard de Boisdenier,
né à Châteauroux, le 4 mars 181,5, mort à Paris en décembre 1866, peintre, écrivain, musicien,
esprit mer\-eilleusement doué, qui gaspilla son talent en dilettantismes dissolvants.
11 est, à cette date, un autre réaliste du même ordre (}ue iMeissonier qui, près de lui et
à côté de lui, jouit d'une grande faveur près du public et eut, de même, la carrière la plus
heureuse et la plus honorée. C'est LÉON Gérôme. 11 était né à Vesoul le 21 mai 1824, d'une
i'amille de modestes orfè\"res. 11 ht ses études classiques, prit son baccalauréat et alla à Paris
où il entra à l'Ecole des Beaux-Arts dans l'atelier de Delaroche. 11 échoua au concours de
RoUEKT-Fl.EURV. — Le Colloque de Poissy (Musée ilu Louvre).
Rome et se lança résolument, au Salon de 1847, avec ses Jeunes Grecs faisant battre des coqs.
On était en plein dans ce goût de renouveau pour l'antiquité, une antiquité plus vivante et
plus colorée, occasionné à la suite des fouilles de Pompéi. Nous avons signalé déjà cette
direction du goût à propos de Chassériau, de Couture et de Gleyre. Gérôme sut en profiter
et il fut le chef du petit groupe qu'on appela les néo-grecs et dont les artistes les plus marquants
furent, près de lui, Hamon et Picou. Ce tableau fit une grande sensation et suscita même
des prophéties singulières. Les critiques avancés prirent Gérôme pour un des futurs novateurs
attendus, alors qu'en réalité il allait reprendre et diriger, on sait avec quelle énergie, la tradition
classique. Son œuvre, considérable, qui s'étend même à la sculpture, est également très variée.
De 1847 à 1857, elle est plutôt classique, avec ce caractère de renouvellement pittoresque,
par la couleur et par l'anecdote, par le document et par l'observation réaliste du modèle vivant,
xolc trancaisc.
I 19
qui rapprochait, avec une inf;cni(i>itr inquaiitc ces anticpu's sujrts dr iKilrf humanitt- rontrni-
poraine. Puis il touché à Thistoire moderne, toujours \r,ir le petit côté, au f;enre i)roprcin(!nt
dit, et, enfin, son besoin de vérité dans le ])ittoresque, ([ui l'avait conduit vers ]"archéologii;„
l'entraîne vers l'ethnographie. Il \-oyagca en Orient et rapporta de là de savantes et fortes
études et de nombreuses compositions, qui sont célèbres. Le Prisonnier, du j\lusée de Nantes,
(Salon de 1863) est un type parfait de cet art ])récis et documentaire en même temps que
réfléchi, tendu et nerveux. Gérôme est mort à Paris le 10 janvier i()04 en pleine possession
de ses facultés, en plein tra\-ail, après luie e.xistence glorieuse et des mieux remplies.
La longue carrière de Joseph, Nicol.as, Robert Fleukv, dit Kohert-Fletry, s'est
étendue à tra\-ers prescpie tout le sièdi-. 11 est né, en effet, à Cologne, de parents français, le
8 août i/QJ et mort à Paris le 5 mai iSijo: mais c'est dans la deuxième partie de sa vie que
s'établit le plus haut sa réputation. Le Colloque de l'oissv, du Salon de 1840. aujourcrini;
Al,K.\.\NLiKK C'AB.'iNKI..
La Naissance de V(
(Mus
(lu I,u\._-nil)(nirg).
au Louvre, est le meilleur spécimen de cet art. qui ressuscite le pa>se par un sentiment
d'observation réfléchie, une sorte d'exaltation contenue et à cpn on doit le relè\-ement du
genre, affadi par l'éclectisme prudent de Delaroche.
Il est. à côté de Gérôme, dans l'ordre plus particulièrement académique, deux figures
qui ont joui de leur vivant, dans le monde entier, d'une très haute réputation, justifiée par
de savants et habiles ouvrages. L'un est Cabanel, l'autre Bouguereau. Ils représentent, à eux
trois, les personnalités les plus distinguées du développement classique et traditionnel.
Cabanel est né à Montpellier le 28 novembre 1824 et mort à Paris le 23 janvier 1889.
Sa carrière a été heureuse et fortunée, il a reçu toutes les distinctions et a laissé rm nom aussi
estimé pour son enseignement libéral que pour ses travaux. Il a exécuté des décorations,
notamment à l'Hôtel de \'ille de Paris, des portraits, dont les plus appréciés sont l'exquise
figure aristocratique de la duchesse de \'allombrosa et les simples et grandes effigies du
I 20
La Peinture
au
XIX
siècle.
londiteur et de lu fondatrice des petites sieurs des pauvres, et surtout des sujets d'histoire
d'iui ])atliétique assez théâtral. La Xuissmicc de ]'é}uis. du .Musée du Luxembourg, qui, en
i8()j, lit une si heureuse concurrence à ht Perle de Haudrv e>t. malgré la ribambelle puérile des
petits amours, un des plus cliarmants morceaux de nu produits dans notre école et à une
époque où le nu était très en fawur.
l-îoLK.iHKK.Jvr (\V]LLi.A.M), né à la Kociielle le .;() novembre 1825, mort à Paris le
20 août 1905. était un camarade de (aijaneJ à l'.itelier Picot: \\ fut aussi son émule et sa carrière
est, de même, heureusement n-nifilie par la fortune et par les honneurs. Arrivé à Paris en
(Musée du Luxemliourg).
iS4(), il obtint le prix de Rome en 1850 et exjiosa, pour la jjiemière fois, en 1849. Le Triomphe
du Martyre, qui représente une foule de chrétiens conduisant, dans les catacombes, le corps
de sainte Cécile, est un de ses ouvrages les plus recueillis, dans la tradition d'HippolvteFlandrin,
et peut-être avec un accent plus robuste de \-érité. Ce tableau, actuellement au Luxembourg,
est un de ses envois de Rome. P)Ouguereau modifia plus tard son genre et s'est rendu célèbre
da.ns les deux mondes par de trop aimables créations, caressées d'une brosse égale et facile.
Il est mort grand oificier de la Légion d'honneur et membre de l'Institut.
'■4
EDGAR DEGAS.
Danseuse sir la Scène.
(Musée du Luxembourg).
CHAPITRE \'
ECOLE FRANÇAISE.
Troisième Période. — P)k 184S a 1S70 (Suite).
LE g(.>u\"i.Tnt.'mont impciial. (jui succéda si rapidement à la deuxième répid)liqLie, essa\"a, à
sa laçuii. d"enci>iiraf.;er les art>. Il distribua le> dec(lratilln^. funda un prix de 100.000 francs,
mais fa\'<insa surtDUt réclusion d'une sorte d'art de cour, d'art oll'iciel. dont nous a\'ons
signalé précédemment les plus illustres repré>entants. Toutftoi> l'administration di'> Beaux-
Arts offre à son actif maintes mesures libérales comme ror,i;.ini-.,ition. en 1S63, de la fameuse
Exposition des refusés, qui répondait aux intolérance^ des Jurys, et la réorganisation, l'année
suivante, de renseignement de lT2cole des Beaux-Art^. Il cré<i même le> grandes manifesta-
tions récapitulati\'es des exjmsitions décennales, (jui lurent d'un utile enseignement et
semblèrent marquer, dans l'axi-nir, les étapes du dé\elii]ipement arti>ti(|ue. La [ircmière
exposition, celle de 1855. en mettant hors de pair les deux illustres ad\-ersaires qui occupaient
Ernest Hkhf.ki.
(Musc..' (lu Luxeiiilwurg).
1 2 2
La Peinture au XIX^ siècle.
chacun un des jKiles opposés de ]"art, en appnrtant luic sorte de consécration unanime aii\
grands paysagistes, romantiques et naturalistes, exerça une sérieuse influence sur les esprits.
Au demeurant, depuis 1848, Timpulsion était donnée et, dans la confusion de l'école,
où se coudoient, se croisent et se mêlent toutes les anciennes formules, où se multi]:>lient les
adroites transactions et les louches compromis, on \-a \-oir se dégager peu à jx'u. et d'abord à
l'écart, deux groupes, (jui occuperont une place exceptionnelle dans cette nouvelle période,
en répondant aux plus hautes aspirations des esprits élevés du temps.
l'n même culte pour
|l la vérité et ]iour la beauté les
rappr<ichait l'un de l'autre,
juscui'à les confondre sur leurs
limites. Ils s'attachaient, avec
le même intérêt passionné, à la
contemplation de la nature et à
l'étude des maîtres, désavouant
l'un et l'autre les traditions de
seconde mam dans lesquelles
s'abéltardissait l'école et se
préoccupant, dans l'aveulisse-
ment général du métier, des
fortes et sa\-antes techniques.
Dans la réalité, les artistes du
premier groupe recherchaient
surtout les caractères essentiels
de la beauté humaine, repre-
nant le grand rêve anthropo-
morphique d'Ingres et de Dela-
croix, à cette heure dans toute
leur gloire, que venait d'exalter
encore leurs ensembles à l'Ex-
jiosition l'niverselle, et conti-
nuant l'heureux compromis
de leur précurseur reconnu,
Chassériau. Ils s'attachaient de
préférence, dans un rêve à la
fois plastique et expressif, à la
traduction des idées générales,
aux conceptions héroïques, et
c'est parmi eux que se recrutent
les plus illustres décorateurs de
ce temps. C'est le groupe des
grands imaginatifs, des fervents de l'idéalisme. D'autre part, leurs maîtres de prédilection
étaient ^surtout les fiers florentins du XX'"? siècle, les prenuers vénitiens si singuliers et si
colorés, comme ce Carpaccio, pour ainsi dire découvert par eux, ou le hautain ]\Iantegna.
Les autres s'intitulaient eux-mêmes fièrement les Kcdlistcs et, en effet, ils s'étaient
groupés dans le sillage de Courbet, affirmant, à sa suite, leur foi dans la mission de l'art à
donner l'expression la plus haute de la vie contenrporaine et s'attachant à dégager, du spectacle
des réalités voisines, leur beauté méconnue ou cachée et leurs caractères expressifs. Ici, les
Hki:EK 1
École irancaise.
I 2^
maîtres préférés étaient surtout. a\-ec les ^'éIlitiens aussi, sans doute, (lui ont été si amoureux
des choses extérieure», les Espagnols et les Hollandais, qui ont si puissamment exalté la vie.
Dans le premier groupe, celui qui était le plus ancien et qui est resté, jusqu'à ces dernières
années, le doyen de l'école est Erxest Hébert, né à Grenoble le 8 novembre 1817 et décédé à
la Tronche (Isère) le 4 novembre 1908. Son père était notaire. En 1835 il quitta le collège pour
préparer son droit à Paris, tout en se faisant inscrire à TF-cole des Beaux-Arts, car ses goûts
étaient déjà très décidés pour la peinture. Il avait été élève, à Grenoble, d"un ancien disciple
de David, directeur de l'Ecole de dessm et du ilusée. Benjamin de Rolland. A Paris, il fut
élève de ]\I(mvoisin, de David d'Angers et de Delaroche. Mais ce fut surtout l'atelier du grand
statuaire, les conseils du maître et le milieu ardent <.|u'il v tn>u\-a. qui agirent le plus sur sa
vocation. En 1839, il avait eu la satis-
faction d'enlever sa licence ès-lettres
avec son grand prix. Il partait pour
Rome en compagnie de Gounod. avic
qui il se lia d'une amitié si étroite, qu'il-
semblaient représenter, chacmi. si' .-
deux modes différents, le même caractère
d'inspiration. Hébert, du reste, comme
son vieil ami Harpignies, était un musi-
cien accompli et un excellent exécutant.
Cette même année, 1S39, Hébert
exposait pour la première fois au Salon.
On était encore en plein dans la mêlée
romantique. Il s'y engageait discrète-
ment en envoyant un Tasse en prison
visité par Expilly (au [Musée de Gre-
noble), où se marquait l'influence de
Delacroix. Les événements de 1S48
exercèrent à leur tour leur action réaliste
sur cet esprit clairvoyant et il envoyait
à ce Salon, au moment même où [Millet
exposait son Vanneur, une Jeune femme
battant du beurre. [Mais le séjour de Rome
avait modifié la direction de sa pensée.
Il s'était étroitement attaché à ce pays,
plein de si augustes sou\"enirs et à ce i.i -iwt Kp aki. — M.iu.uuc Jl- (.uorme Mu-ce au Luxemiiourgi.
peuple qui, dans sa distinction native.
dans sa grâce et sa mélancolie, semblait garder la nostalgie de ce glorieux passé. Il ne pouvait
plus s'arracher de Rome, il n'en revint que huit ans après et, plus tard, sa plus grande joie
fut d'être nommé Directeur de cette Académie, de même que son grand chagrin fut d'être
obligé de céder la place à un successeur. A Rome, le Directeur. Schnetz l'encouragea dans une
voie où il avait eu tant de bonheur lui-même. C'est de là que vint cette Malaria, exécutée
à Paris, au retour, comme pour se consoler du paradis quitté. Elle fut exposée au Salon de
1850. Son succès fut considérable et c'est un des rares succès cjui, après cette longue épreuve
de près d'un demi-siècle, ne se soit pas démenti. Nul n'avait dit encore, parmi tous les
chantres passionnés de l'Italie, cette poésie languide de la maremme, cette beauté mélanco-
lique de la race, avec des accents aussi musicalement émus. Nul n'avait encore, dans ce genre
exotique, qu'il réveilla a\-ec une \-ivacité nouvelle, fait sentir avec de si chaudes harmonies.
124
La Peinture au
XIX^
siècle.
raccord des figures a\-ec le paj-sage. C'est quf. un ]>i-u a\-ant d'envoyer ce tableau au Salon,
Hébert a\-ait reçu de précieux conseils d'un des plus illustres harmonistes du paysage:
Jules Du])ré, intéressé par un paysage du jeune artiste. e.\]iosé au Salon précédent. Hébert
reju'it son tableau sur ces indications, qu'il n'oublia ]ilus jamais.
La Malaria tut sui\'ie de ncunbre de compositions {lopulancs et [toétiques empnmtées
à l'Italie, telk-s que les Ccrvayollcs. les I-iciiaralcs. 1<'S billes d'Alvitn, k-s Trois âges de la vie.
le Matin et le soir de la rie, la Laeaiidara. la Zingara. etc. .\ la suite d'un V(eu, qu'il tit,
au Icndrmain des douloureux événe-
ments (le 1X70. il exécuta une Vierge
de la Délivraiiee, placée dans le chœur
tle l'éghsr du x'illage de la Tronche,
où >(■ trouxait sa propriété pater-
nrllc. Il se sou\'int, dans ce type
oriental d'une grâce ^maladive, des
figures Ijy^antines qu'il avait con-
templées, a\'ec son ami Papety,
(l.ms les catacombes de Rome. De
ce jour, tant le succès fut grand
|irès du public, ■:iii\'it tout un peuple
de Madones songeuses: la Vierge de
Lémi XIII. la \'ierge au Jardin, la
\'!erge an baiser, etc., qui le firent
->nrnonuiier le Bellini moderne. II
eMcut.iit. en même temps, nombre
de beaux portraits de femmes d'un
1 liarme aristocratique un peu mor-
l)ide et d'exquises figures d'expres-
sion, très à la mode dans ce milieu
idéaliste, sui\-ant le goût des floren-
tins de la Renaissance.
La noble allégorie: Aux
liérns sans glaire appartient à cette
( ategoiie de créations poétiques et
musicales. Assise sous un bouquet
d'arbres, la che\'elure dénouée, les
grands yeu.x baissés noyés dans
l'ombre, une belle jeune créature,
couronnée de lauriers, s'appuie
contre un cipjie, ciu'elle protège de
son bras droit en le couvrant de
fleurs de vt.lubilis. Cette toile, exposée au Salon de iS.SS. fait jiartie de la collection de
M"ie Cirandin, une admiratrice fervente du maître. Ernest Hébert était membre de l'Institut
depuis 1.S74 et grand-croix de la Légion d'honneur deiniis i<)o;.
Ei'i.KNK Fkcimkmin. — l.a Chasse au faucon en Algérie
(Musée ilu Louvre).
hn re\-enant de Rome, retenu à Marseille par suite d'un at'cident. Hébert eut occasion
de se lier avec un singulier jeune homme, qui de\-ait exercer sur ce groupe le prestige de sa
forte culture, de son admiration si compréhensive des maîtres, de ses recherches passionnées
du caractère dans la ])hysionomie humaine et de sa préoccu]iation rare de subtiles techniques.
Ecole française.
I 2
C'est Gustave Ricaki'. l(jiii;trni])> inécunnu ciminie uiu- Mirti- de dilettante exciuis mais
impuissant, qui, depuis, a été remis à sa \Taie place et dont on distini;ue Tinlluence jusque
chez des maîtres étrangers, comme Lenbach.
Ricard est né à Marseille le i^i- septembre 1823 et il est mort à Paris le 2j jan\iei
1873. Son père était changeur et affineur de métaux. Dès que l'éducation du jeune homme
fut terminée, il lut placé dans la petite liciutitiue paternelle, près du vieux port. Il a^■ait
commencé à dessiner dans riii>titution où on Tawiit placé; il continua à l'Ecole des Beaux-
Arts de la ville et obtint, à dix-sept ans, im prix de modèle \-i\-ant. Son père finit par céder
à cette vocation obstinée. Il tra\'aille alors avec une opiniâtreté nou\-elle, est autorisé à partir
pour Paris, où il entre dans l'atelier de
Cogniet et concourt sans succès pour Rome.
Mais, alors, son laboratoire devient le Lou\re.
Il y vécut des années, comme lieaucoup. du
reste, y vivaient alors, dans l'étude ardente
des maîtres, dont il analysait les cliels-
d'œuvre avec une patience faite d'admira-
tion, de respect, de tendresse et d'en\'ie. Il
décomposait et recomposait les technit|ues
les plus sa\'antes, non point dans le but
stérile et vain de parvenir à l'établissement
de recettes commodes, mais jiour pénétrer
le secret de la beauté. Il copia beaucoup,
surtout des portraits, car c'est la pliv-^ionomie
humaine qui le tenta le plus. \'an Dyck,
Titien, Rembrandt, Corrège. et l.e(.inard
furent ses guides de prédilection. Il \-ecut
pendant près de dix ans. à P. iris, cette \ie
de dilettantisme enthijusiaste, \"oyagea à
Venise, où il troiu'a une seconde patrie et
un confrère, Ziem, cpu de\'ait de\'enir son
meilleur ami. Il retourne à Marseille en
1847, où il se lie avec Hébert. ]niis jxircourt
la Belgique, la Hollande. l'Angleterre, pour
retourner se fixer à Paris en 1850.
Il expose au Salon seulement à jxu-tir
de cette date, et touj(nirs des portraits: il
enlève presque aussitôt, en 1851 et 1S52,
ses médailles de seconde et première classe.
Il avait envoyé, en 1850, un portrait de M
seule figure de femme qui sut inspirer Mei
assura aussitôt sa réputation.
Ses principaux ou\"rages sont répandus dans la société marseillaise, où il awiit gardé
de la famille et de très intimes amis, tels que M. Jules Charles-Roux, dont il peignit la jeune
femme et pour qui il exécuta, la dernière année de sa \'ie. son propre portrait. Le Musée de
cette ville possède celui de Loubon, son maître, et de Cliena\ard, ciui lut le compagnon
préféré de ses tournées artistiques et un guide très >ui\'i et très cher près des maîtres. Il a
peint surtout avec amour des figures de femmes. Il en est une dont nos ^Musées gardent la
précieuse effigie. C'est celle de .1/»"' de Caloiinc. dont un portrait assis, à mi-c<u-ps est exposé
-TAVE MiiRE.M'.
Diphé.--.
Siilhiticr. singulier et séduis. mt modèle — la
nier. — Ce portr.iit. très admiré ])ar les artistes,
I 26
La Peinture au XIX*^ siècle.
au Louvre, t-t dont hi tète de f.icc appartient au Luxenibnurf,'. nù elle entra en 18(85. t t'tte
dernière image est une des plus mystérieuses peintures ipii ^ment dues à la magie de ses
pinceaux. Elle est datée de 1852. La jeune femme est de face, tourné à peini- \-ers la droite.
Son corsage noir est échancré en carré au cou et garni de dentelles. Les clie\"eu.\ noirs, séparés
en bandeaux ondulés sur le front et retenus ]xir un mban noir, qui pend derrière. Les yeux
noirs, grands ouverts, profonds et troublants, regardent en face. Cet étrange et fascinant
visage a évoqué maintes fois, sous la plume des écrivains, le sou\enir de Léonard, et nul ne
Ta fait ])lus justement.
El GÈNE Fromentin,
né à la Rochelle le 27 octobre
1820. appartient à la même
génération et au même milieu
social, culti\"é et lettré. Son
père était médecin, son grand-
père a\-ocat au parlement.
Pour continuer les traditi(_)ns
de la famille, son frère fut
destiné à la médecine et lui au
barreau. Après de brillantes
études au lycée de la \'ille,
au cours desquelles il publia
(pielques vers dans les feuilles
de la localité, il vint à Paris
en i83(), entra chez un avoué
rt se tit inscrire à l'Ecole de
Droit. Mais il continuait à
s'occuper d'art et de littéra-
ture et envoyait à une Revue
de la Rochelle un Salon, celui
de 1845, et quelques articles
sur la poésie. Au moment de
commencer son doctorat, il
parxint, avec l'appui d'un
ami, à persuader son père de
i.i-iwi M^iKiAT. — Hruni, ,: l'iiy.iir le hùsscr se livrer à la pein-
ture. Il entra donc chez le
jiaysagiste Rémond. puis chez Cabat, qui fut surtout son maitre.
Tenté juir les pays du soleil, il liésita entre l'Italie et l'Algérie et se décida pour cette
dernière région, toute nou\'eIle encore et pour ainsi dire toute vierge aux yeux des artistes. En
1846, il partit donc jiour l'Algérie a\ec son ann .Vrmand du Mesnil, dont il devait bientôt
épouser la nièce. A son retour, en 1847, il exposait, pour la première fois, au Salon, avec un
paysage des environs de la Rochelle, deux tableaux d'Algérie: Une Mos^quéc près d'Alger et les
Gorges de la Chiffa. Il continua les années suixantes, et en 1850, il envoyait même onze
tableaux pris dans la région de Biskra. C'était une poussée nouvelle de l'orientalisme, qui
devait fleurir tout particulièrement, à cette date, avec les Belly, les Dehodencq, les Ziem, les
Tournemine; mais elle s'offrait sous un aspect à peu près inédit, celui de cette civilisation
musulmane, qui gardait encore les caractères che\'aleresques de la domination, assez récente
AVE M-KI \, - 1, Apiianth.a (M.i.ec ,!u I,
xolc
fr:
ancaisc.
I 29
alors, des deys Omar et Hussein. Les deux \-ulumes: Un iic dans le Scduirn et U}h' A)inéc
dans le Sahcl. qu'il -l'apporta d'un second xoywg^c. en Algérie a\'ec sa. jeune fi'mme, en 1852,
ajoutèrent un grand éclat à sa réputation et Ton ne sa\'ait lequi-1 l'un dt-xait priser le plu>
hautement, de l'artiste ou de l'écriN'ain, cjui s'étaient partagé le dimiaint- des sensations, île
nature si diverse, écloses dans ce singulier pavs, au milieu de ces nueiirs singulières, et sous
un ciel dont la lumière faisait poser au peintre tant de questions inquiètes. Fromentin,
dans ces deux livres. ain>i que dans les Maîtres d'autrefois, a donné la mesure de l'éléx'ation
de son jugement et de la clair\'i)vance de son esprit critique. Rien ne lui a échappé des
problèmes nou\-eaux que snulevait la traduction de ces pa\-s exreptKmnels. Il appartenait a
El.IK IdlAlNAV.
ses successeurs de les résnutlre pluti'it ([u'à lui-même. Son éducation classi(iue. ses habitude>
des maîtres du passé, touti' >a culture même l'empêchèrent d'oser asM-z et l'on se demande
si, ainsi qu'il parait en a\"oir eu conscience hu-meuie. l'écrivain ne restera pas su])érieur à
l'artiste. Il n'en a pas moms été comme rin\'enteur de l'Algérie, dont il .a trachut, avec une
brosse ner\-euse et savante, et une palette rare et distinguée, un de^^m fier et élégant, les
nobles aspects et les grandioses spectacles. La Chasse au faucon en Algérie fut exposée au
Salon de 187J, d'où elle entra au Luxembourg. C'est un des exemplaires achevés de son art.
Fromentin s'v est plu à cette union de l'homme et du cheval, qu'il avait réalisée, d'autre
part, dans une série de compositions, dont le Centaure, l'homme-chexal, cette création du
génie antique qu'il admirait particulièrement, était le prétexte. L.i ('liasse ein jaucon est
I ^o
La Peinture au XIX'^' siècle.
I^lacce ;ui LuiuTC depuis iSS6. Frunifiitiii, ufticier dt- ki Légion d'ImniK-ur en iJ^bq. est mort
accidenttdlement à lu Rochelle, le 27 août 1876.
Les deux individualités artistiques qui se sont manifestées le plus hautement dans
cette orientation de l'idéalisme sont, sans contredit, Pu\is de Chavannes et Gustave ^loreau.
Nous reparlerons du premier, comme nous ferons également de Baudr3', qui appartient à la
même famille, lorsque nous serons parvenus à la période sui\-ante, dans laquelle leur œuvre
a été le point de départ du subit renouveau de la peinture monumentale. Puvis de Chavannes,
comme Gustave Moreau. relève directement de la double tradition jilastique et expressive
d'Ingres et de Delacroix, confondue et unifiée par Chassériau. Celui-ci fut \'raiment leur initia-
teur et leur maitre. Gusta\e Moreau l'a
reconnu publiquement par le touchant
hommage de sa composition: Le jeune
liDiiiiiie cl la mort, dédiée à'cette grande
et séduisante mémoire.
Né à Paris, le 5 a\Til 1826, dans
une famille bourgeoise et aisée — son
père était architecte. — GUSTAVE MoRE.^U
reçut une excellente instruction. Entré à
ri'À^ole des Beaux-Arts en 1846, dans
r.itelier de Picot, il concourut pour le
prix de Rome, m^iis éclioua et y renonça.
Il n'en fit pas moins, un peu plus tard,
le \tivage d'Italie, au cours duquel il se
h.i intimement avec Delaunay, pension-
n.ine à la \'illa Médicis, depuis la fin de
1, innée 1836. Il s'attacha tout particu-
hrrement à l'étude des hardis et élégants
ii.ituralistt's poétiques du X\'* siècle,
lliirentins. lombards ou ^'énitiens, en par-
ticulier M.mtegna et surtout Carpaccio,
dont le sou\'enir est marqué longtemps
dans ses <eu\'res, a\'ec les francs et éclatants
rehauts de rouge qui en réveillent les
harmonies graws et profondes. Son pre-
mier Salon date de 1S52, avec une Piéta,
([ui est à la cathédrale d'Angoulême. Il
i la suite de deuils et de chagrins intimes,
;on atelier de la rue de la Rochefoucauld, converti
i solitude qu'à la fin de sa \'ie. lorsqu'il fut nommé
se \"oua alors avec passion à son enseignement et
El 11: Di I- WN \v.
Matlaiiie Toulmuuchf.
puis
exposa d'abord régulièrement aux Salon
il se renferma dans la tour d'i\'oire de
aujourd'hui en Musée. Il ne sortit de
professeur à l'I^cole des Beaux-.\rts. I
nous verrons plus tard quels en furent les résultats. Chevalier de la Légion d'honneur en 1875,
officier en 1883, il fut élu membre de rinstitut en 1889. Il est mort à Paris le ig avril 1898.
Son art ccjmplexe est fait, comme celui ([<• toute sa génération et de ce milieu,
peintres ou sculpteurs, formés principalement en Italie, du don précieux de la sensibilité
uni à un grand fonds de culture. Il procède par une assimilation intelligente des maîtres, et
des maîtres les plus divers et les plus opposés, aussi bien les .-Mlemands comme Cranach ou
les Hollandais comme Rembrandt, (lue les Italiens ou les Persans eux-mêmes. Il se sert
,c()lc française.
I ". I
de leurs formes comme d'un inéjniisable X'orabulaire pnur i'c\i\'itier k's légendes de hi Bible
ou les ^lythes de l'antiquité, dégageant, avec les magnificences de son verbe, tout ce (|u"il
V a d'essentiellement et d'éternellement humain au fond de ces \-ieilles croyances et de ces
obscurs svmboles. II s'était créé connue uni' sorte de philosophie ésotérique, à la fois esthéticjue
et UKirale. exprimée en quatre grand> c\-cles: le c\-cle de l'Homme, le cvcle de La Femme, le
cycle de la Lyre et le cycle de la Mort.
Orphée ou. ce qui serait plus exact. Jeune fille trinreanl la léte d'Orp/iée. est uni'
des ieu\-res de la toute ])remiére manière de d. Moreau: elle date de 1865 et a été exposée en
1866. l^Ile est. ])ar le dessin, très ])arente encore des figures de Chassériau. de VK^ther ou de
la \'énus Aiuidvonièiie: la coloration tout en se rattachant encore à Delacroix, modifiée p.ir
l'influence de Léonard de \'inci. si manifeste dans le ,])a\-sage. est déjà personnelle. a\'i'C cetti'
richesse, que le maître <q)pelait ..la richesse nécessaire". Llle annonce déjà l.i formation de-
ce cycle de la L\-re. destiné à exalter les dieux, les héros, les poètes et les conducteurs dr
peuples, qui se sont \"oucs à répandre par le monde la grande clarté de l'Esprit pur.
II ère nie et l'Hvdre et VApparilioii s(int postérieurs d'une douzaine d'années, ayant été
e.xposés tous deux en 187b, et sont tout à fait dans la grande manière originale du maître.
Ces peintures singulières eurent un succès considérable. L'Apparition, \-aste aquarelle qu'on
peut considérer comme son chef-d'ceuvre, coïncidait avec une toile représentant la Danse de
Salomé. La Saloiné devint bientéit célèbre et a été décrite a\-ec am<jur dans le curieux roman
de J.-K. Huysmans. .1 Rebmirs. comme un des échantillons les ])lus extraordinaires de l'art
moderne. Hereiile et l'Hvdre rentre dans le cvcle de l'Homme ou de l'héroisme. La perfide et
adorable figure de Salonn.' ddinine tout son cycle de la Femme.
132
La Peinture au XIX*^ siècle.
Orphcc et l'Af^parition appartiennent au Luxembourg, ce dernier chef-d"(euvre a été
donné au Musée par Charles Hayem. admirateur enthousiaste de Gustave Moreau, avec treize
autres peintures ou aquarelles du maître.
Ei.iE Delai'nav est né à Nantes le 12 juin 1828. Il est mort à Paris le 5 août 1891.
II fut élevé dans un milieu de très modeste bourgeoisie — son père était cirier — mais dans
im foyer très religieux et très uni. Il resta toujours étroitement attaché à sa famille comme
à sa \'\\\e natak'. où il a ])rodigué ses travaux. Il étudia d'abord dans une maison ecclésiastique,
il y marqua ses premiers goûts pour le dessin, combattus d'abord par son père, puis acceptés
sur les instances de sa mère et de ses tantes. Après une préparation près d'un professeur
de la localité, il fut envoyé à Paris et placé dans l'atelier d'Hippolyte Flandrin, en 1848.
L'influence de ce maître, dont le talent et le
caractère convenaient si bien au jeune artiste,
se marqua très fortement sur les débuts de sa
I arrière. La trace en resta longtemps sensible,
comme il jiaraît encore dans cette Communion
des Apôtres, du Luxembourg, exécutée en 1861.
Son premier Salon date de 1853, année où il
nbtmt le second grand prix de Rome. En 1856,
il n'eut également que le second, mais bénéficia
lie ce cjire le prix n'awiit ])as été donné l'année
précédente, et partit pour l'Italie. Ce séjour,
comme à tous ses coreligionnaires artistiques,
donna une empreinte définitive à son talent. A
Rome, il se lia avec Gustave Moreau et ces
rapports se rencontrèrent, toute leur vie, dans
leurs leuM'es orientées \-ers le même idéal plas-
tique et expressif. Il s'adonna, à son tour, aux
m\-thes de l'antiquité et se passionna pour les
grandes figures symboliques d'Orphée, de Diane,
de Persée, d'Andromède, etc. Il a exécuté un
certain nombre de décorations murales, à Nantes,
à l'Opéra, à Compiègne, au Conseil d'État, à la
Trinité, à Saint-François-Xavier, etc. Officier de
la Légion d'honneur en 1878, il fut élu membre
de rinstitut_^en 1879.
! La Peste à Route date de i86g. Ce sujet empitmté à la Légende de St-Sébastien, dans
la Légende dorée de Jacques de Voragine, montre, dans ime me de l'antique Rome, sous
un ciel chargé d'orage, un ange drapé de rouge, aux ailes d'un blanc sinistre, un glaive
à la main; il indique, en passant, dans un \'ol rapide, la porte d'une maison à un génie
funèbre, qui la frappe d'un pieu, l'ne femme se tord dans l'agonie en menaçant la statue
du dieu impuissant: un jeune homme grelotte dans ses haillons près de la porte; de tous
cotés, au milieu du sol jonché de cadavres, des figures fuient a\'ec épouvante. On ne peut,
après Poussin, de qui l'artiste s'est souvenu sans faiblesse, exprimer une pareille scène avec
une accent aussi tragique.
Comme Hébert, comme Ricard, et comme presque tous ses camarades, Delaunay,
s attache a\-ec une sorte de fièvre passionnée à la traduction de la physionomie de ses contem-
p<jrains. Ils étaient là dans la plus forte tradition du génie français, qui développe sur le
.-J. llEN
L'Idylle (Musée du Liixcmboiirg).
fr:
coïc irancaisc.
.■)>5
portrait tdutes ^ts qualitc^ ])r()lnndi'> nu cK-licatcs d"nbser\',iti(iii. Dclauii.iw dans ce gi'nre,
a accompli des n_'uvres incomparables et qui eussent sulli à >,i ,L;loire. 11 a donné, même à c<')té
de Ricard, un caractère inoubliable à ses portraits, tant par leur psychologie pénétrante
que par leur technique savante et personnelle, tanti)t grave et paisible, tantôt incpiiète et
/■//('/,> Bniu/;, Ckiiicnt .V Cl
Lkon I;. innai. — 1,0 iM.iityrc do Saint Denis (l'anthcun).
tourmentée, toujours si e.\pressi\-e de l'iiidixidualité du modèle. Le jiortrait de sa, mère est
un des plus sobrement et des j)lus ])ieusement conduits. Celui de i'I/"''^ Tuuliiii>iu-lh\ dans sa
grâce exquise et sa rareté, reste son cln-f-d'ieUNie.
Il est peu d'artistes, au cours de ce siècle, (jui aient été aussi épri> de la Ije.uite que
134
La Peinture au XIX*" siècle.
J.-J. Henner. Depuis Prud'lKni. nul n'avait ressenti avec un ])art'il friss(jn It- charme de
la l'orme et la splendeur de la matière. Il est telles pièces de son (euvre, comme la Xaîadc
ou ïldyllc. du Luxembourg, la Biblis. du -Musée de Dijon, VEglognc du petit Palais et
d'autres encore, qui demeureront comme les témoignages les plus concluants que notre temps
de science et d'industrie, de houille et de fumée, n'a pas été moins sensible que les plus
grandes époques de l'art aux émotions du beau. Si simple et si une, en apparence, que soit
cette physionomie artistique, elle est. cependant, plus complexe qu'on ne pourrait croire, du
moins pour ses origines: car si
Henner peut se rattacher au milieu
des idéalistes par toute cette (euvre
plastique dans laquelle il a plus
particulièrement exalté la beauté
de la femme, ses débuts le présen-
tent Cl mime un réaliste convaincu,
■^'dttacliant étrc.iitement à la vérité,
LU caractère et sui\'ant plutôt les
traces de Holbein que du Corrège,
i|ui de\'int plus tard, ainsi que
Titien, son guide préféré.
Les c(.)mmencements de sa
carrière ne faisaient pas. en effet,
présager les suites qui l'ont rendu
célèbre. Né à Bernwiller, Haute-
Alsace , ancien département du Haut-
Rhin, le 5 mars 1829, Jean-Jacques
Hexxer était le plus jeune des six
enfants d'une famille d'honnêtes et
laborieux cultivateurs, qui firent
tous les sacrifices pour son éduca-
tion. A la mort de son père, qui
le laissa orphelin de bonne heure,
Cl- furent sa sieur et son frère aînés
qui prirent soin de son avenir. Il
étudia d'abord à Altkiixh. sous la
direction de (ioutzwiller, à qui il
uarda toujours ime vive gratitude
et, à Strasbourg, sous celle de
i rabriel Guérin. \'enu à Paris en
1S46, il entra dans l'atelier de
Drôlling, puis dans celui de Picot,
mais reçut surtout les conseils de
son compatriote Heim. Il parut, d'abord, s'acclimater fort mal au régime de l'école et
retourna dans son pays, où. de juin 1S53 à février 1857. il produisit quelques compositions
de sujets populaires et des portraits, tels l'Abbé Hugard du Luxembourg, qui marque l'influence
profonde produite sur lui par la contemplation, à Bàle, des chefs-d'ceuvre de Holbein. En
même temps il semble avoir été très frappé par la manière de Courbet et s'intitule lui-même
assez fièrement réaliste. De retour à Paris, il enlè\-e le prix de Rome en 1858 et là, devant
les chefs-d'i euvre des maîtres italiens, il subit une transformatiim radicale, qui est affirmée
:;r4o.^^;.^.
_-lS85.
Viffi' Pmmi,
Ca-nicnt ,'
e a
LÉiiN ]:
ÔN\
\.v Cardinal l„
Ecole française,
J)3
par M)n t-nvoi de Rome, la Sicuinu-. .utuellement au Luxcmlxini!,'. \S Idylle, exposée en 1872.
est le premier oiuTage sur ce mode, dans lequel Henner -e montre entièrement lui-même
avec les caractères essentiels de son talent. Le beau rvthme simple de lignes, le grand éclat
très intense et très doux des chairs, l'accord des figures et du paysage, l'impressictn de suavité
grave et de charme profond qui ^'en dégage, se retrouwnt au suprême degré dans la j^etite
Naïade couchée, du Salon de 187S. qui est une des perles du Luxembourg.
Henner a été. de même, -ensible quelqui-fois au pathétique ou du moins à la grande
beauté silencieuse de la Murt. La figure du Christ, de Hnlbein, l'a hanté souvrnt. mais il Ta
reprise dans sa nature projn'e, en clierchant l'émotion par la beauté de la plastique, la noblesse
des lignes et la puissance du modi-lé dans l'unité de la gnmde lumière.
Henner est mort à Paris le 23 juillet I0"5. membre de rinstitut depuis i88() et
commandeur de la Légion d'honneur depuis i8g8.
Il est deux autres personnalités artistiques, qui semblent occuper une place inter-
médiaire entre le groupe des idéalistes et celui des réalistes, par leur double préoccupation
de style et de vérité. Parmi les maîtres, qu'ils ont choisis dans le passé comme guides, leurs
préférences sont pour les grands réalistes espagnols. Ce sont Léon Bonnat et Jean-Paul Laurens.
Léon Bonx.^t est né à Bavonne le 25 juin 1833. Sa famille ayant été se fixer à .Madrid,
il y fut frappé par les chefs-d'œuvre des maîtres, obtint de se vouer à la peinture et entra
dans l'atelier de Frederico da Madrazo. Ce point de départ de sa carrière ne sera jamais
oublié. Rappelé en France par la mort de son père, il \-ient à Paris et entre à l'Ecole des
I 36
La Peinture au XIX'' siècle.
Beaux- Art s, dans l'atelier de Léon Cogniet. en 1854. En 1857 il ci>nc<mrt ])nur Ronir, ne se
^•()it décerner que le second prix, mais est envoyé, néanmnins, à Rome, aux frais de sa ville
natale. Il s'y lia, dès lors, a\-ec les pensionnaires présents, tels (jue Henner et Delaunay. Cette
même année 1857 est la date de son premier envoi au Salon avec deux portraits. Avec quelques
sujets de style, (|ui aHirment les tendances de son goût espagnol pour les scènes tragiques ou
pathéti()Ufs: li' Hdh Stinuirihiiii (1831)). Adam et Eve trouvant le eorps d'Aliel «/o;-/ (1861), le
Martvi-e de Sanit-Aiidré (i8();;). il cimuncnce à se faire connaître, à son tour, après Hébert,
par des sujets d'in>])initioii po])ul.iire italienne, qui obtinrent lui très vif succès. Sa Pasqua
Maria, du Salon de 1865, est restée célèbre. Ses Pèlerins aux pieds de la statue de saint Pierre
dans r église Saint-Pierre de Rome furent acquis par rini])ératrice (1864).
JtAN-I'ALl. L.MKKNS. — 1 .'El.it-.Majui aiitrichiL-ii devant le corps de M.arceau.
A la suite d'un \'o\-age en Orient, accompli \'ers 1870, lîonnat se fit connaître sous
luie nou\-eIle note exotique avec des toiles très remarquées: Cne rue à Jérusalem (1870), Cheik
de l'Akahah (1872), Barbier ture (1873), Barbier nègre à Sue: (187b), etc.
^lais c'est en 1866 (jne commença l'ascension de cette carrière, particulièrement
brillante, dont chaque étape est marquée jiar (lueliiue succès et quia été couronnée par les
suprêmes honneurs, avec son Saint Vineeiit de Paul prenant la plaee d'un galérien. Ccjmpris
dans la listes des maîtres chargés de partici])er à la décoration du Pantliéon, par Ph. de
(-hennevières, en 1874, il fut chargé de ])eindre le Martyre de Saint De)iis. qu'il exposa au
Salon de 1S85. Le bourreau \-ient d'a,ccom]ilir son leuxae, le sang des martyrs jaillit de tous
côtés des cada\-res décapités. Le tour de saint Denis est arri\-é, mais aussitôt que sa tête a
E
colc irancaisc.
139
été séparéf par la luiclu', le saint s'est précipité et l'a rainassi'c timdi^ ((u'uiie lueur >uriia-
turelle cache l'iiurrilile blessure et que les sjiectateiirs et les auteurs de ce drame, é])i]U\antés,
s'enfuient de toutes parts, l'n ant^e descend du ciel dans un nuage et a.i)p()rte au martyr la
couriiiuie et la jialme. ("est une des (euvres les plus signilrcati\'i-s des ([ualités de \-igueur.
de relief et de puissance de ré,di>.Ltiiin de ce maître; mais le genre (|ui lui a \'alu. par-dessus
tout, sa haute réputation, c'est le portrait. Il a été le peintre de ses contemporains les i)lus
illustres: depuis M'"'' l'asca, grand succès de i<^75, suivie de Thicrs, (jYcvv. dirnut, ju'-qu'à
/;'. Lnubct : tous les présidents de la République, ainsi que tous les snu\-erains, ont tenu à
a\'oir leur effigie de son pinceau. Ses portraits de Victor Hugo, l'iivis de (Ihirainws. Alcxaiuirc
Dumas. Jules l-crr\\ sont restés célèbres. Le Luxembourg possède le portrait (|u'il lit de son
maître vénéré. Lcon Cognid et qu'il olfrit en hoiumage au Musée, ainsi (pie celui du Carduud
Lavigcrie. du Sal(jn di^ 1888. L'illustre prélat est assis de face, à côté d'tnie t.ilile chargée de
papiers, dans sa robe rouge éclatante. a\'ec l'attitude fine et batailleuse de diplomate et de
conquérant, qui consacra cette plu'sionomie si originale.
Léon Bonnat est ineml)r(.'
de l'Institut depuis 1881. grand
croi-X de la Légion d'hoiun ur
depuis 1900. Il est actuellement
Directeur de l'i'^cole des Beaux-
Arts et Président du Conseil de>
Musées.
Je.vn-P.ml L.M'KHXS e-,1
né le 29 mars 1838. dans le jietn
village de Fourcjuexaux. dan^ la
Haute-Garonne. Son enfiince se
passa dans ce milieu rustique. Il
en fut tiré par une troiqie de
peintres italiens ambulante, qui
étaient venus décorer la chapelle
du village. Le jeune homme en
fut si émer\'eillé t|u'il fut atitorisé
à sui\'re la troupe, engagé parmi
les barbouilli'urs; mais lassé de
cette existence nomade et de la dureté de son maître, il m- s;iu\a à Toulouse, on il fut re( ueilli
par un parent. Il entra à l'Lcole des Beaux-.\rts de cette ville en iSbo. emporta le prix (pu
donnait droit à la bourse d'étude à Paris et. là. entra à l'atelier de Léon Cogniet. Son premier
Salon date de 1863, mais c'est en 1872 que se dessina sa carrière avec Le pape loruuise et
Etienne VII, dans lequel se marquait son goût pour les scènes tragiiiues de l'histoire et ses
dispositions jiour les fortes techniques des maîtres espagnols, lui 1873 il exposait. <i\'ec V Interdit.
VExcoiniuuiiieutuni de Kohert le pieux, atijourd liiii au Luxi-mhourg. ipii montre a\'ec quels
moyens discrets, mais avei cpiel M'otimeiit profond de la réalite, il sa\-ait n'vi\-ifier l'histoire.
La scène est choisie au moment le plus i>athétique. Le clergé se retire ,iu fond, par la jiorte à
droite, et la reine épouvantée se jette sur l'épaule chi roi. hébété de douleur, tandis ([ue fume
lentement le cierge jeté à terre, symbole de l'excommunication du sein de l'église.
J.-P. Laurens a excellé d:ins cette restitution vivante de notre histoire nationale; il
était le peintre tout troux'e pour Augustin Thierry, dont il a illustré les récits. 11 n'a ])as
moins réussi dans les sujets moderne-, et ])rincipjlement dans ceux qui -,'oftraient à lui ,ivec
Hknki Faniin-I.,\i
140
La Peinture au XIX*^ siècle.
ck- r Institut depuis
Laurens est com-
Légion d'honneur
un car.ictère pathétique, ("est ainsi que Y Etat-Majur aiilnchicn devant le corps de Marceau
lui valut justement la médaille dliunneur en 1S77. Cette surtr de solennité militaire autour
du lit de parade du jeune héros, rigide dans sa tenue de eumbat, revêt un caractère de
simple grandeur et de forte énuition contenue, par sun accent de réalité violente, sous ce
grand jour morne tjui éclaire les uniformes blancs aux iundcrics d'or, serrés dans l'étroite
chambre, et surtout par ce ton dr cimxictinn sincère ([ui s'impose au spectateur. Person-
nalité fortement trempée, Jean-Paul Paurens n'en a pas moins montré la souplesse toute
méridionale de son talent par les travau.x les plus divers, entre autres par ses grandes décora-
tions de l'Hôtel de Ville de Paris, ou
du (apitoie de sa ville natale. Il a
fonde. ])ar son enseigment et mieu.\
par son exemple, avec les sculpteurs
r'alguière, .Mercié, Idrac et Marqueste,
ce ([u'oii a pu appeler l'école de
T.iUlnllSc.
Mcmlire
iNi)i. jcan-Paul
maiidrur de la
di'puis iqoo.
\'ers cette date de 1860, les
jurys des expositions cjui, après
maintes \'icissitudes, étaient rede-
\i'nus les maîtres, avaient montré
une telle intolérance que le Gouver-
nement se crut obligé d'intervenir
et organisa, en 1863, la fameuse
<-xi)osition des Refusés. Pe catalogue
i-omprcnait entre noms particulière-
ment sub\'ersifs ceux de Cals, de
Chintreuil, d'Harpignies, de Jong-
kind, et même de Jean-Paul Laurens.
< )n y trou\-ait encore quelques noms,
,LsM-/ nou\eaux alors, mais qui ne
tardèrent pas à s'illustrer: c'étaient
ceux des gra\eurs Bracquemond,
daillard. et des peintres Fantin-
Latonr, Pegros, Whistler, Wanet,
Kibot . \'ollon, l'issarro,Cazin,etc.,les
jeunrs artistes, (|u'on appelait déjà,
a\ec une horreur sacrée: les réalistes.
P'ostracisme dont ils étaient victimes durait depuis ([uelque temps. En 1859, comme
Pegros, Pantin, Kibot et Whistler venaient d'être i)roscrits, l't'xcellent Bonvin, qui avait
considéré avec sympathie leiu's premiers en\-ois et qui les accompagnait de ses conseils au
Pouvre. où tout ce monde se réunissait alors, le bra\'e Bonvin eut l'idée de faire dans son
propre atelier une exposition de ces ou\'rages, y attira des visiteurs et y conduisit Courbet,
à qui il présenta la petite bande. Ils n'hésitèrent pas à s'enrôler sous la bannière du maître,
qui représentait au plus haut point l'idée d'indépendance. Courbet eut même, quelque temps,
un atelier où (inelques-uns. Pantin entre autres, travaillèrent.
HkN'KI l'ANTlN-l.A liiHK. - iMlwil] 1
(Xalional ( ialk-rv >lf 1,.
xole
fi"
mcaisc.
141
Le jeune Fantin était alors le plus ardent de la petite i)lialange. Henri Fantix-Latouk
était né à Grenoble," le 14 ian\-ier 1836, d'une bonne famille de bourgeoisie dauphinoise, du
côté paternel, et d'une mère russe, Hélène de Naidenoff, fille adoptive de la comtesse Zolojï.
Son père Théodore était peintre, d'un tali-nt estimable et c'est près de lui que se forma son
fils. La famille étant venue à Paris en 1S41. le jeune Fantin compléta son éducation à l'école
de dessin de la rue de TEcole-de-Médecine. où professait alors Lecoq de Boisbaudran. et où il
connut ses premiers amis: Legros, Ottin, (juillaume Régamey, Qt surtout au Lou\Te, où il
se lia avec \\'histler, a\-ec Ricard, avec Camhis Duran et a\-ec M*"'!'' \'icti>ria Dubourg, qu'il
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HkNRI KANTIN-LAT"rR.
Le- l)an-es ( Mu>ce de l'au).
devait épouser en 1876. Ce jeune révolutionnaire conquit de bonne heure une certaine noto-
riété dans les milieux artistiques par la grande tenue de ses ceuvres; son influence s exerça
autour de lui sur quelques-uns de ses camarades et , entre autres, sur les débuts de l'américain
Whistler, dont nous parlerons ultérieurement. Fantin commença par des portraits, ceux de
ses sœurs en particulier, telles ces Brodeuses, si attentives et si recueillies, qui ajjpartiennent
à Mme V. Klotz et qui furent refusées au Salon de 1859; puis par des compositions groupées
dans le genre des grands Hollandais: Rembrandt, Franz Hais ou \'an der Helst. Fantin a
exécuté cinq de ces grandes compositions, qui réunissent, chacune, une dizaine de personnages.
Il en est une. le Toasl. qu'il a détruite lui-même. Les autres sont : VH(i/ui)ia!;c à Dehicraix {1H64),
142
La Peinture au XIX"' siècle.
r.l/(7;'tT ((«.V Biitii^iiolles (1870), le
Coin de table (1872) et Autour du
piano (1885). Ces quatre toiles méri-
teraient chacune une notice spéciale
par la place qu'elles tiendront dans
notre histoire. Il en est deux, les
premières, qui sont plus particu-
lièrement importantes, par le carac-
tère d'art, par les personnages qu'il
a mis en scène et par la signification
de ces groupements.
L'Hommage à Delacroix fut
conçu au lendemain de la mort du
maître, dont l'admiration des jeunes
révoltés avait fait le réaliste par
excellence. Fantin conçut ce tableau
comme une (euvre de piété et de
dé\()tion à la mémoire du maître
et comme une démonstration ,, réa-
liste". Il réunissait, en effet, autour
portrait du ,L;rand romantique, ses principaux fer\ents. qui étaient aussi les premiers rôles
la petite trou})e: lîracquenrond et Legros. .Manet et W'histler, celui-ci un bouquet à la
main, les écrivains Champfieurv, Duranty et Baudelaire, représentant le , .réalisme" et le
..modernisme", puis deux autres amis, cpii n'ont pas laissé de nom dans la suite, Cordier et
Al.llInNSK Lki
l.Ex
(Milscc dr Uijull).
du
de
de Balleroy; enfin Fantin lui-même.
Cette peinture magistrale
et si peu ré\"olutionnaire. tant elle
prticède des plus grandes et des plus
pures traditions, a été donnée au
Lomre par M. ]\Ioreau-Nélaton et
ligure dans la collection exposée au
]\Iusée des Arts décoratifs.
Dans le nombre de ces figu-
rations si intenses de vie. d'ime
technique si simple, si savante et si
belle, qui chaque jour semblent
prendre une place plus haute dans
notre art contemporain, il faut citer
en première ligne le double portrait
du graveur Ediiin Edicards et de
sa femme, exécuté en 1875. que
celle-ci à légué à la National Galler\'
de Londres. Il s'y tient avec éclat
près des chefs-d'œu\Te de tcms les
temps. Fantin se lassa un jour de
ces importants tra\aux. si difficiles
à mener à bien, ne fut-ce qu'en
raison des exigences des modèles.
bras de chemise, palette à la main, prêt à l'attaque.
.\irilON~.E LeGRi:
L".\men)le lionorable (Musée du Luxembourg).
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Ecole française.
145
Il peignit des mi-rwilles de fleurs et il s";il).uuliinn;i à tout uu geure de sujets d'imagination
romantique et d'allégories ou mythologies, conçues dans le goût du Corrège. de Watteau ou de
Fragonard, en de chaudes harmonies enveloppées. Il s'ador* -^ surtout à des inspirations
musicales prises dans le monde héroïque ou fabuleiix de Wagner, de Berlioz, de Rossini ou
de Brahms, car Fantin fut toute sa vie, lui aussi, un ardent mélomane. Les Danses, du Musée
de Pau (Salon de 1891) sont ime reprise d'un pastel du Salon de 1888, qu'il reprit une troisième
fois en 1893, en précisant sa signification musicale inspirée du Ballet des Troyens, de Berlioz.
Fantin-Latour, longtemps méconnu du grand public, a pu jouir, à la fin de sa vie, de
cette gloire qui n'a cessé de croître. Il est mort le 25 aoiit 1904, dans sa propriété de Buré
(Orne). Il était officier de la Légion d'hrmneur depuis 1900.
TllÊODlI.E KlEOT. — Saint Sébastien, Martvr (-Musée du Luxembourg)
Son camarade de jemiesse, Alphonse Legros. est né à Dijon le S mai 1837. Il était
fils d'un petit comptable et le deuxième de ses sept enfants. Après a\'oir étudié à l'Ecole
des Beaujc-Arts de Dijon, il fut placé à treize ans chez un peintre en bâtiment, d'origine
italienne, qui coloriait des images de sainteté. Parti en 1S51 pour Paris, où il pensait occuper
une place, il s'arrêta six mois à Lyon: il y fut employé pour la première fois à quelques
travaux élémentaires de décoration. A Pans, il travailla chez le décorateur Cambon et surtout
avec Lecoq de Boisbaudran qui, par la méthode du dessin de mémoire, forma une si belle
génération d'artistes. Legros, comme aussi Cazin, également son élève, continua ses enseigne-
ments. Ses premiers travaux, inspirés de Holbein et ses eaux-fortes eurent un très grand succès
dans le petit milieu réaliste. ;\Iais la \ie était fort difficile pour lui et. sur la proposition de
146
La Peinture au XIX^ siècle.
Whistler, (jui ;i\Mit déjà entrainé. qiK'l<iui.'s mois, leur camarade Fantin. il se rendit à Londres
en 1836. (jràce à Tamitié dévouée de quelques-uns de ses nouveaux amis d'Outre-Manche,
il y trouva une situation honorable comme professeur, s'y maria et v est demeuré fixé.
L'œuvre de Legros s'étend sur la peinture, la scvrlpture et la gravure, \-()ire la gra\iire en
médaille. La peinture occupe siutout la première partie de sa carrière, a\'ant (ju'il fût par
trop absorbé par le professorat. Son iru\r(' comprend un certain nombre de portraits, comme
celui de Canihctta, que Sir Charles Dilke lui commanda et que l'illustre et généreux homme
d'état anglais a donné d'avance à la France, et des scène-. |)opuUiires, principalement prises
dans le milieu des choses religieuses comme VKx-vuto. les fciiiiiu-s en f)riÎYcs. ou quelques sujets
plus généraux touchant aux légendes sacrée.^: comme le RcU'ur de l'cnfiinl prodiiiHC. le Songe
de J(ieoh, le Christ murl et V Amende honorable.
Jamk> Tii^m
ilu I.iKcnilioiiit;)
IJ'Ex-voto appartient au ]\hisée de Dijon: il \" ;i été placé par l'Ftat. Il fut e.xposé
en 1861 et produisit une grande sensation au Salon, où il fut accueilli de façons très
diverses. Les uns y \'irent le développement prochain d'un esprit profondément religieux,
les autres, plus clairvoyants, distinguaient l'influence de F lînterrement d'Ornans et accablaient
le jeune artiste sous l'épithète injurieuse de réaliste. Cette influence est manifeste, mais à
côté des robustes qualités que Legros empruntait à Courbet, il offrait en propre un sentiment
intense d'émotion contenue, de foi profonde, avec une distinction et une tenue dans le dessin
qui devaient le conduire bientôt vers Ingres. Cette progi'ession se marque avec une maîtrise
calme et grandiose, un style sobre et digne, une impression de beauté et de recueillement
dans cette admirable toile des Jeunes femmes en prières de la Tate Gallery, à Londres, qui
date de 1882.
Ecole trancaise.
147
Quant à ÏAiiiciulc hoiinrahlc. l'ik- fut cxpusée au Salon de i8hS et mérita à l'artiste une
médaille. C"est une scène de Flnquisition. (la.n> hKiuelle l'inlluence de son maitre de pré-
dilection à cette date, Holbein, se confond avec celle des Espagnols. L'austérité des figures
\ fait contraste a\ec l'éclat argentin des couleurs et produit cette impression de majesté
froide et de sérénité inflexible, cpii est le caractère de l'église espagnole et qu'il semblait
emprunter à la palette de Zurbaran.
Car les Espagnols furent, a\-ec les Hollandais, les maîtres préférés de ce groupe.
Manet. Whistler ou Carolus Uuran s'attacheront à \'élas(juez. que Pantin eut le regret de
ne poiu-oir aller admirer sur jilace. Mais l'un de ceu.x qui semblent sVn être inspirés de plus
près est Ribot.
C.\KOLl> UCKAN
Théodule Ribot naquit à Breteuil (Eure) le S avril iSij et il est décédé à Paris
le II septembre iSqi. Son père était ingénieur. Orphelin à dix-sept ans, il entra comme
comptable chez un tailleur d'Elbeuf. Marié de bonne heure, il vint à Paris en 1844 et entra
dans l'atelier de (ilaize, en faisant un peu tous les métiers pour vivre. Il séjourna même
trois ans à Oran comme contremaître d'un entrepreneur en bâtiments. Son premier Salon
date de 1861. avec des scènes de cuisine qui le firent particulièrement remarcjuer. En 1865,
il exposait le Saint Scbastioi. Martyr. c|ui fut récompensé d'une médaille et acheté pour le
Luxembourg. Cette robuste et sa\'ante peinture, d'une rare maîtrise d'exécution, montre
bien le rattachement de Ribot à Ribera. 11 était officier de la Légion d'honneur depuis 1887.
Il faut relever encore, dans ce milieu. Vollcjn (Antoink). né à Lyon en 1833, décédé à
Paris le 25 août iqoo, admirable peintre de natures mortes, qui se rapproche des Hollandais
4^
La Peinture au XIX^ siècle.
et notumnuiit de Franx Hais; Rovbet ( Ferdinand) . né à Uzès le 20 avril 1840, qui reprit
la donnée des personnages costumés de Meissonier: reîtres, mousquetaires, buveurs, avec
une palette riche et puissante, de belles matières grasses triturées d'une brosse vaillante. Sa
/ciiiic liUc iiii pcn-iH/iict. du Musée du Luxembourg, appartient à ce qu'on peut appeler son
ancienne manière, celle de petit format, car )i]us tard il s'est plu à reprendre ces mêmes
scènes a\'ec des portraits de ])ersonnage> connus et de grandeur naturelle.
CaROLUS DcRAN. — I..1 D.ilu
à l'ancien TestannMit. Tis
personnalités qui M>nt de\
le 3 ian\-ier iS_;4. 1
est mort
■\"enut.'> illustrt
dans la, même
James ïissot appartient
également à cette génération et à
ce groupement. Né à Nantes le
15 octobre 1856, il étudia d'abord
.L\-ec Flandrin et Lamothe, mais il
>ubit tour à tour d'autres influences,
qm se sont marquées sur ses cEuvres.
( "est. d'abord, celle du peintre
belge. Henry Leys, dont les fortes
harmonies suggestives ont de sonores
échos dans la Rencontre de Faust et
de Marguerite du Musée du Luxem-
bourg (Salon de 1861), puis celle de
("ourbet, dans Les deux Sœurs (Salon
de 1864). A la suite des événements
de la Commune où il craignait d'être
compromis, pour avoir organisé
une .imliulance dans son hôtel, il
partit pour Londres et il y demeura
ti-\é asse/î longtemps. Il y était
d'ailleurs allé en 1863, en même
temps que Fantin, Legros, et aussi
Ste\'ens, qui touche à ce milieu, et il
1 essentit déjà le contact des maîtres
.Lnglais contemporains, tels que Sir
John M. Millais. Il reparut à l'Expo-
sition de la Société Nationale des
Heaux-.\rts, en 1894, avec 290
aquarelles sur la ]'ie de N .-S. Jésus-
Christ, qu'il était allé recueillir
Ui i,u\._ii.i...uio). pendant dix ans, en Palestine. Elles
furent suivies d'une série consacrée
Paris en i()02. Il est encore, dans ce voisinage, deux
L'une est Claude-Ferdinand Gaillard, né à Paris
ille le ic) janvier 1S87. Celui-ci s'est fait non seule-
ment un nom exceiitionnel comme graveur et. à ce titre, il occupe dans son art une place
de premier ordre, mais, comme peintre, il a laissé un certain nombre d'ouvrages d'un art
austère, et d'une rare puissance expressive. On ne peut oublier, une fois qu'on les a
vues, ni cette face vulgaire au visage éclairé de bonté, de sa tante, ni la hautaine et mordante
physionomie du prélat a\-eugle. Mgr de Ségur. Gaillard était né dans une famille très
modeste. Ses goûts furent dé\-el<ippés par les siens. Il étudia d'aljord chez les frères du
Ecole trancaisc.
149
Gros-Caillou, puis à la , .Petite Ecole"", près de Lecoq de Boisbaudran. David d'Angers s'intéressa
également à lui. Il obtint le second, puis le premier prix de Rome (1856), passa cinq ans en
Italie et reconcounit, à son retour, mais sans succès, pour le prix de Rome de peinture. -Il
s"était enrôlé volontairement pendant la guerre et se battit à Buzenval. Très religieux, il a
surtout peint ou gravé des portraits de personnages ecclésiastiques, et il est mort affilié
lui-même à un ordre religieux.
Quant à Tautre. C.^Koi.rs DiK.w. m ses débuts furent difficiles, nulle carrière ne
s'est montrée plus brillante ni plus fertile en heureuses productions. La bonne fée de la
peinture était penchée sur son berceau, le 4 juillet iSjj. jour où la ville de Lille le vit
naître. Le jeune Charles-Auguste-Emile, qui se donna le nom romantique de Carolus. étudia
d'abord dans sa ville natale, puis, subventionné par le Conseil ^hinicipal, il vint se perfec-
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CARlII.rs DlRAN.
tionner à Paris. La ville de Lille ren\Mya également à Rome, où il se rendit en 1861. Mais
il s'isola surtout pour tra\'ailler et il s"enferma pendant six mois entiers dans le couvent de
Subiaco, où il peignit La prière du soir et cette toile si pathétiqtie. d"une si mâle et fière
exécution: L'assassiné (1866). Carolus Duraii v montrait ses dons e.xceptionnels de peintre
et sa clairvoyance, qui lui avait ouvert les \-eux sur le maitre d'Omans, si discuté encore, et
sur les grands Espagnols, Flamands ou \'énitiens. Car Titien. Rubens et \'élasquez furent
ses maîtres et, semble-t-il. ses ancêtres. Il a retrouvé le secret de leurs audaces et de leurs
bonheurs. Il a peint quelques décorations, comme le plafond A In gloire de Marie Médieis,
primitivement destiné au Luxembourg, aujourd'hui placé au Louvre, et quelques tableaux
de style; mais il s'est fait, surtout, une réputation universelle comme peintre de portraits.
Il a traduit avec fermeté nombre de physionomies d'honunes. mais c'est avec les effigies de
femmes qu'il a montré toute la richesse de sa nature pittoresque si primesautière. Nul n'a
I .o
L;i PcnitLiR- ail XIX^ siècle.
itnuiu a\'ec i^ius d'éclat la somptuosité des étoffes et la splendeur de cette pidpe di\-ine de
lu chair, et, cependant, sa palette s'assagit et sa brosse se calme pour traduire le recueille-
ment de ses modèles. C'est ainsi qu'à côté des brillants portraits de femmes des Musées
de ]-ille et de Bnixelles. la Daine an gaii/. du Luxembourg, se présente a\-ec le plus simple
appareil de charme et de gra\ité, de noljlesse et de grâce. C'est une <eu\'re qui date dans
son {LMU're et dans ce temps.
A côté de ces images de femmes, dans les(iuelles sa famille tient une grande place
(.1/""' Caidlits Ditniii, .!/'"'■ ('ynizctfc. sa belle-s(eur. M""' l-'i-vdcaii. sa lille. etc.) ("arolus Duran
ne ]iou\ait manquer d'être S(]Ilicité ])ar le ;;//. < e fut, d'ailleurs, nous l'ax'ons \'u, un goût
commun à toute sa génération. 11 a donc ])eint. lui aussi, des Aiuiroiiicdc. de^ M aric-M addcine.
('iIII.I..\lMK Kll'.AMI-V.
lie h Caidc (Musée de Pau).
des iJaiiac. L'J^vcil. exposé au S, don de 1886. est une de ces jeunes et fraîches créations,
jaillies connue spontanément sous la caresse ardente de ses pinceaux.
Cariilus Duran est actTiellement Directeur de l'Académie de France à Rome. Il a été
président de la Société Nationale des Beaux-Arts, dont il est l'un des fondateurs. Il a obtenu,
en 1879. la médaille d'iionneur et a été élu membre de l'Institut en 11)04. Il est grand officier
de la Légion ci'honneur depuis i()oo. Son enseignement a formé de nombreux élèves, notam-
ment dans l'école américaine. Il faut signaler parmi eux, en première ligne, John Sargent.
Plus modeste, certes, est la figure de Cirii.L.'WMH RÉ(;.\mi:v. L'exposition de 1900 et
le .Musée de Luxembourg l'ont réhabilitée, mais elle n'est pas encore à sa vraie place car,
Ecole française.
I ^ 1
dans un niilii-u de hcanx jieintres, Cf lut. lui aussi, un \r,u iicintir. 11 (■•liiit nr à Pa.vis, le
27 septembre liSjj. Il a\-.i.it deux autres frères qui se \iiuèrent ;i.u>^i à l,i ]ieintun'. II >ui\it,
avec Fantin et LegrdS. les eours de la ..Petite l-Icole" de de>sin et eut. à ec")té. pnur maitR'
Bonvin qui Taimait et l'aj^préciait beaueciup. Comme ses camarades, il détnita ;i,u S;diin de
1859. Dès 1863 il essay;iit un de ces t;djleau.\ de militaires dans les(]Uels. en restant tiuijdurs
sous le point de vm- \-raiment pittnresque, en em])l(iyant tme technitiue robuste et col(.irée,
il savait donner une snrte de ,L;randissement héroïque à ses soudards d'Itidie, de Crimée ou
d'Africjue. Le Musée du Luxembourg garde une excellente petite toile de cuirassiers attablés
dans un cabaret. Plus heureux.
le ^lusée de Pau conserve la
Batterie de faiiiboitrs des i^yeua-
diers de la darde: eciiupir^iie
d'Italie, du Salon de 1865. (jui
est ime forte et superbe ju-m-
ture. Ciuillaume Régame-y
travailla quelque temps à Lon-
dres, où il a donné beaucoup
de dessins pour les journaux
illustrés. Il fut très affecté par
les événements de la guerre de
1870 et s'éteignit à Paris. ])eu
après, le 3 janvier 1875.
Une des plus doulou-
reuses victimes de ces tristes
jours a été Hexri Regxaui.t.
qui fut tué le ic) jan\-ier 1871.
à Buzenval. par ime balle })er-
due, alors qu'il persistait à
rester sur le champ de bataille.
Ce deuil fut vivement ressenti
par la France entière, à Pheure.
cependant, oii elle ne comptait
plus les deuils. C'est que peu
de natures se UKintmient aussi
généreuses, aussi vaillantes et
s'annonçaient a\'ec un aussi
magnifique avenir. II était né,
à Paris dans les murs du Collège
de France, le 30 octobre 1843, deuxième fils du célèbre savant \'ictor Kegnault. membre de
l'Académie des sciences, qui dirigea un certain temps la manufacture nationa.le de Sèvres.
La vocation de Kegnault fut si précoce qu'elle semble tenir du prodige: dès l'âge de trois
ans, on ne pouvait le faire tenir tranquille cpi'avec un crayon et un bout de jxipier. Son père
exigea qu'il terminât toutes ses études avant de se donner à la peinture. En sortant du collège,
en 1869, il entra chez Lamothe, élève de Flandrin, mais il n'.ivait jamais cessé de dessiner,
surtout des animaux, qu'il ahait voir au Jardin des Plante> et cpi'il crocjuait de ménroire en
rentrant chez lui. Ses ]M-ogrès furent très rajiides : il enlex'a le jnix de Rome et partit dans
cette ville en 1866. Son iiremier envoi. Autoinédun domptmit les eaiirsiers d'Achille fit sensation;
IIknki I';ki;nai I,
I ^2
La Peinture au XIX^ siècle.
on croyoit retruiu'er, dans cette peinture inipéteuse, la brosse énergique et emportée d'un
nouveau Géricault. En 1861S, il partit pour l'Espagne, qui Tattirait irrésistiblement. Il
arrivait en pleine révolution. Il assista avec enthousiasme aux frénétiques débordements des
passions populaires et il a tâché de les rendre autour de la figure du célèbre conspirateur Juan
Prim. Ce tableau, qui fut exposé au Salon de 1869, produisit une profonde émotion et l'État
l'acquit pour le ïMusée du Luxembourg, d'où il est passé ensuite au Louvre. Le jeune artiste
montrait, dans l'image de cet extraordinaii'e aventurier, toutes ses qualités de fougue et de
générosité natives. ,, C'est un petit homme maigre, d'une tournure très amusante et dont
la tête est pleine de caractère", écrit H. Regnault. .,11 vient de gravir une pente; arri\-é au
sommet, il arrête court son clieval. à la mode espagnole, et salue à la fois la liberté et sa
patrie, qu'il lui est permis de revoir, non î)1us en proscrit, mais en maître".
Regnault retourna à Rome, d'où il en\-oy;u sa Judith et sa Saloiné, puis il repartit pour
l'I'lspagne, visita Grenade et passa au Maroc: il y tut séduit, à son tour, après Delacroix par
le pittoresque prodigieux de ces nueurs et de ces types et par la splendeur de ce/ ciel. Il revint
en France, vers le milieu de septembre 1870, en hâte pour entrer à Paris avant l'investissement.
Il s'engagea dans un bataillon de m.irche, où il \-(iuhit rester comme simple s(jldat. Il fut
frappé en plein bonheur, car il \-enait de se fiancer, et en plein talent, car il était de ceux dont
on pouvait beaucoup attendre.
Claiiie-Fekiiinami Oaillaki'. — Piiitiait lie femme
(.Musée iJii l.iixemboiui,').
ALBERT BESNARD.
Etude de femme.
(Pastel, ColUctiou de M. le Dr. Pierre Delbet).
CHAPITRE \"I.
I-:('()LK FRANÇAISE.
OrATKiKMi- PKKionr;. — Di: iSyn a niuo
LA puriiide qui s'ett-nd Mir \r^ tniitc
dernières années dn sièile a été
l).irticulièrement fa\'ural)Ii' ^au
développement des arts. Elle est, jiar la
force même des chnses, Tabontissement
de tous les effurts LLCcmnulés an cdurs
des précédentes étapes. Mais les e\éne-
ments nou\'eaux dont la natinn tut le
théâtre exercèrent, de leur rote, li-ur
action ' énergique sur la ennscience
générale. Les diverses manifest.itiuns de
la pensée en furent fortement ébranlées
et, après la littérature et l'art drama-
tique, la peinture en rei.nt directement
le \'i( lient contre-coup.
La date de 1S70 est, en effet,
particulièrement solennelle, l'.lle marcpie
l'heure d'un grand déchirement, unis
elle ouvre aussi celle d'une ère niMi\-elle
de liberté démocratique et dej)ni[,'ies
social. La grave leçon qui se degcLgeait
de ces jours critiques jiorta immediatt-
ment ses fruits, l'ne ammatiim uiti um
régna partout, dans tous les nulus dt
l'activité nationale; c'était plus (pi un
réveil, c'était une résurrection.
L'art français s'était n 1( \ t
aussitôt avec une énergie extrême ; les
Salons reprenaient immédiatement leurs
cours et, dès 1873, à l'Expositinn internatinnale de \'ienne. il aflii-in.iit hautement sa \"italité
en prenant la première place entre tous les cDUcurrents. Les m.iitre^ ([ui >'et. lient produits
au cours des générations antérieures et. lient dans toute la maturité triomph.inte de leur
talent; de nouveaux venus surgissaient qui \enaient grossir ce> glorieuses eohortes. De tous
côtés, du milieu traditionnel, comme des groupes indépendants, l'ardeur était égale et \"i\'e.
Dans le développement régulier de l'école, une génération nou\'elle marchait dans les
traces des précédentes avec des artistes de talent souple et dix'ers (|iii touchaient .1 toutes les
Jei.i
Nymplif et lîaccli
de Lyon).
154
La Peinture au XIX^ siècle.
ciirdes de rinspiratinn t-t tiardaicnt, i-n s"effi}rçant dr la icnuiucliT, la traditiiin de la ])ciiitu]C
d'histoire, du nu et du portrait. Les aines étaient Jules Lefelivre et Tony Robert-I<leury.
Né à Tournon (Seine-et-Marne), le lo mars i<S,;(). dans une famille de f^ens modestes,
Jui.es Lefebvre, après a\'oir ccmnnencé ses étndt-s de dessin dans sa \ille natale. \'int à Paris
à l'âge de seize ans. a\'er une recommandation de ré\-êque d'Amiens jiour Paulin duérin,
ipii, de son côté, l'adressa à Léon Cogniet. Celui-ci l'admit dans son atelier. Il xécut pendant
plusieurs années avec une petit<' pension de la \ ille d'.\nncns, eoncnurut cpuitre fois pour
Rome, obtint le second prix en 1S51) et enfin le grand jirix en iSdi. Sun premier Salon date
de 1861. Il envoyait, de Rome, un groupe, Nymphe et Ininliiis. (jui fut exposé au Salon de
iS6() et fut accjuis par l'L'.tat pour le Musée du Luxembourg, où il resta longtemps accroché
avant d'être attribué au Musée de Lyon. Cette charmante composition, dans le goût antique,
et vue à travers les maîtres de la Renaissance, a été reproduite en tapisserie par les Gobelins.
J. Lefebvre, d'ailleurs, se plaçait bientôt à côté des Henner. des Cabanel, des Delaimay, des
r-)audr\-, par ses figures isolées
nu groupées de femmes nues
l't cdutribuait. ]Kir ses études
d'un dessin épuré et d'une
grande distinction, à la con-
servatiiiu de ce genre particu-
lièrement cher à l'école fran-
çaise. '>d l' cniiitc couchée, 1868,
sa ]'énté. 1870, aujourd'hui au
Luxembourg, lui valurent de
grands succès, rappelés par sa
Diane surprise. Psyché, etc.
Comme ses prédéces-
seurs, Jules Lefebvre s'est plu
également à la peinture de ces
tètes d'expression, emprun-
tées soiu'cnt aux t\'pes popu-
laires d'Italie, Pensierosa, la
LiDiDiiara ou Mignon, VOr-
l>lie/nie, vie. Il a surtout excellé
T..NV K..i:n;i.i-i,i I Kv. — Lev .ifini.i . jour, .le Corinih.- fi.igiiR-iit. dans le portrait, genre dans
lequel il a montré au pIus haut
jioint ses qualités de haute élégance et de style. Les iirinciiiaux snnt Miss Laitrance, M . Pclpel,
le Prince Inipérial. la princesse de Carainaii-Chiniay, M'!^' Yronue Lefebvre, sa fille, au Musée
du Luxembourg, etc. Jules Lefelnri' est membre de l'Institut dejniis i8()7 et commandeur de
la Légion d'honneur depuis i8()3.
Tony RonEKT-FLEi'KV est le fils du célèbre ])eintre d'histoire. 11 est né à Paris en
1837, le !'■' se|)tembre. Klève de Delaroche et de Léon Cogniet. il eut naturellement sous les yeux
les exemples de son père, si ce n'est ses conseils et ses leçons, puisqu'il eut la bonne fortune
de le conserver jnscju'à un âge très avancé. Il renonça à concourir ])our Rome, mais s'y
rendit en 1862. St)n ju-emier Salon date de i86b, a\'ec un tableau à la fms historique et tout
d'actualité brûlante, t[ui marquait, chez le fils, cet enthousiasme pour les causes des grands
sacrifiés cjui avait entraîné le père: C'était Wirsovie, le 8 avril 1861, accompagné d'une peinture
d'observation de la \'ie populaire: les ]'ieilles de la place Navone, qui fut acquise pour le Luxem-
Ecole française.
bourg. En 1870 il expos. ut sa grande coinj^isitinn I.is dcniicrs jours de (\ii-ni/lh\ (|m lui \-,ilut
la médaille d'honneur. ( Ct épisode (k' l'histoire antiipie de l,i ( irèee est eniiirunte à un passage
de Tite-Live. Le edusul Mumniius, triomphant, l'utre dan-. la \ille, e\'aeuée et sans défenseurs.
Les femmes et les enfants, qui se prosternent en sui3]iliant, sont \endus comme escla\-es tandis
que la ville est pillée et li\'rée aux Hammes. Tony Robert-Meury continua à s'adonner à la
peinture d'histoire et aussi à la peinture décorati\'e. Dans ces dernières années, son esprit
curieux, éveillé par les i^roductions des milieux
indépendants, clierchii une forme d'art plus libre,
plus dégagée de la \'ision traditionnelle, en même
temps que des sujets [ilus intimes jn'is dans la
réalité contemporaine. L\Ai!xn'ti\ du Musée du
Luxembourg, a été C(in(,ue sous cette nou\'elle
orientation.
Tony Robert-Fleury a été président de
la Société des Artistes français et il est président
de cette si utile association (]u'on appelle \ul-
gairemejit du nom de son fondateur, l'association
Taylor. Il est commandeur de la Légion d'honneur
depuis 1907.
Viennent ensuite, par la date de leur
naissance, Humbert et Benjamm ( onstant. Coi
mon, Maignan et Luc-01i\-ier Merson.
Feri)IN.-\nm> Hi'mheki est né à Paris le
8 octobre 1842. Comme celle de loin' Robert
Fleury, sa carrière présente deux aspects très
marqués, l'ne première période dans hKjuelle
l'artiste s'engage avec intelligence dans la \die
traditionnelle et une deuxième dans laquelle s,i
sensibilité très aigiii', son esprit très délié poussent
son talent \'ers les nou\'eaiités, si iiassionm-meiit
discutées, de la recherche de l'atmiisphère. dr
l'enveloppe et de l'accord des tigures a\-ec li
décor environnant. Il a, de plus, évolue des
sujets d'histoire ou de jieinture rejigii'use \-ers la
peinture décoratn'e, puis \-ers le portrait, génie
dans lequel il s'est rajiproclu'' heureusement di
l'école iinglaise.
11 fut élè\'e de l'icot et de Cabanel.
mais reçut surtout de pré'cieux conseils de hro-
mentin. Il exposa pour la première fois, an Salon
de 1865, avec une l'iiitc de Xcraii et (ihtiiit aux Salniis sni\'.nits une s('rie de succès, athrmés
par des médailles et conlirmés ])ar s.i Mi-ssuiiiidd . hgure orientale, du salDU de i86(). Itn 1874
sa Vierge ct Fcnjaiil Jésus, d'une lielle coloration distinguée, était acquise pour le Luxembinirg.
Appelé à participer à la tlécoration du Panthéon, il sortit des sujets liist(iri(|iies, commandés
par la destinatinn priniiti\'e de l'édihce et di'\-elo]>pa, d.iiis les (putie ji.iniieaiix mis à sa
disposition, ce thème d'ordre philusophifiue: Les quatre cultes de t'Iioiiniie. (jti'il traita dans la
manière décorati\-e de Pu\-is de Cha\-annes, en se sou\-eiiant. lui aussi, très à jiropos de toutes
1' KKhlNAMi lll\ll;l I
156
La Peinture au XIX'^ siècle.
Mli^c- (lu I.u^cnibour:
les tentatives qui a\-aient été faites pour traduire les phéru.imènes de l'atmosphère et de la
lumière. lùitni. il se ré\-élait snus un avatar mnn'eau comme jiortraitiste d'élégances aristo-
cratiques. Le Lu.xembourg pcjssède, dans cet ordre de pemtures, deux portraits de fines
tonalités grises d'une grande distinction. Ferdinand Humbert est membre de l'Institut depuis
1902 et commandeur de la Légion d'honneur depuis igob.
Bien que né à Paris, le 10 juin 1845, Benj.a.mix Coxst.wi (Jean Joseph) appartient
à ce qu'on appelle l'école de Toulouse. Il fut, en eftet. élevé dans cette ville, y apprit les
;\iiiN. — Ç.uii ;Mu-tc .lu Lux
Ecole française.
3 /
éléments de son ;irt à l'Ecole des Beaux-Arts et ayant, en i^hh. (ihtrnu le ])n.\ di- la \'ille. il
vint à Paris où il entra, l'année suivante, dans Tatelier de Ctixinrl. Il appartenait à la
vieille famille languedocienne des Constant de Saligné. apparentée, au .WII'- siècle, avec Jes
Constant de Rebecque. d'où était sorti l'illustre homme d'I'.tat dont H portait le n(im. Il
était allié par son mariage à la famille Arago. a\-ant épousé une des filles d'Emmanuel .Aragn.
sénateur et ambassadeur à Benie.
Son premier Salon date de iS6(). avec un Hnnihi. trè- iniii.iutiMur. Peu apr<'->, il
partait pour l'Espagne, où il
rencontra Fortun\-. qui exerça
sur lui le prestige de sa palette
éclatante et chatoyante; passa
au Maroc et fut conquis par ce
pays. Dès lors, à partir de 1873.
il expose toute une série de scènes
orientales, prétexte à des effet--
dramatiques et au déploiement
d'une virtuosité extraordinaire
de peintre: Entrée de Mahomet à
Constantinople. les Chérijas. au
Musée de Carcassonne. et /<(
Justice du Cher if (.Alusée du
Luxembourg): les derniers Rebelles.
au même Musée (Salon de 1860).
qui sont ses ouvrages les plus
typiques dans ce genre d'orienta-
lisme où semble passer le souffle.
à la fois tragique et magnitîqui-.
de Leconte de Lisle. Le mèmi-
goût fastueux et dramatique ]•■
porta vers l'Orient ancien. a\"e.
Judith, Hérodinde. Jiistiiiieii et
Théodora. Il a été chargé de
grandes décoration^ murales.
notamment à la Sorl)onne: à la
fin de sa vie il s'adonna surtout
au portrait, vovagea en Amérique
et en Angleterre, où il peignit
diverses hautes personnalités:
Lady Hélène \'incent. Lnrd Dut- aldf.ki Mal-nan.
ferin, la reine \'ictoria. Le Luxem-
bourg possède le portrait de si m liL et celui de ^a tante qui smit ]i.irmi les exemplaires
les plus recueillis de cette forme de son talent. Membre de rinstitut en 1S93, médaille
d'honneur en i8()6, commandeur de la Légion d'honneur en kjoo. Benjamin Constant est
mort à Paris le 26 mai 1902.
Matilil.1 (Musée d'Amiens).
Fekxand CtJK.MON. fils de l'auteur dramatique, connu ])ar de nombreux succès, est
né à Paris le 22 décembre 1845. Ses dispositions précoces pour le dessin furent encouragées
par son père qui h- conlia au peintre anversois Portaëls. 11 entra ensuite chez Cabanel et
158
La Peinture au
siècle.
reçut les conseils de Fromentin. Il exjiosa pour ht prenrière fois en 1870, avec une scène des
Noces des Niebelungen et continua, les années sui\'antes, dans cette note d'orientalisme
somptueux et farouche, in\-enté en littérature par Leconte de Lisle et par Flaubert, et à
laquelle a.\-ait sacrifié, nous Tavons vu, Benjamin Constant. C'était Silâ (1873), La mort de
Ravaini (1875). Il obtenait, cette même année, le prix du Salon, de fondation toute récente,
partait pour la Tunisie et en rapportait de nombreuses études. Fn 1880 il obtenait un succès
considérable avec son Caïn, inspiré du poème de Victor Hugo, qui est resté son œuvre la
plus populaire. Il montrait certaines qualités épiques dans cette marche haletante et rapide,
à travers le désert brûlant, du \ieu\ réprouvé, suivi de sa famille harassée, fuyant on ne sait
où toujours, le geste incertain, perdu dans son rêve et dans son remords. Cette vaste compo-
sition fut acquise par l'I^tat et placée au Musée du Luxembourg. Cormon parut, dès lors, se
vouer à ces sujets d'huni.inité primitive. Il t'xposait Le Retour d'une chasse a l'ours (1884) au
Musée de Saint-tiermain ; Les L uiiéraUles d'un Cliej de l'à'^e de fer (1802) et tout un ensemble
de décorations dans cette donnée pour le Muséum d'histoire naturelle. Une grande toile, les
Vainqueurs de Salaniine. qui lui wilut la médaille d'iiouneur en 1887, fut placée au Musée
du Luxembourg et, depuis, a été attribuée au ^lusée de Rouen.
Cormon, qui a beaucoup \'oyagé, lu et vu, s'est aussi \"olontiers tourné vers d'autres
genres. Il a peint des intérieurs, des fleurs, des sujets d'histoire moderne tels que les Grena-
diers de la garde à Lssling, et surtout des portraits, remaniuables par leur tenue sérieuse, sobre
et leur caractère expressif. (Henry Maret. Lehoux, M. Fniile Loubet, ces deux derniers au
Luxembourg). Fernand Cormon est membre de l'Institut depuis iS()8 et officier de la Légion
d'honneur depuis i88q.
A la même génération et au même milieu d'intelligente culture appartiennent Albert
Maigx.an et Luc-Olivier Merson. Le premier, né à Beaumont (Sartlie) le 14 Octobre 1845, est
École française .
i6i
AlMF.-XlcoLAS .\IOKi>r. — Kezonville (.Musée du Luxembourg).
mort à Saint-Pri.x le 29 septembre 1908. Après ses études de drdit. il s'adonna à la peinture et
travailla dans Tatelier de Luminais qui avait, un des premiers, traité ces sujets de Tépoque
mérovingienne, mis à la mode par les récits d'Augustin Thierrv. Son premier Salon remonte
à 1867. Il débuta par des paysages, des intérieurs, puis, après un voyage en Espagne, revint
avec le goût de la couleur, suivit son maître et sembla se rapprocher de Jean-Paul Laurens,
par le choix de ses sujets historiques et dramatii|ues: Frédéric Barhcroussc aux pieds du
pape (1876), L'Attentat d'Aiiagiii (1877). Lnuis IX cunsolc uu lépreux (1S78). Derniers moments
K.Al'H.^tL Cm. LIN.
i'ioreai (.Musée du l.uxembo
102
La Peinture au XIX*^ siècle.
de Chlodobcrt (iS8o); Dante yenemitra Matihia (iS8i), aujuurcriiui ;iu Musée d'Amiens après
a\'oir fit^uré au Luxembourt;.
lisprit lettré, curieux et uu\-ert, ^laignan a touché aux sujets les plus variés. Il s'est
plu, entre autres, à des formes d'allégories renouvelées comme les l'o/.v (/;( Tiicsiii (Salon de
1888. au ;\Iusée d'Amiens), L\lhs!)il/ie, la Fortune qui passe, et surtmit Curf^eniix. qui lui \"alut
Il médaille d'honneur en i8q2 et est exposé an ^lusée du Luxembourg. Maignan était officier
de la Légion d'honneur depuis 1895.
Lrc-Oi,i\ii:K Mkksox est
né à Paris le 21 mai 1846. Il est
le fils d'01i\'ifr Merson, cjui a laissé
un nom t-stimé cumme critique d'art.
11 était donc déjà à bonne école et
tr(]U\-a aussitôt tous les encourage-
ments que réclamait sa vocation.
Elè\'e de Chassevent et de
rUs. il remporta le grand prix de
Knme en 1869. En Italie, il s'attacha
a\'ec une prédilection marquée aux
ii'u\-res de ceux qu'un appelait
encore les priiuitijs: Masaccio et
ira Angelicii, (îhirlandaio et Botti-
eelli. On comprend qu'il fût frappé
pj.r la légende de Saint-François
d'Assise, qui a inspiré tant d'artistes.
l'"lle Cl in\-enait au naturalisme délicat
d'un ]ieintre. dont le talent s'éveillait
.lu nulieu de toutes les discussions
sur le naturalisme nouveau qui
;dlait re\'ivifier l'école. Le loup
d' A'j^iihhio, du Salon de 1878, reprise
d'ime jietite esquisse envoyée de
Rome, \alut à l'auteur un premier
succès. Il lut accru, l'année suivante,
]}ar un autre charmant sujet reli-
gieux qui dex'int \'ite populaire. Le
Repos en Egypte et. en 1880, il
re\-enait à son sujet de prédilection,
a\'ec im Saint François préchant
aux poissons, (eu\'re d'un art à la
lois archaïsant et précieux, imprévu
et subtil, traitée avec le sentiment
lé \-raiment par son sujet. Olivier Merson a peint nombre
i\-ec la même sensibilité naturaliste et poétique les légendes
Gaiskiel Ferrikr.
Le Ciéiieial Aûilié (Musée du Luxembourg)
de pure émotion d'un artiste tou'
d'autres petites toiles oià il traduit
religieuses. .Mais il s'est surtout donné à la décoration et a exécuté des travaux importants
à la Cour de Cassation, à l'Hôtel de Ville, à l'Opéra-Comique, au château de Chantilly. Il a
composé beaucoup de cartons de vitraux et nombre d'illustrations. Luc-Olivier ^lerson est
membre de l'Institut depuis i8()2 et officier de la Légion d'honneur depuis igoo.
École française.
i^\S
Un peu plus jcuni' est Detaii.lk (Iùmjiakd, Jean-P.aptisti;) (|ui est né à Paris le
5 iictobre 1S48. C'est le peintre populaire de Farmée fiançaise. Il manifesta de bonne heure
des goûts ]iour la peinture et notamment jiour la peinture militaire. Cette x'ocation ne firt
pas contrariée par s.i famille, mais on lui fit d'abord ache\-er ses études. Bachelier à di.x-sept
ans, il fut conduit c\w/, .Meissonier, qui se l'attacha comme élè\-e et aussi comme ami.
Jusqu'en 1870, il le suit pour ainsi dire pas à jxis dans ses sujets militaires et dans ses scènes
de genre, choisies de préférence à l'époque du Directoire, Conmie il re\-enait d'un voyage en
Espagne et en Algérie, la guerre éclate; il s'engage comme simple soldat dans les mobiles et
assiste à toute la lutte liéroïque autour de Paris, Son talent en fut forti-nient impressionné'
et, dès lors, a\'ec S(.in ami Alphonse
DH Neiviei.e (1836- 1S85), qui fut
pour lui comme mi frère intellectuel
et moral, ils relèvent les cœurs des
vamcus d'hier par toutes ces toiles
vibrantes de ]Xitriotisme et vi\'antes
de réalité \'écue. Le pdiiuyania de
Champigny, dont l'épisode princijial
est conservé au JMusée de Versailles,
unit dans une étroite collaboration
le talent des deux anris. De ce jour
Détaille agrandit sa manière et dé\'e-
loppe au format de la nature ses
nouvelles compositions, telles que la
Reddition de Huiiiiigiie et Le Kéve du
Musée du Luxemlxinrg. ( ette der-
nière toile est comme le couronne-
ment de toutes ses études sur l'armée
française moderne, le petit troupier
qu'il a si bien connu. Elle a valu, au
Salon de 18S8, la médaille d'honneur
à son auteur. Détaille a peint de;,
décorations pour l'Hôtel de \'ille. le
Panthéon et fait (pielques portrait-
militaires entre autres celui du ])rince
de Galles à cheval (di-pnis l^dmiard
VII). Il est membre de l'Institut
(1892) et commandeur de la Légion
d'hi.inneur (1897).
Aimé ^lorot et Ra})haëlCollin
sont si proches contemporains ([u'ils se sui\'ent dans la \'ie à un jour seulement de distance.
Aimé-Nicolas Morot est né le i() juin 1S50, à N.mcy, où son père exerçait la profession de
tapissier. Ses goûts pour le dessin se manifestèrent à l'école de sa \'ille nat.ile. qui l'envoya
comme pensionnaire à Paris. Il entra à l'atelier de Cabanel et remporta le grand prix en 1873.
Cette date est également celle de son ]:)remier Salon. Ses succès furent rapides, car il enlevait
progressivement toutes ses médailles, y compris la médaille d'honneur en 1880. pour son Bon
Samaritain. Il s'est distingué dans les di\ers genres de l'histoire, de la décoration, du portrait
{le prince d\irenberg, Gérônte. H. Hébert, celui-ci au Musée du Lu.xeml_)ourg), et il s'est créé, à
son tour, une place comme ])eintre militaire, avec les^toiles pleines d'énergie et de mouvement,
l'ALL llArpKY.
Lnine t^nlant (.Mu
<iu Luxembourg).
1 64
La Peinture au XI X*^ siècle.
de Kcischofjoi, au Musée de \'er>,iilles, de Rcziiuvillc. 16 udût 1870. au Musée du Luxembourg.
Ce tableau représente la charge célèbre. Au ]>n-iuier plan, un groupe de quatre ou cinq
cuirassiers prussiens fuient à gauche, en se retournant contre quelques cuirassiers français
mêlés dans leurs rangs. .\u fond, à droite, le légiment français charge par un mouvement
tournant, dans im élan furieux, ("e talileau a hgiué au Salon de 1886.
Aimé Morot a fait aussi de la sculptun- (.-t il rxétute à cette heure le monument de son
beau-père, Gérôme. Il est membre de l'Institut (181)8) et ollicier de la Légion d'honneur (igoo).
R.\i>n.\i-:i. ('(iLLi.x e^t donc ne le 17 juin 1^30. à P.iris. Il \- fit d'abord ses études au
L_ycée Saint-Louis, puis les continua à \'erdun. où il se rencontra a\'ec Bastien Lepage. Il se
décida, comme son cmiarailr, pinir l,i |>einture et. re\<'nu à Paris, il entra dans l'atelier de
lîougiiereau, ]>uis dans celui de Cabanel,
où il se retrou \'a a\'ec son ami et avec
.Moiot, Cormon et Benjamin Constant.
Son jin'iniii" Salon date de 1873; il y ob-
tenait d'i-mblée une deuxième médaille,
a\'ec 11' SiinDucil (Musée de Rouen), qui
marquait son sentiment délicat des
formes nues. 11 l'affirma par mainte
autre toile: uiu' Idylle (1875): Daphnis
et Chloé (1877); une autre Idylle (1882):
I-té t-t enfin l-lvréal. acquis par l'Etat
au Salon de 1886 et placé au Luxem-
bourg. C'est une des plus charmantes
études de nu en plein air de l'école
actuelle, l'ne jeune femme nue est
eteiidur sur le gazon printanier, mor-
dilhint un lirin d'herbe, les yeux légère-
ment \iiiles jiar la griserie de l'air et de
la hunière qui se répand sur son corps
laiteu.x. Raphaël Collin est officier de
l.i Légion d'honneur depuis 1899. Il est
le dernier élu (iqoq) des membres de
l'Institut.
Son prédécesseur immédiat dans
cette illustre compagnie est Gabriel
Fekrier, élu en ic)o6, (jui est né à Nimes le 29 septembre 1847. II fit sa première éducation
artistique dans cette \ille. \int à Paris, sui\'it les leçons 'de Lecoq de Boisbaudran, puis
fut élè\-e de Pils et de Hébert. Il olnint li- grand prix de Rome en 1872 et fut médaillé à
son premier en\'oi au Salon: Ditvul etiniqiieur de (icluilh (187b). au Musée de Nimes. Il
obtint un nouwau succès a\"ec sa Suinte Agnès niarivrc (1878) iMusée de Rouen. Il a exécuté,
avec des tableaux d'histoire, nombre de décorations, telle La Glorification (/es -4 ris, à l'Ambas-
sade de France, à Berlin, et enle\a la médaille d'honneur en 1903 avec sa Piéta et surtout
avec le \'igoureux portrait de belle tenue du Général André, alors ministre de la guerre,
(Musée du Luxt'mbourg). (.abriel Ferrier est officier de la Légion d'honneur depuis 1903.
r.\LL i;.\ei)Rv.
(,)uali-t h.
du jour ( rragmt_-nt).
Le plus jeune, comme âge, des peintres membres de l'Institut, est Fr.-wçois Flameng,
hcole française.
i6.-
fils du célèbre graveur Léopold Flameng. né à Pans le 6 décembre 1856. 11 est élève de
Cabanel et de Jean-Paul Laurens. Son premier Salon date de 1873. En iSjq il remportait.
avec tme deuxième médaille, le grand prix du Salon.
Il a peint des sujets historiques et s"est plu particulièrement à Fépoque de la
Révolution, comme en témoigne sa Bataille à'Eylaii, du Musée du Luxembourg. Il s'est li\Té
aussi au genre et, en dernier lieu, a obtenu en France et en .\ngleterre de grands succès
avec des portraits, conçus sous l'inspiration des
maîtres anglais du X\'III« siècle, notamment
de Gainsborough. Officier de la Légion d'honneur
en 1896, François Flameng est membre dr
rinstitut depuis 1905.
A côté du processus régulier de l'écoli
dans la voie traditionnelle, deux faits principaux
dominent la production artistique de cette der-
nière période; i^ dans l'inspiration d'ordrr
Imaginatif, le grand mouvement de la peinturr
monumentale: 2^ dans l'inspiration, basée sur
Tobsen'ation, le développement exceptionnel d<
la peinture de paysage, son action prépondérante
et ses conséquences sur la pemture de figures ,1
l'extérieur.
Depuis les grandes décorations de Dela-
croix, de Chassériau et d'Hippolyte Flandrin.
la peinture mommaentale n'avait plus guèn
brillé d'im pareil éclat. Le gouvernement du
second empire tenta bien quelques efforts en
\Tie d'encourager cette manifestation de l'art.
qui est bien la plus haute, mais il était impuis-
sant à faire naître des chefs-d"œu\"re du milieu
académique auquel il accordait ses préférences.
Toutefois ce renouveau se prépare dès la fin dr
la période précédente, avec deux maîtres qui
occuperont, dans la période actuelle, ime place
tout à fait à part. Ce sont Paul Baudry et
Puvis de Chavannes.
P.\UL B.AUDRY est né à La Roche-sur- Yon
le 7 novembre 1828 et il est mort à Paris le
17 janvier 1886. Il était fils d'un himible sabotier
qui élevait courageusement les six enfants qui
lui restaient des treize qu'il a\-ait eus. Sa famille
rêvait pour lui la profession de violoniste et, en
effet, le jeune Baudrv apprit le violon, gagnant, dès l'âge de treize ans, sa vie a\'ec son
instrument. Mais le goût du dessin était \-enu et l'emporta sur la musique. Baudry, encouragé
par le professeur de dessin du Lvcée. obtint de ses parents de se livrer à sa vocation. Après ses
premières études à la Roche-sur- Yon. il \-int à Paris en 1844, avec une pension municipale,
entra à l'école des Beaux-Arts, dans l'atelier de Drôlling, obtint le second prix de Rome
en 1847 et le grand prix en 1S50. en même temps que Bouguereau.
L.^inent ,r Çic.
Pacl B.wdry. — Urani'
i66
La Peinture au XIX*^ siècle.
H;iudr\' trouva en Italie les maitres qui de\-aifnt diriger l'inspiration de toute sa vie.
Il s'attacha d'abord aux primitifs, puis se tourna wrs Raphaël, Corrège et surtout vers les
^'énitiens. Le beau, calme et séduisant tableau du Musée du Luxembourg, La Fortune et le
jeune entant, du Salon de 1857. affirme cette parenté, qu'il ne cherche pas à déguiser, avec
Titien. On v retrou\'e, dans la chaleur ambrée des carnations, dans ces beaux accords de
rouges et de bleus profonds, dans la composition et les attitudes, le souvenir vivant de la
célèbre toile du palais Borghèse, connue sous le nom de rAniour saeré et l'Ainour profane.
A jiartir de 1865 malgré les succès répétés de ses envois, il cessa d'exposer, afin de
se consacrer entièrement à l'œuvre colossale qui lui était échue et qui semblait devoir remplir
sa \'ie : la décoration du foyer
de l'Opéra, reconstruit par
Ch. (Tarnier. Il y travailla
dou/e ans. Pour s'y préparer
il \()\'agea successivement à
Rome, en 1864, en Angleterre
et en Espagne en 1868, à
W-nise en 1870, d'où il revient
brusquement, à la déclaration
de guerre, pour s'engager dans
les compagnies de marche. Il
retourne ensuite à Rome,
hanté, cette fois, par Michel-
.Ange, qu'il étudie et qu'il
copie passionnément. Enfin
prêt, il Se met à l'ieuvre et,
en 1874, on put \-oir, exposé
à l'Ecole des Beaux- Arts, cet
ensemble vaste et magnifique,
de trente-trois peintures, con-
sacrées à exprimer le triomphe
de la musique et surtout de
la musique de théâtre. Cette
exposition fut un événement
capital fiour la gloire de notre
école et l'honneur de notre
pays, au lendemain de ses
désastres. C'est que, si le
souxenir des grands italiens
de la Renaissance lawiit guidé et soutenu, Baudr\' n'en a\"ait pas moins, avec une haute
indépendance, créé im art tout-à-fait sien et tout-à-fait moderne, art d'une souveraine
élégance, d'une grâce à la fois fière et piquante, qui renouvelait l'allégorie par je ne sais quel
beau rythme ardent, plein de mouvement et de vie. Baudry, qui fut chargé ultérieurement
des décorations à la Cour de Cassation, au Château de chantilly, s'était essayé, au moment de
se mettre à l'œuvre pour l'Opéra, dans les décorations des Quatre heures du jour, pour l'hôtel
d'une .célèbre personnalité demi-mondaine, mariée au Comte Henckel de Donnersmarck, connue
sous le nom de la Païva, avenue des Champs-Elysées.
Intelligence libre, curieuse et inquiète, Baudry n'était pas seulement sensible aux
ceuvres des maîtres, il était ou\-ert à toutes les nouveautés qui se produisaient autour de lui.
P.-C. PlVIS IIE Chavannes
L'Été (fragment).
Ecole trancaise.
169
Aussi, sur la lin de sa carrière, sa manière s'était-elle mudiliéc dans le sen?. de la clarté. La
Vérité, du Luxembourg, est un des plus charmants exemples de cet asi^ect frais et argentin
de son talent. Il a exécuté aussi nombre de portraits. Elu membre de Tlnstitut sans s'être
présenté, en 1870, il fut fait commandeur de la Légion d'honmair en 1875.
Près de Baudry. il e^t un a.utre artiste qui, bien qui- \i\-ant à l'écart des expositions,
exerça une certaine influence sur le mouvement décoratif, par ses qualités de forte culture,
d'esprit méthodique et de goût, c'est \'i( tôk (i.\ll.\X[> (né ,\ ('u-néxe de parents français en
1822, mort à Paris en i8()2) dont le Luxembourg possède iini- .limable petite composition:
Le jour des Cuivres, mais qui fut surtnut chargé de décoratinn> importantes pour l'Hôtel de
Ville, le Panthéon. l'Hôtel
Continental, l'hôtel de M. \'an ^ "^~ '^ :
der Bilt, à New- York, le^ '
Gobelins et divers hôtels ; ..,,,-
privés.
l'.-C. Prvis DE Ch.av.\nxes. — Le P.iuvre Pêchi
Mais celui dont l'anuie
monumentale domine entiéri--
ment notre époque est Pu\i>
de Chavannes, Xé li- 14
décembre 1824, à Lyon, nù
son père était ingénieur c-n
chef des mines, Pierre-CÉ( ILE
Puvis DE Chavannes était
bourguignon d'origine et de
tempérament. Après ses
études terminées au lycei-
Henri IV, il sembla hésiter
entre l'Ecole Polvtechnique
et le droit, mais, à la suite
d'un voyage en Italie, il résolut
d'être peintre. Il étudia a\"ec
Henry Scheffer et Couture, toutefois >a directiini ,irti>tiqur lui \int d'un second V(jyage en
Italie, en 1848. Il s'inspira d'abord des maîtres du X\'L --lècli-. fii particulier des \'énitiens
et aussi des décorateurs de l'école de Fontainebleau, subit, en même temps, les mlluence>
opposées d'Ingres et de Delacroix et, surtout, celle de son ami Chassériau qui le> a\-ait
confondues; il remonta ensuite vers les premiers florentins iiui. .i\ec les antiques, eurent plus
tard, une action décisive sur son inspiration.
Il avait débuté en 1850. fut refusé aux salons suivants et repanit ïeulemeiit en 183g.
avec le Retour de chasse, encore incertain, du Musée de Marseille. C'est en 1861 seulement
qu'il s'affirma, et pour ainsi dire du premier coup, par une (eu\re qui est restée une de
ses plus séduisantes créations, fut accueillie avec enthousiasme t-t ser\-it même, près de ses
détracteurs, à discréditer ses œu\"res ultérieures, plus indépendantes. C'est le premier groupe
du magnifique ensemble décoratif du Musée d'Amiens, comprenant six grandes compositions,
accompagnées de quatre figures monumentales et de décors accessoires en camaïeu, qui occupe
une place exceptionnelle dans sa carrière. La Paix et la Guerre avaient été conçues sans but
déterminé. L'architecte Diet, qui construisait le Musée d'Amiens, comprit le parti admirable
qu'il en pouvait tirer et. avec le concours de l'Etat, mais -urtout grâce au désintéressement
I70
La Peinture au XIX' siècle.
di_' r.irtistc. assni.i leur san\rg;irdo. Kicn n'est plus (■X(iuis (pu' cotte f^rdiuk' xision élyséenne
de ];i /'i(/v. lielle eiiiiime un réxc aiitiiiue et (]iii e\ii(iiie les n(inis de \'irt,'ile et de l'ciussin,
ces deux noms (pu hantaient de).! l'i spiit de son initiatiur. eiiasséiiau.
En delidis de ce \-aste enseniiile d'Amiens, aucpiel il tia.\ailla encun- a tmis reprises,
avec le Travail et le Repos (1863): .la,- l'uardia niilnx (1^(15) l.udiis pro pa/na (i.S,S2). Puvis
a exécute des décnratnms célèbres à Marsedle (1870), à Poitiers (1874 — 75). au Panthéon:
L\'iilaiuc de Stiiiitc-ùciicvicvc {1878 et i87()) et sa dernière (eu\re. le Raritaillcincnt de Paris
(1897-1898); au Musée de Lyon, à la Sorbonne (1887). au :\lusee de Rouen ( i8()()-i8c)i) ; à
l'Hôtel de X'Ule de Paris (i8()3) et pour le palais de la l^ibliothècpie de lîoston {i8()3). Lorsqu'en
187(1 ai))>anit le ])remier panneau
de r II n faille' de Sainte (Geneviève,
Siiiiile-deiu-eiève en prière, ce fut
une \-éritable surj>rise dans la
critiipie et le jniblic qui, depuis
le succès de La Paix, gardaient
rancune à l'artiste et ne compre-
naient pas son é\'oliition. On fut
séduit jiar ce charme de jeunesse,
de traicheur. de sincérité, d'émo-
tion contenue, par cet accord si
heureux et si inaccoutumé des
figures et du paysage. Dès ce jour
sa réputation s'établit et son
iniluence s'e.xerça sur le mou\'e-
meiit de ])einture murale, cpii se
]iroduisait à un moment où tous
nos édifices, relevés des ruines de
l'incendie, ou construits pour les
besoins nou\"eaux de la démo-
cratie, oftraient aux décorateurs
tant de murailles vierges. Ce
charme de re\'e et de réalité si
heureusenient confondues, de
\-érité et de beauté, de convention
et de \'raisemblance, parut encore
plus pénétrant dans ces compo-
sitions d'ordre tout à fait général,
comme l'IIreer et l'Été, de l'Hôtel
de \'ille, a\ec ses belles femmes
(pu s'ébattent ,iu bord du tleuve: le Unis sacré, cher aux M uses : ]'isi(in anliijne. la Surbonne, ou
les .l///,sc.s nispiratriees ijiti aeelanieut le Messa'^er de lumière, de P>oston. .Mais toute l'acuité
de sa. ]iensee, de cette plulosophie sérieuse et melancoli(|Ui-. où la grâce se mêle à l'austérité,
est peut-être eucoie plus sensible clans ses toiles de clie\-alet, longtemps discutées, même après
ses succès. Tel est le Pauvre Peelieiir. du Musée du Luxembourg: il dit. dans sa parabole
aisément déchifirable. par son dessin un i)eu fruste, son \\\nv pa\-sage. ses accords si savants
et si subtils, la poésie navrée de la \ie (|ui se consume sans résultats, tandis que l'enfance, au
milieu des dunes stériles, trouve le moyen île cueillir les iiauvies fleurs rares de l'Espérance.
Puvis de Clia,vannes est mort à Paris le 24 octobre l8()8.
iKANClUKl.hs r..\/,|.N.
L-1 I-mael (Musc-
Il \N-('ii AKIKS Cazin. — Souvenir île Fête (Appartient à la Ville de Paris).
École trancaise.
/ 0
Le pays.ige juin- un nilr li,irin(mi(iuc inipdrtunt d.in^ l'uuxic de l'in'is dt- Cli,i\-,inncs,
il est un des grands éléments de rharnie et de persiuisidii. Il .itlinm- le caractère mural
de ses compositions. Elles M'inlilcnt appeler nécessairement le décnr (|iii les entnnre, les
complète et en quelque sorte les explicjue. Chez Ji:ax-Ciiakli;s Ca/ix. li- iiliénomène e>t
opposé. Cazin est essentiellement paysagiste. Mais, à de certams niuni<'nt>. la n.iture prend
pour lui une ame. qui semble se résumer et se concentrer en (iUfl(]Uf tigurf (ju iiufli|uc scène.
exprimant, sous la forme humaine. Timpression de Theure et di.-s lieux. ( 'i-^t ainsi ijue. dans
cette lande désolée, au milieu des ajoncs et des genévriers, notre imagination, comme la sienne,
place inévitablement ce petit groupe émoux-ant de la mère chassée. a\-er >on jeune lil>, dM^iï^
EliolWRl) Manki.
Le Oéjeuiier sur Therbe (Collection Moieau).
et Ismaël. Ce tableau, cjui a])}>artient <ui Musée du Luxembourg, lut i/xposé au Salon de i8So.
Cazin était alors dans tout son succès, assez récent d'ailleurs, car il ne s'était manifesté bien
nettement qu'en 1876. 11 avait alors 39 ans, étant né le 29 mai 1841 à S.imer (Pas-de-Cahds).
Ses débuts, sans être agités, furent cependant mouvementés. l'^ils d'un médecin du pay-.. il
fît toutes ses classes soit à Boulogne soit, en partie, en Angleterre, obtint de \enir étudier la
peinture à Paris et fut l'élève de prédilection de Lecoq de Boisbaudran, à la ..Petite Kcole'"
de dessin. Il professa lui-même, un instant, à l'école d'architecture fondée par Trélat. })uis à
Tours, où il fut directeur de l'Ecole et C(.inser\-ateur du ^lusée: c'était au moment de la guerre.
Il sauva le fammix Mantegna. Parti pour l'Angleterre, avec sa femme. M'""-' Marie Cazin, et
son jeune fils Michel ciui. plus t.ird. continueront ses traditions et son leiu're, il se li\'ra, à ce
174
La Peinture au XIX^' siècle.
moniL-nt. à son giu'it pour la
céramique et fut un des précur-
seurs les plus distingués de la
renaissance moderne des Arts
du feu. Revenu en France, ses
premiers tableaux surprirent
]iar leur mélange de nature et
de poésie, de paysage et de
légende, leur originalité de mise
en toile et la transposition,
avec des éléments modernes
de costume, des scènes de la
Bible et de rM\-angile. Mais
on ne put résiste'r longtemps à
ce charme insinuant, à la ten-
dresse émue de ces accords, à
ce mélange de gra\'ité et de
>u,i\'ite.
Le SoKVLilir ilc /-Wt', ([ui appartient à la \'ille de Paris, est un essai de décoration.
Car Cazin se sentait l'amr d'un décorateur et. dès son .irri\-ée à Paris, il avait voulu trav'ailler
a\'ec Pux'is de Chavannes. ( 'ot une sorte d'allégorie républicaine, au lendemain de l'institution
de la fête nationale du 14 juillet, des rêves et des espoirs nés de l'union du Courage, de la
Science et du Tra\'ail. ]Hiur étalilir le règne de la Concorde. Mais, clans l'allégorie comme
dans la légende, tout le cliarnu- di' Ca/in provient non de rébus et d'emblèmes, mais toujours
de la, poésie ([ui émani- de la réalité elle-même. Cette toile avait été exposée en 1881.
Ca/in lut un de> fondateurs de la Société Nationale des Beaux-Arts; il avait été
promu commandeur de i.i Légion d'honneur en igoo. 11 est mort au La\-andou le 17 mars 1901.
(Musée du Louvre).
,\ la date de l.Sjo, ce
(lu'on apj^elle la yieinture de
pavsage a\ait {ii"i> une impor-
tance clu'.que jour accrue,
(hielques-uns des maitres anté-
rieurs \'i\Mient encore. entouré>
d'une auréole de gloire. Leur
exemple :i\'ait fait naître un
pullulement de \'ocations. 11
n'est plus jiossible ici ciue de
citer des noms, tant le talent
est répandu communément
dans cette \'aill.inte ainiéi',
toujours à l'ax'.'nt de l'art.
Ii)utes les ac<]uisitioii> du
romantisme, du natur.ilisnie
et du réalisme, mêlées et C(in-
fondues. donnaient à l'école
une richesse et une \-ariété
extrême. De tous Ces effort'.
ElHiiAKl) -Manki. — L:i Serre (Musée île llerlin).
Lcole trancaise.
17
m
multii)le> ft pas^ioiiiit^ ])(piu >ui pniulrc les st-crcts et les lois dr l.i ii;itnrc devait sortir une
formule iKUU'elle, plus subtile, ])lus .lij^nir-. |ilu> p(''ni''tiaute encore, ([ui allait caractériser la
fin du siècle: C'est rimpi-c-\si(iiinisiiu\
L'histoire de rimpri'^sionni->ui<- a été faite de liien de-, la(;nns. Suivant le> points de
vile où l'on s'est iilace. on \- ,1 apporté des passions contraire^. Il n'en poin-ait ,!:;uère être
autrement, en pleine fumée tlu combat. Kien n'est plus simple à démêler, pourtant (pu' >es
origines. Les Impressionnistes, comme les Komanti(pie> et les Réalistes, lurent, au début.
des artistes indépendants c]ui se ,i;roupèrent soit par s\-m]iatlues ])ersonnelles. camar.ideries
d'atelier, affinités de goûts, soit ]iar besoin de protister contre lc> >e\-érités di> iur\'s ou contre
les tendances générales d'un enseignement con\eiitionnel et deinimant. ('es fondateurs de
l'impressionnisme étaient pirs([ui- tous déjà dans le camj) ré.iliste. Xous les \-ovons figurer
dans les tableaux de Fantiu, autour de Delacroix ou à céité de Zola, et celui-ci les (pialitie
expressément de ;'âï/(s/f's.dans
son Salon de 1866. Ce sont
d'abord, Manet. Claude Monet
et Renoir, dont les origines
marc]uent nettenn'nt l'in-
fluence première de Courbet ;
de même Pissarro ou Cézanne,
les paysagistes qui se join-
dront à eux. ainsi que Sislew
camarade d'atelier de Renoir;
puis Bazille, tué pendant la
guerrede 1870: ensuite Degas,
sorti d'un tout autre iniln'U
et revenu depuis peu d'Italie.
Fantin, alors, faisait comme
on l'a \'u, cause commune awc
eux. Enfin des transfuges di'
tous les camps, plus ou moins
réguliers, tels que Ijoudin.
Lépine, Bracquemond. Liou-
lard. Cals. Ciusta\-e Colin.
Guillaumin, Desboutin. l'ita-
lien de Nittis. On y eut même
tn aivé des hommes plus j euiK s
tels que Raffaëlli. Lebourg. ou meiiH' l'orain et La Touche. < )n \' \'it aussi la belle-sieur
de Manet. cette ex(]uise artiste (pie fut M""^' Herthe Mori/ot, l'.imericaine .Miss C.issatt et
celui qui ser\'it si utili-meiit leur cause i.'U constituant uin- salle spi-cude au Luxembourg:
Gustave Caillebotte.
El»; \K-IIiL,.\iRK-( ■.i:km.\
I)|..
l,f. Illanclii
Au début, awuit les expositions combati\'es, organisées en manière de protestation
chez Nadar et chez Durand-Ruel. on se réunissait au café Guerbois. boule\'ard des Hatignolles.
La personnalité qui dominait à ce moment était celle de Manet. bjioiWRD M.\net. en effet,
avait déjà un passé. 11 était né à Paris le 23 jam'ier 1832, cLuis une famille bourgeoise,
d'aisance cossue. Le père était m.igistrat et le jeune Edouard était \"oué au barreau : après
quelque résistance de la part de sa famille, il finit par obtenir de suiMe sa vocation et entra
dans l'atelier de Couture. 11 n'\- fit pas grand profit, se mit à \-oyager et fut attiré par
I 76
La Peinture au XIX' siècle.
Rfinhrandt. I<'raiiz IIilIs, Titien et X'élasquc/. 1rs lucnirs m, titres (|iu ,i\-,iiciit ])cissi(iiini'- ses
amis l'^antiu et W'histler. Les l''.spaf,'n(ils reinpm tèieiit ])iès de lui et il mminença par peindre
et i>ar exposer des sujets d"Ms]ia,L;ne. ("est une jneiiiière manière très déterminée dans son
(en\'re. Ajirès quelques \'icissitudes dans les Salnns. dti il ne cessa de se présenter et de lutter
[)uur obtenir ses titres oiliciels. Manet exjHisa. eu iM')-;, le Déjeniicy sur l'herbe ou, jîlus
ex.u'tement. du titre <ju"il lui a\ait donne alors: le lUini. (diuiue il jioiuait sV attendre, il
lut exclu et sa toile alla grossir le
sc.uid.ile de l'exposition des Refusés.
I^lle \- lit sensation, on se doute dans
(|uel sens. I^lle l'st pourtant à cette
heure au Loiurt'. t;race au don généreu.x
de M. .Moieau-N'(T.iton. Manet y repre-
nait, sunant une de ses coutumes
iaxdntes, le sujet d'uu rtaître d'autre-
fois, eu l'espèce le Coiiccrt champêtre
de (iioi>;ion<-, ([u'il adaptait à notre
temps, ("était une jeune femme, sortie
de l'eau et assise j^rès de deux jeunes
f^ens, — l'un, celui de gauche était
.\rmand (lou/ieii. cntic-iue et inspecteiu'
des l!eaux-.\rts, - c]iii causent,
deiui-couclies sur l'herbe, en attendant
de hure 1,1 collation, tandis qu'une
,iutre ]eiiiie feiuiue est en train de
se rh.ibiller. Cette association du nu
et du 1 ostume moderne n'était pas
iiomelle; Courbet ra\ait tentée déjà,
nous i'axdns \u. I'".iiitin lui aussi en
,i\-alt ('tè' olisede.
1 )eux .LUS |ilus tard, en 1865,
?\lanet .itteif^nit au [laroxysme du
scand.ile ,i\ec un t.ibleau de nu dans
lequel il ellolKait fr.mcllc mCUt SOU
e\()lutioii de peinture uoiu'elle par
larges échantillonnages localisés et par
..modelés dans le clair". C'était, au
fond, la \'ieille formule d'Ingres, mais
rajeunie jxir un jicintre ayant le senti-
ment de la matière et des harmonies.
Cette Olympia, qui fit tant couler
d'encre, fut offert^' en i8qo par un
Comité d'admir.iteurs du maître, non
sans biuit d'ailleurs, aux Musées X.itionaux (|ui s'i.'m]ii essèreiit . quoi ipi'ou en ait dit, de
l'agréer et de la )>lacer au l.uxtmhourg. I)epuis un an, elle est .iccrochee au L(.)U\'re, où elle
fait excellente tii^ure an milieu lies cliefs-d'( euNie de l'art moderne.
La Serre a})partient .lu Musée de Berlin. C'est un des morceaux de la manière
ultérieure de Manet. Il a été exjiosé en 187(1. Manet est tout-à-fait dans sa période de ,, plein
air". La mort de Millet et de Corot l'U iNjs. puis celle de Courbet en 1877, avaient donné un
Kl"...\k lin .\IKK.(a-.R.M,\L\ il
l'enimt à su tcdlelle.
hculc trancaisc
177
nouvel élun ,m nimu (■nient i),i\>,Lf;islc en ])<Tnictt,in( de idiiMilérrr ,1 Irnr monir rcs trois
grands noms et ces trois j^'imiuIo nu\ics fxrrptioniicllc-,. M, met a\;iit «'■te un de-, picniirrs
à se préoccuper de re\-enir sur ces délie, i.ts prolilrinrs de l,i limurri' rt di- l'einrloppr, (]«i
tourmentaient tant d'artistes. Il les résolut u\ee une tr.uelieur ran; de jtalette, ramena la
vision obscurcie de ses contc'ini)oraiiis \i'rs I.l clarté et la légèreté et exerça de ce chef une
influence considérable sur toute la suite de re\-olution moderne.
Les deux ])ersiiiiiiages re]irésentes sont 'SI""- duillemet, It'mnie du peintre paysagiste,
qui ligure, lui, dans le JUiIcoii, au Luxembinirg, et le frère même de Maiiet. Manet est moit
Rk.noir (Ai
Ma.l.unr CharinTili^
.■nfaiiis (Mii^e.- Mélmiiolitain de Kew-Vurk).
le 30 avril l88j. Il a\'ait obtenu, peu aiipa,ra\'.uil , en iN.Si, une deiiMeine médaille et mi
1882 la croix de la Légion d'honneur.
S'il ne créa pas, au sens propre du mot, une lormule uiiKiue, c'est-à-dire si l'imiiression-
nisme ne correspond pas \'raiment à ce ([n'ini appelle une (h» trme. (c i^roii peinent ne manqua
pas de produire chez ses adhérents ime certaine unité' d'orientation. Ces .nlhereiits pro\-enaient
en majorité du milieu réaliste; ils continuèrent à ]>niser leurs in-,pii.itinii-, dans les réalités
vivantes. Elles étaient, d'ailleurs, à cette date, puissamment exaltées par la liltératiu'e et le
théâtre, notamment par les principaux romans du t^r.uid c\'cle e]>i(|ue et poi)ulaire de Zola.
Le succès et le scandale de rAssdniiiidiy (1878) et de Xtiiin (1880), multipliés par la scène.
i/S
La Peinture au XIX' siècle.
i-'urent, rntif .intics. iiiic mtlucnce très activL- sur Ir militu aiti>ticiuc. Si Xaiia est peinte
]);ir Manet, !' Assiiiiuiinir nlfre les sujets de ses H/ivichis>.LUSi-s à Défias, ([ui leur consacre toute
une série célèhn'. ccinune il nisjiire à Renoir ses scènes pdjmlaires de guinguettes et de bals
pidilics. Le [iremier de ci's deux artistes est une des jîlus singulières figures du groupe et,
mieux, de l'art t-()nteni])()rain tout entier, .^u sens qu'on donne à ce mot, il n'a absolument
mil d'un iniprrssidiniiste et nul ne se rattache plus sûrement et pins ostensiblement à la
traditiiin, nrns a la x'r.iie tradition. Il est, sur ce ponit, bien plu^ pari-nt des Pantin, des
Legros. des ISiacipieinond, des Piu'is tjue des ]),iysagistes du groupe, bien qu'il ait été on
ne peut ]ilus sensil)lc aux lois de l'enwloppe. aux jeux des jours <'t di'S retk'ts. de même
Kenuik (.^rc.LislEJ. — Ll- .Moulin .11- l;i (la
qu'il réunit à la fois les mérites, qui semblaient inconciliabU'S. d'un dessinateur inimitable et
d'un rare eoloriste. Né à Paris le iq juillet i8;,4, 1ùti..\k-Hii aii<h-(iEKM.'\in Di-; (lAs, qui signe
simplement Di-i.as. entra à l'Pcole des P>eaux-.'\rts en Ii'^t.t. dans l'atelier de Pamothe, mais,
cimime les \-rais artistes de ce temps-là, il se forma surtout au Pnu\-ie. où il copia beaucoup.
Il visita rit.die. fit un V(jyage en Américjne, au cours duquel il peignit le cnrii'ux tableau du
Musée di- Pau: Intcriciir d'un coinfytair de coton à la Nditvcllc-ihlcaiis. Il exposa une première
fois, .m Salon de i8()5. un sujet assez romantique: Scène de 'guerre nu moyen âge, exécuté au
jiastel, procédé (|u'il emploiera le plus \'olontiers désormais. Pu li^bG. il en\^oya une scène
du stee])le-cliase. prélude de toute la série qu'il consacn.'ra à ci'S études d'obser\'ation du
Ecole française.
79
cht'N'al sur le turf, cL\>-i' h: \if barinhiiïr dus jockeys dans ratniusphric i^iisr. Il iX'prcnait vt
continuait la tradition de < icricanlt. comme elle fut n|in>c dr lui jiar John Lewis lîrown. lùi
1868, il exposait k' portrait de M'i-- K. F., a propos du ballet de la Saiirct- t-X c'est peut-être là
l'origine de toute Textraordinaire série tles Danseuses, pleine de morceaux d'un charme mii(|ue,
comme l'exquise Dcinscnsc sur la sccnc de la collection Caillebotte. ou niar(|ués au coin d'une
étrange ironie. Car le caractère de l'art de Degas, au point de \ue philosophique, est une
objectivité outrée et. au milieu du printemps mer\'eilleux de ces fraîches cohirations délicieuse-
ment épanouies, une sorte de pessimisme mordant qui si- plait à montrer dans la femme, objet
du culte de l'homme, les tares de> formes épaissies, la ridicule puérilité des gestes, tout le
côté purement animal. C'est ainsi cjue jnès de ces ..étoiles", il a pt'int les bii^nrauts grotesques
du Luxembourg, et tout un cycle de
femmes à la toilette. ..femmes se
peignant, se lavant ou s'essuyant".
inspirées probablement par les suites
japonaises de courtisanes, d'actrices
et de femmes à leur toilette d'Outamam
et de Ki\'onaga. Car le Japon, décou-
vert récemment par l'un d'entre eux.
Bracquemond. eut sur tout le groupe
des réalistes et surtout sur les impres-
sionnistes, une influence considérable,
soit dans la mise en toile, dans la
présentation des sujets, soit dans les
colorations juxtaposées en des harmo-
nies franches et hardies, soit dans les
sujets eux-mêmes. Le p.iysage imjires-
sionniste en fournit la preina- p<ir tous
les aspects nou\-eaux qu'il ajijiorte.
Quant à Ri-:xoiK (An.rsTH)
c'est là une physionomie tout autre.
Son art. t>.>ut optimiste, n'a jamais dit
que le charme de la beauté, ki grâce
de la jeunesse et de l'enfance, les
splendeurs des paysages lumineux et
l'éclat des fleurs. Il est né à Limoges
le 25 février 1S4I. Son père était Ri-nmik ( Ai e.i.ug. - l-emm.- mu-.
tailleur. On lui fit apprendre l'industrie
du pays, et il commença par peindre sur ixirceLuiie. 11 jiemnit ensuite des stores, mais le
goût s'était développé a\'ec le métier, il x'ouhit se jx-rfectionner dans l'art de |)eindre. entra
chez Gleyre où il connut Claude Monet. Sisk-y et lîazille. Refuse en iNd;,. son premier Salon,
sur un sujet tout romantifiue. il persévère assez longtemps à figurer aux expositions officielles.
Nul n'a été plus mobile ni plus impressionnable et n"a donné la sensation d'un impré\u plus
continuel. Il a peint des portraits, des nus. des scènes p(.)pulaires de cabarets, de canotage
et de danse, des sujets d'Algérie, des femmes, des enfants, des paysage-, des natures mortes,
portant partout la siioiitanéité heureuse de sa nature, douée du don de l'éternelle ingénuité.
Le portrait de .1/'"' Charpentier est un de ses chefs-d'ieiure ckissiques. dans l'ordre du portrait.
Exposé en 1874. chez N'adiir. Boulewird des Cajiucines. il n'intéress.i guère cpie qiiekjues
i8o
La Peinture au XIX' siècle.
;iinati'urs et ;inii> i-t réditcur ClKuiicntit-r jiarut a\-(ur fait i)n-u\-c d'une grande hardiesse en
dnnnant à rarti>te cette commande. Il a été acquis, il y a di'U.K ans par le Musée Métropolitain
de Xe\v-V(irk. pciur la somme de oî.ckki francs. Cela indi(]ui' les changements du goût.
Le iiKiiiIiii (/(• /(/ (liilcttc (lu, d'aprè> le titre antérieurement donné. Le bal à Montmartre.
lut exposé cluv Dnrand-Ruel en 1N77. 11 hgure au Luxenrbourg dans l'ensemble de la
• •ollection léguée i)ar ('ailleliotte. C'est un des e.xemjjlaires les plus séduisants des tentatives
du maitre pour traduire le
mouwments des êtres dans la
moliilité des lumières et des
ombres. .A. Renoir a été décoré
■n i()(
I.(
grand impression-
nist(.- |)ar excellence ou, du
1 .î^jjfi 1 .p " y^ïÊ^^'^^^^^^^WÎ^' W^ moins, celui qui a été cause du
% '^**K^ ^- ** 3.^^éM^S^^^ '.' a' * baptême de ce groupe par
^^ A«k. A «^ **jar. ^ if .mSaf ^3lB< «1 Jt suite d'un de ses tableaux qu'il
a\'ait appelé: Impression; soleil
levant, est Claude Monet:
Cl.'M'de-Oscar Monet est né
à l'aris le J14 novembre 1840.
Il passa Son enfance au Havre
et y fut encouragé par le
peintre Eugène Boudin (né à
Honileur le 12 juillet 1824.
mort à Paris le 8 août 1898),
qui est le père du paysage
imj)ressionniste, ctmime son
ami le peintre hollandais, Jong-
kindt, en est le grand-père.
Les parents de Claude Monet
'talent dans le commerce et
\oulurent \- faire entrer leur
lils. Celui-ci persista dans son
idée de se faire peintre et,
n'ayant pas été remplacé à la
conscription, partit pour l'Algé-
rie accomplir son service mili-
taire. Ce ciel pur et cette
grande lumière commencèrent
à opérer sur sa vision. Mis en
rapport par Boudin avec Amand Cautier et Trovon, il fut mêlé de bonne heure au milieu
des artistes mdépend.mts, débuta dans la voie réaliste de Courbet et se développa peu
à peu sous la double influence de ce maitre et de Corot. Un voyage en Angleterre le mit en
contact avec Constable et surtout Turner. En même temps, il subit a\'ec ses camarades, le
prestige de l'art japonais. Il résulta de tout cela un art d'une si'n>ibihté extrême qui percevait
les effets les plus fugaces de la nature, les jeux les plus subtils des rayons, le rôle nrystérieux
et enveloppant des couches atmosi)héri(jues. Il est le poète de l'heure, qu'il nu.mce a\'ec une
La Catliédiali/ <lc Kouen (Musée dii Luxenibuurg).
.cole
"ancaisc.
i8i
intinif dé]ic;itessc, t;uidi> (ju'il :i été, é.L;;ilemi'nt à inrcc de ])(''nétr;i.tii)n des pliéiiomènes
naturels, un des lyriques les |)Ius \■i!)r;u^t■^ du L;r:ind -^piTl.nli- de-- cluises. Argcnteuil, de la
ciillectiun Faure, est une des toiles \-i\-cs. tr.iic li(> it ( nidiec^ des détnits de sa période impres-
sionniste, a\"ant 1878. Bientôt, jjnur nurquer da\antaL;i' l'inipurlanee de ce choix de riieure
et la nécessité de peindre un l'ffet de nature daji^ ^a striit<- durée, si Ton \-eut conserver à la
peinture sa juste harmonie et sa \-erital>k- unité, il cmidoit- uniformément le même motif
pour traduire toutes les \-ariatioiis de la lumién- aux dixrrscs périodes du jour. Il accomplit
ainsi une suite de séries. de\enucs ci'lébn-s. di-> Meules, drs Pcnfilicrs. des (\tthcdnilcs. des
XyiiiMiéds. des ]'iics ch' lu 'funnsc. qui. individuellement, srinblent les analv^-s les |)lus rares
'^:V'
I.e puni .r.\i-
d'un (eil doué d'une piii-^saiic(> exceptionnelle d'ol.)ser\Mtioii et de perception, et i.[Ui, dans
leurs ensembles, constituent comme de magniticiues >\'mphonie> à la gloire de la lumière.
. Claude Monet avait adopté, comme technique, le système, employé d'ailleurs par bien
des maîtres antérieurs, de la décomposition du ton. Les décou\'ertes de Chevreul sur ..le
contraste simultané des couleurs" axaient >uscité toutes sortes de jiroblèmes optiques qui
passionnèrent les artistes. Claude ;\lonet se basait sur cette fameuse loi des , .complémentaires"
d'après laquelle chacune des couleurs priinordude^ du prisme appelle les deux autres réunies
et est exalté par leur voisinage, c'est-à-dire <iue le bleu est ex;dté jiar le viiisinage de Tôrangé,
mélange de rouge et de jaune, le rouge j)ar le voisiage du \-ert. mélange de jaune et de bleu
' t réciproquement. La juxtaposition de ces (duleur--. au lieu de leur mélange, décuplait ainsi
82
La PcintLire au XIX' siècle.
^^£^^SÏ.
.." 315x5-
Camille Pissakkh. — Soleil lmikIuu
y
i-rfJÉBàiàatf
la ])uis-^;uiCL' cxpressiN'c de la
palette, l'n de ses confrères,
CamillI'. l'issAKKo (né le i8
juillet i(S;(i à St-Tliiunas, aux
Antilles, de parents français,
mort à Paris le 12 nox'embre
ii)(),;) re])rit cette donnée et
e\a,L;éra h', métliodi' par Tem-
]iloi systéniaticine de la divi-
Mon du ton. (ju'on a appelé
h- pinittillisluc. D'ailleurs,
t,indi> (|ue ce jirocédé arbi-
trairi' était continué par un
eertain nombre d'artistes —
(iuek]ue>-uns comme Seurat,
Signac. le iieintre belge Van
Rj'sselberghe l'ont fait non
sans talent, — ii revenait à
une manière jjIus libre et.
après a\-oir jjeint des \-ergers,
des potagers, des coins de
Alikkii Sisley. — Les Moulins, Morct.
École française.
183
cninpagnc dumestiquc, a\-t'c l'accc'iit d'un MiIIct imiiiT- L;iamlii)>c- et inoni-- ni\sti(|Uc. lUdis
plus <)l>jrctif vt plus \-éri(li(iue, il a lixr. à l.i lin de sa. vu-, drs \-ncs ca,valiùn;s de Paris, ([u'il
pci^mait du haut dr sa fcnétiw son ctat di- ^a.nt(' nr lui jn-rnit-ttant jdus de sortir.
Près de ces i)n.iniers paysa.!.,'istes, Alfiu-:!) Sisli:y né à Paris le ji> octubrc i''^,V),
de parents anglais, mort à Miux-t. où il sr fixa et où il jieignit ses ])rinei]ia,ux t.dile.nix. le
29 janx'ier 1899, s'est montré comme lui des (jrganisnies les plus délicats (]ui se soient
rencontrés parmi les peintres de la nature. Il en saisit tontes les grâces, en note les [ilns fines
harmonies. a\'ec une exquise distinction d'accords. Puis, on ne peut oublier la. figure assez
P.\iiL Ck/.annk. — I,a koutL'.
fruste, très austère et asse^ à part de P.\ri. Chz.xnnk (né à Aix-('n-i'ro\(nec \r K) janvier
1839, mort dans cette ville le 23 octobre ii)o6), ipii ,1 ]iris. tout d'un coup, uui- importance
capitale sur les dernières générations. C'est une pli\>ionomic, .osnrément trr-, incomplète,
mais qui a séduit les jeunes déliciuescents, trop satures de culture de Musées, par ses qualités
natives de probité âpre, de droiture brutale, de praticjue robuste et Ir.mclie tlans la matière
et les col(.)rations, et qui préféra ses insuffisances, peut-être par tro]i exaltées <iujourd"hui,
au.x cocjuetteries et aux compromis.
Au moment où elles étaient Ir plus discutées, et ])our cette raison même, les nou\eautés
hardies des im])ressionnistes ]ia.ssinnnaient di\-ersement tous les ateliers où elles gagnaient inu
i84
La Peinture au XIX' sièele.
à peu du terrain. On se rendait compte dr ce cju'ils apportaient de sain et de neuf dans
le fonds des vieilles routines surannées sur lesquelles vi\-ait l'école, mais on n'osait pas les
sui\'re directement. On cherchait tni comjmimis entre la tradition et la ré\-oIution. Cette
transaction fut trou\-ée et elle aboutit ]),irce (jn'elle n'était pas le jirodnit d'une o])ération
concertée, qu'elle était T'euxie toute spontanée, toute naturelle d'un |einie artiste, (pn se
trou\'ait dans les conditions \oulues pour acconiphr cette fusion difficile. ( l't artiste c'était
JrLKS Bastuîn-Lhp.m.k. né a l)am\illiers (Meuse) le i<-> no\einfue 1.S4.S. mort à Pans le
m décembre 1884. Il fit ses études
à \'erdim, prit son baccalauréat
et \int à Paris, où il fut élève de
('abaïu'l. Fils de jiaysans, élevé
dans un milieu rural, il n'oublia
pas, au milieu de l'enseignement
con\'entionni-l de l'atelier, les
leçiiUs plus hautes qu'il avait
reçues du ciel natal au cours de
ses \-agabondages d'écolier. Ami
de Zola, il subit, lui aussi, son
influence, comme il subissait celles
de> événements qui portaient
tous les esprits vers les choses
du peuple. Il sut concilier son
amour de la nature avec son
respect des maîtres: ses insuccès
même à l'école — il ne put obtenir
le prix de Rome — le ramenèrent
quehpie tenijîs à son \'illage et le
rattachèrent da\'antagi' à son
milieu origint'l. L'apparition du
p(jrtrait du (irand-pcre, en 1874,
fut une date p(mr la jeunesse.
La formule cherchée était trouvée
et l'école du ., plein nir" se dé\-eloppait entre les c(jnser\-ateurs et les indépendants, gagnant
bientôt toute l'école française et même les écoles étrangères. Ce fut désormais une évolution
universelle \'ers les études analvticpies de la lumière et de l'atmosiihère (i). Dans cette œuvre,
interrompue trop tôt par la mort, où figurent de délicats et intelligents portraits conçus dans
l'esprit des vieux italiens, et surtout des \ieux français du XVIéme siècle, des compromis
entre l'histoire et la réalité, comme sa Jctiini^' d'Arc et des scènes toutes rustiques, son
tableau des Foins, du Salon de 1878, est s.i toile la plus caractéristique. Elle souligne sa
formule personnelle, de naturalisme qui ne proscrit pas la poésie, de hardiesse qui n'exclut
pas le savoir, et d'ambiance qui s'associe a\'ec la fermeté t't la netteté de la technique.
Bastien-Lepage avait été décoré en 187Q.
(i) Parmi les paysagistes qui sl- sont siguak-s dans cette période il convient de signaler, autour du doyen
Harpignies, les noms de Busson, Bareau, L. de Belléc, Victor et Adolphe Binet, Damoye, Desbrosses, Dufour,
Gagliardini, Antoine Guillemet. Hanoteau, Lavieille, Le Sénéchal de Kerdréoret. Aug. Lcpère. graveur et peintre,
Montenard, peintre de !a Provence, ainsi que Olive et Allègre. Quignon, Ouost. peintre de fleurs, Auguste Pointelin,
les penitres de paysages animés: Adan et Deinont ou les animaliers Van Marcke, de Vuillefroy, Veyrassat,
BariUot, etc.
jrLi-.s BAsTiF.N-LEr.\c,i;.
LHAPITRH \'I[.
E C O L i; F R A X C A I S E.
Otatrième période. — De 1S70 a 1900 (Suite cl fia).
L 'INFLUENCE de Bastien-Lepage fut dune générale et immédiate. Ce compromis sincère
engloba toutes les énergies indépendantes de la jeunesse et créa, parallèlement au
mouvement impressionniste, un foyer ardent d'études analytiques, d'observations désin-
téressées de la nature et aussi de l'humanité, examinée sous toutes les formes de son activité
et de sa modernité. Le paysan et surtout, maintenant, l'ouvrier, depuis les succès d'Emile
Zola et depuis les premiers conflits entre ce qu'on appelait le Capital et le Tra\-ail, en sont
les principaux héros: les Salons furent bientôt tellement inondés de sujets riirau.x ou populaires
qu'on appela ce genre l'Ecole de la blouse bleue. Cette inspiration, de caractère tout objectif,
ne manqua pas de tomber peu à peu dans la médiocrité du terre à terre, mais elle a\-ait
Alfred-Philippe Roll. — En .Avant (.Mi
iS6
La Peinture au XIX'' siècle.
nettdvé la \isicin de ïvcnlv. vUv l'axait lanu'iU'c \-i'is la \c'ritt'. vérité un peu étmitt' t_'t un
peu vulgaire, sans doute, mais dont un s'était par tn.ip éloif^né et que les audaces impression-
nistes étaient alors impuissantes à faire acbnettre. Mlle permit en outre à quelques fortes
personnalités de trouver leur vdie.
En première ligne il faut citer celle d'ALiKi-n-PiiiLii'i'E Roi.L cpii a gardé son rang
jusqu'à la génération présente. Né à Paris le lo mars 1N47, d'une famille de souche alsacienne,
Roll semblait destiné à continuer l'industrie d'ébémsterie ([ue M)n jière dirigeait, faubourg
Saint-Antoine. C'est même en \'ue de cet a\'enir cpi'on lui lit apprendre les éléments du dessin.
Ses études classicjues terminées, il se sentit purté \-ers la })einture, \-(icatiiin tpii ne fut point
contrariée, et entr<i dans l'atelier di' Géré)me, à ri''.ciile des 1 )eau.\-.\rts. Il n'y lit |)nint un
long séjour et ne tira guère profit de cet enseignement. .Mais il se lançait déjà de lui-même,
regardait beaucoup,
aussi bien les maîtres
(|uel,i iiat'ure. et étudiait
a\ec une telle énergie
que son éducation était
bientôt formée. Il fut
d'abord porté d'instinct
\( rs le paysage et les
an imau.x, subissant plus
([ue tout autre, par son
indépendance même,
l'influence des grands
naturalistes, consacrés
définit i\'ement d'hier
])ar la mort. 11 exposait,
en 1875, un grcnipe de
deux cavaliers, un fran-
çais et un allemand, au.x
jirises dans un violent
Corps à corps, enlevé
a\-ec une fougue géné-
reuse qui évocjuait le
nom de Ciéricault ; deux
ans après, en 1877, il
s'imposait plus forte-
ment à l'attention par
une grande toile conçue sous le même mode pathétique: L'I iioiuiation (/tins la banlieue de
Toulouse. Puis son inspiration se di\'ise. Toujours orientée \-ers les réalités \i\-antes, elle se
porte tantôt vers l'expression de la beauté nue, épanouie dans la splendeur de la lumière, dont
les éclats s'amortissent doucement à travers rép;iisseur des couches atmosjihériques: tantôt
vers l'obserx^ation directe de la vie populaire. La jète de Silène (1870), Baeetiantes, Enfant et
taureau. Eté, Les Joies de la l'ie, vaste peinture décorati\-e jilacée à l'Hôtel de \'ille; Femme
et taureau, se rapportent à cette conception optimiste, à cette vision joyeuse des formes
humaines au milieu dt.' la nature. Cette dernière toile est une des plus expressives en ce genre.
Une belle jeune femme, aux chairs nacrées, à la chevelure d'or roux, se frotte avec câlinerie sur
le garot d'un jeune taureau noir, aux naseaux dilatés, aux \-eiix ardents et troubles, au milieu
d'un chaud paysage estival. C'est comme une variation imprévue de la fable de Jupiter et
Fcmnir .■( taiiixau (Mus
Ecole française.
1S7
d'Iùmipr. qui nu't ;iux prises, d;ins uiir scriu' rcx'cc, ni,i.is avec des clrnu'iits de réalité, lus deux
grands principes, mâle et femelle, de lune it de j^raee. de \iiileuee et de ((Hpietterie. Cette
toile a ete exposée au Salon de 1883: elle appartient au Musée de l'iuenus-Avres.
l.ors(iu"il s'adonne à la peinture des sujets populaires. Roll e-,t nu de ( i-ux qui niearnent
le plus hautement Tidéal démocratique de sa génération. Cette partie de >on ou\re C(7rrespond,
en art, exactement au progranmie documentaire. scientifKpie — et, ce])endant, à de certaines
heures et. connnt- malgré lui. haicpie et ejiicpie — de la grande ieu\-re littéraire de Zola. Il
s'attache à traduire l,i vie du peui)le des \-illes et des campagnes par l'expression des types
indi\'iduels et sous le point de \ ne.
tout à fait nou\-eau en art, de ..la
foide". La Foule qui, ]3our la jire-
mière fois, a été exprimée en litté-
rature avec ses passions, ses \'iolences.
ses élans généreux, toute son ame
enfin, turbulente et impressionnable,
et à laquelle Roll ou\re le> porter
de l'art, a\'ec /</ (,>'crc des luiiicuys
(1880), /r Chantier de Siiresues ( i8,S4).
En avant (i887),/(' Centenaire (i8c) ;).
la Puse de la première pierre du
pont Alexandre III (iSgg), va-tes
compositions annnees (pu fixent
chacune une }iage de l'existence du
peuple, dans ses labeurs ip.iotidieus,
dans ses luttes et ses ré\'oltes, dans
ses grands de\'oirs et dans les
exubérances de ses joies nationales.
Le Luxembourg possède deux toiles
essentiellement caractéristiipies de
cette double fcirme d(:- son insjii-
ration jKipnlairi;. Manda Laniétrie.
fermière, dont la ])h\'sionomie rurale
est nettement déterminée, d'une
brosse à la fois \'ig(jureuse et sou]ile,
est une toile, datée de 1887, et
exposée au Sal(_)n de 1888. lîn Avant
est un épisode de la guerre, telle'
qu'elle est conçue dans les temps
modernes. Nous sommes loin de^
jours où les peintres représentaient les batailles en exhibant au premier plan un général
empanaché, suivi de son brillant état-major, au milieu de bombes qui éclatent, a\ec quelques
cadavres étendus dans un coin pour préciser le spectacle, tandis (pie la masse des combattants
est perdue au loin. Ici la guerre c'est encore l.i foule anon\-me, disciplinée, avec ses engins
scientifiques, ses chefs mêlés aux soldats. — Roll, qui est commandem- de la Lé,i,;ion d'honneur
depuis 1900, est président de la S(jciété Nationale des Beaux-Art--.
Dans cette même lignée de naturalistes formés à l'école de Bastien-Lepage, à C(Jté de
Ernest Dtez (Paris, 1843 — 18()6), (pii peignit des scènes de la vie bourgeoise et mondaine
Manda Laméli
du Liixembouig).
iSS
La Peinture au XIX*^ siècle.
et même des sujets religieux, sous des effets de plein air; de I'lvsse Butin (Saint-Quentin,
1838 — Paris 1883), qui fixait d'une brosse discrètement émue les épisodes dramatiques de la
vie du marin; de Lucien Doucet (1856 — 1895), qui suivait plus directement lu tradition du
maître en se divisant entre la vie des champs, les sujets mondains et les portraits, etc., se
dessinent nettement quelques autres personnalités qui ont pris im rang distingué dans l'école.
C'est d'abord D.\gnan-Bouveret (P.'\sc.\l-Adolpiie-Je.\n), né à Paris le 7 février 1852. Il
entra dans l'atelier de Gérôme en 1869, concourut pour le jirix de R(ime, mais n'obtint que le
second, en 1876; il avait exposé, dès
1873. au Salcin, des sujets classiques,
qui nr marquaient pas encore l'orien-
tatii.m de son talent, lorsqu'elle fut
décidée par l'influence de Bastien-
Lepage, a\-ec qui il était très lié. A
partir de 1879, il exposa une série
de scènes de la vie réelle, traitées
d'abnrd a\'ec im esprit d'observation
j^icpiante. comme la Noce chez le
p/idlni^niphe, mais dont le style
s'élargit chaque jour en même temps
que le métier prenait plus de force
et de sobriété. C'est ensuite rJcr/-
(h-iif, (jui lui valut, en 1880, une
niéd.iille de première classe, la Béné-
dutivn des jeunes époux avant le
nhiriii'^e (1882), les Chevaux à Tabrcu-
eoi)\ du Salon de 1885, qui figurèrent
,111 Musec du Luxembourg, et le
/'(;/;/ liéiiit. du Salnn de 1886, exposé
au .Musée du Luxembuurg, qui
caractérise le jilus lieureusement
iittc iinniièri' manière, tout en
.innunrant déjà rév()]uti(.)n prochaine
\ers un idéal plus expressif, plus
poétique, ]iour ne pas dire plus
nn^tique. C'est un coin d'une petite
église de \ illage où jirient a\'ec fer-
\"eur une dizaine de fidèles, femmes,
jeunes et \-ieilles, en habit des
dimanches, les visages recueillis; un
enfant de chœur passe, en distri-
buant le pain bénit et sa robe rouge met une note religieuse éclatante dans cette sobre
harmonie; une fillette à gauche est comme perdue en extase.
I)agnan-Bou\'eret a peint ensuite des sujets bretons qui lui wdurent de grands succès
et même la médaihe d'honneur, en 1889, avec le rardnn. Ils maniurnt sa direction nouvelle
dans le sens poétique en même temjis que \-ers une tecliniiiue de jihis en plus légère et
subtile. La Cène, qui décore le fond de la salle de musique de la comtesse de Béarn, est son
'eu\-re pruicii^ale dans le genre religieux et mystitiue. 11 s'est surtout adonné, dans ces
dernières années, au portrait, et a peint, avec des recherches de distinction et de style, un
DA(;NAN-I!(irvi£iu:r. — Le P.iin Ijônil (Musée .lu Luxembourg).
xole
fi-.^
ancaisc.
189
or-
certain iKimbrr clr damrs dr raristucrutic parisicnuc. I),iL;ii;in-I^)ciu\-tii-t t'st mcnibiL- de
rinstitut depuis Kino et (illiciiT de lu Lc\i,'i(in d'Iifinncur tli-])uis i8()2.
Au même mciment, c;ir ils s<int tout à l;i,it cdntcmjjorains, apparaissait Hiîxki ("iKKVi:x,
né à Paris le 10 décembre 1S52. inèw de lîrisset, de Fromentin et de Cabanel, il se trouwi
en ciintdct a,\-ec l>astien-Lepa,;j;e et a,di)iita, ;L\'ec l'esprit assez combatif d'indépendance qui
maniue ses déiiuts. les ]>rincipes de la peinture claire, des nus en ])k-in air. 11 ex])(isa pour la
jiremière luis en i^}]. Dès iSj(). il abordait une série de sujets, ipii sur]irirent d'aburd. mais
qui bienti")t lirent école. (rer\'ex jx'it^UcLit des portraits, et en particulier des {jortraits groupés,
animés par une action déterminée,
dans le jour clair des intérieurs et
même sous les effets du plein air.
Son premier tableau dans ce !.;enre
est Y Autopsie à l'Holcl Dieu (iN;*»).
Puis \'iennent : le Jury du Seilnu </<•
peinture, e.xposé en 11^83 et donné
jiar W'aldeck-Rousseau au Musée
du Lu.xembourg, la Rédaetuni de lu
République jrunçaise (i8()0), etc.
Avtiiit ropération (18S7),
entre autres, qui représente le f^rand
chirurgien Péan entouré de st's
élèves, appartient à ce genre de
peintures d'hôpitaux, de cliniques,
de laboratoin.'s et de iili.irm.icie--
qu'il ax'ait inauguré et (pu eut tant
de vogue. Le Lu.xembourg jmsséde
également le ])ortrait de Muduine
J'ultesse de lu Hii^iie (i8.S()) conçu
dans la note }ilus directe de IManet.
C'est un des premiers portraits en
plein air. H. dervex est officier de
la Légion d'honneur de]niis iScSi).
Un des tableau.x (pii montre,
avec des cpralités excei)tionnelles.
jusqu'où peut aller cette formule
réaliste d'ubser\-ation attenti\e et
de technic"[ue savante, inaugurée
par Bastien-Lepage, est la 'l'oussuiiit, ^\uï est exjiosée au Musée du Luxemlidurg deimis i(SS().
Une famille en deuil, à la porte d'un cmu'tiére, en\a]ii ])ar la neige: à gauche, un \-ieil a\eugle
emmitoullé dans un cajiuchon et S(]US sa coinerture, à (|ui une hllette se ])répare à donner
un Sou, \'oilà toute la scène. Les physiijuomies sont Ijourgeoises. un [k-u \'nlgaires. Il n'\' a
là pas la moindre trace de seiitunent. C'est un spectacle tel (pi'on l'a \u sans rien \' ajouti/r
de soi. Mais il est traité a\'ec une telle puissance de \-érité. une telle décision d.ins l'expression
picturale, que cette \'ision s'imjxjse aux \'eux comme une \'ision de realite. Cette ieu\-re \alut
à son auteur le prix du Salon et la croix de la Légion (riionneiir; c'était la consécration
d'une carrière encore bien courte, car l'auteur n'a\ait (]ue \ingt-six ans. Emilk Fki.xnt. en
Ue.ski (a.KVKX.
1 ço
La Peinture au XIX'' siècle.
Emile Fkiant.
La Toussaint (Musée du Luxemliouig).
effut, est né le lo ;i\-ril 1863, à
Dieuze (Alsace Lorraine). Après
les événements de 1870, sa famille
vint se fixer à Nancy, où il com-
mença son éducation artistique.
11 fut en\'o\'é à Paris, a\'ec une
IjDurse, par sa \-ille natale, entra
chez Cabanel, concourut pour le
jiri.x de Rome, et n'obtint que
le second. Mais il enlevait une
mention dès son premier Salon
de 1882, recueillait coup sur coup
ses médailles et se voyait décerner
une bourse de voyage en 1886.
Priant, depuis, s'est fait une place
à part a\-ec ses sujets empruntés
à la \-ie contemp<]raine: Un peu
de repos {1883), le Coin favori
(1884), les Canotiers de la Meurthc
(1888), Discussion poliinjuc. (i8()o). Ombres portées (i8gi), et du'erses scènes de deuil, qui
Sont comme des éclKjs de sa foitssaint. traités a\'ec une sûreté, de vision, et ime précision
de métier qui sont peu communes. Il a peint aussi et dessiné nombre de portraits. Il
est l'une des personnalités les plus marquantes de ce groupe provincial qu'on appelle
ri'xole de Nancy — comme il y a Tlicole de Toulouse — qui comprend les Aimé Morot,
les ^'ictor Prouvé, les Henri Royer. etc.
Il est, juste face à face à la Toussaint, au Musée du Luxembourg, une leuvre qui
mérite, ainsi que son auteur, d'être mise à part dans cette inspiration spéciale. C'est la
Paye des Moissonneurs de Léon Lhf.rmitte.
Cet artiste est, par la date de sa naissance, le d(.)yen de tout ce groupe. Il est né, en
effet, à Mont-Saint-Père (Aisne)
]r ji juillet 1844. Son éducation,
de même, le rattache à des géné-
rations plus lointaines, car il fut,
lui aussi, un élè\-e et un des élèves
fa\"oris de Lecoc] de Boisbaudran.
Il touche donc par certains
cotés au milieu des ,, réalistes",
et il montre de bonne heure,
grâce à la discipline vigoureuse
d'enseignement à laquelle il avait
été soumis, des qualités tout à
fait exceptionnelles de dessina-
teur. C'est d'ailleurs ainsi qu'il
débute, dès 1864, et il se fait
rapidement une réputation par
ses fusains et ses pastels, ou
plutôt ces sortes .de crayons noirs
La l'ave des .Moissonneurs (.Musée du Luxembourg). relevés. de pastel, daUS le'gOÛt
Leo.n LiiERMirTE.
.cole
fra
ncaise.
191
de Millet, qui fut. évidemment, scin principal guide. Il s'est voué, lui aussi, presque exclusi-
\-ement à la peinture des scènes de la \-ie rurale, mais loin de la manière synthétique et
comme symbolique du maître, décrivant d'une vision tout objective, qnï le rattache au
groupe de Bastien-Lepage. les principaux épisodes des travaux des champs: Au pressoir, la
Moisson (1874), le Lavage des moutons, la ]'cudange (1876), le Repos des moissonneurs, (1890),
la Mort et le Bûcheron, (1893). etc. La Paye des moissonneurs. (1882), est si caractéristique
de sa manière personnelle que. malgré nombre d'ouvrages devenus célèbres, cette toile est
restée sa composition la jilus populaire. Lhermitte est officier de la Légion d'honneur depuis
1894, et membre de l'Institut depuis 1905.
Tous les artistes qui viennent d'être nommés au début de ce chapitre, appartiennent
à la Société Nationale des Beaux- Arts,
c'est-à-dire à la Société, fondée en i8go.
par suite d'une scission, opérée dans
la Société des Artistes français qui,
depuis 1881, avait recueilli de l'JOtat
la mission d'organiser les expositions
annuelles.
Ce petit é\'énement, bien qu'il
semble ne présenter qu'un intérêt pn.i-
fessionnel, eut cependant une certaine
influence sur l'orientation de réc(]Ie
dans les dernières années du siècle. Il
mit en effet, de part et d'autre, en
é\-idence certaines personnalités qui
jusqu'alors étaient moins dégagées dans
le vaste ensemble de la production
artistique. La sécession s'établit dans
un des palais, encore debout, de l'Expo-
sition de 1889. au Champs de Mars. La
Société première resta au Palais de
l'Industrie, aux Champs-Elysées, et ces
deux expressions de quartier désignèrent
bientôt les deux camps. Le jxirti tra-
ditionnel, avec tous les ^Membres de
l'Institut, moins un. Meissonier. qui
fut l'auteur principal de la séparation.
restèrent aux Champs-Elysées. Les indépendants, ou soi-disant tels, passèrent au Champ de
Mars. Cette première scission sembla donc, sauf exceptions, marquer assez nettement les
tendances. Au Champ de ;\Iars, derrière ]\Ieissonier, c'étaient, parmi les peintres: Puvis de
Chavannes, Carolus Duran, Bracquemond. Roll. Cazin, Gervex, Ribot, Lewis Brown. Boudin,
Whistler. Près d'eux, certaines autres personnalités plus jeunes allaient occuper tout d'un
coup le rang exceptionnel qui leur était dû. Tel était le cas. par exemple, de .\lbert Besnard
et d'Ernest Carrière.
Au point de vue de la complexion morale, on ne peut guère rêver deux phvsionomies
plus dissemblables que ces deux hautes indi\'idualités artistiques. Elles paraissent occuper
chacune un des pôles opposés dans l'ordre du sentiment. L'un aime la lumière, la joie, le
mouvement, la couleur, la splendeur de la nature et le luxe de rindustrie humaine: il se
plaît au milieu des^ nudités éclatantes, des fleurs qui s'épanouissent, des che\-aux élégants
P.-A. P.ESNAKD.
hautïe (Musée du Luvemliouig).
192
La Peinture au XIX'' siècle.
qui piaftcnt, df tous les jeux et de tous les ccintlits des luuaières du ciel et des lumières
créées par l'homme. L'autre recherche la profondeur de l'ombre, la tiédeur dis intimités, la
douceur apaisante du silence, le recueillement dans le cercle étroit de la famille, car il se
confine dans les intérieurs, laisse peu de place, dans son (euvre, aux manifestations de la
nature, abhorre le mouvement, restreint sa couleur et fait toute son éloquence et sa force
de sa sobriété ou, si Ton veut, de son apparente pauvreté. Mais il est un jxiiiit sur lequel
ces deux natures contraires de Besnard et de Carrière s'accordent entièrement : c'est sur la
compréhension des formes. Ils ont, tous deux, à un rare degré, le sens de ce qu'on appelle
le ,, modèle", c'est-à-dne la determm.ition des \dlumes des corps dans l'espace, par le
r'.\ri.-.\l,iiEKT I;esn.\ri>. — La riastique (plafond pour le IV-lit Palais).
calcul sa\-ant des (.)ppositions d'ombre et de lumière. Les corps cju'ils créent ,. tournent";
ils ont la plénitude des statues.
(.et admirable et inépuisable poème de la forme, P.-m'l-Aleert Besnako l'a dit dans
une ien\-re, qu'on peut juger d'ensemble à cette heure, bien qu'elle soit loin, on peut
l'espérer, d'être close. Elle a débuté au Salon de 1868 où Besnard, âgé de 19 ans — il est
né à Paris le 2 juin 1849 — encore à l'école, n'hésitait pas à se lancer. Il appartient à une
famille d'artistes; son père était élè\'e d'Ingres et sa mère miniaturiste. Son père étant
mort jeune, ce fut celle-ci qui réle\'a. Il entra à l'Kcole des Beaux-Arts, dans l'atelier de
Cabanel. mais il reconnaît surtout pour son maitre, un peintre délicat, trop injustement
Ecole irançaisc.
93
oublR-: Jc.ui I')icmniul._ Sos premiers l'ssais smit nitturcllcniciit dis jiniductiniis toutes sculanx-s,
grâce auxquelles il lînit jKir enlf\cr Ir prix de Ruine en 1.S74. A son retour de l'Académie,
il épousa la tille du sculpteur \'ital Duhray, seuli)teur t-IU-meme, qui a dirij^'é avec talen-t
sa carrière près de la grande voie glorieuse de sou mari: il s'installe deux ans à Londres,
où il reçoit toutes les émanations de Fart anglais et des gra.nds tlamands, qui se mêleront
subtilement dans son esprit aux ellhn'es de l'art italien. II rexient en France en plein dans
la floraison intense de l'iniiiressionnisme et d.uis ]'e])anouisM'nient plus s,ii,'e de l,i l.nneuse
école du pk'in-air. Ses facultés
recepti\T's ne laissèrent rien perdre
de ces rayonnements nou\eaux. Il
acquérait toujours sans rien perdre
et assimilait tout ce iirodigieux
acquit, mêlé aux richesses de son
fonds propre. Il s'en dégageait
bienté)t la plus étrange et la plus
heureuse personnalité.
C'est en 1886 que se dessina
nettement sa physionomie a\-ec le
portrait d'une jeune femme. Mcnhiinc
R. J. (Mtiddiiu- Ixo^cy-Jimnidiii).
s'avançant sur une terrasse en
brillante toilette de soirée et éclairée
fantastiquement par les ors chauds
des lustres luttant contre li' jour
bleuissant et fmid du soir ipu
baissait. Il s'est longtemps plu a
ces effets de jours contrariés et la
Feiiinic qui se cluiuljc, du .Musee du
Luxembourg, (Salon de i88()), est
un des exemplaires les plus cJiar-
mants et les plus signihcatifs de
cette manière.
Ces sortes d'exercices ache-
vèrent de donner à Besnard une
souplesse incomparable pour tra-
duire tous les aspects des formes et
surtout des fcjrmes en moiu'ement.
Il employait, au besoin, les procédés
les plus divers de l'huile, de la
détrempe, de l'aquarelle et du pastel.
Dans ce dernier genre, il a répandu d'innoiubr.djles études, ipii riwdisent a\-ec les chefs-
d'œuvre des \-ieux maîtres fran(;a.is, comme cette délicieuse fantaisie d'après \v modèle, aiijxir-
tenant au Dr Pierre Delbet. Mais le triomphe de Besnard, sa hiculté essentielle, c'est la
décoration. Il y est porté non seulement par ses (]u. dites de goût, de méthode et de logiipie,
alliées à son riche tempérament d'artiste propre à com'rir de \-astes muranies. mais aussi
par l'essence curieusement ]ihilosi>{)hi(iue de sou esprit, qui lui fait conce\iur l'allégorie sur
des modes tout à fait nou\'eaux, en dehors des lieux communs du passé, et conformes aux
conceptions que le dé\'eloppenieut scientifique moderne a inspirées à nos imaginations en face
.\i)i ii.i'iiK Willette.
94
La Peinture au XIX'' siècle.
des grands spectacles de runi\eis. Toutes ses décorations, à partir de celle de l'Ecole de
Pharmacie — (Platnnd de la Salle des Sciences, du Théâtre français, de la Sorbonne, de
l'Hôtel de Mlle, la Plastique, jilafond pour le petit Palais) montrent avec quelle aisance
l'artiste se meut dans les sphères supérieures du rêve. Sa fantaisie y déploie toute sa sensibilité
et toutes ses audaces, et atteint, comme dans son dernier ouvrage, qui réunit Pallas, \'énus,
Apollon et Pégase, cabré dans Téther. la jibis sereine majesté. Albert Besnard est comman-
deur de la Légion d'honneur depuis njoj,.
Dans ce domaine de l.i fantaisie et dr la tr<uIition,
toute française, des Wattean
et des Fragonard, il faut au
nom de Besnard rattacher
ceu.x de Jules Chéret et de
AnOLPHE \\'ILLETTE. Ils se
sont surtout 'illustrés, l'im
et l'autre comme dessinateurs
et lithographes. Mais ils ont
été à l'occasion décorateurs
et peintres. Chéret, avec ses
affiches bariolées, n'a-t-il pas
créé le vrai décor des rues?
Quant à Willette, s'il est
célèbre grâce à ses dessins du
Courrier français et de maint
autre journal illustré, il s'est
exercé di\-erses fois avec suc-
cès à la décoration murale,
témoins ses peintures du
cabaret du ..Chat noir" et
de la ,, Taverne de Paris".
La W'uvc de Pierrot, qui a
figuré à l'Exposition Centen-
nale de 1900, est un heureux
spécimen de cet art spirituel,
plein d'himiour et de verve,
délicat jusque dans ses plus
\-i\-es légèretés. Chéret est
né à Paris en 1836; il est
officier de la Légion d'hon-
neur. Willette, qui fut élève
de Cabane], est né à Châlons-
sur-lMarne en 1857. Il t^^t che\-alit
Légion d'honneur.
Quant à Eugène Carrière, un seul mot dira l'importance de l'action cju'il a exercée
sur les esprits de ses contemporains. Il a presque fondé une religion. Car il y a un culte de
Carrière. La beauté morale de l'homme et la grandeur de l'œuvre, par leur austérité même,
abordables seulement d'un petit nombre, a fait naitre des partisans très ardents qu'exaltaient
davantage l'indifférence et les sarcasmes du public. On lui contestait, en'effet, son parti-pris
de clair-obscur noyé dans l'ombre, son dédain de plus en plus prononcé pour les coquetteries
Ec
Ole
frr
ancaisc.
195
de la cnuk'ur, l'apparente m(_)nutonie de ses étemelles )uatcrniti's. L'iîxposition posthume du
maître, qui a expliqué le cours de sa vie et a montré le développement logique et fatal de
son feu\re, Font mis cette fois à la portée du grand public. Carrière avait débuté avec de
véritables dons de coloriste. Né le 29 janvier 1849. à (iournav-sur-Marne (Seine-et-Oise), il
entra à l'Ecole des Beaux-Arts, en iSGy, dans l'atelier de Cabanel. \'int la guerre de 1870.
Il s'engagea comme soldat, fut fait prisonnier à Neuf-Brisach et interné à Dresde. Il concourut
pour Rome en 1S76, année où il exposa aussi pour la première fois, mais renonça bientôt
au concours. La hasard d'un séjour à Saint-Ouentin l'avait mis en présence des pastels de
ErcÉNE ('AKklKKK.
La Maternité (Musée du Luxembourg).
La Tour, qui exercèrent une première influence sur son esprit. 11 parait aussi avoir reçu,
au début, les conseils de Henner. qui ne pouvait que le diriger dans le même sens du modelé.
Mais il fut surtout impressionné par Rubens et plutôt par \'élasquez. Toute sa première
manière, délicatement pittoresque, où de fines colorations distinguées, roses, bleues, jaunes
pâles, sont accordées avec des neutres bruns ou gris, relève de cette inspiration. Les sujets
sont alors principalement des enfants plus on moins accoutrés de \'agues défroques du passé,
tenant, ici un bock, là un plateau, ailleurs jouant avec un chien. Le Premier voile, du IMusée
de Toulon, en 1886. marcjue une (jrientation nou\'elle dans un sens plus austère: elle est
196
La Peinture au XIX'' siècle.
accentuée par le beau portrait en [ned du sculpteur Dcrillcz (1887). artiste ddublé d'un amateur
éclairé, c]ui a créé clu'/ lui. à Mons. une surte de \-rai Musée (.'arriért-. Ce portrait, profon-
dément piivsionomi(iue. d'une richesse sobre de tons, cjui jaillit en belle lumière limpide de
1,1 profon(l<-ur léf^èrt' de l'ombre, peut compter parmi les cliefs-d"ieu\'re du maitre.
^lais ])eu à peu, il déponille les grâces aimables du coloriste et év(ilue a\'ec décision
\-ers une compréhension phis \-irile et ]>his austère des formes, qui correspond à son nouvel
idéal moral dr philosophie humaine' vt attendrie. Il sembk' être alors iniluencé par la large
construction du dessin de
Michel-.Vnge et il se rapproche
parfois de Daumier par son
arabesque sinueuse, qui, dans
ses dernii'rs dessins, va même
jusqu'à une exagération cur-
sive. Cette lïlanière grave,
sé\'ère et tendre à la fois,
s'étend sur tout un cycle
d'intimités familiales et de
..M.iternités", dont le Luxem-
i)ourg possède trois admirables
ixemplaires. La Maternité a été
exposée à la Société Nationale
des Beaux-Arts en 1893. Dans
la jiénomlire \'aporeuse d'un
Ultérieur, une jeune femme
tient sur ses genoux un enfant
blond (pi'elle presse contre son
sein, et se penche jiour baiser
une fillette dont elle prend les
joues dans la main tandis
(pi'une autre petite fille, qui
a déjà reçu le baiser du soir,
s'éloigne de hi chambre. Car-
rière et;iit oilicier de la Légion
d'honneur deiniis 1889. Il est
mort le 2j mars 1906, après
de longues souffrances, sup-
liortées a\'ec le ]ilus simple et
le |)lus admirable courage.
Une autre figiu'e excep-
tionncHe. qui se dégageait à la
même date de ce milii'U des sécessionnaires, est celle de Raffarlli. ..Ratfaèlli. écrit Rodin, est
un artiste pcjur lequel le mot ..original" est fait." Et il l'st, en effet, peu de phvsionomies aussi
singulières dans l'école. Ses débuts ont été assez agités et sou jioint de départ imprévu.
Je.\n-François R.\FF.\iu.Li est né à Paris le 20 avril 1830. Son père, qui tenait une
maison de commerce, ayant été runié, il dut, très jeune encore, chercher une carrière qui lui
donnât le moyen de vi\'re. tout en lui jx-rmettant d'apprendre la peinture, vocation qu'il
sentait irrésistible en lui. Il fit donc toutes sortes de métiers, dès l'âge de quatorze ans.
Ecole française.
197
^
tirant parti de sa voïx puur chanter dans les églises et au théâtre, donnant des leçons, et
faisant lui-même son éducation générale et son instruction professionnelle avec une énergie
extrême. Il entra quelque temps dans l'atelier de Gérôme, mais son indépendance native;
était mal à Taise dans cette geôle. Marié de bonne heure, il se met en route avec sa jeune
femme, à travers Tltalie, l'Espagne, l'Algérie, et finit par s'arrêter dans la banlieue de Paris,
à Asnières, où sa vision pénétrante, aiguisée par tous ces déplacements et toutes ces compa-
raisons, distingue un monde, nouveau
pour l'art, méconnu sinon inconnu. .\ftilié
d'abord au.x: impressionnistes, il participa
à leurs premières expositions che^ N'adar.
Mais il devait bientôt se détacher de ce
milieu, comme du milieu réaliste, pour
tracer sa voie tout à fait à part. Ce qu'il
y a de curieux et de particulièrement
instructif, au point de vue général de
l'évolution historique de l'école, c'est
que le point de départ de cette direction,
désormais solitaire, est d'ordre philoso-
phique. Ce n'est pas, sans doute, une
philosophie de la nature de celle de
Besnard, vaste panthéisme contemplatif,
ni même de celle de Millet ou de Cazin,
toute subjective, parfois jusqu'au mvsti-
cisme. Raft'aëlli, à propos d'une exposition
de ses reu\"res, qu'il organisa en 18S4,
28 his Avenue de l'Opéra, a e.xpi.isé. dans
la notice qui précède le catalogue, son
système de ce qu'il a appelé ,,le Ijeau
caractériste". Et il arrivait à cette con-
clusion, qui nous amène à un rapiiro-
chement, bien impré\-u. puis(iue c'e-t
avec la doctrine de Chenavard; ..([ii-
l'art du passé a dit tout ce qu'il \- a\Mii
à dire sur la beauté purement j)la>tique
et que le devoir du peintre moderne
était la recherche du ,, beau caractériste",
du ,,beau essentiel" à une époque positi-
viste". C'est-à-dire la recherche des
,, caractères", ou encore ,.des lois uK^rales
et physiques déterminant les indi\-idua-
lités et les phénomènes de la nature". Et
ce catalogue divisait ses sujets sous diverses rubriques où l'on rencontrait, entre autres,
,,les portraits types des gens du bas peuple" (chiffonniers, déclassés, buveurs d'absinthe,
voleurs et receleurs, etc.), de petits bourgeois et de ..caractères de la banlieue", pavsages
singulièrement expressifs, tracés as-ec une technique qui pourrait sembler la négation de la
technique, tant c'est peu du ..métier" pour du métier, mais une sorte de langage résumé,
rapide, abrégé, n'insistant que sur les éléments essentiels du caractère, bien que les
soulignant a\'ec une rare puissance signihcati\"e.
.i^m
Ii:an-FkaN'
198
La Peinture au XIX' siècle.
Les Forgerons buvant, ('Xj^isés à ri^xpcisitidii cfutunnale de l'Art français en iqoo,
sont un de ces morceaux classKiues Av types et de paysages populaires. Ce goût jiarticulier
de la poésie des choses humbles ou niiséraljles n"a ])oint ôté, cependant, chez M. Kafiaëlli,
le sens de la beauté et des j)lus délicates luumonies. 11 a su le montrer dans cette excpiise
, .symphonie en blanc", eût dit Whistler, cpii s'appelle la l'>cllc Mutinée, et dans ce délicieux
])ortrait de la fille de Fauteur, d'une distinction si rare, d'une tenu<' si sobre, si discrète,
d'un charme de jeunesse et de virginité dans toutes ces ])l.uicheurs réunies.
Raffaélli est ollicicr de la Légion d'honneur depius i()oo.
De ce côté des Salons se signalaient encore à l'attention GriLL.\rME Dubufe (né à
Paris le 16 mai 1853, mort en mer sur la route de Buenos-Ayres le 23 mai 1909), Victor
Prouvé, Fr. Auburtin, (peintures décoratives), Armand Bertox (nus), René Billotte, (né à
Tarbes (Hautes-Pyrénées) le 24 juin 1846, élève et allié de Fromentin, (paysages et notamment
vues délicates de la banlieue parisieime); Je.W Bér.^UD (peintures de genre et de mcïurs,
telles que la célèbre réunion de la .s'((//(' draffard), Je.^nnigï et L, Lki,k.\xi): Hellel" et Caro-
Delvaille (scènes et figures de la vie moderne); Erni-st Laurent (portraits dans une note
délicatement attendrie); Lobre (intérieurs de palais); Lekolle, Muenier, Eliot (figures et
paysages); Lepère, Lagarde, Lebasoue (pavsages et pavsages animés); Weerts, (portraits
Ecole Irancaisc.
201
décoruti(in). etc.. ttc. De l'autre côté, aux Cliamps-EK'sées. se distiugiKUeiu eu dehors du
peuple des paysagistes." indiqué antérieurement: Albert D.^want, né à P.iris le 21 septembre
1852, élève de Jean-Paul Laurens: premier Salon 1870: (sujets dliistoire et de la \"ie moderne,
comme la Maîtrise d'ciifiiiits de chœur, du Luxembourg). Fk.\ncis T.\ttf.(,k.mn, né à Péronne
le II octobre 1852: (sujets dliistoire combinés aupa}-sage: sujets de la \"ie maritime). Bordes,
André Brouillelt, de Richemond. E. Renard (sujets divers, portraits), Lecomte du Xouy
(sujets classiques), L. Adan (scènes rurales). \'. Gilbert fvcènes jiupulan--), Rkné Gilbkrt
(portraits); Guillonnet (décorations
scènes exoticpies). Et tout un monde
de jeunes, très actifs, qui st-ront
l'honneur des premières ;uinées du
siècle suivant: les Avv, Paul Chabas.
Déchenacd. Dewambez. Hoff-
bauer. Henri Royer. Sabatté.
Troncv, du Gardier. d'Estienne.
Hanicotte. Albert et J. Pierre
Laurens. Laparra. F. Lauth. Zo.
Dans ce milieu il convient de
distinguer à part certaines person-
nalités artistiques auxquelles le suf-
frage de leurs confrères a attribué la
médaille d'honneur.
Cette haute récompense était
accordée, en 1902. à Joseph Bail.
pour son tableau des Dentellières. Xé
à Limonest (Rhône), le 22 jan\ier
1862, Joseph Bail appartient à toute
une famille d'artistes. Il a été élève
de Jean-Antoine Bail, son père: sim
frère Franck est également peintre.
Joseph Bail se faisait connaître de
bonne heure par des natures mortes
d'une rare virtuosité d'exécution,
comme les Bibelots du Musée de Cluiiy
(1886), qui figurèrent longtemps au
Luxembourg, où ils ont été remplacés
par un autre superbe morceau, la
Ménagère, occupée à préparer un
bocal de condiments, du Salon de
1897. . Il élargissait aussi sa manière et obtenait un succès grandissant à l'occasion de ses
scènes de personnages dans des intérieurs, avec de puissants effets de clair-obscur, dans la
manière hollandaise. A la suite de ses Dentellières. Le Bénédicité des dames de Beaicne. du
Salon de 1903, qui réunissait, au milieu des boiseries luisantes de leur réfectoire, les religieuses
du célèbre hôpital, où rien n'a été changé du passé, en leur pittoresque co.stume du moyen-
âge, sous la lumière dorée du jour enveloppant, confirma la réputation que \-enait de se
conquérir le jeune artiste.
Joseph Bail est chevalier de la Légion d'honneur depuis 1900. . , •
14
"HEGKOSSE. — VitelIiiH traîné dans les rues de Rome
par la populace (Musée du Sens).
202
La Peinture au XIX'' siècle.
En igo6 la mùme distincti(jn exceptionnelle était votée en faveur de Georges Roche-
grosse. Elle récompensait une carrière déjà débordante, bien que l'auteur ait atteint à peine
sa cinquantième année. Rochegrosse est né le 2 août 1859, à Versailles, dans un milieu fait
pour éveiller toutes ses curiosités précoces d'artiste. Il est, en effet, le beau-fîls de Théodore
de Banville et quelque chose de ce prodigieux talent pittoresque et raffiné est resté dans son
propre talent. Il produisit de très bonne heure et se lança d'abord dans l'illustration, genre
auquel il est volontiers revenu. Le premier succès qui lui ouvrit la voie fut son Vitellius
traîné dans les rues de Rome par la populace (Salon de 1S82), toile où l'archéologie se faisait
\ivante, où les passions de la plèbe
déchaînée contre le corps pantelant
de l'ignoble fantoche impérial,
éveillait une forte sensation de
réalité. Rochegrosse obtint une
deuxième médaille'; son tableau,
acquis par l'Etat, fut placé au
Musée de Sens. L'année suivante,
il disputait et enlevait à Henri
Martin le prix du Salon avec son
Androinaqiic. Depuis, il puisa soit
aux sources d'inspiration de l'anti-
ciuité et, surtout, de l'antiquité
iirientale, comme dans sa Mort de
Babylone (1891), Horde de Huns
pillant une villa Gallo-romaine, soit
à l'histoire du moyen-âge, comme
dans sa Jacquerie, unissant dans
M)n art complexe, soucieux de
vérité, l'esprit de résurrection des
Th. Gautier et des Flaubert avec
les dons d'archéologue et d'ethno-
graphe des Gérôme et des Alma-
Tadema. Rochegrosse a été décoré
Son concurrent d'autrefois,
Hi;.\Ri M.iiRTiN, est né à Toulouse
le 5 août 1860. Elevé dans un
milieu très modeste, il manifesta
de bonne heure ses dons pour la
peinture, étudia d'abord à l'Ecole des Beaux-Arts de Toulouse et fut envoyé à Paris, où il
entra dans l'atelier de son compatriote J.-P. Laurens. Ses travaux de début ne tranchent
sur la production courante que par leur caractère de réaction poétique au milieu des tendances
documentaires, presque universelles, de l'époque. Il expose une série de tableaux tour à tour
inspirés par Dante ou Lord Byron, Alfred de Musset ou Baudelaire. Il était alors affilié à
une petite coterie artistique: le Salon de la Rose -t- Croix, qui défendait les droits de l'idéalisme;
il affirmait pourtant, dès ce moment, ses préoccupations de luministe, qui se marquèrent
assez violemment dans sa Fête de la Fédération et VEntréc du président Carnot. Ce fut une
crise, crise réaliste, qui l'entraîna vers les procédés techniques de l'impressionnisme, mais
M.XKUKL liA-CHEl.
Henri Ruchcfoit (IVtit Palais).
Ecole trancaise.
20
dont il sut tirer le parti
le plus heureux dans les
vastes décorations pour
le Capitole de Toulousr.
l'Hôtel de Ville de Paris,
et la Caisse d'Epargne de
Marseille, où l'allégorie
évolue de plus cn^plus
chaque jour, du passé de
l'histoire aux réalités du
présent et où les figure^
sont délicieusement ac
cordées au paysage, sous
les jeux à la fois les plus
éclatants et les plus ten-
dres de la lumière. Après
toute une suite relative
à Clémence Isaure, les
Faucheurs, qui représen-
tent un des âges de la vie dans la décoration du Capitok- de Toulmisc, cimipu^
naturahste, émouvante de vérité dans sa gloire estivale et son labeur r\-tlimé, c-st
la plus magistrale. Elle a figuré au Salon de 1903. Henri ;\Iartin a nbtrnu '
d'honneur en 1907: il est officier de la Légion d'honneur depuis 1903.
fMlIséf "lu I.ll\
iti(_in toute
son leuvre
a médaille
En 1908, la médaille d'honneur
(Seine et Oise), le 5 août 1862. Elle était
enlevée, non sans lutte, par le succès du
portrait de Henri Rochejort, d'une mâle
probité de métier et d'une expression très
intense. Cette distinction supérieure s'éten-
dait d'ailleurs à tout un passé, rempli par
une production, toujours savante et loj-ale,
d'aimables ou francs portraits. ^larcel
Baschet, qui est élève de Jules Lefebvre
et de Boulanger, a obtenu le grand prix
de Rome en 1883; il a été décoré en 1898.
Une des particularités, qui, à la fin
du XIXe siècle et, plus activement encore
au commencement du siècle suivant, \"a
marquer l'organisation des arts, est la
formation de nombreux petits groupes et
le développement des expositions privées,
qui arriveront bientôt au pullulement.
Produits, plus tard, en vue d'échapper à
la cohue des grands salons, pour des raisons
d'ordrej économique ou par suite de divi-
sions intestines au sein de certaines sociétés,
était atribiiée à M.akcel 1-).\S( iiet. né à Gagny.
DlNET. — .\btlel-r,hfr
dul.ii\emb..iirg).
204
La Peinture au XIX' siècle.
divisions suivies de scissions, ces groupements ;i\-;dent primitivement pour but de réunir des
artistes qui s'étaient spécialisés soit par l'emploi de certains procédés, tels les pastellistes,
les aquarellistes, soit par la direction d^■ leurs études, comme les orientalistes, ou simplement
qui s'étaient associés par affinités de goûts et de tendances. Après avoir tendu longtemps
\-ers une grande organisation unique et centralisée. l'Ecole penche donc aujourd'hui de plus
plus \'ers l'iudix'idualisatinn. sinon des ])ersonnaIités, du moins des ])etites familles artistiques.
.\ cette heure il n'est plus guère piissitile de les c(jmpter, car chaque société existante en
produit quotidiennement de nouwlles jKir une sorte de travail cellulaire. Mais il en est
Etienne Dinet. - Lu Fils du Saint Miabeth.
quelques unes qui ont continué leur évolution régidière, depuis leur formation dans les
dernières années du siècle précédent, et qui ont eu une influence sur le cours de l'inspiration
artistique par le lien qu'elles ont établi entre certaines individualités et la place que celles-ci
ont prise dans l'histoire de notre temps.
l'ne de ces plus anciennes sociétés est celle des Peintres-Orientalistes. Elle avait été
projetée dès la mort du peintre Gustave Guill.^umet. Cet artiste s'était acquis, après
Frtjmentin et les autres peintres de la vie arabe, ime notmiété très grande par son inter-
prétation nouvelle de ces sujets exotiques qui. depuis le début du siècle, avaient passionné
Ecole française.
;o:
notre école. Formé en j)leine période
de préoccupations naturalistes, après
avoir hésité à la suite de Delacroi.\,
été influencé quelque peu par BelK'.
il avait subi, à la fin. la direction
de Millet et il a\"ait \'oiilu. à sa
manière, résoudre les grands pro-
blèmes lumineu.x soule\-és par ce
ciel exceptionnel et traduire les
grands côtés dliumanité des popu-
lations pastorales.
Laghoiiat (Salon de iS7r)),;iu
matin, en hiver, avec ses indigènes
encapuchonnés qui sortent pour
s'imprégner des premiers rayons du
soleil, et surtout la Séguia (le ruis-
seau) près de Biskra, (Salon de
1884), avec ses robustes silliouettes
à contre jour, dans leurs waleurs
exactement notées, leurs ombres
mangées de reflets, leur large lumière
diffuse, disent fortement la poésie
âpre et virile de ces contrées. Ces
deiLX tableaux appartiennent au
Luxemb(jurg.
Guillaumet était né à Paris
le 26 mars 1840. dans une famille de
riches teinturiers de Puteaux, qui
ne firent point obstacle à sa voca-
tion. Il avait été élève de Picot.
carrière, un peu par hasard. Il est
mort le 14 mars 18S7.
Le prestige de son (eu\'re
groupa donc quelques jeunes artistes.
qui l'avaient suivi de près ou de
lom dans ces pays de soleil et qui
avaient formé une première tenta-
tive d'union, à l'occasion de TE.xpo-
sition de i88g, dans le pa\-illon
spécial de l'Algérie. A la suite de
Gérôme et de Benjamin Ci:)nstant se
constitua bientôt la société a\-ec
Ch. Cottet, Maurice Bomp.ard, qui
reportait à Venise sa vision colorée
d'Algérie; CHrD.A.XT. peintre des
nocturnes du désert: P.\rL Lekov.
subtil et déhcat analyste des ardentes
lumières sahariennes, qu'il adaptait
Au moulin d<_- la ( ialet;.
puis de Barrias et était parti pour l'Algérie, où il fit sa
2o6
La Peinture au XIX^ siècle.
à ses grandes compositions de figures; Makius Perret (Moulins 1853 — Sindanglaija; Java,
1900), dont le nom restera comme celui d'un des plus exacts observateurs de ces effets de
lumière; Maurice Potter (1865 — 1898) tué en revenant du Nil blanc; LuNOis, universel-
lement connu comme lithographe; L. A. Girardot, qui a dit toute la poésie des crépuscules
marocains et des cimetières Israélites; les frères Paul et Amedée Buffet, H. Vollet, J. de
LA NÉZIÈRE et tant d'autres. ;\lais de ce groupe se détache une personnalité exceptionnelle:
c'est celle de Etienne Dinet.
Cet artiste est né à Paris le
28 mars 1861. Après avoir fait toutes
ses études, libéré du service militaire,
il entra à l'Académie Julian et s'inti-
tula d'abord élève de Bouguereau.
Son instruction technique fut rapide
et il arriva très vite' à une fermeté
et à une souplesse de métier tout à
fait rares. Il avait, dès l'origine, le
don du dessin, le sens de la vie, de
l'expression, du geste et du mouve-
ment, qualités qu'il a portées au plus
liant point dans ses œuvres ultérieures.
En 1882, il fut entraîné un peu par
hasard, de même que Guillaumet,
vers les côtes de l'Algérie. Il se pro-
posait de partir pour l'Italie quand
il se décida à suivre Lucien Simon
et son frère, qui traversaient la
Méditerranée. Il fut tellement cap-
tivé par ce premier voyage qu'il
retourna en Algérie, l'année suivante,
à l'occasion de la bourse de voyage
ipi'il \-enait d'obtenir. Depuis, pen-
dant près de vingt-cinq ans, il n'a
«essé d'y retourner et d'y séjourner,
^e pénétrant de plus en plus des
raractères locaux du paysage et des
populations indigènes, et en extra-
yant tous les éléments pittoresques,
avec une puissance de réalisation
qui dépasse tout ce qui avait été
tenté par ses plus illustres devanciers. Dinet restera comme le peintre et le poète de la vie
arabe. Il y est entré non pas en occidental, mais en vrai oriental et comme avec une
âme de musulman. Abdel-Gheram et Nour-el-Aîn, ainsi que le Fils du Mrabeth, appartiennent
tous deux au même Salon de 1901. Ils résument chacun sa manière; l'un, ce nocturne
amoureux, sur le mode féminin et attendri de charme, de beauté et de rêverie; l'autre, cet
enfant sacré, porté par une sorte de St. Christophe, vers qui se précipite la fanatisme des
fidèles, sur le mode viril de mouvement, de foule, de lumière ardente, de physonomies
mobiles et expressives, de gestes violents ou tumultueux. Le premier de ces ouvrages, qui est
comme l'illustration d'un poème de son compagnon' de route et de travail. Si_Sliman ben
Maukick UtMs
-cole trancaise.
207
Ibrahim Bamer, appartient au Musée du Luxembourg. Dinet est oilicier de la Légion d'iionneur
depuis 1905.
\'ers 1895, on ]iouvait remarquer une certaine agitation parmi les jeunes. Ils
protestaient, à leur tour, contre la stagnation de FEcole dans l'obserN-ation étroite et le
documentarisme morne. Une réaction se produisait, idéaliste ou coloriste; elle provenait des
milieux les plus divers. On voyait poindre le Salon de la Rose + Croix, sous le patronage du
,,Sâr" Joséphin Péladan, le groupe des néo-impressionnistes et symbolistes, qui ouvrait ses
expositions rue Le Peletier. L'atelier de Gustave ;\Ioreau, d'autre part, était en pleine effer-
vescence. Il serait aisé de rattacher
tous ces mouvements artistiques aux
mouvements littéraires et de marquer
les rapports, conscients ou incon-
scients, de ces jeunes peintres avec
les Stéphane Mallarmé, les Paul Ver-
laine, les Jean Moréas et les autres
poètes plus jeunes, symbolistes ou
décadents, sans parler de l'influence
des Anglais Shelley et Swinbume,
très appréciés par la jeunesse en ce
moment. Du milieu impressionniste,
qui semblait alors le milieu indé-
pendant par excellence, et auxquels
s'étaient rattachés les esprits les plus
ardents et les plus libres, sortirent
quelques individualités, violemment
discutées, mais qui finirent par
s'imposer grâce au fort accent per-
sonnel de leur vision. Il faut citer en
tête Henri de Toulouse-L.autrec
et Paul Gauguin. Tous deux expo-
saient à la date indiquée dans la
boutique du marchand Le Barc de
Boutteville, 47, nie Le Peletier. Le
premier, descendant d'une ancienne
et illustre famille de France, est né à
Albi le 24 novembre 1864. Ses études Aman-Ji:an. - Pui-n-ait.
achevées, il s'adonna à la peinture
pour laquelle il se sentait une véritable vocation. Il étudia avec le peintre animalier
Princeteau, puis à l'atelier Cormon, mais, fut surtout attiré par les pastels de Degas et dirigé
par les conseils de Forain. De terribles accidents, dont il fut victime dans le premier âge,
l'avaient rendu difforme et cette infériorité physique était d'autant plus douloureuse que
l'homme était doué d'une vive intelligence et animé d'une soif ardente de vie. Il eut aimé
les chevaux, les sports et le reste. De dépit il se lança dans une existence qui l'usa et l'enleva
à l'âge de trente-sept ans, le 9 novembre 1901. Il a peint le monde dans lequel il a vécu: turf,
hôpitaux, cafés-concerts, bals publics et mauvais lieux, a\'ec un dessin mordant, nerveux,
expressif jusqu'à l'exaspération et les accords les plus rares et les plus délicats de colorations,
à l'exemple des Japonais. Il a surtout employé le pastel et la lithographie en couleurs.
2o8
La Peinture au XIX'^ siècle.
L'horreur du convenu, un besoin profond de nouveauté et d'ingénuité, produisit, à
la fin du siècle, chez certains jeunes artistes les mêmes tendances archaisantes que celles
qui s'étaient dé\-eloppées au sein même de l'atelier de David. Tantôt à la suite de Degas,
tantôt derrière Pu\-is de Chavannes, puis à côté de Cézanne, mais très librement, et en
regardant surtout vers ces primitifs tant prônés alors, la figure de V.wl (i.-\UGrix émerge
d'un groupe de déliquescents, amoureux des abréviations outrées et des synthèses décoratives.
Gauguin (1851 — 1903) eut une vie très accidentée. Né d'un père breton et d'une
métisse péruvienne, il travailla d'abord en Bretagne, où il fonda, a\"ec quekjiies disciples,
ce qu'on appela l'Ecole de Pont-Aven, en cherchant des juxtapositions franches de couleurs,
montées de tons, mais délicates de rapports, dans un dessin volontairement simplifié jusqu'à
en être fruste. L'exotisme de la Bretagne ne lui sufl'isant plus, pas jilus (pie les primitifs de
Mnrence ou de la Grèce
antique, il s'expatria en
Polynésie et il essaya ce
qu'il croyait une régé-
nération de l'art en
employant les moj'ens
de la plus extrême sim-
plicité. Quelle que soit
cette affectation d'ar-
chaïsme rudimen taire,
ses (cuvres tahitiennes
iint une fraîche et sau-
\'age saveur exotique,
ses harmonies une dou-
ceur attendrie et ses
compositions offrent
souvent un charmant
aspect de fresques
décoratiws.
Des mêmes
Sdurces est jailliletalent
de M.WRicE Denis, né
à (rranville (Manche)
le 25 novembre 1870,
qui essaya de satisfaire ses premiers instincts d'idéalisme au Salon de la Rose 4- Croix. Mais
il apporta dans son dévek)ppement plus de persévérance que Paul Gauguin, qui parait avoir
été son initiateur indirect. Un peu comme tout le monde, il avait étudié à l'Académie
Julian; mais il aimait les maîtres et surtout les naïfs et exquis florentins. Ils lui servirent
longtemps de guides, dans sa première période mystique, d'une ingénuité assez maniérée
mais déjà très séduisante, avec le charme candide et raffiné, sensuel et religieux, des poèmes
de \'erlaine qu'il illustrait. L'Italie l'avait formé, la Grèce le paracheva et le conteur
adorablement virginal et subtil des ^Madones, des Mages, de l'Imitation et de Saint François,
des petits angelots bien sages dans leur paradis printanier tout fleuri de lys, est devenu le
narrateur aussi délicieusement simple et singulier, tout-à-fait antique, par la grâce ingénue
et jusque par la gaucherie charmante des formes, des ébats de Nausicaa et de Calypso, dans
des paysages méridionaux nierxeilleux. bleus, rouges et or, verts et \'iolets. Les panneaux
J.ACcjUEs liLANLllE. — La famille Thaulow (Musée du Luxembourg).
Ecole française.
209
que ce décorateur né a exécuté en dernier lieu jxiur un .M('-eéne de Moseuu, l'IIis/oirc de
Psyché, marquent nuf nouvelle éta,]>e, plus lart,'r, plus sûre. ])lus ..classi(iue"" jinur ]irendre
ce mot dans son acception la ])lus haute, dans ré\'(ilution de cet artiste.
A cette date de i!S(}5. parmi les jeunes artistt'S qui })rotestairnt le plus c)U\a-rtement
contre les tendances anémiées du milieu environnant, figurait un petit groupe qu'on baptisa
bientôt la „bande noire", parce que leurs productions contrastaient par le ton monté de
leurs colorations avec l'ensemble des Salons, Les uns étaient déjà des camarades d'atelier ou
d'école, d'autres vinrent à eux, attirés par des affinités de goûts ou poussés par les excitations
de la critique. On désignait les physionomies déjà distinctes d'Aman-Jean, de Cottet, de
Simon, de René Ménard, de J. Blanche, de Prinet, suivis par x\ndré Dauchez, Henri Duhem,
Lobre, Ulmann, avec des éléments nou\-eaux \-enus d'ailleurs. Ils fondèrent plus tard la
Société Nouvelle, qui s'est reconstituée ensuite, dans les premières années du XX'^' siècle, sous
la rubrique de ,,Ex]i()siti(in de pi-intres
et sculpteurs sous la présidence dr
Rodin'". Le plus âgé de ces jeunes
était Am.-\n-Je.\x, né à Chevry-Cos-
signy (Seine-et-Marne) le i(S n(i\-embre
1860. Élève de Hébert et de Puvis
de Chavannes, il a\'ait gardé de ces
deux maîtres un sentiment des har-
monies chaudes et vibrantes l't un
goût pour les sujets poétiques. II
débute, en effet, par des compositions
prises dans le monde de la légende.
de l'histoire ou de la fable, telles que
St. Julien l'hospitalier. Ste. Geueviève
ou Jeanne d'Are, l'n voyage à \'enise
porta ce double esprit harmonique et
poétique sur les réalités contempo-
raines et il peignit des ]'éiiitiennes.
puis des parisiennes avec toutes les
grâces les plus déliquescentes de leurs
toilettes modernes, en des assemblages
de tons très rares, des combinaiscms d'arabesques très expressives. é\'oluant chaque jnur \-ers ce
qui semblait être, dès ses débuts, sa vocation: la décoratiem sur le mode poéticiue. Aman-Jean,
qui avait obtenu une bourse de voyage en 1885, est chevalier de la Légion d'honneur depuis iqoo.
J.-VCQUES Bl.vxche est né le 30 janvier 1861. Ses premiers ouvrages le firent déjà
remarquer par des dons qui marquaient une forte culture, un sentiment juste des conditi(.>ns
de son art et une distinction innée dans le goût. Il semblait, à ce moment, suivre phis volontiers
la voie réaliste de Manet. mais mitigée par l'influence des maîtres anglais, not, miment de
Gainsborough, comme il apparaît dans ce portrait de la jainille l'ihiulow. du Musée du
Luxembourg, exposé au Salon de 1896. qui est un exemplaire typique de cette ]K-riodc- aux
tons gris, frais et argentés. Depuis, sa manière s'est échauffée, sa palette s'est rnrichie, sa
compréhension s'est encore étendue et il a exécuté, dans des accords impré\"us et puissants,
des portraits sa\-ants et forts et les ]ilus désirables natures UKjrtes. Le Luxembourg possède
de cette époque le portrait du romancier Paul .Adani. ([ui a un beau style classi(]ue.
René MÉN.\Rn. — Portrait de Louis Méimrd (.Musée du Luxembourg).
2IO
La Peinture au XIX^' siècle.
Né dans un cercle essentiellement lettré et cultivé, René Ménakd est, lui aussi, un
esprit de forte culture. Près de son père et de son oncle, le philosophe Louis Ménard, son
intelligence ne pouvait que s'ouvrir à toutes les formes de la Beauté, dans la réalité ou dans
le Rêve. Son premier Salon date de 1883; il hésita quelque temps entre les sujets antiques
et les sujets modernes, visiblement influencé, comme tous ses camarades, par l'évolution
naturaliste du moment. Puis vers 1890, il trouve sa voie dans laquelle il marche chaque
jour d'un pas plus assuré, entre le portrait, physionomique, attentif, fouillé, — tel celui de
Louis Ménard, au Luxembourg — et des visions synthétiques de paysages aux colorations
d'un éclat grave, sous des cieux mouvementés, peuplés de troupeaux épiques ou de belles
femmes nues aux formes pures, qui se
mirent dans les eaux. Un voyage en
Sicile accentua son contact premier avec
l'antiquité. De là ces belles toiles ,, histo-
riques" (ÏAgrigente (iSgo),' Terre antique
(1901), etc. René Ménard est chevalier de
la I^égion d'honneur depuis 1900.
Les deux personnalités qui pre-
naient, dès le premier jour, la tête du
petit groupe par la vigueur de leur tempé-
rament, leurs audaces et même leurs
outrances, sont celles de Lucien Simon et
de Charles Cottet. Le jugement public
les associait déjà avant qu'une étroite
amitié vînt les unir. Tous deux venaient
de reconquérir la Bretagne, envahie déjà
par tant de peintres, et donnaient une
expression d'une énergie encore inconnue
de la vie de ces populations maritimes à
l'extérieur exotique et au caractère pri-
mitif. Tous deux, comme leurs autres
camarades, appartenaient à des milieux
bourgeois, aisés, et recevaient une instruc-
tion première très développée.
Lucien Simon, l'aîné, est né à
Paris le 18 juOlet 1861. Il enleva ses grades
universitaires et parut hésiter un instant
entre les lettres et les arts; mais son parti
fut vite pris. Il entra à l'Académie Julian,
ovi il se trouva avec Dinet, Desvallières et René Ménard, et exposa dès 1885. Pendant quelques
années il tâtonne, à son tour, entre les sujets scolaires et les aspects attirants de la réalité.
Puis il se donne tout à elle. Tantôt il se consacre à la peinture des mœurs et des paysages
bretons, qu'il traduit avec une puissance d'observation objective, une pénétration des types,
des physionomies et jusque des caractères de la race, en portraitiste clairvoyant et implacable,
à l'œil duquel rien n'échappe et dont la main hardie, nerveuse, mais assurée est la serve obéissante
du cerveau. Tantôt il se livre, comme jadis Fantin, à des groupements intimes de portraits, où
ses facultés exceptionnelles s'assouplissent et se détendent sur le visage de personnes aimées,
de parents, d'amis et en des combinaisons de lumière inattendues, d'un haut effet pittoresque.
Rkné Menakd.
Ecole française.
2 I
La Pfoccssidii (Sabni ck- iC)iil), nu Musée du Luxiiiilinuii;, couinic l.i < 'd i!><(-yiL- dit Soir (i(}"2),
cette toile si intense de \ii' dans sa double huniric, du Musti' de Stoekliolui, sont des
exemplaires typiques du ees deux forniLS de son uis])iration. Lueien Simon a été déc<u'é en 1900.
Madame Lucien Simon est également peintre de taV'Ut.
Charles CcrriEx est né. le 12 juillrt i8() ;, a.u l'uv. où son père était alors juge de jiaix.
mais d'une \'ieille famille sa\"o\'arde. Ses maitres nu ])lutè)t ses jn'emiers conseillers furent
Puvis de Cha\'annes et Roll. mais son esprit d'indépendance le porta à chercher tout seul sa
voie. Il crut la trou\'er d'abord parmi les impressionnistes et exposa dans la boutique de la
rue Lepeletier, a\ec Maurice Denis et X'uillard. Ses del)uts sont d'esprit tout analytique, ce
qui est dans la loi de l'évolution naturelle, et ra])j)ellent les paysages de Lépine. Son premier
Salon date de iSSi). Il est déjà établi en Bretagni:. dans ce coin de Caiiuirct. ipTil a rendu
célèbre par ce premier paysage aux nuages cui\'rés, ac(piis par l'I^tat ]iour le Luxembourg et
qui a été tant imité depuis.
En 1892, il allait en Algérie ;
en 1894 en Egypte, après
l'attribution d'une bourse
de voyage. Sa manière se
colorait de plus en plus et
en 1895 il arrivait a\'ec cet
Enterrement breton, aujom'-
d'hui au IMusée de Lille,
qui lit scandale. Essen-
tiellement peintre, mais
peintre expressif. Cottet
diffère de Simon par sa
vision subjective. Il mêle
les ardeurs généreuses de
son âme à tous les spec-
tacles qu'il contempl(.". De
là la forte émotion qui
émane de ces paysages et
de ces sujets de la vie
maritime et surtout de ces
DeMî/s marins, si profondement ]ioignants et humains. Le grand triptyque du Salon de 189S.
qui résume sa série ..An [>iivs de lu /iier^\- l\[dieii : eenx qui s'en vont: eelles qui restent.
est à la fois la composition la plus signilicati\-e de son (euvre en même temps qu'une des
compositions — avec la Prueessinn de Simon — les plus significatives de cette génération.
Cottet a été décoré en i<)0o.
Gaston La Touche et Henri Le Sidaner. bien qu'associés à ce groupe, sont loins d'être
issus de la „bande noire". Ils sont partis tous deux du point opposé, d.xsrox r.\ TorciiE.
qui est un des aines — il est né à St. Clond le 29 octoliiv 1S54 — a toujours été préoccupé
des problèmes luministes; il exposait, jeune encore, cIkv Nadar a\-ec les impressionnistes et
longtemps il fut compris j)armi eux; mais il était accepté du public à cause de cette
originalité, qui perçait déjà, et qui de\-ait s'é]ianouir si heureusement en décorations de la
plus aimable et de la plus alerte fantaisie. 11 est de la \raie lignée de W'atteau et de
Fragonard. Une grâce bien française, où entre (luehiue chose des carnavals \ énitiens. martjue.
LUCIK.N Sl.MON.
ilu Soir (Musée de Stuckholm).
2 14
La Peinture au XIX"' siècle.
en effet, toutes ces Conversations et ces Fêtes galantes, dont la Fête de Nuit, du Luxembourg,
avec son feu d'artifice brisé sur les eaux, ses figures amoureuses glissant dans la barque,
conduite par un vieux faune, est, pour ainsi dire, le bouquet. Cette toile a été exposée en
i()o6. (kiston La Touche est oflicier de la Légion d'iionneiu" (1909).
Henki le Sidaner est né à l'Ile Maurice le 7 août 1862. Élève de Cabanel, il fut
entraîné de suite vers la peinture des réalités, mais il y portait un esprit mystique, qui se
modifia heureusement pour prendre ce délicieux caractère de poésie intime et familiale, si
attirant dans ses tableaux de dessertes sous la lampe ou de jardins au soleil. Ce sujet de la
Table, avec ce que les éléments discrets de la nature-morte appellent de rêves sous les
jeux des rayons lumineux, a été souvent repris par lui. Il s'en trouve deux exemplaires
différents au Musée du Luxembourg. Le Sidaner est décoré depuis 1906.
Lîn des phénomènes les plus singuliers, qui se soient produits dans le développement
de la peinture à la fin du siècle passé est la brusque é\'olution réaliste du petit milieu
archaïsant formé par l'enseignement de Gustave Moreau. Il était apparu d'abord comme
un des plus actifs éléments de réaction idéaliste; il était saturé de l'œuvre des maîtres et
ses membres opposaient volontiers les Musées à la Nature. Bientôt, à la mort de celui qui
dirigeait si passionnément leur conscience artistique, on les vit abandonner le monde de la
É
colc
fi-r
ancaise.
2 I
chimère, du rêve, de la fable, de la légende et de riiistoire pour se griser de m(jdemité
et renoncer aux conseils des vieux primitifs florentins ou vénitiens pour prendre leur mot
d'ordre des Espagnols. Simon Bussy, Milcendeau, Du Gardier, E. Martel, Besson. Maxence,
Béronneau, se lancèrent, chacun, suivant son tempérament, dans l'expression de la vie
moderne. Bien mieux, quelques uns se tournèrent vers les plus outrés et l'on vit bientôt
H. Matisse, Ch. Guérin, Flandrin. Rouault, et même Georges Desvallières, l'élève de prédi-
lection de Delaunay et de Gustave Moreau, faire amende honorable de leur dilettantisme
savoureu.x et bâtir chacvm sa nouvelle maison sur un coin de la Thébaïde austère de Cézanne.
C'est ce milieu qui forma, au début du siècle nouveau, en se combinant avec d'autres
t.\-MN I \ r. itrut:. — Ictf .le Xuit : Mu^L•c du LuxcnibourL; ).
éléments, la dernière importante scission du Salon d'.\utomne. On y trou\-ait, \'enus de
l'Exposition des Indépendants, les néo-impressionnistes de jadis, Maurice Denis et E. \'riLL.-\RD,
celui-ci doué d'une si exquise sensibilité de vision, d'une si délicate originalité d'intimiste
et de décorateur, ou d'autres, partis des milieux traditionnels, mais ayant évolué à la suite
de Constantin Meunier et de Carrière, vers les tendances sociales et l'expression de la vie
populaire, comme Jules .\dler (né à Luxeuil, Haute-Saône le lo juillet 1865), chevalier de
la Légion d'honneur en 1907, dont le Luxembourg possède le tableau caractéristique des
Haleurs (Salon de 1904).
Une des personnalités, qui >'<,->t le plus_distinguée à côté des précédentes est celle de
i6
La Peinture au XIX' siècle.
HeNKI LK SlIiANKR.
René Piot (né à Paris le 21 jan-
\-ier 1868). ancien élève de Gustave
Moreaii, revenu à son point de
départ, \'ers les maîtres, dont les
fresques aux fortes harmonies
évoquent le souvenir complexe
des vieux italiens de Padoue et de
Ferrare confondu avec celui, plus
moderne de Chassériau, dans des
Hores tropicales à la Gauguin.
On ne peut conclure sans
signaler le mouvement féministe
qui, dans les arts, a fourni des
rt'crucs si exceptionnelles depuis
cjue l'enseignement s'est étendu
également aux femmes comme
;uix hommes. Après Ros.A. BoN-
IIEIR et VlRCIXIE DeMONT-
Bri:T()X (née à Courrières, Pas-
de-C;dais. en i85()). Mademoiselle Axgèle Delasalle. ;M.'da.me Chacchet-Guilleré, et
particulièrement Mademoiselle Hélèxe Clémextixe Dupau. se sont conquis une place élevée
dans nos Salons. Mademoiselle Dufau est née à Ouinsac (Gironde) en 1869. Venue à Paris
à Page de vingt ans. elle entra à IWcadémie Julian, exposa pour la première fois en 1895,
et. tout de suite, se fît remarquer
par la décision de son dessin,
kl souplesse de son métier de
jieintre. la fraîcheur et l'éclat
de sa \"îsîon. qualités qu'elle
de\-eloppa encore, plus tard,
dans des toiles de caractère déco-
r.itif, telle cjue YAiitoiinic du
Musée du Luxembourg (Salon
(le iQob), d'une haute distinction
lie conception et d'une exécution
souple et voluptueuse, pleine de
charme. Elle a été décorée en 1909.
Ces dernières générations
et ces derniers noms forment la
transitii.in entre le XIX^ siècle
et le XX^'""-". En considérant la
direction de leur pensée et l'acti-
\-ité de leurs efforts, il est permis
d"en\'isager sans inquiétude Pave-
nir de l'école française. Les der-
niers venus sauront se montrer
dignes de leurs aines.
HELENE Clémentine DrEAC.
( Musée du Liixenil
G. FRÉDÉRIC WATTS.
l'Amour et la Vie.
(MiiSfe lin [.uxenibourg).
CHAPITRE \III.
ÉCOLES ANGLAISE ET AMERICAINE.
^ I. Ecole Anglaise.
APRES le brilknt
épanouissement
qui marque la lîn
du siècle précédent
dans le portrait et le
paysage, une longue
période de somnolence
se produit au sein dr
l'école anglaise. Les
générations nouvelles
vivent sur le sou\'enir
des glorieux aînés qu'ils
exploitent mollement
et l'art dégénère dans
les conventions lâchées
de l'académisme et les
puérilités du ..genre'".
Trois grands nom-- .
pourtant, dominent
cette période, tmis
noms qui suffiraient à
illustrer l'école insu-
laire, car ils sont parmi ceux des plus hardis initiateurs de notre temps. ^luis ils y figiu-ent
en qualité de grandes individualités exceptionnelles, tout à fait isnlées, qui n'exercent pas
d'influence autour d'elles. Ce sont les noms de Bonington. de Constable et de Turner.
Le premier, et de beaucouj) le plus jeune, iniisqu'il est le cadet de 25 ans des deux
autres, Bonington, semble appartenir plutôt à l'école française qu'à son milieu local: c'est
en France, en effet, que s'est formée toute son éducation et que s'est déroulée presque toute
sa carrière. Les anciens catalogues du Louvre le comprennent même au milieu de l'école
française, près de Delacroix et de Paul Huet, ses camarades de lutti" et ses amis. Richard
Parkes Bonington est né au village d'Arnold, près de Nottingham. le 25 octobre 1801. Son
père était un peintre amateur, qui fut obligé de tirer parti de son talent, après avoir perdu,
par son inconduite, la place qu'il occupait dans l'administration de la prison du Comté, tandis
que sa mère dirigeait une école. C'est près de son père que Bonington reçut les premières
notions du dessin. \'enu à Paris à l'âge de 15 ans. il entra à l'École des Beaux-Arts, dans
l'atelier de Gros et. ainsi que ses camarades, fréquentait assidûment le Louvre. C'est là,
pour lui comme pour eux, que se lit vraiment son éducation. Il exposa aux Salons de 1822,
-1./ Ver-aïUes (Mu-,l-c ..lu Cuv
2l8
La Peinture au XIX^ siècle.
1824 et 1827, célèbres d^ms les fastes roniantitjues, y (ibtint un grand succès et fut médaillé
en 1824. En 1827 il fit un voyage à Venise, fertile en heureuses productions où s'affirme sa
sensibilité délicate devant les phénomènes de la lumière et de l'atmosphère; il pousse une
petite excursion à Londres et revient à Paris, où il obtient de nouveaux succès. Mais sa
santé était très atteinte; comme il faisait une tournée en Normandie avec son camarade
Paul Huet, il dut partir brusquement pour Londres, où il mourut, peu de jours après son
arrivée, le 23 septembre 1828.
Bonington peut être considéré sous le double aspect de la peinture d'histoire et de la
peinture de paysage. Sous le premier aspect, il reste tout à fait dans la tradition romantique
du , .genre historique", c'est-à-dire de l'iiistoire vue par le côté anecdoticiue. Mais il y apporta
J01[N CllNSTABl.l-
.ires).
ses qualités natives et toutes britanniques de distinction et d'élégance et sa technique brillante,
fluide et aisée. On connaît son fameux tableau de François !'">' et la duchesse d'Etanipes, au
Louvre, et surtout François /"■ et Marguerite de Navarre, de la galerie Wallace à Londres;
Henri IV et les Ambassadeurs espagnols, de la même collection, etc. Il y niontre l'heureuse
assimilation de tout ce qu'il devait aux maîtres de Flandre, de Hollande ou de Venise: colora-
tions chaudes, limpidité de la lumière, transparence des ombres, profondeur mystérieuse des
intérieurs dans laquelle se noient les contours. Comme paysagiste, il offre une technique encore
plus libre. Il peut rivaliser avec les plus beaux vénitiens, soit pour la chaleur de leur coloris,
soit pour la fraîcheur argentine des ciels et la grâce divine de la lumière. Il procède, tantôt par
œuvres finies et caressées, mais avec franchise, éclat et sans mollesse, tantôt par notations
rapides, nerveuses, heurtées, d'une si heureuse audace de vision et de touches si vivement
racole ani'iaise.
2 19
abrégées qu'un y pressent toute révolution future de rimpressi(jnmsine. L'esquisse du l'arc
de Versailles, du Louvre, avec les bruseiues et alertes notes de vermillon des culottes de
soldats dans les marbres et les verdures, sommairement, mais si nettement et si justement
indiqués, ne présentent-elles pas Bonington connue le premier des impressionnistes?
John Coxstable est né à East Bergholt, dans le Suffolk, en 1776, le 11 juin. Son
père, qui était meunier, le destinait d'abord à l'église: mais il lui permit enfin de suivre sa
vocation. Il travailla, au début, autour de sa ville natale, alla à Londres en 1795, re\-int
dans son pays et retourna à Londres en 1799. Il entra alors comme élève à l'Académie royale
et reçut quelques leçons des paysagistes Joseph Farington et Richard Reinagle. Il se maria
en 1816 et, à partir de 1820,
s'installa près de Londres.
à Hampstead, où il a pres-
que toujours travaillé. Son
premier paysage fut exposé
en 1802. Il fut associé à
l'Académie rovale en 1819
et nommé titulaire en 1829.
Mais il fut peu goûté de son
temps, du public anglais:
il ne vendait aucun de
ses ouvrages, alors qu'en
France il était célèbre et
profondément admiré par
les maîtres les plus en
renom tels que Delacroix.
C'est ainsi qu'au Salon de
1824, à Paris, il reçut une
médaille d'or. Il mourut
subitement à Londres le
ler avril 1837.
L'admiration des
romantiques français ne
s'était pas trompée dans
l'accueil enthousiaste
qu'elle fit à Constable. Il
est vraiment unes des
individualités les plus puissantes et les plus originales du paysage moderne, le plus libre et
le plus hardi précurseur. Sa vision indépendante, sa technique fougueuse et personnelle
devancent et même réalisent déjà toutes les audaces des révolutionnaires ultérieurs du paysage,
dans la matière, dans la touche et dans la couleur. Il a exercé une influence très féconde
sur le paysage en France, depuis les romantiques comme Paul Huet ou les naturalistes
comme Daubigny, jusqu'aux derniers impressionnistes. Le Louvre comprend plusieurs œuvres
instructives de ce maître, telles que l'admirable esquisse de F Arc-eu-ciel, prélude de celui de
Millet, donné par Mr. John Wilson. Mais c'est surtout à Londres, à la National Gallery et au
Musée de South Kensington. qu'on peut l'étudier dans toute sa variété et à sa mesure. La
Charrette de foin, de la National dallery, représentant une charrette, conduite par deux
paysans, qui traverse un ruisseau près d'un C(3ttage aux toits de tuile aigus, à demi caché
|i>^Kril W. TlKNEK.
Peace (Nation.nl t.allery do Londres).
220
La Peinture au XIX'' siècle.
dans les arbres, est, justement, le tableau cjui fut courimné à Paris, au Salon de 1824.
Quant à Turner, c"est une des plus étranges en même temps qu'une des plus grandes
figures de l'art moderne. On avait nommé le vieux maître japonais Hok'saï, le , .vieillard
fou de dessin", on aurait pu appeler le \ieux Turner, caché sous un faux nom dans im
réduit de Chelsea, où il mourut inconnu le 19 décembre 1851, ,,le vieillard fou de lumière".
Joseph \V. Turner naquit le 23 avril 1775, dans Maiden Lane, Covent-Garden, oii son
père était perruquier. 11 s'était lié de bonne heure avec Thomas Girtin, qui devait devenir
célèbre comme aquarelliste, fut entraîné par lui dans cette voie et s'exerça d'abord à faire
des copies de la collection de dessins du Dr. ]\lonro, qui lui payait ces reproductions une
demi-guinée. Il étudia ensuite à l'Académie Royale en 1789, exposa un dessin dès l'année
suivante et sa première peinture en 1793. En 1799, il fut nommé associé et en 1802 membre
de cette illustre compagnie; il y fut même élu professt'ur de perspective. Il visita en 1802
la France et la Suisse, puis plus tard
l'Italie où il séjourna trois fois en 1819,
1829 et 1840. Il travailla beaucoup
pour les éditeurs et a exécuté, dans
le prodigieux labeur de son œuvre,
un nombre d'aquarelles considérable.
Dans la première partie de sa carrière,
après a\'oir suivi les traces de Wilson
cpù. lui-même, marchait de loin, à
( r>té de Joseph Vemet, dans celles de
( laude Lorrain, Tumer subit fortement
l'influence des peintres hollandais Van
de \'elde, Cuyp et "Van Goyen; puis
son admiration pour Claude Lorrain
fut si exclusive qu'il s'attacha à l'imiter
étroitement, publia, à partir de 1807,
un Liber Studiorum, à l'imitation du
Liber Veritatis du maître français et
rivalisa si loin a\-ec lui que, dans son
testament, par lequel il léguait sa
fortune à l'état anglais avec tous ses
tableaux à la National Gallery, il
mettait comme condition que deux de
ses toiles: Didon et le Soleil se levant dans le brouillard, seraient exposées entre deux Claude
Lorrain. A partir de 1830 il s'abandonna en toute liberté à cette sorte de lutte passionnée
pour traduire, avec les médiocres ressources de la peinture, toutes les splendeurs et toutes
les fantasmagories de la lumière solaire, décuplées sur la surface éblouissante de la mer. Il
reste parfois au-dessous de son rêve, mais parfois aussi il atteint, par ses folles audaces, à des
impressions qui touchent au sublime. ,,Pcace" ou les Funérailles du peintre Sir David Wilkie,
dont le corps est jeté à la mer, du bord d'un steamer, sur la côte de Gibraltar, au retour d'un
voyage à Constantinople, le i^r juin 1841, avec ses contrastes de lumière et de fumées, son
caractère de solennité grandiose et comme d'apothéose, sont un des exemplaires indiscutables
de cette manière du maître. Ce tableau, exposé en 1842 à la Royal Academy, fait partie^du
legs Tumer à la National Gallerv.
Au moment même où se dessinaient en France les premiers symptômes distincts du
The l.iM uf Enolana.
2 2 I
mouvement qui alhiit devenir le réalisme, c'est-à-dire à cette grande date critique de 1848,
se déclarait en Angleterre une crise à peu près semblable, du moins en apparence, mais qui
n'eut ni les mêmes causes ni les mêmes résultats. C'est le mouvement qu'on a appelé le
préraphaélisme. On entend par là une tentative de réaction, produite par un petit groupe
d'artistes, qui voulaient protester contre le relâchement général dans la technique et les
habitudes d'observation de l'école anglaise. L'influence de Bonington, de Constable et de
Tumer n'avait, en effet, guère laissé de traces dans leur propre milieu et l'on sait que ce fut
surtout en France qu'ils recrutèrent, même le dernier, les adhérents les plus enthousiastes.
En France, l'évolution réaliste
correspondait exactement,
nous l'avons vu, au développe-
ment social et moral de la
nation. En Angleterre cet
essai de réaction fut purement
artificiel. II n'avait pas été
amené insensiblement , par
transition, du fait d'artistes
clairvoyants, qui, plus ou
moins timidement ou plus ou
moins hardiment , s'efforçaient
de répondre à un vœu général.
Ce fut une initiative spon-
tanée et une entreprise con-
certée, et comme il n'était
pas constitué en conformité
avec l'état présent des mœurs,
ce mouvement n'eut pas de
continuité. Ce fut un phéno-
mène isolé. Il n'en est jxis
moins curieu.v au point de
vue des produits qui en sont
sortis et du groupe de hauts
esprits exceptionnels qui le
conçurent. C'est un des
épisodes les plus instructifs
de l'histoire des arts l'inteni-
porains.
Le groupe des préra-
phaélites était donc une petite ,,^^^^, ,,,(., A.K.M ù,AK,.h,nANn).-llea...l;.alnc.MTa..-(;all.,y,I.on,l,cs).
confrérie de sept membres,
qui s'étaient imposé un programme commun et faisaient sui\Te leur signature des lettres
fatidiques P. R. B. (Pre-Raphaelite Brother). Ce mode de groupement est tout anglais et il
y avait eu précédemment, autour du \ieux \isionnaire William Blake (1757 — 1827), une
confrérie de cette nature sous le nom de l^octic Brothcrood. Leur esthétique fut formulée avec
une énergie extrême par un critique et un historien illuminé, qui mit à leur défense, comme
il avait déjà fait pour l'œuvre de Turner, l'admirable apostolat de lu plume la plus éloquente:
John Ruskin. Cette esthétique consistait, en ce qui concernait le sujet, à le pénétrer profon-
dément et à le traduire dans sa ])lus absdlue vérité, sans soustraire à son observation aucun
2 22 La Peinture au XIX''' siècle.
détail de la scène, qui, tous, doivent avoir leur intérêt et leur signification. Au point de vue
propre de la technique, elle affirmait, par voie de conséquence, la nécessité de pratiques plus
franches, de dessin précis et même minutieux, d'analyse subtile des effets de clair-obscur et
de coloris. Les habitudes louches et veules de ,, frottis", de ,, glacis", de ,, dessous" répandues
dans l'école étaient rigoureusement répudiées et le ton était posé aussi purement et aussi
hardiment cjuc possible sur la toile vierge. Le procédé de la division du ton, qui fut inspiré
au.\ impressionnistes français par les découvertes scientifiques de Chevreul, fut donc employé
déjà d'une manière systématique par les préraphaélites. Quant à l'explication de ce terme,
on entend par là un retour à ce qu'on appelait jadis les primitifs, c'est-à-dire vers les maîtres,
non pas avant Raphaël, mais comme l'a déclaré explicitement un des grands préraphaélites
mêmes, Holman Hunt, avant les artistes qui imitèrent Raphaël. Le véritable vocable, selon
( I . A 1 1 1; 1 1 L L 11 A K I 1-
(G.Tlerif municipale tle Liverpool).
lui, aurait donc dû être: prcraphalitcismc. Le premier prévalut pour la commodité du
langage. Ce retour vers les naturalistes italiens du XV^me au XIII^ siècle s'était déjà produit
en France, nous l'avons \-u. dans l'atelier de David lui-même. Nous retrouverons ces tendances,
identiques, dans l'art allemand, a\'ec la secte des Nazaréens.
Des sept frères préraphaélites, qui se renouvelèrent durant les courtes années de
l'existence régulière du groupe, les seuls illustres furent: Holman Hunt, Millais et Rossetti.
Les autres, parmi lesquels se trouvent le frère de Rossetti, Michaël-W'illiam, qui, d'ailleurs
n'était pas artiste, et Arthur Hughes, dont il reste quelques toiles de valeur, n'étaient que
d'obscurs figurants recrutés pour faire nombre.
^lais, en dehors des fondateurs, le préraphaélisme eut un père, ou du moins un père
putatif. C'est FoKD ^l.\DOX Browx, en effet, qui. involontairement, en prépara la formule.
Ecole an<>"laisc.
Cet artiste naquit à Calais, de parents anglais, le i6 avril 1821: il .st mort à l.ondres le
6 octobre 1893. Il reçut sa première éducation en Belgique, en i)artieulier à l'Aradémie
d'Anvers, célèbre par son enseignement, et sous la direction de C^ustave Wappers. .Madox
Brown commença. lui aussi, vers 1835. par des sujets romantiques imités de Lord Byron,
puis il voyagea en Italie, où il connut, à Rome, les Nazaréens allemands et vint ensuite à
Paris. Il y travailla de 1841 à 1S44. et s'y prépara, notamment, au fameux concours institué
en 1843 pour la décoration du palais de Westminster. De tous ces \-ovages, de tous les
ferments qui levaient dans tous ces milieu.x plus ou moins i-ntiévrés. et surtout de ces fortes
poussées naturalistes, qui. en France.
avaient jaiUi presque an lendemain
de réclosion romantique, le jeune
peintre rapportait une ardente soif
de vérité, un désir de réformation
de Fart, dans son caractère mtiral
et dans ses moyens d'e.xpression.
Il prêchait même que le fondement
de la peinture d'histoire était la
fidélité exclusive dans la reproduc-
tion du modèle, sans généralisation
ou idéalisation, et. pour les acces-
soires, la reconstitution exacte
d'après les documents et les monu-
ments anciens. Il exposait bientôt
un portrait, qui marquait vers quel
maitre d'autrefois étaient tournées
ses sympathies, car il l'intitulait
„un moderne Holbein".
Ses principaux tableaux
sont: Le roi Lear et Cordclia, exposé
en 1849. Chanecr à la cour d' Edouard
IIL (1851), Jésus lavant les pieds de
Saint Pierre (Tate Gallery (1852), Le
Travail, au Musée de ^lanchester,
sur lequel il resta douze ans et qui
montre, avec la minutie extrême de
l'exécution, toutes les préoccupa-
tions philosophiques et sociales de
cette peinture : Roméo et Juliette,
Elie et le fils de la l'euve et les douze
panneaux décoratifs de l'hôtel de
ville de Manchester, Son art est tendu, passionné, tragique, d'une \eritable f<jrce expressive,
qui dépasse heureusement ses principes d'exactitude littérale. Il a. comme son ancien camarade
de l'atelier Wappers, le belge Henry Levs. le sens de l'histoire et il a rendu a\'ec un certain carac-
tère de grandeur héroïque les mceurs des vieux rois barbares, saxons, danois ou Scandinaves.
The last of England (le dernier regard à l'Angleterre), qui appartient à la galerie
municipale de Birmingham, est un de ces tableaux de réalité contemporaine, aux colorations
violentes, aigiies, vivement reflétées dans l'éclat de la lumière, qui frappent par l'accent de
conviction profonde et l'intensité de l'expression. Conçu en 1851. à (iravesend. où Madox Brown
h MIN F,. Mil I Al^.
224
La Peinture au XIX'" siècle.
était allé souhaiter bon voyage à son ami le sculpteur W'oolner. qui partait pour l'Australie
avec sa femme, il a été commencé deux ans plus tard et terminé en 1855. L'auteur s'y est
peint lui-même avec sa jeune femme, la main dans la main.
En 1848, alors qu'il était encore inconnu ou méconnu, Madox Brown vit venir à lui
un jeune artiste, qui demandait à entrer chez lui comme élève. C'était Rossetti. Ils se lièrent
étroitement. Madox Brown n'entrait
pas, pourtant, dans le nouveau groupe
(|u"allait fonder son disciple, bien qu'il
lui montrât toutes ses sympathies.
Ce jeune peintre était bien une des
plus singulières iigures, qu'ait fournie
l'histoire de l'art de notre temps.
Rossetti (G.^ériel Charles
Dante) était fils d'un proscrit poli-
tique chassé du royaume de Naples,
où il avait été conservateur des anti-
quités, et de Frances Mary Lavinia
Polidori, jeune anglaise, d'origine
toscane, dont le père avait été secré-
taire d'AItreri. Il naquit à Londres
le 12 mai 1828 et il est mort à
Birchin^ton, près Margate, le 8 avril
1882. Il fit ses études à King's CoUege,
entra au cours d'après l'antique de
l'Académie, en 1845 — 46, mais ne fut
pas admis à ceux d'après le modèle
\ivant. En 1848, il entra donc chez
iladox Brown et s'associa avec deux
camarades de l'Académie, William
Holman Hunt et John Everett MiUais,
pour fonder, avec son frère et quelques
autres amis, la petite coterie préra-
phaélite, qui fit bientôt tant de bruit
à Londres.
Jlalgré ses protestations de
réalisme, l'art de cet Anglo-italien
mystique est éminemment poétique
et tout ce qu'il y a de moins préra-
phaélite, car il est étroitement appa-
renté avec les maîtres vénitiens du
XVIème siècle. Poète en même temps que peintre, il puise les sujets de ses compositions, soit
dans ses propres poèmes, soit dans l'œuvre de Dante, que son père avait commenté, soit
dans les poèmes chevaleresques et amoureux du moyen-âge, les vieilles ballades anglaises,
où puisa si souvent l'inspiration des poètes anglais, ses contemporains.
Son art est un singulier mélange de l\T"isme ardent et passionné, fougueux et contenu,
que traverse un souffle fiévreu.x de mysticisme et de s\Tnbolisme méridional et qu'avive urne
grâce subtile faite d'étrangeté toute britannique. Son dilettantisme enthousiaste, qui se
TOHN E. -MlI.I.AlS.
(Musé
— La jeune fille aveugle (the blinil girl)
municipal de Birmingham).
xole ano"laise.
--3
dispersait sur tous les modes de la fiensée et toutes les manifestations des arts: vitraux,
enluminures, illustrations, etc., unit, a\'ec une éloquence voluptueuse et poignante, les chaleurs
des Giorgione et des Titien aux exagérations linéaires des Lippi et des Botticelli. Sa première
peinture, l'Enfance de la Vierge, fut exposée
en 1849 dans un cercle privé. En 1850.
il donna Ecce Ancilla Domini, qui appar-
tient maintenant à la National Ciallery
of British Art, ouvrage tout à fait daiis
l'esprit des primitifs florentins. Il épousa,
en 1860, son modèle, Miss Elisabeth E.
Siddal, qu'il avait connue di.x ans plus
tôt et qui lui a longtemps donné ce type
inoubliable de grâce douloureuse et pas-
sionnée, tel qu'on le voit dans la Bcata
Béatrice, de la Tate Gallery. Ce tableau,
inspiré de la Vita Nuova du Dante, fut,
en effet, exécuté en 1863, peu de temps
après la mort de cette femme adorée, qui
le laissa pendant plusieurs années dans un
profond désespoir. Cette peinture célèbre
a été répétée deux autres fois par l'artiste :
une de ces répétitions appartient au Musée
de Birmingham, l'autre est dans une col-
lection privée en Amérique.
Daiite's dream (le rêve de Dante)
appartient à la galerie municipale de
Liverpool. (W'alker art Gallery). C'est
encore un sujet emprunté à la Vita Xiiova.
Le jour même de la mort de Béatrice.
Dante rêve qu'il est conduit près d'elle
par l'Amour. Le beau et éblouissant
pèlerin ailé attire d'une main vers la morte
le poète, qui s'avance, absorbé comme
dans le sommeil. Deux jeunes femmes,
vêtues de vert, aux grands yeux mysté-
rieux et fixes, soulèvent le voile qui couvre
la couche de Béatrice et l'Amour pose sur
ses lèvres le baiser qu'elle ne reçut jamais
dej son amant. Cette composition en
chaude harmonie vert et rouge, est la plus
importante de l'œuvre de Rossetti. Com-
mencée, en 1869, d'après une aquarelle
qui datait de 1855, elle n'a été terminée
qu'en 1881, àla veille de la mort de l'artiste.
Les deux autres camarades de Rossetti différaient essentiellement. John Everett
MiLLAis est né à Southampton le 8 juin iS^q et il est décédé à Londres le 13 août 1896. Il
passa les premières années de son enfance à Jerst-y, puis à Dinan. où ses premières dispositions
pour le dessin se firent jour. En 1837. sa famille étant retournée à Londres, il fut envoyé au
Hmlman IIim.— LalumiciL-.lu mumlL- ( Chi i>t Cluirch .M )xford).
226
La Peinture au XIX' siècle.
cours de Henry Sass. peintre de portraits. Ses progrès furent si rapides qu'il enleva une
médaille d'argent à l'âge de neuf ans. Il n"avait pas dix-sept ans qu'il peignait et exposait
son premier tableau: Pizarrc délivrant les lucas du Pérou. En 1847, il emportait une médaille
d"or décernée par la Royal Academy et, en même temps, il se faisait remarquer au concours
de décoration pour West-
minster avec son carton du
Denier de la Veuve. C'est
l'année suivante, on l'a vu,
qu'il se joignait à ses cama-
rades d'atelier, Rossetti et
Holman Hunt, pour fonder
la petite confrérie préra-
phaélite. Il en fut, momen-
tanément du moins, l'ex-
pression la plus typique et
ses principes minutieux'de
réalisme aigu furent appli-
qués avec ime technique
serrée, brillante et sûre, et
de rares dons d'observation
pittoresque et expressive;
il les délaissa malheureuse-
ment trop tôt, lorsque le
succès lui vint, pour con-
sener la fa\'eur du public
et gravir les degrés des
honneurs officiels. Cette
première période de sa
carrière restera la plus
éclatante. Sa première
peinture préraphaélite est
le tableau de Lorenzo et
Isabella (1849), sujet "^pris
dans le poème de Keats, Le
pot de Basilic, dans lequel
chacun des fondateurs du
groupe avait décidé de
choisir le thème de son
tiibleau; V Echoppe du Char-
pcntier, 1850; Mariana, la
Fille du forestier, 185 1; le
Huguenot et Ophélia, 1852,
(celui-ci à la Tate Gallery);
L'ordre d'élargissement, 1853, la Jeune aveugle, 1856. En 1853, il a\-ait vingt-quatre ans, le
succès du jeune révolutionnaire était tel qu'il était élu associé de l'Académie; en 1863, il
était nommé académicien. En 1885 il fut créé baronnet et. à la mort de Lord Leighton, peu
de temps avant son propre décès, il fut choisi comme président de l'Académie Royale. Il
était officier de la Légion d'honneur et correspondant de 1" Institut. On é\-alue à 227 le nombre
J'àaU Holtycr.
EnWARI) BURNK-ToNES
— The Meiciful Knight (le Chevalier MiséricordieUN).
É
colc ant^'laisc.
de ses peintures à rhuilu. dans lesqucl!
Le Hussard de Bninsu'ick. en 1863, à
l'apogée de son talent, V Enfance de
Sir Walter Raleigh, 1870. Le passiit;^
Nord-Ouest, 1875, Le garde royal, 1877,
et nombre de paysages et de portraits
parmi lesquels ceux du Cardinal Netv-
man, de Lord Beaeo)isfield. de Lord
Salisbury, de Gladstone, etc.
L'ordre d'élargissement, iy4<j.
est la représentation d'une petite scène
simplement pathétique, dans laquelle
Millais a concentré t(nis ses moyen>
sobres et forts de réalisme expressif.
Une jeune femme, tenant un enfant
dans ses bras, tend à un geôlier, vêtu
de rouge, qui l'examine attentivement,
l'ordre qui permet à son mari, jeune
écossais, le bras en écharpe, condamné
pour rébellion, d'être relâché. Celui-ci
laisse tomber, d'émotion, sa tête sur
l'épaule de sa femme souriante, tandis
que le grand chien noir se dresse en
bonds joyeux. La scène est exactement
circonscrite autour des personnages,
comme sur une plaquette, sans acces-
soires aucun, ni rien qui puisse détour-
ner l'attention de cet humble drame
émouvant. Ce tableau, signé et daté
de 1853, appartient à la Tate Gallery.
Il a été exposé à la Roj-al Academy
en 1853 et à l'Expositinn Universelle
de Paris en 1855.
La jeune fille aveugle (the hlind
girl) appartient au Musée ^lunicipal
de Birmingham. Ce tableau, peint en
1856, obtint le prix de l'Académie de
Liverpool en 1858, et fut vendu, à
cette date, à un marchand pour 7.500
francs. C'est une scène extrêmement
simple, mais très émouvante dans sa
conception. Deux jeunes filles sont
assises au bord d'une route, l'une
âgée de dix-huit à vingt ans, une
simple mendiante, ,,not a poetical or
vicions one", comme écrit Ruskin, qui
a dépeint amoureusement ce tableau :
elle tient sur ses genoux un accordéon.
il f.iut citer en, mr /.,. I '
,/,' >,//;;/,■
lÙAVARl) IlrKNK-JeNES
l.e rui C'ii|)lirtu.-i i-t la pi-tilt
.a tète est recou\'erte d'ime mante, dans ses bras
228
La Peinture au XIX^ siècle.
joue une fillette de huit à dix ans, son guide; elle est immobile sous la caresse chaude des
rayons ardents qui ont percé les nuages lourds et que cherchent en vain ses yeux fermés.
Ces pauvres yeux clos semblent voir en dedans cette glorieuse fantasmagorie de la lumière,
les maisons, l'église du village, qui se détachent au loin avec une netteté précieuse et charmante,
les herbes et les véroniques, ravivées par la pluie, qui brillent comme des ,, émaux byzantins"
et le double arc-en-ciel
ouvrant au loin son gran-
diose et magnifique éven-
tail sur les nuées sombres
qui s'éloignent. Elle est
si immobile, observe Rus-
kin, qu'un beau papillon
est venu se poser sur elle
et s'expcfser à la douce
chaleur du soleil.
Le troisième des
principaux fondateurs
du préraphaélisme, seul
survivant aujourd'hui,
William Holman Hunt,
est né à Londres le 2 avril
1827. Ses dispositions
pour le dessin se mani-
festèrent de bonne heure.
Il étudia aux cours de la
Royal Academy et abor-
da les expositions en
1846. Ses premiers ta-
bleaux sont conçus sous
l'inspiration ramantico-
réaliste de ses confrères
en préraphaélisme,
d'après des sujets pris
chez les poètes. En 1848,
il exposait Rienzi criant
vengeance; en iS^q, Clau-
dio et Isabella, d'après le
Pot de basilic de Keats,
suivant le programme
II,,:, K, x,.N- iiEKKoMKR. --- Tiu- last Ml,...,. commun et Les deux
gentilshommes de Vérone,
'(Musée Municipal de Birmingham). Mais ce qui le distingue de ses deux autres confrères, c'est
que si Rossetti reste voluptueusement mystique et païen, si Millais estjexclusivement pitto-
resque, Holman Hunt est animé d'une foi profonde, dont il fait, à partir de cette date de
1850, le but principal de son art et qu'il est resté, dans sa verte vieillesse, conséquent avec
ses origines et demeuré le seul et dernier préraphaélite. Ses tableau.x chrétiens sont : Une
famille de llrctons convertis protégeant un niissiojuhiire chrétien contre la persécittioii des Druides
Ecole anoiaisc.
Photoi^rapkiiclu Ge.cihouijl, h
Lawkeni.e Alma Taijkma. — A l.-rture from Hu,
(1850), Le berger jiiereeiuiire (1852), Le Réveil de lu emiseieiiee (1854), le Hune éiinssuire (1856),
célèbre peinture symbulique, de même que L'ombre île la Mort (1873), dans laquelle l'ombre
portée de Jésus priant forme sur le mur une croix, que Marie, agenouillée, contemple avec
épouvante. Holman Hunt a\-ait voyagé, en 1854, en I-'gypte et en Palestine, pour étudier les
lieu.x saints, comme fit plus tard, à son exemple, notre fanii's Tissot. Ce séjour dans ces pays
Fkkdf.kh; Wai.klk. — La
.le Refuye (Tait- CalUiv. ],<.n.i.
232 La Peinture au XIX'' siècle.
influa sur le^caractère lumineux de ses tableaux. Il s'acquit une popularité universelle dans
les pays anglo-saxons avec sa peinture symbolique: La lumicrc du monde, peinte en 1854, qui
est placée dans Christ Church, à Oxford.
Si nous suivons Ruskin dans l'explication qu'il en donne, après Holman Hunt lui-même,
il n'y a pas un détail si infime soit-il, qui n'ait sa signification dans cette peinture dont le rébus
est indéchiffrable pour tout autre qu'un anglais, nourri du symbolisme biblique et évangélique.
Le Christ apparaît, suivant le mot: ,,\'oici, je me tiens à la porte et je frappe". Il est vêtu de
sa _robej blanche sans couture, symbole de la domination de l'âme sur le corps, et recouvert
d'un riche manteau sacerdotal, omé de pierreries. Sur son front une couronne d'or, mêlée
à la couronne d'épines. La porte est fermée, les clous sont rouilles: c'est l'esprit humain
devant lequel ont poussé les herbes folles et desséchées de la paresse et de l'ignorance. Dans
William (Hillkk ()ki;iiaki>'
Napoloun a boiil du Hellc-ioijlion ( Tatt-Gallery, Londres).
le fond est un verger d'où les fruits, les pommes du péché, ont roulé par terre. Le Christ frappe,
tenant une lanterne à la main. Des esprits ingénieux ont calculé qu'il y avait dans ce tableau
jusqu'à cinq lumières différentes: celle de la lune, répandue dans le ciel, celle des étoiles, celle
du nimbe de Jésus, celle de la lanterne et celle du givre qui couvre les fleurs. Quelles que
soient les minuties du symbolisme, qui se combinent avec les préciosités de l'observation et
de l'exécution, toujours d'après nature, il n'en reste pas moins que c'est une des œuvres les
plus singulières et les plus nobles de l'idéalisme moderne.
Bien qu'ils eussent figuré chez nous à plusieurs de nos grandes Expositions, les
préraphaélites ne produisirent pas d'impression durable sur le public français. L'artiste qui,
pour lui, sembla incarner le préraphaélisme, n'accompagna jamais son nom des trois lettres
maçonniques P. R. B., il ne fut pas l'un des sept et il ne se rattache à ce mou\'ement que par
E
colc aniJ-laisc.
ses rapports avt-c l'un des fondateurs, ([ui fut s<,u maitre et son ami. Cet artiste est sir
Edward Bukne-Jone-s. Il naquit à Hirmuigham le 28 août 183- ,1 fit de sérieuses études
classiques et montra toute sa vie un goût très vii pour les lettres. Il fut destine, au début,
à la carrière ecclésiastique et entra à PZxeter Collège, à Oxford, en 1853. Mais sa \-ocation
artistique s'étant éveillée.
il vint à Londres, en 1856,
avec Tintention de la déve-
lopper, et courut aussitôt
chez Rossetti, dont les
premiers ouvrages avaient
fait naître en lui une \-ive
admiration. Les prérapha-
élites étaient déjà dispersés.
Bume-Jones s'unit à son
maître et à un autre cama-
rade d'Exeter Collège, des-
tiné primitivement comme
lui au sacerdoce, William
Morris, et il créèrent bientôt
avec les encouragements et
l'appui du grand apôtre de
la Beauté, Ruskin, une
sorte d'association, de
caractère esthétique, moral
et social, pour restaurer les
industries d'art et répandre
l'idée du beau jusque dans
la demeure du pauvre.
C'est de ce mouvement . qui
toucha à toutes les formes
de l'industrie des arts :
architecture domestique,
ébénisterie, vitraux, étoffes,
papiers peints, céramique,
verrerie, mosaïque, livre,
etc., qu'est dérivé l'élan un
peu artificiel, mais unanime
dans toute l'Europe, vers
la recherche d'un stvle
nouveau.
Dans la première
partie de sa carrière, l'art
de Bume-Jones est essen-
tiellement poétique et ex-
pressif et il se rattache- directement à l'inspiration de son maitre Rossetti et de ses guides
préférés, les A'énitiens -du X\"ème et du commencement du XVIème siècle; il puise dans les
sujets de la vieille littérature anglaise, suivant le but que lui et ses amis s'étaient également
proposé, de fonder un art national et populaire. Les romans du cycle de la Table ronde lui
du Luxemhour
-'34
La Peinture au XIX' siècle.
fournissent ses thèmes de prédilection, et, dès i<S57 — 1858, il trawiille en cummun avec
Rossetti, William iMorris et quelques autres j^iur décorer de fresques, sur le cycle d'Arthur,
les murs de l'Union Club d'Oxford. Parmi les onnres de cette première période, dans laquelle
il produit surtout des aquarelles, The Mcnijul Kiii'^ht (le Chevalier Miséricordieux), aquarelle
qui date de 1863, est un de ses chefs-d'ieu\re de composition et de couleur expressives. Le
sujet est emprunté à deux lignes de \ieille légende: ..D'un cli"\alier (pii fut miséricordieux
à son ennemi, (pi'il ]3ou\'ait détruire, et comment l'image du Christ le l>aisa en témoignage que
son acte avait été plaisant à Dieu". Sur les marches d'un autel, un ehe\-alier est agenouillé
Frank ]!r.'\ng\vvn.
Marche .111 Man.c (Mu,-ee ilu Luxeiiib.
dans son armure de fer, son heaume et son épée sont à ses côtés, et tandis qu'il prie avec
ferveur, l'image du Christ se détache de la croix et se penche pour l'embrasser. Au fond, dans
un haut et wvt paysagt-, (jui cache tout le ciel, un cavalier semble s'éloigner.
A la suite de son \'oyage en Italie et a\-ec ses préoccupations d'ordre décoratif, une
modification se produit dans le talent du maitre. Il est subjugué par les grands italiens du
XVIème siècle. Sa manière alors cherche le style, sa coloration se refroidit et il est hanté par
la manie du décor. C'est l'aspect de son œuvre le plus populaire et il a plu autant par ses
travers que par ses qualités. Il s'adonne toujours à ses sujets j^référés, mais il les présente
sous une forme narrative, ])ar séries de tableaux distincts, mais se rapportant au même cycle:
.cole anirlaisc.
les histoires dWrtliur, de Tristan, le cunte de la Ihilc au liuis dormant, ou les léi;endes de
Tantiquité. transposées à la façon de Boccace. comme l'histoire de Pyginalion, de Psyché et de
Pcrséc. Il a exécuté, aussi, un certain nombre d'allégories ou de sujets généraux devenius
célèbres, comme Laus Vcncris. (1S73 — 75). Le Miroir de Vénus (1875). Le Chant d'amour.
(peint de 1868 à 1S77); les Jours de la Création, ingénieuses peintures décoratives en six
panneaux (1876), rEscalier d'or (18S0), La Roue de la Fortune (1883). Les Profondeurs de la
mer (1886). l'Amour dans les ruines (1S94). etc. Parmi ces ouvrages, Le roi Cophetua et la petite
mendiante est peut-être son chef-d'reuvre. Ce tableau, exécuté en 1884, appartient à la Tate
Galler}'. Cette toile a été inspirée par une ballade du temps d'Elisabeth, qui a formé le sujet
d'un poème connu de Tennyson. La peinture est toute en hauteur. Le roi, dans sa brillante
armure, assis sur les marches
du trône, tient dans les mains 1
sa couronne inutile et con-
temple avec adoration la petite
mendiante assise à la place
royale, souriante et sans sur-
prise dans sa jeune beauté, qui
illumine ses haillons. Par sa
composition heureuse et sin-
gulière, son harmonie riche et
profonde, cette œuvre garde
la tension et l'émotion des
jiremiers ouvrages du maître.
15ume-Jones, avait été créé ba-
ronnet en 1894 ; il était che\-alier
de la Légion d"honneur(i889).
Il est décédé le 16 juin i8qS.
A côté et en dehors des
miheux précédents, il est une
grande physionomie artistique,
la plus haute peut-être de
l'Angleterre contemporaine.
par la puissance de son indivi-
dualité et par l'éloquente
énergie de son idéalisme. C'est Charlk^ Siunnon. — La Femme sculpteur iMu.ee au Luxcuibuu.^,.
George Frédéric W.\tts. Il
est né à Londres le 23 fé\-rier 181 7 et mort le it^r juillet 1904. Ses goûts pour le dessin furent
très précoces; aussi ses parents le lîrent-ils entrer de bonne heure aux cours de l'Académie.
mais sa nature indépendante ne s'y trou\a pas à l'aise et il travailla p(nir ainsi dire tout seul
en étudiant les maîtres et en s' attachant surtout aux marbres de Phidias, qui lui donnèrent
ses premières grandes émotions d'art. Il s'essaya d'abord sur des sujets romantiques, d'après
Walter Scott, exposa en 1837 ses premiers portraits puis, en 1842. des motifs empruntés à
Shakespeare et à Boccace: et. à cette date, il était assez solidement préparé pour emporter
un prix au premier concours pour la décoration du palais du Parlement. La valeur de ce prix
lui permit d'entreprendre en Italie un \-oyage. qui laissa en lui les traces les plus profondes.
Il resta quelques semaines à Paris, séjourna à \'enise, s'arrêta assez longtemps à Florence, et
r -vînt tout pénétré du Corrège et de Ciorgione. et surtout de Titit-n et de Tintoret. qui
236
La Peinture au XIX'" siècle.
rc-^trrnit ses pjnides de prédilection. En 1846, il obten
Tames Mac'Neii.i, Whisti.er. — I.a Fille blanche
(Appuitient M. J. H. Whittemurc-j.
et intiuiète, à gravir les âpres sentiers rocailleux
L'école anglaise a toujours compté en tnut
lit le premier ])rix au troisième concours
pour la décoration de W'estnunster
et, dès ce moment, sa ré]iutationn
était établie. Il entreprit alors un cer-
tain nombre de décorations murales,
ncitamnient à Lincoln's Inn (Palais
de Justice de Londres), et conçut, à
la façon de Clienax'ard ou de Gustave
Moreau, son art comme mi moyen
exclusif d'exj)ression pour traduire
le monde de ses sentiments et de
ses idées; car l'art, pour lui, jusque
dans ses portraits, choisis parmi les
hommes illustres de son temps comme
de glorieux exemples, doit av^oir une
purtée morale. Ce qui ne l'empêche
pas. d'ailk'urs, d'être ime des per-
sonnalités les plus fortement douées,
au point de vue pittoresque, de toute
l'école anglaise. Ses compositions
mou\-ementées, aux lignes véhé-
mentes, aux colorations ardentes et
suggestives, comprennent, soit des
cycles héroïques ou historicpies; La
Création de la faiiiiic. La Tentation
d'Eve. La Mort d'Abel, Le Déluge, soit
des conceptions symboliques prises
dans les sujets de la fable ou de la
légende: Orphée et Euridyce, Eiidy-
iiiion, Paolo et Franecsca, soit des
généralités allégoriques, dont les plus
célèbres Sont: Sie Transit, L'Espé-
rance, L'Amour et la Mort, T Amour
et la Vie. Cette dernière toile a été
répétée trois fois par Watts, qui la
idusitlérait c(mime son ceu\-re pré-
férée, l'n exemplaire est à la Tate
dallery, l'autre à Washington, le
troisième a été expressément peint
pour le Luxembourg par le maître,
qvii y mit tout son talent pleùi de
généreuse ardeur et l'offrit en termes
t(juchants à la France. L'Amour,
sous la forme d'un beau jeune
homme aux ailes flamboyantes, aide
la Vie, jeune fille timide, hésitante
tpii doi\'ent la conduire aux sommets.
temps certains api^orts étrangers, qu'il
Ecole anirlaise.
237
airive le plus sinivent, (ruilliur^. à s'assimiler tout à lait: e'est ainsi ([ue \r ll(jllandais
Aima Tadenia et le liax'arois Herkonier ligurent ])armi les [ilus hautes perse mnalités ilr l-urt
an,t;lais nidderne. Sir La\vri:x( i-; Aima Tadkma est né dans la Frise, à Dninriip, le S janvier
i<Sj6. 11 fit au f^fyinnase de Leuwarden d'excellentes études, qui le préparèrent admirablement
]ieur S(.)n avenir, et fut destiné à la carrière médicale. Mais il était possédé par le démun
de la peinture, accident arrix'e déjà à qnel([iies autres grands hollandais. Sa famille finit
par céder et, en 1852, il alla à Anvers étudier à l'Académie, sous la direction de Wappers et
de Henry Leys. Puis il \-int en France, vu il se maria une première fois, mariage dont il
eut deu.x tilles: l'une est écri\-ain, l'autre peintre. En 1870, il se rendit en Angleterre; étant
devenu veuf, il y contracta un second mariage, s'y fixa et se ht naturaliser anglais. Membre
de la Royal Academy, Membre correspondant de l'Institut de P'rance, Sir Lawrence a con(iuis.
à nos Salons et Exposi-
tions universelles toutes
ses médailles et il est
officier de la Légion
d'honneur.
Son (eu\'re, de
caract ère essentiellement
historique, appartient à
la fois au renouveau de
résurrection de l'histoire
par l'exagération des
caractères expressifs,
comme l'avait comprise
Leys, et au mouvement
réaliste de vérité docu-
mentaire créé par Meis-
sonier et par Gérôme.
Ce dernier artiste a eu,
du reste, au point de
vue des préoccupations
archéologiques comme
de la technique, ime
certaine influence sur
son ami le peintre an- |amk:
glais. L'œuvre de Aima
Tadema comprend deux
grandes manières, correspondcUit à ses deu.x sources d'inspiration i)rincipales. Dans la
première partie de sa carrière, il est surtout frappé par les récits d'Augustin Thierry et il
les traduit en pages fortement colorées, telles que Ulùiiicti/ioii des ['ctils-fils de Clothilde
(1861), Venantius Fortiinatus et Radegonde (1862), Frédegonde et Prétextât (1864), composition
qui, bien avant les succès de Jean-Paul Laurens, produisit une grande impression par la
vigoureuse sensation qu'elle donnait de cette époque semi-barbare.
Sa seconde manière, plus précise, plus claire, plus serrée, est consacrée |n-es(jue
uniquement aux temps antiques; il les a fait re\-ivre dans leur vérité familière, qui les
rapproche de nous, avec une science d'érudition imjx'ccable, jointe à un sentiment très vif
de la réalité, comme un daston Boissier ou un Ferrero. .\ cette inspiration appartiennent
Catulle chez Lesbie (1865), La danse romaine {1866), l'arqitin le Superbe (1867), Ave Caesar,
^m^^^^^^^^^^^^m
^H
Mai. Xl.ILL WlIWTl.KK. — Pultiait ili- In
(Musée du Luxembourg).
238
La Peinture au XIX'' siècle.
lo Satiiriiiilia (1871). Joseph uitcnduiit de l'Iiarauii. Hadrien. La jeté du vin. La route du temple
Une leeture d'Hcnière et. dans ces demières années, la toile de Caraealla et Ceta (un ré\-e du
Colisée). ([ui ninntre. dans ses milliers de personnages assis >nr les gradins autour de la
loge impériale, la prodigieuse habileté de ce savant virtuose, «pu se joue de toutes les
difficultés a\'ec sa \'oIonté patiente et son sa\'oir.
Lad\- .\lni,i Tadema, également peintre, s'est fait remarquer, de son côté, par des
tableaux délicats dans le goût
hollandais.
Sir Hri'.EKT vox Her-
komi-;k est né le 26 mai 1849
au \"illage de W'aal, près Lands-
berg, en Bavière'. Son père
était un m(.ideste sculpteur sur
bois, ruiné par la révolution
de 1S4S, qui commença par
chercher fortune en Amérique,
puis en Angleterre, où il débar-
(jua en 1857, à Southampton,
avec sa femme et son enfant.
Le père reprit son métier et
la mère donna des leçons de
musique. Appelé à Munich
pour un travail, la famille s'y
in>tcdla quelque temps et le fils
apprit à dessiner à l'Académie.
Retournés en Angleterre, le
jeune Herkomer parvint à
gagner sa vie avec des dessins
ou caricatures pour des jour-
naux. Il e.xposa à l'Académie,
en 1873, sa première toile,
Après le travail du jour, exécu-
tée dans la manière sentimen-
tale et colorée de Frédéric
W'alker; ce fut son premier
succès. Sa réputation se con-
firma solidement par un ta-
bleau, devenu célèbre, qui fut exposé, en 1878, à l'Exposition Universelle de Paris, où il
obtint une médaille d'or. C'est La Dernière Asse)nblée. qui réunit les invalides de l'hôpital
militaire de Chelsea, alignés dans leurs tuniques rouges sur les bancs de la chapelle. Il
montrait, dans ce choix de physionomies t\"piques de \ieux débris guerriers, dans leurs
attitudes lasses et leurs gestes usés, cette force de pénétration du caractère individuel, qui
devait lui assurer une si remarquable carrière de portraitiste et, a\ec cette analyse serrée du
détail expressif, le sentiment profond de l'unité de la scène. L'Assemblée des Administrateurs
de Chaterhousc et la Session des Magistrats de Landsbcrg ont rappelé ce succès. Sa manière a
gardé beaucoup de rapports a.vec hi technique continentale. Elle a pris, néanmoins, une
coloration assez britannique. Parmi les portraits célèbres de Herkomer il faut citer la célèbre
Jami-^ Mac Xi-iLi. Wiiiii li.r.
hvColc ans>"laise.
241
Dame cil lilaiic (Miss -Grant). !a Dame eu iicir. le pdrtrait de sou père, de sa mère, de Riiskin.
de \\'a,t,'ner. de Tennysun, de Stanley, etc. Sir Hubert, établi à Bushey, près Londres, y a
fondé nue importante école de peinture; on lui d(iit aussi des écrits distiu!:;ués sur les arts.
Celui que nous avons nommé plus haut comme le niaitre qui influa sur les débuts de
Herkomer. Fki'îdÉrk Wai.kek. est une des plus charmantes et des jjIus touchantes figures de
Fart anglais moderne. Son Part de Kcjiii^c. di- la Ta te (iallerv, reste dans la mémoire di- tous
ceux qui ont \'u cette
singulière toile, où le
sourire des arbres en
fleurs se mêle à la tris-
tesse douce du couchant,
où la mélancolie des
vieux jours contraste
avec l'image de la jeu-
nesse, représentée ici par
cette jeune fille soute-
nant sa mère, là, par ce
robuste jardinier, qui
fauche hardiment h-
gazon de la pelouse.
Frédéric Walk. :
était né à Londres, d.in-
le quartier de Mar\ir
bone, le 24 mai 1840. Il
montra, dès son ]euii
âge, ses goûts pour le
dessin. A seize ans, il fut
placé chez un architecte,
mais ce fut la peinture
qui l'attira. Il gagna sa
vie de bonne heure a\-ec
des dessins et gra\'ures
d'illustrations p(.iur
divers journaux. Sa pre-
mière peinture à l'huile
est Le chemin perdu en
1863. En 1867, il exposa.
à la Royal Academv les
Baigneurs, qui eurent un
grand succès; en 1868
les Vagabonds, en 1869,
la Vieille Grille, qui figura
à l'Exposition L'ni\-erselle de 1878. Il a exécuté aussi de nombreuses aquarelles. Atteint^de con-
somption, il passa l'hiver de 1873-74 à Alger, revint en Angleterre et se réfugia en Ecosse pour
trouver un climat plus doux. II y mourut à Saint-Fillan, dans le comté de Perth, le 5 juin 1875.
Dans les dernières manifestations des arts du Royaume uni. l'hlcosse occupe une place
exceptionnelle; il y a même un petit groupe écossais, très connu dans nos expositions, auquel,
d'ailleurs, il se mêle quelques irlandais, voire des Gallois. Le doyen de ces contemporains est
Loup-
242
La Peinture au XIX' sièele.
Sir Wu i.iAM OriLLEK Okciiardsox. né à l*-dimbourg en 1S35, célèbre jusque chez nous par
ses [xirtraits et par ses j^eintures de genre, brossées légèrement en chaudes harmonies rousses
et inspirées le plus souvent de l'histoire anecdotique de notre pays. au.\ périodes de la
Ré\'olution ou de 1" Empire. Il a remporté toutes ses médailles à nos Salons et Expositions
Universelles, a été nommé Chevalier de la Légion d'honneur en 1895. et est membre corres-
pondant de l'Institut. Il est membre de la Roval Academ\-. On peut se sou\'enir de la Reine
lies Epées. qui eut un grand succès chez nous en 1878. du Mariage de convenance, (1884), du
S(i/(i)i de .!/'«« Récamicr (1885). Xapoléon
à hiifd dit Bellcropbon, qui est un de ses
tableaux les plus célèbres, appartient à
la Tate Gallery. Il a été exposé à la
Royal Academy en 1880. Cette peinture
représente l'Empereur, se«l. en avant de
ses généraux, sur le pont du navire cjui
l'emporte. songeur, tandis que s'éloignent
lentement les côtes de France.
Dans les générations plus récen-
tes, on a désigné sous le nom d'Ecole
de (ilasgow \m groupe d'harmonistes
sa\'ants et raflinés. dans une gamme
un peu sombre, qui ont subi, avec
l'uitluence colorée de la vieille tradition
écossaise, celle des romantiques français
avec l'action très directe du peintre
franco-américain W'histk'r. Ce milieu de
chauds coloristes écossais, irlandais ou
gallois a fait sensation dans nos Salons
et a aidé au réveil du sens un peu perdu
des harmonies au lendemain des abus
de l'école du plein air. à côté du groupe
français baptisé chez nous: la bande
nuire. Ce sont : Sir James Guthrie, Ch.
Ricketts. Ch. Shannon, Conder, Arthur
!\lelville, Alexander Roche, John Lavery,
etc. Ne en 1856, à Belfast, John L.averv
lit ses études à Paris, sous la direction
de Houguereau. Robert-Fleury et Meis-
sonier. et reçut, en Angleterre, les con-
seils de \\'atts et de Whistler. On con-
naît, dans notre Musée National, le
Portrait de Fauteur et de sa fille et surtout
cette chaimante ligure du Printemps, une jeune femme en toilette bhmche. qui semble rentrer
du jardin les bras chargés de Heurs. Cette peinture a été acquise au Salon de la Société Natio-
nale des Beaux-Arts.
Fk.vxk Bk.\x>,\vvx. lui, (pii se rattache indirectement à ce milieu, est d'origme
galloise, mais il est né à lîruges en iShj. Il eut une jeunesse assez agitée, car il avait une soif
d'exotisme qui le conduisit à travers tout l'Orient. Ses débuts en France, en 1893, a\-ec son
tableau des Boucaniers, furent très remarquées. Le jeune peintre s'annonçait comme un futur
John S.^kgent. — La CaimenciLi (Mi'.>ée <lu Luxembuurg).
Ecole anHaisc.
maitre et lie tiivdait pas à prendre dans son pa\-s la place qu'un lui donnait déjà en l-rance.
Le Marché ait Maroc a été acquis par l'Etat pour le Luxembourg, au Salon de i'^i)5. C'es-t
un exemplaire heureux de cette peinture orientaliste, aux tons richenTiit exaltés par larges
échantillonages localisés, a^•ec les sonorités chaudes et profondes d'un beau tajiis marocain
ou persan. Il relève, en toute é\"idence, assez directement de la tradition des grands roni.in-
tiques orientalistes français, Delacroix et Decamps. Il a depuis, exécuté, notamment pour
la Bourse de Londres, de grandes peintures décoratifs et s'est distingué comme un aipia-fortiste
de premier ordre. Ciiarlp:s Sh.wxijx à été remarcpié aux exjiositions où il a participé en Fr.mce,
par ses qualités de haut style, son dessin ample, sa com]» isition originale, ses chaudes et fcjrtes
WiN^i-'iu Hlimkk. — Xiiit il'ete (Musée du Luxembourg).
harmonies. La iciiiiiic sculpteur, du Salon de 1909. récemment acquise pour le Luxembourg,
donne une excellente_idée de la belle tenue de cet art. d'un charme profond et gra\'e.
^ II. Ecole Amékk aixe.
L'histoire de la peinture dans les États-Unis d'Amérique peut se di\-iser en deux
larges périodes, égales en durée. L'une qui comprend exactement la première moitié du siècle,
est pour ainsi dire de caractère exclusivement britannique; la deuxième, qui correspond à
l'autre moitié, est plus particulièrement sous l'influence française; mais c'e>t de ce moment
que date ce qu'on peut appeler plus exactement la constitution d'une école Icjcale.
Dans la première partie, en etîet, on peut rattacher directement — et c'est, du reste,
244
La Peinture au XIX* siècle.
ce qui se fait jiour la plupart d'entre-eux — les maîtres américains à l'école d'Angleterre.
Prescjue tous y ont travaillé, quelques-uns y ont à peu près constamment vécu et même ont
obtenu des distinctions réservées d'habitude aux seuls sujets britanniques.
Tels sont, par exemple: John Sixgleton Coplev (1737 — 1815); Benjamin West
(ly^S — 1820) qui fut président de l'Académie royale; Gilp.ert Stuart, célèbre par son portrait
de Washington, au Musée de Boston {1755— 182S); Washington Allston (1777— 1807) ;
Thomas Si'llv (1783 — 1S72) et Charles R. Leslie (1794 — 185(1) dont on connaît, à la Tate
Gallery, l'excellent tableau de genre, si spirituellement observé, de rOiu/c Toby et la veuve, etc.
La période proprement américaine commence avec trois grandes personnalités à demi
ou même plus qu'à demi françaises: les peintres Whistler et La Large et le sculpteur Augustus
Saint-Gaudens, noble et grand artiste de l'ceuvre duquel nous n'avons pas à nous occuper ici.
AlIiXANIiER IIarkison. — En Arc;ulif (Musée du Lu\iml>uuiL;).
James Abbott Whistler, qui signa plus tard James Mac'Neill Whistler, en faisant précéder
son nom patronymique de celui de sa mère, est né à Lowell (Massachussets) le 11 Juillet
1834. Il était originaire d'une famille du sud et fils du Major George Washington Whistler,
ofHicier du génie, qui coopéra à l'établissement des chemins de fer en Amérique, et en Russie.
L'enfance de James Whistler se passa dans ce dernier pays jusqu'en 1849, date de la mort de
son père. Destiné d'abord à l'état militaire, il entra à l'école de Westpoint en 1851, il
y fut congédié, entra en 1854, comme dessinateur au service cartographique de la marine, mais
se vit refuser ses planches à cause des croquis qu'il griffonnait dans les coins et qui annoncent
les prochains débuts de sa glorieuse carrière de graveur. Sa vocation paraissant manifeste,
il fut envoyé à Paris en 1855, entra à l'atelier Gleyre, fréquenta surtout le Louvre et s'y lia
étroitement avec Fantin-Latour, qui exerça bientôt une influence marquée sur son talent.
xolc amcncainc.
245
Refusé, avec son ami, "au Salon de 185g, son tableau .1» Piano lit partie clc la petite exposition
organisée par Bonvin dans son atelier. C'est à cette occasion qu'il lut mis en relation avec
Courbet et qu'il travailla sous son action et même ([uchiuefois à ses côtes jusqu'en i8b6.
C'est l'époque de ses premières marines. Ajnès une période de va-et-\-ient entre la
France et l'Angleterre, ïl se fixa à peu près définitixenirnt à Londres. Il s'\- lia avec Rossetti,
Millais, Albert Moore et il est, à ce moment, très jiarticnlièrement influencé par eux, comme
il apparaît dans les diverses Sy)nphûnics en blanc qu'il exposa entre 1862 et 1866. La Uillc
blanche est la première. Elle fit partie, en i86j, du Salon des Refusés, où elle forma la pièce
capitale et eut un succès inouï de scandale, qui assura la renommée du jeune artiste. Ce
scandale nous surprend aujourd'hui. Cette ceuvi-e, qu'on prétendait être l'reuvre d'un spirite,
d'un visionnaire, est pourtant un morceau sérieux
de peinture où l'on voit formulés pour la première
fois les recherches symphoniques de couleur et
surtout les accords subtils de tons siu" tons qui
sont un des charmes rares de son art. La physin-
nomie seule est un peu singulière, avec ses yeux
extatiques, sa démarche somnambulesque, ses
airs égarés d'Ophélie, empruntés à ce mysticisme
préraphaélite, qui était bien loin de son tempéra-
ment foncièrement réaliste. Ce tableau appartient
à un amateur américain, M. J. H. Whittemore.
Whistler évolue ensuite sous l'influence du Japon
puis adopte définitivement le système de com-
binaisons harmoniques des tons, analogue à
celui des sons, et désignées par des intitulés pris
au langage musical. Il donne, à ce moment, {1864
à 1868) ses principaux Nocturnes. En 1867 ou 68,
par un nouveau travail de sa pensée, abjurant
les coquetteries de la couleur, il modifie complè-
tement sa palette dans le sens de l'austérité, se
préoccupe avec soin de l'arabesque des lignes
et atteint, à force de simplification, une pui-^-
sance pittoresque, expressive et synthétique, in-
connue dans ce genre avant lui. Ses accents sobres
de tons le rapprochent alors de la manière de
\'elasquez. Il ne peint plus guère, comme grandes
compositions, que des portraits et les plus célèbres
sont alors ceux de sa mère et celui du philosophe
Carlyle.
Le Portrait de la nicrc de Whistler, (pii
appartient au Musée du Luxembourg, où il fut placé en 1891, après son acquisition par l'Etat
français, est à coup sur le chef-d'œuvre de l'auteur, par son émouvante simplicité, son pieux
recueillement, tout ce que les harmonies graves disent de Pâme du modèle. Whistler l'a peint
avec amour, avec toute la tendresse qu'il garda à sa mère. Cette toile portait le titre sym-
phonique: , .arrangement en gris et noir". Exécutée en 1871 , ex])osée à la Royal Academy en 1872,
elle figura en 1883 au Salon de Paris, où elle obtint une médaille. Le portrait du philosophe
Thomas Carlvle est contemporain du jnécédent. C'est encore un ,, arrangement en gris et
noir", mais dans un demi-jour égal, clair, moins mj'stérieux, avec un fond gris indéfinissable,
246
La Peinture au XIX'' siècle.
sur k'(iiicl s"ciiK'\'cnt, dans un i-tirt ti.nKunllr, k's chairs rosées des joui-s au miliru du f^ris
ari;cnté des chr\-eux et de la iKuhf, rt Ir noir di'S \-êtements, qui dessinent le roriis de profil,
(lins une arabesque expressiw. ("est d'tur art tendu, réfléchi, sévère, ([ui dit toute la
hautaine mélancolie de ce grand songeur Sdlitaire. Ce tal)leau appartient au Musée de
Cilasgow; il a été exi^osé à Paris au Salon de 18S4.
C'est une date où \Miistler, las des pcrsécutiiuis subies en Angleterre et flatté de l'ac-
cueil (pi'il trou\'ait vn France, \int s'y étalilir à nou\-eau et ouvrit un atelier d'enseignement.
11 a\ait éjxiuse en i8(S8 .Miss Beatrix Birnie Philip, fille du sculptt'ur de ce nom et veuve
de l'architecte (nidwin. .\ la mort de celle-ci. en i8()6, il se réinstalla à Londres, où il est
décédé le 17 juillet 1903. \\'liistler
était ohicier de la Légion d'honneur.
Whistler était français par
son éducation, ]iar ,ses goûts et
juscpie par l'iniluence des maîtres
anciens (jifil subit tour à tour:
Rembrandt et \'élasquez, qui furent
les grands demi-dieux de l'école
réaliste. Il appartient directement
à ce milieu. John L.^ F.-^rce, lui,
est d'abord français jiar le sang. Fils
d'un (lUieier IrcUiçais, Jean-Frédéric
de la F'arge, qui \'int s'établir en
1806, en Américjue, après toutes
sortes d'a\-entures dans l'expédition
de Saint-Domingue, où il fut fait
|)i'is()nnier jiar les nègres insurgés,
John La Farge est né le 31 mars
1835 à New-York. C'est là que s'est
})assée son enfance, au milieu des
livres et des tableaux hollandais
t\nv son père aimait à recueillir. Il
nçut une excellente éducation et,
((innne il avait des dispositions pour
les arts, on le laissa partir pour Paris.
Il y arriva en 1856 et entra dans
l'atelier de Couture. On ne peut
M\i;\ (AssAii. — y,.,. -: M,i,,n:. dire ([u'il profita beaucoup de cet
enseignement, mais il était, par sa
mère, apparenté avec le célèbre critiipu' Paul de Saint-\'ictor, et il fut introduit dans la maison
de Chassériau, pour qui il épnitna de suite la plus svm]iatliique admiration. Delacroix était
alors dans toute sa gloire. La F'arge en fut très impressionné et cette influence directe se
cnnfondit avec son culte pour les grands italiens du ,\\'L' siècle et pour Rembrandt, qu'il allait
admirer au Louvre. Sa carrière fut décidée. S(in (eu\re, peu connue en France, parce qu'elle
est surtout décorati\-e et murale, est remarquable ixir le nombre et l'importance des morceaux,
n a décoré l'église d'Ascension Cliurch à New-York, de la Trinité à Pioston. le Palais de Justice
de Baltimore, etc., etc. Il est aussi i>articulièrem(Mit célèbre comme rénovateur de la peinture
sur verre, par des procédés qui en augmentent la puissance expressive et l'intensité colorée. Il a
vécu un certain temps au Japon et dans les iles Samoa et il a rajiporté de ces voyages des
Ec
Ole américaine.
-M7
suites de belles aquarelles d'un grand charme exotùiue. Enfin, il a publié un certain nombre
d'ouvrages sur les maîtres anciens, les maîtres français de i8;,ii et sur son séjour au Japon.
Le Charmeur de Loups est une peinture étrange inspirée d'un poénie de Longfellow,
qu'il a\-ait d'abord traité en dessin d'illustration. Elle donm- riniprrs^iou de forte saveur
de nature qu'on retr(iu\"e aussi dans ses paysages. "L'Ascension du Christ occupe le fond de
l'autel de l'église de ce nom à New-York. Elle a été exécutée en 1887, au retour d'un \-uyage
au Japon, et c'est dans ce Jiays même q^i'a été faite l'étude du fond montagneux di' cette
vaste composition. On y sent
le souvenir de Delacroix et
le grand style des maîtres.
A côté de ces deux
glorieux fondateurs de l'école
Américaine, il est un nom.
qui s'est rendu illustre en
Europe, c'est celui de John
S.\K(',ENT. Sargent est né à
Florence, de parents améri-
cains, en 1856; il a commencé
à étudier à Florence, mais,
surtout, a été élève de Carolus
Duran et son talent a gardé
des affinités avec celui de
son maître. Il a eu la carrière
la plus brillante. Son talent
vif, souple, nerveux, a tra-
duit avec une sou\'eraine
élégance les pln'sionomies
des femmes de l'aristocratie
anglaise du sang cm de la fi-
nance. Il a commencé à ex-
poser à nos Salons en 1877 et
il y a en\-oyé des portraits
devenus célèbres : Carolus
Duran en i8-jq.Mrs. Playfair,
en 1888, E/loi Terry, dans le
rôle de .Macbeth, plus tard Mr.
Wertheimer, Mme Mever et ses
enfants, etc. A la suite d'un
voyage en Espagne, il exposa
en 1882, une danse de Gitanes. /:/ Jaleo. et. pins tard, sur ce souvenir, La Cdrineiuita. du
Musée du Luxembourg (Salon de 1892), dans sa robe jaune pailletée, l'attitude provoquante, qui
est une des toiles les plus populaires de ce Musée. Membre de l'Académie royale de Londres, où
il réside, John Sargent est également membre de l'Institut et officier de la Légion d'honneur.
Parmi les nombreux peintres qui forment l'école américaine, on distingue ceux qui
sont établis en Europe, et particulièrement en France, (pu est un peu leur petite patrie et
ceux qui se sont développés en Amérique, bien (pie le plus souvent sous l'influence française.
Dansées derniers il en est deux ijui sont des figures exceptionnelles: le paysagiste George
Inxess, né à Newburg (Etat de New-York) en 1825, mort au Pont d'Allan (Ecosse) en 1894.
Ru ii.^Rii Miller. — La tasse de thé.
24S
La Peinture
au
XIX'
siècle.
qui n'a été malheuix-usemcMit connu clu'z nuus ([u'à l'uccasion de nos grandes expositions. Il
avait eu p(.>ur maitre un français. François Régis (iignou.x, de Lyon, avec qui il apprit à
aimer nos grands paysagistes et il les admira mieux encore en France, durant un séjour
qu'il iit en lùn'ope de 1871 à 1875. Ses tableaux, dans lesquels il affectionne les rousseurs
automnales, sont sonores, intenses et profonds. Près de lui: Homer M.\rtin (1836-1897), et
surtout WixsLow HoMiîK, né à Boston en i8j6, avec ses tableaux mystérieux, étranges et
forts, comme cette Xiiif d'ctc. du ^Musée du Luxembourg, acquise en 1900, où des jeunes
femmes enlacées dansent au bord
de la mer, honorent hautement
cette école locale. On citerait
volontiers, à leur suite, les noms
d'artistes plus jeunes tels que :
Childe Hassam, clans la manière
impressionniste. Ben Foster,
Chase, Alden Weir, etc.
Du côté de l'Europe: Ed-
wiN A. Abbey, né à Philadelphie
en 1852 a smtout fait sa carrière
à Londres, où il est membre de
l'Académie royale, avec des ta-
bleaux historiques ou des peintures
décoratives. C'est en France surtout
que se sont distingués: William T.
Dannat, né en 1853, à New- York,
dont le Luxembourg possède la
Fcniiiic en rouge çt\e Contrebandier
uragonais, Ale.xander Harrison,
né en 1853 à Philadelphie, élève
de Gérome, qui s'est fait une place
exceptionnelle comme peintre de la
mer, et obtint un vif succès, au
Salon de 1885, avec son grand
tableau de nus en plein air, En
Arcadie, aujourd'hui au Luxem-
bourg : Walter Gay, né à Hing-
ham, Massachussetts, en 1856,
élève^de Bonnat, qui s'est d'abord
fait connaître par des scènes d'inti-
mités rurales, puis par des scènes
espagnoles, comme les Cigarières,
du Luxembourg, enfin par des petits intérieurs, pittoresquement traduits, en accords délicats.
George Hitchcock, Gari Melchers, Walter M.ac-Ewen, qui ont, de préférence, choisi leurs
sujets en Hollande; Miss Mary Cassatt, née à Pittsburgh, qui s'est conquis une place brillante
au milieu du groupe impressionniste avec ses pastels de mères et d'enfants; Miss Elisabeth
Nurse, et enfin, dans les générations plus jeunes: Richard Miller, né à St. Louis, Frédéric
Frieseke, né à Michigan city (Indiana), en 1875, Manuel Barthold, Lionel Walden, la
plupart représentés au Musée du Luxembourg par un ouvrage significatif de leur talent.
KkHirFKii; Fkik^kke.
Devant la Glace
JOZEF ISRAËLS.
Un F II. s du peuple ancien.
{J///S(r inu)iicipal, Aiiislerdani).
CHAPITRE IX.
E r OLE H () L L A N I ) A I S E.
L'AKT liollandiiis nitidLTiiu iif ci.)mmence, à proprement parler, i.ju'avec la deuxième
mciitié du XIX'' siècle. DurcUit tnute la première moitié, il se débat coutre des iniluences
et des souvenirs qui sont loin d'actix'er sa constitution dètmiti\'e. Juscju"en i^^,ci, du
reste, date qui martjue remanri[)ation de la Belgique de la tutelle des Pays-Bas, l'histoire
de la peinture se confond dans la Hollande et dans les Flandres. La doctrine de David,
qui étend son empire sur jiresque toutes les parties de TEuroiie, domine d'autant plus dans
ces régions que l'illustre proscrit e>t fixé à Bruxelles, entoure de l'admiration universelle,
appelé même par \v roi de Hollande, aux sollicitations duquel il refuse de se rendre.
Il n'est donc ]kis surprenant cpie les élèves flamand-, de Hax'id. les Navez, les
Paelinck, les Odevaere, etc., aient pris une place prépondérant'- dan-> le développement
artistique des Pays-Bas. au cours des premières années du siècle.
Le romantisme fram.ais et ses modalités flamandes ]irodui>irent, à leur tour, leurs
effets sur le milieu hollandais et ces deux ordres de tendances, classicpies et romantiques,
m.
"^
Weissenisrcch. — Kamasseuià de cuciiiillage
2SO
La Peinture au XIX' siècle.
si contraiix-s à la nature du tempérament national, juxtaposées ou sujjerposées. ne Taidèrent
j^as à se retrouver.
D'un autre côté, les artistes qui paraissaient être demeurés fidèles aux anciennes
traditions locales se tenaient plus près des maîtres décadents d'.- la tin du WUI'^ siècle
que des grands originaux du XVIP et, comme partout ailleurs où le guut des sujets intimes
s'était éveillé, par contraste ou par dérivatif aux solennités moroses de l'Histoire, ils
s'attachaient beaucoup plus au fini du rendu, aux minuties de l'exécution, à l'imitation
littérale des petits maîtres précieux et maniérés qu'à l'observation sincère des phénomènes
de la nature et des actes de la \ie. Il ne s'y trouve encore, comme en France, ni im
dranet, ni un deorges Michel, ni un Paul Huet pour renouer la chaîne de la grande
tradition. De même que pour la Belgique, ce sera le contact avec les grands naturalistes
G.\BR1EL (l'.VUL-JiisEl'II-Co.NSTANTIN). — Il vifiit ilc loin (Collection A. .\. linkker, La Haye).
français qui sortira l'école hollandaise de cette sorte d'engourdissement. Toutefois, les
qualités natives de la race ne disparaissent pas entièrement de ce sol fécond et, si endonnies
soient-elles, en découvre-t-on les traces à certains degrés chez divers artistes appartenant
à cette longue période préliminaire. On trouve, au début, la famille des Kruseman avec
CoRNELis Kruseman, d'Amsterdam (1797 — 1857) peintre de genre qui voyagea en Italie
et en revint avec les ambitions de la peinture d'histoire; son cousin et élève Jan Kruseman,
de Harlem (1804 — 1862) qui étudia sous David, à Bruxelles, s'est livré au portrait, au genre
et à l'histoire, et aussi à l'enseignement. Il a été, entre autres, un des maîtres d'Israëls;
il eut également un fils qui fut peintre. Les deux Pieneman, Jax-Willem (1779 — 1853)
qui commença par le paysage, s'adonna ensuite à l'histoire et montra un vrai talent dans
le portrait; puis son lils Nicolaas, né à Amersfoort le !•-"' janvier iSio, mort à .Amsterdam
le 30 décembre 1S60, dont les portraits sont loin d'être sans mérite. Si l'on y joint le
Ecole hollandaise.
2^1
paysagiste Koekkoek (Bernard-Cornelis) de Middelburg {1803— 1S62) ou David Blés,
de La Haye (1821— 1899), sorte de Biard ou de Madou hollandais: Hermax Ten Cate, de
La Haye (1822— 1891) qui cultive le genre Meissonier: Charles Rochussen, de Rotterdam
(1874— 1894), peintre de batailles historiques, de sujets militaires et principalement illustrateur
animé et pittoresque, etc.. on aura ce qu"on pourrait a])peler l'état-major des producteurs
les plus intéres-
sants de cette
époque.
On serait
tenté ensuite de
faire une place
un peu à part
à tels artistes
contemporains
ou un peu ulté-
rieurs, dont la
sensibilité, plus
év-eillée devant
les spectacles de
la réalité, pré-
pare lentement
réclusion à ve-
nir. Tels sont
Bartholomeus
VAN HovE, né
à La Haye le
20 octobre 1790,
mort dans cette
ville le 8 avril
1880, paysagiste
qui peignait des
vues de villes
et fut le maître
de Verveer, de
Bosboom et de
Weissenbnich ;
son fils Hubert
VAN Hove (La
Haye, 13 mai
1814 — An\-ers
!«:■■ septembre
1865) qui se
livra au pay-
sage, puis à la peinture d'intérieurs ; .-Vndkeas Schelfhout (La Hâve, 16 juin 1787 —
19 avril 1870) un des premiers paysagistes qui annonce de loin révolution prochaine et
sera le maître des débuts de Jongkind ; son élève et gendre, Wvnand Jan Joseph Xuijen
(La Haye, 4 mars 1813— 2 juin 1839). Joannes Bilders (Utrecht, 18 août 1811 — Ooster-
beek, 29 octobre 1890) qui fut un des maîtres préférés de Mauve. Samuel Léonard
JoiiANXEs Bosboom. — L'Église a'.\Ikmaar (Mu>éo Mesd.it;).
252
La Peinture au XIX' siècle.
\'I':rvei-:r (La Ha^w _;i) nox-mibrc 1.S13 — 5 jan\-ior 1876) qui s'est fait un nom comme
peintre de vues de villes et d'aspects de villages maritimes. <'ntîn, dans le genre, August
Allebé, (né à Amsterdam le 19 avril 1838) et surtout Chkistui f]:l Bisschopp (Leeu-
warden, 22 avril 1828, — La Hâve, 5 octobre 1904) dont les tableaux de genre et surtout
d'intérieurs montrent un fonds de ju-nbité et un sentiment d'intimité tpii font passer sur
ce que leur technique a encore d'un ])eu mince et leur insjiiration d'encore un peu roman-
tiiiue. Bisschopp a été i)endant cinq ans, à Paris, de 1850 à 1855, élève de Gleyre et de
Charles Comte: il est un des premiers qui regardent \'ers les \-rais ancêtres.
Lnlin Odus arri\dns aux \-érital)les précurseurs, et l'un ]ient dire de deux d'entre
JoiiAN l'.Auriioi.i, ( Jean-1:aitimk) JijNnKiNii. — Vue tic Ilollunik- (Cuil. Duraml-Kiifl).
eux tout au UKiins. aux grands précurseurs de la période contempdraine. Bien que nés
dans le premier ipiart du siècle, leur carrière s'est, du reste, prolongée juscju'aux dernières
années du XIX'' et même aux ]Tremières années du XX"^ siècles, tandis (pie le développe-
ment de leur carrière s'est produit parallèlement au grand uKunenii-nt ([u'ils ont préparé.
Ce sont d'abord les paysagistes Roelofs, Weissenbruch et Cabriel. Willem RoELOFS
est né à Amsterdam le 10 mars 1822 et il est mort à Berchem. près Anvers, le 12 mai
1897. Il étudia siius Van de Sande liakhuijsen. à La Haye, en 1847: il se fixa à Bruxelles
en 1848, y demeura près de quarante ans, re\-mt à La Haye en 1887 et retourna finir sa
\'ie en Belgique: on le comjjrend même, j^arfois. dans son école. Ses premiers tableaux
rappellent la manière étroite et correcte de Koekkoek. mais il se dégage bientôt par une
.colc hollandaise.
253
étude attentive des -jeux de l,i luuiière et s'auuonee tdut à fait eouiini' uu (1(
des paysagistes mndernes. Il tut l'un des maitres dr Mod.u;.
précurseurs
Jax-Hexkik WiassEXURUCH. né à La H.iye le 30 novemlire 1824, nmrt dans
cette \ille le 24 mars 1903. était élève de K.irtlnildnieus \an H()\-e et de Schelfhout. C'est
déjà un \'rai hnUandais de Hollande, car il a m [impri- la plupart des belles qualités natu-
ralistes qui vont distinguer les maîtres de l'Hcole de La Haye. Son dessin est large, sa
couleur expressive, il a le sentiment de l'atmcisphère chargée de ces pays saturés d'humidité,
comme il apparaît dans la toile si simple et si grande d'effet de ses Raiiuisscurs de coquillages.
Il a peint des plages, des xùllages de ])êcheurs. des moulins au milieu des prés fleuris,
peuplés de vaches, des ruisseaux bordés de saules j>rès desquels )iointe la llèche d'une
modeste église campagnarde. Ses ac^uarelles. largement la\'ées. ont de même beaucoup de
grandeur. Il a surtout travaillé à Noorden. Malgré tout son talent et bien qu'i' ait été
entouré de la considération de ses confrères, ce n'est pourtant ([u'à Li fin de sa \ie que
^^'eissenbruch fut estimé commi- un iiiaitre.
G.-\BKIEL (P.-\rL-JosEPH-CuxsTAXTix) est peut-etic [jlus counu en France, où il a
souvent exposé, mais où il est aussi confondu a\-ec un homonyme fr.mçais. J. J. dabriel,
paysagiste provençal de talent. II est ne à .\m>terdain le 5 juillet 1N28 et décédé à
Scheveningue le 23 août 1903. Dès (jue sa \'ocation fut décidée, il étudia dans sa \'ille natale,
puis se l'endit à Clèves, près de Koekkcjek, mais il ne jiut se faire à la manière do sim
maître, revint à Amsterdam, se fixa ensuite, en 1S52. à Harlem, où il se lia avec Mauve,
et, suivant les habitudes de déplacement des peintres hollandais, continue ses pérégrinations
54
La Peinture an XIX' siècle.
i'n~s"établissant sviccc'ssivcniL'nt à OosterbeL'k. à Amsterdam, piii>, vn iSbo. à ISiuxrllcs, où
il se fixe jusqu'en 1.S84, tout en revenant chaque année travailler en Hollande. A partir
de cette date, il finit st-> jours à Scheveningue. On Fa appelé le peintre des ..polders" et
nul, en effet, n"a donne connue lui l'aspect de la grande plaine marécageuse, sillonnée de
routes et de canaux, et le
sentiment de la distance.
Qu'on en juge par le tableau:
// vioit de loin, de la collec-
tion .\. .\. Bakker. à La Haye,
qui, au tiout d'iule route,
s'enioneant de face, en ligne
droite, jusqu'à l'horizon, bor-
dée de ses st;uls poteau.x
télégraphiques, nous montre
le train s'avançant avec son
panache de fumée éparpillé
dans l'air humide.
Les précédents artistes
se rattachent déjà, de près
ou de loin, au mouvement
n.iturali^tc français avec lequel
ils ont été en contact, soit
en Hollande, soit en Belgique,
près des tableaux de maîtres
ciui comnrençaient à v être
recherchés. Le rôle de la col-
lection Mesdag, si riche en
cliefs-d'ieuvre français, aura,
pour sa part, e.xercé, dans le
dernier tiers du siècle, la plus
salutaire influence. Il est,
maintenant, deux figures
exceptionnelles qui dépassent
cette première génération des
\-rais maîtres de Hollande,
(le toute l'imjiortance de leur
personnalité et dont l'un tient,
dans l'école française, une
place plus considérable que
dans son école nationale. Ce
sont les peintres Bosboom
JOZEI- Isi;Ai:i.s. — (Ju.iud on vieillit. et Jongkiud.
JoHANNES Bosboom
est né à La Haye le icS février 1817 en même temps, qu'un frère jumeau; il est décédé
dans sa ville natale le 14 janvier 1891. Ses goûts pour le dessin se manifestèrent dès l'école
primaire et ils furent encouragés par le voisinage du peintre B. van Hove, que l'enfant
voyait travailler. Il entra donc en 1837 en apprentissage chez ce maître qui l'employa, au
Écol
c hollandaise.
3 3
niilifu de ses études scolaires, à des tra\au.\ de decoiatum ptnir ]e> théâtres. Ce fut pour le
jeune homme le plus utile exercice, car il s'y assouplit à tnus les problèmes de perspective,
apprit de bonne heure à trouver ce ([u'on aitpelle reiïet et s'entraina. en même temps, à la
connaissance de l'architecture. Il exjiosa pour la jireniière fois en 1835 et reçut, dès ce jour,
un précieux encouragement, car sa toile fut acquise p<ir le peintre Schelfhout, qui était un
des plus en renom à cette date. L'année suivante, il (|nitt.i son maître; il avait déjà trnuvé
JoZKK IsRAliLS
sa voie. Sa manière, ajcjrs, est caractérisée par un dessin très minutieux et une précisidn
pittoresque et colorée ({ui fait penser à Bonington. Le romantisme, d'ailleurs, a pénétré en
Hollande et Bosboom devait se 1 assimiler: mais cette fois c'était par les grands côtés. Il
peint des intérieurs d'églises, de vastes nefs et de mvstérieuses chapelles, qu'inonde une
large et pénétrante lumière, ou dont l'ombre chaude et transparente est traversée par le
poudroiement doré d'un rayon de soleil. L'église iVAlkmaar. du I\Iusée Mesdag, avec un
coin de bas-côté dans la pénombre, qui laisse voir à travers ses arceaux gothiques le transept
256
La Peinture au XIX' siècle.
\-i\-cnu>nt éclairé, est un inagi>tral cxi-miilaire de cet art robuste, viril, coloré, (jui relève
des plus belles traditions classiques de la Hollande. Plus tard, Bosboom peindra des fermes,
des chaumières, des étables dans les environs d'Utrecht, avec des rutilances de tons dignes
d'im Jules Dupré. et (|ui semblent inéhuler aux intérieurs de fermes ou d'étables du belge
Stobbaerts. Il jieignit aussi, à Sehe\enin.!.;ue. les sujets de la \'ie des pécheurs, thème favori
désormais des maîtres locaux. Il se li\-re à roccasiun à la nature morte, car ce romantique,
dans la phw riche aci-cptinn ilu mnt. ,1 l^' L;init mmantique du bibelot et a formé un petit
musée dans son atelier. Il
e.xcellc aussi dans l'aqua-
relle et notamment dans
des dessins à la sépia,
relevés sobrement de quel-
ques tons, /qu'il jetait à
profusion sur le papier
enmanière de délassement
et dont (jn trouva ses
cartons pleins après sa
mort. Sa palette, d'abord
très colorée, s'était à la
fin, allégée et éclaircie,
sous l'effet, assurément,
des modifications géné-
rales de la \'ision. Bos-
boom avait épousé, en
1851, Anne-Louise-Ger-
trude Toussaint, née à
Alkmaar en 1812, décédée
à La Haye en 1886, qui
est célèbre en Hollande
comme romancière et pour
la jiart ([u'elle prit à la
réni.i\'ati(jn littéraire de
son i)ays, ajirès la révo-
lution belge de 1830. Le
Diajor Frantz (1874), un
de ses romans les plus
connus, a été traduit en
français.
J \< (11; Maris. — Le .Moulin.
Ji)H.\.\ B.\RTHOLD
(Je.-\n-B.-\ptiste) J(iX(.Ki.\i) est une j)h\-.-.iononne auj(.uird"hui familière au public français. Ce
n'est guère pourtant tpi'après sa mort, suivant ime triste règle tri_>p commune, que. son
nom a conquis cette popularité; encore n"a-t-elle pénétré dans son propre pays qu'après
s'être répandue en France. Il est \'rai de dire que s'il resta fidèle de c<eur à la vieille petite
patrie d'origine, il était devenu entièrement des nôtres. Né à Latdorp. près Rotterdam, le
3 juin 1819, J.-B. Jongkind est décédé à la Côte-Saint-André (Isère) le 9 fé\-rier 1891. Sa
famille s'était établie à l\Iaass!uis en 1830; elle le destinait au notariat, mais sa vocation
pour l'art était si é\-idente qu'elle n'\- mit point obstacle. Il fut donc placé comme élève de
École hollandaise.
259
Schelflumt à Lu Hâve. lVn>iiinm'- en 1N45. il ^i- n-ndit m Fr.incc nù il dc-niriira tixé. l>iiii
qu'il fit. à maintes reprises, des exeiusidiis daii> --(in p.i\'s natal. Mn arri\ant à l'ari-. il
était entre chez Is.ibey et il reste bien chez Jimj^kmd i]neliiue chose de ce ])assage ]irès du
vieux nimantique i[ui.
ainsi que Boningtun
et même Paul Huet,
offre déjà, dans se>
études, certains traits
de la large écriture
synthétique et abrégée
si caractéristique du
talent énergiquement
expressif de Jongkind.
Il obtint une médaille
en 1852, fut refusé
avec tous les indépen-
dants au fameux salon
de 1S63, et malgré les
encouragement des cri-
tiques, tels que Zola,
Castagnary, Burty, de
Goncourt, et les amitiés
pleines de considération
de ses confrères: tu-
rot, Diaz, Rousseau,
Troyon, Daubigny,
Boudin, Claude Monet,
etc., parmi lesquels
plusieurs avaient acquis
de ses tableaux, il était
si peu prisé du grand
public et si m.ilheureux ,
au début, qu'il lut
obligé d'accepter le pro-
duit d'une vente orga-
nisée par quelques
artistes sur l'initiative
du brave Cals. Sau-
vage, ombrageux, fa-
rouche, il s'isolait pour
travailler, procédant
avec réflexion et lenteur
et reprenant souvent I Mak — L ( il
ses ouvrages. lia habité
Paris, dont il aTrendu admu-ablement les aspects pittoresques et animés, le Nivernais, la
Normandie, en particulier Honfleur, près de son ami Boudin, sur lequel il a influé nette-
ment, comme il a influé aussi sur Daubigny. sur Lépine, sur Claude Monet. formant, pour
ainsi dire, le trait d'unum entre le romantisme et l'impressionisme; il a travaille en Provence.
26o
La Peinture au XIX' siècle.
et il s'était retiré dans l'Isère, près d'une famille amie, la famille Fesser. (|ui lui ierma les
yeux. Jongkind a peint volontiers soit dans son pays, soit au retour, de s(uivenir, des effets
de Hollande: moulins à vent, canaux, bateaux aux mâtures effilées, patiueurs dans des
paysages de neige — sujet poiu' k'quel il maniue ciutl([ue pn-dilection --et i)artienlièrement,
comme son ancêtre Van der Neer, des effets de lune, mystérieux, brouillés, dans les palpi-
tations de la nuit. Sa peinture nerveuse, fébrile, est puissamment expressive. Quant à ses
aquarelles, avec leur magistrale écriture cursive, elles sont incomparables. C'est du reste, un
procédé qui sera exceptionnellement fécond et heureux entre les mains des maîtres hollandais.
Wii.i.KM Maris
Nous voici parvenus, maintenant, à la ]ilus grande figure de l'art hollandais
moderne. Josej)h Israëls oin-re, en eftet. les temps nou\'eaux. Comme Constantin Meunier
ou Whistler, son influence rayonne au delà de sou pays et sa biographie appartient à
l'Histoire générale.
JozEF ISKAËLS est né à (ironingue le z-j ian\'ier 1.S27. Il était fils de parents juifs.
fut élevé religieusement et même destiné à devenir r.ibbin. Son nom suffirait à détruire
le préjugé accrédité, d'après lequel les juifs ne sont })as doués pour être artistes, s'il n'y
avait à citer après lui Pissarro, Liebcrmann. Lévitau et bien d'autres ])armi les initiateurs.
Son père était un petit agent de change qui remp]o\'a bientôt près de lui. Son talent se
Écol
c Hollandaise.
261
•_,.i*-'^^'
révéla jxir hasard. Ih aimait hcancoii]) à (lo-in.r et empli ivait tous si-s loi-irs à (-(ipier des
lithographies et des gra\-ur( s. II n.ait ses ])remiers con-i-iL- de deux uiaitres iKimuiés Buvs
et ^'aI^ \'icheren cjui. ^-^\ant ^e- progrès. lui uiirent l>ient<)t le piueeau en maui-. 11 tra\-aillait
en compagnie de peintre- en latiments et ^"ex.n.ait en faisant les jiortrait- de tous ceux
qui l'entouraient. Ce que vo\aiU. son p.'-re se décida à l'envover à Am-terdam. dans
l'atelier, alors célèbre, de
Jan Kruseman. C'étiiit
eni840. Le ji-nneliomme.
installe chez un de ses
coreligionnaires, en plein
Ghetto, sui\-it a\-ec un
vif intérêt de curiosité
ces mœurs pittoresques
et comme exotiques qui
a\"aient si \d\"ement ému.
jadis, son grand ancêtre
Rembrandt. En 1845.
frappé par des tableaux
de peintres français,
entre autres d'Ary Schcf-
fer, il se décida à partir
pour Paris avec une
modicjue pension de ses
parents. Il y resta deux
ans, suivit les cours de
l'École des Beaux-Arts,
inscrit à l'atelier de Picot,
et reçut les corrections
de Pradier, d'Horace
^'ernet et de Deiaroche.
Mais il se formait sur-
tout au Louvre, et s'il
tira peu de profit de
l'enseignement ofiiciel. il
fut du moins très pénétré
par ces milieux dans
lesquels fermentait la
révolution prochaini-.
artistique et politique.
et qui formaient un\-aste
foyer intellectuel si in-
tense et si laborieux. En
1848. juste comme la révolution éclatait en Fr.mce. il rentre en H(]llande et ^e met au
travail. Ses premier- tableaux, pris dans I''> sujet> de l'histoire aneieniie juixe ou de l'histoire
nationale hollandaise, voin,' empruntés aux subsistances romanti(|iies de chex'aleries dans les
clairs de lune, sont loin encore d'annoncer son avenir. Sa Rcrcric et son Adagio cou csprcs-
sione lui valurent, du moins, (pie^pies succès. L'n hasard })ro\-idi>ntiel lui montra sa voie.
Très malade et misérable. Israëls s'était rendu dans un petit village de pécheurs. Zandvoort.
Wil.LEM M.^R1^. — Pi
202
La Peinture au XIX' siècle.
près de Hurleni, pour essayer de remettre sa santé. Installé chez de pauvres gens, il
s'intéressa à leur vie. les dessina, les portraitura, revint guéri, avec un nombre considérable
d'études et, comme Millet était en train de faire, de son côté, avec les paysans de Barbizon,
il résolut de se consacrer à traduire la grandeur de la vie dt-s humbles. Ses premiers tableaux
dans ce genre, devenus célèbres, comme Premier amour, le Xuufrage, le Berceau et surtout
Le long du cimetière {1856) (au Musée Royal d'Amsterdam) sont d'un pathétique encore tout
conventionnel, avec des effets de clair-obscur combinés théâtralement. Il a évolué dans le
sujet, mais non encore dans hi manière. Peu à peu, cependant, sa sensibilité s'exalte. Marié,
dciinis 186;. .i\('C la tille d'un avcjcat de (ironinguc, il se fixe à La Hâve, de manière à
Matihvs -Maris
Les quatre MoiiHns.
p(_)uvoir travailler à Scheveningue et là, parmi les pécheurs, éclairé peut-être par la divine
lumière de son aïeul, Rembrandt, il pénètre ces âmes simples et ces humbles milieux grâce
à la puissance d'une organisation des plus singulières, formée de la sensibilité la plus aiguë
en face des phénomènes naturels comme de l'impressionnalité la plus vive devant les moindres
émotions humaines. Il vibre à l'unisson de ses modèles, il s'extériorise en eux par une
faculté rare de réceptivité absorbante et de sympathie rayonnante. C'est ce qui lui constitue
un caractère unique, même à côté de Millet et de Constantin Meunier, bien que l'ceuvre
symbolique de ces derniers ait une signification d'une portée plus générale.
Chez Israëls, en effet, la sensation est plus présente, plus directe, il y a presque
toujours dans son œuvre un petit intérêt actif, un ..sujet". Il est piquant, à ce propos.
xole hollandaise.
26^
de relever rohser\-ation de Fromentin, dans ses Muilycs d\iiitrciois. Constatant ,, l'absence
totale de ce cjne nous appelons aujourd'hui un sujet", dans l'art luillandais, il fait porter
sur ce point la différence entre le génie mvcntif de l'art français et le génie purement
pittoresque de l'autre. Les faits démentent cette règle pour les temps modernes. Le tableau
du Musée d'Amsterdam, Seule au
Monde, est un des plus touchants
exemplaires de cet art ému.
C'est un pauvre intérieur de
pêcheur, au plafond bas, tout
noyé dans la pénombre profonde
que traverse un pale rayon
lumineu.x venant de la fenêtre
au_| fond, et s'arr étant sur les
humbles acteurs de ce })etit
drame intime et poignant, un
vieille femme assise, la tête
dans son tablier, au chevet d'un
moribond. L'atmosphère est
voilée, brouillée, en\"el(>ppant
les formes et les figures, et ce
clair-obscur délicat et subtil,
d'où se dégagent lestonsatténués
et dégradés en harmonies mélan-
coliques, est, de son côté, sin-
gulièrement expressif. Durant\-
pouvait écrire d'une des toiles
du maître qu'elle était peinte
avec ,,de l'ombre et de la
douleur". C'est le même senti-
ment] de sympathie pénétrante
qui marque un autre sujet, à
peu près le même, bien que
moins tragique: cette vieillt-
femme qui étend ses mains
glacées devant le foyer solitaire:
Quand on vieillit.
Il y a peut-être au fond
de cet esprit altruiste et sym-
pathique et dans ces accords
sourds et douloureu.x une sub-
sistance de l'antique génie hé-
braïque et un souvenir ata\ique
de l'existence solidaire et mena-
cée des ghettos. Si Israëls a été
le peintre des pêcheurs dans leurs intérieurs misérables comme au milieu de leur atmosphère
marine, dans le doux éblouissement de la lumière qui vient de l'eau comme du ciel, il a été
aussi le peintre de sa race, de ce qui en survit d'un peu intact ou du moins de caractéristique
et qui ne se_ découvre plus qu'à Amsterdam. Il a retrouvé les accents si expressifs de
Mai iiiv> Mai<i>.
264
La Peinture au XIX' siècle.
Hl.NIiRiK WlI.I.EM >Ie--^ai;. — 1
frères. C'est le moment 1
est un Intcncur de cuisiin
Rembrandt vieilli, cette technique cjui n'en
est plus une, tant elle est libre, personnelle,
dégagée de toute règle professionnelle,
flottante et négligée en apparence, mais si
spontanée, si vivante, si justement adaptée
ui sujet, pour traduire cette physionomie
d'- \ieux brocanteur assis sur sa porte et
surtout ce Mariage juif, si peu représen-
tatif dans ses habits modernes, son chapeau
de soie couvert du \-oile sacré, mais qui
nous prend, avec la même émotion que les
toiles de Rembrandt, par son recueillement,
sa gra\-ité. cette puissance cçmmunicative
de sympathie.
Autour d'Israëls. bien que d'une
génération beaucoup plus jeune et derrière
Bosboom, Gabriel et Weissenbruch, brille
d'un vif éclat une famille d'artistes juste-
ment célèbre: la famille Claris. Les trois
frères, en effet. Jacob, ^latthys et Willem
se sont particulièrement distingués comme
peintres. Ils étaient fils d'un ouvrier typo-
graphe dont les grands-pères étaient ancien-
m ment venus de Pologne, et qui s'était
1 tabli à la Haye en 1830. Il avait eu trois
;il> et deux filles et réussit à les élever non
--ans difficulté. L'aîné des fils se plaisait à
dessiner, ses deux jeunes frères l'imitèrent:
c'est là l'origine de leur vocation.
L'ainé, J.-\lob Maris (J.^cobus
Hexdrik) naquit à La Haye le 25 août
1S37 et est décédé à Carlsbad le 7 aoirt
1899. Dès l'école communale il passait ses
récréations à dessiner. Le maître s'intéressa
à ces débuts qui promettaient et recom-
manda son élève à un peintre connu alors,
Stroebel. qui le fit travailler et lui fit sur-
tout faire des aquarelles d'après des natures
mortes. Il passa ensuite dans l'atelier de
Hubert van Hove (1852) qu'il accompagna
deux ans après à Anvers; un peu trop
accaparé par son maître, il le quitta et
suivit pendant trois ans les cours de l'Aca-
i,P„-, ,i^. j. demie de cette ville. Il revint ensuite à La
Haye en 1857 et, là, étudia avec ses deux
ù il commence à travailler pour lui-même. Son premier tableau
. Il recommence bientôt à vovager. En 1860, il est en Allemagne
266
La Peinture au XIX'' siècl
e.
et en Suisse, en 1865, il est à Paris; il y fait un assez long séjour. 11 y gagnait sa vie. avec
son compatriote et ami Kaemmerer. qu'il avait suivi, à faire des figures d'italiennes, mises
à la mode par Hébert. Inscrit à l'École des Bcau.\-Arts, il entra, d'ailleurs, dans l'atelier de
ce dernier maitre. En 1868, il exposait au Salon une ]'i(c du Rhin qui fut remarquée et
acquise par un marchand de Londres, ce qui était le commencement du succès. Entre temps
il s'était marié. En 1S71, après le Siège et la Commune, il rentra en Hollande et se fixa à
La Haye. Jacob Maris est essentiellement ce qu'on appelle un peintre. 11 est de la race des
grands hollandais et il se rattache, tout en gardant son originalité locale, à la lignée des
romantiques ou naturalistes
français, voire même des
réalistes: Decamps, Millet et
Courbet, mais surtout Dupré,
par le caractère, souvent im-
posant de ses paysages, quoi-
qu'il soit plus réaliste et moins
lyrique, et plutôt de Daubigny,
avec lequel il présente certaines
aflinités. Sa matière est riche,
son métier franc et robuste,
les aspects les plus simples de
nature prennent sous sa main
une véritable grandeur. Ce
n'est pas un descriptif; son
exécution fougueuse, bien que
reprise très souvent, est large
et synthétique, en ce sens que,
comme J nies Dupré, il n'exécute
jamais des portraits de lieux.
Ainsi que le maître français, il
peint volontiers de mémoire;
mais cette mémoire fidèle garde
toute la fraîcheur des impres-
sions reçues et sa peinture,
grave et puissante, a aussi dans
la lumière de ses ciels, brouillés
ou éclairés, de la légèreté, de
la délicatesse et de l'éclat. Il
■\i-i;m I \iiii;,-. rrima Vera. a peint aiix environs de La
Haye, d'Amsterdam et de
Rotterdam, des moulins qui dressent leur tour ronde et leurs grandes ailes dans le ciel nuageux,
des petits ponts sur les ruisseaux dans la campagne, ou des ponts-levis aux armatures
peintes sur les canaux des villes, des vues de ports, comme celle qui est reproduite ici et
qui appartient au JMusée royal d'Amsterdam, ou des petits coins familiers et pittoresques de
faubourgs, connne l'ii cuin de Délit.
Le plus jeune des frères, Willem M.\ris, est celui qui se rapproche le plus de la
voie de son frère aîné. Il est né à La Ha\-e le 18 février 1844. Il fut formé par ses frères
et n'eut pas leurs débuts agités, car il ne quitta guère son pa\-s natal, si ce n'est pour un
Écol
colc noiiaiulaise.
267
voyagr en Xurvègc." Il a établi sa rcsidenct- à La Ha\-e mi aux ciuinms. Ses premiers
travaux unt un caractère minutieux et anecdotique, mais sa facture ne tarde pas à s"élargir.
Willem est à la fois paysagiste et animalier, c'est-à-dire qu'il aime peupler la nature de
ces belles vaches blanches et tachetées qui s'abreuvent auprès des ruisseaux, comme dans
cette toile si fine de lumière diftuse qui pétille sur les feuillafjes et caresse les croupes
luisantes des bêtes, du Musée royal de La Ha\'e: ]'nchi-s hiivatit, ou ses canards qui
barbottent dans Teau jaillissante. Mais ce n'est })as, lui non i^lus. un portraitiste ni un
descripteur. Les animaux, les maisons, les arbres et les eaux ne semblent pour lui qu'un
prétexte pour saisir les jeux les plus vifs ou les plus subtils de la lumière. Il aime les
ciels très hauts et brouillés des aubes un peu mystérieuses, les eft'ets à contre-jour, la
r-- '' «*^<te*r ^'f -r
verdure grise des saules, la grande plaine humide des polders, semée de joncs, coupée de
flaques, bornée au loin jiar les toits coniques rt les ailes des moulins. Il excelk' à traduire
d'une palette argentée les vibrations de l'atmosphère, les frissons de l'eau moirée de reflets.
Ses saisons préférées sont certaines heures de l'été et le printemps. Le talileau. qui ligure
ici sous ce nom, donne une idée de cette sensibilité très \'ive. C'est ce cjui fit que. en Hollande,
on appela les Maris des impressionnistes. Jacob avait été long à être admis, Willem fut
plus longtemps discuté encore. Ils fijrmèrent ])rès d'israëls ce qu'on était cc_in\Tnu d'appeler,
vers 1880, ,. l'École de La Haye".
Le dernier des frères Maris.
second comme
M.\Tiiivs (M.ATiiiEr) M.\Ris,
268
La Peinture au XIX' siècle.
ou, ainsi qu'on l'apipelle dans son pays par abrévation: Thys Maris, diffère essentiellement
de ses frères comme, du resti-, de tous ses confrères hollandais; il représente dans les
Pays-Bas, pays protestant, un esprit tout à fait nou\'eau qui va se faire jour avec la
génération prochaine: l'esprit mystique II est né à La Haye en 1839 ^'t sui\'it les traces
de son frère aine, mais il montrait de bonne heure, même devant la nature, les tendances
idéalistes de sa vision toute subjective. Il fut pensionné en 1857 jiar la princesse Marianne
et accompagna son frère à l'académie d'An\-ers. 11 h.ibita quehpie temps Paris, puis se
rendit à Londres où il s'est définitivement fi.xé et où il \-it dans la solitude. Ses œuvres
sont peu connues, car depuis le refus qui fut infligé à un de ses envois, il ne \'oulut plus
participer à aucune exposition.
C'est une physionomie bien particulière, très étrange et très sympathique. Son art
est fait plus de sentiment que de réalité, ou du moins la réalité est transposée dans son
cerveau qui en distille toute l'essence poétique. Son art est une sorte de romantisme con-
centré, intense et profond, au dessin naïf et précieux comme chez un primitif, aux colorations
profondes, ardentes et mystérieuses.
Breitner 'Geori;e IIendrik). — Les Che
dans la neiye (Appartient à M. Bildeibeek de Donlrecht),
II a des raffinements d'harmonies à la Whistler et il fait penser un peu, par ce
qu'il y a de romantique et de sentimental dans son naturalisme, à la personnalité britannique,
déjà vue, de F. Walker. Il semble, du reste, que Mathieu Maris fut plus fait pour être
compris en Angleterre qu'en Hollande. Ses paysages sont vus comme à travers le grandisse-
ment du rêve ou du souvenir, tels ces Quatre moulins qui dressent, grandioses et fantastiques
dans l'or du soir, leurs hautes tours ailées par-dessus les arbres et les maisons, assoupies
dans l'ombre, au bord de l'eau. Ses personnages. Petite eitisinièrc assise pri:s de son poêle,
ou Jeune fille regardant manger ses poules, dans un décor de paysage très lointain de vieille
petite ville fabuleuse, hérissée de clochers et de donjons, sont parentes de ces filles de roi
qui attendent, assises devant leur rouet, quelque Prince Charmant; ce sont des paysannes
ou des servantes de contes de fées: Peau-d'Ane ou Cendrillon. A ce titre, la physionomie
de Mathys Maris est donc exceptionnelle dans une école exclusivement réaliste par la
force de la tradition et la vertu du terroir; il est l'unique expression, vraiment sincère,
personnelle et non apprêtée, de l'inspiration d'ordre imaginatif. Il a été sensible à l'art
de Millet, dont il a gravé une pièce et auquel il a emprunté la plénitude de ses silhouettes.
Ecole hollandaise.
269
Pour en revenir aux maîtres de l'École de La Haye et à ses puissants et féconds
réalistes, à l'occasion toutefois si expressifs, il faut joindre à Israëls et aux frères Maris
quelques autres personnalités dont le nom^est plus familier en France, où leurs feuvres ont
figuré couramment à nos expositions. Il en est dmix (jui méritent une place à part: ce sont
Anton Mauve et H. W. ^Mesdag.
Comme âge ce dernier est le plus ancien, mais sa carrière s'est tardivement décidée.
Anton Mauve, lui, est né le 18 septembre 1838 à Zaandam et il est décédé, le 5 février
1888, à Arnhem, subitement, comme il se trouvait en séjour chez son frère. Il était fils
d'un pasteur protestant fixé
à Harlem. Ses dispositions
pour le dessin furent précoces.
C'est du reste ainsi que com-
mencent toutes les biographies
d'artistes. Vers 1852, sa voca-
tion étant bien décidée, son
père se propose d'en faire un
professeur de dessin et il entre
dans l'atelier de P. C. van Os,
peintre d'animaux. Mais il
quitte son maître et va s'in-
staller à Oosterbeek, où il
travaille près de Bilders et
où il fait la connaissance de
Willem Maris, qui agit à ce
moment sur la direction de
son talent. Il habita ensuite
Amsterdam, puis La Haye et
enfin Laren; c'est là qu'il se
développa. Il débute dans la
manière desanciensanimaliers
hollandais et, du reste, sous
l'influence de son maitre, avec
un dessin d'abord très étudié.
Ses personnages jouent alors
un rôle assez actif dans ses
compositions; ils ne lui sont,
d'ailleurs, même plus tard,
jamais indifférents, bien qu'il
ait traité l'animal plutôt sous
la forme d'agglomération qu'à
l'état individuel. Sa manière, en s'élargissant, garde quelque chose d'intime, de familier, de
subjectif, de très doucement poétique, d'une poésie réelle, sans apprêt sentimental, faite de
vérité dans une harmonieuse simplicité. C'est gris, d'un joli gris de perle très fin, c'est triste,
doux et velouté. Il y a, chez cet Anton Mauve, de la grâce insinuante et du charme mélo-
dique de Corot. Il rend le moutonnement des troupeaux, leur piétinement dans la poussière,
la fine et délicate coloration des bruyères rosées, dans les sables fauves des dunes, comme
dans ce charmant et mélancolique tableau de la collection J.-C.-J. Drucker.
Quant à Mesdag, ce n'est pas seulement un beau et puissant peintre, c'est aussi
liAl'ER (MaRII-s) — C;
■ilrale de Rouen.
270
La Peinture au XIX' siècle.
une des personnalités les jilus impurtantes de son pays par rinfluence personnelle qiril
s'est acquise et qu"il à employée au jirofit des arts. En ]iarticulier, c'est grâce à cette
admirable collection dont il a fait le ..Musée Mesdag" que. depuis près d'un demi-siècle,
par les cliefs-d'<euvre qui y sont rassemblés, il a prodigué ses leçons aux artistes régionaux.
Henoiuk WiLLiiM Mi:sD.\G est né à (ironingue, le 23 février 1831. Il est fils d'un
banquier, qui dirigea d'abord une grande maison de grains. Lui-même fut associé à son
père. Dès l'enfance il se plaisait à dessiner. De même qu'Israëls, il reçut les premiers
éléments du dessin à Groningue, du professeur Buys. Puis il se mit à peindre dans les
loisirs que lui laissaient ses occupations. Ce n'est fiu'à trente-cinq ans qu'il se décida à
les quitter définitivement pour se donner entièrement à la peinture. Il était alors marié
et fut encouragé par sa femme. Il alla étudier à Bruxelles près de son ami et neveu
Alma-Tadema et sur les conseils de Koelofs. Ses débuts sont de scrupuleuses études de
W'IIIKM I'.\^I1AAN Tlioij-N. — l'av^a
maisons, de jardins, d'intérieurs. En 186S. il se décide à exposer: il envoie en même
temps en Belgique et en Hollande. Il n'a pas grand succès dans son pays, mais, en
revanche, il trouve en Belgique des sympathies encourageantes. Il se rend à Norderney
et, dès ce jour, commence la grande suite de marines qui ont illustré son nom. En i86g, il
se fixe à La Haye, pour être près de Schr\eningue et. cette même année, il remporte une
médaille au salon de Paris avec les Brisaiils de la >ncr du iu>rd. Sa première manière, plus
détaillée, se poursuit jusqu'en 1876. A cette date, sa facture s'élargit, sa brosse procède par
fougueuses abréviations et il n'est pas un salon où notre public n'ait admiré ses barques de
pêche aux voiles brunes et rousses voguant sur des mers glauques et tourmentées et ses soleils
se levant ou se couchant majestueusement sur les eaux. Le Luxembourg possède de cet
artiste un beau Soleil eouchant sur la mer. Il a le sens de l'étendue et il n'y a guère peut-
être que Henry Moore, en Angleterre, qui ait rendu comme lui, les masses pesantes des
eaux et la palpitation de ce grand organisme en perpétuelle animation de l'Océan.
.colc lii)il;in(laise.
2/1
Mme SiNA MïSDAG — \'ax,Houtex, iiéf le 23 décembre 1834, à Groningue, et mariée
à Mesdag en 1856, est un 'peintre de talent; elle s'est formée devant la collection de son
mari et a peint surtout des bruyères et des natures mortes.
Mesdag a exécuté, en 1881. le panorama de Sche\-eningue en collabdration a\-ec sa
femme et les peintres de Bock et lîreitner.
Il faut rattacher à ces maîtres Adoli- .Vrtz, né à La Hâve le 18 décembre 1837,
mort le 9 novembre 1890, élève d'Israéls, ijui a peint avec talent des scènes rurales, des
troupeaux, etc., et qui a exposé sou\ent aux salons de Paris, où il résida de 1866 à 1874,
puis Albert Neuhuys et Blommers.
Albert Neuhuys est né à l'trecht le 10 jum 1844. Sa famille s'opposa d'abord à
WlI.LEM l'K ZWAKI
Vaches dans le pi
sa vocation. Il travailla à Anvers, (lù il exécuta de 186S à 1872, suivant la formule de
l'Académie, des compositions historicjues et romanticjues. Il revint en 1870 en Hollande: il
y subit l'influence d'Israëls et de Jacob ilaris; il demeura quelques années à Hilversum,
où il a peint nombre de ses tableaux, et, depuis 1900, est fixé à Amsterdam. Ses sujets ne
sont guère variés: c'est toujours à peu près la même chambre rustique, a\'ec quelque femme
qui file, comme dans cette charmante et modeste idylle campagnarde qui porte un titre
italien un peu prétentieux Prima W-ra. ou quelque mère occupée avec ses marmots. Mais
Neuhuys est un peintre par excellence: son métier a une robustesse virile, sa matière est
riche, ses colorations simt fortes, avec des rouges superbes, les beaux rouges des grands aïeux.
C'est un art réaliste et véridique, à la manière de celui de Courbet, où l'on sent que la
peinture veut être belle pour elle-même.
27 2
La Peinture au XIX'' siècle.
Assez différent est Blommeks (Beknakdus Johannes), né à La Haye le 30 janvier
1845. Élève de l'Académie de La Haye et de Bisschop, au début, il se plaît aux déguisements
pittoresques de personnages costumés. Il se dégage bientôt sous Fintluence de Jacob Maris
et d'Israëls, mais son art essentiellement optimiste, dans sa manière brouillée, noyée, est
sain, frais, vivant, ne montre que des scènes d'activité et de travail en de joyeux tableaux
enfantins, avec une très fine sensibililé devant les phénomènes de la lumière et de l'atmos-
phère entre le ciel et la mer. Ses Pêcheurs de coquillages en sont un exemple.
Les artistes qui viennent d'être examinés coii'^titui'nt
•1"
ippellf rn Hollande
>»-—»'**" C^.i. iMT"— iiijBe^
Jan VntRMAN. — Reflets sur l'Vsel!
les ,, Anciens ou les ,, Vieux". C'est l'art d'hier, glorieux et respecté, qui a formé l'école
nationale. Mais ici, comme ailleurs et comme partout, une des particularités de l'histoire
de l'art et spécialement de l'art moderne, ce sont ces luttes d'anciens et de nouveaux, ces
réactions continues. En Hollande, ces oppositons ne prennent pas le caractère de conflits
violents, de querelles aiguës, dans lesquels les maîtres anciens se montrent hostiles aux
nouveautés du présent tandis que les jeunes méconnaissent injustement les grandeurs du
passé. La figure d'Israëls domme toujours paternellement toute l'école, et son fils, même, est
un des promoteurs du mouvement nouveau. Il y a donc en Hollande des vieux et des
jeunes: les anciens et les nouveaux ,,gidsers", du nom des publications qui défendent les
Ecole hollandaise.
-'7 3
doctrines opposées. On a qualifié, nous l'avons vu, d'impressionniste le talent des j\laris
DU des Mauve; en appelle, ici, néo-impressionnisme l'évolution actuelle de l'art hollandais^:
mais ces termes n'ont pas le sens précis que nous leur donnons chez nous, ils sont dérivés de leur
acception primitive et correspondent, comme partout du reste à l'étranger, à l'idée de
nouveauté, de réaction plus ou moins combative contre les formules du passé.
La quiétude de l'art hollandais a donc été troublée, les générations suivantes ont
voulu un art plus en rapport avec les préoccupations de la pensée contemporaine, sinon avec
les exigences plus vives de la vision. A la tète de cette jeune Hollande est Breitnek
(George Hendrik) né à Rotterdam le 12 septembre 1857. Il fut d'abord destiné au
commerce, mais se sentant plus de dispositions pour la peinture que pour les affaires, il
étudia d'abord avec Rochussen à Rotterdam, puis à l'Académie de La Haye. Il fut ensuite
Fl<.iR!s Vekster. — Maisoiinelto aux pots <lc tlciir
l'élève de prédilection de Willem Maris. Il commença à peindre en 1880 et débuta par une
étude de hussards lancés au galop. Il parut, en effet, au début, s'adonner aux sujets
militaires et aux charges de cavalerie. Il a peint du reste, tous les sujets, figures grandeur
nature, fleurs, natures mortes, effets de nuit. Mais il est surtout di'venu célèbre par les
incomparables impressions de ville, de vues des \-ieux quartiers d'Amsterdam aux colorations
fortes des maisons qui contrastant avec la blancheur de la neige, aux rues boueuses où les
chevaux trapus tirent les lourds camions. Il mimtre un sens rare des accords expressifs et
ces paysages de rues, d'une poésie nostalgique et poignante, donnent, à leur façon, le même
frisson que certains tableaux du belge Baertsoen. Les chevaux dans la Xcige, qui appartien-
nent à M. Bilderbeek, de Dordrecht. ont été admirés à notre exposition universelle de 1900.
Ce qu'il y a ,,d'impressioniste"' dans l'art de Breitner lui vient d'une sensibilité
2/4
La Peinture au XIX' siècle.
liersoniiellc très développée, et peut-être aussi, dans la technique, de Finflucnce de Manet.
Son camarade Isaac Israëls est, avec lui, un des promoteurs de ce prétendu néo-impres-
sionnisme. Le fils du vieux Joseph Israëls est et a voulu être essentiellement moderne. Il
est né à La Haye en 1S65, et. naturellement, fut, au début, dirigé par son père, en même
temps qu'il suivait les cours de l'Académie de la Haye. Il débuta lui aussi par des sujets
militaires et il subit l'influence, toute récente et toute rayonnante alors, de Bastien-Lepage.
En 1882, il obtenait un premier succès avec un tableau de ce genre. Il travaillait alors à
Amsterdam et toujours très scrupuleusement, sur nature. Depuis il \it surtout à Paris où
il a, sans doute, été placé au milieu des courants les plus modernes.
A côté de Breitner. Bauer (Marits) mérite une place à part parmi les jeunes
maitres des dernières
générations. Il est né à
La Haye en 1867; son
père était peintre déco-
rateur, ses dispositions se
révélèrent de bonne heure
sous cette influence. Il
étudia à r.\cadémie de
La Haye et y fut élève
du peintre 1^. van Witsen,
ami intime d' Israëls, qui
hii infusa son admiration
pour le grand maître
national. Il commença
par s'essayer à l'aquareUe
et montra de bonne heure
l'originalité de son tempé-
rament. En 1885, il eut
l'occasion de faire un
voyage à Constantinople
et en rapporta une série
d'impressions extraordi-
naires de grandeur et de
fantastique, qu'il traduisit
en peinture à l'aquareUe,
et particulièrement à l'eau-forte, a\ec un caractère de personnalité inoubliable. Il y a dans
ces visions orientales, d'une si belle lumière contrastée, comme un souvenir magique de
Rembrandt alliée au pittoresque de Fortuny. C'est en i88f) qu'il exécuta sa première
planche sous la direction de son ami Philippe Zilcken qui a tant fait pour cet art par ses
travaux et par ses écrits; il fut immédiatement maitre de sa technique. Bauer retourna à
Constantinople, en Egypte, dans l'Inde même. Il a aussi voyagé en France et il s'est essayé,
après Claude Monet, à rendre l'aspect grandiose de la façade de la cathédrale de Rouen,
à la pierre sculptée, fouillée et refouillée, rongée par la pluie, patinée par le temps, prodigieuse
et merveilleuse éclosinn architecturale dans une matière qui semble inconnue. Bauer n'a
pas été inférieur à sa tache. Il a peint aussi la Cathédrale de Strasbourg et des vues de
Paris (I.Iusée ;\lesdag).
Il est ensuite un groupe de paysagistes qui s'est créé une certaine réputation à la
même date. Ce sont: \V. B. Tholen, W. de Zwart, Jan \'oerman et \'erster.
l.a Halte .les liohémiens
-cole nollandaisc.
-/:5
Willem Bastiaa.n Tholex est né à Amsterdam le 13 février 1860. Il débuta dans
I"art vers 1880, influencé alors par Gabriel, par INIauve et par \V. Maris. Il s'assouplit bientôt
dans une voie plus personnelle et exposait en 1888 une série de bateaux et de carrières
de sable qui furent remarqués. Il se livra, Tannée suivante, à des études de boucheries et
d'abattoirs, telle la Bête morte (1890). Sa couleur, qui montait de ton. devenait chaque jour
plus ardente, comme il apparaît dans les ou\Tages ultérieurs L'arbre jaune (1892), La grange
(1895), Le port (1897) et jusque dans ses portraits de fillettes, datés de 1893. Sa palette
se calme ensuite, son exécution est plus aflinée, plus allégée et ses dernières œuvres. Une
Jan Te
trois Epouses.
Kermesse à Moitnikeudaiii (1906).
délicatesse poétique.
ses vues de tleu\-e5. marines, paysages di\'ers. ont une
Willem de Zwart est né à La Haye en 1862-. il étudia à IWcidémie de cette ville
et sous la direction de Jacob Maris. Ses premières peintures sont fines, blondes et distinguées;
sa manière se colore ensuite puissamment, suivant l'évolution qui semble marquer la dernière
période du paysage hollandais contemporain. C'est un riche tempérament pittoresque. Il a
peint des vues de villes, prises particulièrement au.x environs de la Haye, des groupes d'ani-
maux au milieu des routes, des figures de femmes et de beaux paysages animés, des aspects
276
La Peinture au XIX' siècle.
de marchés aux bestiaux, peuplés de vaches tachetées, comme cette mare, sous le ciel clair,
près de laquelle un paysan trait une vache dans un groupe de paisibles ruminants. De Zwart
est également graveur. Voerman (Jan) né à Kampen, en 1857, appartient au même milieu.
11 étudia à l'Académie d'Amsterdam, débuta avec des tableaux de figures, puis, vers 1885,
peignit des vues de villes et principalement des fleurs, avec un sentiment d'intimité très
émue. 'Vers 1890, sa manière se modifie et se simplifie, avec une largeur qui rappelle en
quelque manière le style des grands Japonais. Ses Reflets sur rYselle montrent toute la
délicatesse de sa vision. Flokis Verster, né à Leyde en 1861, s'affirme dans les mêmes
tendances fortement colorées; ses harmonies sont singulières et même violentes, sa manière
rst d'abord brusque, vive et nerveuse.
Il a commencé par des animaux:
vaches, chevaux, sous l'influence de
Breitner. Il lave ensuite de magis-
trales aquarelles de volailles plumées,
(le roses trémières, etc., d'une facture
large et pleine d'éclat puis, comme
Voerman, se modifie et peint des
natures mortes, quelques fleurs dans
un vase ou des coins de ville, telle la
vieille église de Leyde, avec un grand
sentiment, malgré le travail menu,
patient et attentif. On cite volontiers
parmi ses meilleurs ouvrages, avec
les Casseurs de pierres de 1887; sa
iiinisoiiiuile aux pofs de fleitrs, 1885.
Nous arrivons maintenant à
une des figures les plus extraordi-
naires et les plus discutées de l'art
moderne, non seulement pour la Hol-
lande, mais pour la France, car elle
appartient autant à notre école qu'à
son pays d'origine. C'est celle de
Vincent van Gogh. Lorsqu'on le
place à côté de ses confrères hollan-
dais plus jeunes, que nous venons de
voir, on s'explique, à la fois, l'influence
joiiAN iii.Mii;ii_ ii\MKM\>, — i,ii..iiui.-. qu'il a eue sur eux et cette tendance
générale de la jeune école néerlandaise
vers toutes les ardeurs de la lumière et la vivacité des colorations. Le ton pur y règne en
maître et le pauvre "Vincent, ainsi qu'il a signé toutes ses œuvres de France, est mort victime
de cette hyperesthésie du sens visuel qui lui fit poursuivre jusqu'à la fin, dans les affres de
l'impuissance, la chimère, non d'interpréter et de transposer, - ce qui nous est seulement
permis — mais de reproduire et de fixer les splendeurs et les fantasmagories de la nature
avec les pauvres moyens matériels bornés à la palette du peintre.
Vincent van Gogh est né à Groot-Zundert (Brabant néerlandais) le 30 mars 1853
et il est décédé en France, à Auvers-sur-Oise, le 29 juillet 1890. 11 était fils d'un ministre
protestant qui le destinait au commerce. Dès qu'il fut d'âge de choisir un état, il fut placé, en
Écol
c hollandaise.
277
effet, chez son oncle Van (jogh, marchand de tableaux, attaché à la Maison Goupil de Paris.
Il y resta jusqu'en 1876. A cette date il partit pour Londres, afin de se vouer, avec
une sorte de foi apostolique qui annonce le caractère généreusement exalté de son esprit, à
l'enseignement du peuple dans les quartiers ou\Tiers. Il y prêche, suivant l'usage, dans les
rues. L'année suivante, il revint à Amsterdam avec la pensée d'y faire ses études l'U théologie
et d'aller prêcher, cette fois, les mineurs du borinage. C'est à ce moment qu'il parait com-
mencer à dessiner. En 1880, on le trou\'e chez son père à Etten, où il se voue à l'art, avec la
même foi ardente qu'il a\ait montrée pour les choses de la religion. Il étudie quelque temps
à la Haye, sous l'influence de Mauve, se rend en 1885 à .\nvers, puis bientôt à Paris. Il y
travaille quelque temps et y subit
fortement l'action des milieux
impressionnistes et néo-impression-
nistes, bien que ses maîtres de pré-
dilection fussent Rembrandt, Dela-
croix et Millet, dont il se plait à
transposer certaines ceuvres, à la
manière dont usent les compositeurs
sur les ouvrages des maitres. Au
printemps de 1886, il se rend en
Provence, la Provence claire et
lumineuse des bords du Rhône, et
s'installe à Arles, à St-Remy puis
aux Saintes-Mariés. II y travaille
avec l'ardeur passionnée qu'il
apportait à toute chose, et se sur-
mène tellement dans la poursuite
douloureuse de son idéal inattein-
gible que, malade et découragé, il
remonte vers Paris . se fixe à Au vers-
sur-Oise, en mai 1890, pour y
mourir subitement trois mois après.
L'ceuvre de \'an (j(igh
comprend deux manières distinctes:
celle de Hollande, dans le sentiment
des vieux maîtres, oî^i il s'essaie,
comme il dit, à traduirr ,,le clair
dans le brun"; la manière française,
où l'on sent les influences mêlées
ou juxtaposés, d'abord de Courbet,
de Millet, de Delacroix, puis de Corot et des divers Maitres impressionnistes: Sisley ou
Pisarro, Renoir ou Cézanne, voire Toulouse-Lautrec et Gauguin: il s'en dégage bientôt pour
créer cette vision personnelle, exaltée et comme frénétique où il joint aux exagérations
expressives les plus outrées du dessin, des harmonies \'iolentes mais savoureuses et parfois des
accords très délicats et très subtils de tons. Parmi ses figures on cite son propre portrait, le
Gardien de l'hôpital, le lùictcur: dans ses pa\-sages nu intérieurs, les Vignes en Provence, les
Oliviers, rintérieur de sa chambre à coucher. La halle des Bohémiens (appartient à M. Druet),
que nous reproduisons ici, est un de ses morceaux les plus brillants de lumière et de coloris.
Le mysticisme de Mathieu Maris avait paru un phénomène tout à fait unique dans
JAX Vktii.
itiail lie Jozef Israels.
278
La Peinture au XIX'^' siècle.
riiistoirt' de Fart en Hollande. Il parait, cependant, qu"un certain malaise s'est produit dans
la pensée des jeunes peintres hollandais des générations suivantes, comme chez leurs confrères
de France, de Belgique, d'Allemagne et d'ailleurs. L'inquiétude de l'art hollandais ne s'est
pas manifestée seulement dans l'ordre des préoccupations positives de lumière et de couleur.
On avait, semble-t-il. besoin d'autre chose, et comme on avait vécu dans la belle et robuste
simplicité d'un art un peu matériel, on eut la nostalgie d'une esthétique plus compliquée,
plus ralTmée, plus spirituelle. C'était ..l'esprit nouveau" qui se manifestait chez nous, au Salon
de la Rose + Croix. Le mysticisme ou plutôt le sentimentalisme romantique et poétique de
Mathieu Maris était le produit
sincère d'une idiosyncrasie
intellectuelle et morale, le
mysticisme plus récent de
l'art hollandais' offre un carac-
tère plus artificiel, plus com-
posite, formé d'alliages étran-
gers mal amalgamés avec le
fonds national.
Le type le plus par-
ticulier de ces tendances est
le peintre Jan Toorop. Il est
né à Poerworedjo (Java),
Indes néerlandaises, le 20
décembre 1860, d'un père
colon, d'origine norvégienne,
et d'une mère javanaise,
d'origine anglaise. Il fît ses
études scolaires à Batavia
jusqu'à l'âge de quatorze ans
et ce premier milieu si forte-
ment exotique agit sur son
imagination et devait l'im-
pressionner pour l'avenir. En
1S74. on l'envoya en Hollande,
où il devait étudier, à Delft,
dans une école spéciale afin
d'entrer ensuite dans la Com-
pagnie des Indes néerlan-
daises. Mais le goût des arts
l'emporta sur l'attrait d'une
profession commerciale; sa famille ne s'opposa pas à cette vocation à la condition qu'il
s'inscri\it à l'Académie d'Amsterd.im. Il \- resta deux ans, se rendit ensuite à Bru.xelles
avec une pension du gou\-ernement et (.'Utra dans l'atelier de Portaëls, près de qui il resta
deux ans. En 1884, il exposait une vaste toile romantique: Rcspcii à la mort. On le vit
ensuite participer activement aux diverses sociétés artistiques belges de tendances avancées:
l'Essor, les XX, à coté d'Ensor et de Khnopfï. Il fit de fréquents voyages à Paris, où il
subit l'influence des pointillistes; en Angleterre, où celle de William ]\Iorris se fit sentir
tant au point de \-ue socialiste qu'au point de vue décoratif. Il retourna en Hollande, marié
Tu. V. lu VI.— S( HWAKTZK.
Ec
COIC
Imllandaisc.
279
avec une Anglaise en- 1887 et, après quekiues va-et-vient entre la Hollande et la Belgiciue,
il se fixe à Katwijck. Son mysticisme se déclara en i88g, à la suite d'une gravi' maladitt;
il se convertit même au catholicisme. Sa jieinture se ressentit de ces modiftcations morales
et intellectuelles. Au début, elle s'étale au couteau, à la façon de Courbet, puis procède
par division du ton, à la manière pointilliste, enirn sa manière symbolique revêt un aspect
linéaire, agité et tourmenté, où se mêlent les anciens souvenirs ja\-anais avec les dénatura-
tions expressives, les combinaisons décoratives des Ensor, des Khnopff. des Odilon Redon ou
des Carlos Schwabe. A ce moment on lui doit la Sphy>igc, Jardin des suufjrcDiccs, Les trois
Épouses, reproduites ici même, où
l'on peut \'oir l'union de tous ces
éléments pour traduire la pensée
mystique, exaltée et confuse d'un
néo-boudlùsme ésotérique. Toorop
qui est gra\'eur, ornemaniste, déco-
rateur, a exécuté aussi des portraits
et a été chargé de décorer la nouvelle
Bourse d'Amsterdam. Ses décorations,
en sgraffiti ou en grès émaillé, repro-
duisent au moyen de sujets allégo-
riques le Passé, le Présent et l'Avenir.
Cet esprit mystique est , comme
il est arrivé, chez nous, fortement
teinté d'archaïsme. C'est cette ten-
dance plus particulière que l'on re-
marque dans le talent de Haverman
ou de Jean Veth.
Hendrick J()H.\n.\ H.wkk-
M.-w est né à Amsterdam en 1837;
il se forma à l'Académie Rovale en
même temps tpie Voi'rman: en 1879.
il se rendait à Anvers, où il étudiait
sous la direction de \'erlat. En 1890,
il accomplit un voyage en Espagne,
au Maroc et en Algérie, d'où il rap-
porta de très intéressantes études. II
a exécuté des figures nues, ce qui est
assez rare en Hollande, et des portraits
très expressifs et caractéristiques
dans un art précis et serré à la
manière des vieux maîtres allemands ("est en particulier le souvenir de Holbein, qui semble
dominer l'inspiration de Jean Veth. Cet artiste est né à Dordreclit en 1864. C'est une des
personnalités les plus intéressantes du milieu jeune hollandais, tant par ses tra\aux artistiques
que par ses écrits sur l'art d'aujourd'hui et d'autrefois. Jean \'eth a fondé, en 18S5, avec
quelques amis, le Néerlandsch Ets Klub, où l'on exposait des eaux-fortes. Son domame est
le portrait qu'il traite en peinture, dessin, gravure et lithographie: la plupart ont été publiés
dans la revue de Kroniek, il s'est attaché surtout à reproduire de hautes physionomies de
son pays et de l'étranger. Il a peint et gravé la figure fine, bien\-eillante et compréhensive
de Jozef Israëls, avec une brosse ou une pointe douée de la plus intelligente sympathie.
Sr/.E i;isv( ii,,i'_Riii:i:r 1 SUN. — leiine fille dormant.
2 8o La Peinture au XIX' siècle.
Le groupe des peintres-graveurs est particulièrement nombreux en Hollande; Les
Israëls, les Jongkind, les Maris ou Mauve ont de plus, un leuvre gravé plus ou moins étendu.
Plus tard, à côté de Bauer, de W. de Zwart, de Toorop, de J. Veth, il faut signaler encore
WiTSEN, BocH, Dupont, et plus particulièrement Storm vax 's Gravesaxde et Zilcken.
Le premier est né en 1841 à Bréda. Après avoir étudié à Leyde, il se rendit à Bruxelles,
travailla sous la direction de Roelofs et fut mis par Alma-Tadema en rapport avec Rops.
Ce fut l'origine de son orientation vers la gravure: il a longtemps séjourné en France, où
ses estampes sont très estimées. Le Musée du Lu.xembourg en possède un certain nombre,
ainsi qu'une peinture représentant une ]'nc de Dordrecht. Quant à Philippe Zilckex, il est
né à La Haye, où il réside, en 1857. Après a\'oir terminé ses études classiques, il entra
à l'Université pour étudier en \-ue de de\-enir a\ocat mais il renonça bientôt à cette carrière et
s'inscrivit à l'Académie des Beaux-Arts; il reçut les conseils de Mauve et les encouragements
d'Israëls et de Mesdag. Le Luxembourg possède son œuvre gravé qui est considérable et
varié, en même temps qu'une petite peinture, très fine, dans le sentiment de Corot, Un
coin de Paris, vu du Pont-Neuf. Zilcken a également beaucoup écrit en hollandais et en
français soit sur les maitres néerlandais d'aujourd'hui, qu'il a contribué le plus activement
à vulgariser chez nous suit sur divers sujets littéraires; souvenirs de voyage, correspondance
avec Verlaine, etc.
Dans ce milieu si fécond en artistes, où l'on de\"rait encore citer les noms de Pieter
TER Meulex né à Bodegraven en 1S43, élève de \'an de Sande Backhuysen, peintre de
paysages et de troupeaux; de Lodewijk Apoi., né à La Haye en 1850; de J. Christiax
Klinkerberc né à La Haye en 1852; de J. S. H. Kever, né à Amsterdam en 1854; de
Ten Cate, décédé à Paris, en 1907: de L. Vax Soest; de Briet, etc. il reste à signaler
quelques noms de femmes peintres qui se sont conquis une place très estimée dans l'école.
C'est, à la suite de Margaretha Rosexboom, 1843 — 1893, de Henriette Roxxer, née Knip
(1821 — 1909) célèbre par ses scènes de chiens et surtout de chats, et de Mme Mesdag — Van
Houten, Mme Vax Duyl — ScHWARTZE et Mme BisscHOP — RoBERTSON. La première est née
à Amsterdam le 20 décembre 1852; elle est fille du peintre portraitiste Jean George Schwartze,
qui est mort en 1874. Elle étudia à Munich, puis à Paris et se fixa à Amsterdam. Elle s'est
fait connaître par des portraits des figures d'orphelines, avec leurs vêtements mi-partie
noir et rouge, de communituites, de paysannes, qu'elle fixait avec gra\-ité dans leurs costumes
pittorestiues. Sa couleur est chaude et sa facture a quelque chose de viril. On a vu d'elle,
l'Exposition de iqoo, le portrait du (jénéyal Jonhert. Elle était vouée aux grands hommes
du malheureux et brave peuple boer, car elle a tracé l'efirgie du président Kriiger avec sa
bonne, droite et sérieuse figure hollandaise, la main appuyée sur la Bible.
;\Ime SuzE RoBERTSox, femme du peintre Richard Bisschop, qu'elle épousa en 1892,
est née à la Haye le 17 décembre 1857. fille sui\it les cours de l'Académie de cette ville
et enseigna le dessin durant cinq ans à l'Ecole supérieure de Jeunes filles de Rotterdam.
Elle étudia ensuite pendant deux ans dans l'atelier de P. van de \'elde. Elle fut professeur
de dessin à Amsterdam, puis se décida à renoncer au professorat pour se donner entièrement
à la peinture. Dans ce but, elle se rendit à la Haye. Elle a subi, avec l'influence des maitres
anciens, celle des maîtres de l'Ecole de la Haye et de Breitner. Sa manière est large et
libre, son coloris très intense et très expressif. Elle a peint des figures comme cette Jeune
fille dormant, des études de son atelier, des paysages de maisons, de cours et de rues, tels
que la Ruelle ou la Maison Blanche, morceau très apprécié, qu'elle a repris plusieurs fois.
LEON FREDERIC.
La Vieille Servante.
(Musée dit Luxembourg).
CHAP1TRI-: X.
ECOLE F. E L(,E.
Jl'SOU'A la date de i8jo. date
de S(.)n émancipation, le sort de
la Belgique a été lié à celui des
Pays-Bas, et l'histnire de son école
confondue avec celle de Tlicole
hollandaise. A vrai dire, comme
nous l'avons constaté, toute cette
première période relève directement
de rÉcole française, car si Tinfluence
de David s'étendit sur presque tout
le Continent, elle s'imposa particu-
lièrement à la Belgique, étant donné
le séjour à Bru.xelles. où il est
décédé, du grand e.xilé. Cette corré-
lation entre l'art belge et Fart fran-
çais sera du reste, continue dans
tout le cours du siècle. De même
que tous les mou^•ements politiques
ou sociau.x auront leur répercussion
sur le développement politique ou
social de ce pays, de même les
grandes crises subies par l'art fran-
çais auront leur contre-coup inévi-
table sur le développement de l'art
belge, même lorsque son individua-
lité se sera assez fortement consti-
tuée pour qu'il offre un certain
caractère local bien distinct.
Parmi les élèves flamands de David, continuateurs de sa doctrine, celui qui a laissé
r(euvre la plus estimable est Fr.\nçois Joseph N.wez, né à Charleroi le i6 no\'embre 1787,
mort à Bruxelles le 12 octobre 1869. Il étudia, à Paris, dans l'atelier du maître et voyagea,
de 1817 à 1822, en Italie. Il fut, de 1830 à 185g, Directeur de l'Académie royale de Bruxelles.
C'est un peintre d'incontestable mérite, mais de talent inégal, très impressionnable, et qui
est, tour à tour, touché par David ou par Ingres, puis par Géricault ou Delacroi.x, sans
qu'on discerne bien nettement sa propre individualité. Le portrait de la Famille Auguste de
Hemptinne, qui appartient au Musée de Bru.xelles et a été e.xécuté en 1816, est un e.xcellent
morceau de peinture, dans l'esprit de David, correct sans froideur, modelé avec décision
dans des colorations un peu fortes, et une réelle intelligence des physionomies.
19
n
Wm
^^^^BH^Hj f ^Hyflftivm^Bs
m
^EFll \avez. — I.a laiii
(Musée de Unix
ille .^ug
■lies).
28:
La Peinture au XIX' siècle.
Navez a eu pour émuk- un singulier artiste, assez peu connu et même trop méconnu,
François Simonau, né à Bornhem en 1783, mort à Londres en 185g, qui paraît avoir une
certaine parenté, bien curieuse à cette date, a\'ec les vieux anglais près desquels il allait
mourir. Il y a, en effet, de lui au ;\Iusée de Bruxelles, un portrait d'homme, d'une peinture
forte, empâtée, avec les chaudes r(jusseurs et les beaux blancs éclatants de Reynolds, et
surtout cet excellent morceau du Joueur d'orgue, daté de 1828, robuste, franc, peint en belles
pâtes, offrant en plus, ici, comme un souvenir de Franz Hais. Élève deFricx, à Bruges, il avait
été, également, à Paris, élève de Gros, à qui il doit aussi peut-être la chaleur de son coloris.
La révolution qui, en 1830, renversait en France une dynastie, eut son écho en
Belgique. Cette nation proclamait son indépendance et assurait, de ce jour, toute sa vie
propre, sociale et politique ; ce fut aussi une date d'affranchissement pour son art. Le roman-
tisme français pénétrait, à son tour, en
libérateur, à la suite de \\'appers (le baron
GusTAF \'V.\PPEKS, né à Anvers en 1803,
mort à Paris en 1874), qui, formé dans
les nouveaux milieux français, rompait
avec les tutelles académiques |^des pâles
successeurs de David et créait même, en
remontant jusqu'à Rubens, une sorte de
mouvement national. Ses premières expo-
sitions au Salon de Bruxelles, en 1833 et
1834, produisirent une grande sensation
dans toute la jeune école et furent l'origine
de la réputation de l'école d'Anvers, qui
devint bientôt un foyer célèbre d'en-
seignement.
L'art de Wappers, malgré sa
fougue apparente et son éclat superficiel,
était tout artificiel et théâtral; celui de
Louis Gallait (né à Tournai, le 9 mai
181 2, mort à Bruxelles le 20 novembre
1887), moins dispersé, plus mesuré, cor-
respond à celui de notre Delaroche. Le vrai
romantisme français ne devait produire
des adeptes, de talent sincère et original,
que dans le monde des paysagistes.
Franchis Simi
d'orgue (Mii^éc de liruvelles).
Toute cette première période n'est, du reste, en quelque sorte, que la période prépa-
ratoire de l'art belge. Si, plus tard, l'influence de Courbet, par ses expositions en Belgique
et par le séjour qu'il y fit lui-même, donna une vigoureuse impulsion à l'école et la remit
franchement dans sa voie naturelle d'observation réaliste et de technique robuste, les véritables
fondateurs de l'art belge furent Henri Leys, Henri de Braekeleer et Charles de Groux.
Henri Leys occupa de son temps une place considérable, non seulement dans son
milieu national, mais dans l'ensemble des écoles européennes. Sa renommée dépassa les
frontières de sa petite patrie et son influence s'est exercée jusqu'en France et en Angleterre.
Il était né à Anvers le 18 février 1815 et il y mourut le 25 avril 1869. Son père faisait le
commerce d'imagerie religieuse. Il étudia à l'Académie de 1829 à 1833 et fut élève de son
beau-frère, Ferdinand de Braekeleer, petit peintre de genre, qui essaya quelquefois, sans grand
Ecole belire.
283
bonheur, de se hausser jusqu'à l'histoire. Leys débuta presque en même temjjs (jue Wappers,
au Salon de 1833, à dix-huit ans. avec un Massacre d'An','t-rs par /es lispagiials. dans un fjoût
Henri Leys. — Le Serment de loveuse Entrée de l'Archiduc Charles d'Autriche (Musée Moderne de P>ruxelle>).
de truculences toutes romantiques. Il devait, d'ailleurs, se rendre à Paris en 1835 et 1839 et
y subir de plus près l'influence du romantisme. Toutes les teuvres des premières années de
2 84
La Peinture au XIX' siècle.
sa carrière (itïrcnt ce caractère de })ittiiresque. de couleur et de nnnu-ement; ses sujets ne
sont guère tiue des corps de garde, des l)atailles et des massacres. Un voyage en Hollande,
en 1839, niodilia cette première manière. Il se calme, il s'assagit sous l'influence pacifiante
de Rembrandt et de Pieter de Honch. et peint alors, à leur façon, des intérieurs bourgeois,
des scènes d/ la vie hollandaise au XX'H'' siècle, qui touchent prescpie au pastiche. Enfin un
troisième voyage, celui-ci en Allemagne, en 1832, en le mettant en contact avec les Holbein
et les Cranach. lui indiqua sa véritable voie. Il est, dès lors, tout entier lui-même et procède à
la grande (cu\re liistori(iue, ([ui a assuré sa gloire et donné une première orientation nationale
à Fart belge moderne. Levs possède vu effet au pins haut point \v don de Thistoire; il a
essentiellement le sens rétrospectif. Il revit et il nous fait revivre dans le ixissé; il ne le
IIlNKl I.KV^.
enilanl .à une fèlf
rapproche pas du présent, comme ont fait certains grands réalistes contemporains, mais, au
contraire, il nous éloigne de notre temps, nous fait remonter le cours des âges et il nous mêle
aux vieilles sociétés batailleuses, encore farouches dans leurs goûts de faste et d'apparat, du
XVIeiii'-' siècle flamand. Il agit sur nous, non point par la précision du document, la recon-
stitution littérale du milieu et des accessoires, mais par des moyens d'une plus haute portée
pittoresque: un dessin cerné, ti-ndu. \'olontaire, archaïque, tpii accentue le caractère avec une
singulière énergie et des harmonies suggestives de tons rares et expressifs, juxtaposés par
larges localisations, qui opèrent sur n(jtre imagination avec la \-ertu évocatrice des parfums.
On hii doit, dans cette période, maint tableau de chevalet comme: V Institution de la
Toison d'Or (au roi des Belges), YOisclciir (Musée d'Anvers), Y.Uclicr de Truns l-loris (1868)
Éc(
)ic nelee.
28
(:\Iusée .Moderne de Bruxelles), ou le ScrDicul de Jovciisc Entrée de /". I rchidiic Charles d' A utriche.
(même Musée, 1863). qui est répété sur les murs de THÔtel de \'ille d'Anvers. .Mais c'est
surtout l'œuvre décorative qu'il a accomjjlie dans cet éditice qui le classe au premier rang
de l'art moderne, parmi les maîtres. Ces quatre grands panneau.x, a\-ec leur frise de hauts
personnages: empereurs, cardinau.x, magistrats, chevaliers, j)rincesses, dans leur bariolage
profond, calme et chaud, ont des accords riches et sourds de vieilles tapisseries. On sort de
cette salle, hanté par ces scènes et ces personnages, qui vous sui\-ent des veux comme des
portraits du temps. Cette décoration a été exécutée de 1863 à 1869. Leys avait également
orné sa demeure, à An\-ers. dans le même esprit rétrospectif, en se ser\-ant des siens comme
modèles de ses personnages. Les apprêts du festin, qui faisaient partie de cette décoration,
aujourd'hui recueillie toute entière au ^lusée dWnvers. ont été gravés par Bracquemond.
Leys avait été fait baron en 1862.
Ch.^rles de Groi'x. — Le Bénédicité (Miuée de Bruxell
Ce maître a laissé en Belgique un certain nombre d'élèves, qui ont répété, en l'affaiblissant,
sa manière, tels que: Féhx de Vigne (1806 — 1862), Joseph Lies (1821 — 1865), Victor Lagve
{1825 — 1896). Il a surtout influé momentanément sur Alma-Tadema, qui fut son élève et
sur notre compatriote James Tissot. Leys avait réveillé l'ancienne âme nationale flamande:
il laissait derrière lui deu.x héritiers, qui devaient remuer le \-ieux fonds populaire et pour-
suivre son œuvre, en achevant de donner à l'art belge conscience de sa propre personnalité.
Ce sont Charles de Groux et Henri de Braekeleer.
Ch.^rles de Groux est né à Comines (France) de parents français et par conséquent
français lui-même, le 4 août 1825 et il est mort à Bru.xelles le 30 mars 1870. Sa famille vint
s'établir à Bruxelles en 1833. Il était le septième des dix enfants de Joseph de Groux. fabri-
cant rubanier. Naturalisé belge à sa majorité, il avait étudié sous Xavez, en 1843. Plus tard.
en 1851, il alla travailler à Dùsseldorf. Son premier tableau réaliste date de 1853. Menant
une vie médiocre dans un faubourg retiré, en plein dans les milieu.x populaires, humble de
fortune et malingre de santé, il peignit surtout l'existence des êtres parmi lesquels il vivait.
Il est le premier peintre plébéien de la Belgique. Mais il la voit, cette existence, avec toute
286
La Peinture au XIX' siècle.
la mélancolie de sa nature physique et morale, et les scènes de Kermesses et d'estaminets, si
chères aux bons flamands d'autrefois, prennent sous sa brosse un aspect douloureux et parfois
tragique. Il est, comme l'a dit si justement Camille Lemonnier, ,,le peintre des malheureux".
Contemporain de Millet et de Courbet, on ne distingue pas ce qu'il doit au premier, si ce n'est
ce qu'il put respirer de cette atmosphère de sympathie pour les humbles, que les événements
de 1848, en France, avaient répandue par toute l'Europe, créant le mouvement démocratique
qui a, depuis, entraîné une grande partie de l'inspiration contemporaine. ]\Iais Millet, dans
sa grandeur austère, est recueilli, robuste, souvent calme et reposé; son art a une allure toute
biblique. Il peint les efforts de l'homme, ses luttes contre le sol et les éléments; il célèbre
le travail du paysan ou le repos toujours actif des ménagères, qui veillent sur les berceaux;
il exalte l'énergie et la résignation des populations rurales. De Groux est plutôt le peintre des
faubourgs, des ouvriers de fabrique, au teint blafard, au corps amaigri, au.x gestes étriqués
par l'habitude du travail de l'usine, exhibant toutes les tares de la misère et de l'alcoolisme.
Comme dit toujours Camille
Lemonnier: ,,il peignit
ï Assommoir, avant qu'on
en fit des romans." Ce qu'il
tient de Courbet ne lui est
point particulier, puisque
cette influence devint géné-
rale dans l'école, quant à
l'inspiration et surtout
quant à la technique. De
ce dernier côté l'art de de
Groux laisse sans doute bien
à désirer : ses formes sont
souvent indécises et ses
types d'une certaine con-
vention par l'habitude qu'il
a de vivre exclusivement
dans le monde de son ima-
gination, sans se renouveler
suffisamment devant la
nature. Son dessin, souvent
gauche et gêné, manque, par suite, d'imprévu et souvent de style; sa coloration expressive,
empruntée à la palette de Leys, ou plutôt à celle de Breughel le vieu.x, cher aux trois premiers
initiateurs, comme il le sera plus tard à toute l'école belge, est parfois discordante par l'emploi
de tons très localisés, trop aigus ou trop délicats. De Grou.x n'en est pas moins, par son
ingénuité réelle, sa conviction émue, ce vrai don de sympathie pour les faibles et les déshérités,
une des figures les plus marquantes de son école, à laquelle il ouvre la voie si humaine
qu'élargira plus tard Constantin Meunier. Ses principaux tableaux sont : /c Départ du Conscrit,
VIvrogne, VEssai de Réconciliation, Enterrement, la Charité, Regrets, le Pèlerinage de Saint
Guidon, à Anderlecht, etc. Dans son œuvre, le Bénédicité du Musée de Bruxelles tient une place
à part par la simplicité heureuse et le naturel de la composition, la dignité des expressions,
le sentiment contenu,, la grande unité qui résulte de l'accord entre la composition, les har-
monies et le sujet. On y est plus près de Millet; on y pense à certains anciens tableaux de
Legros et on pressent Y A dieu, de Cottet.
Neveu et élève de Levs, Henri de Br.\ekeleer, fils de Ferdinand de Braekeleer,
Hknri liE Bkakkeleer. — Le Géographe (-Mu«ée île Rruxelles).
Ecole hclee.
287
est né à Anvers en 1840 et est mort dans sa ville natale le 21 juillet 1884. Il mt pour
premier guide un frère plus âgé que lui de douze ans, qui mourut en 1847. Il travailla à
l'Académie jusqu'en 1861, mais exposait déjà sa naïve et charmante Blanchisserie, de fa
Collection Van Cutsem. Il garde, par certains côtés, la trace de ses origines près de son
maître, notamment dans le choix des colorations aux tons rares, empruntées, elles aussi, à
la palette savoureuse du vieux Breughel; mais il relève surtout des Hollandais, des Pieter de
Hooch et des Vermeer de Delft, et il représente, en Belgique, à peu près ce que Bonvin a été
en France. C'était une nature assez sauvage et ombrageuse, vivant à l'écart, dans un coin
du vieil Anvers qui suflisait à sa curiosité, de même que sa ])einture satisfaisait à tous ses
Mii^i-e <lc !!ni\elk-
besoins intellectuels. 11 était bien de la race de ces vieu.x hollandais qui n"épr(ju\'aient de
joie qu'à peindre, et à peindre ces vieilles mêmes choses qu'ils connaissaient, ou plutôt qu'ils
semblaient ne jamais connaître assez. De Groux avait peint des petites gens avec le décor
qui les entoure, Henri de Braekeleer peint le décor vétusté et délabré des antiques maisons,
des meubles du passé, des jardins resserrés entre les murs mitoyens et les êtres vieillots,
falots, qui en semblent les accessoires naturels. Pendant la première partie de sa carrière, il
reste directement dans la tradition des maîtres de Hollande et ses débuts, tel son tableau
des Oiseaux empaillés (1865), montrent un métier savant, puissant de tons, mais appliqué,
littéral et menu, dans l'esprit de certains faiseurs de natures mortes néerlandais. Il s'échauffe
ensuite, s'assouplit et peint des intérieurs dans une lumière rousse, profonde et mordorée.
288
La Peinture au XIX'' siècle.
comme la Maison hvdraiiliquc. du Musée de Bruxelles, ou comme V Echoppe, du même Musée,
avec un joli bariolage, si vi\-ant, sur la commode ou sur la fenêtre, où sont disposés les bocaux
pleins de bonbons de couleur, les sucres d'orge et les oranges; ou la Fctc de Grand-Mère (1873),
dans un intérieur de classe enfantine; ou la Place Téniers. petite place provinciale et déserte,
vue de la fenêtre de l'atelier du peintre, que contemple une jeune femme, songeuse, envahie,
elle aussi, par la grande clarté douce et tranquille, un peu triste et un peu poignante de ce
ciel gris, sur lequel se détachent les toilets d'ardoise de l'Eglise, les façades ocreuses des
maisons, quekpies coins de tuiles rouges et les caractères blancs des enseignes.
Plus tard H. de Braeckeleer se dégage entièrement des influences premières pour
arriver à une dernière manière, tout à fait personnelle et caractéristique, d'accords joyeux de
tons purs les plus vifs, qu'il dispose
en pleine lumière comme une sorte
de mosaïque serrée de petites touches
ào pâte sèche. Le Musée du Luxem-
bourg possède une petite toile de
Bibelots, peints à cette date, tout à la
hn de sa vie. Le Géographe (1872), du
Musée de Bruxelles, qui est devenu
classique et qui est un chef-d'œuvre
de peinture. relè\"e encore, dans son
frais et vif bariolage localisé, se déta-
chant, sur l'accompagnement de vieil
or roux du fond, de l'influence de
Leys, nitiis en faisant pressentir déjà
sa dernière transformation.
.\ côté de ces véritables initia-
teiu's de l'art belge, il convient de
placer un autre personnalité très
importante, apparentée_^de plus près
à l'école française, mais qui ne perdit
jamais le souvenir de ses origines
flamandes et dont Tieuvre a laissé
des traces dans l'école locale. C'est
Alfred Stevens.
Alfred Stevens est né à
Bruxelles le 11 mai 1828; il est décédé
à Paris le 24 août 1906. Ils étaient
trois frères: Joseph Stevens. né à Bruxelles en 1819, mort en 1892, robuste animalier, de la
race des Decamps et des Courbet, qui s'est voué particulièrement à raconter les splendeurs
et les misères des héros de la race canme. C'est un peintre admirable, du métier le plus viril,
qui renoua son temps à la tradition des grands animaliers flamands. Il avait_^ débuté en 1845.
Certains de nos musées français possèdent des œuvres de ce maître qui a, du reste, beaucoup
travaillé en France. Le Musée de Rouen conserve la toile intitulée: un Métier de chien et le
Luxembourg le Supplice de Tantale. On admire au Musée de Bruxelles, avec: Bruxelles, le
matin, daté de 1848, et un Épisode du Marché aux Chiens à Paris (1857), leChien au Miroir,
spirituelle, vivante et brillante peinture, exposée en 1880. L'autre frère, Arthur Stevens,
critique d'art de valeur et marchand de tableaux, a exercé une réelle action sur le goût de
Alfreu Stevens
Retour du ll.il (Mu^êe du Luxembourg).
Xolc
bel
ee.
2S9
son temps et de sdii p;iys, où il fît Cdnnaitre, ]);ir ses écrits et aussi ])ar son commerce, les
vrais grands maitres français (lui devaient inlhu-ncer les artistes helt^es.
Alfred Stevens a\-ait été élève de Naxx'z: ses progrès furent très raj)ides, mais sc§
débuts hésitèrent queUpie temps entre les sujets sentimentaux vt exjjressifs, les gentilhomme-
ries Louis XIII à la Meissonier ou les orientaleries et autres motifs se rattachant au roman-
tisme. Il a\'ait pourtant, <à ce moment, perçu sa vraie voie, lors^m'en 1H55, il peignait un
sujet moderne ,,(licz soi". \U\f lui fut indiquée par son ami FLfjRExr Willems (né à Liè^ge le
8 janvier 1823. mort à Xeuillv (Seine) le 9 octobre 1905), qui avait débuté dans la peinture
comme restaurateur de talileaux. s'était assimilé les procédés des petits maitres hollandais,
et jouit longtemps en France et en Belgique
d'une brillante réputation {)oiu" ses petits
panneaux à la Metsu. Ste\-ens le sui\-it à Paris,
où il étudia sous Camille Koqueplan. Il entra
bientôt dans le sillage de Courbet, à côté des
jeunes réalistes, les Fantin. les Legros. les
Whistler, les Tissot, près de qui on le ren-
contre en 1863, à Londres. Il subit, comme
eux, avec l'influence du maitre d'Ornans dans
la technicpie, l'action décisive des arts du
Japon, qu'ils \-enaient de décou\'rir et qui, eu
éveillant leur fantaisie, ou\-rirent leurs yeux à
des besoins nou\'eaux de \'i\acité dans le
coloris. Les tableaux de Ste\-ens sont remplis
de ces splendides mobiliers ou de ces mer-
veilleux bibelots d'extreme-Ôrient. para\-ents,
kimonos, kakémonos, potiches, émaux cloi-
sonnés, que sa brosse savante excelle à traduire
dans leur éclat doucement amorti par la lumière
voilée et l'atmosphère profonde des intérieurs.
C'est en 1857 qu'il commence à s'adonner à
ses sujets féminins. A l'Exposition de 1867,
il se montrait dans toute la richesse et la
variété de ce talent extraordinaire, tour à tour
ferme et précis, souple et insinuant, qui semble
tout dire et ne dit pourtant que ce qu'il
veut, tantôt riche, sonore et lumineux, tantéit
mystérieux, enveloppé et troublant. C'est un
des plus admirables praticiens du siècle et, à
ce titre, il est bien de sa race. 11 a eu. comme personne, le sens de la femme, de ses accoutre-
ments, de son milieu. Il peint d'abord la fenune du monde, la femme élégante de cette \-ie
d'apparat et de plaisir du second empu'e, en sujets où il se plait à mettre toujours un petit
intérêt d'ordre sentimental, sans rien sacrifier, du reste, des conditions pittoresques de ses
compositions. Ce sont les Rniiiciiiix, la \'isifc, Tous les Bonheurs, la I-'iii du Ménage, Souvenirs
et regrets, VInde à Paris, la Visite, la Surprise, la Tasse de thé, la Psyché, la Robe japonaise.
Douloureuse eertitude, la Désespérée, Billet de faire part. Confidence, etc. En même temps que
sa manière se modifie en s'élargissant et en perdant, peut-être, certaines de ses (pialités
primitives, pour verser dans les recherches du ,, plein air" et de l'impressionnisme, dont il
subissait l'influence, non sans protester toutefois contre ces tendances nom'elles de l'art, sans
14 ,'.
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1. .^
.\l.lRKIi SlEVLNs
290
La Peinture au XIX^ siècle.
doute aussi au contact de la littératuiv nouvelle, la direction de Stevens s'oriente vers le
milieu énigmatique, mystérieux et inquiétant de la demi-mondaine, qu'il traduit en types
inoubliables. La bête à bon Dieu, le Masque Japonais, la Femme au bain, détruite dans un
incendie et surtout le Sphynx parisien, du Musée d'Anvers, annoncent l'art futur de Rops. Le
Musée du Luxembourg possède d'Alfred Stevens le Chant passionné, belle peinture d'une tonalité
un peu sourde et le Retour du Bal, ou, comme on l'appelle plus communément, la Femme en
jaune, un des plus délicats et des plus brillants morceaux dûs à la brosse nerveuse et vivante
du maître. Parmi les nombreux ouvrages que possède le Musée de Bruxelles, la Z)fl me en rose,
debout, examinant un petit bibelot, près d'une commode chinoise de Riesener, est un de ses
ouvrages les plus subtils de tons et les plus délicieusement enveloppés. Il a été exposé en 1866,
à Bruxelles. Alfred Stevens était comman-
deur de la Légion d'honneur depuis 1878.
Dans les générations ultérieures,
l'I'xole belge continuera à s'orienter plus
décidément chaque jour dans le sens du
réalisme. L'histoire, comme en France,
perd chaque jour du terrain, abandonnée
d'ailleurs aux productions officielles des
milieux académiques. De ces milieux , toute-
fois, émergent quelques personnalités, qui
même dans cet ordre d'idées, font honneur
à l'école belge. De l'atelier du peintre
bibhque et orientahste Portaëls, sortirent,
entre autres, trois artistes dont les noms
sont à retenir: Agneessens, E. Wauters et
J. de Lalaing. C'est à dessein qu'il faut
passer sur la figure étrange, d'une étrangeté
toute voulue, d'ailleurs, grandiloquente et
boursoufflée, d' Antoine Wiertz (né à
Dinant le 22 février 1806, mort à Bruxelles
le 18 juin 1865), qui a constitué, en mou-
rant, dans la capitale belge, un musée de
ses élucubrations historico-philosophiques.
Edouard Agneessens est né à
Bruxelles le 24 août 1842 et il est décédé
le 20 août 1885. Fils d'un rédacteur de Y Indépendance belge, il entra chez Portaëls en 1859
et obtint le prix de Rome dix ans plus tard. Atteint d'une lésion au cerveau, il a laissé son
œuvre inachevé. On n'a guère de lui que des portraits et des études et quelques sujets de
fantaisie. Mais, dans les unes comme dans les autres, il montre des qualités précieuses de vrai
peintre; sa matière est belle et grasse, ses carnations fines de ton et modelées dans les gris
les plus délicats. Le Musée de Bruxelles conserve trois portraits de lui et la collection Van
Cutsem possède de cet artiste plusieurs de ces excellentes études de nu dans lesquelles il
excellait, en se gardant avec une certaine indépendance des souvenirs scolaires.
Edouard Agnekssens. — La Uaïue au gant (Musée ilo Riuxelles).
Plus jeune de quatre ans, il est né à Bruxelles en 1846, Emile Wauters est assurément
le seul maître, qui, depuis Leys, ait pénétré avec succès dans le domaine de l'histoire. Il n'y
a, du reste, aucun rapprochement à établir entre son art savant, réfléchi, fortement discipliné
xolc hcme.
291
et les dons suggestifs et synthéticiucs de sdii grand prédécesseur. Mais bien qu'il ne s'écarte
gvière de la donnée traditiimmllr de riiistuire anecdotitiue, Wauters apporte, dans ses reconsti-
tutions du passé, de l'intelligence, du tact, de la mesure et un réalisme sobre et expressif. Il-
avait débuté, en 1869, avec le Lciidcuuiin de la hataillc rf'//«si'!«gs et, €01872, il devenait célèbre
avec la Folie de Hugues Van dey dues qui, à l'Exposition de 1878, à Paris, obtint avec Jean
IV et les Métiers de Ilruxelles, une médaille d'or. Ce premier tableau est placé au Musée de
Bruxelles. .,En 14S2, le peintre Hugd \'an der (ioes, de Gand, qui s'était retiré au prieuré de
Rouge-Clnitre, y fut atteint d'une maladie nu'ntale. Il fut ramené au refuge de Bruxelles où
le prieur, Thomas, se rappelant le soulagement qu'éprouvait le mi Saûl, quand David jouait
de la cytliare, permit d'exécuter de la musique devant le malade et de le récréer par d'autres
La FuliL- .k- Iliit;ui-s Vaii .Ici C.
spectacles." (i) La scène est disposée simplement et dramatiquement en jjlein relief et forte
lumière, dans un sentiment d'unité qui est d'un pathétique émou\-ant.
Kmile Wauters avait fait, en 1870, un premier voyage en (3rient, à l'occasion du
percement du Canal de Suez; il retourna en Egypte en 1880, à la suite du prince héritier
d'Autriche; il en rapporta des scènes locales, qui le mettent au premier rang des Orientalistes
nombreux, les Verlat, les Portaëls, les Clans, les Van Rysselberghe, les Van Strydonck, etc.,
qui se sont distingués en Belgique. Il est également célèbre par des portraits d'une grande
distinction, tels ceux de M""^ Somzée, du jeune Sondée, à cheval sur un {>oney, du général
Goffinet, etc. — h^mile Wauters est correspondant de l'Institut de Erance et Officier de la
Légion d'honneur.
(l) Alphonse Wauters. Notice sur rhistoirc de notre première école de peinture.
292
La Peinture au XIX'' siècle.
Le comte jAcyuKS de Lalaing appartient à une génération de beaucoup plus jeune.
Il est né à Londres en 1858. Peintre et sculpteur, il affectionne les concepts vastes, les formes
amples, qu'il traite avec une certaine grandiloquence un })eu théâtrale, mais non sans carac-
tère. Le Musée de Bruxelles possède de lui le Chasseur pnmitij. d'un style un \»-\\ démesuré,
qui date de 1885; mais, presque à ses débuts, en 1878, son Portrait équestre, aujourd'hui au
Musée de Gand, d'ofhcier de lanciers, s'avançant entre les lignes de ses troupes, le front
découvert, le \-isage rasé, énergique, tourné de face, avec l'air hautain d'un ancien condottiere,
produisit une grande sensation lorsqu'il fut exposé en Belgique et à Paris, et le rendit célèbre.
Il a exécuté de savantes décorations à l'Hôtel de Ville de Bruxelles.
Toutes ces tendances et tous ces noms représentent plus particulièrement l'art belge
J.M'iJUKS DE LaLAIN
r.irtrait équestre (Musée de Ganil).
d'hier. Le tableau, toutefois, n'en serait pas complet si l'on en omettait la nombreuse et
vivante pléiade des paysagistes. Comme leurs confrères de France, dont ils ont suivi de
près ou de loin le brillant sillage, ils ont été constamment à l'avant-garde de l'école et tout
en s'orientant sur le mouvement venu de Paris, ils ont montré, assez souvent, avec de la
puissance ou de la délicatesse, une certaine originalité, qui tient à la vertu réaliste du
terroir. Tels sont, puisqu'il n'est guère permis ici que de les citer: Théodore Fourmois,
(1814— 1871), Xavier de Cock (1818— 1896), Alfred de Kxvfe (1819 — 1886), Paul-Jean
Cl.avs, le beau peintre de l'Escaut (1819 — 1900), François Lamoriniere, le mariniste Louis
Artan (1831 — 1890), HiPPOLVTE Boulenger (1837 — 1874), qui mériterait une mention plus
spéciale pour sa sensibilité exceptionnelle et l'impulsion qu'il donna an paysage belge par la
fondation de ..l'école de Tervueren", Théodore Baron (1840 — 1899), Adrien-Joseph
.colc IjcIuc.
293
Hi:\MA\s. nr à An\'i'rs m iN;i|. ilrlmul .i\fc \aillancf à ( cttc linin-; ,ni\(|nrls il faudrait
ajouter, beaucoup plus jcuui-. le (.,iutoi> (iTmam-; Den Drvi^ (1X50 i."^!);). sau> omethv
Louis Dubois (1830 — 1880), >u])rrl)c pruitrr de tigures. de paysages et de uature^-uiortes et
son digne héritier Alfred \'eki!ai;ke\ mi F'kaxz Couktexs. l^t à enté d'i-ux sont les
animaliers, jiarmi lesquels deux figures un piii à part. eelK' de X'erwee et ei'Ilr de Stobbaerts.
Alekei>-Ja( iiUES \'ek\véi-: est ne a St. Jo-^e-ten-Xoode. faubourg de Bruxelles, le
23 a\-ril 1838 et il est décédé à lîruxellrs le 15 septemlire 181)3. 11 fut dirigé par son père,
également peintre et reçut les cinisrils (!;■ \'erboeckoven, mais il axait débuté dans la vie
comme géomètre. Il exposa pour la ])ri'mière fois à Bruxelles en 1^37 et il rst récompensé en
1863. pour des Animaux en prairie, qui annimçaient un peintre du [dus riche tempérament.
"«fcwS
ri''.iiilj.>uchuie de l'Escaut (Musée dr l!iu\rllrs).
Mettant à jnotit Texpérience acquise près des maîtres français, il se créa à leur suite une
personnalité bien déterminée, personn.dité puissante et heureuse, essentiellement flamande, qui
dit toute la richesse plantureuse de cette terre fertile, saturée d'iumiidité et la beauté de
ces races animales: taureaux lustrés au.x naseaux fumants, vaches paisildes et somnolentes
traversant les gués de l'Escaut, che\'eaux géants et trapus, à la croupe massi\-e. à la forte
encolure arrondie, aux jamlies courtes et rolnistes. que des cavaliers enrubannés, élevant des
étendards, conduisent dans les fêtes de gildes. T(jute cette animalité est traduite, dans la
fine atmosphère grise et les verdures vi\'es, avec une plénitude de formes toute sculpturale.
Ses principaux tableaux^sont : le Vcriicr (i8b6), VEtalun (1860). Aftcla'^c Zclaïuiais (1872) (au
Musée de Bruxelles), Aux hiiviroiis d'Ostcndc (1878), A F Embouchure de i'Iiseau/ (1880). Au
beau pays de Flandre (1884). /ujuinoxe. tous trois au même muséi'.
294
La Peinture au XIX*" siècle.
Jan Stobbaerts est exactement son contemporain, puisqu'il est né la même année
1838, le 18 mars. Il appartenait à une famille de pauvre ouvriers, — le père était ébéniste — et
il fut mis apprenti dès l'âge de huit ans chez un ébéniste, puis chez un peintre en bâtiments,
ensuite chez un décorateur. Ne sachant encore ni lire ni écrire, il se forma, et s'instruisit tout
seul, .\nversois de race, il a été le camarade de Henri de Braekeleer avec qui il était peut-être
seul fait pour s'entendre. Par lui, il reçut les conseils de Leys, qui les éloigna tous deux de
l'enseignement de l'Académie, et il se développa, comme son camarade, en pleine nature, en
peignant dans les milieux populaires auxquels il appartenait. C'est en 1857 qu'il exposa
pour la première fois. Son art, fort matérialiste, est, suivant le mot de C. Lemonnier, d'une
,, superbe vulgarité". Sa peinture, au début grise et enveloppée, passe vers 1870 par une
période de brutalité savoureuse; peu à peu elle s'amende sans s'affaiblir et l'on peut dire qu'il
JxN M-]:i;alki. La S-nie de l'Etaljle (Musée d'Anvers).
n'est guère parmi les maîtres les plus virils et les plus véridiques, dans le passé comme dans
le présent, de peintre qui ait rendu avec une telle intensité, un relief si saisissant, un modelé
si approfondi, par un travail indéfinissable, lent, patient, pris et repris, les croupes rondes
et lustrées des chevaux qui piaffent devant leurs mangeoires, le grouillement gras et rose des
porcs barbottant dans de rembranesques purins ou les beaux noirs luisant des taureaux
accroupis dans l'or des litières. Le Musée de Bruxelles possède de Stobbaerts VÉtable, refusée
au Salon d'Anvers, en 1885, qui est un chef-d'œuvre. On a pu voir, à notre Exposition de
1900, son Tondeur de chiens (1875) et sa Boucherie anversoise (1873), morceaux antérieurs
comme exécution, d'une vérité d'observation et d'une puissance de technique peu communes.
Le Musée d'Anvers possède la Sortie de fÉtable (1882) et Chiens (1892), Ses principaux
tableaux appartiennent aux collections Van Cutsem et Lequime. Jan Stobbaerts est chevalier
de la Légion d'honneur depuis 1900.
École belee.
295
Nf^i,
Constantin Meunier. — Les Hauts I-oiirneau\ (d'après une eau-forte de Cari Meunier lils).
Les derniers maîtres que nous venons de voir méritent de dépasser les frontières de
leur école et de prendre place dans le Panthéon de l'histoire générale. Il en est un qui a eu
TiiEODi.iKE VeksIraete. — Verçer en Zélande.
296
La Peinture: au XIX'' siècle.
la satislactiim <li' |()iur dr crttc L^hnv durant sa vie. C'est Constantin Meunier. Sa vraie
inissKiii, e\Kleininent, est plutôt du cnir de la statuaire. Il lui a (juvert la grande voie populaire,
([u'elle hesit.ii) à aborder et Ta mise en corrélation avec les UKeurs de notre temps. Il occupe,
de ce c(')té. dans Thistoire de la seuljiture contemporaine, une place e.xceptionnelle de grand
initiateur. Mais il a été également ])eintre; c'est de ce côté ([u'il a obtenu ses prenuers succès
et les p.intur.'s de sa dernière manière, .[u'il a exécutées sous l'inspiration ciui dirigeait sa
sculptmv, ont eu une inllueuce sur la nouvelle orii'ntation de la peinture belge. Hien cju'il soit
un couteniporam di-s iirécédents. il appartient, peut-on dire, à la période snivante de l'art
belge. ,\ la \i'rite, son (eu\re hautement expressive et personnelle, dans laquelle il exalte le
travail de l'ouvrier de hi mine et de la fabrique, ne remonte qu'aux dernières années de sa vie,
car ce n'est que vers l'àge de cinquante ans qu'il a tr.mvé tout-à-fait sa route. Né le 12 avril
iN ;! à Etterbeek, faubourg de Bruxelles, dans im milieu très modeste, — le père était receveur
,' Ç'^ *'^^^^
ml la Ev- (Miisee de liiuxellt-s).
des contrilMitions — Constantin ^Meunier traina une enfance maladive qin inllua peut-être sur
sa compréhension des choses de la vie. Son amitié avec de Groux, près de qui il se plaisait
à travailler, ne pouvait qu'agir sur lui dans ce sens. II débuta d'abord par la sculpture, puis
se mit à la peinture, plus propre à lui assurer un gagne-pain, d'autant plus qu'il s'était marié
jeune avec une française, fille d'un officier. 11 commença par peindre des sujets romantiques
oii il rechercha le pathétique, tel rEiitcrrcincnt d'un Trappiste, qui date de 1858, au Musée de
Courtrai, le Martyre de Saint Etienne, ou cet Épisode de la Guerre des paysans, au Musée de
Bruxelles, qui date de 1875. Conduit par son neveu. Camille Lcmonnier, dans les mines du
Val de St. Lambert, il est frappé pour la première fois par la grandeur de ces spectacles. Mais
il est envoyé, en 1880, en Espagne oii le gouvernement lui avait donné une copie à exécuter,
travail qu'il avait accepté en raison de sa situation très précaire. L'aspect tragique et violem-
ment pittores(jue de ce pays le toucha \-i\emi-nt et, durant quelque temps, il exposa des sujets
É
cole belee.
297
espagnols, tel la Maini/actiire de tabuc à Sévillc (1883) du .Musée de Bruxcllo. L;randc tuile
chaude, vi\'aiite et fortement exoticiue.
C"est en 1884 seulement que se produit son évolution sculpturale et sa direction \ers
le Peuple et vers le Travail. Il rêve, dès lors, de ce monument à la fj;lorilication du Travail
dans leciuel il fera rentrer toutes ses grandes ceuvres. La peinture n'est plus, à dater de ce
jour, qu'un accompagnement de la statuaire, un délassement ou une préparation à ses grands
labeurs. Il peint des puddleurs, des marteleurs, des hercheuses, le grisou, toutes ces vies et
tous ces pavsages qui se résument dans ce mot; Ait Pays noir. Le Lu.xembourg possède de
ce maître, qui a trouvé en art la formule démocratique la plus haute, après Millet, une toile
fortement synthétique et expressive ipn porte ce titre': elle fut acquise en 1896, à l'Exposition
de , .l'Art Nouveau", d'où commença sa réputation. — Ce grand artiste est mort à Lxellcs,
le 4 avril 1905. Il était oùicier de la Légion d'honneur.
L'école belge a donc, dès à présent, sa physionomie bien déterminée: elle continuera
sans doute, connne tous les centres européens, à prendre son mot d'ordre près de 1 Lcole
française, mais elle gardera, sinon un caractère national, ce qui n'est plus possUile pour les
raisons qui ont été exposées, du moins un accent local très marque.
'.gS
La Peinture au XIX'' siècle.
l'nc ])articulariU'\ du reste, qui est essentielle à noter, c'est l'iniluence active des sociétés
et gnnipeinents artisticiues. L'esprit de solidarité, si développé dans les mœurs de ce petit État,
s'est altuiné maintes fois avec bonheur dans les arts. Après l'Art libre, fondé par Louis Dubois,
par Constantin Meunier et autres, qui luttaient, comme en France, contre l'ostracisme des
iurys officiels, apparaissent les XX, Flissor, la Libre Esthétique. Ces sociétés trouvent l'aide
précieuse d'une critique avisée, à la tète de latiuelle est placé im des maitns écri\'ains modernes,
l'historien même de l'art belge, Camille Lemonnier, et les sympathies d'un milieu littéraire cpii
com])rend les ^Maeterlinck, les Rodenbach. les Verhaeren, les O. Maus. etc.
Deu.x; grandes directions bien dessinées, de même qu'en France, divisent dès ce
moment l'inspiration de l'art belge: l'une réaliste, c'est-à-dire prenant pour sujets les aspects
immédiats des êtres et des choses, l'autre idéaliste, c'est-à-dire préoccupée de la traduction,
par les formes humaines, des grandes idées générales. On a coutume, assez arbitrairement
semble-t-il. d'attribuer à l'un et l'autre de ces deux ordres d'inspiration unfe signification
j)rovinciale et on les oppose
en tendances flamandes et
tendances wallonnes.
Sans doute y a-t-il des
iniluences de cercles locaux.
C'est d'.\n\-ers qu'est partie
rimpul>ion initiale avec Leys,
(le droux, de Braekeleer, aux-
quels il faudrait rattacher
Constantin ^leunier et Stob-
baerts. C'est à Gand que se
Sont formés les principaux
maîtres n()U\'eaux du réalisme:
\'erstraete, Clauset Baertsoen.
ThÉOD. VERSTR-^iETE,
qui est né à (ïand le 5 janvier
1850, est décédé à Anvers le
8 ian\'ier 1907, à la suite d'une
longue et douloureuse maladie
qui le priva de l'usage de la
raison. Il était fils d'une actrice
du théâtre flamand où son père était lui-même chef d'orchestre. Entraîné dans une ,, tournée"
en Hollande, c'est là que se déclara sa vocation. Au retour, en 1867. il entra à l'Académie, où
il parut débuter comme gra\'enr et exjiosa à .\nvers dès 1S7J. un Paysage aux Environs de
Bereheni. Il obtint à Paris, en 18S2. sa première récompense, une mention honorable, avec sa
toile : /^<?;;.s la bruyère. Très encouragé par un bienwillant et très éclairé amateur des arts, Henri
van Cutsem, qui a beaucoup aidé à l'essor de l'art belge moderne, ses principales compositions
appartiennent à cette collection, appelée à être installée, par le statuaire (iuillaimie Charlier,
au Musée de Tournai. Robuste et beau praticien, il a tantôt la fraîcheur la plus vive et l'éclat
le plus printanier. comme dans cet exquis Verger en Zélande, a\-ec ces jolies filles aux coiffes ailées,
aux bijoux d'or dans les yeux, qui cueillent dans le pré vert, sous la neige des arbres en fleurs,
les pervenches et les pâquerettes: tantôt il est d'une mélancolie très pénétrante avec ses scènes
funéraires: le Viatique {1886), VEnterreuwnt en Canipine (1888), Collection \'an Cutsem; la Veillée
d'un mort en Canipiue (i8()i) (au ^lusét' d'.\n\'ers), .Au Cimetière (i8()4), (Musée de Bruxelles).
Jkan Delvin.
Ecole bclire.
299
La carrière d'KMiLE Claus a été assez accidentée, du moins au début et au point de
vue tout professionnel. Né à \'ive Saint Éloi (Flandre orientale) le 27 septembre 1849. il était
le seizième enfant de la famille. Sun père était un modeste épicier, établi au barrage de la Lys.
pour la consommation des bateliers. 11 eut beaucoup à lutter pnur convaincre ses parents
de la vocation artistique (pii lui était vt'nuc de la contemplation du pax'sage environnant.
Toutefois, avec la complicité de -.a mère et du compositeur Peter ISenoit. que le hasard
avait conduit d.ms le pays, il fut autorisé à se rendre à TAcadémie dWnvers. où il étudia
sous de Keyser. Ses débuts se ressentent assez longuement de ces influences scolaires. De 1874
à 1889 il peint des sujets épisodiques et sentimentaux, pris dans la réalité, tels que: Richesse
et pauvreté, le Chcuiin des écoliers, le Bateau qui passe, la Veille de la fête, en particulier un
,.\N RvssEI.BlcRi'.llE. — l>'heiue embrasée.
Combat de coqs. a\-ec des souvenirs de Bastien Lepage. qui. en iSSo. annonçait quel réaliste
puissant il pourrait être: il exécute notamment beaucoup de sujets et d_- portraits d'enfants,
("ette peinture lui \'alut. du reste, de nombreux succès. Il \-oyagea en L^spagne. au ^Llroc. en
Algérie, sans modifier beaucoup son talent. Esprit profondément observateur et raisonneur, il
distinguait toutefois, plus clairement chaque jour. ré\-olution (]ui se produisait autour de
lui et la route fâcheuse dans laquelle son succès même l'embourbait. Il eut le courage de
rompre, perdit aussitôt, près du public et des milieux officiels, le renom (pi'il axait gagné,
mais n'hésita pas à tous les sacrifices ])our jKUA'enir à ce qu'il pressentait d ■ m-uf à réaliser.
S'appuyant sur les données de l'impri-ssionnisme. m. lis a\'ec une liberté .ibsolue. il traduisit
avec la sensibilité la plus tînement émue, toute cette vive, fraîche et lumineuse région de la
;oo
La Peinture au XIX'' siècle.
Lys, aux wrdurcs aiguës, diaprées de fleurs, aux maisons peintes, aux arbres majestueux,
aux larges horizons animés par les belles vaches tachetées. Toute son ceuvre tient désormais
autoiu" (le son quartier général d'Astene, sur la Lys, près de Gand. On lui doit alors: Ferme en
Flandre (1S84), Quand fleurissent les lyclails (1885), le Vieux jardinier et Sarcleurs de lin en
Flandre (1887), La Crue de la Lys, octobre (1888), la Rentrée des Vaehcs (1889), la Récolte des
betteraves en Flandre (1890), le Passage des Vaches (1899), la récolte du lin (1905), tous deux
au Musée de Bruxelles, etc., auxquels il faut joindre quelques sujets de Zélande.
Le Luxembourg possède de cet artiste une exquise toile toute illuminée, qui porte
bien le nom donné par l'artiste à sa demeure: ..Zonneschijn", c'est-à-dire ,, Rayon de soleil".
E. Claus est chevalier de la Légion d'honnem-.
Tournant ilu Canal di- liruc
Albert Baektsoen fait avec Claus le plus frappant contraste, comme origine, comme
tempérament, comme sujets. Il est né à Gand en 1867, dans une riche famille d'industriels, qui
le destinait à la même voie, c'est d'abord en amateur qu'il commença à peindre. Il avait
cependant débuté fort jeune et tra\-aillé avec assez d'assiduité pour pouvoir exposer au
Salon de Paris, en 1SS7, un Canal, Matinée de Mars; cette toile lui valut des encourage-
ments, qui le décidèrent à se donner définitivement à l'art. Il vint dès lors à Paris et entra
dans l'atelier de Roll, où il resta pendant deux ans. En 1889, il reprit ses expositions avec
un Dernier rayon et n'a cessé d'e.xposer à nos Salons, (Société Nationale). Nul n'a traduit
avec un métier plus sobre, une palette plus expressive, un art plus austère et plus viril, la
mélancolie des canaux gantois, leurs quais mornes, leurs maisons délabrées, les vastes cours
désertes de béguinages ou les petites places de Flandre, entourées de façades exigiies, aux toits
Ecole belge.
;oi
de tuiles rouge tendre. On lui doit: ]'uii.\ canal /laniand (1895), au Musée du Luxembourg,
Matin de neige en Flandre (1895), Curdicrs sur les remparts (1896), le Soir à F Asile (1897),
le Soir sur VEscaid, Rivière 01 décembre: (iraiidc rue à Nieuporl; Vieux quai en novembre, etc.
Le Musée de Bruxelles garde de cet artiste La chalands sous la neige (1901), un de ses plus
beaux ouvrages, et au Luxembourg appartient le Dégel (1904), plein de frissons et d'humidité,
d'une poignante tristesse sous son ciel morne, qui est peut-être son chef-d'œuvre.
Deux autres gantois méritent une mention spéciale: l'un, Je.^n Dei.vi.n', a étudié les
formes et la vie des animaux a\ec un certain caractère de grandeur héroïque, qui rappelle la
conception des Géricault et des Dela-
croix. Ses principau.x ouvrages sont,
après quelques essais historiques, bien-
tôt abandonnés: Pêcheurs de crevettes
(Musée de Gand); Combat de chevaux,
la Baignade; Courses de taureaux, l'Atte-
lage (1909) (Musée du Luxembourg)
etc. Né à Gand le 9 juin 1853, il fut
élève de Portaëls, de Cluysenaer et
surtout de l'Académie de Gand. dont
il est, depuis, devenu Directeur.
L'autre, Théo v.-\n Rvssel-
BERGHE, relève de plus près de l'école
française. De même que Claus, il est
apparenté avec les impressionnistes : de
plus près même, car il fait exactement
partie du groupe des ,, pointillistes".
Mais, malgré le procédé, qu'il a adopté,
de la décomposition du ton, il montre
une certaine liberté dans la touche et
s'est sagement tenu en garde contre
l'esprit de système e.xagéré. Il est né
à Gand le 23 novembre 1862. Il étudia
d'abord à Gand, puis à Bruxelles: c'est
en 1886 qu'il se rallia aux tendances
nouvelles de France; il vit d'ailleurs
principalement à Paris. Un voyage en
Espagne et au Maroc développa chez
lui le sentiment de la lumière. Théo \-an Rysselberghe a peint dans une gamme fraîche et
fleurie, des portraits, des sujets de nu et même des décorations mmales importantes comme
celles de l'hôtel Solvay. L'Heure embrasée est une des compositions ipii montrent, avec son
souci de la forme, sa prédilection pour les pleines lumières de midi.
Al.EXANIlRK-TnÉODQRE. Hi INORÉ SlKlYS,
(Collectioû Van CiUs
Plus jeune, George Morrex bien que né à Hoogboone près d'Anvers, en 1868,
relève de ce milieu gantois, comme élève de Claus et comme se rattachant à cette direction
impressionniste française, mais plus près de Renoir que du pointillisme de Pissarro. Il
commença à peindre à l'Académie d'Anvers, après avoir terminé ses études de droit, et
entra, à Paris, dans l'atelier de RoU et de Carrière.
;o2
La Peinture au
siècle.
Enlin, diix beaux i-t puissants réalistes du paysage, à la suite de Baertsoen, mais
contrastant a\ec ce maîtrt- par son caractère tout optimiste, son tempérament sanguin de
coloriste chaud et vibrant, il faut rattacher Victor (iiLSOUL, né à Bruxelles le 9 octobre
1867, qui a peint avec un sentiment ému les Lueurs crépusculaires sur les canaux de Flandre et
des Pays-Bas, les petites lumières clignotantes des Maisons au bord de l'eau, les coins les plus
solitairement pittoresques de Nieuport, de Bruges ou du Brabant. Son père était cabaretier;
il dessina dès qu'il sut tenir un crayon; ses maîtres furent Artan et Courtens; sa première
exposition date de 1884. Le Musée du Luxembourg possède de cet artiste Soir en Brabant.
Celui de Bruxelles possède de lui Sur le chenal. Un soir de novembre, Dordrecht et Accalmie.
LÉON Fréhékil
Maichands de ciaii/ (Musée de Bruxelles).
l'n de ses plus remarquables (UU'rages est ce Tottrnaiit dit canal de Bruges, si curieux avec
ses lignes de hauts peupliers qui s'enchevêtrent. Madame GiLSorL. née IvETTV Hoppe, est
également aquarelliste de talent.
Il est maintenant, dans l'ordre des représentati(.ins humaines, deux figures exception-
nelles, qui dominent cette génération. Elles sont bien connues en France où elles ont conquis
tous leurs grades. Ce sont: Alexandre Struys et Léon Frédéric.
Alex.\ndre-Théodore, Honoré Struys est [né à Berchem, le 24 janvier 1852. Il
est d'origine hollandaise et appartient à une famille de modestes artistes. Le grand-père
était peintre, et le père peintre verrier. Sa vocation se dessina, dès l'enfance, à l'école
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communale de Dordrecht. On le conduisit quelque temps v\u/. un ptintre, à Rotterdam,
puis ses parents vinrent s'installer à Anvers, atin qu"il pût étudier à l'Académie. Il avait
alors douze ans. Sa première peinture fut exposée à Gand en 1871. Ses tableaux de début
touchent au ,, genre". Il subit bientôt une première modification et produit de nouvelles
compositions de caractère fortement académique, mais qui attestent déjà un tempérament
d'artiste préoccupé de l'expression ou de l'émotion, c'est-à-dire ayant, avec les soucis de
métier, qui n'abandonnent jamais un vrai flamand, le désir de dire quelque chose de l'humanité
de son temps. Ce sont des sujets, dans le sens propre du mot, avec des intentions souvent
ElIC.KNE L.iERM.^NS.
trop soulignées par la dimension des compositions, toujours de grandeur nature. Tels
sont: les Oiseaux de proie, exécutés en 1874, encore à .envers, qui réunit au chevet d'un mori-
bond deux Jésuites, l'un brandissant sa croix d'un geste menaçant, l'autre qui écrit un
testament d'un air d'avidité. Ce tableau, du reste, fit scandale dans la Belgique catholique
et fut refusé par le jury de l'Exposition de Paris en 1878, en même temps qu'il commençait
la réputation de l'auteur. C'est un curieux point de départ pour arriver à tous ces tableaux
ultérieurs où le prêtre, acteur principal, jouera un rôle touchant et consolateur. A ce moment,
on lui offre la place de professeur à l'Académie de Weimar, occupée par Verlat; il accepte et
enseigne jusqu'en 1883, époque où il se rend en Hollande. Il s'y marie, retourne en Belgique
ù
06
La Peinture au XIX' siècle.
et dès lors sa \'(iie est tracée. Il s'instalK' à Malines, dans la solitude: il y est pris par la vie
populaire et. comme de Grou.x, par ses misères et ses détresses, par les humbles milieux où
les actes quotidiens et les é\'énements qui marquent l'existence revêtent également un carac-
tère de simj)lc grandeur. Il peint lentement, posément, avec recueillement, toujours sur nature,
dans des harmonies roussatres. a\-ec une conscience supérieure de réaliste expressif; il sait tout
\-oir, mettre chacun à sa ])lace et donner son rôle à tous ces obscurs témoins de la vie, à tous
ces meubles, compagnons de tous
les jours, qui ont déjà vu passer des
générations, à tous ces ustensiles ou
bibelots du ménage, dont on sent
([ue chacun a son histoire, qui marque
un épisode de celle des çtres destinés
à \-i\-re et à mourir au milieu d'eux.
('"est d'abord la Potion, 1887, puis
ÏHiihint iiuiladc {1888): c'est le
\'iiiliqiic. une vieille femme con-
duisant dans une seconde pièce un
]irétrc portant l'hostie sacrée à un
mourant; c'est la Prière, une bonne
\ieille en jupe rouge, agenouillée, le
dos à la fenêtre, dé\'idant un cha-
pelet, tandis que son chat ronronne
sur une chaise; c'est la Dentellière
jMX'jiarant quelque nappe d'autel,
c[u'examine un prêtre, devant la
fenêtre d'où l'on voit se dresser
le clocher de la Cathédrale. C'est
entin la Cunfiance en Dieu (1891),
de la collection \'an Cutsem. Un
homme est couché dans son lit, la
cou\erture jusqu'au menton, dans
un triste intérieur au jour rare; près
de lui une pau\"re vieille est assise,
douloureuse et résignée, et comme
priant intérieurement. Rien ne peut
rendre cette angoisse et cette détresse
au.xquelles participent toutes les
choses inanimées.
LÉox Frédéric est né à
Bruxelles le 26 août 1856; il a du
sang français dans les veines, car
ses 'grands parents étaient de St. Quentin. Il serait d'ailleurs le principal représentant de
la prétendue direction Wallonne, car presque Ums ses tableaux, depuis bien des années,
sont exécutés dans les Ardennes, au village de Nafraiture, exactement contre la frontière.
Son père, qui était horloger, avait un certain goût pour les arts, qui allait jusqu'à peindre
en amateur. Frédéric doit à son éducation une habileté manuelle surprenante en toute
chose, qui l'a conduit à son développement artistique avec une grande rapidité. Élève de
Fau,i (CjlUxli.jn Huoy(;udijk).
Ecole hcli^e.
307
Portaëls, il éclioua au concours de Kcimc, mais voyagea néanmoins en Italie en compagnie
du statuaire Dillens. 11 y subit fortement Tinfluence des maîtres, en particulier des primitifs,
et ce culte s'associa dans son esprit awc l'influence des peintres anglais qui s'en sont inspirés.
comme Bnrne Jones, et surtout a\-ec celle du mouvement français créé par Bastien Lepage.
Les Marchands de eraie (1882) Musée de Bru.xelles, l'attestent positivement. La vieille servante.
du Musée du Lu.xembourg, si touchante dans son attitude de pauvre \'ieille chose fidèle
et résignée, affirme également, à cette heure, chez ce réaliste, qui, ainsi (jue Struys, cherche
toujours le fonds d'humanité, un sentiment de coloriste délicat. îl le «nrrifie plus tard à un
métier d'un dessin cerné, rigoiu-eu.\, incisif, e.xtra-
ordinairement \-olontaire et significatif, et de
tons assemblés en discordances aigiies, mais
supérieurement expressives, avec lequel il traduit.
soit les actes de l,i \'ie du paysan ou de l'ouxTit.r.
soit les rêves qui hantent le cer\'eau des honuucs
modernes en face du grand spectacle de la nature
et devant les inégalités des conditions humaines.
Car son art, tendu, \-iolent, àprement éloquent,
mais toujours par des m<i\-ens d'ordre essentielle-
ment pittoresques, est un art foncièrement
idéaliste, sous les deu.x aspects qu'il re\'èt. de
représentations réelles ou d'allégories.
Le Musée de Bru.xelles comprend presqu<'
une salle de lui avec les ^L^rchallds de cnne ( 1S82).
la frise des Ages du paysan (18S7). les Petites
communiantes et un paysage en tripty([ue. Clair
de lune (icjoo). Le Musée d'An\-ers possède les
Boëchelles (1888). celui de (iand le Repas des
Funérailles (1886), celui de Liège le Pnvsaii morl
(1885). Le Lu.xembourg. près de la \'ieille ser-
vante, de 1885, conserve le triptyque, (jui réunit,
avec l'accent âpre et poignant d'une forte mora-
lité réaliste, les différents actes de la vie de
l'ouvrier: les Ages de l'Ouvrier, depuis l'enfance
qui se traîne dans le ruisseau, l'amour dans les
promiscuités de l'usine et de la rue. la mort entn
la prison et l'hôjjîtal, a\X'C le corbillard de\aut
lequel flotte le drapeau rouge de la ré\-oIte: mai-.
aussi, les deu.x grandes consolations du ]ieuple:
le travail et la maternité. Ce musée possède aussi
les trois grandes toiles de VAge d'or, léguées par (ieorges Michouis. 1 )ans les 1 eu\-res ]>roprement
allégoriques il faut citer : Le peuple, un jour, verra le Soleil (i8gi). La Wunté des grandeurs (i8q2).
Tout est mort (1894). qui disent sa pensée sociale, tandis que la Xature (i^i).;) ou le Ruisseau
(1900) e.xaltent. avec les compositions consacrées à St. François d'Assise, le jiremier des
naturalistes des temps modernes, la splendeur de son grand rêve panthéiste. Un cycle de
vastes dessins: /(• Blé et le Lin (1888 — iSSq) appartient à l.i princesse Tenichetf.
FkKN..\N1) Khxopff.
Les grands problèmes sociaux et moraux ont, du reste. préoeeu])é au plus haut
degré les dernières générations de l'école belge. Au point de vue populaire, si la France a
;o8
La Peinture au XIX'' siècle.
ouvert la voie, la Pjelgique, ])ays d'industries, d'usines et de mines, a suivi de près les con-
flits entre le Capital et le Travail et assisté quotidiennement au soulèvement de toutes les
revendications prolétariennes. Son art y a pris un accent d'énergie particulière, de tension
et de tragique, qu'on a pu sentir déjà chez Constantin Meunier et Léon Frédéric. Ce caractère
de réalisme fortement expressif, dans l'ordre des choses populaires, se marque encore d'une
façon intense chez? Eugène Laermaxs. Il est né Molenbeek St Jean, quartier de Bruxelles, le
21 octobre 1864; son père était caissier à la Banque internationale. Comme tout le monde, il
étudia à l'Académie, mais il travailla surtout en solitaire, tel que son prédécesseur Ch. de
Ci roux à qui il ressemble par
ses vertus expressives et aussi
par son défaut de renouvelle-
ment devant la nature. Il
s'inspire, de même, du vieux
Breughel, mais avec un pessi-
misme tout moderne, une
sorte d'exaspération pathé-
tique, qui touche parfois à la
caricature. Il affectionne, du
reste, particulièrement Dau-
mier. Ses groupes de prolé-
taires, ses troupeaux d'émi-
grants, sont taciturnes et
farouches; ce n'est pas dans
leurs rangs pressés, qui roulent
comme un fleuve fatal, qu'on
découvrirait le petit marmiton
classique des foules révolution-
naires de France. Rien n'est
plus tristement saisissant que
cet Aveugle qu'une fillette
C( induit à grands pas sur une
longue route au crépuscule, et
rien n'est plus lamentable que
son Ivrogne, inerte, ramené
par sa femme et ses enfants
sur le chemin chargé de neige.
Le Musée du Luxembourg
possède de cet artiste Fin
d'Automne.
Ce fonds de mysticité, qui pèse à travers les divers modes réalistes, se dégage en toute
liberté dans un autre groupe, qu'on traite de groupe Wallon. Nous avons vu qu'on pouvait
déjà, pour une part de son œuvre, y inscrire Xeon Frédéric. Faut-il mettre à leur tête un
singulier artiste qui, du reste, appartient à une génération bien antérieure et dont l'œuvre,
fort restreinte pour la partie peinture proprement dite, est surtout célèbre dans le dessin,
et surtout dans l'estampe: Félicien RopsP^On ne peut nier, dans tous les cas, que cette œuvre
n'ait eu quelque influence sur certaines tendances ultérieures.
Rops (FÉLICIEN, Joseph, Victor) est né à Namur, en Wallonie, le 7juillet 1833 et il
est décédé en 1898 à Paris, où il avait fixé principalement sa résidence. Il appartenait à une
J.\MES EnSOK.
lO
La Peinture au XIX'' siècle.
famille bourgeoise, enrichie dans le commerce des toiles imprimées. Il prit de bonne heure
goût aux images, ne fut pas découragé par les siens et vint travailler à Bruxelles, à Fateher
St Luc. où il se trouva en compagnie de de Groux, de Constantin Meunier, de Louis Dubois,
etc. Il débuta par des dessins et des caricatures pour des journaux locaux et dans l'esprit
de (iavarni ou de Daumier; subit fortement l'influence de Courbet, lorsqu'il se mit à peindre,
comme il apparaît dans son Bois de la Cai)ibn\ puis momentanément de Millet: il illustre les
vieilles légendes flamandes de Charles de Coster et enfm il vient s'installer à Paris en 1865.
C'est de ce moment que commence son développement \raiment personnel, d'abord en images
vives et libertines, jniis en une sorte d'érotisme morose, d'hystérie si poignante et si exaspérée
qu'elle atteint un caractère de tragique grandeur. Alfred Stevens avait peint le monde et le
demi-monde, Rops peint ,.la fille" et il crée, à la manière romanticiue de f-Saudelaire. de Barbey
Aui.L.siK LLvfrji'K. — Lf Triumphe de la Mort.
d'Aure\-illy ou de Hu^'smans, une sorte d'épopée terrible et angoissante de la prostituée, dans
laquelle il accouple furieusement la Lu.xure et la ilort. Mais Rops ne perd jamais les fortes
vertus du terroir; chez lui la forme n'e.st jamais sacrifiée à l'intention et il est un des plus purs
plastiques de l'art belge. Toute cette ieu\re est plus particulièrement dessinée ou gra\-ée. Le
Luxembourg possède, grâce au don Charles Havem. quatre dessins, parmi lesquels le frontispice
des Diaboliques de Barbey d'.-\ure\-ill\- et le frontispice du Mce suprême de Péladan.
Ce qu'il y a de particulier, dans ce développement de romantisme dégénéré en e.xagéra-
tions expressives, c'est qu'il est sorti du sein d'un réaliste originel. C'est le même cas, qui
s'est produit pour Fernand Khnopft' cm James Ensor, tous deux contemporains, qui ont débuté
dans une voie réaliste de scènes modernes, voisinant même a\-ec l'impressionnisme, pour
évoluer dans un sens tout idéaliste et mvstique. Ferx.^xh Khnopii-. dans sa dernière manière,
Ecole bclire.
1 1
se rattache, en un certain sens, sinon à l'esprit, dn ninin^ aux lurnies de K(ips. .Mais ses débnts
nons le reportent à nne manière tdute différente. Né an château de Grembergen près ^e
Terninnde, le 12 septembre 1N5S. d'une famille anciennement originaire d'Autriche, il fut élevé
à Bruges et ce premier séjour laissa une empreinte profonde sur son esprit. Il fit des études
littéraires complètes à l'Université de Bruxelles, étudia le dessin à r.A.cadémie de cette ville
en 1S77, puis sous la direction de X. Mellery. 1-hihn il \-int à Paris, on il s'incrivit ([uelciues
mois à r.-\cadémie Julian. 11 fut déjà séduit à ce moment par A. Stevens et F. Kops, mais il
sentit surtout l'influence du mou\'oment impressionniste français et aihrma ses tendances, au
cercle de V Essor, en 1882. a\-ec di'ux
curieuses toiles: Boulevard du Rc'^oit
et En écoutant du Schiiiuatni. toile
d'intérieur d'une exécutionrecueillie.
de beaux accords sobres et r.ires.
qui évoquent le sou\-enir des premiers
^Vhistler et Fantin. Mêlé au mon\-e-
ment du journal dr la Jeunt' Piel-
gique et du Salon des X.\. il évolue
sous l'influence des idéalistes anglais
et français: Burne-Jones et Gustave
Moreau ou même des rêveries fan-
tastiques d'Odilon l'Jedon et. aprè'-
quelques sujets modernes i)ris dans
la vie anglaise, tels que: La-aii-tcnuis.
il se borne presque exclusivement à
un genre de symliolisme m\-sti(|uc.
avec Sf^hvngcs. J/arpic niodcriic.
rOffrandc. L'ailc hicnc. i'Eiicciis. /es
Lèvres rouges etc.
Xé à Ostende le i ; axTil
1S60, d'une familled'origineanglaisi'.
J.^MES ExsoR étudia à l'Acadénhe
de Bruxelles de 1877 à 1881, sons la
direction de Portaëls. Son premier
Salon date de 1881. .\insi (pic
Khnopff. il fit partie du cercle de
l'Essor et de la Soeiété des XX. Il
subit, lui aussi, de b(jnne heure,
l'influence des impressionnistes fran-
çais en s'assimilant leurs principes
sous une forme originale qui annonce
les notations subtiles et délicates des néo-impressionnistes. Tels sont le Sakui bourgeois eu 1881,
dans une harmonie distinguée de tons froids, bleus, \'erts et blancs, relevés de quelques rou.x
et Après-dîner à Ostende. Ce sentiment si intime des intérieurs fut à son tour abandonné et
James Ensor s'est de préférence livré à la gra\-ure. genre dans lequel il a traduit des \àsions
fantastiques et de sombres cauchemars.
Mais le véritable idéalisme s'est manifesté en Belgique sous un aspect beaucoup plus
large, atteignant jusqu'à l'ampleur de la peinture murale avec tout un groupe d'élite intel-
lectuelle, dont certains représentants ont \-oulii réiiandre leurs jirincipes par la plume aussi
.Kl E\ I- M- !'■ iKL.
L'K>l.,i!.;nul à Paris (.Miiscc .le Cm M
312 La Peinture au XIX'' siècle.
bien que par le pinceau. A leur tête se trouvent Jean Dklville et Auguste Lévèque, tous
deux du pays Wallon, ce (jui justifie jusqu'à un certain point la désignation locale qu'on donne
à leur groupe. Ils se sont fait connaître par des productions littéraires en même temps que
par des travaux artistiques. Delville a publié le Frisson du Sphinx, Lévêque est l'auteur de
Aîi cours des âges, sans compter les articles de combat pour répandre leurs doctrines et soutenir
les droits de la pensée en face de la matière. De même que les jeunes idéalistes français, ils
prirent leur mot d'ordre au Salon de la „Rose + Croix", près du ,,Sar" Péladan et sous l'influence
des poètes symbolistes de France et d'Angleterre. Après avoir participé aux expositions très
actives des XX, ils fondèrent de leur côté, à Bru.xelles, vers 1895, un Salon des Idéalistes pour
défendre le sens de la Beauté, qui leur semblait menacé. Ils ont créé un art hautain, d'imagination
et de rêve, relevant, comme celui de Frédéric, qui les devance, des grands florentins Botticelli
ou Signorelli, évoquant de loin le souvenir de Gustave Moreau. Si Wallons qu'on veuille bien
les dire, leur symbolisme représente ce qu'il y a de subtil et de mystique dans l'âme flamande
depuis Memlinc et Quentin Matsys. Ils ont montré, de plus, une aptitude décorative, qui est
tout-à-fait dans l'esprit de la race flamande. On doit à Delville: Cycle passionnel, Trésors de
Sathan, Impéria, La fin d'un règne, U amour des Ames, exposé à l'Exposition de Paris en 1900
et r École de Platon, qui a figuré à Paris au Salon de 1898. C'est une vaste composition qui groupe,
dans un jardin merveilleux, peuplé de cj^arès et d'arbres aux fleurs singulières, traversé par des
paons aux longues queues blanches, les disciples du Maître, au nombre de douze comme les
apôtres du Christ, le corps nu, longs, minces et fièrement élégants, réunis en nobles attitudes
pt>ur recevoir de leur côté, apôtres de l'Esprit pur, la révélation de la Vérité et de la Beauté.
Essentiellement pessimiste, M. Lévêque est l'auteur de Joh, Circé, les Portes de l'Enfer,
le Doute, la Parque, les Ouvriers tragiques, triptyque qui appartient au Musée de Bruxelles.
Le Triomphe de la Mort, a figuré au Salon de igoo.et représente, dans un beau paysage d'été,
d'une splendeur douloureusement ironique, la Mort, sous la forme d'un vieux moissonneur
qui fauche, au milieu des épis, les hommes, les femmes, les enfants, tandis que des amou-
reux, le dos tourne, s'embrassent pleins d'illusions et qu'une jeune mère donne le sein à un
enfant, absorbée dans son amour maternel. A cette inspiration, il faut rattacher M. Emile
Fabry, né à Verviers le 30 décembre 1865, qui, après s'être occupé d'art industriel, se livra
exclusivement à l'art pur. Il est professeur à l'Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles.
On lui doit des ceuvres, surtout sur le mode décoratif, notamment au théâtre de la Mon-
naie, parmi lesquelles il faut citer: Souvenirs, Vierge a)ixieusc. Poète évocateur, les Heures,
la Nature et le Rêve, Orphée, la Danse, etc.
Appartiennent encore à ce groupe: Constant Montald, Charles Doudelet, Ciamberlani,
Emile Motte.
Enfin, parmi les artistes, qui se distinguaient dans les dernières années du siècle, il
faut citer Auguste Oleffe, né à St. Josse-ten-Noode (Bruxelles) en 1867, qui débuta à quatorze
ans dans un atelier de lithographe et fut encouragé spécialement par le Mécène bruxellois, dont
nous avons déjà signalé les bienfaits, Henri Van Cutsem, qui lui acquit plusieurs tableau.x
parmi lesquels la Dame au bord de la Mer. Il peint de préférence la figure et le portrait, avec
un métier vigoureux, curieux d'harmonies, de touche hardie. Puis Henri Thomas et Henri
EvENEPOEL. Celui-ci, né à Nice en 1872, est mort à Paris en 1900. Il fit partie de l'atelier
Gustave Moreau et, comme la plupart de ses camarades, évolua vers la vie et s'orienta du côté
des Espagnols. Cet artiste, doué de dons supérieurs de coloriste, a laissé, du moins, à sa mort
si prématurée, quelques morceaux qui conserveront son souvenir, dont nous citons comme le
plus important le portrait du pemtre Iturrino, l'Espagnol à Paris, drapé dans son large
manteau, avec le fond du paysage du Moulin-Rouge, qui appartient au Musée de Gand.
OrAKTiKR iii> Juifs a Amsterdam.
I Collt'ctio)! di- M. A. RotluriHinid, Dresde;
cn.xrirRK xi.
i-:coLi-:s Di: srissK. dalli-imagni-: kt DWUTRirHK-Hoxi.Kii:.
§ I. l-^COLK SrissE.
GEO(iRAPHI()ri-:MP:XT. U Suisse est située ;iu entre de riùinipe. entre truis .grandes
nations dnnt elle emprunte la kin^ne et à l'influence desquelles elle est naturellement
exposée, dan> l'ordre intellectuc-l et moral. De même les manifestations de la jiensée \'
sont facilement absorbées par ses puissantes \-oisines. Dan-, le domaine de l'art, si la Fr.mce
a adopté Liotard et Léopold Robert, ]'.\llema,L;ne, ([ui lui awiit ])ris autrefois Holbein, lui a
emprunté aujourd'hui Bo_-cklin. L'accent {)roprement local est donc assez peu marqué dans
les productions hel\-étiques et les tendances de rin-jiiratiim artistique se répartissent selon
trois orientations différentes, suivant l'attraction exercée du côté de la frontière française,
allemande ou italienne. Ici, c'est dans le sens de l'observation réaliste, là dans une directiim
de romantisme historique ou m\'thi(iue, ailleurs, du ci'ité du sud, avec l'ambition de se
mesurer aux tentatives des artistes du nord de l'Italie pour traduire les aspects pittoresques
des sites alpins.
H.'^NS S.\Ni>REi TKR. — .\ la l'oile du ciel.
3H
La Peinture au XIX' siècle.
Cl' ne sont guère, durant la première moitié du siècle, les talents d'Auc.usTE Calame
(\'evey 1810 — Menton 1864) célèbre dans les fastes des pensionnats ori ses dessins ont servi
de modèles, ni de Karl Bodmer (ZiJrich i8og — Chailly 1893) installé près de Barbizon, prisé
dans les milieux romantiques et prôné par Théophile Gautier, qui suffiront à donner une
pliysionomie très distincte à l'Ecole helvétique. On ne peut guère également que citer
Barthélémy Menn (Genè\'e 1815 — 1893), professeur à l'École des Beaux-Arts de Genève
depuis 1848, qui a droit à une place dans l'histoire de l'art de son pays, moins par ses propres
travaux que par le rôle exceptionnel d'éducateur qu'il a rempli a\'ec son enseignement de
caractère si élevé, aussi bien philosophique que technique.
Dans la deuxième partie du siècle, la peinture, comme en tout le reste de l'Europe,
prend un dé\'eloppement assez notable. Du côté de l'inspiration germanique va dominer la
personnalité exceptionnelle de Bœcklin. Nous la retrouvenms un peu plus loin, au chapitre
de l'art allemand, puisquec'est
là qu'elle a pris sa place. Mais
Bœcklin a laissé dans son pays
natal quelques disciples. Il y
a d'abord son ami, le bâlois
Sandreuter et le bernois Hod-
1er. Le premier H.^iNS S.-^nd-
REUTER est né à Bâle le 11
mai 1850 et il y est décédé le
1^' juin 1901. On l'avait mis
en pension à Orbe (Canton'de
Vaud) chez un vétérinaire
empailleur; de retour à Bâle,
on le plaça trois ans chez un
lithographe, puis il est envoyé
en 1870 à Wùrzbourg, où il
eut l'occasion de voir des
tableaux de Bœcklin, qui le
frappèrent \'ivement. Il ac-
complit ensuite un voyage
en Italie, en Ba\"ière et en
France. En 1873, il revient à
-Munich, travaille près de Barth, et de là il entre chez Bœcklin, son maitre de prédilection,
auquel il s'attacha et qu'il suivit à Florence en 1875. Cmieux de tous les procédés, il a peint
à l'huile, a tempera, c'est-à-dire à l'œuf, et à fresque. Son œ-uvre comprend des compositions
de figures et des paysages. Les figures sont tout à fait dans la tradition de Bœcklin, d'une
coloration très montée de tons et d'un réalisme pittoresque, parfois assez terre à terre. Il
peint surtout des sujets de genre historique, le plus souvent sur le mode décoratif, comme on
voit au Casino de Baden, en Argovie, à Zurich ou à Bâle, dans divers palais publics ou maisons
privées. Il aime, en particulier, le bariolage des costumes de reitres et de lansquenets, très
puissant d'effet sur des fonds de neige : Lansquenets dans la neige. Lansquenets enlevant un
chariot, ou allégories, dans la forme de son maître, comme la Fontaine de Jouvence, du Musée
de Bâle. Mais si son réalisme nous semble un peu gros et tudesque, ses paysages, en revanche,
sont bien personnels et tracés avec une écriture virile, nerveuse et hardie.
Ferdinand Hodler est né à Berne en 1853. Il a suivi les traces de Bcecklin dans le
EeRIiINAMi Ilnlil-KK.
a el jemie Fille.
xolc suisse.
315
choix de ses sujets, et, au début, dans sa manière forte et colorée: mais il se développe plus
tard en un style âpre, violent et même xolontairement brutal, au dessin fortement cerné, aux
lignes combinées parallèlement et aux tons établis en larges et violentes localisations. On a
appelé cela de Timpressionnisme de l'autre côté du Rhin; c'est plutôt une'sorte d'académisme
archaïque et farouche, qui rappelle, d'ailleurs, bien plus les œuvres du passé qu'il n'évoque
les vraisemblances de la nature. La Xiiit. Eurythmie, appartiennent à sa première manière;
la Vérité, le Jour, à la dernière.
L'influence française est assez étendue sur l'art helvétique et contrebalance par son
esprit de mesure les excès de l'école de Biecklin. De ce côté, il conviendrait de rappeler le
nom de la nombreuse famille des Girardet, graveurs, décorateurs, peintres d'histoire ou (orien-
talistes; du décorateur L. P. Robert, de Ch. Giron, peintre de scènes de UKeurs, de portraits
EUCÈNE IUkNAM'.
Les Disciples (Musée du Luxembourg).
et de paysages, excellent et brillant praticien; de Nicolet, Cari et Otto Vautier, Vahet, etc. On
pourrait se souvenir que la France a recueilli dans son école le peintre-décorateur (irasset
et le peintre-graveur Steinlen et \'allotton et A. Stengehn. Eugène Burn.and, beau-frère de
Jules et d'Eugène Girardet, n'est-il pas beaucoup des nôtres? Né en 1850, à Moudon. il fut
d'abord élève, à Genève, de Barthélémy Menn, puis, à Paris, où il entra à l'Ecole des Beaux-
Arts, de Gérôme. Durant la première partie de sa carrière, il se dirigea dans un sens purement
réaliste d'observation des scènes de la vie rurale, et suivant le mouvement d'études en plein
air créé par Bastien Lepage. Il exposa des sujets empruntés à la vie pastorale de son pays:
Taureau des Alpes, Changement de pâturage, dans lesquels il se plaisait à traduire les belles
formes mouvantes des animaux dans leur paysage alpestre. S'étant ultérieurement établi dans
le Languedoc, en pleine campagne, non loin de ^Montpellier, il reprit avec succès ses thèmes
ruraux sous ce nouvel aspect méridional, peignit en Provence les troupeau.x de la Crau et de
10
La Peinture au XIX' siècle.
la CamurgiU' et lit, de la Mireille de Mibtial, une illustration poétique et naturaliste, (|iii est
restée célèbre. \'ers i8qo, le talent de Burnand c\'olua dans un sens relit^'ieii.x, un jx-u au
moment oii la même éxolution se produisait chez son ami Dagnan-Bouveret. Mais Burnand
n'est pas un mysti(iue. Animé d'une foi profonde, mais d'une foi de cah'iniste, son inspiration
a surtout un caractère réaliste. Tandis que les uns ont cherché à renou\-eler l'expression du
sentiment religieux en art en recourant au.\ artitices d"imit<ition des maîtres primitifs ou
d'adai^tation des mceurs et des costumes orientaux, Burnand est resté dans l'ancienne donnée
générale, mais re\i\ahée par l'étude attenti\'e des réalités familières qui l'entouraient. Il a
donné ainsi: la l'araholc du grand souper, lu Cène, les Diseiples, Pierre et Jean, courant au
tombeau à la nouvelle de la résurrection du maitre. Ce dernier tableau est entré au Musée
du Luxemlxiurg en i()oi. \i. Burnand a fait aussi quelques^incursions dans le domaine de
l'histoire et il a expose, en iS()5, un Charles le l'éméraire. juvahdCaprès la bataille de .Moral,
sous la haute futaie de pins, qui a un grand caractère de \raisemblance rétrospective.
Dans ce milieu à demi
français C.^RLOS Schwabe repré-
sente l'esprit mystique et allégo-
rique, inspiré des préraphaélites
anglais et des ipiattrocentisti
italiens: il a exposé en l8c)2 à la
Rose + Croix et a été l'illustrateur
du Rêve. d'Iùnile Zola, de VJivaii-
gile de l'Enjanee. etc. Le Luxem-
bourg possède delui: SurlcChemin
et /(' I-dssdveur. imjiortantes aqua-
relles, pro\'enant du legs Michonis.
Mademoiselle Loi'iSE Bkesl.vi' a
ete formée, après ses premières
études à Zurich, où elle est née
en 1858, sous l'influence de Bastien
Lepage, très sensible dans ses
]iremiers mu'rages, comme sa
I'>r étonne (1851) et de Degas. Elle
se sert de la peinture à l'huile et surtout du pastel, aime à traduire de préféi'ence les figures de
jeunes femmes et d'enfants et \' a})ji<irte, a\ec un dessin intelligent, des colorations très délicates.
L'expression picturale des paysages de montagne est un problème qui a passionné
nombre d'artistes. On s'est demandé comment des spectacles aussi grandioses, qui nous
émeuvent si profondément dans la réalité, par\iennent si jxni à nous toucher, en général,
dans leur représentation peinte. C'est parce tpie nous nous jilaçons. en art. comme de\'ant la
nature, à un point de \aie exclusivement panoramiipie. ( )r il v a là une (.piestion d'échelle:
d ms la mesure étroite du cadre, l'impression d'unité produite par les sensations multiples
d'étendue, de hauteur, d^' lumière, d'effets, ne se reproduit que rarement et difficilement; il
n'est pas nécessaire d'embrasser de si vastes horizons pour traduire la majesté des montagnes.
Ce que l'italien Segantini a tenté, de son côté, nous le verrons un peu plus loin, avec tant de
résolution et d'audace, a été essayé, naturellenn'ut. par des artistes suisses qui se trouvaient
dans les mêmes conditions géographiques. Celui qui s'est montré le plus opiniâtre et qui est
parvenu aux plus heureux résultats est .\ri,rsTi-: i;.\ri)-l)i>\'v. Né à Cienève en février 1848,
il est décédé à Davos le j juin 1899. Si on le rapproche du mou\-ement italien, ce n'est pas
;|E B.Mli-lîoVV.
Sérénité (.Musée du Luxcmbuui,
.COR' suisse.
317
qu'il en ait subi l'iutluence — du reste ce courant italien dc.-> Al])cs e>t lui-même sous
l'influence du naturalisme français — mais c'est qu'il a lutté avec lui pour tixer la splendeur
de ces spectacles. Après avoir commencé ses études au collège de sa ville natale, il entra à
quatorze ans dans l'atelier de Barthélémy Menn. Il le quitta à l'âge de vingt ans pour se
marier avec une parente, M^He Bovy, d'une famille d'artistes connus. Il fut nommé à 22
ans professeur à l'Ecole des Beau.x-Arts de Genève. En 1S77, il eut l'occasion de montrer à
Castagnary et à Courbet, de passage à Genè\-e, quelques-tmes de ses études. Il le décidèrent
à aller étudier à Paris, où il se rendit en 1S80. Il y séjourna neuf ans et v exposa des vues
de mfintagnes, prises des liautenrs nv'ine. in;iis dans des limites qui permettent à la peinture
d'évoquer la magnificence imposante des ces aspects. Le Musée du Luxembourg possède un
tableau: Sérénité, qui dit la grande paix des sommets dans la lumière.
On peut enfin signaler, à ses côtés ou à sa suite, les <eu\'res de I''ran;înni. Kehtou--,
Gos, de Goumois, etc.
S IL E( (_)Li-; .Alle.\i.\nde.
Un grand pays C(jmme r.VIlemagne ne ])(]u\-ait manquer, au cours du XIX'' siècle,
d'offrir, en face des autres hautes manifestations de la pensée, le spectacle d'une vie artistique
assez intense. Le développement des arts, en effet, y a été activé par la culture générale et
particulièrement fa\'(irisé p>ar l'amour-propre national, surtnut après la fondation de l'empire.
3i8
La Peinture au XIX" siècle.
A toute époque et. nalurellement, clans les trente (U-rnières années de cette périnde. nul effort
n"a été négligé, nu! sacrifice n'a été épargné pour arri\"rr à la constitution d'un art cpii exerçât
sa prééminence sur le reste du monde. IMais l'art \-it essentiellement de liberté; il fuit les
magisters et les férules, et l'on ne crée pas une école comme on recrute un régiment. Aussi la
pliysionomie de l'art allemand, malgré f]uel(pies rares et hautes exceptions, présente-t-elle,
d'un bout du siècle à l'autre, un car, ictère académicpie, c]uelles que soient les formes que
re\'étent cet académisme et les traditions auxcpielles il puisi".
Du reste, depuis les temps lointains où il donnait les grandes ligures d'Albert Uiirer,
l'KrFK VON CoKNi'i.u-s. — Les Civalieis <le rA|ioc.ily|i>e (Muscl- .le lleilin)
de Holbein et de Cranach, l'esprit germanique n'avait guère produit par lui-même que des
imitateurs littéraux et médiocres comme les Dietrich et les Denner. ou les talents aimables,
mais secondaires et sans vraie originalité locale, de Chodowiecki, qu'on appelle avec indulgence
le , .Chardin allemand" et de la fondante et cosmopolite .\ngelica Kautfmann, qui ne fait pas
oublier Madami- \'igée-Lebrun.
Il y .1 mcore Raphaël Mengs, dont la personn.ilité ])rend (pielipie importance à la
veille du nou\-eau siècle, parce que ses doctrines appliquent et commencent à répandre les
principes dv son ami, l'archéologue Winckelmann, de Salomon Gessner, du poète Lessing, aux-
.colc allcniande.
319
qufls devait se rallier lui-menir r(ilynii)ien doëthe, qui plaçaient d.nis l'iinitatidn de l'art
antique le critérium de toute beauté. Tcnit ce mouvement d'érudition, «jui se développa sur
le sol même de la Ville éternelle, (jù \inrent bientôt affluer les écrivains et li-> artistes allemands,
eut. on le sait, son contre-eciup sur l'art français et accéléra le nniuvcment anal()f:;ue qui s'v
était formé en exerçant sim influence sur David, alors en contact à Rome, avec ces milieu.x
archéologiques.
Le Damas Carstens (Asmus Jacoh) 1754 — 1798. est le plus célèbre représentant de
la nouvelle formule classique; il offre, dans ses compositions modelées sur la sculpture grecque
un ton savant et doctoral, qui est déjà très allemand. ^lais la réaction contre l'art classique
ne tarda pas à se produire en Allemagne.
Le romantisme litténiiri' allemand,
qui était un mr u\'ement de réaction
nationaliste, historique, poétique et
mystique, eut sa répercussion dans
l'art. Tout audébut du siècle, en face
du classicisme triomphant, Wacken-
roder, Tieck, les frères Schlegei oppo-
sent à l'art d'une civilisation morte
un verbe nouveau, destiné à \i\-ifier
l'art et fondé sur la foi, les croyances
et les traditions du temps. Ils exaltent,
de leur côté, comme Chateaubriand
chez nous, au même moment, le ,, génie
du christianisme", qui devient syno-
nyme, aux jours de résistance contre
ren\'ahisseur étranger, de génie de la
race germanique, opposé au génie
français classique et païen.
Un courant religieux et mystique
se forma donc dans l'inspiration artis-
tique. On prenait comme idéal le
mo3^en-âge: on rêvait l'alliance de
l'église et de l'art; on ne regardait plus
que les maîtres antérieurs à Raphaël,
car la décadence de l'art avait com-
mencé avec Raphaël, Léonard, Titien,
et Michel-Ange, et nous nous trou\-ons
devant la même crise que celle qui s'était pr(.)duite dans l'atelier de Da\'id a\-ec les priinitijs
et en présence des devanciers des préraphaélites anglais. Vw grand mou\'ement de conversion
se fit vers le catholicisme; tout un groupe d'artistes suivit l'excemple de Frédéric Schlegei
et vint se grouper à Rome, qui devint le point de concentration des m\sti<iues comme des
classiques, dans le couvent désaffecté de San Isidoro. où il menèrent une \ie toute monacale,
mêlée de contemplations et de pastiches enthousiastes, mais lamentabk'S, des maîtres du
XlVe et du XIIL- siècle.
Knaus. — I.a Promenaile aux Tuileiies
(Mu'iée du Luxemliourg).
Le premier des artistes cpii forma le groupe, qu'on bajitis.i ironiiiuemi'ut, d'abord,
du nom qu'ils conservèrent: les Nazaréens, est Frederick Johaxx ()vi;kiu;ck, né à Liibeck le
320 La Peinture au XIX'' siècle.
_; juillet 1789, mort à Rome le 12 novembre 1869. Il est resté l'expression la plus typique de
cet art minutieux et pauvre à la fois, qui réagit contre les errements du classicisme, non point
par un contact, indispensable, avec la nature, mais par un retour servile vers des maîtres
dont on ne pouvait avoir les fraîches et naïves ignorances ni la verdeur ingénue. Overbeck,
formé à l'Académie de Vienne en 1806, vint à Rome avec son ami Pforr en 1810; le Zurichois
\'ogel les rejoignit: puis vinrent se joindre au groupe, en 1811, Cornélius, en 1815 Schadow
et \'eit, de Berlin. Schnorr von Carosfeld, de Leipzig et les \-ienn(iis Fiiricli et Steinle.
Peter vo\ Cor.xelu's. l'un des plus célèbres d'entre eux, était né à Diisseldorf le
23 septembre 1783. Il est mort à Berlin le 6 mars 1867. Il étudia d'abord à l'Académie de
Diisseldorf, commença par des travaux d'illustrati(jns, entre autres du Faust de Gfethe. En
.XiMU.i'ii Mknzh..
I.c Concerl >]<.- flûte (Mu^
1809, il est appelé à Frcmcfort par le prmce-primat jiour exécuter quelques commandes qui
cnmnu-ncent sa réputation. En 1811, il est à Rome, au milieu des Nazaréens. Un moment
il parut comme le chef de ce groupe, mais son tempérament plus robuste l'entraînait bientôt
vers les maîtres du XYI*" siècle. Durant son séjour à Rome, il exécuta avec Overbeck les
décorations d'une salle de la maison du consul allemand Bartholdv, qui ont pour sujet
rHistoire de Joseph et qui sont conservées aujourd'hui au Musée de Berlin. En i8ig, il est
appelé par le roi Louis de Bavière pour décorer la Glyptothèque de Munich et, après avoir
réorganisé l'Académie de Diisseldorf, qui de\-ait prendre ensuite tant d'éclat, il est appelé en
1825 à diriger celle de Munich. Il a formé toute une école de peinture philosophique,
historique et encyclopédique de cartons incolores, qui a quelque rapport avec la manière de
Chenavard, avec qui, du reste, il se lia à Rome et qui resta son ami.
École allemande.
2 I
Après la disliication du grouix' niniain dv San Isiddiu et IdiMiuc Ir calnu- fut un peu
revenu en Europe, après tant de sanglantes luttes, il se Inrnia l)ienti>t. dans les petits étais
allemands, des centres d'enseignement f(irt sui\'is. Ceux qui jirirent la tète furent les Acadé-
mies de Dûsseldorf. de Berlin et de Munich. L'Hcdle de Dùsseldnrf devait jnuer un rôle actif
dans le développement de Técole allemande cijntemporaine. Après la direction de Cornélius,
celle de son ancien camarade de San Isidoro, Frederick Willielni Schadcw. fils du célèbre
sculpteur, né à Berlin en i/Sq. décédé à Dûsseldorf en 1862. fut particulièrement brillante
et réagit vignureusement contre les doctrines classiques,* dans un sens italien et religieux.
Diverses tendances s"y manifestèrent, et. à côté des tendances historiques, se forma une école
Une FniQe rie Villa
de peinture de genre et de paysage, à l'imitation des anciens maitres de Hollande, mieux
compris d'ailleurs, et sans doute aussi grâce à des facilités plus grandes de pénétration de
l'influence romantique française. Parmi les nombreux artistes allemands qui se formèrent ou
vivaient même à Paris — plusieurs, du reste, se firent naturaliser français — on n'a pas oublié
les noms des frères Achenbach et de Knaus, qui figurent sur le catalogue du Luxembourg.
LuDWiG Kn.-\us, en effet, fut de ceux qui travaillèrent quelque temps en France. Né le
5 octobre 1829 à Wiesbaden, il fit ses études artistiques à l'Académie de Dûsseldorf entre
1845 et 1852, puis voyagea en Italie et séjourna à Paris jusqu'en 1860. Il est aujourd'hui
professeur à l'Académie de Berlin. Sa Promenade aux Titileries, du Luxembourg, est restée
populaire. Elle est bien le type de cette peinture de genre, pittoresque et anecdotique.
,22
La Peinture au XIX' siècle.
Berlin, pourtant, pendant la première moitié du siècle, semble l'emporter sur les
autres centres artistiques allemands par l'indépendance et par la puissances des talents. Il y
avait déjà eu K.arl Begas (1794— 1854). élève de Gros, à Paris, fécond comme peintre de
portraits, qui montre, avec une brillante techni([ue, de solides qualités d'expression et de vie.
Il est le père de toute une lignée d'artistes. Il y avait eu aussi un certain nombre de peintres
peu connus et très intéressants, soit comme le portraitiste K.\kl Wilhelm W.^chs (1787 —
1845), élève de David, camarade de Begas chez Gros, soit comme les petits peintres Frantz
Kruger (1797 — 1857), peintre de portraits et de sujets de genre et surtout de chevau.x; Eduard
Gartner (1801 — 1877). paysages, et Karl Blechex (1798 — 1840), physionomie instructive
bien qu'incomplète, qui. comme ^lenzel, qu'il prépare, a déjà une vision assez libre du
paysage, peint des vues de toits, d'usines, etc., et traite, avant Bœcklin, les sujets, devenus
fastidieux à force d'être répandus en Allemagite. de faunes et de nymphes. Mais la person-
nalité qui domine ce groupe, comme elle domine tout l'art allemand, est celle de Menzel.
AnoLPH Menzel est né à Breslau le 8 décembre 1813 et il est mort à Berlin le 9 février
1905. Il était fils d'un lithdgraphe de commerce, (jui vint s'établir à Berlin en i8jo et qu'il
aidait dans ses travaux. Après un court séjour
à l'Académie, en 1833, il se forma de lui-même
et commença à peindre dès 1837. C'est une
des grandes figures de l'époque contemporaine.
Il représente, en particulier, pour l'Allemagne,
le premier mou\'ement d'émancipation vers
la liberté et la vérité. Il est le premier grand
réaliste allemand des temps modernes. Son
œuvre est considérable et touche à tous les
sujets, rétrospectifs ou actuels, car il a aussi
bien le sens du passé que celui du temps
présent. De 1840 à 1860 son œuvre historique
se concentre tout autour du grand Frédéric,
dont il illustre la vie de dessins devenus
célèbres et qui lui a fourni les sujets de pein-
Les iioiiiKicns du Village. tures, la plupart au Musée de Berlin, dans
lesquelles il uKuitre toutes ses qualités supé-
rieures de mise en scène, de compréhension des caractères, ses d(ins d'observation exceptionnels
des attitudes, des gestes, des effets de la lumière. Tels sont : Voltaire chez Frédéric (1850) dans
la petite salle à manger de Sans-Souci, d'une peinture un peu lourde, et surtout le Concert
de flûte (1852), où le royal flûtiste se fait entendre dans l'intimité d'une brihante assemblée,
accompagné par un quatuor de musiciens, parmi lesquels, au clavecin, on remarque le com-
positeur Bach. C'est d'un très j(.)li effet de lumière, par la clarté des bougies, qui mettent dans
l'air un léger tremblotement, et d'un charmant esprit rétrospectif. De 1860 à 1880, Menzel se
porta sur l'histoire contemporaine et peignit les fastes de la cour de l'empereur Guillaume I^'' .
Sa physonomie a longtemps un caractère exceptionnel et isolé et, néanmoins, il a exercé une
influence marquée sur la production allemande. Il a. d'instinct, par son tempérament clair-
voyant et perspicace, des affinités avec les réalistes français, qu'il eut l'occasion de connaître
dans ses divers voyages en France, en 1855, 1867 et 1868, surtout en 1867, où il se lia avec
Meissonier et où il connut Courbet. C'est de France que lui \-int la célébrité et c'est en France
ou au retour de Paris qu'il produisit ses ouvrages populaires modernes, le Théâtre du Gymnase,
le Jardin des Tuileries, le Jardin des Plantes, où il montre cette faculté peu commune de
saisir le grouillement des foules dans les jeux animés de la lumière. Car il est le premier, en
Wii.iiKi.M l,rii;i,.
Ecole allcnianclc.
J"Ô
Alk-magnu. qui tuntè de résoudra ces problèmes de ratiiKisphèrt.' ta de la lumii-rc ([ui ont
si vivement préoccupé les naturalistes français. Dans cet ordre d'idées réalistes, il a ])cint des
églises, au style rococo, avec des foules de femmes en prière, des salons, des rues, des marchés,
comme cette Piazza dcW Erbc, à \'érone. et des usines, des fabriques comme sa fameuse Forge,
du Musée de Berlin, qui date de 1S73. C'est, sans contredit, son (cuvre la plus considérable
11 y a de la foule et du mouxeincnt sans confusion, de la lumière et tle la fumée, une
atmosphère épaisse et chargée. Malgré- Min goût tn.ip martpié pour la nniltiplicité des petits
incidents pittcjresques. cette scène ].)uissante a de l'ensemble. C'est un des \Aus beaux morceau.x
d'études sur la vie de l'art allemand. .\ jxirtie de i8ci2 .Menzel ne ])eignit plus à l'huile, il
s'adonna surtout à la gouache, comme dans sa Pâtisserie de Kissiiigeii. qu'il exposait en
Fr.\NZ vos I.lNBArlI.
Pelit Meigcr italien (Lullecliun Schack).
France, en 1900. On a rapproché, plus ou moins exactement Menzel de Meissonier, en raison
soit des analogies de leurs sujets rétrospectifs, soit de leurs dons d'obser\-ati(jn.
Un autre réaliste qui mérite une mention toute spéciale dans l'histoire de l'art alle-
mand contemporain est Wilhelm Leip.l. 11 était né à Cologne le 23 octobre 1844 et il est mort
à \\'ùrzbourg le 4 décembre 1900. 11 était hls d'un maître de chapelle de la cathédrale. Il
étudia d'abord à ^lunich. avec Piloty et Ramberg en 1864. C'est là. en 1869, à l'exposition de
cette ville, où l'art français était brillamment représenté par ses plus grands maîtres, et où
une salle spéciale avait été réservée à Courbet, ([u'il fut vivement frappé par les <euvres du grand
réaliste. Cela le décida à partir immédiatement pour Paris, où il resta ius([u'en 1870 et où il
324
La Peinture au XIX' siècle.
reçut les encouragements de Courbet lui-même. La guerre l'obligea à s'éloigner. Il se lixa
en Bavière, peignant les paysans de la région, à l'existence desquels il se plaisait à se mêler.
Leibl est vraiment un excellent peintre, doué d'une vision objective très droite et d'un senti-
nu'Ut de la technique très net et très ferme. Il peint ce qu'il voit sans y rien ajouter de lui-même,
mais simplement, fortement, sans petitesse, avec une grande puissance d'expression et de
vie. Ses deux Paysannes de Dachan (1875) provenant de la collection Munkacsy, qui figurent
au Musée de Berlin, attablées dans un cabaret, en leur pittoresque costume exotique, ou les
Trois jcinmcs dans une église (1882) de la Kunsthalle de Hambourg, sont des exemplaires
t\-piques de ce talent.
11 est encore un illustre artiste, que l'on classe volontiers parmi les réalistes, parce qu'D
s'est surtout attaché à la peinture de la physionomie humaine. C'est Fr.-^nz vON Lenbach,
Max I,ii:i;kkm.\nn. — I es I•il^■lise^.
né à Schrobenhausen (Haute-Ba\ière), le 13 décembre 1836. mort le 6 mai 1904 à Munich.
Lenbach est, pourtant, moins un réaliste qu'un dilettante. Il est nourri des maîtres jusqu'à
la moelle et ne voit jamais la nature qu'à travers eu.x. Mais il se les est assimilés avec une rare
faculté d'absorption et il puise dans le vaste vocabulaire que lui fournissent Titien, Rembrandt,
\'an Dyck et Reynolds, avec une puissante maestria. Il y a beaucoup d'analogies entre
Lenbach et notre Ricard, qu'il connut à Rome et qui influa sur son talent, mais Ricard est une
nature enthousiaste, anxieuse et passionnée, tandis que Lenbach est un esprit savant, maître
de soi, extraordinaire produit de culture et de ^•olonté. Lenbach a étudié à l'Académie de
Munich, avec Piloty, qu'il accompagna en Italie en 1858. C'est là qu'il se développa. Il y a
de lui à ^Munich, à la collection Schack. un Petit berger italien couché, daté de 1860, en pleine
lumière sous un ciel au zénith, sur un coin de lande semé de fleurs, comme dans un tableau
de préraphaélite, (}ui montre les dons de peintre qu'il possédait déjà. II a peint, comme
notre Bonnat. tous les personnages illustres de son pavs, avec ce métier sa\-ant, souple et
XolC
ail
cnianae.
o- ."*
liardi et. ce tiui a contribué à S(in succès, awc une rc.llc pcnt'tr.itidU j)s\'c1i(iI(jj;i(|uc. ( )ii lui
doit entre autres, les portraits de l'empereur (,iiillait'nr I . inie collection innombrable de lli-s-
marck et de Moltkc. le pi.utrait de Wuiincr, de MiDiiiiiscii. etc.. à la galerie nationale de i^>erlin.
La formule la plus directe et la plus énergiciue du réalisme dans récoir allemande a
été donnée par ;\Lax Liei'.i:kM-\nx. 11 est vraiment le prenmr (]ui ait aéré lart^'einent l'école
en ouvrant toutes les fenêtres aux courants \-enus d,' Frani'e l't de Hollan(l(\ Né à Herlin le
20 juillet 1847. d'une famille Israélite qui lui lit donner une mstruction très d''\'elop])ée. il
suivit les cours du Gymnase de Berlin et se dirii^ea à ri'nixersite \'ers les études philoso-
phicjues; mais ses dispositions pour la peinture l'emportant sur tout autre \-ocation. sa famille
le plaça dans l'atelier, célèbre ]i.ir son enseignement, de Karl Steft'eck, peintre d'animaux,
d'histoire et de sujets militaires. Les progrès de Lieb: rmann furent si rapides (pie son maitri'
ne craignit pasjde l'associer à ses tra\-aux pour traiter des parties accessoires. Il étudi.i
ensuite, en 1868, à W'eimar.
sous la direction de Pau-
wels. et surtout de \'erlat.
peintres belges, qui pro-
fessèrent dans cette aca-
démie. Liebemiann mon-
trait déjà ses goûts pour
les choses de la réalité:
aussi, après cpielques pre-
mières tentatives. \ite
abandonnées, sru' le mode
historique, s'attaqua-t-il.
en 1872, à un sujet de \'ie :
ses Pliiincuscs d'oies, qu'il
exposa, en 1874, à Paris
et qui appartiennent à la
galerie Nationale de Berlin.
Mais son tempérament
réaliste l'appelait \'ers la
France. Il \-ient à Paris
en 1873 et se rend aussitôt
à Barbizon. où ]\Iillet de-
meurait seul de la grande pléiade, mais où il M-mblait qu'il restait i-ncore dans ratmo>phère
la subsistance de ces fortes tradition>. Il y avait, en outre, toute une nomlireiise colonie
artistique française et étrangère et notamment les autrichiens Kibarz. Jettel et le Hongrois
ÎMunkacsy avec son camarade L. de Pal. Liebermann se lia a\-ec Munkacsy et ce tut par
lui qu'il reçut la première communication de l'inthience des n,iturali>tes français; et' qui
explique le ton assez monté des jiremiers oux'rages conçus sous cette inspiration. Il s'installa
donc quelques années à Paris — de 1873 à l87<S inclusivement — et se trouva mêlé en
plein à ré\-oliition (pii. à ce moment, remuait si [irofondément l'école française. Lieber-
mann quitta la France très pénétré par ce contact ([uotidien awc rim])ressionnisme et k'S
tentatives de l'école du plein air. Entre temjis il awiit fait ipiekpics excursions en Hollande
et il y peignait même les jirincipaux tableaux ([u'il expo.-ait à Paris. Il y trouvait les conseils
et l'appui moral de son illustre et grand corréligionnaire. Joseph Israëls. et désormais la
Hollande devenait sa petite patrie, ("est. en elfet. là ([u'il a i)ris presque tons les motifs de ses
, (Mii-éc.lu I.ux
26
La Peinture au XIX' siècle.
tableaux. -Vu début, cummt- dans les ])remiers sujets de son maitre Israëls, ses peintures
offrent un certain caractère sentimental: le Veuf (1873), la Sœur aînée (1874), Mère et enfant
(1878); mais sa vision devient bientôt plus objective et il peint les populations des petits
villages marins de Hollande, soit en types individuels, comme V Échoppe du savetier hollandais,
la Petite rcpriseuse de bas (1881), la Dentellière flamande (1881), les Petites orphelines hollan-
daises (1887), les Rdceoniinodenses de filets (iS88).la Petite herf^ère (i8go), soit en compositions
plus importantes, tant par la ])lace faite au décor intérieur ou extérieur que par le nombre
des ])ersonnages groupés. Ce sont jxir t'xemple des scènes d'asiles ou d'hospices, comme le
Jardin d'une maison de retraite à Amsterdam (1880), cette Cour de la Maison des orphelines
à Amsterdam (1881), qu'il a nqirise de différentes façons, avec ses jeunes filles assises et
travaillant dans l'ombre tachetéi' de lumière, en leur costume mi-]iartie noir et rouge.
EliUARD VON (IeBHARUT.
L.i Cène (Musée .le lierliii).
En se développant, le talent de Liebermann évolue dans un sens chaque jour plus
austère, plus simple et plus expressif, soit dans la composition, soit dans la couleur. Ses
personnages sont moins nombreux et plus absorbés par leur action; sa manière est plus âpre
et son atmosphère plus enveloppée. C'est vers 1890 qu'il atteint l'apogée de sa personnalité.
A cette date appartient la Vieille femme à la chèvre de la Pinacothèque de Munich, exposée à
Paris en 1900, qui montre, dans la solitude d'un stérile paysage de dunes, une vieille femme
tirant sa chèvre et sa chevrette, sous un ciel gris et bas de Hollande. Cet humble et médiocre
spectacle est fortement émouvant par l'emploi des moyens pittoresques les plus simples et les
plus sobres. Liebermann s'est fait aussi connaître comme portraitiste et paysagiste. Longtemps
discuté dans son pays, où il a eu à lutter contre la coalition des influences académiques,
Liebermann a fini par exercer une salutaire action sur les milieux jeunes et indépendants.
Ecole allemande.
327
A ce cercle plus oinert. plus libre, appartiennent certaines plix-siomimies bien connues
en France, où elles ont participé à toutes nos expositions. En première ligne, il con\-ient de
citer Fritz von Uhde. Xé à Wolkenburg (Saxe) le 22 mai 1848, Fritz Karl Hermaxx von
Uhde fit ses premières études à TAcadémie de Dresde. Après un passage de dix ans dans
la cavalerie saxonne, il vint à Paris, où il fut, lui aussi, élève de Munkacsv. Comme son ami
Liebermann, qu"il devait suivre en Hollande, il subit en France une complète transformation,
abandonna les \ieilles méthodes de peinture contrastée, dans les roux bitumineux, pour placer
ses figures dans la grande clarté du plein air. Après quelques sujets choisis à travers la vie
moderne dans le genre impressionniste, il reprit a\-ec bonheur la tentative, à laquelle s"était
li\Té un jour Liebermann et qui avait été inaugurée en France avec les premiers chefs-d"ieu\Te
de Cazin, de porter les sujets de
l'histoire religieuse dans les milieux
populaires des temps modernes. Cet
essai de renou\"ellement de Fart
chrétien a été repris maintes fois
dans tous les pays depuis le com-
mencement du siècle. En Allemagne,
en particulier. Edi'ard vox Geb-
H.ARDT, né le 13 juin 1838 à St-Jo-
hannes, paraissait avoir résolu le
problème en s'appuyant sur les vieux
maîtres nationaux et en portant ses
regards sur les temps d'Albert Durer
et de Luther. Elève de l'Académie
de Dùsseldorf , il reprenait la tradition
historique et religieuse de cette école,
où il est resté professeur, par im
mélange d'archaïsme et de réalisme,
mais d'un réalisme emprunté plutôt
aux exagérations expressives des
maîtres anciens qu'à l'observation
directe de la vie; il y apportait toute-
fois une conviction qui donne uii'
certaine force à ses ceuvres.
Ces résurrections, que son
premier maitre Munkacsv crovait
avoir réalisées a\-ec ses mises en
scène théâtrales, Fritz von Uhde les
obtenait par le simple moyen de sa sensibilité naturelle dewint les phénomènes de la nature
et devant les spectacles de la vie. Ses sujets évangéliques : Laissez venir à moi les petits etiiants.
Jésus chez les paysans, au ;\Iusée du LiLxembourg, jolie et fraîche reprise, sous une autre
forme et d'autres dimensions, du tableau du Musée de Berlin: Entre, Seigneur Jésus, sois notre
hôte, la Nuit de Xoêl, la Cène, le Sermon sur la Montagne, etc., disent avec une discrète et
intime émotion, une simplicité touchante et une certaine grandeur familière, les principau.x
épisodes de la vie de Jésus et comme dans l'atmosphère pacifiante de sa doctrine. F. von l'hde
s'est montré aussi, à l'occasion, excellent portraitiste et il a peint des scènes d'enfants avec
beaucoup de naturel et de délicatesse.
Dans cet ordre d'idées naturalistes Gottharp Rteiil n'a de religieux que son goût
(JUTTIURD KlElII..
tue «nieslion difficile (Musée «lu Luxembourg).
32S
La Peinture au XIX'' siècle.
])uiir les églises, les bonnes églises en style vococo. de Liibeck, de Hambourg, ou de Munich,
comme aimait à les peindre Menzel et dont il traduit les architectures chantournées avec un
véritable brio. Né en 1850, le 28 novembre, à Li.il)eck, il étudia à Dresde, vint en 1878 à
l'.iris, où il lut frappé par les icuvres de Fortunv et par les tendances pleinairistes et luministes.
Il tra\-ailla ensuite en Hollande et subit, dans ses premiers tableaux, l'influence de Lieber-
niann: il y (dni})osa (iuel(]ues charmant(_'s pc'inturt'S d'intéric-urs. tels que celle du Lu.xembourg:
l'iii- ijiic'^ticii diljicilc. d'une exécution \-ive et brillante et d'une couleur délicate. Franz
Sk.\ki-.ix.\. né le 24 fé\'rier 1841). à Berlin, est aussi un de ceux qui cmt marché les premiers
sans liésitation dans cette voie moderne.
Fléw de Menzel. il débuta dans son genre,
égak'mi-nt sur des sujets de la vie du
grand l'rédéric, avec des effets papillotants
(IV'clairage. Il travailla en 1885 et 1886 à
Paris, où se modifia son talent dans le sens
(1rs réalités contemporaines et du plein air;
il [a peint a\-ec habileté des effets de lampe
et de jour contrariés.
Il faut également citer, dans cet
es|)rit naturaliste et moderniste, les beaux
et forts animaliers \'ictor Weishaupt, né
a Munich le 6 mars 1848, Heixrich ZiiGEL,
né le 22 octobre 1850 à Murrhardt, Wurten-
berg et, beaucoup [plus jeune, Rudolf
SciiRAMM-ZiTTAu .(né le II mai 1874 à
Zittau), célèbre par ses volatiles: Jank, (né
a Municli k' 30 octobre 1868) et ses scènes
lie chasse et de sports; Hans von Bartels,
ne a Hambourg le 25 décembre 1856, établi
,1 Alnnich, peintre de marines et de scènes
de la \-ie des pêcheurs; W.\lter Leistikow,
ne) à Bromberg le 25 octobre 1865, élève
de Hans Gude et surtout de Liebermann;
LmwK, Dettmaxx. né à Adelbye, près
Flensburg, le 25 juillet 1865; Arthur
Kaiipf, né à Aix-la-Chapelle le 26 septembre
1864, sans oublier Wilhelm Trubner, né
An. I Ml. 1 , i ,-,;n> M. — a la Source. à Heidelberg en 1851. Wilhelm Stein-
HAUSKX, né à Sorau en 1868 ; Karl Haider,
LuDWiG Herterich, etc., etc. Quant à l'inspiration idéaliste, qui a trouvé en France et en
Angleterre de si nobles représentants elle a été, à sein tour, revi\-ifiée en Allemagne, à peu
près à la même date, par des personnalités exceptionnelles. Il en est une, du moins, qui a pris
une importance capitale dans l'école germanique contemporaine et qui, malgré les inégalités
de son talent, mérite une place d'honneur dans l'histoire générale des écoles européennes:
c'est celle d'Arnold Bœckhn.
Arnold Bœcklin est de nationalité suisse. Il est né à Bâle le 16 octobre 1827, mais
il est bien un suisse de nature germanique et il ne pouvait man(]uer d'être absorbé par l'école
H
colc allcmaiule.
329
allemande', qui se cherchait un guide dans cette direction néo-romantique, si conforme à son
tempérament. Son père était marchand. Pour développer ses dis]>ositions artistiques, il fut
envoyé en 1846 à Dùsseldorf, où il étudia sous Schirmer. C'était un milieu où les grands
maîtres français du XVII'' siècle. Poussin et Claude Lorrain, étaient très en faveur. C'est peut-
être là qu'il prit le goût qu'il niuntra longtemps pour ces deux m.iitres. Il étudia ensuite à
Bruxelles et poussa jusqu'à Paris, où il travailla beaucoup au Lou\re. Il retourna à Bâle et,
en 1870, il est à Rome. Il y est admis, dans le cercle d'un de ses compatriotes qu'on essaie de
tirer de la pénombre dans laquelle son nom était un peu oublié, Anselme Feuekb.a.ch (né le
12 septembre 1829, à Spire, mort le 4 janvier 1880 à Venise), qui, élève lui aussi de l'Académie
de Diisseldorf, awiit étudié à Munich, à An\'ers a\'ec W'appers, i-t à Paris, dans l'atelier de
Chami.^ Ely-CL-s (.Mii>cc ^Ic JlL-ilin).
Couture. Il a ensuite professé à l'Académie de Vienne. 11 reste un ]ieu de l'esprit de tou.s^ces
maîtres dans son art hybride où le nmiantisme s'assagit à son c<intact a\'ec la tradition et i[u'un
réalisme prudent essaie de réveiller. Cela ne suffit pas à constituer une formule très originale,
mais à cette date elle a\'ait, a\'ec un certain charme qui subsiste, quelque valeur pour l'école
allemande, où l'inspiration idéaliste était toute sous l'influence des encyclopédistes de Munich.
Bœcklin y fut-il sensible ? Il est plus \-raisemblable de croire qu'il fut frappé, comme tous
les artistes qui vont se rassembler sous ce ciel pri^•ilégié, par la s]ilendeur du pays, la beauté
de la race et la grandeur des maîtres. A Rome, Boecklinse marie avec une romaine, Angela
Rosa Lorenza Pascucci, qui est l'éternel modèle féminin de ^toute son ^œuvre. Après de
nombreuses pérégrinations, il se fixe à Florence, dans sa villa, près de Fiesole, où il est mort
le 16 janvier 1901.
i30
La Peinture au XIX'' siècle.
La grandi' réputation de Brecklin ne lui vint qu'assez tard; sa première manière est
loin d'annoncer l'originalité puissante et même outrée qui marque les œuvres auxquelles il
doit sa réputation. Elles sont sur le mode classique de Poussin et de Claude Lorrain : paysages
jieuplés de faunes et de nymphes, d'une coloration très sobre, mais d'un sentiment de
nature déjà intense, où ses acteurs commencent à jciuer. encore discrètement, leur rôle
de divinités impulsives et farouches. La galerie Schack, à Munich, comprend nombre
d'ouvrages très instructifs de cette période.
C'est vers 1866 ou 1868 que sa manière s'accentue dans le sens des fortes colorations et
de son réalisme mythologique. Dès lors, son imagination met au jour tout un monde
de divinités singulières, qui n'ont aucun rapport avec les dieux conventionnels de la Fable
et semblent vraiment l'expression exacte des forces de la nature, qu'elles représentaient
pour les cerveaux enfantins des peuples primitifs. Ce sont des faunes velus 'et hirsutes,
(les satyres cornus, au pelage blond hérissé sur leurs corps bruns, demi-dieux bestiaux.
(.Mus
de lîale).
grotesques et farouches, miiilissant les furets des éclats de leur rut perpétuel. Ces brutes
privilégiées pourchassent les nymphes le long des sources et leur concupiscence va jusqu'à
s'embusquer pour contempler avec avidité le corps de la chaste déesse endormie. Ce sont
des hamadryades montées sur des licornes, apparaissant brusquement à la lisière d'un bois,
entre les hauts fûts droits des sapins; ce sont des tritons et des néréides, demi-dieux
mixtes, monstres marins, sirènes aux extrémités d'oiseaux dont les idylles d'une grosse
sensualité se déroulent au milieu des flots. Le Jeu des vagues, de la nouvelle Pinacothèque
de Munich, est le chef-d'œuvre de ce genre. Un Centaure bedonnant, accompagné de tritons
barbus, couronnés de nénuphars, s'est précipité au milieu de néréides effrayées qui plongent
au fond des eaux. L'eau est d'un mouvement et d'une transparence extraordinaire,
la scène est d'un imprévu, d'un accent de vie et de \Taisemblancc. d'une impression intense
du milieu marin, qu'on ne peut oublier. Bœcklin a peint aussi a\ec cette palette étrange,
qui semble celle d'un Jordaëns à l'école d'un Carpaccio et d'un Botticelli, le monde turbulent
rLcole alIcniaïKlc. 333
des Centaures, qu'it a\ait peut-être ajipris à c(jnnaitre. à M^reuce. dans les tableaux de
Bellini ou de Basait!, ou sur les Cassouc de l'iere» di Cosimu. Mais c'est dans un style tout autre
que V Éducation cf Achille de Delacroix, nu que les hommes-clie\-aux ner\-eux et fiers. \Tais
demi-dieux que Gustave Moreau et Fromentin considéraient cnmnif l'une des plus belles
créations du génie anticjue. Bcecklin les peint, tantôt avec une \isiun hnmérique. luttant le>
uns contre les autres, comme dans le Combat de Centaures du Musée de Bàle, tantôt avec une
grosse humour joviale, d'une manière plus digne d'un peintre de genre comme Spitzweg, que
de lui, allant se faire ferrer chez quelque maréchal de village. Son goût, il est vrai, est p^irfois
détestable et ses compositions d'un esprit puéril. Il y a. malheureusement, nombre de ses
ouvrages qui sont insupportables par leurs outrances, leur mancpie de mesure, la vulgarité
et la lourdeur des formes. C'est en quoi son œuvre est très inégale, mais cela n'ôte rien à la
valeur des autres créations, et il en est quelques-unes qui mettent \rainient l'xecklin h(.irs
IIan- 'liLiMA [..■ Klim a Sackiiigen lMii>ec de Ilerlin:.
pair. Sa fantaisie inépuisable. pui>sanniient triviale, est d'une comjjréhension panthéiste, qui
n'a d'égale que cehe de Wagner, ^ur !e mude musical. Si pénétré d'italianisme et d'antiquité
que parut Brecklin. il est. avant tout, septentrional et germain. Cela explique son influence
sur les milieux allemands des générations ultérieures, et. bientôt, on ne \-erra plus dans les
expositions allemandes que faunes, satyres et centaures renchérissant en divertissements plus
ou moins facétieux sur tout ce (lu'avait tenté ce maitre. et que cyprès tendant leurs pointes
dans le ciel, comme ceux qu'il cnpi.i si souvent dans son jardin de Fu-Mile.
Tout autour de B<ecklin se hinna donc une école nén-rc.manticpie (|in ^'upposa au
mouvement naturaliste issu d'inihiences étrangères, avec des airs d'école nationale. De ce
milieu émergent certaines personnalités caractéristiques: nou> axons signale déjà, à propos de
la Suisse, celle de Sandreuter. Il consent maintenant de s'arrêter en preinièn- ligne sur celle
de H.\xs Thoma. Si inégale, elle aus>i. que puisse nous sembler miu ieu\re. Hans Tlmma est
1 l /l
La Peinture au XIX' siècle.
un des maîtres les plus originaux de TécdU' allenKindc 11 ne ressemble, du reste, à Bœcklin,
que d'assez loin et leur tempérament personnel est tout à l'opposé. Hans Thoma est un
rêveur tranquille, un contemplateur paisible, et son imagination plus calme se complaît dans
un horizon assez étroit. Né à Bernau, grand-duché de Bade, le 2 octobre 183g, d'une famille
de bonnes gens peu fortunés, Hans Thoma grandit au milieu des bois, et fut vivement touché
par ces premières impressions de nature. Ses dispositions précoces pour l'art furent remar-
quées et le grand-duc de Bade lui donna une pension, qui lui permit de suivre les cours de
l'Académie de Karlsruhe. Il avait alors vingt ans. Il eut pour maître Schirmer. Il alla ensuite
à Dûsseldorf en 1867, puis à Paris, en 1868, où il subit fortement l'influence de Courbet. En
1870, il est à Munich, en 1874 en Italie, et en 1877 il s'établit à Francfort-sur-le-Mein jusqu'en
■^,J^^'. ^^^^/ri^
Max Ki.iNiiEK. — Kiagmeiit d'une j^'
le dans ^l"nive|■^i;c île Leip/ig.
1899, date à laquelle il a été appelé à la Direction du Musée et de cette Académie de Karls-
ruhe, où il avait débuté comme élève. Ses premiers travaux n'ont rien de bien significatif.
Ce sont des sujets vigoureusement peints, mais sans personnalité bien précise. Il se dégage
bientôt, sa manière s'élargit et s'allège; après avoir été fort violemment discuté, il commença
à être accepté dans son pays, en 1889, à l'occasion de l'ensemble qu'il exposa à Munich.
Son (Euvre, il est vrai, n'est pas indiscutable et l'esprit germanique des vieilles légendes, qui
règne dans son art et qui en fait le charme, se manifeste quelquefois fâcheusement sur sa
plastique. Comme paysagiste il a traduit avec beaucoup d'éclat, de puissance ou même de
grâce, les vallées de la Forêt-Noire, avec leurs horizons de montagnes et les lourds nuages
blancs dans le ciel bleu, les lisières des bois, les prairies traversées de rivières, aspects
de nature pris toujours autour de lui, qu'il anime de paysans au travail ou au repos. D'autres
ncolc allemande. 335
fois, la poésie qui s'fxluilr dv ces iia\-sat,'rs prmd un cdips, r{ sr traduit mjus hi foiuic
humaine, en figures contemp]ati\H> de n\niplu-s, assises près des sources, de faunes jiiuant^de
la syrinx, de pêcheurs héroïques des temps lointains cluirmanl leur re]ii]> aux sons de
la ffûte, tandis que des cygnes s'ajipruehent pour les écouter. Cette é.^lci.i^ue per}iétuelle
remonte même aux jours édéniciues de Thumanité j^remière et il se ])lait à ]ieindre. a\ec
le charme aimablement puéril iTun \ieux inaitre allemand, .\dani et l{\-e. :\\i milieu des
merveilles du Paradis.
D'une génération beaucouj) plu.s jeune scuit Mlix Klinger et Frant/ \iin Sluck, cjui
comptent parmi les représentants les plus autorisés de cette formule idéaliste. Ma.k Ki.inger,
connu surtout, au début, comnx' grawur origni i' ■ i\ nlué \'ers la sculpture, (ju'il traite a\'ec
des préoccupations expres-
sives et des matières polv-
chromes, mais il a pris, en
même temps, une place
marquante dans la peinture
entre la voie de Biecklm et
celle de E. von Gebhardt.
Il est né à Plagwitz, jirès
de Leipzig, le i8 fé\'rier
1857. Il étudia en 1874 à
l'Ecole des Beaux-Arts de
Karlsruhe avec dusse )\\,
qu'il sui\'it à Berlm en 1873.
Vers 1880, il se rendit à
Bruxelles, à Munich et à
Paris, où il s'occupa surtout
de gravure. Il séjourna à
Rome de 1888 à i8g2. Il
se fit connaître en 1S78 par
un en\'oi à l'Exposition de
Berlin, de deu.x séries de
gravures originales, les
unes sur la \'ie du Christ,
les autres sur un thème très
profane et très moderne
„Fantaisic sitj un gant trouve" , (|ui causa, ]xirait-il, un certcun scandale. 11 contmua, quelques
années, à se produire comme gra\-eur. Son teuvre, très ahemande ])ar l'esprit philosophique
qu'elle s'efforce de dégager, par ses mtentions mystiques, ses préoccujiatious de signification
morale ou intellectuelle, se répartit en une sorte de cycle païen, comprenant et reprenant
tous les demi-dieux de Bœcklin, et un cycle clirétien traitant les scènes de la l'assi(.in a\-ec une
sorte de sens mythique, de caractère mystique et de réalisme archaïque. Le Musée de Berlin
comprend de ce premier cycle sept ])aysages jK'uplés de centaures, de naïades, de tritons et
de sirènes. Parmi ses table, uix chrétiens, la Crucifixion, la Picta (au .Musée de Dresde), etc.
le Christ dans FOlvuipc. au milieu des dieux ri\'aux, fut une (eu\'re jiassionnement discutée.
Fkaniv. von Su
La ("lUt-'nx- ( Xouv
jlhciiiR-, Muiiicli).
Fi^.ANTZ \"OX SrucK est né à 'l'ettenufis, Ba\'ière. le 23 fé\'rier i86_;. Fils d'un meunier,
il montra tout jeune des dispositions (pii furent encouragées ]iar sa mère. 11 étudia à Munich
La Peinture au XIX' siècle.
et débuta dans l'art industiiul. Sa premitiv jn'intun- date de iNSf); c'est le Cjardicn du Paradis,
personnage ailé, éclairé à contre-jour et s'aj^puyant a\-ec emphase sur un immense glaive.
Tantôt il suit les traces de Brecklin, ccimme dans son re;;;/;^^ </(' /<;»;;(\s. ses BflCcAflHff/rs, ses
chevauchées de centaures, avec un sentiment plus délicat de la forme et de l'esprit antique.
Tantôt s(in imagination se plait dans des élucubrations d'un romantisme violent et fantastique,
où donnuent les \-eu\ \-erts. les lèvres rouges, les bouches tordues et tous les reptiles sataniques,
avec le l'cihc. Ri-'^u»is iiiicrnalcs. le (jcnic du mal, la Ciicrrc. Ce dernier tableau, qui appartient
à la niiu\-elle I'inacotlié(iue de Munich, représente un compierant. le front lauré, le corps nu,
portant sur l'épaule une épée sanglante, monté siu" une noire haciuenée, harrassée, qui foule
des cadavres se tordant dans la douleur. Sa peinture est scunbre et fortement colorée, d'un
tragique théâtral et voulu. Frantz von Stuck est professeur à l'-A-cadémie des Beaux-Arts de
^lunich. Il s'est également distingué comme sculpteur.
( )uels (jue soient les dons
upérieurs cju'on ait pu
i-onstater chez les idéalistes allemands,
ce (|ui leur a fait le plus défaut jus-
(pi'ici, c'est k sentiment raffiné de la
forme. Il est, pourtant, quelques rares
.irtistes c]ui ont été sensibles à la
plastique et il en est un, entre autres,
<[ui a ré\'élé à l'école allemande le
sens de 1,1 beauté. Malheureusement
c'est une ligure incomplète, dont
l'(eu\-re reste à peu près à l'état
d'machevé et ijui est mort mélan-
coli(|uement sans a\-oir connu le retour
de justice qui s'est produit envers ses
(euvres dédaignées. C'est Hans von
M.\KKHS. Ce peintre est né à Elber-
feld le 24 décembre 1837 et il est
mort a Rome le 5 juin 1887. Ce
n'est ([u'en i8qi. à l'Exposition de
.Munich, devant un ensemble de ses
(eu\res, qu'on se rendit compte de
leur \-aleur. Hans von Marées avait
été élè\'e de Steffeck, à Berlin et
c'est peut-être près de ce peintre de sujets militaires et de chevaux, qu'il prit le goût de
ces scènes de cavalerie que l'on rencontre à ses débuts, comme le Cuirassier du Musée de
Berlin. Mais cette peinture rctppelle peu celle de son maitre. elle a plutôt des ressemblances
avec celle des petits romantiques français. Après dixers déplacements, il se rend en 1864
à Rome, puis à Florence, où il exécute des copies pour l'amateur Schack. II accomplit
quelques voyages d'études, d'abord en Hollande, puis en Espagne et en France, où il
est en i86g et, après quelques pérégrinations à Berlin, à Dresde et à Naples, où il est chargé
de peindre à fresque la bibliothèque du Musée zoologi(|ue. seule commande qu'il ait jamais
reçue, il se fixe à Rome à partir de 1875. C'est là qu'il poursuit cet œuvre, toujours pris,
repris et abandonné, dans l'angoisse d'un noble esprit <\\\'\ sent la réalisation toujours au-des-
sous de son rêve. Il peint quelques rares compositions sur des sujets modernes, vues, d'ailleurs,
très synthétiquement, mais son rêve est un grand rêve paisible de contemplatif émerveillé
qui n'a aucun souci des idées, des faits, de la philosophie et de l'histoire et qui se contente,
comme Puvis de Chavannes dans ses Visions antiques ou son Doux pays, de fixer de belles
JIaNS VeN MaRKI
Portr.iit de [.enlxich et de lu
École allemande.
o o "7
00/
et liéroiques images de cavaliers primitifs, de belles femmes nues, dans un l'ays inconnu, se
mouvant, se reposant, cueillant de beaux fruits vermeils. Il y a plusieurs sujets, justement, -au
Musée de Berlin, de ces humains de l'âge d'or cueillant des oranges. Il y a également un Saint
Martin taillant son manteau et im S( Georges qui semblent marquer une influence momentanée
des maîtres espagnols: \'elasquez et même le Greco. Ce grand méconnu n"a pourtant guère
laissé qu'un héritier ayant le vrai sens de la décoration monumentale et le goût des belles
formes: Ludwig vox Hofm.\xx, né à Darmstadt le 17 août 1S61. II a étudié à l'Académie
de Dresde, à Karlsr^]^e, avec Frédéric Keller. et à Paris, à IWcadémie Julian. Il alla en-
suite à Berlin, puis à Rome, et depuis iqo ; est professeur à l'éciik^ d'art di' \\'eimar. On \-()it,
dans le Musée de cette ville, des sujets décoratifs de Da>iiies, dans le goût antiqui.', avec un
charmant sentiment des formes nues en mou\'ement et des colorations très montées et sympho-
niquement combinées. Adam et Eve. Da^liuis cl Chloé. et maint autre sujet dans cet ordre
I.iDwii: VON Hoffmann.
de lieux communs généraux, tout cela est traité avec un sens plasti(iue peu commun dans
cette école. Cela rentre dans la donnée de notre Maurice Denis.
La Peinture au XIX' siècle.
§ III. ]{COLE D'AuTRK HE-HONC.KIE.
La peinture, en Autriche-Hongrie, occupe l'activité d'un très grand nombre d'artistes.
Mais, de même cjue l'unité de l'empire est faite d'un ensemble de royaumes et de jirin-
cipautés plus ou moins rivaux, de même l'art est partagé, non seulement suivant les
divisions géographiques, mais suivant les influences extérieures et les tendances locales. Les
scissions, que nous a\-ons remarquées dans les expositions, en France, existent en effet en
Autriche comme en .\llemagne et les Sécessions luttent pour la vision des temps modernes
contre celle du passé, que défendent les
Académies constituées. Quant aux in-
fluences étrangères, il y en a deux pré-
dominantes ; l'influence allemande et
l'influence française, très souvent mélan-
gées, du reste, dans leur action. Il s'ensuit
((u'il n'y a pas précisément d'art national,
mais une production intense et éclectique
de talents souvent distingués, mais rare-
ment personnels et originaux. Les pre-
mières figures intéressantes que l'on ren-
contre à l'origine se confondent avec l'art
allemand. Elles sont mêlées au mouvement
mystique des Nazaréens. Overbeck avait
étudié à Vienne; les deux frères Schnorr
\()N C.'\ROSFELD y firent leur éducation et
l'ainé, Ludwig, né le il octobre 1788 à
Koenigsberg, mourut à Vienne le 13 avril
1S53. Celui-ci n'avait pas accompagné son
frère au delà des Alpes, mais il vivait dans
la communauté des vieux maîtres alle-
mands et italiens au Musée du Belvédère,
([ui était confié à ses soins. Jacob Eduard
VON SïEiNLE (Vienne, 2 juin 1810 —
Francfort 18 septembre 1886), lui, alla à
Rome, retrouver Overbeck, ainsi que son
camarade Joseph Fuhrich (Rantzau, 9
février 1800 — Vienne, 13 mars 1876). Puis
l'on trouve, toujours rattachés au milieu
allemand, deux physionomies très intéres-
santes: celle de Ferdinand Waldmuller
(Vienne, 15 janvier 1793 — 23 août 1865)
et MoRiTZ VRN S( iiwiND (Vienne, 21 janvier 1804 — Munich, 8 février 1871). Le premier est
un artiste que les Allemands considèrent comme une sorte de précurseur. Il a, en effet,
dans ses paysages, la plupart animés de figures rurales, de l'éclat, de la couleur et un
certain sentiment des effets atmosphériques. C'est un tempérament sensible aux choses de
la nature. Il s'est montré, aussi, excellent peintre de portraits. Quant au second, avec tous
ses travers et ses insuffisances, il est inoubliable, car il représente tout un côté de l'esprit
allemand, sentimental, romantique et romanesque, amoureux des antiques légendes et fleurant,
dans sa candeur et sa gaucherie, un parfum suranné qui n'est pas sans charme. Il commença
MoRIT/, viiN HriiwiN'i).
Adieu à l'aiibe (Mus
.-lia).
340
La Peinture au XIX'' siècle.
comme disciple de Sclinorr, dans le goût mysti(jue des Nazaréens, mais se livra bientôt au
plaisir de sortir, en petites toiles pittoresques, hérissées de donjons, peuplées de princesses de
contes de fées, de petits pages et de bouffons, ou dans des souvenirs de voyages, sujets modernes
aussi romantiques dans leur décor, le fond de son âme songeuse, optimiste, aimable et naïve.
Son Adieu à l'aube, du Musée de Berlin, qui date de 1859, représente bien cette dernière
manière. Nous trouvons ensuite l'allemand Feuerb.^ch, qui s'établit à Vienne et Gabriel
M.'\.\ de Prague (né le 23 août 1840), qui se fixe à Munich; c'est un réaliste de talent qui,
après avoir peint des fantaisies d'après des morceaux de musique et des sujets de genre
moderne, s'est amusé, comme notre Decamps, à représenter, d'une brosse savante, des scènes
simiesques. Il v a aussi le peintre d'architectures et de paysages, Rudolf von Alt (né à
Vienne le 28 août 1812 et décédé le 12 mars 1905), qui a traversé, dans sa longue vie, toutes
les évoluti(ms artistiques du siècle. Il est célèbre en .Autriche par ses vues de Vienne et
notamment par ses innombrables répliques de la Tour de Saint-Etienne. Nous/avons encore
C(mnu en France, mêlés à notre école, les Jettel, les Ribarz. les Otto \'on Thoren, les Ladislas
l^'ilANN Al.l
L.a IJatailk- de C,
1410 (lialérit/ NcUioimle, Ciacuvie).
de Pal. pavsagistes ou animaliers, élevés près de nos maîtres de Barbizon. Mais les trois
grandes figures qui ont illustré le groupe austro-hongrois débutent, presque en même temps,
\'ers 1860. Elles représentent chacune une des écoles de l'empire: ]\Iakart, TAutriche propre-
ment dite. Mateyko, la Pologne et Munkacsv la Hongrie.
H.AXS .Makart est né à Salzbourg le 29 mai 1840 et mort à \'ienne le 3 octobre 1884.
Il était fils d"un garde forestier, s'essaya d'abord à la gravure et peignit des enseignes pour
\i\re. Elève de l'Académie de Vienne, il en fut d'abord renvoyé comme n'ayant aucun talent;
il se rendit à Munich, oii il étudia sous Piloty (1861 — 1865), mais, après ses premiers succès,
entre autres ses Amourettes modernes, triptyque sur fond d'or, et les Sept -péchés capitaux,
autre triptyque, il fut appelé par l'empereur François-Joseph, qui lui fit donner un atelier
à \'ienne. Makart a beaucduji produit: Juliette sur son cercueil. Galerie de Vienne; V Hom-
mage de Venise à Catarina Cornaro, ;\Iusée de Berlin, exécuté en 1873; le Rêve d'un libertin:
Vénus retenant le Tannhaiher: •léopâtre sur le Nil, Musée de Stuttgart: VEntrée de Charles-
{>uui! à Anvers. Musée de Hamlmurg, qui fut très remarquée à l'Exposition de 1878, etc.
Ecole (rAutnclie-Hono-ne.
o4o
]\Iakart jouit durant sa vie d'un succès extraordinairr. 11 était l'idnlc de l'aristocratie
viennoise, et son art, abondant, facile, superficiel, où se mêlent les souvenirs de Rubens et des
Vénitiens du X\'I'' siècle, dans unr manière débordante, d'une sensualité un peu vulgaire et
d'une coloration roussàtre. cjui fit fureur sur Ir moment, influa non seulement sur l'école
autrichienne, mais s'étendit à l'école allemandr. [1 momut fou.
Le polonais Matevko (JonAXX-ALOSirs) est né à Cracovie le 30 juillet 1838 et il y est
mort le i*^"" novembre 1893. C'est un polonais dans l'âme: toute son œuvre est dédiée à l'exal-
tation de sa malheureuse patrie. Il fit ses études classiques au lycée de sa ville natale, puis étudia
sous la direction du peintre Albert
Stattler. Il débuta à vingt ans par
des compositions historiques impor-
tantes, qui commencèrent sa répu-
tation. En 1858, il se rendit à Munich,
puis en 1860, à Vienne. Très influencé
par les romantiques français, belges
ou allemands, il a, comme Makart,
une fécondité qui a nui à la tenue
de son œuvre. Elle est théâtrale,
démesurée, mais malgré ses énormes
défauts, vibrante et viwante. On lui
doit, avec des portraits, nombre de
sujets historiques empruntés aux
fastes de la Pologne; VH))ip()isoiiiic-
ment de la reine Bonci. Ivan le Ter-
rible. Ladislas le Blane. la Balaille de
Griine'ieald . Sohieski sous les Murs de
]'ieniu' etc.
Michel Lieh dit Menkac sv
est né à Munkacs (Hongrie) le 10
octobre 1844 et il est mort à Endenich.
près Bonn, en 1900. Ses débuts furent
très modestes, mais il n'était pas
berger comme on l'a dit ; il était fils
d'un fonctionnaire, décédé en 1848.
Il fut adopté par son oncle, qui était
avocat; celui-ci ayant perdu sa
fortune, Munkacsy, pour éviter de lui
être à charge, apprit l'état de menuisier. De meilleurs jours ayant lui, son oncle le retira de
son établi et le mit chez un peintre. Il étudia ensuite à Pesth. où il exécuta ses premiers
tableaux de chevalet, entre autres son Idylle paysanne, qui le fit remarquer en 1865. II vint
plus tard à Vienne, puis à Munich, puis à Dùsseldorf (1868) près de Knaus, qui influe sur
lui à ce moment. C'est là qu'il fit son Condamné à mort, exposé à Paris, au Salon de 1870,
et qui y fut médaillé. Ce fut le commencement de son succès. Il vient alors en France,
séjourne à Barbizon et, à partir de 1872, il se fixe â Paris. Après une série de tableaux de
genre: Episode de la guerre de Hongrie en 1848 (1873), le Mont-dc-Piéié, les Rôdeurs de Nuit
(1874), le Héros de ]'illage (1875). Intérieur d'Atelier {1876), il expose, en 1878. son Milton
Eri.rip [..v^/Li
lit- Hoheiilohe-Schillinyfurst.
344 I-^^ Peinture au XIX' siècle.
aveugle dictant le Paradis perdu â ses filles. ;i\-cc un succès qui lui valut, à rExposition de
1878, la rosette d'Officier de la Légion d'honneur; il était chevalier depuis Tannée précédente
seulement. Sa couleur, d'aboi'd très sombre, s'était, à ce moment, éclairée et échauffée, et sa
réputation atteignait à son apogée en 1881, avec le Christ devant Pilate, puis le Christ au
Calvaire (1884), exposés chez Sedelmeyer, exportés en Amérique, en Angleterre, en Hongrie,
en Allemagne, trouvant partout le même enthousiasme unanime. Le Christ au Calvaire fut
payé par les américains 120.000 dollars. En 1886 il exposait, toujours dans une galerie privée,
avec une mise en scène de clair-obscur et de musique, les Derniers moments de Mozart, vendus
50.000 dollars. Vers ce moment, frappé par les progrès des impressionnistes, des survivants
de Bastien-Lepage et par les vastes décorations de Baudry, sa manière s'éclairait tout à fait
et c'est sur ce mode plus libre qu'il e.xécute le Triomphe des Arts pour le Musée de Vienne.
Munkacsy avait épousé la Comtesse de Marsh et avait été fait baron; il connut tous les
triomphes de la gloire et de la fortune, mais perdit la raison. Ses deux grands tableaux
religieux durent leur puissant intérêt à de fortes qualités de réalisme qui tranchaient, par
leur accent véridique et parfois même anecdotique et familier, avec les productions académiques
du temps, à sa robuste technique et à ses partis pris artificiels, mais dramatiques, dans la
composition, le décor et le clair-obscur.
La Hcmgrie a vu naitre également un maitre plus jeune, qui jouit à cette heure d'une
grande réputation dans toute l'Europe. C'est Fulop Laszlo. Né à Budapest le i'^' juin 1869,
Lâszlô fut, à Paris, élève de Benjamin Constant. Il a pris la virtuosité de ce maître, mais sa
manière brillante, nerveuse, pénétrante, se rapproche davantage de celle de Sargent. Son
portrait du Prince de Hohenlohe-Schillingfurst, chancelier de l'empire d'Allemagne, fit immédia-
tement sa réputation. Elle a été étendue depuis par les portraits du Pape Léon XIII , du
Cardinal Rampolla, du Violoniste Joachini. du musicien Jan Kubelik, et de nombre de person-
nalités masculines et féminines de l'aristocratie viennoise, parisienne ou londonienne.
Il conviendrait de signaler encore dans cette école, pour l'Autriche, Hynais (Vojtech),
né à \'ienne en 1854, élève, à Paris, de Gérôme, décorateur brillant dans le goût français,
qui a décoré le grand théâtre national de Prague et le Hoftheater de Vienne; Clemens von
Pausinger, né à Salzbourg en 1855, peintre de talent dans le genre et le portrait, qui vit à
Paris; G. Klimt, une des principales figures des sécessionnistes; Moll, Mehofer, Bernatzik,
Robert Schiff, etc. Pour la Hongrie, le professeur Heixrich von Angeli, né en 1840 à Olden-
burg, Benczur (Gyula) né en 1844, Bruck (Lajos), né en 1846, Rippl Ronai, Czok, Paul von
Szinyei-Merse, né en 1845, très intéressant paysagiste et peintre de réalités modernes,
Zemplenyi, Ferencsy, etc., pour la Dalmatie, Blaise Bukov.-\.c, élève de Cabanel, né en
1855, et pour la Bohême, Brozik (Vasclaw), né en 1851, bien connu chez nous par ses sujets
de genre historique. ; . , . ■ , • - .•.•
l(_i.\AL.ii.) Zli.uAGA.
PoRTRAIIS.
Mii.sc'c Xatimiai tin I.KXiiitboiii-o).
CHAriTRK XII.
VA' () L K s S (■ A X 1) 1 X A \' l'. S.
DAXEMARK. — Lrs pt^tite^
nations qui longent les mers
du Xord ont montré, au cours
du XIX>^""i«; siècle, particulièrement
dans la dernière partie, uni' intelli-
gente acti\"ité artistique.
Xiius a\-iins \u la ])]ace de
premier ordre que la Belgique et la
Hollande tiennent dans l'ensemble
de Fart européen. Le Danemark a
toujours été im foyer très \-i\-ant
de culture intellectuelle: les arts
ne pouvaient manquer d"y être en
faveur. Cependant il ne s'y forme
qu'assez tard une école natii.male.
Au XVIII<-'™'' siècle, (in \- ajipelle
volontiers, comme ce sera l'iisaee
en Suède
■n Russie, des artistes français, et c'est un
français, le sculpteur Sah'. de \'alenciennes. ([ui fimde la première académie d'art, à Charlnttcn-
bourg. sous le règne de F'rédéric \'. .\u début du XIX''""' siècle, l'art dan(.iis offre deu.x figure-
importantes: runi' est le sculpteur TlinrwaMseii. r.iutre le peintn- ('ar>tfns ipii a été. du reste,
rattaché à l'écnle allemande, sur la(]uellc il a particulièrement inilue. .\\'(c (nuis K )ph. W'iriiKLM
EcKCERSBERc, (1/8;, — 1853) élè\-e de l)a\id. qui tra\aill.i à Rome près dr Thorwall^en. il-
introduisirent en Danemark une influence toute classique, moitié française, moitié allemande.
Cependant ce dernier lui-même, une fois de retour dans son i)ays. est pris par l'intérêt di's
spectacles locau.x et il montre, ainsi que ses élèves ou suivants, les J. \'. So.vxE (1801 — i8qo).
ou les \". ^I.-\RSTK.\xii (1810 — 187/,) les (lualités de sensibilité et d'honnêteté foncière (pii sont
le propre de l'art danois. l'roclie voisine de la Hollande et proche ]);irente ii:u' les imeurs. la
religion, le caractère du ]>avs et de la race, l'école danoise dewiit subir, naturellement, une
fois qu'elle fut orientée ver> l'observation des choses de la \ie. l'inthience des maîtres de
Hollande. C'est ce (pii ne manqua pas d"arri\ei avec les Ekxhst Mi:vi:r. les JrLirs Hxxhk.
les Frederick \'kriimkkex. les Chkistex D.\Lsi,.\.\Rn. peintres de sujets, de uKeurs ou de
genre, les Joh.\xx LrxDr.VE, les P. Cil Skovl.wrii. ou le> .XxKix Mi;m!VE. paysagistes ou
animaliers. Timides encon' et méticuleux, ils se tiennent plus près de> imitateurs de l'école de
Diisseldorf que des maîtres hollandais. Mais lorscpie le Danemark sortit de ses dernières crises
nationales et politupies. après i86b. un nouvel essor fut donné aux forces intellectuelles du
paj's; il prit un contact plus fréquent avec les nations centrales de l'iùiroiie et notamment
avec la France et. ]ieu à peu. la comjirehension des artistes d:inoi> s'él,u-git en même temji-
346
La Peinture au XIX' siècle.
que kur éducation technique progresse rapidement. On a pu en juger aux diverses étapes de
nos expositions universelles.
La personnalité qui domine la dernière période de l'art danois est celle de Krôyer.
Peter Severin Krôyer est né à Stavanger, Danemark, le 23 juillet 1851. Orphelin de
bonne heure, il fut recueilli par un parent, savant ichthyographe, pour les ouvrages duquel
il grava ses^premiers dessins. 11 fut élève de l'Académie de Copenhague, obtint une bourse
de voyage en 1874, et vint à Paris i.ù il étudia dans l'atelier de Bonnat. Il séjourne quelque
temps en Bretagne où il peint une Sardinerie à Concarneau, puis il voyage en Espagne et subit
momentanément l'influence de Vélasquez, ensuite en Italie d"où il rapporte ses Chapeliers,
qui lui valurent une médaille au Salon de Paris en 1882. Très impressionné par les tendances
de l'école française, notamment par les recherches luministes de Besnard, Krôyer s'appliqua,
de son côté, à rendre dans son pays les effets de lumière et d'atmosphère ^ur les rivages
de la mer''en- ]irenant pour sujets de ses compositions les scènes de l'existence animée des
populations maritimes. Il
s'installe à Skagen et vécut
parmi les pêcheurs: c'est de là
que proviennent ces Pêcheurs
à Skagen, ou ces Barques de
Pèche, sur une mer opaline et
laiteuse, dans un effet d'aube
septentrionnale mystérieuse,
d'une lumière comme surna-
turelle, toile qui fut donnée
à Besnard par suite d'un
échange et que Besnard offrit
généreusement au Luxem-
bourg. Krôyer a peint aussi
des portraits et notamment des
portraits réunis par groupes
souvent nombreux avec une
aisance extraordinaire dans
l'agencement des personnages,
les dispositions de la lumière et une interprétation du caractère d'une pénétration peu
commune. Il a représenté ainsi une Soirée à Karlsherg, réunion d'artistes danois auprès du
grand amateur Jacobsen, le Comité de l'Exposition française à Copenhague en 1888: une Séance
à r Académie des Sciences, exposé chez nous en 1900.
Les Chapeliers de Krôyer tirent à leur apparition, dans son pays, une révolution
réaliste qui remit l'art danois dans sa voie normale. Bientôt surgit toute une école de bons
et loyaux artistes sincères, simples, véridiques et expressifs. Tels sont Viggo Joh.^vnsen, né
à Copenhague le 3 janvier 1851, qui montre une rare puissance d'émotion intime dans ses
sobres intérieurs où il traduit aussi avec un sens d'une subtilité tout à fait exquise les jeux
les plus délicats et les plus imprévus de la lumière. On n'a pu oublier les nombreux envois si
instructifs qu'il fît à notre exposition de 1900: Une soirée chez moi, dans l'atmosphère rousse
des lampes, si doucement et si tièdement familière, Les enfants à leur travail, ou la Fête de la
Grand' fnère. C'est encore Julius Paulsen, né à Odense le 22 octobre 1860, avec ses chauds
intérieurs et ses nus lumineux vigoureusement peints, Anna Ancher, née le 18 août 1859 à
Skagen, puis Peter Ilsted, né le 14 février 1861, et Georg Achex. né le 23 juillet 1860,
JoHANï-EN. — Une Suil
xolcs scan(lina\'es.
347
délicats luministes et intimistes lînement émus, (U'scjuels le Luxembourg conserve de charmants
tableaux. Carl Thomsen (6 avril 1847) et W. Irmin(;er (29 décembre 1850) plus songeurs jet
sentimentaux: les paysagistes Theopor Philipsen, né à Copenhague le 16 juin 1840, Viggo
Pedersen, né à Copenhague le 11 mars 1854. Niels Skovgaard, né en 1858, et enfin, dans
cet ordre d'idées réaliste et intimiste, une autre physionomie exceptionnelle, celle de Wilhelm
Hammershoi, né à Copenhague le 15 mai 1864: il étudia dans l'Académie de cette ville sous
la direction de Krôyer. Il voyagea en 1893 en Italie. Il s'est créé une véritable originalité par
des effets d'une simplicité extrême, dans des intérieurs à peine meublés, sur lesquels jouent
quelques ra3-ons de soleil. On
ne peut imaginer l'intensité
qu'arrive à produire cet art
sobre jusqu'à l'austérité et la
puissance de vie contenue qui
en émane. Avec une sensibilité
toute moderne, il éveille le
souvenir des plus beaux petits
luministes hollandais d'autre-
fois. Il reste à signaler les
compositions historiques du
professeur L. R. Tixen. né à
Copenliague en 1853, les œuvres
décoratives et mystiques d<-
Jo.\CHiM Skovgaard, néeni83f)
à Copenliague et les illustra-
tions si localement savoureuses
deHAXsTEGNER, LorexzFro-
LicH et .ArorsT Ierxdorff.
SUEDE. — La culture
artistique est ancienne dans
ces pays du nord, du moins en
ce qui concerne la Suède, et les
rapports de ce pays avec l'art
français sont de longue date.
Au XYIIP siècle, il s'opérait
entre les deux nations une sorte
d ' échange , la France incorpora it
dans son école divers artistes
suédois comme Roslin, La\Teinc
Wri.ilKl.M Hammfk>1i.'1. — Intérieur e
[Galerie Nationale de Herlin\
Hall et en\"i)vait à la Suède quelques-uns des siens,
comme Taraval, ou les œuvTes de ses maîtres, que recueillait avec soin un ambassadeur avisé, le
comte de Tessin, pour une reine, amie des arts, la reine Louise l'irique. Tessin fonda même à
Stockholm une Académie des Beaux-Arts qui ne produisit guère, au début du XIX'' siècle que
des peintres tout académiques, comme Fer Krafft (1780 — 1856). du reste élè^e de David, et
qui transporta jusque dans ces régions septentrionales éloignées les doctrines du classicisme. Il
y eut ensuite une lutte d'influences entre les écoles allemande et française. La réaction contre
le classicisme est dans le goût du romantisme allemand: tel artiste comme Karl Plageman,
suit les Xazaréens de Rome, tel autre, comme Nils Blommer (1816 — 1853) traite sur un mode
semblable les mvtholoçies et les légendes scandina\-es. Puis l'école de Dûsseldorf. très prospère.
34S
La rV'inturc au XIX' siècle.
accuse sa ])rép<iiulci-ancf. (runc façon très mar(|ucc, jusipra lM;i;ni;KiK ]I()i;ki;ki (i<S2f) — i<S6'j)
qui apporte, le premier, dans la j)i'inture de ses intérieur-^, un accent local un peu plus
personnel, ("est alors Finlluence fran,.iisc cpu l'emporte dehnif ivement et -on courant
natur.diste et analvticpie entraine recule suédoise dans l'étude plus methodupie, plus appro-
fondie, mieux comprise, du caractère du pays et de Li race. P.u'mi ces [ireniiers artistes formés
en France, il faut citer le paysagiste Alfkhd \\'.\hli;kk<,. né à Stockholm le 6 août 1834. Nils
FoRSiii-Rc,. ne en 1841 à Riseberga. peintre de sujets d'histoire. Ar(,rsTE H.ackorg, né à
(Witenbourg en 1852 et Hugo S.\lm-
S()X. né à Stockholm en 1843. décédé
l'U i()o8. ]>lus ipi'a di'mi français
puiscpi'ils résident la plupart du
tem])s en France et que l'un d'eux,
F()rsberg, a combattu clans nos rangs
en 1870. A leur suite, on peut citer
parmi les portraitistes ou peintres
de figures et de mieurs, All.\n
OsTERLiXD (né en 1853), R. Bergh
(né en 1858), Robert Theghestrom
(1854), ()sc.\R BjORK (1860), Georg
l'.M'LI (1855). H.\NNA PAULI, ARON
( iERIj: . Parmi les peintres de scènes
locales il faut signaler spécialement
K.VKL ^\'lI.HHL^IS()^". né à Boliusliin
le i'^' no\'embre 1860, observateur
intelligent des populations maritimes
des côtes suédoises et des phéno-
mènes lumineux de ces ciels d"un
éclairage si singulier: Carl Lakssox,
ne à St<ickholm, le 28 mai 1853,
aquarehiste délicat, charmant pein-
tre de l'enfance et décorateur excep-
tionnel dans ces pays du nord; puis
r>Rrx() LiLjEFORS, né à Upsal le
14 mal 1860, peintre original de
])a\sages peuplés d'animaux aux
l)remiers plans, dans de clairs effets
décoratifs, mi-français, mi-japonais;
enfin la personnalité tout à fait à
jjart d'AxDERS ZoRN, qui a pris une
am.kks /...kn, — lu iv-cii.-ui (Musé.- .lu 1 ,i.xc-ini„.iiij,.). place de premier rang dans le mouve-
ment général des écoles européennes.
Zorn est né le i8 fe\ricr i8()() a Mora. petit \-illage jjrès de Stockholm, dans une famille de
simples paysans. Il \ouliit d'abord être sculpteur, car ses débuts se manifestèrent par des
images haï\'es c|u'il taillait a\-ec son canif sur des menus morceaux de bois. Entré à l'Académie
de Stockholm, il bifurqua vers la peinture; plus tard, cependant en 1899, il revint momenta-
nément à la sculpture et tailla diverses petites figurines, entre autres un petit portrait en bois
de sa mère. Après un \-oyage en Espagne et en Angleterre de 1881 à 1885. il vint s'établir à
Paris de 1888 à i8()fi. ("est là (pi'ilse forma entièrement sous les influences les plus vivantes de
Ecoles scandmax'cs.
j:)
l'école, et qu'il exécuta siiii jiremicr tal)Ir;ui. lu l'ichcur. elKirinanl inniceau. jiris surnature,
qui annonçait tout si.m a\-enir et ([ui fut acquis, après ri''.\p()sitinn de i(S,S<). pai' le Musée du
Luxembourg. Zorn a exécuté des scènes de nueurs. prises dans son ])a\-s nat.il m'i il réside
désormais, des nus dans des intérieurs et en plein air et dis jxirtraits. Sa jialette est \'i\"e et
colorée, sa facture hardie et sinnitanee, il \- a en lui dr la luaiuère de Sargent et di- Besnard.
a\-ec une verve audacieuse pleine de bonheur. Zorn juuit d'une grande réjMitatinn dans les
deux mondes. Comme graveur, son métier extraordinaire de libei-té. de franchise et de force
expressi^•e l'a placé parmi les maîtres de ce temps.
Il reste à citer la nombreuse phalange des paysagistes, les \\'.\li.a\I)i:i;, k-s Si<)i',Ei;<;.
les J.\xssox. et. parmi eux, le pkixce Etgène de Scèiie lui-uu''me, né à Stockholm le
I'-' a<iût 1865, qui tient a\-ec honneur son rang dans l'école et M""' Axx.\ Boijeri,. née à
iiis la iieii^e (Musée du Luxeuili.
Stockh(ilm en 1864. qui s'est Vduée a\-ec succès aux paysages du nord, ai)rès s'être livrée à
l'art décoratif. Son mari, Ferdinand Bolu-rg, est un architecte d'un goût très ndlme.
NC)K\'K(tE. — La Norvège, récemment constituée en état distinct de l.i Suède, a-t-elle
nn art qui ditfère de sa grande s.eur Scandinave? Quels que soient les liens par lesquels les
aient longtemps unis la géographie et l'histoire, les deux peuples dilïèr.'Ut essentiellement par
le caractère et par les m-eurs et c'est la raison qui devait fatalement .uni'uer une separatinn.
La Suède est un pavs aristocratique, la X,.rN-ège. au contraire, comme le Danemark, est
d'esprit fortement démocraticpu- et ses inaiseurs, ses écrivains, ses poètes, ses auteurs drama-
tiques ont été ouverts à toutes les UKpuétudes et à toutes les aspirations de la conscience
crmtemporaine. C'est le pavs de Bi-nnstern.' i^iorns,m et d'Ibsen. L'art a-t-il suivi cette voie
0
^2
La Peinture au XIX' siècle.
et a-t-il ddUiK' iiiH' Innnulc ([ui currespondf à ces tendances:' ( )n n")- troiu'e guère récho'de
ces gra\-es préoccupatiens. Tcmt au plus ])eut-(in dire, ce qui est du reste à peu près général
dans les nations du nord, «pie l'école nor\'egieniie est orientée dans un sens populaire. L'origine
de ce qu'on peut appeler une école est, du reste, peu ancienne. .\u début, dans le premier
tiers du siècle, l'influence, \-oisine. de l'école de Diisseldorf. prédomine, suivie de l'exode des
jeunes peintres \'ers Karlsruhe où professe Hans (iriii-, né à (hristiania le 13 mars 1825, mort
à Berlin le 17 août 1903, peintre de marines dont l'cnscignrment eut un grand succès en
Allemagne. Munich attira ensuite les jeunes artistes nor\egiens, mais bientôt ils sentent, eux
aussi, que c'est du ci")té de la l<"rance qu'est la \"éritabli' \'oie pour leur œuvre réaliste. C'est,
en effet, à partir de son contact a\'ee l'art fram.ais ipie l'école norvégienne se dégage et
commence à ])rendre un caractère local. L'iiistoirc et la décoration, dans cette école, sont
-^^-^
(Mu
Ti-.-liaknf a M.,sc,.u).
représentées inir une jiersonnalite pour ainsi dire unique, celle de ÇrERH.-\RD MuNTHE, né à
Aarôen le 11 mars 1841, fixé à Diisseldorf, qui a créé un genre archaïque de décorations
vivement bariolées, en interprétant les anciennes légendes septentrionales d'après le style
primitif norvégien. Toute l'inspiration, en dehors de cette curieuse exception, est purement
réaliste et comprend, avec des artistes de talent qui se sont distingués dans le portrait, comme
Heyerdahl, Borghild Arnesen, Cari Konow, M-^''^- Kristine Laache, des paysagistes comme
Johannes Mûller, Borgen, Gloersen, Nils Hansteen, Hjerlow, Hjalmar Johnsen, Bernhard
Hinna, Otto Hennig, M'-'i'^^ Marie Tannoer, Kitty Kieland, ou des peintres de mœurs dans les
intérieurs ou dans le décor de nature, comme Eilif Petersen, Jacobsen, Stenersen, Christian
Skredsvig, Otto Sinding, Wentzel, Eylof Soot, Eiebakke, etc., parmi lesquels se dégagent
plus distinctement quelques ligures mieux connues de nous. C'est entre autres: Johannes
M. Grimelund, né en 1842 à Christiania, destiné à la carrière théologique, mais qui, attiré
xoics scanamax'cs
dii
J) ? 0
\-ers la peinture-, alla étudit-r auprès de Hans (jude. a\"ant de \Tnir à Paris ciù il s'est fixé
et où il a fait connaître un des ])reiniers l'art norvégien, ("est ICkik \\'kki:nskiold, né à
Kongsvinger le ii février 1853. le jiortraitiste d'Ibsen, jn-intre compréhensif des scènes de
la vie rurale dans la \ive lumière des soleils du nord. C'est ensuite H.m.i'DAX Stkôm, né en
1863 à Christiania: après avoir commencé à étudier dans son pays, il alla travailler quelque
temps à !\Iunich et exposa à Christiania, en 1885, divers ouvrages qui commencèrent sa
réputation. II obtint une bourse de \-oyage et vint se perfectionner à Paris dans l'atelier de
Roll. Marié à Paris, il se fixa cjuelque temps en Bretagne, retourna dans son pays et e.xposa
en 1900 un tableau. Jeune Mère, qui fut recompensé d'une méd.iillr d'nr et ncquis par le
Musée du Luxembourg. C'est enhn
Fritz Thaulow, qui, lui, est resté
tout à fait des nôtres. Né à Christiania
le 20 dctobre 1847. il est mort à Volen-
dam (Hollande) le 6 novembre 1906.
Après avoir étudié à Copenhague de
1866 à 1870, et à Karlsruhe près de
Hans Gude. il vint à Paris en 1882 et
trouva sa direction dès qu'il fut en
contact a\'ec le milieu impressionniste.
Il a travaillé à Paris dont il a rendu
les aspects pittoresques sur les bords
de la Seine avec une très vive com-
préhension de son atmosphère spéciale;
en Normandie, notamment à Dieppe,
en Hollande, à Venise et dans son
pays. Le ÎMusée du Luxembourg pos-
sède de lui un paysage de neige, acquis
à l'Exposition de 1889 où il se révèle,
et un beau pastel: Vieilles fabriques
sous la neige, qui exprime cette faculté
rare de traduire les neiges, les dégels.
les frissons de l'hiver.
FINLANDE. — Bien que rat-
tachée politiquement à la Russie, la
Finlande reste, en art, fidèle à ses
origines Scandinaves. Comme dans tous
les pays du nord, on y trouve des natu- 1 : 1 n : 1 - i Le r.n-u-.m .le Léon loistoi.
ralistes d'une vive sensibilité, formés.
eux aussi, presque tous sous l'influence des analystes français. Entre les peintres Halonen,
Jaernfeit, Blomsted, Wlasoff, Rissanen, etc., on distingue Axel (iALLEN, peintre-décorateur dans
le style archaïque et Albert Edelfelt, né àHelsingfors en 1854, mort à Borgo en 1905. Edelfelt
est resté populaire en France, où il était fixé la moitié de l'année depuis 1874. Il avait étudié en
1873 à Anvers, puis entra à Paris dans l'atelier de Gér.:me. Il a exécuté d'excellents portraits:
ceux de M. Koecklin-Schwartz. de Dagnan-Bouveret, de Pasteur, acquis par l'État et placé à la
Sorbonne; d'Alexandre III. du grand-duc Vladimir; car il était très estimé et aimé à la cour
de Russie. Il a peint aussi nombre de sujets et de paysages de son pays natal, parmi lesquels,
le Service divin au bord de ta mer. du Luxembourg, médaillé au Salon de 1882, est resté célèbre.
54
La Peinture au XIX" siècle.
ÉCOLE RUSSE.
1, 1 Russie (lui, il \' a doux cents ans à peine, était une \-aste réunion de pri)\ inces d'une
(•i\ilisation tnut (irientale. a nmntré, dans la culture des arts, la rapide faculté d"assimilati(in
diint elle a fait ])reu\-e jinur les autres manifestations de la \-ie l't de la pensée. On sait le soin
qu'apportèrent les siun'erains et surtout les souveraines de ce pays, entre autres la grande
Elisabeth, pui-- Catherine II. pour attirer en Russie d'excellents artistes de l'étranger. La France
\' contribua par nombre de ses meilleurs peintres et sculpteurs, tels que Toqué, Lagrenée,
Falconet et plus tard la \-agabonde ^I'"e- \'igée-Lebrun. En 1757, Elisabeth fondait une
académie des h!iMu\-.\rts à Saint-Pétersbourg et bientôt se distinguaient des artistes locaux
rekn-ant encore directement des
^
milieux étrangers, mais, comme
Dmitki Levitzkv (17J5 — 1822) et
X'l.kdi.mik Boro\iko\ skv (1758
1826) peintres de portraits heu-
reusement doués, offrant un point
de départ excellent pour l'avenir.
Au XL\^' siècle, chose curieuse
pour un pa\'s si à l'écart, semble-
t-il. lies mon\'ements européens,
se produisent les mêmes évolu-
tions, les mêmes entraînements,
les mêmes réactions que l'on con-
state dans les autres écoles con-
tuientales. Ainsi le début du siècle
est mar(piê par un engouement
jiour les choses de Tantiquité qui
établit dans ce pays les principes
de David et le style de l'envahis-
M'iu". l'ne réaction romantique et
sentimentale se produit ensuite
et met au jour une première phy-
>iononiiejntéressante au point de
\ue russe, celle de Alexis Vene-
Tzi.\xo\v (1780 — 1847) peintre de
.Makik lixMiKiKiMn. - i,e Med.nji (Mu..e au luxeu.b.u.g, ^"H't^ populaires qui, malgré les
imperfections de sa technique, est
le précurseur de l't-cole réaliste moderne. On pourrait, à ce moment, rele\-er les noms du
])ortraitiste Ch.\ki.ks P>i-;ri,i.i)\v (I7q(:) — 1852). qm tra\-aille dans le sentiment dTngres et
Th. Bruni (1800 — 1875). le décorateur de la cathédrale St-Isaac. Toute une abondante éclosion
de peintres de genre sui\"it. entre les influences de Diisseldorf et de Paris: le plus notoire est
P.\UL FÉDOTOW (1816 — 1832). Nous avons connu en France, où plus d'un a travaillé et même
a vécu, Henri Siemir.miskv (1S43 — 1902), Constantin M.vkowskv, né en 183g, Alexis
BoGOLUîEOFF (1824 — i8()b). N<.ius arri\-ons au moment où la pensée russe va prendre une
part exceptionnelle aux préoccupations de l'humanité contemporaine et une place de premier
ordre dans le nvnuemept des idées par les grandes figures d'écri\'ains qui ont illustré les
lettres russes. La puissante impulsion que les Tourgueniew, les Tolsto; et les Dostoiewsky
donneront dans le domaine de la philosophie et de la morale, dans la compréhension mystique
Ecole russe
JD
et religieusf du dev\)ir social, l.i huiditr de leur \isi(in uljjfctixc. la diMicatcssc de leur sensibilité
émue de\"ant les spectacles de la nature. leur s\-inpatlue é\ani,'éli(iiie d'un es|)rit de Sùlidariti''
inconnu jusqu'à ce jour, tnus ces éléments sinim n(iu\-e.iux. du nmin-' ren<iiivel('-s a\'ec une
protonde originalité, sont loin encore de se décoinrir d.ms l'ait. Le monde des images est
plus difficile à pénétrer (jue le monde des idées; toutefoi>. smtout ajin's les é\'énements de
Crimée, on perçoit un ess<u de motncmeiit nationaliste a\-ec \'.\ssn.\' Sihkikdi . n(' en 1S4N.
peintre d"hist(jire sur la \-ie nationale. \'i( TOR \'asnetz()W i-t Nkol.Vs K('>iikI( 11. landj^ i|ue,
ici \'erescliagin. là Nicolas ('ia\- et Répine. ces deu.x derniers, iiortraitistes et anus de Tolstoi.
inaugurent la période conti.-m])oraine a\ic un art qui commi-nce à être touclié par la jiarole
de ce n<iu\"eau messie des temps modernes. Leur ieu\'re \'eut jxirti'r vu elle une signification
morale et humaine.
\'.\ssiLY \'.AssiLiK\vrn H \'KKi';srn.\(;iN est né à Tscherepo.ct ((■ouxi'rneinent de
No\-ogorod) le 26 octobre 1842. lùitré d'abord dans la carrière militaire, sa \dcation se ré\éla
au cours de ses voyages;
il travailla de 1861 à 1865
à Saint-Pétersbourg, puis à
Paris près de Gérôme. dont
l'enseignement a beaucoup
influé sur la iormation de
son talent. Il sui\"it en 1867
le (iénércd Kauftmann
chargé deréprimer la re\i )l te
du Turkestan, résida au
retour cjuelques années à
Munich, puis repartit en
1875 pour rinde et le Tlu-
bet. Il letourna à Paris.
mais n'y séjourna pas long-
temps, car il sui\'ait en 187g
les opérations de l.i guerre
russo-turque. .\mi lureu.x
d'aventures, il s'était, de
nou\"eau. lait attaclier a
l'état-major dans la guerre i-\\e i.kmi w. — i...- Cuiiirii.i.rnii.ni .ir. piimcmi».
russo-japonaise; il y périt à
Port-Arthur en IQ04. dans l'explosion du cuirassé PetroPaulowsk. 11 a été très connu vn France,
où il y a eu plusieurs ex]iositions de ses (euvres. Ses randonnées milit;iires ne lui firent pas
aimer la guerre et l.i plujxirt de ses toils ont été conçues a\-ec le désir tl'en rendre sensible
le côté odieux et douloureux. Tels sont ses tableaux de Y liDipcreitr tirnvdiit à Muscnii. de la
Retraite de FEitil^creur. et surtout la l'yrniuide de Cnvies (Alusét' Tretiakof à .Moscou). Il s'est,
montré un orientaliste intelligi'Ut. curieux, éveillé, et les tra\-aux r.qijxntes de ses \-oyages
dans les Indes et en Palestine sont demeures célèbres, en particulier la fameuse Miiniille de
Salomon où les pèlerins juits \-iennent jiar centaines prier sur les ruines de leur teniple.
Il|.\ (Ei.ie) iHSiMôvrreii Kkpixh est né à ïcliuguew (gouveriienienf de Charkow). le
25 juillet 1844. Il était fils d'un paiure officier et re:ut sa jiremieie instruction dans l'école
du village, dirigée par sa mère; il entra ensuite dans une école militaire, dissoute comme il
avait 13 ans. Intéressé par le tra\ail d'un ])eintre d'iconi's. il ;q)prit de lui a dessiner et gagna
356
La Peinture au XIX'' siècle.
bientôt sa vie en rimitant. Il se rendit ensuite à TAcadémie de Saint-I^étersbourg, uù il resta six
ans. Il obtint une bourse de voyage, alla à Paris et à Rome, où il étudia les anciens maîtres.
Son premier succès date de 1873 avec ses Haleurs de bateaux, exposés à Saint-Pétersbourg,
qui sont une des premières manifestations du réalisme russe et le premier témoignage
artistique de sympathie virile pour les humbles. Toute l'œuvre de Répine a ce caractère mâle,
énergique, ardent pour les causes des opprimés, qui transparaît dans la plupart de ses oeuvres
d'histoire ou de genre : Ivan le terrible, Saint Nicolas arrêtant une exécution. Retour de Sibérie, etc.
Il a peint avec la même vigueur, la même
forte et savante technique, nombre de
portraits: ceux de Rubinstein. de Mous-
sorgski, et en particulier celui de Léon
Tolstoï, dans sa blouse de moujik.
Nicolas GAy(i83i — i894),petit-
nls d'un français expatrié en Russie à
l'époque de la Révolution, étudia à
l'Académie de St.-Pétersbourg et peignit
d'abord des sujets de genre dans le goût
du temps. Il séjourna longtemps à Flo-
rence, au milieu des nombreux agitateurs
et littérateurs russes ftxés dans cette
ville cosmopolite, et se pénétra de bonne
heure des sentiments d'altruisme et de
solidarité que devait répandre le nouvel
évangile de Tolstoï, dont il fut le fidèle
ami. Il peignit donc, avec un sens réaliste ,
expressif et populaire, des sujets de la
vie du Christ: Jésus à Gethsémani, le
Christ et Pilate, le Crucifiement (Musée
du Lu.xembourg), etc.
Dans la génération suivante, il
est. tout à fait à part du mouvement
russe et relevant plus exactement de
l'école française, une touchante physio-
nomie universellement connue par les
dons qu'elle a montrés, la carrière
qu'elle promettait et la mort qui vint
faucher cette jeune vie à peine éclose:
c'est celle de Marie Bashkirtseff.
Fille d'un maréchal de la noblesse, elle
est née à Poltawa en 1860 et morte à Paris en 1884; elle commença à peindre en 1878 et s'y
mit avec toute l'ardeur de sa nature, fit des progrès très rapides et pouvait bientôt exposer
une série d'études de la vie parisienne en plein air, dans le sentiment de son maître Bastien
Lepage, qui préparèrent sa réputation. Le Meeting, qui figure au Jlusée du Luxembourg,
avec deux fermes et expressifs portraits au pastel et une statuette de Psyché en bronze, est
une des œuvres les plus répandues de ce Musée. ]\Iarie Bashkirtseff a laissé également un
Journal, publié en 1887, qui montre mieux encore les dons de cette nature d'élite.
Répine avait été, à son apparition, comme une sorte de Courbet. Toute la jeune école
Mil liEL WKi.ri'.KI..
Écol
c russe.
o:? /
sui\"it cette direction. i)uissamincut rrali>tc t-t (■.\])rcssi\-c, qui oiuTait toulc L;raii(li' mu- x'oie
personnelle à l'art russe. \'ers i.S()(i si- produisit une déri\'atiiin naturaliste, plus ohjcc^ix'e.
moins tendancieuse, et même, suixanl \r mot tl'un tles jeunes histdiicns di' l'art rusx-. \r peintre
Alexandre Renois. ..purement (•^théti(lue". Les protat^ijnistes en M)nt : Ir printrr Si-.ivow.
(\'ai.entix), né le 20 janvier i<S()3 à Moscou, élè\t- de Répine, ])eintre de suiit> et de jxirtraits,
sonple et brillant, dans de \-ifs mi délicats effets de lumière; Consianiix Kokomxe et Is.\.\(
Levit.\x. Ces deux derniers artistes en particulier, sont considérés par la jeune Ivussie comme
les initiateurs de l'art n(.)u\-eau. Constantin Koro\-ine est né en i8f)i: il a été de bonne heure
en contact avec les imj)ressionnistes Irani.ais et il leur doit celte sensibilité ])art'culière dans
la lumière et dans la couleur, qui faisait C(mtraste a\'ec les manières lourdes et brunâtres
de l'ancienne écok' et fut. par suite, traitée de vell ité révolutionnaire dans les milituix
académiques. Il a vnyw^é de di\-ers côtés, en France et en Espagne, et il a r.qiporté de ce pays
des études charmantes de finesse et d'accords délicats. Il s'est fait à Moscou et à Saint-Péters-
bourg une grande réputation par ses décors originaux d'opéra et, en 1900, il fut chargé de la
décoraticjn du Pa\"illon natio-
nal russe,
Is.\AC Lh\'IT.\X e>t ne
en 1S61 dans une famille
Israélite. Il est mort en 1900.
Il est le premier grand pa\'s;t-
giste russe. Elève de Sar-
rasow, qui était déjà un jiré-
curseur, il a donné au pavsage
russe une direction on peut
dire nationale en intéressant
les yeux à la nature propre de
ce pays, la natuie médiocre,
misérable et presque déser-
tique de la Russie centrale.
Il a tiré, avec une sensibilité
profonde, des sensations et
des émotions inconnues de
ces steppes mornes et de ces
vagues bouleaux, avec la même i)oésie subtile que che/C nous Ca^in devant les \-ulgaires potagers
aux rangées de choux et de hettera\"es.
KflH|^^^Hn|^? .''v^^'^Sjr*^- .^p
CliN ,SoM,il.,
Conversation "alante.
A c;".té d'eux il faut placer une ligure exceptionnelle dans une direction purement
idéaliste ou décorative, celle de Michel Wroubel, né en 1856, aujourd'hui <iveiigle et atteint
d'aliénation mentale. Il a peint de grandioses décorations pour la cathédrale de S.nnt-\ ladimir
à Kiew, et toutes sortes de songes étranges et mystérieux où se rencontrent toutes les cos-
mogonies et toutes les mythologies, et, à côté des visions terribles de l'enfer chrétien, les plus
exquises et imprévues apparitions de per.sonnages rêvés de contes orientaux mi de légendes
russes. Telle est cette figure de Koupara. empruntée à un conte russe, la princesse-cygne
couronnée d'un haut diadème de diamants et de perles sur ses grands yeux noirs et se mouvant
au milieu de ces \-agues blanclieurs où l'on de\-ine des ailes.
\'ers iqoo une nouvelle génération s'avançait dans la voie de la précédente, mais
avec des préoccupations encore plus subtiles : d'une ])art on tri>u\-e un dillettantisme délicat
35'^
La Peinture au XIX'^ siècle.
et raffiné qui combine avec toutes les acquiMtinns ni)U\'cllrs de hi palette, les souvenirs du
passé et notamment d"un XVIII'' siècle rococo, vu à travers Tn-onie un peu tendre d'un
Verlaine. Le principal représentant de ce genre est Constantin Somof, né en 1869. Il est le
chef d'un petit groupe, soutenu par une revue, Mir Iskoutsva. qui a beaucoup contribué au
développement des Arts en Russie et dont le directeur, Serge Diaghilew, a été le promoteur, à
Paris, de l'exposition russe de 1906, au Salon d'automne, et des représentations théâtrales et
musicales à l'Opéra et au Chatelet, de 1908 et 1909. Il a été aidé dans cette entreprise par
un'très intelligent et délicat artiste, membre de ce groupe, Alexandre Benois, domicilié à
Paris, peintre et écrivain de talent, qui a tracé en charmantes aquarelles, comme ses amis
S()mof et Eugène Lan( ekav. des ,.con\"ersations galantes", des illustiations et toutes sortes
de fantaisies écloses entre \'ersailles et Trianon. Somof a exécuté aussi d'exquises petites
tigurines en porcelaine sur ce
mode spirituel et' moqueur.
l'armi les Moscovites, les uns
sont plus portés à la peinture
monumentale, comme le pein-
tre de décors Alexandre
(joLOViNE; parmi les autres,
jilus réalistes et rappellant nos
néo-impressionnistes, il faut
signaler Igo Grabar, peintre
et écrivain, et Victor Mous-
s.VTOF. Enfin un peu en dehors
de ces courants, Léonide
Pasternack, né en 1863, s'est
fait un nom par ses intelli-
gentes peintures de genre (la
Veille de Vcxamen, au Musée
du Luxembourg) et surtout
par ses belles et émouvantes
illustrations pour Résurrection
de Tolstoï. Puis Philippe
Maliavine, né en 1869, aux
environs de Moscou, qui s'est
fait remarquer, à l'Expostion
de 1900, par une superbe étude
de Paysanne en rouge, et par le Rire, audacieuse peinture pleine de lumière, d'éclat, de gaieté,
d'une vaillance endiablée, qui a été acquise pour la Cialerie Moderne de Venise.
.•\l.EX.\NnRF, r.F.NllIS.
ECOLE ESPAGNOLlî.
Bien qu'elle appai tienne à la période précédente, la grande figure de Goya domine
en Espagne le nouveau siècle. Ce génie puissamment original, réaliste et Imaginatif, le
plus fantaisiste comme le plus fantastique, est aussi, à l'occasion, le plus naturel et le plus
simple, et de même le plus peintre selon les belles traditions, c'est-i-dire le plus classique. C'est
vers lui que se tourneront, à la fin du XIX^" siècle, les jeunes artistes espagnols qui tenteront
de remettre dans la vraie voie leuv école perdue par le maniérisme et les fallacieuses habiletés.
Ils auront dû attendre que l'admiration clair\-(ivante des réalistes français ait redonné au
Ecole espai^nuk'
>59
nom de Goya le lustre qu'il méritait et, au début du XIX' siècle, ce n'est pas sun influence
qui dirige l'école, mais, comme partout ailleurs, celle de la F'rance et particulièrement de David.
L'Espagne a. du reste, à ce moment, à la tête des arts une haute^'personnalité savante et
distinguée avec José de Madrazo v Ag^do, chef de la célèbre dynastie des Madrazo. Il était
né à Santander en 1781: il est décédé à ^ladrid en 185g. Elève de David, il fut pensionné
par le roi Charles I\' et s'établit à Rome, où il resta jusqu'en i8i8. A cette date, il revint à
Madrid, où il dirigea r.-\cadémie de Saint-Ferdinand. Il fut nonuné peintre du roi. directeur du
Musée du Prado, au recrutement et à la réorganisation duquel il présida. De ses trois fils,
il en est un de particulièrement célèbrj, Frederico de [Madrazo y Kuntz, né à Rome en 1815,
mort à Madrid en 1892. Il fut dirigé par son père et produisit son premier tableau à l'âge
de 14 ans. Il a exécuté nombre de portraits parmi lesquels ceu.x du baron Taylor, d'Ingres, etc.,
des peintures d'histoire et des travaux décoratifs. Il y a de lui. au Musée de Versailles, un
Godefroy de Bouillon proclamé roi de Jérusalem. Il a tra\-aillé beaucoup à Rome, où est né
son fils Ravmondo (1841) peintre, lui aussi, de talent brillant et aimable. Il succéda à son père
rHII-I-llil MaLIA\ INE.
comme président de l'Académie de Saint-Ferdinand et directeur du Musée du Prado. Il a peint,
comme plus tard son élève Bonnat, nombre de portraits de souverains ou de personnages
illustres. Membre correspondant de l'Institut de France. F. de Madrazo était également
estimé comme écrivain. La célébrité de la famille des ^ladrazo passe ensuite à son gendre,
Mariano Fortuny.
Mari.^no, José-Maria. Bernardo Fortuxv est la physionomie la plus t\pique de
cette nouvelle période de l'art espagnol, sur laquelle il a imprimé fortement sa marque. Il
naquit à Reuss. viOe de la provmce de Tarragone (Catalogne), le 11 juin 1838 et mourut le
21 novembre 1874, à Rome, enlevé presque subitement par une fièvre pernicieuse. Son père
était menuisier: dès l'enfance il montra des goûts pour le dessin, qu'on développa dans une
école spéciale lorsqu'il quitta l'école primaire. A 12 ans, il faisait ses premiers essais de
peinture. Devenu orphelin dès 1849, il fut recueilli par son aïeul, esprit industrieux qui eut
l'idée de gagner sa vie en promenant de ville en ville des figures de cire modelées par lui et
peintes par l'enfant. Un sculpteur, qui eut l'occasion de juger de ses talents, s'intéressa à lui.
En 1852, il se rend à Barcelone, où il obtient une pension mensuelle de 160 réaux (42 francs);
0
6o
La Peinture au XIX' siècle.
il V tra\':iilla à l'Académie sous la direction de Claudio Lorenzale. peintre c]ui composait dans
la manière d'( )\erl)eck. A ce moment Fortunw pour vivre, peint des ex-voto, des sujets de
dévotion \-endns à la dou/aine. l-'.n 1853. (pielques lithographies de Gavarni qui tombèrent
entre ses mains jiroduisirent sur >()n esprit une profonde impression. A\'ant obtenu le prix
de Rome en 18.57. il partit pour citte x'ille l'année sun'ante. Mn 1860. il fut chargé de suivre
l"ex]iédition du Maroc, \- i)rit de nombreux crocpiis. fut f.iit prisonnier, ri rut roccasi(jn
d'étudier de près le.s mteurs indigènes. C'est de ce jour cpi'il manite>te im goût tout
particulier pour les sujets
arabes, lin 1866, il \-int à Paris.
C'est de ce moment que date
sa réputation: il entra en rela-
tions a\'ec la maison Cioupil,
qui lui lit des comrfiandes et y
exposa ses principaux tableaux :
/(/ ]'icaria (le Mariage espagnol)
exécuté en 1868, le Choix du
Modèle, etc. Ce fut une grande
sensation en 1870, lorsque ce
premier tableau fut exposé.
En 18Ô7, il avait épousé Me''^
Cecilia de Madrazo. En 1874,
il était parti pour l'Angleterre,
1 il fit de nombreux croquis
' il était re\"enu à Rome avec
Il pensée de retourner en
.\ trique, lorsqu'il fut terrassé
]iar la maladie. La manière de
Fortun\- t'st originale et singu-
lière. Il lut très frappé, durant
son \-o\-age au ]\Iaroc, par la
richesse de couleurs, lebariolage
animé, pittoresque et harmo-
nieux des intérieurs et des
costumes. Sa manière orien-
tale toucha vivement Henri
Regnault, qui s'était particu-
lièrement lié a^•ec lui à Rome.
Lors de son passage à Paris, il
avait étudié quelque temps avec
Gérôme et fut séduit, étant
donné la dextérité native de sa main \-i\-e et alerte, par les feu\'res de Meissonier, notam-
ment par ses spirituels sujets du X\'III'' siècle. C'est le point de départ de ce genre costumé,
qu'il traita avec une virtuosité déconcertante dans une manière chatoyante, miroitante en
mille détails papillotants. Ce genre eut un succès considérable en Espagne et en Italie, où
s'installait, près de lui et derrière lui, toute une colonie espagnole, et cette influence, qui fut
déplorable dans l'une et l'autre école, en les détournant \-ers les tours de force de l'habileté
manuelle et les artifices du décor d'autrefois, dure encore aujourd'hui. Ensuite, au milieu de
tout un groupe d'espagnols établis à Paris ou :i Rome, comme Mei.ih.^, beau-frère de Bonnat,
MaRI.\NO FiiRItNV.
Le Kémoiileur au Maroc.
Ecole espa^'iiolc.
36 I
JusE Ji.MEXES Akanda. Ht- à Si'villf en i!^37. tons dmx à demi Ir.iui.wis. dii Kamon TisorETS
{Barcelone 183g — Rome 1804), (|ui ;icci)m])a,t;n;i son ami I'"(irt\in\' à Rume et y peignit le
tableau de ses funérailles (au Musée de Piareclone). Maktin Rk d. lu oakho ZA>E\cois,
Francisco Domingo. Ethjakdo Rosaeès. Ramon Rudkii.ii:/, la ])lupart camarades du maître,
jusqu'aux plus jeunes ..romains". José X'ilmj.as. né à Sé\ille en 1848. José I-îenlucke
Y GiL, né à Valence en 1855. Exkkjue Sekr.\, né à Barcelone en 1860, celui-ci iirescjue italien,
qui s'est depuis tourné \'ers le paysage, on ne distingue j)lus. un ])eu à part, (jue Francisco
Pr.\pilla. né en 1847 à Mllanueva de (lallego (près Saragosse) fixé, lui aussi, à Rome et connu
par des compositions historiques d'un dramatique pittores(]ue. telles (pie son tableau émouvant
de Jeanne hi I-o'/e. rpu obtint un grand succès ])ublic et une médaille d'or à l'exposition
universelle de 1878: (in encore José Moreno CARr.oxEl^(). lui aussi jieintre d'histoire anec-
dotique, qui a illustré avec verve celle de l'illustre chevalier Don (huchulte de la Manche.
C'est enfin l'incomparable dessinateur Daniel \'ieroe l'RKAr,iET.\ (1847—1004). «pu a vécu
constamment à Paris, où il s'est fait une légitime et grande réputation après les C.igdux. les
Meissonier, les Edmond Murin. par ses \-ives. nerveuses, pittoresques et expressi\-es illustrations
des TravaiUcuYS de la Mer. de l'Homme qui rit. de Don Ouiehotte. .m de l'ahU^ de Ségovic.
Arrivant droit aux générations qui se sont distinguées dans les dix dernières années
du siècle, on constate un essor nouveau dans l'école, des préocciq.mtions d'un caractère plus
élevé dans le choix du sujet et dans la technique. On renonce aux jMiérihtés du genre costumé
et aux habiletés écœurantes pour regarder la \-ie et la natme de jilus près et la traduire avec
plus de franchise et de vaillance.
Tout ce mouvement nouveau vient de N'aleiice, du pays basque et surtout de Barce-
362
La Peinture au XIX' siècle.
lonc. Le premier qui iiiari[ua a\'ec éclat un retuur à une vision [)]us saine est Joaouim
SoKOLLA Y Bastiha. Il est né à \'alence en 1862; il étudia dans son pays. En 1883, il
obtint un premier succès a\ec une ]3einture exposée à Madrid: Le _' mai 1808, épisode de la
résistance espagnole contre Napoléon, exécuté dans le goût alors courant dans la péninsule.
Il obtint la pension jxiur Rome, séjourna à Paris et ce passage fut décisif pour son talent en
l'orientant décidément vers les spectacles de la vie et de\-ant les phénomènes de la nature.
Il retourne en Italie, séjourne quelque temps à Assise, ri'\-ient en Espagne en 1892 et à ce
moment commence sa carrière avec sa Barque de halage liréc par des boeufs, exposée au Salon
de 1895 et qui fut acquise par l'État pour le Luxembourg. On y sent nettement l'influence des
tendances du groupe de Bastien Lepage. Sa palette est alors assez grise: peu à peu elle s'éclaire
et s'échauffe et il cherche des effets lumineux et colorés dans le sentiment de Besnard ou de
Hkrmrn .\ni;i, \ii,\ v Cam,\r\ a.
;ile" (Mii^cf du Luxembourg).
Zorn. mais avec un éclat très intense, très particulier, comme seuls peuvent le donner le ciel
et la mer du Midi. Il ])eint des portraits enlevés de verve et avec caractèiT et des scènes
de la vie des pécheurs de la petite plage de Ja\'er où il passe jilusieurs mois tous les ans: les
Raccomodeurs de filets, les Repriseiises de voiles, la Bénédietion des bateaux. Soleil du. soir, etc.
Une exposition de Sorolla a on lieu aux (raleries ("icorges Petit en iqo6 et a été couronnée
par im grand succès.
Plus jeune de S ans, il est né le 26 juillet 1870 à Eibar (Guipuzcoa), Ignacio Zuloaga
Zab.aleta est originaire d'une vieille famille bascjue et fils d'un artiste, Placidio Zuloaga, qui
s'est particulièrement distingué dans l'art tout espagnol du ter damasquiné. Le Luxembourg
possède un coffret de cet habile ciseleur-damasquineur. Sou éducation s'est faite sous la
direction de son père, mais d'elle-même, en dehors de t.iute école, bien qu'avec un respect
Ecole <,-s[)a!4n()K'.
36.
ivligifux pour les maitivs. Il rst \v pinnirr. in I';>i>,i^ur, c|iii ^oit revenu wrsdoy.i, \'élasque^
et le Greco, que'Zuloaga ne nnninn' cpie cdinmi l'en parh- (le> dit-ux. Aujourd'hui que le
succès a répondu à son talent, sa seule joie en dehors du bonheur de peindre, est de dénicher,
dans tous les coins d'Espagne, des morceaux de ses maîtres de prédilection. Aussi se
rattache-t-il à eux en ligne directe et sans aucun intermédiaire, si ce n'est quelques regards
sur Manet. Ses débuts suscitèrent une violente hostihté dans son pays et ses tableaux furent
refusés par le jury espagnol en 1900. Sa première peinture fut son jM-opre poitrait exposé à
Paris en 1S98, puis en 1.S99, les deux Portraits si vi\-ants. si alertes, si subtils de coloration,
de ses cousines, où il y a. avec une jialette si rare de tons, on n(/ sait cpiel mystère charmant
qui fait penser à ses maitres et à \Mustler. Son nom lut tiré au>siti;it de la foule et sa
réputation alla grandissant, les années suiwintes, aux Expositions de Bruxelles, de Munich et
de Venise. Les Musées d'Europe ou d'Américjue se dispiitèrent ses reuvres. Tous ses sujets,
ou du moins presque tous sont pris dans la vie populaire des villes d'Espagne: danseuses,
toreros, gitanes, courtisanes, poètes ou impro\-isateurs locaux, ([u'il traite avec un large stvle.
fortement coloré, en riches matières n
avec des accords de tons très raffini -
Par ses tendances et ses goûts, Zuloag
qui vit principalement à Paris, s'e-i
rattaché au groupe des Encien Simon
Charles Cottet, René ^Ménard, etc. l'n^
autre physionomie tout à fait à pai
dans l'école espagnole, à côté de Zuloag,
est un camarade et contemporain Hei
MEN Angl.^d.a. y C.-^m.a.r.\s.\. ué à Barc'
lone en 1872. Son père était fabricant
de carrosserie et faisait de l'aquarelle en
amateur. Il le perdit lorsqu'il n'a\'ait que
sept ans. Sa vocation s'était montrée
par de naïfs modelages. .Après quelque
résistance de la part de sa mère, il obtint
d'être envo\-é au.x cours de l'Académie.
Il commença par des études de ])aysage.
\'enu de bonne heure à Paris, il étudia
pendant quatre ans avec Jean-Paul Laurens et Benjamin Constant. Mais ses regards étaient
tournés d'un tout autre côté. 11 était séduit par les aspects de la vie parisienne et vivement
intéressé par les artistes qui s'étaient essayés à la traduire, parmi les impressionnistes, surtout
parmi ceux de la dernière génération, tels que Toulouse-Lautrec. C'est de préférence le Paris
nocturne qui l'attire avec l'éclat de ses lumières artificielles, des projections électriques, qui
exaltent les couleurs a\-ec une sorte d'intensité fébrile et qui met, sur les masques tardés des
courtisanes, des accents étranges et fantastiques. Il a peint ainsi nombre de sujets de cafés-
concerts où se promènent des figures spectrales de filles luxueusement empanachées et parées,
avec une richesse d'accirds (jbtenus par des coult.-urs qui ont quelque chose de surnaturel, un
accent à la fois voluptueux et macabre. C'est bien im art issu du \-ieux f(jnds espagnol. Anglada
a peint aussi nombre de scènes et même des figures de grandeur nature de son pays: gitanes,
danseuses, et jusqu'à des natures mortes, avec cette palette magique. Le Luxembourg possède
de cet artiste un groupe de Bohcniiois, donné par le baron Henri de Rothschild.
La ville de Barcelone a vu encore naitre le décorateur José M.\ki.\ Sert, (pii vit
à Paris et y a exécuté les \-astes décorations, dans un goût classique et michelangelesque.
Kl >LSOI. (S.XNTlAi
a E.i,.
'Jj
4
La Peinture au XIX'' siècle.
dénotant un IrinpiiMiiirut jicu Drdinalrc. jxiur la catlii'dralc ilc \H h ; les peintres Bakkau,
Casas, et le pa\sa,i,M'-te Inîtsinoi, (Samia(,()), né en iN()i. l'.'intiv. critKiue. aiitenr dramatique,
ce'.ui-L'i est une ]>li\si(iniiune exeeptinnnelle et même uuKjur daus la peinture espagnole de
paysas;e. Après a\(iir \()ya,t,'é en Italie, en France et en Hollande, il trouva sa voie en 1896
en parcour.int rAndalou>ie; il y pei,t,'nit les vieux jardins de (irenade avec leurs verdures
taillées, leurs fontaines de marbre, leurs ^■/e;-;(-/'((.s. leur ..ar(iuitectura verde": il fut le Lobre ou
le Helleu des jardms d'Mspagne, de (n-enadc à ^lalaga. île Cordoue à ^lajorque. Le Luxem-
bourg possède deux de ses toiles d'un accent xraimcnt si local.
Il reste à signaler, dans les scènes de la vie réelle, les noms de Pinazo Martine/, Carlos
Vasquez, .Menender l'idal, Filhol y (^ranel, Checa, Kamon Pichot. Castelucho, Cardona, etc.;
pour le paysage, ceux de ^Morera et de Aureliano de Beruete (né à Madrid en 1845), célèbre
autant par ses savants écrits sur les maîtres du passé que par ses vues de Tâjire Tolède.
ECOLE ITALIFINNI-:.
L Italie est loin, sans doute, d'avoir repris la place (lu'elle occupait jadis dans les arts,
à la tète de toute les nations, l'ne- si longue et si prodigieuse lloraison devait amener une
pérKjde d'épuisement ou du moins de ralentissement. De jilus l,i situation critique qui lui
fut faite pendant les soixante premières années du siècle n'était guère propre à favoriser le
Ecole ilalK'nnc.
relèvement des arts. 'lOiit l'rllurl du ,i;riiir italim est conecntic \ rrs un >c\il t^rand liut :
conquérir l'indépendance et eonstituir l'imite de la n.itien. II ist au>^i une caiisf <iiii retarda
l'éclosion d'une \"éritable école lneale. c'est l'insasinii même de l'Italie ])ar <le> colnuies iniKim-
brables de peintres étrantjers. l'dle est restée tdujour.-- le terntuire sacré où toutes le> écoles
viennent prendre contact a\ec les plu> niil)les imagination> du [lassc'. iM'an.ais. Allemands.
Anglais, espagnols s'\- sont installes par des fondations à demeure, ou \- ont t u\o\-é leurs jeunes
artistes. Il en est résulte sur un peuple de com])réhension ra])i(le. assinnlateur et imitateur
comme les \'raies races artistupies. une adaptation étroite à toutes les inllueiices étrangères.
Ce phénomène, m.inifeste d.ms toute l,i jiremière période de ce dévelo])])ement d'un siècle, est
encore sensible de notre temps.
L'unité, qui est com]>lète
au point de \-ue jiolitiipie. ne s'est
du reste pas encore produite' entière-
ment dans le domaine des arts, et il
y^a moins une école italienne (|u'une
série de petits groupes ])ro\'inciair\
assez distincts, malgré les transfuges
qui passent d'un milieu dans l'autre.
Au début du siècle, l'inlfuence de
David et des français établis à Rome,
dont rieu\"re, comme celle de
Léopold Robert et de Schnet/;. est
consacrée à la glorification de l,i \ie
populaire italienne, ne peut manquer
de s'exercer, et les peintres d'histoac
Camucini puis Stepliano l'ssi ne' sont
que des pâles reflets de la tradition
classique fran7aise. continuée par les
romains (iustax'o Simoni i.'t .\ugusto
Corelli.
C'est du sud que \int le
premier mouvement d'émancijia t Ion .
avec le napolitain Domexko Me
RELLi, né à Santa Lucia le zi) .loi'il
1826, mort à Xaples le 24 août njoi.
Enfant du peuple, il fut un instant
apprenti mécanicien et sui\it tout
jeune les coiu's de l'Académie, où
il se m(jntrait assez rebelle au.\ lei
des œuvres d'art et la lectur<' des p(
d'Overbeck et des Nazai
sacrés. ;\Iais
|ii>i;rii i>K Ni lus
l.a IMacc aes Pvr
.les (.\Iiisrc .lu I.uxfmli.
US (|ui lui et.uent données. I''.x,ilte iiar la conleinpl.itiou
tes. il suivit droit son cliennu et ,illa étudier à Rome ])rès
d'où \-int s.ins doute ce goût, ([u'il eut toujours, pour les sujets
m tempérament \ igoureii.\ et réaliste ne pou\-.ut s'accoiunioiler à ces doctrines.
II voyagea en Allemagne, en .Vngleterre et en France, où il si'iiible qu'il .lit été touché par
Delacroix, dans toute sa gloire au moment où il commence sa c.irrière. en 1.S33, a\-ec les
Iconoclns/cs. Ses peintures religieuses. ,s„.// ,■/ Duvid. F Ascrnsioii . ht Dcpusitinii de Croix, le
Christ iiuirchant sur la Mer. lu l-'illc de Juïrc. 1' I:\/^itlsiiiii des iiiurcluiiids du l'cmMc. Marie
Madeleine, la Tentation de Saint Ant"ine.Mnn conçues, en effet, dans le goût de l'orient. ilisuie tout
nouveau, et avec un moin'enient. une couleur et une force e\])ressi\-e .ibsolunieiit inconnus
-^66
La Peinture au XIX' siècle.
alurs dans la péninsule Morulli fonda en 1863 la Société ])romotrice des Beaux-Arts qui fut
le point de départ du mou\-ement de rénovation artisti<|uc. 11 fut professeur, puis directeur
de l'Académie royale et du .Musée, et sénateur. Il y eut dès lors à Naples tout un mouvement
artistique que vint déx'elopjicr plus tard le séjour de Fortunv et le prestige qu'il e.xerça autour
de lui. II \' avait eu déjà, du reste, un certain nombre de paysagistes, d'esprit assez libre,
dégagés des anciennes formules et s"(jrientant. srmble-t-il. \-ers les romantiques français, tels
que GiAi'iXTO CiiGAxri-: (1M05 — 1S76), qui rappelle de loin notre Isabey.
C'est de Naples que vint encore la physionomie cosmopolite de Joseph de Nittis.
Né en 1846 à Harletta. dans les Fouilles, il vint tout jeune à Naples, où il entra à l'école des
Beaux-.\rts, après la mort de son père et malgré ro[)ji(>sition de son frère aîné qui était son
l'AiJLo Mk'HETTI.
tuteur. Il exposa pour la première fois à l'âge de 18 ans à l'Exposition de la Société promotrice
de Naples, et vint en France en 1867. Il s'y maria en 1869, première année où il e.xposa au Salon.
Il fut séduit aussitôt jiar la \'ie parisienne et les maîtres français; il \-oyagea en 1876 et 1877 à
Londres, où il peignit divers tableaux londoniens, tels que le Derby : mais c'est à Paris, qu'il
vécut surtout, touchant de près le milieu impressionniste. Son joli tableau si lumineux de la
Place du Carrousel, exposé en 1883, fut acquis par le Gouvernement. Le Ministre ayant regretté
qu'on ne pût acquérir en même temps la Place des Pyramides, de Nittis racheta cette toile
à la Maison Cioupil et l'offrit à l'I^tat. Il mourut à Paris le 21 août 1884.
On peut rattacher à l'école napolitaine, bien qu'il ait eu une carrière tout à fait à
part, FR.AXCisro P.aolu'Mk hktti, né à Tosco de Casauria, dans les .Abruzzes, le 2 octobre
1851, mais qui étudia tout jeune près de ■Morelli, à Naples, en compagnie du sculpteur Gemito
et de ]\Iancini. Sa première manière est toute dans le goût précieux et minutieux, alors à la
Ecole italienne.
367
mode à Xaples. fuis il abandonna ces tableautins ingonieuN jxmr se li\rei à de \astes com-
positions, conçues un peu en décor, d'une exécution résolue, a\ec une extraordinaire habjleté
et même une véritable force expressive. Le Vœu, à la Galerie d'art Moderne de Rome, la
Procession des Estropiés, exposée à Paris en 1900. la Fille de Jorio. épisode de la \ie populaire
des Abruzzes, Galerie Nationale de Berlin, récompensée d'une médaille d'or à rExp(jsition
internationale de A'enise en 1895, sont des ccuxTes vi\-antes et hardies, traitées a\-ec un sen-
timent rare des robustes réalités.
Antonio Mancini. né à Ktmre en 1832 peut, de même, être rattaché à ce groupe. Il
passa à Naples ses années d'adolescence et étudia sous la diicction de ]\Iorelli. C'est là aussi
qu'il a exposé ses premières (eu\-res: Aime ton prochain comme toi-mànc et les Fils d'un ouvrier
(1877). Il a peint nombre de portraits d'une technique robuste et colorée, recherchant l'effet et
l'éclat jusqu'à incorporer dans la pâte des frag-
ments de nacre ou des paillettes de métal. Il y a
beaucoup de ses portraits en Angleterre où il est
très prisé. Le Petit Ecolier, du Musée du Luxem-
bourg, œuvre d'une époque déjà éloignée est un
don du peintre Ch. LandeUe.
C'est ensuite vers le nord que le mouve-
ment s'est continué, dans le Piémont, en Lom-
bardie, à \'enise. La ville des doges est le dernier
coin de ciel privilégié où se soit prolongé le rayon-
nement de la grande tradition passée. Le séjour
des étrangers enthousiastes qui viennent en hxei
les aspects uniques au monde, a sans doute été
un stimulant pour les maîtres locaux. Ils y
accueillirent les premiers, semble-t-il. le renou-
veau, venu de Naples. Gi.\como F.wketto. né
à Venise le 11 août 1849. mort le 12 juin 1887 et
LuiGi NoNO, né en 1S50 à Fusina, reprennent ce
mouvement avec une \er\e. un esprit, un senti-
ment pittoresque des réalités et une fermeté dans
la technique, qui sont de belle race.
Le tj'pe du peintre \énitien par excellence
est aujourd'hui Ettork Tito, bien qu'il appar-
tienne par sa naissance à l'Italie méridionale. Il
a la grâce facile et légère, les tonalités argentées,
la fluidité atmosphérique, l'élégance et la vivacité de ses ancêtres du X\TIL' siècle. Il est né
à Castellamare di Stabia en 1859. vint de bonne heure à \'enise, où il fut élève de Fa\Tetto.
Toute son œuvre est à la gloire de la grande cité marine, dont il a peint les jolies filles,
'Vénitiennes ou Chioggiottes, réunies sur les jondamenta, à blanchir le linge, à raccommoder des
filets ou, sur les places, à bavardei au milieu de l'animation des marchés. Il a traité aussi
la grande décoration avec un certain maniérisme aimable et distingué.
On trouve ensuite toute une série d'artistes très intéressants, peintres de paysages.
de marines ou de sujets de la \ie populaire, tels que Pietro Fr.^gi.acomo. né à Trieste en
1856, qui s'est formé à l'Académie de \'enise et s'est voué à peindre, avec de chaudes colorations
doucement amorties, des scènes de r.\driatique: le \'éronais Axgelo Dall'oca Bi.\nca, né en
1858, qui réside dans sa viUe natale, dont il raconte la vie quotidienne en tableaux fortement
colorés, d'une jolie sensibilité naturaliste avec un certain accent britanniciue à la W'alker.
.. M.A
tlu Luxembourg).
368
La Peinture au XIX' siècle.
Fk. Sartorklli, FiiKKi'( CIO ScATTOLA, Mario VoLi'i OU di's pnrtraitistL's comme Luuh
Selvatico et Alexaxdrk .Mii.ksi. Mais on ne {xiit manquer de citer à part le paysagiste
Bartolomeo Bezzi, né en 1851, à Fucine in \'al di Solo, dans le Trentin, qui étudia à
l'Académie de Milan, et a, dans son talent souple et enveloppé, de la tendresse et du mystère
d'un Corot ou d'un Mau\e; entin, la famille Ciardi, avec le doyen Guillaume, né le 13 septembre
1842. jieintre des lai,'unis di- la campagne vénitienne, avec de belles vibrations lumineuses
dans l'atmosphère autonm<ile et mouillée: son fils. Giuseppe Clardi, né en 1875, qui eut, dès
l'âge de \-ingt ans. un vrai succès avec un grand triptyque, Terre en /leurs, sui\'i de l'A nie de
la nuit, 1901, et des Wiehes à Falireuvoir, de la Galerie Moderne de Venise, esprit pc.iétique et
mystique, et sa S(tur Fm.ma Ciakdi. qui peint d'e.xquises fantaisies, où l'àme songeuse et tendre
de Watteau se mêle à la grâce désinvolte de Guardi.
L'Hmilie offre (pieliiues noms intéressants; ceux de (iIovaxni Muzzioli (1854 — 1894)
peintre d'histoire et de fantaisies macabres, influencé par la^ France et l'Allemagne et
f.i'iGi Serra (1846— 1888),
décorateur ingénieux et pitto-
resque. C'est encore Marius
PicTOR (M.ARio de Maria), né
à Bologne en 1853, mais domi-
cilié à \'enise, vigoureux et
mystérieux exécutant dans le
sentiment romantique; puis
Cesare Laurexti, peintre
d'histoire et de décorations
allégoriques, né à Musole, près
Ferrare, mais fixé à Venise,
enfin le plus célèbre d'entre
tous, BOLDINI (GlOVANXl), né
à Ferrai-e en 1853. Fils d'un
]U'intre d'imagerie religieuse,
(jui s'opposa d'abord à sa
\ocation, Boldini, tout jeune,
dessinait en cachette des sujets
romantiques à la Walter Scott.
Son père, ayant découvert ces
dessins, se décida à l'envoyer
étudier à l'Académie de Florence. De là il alla à Londres, puis à Paris, exécutant des portraits
et surtout des scènes de genre dans le goût de Meiss(.)nier. (.)U pluti'it de Fortum', des paysages
et des scènes de la \ir de Paris. Mais il s'est distingué, en dernier lieu, par des portraits d'une
élégance très moderne, d'un maniérisme très aristocratique, étatdis a\-ec certains partis-pris
de mise en toile à la Whistler. une teclini(iue nerx'euse et l:)rillante et de fortes et savantes
harmonies, où le noir domine On lui doit les portraits de Wliistler, du ('ointe de Montesquioît,
de Lndv Hulland. de la Dtiehesse de Westminster, de .1/"" F. /'.. etc.
La Toscane semble a\-oir jtroduit plutôt des sculpteurs que des peintres. Rome offre
du moins deux artistes assez exceptionnels dans l'école moderne, car ils se sont attaqués
avec vaillance à la peinture d'histoire et à la décoration. L'un est Cesare Maccari, né à Sienne
le 9 mai 1840, qui connnen':a son éducation dans cette \ilk'. étudia ensuite à Florence et à
Rome et se fixa dans cette capitale. Esprit laborieux, mais libre et ouvert, il a revécu le
passé de Tantique Rome a\-ec une érudition enthousiaste et passionnée, et on n'a pas oublié
?;thikk Trn
Sur la l.a,L;uiH- ((lalerie Mudeine de Venise).
Ecole italienne.
369
l'impression produite à l'Expiisition de i88() par ses cartons pour la décoration du Sénat italien.
Il a décoré également la coupole de la Basilique de Loreto. (iiuuo-ARiSTiDK Saktorio est né à
Rome le 5 février 1861. Il eut pour maîtres José Villegas et Miclietti et ses débuts furent tout à
fait dans les tendances espagnoles. Mais il voyagea à Londres, lut frappé par les préraphaélites
qui exercèrent sur lui une longue inllucnce, sensible dans sa Madone des Auges, son triptyque
des Vierges sages et des Vierges folles, etc.
Il a été appelé à professer à \\'eimar. C'est
un décorateur de style réel, bien que sa
manière soit assez agitée; il a aussi fait de
la sculpture. La Lombardie et le Piémont
sont les premiers pays où s'est peut-être le
plus activement développé le goût des arts.
A Milan, l'impulsion est donnée par MosÉ
BiAXCHi, né à Monza en 1840, mort dans
cette ville en 1904. C'était le fils d'un
peintre restaurateur de tableaux qui lui
donna les premiers enseignements sur la
technique; il étudia à l'Académie Brera,
puis en 1859 s'engagea dans les troupes de
Garibaldi. Ses succès commencèrent en
1864 avec des sujets de genre, des portraits
et des aquarelles enlevés avec beaucoup
de verve dans l'esprit vénitien; il a été
aussi graveur. En 1898, il fut nommé
directeur de l'Académie de \'érone. C'est de
son enseignement que sont sortis presque
tous les nombreux artistes de l'école lom-
barde. Derrière les anciens, les Induno ou
les Pagliano, qui se rattachent à l'ancien
genre, se groupe toute une école de
remarquables naturalistes, tels que Filippo
Carcano (né à ]\Iilan en 1840), dont le
Luxembourg possède une belle toile, duii-
pagne dWsiago, Leoxardo Bazzarù et
GlUSEPPE S.ARTORI, milanais établis à
Venise, qui en peignent la \'ie marine avec
beaucoup de sentiment, puis ^Morbelli
(Angelo), né à Alexandrie le 18 juillet 1863,
qui, après avoir, lui aussi, débuté dans le
genre à la mode, s'est distingué par des
études très impressionnantes d'asiles et
d'hôpitaux, à la manière des Invalides
d'Herkonier, avec une entente réelle de l'effet et une grande sensibilité de\-ant les jeux de la
lumière. Il exposait chez nous en i88g Giorni Ultinii, et en 1900. son Hospice Trivulzio, très
admiré et qui a pris place au Muséi' du Lu.xembourg.
C'est le Piémont qui a eu l'honneur de donner le jour à la figure devenue la plus
populaire de l'art italien moderne: (liowxxxi Segaxtixi. Voisine de la France et assez proche
j)ar les mœurs, cette province axait subi de bonne heure l'influence des m.u'tres français et
riu'to Br.iu:!, diiiicnt \- C:,.
riIoVANNI BOLDINI.
P,irti.iit ae Whistler.
3 70
L;i Peinture au XIX' siècle.
il s"v troiu-e déjà un imysas^istf de talent, qui iai>])cllc nos naturalistes, Antonio Fontamcsi,
né à Reggio d'iùnilia le 2] lé\-rier 1818. mort à Turin le 17 a\-ril 1882, qui fut appelé quelque
temps au Japon où il dirigea l'Académie de Tokio; il a laissé un élève distingué dans son
biographe Marco Cai.dekim. Mais Segantini ouvre une ère nouvelle au paysage italien, il lui
apprend à traduire les grands spectacles de la montagne, la subtilité de son atmosphère, la
pureté et Téclat de sa lumière ré\-erbérée par les neiges éternelles, problème maintes fois
tenté et jamais résolu. Né le 13 janvier 1858 à .\rco. il est mort presque subitement à la
Maloja. dans ITÎngaclme. le 28 se])tembre 1899. ()r)>lielni de bonne lieure. il fut d'abord pâtre
et eomnicnra ])ar dessmer ses l)etes comme diotto. Il (•miiA'eilla si bien cen.\ qui l'entou-
raient (|n'on le lit partir jiimr .Milan a\'ec quelipie argent ])our étudiera l'.Kcadémie Brera. Il
se retua bientôt à la campagne, dans l'Engadine. oà il se fixa a\ec la nombreuse famille
fan\,\NM St.c;.\NriM.
Le Toiuleui- (Culleclion E. II. Ci
.Ain>teri.latn ).
fju'il s'était créée. Par son ami drubicy. de .Milan, ])eintre et marchand de tableaux, il fut
mis au courant des (eu\'res des maîtres français; il était également lié avec quelques artistes
belges ou hollandais. i)ar cpii il connut le m(un-ement moderne. Ses débuts partent de Millet
ou Troyon j^our arri\-er inconscit-nunent au.x jirocédés fie l'imprt'ssionnisme. Ses en\'ois à
l'exposition de i8H() ])roduisirent une \'i\'e imjiression. Il a traite des sujets réalistes et ruraux
de la vie pastorale de la montagne; c'est là qu'il montre ses plus \-iriles et ses plus franches
qualités; puis des allégories symboliques, dans l'esprit des (piattrocentistes et des maîtres
anglais, où il est moins à son aise. Son procédé de division du ton ,1 créé tout un groupe de
divisionnistes, réalistes comme Carlo Fornara, idéalistes et symbolistes comme G.aet.ANO
Previati, paysagistes et peintres de genre comme Anorea Taverxikk, Lorexzo Delleani,
Alberto Falchetti. A signaler encore Giaco.mo Grosso, décorateur et portraitiste habile.
INDIiX ALPHABHTlori^ 1)1{S IM-:i.\ IRHS ( ITHS,
gtolif.
Abbev (BUviii A.).
Acliefi (lioorg)
Aclicnbach
Adaii
Adan (L.l
Adler (.Iules)..
Agneessens (Kd'>u:i]
Allebt- (Augiist) . . .
Allègre
Allston (Wasbii
Ahna Tadenia i Lawrem
Alt (Hiidnir von)
Aniaii-.lean
Ancher (.\iina)
Angell (Heiniirb v.nil
.\nglada y Cainarasal II
men)
Antisna
Apol (Lodcwijk)
Aranda (.lose Jinienes)
Ainesen (B"igbild). . .
Artaii (Louis)
Artz (Adcll'l
Auburtin (Fr.)
naer.stsoen (Albert). ...
Bail (Joseph)
Baretiu
Barillot
Baron (.Thë.jdore)
Barran
Bartcls (Han- von)
Baithold (Manuel)
Bas.-liet I Marcel»
Baslikirtseir (Marie) ....
Bastien-Lepago (.Iules)..
Baud-Bovv (.\ugustej...
Baiidrv (Pauh
Bauer (Marius)
Bazzaro (l.eonardo)
Begas (Karl)
Bellanïer
Bellée ( L. de)
Belly (Léon)
Benczur ((jvula)
Benjamin Constant (.Ira
Joseph»
BeidIiore y cil (José)...
BetlMis l.xiexantlre) . . -.
Béran.l (Jeani
Bergeret
Bergh (R.)
Bernat/.ik
Beroniieaii
Bertun (Armand)
Berupte (Aurelianu de) .
Besnard (Panl-Alberti. .
2'i8 liailly (Louis-Léop..ld)
;)'ili lioiss'ard de lii.isden
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is', H,. l.l, ni (laf.va.iiiii ..
■201 lii.ni|.ard . Main- . .'1. ,
( .inslable (J..hnl
C.pley (J..hn Si,igle(,.n.)..
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1 .rnelius (Peter von)
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C.itt.-t diiarlesl
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Conrteiis (Franz.
( .iillnre Cl'honias)
ikovsky (Vladimii). 3ô'i C:
3'iG lii.sli.iom (J..hannesl
3(53 B..nlanL'er lly.
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lîrullow (Charles) .
lirnni (Th.)
lînlVet, (Ain.:'déi-).. .
Ballet (Paul)
Bnk..vae (Biaise) ..
1,1 ( Eu
Kvi Bunie-Joni-s lEilwa
•274 liiissMii
3119 Ba-sv (Sim.iii)
322 Butin (Ulvsse)
4(i ,
IS'i j Cabanel
110 Cailleb.tte ((j.islav
3'i'i Calanio (AusTUste) .
Cal.lerini (Mareoi..
15(1 I Cals (Feli.sl
3GI I Caniiieini
ffiS Carb..uero (Jos.. M.
Ws Carcano (Filippo)..
KO Canl..na
3VS Caro-Delvaille
34'i Carrière (Eugéiiei .
215 Carstens (.\snius .1
lys (/asas
3Gi Cassatt (Miss .Mary
1VI2 Castelucho
215 Cate (Ten)
Bezzi (Bartoh.me..)
. :f)i.s
Ca[er
Bianca (Angelo l)air..eal
1 :îC7
Cazin (Jean-Cl.ail,
Blanchi (Moséj
. 3(i'.l
Cézanne (Panll...
Bilders iJoannes)
. 2f>l
Chabas (Paul) .. .
BiU.itte (René)
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Binet lAd.ilphe)
. is'i
Chas.'
Binet (Vi.,-tor)
. ix'i
Cliasscriau (Thé...
Bisschopp (Cliristolfeh. .
252
Chanchet-Cinillere
Bisschop-Robertson ... .
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Bjork (Oscar 1
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Ch.aiavard (Paul)
Blake (William)
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Blanche (J.)
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. 322
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Ciar.li (Ciiiseppei.
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Clavs (Paul-Jean),
Boberg (Anna)
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B.jch
280
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B. jdmer (Karl)
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Colin ((iùstave).. .
Bo'cklin (Arnold.
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Bogoliiib..lT (.\le\is) .. ..
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A.l.lphe-Jean
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Ferrier (Gabriel)
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370 Haloneii 3.53
175 HammershoÎ! WillieliiO.. 347
370 llamon 11k
34k Hanicotte 2ol
1115 Haiioteau Ik'i
Hansteen (Nils). :J.52
359 llarpignies (H.-nri) 111
2'iK Harrison (.Xlexanden . . . . 248
292 Hassam ( (L'iiilde i 24K
307 llaverman ( Hendri.-k Joh.) 279
317 Hébert (Erne.st) 123
300 lle.l..iiin 105
105 Hellen 19K
1.K'.) Henncr (Jeaii-.lac.iues). . . 134
2'iS Hennis i Ott.) 3.52
347 Herk..mer (Hubert von).. î'»
120 Uerterich (Liidwig) 32S
33K Heverdahl 352
32.) Hevmans (Adrien-Joseph) 2SW
Ilinna (Bernhard) 352
Hitchcock (George) 2-'iK
2.53 Hjerlow '■&!
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lloekert (Frederik) 34K
14k H..llbauer 201
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2K2 Ibive iBartb.dom.us van) 251
109 Ho\e .Hubert vaii. 251
3.53 lluei (Paul) t/i
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215 llunt 1 William llolmau). 22S
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105 llsteil (Peter) 3'i);
3.50 Ingres (Jean- Auguste- Do-
24K iiiini.iue) . . 20
327 Iniiess (George) 247
14 Irminger (W.) :t47
24 Isatiey (Eugène) r^G
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3/
Index xALl})habéthique des Peintres cités.
Pages
Krover (Peter Severin).. 346
Kruger (Frantz) 322
Knisemun (Cornélis! 250
Kruseinaii (Janl 250
Kuehl (Gotthard) 327
Laache (Kristine)
Laermans (Eugène)
La Farge (Jolnr.
Logarde
Lagye (Victor^
LalàiiifT (Jacques de»-. ..
I^mi (Kiigènej
Laniorjiiière (Fnimf'isi . .
Lanceray (Eugène)
Lapaira
Larsson (Cari i
Laszlo (Fulop)
La Touche (Gaston) . .
Laurens (Albert) .
Laurens (Jean-Paul i
Laurens ( J -Pierre)
Laurent (Ernest) -
Laurent! (Cesare)
Lauth (F.)
Lavery (Jnbn)
LavieiUe
LebasTue
Lebourg
Lecomte du Nouy
Lefebvre rjules)
Legrand (t..)
Legros CAIphonseï . ,
Leibl (Wilhelm)
Leistikow (Walter')
Leleu
Leleux (Adolphe i
Leleux (Armand). . .
Lenbach (Franz von i
Lepère (Auguste)
Lépine
Lerolle
Lerov (Paul)
Le sénéchal de Kerdi-éoret
Le Sidaner (Henri)
Leslie (Charles R.)
Lessore
Lévêque (Auguste)
Lévitan (Isaac)
Levitzkv f Dmitri i
Leys (Henri)
Lhermitte (Léoni
Liebermann (Max)
Lies (Joseph i .
Liljefors (Brun..)
Lobre
Louhon
Lundbye (Johann)
Lunois
Maccari (Cenare)
Mac-Ewen (Walter)... .
Madrazo y Agudo (José de)
Madrazo y Kuntz \V cle-
rico de)
.Maignan f Albert!
Makart (lions).
Makowsky (Constantin). .
Maliavine (Philippe) . ..
Mancini (Antoninj
Manet (Edouard)
Marcke (Van)
Marées (Hans von)
Marilbat (Prosper) . .
Maris (Jacob) ...
Maris (Matthvs)
Maris (Willem)
Marslranil (V.)
Martel (E ) ..
.Martin (Henri)
Martin (Ilûiiier)
Ma)-ti.i (Wiiislow) :
.Martinez (Pinazo) :
Matevko (Johann-Alosius) ;
.Matisse (H.) :
Mauve (Anti>n) :
Max (Gabriel) :
a.v.
Pl'orr.
)2U
Mehofer
Meissonier (Jean-Louis-
Ernest)
Melbve (Anton) :
Melchers (Oari) '
Melirla...
Melville (A)-thii.)
Ménard (René) :
Mej)n (liartbelemv)
.Menzel (.\d..lpb).'.
Mei-son (L)ic-( )livier)
Mesdag (llendi-ik Willen))
.Mesdag-Van Houten(Mme
^^iria) :
.Meulen (Pieter) :
.Meunier (Constantin).... '
Mever (Ernest) :
Miil-hallon
\liflicl iiieoiges)
Mi.'iirttii I rancisco Paolo)
\lil.,i i.\l. x.indre)..-
Mcll.iÉ-- (John Evei-ett).
.M]||er (Richard)
.Millet (Jean-François). .
MoU
onDceili (.\dulphe).
orbelli (Angelo)....
nreau (Gustave).. .
orizôt (Berthe)-
orot (Aimé)
orot (Aimé-Nicolas)....
orren (George)
otte (Emile)
ottez (V'ictu)'- Louis ).. ..
oiissatof ) Victoi-)
uenier
nller (Johannes)
unkacsy(.MichelLiebdit)
unthe (Gerhai'd)
uzzioli (Giovanni)
N'avez (Fram-ois Joseph)
Neubuys (.Mbert)
Neuville (Alphonse de)..
Néziére (J. de la)
Nicolet .
eph de)
\l!<s Klisabeili).
359 OlefTe (Auguste)
(Drchanlson (William
Quiller) 242
(Jrsel su
Osterlind-(Allan) '.m
Ottin 141
Overbeck (Frederick Joh.) 319
Pal (Ladislas de) 340
264 Papetv 80
2(57 Pasternak (l.éonid) 3.-)S
260 Pauli ((;eorK. 34K
345 Paoli (Hanna 34.S
215 Paulsen (Julius) 346
202 Pausinger (Clemens void 344
24.S Pedersen (Vigg.i) 3'i7
Philipsen (Theodor) 347
Pieneman (.lan-Willeni).. 250
Pieneman (Nicoiaas) 250
Pichot (Ramon) 364
Picou 118
Pietor (Marins) 368
Pidal (ilenenderj. . • 364
Piot (René) 216
Pissaro (Camille) 1H2
Plageman ( Karl) 347
Pointelin (Auguste) 1S4
Poterlet 44
Potter (Maurice) 206
Pradilla (Francisco; :J61
Previati (Gaetano) 370
Prinet 209
Prouvé (Victiu-) 198
Prud'hon (Pierre) 20
Puvis de Cbavannes
(Pierre-Cécile) 169
Quignon 184
(juost 184
RafTaëlli (Jean-Fiani;ois) . 196
Régamey (Guillaume) 150
Regnaul't (Henri) 151
Regnault (Jean-Baptiste) 10
Rehfous 317
Renard (E.) . 201
Renoir (Auguste; 179
Répine (Ilja Jesimovitch) 355
RevoiL, 80
Ribarz 340
Ribot (Théodule) 147
Ricard (Gustave) 125
Richard 80
Richeinond (do 201
Ricketts (Ch.) 242
Rico (.Martin) 361
Rissaneu 3.53
Robert iLéopobl) 54
R..bert (L. P.) 315
Robert— Fleury (Jean Ni-
colas) Itvt
Robei-t— Fleurv (Tonv)... 154
Roche (Alexander) ....... 242
Rocheg]-osse (Georges) .. 202
Rocbussen (Charles) 25!
Rodrigiiez (Ramon) 361
Roelofs (Willem) 252
Rùhrich (Nie. .las; 355
RoU (Alfred-Philippe) 186
Ronai (Rippl) ■ 344
Ronner (Henriette) 280
Rops (Félicien. Joseph.
Victor) 308
Roqueplan 4ti — 56
R.jsalés (Ed(.ardo) 361
Rosenboom (Marga]-etha). 280
Rosetti (Galjriel Charles
Dante) 224
R..nauU 215
Rousseau (Théodore) 67
Rovbet (Ferdina])d) 148
Rover (Henri) 190, 201
Rusinol (Santiago; 364
Rysselberghe (van;.. 182, 301
s.-li.iriii.iii lAiidreas)..
>illlll iK..lj._Tt)
ciiipgel.
Sch nctz (Viol or) 53
Schnorr von Carosfeld
(Ludwig) 338
Scliram)n-Zittau (Rudolf) 328
Schwabe (Carlos) 316
Scbxvind (.Moritz von) 338
Sei.'antir)i (Giovanni) 369
Seivatico (Luigi) 368
Sei-ow ( Valentin) 357
Séria (Knrique) 361
Scri-a (Luigi) 368
Sert (José .Maiia) 363
Seurat 182
Shadow (Frederick
Wilhelm) 321
Sbaiinon (Charles) 243
Sicmiradsky (Henri). ..354
Sigalon (Xavier) 41
Signac 182
Simon (Lucien) 210
Simonau (François) 282
Simoni (Gustavo) 365
Sinding (Otto) 352
Sislev (Alfred) 183
Sjobérg 3,51
Skarbina (Franz) 328
Skovgaard (Joachim) 347
Skovgaard (Niels) 347
Skovgaard (P. Ch.) 345
Skredsvig (Christian) 352
Soest (L. van) 280
Somof (Constantin) 358
Sonne (J. V.) 345
S.)ot (EvL.f) 352
Soroll;i y Bastida(Joachim) 362
S.iurikof (Vassily) 355
Steinhausen (Wilhelm)... 328
Stei nie (Jacob Eduard von) 338
Steinlen 315
Stenersen 352
Stengelin 315
Stevens (Alfred) 288
Stevens (Joseph) 288
Stûbbaerts (Jan) 294
Sti'Km (Halfdan) 353
Struvs (Alexandre-Théo-
dore. Honoré) 3i 2
Stuart (Gilbert; 244
Stuck (Frantz von) 335
Suède (Prince Eugène de) 351
Sully (Thonms) 244
Szinyei-Merse (Paul von) 344
Tannoer (.Marie) 352
Tassaert (Octave) 88
Tattegrain (Francis) 201
Tavernier (Andréa) 370
Tegner (Hans) 347
Ten Kate (Herman; 251
Thaulow (Fritz) 353
Theghestrom (Robert) .. 34S
Tholen (Willem Bastiaan) 275
Th. .nia (Hans) 333
Thomas iHenri) 312
Th. .rasen (Cari) 347
Thoren (Otto von) 340
Tieck 319
Sabatte 201
Salmson (Hugo) 348
Sandreuter (Hans) 314
Sargent (John) 247
Sartorelli (Fr.) :J68
Sartori (Giuseppe) 369
Sartorio (Giulio. Aristide) 369
Scattola (Ferruccio) 368
Tissot (James).
Tito (Ettore)
Toorop (Jan)
Toulouse-Lautrec (Henri
de)
Tùurnemine
Troncy .
Ti'ovon (Constant)
Trubner (Wilhelm)
Turner (Joseph W.). . . . .
Pages
Tusquets (Ramon) 361
Tuxen (L. R.) 347
Tyr (Gabriel) 80
Uhde (Fritz Karl Hermann
von) 327
Ulmann 209
Urrabieta (Daniel Vierge) 361
UsEi (Stephans) 365
Vallet 315
Vallotton 315
Vasnetzow (Victor) 355
Vasfjuez (Carlos) 364
Vautier (Cari 315
Vautier (Otto) 315
Veit 320
Venetzianow (Alexis) 354
Verdier 105
Verescbîigin (Vassily Vas-
siliewitch) 355
Verhaeren (Alfred) 293
Verhmeren (Frederick)... 345
Vernet (Horace) 41
Yerster (Floris) 276
Vei-stroete (Théodore) 298
Verveer(Samuel Léonard) 252
Verwée (Alfred-Jacques). 293
Veth (Jean) 279
Vevrassat 1&4
Vidal 88
Vigne (Félix de) 285
Villegas (José) 361
Voerman (Jan) 276
Vogel 310
Vollet (H.) 206
Vollon (Antoine) 147
V..lpi (Mario) 368
Vuillard (E.) 215
Vuillefroy (de) 184
Wachs (Karl Wilhelm) . . 322
Wackenroder 319
Wahlberg (Alfred) 348
Walden (Lionel) 248
Waldmuller (Ferdinand). 338
Walker (Frédéric) 241
Wallander 351
Wappers (Gustaf ) 282
Watts (George Frédéric). 235
Wauters (Emile) 290
Weerts 198
Weir (.\lden) 248
Weishaupt (Viktor) 328
Weissenbruch (Jan Hen-
rik) 253
Wentzel 352
Werenskiold (Erilî) 353
\^'est (Benjamin) 244
Whistler (James Mac'
Neill) 244
Wiertz (Antoine) 290
Wilhelmson (Karl) 348
Willette (.\dolphe) 194
Witsen 280
WlasolJ 353
Wroubel (Michel) 357
Zabaleta (Ignacio Zulo-
aga) 362
Zamacoïs (Edoardo) 361
Zemplenyi 344
Ziem (Félix) 110
Zilcken (Philippe) 280
Z, 201
Zorn (Anders) 348
Zïigel (Heinrich) 328
Zw.art (Willem de) 275
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