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Full text of "La Perse d'aujourd'hui--Iran"

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EUGENE AUBIN 



LA PERSE 

d'aujourd'hui 

— IRAN . MÉSOPOTAMIE — 



I 

AVEC UNE CARTE EN COULEUR HORS TEXTE 




I 

t Librairie Armand Colin 

Paris, 5, rue de Mézières. 



LA PERSE 

d' aujourd'hui 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



EUGÈNE AUBIN 



Lei Anglais au Indet et en Egypte. Un volume inriS 

(3* édition), broché Si 

(Ouwage couronné par V Académie française.) 

Les Indes en 1897. — Les fléaux de la péninsule : la peste et la fami 
La méthode anglo-indienne. La puissance anglaise dans l'Inde. — La 
tière du nord-ouest. — Ltle de Geylan. — Tableau de TÉgypte. — La i 
raineté ottomane. — Les institutions internationales. — Les réf 
antérieures à l'occupation. — L'absorption britannique. — Les résis 
indigènes et européennes. — • La France en Egypte. — La question d'É 



Le Maroe d'anJonrd'huL Un volume in- 18 jésus (d" édition) y 
trois cartes en couleur hors texte, broché 6 i 

Mogador. — De Mogador à Sa£Q. — > Abda. — Marrakech. — Le Gou 
— Du Glaoui à Mazagan. — De Tanger à Fes. — Bou Hamara. — Le 1 
Moulay Abdelaziz. — Le makhzen. — Le gonyernement du Maroc. — 
ministration marocaine. — Fez ; la rie religieuse . — Fez ; les instit 
urbaines. — Fez ; la famille et la société. — Les juifs marocains. - 
enrirons do Fez. — Épisodes de l'agitation; l'anarchie marocaine. • 
makhzen en campagne. — Ouazzan. 



LaPerie d'aujourd'hnt (Iran -Mésopotamie). Un volume in-i8j 
avec une carte en couleur hors texte, broché .... 5 i 



Paris. — Imp. L. Poobt, 6a, rua da Gh&taau. 



EUGÈNE AUBIN 



LA 



PERSE 

d 'aujourd 'hui 

— IRAN. MÉSOPOTAMIE — 



AVEC UNE CARTE EN COULEUR HORS TEXTE 




PARIS 

LIBRAIRIE ARMAND COLIN 
5, RUE DB Miziinas, S 

1908 

Droits <U rtprodactlon «t d» traduction riiervéi pour toui pays. 



Pobliflhed November i8^, nineteea handred and eight. 
PrÎTilege of copyright in the United States reserred, 
under the Act approved march 8 1906. 
by Max Lederc and H. Bomrelier, proprietors of Librairie Annand G 



j)3^ys 






PREFACE 



La Perse était le dernier grand pays d'Islam 
que je n'eusse point visité. Les circonstances m'y 
amenèrent en juillet 1906 ; je le quittai dans les 
premiers jours de juin 1907 ; mon séjour dans 
r Orient Moyen avait duré un peu plus de dix 
mois. A peine installé à Téhéran, j'entrepris 
dans r Azerbaïdjan une tournée de sept semaines, 
qui me conduisit autour du lac d'Ourmiah ; le 
1^ mars 1907, je prenais la route du Sud vers 
Ispahan et Bagdad; après avoir visité les villes 
saintes du chiisme, je descendais le Tigre et 
rentrais en Europe par le golfe Persique. 

Ce livre contient le récit de ces divers voyages. 
Bon nombre des chapitres qui le composent 
ont été publiés dans le Journal des Débats; quel- 
ques-uns parurent dans le Temps, la Revue des 
Deux Mondes, la Revue du Monde Musulman et 
le Bulletin du Comité de VAsie Française. 

Aubin. — La Pêne, a 

235 



II PRÉFACE 

Si la monotone traversée de l'Iran pèch 
parfois sous le rapport du pittoresque, elle em 
prunte un véritable attrait à l'étude des peuple 
iraniens, également favorisés par la nature ( 
par l'histoire... Les ruines de Persépolis dater 
des Achéménides ; les rochers, sculptés dans 1 
montagne, gardent le souvenir de Darius, d< 
Sassanides et de Tamerlan; sous leurs enveloppi 
de faïence, les mosquées et les tombeaux t 
moignent du martyre des Alides et de la sple: 
deur des Séfévis. Sur l'immense plateau dése 
tique, l'Islam a greffé au vieux tronc mazdé< 
une religion spéciale, faite à l'usage de la nouvel 
nationalité persane, en même temps qu'une c\ 
ture si rare et si délicate qu'elle réussit à impi 
gner la civilisation musulmane toute entière. M; 
gré la déchéance des deux derniers siècles, il exis 
toujours un Roi des Rois, installé par une tri] 
turque sur le trône de Cyrus. Téhéran a rempla 
leâ anciennes capitales de Tauris, Ispahan 
Chiraz. Aux jours de cérémonie, le demi-di 
Kadjâr s'y révèle à la foule dans l'éclat c 
diamants et des pierreries. Les migrations 
peuples, les morcellements de tribus, l'expl 
tation de la piété publique ou de la superstiti 
populaire ont fait émerger une aristocratie pu 
santé, à la fois civile et religieuse. La Perse t 
vaille pour une poignée de grands seigneu 



PRÉFACE lU 

d'une richesse considérable et d'une extrême 
distinction de manières. Les mollahs de l'Iran ont 
inventé les systèmes de théologie les plus subtils, 
les philosophies les plus hardies ; les confréries 
de derviches ont raffiné les doctrines soufies, en 
introduisant dans notre Orient la pensée de 
rinde. Dès le moyen âge, la poésie, le roman 
persans avaient produit leurs plus belles œuvres. 
Les héros du poème de Firdousi continuent à 
peupler la légende iranienne; les gens de Chiraz 
persistent à vénérer les tombeaux de Sa^di et 
de Hafiz; la jeunesse s'en tient à la science de 
vie, qu'ils ont enseignée dans leurs vers... Au 
fond des couvents de l'Asie Mineure, les der- 
viches tourneurs s'agitent au rythme du Mes- 
néut La race, formée par de tels maîtres, 
garde une prodigieuse élégance d'esprit, une 
intelligence facile, une réelle douceur de penser 
et de vivre, une immoralité qui s'affiche et un 
abaissement de caractère, trouvant son excuse 
dans une séculaire habitude de la servilité. La 
grandeur d'un lointain passé, le charme étrange 
du présent, ont éveillé les talents innés dans la 
masse des voyageurs : diplomates, officiers, mis- 
sionnaires, commerçants et archéologues, qui se 
succédèrent en Perse depuis le xvii® siècle. Plu- 
sieurs d'entre eux ont laissé des noms célèbres : 
sir John Malcolm et James Morier, parmi les 



IV PRÉFACE 

Anglais; Chardin et le comte de Gobineau, para 
les nôtres. Si bien que la littérature relative 
riran est d'une extrême abondance et porte su 
les objets les plus divers. 

Le hasard voulut que mon séjour en Perse ai 
coïncidé avec des événements considérables : 1 
mort ed Mouzaffer-ed-Din Schah, Tavènement c 
Mohammed 'Ali Schah marquèrent la fin d'ur 
autocratie remontant à l'aurore des temps ; 1 
révolution persane inaugura le régime const 
tutionnel. En même temps, les négociations reL 
tives à l'arrangement anglo-russe préparaien 
sur le terrain international, une meilleure chan< 
d'avenir à la Perse, dont elles garantissaiei 
l'indépendance, en cherchant à la préserver c 
conflits futurs entre les rivalités voisines. J'ai c 
la bonne fortune de pouvoir suivre de très pn 
la série d'incidents qui se sont déroulés, en 19( 
et 1907, à travers tout l'Orient Moyen, — en 
provoquant les bouleversements les plus imprévi 
pour ceux qui n'avaient point observé, sur 1 
lieux mêmes, la transformation des idées. Su 
cessivement, j'ai vu l'esprit nouveau envah 
les principales villes de la Perse : d'abord, 
capitale ; puis Tauris, Ispahan, Kermanchî 
et Chiraz. Sous une poussée presque inse 
sible, sans heurt, sans secousse violente, s'effo 
drait la vanité des pouvoirs existants; i 



PRÉFACE V 

commencement de liberté s'établissait sur leurs 
ruines. 

Mon trop court séjour en Perse ne m' ayant 
point laissé le loisir d'entreprendre sur ce pays 
une étude méthodique, j'ai dû me borner à le 
dépeindre tel qu'il m'était apparu tout le long de 
ma route et par le fait des événements survenus. 
A la lumière des incidents de chaque jour, je me 
suis efforcé de faire ressortir le caractère durable, 
avec les tendances actuelles de l'Iran. 

De nombreuses complaisances m'ont permis de 
recueillir les notes nécessaires à la rédaction de ce 
livre. Mohammed Dja'fer Mirza* a bien voulu 
m' accompagner dans tout mon voyage et me ser- 
vir d'interprète; je dois à sa connaissance des 
choses persanes une multitude d'indications. 
C'est un Kadjar, issu de la famille régnante; son 
propre grand-père, le Prince Roukn-ed-Dowleh, 
fils de Feth-Ali-Schah, fut gouverneur de Mechhed 
et Kazvin; lui-même est rentré dans le commun 
par l'effet des générations et se trouve mainte- 
nant au service de l'administration des douanes. 
Les Français établis en Perse m'ont aidé de leur 
expérience; je dois spécialement mentionner 
MM. Nicolas, aujourd'hui consul à Tauris, 
et de Rettel, qui se sont succédés comme 

1. Le mot Mina, placé avant le nom propre, indique un homme 
cutUvé, instruit. Placé après, il désigne un prince de maison régnante. 



VI PRÉFACE 

premiers interprètes, Mirza Ibrahim Kha 
interprète indigène de la Légation de France 
Téhéran. De même, M. Joseph Richard Khan, i 
Français musulman, né d'une mère persane 
mieux placé que'quiconque pour servir d'interm 
diaire entre la recherche européenne et la socié 
orientale. Seyyed Djemal-ed-Din, qui prêcha 
révolution dans les mosquées de la capitale, s'( 
prêté à de longs entretiens sur l'organisation ( 
Chiisme etl'évolution del'idéelreligieuseenPerî 
— tous sujets qui sont le fondement même d'u 
étude sur le mouvement actuel. Un autre pi 
dicateur de Téhéran, MoÙah Nasroullah Beheà 
(le paradisiaque), Mékk-ol-Moutékellémin ' 
roi des prédicateurs) m'a prodigué les détails s 
le culte spécial à l'Iran. Nizam-os-Saltaneh,al< 
gouverneur général de Tauris, m'a fourni de pi 
cieuses indications sur les tribus de l'Azerbaî 
jan; les diverses autorités m'ont volontiers n 
seigné sur leur domaine propre. Mollahs 
derviches se sont montrés prodigues de réc 
et de légendes ; les gens du métier m'ont pa 
de la musique et de la danse; Iqbal-ed-Dowl< 
qui possède à Téhéran le plus bel équipage, n 
décrit l'élevage des faucons; Mo*în-é-Boka 
taziés de la cour, dont il est le metteur en scèi 
Je dois remercier, en outre, M. Lucien Bouv; 
bibliothécaire de la Société Asiatique de Pai 



PRÉFACE Vil 

qui a bien voulu revoir les orthographes per- 
sanes, contenues dans ce livre, et M. G. Hutin, 
géographe-adjoint du ministère des Affaires 
Étrangères, qui a dressé la carte ci-jointe. 

La vieille Perse achève de mourir ; une nou- 
velle est en train de naître. L'avenir dira si la 
révolution persane est capable de créer dans 
rOrient Moyen un état de choses définitif. Seuls 
parmi les musulmans, les Persans ont l'avantage 
de former une nation compacte, douée des plus 
éminentes facultés naturelles. La déformation 
chiite de l'Islam, l'évolution des sectes issues du 
soufisme y peuvent faciliter le progrès des ré- 
formes. La race est patriote et sent vivement 
l'opportunité de l'heure actuelle, où le consen- 
tement des puissances intéressées, paraît favo- 
riser la constitution d'un tampon solide entre 
les ambitions atténuées des empires de l'Asie. 

La révolution persane, qui dure déjà depuis 
deux années, se prolongera, sans doute, longtemps 
encore. Le temps n'est plus des bouleversements 
rapides et l'évolution de l'Orient Moyen devra 
se faire aussi lente que celle de la Russie, dont, 
par la force des choses, les destinées réagissent 
sur les siennes» Le libéralisme persan est né dans 
un groupe restreint de mollahs philosophes et de 
gens cultivés, mis en contact avec l'Europe; 
l'appel, qu'ils ont fait à notre culture, leur attire 



VIII PRÉFACE 

naturellement les sympathies françaises. Ils oi 
à réaliser de longs efforts pour acquérir le mani 
ment utile de la liberté, pour en inspirer le goî 
aux masses indifférentes. Il leur faut être d 
éducateurs de leur peuple, autant que des réf o 
mateurs de leur gouvernement. Le mouveme: 
initié par eux se développera plus ou moi] 
rapide, selon qu'il sera loisible au Souverain < 
le favoriser ou de le retenir. Mohammed Ali Schî 
est intelligent et énergique; il doit être patrio 
et désireux du bien public; il a, depuis son av 
nement, traversé des heures difficiles, causé 
par la rivalité persistante des agents anglais 
russes, malgré l'arrangement intervenu entre 1 
deux gouvernements. Puisse-t-il, par une enten 
équitable avec son peuple, par un juste équilib 
entre les deux influences extérieures qui s'il 
posent à lui, réussir à assurer dans son royaur 
l'établissement durable du système constitutio 
nelt 



LA PERSE D'AUJOURD'HUI 



I 

SUR LE CHEMIN DE TAURIS 



De Kazvin à Tauris. — Affectation d'un village aux dépenses 
de Cour. — La propriété en Perse* — L'organisation des 
villages. — Le grand chemin des invasions mongoles ; le 
dialecte turc azéri, — Le caravansérail d'Hoséinabad. — 
Dans la vallée de TAbbar-Roud; Soltanieh.' — La province 
de Khamseh. — Zendjan. — Les caravansérails de Schah 
«Abbâs. — La poste per^ne ; le tchapar-khaneh d'Akmézar. 
— Pèlerinage à Kerbéla ; le conducteur des pèlerins. — 
Le pont de la Jeune Fille. — Passage du Kaplan Koh. — 
La tribu des Chaghaghis. — Mianeh. — Le district de 
Garmaroud : les villages et leurs propriétaires. — Arrivée 
à Tauris. 



Septembre 1906. 

De Téhéran * à Tauris, 96 farsakhs* (576 km.). Jus- 
qu'à Zendjan, c'est-â-dire jusqu'à mi-route, la poste 

1. 114kiL de Téhéran à Kazvin. La route est fort monotone à travers 
la large plaine, et ne se resserre qu'au passage du Kéredj. — Les 
villages sont rares ; les tentes de nomades nombreuses. La ville 
de Kazvin est dans le plat pays, entourée d'arbres et de vignobles. 
De son enceinte flanquée de tours, émergent le dôme de la mosquée 
Royale et le tombeau de Schahzadé Hoséin. Avant que Schah «Abbas 
eût transporté à Ispahan la capitale des grands Sophis, elle fut, 
au xvi« siècle, le siège de la puissance séfévie ; leur palais subsiste encore 
et sert d'habitation au gouverneur. Des commerçants persans <it 
arméniens exportent vers la Russie les cotons et les fruits du Nord de 
la Perse. 

2. Un farsakh vaut à peu près 6 kilomètres. 

Aubin. < — La Perst, l 



2 LA PEKSK D AUJUURD HUI 

est organisée pour les voitures ; au delà, il faudra! 
aller à cheval. Mais le chemin étant à peu près ca] 
rossable, les cochers de Tauris font couramment ] 
voyage avec leurs propres chevaux, à raison de 60 k 
lomètres par jour. Un contrat est dressé : deux vo 
tures, huit chevaux, coût : 250 tomans S dans un dèl 
maximum de douze jours, sous déduction de lOtomai 
par chaque vingt-quatre heures de retard. Après avo 
apposé son cachet sur Tacte, de ses mains rougies s 
henné, notre cocher Méchhedi^ Dadache le rem 
en une petite bourse de cachemire blanc à palm 
bleues, où reposait une amande magique. Les dei 
femmes survivantes, des cinq qu'il a épousées, ci 
soumis l'amande à une préparation certaine» en vi 
d'assurer l'accroissement de la fortune conjugale. 

Il est stipulé que nous ne pourrons emporter pi 
de 50 batmans ^ de bagages ; et c'est là peu de choi 
s'il faut se munir de lits de camp, de matériel de taH 
et de cuisine, de conserves, surtout d'eau des sourc 
du Caucase (Narzan et Borjom), afin d'éviter les eai 
malsaines, qui sont cause de fièvre. 

Septembre est un bon mois pour parcourir la Perî 
Lies chaleurs extrêmes de l'été sont déjà passée 
matinées et soirées sont fraîches ; les gens des hau 
plateaux commencent à revêtir leurs casaques 
feutre ou de peau de mouton; seules, les premièi 
heures de l'après-midi restent lourdes. 

Le 9 septembre, au matin, nous quittons Kaz\ 

1. Un ioman vaut un peu moins de 5 francs ; il confient 10 kr 
et chaque kran 20 chahis. 

2. Le qualificatif de Méchhedi s'applique à tous les pèlerins 
Méchhed ; Kerbélahï, à ceux de Kerbéla. 

3. Un hatman de Téhéran vaut 2 Jdlos 970 ; 100 batmans font 
kharvar* 



SUR LE CHEMIN DE TÀUniS 3 

par la porte de Zendjan. Une fois sortis des vignobles 
et des vergers de pistachiers, nous suivons le télé- 
graphe indo-européen, qui, par Tauris et Djoulfa, 
va se raccorder aux lignes russes. L'immense plaine 
terminant au liord-ouest le plateau d*Iran est 
unie et pierreuse, les montagnes se perdent dans la 
brume. Plusieurs villages fortifiés, dont les murailles 
forment des carrés flanqués de tours. Les canaux 
d'irrigation passent sous terre; une série de mon- 
ticules, creusés de regards, indiquent la direction 
des eaux ; plus bas, une ligne d*arbres marque le 
cours de l'Abbar-Roud. 

A 36 kilomètres de Kazvin, sur une petite éléva- 
tion, le gros bourg de Sîah-Déhan (la Bouche Noire). 
Les maisons sont en briques crues, recouvertes avec 
un mélange de terre battue et de paille hachée. Les 
toits des granges et des bâtiments d'habitation sont 
plats ; ceux des étables comportent de petits bossel- 
lements, percés au sommet pour donner du jour. 
Aucun minaret. Les rues étroites; les principales 
traversées par un fossé, qui sert, pendant la saison 
pluvieuse, à l'écoulement des eaux. — L'instabilité de 
la terre battue donne à l'ensemble des constructions 
le même aspect de ruine, habituel aux aggloméra- 
tions des plateaux de la Perse. Faute d'irrigations, 
les gens de Siah-Déhan n'ont point d'arbres ; la 
petite ville, dénuée de verdure, tranche à peine sur 
la tnnte grise du sol. 2.000 maisons, 10 mosquées, 
8 bains, 80 boutiques, 4 caravansérails ^ L'impôt 

1. Les annalistes de TOrient ont coutume d'apprécier Timportance 
d€s agglomérations par le nombre de maisons, bains, mosquées, bou- 
tiques, «te. C*est aussi Tusage administratif. î\ va sans dire que les 
citifirês fournit par les autorités n-offrent que des garanties |rés 
relatives d'exactitude. 



4 LA PERSE d'aujourd'hui 

annuel s'élève à 2.000 tomans en espèces, 1.000 kha: 
vars ghallé, c'est-à-dire de blé et d'orge, et 456 ba 
mans de paille hachée. 

Le village est khalisé et fait partie du domain 
Il revient à Vabdar bachi, Enxin Hazret, pour h 
dépenses, en thé, café, sucre et sirops, de la maisc 
royale. Afin de surveiller ses ii^térêts, le bénéficiai 
installe à Siah-Déhan un moubacher, qui lui en tran 
met les revenus, augmentés d'envois réguliers ( 
moutons, poulets, beurre, etc.. ; de son côté, c 
intendant réalise, bon an mal an, quelques millie 
de tomans de bénéfice. Ceci posé, le village agit à 
guisç. Emin Hazret est débonns^ire et n'insiste poi 
pour maintenir un intendant trop rapace, expulsé p 
les paysans; ceux-ci élisent librement leur /rAe//rod(z 
leurs rich'Sefids (barbes blanches), le maire et 1 
notables, chargés de l'administration et de la justi 
locales. 

L'organisation de la propriété est à peu près ui 
forme dans toute la Perse. Bien que certains villa{ 
appartiennent en propre aux paysans S la plupi 
sont simples cultivateurs destinés à travailler la tei 
pour le compte d'autrui. En règle générale, le sol < 
aux grands de ce monde, au domaine royal, aux f onc 
tions pieuses, aux anciennes familles, dans les part: 
du pays où elles se sont maintenues. Chez lesPersai 
la richesse acquise est toujours placée en biens-fond 
le nouveau riche se hâte d'acheter les villages, que 1 
vicissitudes du sort feront passer en des mains ne 
velles. Les moindres valent 5.000 tomans; il en est q 

1. Les villages ra^yelis, appculenant aux paysans, sont as 
nombreux dans rirak-Adjemi, plus rares dans le Nord delà Pe 
et dans TAzerbaldJan. 



SUR LE CHEMIN DE TAURIS 5 

coûtent 100.000 et même davantage. La grande pro- 
priété est la règle la plus générale. Les principaux du 
pays disposent de nombreux villages et de milliers 
de paysans. 

L'établissenlent ancestral, le hasard des invasions 
ou des déplacements de tribus a fixé la population. 
Le propriétaire du village construit et répare les 
maisons en terre, qu'il met gratuitement à la dispo- 
sition de ses paysans. Si quelque cultivateur préfère 
édifier sa propre demeure, il en doit solliciter l'auto- 
risation ; mais il n'en reste mattre que pour un délai 
convenu, généralement une dizaine d'années. Â 
moins que permission n'ait été donnée à quelques 
habitants de les bâtir eux-mêmes, le propriétaire 
loue à des tenanciers les boutiques, bains, kahvékhâ- 
nés (cafés), caravansérails et moulins du village. Les 
vergers et jardins font l'objet de baux spéciaux à 
trois et cinq ans. Quant aux terrains avoisinants, ils 
sont répartis par lots entre familles de cultivateurs, 
selon les possibilités de chacune : une moitié devant 
être alternativement cultivée et l'autre rester en 
friche. Les modifications s'effectuent à l'automne, 
avant les premiers labours. Une part de la récolte 
revient au propriétaire, selon les conventions inter- 
venues. — plus grande s'il a dû fournir les se- 
mences et le cheptel. Il reçoit, d'ordinaire, le tiers 
sur les terrains irrigués, le cinquième ailleurs. Une 
fois la moisson; achevée, le blé et l'orge séparés de la 
paille, les grains sont pesés et les parts déterminées. 
Le cultivateur est envisagé comme ayant, jusqu'à 
un certain point, possession de la terre à lui confiée; 
la succession de chaque lot veut être réglée comme un 
héritage ordinaire ; à défaut d'héritier, il est attri- 



6 LA PERSE d'aujourd'hui 

bué à quelque nouvel habitant ou vient accroîtra 
le lot d'une autre famille. Le bétail pâture en plains 
ou sur la montagne, aux soins de pâtres profession 
nels, appointés par le village. Si l'agglomération esi 
assez importante, elle comporte plusieurs échoppe: 
fournies de cotonnades, thé, savon, sucre, bougies 
tabac» allumettes, fruits et grains. 

Autour de la mosquée élevée par le propriétaire 
gravite, en nombre démesuré, la gent religieuse de 
moUahs et seyyeds, chargés du culte, de l'enseigne 
ment, de la justice et derhospitalité. Les uns se rému 
nèrent par une taxe sur les successions, les autre) 
touchent le quint, prévu par le Goran et les traditions 
en vue d'assurer la tranquille existence des descen 
dants du Prophète. Les paysans ne montrent aucune 
répugnance à entretenir leur fainéantise. 

Tout ce qui touche à Texploitation des terres di 
village relève de l'intendant, assisté du maire, ht 
répartition et la perception des impôts sont choseï 
du maire seul ^. Après la récolte, celui-ci recueille h 
mâliât en espèces et en nature; il en remet le produit 
contre reçu, au cavalier envoyé à cet effet par h 
percepteur, le moustofUmâliât de la province. En outn 
de l'impôt, le village doit fournir soldats et cavaliers 
s'il est situé -sur une grand'route et, partant, res 
ponsable de la sécurité du passage, il y joint dei 
karasouran$9 chargés de la pdice. Ces hommes 
restent à la disposition du gouvernement, sont munif 
d'armes et d'uniformes et dispensés de toute taxe. 

A partir de Kazvin, la population iranienne dis- 



1. La reparution de rimpôt ùiïlére selon les localttés ; eUe porte 
habituellement sur la terre labourable» les maisons, le bétail et les 
ti*avaUI«ur«. 



SVn hM CHEMIN DE TAUKJS 7 

parait m»wsibieme»t, pour faire place aux Turcs. 
Ce fut le grand chemin des invasions mongoles, 
qui, longeant le pied de r:^}l)ourz, envahirent 
r Azerbaïdjan et le sud du Caucase, où elles se super- 
posèrent aux Persans, au^ Arméniens et au résidu 
turc antérieur, laiMé par la venue des Seldjoukides, 
Dans la vallée de TAbbar-Boud, les Tates * furent 
pénétrés par les Mongols et turquifiés : seuls, quelques 
villages ont conservé la langue persane* La nomen- 
clature géograpidque devient un mélange de mots 
turcs et pinrsans. Nous entrons dans la zone du dia- 
lecte tuFca2eri,parléàTauris,Erivan, TiflisetBakou. 
Au delà de Siâh-Déhân, nous totverscms la chaus- 
sée à péage que le gouvernanent russe est en train 
d'établir entre Kazvin et Hamadan, puis une plaine 
rocailleuse, où le vent soulève des flots de poussière. 
La vallée de TAbbar^Roud se resserre, entre deux 
lignes de montagnes paraUMes. Hos^abad est une 
ferme fortifiée, habitée par une centaine de paysans ; 
le ruisseau voisin irrigue de(s vignobles, des cultures de 
sainfoin et de ricin. Un caravansérail est en bordure 
de la route. La propriété reste indivise entre la fille 
et les quatre fils héritiers de feu Borhân-ed-DowIeh \ 
— l'argument de TÉtat, — dont le frère Nizâm-os- 



1. On app«Il9 TiUe9 ou Tùi^jiks -^ (cultivateurs) — les populations 
iraniennes sédentaires, par opposition aux nomades. 

2. La marque la plus hebituèUe de la distinction cimsiste, chez les 
PeiMfts, dans l« Idfoft, concédé f^iur le Sciiah, qui «e substitue au 
nom primitif. t.e personnage favorisé devient la Grandeur, la Force, 
la Siiïeiideiir, e«c... de la Souveraineté (Sa22aneft), de rÉtat(l>oiiiZe/i), 
du RoyaiMie Oiolky, du pays <CMein42e&), du ministère {Véiâreh) 
etc., etc.. — Dans une même famille, il est fréquent que les divers 
membret déelinavt la mima tttra. Le pronf «r «et le soutien de la dynas- 
tie; le deuxième de l'jâtat... et ainsi de suite ; les fus héritent souvent 
du titre patemeL Les titres contenant le terme SaUaneh sont généra- 
lement ^eosidéréi comine lee plup honorifiques. 



8 LA PERSE D'AUJOUROHUI 

Saltaneh est actuellement gouverneur général c 
FAzerbaïdjan. Chacun des enfants a hérité, selon 1 
loi coranique, la fiUe d'une part simple, les fils d'ur 
double part. En ce moment, deux des fils résidei 
à Hoséinabad où ils occupent le bâlâkhâneh, l'éta^ 
supérieur du caravansérail : l'un, Moudjîr-ed-Dowk 
(le refuge de l'État), n'a pas été en Europe et ne par 
aucune langue étrangère ; l'autre, le dernier de 
famille, Mohammed Khân, approche de sa vingtièn 
année. Il vient d'achever ses études à VOberrec 
schule de Charlottenbourg et y a bien appris le frai 
çais ; il Compte suivre maintenant des cours d'agi 
culture pour prendre, dans quelques années, la ge 
tion du bien familial. Les deux frères ont pour hô 
un vieux propriétaire de Kazvin, Mirza ''Ali ''Ask 
Chahidi : CMiidi veut dire « martyr », et ce surno 
fut donné, en signe d'honneur, à la famille d'i 
moUah considérable, assassiné lors de l'agitatic 
Babie. A eux trois, ils représentent les phases divers 
de la transformation rapide que subit la Per 
actuelle. Mîrzâ "AK est un Persan de l'ancien régim 
il porte toute sa barbe, les cheveux rasés sous 
haut kolâh d'astrakan et les longues robes du viei 
temps. Moudjîr-ed-Dowleh a déjà un col, une redi 
gote grise à plis et un bonnet de feutre noir, en forn 
de fez : sa figure est rasée. Quant à Mohamm( 
Khân, il est habillé comme nous autres. Après 
coucher du soleil, les domestiques placent une toi 
cirée, puis une nappe sur les tapis du plancher; 
repas se compose de riz, de ragoûts, de fruits 
de laitage; des morceaux de fromages sont pr 
sentes sur des feuilles d'oignon. Tout autour, h 
convives agenouillés mangent avec leurs doigts. 



Stm LE CHEMIN DE TAURIS 9 

Une succesâon ininterrompue de villages, ombra- 
gés de peupliers et de saules, au milieu des vignobles, 
remonte le cours de l'Âbbar-Roud : Kirveh, Ché- 
rifabad, Khorremdéré, Hidedj, Nasirabad, Saïn- 
ghalè. La plupart de ces villages appartiennent au 
prince héritier ; les deux derniers furent offerts en 
cadeau, lors de son mariage, à la femme du Véli'^hd 
par un groupe de hauts dignitaires de la Cour. 

Sauf pour le millet, la moisson est achevée. Des 
tas de paille dorée s'amoncellent au devant des vil- 
lages. Les gerbes ont été écrasées sous les pieds des 
bœufs, tirant un rouleau de bois hérissé de pointes ; 
la fourche a fait envoler les poussières ; les grains 
sont séparés au tamis. Avant d'être engrangée, la 
récolte jaunit au soleil. Les broussailles, coupées sur 
les terres en friche, les galettes de fumier, préparées par 
les femmes, s'empilent sur les terrasses des maisons 
pour le chauffage de Thiver. Cette année, les prix 
sont bons ; le raisin, principal produit du pays, se 
vend 16 tomans le kharvar; le blé 14, le sainfoin, qui 
donne trois coupes annuelles, 4. Les labours d'au- 
tomne ont déjà commencé, défonçant avec une charrue 
de bois, traînée par une paire de bœufs, la plus grande 
partie des terrains cultivables ; car on sème surtout 
des blés durs. Point de herse pour briser les mottes 
de terre. Les paysans se servent d'une bêche, au man- 
che de laquelle une corde est attachée ; un homme 
l'enfonce, un autre la soulève, en tirant sur la corde ; 
et ce mouvement suffit à remuer le sol. Le bétail 
— bœufs, moutons et chèvres — pâture dans les 
chaumes. Pendant le jour, les chameaux se répandent 
à travers la campagne et les conducteurs de caravanes 
campent auprès des charges, alignées au bord de la 



10 LA P»R«I5 D'AUJOUHD'HUI 

route. Tout le long de Tannée, de« Kurdes, veaus de 
montagnes lomtaines, conduisent au marché di 
Téhéran leurs troupeaux de moutons. 

Plus haut, la vallée se dénude ; quelques viUagei 
ont trouvé sur les pentes arides assez d'eau pou] 
entretenir un peu de verdure. Voici le caravansérai 
de Hasanabad^ et, à plus de 2.000 métrés d'altitude 
le seuil à peine perceptible, séparant le versant di 
plateau d'Iran des rivières qui, par le KizU-Ouzen 
s'en vont à la Caspienne. On aperçoit toute la plaia< 
de Soltanieh, où, par delà les champs de ricin, di 
millet et de sainfoin, se dresse la haute coupole, sow 
laquelle reposait naguère Schah Mohammed Khoda 
bendeh. 

Ouldjaïtou Khan, qui régna de 1304 à 1316, soixi 
le nom de Khodabendeb *^ (le servitrar de Dieu) — 
fut le huitième souverain de la dynastie mongole 
issue de Gengîs Khan. Abandonnant les vieilles capi 
taies de Tauris et Méragha, il s'établit définitivement 
à Soltanieh, où ses prédécesseurs se bornaient i 
faire leur campement d*été. Le premier jour de l'année 
705 de l'Hégire, c'est-à-dire en juillet 1305, disent les 
annalistes persans, les constructions commencèrent 
en quarante jours, la coupole de la grande mosquée 
était achevée. Le xiv^ siècle n'était point terminé qu< 
Tamerlan détruisait la capitale et balayait la dynastie 
Le village actuel de Soltanieh s'est élevé sur leâ 
ruines de cette splendeur passagère : un pauvre vil- 
lage de 500 maisons, dépendant du domaine royal : 
il occupe une élévation légère au centre de la plaine 
nue et se groupe autour du tombeau de son fonda- 
teur. La niosquée est une énorme construction de 
briquen «uites, gardant sur plusieurs points son 



SUR hE CHEMIX PE TAUIUS 11 

revêtement de faïence : en bas, un carré à angles 
coupés» surmonté d'un octogone» puis d'une coupole» 
qu'entourent huit petits minarets. De l'intérieur» 
il ne subsiste rien ; les tombeaux de Khodabendeh 
et de son fils Abou Seyd ont disparu. 

Les m<dlahs du village gardent encore la mémoire 
du fondateur de la mosquée grandiose où» de tout 
le pays» les gens venaient à la prière. U n'y avait 
alors que des sunnites dans cette région 4e l'Iran. 
Quand survint un mollah d'Ispahan» Mollah Hoséin 
Kâchéfi (celui qui pénètre li^ secrets divins); le 
roi mongol» qui venait de répudier, pour la tm- 
sième fois» une femme aimée et d'humeur fontasque» 
désirait la réépouser une quatrième. Or» pour^ce faire» 
la loi sunnite ne possédait jdus de ressources. MoUab 
Hoséin sut exposer à temps les mérites du chiisme» 
plus libéral en pareille affaire» et guider la con- 
science souveraine. Le saint homme qui réussit ainsi 
à procurer à la Perse l'un de ses premiers princes 
chiites» est vénéré dans un imamzndé ^ voisin du 
village. 

De tels souvenirs rendent à illustre la plaine de 
Soltanieh que Feth'^Al! Schah y voulut avoir un palais. 
A un kilomètre de la mosquée» auprès du village 
de Ghalè» se t|:ouve une esplanade plantée de peu- 
pliers et de saules; deux terrasses superposées 
conduisent au sommet d'un petit monticule; un 
pavillon» ouvert sur les quatre côtés» orné de vers 
en l'honneur du Schah, donne vue sur tout le pays; 
par derrière, s'étendaient les habitations royales. 
Feth'Ali Schah venait y passer chaque été» tandis que 

1. Imamxadi, flii d'imam : 1m tombeaux saints, lc« Kmibbas de la 
Vmê §Qnt gÉBénOimiat détlsnAt tout ce uom. 



12 LA PERSE d'aujourd'hui 

son armée campait dans la plaine. Âmédée Jaube 
Ty suivit en 1806. Aujourd'hui, tout est ruines. 

Au sortir de la plaine de Soltanieh, la vallée de 
rivière de Zendjan se creuse et se resserre. A Dize 
les jardins commencent et se poursuivent, de faç< 
presque ininterrompue. La route est remplie d*ân< 
chargés de récipients en bois, pour apporter les frui 
en ville. Les maisons de Zendjan descendent jusqu's 
bord de la ravine, où la rivière coule dans la verdui 
La ville a 30.000 habitants, et, du dehors, le mêr 
aspect que les villages : une masse grise, d'où si 
gissent quelques arbres et le dôme en faïence d*i 
imamzadé. 

Le bazar est fort important ; ses longues galeri 
serpentent au milieu de la ville; chaudronnie 
couteliers, orfèvres expédient dans tout le pa^ 
Les négociants fournissent le Guilan de farine et 
beurre ; ils exportent en Russie du coton et des fru 
secs. Le coton prend la voie de Mendjil et Recl 
les fruits secs celle d'Ardébil et Astara. Ils achète] 
à Recht, le sucre, le pétrole, les bougies, la faïence 
et la verrerie ; à Ardébil, les fers et la quincailleri 
à Téhéran, les cotonnades russes ; à Tauris, les draps 
soieries venus d'Europe, les cotonnades anglaise 
à Hamadan, les cotonnades de l'Inde. Ces gens c 
des correspondants dans les principaux villages 
vendent aux petits détaillants de la province, 
sont tous musulmans ; point de juifs ; trois ou qua' 
Arméniens. 

Au devant de la grande mosquée, construite p 
un fils de Feth •^Alî Schah, qui fut gouverneur de 
ville, se trouve le palais du gouvernement, Dâr < 
Hokoûmeh, Les cours, les appartements, les écuri< 



SUR LE CHEMIN DE TAURIS 13 

les cuisines sont vides. L'ancien gouverneur, un neveu 
du Schah, Djelal-ed-Dowleh (la gloire de l'État), 
vient de quitter son poste, après quelques mois seule- 
ment d'exercice. En attendant la venue d'un nou- 
veau titulaire, un riche propriétaire du pays, homme 
déjà âgé, Asad-ed^Dowleh (le lion de l'État), admi- 
nistre la province, en qualité de sous-gouverneur. Au 
caravansérail de Yengui Imam, entre Téhéran et 
Kazvin, nous avions rencontré le prince, qui rega- 
gnait la capitale ; grand et fort, la moustache courte, 
il approche de la quarantaine et parle convena- 
blement le français. Il était accroupi dans une 
chambre haute, en compagnie de son secrétaire et de 
son médecin, Mirza Taghi Khan, qui a étudié à Mar- 
seille. De grands plateaux, remplis de raisins, de 
melons et de pastèques, avaient été déposés sur le 
plancher par le respect du village. Sur le balcon, un 
domestique, tenant un faucon favori, lui donnait 
à manger un morceau de viande crue. Pendant ce 
temps, tout le train de la maison princière défilait sur 
la route, fourgons de bagages, cavaliers, ferrachs S 
gholams^ pichkhedmets, chaiers^ mehters, femmes, 
mignons, eunuques, mollahs et seyyeds. 

Bien que le Khamseh' soit une «petite province », 
ne possédant aucune autre ville que son chef-lieu, 
Zendjan, elle est néanmoins fort peuplée — 250 ou 
300.000 habitants — (aucune statistique n'existe 
en Perse ; les estimations des autorités manquent de 
précision), divisés en 18 districts (belouks). Les gens y 

1. Les ierrachs sont les « étendeurs de t^pis » , les gardes ; les 
ghoUuns, les courriers ; les pichkhedmets, les domestiques de r intérieur 
de la maison; les mehlers, les palefreniers. 

2. Le Khamseh tire son nom des cinq villes, qui se trouvaient 
naguère sur son territoire. 



14 LA PERSE d'aujourd'hui 

sont de langue et de race turques» appartenant à la 
nation des Turcs Djagàtaï, qui suivit la fortune 
d'HouIagou, fondateur de la dynastie mongole. En 
les rendant sédentaires» le temps a détruit che2 eux 
la primitive organisation des tribus, le souvenir 
même s'en est perdu et ils se sont fondus avec les 
Tates, pour devenir de simples r(tyat Quelques 
groupes de Schah-Seven et une tribu Talech du Guilan 
sont les seuls nomades de la province. Presque tous 
les villages sont entre les mains de grands seigneurs, 
habitant Tauris ou Téhéran, gens d'influence, qui 
gênent le gouverneur aux entournures, rendent son 
autorité moins lucrative et, par voie de conséquence, 
la place moins désirable. 

L'absence même de ces personnages livre la pro- 
vince à l'autorité spirituelle du grand moudjiehed 
Mollah Ghorbân 'Ait, un Zend]ani d'une soixantaine 
d'années, qui fit ses études à Nedjef, auprès du tom- 
beau d'^AIi. II jouit d'une considération universelle, 
ayant vieilli dans la pauvreté et le désintéressement. 
Ses idées sont celles d'autrefois. Il affirme ne point 
voir dairement si les mollahs de Téhéran suivent la 
voie de la justice ; et, devant cet oracle, tombé de 
sa bouche, la province entière se maintient à l'écart 
du mouvement libéral. 

Il existe pourtant, depuis deux ans, une petite 
école, fréquentée par 45 élèves, que cinq professeurs 
instruisent selon les méthodes européennes. Le direc- 
teur, le moudir, Mirza Mohammed "Ali Khan, a appris 
le français à l'École polytechnique de Téhéran ; il 
enseigne notre langue ; deux mollahs donnent des 
leçons d'arabe. L'école est installée dans une jolie 
maison persane, dont les larges fenêtres s'ouvrent sur 



Sun LE GUSMIN 0£ TAURIS 15 

un jardin ; des cftîtes mttfalèi françaises reconvrétit 
les murs. Au tableau, un petit enfant écrivit tû per- 
san : « M... est venu ndus rendre visite, nous Ten 
remercions de tout notfe cœur. » Un autre se mit à 
lire fort correctement dans les Leçons A'EMeipnemënt 
setmtifiquê de Paul Bert. 

Nous avions mis deux jours et demi pour aUer de 
Kasvin à Zendjan. H nous en fallut six encore pour 
arriver à Tauris. Juàqu'à Nikbey, 96 kilomètres, 
la vaUde se ravine de plus en plus ; les deux ébahies 
parallèles forment déè tablés allongées oU de multi- 
ples bossellements. Les jardins cessent le long de la 
rivière ; les Villages ne sont plus indiqués que par 
des peupliers isolés ou Tor des tas de paille. Lé terrain 
devient acddimté. C'est merveille de voir nos cochers 
Gondu^e leurs quatre chevaux» attelés de front, au 
travers des fossés profonds, dès pentes rapides, dans 
la boue gluante des conduites d'irrigation. Nikbey 
compte ISD maisons ; les étables y sont creusées dans 
le cidcaire de la butte voisine ; les ruines d'un vieux 
caravansérail dominent les pauvres bâtisses en terre. 
Afin de fadliter les communications, Schah 'Abbas, 
le grand organisateur de l'empire Séfévi, en établit 
ainsi sur les principaux chemins de la Perse : ses suc- 
cesseurs imitèrent son exemple ; ces caravansérails 
sont construits en briques cuites, sur un modèle à peu 
près uniforme: une cour carrée, bordée d'écuries; 
à l'entrée, une arcade monumentale, dans laquelle 
s'inscrivent la porte et les fenêtres d'un bâlâkhâneh. 
Au-dessus de la porte, d'étroites plaques de marbre 
contenant une inscription persane, avec le nom du 
fondateur et la date de la construction. 

Nikbey appartient à Agha Zia, Naïeb^os-Sadr, 



16 LA PERSE d'aujourd'hui 

vicaire de la grande mosquée de Zendjan. Ce seigneur 
religieux s'en allait, en grand appareil, passer quelques 
jours dans son village. Jeune encore, assez grand, 
un peu gras, comme il convient à Tétat ecclésiastique, 
portant un turban d'une blancheur immaculée et 
un ample vêtement de drap gris, il voyageait à cheval 
d'une allure lente et digne. Précédé d'un coureur 
tsigane, en bas rouges, manteau marron, toque grise 
avec foulard de soie violette, en main un long bâton 
à pommeau d'argent ; des cavaliers armés formaient 
escorte ; plusieurs mules suivaient, chargées de 
khourdjines et de /na/rccAs*, pleines des commodités 
temporelles, nécessaires à la villégiature du pieux 
personnage. 

Le lit de la rivière de Zendjan s'élargit au point 
d'occuper tout le fond de la vallée : de petits tamaris 
poussent dans les galets ; sur les bords, des cultures 
de millet, de coton et de ricin. Aucun village. A 
18 kilomètres de Nikbey, sur un promontoire isolé, 
se dresse le tchapar-khâneh, la maison de poste 
d'Akmézar. La poste à cheval est partout organisée 
sur les grand'routes ; l'administration persane fournit 
les locaux, paye une certaine somme pour le transport 
des sacs postaux, et afferme le service. De Kazvin 
au Kizil-Ouzen, les neufs relais de la route sont 
exploités par un homme de Zendjan, Mirzâ ^Ah 
Khan. Dans le triste réduit d'Akmézar, ce dernier 
a placé dix chevaux, un naïeb et trois postillons. 

Le naïeft, Mirza Dj an, est venu d'un village voisin; 
il touche trois tomans par mois et doit être vêtu 

1. Les khourdfins sont des bissacs ; les mafrechs, de }larges enve- 
loppes en tapis, que Ton place sur les bêtes de charge. 



SUR LE CHEMIN DE TAURIS 17 

comme un fonctionnaire, — tunique bleue» bonnet 
d'astrakan; les postiHons reçoivent deux tomans. La 
poste est à la disposition de quiconque vient biuni 
d'un passeport postal. On acquitte, dans la ville 
prochaine, la taxe de deux krans par farsakh et par 
cheval, plus le cheval du postillon, qui, après avoir 
accompagné les voyageurs, doit ramener les montures 
au point de départ. 

Dans la vallée déserte, quelques villages minus- 
cules, que vient d'établir le Véli*ahd. Derrière nous, 
vers le sud, la cime dentelée de la montagne de 
Zendjan ; devant nous, les hauteurs bordant la rive 
gauche du Kizil-Ouzen. Un caravansérail de Schah 
'^Abbas, puis les 40 maisons de Serchem. Dans un 
bouquet de saules et de peupUers, campe une cara- 
vane de pèlerins; une centaine de personnes, quelques 
femmes, des mollahs, des seyyeds. Ce sont Schah 
Seven d'Ârdébil, en route pour Kerbéla. Voilà six 
jours qu'ils sont partis» après avoir ramené leurs trou- 
peaux de la montagne. Ils comptent arriver en qua- 
rante jours par Zendjan et Kermanchah ; trois 
semaines seulement de séjour aux Ueux saints, afin 
d*être revenus pour l'hiver. Ces gens voyagent en 
compagnie d'un courrier — /cAaoucA, — conducteur 
professionnel de pèlerinages. — Agha Mir Nizam est 
un s^yed, jeune, mince, un peu chétif ; il porte 
des bottes, une tunique et une ceinture vertes, un 
turban noir, un fusil, un sabre en acier niellé. Il habite 
Ardébil et, depuis son âge le plus tendre, accompagne 
les pèlerinages des Schah Seven. 

Chaque année, réguhèrement, les pèlerins de la 
tribu se réunissent autour de lui; on part, à l'au- 
tomne, pour Kerbéla et Nedjef ; si quelque raison, 
Aurai. — La Ptne. 2 



IB LA PERSE D*AUJOURD'HtJI 

épidémie ou autre, ferme la frontière turque, -on se 
contente •d'aller vénéper, à MécMied, le t4»ail>eau 
de rimam Réza ; parfois même on se dédde 
au déto«iT de Koum. Le conducteur s'oceupe 
de tout; il trouve les logements, débat les prix, 
déploie le drapeau noi^ du pèlerinage, chante les 
prières coutumiêres à l'entrée et à la sortie des vil- 
lages. Chaque pèlerin le rétribue sdon ses m^j^ns ; 
les riches lui donnent quinze, vingt tomans^ou même 
davantage; les paovres, quelques krans. Â%i retour, 
il devance la caravane de ^usieurs étapes et reçoit 
les cadeaux des fanûlles^ auxquelles il annonce 
Theureuse arrivée de ieuré pèlerins. 

Le départ est fixé pmir une heure de Taprès- 
midi ; toute la caravane est en selle, groupée autour 
de son conducteur. Âgha Mir Nicam se met à chanter : 
« Allons au pèlerinage de Kerbéisk ; adressons à 
Dieu une prière pour Mahoniet et ses desc^idants. )) 
Le ehoeur répond par la formule arabe des prières 
joumahères : « Que Dieu IbénisBe Mahomet et sa 
famille I »; et les pèlerins disparaissent dans la direc- 
tion de Zendjan. 

Quittant la rivière de Zcsidjan, noits rqoig^ns, 
au travers d'un {dateau jaunâtre, la vaHée du Kisil 
0u2en,qm descend des montagnes du Kundistdn, tra- 
verse sous ce nom les régions tmtjues, se transforme en 
Séfid-Roud (en persan, la rivière blanche), dans la 
province iranienne du Gottan, pour se jetor dans la 
Caspienne. Les montagnes se rapprochent du Heuve, 
qui s'engage en une gorge étroite. Un vieux powt de 
trois arches, très âevé, aux piliers àiormes; on 
l'appelle le Pol^è^Hùkhkir (ie pont de la jeune Me). 
D fut, (Ht*on, coi»truit, du ten^ desMongoIs,parla 



su» WS CHEMIN DE TAUBJS 19 

fiUe d*im n^{0oci93t de Tauris, dout le testament 
préyp3^iiit m^ f onclatiioB {ûeiitôe, destinée à assurer les 
corofPHjofelitions de rA^^baJkdfan avec le reste de la 
P«roei. AU'^de^tts, les roeber s smt i^iitus de murs 
fortifiés» — sans doute un ^»<Hen château d'Assas- 
sins. La Jégesde est fim iof^^iieftise: ejle veut qu'une 
fiUe de DjeoHâûd le Iiéros de Tlran, hâtant la 
fort^r^iB^, le Ka^r-^BoiMar, ait fait construire 
le piMft, pour iperou^blre à «en aaiant, un bei^^er 
de l'airtre rive, de Vtcuk la retoouver chaque u\»t. 
Pftr une p^te i:apde/ia route $'élèye le Icmg du 
KapUm-Koh (la i^^tagne du Tigre). Sur plusieurs 
p<ttuts« die cQfiserv^ encope les empierrements de 
rooBk effeobti^ par <0rdre de $chàh 'Abbas. La desceute 
est ^jKtiémemeiit raide; les cochers» agitât leuss 
foueitej niarcb^t au devant des chevaux poui* en 
cetettir i'utture. A ngs f^i^ le bmvg de Miaja^ et les 
tcQÎs. v^dliéeçt, se ranàfts^t ^ji^ éventail au traders des 
dbfcri«ta d'Haehlm0u4 ^t de Garmaroud» dans la 
pnmttae de l'Azerbaldian. 

Ce fut la tribu turque des Chaghaghis, qui occupa 
le pays m refoulaftt les Tates vers tes hautes mon- 
tagRCs ; «ille p^iétra qkême jusqu'à la vallée du Adji 
Tchaï. A la fta ^ $vii^ sièele, la tribu tout entière 
restât pms^^i^» av^ ^n ^jrgams^tiou primitive. 
La décomposition générale de la Perse, qui suivit la 
cbi^ des Sélévis, l'avait rendue à peu près indé- 
pendaiçte, et son chef Sadik Khan s'employait à 
guerroyer dans les arudées d'Agba Mohammed. La 
tribu changea d*ihu9i0ur, s^s j'ai^a^sinat du pre* 
mier Kadjar; elle participa au pillage du camp royal 
et «arctei coatre Kaamn. Un instant, Sadik Khan 
I se enit as^ez fort pourpouvoir a«i»rer au trAne. Feth 

1 
I 



20 LA PERSE d'aujourd'hui 

Âli Schah eut facilement raison de l'opposition des 
Chaghaghis ; la tribu, divisée, perdit son individua- 
lité ; le sol lui échappa. Aujourd'hui, Hachtaroud 
possède un gouverneur propre ; Garmaroud se ratta- 
che à la province de Sérab. 

Mianeh était naguère la capitale des Chakkakis. 
Un gros village de 5.000 habitants, dont les jardins 
et les vignobles descendent jusqu'à la rivière. Plus 
bas, des rizières où se vautrent les buffles. Mianeh 
appartient à un prince, beau-frère du Schah, Fer- 
man-Ferma (celui dont les ordres sont exécutoires), 
actuellement gouverneur de Kerman. A défaut 
de gouverneur, le bourg possède une garnison : 
un régiment et 100 cavaliers, commandant la route 
de Tauris. Le chef militaire a le grade de sertip 
(général) et le titre de Nasr-os-Sultan (la victoire 
du souverain) : un gros homme, aux sourcils épais, à 
forte moustache ; il passe la belle saison dans son 
village, distant de six farsakhs, y préside aux 
travaux agricoles et regagne son poste, l'automne 
venu. 

A la tombée de la nuit, les paysans se retirent de 
Taire, où ils ont travaiHé tout le jour à séparer les 
pailles du riz ; quelques enfants, laissés à la garde 
de la récolte, chantent en manière de distraction : 

Karam aimait et se disait à part lui : que dois- je 
faire ? Prendre un sabre et m'en ouvrir la poitrine, 
pour aller montrer aux mollahs et aux moudjteheds 
ce qu'il y a dans mon cœur ? Oh non ! je ne dirai rien 
à personne ; il me suffira de me tuer. 

Un derviche errant, venu d'un cimetière de Tauris, 
mendie de porte en porte. Il sollicite la charité pubh- 



SUR LE CHEMIN DE TAURIS 21 

que, en psalmodiant quelques vers, relatifs au martyre 
d'*Ali et de ses fils. C'est Zéinab, qui pleure la mort de 
son neveu Kazem, fils d^Hasan, au lendemain même de 
son mariage avec une fille d'Hoséin. 

J'avais la joie d'assister à vos noces et voici, hélas I 
que je vous vois mourir. 

L'allusion au deuil inconsolable, que déplore inlas- 
sablement la Perse entière, vaut au dervicberaumône 
d'une poignée de grains ; il les verse dans son sac et 
remercie par im nouveau chant. 

Je suis comme un serin dans sa cage et je chante 
pour 'Ali. 

C'est un vendredi. Sur la place, un autre derviche 
reconte la mort d'Hoséin, au milieu des sanglots 
de la foule. 

Un télégramme de bienvenue est arrivé du Véli'^ahd. 
Le chef des 400 cavaliers, garnissant les Karaoulkha- 
nehs de la route, vient à notre rencontre pour nous 
accompagner jusqu*^ Tauris : un Jeune homme, la 
moustache fine, vêtu de drap marron et décoré d'un 
titre glorieux : Arslan-i-Nizam (le Uon de l'armée). Il 
ne nous reste plus que 156 kilomètres à parcourir. 

Au sortir de Mianeh, la route emprunte le lit pier- 
reux du Chekhri Tchaï, puis gagne les hauteurs par 
une succession fastidieuse de montées et de descentes. 
Les collines sont nues, cultivées presque partout en 
blé et en orge : les creux verdoyants et peuplés de 
villages. C'est le district de Garmaroud. 

Nous passons successivement les deux Soumas, 
Khodja-Gias, Tourkmantchaï, où fut signé, en 1828, 
le fameux traité, qui détermine encore le droit public 



22 LA P£RSfi D'AUJOUKO'ifCI 

de ta Perse — Gliarïb-Drast (rami des voyageurs) ~< 
Karatehéman, Tikmadaclt Le» vaMées s'élafgissent, 
les plaiïtâflions de tabac comaiMcent ; du ckanrre, 
des melons, des oigsums, des atdx. A Tborizon, apparaît 
le sommet neigeux du Sahend, qui domine Tauris. 

La plupart de ces villages appartiennent à des gens 
de Tauris : Gharib-Doust est le bien de Nazem- 
i-Mîzân — rinspecteur dies Mances ^ dont le père 
s'enrichit dans les d<ytfanes ; THâiMKladi r^ffteât à 
Madjid-oI-Molk, chef d«s chambéUâns du yél^&hd; 
Tourkmantchaî et les dfeox Skmmas à me dame Mou- 
zawer-os-Saltaneh (la clarté de la dynastie), sœur de 
Fermân-Fermâ ; elle a épousé un seigneur du Ker- 
man et vit dans cette lointaine province. Incapable de 
surveiller ses intérêts par eUe-même/efiea loué son bien 
d'Azeii>aïdjan à un seyyed de la viBe, Moktader^os- 
Saltaneh (le puissant de la souveraineté), qui, possé- 
dant des terres dans le voisinage, y dispose déjà d'une 
adsBnistration organisée. Le contrat de location, 
conclu pour trois années» garantit nn loyer annuel 
de 4.080 tomans, ptus une bonne proportion de blé 
et d'orge. 

Une fois sur la crête, nous descendons en pente 
très douce le versant du lac d'Ourmiah, vers les 
affluents dn Adji-Tchaï. Les vilIageB deviennent 
fréquents, les terres bien cultivées ; leil maisons, plus 
aisées, comportent bon nombre d'étages. Le bourg 
de Hadji-Agha est partagé entre Reïs-os-Sa'âdat, le 
chef des seyyeds de Tauris, et un ancien domestique 
du Vélî'ahd. Le petit lac de Konri-Gueul forme, au 
miUeu des montagnes, une nappe d'eau très bleue, 
couverte de vols de canards. Après la passe de 
Dchtt>bli, le oàravanséraU et le village du même 



SUR LE CHEMIN DE TAURIS 23 

nom, à riinâm-Djoum'é,riinam de la grande mosquée 
de Tauris, puis Sa*»dabad, au Vélî'ahd, enfin Bas- 
mindj. Une dernière hauteur, et voici la vallée ver- 
doyante du Chèhri-Tchaï, où se cache la ville de 
Tauris. A gauche, les tentes d*un camp, formé en vue 
des difficultés de f rontièi e qui ont surgi avec là 
Turquie ; à droite, le pavillon et le jardin de 
Saheb*Divan, où le gotivemeur général de l'Azer- 
baïdjan vient, avec respect, recevoir la robe de 
cachemire, ou tout autre cadeau, qui lui est annuelle- 
ment envoyé par le souverain. Là ans», est attendu le 
vêtemmt sanctifié par k contact du tombeau de 
Plmam Réza, qui vient de Méchhed à l'adresse du 
VéU'ahd. 

Sékm la coutume de l'hospitalité persane, un lan- 
dau du prince héritier nous attend à Saheb-Divan. 
D est attelé de quatre chevaux ; le eocher et le pi- 
queur portent une Bvrée Weo et or, bonnet d'astrakan 
avec glands verts et ganse d'or ; au devant, huit fer- 
rachs en Kvrêe grenat, le fusil en bandoulière et la 
canne d*argent sur l'épaule. Puis cinq yadeks, che- 
vaux dTionneur, la seHe recouverte de broderies de 
Recht, tenus en main par des piqueurs montés. Les 
soldats sortent des corps de garde et présentent les 
armes ; les passants s'arrêtent et sahient. Sous les 
voûtes sombres des bazars, où un mince rayon de 
sdeil pénètre par les orifices, les marchands se lèvent, 
croisent leurs mains sur leur poitrine ou les placent 
sur leurs genoux et s'inclinent profondément. 



II 

TAURIS 



L'Aïnal-Zéinal ; les litanies des imamzadés. — Taurin ; son 
histoire ; ses monuments. — La capitale des Mongols. 
— La Mosquée Bleue. — Le titre de la ville. — L'adminis- 
tration de Naiet^-oS'Saltaneh, — La résidence du Prince héri- 
tier. — Les 'écuries princières. — Bagfa-ech-Cbémal. — La 
maison du YéWaM, Le gouvernement 4e T Azerbaïdjan; 
le pichkar : Nizam-os-Saltaneh. — Les grandes familles de 
Tauris. — La révolution ; — Le commerce du bazar; l'in- 
dustrie des tapis. — La communauté arménienne. — La 
colonie française. — L'école Lochmanié. 

Une ligne de collines jrougeâtres ferme, au nord- 
est, la vallée de Tauris. De la ville, il faut, à cheval, 
trois quarts d'heure pour atteindre la crête de TAïnal- 
Zeïnal et les imamzadés qui lui donnent son nom. 
Une galerie extérieure précède les chambres voûtées 
où reppsent *Aoun-ibn-*Ali et Zeïd-ibn-"Ali ; corrom- 
pant Içurs noms, la voix populaire en a fait Aïn- ''Ali et 
Zeïn-'Alî, d'où TAïnal-Zeinal. Ce sont deux fils, attri- 
bués par la légende au premier Imam, qui auraient 
suivi dans TAzerbaïdjan la conquête arabe, pour 
s'y faire les apôtres des Guèbres. Par malheur, l'his- 
toire ne connaît que le premier d'entre eux et les 
tombeaux contiendraient, en réalité, deux frères 
tisserands, pieux et vénérés, que les derviches 



TAURIS 25 

Né'metouUâhîs se seraient plu à achalauder après leur 
mort. Ils y ont, d'ailleurs, pleinement réussi; depuis 
des siècles, la dévotipn des Tabrizis reste atta- 
chée à ces prétendus imâmzadés. Un tremblement 
de terre détruisit le premier monument élevé par 
Schah^'Âbbas; le monument actuel fut édifié par 
"Abbas Mirza. Une famille de seyyeds en a recueilli 
la garde héréditaire et bénéficie des offrandes des 
pèlerins. 

Le gardien-chef» Seyyed Mir Agha, nous introduit 
auprès des tombeaux, qui se font vis-à-vis, recou- 
verts de draperies vertes : des planchettes de bois 
y sont déposées, portant écrit, en langue arabe, le 
ziâret-nâmeh, le « livre des prières », énumérant les 
litanies des deux saints. 

Livre des prières pour ''Aoun'ibn'''Alî et Zéid'ibn'''Alî.,. 

Salut à vous, Prophète de Dieu I (Mahomet) 

(deux fois répété) 
Salut à vous, Tami de Dieu I 
Salut à vous, le plus beau des hommes ! 
Salut à vous, messager splendide de Dieu ! 
Salut à vous, lumière éclatante I 
Que la bénédiction de Dieu soit sur vous I 
Salut à vous, prince des croyants! CAlî.) 
Salut à vous, le premier après notre Prophète I 
Salut à vous, saint Imam ! 
Salut à vous, lion de la religion I 
Salut à vous, et à tous les Prophètes, qui sont venus 

de la part de Dieu ! 

Salut à vous, saints Imams I 

Salut à tous les anges I 

Que la bénédiction de Dieu soit sur vous tous I 

Salut à vous, brillante Fatémé (fille de Mahomet 

et femme d'^'Ali). 

Salut à vous, la première de toutes les femmes t 



26 LA. P«RSE d'aujourd'hui 

Sahrt à Twis, la laèfe de tous les Immo^l 
Salut à V0tt» 0t À voire mère» ht graiide Khadidîa ! 
Que la bénédictioii de Dieu soit sur vous toutes I 
Saluf à vous,serviteursdeDieuI (Hasan et Hoséîn). 
Saftrt â vous, âls du Prophète de Dieu I 
Saint à vous, ffl» du Prince des GroTaofts I 
SaM à vmts, cktfs d» laaaiini I 
Salut à vous, fils de la brillante Fâtémé, la pre- 
mière des femmes I 
Salut à vous, les plus généreux des hommes! 
Salut à vous, fils du Prince des Croyants 
Sfltot à vous, 'Aoun-ibn-'^AH et Zéld-ibn-^AIi et à 
vo» deux frères, Hasan et HcMséin, les deux jeunes 
gens, Princes du Paradis I 

Que la bénédiction de Dieu soit sur vous tous (deux 
fois répété) et ïa malédiction de Dieu sur vos ennemis I 

Au pied même de rAïnat*Zéîiial, s'ètead la ville 
de Tauris. La vallée du Chehri-Tchaï est remplie de 
verdure ; des deux côtés de la rivière, s'arrondît la 
masse grise des maisons, ombragées de peuptiersr et 
d'«»nae$. Vues de haut, toutes les agglomérations 
persanes se ressemblent r les toits plats forment une 
surface indécise, où l'œil ne distingue que le bloc 
noir de l'Ark ; quelques minarets très bas, les dômes 
des imamzadés garnis de faïence, et les lignes voû- 
tées des bazars. — Au delà, s'élève le Sahend; vers 
l'ouest, la grande plaine nue de TAdji-Tchaï, le 
massif isolé du Chahi et le lac d'Ourmiah. 

Tauris est une des plus grandes villes de la Perse; 
elle compterait 250.000 habitants. Ses maisons en 
terre battue gravissent les premières pentes de 
l'Aïnal-Zéinal et se répandent au loin dans la vallée. 
Les constructions étaient faites en matériaux si 
friables, les vicissitudes de l'histoire ont été si ter- 
ribles, 1» ttCTibtoments de terre si fréquents, qu'il 



Ti^ums 27 

ne reftte ptm gÊHnàe trace d'un fltoftie passé. La vîHe 
fat, âK-oû, fondée par la femme d'Haroton-ar^Ra^ 
chid, qui s'y guérit d'une fièvre tenace, d'où le fiem 
de TÔriz : qui dias»ie la fièvre ; -- uoe ce^doite, 
anwBaiit Feast de la mfmUfgt», conserve enfiore, 
avec le nom de Zefeiéide, le sonreoir de la tMda^ 
triée* 

En 1238, Houlagou, maître de Bagdad, après y 
areir ditrail le Khalifiat Abbassîde, fit de Tauria la 
cqitale mongrte. De là, vol sièek dorant, la famitts 
de Ocsigis^Ktadn toointàat sa domination sa? tout 
rOrîeat Moyen. Ce fat ttne 0orieuse époque : 
lea IlUumUj encore rebutes à l'i^amisme, marqimient 
à totttes les eonfesaàons nwt tolémnee égale; les 
temples dn fea, les synagi^ues, ks^Uses nestoriemies, 
les mos<iaéesy les pttgodes bouddhiques s'ottvrnent 
librement dana kur empire. Un médecin joif, 9a*id* 
ed-Doivle&, devint grand^vizir; ptosiem^s prioee&ttes 
byzantines entrèrent an harem royal ; des moines 
£raBciscains élrangélisièrent la ccnr de Tauris, qui 
édumgeait des ambassades avec le Pape et divers 
princes de la chrétienté. Ghazan-Khan fut l'organisa- 
teur de l'empire mongol, qui devait islbiencar si 
fortement les institutions de la Perse moderne ; 
il agrandit Tauris et l'entoura de murs. Sons son 
règne, la dynastie devint musulmane; la persécu- 
tion balaya les antres croyances. Puis vinr^t la 
décadence et le passage destructeur de Tamerlan. 

VArk a pourtant survécu : une énorme masse de 
briques noirdes par les années. Sur l'un des cdtés, 
un donjon forme saSlie; un escalier monte au dehors, 
jusqu'à l'étage supérieur fort élevé, qui domine la 
ville entière ; des cours, des habitations, des maga- 



28 LA PERSE d'aujourd'hui 

sius, des écuries sont groupés dans un quadrilatère 
entouré de murs, dont la forteresse forme un des 
angles. 

En dehors de TArk, l'époque mongole a laissé peu 
de chose. Certains quartiers conservent encore leur 
appellation primitive ; au faubourg de Kara-Mélik, 
le mausolée monumental de Ghazan-Khan n'est plus 
qu'un amas informe. 

Il va sans dire que les imamzadés ont été plus 
heureux. Seyyed Ibrahim était frère de l'imam. 
Rézâ et fut protégé par sa parenté. Seyyed Hamzeh, 
descendant de l'imam Mousa, n'était qu'un vulgaire 
ministre de Schah Khodabendeh; ayant perdu la vue, 
il se retira des affaires et du monde pour se consacrer 
à Dieu. Son fils, Seyyed Hoséin, lui éleva un tom- 
beau ; les grands de 1* Azerbaïdjan prirent l'habitude 
de se faire enterrer dans son voisinage. Sous les 
Séfévis, un gouverneur de la province, Zahîreddîn, 
eut assez de confiance dans le prestige du défunt, 
pour lui confier sa fortune en fondation pieuse, au 
bénéfice de sa propre famille. Ces biens, désignés 
sous le nom de zahirié, vaudraient actuellement plus 
d'un million de tomans ; ils ont permis jusqu'à ce 
jour l'entretien de l'imamzadé et le maintien de la 
clientèle. 

Au xv^ siècle, les dynasties turcomanes du 
Mouton Noir et du Mouton Blanc se succédèrent 
à Tauris. Djéhan Schah, du Mouton Noir, construisit 
la Mosquée Bleue ; la Mosquée Bleue, ou plutôt ce 
qu'il en reste, constitue la merveille de la ville ; elle 
donne sur le Khiaban, le large boulevard prolongeant 
jusqu'à l'Ark la route de Téhéran. Détruites par un 
tremblement de terre, les ruines du portail et de la 



TAURIS 29 

rotonde sont recouvertes d'admirables mosaïques 
de faïence. Malgré les blancs et les jaunes, la note 
dominante est le bleu; les écritures arabes courent en 
tous sens ; des plaques d'albâtre, creusées d'inscrip- 
tions, garnissent les murs du Mihrab.Âu xvi® siècle, 
la ville resta sous la menace constante des Ottomans, 
qui l'occupèrent pendant dix-huit années. Ils y lais- 
sèrent le cimetière de Guedjil, au pied même de l'Ark, 
et la mosquée du Moudjtéhed. 

Obligé de quitter l'Azerbaïdjan, le gouvernement 
des Séfévis s'installa plus avant vers le plateau 
d'Iran, d'abord à Kazvin, puis à Ispahan. 

Depuis lors, Tauris a définitivement cessé d'être 
capitale : elle ne garde plus qu'un vain titre, en 
témoignage de sa grandeur disparue. Les chefs- 
lieux des provinces persanes partagent avec les villes 
espagnoles l'avantage de recevoir un qualificatif 
approprié : cet ornement figurait sur les pièces de 
monnaie, que chaque gouverneur était naguère en 
droit de faire frapper. Téhéran s'appelle le Dar-ol- 
Hokoumeh (la maison du gouvernement); Kachan, 
le Dar-ol-Moumenin (la maison des croyants) ; Chiraz 
le Dar-ol'Elm (la maison de la science). Tauris 
conserve le nom de Dor-os-Saftone/t (la maison de la 
souveraineté), qui appartient également à Kazvin 
et à Ispahan. 

Au xviii® siècle, la décomposition de la Perse 
fit spontanément surgir, autour de Tauris, un lot 
de principautés quasi indépendantes. Chaque val- 
lée, chaque tribu s'organisa à sa guise. La famille 
des Dumbélis vint de Khoy, prit possession de la 
ville, et lui imposa des beglerbeguis. Les Kadjars 
rétablirent l'autorité souveraine. Le second fils de 



80 LA PERSE 0* aujourd'hui 

Fetli 'Ali Schalu 'iy:>l>as Miixa, Naïeb-os-Saltanehi(Ie 
lûesitenaot de la dynstie), reçut, m 18Q5, le ^ ou* 
vtmmasit ik VA2ttteIdîBn« flsatrtdiik» ks familles 
titq>fNii8saiites lea les opposant les unes aux smtnes, 
^qi^ter les différe&ces de net et de religioA ; il 
Fepeiq>la les fiarties désertes. Entre temps, il avait 
«uppeité tant le poids des étox guerres avec la Rus- 
sie. Son adœtiiistratioii de treotensept «osées a laissé 
sur TAzerbaïdjan une empmnte décierve et il n'y 
eaàste iiim grand'chose qu'on ne fasse remonta à 
Nâti^^^ps-Saltaiieh. 

Pourtant, "'AlAas Minca ji'avait pas iiésîdé à Tauris 
en qvisMÈé àe prince héiitter ; il y fut remplacé par 
son Sis Férïdoun-Mirza ; puis Mohammed Sehah y 
envioya quelque autre de ses frères. Le fotur Na&- 
iieddia S<Aah fut ie fwsà&c peânoe kadjar qui s'y 
installa camme V&i'0M; 4epms lors, la tra^tNÂMi 
s'en est maintenue. L'Azerïrâîdian d^ l'avantage 
d'être cxEmsidéDé comme la psemière province du 
royaume, moins au glorieuK scmvicnir d'^'Abbas Mirza 
qu'au lait «léate des circonstances. 

C'est une loi de l'iiiatoire de l'Iran que les Mèdes, 
les Perses et les Parthes, e'est-à<4îre ks bsMtants 
de rirak avec T Azerbaïdjan, du Pars et du Klio- 
rassan, {s'y soient suceessîvemrat arrogé VmiÈoiité. 
A l'heure présente, une incontestable prépondé- 
rance revient à rami^uie Médie. Elle est ia réjE^on 
la p^ peiqpiée «et la plus riche du royaume ; les 
poptdations tuniues, plus fortes que les iraniennes, 
forment la meifleuve réserve de l'éneiigie n^tionak ; 
l'idée de i'é&rme» née d'hier, y p^se sa priacipak 
vàgueur. Par aîHeœv, la eomple»lé 4e sa formation 
ethnique et k xlanger de sa portion ^ographique. 



TAtJBIS 31 

lÎBÛtrophe Avec la Ru^ne et la Turquie, ea relaient 
radmzmstmtian partiisniiènesiient délicate. Taum 
est deveim |MHir le prince hédtier larésîdaKie la ^liu 
naturelle et la plus utile école de gcmiremeniettt. 

Le Vâl'afad actsiel, Mdiaoamfti ''Ali Mirza, ixmpe, 
aa cent» jie la TsUe.le priais oou^niit fiar !Abbas 
Minai, aiageund'koi fort déUaré. 

Durant la saiscm chaude, les écurieB seuto demeu'- 
reat en viMe ; éi s'y teaove touj^Brfi 250 ^oa 90D che- 
vaœc, doat ime loÎKanitaine ÔMeeÊé» bxlx voilaui». 
Les attelages nelèv^at du Kd^eeifi'bQchi, Mod- 
îeHd-fli-MoHc (fe g}ariié du rc^anmeXLs mitâUiâr^ 
un Kurde de iGruera*o»fi, vaSle an raste de la ^^avalane 
avec )e macaours du ckef muletier, spéeiaiement 
{ffépeeé aatx mutes de efaai;ge. Tfms roat assisté^ 
par H. <}ttTé, vétériuafa^ ea fKraaôer de notre armée. 
Le peramuid est iort .m>B;â)reaK :: 25 sunr^dHants, 
32 pakfirenjecs, autant d'émyen» et «a étdodm 
par diaque graïKpe de m antsu^x. Ces écvrîes sont 
Mea tenues; cbevanx et aiuleto s'afigneai dsms 
d'iBMmoiaes nSk» vofthées, saas lépmakiiuk aaouae, 
eatowés par âevaait et par demêre, le pail iids»»t 
aras leurs ^)o w^rtujses  fil sas de Jahncaiian kurde. 
Les éem;. xmsm Jbatntu«ttes à la Becse, l'acabe et la^ 
taroamaoBie, soat éplemeiit ispnésentées : le ehes^ad 
arabe, vemt de Syrie, au ptùSà {dan, plus jaoaa»é 
et fd»s £Wrt; U <kevsd tvsseomssu mporté du 
TurkflrtSBt au psott boaab^ plus aHongé et fdus lumt 
sur membres, moins joli à Tœil, mais, dit-on, meilleur. 

Pour r#é, la cour se tnmsporte un peu hors la 
ville, à Bâgh-ech-Chemân (jardin orienta au aord), 
qui dafte tnm d''Abhas ICBrza. Une porte monu- 
mentale, récemment constnike par M. fiam^eais» 



32 LA PERSE d'aujourd'hui 

architecte du prince, donne accès dans le vaste jardin, 
planté d'aipandiers, d'abricotiers et de vignes. Les 
allées, droites, sont bordées de peupliers et de 
parterres de fleurs *. 

Derrière les bâtiments rapprochés du biroan et 
de Yendéroun * , un enclos intérieur se termine par 
une construction à plusieurs étages, Tinévitable 
k0lûh farangui (le chapeau européen), qui se 
retrouve dans toutes les grandes propriétés per- 
sanes. Une succession de petites maisons s'adossent 
au mur de clôture; des tentes sont disséminées 
sous les arbres ; à l'écart se trouve le pavillon E'^té- 
zâdieh\ où demeurent deux flls du Vélî'ahd. 

Il faut, du reste, de nombreux logements, car 
la maison princière est considérable : 150 chambellans 
relevant d'un pîchkedmet-bachU sont soumis à un, 
roulement déterminé ; 25 d'entre eux reçoivent seuls 
un traitement et doivent un service journalier, 
sous les ordres du Ndzc/n-é-/rAato6/,Sarâdj-ol-Memalek 
(la lumière du pays), qui se tient toujours à la porte 
du Vélî'^hd, administre la maison intérieure et dirige 
les 30 fenâchS'khalvei , domestiques du Palais. 
800 ferrâchs se tiennent prêts à faire les commis- 
sions ou à exécuter les ordres du maître. Un vieux 
milit^re, Salar Moufakkham, conimande une garde 
de 1,000 gholâms montés, à côté de laquelle figurent 
200 fusiliers d'escorte, généralement issus des Schâh 
Seven. 200 jardiniers, un gardien-chef, assisté par 

1. Dans la maison persane, le btroûn est Tappartement de récep- 
tion, Vendérowi celui d'habitation; le selamlik et le harem de la 
maison turque. 

2. Le paViUon fut construit pour le VéU<^ahd actuel, qui, avant 
i'avénement de son père, s'appelait H"tézfid-08-SaItaneh ; son fils ntné 
porte actuellement le même titre. 



TAURIS . 33 

une vingtaine de concierges, complètent l'ensemble 
des services extérieurs. 

Dans la maison même du Vélî^'ahd, figurent le 
garde du sceau, Vékîl-ol-Molk, le secrétaire, Banan- 
os-Saltaneh (le doigt de la dynastie); les médecins, 
parmi lesquels le docteur Coppin, médecin-major de 
notre armée coloniale, plusieurs comptables, le 
maître des cérémonies, VâbdârbachU qui répond de 
Teaû apportée au prince en bouteilles cachetées par 
ses soins, le chef de Tarmurerie, les préposés au 
garde-meuble et à la garde-robe ; enfin, le nâiir, 
surintendant du Palais, dont l'adjoint est spécia- 
lement affecté au service de la princesse. Il existe, 
en outre, un petit groupe d'interprètes, dont le prin- 
cipal est un Karaîte de Crimée, M. Chapchat, décoré 
du titre d'Adib-os-Soltan (distingué parle souverain), 
des précepteurs pour les jeunes princes, un exécuteur 
des hautes-œuvres, un chef des maçons, chargé des 
constructions et des réparations du palais, un pho- 
tographe, un artificier, M. Abraham, un tailleur et 
une couturière, M. et Mme Beyrand. 

Un seul mollah, le moUah-bachi; aucun seyyed ni 
prédicateur particulier. Par contre, le Vélî'ahd 
entretient une troupe de musiciens et de danseurs, 
avec un poète de cour, qui doit à sa profession de 
médecin le titre de Chafâ-ol-Molk (la guérison du 
royaume). Pour soutenir ce train considérable, le 
prince dispose d^une dotation ; de plus, il est riche 
par lui-même, possédant de nombreux villages dans 
leKhaniseTi et l'Azerbaïdjan. Il est ordonné et éco- 
nome; sa cour est strictement organisée. Il n'y a 
pas de qualité plus précieuse chez un futur roi de la 
Perse. 

Aubin. — La Perse. 3 



34 LA PERSE d'aujourd'hui 

L« maiiage du Véli^'abd avec sa cousine, Malék- 
é-Djéhân (la reine du monde), i^ant lais à l'écart 
uae coacttbine qu'il avait piiae auparavant» i'endé- 
roun ae trouve placé sous la seule autorité de la prin- 
cesse royale* Va^a-bûchU un esclave ndr» en 
surveille les détours, fl^^qué d'une quinzaine d'eu- 
nuques, noirs ou Mancs ; les preaûers furent achetés 
à la Mecque, les seconds sont des heriBapfarodîtes, 
envoyés des provinces. L'un des eunuques blancs, 
Seyy^ Réaâ Khân, de Chiraz, est le comptable 
du harem. Les servantes sont nombreuses : celles 
qui sont mariées passent la nuit au domidle conju^, 
les autres couchent au palais ; les plus quaî^ées 
scmt même affublées de titres» On dte : Echref-os* 
Saltaneh Qsl plus noble de la dynastie, et Mirzâ 
Khanoum» secrétaire de la princesse. Quelques-imes 
sont femmes des i»incipaux de la cour et font <ffîce 
de dames d'honneun Aucune cependant n'atteiat 
l'éminente situation de Mo^'az-zez-os-Saltanehila plus 
précieuse de la dynastie), une femme déjà vieille^ qui, 
attachée à la mère du Véll^ahd, la »iivit dans sa 
solitude» après sa répudiation par Mouzailer-^eddin 
Schâh. Ayant élevé le prince» elle conserve sur lui 
une influence considérable, possède sa maison prière 
et jouit du revenu de plusieurs villages. 

En théorie» l'administration de l'Âzerbaldjaii 
appartint au seul prince héritier; en fait, elle revi^it 
tout entière au pVdhkâr^notQmé par le Sdiâh, qui est 
le principal conseiller du YelS'ahd et le véritable 
gouverneur de la province. Le {premier de ces fonc- 
tionnaires fut adjoint à ""Abbâs Mirzâ, quand cehu-ci, 
chargé des gouvernements du Khorassan, de Ha- 
madan, Yezd et Kerman, en outre de rAz^baïdjan, 



TAURIS ^ 

se vit hors d'état de suffire à d'aussi muttiples obli- 
gations. Depuis lors, la fonction $*est maintenue. 
Nizfim-os*SâItaneh 0e régulateur de la dynastie), 
est issu des Mafis, une tribu lekhe, retirée du Fais par 
Agha Mohammed Schâh pour être dispersée entre 
Kennanchah, Hamadan et Kazvin. Les 12,000 fa- 
milles ainsi transplantées se perdirent peu à peu dans 
la masse des ra'yat ; il reste encore dans la plaine 
de Karvin quelques villages et campements de 
nomades, ayant conservé leur individualité et leur 
dialecte priniitifs. La famille de Nizâm-os-Saltanch a 
émerj^ de Kazvin ; tous les siens sont fort bien 
placés ; Tun de ses neveux est actuellement gouver- 
neur de l'Arabistan; lui-même a successivement 
administré les plus grandes provinces de la Perse— ce 
qui lui vaut une fortune considérable. Il est un des 
premiers personnages du pays ; un vieiHard mince 
et chétif de soixante-quinze ans, vêtu des longues 
robes d'autrefois ; une mèche de cheveux blancs, 
par où le saisira l'ange pour l'introduire au paradis, 
persiste sur sa tête rasée et sort de dessous son 
bonnet. N'ayant jamais quitté l'Iran, il gouverne 
avec les idées et les procédés du passé. Ses manières 
sont parfaites ; son esprit est fin, sa conversation 
fort agréable. Il aime à parier de l'ancienne Perse, 
qu'il connaît dans ses moindres détails et dont il 
envisage avec résignation la disparition prochaine. 
Son^ fils unique, Mirza Hoséin Khan» vit auprès de 
lui, témoignage permanent de cette inévitable fin. 
Le jeune homme a été élevé à Harrow; sa moustache 
tombante, les bouclés de ses cheveux blonds ont pris 
une f^çon toute britannique. Son retour a rempli 
la maison paternelle des innombrables volumes 



36 LA PERSE d'aujourd'hui 

de VEnq/clopœdia Britannica, Il ne comprend plus 
ni son pays ni sa famille ; il s*y sent mal à Taise et 
son idée constante est de regagner un milieu où il 
devra bientôt se sentir aussi étranger qu'il le fait 
dans son milieu propre. La grandeur du père a valu 
au fils les fonctions de r6i$-e/-/oud/(//af; il renvoie aux 
moudjteheds les contestations des marchands de 
Tauriset assure l'exécution des sentences intervenues. 
Les bénéfices de cette charge, le bonnet qu'il porte 
sur la tête et les concombres crus qu'il mange au 
dessert sont les derniers signes de son origine persane. 
L'administration de l'Âzerbaïdjan est une gr<l^e 
affaire : la province» fort étendue, se décompose en 
12 « petites provinces » *, dont les gouverneurs 
sont au choix du Velî'^ahd, quelquefois, pour les 
plus impcHTtantes d'entre elles, à la désignation du 
Schah lui-même. Les services militaires et financiers 
relèvent d'un reîs-nizam - et d'un vézir-maliat ; 
le kargouzar^ général^ délégué du ministère des 
Affaires Étrangères, dirige un groupe nombreux de 
serperests, échelonnés le long de l'Âraxe et de la 
chaîne du Kurdistan, où se trouve le gros des popu- 
lations chrétiennes de la Perse. La justice, appar- 
tenant aux autorités provinciales et municipales 
pour les affaires de droit coutumier, au clergé local 
pour les autres, n*exige aucune organisation d'État. 



1. Les « 12 petites provinces » de rAzerbaîdjan sont : Ardébil et 
Meehkin, Karadagh, Mérànd avec Gargar et Djoulfa, Khoi et 
Sabuas, Makou, Ounniah, Soldouz, SaQu4j-Bou]aq, Méragha, 
Dehkhargan, Hachtaroud, Sérab et Gartnaroud. 

2. Le corps d'année de Tauris comporte : un kchkemeuts-lHichi, 
chef de la comptabilité militaire; un adfoudan'bachU chef de l'inten- 
dance, qui pr^>are les déplacements des troiq>es; un nUS'topkhanéh, 
chef de rartillerie ; un reïS'é-màkfuen, chef de rarsenal, un dfabibdar- 
baehi, chef des ateliers militaires, pIc. 



TAURIS 37 

Le chef du tribunal s'efface devant les grands moudj- 
teheds, auxquels les chefs des corporations se chargent 
de renvoyer les procès. 

Appuyé d'un corps de ferrachs, le Beglerbegui 
administre la ville. C'est lui qui possède le privilège 
lucratif de fixer les prix des denrées au détail» avec 
le concours du chef des boulangers, des bouchers» 
des épiciers, des marchands de fourrages, de bois et 
de charbon. II est assisté des Ketkhodas» préposés aux 
\ingt-six quartiers de la ville : le chef unique des 
cinq quartiers habités par les chrétiens * porte le 
titre de KatabeguU celui des quartiers de Baghmé- 
ché et de Chechguilan, le titre de Kdanter. 

Le soin de la police urbaine revient au darogha ; 
le bazar possède son darogha propre, qui en est le 
véritable chef; il assure la surveillance nocturne 
et se reconnaît responsable des vols commis pendant 
la nuit ; pour ce service, les intéressés lui payent 
un chahi par boutique et par jour. A ses côtés, opère 
le moubacher, qui perçoit la patente des marchands 
et artisans, et l'impôt locatif de 1 /lO sur les boutiques 
et caravansérails. 

Ces diverses charges tendent à rester l'apanage 
héréditaire des grandes familles de Tauris. La ville 
doit son développement à la venue des Mongols ; 
ce sont eux qui en ont naturellement formé la popu- 
lation. L'élément turc, antérieurement introduit 
par les Sddjoukides, se fondit avec les nouveaux 
venus ; l'Islam fit disparaître chrétiens et juifs. 
Le temps, les migrations coutumières aux pays 
d'Orient, les accidents de l'histoire, ont doté Tauris 

1. Ces quartiers sont : Arménistan, Léilabad, Méhadméhiné, 
Ahrab, Tchérindab. 



^^ LA PEÎISE D*AUJ0TJRD'K1 

^c V EnajclQpœdia Britannica. Il n<^ 
^^i son pays ni sa famille ; il s'y sent m 
^on idée constante est de regagner un 
<levra bientôt se sentir aussi étranger 
dans son milieu propre. La grandeur du 
iau fils les fonctions de reïs-ei'ioudfdfar; î 
xnoudjteheds les contestations des nu 
Tauris et assurer exécution des sentences 
I^es bénéfices de cette charge, le bonne 
sur la tête et les conconnbres crus qu' 
c3essert sont les derniers signes de son ori| 
L'administration de 1* Azerbaïdjan es1 
affaire : la province, fort étendue, f^e dé 
12 <c petites provinces » \ dont les 
Bont au choix du Velî ahd, quelquefo 

§lus importantes d'entre elles, à ia dés 
chah loi-même. Les services inîlîtaires 
relèvent d'un reïs-nizam - et d'un u 
le kargouiar général, délégué du mi 
jVffaires Étrangères, dirige un groupe n 
jserperesls, échelonnés le long de FAra? 
cli^ïne du Kurdistan, où se trouve le grc 
jations chrétienues de la Perse, La jus 
tenant aux autorités provinciales et 
^our les affaires de droit contumier, au 
^our les autres, n'exige aucune organisai 

*\ if* "}? ^^}^^^ provinces >■ de r A^erbaïdiaii 94 
,echklD, Karadagh, Mérand avec Gargnr ci hu 

^^lilchargan, Hachtaroiid, S^rab et Oormaroud 

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-^^cc, J^Ji;*Par€ Je» déplacements at^ troupeT- vm 

•^ »^' delartillPrie ; mi rtÎB-é-makhjz^n , chef dTr«^*^S 



TAURIS 37 

Le clief du tribunal s'efface devant les grands moudj- 
teheds, auxquels les chefs des corporations se chargent 
de renvoyer les procès. 

Appuyé d'un corps de ferrachs, le Beglerbegui 
administre la ville. C'est lui qui possède le privilège 
lucratif de fixer les prix des denrées au détail» avec 
le concours du chef des boulangers, des bouchers» 
des épiciers, des marchands de fourrages» de bois et 
de charbon. Il est assisté des Keikhodas^ préposés aux 
^^ngt-six quartiers de la ville : le chef unique des 
^i^q quartiers habités par les chrétiens * porte le 
titre de KaVabeguU celui des quartiers de Baghmé- 
*é et de Chechguilan, le titre de Kdanter. 

Le soin de la police urbaine revient au darogha ; 
le bazar possède son darogha propre, qui en est le 
véritable chef; il assure la surveillance nocturne 
et se reconnaît responsable des vols commis pendant 
*a nuit; pour ce service, les intéressés lui payent 
un chahi par boutique et par jour, A ses côtés» opère 
le moubachery qui perçoit la patente des marchands 
<it artisans, et l'impôt locatif de 1 /lO sur les boutiques 
et caravansérails. 

Ces diverses charges tendent à rester l'apanage 
héréditaire des grandes familles de Tauris. La ville 
doit son développement à la venue des Mongols ; 
ce sont eux qui en ont naturellement formé la popu- 
latïon. L'élément turc, antérieurement introduit 
par les Seldjoukides, se fondit avec les nouveaux 
venus; rislam fit disparaître chrétiens et juifs, 
e temps, les migrations coutumières aux pays 
a Onent, les accidents de l'histoire, ont doté Tauris 

^^^ùi^^TchériSS^ ■*»'»* : Annénistan. Léllabad, MéhadméhJné. 



38 LA PERSE D'aujourd'hui 

d'une ariatoeralie riche et puissante. De Djehan 
Schah* prince du Mouton-Noir, celui-là même qui 
construisit la mosquée Bleue, descend la famille, 
un peu déchue, des Djehanschahis. Les Doumbélis, 
qui fournirent les grands beglerbeguis du xviii^ 
siècle, maintiennent encore leur ancien prestige. 
Les Kùuzzat (pluriel de Kazi) furent juges de père 
en fils; les Kdûnter, administrateurs des deux 
quartiers, confiés aux porteurs de ce titre. Mirza 
Taghi Khan, qui fut le premier Sadr A*zam et le beau- 
frère de Nasreddin Schah, possède, à Tauris, une 
postérité influente dans la personne de Sa'd-ol- 
Molk et de ses frères. Les Kadjars y sont rares et 
médiocrement placés. Une branche de seyyeds 
Thabathabaîs, descendant à la fois d*Hasan et 
d'Hoséin, vint d'Ispahan et forme aujourd'hui la 
principale famille de la ville. En sont issus : le garde 
des sceaux du Vélî*ahd, Vékil-ol-Molk; "Ala-ol-Molk, 
qui fut ministre de F Instruction publique, et même 
un grand moujtehed, Nizâm-ol-'Ouléma; car il est 
de tradition dans la famille qu'un de sesjchefs figure 
toujours dans le corps des mollahs. La même hérédité 
se retrouve dans le clergé, où l'imamdjoumé et 
les premiers moudjteheds sont fils des grands person- 
nages religieux d'autrefois. Ces gens forment une 
société d'autant plus compacte et influ^ite que 
chaque génération fournit son contingent à la cour 
du Véli^'ahd et passe à Téhéran, avec le changement 
de règne, pour y occuper les plus hautes charges de 
la cour et de l'État. En fait, les principaux de Tauris 
sont devenus les maîtres de la Perse actuelle. Leurs 
installations sont fort belles, soit qu'elles aient 
conservé la mode persane, comme la maison de 



TAURIft M 

Nizam-<ri-*OQléina, soit qu'elles se rapprochent des 
nôtres» comme chez Vékil-ol-MoIk, un ancien élève 
dû collège des Laxaristes à Gonstantinople. Les 
commodités européennes ont déjà pénétré : le 
téléphone a 150 abonnés» payant 30 tomans par an ; 
depuis deux ans, un anden Hève de Saint-Cyr, aide 
de camp du prince héritier, Kasem Khan, a établi 
la lumière électrique K 

La langue u»tée dans la société comme dans le 
peuple de Tauris est le turc azéri, mais on y a pris 
rhabitude d'écrire en persan; comme il faut lire le 
Coran et prier en arabe» les gens sont également 
familiarisés avec les trois langues de TOrient. Dans un 
tel milieu, rinfluence russe est conridérable; au début 
du xix^ dècle la pc^tique de la Russie s*emirik>ya à 
soutenir contre les Kadjars les révoltes locales des 
grands de l'Azerbaldiàn ; elle refusa de les abandonner 
à la paix de Touricmantchaï. La proximité aidant, la 
culture russe passa TA^raxe, introduisant bon nombre 
de mots nouveaux dans le dialecte asM ; les coutumes 
russes trouvèrent un facile accès ; la uodkit remplaça 
Vi^ak ; pludeurs jeunes gens furent envoyés, pour 
leur éducation, à Pétersbourg et à Moscou ; presque 
tous savent le français. 

Chose curieuse, ces aristocrates musulmans, soumis 
à l'influence russe, ne marquèrent pas la moindre 
résistance à la vague révolutionnaire, qui passe en ce 
moment sur la Perse. Dès queleSchah se fut rendu 
aux premières exigences des gens de Téhéran, ceux 
de Tauris entrèrent en branle... Le 18 septembre, 
ils fermèrent les baaars, organisèrent des réunions 

1. La lumière électrique existe également À Téhéran et à Recht ; 
e téléphone dont cm deux villes et à Ourmiah. 



40 LA PERSE d'aujourd'hui 

dans les mosquées et envoyèrent un fort contingent 
prendre refuge au consulat d'Angleterre, poury trouver 
un point d'appui contre l'éventualité d'une action 
russe. Une soitime de 20.000 tomans avait été 
recueillie en vue de l'opération. On réclamait les 
avantages concédés dans la capitale : l'institution 
d'un comité local et l'envoi de députés au Conseil 
national de Téhéran. Tout se passa au milieu du 
plus grand calme; la manifestation dura une dizaine 
de jours ; la jeunesse, dans l'aristocratie de la ville 
et l'entourage du Vélî^'alid, se livrait à un enthou- 
siasme illimité pour les idées nouvelles; leurs pères 
témoignaient plus discrètement de sentiments ana- 
logues; les vieillards, réactionnaires et récalcitrants, 
se retiraient prudemment dans leurs villages. Un 
télégramme du Schah vint ordonner l'application 
de la Constitution à sa fidèle province d'Azerbaïdjan. 
Un andjoumanf aussitôt formé, se mit à contrôler 
une administration consentante; comme par enchan- 
tement, le régime de la liberté était inauguré à Tauris. 
Un manifeste, répandu par la ville célébra le suc- 
cès d'un bouleversement politique, où, tout le monde 
étant d'accord, il n'y avait point de vaincus. 

FÉLICITATIONS 

Unissez-vous, vous qui êtes pauvres I A l'appa- 
rition du rescrit auguste, annonçant l'avènement du 
régime constitutionnel et la création d'une chambre 
des députés, nous, les démocrates-socialistes, les 
champions de T Islam en Perse, qui avons averti tous 
les partisans de la liberté et les vaillands défenseurs 
de la religion, — en cette heureuse fête et ce noble 
jour, nous adressons nos félicitations à tous les amis 
de la liberté, quelque soit le point de l'univers où ils 



TAURIS 41 

se trouvent... Nous félicitons particulièrement Leurs 
Excellences les oulémas, les négociants, lès zélés ou- 
vriers de la Perse et les champions de l'Islam à Téhé- 
ran, qui, pour atteindre ce but sacrée ont prodigué leurs 
biens et leurs vies... 

Après leur avoir adressé nos remerciements bien 
sincères, nous leur dirons : O nos compatriotes ! O nos 
frères ! rendons grâce à Dieu, qui, dans sa suprême 
justice, a daigné permettre, grâce à l'union et a l'effort 
des amis de la liberté, de faire les premiers pas vers ce 
but sacré 

C'est à nous. Persans, de faire à l'avenir de ce Norouz 
béni la plus grande des fêtes de notre histoire nationale: 
chaque année, en ce jour de bonheur, nous nous em- 
brasserons et nous nt)us féliciterons mutuellement. 

O nos véritables frères, il apparaît maintenant que 
tout peut s'obtenir par l'entente et par l'union. Ainsi 
disait le poète : « Que fut l'union pour les fourmis? 
Grâce à elle, elles réussirent à déchirer la peau du lion 
furieux. « n est démontré qu'une nation, zélée et 
ardente comme le Japon, peut, en s'unissant, arracher 
le drapeau du bonheur à un tel adversaire que la Russie 
En conséquence, nous, les champions de l'Islam dans 
la voie d'Allah, nous ne devons pas nous endormir en 
disant que nous avons obtenu tout ce que nous vou- 
lions... Non, il est de notre devoir de profiter de ce 
rescrit auguste et de lancer notre équipage dans l'hip- 
podrome de l'occasion. Arborons l'étendard rouge 
de la liberté et ne permettons pas que quelques 
hommes, ennemis de la justice, vouent, du rideau de 
leurs intérêts personnels, les lumineux rayons de cette 
constitution, que nous avons obtenu avec mille 
peines, en nous sacrifiant nous-mêmes... 

Vivent les amis de la liberté et de la Constitution ! 
que la défaite et le mépris soient le sort des égoïstes ! 

Le parti des champions de l'Islam, les démocrates 
socialistes de la Perse. 

25 Djémadi II, 1324. 

Mon séjour à Tauris ayant coïncidé avec ces 



42 LA PERSS d'aujourd'hui 

événements, j'y trouvai les basars clos ; sauf pour 
les denrées de première nécessité» aucune boutique 
ne restait ouverte ; les commerçants étaient en 
grève. En temps ordinaire, Tactivité est considérable; 
le marché de Tauris centralise la plus grande part 
des affaires de la province en fruits secs, peaux et 
tissus de laine ^, qui sont exportés en Russie ; 
les négociants tabrizis essaiment dans les principales 
localités de TÂzerbaïdjan pour y répartir les S3 mil- 
lions 873.922 krans d'importations, accusées par la 
direction locale des douanes. 

La douane de Tauris reçoit directement toutes 
les marchandises venues de Russie et de Turquie — 
après avoir été plombées à leur passage par les 
douanes de Maraud et de Khoï. Elle forme l'abou- 
tissement de la ligne des caravanes, qui, vu l'iater- 
diction du transit par le Caucase» doivent partir de 
Trébizonde pour introduire dans le Nord et l'Ouest de 
la Perse les cotonnades de l'Angleterre, les draps de 
l'Allemagne et de l'Autriche, les soieries de France. 
Tauris réexpédie à destination l'ensemble de ces pro- 
duits, importés par les soins des négociants persans 
de Constantinople*. 

Les statistiques de 1905-1906 indiquent une expor- 
tation de 22.651.980 krans de tapis de laine. L'in- 
dustrie des tapis est la plus importante de l'Azer- 
baïdjan. où l'initiative privée l'a rétablie depuis 
quelque vingt-cinq ans. On compte actuellement 
à Tauris une centaine de fabriques, grandes et petites. 



1. En 1905-1906 : 5.113.534 krans de fruits secs ; 2.744.200 de 
tissus de laine ; 2.505.988 de peaux. 

2. En 1905-1906 : 8.663.650 krans de |issus de }aine ; 3.897.075 
d« tissus d« séi«. 



TAURIS 4S 

et environ 1.200 métiers ; 10.000 personnes vivraient 
de ce travail, concentrées en ville et dans dix-huit vil- 
lages de la province^. Quatre fabriques sont parti- 
culièrement renommées. La plus grande d'entre elles 
fut fondée, en 1888, au quartier de Nouber, par un 
Tartare d'Elisavetpol, Baba MahmédofI Gandjabi ; cet 
homme habite maintenant Constantinople, où il fait 
la banque et le commerce des tapis ; ses neveux 
dirigent la maison de Tauris. Dans les bureaux, 
deux dessinateurs restituent les vieux modèles, 
d'après les publications du Musée Commercial de 
Vienne. 600 ouvriers travaillent dans les ateliers 
ouverts sur une cour intérieure. Ce sont de longues 
salies, où s'enchevêtrent 50 métiers verticaux. 
Avec le. progrès du tapis, s'élèvent les travailleurs, 
alignés sur une longue planche; ces travailleurs sont 
de petits garçons; chaque pièce en exige une moyenne 
de 8 ou 9; les plus grandes en veulent jusqu'à 15. 
Les enfants exécutent le modèle fixé sur le métier, 
en chantant les indications. « Après deux fils noirs, 
mettre quatre rouges... Après un point noir, mettre 
trois jaunes » ; si bien que l'atelier tout entier s'em- 
plit du bourdonnement des voix enfantines. Les petits 
ouvriers gagnent de 3 à 7 tomans par mois, les sur- 
veillants de 10 à 30. 

Le goût de la cUentèle, signalé par les correspon- 
dants, peut faire varier les dessins, les couleurs et les 
dimensions des tapis. Néanmoins, la dimension la plus 
habituelle est de six mètres sur trois. Le tapis de 
Tauris coûte de 12 à 45 tomans le mètre carré ; 
celui de Hériz, plus commun, de 6 à 25. Chaque 

1. Lt plut important de c«t vlUagts Mt Hériz (Karad^gh). 



44 LA PERSE d'aujourd'hui 

pièce représente donc un prix fort élevé, trop élevé 
pour les bourses européennes. L'Egypte est le princi- 
pal débouché des tapis de soie» ceux de laine vont à 
Constantinople, pour être réexpédiés aux États- 
Unis. 

Les diverses maisons de Constantinople, qui 
recueillent les tapis du Caucase et de l'Orient Moyen, 
entretiennent des agents à Tauris, la ville étant, avec 
Hamadan et Méchhed, le principal marché des tapis 
de Perse. Les tapis du Kurdistan et de l'Irak, concen- 
trés à Hamadan, partent par Bagdad ; Méchhed 
envoie, par l'Asie centrale, ceux du Turkestan» de 
Hérat et du Béloutchistan. 

La population chrétienne de Tauris, éliminée 
sous les Mongols, fut reconstituée par les Séfévis. 
Une petite fraction des Arméniens, entraînés vers 
l'Iran par Schah ''Abbas, se fixa dans la ville; au cours 
du dernier siècle, ils y furent rejoints par des Armé- 
niens de la Transcaucasie puis, par des Chaldéens, 
venus de l'autre côté du lac d'Ourmiah. Les juifs 
n'ont point reparu. Cette chrétienté habite, en majeure 
partie, les deux quartiers de Léilabad et d'Arménistan. 
On compte 5.000 Arméniens, le plus fort groupement 
de leur nation parmi les 34.000 de l'Azerbaïdjan ; 
aussi Tauris est-il devenu le siège des œuvres natio- 
nales pour le Nord-Ouest de la Perse et la résidence 
d'un archevêque grégorien^ Si les Arméniens de la 
province sont restés attachés à la terre, ceux de la 
ville s'emploient dans le commerce et les métiers. 
Les maisons arméniennes du bazar détiennent une 
bonne part du négoce avec la Russie. Aussi la com- 

1. n n'existe que deux diocèses grégoriens en Perse ; l'autre se 
trouve à DJoulfa (Itpahan). 



TAURIS 46 

munauté urbaine, devenue riche et influente, se 
trouve-t-elle en mesure de venir en aide aux petites 
communautés dispersées dans la campagne. Afin de 
soustraire les siens à l'arbitraire des seigneurs musul- 
mans, elle s'efforce de racheter les villages, notam- 
ment dans la montagne du Karadagh, où résident 
7.000 chrétiens. Elle tâche également de développer 
la culture nationale. Le niouvement, commencé 
vers 1890, grandit au moment des massacres d'Ar- 
ménie, qui secouèrent toute la race et firent passer 
en Perse de nombreux fugitifs. Le Patriarcat 
d'Etchmiadzin envoya des professeurs ; un Comité 
de bienfaisance de femmes arméniennes, constitué 
à Tauris, créa des ouvroirs, des jardins d'enfants, 

, ouvrit des écoles dans toute la province. Â Tauris, 
à Salmas, à Ourmiah, des associations musicales 
et théâtrales se formèrent ; des bibliothèques 
furent fondées. 

La nation vit groupée sous l'autorité de son évêque, 
assisté d^un conseil de 6 membres laïcs. Depuis quel- 
ques années, des difficultés se sont produites et le 
siège est vacant ; un simple curé, le P. Mégreditch, 

I administre le diocèse. Chacun des deux quartiers 
chrétiens a son église et ses écoles. 

Depuis une trentaine d'années, la mission amé- 
ricaine d'Ourmiah a pris pied à TauHs. Le temple 
presbytérien ne réunit qu'une centaine de commu- 
nicants ; le dispensaire, l'hôpital de quinze lits et les 

) deux écoles (190 garçons, 120 filles), attirent surtout la 

I clientèle arménienne. Sous la pression des familles, 
les missionnaires américains viennent de se décider 
à introduire chez eux l'enseignement du français. 
Ils ont fait venir de là-bas un professeur, M. Léon 



48 LA PERSE d'aujourd'hui 

Vauthier, qui, tout enfant, quitta Belfort avec 
sa famille pour émigrer aux États-Unis ; ces gens se 
fixèrent à SpringfieW (Connectîcut) ; la Nouvelle 
Ân^eterre fit du jeune homme un Américain et un 
congrègationaliste. Voici maintenant que les circon- 
stances l'amènent en Asie pour y enseigner sa 
langue maternelle. 

Les lazaristes français ne vinrent qu'en 1901, 
Bien que la communauté catholique soit {réduite 
à la petite colonie européenne et à quelques Armé- 
niens, leur école compte déjà 130 élèves, dont plu- 
sieuïis musulmans. Depuis 1904, les sœurs de charité 
ont un orphelinat (18 petites filles) et une école (60) ; 
le grand bâtiment qu'elles occupent doit contenir plus 
tard un dispensaire et un hÔ{Htal. 

Parmi tes Européens, les Russes sont naturellement 
les plus nombreux ; ils ont fondé, auprès de Ba^*ech- 
Chemal, une petite colonie russe, avec de fort jolies 
maisons au milieu des jardins. Les autres vivent dans 
les quartiers chrétiens : 1^ Anglais de la Banque 
impériale de Perse, les Suisses de la maison Zie^er, 
les Bdges de la douane et le groupe français. En 
dehors des missionnaires, le gros des nôtres est 
attaché à la maison du Vé]î''ahd ; M. Renard administre 
la pharmacie françiûse ; M. Hioltet professe à l'école 
Lochmanîeh. CeHe-cifut fondée, en 1899, par le méde- 
cin en chef du prince héritier. Le docteur Lochman-ol- 
Memfili^ a fait en France ses études de médedne ; 
en souvenir de son séjour chez nous, il entretient de 
ses deniers une école, contenant plus de 100 élèves, 
dont la langue d'ensdgnement est le français. 



ni 

AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 



Le lac d'Oarmiah. — Mélange 4e reliftons et de races. — Lei 
usages de Thospitalité persane. — Le gouverneur de Mérand. 

— Khôl. — Une ville de province en Perse ; l'organisa 
tkm d^ine t petite provinoe ». — Le Nâteh^l'-Hûkettîneh. 
^- Le grand Moudjtehed — Le tdmbeau de Hadji MIr 
Ya'koub. — Chems-i-Tabriz et MoUah Roumi. — La Deulsch» 
Ori^nîÈ Mission. — Salmas. -^Les Kurdes Chakkaks. — Tours 
mongoles. — Les Jufte de Koutté Ghehr. — Arméniens et 
GkaldéMis. — Les vilk^es d'Heftevan et d% Khosrova 

— Une mission suisse. — Sculpture sassanide. — Kouchtchi 
' et la i^aine d'Antel. —^ Ourmiah. — Le commerce des raisins 

SMS. —- La trfbm des Afdiars. -— Une vlUe de inisMtmaâes : 
^ laawistes, presbytériens, anglicans, orthodoxes. — Le pas- 
sage des Nestoriens à l'orthodoxie Les chrétiens sous le 

\ régime persan. 

> C*€st chose facile que de laire en voiture le tour du 

lac d' Ourmiah: '530 kilomètres par Khoï» Our- 
iniah» Saoudj-Boulaq et M^agfaa. Nous y avons oâs 
dix-^ept jours. La fertilité du sol» la douceur du di- 
BMit» OBt fait de ce bassin une région unique en Perse. 
Dans la partie ocddentale, au pied de la diaîne 
du Kurdistaa, les eaux sont abondantes et remplissent 
de vii^tation les larges vallées ; toutes les pentes sont 
e& cultui^ : un prolongement de la Transcaucasie» 
d'aspect aaalogae à TËurope méridionale, précédant 
les oasis clairsemés du plateau d'Iran. Au aiilieu* 



48 LA PERSE d'aujourd'hui 

la nappe bleue du lac, encadrée par les hautes mon- 
tagnes, longue de 130 kilomètres, large, en moyenne, 
de 40. 

Cette région favorisée vit confluer les migrations 
de peuples. Ce fut Tancienne Médie, où se dévelop- 
pèrent Zoroastre et sa doctrine. Le royaume d'Ar- 
ménie y fit avancer les siens. Chaldéens et Juifs 
vinrent de la vallée du Tigre. La conquête mongole 
introduisit les Turcs. Devant l'invasion de Tamer- 
lan, chrétiens et juifs se retirèrent vers les montagnes, 
dont les Kurdes garnissaient la crête. A partir du 
xvi« siècle, les luttes constantes avec les Turcs 
Ottomans, entre sunnites et chiites, dépeuplèrent le 
pays. Les Séfévis y installèrent des gens du Caucase, 
des tribus turques de l'Iran, une poussière de peufdes 
dispersée par la volonté souveraine. A la fin du 
XVIII® siècle, chaque ville appartenait à une grande 
famille, s'efforçant à maintenir son indépendance 
contre les Kadjars. Après les guerres russes, qui por- 
tèrent à l'Afaxe la frontière persane, ''Abbâs-Mîrzâ 
réorganisa la province. 

Tant d'événements ont laissé leur empreinte sur 
les bords du lac d'Ourmiah. La diversité ethnique y 
est infinie. Dans les vallées successives, se mêlent 
villages arméniens et chaldéens, tribus turques et 
kurdes, colonies juives et fonctionnaires persans. 
La personnalité .des tribus, la fortune des grandes 
familles n'ont point encore tout à fait disparu ; 
chacun conserve la part d'autorité que lui valent les 
circonstances ; selon les lieux, l'action gouverne- 
mentale ménage plus ou moins les restes du passé. 
Les croyances religieuses sont également variées. 
Le chiisme n'a pu conquérir entièrement ces marches 



AUTOini DU L.\C d'ourmiah 49 

de la Pei^se ; les Kurdes restent sunnites. Â côté des 
synagogues juives, persistent les églises des grégo- 
riens et des nestoriens. Toutes les missions imagi- 
nables — catholiques, orthodoxes, protestants de 
toutes seôtes et de toutes nations, — se sont abattues 
sur ce petit noyau de chrétiens. 

Nous sortons de Tauris par la longue rue des 
Chameaux, le quartier de Chechguilan et le pont 
biscornu de rÂdji-Tchaï. La chaussée, longue de 
130 kilomètres, construite par les Russes entre 
Djoulfa et Tauris, a été récemment achevée ; mais 
nos cochers demeurent fidèles à l'ancienne piste, 
qui conduit, en 36 kilomètres, jusqu'à Sofian. La 
vaste plaine est peuplée de rares villages ; les dépôts 
salins y témoignent du retrait des eaux ; le bétail 
se disperse dans les pâturages. Les pentes sont nues 
et ravinées. Sofian a 700 maisons, un peu de ver- 
dure, des champs de coton et de ricin ; le tout consti- 
tué en fondation pieuse pour le tombeau de F Imam 
Rézâ, à Méchhed. Dans le cimetière, Tlmâmzâdé 
Ibrâhîm, parent du saint propriétaire, repose sous 
une coupole à faïences vertes, précédée de pierres 
tombales chaldéennes, en forme de béliers. 

Le Michau-Dagh s'avance vers le lac ; la route 
s'enfonce dans l'intérieur. L'étroite vallée a des arbres 
et des cultures, des plantations de chanvre et de ta- 
bac. Les charrettes, attelées de bœufs, conduisent à 
la frontière russe leur cargaison de fruits secs. En 
haut, le vieux caravansérail de Yam ; puis descente 
rapide sur le bourg de Mérand. 

L'hospitalité persane comporte certains usages qui 
sont piartout uniformes et dont l'ensemble se nomme 
istikbai Des cavaUers, des ferrachs, portant le 

Aubin. -^ La Ptrse, 4 



50 LA PERSE d'aujourd'hui 

bâton à pommé d'argent, des chevaux d'honneur, 
recouverts de broderies de Recht, harnachés d'ar- 
gent et d'or, avec des colliers d'or ou des cercles 
d'argent, viennent, à plusieurs kilomètres, au-devant 
de l'hôte attendu. Une voiture est snvoyée à sa 
rencontre. Aux premières maisons, un flot de domes- 
tiques forme cortège et court à vos côtés, — munis 
de lanternes s'il fait nuit. Celui qui vous reçoit, 
— gouverneur ou grand propriétaire — se tient au 
seuil de son habitation et vous accueille, entouré des 
siens. 

Le gouverneur de Mérand, Choudjâ'-é-Nizâm (le 
brave de l'armée), un Turc du Mechkin, a dû partir 
avec ses cavaliers pour prêter main-forte au gouver- 
neur de Khoï, contre une irruption des Kurdes dans 
la plaine de Salmas.En son absence, son fils Choudjâ'- 
é-Lechker (le brave d'entre les soldats) remplit les 
fonctions de sous-gouverneur. Mérand forme une 
agglomération de 1.500 maisons, disparaissant sous 
les peupliers, les saules, les ormes et les jujubiers^. 

Jusqu'à Khoï, 72 kilomètres au travers d'une large 
vallée débouchant sur un affluent de l'Araxe, le 
Kotour-Tchaï. Les arbres marquent les lieux habités; 
entre eux, des champs de blé et d'orge, et de nom- 
breuses parcelles, plantées pêle-mêle, de coton, de 
chanvre, de ricin et de sésame. Les premières pentes, 
où passe la route, sont nues et pierreuses. Puis un 
immense pâturage salé, livré au bétail, et les maisons 
de Kerklar. Dans un creux verdoyant de la mon- 



1. Les jujubiers de la Perse n*ont rien de semblable aux buissons 
épineux de TAIrique du Nord. Ce sont des arbres de la dimension 
et de l'apparence des oliviers. — Nos voyageurs les appellent oliviers 
de Bohême ou faux jujubiers. 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 51 

tagne, Zendjireh, propriété du gouverneur de Mérand. 
La vallée se resserre ; le chemin coupe à travers 
un plateau désert et gagne le Kotour-Tchaï. A Val- 
dian» vit un petit groupe de nomades, dont les tentes 
noires entourent quelques maisons basses, construites 
en terre et en roches i ce sont des familles Schfih- 
Seven, de la tribu des "Inanlou, égarées dans ce coin 
de pays. A Navahi, la rivière ronge le pied de la mon^ 
tagne et la magnifique plaine de Khoï apparaît. 
Les conduites d'irrigations se répandent en tous sens, 
des lignes de saules bordent les champs ; des masses 
de verdure recouvrent les villages ; melons, courges 
et pastèques, mûrs en cette saison, s'alignent dans 
les melonnières. Au fond, la ligne des grandes mon- 
tagnes du Kurdistan, d'où descend le Kotour- 
Tchaï. 

Khoï est une ville forte. Elle se trouvait naguère 
sur le chemin des invasions turques, qui, d'Erze- 
Foum, contournaient le massif de l'Ararat ; elle reste 
toujours sous la menace des Kurdes. Aussi garde- 
t-elle des murs crénelés, des bastions en terre, des 
fossés, des remblais, des ponts-levis, de doubles 
portes, tout un système de défenses moins efficace 
que pittoresque. La ville a 14.000 habitants; 6.000 
seulement tiennent dans ses murs ; faute d'espace, 
les maisons, privées de jardins, se serrent les unes 
contre lés autres ; à peine quelques saules réussis- 
sent-ils à pousser auprès des ruisseaux. Le reste de 
la population occupe trois quartiers extérieurs, par 
delà les cimetières : Chahanagh, Imamzadé, Robat. 

Dans chaque quartier, le gouverneur désigne 
un Khetkodâ, chargé des menues questions de police 
et de justice ; ces sept fonctionnaires relèvent du 



62 LA PERSE d'aujourd'hui 

Kdanter (maire de la ville), MoKn-è-Divân — (l'auxi- 
liaire du Conseil), — assisté du chef de police Yoûsef- 
beg, darogha. Le prévôt des marchands, Mirza 
Asadoullâh, Malek-et'Toudjdjâr, administre le bazar. 
Le commerce de KhoI n*a guère de relations qu'avec 
Constantinople par la voie de Trébizonde, acciden- 
tellement avec Tauris ; cotons, fruits et peaux ga- 
gnent la Russie par TAraxe. 

Les gens de KhoI gardent jalousement les terres 
voisines; à peine quelque Annénien s'est-il rendu 
propriétaire. Une région aussi localisée est naturel- 
lement administrée par les siens. L'organisation 
provinciale, superposée, dans toutes les « petites pro- 
vinces »^ de la Perse, à l'organisation municipale, se 
trouve entièrement entre les mains de ceux du pays. 
Le véztr-i'Chehr (ministre de la ville), Hisâm-é-Def- 
ter (le sabre de l'administration), le moustofî qui 
l'assiste pour la perception des impôts (80.000 tomans 
par an, 6.000 kharvars de blé ou d'orge), le serpe- 
rest, agent du ministère des Affaires Étrangères 
et gouverneur des non -musulmans, l'agent des 
domaines, ma^moÛT-é-khalisé; tous sont de Khoi. 
En dehors du Belge, directeur des Douanes, il 
n'y a d'étrangers que le gouverneur, à la fois civil et 
militaire, qui est envoyé de Tauris. Résidant dans 
une place forte, il fait également métier de Rets-el- 
Fowdj et commande la garnison : 2 régiments, 300 ca- 
valiers, 200 artilleurs. Il joint à son gouvernement de 
Khoï le district de Salmas, où l'ont présentement 
appelé les incursions kurdes. 

Quand un gouverneur vient à s'absenter, sans 

1. On appelle « petite province » celle qui n*a d'autre ville 
que son chef-lieu. 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 53 

laisser derrière lui un homme de sa famille ou de sa 
confiance, il a coutume de remettre les fonctions de 
sous-gouverneur (Nâleb'Oul'Hokoûmeh) au plus grand 
propriétaire du lieu. Hâdjî Haïdar Khân, un vieillard 
à cheveux blancs, est le seul homme de la province 
auquel ses moyens aient permis d'acquérir le grade 
militaire d'Emir Toûmân. Sa famille, d'origine 
arabe, vint de Syrie avec la conquête ; les Séfévis 
transportèrent ses ancêtres d'Ispahan à Khoî. Son 
grand-père était gouverneur et se distingua dans la 
guerre russe; il obtint, en récompense, une exemption 
d'impôts, dont bénéficie encore sa descendance. Haïdar 
Khân est fort riche ; il possède des villages, des bains, 
des boutiques, quatre caravansérails. Son jardin 
de Daghbaghi, sur la route de Salmas, est le plus 
beau de la plaine ; les eaux y tombent en cascades, 
entre deux superbes rangées de platanes ; sa maison 
est la meilleure de la ville. 

J'y reçus la visite d'un cousin de mon hôte. Lout- 
f^'alî Khân faisait partie du premier groupe de jeunes 
Persans envoyés en France par Nasr-ed-Din Schah. 
Il vint en 1860 et resta sept ans. Confié tout d'abord 
aux soins de marchands de soupe successifs, il passa 
par le lycée Charlemagne et même par Saint-Cyr ; 
il revint avec la connaissance de notre langue, — 
avantage unique de son long séjour au Franguistan. 
La culture européenne a rarement porté bonheur aux 
premiers Orientaux qui s'y sont adressés. Retour de 
Paris, Loutfalî Khân reçut, à Bouchir, un emploi 
modeste ; il s'en dégoûta vite et reprit, sur l'héritage 
paternel, l'existence du petit propriétaire persan» 
guéri d'illusions occidentales. Il y vieillit tristement; 
de ses huit enfants n'ont survécu qu'un fils et deux 



54 LA PERSE d'aujourd'hui 

filles ; il a naturellement n^Ugé de leur apprendre 
le français. 

La vÛie de Khoï se confit en dévotion. Elle entre- 
tient quarante mosquées» un peuple de mollahs et de 
seyyeds. — VImâm-Djown% Cheikh Yahya, qui 
dessert la mosquée principale, est le chef officiel des 
mollahs, nommé par le gouverneur : il a dépouillé 
de toute autorité le Cheikh-oul-Islâm, désormais paré 
d'un titre vain. De même Mina Seyyed Mohammed, 
Reïs-os-Sadal, a écarté Mîrzâ Seyyed 'Alî, Nâieb- 
oS'Sadai, dont les fonctions héréditaires consiste- 
raient à maintenir le bon ordre parmi les descendants 
du Prophète. Le grand Moudjtehed Hadji Mirza 
Ibrahim Agha vit entouré du respect public. — Sa 
maison est petite ; une seule pièce, meublée de tapis, 
s'ouvre sur une cour étroite ; à la porte, selon l'an- 
cienne mode, une barre de bois marque l'endroit 
où se doivent déchausser les visiteurs. Le vieillard 
reste accroupi près de la fenêtre, au tniUeu d'un fouil- 
lis de livres de jurisprudenee musulmane et des dos- 
siers d'affaires soumises à sa décision.. Il porte lu- 
nettes ; sa tête est entourée d'un latige turban blanc, 
sa barbe teinte au henné. Après s'être formé, à Nedjef , 
sous les grands maîtres, il est venu répandre l'ensei- 
gnement et la justice parmi ses concitoyens. Enrichi 
par ses vertus et par sa science, il continue de vivre 
pauvre, distribue ses revenus en aumônes ; quand il 
mourra, ses biens seront consacrés en fondation 
pieuse au tombeau du 3® Imam. Ses pèlerinages sont 
incessants ; il a plusieurs fois visité la Mecque et, 
malgré son grand âge, deux anné« ne s'écoulent 
point sans qu'Use rende à Kerbélaou à Mëchhed. 
Les gens de Khoï s'attendrissent à le voir prier dans 



AUTOUR DU LAC D'OUBMIAH 56 

la mosquée, ses souliers sous le bras, comme le com* 
mun des mortels . 

Une ville aussi pieuse ne pouvait se passer d'un 
tombeau miraculeux. Hadji Mir Ya'koub a bien voulu 
le lui fournir. C'était un descendant du 4^ Imam, 
Zeln-el-«Abedin. Réfugiée au Caire, lors des persé- 
cutions abbassides, sa famille s'établit ensuite dans 
les montagnes du Kurdistan, dont il vint lui-m&ne 
pour parfumer de sa sainteté toute la plaine de Khoï. 
Le tombeau est couvert de draperies, enclos de grilles ; 
des lustres en cristal, des sabres, des poignards 
pendent au plafond. On y vient, de l'Azerbaïdjan 
et même du Caucase, accomplir des vœux, implorer 
des guérisons. Les gens en délicatesse avec le pouvoir 
trouvent un asile sûr auprès du sanctuaire. Le jeudi 
est jour de pèlerinage, où affluent les offrandes d'ar- 
gent et de bétail. A la différence dès imamzadés 
vulgaires, Mir Ya*koub peut s'offrir le luxe de rester 
illuminé la nuit entière. La troisième génération, 
issue du saint, est représentée par trois personnages 
honorés du nom de leur précieux auteur. Une exploi- 
tation aussi lucrative en a fait les plus opulents parmi 
le monde religieux de Khoï. 

L'aîné, un seyyed mince, à barbe blanche, vêtu 
d'une robe bleue, d'un àba marron et d'un turban 
noir, se mit à raconter les merveilles de l'ancêtre et 
la puissance de ses reliques. Dès sa jeunesse, Mir 
Ya^koub aurait été le réceptacle des faveurs divines. 
Comme il était, à Nedjef, un étudiant fort paresseux, 
'Ali se serait donné la peine de lui apparaître en rêve, 
pour lui enseigner le Bismillah^ la première formule 
du Coran. Un jeune homme si protégé par le a maî- 
tre des confesseurs », ne pouvait manquer de réussir 



56 LA PERSE d'aujourd'hui 

en ce monde, et même au delà. Dès son arrivée, 
affirme fièrement le petit-fils de Mîr Ya^koûb, aucun 
gouverneur ne manquerait de vénérer le glorieux 
tombeau; or, ceux qui, durant leur administration, 
s'attachent à lui marquer le respect convenable, 
sont parvenus à réussir dans leur tâche ; les autres 
ont dû quitter la place. Un gouverneur impie, ayant 
maltraité les seyyeds, vit tous les siens mourir 
autour de lui ; la terre trembla sous les pieds des 
cavaliers, qui prétendaient percevoir l'impôt dans 
le village d'un seyyed. Par ailleurs, feu Mir Ya*koub 
ne possède aucun wakf et vit de la générosité publique. 
« Toute la province, ajoute prudemment le sous- 
gouverneur, s'est faite le wakf volontaire du saint 
tombeau, » 

Si le tombeau de Hadji Mir Ya'^koub est le plus 
lucratif qui soit à Khoï, il n'en est pourtant pas leplus 
illustre. Au quartier de Robat, un vieux minaret 
émerge des arbres ; le balcon et la lanterne en sont 
fort délabrés ; une multitude de cornes de mouf- 
fions pointent entre les briques. La légende veut qu'un 
roi, venu à Kho!, ait tué en un seul jour le nombre 
dç moufflons nécessaires à la décoration du monu- 
ment. Le respect populaire y vénère ce qui reste du 
tombeau de Chems-é-Tabrîz. C'était au xiii« siècle, 
sous le règne des premiers souverains mongols 
de Tauris; Djelal-ed-Din Er-Roumi, chassé de la 
Bactriane par la jalousie souveraine, vivait réfugié 
à Konidi, auprès du Seldjoukide. Il se livrait aux 
spéculations philosophiques ; la réunion de ses dis- 
ciples commençait à former Tordre des Mevlevis, 
c'est-à-dire des derviches tourneurs. Il avait atteint 
sa soixantième année. Or, dans le même temps, 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 57 

Chems-ed-Din Tabrizi, fils d'un mercier de Tauris, 
grandissait, muni des « lignées spirituelles » les plus 
distinguées, aussi célèbre par sa beauté que par sa 
science et sa vertu ,. Les avis inspirés de ses maîtres 
le dirigèrent vers Konieh. « Tu dois aller à Konieh, 
lui dit un cheikh, il y a là-bas un homme consumé 
dont il faut ranimer la flamme ». — « Dieu, lui dit un 
autre, te donnera un compagnon pour exprimer, 
en ton liom, la somme des vérités et des connaissances ; 
la sourde de la philosophie coulera de ton cœur à 
ses lèvres ; ses ornements seront le vêtement de ton 
nom. » La vieillesse de Mollah Roûmî s'éprit de la 
beauté de Chems; de l'étroite union formée entre ces 
deux hommes, naquit le poème du Mesnévi, l'un des 
chefs-d'œuvre de la littérature persane, la gloire 
de la philosophie soufie. Â la longue, cette intimité 
littéraire déplut aux fils et aux disciples deDjélal- 
ed-Din, qui s'arrangèrent pour supprimer l'intrus. 
Les gens de Khoï aiment à penser que l'illustre 
derviche de Tauris a été enterré chez eux^. 

L'enceinte fortifiée de Khoï appartient aux seuls 
musulmans ; 110 familles arméniennes vivent dans les 
quartiers extérieurs. Il existe encore une très vieille 

1. L*im des principaux mollahs de Téhéran, qui a bien voulu me 
remettre une note sur Mollah Roumi et Chems-é-Tabriz, s'exprime 
ainsi sur le compte de ce dernier : 

« U était si beau dans sa Jeunesse, qu*on le cachait au milieu des 
femmes, par crainte que des yeux pervertis ne vinssent à tomber 
sur luL Les femmes de Tauris lui avaient appris Tart de la broderie... » 

La note se termine par ces mots: 

« Fin de la notice abrégée sur Cheikh Chems-ed-Din. D*aprés les 
ouvrages consultés, sa résidence habitueUe était Konieh. Les tom. 
beaux qu*on lui attribue dans T Azerbaïdjan et à Khoï sont proba- 
blement ceux d'un autre Chems-ed-Din... Dieu est le plus savant, et 
connaît la vérité... 

» Moi, le serviteur qui consacre mon âme, 

NASBOUI.T.AB, le prédicateur, £l-Isfafaanl. » 



58 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

église grégorienne, construite en pierres jusqu'à mi- 
hauteur; rintérieur est sombre et voûté. On dit 
que toute la communauté arménienne y trouva 
refuge, lors du passage de Tamerlan. Parmi eux 
s*est établie la Deutsche Orients Mission. Luthé- 
rienne, elle fut fondée, il y a huit ans, à la suite des 
massacres d'Arménie, par le docteur Lepsius, fils du 
célèbre égyptologue. Son quartier général est à 
Ourfa, en Mésopotamie ; elle possède trois stations 
en Perse, Khoï, Ourmiah et Saoudj-Boulak. Cdle 
de Khoï est de beaucoup la plus importante. Elle 
comprend un pasteur, une demoiselle, directrice de 
l'orpheUnat, deux professeurs d*arts et métiers, qui 
enseignent à une cinquantaine d'enfants la menuiserie, 
la cordonnerie et le tissage. 

Après avoir passé le village arménien de Diza, 
et le pont du Kotour-Tchaï, la route de Khoï à Sal- 
mas remonte une vallée desséchée pour aborder 
la montée du Kara Tépé (coUine noire). Au delà 
commence la plaine de Salmas, verdoyante et arrosée 
comme celle de Khoï, entourée d'un cirque de mon- 
tagnes grises... 

Un groupe de cavaliers se dirige vers les crêtes, 
à la recherche des Kurdes. Voici de longs mois que le 
choulouk, l'agitation régnent dans le district. Il y a 
deux ans, Dja'fer Agha gouvernait la tribu des 
Chakkaks, qui occupent les hauteurs de Salmas, à 
cheval sur la frontière turque. Entre les Persans et les 
Kurdes de la région, les rapports restent tendus. Ces 
derniers reconnaissent bien en principe la souveraineté 
du Schah; ils soUicitent son investiture pour leurs 
chefs héréditaires, consentent même à payer l'impôt 
et le khanévari des gouverneurs. Mais leur soumission 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 50 

s'arrête là. Leurs chefs, chargés delà garde de la fron- 
tière, rançonnent impunément le pays plat; ils pillent, 
enlèvent les filles et le bétail, frappent d'amendes 
les villages récalcitrants. Par voie de représailles^ 
tout Kurde, saisi en flagrant délit par les autorités de 
la province, est mis, séance tenante, à la bouche 
du canon. Les déprédations de Dja'fer-Âgha dépas- 
sant la mesure ordinaire, il fut attiré à Tauris et 
traîtreusanent assassiné. Depuis lors, il y a plus de 
sang que de coutume dans la plaine et sur la mon- 
tagne. Tandis que la mère du chef défunt s'en allait 
à Constantinople porter sa plainte au sultan des 
Turcs, ses parents ne tardaient pas à tuer son succes- 
seur, choisi à dessein dans une famille rivale. Aujour- 
d'hui, Isma'^il Agha a remplacé son frère. Les diverses 
fractions des Chakkaks se battent lei» unes contre les 
autres et ravagent la plaine d'un commun accord. 
Une nouvelle incursion vient de se produire et voici 
pourquoi les gouverneurs de Khoï et de Mérand ont 
dû se rendre en force à Salmas. 

La population, ainsi exposée aux violences des 
Kurdes, diffère selon les villages. DiUman, chef-Ueu 
du district» est musulman ; un bourg, enclos de murs, 
de 4.000 habitants. Les chiites y sont en majorité; 
descendants d'une fraction [lekhe, transplantée du 
Sud par ''Abbas Mirza. Les sunnites, assez nombreux 
dans la campagne, proviennent d'établissements 
antérieurs, garantis par leur éloignement contre la 
pénétration de la croyance nouvelle. 

Le gouverneur de Khoï et Salmas, Salar-e-Arfé' 
(le plus élevé des maréchaux), se trouve en ce moment 
À Diliman ; un homme jeune et de fort bonnes ma- 
nières, les yeux bleus, la moustache blonde, les mains 



60 LA PERSE d'aujourd'hui 

très fines. Il revêt une tunique d*uniforme, avec des 
coins d'or au col, des boutons dorés à Teffigie du lion 
et du soleil » des bottines vernies. Il s'exprime en 
français avec quelque peine. Le gouvernement qu'il 
détient depuis peu, est dû à l'influence de sa famille; 
c'est un seyyedThabathabaîde Tauris,filsde Nizam- 
ol-^'Ouléma. Comme il sied à la dignité de sa charge, 
Salar-é-Ârfé se fit apporter un kalyan de Chiraz, en 
argent repoussé, où le tabac disparaissait sous un 
cercle de fleurs; majestueusement il en tira quelque 
bouffées et le remit à ses serviteurs. 

Vers le fond de la plaine, au devant du village 
de Kouné Chehr, se trouve un vieux tombeau comme 
il en existe plusieurs autour du lac d'Ourmiah : ce 
sont tours en briques surmontées de coupoles; deux 
portes opposées, décorées d'inscriptions arabes et 
de mosaïques en faïence bleue, donnent accès dans le 
tombeau ; la coupole est tombée ; les motifs décora- 
tifs s'effritent ; les inscriptions se lisent à peine : 
(( Construit ^ar Eminé Khatoun, fille d'Oghouz 
Agha », et le verset, usité sur les tombes : « Tout 
le monde doit mourir, sauf Dieu, qui reste éternel. » 

Kouné Chehr est le seul village de Salmas où il y 
ait des juifs. Les juifs de l'Azerbaîdjan sont groupés 
le long de la chaîne du Kurdistan, de Salmas à Mian- 
douab. Les premiers vinrent de la vallée du Tigre, 
lors de la captivité de Babylone ; ils furent rejoints 
par les restes de la colonie juive de Tauris, jadis 
florissante, grâce à la tolérance des Mongols, persé- 
cutée à la suite .de leur conversion à l'islamisme. 
Le petit groupe, resté fidèle à la foi mosauque, dut quit- 
ter la ville. Ne pouvant se fixer ni à Méragha, ni à 
Khoï, ils s'échouèrent de l'autre côté du lac. Pins 



AUTOUR DU LAC d'OURMIAII 61 

récemment, quelques familles sont arrivées de Turquie, 
attirées par la douceur relative du régime persan. 
Tous parlent un jargon syriaque, mêlé d'hébreu, 
qui leur permet de s'entendre avec leurs voisins 
Chaldéens. Leurs communautés, privées d'organi- 
sation« vivent dans l'abjection et l'ignorance. Ils 
reconnaissent pour chef un grand rabbin, q^i perçoit, 
à son profit, la taxe sur la viande kacher. Le passage 
annuel du Khakham-Chalimi constitue le seul lien 
réunissant ces Israélites dispersés au reste du judaïsme. 
En vertu de ses lettres de créance, délivrées à Jérusa- 
lem, celui-ci prodigue les enseignements, tranche les 
litiges et chaque famille juive lui paye volontiers, 
selon ses moyens, de deux à quinze krans d'offrande. 
Ceux de Salmas sont uhe soixantaine de familles 
qui font l'usure, le colportage, le petit commerce ; 
quelques-uns possèdent des vignes. De leur sort 
présent, ils ne se plaignent point ; leur village appar- 
tient à la princesse héritière, et c'est une garantie 
suffisante contre les exactions. Mais le pays n'offre 
point de chances de développement [à la jeunesse, qui 
tend à passer en Russie. Le grand Rabbin, Rabbi 
Khazkhiel, dessert la synagogue, tue selon les rites 
et charge son frère de tenir le talmud ihora. Il dis- 
pose même d'un tombeau pour entretenir la piété 
publique ; son grand-père, Rabbi Âaron, est l'imam- 
zadé du cimetière, qui guérit les malades et attire 
les pèlerinages. 

Les soixante villages de Salmas sont disséminés 
sur les deux rives du ZoUa-Tchaï ; indiqués par des 
bouquets d'arbres, séparés par des champs, où se 
dressent les tours de guet contre les Kurdes : 40.000 
habitants, Musulmans, Arméniens et Chaldéens» 



64 LA PERSE d'aujourd'hui 

rocheuses, précédée de blocs isolés ; le lac d'Ourniiah 
luit au soleil. A mi-hauteur du Sourat-Bourni — (le 
nez, le cap de l'image), — deux cavaliers se détaclient 
en relief sur le rocher poli ; ils portent des sabres 
droits,, des étoffes flottantes, des disques sur la tête ; 
un homme se tient à la bride de leurs chevaux. 
La sculpture est grossière, sans inscriptions. Les 
savants , y veulent voir l'image] d' Ardéchir, le pre- 
mier Sassanide, et de son fils Sapor, recevant la 
soumission des Arméniens, vers l'an 230 de notre 
ère. 

Une vallée latérale nous conduit à la passe de 
Vergaouz. Par crainte des irruptions kurdes, de nom- 
breux karaoulkhanehs gardent le chemin. Au col, la 
vue est superbe ; d'un côté, Salmas ; de l'autre, le 
lac, les îles, le dôme isolé du Gemboul-Dagh, à 
l'entrée de la plaine d'Ourmiâh ; tout au fond, la 
crête dentelée du Bizaou-Dagh (la montagne du veau) 
à la hauteur de la ville. 

A mesure que nous descendons dans le ravin, 
apparaissent la petite plaine et la lagune d'Anzel ; 
par delà les eaux très bleues, le massif du Chahi. 
La nuit tombe ; la lune de Cha'^ban est à son milieu ; 
peu à peu s'effacent les masses grises des mon- 
tagnes. Au miUeu des noyers, des peupUers et des 
saules, les 350 maisons du village de Kouchtchi 
descendent en pente douce vers le lac. De Tauris, 
Vékîl-ol-Molk, qui en est propriétaire, a prévenu ses 
gens de notre arrivée; des cavaliers sont venus 
jusqu'au col ; les mollahs et les seyyeds, les paysans 
attendent alignés dans le cimetière. A l'entrée de la 
maison du maître, un mouton est immolé en signe 
de bienvenue et les flaques de son sang rougissent 



AUTOUB DU LAC D'OURMIAH 65 

le seuil \ Les retraités, parmi les vingt-quatre soldats 
que doit fournir Kouchtchi, ont pris shakos, cein- 
turons et fusils pour venir monter la garde. 

Entre le lac et la montagne s'étend en demi- 
cercle la plaine d'Anzel ; le rivage y forme une lagune 
peuplée d'oiseaux. Les fonds sont cultivés en blé 
et en orge; les villages, propriété de geqs d'Our- 
miah, occupent les premières pentes. Kouchtchi est 
chiite ; Djemlava, arménien et chaldéen ; Guiavilan, 
chaldéen; Kouloumdji, sunnite. Guiavilan s'élève 
au-dessus des vignobles, des jardins d'amandiers 
et de pêchers, dominé par un carré fortifié, servant 
de refuge aux habitants, à l'approche des Kurdes. 
Le curé est allé à Salmas ; le maire, un catholique, 
Mamou (onde) Abraham, travaille aux champs; 
sa maison est aisée, garnie de tables, de chaises et de 
fauteuils; elle est tenue par la nièce du vieillard, qui 
est une veuve de prêtre. Des 80 familles du village, 
27 sont cathohques, 15 protestantes, le reste or- 
thodoxe. 

Deux villages chiites marquent la fin de la plaine ; 
à mi-côte, sur l'Akdagh, Imam Kendi; Djebel 
Kendi au bord du lac. Au caravansérail fortifié de 
Ghazkalé, placé à la pointe de la montagne, s'ouvre 
l'immense plaine d'Ourmiah. Les deux premiers 
villages appartiennent à un homme de Nakhitchevan, 
Rahim Khan, sujet russe et officier au corps des 
cosaques. Khangha est musulman, Rahimabad 

I 1. L*usage de sacrifier un mouton à rarrivée d'un hôte est uni- 
I versel en Perse. Le sacrifice est bien un signe d'allégresse, comme 
naguère le père de reniant prodigue tuait le veau gras, mais il a surtout 
pour but de détourner sur la victime immolée le malheur qui 
pourrait éventuellement frapper rhdte. C'est également un acte 
d'hommage. En Egypte, J'ai vu sacrifier des buffles, à rentrée des 
villages, lors de rarrivée du Khédive. 

I AvBiN. «- La Parie. 5 



66 LA PERSE d'aujourd'hui 

chrétien: 26 "^familles, dont 8 chaldéennes ; les 
autres sont Arméniens grégoriens. Le prêtre catho- 
lique^ Rabbi Kacha Israël, est de Guiavilan; il a étudié 
et reçu les ordres à Ourmiah ; sa barbe et ses cheveux 
courts commencent à blanchir ; il porte un bonnet 
d'astrakan et, sur sa soutane» une tunique persane 
à petits plis. Il s'assied en s'agenouillant, comme 
les musulmans ; sa maison ne diffère point des autres ; 
il y possède les trois accessoires indispensables : 
un samovar, un kalyan, un fusil. Usant de la tolé- 
rance concédée à la communauté chaldéenne catho- 
lique, il a épousé une femme de son village, qui lui 
a donné trois filles. Son cousin, un chemacha(}in homme 
instruit, un mirza diraient les Persans), fait la classe 
aux dix enfants de l'école. 

18 kilomètres dans la verdure de la plaine ; un pont, 
orné de colonnettes, traverse le lit desséché du Nazii- 
Tchaï. Les montagnes, où la neige a persisté tout 
Tété, s'écartent de plus en plus. La route est bordée 
de saules ; de petits murs en terre séparent les vigno- 
bles ; les ceps, plantés au creux des fossés, remontent 
le long des talus; des glacis inclinés servent au 
séchage des raisins. 

Ourmiah est une ville de 30.000 habitants, au 
centre même de la plaine, fortifiée comme Khoï et 
de même apparence ; quelques rues plus larges, 
ombragées de saules. L'agglomération disparaît 
sous les peupUers et les platanes. Au dehors, une 
vieille tour mongole, Utch Kombaz — les trois voûtes — 
avec des restes de faïences et d'inscriptions koufiques. 
Le commerce est réparti entre 30 caravansérails et 
1.500 boutiques. Le raisin sec fait la richesse du pays ; 
il en existe de deux espèces, le Kichmich, simple- 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 67 

ment séché au soleil» le Sabza, trempé au préalable 
dans un bain de potasse... On en exporte une moyenne 
annuelle de 300.000 khonkars\ pour une valeur 
d'un miUion de tomans. Ces raisins sont vendus aux 
négociants de Tauris ou bien expédiés directement 
à Djoulfa et Ërivan. Le tabac se consomme dans le 
Nord de la Perse. Pour l'importation, les marchands 
d'Ourmiah ont surtout affaire avec Constantinople» 
par la voie de Trébizonde, avec Hamadan pour les 
épiées et les cotonnades de l'Inde. Par sa position, 
la rive occidentale du lac échappe davantage à la 
pénétration russe. 

Le gouverneur, Zafer-os*Saltaneh, — la victoire 
de la dynastie, — est un prince Kadjar, mince, 
distingué, le dos un peu voûté, la moustache noire, 
le nez en bec d'aigle ; des boucles de cheveux s'échap- 
pent des deux côtés de son kolûh. Il parle convena- 
blement notre langue et a fait élever ses enfants par 
une bonne française. Avant la conquête arabe, le 
pays était peuplé d'Arméniens, auxquels se mêlaient 
des Chaldéens et des Juifs. Avec l'invasion mongole 
arrivèrent les Turcs. Parmi ces sunnites, la prédi- 
cation des Cheikhs, envoyésjpar les Seyyeds Séfévis 
d'Ardébil, ne donna point de résultats complets ; 
aucune tribu kurde ne se convertit au chiisme ; il 
y eut des résistances jusque dans la plaine. Pour 
remédier à la dépopulation, causée par les guerre 
avec les Ottomans, Schah ^'Abbas introduisit les 
Turcs Afchars. 

Un savant d'Ourmiah, Adib-ech-Cho'ara (le maître 
des poètes), a pris la peine d'écrire l'histoire de sa 

1. Le khonkar est une mesure spéciale à Ounnlali ; elle comporte 
25 batmans (75 kUos), 



68 LA PERSE d'au JOURD'HU . 

tribu. Le vidllard, menu et contrefait, se met à 
fumer son kalyan et commence de façon redoutable : 
« Lors du déluge, Noé avait deux fils, Japhet et 
Fars. Turc fut fils de Japhet. » Par bonheur, il 
passe rapidement à Tépoque où deux cousins, issus 
de Turc, Àfchar et Kadjar, erraient à travers TAsie 
centrale; puis il arrive aux invasions Seldjoukides, 
qui amenèrent la tribu dans le Khorassan. Quel- 
ques-uns se rattachèrent à la fortune naissante 
des Séfévis et les Âfchars furent une des sept tribus 
privilégiées, organisées par Schah Ismail; d'autres 
contribuèrent à la formation du groupe des Schah- 
Seven. Schâh "Âbbâs en mit 8.000 à Ouraiiah, 
d'autres au sud du lac, dans la haute vallée du Dji- 
gatou, à Ispahan et à Hamadan. Parmi ceux d'Our- 
miah, la famille des Kazemlou prit aussitôt la pré- 
pondérance. Avant là fin du xvii® siècle, son auteur, 
Khodadad-Khan, avait, pour ses services contre 
les Kurdes, reçut le titre héréditaire de beglerbeguL 
La chute des Séfévis rendit les Afchars indépendants. 
Contre la naissante autorité des Kadjars se forma 
la coalition des princes de l'Azerbaidjan. Mohammed 
Kouli Khan d'Ourmiah, s'allia au Dumbéli de Tauris 
et au chef des Chakkakis. Réduits par Abbas 
Mirza, les Afchars durent subir un gouverneur ; 
le détenteur actuel du firman des Séfévis, Habi- 
boullah Khan, un propriétaire peu fortuné, ne peut 
plus se parer que du vain titre conféré à ses ancêtres. 
Il s'est pourtant maintenu, parmi les Afchars, 
certaines familles assez puissantes pour tenir tout 
le pays et acquérir les grades militaires les plus 
onéreux : un Salar et cinq Emir-Toumans. La plupart 
de ces seigneurs possèdent de jolies villas sur les bords 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 69 

du Chehri-Tchaï ; leurs fils sont élevés chez les 
Lazaristes et savent généralement un peu de français. 

La plaine d'Ourmiah contient 350 villages ; le 
massif isolé du Bizaou-Dagh la sépare du lac ; elle 
est entourée par les grandes montagnes où s'ouvre 
la gorge du Chehri-Tchaï. Partout de Teau et de la 
verdure. Au travers des champs, les paysans, coiffés 
d'un bonnet de drap à bordure d'astrakan, condui- 
sent leurs charrettes triangulaires, montées sur deux 
roues énormes où, à la pointe extrême du triangle, 
sont attelés les buflQes. En bas, les villages sont turcs 
et chiites ; sur les hauteurs, ils deviennent kurdes 
et sunnites. Un appoint considérable d'Arméniens 
et de Chaldéens s'y joint aux musulmans, si bien 
qu'Ourmiah s'est trouvé le centre naturel des mis- 
sions diverses, travaillant à l'évangéUsation de l'Âzer- 
baldjan. 

Dans la ville, les chrétiens habitent les deux 
quartiers de Kurdi-Chehret deMart-Mariam (Sainte- 
Marie, du nom d'une vieille ègUse nestorienne). En 
plaine, les Arméniens sont moins de 6.000, dispersés 
dans 31 villages ; les Chaldéens peuvent ateindre le 
chiffre de 30.000, et forment le principal noyau de leur 
nation en Perse. Les sectes concurrentes n'ont plus 
à se disputer que ce dernier groupe de chrétiens. 
Rebelle à toute conversion, le musulman persan a ceci 
de particulier qu'il hésite même à fréquenter les écoles 
confessionnelles. D'autre part, la reUgion grégorienne 
veut être le symbole de la nationaUté arménienne ; 
les Fédaïs^ les AzqacerSf sont venus de Turquie, 
fortifier chez leurs compatriotes de l'Iran le sentiment 
national ; et l'Arménien ne se convertit plus. 

De ce côté, ni le catholicisme, ni le protestantisme 



70 LÀ PBmss d'aujourd'hui 

ne peuvent recruter de nouveaux adeptes, et les 
écoles américaines trouvent maintenant en faced'elles 
des écoles nationales fortement organisées^ La masse 
chaldéenne reste seule ouverte au travail des mis- 
sionnaires, qui se la disputent avec acharnement. 
Les Américains du Presbgterian board of missions 
de New-York arrivèrent les premiers, en 1835, les 
Lazaristes vinrent en 1840, les Anglicans s'instal- 
lèrent en 1843, auprès du Patriarche nestorien. 
Depuis huit ans, les missions russe et allemande 
sont intervenues à leur tour. 

Les Lazaristes trouvaient le terrain préparé. 
Au xviii^ siècle, un élève des Dominicains de Mes- 
soûl ayant converti l'évêque nestorien de Salmas, 
le diocèse entier avait imité son pasteur. Au cours de 
ses études religieuses à travers TOrient, M. Eugène 
Bore y précédait de peu nos missionnaires. L'œuvre 
catholique s'est étendue : les Chaldéens comptent 
aujourd'hui trois diocèses : un archevêché à Our- 
miah, des évêchés à Salmas et à Senneh (Ardélan). 
La mission lazariste appuie de sa science et de sa 
doctrine la communauté indigène. Elle est dirigée 
par un prêtre breton, qui vit en ce pays depuis trente- 
deux ans, Mgr Lesné, évêque latin d'Ispahan, délégué 
apostolique de la Perse. 

Le séminaire est à Salmas: les clercs vont achever 
leurs études chez les Dominicains de Mossoul ou au 
collège de ,1a Propagande à Rome. L'imprimerie 
fonctionne à Ourmiah pour la pubUcation de livres 
en langues française, syriaque, chaldéenne et armé- 
nienne. 7 Lazaristes, dont plusieurs Chaldéens, 

1. n n*eziste d'Aiméniens catholiques que dam deux villages 
de la plaine d'OurmialL 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAH 71 

desservent la mission d'Ourmiah. Le collège a 142 
élèves ; les Sœurs de charité reçoivent 203 petites 
filles et tiennent un petit hôpital de 8 lits. Le diocèse 
a 4.000 cathoUques, répartis entre la ville et 45 pa- 
roisses ; 739 enfants firéquentent les écoles des vil- 
lages, régulièrement visitées par les religieux français. 

Les autres missions résident hors la ville parmi les 
jardins du quartier de Dilkoucha (qui épanouit le 
cœur). Un porche, surmonté d'une tour, donne accès 
dans la « forteresse » américaine; les maisons de 
briques se dispersent sous les grands platanes, Tfaa- 
bitation d'été se trouve à Séir, sur la montagne 
voisine. Ils sont 5 dergymen, 2 médecins, 3 insti- 
tutrices: ils entretiennent un collège^, un hôpital 
de 40 lits, un dispensaire ouvert deux fois la semaine. 
Leur activité s'étend jusqu'à Van, en territoire turc. 
La congrégation presbytérienne relevant de la 
mission d'Ourmiah, comprendrait 2.728 communi- 
cants^ 2.758 enfants seraient inscrits dans les écoles. 

La mission anglaise prêtait aux Ghaldéens nes- 
toriens le même appui religieux que les Lazaristes 
donnent aux catholiques. Sous la menace des Kurdes, 
Mar Schimoun, le détenteur héréditaire du fief 
patriarcal, se rapprocha du consul d'Angleterre à 
Mossoul et sollicita le concours des anglicans, en vue 
de préserver sa nation contre la double influence des 
Français catholiques et des Américains presby- 
tériens. La mission relève de l'archevêque de Gan- 
torbéry, qui installe des missionnaires à Kotchanès, 
résidence du patriarche, à Van et à Ourmiah. Ce sont 
gens aimables et instruits, distrayant leur exil par 

1. Des 60 élèves» quelquei-uns apprennent un peu de Ihéologie 
ou de médecine pr^que. 



72 LA PERSB D'AUJORUD'HUI 

l'étude des textes syriaques; ils portent une façon 
de soutane. Par malheur, leurs ouailles leur ont 
presque complètement échappé. A peine reste-t-il 
quelques débris de la communauté nestorienne, sur 
la montagne ou dans le district de Soldouz. La plaine 
est passée tout entière à l'orthodoxie. 

Trois évêcfaés nestoriens existaient naguère à 
Guiavilan, Ardicher et Supurghan; les deux premiers 
sièges n'ont plus de titulaires ; l'un des évêques s'est 
fait presbytérien : les Kurdes ont assassiné l'autre. 
Quant à l'évêque de Supurghan, Mar Jonan, s'étant 
il y a huit ans, brouillé avec les anglicans, il prit le 
chemin de Pétersbourg pour en revenir à l'état 
d'évêque orthodoxe ; une mission russe le suivit ; 
un vice-consul de Russie s'établit en ville... D'un 
mouvement unanime, les Nestoriens abandonnèrent 
les missionnaires anglais et se firent orthodoxes. 

La « forteresse » russe est habitée par un archi- 
mandrite, deux moines et deux diacres, prêtres 
distingués, envoyés par le Métropolite de Pétersbourg, 
dont relève la mission. Ils ont une imprimerie et un 
collège ; soixante jeunes gens s'y préparent au pro- 
fessorat ou à la prêtrise. La jeune communauté 
comporte 30 paroisses et 40 prêtres. L'évêque est 
flanqué d'un coadjuteur, Mar lUya, qui, après un sé- 
jour de cinq années à New- York aux frais des Amé- 
ricains, en a passé sept à Pétersbourg, pour le compte 
des Russes. Il porte l'ample robe et les longs voiles 
des dignitaires de l'Église orthodoxe ; sur la poitrine, 
un crucifix et l'image de la Vierge. L'ardeur de ces 
néophytes envisage déjà la création en Perse d'un 
patriarcat chaldéen-orthodoxe. 

Non point que les chrétiens de la Perse soient 



AUTOUR DU LAC D*OURMZAH 73 

particulièrement malheureux. Les missions s'ac- 
cordent à reconnaître la douceur relative du régime 
persan. Il ne subsiste de ce côté aucune haine entre 
sunnites et chiites, entre chrétiens et musulmans ; 
tous sont également exposés aux déprédations des 
Kurdes et à la rapacité des puissants. L'impôt est 
en lui-même peu élevé, le loyer des terres rais'^n- 
nable. Il est généralement admis que les grands sei- 
gneurs persans se montrent libéraux à l'égard de 
leurs paysans; le mal viendrait des intendants et 
des petits propriétaires. 

La répartition des taxes, le gueural (vois et. prends) 
sur les travailleurs, les immeubles et le cheptel, le 
partage de la récolte prêtent à de facile abus ; de 
même, les cadeaux, les corvées, les punitions et les 
amendes; c'est la destinée commune à tous les ra'yat 
du pays. Je ne sais si ce fut une idée très heureuse de 
soustraire les non-musulmans à l'autorité du gou- 
verneur local pour les livrer à des kargouzars ou scr- 
peresis^ relevant du ministère des Affaires Étrangères. 
Les publicistes russes affirment que cette institution 
fut due à l'initiative de la Russie, aussitôt après le 
traité de Tourkmantchaï ; lord Curzon en reporte 
tout l'honneur à la diplomatie anglaise. Quoi qu'il 
en soit, les plaintes sont générales contre ces malen- 
contreux fonctionnaires. Privés de traitement, obligés 
à des sacrifices pour obtenir leur place, il leur faut 
vivre sur leurs administrés. Chaque affaire entraîne 
son bénéfice ; et les prétentions sont d'autant plus 
grandes que les administrés sont moins nombreux. 

Aussi l'intervention des missionnaires est-elle 
constamment réclamée pour protéger les villages ; 
le millet'bachUle chef de la nation, chargé des rapports 



74 LA PERSE d'aujourd'hui 

avec les autorités, est, en fait, le procureur de la 
mission ; et celle-d est d'autant plus achalandée qu'on 
lui suppose pliiis d'influence. La conversion en masse 
des nestoriens, la défection de protestants et de 
catholiques furent duesàrespoird'unetoute-puissante 
action russe, s'exerçant en faveur de la nouvelle 
communauté orthodoxe; les déceptions qui suivirent 
en ramenèrent bon nombre au bercail. D'où une 
tendance naturelle à s'immiscer dans les affaires des 
villages, afin d'y gagner des prosélytes. 

Désireuse de maintenir son groupe en haleine, 
chaque mission publie son journal : et Ounniah 
possède une presse plus abondante qu'aucune autre 
ville de Perse. Quatre journaux paraissent régulière- 
ment en langue chaldéenne : les missionnaires Français 
publient chaque mois la Kala (Tchrara (la voix de la 
vérité) ; les Américains, le Tahrira dCbahra (le rayon de 
lumière); les Russes, tous les deux mois, Ourmiah- 
Orihadoxata (Ounniah Orthodoxe) ; la jeunesse chal- 
déenne, piquée au jeu, fait paraître, tous les quinze 
jours, une feuille nationale, Kaokhva (l'Étoile). 

La plupart des chrétiens sont ra'^yat; très peu font 
le commerce. Ils s'habillent comme les musulmans, 
au milieu desquels ils vivent. Les femmes, enveloppées 
dans une étoffe noire, portent sur la tête une petite 
toque que recouvre le voile; elles ont coutume 
de se cacher le visage à l'approche des étrangers. 
Il n'existe chez les Chaldéens aucun nom patro- 
nymique ; les noms de baptême sont réunis par le 
mot bar (fils de). La vie chrétienne tourne autour 
des imamzadès, tout autant que la vie musulmane. 

Des tombeaux ou des chapelles attirent les vœux 
et les pèlerinages ; la veillée annuelle de la fête du 



AUTOUR DU LAC D'OURMIAB 75 

saint devient une nuit d'orgies; le gardien» placé 
par le prêtre, s'enrichit des offrandes apportées par les 
fidèles. Les caractères, rusés et sournois, se ressentent 
d'un abaissement séculaire. Sollicités par toutes les 
sectes, ces gens penchent à choisir la plus profitable 
et exploitent de leur mieux la croyance qu'ils ont 
adoptée. Le monde protestant, surtout les États- 
Unis, est visité par des quêteurs chaldéens soi- 
disant pasteurs, qui recueillent des aumônes pour 
leur église. Les orûiodoxes commencent à prendre le 
chemin de la Russie. 

Les juifs habitent Ourmiah et Ouchnou; la 
première de ces villes en contient trois cent cinquante 
familles, le groupement le plus nombreux de race 
Israélite, existant dans TAzerbaldjan. 



IV 
CHEZ LES KURDES 



D'Ourmiah à Saoudj-Boulak. — Le district de Soldouz. — 
Village offert en pichkeeh. — La migration des Karapapaks 

— En pays kurde. — Kérim-Agfaa. — Tamacha ; musique ;• 
Jeu de iaghalth, — Mokris et Deh-Bokris. — Le tombeau 
de Pir-Boudaq-Sultan. — Le commerce de Saoudj-Boulak. — 
Le sunnisme persan: le mufti chaléi ; le chef des confréries 
religieuses. — Danse nationale : le tchioupi. — Les « diseurs 
de chansons ». — Poésie kurde. — Contestations de 
frontières. — Le village de Kadr Agha. — Hospitalité 
kurde; chants de bienvenue. — Le sacrifice du mouton. 

— Le « joli garçon » de Kerbé Réza Khan. — La plaine 
de Miandouab. — Méragha. — Le prétendu tombeau 
d'Houlagou. — La tribu des Moghaddams. — Un mowchid 
Németoullahi. — Chez le prince Imam Kouli Mirza. — 
Dehkargan. — Retour à Tauris. 

Nous sortons d'Ourmiah par la porte de Bazarbach 
(le bout du bazar). Des murs en terre battue bordent 
la route : beaucoup de villages, de vignes, de mdon- 
nières, des champs de blé et de millet. Auprès du 
lac, des lagunes et des rizières. Les cultures se prolon- 
gent ininterrompues sous la saulaie. Nous passons 
entre les derniers contreforts de la grande chaîne et le 
massif isolé du Bizaou-Dagfa. Un pont de quatre 
arches sur le Chehri-Tchaî et nous voici dans la plaine 
de Barandouz. 

Peu à peu les collines se rapprochent ; nous attei- 



CHEZ LES KURDES 77 

gnons le bord du lac, recouvert de dépôts salins et de 
boues puantes. Dans les arbres, quelques villages 
espacés : Raché-Kend, Dach-Agher, Disadj, à42kilo- 
mètres d'Ourmiah. C'est la vaUée de Daul, à l'extré- 
mité de la province. Aucune trace de populations 
chrétiennes. Disadj est entièrement sunnite et sert 
de résidence au KazU à la fois prêtre et juge pour les 
20 viUages sunnites de la vallée. La plupart sont 
chaféis; quelques-uns» venus du Caucase, restent 
fidèles au rite hanéfi. Hadji Mollah Âbdoullah Kazi 
porte le turban blanc, enroulé sur le bonnet pointu 
des Kurdes. Ayant achevé ses études religieuses dans 
un collège de la montagne, il vint à Disadj remplacer 
son père. Quel que soit leur rite propre, il dispense 
invariablement à ses justiciables la jurisprudence 
chaféie. 

Le Guezdermé Déressi (la vallée de la peur) est un 
mauvais passage, où les Kurdes viennent attaquer 
les convois d'ânes portant à Ourmiah l'orge et le blé 
du Sud. Désormais on ne rencontre plus que gens 
armés de fusils et vêtus du costume kurde : larges 
pantalons tombant jusqu'aux pieds, veste courte, 
ceinture épaisse, garnie de poignards et de cartou- 
chières, sur la tête un bonnet de feutre blanc — en- 
touré d'un foulard à glands ou à franges. Le pays 
est nu ; les villages deviennent rares et petits, les 
terres basses émergent au fond du lac; de l'autre 
côté, se dresse la masse indistincte du Sahend. Le 
district de Soldouz commence avec la passe de Kamar 
Ghada (la ceinture de pierres) et le village de Cheikh 
Ahmed ; plus^ bas s'arrondit un étang desséché par 
l'été. Le propriétaire du village As'ad Khan, Serheng 
(colonel), est venu jusqu'au col avec ses cavaliers. 



78 LA PBR8E D'AUJOURD'KUI 

Du geste, il montre sa terre et dit en s'indinant pro* 
fondement; « Ce village appartient à Votre Seuil 
Ëlevé : je le lui offre en pichkech^. » 

30 kilomètres de Disadj à Mehmed-Yar. — De 
tous les villages de la plaine arrivent des cavaliers. 
Une superposition de feutres longs et étroits recouvre 
la croupe entière des chevaux ; des glands de soie pen- 
dent aux selles ; des franges de cuir s'attachent aux 
poitrails ; de larges étriers, incrustés d'argent ; des 
ceintures, des costumes aux couleurs voyantes : les 
turbans enroulés autour des bonnets pointus sur 
les longs cheveux que sépare une raie médiane, les 
mousselines détachées des manches flottent au vent. 
Les chefs viennent précédés de yerrachs, porteurs de 
cannes d'argent . 

La montagne est aux Kurdes ; les Karapapaks occu- 
pent la vaUée du Ghadar-Tchal, qui se jette au sud dans 
le lac d'Ourmiah. Soldouz, le nom du district, était 
celui d'une tribu mongole, dont toute trace a disparu. 
Les occupants actuels s'appelaient naguère des 
Boztchallou. Ils appartenaient à une tribu turque, 
fixée aux environs de Hamadan.^Schah «"Âbbas les 
dispersa, en établit un groupe entre TiflisetÂkstafa. 
Fuyant la conquête russe, leurs descendants passè- 
rent à Van, où ils reçurent le surnom de Karapùpaks 
(bonnets noirs). Après la paix de Tourkmantchaï, 
*Âbbas Mirza leur concéda le district de Soldouz ; où 
ils n'ont à fournir ni impôts ni soldats. Lors de la der- 

1. Seuil élevé {Dténabé-'Ali) est Féqulvalent d'Excellence. U 
s'applique, en Perse, à un nombre illimité d'individus. Le i^chkech 
est rhommage de l'inférieur au supérieur. Vous ne rencontrerez rien 
sur votre route qui ne vous soit aussitôt offert en pichkech. Cest une 
formule banale de ila [politesse persane. Les Espagnols disœt avec 
la mtme sincérité: A la dtêposUton de Vd, 



CHBZ LBS KURDES 79 

nière migration, Naghi Khan se trouvait être le grand 
chef» Vilkhani de la tribu; un de ses neveux, [Hadji 
Nedjef Kouli Khan, Émir Touman, est encore re- 
connu conmie chef héréditaire; mais le gouverneur 
de rAzerbaldjan, désireux de briser une autonomie 
dangereuse, a remis l'autorité effective à un autre 
membredela famille, Hasan *Âli Khan, Mirpendj, avec 
le titre de gouverneur. L'organisation de la tribu s'est 
pourtant conservée. Chacune des sept fractions pos- 
sède son sardesté (tête de colonne). Négadeh, un gros 
village de 600 maisons, sert de chef-lieu au district. 
Les Karapapaks comptent 5.000 familles ; tous sont 
chiites ; ils possèdent, pour leur usage propre, une 
branche spéciale de seyyeds, les Oïdad Seyyed *Ali 
Marhoum (les fils de feu Seyyed Ali) qui les ont cons- 
tamment suivis dans leurs divers déplacements. 
Mêlé aux sept fractions, les 120 villages contiennent 
un résidu d'Afchars, d'Arméniens, de Chaldéens et de 
Juifs ; en outre, un millier de familles de Van, qui 
vinrent partager sur le sol persan la fortune des Kara- 
papaks; ceux-là restent sunnites. Les chrétiens 
— 200 familles, également réparties entre les deux 
nations, — sont cultivateurs, dispersés parmi les musul- 
mans. Les juifs, 300 familles, font le petit commerce 
et le colportage ; les deux tiers d'entre eux, avec le 
grand-rabbin, résident à Négadeh. 

Mehmed-Yar se trouve sur la grand'route, à 12 ki- 
lomètres à l'est du chef-Ueu. De là, deux chemins 
conduisent à Saoudj-Boulaq. Le plus direct, 30 ki- 
lomètres, traverse la montagne ; Agha Mohammed 
Schah, le. premier Kadjar, y passa et lui laissa son 
nom. Pour plus de sûreté, on nous fit faire un détour 
par les cultures' et les pâturages du Ghadar Tchaï. 



80 LA PERSE d'aujourd'hui 

Dans la plaine de Ghehréviran, nous arrivons en -^ 
pays kurde. Sur la crête attendent, alignés, quarante -' 
cavaliers et Fagha du village voisin. Kérim Agha .'^ 
monte une jument blanche (chez les Kurdes, la ju- '^. 
ment a plus de prix que le cheval), tatouée à la tête \^ 
et aux flancs, pointillée des deux côtés de la crinière 
et de la queue ; le fusil sur la cuisse, son frère Gharam 
Agha le suit. Tous deux exécutent des voltes rapides 
au-devant de nos voitures, tandis que la fantasia de 
leurs cavaliers se répand à travers la plaine. L'agha 
revêt son costume des grands jours : caraco de feutre j 
marron par-dessus la veste noire, ceinture de soie j 
noire, à fleurs, où passe un poignard recourbé ; sur 
la tête rasée et recouverte d'un linge blanc, un turban 
violet et un bonnet pointu en peluche jaune à gland \ 
noir. Il y a des années que son père est mort à Kazel- 
kop, sur le bien de la famille. Elevé par son oncle, il 
"Aziz Agha, le beglerbegui de la tribu, il est venu vivre j 
dans son village de Kozé-Kehriz. De l'étage de sa 
maison, garni de tapis qu'ont fabriqués les femmes 
pendant le chômage de l'hiver, il domine le groupe- 
ment des terrasses où s'amoncellent à l'arrière-saison 
les roseaux, les herbes sèches et les galettes de fumier : 
au delà, la plaine jaunie, fermée par une ligne de 
collines. 

Comme tous les seigneurs kurdes, Kérim Agha 
réside sur sa terre. Il est grand, mince, le nez recourbé, 
la figure rasée, le teint basané ; il a maintenant trente 
ans et n'a encore pris qu'une seule femme. L'âge venu, 
un domestique de sa confiance s'en fut chercher 
quelque parti sortable, parmi la noblesse des environs, 
les femmes kurdes ne portent point de voiles; mais 
il n'y a que les gens du commun pour vouloir connaî- 



CHEZ LES KURDES 81 

tre leur femme avant le mariage. La décision une fois 
prise sur Tavis du messager, un parent se chargea de 
la demande, conclut Taffaire, fixa la dot ^ Au jour 
marqué pour la cérémonie nuptiale, plus ou moins 
éloigné selon les convenances, un cortège de cava- 
liers et de serviteurs alla chercher la fiancée, avec des 
tambours et des flûtes. A mi-chemin, attendait Fépoux, 
entouré des siens ; quand il vit la jeune fille, il lui 
présenta, selon la coutume persane, un fruit ou Textré- 
mité d'un pain de sucre, en signe d'acceptation. A la 
maison, un mollah dressa Tacte séance tenante et 
remise fut faite de la dot. Le ménage a déjà trois 
enfants qu'instruit le mollah local ; ils apprennent 
le dialecte de leur tribu, le persan, un peu de turc. 

Kérim Agha est un gentilhomme campagnard, 
tout à la dévotion et à l'agriculture. Lui-même admi- 
nistre son village, qui n'a ni maire, ni intendant. Il 
vend son blé et fait ses achats à Ourmiah, plus rare- 
ment à Saoudj-Boulak. Quelque difiiculté survient- 
elle parmi ses paysans, c'est lui qui rend la justice ; 
entre deux villages, les aghas, presque toujours appa- 
rentés, s'empressent d'arranger l'affaire ou de la 
remettre à la décision de mollahs connus. 

Notre hôte vit simplement occupé du soin de son 
viUage; il ne se rend à Saoudj-Boulak que pour visiter 
le kazi et le médecin, ou bien sur l'appel du gouver- 
neur persan, dont il accepte loyalement l'autorité. 
Parfois même, il pousse jusqu'à Chérifkend, où réside 
le cheikh Yousouf Chems-ed-Din, son directeur de 
conscience, le saint homme dont il suit la discipline 
et la règle de prières. 

1. EUe varie d« 1 à 1.000 tomans selon ]a position des gens. 
AvBiM. — La Perse. ^ 



► 



82 LA PSRSS d'aujourd'hui 

Le lendemain, au lever du jour, deux hommes par- 
courent les ruelles de Kozé-Kehriz, afin de réunir les 
cavaliers. Le tapledji tape sur son tambour; le 
tchaouch joue d'une flûte grosse et courte, qui rend 
un son grêle. Devant sa porte est accroupi Kérim 
Âgha, le fusil sur les genoux. Nous partons à travers la 
plaine. De Kazelkop, le vieux beglerbegui nous a 
rejoints avec ses gens ; de temps à autre, la musique 
éclate ; les flûtes sortent d'une gaine de bois ; plu- 
sieurs cavaliers frappent, avec une lanière de cuir, de 
petits tambours pointus, fixés à Tarçon de leur selle. 
Jusqu'à Saoudj-Boulak, il n'y a plus guère que 20 kilo- 
mètres; le chemin se rapproche de la rivière, qui sort 
d'une gorge remplie de saules. Au delà de Yousef- 
Kend, la route cesse brusquement d'être carrossable ; 
de la ville et des viUages voisins, plus de cinq cents 
cavaliers sont venus grossir notre troupe ; on m'a- 
mène un cheval harnaché d'or, portant au cou un 
collier en lamelles d'or. A l'issue du défilé, grand 
tamacha (spectacle). C'est toute une cavalcade qui 
déborde sur la campagne ; au-devant de mon cheval, 
les grands chefs exécutent les voltes rapides pres- 
crites par la courtoisie kurde. Plusieurs cavaliers 
partent au galop pour lancer le taghaleh, un bâton de 
bois léger, muni, aux deux bouts, d'un tampon de 
cuir ; le bâton frappe la terre, vole en rebondissant 
aux côtés du cheval et doit être rattrapé dans l'air 
par un joueur adroit. 

Saoudj-Boulak est une petite ville de 15.000 habi- 
tants, étagée sur la rive droite de la rivière, dans un 
élargissement de la vallée ; sur la rive gauche, les 
jardins et les vignobles. C'est la seule province de 
l'Azerbaïdjan où les Kurdes soient descendus jusqu'à 



CHEZ LES KURDES 83 

la plaine ; ils y forment le groupement le plus nom- 
breux de leur race existant au nord de la Perse*. 
Les Kurdes s'y trouvaient déjà à l'époque de Tamèr- 
lan. Les annales du pays racontent que les Mokris 
s'étendaient alors du Tigre au lac d'Ourmiah, sous 
l'autorité de deux frères, Baba Omar et Mir Pacha, 
établis l'un sur le versant persan, l'autre près de 
Mossoul, sur le versant turc. Les Mokris eurent le 
mauvais goût de s'opposer à la fortune naissante des 
Séfévis ; la destruction de leur capitale donna son 
nom à la plaine de Chéhréviran (la ville détruite). 
Leur chef erra de montagne en montagne, puis fit 
sa soumission et devint gouverneur héréditaire pour 
le compte de la dynastie nouvelle. Le fondateur de 
Saoudj-Boulak, Chir Khan, mourut en guerroyant 
contre les Turcs. Son fils, Pir Boudak Sultan, qui 
florissait dans la seconde moitié du xvii® siècle, 
reste l'ancêtre vénéré; il fit construire et dota de 
fondations pieuses [la grande mosquée de la ville ; la 
coupole de son tombeau garnit la hauteur voisine; 
l'édifice est ruiné, envahi par les pierres tombales de 
la famille; des alignements de daUes, plantées en 
terre, se poursuivent au dehors. Boudak Sultan eut 
deux fils : ''Abdulaziz Sultan et ^'Âbdullah Beg. Du 
premier sont descendus les Khanzadès, groupés dans 
la ville ; du second, les Begzadis^ dispersés dans la 
campagne. Ces deux branches forment la noblesse 
de la tribu et lui fournissent des chefs. Cependant, 
au milieu du dernier siède, un Mokri vulgaire devint 
gouverneur général de l'Azerbaldjan ; il en profita 

1. On estime qu'il y a, sur le territoire persan, le long de la chaîne 
du Kurdistan, de 600 à 800.000 Kurdes : de 250 à 450.000 dans le 
Nord, 120^000 à Senneh et dans TArdélan; 2S0.000 à Kermancliah. 



84 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

pour détruire, dans sa tribu d'origine, le pouvoir des 
fractions privilégiées. Dès lors, les Mokris ont cessé 
de se gouverner eux*mêmes ; un gouverneur persan 
réside à Saoudj-Boulak. 

Depuis trois ans, un homme de Tauris, Rachid-ol- 
Molk, réussit dans ce gouvernement difficile. Il est 
seul, avec un groupe infime de fonctionnaires, à 
représenter parmi les Kurdes l'autorité persane. 
Aucune garnison ne les appuie. Le Chiisme les 
isole ; aux mois de Ramazan et de Moharrem, des 
prédicateurs viennent spécialement de Tauris les 
édifier de leurs pieux récits. La population ne fournit 
ni soldats, ni cavaliers ; elle paye des impôts dérisoi- 
res. D'autre part, si la tribu a perdu son organisation 
primitive, les fractions ont conservé la leur ; vis-à- 
vis d'elles l'administration devient affaire de tact 
et de diplomatie ; elle s'impose aux gens de la plaine, 
ménage ceux de la montagne pour ne les point pousser 
du côté des Turcs ; la distribution de pensions, de 
titres honorifiques et de grades militaires sert à rat- 
tacher les individus. 

Il y aurait environ 50.000 familles de Mokris, 
10.000 de Deh-Bokris. Ces derniers se sont faits les 
meilleurs auxiliaires du gouvernement. Au xviii® 
siècle, la misère les chassa de Diarbékir; traver- 
sant les terres des Mokris^ ils arrivèrent sur le lac 
d'Ourmiah. Industrieux et actifs, leur domaine s'éten- 
dit jusqu'à absorber la plaine entière de Chéhréviran; 
ils comptent maintenant 200 aghas de villages. Le 
plus riche d'entre eux, Kadr Agha possède toute la 
vallée jusqu'aux portes 4e Saoudj-Boulak. 

Quel que soit leur degré de soumission au pouvoir 
central, Mokris et Deh-Bokris restent également 






CHEZ LES KURDES 85 

fidèles à leurs origines kurdes. Ils tiennent à parler 
le dialecte spécial à leurs tribus ; et, comme le kurde 
est un idiome iranien, ils apprennent plus volontiers 
le persan que le turc. Une soixantaine de familles 
arméniennes, quelques chaldéennes, vivent tranquille- 
ment parmi eux. Un millier de familles juives ont 
adopté le costume et les mœurs kurdes. Ils sont 
disséminés partout, plus nombreux à Saïn-Ghalé, 
Miandouab et Sardecht, occupés au colportage, au 
petit commerce, aux petits métiers. 

Le commerce de Saoudj-Boulak est aux mains des 
Kurdes et des Juifs, auxquels se joint un groupe 
de commerçants venus de Tauris, un autre de gens de 
Mossoul, Arabes, Chaldéens et Jacobites. Ces derniers 
importent, par la passe de Ravandouz, les tissus de 
laine et de soie fabriqués en Syrie. Les autres achats 
se font à Tauris, Hamadan, surtout Ardébil. La grande 
forêt, recouvrant la montagne entre Bani et Sardecht, 
fournit aux maisons de la place les produits d'expor- 
tation, gommes et noix de galle, gagnant la Russie 
par Astara; certaines matières tinctoriales, destinées 
aux industries de Tauris et de Hamadan. 

Comme les autres Kurdes, Mokris et Deh-Bokris 
sont sunnites et chaféis. Ils attachent peu d'impor- 
tance au clergé offidel. Le mufti. Mollah Mohammed, 
est un Mokri; ses ancêtres étaient, prétend-il, les chefs 
spirituels de tout le Kurdistan ; le temps réduisit à 
la seule province de Saoudj-Boulak la juridiction de la 
famille. Encore le gouverneur prend-il maintenant sur 
lui de nommer les juges et desservants de mosquées, 
si bien que le rôle de Mollah Mohammed se borne 
à l'administration des fondations pieuses, dont les 
revenus défrayent les mosquées et les écoles. Seyyed 



86 LA PBRSB d'aujourd'hui 

Kérim Nakib préside aux confréries religieuses ha- j-^ 
tuelles en pays sunnite. Deux confréries, les Kadris ^ 
et les Nakchabendis, se disputent la clientèle ; ces 
derniers se trouvant les plus nombreux, il va sans dire '^ 
que le gouvernement a remis l'autorité à un Kadri. ^ 
Presque tous les Seyyeds de la province prétendent .^ 
descendre de Sidi Abdelkader El-Guilani; mais bon |' 
nombre ont renié le saint homme de Bagdad pour se j^ 
rattacher à son rival de Bokhara. Au reste, le sang du 
Prophète ne procure pas une influence illimitée ; les 
Kurdes ne veulent relever que de leurs cheikhs, 
élevés dans les plus célèbres collèges de la montagne 
ou de la vallée du Tigre, qui réussissent à leur en j^ 
imposer par leur piété et par leur science. L'origine 
ne fait rien à leur succès. A l'heure actuelle, les deux 
plus grands personnages delà province sont un vieillard 
aveugle, le cheikh Yousouf Chems-ed-Din, de Chérif 
Kend, et le cheikh de Zenbil, Hadji Seyyed *Abdel- 
kérim ; le premier pourrait disposer de 30.000 adhé- 
rents, le second de 50.000. Tous deux sont Nak- 
chabendis. Après leur mort, la foule dédaigneuse des 
ignorants seyyeds visitera les tombeaux des cheikhs 
comme des imamzadés. 

Le gouverneur de Saoudj-Boulak m'a donné l'hos- 
pitalité. Rachidrol-Molk est un homme jeune encore 
et fort élégant ; sa grande maison domine la rivière^ 
Un groupe de Kadris vint opérer dans le jardin, sous 
la direction du chef des confréries... quatre derviches 
agitèrent leurs tambourins ; un grand feu fut allumé ; 
un fakir plaça entre ses dents une plaque métallique, 

1. A la table fort soignée de Rachid-ol-Molk, on lervit de» bioéxoM 
' longues tiges spéciales aux montagnes kurdes, macérées dans le lait 
caillé et le vinaigre. 



cnz hzn KUKPBs S7 

chargée de braise ardente ; un autre plaça un poi- 
gnard sur sa joue et fit mine de l'enfoncer. L'après- 
midi, les filles kurdes ayant eu scrupule de danser 
devant un étranger, la jeunesse d'Israël consentit à 
« se prendre au tchioupi ». — La danse nationale est 
une interminable farandole, au son de la flûte et du 
tambour : un pas en avant, un pas en arrière, avec un 
léger balancement du corps. Hommes et femmes, 
mêlés ensemble, se tiennent par la main. Tous revê- 
tent le costume kurde. Les femmes portent une super- 
position de jupes claires, un corsage de velours ou de 
brocart, un voile blanc à ramages, retenu par un fou- 
lard noué autour de la tête ; en sautoir, une écharpe 
de soie noire ; aux oreilles, de laiges cercles d'or ; un 
collier de monnaies pend du voile et passe sous le 
menton; un autre garnit le front; les joues sont 
fardées de rouge, les sourcils réunis par une ligne noire 
Quelques-unes, plus coquettes, font remonter jus- 
qu'à la pointe du nez une étofle noire triangu- 
laire, cachant tout le bas du visage. 

Le soir, il y eut musique. Deux chanteurs renom- 
més de la vUle, Sald et Ahmed Emin, la ceinture 
garnie de poignards, des mouchoirs bleus serrés autour 
de leurs bonnets pointus, apportèrent leurs instru- 
ments^ guitare, et tambour à pied. 

De leurs origines orientales, les Kurdes tiennent 
le goût naturel de la poésie et de la musique ; les 
a diseurs de chansons », goranibechsy colportent de 
maison en maison les vers des poètes ; le jour, ils 
travaillent de leur métier et deviennent musiciens 
le soir. Il paraît qu'il existait jadis une poésie et une 

1. La guitare, usitée en Perse, tar, est à double renflement ; elle 
se tennine par un long manche, orné d'ivoire. 



88 LA PBR8B d'aujourd'hui 

musique spéciales aux Kurdes ; le rythme était vif, 
rinspiration ardente, comme il convient à une race 
guerrière. Aujourd'hui» les influences arabes ont 
prévalu ; les airs s*alanguissent en soupirs prolongés ; 
la poésie n*a d'autre objet que les femmes, le vin ou 
les fleurs ; elle s'épuise aux complications amoureuses 
des ghazels arabes. Il n'y a plus de kurde que la langue. 
Chaque dialecte possède ainsi son trésor de versi- 
fication populaire, et voici deux pièces que nous 
chantèrent les jeunes Mokris : 

Votre gorge est une orange fraîche, également déli- 
cieuse, qu'elle soit sûre ou douce. J'aime vos beaux 
yeux, vos soiu*cils et votre taille. Je veux les chanter 
sur la guitare. O Dieu, viens à mon aide ; car j'ai 
perdu ma bien-aimée. J'aime vos beaux yeux, vos 
sourcils et votre taille. Ce mois est celui de la nais- 
sance du Prophète ; c'est aussi le mois du mariage de 
ma bien-aimée, quand, avec des sanglots, je me suis 
affaissé sur le sol. 

L'arak et le vin ne sauraient me troubler : il n'y a 
que vos yeux glauques pour me rendre ivre. Je suis 
venu de Suleimanieh, de la vallée aux fleurs jaunes. 
J'allais retrouver les yeux de ma Leîla. A Suleima- 
nieh, il y a du vent et de la poussière. Entre vos deux 
seins, passe la vallée de Karavankouch^. Avant 
que je n'en meure, prenez votre kandjar et tuez- 
moi. 

Vers le milieu du dernier siècle, un grand poète se 
leva parmi les Kurdes, qui, dépassant les limites de sa 
tribu, s'imposa à toute la race. Ch(ter Nali était un 
mollah de Suleimanieh, dans le Kurdistan turc ; 
ses vers ont maintenant pénétré dans les vallée les 

1. Une vallée dans les montagnes du Kurdistan, où les caravanes 
ont beaucoup à soufhrir du vent et de la poussière. 



CHBZ LES KURDBS 89 

plus écartées. Les poésies suivantes nous furent tra- 
duites en persan par le mufti de Saoudj-Boulak : 

O ma bien-aimée, vos cheveux flottants, votre 
taille ondulée, ont bouleversé la journée de ma vie. 
Gomment se fait-il que je ne pleure point de ce que 
vous ayez cent fois brisé le flacon de mon cœur avec 
la pierre de votre dédain ? C'est que le vin de mon 
cœur est fait des pleurs venus de mes yeux. Com- 
ment ne se répand-U pas, puisque le flacon qui le con- 
tient a été brisé en cent endroits ? Là où vous rencon- 
trerez l'eau salée ou rouge comme le sang, ce n'est 
pas qu'il y ait eu du sel ou que le sang y ait coulé. 
Sachez que c'est le lieu où j'ai pleuré, versé des larmes 
de sang. Bien que je ne possède rien, je voudrais voir 
votre visage. Les orphelins dénués de tout osent pa- 
raître devant le soleU. Or, je suis un orphelin ; votre 
visage est un soleil. La passion de mon cœur est seule 
cause de mes emportements et de mes pleurs ; le feu 
provoque ainsi l'ébuUition de l'eau. Le peintre le plus 
célèbre de la Chine ne saurait rendre la forme de vos 
sourcils ; leur arc n'a pas été dessiné par une main 
humaine ; c'est une création divine. Nali, le poète, 
faible comme la fibre du roseau, ténu comme un de 
vos cheveux, veut être placé sous vos pieds. Foulez-le 
à votre guise; mais ne le frappez point et ne le rejetez 
pas. 

La vie de Khezr^ n'est pas aussi longue que la 
moitié de vos cheveux; un seul d'entre eux fait cent 
anneaux pour enchaîner le cœur qui vous aime... O 
ma bien-aimée, vos sourcils ont la forme d'un sabre 
sortant aiguisé du fourreau : leurs froncements coupent 
d'un fil tranchant le cœur qui vous aime. Le voile 
sombre de vos cheveux recouvre, avec la clarté de 
votre visage, le cœur qui vous aime... Ne dites point 
que l'ombre est mauvaise ; car les papillons savent 
trouver dans l'obscurité le point brillant qui les attire. 

1. Khezr-Éile est un des patriarches sémites,^ qui a trouvé Teau 
d*étenieUe jeunesse. 



90 LA PBKSE D'AUJOURO'HtJI 

VOS yeux feigneat Tivresse ou le sommeil; on ne sau- 
rait distinguer s'ils sont déjà endonnis ou si le som- 
meil y va pénétrer. Mes soupirs ont écarté les cheveux 
de votre visage» mais vos yeux ne veulent point me 
voir. Le nuit passe au souffle du matinale Jour apparaît; 
ainsi mes soupirs ont fait apparaître le visage de ma 
bien-almée; mais vos yeux ne se sont pas ouverts... O 
soleil, auquel les étoUes empruntent leur lumière» Nali, 
le poète, dépérit loin de vous ; de même, sur son com- 
mencement et sur sa Un, s'animait la lune, trop éloignée 
pour recevoir la darté solaire. 

En ce moment, une commission persane réside à 
Saoudj-Boulak. D s'agit de régler une contestation 
de frontière, d'accord avec une commission turque 
qui se promène quelque part du côté de Mossoul. 
Sauf sur quelques points, de TÂrarat au golfe Per- 
sique, la frontière turco*persane n'a jamais été déli- 
mitée. Des commissaires anglais et russes en commen- 
cèrent l'étude en 1843, et leurs travaux, interrompus 
par la guerre de Crimée, aboutirent à une convention 
de 1869, qui laissait entre les deux pays une bande 
indécise de territoire. Pareil état de choses est pro- 
pice aux contestations. Le printemps passé, l'admi- 
nistration persane avait avancé ses postes dédouane; 
les tribus des crêtes voyaient d'un mauvais odl le 
chef nommé par les Persans. Il n'en fallut pas 
davantage pour appeler les Turcs, qui occupèrent 
les trois districts de Decht, Mergéver et Tergéver. 
Depuis lors, on négocie. Les diplomaties anglaise et 
russe s'évertuent, à Constantinople, sans grands 
résultats; les Allemands eux-mêmes y trouvent un 
prétexte pour chercher à jouer leur rôle en Perse. 

A 5 kilomètres de la ville, en descendant la ri- 
vière, se trouve Agri Kach, un grand village de neuf 



GlISZ LSS KURDES 91 

cents maisons, boulevard de la puissance de Kadr 
Agha. Cet homme s'est fait, lui-même; Deh-Bokri, 
il a grandi de la faveur gouvernementale, qui tenait 
à s'asssurer un point d'appui solide contre les 
Mokris, à proximité du chef-lieu. Pensions et hon- 
neurs lui ont été prodigués ainsi qu'à ses fils. Il fut 
Vilkhani de sa tribu ; 8.000 paysans vivent sur ses 
terres ; 1.000 de ses cavaliers sont prêts à accourir 
au premier appel du gouverneur ; il fournit même 
au ministre de la Cour une quarantaine d'hommes 
pour la garde royale. Presque centenaire, Kadr 
Agha est un petit vieillard diaphane, grelottant sous 
ses fourrures. Ses deux fils, déjà âgés, Choudja*- 
ol-Molk (le brave du royaume), et Samsam-os- 
Soltan (le sabre du souverain), m'accompagnent 
au village paternel. Leurs cavaliers s'allongent en 
ligne dans la vallée de Saoudj-Boulak ; au-devant, 
marche le groupe des derviches Kadris, agitant 
en l'air ses tambourins ; pour solliciter une aumône, 
le spécialiste s'approche de mon cheval et fait 
mine de se percer la joue de son poignard. 

Les maisons d'Âgrikach, plus basses que celles 
des campagnes persanes, forment une masse grise 
d'où pointent les peupliers. Les paysans, armés de 
fusils, garnissent les rues étroites ; sur les terrasses, 
les femmes vêtues de bleu, la figure dévoilée, la tête 
couverte d'une longue capeUne rouge attachée sous 
le menton par un ruban ou un collier. A mes côtés, 
deux gorani bechs à cheval chantent des souhaits de 
bienvenue composés par la muse locale : 

Quand il y a paix et amitié entre deux gouverne- 
ments, il est d'usage universel que leurs nationaux 
en visitent les territoires réciproques. La Perse et la 



92 LA PERSE d'aujourd'hui 

France sont deux sœurs, l'une habitant l'Europe, 
l'autre l'Asie. Les deux pays sont les plus beaux et 
les meilleurs de tous. M... est instruit, plein de qua- 
lités solides, réfléchi, perspicace ; devant lui l'ennemi 
est sans forces. Les siens s'enorgueillissent de son 
énergie et de son expérience, comme fait Tokio de son 
Mikado. Il est venu de Téhéran visiter villes et vil- 
lages ; il s'est levé comme la lune du milieu du mois. 
C'est un hôte noble, généreux et magnanime, qui est 
venu au pays de DJem (la Perse)... 

Partout où il a passé, les cavaliers l'ont reçu avec 
la musique, les tambourins, les to^/taZe/tsetles djérids. 
Mais, nulle part mieux que sur le territoire des Mokris. 
des Begzadés, des Deh-Bokris, des Mamechs, des 
Monkris, des Zoudios, des Kourks et des Motkaris^ 
Tout le monde l'a reçu avec une extrême magni- 
ficence ; car il était le premier qui eût honoré les 
Mokris de sa visite. Toute la province de Saoudj- 
Boulak s'offre à lui en pichkech. Le gouverneur, Ra- 
chid-ol-Molk, est heureux de recevoir un tel hôte, de 
la part du gouvernement persan. Bien que ceci soit 
chanté en vieux dialecte kurde, il exprime bien la 
sincérité de notre caractère et la pureté de nos inten- 
tions. 

Au centre du village, séparés par une petite place, 
se trouvent les habitations et les jardins de Kadr 
Agha. Nous y prenons le thé. Les gorani bechs conti- 
nuent leurs chansons. Sur le sol s*aUgnent des pla- 
teaux, rempUs de melons et de pastèques, des cor- 
beilles de raisins, de prunes et de figues, toute la splen- 
deur des fruits de la Perse. 

10 kilomètres par delà la montagne, nous arrivons 
à Khatounbagh ; les paysans sont rangés à l'entrée 
du village ; en face d'eux se placent les cavaliers ; 
un homme maintient un mouton et l'égorgé d'un 

1. Noms de tribus et de fractions kurdes. 



CHEZ LES KURDES 93 

coup rapide ; la tête sanglante roule sous les pas de 
mon cheval ; mes gens s'emparent de la bête, que 
leur attribue la coutume persane. Le propriétaire, 
Séham-os-Soltan (la flèche du souverain), chef de 
police à Saoudj-Boulak, a confié à son oncle Sa'^doun 
Agha l'administration de son bien. Les 80 maisons 
du petit village descendent vers la ravine, bordée 
de peupliers; au delà, remontent vignobles et melon- 
nières; plus haut, les étables, dont le toit aigu 
s'enfonce dans la montagne. La maison du maître 
possède une galerie et un étage, meublés de tapis, 
de feutres et d'étoffes brunes à dessins noirs. Le repas 
est servi sur de grands plateaux : des pilaus, où des 
baies d'épines-vinette se mélangent au riz ; des 
ragoûts ; des kébàbs, enfilés sur de longues tiges de 
fer et enveloppés de feuilles de pain ; des chirinis 
(bonbons) ; des bols de sirops et de laitage ; puis du 
café turc et des tchibouques à fumer. 

Le chemin, à peine tracé, suit les pentes ; le village 
de Khatchi marque l'entrée de la large plaine où les 
deux rivières, venues du Sud, le Tatavou et le Dji- 
gatou, coulent parallèlement vers le lac d'Ourmiah ; 
quelques champs isolés de ricin et de coton ; un lac 
desséché recouvre d'une tache blanche les abords 
de Kerbé^ Réza Khan. Parmi les cavaliers et les pay- 
sans qui se pressent autour de nous, à côté du mou- 
ton qu'on égorge, le « joli garçon » du lieu, vêtu d'un 
pantalon rouge et d'une tunique verte, les cheveux 
longs et flottants, exécute une danse engageante, au 
son du tambour et de la flûte. Le village à 300 mai- 
sons, tout proche du Tatavou, qui forme la limite 

1. Diminutif de KerbéM.\ 



94 LA PERSE d'aujourd'hui 

des territoires kurdes et de la foi sunnite. Son pro- 
priétaire, un begzadé fort endetté, a dû abandonner 
pour vingt années, au tadjer-bachi^ russe de Tauris, 
l'administration de sa terre. 

La plaine est riche, elle produit le blé, Torge, le 
riz, le coton, le ridn, le chanvre, les pois et les len- 
tilles, qui se vendent à Ounniah ou à Méragha ; le 
tabac gagne Tauris. Afin de créer un lien entre 
Turcs et Kurdes dans la plaine qu'ils se partagent, 
un marché du jeudi, Pendjchembé-BazoTt a été orga- 
nisé sur le bord de la rivière, près du village de Ghe- 
bagh-Kendi. Nous y passons un vendredi ; le sol est 
foulé par les animaux, encombré des détritus du 
marché de la veille. Tout le pays, de Tauris à Rama- 
dan et Kermanchah, y fréquente la foire de bétail. 
Le sous-gouverneur de Miandouab en a la surveil- 
lance et perçoit les taxes» 

Le bourg et les jardins de Miandouab (entre deux 
eaux) réunissent les deux rivières. C'est une impor- 
tante agglomération de 2.000 maisons, appartenant 
au domaine royal. ""Âbbas Mirza la peupla de Belout- 
ches du Kerman, et d'un ramassis turc, cueilli dans 
l'Âzerbaïdjan ; quelques familles arméniennes, 160 
familles juives. Une humidité propice développe les 
vignobles, les cultures maraîchères et les champs de 
coton. 

La plaine reprend au delà du Djigatou, les voitures 
s'embourbent dans les fossés d'irrigation, bordés de 

1. Le tadjer-bacht (chef des marchands) rempUt, en Pêne, vis-à- 
vis des consulats le même office que font, en Orient, nos députés 
de la nation. U.est censé être le chef de la colonie et le porte-parole 
de tous. Dans le Nord de Tlran, les Russes ont multiplié les tadjer- 
bachis, qu'ils ont fait reconnaître comme de véritables agenta consu- 
laires ; parfois même ils en nomment deux, l'un pour les cbrétieni* 
rautre pour les musulmans. 



CHEZ LES KURDES 95 

melonnières ; quelques villages dénuées d'arbres; 
au Imn une ligne de hauteurs, dominée par le Sahend. 
Le pays est peuplé de Tchahardaulis, tribu lekhe, 
primitivement établie dans les montagnes du Fars. 
Quand la lutte du Nord et du Midi, des Kadjars 
contre les Zends, eut abouti au triomphe de la dynas- 
tie actuelle, Âgha Mohammed Schah voulut détruire 
le bloc des tribus adverses ; il entraîna plusieurs 
fractions à sa suite, parmi lesquelles un millier de 
familles tchahardaulies. A la mort du roi, leur chef, 
Norouz Khan, prit la fuite, se dirigea vers l'Ouest, 
et s'établit, avec les siens, dans la plaine, alors dé- 
serte, de Miandouab. 18 kilomètres plus loin, nous 
atteignons les arbres du Mourdi-Tchaï et le grand 
village domanial de Malékendi. 24 kilomètres encore 
jusqu'à Méragha. La route franchit une succession 
de collines ondulées, que des amoncellements de 
pierres ont fait nommer Kara Ghochoun (les armées 
noires). La vallée du Soufi-Tchaî sort du Sahend et 
s'élargit vers le lac ; les interminables jardins de 
Méragha remontent les premières pentes et s'enfon- 
cent entre les contreforts de la montagne. 

La ville connut des jours illustres. Elle fut la pre- 
mière capitale des Mongols et resta leur séjour d'été. 
A côté de la mosquée du Cheikh-ul-Islam, deux tours 
en briques s'élèvent sur des soubassements de pierre : 
l'une est ronde, très simple, à moitié détruite ; l'autre 
en forme de décagone, recouverte d'une coupole. 
Les portes cintrées, les inscriptions koufiques, les 
reliefs des murs ont perdu une bonne part de leurs 
revêtements de faïence bleue. Dans l'intérieur 
court, presque intacte, une inscription circulaire. 
Point de noms sur les pierres tombales. La 



96 LA PERSE d'aujourd'hui 

croyance populaire y veut voir le tombeau d*Hou- 
lagou, fondateur de la dynastie mongole. Les gens 
informés affirment, au contraire, que ces tours con- 
tiendraient, tout au plus, la sépulture de sa mère et 
de ses femmes. Selon la coutume de sa race, avant la 
conversion à Tislamisme, le souverain lui-même se 
serait fait enterrer sur les collines, au fond de la 
plaine de Miandouab, où toute trace en a disparu. 

Traversant le Khorassan, Houlagou ramassa sur sa 
route Khodja Nassr-ed-Din et Tousi, grand astronome 
et philosophe renommé. Cet homme suivit les hordes 
mongoles et se fixa à Méragha. Les hauteurs pier- 
reuses, à l'ouest de la ville, portent encore le 
nom de l'observatoire, Rasad-Khaneh, qu'y avait 
fait établir Nassr-ed-Din. Il en reste quelques 
débris de briques, des fossés, des traces de chemin 
pavé. Le savant avait choisi, pour ses expériences, 
le plus beau point de vue du pays : au pied, la masse 
verdoyante des peupliers, des saules, des jujubiers 
et des noyers, qui entoure l'enceinte fortifiée de la 
ville et remonte vers le Sahend ; de l'autre côté, la 
vallée du Soufi-Tchal, le lac brillant au soleil, les 
îles, et, dans la bruine, à peine distintes, les mon- 
tagnes du Kurdistan. 

Au xvni® siècle, là comme ailleurs, une famille 
réussit à s'élever, de la tribu des Moghaddams qui 
peuplait le pays. Deux frères, Hadji Kasem et 
Hadji^'Âli Mohammed, surgirent d'entre les fractions 
divisées, se distinguèrent dans la guerre turque, 
reçurent pensions et honneurs, avec l'autorité sur 
la tribu. Ahmed Khan, leur successeur, mieux ins- 
piré que le Chakkaki de Mianeh,le Dumbéli de Tauris 
et l'Afchar d'Ourmiah» évita de se prononcer contre 



CHEZ LES KURDES 97 

les Kadjars ; les dépouilles de ses voisins malavisés 
vinrent récompenser sa prudence. Feth'Ali Chah le 
nomma beglerbegui de Tauris» épousa Tune de ses 
filles, en fit épouser une autre à son fils aîné, Moham- 
med *Ali Mirza, gouverneur de Kermanschah. Jau- 
bert visita Ahmed Khan, lors de son passage à Tauris, 
et fut frappé de ses idées de progrès. Ainsi écartée 
de son lieu d'origine, la famille en perdit le gouver- 
nement héréditaire ; mais elle y demeure très puis- 
sante; les descendants d'Ahmed Khan possèdent 
la majeure partie de la plaine et fournissent ordinai- 
rement les gouverneurs de la province. 

Le sous-gouverneur, Mansour-os-Sultan (la vic- 
toire du souverain), un très jeune homme, tient la 
place de son oncle absent. Il nous reçut dans la mai- 
son familiale. Le Narandjistan (l'Orangerie) est 
situé un peu hors de la ville. Des appartements, 
séparés par des serres, s'ouvrent sur une longue 
cour, garnie de bassins et de parterres de fleurs. 
Les volets de la chambre où j'habitais étaient 
en vieux vemis-martin : d'un côté, des bouquets 
de fleurs sur fond d'or; de l'autre, des paysages, 
avec des femmes et de jeunes garçons. La cheminée 
de la salle à manger portait une inscription persane : 
« Puisse ce foyer durer jusqu'au dernier jour 1 Que 
la lampe y reste éternellement allumée ! » 

Hadji Mirza Kébir Âgha est un des grands per- 
sonnages religieux de TAzerbaïdjan. Le vieillard 
5st recroquevillé sur un matelas dans une chambre 
claire, ouverte sur les fleurs du jardin. Sa figure est 
mobile et expressive : sa moustache, sa barbe, ses 
sourcils, teints au henné, se hérissent (quand il parle, 

AvBW. — La Perse, 7 



98 LA PERSE d'aujourd'hui 

deux jeunes gens» un moUah et un seyyed, sont res- 
pectueusement accroupis aux pieds du maître. 
KébirAghaprétenddescendredeSchah Né'metoullah, 
dont le tombeau honore Kerman ; dans la dispersion 
de la famille, ses ancêtres s'établirent à Méragha» où il 
est reconnu comme mourcAid par tous les Né<^metoul- 
lahis du Nord-Ouest de la Perse. Il se glorifie d'avoir 
attiré des arméniens» des juifs, des sunnites ; néan- 
moins» le nombre de ses disciples reste assez faible ; 
il n'aurait sans sa direction que 1.500 derviches. Les 
écoles théologiques de la Perse chiite n'ont point 
l'expansion des confréries religieuses du sunnisme. 
Elles dédaignent les masses» pour atteindre orgueil- 
leusement l'adhésion des classes cultivées. Le cheikh 
sunnite est un apôtre populaire ; le chiite est souvent 
Un professeur de philosophie à usage des gens du 
monde. Kébir Agha a mis son enseignement en vers 
persans. Le recueil du Bahr-el'Asrar Qsl mer des 
secrets)» prêche» sans grande originalité» le néant des 
choses d'ici-bas. La pièce suivante est assez curieuse» 
car elle jette un jour pittoresque sur la conception 
persane du bonheur terrestre. 

O mon cœuri admettons que vous ayez cueilli toutes 
les fleurs de ce monde — admettons que» royalement» 
vous ayez réalisé tous vos espoirs. Admettons que» du 
premier au dernier jour» vous ayez reposé sous une 
tente céleste. Admettons que vous ayez vécu au bord 
d'un ruisseau» dans un jardiu dont les arbres attein- 
draient le del. Admettons qu'aux lèvres de belles 
maîtresses» douces comme le miel» vous ayez bu l'eau 
d'étemelle jeunesse. Admettons que toutes les beautés 
se soient offertes à vous. Admettons que femmes et 
garçons aient comblé tous vos désirs. Admettons que 
de l'Orient à l'Occident, vous ayez pu acheter, comme 



CHEZ LES KURDES 99 

esclaves, toutes les belles filles et tous les jolis garçons. 
Admettons que le sabre vous ait conquis la Chine et 
l'Inde» l'Europe et le pays de Roum. Admettons que 
tous les rois de la terre se soient prosternés devant 
vous. Admettons que ces mêmes rois, aussi grands 
poètes qu'Aboul-MadJan, aient composé en votre 
honneur des ghazehs et des kasidas. Admettons que vous 
soyez devenu le plus savant des docteurs et que votre 
science ait été reconnue en tous lieux. Admettons que 
vous soyez une fleur qui vient d'édore. Vous n'en 
serez pas moins piqué par l'épine de la mort. 

Votre dernier Jour venu, le message de mort arrivé, 
vos mains se trouveront liées ; ni parents, ni amis ne 
réussiront à vous guérir. Le loup de la mort mettra 
sa patte sur votre vêtement et le déchirera du haut 
en bas. Le printemps de votre vie est terminé, l'au- 
tomne est là. L'esprit s'est envolé de votre corps... vos 
proches vous ont placé dans la terre. Vosamis ont fui... 
vous n'avez plus à vos côtés que les bonnes actions de 
votre vie. 

Modjrem *, votre vie est terminée. Plaisirs et Jouis- 
sances sont choses du passé! Gomment, avec tous vos 
péchés, oserez-vous demander l'entrée du paradis ! 
n faut, pour y pénétrer, avoir acquis des mérites. 

Méragha peut avoir 40.000 habitants, tous musul- 
mans, à l'exception de 200 famiUes arméniennes. 
Les gens de Tauris peuplent le bazar; toutes 
les marchandises lourdes arrivent d'Ardébil; les 
fruits secs s'exportent par Astara, le coton, la cire 
et le miel, produits sur les pentes du Sahend, par 
DJoulfa». 

24 kilomètres jusqu'à Chichevan, en contournant 

1. Modinm, le coupable, surnom que le poè|e se donne à lui-même, 
suivant la coutume de la poésie orientale. 

2. On calcule que Mteaîgfaa exporte annuellement 3 ou 4.000 
caisses de fruits secs ; laooo bottes de miel ; 3.000 ou 4.000 balles 
de coton. 



100 LA PERSE d'aujourd'hui 

le Sahend ; d'abord deux gros villages» Khormazed 
et Ravecht, dans des vallons successifs ; puis à 
travers la plaine nue, nous gagnons l'oasis de 
verdure créée par les eaux du Dizadja-Roud. 

Le prince Imam Kouli Mirza, petit-fils de Feth 
''Âli Schah, est seigneur de Chichevan. Son père, 
Melek Kaem» fut instaUé par Abbas Mirza dans le 
gouvernement d'Ourmiah, qu'il détint pendant 
quatorze années. D s'attacha au pays, acheta sur le 
lac de nombreux villages. Le fils hérita des goûts 
paternels ; sa haute naissance lui valut le gouver- 
nement des principales villes de l'Âzerbaïdjan ; 
entre temps, il réside sur sa terre. Ses principaux 
intérêts se trouvent dans la plaine de Miandouab, où il 
possède dix-sept villages ; il n'en a que quatre dans 
la vallée du Dizadja-Roud, avec une superficie de 
1 farsakh 1/2 de long sur 1/2 de large. C'est là 
néanmoins qu'il a fixé son habitation : une suite de 
bâtiments et de cours, ombragés de peupliers et de 
platanes, entourés de vignobles, de jardins d'abri- 
cotiers et d'amandiers. Les produits en sont variés : 
le blé, l'orge, le coton, le ricin, les amandes et les 
raisins secs ; au bord du lac, le riz. 2.000 moutons, 
400 bœufs ou bufiles paissent les pâturages salés, 
créés par le retrait des eaux. Imam Kouli Mirza est 
de taille moyenne; les longs cheveux noirs, la mous- 
tache tombante, commencent à grisonner ; la figure 
est rose et aimable. Il porte l'uniforme militaire 
avec les armes de Perse en brillants sur les pattes 
d'épaule. Son père avait fait venir un ménage 
français pour l'éducation de ses enfants ; il en a gardé 
une certaine connaissance de notre langue. C'est un 
homme pieux et digne qui n'a fait d'autre voyage 



«il 



CHEZ LES KURDES 101 

que celui de Kerbéla. Ses manières sont parfaites ; 
sa maison bien tenue; le dîner fut excellent. 

Le lendemain matin, nous partîmes à cheval, 
suivis de cavaliers, de chevaux tenus en main, de 
lévriers et de faucons ; si le prince apercevait quelque 
oiseau, il le rejoignait au galop et le tirait au vol. 
A Touest, une chaîne de collines sépare du lac la 
plaine du Dizadja-Roud. La région est peuplée de 
Baharlou, Tune des sept tribus turques qui sou- 
tinrent la naissante fortune des Séfévis. L'anse 
de Ghalich-Dagh sert de port; les embarcations 
touchent une plage de sable entre deux pointes 
rocheuses ; au large, les îles montagneuses émer- 
gent des eaux très bleues. Imam Kouli Mirza 
détient le monopole de la navigation sur le lac 
d'Ourmiah. Actuellement, il met en service trois 
barques pontées, avec neuf hommes d'équipage 
chacune ; il attend l'arrivée prochaine d'un bateau 
à vapeur. Les barques s'engagent au travers des 
îles, et, par bon vent, gagnent, en huit ou neuf 
heures, la côte d'Ourmiah ; elles y portent les fers 
et tissus, venus d'Ardébil ; le tabac constitue le fret 
de retour. 

La passe de Karka Bazar nous ramène prompte- 
ment vers la grande plaine salée, rejoignant le massif 
du Chahi à la vallée de Tauris. Nous avons achevé 
de contourner le Sahend. A droite, la vallée de Ché- 
ramin, puis celle de Dehkhargan, enfoncée dans les 
derniers contreforts de la montagne. La petite ville a 
12.000 habitants, parmi lesquels une demi-douzaine 
d'Arméniens. Ses jardins produisent surtout des 
amandes, une bonne proportion de fruits secs, un 
peu de coton. Les villages, le commerce appar- 



102 LA PBRSE D'AUJOURD'KUI 

tiennent aux gens de Tauris.Dehkharganest le chef- 
lieu d'une province dont les trois districts occupent 
le versant nord du Sahend. 

48 kilomètres encore jusqu'à Tauris. La route tra- 
verse l'interminable plaine; les caravansérails, les 
caravanes se multiplient. Aussitôt passé le gros 
bourg de Zerdaroud» se montrent de plus en plus 
distinctement la colline rougeâtre d'ÂInal-Zéinal et 
la masse noire de l'Ârk. 



V 
DE TAURIS A LA CASPIENNE 



De Tauris à Ardébil. — La province de Sérab. — La tribu des 
Schah-Seven : son origine, sa répartition. — Les fractions 
établies dans le Savalan-Dagh ; leur organisation — Ardébil 
— Un entrepôt du commerce russe dans le Nord-Ouest 
de la Perse — Arméniens et juifs. — La dynastie Séfé- 
vie. — Le « tombeau du cheikh ». — Le Trésor de la 
mosquée. — La « famille du cheikh » ; Seyyed Ahmed, le 
« chef des serviteurs ». — Bénéfices des Seyyeds Séfévis ; 
les pèlerinages. — LeTaliche. — Les Olouflou. — Le dis- 
trict de Velkidj. — Le khan de Namin ; Saarem-os-Sal- 
tanéh. — Villages sunnites. — La route d'Astara ; la 
forêt des régions caspiennes. — Le commerce du port. — 
Pêcheries russes. — D'Astara à Enzéli. 

110 kilomètres de Tauris à Sérab. — Aussitôt franchi 
la passe de Dchébbli, on quitte la route de Zendjan 
et Kazvin pour longer, vers le nord, le petit lac 
Kouri Gueul. Quelques villageis au fond des vallons 
successifs : Arichtanab, qui appartient à un moustofi- 
divan, un comptable du prince héritier ; Kurd Kendi, 
Douz-Douzoun, Bahraman, propriétés du Kelanter 
de Tauris ; sur la droite, au pied des montagnes, 
Chérabian. Point de propriétaire pour nous recevoir. 
Il faut demander asile dans la moins mauvaise 
maison des villages et disposer notre campement 
entre les quatre mura nus d'un balakhaneh; les tapis» 



104 LA PERSE d'aujourd'hui 



^ 



étendus sur le sol, constituent le seul mobilier des ^' 
campagnes. Le chemin remonte la large vallée de ia 
l'Adji-Tchaï (la rivière amère), aux bords recouverts ;::ii 
de dépôts salins. Peu d'arbres : au fond, une ligne j^ 

de hauteurs ferme la vallée, joignant la chaîne du D 

Koh-é-Bouzgouch (la montagne à l'oreille de chèvre), :e 

au massif du Savalan-Dagh, 4.600 mètres, dont la -'^ 
crête dentelée et neigeuse se perd dans les nuages. ^i 

Précédée du petit village de Guilekabad, Sérab \-n 
forme une vaste agglomération au milieu des jardins. Ji 

La ville, d'aspect triste et délabré, peut avoir 15 ou ie 

20.000 habitants. Sérab est chef-lieu d'une petite t 

province, divisée en deux districts (Sérab et Gar- -^ 
maroud), avec 150 villages. Les terres de la haute k, 

vallée du Adji Tchal sont toutes aux gens de Tauris» 
surtout parmi l'entourage du Véli'ahd. La popu- :\ 

lation comprend les restes de la tribu des Chakkalds ; \ 

bon nombre portent le bonnet conique en peau de ^ § 

mouton, habituel au Caucase. Les nomades Schah- >, 

Sévèn descendent du Savalan pendant l'été, font j 

leurs achats en ville, y vendent des moutons, du beurre ^ 

et du lait ; quelques-uns s'y sont fixés. Retenu à la ] 

cour par les responsabilités de sa charge, Séif-ol- 4 

Mémalêk (le sabre du pays), chef des gardes de la 
princesse héritière, n'a cure de son gouvernement 
de Sérab et l'abandonne à un sous-gouverneur de 
son choix. 

Jusqu'à Ardébil, 72 kilomètres. — La gorge du 
Adji-Tchaî s'enfonce dans le Savalan. Une montée 
rapide conduit à la passe de Sain: deux villages, 
Mangouta et Imam Tchaï ; au delà, Saïn-Gayé, dans 
les rochers et la verdure. La route devient mauvaise, 
le passage difiicile. Nous voyageons accompagnés d'un 



DB TAUIUS A hJL CASPIENNE 105 

gros de cavaliers, chargés de relever les voitures, si 
ceUes-d venaient à verser. De l'autre côté de la 
montagne, dans la vallée de la rivière Balouk, le 
village de Nir. 

De Mangouta à Nir, la propriété du soi revient 
aux héritiers de Khosro Khan, ancien ilbègui 
des Schah-Seven, auquel le gouvernement fit payer 
de sa vie la turbulence de ses administrés. Les habi- 
tants sont un mélange de Tates et de Schah-Seven. 
L'invasion mongole n'a point dépassé le plateau 
de Sérab. Si des incursions passagères dévastèrent 
le pays d'Ârdébil, la population primitive n'en fut 
guère affectée ; le cours entier du Balouk et du Kara- 
Sou resta aux Tates jusqu'à l'Araxe. Pourtant la 
langue persane a disparu devant le turc: après la 
bataille d'Angora, Tamerlan ramena dans la plaine 
d'Ardébil un lot de captifs turcs, pour y demeurer 
sur les instances du cheikh Sefi. Les Schah-Seven 
peuplèrent les montagnes voisines ; beaucoup, renon- 
çant à la vie nomade, sont venus s'établir en plaine, 
où ils réussirent à décomposer la masse iranienne. 

Les Schah-Seoen (les amis du Roi) appartiennent 
au groupement arbitrairement créé par Schah'Abbas 
pour remplacer les tribus turques privilégiées, qui 
avaient soutenu dans le principe la dynastie séfévie. 
A l'appel du monarque, des volontaires turcs se pré- 
sentèrent en foule : de toute la Perse, de la Mésopo- 
tamie et même de l'Asie antérieure. C'étaient gens 
dont les ancêtres avaient suivi, pour la plupart, la 
fortune des Seldjoukides ou celle des descendants 
de Gengis-Khan. Ils servirent à constituer dix tribus, 
dont les noms rappellent encore les origines. Schah 
'Abbas leur confia la sécurité de Kazvin, la capitale 



106 LA FBRtB D'AUJOURD'XUI 

primitive de la dynastie, et la défense des frontières .4 
occidentales, menacées par les Turcs Ottomans. J 
Ils se trouvèrent répartis dans les trois provinces i 
de Kazvin, Téhéran et Zendjan, dans les deux for- n 
teresses naturelles du Sahend et du Savalan Dagh^ n 
Naguère, le gros des Schah-Seven avait été fixé \ 
autour de Kazvin ; ceux-là sont aujourd'hui très \i 
réduits ; quelques groupes de tentes se sont dispersés ; ] $ 
beaucoup se perdirent parmi les populations séden- \s 
taires. Il en fut de même avec les Schah-Seven du '■* 
Sahend ; si bien que le Savalan est devenu le dernier '-^ 
boulevard de ce groupe ; ils y restent nombreux et 
compacts, malgré Tattirance de la plaine et la déper- ^ 
dition continue qui en résulte. A l'exception du ; 

Karadagh, toutes les montagnes, encadrant le bassin : j 
du Karasou, sont occupées par les Schah-Seven : 
19.700 familles, partagées entre 60 fractions ou odjaks. i 

L'été, ils vont au yelak^ dans la montagne, faire 
paître les troupeaux de bœufs, moutons, chevaux et 
chameaux qui constituent leur principale richesse. j 
La mauvaise saison les ramène au kechlak^ soit dans '^ 
leurs villages, soit dans les campements de la plaine. i 
Les campements, dont la composition d'été diffère par- \ 

fois de celle de l'hiver, leur sont reconnus par un usage 
prolongé. Chaque odjak a son ketkhoda, choisi dans 
son sein par le chef suprême de la tribu ; cet homme 
maintient l'ordre parmi les siens, aplanit les diffé- 

1. Les tribus des Scbah'Seuen se trouvent ainsi décomposées 
les KourbaHou et les Bagdadis (gens venus de Bagdad) se répan- 
dirent dans la plaine de Téhéran; les Inanlou se partagèrent entre 
les provinces de Téhéran et de Kazvin; les Af chars et les Doulrans 
occupèrent les montagnes du Khamseh. Dans l'Azerbaïdjan furent 
placés les Yourtchis, les HadJi*KhodJalou, les Kodjabaghlou» les 
Foulardlou et les Sardarlou. 



DX TÀU1U8 A LA GAtPIBNNE 107 

rends» perçoit des impôts f or;t minimes. Le grand chef, 
Vilbégui des Schah-Seven, est, selon les circonstances, 
élu par les contribuables ou désigné par le gouver- 
nement ; il est généralement chargé de l'administra- 
tion de la province. 

Ardébil auraitôO.OOO habitants; la ville doit son dé- 
veloppement à une double cause, le commerce et la reU- 
gion. Le plateau, étant trop élevé pour la culture du 
coton ou du raisin, ne peut exporter que des moutons, 
destinés aux steppes de TAraxe. Mais l'avantage de sa 
position y fixe le principal point de répartition pour 
le commerce russe d'importation dans le Nord-Ouest 
de la Perse. Les marchandises lourdes, — sucres, 
fers, pétroles, — incapables de supporter le prix 
élevédes transports terrestres, empruntent les canaux, 
le Volga et la Caspienne, pour arriver au port d'Astara, 
d'où elles sont réexpédiées jusqu'à Ardébil, sis à 
moins de 60 kilomètres dans l'intérieur, par delà la 
chaîne côtière. 

La distribution de ces marchandises, effectuée par 
les soins des négociants de la ville, crée un immense 
mouvement de caravanes. La sphère d'attraction 
commerciale d' Ardébil s'étend de Zendjan au sud du 
lac d'Ourmiah, — descend jusqu'à Hamadan et touche 
même Tauris. En chiffres ronds, 5.000 chevaux et 
mulets, 2.500 chameaux sont réguUèrement affectés 
à ces transports. En cas de besoin, durant l'afflux de 
l'été, on fait appel aux 3.000 chameaux des Schah- 
Seven du Sahend, ainsi qu'à ceux d'Avadjik, sur 
la frontière turque, employés d'ordinaire au com- 
merce de Trébizonde. Les chameaux sont concentrés 
en quelques mains ; certains disposent de 3 ou 400 
de ces animaux.-; un personnel de 5,000 individus vit 



108 LA PBRSE d'aujourd'hui 

de cette industrie. Chaque négociant a ses chameliers 
et muletiers attitrés ; il est d'usage que les mêmes 
bêtes de charge fassent constamment la même route. 
Été comme hiver, les caravanes, une fois formées, 
partent sous la direction du maître des animaux ; 
chaque groupe de sept forme un ghatar^nne ligne, con- 
fiée à un djélodar spécial. On voyage la nuit, on se 
repose le jour; le convoi marche accompagné d'un 
manifeste, adressé par l'expéditeur au consignataire. 

Les marchands musulmans sont en majorité dans 
les douze caravansérails, siège de cet important com- 
merce. Il s*est cependant formé, à côté d'eux, un groupe 
arménien et un groupe juif. Les Arméniens ont essaimé 
de Tauris. Us sont, en tout, une vingtaine de familles, 
négociants et artisans, entretenant, à leur usage, 
une église et une école. Parmi eux, un médecin éduqué 
à Constantinople ; un autre, le docteur Sissak Mou- 
jikian, de Diarbékir, qui, après avoir passé douze 
années à Paris pour ses études de médecine, a dû 
fuir sa ville natale devant le régime turc ; enfin un 
Chaldéen protestant, envoyé à Chicago par les 
missionnaires américains d'Ourmiah. Peu de ces gens 
sont sujets russes. Le principal d'entre eux, un com- 
merçant, M. Schahdaziantz, est tadier-bachi, agent 
consulaire de Russie ; il veille aux intérêts d'un petit 
groupe de familles musulmanes, venues du Caucase, 
qui s'occupent d'agriculture ou de l'exportation des 
moutons K 

La colonie juive est une simple délégation des 
négociants Israélites d'Hamadan, chargée des achats 

1. En 1905-1906, il est sorti pour 1.848.000 krans de moutons à 
destination de Moghan par la douane de Bllecevar. La défense 
d'exportation du bétail est lev^ sur cette frontière. 



^ DE TAURIS A LA CASPIENNE 109 

de produits russes. Elle comprend une trentaine 
d'individus sans cesse renouvelés. Éloignés de leurs 
familles, tous vivent groupés autour de leur petite 
synagogue, au caravansérail Hadji Choukour. Deux 
rabbins et trois médecins sont le seul élément stable 
de la communauté. Après avoir étudié à Hamadan 
la loi et la médecine, le grand rabbin, Rabbi Johanna 
Benchimol, un vieillard à la longue barbe blanchis- 
sante vêtu d'un costume persan, habite Ardébil depuis 
quarante-cinq ans. Il a voyagé par tout TOrient, 
appris l'hébreu, le turc, le persan, le kurde, l'arménien, 
un peu de russe. Il vit isolé, maintenant parmi les 
siens les pratiques du culte mosaïque et du sacrifice 
rituel. 

L'apport des districts voisins, Mechkin et Khalkhal, 
a peuplé la ville ; bon nombre de nomades s'y sont 
fixés : des gens de Tauris ; quelques Turcs. Lors delà 
décomposition de la Perse, survenue au xviiifi siècle, 
Ardébil ne fit point parler d'elle. Il n'y put 
s'élever comme ailleurs, en Azerbaïdjan, de grande 
famille aspirant à l'indépendance. Pourtant, les fonc- 
tions héréditaires de ketkhoda-bachi sont maintenues 
dans une même famille, par firman d'*Abbas Mirza ; 
un Turc, ^Ali Akbar, Moin-er-Ray'at (Le soutien des 
sujets), y a succédé à son père; c'est à lui de désigner 
les chefs des six quartiers et le dcwogha, chef de police. 
Le kargouzar, délégué du ministère des Affaires Etran- 
gères, et gouverneur des non-musulmans, Mirza Ahad, 
est un homme du pays, détenant la place depuis vingt- 
quatre ans. En l'absence du gouverneur récemment 
destitué, Mirza *Ali Khan, Émir Touman, administre 
la province ; il est venu de l'^'Irak ''Adjemi, s'est établi 
à Ardébil et possède en plaine quelques villages. 



h 



110 LA. PERSE d'aujourd'hui 

Vers la fin du xv« siècle» surgit à Ardébil la plus . -' 
glorieuse des dynasties persanes. Son véritable fon- ^^ 

dateur Cheikh Séfi-ed-Din (l'homme pur de la religion); , ^ 
était le 22P descendant du 7^ imam Mousa Kazem. ^ 

Depuis six générations, ses ancêtres habitaient la ^ 

Perse, installés dans le Guilan, ensuite dans un village 
voisin d* Ardébil. A ceux qui venaient visiter leur |^ 
Khanégah (asile, ce que Ton appellerait, dans l'Afrique | ^ 
du Nord, une Zaouîa), ils parlaient discrètement 
des revendications des Alides, cherchant à inspira le 
respect de cette famille infortunée, persécutée par 
les usurpateurs du Khalifat. Les seyyeds voyageaient 
et leurs plaintes remplissaient la Perse, alors livrée 
aux migrations des Turcs et des Mongols; aucun 
n'avait c^endant réussi à grouper de force suffisante 
pour soutenir un pouvoir éventuel. Cheikh Séfi parut i 

au moment propice : c'était au milieu du xiv^ siècle ; 
l'empire mongol tombait en ruines; Tamerlan 
s'apprêtait à venir. Cheikh Séfi étudia à Chiraz, 
puis chez un ascète du Guilan. Ce dernier lui donna . 

sa fille et son manteau, le chargea de prêcher le sou- \ 

fisme à Ardébil, avec la « doctrine des Douze »^. | 

Cheikh Séfi s'y construisit une maison et une ftoumtèd ^. 

(nous dirions une koubba dans l'Islam méditerra- \ 

néen), — où il fut enterré après trente années de prédi- 
cation. Ce fut le premier apôtre efficace du chiisme en 
Perse ; on le visitait de l'Irak et de F Azerbaïdjan ; les 
gens se convertissaient en foule ; il comptait, à sa 
mort, un million et demi de disciples. 

L'autorité reli^euse était fondée ; restait à dégager 

1. Quand un chdkh devient vieux, il donne son manteau à celui 
de'ses diiciples qu'il veut pour tuccetseur de sa science e| de ses 
vertus. 



DX TA.U1UB A. LA GASPIXNNE 111 

Tautorité politique. En pays musulman, les chefs 
spirituels trop achalandés provoquent la juste mé- 
fiance des pouvoirs établis. Pendant tout le xv« siècle, 
les princes turcomans du Mouton Noir, qui se 
succédaient à Tauris, regardèrent avec inquiétude 
rafduence de disciples attirée par les successeurs du 
Cheikh Séfi. Ceux-ci durent, à plusieurs reprises, 
chercher asile au Guilan ; ensuite, ils errèrent du 
Caucase à la haute vallée du Tigre. En cours de route, 
ils eurent la chance de contracter mariage dans la 
famille du prince turcoman du Mouton Blanc, qui 
régnait à Diarbékir. Les Séfévis joignirent ainsi une 
alliance politique à leur clientèle religieuse ; le soin 
de leur sécurité les forçait à agir ; autour d'eux les 
principautés se décomposaient ; les Turcs Ottomans 
apparaissaient aux frontières. Dès lors, les cheikhs 
deviennent batailleurs, et leurs adhérents forment 
une armée. Après la mort de son père et de ses frères, 
le fils cadet de Sultan Haïdar, Schah Isma<^il, se rend 
maître du Caucase, de TAzerbaldjan et de r*Irak, 
réunit les terres persanes, et crée la Perse moderne, 
unifiée par le chiisme contre la menace du Turc. 

Parmi les quatre-vingt-quatre mosquées d'Ârdébil, 
il n'en est pas de plus vénérée que le <t Tombeau du 
Cheikh ». On désigne sous ce nom l'ensemble des 
constructions, successivement élevées par les rois 
séfévis, autour de l'habitation primitive de leur 
ancêtre. Une porte, aujourd'hui isolée. — donne 
accès sur la cour d'entrée, devenue un marché de 
fruits et de légumes. Une cour allongée, plantée de 
poiriers, et un étroit couloir, recouvert de belles 
faïences à fond jaune, conduisent à une dernière cour, 
assez petite, sur laquelle s'ouvrent la mosquée nom- 



112 LA PERSE d'aujourd'hui 

mée «la maison du Paradis» elles chapelles funéraires. 
Des faïences bien conservées» où l'écriture des versets 
du Coran forme le principal motif de décoration, 
ornent les murs, la porte et les fenêtres ; au bout de 
la chapelle, un mur abaissé sépare la cour du cimetière 
des seyyeds. Cheikh Séfi et Schah Ism*ail, le saint 
et le guerrier, auteurs de la grandeur séfévie, y repo- 
sent côte à côte sous des tours rondes, incrustées de 
briques bleues et surmontées de dômes, où nichent 
les cigognes. Plusieurs des successeurs spirituels de 
Cheikh Séfi et les cinq premiers rois séfévis — (de 
Schah Isma*il à Schah ''Âbbas) reposent dans la mos- 
quée d'Ardébil, sans parler de plusieurs princes de 
leur famille. 

La foule oisive de la mosquée s'était amassée au- 
tour de l'étranger, introduit en un lieu si auguste. 
On me pria d'enlever mes chaussures avant depénétrer 
dans le sanctuaire. L'intérieur a tout l'aspect d'une 
chapelle chrétienne ; il est décoré de lignes et de feuil- 
lages or sur fond bleu foncé ; les portes sont garnies 
de plaques d'argent; au premier étage des galeries 
latérales, des niches profondes devant les fenêtres. 
Au fond, une grille d'argent marquerait le commen- 
cement du chœur; la chapelle se rétrécit ; le plafond 
s'abaisse. Une grille d'or ferme la tour où se trouve 
le tombeau du Cheikh Séfi. Les parois sont recou- 
vertes de carreaux à reflets métalliques ; une inscrip- 
tions court à hauteur d'homme ; les fenêtres sont 
fermées de volets d'argent incrustés d'or. Le cercueil 
est en bois des Indes, très fouillé ; au devant, des 
cierges allumés et une table d'offrande. 

Entre les deux grilles d'argent et d'or s'ouvre un 
corridor conduisant à une seconde tour ; la décora- 



DE TAURIS A LA CASPIENNE 113 

tion en est identique ; le tombeau de Schah Isma*il est 
en bois, inscrusté d'ivoire et de turquoises, avec des 
versets du Coran en relief. Une théorie ininterrom- 
pue de paysannes, vêtues de cotonnades rouges, 
leurs enfants dans les bras, s'agenouillait devant les 
divers pupitres posés à terre, y baisait dévotement 
la reliure des Corans ; puis, avant d'entrer dans la 
chambre funéraire, embrassait sur la porte d'argent 
les images en écriture comme on fait aux icônes des 
églises orthodoxes. 

Dans une niche, auprès d'une fenêtre, m'attendait 
Seyyed Ahmed, khoddam-bachi (chef des serviteurs) 
entouré de seyyeds et de mollahs. Son père, Mir 
Fatha, chef des gardiens du tombeau, était à Tauris 
pour affaires. Lui-même a dépassé la trentaine, grand, 
gros, la barbe noire très courte, les cheveux rasés sous 
son turban noir. Il se fit remettre un paquet de clefs, 
enveloppé d'un linge, en rompit le sceau et les gens 
de la famille déplièrent successivement devant nous 
les dix-huit tapis de prière, gloire de la mosquée 
d'Ardébil. Ce sont de petits tapis, spécialement 
fabriqués aux xvifi et xvii© siècles, à Tauris, 
Ispahan et Kerman pour être offerts au saint tom- 
beau par de pieux donateurs. Les noms des douze 
imams forment la bordure... En haut, la profession 
de foi chiite, la maxime : « Il faut se hâter de prier 
avant que le temps ne passe » ou bien le verset du 
Trône : « Dieu 1 II n'y a de Dieu que lui, le Dieu 
vivant, existant par lui-même, qui jamais ne dort ni 
ne sommeille... » Les fonds blancs sont fréquents ; 
les nuances, fondues par les années, d'une merveil- 
leuse délicatesse. 
Seyyed Ahmed me conduisit dans le Tchini Khaneh, 

Aubin. — La Perse, 8 



114 LA PERSE d'aujourd'hui 

une rotonde communiquant avec la chapelle. A terre 
était aligné le trésor des porcelaines, porcelaines de 
Chine et de Perse, vases, bols, plats, assiettes, aiguiè- 
res, une lampe en verre avec inscriptions. Sur toutes 
ces pièces était imprimé « le Chien du seuil d*Âli » 
ou « l'Esclave (d'^Ali, Schah «Abbas », le cachet du 
souverain qui les offrit au tombeau de son aïeul. 

Un firman royal confie à la « famille du Cheikh » 
la garde de ces tombeaux. Il reste à Ardébil une cen- 
taine de seyyeds Séfévis, ayant part aux bénéfices; 
les autres résident à Ispahan, qui fut la dernière capi- 
tale de la dynastie. L'ombre du Cheikh Séfi est deve- 
nue moins lucrative qu'autrefois. En dehors des tapis 
et des porcelaines, il ne subsiste plus aucune fonda- 
tion pieuse. ""Abbas Mirza porta une main sacrilège 
sur les villages, donnés naguère par les souverains, 
afin d'assurer le sort de leur parenté, et les fit vendre 
au profit du fisc; en compensation, les tombeaux 
reçoivent annuellement la proportion dérisoire de 
90 kharvars de blé. Après les avoir ainsi ruinés, les 
Kadjars s'employèrent [à détruire l'influence des 
seyyeds, en excitant contre eux mollahs et moudj- 
teheds ; si bien que, malgré leur illustre origine, les 
Séfévis sont devenus quantité à peu près négligeable, 
et l'on ne juge même plus nécessaire de les pensionner. 
Néanmoins, les tombeaux font encore leurs frais ; 
les paysans des alentours y demeurent fidèles ; il y 
a foule le jeudi et pèlerinage spécial aux grandes 
fêtes musulmanes. Ceux du Caucase et de l'Azer- 
baïdjan ne manquent jamais de visiter Ardébil avant 
de se rendre aux lieux saints. Les derviches y vien- 
nent de toute la Perse, quelques-uns même du 
Turkestan et de l'Inde. Cette affluence vaut aux 



DK TA.URIS A LA. CASPIENNE 115 

tombeaux une quantité appréciable de poulets et 
de moutons, avec une somme d'argent assez ronde. 
n parait aussi que les propriétaires des villages» 
autrefois wakf s de la mosquée, s'emploient à racheter 
par leurs offrandes la faute de leurs ancêtres, ache- 
teurs de ces biens nationaux. Malgré son autorité 
limitée, Mir Fatha passe pour riche ; on lui attribue 
200.000 tomans de fortune, il possède quelques parts 
de villages, notamment celui de Kelkhoran, où habi* 
tait la famille avant sa venue à Ardébil et où serait 
enterré Cheikh Amin-ed-Din Djebraïl, père du 
Cheikh Séfi. 

Tout s'efface, à Ardébil, devant le tombeau du 
Cheikh. Avant de devenir un entrepôt du commerce 
russe, la ville n'avait d'autre raison d'être ni d'autre 
moyen d'existence. Sur la route de Tauris, la forte- 
resse est un quadrilatère entouré de fossés, de doubles 
murs et de bastions d'angle ; elle fut, dit-on, fondée 
par les Turcs. «Abbas Mirza la reconstruisit sur les 
plans des officiers français envoyés en Perse par Napo- 
léon avec la mission du général Gardane. L'intérieur 
contient le palais du gouverneur, quantité de cours 
et de bâtiments qui servaient naguère de prison 
d*État; on y enferma plusieurs fils de Feth ''Ali Schah, 
dont le nombre et l'esprit d'intrigue constituaient un 
danger public. 

20 kilomètres d' Ardébil à Namin, à travers les 
champs cultivés de la plaine. Nous nous dirigeons à 
l'est, par la chaussée d'Astara. Il a plu toute la nuit, 
la route, qui n'est pas encore macadamisée, est 
pénible pour les chevaux ; les nuages couvrent les 
montagnes. Au petit village de Novadeh, nous tra-* 
versons le Karasou, pour pénétrer dan9 le Taliche. 



116 LA PERSE d'aujourd'hui 

Sur les premières pentes du Guervé-Dagh, au som- 
met duquel passe la ligne-frontière russo-persane, 
le gros bourg de Namin : 1.500 maisons dans les peu- 
pliers et les saules» entourées de jardins fruitiers» déjà 
jaunis par l'automne. 

Le Taliche comprend la chaîne côtière de la Cas- 
pienne, du Kour au Chafiroud, près d'Enzéli. La pro- 
vince» préservée des invasions par sa situation même, 
demeura iranienne. Coupés de l'Iran par les Turcs et 
les Mongols» les Iraniens du Nord durent développer 
eux-mêmes leur langue et leur nationalité; les 
influences turques et arabes» si fréquentes chez les 
Persans» ne pénétrèrent point chez eux ; et le dialecte 
ialichU comme ceux du Guilan et du Mazandéran» 
conserve plus de traces des idiomes antérieurs à la 
langue persane. Mais ce dialecte n'est pas écrit ; il 
descend au rang d'un simple patois» bon tout au plus 
pour la poésie populaire. Le turc pénètre peu à peu ; 
déjà» à l'extrémité de la plaine d'Ardébil» le district 
de Velkidj, dit, pour cette raison» le Taliche Turc» 
est presque complètement turquifié ; dans les villes» 
à Lenkoran» à Astara» les gens cultivés parlent le 
turc. 

Des khans locauxse partageaient le pays» quand» au 
commencement du xviii® siècle» un Seyyed Mir 
«'Abbas apparut au village d'Olouf» dans le Lenkoran. 
Ses vertus lui valurent une clientèle et la famille 
des Olouflou grandit de la sainteté de son auteur ; 
dans leur petit domaine» les seyyeds du Taliche com- 
mencèrent une fortune analogue à celle des Séfévis 
dans tout le royaume. En 1743» Mir Kara» le fils du 
pieux seyyed, se trouvait déjà assez puissant pour 
rendre à Nadir Schah des services appréciables au 



DE TAURIS A LA CASPIENNE 117 

cours de la campagne du Daghestan. Il devint Kara- 
beg et reçut plusieurs villages. Lors de la décompo- 
sition de la Perse, la famille» riche et puissante, était 
en mesure d'aspirer à l'indépendance ; Mir Hasan 
Khan avait détruit les petits princes du Taliche et 
réuni toute la province; allié avec les grandes tribus 
du voisinage, il commençait à menacer Recht et, 
négociant en sous-main avec les Russes, il tenait tête 
aux Kadjars. En 1813, le traité de Gulistan attribua 
à la Russie le Taliche de Lenkoran. Alors, Mir Hasan 
se retourna vers Feth **AU Schah et guerroya, dans ses 
montagnes, contre les conquérants ; les plaintes des 
Russes le firent emprisonner à Ardébil; mais^'Âbbas 
Mirza voulut récompenser un tel homme de son patrio- 
tisme et de sa bravoure. Son fils, Mir Kazem, devint 
gendre du prince et reçut, à titre héréditaire, le 
gouvernement des trois districts d'Astara, Velkidj 
et Oudjaroud, avec la garde de la frontière. Sur le 
territmre ainsi concédé s'éleva le bourg de Namin : 
3.000 familles de réfugiés, quittant Lenkoran, vin- 
rent peupler le nouveau village et le district de 
Velkidj. Le reste du Taliche fut rattaché au Guilan. 
A la mort de son père, il y a cinq ans, Mir Sadik 
Khan, Saarem-os-Saltaneh (le sabre de la dynastie), 
est devenu Khan de Namin. Il n'a pas trente ans et 
vit avec ses jeunes frères. Un mollah de village lui 
apprit, dans le Coran, la lecture et l'écriture, le persan, 
un peu d'arabe ; la langue usitée dans la famille était 
le turc. Plus tard, un professeur vint de Tauris, qui 
resta dix-huit mois à Namin pour enseigner le fran- 
çais. Son intruction s'est bornée là ; il n'a pas voyagé; 
de temps à autre, il passe quelques jours à Ardébil 
afin d'y vendre son blé et régler ses affaires. Car 



118 LA PERSE D'aujourd'hui 

il relève nominalement du gouverneur de la province : 
en fait» il ne lui fournit ni argent, ni soldats ; l'impôt 
qu'il devrait payer est dépassé par les pensions dont 
jouit une famiUe aussi puissante» chargée de faire, 
avec ses propres cavaliers» la police de la frontière. 
Si Mir Sadik est allé à Tauris, ce fut pour s'y marier 
avec la sœur d'un moudjtehed de la ville. Il demeure 
constamment à Namin» d'où il administre ses trois 
districts et les douze villages qui constituent son bien 
personnel. Deux journaux» auxquels il est abonné, le 
tiennent en contact avec le monde extérieur: le 
Mollah Nasr-ed'Diiif journal satirique» qui paraît à 
Tifflis en turc azéri, et l'Habl-oul-Matin, publié en 
persan à Calcutta ; il y puise des idées libérales et 
apprend à critiquer les gouvernements. 

Sa maison est grande et confortable. Il me reçut» 
entouré de ses frères» de deux de ses oncles» portant 
l'uniforme militaire : Mansour-é-Nizam (le victorieux 
de l'armée) et Mobasser-os-Saltaneh (le clairvoyant 
de la dynastie). Ces deux Émirs Toumans passèrent 
la journée à jouer au trictrac dans une boîte en mar- 
queterie persane» où les deux côtés du jeu se trou- 
vaient s^arés par une inscription : 

Depuis que j'ai joué et que j'ai perdu votre amour, 
mon cœur se trouve placé dans la sixième case — 
[celle où un pion reste enfermé» les dés n'ayant que 
six points] — et mes forces se sont évanouies. 

De la terrasse de sa maison» Mir Sadik voit son 
village» remontant sur les deux bords de la rivière» 
le minaret de la mosquée» les petites coupoles des 
deux bains» les cent boutiques du bazar» les nom- 
breux balakhanèhs et les jardins de sa parenté. Car 



DS TAUMS A LA CASPIENNE 119 

Velkidj tout entier appartient à la famille des kha- 
0€uiin (pluriel de khan), groupée dans le district 
et autour de Lenkoran; bien que le khan de Namin 
nomme les sous-gouverneurs d'Astara et d'Oudja- 
roud, les siens n'y possèdent guère de villages. Les 
Olouflou tiennent de leur origine chérifienne l'avan- 
tage de réunir entre leurs mains l'autorité tempo- 
porelle avec l'influence religieuse; leurs seyyeds, 
morts ou vifs, sufBisent à la vénération desadministrés. 

Non point que toute la population du Taliche soit 
chiite : il y a dans la montagne des endroits reculés, 
où n'ont pénétré ni la prédication du Cheikh Séfi, ni le 
les armes de ses descendants. Dans le Velkidj, une 
demi-douzaine de villages sont restés purement 
sunnites ; il en existe d'autres vers Lenkoran et Âstara; 
de même les tribus nomades ont conservé l'ancienne 
croyance. Les villages sunnites possèdent leurs kazis 
propres ; tous s'inclinent devant la science d'un 
mufti, élevé à Constantinople, Cheikh Mohammed 
Séid, qui vit dans la montagne, au-dessus d' Astara. 

Nous avions fait un léger détour pour venir à 
Namin ; nous rejoignons la grand'route au petit vil- 
lage d'Arpa-Tépé. Elle remonte un vallon, traversé 
d'eaux courantes, où le bétail trouve à paîtreune herbe 
très verte ; dans les creux, la montagne pelée se recou- 
vre de broussailles, et de quelques pousses de hêtre. 
La pluie, habituelle sur les bords méridionaux de la 
Caspienne, tombe fine et serrée ; le chemin devient 
de plus en plus mauvais; les chevaux marchent 
péniblement sur la boue glissante ; parfois les 
voitures enfoncent jusqu'aux essieux. Près du col, 
une longue fondrière ; les caravanes, venant d'Astara, 
s'y sont embourbées depuis la veiUe ; les chameaux 



120 LA PERSE d'aujourd'hui 

ont dû s'arrêter» leurs pieds plats n'avaient plus 
prise sur le sol aussi incertain ; la route est jonchée 
de barils de pétrole, qu'il a fallu abandonner» pour 
dégager les bêtes de charge ; nos cavaliers les écartent 
et donnent ainsi passage aux voitures. 

Sur l'autre versant, descente en lacets rapides. 
Les travaux ne sont point achevés, de gros blocs de 
rochers encombrent le chemin. Une voiture verse : 
aussitôt les cavaUers la relèvent, en invoquant Allah, 
Mahomet et "Ah. Les nuages empêchent la vue qui» 
par temps dair, devrait embrasser tout le Tahche, 
d'Astara à Lenkoran. La montagne est nue ; les 
labours remontent très haut sur les pentes ; les se- 
mences d'automne commencent à germer ; des ronces, 
des arbres isolés, — chênes et hêtres. — Les 230 ten- 
tes do la tribu des Darilou, qui redescendent l'hiver 
dans la forêt, occupent les pâturages durant l'été. 
Depuis Namin, 18 kilomètres, que nous avons mis 
plus de cinq heures à parcourir. 

La forêt commence au village de Héiran, dont les 
maisons de bois, au toit fixé par de grosses pierres, 
s'éparpillent dans un fond. Désormais, la route est 
bonne, bien que coupée, de temps à autre, par des 
éboulements. Elle suit la gorge étroite de la rivière 
d'Astara, qui marque la frontière. De tous côtés, 
lui viennent des torrents et des cascades tombant 
sur les roches moussues. C'est la splendeur de la 
forêt des régions caspiennes : un immense fouiUis 
de chênes, de hêtres et de platanes. 10 kilomètres 
plus loin, à Baharistan, la vallée s'élargit, les mon- 
tagnes s'abaissent en coUines, les rivières se forment, 
la forêt devient plus variée d'essences : des sureaux, 
des grenadiers, des figuiers sauvages, apparaissent. 



DE TAURIS A LA GASPIEKNE 121 

L'aspect des maisons en bois, aux interstices rem- 
plis de terre, est très misérable. A l'entrée de la plaine» 
un pont a été emporté. Nos voitures ne peuvent aller 
plus loin ; la nuit est déjà tombée. Par bonheur, le 
téléphone a prévenu les gens d'Astara, qui viennent 
à notre rencontre. 

Astara est une petite ville de 3.000 habitants, sise à 
l'embouchure de la rivière, par conséquent à la fron- 
tière même. Un pont la fait communiquer avec Astara 
russe. Après les constructions en terre et la rare verdure 
des hauts plateaux, on ne se croirait plus en Perse; 
l'aspect est très méridional : les cases en bois ou en 
terre blanchie à la chaux, recouvertes de paille de riz; 
les jardins enclos de claies de roseaux; les habitations 
d'été, les lams à deux étages, ouverts aux quatre 
vents, dont le toit de chaume est supporté par des 
poutres de bois ; les portes à auvent ; les toitures en 
tuile des maisons ; les boutiques en plein air, précé- 
dées d'une galerie extérieure, — tout cela disparaît 
sous les saules, les acacias, les figuiers et les mû- 
riers, parmi les buissons de grenadiers. 

A la différence d' Astara russe, simple poste fron- 
tière et village de pêcheurs, Astara persan, port 
d'Ardébil, et, partant, de tout le Nord-Ouest de la 
Perse, prend une importance commerciale considé- 
rable. La douane y a été fort bien installée par les 
préposés belges. Les marchandises, une fois descen- 
dues des kéredjis, aux rames arrondies, qui, des 
navires, les portent à terre, trouvent une voie Decau- 
ville pour les amener aux magasins. Les terrains du 
rivage, le droit de benderi ou d'atterrissage appar- 
tenaient aux khans de Namin; la douane dut 
négocier avec eux ; les khans construisirent bureaux 



122 LA PBR8B d'aujourd'hui 

et hangars, et touchent, à titre d'indemnité, une 
annuité de 12.500 tomans... En 1905-1906, il est 
entré par Astara pour 11 millions 1 /2 krans de sucre, 
plus d'un million de pétrole, autant de fers et d'aciers, 
9 millions et demi de cotonnades, 300.000 de verreries, 
162.000 de faïencerie, 480.000 de mercerie. H est 
sorti pour 11 millions 1/2 de fruits, 620.000 de 
gommes, 800.000 de peaux. 

Le commerce d' Astara se trouve entièrement entre 
les mains de sujets russes musulmans, la plupart turcs 
de Bakou ; ils sont agents des compagnies de navi- 
gation et réexpédient les marchandises vers Ardé- 
bil ; le commerce local est insignifiant ; on n'exporte 
à Bakou qu'une petite proportion de cocons, de riz 
et de bois. 

Malgré son mauvais état actuel, la chaussée en 
construction facilite grandement les communications 
entre Astara et Ardébil. Elle avait été concédée à 
une société persane et tracée par un ingénieur indi- 
gène, Soléiman-Khan, ancien élève de l'École poly- 
technique de Téhéran. L'affaire paraissait bonne ; 
le passage journalier comporte de 6 à 1.500 bêtes de 
charge, payant trois krans chacune; les recettes 
mensuelles pouvaient s'élever à 10 et 12.000 tomans... 
Malheureusement, la discorde se mit dans la Société, 
la comptabilité présentait des irrégularités ; les par- 
ties lésées mêlèrent les Russes à la bagarre, et une 
bande de Cosaques, faisant irruption par delà la 
frontière, les ont récemment introduits dans la place, 
à la barbe des autorités locales. La route possède 
maintenant un directeur russe. 

Les statistiques douanières d'Astara accusent, 
l'an passé, une exportation de 550.000 krans de pois- 



DE TÀURIS A LÀ GÀSPXBKNE 123 

son. La Compagnie Lianozoff, d'Astrakan, a acquis 
le monopole des pêcheries persanes de la Caspienne. 
Astara est une de ses stations principales. L'établis- 
sement est situé en dehors de la ville, à l'extrémité 
d'une lande parsemée de grenadiers nains. Les bu- 
reaux, le logement du directeur et des employés, 
les longues maisons des ouvriers, un hôpital de sept 
lits, les ateliers de construction et de réparation des 
bateaux, l'étalage des filets séchant au soleil, s'agglo- 
mèrent sur les deux bords d'une petite rivière, qui 
forme une courbe allongée en se jetant dans la mer. 
Une centaine de barques à fond plat, montées par 
trois ou cinq hommes, vont constamment au large 
de l'embouchure, à la pêche du saumon et de l'es- 
turgeon. Douze postes, échelonnés depuis Enzéli 
aux divers estuaires de la côte et reliés entre eux par 
téléphone, envoient leurs poissons à la station cen- 
trale dans des barcasses à vapeur. Astara emploie 
400 ouvriers, dont la moitié russes; ceux-ci sont 
chargés des besognes techniques; ils ont, chaque 
année, deux mois de congé, juillet et août, qu'ils 
vont passer dans leur pays. Un bateau, sa voile 
unique déployée au vent, entre dans l'estuaire et se 
range le long du quai. Il y jette le produit de sa pêche, 
quatre gros esturgeons. On en retire tout d'abord le 
caviar, gris, crémeux, qui est aussitôt lavé et passé 
au tamis ; puis, d'un coup de hache, un ouvrier fend 
la tête, ouvre le corps, brise l'arête médiane et en 
retire la moelle. Le poisson se trouve prêt à être salé 
puis expédié à Astrakan. 

65 milles d' Astara à Enzéli ; les communications 
sont à peu près journalières entre les deux ports. 
La Compagnie Caucase et Mercure fait un service 



124 LÀ PERSE d'aujourd'hui 

postal bi-hebdomadaire ; la côte du Taliche se pour- 
suit; les sommets dénudés, les pentes couvertes de 
forêts admirables ; au bord de la mer, une bande 
étroite de plat pays. Puis, la côte du Guilan^ s'in- 

. 1. Enzéli, le principal port persan du littoral de la Caspienne, se 
trouve à rentrée de la vaste lagune du Mourdab; les barques la tra- 
versent, pénètrent dans une étroite rivière et accostent au village de 
Piré-Bazar, à 10 kilomètres de Recht. Le traité deTourkmantchal 
contient un long protocole, réglant dans ses plus minutieux détails 
la réception d'un agent diplomatique par le Schab de Perse. En vertu 
de ce document suranné, les infortunés envoyés étrangers revêtent 
leurs uniformes à Enzéli, traversent solennellement la lagune et re- 
çoivent, à Piré-Bazar, les honneurs d*un istikbal qui met bien inutile- 
ment sur pied les autorités et les troupes de la viUe. Si les diplomates 
se laissent trop souvent déconcerter par la simplicité américaine, 
il leur reste pour compensation la prévoyance russe et le respect de 
l'Asie. 

Recht est une ville sale et humide de 30.000 habitants, dont les 
malsons, recouvertes de tuiles, se perdent dans la grande forêt des 
régions caspiennes. Elle est le centre du commerce des soies en Perse 
et intéresse, à ce titre, Tindustrie lyonnaise. Détruite par la mala- 
die des vers à soie, la sériciculture, célèbre Jadis, avait à peu près dis- 
parue du pays, quand elle fut rétablie, il y a une quinzaine d'années, 
par un graineur grec, qui introduisit des graines pasteurisées. En 
1899, la maison Bonnet, de Lyon, prit pied à Recht, et y bâtit une 
coconnerie; deux ans plus tard, son exemple était suivi par la 
maison Terrail Payen. La maison Cosséry s'installa dans la cam- 
pagne pour la vente de graines. Un Persan, Bmin-es-Zarb, avait 
confié à des Français la construction et Tadministration d'une filature 
n existe actuellement 48 coconneries, appartenant à des Persans, 
des Grecs, des Arméniens. La récolte du Guilan peut atteindre 7 ou 
800.000 batmans : les coconneries, devenues trop nombreuses, 
rintroduction de graines de mauvaise qualité, Texcès de graines et 
la détérioration des cocons ont abîmé le marché, les affaires péri- 
clitent. Pour remédier à cette situation, le gouvernement persan 
a voulu réglementer la sériciculture et vient d'engager en France 
un inspecteur. 

Les trois maisons françaises établies au Gulan sont installées à 
Recht et à Lahidjan. Elles peuvent absorber 200.000 batmans de 
cocons, soit un quart de la production totale. Une d'entre elles, 
seulement, la maison Cosséry fait le commerce des graines; la plupart 
sont introduites, pendant rhiver, par des Grecs, qui importent par 
le Caucase, le transit russe étant ouvert à cette marchandise, des 
graine de Brousse et des côtes de la mer de Marmara. La graine se 
vend le plus souvent à crédit, et le graineur doit faire des avances, 
dont il est par la suite remboursé en cocons. Vers le 15 avril, quand 
apparaissent les premières feuilles du mûrier, on met les graines à 
l'éclosion : la récolte commence en juin. C'est alors qu'arrivent les 



DB TAURIS A LA CASPIENNE 125 

fléchit vers Test, et les montagnes s'écartent du ri- 
vage. 

représentants des maisons de Lyon ; la campagne achevée, les cocons 
étouffés et séchés dan les coconneries, nos gens quttent le pays, 
an mois de septembre. Les cocons de Recht sont expédiés à Marseille 
et à Gènes. En 1905-06, le conmierce français a absorbé pour 
12.769.142 francs de cocons sur un total de 13.576.358. 

' Une chaussée à péage, construite par les Russes, monte de Recht à 
Kazvin ; elle traverse la forêt, s'engage dans la passe du Séfl-Roud, 
passe les olivettes de Roudbar et le pont de MendJU pour déboucher 
sur le plateau d'Iran. 



r 



I 



VI 

LE CHANGEMENT DE RÈGNE 



La mort de Mouzaffer-ed-Din Schah. — Le Giilistan. — Le 
Talar des Brillants. — Cérémonies funèbres. — Translation 
provisoire du corps au Tékich. — Le Khatm, — L'enterrement 
se fera-t-il à Kerbéla? — Le couronnement de Mohammed 
"Ali Scliah. — La tiare des Kéyaniens. — L'astrologue du 
Palais. — La salle du musée. — Le trône de Feth «Ali Scliah. 

— La cour de Perse : les Moustofls; la tribu des Kadjars. 

— Discours officiels : la Khotbé du prédicateur, la Kaaidé 
du poète de cour. — Téhéran illuminé. — Le Salcan du Roi 
des Rois. — Le Derbar; le trône de marbre. — L'«Aïd-é- 
Kourban. — Sacrifice du chameau. — Le sacrificateur 
représentant le Schah. — Désignation du nouveau YélUahd 

— La loi de succession dans la dynastie kadjare. 

Téhéran, janvier 1907. 

MouzafFer-ed-Din Schah est mort, le 8 de ce mois, 
à l'âge de cinquante-trois ans. Souffrant d'albumi- 
nurie, il était, depuis plusieurs années déjà, condamné 
par les médecins. 

Dans l'intérieur de l'Ark, où résident, à l'abri de 
murailles crénelées, le souverain et le gouvernement 
de la Perse, il existe une grande cour carrée, qui 
constitue le biroun royal. Le Gulistan est un fort beau 
jardin, planté de platanes, de pins et de cyprès» 
coupé de vastes pièces d'eau. Les constructions 
furent élevées par Nasr-ed-Din Schah, sur l'empla* 



LK GHANOSMBNT DB RÈdNE 127 

cernent des palais de Kérim-Khan le Zend et de 
Mohammed Schah. Dans un coin, une petite cour 
garde encore, avec le nom de Kérim Khan, un reste 
des bâtiments primitifs. Le côté nord comporte : 
le palais du musée, celui des Brillants et s'achève 
par une longue orangerie, où citronniers, orangers et 
cédratiers poussent en pleine terre, des deux côtés 
d'une eau courant sur des faïences bleues ; plus 
loin, le Palais Blanc, servant aux réceptions souve- 
raines. Je Tékiéh, pour les représentations religieuses 
des jours saints, le Sandouk-Khanéh (garde-meubles) 
et le Chems-el-^Imarei (le soleil des palais), dont les 
tours jumelles découvrent la masse grise de Téhéran, 
les pentes boisées de Chemran, la ligne neigeuse de 
TElbourz et la pyramide du Démavend. 

MouzafiFer-ed-Din vécut ses derniers jours dans le 
TaloT des Brillants, composé de plusieurs pièces, aux 
parois revêtues de cristal taillé, selon le goût persan. 
Les larges fenêtres, accolées les unes aux autres, 
s'ouvrent sur la verdure du Gulistan. La chambre 
principale est meublée à l'européenne : quatre grands 
portraits en surmontent les portes : ceux de Moham- 
med Schah et de Nasr-ed-Din, deux du Schah qui vient 
de mourir ; des tables, des pianos, des bahuts chinois 
et italiens, des stéréoscopes achetés à Paris, trois 
cheminées avec chenets et garde-feu, une statuette 
de la reine Victoria, une vue du Colisée, le tableau 
des membres de la Légion d'honneur, dressé à l'oc- 
casion du centenaire, un portrait de Porfirio Diaz, 
s'alignent le long des murs. Des orchidées, des fleurs 
rares garnissent les jardinières ; les lustres sont éclai- 
rés à la lumière électrique ; des tapis de Tauris et de 
Kerman recouvrent le plancher. 



128 LA PERSE d'aujourd'hui 

Le Schah y est mort à 10 heures du soir. A l'ap- 
proche de sa fin, la couche du moribond fut tournée 
dans la direction de la Mecque. Ses fils étaient là, 
ainsi que les principaux personnages de la cour, 
le SadrA<^zam (premier ministre) et le Seyyed-è- 
Bahreini, un chérif originaire des îles du golfe Per- 
sique, que le souverain s'était attaché, afin d'acquérir, 
par son intermédiaire, les faveurs inhérentes à la 
descendance du Prophète. Selon la coutume isla- 
mique, qui ne veut faire entendre d'autre parole aux 
mourants que la profession de foi musulmane, les 
assistants récitèrent la formule chiite: « Il n'y a 
de dieu que Dieu; Mahomet est son prophète et ''Ali 
le lieutenant de Dieu. » Après le décès, tous pronon- 
cèrent la Faiihé ^ spéciale au culte des morts. La porte 
de l'andéroun fut aussitôt fermée ; nul n'était plus 
en droit d'y pénétrer, le harem ayant perdu son 
maître. 

Il fut procédé, séance tenante, au lavage du corps. 
Quand il s'agit des rois de la Perse, la corporation 
ordinaire des laveurs des morts ne saurait être appe- 
lée ; leur office veut être rempli par quelques memJ)res 
de la famille régnante. Un Schahzadé^ Hadji Féri- 
doun Mirza, pratiqua les trois lavages successifs ; 
avec de l'eau pure, une solution de bois de cèdre, 
une solution de camphre. Enveloppé dans un triple 
linceul, le cadavre fut placé dans un cercueil tempo- 
raire, la face inclinée vers la kiblaK On lui mit aux 

1. Le Fatihé comporte la !'• sourate du Coran . On y joint la sourate 
CXII «Dis : Dieu est un. C'est le Dieu à qui tous les êtres s'adressent 
dans leurs besoins. JX n'a point enfanté et n'a point été enfanté.,. 
Il n'a point d'égal en qui que ce soit » , que Ton rédte dans les 
enterrements et en visitant les cimetières. 

2. Direction de la Mecque. 



^ LE CHANGEMENT DE RÈGNE 129 

pieds et aux mains un peu de terre de Kerbéla, au 
cou un collier de même composition ; sous les aisselles, 

' deux tiges de bois, pour lui permettre de se relever 
plus aisément, quand, la nuit suivant l'inhumation» 
les anges Nakir et Monkir viendront aux côtés du 

^ mort l'interroger sur les actes de sa vie. — Entre 
temps, les mollahs accourus avaient commencé les 
prières mortuaires. 

t Le lendemain, à 3 heures de l'après-midi, sans 

grand apparat, le cercueil traversa le Gulistan pour 
gagner le Tékie^. On le mura dans une niche de 

V la vaste rotonde ; au-dessus fut placé un portrait 
en pied du défunt ; le tout entouré d'un édifice de 
feuillage et de fleurs, où brillait la lumière des bou- 

f gies. Les troupes se rangèrent sur les gradins. La 
corporation des lecteurs de Coran se relaya pour 
assurer la permanence des pieuses lectures. Pour les 
morts ordinaires, la cérémonie du khatm s'effectue 
dans la maison même et y dure trois jours. La famille 

f se groupe autour d'un catafalque et reçoit les visi- 

I teurs. Ceux-ci apportent leurs condoléances, ^récitent 
quelques versets du Coran, boivent du café sans sucre 

^ et font une ablution rapide avec de l'eau de rose. Pour 
un Schah, le khatm s'effectue dans le iékieh du Palais, 
aussi bien que dans les principales mosquées de la 

^ capitale; il se prolonge jusqu'à l'enterrement défi- 

\ nitif. 

Or, rien n'est encore fixé quant aux destinées 

' futures du corps de Mouzaffer-ed-Din Schah. C'est 
une pieuse coutume chez les Persans que de vouloir 

1. Le Tékiéh est la rotonde attenante au Palais Royal, où, pendant 
^ les dix premiers jours du mois de Moharrem sont représentés les mys- 
tères chiites. 

Aubin. — La Perse. • 



130 LÀ PERSB d'aujourd'hui 

dormir leur dernier sommeil auprès des tombeaux les 
plus vénérés du chiisme, et chacun prend soin de 
spécifier, dans son testament, le voisinage mortuaire 
qui lui agrée. Il va sans dire que les lieux saints 
exercent l'attraction la plus forte : la tombe de 
rimam Réza à Méchhed attire également bon nombre 
de convois funéraires. Les premiers Séfévis se firent 
enterrer à Ardébil auprès de leur auteur, le cheikh 
Séfi. Les souverains postérieurs préférèrent la rési- 
dence de Koum, sanctifiée par Fatémé la Pure, une 
sœur de l'Imam Réza. Nasr-ed-Din Schah dut se con- 
tenter du sanctuaire local de Schahzadé "Abdoul 
*Azim, près de Téhéran, où il avait eu la malchance 
d'être assassiné. Les prétentions de Mouzafler- 
ed-Din ont été moins discrètes; ses volontés der- 
nières réclament le séjour de Kerbéla, mais le trans- 
port d'un cadavre royal, son entretien chez l'Imam 
Hoséin, sont choses fort onéreuses ; si bien que l'on 
hésite encore à l'exporter en territoire turc. 

L'état du Roi était si désespéré que, depuis plu- 
sieurs semaines, le Véli^'ahd avait été appelé de Tau- 
ris. Le prince héritier, Mohammed *AU Mirza, se trou- 
vait donc à Téhéran, lors de la mort de son père ; il avait 
même été chargé de la régence du royaume. Quand le 
cercueil fut emporté du ialar des Brillants, Moham- 
med 'AU Schah l'occupait déjà en souverain; la foule 
des courtisans se pressait autour du nouveau maître 
et l'étiquette persane prohibait toute allusion à 
l'incident survenu. A la hâte, les femmes du Schah 
défunt vidaient l'andéroun; il n'y restait que les 
enfants en bas âge et les filles non mariées. 

En Perse, l'aigrette pxée sur le bonnet d'astrakan 
devient le signe de la royauté. L'imposition du 



LS CHANOSMSNT DS RÈONS 131 

kolâh^ orné de Taigrette, constitue donc le couron- 
nement. Jusqu'ici les rois kadjars y avaient procédé 
dans l'intimité et sans apparat. D'ordinaire, l'événe- 
ment, qui les élevait au trône, les surprenait à Tauris ; 
ils se couronnaient d'un geste rapide, en présence 
de leur entourage et de quelques mollahs. Puis, 
le prince se mettait en route, accompagné de toutes 
ses forces et gagnait sa capitale dans l'incertitude 
d'une succession peut-être disputée, au travers de 
l'agitation des tribus nomades, travaillées par l'a- 
narchie des changements de règne. Il entrait à Téhé- 
ran sans tambours ni trompettes, s'installait dans 
l'Ark, et, quelques instants après, Vlmam Djoum'é 
se présentait à lui pour lui placer sur la tête la tiare 
des Kéyaniens. 

En 1722, l'invasion afghane enleva d'Ispahan le 
trésor des Séfévis. Nadir Schah le reconstituait dix- 
sept ans plus tard, en rapportant de Delhi, avec les 
dépouilles du grand Mogol, plusieurs des pièces dispa- 
rues. Au moyen des pierreries conquises dans l'Inde, 
l'aventurier Afchar fit, d'après les traditions ancien- 
nes, restituer la couronne de Perse. Le souvenir de 
la première dynastie historique de l'Iran, celle de 
Keyomers, qui fournit nos Achéménides, c'est-à- 
dire Cyrus, Cambyse et Darius, lui fit attribuer le 
nom de Tadj-i-Keyan^ la tiare des Kéyaniens. C'est 
un monument considérable, superposant trois étages 
de perles et de pierreries. 

Il fut décidé que le couronnement de Mohammed 
*AU Chah revêtirait, pour la première fois, un carac- 
tère solennel. Les circonstances avaient changé. 
La pénétration des idées européennes adoucissait 
la séculaire intransigeance des éléments religieux. 



132 LA PERSE d'aujourd'hui 

Surtout» la récente introduction de la question per- 
sane dans la politique générale faisait mieux com- 
prendre aux Persans l'intérêt de procéder publique- 
ment à leurs fonctions nationales. 

Le Monedjdjim-BachU l'astrologue du palais, fixa 
le jour et l'heure de la cérémonie. Hadji *Abdoul- 
GhafTar Khan» Nadjm-ed-Dowleh — (l'étoile de 
l'État) — passe pour fort savant : il sait un peu de 
français et professa longtemps les sciences mathé- 
matiques à l'Ecole polytechnique de Téhéran. Blan- 
chi par les années, il vit retiré dans une vieille mai- 
son, au quartier de Sar-Tchechmé. En temps ordi- 
naire, sa mission principale consiste à déterminer 
l'instant précis du tahviU c'est-à-dire du passage 
de l'équinoxe de printemps, qui marque le début 
de l'année persane. En outre, il pubUe, chaque 
année les calendriers et almanachs, donnant la con- 
naissance des temps, avec des indications astro- 
logiques ; ses publications se répandent dans toute la 
Perse, vont au Caucase, en Asie centrale et jusqu'aux 
Indes. Avant lui, son père et son frère remplissaient 
déjà les fonctions d'astrologue royal. C'est en cette 
quaUté qu'il dut rechercher les conjonctions d'astres 
propices à la cérémonie d'inauguration du nouveau 
règne. 

Ayant établi ses calculs d'après les « Tables 
Ilkhaniennes » de Khadjé Nasir et Tousi, Nadjm 
ed-Dowleh tira les horoscopes requis, afin d'indiquer 
les instants prochains, où l'état du ciel présenterait 
des conditions suffisamment favorables au couronne- 
ment de Mohammed 'Ali Schah. Un événement si 
grave pour le pays tout entier requiert un examen 
particulièrement minutieux : pour bien faire» il 



LE CHANGEMENT DE RÈGNE 133 

faudrait réunir quarante-trois conditions positives 
et quatorze négatives. Avant tout, la néfaste influence 
de Merrikh (Mars) et de Zohal (Saturne) doit être 
très' faible ; celle de Mochiéri (Jupiter) et de Zohré 
(Vénus) prépondérante. Le soleil et la lune devraient 
occuper des maisons favorables, être proches l'un 
de l'autre, et le soleil voisin de Jupiter. Parmi les 
signes du Zodiaque, celui du Lion étant spécial aux 
souverains, il serait à désirer que le soleil s'y trouvât ; 
le signe du Scorpion est le meilleur pour la lune ; 
enfin, l'étoile même du souverain veut être dans une 
maison fixe ou dans le signe des Gémeaux, en regard 
de Jupiter ou de Vénus. En vertu de ces principes, 
les dates des 7-11-19 zilhidjdjé — (22-26 janvier; 
3 février), — l'heure de 5 heures après le coucher du 
soleil, furent recommandées par l'astrologue ; mais 
il dut y ajouter, devant l'impatience souveraine, 
le «soir du dimanche 4 zilhidjdjé », c'est-à-dire Je soir 
du samedi 9 janvier. Les conditions étaient un peu 
moins bonnes et, par malheur, la lune habitait une 
maison défavorable. Néanmoins, le Schah voulut pas- 
ser outre à cet inconvénient et, pour la commodité 
générale, il devança l'heure de son couronnement, 
qui eut lieu quatre heures et demie avant le coucher 
du soleil. 

Le palais du musée s'ouvre par un escaUer de cristal 
à double révolution; au milieu, jaiUit un jet d'eau. 
Au premier étage, à droite, la salle du musée : une 
longue galerie, sur laquelle s'embranchent des galeries 
latérales. Les vitrines contiennent des faïences et des 
porcelaines de toutes provenances, des vases, des 
candélabres, des pendules, des objets en malachite, 
— cadeaux des souverains de l'Europe; des por- 



134 LA PERSE d'aujourd'hui 

celaines de Chine, de Kachan et d'Ispahan. Au fond, 
dans une alcôve toute en glaces, le trône de Feth 'Âli 
Schah. C'était un lit de repos, en or émaiUé, offert 
au roi par le Sadr A^zam du temps, Hadji Mirza 
Hoséin Khan, pour une des concubines favorites» 
Thavous Khanoum (Mme Paon). Le pouvoir avait 
si bien enrichi cet homme d'État qu'il réussit à s'im- 
mortaliser par un aussi rare pichkech, ainsi que par 
ses nombreuses fondations à Nedjef et Kerbéla. 
Destiné tout d'abord aux ébats amoureux de Feth 
'AU Schah, le Ut, se vit transformé en trône par son 
petit-fils Mohammed Schah. Le trône des Paons» 
— ainsi nommé du fait de la dame qui l'avait primi- 
tivement occupé, — est une large estrade en or, par- 
semée de fleurs en émail ; six pieds recourbés le 
supportent, deux degrés y accèdent. Sur les côtés, 
au dedans et en dehors, court une inscription, dont 
les vers se répartissent en une succession de car- 
touches. Le trône était recouvert d'un tapis de cache- 
mire noir, à palmes bleues, entouré d'une bande 
large d'une vingtaine de centimètres, bordure de 
perles sur velours bleu; par dessus, un coussin ronct 
brodé de perles sur soie rose; au pied du trône, un 
grand tapis d'Ispahan, en soies verte et violette, 
décoré de broderies d'or. 

La cour se rangea dans la salle du Musée. Des deux 
côtés du Trône, huit princes kadjars, choisis, par pri- 
vilège, dans la descendance d'Abbas Mirza, pour tenir 
les armes royales, étincelantes de pierreries; puis les 
deux frères du nouveau Schah, Choa-os-Soltaneh (le 
rayon de la dynastie) et Azod-os-SoItaneh (le bras 
du souverain) ; au devant, tout seul, à droite des 
degrés, un enfant d'une dizaine d'années, Soltan 



LE GJkAKOEMENT DB RÈGNE 135 

Ahmed Mirza, celui des fils du roi qui doit être dési- 
gné comme prince héritier. Accroupis en cercle, une 
vingtaine de mollahs et de seyyeds, les plus illustres 
de la capitale ; aux deux premières places, les grands 
moudjteheds A. Seyyed Mohammed et A. Seyyed 
Abdoullah, Timam Djoumè, un gendre de Mouzaffer- 
ed-Din,chef officiel des ulémas; le professeur en renom 
Hadji Cheikh Fazloullah; Cheikh-oul-Reis» un prince 
kadjar, connu par ses écrits ; d'autres encore. 

Au corps diplomatique faisaient face, groupés 
autour du trône de Nadir S les grands dignitaires 
du royaume, vêtus de robes d'honneur, khalais en 
cachemire, attachés par des agrafes en brillants 
— chamsehs*. — Le Sadr A'^zam, Mirza NasrouUah 
Khan, Mochir-ed-Dowleh (le conseiller de l'État), 
se distinguait par l'ornement spécial à sa fonction : 
de grosses émeraudes pendant à des nœuds de perles. 
Dans la foule se trouvaient les Sardars de l'armée, 
un groupe de Moustofis et une délégation de la tribu 
des Kadjars. La poitrine des maréchaux persans 
ruisselle de brillants ; ils portent le grand cordon bleu 
à raie verte, insigne de leur grade, et des sabres 
enrichis de pierreries, dus à la munificence souveraine 

Les Moustofis revêtent la même robe de cachemire 
que les dignitaires de l'ordre civil ; mais le bonnet 
d'astrakan est remplacé chez eux par un turban 



1. Le trdne de Nadir faf rapporté de Delhi par le conquérant. U 
appartenait au grandmogol Mohammed Schah HindL C'est un fauteuil 
droit, à dossier élevé, tout couvert de pierres précieuses. 

2. Les chamsehs sont des distinctions conférées par le Schah de Perse 
aux fonctionnaires civils. Us sont accordés par firman et sont plus 
ou moins précieux selon les trois classes. Celui du Sadr A«zam est 
attaché à la fonction même et transmis par son prédécesseur à chaque 
nouveau premier ministre, ainsi que les autres signes distinctifs de 
sa foaeUon, la cbaSna â*où pand la cachet et récritoira. 



136 LA t>ERSE D^AUJOtmD'RUI 

élevé en cachemire blanc. C'est la caste des gens de 
plume qui s'est conservée à travers toute l'histoire de 
l'Iran. Les difficultés de l'écriture pehlevie exigeaient 
déjà des spécialistes comptables. Les Moustofis 
actuels ont fidèlement suivi la tradition sassanide : 
pour affirmer leur raison d'être, ils persistent à tenir 
leurs comptes en chiffres syak^ qui les rendent incom- 
préhensibles au commun des mortels. Ainsi sont-ils 
restés aussi impopulaires qu'indispensables ; il en 
existe dans toutes les administrations, répartis en 
deux classes, les civils et les militaires. 

La délégation des Kadjars représente la tribu 
conquérante, celle qui s'est imposée à la Perse avec 
la dynastie régnante. L'alternance des chefs religieux 
et militaires a présidé partout à la fondation des 
dynasties musulmanes; parmi les croyants, la confré- 
rie et la tribu se disputent Tautorité. Dans les deux 
derniers pays d'Islam, qui ont retardé leur transfor- 
mation en État moderne, notre temps retrouve 
encore un chérif couronné au Maroc» une tribu domi- 
nante en Perse. 

Les Kadjars vinrent sur le plateau d'Iran avec 
les premières invasions turques; les Mongols les 
installèrent dans les marches de la Syrie contre les Seld- 
joukides d'Anatolie. Tamerlan les ramena au Caucase. 
Trois siècles plus tard, la tribu décampa pour se fixer 
à Astérabad et dans la vallée du Gourgan, sur la 
limite des Turcomans. Du temps qu'ils habitaient 
les bords du Kour, les Kadjars avaient pris leur 
forme définitive ; ils s'étaient divisés en douze 
fractions, formant deux groupes principaux, d'après 
leurs occupations et leurs campements respectifs ; 
les gens d'en haut et les gens d'en bas, les Koyounlou 



LB CHANGEMENT DE RÈGNE 137 

et les Davalou (propriétaires de moutons ou de 
chameaux). 

Avec le xviii® siècle et la décomposition de 
la Perse, les Kadjars, devenus presque indépendants, 
s'étaient fort étendus ; ils occupaient la province 
d'Astérabad, une bonne partie du Khorassan et du 
Mazandéran, l'oasis de Merv, — sans parler de leurs 
colonies dispersées au Caucase et dans TAzerbaïdjan, 
Un homme des Koyounlou, Feth "Ali Khan, avait 
réuni tous les contribules sous son autorité. Une 
agglomération aussi compacte devait inquiéter les 
aventuriers divers, qui se succédèrent au trône. Ex- 
ploitant la jalousie réciproque des fractions kadjares, 
Nadir Schah, puis Kérim Khan le Zend réussirent à 
jeter les Davalou contre les Koyounlou. Feth *Ali 
Khan mourut assassiné; son fils, Mohammed Hasan 
s'enfuit au désert et perdit la vie dans une campagne 
infructueuse contre Chiraz ; le petit-fils, Agha 
Mohammed Schah fut fait eunuque par mesure de 
précaution et retenu comme otage à Chiraz. 

Alors commence la légende de la grandeur kad- 
jare. Kérim Khan meurt; une de ses femmes, tante du 
captif, allume un feu sur le toit du palais ; à ce signal 
convenu, Agha Mohammed profite du désarroi 
général; il part avec deux de ses cousins, Fazl «AU et 
Soléiman Khan ; sur la route du Nord, entre Ispahan 
et Kachan, la petite troupe enlève l'escorte d'un 
collecteur d'impôts et se grossit d'autant. A Djé- 
malabad, dans la plaine de Véramin, se trouvait 
un campement de Davalou, commandé par Djan 
Mohammed et Mirza Mohammed Khan; Agha 
Mohammed se présente à eux, les supplie d'oublier 
les vieilles dissensions de la tribu et de s'unir à lui 



13S LA PEASE D'AUJOURD'irUI 

pour la conquête de la Perse. Les Davalou de Djé- 
malabad furent les premières recrues de l'eunuque; 
à leur suite, la tribu s'ébranla toute entière. A la fin 
du xviii® siècle, la dynastie kadjare s'était imposée 
à l'Iran; elle se maintient encore, issue des neveux 
du fondateur. Téhéran devint capitale et se peupla 
de Kadjars. 

Depuis lors, si la tribu a transporté son centre 
d'Astérabad à Téhéran, elle n'en conserve pas moins 
ses positions primitives; son organisation demeure 
intacte; elle campe auprès des souverains qu'elle 
fournit au pays. Cependant la famille royale s'est 
dessaisie de toute autorité directe sur les contribules; 
les ilkhanis sont maintenant choisis par le roi dans 
un autre odjak des Koyounlou, celui des Iskenderlou, 
issu d'un frère cadet de Feth «Ali Khan. L'ilkhani 
actuel est Medjd-ed-Dowleh (la majesté de l'État). 
Il exerce sa juridiction sur l'ensemble de la tribu ; 
examine les procès, distribue les pensions, se fait 
auprès du Schah le porte-parole de tous. Au-dessous 
de lui, la tribu — il — garde ses divisions en fractions 
— iaîfé — sous-fractions, — tiré — et familles — odfak. 
Elle est nombreuse et pourrait, au besoin, mettre en 
ligne 30,000 cavaliers; mais le souverain se borne 
à lui demander une garde de 500 hommes, fournis 
par les 12 fractions selon leur importance numérique. 
A cet effet, un moustofi militaire est attaché à chacune 
d'entre elles pour tenir le livre généalogique, la liste 
des cavaliers et le registre des pensions. 

Entre Kadjars, les distinctions sont marquées par 
la proximité du trône, puis par la préséance tradi- 
tionnelle des diverses fractions. D'abord, viennent les 
Sehahimchahzadéêy fils du roi régnant, puis les innom- 



LE CHANGEMENT DE RÈGNE 139 

brables Schahzadès, descendus des cinquante-huit fils 
de Feth «Ali Schah, les Béni *Ammou (fils de l'onde ; 
cousins), issus des frères d*Agha Mohammed; viennent 
ensuite les Koyounlou, la fraction royale, les Davalou, 
les «Izzeddinlou de Merv et les autres. Enfin, les des- 
cendants des quatre personnages, associés à l'épopée 
d'Agha Mohammed, n'ont cessé d'occuper les plus 
hautes fonctions de l'État. Pour le couronnement, les 
réis, chefs des douze fractions Kadjares. et leurs 
oméra ou notables, formaient un groupe distinct 
autour de Medjd-ed-Dowleh, un vieux militaire à 
longues moustaches blanches ; les uns portaient la 
robe de cachemire, les autres l'uniforme, militaire. 

Il pouvait y avoir, en tout, 300 personnes, assistant 
à la solennité. Parmi elles, circulait un gros homme, 
petit et bossu, le bouffon du roi défunt. 

Le grand eunuque, un vieux nègre, immense et 
mince, flottant dans son manteau, Hadji Sourour 
Agha, Etemad-ol-Harem (la confiance du harem) 
se présenta à la porte de la salle et cria en turc : 
Gueichint Écartez-vous I Alors, précédant le roi, 
apparurent deux maîtres des cérémonies qui tenaient 
de longues baguettes, tout couvertes d'émaux et 
de brillants, terminées par des émeraudes. 

Mohammed 'Ali Schah a trente-cinq ans ; il est assez 
fort et de taille moyenne; sous le simple bonnet, la 
figure est ronde et rasée, le menton plein, la moustache 
courte et raide; il porte des lunettes d'or. Il revêt 
le sardarU la tunique noire à petits plis, boutonnée 
jusqu'au cou, telle qu'elle fut prescrite par Nasr-ed- 
Din Schah. Des deux côtés de la poitrine, cinq rangées 
de ferrets en gros diamants, qui sont le chamseh 
spécial au souverain. Le sabre, couvert de pierreries. 



140 LA PBRSB d'aujourd'hui 

pend à un heîkel, mis en sautoir et constellé de dia- 
mants. 

Le souverain traversa la salle, suivi de ses jeunes 
frères, de ses fils et de ses chambellans ; il gravit les 
degrés du trône de Feth «Ali Schah et s'y accroupit, 
appuyé sur le coussin de perles. Aussitôt les mollahs 
se levèrent, s'empressèrent autour du roi, murmurant 
des félicitations et des prières pour la prospérité de 
son règne. A. Seyyed Mohammed récita à haute voix 
un verset de la 38® sourate du Coran. « David, nous 
t'avons élu pour être souverain sur la terre. C'est 
pourquoi tu dois juger entre les hommes selon la 
justice et non point suivre tes passions, de peur qu'elles 
ne t' écartent de la voie de Dieu. Ceux qui s'écartent 
de la voie de Dieu subiront des peines sévères, car 
ils ont oublié le jour du jugement dernier. » L'autre 
grand moudjtehed, A. Seyyed ''Abdoullah, choisit 
pour sa citation un verset du chapitre intitulé 
la Famille d'Amran : « Dis-leur : ô Dieu, toi 
qui possèdes l'empire, tu cèdes le pouvoir à celui que 
tu veux, et tu le retires à celui que tu veux. Tu 
exaltes celui que tu veux et tu humilies celui que tu 
veux ; le bien est entre tes mains, car tu es le tout- 
puissant. » 

Puis le Sadr A«zam plaça la tiare des Keyaniens 
sur la tête de Mohammed Ah Schah, qui parut beau- 
coup souffrir de cet ornement incommode et inac- 
coutumé. Le privilège de couronner le souverain appar- 
tenait naguère aux autorités religieuses. Mais un 
conflitde préséance s'étant élevé entrel'ImamDjoum^é 
et les grands moudjteheds, entre le clergé officiel et le 
clergé Ubre, il fallut bien départager les parties en 
remettant l'affaire au pouvoir civil. Après quelques 



LE CHANGEMENT DE RÈGNE 141 

instants de supplice, la tiare fut retirée et remplacée 
par un bonnet d'astrakan, surmonté cette fois d'une 
aigrette en diamants. 

Pendant ce temps, deux hommes avaient pris place 
au devant du trône : l'un en costume de mollah, 
l'autre en costume de moustofi. Seyyed Hamzeh 
Khatib-ol-Memalek est un chérif de Tauris ; sa fonc- 
tion consiste à prononcer, selon une formule à peu près 
uniforme, la khotbé des cérémonies de cour. Chems- 
ech-Cho«ara (le soleil des poètes), un prince kadjar, 
fait métier de poète de cour et doit relever par une 
kasidé de sa composition les occasions solennelles. 

Le prédicateur parle le premier, psalmodiant sa 
harangue, moitié en arabe, moitié en persan. A 
chaque mention du nom royal, l'assistance s'inclinait 
profondément. 

En arabe: Au nom du Dieu clément. et miséricor- 
dieux I 

Louange à Dieu, dont le règne immuable dure éter- 
nellement, dont Tantique royaume reste inébranla- 
ble I D suscite les princes de F Islam, les élève comme 
des étendards, afin qu'ils propagent sa religion et 
exécutent ses mandements. 

Vers persans: Celui qui a donné le parfum à la 
fleur et Tâme à Targile a, dans sa sagesse, distribué à 
chacun ce dont il était digne. 

n a donné au trône divin la place la plus sublime, 
au tapis le lieu le plus humble ; car il Ta jugé conve- 
nable et juste. 

En persan : En cet instant, aurore de bonheur, il a 
orné le trône et la couronne impériale par la présence 
d'un Khosrou (Cyrus), dont la justice a arraché de la 
page du monde l'image de l'iniquité. 

Vers persan : Un souverain est monté sur le trône 
de Djem, dont le refuge est en Mahomet et en "Ali. 

En arabe : C'est lui qui, par son mérite, est le sultan 



142 LA PSRtS d'auj«rup'xui 

de r Islam ; la renommée a répandu la beauté de ten 
caractère. C'est lui le protecteur des pays de la Foi, 
celui qui efface les traces de la désobéissance et de 
la révolte ; celui auquel s'applique le verset : « En 
vérité, Dieu commande la Justice et la bienfaisance ». 
— C'est lui le sultan, fils de sultan, fils de sultan, — 
le Khakan, fils de Khakan, fils de Khakan, — le 
sultan Mohammed 'Ali Schah, Kadjarl (Que les piliers 
de son royaume reposent éternellement sur les bases 
de la Justice ! Que les chaires de l'Islam retentissent 
éternellement des khotbés prononcées pour son règne I) 

Puis vint le tour du poète, qui, en vers persans, 
compara le nouveau souverain aux astres du firma- 
ment et aux héros du Livre des Rois. 

Au nom de Dieu (que son rang précieux soit exalté I) 
que d'allégresse dans la belle solennité d'aujour- 
d'hui 1^ Aujourd'hui Dieu a donné un appui au 
monde. Du ciel une bonne nouvelle parvient aux 
hommes. Aujourd'hui Mohammed *Ali est roi, de 
l'Orient à l'Occident. Si vous n'avez jamais vu 
briller la lumière surnaturelle sur la montagne de 
Thor (Sinaï), admirez aujourd'hui sur le trône la 
splendeur divine. Sur le trône et sur la couronne 
des Schahs. C'est la gloire impériale qui augmente 
aujourd'hui l'éclat de la lune et du soleil. Que toutes 
les étoiles du ciel se prosternent aujourd'hui, incli- 
nant leur front devant le trône et la couronne des 
Keyaniens. Voici aujourd'hui un souverain, dont la 
justice empêcherait l'aigle même de jeter les yeux sur 
la perdrix royale^. C'est le potentat sublime, le 
Schah glorieux, comme Féridoun, dont l'équité veille 
aujourd'hui sur le peuple et lui assure la justice. 

1. Le mot Imrouz (aujourd'hui) revient à chaque vers pour en 
taire la rime. 

2. Parmi les variétés de perdrix, qui abondent en Perse, la perdrix 
royale est la plus rare et la plus estimée. C'est un oiseau de la gros- 
seur d'un coq de bruyère, qui nt se rencontre que^iur les hautes 
montagnes. 



LS GKANOSMSNT DE RiftNX 143 

Mahomet et *Ali sont ses protecteurs, la Providence 
son auxiliaire ; car c'est lui qui devient aujourd'hui le 
refuge de tous les hommes. 

Je ne suis qu'un humble serviteur ; aujourd'hui me 
revient l'honneur, aussi haut que le soleil du firma- 
ment, de prononcer l'éloge du Schah au pied de son 
trône impérial. 

Ensuite, le Schah descendit du trône et quitta la 
salle, après avoir adressé quelques paroles aux repré- 
sentants des puissances. Mohammed «Âli Schah sait 
convenablement le français, mais il n*aime guère à le 
parler que dans le particuher. Il avait pour inter- 
prète un des fils du Sadr A^zam, Motamen-ol-Molk 
(celui qui contribue à la sécurité du royaume), un 
ancien élève de notre École polytechnique. 

Le soir, la ville fut illuminée en signe de réjouis- 
sances. Les bazars, fermés d'habitude au coucher du 
soleil, restèrent ouverts. Les marchands avaient 
orné leurs échoppes de glaces, de tapis et d'étoiles, 
avec abondance de lumières ; certains points présen- 
taient Taspect le plus pittoresque. Le centre de la fête 
se trouvait au Sebzé'Meïdan, la Place Verte, qui 
marque la principale entrée du bazar ; les arcades en 
étaient éclairées à profusion ; sur deux estrades des 
troupes de pitres et de danseurs exécutaient leurs 
déhanchements pour la plus grande joie du public. 
Un feu d'artifice fut tiré sur l'avenue, ombragée d'ar- 
bres, qui réunit la porte du Gouvernement, ouverte 
sur la place des Canons, au portail des Diamants, 
donnant accès dans l'andéroun royal. 

Le lendemain, à 11 heures du matin, eut heu 
le Salam du couronnement. Les salams sont les récep- 
tions souveraines, tenues à l'occasion des grandes 



144 LA PERSE d'aujourd'hui 

fêtes religieuses, du Norouz, ou d'autres circonstances 
solennelles. Le Schah de Perse apparaît alors dans 
toute la manifestation de sa puissance. La cérémonie 
est rapide ; elle se borne à la formalité d'un salut, qui 
incline la masse entière des assistants dans un même 
mouvement d'adoration devant le demi-dieu d'Asie. 

La scène se passe dans la cour du Derbar, le palais 
de Feth«Ali Schah. La porte en est surmontée de car- 
reaux en faïence, qui représentent la lutte de Roustem 
contre leDiv blanc du Mazandéran. Delà, part une allée 
de grands platanes ; deux bassins se coupent à angle 
droit ; à droite une petite cour, séparée par une arcade 
où sont installés les principaux services du palais : le 
SadrA«zam, leVézir Derbar, ministre de la cour.Hadjib- 
ed-Dowleh (le portier de l'État) — Ferrach-bachU 
chef des gardes; le grand-maître des cérémonies. 

Au fond, s'ouvre le talar, soutenu par deux colonnes 
et abritant le trône de marbre ; toutes choses enlevées 
au palais de Kérim Khan le Zend et apportées de 
Chiraz. Les murs sont recouverts de glaces, avec 
quatre portraits de Feth «Ali Chah et de Nasr-ed-Din ; 
au-dessus, des peintures de fantaisie, — femmes 
décolletées en toilette européenne. Derrière le trône 
deux tableaux de batailles, exécutés sous les Séfévis 
et amenés d'Ispahan. 

Pour le Salam, la cour du Durbar s'était emplie de 
troupes. A l'extrémité, figurait même un éléphant, don 
de Agha Khan Méhélati, le chef des Ismaïliens, rési- 
dant à Bombay. Les eaux jouaient ; au pied du talar 
se groupaient les autorités civiles et militaires ; tout 
en avant, habillé comme les moustofis, se tenait 
isolé le mokhateb'OS'Salam, c'est-à-dire le personnage 
avec lequel, d'après la tradition, le roi est censés'entre- 



LB CHANGEMENT DE RÈGNE 145 

tenir, au cours du Salam^pour lui demander des nou- 
velles du peuple, de l'état du temps et des récoltes* 
Cette fonction est actuellement remplie par un Kadjar, 
le prince Choa«-ed-Dowleh. 

Soutenu par son cousin Djelal-ed-Dowleh, Moham- 
med "Âli Schah s'assit sur un fauteuil d'or, au bout de 
l'estrade de marbre ; devant lui avait été disposé un 
massif de fleurs ; ses deux fils, Sultan Ahmed Mirza 
et E«tezad-os-Saltaneh prirent place au pied du trône. 
Le médecin en chef, Lochman-ol-Memalek (le sage du 
pays), docteur, de la Faculté de Paris, suivi du grand 
chambellan, vint placer au côté du souverain un 
narghilé d'or, enrichi de pierreries. Le soleil donnait 
en plein sur le talar, éclairant les robes de cachemire, 
faisant reluire les marbres et scintiller les diamants, 
rubis ou émeraudes, répandus à profusion sur les 
armes royales, bouchers, massues et sabres. 

Sardar Koull, Vézir Nizam, le grand chef de l'état- 
major, leva son sabre et commanda : Khaberdar 1 
Salam I... Attention I Salut 1 Le canon tonna ; les 
musiques éclatèrent en notes violentes S l'assistance 
entière se courba devant la Majesté souveraine. « Sa 
Majesté \ élevée comme la planète Saturne, le 
souverain à qui le soleil sert d'étendard, dont la 
splendeur et la magnificence sont pareilles à celles 
des deux, le souverain subUme, le monarque dont 
les armées sont nombreuses comme les étoiles, dont 
la grandeur rappelle celle de Djemchid, dont la muni- 

1. L*hymne du Salam pour Mohammed «Ali Schah a été com- 
posé par notre compatriote, M. Lemaire, directeur des musiques de 
l'armée persane. U avait été sous-clief de musique an l** voltigeurs 
de la garde impériale et réside à Téhéran depuis 1S68. 

2. n est Juste de reconnattre que tous ces vains titres du protocole 
penan tendent maintenant à tomber «n désuétude. 

AUBXI9. — La P§rm. 10 



146 ' LA PERSE d'aujourd'hui 

ficence égale celle de Darius, Théritier de la cou- 
ronne et du trône des Kéyaniens, l'empereur sublime 
et absolu de toute la Perse. » La voix du Khatib ol 
Memalek s'éleva, prononçant la khotbé de la fête. Des 
achrefis, petites pièces d'or, d'une valeur de cinq 
francs, portant l'effigie de Mohammed «Âli Schah furent 
distribuées à l'issue de la cérémonie. Dans Taprès- 
midi, le souverain fit un pèlerinage au tombeau de 
Schahzadé 'Âbdoul-'Azim. 

U^Aîd-è'Kourban ^ tombait, cette année, le 25 jan- 
vier. C'est un usage de la cour de Perse, introduit par 
les Séfévis, qu'à cette occasion le souverain sacrifie un 
chameau, alors que le commun des mortels se contente 
d'un simple mouton. Encore le Schah se garde-t-il 
d'opérer lui-même; il s'en remet à un représentant du 
soin de procéder au sacrifice. Les jours précédents, 
l'animal destiné à faire les frais de la fête est promené 
à travers la ville, avec des musiques et un cortège 
fourni parle palais. Le matin même de r«Aïd-è-Kour- 
ban, le chameau quitte l'Ârk pour accomplir sa der- 
nière promenade. Il est précédé de chevaux d'honneur 
tenus en main et harnachés d'or, assourdi par deux 
fanfares, accompagné de ghoulams, de ferrachs et de 
chaters, coureurs du roi ; ces derniers revêtent le cos- 
tume traditionnel, déjà décrit par Chardin : tunique 
rouge, guêtres blanches et, sur la tête, une [coiffure 
haute et mince, ornée de plumes. Le sacrificateur et 
ses acolytes suivent à cheval. L'homme chargé de 
tuer au nom du roi, est un prince kadjar ; il porte 
un vêtement de soie verte et, en sautoir, le cachemire 



1. L'«A{d-é-£our^an est la fête du Sacrifice, la plus grande fête 
de l'Islam, celle que Ton nomme Kourban-Baïram en pays |urc, 
•Aïd-el'Kébiv dans r Afrique du Nord. 



LE GHÀNOSMENT DE RÈGNE 147 

marron que le Schah lui fit 'remettre, le matin 
même, en récompense de son service annuel. Der- 
rière, se pressent, sur des montures empanachées, 
une large serviette nouée autour du cou, les délégués 
des corporations de la ville, chargés de recevoir, au 
nom de leurs mandants, une part du chameau sacrifié. 
L'opération doit avoir lieu sur la place du Néga- 
ristan. La foule s'y est accumulée ; les châles noirs 
et les voiles blancs des femmes s'alignent sur les ter- 
rasses et le long des murs ; les platanes, dépouillés 
par l'hiver, sont garnis de spectateurs ; le temps est 
gris ; il tombe une neige très fine. Le chameau s'ar- 
rête au milieu de la place ; on le fait coucher à terre, 
après lui avoir enlevé ses couvertures de drap rouge. 
Alors se produit une effroyable bousculade, où tout 
disparaît dans les remous de la foule, sur laquelle 
frappent les bâtons des serviteurs royaux. Il paraît 
que le cavalier en habit vert a, d'un coup de lance, 
tranché la carotide du chameau et les aides se sont 
aussitôt mis à dépecer la bête. Successivement cha- 
que délégué a reçu et enveloppé dans sa serviette la 
pièce attribuée par la coutume à sa propre corpora- 
tion. Les maréchaux-ferrants reçoivent la tête; il 
paratt qu'un des leurs fut tué naguère, pendant la 
cérémonie du sacrifice, et le privilège de la tête leur 
fut accordé en compensation de cet accident. La 
partie du corps* portant la marque du propriétaire, 
revient au ZambourekdjUbachU chef de l'artillerie 
montée à chameau ; le cou appartient aux boulangers, 
la bosse aux fabricants de bâts pour les bêtes de 
charge, les pattes de devant aux forgerons et aux 
épiciers, les autres aux bouchers et aux tripiers, 
marchands de têtes et de pieds de moutons. 



148 LA PERSE d'aujourd'hui 

Le sacrificateur lui-même emporte, fixé sur sa 
lance, un morceau de la gorge, qu'il doit présenter au 
Schah, comme preuve de l'accomplissement du sacri- 
fice. Le partage une fois terminé, les gardes cessent 
de contenir le peuple, qui se précipite sur les débris; 
tous trempent leurs doigts dans la boue sanglante et 
s'en marquent le front, en gage d'heureuse fortune. 

Au salam de r«Âïd-è-Kourban, fut lu le firman 
désignant comme prince héritier le second fils du roi, 
Soltan Ahmed Mirza. 

La loi de succession au trône dansla dynastie kadjare 
ne s*en tient pas strictement au principe de la primogé- 
niture ; elle recherche, en outre, l'origine maternelle du 
prince appelé à régner. En effet, la loi chiite connaît deux 
sortes d'union : le mariage et le concubinage. A côté 
des quatre femmes légitimes — ^akdi — vivent des con- 
cubines —sighe — en nombre iUimité. — Les enfants nés 
des unes et des autres sont également légitimes; mais 
il est entendu que l'aptitude à la succession au trône 
revient aux seuls fils du roi, issus d'une femme akdie et 
kadjare. Pour éviter d'accroître, par des discussions 
famiUales, le trouble inhérent aux changements de 
règne, il importe de déterminer et de faire reconnaître 
à l'avance l'héritier du trône, le VéU«ahd, qui occupera, 
durant la vie de son père, le gouvernement deTauris. 
Or, des trois fils de Mohammed AU Schah, l'aîné, Ei;e- 
zad-os-Saltaneh, est issu d'une simple concubine, les 
deux autres sont nés de son mariage avec la princesse 
Malek-é-Djéhan, fille deNaïeb-os-Saltanehetniècedu 
roi défunt. C'est donc au plus âgé de ces derniers que 
vient d'être attribuée la succession éventuelle. Le nou- 
veau VéU«ahd n'a qu'une dizaine d'années; il ne saurait 
encore être question de l'envoyer dans l' Azerbaïdjan. 



VII 
LE CHIISME 



La Perse ancienne et moderne. — Après la conquête arabe, le 
Chiisme restitue la nationalité persane. — Son évolution : 
tendance politique, secte religieuse, religion nationale. — 
Les douze Imams. — U Imamat et le Khalifat. — L'émigration 
des seyyeds et les débuts du chiisme en Perse. — Le Cheikh 
Séfl; la dynastie des Séfévis. — La formation du dogme 
la trinité chiite ; la doctrine de la rédemption. — Le culte 
chiite : deuils et pèlerinages. — Les Katls, — La prédication 
de la Passion : rouzékhans et prédicateurs : les hoséiniés, — 
Les processions de T'Achoura. -^ La représentation des 
mystères ; les to*ziés du iékieh royal. — L' « auxiliaire des 
larmes ». 

L'antiquité a connu une nationalité iranienne, 
aryenne de race, mazdéenne de religion. Les Grecs 
la conquirent avec Alexandre; sous les Parthes et 
les Sassanides, la présence de la cour à Ctésiphon 
favorisa la pénétration sémitique; l'ancienne langue 
évolua vers le zend et le pehlvL Au vii^ siècle 
la conquête arabe fit table rase du passé : il n'y eut 
jamais désastre national aussi complet ; la religion, 
la langue et la race disparurent dans le cataclysme. 
Puis l'Iran se morcela entre des dynasties de hasard, 
l'invasion des Seldjoukides et des Mongols superposa 
une couche turque à la couche arabe, Gengis-Khan et 
Tamerlan passèrent en conquérants destructeurs. 



150 LA PBRSE d'aujourd'hui 

La Perse vivait pourtant; son influence s'était 
imposée au Khalifat abbasside; sa culture impré- 
gnait, à Bagdad, la nouvelle civilisation musulmane ; 
en chantant, à la cour de Ghazna, les gloires du 
passé, Firdousi reconstituait Tidiome persan, que 
Sa«di, Hafiz, «Omar Khayyam portaient à sa per- 
fection. 

Or, les Iraniens paraissaient trop mous, trop impres- 
sionnables et trop désunis, pour réaliser spontané- 
ment une reconstitution nationale, capable d'assi- 
miler les éléments ethniques, introduits chez eux par 
les accidents de l'histoire. Le Chiisme offrit une 
expression à cette nationalité qui s'obstinait à sur- 
vivre ; il fit une nation compacte du peuple le plus 
divers de l'Asie moderne, et, à défaut d'autre res- 
source, l'idée persane se réincarna sous une forme 
religieuse. 

Pour ce faire, le Chiisme dut déformer l'Islam. 
La reUgion musulmane est si puissante et si exclu- 
sive qu'elle détruit toute autre idée au profit de 
l'idée reUgieuse. La terre d'Islam est envisagée comme 
le bien commun des Croyants, sans distinction de race 
ni de couleur ; victimes du principe institué par eux, 
les Arabes ne tardèrent pas à perdre l'autorité dans 
la religion qu'ils avaient fondée. Si bien que, la 
conquête y légitimant le pouvoir, le monde musulman 
ne cessa de se modifier à travers les âges ; également 
éphémères, des empires démesurés succédèrent à des 
souverainetés minuscules, à la merci de généraux 
victorieux, de famiUes influentes, de tribus ou de 
sectes favorisées. 

Les Turcs Ottomans durent leur longue durée à 
leur système militaire et à leur organisation d'État. 



LE GXIItMS 151 

Le Ghiisme préserva les Persans; il les travailla 
pendant de longs sièdes avant d'atteindre à sa 
forme actuelle^ qui garantit ieur cohésion nationale. 

La tendance chiite remonte aux origines mêmes 
de r Islam. Elle opposa la succession légitime dans la 
branche unique issue du Prophète à l'élection du 
KhaUf e par le suffrage des Croyants. La lutte des deux 
principes se poursuivit à Médine pendant toute la 
durée du Khalifat parfait: elle favorisa la substi- 
tution des Âbassides aux Ommiades. Habituée par 
ses traditions historiques à la nécessité du pouvoir 
absolu, la Perse ressentit pour le Chiisme un penchaât 
naturel ; ses afSnités la portèrent vers un parti poli- 
tique, condamné à la défaite par la faiblesse de ses 
chefs successifs et la dispersion de ses adhérents. 

Quelques tentatives infructueuses exaspérèrent 
les Khalifes contre la menace inconsciente des 
Imams ; le prince usurpateur voulut écarter le fan- 
tôme de là légitimité, si bien que la descendance du 
Prophète paya de son sang l'orgueil de sa naissance. 
•Ali fut assassiné à Koufa, le paisible Hasan empoi- 
sonné par sa femme, à l'instigation des Ommiades ; 
Hoséïn, le second fils d'<^Ali, périt avec tous les siens 
sur le champ de bataille de Kerbéla. De ses quatre 
fils, un seul survécut, pour assurer la descendance des 
seyyeds Hoseînis, Zéin-el-*Abédin, dit Bimar^ 
« le maladif ». Lui aussi mourut empoisonné, ainsi 
que son fils Mohammed Baghir et son petit-fils 
Dja«fer Sadik; leur fatale destinée s'accompUt à 
Médine. Pour mieux surveiUer les AJides, les Abbas- 
sides appelèrent à Bagdad Mousa Kazem, le 7® imam ; 
le poison mit un terme à son emprisonnement de 
^ept années. Le Khalife El-Mamoun eut un instant 



152 LA. PBRSB d'aujourd'hui 

ridée de rétablir l'unité de l'Islam par la fusion des 
deux familles ; il donna sa fille à l'imam Réza, en le 
désignant par avance comme héritier du Khalifat ; 
mais il revint sur ce projet et fit empoisonner son 
gendre dans le Khorassan. Le 9^ imam, Mohammed 
Taghi,fut empoisonné à Bagdad; le 10», Ali Naghi, 
jeté à bas d'un toit ; le 11® Hasan ''Âskéri, mourut 
empoisonné à Samarra, devenue la résidence habituelle 
des Béni «Âbbas. Le 12®, l'imam Mahdi, était encore en 
bas âge à la mort de son père ; le Khalife pe fit aus- 
sitôt disparaître, se croyant une bonne fois débarrassé 
des importunités de la famille d'^'Âli. 

C'était l'an 264 de l'hégire (878). Or, ce drame 
continu, prolongé pendant deux siècles et demi, 
avait frappé l'imagination populaire, et greffe sur 
le parti politique impuissant un système religieux 
très vivace. Le titre d'*Ali à la succession du Prophète 
se précisait dans l'esprit de ses sectateurs ; lea 
traditions propices se multipliaient en sa faveur. 
Peu de temps avant sa mort, Mahomet, revenant de 
son dernier pèlerinage à la Mecque, aurait vu l'ange 
Gabriel, qui l'invita, de la part de Dieu, à désigner 
incontinent son successeur. Il fit arrêter la caravane 
en un lieu dit Ghadir-Khomm^ monta sur les bâts 
entassés, et saisissant son gendre par la ceinture, 
réleva pour le présenter à la foule. « Celui dont je 
suis le Prophète, aurait-il dit, accepte cet homme pour 
Imam. » Alors, les principaux d'entre les Arabes 
présents vinrent, en signe de reconnaissance, poser 
leur main sur celle d'^'Ali. Des traditions plus précises 
encore, mettraient dans la bouche du^ Prophète la 
liste complète des douze imams. 



LE GHIISME 153 

Le rôle même d*'Ali tendit à s'accroître ; on l'as- 
socia à la manifestation prophétique de son beau- 
père ; la profession de foi chiite en fit le lieutenant, 
le vali de Dieu : Mahomet avait été choisi pour faire 
connaître la reUgion musulmane, ""Âli, chargé du 
commentaire, complément indispensable de la révé- 
lation. Repoussant le consentement général, le 
chiisme exigea pour l'Imam une désignation surna- 
turelle, la pureté du caractère, la primauté é^s la 
science ; il le voulut issu de la seule fammS des 
Béni Hachem. Ainsi donc, en face d'un Khalifat 
d'institution temporelle, le chiisme plaçait un Ima- 
mat d'institution divine. Si le Khalife était un homme 
comme les autres, préposé par les siens à la direction 
de leurs exercices religieux, l'Imam, au contraire, 
participait de l'infaiUibilité du Prophète, et, faite en 
dehors de lui, la prière perdait sa valeur. Les 
chiites se refusèrent à admettre que la disparition 
du 12^ imam rendît l'imamat vacant. Le « der- 
nier imam «devint, pour eux, 1' « imam présent, 
r« imam caché », le « maître des Temps ». Pen- 
dant les soixante-dix premières années, on le 
crut représenté par quatre nawabs successifs, aux- 
quels il se serait rendu visible : Othman ibn Sand, 
son fils Mohammed ibn« Othman, puis Hosein ibn Rouh 
et «AU ibn Mohammed Séimouri, tous gens de Bagdad. 
Sur le point de mourir, l'imam Mahdi apparut au 
dernier d'entre eux pour l'aviser qu'il n'aurait point 
de successeur. Ce fut la fin de la « petite absence ». 
La « grande absence » dure encore, jusqu'à ce que, 
les temps étant accomplis, certains signes réalisés, le 
dernier Imam se réincarne parmi les hommes, afin de 
reprendre la manifestation prophétique interrompue. 



154 LÀ PERSE E'àUJ^URE'XUI ' 

Le développement du système accentua la rup- 
ture avec le sunnisme. Le Coran et les traditions du 
Prophète restent communs aux deux croyances ; 
le chiisme y joignit les traditions émanées des 
12 Imams. La jurisprudence fut fixée par F Imam 
Dja«fer, qui fut le véritable organisateur du chiisme 
et en unifia les traditions. Les déchirements de 
l'Islam, causés par la lutte des Ommiades et des 
Âbbassides, ramenaient alors Tattention vers la 
famille d'«Ali ; le 6« imam bénéficia de ce regain de 
prestige; plus de 400 disciples suivirent ses leçons» 
dont sortit le rite djœferi, en opposition avec les 
quatre rites orthodoxes. 

Dispersés par la persécution» les seyyeds se firent 
les apôtres de la doctrine chiite. Leurs revendications 
contre l'illégitimité du Khalifat devaient trouver 
accès dans les divers pays musulmans, ambitieux 
d'indépendance. Ce fut ainsi que Moulay Edris 
parvint à fonder la première dynastie marocaine. 
Les seyyeds avaient été naturellement attirés par les 
tendances chiites de l'Iran. Zéid» frère du 5^ imam, 
ayant tenté un soulèvement à Koufa, y fut pris, 
pendu et brûlé ; l'un de ses fils devint roi du Gourgan, 
au fond de la Caspienne. Les enfants de l'Imam 
Dja'fer arrivèrent à leur tour; l'un d'eux, Isma«il, 
donna naissance à la secte des Ismaïliens, qui occupa 
les montagnes del'Elbourz et dont sortirent la dynastie 
des Fatimites d'Egypte et les Assassins du moyen âge. 

La passagère fortune de l'imam Réza amena le flot 
des Mousavis, issu des 17 fils de Mousa Kazem ; 
ce fut la principale migration des seyyeds en Perse*. 

1. Les seyyeds sont fort nombreux en Perse. Parmi eux, les 
^^Hatanit sont moins considérés, à causs dt Tattituda conciliant* ds 



Ls cinitMs ISS 

Comme on en massacra beaucoup, les survivants 
initièrent les pèlerinages auprès des imamzadès. 
Les seyyeds se virent partout accueillis, surtout dans 
les régions caspiennes, où la conversion musulmane 
avait été plus tardive. Ce qui restait de la caste 
religieuse et de la noblesse terrienne de l'ancien 
Iran comprit la possibilité de s'accommoder d'une 
doctrine qui flattait l'instinct populaire et pouvait 
éventuellement soutenir contre le Khalifat l'auto- 
nomie iranienne. Quand le soufisme envahit l'Islam 
et devint maître absolu de la Perse, le chiisme fit 
avec lui cause commune et devint, à son ombre, une 
des sectes favorites. 

Cependant les petites dynasties turques, qui sur- 
gissaient dans l'Iran, hésitaient encore à se rattacher 
ouvertement au chiisme. Au x® siècle, une famille 
du Mazandéran s'implanta à Chiraz ; les Bouhéides 
furent les premiers à faire manifestation publique 
de la doctrine; sous l'influence de Cheikh Sadik, 
le. traditionniste, Roukn-ed-Dowleh et son fils^Âzod- 
ed-Dowleh, instituèrent les processions de deuil de 
r«Achoura et firent élever les premiers monuments 
à Kerbéla et à Nedjef ; sous leurs règnes, on vit 

leur auteur vis-à-vis du Khalife Qmmiade. Le plus grand nombre est 
issu de rimam Mousa, et ce sont les Mousavis qui fournissent 
la plupart des Imamzadès de riran. Les Thabatliabals,<< descendant 
à la fois d'Hasan et d'Hoséin, sont répartis entre Ispahan et Yezd, 
avec une branche à Tauris. Les Rézavis, descendants de rimam 
Réza, sont fixés dans le Khorassan. Nombre de seyyeds de Téhéran 
descendent de Timam Taki ; on désigne leur familleXsous le nom 
d'Akhévis, Feth «Ah Schah leur ayant dit un jour : < Vous êtes 
mes frères I > (akhéDis). Les Imamis forment, à Ispahan, un groupe 
de seyyeds, issus d'un imamzadé locaL De même à Chiraz, la plu- 
part descendent de Schah Tchiragh (le roi des Imnières) et de deux 
autres fils de Fimam Mousa, qui y sont enterrés. Les sesryeds Séfévis 
portent le titre de natpob (prince) ; il n'y en a plus qu'à Ardébil et 
à Ispahaa, 



156 LA PERSE d'aujourd'hui 

inscrit, pour la première fois, sur les mosquées et les 
fontaines : « Maudit soit celui qui combat «Ali, fils 
d'Âbou Taleb 1 » Depuis lors et jusqu'à Tavènement 
des Sëfévis, la Perse ne connut plus qu'un seul 
souverain chiite ; ce fut, au commencement du 
xrv« siècle, le roi mongol Khodabendeh, qui 
trouva, pour le règlement de ses affaires de ménage, 
plus de facilités dans le rite dja^feri que dans aucun 
des rites orthodoxes du sunnisme. 

Le chiisme ne l'emportait pas encore I sunnites et 
chiites vivaient mélangés, souvent en fort mauvais 
termes ; le rite chaféi et subsidiairement l'hanéfi 
se partageaient le sunnisme. Les chiites ne domi- 
naient qu'à Koum, Kachan et Rey; partout ailleurs, 
leurs docteurs étaient à l'ouvrage ; leur influence 
réagissait, néanmoins, sur la politique; elle décom- 
posait en Perse l'autorité khalifale. Un chiite, Nasir- 
ed-Din et Tousi, conseiller d'Houlagou, portait le 
dernier coup aux Âbbassides, en lançant sur Bagdad 
les hordes mongoles. 

Parmi tous les hommes pieux, qui s'employèrent 
à répandre le soufisme dans l'Iran, avec la « doctrine 
des douze », nul n'obtint un succès comparable à 
celui du Cheikh Séfi. A la fin du xv® siècle, sa 
confrérie avait fait fortune ; tout le Nord-Ouest 
de la Perse vénérait le tombeau du Cheikh, les 
tribus voisines se groupaient autour de ses des- 
cendants et Schah Isma«il fondait la dynastie des 
Séfévis, qui se maintint pendant plus de deux siècles. 

Le chiisme était cause de l'avènement des grands 
Sophis et arrivait au pouvoir avec eux. L'Iran pré- 
sentait alors un chaos de races superposées et de 
souverainetés émiettées ; les Uzbeks sunnites mena- 



LE GHIISME 157 

çaient le Khorassan ; les Turcs Ottomans, dont le 
Sultan acquérait par la conquête de l'Egypte le titre 
khalifal, se présentaient aux frontières occidentales. 
Pour maintenir son empire, Funification du pays 
s'imposait à la nouvelle dynastie. Selon la coutume 
de rOrient, elle y employa la force des armes et les 
déplacements de population ; mais elle voulut conso- 
lider son œuvre par l'effet moral du chiisme, qui 
avait si bien servi la confrérie du Cheikh Séfi. Il 
fallut que la Perse entière communiât dans une même 
douleur sur le triste sort des Alides et prît les armes 
contre les bourreaux représentés dans leur descen- 
dance par les sunnites de l'Asie centrale et le Khalife 
des Ottomans. Le chiisme se transformait ainsi en 
religion nationale, servant d'instrument de domi- 
nation à la confrérie victorieuse. Le soufisme, sur 
lequel il s'était appuyé, s'employait aussi à la 
conversion de l'Iran; les derviches parcoururent 
le pays en apôtres de l'idée nouvelle. Après dix 
sièdes de déchirements, il renaissait une nation per- 
sane sous l'influence d'un deuil commun et d'un 
même sentiment de vengeance. 

Tant que le chiisme servait aux combinaisons des 
partis et aux spéculations des philosophes, il lui 
avait sufli d'un système rationnel ; pour agir comme 
religion sur les masses populaires, il lui fallut un 
dogme et l'intervention du surnaturel. Mollah 
Hoséin Kachefi, le directeur de conscience de Schah 
Khodabendeh, avait inauguré les sermons édifiants 
sur le martjnre des confesseurs de l'Islam ; l'avène- 
ment des Séfévis fit éclbre toute une Uttérature de 
théologie et de traditions. La multiplicité de ces 
dernières acheva la déformation de l'Islam; «Ali se 



15S LA PERSE d'aujourd'hui 

vit associé à toutes les circonstances de la vie du 
Prophète. La dévotion publique se mit à élever au- 
dessus de l'humanité une famille dont on lui ensei- 
gnait si ardemment à déplorer les malheurs. La situa- 
tion réciproque des Âlides se modifia ; l'excès de leurs 
infortunes apparut comme chose anormale; on en 
fit un sacrifice expiatoire pour le salut des hommes 
et l'idée de la rédemption pénétra dans le chiisme. 
Le rôle du Prophète s'eflFaçal^èrement; celui d'«Âli 
ne commandait que le respect ; ce fut Hoséin vers 
qui se porta l'attendrissement de l'Iran; il s'attacha 
au jeune homme prédestiné, continuateur de l'œuvre 
du grand-père et du père, qui volontairement s'était 
sacrifié avec les siens, pour établir un Uen entre Dieu 
et l'homme et amener ainsi la rédemption du genre 
humain. Mahomet, «Âli, Hoséin formèrent [la trinité 
chiite, d'où sortirent la révélation, l'interprétation» 
la rédemption. On n'alla point, sauf quelques sec- 
taires, jusqu'à les diviniser, car le principe de l'unité 
divine est trop strict chez les Musulmans ; mais on 
les envisagea comme des saints d'une sainteté telle 
que leur intercession nécessaire rempht la vie reh- 
gièuse de leurs fidèles. L'évolution du dogme chiite 
s'accompUt avec les années; il devint exclusif et 
fanatique sous les derniers Séfévis. En aigrissant le 
peuple de l'Iran, les malheurs des deux derniers 
siècles accentuèrent l'âpreté de la rehgion nationale. 
Le culte musulman est d'une extrême simpUdté ; 
le culte chiite l'exagère encore. En fait, à peine existe- 
t-il ; les gens partent du principe que, l'imam étant 
absent, il est inutile de se déranger pour participer 
à une prière imparfaite. Les mosquées tombent en 
ruines, leurs pichnamaxs prient dans le^désert; le 



LE GHIISME 159 

vendredi, le Schah ne prend point la peine de se rendre 
solennellement à la mosquée, comme font tous les 
autres princes de T Islam. Il faut quelque calamité, 
épidémie ou sécheresse, pour réunir les fidèles à 
la mosalla, emplacement désigné en dehors de toutes 
les grandes villes. — Les chiites jeûnent le Ramazan, 
fêtentr«Aïd.ol-Fitr, 1* «^Aïd-è-Kourban etr «Aïd-è-Mou- 
loud de même que les Sunnites; ils y joignent, à 
leur usage propre, TAïd-è-Ghadir, en mémoire de 
la désignation d'^Ali à Fimamat, et les Moulouds, 
anniversaires de la naissance d'^Ali et du 12^ imam. 
Ces pratiques, n'ont, du reste, qu'une importance 
limitée. La dévotion chiite consiste à faire vivre le 
pays entier dans le culte de la famille fatale, à la- 
quelle l'humanité doit son salut et la Perse sa natio- 
nalité. A part quelques-uns nommés d'après les héros 
du Livre des Rois, tous les Persans portent le nom 
^ d'un imam, parfois accompagné des mots : «aM, 
I gholam on koulU qui veulent également dire: ser- 
^ viteur — {^Abd-ol-Hosein ; Gholam •Ali ; Hasan 
^ Kouli) — Les travailleurs peinent en invoquant 
les imams, les derviches mendient en chantant leurs 
I louanges. Sur la porte des maisons figurent les noms 
[^ sacrés d'Allah, Mahomet, «Ali, Fatémé, Hasan et 
Hoséin, réunissant le nom du Créateur aux noms 
I de ceux à l'intention desquels le monde a été créé. 
, Dans les demeures en terre des paysans, une image 
collée au mur représente Ali, Hasan et Hoséin, la 
> face voilée, le front ceint d'une auréole ; au-dessous 
, Mahomet montant au del sur son cheval Borak. 
F Dans les mosquées, les tombeaux ou les écoles, sont 
:> appendus des tableaux figurant les trois héros em- 
pruntés par le chiisme à l'islamisme primitif, Salman; 



160 LA PERSE d'aujourd'hui 

Gamber et Bélal» au devant desquels s'alignent «Ali et 
ses fils, pieusement agenouillés J'ai vu chez des der- 
viches de véritables chapelles, où les cierges brû- 
laient devant Fimage d'«Âli ; il existe, au bazar de 
Téhéran, une fontaine de Norouz Khan, surmontée 
d'un tableau du martyre d'«Âbbas, couverte d'ex- 
votos et de lumières. La pensée des imams intervient 
dans toutes les circonstances de la vie et même dans 
les phénomènes de la nature; quand le crépuscule 
met le del en feu, le Persan y voit bouillonner le sang 
d'Hoséin, Le dernier imam, qui, bien qu'invisible, 
est toujours présent en quelque point de l'univers, 
veut être associé à la vie publique et privée. Â la 
moindre mention de son nom, l'assistance se lève 
et salue dans toute les directions, pour lui marquer 
sa politesse. On attend sa venue et l'on affecte de la 
désirer. Chardin raconte qu'il existait à Ispahan une 
« écurie du maître des temps », constituée à son inten- 
tion en fondation pieuse par un roi séfévi. « On tient 
là nuit et jour de beaux chevaux, sellés et richement 
harnachés, dont il y a toujours deux de bridés, afin 
que le Khalife monte dessus, au moment qu'il pa- 
raîtra. » Quand fut inauguré le Conseil national, 
les journaux de Téhéran tinrent à indiquer que le 
nouveau Parlement de la Perse s'était ouvert « sous 
le regard du Padischah et en présence du dernier 
Imam ». 

La dévotion chiite s'exprime surtout par les pèle- 
rinages et par les manifestations de deuil. Le carnage 
des Âlides a peuplé d'imamzadés tous les coins de 
l'Iran ; si bien que les gens n'auraient pas grande 
route à faire pour porter leurs prières et leurs vœux 
au tombeau le plus voisin. Mais dédaigneux des 



» 



LE CHIISME 161 

imamzadés vulgaires, leur pieuse ardeur les entraîue 
constamment vers les plus illustres sanctuaires du 
chiisme. Les tombeaux de Schahzadé «Abdoul-«Azim 
près de Téhéran, du Cheikh Séfi à Arbébil, de Schah 
TcWragh à Chiraz, ne jouissent que d'une renommée 
locale ; ceux de Fatémé à Koumet de Fimam Réza à 
Méchhed reçoivent les pèlerinages de tout le chiismè ; 
plus achalandés encore sont, en dehors de la Perse, 
les tombeaux du l^ imam à Nedjef, du 3® à Kerbéla, 
du 7® et du 9^ à Kazemeïn, près de Bagdad, du lO© et 
du 11® à Samarra. 

Les Kails (assassinats) sont les anniversaires an- 
nuels du martyre des imams ; ils comportent un ou 
plusieurs jours d'^'azadari ou de deuil. Ce sont périodes 
aiguës pour l'inépuisable désolation qui caractérise 
le chiisme moderne. Les dix premiers jours de Mohar- 
rem,r"Achoura (10 Moharrem), date delà mort d'Ho- 
séin, le 20 de Séfer, qui en marque la quarantaine, 
sont particuUèrement déplorables. De même, les 
27, 28 et 29 Séfer, pour la mort de F Imam Réza, 
d'Hasan et du Prophète. Moharrem et Séfer sont tout 
entiers des mois de deuil : toute fête est interdite, 
chanteurs et danseurs doivent chômer, les naka- 
radjis s'abstiennent de saluer le soleil, les soldats 
portent leurs fusils renversés, les seyyeds ne se mon- 
trent plus qu'en vêtements noirs. La mort d'«Ali 
tombe le 21 Ramazan, les trois jours qui précèdent 
sont jours d'aAya ou d'angoisses, pendant lesquels 
le premier imam survécut à sa blessure ; Fatémé est 
morte le 13 Djemadi-oul-evvel et l'imam Mousa le 
25 Redjeb. En compulsation de telles tristesses, le 
chiisme s'offrait naguère une journée de réjouissance, 
le 9 Rébi«-oul-evvel, à l'occasion de la mort d'Omar, 

Aubin. — La Perse, 11 



162 LA PERSE d'aujourd'hui 

<|m fut le principal adversaire d'«AIt et Técarta ai 
longtemps du khaliiat ; on tirait des feux d'artifice 
et la foule le brûlait en d&^e. L'adoucissement des 
mœurs a fait disparaître ces divertassemeiil& inutiles. 

Les katls veulent être commémorés par des rma^ 
lùéMioniSt des processions et des taziis. 

Les rouzékhans sont les prédicateurs de la Passion ; 
ils forment une classe nombreuse parmi lea mollahs 
dans toutes les grandes villes de la Perse ; dans les 
campagnes, leur office est rempli par les da-viches 
conteurs. Les grands seigneurs ont coutume d'entre- 
tenir à leur suite un rouzékhan particulier. On a vu 
que ces prédications datent de l'époque mongole. 
Comprenant tout le parti qu'en pourrait tiror leur 
propagande, les Séfévis les généralisèrent, afin de 
mieux faire pleurer la Perse sur le sort des Alides. 
D'ordinaire, les familles aisées ont, une fois la semaine, 
leur jour de rouzâihani ; un drapeau noir, bissé sur 
une perche, indique les maisons où se passe le pieux 
exercice; aucune invitation n'est faite; entré qui 
veut. La cérémonie a lieu le matin ou l'après-midi, 
la nuit en Ramazan et pendant les moifi de deuil. 

Aux époques de katl, les mosquées sont tendues 
de noir et, dans les prindpales, c'est le prédicateur 
qui monte en chaire, pour commenter les doulouitnix 
anniversaires. Les prédicateurs — M«er — occupent 
dans le dergé chiite un rang beaucoup plus élevé que 
les rouzékhans. Ces derniers sont de simples conteurs, 
possédant par cœur un certain nombre derédts ; les 
autres sont des savants, versés dans le Coran, les tra- 
ditions et l'histoire, habiles en l'art de la diction, 
qui réussissent à se former un auditoire, en lui par- 
lant de religion, de morale, et même, depuis peu. 



' . I.B CHI18MX 163 

Y à^ politique* Il n'y a de prédicateurs que dans 

les plus {prandes villes, et quelques-uns seulement 

I parviennent à la notoriété : on ne eite à Téhéran 

> qu'une demi-douzaine de prédicateurs en r^iom. 
I Chacun d'eux a sa mosquée attitrée, où il prêche 
I généralement après la prière de V^asr, tous les jours 
f^ en FUmaian, le voidredi pendant les autres mds 
' de l'année. Parfois un prédicateur consent à se hans- 
, porter ehe2 les {Hincipaux de la ville, pour une rému- 

> nération de 10 ou 15 ttimans. 

I D'ailleurs un prédicateur illustre n'arrachera pas 

plus de IxrtaeA que le plus vulgaire des rou2ékhans ; 

^> d'où qu'elle vienne, la moindre allusion ail martyre 

. des Imams suffit à provoquer, chez les Persans» les 

plufi ^trêmes démonstaratious de douleur. L'officiant 

débute par une Mwibi, affitma&t l'unité divine et 

le prophétisme dé Mahomet : 

Glôtrè à Dieu, lé maître dés mondes! Je ^orifie 
^ Dieu, la providence des humains, le créateur du ciel 

et de là terre, celui qui a donné Fexistence aux hommes, 
1"^ celui qtii leur a donné là parole, la raison et Tintelli- 

gencé. Que là miséricorde de Dieu s'éteude sur Maho- 
^ met» qui est lé dernier, le sceau des Prophètes, sur sa 

famille et sur ses compagnons, qui sont les meilleurs des 

hommes. 



Après avoir lu, traduit en persan et tapidement 
commenté un verset du Coran, le prédicateur se met 
à raconter un épisode» qu'il choisit à sa convenance, 
dans rabcmdànté littérature de MtkeAd (liéUx 
de massacré), consacrée aujc actes dei^ martyrs. Ces 
actes se rapportent à la mort des trois confesseurs 
delà foii ""Ali, Hasan et Hoséin; il e9t entendu qu'une 
natïatien relative aux deux premiers imam», doit 



164 LA PERSE d'aujourd'hui 

également mentionner le troisième ; car le mariage 1 
d'Hoséin avec la fille de Yezdeguird, le dernier Sas- 
sanide, et sa ferme attitude à l'égard du Khalife le 
rendent plus cher aux cœurs persans que tous les 
autres imams. { 

Voici Tun de ces récits, tiré du recueil le plus ce- I 
lèbre, le Kitabé-Lohouf (le livre des regrets), par 1 
Seyyed ibn.Taous ; les fidèles Técoutent en pleurant \ 
et en se frappant la poitrine. Il s'agit de la mort 
d'Hoséin et cela se passe à Kerbéla. 

Fatémé, flUe d'Hoséin, dit : « Le soir du jour où 
mourut mon père, j'étais debout à la porte de la tente ^ 
et je regardais, étendus sur le sol, les corps de mon ^ 
père, de mes frères et de leurs compagnons, qui avaient 
été tués ; les chevaux s'agitaient encore sur les cadavres. 
Et moi, je ne savais que penser : mon père mort, allait- 
on nous tuer, nous, les femmes et les enfants, ou nous 
faire prisonnières ? Je vis un cavalier de l'armée 
ennemie, qui s'avança vers les femmes, la lance haute. 
De sa lance, il les frappait aux bras et aux hanches et 
les femmes se serraient les unes contre les autres, 
comme des moineaux sur un buisson, en poussant des ^ 
cris de détresse. « Quelqu'un, entendant nos plaintes, 
nous viendra-t-il en aide, à nous, pauvres femmes sans 
défense, veuves et orphelines ?» Et personne n'arrivait 
pour les secourir. Cet homme vint sur moi, me frappa 
dans le dos avec sa lance ; je tombai évanouie et il 
m'arracha violemment mes boucles d'oreilles. Quand 
je revins à moi, ma tête reposait sur la poitrine de ma ^ 
tante Zéinab. Elle me dit : « Lève-toi, et allons vers 
les tentes. — Je n'ai point de voile, lui répondis-je, 
pour me couvrir le visage. — Moi non plus, dit- 
elle, je n'ai pas de voile et mon corps est devenu noir 
de coups. » Alors, je la regardai ; je vis, qu'en effet, 
elle était dévoilée et son corps tout meurtri. Ce qui 
augmentait la détresse de Zéinab, c'est que toutes les 
jeunes filles du camp venaient lui demander protection 



LE GHnSME 165 

et qu'elle les défendait, comme une poule fait de ses 
poussins. Dans le désir de s'emparer de leurs bijoux, 
la troupe ennemie les brutalisait et rouait de coups 
celle qui cherchait à les défendre. » 

Ces rouzékhanis deviennent plus nombreux et 
plus ardents pendant les mois de deuil, et surtout 
pendant les dix premiers jours de Moharrem, où le 
peuple se prépare à l'explosion de douleur qui mar- 
quera le jour de l'^Achoura. Pour s'assurer la faveur 
populaire, avec le suffrage du clergé, les princes pro- 
ches du Trône et les principaux seigneurs de la Cour 
possèdent dans leur palais des HoséiniéSy c'est-à-dire 
des cours affectées aux rouzékhanis annuels. Dix 
jours durant, l'Hoséinié est ouverte à la foule, qui 
y trouve à pleurer et à se nourrir : des plats de riz, 
du thé, du tabac, quelquefois même de l'argent. 
Cette année, les premières semaines de Moharrem cor- 
respondaient à la seconde quinzaine de février ; j'ai 
vu ces cérémonies dans la maison de l'Atabek-è- 
A^'zam (Emin-os-Soltaneh) à Téhéran. La vaste cour 
était couverte d'une tente, les murs drapés d'étoffes 
noires ; les fenêtres ouvertes formaient autant de 
loges pour les invités. Chaque jour, la réunion com- 
mençait à 3 heures de l'après-midi, pour finir à 10 ou 
11 heures du soir. Une foule énorme rempUssait la 
salle illuminée ; les rouzékhans se ^succédaient dans 
la chaire, débitaient leur histoire et faisaient gémir 
leur pubUc; des plateaux de pillau circulaient; 
une voix s'élevait parfois, pour publier les louanges 
de la famille du Prophète et provoquait alentour une 
immense acclamation ; un nouzékhan (celui qui fait 
des lamentations) se mettait à chanter quelques vers, 
accueilUs par des hurlements de douleur. De cons- 



166 LA PERSB D'aujourd'hui 

tantes allées et venues se produisaient ; les pieuses 
gens visitent les divers rouzékhanis delà ville, comme 
on fait chez nous, la semaine sainte» aux tombeaux 
des églises. Les destés des processions pénétraient, 
au milieu du bruit et des lumières, pour recevoir 
un chflle du maître de la maison. 
'^ Les jours précédents, les processions se préparent 
pour la grande manifestation du 10 Moharrem, anni- 
versaire de la mort d'Hoséin. Chaque quartier, 
chaque corporation, chaque mosquée forme son 
groupe spécial, sous la direction d'un desté-^badii, 
nommé par les membres ; ceux-ci se cotisent en vue 
des dépenses et les grands personnages y contribuent 
par d'abondantes subventions. Un loosil est affecté 
aux accessoires du groupe, lampes, miroirs, tapis, 
étendards. Personnel et matériel sortent les jours 
de katl^et les dix premières nuits de Moharrem. 

L'*Achoura est le grand jour de deuil. Dès le matin, 
les destés s'organisent dans tous les coins de la viUe 
et se dirigent vers le bazar, où ils doivent viMter 
l'imamzadé Zéid, avant de se réunir au Sebzé- 
Méidan. La foule envahit la place, les toits et les 
terrasses voisines ; les destés y convergent par toutes 
les issues du bazar ; ils se cognent les uns contre 
les autres et se mêlent en un remous sanglant. Cha- 
que groupe s'avance, précédé de ses insignes; la 
main d'^Âbbas, des drapeaux verts et noirs noués 
ensemble, des alems, édifices bizarres, surmontés 
de plumes et de plaques métalliques, qui doivent 
symboliser le chiisme ; des chevaux drapés de noir, 
représentant les montures d'Hoséin, de ses fils et de 
ses frères ; enfin, un cheval ensanglanté, portant une 
colombe, en souvenir d'un épisode de la mort du 



LE GHII8ME 167 

S« Imam : quand Haséin fut tombé» son cheval s'em- 
portait à travers le champ de bataille» une colombe 
se posa sur sa selle et le ramena à la tente de Zéinab» 
pcmr informer de l'événement la sœur du défunte 
Derrière, se presse nne ignoble cohue : serrés les uns 
contre les autres» titubant comme des ivrognes, des 
hommes, {ueds nus, vêtus de blanc, se tailladent à 
coups de sabre la tête rasée ; le sang ruisselle sur les 
visages et rougit les robes blandies ; des individus, 
armés de bâtons, s'appliquent à détourner les coups 
trop vigoureux. Ce sont des vœux faits au cours de 
l'année écoulée qui imposent ces horribles pénitences; 
les ridées s'en rachètent à prix d'argent ; mais il y 
a de tout jeunes gens dans cette masse humaine, et 
même des enfants, trop faibles pour se frappa eux- 
mêmes, que l'on promène à cheval, avec une entaille 
sur la tête. Du haut des terrasses, les femmes pous- 
sant des gémissements et jettent leurs mouchoirs à 
ces victimes volontaires. 

Tous les groupes ne s'infligent pas un traitement 
aussi cruel. Les kamazen sont seuls à se donner des 
coups de sabre ; les sinézen^ qui sont les plus nom- 
breux, se Uvrent à de moins sanglantes pratiques. 
Us marchent en ligne, la poitrine découverte et, 
d'un mouvement cadencé, rabattent leurs poings, 
qui laissent sur la peau une marque rouge. Les Ber- 
beris se fustigent les épaules avec des mailles de fer ; 
les Loures de Bouroudjird, la tête souillée de boue, 
agitent les bras comme des gjrmnastes et les ramè- 
nent sur leurs torses nus... Tous répètent inlassable- 
ment le cri spécial au desté dont ils dépendent ; les 
uns crient : « Schah HoséinI » les autres « Hasan I 
Hoséin ! » Certains répètent une formule connue des 



168 LA PERSE d'aujourd'hui 

lamentations, gémie par le rouzékhan attaché à leur 
groupe : « Donnez à boire aux lèvres altérées de mon 
roi » ou « Que devons-nous faire ? Hoséin n'a pas 
de linceul. » — Ou bien encore : « C'est aujourd'hui 
le jour de l'^Achoura et ces événements se passèrent 
à Kerbéla^. » — Chaque année ramène les mêmes destés 
et la foule accueille de ses transports les groupes les 
plus populaires, ceux de la corporation des marchands 
d'étoffes et du quartier de Mirza Mohammed Réza. 

Sous les arcades du Sebzé-Méidan,se tient le chef de 
la police ; les pénitents viennent auprès de lui s'ad- 
ministrer leurs derniers coups de sabre ; c'est leur 
manière de solhdter l'élargissement d'un prisonnier, 
auquel le groupe s'intéresse. La prison est tout proche, 
dans une des portes de l'Ark, et le détenu relâché 
vient aussitôt remercier ses libérateurs. S'il y a retard 
dans la décision de l'autorité ou erreur dans la per- 
sonne remise, les cris se font plus furieux, les entailles 
plus fortes, jusqu'à ce que ces forcenés aient obtenu 
satisfaction. Cette année, les destés se tailladèrent 
avec enthousiasme devant la légation d'Angleterre, 
pour remercier la diplomatie britannique du concours 
prêté par elle à la révolution persane. Dans l'après- 
midi, les héros du matin se promènent allègrement par 
la ville, la tête enveloppée de bandages ensanglantés. 

Les chiites ne se contentent pas des sermons sur 
la Passion et des mortifications en l'honneur des 
imams ; ils veulent avoir, en outre, la représentation 
tangible des scènes fondamentales de leur religion. 



1. A Tauris et dans le Caucase, les processions de TAchoura adoptent 
les cris de c Schah Hoséin! Va! Hoséin ! -^ O Roi Hoséin! Hélas, 
Hoséin ! » D*où le nom de Schaksé-Vaksé, que les Européens donnent 
à la cérémonie. 



I.E CHIISME 169 

Les ia'^ziés^ mystères, dont le principe remonterait 
aux Séfévis, ne se sont développés et généralisés 
qu'au cours du dernier siècle. Dans les villages, on 
joue la tragédie sur une place quelconque, recouverte 
de toiles, tendue de noir, décorée de tapis, de cristaux 
et de lampes ; à Koum, j*ai vu des acteurs en costume 
représenter, parmi les tombes d'un cimetière, le mar- 
tyre des Imams. A Téhéran, chaque quartier pos- 
sède son iékieh spécial, entretenu par des fondations 
pieuses ou par les cotisations des habitants : les grands 
personnages tiennent à en avoir un dans leur propre 
maison ; si bien que les représentations se suivent, 
ininterrompues, pendant les mois de deuil. Les plus 
belles ont lieu dans le tékieh royal, ouvert les dix 
premiers jours de Moharrem. 

Ce tékieh est une immense rotonde, attenante au jar- 
din du Gulistan ; la direction en appartient au Nazir. 
surintendant du Palais, la police au ferrach-bachi ; 
deux étages de loges sont ménagés dans l'épaisseur 
des murs, celui d'en haut réservé à Vandéroun du 
Schah, celui d'en bas réparti par les soins du Nazir 
entre les princes, les ministres et les dignitaires de la 
Cour. Vide tout le long de l'année, la rotonde prend, à 
l'époque des représentations, le plus magnifique 
aspect. Un drapeau noir flotte sur l'édifice. On le 
recouvre d'une tente, créant un demi-jour propice 
au recueillement des esprits ; de longues tentures de 
deui pendent le long des murs ; des cartouches à 
fond vert contiennent une série de versets, tirés 
d'un poème classique sur la mort d'Hoséin^. Les 

1. Ce poème a été composé par mi certain Mohtechem à la fin du 
premier siècle de Thégire ; les vers en sont usités dans toutes les céré- 
monies de deuil : on les introduit dans les ta^ziés, ce sont les lamenta- 
tions que chantent les rouzékhans. 



170 LA PERSE D'aujourd'hui 

loges de la galerie supérieure sont fermées d'étoffes 
ajourées ; celles de la galerie inférieure ornées par 
leurs titulaires de tapis et de glaces, précédées d'une 
rangée de cristaux, de lampes et de flambeaux. La 
foule envahit le parterre. Au centre, la seéae ronde 
et peu élevée ; autour, une allée reste libre pour les 
dégagements et la figuration. Une cbaire est adossée 
au mur; au devant, un poteau couvert de dorures, 
d'où pend un drapeau vert, Tétradard d'Hostin. De 
grandes vasques, remplies d'eau, sont placées aux 
quatre coins de la salle et plusieurs petits garçons, ea 
costume arabe, offrent à boire au nomd'<Âbbas; 
les vœux faits par leurs par^ts les ont consacrés 
pour cet office. 

 midi les rouzékhaniscommenceiitdansle ttideh; 
les représentations ont lieu à 3 heures et à 7 heures, 
celles du jour revêtent un caractk'e sacré et le parteire 
est réservé aux femmes ; celles du soir sont moins 
nombreuses, presque toujours profanes ; les hommes 
y sont seuls admis.Maislet^eh resplendit de lumières 
et le coup d'oeil en est beaucoup plus beau, 

Mo«in-è-Boka ^'auxiliaire des larmes) dirige la 
scène ; un vieillard à barbe blanche ; il se présrate, 
vêtu de longues robes, un bâton à la main et portant 
dans sa ceinture de cachemire les innombrables 
rouleaux, dont chacun contient les rôles d'une tragé- 
die. Voici trente-sept ans qu'il préside aux ta«ziés 
royaux et son père, avant lui, remplissait déjà pareil 
office. Le père et le fils ont donné leur forme actuelle à 
la plupart des pièces aujourd'hui représentées. Monn- 
è-Boka détient une fonction de cour ; chaque année, 
dans le courant du mois de Ramazan, il procède au 
recrutement de sa troupe, panni les meiUeurs chan- 



LE CHilSME 171 

teurs et musiciens, signalés à Téhéran ou dans les 
provinces ; il condut avee eux un contrat de quatre 
mois; en tout, 200 personnes, ta^ziikkans, avec 
dix sous-cbefo. La troupe répète les tragédies pen- 
dant les mois qui précèdent, pour les jouer en 
Moharrem et en Séf^. Elle ne reste en son entier que 
pour les représentations royales; ensuite elle se di^^ 
en autant de fractions que de sous-chefs et dessert, 
sous la haute direction de Mo«in-è-Boka, les divers 
tékiehs de la capitale. Il peut y en avoir une cin-* 
quantaine, donnant chacun dix journées de repré- 
sentations. 

Les pièces sont tirées des actes des Martyrs, quel- 
ques-unes des légaides iraniennes. Monn-è-Boka sou- 
met au duHx du roi la série qui doit être représentée 
dans letékiehroyaLTelfutlerépertoiredecette année : 

!•' Mohamm. La mort du Prophète. La première 
tragédie est ordinairement précédée d'une soènt au 
COUTS de laqudle «Ali lie les deux pouces du dwt afin 
d'écarter Faction des mauvais génies de l'Iran. 

2. La mort de Fatémé. 

S. Les adieux à Médine. Avant de partir pour 
Kerbéla, l'imam Hoséin fait un dernier pèlerinage au 
tombeau de Mahomet. Il envoie en avant son cousin 
Moslem. 

4. Martyre de Moslem et de ses deux fils. Le soir, 
rËmir Timour ; puis la mort de Zéinab, sœur de 
rimam Hoséin. 

5. L'arrivée de l'imam Hoséin à Kerbéla et la 
mort de Hour. 

6. Le martyre d'«Abbas, frère de l'imam Hoséin. 
Le soir, le roi Salomon vient au secours de l'imam 
Hoséia ; il arrive malheureusement trop tard. 



172 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

7. Le martyre d*Ali Akber, fils de rimam Hoséin. 
Le soir, Joseph vendu par ses frères ; son aventure 
avec Zuleïkha. 

8. Le martyre de Kazem, fils de l'imam Hasan ; 
puis le mariage de Salomon avec Belkis, reine de Saba. 

9. La famille d'Hoséin est amenée prisonnière à 
Damas, à la cour du khalife Yézid. 

10. Le martyre del'imam Hoséin, prince des Martyrs. 
On eut la bonté de me faire assister à trois de ces 

représentations, les 2, 3 et 5 Moharrem ; j'ai égale- 
ment vu celle du 7 au soir, où fut convié, suivant 
l'usage, le corps diplomatique, pour admirer, sous 
sa forme iranienne, la rencontre de Joseph avec la 
femme de Putiphar. Les Persans éprouvent une 
vive répugnance à exposer les mystères chiites aux 
railleries des incroyants. Le spectacle magnifique, 
qui se déroule sur la scène, arrache aux assistants 
des cris de douleur. La masse féminine du parterre 
est secouée de sanglots. Dans la loge où je me trou- 
vais, des hommes graves et âgés ne détachaient pas 
de leurs yeux des mouchoirs trempés de larmes. Et 
cela dans un sentiment moins religieux que national ; 
tant il est vrai que l'évolution historique de l'Iran a 
fait du deuil d'«Ali la plus pure manifestation du 
patriotisme. 

Tandis que, du haut du tékieh, les nakaradjis 
embouchent leurs trompettes, un long cortège pénè- 
tre dans l'allée circulaire ; ce sont les domestiques "du 
Palais qui se rangent autour delà scène. Un rouzékhan 
chante des vers à la louange du Roi : 

V 

Pour régner en roi, comme un soleil brillant, est 
apparu Mohammed «Ali Schah, conservateur de 



LE CHIISME 173 

r Univers, n porte sur la tête une couronne impériale 
et sacrée. Béni soit celui (Dieu) qui conserve sa royale 
personne I 

Puis il se met à réciter des lamentations et, d'un 
mouvement unanime, les serviteurs royaux marquent 
la cadence des vers en ramenant leur poing sur leur 
poitrine. Le prélude terminé, les acteurs, introduits 
par Mo4n-è-Boka prennent place sur la scène. Le 
décor est fort simple : un lit de repos, des canapés, 
des fauteuils, — en cas de besoin, le tombeau du 
Prophète ; par terre, un amas de paille hachée, dont, 
en signe de douleur, se couvriront les témoins des 
martyres. A plusieurs mètres en l'air, l'ange Gabriel 
occupe une cage de bois, garnie de feuillages. Un sys- 
tème est installé pour faire glisser les messagers 
célestes du haut de l'édifice. Tous les rôles sont tenus 
par des hommes ; son rouleau à pa main, Mo*in-è- 
Boka se place successivement derrière chaque acteur 
et fait ofllce de soufQeur. L'action se déroule lente- 
ment, dans une suite de scènes raccordées les unes aux 
autres. Les gens d'«Ali s'expriment en chantant ; leurs 
adversaires parlent d'une voix arrogante et le public 
reconnaît, au premier mot, ceux des personnages 
auxquels doit revenir sa sympathie. La beauté des 
costumes, la précision de la mise en scène, l'exacte 
reproduction des coutumes arabes primitives font 
l'intérêt de ces tragédies. Les batailles, les voyages en 
caravane entraînent une merveilleuse figuration. 
C'est tout le train royal, qui défile à travers letékieh: 
chameaux, mulets, voitures et litières, entourés d'un 
flot de cavaliers. Le martyr, sur un cheval harnaché de 
pierreries, fait solennellement le tour de la scène, au 



174 LA PBRgB d'aujourd'hui 

son d'ane musicpie lugulffé et paran les sanglots des 
spectateurs. 

La représentation des tragédies coûte au Trésor 
Royal une somme annuelle de 30.000 tomans. Le 
7Moharrcm, au soir, il est d'usage que le Schah visite 
successivement toutes les loges; les titulaires recon- 
naissent cet honneur par des dons d'argent, de châles 
ou de tapis. C'est une moyenne de 10.000 tomans qui 
rentre de cette manière et vient en déduction des 
débours. 



VIII 
LA RÉVOLUTIOis[ PERSANE 



L'évolution il«.)aqiieftttoii persane. — L'Iran. — Formation de 
la Per^e modérno. L'autocratie et la domesticité royale. — 
L'organisation du dérgé chiite: lés moud/ieheds. — L'équilibre 
du pouvoir civil et du poBvoir religieux. — Le libéralifime 
en Perse : son origine et ses' progrès. — Affaiblissement 
des pratiques religieuses '; dlflusion à^ii soufisme. — Péné- 
tration dès idées européennes. — Prépondérance de la 
langue française. — Organisation de services^ publics par 
des lonctioxmaires étrangers. — Voyages du Scliâh en Çurope. 
— Expansion dii commercé persan. — Création d'une presse 
persane. — Les enseignements de la guerre russo-japonaise: 
•— Nécessité d'un chi^igement de régime. — La politique 
anglaise appuie la révolution. — Composition du parti 
libéral persan ; il prend refuge à la Légation d'An^eterre. 
-— Inauguration du Paiement» -^ Pénibles débuts du sys- 
XJfao» constitutionnel. — Les crises locales : la révolution à 
Cbiraz. — Les lois fondamentales. — Tiraillements entre 
la Couronne et le Parlement. 

Jusqu'ici» les préoccupations européennes ne s'é* 
taient pcrint portées sur l'Iran ; son éloignement le 
tenait à l'écart du j^stème de l'Europe» voire de celui 
de rorient. Un instant» les vastes combinaisons de 
Napoléon envisagèrent le concours de la P^se contre 
la domination anglaise aux Indes. Pendant tout le 
cours du demi^ siède» le développement parallèle 
des Empires anglais et russe en Asie livra la déca- 
dêiKie iranienne aux tiraillements (Ascurs d'une inces* 



176 LA PERSB d'aujourd'hui 

santé rivalité ; le terrain resta abandonné aux deux 
diplomaties adverses, aux recherches des orientalistes 
et des archéologues. La récente pénétration alle- 
mande, dans TAsie antérieure, mit une influence 
nouvelle en contact avec Tlran. La révolution per- 
sane et raccord anglo-russe ont définitivement intro- 
duit l'affaire de Perse dans le domaine de la politique 
générale. 

La Perse est un immense plateau, bordé de grandes 
montagnes ; les cours d'eau qui en descendent créent 
des vallées fertiles et des oasis de verdure ; partout 
ailleurs le désert. Au Nord, la chaîne de l'Elbourz 
descend rapidement vers la Caspienne, au milieu 
de magnifiques forêts. A l'Ouest, les portes du 
Zagros, ouvertes dans la chaîne du Kurdistan, con- 
duisent ^lâ plaine du Tigre ; — au Sud, les Koials 
s'eiifoiïcent, d'étage en étage, jusqu'au golfe Persi- 
-^e D'Alexandre à Tamerlan, c'est-à-dire pendant 
dix-sept siècles, l'Iran vit passer les conquêtes et les 
migrations de peuples : Grecs, Arabes, Turcs et Mon- 
gols. La montagne préserva, seule, les populations 
primitives ; le versant de la Caspienne — Taliche, 
Guiilan, Mazandéran — maintint la pureté de la 
race iranienne. Kurdes, Loures et Bdoutches 
persistèrent dans les chaînes occidentale et méri- 
dionale. Dans le plat pays, les Iraniens furent aisé- 
ment décomposés : Turcs et Mongols occupèrent 
r Azerbaïdjan et l'Irak Adjemi ; les Turcs prirent 
une partie du Khorassan et poussèrent leurs tribus 
jusqu'au Pars, les Arabes gardèrent l'Arabistan et 
se dispersèrent à travers le désert jusqu'au Séistan< 
Au bord du golfe Persique, un mélange d'Arabes et 
de Persans créa la population mixte des Bendéris. 



LA RÉVOLUTION PERSANE 177 

AU milieu de cette confusion ethnique, se perdirent, 
en petits groupes. Arméniens, Chaldéens, Juifs, 
Guèbres et Tsiganes. Malgré l'ancienneté de leur éta- 
blissement, ces gens ne sont point encore complète- 
ment fixés au sol ; le tiers d'entre eux vit sous des 
tentes noires, conduisant ses troupeaux des pâturages 
de l'été aux abris de l'hiver. 

On a vu que le moderne État persan ne parvint à 
émerger de ce chaos qu'au début du xvi® siècle, 
quand la dynastie Séfévie s'appuya moralement sur 
une confrérie religieuse, matériellement sur les tribus 
turques de l'Ouest. Le chiisme, devenu religion 
nationale, fournit un lien commun aux diverses 
races. Les déplacements arbitraires brisèrent la per- 
sonnalité de la plupart des tribus ; des Kurdes allèrent 
au Khorassan, des Arméniens vinrent à Ispahan. A 
la fin du XVIII® siècle, Agha Mohammed Schah s'em- 
para du pouvoir à la tête de sa tribu et fit une nou- 
velle dislocation de peuples. Il transporta vers le 
Nord les Lekhs du Fars, coupables d'avoir soutenu le 
Zend contre le Kadjar. 

Aujourd'hui, l'évolution de la Perse se trouve déjà 
fort avancée. L'unité nationale est complète. L'Arabe 
de l'Arabistan est un aussi bon chiite, un aussi bon 
Persan que le Turc de l' Azerbaïdjan ou l'Iranien 
d' Ispahan. Il n'y a plus de sunnites que parmi les 
Kurdes du Nord-Ouest. Les communautés non musul- 
manes sont relativement peu nombreuses : 65.000 Ar- 
méniens, 50.000 Juifs, 10.000 Guèbres. La besogne 
centralisatrice est également avancée ; les tribus ten- 
dent de plus en plus à se perdre dans la masse des 
ra^yat ; celles qui subsistent encore le doivent à leur 
nombre, au refuge de leurs montagnes ou à leur situa- 

AuBiN. i— La Perêe, 12 



178 LA PERSE D'AUJOUROHUI 

tion excentrique; aucune d'entre elles n'est assez 
puissante pour échapper complètement au pouvoir 
royal. 

Avant que la révolution persane eût fait intervenir 
dans le gouvernement un modeste début de contrôle 
populaire, le Schah était, en droit, maître absolu d'un 
pays qui n'avait jamais connu d'autre régime que 
l'autocratie. Du haut de son trône, dans l'éclat des 
pierreries, il présentait à la foule une apparition 
surhumaine, dont émanait un irrésistible pouvoir. Sa 
cour ne comprenait que des domestiques, courbés 
devant la majesté souveraine. Parmi eux, à défaut 
des princes Kadjars, sans souci de l'fige ni de la capa- 
cité, la fantaisie royale désignait les satrapes» chargés 
d'administrer les provinces. Le gouverneur favorisé 
partait à la curée, suivi d'un flot de domestiques, qui 
se répartissaient à leur tour les fonctions subalternes. 
Sans murmures, le peuple iranien subissait ainsi une 
hiérarchie de domestiques, sur laquelle planait la 
personne du Schah. La soumission était telle que 
l'ordre se maintenait de lui-m&ne; l'armée n'é^t 
qu'un fantôme, la police assurée par quelques cava- 
liers... D'administration, point : d'innombrables 
ministres étaient titulaires de départements inexis- 
tants et leurs agents dans les provîntes jouissaient de 
paisibles sinécures. Un corps de Moustofls tenait une 
apparence de comptabilité. Le Sadr Â'zam suffisait à 
diriger la politique, c'est-i-dire à maint^r coor- 
donnés, par une intelligente diplomatie, les divers 
éléments du royaume. Le paysan payait l'impôt, 
mais il était admis que le produit n'en arrivât pas ' 
au Trésor ; l'argent était détourné par les intermé- 
diaires, fournissait un nombre exagéré de traitements 



LA RÉVOLUTION PERSANE 179 

et de pensions ; souvent même il était immédiate- 
ment perçu par les bénéficiaires de tiygouls. D*ùn 
mouvement ininterrompu, la substance du pays 
remontait vers le Schah à titre de pichkechs, destinés 
à capter la faveur souveraine ; il redescendait d'en 
haut, sous forme d'on-am^; car l'habitude des cadeaux 
fait le fond des rapports entre Persans. Pour gou- 
verner l'indolence raflBnée de l'Iran, il suffisait au 
Schah de distribuer autour de lui des diamants et des 
cachemires, d'attribuer, sous des noms divers, des 
sinécures identiques, de concéder grades, pensions et 
tiygouls^ et surtout de multipUer les lakabs, qui rem- 
placent le nom primitif par un titre approprié. 

La domesticité royale aurait eu beau jeu en Perse, 
si elle n'avait trouvé devant elle un clergé fortement 
organisé. Malgré les bouleversements multipliés, la 
tradition des anciens mages et le principe d'une caste 
religieuse s'étaient conservés dans l'Iran. Ces idées 
s'imposèrent aux Séfévis, lors de l'organisation du 
chiisme en religion nationale. Bien que le Roi fût un 
seyyed, issu d'une famille religieuse, les mollahs se 
refusèrent à admettre que la même personne pût 
réunir l'autorité spirituelle à l'autorité temporeUe ; 
il fallut donc élever un grand pontife à la dignité 
de chef de l'Église. Bien plus, le Coran étant rédigé 
en arabe, les prêtres en profitèrent pour interdire aux 
fidèles, ignorants de la langue liturgique, tout contact 
avec le livre sacré, et la vie reUgieuse devint, en Perse, 
le monopole du clergé. Cependant, l'origine chérifienne 
des Séfévis, la puissance de leur dynastie les garanti- 
rent contre les empiétements de l'ordre ecclésiastique. 
Le grand pontife épousait généralement une prin- 
cesse et vivait à Ispahan dans l'ombre de la Cour. 



180 LA PERSE d'aujourd'hui 

La décomposition de la Perse au xviii« siècle et Tavè- 
nement des Kadjars permirent au clergé d'accentuer 
son rôle. Agha Mohammed Schah avait tenté d'orga- 
niser le corps des mollahs sur le modèle turc, en nom- 
mant des IiTKunS'Djoum^é, des Kazis et des Cheikhs- 
oui-Islam, pour le culte des mosquées, l'administra- 
tion de la justice et l'interprétation de la loi ; ces fonc- 
tions, tombées en désuétude, ne représentent plus 
que des titres vains. L'Imam-Djoumé, l'Imam de la 
Congrégation, reste, dans chaque ville, le chef officiel 
des Akhounds et préside, dans la mosquée royale, à 
la prière du vendredi ; c'est un simple fonctionnaire, 
nommé par le Schah, qui ne possède, en matière reU- 
gieuse, aucune autorité réelle, et s'efface presque tou- 
jours devant les moudjieheds, recommandés, par leur 
piété et par leur science, au suffrage des croyants. 

Comme en tout pays d'Islam, le clergé persan est 
fort nombreux. Il s'augmente d'une énorme propor- 
tion de seyyeds, en turbans bleus ou verts, descen- 
dant, plus ou moins authentiquement, des Alides, 
réfugiés sur cette terre d'élection. Ces gens président 
au culte, à la justice et à l'instruction pubUque. Les 
pichnamazs font la prière dans les mosquées, les pré- 
dicateurs y haranguent la foule, les rouzékhans la 
font pleurer sur le martyre des Imams. Les talébès 
— étudiants — se font lecteurs de Coran ou maîtres 
d'école. Dans chaque quartier des villes, dans cha- 
que agglomération des campagnes, ils ouvrent une 
école dans une petite boutique, ou dans quelque 
mosquée eh ruines. Chez eux, la jeunesse persane ap- 
prend à lire dans le Coran, dont elle ne comprend 
pas la langue, et s'initie à la culture iranienne, parles 
vers de Sa«=di et de Hafiz, dont la philosophie lui 



LA RÉVOLUTION PERSANE 181 

échappe... Ceux qui désirent acquérir un supplément 
de connaissances fréquentent les médressés, mal 
entretenues d'ailleurs, ou suivent plutôt les leçons 
de professeurs et de moudjteheds en renom. 

Car le moudjtehed attend dans sa maison aussi bien 
les élèves que les plaideurs. Il est le docteur de la loi, 
celui que le consentement unanime reconnaît capable 
d'une déduction logique des textes, et qualifié en con- 
séquence pour distribuer la justice entre les hommes. 
Assisté de greffiers et d'avocats, le moudjtehed 
tient un tribunal ; il évoque les affaires déjà jugées 
par les pichnamazs des mosquées ou les gardiens des 
tombeaux, qui font fonction de notées et de juges 
de paix ; il retient les causes relevant de la loi reU- 
gieuse, abandonnent à l'autorité civile celles qui res- 
sortissent au droit coutumier... En cas de besoin, 
les appels vont au tribunal, formé par la coUectivtié 
des grands prêtres. Naguère, les moudjteheds s'arro- 
geaient le droit d'exécuter leurs propres sentences, 
fût-ce en matière criminelle. Nasr ed-Din-Schah par- 
vint à réduire ces prétentions : il est désormais admis 
que les autorités compétentes se chargent de saisir 
les moudjteheds et d'assurer l'exécution de leurs déci- 
sions. 

La multipUcité des tombeaux saints, éparpillés 
dans le pays, ouvre au clergé persan une activité 
spéciale ; les gardiens des tombeaux sont le plus 
souvent des seyyeds élus par la voix populaire ; mais, 
dans les tombeaux illustres, notamment à Méchhed, 
où l'influence d'un moutevelli-bachi pouirait devenir 
dangereuse, le gouvernement désigne des fonction- 
naires de son choix. 

Dans l'Islam chiite, où la disparition du douzième 



182 ui PBRtE D'aujourd'hui 

Imam a privé le» fidàles des lumières d'en haut, les 
grands moudjteheds formentla réunion des Pères» char- 
gés de maintenir l'^se, veuve de son chef, dans une 
voie aussi droite que Iepermetrhumainefaiblesse.Bien 
que de vulgaires mollahs aient réussi à s'élever par leur 
science, à la dignité demoudjteheds, il est rare que le 
peuple accepte comme tels des gens qui ne lui soient 
pas désignés par une longue hérédité religieuse. Parmi 
les moudjteheds d'un même Ueu» la voix publique en 
distingue certains comme grands moudjteheds; et 
tous les grands moudjteheds du chiisme se plient à 
Tautorité d'un ou plusieurs d'entre eux, envisagés 
comme chefs suprêmes de la religion. Au xviii® siècle, 
quand les pontifes d'Ispahan eurent cessé de dominer 
le chiisme, il y eut un moudjtehed de Koum qui jouit 
d'une universelle autorité. Depuis l'avènement des 
Kadjars, la capitale religeuse a été transférée aux 
Lieux Saints de l'Irak-Arabi, principalement àNedjef, 
auprès du tombeau d'°Âli. Les moudjteheds des 
villes saintes, — Nedjef, Kerbéla, Kazemein, Samarra, 
— tranchent, comme juges suprêmes, les procès à eux 
soumis par les pèlerins et dispensent leur enseigne- 
ment aux étudiants accourus de tous les points de 
l'Iran. Le gros des oulémas, c'est-à-dire le clergé 
supérieur de la Perse, est désormais formé par les 
Pères de Nedjef ; le plus illustre d'entre eux, Âkhound 
Mollah Kazem Khorassani, peut-être considéré, à 
l'heure actuelle, comme le suprême pontife du chiisme 
Gardiens de la rehgion nationale, dispensateurs de 
l'enseignement, juges imiques en matière religieuse, 
appuyés sur le peuple des mollahs et des seyyeds, les 
moudjteheds possédaient seuls une autorité suffisante, 
pour tenir tête au pouvoir royal, dont ils prétendaient 



LA MfcVOLUTIQN FBBSANIP 183 

efitiquar les «ctes» à là lumièrt de la religion. 11$ for* 
maient une apparence d'opinion publique et se po- 
talent éventuellement en tribuns populaires contre 
Tarbltralre des grands. En fait, deux pouvoirs coexis- 
taient en Perse» se contrebalançant l'un par l'autre : 
le pouvoir dvil, représenté par la cour ; le pouvoir 
religieux, par les moudjtebeds. De l'harmonie des 
deux pouvoûn résultait la paix publique. 

La situation réciproque de l'élément civil et de 
l'élément religieux varie sur chaque point de l'Iran. 
NuUe part, sauf dans les principales villes, où s'est 
développée une classe intermédiaire, composée de 
négociants, d'employés et de propriétaires aisés, il 
n'existe de classe moyenne. Le pays appartient tout 
entier à une aristocratie restreinte, enrichie par le 
pouvoir ou par la religion. C'est pour cette aristo- 
cratie que peine, résignée, la masse populaire, cons- 
tamment fixée au sol, sauf pendant les pèlerinages 
périodiques, qui l'attirent aux divers Lieux Saints du 
chiisme. Téhéran est à la cour; Méchhed au personnel 
du tombeau de l'Imam Réza ; Koum au gardien du 
tombeau de Fatémé. L'Âzerbaldjan appartient à un 
groupe de familles turques, que fit surgir la décompo- 
sition du xviii^ siècle ; dans les provinces caspiennes, 
les anciens chefs indépendants conservent l'autorité 
sur leurs domaines. Les tribus sont aux Ilkhanis ou à 
la collectivité des aghas de viUages. Les grands moudj- 
tebeds locaux dominent à Kachan, Sultanabad et 
Zendjan. A Ispahan, le prince-gouverneur et le grand 
moudjtehed se partagent la province... Dans le Sud, 
chaque district a son seigneur, et le Fars entier appar- 
tient à la puissante famille de Kavam-ol-Molk. Aux 
extrémités occidentales, le Vali du Poucht-i-Koh et 



184 LA PERSE d'aujourd'hui 

le Cheikh de Mohammérâh gardent encore une bonne 
part d'autonomie. 

Le progrès des idées libérales tend à écarter ce vieux 
système fondé sur l'opposition de deux pouvoirs et à 
associer directement le peuple de l'Iran au gouverne- 
ment du pays. Chose curieuse, les aspirations à la 
liberté sont nées de l'évolution même de la religion 
chiite et trouvent, à l'heure actuelle, leur principale 
force parmi les mollahs. Bien que l'idée d'impureté, 
héritée du Mazdéisme, ait de prime abord rendu le 
chiisme beaucoup plus intolérant que le sunnisme 
à l'égard des non-musulmans, il n'en constitue pas 
moins un Islam beaucoup plus souple que l'autre et 
mieux disposé aux transformations, h commente 
plus librement la parole divine contenue dans le 
Coran et, s'il s'abstient de discuter le texte même, il 
en interprète volontiersla signification. De plus, l'asso- 
ciation des douze Imams à l'infaillibilité du Prophète 
lui vaut un luxe de traditions, qui permet de présenter 
et de soutenir les innovations les plus audacieuses. La 
liberté de pensée, la liberté de parole sont aujourd'hui 
déduites d'un oracle obscur, attribué à quelque Imam. 

D'ailleurs, la dévotion, les pratiques religieuses 
se sont affaiblies dans les classes élevées. Non point 
qu'un cerveau musulman puisse jamais effacer l'em- 
preinte de l'Islam, ni qu'une âme persane renonce au 
chiisme, devenu le symbole de sa nationaUté. Mais 
l'imperfection de la prière, résultant de l'absence de 
l'Imam, la formation quasi chrétienne du dogme 
chiite, les manifestations de deuil, auxquelles se réduit 
le culte populaire, ont peu à peu détourné les esprits 
cultivés de la pratique d'une religion dégénérée. Le 
soufisme, c'est-à-dire la forme musulmane des systèmes 



LA RÉVOLUTION PERSANE 185 

panthéistes de Tlnde, avait servi au triomphe du 
chiisme et se répandit, par la suite, à la faveur de la 
religion dominante; il fournit des doctrines proprices à 
la crédulité des ignorants aussi bien qu'à TinteUectua- 
lisme des raffinés. Le peuple s'engagea dans la voie des 
•AU-Allahis et des sectes analogues, qui, poussant le 
chiisme à l'extrême, finirent par diviniser «Ah. Il se 
créa une vie monacale errante et solhciteuse, selon la 
règle des Kaksars et des "Adjems. De leur côté, les 
gens cultivés, préférant au dogme mystique la spécu- 
lation philosophique, suivirent les enseignements des 
théologiens et des penseurs. L'Iran écarta les con- 
fréries rehgieuses du sunnisme pour en étabUr de 
plus conformes à ses goûts ; sous le couvert d'une règle 
de vie et d'une disciphne de prières, ces confréries 
devinrent, à l'usage du petit nombre, de véritables 
écoles de philosophie. 

La chaîne spirituelle des confréries chiites remonte 
au tronc commun du soufisme, dont elle se détache 
au cheikh Mahrouf, de Bagdad. A l'époque de Tamer- 
lan, un seyyed de Syrie, Schah Né«metoullah, vint en- 
seigner à Ispahan, Chiraz et Kerman, où il est enterré. 
Son fils, Schah KhaUl, porta la doctrine aux Indes et 
la maison mère des Né«metoullahis se maintint à 
Haïderabad, dans le Dekkan. L'absence du chef, 
l'hostihté des mollahs arrêtèrent l'extension de la 
confrérie dans l'Iran. Dans la seconde moitié du 
XVIII® siècle, un N^émetoullahi d'Haïderabad, Seyyed 
Ma«soum Ali Schah, fils d'un vizir du Nizam, entre- 
prit d'exercer son apostolat en Perse et d'y rétablir 
la splendeur de la doctrine. Les Né«metoullahis et 
leurs dérivés forment aujourd'hui la secte la plus 
considérée parmi l'intelUgehce persane. En bons 



186 LA PSME d'aujourd'hui 

Soufis» Us croient à Tanéantissement définitif des 
êtres dans l'essence divine ; ils prêchent le dégage- 
ment des choses terrestres et le perfectionnemrat 
de l'individu. 

Au xix« siècle, en dehors de toute confrérie reli- 
gieuse, un mouvement nouveau se marqua dans le 
chiisme. Les mollahs sentir^at le besoin de restituer 
la pureté primitive d'une religion incessamment dé- 
formée parles superstitions populaires. Un Arabechiite 
de Bassora, Cheikh Ahmed Ansari, enseigna la doc- 
trine cheikhie, qui s'efforce de nettoyer et de spiritua- 
liser ledogme, envahiparlesbroussaiUesdela tradition. 
De son école, sortit le Bab : l'Orient est la terre bénie 
du surnaturel, les hommes y sont constamment atten- 
tifs aux messages de Dieu, préparés à la venue d'un 
nouveau Prophète, d'un nouveau Messijp. Seyyed Ali 
Mohammed, de Chiraz, rejeta la méthode ordinaire des 
docteurs del'Islam, pour se présenter en précurseur de 
l'Imam Mahdi. Le Beyarit qui contient sa doctrine, 
descendit sous forme de versets. Le système en est 
si hardi, la morale si pure, qu'il a fait l'admiration de 
tous les orientaUstes. Il va sans dire que l'ortho- 
doxie fut énergiquement défendue par le corps des 
mollahs. Jusqu'à la dernière génération, toutes les 
villes de l'Iran restèrent divisées^ en deux partis 
adverses par les querelles des Haïdaris et des Né«métis, 
des orthodoxes et des derviches. Les oulémas signa- 
lèrent impitoyablement les novateurs à la vindicte 
du bras séculier; Nasr-ed-Din-Sehah fit fusiller le 
Bab, coupable d'annoncer le retour du 12^ Imam. 

A l'heure actuelle, les querelles religieuses sont à 
peu près apaisées ; presque tout le monde se déclare 
publiquement orthodoxe, ne reconnaissant que les 



LA »*V0l-yTION PBR8ANÇ 187 

Livres Shunts et les traditions. Mais, en fait, Babis, 
Cheikhis et Né^metoullahis continuent à vivre de 
façon plus ou moins ouverte. La communauté 
babie est organisée et relève de Soubh-i-Ezel, qui vit 
à Chypre; les Béhaïs, qui soiit le plus grand nombre, 
ont fait dissidence pour se rattacher à «Âbbas-Eflendi, 
établi à Saint-Jean-d'Acre. Il y a des moudjteheds 
qui jugent impunément selon la jurisprudence chei- 
khie. Les Né'metouUahis possèdent leurs couvents et 
leurs clubs ; leur chef est un Kadjar, Zahir-ed-Dowleh 
gouverneur de Hamadan. L*un des grands moudj- 
teheds de Tauris, Sakat-oMslam, passe pour être 
le principal mourchid des cheikhis. On affirme qu'U 
compte 100 000 adeptes; les Né'metoullahis se disent 
30 000; une de leurs branches, les Zahabis, dont le 
mourchid est le gardien du tombeau de Schah Tchi- 
rag à Chiraz, compterait, à elle seule 10 000 adhé- 
rents. Quant aux Babis, réels ou dissimulés il est 
impossible d'apprécier leur nombre, qui doit être fort 
grand. La plupart des Cheikhis appartiennent au 
clergé, Né<>metoullahis et Zahabis se recrutent dans 
les classes élevées ; les Babis dans la classe moyenne 
et la meilleure partie du peuple. Quoi qu'il en soit, 
et bien que les Persans évitent de se rattacher mani- 
festement à aucune de ces doctrines, il est évident 
que leur expansion est désormais générale; assez 
indifférentes en matière de dogme, elles s'accordent 
à affirmer la nécessité de réformes profondes en reli- 
gion et en politique, se font tolérantes à l'égard des 
non-musulmans et ne reculent pas, en matière sociale, 
devant les idées les plus extrêmes. Du reste, les 
théories socialistes ne sont pas étrangères à l'Iran; 
avec elles» un réformateur, du nom de Mazdak, avait 



188 LA PERSE d'aujourd'hui 

failli bouleverser le pays, au vi® siècle de notre ère, 
sous le règne de Kobad, le Sassanide. 

La pénétration des idées européennes acheva de 
mûrir dans les esprits les tendances propagées par 
les cénacles de philosophes, issus des sectes persanes. 

Il n'y a pas plus d'un siècle que la Perse s'est remise 
au contact avec le monde occidental. Les troubles 
du xviii® siècle avaient écarté les Européens, naguère 
attirés par les Séfévis. Ils revinrent sous les Kadjars. 
Dès 1807, la mission du général Gardane introduisait 
un groupe d'officiers français, auquel la Compagnie 
des Indes opposait aussitôt des officiers anglais. Il 
y eut des Anglais, qui guerroyèrent sur la frontière 
russe, des Français, qui instruisirent les garnisons 
de la frontière turque. En 1839, Ferrier vint en Perse 
et l'hostilité des Russes lui permit d'entreprendre 
en Afghanistan son fameux voyage. Depuis le milieu 
du dernier siècle, il y eut des instructeurs miUtaires, 
italiens et autrichiens. Aux efforts des uns et des 
autres, l'armée persane se montra obstinément 
rebelle; malgré la présence d'officiers autrichiens, elle 
continue de maintenir, au profit de la famille et de 
la domesticité royales, les abus du passé. 

Les médecins vinrent plus tard et réussirent mieux. 
Princes et grands seigneurs persans ont coutume 
d'introduire dans leurs suites des médecins particuliers 
et d'en faire leurs hommes de confiance. Dès son 
avènement, Nasr-ed-Din Schah fit appel à la science 
française: les docteurs Cloquet, Tholozan, Feuvrier et 
Schneider se succédèrent au Palais ; le docteur 
Coppin vint à Téhéran avec le Roi régnant ; plusieurs 
médecins miUtaires français se trouvent actuellement 
détachés en Perse. Leurs suggestions amenèrent la 



LA RÉVOLUTION PERSANE 189 

création d'un conseil de santé, chargé de défendre le 
pays contre la contagion de Tlnde et de combattre 
les épidémies si fréquentes dans l'Iran. A la suite de 
la Convention de Paris en 1903, le gouvernement per- 
san élargit spontanément l'institution primitive, y fit 
entrer les médecins étrangers avec le délégué sanitaire 
ottoman, pour leur soumettre toutes questions 
d'hygiène et de police sanitaire. Le docteur Schneider 
en fut le président. 

Les missions reUgieuses s'étaient déjà multipliées 
sous les Séfévis. Le xix« siècle ramena des mission- 
naires français, anglais et américains ; plus récem» 
ment des allemands et des russes. Les lazaristes et 
les sœurs de charité s'installèrent à Ourmiah, en 1840; 
successivement, ils essaimèrent à Salmas, Téhéran, 
Tauris et Ispahan. L'Alliance Israéhte ouvrit, à 
Téhéran, sa première école en 1898 ; l'année suivante, 
le comité local de l'Alhance Française inaugura la 
sienne. Quelques services qu'ils aient pu nous rendre, 
c'est au gouvernement persan lui-même que revient 
l'initiative d'avoir introduit la civilisation européenne 
par le moyen de la culture française. Déjà Mohammed 
Schah avait retenu notre compatriote, M. Richard 
Khan, qui devint le précepteur des princes royaux 
et écrivit une méthode franco-persane, encore usitée 
dans les écoles. Aussitôt après son avènement, 
Nasr-ed-Din Schah fonda le Dar-ol-Fonoun, l'École 
Polytechnique, qui fut un foyer d'enseignement 
supérieur, selon les méthodes européennes. A l'heure 
actuelle, les docteurs Georges et Galley y professent 
la médecine et la chirurgie ; MM. Dantan, Olmer 
et David, l'histoire naturelle, la chimie et l'art de l'in- 
génieur. Depuis son origine, la culture française n'a 



190 LA PERSE d'aujourd'hui 

cessé de régner dans cet établissement. Confiée aux offi* 
ciers autrichiens, l'école militaire développa surtout la 
langue allemande ; mais les autres écoles, — école 
des Sciences, école d'Agriculture, école des Sdences 
politiques, — se servent exclusivement de notrelangue 
également enseignée dans une soixantaine d'école» 
privées, à l'école allemande de Téhéran et dans les 
missions américaines de l'Azerbaîdjan. L'École Poly- 
technique fournit des professeurs de français aux 
écoles qui s'ouvrent dans les provinces. 

Nasr-ed-Din Schah envoya s'éduquer en France 
deux groupes d'étudiants qui se dispersèrent dans 
les institutions les plus variées. Il y en eut â l'École 
Polytechnique, à Saint-Cyr, dans les facultés de droit 
et de médecine, à l'école des Beaux-Arts et des Arts 
et Métiers, à l'école vétérinaire d'Alfort. Revenus au 
pays, ces jeunes gens eurent des fortunes diverses : 
l'un d'eux, Mohendis-ol-Memalek fut ministre des 
Travaux publics ; un autre, Moayed-os Saltaneh, mi- 
nistre de Perse à Berlin; le peintre Mirza «Ali Akbar 
Khan mérita le titre flatteur de Mozayyin-od-Dowleh, 
le décorateur de l'État; le menuisier, Oustad Haïder 
"Ali, apprit au faubourg Saint-Antoine et tient encore 
un atelier à Téhéran, dans l'avenue Almasié. Sous le 
règne de Mouzaffer-ed-Din, la jeunesse persane prit 
librement son essor vers l'Europe. Ceux de l'Azerbaîd- 
jan allèrent de préférence en Russie, ceux du Sud aux 
Indes ; le fils des négociants, en relations d'affaires avec 
l'Autriche, se dirigèrent vers Vienne, quelques grands 
seigneurs de Téhéran envoyèrent leurs enfants dans 
la réactionnaire Allemagne. Ceux qui aspiraient aux 
honneurs partagèrent prudemment leur progéniture 
entre l'Angleterre et la Russie. De beaucoup le plus 



LA RÉVOLUTION PERSANE 191 

grand nombre gagna les contrées de langue française» 
Belgique, Suisse, Constantinople et même Beyrouth. 
Dans ces dernières années» on comptait, en dehors du 
pays, près de 600 étudiants persans. A de rares 
exceptions près, où qu'ils aient été élevés, tous savent 
notre langue; à Téhéran et à Tauris, il y a même des 
moudjtehedsqui la parlent; après le français, lalangue 
la plus répandueest assurément le russe, puisFan^ais» 
surtout dans le Sud ; il a peu d'expansion dans le 
Nord, où réside la force vive de l'Iran. 

En 1898, le besoin d'emprunter et la nécessité 
de fournir une garantie aux prêteurs, obligea le 
gouvernement persan à former une administration 
régulière de ses douanes. Jusqu'alors, elles avaent 
été affermées et les fermiers disposaient à leur gré 
des tarifs afin d'attirer, sur leur domaine, le passage 
de la clientèle. Un sous-directeur au ministère belge 
des Finances, M. Naus, vint, avec un groupe d'em- 
ployés de sa nationalité, organiser les douanes per- 
sanes. Son action s'étendit rapidement ; il se chargea 
d'exécuter les dédisions du Conseil sanitaire, prit 
les postes, envahit les finances et tenta même d'ins- 
tituer un service de Trésorerie, confié à la Caisse 
impériale. Les Belges ouvrirent plusieurs écoles 
spéciales, s'installèrent à la Monnaie, dans l'adminis- 
tration des Ponts et Chaussées et de l'Agriculture, 
et envisagèrent la réforme successive des divers 
services publics. L'administration des Télégraphes 
fut constituée par les Persans eux-mêmes. On ne 
saurait assez reconnaître le mérite de la besogne 
accomplie par les Belges ; en fait, ils furent les pre- 
miers à faire pénétrer en Perse les méthodes euro- 
péennes et à y créer un corps efficace de fonction- 



192 LA PERSE d'aujourd'hui 

naires. Comme langue administrative, ils utilisèrent 
leur langue, qui est la nôtre et qui jouissait déjà en 
Perse d'une prépondérance incontestée. 

D'ailleurs, les Persans ne s'étaient point contentés 
d'importer dans leurs écoles et leurs administrations 
la culture occidentale. En même temps que les 
étudiants, le goût des voyages entraînait de plus en 
plus vers l'Europe les notables du pays. En 1873, 
Nasr-ed-Din Schah, avait donné le premier exemple ; 
il revint deux fois encore; son fils, Mouzaffer-ed-Din, 
se fit une habitude régulière de visiter les capitales 
et les villes d'eaux. Chaque déplacement fut accom- 
pagné de suites nombreuses ; si bien que la domes- 
ticité royale put entrer en contact avec une société 
nouvelle, qui lui révéla des habitudes inconnues 
d'indépendance et de liberté. Il semble que le séjour 
de Paris fit sur eux l'impression la plus vive ; les 
espoirs de régénération de la Perse s'échauffèrent 
au souvenir de notre Révolution. Plusieurs devinrent 
francs-maçons et se firent affilier aux loges françaises. 

Tandis que les études de la jeunesse, les voyages 
du Schah et la réforme de l'administration agissaient 
sur la Cour et les seigneurs terriens, le négoce dis- 
persait dans la Méditerranée et l'océan Indien 
les commerçants de Téhéran, Tauris, Ispahan et 
Chiraz. 

Les Persans, jadis incapables de s'appliquer aux 
affaires, dont ils abandonnaient le monopole aux 
Arméniens, y sont devenus fort entendus. Le commerce 
intérieur de l'Iran leur appartient presque en entier. 
Arméniens et Guèbres ne viennent qu'au second rang 
ou participent au trafic d'importation et d'expor- 
tation, en concurrence avec les grandes maisons 



LA RÉVOLUTION PERSANE 193 

persanes, quelques maisons russes et anglaises. A 
Téhéran, un petit groupe cosmopolite, où figurent 
deux maisons françaises, fait un commerce de détail. 
Les sarrafs persans suffisent à manipulerj le papier 
commercial; la Banque impériale de Perse et la Banque 
d'escompte. Tune anglaise et l'autre russe, ne durent 
leur existence qu'à des raisons politiques. Pour la 
commodité de leurs transactions, les négociants 
essaimèrent au dehors. En Russie, ils envahissent le 
Caucase ; nombreux à Tiflis et à Bakou, ils forment 
de petites colonies à Astrakan et à Moscou. Ils 
pullulent aux Indes, surtout à Bombay, Karatchi 
et Calcutta, employés à l'exportation des produits 
indiens ou à la réexpédition vers la Chine de l'opium 
persan. D'autres prospèrent à Màscate, Bassora et 
Bagdad. En Europe, il n'en existe qu'à Marseille, 
Manchester et Londres. L'importante colonie persane 
de Constantinople se consacre au commerce des 
tapis, achète les produits du continent et les importe 
par la voie de Trébizonde. Le commerce des tapis 
entretient également des comptoirs persans à Smyrne 
et à Beyrouth, davantage encore à Alexandrie et au 
Caire. 

La fermentation des idées nouvelles parmi les 
groupements persans de la Russie, de l'Egypte 
et de l'Inde, provoqua l'apparition simultanée de 
journaux, qui secrètement pénétrèrent en Perse, y 
critiquèrent l'état de choses établi et préconisèrent 
les avantages de la hberté. Le seul de ces journaux 
qui s'acquitla faveur universelle, fut Y Hahl-oul-Matin 
^'aide puissante), une feuille hebdomadaire de vingt- 
quatre pages, publiée depuis quatorze ans par un 
seyyed de Kachan exilé à Calcutta. Puis, vinrent les 

Aubin. — La Perst, 13 



194 LA PERSE d'aujourd'hui 

journaux persans du Caire, le Tchèhré-Nouma (celui 
qui montre son visage), et VHikmet (la sagesse). Un 
journal de Bakou, Irchad (la bonne voie) se répandit 
dans tout le Nord de l'Iran; il ne fut de même d'une 
feuille humoristique, rédigée en turc azéri, le Mollah 
NasT-ed'Din^ qui parut à Tiilis en 1906. En outre, les 
journaux arabesderÉgypte,notammentleMoua9ya(f, 
semèrent la bonne parole dans les rangs du clergé. 

Deux événements, la guerre russo-japonaise et 
la révolution russe, iamenèrent à maturité le mou- 
vement qu'avaient initié, partaii l'intelligence persane, 
aussi bien civile que religieuse, l'évolution du chiisme 
et le contact de l'Europe. Le bruit des victoires 
japonaises secoua l'assoupissement dé l'Iran ; l'espoir 
lui revint à cette démonstration décisive que les 
peuples ne s'élevaient point à la dignité impériale, 
en vertu d'une sélection préétablie, mais bien par le 
travail et par l'effort. D'un mouvement unanime, 
tout ce qui pendait, en Perse, réclama la diffusion des 
lumières; dans les principales villes, l'initiative privée 
ouvrit des rudiments d'hôpitaux et d'écoles ; le gou- 
vernement recruta en France [des médedns et des 
professeurs et tenta, par des concessions opportunes, 
d'intéresser l'Allemagne au sort de la Perse. En même 
temps, la poussée révolutionnaire russe firanchissait 
la frontièns ; \e& provinces les plus peuplées, les plus 
riches, les plus influentes sont limitrophes de la 
Russie ; tout le Nord^Ouest de l'Iran éSt habité par 
des populiations turques de même langue et de même 
race qlie le Sud du Caucase, séparé, depuis un siècle 
à peine du reste de là ihonarchie. Les dotations de 
Tifiis et de Bakou eurent leur contre-coup naturel à 
Tamis, puis à Recfat et à Téhéran ; en fait, ce fut 



LA RÉVOLUTION PERSANE 195 

ràction des musulmans, sujets russes, favorisée par 
Tanstrchie régnant au Caucase, qui détermina la 
révolution persane. 

Les conditions mêmes du royaume exigeaient 
imt)érieusement un changement de système. Con- 
damné par les médecins, Mouzaffer-ed-Din Schah 
allait mourir et le règne néfaste de cet excellent homme 
s'achevait dans la débâcle financière. Prince doux et 
faible, il subit, sa vie durant, les fantaisies de ses 
mignons et de ses domestiques i l'autorité souveraine 
s'était énervée entre ses mains ; la Cour avait fait 
main basse sur les pensions et les domaines. Deux 
emprunts avaient été conclus en Russie ; le Trésor 
avait contracté des obligations à court terme auprès 
des banques anglaise et russe. L'éventualité des trou- 
bles inhérents aux Changements de règne et Timmi- 
néiice d'une crise financière rapprochaient l'Angle- 
terre et la Russie i les deux puissances s'apprêtaient 
à négoder un arrangement sur le sujet de la Perse. 

L'Angleterre se trouva là pour soutenir les aspi- 
rations révolutionnaires de la jeune Perse et pro- 
voquer une action décisive, que la timidité asiatique 
aurait hésité à entreprendre sans la certitude d'un 
appui extérieur. Après avoir réglé avec la France 
les questions d'Afrique, la diplomatie anglaise, 
désireuse de concentrer son eilort contre l'impéria- 
lisme germanique recherchait un accord avec la Russie 
sur le terrain de l'Asie. Or, quand cette diplomatie, fort 
experte, èilvisage le moment venu d'imposer à son 
interlocuteur la conversation sur une affaire, elle 
s'emploie sagement à le placer en face d'une situation 
nouvelle, qui lui fasse sentir à la fois la nécessité d'une 
entente et^ si possible» le néant de ses prétentions. 



196 LA PERSE d'aujourd'hui 

L'Angleterre doit une aussi précieuse liberté d'agir 
à la force de sa tradition politique et à l'avantage 
de son insularité. La révolution persane n'eût rien 
perdu à de moins brusques développements. Elle dut 
sa rapidité au seul fait qu'elle rendait inéluctables 
les n^ociations anglo-russes; Et c'est ainsi que le 
libéralisme, persan profita des convenances de l'An- 
gleterre. 

Il ne faut point s'imaginer que le parti libéral 
persan ait été, dès le début, ni très nombreux ni très 
fort. Toute la population des campagnes, c'est-à-dire 
rimmense majorité du pays, échappe aux idées 
nouvelles ; par contre, elle est trop apathique pour 
fournir un concours utile à la réaction. Le désir 
des réformes n'avait pénétré que dans les grandes 
villes, surtout à Téhéran, Tauris, Recht et Chiraz, 
un peu à Ispahan, Kermanchah et Hamadan. Là 
se groupaient les jeunes gens élevés en Europe, les 
mollahs réformateurs, et les négociants désireux 
d'échapper aux vexations des puissants, en tout 
quelques milliers d'individus. Aucune organisation 
ne les unissait, en dehors des sectes et des confréries 
religieuses ; ils n'avaient point de programme, sauf le 
lointain modèle de la Révolution française. Tauris fut 
le cerveau, Téhéran le bras du mouvement ; la Révo- 
lution persane n'eut aucun caractère général ; elle 
se décomposa en une succession de mouvements 
locaux. 

Les grands de la Cour et le clergé officiel étaient 
nécessairement réactionnaires; de même les villes, 
où dominait une autorité unique, comme Koum ou 
Méchhed, et le Sud, où, sous le contrôle des agents 
anglais, régnait un début de paix britannique. La bonté 



LA RÉVOLUTION PBRSANE 197 

naturelle du Schah le portait assurément vers les 
réformes, d'autant meux que, le mouvement étant 
dynastique, le trône n'avait rien à y perdre. A 
l'exception des plus éclairés, les hommes d'âge se 
réservaient d'ordinaire; parmi les principaux mol- 
lahs les sentiments restaient partagés. Ceux de 
Téhéran penchaient vers le libéralisme ; ils y voyaient 
une accentuation de leur rôle de tribuns populaires» 
qui leur vaudrait sur les masses un surcroît d'in- 
fluence ; d'avance, ils se savaient soutenus par les 
moudjteheds des Lieux Saints. Leur initiative valut 
au clergé la direction du mouvement, et lui imprima 
son caractère à la fois religeux et national. 

La révolution persane fut rapide, mais non violente. 
Froid et rusé, le tempérament iranien est plus sus- 
ceptible de cruauté que d'emportements ; il répugne 
aux émeutes sanglantes, préférant liquider les 
situations extrêmes par de discrets assassinats. La 
finesse nationale comprend merveilleusement la 
nécessité des temps et la limite des possibilités. 
Depuis l'ouverture de la période révolutionnaire, 
les agitations politiques de l'Iran se sont poursuivies 
au miUeu d'un calme remarquable, sans que les 
Européens, isolés dans le pays, aient jamais pu con- 
cevoir la moindre crainte pour leur sécurité. 

D'ailleurs, les troubles sont chose habituelle à la 
Perse et la révolution n'eut qu'à appliquer aux graves 
questions soulevées les méthodes usitées dans la vie 
de chaque jour. Aux victimes de l'arbitraire, la reli- 
gion musulmane assure un refuge dans les tombeaux 
saints : en cas de besoin, les plaignants se dirigent 
vers les consulats ou même les bureaux du télégraphe 
indo-européen. Le best est une procédure infaillible, 



198 LA PBRSE d'aujourd'hui 

dont le but unique est d'amener le pouvoir à compo- 
sition. Quand la plaintç devient collective, en ïcas 
d'accaparement de grains par les grands proprié- 
taires bu du renchérissement des denrées taitées par 
les gouverneurs» la foule s'installe en permanence 
dans une mosquée» décrète la fermeture des bazars 
et poursuit la grève jusqu'à pleine satisfaction. S'il 
y a divergence de vues parmi le peuple» chaque parti 
choisit pour quartier général un sanctuaire déterminé; 
la patience et la force du nombre finissent par entraî- 
ner la décision souveraine. 

Quand éclata la révcdution persane, ellese conforma 
strictement aux habitudes iraniennes. De nombreux 
prodromes l'annoncèrent: exaspéra par les exac- 
tions de leurs princes-gouverneurs, Recht et Chiraz 
chassaient deux fils du Schab» «Azod-os-Soltan et 
Choa«-os-Saltaneh. Senneb, dans l'Ârdélan, en agis- 
sait de même à l'égard de son neveu, Djelal-ed- 
Dowleh. Un prince Kadjar» Zafer-os-Saltaneb était 
expulsé de Kerman. Des émeutes éclataient à 
Méchhed. Partout, les troubles se multipliaient, les 
refuges se faisaient plus nombreux» les gouverneurs 
avaient la vie plus 4ure, des manifestations se pro- 
duisaient contre les fonctionnaires belges, rendus très 
impopulairespar la rapidité d^ leurs innovations. £)e 
cénacles de philosophes» les clubs de derviches se trans- 
formaient en comités de politiciens. Dans les princi- 
pales mosquées» les prédicateurs délaissaient les ques- 
tions habituelles de religion ou de morale,pour aborder 
la politique, dénoncer le triste état du pays et les abus 
du Sadr- A«zam» un prince kadjar, «^Aln-ed-Dowleb. Le 
plus virulent de ces prédicateurs, celui qui s'empara 
de la foule et mit l'éloquence religieuse au service de le 



LA RÉVOLUTION PÈRSANB 199 

révolution, fut Seyyed Djemal-ed-Din, Sadr-oul- 
Mohakkikin (le chef des véridiques), un prêtre 
chétif, la figure émaciée, la barbe rare ; âgé de qua- 
rante-trois ans. Fils de mollah, il naquit à Ispahan 
et fit ses études à Nedjef ; son oncle A. Seyyed 
Isqua^'il, est le plus fameux moudjtehed de Kerbéla. Il 
y a huit ans, il revint des Lieux Saints s'établir dans 
sa ville natale. L*âpreté de ses discours le fit expulser 
par Zill-è-Soltan; il eut le même sort à Tauris et à 
Téhéran. Dans ses traverses, le sanctuaire de Fatémé 
à Koum lui servit de refuge ; entre temps, il avait 
exposé ses idées novatrices dans un livre intitulé 
Lébas-at'Taghwa (le vêtement de pureté). La pé- 
riode révolutionnaire le ramena à Téhéran et lui 
valut un flot d'auditeurs, quand il prêchait chaque 
vendredi dans la mosquée du Sadr-ol-«01éma, en 
plein bazar, et dans celle d'A. Seyyed Mohammed, 
au mois de Ramazan. 

Le haut clergé de la capitale se maintint tout d'a- 
bord à l'écart de cette agitation. L'Imam Djoum«é, 
Hadji Mirza Aboulkasem, était réactionnaire par 
profession ; il vivait grassement de sa charge et de 
la sainteté de son père, devenu l'un des imamzadés les 
plus achalandés de la ville ; ses relations de famille 
le rattachaient à la Cour : l'une de ses filles avait 
épousé Cheikh-oul-Reis, un prince kadjar; son 
frère Zéir-ol-Islam, gardien-chef de la médressé 
du Sépeh Salar, était gendre de Mouzaffer-ed-Din 
Schah. Les deux grands moudjteheds de Téhéran 
avaient vieilli sous l'ancien régime; fils de grands 
moudjteheds, originaires l'un du Fars, l'autre de 
Hamadan, élevés à Nedjef et à Samarra, ils étaient 
revenus dans la capitale pour y occuper les lucratives 



200 LA PERSE D*AUJOURD*HUI 

fonctions détenues par leurs pères. Seyyed 'Abdou- 
lah passait pour un mollah conservateur, accessible 
aux largesses du pouvoir ; Sejryed Mohammed était, 
au contraire, d'une rigidité notoire et plus sympa- 
thique aux libéraux. En décembre 1905, une émeute 
avait éclaté à Téhéran; les mollahs s'étaient réfugiés 
au sanctuaire de Schahzadé *Abdoul *Azim, récla- 
maient des réformes administratives et la création 
d'un conseil d'État. L'intervention de Seyyed «Abdoul- 
lah avait amené l'apaisement. 

L'été suivant, une querelle, survenue entre le 
Sadr A«zam et Seyyed «Abdoullah, entraîna la voca- 
tion du grand moudjtehed, qui devint le protagoniste 
de la révolution ; les esprits étant mûrs, ce minime 
incident fit éclater la crise. Exaspéré des attaques 
des prédicateurs, le Sadr A«zam s'en était pris à 
Seyyed «AbdouUah, qu'il accusait de complicité ou 
de négligence; le moudjtehed répondit en déchaînant 
contre le premier ministre un nouveau prédicateur, 
plus violent encore que les précédents. Cheikh Moham- 
med Va«ez. Le 7 juillet 1906, Cheikh-Mohammed fut 
arrêté, puis délivré par. la foule; dans la bagarre, un 
seyyed resta sur le carreau. Le sang du Prophète criait 
vengeance; une réunion générale du clergé, fulminant 
l'anathème, réclama le renvoi du Sadr A^'zam, l'octroi 
d'une constitution; des désordres se produisirent; 
quelques individus furent tués. L'indifférence du 
pouvoir irrita les mollahs, qui se retirèrent encore 
une fois, au sanctuaire voisin de Schahzadé «Abdoul- 
''Azim, puis, affectant de craindre pour leur sécurité, 
s'ébranlèrent vers le Sud, en route pour les Lieux 
Saints. Le départ du clergé de Téhéran signifiait 
la grève du culte, de l'enseignement et de la justice; 



LA RÉVOLUTION PERSANE 201 

les marchands y joignirent la grève du commerce par 
la fermeture des bazars. Pour brocher sur le tout, le 
refuge du parti libéral à la légation d'Angleterre 
avait été préalablement négocié par Seyyed '^Abdoul- 
lah. La vie de la capitale se trouvait paralysée tout 
entière. 

Le mois d'août valut aux Téhéranis des semaines 
de joie. Chômage universel : le vaste jardin de la 
légation d'Angleterre, ombragé de grands platanes, 
était livré au peuple ; les tentes s'y succédaient, 
largement ouvertes ; les tapis recouvraient le sol ; 
le riz bouillait en d'immenses marmites sur des troncs 
d'arbres embrasés ; le soir, s'allumaient lampes et 
bougies. Il y avait un bassin pour les ablutions, une 
tente pour les assemblées ; plusieurs milliers d'indi- 
vidus y avaient élu domicile ; la ville entière y pas- 
sait ses journées. Ce fut, sous le climat chaud et sec 
de l'été iranien, le pique-nique le plus grandiose 
qu'ait jamais connu la capitale. 

Si le mouvement libéral a complètement saccagé 
la légation d'Angleterre, du moins n'a-il pas incom- 
modé la diplomatie britannique. Le corps diploma- 
tique a coutume de passer la saison chaude, au pied 
du Tautchal, dans les villages de Zerguendeh et de 
GouUahek ; le Schah lui-même se trouvait, un peu 
plus haut, au palais de Niavaran. La destitution 
d'«Aïn-ed-Dowleh, son remplacement par Mochir-ed- 
Dowleh, ministre des Affaires Étrangères, enlevèrent, 
dès le début, toute acuité à l'affaire ; il ne resta 
plus qu'à discuter à loisir l'organisation de la liberté. 
Sur ce point, l'entente fut assez facile, le nouveau 
Sadr A«zam participait au mouvement ; ni le Schah, 
ni les autres ministres n'y étaient hostiles ; seuls les 



202 LA PSRSB d'aujourd'hui 

gens de la Cour et quelques vieux prêtres se mon- 
traient récalcitrants, mais on ne pouvait» pour leurs 
beaux yeux, abandonner indéfiniment la légation 
d'Angleterre aux dégâts du parti libéral. 

Un destikbati, émané du souverain, admit le prin- 
cipe d'un conseil national librement élu, désormais 
chargé de contrôler le gouvernement et de préparer 
les lois ; restait à élaborer les règlements organiques de 
la nouvelle institution. Le différend ainsi tranché 
n'avait pas soulevé la moindre animosité entre le 
peuple et le souverain ; le 5 août, les réfugiés célé- 
brèrent la fête du Schah par des illuminations et des 
feux 4*artifice ; le 14, les mollahs fugitifs, dont l'exode 
n'avait point dépassé Koum, rentraient triomphale- 
ment en ville. Une commission de trois cents membres» 
choisis parmi les princes, les Kadjars, les mollahs, 
les négociants et les artisans, en vue de rédiger la 
loi électorale, se réunit, le 18 août, à l'École militaire ; 
cette date marqua la fin des divertissements de la 
légation d'Ân^eterre. Quand il fallut en liquider les 
frais, le Schah s'inscrivit pour 3.000 tomans sur la 
liste de souscription. Au total, le refuge en avait coûté 
29.000, dont avaient fait l'avance les principaux négo- 
ciants de la ville, notamment Emin-ez-Zarb, qui pos- 
sède des comptoirs à Moscou et à Marseille. 

Le 8 octobre, le premier Parlement persan fut 
inauguré dans l'Orangerie du Palais ; malgré la gra- 
vité de son état, le Schah tint à lire lui-même le dis- 
cours du trône. Sur deux cents députés à nommer 
par tout le pays, il ne se présentait que les élus de 
la capitale; le Parlement n'était encore qu'un con- 
seil municipal de Téhéran, Les provinces attendaient 
curieusement: l'élément libéral, moins nombreux. 



LA RÉVOLUTION t>ERSANlE 203 

moins certain de l'appui ))rit;annique, redoutait un 
retour offensif de la domesticité royale» soutenu par 
rinfluence russe. 

D'autre part, Mouzaffer-ed-Pin était en train de 
mourir et la renommée attribuait au Vél«iahd des 
sentiments conservateurs et russophi}es. En sep- 
tetobve^ Tauris s'était soulevé, rédamanf;, dans 
TAzerbaïdjan, la mise en vigueur de la constitution \ 
il y avait eu réunions dans les mosquées, fermeture 
des bazars, refuge au consulat d'Angleterre. Le prince 
héritier s'était montré conciliaiit; le peuple avait 
obtenu gain de cause. Néanmoins les élections de 
Tauris tardèrent longtemps ; et de jour en jour }es 
députés remirent leur départ. La longue agonie de 
Mouzafler-ed-Pin détermina l'appel de Mohamme^ 
•Ali Mirza, chargé de la régence du royaume. En cette 
qualité, avant même de monter sur je tr$ne, il con- 
sentit de bonne grâce à signer le Nizam^Nanidi^ qui 
complétait les lois constitutionnelles, en fixant iè 
règlement et les prérogatives de l'Assemblée. Aussi, 
le 8 janvier 1907, le peuple de l'Iran saluait-il en 
Mobammed-'^AU Sçhah, un monarque libéral, acquis 
à la pratique du système constitutionnel. Aussitôt 
enhardis, les députés de Tauris venaient occuper leurs 
sièges et lé Parlement s'enrichit de quelques repré- 
sentants des autres provinces. Hamadan avait été 
la première à se mettre en règle; son gouverneur, 
Zahir-ed-Dowleh, mourchid des Nénnetoullahis, et 
libéral déclaré, n'ayant point attendu le vœu popu- 
laire pour introduire le nouveau régime. Pourtant, 
la plupart des villes feignaient encore d'ignorer la 
constitu|ion et s'a)>stenaient 4^ procéder aux élec- 
tions. Pans les centres où ils donGiinaient sans conteste» 



204 LA PERSE d'aujourd'hui 

les grands moudjteheds et les gardiens de tombeaux 
saints répugnaient à répandre dans le peuple des 
idées insoupçonnées. Les chefs de tribus entendaient 
préserver leurs domaines. A Ispahan et à Kerman, 
les princes gouverneurs affectaient de favoriser la 
poussée libérale, en la comprimant indirectement 
par la menace d'un pouvoir trop fort. De même à 
Chiraz, sur qui pesait une famille puissante, maî- 
tresse du Fars. Au Sud, Tinfluence anglaise se mon- 
trait involontairement réactionnaire, crainte d'y 
voir tourner contre elle un mouvement libéral, 
qu'elle attisait dans le Nord, pour faire pièce aux 
Russes. 

Le Parlement, une fois constitué, s'installa au pa- 
lais de Béharistan, dont le jardin touche à la grande 
mosquée du Sépeh-Salar; il siégeait dans un des 
salons, en saillie sur la façade du palais. Les députés, 
parmi lesquels un grand nombre d'ecclésiastiques, 
s'alignaient, acroupis le long des murs ; une table 
basse marquait la place du président ; sur un côté se 
pressait le public, retenu par une barrière. Le prési- 
dent, Sani-ed-Dowleh, un homme élevé en Allemagne 
et élu par les négociants de Téhéran, appartenait 
à l'opinion modérée. Sa«d-ed-Dowleh, qui fut mi- 
nistre de Perse à Bruxelles, puis titulaire d'un vague 
département ministériel, se trouvait en exil à Yezd ; 
les électeurs de la capitale allèrent l'y chercher : 
un homme déjà vieux, très européanisé, parlant un 
excellent français, avec le masque et l'allure d'un 
tribun populaire; il représentait, dans la nouvelle 
Chambre, les tendances radicales. 

Les circonstances imposèrent au Parleipent une 
triple besogne : assurer dans tout le pays l'expansion 



LA RÉVOLUTION PERSANE 205 

du système constitutionnel, de façon que TAssemblée 
de Téhéran devînt, en réalité, la représentation 
nationale; compléter l'ensemble des lois constitu- 
tionnelles et aborder les réformes organiques ; 
enfin, accentuer la personnalité des élus du peuple 
au regard de la Couronne. 

Le rôle joué par le clergé dans le mouvement libé- 
ral garantissait, pour le moment, les autocraties 
religieuses ; la révolution persane s'attaqua vigou- 
reusement aux autres. En mars 1907, Ispahan, 
révolté, obtint le renvoi du prince Zill-os-Soltan; 
injmédiatement après, Kermanchah se débarrassait 
de son gouverneur, qui tetiait la province avec l'appui 
des grands chefs kurdes. Â la fin du mois de mai, ce 
fut le tour de Chiraz. 

Tout le charme, toute la poésie de l'Iran se con- 
centrent dans la vallée de Chiraz. Que l'on y vienne 
des déserts du Nord, en passant le tombeau de Cyrus 
à Pasagarde et la colonnade ruinée de PersépoUs ; 
ou que l'on arrive des solitudes du golfe par l'âpre 
montée des Kotals, le contraste de la plaine, verte et 
fleurie, entre les lignes de montagnes grises, produit 
une impression délicieuse. Chiraz djannet teraz, Chi- 
raz semblable au paradis, dit le proverbe persan. 
La route d' Ispahan descend le vallon de Rouknabad 
et traverse le Tangué- Allah- Akbar : le défilé doit son 
nom à l'exclamation admirative que provoque, chez 
tout voyageur sensible, le merveilleux aspect de 
Chiraz. Ceinte de murs, la ville est au centre de la 
plaine : l'Ark, le bazar Vékil, les coupoles en faïences 
de trois imamzadés, fils du septième Imam, dominent 
la masse des maisons de briques, où vivent quelque 
60.000 habitants. A perte de vue, s'étendent les 



206 LA PERSE d'aujourd'hui 

champs cultivés, les bouquets de platanes» les jar- 
dins plantés de pins et de cyprès. Un vallon latéral 
abrite la tombe de Sa^di ; au pied même du défilé, 
à la Mosalla, se trouve celle de Hafiz. La pierre 
tombale porte inscrits des vers du poète invitant 
au plaisir la suite des générations. « Que ce tombeau 
soit un lieu de pèlerinage pour tous les aniaiits de la 
terre I... Si vous venez vous asseoir sûr ma tombe, 
apportez*y du vin et de la musique ; dans la joie de 
vous voir, je me lèverai, en dansant, du cercueil. » 
Les Chirazis ont suivi les conseils de Haflz : ils sont 
fins et voluptueux, pleins d'eux-mêmes et de la 
gloire de leur ville ; ils festoient doucement aux tom- 
beaux de leurs poètes et daiis les enclos de derviches 
disséminés sur les pentes de leurs montagnes. Us 
forment une oasis iranienne de commerce et de cul- 
ture, au milieu d'une grande province où des tribus 
turques, résidu dès invasions seldjoukides, et des 
Arabes venus de TArabistan, maintiennent la pri- 
mitive sauvagerie de la vie nomade. A travers 
toute rhistoire iranienne, l'éloignetnënt n'a cessé 
de favoriser le caractère indépendant du Fars. Sous 
les Achéméilides et les Sassanidës, il domina riran« 
Quand le pouvoir se transporta vers le nord, il y 
fallut une autorité incontestée, s'iniposàilt à l'en- 
semble du ^ays, pbur enipêchei* lei^ dynasties locales de 
s'épanouir à Ghiraz. Au xviii^ siècle, Kérim Khan le 
Zend fut le plus célèbre de tes Souverains du Sud; — 
sous les Kadjars, une grande famille poussa dans Ghi- 
raz. — En 1792, Hadji Ibrahim Khan, tniiiistre du 
dernier Zénd, livra la Ville à Aghà Mohammed Schah ; 
il était, dit-on, d'origine jUiVe. Il devint grand vizir, 
le resta six ans et périt as»assii\é par les soins dô 



LA RÉVOLUTION PERSANE 207 

Peth «Ali Schah. Cet accident n'arrêta point la gran- 
deur de la famille ; une fille du défunt épousa le 
nouveau grand vizir ; et celui-ci s*empressa de réta- 
blir la situation de son beau-frère» en lui faisant 
donner le titre de Kavam-ol-Molk (la stabilité du 
royaume), — devenu pour ses descendants une 
sorte d'appellation patronymique. Le grand Kavam, 
premier du nom, fut chef gardien du tombeau de 
rimam Réza à Méchhèd; son fils Saheb Divan, gen- 
dre de Feth-Ali-Schah, eut le gouvernement du Fars ; 
son petit-fils hérita du titre et fut Kelanter de Chiraz. 
Il est le père du Kavam actuel. En dehors de la 
dynastie régnante en Perse, un pouvoir non reli- 
gieux, ainsi prolongé pendant plus d'un siècle, 
apparaît comme un phénomène unique. Il va sans 
dire que là province entière appartient à ces poten- 
tats : les biens de la famille s'étendent du Belou- 
tchistan à l'Ârabistan ; ils remontent, vers le nord, 
jusqu'à Yezd et Ispàhah, embrassent le Laristan et 
atteignent Bender-«Âbbas; ils comprennent même 
l'âé dé Ghis, dans le golfe Peri^ique. A l'exception 
dés Kachkaïs, tous les nomades du Fars se rattachent 
au Kavaln. Les principaux de la famille, issus 
dû grafad Kavam, groupeiit, danà un quartier 
spécial, te MàhalM-è'Kàvctm^ leurs maisons ornées 
de criàtal taillé et buvértes sur la verdure des 
cour. La plupart des mosiquées portent leurs nbms ; 
leur càVeau funéraire s'élève auprès dû tombeau de 
Hafiz ; bains, bazars et caravansérails leur appar- 
tieniient en pk'opré ; de même, les mervdlleux jar- 
dins de la |)laine, aux pavillons rafraîchis par les eaux 
courantes, aux massifs d'orangers et de grenadiers, 
au* parterres dé roses et de verveines. Ces gens 



208 LA PERSE d'aujourd'hui 

détiennent les plus hautes fonctions de la ville et de 
la province Le chef de la famille, le Kavam actuel, 
assiste, comme pzcAAor, le prince gouverneur. De 
ses deux fils, Salar-os-Soltan est Kelanter de la ville, 
Nasir-ed-Dowleh ilkhani des tribus : son cousin 
•Ezz-ol-Molk (le respect du royaume) s'éternise dans la 
charge de Kargouzar. La plupart des notables 
de Chiraz lui sont apparentés : de même, le Cheikh- 
oul-Islam et rimam-Djoum«é, — Cheikh Yahya; 
le fils de ce dernier. Monn-è-Char*^ié, gouverne le 
district de Kazeroun. Le gardien du tombeau de 
Schah Tchiragh concilie prudemment une aussi redou- 
table influence. 

En dehors de deux Français et d'un Allemand, la 
petite colonie européenne de Chiraz est exclusive- 
ment anglaise : la banque, le télégraphe, la mission 
angUcane et quelques maisons de commerce. 

Jusqu'ici la faveur britannique garantissait l'om- 
nipotence des Kavams et l'intangibilité de leurs 
biens contre les rigueurs du pouvoir royal ; les infor- 
tunés gouverneurs de Chiraz s'épuisaient à lutter 
contre la fatalité des circonstances ; s'ils cherchaient 
à attiser les mécontentements locaux ou la turbu- 
lence des Kaskaïs, ils se heurtaient aussitôt à la coaU- 
tion des Kavams avec le Consul d'Angleterre, et 
devaient ou bien quitter la place ou se renfermer 
dans leur sinécure. Il y a deux ans, le prince Choa*'- 
os-Saltaneh, fils de Mouzaffer-ed-Din Schah, prétendit 
s'approprier l'ensemble des domaines, hérités du 
Zend par les Kadjars ; ses exactions froissèrent de 
si nombreux intérêts qu'il fut chassé par l'indigna- 
tion populaire. L'agitation dure encore : depuis lors, 
aucun gouverneur n'a pu s'installer de façon durable. 



LA RÉVOLUTIO^Î PERSANE 209 

Cependant, la révolution persane suscitait, à Chiraz, 
un petit noyau libéral, dirigé par le grand moudjtehed 
Mirza Ibrahim, qui prétendit fonder la liberté sur 
les ruines de la famille Kavam. L'éclat se produisit 
à la fin de mai : les marchands fermèrent les bazars ; 
à défaut du consulat d'Angleterre, qui répugnait 
à recevoir les ennemis de sa clientèle, le bureau du 
télégraphe indo-européen servit de refuge. Les deux 
partis adverses, qui tenaient pour ou contre le Ka- 
vam,' élurent domicile dans les mosquées; l'imam- 
djoumé. haranguait les uns, le moudjtehed excitait 
les autres ; il y eut un grand trouble dans les esprits, 
aucun dans la rue. A l'occasion de son avènement, 
Kavam-ol-Molk avait, selon l'usage persan, versé 
au nouveau roi 100.000 tomans de pichkech, afin 
d'être confirmé dans ses dignités ; il trouvait pénible 
de les abandonner, après quelques mois seulement 
d'exercice. A peine revenu de Téhéran, sa vieillesse 
hésitait à se remettre en route; car les libéraux, 
redoutant un retour de l'opinion locale et l'excès 
même du pouvoir de la famille, réclamaient à grands 
cris le départ des Kavams. Après une longue 
résistance, les Kavams et leurs amis anglais durent 
sacrifier leurs commodités à l'établissement du ré- 
gime constitutionnel. 

Peu à peu la vague révolutionnaire envahit les 
recoins les plus éloignés de la Perse. Après Ispahan et 
Chiraz, elle toucha Yezd et Kerman. Lentement, "" 
elle poursuit son oeuvre, pour assurer sur tous les 
points du pays la mise en vigueur du nouveau sys- 
tème. Dans chaque ville, l'intensité de la crise dé- 
pend des circonstances locales ; plus le pouvoir 
établi se sait ancien et solide, plus longue est la résis- 

AuBiN. ^- La Perse, 14 



210 LA PERSE d'aujourd'hui 

tance contre Teffort populjaire; la lutte renaît au 
moindre prétexte. Partout, les méjtho(j[es soçt iden- 
tiques et les troubles également légers. 

Tandis que le Conseil national organii^ait ainsi dans 
les provinces l'expansion révolutionnaire, il vaquait, 
dans la capitale, à la besogne législative. Le 7 octobre 
^907, il complétait les lois cons^tutionnelles p^r }es 
lois fondamentales de l'État persan, pes lois procla- 
maient les plus beaux principes : la garantie de la 
liberté individuelle, l'inviolabilité ^u domic^e, la 
liberté de renseignemenjb, de la presse, des associa- 
tions, l'égalité devant la loi, la responsabilité ministé- 
rielle. Elles affirmaient la distinction des trois pou- 
voirs, de la jus,tiçe civile et religieuse, prévoyaient 
la constitution d'une haute cour de justice, d'une 
cour des comptes et d'assemblées provinciales. 

Si la constitution persane se trouvait ainsi com- 
plétée, la réforme administrative faisait de moindres 
progrès. En réalité, toute la Perse est à refaire : elle 
vit malaisément dans l'antique édijiice élevé par les 
Sassanides, les Mongols et les Séféyis, édifice si 
lézardé que, n'était l'indolence iranienne, il se fût 
effondré au cours du dernier siècle. Il s'agit mainte- 
nant de rechercher dans les traditions héritées du 
passé, en les combinant avec les enseijgiemente de 
l'Europe, les éléments d'une administration, d'un 
système financier, d'une organisation scolaire et 
judiciaire. Avant toute autre chose, la Perse a besoin 
de finances en règle, dégageant les sources de l'im- 
pôt, afin de liquider au plus tôt les dettes menaçantes 
pour l'indépendance nationale, et de procurer l'ar- 
gent nécessaire à l'institution des réformes. U lui faut 
des juges assurant une garantie aux libertés nou- 



LA RÉVOLUTION PERSANE 211 

velles, des maîtres pour élever les générations à venir. 
La reconstitution de l'armée est d'une utilité moins 
immédiate ; car la race n'est pas belliqueuse et le 
pays, formant tampon entre deux grands empires» 
paraît mieux protégé par la diplomatie que par la 
guerre. L'œuvre est si complexe (ju'elle excède pro- 
bablement les facultés des Persans de l'heure pré- 
sente. Leur contact avec l'Europe est encore trop 
récent pour qu'ils aient pu en assimiler la culture ; 
chez la plupart, les connaissances ne dépassent point 
les expressions du langage. Très peu ont fait de 
sérieuses études, les mieux préparés paraissent être 
les jeunes diplomates, auxquels furent confiées, dans 
ces dernières années, les diverses légations; aucun 
ne paraît donner de plus belles espérances que Mbchir- 
ol-Molk, appelé de Pétersbourg au ministère des 
Affaires étrangères. Autour du Conseil national, la 
jeunesse créa des comités de volontaires, pour étudier 
la législation européenne, afférente à chaque matière ; 
ils ne dissimulèrent point, dès l'abord, que, pour 
l'élaboration des lois organiques, il leur faudrait 
recourir à des conseillers européens. 

Si le Conseil national s'est montré plus apte aux 
vagues discussions de la politique qu'à la précision 
des réformes administratives, il n'en a pas moins 
fait beaucoup, par cela même qu'il existe, pour l'or- 
ganisation de la liberté. Ceux qui redoutent le 
réveil ^e l'Orient Moyen peuvent affirmer à 
leur aise que rien n'a été changé en Perse par les 
mots creux de la constitution. Le personnel civil et 
religieux s'est à peine modifié ; le gouvernement suit 
l'ancienne routine; l'esprit nouveau n'a eu d'autre 
résultat que de rendre les troubles à la fois plus aigus 



212 LA PERSE D*AUJOURD*HUI 

et plus fréquents. Ce n'est exact qu'en apparence. 
En réalité, le Parlement, les andjoumans des pro- 
vinces, les journaux qui se multiplient dans toutes 
les villes, ont créé une force populaire efficace pour 
tenir en échec les abus du pouvoir. Désormais, la 
pensée s'exprime librement et l'arbitraire hésite de- 
vant la publicité de ses actes. L'opinion a senti sa 
puissance et trouvé, pour s'exprimer, un organe plus 
certain que l'opportunisme du clergé. Elle ne peut 
encore imposer que des réformes partielles, mais elle 
possède assez de vigueur pour empêcher les décisions 
nuisibles au bien de la nation. En novembre 1906, 
ce fut un mouvement populaire qui fit rejeter l'avance 
anglo-russe de 10 millions, dont les conditions draco- 
niennes préparaient à bref délai le contrôle financier 
des deux puissances. 

En même temps, la personnalité du Parlement cher- 
chait à s'accentuer vis-à-vis du pouvoir royal. Le 
Conseil national avait eu des débuts difficiles ; la 
constitution qui l'instituait résultait d'un escamotage, 
organisé par une influence étrangère au profit d'un 
intérêt étranger ; il avait commencé petitement avec 
les seuls élus de la capitale ; ceux des provinces atten- 
daient, pour rejoindre, l'issue des révolutions locales. 
Lors du couronnement de Mohammed «Ali Schah, il 
avait été laissé à l'écart, sans qu'aucune place spéciale 
lui fût attribuée dans la cérémonie. Bien que le nou- 
veau souverain ait prêté sur la constitution tous les 
serments imaginables, la voix publique ne s'en obsti- 
nait pas moins à le considérer comme un réaction- 
naire impénitent, excitant en sous-main les alarmes 
du haut clergé et de la domesticité royale contre les 
premiers essais de réformes. Par ailleurs, les députés 



LA. RÉVOLUTION PERSANE 213 

manquaient d'expérience, se refusaient à distinguer 
les deux pouvoirs, exécutif et législatif, et s'imagi- 
naient que l'ère nouvelle consistait à substituer l'au- 
tocratie du Parlement à celle du Roi. Ce fut par une 
lutte entre ces deux autocraties que le Parlement 
entendit préciser son rôle et fonder son prestige. 
L'ancienne forme de gouvernement, le personnage 
tout-puissant du Sadr A«zam avaient disparu pour 
faire place à un cabinet de ministres. Ces ministres 
devaient-ils être des politiciens issus de la majorité 
ou des fonctionnaires désignés par le Schah ? En 
d'autres termes, la Perse serait-elle un pays consti- 
tutionnel comme les États de l'Europe centrale, ou 
bien parlementaire comme ceux de l'Occident ? De 
là naît un conflit, qui, selon toutes probabilités, pèsera 
longtemps encore sur la politique persane. La consti- 
tution reste muette sur le point controversé; elle 
admet bien la responsabilité des ministres, leur renvoi 
par la Chambre, l'éventualité de leur mise en accu- 
satoin, mais elle évite de déterminer le choix du 
souverain. Cependant la querelle est modérée ; le 
peuple persan monarchique, le Roi n'est point irré- 
ductible ; car il comprend mieux que quiconque la 
valeur du nouveau Parlement pour seconder l'œuvre 
des réformes et résister aux ingérences du dehors ; le 
tempérament national répugne aux ruptures. Le Par- 
lement a pleinement raison d'affirmer son existence ; 
de son côté, le Schah n'a point tort de prétendre à une 
large part d'autorité, dans un pays encore mal éta- 
bli, où la personne royale marque le sceau de l'unité 
nationale, et vis-à-vis d'un peuple dont la quasi tota- 
lité demeure étrangère à l'idée de la liberté. Entre la 
Couronne et la représentation populaire, il y a place 



214 LA PERSE d'aujourd'hui 

pour une transaction; eUe interviendrait beaucoup 
plus vite, si la rivalité anglo-russe consentait à épar- 
gner la Perse. Les Persans ont plus d'intelligence que 
de caractère; ils ont pris Thahitude d'osciller entre les 
deux diplomaties adverses et les circonstances mênies 
de la révolution n'ont fait qu'accentuer ce jeu d'équi- 
libre. Dans l'cfsprit iranien, l'installation des libertés 
persanes apparut comme un échec russe, un succès 
anglais; aussi, préoccupé d'un refuge en cas d'acci- 
dent, le Parlement sert-il insconsciemment de jouet 
à la Légation d'Angleterre, tandis que le Schah re- 
cherche un appui à là Légation de Russie. Dans le 
fond, les deux pouvoirs persans se maintiennent en 
assez bons rapports, et, tout en défendant leurs posi- 
tions respectives, s'entendraient aisément pour assu- 
rer l'indépendance et la réforme du pays. S'il se pro- 
duit quelque éclat, j e crains bien que les agents anglais 
et russes n'aient été d'humeur à se chercher noise, 
favorisant ainsi la pénétration d'une tiercé influence *. 

1. La querell* du Schah et du Patlement ou, pour mieiUL dlee, des 
agents anglais et nisses, a abouti au coup d'État de juin 1908, l^es 
Russes ont réussi à rendre aux Anglais la monnlEde de leur pièce. 
Tous ceux qui, dociles à rinipultion biitAonique, participèrent au 
mouvement libéral, se virent inquiétés dans leur personne ou dans 
leurs biens, sans trouver à la légation d'Angleterre le refuge qui , 
deux ans plus t6t, leur avait été si joyeusement offert. Ge sont là 
jeux courants des politiques impériales, n convient toutefois d'ob- 
server, que, si la diplomatie anglaise a su faire des débuts de la 
Révolution persane une comédie inoffensive, la. reprise d'activité 
de la diplomatie russe s'est marquée par un drame sanglant. 



IX 

L'ÀCcbRt) ANGLO-FiUSSE 



L'arrangement au 31 août 1907. — L'organisation des deux 
influences rivales sur le territoire persan. — Routes russss 
et télégraphes anglais. — l^èpondérance russe dans le Nord; 
con^trdle, anglais sur Je- golfe Persique. -— Recul du com- 
merce anglais. — Agitation consulaire.. — Rivalité des deux 
légations à Téhéran. — La question du Séistan. — Carac- 
tère des arrangements asiati(}ues de l'Angleterre et de la 
Russie. -<-* Le principe de Tintégrité et de l'indépendance 
de la Perse. — La délimitation des zones d'intérêt. — Un 
nouvel étât-tàmpoh sur la frontière de l'Inde. — Là der- 
nière chance de la Perse* 



Pour amer qu'il ait paru à la susceptibilité persane, 
l'accord du 31 août 1907, qui partage l'Iran en 
zones d'intérêts entre l'Aiigleteite et le Russie, ne 
fait que constater line réalité. Le droit public envi- 
sage bien la Perse comme un État indépendant, 
que n'affectent ni protectorat ni contrôle ; mais sa 
situation géographique et sa décomposition poli- 
tique l'ont, eh fait, privé de cet avantage. Depuis 
que les lignes niàses et anglaises se sont rap- 
prochées en Asie, rOrièilt tooyen est devenu un 
imniënsè champ de bataille, siir lequel les stratégies 
adverses marquent des voies d'invasion et des ou- 
vrages de défense. La diplomatie sert les combinai- 



216 LA PERSE d'aujourd'hui 

sons élaborées par les militaires et les traités prennent 
le caractère d'armistices temporaires, fixant les posi- 
tions réciproques. Du moment que les États interpo- 
sés sont incapables, par eux-mêmes, de faire respecter 
leur neutralité, il n'est plus de souveraineté que les 
belligérants reconnaissent. S'agit-il de fixer les fron- 
tières de la Perse avec la Turquie, l'Asie Centrale ou 
l'Afghanistan, c'est affaire de l'Angleterre et de la 
Russie : des officiers anglais et russes interviennent 
d'autorité dans la délimitation. La Perse elle-même 
devient un terrain vague, où les deux intérêts rivaux 
s'introduisent par tous les moyens possibles, enchevê- 
trant leurs avant-postes et leurs routes de pénétra- 
tion. L'hostilité anglo-russe, qui est l'état normal 
de paix dans l'Orient Moyen, fait peser sur tous les 
organes du gouvernement persan un système anglais 
et un système russe, également bien constitués, 
profitant de la moindre circonstance pour arracher 
des concessions nouvelles à l'impuissance persane, 
poser de nouveaux jalons et attaquer la situation 
contraire. Les événements de l'Afrique du Sud provo- 
quèrent une avance russe ; la guerre russo-japonaise 
favorisa un retour offensif de l'Angleterre. Par la révo- 
lution persane, cette dernière dessina vers le Nord un 
vigoureux progrès et tenta de le consolider par le 
récent accord. 

La longue frontière contiguë avec la Perse et la 
domination de la Caspienne servent de base à l'ac- 
tion russe. Stratégiquement, elle tient sous ses prises 
toutes les provinces septentrionales, qui sont les meil- 
leures de l'Iran ; l'action anglaise se voit réduite à 
l'aborder par le Sud, à travers les déserts du Bélout- 
chistan et les côtes désolées du golfe Persique. Le pre- 



l'accord anglo-russe 217 

mier soin de la Russie fut d'assurer des voies éven- 
tuelles à sa pénétration militaire. Sous le couvert d'une 
société organisée par un banquier juif de Moscou, 
M. Lazare Poliakoff, le gouvernement russe fit cons- 
truire une chaussée de Recht à Kazvin et Téhéran, 
avec prolongement de Kazvin à Hamadan. Une 
autre va de l'Araxe à Tauris, munie de remblais et de 
tranchées qui permettraient, en cas de besoin, la 
pose rapide de rails et le raccordement avec le réseau 
de la Transcaucasie, déjà poussé jusqu'à la rivière. 
Une dernière route réunit Askabad, dans la Transcas- 
pienne, àMéchhed, auKhorassan. Il va sans dire que 
ces trois chaussées, formant enclave en terre persane, 
sont entretenues et administrées par des agents 
russes. Un corps de Cosaques persans, instruit et 
commandé par des officiers russes, forme, à Téhéran, 
Tavant-garde de la pénétration militaire ; c'est une 
brigade de 2.000 cavaliers, répartis en quatre régi- 
ments, plus deux batteries d'artillerie de campagne ; 
ils se recrutent dans les fractions des Schah-Seven 
installées au sud de Téhéran. La troupe est d'excel- 
lente apparence, efficace et disciplinée ; elle fait à ses 
chefs le plus grand honneur. La pénétration financière 
commença en 1900 ; deux emprunts successifs, d'un 
total de 32 millions et demi de roubles, furent négo- 
ciés en Russie pour satisfaire les prodigalités de Mou- 
zaffer-ed-Din Schah et la rapacité de ses domestiques. 
Le produit des douanes fut donné en garantie de ces 
emprunts, à l'exception des douanes du golfe Persi- 
que, déjà affectées au service d'un petit emprunt an- 
glais de 500.000 £, contracté en 1892. La Perse dut 
s'engager à ne plus emprunter qu'en Russie et à ne 
point contruire de chemins de fer avant 1910. Depuis 



218 LA PERSE d'aujourd'hui 

lors la dette persane s*est encore alourdie par des 
avances à court terme, obtenues dès banques anglaise 
et russe. 

Jusqu'alors, le traité deTourkmantcliàï soumettait 
les importations à un tarif uniforme de 5 ^our 100 
âd valorem. En 1901, à là suite de leurs emprunts, les 
Russes iniposèrent là conclusion d'un traité de com- 
merce, établissant des droits spécifiques, plus légers 
sur les produits habituels dû commerce russe, |>Ius 
lourds sur les autres. Là Banque d'escdnîpte, simple 
dépendance de la Banque d'État russe, s'établit à 
Téhéran, avec succursales dans les principales villes 
du Nord et du Centre. L'administration des' douanes 
crut prudent de se rattachei* à l'influence dominante ; 
et Icjs préposés belges, également chargés du service 
sanitaire, bataillèrent aux frontières touchées par le 
commerce anglais. Les Arméniens, les musulmans du 
Caucase établis eh Perse, se firent les instruments 
de l'influence russe, qui procéda méthodiquement à 
la conquête commerciale de l'Iran. L'interdiction 
du transit à travers la Russie réservait à l'importa- 
tion russe le monopole des voies d'accès par le Nord ; 
les chemins dû Sud étaient trop longs et trop coûteux ; 
la route de caravanes entre Trébizonde et Tâuris ne 
pouvait rivaliser avec les chemins de fer. Le gouverne- 
ment russe ajouta à ces avantages naturels là réduc- 
tion des tarifs de transport, la concession de primes 
d'exportation. La Banque d'escompte reçut des 
marchandises à sa consignation et ne consentit d'a- 
vances qu'aux négociants acheteurs de produits 
russes. Un système aussi complet finit par porter ses 
fruits : la sphère d'action commerciale de là Russie 
s'étendit d'année en année ; elle atteignit Hàmàdàn, 



L* ACCORD ANGLO-RUSSE 219 

. . \ f 

Ispahan et le Séistan ; les cotonnades et les sucres 
russes vinrent y faire concurrence aux cotonnades 
indiennes et aux sucres français. Les agents des minis- 
tères des Affaires étrangères, de la Guerre, et des 
Finances russes, trinité souvent désunie, s'appliquè- 
rent à se rendre de plus en plus apparents, pensant 
ainsi marquer un progrès de l'influence nationale. 

L'organisation de l'influence anglaise commença 
bien avant celle de la Russie ; les stations télégra- 
phiques, dont elle jalonna l'Iran, lui fournirent une 
armature. En 1864, sur le câble' dû golfe Persique, 
réunissant Karatchi à Fao, à l'embouchure du Chatt- 
el-«Arab, se greffa la ligne dé Bouchire à Téhéran, 
qui, vers l'Europe, doublait la ligne turque. En 1870, 
après accord avec les gouvernements allemand et 
russe, la maison Siemens la raccordait au système 
continental par l'établissement du télégraphe indo- 
européen, entre l'Âraxe et Téhéran. La section per- 
sane du télégraphe indo-persan est administrée par 
le département des télégraphes de l'Inde, auquel est 
également confiée la ligne de Téhéran â MéchKed. 
Entre Bouchire et Chifaz, les rest-rooms, installés par 
ses agents, sont lin bienfalit pour les voyageurs; la 
monarchie persane doit aux télégraphes anglais sa 
cohésion actuelle; en cas de besoin, les populations 
ont pris coutume d'en envahir lés bureaux, qui leur 
offrent un refuge consacré par l'usage, les mettant en 
communication avec le pouvoir royal. 

Eh 1889, fut créée la Banque impériale de Perse, 
fonctionnant comirie banque d'État, avec privilège 
d'émission. Cette société anglaise possède des succur- 
sales dans tout le pays ; ses opérations se bornent à 
des avances Consenties à l'État ou aux négociants les 



220 LA PERSE d'aujourd'hui 

plus qualifiés; elle reçoit les dépôts et garantit les 
biens des grands de la Perse en quête de la protection 
britannique. Les autres affaires financières ou indus- 
trielles» tentées à diverses reprises, par l'initiative 
anglaise» n'ont point eu de suite : il n'en subsiste que 
l'effort de la Compagnie Lynch pour ouvrir une voie 
commerciale. par la vallée du Karoun ; elle maintient 
un service de bateaux sur les deux biefs inférieurs de 
la rivière, de Mohammérah à Ahvaz et d'Ahvaz à 
Chouster ; entre Ahvaz et Ispahan, elle établit un 
sentier de caravanes par les montagnes des Bakh- 
tyaris;elle a repris la chaussée de Téhéran à Koum 
et Soltanabad, qu'elle doit relier à Chouster par 
Bouroudjird et Khorremabad. 

Dans le système anglais, les télégraphes jouent le 
même rôle que les routes dans le système russe. S'ils 
fournissent des prises moins solides, ils favorisent 
davantage la diffusion de l'action britannique. En face 
de l'invasion russe, lente et méthodique, compacte dans 
le Nord de l'Iran, à peine indiquée vers le Sud, l'An- 
gleterre est partout présente, installant dans chaque 
ville un groupe de composition identique : la Banque 
impériale, le télégraphe, les comptoirs des grandes 
maisons faisant le trafic de la Perse, enfin la mission 
protestante, très active chez les Américains presby- 
tériens du Nord, plus molle chez les Anglicans du Sud. 

Il va sans dire que si la Russie est particulièrement 
forte dans l' Azerbaïdjan, les provinces Caspiennes 
et le Khorassan, l'autorité an^aise s'accentue à 
mesure que l'on descend vers le Sud. Le golfe Persique 
rentre tout entier dans le domaine britannique, la 
navigation en est presque exclusivement anglaise, 
la Compagnie British India y assure le service postal, 



l'accord anglo-russe 221 

le commerce anglais y prend ses voies d*accès vers 
l'Iran: à Bender-'Abbas, pour Kerman etMéchhed, à 
Lingah, pour le Laristan ; à Bouchire et à Mohammérah 
pour les provinces du Centre; à Bassora, par Bagdad, 
pour celles de l'Ouest. Bouchire est la capitale des 
établissements anglais du Sud : l'habitation du rési- 
dent à Sebzabad, les bâtiments du télégraphe, le 
stationnaire ancré en rade impriment au petit port 
le sceau de la puissance anglaise C'est le seul point 
de la Perse où la langue anglaise soit d'un constant 
usage ; les commerçants arméniens et guèbres, les 
employés goanais, la féodahté de la chaîne méridio- 
nale, parfois même certaines tribus, relèvent de l'in- 
fluence britannique. Le médecin de la résidence a mis 
la mainsurtoutle service sanitaire du golfe et en dirige 
les postes, confiés à des officiers de santé indiens. Les 
câbles se sont ramifiés ; les télégraphistes ont 
occupé l'île d'Henj jam, à l'entrée du détroit d'Ormuz, 
pour la rattacher à Bender-«Abbas. 

Néanmoins, le commerce anglais recule constam- 
ment devant le commerce russe. En 1889, lord Cur- 
zon estimait le trafic de l'Angleterre et de l'Inde avec 
la Perse à 75 millions, celui de la Russie à 50 millions. 
En 1901-1902, les statistiques dressées par les 
employés belges de l'administration des douanes, 
accusaient 59 millions pour les Anglais, 96 miOions 
pour les Russes ; en 1905-1906, sous le régime du traité 
russo-persan, les mêmes statistiques élevaient le 
commerce russe à 170 millions environ, le commerce 
anglais n'atteignait que 70 millions^. 



1. En 1905-06, le commerce de r Allemagne en Perse atteignait 
3 millions et demi de francs ; celui de 1* Autriche 6 et demi ; le 
nôtre dépassait 16 millions. 



222 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

Dans toutes les villes importantes de la Perse, 
TAngleterre et la Russie entretiennent des consuls 
qui servent d'instruments aux deux influences ri- 
vales. Les consuls russes appartiennent au départe- 
ment asiatique ; les Anglais à la carrière consulaire 
pour les postes de Tauris, Ispahan et Chiraz ; partout 
ailleurs, ils relèvent du département politique del* Inde. 
Ce sont, d'ordinaire, gens aimables et hospitaliers, 
sérieux et instruits, représentant avec dignité, parmi 
les Iraniens, la personnalité européenne... Il peut 
arriver que les rapports des deux collègues soient 
courtois et même cordiaux ; cependant leur situation 
réciproque se ressent infailliblement de la mentalité 
spéciale que développent en eux la pression des cir- 
constances locales et la conscience de figurer aux 
avant-postes d'une rivalité militante.En Perse, l'agent 
anglais ou russe est fréquemment consul général ; le 
soud de son prestige lui vaut un uniforme militaire, 
avec une escorte de cosaques ou de souars indiens. 
Il devient un seigneur parmi les seigneurs de l'Iran, 
dont il prend aisément les allures ; le patriotisme 
aidant, sa féodalité s'irrite contre la féodalité adverse. 
La Perse s'est accoutumée à la lutte des deux in- 
fluences, et lui doit un équilibre relatif. A commencer 
par le Schah lui-même, tout ce qui compte dans le 
pays s' enrôle dans les clientèles russe ou anglaise» si 
bien que les consuls opposés s'imaginent servir la 
cause de leur pays, en guerroyant l'un contre l'autre 
à la tête de leurs clans respectifs. Tout stratagème 
devient licite pour décomposer ou affaiblir la troupe 
ennemie : on en peut ruiner les chefs, les attaquer 
dans leur situation ou leur carrière, si possible détour- 
ner leur allégeance. Au besoin^ le consulat intéressé 



l'accord anglo-russe 223 

offrirait unrefuge à ses partisans menacés; dans unËtat 
musulman qui ne connaît point les capitulations et où 
le statut des Européens repose sur un simple article 
du traité de Tourkmantchaï» la petite garnison, russe 
ou indienne, appuie, de sa force, la souveraineté des 
décisions consulaires. A Téhéran, les deux légations, 
fortifiées dans des enclos sourcilleux, emploienjb leur 
personnel, abondant et divers, à soutenir Tune con- 
tre l'autre, auprès du gouvernement royal les querelles 
provoquées, dans les provinces, par l'ingénieuse 
activité de leurs agents. Sous l'impulsion anglaise ou 
russe, les autorités provinciales se débattent en un 
perpétuel tourbillon; une influence les chasse, l'autre 
les ramène ; si le point d'appui habituel se révèle 
insuffisant, elles en sont quittes pour réapparaître, 
ayant sollicité le pardon de l'influence trop né^gée. 
Les tracas de la légation de Russie proviennent des 
seuls'^consuls ; la légation d'Angleterre jouit, en outre, 
du prosélytisme de ses missionnaires nationaux et 
même des Américains, dont l'ardeur protestante 
s'impose impitoyablement aux gouverneurs, épargnés 
par l'action politique. Avec ses préoccupations suran- 
nées de prestige et d'influence, la diplomatie euro- 
péenne en pays d'Orient atteint volontiers le ridicule ; 
en Perse, elle le dépasse. 

Nulle part, la rivalité anglo-russe ne se révélait 
aussi aiguë que sur la route du Séistan. La grande 
province du Khorassan est une des plus riches de 
l'Iran; elle se prolonge, en bordure de l'Afghanistan, 
par une succession de districts, dont les chefs, le plus 
souvent héréditaires, gouvernent une population 
mélangée de Persans, de Turcs, d*Arabes et de Bélout- 
ehes. A l'extrémité se trouve l'oasis du Séistan, où 



224 LA l>ERSE d'aujourd'hui 

vient se perdre THelmend, après avoir drainé tout le 
massif afghan. Sa position et ses ressources en font 
une base d'opérations propice contre l'Inde et la côte 
de la mer d'Oman ou bien encore contre le Khorassan 
et l'Asie centrale. Figurant sur les projets d'invasion 
comme sur les plans de défense, le Séistan joue un 
rôle prépondérant dans la rivalité anglo-russe ; cha- 
cune des deux influences hostiles prétendait arriver 
la première dans l'oasis convoité. Tandis que les 
Anglo-Indiens établissaient une route de caravanes 
à travers le Béloutchistan, posaient une ligne télé- 
graphique, qui, par Kerman et Yezd, s'en allait 
rejoindre à Kachan le -télégraphe indo-persan, enfin 
construisaient un chemin de fer, déjà terminé entre 
Quettah et Nouchki, les Russes mettaient la main sur 
l'administration du télégraphe persan, de Méchhed 
à Nosretabad, utiUsaient contre le trafic indien les 
complaisances de la douane et du service sanitaire, et 
accentuaient jusqu'à l'oasis leur pénétration com- 
merciale. L'importance stratégique de la route du 
Khorassan au Séistan qui, de flanc, menace l'Afgha- 
nistan, valait à ses plus minimes stations les honneurs 
de la bataille anglo-russe, qui faisait rage entte une 
poignée de consuls, officiers, médecins, cosaques et 
sovars. 

L'Angleterre et la Russie possèdent une longue 
habitude des arrangements asiatiques. Pendant tout 
le cours du dernier siècle, sitôt que leur rivalité ten- 
dait à s'aigrir ou que surgissaient des incidents gros 
de conflits, les deux puissances prenaient contact en 
vue de comprimer l'éclat. Le premier accord anglo- 
russe, sur le sujet de la Perse, date de 1834: il se 
manifesta par une déclaration relative à la succession 



l'accord anglo-russe 225 

au trône, avec rengagement mutuel de respecter 
l'intégrité et Tindépendance du pays. Semblables 
déclarations furent réitérées à diverses reprises ; des 
notes s'échangèrent à ce propos. Quand, dans les 
premiers mois de 1906, les embarras financiers de la 
Perse et la mort prochaine de Mozaffer-ed-Din 
Schah rapprochèrent à nouveau l'Angleterre et la 
Russie, le progrès de la pénétration commerciale et 
l'enchevêtrement des influences exigeaient des accords 
plus précis et plus complets. Forte de ses avantages, 
l'Angleterre désirait libérer sa diplomatie dû soin de 
l'affaire persane ; absorbée par sa révolution inté- 
rieure, la Russie ne répugnait point à consolider un 
état de choses supportable, à tout prendre, pour le 
présent, et susceptible de réserver l'avenir. 

Le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de 
la Perse, le principe de la porte ouverte servent de 
base au traité du 31 août 1907. Dans la délimitation 
des zones d'intérêts, l'Angleterre se contente d'un lot 
fort modeste, le Séistan et le Mékran, c'est-à-dire deux 
provinces médiocres, mais d'une réelle valeur straté- 
gique, puisqu'elles garantissent la défense de l'Inde et 
l'accès de la mer d'Oman. Le reste de la Perse méri- 
dionale, où domine l'influence anglaise, est laissé en 
dehors de toute attribution. La zone reconnue à la 
Russie, avec Ispahan et Yezd, laisse entrevoir à son 
action éventuelle les plus belles provinces du royaume, 
bien au delà des limites où sa pénétration commerciale 
était devenue prépondérante. La zone russe absorbe 
Kasr-i-Chirin, où doit précisément se raccorder au 
futur réseau persan l'embranchement du chemin de 
fer de Bagdad. Enfin les deux puissances ne pré- 
voient de limitation au principe de l'indépendance 

Aubin. — La Perse» 15 



226 LA PERSE d'aujourd'hui 

persane que pour rétablissement éventuel d*un con- 
trôle financier « afin d'éviter toute ingérence qui ne 
serait pas conforme aux principes servant de base 
au présent arrangement », en d'autres termes, au cas 
où il prendrait fantaisie au gouvernement persan de 
négocier un emprunt avec les banques allemandes. 

Peu flatteur sans doute pour l'amour-propre de 
la Perse, le traité du 31 août 1907, n'apparaît point 
mauvais pour son avenir. La nouvelle affirma- 
tion de l'indépendance et de l'intégrité de la Perse 
peut n'être un vain mot, ni pour la Russie, ni pour 
l'Angleterre. La première trouve trop à faire dans le 
maniement de sa révolution intérieure et à soutenir 
en Europe la poussée occidentale du slavisme pour 
s'engager, de gaieté de cœur, dans une aventure 
asiatique ; sa lente évolution vers la liberté favorise 
celle de la Perse. Quant à l'Angleterre, elle a tellement 
réduit ses prétentions, qu'elle ne ^aurait envisager le 
partage de la Perse sur la base des présentes zones 
d'intérêts. La création d'États-tampon sur ses fron- 
tières est un principe constant de la politique in- 
dienne : l'Inde a besoin d'écrans épais, pour arrêter 
la pénétration d'idées et d'influences nuisibles au 
délicat édifice de la domination britannique. Dans 
les désert de l'Iran, sur les bords du golfe Persique, 
dans les vallées de l'Eluphrate et du Tigre, voire au 
centre même de l'Europe, l'Angleterre doit cher- 
cher une sauvegarde à la tranquillité de ses posses- 
sions d'Asie. La Perse est en mesure de bénéficier des 
prénrciipptions an/:>laises. qui voient dans son exis- 
triKT une garantie du repos de l'Indu*. .Fai dit : dans 
>(»u es'istence, et oon pas dans son développement. 
Si TAngicterrc et la Russie peuvent s'entendre sur 



l'accord aî^glo-russe 227 

le maintien de la Perse, elles verraient sans grand 
regret s'y prolonger une anarchie propice ; car le relè- 
vement de riran, sa réforme européenne, affecteraient 
également le Caucase et l'Inde : de Tiflis à la Cas- 
pienne, vit une population de Turcs chiites, de même 
race et de même langue que les peuples du Nord- 
Ouest de l'Iran ; dans la Péninsule, les chiites for- 
ment un groupe appréciable ; la culture persane s'est, 
depuis plusieurs siècles, imposée aux cours indigènes 
et aux classes élevées. En cas de succès des réformes 
persanes, le Caucase et l'Inde risqueraient de siibir 
l'excitation d'un aussi dangereux exemple. 

Quoi qu*il en soit, la révolution persane, suivie 
de l'accord anglo-russe, parait offrir une dernière 
chance aux peuples de l'Iran* Jamais le Siam ne fut 
mieux garanti, qu'une fois découpé en zones d'in- 
fluence par l'accord anglo-français ; jamais les inté- 
rêts internationaux ne s'y développèrent plus libre- 
ment. Si elle sait agir avec suite et prudence, pareille 
bonne fortune peut échoir à la Perse. L'insouciance 
des habitants, la fragilité des matériaux donnent à 
tous les pays d'Orient un même aspect de ruine ; 
nulle part cette impression n'est plus vive que sur le 
plateau d'Iran : les maisons sont effondrées, les rues 
béantes, les revêtements de faïence s'effritent sur les 
mosquées et les tombeaux. Il semble que le peuple 
iranien soit tombé au dernier degré de la dégradation 
et de la misère. Pourtant, sous ces débris, persistent 
les traces d'une culture glorieuse, une intelligence affi- 
née, un patriotisme ardent, et, chose unique, en tene 
musulmane, une nationalité consciente et compa* te : 
germe fécond de. floraisons futures. 



X 

COUTUMES PERSANES 

1. — La musique, la danse, les « loutis ■ 

La musique persane ; ses origines arabes. — La chanson de 
Zahir-ed-Dowleh. — Les musiciens. — [Le nakara-khcuié, 
— Les troupes de danseurs : danses de jeunes garçons. — 
La corporation du Louii-Khaneh ; acrobates et prestidi- 
gitateurs. — L'école de filles de M. Richard-Khan. — 
Représentation de marionnettes. — Mourchid 'Azimet Mour- 
chid Taghi. — Les deux pièces du répertoire : le Lutteur 
Chauve et Sultan Sélim, 

Téhéran. — Février 1907. 

Qu'elle soit donnée dans le biroim ou dans Vandé- 
roun, à Foccasion de mariages, de circoncisions ou 
pour tout autre motif, il n'est point de fête persane 
sans la musique, la danse ou les loutis. 

La Perse moderne vit sur la musique arabe. Un 
homme du Turkestan afghan, Abou'n Nasr Fariabi, 
qui florissait à Bagdad sous le règne du khalife abbas- 
side El-Mamoun, lui imposa ses formes actueUes. 
Successivement, il inventa la petite guitare et celle 
à double renflement, qui restent les instruments fon- 
damentaux, soutenus, au besoin, par le tambour à 
pied, la cithare et le kémantcheh, sorte de violon. Le 



COUTUMES PERSANES 229 

même El-Fariabi sut classer, selon leurs divers modes, 
les airs transmis par la tradition populaire. 

La plupart des airs qui restent en usage sont d'ori- 
gine arabe ; mais ceux venus de la Turquie, voire de 
l'Europe, pénétrent de plus en plus^. La musique 
n'est point notée ; les maîtres se la transmettent les 
uns aux autres. A chacun des thèmes correspond un 
recueil de chansons, dont l'inspiration ou la métrique 
paraissent lui convenir. Elles sont généralement 
empruntées à Hafiz ou Sa^di, que tout Persan connaît 
par cœur. Mais on chante aussi les vers d'autres poètes 
et les compositions nouvelles inspirées par les cir- 
constances. L'été passé, l'explosion du mouvement 
libéral mit en musique, sur toutes les guitares de la 
Perse, les vers suivants de Zahir-ed-Dowleh, gou- 
verneur d'Hamadan et grand mourchid des derviches 
né^tnetoullahis : 

O mes frères, fils d'un même pays I Jusques à quand 
resterez-vous désunis 1 L'union transforme les brous- 
sailles en prairies ; la discorde les jardins en landes. 
L'union est le remède atix maux de notre cœur ; c'est 
la discorde qui cause notre misère. 

Dites hardiment que le gouvernement et la patrie, 
la gloire et la splendeur, sont frères jumeaux. Sinon, 

1. Joués sans paroles, les airs de la musique persane appartiennent 
au rcng. — Avec paroles, ils relèvent du tafnif, dont le rythme veut 
être marqué par le tambour à pied. — Uavaz n'exige aucun accom- 
pagnement ; ils constitue la musique sérieuse, les autres la musique 
légère. 

Jadis, Tensemble des airs persans se ramenait à douze thèmes 
déterminés. — Destigah (on dirait noubas dans 1* Afrique du Nord). 
— Aujourd'hui, le nombre de ces thèmes s*est réduit à huit : 
le Lour, triste et langoureux; le mahour, plus gai; Vhoumayoun, 
lent et solennel; le dougah (2"), mélancolique ; le sehgah (3«) et le 
ichargah (4«) ; d'une allure également martiale (ce dernier spécial au 
gens du Caucase) ; le pendjgah (5«), mélange de tous les autres airs ; 
enfin le névah, solonnel, propre à marquer l'apparition des grands de 
ce monde. 



230 LA PERSE D*AUJ0URD'HUI 

il n'y a, hélas ! ni gouvernement ni nation. Devant 
un gouvernement et une nation unis s'aplaniront 
toutes les difficultés de ce monde. 

O roi, ayez pitié de nous 1 Ecoutez un instant nos 
doléances I Vit-on jamais pareille chose : un mi- 
rakhor^y nommé grand vizir I Par son injustice et 
sa tyrannie, ce chien sans religion et sans imam a 
ruiné le pays de V Iran. 

La tyrannie a ruiné notre pays ; l'ignorance a rem- 
pli nos yeux de larmes. La science amènera le règne 
de la justice ; la civilisation fera refleurir les déserts 
salés. L'instruction est aujourd'hui notre devoir inéhic- 
table; elle vaut autant que le pèlerinage de la Mecque, 
que le jeûne et que la prière ^. 

Les grands seigneurs possèdent toujours un ou 
plusieurs musiciens particuliers, des avazkhans, au 
nombre de leurs domestiques ; — des femmes musi- 
ciennes sont attachées aux andérouns. Quelques pro- 
fessionnels renommés vivent indépendants ; ils don- 
nent des leçons et portent leur art là où on les appelle. 
Mirza Hosséin Kouli Khan est le plus connu de tous ; 
son père et son oncle appartenaient déjà à la Cham- 
bre du roi. 

Bien qu'il existe à Téhéran bon nombre de dan- 
seuses, celles-ci se voient réservées au divertissement 
des andérouns ; le goût persan leur préfère la grâce 
des jeunes garçons. Le chef suprême de la corpora- 
tion de la danse est un domestique du palais, Ehte- 
cham-è-Khalvet^ (la magnificence de l'intimité 

1. Mirakhor, chet der ècaries; allusion au Sadr A«zam «^Aîn-ed- 
Dowleh, renversé, en 1906, par le mouvement populaire. 

2. Ce sont les obligations fondamentales de la religion musitlmfltne. 
Y ajouter le devoir de rinstruction, c'est faire preuve d'une sin- 
gulière liberté d'esprit, qui commence à se répandre en Perse et y a 
produit les événements actuels. 

8. Le Khalvet est le cercle Intime que le Schah se choisit parmi ta 
domesticité. 



COUTUMES PERSANES 231 

royale) ; et celui-ci nomme dans chaque ville le chef du 
nakara-khané. Cette institution remonte aux origines 
mêmes de Tlran; dans la capitale, elle comporte une 
centaine de musiciens, dont la mission consiste à sa- 
luer d'une effroyable cacophonie le lever et le coucher 
du soleil; puis à figurer, vêtus d'un long vêtement 
rouge, dans les salâms et les taziés. Divisés en quatre 
escouades, ces gens s'évertuent sur des trompettes, 
des fifres, des grosses caisses et des '.tambours. Leur 
réunion forme la musique du roi et suit les déplace- 
ments de la Cour; ils sont trente joueurs de trompette 
et de tambour, vingt-six de grosse caisse et quatorze 
de flûte. Ces musiciens se complètent par une dou- 
zaine de danseurs. Il en coûte ainsi à l'État une 
somme annuelle de 6.000 tomans. Le chef du 
nakara-khané de Téhéran, Kasem Khan Bachi, 
dont le père remplissait déjà pareil oifice, préside 
également à la corporation locale des danseurs et 
musiciens, — soit quatorze troupes de neuf à 
douze individus; dont quatre composées de Juifs; 
chacune d'entre elles paye, sur ses recettes, une 
redevance à Kasem-Khan. Les troupes féminines 
sont plus nombreuses, il en existe une quarantaine, 
et c'est à Ehtecham-è-Khalvet lui-même qu'elles 
fournissent un revenu mensuel. Non point q[U' elles 
aient le monopole des andérouns ; les troupes 
mascuUnes y trouvent également accès, et l'on 
réussit à sauvegarder les convenances en les pla- 
çant derrière quelque vitrage ; il y avait naguère 
un groupe de musiciens aveugles, dont l'infirmité 
rassurait la pudeur des dames persanes. La danse 
est un plaisir dispendieux ; il en coûte de 20 à 
30 tomans pour une simple soirée ; de 50 à 60 pour 



232 i^A PERSE d'aujourd'hui 

les fêtes d'un mariage, qui durent parfois la se- 
maine entière. 

Les gens du nakara-khané, répartis en petits 
groupes, se répandent par la ville, en concurrence 
avec les troupes privées. Le charme ou le talent des 
jeunes garçons fait le succès de la compagnie, dont 
ils deviennent les étoiles. Les danseurs sont en 
général de petits orphelins, confiés à un chef de 
troupe, selon les termes d'un contrat dressé par 
devant Ehtecham-è-Khalvet. Les enfants commen- 
cent à huit ou dix ans ; ils apprennent, un couple 
d'années, sous la férule d'anciens danseurs, qui les 
entreprennent à forfait ; ils peuvent exercer leur 
métier jusqu'à dix-sept ou dix-huit ans. Pratiquée 
selon les règles d'une stricte vertu, la danse est peu 
lucrative. Un danseur ordinaire ne gagne pas plus 
de 20 à 40 tomans par an ; le gain d'un joh garçon, 
doué d'une voix agréable, peut atteindre jusqu'à 
100 tomans. Il faut ajouter que le chef de troupe se 
charge de nourrir ses pensionnaires, de les habiller, 
de les soigner en cas de maladie, et même de les bai- 
gner. La tendresse publique joint au nom de ces 
jeunes danseurs le qualificatif de djan — (mon âme), 
— généralement appliqué aux petits enfants. Actuel- 
lement, les deux favoris s'appellent Haïdar Djan et 
Asghar Djan ; on cite, parmi les femmes, Torbat et 
Khanoum Orghi (la dame à l'orgue). 

Le pître à la mode est un certain Hadji Louré. 
Chaque troupe en possède un ou plusieurs qui se char- 
gent des intermèdes. Au jour dit, les domestiques de 
la troupe apportent les instruments de musique avec 
les malles remphes d'habillements et d'accessoires. 
Les musiciens se rangent au fond de la salle, les 



COUTUMES PERSANES 233 

danseurs se placent en avant, les pîtres les accom- 
pagnent de leurs grimaces. Les jeunes garçons 
portent d'ordinaire une longue tunique de soie bro- 
chée ; mais ils changent fréquemment de costume, 
selon le caractère de la danse qu'ils exécutent ; leurs 
cheveux sont longs et le moindre mouvement les leur 
fait retomber sur le visage. Ils se livrent à des gestes et 
à des déhanchements qui n'ont rien, en eux-mêmes, de 
bien répréhensible, mais auxquels, faute d'habitude, 
je n'étais point préparé à trouver grande séduction. 
Les danseurs sont également chanteurs et acrobates. 
Ils représentent des saynètes et des tableaux vivants. 
Il arrive que certaines fêtes soient réservées 
au louH-khané. Tel est le cas, le sixième jour après 
la naissance d'un enfant, où la coutume fait inter- 
venir les loutis pour la distraction de l'accouchée. 
La corporation réunit les divers métiers, consacrés 
aux divertissements populaires; son chef, nommé 
par le Schah, Hasan Khan, louti-hachi perçoit 30 cha- 
his par toman sur les bénéfices de ses administrés. Dans 
le louti'khané le groupe le plus important comprend 
les lutteurs et acrobates, pehleuansy qui se répandent 
sur les places ou par les bazars. Ces gens opèrent, 
en outre, dans des gymnases spéciaux, où les ama- 
teurs sont adnlis en payant. Il peut y avoir, à Téhé- 
ran, une centaine de ces établissements, disposant 
chacun d'une équipe de huit à dix lutteurs. Les char- 
meurs de serpents, les montreurs de singes ou d'ours 
en sont réduits à exhiber leurs talents sur la voie 
publique. Au contraire, l'aristocratie de la corpora- 
tion, prestidigitateurs et montreurs de marion- 
nettes, une vingtaine en tout, fréquentent les 
meilleures maisons de la ville. 



234 LA PERSE d'aujourd'hui 

Nous avons ici un compatriote musulman. Le père 
de M. Joseph Richard Khan, se rendant aux Indes, 
traversa la Perse en 1844; Mohammed Schah l'y 
retint pour l'éducation de ses fils. Or, l'Islam ne 
supporte guère les rapports de ses femmes avec des 
chrétiens. M. Richard en fit Texpérience ; il dut cher- 
cher refugeau sanctuaire de Schahzadé 'Abd-oul-«Âzim 
et en sortit musulman. Cette circonstance détermina 
la fondation d'une famille franco-persane. L'un des 
fils vit à Téhéran; il est fort à son aise, très considéré, 
marié à une princesse kadjare. Ses deux petites 
filles se trouvant en âge de faire leur éducation, il 
décida quelques amis à lui confier leurs enfants et fit 
venir de France une institutrice, qui dirige, depuis 
quelques mois, la première école laïque française de 
filles existant en Perse. C'est devant les dix petites 
musulmanes groupées par M. Richard Khan que j'ai 
vu Mourchid «Azim présenter ses marionnettes, accom- 
pagné de la voix et du tambour par Mourchid Taghi. 
Quelques tours de prestidigitation avaient ouvert la 
séance. 

Le Khéimé Cheb-bazi (la tente des jeux de nuit) 
— tel est le nom persan des marionnettes — est 
d'importation récente sur le plateau d'Iran. Jus- 
qu'au milieu du dernier siècle, on n'y connaissait 
que les ombres chinoises et le Karagueuz turc. Les 
marionnettes furent importées du Kurdistan et 
finirent par tomber dans le domaine de la corpo- 
ration des loatis. 

. Une tente carrée est dressée dans la pièce. Le tapis 
du plancher forme la scène ; les poupées, fort amur 
santés, sont maniées par un aide invisible, au moyen 
de fils de crin. Accroupi en avant, Mourchid "^Azim joue 



COUTUMES PERSANES 235 

le rôle du maître de la tente où se produisent les 
marionnettes ; il les interpelle, leur demande leur 
raison d'être, commente leurs faits et gestes. En leur 
nom, l'aide répond, d'une voix qu'il rend aiguë par un 
sifflet mis dans sa bouche. Sur le côté, le musicien, 
Mourchid Taghi, un tambour à pied sur les genoux, 
marque la cadence, en chantant des vers appropriés. 
Les vers sont choisis dans le Beyaz (le carnet), 
recueil fort connu où, selon la légende iranienne, Chi- 
rine, favorite du Sassanide Chosroès Parviz, s'étant 
éprise de Farhad, le tailleur de pierres, fit réunir les 
vers amoureux de la poésie persane ; la chronologie 
n'a guère embarrassé l'auteur, qui prit le meilleur de 
son bien dans Sa^'di et dans Hafiz. 

Le répertoire des marionnettes se borne à deux 
sujets ; Sultan Sélim et Pehlevan Ketchel (le Lutteur 
Chauve). La maison du lutteur vient de s'enrièhir 
d'une femme nouvelle, qui lui est amenée de l'Inde 
par un esclave. Or, cette femme se trouve être la 
sœur du Dio (le démon, l'ogre de la fable persane). 
Furieux de tant d'audace, celui-ci commence par 
ensorceler le lutteur ; puis, il se laisse toucher par 
ses expressions de repentir. Alors le lutteur, saisis- 
sant une occasion favorable, prend le div à la gorge 
et l'étrangle. — Sept de ses frères partagent succes- 
sivement le sort du div. — La femme pleure le 
désastre des siens ; elle s'en console en épousant 
le lutteur ; un mdlah dresse l'acte de mariage ; 
la femme devient enceinte; un enfant naît et la 
pièce finit. 

La Cour du Sultcm. Sélùrip que j'ai vu représenter, 
offrait un spectacle bien plus varié. Avant l'entrée 
<j[es marionnettes, Mourchid Taghi se mit à chanter 



230 LA PERSE d'aujourd'hui 

des vers de Hafiz, évoquant l'idée de Tunité divine 
qui préside à toute manifestation de la vie musul- 
mane. 

Puis la première marionnette se présenta. « Le 
salut soit sur vous 1 — Sur vous soit le salut, 
répond Mourchid «Azim ; qui êtes-vous ? — Je suis 
le héraut du camp de Sultan Sélim Yéméni ; son 
ordre est que Ton ne fasse point de bruit, car il va 
venir. » Des sentinelles se placent à l'entrée du camp, 
des cosaques à la porte de l'andéroun. Les porteurs 
d'eau arrosent la tente ; les serviteurs la balayent. 
Viennent les gens de la maison royale, massiers, 
portiers, ferraches, le général de l'infanterie, le com- 
mandant des troupes turques, les nakaredjis, les 
joueurs de flûtes, le porte-étendard, les coureurs 
royaux, puis le Sultan lui-même, accompagné des 
ambassadeurs de Turquie et de Russie. Le divertis- 
tissement commence : lutteurs, montreurs de singes, 
guitaristes, acrobates, danseurs, Kurdes, Turcs, 
Afghans, Arabes, un couple d'Européens. 

Le louti, montreur de singes, se plaint de la façon 
dont lui fut réglé le salaire royal. «LeSchaht'a pour- 
tant donné un cadeau, dit Mourchid «Azim. — Oui, 
répond l'homme, un bon sur Nedjis-et-Toudjdjar (la 
saleté du commerce),qui m'a retenu lOpour 100 decom- 
mission. » Aussitôt le sultan fait comparaître le négo- 
ciant coupable ; les ferrachs lui attachent les pieds 
à une barre de bois, lui mettent les quatre fers en l'air 
et lui administrent la bastonnade. Cet acte de jus- 
tice sommaire est immédiatement suivi d'un autre : 
des voleurs sont placés à la bouche d'un canon. Un 
chasseur apporte un moufflon ; le mirakhor, chef des 
écuries, se présente à cheval. Les poupées sont fort 



COUTUMES PERSANES 237 

ingénieuses, et leurs articulations se prêtent à de 
multiples exercices. Il en viendrait encore, si le div 
n'apparaissait point; une marionnette de grande 
taille, avec des plumes blanches sur la tête et des 
bras démesurés : « Qui es-tu? — Je suis Togre du 
désert. — Que viens-tu faire? — Je viens prendre 
tous ceux qui ont trahi la confiance du Roi. » Et 
Togre de saisir à tour de rôle les divers personnages 
de la cour, qui tous, du premier jusqu'au dernier, 
avaient également mal agi à l'égard du souverain. 
Une fois le nettoyage accompli, la petite moralité 
tirée de la pièce, le div se prosterne devant le sultan 
et s'enlève dans les airs. 

2. — Les derviches. — Mendiants et conteurs 

La quête des derviches au Norouz. — Le chef de la corpo- 
ration : Nakilhol-Memalek. — Kaksars et ''Adjems. — Les 
mendiants. — Le tatouage des Kaksars et la légende de 
Seyyed-Djélal. — Comment les Séfévis ont employé les 
''Adjems. — L'organisation de la confrérie; l'initiation; 
la patente de derviche. — Le derviche de la légation de 
France ; Hadji Ahmed. — Les aventures d'un nakkal, 

 l'approche du Norouz (21 ou 22 mars), qui marque 
le début de l'année persane, les derviches de Téhéran 
se réunissent chez le chef de leur corporation, Nakib- 
ol-Memalek, et chacun se voit désigner la maison 
du personnage, condamné à lui payer aumône 
à l'occasion de la fête. Le derviche vient dresser sa 
tente à l'endroit indiqué, l'orne de plantes et de 
feuiUages et campe, attendant sans impatience le 
payenaent du tribut annuel que lui accorde la cou- 
tume. D'ordinaire, les seigneurs persans se montrent 
magnanimes à l'égard de ces derviches, temporai- 
rement attachés à leur personne ; ils les laissent 



238 LA TERSE D'AUJÔURÔ'faUI 

plusieurs jours tranquillement installés devant leurs 
portes, leur envoient du riz et du thé, puis, le moment 
venu, s'en débarrassent par un généreux cadeau^. 

Mirza Gholam Hosein Khan, Nakib-<^-Memalek, 
était le conteur favori de Nasr-ed-Din Schah. Jouis- 
sant de la faveur du maître, il en obtint Tadminis- 
tration de tous les derviches de la Perse. A ce titre, 
il nomme un délégué dans chaque province et per- 
çoit redevance sur tous les mendiants du pays. 
Naguère, la place du Nakib-ol-Memaldc était infi- 
niment plus importante ; elle conférait TautCNrité, 
non seulement sur les derviches, mais encore sur 
dix-sept autres corporations, parmi lesquelles les 
vendeurs de kalyans et les laveurs des morts. Au- 
jourd'hui, Nakib-ol-^Memalek doit se borner à l'ex- 
ploitation des seuls derviches ; encore ne s'agit-il que 
des Kaksars et des ^Adjems, 

Quand, au xvi® siècle, le chiisme se transforma en 
religion nationale, les Séfévis redierchèrent le con- 
cours de ces deux confréries ; elles se firent volontiers 
les missionnaires de la loi dominante ; de cette époque, 
date la forme spéciale et purement chiite, adoptée 
par chacune d'elles. 

Ces derviches ^'ont rien de commun avec les masses 



1. Les derviches sont, en Perse, Tobjet d'un réel respect ; on leur 
refuse rarement Fàumône. Le soufisme a entouré les siens d'une 
auréole, en faisant de la mendicité Ite plus complet symbole du renon- 
cement. Sa^di et Haflz, qui continuent à. faire l'éducation de l'Iran, 
n'ont cessé de chanter les derviches. 

« L'initié au cœur inspiré cherche dans la mendicité le moyen de 
dompter ses convoitises ; et, quand la passion l'obsède d^ ses exi- 
gences, il la traîne de porte en porte pour la mortifier... Le calnie 
H la félicité parfaite ne se trouvent que dans le royaiune des derviches . . . 
J^a puissance et la fortune sont un malheur ; ^ celui que Ton flétrit 
«iii nom de mendicml è>l, en réalité, le n»i du '.uondf. • — Sa'di. — 
Bita/Uoii, chapitre l*-. 



COUTUMES PERSANES 239 

que nous connaissons» groupées autour des zaouïas 
de l'Afrique du Nord. Bien qu'ils reconnaissent 
entre eux une hiérarchie de mourchids et de mau- 
Zéi^i5, l'isolement est leur habitude; ils vivent errants 
ou sédentaires, appliqués à gagner leur pain selon les 
procédés particuliers à leur ordre. 

Les Kaksars sont de simples mendiants. Ils déri- 
vent des yoghis de l'Inde, et se répandirent en Perse 
à la faveur de la protection séfévie. On les rencontre 
dans les rues ou dans les bazars, les cheveux longs, 
la barbe inculte, portant d'invraisemblables coif- 
fures, une peau de mouton et une hache sur Tépaule, 
une sébille pendant au bras. Lors de la moisson, ils 
s'en vont dans les villages, oùles paysans s'empressent 
à leur donner une petite portion de grains. On en 
trouve, sous un abri de terre battue, dans les cime- 
tières ou le long des routes assez fréquentées. 

Le chemin de Chemran, où la population de Téhé- 
ran émigré pendant rété,est peuplé de ces derviches; 
ils s'y sont aménagés de petits recoins, ornés de plan- 
tes grimpantes, et se présentent aux passants, leur 
offrant un fruit, une fleur, ou même un verre d'eau 
glacée, afin d'attirer leurs aumônes. Ces mendiants 
sont migrateurs. En décembre, quand la neige des- 
cend les pentes de l'Elbourz et vient recouvrir la 
plaine caillouteuse de Téhéran, la vie n'est plus 
possible sinon pour les derviches abrités dans les ba- 
zars; les autres se dirigent vers le Sud, gagnent l'Ara- 
bistan ou la basse vallée du Tigre, pour revenir avec 
la bonne saison. Certains de ces derviches se sont pro- 
curés des domiciles fixes, avec un rayon d'exploitation 
suffisamment rémunérateur ; mais beaucoup restent 
errants ; ils voyagent dans toute la Perse, au Caucase, 



240 LA PERSE D'AUJOUHD'hUI 

en Turquie, au Turkestan, en Afghanistan et aux 
Indes ; par réciprocité, la Perse reçoit les derviches 
de ces divers pays. ' 

En dehors de leur costume spécial, les Kaksars 
ont, pour signes distinctifs, un bracelet et un tatouage 
au bras. Le tatouage s'explique par une légende 
remontant au fondateur même de Tordre. Seyyed 
Djélal habitait une ville quelconque de Tlnde, à une 
époque indéterminée ; la mémoire de ses disciples 
n'est pas très précise à son sujet. Autour de lui 
s'étaient groupés plusieurs derviches ; et un chameau, 
seul bien du couvent, s'en allait, tous les matins, 
une besace au cou, quêter pour la subsistance de la 
petite communauté. Un beau jour, dégoûté de la 
paresse des siens, Seyyed Djélal se répandit en re- 
proches et fit mine de partir sans esprit de retour. 
Quand il revint, le chameau avait disparu ; le départ 
du maître ayant ralenti la charité pubhque, les der- 
viches s'étaient décidés à manger l'animal quêteur. 
Devant les mensonges des coupables, Seyyed Djélal 
fit appel au chameau lui-même qui, du ventre d'un 
chacun, raconta sa triste destinée. Alors, furieux, 
le mourchid serra de sa main le bras de ses derviches, 
si fort que l'empreinte y demeura marquée. C'est en 
souvenir de cette marque surnaturelle que les Kak- 
sars se font encore tatouer au bras lors de leur initia- 
tion. 

Sur 3.000 derviches qvi'n peut y avoir à Téhéran, 
on ne compte que 600 Kaksars; les «Adjems seraient, 
de beaucoup, les plus nombreux. Ceux-ci font remon- 
ter leur filiation spirituelle jusqu'à Habib-è-«Adjémi, 
venu à Médine étudier les doctrines soufies, sous un 
autre Persan, Salman-è-Farsi, l'un des serviteurs du 



COUTUMES PERSANES 241 

Prophète, dont le souvenir revient à chaque instant 
dans les traditions chiites. Du surnom de Habib, 
la secte reçut Tappellation de ^adjem (mot arabe, qui 
veut dire : Persan). Depuis lors, il existait des der- 
viches «Adjems parmi le peuple de Tlran, sans pos- 
séder cependant ni signe distinctif, ni organisation 
compacte. Les Séfévis leur fournirent une forme 
nouvelle et un but précis. Dans son œuvre de recons- 
titution de la nationalité persane, appuyée sur le 
chiisme contre le sunnisme des Turcs, cette dynastie 
chérifienne voulut avoir un corps de missionnaires 
qui s*en irait confondre les partisans du khalifat, en 
prêchant à travers le pays les louanges des Alides. 
Sous le règne du grand Schah «Abbas, un cordon- 
nier d'Ispahan, Mohammed-è-Keffach, se trouvait 
être le principal mourchid des «Adjems; il proposa 
au roi d'engager sa confrérie au service de ses pro- 
jets religieux ; l'offre fut acceptée et fit la fortune 
de l'ordre. 

. Les derviches *'Adjems se répandent ainsi dans 
la moitié de l'Asie pour la distraction ou l'édifica- 
tion des villages, — bien accueillis des Sunnites eux- 
mêmes. Aucune règle ne préside à leurs pérégrina- 
tions ; ils partent volontairement, avec l'autori- 
sation de leurs mourchids. Ils sont, en Perse 5 ou 
6.000, 10.000 si l'on y joint les apprentis; leur plus 
fort groupe réside à Téhéran, ensuite à Ispahan et 
dans le Guilan. Ces gens entrent dans les mosquées, 
se placent au pied de la chaire, et racontent aux 
paysans en larmes le douloureux martyre de Ker- 
béla ; ce sont les rouzékhans des campagnes. D'au- 
tres fois, ils se transforment en maddahs pour hurler 
les louanges d*«Ali dans les bazars ;|ou bien ils'de- 

AuBiN. — La Perse, 1 6 



242 LA PERSE d'aujourd'hui 

viennent nakkals, et font rire un auditoire émerveillé 
aux récits puisés soit dans Ylskendernameh (le livre 
d'Alexandre), soit dans le Romouz Hamzeh (les énigmes 
de Hamzeh)» recueils traditionnels dont les thèmes 
dérivent de Tancienne poésie persane. Quelques-uns 
même travaillent comme charmeurs de serpents. 

En dehors de Nakib-ol*Memalek, chef civil des 
«^Adjems, se développe toute une organisation reU- 
gieuse ; au-dessus des derviches et des disciples 
aspirant à leurs loisirs, plane une aristocratie de 
maulévis et de mourchids, seuls admis à porter le 
turban. Au sommet, les pir-é-dowa^ choisis parmi les 
seyyeds de Tordre, sont actuellement au nombre de 
cinq ; ils résident à Téhéran, Kazvin, Ârdébil, 
Méchhed et Ispahan. Plus haut encore, les deux 
sahabs-'cdem (les maîtres du monde) ; les chefs su- 
prêmes, établis à Téhéran et Méchhed, Hadji Séyyed 
Kasem Va«ez et Kerbélaï Hasan. Les «Âdjems se 
recrutent surtout parmi les artisans; ils comptent 
cependant des seyyeds, des mollahs, des prédicateurs 
et même quelques grands personnage 

Quand un jeune homme, séduit par l'indolence 
monacale, désire être admis parmi les «Âdjems, il se 
met tout d'abord en quête d'un mourchid. Ses goûts 
l'entraînent-ils vers la mobilité, son maître le garde 
peu de temps et lui donne presque aussitôt la « volée », 
c'est-à-dire la faculté de voyager comme derviche, 
soit pour étudier les divers pays, soit pour visiter 
les autres derviches. Cette « voie » fait régner entre 
les pieux voyageurs une charité fraternelle ; à toute 
rencontre, ils se doivent échange de bons offices ; 
et celui qui possède est tenu de partager son bien 
avec le confrère indigent. 



COUTUMES PERSANES 243 

Pour les sédentaires, Tinitiation se fait plus 
longue ; Télève doit servir le maître pendant mille 
et un jours, puis le « contenter » par un cadeau. Vient 
alors la cérémonie de Tinvestiture solennelle, qui 
l'introduira définitivement dans la confrérie. L'as- 
pirant est assisté du pir-é-mourchid^ qui lui donna 
ses soins spirituels et du pir-é-délil, du guide, chargé 
de raccompagner dans la circonstance. Les «Adjems 
de Tendroit se sont réunis ; l'intéressé leur a préparé 
un repas de riz et de mouton. Les mains appuyées 
sur les genoux, il se présente en prononçant la for- 
mule « Au nom de Dieu I II n'y a de Dieu que Dieu I 
Je viens faire le pèlerinage des cœurs. — Soyez 
le bienvenu, lui répond le pir-é-mourchid, et prenez 
soin de ne briser aucun cœur. Tous les êtres humains 
veulent être également reconnus comme créatures 
divines; il faut avoir pour tous les mêmes égards.» 
L'aspirant répond aux questions que lui pose 
l'assemblée ; la ceinture de l'ordre, faite de quarante 
fils noirs, réunis par des nœuds — (symbole des qua- 
rante jours d'abstinence et de retraite imposés 
chaque année) — lui est placée au cou par le pir-é- 
délil ; le pir-é-mourchid détache la ceinture et la lui 
passe autour du corps. Ceci fait, le nouveau derviche 
prend part au repas, assis après le dernier «Adjem 
introduit dans la confrérie. Dès lors, il portera, sous 
ses habits, aux épaules, à la taille, et sur les jambes, 
les pièces de linge imposées par la règle. 

Cependant une dernière formalité lui reste à rem- 
plir. Après un jeûne de quarante jours, il devra 
visiter les grands chefs de l'ordre, pour apprendre 

1. Pir veut dire ancien ; c*est l'équivalent persan du mot arabe 
cheikh. 



244 LA PERSE d'aujourd'hui 

du pir-é-dowa le plus voisin les prières spéciales 
à la confrérie, et pour recevoir du sahab *alem 
le contact spirituel qui parachève Tinitiation. Ces 
formalités successives sont dûment constatées dans 
un ou plusieurs documents contresignés par les 
quatre pirs ; c'est une sorte de patente qui permet au 
titulaire d'exercer son métier de derviche et de men- 
dier religieusement. Voici la traduction d'un tel 
document, couché sur papier bleu, pointillé d'or, 
encadré de raies à l'encre rouge : 

Au nom du Dieu Clément et Miséricordieux \ 

O Dieu I Maître des ténèbres et de la lumière, de 
l'aube, du crépuscule et de la nuit 1 Aide-nous de ta 
puissance, purifie-nous par tes soins, assiste-nous dans 
ton culte I 

(Suivent d'interminables louanges en l'honneur 
d'AUah, de Mahomet et d'«Ali.) 

O Nakibs révérés et Cheikhs de grand mérite, der- 
viches porte-étendards et petits élèves de derviches, 
narrateurs des souffrances du descendant du Pro- 
phète, tchaouchs (conducteurs de pèlerinages), di- 
seurs de vers, porte-drapeaux, barbiers, sakkcis (por- 
teurs d'eau), ferrachs, laveurs des morts, sachez 
bien qu'aucun être de ce monde n'arrive et n'ar- 
rivera jamais à rien, sans peines et sans efforts, 
sans avoir reçu l'instruction et servi un maître. Dans 
les hadis relatifs au Prophète, il est dit : « S'il n'y 
avait pas eu quelqu'un pour »*" 'instruire, je n'aurais 
pas connu mon Dieu. » 

Conformément à ces merveilleuses paroles, le 
nommé I>erviche Mirza Mohammed, fils de Hadji 
Derviche Ahmed Téhérani^, a longtemps brûlé 
dans le désert de la séparation et s'est fondu dans la 
coupelle de l'amitié ; il a longtemps servi parmi les 
apprentis derviches. Il a désiré prendre rang parmi 

1. La patente est celle du fils de Hadji Ahmed, le derviche de la 
légation de France à Téhéran, dont il sera question plus loin. 



COUTUMES PERSANES 245 

les maîtres derviches et s*est fait reconnaître comme 
susceptible de transformer en or pur le cuivre de son 
existence, grâce à Télixir de leurs yeux. 

En foi de quoi, une assemblée, semblable au para- 
dis, s'étant réunie dans la capitale, à Téhéran, il a 
porté sa main, dévouée sur la robe de professeur du 
derviche Mollah Mohammed Ali Ikhtyar, et l'a choisi 
comme guide ; celui-ci, ayant accepté, a enseigné les 
sept caractères du derviche : 1^ la science de la guerre 
sainte ; 2° la mansuétude ; 3® la patience ; 4^ le con- 
tentement; 5® l'abnégation; 6^ la sincérité: 7° la charité. 

Mollah Mohammed a pris la ceinture de son cou et 
l'a remise aux mains de Derviche Mirza Gholam 
Hoseïn Khan, Nakib-ol-Memalek de l'Iran. — Le 
nakib lui a donné licence de mettre la ceinture, la 
bourse, les socques des derviches, et lui a enseigné les 
sept secrets : !« que le monde vient de Dieu ; 2^ à 
séparer la vérité de l'erreur; 3<* à avoir l'oreille ou- 
verte aux paroles de vérité ; 4° à ne pas s'attacher 
aux choses d'ici-bas ; 5° à fermer son oreille aux paroles 
injustes ; 6^ à répéter continuellement les noms de 
Dieu ; 7® à exercer la pitié envers les hommes... 

Or donc, gens revêtus de la robe de derviche, en 
toute ville et en tout pays, sachez que le susnommé 
s'est placé au rang des derviches accomplis et doit 
être reconnu comme tel. 

"a la date du dimanche, 6, Rébio-ol-Ewel 1317 de 
l'Hégire du Prophète (que sur lui soit le salut, la 
bénédiction, ainsi que sur sa famille et jusqu'au jour 
de la Résurrection I) 

Cachet des deux Pirs. 

Signature : 

La poussière des pieds des ^Ouréfa (savants). 

Moi le pécheur Seyyed Kazem Téhérani. 

Depuis plusieurs années déjà, Hadji Ahmed, der- 
viche «Adjem, est titulaire de la légation de France 
pour la quête du Norouz; il en reçoit, à ce titre, une 
rente annuelle de 10 tomans. 



246 LA PERSE d'aujourd'hui 

Bien que les boucles de ses cheveux restent noires, 
notre derviche commence à vieillir : il a le teint foncé, 
la barbe raide. Sur son large bonnet de feutre gris, 
sont inscrits ces vers : « Les rois de ce monde, por- 
teurs de couronnes, n'ont d'autre occupation que de 
lever les impôts et les tributs; s'ils entrent dans la voie 
de la connaissance, ils s'apercevront qu'ils sont soumis 
au bonnet des derviches. » Ces vers se trouvent entre- 
mêlés de l'invocation, plusieurs fois répétée :« «Ali, 
viens à notre aide ! «Étant Mourchid, Hadji Ahmed 
porte un turban blanc, deux fois replié sur lui-même» 
en avant et en arrière. 

Hadji Ahmed naquit à Téhéran, à une date qu il 
ne précise guère; son grand-père serait venu de l'Inde ; 
son père fut muletier chez un grand seigneur persan. 
Hadji Ahmed aime à penser que, si ses ascendants 
travaillaient « extérieurement » aux bas ouvrages de 
ce monde, ils se relevaient du moins par leur vie 
« intérieure », qui les associait au dervichisme. Tout 
enfant, Hadji Ahmed perdit son père : il fut alter- 
nativement recueiUi par ses deux oncles. L'un, Hadji 
Hoséin Marguir, était derviche et charmeur de ser- 
pents ; l'autre, prestidigitateur. L'orphelin grandit, 
recevant de ses oncles, pour toute éducation, quelques 
notions de leur art respectif. Cependant, à défaut de 
science, Hadji Ahmed avait acquis la leçon que don- 
nent les voyages et les aventures. Du côté d'Astéra- 
bad, les Turcomans le prirent et le dépouillèrent ; 
plus tard, il fit avec ses tuteurs le pèlerinage des Lieux 
Saints ; il en revint par Bassora et l'Arabistan. 

Pourtant, fatigué des horions que lui prodiguait sa 
famille, Hadji Ahmed crut trouver une existence plus 
calme en s* engageant parmi les soldats du prince 



COUTUMES PERSANES 247 

Naïeb-os-Saltaneh, fils de Nasr-ed-Din-Schah et mi- 
nistre de la guerre. La désillusion vint vite et notre 
homme songeait à déserter, quand, un jour, il y eut 
grand émoi au palais de Niavaran ; un serpent venait 
de mordre le bélier favori du prince et Ton était en 
quête d'un charmeur apte à s'emparer du coupable. 
Pour la première fois, Hadji Ahmed sut tirer parti de 
l'enseignement de ses oncles; et son congé immédiat 
fut la récompense d'un si beau service. 

La pratique des serpents ne lui permit point de 
gagner sa vie ; le pubUc se montrait récalcitrant ; il 
fallait abandonner au louti-hachi 10 pour 100 de ses 
maigres bénéfices. Après tant de traverses, Hadji 
Ahmed était mûr pour la vie monacale; il se maria et 
étudia trois années comme apprenti derviche. Toutes 
ses connaissances datent de cette époque. Il y dut faire 
grand effort; car sa culture actuelle paraît fort étendue 
et son persan est excellent. Son mourchid, Kerbélaï 
Mohammed, s'étant mis en route pour Kerbéla, l'é- 
lève suivit le maître; mais celui-ci ne dépassa point 
Kermanchah, indignement retenu dans cette ville par 
les liens d'une union temporaire. Alors, du produit de 
ses quêtes effectuées parmi les marchands du bazar, 
Hadji Ahmed s'en revint seul à Téhéran. Là, il eut la 
chance de rencontrer un autre directeur spirituel qui 
lui apprit l'art de bien dire, avec les contes de Vlsken- 
dernameh et lui montra sa voie définitive. Il put procé- 
der à la cérémonie d'initiation et payer les frais de sa 
patente de derviche. 

Dans ce nouvd état, le pèlerinage de la Mecque 
l'attira ; il partit, avec une caravane de pèlerins, 
par Kazvin, Tauris et Khoï, se dirigeant vers Damas : 
tant que l'on fut dans le domaine de la langue persane. 



248 LA PERSE d'aujourd'hui 

il vécut en disant ses contes ; en terre arabe, il dut 
recourir à des tours d'escamotage. Le voilà revenu 
dans la capitale, narrant ses histoires au marché de 
la paille ou dans les kahvékhanés. C'est là que la fortune 
rebelle finit par se décider à le saisir. Un prince gou- 
verneur du Fars l'emmena à Chiraz comme derviche 
particulier ; il y resta quatre ans, occupé tous les soirs 
à divertir de ses récits les femmes de l'andéroun prin- 
cier. Désormais, sa situation était faite ; depuis une 
quinzaine d'années, il vit tranquille à Téhéran, Tune 
des célébrités de sa profession. 

L'âge et le succès en ont fait un mourchid. Chaque 
après-midi, à l'exception des mois de deuil, il tra- 
vaille dans les mosquées, dans les cafés ou sur les 
places ; les jours de jeûne, en Ramazan, lui sont par- 
"ticulièrement lucratifs. 

Hadji Ahmed tire de son vêtement un carnet de 
cuir, contenant quelques cahiers de V Iskendernameh, 
Avec une grande vivacité de gestes, il raconte le débar- 
quement d'Alexandre dans le pays de Zéberdjed- 
Schah, où une coupole brillante et une pierre gravée 
enchantaient tous les étrangers assez mal avisés 
pour y porter leurs regards. Il dit comment les deux 
envoyés successifs d'Alexandre, succombant à ces 
maléfices, prêtèrent hommage à Zéberdjed-Schah ; 
comment un dernier, plus maUn, nommé Résine, 
réussit à échapper aux prisons et aux enchantements ; 
comment il brisa la pierre pour en détruire la magie ; 
comment il aida Alexandre à lutter contre les sor- 
ciers et les divs, jusqu'au complet triomphe de la 
vraie foi. 

Les récits s'enchevêtrent les uns dans les autres ; 
chaque épisode veut un commentaire. Quand son 



COUTUMES PERSANES 249 

auditoire en arrive à Técouter bouche bée, le grand art 
du conteur est de lever la séance, afin de s'assurer, 
pour le lendemain, la plénitude de son public. 

C'est avec ces procédés qu'Hadji Ahmed, revenu 
de tant d'aventures, a pu connaître les douceurs 
d'une honorable et tranquille vieillesse... Mais sa 
joie n'est point sans mélange; il commence à douter 
de l'avenir du dervichisme. Les signes des temps lui 
paraissent fâcheux ; le mouvement libéral détourne 
les esprits de la primitive simplicité des croyances ; 
là jeunesse critique et perd le respect ; son fils lui- 
même, qui est son disciple, n'a plus les sentiments 
qu'il ressentait pour son propre mourchid, — malgré 
ses égarements de Kermanchah. Et, frappé de tels 
symptômes, Hadji Ahmed en vient à se demander si 
sa génération n'aura point fourni les derniers nakkals 
de la Perse. 

3. — Chasse au fau<:on 

La chasse en Perse. — Diverses espèces de faucons chasseurs : 
les « yeux noirs » et les « yeux jaunes ». — L'équipage 
d'Ikbal-ed-Dowleh. — L'éducation des faucons. — Chasse 
en montagne. 

La chasse est restée jusqu'à ce jour l'exercice favori 
des souverains et des seigneurs de l'Iran. La poésie, 
la musique, la danse réjouissent les heures oisives, 
passées au logis ; chiens et faucons entraînent au 
dehors, à travers les montagnes et les déserts; cou- 
tumes héritées des ancêtres nomades, qui, avant de 
s'élever aux plus hautes dignités de l'État persan, 
parcouraient les solitudes de l'Asie Centrale. Encore 
aujourd'hui, quand le Schah se met en route dans 
tout l'appareil de sa majesté, il lui faut auprès de lui 



250 LA PERSE d'aujourd'hui 

son grand fauconnier, tenant un faucon. Les goûts 
de la dynastie kadjare ont parsemé de rendez-vous 
de chasse les environs de Téhéran : il en existe dans 
tous les coins de la plaine, dans la haute vallée du 
Djadjeroud, à Chehristanek, par delà les passes du 
Tautchal, sur le chemin du Mazandéran. 

Vers TEst, au devant des montagnes, à quelques 
kilomètres de la capitale, s'élève le rocher isolé de 
Dochan-Tépé (la colline du lièvre), où a été construit 
un petit palais. Le souverain désire-t-il s'éloigner 
du tracas des affaires, il y vient passer une journée, 
et, de là, chasse le mouflon dans le domaine voisin de 
Pérabad. Sur les sculptures orgueilleuses, dont les 
Kadjars, à l'exemple des Sassanides, se sont plu à 
orner les rochers de leur royaume, Nasr-ed-DinSchah 
apparaît parfois à cheval, tirant quelque animal redou- 
table, lion ou panthère, sous les yeux d'une cour 
retenue en arrière par la crainte et par le respect. 

La chasse favorite se fait au faucon ; presque toutes 
les provinces de la Perse en possèdent des équipages ; 
mais, les dépenses étant considérables, le privilège 
d*en entretenir ne peut revenir qu'aux fort grands 
seigneurs. Les oiseaux, susceptibles d'être employés 
à la chasse, appartiennent à deux espèces princi- 
pales, distinguées par la couleur des yeux, qui sont 
jaunes ou noirs. D'ordinaire, les faucons aux yeux 
jaunes s'attaquent au moindre gibier, perdrix et 
francoUns. Parmi eux, la variété la plus forte, les 
tarions, n'est point indigène à la Perse et doit être 
importée d'Astrakhan ; les ghézals se trouvent dans 
les forêts voisines de la Caspienne ; deux variétés 
plus petites, mais courageuses et munies de fortes 
griffes, les gerghis et les pighous, abondent dans les 



COUTUMES PERSANES 251 

champs par tout le pays ; on s'en sert contre les menus 
oiseaux, bécassines, cailles, teîhous (petites perdrix 
grises). 

La plupart des faucons aux yeux noirs peuvent être 
lancés contre de plus dangereux adversaires, oies 
sauvages, hérons et outardes, au besoin contre les 
gazelles. Les balabans du Kurdistan et de TElbourz 
chassent dans tout le plateau d'Iran ; les bahris 
prennent les canards, au Mazandéran ; dans l'Arabis- 
tan et la province de Kermanchah, le petit tou- 
roumtal est. réservé à la poursuite du teïhou. 

L'on compte à Téhéran quelque vingt personnes, 
propriétaires de faucons; la plupart ne possèdent 
qu'un couple d'oiseaux. Le plus grand équipage est 
celui d'Ikbal-ed-Dowleh. 

Ikbal-ed-Dowleh (la félicité de l'État) descend 
d'une grande famille arabe, les Beni-Ghaifar, qui 
prétendent faire remonter leur filiation ininterrompue 
jusqu'à l'un des compagnons du Prophète. Suivant le 
mouvement des migrations de la race, les Ghaffaris 
seraient venus s'établir à Rey, au ii« siècle de 
l'Hégire : la destruction de la ville par les Mongols 
les dispersa à Kachan, Koum et Kazvin. Seule, la 
branche fixée à Kachan réussit à prospérer ; elle four- 
nit à la province des Kazis héréditaires. Sa fortune 
s'augmenta sous les Kadjars. Un Ghaffari, Ferroukh 
Khan Emin-ed-Dowleh, fut le premier envoyé per- 
san accrédité à Paris de façon permanente. C'était 
dans les premières années du second Empire. Ikbal- 
ed-Dowleh est le propre neveu de ce personnage ; 
son frère Vézir Makhsous est gouverneur de Téhéran; 
tous ses proches détiennent des situations élevées 
dans l'État; il n'existe pas actuellement famille plus 



252 LA PERSE d'aujourd'hui 

puissante, issue de cette région de Tlrak. Lui-même 
est gouveraeur de Véraminc, il khani des tribus 
voisines, administrateur des propriétés royales et 
vézir khalvet du Schah. Le vézir khalvet est le ministre 
de rintimité souveraine ; si le uézir Derbar est le 
chef de la cour et de tous ses services extérieurs, 
celui-ci préside à l'organisation intérieure du palais 
et gouverne le corps des chambellans. 

Ikbal-ed-Dowleh est un homme mince et sec, de 
taille moyenne, déjà vieillissant, la figure rouge, la 
moustache raide. La chasse fait la grande joie de sa 
vie. Il tient à diriger son équipage et à surveiller en 
personne l'élevage de ses faucons. Pour le moment, 
il en a dix, dispersés dans le jardin de la belle maison, 
qu'il occupe auprès de la porte de Kazvin ; ces fau- 
cons vivent en plein air sur des perchoirs enfoncés 
dans la terre, soigneusement à l'écart les uns des 
autres ; on ne les rentre que par des froids excep- 
tionnels. 

Trois balabans, un icharkh (variété de balaban), 
deux iouroumtaïs, un gerghi et trois ghézals ; les six 
« yeux noirs », plus sauvages que les « yeux jaunes », 
doivent constamment garder la tête encapuchonnée. 
A chaque faucon est attribué un fauconnier spécial ; 
non point qu'un homme ne puisse sufiire à soigner 
plusieurs oiseaux, mais il semble préférable d'affecter 
au faucon, de façon permanente, celui qui, sur son 
poing, le portera durant la chasse. 

Il arrive que des faucons dressés soient mis sur le 
marché ; un oiseau ordinaire y vaut de 15 à 20 tomans; 
à Téhéran, les prix s'élèvent jusqu'à 80 et 100< surtout 
pour les tarlans, la plus rare et la plus recherchée de 
toutes les espèces. 



COUTUMES PERSANES 253 

Cependant, les amateurs préfèrent prendre les 
jeunes faucons et les élever eux-mêmes. Une fois pris, 
l'éducation commence ; on coud, tout d'abord, les 
deux yeux de l'oiseau, que l'on dessille peu à peu à 
la lumière, de façon qu'il ne s'effarouche plus ; on 
l'apprivoise par de fréquentes promenades dans les 
rues fréquentées et dans les bazars ; on le fatigue en 
l'empêchant de dormir ; on l'irrite en lui présentant 
des morceaux de viande, toujours retirés jusqu'à ce 
qu'il les vienne prendre sur la main même du faucon- 
nier : enfin, on l'habitue à se jeter sur les poulets de la 
basse-cour. Dès lors il n'y a plus qu'à l'attacher sur 
son perchoir, à lui fournir une nourriture excitante et 
à l'essayer au premier jour. Le dressage dure une 
vingtaine de jours pour les « yeux noirs », un peu 
plus longtemps pour les« yeux jaunes ». Dès l'âge de 
deux mois, un faucon est assez fort pour l'attaque ; il 
y en a qui ont servi douze années; mais de tels exem- 
ples sont assez rares, car la chasse donne la liberté 
aux oiseaux et l'on court sans cesse le risque de les 
perdre. 

Par une froide et claire journée de février, nous 
allâmes chasser à Sorkh-Hisar (le château rouge) : 
un rendez-vous de chasse royal, situé tout au fond 
de la plaine de Téhéran, sur les premières pentes de 
l'Elbourz. Dominé par les montagnes, le pavillon est 
entouré d'un bouquet de bois où se trouvent dissé- 
minés le bâtiment de Vandéroun et les habitations de 
^a suite. Nous partîmes en deux groupes, les uns 
gagnant les hauteurs sous la conduite d'un Kadjar 
ami de notre hôte, Mesrour-os-Saltaneh (la gaieté de 
la dynastie), les autres restant plus bas avec Ikbal- 
ed-Dowleh lui-même. Au devant des cavaliers, les 



254 LA PERSE d'aujourd'hui 

chiens quêtaient dans les roches, pour faire lever les 
perdrix; à la première apparition du gibier, les fau- 
conniers lâchaient leurs faucons, en détachant la 
mince lanière de cuir fixée aux pattes. Faucons et 
perdrix, les uns poursuivant les autres, se disper- 
sèrent bientôt en tout sens. Ikbal-ed-Dowleh avait 
pris un faucon sur son poing et le fit partir contre 
une perdrix envolée sous les pas de son cheval. Tout 
le monde se mit au galop pour suivre l'oiseau chas- 
seur. 

Naguère, en d'autres pays, j'avais assisté à des 
chasses au faucon qui se passaient en plaine ; c'étaient 
simples chasses à courre, d'une espèce particulière, 
où, sans les perdre jamais de vue, après un temps 
plus ou moins long, les gens n'éprouvaient aucune 
difficulté à rattraper le faucon avec sa prise. Il n'en 
est point de même en pays de montagnes, où les 
oiseaux disparaissent presque aussitôt derrière les 
accidents du terrain. Il s'agit donc de suivre la direc- 
tion prise, et la grosse affaire devient moins la chasse 
en elle-même que la recherche du chasseur. La prise 
faite, l'oiseau s'est immédiatement posé sur le sol, 
maintenant sous sa patte la perdrix encore vivante ; 
patiemment, il attend ainsi la venue du maître. C'est, 
du moins, le cas des « yeux noirs », plus dociles, qui 
s'habituent même à répondre à l'appel de leur nom ; 
chacun d'eux possède une appellation propre, 
généralement empruntée à la langue arabe : Chébib, 
jeune ; ^Adjil, rapide ; Haris, avide. 

Les « yeux jaunes » se montrent plus récalcitrants : 
ils ignorent la voix humaine et l'on prend soin de leur 
fixer des grelots aux pattes, afin de les retrouver au 
bruit ; de plus, les mêmes chiens qui ont levé les per- 



COUTUMES PERSANES 255 

drix, sont habitués à la recherche des faucons ; ils 
tombent en arrêt devant eux, les empêchent de s'en- 
voler plus loin ou de dévorer leur capture. 

Le faucon retrouvé, son fauconnier s'en approche 
à petits pas ; il retire doucement la prise, coupe le 
cou de la perdrix, en ouvre le crâne et, pour le récom- 
penser de sa chasse, offre la cervelle à l'oiseau chas- 
seur. Si, par malheur, chiens et fauconniers sont 
arrivés trop tard, ils trouvent la perdrix déjà déchi- 
quetée par le faucon et l'animal repu, incapable de 
chasser pour le restant du jour. 

La recherche des faucons est parfois fort longue : 
les oiseaux sont entraînés vers les crêtes ou à des dis- 
tances relativement grandes ; des incidents peuvent 
se produire. Après plusieurs heures, l'un des faucons 
fut retrouvé très haut et très loin, sur des rochers 
couverts de neige ; la perdrix qu'il poursuivait s'était 
cachée dans une étroite fissure, où ne pouvait pénétrer 
le corps plus gros du faucon. Il attendait tranquille- 
ment ses gens devant l'insaisissable gibier. On eut 
toutes les peines du monde à extraire la perdrix de son 
refuge ; et ce mince succès coûta la perte d'un cheval 
de fauconnier, qui perdit pied sur les roches humides 
et dégringola la pente pour s'abîmer au bas de la 
montagne. 



XI 
DE TÉHÉRAN A ISPAHAN 



Le concessionnaire de la poste du Sud. — La sortie de la capi- 
tale. — Le sanctuaire de Schahzadé *Abd-ul-"Azlm. — Koum. 

— Le tombeau de Fatémé ; la « Présence Immaculée ». 

— La famille gardienne des Imamzadés. — Kachan. — 
L'autocratie d'un grand moudjtehed. — L'institution du 
tiyyoul. — Un mignon du feu Schah gouverneur de la pro- 
vince de Natanz. — Villages fortifiés et rct'yetis. 

Ispahan. — Mars 1907. 

480 kilomètres de Téhéran à Ispahan. La poste 
étant organisée pour les voitures, le voyage ne dure 
que cinq jours. Le concessionnaire, un Turc de Tau- 
ris, Hadji Méchhedi Mohammed Agha, dessert toutes 
les communications avec le Sud, par les routes qui, 
de la capitale, se ramifient vers Hamadan, Kerman- 
chah, Ghiraz ou Kerman. ^aque station possède 
huit cheVaux ; les passages des courriers y sont les 
seules causes de retard. 

La route sort par le bas de la grand'ville, où se 
trouvent les fours à chaux et les cimetières ; elle 
franchit le remblai de terre et le fossé d'enceinte 
par une porte aux revêtements de faïence, surmontée 
de colonnettes fuselées. Derrière nous, la plaine se 
relève doucement vers les hautes montagnes ; les 
maisons de Téhéran disparaissent sous les arbres ; 



DE TÉHÉRAN A ISPAHAN 257 

par delà, sur un ressaut de terrain, le château de 
Kasr-i-Kadjar précède les campagnes de Chemian. 
Le Tautchal est tout blanc de neige; dans le lointain, 
vers l'est, se dresse la pyramide isolée du Démavend. 
La chaîne de l'Elbourz décrit un arc de cercle, qui 
vient finir en blocs noirâtres sur le plateau d*Iran. 
La Tour du Silence, édifiée par les Guèbres, se cache 
en un repli de rochers ; les ruines de Rey, l'ancienne 
Rhagès, parsèment les dernières pentes. A mi-hau- 
teur, sur la pointe extrême, l'imamzadé de Bibi Che- 
herbanou (madame la maîtresse de la ville), où 
la piété publique veut savoir enterrée la fille de 
Yezdeguerd, le dernier roi sassanide, celle qui fut 
la femme de l'imam Hoséin. 

En bas, dans la verdure créée par les eaux venues 
du Tautchal, les minarets de faïence et le dôme 
doré de Schahzadé «Abd-oul-'Azim. Ce vénérable per- 
sonnage descendait de l'imam Hasan ; comme tant 
d'autres seyyeds, il vint en Perse pour fuir la per- 
sécution déchaînée contre les Alides dans les terres 
arabes ; réfugié près du tombeau d'un Seyyed 
Hamzeh, fils de l'imam Mousa, il y fut assassiné ; 
sa mort tragique fournit aux gens de la capitale 
l'indispensable sanctuaire de leur dévotion et le but 
de leurs pèlerinages; il y a foule les jeudis et vendre- 
dis, les jours de grandes fêtes religieuses, surtout 
le jour de l'^Achoura et le 28 du mois de Séfer. Les 
gens en difficultés pour quelque raison que ce soit 
et avec qui que ce soit, y trouvent un best^ efficace; 
il n'existe pas de saint local qui soit davantage appré- 
cié par les Téhéranis. 

1. Le best est le r^uge en un lieu consacré, habituel aux pays 
musulmans. 

Aubin. — La Perse, 17 



258 LA PERSE d'aujourd'hui 

La chaussée se dirige vers le Sud, en bordure du 
désert ; elle franchit les derniers contreforts du 
massif montagneux occupant tout l'Ouest de la 
Perse ; la terre inculte se couvre de dépôts salins ; 
le Kéredj forme une bande de cultures. Puis nous 
atteignons la nappe bleue du lac de Koum, formée 
par la réunion de deux rivières, celle de Saveh et celle 
de Koum, qui drainent les eaux venues de F'^Irak 
''Adjerni. Point de villages : des fermes et des caravan- 
sérails isolés. Le fréquent passage des pèlerinages et 
des caravanes rend ces hôtelleries fort lucratives et 
leur prix de location peut atteindre plusieurs mil- 
liers de tomans. On y rencontre tous les peuples de 
l'Iran : les bonnets arrondis du Nord en feutre gris ou 
brun ; les bonnets de peau de mouton habituels aux 
gens du Caucase; les bonnets blancs des Bakhtyaris; 
les bonnets noirs et évasés de ceux de Chiraz ; les 
turbans des Béloutches du Kerman. Une popu- 
lation à* I liais vit sous ses tentes noires ; des Schah 
Seven Baghdadis, reconnaissant pour chef le gou- 
verneur de Saveh et affectés au recrutement du 
corps des Cosaques ; la ferme de Ghalé Mohammed 
''Ali Khan appartient au Schah Seven ''Inanlou. 

Koum est à 145 kilomètres de Téhéran. Nous étions 
partis le 1®' mars ; nous y arrivâmes le lendemain. 
Il faisait déjà nuit ; les cercles de lumière allumés aux 
minarets de la grande mosquée indiquaient de loin 
dans la campagne l'emplacement du tombeau 
illustre, où repose Hazret Mœsoumé, la « Présence 
Immaculée ». 

Avant que Fatémé n'eût l'heureuse idée d'y mou- 
rir, Koum était une simple bourgade, qu'avait un 
peu développée l'invasion arabe. Cependant, sa 



DB TÉHÉRAN A ISP AH AN 259 

grandeur future était déjà fixée par un hadis de 
l'imam Dja«fer. « Dans trois générations, avait-il 
prédit, il naîtra de moi une fille, nommée Fatémé, 
qui mourra à Koum et y sera enterrée I » Cette jeune 
fille était la sœur de l'imam Réza; elle participa à 
la migration de seyyeds que valut à la Perse la 
brusque élévation de l'imam, choisi par le khalife 
abbasside El-Mamoun comme gendre et comme 
successeur. Réza avait suivi son beau-père au Kho- 
rassan ; quelques jours après son arrivée à Nichapour, 
il mourut subitement, d'une indigestion, disent 
les sunnites, après avoir trop mangé de raisin ; 
empoisonné, affirment les chiites, comme tous les 
autres descendants d'<>Ali. Cette mort aurait été le 
signal d'un massacre de seyyeds, circonstance qui 
peupla r«Irak«Âdjemid'un groupe serré d'imamzadés 
et en dispersa même jusqu'à Chiraz. 

Apprenant la triste fin de son frère, Fatémé tomba 
malade à Saveh et mourut à Koum. La maison mor- 
tuaire se trouvait au quartier de Meïdan-i-Mir; l'em- 
placement en est encore désigné sous le nom arabe 
de Setti (madame). On l'enterra sur la colline voisine, 
au bord de la rivière. Sa petite-nièce, Zeïnab, fille 
de l'imam Mohammed Taghi, vint à passer un 
jour, et fit élever sur la tombe une modeste koubba ; 
les seyyeds voyageurs commencèrent le mouvement 
du pèlerinage. Mais la splendeur actuelle ne vint 
que beaucoup plus tard, avec le triomphe définitif 
du chiisme. 

Au début du xv® siècle, il arriva qu'un homme fort 
riche, Hamzeh Mousallou, laissa toute sa fortune à 
ses deux filles, Gauharchad et Schahbegui-Begoum, 
qui étaient de pieuses personnes. L'une, qui devint la 



260 LA PERSE d'aujourd'hui 

femme de Schah-Roukh» fils de Tamerlan» consacra 
son bien au culte du huitième imam à Méchhed ; 
l'autre préféra s'occuper de Fatémé. Elle fit construire 
le dôme doré, qui existe encore ; les Séfévis ornèrent 
les murs de revêtements de faïence ; quatre d*entre 
eux voulurent être enterrés auprès de la sainte : Schah 
'Âbbas II, Schah Séfi, Schah Soléiman et Schah 
Soltan Hoséin. Les rois kadjars gardèrent la même 
dévotion. C'est à Feth«Ali Schah que sont dus les 
murs de l'enceinte extérieure ; il y dort son dernier 
sommeil, ainsi que son successeur Mohammed Schah. 
Les minarets sont de date récente : deux furent 
édifiés parle prince Naïeb-os-Saltaneh, oncle du Schah 
actuel, les deux autres par Emin-os-Soltan. Qu'on 
le regarde de la rivière ou du cimetière avoiçinant, 
l'ensemble, né de tels concours, produit un fort bel 
effet : la cité sainte, dont les grandes murailles, les 
minarets et le dôme d'or se détachent sur la neige 
des montagnes prochaines. 

Dans leur œuvre d*organisation de l'Islam per- 
san, les premiers Séfévis confièrent la garde du tom- 
beau à un célèbre seyyed Hosdtni, venu d'Arabie, 
Hadji Mir Seyyed Hoséin, Khatémol-Moudjtehedin 
(le sceau des Moudjteheds). Depuis quatre siècles, 
la fonction de Moutéoelli Bachi est demeurée héré- 
ditaire dans cette famille. Hadji Mir Seyyed Moham- 
med Bagher est en fonctions depuis huit ans ; jeune, 
gros, distingué de manières, l'air vif et intelligent. 
Sauf sa ceinture verte, il est complètement vêtu 
de noir, à cause des mois de deuil. Entouré des sey- 
yeds, ses parents, il habite une jolie maison dans le 
voisinage de la mosquée. De là, il administre le 
saint lieu, source de la fortune familiale, le refuge 



OB TÉHÉHAN A ISI>AHAN 261 

qui garantit son prestige, la médresseh Feïzié qui 
y est annexée, et réunit une cinquantaine d'étudiants, 
les cimetières fort recherchés, le pèlerinage, qui attire 
régulièrement tous les visiteurs de Kerbéla et de 
Méchhed, sans parler de la dévotion des environs, 
enfin les fondations pieuses disséminées dans tout 
r« Irak. L'autorité de ce puissant personnage s'étend 
également sur les centaines d'imamzadés, souvent 
très importants, qui parsèment la campagne vers 
Saveh ou Kachan, et dont les titulaires partagèrent 
le sort de l'imam Réza. Chacun d'eux possède son 
gardien propre, les uns nommés à vie, les autres 
héréditaires, mais relevant tous du Moutévelli 
Bachi de Koum. Un homme disposant de tombeaux 
à la fois si nombreux et si illustres ne peut manquer 
d'être très riche. On lui attribue une fortune de trois 
kourows de tomans, soit environ 7 milUons de francs ; 
il posséderait le tiers des villages de la province. 

Vivant du pèlerinage, la ville est forcément pieuse 
et peuplée de seyyeds. Le gardien de la précieuse 
Fatémé s'y impose sans difficulté au gouverneur 
impuissant; comme l'exploitation aurait tout à 
redouter de la propagation d'idées nouvelles, il met 
soigneusement son peuple en garde contre les ten- 
tatives du libéralisme venu de Téhéran. Seyyed 
Mohammed Bagher me reçut fort bien ; il m'interdit 
cependant l'accès de sa mosquée, en prétextant les 
ardeurs populaires pendant le mois de Moharrem. 
Au xvii^ siècle, les gens de Koum marquaient une 
plus douce humeur : Chatdin nous a laissé un long 
rédt de sa visite au sanctuaire et aux tombeaux qui 
l'entouraient. 

Les autorités estiment que Koum peut avoir 60.000 



262 LA PERSE d'aujourd'hui 

habitants, grâce à sa nombreuse population flot- 
tante de pèlerins, de chameliers, de muletiers et de 
voyageurs; la ville est toute en caravansérails, 
bains et bazars ; les négociants y sont, pour la plu- 
part, agents des maisons de Téhéran. Aucune gar- 
nison ; les quatre quartiers se passent de Ketkhoda 
et de Kelanter ; Tadministration urbaine appartient 
à un simple chef de police désigné par le gouverneur. 

La province est minuscule : eÙe comprend une 
centaine de villages échelonnés le long de la rivière, 
appartenant soit à quelques grands seigneurs de la 
capitale : Mohendis-ol-Memalek, ministre des Tra- 
vaux publics, un ancien élève de notre École Poly- 
technique, et Naser-os-Saltaneh, ministre des Do- 
maines. Les terres produisent un coton qui s'exporte 
en Russie par Kazvin ; les cultivateurs sédentaires 
sont tous Iraniens. Â la limite du désert» se succèdent 
plusieurs tribus nomades, des Turcs Schah Seven, 
des Arabes Michmechs et des Lekhs, amenés du Sud 
par Agha Mohammed Schah. Les nomades passent 
l'hiver auprès de Koum ; l'été, ils partent avec leurs 
troupeaux, pour aller occuper, au-dessus de Téhéran, 
les hautes vallées de l'Elbourz. Les Arabes, étant 
chameliers, ont la garde des chameaux du roi ; quel- 
ques-uns, vers Kàchan, commencent à s'établir dans 
les villages. 

Jusqu'à Koum, nous avions voyagé sur la chaus- 
sée de Sultanabad, rachetée par la maison anglaise 
Lynch, comme amorce de la future route commer- 
ciale de la vallée du Karoun, vers Mohammerah. 
Aux relais, il existait des maisons de poste, avec des 
chambres décentes pour les voyageurs. Désormais, 
il nous faudra suivre des pistes incertaines et passer 



DE TÉHÉRAN A ISPAHAN 263 

la nuit soit dans le café, soit dans le magasin à 
fourrages des tchapar-khanés, La traversée de Koum 
n'est pas chose facile; ce sont bazars et rues étroites ; 
des escaliers s'enfoncent profondément vers les ré- 
servoirs d'eau ; dans chaque maison, un moulin à 
main sert à Tégrenage des cotons ; de tous côtés 
brillent les revêtements de faïence des imamzadés ; 
il en est de ronds, d'autres coniques, l'un d'eux 
affecte même la forme de cloche spéciale aux pagodes 
bouddhiques; au dehors, ces imamzadés deviennent 
de vérita]3les mosquées, sur lesquelles nichent les 
cigognes. Il a fallu dételer deux des quatre chevaux 
et notre voiture est constamment arrêtée par les 
petits ânes, chargés de broussailles sèches, qui 
rapportent le combustible de la campagne. 

Les terrains voisins de la ville ont été défoncés 
par les irrigations ; c'est un soulagement d'en sortir 
pour suivre le pied d'une falaise dentelée, qui tombe 
à pic sur le désert. Deux voitures nous croisent : 
le prince Ferman-Ferma, gouverneur de Kerman, 
appelé à Téhéran par le changement de règne, arrive 
de sa lointaine province. Il sait bien le français et 
lit exactement le Temps, auquel il est abonné. Il 
s'informe à la hâte des choses de la cour, où les der- 
niers mois ont amené de tels bouleversements. 
120 kilomètres : des trous de conduites d'eau, des 
fermes nombreuses parsèment la plaine ; nous aper- 
cevons des coupoles, des minarets et la Ugne des mai- 
sons de Kachan ; sur les premières pentes de la mon- 
tagne, les arbres de Fine, avec une maison de cam- 
pagne de Schah Soleiman, agrandie plus tard par 
Feth «Ali Schah. 

Comme à Tauris, les légendes locales attribuent 



264 LA fBRSE d'aujourd'hui 

Torigine de Kachan au voyage de Zobéide» femme 
d'Haroun Ar-Rachid. Se rendant au Khorassan, 
pour y rejoindre son mari, il advint qu'elle traversât 
le district de Tchehd Hasaran, des quarante fermes ; 
elle s*y plut et la fantaisie lui prit d'y fonder une 
ville. Pressé par sa maîtresse, l'architecte en traça 
aussitôt le contour, avec un peu de paille hachée, 
jetée sur le sol. D'où le nom de Kahféchan (paille 
répandue), qui, contracté, lui resta. Dans le même | 
temps, l'intérêt marqué par le Khalife aux provinces | 
orientales de l'Empire abbasside attirait de ce côté i 
une nouvelle immigration arabe. Les circonstances 
y firent émerger deux familles, issues de compagnons 
du Prophète, les Ghaffaris et les Cheibanis, qui se 
superposèrent à la plèbe iranienne. Kachan connut 
des jours glorieux ; elle devint un grand centre d'in- 
dustrie et de commerce; elle fabriqua des soieries et dès 
velours renommés ; ses carreaux de faïence décorèrent 
les mosquées les plus illustres, et leur appellation de 
Kachis répandit au loin le nom même de la ville. 
Au xviii^ siècle, l'invasion afghane détruisit cette 
prospérité ; Téhéran, devenue capitale, attira les 
principales familles. Vers le milieu du dernier siècle, 
un tremblement de terre consomma la ruine. Ainsi 
me raconta l'histoire de sa ville natale A. Sejryed 
Ahmed, Fakhr-ol-Va«ezin (la gloire des prédicateurs). 
Malgré le délabrement habituel aux aggloméra- 
tions persanes, je n'en connais guère dont l'appa- 
rence soit aussi misérable que celle de Kachan : 
50.000 individus y vivent au milieu de murailles 
croulantes et de palais éventrés. De grandes maisons 
à étages, des galeries ouvertes, de hautes cheminées 
assurant, pendant l'été, la ventilation des caves, 



DB TéHÉRAN A ISPARAN 265 

la vieille forteresse démantelée, témoignent encore 
des splendeurs d'antan. Un minaret élevé, construit, 
il y a huit siècles, par un bourgeois de Kachan, 
Khadjé Zéin-ed-Din, penche et ne tient plus d'aplomb. 
La mosquée du Vendredi, dont le mihrab, en plâtre 
fouillé, s'inspire d'influences arabes, est à la veille 
de tomber en miettes. Il ne reste de solide que la 
mosquée du Schah, vieille de moins d'un siècle, 
et les indestructibles imamzadés, que préserve 
la dévotion populaire. Kachan peut être flère de ses 
morts ; elle héberge, à elle seule, trois frères et plu- 
sieurs neveux de l'imam Réza ; il parait qu'une femme 
du septième imam s'y établit, avec sa progéniture 
propre, ce qui valut à la ville cette précieuse collec- 
tion de défunts. 

Les bazars sont en bon état. Ils contiennent deux 
beaux timchehs, rotondes à triple coupole, où s'ins- 
tallent les principaux marchands. La place est res- 
tée importante : elle achète à Téhéran ou Kerman- 
chah et vend dans les régions voisines de l'Irak. 
L'industrie n'est pas tout à fait morte : depuis quel- 
ques années, de petits fabricants se sont remis à 
la confection des tapis pour l'exportation ; quel- 
que trois mille métiers, dispersés dans des soupentes, 
produisent ces velours rouges et criards que l'on 
retrouve dans tout l'Iran. La province produit des 
cotons et des tombacs, un peu de soie et de fruits 
secs. Le traité de commerce russo-persan l'a fait 
définitivement entrer dans la sphère de pénétration 
russe, au détriment de la petite colonie guèbre 
venue de Yezd, qui s'y était chargée du commerce 
anglais. La communauté juive comprend deux 
cents maisons ; elle est à son aise, vit du commerce 



266 LA PERSE d'aujourd'hui 

et des métiers ; elle détache à Koum un groupe tem- 
poraire, un autre permanent à Sultanabad. 

L*exode des anciennes familles a livré la ville à 
l'autocratie du grand moudjtehed, HadjiMirzaFakh- 
reddin, un vieillard de quatre-vingt-six ans, issu 
d'un village de l'-Irak. Cet homme, qui a simplement 
étudié à la campagne auprès de son père, s'est établi 
à Kachan, pour en devenir peu à peu le maître absolu. 
Je l'ai trouvé, mince et chétif, sa longue barbe teinte 
au henné, entouré de ses fils déjà vieillissants. Comme 
de juste, le progrès l'effraie, mais il n'y paraît pas 
irréductiblement rebelle. Il empêche bien encore 
la nomination des députés de la province au conseil 
national ; mais il ne s'oppose pas à la prochaine 
apparition d'un journal local, et il ne marque aucune 
hostilité à l'école Mouzafferi. Cette école a été fondée 
l'an passé ; die vit de souscriptions volontaires, qui 
lui assurent 45 tomans par mois; les taxes scolaires 
font le reste ; la jeunesse du lieu y vient apprendre 
le français, sous la férule d'un ancien élève de l'École 
Polytechnique de Téhéran. 

En ce moment, Kachan n'a point de gouverneur ; 
à défaut de grand propriétaire, l'autorité reste con- 
fiée au directeur des télégraphes, un Cheibani, Mirza 
Ahmed Khan, qui nous a donné l'hospitalité. Les 
fonctionnaires des postes, des télégraphes et, dans les 
villes frontières, des douanes, constituent l'élite de 
l'administration persane; l'usage s'est établi d'en 
faire, en cas de besoin, des sous-gouverneurs. Mirza 
Ahmed dispose d'un ministre de la ville, d'un chef 
de police et de quatre ketkhodas pour les sept quar- 
tiers ; il maintient l'ordre public avec quatre-vingts 
ferrachs. 



DE TÉHÉRAN A ISPAHAN 267 

La plupart des terres avoisinantes appartiennent 
aux seigneurs de Kachan, installés auprès de la cour. 
Comme bon nombre d'entre eux sont devenus gens 
d'influence, élevés aux principales fonctions de TÉtat, 
il en résulte une diminution constante dans le revenu 
de l'impôt. Kachan rendait naguère 72.000 tomans ; 
elle n'en donne plus que 22.000, plus 300 kharvars 
d'orge et autant de paille hachée; le fisc ne lui demande 
point de blé, car la production locale est insuffisante 
et veut être suppléée par des envois d'Ispahan. Ce 
phénomène financier témoigne de la propension 
universelle chez les grands de la Perse à se soustraire 
au payement des impôts, en arrachant à la fantaisie 
royale la concession de tiyyotds. 

Le tigyoul est une institution purement persane et 
aussi ancienne que l'Iran. Quand Thémistocle passa 
chez les Perses, il reçut en tiyyoul, pour sa récom- 
pense, trois villes de la Mysie : Cyzique, Abydos et 
Lampsaque. En Syrie, les Dix-Mille traversèrent 
les villages de Parysatis, veuve de Darius IL « Les 
villages où Ton campa, écrit Xénophon (Anabase, 1,4), 
appartenaient à Parysatis et lui avaient été donnés 
pour sa ceinture. » 

Le tiyyoul est l'assignation que fait le souverain de 
certains revenus, en échange d'appointements ou de 
pensions. Dans l'endroit désigné, le bénéficiaire est 
autorisé à se substituer au fisc. Chardin vit fleurir 
le système du temps de la grandeur séfévie : il 
s'extasie sur l'ingéniosité, d'un régime financier qui 
aboutit à la suppression de toute organisation finan- 
cière. En notre époque de décadence, où la faiblesse 
royale se trouve assailUe de toutes parts, les résultats 
sont moins heureux. Quand un seigneur persan ne se 



268 LA PERSE d'aujourd'hui 

sent pas assez fort pour se soustraire purement et 
simplement au payement de Timpôt, il tâche de se 
faire concéder en tiyyoul l'ensemble de ses biens ; 
l'entourage du Schah ne cesse d'arracher semblables 
faveurs à la lassitude du maître ; si bien que les 
tiyyouls finissent par absorber le pays entier, et les 
principaux revenus de l'État, captés à leur source, 
disparaissent entre les mains des favorisés. 

En ce qui touche les paysans, le tiyyoul sert aisé- 
ment de point de départ à des exactions illimitées. 
Passe encore si le propriétaire du village est en même 
temps le bénéficiaire, ou bien si le bénéficiaire parvient 
à prendre son village en location; les ra^'yat, n'ayant 
alors affaire qu'à un seul maître et à un seul intendant, 
ne seront pas plus pressurés que de coutume. Mais 
il n'en est pas toujours ainsi. De plus, le tiyyoul est 
divisible ; il comporte les appointements d'un fonc- 
tionnaire, le khdnévarU supplément facultatif, sorte 
de frais de représentation, payables en espèces ou en 
nature, enfin la ration des militaires. — Que l'on 
s'imagine la situation d'infortunés paysans exposés 
à tant de rapacités et condamnés à se débattre 
contre le groupe des agents mandataires de chacun 
des individus qui ont obtenu le droit de vivre sur eux. 
Il n'est qu'un seul cas où le tiyyoul puisse éventuel- 
lement devenir bienfaisant : dans les localités appar- 
tenant aux paysans ou à de petits propriétaires sans 
influence, ce sont les intéressés eux-mêmes qui pressent 
quelque puissant personnage de les solliciter, en tiy- 
youl, afin d'obtenir ainsi une protection efiicace 
contre les exigences des gouverneurs. 

Au sortir de Kachan, reprend le désert sablonneux 
et difficile ; sur notre gauche, se forme une ligne de 



DE TÉHÉRAN A ISPAHAN ' 269 

collines, qui peu à peu s'élève jusqu'au massif neigeux 
du Koh-i-Karguez. La piste se dirige vers la chaîne, 
qui, traversant en diagonale le plateau d'Iran, 
sépare le grand désert du Nord des provinces d'Ispahan 
et du Fars. A mesure que nous montons, les eaux 
deviennent plus abondantes et les villages plus 
compacts. Au delà de Khaf, s'ouvre même une vallée 
très riante ; les conduites d'eau s'y multiplient sous 
les pentes caillouteuses, assurant l'irrigation continue 
des champs et des arbres. Nous changeons de chevaux 
au relais d'Âbiézan, auprès du tombeau de Schahzadé 
Soltan Hoseïn, où reposerait un fils du onzième 
imam. 

C'est ici la province de Natanz, la dernière des 
trois petites provinces garnissant la limite du désert, 
entre la capitale et Ispahan. Elle occupa toute la 
largeur du massif montagneux transversal ; peu peu- 
plée, du reste, car elle ne compte que 72 villages. Les 
gens y sont iraniens, avec un faible résidu arabe et 
tout un lot de Seyyeds Thabathabaïs, venus d'Is- 
pahan. Les villages n'ont plus désormais la paisible 
apparence des agglomérations du Nord, où les maisons 
se dispersent le plus souvent, sans enceinte extérieure; 
ce sont maintenant blocs resserrés dans de hautes 
murailles fortifiées, à l'abri desquelles se dissimule 
la vie des paysans. 

Non point qu'il y ait à redouter le pillage des 
nomades ; on n'aperçoit dans la campagne aucune 
tente noire. Mais nous nous trouvons sur la route 
joignant le Nord au Sud de la Perse, et parcourue par 
les tribus rivales qui se disputaient, au xviii® siècle, 
la suprême autorité ; ainsi placées sur le grand chemin 
des guerres, les populations de Natanz et d'Ispahan 



270 LA PERSE d'aujourd'hui 

cherchaient une sauvegarde derrière leurs murailles, 
à la première apparition des armées belligérantes. 
Dans les villages de Natanz le cultivateur a gardé 
la propriété diï sol et transmet en héritage un bien 
garanti par les traditions ancestrales. Le gouver- 
nement de la province est attribué à un jeune sei- 
gneur, d'une vingtaine d'années. Le grand-père, 
Hisam-os-Saltaneh, fils d'«Abbas Mirza, prit Hérat ; 
le petit-fils, décoré du même titre, était un des 
mignons du roi défunt ; retenu à la cour par des 
fonctions aussi délicates, ce joli jeune homme se fait 
représenter à Natanz par un simple sous-gouverneur. 
La faveur royale a dignement récompensé ses mérites, 
car la route ne traverse aucun village qui ne lui soit 
concédé en tiyyoul. 

La passe de Targh, puis le caravansérail isolé 
de Nizamabad, propriété de Nizam-os-Saltaneh, 
marquent l'entrée d'un immense plateau, recouvert 
d'une herbe desséchée et jaunie, qui s'étend à l'infini 
entre deux lignes de montagnes. Le village de Mourt- 
chaklar est entouré de cultures étendues, orge, blé, 
coton, melons et pastèques. Trois cents familles vivent 
dans la forteresse flanquée de tours ; la porte est basse 
et bardée de fer, des maisons à plusieurs étages recou- 
vrent les rues étroites et empierrées ; quelques trous 
obscurs servent de boutiques pour la vente du thé, 
du sucre, du tabac, du riz, de médicaments très 
simples. Â gauche de l'entrée, le dôme bleu de l'imam- 
zadé Seid «Âli, neveu de l'imam Mousa, entretient 
la piété des paysans. 

De là à Ispahan, 55 kilomètres, à travers le plateau 
semé de grands blocs rocheux ; puis la plaine s'ouvre, 
remplie de cultures ; voici le caravansérail de Baghi- 



DE TÉHÉRAN A ISPAHAN 271 

rabad, puis le gros bourg de Guez. A la porte de Bi- 
dabad, nous attendait un beau carrosse tout en 
glaces, attelé de quatre chevaux. Il nous conduisit 
à travers des rues désertes et des bazars fermés ; 
car Ispahan vient de se mettre en révolution. Nous 
arrivons à Baghé-no, résidence de Zill-é-Soltan, 
oncle du Schah actuel et gouverneur de la province. 
De vieux soldats, vêtus de tuniques rouges déteintes 
et coiffés de plumets violets, présentent les armes. 
Uagha-bachi, chef des eunuques, nous reçoit sur le 
seuil et nous introduit dans la demeure princière, 
en disant : « Bismillab l Au nom de Dieu I » 



XII 
ISPAHAN 



Les origines d'Ispahan : la légende du prophète Salomon et du 
div Gav-KhounL — La ville des Séfévis. — Les voyageurs 
français du xvii« siècle : Tavernier, Chardin. — Grandeur 
et décadence d'Ispahan : elle reste la seconde capitale 
religieuse du chiisme. — Le prince-gouverneur : Zill- 
è-Soltan. — Son entourage, sa famille; vieux errements. — 
Les jardins de Bagh-^NÔ. — Behram Mirza. — La révolution 
à Ispahan. — La rivalité du prince et du grand moudjtehed; 
Agha Nedjéfl. — Journées d'émeute. — Les monuments 
séfévis : la Place Royale, la « Sublime Porte », le pavillon 
des 40 colonnes. — La médresseh de Tchahar-Bagh. — La 
fabrication des Kalemkiars. — Les ponts du Zendeh-Roud. 

— Le cimetière du Takht-è-Poulad. — Les babas de l'Iran. 

— Djoulfa, le faubourg chrétien d'Ispahan. — L'émigra- 
tion arménienne du xvii® siècle. — Prospérité commer- 
ciale. — Destruction et renaissance de Djoulfa. — Le dio- 
cèse indo-persan. — La cathédrale du Saint-Sauveur. — 
L'influence anglaise. — Missions catholiques. — Les 
juifs d'Ispahan ; la plus ancienne juiverie de l'Iran. 

— Les lois de Schah °Abbas. — Les rigueurs du chiisme ; 
l'impureté des non-musulmans.. — Relèvement des Armé- 
niens et des Guèbres. — Le judaïsme en Perse: l'œuvre de 
l'Alliance Israélite universelle, 

) 

Les traditions musulmanes, acceptées par la Perse 
chiite, considèrent Salomon comme un puissant pro- 
phète, disposant, à son gré, des démons et des génies. 
C'est à lui que la fan taisie locale se plaît à attribuer 
la détermination du site d'Ispahan. La légende m'en 
fut contée par Mirza Seyyed Ali Naghi Khan Sertip, 



IBPAHAN 273 

un vieux militaire aveugle, mieux informé que qui- 
conque sur rhistoire de sa ville. 

Un jour que Salomon traversait les airs, en com- 
pagnfe de son grand vizir Âsaf, sur un tapis enchanté, 
soutenu par un cortège de divs^ il déboucha sur le 
plateau d'Iran, au point même où le Zendeh-Roud 
sort de la montagne. Une fois franchi le passage, entre 
les deux avancées de rocs, que l'on nommeaujourd'hui 
le Koh-é-Sédé et le Koh-é-Doumbé, la rivière formait 
alors un lac, resserré à l'entrée du désert par le 
Koh-è-Sofifé et par les pointes jumelles du Koh-Payé; 
dans le lointain, apparaissaient les dmes neigeuses de 
la chaîne transversale. Comme Salomon, frappé de 
la beauté du site, parlait d'y fonder une ville, le sage 
Asaf lui fit observer que les crues du lac rendraient 
tout établissement difficile. 

Aussitôt un génie de l'escorte du prophète, nommé 
Gav-Khouni (sang de bœuf), prit sur lui de s'enfoncer 
en terre, provoquant, avec la perte de Zendeh-Roud, 
le dessèchement du lac. Il reparut à Kerman pour dire 
au grand vizir stupéfait : « Asaf han I Voyez-vous, 
Asaf! »; d'où, par corruption, Isfahan, Ispahan. 
L'endroit, où le Zendeh-Roud disparaît dans le 
désert, porte encore le nom de ce div ingénieux. 

Ainsi prévue par la sagesse du roi Salomon, la 
ville se développa dès l'aurore de l'histoire iranienne ; 
Tamerlan la prit et la saccagea ; 70.000 personnes 
y périrent, disent les chroniques ; Les Séfévis lui 
restituèrent une incomparable splendeur. Au début 
du XVII® siècle, Schah Abbas, dont les généraux 
venaient de conquérir les provinces du golfe Persique, 
abandonna Kazvin pour Ispahan, afin d'établir sa 
capitale en un lieu plus central de son empire. 

AVBIK. — La Ptftë, 18 



274 LA PERSE D'AUioURD*HUI 

La vieille viUe, dont Chardin vit les restes englobés 
dans la nouvelle Ispahan, se trouvait au nord, à 
quelque distance de la rivière. Un mur d'enceinte 
servait d*abri aux maisons, serrées les unes contre 
les autres, comme cela existe encore dans les villages 
de la province. A Test, cinq fermes fortifiées, d'origine 
légendaire, appelées Kal^-Tabarè, du nom du div 
qui les aurait construites. Chardin n'en trouva plus 
qu'une, à la limite de la ville, qui contenait le Trésor 
royal. Le Séfévi s'établit au bord du Zendeh-Roud ; 
un mollah arabe. Cheikh Béhaï, dressa le plan de 
l'Ârk, qu'une immense place sépare de la mosquée 
royale et des grands bazars. Au delà, jardins et villas 
s'alignaient le long de l'allée de TchaharBagh. Dans 
les divers quartiers, dociles à l'impulsion souveraine, 
les principaux de la cour et de la ville avaient élevé 
des palais, des bazars, des caravansérails, des bains 
et des cafés, en prenant soin d'y adjoindre une mosquée 
ou même un collège, en vue d'attirer la bénédiction 
divine sur ces placements avantageux. 

Pendant tout le xvii® siècle, ambassadeurs, mar- 
chands et missionnaires affluèrent d'Europe à la cour 
du Grand-Sophi : bon nombre d'entre eux ont raconté 
ce qu'ils y virent. Tavemier, se rendant aux Indes, 
y passa cinq fois, à dater de 1629 ; Schah «Âbbas venait 
de mourir; Schah Séflet «Âbbas II se succédaient au 
^ône. De 1646 à 1677, Chardin fit, en deux fois, à 
Ispahan un séjour de près de dix années. C'était à la 
fin du règne d'«Abbas II et sous celui de Schah Soléi- 
man. Les deux Français s'occupaient du commerce 
des diamants. Chardin nous a laissé la plus complète 
étude qui ait jamais été écrite au sujet de la Perse 
aucun des voyageurs, qui se sont multipliés depuis 



ISP AH AN 275 

lors, n*a aussi profondément pénétré la vie persane. 
D'autre part, l'immutabilité de l'Iran est telle, 
qu'après deux siècles et demi, le livre garde le même 
intérêt qu'au premier jour. 

Les descriptions de Chardin se réfèrent à son second 
voyage (1671-1677). Du temps deTavernier, la nouvelle 
Ispahan était encore assez peu peuplée ; cinquante 
ans plus tard, elle atteignait son complet dévelop- 
pement ; le circuit en était de 12 lieues, la population 
de 600.000 âmes. «Après tout, écrivait notre bijoutier, 
je crois Ispahan autant peuplée que Londres. » 
Capitale d'un immense empire, qui s'étendait du 
Phase à F Indus, elle comptait 162 mosquées, 48 col- 
lèges, 273 bains, 1.802 (?) caravansérails, où abou- 
tissait tout le commerce de l'Iran. De Moultan, dans 
le Pendjab, partait la route terrestre du trafic 
indien ; depuis la prise d'Ormuz sur les Portugais, 
qui s'étaient arrogé le monopole commercial du golfe 
Persique, les compagnies des Indes Orientales anglaise 
et hollandaise, puis la française, avaient développé 
leurs étabhssements de Bender-«Abbas et créé des 
bureaux à Ispahan ; le commerce des républiques 
italiennes passait par la voie de Turquie ; les Anglais, 
les villes hanséatiques cherchaient à s'ouvrir un 
nouveau chemin à travers la Russie. Les Indiens 
étaient banquiers et changeurs ; les Arméniens, 
marchands de tissus ; les ateliers royaux contenaiopt 
plusieurs ouvriers européens, surtout horlogers et 
orfèvres. La tolérance du Sophi attirait les mission- 
naires; avec les ordres religieux les plus divers, la 
hiérarchie catholique s'installait en Perse. Chardin 
visitait sans difficulté les mosquées les plus saintes. 
Il voyait un ambassadeur de Moscovie, des envoyés 



276 LA PBRSE d'aujourd'hui 

des Lesghiens et du pacha de Bassora, des agents des 
compagnies française et anglaise successivement 
introduits auprès du Roi des Rois. 

Le mouvement de la ville se concentrait alors sur 
la Place Royale. L'immense quadrilatère, long de 
440 pas» large de 160, était journellement rempli de 
petits marchands, étalant les denrées les plus com- 
munes sur quelque natte ou tapis, à Tombre d'un 
parasol ; les artisans occupaient les côtés ; les mé- 
decins eux-mêmes venaient y exercer leur art. Le 
matin, un marché de bétail se tenait devant la grande 
mosquée, qui en touchait le revenu ; vers le soir, 
loutis, conteurs et prédicateurs se partageaient la 
clientèle ; du portique de la Kaisariét la musique des 
nakaredjis saluait le coucher du soleil ; la nuit 
tombée, les filles de joie accouraient pour dresser 
leurs tentes. Aux jours de fête, la place se vidait dje 
sa population coutumière ; il y avait tirs à la cible, 
carrousels et illuminations, auxquels assistait le 
Roi, de la terrasse de TAla Kapi. C'était vraiment, 
s'écrie Chardin, « la plus belle place du monde » ; 
l'enthousiasme des Persans la nommait : Meidan-è- 
nakch'è'Djéhan, la place de l'image de l'Univers. 

En 1722, l'invasion afghane détruisit, avec la 
dynastie séfévie, la grandeur d'Ispahan. Placée 
sur le grand chemin des guerres entre le Nord et le 
Midi, Ispahanfut particulièrement éprouvé pendant 
tout le XVIII® siècle. Il va sans dire que les Kadjars 
s'employèrent à réduire les prétentions d'une ville 
dont le nom même rappelait une autre dynastie que 
la leur. Téhéran grandit au détriment de l'ancienne 
capitale. De même que la présence des S^évis avait 
suffi pour peupler la ville, leur chute la dépeupla. 



ISPAHAN 277 

L'élévation des principales familles étant due à la 
faveur souveraine, la disparition de la cour les priva 
de leur raison d'être. 

Les derniers descendants du Cheikh Séfi se fondi- 
rent dans le vulgaire ; les grands pontifes, qui, 
naguère, dominaient le chiisme, appuyés sur le pou- 
voir royal, perdirent leur autorité. Déplacés d'Ispa- 
han, le centre moral de la religion et le principal foyer 
des études théologiques quittèrent la Perse pour se 
transporter aux Villes Saintes. Abandonnés, les glo- 
rieux monuments des Séfévis tombèrent peu à peu en 
ruines. L'effondrement du vieil Ispahan s'acheva 
pendant la longue administration de Zill-è-Soltan; 
l'entourage princier se substitua à ce qui restait de 
l'ancienne aristocratie de la ville et l'on n'y peut pres- 
que plus citer personne qui se rattache au passé. La 
province se trouva réduite par la création d'une série 
de petits gouvernements en bordure de 1'* Irak "Adjerni. 

La population est partout iranienne, sauf dans le 
district de Féridan, où se sont insinués des Turcs ; 
quelques groupes d'Arméniens et de Géorgiens, 
amenés par Schah «Abbas, vivent disséminés dans la 
campagne; une fraction des Basseris, tribu turque de 
Chiraz, remonte avec ses tentes dans le désert. Mal- 
gré tout, la province, divisée en 18 districts, reste 
encore une des plus importantes du pays. 

Le marché d'Ispahan, où confluait, auxvii® siècle, 
le commerce des Indes, de l'Asie Antérieure et de 
l'Orient Moyen, ne s'alimente plus que du trafic local. 
Jusqu'à ces dernières années, il rentrait nettement 
dans la sphère d'expansion commerciale de l'Angle- 
terre ou de l'Inde ; depuis peu, l'influence russe réussit 
à s'y accentuer ; les maisons russes de Téhéran ont 



278 LA PERSE d'aujourd'hui 

établi des succursales à côté des maisons anglaises. 
Le principal produit du pays, le coton, qui naguère 
allait aux Indes gagne maintenant la Russie par 
les ports de la Caspienne, surtout par la voie de Kaz- 
vin et Recht ; il en est de même des amandes et des 
fruits secs ; l'opium se rend aux Indes par Bouchire ; 
les tabacs et tombacs, en Turquie. A l'importation, 
les cotonnades anglaises ou indiennes sont à peu près 
éliminées par celles de Moscou et de Lodz. Cependant 
nos sucres se maintiennent contre les sucres russes. 
Ispahan achète à Téhéran les tissus d'Europe intro- 
duits par Trébizonde. 

La population actuelle de la ville paraît beaucoup 
trop nombreuse pour ses possibilités. Cent vingt mille 
habitants mènent une misérable existence au milieu 
des débris d'un passé aboli, où ils ne trouvent plus 
assez à vivre, ni du pouvoir, ni de la religion, ni du 
commerce. Ispahan découronnée ne veut cependant 
pas oublier qu'elle fut jadis la capitale politique et 
religieuse du royaume; dans sa détresse, eUe maintient 
le raffinement de sa culture. La ville produit un nom- 
bre démesuré de seyyeds, de mollahs et de négo- 
ciants» qui, n'ayant rien à faire chez eux, essaiment 
au dehors. On admet volontiers que l'Ispahani est 
plus cultivé que le reste de ses compatriotes et que 
l'école théologique d' Ispahan demeure la première 
après celle de Nedjef. Aussi ses ecclésiastiques à l'es- 
prit aiguisé, à la discussion prompte, ses marchands 
enturbannés forment-ils un milieu influent et frondeur, 
avec des ramifications dans tout le monde persan. 

Bien qu'il n'ait que 57 ans, un oncle du roi, Zill-è- 
Soltan, administre depuis trente-huit années cette 
rétive décadence. Fils aîné et favori dé Nasr-ed- 



ISPAHAN 279 

Din Schah, l'origine de sa mère Técartait de la succes- 
sion au trône. Dès sa plus tendre jeunesse, il fut 
nommé gouverneur du Mazandéran ; de là, transféré 
à Ispahan, il s'y révéla bon administrateur à la mode 
persane, c'est-à-dire qu'il sut contenir les tribus et 
assurer la rentrée régulière de l'impôt. L'affection 
paternelle étendit les limites de son gouvernement, 
au point d'y comprendre tout le Centre et le Sud- 
Ouest de la Perse, avec le Kurdistan, Kermanchah, 
r^Irak, l'Ârabistan, le Fars et Yezd; de cette façon, 
Zill-è-Soltan contrôlait les deux cinquièmes du terri- 
toire, avec un revenu de 2 millions de tomans. Il 
résidait toujours à Ispahan, mettant à profit ses res- 
sources, pour y organiser une petite armée de 21.000 
hommes, dont 7.000 de cavalerie et 10 batteries d'ar- 
tillerie. Il s'appuyait ouvertement sur l'influence 
anglaise et paraissait disposer d'une force irrésis- 
tible pour l'éventualité d'un changement de règne. 
En février 1888, l'excès même de sa puissance en- 
traînait la brusque disgrâce de Zill-è-Soltan ; de tous 
ses gouvernements, il ne conservait qu' Ispahan ; 
son armée était licenciée, l'artillerie rappelée à 
Téhéran. Depuis lors, revenu des ambitions politi- 
ques, le prince vit tranquille dans sa province ; la 
protection britannique le garantit dans ses biens, 
qui sont considérables ; en échange, il fait d' Ispahan 
une marche avancée de l'Empire des Indes sur le sol 
de l'Iran et la tient fidèlement contre l'action russe. 
Par le seul fait de son long exercice du pouvoir, 
Zill-è-Soltan se trouve propriétaire d'une grande 
étendue de pays ; il posséderait à lui seul 310 villages, 
avec plus de 30.000 ra°yat ; beaucoup d'autres sont 
aux mains de son entourage, composé de vieux servi- 



280 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

teurs, enrichis à son ombre. Mirza Baghir Khan, 
mounchi'bachU est le secrétaire et Thomme de con- 
fiance ; Soleïman Agha, le grand eunuque, un gros 
homme, à peine de couleur, appartenait déjà à la 
mère du prince. Fath-ol-Molk vint comme instruc- 
teur des troupes et se vit, après le désastre, trans- 
formé en kargouzar. Voici trente ans qu'un Chirazi, 
Mo'in-ol-Molk, remplit les fonctions de pichkar ; il a 
vieilli auprès du maître, gardant les vêtements flot- 
tants, le bâton noir, le haut bonnet d'astrakan, la 
longue barbe teinte au henné. 
. Ce groupe gouvernemental ne forme qu'une seule 
famille patriarcale autour de ZiU-è-Soltan ; chacun 
est associé aux bénéfices et les enfants se marient 
entre eux. Le prince a été béni dans sa descendance : 
il a quatorze fils ; deux d'entre eux, dont l'aîné, 
Djelal-ed-Dowleh, résident à Téhéran ; les douze 
autres vivent disséminés dans les divers quartiers 
d'Ispahan. Une fois grands, ils reçoivent de leur père 
une maison, un village, une pension mensuelle de 
200 tomans ; enfin le gouvernement d'un district, 
exploité pour leur compte par quelque domestique ; 
les districts qui n'appartiennent pas aux jeunes 
princes, reviennent au mounchi-badii ou à ses fils. 
Les vieux errements se sont maintenus au profit de 
Zill-è-SoItan, qui peut traiter en maître la ville et la 
province. Quand son harem sort par les rues, il est 
précédé de ferraches et d'eunuques, criant à tue-tête : 
« KouT'Chol » (soyez aveugles !), et le peuple se colle 
au mur, pour ne point offenser d'un regard les femmes 
du prince-gouverneur. Jusqu'en 1900, il habitait les 
ruines de l'Ark; quand il n'en resta plus rien, il 
aménagea pour son habitation le jardin de Bagh-è-No; 



ISPAHAN 281 

Tété, il campe à Kamechlou, pour chasser le mouflon 
dans la montagne ; en cas de besoin, il se rend à 
Téhéran, où il possède, près de la place de Béharistan, 
le magnifique palais de Mas«oudié. 

Zill-è-Soltan est un petit homme sec, la figure rasée, 
la moustache drue et le regard malin ; il a gardé les 
manières un peu frustes du temps où les Kadjars 
erraient sur la frontière des Turcomans. Néanmoins, 
il a voyagé, visité Paris; ses fils sont déjà très péné- 
trés d'Europe. Zill-è-Soltan ne doit pas être un mau- 
vais tyran, car on en dit volontiers du bien. Les An- 
glais Tapprécient, et pour cause ; il traite avec défé- 
rence leurs commerçants, leurs missionnaires, leurs 
télégraphistes et les agents de la Banque impériale. 
Il témoigne, ainsi que les siens, la plus vive amitié 
au docteur Sorel, un médecin de notre armée, attaché 
à sa personne. Depuis deux ans, le mounchi-bachi a 
fondé et entretient de ses deniers l'école Baghirié, 
fréquentée par cent-quarante élèves, où le directeur 
de l'école de l'Alliance Israélite vient, trois fois la 
semaine, donner des leçons de français. Ni les chré- 
tiens ni les juifs ne se plaignent du prince, qui sub- 
ventionne largement le clergé musulman. Bien que 
réactionnaire par profession, Zill-è-Soltan ne fit 
point obstacle au mouvement libéral ; il favorisa 
l'envoi de députés au Conseil national de Téhéran et 
installa Vandjouman local sous la galerie des Tchehel 
Sétoun. 

Bagh-è-No (le nouveau jardin) est planté d'arbres 
encore jeunes et d'immenses parterres de roses : une 
tour d'observation domine la ville. A l'entrée du parc, 
un pavillon décoré de cornes de mouflons et portant, 
en place d'armoiries, les haches et les sébilles, insignes 



282 LA PERSE d'aujourd'hui 

des derviches, contient le biroun princier. Le hasard 
m'amène, à une heure fort inopportune, dans une 
maison vide. Devant la menace du soulèvement 
populaire, Zill-è-Soltan est, depuis plusieurs semaines, 
à Téhéran avec les siens ; il n'a laissé qu'un de ses 
fils, chargé de tenir tête à la foule. Behram Mirza 
est un très jeune homme, fort intelligent et d'excel- 
lentes manières. Il possède bien notre langue. Je ne 
saurais dire le tact avec lequel il m'accueillit dans ces 
circonstances difficiles, où, faute d'habitude, l'émoute 
le rendait un peu nerveux. Il me parlait avec en- 
thousiasme de son récent séjour à Paris, dont ses 
épreuves actuelles lui faisaient doublement appré- 
cier le charme. 

Quand elle atteignit Ispahan, la révolution persane 
s'y heurta à une situation particulière. Sur la ruine 
des anciennes familles de la ville, il ne s'était élevé, 
en dehors de Zill-è-Soltan, qu'un riche négociant, 
Hadji Mohammed Ibrahim, Malek-et-Toudjdjar, et le 
Grand-Moudjtehed, Âgha Nedjefi. Ces deux person- 
nages avaient entretenu jusqu'alors des rapports 
courtois avec le prince, et l'ecclésiastique en accep- 
tait même un subside annuel de 3.000 tomans. Néan- 
moins, chef reconnu du groupe nombreux des mollahs 
et seyyeds Ispahanis, Agha Nedjefi disposait d'une 
autorité religieuse lui permettant de se placer en face 
de l'oncle du roi. Son grand-père, d'origine arabe, 
était venu sous Feth «Ali Chah et, pendant tout le 
dernier siècle, la famille avait marqué parmi les 
mollahs d' Ispahan. La religion a enrichi Agha Ned- 
jefi : à l'exception des villgaes appartenant aux 
paysans, tous ceux de la province qui ne sont pas 
à la bande de Zill-è-Soltan, appartiennent au Grand- 



ISP AH AN 283 

Moudjtehed ou à ses proches ; il passe pour un prêtre 
arriéré d'idées, qui condamne les écoles, multiplie 
les avanies contre les chrétiens et les juifs. La province 
d'Ispahan se trouve ainsi partagée en deux camps 
également réactionnaires, la clientèle du prince et 
celle du moudjtehed. Entre eux, commence à percer 
un embryon de parti libéral, qui réunit un moudjtehed 
plus modeste, Agha Cheikh NourouUah, quelques 
prédicateurs, de petits mollahs et plusieurs fonction- 
naires. 

Quoi qu'il en soit, le pauvre Zill-è-Soltan fut envi- 
sagé par les fortes têtes de Téhéran comme plus nui- 
sible qu'Agha Nedjefi au libre développement du 
régime constitutionnel et l'on entreprit de le détruire 
par le moyen du Moudjtehed. Dans les premiers jours 
de mars, la procédure habituelle amena la clôture 
des bazars et l'occupation du télégraphe indo-euro- 
péen,d'où partirent messages sur messages pour de- 
mander au Schah la destitution de son oncle; un groupe 
de manifestants prenait refuge au Consulat d'Angle- 
terre. La révolution ayant trouvé, chez les Anglais, 
à Téhéran et à Tauris, un point d'appui contre l'action 
russe, cherchait à prévenir, à Ispahan, toute velléité 
d'intervention britannique. 

Mais la situation n'était pas identique et les choses 
allèrent moins aisément. Là-bas, tout le monde 
s'était à peu près trouvé d'accord ; ici la ville se divi- 
sait en deux partis de force égale, décidés à la résis- 
tance. Les gens du prince établirent leur quartier 
général dans la mosquée des Sejryeds ; ceux d'Agha 
Nedjefi envahirent la mosquée royale ; les recrues de 
la ville une fois concentrées, des deux parts il fut fait 
appel aux villages. Les troupes adverses tenaient à 



284 LA PERSE d'aujourd'hui 

présenter un front imposant, sans chercher à se faire 
aucun mal. Au points stratégiques, la population, 
douce et oisive, se groupait en rassemblements pai- 
sibles. Un matin, je traversais le bazar; il fallut s'ar- 
rêter devant un flot d'étudiants, qui venaient d'ex- 
traire de sa maison un moudjtehed récalcitrant et 
l'enrôlaient sous la bannière d'Agha Nedjefi. Ils 
criaient avec ardeur : « Aboul-Fazl \ frère de 
l'imam Hoséin, venez à notre aide! » ; ils passèrent 
sans proférer la moindre injure contre le carrosse de 
la tyrannie. 

Les deux journaux récemment créés, le Djehad-è- 
Akbar (la Grande Guerre) et le Rouznaméyé Melli (la 
Gazette nationale), attisaient les passions populaires. 
Chaque jour voyait éclore de nouveaux Chabnamés 
(feuilles de nuit), pamphlets autographiés, fort agres- 
sifs contre le prince et qui circulaient publiquement. 

L'exacte répartition des forces rivales retardait 
la décision souveraine. Embarrassé de ses réfugiés, 
le consul d'Angleterre s'arrachait les cheveux de 
désespoir ; il maudissait la diplomatie de son pays, 
qui soutenait un mouvement libéral, destiné à chasser 
d'Ispahan un gouverneur ami des Anglais. Pour la 
première fois dans sa longue carrière de tchinoonik, 
le consul russe s'abandonnait sans contrainte aux 
séductions de la liberté *. 

C'est pendant ces jours de troubles que j'ai tran- 
quillement visité la ville. Tout l'intérêt s'y concentre 
sur les monuments séfévis. De l'époque antérieure, il 

1 . Aboul-Fazl (le père du mérite) est le surnom d'« Abbâs, le demi- 
frère d* Hoséin, qui mourut auprès de lui à Kerbéla. 

2. Après une douzaine de Jours de troubles, les bandes d'Agha 
Nedjefi l'emportèrent et le Schah finit par accepter la démission de 
Zni-è-Soltan Comme gouverneur d'Ispahan. 



ISP AH AN 285 

reste seulement des débris de mosquées, avec quel- 
ques traces de mosaïques en faïence ; leurs minarets 
découronnés marquent, au nord, remplacement de 
la vieille ville ; ils s'élèvent en s*amincissant et sou- 
tiennent l'encorbellement d'un balcon circulaire. 
La mosquée de la Congrégation aurait été jadis une 
église nestorienne. La forteresse présente encore un 
front menaçant : des fossés, des tours, des murs 
crénelés; l'intérieur est un champ cultivé. Dans une 
petite mosquée du quartier de Dalbeti, on m'a montré 
quelques pierres tombales groupées autour de deux 
filles de rimam Réza ; l'une de ces pierres, étroite 
et allongée, décorée de versets du Coran et de motifs 
à demi effacés, serait le tombeau de Nizam-ol-Molk ; 
le souvenir du grand ministre des Seldjoukides vaut 
au gardien de la mosquée une rente- annuelle de 
24 tomans que lui fait Zill-è-Soltan. 

La place Royale est intacte et d'un aspect fort 
imposant. La façade uniforme de ses maisons se 
poursuit sur les deux longs côtés du rectangle ; une 
ligne d'arbres, quelques fontaines ; par derrière, 
les allées d'un bazar. La porte monumentale de la 
Kaîsarié s'ouvre sur le grand bazar : une fresque très 
endommagée représente la bataille de Schah «Âbbas 
contre les Uzbeks. Â l'autre extrémité, la porte de 
la mosquée royale, encadrée d'inscriptions arabes et 
surmontée de deux minarets fuselés ; des plaques de 
faïence vernissée en forment la décoration. L'entrée 
porte le nom du fondateur avec le hadis caracté- 
ristique de l'Islam chiite. « Notre prophète a dit : 
Je suis la ville de la science ; «Âli, mon gendre, en est 
la porte. » L'accès de la mosquée reste interdit aux 
infidèles ; du dehors, ils aperçoivent les pavillons 



286 LA PERSE d'aujourd'hui 

de la cour, le dôme et le double minaret du sanctuaire 
orientés vers la droite dans la direction de la Kibla. 

Sur Tun des côtés de la place Royale, la coupole à 
fond gris rose de la mosquée du Cheikh LoutfouUah. 
l'oratoire que fit construire Schah«Âbbas pour Fusage 
particulier du grand pontife... Vis-à-vis, TAla Kapi. 
Dans presque toutes les grandes villes de la Perse, 
TÂrk, résidence du souverain ou du prince-gou- 
verneur, est précédé d'une « Sublime Porte », 
entrée principale du palais, que surmontent les mul- 
tiples étages d'un belvédère dominant la ville et le 
pays. L'Ala Kapi d'Ispahan répondait à la majesté du 
Grand Sophi : son seuÛ était sacré ; on le baisait solen- 
nellement en reconnaissance d'une grâce obtenue ; il 
offrait un refuge aussi efficace que les cuisines et les 
écuries du roi ; le dwan begui y rendait la justice. 
Un triple système élévatoire, manœuvré par des 
bœufs, alimentait le bassin de la terrasse ; au devant 
de la salle de réception, des poutres de bois colorié 
soutenaient une haute galerie, d'où le souverain pou- 
vait contempler le mouvement de la place Royale ; 
des escaliers latéraux conduisaient à une superposi- 
tion de cabinets aux murs creusés de niches. Tout 
cela est fort délabré et ne garde plus trace de la 
splendeur d'antan. 

La vue de l'Ala Kapi n'embrasse qu'une place 
déserte et un palais en ruines. Naguère, les murailles 
de TArk avaient une lieue et demie de tour. Les 
jardins et les constructions de Yandéroun, les habi- 
tations des Sophis de la garde, la bibliothèque, les 
magasins, les ateliers royaux, le pavillon de l'Écurie, 
où fut couronné Schah Soléiman, ne sont plus que 
terrains vagues et monceaux de décombres, où 



ISPAHAN 287 

persistent, en de rares endroits, quelques fragments 
de faïence. 

La cour et le pavillon des Tchéhel-Setoun (les qua- 
rante colonnes) se sont seuls conservés; ils furent 
construits sur les plans de Cheikh Béhaï et réparés 
par Schah Soltan Hoséin. Une longue pièce d'eau 
précède la galerie ouverte appuyée non point sur 
quarante, mais sur vingt colonnes ; admettons que 
la réfraction en ait doublé le nombre. Reposant sur 
quatre lions accolés, les piliers soutiennent un plafond 
de bois colorié, avec, dans les caissons du milieu^ des 
applications de cristaux, séparées par des baguettes 
dorées. La galerie extérieure ouvre sur la salle 
du Trône; quatre grandes fresques représentent 
des festins avec musiciens et danseurs; Tune est con- 
sacrée à une scène de chasse. Les figures principales sont 
çellesdeSchah Tahmasp, de Schah «Abbas, d*«Âbbas II 
et de Schah Soléiman; entourés de leurs vizirs, de 
l'Empereur indien Houmayoun, du Khan desUzbeks 
et d'un ambassadeur du Grand-Mogol. Deux peintures 
de bataille se font pendant : c'est la lutte de Schah 
Ismanl contre Selim I«', sultan des Turcs ; Nadir 
Schah y joignit le tableau de sa victoire sur le Grand- 
Mogol, Mohammed Schah Hindi. 

Il va sans dire que, si le palais des Séfévis n'a pas 
résisté davantage à l'injure du temps, il ne faut plus 
chercher les maisons des grands, décrites par 
Chardin. La ville est sale et ruinée ; l'étalage des 
petits bazars de quartier en obstrue les rues étroites. 
L'allée de Tchahar Bagh, qui aboutit au Zendeh- 
Roud, garde sa double rangée de platanes; à défaut 
de jardins et de villas, il lui reste le plus joli monu- 
ment d'Ispahan, la midresseh de Schah Soltan Hoséin, 



288 LA PERSE d'aujourd'hui 

Le dernier Séf évi fut un homme pieux et bon ; les 
étudiants racontent avec attendrissement que, sous 
son règne, les talébés d'Ispahan, admis, une fois la 
semaine, dans le parc royal, y apportaient leur linge 
à laver aux femmes de l'andéroun. Dans un des 
jardins de Schah«\bbasle roi fit bâtir sa médresseh, 
qui devait éclipser tous les autres collèges de la 
ville. Le mur extérieur, revêtu de faïences, donne sur 
l'avenue. Sousl'entrée même, se sont installés, à l'usage 
des étudiants, une boutique d'épicier et un kahveh- 
khaneh. Un bassin tranversal maintient la fraîcheur 
delà cour; à travers le feuillage des grands platanes, 
apparaissent la mosquée, les rotondes d'angle, les 
salles ouvertes sur les côtés, tout ornées de faïences 
en excellent état. Le collège est fort déchu ; des gou- 
verneurs impies l'ont dépouillé des jardins et des cara- 
vansérails voisins, constitués en fondations pieuses 
par la munificence du Séfévi. II n'y a plus que soixante 
étudiants dans les cent quatre-vingts chambres; 
quatre professeurs leur enseignent le droit et la reli- 
gion. La cuisine gratuite a été supprimée ; sur les 
fonds de la mosquée, le gardien de la médresseh, Agha 
Hadji Mirza Mohammed Ali Moudarrès (professeur), 
remet à cette jeunesse 53 tomans mensuels pour son 
entretien collectif. 

Chardin vit les petits-maîtres d'Ispahan parader 
leurs chevaux sur les galets du Zendeh-Roud ; la 
rivière appartient aujourd'hui aux fabricants de 
Kalemkiars, qui y préparent ces étoffes de tenture, 
renommées dans tout l' Iran. Avant de fixer en couleur, 
au moyen de cadres de bois, les dessin^'tMuies per- 
sonnages voulus, il s'agit de mettre en état les tisStis 
dont on fait usage. Une fois lavées à l'eau chaude 



ISP AH AN 289 

pendant plusieurs jours, les cotonnades doivent être 
battues sur les pierres du Zendeh-Roud, puis plongées 
dans une décoction de noix de galle, destinée à les 
jaunir. 

Trois ponts monumentaux traversent le lit large 
et rapide du Zendeh-Roud. En amont, au bout 
de Tallée de Tchahar Bagh, Allahverdi Khan, géné- 
ralissime des armées de Schah «Âbbas, construisit le 
pont dit de Si Se Tchachmé, des trente-trois arches. 
En aval, le Pol-è-Khadjou tire son nom du quartier 
voisin. L'eau s'engouffre violemment entre les piles 
massives, bâties à l'époque de Tamerlan. 

Au delà de ce dernier pont, commence le cimetière 
du Takht'è'Poulad (le trône d'acier). Bien avant les 
Séfévis, la dévotion des Ispahanis multipliait déjà 
les tombes autour delà Koubba de BabaRokn-ed-Din, 
qui vécut et mourut en cet endroit, consulté de son 
vivant, sanctifié après sa mort. Les Persans appellent 
Bahas (pères) des hommes pieux et simples, derviches, 
poètes ou savants, qui, vivant retiré^ du monde, 
attirent autour de leur ermitage une universelle 
vénération. Le respect de l'Iran distingue particuliè- 
rement sept de ces babas. Comme de juste, Ispahan, , 
qui fut si longtemps la capitale religieuse du pays, 
en possède la plupart. Baba Nouch et Baba Kasem 
sont enterrés en ville ; Baba «Abdoullah, au village 
voisin de Koladoun. Baba Taher est à Hamadan ; 
Baba Aizal à Kachan. 

En deçà du Takht*è-Poulad, la rive droite du Zen- 
dehroud n'était qu'une succession de jardins jusqu'au 
bourg chrétien de Djoulfa. 

Le faubourg arménien d' Ispahan fut fondé par 
Schah «Âbbas, aussitôt après la capitale musulmane. 

AÙBiif.-^Lai^flf. 19 



290 LA PERSE d'aujourd'hui 

La menace des Turcs Ottomans avait pesé sur la 
Perse, pendant tout le xvi® siècle ; le grand roi pensa 
donner à son Empire une marche efficace, en dévastant 
le pays d'Erzeroum à l'Araxe, qui était le chemin 
habituel des invasions. Par deux migrations succes- 
sives, dont la première en 1606, il entraîna la popu- 
lation arménienne, l'éparpilla sur sa route, en fixa 
un groupe dans le Mazandéran, un autre aux portes 
mêmes d'Ispahan ; leur quartier fut appelé Djoulfa, 
du nom de la petite ville dont bon nombre étaient 
originaires. 

Les habitants du nouveau Djoulfa ne tardèrent 
pas à prospérer. Les Persans n'avaient pas encore 
appris le commerce ; les Arméniens firent une con- 
currence heureuse aux compagnies européennes 
et aux banians de l'Inde. Ils eurent le monopole du 
trafic avec Venise; leurs affaires les entraînèrent 
aux Indes, à Java, jusqu'au Japon et à la Chine. Ils 
occupaient, sur la place Royale, un caravansérail 
spécial pour y vendre les draps de la Hollande et de 
l'Angleterre, les brocarts et les glaces de Venise, la 
mercerie etla quincaillerie de Nuremberg. Schah «Abbas 
et Séfi I*' ne cessèrent de faire fléchir à leur profit 
les rigueurs du chiisme. Djoulfa avait son adminis- 
tration autonome sous un Kelanter arménien, chargé 
de la police, de la juridiction et de la perception des 
taxes ; la capitation était légère ; par une dérogation 
unique aux principes de l'Islam, ils se voyaient, en 
justice, assimilés aux musulmans ; ils pouvaient 
posséder la terre, s'habiller comme les autres Persans, 
harnacher leurs chevaux d'argent et d'or. Ils avaient 
un archevêque, des églises, des couvents. 

Sous "Abbas II, il fallut élargir Djoulfa, en y créant 



ISPAHAN 291 

une « nouvelle colonie » : à côté des Aiméniens, 
s'installèrent les Guèbres et les Francs employés 
aux ateliers royaux ; on y mit aussi l'hospice des 
jésuites. Il fallait alors la permission expresse du 
roi pour qu'un chrétien pût loger à Ispahan. Les 
musulmans venaient s'enivrer chez eux; ils coha- 
bitaient avec des femmes persanes, si bien que leur 
présence risquait d'entraîner des désordres, provo- 
qués par l'indignation des mollahs. Exception était 
faite pour les agents des compagnies commerciales 
et pour les missionnaires — Augustins, Capudns et 
Carmes. Chardin, « la fleur des négociants européens)), 
fut également admis en ville. 

Le déclin de Djoulfa commença sous «Abbas II ; 
avec ses 3.500 maisons, le bourg était devenu trop 
riche ; les taxes s'alourdirent et « furent assignées 
pour la chaussure de la mère du Roi ». Schah 
Soleïman frappa les Églises grégoriennes d'un impôt 
annuel; le fanatisme de Schah Soltan Hoséin retira 
ïes privilèges accordés par Schah «Abbas. L'invasion 
afghane acheva la ruine de Djoulfa. Les Arméniens 
se dispersèrent ; les uns remontèrent en Russie, en 
Pologne, en Transylvanie; plusieurs gagnèrent l'Italie, 
les autres allèrent au Goudjerate ou bien à Bagdad 
et à Bassora ; il ne restait plus qu'un misérable 
résidu de quelque 500 familles, incapables de fuir le 
malheur des temps ; ces gens diminuèrent encore sous 
Nadir. 

Avec les Kadjars, le faubourg chrétien d'Ispahan 
reprit timidement le cours de ses destinées inter- 
rompues. L'Église grégorienne étabUt à Djoulfa le 
siège du diocèse indo-persan, embrassant tout ce 
qui restait de la grande émigration arménienne du 



292 LA PBBSE d'aujourd'hui 

XVII® siècle : un total de 30.000 fidèles» disséminés 
dans les principales villes de Tlran, au Mazandéran 
et dans les villages de r*Irak •Adjemi. 

La communauté la plus nombreuse s'est naturel- 
lement maintenue dans le bourg historique ; il peut 
s'y trouver à l'heure actudle 3.200 Arméniens. Mais 
Djoulfa n'appartient plus aux seuls chrétiens; le 
sous-gouverneur» — un musulman» — réside à Ispa- 
pan et se fait représenter par un chef de police; 
les Persans envahissent les boutiques sous les arcades 
du Méidan. Le petite ville est une agglomération de 
maisons en terre, à étage ; les rues assez larges sont 
plantées de saules et de peupliers; au milieu des pins 
et des platanes émergent les coupoles d'églises. Les 
anciens cimetières chrétiens remontent vers la mon- 
montagne» ainsi que les murs de Ferrahabad» la de- 
meure royale» construite par Schah Soltan Hoséin» 
qui devait servir» pendant le siège d'Ispahan» de 
résidence au prince afghan. 

Djoulfa a conservé ses églises : la plus vieille» 
Sour-Agop — (Saint-Jacques) — est une modeste 
chapelle dans la cour de l'église de Bethléem. L'église 
du Saint-Sauveur date aussi de Schah «Abbas et sert 
de cathédrale ; l'intérieur est rempli de scènes de la 
Bible peintes à fresque par des artistes italiens ou 
par des Arméniens formés à Venise ; le bas des murs 
est recouvert de faïences ; la coupole ornée de motifs 
persans, or sur fond bleu. G'e^t la décoration com- 
mune à toutes les églises de Djoulfa, et le fondateur 
a généralement pris soin de s'y faire représenter avec 
sa famille. 

L'évêque, Mgr Isaac,un Arménien de Constanti- 
nople» qui a vécu trois années à Marseille» demeure 



ISPAHA.N 293 

à côté de la cathédrale. II fait, en ce moment, une 
tournée pastorale à travers son vaste diocèse. Ses 
ouailles sont disséminées dans TOrient lointain ; on 
compte 300 familles grégoriennes à Bombay, 200 à 
Calcutta, quelques-unes à Madras, à Rangoun, à 
Penang, à Singapore et même à Java. Le vicaire 
général, le P. Bagrat, un homme de Vladicaucase, me 
montre dans la bibliothèque plusieurs manuscrits 
de la Bible, datant du ix« siècle, et venus du vieux 
pays avec Témigration. 

Les beaux temps de Djoulfa tendent à revenir ; 
beaucoup y sont artisans ; une trentaine de commer- 
çants ont des magasins en ville ; nombre d'Arméniens 
trouvent à s'employer dans les bureaux de la banque 
ou du télégraphe anglais. Les jeunes gens partent 
pour rinde, en quête d'aventure; aucune famille 
qui n'ait là-bas quelqu'un des siens. C'est maintenant 
l'aisance, sinon la richesse. L'argent envoyé de l'Inde 
fait vivre les parents restés au bercail, et soutient 
les œuvres de la communauté : une caisse de bien- 
faisance, un dispensaire et deux écoles. Il se publie 
un journal en langue arménienne : Lraber {Le Nou- 
udliste). 

Le mouvement général se trouvant porté vers le 
Sud a fait que l'influence anglaise domine à Djoulfa. 
Si l'image de l'empereur de Russie occupe la place 
d'honneur à l'évêché de Tauris, celle de l'empereur 
des Indes s'impose au diocèse indo-persan. La sta- 
tion de la Christian Missionnary Society, de Londres, 
compte cinq missionnaires, qui n'ont obtenu que peu 
de conversions au protestantisme anglican; mais ils 
ont plusieurs centaines d'enfants dans leurs écoles; ils 
entretiennent un hôpital à Ispahan et une école pour 



204 LA PERSE d'aujourd'hui 

les musulmans. Djoulfa possède, en outre, un dépôt 
de la British and fonign Bible Society, et héberge les 
loisirs d'un missionnaire de la L^ndon Jews Society. 

La tolérance des Séfévis avait attirée le catholicisme 
en Perse. En 1598, vinrent les Âugustins portugais, 
envoyés auprès de Schah «^Abbas par l'archevêque de 
Goa. En 1604, Clément VIII dépêcha les Cannes. 
Richelieu expédia des Capucins à Séfi I^, sur la re- 
commandation du roi de France. Les Jésuites arri- 
vèrent plus tard de leur propre mouvement ; puis les 
Dominicains. Vu la priorité de leur établissement, 
les Âugustins fournissaient des évêques au diocèse 
latin d'Ispahan ; on y vit même résider un évêque 
de Babylone, dont les tribus arabes rendaient le 
siège inhabitable. Les missions disparurent dans la 
tourmente afghane. 

Cependant, le souvenir d'un groupe arménien ca- 
thoUque, ayant jadis existé à Ispahan, s'était con- 
servé au Patriarcat de Constantinople ; on citait 
une grande famille catholique, les Chahrimaniantz, 
dont le nom restait attaché à la porte de Djoulfa, 
donnant sur le pont d'AUahverdi Khan. En 1828, 
un prêtre d'Angora, Mgr Giovanni Tertérian, fut 
envoyé par le patriarche pour reconnaître la situation ; 
il retrouva quelques familles vaguement catholiques, 
l'ancienne église des Dominicains et un jardin des 
Pères Jésuites. Il mourut en 1852, après avoir rétabli 
la mission et la communauté. Le P. Pascal, d'Er- 
zeroum est là depuis 1861; vieillissant au milieu 
de son troupeau, qui compte maintenant une cin- 
quantaine de familles. En 1904, le délégué aposto* 
lique d'Ourmiah, désormais chargé du diocèse latin 
d' Ispahan, envoya des Lazaristes et des Sœurs de 



ISP AH AN 295 

Charité. L'église des Dominicains, construite 
en 1702, sert de paroisse ; un tableau qui représente 
saint Dominique recevant le rosaire des mains de 
la Sainte Vierge, un autel en argent, les lampes 
du sanctuaire, datent de la mission primitive ; un 
corridor voûté, encombré de tombes, conduit au 
couvent. La mission, composée de trois Lazaristes et 
de sept Sœurs, a été vigoureusement menée par son 
supérieur, un prêtre ardennais, M. Demuth; les écoles 
sont déjà fréquentées par quatre-vingts garçons et 
cent quinze petites filles. 

Les faveurs accordées aux Arméniens par les 
Séfévis ne s'étendirent pas aux juifs. Ispahan était, 
sans doute, la plus ancienne juiverie de la Perse. 
Quand, après la destruction du premier temple, les 
juifs furent dispersés par Nabuchodonosor, ceux 
d'entre eux qui prirent le chemin de l'Iran se 
fixèrent à Ispâhan ; ils y construisirent à leur usage 
un faubourg spécial nommé Yahoudieh, Avec le 
temps, la ville primitive disparut et ce fut le 
quartier juif , qui servit de noyau au moderne Ispahan. 
Tandis que Schah «Abbas prodiguait les avantages 
aux chrétiens de Djoulfa, il précisait les restrictions 
sévères, qui frappaient les juifs. Le Djam^^eh ^abhassU 
recueil des lois de Schah «Abbas,multipUe contre eux 
les interdictions : construire de nouvelles synagogues, 
chanter des chants liturgiques, boire de l'arak, manger 
du porc, épouser des musulmanes, acquérir des che- 
vaux, posséder des armes, venir en aide à leurs core- 
ligionnaires attaqués ; ils devaient porter sur leurs 
vêtements une rouelle de drap jaune ou rouge, mon- 
ter à âne en plaçant leurs deux pieds du même côté, 
se faufiler le long des maison^ pour laisser aux Per- 



296 LA PERSE d'aujourd'hui 

sans le milieu de la rue. Leurs femmes ne pouvaient 
sortir que dévoilées. La situation des juifs était si 
humiliée que les voyageurs français du xvii® siècle 
les mentionnent à peine. Tavemier les signale comme 
courtiers. « Les juifs, écrit Chardin, sont en petit 
nombre dans cette ville et pauvres, comme ils le 
sont généralement par tout ce royaume. » 

n y a 6.000 juifs à Ispahan : C'est le groupe Israélite 
le plus nombreux de toute la Perse. Ils habitent les 
quartiers de Djouibaré, de Golbar et de Dardecht, 
n'ayant pour vivre que le colportage, la vente 
du vin et de l'arak. Or, Âgha Nedjéfl vient d'interdire 
aux juives l'accès des andérouns, aux juifs le com- 
merce des alcools, si bien que la communauté meurt 
de faim. J'ai rarement vu pareille détresse ; le quar- 
tier est sale et rempli de mendiants : les rabbins n'ont 
pas d'influence ; un marchand d'opium, M. Khazkiya 
Mordecaï, reconnu pour chef comme le plus riche, 
remet toute autorité au directeur des Écoles de l' AI- 
Uance, un juif bulgare. Ces écoles ont été fondées 
en 1901 ; elles contiennent 290 garçons et 210 filles : 
la seule espérance d'avenir au milieu de toute cette 
tristesse. 

Rendu farouche par le malheur des deux derniers 
siècles, le chiisme pesa avec une égale dureté sur 
les communautés non musulmanes : arméniens, guè- 
bres et juifs. S'écartant des douces rêveries du sou- 
fisme pour devenir le symbole de la nationalité ira- 
nienne, la religion persane revint aux idées exclusives 
de l'aryanisme primitif. Elle opposa la pureté des siens 
à l'impureté des infidèles et prêcha la minutie des 
purifications. En tout pays d'Islam, le non-musulman 
est un homme de condition légalement inférieure ; 



ISPAHAN 297 

en Perse, il fut considéré comme un être vil, propre à 
contaminer par son seul contact la pureté chiite. 
Crainte de souillure, il fallut le maintenir enfermé 
dans son bouge et l'exclure de tout endroit public, 
aussi bien des bains que des bazars. 

Le xix^ siècle tempéra cette ignominie. Â la suite 
des guerres avec la Russie, les Arméniens de TÂzer- 
baldjan cherchèrent un sort meilleur en Transcau- 
casie. Etchmiadzin envoya des prêtres et des profes- 
seurs. Les Ârmémens se firent les auxiliaires de la 
pénétration russe et en retirèrent le bénéfice; ils 
tiennent une place importante dans les bazars de 
Tauris et de Téhéran; l'un d'eux, M. Toumaniantz» 
s'est fait, sur tous les marchés du Nord, le principal 
exportateur des produits persans vers la Russie... 
On a vu que les Arméniens de Djoulfa se portèrent 
vers le Sud, comme agents du commerce de l'Inde. 

Les Guèbres trouvèrent un appui chez leurs core- 
ligionnaires parsis. En 1854, le Persian Zoroastrian 
amélioration fond, de Bombay, dépêcha en Perse 
un premier émissaire ; depuis lors, un agent offi- 
cieux des Parsis de l'Inde réside à Téhéran. M. Ar- 
déchirji Edulji, est actuellement accrédité auprès 
des dix mille Zoroastriens de l'Iran, dont le groupe 
principal vit à Yezd et Kerman ; ces gens ont essaimé 
entre Téhéran et Bouchir pour prendre part au trafic 
indien. Les Guèbres de Téhéran ont leurs magasins 
au bazar ; le plus riche d'entre eux, M. Arbab Djem- 
chid, fait même partie du Conseil national. 

L'Alliance Israélite universelle n'a pris pied en 
Perse qu'en 1898. Elle a successivement fondé des 
écoles à Téhéran, Hamadan, Ispahan, Senneh, Chiraz 
et Kermanchah; soit onze écoles avec 2225 élèves. 



2 »8 LA PERSE d'aujourd'hui 

L'œuvre commence à peine, dans des locaux par- 
fois insuffisants; elle doit même se borner dans 
certains cas à renseignement des métiers ; son in- 
fluence moralisatrice ne peut manquer de se faire 
sentir et avec le temps, elle permettra aux juifs de 
riran de bénéficier de la situation nouvelle créée 
par le mouvement des réformes. 

Les juifs sont maintenant éparpillés dans tout le 
pays. Les invasions les dispersèrent ; le fanatisme 
des mollahs les pourchassa de ville en ville ; souvent 
même il leur fallut se convertir à Tislam. Ceux 
de Méchhed, devenus musulmans, continuent, 
parait-il, à pratiquer en secret le culte mosaïque. Il 
n*y a presque plus de juifs dans le Nord du pays, sauf 
à Téhéran où ils se concentrèrent. Ils sont là 5.100, 
5.300 à Hamadan. 5.000 à Chiraz. Les juifs d'Ha- 
madan, d*Ourmiah,de Kermanchah, de Soltanabad et 
de Kachan sont admis dans les bazars et y font le 
commerce. Ceux d*Ispahan et de Chiraz en sont ré- 
duits au colportage; des communautés minuscules par- 
sèment le Kurdistan, le Louristan et l'^Irak «Adjémi. 
On rencontre dans toutes les montagnes du Fars des 
juifs artisans ou colporteurs ; il en existe aussi à 
Yezd et à Kerman. Dans le Kurdistan, ils parlent un 
jargon syriaque, dans l'Iran un jargon persan, mêlé 
d'hébreu, dont les dialectes varient de ville en ville. 
La fabrication du vin ou de l'arak et la pratique de 
la médecine sont spécialités des juifs de l'Iran ; ils 
fournissent à l'immoralité du pays des troupes de 
chanteurs et de danseurs. Le Bulletin de F Alliance 
israélite porte leur nombre à près de 50.000. 

Ils sont, du reste, dans un état pitoyable, consé- 
quence de l'oppression et de la pauvreté. L'ignorance 



ISPAHAN 299 

des rabbins tolère parmi eux les mariages précoces et 
la polygamie ; Tivrognerie achève l'abaissement des 
caractères : point d'organisation ; à peine d'écoles 
talmudiques. aucune vie religieuse ni intellectuelle ; 
les traditions, les usages du judaïsme local semblent 
même s'être perdus. 

A Téhéran, où la communauté juive est une des 
plus nombreuses du pays, la plus importante des 
20 synagogues, celle de Marhoun Ezra, est installée 
dans les chambres d'une petite maison persane et 
contient le seul talmud-thorah de la ville. Le grand- 
rabbin Mollah Abraham est un ancien orfèvre re- 
venu de Bagdad ; il est, à la fois, prêtre et sacrifi- 
cateur, notaire, officier de l'état civil et juge dans les 
questions de statut personnel ; pour les autres, il faut 
recourir aux moudjteheds. Le Kargouzar se charge 
de la police. Un dizaine de « barbes blanches » for- 
ment une sorte de conseil autour du [grand-rabbin. 
Tous les trois ans, le khakham chalimi vient de 
Jérusalem, muni de son diplôme, surveiller la stricte 
application de la loi et encaisser les fonds recueillis. 
Les chalihod apparaissent à intervalles irréguliers ; le 
gàbbaî, trésorier de la communauté, Chaloum Daoud, 
leur remet l'argent ramassé pour les tombeaux de 
Jérusalem, d'Hébron, de Safed et deTibériade. Son 
père, Daoud Mordécaï, envoie directement à Bassora 
les offrandes destinées au tombeau d'Esdras. 

Le judaïsme persan était si décomposé que, dès 
son arrivée, le directeur de l'école de l'Alliance eut 
à prendre la direction de la communauté dans presque 
toutes les villes ; nulle part plus qu'à Ispahan, où il 
perçoit la taxe sur la viande kacher, paye la capitation 
et se voit même recherché comme arbitre des contes- 



300 LA PERSE d'aujourd'hui 

tations. C'est là un rôle fort délicat/ Les professeurs 
de l'Alliance Israélite m'ont paru le remplir avec 
conscience et succès. Ils ont le sentiment de leur 
tâche civilisatrice et le goût de l'apostolat. Leur j 
habitation a généralement fort bon air ; l'institutrice ' 
qu'ils ont épousée est gentille et avenante ; leur exis- 
tence est digne et familiale ; ils sont, par eux-mêmes, 
d'un excellent exemple pour la communauté qu'ils 
ont à tâche de relever. Nous devons leur savoir un 
gré infini d'enseigner soigneusement aux enfants, 
avec notre langue, les titres que la France s'est acquis 
auprès de leur race par le fait même de la Révolution. 
L'Alliance Israélite a su résoudre le difficile problème 
de créer une mission laïque suffisamment efficace ; 
c'est un modèle à étudier et à suivre. 

La plupart des avanies antérieurement faites aux 
juifs sont maintenant choses du passé. Il n'est plus | 
question de rouelle ; les juifs s'habiUent comme les 
autres Persans. La capitation même tombe en désué- 
tude : à Ispahan, elle n'est plus que de 100 tomans 
par an; à Téhéran, elle consistait en 1.000 metkals 
de soie ; on la remplace par une somme de 20 tomans, 
une fois payée au tailleur du roi. Les tracasseries des 
moudjteheds, les exactions des autorités tendent à 
s'atténuer ; les gouverneurs s'emploient de leur mieux 
à réprimer les violences contre les juifs. Le gouver- 
nement persan admet volontiers les représentations 
officieuses faites en leur faveur par la légation de 
France. Là comme ailleurs, le bienfaisant effet des 
idées nouvelles commence à se faire sentir. 



XIII 
A TRAVERS L'«IRAK «ADJEMI 



D'Ispahan à Soltanabad. — Les « minarets branlants • de 
Koladoun. — Les muletiers de Sédé ; notre caravane ; 
Kerbélaï Mohammed Ibrahim. — Le village de Tchalé- 
Slah. — La route méridionale du pèlerinage aux Lieux 
Saints. — Le conteur de Déhakh : Behzad et Ibrahim, ou 
le bienfait récompensé. — Le district de Dor. — Les pro- 
vinces de Golpaigan et de Kamaré. — Le médecin Juif de 
Vertcha ; la médecine en Perse. — Soltanabad : les tapis 
de l^'Irak; la maison Ziegler. — Hadji Agha Mohsen. — 
De Soltanabad à Kermancfaah. — En pays turc : Diza 
bad. — La province de Mélayir. — Le Norouz : célé- 
bration de la fête nationale de l'Iran. — L'c année du 
poulet 9, — En famille, chez le Keikhoda de Frasfardjé. 

Il y affort loin d'Ispahan à Bagdad : plus de 800 ki- 
lomètres, au travers du large massif montagneux qui 
sépare le plateau de Tlran de la vallée du Tigre. C'est 
la partie méridionale de l'Irak «Âdjemi. Notre route 
suit tout d'abord la limite du désert ; les villages sont 
rares, les arbres dépouillés par l'hiver. Chaque jour 
avance insensiblement la chevauchée monotone surun 
sol gris et rocailleux. Cependant, l'air est frais et sec : 
les montagnes ont gardé leur revêtement de neige ; 
dans la brume du matin, les cimes apparaissent 
aériennes, presque diaphanes ; elles resplendissent 
au grand soleil de l'aprôs-midi. Aux sources des 



302 LA PERSE d'aujourd'hui 

rivières de Koum et deSaveh, dans le bassin de Solta- 
nabad» le paysage reste désertique; quelques oasis 
de verdure disséminés sur les pentes arides. 

Les seigneurs persans ne se soucient point de vivre 
en des lieux si écartés. Arbitrairement guidée par les 
appétits de la cour, la volonté souveraine déchiqueté 
le territoire en provinces minuscules. Nul ne s'in- 
quiète de cette chétive population de ra'yat ira- 
niens, de ces villages arméniens et géorgiens créés 
par l'émigration du xvii® siècle, ni des petits groupes 
juifs, adonnés parmi eux à la médecine et au colpor- 
tage. Beaucoup de villages, étant rayyetis, sont livrés 
en tigyouls à la rapacité des grands. 

Jusqu'à SoltansÂad, les muletiers comptent 265 ki- 
lomètres, divisés en 7 mmzds (gîtes d'étape), à par- 
courir en autant de journées. Notre petite caravane 
s*est formée à Sédé, par les soins de Mohammed Ho- 
seïn Khan Sertip, préposé aux transports de la mai- 
son princière. Il est le chef des muletiers de la 
province, dont il peut réquisitionner les bêtes de charge, 
au nom de ZiU-è-Soltan. 

Sédé n'est qu'à 18 kilomètres d'Ispahan et l'on 
s'y rend en voiture, au travers des jardins et desgrosses 
tours des pigeonniers. Â droite, apparaissent dans 
les arbres les « minarets branlants b du village de 
Koladoun, deux pointes jumelles^ surmontant la 
mosquées où Baba «Âbdoullah dort son dernier som- 
meil. Une particularité de construction permet à tout 
individu, qui en gravit les escahers, de leur impri- 
mer un mouvement fort appréciable, tandis que 
l'autre minaret se met à s'agiter par sympathie. 

Auprès du Zendeh-Roud, un rocher isolé ferme la 
plaine : au sommet, la rotonde d'un pyrée et quelques 



A TRAVERS L'*IRAK ''ADJEMI 303 

ruines d'un bâtiment en briques. La vue en est fort 
belle : la rivière sort de l'étranglement des montagnes; 
plus haut, avant de remonter vers le district de 
Tchahar Mahal et les crêtes neigeuses des Bakhtyaiis, 
la vallée, parsemée de villages, s'épanouit en champs 
déjà verdissants. Au pied du Koh-i-Sédé, le bourg du 
même nom, avec ses deux annexes, Horestan et 
Téhérantchi, forme une vaste agglomération dans 
les jujubiers et les platanes ; c'est le chef-lieu du dis- 
trict de Moharbin, dont Behram Mirza est sous- 
gouverneur. Les paysans l'ont prié de leur épargner 
la présence d'un de ses domestiques ; grâce à la proxi- 
mité, ils vont régler eux-mêmes leurs affaires en ville 
avec quelque secrétaire. Sédé est aux paysans ; des 
deux villages voisins, l'un appartient à un frère, 
l'autre à un neveu d'Âgha Nedjefi; la meilleure cul- 
ture est celle du tombac; mais, dédaigneux des occu- 
pations agricoles, la plupart des habitants se sont 
faits muletiers. Ils peuvent mettre en ligne 3 ou 4.000 
chevaux et mules qui s'en vont indifféremment à 
Téhéran ou à Chiraz, jusqu'à Trébizonde et Bagdad. 

Mohammed Hosein Khan est le propriétaire le 
plus aisé du village. Il y possède deux jardins fruitiers 
et une grande maison qu'il vient d'achever. Nous 
y passâmes la nuit. L'écho des agitations d'Is- 
pahan venait d'arriver au village ; le soir, on battit 
le tambour et, dès l'aube, une bande de paysans se 
dirigea vers la ville, afin d'aller grossir, dans la mos- 
quée du Schah, les forces d'Âgha Nedjefi. 

Kerbélaï Mohammed Ibrahim conduit notre cara- 
vane, — un garçon solide, vêtu de bleu, chaussé de 
cuir, avec de grosses guêtres d'étoffe, la pipe passée 
dans sa ceinture de laine, un bonnet noir sur la tête, 



304 LA PERSE d'aujourd'hui 

la figure rasée, la moustache blonde et courte. Tout le 
jour» il suit lourdement le train des mules, le corps 
penché en avant, maugréant contre la longueur des 
étapes, objectant la fatigue de ses bêtes ou le poids 
des charges et menaçant de se réfugier dans les imam- 
zadés du chemin. De temps à autre, détachant de sa 
ceinture une lanière de cuir, terminée par une chaî- 
nette et une mèche, il s'en sert comme de fouet pour 
presser la marche, Sa mauvaise humeur se perd en 
paroles ; il est bon et rude au travail ; il sait les chansons 
pour distraire la longueur de la route. Les muletiers 
n'ont point su créer à leur usage une poésie spéciale 
comme celle des chameliers ; ils prennent leur bien 
dans le trésor commun de la versification populaire 
et le chantent aux échos du désert. Les muletiers 
ispahanis passent pour les meilleurs chanteurs de 
leur profession. Et voici ce que fredonnait Kerbélaï 
Ibrahim : 

Tes yeux me regardent, mais ton cœur est ailleurs; 
peu m'importe, du reste, où est ton cœur. Je suis 
un oiseau qui vole; il ne manque point d'arbres pour 
m'y poser. 

Notre homme voyage constamment entre Ispahan 
et Soltanabad ; à rares intervalles, il pousse jusqu'à 
Bagdad. Sa famiUe vit à Sédé. De son patron, Hadji 
Ibrahim Makkari, qui dispose d'une soixantaine de 
bêtes de charge, il ne reçoit aucun salaire; mais il 
possède une mule en propre, dont il a le bénéfice, 
étant défrayé de tous frais de route à la fois pour lui 
et pour elle. 

 la passe de Sar-i-Tchah, le chemin franchit la 
montagne de Sédé, puis en contourne les pentes. I^es 



A TRAVERS L*'IRAK *ADJEMI 305 

parcelles cultivées de la plaine d'Ispahan forment 
des carrés de verdure ; partout ailleurs, l'immensité 
du désert, parsemé de roches d'un brun rougeâtre; au 
fond, une chaîne neigeuse et le massif du Koh-i-Kar- 
guez. 

Tchalé-Siah (le fossé noir), est un petit village d'une 
cinquantaine de maisons ; de sa propriétaire, une 
fille deZill-è-Soltan, Afsar-ed-Dowleh (la couronne de 
l'État), il a récemment reçu le nouveau nom d'Afsa- 
rieh. Le passage d'un canal venu de la montagne 
réussit à faire pousser des arbres et à irriguer quelques 
champs de blé au milieu des solitudes. L'eau continue 
sa course souterraine pour vivifier, un peu plus bas, 
le village de Rahimabad. Les habitants payent, pour 
toute redevance, la somme annuelle de 550 tomans, 
comme prix de location de la moitié du canal. Leurs 
maisons se pressent dans une enceinte murée, fermée 
par une grosse pierre, qui tourne sur elle-même. 
Adossée à la paroi extérieure, une fabrique de tapis, 
établie par le prince, où 40 femmes travaillent à 
huit métiers. Le village a débordé la tristesse de sa 
muraiUe : plusieurs maisons, des enclos très bas, se 
groupent au dehors. Dans toute la région, les cham- 
bres sont voûtées ; au milieu de la pièce, a été 
creusé le four; dans la voûte, un trou pour l'échap- 
pement de la fumée. Les meilleures habitations com- 
portent, entre deux chanibres, un espace ouvert, 
également voûté, éwan^ où la famille s'installera 
durant l'été. 

La masse noire d'un caravansérail précède Tchalé- 
Siah. L'inscription mentionne le règne de Schah 
Soléiman et la date de 1100 de l'Hégire. L'édifice 
fut élevé par ordre du grand-vizir Cheikh «Ali 

Ai^BiN. — La Perse. 20 



306 LA PERSE d'aujourd'hui 

Khan, 'Ehtezad-os-Saltaneh — l'appui delà dynastie. 
— Cheikh «Âli était ce ministre pieux et intègre dont 
Chardin nous conte les démêlés avec son ivrogne de 
souverain ; il n'aimait pas beaucoup les chrétiens, et 
fut cause que le second voyage du bijoutier français 
rapporta moins de bénéfices que le premier. Celui de 
Tchalé-Siah commence une longue suite de caravan- 
sérails, dont le même ministre et le même souverain 
jalonnèrent la route d'Ispahan à Bagdad. La plupart 
sont hors d'usage ; par exception, Tchalé-Siah s'est 
assez bien conservé ; les murs en briques cuites sont 
à peu près intacts ; à l'entrée, les grandes dalles de 
pierre ne se sont pas trop disjointes ; les chameaux 
remplissent la cour, transformée en cloaque ; sous les 
arcades, campent les voyageurs. Tout est plein. Il 
vient d'arriver une caravane de gens de Birdjand, 
retour de Kerbéla, qui se dirigent vers le lointain 
Séistan. 

Car nous sommes sur l'une des grandes voies du 
pèlerinage et la route appartient aux pèlerins. Les 
caravanes de charges se font rares ; à peine quelques 
trains de mules, apportant à Ispahan les tabacs 
d'Ourmiah., C'est, tout le long du jour, le reflux de 
cette migration de peuples, qui, l'automne, s'est portée 
vers les lieux saints pour regagner, pendant les mois 
d'hiver, ses villages respectifs. Jusqu'au delà de Ker- 
manchah, le torrent s'est maintenu compact; puis 
ceux de l'Azerbaïdjan et du Caucase s'en sont allés 
vers Hamadan; ceux de l'Irak ont pris le chemin de 
Koum. Sur la route d'Ispahan à Soltanabad, nous 
n'avons affaire qu'à la branche méridionale, qui va 
vers Ispahan et Chiraz, Yezd et Kerman, ou bien 
encore vers le Séistan et le sud du Khorassan. Ce sont 



A TRAVERS L^'IRAK 'ADJBMI 307 

des populations entières qui se sont déplacées, à la 
voix des conducteurs de pèlerinages, pour la pieuse 
visite aux tombeaux des Imams. Sur la piste déser- 
tique, des hommes, des femmes, des enfants défilent 
sans interruption ; beaucoup suivent à pied leur petit 
bagage chargé sur un âne ; quelques-uns n*ont point 
de chaussures et demandent l'aumône aux passants. 

Les plus riches voyagent à cheval ; les femmes, 
accroupies dans les larges cacolets de bois placés 
en travers des montures ; elles sont enveloppées du 
châle noir coutumier, la figure couverte d'un hnge 
blanc percé de trous au devant des yeux et fixé 
par une broche derrière la tête. Il est rare qu'un pan- 
talon de fine étoffe, fermé, à la cheville, sur un bas 
de même couleur, dénonce la présence d'une dame 
de qualité. Comme celui de Méchhed, les pèlerinages 
de Kerbéla et de Nedjef sont le plus souvent le fait du 
vulgaire ; il n'est guère de ra«yat qui ne deviennent 
Méchhedis ou Kerbélaîs ; les Persans bien placés 
préfèrent entreprendre le voyage de la Mecque et 
n'attachent de valeur qu'à la qualification de Hadji. 

De Tchalé-Siah à Déhakh, une quarantaine de kilo- 
mètres. A l'extrémité de la province d'Ispahan, une 
eau propice permet à quelques villages de développer 
leurs champs et leurs vignobles. Déhakh est un gros 
bourg entouré de murs ; un imamzadé, fils de l'imam 
Mousa, domine la longue étendue des jardins et des 
cultures. Le district a pour sous-gouverneur le pre- 
mier secrétaire de Zill-è-Soltan, Mirza Baghir Khan, 
qui en délègue l'administration à l'un des principaux 
cultivateurs du chef -heu, Mirza Hadji Agha Kelanter. 

Les récits d'un conteur vinrent distraire notre 
soirée. Un «Adjem, Derviche Hoséïn, est le nakkal 



308 LA PERSE d'aujourd'hui 

attitré du lieu ; il fait, en ce moment, la tournée des 
villages voisins, qu'il égayé par ses anecdotes, avant 
de les édifier par un court sermon sur le martyre 
des Imams. En son absence, nous eûmes affaire à un 
simple apprenti : Derviche Darab étudie chez un 
mourchid, Kachgoul «Ali Schah, de Golpaïgan, et 
s'essaye timidement dans son art. Son maître ne lui 
a pas encore appris à détailler les épisodes, contenus 
dans quelque livre célèbre ; sa mémoire classe les 
contes par catégories : la vertu récompensée, le vice 
puni, les vengeances, les mariages, les morts. 

Derviche Darab porte le costume ordinaire des 
paysans ; il s'agenouille à la mode persane, s'assied 
sur ses talons et débite son histoire, avec autant de 
mobilité dans les traits que de vivacité dans les 
gestes. Il se met tout d'abord à psalmodier quelques 
vers de Sa«di, puis entame son rédt, choisi dans la série 
du bien récompensé : 

« A Ispahan, sous le règne de Schah «Âbbas, vivait 
un bijoutier, Khadjé Séid Djauhéri. Un jour, assis 
dans sa boutique, fumant un kalyan que venait de 
lui préparer son eunuque, il regardait insouciam- 
ment le mouvement du bazar. Un jeune homme, 
en habits de voyage, immobile le long du mur, 
frappa son attention. Il l'appela, le fit entrer, asseoir 
et fumer ; l'inconnu resta jusqu'au soir. A la ferme- 
ture du bazar, le bijoutier lui offrit de venir loger chez 
lui, s'il n'avait point d'autre gîte; il y demeura 
quarante jours et quarante nuits, diverti par son 
hôte avec des musiciens et des danseurs. Alors Behzad 
— c'était le nom de l'étranger — dit en pleurant 
qu'il devait partir et avoua son manque de ressources. 
Le lendemain même, Ibrahim, le fils du bijoutier, lui 



A TRAVERS l'Irak «adjemi 309 

amenait un cheval de la part de son père, avec une 
bourse de 100 tomans. Behzad aUa à Chiraz, puis à 
Bouchir; là il prit passage sur un voilier et débarqua 
à la côte de l'Oman. La côte était peuplée de pêcheurs; 
fort de son capital de 100 tomans, le nouveau venu 
les prit à son service et en fit autant de pirates. 
Behzad s'enrichit vite à cette entreprise. 

« Mais, laissons là Taffaire de Behzad et revenons 
au bijoutier » . Le malheur voulut qu'un domestique 
de Schah«Âbbas se prit de querelle avec Khadjé 
Séid sur le prix d'un bijou. Les gens du bijoutier 
ayant bâtonné l'homme, le roi, furieux, fit empri- 
sonner le commerçant coupable, piller sa boutique et 
sa maison. Khadjé Séid mourut; sa famille était 
ruinée... Le fils se lamentait ; sur les conseils de sa 
mère, il se décida à parcourir le monde, afin d'y 
acquérir expérience et fortune. Or, il advint qu'Ibra- 
him fut capturé dans le golfe Persique par les bateaux 
de Behzad. Le pirate le reconnut aussitôt et l'accabla 
des effusions les plus vives... « C'est moi, lui dit-il, 
qui suis Behzad, auquel vous avez donné naguère 
un cheval et 100 tomans pour son voyage. Ces palais, 
ces navires, ces nègres, ces serviteurs, — tout cela 
est à votre disposition, car je les ai acquis du capital 
avancé par vous. » Ibrahim n'avait pas à chercher 
plus loin ; il vécut avec Behzad au milieu des plaisirs, 
et voici qu'un jour, une jeune fille européenne, quel- 
que Portugaise égarée sur ces mers, fut saisie par les 
pirates. Cette prise opportune valut une femme à 
l'indolent Ibrahim, auquel toutes les chances tom- 
baient du del, en récompense du service rendu à 
Behzad par la prévoyance paternelle. » 

Au delà de Dehakh, quelques villages dispersés 



310 LA PERSE d'aujourd'hui 

sur le plateau désolé, pierreux, où poussent de maigres 
broussailles ; des troupeaux de moutons et de chèvres 
y cherchent péniblement leur nourriture, sous la 
garde de pâtres en manteaux de feutre. Â gauche, 
se poursuit la ligne neigeuse des grandes montagnes. 
Puis la vallée descend insensiblement vers la rivière 
de Koum, entre deux chaînes parallèles, fermée, au 
loin, par la masse isolée de l'Elvend de Golpaïgan. 

Il y a là six villages écartés, réunis en un même 
district; la faveur du Schah défunt les fit attribuer 
en tiyyoul à l'Emir Bahadour Djeng(le chef des braves 
à la guerre), un Turc de Tauris, devenu ministre de 
la cour. Mirza Feth «Ali Khan, le domestique chargé 
d'y représenter les intérêts du bénéficiaire, exploitait 
avec un excès de vigueur cette plèbe corvéable 
et ignorée. Des plaintes» portées à Téhéran, valurent 
de lourdes amendes aux délégués qui s'en chargèrent. 
Le salut vint du changement de règne ; le ministre 
perdit sa place et son homme crut prudent de vider 
les lieux. Depuis lors, le district respire, attendant 
sans impatience la désignation d'une nouvelle auto- 
rité. Dor, le chef-lieu, n'a que 200 maisons et paye 
400 tomans d'impôt ; un caravansérail à moitié 
détruit y porte le nom de Schah Séfi. 

Plus rien, durant 36 kilomètres, jusqu'aux jardins 
de Golpaïgan. La ville est au pied de la montagne ; 
la rivière assez grosse pour irriguer des cultures éten- 
dues et faire vivre une trentaine de villages, dissé- 
minés dans la large plaine. Le sol donne les grains et 
les fruits pour la consommation locale, l'opium et 
les tombacs qui vont vers Ispahan, le coton exporté 
en Russie. La haute vallée de la rivière de Koum 
forme une province spéciale, Uvrée aux favoris 



A TRAVERS L'^IRAK "ADJEMI 311 

en quête d'emploi; les moudjteheds eux-mêmes y 
possèdent trop peu d'influence pour contrecarrer les 
gouverneurs. Un gendre du feu Schah gouvernait 
à Golpaïgan : la mort de son beau-père mit un terme 
à ses loisirs. 

La ville peut avoir 12 ou 15.000 habitants ; son 
aspect est triste et ruiné ; les débris de la forteresse, 
la coupole de la mosquée du Vendredi, un minaret 
isolé près du bazar, l'imamzadé Sejryed Haftar, 
descendant de l'imam Mousa, s'élèvent au milieu 
de murs croulants et de détritus amoncelés. Il y a 
deux ans, le choléra dévasta Golpaïgan; les gens 
moururent; leurs maisons furent abandonnées. Le 
bazar vend aux Iraniens de la plaine et aux Loures 
de la montagne ; il achète à Ispahan, Kachan ou 
Soltanabad ; il appartient au domaine à peu près 
exclusif des cotonnades et des sucres russes. Au 
milieu de la ville s'étale la misère du quartier juif; 
130 familles y vivent sous l'autorité du grand- 
rabbin, Mollah Israël ; cent autres sont installées à 
Kounsar, un peu plus haut dans la montagne. 

La passe de Hasan-Flakh réunit à la chaîne prin- 
cipale l'Elvend de Golpaïgan. Au cqI, la neige persiste 
encore et le passage est dur à notre caravane. 
Nous descendons en pente douce vers la large plaine 
de Kamaré ; une centaine de villages y mettent des 
taches vertes sur la terre grisâtre. Des cours d'eau 
s'en vont vers la rivière de Koum. En bas, le bourg 
de Khouméin, précédé d'un pont et d'une ancienne 
forteresse, le Chehriar (le maître de la ville). Khou- 
méin a 3.500 habitants. Une dizaine de familles 
juives y ont récemment essaimé de Golpaïgan ; 
la plupart des villages de la province appartiennent 



312 LA PERSE d'aujourd'hui 

à deux Kadjars, fils d'un neveu de Feth «Ali Schah. 
Le gouvernement est entre les mains d'un petit 
propriétaire local, pour le compte d'un seyyed de 
Tauris, Bedr-ol-Molk (la pleine lune du royaume), qui, 
doit cette aubaine à l'influence de son frère, chef de 
la garde-robe du feu roi. 

L'eau, coulant en tous sens, permet de cultiver la 
plaine entière. A l'extrémité, une sœur de Zill-è-Soltan 
Banouyé «^Ozma (la grand dame), possède une dizaine 
de villages à cheval surKamaréetl'^Irak. Elle en tire un 
revenu de20.000 tomans. Sans tenir compte delà récolte, 
les paysans se sont engagés à lui payer cette rente fixe 
par les soins du keikhoda bachU qu^elle a désigné dans 
le centre principal, Vertcha, un bourg de 226 maisons, 
fournissant, à lui seul, le quart de la somme totale. 

Un juif vit à Vertcha pour y pratiquer la méde- 
cine. La médecine, en Perse, n'est pas un métier 
lucratif. Dans les grandes maisons, le médecin est 
un domestique de confiance, attaché à la personne 
du maître et rémunéré par le don annuel de quelques 
kharvars de grains. Il y en a peu qui aient étudié 
dans les Facultés d'Europe ; en Perse, l'enseignement 
médical régulier n'existe qu'à TÉcole polytechnique 
de Téhéran. Les missionnaires américains inculquent 
à quelques jeunes gens. Arméniens et Chaldéens, 
des notions élémentaires d'hygiène, qui les. font 
rechercher dans tout leNord-Ouest del'Iran. La masse 
des praticiens actuels tire sa science de la tradition 
paternelle, que les générations se sont transmises 
depuis Grallien et Avicenne. Dans les principales 
villes, se sont établis des médecins musulmans indé- 
pendants. Mais leur sort n'a rien d'enviable : les 
mollahs leur enlèvent la clientèle populaire pour 



A TRAVERS L'nHAK ''ADJEMI 313 

traiter avec des amulettes ou des transcriptions du 
Coran ; les seyyeds pratiquent l'imposition des 
mains ; il arrive que le patient recoure à la terre de 
Kerbéla, rapportée par les pèlerins. On tire au sort le 
remède à suivre, dans les feuillets du livre sacré, par 
le procédé de Vestékharé. Les gens, plus cultivés, 
qui s'adressent à l'homme de science, omettent 
volontiers de payer ses soins. Ils estiment leur mé- 
decin suffisamment rémunéré par le don accidentel 
d'un châle ou d'un tapis, et celui-ci doit vivre sur 
le léger bénéfice des médicaments qu'il prépare. 
Dans tout r*Irak «Âdiemi, les campagnes appar- 
tiennent aux docteurs juifs. 

Celui de Vertcha est arrivé depuis peu ; il vit seul 
et ne manque pas d'aller, à Golpaïgan, célébrer en 
famille la fête de Pâques et celle des Tabernacles. 
Sans cesse, il parcourt les environs, soit qu'il ait été 
spécialement appelé pour un malade, soit qu'il 
y exécute une tournée périodique ; en dehors du 
village, ses consultations lui valent 3 ou 4 krans. 
Toute sa science lui vient de son père, qui a Im-même 
émigré de Yezd : il saigne, purge, guérit, selon les 
vieux usages du pays. 

Le chemin, franchissant un seuil imperceptible, 
descend au village de Ghéili, vers le lac Touzlou 
Gueul, dont la surface bleue apparaît au loin dans la 
plaine. C'est un bassin isolé, privé de tout déversoir, 
entre la rivière de Koum et celle de Saveh. Nous pas- 
sons de crête en crête, de vallon en vallon; les villages 
sont espacés, les cultures rares. En bas, quelques 
vignobles. Nous atteignons Soltanabad, allongée 
tout au fond de la plaine, au pied même de la mon- 
tagne, en bordure de ses jardins. 



314 LA PERSE d'aujourd'hui 

Jusqu'au dernier siècle, la province d'Irak ne 
possédait aucun chef-lieu déterminé. Les gouver- 
neurs nommés ne prenaient point la peine de quitter 
Ispahan ou Chiraz et se faisaient représenter par quel- 
que délégué. Celui-ci s'installait dans un village 
au cœur même de son gouvernement» près du 
site actuel de la ville de Soltanabad. Sous Feth «Ali 
Schah,un grand personnage» Yousouf KhanSépehdar, 
prit le chemin de r«Irak;il eut vite fait de détruire 
les villages primitifs et de fonder Soltanabad, en y 
transplantant leurs habitants. La viUe a beau être 
moderne, elle est aussi ruinée qu'aucune autre de 
l'Iran ; ses murailles tombent en miettes : le gouver- 
neur occupe un énorme palais, aux cours lamentables, 
aux bâtiments décrépits. Les rues se coupent à angle 
droit. Le bazar est actif : les négociants y sont 
venus des villes voisines, même d' Ispahan et de Ta uns 
Deux petits caravansérails contiennent une colonie 
juive d'une soixantaine d'invidus détachés de Kachan 
et d'Hamadan ; trois d'entre eux pratiquent la 
médecine. En dehors des grains, la province produit 
un peu de coton, de l'opium, une assez forte pro- 
portion de raisins secs exportés en Russie. 

Soltanabad peut avoir 25 ou 30.000 habitants. 
Elle appartient tout entière à l'industrie des tapis, 
qui refleurit dans T'Irak depuis une quarantaine 
d'années et, partant, au commerce des laines. Celles- 
ci proviennent de Golpaïgan, Hamadan et Ker- 
manchah; les fils plongent, en pleine rue, dans de 
grands vases remplis de teinture ; ils sèchent sur toutes 
les maisons. 

MM. Ziegler sont des commissionnaires suisses, 
établis à Manchester, et spécialisés dans le commerce 



A TRAVERS L^IRAK ''ADJEMI 315 

de la Perse ; la maison centrale est à Tauris, avec 
succursales à Téhéran, Ispahan, Yezd, Chiraz et 
Bouchir. Celle de Soltanabad, réservée à l'expor- 
tation des tapis, forme, dans les peupliers, à l'ex- 
trémité méricÛonale de la ville, un coin de Suisse, 
aimable et hospitalier. Les ateliers pour la prépara- 
tion et la teinture des laines occupent 80 ouvriers. 
Chaque tapis fait avec les tisserands l'objet d'un 
contrat spécial, prévoyant des avances en laines et 
en argent. L'ouvrier reçoit le modèle, dont le dessin 
ou la couleur se modifient constamment selon les 
goûts de la clientèle, et met de suite au travail femmes 
et enfants de sa famille. Sur les registres figurent 
les noms de 3.300 tisserands, répartis dans la ville, 
r«Irak, les provinces de Kamareh et de Hamadan; 
dans chaque village, un agent de la maison se recon- 
naît responsable des engagements pris par les habi- 
tants. 

Soltanabad est, avec Tauris et Kerman, le principal 
centre de la fabrication des tapis de Perse. Le tapis 
de rirak est moins fm que les autres ; son prix, 
d'aiUeurs, est moins élevé ; de 4 à 12 tomans le zar 
(102 centimètres carrés). Ce sont grandes pièces, 
à larges dessins, d'un effet très décoratif. La répar- 
tition s'en fait à Manchester; l'Angleterre en prend 
la plus grande part, puis les divers pays du continent ; 
l'Amérique ne fournit qu'un débouché très limité. 

La province d' «Irak commence aux portes de Koum 
pour finir à quelques lieues de Hamadan. Elle com- 
prend sept districts et forme la limite ethnique 
entre les populations persanes du plateau d'Iran 
et les masses turques amenées dans l'ancienne Médie 
par les Seldjoukides et les Mongols. La haute vallée 



316 LA PERSE d'aujourd'hui 

de la rivière de Saveh appartient aux Turcs ou aux 
Tates turquifiés ; le bassin du Touzlou-Gueul est 
resté persan ; néanmoins, le Féraghan, qm le pro- 
longe vers le nord, a déjà subi une infiltration turque, 
affectant le tiers du district. Quelques villages turcs 
se trouvent isolés dans le reste de la province. 

De ce côté les villages n'appartiennent plus guère 
aux paysans ; la plupart furent achetés par les grands 
seigneurs de Téhéran et leur absence livre le pays 
à l'autocratie du moudjtehed. Depuis sa plus tendre 
jeunesse, sitôt terminées ses études à Bouroudjird, 
Hadji Âgha Mohsen, maintenant un vieillard de 
quatre-vingt-dix ans, réside à Soltanabad ; les années 
en ont fait l'homme le plus riche et le plus puissant 
de la ville. Les plus belles maisons, les caravansérails, 
les boutiques, plus de cent villages sont à lui ou à ses 
fils ; la mosquée porte son nom. 

240 kilomètres jusqu'à Kermanchah. La chaussée 
de Koum s'arrête à Soltanabad et se poursuit par 
une simple piste à travers la campagne ; mais la poste 
est organisée pour les voitures, ce qui pourrait réduire 
à quatre jours la durée du voyage. Le chemin traverse 
la plaine nue : au pied de la montagne, se succèdent 
de gros villages, propriétés du moudjtehed. Novezan 
marque l'entrée du Féraghan. Chaque agglomération 
doit quelque imamzadé au massacre opportun des 
seyyeds Mousavis, frères de F Imam Réza. 

Les montagnes s'abaissent en collines ; quelques 
points, plus élevés, conservent un peu de neige. Les 
150 maisons de Dizabad s'allongent dans la large 
plaine, auprès de la rivière de Saveh. Ce village 
se trouve à mi-route, entre Hamadan et Soltanabad, 
à 72 kilomètres des deux villes ; en amont, le district 



A TRAVERS 'L'IRAK *ADJEMI 317 

de Sérabend ; en aval, celm des BoztchaUou. Nous 
sommes en plein pays turc, avec un léger résidu persan. 
Au relais, nous trouvons des Kurdes de Kermanchah, 
des pèlerins du Khorassan regagnant leur province ; 
d'autres, du Caucase, qui font le détour de Koum ; 
car le flot du pèlerinage s*est grossi de la clientèle 
particulière au tombeau de Fatémé. Dizabad, comme 
la plus grande partie des Boztchallou, appartient à un 
prince kadjar, Nasir-ed-Dowleh (le triomphateur de 
l'État) qui, ayant terminé ses études à Paris, est allé 
rejoindre son oncle Ferman-Ferma, dans la province 
de Kerman. 

La route d'Hamadan se dirige vers le nord. Nous 
passons la rivière de Saveh pour atteindre les contre- 
forts du grand massif de TElvend ; la passe de Koz- 
dan sépare l'Irak de la province de Mélayir ; les pentes 
sont restées iraniennes, la pénétration turque n'a 
point dépassé le plat pays. La région devient acciden- 
tée, formée de vallées étroites, abondamment arro- 
sées ; les cultures, presque ininterrompues, se suivent 
le long des rivières ; et malgré l'altitude élevée — 
1.800 mètres — les champs sont déjà tout verts ; les 
arbres n'ont point encore de bourgeons ; le branchage 
clair des peupliers tranche sur la couleur plus foncée 
des arbres fruitiers ; des troupeaux de moutons et de 
chèvres parcourent la campagne. Les eaux se diri- 
gent vers la Kerkha, qui se perd, non loin du Karoun, 
dans les plaines de TÂrabistan. Les villages sont grands 
et nombreux. La route coupe la ligpe télégraphique 
de Hamadan à Bouroudjird. Nos voitures se croi- 
sent avec deux autres, ramenant à Téhéran, par la 
voie de Bagdad, l'ancien gouverneur de Bouchir, 
Mirza Ahmed Khan« Daria Begui (le maître de la 



318 LA PERSE d'aujourd'hui 

mer). Suivant Tusage des routes postales de la Perse, 
les cochers s'arrêtent et font échange de chevaux. 

La petite province de Mélayir est au nœud des 
vallées qui se ramifient sur les pentes méridionales de 
TElvend, dont les cimes neigeuses dominent tout le 
pays. Elle possède trois petites villes, d'importance 
à peu près égale : Néhavend, où la conquête arabe 
remporta sur le Sassanide une victoire décisive, 
Tussurcane et Dauletabad. Dauletabad, un mo- 
deste bourg de 3.500 habitants, sert de chef-lieu ; 
bon nombre de villages appartiennent aux paysans, 
les autres à des Khans deHamadan ou à des Schah- 
zadés, issus d'un fils de Feth «Ali Chah, qui gouverna 
la province. 

Le 22 mars, au soir, nous arrivâmes à Frasfardjé. 
Dès la tombée de la nuit, des coups de fusil retenti- 
rent, des feux s'allumèrent sur les terrasses des vil- 
lages ; un peu plus haut, une ligne de flammes indi- 
quait le bourg de Tussurcane. C'était le Norouz. 
L' « année du cheval » — gount-il — venait de finir ; 
celle du poulet — takaghou-il — allait commencer ^. 

Du temps que les Persans suivaient la loi de Zo- 
roastre, l'équinoxe du printemps marquait le chan- 
gement d'année. L'islamisme introduisit l'année 
lunaire des Arabes qui, devenue d'usage courant, 
fixe désormais la chronologie. La conquête mongole 
imposa le cycle turc ; les années solaires, commençant 
au Norouz, restèrent adoptées pour la comptabilité 
des monstofis, dont elles ne dérangeaient point les 
habitudes antérieures. Les légendes persanes font 
remonter l'institution du Norouz à Djemchid, le 

1. Le cycle turc compte douze années ; il commence par Tannée du 
cochon — Tavechkan-il ; celle du poulet eit la 5"«. 



A TRAVERS L'^IRAK 'ÀDJ&MI 319 

héros primitif de la race. Il est célébré dans tout 
riran comme la véritable fête nationale, et c'est le 
grand jour pour chaque famille. Le chiisme s*est 
appliqué à le revêtir d'un certain caractère musul- 
man; il a trouvé des traditions propices, qui prescri- 
vent la célébration de la fête, anniversaire de l'envoi 
d'Adam sur la terre pour la création du genre humain. 
Les jours qui précèdent appartiennent aux der- 
viches ; leur mendicité envahit les bazars, la menue 
monnaie s'accumule sur leurs plateaux de cuivre, 
où pousse une légère verdure de lentilles, symbole 
du printemps nouveau. Chaque maison s'est préparée 
à la fête ; les enfants ont reçu des cadeaux ; on est 
allé au bain, on a revêtu des habits neufs ; les pieds 
et les mains, la barbe et les cheveux sont fraîche- 
ment teints au henné. L'astrologue royal a déter- 
miné l'instant exact du passage de l'équinoxe. A 
l'heure dite, la famille s'est réunie, tenant en mains 
un peu de blé et de riz, avec des pièces d'or et d'ar- 
gent, signes d'abondance et de prospérité ; chacun ré- 
cite la formule arabe : « Dieu, vous qui pouvez 
changer les cœurs et les yeux, faites que je conserve 
mon cœur et ma santé I » Puis, un lecteur de Coran 
procède à la lecture de la surate de YaSin. 

... Que la terre, morte de sécheresse, leur serve 
de signe de notre puissance I Nous lui rendons la vie 
et nous en faisons sortir les grains dont ils se nour- 
rissent. Nous y avons planté des palmiers et des 
vignes ; nous y avons fait jaillir des sources, afin 
. qu'ils mangent de leurs fruits et jouissent des travaux 
de leurs mains. Ne seront-ils pas reconnaissants envers 
nous ? 

Le repas est servi : au milieu de la nappe, posée 



320 tA PERSE d'aujourd'hui 

à terre, un plateau contient la verdure symbolique 
du Norouz, que Ton conserve jusqu'au treizième jour 
de la fête ; autour» sont rangés les mets, des œufs 
colorés, des bonbons, des oranges. Uach-rediié ou le 
rechtépilau, sont les plats spéciaux à cette occasion : 
soupe ou plat de riz, mêlés de longs filaments de pâte, 
qui sont d'un heureux augure et promettent aux 
gens de saisir la direction de leurs affaires au cours de 
la nouvelle année. Enfin, la présence des Haft-Sin, 
des 7 S, est également indispensable : du poisson — 
samak, en arabe, des pommes — $il, de Tail — sir, des 
légumes — sebzi, du vinaigre — serké, du jujube — 
sendjed,et du pain — senguek. Les familles aisées ont 
convoqué des musiciens et des chanteurs. Ainsi passe 
la nuit. Le lendemain est jour de visites; on échange 
des félicitations et des souhaits : « Puissiez-vous vivre 
cent ans sous la protection de Tlmam présent 1 » Il 
y a grande afiluence dans les imamzadés ; car, affir- 
ment les traditions, les vœux faits à cette date ne 
peuvent manquer d'être exaucés. 

Le Norouz ne se célèbre pas seulem^it dans la 
famille. A l'heure solennelle, les grands dignitaires 
ont entouré le souverain, tenant en main les insignes 
de leur fonction ou de leur grade ; le Schah distribue 
à sa cour des pièces d'or et d'argent, Schahis-achrefis, 
spécialement frappées pour cette date. Le lendemain 
matin, a lieu le salam. Aux chefs-lieux des provinces, 
le roi est représenté par son portrait, surmonté d'une 
pieuse image : le Prophète, "Ali, Fatémé, Hasan et 
Hoséin, rangés en ligne, la tête ceinte d'une auréole. 
A droite, se place le gouverneur; l'assistance s'incline 
devant cette double image de la sainteté et de la 
puissance. 



A TRAVERS L^'IRAK 'ADJEMI 321 

Le Norouz est l'époque des décorations et des 
promotions. Les chamsehSf les sabres enrichis de dia- 
mants, les robes d'honneur sont distribués à profusion. 
Tous les titulaires des principales charges du royaume 
doivent être remplacés ou conlBrmés. En prévision 
de cette éventualité rigoureuse, les pichkechs affluent 
à Téhéran, des extrémités de la Perse, aiSn d'assurer 
aux donateurs la bienveillance souveraine. Un envoyé 
spécial apporte une robe d'honneur aux gouverneurs 
maintenus en place. Chaque ville possède, à quel- 
que distance sur la route de la capitale, un pavillon, 
dit khabat'pouchdriy où l'heureux fonctionnaire vient 
reevoir cette marque tangible de la faveur royale. 

Depuis quatre ans, les fêtes officielles, célébrées à 
l'occasion du Norouz, sont dépourvues de toute solen- 
nité. Elles tombent pendant les mois de deuil (cette 
année, le 7 du mois de Séfer), et il n'est point de jour- 
née assez glorieuse pour prévaloir contre le souvenir 
de la mort d'Hosein. Les treize jours, suivant le 
Norouz, sont chômés. Le 13^ jour, la population 
entière a coutume de se répandre hors des villes, pour 
saluer, dans la campagne, le renouveau de la nature. 

A Frasfardjé, les choses se passaient de façon très 
simple. Nous y tombâmes en pleine fête de famille 
du Ketkhoda. Sadik Khan a la barbe fraîchement 
teinte au henné; il procède au repas traditionnel, 
entouré de ses deux femmes, Leila et Samainbar 
(fruit du jasihin), — de son fils et de ses deux filles. 
La maison est aisée ; les tapis recouvrent le sol ; des 
kalemkiars sont fixés aux murs, creusés de réduits, 
où se rangent de3 samovars, des miroirs, des lampes, 
des cassettes, des bols de porcelaine; une grande 
caisse contient les vêtements. Au milieu de la pièce 

Ax;bin. — La Ptrsc. 21 



322 LA PERSE d'aujourd'hui 

a été dressé le koursi pour le chauffage de Thiver : 
un cadre en bois, placé sur un réchaud, et muni d'une 
couverture, sous laquelle se pressera la famille les 
jours de grand froid. 

Sur le koursi est déposé le plateau avec le dîner 
du Norouz : un plat |de verdure, du pilau, du pain, 
un bol de sirop. Les obligations de l'hospitalité inter- 
rompent brusquement le repas du Ketkhoda ; le 
plateau est aussitôt emporté, le koursi disparait, la 
famille quitte la chambre; il ne reste plus que la plus 
jeune des deux femmes pour faire place nette au cam- 
pement des hôtes, si inopportunément survenus. Sa- 
mainbar est fort gentille : elle porte une jupe courte 
en cotonnade rouge, un voile bleu, fixé au sommet de 
la tête, d'où s'échappent deux grosses boucles de 
cheveux bruns. 

Le lendemain, il neige à gros flocons ; la terre est 
toute blanche. Le temps s'éclaircit vite et la neige 
ne tient pas ; mais les chemins sont défoncés et nos 
voitures avancent péniblement dans la boue gluante. 
Il faut la belle saison pour voyager en Perse ; si la 
terre est sèche, on n'y ressent guère l'absence des 
routes ; les pistes tracées par les caravanes parais 
sent amplement suffire au trafic. La moindre humi- 
dité vient-elle à délayer l'argile de l'Iran, la trans- 
formation est immédiate : bêtes et gens restent pris 
dans un inextricable bourbier ; les maisons de terre 
se mettent à fondre, les toits ne fournissent plus d'abri. 
C'est la fâcheuse expérience que nous allons mainte- 
nant faire jusqu'à Bagdad. 



XIV 
LA PROVINCE DE KERMANCHAH 



Kengaver. — Le rocher de Bisoutoun. — Le Kahvehkhaneh de 
Hadjiabad. — La révolution à Kermanchah; le gouverneur 
révoqué quitte la viDe; Vabdati, — Daulet Schah. — 
Le commerce de Kermanschah avec Bagdad. — Au con- 
fluent du pèlerinage. — Transit de cadavres. — L'hô- 
pital des pèlerins. — Le Kurdistan méridional. — La secte 
des ''Ali-Allahis. — Mirza Saleh. — La légende de Noséir. 
— La population de la ville: les familles de Khavanin, — 
Cuisine persane.| — Le Takht-è-Bostan. 

Au gros bourg de Kengaver, commence la province 
de Kermanchah» à mi-route entre le chef-lieu et 
Hamadan (78 kilomètres). Un miUier de maisons 
s'étagent à la pointe des collines, dominées par plu- 
sieurs blocs fortifiés ; en bas, des ruines de tours et 
des fûts de colonnes brisés. 

Un vaUon étroit et rapide remonte vers la passe 
de Bidé-Sorkh (le sol rouge). Les lignes du paysage 
se sont accentuées ; les vallées se resserrent ; les 
montagnes, aux pentes herbeuses, se hérissent de 
rochers ; derrière nous, le massif allongé de TElvend, 
tout éblouissant de neige. Au sommet du col, apparaît 
un chaos de montagnes : des pics, des aiguilles, des 
croupes neigeuses qui se terminent au rocher de Bisou- 
toun. Là s'arrêtent les Iraniens, légèrement mélangés 



324 LA PERSE d'aujourd'hui 

de Turcs et de Loures ; plus loin, le pays est aux 
Kurdes ; Persans et Turcs n'y forment plus que l'ex- 
ception. Les femmes sont dévoilées ; les hommes 
portent les manches larges et le bonnet de feutre bas, 
entouré d'un mouchoir de couleur. 

Zagné est un grand village dans la vallée du Ga- 
masi-Ab ; les jardins fruitiers, ombragés de iloyers 
et de platanes, s'étendent au pied de la montagne. 
Des tiges de maïs desséchées persistent dans les 
champs, peuplés de corbeaux et de cigognes; les 
paysans travaillent aux semis d'opium ; l'herbe pousse 
— indice certain que nous sommes désormais sortis 
de la désolation du plateau d'Iran. La rivière, grossie 
de toutes les eaux de l'Elvend, coule abondante et 
rapide ; sur la rive gauche, se multiplient les petites 
agglomérations de maisons très basses ; point 
d'arbres ; quelques tentes noires de Loures nomades. 
Sur la droite, se dresse à pic la paroi de rochers jus- 
qu'au cap de Bisoutoun. La grande falaise grise de 
Bisoutoun est un endroit illustre : des tombeaux, des 
ruines Sassanides ; une source forme un large bassin, 
avant de se répandre au travers des cultures. Au delà, 
un petit village de 60 maisons, dont les terrasses 
jointes forment une surface unie, recouverte d'herbes ; 
puis l'enceinte fortifiée d'un caravansérail datant 
de Schah Soléiman. La fondation pieuse a été cons- 
tituée au profit de la famille de Cheikh «Ali Khan; les 
villages voisins appartiennent encore à l'un de 
ses descendants, résidant à Kermanchah, «AU Mou- 
rad Khan Zengùéné, Zahir-ol-Molk. 

Avec sa muraille plane, sur l'une des principales 
routes de l'Orient, le rocher de Bisoutoun s'offrait 
à l'orgueil des conquérants, désireux d'immortaliser 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 325 

dans la pierre le souvenir de leur passage et le récit 
de leurs exploits. Au-dessus des éboulements, garnis 
de plantes épineuses à fleurettes rouges, se trouve 
remplacement de deux stèles ; l'une a été simple- 
ment polie, sans recevoir d'inscription; sur l'autre, 
où subsistent quelques caractères grecs. Cheikh «Âli 
Khan fit superposer une longue écriture persane, 
célébrant sa munificence, la fondation de ses caravan- 
sérails et la constitution de ses wâkfs. Beaucoup 
plus haut, se détache de la paroi inaccessible un ali- 
gnement de personnages en relief ; c'est la célèbre 
stèle de Darius, dont l'inscription trilingue a permis 
le déchiffrement des caractères cunéiformes. 

La masse grise du Koh-è-Parro se prolonge jus- 
qu'à la plaine de Kermanchah. Un seuil très bas 
sépare la vallée du Gamasi-ab de celle du Karasou, 
dont la réunion forme la Kerkha. Le kavehkhaneh de 
Hadjiabad garnit la crête : une grande maison à étage, 
isolée dans la campagne, auprès d'une saulaie. Cons- 
truite par Zahir-ol-Molk, elle lui vaut un loyer annuel 
de âOO tomans ; les fréquents passages des pèlerinages 
et des caravanes assurent le bénéfice du tenancier. 

Nous trouvons, rassemblé devant l'hôtellerie, 
le plus magnifique équipage, car la révolution 
vient de chasser de sa ville le gouverneur de 
Kermanchah. 

Un seigneur de Hamadan, 'Hisam-ol-Molk, Emir-é- 
Afkham, — le chef le plus glorieux, — était en place 
depuis un an, exploitant en paix sa province, avec 
l'appui des chefs de tribus kurdes. Cette aristocra- 
tie montagnarde envisageait sans plaisir le mouve- 
ment libéral et se refusait à favoriser l'envoi des 
députés au Conseil national de Téhéran. L'ôpposi- 



326 LÀ PERSE d'aujourd'hui 

tion, couvant parmi les mollahs et les marchands, 
n'attendait qu'une occasion de se manifester... 

La partialité marquée par le gouverneur dans une 
contestation survenue entre deux seyyeds négociants 
et quelqu'un d'une famille de chefs kurdes fit brus- 
quement* éclater la crise. Les bazars se fermèrent d'un 
commun accord, et l'on réclama dans la province la 
mise en vigueur de la Constitution. Comme les ehefs 
kurdes disposaient de forces propres, plusieurs chocs 
se produisirent en ville, des coups de fusil furent tirés; 
il y eut quelques morts. Au bout de huit jours, le 
Schah consentait à la révocation du gouverneur ré- 
calcitrant, un ond/oumon se constituait à Kermanchah, 
et le peuple pouvait librement procéder à l'élection 
de ses mandataires. 

C'est un vieil usage persan, qu'aussitôt avisé de 
sa disgrâce, un gouverneur quitte la ville durant la 
nuit. Naguère, les administrés tenaient à reconduire 
vigoureusement, dans sa chute, le personnage qui 
avait abusé de sa faveur pour les accabler d'exac- 
tions. Afin d'éviter la bagarre, l'homme partait nui- 
tamment, avec son personnel gorgé et haï. Les mœurs 
sont devenues plus douces : les petits, mieux habitués 
aux pillages des grands, leur marquent une moindre 
rancune. Toutefois, la coutume d'un départ nocturne, 
ou, du moins, très matinal, s'est maintenue. En pré- 
vision des événements, la maison se tient prête au 
voyage. Sur un plateau, ont été placés un miroir, 
un vase rempli d'eau, un morceau de sucre candi et 
un Coran. Pour obtenir la protection divine contre les 
accidents de la route, cdiïi qui va partir seregarde dans 
l'eau, puis dans le miroir; trois fois, il repasse sous 
le plateau, tenu en travers de la porte ; puis il baise 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 327 

le Coran, met le morceau de sucre dans sa poche ; 
l'eau est répandue sous ses pas ; le voilà garanti pour 
le voyage. 

Emir-è-Afkham est parti de très bonne heure et va 
déjeuner dans un village voisin. Le ministre de la 
ville, Mo«tazed-è-Defter (l'appui de la comptabilité) 
l'y rejoint, avec ses cavaliers, afin d'apurer les derniers 
comptes. Les gens de la suite se succèdent sur le 
chemin,Jvers le Kauehkhaneh d'Hadjiabad : un inter- 
minable défilé de parasites attachés à la fortune du 
seigneur jadis puissant. Les chambellans, les fer- 
rachst les gholams, les cavaliers, porteurs de fusil, 
voyagent à cheval ; le poète est à âne ; seyyeds et 
mollahs sont à mule. Suivent les mafrechs, conte- 
nant les objets du campement et le saîskhaneh, pour 
le service des écuries. 

Le gouverneur de Kermanchah a cette obUgation 
particulière de lever un régiment, représentant la 
force persane au milieu des contingents kurdes de 
la province. Le régiment d'Emir-é-Afkham s'en re- 
tourne avec son propriétaire. Vieux ou jeunes, les 
soldats cheminent par petits groupes, leurs effets 
fixés au bout d'un bâton qu'ils portent sur l'épaule ; 
la plupart vont pieds nus, leur pantalon rouge à 
bande noire retroussé, la tunique bleue à pattes 
rouges ouverte, le shako sans visière, avec les armes 
de l'Iran en métal doré, mis de travers. Les officiers 
sont seuls montés. Plusieurs s'arrêtent à Hadjiabad, 
le temps d'y fumer une pipe d'opium. 

Devant le café, Vabdari attend l'arrivée du maître, 
dont il ne doit point s'écarter en cours de route ; ce 
sont les divers ustensiles, considérés comme d'usage 
indispensable et répartis sur deux mules. Le dômes- 



328 LA PERSE d'aujourd'hui 

tique spécial, préposé à Tabdari, est juché sur la 
première; les bissacs contiennent tout ce qui est 
nécessaire à la préparation du thé; derrière la selle 
s'enroule un tapis de feutre, pour être étendu pen- 
dant les haltes. La seconde mule possède un harna- 
chement spécial : des deux côtés, pendent à des chaî- 
nettes un réchaud allumé et un récipient de métal 
pour l'eau ; les sacs sont rempUs de charbon de bois ; 
en avant, des boîtes rondes et allongées renferment 
le kalyan, la cafetière et l'aiguière pour les ablu- 
tions. 

Le Koh-è-Parro s'écarte sur la droite ; le chemin 
descend en pente douce vers l'immense plaine de 
Kermanchah. Un pont traverse le Karasou ; de 
l'autre côté, à mi-hauteur, se trouve la ville. La révo- 
lution vient d'y mettre les autorités en désarroi : le 
directeur des télégraphes fait fonction de sous- 
gouverneur. Nous prenons gite chez le kargouzar, 
Chérif-ol-Molk (le noble du royaume). 

La terrasse du Kargouzariat offre une belle vue 
sur la viUe. Les maisons remontent les pentes, des 
deux côtés du torrent de r«Achoura, qui s'enfonce 
en un étroit vallon, rempU de verdure. La rive gauche, 
qui x^ommence au mamelon de Tchigan-Sorkh (la 
coUine rouge), est de beaucoup la plus étendue; à l'ex- 
trémité, se groupent les vastes constructions de l'Ark, 
le minaret carré de la grande mosquée et les voûtes 
du bazar. Plusieurs maisons à étage, avec des fenêtres 
et des galeries extérieures, surgissent de la masse 
urbaine. Les rues sont sales, la ville est mal tenue, 
sans présenter, cependant, l'aspect ruiné des autres 
dtés persanes. L'humidité a recouvert d'herbes les 
terrasses en terre battue et les fleurs y poussent 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 329 

au printemps. La plaine, immense et nue, entourée 
d'un cercle de collines s'étend en contrebas de la ville; 
quelques jardins sur les bords du Karasou« En face, 
la grande muraille rocheuse du Koh-è-Parro. 

Au pied même de cette montagne, les Sassanides 
avaient déjà fondé une ville, appelée Kermanchahan 
(la vigne des Rois), qui fut détruite par la conquête 
arabe. De l'autre côté de la rivière, se forma plus 
tard une agglomération du même nom, où, nous 
apprend Chardin, résidait, au xvn® siècle, le gou- 
verneur de la Chaldéé. Au xviii®. Nadir Schah la 
prit et l'entoura de murs; au xix®, quand Feth 
"Ali Schah répartit entre ses fils les divers gouver- 
nements de la Perse, l'aîné, Mohammed «Ali Mirza, 
Daulet Schah, reçut la province de Kermanchah, 
qui commandait, sur la route de Badgad, une ligne 
frontière, restée indécise avec la Turquie. Bien 
qu'avec moins d'éclat, ce prince y joua un rôle ana- 
logue à celui de son frère, Naïeb-os-Saltaneh dans 
l'Azerbaïdjan ; il organisa le pays et rebâtit la 
ville actuelle. Deux officiers français, MM. Court 
et Devaux, furent chargés de l'instruction des 
troupes. 

Le palais du gouvernement date de Daulet 
Schah. Sur la place des Canons, s'ouvre la cour des 
Casernes, dominée par un bâtiment à plusieurs étages 
qui servait de belvédère. Au delà des cours et des 
habitations intérieures, s'élève la grande mosquée, 
construite par «Emad-ed-Dowleh, fils de Daulet 
Schah, qui fut, à son tour, gouverneur de la province. 
Ferrier traversa Kermanchah, en avril 1845, lors de 
son voyage en Afghanistan ; la ville lui parut alors 
chétive et ruinée ; elle compte maintenant plus de 



330 LA PERSE D'AUJOURDHUI 

50.000 habitants — d'aucuns disent 80.000 — et 
prospère grâce au commerce avec Bagdad. 

Les portes du Zagros» d'accès facile, et d'altitude 
peu élevée, offrent un passage unique à travers la 
chaîne du Kurdistan; il n'existe aucune voie 
d'accès plus aisée vers le plateau d'Iran. Aussi, 
quand l'établissement des communications avec 
l'Europe eut développé le marché de Bagdad, celui-ci 
trouva-t-il un débouché naturel sur la place de 
Kermanchah. Non point que la sphère d'attraction 
en soit très grande : on a vu que tout le Nord-Ouest 
de la Perse relevait économiquement de la Russie ; 
le Centre et le Sud empruntent^ la voie du golfe 
Persique. Il ne reste à Kermanchah qu'un 
domaine assez restreint, composé de sa province, 
du Louristan, d'une partie de Hamadan et de 
Mélayir. 

Elle y distribue les cotonnades anglaises ou in- 
diennes, les sucres français^ les cigarettes de la régie 
turque et les bières danoises, importées par voie 
d'Angleterre. Au delà, Kermanchah ne fait plus, 
directement ou par l'intermédiaire de Hamadan, 
que des affaires très limitées. Elle exporte vers 
Bagdad l'opium <}e Hamadan, Néhavend et Bou- 
roudjird, les tapis et les gommes du Kurdistan, des 
laines et des noix de galle, les raisins secs et les 
amandes de Mélayir ; en cas de besoin, du blé et du 
riz. 

Joint au mouvement du pèlerinage, ce commerce 
entraîne un passage constant de caravanes. Certains 

1. Les sucres français introduits en Perse proviennent des raffi- 
neries de Saint-Louis, à Marseille ; les sucres belges de Tirlemont 
leur font une certaine concurrence. 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 331 

moments il y a jusqu'à 20.000 bêtes de charge tra- 
versant en un mois les quarante caravansérails de 
la* ville. En effet, Kermanchah se trouve à la jonction 
de toutes les routes terrestres, amenant vers les Lieux 
Saints les pèlerins de la Perse, du Caucase, de l'Af- 
ghanistan et de l'Asie centrale; seuls les gens du 
Sud passent par le golfe Persique. Dès le mois de 
juillet arrivent ceux des provinces caspiennes, qui, 
plus chaudes, ont plus tôt terminé les travaux agri- 
coles ; le grand passage d'aller s'effectue entre sep- 
tembre et novembre. Le retour commence en décem- 
bre ; janvier, février et même mars, le flot passe 
ininterrompu ; il cesse en avril, mais un léger 
courant se maintient durant toute l'année. On 
calcule que le pèlerinage annuel entraîne un dé- 
placement moyen de 60.000 individus, passant 
par Kermanchah. Le plus grand nombre vient du 
Caucase (15.000) et de l'Azerbaïdjan. La dévotion 
est également ardente dans le Guilan et le Mazan- 
déran ; les autres régions du chiisme seraient plus 
tièdes. 

Un consulat général de Turquie a été créé à Ker- 
manchah pour surveiller le passage de la frontière 
et délivrer des passeports aux pèlerins. Piétons, 
femmes et enfants sont exemptés de cette formaUté ; 
or, le nombre des passeports n'est jamais tombé au- 
dessous de 15.000, et quelquefois même ce chiffre 
a été doublé. Le médecin du consulat turc, délégué 
par le Conseil sanitaire de Constantinople, procède à 
l'examen des cadavres, dont les dispositions testa- 
mentaires ont réclamé la sépulture aux Lieux Saints. 
Le permis de transit ne peut être accordé que trois 
ans après le décès et sur constatation du dessèchement 



332 LA PERSE d'aujourd'hui 

complet du corps*. Il n'est pas rare de rencontrer 
par les routes un muletier juché sur quatre cercueils, 
où les cadavres voyagent simplement enveloppés 
dans des tapis de feutre. ^ 

Naguère, une taxe de 3 krans était perçue à la 
sortie de chaque cadavre, et le gouverneur de Ker- 
manchah s'en appropriait le produit. Il y a deux 
ans, la taxe, portée à 5 krans, fut affectée à un hôpi- 
tal de 15 lits pour les pèlerins malades. Le local est 
propre et bien tenu ; il contient une pharmacie, un 
dispensaire, une chambre d'opérations; la plupart 
des instruments et médicaments sont venus de Paris ; 
le médecin, docteur Âbdoullah, est unTéhérani, qui 
doit sa science médicale à l'enseignement paternel. 

Sauf le district de Kengaver, qui est aux Persans 
et aux Loures, et celui d'«Âsadabad, aux Turcs 
Ai chars, toute la province de Kermanchah appartient 
aux Kurdes. Il n'y a point là de grandes tribus auto- 
nomes, comme dans le Nord du Kurdistan : les tribus 
de Kermanchah sont chétives et peu nombreuses : la 
famille dirigeante, propriétaire des villages, tient en 
mains l'ensemble des contribules et l'autorité persane 
la tient elle-même par ses divisions internes. Beau- 
coup sont nomades et vont, l'hiver, faire paître leurs 
troupeaux dans le plat pays turc. Ils payent réguliè- 
rement l'impôt : les quatre tribus les plus importantes 
fournissent chacune un régiment, commandé par 

1. Les certificats, délivrés par le médecûi du Consulat de Ker- 
manchah, sont présentés à Tofflce de Tadmhiistration sanitaire à 
Hannéguin et, après un nouvel examen deis < reviseurs des cadavres > 
remplacés par un récépissé de la taxe d'importation, qui s*éléve 
à une demi-livre turque. Ce récépissé doit accompagner le corps 
jusqu'à destination. Les pèlerins subissent également à la frontière 
une visite médiane et payent un droit d'entrée de 10 piastres ; les 
indigents en sont exemptés. 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 333 

leurs propres chefs, avec le grade d'Emir Tournant. 

Dans la vallée du Karasou, les Zenguénès occupent 
le Nord, les Ahmedavends le Midi ; leurs territoires 
sont parsemés de groupes lekhs, transplantés du Fars 
par Agha Mohammed Schah. Les Kérendis sont à 
cheval sur la route de Bagdad ; au Nord, les Gourans, 
au Sud, les Calhors ; les Sendjabis gardent la frontière; 
des juifs vivent dispersés dans toutes les tribus. Celle 
des Calhors étant la plus puissante, son chef est con- 
sidéré comme Vllkhani général des tribus de la pro- 
vince. 

A la différence de leurs congénères septentrionaux, 
les Kurdes de Kermanchah ne sont sunnites que par 
exception ; ils recourent aux mollahs chiites pour 
leurs affaires religieuses et ne relèvent, en fait, que 
de leurs mourchidSy étant presque tous ^AlUAllahis, 
En Perse, cette secte est généralement envisagée 
comme une des formes du soufisme. Chez certains, 
l'enthousiasme démesuré pour les Alides aboutit 
à la conclusion qu'«Ali était assez près de la 
divinité pour se confondre avec Dieu lui-même. D'où 
la formule : « Je ne dis pas qu'«AU soit Dieu, mais 
j'afiirme qu'il n'est pas loin de Dieu. » Ou bien encore : 
« Nous admettons qu'il existe un Dieu, mais nous 
prétendons qu'*Ali est la main, la bouche, l'oreille, le 
cœur de Dieu, et, par conséquent, Dieu lui-même. » 
Cette idée trouva un terrain tout préparé dans le bas 
peuple de l'Iran chiite ; la simplicité populaire préféra 
diviniser «Ali que de lui forger une situation compli- 
quée entre Dieu et l'homme. Les Persans virent dans 
cette déformation religieuse un simple excès de foi ; 

1. Les quatre régiments de Kermanchah sont fournis par les 
Zenguénès, les Kérendis, les Gourans et les Calhors. 



334 LA PERSE d'aujourd'hui 

au moyen âge, quand prirent forme les confréries 
religieuses de l'Islam moderne, la doctrine ali- 
allahie fut adoptée par les Loures et par les Kurdes 
de Kermanchah. De ce centre qu'elle a conservé, 
elle rayonna sur tout l'Iran, favorisée, comme les 
autres sectes, par l'avènement des Séfévis ; on la 
retrouve encore en Mésopotamie, et dans le Nord de 
la Syrie. 

Mirza Saleh est le principal mourchid «ali-allahi de 
Kermanchah. Petit, mince et distingué, le nez accen- 
tué, les sourcils épais, la barbe, courte et fournie, 
déjà blanchissante, la tête couverte d'un bonnet blanc 
qu'entoure le turban tordu des derviches, il porte un 
gros bâton et, au petit doigt de la main droite, une 
bague avec une turquoise. L'homme est des Arabes 
Béni-As«ad, de l'Arabistan. Nu-pieds, tête nue, 
Mirza Saleh voyagea depuis sa plus tendre jeunesse, 
se préparant à l'état de derviche ; il suivit la voie 
de Seyyed Mirza, un célèbre mourchid •'ali-allahi du 
Louristan; il resta trois mois auprès de son maître, 
recueillit ses enseignements et en reçut l'ordre de 
partir à travers le monde. Après un séjour de cinq 
années à Néhavend et à Tussurcane, il vint fixer à 
Kermanchah son établissement définitif. 

Mirza Saleh me conta une jolie légende sur l'origine 
de sa secte. Un jour que le prince des croyants rassem- 
blait son monde pourpartiren expédition, il vit pleurer 
une vieille femme, dont le fils unique, Mohammed 
ibn Noséir, était désigné pour l'accompagner. Il la 
rassura de son mieux et lui promit de ramener le 
jeune homme sain et sauf. Une nuit, en cours de route, 
la troupe d'«AU perdit son chemin; celui-ci ordonna 
à Noséir d'aller jusqu'au bord de la rivière voisine 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 335 

et d'y demander la direction à un poisson du nom 
de Grarghar. A l'appel de Noséir, de gros poissons 
sautèrent de l'eau et répondirent en chœur : « Nous 
sommes tous Garghars. » Noséir revint auprès d'*Ali 
lui faire part de son embarras et reçut l'ordre de 
retourner pour appeler Garghar fils de Garghar. Les 
mêmes poisson qu'auparavant répondirent au nouvel 
appel, et l'un d'eux, goguenard, dit à l'Arabe stu- 
péfait : « Vous n'êtes qu'un naïf ; l'homme qui con- 
naît la fiUation d'un poisson ne peut ignorer la bonne 
route. » Illuminé par une révélation aussi inattendue, 
Noséir revint auprès du maître en s'écriant : « Vous 
êtes un dieu! » Le pieux «AU prit fort mal la chose; 
indigné d'un tel sacrilège, il tira son sabre et tran- 
cha la tête au coupable. Mais, se rappelant à temps 
la promesse faite à la mère, il s'empressa de le ressus- 
citer séance tenante. A peine revenu à la vie, Noséir, 
qui tenait à son idée, se remit à proclamer la divi- 
nité d'^AU : « Quand je n'étais pas mort, je disais 
déjà que vous étiez Dieu ; m'en voici maintenant 
tout à fait sûr. » 

Pour Mirza Saleh, homme instruit et cultivé, les 
«Ali-Allahis ou Noséiris, sont une secte semblable aux 
autres, dont la chaîne mystique remonte à Noséir 
Il n'y voit qu'une forme de la philosophie soufie ; par 
malheur, elle a trouvé une énorme expansion dans le 
peuple iranien et s'est aviUe au contact de la supersti- 
tion populaire. Mirza Saleh estime que le tiers de la 
Perse appartient aux ''AU-AUahis. Du reste, la vul- 
gaire dévotion de la foule se préoccupe peu des spé- 
culations des sages : sa religion se borne à l'adoration 
d'Ali et ses exercices à des jeûnes, des vœux, des sacri- 
fices, enfin à un ztkr violent, dont l'extase les amène 



336 lâ perse d'aujourd'hui 

à traverser sans péril des feux allumés, où ils croient 
voir resplendir l'image de leur dieu. Si le caractère 
divin attribué à *Ali développe aux yeux des «Ali- 
AUahis le prestige des seyyeds vivants, il n'assure 
pas toujours celui des morts ; il y a peu d*imamzadés 
dans la province de Kermanchah ; les pèlerinages 
vont à un prétendu tombeau du prophète Khezr, 
sis à Khezr-è-Zendé, et à un bas-relief sassanide, où 
l'on veut voir limage d'un fameux derviche arabe 
qui fut un des fldèles d'«Âli. 

- Bien que la province soit nettement kurde et que 
les tribus parlent leur dialecte propre, l'influence 
iranienne n'en est pas moins fort grande ; la langue 
et les coutumes persanes y sont beaucoup plus répan- 
dues que chez les Kurdes du Nord. Quant au chef- 
lieu, il est à peu près persiflé ; le persan domine, mêlé 
d'expressions kurdes ; dans les rues, les femmes sont 
voilées et enveloppées du châlë noir. Le Kermanchahi 
est né de la fusion des races établies dans sa ville : 
les Kurdes plus nombreux ; puis les Loures, les 
Turcs azéris, les Persans du gouvernement, les négo- 
ciants du bazar, venus d'Ispahan, Chiraz et Tauris ; 
trois cents familles juives adonnées aux petits métiers 
ou au colportage des campagnes et parlant un jargon 
syriaque, comme tout le judaïsme du Kurdistan. Le 
commerce avec Bagdad a récemment introduit un 
groupe de Bagdadis : quelques Arabes, une dizaine 
de familles juives, autant de Chaldéennes. Khadjé 
Toumas Rassam est arrivé le premier, il y a vingt- 
trois ans. J'ai rencontré chez lui l'abbé Macdo, 
vicaire général du diocèse chaldéen de SennehS qui 

1. L*év6ché de Senneh est le plus méridional des trois diocèses 
chaldèens du Kurdistan persan. Les Chaldéens de TArdélan (150 



LA PROVINCE DE KERMANCHAH 337 

venait célébrer la Pâque, étudier la fondation d'une 
église et d'une école dans la communauté naissante. 
C'est un jeune prêtre, fort intelligent, né à Constan- 
tinople, qui a passé trois années à Paris, au sémi- 
naire dé Saint-Sulpice. 

Le trop grand nombre des «Âli-ÂIIahis n'a pas per- 
mis au clergé chiite de Kermanchah de prendre l'au- 
torité coutumière ; les mollahs sont divisés et peu 
influents. Les sunnites forment un groupe restreint, qui 
ne possède point de Kazt Les Khans, issus des tribus 
kurdes, représentent l'aristocratie de la ville ; Zahir- 
oI-MoIk, chef des Zenguénés de la plaine, est le 
plus grand seigneur du pays ; il descend de Cheikh 
'Ali Khan, le grand-vizir de SchahSoléiman; son 
père fut gouverneur de la province. «Ali Mourad 
Khan Kérendi, Ehtecham-ol-Memalek, habite égale- 
ment la ville; de même, deux anciens ilkhanis des 
Calhors, aujourd'hui destitués, Mohammed «Âli Khan 
et Ferroukh Khan, s'y sont étabUs avec leur frac- 
tion propre. Les autres chefs de tribus vivent sur 
leurs domaines respectifs et ne viennent au chef -lieu 
que par occasion. Aux seigneurs kurdes de Ker- 
manchah, le passage de Nadir a joint quelques- 
uns de sa descendance et celui de Daulet Schah 
un bon lot de Kadjars. 

J'ai passé la soirée chez un Schahzadé de la ville, 
avec plusieurs de ses cousins, issus d''Emad-ed 
Dowleh. Ces jeunes gens appartenaient à la poste et 
au télégraphe, dont les administrations sont une pépi- 

famlUM) babHent tout le chef-lieu eC t'emidiisfeaf dans le com- 
merce. Le P^e Macdo a fondé à Senneli une école française, avec 
140 élèyes ; elle est fréquentée par les fils des agiias kurdes de la 
province. Le diocèse comprend également deux villages de ra^'yal 
cbtldéiDS en lerritoire ottoman. 

AUBIN. —• La PêTie, 22 



338 LA PÊR^B t^ aujourd'hui 

nière de princes persans. La plupart savaient le fran- 
çais, l'ayant appris de Cheikh Mohammed Sa«id, un 
juif de Bagdad, converti à l'islamisme, qui vient 
de fermer son école de Kermanchahpom* s'établir à 
Hamadan. 

Le dîner fut excellent : on le servit sur une nappe, 
qu'une simple toile drée séparait du plancher. On y 
but du vin de Hamadan, blanc et rouge, apporté en 
de minces flacons de verre bleu ; dans la chambre 
voisine, des chanteurs s'accompagnaient sur la guitare 
et le kémantchi. Le riz préparé en pilau et en tchilau, 
fait le fond de la cuisine persane ; le tdiilau est du 
riz bouilli, le pilau du riz mélangé de viande ou de 
légumes^ Dans tout repas persan, les deux inévi- 
tables plats de riz occupent le centre 'delà nappe; 
autour, sont groupés les potages, achs, les koukous, 
omelettes épaissies par un peu de farine de blé ou de 
riz, les hachis de légumes au beurre, recouverts de 
lait caillé et les ragoûts destinés à relever le tchilau. 
De multiples soucoupes contiennent des concombres, 

1. Chez le» Persans, la préparation du Tiz est forf minutieuse. 
n est d'abord lavé, puis boulÛl dans reau salée, pendant trois ou 
quatre heures, jusqu'à ce que le grain en deyienne tout à fait mou, 
on le dessale en le passant à reau pure, puis on le place dans une 
marmite avec un peu de beurre fondu ; des morceaux de braise sont 
disposés sur le couvercle. Au bout d'une heure de cuisson, le tchillau 
est prêt ; certaines parties du rlis ont gratiné sur les parois de la 
marmite ; on les détache ef les sert à part Le tchilau est fade et 
veut être mangé avec des ragoûts : gheimé, viande hachée menue avec 
des pois; ghormé-sdnU morceaux de viande avec des légumes; 
fesendian, viande avec une sauce de noix pilées, noircies au jus de 
grenade. D'autres ragoûts sont préparés avec des artichauts ou des 
prunes cuites. 

Le pilau ne diffère du tchilau que sur la (fin de sa préparatioiL 
Dans la marmite, on rassaisonne de poivre, de safran et de car- 
damome ; on le mélange de légumes hachés, sdnt-pUan, de mwceanx 
de poulet ou de viande de mouton, de dattes, de cerises aigres ou de 
baies d'épine-vinette. 



LA PROVINCE DE KÈRMANCHAH 339 

des aubergines, des tomates, de l'origan, macérés 
dans du vinaigre, du fromage de chèvre découpé 
sur des feuilles d*oignon ; des amandes, des pois secs, 
des pépins de courges. Pour boisson, des bols de sirop 
et de laitage. 

Au pied même du Koh-è-Parro, là où s'élevait 
naguère Kermanchahan, les Sassanides ont fait 
creuser le Takht-è-Bostan (le trône du verger). 
Après avoir traversé un petit palais d'«Emad-ed- 
Dowleh, collé à la paroi grise, une source abondante, 
jaillie du rocher, forme un vaste bassin, retenu par un 
barrage. Au delà, trois figures sont sculptées dans le 
roc : Ardéchir Babegan et son fils Sapor P', debout 
sur le corps d'Artaban, l'Arsacide ; à côté, Ormuzd, 
dans une auréole de rayons. Puis s'ouvrent deux 
voûtes, creusées dans le rocher : la première, très 
simple et très basse, contient deux figures, flanquées 
d'inscriptions pehlevies, Sapor II et son fils Sapor III; 
la seconde, plus haute, surmontée de créneaux, orne- 
mentée de feuillages et de victoires. La paroi du fond 
se divise en deux : en haut, alignés, Chosroès II, sa 
favorite Chirine et Maurice, empereur d'Orient ; en 
bas, un cavalier, portant le boucher et la lance ; sur 
les côtés, une chasse de Behram Gour au sangUer, 
une autre de Chosroès Parviz à la gazelle. 

Ainsi voulurent perpétuer leur mémoire et celle 
de leurs ancêtres Behram Gour, fondateur de Ker- 
manchahan, à la fin du iv® siècle de notre ère, Chos- 
roès Nouchirvan et Chosroès Parviz, qui en firent 
leur résidence au vi® et au vu®. Les Kadjars y ont 
également marqué la trace de leur passage. Sur le 
rocher, à l'entrée de la seconde voûte, «Emad-ed- 
Dowleh fit graver une inscription. Sous la voûte 



340 LA PERSE d'aujourd'hui 

même, au-dessus d'une des chasses, un relief en cou- 
leur présente Fimage de Feth«Âli Schah ayant à 
ses côtés son fils, Daulet Schah, et son petit-fils 
enfant, «Emad-ed-Dowleh ; dans un coin, le grand 
eunuque. Des vers persans encerclent la sculpture ; 
en haut, une inscription répartie sur quatre car- 
touches : 

Ceci ressemble à la montagne de Tor (Sinaï) où 
Kalimoullah — celui qui a parlé avec Dieu — Moïse, 
s'est rencontré avec Dieu. C'est le lieu favori de 
Daulet Schah. Le Prince Mohammed «"Ali, fils du 
Roi, reste debout, comme un portier, au-devant 
de son père. 



XV 
LES PORTES DU ZAGROS 



Départ de Kermanchah. — Mendicité. — La plaine de Mahi- 
decht. — Calhors et Kérendis. — Derviche Darab, dit 
« Papillon 9, et le c Sabre des Seyyeds >. — Journées 
de pluie. — Serpol : Né*metoullah Khan — Le campement 
des Souzmanis ; les Tsiganes en Perse. — Kasr-i-Chirin. — 
La tribu des Sendjabis. — A l'extrême frontière; Kal**é- 
Sebzi. — L'«Irak-*Adjemi et V'Irak «Arabi. — De la nion- 
tagneau Diala. — Hannégnin. — Les difficultés du voyage 
en temps d'inondation. — Bakouba. — Arrêtés par la crue 
du Dlala. -— Le retard des pèlerins. — Le passage de la 
rivière. — Arrivée à Bagdad en kouffah. 

Les muletiers que nous prenons à Kermanchah 
sont des Arabes retournant à Bagdad ; leur chef, un 
chiite» Hadji Ghéidan Djebbouri, laisse sa famille 
à Kazeméin, sous la protection de Timam Mousa, 
tandis, qu'avec ses huit mules, il parcourt les chemins 
de rOrient Moyen, de la Syrie aux extrémités de 
l'Iran. 

Nous eûmes une glorieuse sortie de la ville : bêtes 
de charge, cavaliers et chevaux d'honneur dévalaient, 
au devant de nous, dans les bazars ; autour de mon 
cheval, s'empressait un nombreux cortège de men- 
diants. Par un effet naturel, la mendicité apparaît, 
sur les chemins du pèlerinage, particulièrement 
importune au delà de Kermanchah. Les pèlerins 



342 LA PERSE d'aujourd'hui 

besogneux crient sur votre passage: « Que Dieu vous 
garde et vous fasse terminer votre voyage sans acci- 
dent ! » La formule « Puisse le Prince d^ Croyants 
vous enrichir ! » sert à remercier d'une aumône. 

Les derviches professionnels agissent avec une 
religieuse brusquerie. Un homme hirsute s'avance 
vers vous, menaçant, avec un « Hou ! » por- 
longé, qu'il achève par « ^Ali Madad I » ce qui 
veut dire « Lui — (Dieu) et Ali (vous donnent) 
la force ! » Ceux qui reviennent de Kerbéla tirent de 
leur poitrine, pour la présenter aux passants, la 
patente de mendiants, à eux déUvrée par les moudj- 
teheds des [Lieux Saints. Les seyyeds cherchent à 
inspirer la compassion en hurlant les louanges d' «Ali. 
Je cite pour mémoire les loutis^ montreurs d'ours 
et autres saltimbanques, qu'attire le passage des cara- 
vanes. 

Une chaîne de collines sépare la plaine de Ker- 
manchah de celle de Mahidecht, qui lui est parallèle ; 
les eaux troubles et rapides de l'Ab-è-Merrekh y 
coulent entre deux berges profondes, avant de se 
leter dans le Karasou. Placé à la jonction de trois 
tribus, les Zenguénés, les Gourâns et les Calhors, 
parsemé de villages à population mixte, fréquenté 
Tété par les nomades de la plaine de FHolouan, le 
pays n'appartient en propre à personne et forme un 
simple district de la province. 
1: Au miUeu de la plaine, Mahidecht, le chef-lieu 
du district, est une petite agglomération, sur la rive 
droite de l'Ab-è-Merrekh; la première des étapes 
assez espacées qui se succèdent entre Kermanchah 
et Bagdad. Les besoins du transit ont créé ces vil- 
lages en territoire de nomades : boutiques de bakkals. 



LES PORTES DU ZAOROS 343 

enclos pour les animaux et logis pour les passants. 
L.es habitants, qui ne vivent que des pèlerins et des 
caravanes, se précipitent au-devant des voyageurs 
et reçoivent quelques krans pour le gîte de la nuit. 
L.a masse, plus ou moins ruinée, d'un caravansérail 
domine les modestes maisons de terre ; tous fuient 
fondés, sous Suleimsfn-Schah, par Cheikh «Ali Khan, 
et réparés Ipar Nasr-ed-Din Schah lors de son 
pèlerinage à Kerbéla. 

Un vallon, où les eaux ruissellent, monte au 
village et à la passe de Tcharzévar. Grand mouve- 
ment tout le long de la route: des caravanes de 
charges, des mendiants, des pèlerins du Khorassan 
et du Séistan, des fier ftnV, jaunes de peau, aux traits 
de Tartares, qui s'en retournent vers l'Afghanistan^ 
Escorté d'un gros de cavaliers, Zahir-ol-Molk, le 
Zenguéné, rentre à Kermanschahde sa pieuse visite 
aux Lieux saints : un groupe d'Arabes chiites, venu 
delà plaine du Tigre, serendau pèlerinage de Méchhed, 
les ânes chargés du petit bagage, les femmes tatouées 
au visage, des anneaux dans le nez et enveloppées 
de cotonnades bleues. 

|f Nous pénétrons sur le territoire de la grande tribu 
des Calhors. Bien qu'elle ait conservé ses fractions 
primitives, elle en a perdu les chefs héréditaires, 
que remplace un ketkhoda, désigné par VilkhanL 
L'Ilkhani actuel, Daoud Khan Calhor, Saham-ol- 
Molk, était un simple ketkhoda ; il réussit à évincer 
son chef, qui s'en alla vivre à Kermanchah, suivi de 
sa fraction familiale. Daoud Khan passe l'hiver à 

1. Les Persans appeUenf BerbrU, des Hézarehs chiites de 
r Afghanistan» que les persécutions sunnites ont poussés à s'établir 
de rautre côté de Ul frontière. 



344 LA PEBSB D'AUJOURD'SUI 

Guilan,dans la haute valléed'unaffluentderHolouan; 
Tété, il vient dresser ses tentes près du village de 
Harounabad, dans la campagne déserte, auprès d'une 
rivière coulant vers la Kerkha. Harounabad a cent 
cinquante maisons : parmi les tombes du cimetière, 
campe uu nombreux pèlerinage de gens de Yezd; 
les cacolets forment cercle, servant d'abris aux voya- 
geurs; les chameaux s'accroupissent au milieu; sur 
trois piques, fichées en terre, flottent les drapeaux des 
conducteurs. 

La vallée de l'Ab-è-Kérendse resserre et se vallonné, 
pour s'élargir de nouveau, au delà de Khosrovabad, 
sur les terres des Kérendis. Kérend est à 95 kilo- 
mètres de Kermanchah. Vers la droite, le bourg 
s'allonge à mi-hauteur, au pied d'une falaise rocheuse, 
jusqu'au fond d'une gorge étroite, coupant en deux 
la montagne. Au-dessous, descendent les jardins 
fruitiers, les vignobles et les cultures d'opium. Tout 
en bas, un quartier spécial a dû être créé pour les 
nécessités du passage. 

Le chef des Kérendis résidant à Kermanchah, 
deux de ses fils, Isma<il Khan, Saham-os-Soltan, et 
Daoud Khan, Sertip (ce jeune seigneur n'a que 
quinze ans et trouve déjà moyen d'être général), 
administrent la tribu pour le compte paternel. Tous 
deux viennent au-devant de nous dans la plaine 
pierreuse; sous la capote militaire, ils portent tuniques 
de soie verte et ceintures blanches, le bonnet de feutre, 
entouré d'un foulard aux couleurs voyantes, où 
s'entre-croise une bande noire. Leurs cavaliers exé- 
cutent mollement des voltes incertaines, s'élancent 
en une fantasia sans vigueur et me tirent aux oreilles 
d'inutiles coups de fusil. 



LSS PORTES DU ZAOROS 345 

Les Kérendis comptent 2.000 maisons : depuis 
sept générations, l'autorité revient à la famille d'«Âli 
Mourad Khan, à qui le temps a permis d'absorber 
toute la substance de la tribu. La division par frac- 
tions a disparu; «Ali Mourad et les siens sont proprié- 
taires de presque tout le territoire. Nomades pour la 
plupart, les contribules passent l'hiver dans la plaine 
turque. Ces Kurdes du Zagros ont piteuse apparence : 
émiettés par la multiplicité des tribus, pénétrés 
par le mouvement ininterrompu des pèlerinages et 
des caravanes, de plus en plus arabisés à mesure que 
Ton s'approche de la frontière, ils ont perdu la fière 
allure de leur race, dont ils gardent vaguement la 
langue, le visage et le costume. 

Kérend est un gros bourg de 600 maisons kérendies, 
avec une vingtaine de maisons juives. Deux tombes 
pointent entre les cyprès du cimetière : l'une attribuée 
par la crédulité publique à Salman-è-Farsi, le Bab, 
le précurseur de Mahomet et d'^Âli, le propagateur 
de leur doctrine, la troisième personne divine de 
la trinité-ali^allahie ; l'autre, recouvrant un Seyyed 
Réza. Cette terre est consacrée par la mémoire d'^Ali, 
qui, selon la tradition locale, vint en personne dé- 
truire un village de Guèbres. Derviche Darab, dit 
Parvané (le papillon), s'est constitué gardien de ces 
pieux souvenirs. Il habite une galerie donnant vue 
sur la chute des toits et des jardins et offre l'hospi- 
talité à ses confrères voyageurs. La dévotion des 
Kérendis lui vaut un réel bien-être; sa cellule de 
derviche est garnie de feutres, de tapis et de coussins ; 
les instruments de sa profession pendent au mur; 
dans une niche, une sorte d'autel où rayonne l'image 
d'-Ali. 



346 LA PERSE d'aujourd'hui ^ 

Sans exception, tous les Kérendis sont «Ali-allahis ; 
ils n*ont ni culte ni mosquée. Un Mousavi de Mossoul, 
Seyyed Réza, celui du cimetière, s'installa parmi eux 
au xviii® siècle ; ses descendants continuent à diriger 
la conscience des Kérendis et de leurs voisins, les 
Gourans. Seyyed Réza-Beg, Séif-os-Sadat (le sabre 
des Seyyeds), représente, à Kérend, l'autorité 
familiale^ Il ne saurait être le prêtre d'une religion 
dénuée de rites; mais son origine chérifienne fait 
désirer son officieuse intervention dans toutes les 
circonstances de la vie de ses ouailles. Celles-d le 
vénèrent comme le vicaire d'*Ali, le représentant 
de Dieu lui-même, et s'en remettent aveuglément à 
ses conseils ; il se charge d'agir au ciel pour y faire 
agréer leurs vœux et de ré^er leurs contestations en 
ce bas monde. Séif-os-Sadat rend donc la justice 
concurremment avec le chef de la tribu. S'agit-il 
de contrats et d'écritures, lors des mariages ou des 
décès, les Kérendis recourent à Mollah Faradj, un 
simple taléh du pays, qui fut envoyé, pour ses études, 
chez rimam-djoumé de Kermanchah. 

La nuit que nous dormîmes à Kérend, une pluie 
commença, qui devait durer plusieurs jours. Les toits 
persans ne résistent pas aux grandes averses ; sur 
des poutres transversales, des nattes sont étendues, 
recouvertes d'une couche assez mince de terre battue. 
L'eau pénétra très vite à travers ce léger obstacle, et 
nos chambres devinrent inhabitables. Toute la maison 
étant de terre, toits, murs, escaliers fondaient en 
boue ; la campagne s'était transformée en un immense 
marécage. 

15 kilomètres plus loin, la vallée de TAb-é-Kérend, 
qui, par une progression insensible, s'est élevée à 



LES PORTES DU ZAGROS 347 

1.895 mètres (Kermanchah^ est à 1.470), s'arrête 
brusquement. Une nouvelle vallée se creuse, les 
montagnes se rapprochent ; les pentes, rocheuses et 
gazonnées, où végètent de maigres pousses d'arbres, 
— chênes et hêtres, — descendent jusqu'au torrent 
de Mar-Âb, dont les eaux rapides vont vers le Tigre, 
par les rivières Holouan et Diala. Ce sont les portes 
du Zagros. 

A Miantagh, un village minuscule, au milieu des 
champs et des vignobles, quelques tentes noires de 
nomades kérendis. Tout d'un coup, le torrent 
s'enfonce dans un trou de roches, et le chemin descend 
en lacets la paroi perpendiculaire ; à mi-côte, l'arc 
sassanide du Takht-è-Ghirra ; en contre-bas, le 
village de Païn-Tagh ; la vallée s'ouvre ; les montagnes 
se dégradent vers l'horizon. L'endroit est le seul 
accident de terrain sensible et, d'ailleurs, le seul point 
pittoresque sur la route de Kermanchah à Bagdad. 
De Païn-Tagh à la rivière Holouan, s'inclinent 
doucement les verdoyantes prairies de Béchiveh. 
Le district fut détaché, il y a quelques années, du 
territoire des Kérendis et engagé à un négociant de 
Kermanchah, jusqu'à l'extinction d'une dette con- 
tractée par le chef de la tribu. A la mort du créancier, 
le gouvernement persan s'empara du gage, pour le 
rattacher au domaine. Or, Choa'-os-Saltaneh, alors 
gouverneur du Fars, ayant été interrompu dans ses 
exactions par les gens de Chiraz, le Schah défunt voulut 
donner une compensation à son fils favori, en lui 
attribuant le lointain district du Kurdistan, qui 
attendait un maître. Aussitôt nanti, le prince s'em- 
pressa de louer sa terre au gouverneur le plus voisin. 
48 kilomètres de Kérend à Serpol (la tête du pont). 



348 LA PBRSB d'aujourd'hui 

670 mètres d'altituds. Retardés par le mauvais 
temps, nous y mettons deux jours, sous la pluie bat- 
tante. L'Holouan sort, gonflé, de la montagne, entre 
deux avancées de rocs ; dans la gorge même, se 
blottit le petit village de Miankal : au pied des 
berges, les eaux bourbeuses entraînent les saules, 
dont les bourgeons commencent à verdir. Serpol est à 
cheval sur la rivière que franchit un vieux pont de 
deux arches : des tentesmoires, des abris en claies de 
roseaux, un caravansérail détruit, quelques masures 
en terre, un jardin de cyprès, — en tout 40 mai- 
sons. 

Sur la rive gauche de THolouan, les terres des 
Calhors succèdent à celles des Kérendis ; la rive 
droite appartient aux Zohabs. Au miUeu des boule- 
versements de frontière, qui Tattribuèrent tantôt aux 
Turcs et tantôt aux Persans, la tribu, partagée entre 
les deux pays, se trouva déclassée ; son territoire en 
Perse devint un simple district, auquel fut imposé 
pour chef le gouverneur de Serpol. Comme les Kéren- 
dis fréquentent le marché du chef-Ueu pour y acheter 
le blé, le maïs et le riz du bas pays, le gouvernement 
persan a pris le parti d'attribuer l'autorité à l'un 
d'entre eux. 

Né«metoullah-Khan, Saharem-ol-Memalek, est un 
neveu du chef actuel des Kérendis ; il habite, au bout 
du village, une maison fortifiée, défendue par des 
tours et des pièces de canon ; une soldatesque dégue- 
nillée patauge dans la boue de la cour. Malgré la pau- 
vreté de sa demeure, il est assez féru des usages de la 
grandeur persane pour entretenir des ferrachs, 
porteurs de bâtons, et des coureurs en livrée rouge. Je 
l'ai trouvé malade et fatigué, inquiet du progrès des 



LES PORTES DU ZA6ROS 349 

idées en Perse et peu rassuré sur Tavenir. L'homme 
n'est guère intéressant et représente un temps qui 
doit finir. Moitié seigneurs, moitié bandits, voici des 
années que le père, puis le fils ont tenu le passage 
de l'Holouan, avec une bande de chenapans, recrutés 
parmi les tribus du voisinage. Né«metoullah Khan 
rançonne les caravanes, pille les colporteurs juifs de 
sa locaUté et exploite impitoyablement une tribu 
sans défense. 

Il n*est pas jusqu'à la débauche de la route, qu'il 
n'ait organisée à sa porte, pour son plusgrand bénéfice. 
Les Souzmanis viennent dresser leurs tentes au 
bord de la rivière, près du village de Miankal. Leurs 
femmes chantent et dansent devant les muletiers et 
les pèlerins ; c'est le seul jour de gaieté au cours du 
long voyage. Les Souzmanis n'habitent Serpol qu'aux 
époques d'aflluence ; le printemps et l'été les emmè- 
nent en tournée à travers les tribus kurdes. Nous 
sommes aux premiers jours d'avril ; le départ a déjà 
commencé ; sur une centaine de tentes, il n'en reste 
plus que dix, à l'usage des derniers pèlerins de l'année. 
Les Souzmanis sont tziganes. Ils auraient émigré 
en Perse, à la fin du iv« siècle de notre ère, et la tra- 
dition populaire attribue leur venue à l'appel de 
Behram Gour. Ce souverain sassanide a laissé le 
souvenir d'un prince heureux et jovial, appUqué au 
bonheur de ses sujets. Les Persans ne s'amusèrent 
jamais autant que sous son règne ; or, la multiplicité 
des réjouissances ayant fait ressortir la pénurie des 
chanteurs et danseurs indigènes, Behram Gour en 
appela vingt mille de l'Inde. C'étaient des 'tziganes : 
pénétrant sur le plateau d'Iran, ils se répartirent par 
toutes les provinces» et reçurent dans chacune un 



350 LA PERSE d'aujourd'hui 

nom particulier : Kaulis, à Téhéran ; Gharatchis, à 
Tauris; Loulis, à Chiraz ; Souzmanis, à Kermanchah. 
Avec le temps, les tziganes prirent la route de l'ouest, 
s'établirent sur le bas Danube et vinrent jusqu'à nos 
pays. Quelques-uns continuent leur vie nomade en 
Perse, groupés en corporation sous l'autorité du 
Chater-bachi, du chef des coureurs du Schah. Les 
hommes sont chaudronniers, fabricants de bas et de 
tamis ; les femmes diseuses de bonne aventure et 
prostituées; le contact du pèlerinage vaut une 
renommée particulière aux femmes souzmanies. 

Le district de Zohab s'étend jusqu'à Kasr-i-Chirin, 
à 30 kilomètres de Serpol. Nous sommes désonnais 
sortis de la montagne ; la piste traverse un terrain for- 
tement raviné qui descend peu à peu vers la plaine 
du Diala. La campagne est verte et fleurie : des coque- 
licots, des marguerites, des fleurs jaunes et violettes, 
de jolies tulipes rouges. Dans les champs, les pousses 
de blé sont déjà hautes. Tentes et claies de nomades 
s'éparpillent en petits groupes ; point d'arbres; sur 
les éminences, quelques tours^deguet; dans un creux, 
serpente THolouan. 

Au bord de la rivière, des fragments de murs et les 
restes d'un aqueduc en grosses pierres noircies. Un 
vieux nègre, Aboul-Kazem, coiffé d'un bonnet 
kurde, y a ouvert un café ; il servait naguère, à Diz- 
foul, chez un gouverneur de TArabistan ; l'envie lui 
prit d'aller aux Lieux Saints ; retour de Kerbéla, 
il s'arrêta sur la rive de l'Holouan, où, depuis neuf ans 
il vit avec sa femme à offrir du thé aux passants. 
Aboul-Kazem garde un point célébré par le roman 
et la poésie de l'Iran : des ruines informes, des amas 
de pierres^ des murailles qui s'étendent au loin sont 



Les portes du zagros 351 

tout ce qui reste de Kasr-i-Chiriu, l'immense châ- 
teau» construit à sa favorite chrétienne par Chosroès 
Parviz, et le lieu de ses tristes amours avec Farhad, 
le sculpteur du Takht-i-Bostan. 

Un peu plus bas, le bourg actuel de Kasr-i-Chirin, 
forme un groupe pittoresque sur les collines de la rive 
droite ; de l'autre côté de la rivière, un jardin de dat- 
tiers. Le gouvernement du district appartient au 
chef des Sendjabis, dont les 900 familles, établies le 
long de la frontière, passent Tété dans la plaine de 
Mahidecht. Les traditions de la tribu la font remonter 
à une fraction lekhe, transplantée du Fars par Schah 
«Abbas, partie à Kasr-i-Chirin, partie vers Mossoul. 
Désireux d'augmenter la force des tribus méridio- 
nales, soutien de son pouvoir, Kérim-Khan le 
Zend, les ramena d'autorité à Chiraz. Dans la disper- 
sion des tribus lekhes, qui suivit l'avènement des 
Kadjars, douze de ces familles regagnèrent l'ancien 
territoire et devinrent la souche des fractions ac- 
tuelles. 

Chir Khan, Samsam-ol-Memalek, vieux, corpulent, 
la figure rasée et la moustache blanche sous son bon- 
net kurde, assure la garde de la frontière avec ses cava- 
liers sendjabis. Il habite, sur une colline isolée, une 
maison contiguë au fort de Djovan-Mir. Djovan-Mir 
était sujet turc : ayant assassiné un chef des Djafs, il 
dut passer en Perse et obtint de Zill-è-Soltan, qui 
gouvernait alors tout le Sud du royaume, le gouver- 
nement de Zohab, avec le district frontière. Il fit 
aussitôt construire, à Kasr-i-Chirin, un réduit carré, 
flanqué de tours, et se mit à rançonner les passants : 
on dut le saisir et le tuer. Un cimetière entoure le 
fort ; les tombes chiites en pierres plates, celles des 



352 LA PERSE d'aujourd'hui 

sunnites dressées en terre. En bas, sous une voûte 
de briques, repose Hasan Khan Moudir, qui fut chef 
des cavaliers sendjabis ; cet homme avisé demanda, 
par testament, d*être enterré sur le chemijimême du 
pèlerinage, de façon que tous les pèlerins de Kerbéla 
fussent obligés de réciter le fatihé sur sa tombe, et de 
lui procurer gratuitement des prières à perpétuité. 

La chaîne dentelée des monts Zagros s'écarte vers 
le sud : la route se poursuit dans les terres fleuries et 
ravinées des Sendjabis ; beaucoup de troupeaux, 
quelques tentes, quelques maisons... Le passage, 
interrompu par les journées de pluie, reprend avec 
le beau temps ; les caravanes sont nombreuses ; un 
campement kurde a déjà rompu son établissement 
de l'hiver et se dirige vers la montagne avec son maté- 
riel, chargé sur des ânes, des chevaux et des bœufs... 
Le fort de Kalé-Sebzi surveille l'extrême frontière : 
un fils de Chir Khan, Hisam-è-Nizam (le sabre de 
l'armée), y tient garnison avec 200 cavahers. 

Il porte le costume des Arabes : la longue robe, 
sur le pantalon blanc, un gilet de cachemire, une 
courte veste bleue, soutachée d'or : par-dessus un 
manteau de feutre brun, ajusté à la taille, dont sor- 
tent librement les manches flottantes, tandis que 
deux bandes tombent des épaules le long du corps ; 
le bonnet, entouré d'un foulard noir, est le dernier 
reste de la mode kurde. Hisam-è-Nizam se présente 
avec son fils et son jeune frère, un garçon d'une 
dizaine d'années, déjà pourvu du grade de colonel 
et du titre redoutable de Babr-ol-Memalek (le tigre 
du pajrs). 

Une ligne de tours fortifiées indique la frontière 
turco*persahe ; la ville de Hannéguin est à deux 



LES PORTES DU ZAGROS 353 

lieues plus loin, dans une longue palmeraie qui suit 
les rives de THolouan ; sous les dattiers, les jardins, 
enclos de murs, ont une végétation touffue d'oran- 
gers, de citronniers, de grenadiers, de figuiers et de 
mûriers. 

Entre r'Irak-'Adjemi etr»lrak-«Arabi,les portes du 
Zagros ont formé le traditionnel passage ; c'est par 
là qu'Alexandre est revenu de l'Iran; c'est par là que, 
depuis la fondation de Bagdad, a passé la grand'- 
route du Khorassan, qui réunissait la capitale aux 
extrémités orientales de l'Empire des Khalifes. Elles 
marquent la brusque transition entre le Nord et 
le Midi; la frontière sépare deux mondes. Nous 
avions laissé, sur les plateaux de la Perse, la nature 
triste et dépouillée ; dans la plaine du Tigre, nous 
trouvons les arbres couverts de feuilles. Les amples 
tuniques et les bonnets de feutre ont fait place aux 
robes et aux kéfiéhs bleus et blancs, que fixe sur la 
tête une grosse corde de laine doublement enroulée. 
La voix criarde des Arabes remplace la voix chan- 
tante des Iraniens. 

Les villes mêmes changent d'aspect : après les 
murs clos, les rues muettes et les nuits noires de 
l'Iran, voici que les fenêtres s'avancent au devant des 
maisons, les cafés se multiplient, largement ouverts 
sur le mouvement de la rue, et l'indolence locale 
prolonge la soirée aux lumières. Plus de caravansé- 
rails monumentaux dus à la munificence royale ; 
des /:Aan5 étroits, exploités par les propiétaires voisins. 
Au lieu de cavaliers iraniens, dont la fantasia débor- 
dait sur la campagne, une escorte sévère de zaptiès 
turcs. Un empire militaire succède à un royaume sans 
armée. L'autorité elle-même change de caractère : 

Aubin. — La Peru. 23 



354 LA PERSE d'aujourd'hui 

quelque dépenaillé qu'il puisse être, le gouverneur 
persan prend les allures d'un grand seigneur, noble- 
ment employé à piller au nom du roi ; le Turc est un 
simple fonctionnaire, opérant par mesure adminis- 
trative. 

Il y a 160 kilomètres de plaine entre Hannéguin 
et Bagdad. Sous les Sassanides et les Arabes, la région 
était prospère, irriguée par les canaux dérivés du 
Diala, traversée par le plus grand chemin de l'Orient 
Moyen. L'invasion mongole détruisit les villes, dis- 
persa la population ; pendant plusieurs siècles. Turcs 
et Persans n'eurent à se disputer qu'un désert. En 1 847, 
le traité d'Erzeroum fixa la frontière : des agglomé- 
rations se reformèrent aux anciennes étapes de la 
route, une voie commerciale fut rétablie vers Ker- 
manchah ; le pèlerinage accrut le trafic. Les con- 
duites d'eau furent remises en état, les cultures repri- 
rent ; le gouvernement turc découpa le pays en cazas 
et en nahiés^ dépendant du vilayet de Bagdad. 

Cependant, les villages sont encore rares, les petites 
villes ne répondent qu'aux besoins du transit ; les 
surfaces cultivées doivent leur extension à la vente 
des terrains de l'État ou à la création de grands 
domaines par la liste civile et par M. Zarifi, de Cons- 
tantinople. Pour repeupler la plaine, les Kurdes 
descendirent de la montagne; les Arabes de la 
Mésopotamie passèrent le Diala. Une fraction des 
Zohabs, antérieurement établie entre Hannéguin et 
la frontière, demeure compacte. Les Calhors et les 
Loures du Poucht-i-Koh occupèrent le pied de la 
chaîne du Zagros, et plus loin se diluèrent dans la 
masse arabe ; les Arabes s'installèrent le long de la 
rivière. Issus de tribus diverses» éloignés de leurs 



LES PORTES DU ZAOROS 355 

contribuleSy ces gens perdirent aussitôt leur person- 
nalité déterminée et se fondirent en un peuple de 
ra«yats où Kurdes et Arabes réagissent les uns sur 
les autres. Les chiites s'y trouvent en minorité, 
car les Kurdes, étant «ali-allahis et, partant, indif- 
férents à toutes pratiques religieuses, s'accommo- 
dèrent volontiers de la religion officielle. 

Hannéguin a [700 maisons. Nous y fûmes les hôtes 
du médecin sanitaire, le docteur Bahochi, un* Syrien 
de Bagdad, qui a fait ses études de médecine chez les 
Pères Jésuites de Beyrouth. Un pont de douze arches, 
datant de l'époque arabe, franchit l'Holouan, déjà 
fort large et proche de son confluent avec le Diala. 
Sur les 4.500 habitants de la ville, on compte 2.500 
Kurdes, la plupart Badjélou. Quand le traité de 
1847 eut coupé en deux parties le district de Zohab, 
les Badjélou y formaient la fraction dominante et 
fournissaient des chefs à la tribu ; «Osman Pacha 
demeurait en territoire turc ; son petit-fils, Madjid 
Beg, a perdu toute autorité sur les Badjélou, mais il 
n'en reste pas moins le personnage le plus riche et 
le plus considéré du pays. C'est un jeune homme 
mince, la barbe en pointe, portant la robe arabe et le 
fez turc ; bien qu'il n'ait jamais quitté sa ville natale, 
il sait l'arabe, le turc et le persan, mais tient à con- 
server vis-à-vis des siens le dialecte de sa tribu. Les 
autres Kurdes de Hannéguin sont Calhors et 
Kérendis, avec bon nombre de Sendjabis et de Lcures. 
Le mieux placé d'entre eux, un Loure du Poucht-i- 
Koh, a été fait consul de Perse et décoré du titre de 
Sakat-è-Vézareh (la confiance du ministère). Le 
Kaïmakam, Saleh-pacha, est un Kurde de Suleïma- 
nieh. 800 hommes de garnison. Le bazar appartient 



356 LA PERSE d'aujourd'hui 

aux Juifs (200 familles), et la semaine de la Pâque 
en a fermé toutes les boutiques. 
f^* Les derniers accidents de terrain cessent à Kizil- 
Robat : des lignes de mamelons successives, des 
prairies vertes et fleuries, quelques champs; au loin, 
de rares villages; aucun arbre; de distance en dis- 
tance, un poste de zaptiés. Maintenant que nous nous 
engageons dans les terres basses, le voyage devient 
plus difficile. Des voitures étaient venues de Bagdad 
nous attendre à la frontière ; leurs épreuves commen- 
cèrent à Hannéguin ; le pont d'un canal d'irrigation 
s' étant écroulé sous la pluie, il fallut que la corvée 
des habitants le leur fît passer à dos d'hommes. 
Au delà de Kizil-Robat, s'étend l'infinité de la plaine ; 
d'une dernière colline, on aperçoit le Diala miroitant 
au soleil et, dans le lointain, la palmeraie de Cheh- 
rabane. Tout le pays est sous l'eau. Les mauvais 
temps de l'hiver ont déterminé l'une des plus belles 
inondations qu'ait jamais connuesr«Irak-«Arabi. Dans 
les dépressions, se sont formés de véritables lacs ; 
le sol est une boue gluante ; les champs, où poussent 
le blé et l'orge, le riz, le coton et le sésame, sont coupés 
de fossés profonds et bourbeux. Nos cavaliers doivent, 
à chaque instant, relever la route ; avec la nuit, nous 
nous embourbons davantage et c'est toute une affaire 
que de dégager les voitures, enfoncées jusqu'aux 
essieux. Par bonheur, les paysans, rentrant du travail, 
la bêche sur l'épaule, obéissent docilement aux in- 
jonctions des zaptiés; dès que la Providence a réuni 
assez de bras pour soulever les voitures, celles-ci 
se remettent à rouler jusqu'au prochain accident. 
La meilleure aubaine est le passage d'une caravane : 
le son argentin des clochettes, attachées au cou des 



LES PORTES DU ZAGROS 357 

bêtes de charge, et la note profonde des cloches, qui 
leur pendent au flanc, deviennent de plus en plus dis- 
tincts. L'apparition de la mule de tête, sur qui 
s'agite un édicule de glands et de franges, fixés à des 
bâtons, annonce un gros contingent de muletiers, tout 
prêts à secourir notre détresse... 

Nous mîmes ainsi quatorze heures à parcourir les 
60 kilomètres de chemin entre Hannéguin et Cheh- 
raban. Le bourg était endormi ; de rares consom- 
mateurs somnolaient, accroupis sur les bancs des 
cafés ; il fallut de longs appels pour faire ouvrir la 
lourde porte cochère du khan d'Ahmed Eflendi. 
Le lendemain matin, Chehraban nous apparut du 
haut de la terrasse, surmontée d'un minaret décou- 
ronné, les toits peuplés de cigognes, au milieu de la 
verdure des dattiers ; la ligne bleue des monts Zagros 
se perdait dans la brume ; des palmeraies espacées mar- 
quaient les villages de la plaine et le cours du Diala. 

Entre Chehraban et Bakouba, les terrains sont 
constitués en fondations pieuses pour le tombeau 
du Cheikh «'Abd-el-Kader, a Bagdad. Bakouba nous 
retint trois jours. Le Diala coulait au ras des bergçs ; 
sur les deux rives, les troncs des palmiers émergeaient 
du flot chargé de limon ; le pont de bateaux avait 
dû être retiré. Dans la ville noyée sous les pluies, le 
bazar chômait et les négociants restaient chez eux, 
occupés à rétablir leurs maisons écroulées. Nous dûmes 
attendre la baisse des eaux. Les pèlerins s'accu- 
mulaient dans les caravansérails de la ville ; nous nous 
installâmes de notre mieux, dans les chambres du 
premier étage, au khan de Nakhat Effendi, un Turc 
du Caucase, établi à Bagdad, dont la famille quitta 
Nakhitchévan après la conquête russe. 



358 LA PERSE d'aujourd'hui 

Chaque matin, nos compagnons d'infortune allaient 
tristement constater l'état de la rivière. Le soir, sous 
la direction de leurs conducteurs, ils s'unissaient en 
une même acclamation : Ya Mohammed I Y a ^Ali ! 
Y a ffoséin/ ou bien poussaient des 5a{a2;a/5 en l'hon- 
neur de la famille du Prophète. Ils marquaient une 
contrariété très vive du retard imprévu qui les em- 
pêchait d'arriver à temps, pour célébrer, aux lieux 
saints, la quarantaine de la mort du 3® Imam, le 
20 de Séfer, l'un des plus grands jours de Kerbéla. 

La crue du fleuve n'était point un obstacle pour 
les piétons ; ils passaient aisément dans les kouffahs 
habituelles à r«Irak-«Arabiet se présentaient au khan, 
pour y raconter l'encombrement des caravansérails, 
la profondeur des bourbiers et le mauvais état des 
chemins. C'étaient de pauvres pèlerins, poi^r la plu- 
part, vivant d'aumônes et qui profitaient, pour faire 
recette, de l'intérêt causé par leur venue dans le 
désœuvrement universel. Kerbelaï Suleiman, un 
Berbri de l'Afghanistan, vint, un jour, à la porte de 
nos chambres ; il était pieds nus, en guenilles, un 
turban sur son bonnet bleu, un bâton à la main, les 
yeux tirés, la barbe rare et raide comme celle des 
Chinois. Il se mit à chanter pour invoquer la piété 
publique dans une langue bizarre, mélange de persan 
et de pouchtûu. 

Je suis malade et ne sais de quelle maladie, ô ""Alil 
mon esprit ne saurait la comprendre, ô Prince des 
Croyants I Le poids de mes péchés me noie dans la mer 
de la religion, ô Prince des Croyants I J'espère tou- 
jours en vous, ô Prince des Croyants I Le vent souffle 
contre la digue des Berbrîs. Le mendiant vient déclarer 
sapauvreté,ô *AliI Couvert de dettes, j'ai la main courte 



LES PORTES DU ZAGROS 359 

et les pieds enfoncés dans la boue, ô ^'Alil vous êtes la 
seule espérance des mendiants, ô Prince des Croyants I 
ô •Ali, croyez bien que je suis pauvre I prenez votre 
sabre à double tranchant et venez m'assister au nom 
de Dieu I 

Les joies de Bakouba sont limitées, les journées 
monotones. L'animation se concentre au bazar, la 
nonchalance dans les cafés ouverts sur le canal de 
Khérisan, qui traverse la ville et donne son nom au 
district. Il paraît que les jardins voisins produisent 
les meilleures oranges de r«Irak-Arabi; c'est, du 
moins, une réputation bien établie, que les rapports 
des pèlerins ont répandue dans tout l'Iran. Bakouba a 
6.000 habitants, presque tous Arabes, avec un léger 
appoint de Loures et de Juifs. 

Cette année, le treizième jour du Norouz tombait 
précisément le 20 de S^fer, et les Persans s'abstinrent 
de toute réjouissance, à cause du deuil d'Hoseïn ; 
deux jours après, ce fut l'octave de la Pâque juive, 
et le peuple d'Israël se répandit dans les jardins, en 
vêtements clairs brochés d'or. 

Sitôt que le niveau d'eau eut suffisamment baissé, 
le Kaïmakam, un Alépin, «AbdouUah Remzi Bey, 
nous avisa que rien ne s'opposait plus au départ. 
Les séfinés sont des barques, larges et profondes, 
avec une poupe relevée pour l'habitacle des hommes ; 
ils vont à la voile et font les transports sur tous les 
cours d'eau de la Mésopotamie ; l'un d'eux nous 
attendait, accosté à la rive; on le rempUtde fascines 
et l'on creusa la berge pour y faire accéder les che- 
vaux et les voitures. 

Puis nous descendîmes le Diala, en cherchant, 
de l'autre côté, un endroit sec et solide où nous 



360 LA PBRSB D'AUJOUBO'HUI 

puissions débarquer. Les tentatives se multiplièrent ; 
à la moindre pression, le limon, amolli par les eaux, 
s'écroulait dans la rivière. Nos hommes trouvèrent, 
enfin, le point propice. Sur une élévation de la berge, 
un cimetière s'était formé autour d'une koubba ; 
les eaux en avaient mangé le bord, éventrant les 
tombes, où persistaient quelques ossements, qu'em- 
porterait la crue prochaine. Après plusieurs heures 
de travail employées au passage du Diala, nous 
finissons par reprendre les voitures au caravansérail 
d'Hovidéir, où se termine la palmeraie de Bakouba. 
t Désormais, il ne reste plus d'autre obstacle que le 
canal de Nahravan, qui, depuis les Sassanides, quitte 
le Tigre au-dessus de Samarra pour le rejoindre vers 
Kout-el-Âmara,à 160kilomètresau-dessous deBagdad; 
il n'a pas beaucoup d'eau, mais il est large et plein de 
boues. Des gens nous accompagnent pour combler 
les fossés, consolider les ponts, jusqu'à ce que nous 
nous trouvions définitivement en terrain uni. Encore 
neuf Ueues jusqu'à Bagdad. Le sol reste marécageux : 
quelques champs, des palmiers isolés, des tentes de 
nomades, des troupeaux de chèvres, de moutons et 
de chevaux; sur la gauche, les voiles des séfinés 
descendent le cours rapide du Diala. A mi-route, le 
khan des Béni-Sa«d. 

1^ Puis quelques lignes de dunes et voici qu'apparais- 
sent la palmeraie, les murs, les coupoles et les mina- 
rets de Bagdad. L'inondation a formé un immense lac 
au-devant de la ville, qui se trouve entourée par les 
eaux. On n'y arrive plus qu'en kouffah. Au point de 
débarquement, les cafés ont installé leurs nattes, 
et les Bagdadis viennent distraire leur désœuvre- 
ment à ce spectacle inaccoutumé. 



XVI 
LES VILLES SAINTES 



La ville chiite de Kazeméîn. — Les tombeaux des 7« et 9» 
Imams. — Le caractère de Mousa Kazem. — Le pèlerinage 
de Samarra. — De Bagdad aux Lieux Saints. — Entre le 
Tigre et l'Euphrate. — Hillé. — Le berceau d'Abraham et la 
tour de Babel. — Les ruines de Babylone. — Kerbéla. — 
Le champ des martyrs*; le sacrifice des Alides. — Les tra- 
ditions et l'origine du pèlerinage. — Les tombeaux d'Ho- 
séin et d*«Abbas. — Le culte du 3« Imam. — L'adminis- 
tration des sanctuaires : kilitdars et serviteurs. — Le séjour 
de Kerbéla. — Pieux commerce : linceuls et terre sacrée. — 
La société de la ville sainte. — Les moudjteheds : Persans et 
Indiens. — Le vice-consulat 4' Angleterre. — De Kerbéla à 
Nedjef. — Le tombeau d'"Ali. — La personnalité du 1" Imam. 
— Les anges transporteurs. — Le grand pontife du chiisme : 
Akhound MoUah Kazem-Khorassani. — Ses décisions favo- 
rables à la révolution persane. — L'école théologique de 
Nedjef. — Le cimetière de ouadi Selam. — Koufa. 

AvrU 1907. 

Les pèlerins ont coutume d'éviter la grand'ville : 
au delà du khan des Béni-Sa'd, ils obliquent vers la 
droite et gagnent directement Kazeméin. C'était, au 
temps des Khalifes, un cimetière, établi dans la pal- 
meraie, à faible distance du fleuve; il s'y trouvait un 
tombeau de Koréichites, où l'on enterra successive- 
ment Mousa Kazem, le 7® Imam, et Mohammed 
Taghi, le 9®. La puissance des Béni»Abbas s'appliqua 



362 LA PERSE d'aujourd'hui 

naturellement à maintenir dans une prudente obscu- 
rité la mémoire des Imams, crainte que le culte des 
martyrs de la légitimité ne fournît un nouvel aliment 
à l'opposition chiite.. Quand, au x® siècle, les Bouhéides 
de Chiraz se furent imposés aux Âbbassides, leur 
ardeur chiite éleva les premiers monuments sur les 
tombes des Imams. Un faubourg se créa qui prit le 
nom de Kazemeïn*. Ce faubourg devint la forteresse 
chiite de Bagdad, dans les troubles périodiques, pro- 
voqués par la lutte des deux sectes. L'invasion 
mongole détruisit Kazemeïn ; elle fut rétablie par la 
politique des Séfévis, qui tendait à fonder sur le deuil 
des AUdes la religion nationale de la Perse. Les grands 
Sophis construisirent les tombeaux actuels : après les 
gouverneurs turcs, les Kadjars les complétèrent. De 
Kazemeïn, le développement du pèlerinage fit une 
ville. Elle est située sur la rive droite du Tigre, à 
4 kilomètres au nord du Bagdad actuel, avec qui 
elle communique par un tramway. La crue vient 
de rompre les digues : il faut faire un long trajet en 
kouffah, au travers de remous violents, sous les pal- 
miers inondés. 

Le gouvernement turc entretient à Kazemeïn un 
kaïmakam. La ville est chiite et, en majeure partie, 
iranienne ; sur 7 ou 8.000 habitants, les deux tiers 
sont Persans. Au centre d'une cour rectangulaire, 
s'élèvent deux dômes jumeaux, flanqués de quatre 
minarets; un pavillon isolé contient les restes de deux 
fils de l'Imam Mousa, Seyyed Ismaîl et Seyyed 
Ibrahim. Les mollahs et seyyeds locaux fournissent 
aux tombeaux un corps de serviteurs, sous la direction 

1. Kazeméin, les deux Kazems. — Kazem veut dire : celui qui 
est maftfe de lui. 



LES VILLES SAINTES 363 

du porte-clefs — kilitdar — Cheikh ^'Abdoul Hamid, 
nommé par le gouverneur turc. Autour du sanctuaire, 
se pressent les bazars, les maisons, les caravansérails ; 
au delà, les jardins, dont la végétation touffue d'oran- 
gers, de rosiers et [de jasmins se perd sous les palmiers. 

Non point que la mosquée des deux Kazems soit 
Tobjet d'une vénération particulièrement intense. 
Le 7® Imam jouit assurément d'une bonne position 
parmi les martyrs, mais son prestige serait médiocre 
comparé à celui d'^'Ali, d'Hoséin, de l'imam Réza, 
ou même de Fatémé. Pour les chiites, la personnalité 
de chacun d'entre eux revêt un caractère spécial. ^Ali 
est le savant austère, commentateur de la religion du 
Prophète; Hoséin est l'agneau de Dieu, le rédemp- 
teur; «Abbas, le héros des batailles, le saint Georges du 
martyrologe. Moins glorieux et plus accessible, Mousa 
Kazem est le saint à tout faire, utilisable pour les 
menus services ; on l'appelle le « Père des Besoins » ; 
il remplit, dans le chiisme, l'office de saint Antoine de 
Padoue. 

C'est à sa serviabilité supposée que le 7® Imam 
doit sa principale faveur parmi les pèlerins; mais le 
tombeau les attire, par le fait même de sa position, 
au carrefour de toutes les routes des Lieux Saints. 
Il arrive parfois que les pèlerinages, venus de l'Iran, 
préfèrent aller d'abord à Samarra ; dans ce cas, ils se 
détournent aussitôt après avoir passé le pont de 
Bakouba, ou même dès Chehraban, quand l'étiage 
rend leDiala guéable; mais la plupart vont tout droit 
à Kazeméin s'y reposer des fatigues du long voyage 
et préparer leurs visites successives aux saints 
tombeaux de r«Irak «Arabi. Le 7® Imam profite ainsi 
de l'attendrissement causé par un premier contact 



364 LA PERSE d'aujourd'hui 1 

avec le souvenir des Alides et Ton est toujours con- 
traint de revenir à lui» soit que Ton commence par 
l'excursion de Kerbéla et de Nedjef, soit par celle de 
Samarra. Le détour de Samarra est le complément 
indispensable du pèlerinage : à 140 kilomètres en 
amont» une petite ville, au bord du Tigre, qui fut, 
pendant la meilleure partie du ix« siècle, la capitale 
temporaire des Âbbassides. La dévotion chiite y 
vénère, avec les tombeaux des 10® et 11© Imams, 
d*Halimé Khatoun, sœur du premier, et de Nerdjès 
Khatoun, femme du second, et mère du 12® Imam, 
la cave historique où, dans la 4® année de son âge, 
disparut l'Imam Mahdi. 

Les passages répétés des pèlerins à Kazeméin 
ont développé les bazars et les caravansérails. Il en 
existe 45, construits par des capitalistes chiites, 
comme placements avantageux. Celui de Ferman- 
Ferma est loué 205 livres turques; celui de Feth «Ali 
Khan, fils d'un homme de Lahore, en rapporte 120; 
un autre appartient à Agha Khan Mahallati» de 
Bombay. 

Par ailleurs, Kazeméin n'a rien pour retenir ses visi- 
teurs; sa seule attraction est la visite de la mosquée 
Ce n'est pas un grand centre d'études ; quelques étu- 
diants fréquentent la médresseh, {installée souà les 
arcades, dans la cour même du tombeau. Un moudjte- 
hed, dont le père vint de Dizfoul, Cheikh Mohammed 
Taghi, Khodjet-oMslam (le témoignage de l'Islam), 
possède une bonne réputation; mais sans égaler ceux 
de Kerbéla ni de Nedjef. Les chiites n'attachent pas 
grand prix à la terre de Kazeméin ; on n'en fabrique 
ni chapelets, ni médaillons; les défunts en recherchent 
peu la sépulture. 



LE» VILLES SAINTES 365 

Un vieux prince indien, originaire de TAondh, 
Ikbal-ed-Dowleh, vint s'établir à Bagdad, où n'avait 
point encore atteint la profanation européenne. 
Riche, il vivait en philosophe et mourut à 7 9 ans , 
en 1891. Il possédait une maison à Kazemeïn, oulil 
voulut être enterré. Son cercueil y repose dans une 
chambre du rez-de-chaussée, décorée de portraits et 
de vers persans; par testament, l'entretien en est 
confié à un groupe d'amis fidèles, au profit desquels 
les biens du défunt furent constitués en fondation 
pieuse. Ils étaient six alors ; il n'en reste plus que 
trois : Mollah Kaddour, dont le grand-père émigra 
de Péchawer, et deux frères, venus de Madras. 

Quand nous partîmes de Bagdad pour aller aux 
Lieux Saints, l'inondation recouvrait le pays, aussi 
bien sur la rive droite que sur la rive gauche du 
Tigre, et c'était une grande affaire que de quitter la 
ville. Les rues étaient sous l'eau ; des kouffahs prenaient 
les voyageurs, et par delà un barrage, d'autres kouf- 
fahs les conduisaient à la digue de Mes^'oudi. De là 
partent chaque matin une douzaine de diligences 
grossières, hautes sur roues et attelées de quatre 
chevaux, qui desservent Hillé ou les villes saintes. 
Nous avions fait prix avec l'entreprise Seyyed 
Mahdi et Hadji Radji, qui, pour quinze livres tur- 
ques, devait successivement nous transporter à 
Babylone et à Kerbéla. Les caravanes de chameaux 
arrivent du désert de Syrie ; les femmes arabes, vê- 
tues de cotonnades bleues, la figure tatouée, des 
anneaux au nez et aux oreilles, apportent sur leur 
tête des seaux de lait superposés; les petits ânes 
disparaissent sous les herbes et les broussailles de 
leur charge. A la limite de la ville, se succèdent les 



V 



366 LA PERSE d'aujourd'hui 

tombeaux illustres de Zobéide, deBahlouIet deCheikh 
Mahrouf.La digue traverse l'inondation et franchit le 
canal de Khor. La masse des ruines babyloniennes 
d'Âkerkhouf monte dans le lointain des solitudes. 

Du Tigre à FEuphrate, le désert est sans beauté : 
une immense plaine, formée du limon des deux 
fleuves, amolli par les pluies récentes. L'invasion 
mongole détruisit les canaux parallèles qui la ferti- 
lisaient naguère. Quelques buttes, des lignes de 
monticules marquent encore leur direction primitive 
au travers des terres désolées; parfois, une lande 
herbeuse, peuplée d'un bétail abondant; sur les 
points favorisés où le délabrement des fossés n'arrête 
pas l'accès de l'eau, des tentes se sont établies pour 
entretenir les cultures. Les blocs isolés des cara- 
vansérails servent de point de repère. D'étape en 
étape, le voyage se poursuit, monotone, avec l'illu- 
sion des mirages provoqués par la chaleur. Le soir, 
le ciel se teint d'une pourpre ardente, et le soleil, 
devenu énorme, disparaît dans la splendeur coutu- 
mière aux grandes plaines. 

Après cinq heures de route parcourues tout d'un 
trait, le premier arrêt est à Khan-Mahmoudieh • un 
endroit ignoble, infesté de mouches; la rue n'est 
qu'une mare jaunie par le purin, avec un sol col- 
lant, dont nos voitures se dégagent à grand'peine. 
Des cavaliers arabes, armés de lances, y viennent 
des profondeurs du désert; de Kerbéla sont arrivées 
de longues théories d'Indiens chiites, pèlerins de 
Bombay et de Karatchi. Une dame élégante voyage 
en litière, portée par deux mules ; accroupie sur des 
coussins, elle vaque à ses affaires et soulève le rideau 
pour nous voir passer. _^ 



LES VILLES SAINTES 367 

La piste de HUlé se détourne vers le sud ; à partir 
du Khan-Mohavil, elle se rapproche de TEuphrate, 
qu'indique une longue palmeraie. L*eau pénètre en 
abondance; tentes et cultures se multiplient. Sans 
souci du chemin, les paysans y pratiquent leurs ri- 
goles d'irrigation, parfois assez profondes pour qu'il 
faille s'attarder à les combler; sur les canaux, les 
ponts n'ont point de parapets; souvent même ils 
ont été déplacés et la recherche du passage exige 
de longs détours. Voici enfin les jardins de Hillé, fort 
étendus, enclos de murs, où, sous l'ombre des pal- 
miers, se développent les champs de blé, d'orge et 
de fèves. 

Hillé est une ville de 30.000 habitants, partagée 
par l'Euphrate, avec l'aspect habituel aux agglomé- 
rations de la Mésopotamie : une double rangée de 
maisons tombant dans le fleuve, un pont de bateaux 
qui le traverse ; pour cadre la verdure des dattiers. 
Sur la rive gauche, Vardiha est le point d'arrivée 
des diligences de Bagdad; les cafés, les magasins à 
grains et le bureau du raftiehK Sur la rive droite est 
la ville elle-même ; le bazar remonte en pente douce 
vers la grande mosquée à dôme bleu ; au bord du 
fleuve les casernes et la résidence du kaïmakam. Au 
milieu de la population exclusivement arabe, vivent 
quelque 500 juifs, commerçants, propriétaires ou 
artisans. 

Par un lointain retour des choses, un juif, M. Mé- 
nahem Daniel, possède aujourd'hui les plus grandes 
terres, — un millier de feddans^ — sur l'empla- 

1. he droit de raftieh est de 8 % sur les céréales et autres produits 
Iransporjtés par eau ; les marcliandises séclies en sont exemptes. 

2. L<e feddan habituel à l'Irak-Ârabi eomporte 27 hectares. 



368 LA PERSE d'aujourd'hui 

cernent même de Babylone, qui vit jadis la capti- 
vité de sa race. Cet homme fortuné, qui habite 
Bagdad» a passé le dernier hiver à Monte-Carlo ; en 
son absence, ce fut une lettre de son fils qui m'ouvrit 
leur maison d'Hillé; l'intendant, M. Mochi Soussa, 
parlait un français fort convenable, appris à l'école 
de l'Alliance Israélite à Bagdad. 

La région de Hillé est répartie en moukattœa^ grands 
domaines dont les dîmes sont affermées par le fisc, 
soit à des entrepreneurs, soit aux propriétaires eux- 
mêmes. Il n'y existe aucun village. Chaque pro- 
priété comporte une ferme et une enceinte close de 
murs; les fellahs y élèvent leurs demeures ou y 
adossent leurs tentes noires, leurs huttes de nattes 
et de roseaux. Ils sont engagés et payés par des 
métayers — serkars — qui fournissent les semences 
et le cheptel, en échange d'avances d'argent con- 
senties par le propriétaire. Le blé, l'orge, le millet et 
le maïs sont alternativement cultivés ; le riz dans les 
parties très arrosées, au bord du canal de Hindié. 
L'eau des irrigations vient des tcherds établis sur 
l'Euphrate, élevée à traction de bœufs dans des sacs 
en peau. Par malheur, le fleuve, d'humeur changeante, 
n'a cessé de varier au cours de l'histoire; depuis 
plus d'un siècle, il s'est engouffré dans le canal de 
Hindié, délaissant son ancien lit sur une longueur 
de 280 kilomètres ; devant Hillé, six mois sur douze 
le fleuve est maintenant à sec; un mince filet apparaît 
en janvier, les dernières eaux tarissent en juillet; 
appauvri par cet abandon, le pays n'est plus culti- 
vable qu'aux époques de pluies ou de crues. Cette 
année sera particulièrement favorisée, et pourtant, 
malgré la hausse anormale des eaux, il reste des 



LES VII.LES SAINTES 369 

bancs de sable dans le lit de FEuphrate. Le gouver- 
nement ottoman s'est préoccupé d'une détresse qui 
diminuait ses revenus propres en même temps que 
ceux des riverains ; notre compatriote M. Mougel- 
Bey, réussit à relever provisoirement le niveau d'eau 
par la construction d'un barrage dans le canal de 
Hindié ; un autre ingénieur français, M. Cugnin, 
dresse en ce moment même un projet de travaux 
plus efficaces et plus comidets. 

En une heure et demie, au galop de nos chevaux 
nous allâmes au Birs-Nimroud. Au sud de Hillé, 
deux monticules isolés s'avancent en pointe au mi- 
lieu des terrains inondés ; par delà sont des fermes 
et des palmeraies ; dans l'ouest s'enfonce le désert. 
Sur un amoncellemnt de briques et de détritus 
s'élève une koubba très sainte, dont les visiteurs 
ont marqué les murs de leurs mains teintes au 
henné ; au bas d'un escalier, des femmes font, en 
baisant les parois, le tour d'une chambre souter- 
raine ; en haut veillent les gardiens fournis par la 
tribu voisine. C'est un fréquent usage chez les 
pèlerins des Lieux Saints de vénérer le Makam 
Ibrahim Khalil, consacré au souvenir du prophète 
Abraham. Les uns prétendent qu'il y naquit, et que 
sa mère étant morte, il y fut nourri par une gazelle; 
les autres disent que, sur son refus d'embrasser le 
culte du feu, Nemrod l'y fit placer sur un bûcher et 
que les flammes, retenues par un ange, se refusè- 
rent à le consumer. L'autre monticule porte les 
ruines d'une tour dans laquelle il a plu aux généra- 
tions successives de reconnaître la tour de Babel. 
Des soubassements de briques, déblayés sur un 
côté, soutiennent un immense pan de mur, très 

Aubin. — La Perse. 24 



370 LA PERSE d'aujourd'hui 

large et très haut ; des blocs tombés gisent à terre 
dans les fleurettes jaunes et roses; au pied de la 
tour, des chambres en brique» dont la réunion for- 
mait un temple. Les savants y placent le sanctuaire 
du dieu Nébo, dans la ville de Borsippa, qui était 
un faubourg de Babylone. 

Sur la rive gauche de TEuphrate, à une heure au- 
dessus de Hillé, une mission d'archéologues, en- 
voyée par le musée de Berlin, fouille le site de Ba- 
bylone, sous la direction d'un Hambourgeois» le 
docteur Koldewey; leur maison hospitalière se 
trouve dans les palmiers, près de la ferme de Kou- 
vérich ; l'endroit est isolé, la nuit pleine du cri des 
chacals, qui viennent boire au fleuve. En dehors de 
l'étroite palmeraie, le sol gris et rocailleux est bos- 
selé de monticules, dont l'ouverture ramène au jour 
ce qui reste de Babylone. Les quais de l'Euphrate, 
le double palais de Nabuchodonosor sont presque 
entièrement déblayés; au delà passait la rue des 
Processions, traversant la porte d'Hachtaroud pour 
aboutir au temple de Mérodach. Tel est le domaine 
des travaux actuels. Il s'y joint un petit palais situé 
vers le nord, et, à l'est, un théâtre grec datant de 
l'époque d'Alexandre, aVant que les Ptolémées eus- 
sent transporté à Séleucie la capitale de l'empire 
oriental. Je dois dire que ces ruines, peu imposantes 
par elles-mêmes, tirent tout leur intérêt du guide 
sûr qui les expUque. Les constructions sont uni- 
formément faites en briques cuites, larges et plates, 
portant gravés les noms et titres de Nabuchodono- 
sor ; les rangées sont séparées par des couches de bi- 
tume, chaque assise de 5 ou de 7, par une natte. Les 
rues sont également dallées de briques, dont les 



LES VILLES SAINTES 371 

indications topographiques facilitent le progrès des 
recherches. 

Il est facile de saisir sur les lieux la disposition 
du palais, les bassins intacts dans le pavé des cours, 
la distribution des pièces, où fut tracé par une main 
surnaturelle le redoutable « Mané Thécel Phares » 
dont l'histoire sainte a bercé notre enfance. Il y a 
plus d'un siècle qu'un lion de basalte grossièrement 
sculpté fut retrouvé dans les ruines. Le j^yau des 
découvertes actuelles est la jolie porte d'Hachtaroud, 
aux pylônes ornés de briques en relief avec des 
alignements de taureaux et de serpents fantastiques, 
symboles des dieux Mérodach et Nébo. 

Dé Hillé, l'inondation nous empêche de gagner di- 
rectement Nedjef, en visitant à Kéfil le tombeau 
d'Ezéchiel. Nous devons donc revenir sur nos pas 
pour prendre au Khan-Iskenderieh la grand'route 
de Bagdad à Kerbéla. Deux dômes accolés touchent 
à la palmeraie de Mouseyib : les tombeaux des Ou- 
lad-è'Mosleniy Ibrahim et •'Aghil, cousins de Hoséin, 
qui disparurent dans l'épouvantable tragédie des 
Alides. Mouseyib est une petite ville de 10.000 habi- 
tants; l'Euphrate y coule large et rapide dans les 
dattiers, les peupliers et les saules. 

Au delà du fleuve, il reste jusqu'à Kerbéla 25 ki- 
lomètres d'un désert coupé de cultures. A mi-route, 
le tombeau de On» fils de Zeïnab, mort également 
victime de la destinée famiUale. Le cheikh des 
Arabes Mas'^oudis qui occupent le territoire envi- 
ronnant fit recouvrir le monument de briques ver- 
nissées ; cinq hommes de la tribu, serviteurs volon- 
taires, se relayent pour garder la tombe et remplir 
d'eau les jarres en terre déposées sous un abri, à 



372 LA PERSB d'aujourd'hui 

l'usage des pèlerins. Les pâturages commencent, 
remidis de bœufs et de buffles ; loin sur la droite, 
apparaît isolé le tombeau de Hor. Les deux mosquées 
de la viUe sainte s'élèvent au-dessus d'une longue 
palmeraie. Quand nous entrons en ville» l'or des mi- 
narets de la mosquée d'«Abbas se ternit aux teintes 
roses du soleil couchant. 

Nous logeons chez un prince persan, Abou Séid 
Mirza. Enfermé dans la forteresse d'ArdebU par 
Feth «Ali Schah, qui voulait réprimer la turbulence 
de ses innombrables fils» le prince Rokn-ed-Dowleh 
réussit à passer en Russie et vint mourir à Kerbéla ; 
il fut enterré dans une chambre ouverte sur la cour 
de la mosquée d'Hoséin ; tous les biens qu'il possé- 
dait à Kerbéla furent transformés en fondation pieuse 
pour l'entretien de sa sépulture : deux maisons, deux 
caravansérails, un bain et une vingtaine de boutiques, 
d'un revenu total de 277 livres. Depuis lors, quelqu'un 
de sa descendance réside constamment à Kerbéla, 
afin d'administrer le caveau et la fondation de la fa- 
mille. Abou Séid Mirza est actuellement chargé de 
cet office : il habite, auprès du haram de l'imam Ho- 
séin, une vieille maison persane, dont la proximité 
du sanctuaire fait la principale valeur; on y accède 
par une porte très basse, donnant sur une allée du 
bazar ; les cours sont étroites et hautes, chaque étage 
entouré d'une galerie extérieure et les fenêtres fermées 
de boiseries. De la terrasse, on aperçoit tout proche 
le dôme et les minarets de l'Imam Hoséin, un peu 
plus loin la mosquée d*«Abbas; les minarets dorés 
montent dans le del ; tout le jour, un drapeau flotte 
au sommet des coupoles : le drapeau d'Hoséin, sou- 
averin de la ville, rouge en temps ordinaire, noir 



LES VILLES SAINTES 373 

pendant les mois de deuil. Le soir, les moazzens an- 
noncent la prière, une cigogne se promène grave- 
ment sur les balcons des minarets qui s'allument, 
réunis les uns aux autres par une ligne de feu. 

Kerbéla — Méchhed-Hoséin — tire son origine du 
drame fondamental de l'islam chiite, qui s'y acheva 
le 10 moharrem de l'an 61 de l'hégire (680). Devenu 
chef des Âlides, Hoséin, le second fils d'^Ali, re- 
présentait les espérances du parti soutenant, parmi 
les musulmans, le droit des imams contre l'usurpa- 
tion des khalifes. Dans les troubles qui suivirent 
l'avènement de Yezid, le troisième imam fut appelé 
par les gens de Koufa,alors capitale arabe de r«Irak- 
«Arabi. Désireux de se renseigner au préalable sur les 
dispositions exactes de ses adhérents, Hoséin char- 
gea son cousin Moslem d'aller s'en enquérir sur les 
lieux mêmes. Reçu à bras ouverts, lors de son arrivée 
à Koufa, Moslem se vit bientôt abandonné de tous 
et fut exécuté par ordre du gouverneur de Bassora, 
accouru au premier bruit des événements. Mais le 
malheur voulut qu*ayant communiqué à Médine son 
impression première, Hoséin s'était mis en route 
avec tous les siens. Dans le désert, la sainte cara- 
vane rencontra un détachement commandé par Hor, 
un Arabe des Beni-Temim, dont la piété répugna 
à verser le sang du Prophète; les traditions chiites 
en font le plus illustre converti de la secte et l'asso- 
cient au martyre de son imam. 

Ce fut le 3 moharrem que la troupe infortunée 
s'arrêta sur la petite éminence de Kerbéla ; isolées 
dans le désert, torturées par la faim et la soif, ces 
victimes expiatoires, condamnées à mourir pour le 
salut des hommes, y furent aussitôt cernées par une 



374 LA PERSE d'aujourd'hui 

armée de 5.000 ennemis. Le chiisme s'attendrit à 
certains détails de la semaine d'agonie. On, fils de 
Zéinab, périt en allant chercher du secours. Le 9, 
"Âbbas, demi-frère d'Hoséin,eut la main coupée, alors 
qu'il s'efforçait de puiser de l'eau dans la source voi- 
sine. Le 10» jour de r«Âchoura, eut lieu le massacre 
général. 

Hoséin fut tué avec ses fils «Ali Akbar et «Ali As- 
ghar, ses neveux Kazem et «AbdouUah, fils de Ha- 
san, Dja*fer, fils de Zéinab ; en tout dix-huit mem- 
bres de la famille du Prophète et soixante-douze de 
leurs compagnons. Les femmes échappèrent et furent 
conduites à Damas. Tel est l'événement historique 
qui, transformé par l'évolution du chiisme, a pris 
la même signification que la mort du Christ dans les 
religions chrétiennes. 

Le calvaire de Kerbéla,où s'accompUt le mystère 
de la rédemption, s'entoura de pieuses légendes. Le 
nom même du lieu — Kar-hala (la chose d'en haut) — 
en fit un point prédestiné, où, de toute antiquité, les 
prophètes seraient venus, de la part de Dieu, pour ou- 
vrir à leurs connaissances des voies nouvelles. On 
trouva à son sujet des traditions révélatrices. L'une des 
femmes de Mahomet, Oumm-ès-Salémé, vit un jour 
son mari rester silencieux : l'ange Gabriel était des- 
cendu du ciel pour l'avertir qu'un de ses petits- 
enfants périrait de mort violente. Alors il appela sa 
fille Fatémé et lui raconta cette révélation; il ajouta 
que l'événement se passerait après leur mort à tous, 
quand ni lui, ni sa fille, ni son gendre ne seraient 
plus ; l'ange Gabriel avait prédit que le tombeau de 
son petit-fils serait le plus illustre tombeau du monde 
et qu'il s'y fonderait une grande ville. 



I 



LES VILLES SAINTES 375 

Quarante jours après T'^achoura, Djeber, un des 
compagnons du Prophète, vint à Kerbéla rendre à la 
mémoire du défunt les honneurs de la quarantaine 
funèbre et célébrer sur sa tombe le premier arb'éin; 
il fit une ablution et un vœu. Mahomet lui avait dit : 
c< Hoséin sera tué et enterré à Kerbéla ; quarante 
jours après, commencera le pèlerinage. » Déférant à 
l'ordre du maître, il avait été le premier pèlerin. 

Malgré l'opposition des khalifes, le champ des mar- 
tyrs de Kerbéla devint promptement le sanctuaire de 
la foi chiite, et le mouvement des foules s'y fit irré- 
sistible. Au milieu du ix® siècle, l'abbasside Mou- 
taouakkel recourut aux mesures de rigueur : il frappa 
les pèlerins d'une taxe, qui monta successivement 
de 10 à 100 tomans. La lourdeur de l'impôt ne par- 
vint pas à décourager les ardeurs populaires. Les 
légendes chiites veulent qu'une femme de Bagdad 
ait filé sa vie entière pour réunir les 100 tomans né- 
cessaires à la réalisation du pèlerinage, et qu'exas- 
péré d'une telle constance, le khalife ait ordonné, 
qu'au lieu de taxe, on coupât désormais la main des 
pèlerins. Les lieux saints durent leur principal déve- 
loppement au concours des princes chiites : d'abord 
aux Bouhéides, ensuite aux Séfévis. Cependant la 
mémoire d'Hoséin était trop sacrée au regard 
de tous les musulmans pour que les dynasties in- 
termédiaires aient négligé le lieu de sa sépulture. 
Deux ilkhanis de Tauris, Argoun et Ghazan, firent 
creuser le canal de Kerbéla. Au xvi® siècle, Schah 
Ismaïl et Sultan Soléiman visitèrent la ville. La 
coupole d'Hoséin fut bâtie par un gouverneur turc. 
Au xix® siècle, la sécurité renaissant dans T^Irak, 
la poussée religieuse survenue dans l'Iran donnèrent 



376 LA PERSE d'aujourd'hui 

au pèlerinage une intensité inaccoutumée. Les divers 
rois kadjars s'employèrent à décorer la mosquée 
d'Hoséin; Âgha Mohammed Schah la fit recouvrir 
d'or, Feth Ali Schah construisit la galerie extérieure 
avec une partie de la cour; Nasr-ed-Din Tacheva. 
t Peu éloignées l'une de l'autre, les deux mosquées, 
qui couronnent la butte de Kerbéla, fiirent élevées 
aux endroits mêmes où tombèrent d'une part «Abbas, 
de l'autre Hoséin avec ses compagnons, — Hazret- 
i'Séghir et HazreUé-Kébir — la petite et la grande 
Majestés. La dévotion publique se porte également 
vers deux autres points : en contre-bas du tombeau 
d'Hoséin, une koubba marque le Kagem makam, 
le lieu de la tente, là même où campèrent les mar- 
tyrs. Auprès du tombeau d'«Abbas, il existait na- 
guère un petit canal, nommé Nabr-è-'^Alghamé, 
du nom de la tribu qui l'avait fait creuser ; c'est 
en cherchant à y puiser de l'eau qu'^'Abbas eut 
la main coupée. Le canal a disparu; son emplace- 
ment se nomme encore Berké (la mare, en arabe). 
Sur la maison qui y a été construite, sont fixées 
deux plaques de faïence, avec une inscription en 
vers persans. Des trous ont été creusés dans le mur 
pour y allumer des lampes ; aux grilles s'attachent 
des chiffons et des kandik (petits objets de métal), 
en témoignage des vœux faits par les pèlerins. 
I La vieille ville occupe la butte ; les maisons sont 
hautes, les rues étroites; les bazars s'étendent entre 
les deux mosquées ; elle était jadis entourée de mu- 
railles dont il reste une porte, la porte de Bagdad, 
et les débris d'une forteresse. En 1870, l'afflux crois- 
sant des pèlerins exigea la création d'une cité nou- 
velle, au pied de la sainte colline. Notre compatriote 



LES VILLES SAINTES 377 

'ML. Mougel-Bey, ingénieur de la municipalité de Bag- 
âad« en dressa le plan avec de larges rues coupées à 
angle droit et des lignes de galeries recouvrant les 
trottoirs. Elle contient les cafés, les caravansérails, 
les bureaux des diligences, les écoles, la mosquée 
sunnite et les bâtiments officiels. 

Kerbéla, n'ayant d'autre raison d'être que le tom- 
beau d'Hoséin, s'est formé une population qui vit- 
dû pèlerinage et se recrute parmi les divers élé- 
ments du chiisme. 40 ou 50.000 habitants peuvent être 
considérés comme sédentaires ; il s'y joint une pro- 
portion d'étrangers, variable selon les époques. On 
calcule que, bon an mal an, il vient une moyenne de 
400.000 pèlerins, de la Perse, du Caucase, de l'Inde, de 
l'Afghanistan et de l'Asie centrale, la plus grande 
part fournie par les tribus arabes du voisinage ; car 
les chiites sont en immense majorité sur la rive 
droite du Tigre, chez les Mountéfiks, autour de Bas- 
sora et jusqu'au golfe Persique. Même dans la saison 
morte, la population flottante ne descend jamais au- 
dessous de 15.000. 

De tous les lieux saints, Kerbéla est le seul où les 
pèlerins aient coutume de faire un séjour prolongé. 
Us passent à Kazemeîn, font une visite rapide à Sa- 
marra et à Nedjef et ne demeurent qu'à Kerbéla. Si 
Méchhed «Ali attire bien davantage les étudiants dans 
ses médressehs et les défunts dans ses cimetières, 
Méchhed Hoséin a le privilège de mieux parler au 
cœur et d'attendrir les foules au grand souvenir de 
la rédemption. Versés, dès leur enfance, dans tous 
les détails, plus ou moins apocryphes, du drame de 
l'Achoura, habitués à pleurer les malheurs d'Ho- 
séin, héros religieux et national, les chiites, quel- 



378 LA PERSE d'aujourd'hui 

que indifférents qu'ils aient pu devenir, ressen- 
tent une émotion instinctive en un lieu si propre 
à raviver les idées premières de leur vie. Ainsi la 
figure de la Sainte Vierge est celle qui séduit davan- 
tage et qui s'efface la dernière aux esprits façonnés 
par le catholicisme. Les Persans qui m'accompa- 
gnent sont des musulmans fort tièdes, pénétrés 
des doctrines soufies, par-dessus le marché béhahis 
et faisant leurs prières dans la direction de Saint- 
Jean-d'Acre. Indifférents aux tombeaux des autres 
imams, ils ne marquent d'attachement que pour le 
troisième et ne dissimulent point leur plaisir d'être 
devenus kerbélahis. C'est par son sacrifice volontaire, 
en s'offrant en holocauste avec sa famille pour 
conduire l'humanité vers Dieu, que le « Seyyed des 
martjrrs », victime innocente, faible et résignée, 
a conquis ^les âmes de l'Orient moyen. Une tradi- 
tion de l'imam Dja^fer raconte que, lors de la créa- 
tion du monde. Dieu fit comparaître devant lui 
les générations à venir ; il tenait une coupe en 
main et dit que celui qui voudrait boire à cette 
coupe, devrait se sacrifier lui-même avec tous les 
siens. Il n'y eut qu'Hoséin pour se proposer en sa- 
crifice ; alors le Verbe divin se répandit en louanges 
sur une abnégation telle, affirmant que cette créa- 
ture unique serait élevée par -dessus toutes les 
autres et que la divinité même se ferait le prix de 
son sang. 

Un moutessarif, un cadi, l'appareil administratif 
d'un sandjak, enfin une garnison représentent à 
Kerbéla l'autorité turque. Le gouvernement nomme 
les kilitdars préposés à la garde des deux tombeaux : 
Seyyed "Abdoul-Hoséin, kiUtdar-al-Hoséin, et Seyyed 



LES VILLES SAINTES 379 

Mortéza, kilitdar-aU^Abbas , sont issus de familles 
héréditairement désignées pour cet office, parmi 
le peuple innombrable des seyyeds — près d'un 
dixième de la population totale — qu'attire à 
Kerbélâle culte des Imams ; c'est à eux qu'appartient 
l'administration des sanctuaires. 

Les divers tombeaux d' Imams affectent une forme Jà 
peu près identique et reçoivent la même organisation 
D'ordinaire, la cour est carrée : celle d'Hoséin se 
trouve être biscornue, encastrée dans les maisons, 
et les bazars; on y accède par sept portes, la prin- 
cipale, Bab'è'Kiblé, surmontée d'une tour d'horloge ; 
Tune d'elles garde le nom de Zéinab, car la sœur 
d'Hoséin serait entrée de ce côté, quand elle vint, 
la première fois, prier au tombeau du martyr. 
Toutes ces portes, récemment construites par le 
Sultan des Turcs, le Schah de Perse ou quelque cheikh 
de tribus arabes, sont recouvertes de kachis modernes, 
fabriqués à Kerbéla même par des ouvriers persans. 
Le pourtour de la cour comporte une succession de 
chambres funéraires, de caveaux de famille, concédés 
à prix d'argent, à des princes, de grands seigneurs ou 
de riches négociants. Les plus anciennes sépultures, 
celles des Bouhéides, marquent le seuil de la portée 
de Safi. La cour s'empUt de petits marchands qui 
vendent des dattes et des objets de piété, chapelets 
et médailles en terre de Kerbéla. 

Au milieu de la cour, s'élève la mosquée: une 
masse informe, au toit bosselé de coupoles, d'où 
émerge un dôme doré ; en avant, s'ouvre une double 
galerie, soutenue par une colonnade en bois et 
décorée de cristal taillé; aux deux extrémités mon- 
tent des minarets, recouverts d'or depuis la pointe 



380 LA PERSE d'aUJOURD'HITI 

jusqu'à Tencorbellement des balcons. Six portes, 
dont deux à l'usage exclusif des femmes, donnent 
accès dans l'intérieur. Placés sous le dôme central, 
les tombeaux du troisième Imam et de son fils, 
«Ali Akbar, en bois incrusté d'ivoire, sont perpen- 
diculairement accolés l'un à l'autre, renfermés dans 
une double grille. Sous les voûtes latérales, repose le 
groupe des martyrs de T'Achoura; à gauche, placé à 
part, se trouve Habib-ibné-Mézaher, qui mourut le 
premier,|d'uneTflèche destinée à transpercer Hoséin, 
alors que celui-ci faisait la prière. 

Au fond de la cour, pointe un minaret plus petit. 
On l'appelle Minar-el'^Abdt le minaret de l'esclave, 
et le nom s'explique par une légende. Un négociant 
syrien avait confié le soin de ses affaires à Bagdad 
à un nègre d'une dévotion telle qu'il détournait l'ar- 
gent à lui confié pour construire un minaret au tom- 
beau d'Hoséin. Son pieux dessein s'accomplit libre- 
ment. Le négociant supporta ses pertes, croyant que 
les remises de son mandataire étaient, en cours de 
route, enlevées par les nomades, et l'esclave ayant 
demandé par testament d'être enterré sous le 
minaret, produit de ses vols, y gagna, sans bourse 
délier, la plus précieuse des sépultures. 

Chaque lieu saint dispose d'une nombreuse con- 
frérie de « serviteurs », seyyeds ou mollahs pour 
la plupart; il y en aurait ,300 chez l'Imam Hoséin, 
un peu moins chez «Abbas,qui ont, dans les mosquées, 
leur tour de service. Le kiUtdar détient la clef du tom- 
beau et celle du trésor accumulé par la piété des géné- 
rations; il doit faire acte de présence le matin, à 
l'heure de la prière, baiser la grille et réciter les 
litanies ; le soir, il préside à l'illumination du sanc- 



LES VILLES SAINTES 381 

tuaire, en y allumant la première bougie. Son naîèb 
a mission de rester en permanence auprès du cadenas 
fermant la grille ; les pèlerins ont pris l'habitude d'y 
verser de l'eau, qu'ils emportent ensuite dans tous les 
pays chiites comme remède efficace contre la maladie. 
Un corps de fenaches entretient l'enceinte sacrée; à 
l'entrée même des galeries, des kafchadars gar- 
dent les souliers déposés par les fidèles; le tchera- 
ghdjUhachi est préposé à l'éclairage et veille à l'exé- 
cution, en certains lieux fixés par les donateurs, d'in- 
nombrables fondations pieuses; à raison d'une livre 
turque par feu et par an. L'illumination des minarets 
provient d'une fondation de Nasr-ed-Din Schah et de 
quelques autres princes. 

Sous la coupole du tombeau, ce sont les servi- 
teurs eux-mêmes qui se chargent de toutes les be- 
sognes. Ils en ouvrent la porte, trois heures avant 
le lever du soleil, et la ferment quatre heures après, 
sauf la nuit de T'^Achoura et celle des autres katls^ 
où les mosquées restent ouvertes. Le kilitdar de 
l'Imam Hoséin et trente seulement de ses servi- 
teurs reçoivent un traitement du gouvernement turc; 
les autres vivent des étrangers, qu'ils guident dans 
leur pèlerinage; ils se massent dans la galerie pour y 
attendre la clientèle, vont la chercher dans les cara- 
vansérails ou se la font amener par les tchaouchs 
de leur connaissance. Chaque pèlerin ou groupe 
de pèlerins conserve le même serviteur pour toute 
la durée de son séjour; il rémunère ses pieux offices 
par une offrande appropriée. Le naïeb préposé au 
cadenas, les gardiens des souliers s'attendent égale- 
ment à une rémunération. Quant au kiUtdar, sa 
charge lui vaut de magnifiques avantages de la part 



382 LA PERSE d'aujourd'hui 

des grands personnages chiites qui, morts ou vifs, 
fréquentent à Kerbéla. 

D'ordinaire, les pèlerins font, en trois étapes, les 
100 kilomètres qui séparent Kazemeïn de Kerbéla. 
Avant Mouseyib, ils se détournent pour visiter les 
fils de Moslem; ils font une ablution dans l'Euphrate 
et s'arrêtent au tombeau de On. Sitôt qu'appa- 
raissent dans les palmiers les minarets de la cité 
sainte, les hommes descendent de cheval, les femmes 
quittent leurs cacolets et la caravane se met en prières. 
Le pèlerinage est strictement réglementé : un docteur 
illustre, Hadji Mollah Mohammed Taghi Medjlisi, qui 
florissait à Ispahan sous le dernier Séfévi, prit la peine 
de rédiger compendieusement le Tohfat'Ol-Zahed (le 
présent du pèlerin). Ce livre fait partie d'un volu- 
mineux ouvrage rédigé par une commission de mol- 
lahs ispahanis, sur l'initiative de Schah Soltan Ho- 
séin, afin de réunir tous les renseignements possibles 
sur le Prophète, les Imams, les traditions et les pèle- 
rinages de l'Islam; ses préceptes sont encore suivis 
à la lettre. Une fois rendus en ville, les pèlerins, 
revêtus de leurs meilleurs vêtements, se présentent 
tout d'abord à la mosquée d'Hoséin, puis à celle 
d'«Abbas. 

La visite des lieux saints est longue et compli- 
quée : le serviteur choisi s'empare de son patient 
et lui fait répéter, en langue arabe, les oraisons 
d'usage. Les exercices commencent dès l'entrée de la 
cour: 

« O Dieu I ce lieu vous appartient ; cette porte 
est celle de votre haram ; je suis venu jusqu'ici vous 
implorer dans cette maison... » 

n faut alors se prosterner et baiser la terre ; dans 



LES VILLES SAINTES 383 

la galerie, solliciter l'autorisation d'aborder le sanc- 
tuaire : 

« Seigneur, permettez-vous que j'entre dans cette 
maison ? Permettez-vous, Prophète de Dieu ? Per- 
mettez-vous, prince des croyants? Permettez-vous, 
anges, qui êtes autour de Dieu ? » Même question 
aux douze Imams. 

Puis le pèlerin franchit la porte, se frotte les yeux 
de la main qui vient d'en toucher la triple chaîne» 
et le colloque s'engage avec Hoséin lui-même : 

« Monseigneur, je suis votre serviteur, fils de votre 
serviteur. Impur des pieds à la tête, je vous prie 
néanmoins de m'admettre à vous faire pèlerinage, 
car mon indignité ne saurait vous souiller. » 

Après s'être de nouveau prosterné, en baisant le 
seuil de la porte, le pèlerin se tient debout devant 
le tombeau du troisième Imam. Il en récite les inter- 
minables litanies. Autres litanies auprès d'«Ali Akbar; 
puis celles de la famille et des 72 compagnons ; celles 
de Mahomet dans la direction de Médine; celles d' «Ali, 
vers Nedjef ; celles de l'Imam Réza, vers Méchhed ; 
enfin vers la kibla, celles du douzième Imam. Ces prières 
achevées, le pèlerin peut, sur la tombe d'Hoséin, 
donner libre cours à ses transports : il en fait trois 
fois le tour, en baise dévotement les grilles, le cadenas; 
parfois même, saisissant les barreaux, il procède à une 
confession mentale qu'il termine par ces mots : 
« O Dieul je supplie cet Imam d'intercéder auprès 
de vous, pour que vous me pardonniez mes fautes !» 

La cérémonie complète dure près de deux heures. 
Théoriquement, elle devrait se reproduire trois fois 
par jour, pour les prières de l'aube, du dohr et du 
maghreb, heures auxquelles les tombeaux sont fré- 



384 LA PERSE D'AUJOXHID'HUI 

quentés de préférence. On y vient également entendre 
les rouzikhans^ au nombre d'une cinquantaine, qui 
prêchent à tour de rôle, en vertu de fondations 
instituées à leur profit. L'^Achoura est le grand jour 
de la mosquée d'Hoséin, puis le Rouz-el-Arbé'in^ 20 
de Séfer, pour la quarantaine funèbre. L'affluence 
augmente dans les mois de Redjeb, de Cha«ban 
et de Ramazan, plus particulièrement consacrés 
au culte divin. Le 15 de ces [mois, V^aîd-el-fitr 
et V^ald'è'kowban sont fêtés à Kerbéla; de même 
le jour de V*arafé, 9 zilhidjé, quand les pèle- 
rins de la Mecque procèdent, sur le mont «Ara- 
fat, au sacrifice du mouton; cette date, aurait 
dit l'imam Dja^fer, exige un pèlerinage au tombeau 
d'Hoséin, et ce pèlerinage entraîne plus de mérites 
que la visite même au tombeau du Prophète. Aux 
jours de katl, les bazars se ferment, la ville prend le 
deuil ; des démonstrations, plus ou moins violentes, 
se produisent en mémoire de Mahomet, de Fatémé 
et des douze Imams. Selon les traditions, deux larmes 
versées sur le martyre d'Hoséin suffisent à gagner le 
ciel, les péchés fussent-ils plus nombreux que les 
gouttes d'eau de la mer ou que les grains de sable du 
désert ; il est naturel que le séjour de Kerbéla four- 
nisse des occasions fréquentes d'acquérir une aussi 
précieuse indulgence. Je m'y trouvais le 1^^ Rébi*^- 
oul-evvel, anniversaire de la mort du onzième Imam. 
Vêtus de longues robes noires, des troupes de péni- 
tents parcouraient les rues; au-devant d'eux flot- 
taient des drapeaux de deuil ; un homme marquait 
avec des cymbales une cadence très lente; ils se frap- 
paient, avec des chaînes, le dos couvert de bandes de 
cuir. Le soir j'entendis, dans la cour de la mosquée. 



LES VILLES SAINTES 385 

le chœur des lamentations et le battement rythmé 
des mains ramenées sur les poitrines. 

Un hadis propice impose à Tefficacité du pèleri- 
nage une durée minima de quarante jours. Or, la 
moitié de Tannée, l'excès de chaleur rend insuppor- 
table le séjour de la plaine et, par ailleurs, la plupart 
des pèlerins n'ont ni le moyen ni le loisir de rester aussi 
longtemps; à peine disposent-ils de deux ou trois 
semaines, sur lesquelles il leur faut faire la course de 
Nedjef et la visite au tombeau de Hor. D'autres, au 
contraire, séduits par la religieuse atmosphère du lieu 
s'y attardent le plus possible, recherchent les occa- 
sions de retour; plusieurs s'y établissent jusqu'à 
leur mort, persuadés d'aller au ciel, s'ils expirent 
auprès du tombeau d'Hoséin ou, du moins, convain- 
cus que la fréquentation du pieux cénacle de la cité 
sainte les placera en compagnie meilleure pour les 
éventualités de l'autre vie. 

L'organisation de la ville répond aux nécessités du 
pèlerinage ; elle n'a que caravansérails et logements 
à louer. Parmi les nombreux khans de Kerbéla, quatre 
appartiennent au cheihk local des Bektachis, deux au 
Nakib-ol-Echraf ,| d'autres à Âbdoullah Khan Hindi, 
de Madras, «Âli Khan, de Recht, etc. Le gîte s'y paie 
une piastre par jour, mais les prix s'élèvent en temps 
d'affluence. Les derviches se rendent aux couvents 
de leurs ordres respectifs; ceux de la Perse possèdent 
trois hôtelleries à leur usage, deux pour les Kaksars 
et les «Adjems, l'autre pour les Né«métoullahis. Les 
pèlerins aisés retiennent une maison particulière, 
dont le loyer journalier peut atteindre jusqu'à une 
livre. Il en existe un certain nombre, appartenant à de 
grands personnages chiites, qui les occupent pour la 

AuBDf . — La Perte^ 25 



386 LA PERSE d'aujourd'hui 

durée de leurs pèlerinages et les louent dans l'inter- 
valle : Ferman - Ferma ; une princesse kadjare, 
Chems-ed-Dowleh; Zahir-ol-Molk, de Kermanchah; 
Malek-et-Toudjdjar» d*Ispahan ; Mo*in-et-Toudjd]ar, 
de Bouchire ; un banquier de Chiraz» Hadji Nasir 
Chirazi ; un moUah de Téhéran, Cheikh *Abdoullah 
Endermani. Parmi les Indiens , le Nawab de Ram- 
pore, Nasir «Ali Khan, de Lahore ; Moudjtéba Hos- 
se!n Khan, etc. 

Le commerce, représenté par un millier de bouti- 
ques, est entre les mains des Persans et des Indiens, 
avec une petite proportion de Juifs, tolérés dans là 
Ville sainte. Les denrées sont fournies par toute la 
Mésopotamie, les produits manufacturés par Bagdad, 
les cours fixés par le réis-é-baladié, chef de la munici- 
palité. 

Kerbéla fabrique deux produits spéciaux, répandus 
dans tout le chiisme : des linceuls et des médaillons 
en terre consacrée par la sépulture fi)Hoséin. Le linceul 
est un objet de luxe, dont la plupart des pèlerins ne 
sauraient supporter la dépense : une étoffe de coton, 
préalablement lavée dans Teau de TEuphrate et 
déposée,pendant toute une nuit sur la grille du tom- 
beau du 3® Imam : les mollahs y tracent de fines écri- 
tures ; cette préparation coûte fort cher, car il faut payer 
la complaisance du kilitdar et donner aux écrivains une 
rémunération de 30 à 50 tomans. La terre de Kerb^a 
est bonne pour la santé, dit un hadis : elle se trouve à 
la portée de toutes les bourses, du moins, la qualité, 
dite mohr, qui s'extrait des fosses creusées pour l'enter- 
rement des cadavres; le iorba^ pris au sol même du 
sanctuaire, vaut bien davantage. D'habitude chaque 
famille chiite se munit d'un petit sac de torba-khalès 



LES VILLES SAINTES 387 

(terre pure); on la boit, délayée dans Teau, en cas de 
maladie ; on en dépose quelques grains sur la langue 
des morts, une pincée dans leurs linceuls ; les vivants 
en portent des sachets, attachés aux deux bras. 
Quant à la terre de mohr, elle se presse en médaillons 
de formes et de dimensions diverses, avec un dessin 
quelconque, une inscription pieuse ou l'image du 
tombeau d*Hoséin. Cet article fait partie du néces- 
saire de prières — djaïnamaz — indispensable à tout 
chiite: dans une précieuse étoffe, dépliée pour la 
prière, restent enveloppés la boussole, qui déter- 
mine la kibla, le médaillon en terre de Kerbéla, où 
s'appuiera le front du fidèle, et le chapelet, dont les 
grains de même matière accompagneront les oraisons. 
Les mollahs y ajoutent deux plaques en forme de 
mains, sur lesquelles ils se placeront dans les mouve- 
ments rituels. 

En dehors des Arabes et des Turcs, du personnel 
des tombeaux, des caravansérails et des bazars, il 
s'est formé, à Kerbéla, une société, d'essence reli- 
gieuse, pour soutenir les œuvres multiples instituées 
dans la Ville sainte par la dévotion chiite. Le nombre 
des fondations y est considérable : wakfs ayant un but 
de piété, d'enseignement ou de bienfaisance, sépultures 
dans les mosquées d'Hoséin et d'^Âbbas ou dans les 
cimetières avoisinants. Ces fondations sont souvent 
administrées par les représentants des familles, à 
leur défaut par les 5afra/5, gui font métier debanquiers, 
et reçoivent les lettres de crédit apportées par les pèle- 
rins. L'argent des fondations, provenant aussi bien des 
Lieux Saints que des diverses régions du chiisme, est 
remis auxmoudjteheds locaux, qui se chargent de la ré- 
partition, en conformité avec les intentions des dona- 



388 LA PERSE d'aujourd'hui 

teurs. Cet argent fait vivre un peuple de pichnamazs, 
rouzékhans et ^lecteurs de Coran, entretient sept 
médressés, assure la provision d'eau des fontaines, et 
permet la distribution d'aliments ou d'aumônes 
parmi les pauvres pèlerins ; celles-ci plus abondantes 
pendant les deux mois de deuil et dans le temps du 
Ramazan. 

Si Tadministration des Lieux Saints appartient 
aux kilitdars, l'autorité morale revient incontes- 
tablement aux moudjteheds. Le régime turc ne leur 
permet d'acquérir ni la même richesse ni la même 
puissance qu'en Perse ; ils doivent vivre pauvres et 
modestes. Néanmoins, ils disposent d'une énorme 
influence : plus de 2.000 étudiants suivent leurs ensei- 
gnements ; les pèlerins viennent solliciter leurs con- 
seils, leur soumettre des procès et des cas de conscience. 
La malignité publique en accuse plusieurs d'abuser 
de la crédulité populaire, en vendant aux clients 
naïfs toutes les choses imaginables, la rémission de 
leurs péchés, voire une place au Paradis. 

La Perse et l'Inde fournissent à Kerbéla la presque 
totalité de sa population religieuse, avec les éléments 
annexes vivant du pèlerinage. Nulle part, le chiisme 
n'est aussi compact que sur le plateau d'Iran et 
l'histoire a constamment poussé les Iraniens vers la 
vallée du Tigre. Il est naturel que l'attirance des 
Saints Tombeaux y implante depuis deux ou trois 
générations une colonie persane, de plus en plus 
nombreuse : mollahs, étudiants, pèlerins et négo- 
ciants, retenus par des liens spirituels ou des avan- 
tages temporels. Les Persans sont aujourd'hui 
30.000 : ils impriment à la ville une allure nettement 
iranienne, imposent leur langue, leurs usages, leurs 



LES VILLES SAINTES 389 

monnaies. Les chiites du Caucase, de TAfghanistan, 
de FAsie centrale, qui ont avec eux des affinités de 
race ou de dialecte, se rattachent à leur organisation. 
Les Indiens font bande à part : sur les 5 millions de 
chiites existant dans la péninsule, il n'en est de grou- 
pés que dans TAoudh et sur les côtes de la mer 
d'Oman, entre Bombay et Karatchi : la doctrine 
leur vint des Persans, qui émigrèrent sous les grands 
Mogols et introduisirent leur culture dans toutes les 
cours de l'Inde. Eux aussi subissent l'attraction des 
villes saintes. Le pèlerinage annuel comporte plu- 
sieurs milliers d'Indiens : des colonies de Pendjabis 
se sont installées à Mouseyib et sur le canal de Hin- 
dié. Quinze cents Indiens résident à Kerbéla. Plus 
encore que les Persans, de notables Indiens recher- 
chent auprès du tombeau d'Hoséin l'occasion d'une 
vie pieuse et d'une sainte mort. Des wakfs, créés par 
les souverains et les gens de l'Aoudh, assuraient à leur 
descendance le bénéfice d'un tel séjour ;sur ces fonds, 
un lot de vieux retraités, des Sirkar*s Holders, con- 
tinue de vivre à Kerbéla, d'une pension payée par les 
soins du gouvernement de l'Inde. Deux médressehs 
sont spécialement affectées aux étudiants de la 
péninsule. 

Les principaux sarrafs sont des Persans : Seyyed 
Yahya, de Téhéran, Seyyed Dja^fer, de Recht; il en 
est de même des grands moudjteheds, qui ne sont pas 
plus d'une dizaine.Le premier d'entre eux, Mirza Ismadl 
Es-Sadr, d'Ispahaii, se trouvait absent, étant allé à 
Kazemeïn pour le katl d'Hasan. J'ai vu Hadji 
Cheikh Hoséin. Son père. Cheikh Zéin-el-'Abedin, 
venu du Mazandéran, fut, en son temps, le plus illustre 
docteur des Lieux Saints. Le fils suit les traces pater- 



390 LA ^euse d'aujourd'hui 

nelles : un gros homme, d*une cinquantaine d'années, 
coiffé d*un énorme turban. Sa maison était remplie 
de monde : à tous les étages de la petite cour, on ne 
voyait que kéfiés, turbans blancs, verts et noirs. Les 
gens entraient, baisaient la main du cheikh et la por- 
taient à leur front. Étudiants, pèlerins, plaideurs, 
simples voyageurs, venus pour entendre la bonne 
parole et contempler les traits du fameux personnage. 
Lui-même gardait une attitude digne et fière, dans 
l'orgueil de son influence et de la puissance du tom- 
beau, sur laquelle elle s'appuyait. On dte également 
parmi les moudjteheds persans, Seyyed Mohammed 
Bagher, Khodjet-ol-Islam, originaire d'Ispahan, et 
un jeune Tabri2fl de beaucoup d'avenir, «Âllamé Qe 
plus savant). Trois grands moudjteheds sont Indiens : 
deux venus de Luknow, l'autre du Cachemire. Peu 
connus, ils ont embrassé la profession pour bénéfi- 
cier d'une fondation indienne, attribuant 28.000 rou- 
pies aux ulémas des Lieux Saints, 12.000 pour Ker- 
béla et Nedjef, 4.000 pour Kazemeïn. 

L'afflux d'argent, le mouvement des pèlerins de 
l'Inde ont provoqué l'établissement d'un vice-consulat 
anglais. Son titulaire, Mirza Mohammed Hasan, est 
un Afghan, né à Bagdad d'une mère persane. Après 
avoir servi comme drogman à Kerman et Bender- 
«Abbas, il recueille, aux Lieux Saints, les doléances du 
chîisme, pour le compte du département politique de 
Calcutta. Bien qu'il n'y ait guère de sunnites en de- 
hors de la garnison et des fonctionnaires turcs, la 
religion officielle pèse lourdement sur la secte rivale. 
Elle s'introduit jusqu'au haram de Tlmam Hoséin, 
et, par le moyen des kilitdars, parvient à s'imposer 
aux moudjteheds. Il arrive que les vexations les obli- 



LES Villes saintes 391 

gent à déguerpir ; c'est ainsi que se sont ouvertes les 
écoles théologiques de Samarra et de Kazemeïn. En 
1843, Kerbéla s'était révoltée contre l'oppression 
sunnite ; prise d'assaut par le vali de Badgad, des 
massacres ensanglantèrent ses mosquées. Depuis lors, 
un impôt d'une piastre par boutique, porté à 20 pour 
les boulangeries et à 40 pour les bains, pèse sur la 
population. Il y a trois ans, les Indiens obtinrent la 
remise de cette taxe : en septembre 1906, les Persans 
sollicitèrent une faveur identique. C'était l'époque où 
la légation anglaise venait d'abriter, à Téhéran, la 
révolution persane; la politique indienne jugea le 
moment venu d'acquérir les sympathies du clergé 
chiite. La foule ayant pris refuge au consulat d'An- 
gleterre, les soldats turcs firent feu sur les réfugiés : 
25 morts et 40 blessés calmèrent du coup l'effer- 
vescence populaire. La diplomatie britannique s'en 
tira tant bien que mal, en exigeant la révocation du 
vali de Bagdad et du moutessarif de Kerbéla. 

De même que l'étude de la Bible constitue la seule 
distraction de Jérusalem, les dissertations attendries 
sur le martyre d'Hoséin font l'unique joie de [Ker- 
béla. La sainteté du lieu en exclut les louiis^ les peh- 
levons (lutteurs), les musiciens et les danseurs ; il ne 
reste que les derviches de passage pour exercer leur 
art de conteurs. Par exception, dans les cas de mariage, 
une troupe de baladins juifs est appelée de Bagdad, 
avec la permission de la municipalité. Les journées 
se passent dans les délicieux jardins qui entourent 
la ville, propriété des kilitdars et des chefs de tribus 
voisines. La palmeraie, traversée par le canal Ho- 
séinié, ombrage toute une végétation d'orangers, de 
grenadiers et de mûriers, — des cultures de blé. 



392 LA PERSE d'aUJOURD'UHI 

d'orge et de fèves, — des champs d'opium aux fleurs 
blanches et violettes. Les grands seigneurs» en dépla- 
cement à Kerbéla, s'y font accompagner de leurs 
mignons et de leurs faucons, les gens plus simples 
amènent leurs femmes, le commun des mortels se 
contente de s'y procurer une concubine. 

On peut se rendre en bateau de Kerbéla à Ned- 
jef par le canal Hoséinié, puis jusqu'à Koufa par 
le canal de Hindié ; il est cependant plus simple 
de prendre les diligences qui suivent, vers le Sud, 
la limite du désert. La route de Nedjef sort de la 
ville par les deux cimetières de Ouadi-Eimen (terrain 
à droite), et de OuadUSéfa (terrain de la pureté); 
elle laisse sur la gauche le tombeau d'Hamzeh-ibné- 
Kazem, où la superstition populaire vénère un pré- 
tendu fils de Kazem, fils d'Hasan, qui, sur le champ 
de bataille de Kerbéla, épousa Zobéide, fille d'Hoséin, 
et mourut, époux d'un jour, dans le massacre de 
r«Achoura. 

Nedjef est à quelque 70 kilomètres au sud de 
Kerbéla ; la route traverse une contrée désertique 
où les voitures avancent péniblement au milieu 
des sables : beaucoup de pigeons et d'oiseaux verts 
aux ailes mordorées ; vers l'Esté la palmeraie longe 
le canal de Hindié ; plus loin, apparaît, pendant une 
bonne partie du voyage, la masse isolée du Birs 
Nimroud. Trois Khans marquent les étapes : Khané- 
Nokhéilé (le Khan des palmiers), Khané Chour (le Khan 
salé), Khané Mosalla. Nous y rencontrâmes un pèle- 
rinage du Cachemire avec une troupe de Loures, à 
la mine sauvage, l'escorte de Gholam Réza Khan, 
vali du Poucht-i-Koh. Arrivés à Nedjef, nous prenons 
gîte chez Seyyed «Ali Khersan, un jeune seyyed 



LES VILLES SAINTES 393 

mousavi, dont la famille a de tout temps fourni 
des serviteurs au tombeau d*«Ali. 

En 638, Koufa avait été fondé par la conquête 
arabe. Quand «Ali, devenu khalife, dut abandon- 
ner au parti Ommiade l'Occident de T Islam, il 
vint y passer les quatre dernières années de sa 
vie; en 661, il fut assassiné dans la grande mos- 
quée; c'était le 15 Ramazan, il mouruj le 17. La 
légende veut qu'un souverain du Yémen, Sultan 
Moustapha, contemporain du Prince des Croyants, 
lui ait déclaré son intention[d'être enterré à ses côtés, 
en le priant de fixer par avance le lieu deleur commune 
sépulture ; «Ali aurait désigné le terrain de Nedjef , 
sanctifié par le passage et la prière d'Abraham. Après 
la mort du 1®' Imam, le chameau qui portait son 
cadavre partit spontanément dans la direction voulue 
et s'arrêta à l'endroit même où se trouve aujour- 
d'hui la ville. La solitude garda les restes d''Ali, sur 
lesquels les khalifes Ommiades s'efforcèrent de 
faire l'oubli. En 791, il advint qu'Haroun-ar-Rachid, 
au cours d'une expédition de chasse, poursuivit une 
gazelle dans le désert de Nedjef. L'animal s'étant 
approehé de l'invisible tombeau, chevaux et chiens 
s'arrêtèrent d'eux-mêmes, pour ne point violer la 
sainteté d'un tel refuge. Haroun-ar-Rachid fit aussitôt 
creuser le sol; on retrouva le cadavre d'«Ali et le kha- 
life abbasside y bâtit un petit monument. Comme 
aux autres Lieux Saints, l'essor de Nedjef vint 
des Bouhéides ; la nouvelle ville remplaça Koufa; 
les voyageurs arabes du moyen âge y trouvèrent 
une cité déjà importante. Schah «Abbas construisit 
la mosquée sur les plans du Cheikh Béhaî, Tarchi- 
tecte d'Ispahan : Mohammed Pacha, gouverneur de 



394 LA i>£KS£ d'aujourd'hui 

Bagdad, de 1656 à 1659, éleva les deux minarets ; 
Nadir Schah recouvrit d'or les bâtiments du Séfévi. 

Sur une colline, en plein désert, se prolonge la 
ligne grise des murailles et des tours, d'où émer- 
gent une coupole et des minarets d*or; en avant, 
une immense étendue de cimetières ; au delà, une 
dépression rendue verdoyante par les pluies du prin- 
temps. Tel est Nedjef — Méchhed^AlL — Ainsi 
fortifié, le sanctuaire d'«Ali put repousser, au der- 
nier siècle, les incursions ouahabites qui profanèrent 
la ville ouverte de Kerbéla. Nedjef a 25.000 habi- 
tants. Le caractère même du Prince des Croyants 
lui impose un aspect plus austère qu'aux au- 
tres villes saintes. Ce n'est point une hôtellerie 
de passage comme Kazemeîn, un centre d'ardeurs 
mystiques, comme Kerbéla. Les pèlerins n'y séjour- 
nent guère, au plus une dizaine de jours. On n'y reste 
que pour entreprendre de sérieuses études ou dormir 
son dernier sommeil. Une fois visité le tombeau, les 
gens se hâtent de quitter un lieu froid et triste, où 
règne le recueillement de la théologie et de la 
mort. 

Si Hoséin est la figure sympathique de Tlslam 
chiite, «Ali en est le personnage fondamental ; il 
complète la manifestation prophétique de Maho- 
met, interprète la religion musulmane, et devient 
le premier titulaire d'un Imamat, d'institution 
divine. Les hadis postérieurs l'associent à tous 
les actes de la vie du Prophète ; quand Mahomet 
monta au ciel pour recevoir de Dieu l'ensemble 
de la loi, il fallut même qu'il y trouvât son gendre; 
invité à manger une soupe de riz et de lait, pré- 
parée dans les cuisines célestes, une autre main 



LES VILLES SAINTES 395 

s'en servait en même temps que la sienne et c'était 
celle d'*Ali. Les traditions le placent à la fois sur 
tous les points de l'Islam, aussi bien au Turkestan 
qu'en Perse, sous les apparences les plus diverses et 
parmi les plus éclatants prodiges. 

Nedjef n'existe que par son tombeau. La mos- 
quée se trouve au cœur de la ville, à l'extrémité 
du bazar ; les murs en sont recouverts de carreaux 
de faïence, sauf la façade, garnie de plaques d'or. 

Dans les caves s'entassent les offrandes appor- 
tées au sanctuaire par la succession des fidèles : 
des tapis, des étoffes, des lustres en cristal, dei^ 
pierres précieuses, des objets d'argent et d'or; 
«Abbas, le guerrier de la famille, est le seul qui re- 
çoive des armes. 

A Nedjef, malgré la présence supposée de deux 
défunts considérables, Adam et Noé, la dévotion 
publique se concentre sur le seul tombeau d'«Ali. 
Non point que les deux Prophètes y aient été pri- 
mitivement enterrés, mais la foi chiite n'admet 
pas la permanence absolue des sépultures ; les 
traditions révèlent, dans le monde surnaturel, l'exis- 
tence d'anges transporteurs, qui font la police des 
cimetières, retirent des terrains consacrés les cadavres 
impurs, pour y substituer de plus qualifiés. Les gens 
de Nedjef tiennent à toutes forces que ces anges 
transporteurs aient procuré au premier Imam la com- 
pagnie d'Adam et de Noé. Quoi qu*il en soit, pourvu 
que ces mêmes anges aient respecté le repos des autres 
sépultures, «Ali dort son dernier sommeil en société 
nombreuse et choisie; dans la mosquée, sous les 
arcades de la cour se presse la foule des morts 
illustres : Azod-ed-Dowleh, le Bouhéide, les sultans 



396 LA PERSE d'aujourd'hui 

Uékhaniens de Bagdad» Âgha Mohammed Schah» le 
premier Kadjar. 

Quatre portes donnent accès dans la cour de 
la mosquée. La principale, Dar-è-Bazar, s'ouvre 
sur une petite place, remplie d'étals de changeurs, 
de cafés et de boutiques, à proximité d*un corps 
de garde. La porte est surmontée d'une tour d'hor- 
loge, encadrée de cristal taillé, avec inscription sur une 
plaque d'or; le seul endroit d'où les infidèles puissent 
jeter un regard dans l'intérieur du sanctuaire. A la 
tombée du jour, le peuple se rend à la prière, les 
changeurs quittent leur négoce^^les cordons lumineux 
s'allument dans la cour, éclairant la galerie ex- 
térieure et le revêtement d'or des portails. 

La distribution et l'organisation de la mosquée 
de Nedjef sont les mêmes qu'à Kerbéla ; le tom- 
beau d'«Ali compte plusieurs centaines de servi- 
teurs, dont 16 seulement seraient appointés... Chez 
le Kaîmakam, j'eus la bonne fortune de rencontrer 
Hadji Seyyed Djévad KilUdar-al-'^Ali : un vieillard 
de 70 ans, enveloppé de fourrures, portant la cein- 
ture verte et le turban de même couleur, enroulé 
à plat sur un fez rouge. 

Les moudjteheds de Nedjef occupent dans le 
chiisme une situation particulière. Quand la chute 
des Séfévis entraîna la disparition des grands pon- 
tifes d'Ispahan, la religion perdit son chef officiel 
et les Kadjars s'abstinrent de le rétabUr. Depuis deux 
siècles, les chiites en sont réduits à reconnaître 
l'autorité officieuse de celui de leurs docteurs, dont le 
consentement de ses pairs exalte au-dessus de tous 
la piété et la science. La ville qu'il embaume de ses 
vertus devient, sa vie durant, le centre des études 



LES VILLES SAINTES 397 

théologiques et ses disciples en essaiment afin de 
répandre en pays chiite la justice et la vérité. Sauf 
à la fin du xviii© siècle, où des docteurs célèbres pro- 
fessèrent à Ispahan et à Koum, la capitale religieuse 
resta fixée dans les villes saintes ; le souvenir du pre- 
mier Imam, commentateur de la Loi, détermina la 
prédominance de Nedjef ; il y eut toujours à Kerbéla 
des docteurs renommés, parfois aussi à Kazemeïn çt 
à Samarra. 

Les moudjteheds de Nedjef ont plus grave allure 
que ceux de Kerbéla ; ce sont des hommes de science 
pure, échappant au contact de la superstition popu- 
laire, que nourrit la légende d*Hoséin. En l'absence 
de rimam, leurs lumières deviennent le reflet in- 
certain des clartés divines sur la route de l'humanité 
chiite. Chefs reconnus de la religion, ils distribuent 
l'argent des fondations pieuses, forment la jeunesse 
ecclésiastique et, sur toutes questions publiques et 
privées à eux soumises, rendent des sentences défi- 
nitives, auxquelles l'opinion donne force de loi. Le 
premier d'entre eux est, en fait, le grand pontife 
du chiisme. Â leur mort, la vénération publique 
s'attache à leurs tombeaux, dont les coupoles de 
faïence, perdues au milieu des maisons de la ville, 
peuplent les alentours du sanctuaire d'*Ali. A l'heure 
actuelle, il existe à Nedjef quatre moudjteheds 
renommés : Âkhound Mollah Kazem-Khorassani, 
un homme de Méchhed, établi aux Lieux Saints de- 
puis plus de cinquante années; Hadji Mirza Ho- 
séin, qui y est né de Mirza Khalil Téhéran!; A. 
Seyyed Kazem, de Yezd ; enfin , un Arabe, A. Seyyed 
Mohammed Bahr-d-^Oloum (la mer des sciences). 
Une suprématie incontestée revient à Mollah 



398 LA PERSE d'aujourd'hui 

Kazem, qui est le chef réel du chnsme et, partant, le 
plus grand personnage religieux de TOrient moyen. 

Il me reçut dans sa petite maison, tout proche 
de la mosquée : un vieillard à barbe blanche, mince 
et fin, coiffé d'un énorme turban blanc. Il me parla 
en excellents termes des préceptes du Coran, insista 
sur leurs tendances humanitaires, leur caractère 
universel et hasarda le vœu timide que mes yeux 
s'ouvrissent un jour aux vérités musulmanes. 

Afin d'acquérir sur les âmes croyantes une prise 
décisive, la révolution persane dut solliciter le 
concours des grands moudjteheds des Lieux Saints 
et en obtenir l'assurance que le régime de la liberté 
n'aUait point à rencontre des prescriptions isla- 
miques. A cet effet, la correspondance suivante fut 
échangée entre Téhéran et Nedjef : 

Aux grands moudjteheds éminents, arguments de 
Dieu parmi les hommes (Puisse Dieu allonger leurs 
ombres !). 

Vous êtes naturellement au courant de la création 
du Conseil National ; vous savez que ses règlements 
tendent à l'exécution de la loi, à la protection de la 
sainte religion des douze Imams, à l'anéantissement 
des tyrans et des traîtres, à la diffusion de la justice 
parmi le peuple, à la grandeur du gouvernement per- 
san. 

Néanmoins, quelques personnes, jalouses et mal 
intentionnées, répandent des insinuations et font des 
démarches contraires à l'institution du Medjlis, 

Nous vous prions de vouloir bien nous faire connaître 
sur ce point quel est Iç devoir de tous les musulmans. 



Au nom du Très-Haut (que sa gloire soit reconnue de 
tous) ! 

Au nqm du Dieu clément et miséricordieux I 



LES VILLES SAINTES 399 

Je rends grâces à Dieu, créateur des deux inondes \ 
que la bénédiction divine soit sur Mahomet et ses des- 
cendants, que la malédiction de Dieu pèse sur ses enne- 
mis jusqu'au dernier jour ! 

Oui. — Par la faveur divine, par la protection cé- 
leste, sous les regards sacrés de Téminent maître de 
l'Heure (le 12« Imam), (que nos âmes soient son sa- 
crifice I). 

Atendu que les règlements du saint et vénérable 
Medjlis sont conformes à ce que vous avez dit. 

n appartient à tout musulman de se soumettre à ses 
règlements et d'en faciliter l'exécution. 

Agir à rencontre serait résister au fondateur de notre 
sainte religion et trahir le gouvernement. 

En conséquence, je le répète, les musulmans doivent 
s'abstenir de toute opposition. 

Signé : Kazem Khorassani. 

Mollah Kazem avait répondu, au nom de tous 
ses confrères ; il envoya aux moudjteheds de Tau- 
ris le destékhait ci-après, écrit de sa propre main 
et tout aussi formel que le précédent : 

J'ai exactement reçu votre télégramme. Vous avez 
porté plainte contre les traîtres et les ennemis de la 
liberté. Cette nouvelle a vivement ému les docteurs. 
Nous sommes assurés que ces gens agissent à l'insu de 
Sa Majesté Impériale ; car toute la nation est aujour- 
d'hui d'accord, en ce qui concerne la création du Con- 
seil National, qui est un instrument efficace pour dé- 
truire la tyrannie, abolir la cruauté, propager la loi, 
maintenir les enseignements des Imams et la grandeur 
du rite dja«feri, ce qui est la première des conditions. 

Donc, tous les musulmans ont pour devoir d'admettre 
le nouveau règlement et de n'y point faire d'opposi- 
tion. C'est avant tout le devoir de Sa Majesté Impé- 
riale d'expulser les traîtres et de réduire les ennemis du 
saint et vénérable MeâjUs. 

Cinq mille étudiants fréquentent Nedjef : la plu- 



400 LA PERSB d'aujourd'hui 

part Persans, les autres venus de la Mésopotamie, 
du Caucase, de Tlnde et même de Mascate. Ils 
se répartissent dans les dix médressehs de la ville 
et suivent les cours des moudjteheds, dans leurs mos- 
quées ou leurs maisons particulières. Ces jeunes 
gens trouvent auprès d'eux la plus haute culture reli- 
gieuse que peut offrir le chiisme : il s'agit de pénétrer 
le Livre Saint, de connaître les traditions et les réfé- 
rences qui le complètent, enfin d*acquérir la faculté 
de discernement, qui permet d'appliquer aux réalités 
de chaque jour les principes théoriquement appris. 
La littérature sacrée, étant écrite en arabe, exige 
une étude approfondie de cette langue, de sa 'gram- 
maire et de sa syntaxe; comme la parole divine, 
énoncée dans le Coran, descendit sous une forme 
concise et parfois incertaine pour l'entendement 
humain, il convient d'en dégager le sens au moyen 
de commentaires qui l'interprètent, distinguent 
entre les commandements et les conseils, et s'ef- 
forcent d'éclaircir les doutes quant à la signification 
exacte du message de Dieu. 

Après ces longues et délicates études, l'élite des 
étudiants de Nedjef parvient à la dignité de moudj- 
tehed ; il est rare que cette dignité soit conférée 
par un diplôme émané des supérieurs ; elle résulte bien 
plutôt du consentement général, qui prend confiance 
dans un homme, consacre sa réputation et le reconnaît 
pour directeur.Parmi les docteurs ainsi formés àNedjef, 
quelques-uns se chargeront d'y continuer la tradition 
des maîtres; d'autres vont exercer dans les villes 
chiites de la Mésopotamie ; la plupart regagnent leur 
pays d'origine, où le fait même de leur long séjour 
aux Lieux Saints leur vaut un surcroît d'autorité. 



LES VILLES SAINTES 401 

A rélément iranien attiré par l'école théologique 
se joignent les négociants persans, qui détiennent 
la majeure partie des 600 boutiques des bazars. Le 
commerce de Nedjef a quelque importance; les 
tribus du Nedjd y achètent les grains des bords 
de l'Euphrate et les produits manufacturés impor- 
tés par Bagdad. Une grande caravane vient juste- 
ment de camper en dehors des murs ; les hommes 
ont l'aspect rude, la figure basanée, le front enca- 
dré de boucles de cheveux nattées et portent aux 
pieds des sandales de cuir; un petit marché s'ins- 
talle autour de leurs tentes. Naguère, entre Nedjef 
et la Mecque, il existait une route directe à tra- 
vers l'Arabie, si bien que les pèlerins chiites pouvaient 
se rendre au tombeau du Prophète, aussitôt après 
avoir visité ceux des Imams... L'insécurité du désert 
obligea les moudjteheds à en interdire l'usage, et le 
chemin de la Syrie reste seul ouvert. 

Bien, que la moitié de sa population soit per- 
sane, Nedjef reste une ville d'aspect purement 
arabe, déchirée par les dissensions habituelles à 
la race. Pour quelque raison futile, les Oulad '^Ali, 
les fils d'«Ali, se sont divisés en deux camps enne- 
mis, les Zeguerds et les Chemerds. Les uns et les 
autres partagent la ville et le bazar, interviennent 
dans le règlement des affaires municipales; les 
premiers plus nombreux, les seconds plus auda- 
cieux et plus braves; quand les deux partis se sen- 
tent d'humeur batailleuse, ils prennent pour champ 
clos la place du Méidan-è-Chemerd, qui sépare les 
quartiers habités par les fractions rivales. La ville 
jouit actuellement d'un instant de répit; car le 
kaïmakam a mis la main sur quatorze des princi- 

AuBiH. — La Perêê, M 



402 LA PERSE d'aujourd'hui 

paux chefs, pour les envoyer prisonniers à Bagdad. 

 l'abri des agitations humaines, le peuple des 
morts goûte l'éternel repos, au pied de la colline 
de Nedjef. Coupé par la route de Kerbéla, l'im- 
mense cimetière occupe le OuadUSelam (le ter- 
rain du salut) ; les tombes se répandent à travers 
le désert, remontent, au nord et à l'est, les pentes 
du monticule, couronné par la ville. Les cadavres 
y affluent de tous les points du chiisme, confor- 
mément aux dispositions testamentaires ou sur le 
pieux désir des survivants, afin d'assurer aux défunts 
le bénéfice promis par les traditions, qui garantissent 
le ciel aux morts ensevelis dans la terre des Lieux 
Saints. Pour leur séjour funèbre, «Ali inspire aux 
chiites une confiance particulière; dédaigneux des 
autres Imams, la plupart veulent être enterrés dans 
le voisinage du premier d'entre eux; ce qui procure 
des rentrées considérables à la municipalité de Ned- 
jef. La plupart des tombeaux sont marqués d'un mo- 
nument bas ou d'une arcade de briques ; quelques 
coupoles, revêtues de faïences, recouvrent les restes 
de cheikhs où de moudjteheds... Il existe aussi des 
caveaux de famille, véritables chapelles funéraires. 
J'ai visité quelques-unes d'entre elles : une cour, 
entourée de grands murs avec un bassin et des 
parterres de fleurs, — rosiers, pensées, œillets, 
capucines, giroflées et verveines; une vigne ombra- 
geait l'entrée d'une chambre ouverte, servant de 
lieu de prière. Une autre chambre, plus grande, 
contenait les sépultures : encastrée dans le mur, 
une pierre tombale portait deux vases garnis de 
feuillages, avec l'inscription suivante : 

« Au nom de Dieu I Gi-gît celle qui est allée au 



LES VILLES SAINTES 403 

Ciel, Fatémé Sultan Bégoum, fille de feu Agha 
Mohammed Sadik, d'Ispahan, dit «Âbbasabadi. 
22 Cha*an 1315. » 

La chapelle fut construite, il y a cinq ans, par 
un homme d*Ispahan, Hadji Mohammed Djévad, 
devenu négociant à Pouna ; sa femme et son beau- 
père [s'y trouvent déjà enterrés ; lui-même viendra 
les rejoindre un jour. 

En attendant, un mollah ispahani, dont le pèle- 
rinage se prolonge depuis une trentaine d'années, 
Mirza 'Âli Âkbar, vit de la garde du tombeau; il y 
passe ses journées entières, accroupi sur un carré 
de tapis, alternant ses loisirs entre la fumée d'un 
narguileh et la lecture du Coran. Le tombeau voi- 
sin appartient à un Persan de Chiraz, étabU dans 
l'île Maurice. 

Le cimetière se poursuit à travers le désert, 
dans la direction de Koufa. La petite ville est située 
à 6 kilomètres vers l'est, sous la palmeraie du canal 
de Hindiyé, devenu le ht principal de l'Euphrate. 
Dans les sables environnants, se perdent quelques 
monuments illustres, relevant du KilitdaT'<d'''Ali et 
vénérés par les pèlerins : sous une coupole blanche, 
le tombeau de Koméit-ibn-Ziat, savant fameux, 
compagnon du Prince des Croyants ; au-delà d'un canal 
desséché, le dôme bleu d'une mosquée rappelle une 
apparition du 12^ Imam; de l'autre côté du chemin, 
le tombeau de Maïssamé-Tammar, un marchand de 
dattes, ami d'«AU, qui, chaque jour, s'asseyait dans sa 
boutique. Plus près de Koufa, une coupole très 
basse indique l'emplacement de la maison d'«Ali, 
là même où fut lavé son corps. Enfin, à l'orée des 
cultures, un grand caravansérail attenant à une 



404 LA PERSE d'aujourd'hui 

enceinte fortifiée» d'où pointe un petit minaret ; 
on y a reconstruit la grande mosquée] de Koufa, 
et des carreaux de faïence marquent l'endroit même 
où fut assassiné le premier Imam. Adossés à la mos- 
quée, les tombeaux des deux proches d'"Âli, Moslem 
et Hani-ibné-Orvé. 



CHAPITRE XVII 
A TRAVERS L'aRAK-'ARABI 



Le village de Tlmam A«zam : le tombeau du Cheikh Hanéll. — 
Bagdad. — Le mouvement du Tigre. — Les restes de la 
capitale abbasside. — Arabes, Turcs et Persans. — La 
maison-mère de Tordre des Kadris ; le nakib-ol-echraf ; 
Seyyed ""Abdourrahman. — Populations chrétiennes. — Le 
bulle du pape Urbain VIII et le siège latin de Babylone. 
— La communauté juive. — Les Nawabs indiens. — Le 
commerce de Bagdad : prépondérance anglaise ; activité 
allemande ; expansion de la culture française. — Le rêve 
pangermanique. — Difficultés de sa réalisation. — ^ Salman 
Pak. — La descente du Tigre. — Le Chatt-el-«Arab. — 
Bassora : commerce et navigation. — L'ordre des derviches 
hurleurs. — Le cheikh de Mohammérah. — Là barre du 
fleuve. 



Bagdad, la capitale abbasside, ayant été le principal 
théâtre de la rivalité des khalifes et des imams, de 
la lutte entre sunnites et chiites, il est naturel que 
les deux sectes y entremêlent leurs tombeaux et 
leurs souvenirs, particulièrement vénérés, les uns 
parles Turcs, les autres par les Persans. En face des 
deux Kazems, de l'autre côté du Tigre, réside Âbou 
Hanifa ; un pont de bateaux traverse le fleuve entre 
la palmeraie de Kazemein et le village de l'Imam 
Az«am. Les rives sont remplies de verdure : palmiers, 
saules et peupliers; les eaux troubles coulent au 



406 LA PERSE d'aujourd'hui 

pied des maisons fermées de fenêtres grillées. Sur une 
place, à la sortie d*un petit bazar, s'ouvre la mosquée 
du docteur Hanéfi; il vivait à Bagdad, au viii® siècle, 
collabora au plan de la nouvelle capitale et réussit, 
entre temps, à instituer le premier des quatre rites 
orthodoxes, le code de jurisprudence religieuse,, adopté 
dans la suite par les Turcs ottomans. L'édifice 
actuel fut élevé, en 1874, par la mère du sultan 
régnant. Sur un des côtés de la cour, s'inscrivent une 
mosquée carrée, un petit minaret et le dôme en faïences 
du tombeau. Le savant sunnite exige un moindre 
personnel que les imams du chiisme : il se contente 
d'une trentaine de personnes, dont un khatib et deux 
imams; le kilitdar Tevfik Efiendi administre les 
fondations pieuses et la médresseh. Il est de règle 
pour tout nouveau gouverneur d'arriver à Bagdad 
par le village de l'Imam «Azam; il fait ses dévotions 
auprès d'Abou Hanifa et tient sa première réception 
chez le kilitdar. De là il gagne la ville, en longeant les 
digues du fleuve et y entre par la porte de Bab- 
Mo«azzem. 

Naguère, les portes de Bagdad touchaient aux 
cimetières de Kazemeïn et del'Imam A^zam. En 762, 
le second khalifeabbasside,Al-Mansour, avait établi, 
sur la rive droite du Tigre, une forteresse circulaire, 
qui fut l'embryon de la capitale ; le troisième, Al- 
Mahdi, construisit un palais sur la rive gauche ; les 
faubourgs s'étendirent promptement des deux côtés 
du fleuve, assez grands pour contenir jusqu'à six 
mosquées du Vendredi; trois ponts traversaient le 
Tigre. En 892, les khalifes revinrent de Samarra, où 
les avait maintenus, pendant trois quarts de 
siècle, la turbulence de leur capitale ; ils ^'établirent 



A TRAVERS L^'IRAK "ARABI 407 

alors sur la rive gauche, où ils entourèrent leur de- 
meure d'une enceinte fortifiée. L'invasion mongole 
détruisit la ville en 1258; les ilkhanis de Tauris, les 
gens du Mouton Noir et ceux du Mouton Blanc, en 
possédèrent successivement les ruines. Au xvi© siècle, 
apparurent les Persans et les Turcs Ottomans, 
maîtres, à tour de rôle, de r«Irak-«Arabi, selon que la 
force était plus grande à Ispahan ou à Constantinople. 
Schah Ismaâl et Schah «Âbbas eurent Bagdad : 
Nadir Schah, Kérim Khan le Zend etFeth «Ali Schah 
la menacèrent. Soléiman la prit en 1534; Mourad IV 
la reprit en 1637, pour l'incorporer définitivement à 
l'empire ottoman. Au milieu du xvui® siècle, des 
mamelouks s'imposèrent au gouverneur nommé par 
le sultan et se rendirent virtuellement indépendants 
de la Porte. Le dernier d'entre eux, Daoud Pacha, 
disparut en 1836, après que Bagdad eut été prise 
par une armée turque. La division présente de r«Irak- 
•Arabi en trois vilayets — (Bagdad, Bassora et Mos- 
soûl) — date de 1878 et 1884. 

Tout le charme de Bagdad lui vient du fleuve. 
Nous y fûmes au milieu d'avril, à l'époque des ora- 
ges, des rafales de vent et de pluie qui précèdent la 
saison chaude. La crue du printemps avait rempli 
les berges profondes, dégagées le reste de l'année. 
Le courant rapide baignait le pied des maisons et 
inondait l'entrée des rues; sa violence avait com- 
mandé le retrait du pont de bateaux, long de 200 mè- 
tres, qui d'habitude réunit les deux rives. La forte- 
resse, le sérail où résident le vali et le commandant 
du corps d'armée, la douane, les maisons des princi- 
paux de la ville, précédées de terrasses garnies de 
fleurs, les consulats des puissances, se succèdent le 



408 LA PERSE d'aujourd'hui 

long du Tigre; sur la rive droite, des kavehkanehs et 
quelques jardins de dattiers. Le mouvement du 
fleuve est ininterrompu ; les bataux à vapeur vont 
et viennent de Bassorah ; les séfinés, leur grande 
voile déployée, arrivent de tous les cours d'eau de 
l'Irak et assurent par voie fluviale le commerce 
de la région ; les kouffahs passent en tous sens : 
des paniers ronds et creux, en tiges de palmier, 
recouverts extérieurement d'un enduit de goudron 
et ornés de dessins en verroteries bleues ; elles sont 
manœuvrées à la rame, au travers des remous 
les plus violents. Les porteurs d'eau descendent au 
bord du fleuve remplir leurs grandes outres de 
peau. 

La ville actuelle n'occupe qu'une faible partie de 
l'ancienne ; sur la rive gauche, elle tient au large 
dans la ligne de murailles, où les khalifes, retour de 
Samarra, enfermèrent leur cité propre ; sur la rive 
droite, elle ne forme plus qu'une étroite bande de 
maisons nommées Karchi-Yaka (la rive d'en face), 
là où se trouvait jadis le vieux faubourg de Kerkh, 
De son illustre passé, elle conserve peu de témoi- 
gnages : les magasins de la douane sont coupés par 
un mur de briques qui appartenait à la médresseh 
de Mostanser Billah, l'avant-dernier khalife; une 
longue inscription raconte la fondation, en 630 de 
l'hégire, la réparation par le sultan «'Abdul «Aziz. 
Le minaret du Souk-el-Ghazel indique l'empla- 
cement de la grande mosquée khalifale ; les auvents 
du bazar masquent quelques traces de sculptures 
sur le portail de la Djami-è-Merdjan (la mosquée 
de corail), élevée, dit-on, par un esclave d'Haroun- 
ar-Rachid. Le Khan-Ortema porte le nom de Schah 



A TRAVERS L'TRAK 'ARABI 409 

Isma*!! et la date de 831 H. : une halle dont le toit» 
soutenu par des arcades, est percé de fenêtres su-, 
perposées. Insouciante de la ruine de ses monu- 
ments, une ville d'Islam ne veut s'inquiéter que de ses 
tombeaux, où se porte la piété des générations ; 
Cheikh 'Abd-el-Kader est en ville; au dehors. Cheikh 
Omar-es-Sohraverdi ; sur la rive droite Cheikh 
Mahrouf-el-Kerkhé, la sultane Zobéide et Bahloul, la 
femme et le cousin d'Haroun-ar-Rachid. / 

Autant Bagdad a joli aspect, vue du fleuve, au- 
tant l'intérieur en est maussade ; les rues sont étroi- 
tes et sales, les bazars insignifiants. Le dôme de 
l'église des Carmes domine la masse informe des 
maisons de briques, d'où s'élèvent les minarets et 
les coupoles, d'architecture arabe et de décoration 
persane. Depuis les Abbassides, dont la dynastie 
même naquit d'une transaction entre l'Arabie et 
l'Iran, le temps n'a cessé d'y mélanger les deux 
influences. Cependant, les nécessités du climat ont 
imposé aux maisons une disposition propre, aussi 
bien à Bagdad que dans les autres villes de l'^Irak. 
La température est si chaude pendant une bonne 
moitié de l'année, qu'il devient insupportable d'habi- 
ter les chambres ou les galeries extérieures (/ar/na); 
des caves (serdabs)^ très profondes et soigneuse- 
ment aérées, servent d'abri contre le poids du 
jour ; la nuit se passe sur les terrasses, divisées en 
compartiments et encloses de murs assez hauts pour 
garantir l'intimité des familles ; une succession de 
cheminées y forment autant de prises d'air, assu- 
rant la ventilation du sous-sol. 

Quand Tavemier traversa Bagdad en 1632, la ville 
était singulièrement déchue ; il n'y trouva que 



410 LA PERSE d'aujourd'hui 

15.000 âmes. En 1766, Niebuhr la vit repeuplée. 
Elle peut maintenant contenir 200.000 habitants, 
population juxtaposée par les hasards de Thistoire 
ou la migration des peuples, depuis la fondation de 
la capitale abbasside. 

La rive droite est au chiites, Arabes et Persans ; 
ces derniers sont environ 5.000, pour la moitié 
portefaix et petits marchands; l'élément le plus 
aisé est fourni par un groupe de commissionnaires 
venu de Tauris. Sur la rive gauche, le nord appartient 
aux Turcs, soldats et fonctionnaires, installés auprès 
du sérail, des casernes, du méidan, de la mosquée 
deDa«oud pacha; le vali, Hazem Pacha, est récem- 
ment arrivé de Monastir, — un homme jeune en- 
core, très européanisé, qui a épousé une Française. 
Au centre, se trouvent les quartiers chrétiens et 
juifs ; partout aUleurs, les Arabes, en majeure par- 
tie sunnites. 

Ces derniers gravitent autour du tombeau de Cheikh 
cAbd-el-Kader el-Guilani, sis au quartier de Bab-ech- 
Cheikh, et reconnaissent l'autorité spirituelle du 
Nakib-oul-echraf de Bagdad. Cheikh «'Abd-el-Kader 
florissait au xii© siècle; il descendait d'une famille 
chérifienne, issue de l'imam Hasan et se rattachait- 
•par sa mère, aux seyyeds Mousavis ; ses ancêtres, 
fuyant Médine, s'étaient réfugiés au Guilan. A l'âge 
de dix-huit ans, le jeune homme vint à Bagdad 
pour suivre la « Voie » de Cheikh Abou Sa4d-el-Mou- 
barek, dont il fut le successeur. Toute sa vie s'écoula 
dans le couvent de son maître, devenu le plus fameux 
docteur de son temps; il réunit autour de lui jus- 
qu'à 10.000 auditeurs, accourus de tous les points 
de l'Islam. Ses enseignements transformèrent le 



A TRAVERS L'^IRAK «ARABI 411 

soufisme ; sa philosophie s'imprégna de tendances 
mystiques, recommanda les extases et les pratiques 
violentes. A part les confréries religieuses du chiisme, 
qui remontent à Cheikh Ma «rouf, il n'en est guère 
dans le monde musulman, dont la lignée spirituelle 
ne se rattache à Cheikh «Abd-el-Kader. Ce fut un 
thaumaturge qui multiplia les miracles et développa 
la croyance au surnaturel. Un jour qu'il prêchait, 
il se mit à pleuvoir; il dit, en levant les bras au ciel ; 
« Seigneur, je rassemble, et vous, vous dispersez ! » 
Devant cette adjuration du saint, la pluie continua 
de tomber tout à l'entour, mais en épargnant l'au- 
ditoire. Il eut des disciples illustres : parmi eux, 
Cheikh *Omar es-Sohraverdi, dont le tombeau sub- 
siste encore. 

L'élève était fort dissipé ; son oncle s'en plaignit 
au maître, accusant son neveu d'étudier l'astrologie 
et d'autres sciences mauvaises. Le cheikh se fit pré- 
senter les cahiers répréhensibles, et d'un geste de la 
main, en effaça toute écriture. Il n'en fallut pas 
davantage pour déterminer une conversion défini- 
tive, d'où sortit plus tard une doctrine nouvelle, déri- 
vée des Kadris. Cheikh «Abd-el-Kader vécut qua- 
tre-vingt-onze ans, sans jamais quitter Bagdad ; il 
agrandit le couvent de Cheikh Abou Sa^id, y posa les 
fondements d'une mosquée et voulutêtre enterré dans 
l'endroit même où il avait professé sa vie durant. 

De ses 40 enfants, 14 survécurent ; les fils se dis- 
persèrent à travers l'Islam, afin de répandre les 
leçons paternelles : «Isa repose au Caire, Yahya en 
Syrie, «Abd-el-«Aziz à Aker, près Mossoul, oùjse 
trouve encore l'un des principaux couvents de l'ordre; 
«Abd-el-Ouahhab avait évangélisé la Perse. Le suf- 



412 LA PERSB d'aujourd'hui 

frage des adeptes attribua successivement aux trois 
atnés l'héritage spirituel du défunt. «Abd-el-«Âziz, 
Âbd-el-Ouahhab et «Abd-er-^Rezzak. Il finit par reve- 
nir au premier et se maintint définitivement dans sa 
branche; à chaque génération, celle-ci désigne le 
plus âgé ou le plus méritant des siens. La domi- 
nation turque ne chercha pas moins à s'appuyer sur 
le saint des Kadris que sur le jurisconsulte Hanéfi ; 
Soliman, puis Mourad IV, firent reconstruire le cou- 
vent et le dotèrent de biens immenses. 

La descendance de Cheikh Âbd-el-Kader continue 
de vivre, à Bagdad, autour du tombeau de son au- 
teur, d'où lui viennent sa richesse et sa considéra- 
tion. Toutefois, plusieurs seyyeds kadris s'en sont 
détachés pour chercher fortune dans le Kurdistan, 
aux Indes, en Syrie, en Egypte et même au Maghreb- 

Plus de 900 tekiés relèvent de la maison mère, 
dont le tiers aux Indes. II y a une dizaine d'années, 
Seyyed «Abdurrahman succéda à son frère Seyyed 
Salman ; il est en même temps nakib-ol-echraf, 
c'est-à-dire chef de tous les seyyeds de Bagdad, 
aussi bien que de l'ordre des Kadris. C'est l'homme 
le plus riche et le plus puissant de la ville. 

Il me reçut dans une grande pièce nue, entourée 
de divans le long des murs, selon la mode turque, 
les fenêtres ouvertes sur la coupole du tombeau; 
Seyyed «Abdurrahman est déjà âgé, gros, la mous- 
tache courte, la barbe rare et grisonnante, les mains 
très soignées ; il est bien mis et a fort bon air. Un 
vêtement noir recouvre sa robe de soie brune à raies 
jaunes; il porte des souliers vernis et, sur la tête, 
le fez entouré d'un turban plat et blanc. 

La confrérie des Kadris est une si grande affaire, 



A TRAVERS L"*IRAK «ARABI 413 

poussant dans tout l'islam de telles ramifications» 
que son chef est, par la force des choses, un impor- 
tant personnage, conscient de s^s responsabilités, 
exactement renseigné sur les divers aspects du 
monde musulman. Ses affiliés lui écrivent du Magh- 
reb aussi bien que de TExtrême-Âsie ; il connaît 
la politique des princes musulmans et les procédés 
de l'expansion européenne. Les intérêts de sa con- 
frérie l'amènent à envisager l'action des puissances 
selon la façon dont elles les ménagent. Il m'a paru 
satisfait de nous. D'ailleurs, le centre de gravité 
de son ordre n'est pas dans le Nord-Ouest africain, 
mais bien aux Indes et en Egypte; nos musulmans 
restent à l'écart du sursaut de révolte qu'ont pro- 
voqué dans ces deux pays les excès de l'impérialisme 
anglais. Ses correspondants y doivent juger sans 
faveur l'activité britannique; il parle avec amer- 
tume de l'incident de Denshawaï et du fâcheux 
état d'esprit qu'il révèle à l'égard des indigènes, 
chez les Anglo-Égyptiens. Non point que Seyyed 
•Abdurrahman paraisse bien atteint par les idées 
nouvelles; Bagdad est un lieu trop écarté pour s'ou- 
vrir encore au'^modemisme. Seyyed «Abdurrahman 
est un chef religieux, comme, avant lui, l'ont été 
ses ascendants, jouissant paisiblement de la sainteté 
de son ancêtre, reconnaissant le dessein de Dieu dans 
la transformation des empires, peu accessible aux 
innovations. L'Arabie a produit la religion, la Méso- 
potamie la civilisation musulmane. Il ne saisit pas 
pour quelle cause inattendue le mouvement de l'Islam 
actuel, délaissant la Mecque et Bagdad, s'établit aux 
Indes ou en Egypte et néglige la vieille langue litur- 
gique, pour polémiquer avec les infidèles en anglais ou 



414 LA PERSE d'aujourd'hui 

en français. II m'interroge longuement sur Teffort de 
la Perse, qui cherche à sauvegarder son indépen- 
dance par l'adoption du système constitutionnel ; 
je crains qu'il n'y voie un expédient peu sûr, d'une 
contestable orthodoxie. Philosophe doux et sage, il 
regarde aller les choses, assez informé pour pres- 
sentir les tendances d'un âge nouveau, destiné à se 
développer en dehors des principes qui ont fait la 
sainteté de Cheikh «Abd-el-Kader et la fortune de ses 
descendants. Dans une maison voisine demeure son 
neveu, Seyyed Daoud,fils de Sejryed Salman. Celui-ci 
est plus jeune, et le courant l'a déjà saisi. Il habite 
des chambres meublées à l'européenne; ses enfants 
apprennent notre langue. 

Sous sa forme actuelle, le couvent familial, maison 
mère de l'ordre de Kadris, est une construction 
moderne. Une coupole en maçonnerie surmonte la 
mosquée, que précède, sur deux côtés, une galerie 
intérieure; les murs en sont nus; sous l'auvent ex- 
térieur court une longue inscription. Au devant, 
parmi les dalles d'un' cimetière, le dôme en faïence 
recouvrant le tombeau du cheikh «Abd-el-Kader; à 
droite de la porte d'entrée, d'où pointe un minaret, 
le tombeau de son fils, «Abd-el-Djebbar. La cour 
contient une tour d'horloge, deux médressehs et le 
bassin des ablutions; des bâtiments à étage ont été 
aménagés en hôtellerie. Les pèlerinages se multiplient 
à l'époque des grandes fêtes et pendant le mois de 
ramazan ; chaque année amène une moyenne de 
20.000 pèlerins, et il n'y en a jamais moins de 12 ou 
1.500 jouissant en même temps de l'hospitalité du 
cheikh. Celle-ci est absolue : le produit des fondations 
pieuses permet d'offrir gratuitement le logement et 



A TRAVERS l'^IRAK *ARABÎ 415 

la nourriture ; on cite des Kadris, venus jeunes à 
Bagdad, qui y moururent dans un âge avancé, 
ayant, à ne rien faire, vécu aux frais du saint Tom- 
beau ; en temps de disette, des chrétiens eux-mêmes 
auraient bénéficié de ces générosités. A chacune 
des extrémités de l'hôtellerie, résident un fils et un 
petit-neveu de Seyyed «Âbdurrahman. Chaque natio- 
nalité dispose d'une section propre : la plus grande 
revient aux pèlerins de l'Inde, les autres auxÂfghans, 
aux Égjrptiens, aux gens du Maghreb. J'ai trouvé 
là dix Algériens, Oranais pour la plupart, qui 
venaient visiter le « marabout ». La veille, deux 
voyageurs étaient arrivés du Sénégal. 

n y eut des chrétiens en Mésopotamie dès les pre- 
miers temps du christianisme. Au vi® siècle, l'Église 
de Chaldée avait adopté tout entière l'hérésie nes- 
torienne, qu'elle répandit en Perse et jusqu'au 
fond de la Chine. Sous les Abbassides, un quartier 
chrétien existait à Bagdad, Dar-er-Roum, mi-nesto- 
rien, mi-jacobite. Au xviii® siècle, le développement 
du commerce à travers le désert et du trafic de 
l'Inde par Bassora attira un nouvel afflux de Syriens, 
melkites et jacobites. Les persécutions des derniers 
Séféviset l'invasion afghane amenèrent un contingent 
arménien échappé de Djoulfa. 

Or, dans la première moitié du xvii© siècle, il 
vint à l'esprit d'une dame française, Marie Ricouart 
veuve de Gué-Bagnols, de doter le siège latin de 
Babylone, érigé, en 1632, par la Congrégation de 
la propagande, au profit d'un Carme déchaussé; 
elle fit, à cet effet, une donation de 66.000 livres, 
son confesseur, un carme de Nevers, frère Bernard 
de Sainte-Thérèse en étant (devenu titulaire. Une 



416 LA PERSE d'aujourd'hui 

bulle du pape Urbain VIII, en date de juin 1638, 
réglementa la fondation et spécifia qu'en mémoire 
d'une pénitente aussi rare, le siège, ainsi pourvu 
de ses deniers, devrait être constamment occupé 
par un prêtre français. En conséquence, frère 
Bernard devint évêque latin de Babylone, sous le 
nom de Mgr Jean du Val. A l'époque, le diocèse n'était 
pas habitable; Turcs et Persans se disputaient le 
pays, les Arabes y guerroyaient à leur guise. Mgr du 
Val préféra rester à Paris et y créa un séminaire 
pour le recrutement de sa future mission ; la rue, 
où se trouvait l'établissement, s'appela rue de Ba- 
bylone. Ses successeurs résidèrent tantôt à Ispahan, 
tantôt à Hamadan ; ils ne vinrent à Bagdad qu'en 
1742. 

Avec le régime turc, la sécurité se rétablit en 
Mésopotamie, si bien que les cannes de la mission 
de Perse avaient, dès 1721, entrepris de s'installer 
dans r«Irak-«Arabi. La Révolution française arrêta 
la succession régulière des évêques de Babylone; 
le titulaire d'alors, un cistercien, Mgr Miroudot du 
Bourg, était un prélat de cour, peu soucieux de 
visiter l'Orient Moyen; il se fit évêque constitu- 
tionnel, fut excommunié de ce chef et dépossédé 
de son siège, qui resta vacant. Pendant tout le cours 
du dernier siècle, le diocèse fut alternativement 
administré par le supérieur des Carmes ou par des 
évêques choisis de bric et de broc : un prêtre de 
Picpus, Mgr de Coupperie, de Nantes, un prêtre 
séculier de Marseille, Mgr Trioche. En 1902, Mgr Alt- 
mayer, Dominicain, fut remplacé par un carme, 
Mgr Désiré Drure. L'évêque de Babylone est, en 
outre, archevêque latin de Bagdad, et de fait, délégué 



A TRAVERS L^lRAK ""ARABI 417 

apostolique pour la Mésopotamie» le Kurdistan 
et rAxménie Mineure. 

On compte à Bagdad de 8 à 9.000 chrétiens : 
Chaldéens, Syriens Melkites et Arméniens ; tous 
catholiques» à l'exception d'une centaine de familles 
grégoriennes. Quelque 300 Chaldéens habitent 
Amara» un millier Bassora. Les Jacobites ont un 
archevêque, les grégoriens un évêque, les Chaldéens 
un vicaire patriarcal. Chaque communauté possède 
son égUse et son école ; le prêtre melkite exerce 
son ministère chez les Arméniens cathoUques. Ces 
derniers représentent une soixantaine de maisons ; il 
y en a 15 melkites» 200 jacobites. Parmi cette chré- 
tienté, la famille la plus notable est celle des Asfars, 
melkites d'Alep, qui vinrent à la fin du xviii® siècle» 
s'enrichirent dans le négoce et se partagent aujour- 
d'hui entre Bagdad et Bassora. Les Chaldéens 
sont beaucoup plus nombreux; depuis 1745» il 
n'existe plus chez eux la moindre trace de nesto- 
rianisme : petits commerçants» hommes de] peine ou 
domestiques. La jeunesse chaldéenne de Telkeif» 
village voisin de Mossoul, a coutume d'émigrer à 
Bagdad pour s'y mettre en service ; on en reconnaît 
les femmes à leur costume spécial : robe de coton- 
nade bleue, bande brodée qui» par derrière» tombe 
de la ceinture, coilRFure très haute recouverte d'un 
voile bleu. Ces communautés chrétiennes se confor- 
ment strictement aux mœurs de l'Orient; les 
femmes continuent à porter le voile. Le dimanche» 
l'égUse des Carmes s'empUt de formes féminines 
enveloppées dans des izars de soie claire» tissée de 
fils d'argent ou d'or. Les principaux actes de la 
vie restent entourés des vieux rites arabes. 

AVBiN. — JLa Perse. 27 



418 LA PERSE D^AUJOURD'HUr 

Les cannes et les sœurs de la Présentation de 
Tours — religieuses dominicaines — élèvent la meil- 
leure part de la jeunesse chrétienne. Le collège des 
Carmes ^ a 220 élèves et une école annexe reçoit 126 en- 
fants pauvres ; le dispensaire soigne annuellement 
de 8 à 10.000 malades; il s*y joint un petit hôpital de 
9 lits, une œuvre d'aveugles (21), un atelier de menui- 
serie et une école d'agriculture, instaUés sur le Ti- 
gre, au jardin des Pères. La mission entretient éga- 
lement des écoles à Amara et à Bassora. Les soeurs 
de la Présentation* vinrent, en 1880, remplacer les 
(( Servantes de Dieu », ordre indigène fondé par 
Mgr de Coupperie ; elles recueillent 868 petites filles 
réparties entre asile, orphelinat, école et classe 
d'adultes. 

Les juifs datent de la captivité Bien traités en 
Mésopotamie, ceux qui restèrent n'eurent point à 
s'en repentir. Après* la destruction de Jérusalem, la 
vallée du Tigre devint le principal foyer du judaïsme ; 
la tolérance des Parthes y garantit l'autonomie 
d'Israël, sous l'autorité d'un exilarque choisi parmi 
les descendants de David. Les écoles talmudiques 
commencèrent à fleurir et leurs gaons fournirent au 
peuple ses chefs spirituels. La décadence abbasside 
ayant aboli ces libertés, l'essor du judaïsme dut 
abandonner la Chaldée pour se diriger vers TEs- 
pagne. Les 50.000 juifs qui peuplent actuellement 
Bagdad sont les héritiers de la juiverie florissante, 
dont le mouvement religieux créa le Talmud de 
Babylone, 

F 1. n compté 7 pères, assistés, pour rensetgoementt de 3 frères 
maristes. 
2. Elles sont 14 à Bagdad, 4 à Bassora e| 2 à Amara. 



A TRAVERS L**IRAK ^'ARABI 41 9 

Jusqu'au dernier siècle, la fréquence des guerres, 
l'agitation des tribus maintinrent les juifs enfermés 
dans les murs de la ville ; leur réclusion cessa à la 
chute des mamelouks. Plusieurs se firent les cour- 
tiers des defierdars^ chargés du service financier de 
la province, et s'enrichirent à ce métier. Tel fut Da- 
vid Sassoun, qui, s' étant brouillé avec son patron, 
prit le large en 1837, s'établit à Bouchire, puis à 
Bombay, et finit par fonder, à Londres, la maison de 
son nom. Plus récemment, il en fut de même de 
Ménahem Daniel, dont le commerce des céréales a 
fait le plus riche propriétaire du pays. La commu- 
nauté tout entière s'engagea dans les affaires, dont 
elle détient la plus grande part ; enhardie par la sé- 
curité renaissante, elle essaima dans les villes et les 
villages de la province. L'heureuse émigration de 
David Sassoun lui valut des imitateurs; plusieurs 
juifs de Bagdad ont créé des maisons à Manchester 
et à Marseille ; un courant constant s'est établi vers 
l'Est, entraînant les jeunes gens aux Indes, à Ran- 
goun, Singapour, Hong-Kong et Shanghaï. 

L'attention de l'Alliance Israélite fut naturellement 
attirée dès le début sur une communauté aussi nom- 
breuse, formant un bon quart de la population to- 
tale de la ville. L'école de garçons daté de 1865, et 
s'accrut des libéralités successives faites par les juifs 
de Bagdad, enrichis aux quatre coins du monde. 
Elle compte 510 élèves ; deux annexes en réunissent 
480; un talmud thora préparatoire, avec 1.200 en- 
fants, fonctionne a côté de l'école de l'Alliance; 
l'Œuvre des repas en nourrit 750. L'école des 
filles est plus récente : 1890 ; elle a 420 enfants. 
Un ménage français, M. et Mme Âlbala, dirige, 



420 LA PERSE d'aujourd'hui 

avec beaucoup de zèle, l'ensemble de ces établis- 
sements. 

Malgré son expansion et la diffusion des lumières, 
la communauté juive reste tout aussi rebelle, plus 
peut-être que les chrétiens, aux influences du dehors* 
Ce n'est point qu'il y ait chez elle manque de goût 
pour l'étude ; par un phénomène unique dans les jui- 
veries de l'Orient, elle faisait vivre depuis longtemps 
et continue à maintenir une vingtaine d'écoles 
— siads — où, en dehors des rabbins, des professeurs 
privés dispensaient un enseignement laïque à des 
classes mixtes de garçons et de filles. La poly- 
gamie, les mariages précoces ont disparu ; les super- 
stitions sont demeurées; on boit de l'eau du Tigre 
pour la guérison des maladies ; les pèlerinages 
visitent incessamment les tombeaux d'Ezéchiel 
et d'Esdras. Il n'y a pas longtemps que les juifs riches 
ont émigré des vieux quartiers vers la rive du fleuve. 
La jeunesse commence à peine à porter le fez et les 
vêtements européens ; la plupart gardent encore 
les longues robes et un turban spécial à ramages 
colorés. Les femmes ne sortent qu'enveloppées 
d*izars et le visage caché par une longue visière: 
sous l'étoffe, elles portent un fez recouvert d'or, 
entouré d'un foulard de laine qui passe sous le 
menton. Elles maintiennent la réclusion d'autrefois, 
ne reçoivent point de visites; les jeunes gens se 
marient sans se connaître. Le grand-rabbin David 
Papo est un juif de Jérusalem, de langue espagnole ; 
la vénération publique distingue, à côté de lui, un 
vieillard né à Bagdad, Khakham Youssef Haîm,tal- 
mudiste célèbre, que l'on vient consulter de toute la 
Turquie, de la Perse et de l'Inde. Le vieux savant 



A TRAVERS L'»IRAK *ARABI 421 

apparaît à tel point dégagé des choses terrestres 
que la croyance populaire le dit retenu de s'envoler 
au ciel par les seules instances de sa famille et de 
son peuple. 

Les synagogues de r«Irak-«Arabi affectent une 
forme particulière :][ce sont des cours au milieu des- 
quelles un toit, soutenu par des colonnettes de bois 
sculpté, abrite la téba ; tout autour, sous des galeries 
ouvertes, s'alignent les bancs des fidèles, où- sont 
jetés les sacs contenant les châles de prière. On 
m'a montré de fort belles boîtes d'argent, contenant 
les rouleaux de la loi. Il paraît que les juifs de Bag- 
dad sont des copistes renommés et expédient dans 
tout le judaïsme leurs exemplaires de la Thora... 

En dehors des Turcs, Arabes, Persans, chrétiens 
et juifs, Bagdad compte encore une bonne propor- 
tion de Kurdes, d'Afghans et d'Indiens. Les pre- 
miers sont descendus des montagnes prochaines, 
les autres arrivés par le golfe Persique ; les Afghans 
font le métier de gardiens de nuit; le soir, ils 
installent dans les rues leurs lits en treillis de 
palmier, en l'abritant d'une couverture pour les cas 
de pluie. Plusieurs Indiens tiennent de petits com- 
merces. Des nawabs en difficulté ayec la conquête 
anglaise, la plupart originaires de TAoudeh, se sont 
retirés à Bagdad ; ils forment, en fait, l'aristocratie 
de la ville ; ils sont riches, entretiennent des fau- 
cons et habitent les plus belles maisons de la rive du 
Tigre, aux portes en bois des Indes, entourées de 
motifs sculptés dans la pierre ou la brique. 

L'établissement européen est encore timide ; les 
consulats d'Angleterre, d'Allemagne, de France et 
de Russie se suivent en bordure du fleuve. Malgré la 



422 LA PERSE d'aujourd'hui 

récente extension des cultures et la hausse des Ut- 
rains provoquée par les espoirs d'avenir, le com- 
merce de r«Irak-«Arabi reste assez peu de chose. La 
population est faible, les villages rares, les canaux 
délabrés ; les Arabes nomades n*ont à vendre que 
les peaux et les laines de leurs troupeaux. Il ne se 
traite pas à Bagdad pour plus de 60 millions d'af- 
faires, dont les deux tiers à l'importation ; encore y 
faut-il faire entrer le transit de la Perse, et la ville 
se ressent lourdement des fluctuations du pèlerinage. 
Naguère les Anglais étaient, avec trois fortes mai- 
sons, maîtres quasi absolus de la place. Depuis plus 
de soixante ans, la maison Lynch assurait la naviga- 
tion du fleuve avec deux bateaux S faisant, sous 
pavillon britannique, le voyage de Bassora. Une mis- 
son anglicane exerçait à Bagdad l'apostolat hautain 
et médiocrement efficace, propre à l'Éghse d'Angle- 
terre ; elle desservait une école, un hôpital et un dis- 
pensaire, fréquentés surtout par les Arméniens et les 
jacobites, auxquels la connaissance de la langue 
anglaise procurait des places dans les maisons de com- 
merce britanniques. A ce régime, r«Irak-«Arabi deve- 
nait une de ces colonies annexes de l'Inde, sérieuses 
et soUdes, où un petit groupe anglais — commer- 
çants, banquiers, marins et missionnaires, soutenus 
par un groupe d'indigènes acquis à leur culture — ex- 
ploitait une vaste région officieusement soumise au 
contrôle anglo-indien. Le consul général d'Angleterre 
à Bagdad est un agent du département politique de 
Calcutta et porte le titre de résident. Il soutint naguère 

1. Le gouvernement turc vient d'autoriser la maison Lynch à 
mettre en service un troisième bateau, mais battant paviUon otto- 
man. 



A TRAVERS L'*IRAK 'ARABI 423 

la résistance des mamelouks contre la Porte ; rendue 
plus discrète par les circonstances, son action se 
borne désormais à attiser la turbulence des tribus 
arabes ou les mécontentements du chiisme sous la 
doniination turque. Il occupe une magnifique habi- 
tation, gardée sur le fleuve par un stationnaire, à 
terre par une garnison de 36 cipayes. 

Depuis quelques années, le monopole britannique 
s'est vu entamer de toutes parts. En 1892, la Banque 
Impériale de Perse, intitution anglaise, repassa ses 
succursales de Mésopotamie à la Banque Ottomane; 
la liste civile a réorganisé le service de navigation turc, 
en concurrence avec les bateaux Lynch. La Russie 
créa un consulat général, dont Tinactive magnificence 
suffit à marquer la rivalité russo-anglaise dans l'Orient 
moyen. En 1890, le goût des études orientales fixait 
à Bagdad un jeune Allemand de Bonn-sur-le-Rhin, 
M. Richarz ; il avait de la fortune, s'installa dans 
une belle maison, voyagea et devint consul d'Alle- 
magne. Un employé de commerce, formé dans une 
maison allemande de Damas, fonda la maison Berk 
Puttmann ; ils sont là maintenant quatre Allemands, 
entendus et travailleurs, qui s'implantent à coups 
de poing, selon la nouvelle méthode de leur race 
acquérant ainsi un succès brillant et une légitime 
impopularité. Une mission du musée de Berlin 
entreprit de déblayer les ruines de Babylone; 
une autre fouilla plus haut sur le Tigre, à Kabai, 
Cherkat. Enfin, en mars 1903, l'activité germanique 
mit le comble à ses espoirs, en obtenant pour 
la Société du chemin de fer ottoman d'ÂnatoUe la 
concession définitive de la Ugne de Bagdad et embran- 
chements. Il va sans dire qu'entre temps s'étaient 



424 LA PERSE d'aujourd'hui 

multipliés les missions et les voyages : M. Stemrich, 
consul général d'ÂUemagne à Constantinople, ve- 
nait à la tête d'une mission oflQcielle ; le baron Oppen- 
heim avait écrit son livre : Von Mittdmeer zum Per- 
sischen Golf. 

Quant à nous» nous possédons dans r«Irak-«Arabi 
une colonie fort honorable de missionnaires, sa- 
vants» ingénieurs» employés et professeurs, sans 
que notre diplomatie ait encore apprécié de façon 
bien précise le parti qu'elle en devait tirer. Les fan- 
taisies administratives ont fait successivement du 
poste de Bagdad un consulat général» un vice- 
consulat» un consulat ; il y eut même des temps où 
révêque latin de Babylone remplissait les fonctions 
d'agent consulaire. Successeur d'archéologues dis- 
tingués» MM. de Sarzec et Pognon» notre consul 
actuel» M. Rouet» réside à Bagdad depuis dix années; 
il y maintient» avec dévouement et compétence, la 
situation considérable que l'effort français s'est acquise 
en un pays pénétré de notre culture et dont la poli- 
tique générale permettra sans doute au gouverne- 
ment français de se servir un jour. 

L'histoire a constamment marqué pour le siège 
d'un grand empire la partie la plus resserrée de la 
Mésopotamie, entre l'Euphrate et le Tigre. Après la 
chute de Babylone, Séleucie devint la capitale des 
Grecs, Ctésiphon celle des Parthes et des Sassa- 
nides ; Hira, Koufa, Bagdad furent, à tour de rôle» 
les boulevards de la domination arabe. Après que 
les Persans et les Turcs se furent disputé la plaine 
du Tibre, le rêve pangermanique y vient réclamer 
l'expansion d'une race nouvelle, qui, forte de ses 
succès en Europe» entend justifier en^Asie ses pré- 



A TRAVERS L^'IRAK 'ARABI 425 

tentions impériales. Des montagnes de l'Arménie 
jusqu'au golfe Persique, malgré les efforts de ses 
commerçants» les fouilles de ses archéologues, et 
les spéculations de ses publicistes, la réalité présente 
se dérobe encore aux prises de l'Allemagne. Si 
l'une des grandes puissances garantes de l'intégrité 
de l'empire ottoman, jugeait à propos d'invoquer 
ses intérêts pour accentuer son rôle en Mésopota- 
mie, ce droit reviendrait incontestablement à l'An- 
gleterre. C'est à elle qu'appartient l'influence écono- 
mique, à la France l'influence morale. Par ailleurs, 
l'entreprise de revivifier semblable étendue de dé- 
sert paraît un peu lourde pour la force financière 
allemande; le cabinet de Berlin ne saurait même 
garantir, par ses seuls moyens, l'indépendance de 
r Iran, condition nécessaire de la prospérité de Bagdad. 
Knfin, pour faciliter sa pénétration, il eût fallu au 
germanisme le concours certain de l'Islam. Or, il 
semble bien que pendant ces dernières années, la 
politique allemande, concentrée à Constantinople, 
ait mal saisi l'évolution de l'esprit musulman. Les 
événements successifs du Maroc et de la Perse ont 
amplement démontré l'inanité des illusions que 
l'Allemagne avait fait naître ; comme remède au 
malheur des temps, il ne suffit pas d'un empereur 
militaire, soutenant, au profit de la politique alle- 
mande, l'absolutisme du khalifat turc. Désenchanté 
de ses guerriers, il existe un Islam qui tend à revenir 
aux enseignements de ses docteurs ; las des combi- 
naisons impuissantes, il se borne à envisager pour le 
présent l'unité morale du monde musulman ; sa 
principale ambition consiste à maintenir la religion 
du Prophète parmi les forces universelles employées 



426 LA PERSE d'aujourd'hui 

à la reconstruction des destinées humaines. D se 
peut qu'à l'avenir le foyer de l'idée musulmane soit 
moins en Turquie qu'en Egypte ; la pensée française, 
et dans une moindre mesure le libéralisme anglais lui 
fourniraient des points d'appui naturels. La ques- 
tion d'argent, le groupement actuel des puissances, 
les tendances modernes de l'islam : autant de diffi- 
cultés auxquelles se heurtent les visées allemandes 
dans l'Orient Moyen. Politiquement désintéressés que 
nous sommes dans cette région de la terre, il n'existe 
aucune puissance en Europe qui ait,^ moins que la 
France, à redouter leur succès, 
i Au-dessous de Bagdad, fermes et maisons de cam- 
pagne se poursuivent sous la palmeraie; puis le Tigre, 
très large, coule à travers la plaine immense et nue ; 
le flot monte au ras des berges ; il n'émerge plus que 
le sommet des digues, les poutres des tcherds servant 
à élever l'eau du fleuve et une bande de palmiers le 
long du Diala. Un peu après le confluent de cette 
rivière, le Tigre forme une énorme boucle, où Ton 
aperçoit de loin, à 55 kilomètres de la ville, l'arc du 
Takht-è-Kesra. 

C'était l'emplacement des villes royales : sur la 
rive droite, Séleude; sur la rive gauche, Ctésiphon* 
A l'abri des digues, le sol est mis en culture : blé, orge, 
fèves et millet : le niveau élevé du fleuve permet, en 
ce moment, d'y ouvrir les rigoles d'irrigation. Dans 
une grande maison, près de la rive droite, réside le 
kaïmakam, avec un poste de zaptiés; un peu plus 
loin, le petit village de Salman-Pak (Salman le Pur). 
Salman était un mage de l'Iran qui, frappé d'une 
inspiration divine, se dirigea vers la lumière nouvelle 
émanée du Prophète. II fut enlevé par les nomades. 



A TRAVERS L''IRAK *ARABI 427 

sur le chemin d'Arabie, et vendu comme esclave au 
marché de Médine ; Mahomet vint à point pour le 
racheter et l'affranchir. Salman vécut auprès de son 
maître, dont il fut le disciple fidèle et, dit-on, le bar- 
bier ; il mourut dans un âge fort avancé, étant gou- 
verneur de Madaîn (les deux villes). Salman est le 
héros de l'Islam persan, le seul de sa race que la tra- 
dition rattache aux origines de la religion ; il aurait 
même incité les Arabes à la conquête de la Perse, afin 
de convertir son peuple ; aussi sa mémoire reste-t-elle 
vénérée des Iraniens ; son portrait figure sur les 
images pieuses, les derviches font remonter jusqu'à 
lui leur filiation spirituelle ; les «Ali-Ilahis lui prêtent 
un caractère surnaturel, en l'associant à la divinité 
d'«Ali. Férus de leur saint, les gens de Salman-Pak 
racontent à son sujet les plus merveilleuses histoires : 
un jour d'émeute et à défaut de police, il aurait fait 
appel aux chiens de Madaîn, qui s'empressèrent à 
défendre l'accès de sa maison. On l'enterra là même 
où son autorité avait joui de si exceptionnelles faveurs; 
les villes royales une fois disparues, il n'y resta plus 
que son nom. 

Sur le tombeau de Salman s'élève une mosquée 
recouverte d'une coupole blanche ; un mur crénelé 
enclôt la cour ; à côté, une hôtellerie et une quaran- 
taine de maisons. La visite de Salman n'est pas d'obli- 
gation stricte; néanmoins, quand le permet l'état 
de la plaine, la plupart des pèlerins, retour de Ker- 
béla, s'arrangent pour venir à Salman-Pak ; la corpo- 
ration des barbiers de Bagdad, qui a pris le saint 
homme pour patron, tient à lui faire la poUtesse d'un 
pèlerinage annuel. Le tombeau fut doté de fondations 
pieuses et organisé par Mourad IV ; le gardien ac- 



428 LA PERSE d'aujourd'hui 

tuel, Mahmou d Efifendi» descend du premier gardien 
désigné par ce sultan. A faible distance se trouve le 
Takht-é-Kesra : l'arc immense est à moitié tombé, 
au milieu d'un bâtiment à façades pleines ; moutons et 
chèvres paissent dans les ruines et parmi les monti- 
cules de débris ; au bord du fleuve» sous un palmier 
isolé, le tombeau d'Odéifé Yéméni, l'un des compa- 
gnons du Prophète» qui suivit à Madaîn la fortune de 
son confrère Salman. Sur une grande étendue de pays, 
il n'y a point d'autre village en dehors de Salman- 
Pak; la population, nomade, vit à peu près à 
l'état sauvage. « Ils ne savent rien de rien, excepté 
le nom d'*Ali », dit avec désespoir le naleb de cadi, 
opérant dans cette solitude. 

800 kilomètres environ de Bagdad à Bassoni; 
le courant étant rapide, nous fîmes la descente du 
Tigre en moins de soixante heures. Au printemps 
la crue rend la navigation facile; 22 pieds d'eau 
écartent tout danger d'échouage. Notre bateau était 
envahi par la foule des pèlerins. Indiens et Persans, 
qui s'en retournaient par le golfe Persique. 

Le voyage du Tigre est d'une extrême mono- 
tonie. Le fleuve, tantôt très large, tantôt plus 
étroit, suit un cours incertain, au milieu de terres 
inondées à perte de vue. Quelques villages, une 
ville, Amara, avec 6 ou 7.000 habitants, qui sert 
d'entrepôt aux rizs de r«Irak-«Arabi, des bouquets 
de palmiers, des caravansérails isolés se succè. 
dent, à rares intervalles, le long des rives. Dans la 
matinée du second jour apparurent à l'est les mon- 
tagnes du Poucht-i-Koh, où vient mourir la chaîne 
du Kurdistan. Les bateaux à vapeur» flanqués 
de chalands, les séfinés, qui descendent au vent 



A TRAVERS L'*IRAK *ARABI 429 

et remontent à la cordelle, les kouffahs des rive- 
rains font tout le mouvement du fleuve. Dans la 
campagne, les Arabes nomades dispersent leurs cam- 
p^nents de tentes noires; au sud, des abris de 
roseaux groupés autour d'une tour fortifiée; le 
bétail, fuyant l'inondation, se presse sur les émi- 
nences. Voici, sous les palmiers, la coupole du tom- 
beau d'Esdras, puis le village de Kouma ; le Tigre et 
l'Euphrate s'y joignent dans une immense pal- 
meraie ; le bateau s'engage alors dans la ligne droite 
du Chatt-el-«Ârab et, quatre heures après, arrive 
au port de Bassora. C'est le point extrême où remon- 
tent les navires de haute mer : il y en a dix en rade, 
tous anglais, sauf un petit aviso turc. 

De Kouma jusqu'au golfe, sur une longueur de 
150 kilomètres, les bords du Chatt-el-*Ârab ne 
forment qu'une seule palmeraie; les canaux s'em- 
branchent du fleuve, la marée montante élève 
naturellement l'eau dans les fossés et les rigoles. 
Le pays tout entier disparaît sous la verdure ; les 
palmiers sont petits et serrées; beaucoup d'oUviers, 
de grenadiers et de mûriers ; des lauriers-roses, 
des mimosas, quelques orangers; la vigne grimpe 
d'arbre en arbre. Le long des rives se succèdent les 
grands domaines appartenant aux gens de Bassora ; 
la population habite des huttes de roseau et vit de 
la culture du dattier. Quand vient le temps de la 
cueillette, de septembre à novembre, les nomades 
descendent des îles du Tigre et se réunissent en cam- 
pements; les hommes cueillent et transportent les 
fruits; les femmes les mettent en caisses ou en 
paniers. 

Entre les canaux de Rebat et de Khora, l'agglo- 



430 VA PERSE d'aujourd'hui 

mération de Bassora remonte le canal d'El-«Achar, 
sur la rive droite du Chatt-el-«Arab. La conquête 
arabe fonda l'ancienne ville» un peu plus loin dans 
l'intérieur» là où se trouve aujourd'hui le bourg de 
Zobéir ; les besoins du négoce la rapprochèrent du 
port. La ville actuelle n'a de pittoresque que son canal 
où maisons et jardins de palmiers se mirent dans les 
eaux tranquilles» sillonnées par de longues barques 
— bélems — aux extrémités recourbées. Elle peut 
avoir 30.000 habitants : un cinquième persan» por- 
tefaix» venus de l'Ârabistan» négociants d'Ispahan 
ou de Chiraz; un autre cinquième chrétien» Chal- 
déens» Syriens et Arméniens» petits commerçants et 
propriétaires ; 1.500 Juifs» le reste arabe ; les juifs 
tendent à s'emparer du commerce local» en concur- 
rence avec les Persans et les Arméniens. Le commerce 
extérieur reste presque entièrement dans les mains 
européennes : 5 maisons anglaises» 2 grecques, 
1 allemande» 1 française; elles se groupent» à l'issue 
du canal» autour du consulat et de la poste anglaisi 
Sur la berge» les grains de l'Euphrate et du Karoun» 
les riz d'Amara, sont nettoyés au moulin; les laines 
de Bagdad» qui passent en transit» sont» en cas de 
besoin» pressées à la machine. 

En 1905, le mouvement commerdal de^Bas- 
sora atteignait 34.700.000 francs à l'importa- 
tion, et 37.600.000 à l'exportation» les chiffres les 
plus élevés de la période décennale. Le blé» l'orge; 
le millet vont en Angleterre et à Djeddah» aux Indes 
dans les années de famine. Quant aux dattes du 
Chatt-el->Arab, leur meilleur débouché est aux 
États-Unis» puis en Angleterre, en France» en Autriche, 
aux Indes et en Egypte. On en expédie même en 



A TRAVERS L"IRAK *ARABI 431 

Algérie et en Tunisie, car nos colonies africaines 
préfèrent vendre leur production propre, de qualité 
meilleure, et importer, à leur usage, des dattes d'autre 
provenance^ 

La situation réciproque des divers éléments étran- 
gers est à peu près la même à Bassora qu'à Bagdad, 
sauf que les relations du port y ont encore accentué 
la part de l'Angleterre. En dehors de la maison 
Asfar, qui est importante, l'administration turque, la 
Banque Ottomane, les missions des Carmes et des 
sœurs dominicaines, les écoles chrétiennes et juives 
s'emploient à introduire notre langue. L'exporta- 
tion des dattes attira les Américains : l'agent d'une 
maison de New-York est le principal acheteur de 
fruits chez les propriétaires ; sur le canal de Rebat 
fonctionne une petite usine pour le pressage des bois 
de réglisse, destinés aux États-Unis. Enfin l'Église 
réformée d'Amérique, installée dans le golfe Persique, 
entretient une mission à Bassora. Dans les affaires, 
les Anglais prennent la part du lion : si la maison 
Lynch se borne aux transports fluviaux, les autres 
forment une étroite combinaison, afin de maintenir 
le fret maritime entre les mains de la Compagnie 
British India, quiassure, une fois la semaine, le service 
postal avec Bombay et trois autres compagnies char- 
gées des communications avec l'Angleterre'. La ligne 
de navigation Mochtéri, créée par un groupe persan 
de Bombay, entre l'Inde, Djeddah et le golfe Per- 
sique, ne troublait guère la sérénité britannique, 

1. En 1906, ioizant»-dlx mille caiitei de daftet de Baisoni onf 
été aiiud expédiées en Algérie-Tuniile. 

2. Bn 1905-1906, avant rétabUssement de la ligne allemande, 
le tonnage uogitâM du port de Banora a été de 197.742 lur 227.702. 



432 LA PERSE d'aujourd'hui 

non plus que les excellents bateaux, envoyés quatre 
fois l'an d'Odessa, par la Compagnie russe de navi- 
gation et de commerce. Les Allemands se montrèrent 
de plus sérieux concurrents. Brusquement, la maison 
Robert Wenckhaus prit pied à Bassora, Bahreln, 
Bouchire, Ungah et Bender-«Âbbas. Quelques mois 
plus tard, en août 1906, des bateaux mensuels de la 
Compagnie Hamburg-Amerika apparurent dans le 
golfe. L'effet de cette initiative fut immédiat: le 
fret pour Londres tomba de 34 à 15 shillings ; pour 
Marseille, de 42 à 15 et même 12,6. Un arrangement 
de ne point prendre de marchandises, les Allemands 
pour Londres, les Anglais pour Hambourg, fut 
aussitôt brisé que conclu. Si bien que la colonie 
anglaise du golfe, inquiétée dans sa prépondérance 
acquise, commence à se sentir inconfortable et à 
marquer, vis-à-vis des Allemands, l'extraordinaire 
nervosité qui caractérise toutes les manifestations de 
la vie anglo-indienne. 

Dans la région du Chatt-el-«Ârab, les trois plus 
grands personnages indigènes, ceux qui y possèdent 
le plus de bien sont le Nakib-ol-Echraf, les cheikhs 
de Kowdt et de Mohammérah. Le nakib, Sey- 
yed Redjeb, est grand maître de l'ordre des Rafaïs, 
ou derviches hurleurs. Le fondateur, Cheikh Ahmed- 
er-Rafaï, était un seyyed Mousavi, neveu et disciple 
du fameux Cheikh «Abd-d-Kader; sa descendance 
sanctifie de ses tombeaux Bagdad^ Amara et les bords 
du Chatt-el-Arab. La maison-mère se trouve à Zo- 
béir : en ville, la résidence du nakib comporte une 
vaste hôtellerie, destinée aux pèlerins. Ceux de 
rinde, allant à Kerbéla, y peuvent trouver asile, 
ainsi que dans l'une des plus belles maisons du canal 



A TRAVERS L''IRAK "^ARABI .433 

d'El-'Achar, transformée en wakf à leur usage par un 
musulman de Bombay. La confrérie des Rafaïs 
dispose d'un assez grand nombre d'affiliés pour 
assurer la richesse et la puissance de Seyyed Redjeb; 
l'un de ses fils, Seyyed Yousef, dirige l'établissement 
de Bassora : un autre, Seyyed Taleb, surveille, à 
Constantinople, les intérêts de la famille. 

Moubarek-ben-Sebah, cheikh de Kowéit, évite 
de se montrer à Bassora ; son territoire domine la 
baie, où doit nécessairement aboutir le chemin 
de fer de Bagdad ; circonstance qui lui vaut le 
concours britannique et Ja possibilité d'échapper 
au vali turc. La situation du cheikh de Moham- 
lïiérah est infiniment plus complexe, car ses intérêts 
chevauchent entre la Perse et la Turquie. Sa ville 
est à l'embouchure du Karoun, en territoire persan; 
son district comprend tout le bief inférieur de la 
rivière ; en même temps, grand propriétaire à Bas- 
sora, il est tributaire, pour son commerce, des juifs 
de la place. D'autre part, la déférence anglaise le 
traite en seigneur indépendant ; quand les navires 
delà British India passent devant le château du cheikh, 
ils ne manquent point de le saluer d'un coup de canon, 
auquel il est exactement répondu. Les bateaux 
de la maison Lynch remontent le Karoun, en con- 
currence avec le service persan, établi par Malek- 
et-Toud-djar de Bouchire. Entre ces trois puissances, 
Cheikh Ghazal maintient un prudent équilibre. Sujet 
persan, loyal et patriote, il est comblé des faveurs 
royales, époux d'une princesse kadjare et décoré du 
titre de Mo«ezz-os-Saltaneh (le favori de la dynastie) ; 
il n'éleva point d'objection contre la venue des doua- 
niers belges et tolère dans ses eaux la présence d'un 

Aubin. — La Perte. 28 



434 LA PERSE d'aujourd'hui 

garde-côtes; il vient d'envoyer, à Téhéran, une 
forte souscription pour la future Banque nationale. 
Son administration repose sur deux hommes de 
sa confiance, qui sont, après lui, les plus riches du 
pays, Hadji Reïs, sous-gouverneur du district 
persan, et Mirza Hamzeh, chargé du soin des affaires 
turques. 

Quand, au commencement de mai, nous passâmes 
à Mohammérah, le cheikh se trouvait absent; en 
février, toute la féodalité du golfe avait été conviée 
au mariage de sa fille. Les fêtes furent, dit-on, splen- 
dides, les vêtements de noces commandés aux sœurs 
de Bassora; une troupe de danseuses appelée du Caire, 
une bande de musiciens juifs, de Chiraz. Depuis 
lors, Cheikh Ghazal se déplace dans l'intérieur, 
accompagné de ses Juifs et de ses Égyptiennes, qu'il 
ne peut se résoudre à renvoyer chez eux. 

Trente-huit milles de Mohammérah jusqu'à la 
mer; les rives, toujours verdoyantes, parsemées 
de fermes nombreuses, s'écartent de plus en plus 
A l'estuaire, sur la côte turque, le village de Fao, 
où atterrit le câble de l'Inde. Encore 14 milles 
dans les eaux jaunies par le limon de T^Irak; les 
navires pataugent dans la vase et doivent alléger 
leur cargaison ; puis, après des tentatives plus ou 
moins longues, ils réussissent à s'échapper de la bane; 
brusquement, ils entrent dans les flots bleus du golfe 
Persique, dont la ligne se poursuit à la surface de 
la mer. L'hélice, surchargée de boue, trace, quelque 
temps encore, un sillon jaunâtre dans les eaux pures. 



FIN 



TABLE DES MATIERES 



Pages* 
Préface I 

CHAPITRE PREMIER 

Sur le chemin de Tauris 

De Kazvin à Tauris. — Affectation d'un village aux 
dépenses de cour. — La propriété en Perse. — L'orga- 
nisation des villages. — Le grand chemin des invasions 
mongoles : le dialecte turc azéri. — Le caravansérail 
d'Hoséinabad. — Dans la vallée de TAbbar-Roud ; 
Soltanieh.; — La province de Khamseh. — Zendjan. — 
Les caravansérails de Schah-Abbas. — La poste 

rrsane : le ichapar-khaneh d'Akmézar. — Pèlerinage 
Kerbéla; le conducteur des pèlerins. — Le pont 
de la Jeune Fille. — Passage du Kaplan-Koh. — La 
tribu des Gbakkakis. — Mianeh. — Le district de 
Garmaroud.: les villages et leurs propriétaires. — 
Arrivée à Tauris 1 

CHAPITRE II 
Tauris 

L'AInal-Zeïnal ; les litanies des Imamzadés. — Tauris 
son histoire, ses monuments. — La capitale des Mon 
gols. — La Mosquée Bleue. — Le titre de la ville. — 
L'administration de NaielM)S'Saltaneh, — La rési- 
dence du prince héritier". — Les écuries princières. — 
Bagh-ech-Chémal. — La maison du VéWahd. — 
Le gouvernement de l' Azerbaïdjan ; le pichkar ; 
Nizam-os-Saltaneh. — Les grandes familles de 



436 tA PERSE d'aujourd'hui 

Pages. 

Tauris. — La révolution. — Le commerce du bazar ; 
l'indusUie des tapis. — La communauté armé- 
nienne. — La colonie française. — L'école Loch- 
manieh 24 



CHAPITRE III 
Autour du Iftc d'Ourmiah 

Le lac d'Ourmiah. — Mélange de religions et de races. — 
Les usages de l'hospitalité persane. — Le gouverneur 
de Mérand. — KhoI. — UneJ^^e de province en Perse : 
l'organisation d'une ■ petite province ». — Le 
Naîeb-ol'Houkoumtlu — Le grand Moudjtéhed. — 
Le tombeau de Hadji-Mir-Yakoub. — Ghems-i-Tabriz 
et Mollah Roumis. — La Deutsche Orients Mission, — 
Salmas. — Les Kurdes Ghakkaks. — Tours mongoles. 

— Arméniens et Chaldéens. — Les villages d^Hef- 
tewan et de Khosrowa. — Une mission suisse. — 
Sculpture Sassanide. — Kouchtchi et lai plaine 
d'Anzel. — Ourmiah. — Le commerce des raisins 
secs. — La tribu des Afchars. — Une ville de mission- 
naires : Lazaristes, Presbytériens, Anglicans, Ortho- 
doxes. — Le passage des Nestoriens a l'orthodoxie. 

— Les chrétiens sous le régime persan 47 



\ CHAPITRE IV 

Ghez les Kurdes 

D'Ourmiah à Saoudj-Boulak. — Le district de Sol- 
douz; village offert en pichkech, — La migration 
des Karapapaks. — En pays Kurde. — Kérim- 
Agha. — Tamacha : musique, jeu de taghalé. — 
Mokris et Deh-Bokris. — Le tombeau de Pir-Bou- 
dak-Sultan. — Le commerce de Saoudj-Boulak. — 
Le sunnisme persan : le mufti chaféi ; le chef des 
confréries religieuses. — Danse nationale: le 
ichioupi, — Les « diseurs de chansons ». — Poésie 
kurde. — Contestations de frontières. — Le village 
de Kadr-Agha. — Hospitalité kurde: chants de 
bienvenue. — Le sacrifice du mouton. — Le c joli 
garçon » de Kerbé Réza Khan. — La plaine de Mian- 
doua. — Méragha. — Le prétendu tombeau d'Hou- 
lagou. — La tribu des Moghaddams. — Un mour- 
chid Né'metouUahi. — Chez le prince ImamJKouli 
Mirza — Dehkargan. — Retour a Tauris 76 



TABLE DES MATIÈRES 437 

CHAPITRE V 

De Tauris à la Caspienne 

Pages. 
De Tauris à ArdébU. — La province de Sérab. — La 
tribu des Schah-Seven; son origine ; sa répartition. — 
Les fractions établies dans le Savalan-Dagh: leur orga- 
nisation. — Ardébil. — Un entrepôt du commerce 
russe dans le Nord-Ouest de la Perse. — Arméniens 
et Juifs. — La dynastie Séfévie. — Le t tombeau 
du Cheikh. » — Le Trésor de la Mosquée. — La ■ fa- 
mille du Cheikh ; Seyyed Ahmed, le < chef des 
serviteurs ». — Bénéfices des Seyveds Séfévis ; le 
pèlerinage. — Le Taliche. — Les Olouflou. — Le 
district de velkidj. — Le Khan de Namin ; Sarem- 
es-Saltaneh. — Villages sunnites. — La route d'As- 
tara : la forêt des régions caspiennes. — Le commerce 
du port. — Pêcheries russes. — D'Astara à Enzeli. . 103 



CHAPITRE VI 
Le changement de régne 

La mort delMouzaifer-ed-Din-Schah. — LeGulistan. — 
Le Talar des Brillants. — Cérémonies funèbres. — 
Translation provisoire du corps au tékié, — Le 
Khatm, — L'enterrement se fera-t-il à Kerbela? — 
Le couronnement de Mohammed «Ali Schah. — La 
tiare des Kéyaniens. — L'astrologue du palais. — 
La salle du Musée. — Le trône de Feth Ali Schah. — 
La cour de Perse : les Mousiofis ; la tribu des Kad- 
]ars. — Discours officiels : la Khotbé du prédicateur, 
la Kacidé du poète de Cour. — Téhéran illuminé. — 
Le Salan^ du Roi des Rois. — Le Derbar : le trône 
de marbre. — VAid-é-Kourban, — Sacrifice du 
Chameau. — Le sacrificateur représentant le Schah. 
— Désignation du nouveau Véli^'abd. — La loi de suc- 
cession dans la dynastie kadjare 126 



CHAPITRE VII 
Le Chiisme 

La Perse ancienne et moderne. — Après la conquête 

I arabe, le chiisme restitue la nationalité persane. — 

Son évolution : tendance politique, secte religieuse. 



438 LA PERSE d'aujourd'hui 

Pages. 
religion nationale. — Les douze Imams — L'Imamat 
et le Khalilat. — L'émigration des ses^eds et les 
débuts du chiisme en Perse. — Le Cheikh Séfi ; la 
dynastie des Séfévis. — La formation du dogme : 
la Trinité chiite, l'idée de la rédemption. — Le culte 
chiite : deuils et pèlerinages. — Les Kath. — La 
prédication de la Passion: rouzi khans et prédicateurs. 
— Les Hoséiniés. — Les processions de r Achoura. — 
La représentation des mystères : les taziès du tékié 
royal. — L' < Auxiliaire des Larmes > 149 



CHAPITRE VIII 
La révolation persane 

L'évolution de la question persane. — L'Iran. — For- 
mation de la Perse moderne ; l'autocratie et la domes- 
ticité royale. — L'organisation du clergé chiite : 
les moudfieheds, — L'écniilibre du pouvoir civil et du 
pouvoir religieux. — Le libéralisme en Perse : son 
origine et ses progrès. — Affaiblissement des pratiques 
religieuses ; diffusion du soufisme. — Pénétration 
des idées européennes. ^— Prépondérance de la langue 
française. — organisation de services publics par des 
fonctionnaires étrangers. — Voyages du Scnah en 
Europe. — Expansion du commerce persan. — 
Création d'une presse persane. — Les enseignements 
de la guerre russo-Japonaise. — Nécessité d'un chan- 
gement de régime. — La politique anglaise appuie 
la révolution. — Composition du parti libéral persan : 
il prend refuge à la Légation d'Angleterre. — Inau- 
guration du Pariement. — Pénibles débuts du système 
constitutionnel. — Les crises locales : la révolution 
à Chiraz. — Les lois fondamentales. — Tiraillements 
entre la couronne et le Parlement 175 



CHAPITRE IX 
L'accord anglo-rasse 

L'arrangement du 31 août 1907. — L'organisation des 
deux influences rivales sur le territoire persan. — 
Routes russes et télégraphes anglais. — Prépondé- 
rance russe dans le nord ; contrôle anglais sur le golfe 
Persique. — Recul du commerce anglais. — Agita- 
tion consulaire. — Rivalité des deux légations à Té- 
héran. — La question du Séistan. — Caractère des 



TABLE DES MATIÈRES 439 

Pages, 
arrangements asiatiques de l'Angleterre et de la 
Russie. — Le principe de l'intégrité et de l'indépen- 
dance de la Perse. — La délimination des zones 
d'intérêt. — Un nouvel état tampon sur la frontière 
de l'Inde. — La dernière chance de la Perse 215 



CHAPITRE X 
Coutumes persanes 

1. La musique, la danse, les « Loutis » 

La musique persane ; ses origines arabes. — La chanson ^ 

de Zahir-ed-Dowleh. — Les musiciens. — Le nakara- ] 
khané, — Les troupes de danseurs; [danses de Jeu- i 
nés garçons. — La corporation du Louti-khané ; ; 

acrobates et prestidigitateurs. — L'école de filles de 
M. Richard-Khan. — Représentation de marion- 
nettes. — Mourchid ^'Azim et Mourchid Taghi. — Les 
deux pièces du répertoire : Le Lutteur Chauve et 
Sultan Sélim 229 

2. Les Derviches, Mendiants et Conteurs, 

La quête des Derviches au Norouz. — Le chef de la cor- 
poration : Nakib'Ol-Memalek. — Kaksars et «Adfems, — 
Les mendiants. — Le tatouage des Kaksars et la 
légende de Seyyed Djelal. — Comment les Séfévis ont 
employé les "Adjems. — L'organisation de la confré- 
rie : l'initiation, la patente de derviche. — Le der- 
viche de la Légation de France : Hadji Ahmed. — 
Les aventures d'un nakkal 237 

3. Chasse au faucon. 

La chasse en Perse. — Diverses espèces de faucons chas- 
seurs i^les « yeux noirs » et les « yeux Jaunes ». — L'é- 
quipage d'Ikbal-ed-Dowleh. — L'éducation des fau- 
cons. — Chasse en montagne. 249 



CHAPITRE XI 
De Téhéran à Ispahan 

Le concessionnaire de la poste du Sud. — La sortie de 
la capitale. — Le sanctuaire de Schahzadé ^'Abd-ol- 
Azim. — Koum. — Le tombeau de Fatémé; la « Pré- 
sence Immaculée ». — La famiUe gardienne des Imam- 
zadés. — Kachan. — L'autocratie d'un grand moudj* 



440 LA PERSE d'aujourd'hui 



PagM. 



tehed. — L'institution du TiyyouL — Un mignon 
du feu Schah, gouverneur de la province de Natanz. — 
Villages fortifiés et rayyetis 256 



CHAPITRE XII 
Ispahan 

Les origines d' Ispahan : la légende du Prophète Sa- 
lemon et du div GaD-Khouni. — La viUe des Séfévis. 

— Les voyageurs français du xvii* siècle. Tavemier» 
Chardin. — Grandeur et décadence d' Ispahan : elle 
reste la seconde capitale religieuse du chusme. — Le 
prince gouverneur: Zill-è-Soltan. — Son entourage, 
sa famille ; vieux errements. — Les Jardins de Baghè-no, 

— Behram Mirza. — La révolution à Ispahan. — La ri- 
valité du prince et du grand Moudj tehed : Agha Nedjéfl. 

— Journées d'émeute. — Les monuments Séfévis : la 
Place Royale, la ■ Sublime Porte », le pavillon des 40 co- 
lonnes. — Le médresseh de Tchahr Bagh. — La fabrica- 
tion des Kalemkiars, — Les ponts du Zendeh-roud. — Le 
cimetitee du Takté-Poulcta, — Les habca de Tlran. — 
Djoulfa, le faubourg chrétien d' Ispahan. — L'émigra- 
tion arménienne du xvii* siècle. — Prospérité com- 
merciale. — Destruction et renaissance de Djoulfa. — 
Le diocèse Indo-Persan. — La cathédrale de Saint- 
Sauveur. — L'influence anglaise. — Missions catho- 
liques. — Les Juifs d' Ispahan ; la plus ancienne jui- 
verie de l'Iran. — Les lois de Schah «Abbas. — Les 
rigueurs du chiisme : l'impureté des non-musulmans. 

— Relèvement des Arméniens et des Guèbres. — Le 
Judaïsme en Perse : l'œuvre del'A/Zionce Israélite Uni- 
venelle 272 



CHAPITRE XIII 
A travers l'«Irak-«Adj6mi 

D' Ispahan à Sultanabad. — Les « minarets bran- 
lants » de Koladoun. — Les muletiers de Sédé : notre 
caravane ; Kerbélaï Mohammed Ibrahim. — Le vil- 
lage de Tchalé-Siah. — La route méridionale du pèle- 
rinage aux Lieux Saints. — Le conteur de Déhakh : 
Behzad et Ibrahim, ou le bienfait récompensé. — Le 
district de Dor. — Les provinces de Golpaigan et de 
Kamareh. — Le médecin juif de Vertcha ; la méde- 
cine en Perse. — Sultanabad : les tapis de l'Irak, la 



TABLE DES MATIÈRES 441 



maison Zigler-Hadji Agha Mohsen. — De Sultana- 
bad à Kermanchah. — En pays turc : Dizabad. — 
La province de Melayir. — Le Norouz ; célébration de 
la fête nationale de l'Iran. — L' « année du poulet ». 
— En famille, chez le Ketkhoda de Frasfardjé 301 



CHAPITRE XIV 

La province de Kermanchah 

Kengaver.' — Le rocher de Bisoutoun. — Le Kavéhkhor 
neh de Hadjiabad. — La révolution à Kermanchah ; 
le gouverneur révoqué quitte la ville ; VahdarL — 
Daulet-Schah. — Le commerce de Kermanchah avec 
Bagdad. — Au confluent du pèlerinage. — Transit do 
cadavres. — L'hôpital des pèlerins. — Le Kurdistan 
méridional. — La secte des ^'Ali-AUahis. — MirzaSaleh. 
— La légende de Noséir. La population de la ville: les 
familles de Khavcaiin, — Cuisine persane. — Le 
Takht-é-Bostan 323 



CHAPITRE XV 

Les portes du Zagros 

Départ de Kermanchah. — Mendicité. — La'plaine 
de Mahidecht. — Calhors et Kérendis. — Derviche 
Darab, dit t Papillon », et le « Sabre des Seyyeds ». 

— Journées de pluie. — Serpol ; Németoullah Khan. 

— Le campement des Souzmanis ; les tsiganes en 
Perse. — Kasr-i-Chirine. — La tribu des Sendjabis. 

— A l'extrême frontière :Kalé-Sebzi. — L'*'Irak-<»Ad- 
jemi et r«Irak *Arabi. — De la montagne au Diala. 
Hannéguin. . — Les difficultés du voyage en temps 
d'inondation. — Bakouba. — Arrêtés par la crue 
du Diala. — Le retard des pèlerins. — Le passage de 

la rivière. — Arrivée à Bagdad en Kouffah 341 



CHAPITRE XVI 
Les villes saintes 

La vUle chiite de Kazeméîn. — Les tombeaux des 7<» 
et 9« Imams. — Le caractère de Mousa Kazem. — 
Le pèlerinage de Samarra. — De Bagdad aux Lieux 
Saints. — Entre le Tigre et PEuphrate. — Hjllé. — 

29 



442 LA PBRSB d'aujourd'hui 

Le bercesa d'Abiaham et la tour de Babel. — Les 
raines de Babylone. — Kerbéla. — Le champ des Mar- 
tyrs : le sacrifice des Alides. — Les traditions et 
Torigine des pèlerinages. — Les tombeaux d'Hoséin 
et d^'A 



"Abbas. — Le culte du 3^ Imam. — L'administra- 
tion des sanctuaires : Kilitdan et serviteurs. — Le sé- 
jour de Kerbela. — Pieux commerce : linceuls et 
terre sacrée. — La société de la ville sainte : les 
moudjteheds : Persans et Indiens. — Le vice-consu- 
lat d'Angleterre. — Pe Kerbéla à Ne^djef. — Le 
tombeau d'*Ali. — La personnalité du 1«' ïnlàm. — 
Les anges transporteurs. — Le grand pontife du chiis- 
me : Akhound Mollah Kazém-è-Khoràssani. — Ses 
décisions favorables à la révolution persane. — L'é- 
cole théologique de Nedjef. — Le cimetière de Ouadi- 
Selam. — Koufa 361 



CHAPITRE XVII 
A traTers l'^lrak-^^Arabi 

Le village de Tlmam-A'zam : le tombeau du Cheikh 
Hanéfl. — Bagdad. — Le mouvement du Tigre. — 
Les restes de la capitale abbassîde. — Arabes, Turcs, 
et Persans. — La maison-mère de l'ordre des Kadris ; 
le nakib-ol-echraf ; Seyycd 'Abdôurràhman. — Popu- 
lations chrétiennes. — Le bulle du pape Urbain Vill 
et le siège latin de Babylone. — La communauté 
juive. — Les Nawabs indiens. — Le commerce de 
Bagdad : prépondérance anglaise ; activité alle- 
mande ; expansion de la culture française. — Le rêve 
Sangermamque. — Difficultés de sa réalisation. — 
alman Pak. — La descente du Tigre. — Le Chatt- 
el-Arab. — Bassora : commerce et nav^ation. — 
L'ordre des derviches hurleurs. — Le âlâkh de Mo- 
hanmiérah. — La barre du fleuve 405 



r ^ 



T,XTJ{AJT mi CATAtOGllE ^ 



iBLlCATIONS 



= GÉOGRAPHIQUES 



YAGES. EXPLORATIONS O CARTES O ATLAS O 
.©GRAPHIE GÉNÉRALE. GÉOLOGIE. SÉISMOLOGIE 
«JDES ET MONOGRAPHIES O PÉRIODIQUE O 
CTIONNAIRE O ALBUM O ENSEIGNEMENT 




.IBRAIRIE ARMAND COLIN 

Rue de Mézièr^^s, 5, PARIS 



9101. 



inJiAIHJE A1{MATID COUTI, r. de MizUrti. S. PM{JS 



DIVISIONS DE CE CATALOGUE 



PagCI, 

Voyages, Explorations 3 

Cartes 9 

Atlas Yidal-Lablache. — Atlas des Colonies françaises, . . 10 

Géographie générale. — Géologie. — Séismologie 11 

Études et monographies géographiques. ' 15 

m Annales de Géographie » 18 

Dictionnaire de Géographie. — Album Géographique ... 19 

Enseignement 20 

Cartes murales Vidal-Lsrblache 21 

Tableaux muraux de Géographie /. . . . 21 

Table ALPHABi^^TfQUB par 2201225 d'auteurs 21 



Tous les ouvrages compris dans ce Catalogue sont erpâdiés trsaico au prixl 
marqué, contre envoi de leur montant en un mandatpostul à l'adresse suivante: 
Librairie Armand Colin, 5, rue do Méziôres, Paris, vi°. — Ao» publications 
sont en vente r.ho.z tous les libraires. 




Librairie Armand Colin 

Rue de Mézières, S, PARIS 

P. 9101. 

PUBLICATIONS 



GEOGRAPHIQUES 



iGES, EXPLORATIONS 

Les Maures et TEsterel, par p. ronem. Un vol. in-18, 
98 gravzires, Z c&ties hors texte» relié toile 3 fr. 50 

M. P. Foncin décrit ce menreillenz pays des Maaret et de TEsterel comme 
la terre d'élection qu'il choisit parmi ces « nays de France » dont il a dit 

Tère, en une retentissante étude, la magnifique diversité, 
s'est attaché k faire connaître, outre les aspects physiques et les ressour- 
ces naturelles du double pays des Maures et de l'Esterel, son histoire et ses 
développements : quelques chapitres, consacrés & l'histoire générale, aux 
^pes mstoriques, aux villes et campagnes pendant les derniers siècles, 
montrent toute la variété de la vie sociale depuis les origines. 

L'ouvrage de M. P. Foncin est donc une description complète du pays et 
il est destiné & devenir un véritable guide pour tous les voyageurs, de plus 
tn plus nombreux, qu'attire, aux environs de Fréjus et de Saint-Tropez, la 
réputation dos Maures et de l'Esterel. 



Terres françaises {Bourgogne, Frunche-Ccmtéy Narbonnaise), 
par ¥F. Morton Fallerton. Un vol. in-lS, broché. ... 3 fr. 50 
{Ouvrage couronné par F Académie française, prix Marcelin Guérin, 
et par la Société de Géographie commerciale de Paris.) 

< Il s'est trouvé parfois des écrivains étrangers pour bien comprendre et 
limer la France : je ne sais pas si l'un d'eux l'avait jamais « sentie » aussi 
livement, pleinement, intimement. Ces descriptions de nos villes et provinces 
seront pour beaucoup de lecteurs une révélation. L'auteur sait nous insinuer 
doucement ses façons de voir et d'expliquer, par un subtil mélange d'humour 
inglais, de précision américaine, de gr£ce et comme de câlinerie irançaises. » 

{La Revue de Paris.) 

< En retraçant, sans prétention, les inn)ressions d'un voyage accompli dans 
tine partie de la Franco, M. W. Morton FuUerton, qui est de nationalité amé- 
ricaine, nous a donné une œuvre vraiment intéressante, d'une saveur originale 

et pénétrante Les lecteurs français trouveront beaucoup de charme à ce 

livre et les touristes le consulteront comme un guide précieux. > 

{Revue de Géographie,) 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



Espagnols et Portugais chez eux, par m. «nuiardet 

Un Tol. in-18, broché 3 fr. 50 

« Les Français connaissaient asses mal leurs voisins de tnu los montes. 
L'auteur est allé les étudier chez eux, dans leur yie de tous les jours. Son 
livre, d'une observation pénétrante et avertie, nous donne de la société espa- 

fnole et de la société portugaise un tableau très étudié et très vivant, bieo 
igné de fixer notre attention. ' 

{Journal des Débats.) 

« Ce sont les notes de voyage d'un écrivain infiniment curieux et coa- 
sciencieux qui regarde attentivement et avec un sens aigu du pittoresque 
tout ce qu'on lui montre, et s'arrange de façon à pénétrer ce qu'on lui dissi- 
mule. Aussi a-t-il vu bien des choses amusantes, inédites et instructives, qa'il 
nous rapporte dans des pages alertes, sincères et vivantes. » 

(Ae Figaro.) 



Suédois et Norvégiens ctiez eux, par m. «aiiuirdct. 

Un vol. in-18 (2*Édition), broché 3 fr. 50 

{Ouvrage couronné par F Académie française. Prix de Joest.) 

« Livre plein de faits et d'idées qui seront le plus souvent pour le lecteur 
français dos révélations. Le pays, le « monde », les classes sociales, la vie 
agricole, les pêcheries, le commerce et Tindustrie, la vie religieuse etinteliec- 
tuello, la littérature, la femme, la politique : en neuf chapitres nous savons 
de deux peuples, qui se ressemblent si peu entre eux, tout ce qu'un étranger 
peut savoir. Et n'allez point croire que M. Quillardet, si informé, si docu- 
menté, soit ennu^reux ; il y a au travers de ses récits une lumière légère qu'on 
poursuit avec plaisir jusqu'à la fin. » {Le Temps.) 

En IVIéditerranéet Promenades (Vhistoire et d'arts par charte* 
Diehl, proresseur d'histoire byzantine à l'Université de Paris. 

Un volume in-18 (3* Édition), broché 3fr. 50 

{Ouvrage couronné par C Académie des Inscriptions et Belles-Lettres.) 

■ Le savant professeur nous conduit d'abord dans la Dalmatie romaine, et 
il fait revivre à nos yeux le palais Domitien à Spalato, puis les nécropoles 
récemment explorées de Salone. Il nous mène ensuite aux lonilles de Delphes, 
puis aux villes mortes de l'Orient latin (Chypre, Famagouste, Rhodes), et fina- 
lement à Jérusalem. Ce qui ajoute encore à l'intérêt de ce beau livre, c'est 
que son auteur n'excelle pas moins à ressusciter le passé qu'à dépeindre le pré- 
sent, en dégageant de l'état actuel des choses des enseignements et des pré- 
visions dignes de l'attention de tous ceux qui pensent. > {Journal des Débats.) 

Excursions archéologiques en GrècCi parchanes oiebi. 

Un vol. in-18, avec 8 plans (6" Édition), broché 4 fr. 

{Ouvrage couronné par C Académie française. Prix Montyon.) 

■ Dans ce livre charmant, l'auteur nous promène successivement à M^^cènes. 
à Tirynthe, sur l'acropole d'Athènes, pour nous montrer la Grèce primitive 
qui sera pour plus d'un une véritable révélation. A Dodone, il nous lait l'his- 
toire do roracie de Zeus; à Délos, celle du culte d'Apollon; à Olympie, celle 
des jeux ; à Eleusis, celle des mystères ; à Tanagra, celle de la mode. Il a 
résumé les travaux les plus récents avec une élégante concision, et il instruit 
autant qu'il plaît. > {Bévue historique.) 

\ ' : 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 



Les Phéniciens et l'Odysséej pan^ietomérard (-2 volumes) : 

Chagife vol . in-8* grand Jésus de 600 pages, nombreuses cartes 

et yrai}ures, relié demi-chagrin, 32 fr.; — broché 25 fr. 

{Ouvrage couronné par l'Académie française.) 

« L'éloge n'est plus à faire de ce savant ouvrage, véritable résurrection des 
personnages de l'épopée homérique... Ajoutons que la correction matérielle 
et l'impression en sont aussi parfaites que possible, et que les plans, cartes et 
gravures sont exécutés avec oeaucoup ae goût. » {Bévue des Deux Mondes.) 

« l^a Méditerranée d'Ulysse, la vie des corsaires achéens ont autant de 
réalité ()ue la rade de Toulon et les exploits de Duquesne et de Surcouf; il 
est possible de refaire aujourd'hui le voyage d'Ulysse. Telle est la thèse neuve 
et hardie que M. Victor Bérard démontre dans ce magnifique ouvrage avec 
un talent d'écrivain, un art do peindre aux yeux qui s'allient de la plus rare 
façon à l'érudition la plus riche et la plus sûre. » {Journal des Déoats.) 

La Grèce d'aujourd'hui, par GmIou DosebamiM. Un vol. 
in-i8.(12« édition), broché.. 3 fr. 50 

{Ouvrage couronné par V Académie française.) 

« Ce livre de M. Gaston Deschamps sur la Grèce d'aujourd'hui est un livre 
délicieux où la description des pays helléniques, les souvenirs de Tantiquité, 
la peinture de la société grecaue moderne se mêlent sans se nuire, ou l'on 
trouve de l'esprit, de la poésie, au pittoresque et aussi des vues philosophiques 
et historiques qui, pour a ôtre pas pédantes, n'en sont pas moins très sérieuses. • 

{Revue Historique.) 

Sur les routes d'Asie, par«iuitoiiDeMliain|M.Un volume in-ig 
(3» Édition), broché 3 fr. 50 

« M. Gaston Deschamps a réuni dans ce volume une suite d'impressions 
qu'il a recueillies dans un voyage commencé au Pirée et terminé vers la 
Pisidie après avoir visité l'ile d& Chio et les villes, qui .bordent l'ouest de 
l'Asie Mineure. Très apte par sa nature et ses études à dégager l'intérêt de 
toutes choses sur un pareil terrain, l'autour sait s'arrêter aux bons endroits, 
et c'est un utile plaisir que l'on goûte en sa compagnie pendant cette belle 
excursion. » {Le Figaro.) 

Au Pays russe, parJialofli.osrM.Un volume In-lS (4* édition), 

broché 3 fr. 50 

{Ouvrage couronné par V Académie française, prix Montyon^ 
et par la Société de Géographie commerciale de Paris.) 

« L'auteur a parcouru les steppes, de la Baltique à la Mer Noire. La déso' 
iation do ce morne pays, ses mœurs encore sauvages en tant de points, mais . 
aussi sa physionomie pittoresque mal connue jusqu'à présent, et surtout ses 
ressources infinies, tout cela est expliqué et dépeint par l'enquêteur perspicace 
et consciencieux. » . {Le JFigaro.) 

« Observateur sagace, impartial et profondément doué, M. I>egras joint à 
CCS qualités une connaissance parfaite de la langue russe. II a su pénétrer 
dans toute les couchos sociales et le tableau qu'il présente de la vie russe 
est assurément l'un dos plus saisissants et des plus véridiques de tous ceux 
que les écrivains de l 'Eux ope occidentale ont pu produire sur ce vaste pays ». 

{Société de Géographie.) , 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



En Slbérlej par Jales Mjegrmm* tin volume in-18, H gravures 
hors texte et i carte en couleur {2* Édition), broché.* . \ 4 fr. 

« Dans un récit suivi, plein d'animation, d'anecdotes et de bonne humear, 
M. Jules Legras nous montre la physionomie de l'Asie russe. La cooDais- 
sance de la langue Ta mis à même de pénétrer partout et de nous rapporter 
aussi bien les conâdences d'un matelot, d'un paysan et d'un galérien que les 
idées d'un gouverneur. Ce mélange d'impressions si variées, rencontres affli- 
geantes ou grotMques, aventures, incidents de toute espèce, donne un inté- 
rêt vivant à cet ouvrage ». {Le Tempt.) 

I « Jules Legras a visité deux fois la Sibérie, et ces voyages ont laissé eo 
lui de profondes impressions. Son livre n'a pas la prétention (Têtre autre chose 
qu'un journal de route; mais toute la physionomie de l'Asie russe nous y 
apparaît dans un récit plein d'observations, d'anecdotes et de bonne humeur. » 

{La Bévue de Paris.) 



La Perse d'aujourd'hui {Iran, Mésopotamie), par Eugèno 
Aubin. Un vol. in-18, 450 p., i carte en couleur h. texte, br. 5 fr. 

« L'auteur se trouvait parcourir la Perse à l'époque môme ou se produi- 
saient en ce pays les premiers phénomènes révolutionnaires. En traversaut 
les provinces Nord-Ouest de la Perse, en descendant de Téhéran à Ispahau 
et à Bagdaç, puis à Chiraz, il a pu suivre les manifestations révolutionnaires, 
qui, toutes issues d'une même cause, diffèrent d'aspect selon les villes. Les 
principaux fonctionnaires, les chefs du mouvement des réformes lui ont 
fourni des indications intéressantes, qui lui ont permis, tout en étudiant le 

i)ays dans les conditions permanentes de son existence, d'observer utilement 
a transformation présente de l'Orient moyen. » {Le Correspondant). 



£ 



Le Tibefi Le pays et les habitants, par w. «renard (Mission 

Dutreuil de Rhins). Un fort vol. in-18, avec i carte en couleur, 
broché 5 fr. 

« Dans cet ouvrage, M. Grenard résume d'abord l'exploration qu'il fit avec 
Dutreuil de Rhins ; il donne ensuite une « vue d'ensemole sur le Tibet et ses 
habitants », sur leurs mœurs et coutumes, la vie économique, etc. La curio- 
sité politique et sociale de M. Grenard le distingue très nettement de tant 
d'explorateurs qui nous ont seulement rapporté des renseignements géogra- 
phiques. Aussi lira-t-on son livre avec le plus grand intérêt et le plus grand 
proht. « {Journal des Débats.) 



Les Chinois chez eux, par s. nard. Un volume in-18, 
12 planches hors texte (5* Édition), broché 4 fr. 

« M. Bard n'est pas un savant de bibliothèque, c'est un homme d'action, 
un commerçant qui a rendu d'excellents services à notre colonie de là-bas, 
qui parl« plus volontiers de ce qu'il sait que du reste et qui ea parle sim- 
plement, clairement et avec méthode. Il a vu la Chine, a vécu parmi les 
Chinois^ a fait des affaires avec eux... De ses investigations diverses, il a tiré 
un bon livre, rempli de faits, écrit sobrement, avec précision, où il nous 

g résente une Chine vraie, peuplée d'hommes véritables, et non pas cette 
hine baroque à laquelle on nous avait habitués. » 
(Grxnard. —Bulletin de la Société de Géographie commerciale de Paris.) 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 



Au Japon et en Extrême-Orient, par w. cnaimye. un voi. 

in-18, broché 3 fr. 59 

« En observatetir curieux, attentif et jeune, M. Félicien Challaye nous 
.apporte des vues tout à fait originales et fécondes sur la façon dont la civi- 
lisation européenne a mcMlifié celle du Japon sans entamer en rien les tradi- 
tions du vieux Nippon. » {Le Figaro.) 

« Cet ouvrage, très finement senti, plein de vues personnelles et pénétrantes, 
est un des plus suggestifs qu'un Français nous ait depuis longtemps rapporté 
d' Extrême-Orient. >» {Le Journal des Débats.) 

Le Sidm et les SiamoiSi par le Commandant b. i^nnot de 
i^iMonqulère. Un vol. in-18 de 360 pages, broché. ... 3 fr. 50 
{Ouvrage couronné par VAcadémie française. Prix Montyon.) 

« L'auteur, qui a été chargé de mission au Siam, nous donne une étude 
utile sur ce royaume asiatique qui doit nous intéresser doublement, puisqu'il est 
avec la Chine le seul état encore indépendant de l'Extrême-Orient et qu'il 
est proche de notre Indo-Chine. Après de précises généralités sur l'organi- 
sation de I État, si|r les Siamois et les étrangers, nous trouvons en cet ouvrage 
le récit minutieux d'un voyage de Bangkok à Rahengpar la vallée duMenam 
et du Meping, puis à travers les montagnes jusqu'à Rangoon. Travail cons- 
ciencieux, nourri de renseignements et {Tanecdotcs. » 

{La Revue de Paris.) 

Java et ses habitantSi par s. Challley-iiert. Un vol. in-18 
(3* Édition, corrigée et augmentée), broché 4 fr. 

« M. Chaillèv-Bert est allé à Java. Il y est demeuré plusieurs mois, et il 
Qous transmet dans ce volume les résultats de son voyage. D'une lecture facile, 
voire môme fort agréable, cet ouvrage contient des études étendues et péné- 
trantes sur la société indigène et la société européenne à Java ; la concurrence 
économique entre Européens et Orientaux ; la question chinoise ; la concur- 
rence politique entre Hollandais et Javanais ; la question si complexe de l'édu- 
cation des indigènes. » {Le Musée social.) 

En Haïti s Planteurs d'autrefois, Nègres d'aujourd'hui, par 
Eugène Aubin. Un fort volume in-18, S2 phototypies et S caries 
en couleur hors texte, broché 5 fr. 

« Dans un cadre magnifique, M. Eugène Aubin a eu sons les yeux une suite 
ininterrompue de manifestations populaires d'une incomparable étrangeté qui 
se produisaient sous des formes dont l'origine africaine se trouvait influencée 
par notre culture et par notre histoire. Rien do plus curieux, de plus émou- 
vant que ce mélange disparate. M. Eugène Aubin le retrouve partout dans ce 
voyage prestigieux dont il nous fait partager les émotions et l'agrément 
en des pages alertes, documentées, semées de belles et pittoresques images. » 

{Le Figaro^) 

Une Mission française en Abyssinie, par syKam 

Vignéras. Un volume in-18, avec 60 photographies ^ broché. 4 fr. 

« Ce livre, qui n'a d'autre prétention que d'être un journal de route, con- 
tient mille observations précieuses, fidèlement notées, qui laissent une 
impression très nette de la nature de la région que l'auteur a parcourue. » 

(Xe Temps.) 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



Impressions d'Egypte, par jLouis maIomcId-IS br. 3 rr. i 

« Cet ouvrage se divise en denx parties : l'une qui est parement narratif 
et descriptive ; Taatre, où l'auteur étudie l'état moral et politique du pays. I^ 
première partie va d'une allure rapide qui entraîne le lecteur. C'est, eo dcu 
cents pages, le tour do l'Egypte conté avec Autant d'agrément que de vérité, 
M. Malosse analyse ensuite la situation morale et politique de ÏEgypU 
explique le caractère et les actes du khédive, relève les traces porsistante 
de l'influence française, apprécie l'œuvre de l'Angleterre... Ces pages, pleiDO 
d'informations exactes, méritent d'être lues. » (Ze Temps.) 

Le Maroc d'am'OUrd'huii parEosène Aubin. In-lS de 500 pagc^ 

avec S cartes en couleur hors texte (6« Édition), br 5 ft| 

(Ouvrage couronné par la Société de Géographie commerciale de Paris.) 

« M. Eugène Aubin a en la bonne fortune de séjourner, au cours de ces deui 
dernières années, à Tanger, à Marrakech, & Fez; il nous explique dans ce 
ouvrage l'organisation du gouvernement marocain et le mécanisme de la vif 
marocaine... Il y a plaisir ù, le lire, parce qu'il nous présente les faits selon 
une heureuse méthode, et que la recherche de l'exactitude n'empêche paj 
l'auteur d'avoir le souci do la clarté... Ce livre exact est aussi uq Iiv« 
agréable, et par là il participe d'une tradition très française. » 

{Journal des Débats.) 

Voyages au Maroc (I899-I9OI), par le m'* de Sesomxac, avec 

478 photographies^ dont 40 grandes planches hors texte (20 pano^ 
rainas en dépliants), 4 carte en couleur hors texte et de 
nombreux appendices. Un vol. in-8** de 400 pages, broché . 20 fr. 

Relié demi-chagrin, tète dorée 27 fr. 

{Ouvrage couronné par VAcadémie française, prix Furtado, et par la 
Société de Géographie de Paris.) 

m En trois explorations successives, de 1899 à 1901, le marquis de Segonzac 
a visité, sous le déguisement d'un mendiant musulman, les régions les moins 
abordables du Maroc. Son ouvrage, rédigé dans la forme d un journal de 
route, mais sans sécheresse, a la précision d'un document scientifique en 
même temps qu'il donne dans de sobres descriptions une vive iiùpression des 
choses vues, et qu'il doit à son style chaud et coloré un véritable charme 
littéraire. » {Hevue de Géographie.) 

Sahara souda naiSi par r. Chudeau, chargé de mission 
en Afrique Occidentale française. Un vol. in-8 raisin, 83 figures 
et cartes dans le texte et ho7's texte, dont i carte en couleur, 
72 phototypies et 2 photogravures hors texte, broché 15 fr. 

Ce volume débute par une série de monographies des régions traversées par 
l'auteur entre l'Ahnet, le Mger et le Tchad. Les chapitres suivants sont con- 
sacrés à de nombreuses questions qui intéressent l'étude du Sahara. La géo- 
graphie botanique et zoolo^ique, à cause de l'importance économique qu'elles 
peuvent présenter, ont été traitées avec un soin particulier. Un dernier cha- 
pitre est consacré au commerce du Sahara. 

« Après avoir vu par lui-même, M. R. Chudeau n'a pas négligé les rcn- 
Beignements qu'il a pu receuillir ailleurs. Ce livre très intéressant constitue 
un exposé aussi complet que possible de nos connaissances actuelles sur la 
géographie, au sens le plus large du mot, de la région saharienne. » 

{La Bévue Scientifique.) 



PUBLICATIONS GEOGRAPHIQUES 



Dahoméi Niger, Touareg : Notes et récits de voyage, par le 
csénéralToulée. Un volume in-18 jésus, avec 1 carte hors texte 

(4* Édition), broché 4 f ^ 

{Ouvrage couronné par l'Académie française. Prix Montyon.) 

« On sait que parti de Kotonou en décembre 1894 avec la mission de relier 
lo Dahomey français au Niger, l'auteur, à travers des obstacles et des diffi> 
f-ultés sans nombre, put remonter le Niger jusqu'à Farka, dépendant du 
C orcle de Tombouctou ; puis le redescendit jusqu'à son embouchure, démontrant 
ainsi que le Niger moyen était navigable. On trouvera dans ce livre le 
récit de cette exploration si féconde en résultats, et do cette mission si bien 
remplie. » {Reme des Deux Mondes.) 

Du Dahomé au Sahara l La Nature et VHomme,^T\eekéwiérB\ 
"routéo. Un volume in-18 (2« Édition), avec i carte en couleur 
broché 3 fr. 50 

{Ouvrage couronné par V Académie française. Prix Montyon.) 
« Dans Dafiomé, Niger, Touareg, Fauteur nous a raconté avec un grand 
charme de gaîté tous les incidents pittoresques do son exploration Le présent 
volume est d'un ordre tout différent : c'est une *tude grave, riche d'infor- 
mations et d'idées, qui permettra au public français d'apprécier l'avenir éco- 
nomique du Soudan, en le renseignant sur le degré de civilisation des indi- 
gènes, sur la qualité du sol et la nature de ses productions. » 

{La Revue de Paris.) 

TES 

Carte de la Chine physique et politique, p&r !•. manconi, ingé- 
nieur Géographe, auteur des Cartes commerciales universelles 
(83* X 66«). Prix net 2 fr* 

Cette carte indique les lignes de chemin de fer en exploitation, en cons- 
truction et concédées, les mines, câbles sous-marins, itinéraires de naviga- 
tien, les Missions catholiques et protestantes, les sphères d'influence politi- 
que et économique de la France, de la Russie, de l'Allemagne et du Japon en 
Chine. 

Carte du Cours de l'Amazone (depuis rocéan jusqu'à 

Manaos) et de La Guyane BrésiliennCy dressée par Paal lie Cointe. 

Une carte en couleur (1"'25 X 65') dans une pochette, avec notice 

explicative 10 fr. 

Montée sur toile, avec gorge et rouleau 15 fr. 

Cette carte, à l'échelle de 1/2. 000 000, est certainement la plus complète qui 
ait été dressée do cette partie du Brésil encore pou connue qui s'étend, entro 
l'Amazone, au sud, et la Guyane anglaise, hollandaise et française, au nord. 

Les différents explorateurs qui l'ont parcourue n'ont laissé que des croquis 
isolés du cours des principales rivières. L'auteur a coordonné et relié entre 
eux tous ces travaux, puis les a complétés par de nombreux relevés person- 
nels exécutés durant un séjour ininterrompu de quinze années dans ce pays. 

D'un format qui la rond facile à consulter, cette carte est à une échelle 
assez grande pour pouvoir servir de canevas à toute nouvelle exploration de 
ces régions, scientifique ou commercial^. 



lO LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



ATLAS 



Atlas général VIdal-Lablache historique et géograplwi 
par p. Vidal de la maehe, membre de l'Institut, professeur à 
l'Université de Paris. — nouvelle édition mise à jour et regravée: 
420 cartes et cartons en couleur; Index alphabétique de 46000 
noms, augmenté d'un supplément de 3 500 noms. — Un volume 
in-folio: avec reliure amateur, 40 fr; — relié toile. . . 30 fr, 
[Couronné par la Société de Géographie de Paris. Prix Barbie du Bocage). 

• Dans cette nouvelle édition, non seulement les cartes ont été très soi- 
gneusement mises au courant des plus récentes découvertes, des dernières 
modifications territoriales et du développement des voies ferrées, mais les 
diagrammes ont été modifiés d'après les plus récentes données statistiques.! 
Un effort très sérieux a permis de donner partout une plus grande vigueur 
au figuré du relief du sol ; des teintes nouvelles ont été ajoutées. Des cartes 
ont été entièrement remaniées; leur échelle a été agrandie.... » 

k (H. Froidevaux. Le Polybiblion^ mars 1909). 

« On apprendra avec plaisir ou'uno nouvelle édition de ce monumental 
ouvrage vient d'ôtre publiée... L Atlas Vidal-Lablache constitue un travail 
do consultation et d'étude d'une valeur remarquable... C'est un joyau qui orne 
la cartographie universelle. > (A. Baldacci. Bivista geografica italiana). 

« Les Allemands nous ont, pendant longtemps, devancés de très loin sur le 
terrain géographique. On peut dire que nous les avons rejoints, et il semble 
même douteux que l'Allemagne puisse opposer à V Atlas Vidal-Lablache un 
instrument de travail plus souple et mieux approprié aux exigences actuelles 
de la science et de l'enseignement. {Le Temps.) 

« Il n'existe pas à notre connaissance d'atlas qui, jusqu'ici, ait réuni 
sous une forme aussi claire et à un prix aussi minime,^ une aussi grande abon- 
dance de notions de tout genre ». 

(Oabriil Monod. — Bévue Historique.) 



Atlas des Colonies françaises, dressé par ordre du 

Ministère des Colonies, par Paul Pelet. ^7 cartes (62*x42') et 
50 cartons en 8 couleurs avec Texte explicatif de 78 pages et 
Index alphabétique de 34 000 noms. Un vol. in-4'' colombier 

(42°x33*'), relié toile net, 30 fr. 

{Ouvrage couronné par V Académie des Sciences morales et politiques 
et par la Société de Géographie de Paris^ prix P.-F, Fournier.) 

« M. Pelet traite avec le même souci de vérité scientifique les territoires 
dits « étrangers » et ceux que les Français revendiquent en maîtres ; et les 
cartes qu'il nous donne prennent ainsi un intérêt général et un caractère 
esthétique dont nous lui sommes reconnaissants. Chaque carte, en particulier, 
mérite d'être signalée dans V Atlas et d'être louée pour la précision et la clarté 
du dessin et de la nomenclature, pour la belle ordonnance du travail, pour tous 
les renseignements complémentaires qui ont été fournis sans trop charger la 
feuille. A tous égards, Y Atlas de M. Pelet doit êtro cité en modèle pour la 
probité scientifique et la belle exécution du travail. » 

(Elisée Reclus. — La Bévue.) 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES II 



^GRAPHIE GÉNÉRALE. — GÉOLOGIE. SÉISMOLOGIE 



TRAITÉ DE GÉOGRAPHIE PHYSIQUE {Climat - Hydrographie- 
Relief du sol - Biogéographie), par Kmm. de Martomne, profes- 
seur de géographie à l'Université de Lyon. Un volume in-S** raisin, 
vjii-912 pages, 396 figures et cartes, 48 plancher photographiques 
hors texte et 2 planisphères en couleur hors thxte, broché. 22 fr; 
relié demi-chagrin, tète dorée 28'fr. 50 

{Ouvrage couronné par V Académie des Seiences^ prix Binoux, et par la Société 
de Géographie de Paris ^ prix P. -F. Foumier, 

« Le remarquablo ouvrage do M. de Martonne offre au public instruit le moyen 
de suivre les publications géographiques de jour en jour plus nombreuses et 
plus scientifiques, aux spécialistes un livre général devenu indispensable. » ' 

{La Revue de Paris.) 

Il n'existait pas jusqu'ici d'ouvrage embrassant tout ce qu'on est convenu 
d'appeler géographie physique. Ce Traité rendra do grands services non seu- 
lement aux géographes spécialisés, mais aussi aux étudiants et aux personnas 
de plus en plus nombreuses qui s'intéressent aux recherches géographiques 
et qui ont besoin d'un guide sûr et éclairé. » 

(Ph. Glangaud. Revue générale des Sciences). 

« Le Traité de M. Emm. de Martonne répond à toutes les exigences 
de l'érudition contemporaine. L'auteur a non seulement tenu cempto des 
derniers progrès quo les recherches géographiques ont réalisés, mais encore 
il a introduit dans son ouvrage les résultats d'études et de réflexions qui 
lui appartiennent en propre... Aucun ouvrage publié jusqu'à ce jour en Europe, 
n'a plus complètement mis en lumière le principe de 1* « évolution » du 
modelé. La partie morphologique est ainsi placée sur une base nouvelle 
répondant tout à fait à l'état présent de la science... On ne* sausait trop 
louer les nombreuses et oxcellentes flgures, les remarquables schémas A 
trois dimensions, le grand nombre de cartes nouvelles et les belles photo- 
graphies hors texte que renferme l'ouvrage. L'illustration de ce Traité l'em- 
porte incontestablement sur celle de tous les ouvrages similaires... On doit 
féliciter la science française pour l'apparition d'une œuvre aussi importante. » 

(J. Gvijiô. Annales de Géographie^ nov. 1909). 
(Envoi franco^ sur demande, du Prospectas : Traité db Géooraphib Physique.) 



L'Architecture du Sol delà France. Essai de g4ographi9 

tectonique, par le Comm* o. Barré. Un vol. in-S", 189 figures, dont 

31 planches hors texte, broché 12 /r. 

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris. Prix Barbiédu Bocage.) 

c Voici un gros volume bien géologique de fond et de forme, mais qui se 
lit clairement, à la française, éclairé quHl est par de nombreux croquis et des 
panoramas d'un genre tout nouveau... Ceci suffit à faire vivre un livre, et 
ceux que les termes géologiques pourraient effrayer n'ont qu'à regarder pour 
comprendre... La science du Commandant Barré, qui a professé pendant do 
lonfjues années à l'Ecole d'application de Fontainebleau, n'est plus à appré- 
cier. Il a laissé une trace profonde dans l'esprit de ses auditeurs, et l'ouvrage 
qu'il publie aujourd'hui est le fruit mûr d'une forte floraison. » 

{Revue de Géographie,) 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



TRAITÉ DE GÉOLOGIE, par jËinlie Haas, professeur à la Faculté 
des Scier.ces de rUniversilé de Paris : 

TOME I. Les Phénomènes géologiques. 

Un volume in-S" raisin, 538 p., 199 figures et caries, 71 planches de 
reproductions photographiques hors texte, broché. . . 12 fr. 50 

TOME IL Les Périodes géologiques. 

Fasciculb 1 : ln-8* raisin, SO'2 p., 100 figures et caries, î^planches de 
reproductions photographiques hoi^s texte, broché 9 fr. 

Fascicule 2 : In-8** raisin, 468 pages, 110 figures et cartes, 20 plan- 
ches de reproductions photographiques hors texte, broché. 10 fr. 

(Le Tome IT ot dernier du Traité de Géologie sera con^plet en troi» fascicules). 

« En ce moment où s'ébauchent de plus en plus nettement les grandes 
synthèses géologiques, cet ouvrage sera un des instruments de travail néces- 
saires pour quiconque s'intéresse à la géologie. Beaucoup do points qui font 
partie de l'enseignement courant ont été, depuis une vingtaine d'années, 
complètement renouvelés : un ouvrage général de ce genre, clair et bien au 
courant, rendra donc les plus grands services pour les mises au point 
nécessaires. » {Revue de V Enseignement des Sciences). 

« Le Traité de Géologie de M. Ilaug sera de la plus grande utilité à tous 
ceux qui voudront connaître ce qu'on sait aujourd'hui du passé de notre pla- 
nète; li est conçu sur un plan qui en fait une œuvre tout & fait originale, et, 
pour les nombreuses illustrations q^ui accompagnent le texte, Testeur doit 
être loué d'avoir si bien secondé 1 auteur dans la confection d'un ouvrage 
parfait, dont le succès s'est affirmé dès le premier jour. > 

{Revue générale des Sciences.) 

■ Ce livre est tel qu'on pouvait l'attendre du savant professeur de la Sor- 
bonne. On en appréciera les qualités intrinsèques, et quand le lecteur, pres- 
que sans s'en apercevoir, sera arrivé à la fin du volume, il constatera qu'il a 
beaucoup appris. » {Revue scientifique.) 

« C'est une œuvre considérable; et l'on ne saurait traiter ces questions 
avec une compétence plus autorisée, avec une clarté plus nette et une force 
de démonstration plus décisive. Les reproductions photographiques mettent 
en évidence les aspects particuliers à quelques-unes des plus importantes 
formations géologiques. » {Journal des Débats.) 

Géologie pratique et PetH Dictionnaire technique des termes 
géologiques les plus usuels, par li. de i^aaiiay, ingénieur en chef 
des Mines, professeur à l'École supérieure des Mines. Un volume 
in-18, (3* édition) broché 3 fr. 50 

« C'était un livre à faire. Écrite par un professeur de la valeur de M. de 
Launay, on peut dire que cette Géologie pratique est une bonne fortune. 
Les applications de la géologie sont nombreuses en effet, et tout le monde a 
besoin de les connaître. Cet ouvrage sera dans toutes les mains, parce qu'il 
répond à un besoin de chaque jour, » {Journal des Débats.) 

« Pleine de conseils sages et judicieux dictés par un savoir remarquable- 
ment étendu, la Géologie pratique de M. de Launay ne peut que faire mieux 
comprendre l'intérêt de la science géologique, sçn utilité immédiate et sa 
portée philosophique. * {^Polybiblion.) 



PUBLICATIONS GÉOGRA PHIQUES l3 

La Science géologique : ses Méthodes, ses Résultats, ses Pro- 
blèmes^ son Histoire, par Ma. de liOunay. In-8^de 752 pages, avec 
53 fig, dans le texte et 5 planches en couleur h, texte, br. 20 fr. 
Helié demi-chagrin,, tête dorée 26 fç. 

i Ce nouveau travail considérable du savant professeur de géologie doit être 
dé/ini « la synthèse et la philosophie des connaissances géologiques au début 
(lu xx*' siècle ». Les géologues le placeront, dans leur bibliothèque, entre le 
Traité de M. de Lapparent et la Face de la Terre de Suess... L élégance du 
style et la clarté d'exposition de M. de Launay rendent son ouvrage accessible 
à tous, d'une lecture aussi pratique qu'attrayante. Tout esprit ouvert s'instruira 
sans peine sur les hautes (Questions qu'il traite.... 

{La Géographie.) 

« J'estime qu'il a fallu à M. de Launay des années et des années pour mener 
à bonue fin ce travail colossal etuni(|ue en littérature spéciale.... L'auteur a 
voulu faire sortir la géologie du domaine étroit où 4es spécialistes la confinent, 
pour mettre en valeur sa portée générale et la taire entrer dans le cadre plus 
vaste do la philosophie naturelle. Pour atteindre ce but, il fallait des connais- 
sances d'une étendue singulière, une expérience consommée, un sens critique 
aigu et un talent d'exposition tout particulier. La Science Géologique est une 
étude puissante et originale et na pas d'équivalent parmi tous les livres 
publiés sur ce sujet. » {Journal des Débats.) 



La Face de ia Terre (dasAntUtzder Erde),psiT Ed. Suofl0, 
Associé étranger de Tlnstitut de France, ancien professeur de géo- 
logie à rUniversité de Vienne. Traduit de rallemand et annoté 
sous la direction de Emm. de Maroerie, avec une préface par 
Marcel Bertrand, de TAcadémie des Sciences : 

Tome I. — Les Montagnes. In-8*> (3" Édition), de xv-835 pages, avec S cartes 
m couleur et US figures, dont 76 exécutées pour l'édit. française, br. . 20 fr. 

Tome II. — Les Mers. In-8* (2» Édition ),de 878 pages, avec S cartes en couleur 
et iS8 figures, dont 85 exécutées pour l'édition française, br 20 fr. 

Tome III. — La Face de la Terre 1" Partie. In-8*» de xii-530 pages, avec 
i cartes en coul. et 94 fig., dont 67 exécutées pour l'édit. française, br. 15 fr. 
(Le Tome III et dernier comprendra 3 parties). 

« C'est l'honneur de M. de Margerie de s'être fait, au prix d'un labeur çue 
ceux-là seuls peuvent apprécier qui l'ont suivi de près, l'ordonnateur vigi- 
lant et infatigable de cette traduction à laquelle ont collaboré les meilleurs 
géologues de notre pays.... Une véritable encyclopédie, d'une sûreté sans égale, 
so dissimule sous ces pages où les vues du maître ont été conservées dans 
toute leur fraîcheur, avec un respect complet de la forme, souvent presque 
poétique, dont M. Suoss avait eu l'art de les revêtir. » {La Géographie.) 

« Les traducteurs oDt rendu la pensée du maître avec une fidélité qui lui 
laisse à la fois sa précision et sa poésie ; ils l'ont respectée aussi en ce sens 
qu'ils se sont interdit tout commentaire critiaue. Mais des notes brèves et 
discrètes indiquent en quelle mesure les vues de l'auteur émises il y a 12 ans 
ont été confirmées, en quelle mesure contredites ou ébranlées par les 
explorations plus récentes. Tout ce travail de recherche et de mise au point 
donne à l'édition française — l'on dira plus justement édition que traduction 
— son originalité et son prix aux yeux des travailleurs. L'œuvre à laquelle 
reste attaché le nom de M. de Margerie fait honneur à la science française. » 

{Revue critique.) 



14 LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



Les Tremblements de Terre (Géographie Séiamologigue), 
par le Comte c. de MonCewiiia de ]i»liere, ancien élève deTËcoie 
polytechnique, directeur du Service aéismologique de la Répu- 
blique du Chili; avec une préface de A. de Lappauent, membre de 
rinstilut. Un* vol. in-8* raisin de 500 pages, avec 89 cartes et 
figures dans le texte et S cartes hors texte, broché. ... 12 fr 

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris. 
Prix Louiie Bourhonnaud.) 

Les récents événements dont la Calabre a été le thé&tre, donnent aus 
tremblements de terre une teUe actualité, qa'nn livre traitant de cette matière 
peut se présenter tout seul, même an grand public. 

« Avec autant de patience que de discernement, l'auteur a catalogué et 
marqué sur des cartes tous les phénomènes séismiques authentiquemcot 
enregistrés, en leur appliquant un figuré en rapport avec la fréquence et 
l'intensité des secousses. Cette monographie du phénomène, il Ta mise en 
rapport constant avec la structure géologique et la topograpliie des contrées 
correspondantes, et ce rapprochement lui a permis de formuler une loi de 
première importance... Ce sont les éléments de son enquête qu'il nous met sous 
les yeux dans ce grand ouvrage. On verra que nul n'a plus consciencieusement 
étudié que l'auteur la répartition des régions instables à travers le globe, que 
nul n'a dépouillé avec plus de soin tous les documents scientifiques ayant trait 
aux pays considérés. » (A. ns Lapparemt. — Extrait de la Préface.) 



La Science SéismolOgiqUe (Les Tremblements de Terre\ 
par le Comte F. de MonteMua de Ballore. Préface par Ed. 
SuBSS, Associé étranger de l'Institut de France. Un volume in-8' 
raisin de 590 pages, avec i85 figures et cartes dans le texte et 
32 planches hors texte yhvoché 16 fr 

< Dans la Science Séismologique^ M. de Montessus de Ballore offre une excel 
lente suite à son livre antérieur sur les Tremblementê de terre. Il n'y a rien 
de plus complet, ou de meilleur actuellement, sur la question des mouvements 
sismiques. » {Bibliothèque universelle.) 

« Il ^ a là près de 600 pages du plus haut intérôt, parce qu'on y trouve 

Sour ainsi dire condensée, la « science séismologique », nouvelle et cepen 
ant déjà si avancée... Dans ce beau volume, le lecteur trouvera la réponse 
simple, claire, facile, exacte, à tant de questions et à tant de pourquoi que 
l'on chercherait en vain, dispersés dans les innombrables mémoires que 
l'auteur a étudiés patiemment et maigistralement. » 

{Rivista Scientifica Industriale, Florence.) 

c Ce nouveau volume traite de la séismologie sous tous sos aspects, et 
est à la fois l'ouvrage le plus vaste et qui tait le plus autorité en cette 
matière. M. de Montessus est un lecteur insatiable et méthodique des 
ouvrages de science: et, en plus des trois langues principales du monde 
savant, il a la ressource de savoir en lire plusieurs autres, notamment 
l'italien, l'espagnol et le russe. C'est à ce fait, autant qu'à la longue durée de 
la période pendant laquelle il a réuni les données, qu'est due la vaste portée 
de son ouvrage. » 

{The Journal of Geology. Chicago.) 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES l5 



IDES ET MONOGRAPHIES GÉOGRAPHiaUES 



La Picardie et les régions voisines {Artois^ Cambrésis, Beau- 
vaisis)^ par Albert Oemanseon, docteur es lettres, professeur 
à l'Université de Lille. Un volume in-8% 4S figures dans le 
texte, 34 photographies hors texte, 3 cartes hors texte en noir et 

en couleur, broché 12 fr. 

Relié demi-chagrin, tête dorée 17 fr. 

{Ouvrage couronné par VAcad. des Sciences morales et politiques, par la So- 
ciété de Géographie de Paris, et par la Société de Géogr. commerciale de Paris). 

« Cette belle monographie sur une des régions les plus intéresiiiantos de la 
France, et oui fait le plus grand honneur à son auteur, montre ce que peut 
fournir do fécond la géographie actuelle, véritablement inspirée par les ten- 
dances scientifiques, dans toute la complexité de ces études. A lire le beau 
livre de M. Demangeon, à se laisser aller, au cours de ces pages, aux déduc- 
tions fines qui permettent de rattacher à des' phénomènes naturels et à des 
lois simples, jusqu'aux manifestations sociales qui en paraissent au ])remier 
abord les plus éloipi^nées, on ne peut résister au plaisir et à la séduction qui 
émanent de cette logique scientifiquement basée sur une observation atten- 
tive. M. Demangeon connaît à fond le pays dont il parle, et il sait faire 
preuve, sans les étaler, des connaissances les plus diverses, comme cela est 
nécessaire pour se livrer avec fruit aux études géographiq^ues. Géolo^e, 
botaniste, météorologiste tour à tour, il montre encore qu il s intéresse vive- 
ment au côté pratique de sa science, à tout ce qui peut éclairer Tagricnlture 
et l'industrie. » {Revue Scientifique.) 



Les Paysans de la Normandie orientale {Pays de Caux, 
Bray, Vexin Normand^ Valtëe. de la Seine) , par Jiuiofl sion» 
docteur es lettres, maître de conférences de géographie à l'Uni- 
versité de Clermont. In-8» raisin, 8 planches hors texte en pho- 
totypie, broché 12 fr. 

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris, prix Eugène Patron, 
et honoré d'une médaille d'or par la Société d'Agriculture de France.) 

« Ce livre est une étude de la vie rurale de cette partie de la Normandie qui 
correspond approximativement au département de la Seine-Inférieure et à 
l'arrondissement des Andelys. 

Comment les populations rurales se sont-elles attachées au sol qui les 
nourrit? Quelle est leur origine? Comment ont^elles conquis leurs champs sur 
les forêts ou les marécages? Quel est le svstème de culture qui caractérise 
telle ou telle région? Le laboureur doit-il compléter par Tindustrie domes- 
tique le revenu de son domaine? Quelle est la proportion des cultivateurs 
propriétaires, des fermiers, des journaliers? de la grande ou de la petite 
exploitation? Quelles sont la densité de la population, sa répartition, sa vita- 
lité? Dans la forme de ses habitations, dans la texture de ses groupements, 
peut-on déceler des influences ethniques? Telles sont quelques-unes des 
questions dont l'auteur a cherché la solution, rapprochant dans sa synthèse les 
travaux des agronomes de ceux des économistes, dég^ageant parmi les faits 
sociaux ceux oui s'expliquent par l'action du sol et du climat, par les diver- 
sités de la tecnniqae et de la production agricoles. » 

{La Nature.) 



l6 LIBRAIRIE ARMAND COLIN i 

fitnde mr la Vallée lorraine de la Meuseï par #. via^i 

de la Blaelie, capitaine breveté, docteur de TUniversité de Paris. 
Un volume in-8 carré, 8 cartes hors texte, br 4 fr. 

« Vallée de capture », dernier témoin d'un réseaa de riyiëres lorraiocs o' 
champenoises orienté vers la Belffiqno à une ëpoqao antérieure, la viiIU •' 
lorraine de la Meuse présente d'un oout à l'autre le phônomône de l'acrpio- 
inération exclusive des maisons dans les villages. L'autcrur nous rnootrc ipio 
relie vallée offre à tous les points de vue, tant de la géo;,'raphio humaine quo 
do la géographie physique, les caractères les plus typiques. 



Le Berry. Contribution à Vétude (Tune Région française, par 
Antoine Taelier, docteur es lettres, professeur adjoint de géo- 
graphie à rUniversilé de Rennes. In-S"* raisin, 48 fig, et cartes, 
32 photographies et 4 pi, de cartes et profils hors texte, br. 15 fr. 

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris ^ prix Eugène Patron, 
et par la Société de. Géographie commerciale de Paris.) 

On ne sait euère d'habitude où le Berry commence ni où il finit. Il en fal- 
lait chercher les limites, montrer comment jadis Thomme et la nature avaient 
collaboré pour les créer ; puis comment ces limites s'étaient effacées au cours 
dos siècles. 

De cette étude remarquable par la précision des analyses, se dégaprc on 
mémo temps une forte impression d'ensemble : on a la sensation de voir agir 
la nature sur la surface d une des régions de notre France qui compte pour- 
tant parmi les moins accidentées et les plus humanisées. Cotte transforma- 
tion incessante du sol, résultat du travail modeste, mais quotidien des agents 
atmosphériques, voilà la censée féconde partout présente dans cette étude 
consacrée à l'une de nos plus Intéressantes provinces. 



Le Morvarit Étude de géographie humaine, par le Capitaine 
i^TainTiUe, docteur de rUniversitc de Bordeaux. Un volume 
in-S" raisin, 44 figures et cartes dans le texte, 40 photolypies et 

4 dessins hors texte , broché 10 fr. 

{Ouvrage couronné par la Société de Géographie de Paris. Prix Charles Grad.) 

Le Morvan, qui n'eut jamais au cours de l'histoire d'unité politique, n'en 
est pas moins une des régions les pins individualisées de notre sol : pavs 

Eauvre et d'accès difficile, il semble, comme la Bretagne, resté à l'écart do 
i civilisation. — Analyser en détail les caractères de ce pays, en chercher 
Texplication, tel est le but de l'auteur. Avec les données de la géologie, 
de la météorologie, de l'hydrologie, il montre de façon précise comment 
s'explique l'aspect du sol, de la végétation, des cultures ; comment toute 
la vie des habitants est conditionnée par le milieu physique. C'est ainsi quo 
l'exploitation des forêts, la mise en valeur des terres, 1 industrie, le com- 
merce, etc., sont rigoureusement analysés et expliqués. 

Le Var Supérieur! Étude de géographie physique, par Jioles 
Mon. In-8° raisin, 8 photogr, hors texte, broché 3 fr. 

La région du Var supérieur est particulièrement intéressante pour qui veut 
étudier l'œuvre des torrents : nulle part peut-être les défrichements, rexploi- 
tation abusive des forêts et des pâtures, n'ont amené nno recrudescence plus 
terrible de l'activité torrentielle. 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES 17 



Régions naturelles et Noms de pays. Étude sur ta Région 

Parisienne^ par i<. callots, professeur à TUniversité de Paris. 
Un volume in-8* carré, 8 planches hors texte^ broché ... 8 fr. 

On s'accorde généralement à reconnaître que les divisions politiques ou 
administratives ne conviennent guère à de bonnes descriptions géographi- 
ques. Si l'on veut peindre fidèlement la nature et rendre compte de sos diffé- 
rents aspects, c'est à elle-même qu'il faut emprunter ses divisions. Mais se 
; prête-t-elle à un sectionnement de ce genre? Ë^t-il vrai, comme on l'a dit, 
qu'il suffirait de recueillir avec soin les noms de pays forgés par l'instinct 
populaire pour retrouver du môme coup les divisions rationnelles du sol ? 

L'auteur a entrepris de résoudre cotte question pour une portion étendue 
de notre territoire, celle qui va de Laon jusqu'à la Loire, des confins de la 
Normandie à ceux de la Champagne. Montrant les différents aspects de cette 
région, s'attachant à en cxpliauer les particularités et la structure, il étudie, 
avec toutes los ressources ae l'érudition moderne, les noms de pays qu'on a 
cru y reconnaître. 



La Bosnie et l'Herzégovine, ouvrage pubUé sous la direction 

de EAuis Olivier, docteur es sciences, directeur de la Hevue 
générale des Sciences, Un vol. in-8* de 370 pages, S23 gravures el 
cartes, broché 15 fr. 



' Ce beau livre est dû à la collaboration do toute une pléiade de savants 
! français : Léon Bertrand, Paul Boyer, Charles Diehl, A. Leroy-Boaulieu, Daniel 
I Zolla, etc., qui, conviés par la Hevue générale des Sciences à l'étude appro- 
fondie de la Bosnie et de l'Herzégovine, ont visité ces provinces en détail et 
Qous présentent les résultats de leurs observations. Chacun d'eux a écrit 
son chapitre, signé de son nom; nous avons ainsi des informations très cir> 
constanciées, fournies par des hommes compétents sur la nature physique 
de la Bosnie-Herzégovine, l'histoire et les monuments, la langue et la litté- 
rature, les races, les religions et les nationalités, enfin, sur chaque partie de 
l'administration actuelle, instruction, agriculture, travaux publics, industrie, 
Icsislation, etc.. L'ouvrage est luxueusement imprimé et rempli de photo- 
gravures et de cartes très intéressantes. 



La Valachlei Essai de monographie géographique, par 1 
Martonne, professeur à l'Université de Lyon. In-8% 5 caries, 

48 figures, i 2 planches hors texte, broché 12 fr. 

{Ouvrage couronné par V Académie française.) 

« Étude très documentée où l'auteur fait ressortir Tindividualîté géogra- 
phique de la Valachie qui résulte aussi bien de son relief que de son cli- 
mat et de sa végétation et trouve sa manifestation dans les efforts qu'elle a 
faits pour se constituer en unité politique. Avec un grand talent, M. de Mar- 
tonne a su coordonner dans un sens géographique toutes les données qui cons- 
lituont les traits caractéristiques delà physionomie du pays, montrant ainsi 
que la géographie peut toucher à beaucoup dos connaissances humaines sans 
cependant sortir de sou vrai domaine. « 

{Revue de Géographie.) 



l8 LIBRAIRIE ARMAND COLIN 

* 

L'Afrique du Nord \;tunisie, Algérie, Maroc), par Henri i^rin, 

ancien professseur au lycée Garnot, de Tunis, professeur à rUni- 
versité de Bordeaux. Un volume in-18, f7 gravures, 3 caries k-jr< 
texte et un index, relié toile. 3 fr. 60; — broché 3 fr. 

Ce livre est divisé en quatre parties : esquiêêe géographique générale, 
accompagnée d'uD sommaire historique; géographie régionale, embrassant la 
description de toutes les parties de l'ancienne Mauritanie romaine; géogra- 
phie économiquey où sont méthodiquement exposés les progrès de la 
colonisation; géographie politiqtu, où i'étnde des régimes administratifs se 
complète par colle du peuple néo-latin en formation dans rAigérie-Tunisic, 
et des conditions du Maroc contemporain. 

LInde Britannique : société indigène — Politique indigène : 
les Idées directrices, par Jrosepli ChalUey. Un volume in-S" 
raisin, 530 pages, 9 cartes en couleur hors texte, broché. 10 fr. 

« L'ouvrage que je donne aujourd'hui an public, dit l'auteur dans sa préface, 
« voilà vingt ans que j'y pense et dix ans que j'y travaille. Je serais hors 

< d'état d'indiquer à quelles sources j'ai puisé pour le faire. D'abord j'ai lu, 

< puis je suis allé dans le pays. Puis, à quatre ans d'intervalle, j'y suis j 
« retourné et j'ai pu observer avec des yeux plos clairvoyants. J'ai publié un 
« peu partout des études fragmentaires que j ai soumises à de bons juges: 
« J'ai, sur leurs critiques, repris ces ébauches ; j'ai réduit la matière de pln- 
« sieurs volumes à un seul. » Il y a des livres en plusieurs volumes qui 
sont loin de renfermer la substance que l'on trouve dans celui-ci. » {Revue 
Politique et Parlementaire.) 

PÉRIODiaUE 

Annales de Géographie (19* ÀNNti), publiées sous la direction 
de p. Tldal de 1* MiMbe, l.. CMiUois et Bmm. de Harserie; 

paraissant les 15 janvier, 15 mars, i5,mai, 15 juillet et 15 novembre. 
Les abonnés reçoivent gratuitement la Bibliographie géographique 
annuelle, qui parait le 15 septembre. 

« On manquait en France de publications géographiques réellement scienti- 
âques. T^ette lacune a été comblée par la fonaation des Annales de Géogra- 
phie. La tenue de cette revue, la sûreté des informations de sa chronique 
géographique, la variété de ses articles de géographie régionale, la science 
o ses études de géographie ^nérale ont assuré son succès. Il s'est trouvé 
en France un public pour goûter la science géographique et en comprendre 
é, et, à 1 étranger, les Anna/e» rfe G^^ogrroprtie t 



l'utilité, et, à 1 étranger, les Annales de Géographie sont aujourd'hui estiui(5os 
à régal des Mitteilungen de Petermann. » {Le Temps.) 

Abonnement annuel (de janvier) 

France 20 fr. | Colonies et Union postale. . . 25 Ir. 

Chaque numéro, 4 fr. — Bibliographie géographique de l'année courante, 5 Ir. 

Chaque année des Annales de Géographie (y compris la " Bibliographie ç;0o- 
graphique " annuelle) forme un vol. in-8, broché, du prix de . . . 23 fr. 

La l'** année est incomplète (le numéro 3 étant épuisé); les 6*, 7', 8*^ et 
12* années ne sont pas vendues séparément.) 

Première Table décennale dos Annales de Géographie {l8Ql-i90l). In-8',br. 4 fr. 

Bibliographies de 1893 à 1907 (sauf 1896, épuisée) : Chaque Bibliogruphie, 
vendue indépendamment des autres N<>' de l'année 10 fr. 



PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES . I9 



nONNAIRE 



Diotionnalre-manuei-iiiusiré de Géographie, par Albert 

Demanseon, docteur es lettres, professeur à rUDiversité de Lille, 
avec la collaboration de MM. J. Blàtàg, Is. Gallaud, J. Sion et 
A. Vachkr. Un volume in-18 de 870 pages, cartes et figures, relié 
toile, tranches rouges , 6 fr. 

( Ce dictionnaire-manuel, fruit d'un labeur méthodique, original, appuyé 
sur une éducation géographique aussi étendue que profonde, n'a pas seule- 
ment la valeur d'un conseiller sûr; c'est un livre à lire. Ses mérites pédago- 
giques seront vite reconnus, et — tû c6 n'est déjà fait — il sera bientôt con- 
sidéré par les élèves et par les maîtres comme un ouvrage classique. Tout 
lecteur cultivé sera reconnaissant à M. Demangeon de lui avoir permis, si 
aisément, d'étendre sa curiosité et de préciser les rapports nécessaires et inces- 
samment variables qui lient la Nature et l'Homme. » 

{Revue Pédagogique.) 



m GEOGRAPHIQUE 



Album GéOgraphiquei par Hareel doIiom, professeur dcgéo- 

§raphie coloniale à rUniversité de Paris, et camUle Cuy, agrégé 
'histoire et de géographie, lieut.-gouverneurde la Réunion. 

OUVRAGE COMPLET EN 5 VOLUMES : 

Aspects généraux de la Nature. 
Las Régions tropicales. 1 Les Colonies françaises. 
Les Régions tempérées. I La France. 

Chaque volume in-4', SOO à 650 gravures, broché 15 fr, 



Relié demi-chagrin, plats toile, fers spéciaux 20 fr. 

« On retrouve dans les cinci volumes de V Album Géographique la môme 
méthode, une description précise et topique des montagnes, des rivages, des 
fleuves, des populations, des villes, des industries, des voies de communi- 
cation, etc., accompagnée d'illustrations qui visent moins à l'effet pittoresque 
qu'à la démonstration. Par tous ces documents concrets, la vie des divers pays 
se trouve fort heureusement évoquée. » {La Revue de Paris.) 

« Dans les cinq volumes qui composent cet ouvrage, on trouve tous les éléments 
d'une étude complète et approfondie de la géographie générale; et ils sont pré- 
sentés d une façon si habile, les images dues à la photog^raphie sont si nom- 
breuses et si frappantes, les textes rédigés en termes clairs, précis, par deux 
maîtres de la géographie moderne, sont à la fois si complets et si discrets, qu'on 
lit et regarde d'un bout à l'autre ces ouvrages avec autant d'intérêt que le 

plus passionnant des récits de voyages Sans fatigue, nous parcourons tous 

les pays, représentés par des photographies d'hommes, de paysages, de mon- 
tagnes, de villes et de rues, qui sont de véritables « tranches de vie », com- 
mentées en des textes qui constituent les plus précieuses et les plus fécondes des 
leçons. Un tel ouvrage est aussi accessible et aussi utile au grand public qu'aux 
étudiants et à leurs maîtres. » ILe Figaro.) 



20 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN 



ENSEIGNEMENT 

Cours de GéOgraphiOi refondu et illustrée conforme aux Pro- 
grammes de TEnseignement secondaire (31 mai 1902 et 28 juillet 
1905), par p. Tidai de la Biaehe, membre de rinstitut, pro- 
fesseur de géographie à l'Université de Paris, et i*. Camona. 
d'AJnieida, professeur de géogrjgiphie à l'Université de Bordeaux : 



ta Terre. Géojçraphie générale 
{Seconde A, B, C, Z>), par P. Gamena. 
d'Almeida. In-lS de 630 pages, 
133 cartes et grayures, rel. toile. 4 f r. &0 

La Trance {Première A, B, C, D), par 
P. Vidal de la Blache et P. Camena 
d'Almeida. Id-18, 118 cartes et gra- 
vures, relié toile 3 fr. 25 

Les Principales Puissances du Monde 
{Philosophie et Mathématiques A, B)^ 
par P. Camena d'Almeida. In-18 do 
446 pages, 26 cartes, plans et graphi- 
ques, relié toile 3 fr. 25 



La Terre, TAmérique, l'Australasie 
[Sixième A, B), par P. Camena d'Al- 
meida. In-18, 70 cartes et gravures, 
relié toile 3 fr. » 

L'Asie, rinsoUnde, l'Afrique {Cin- 
quième A, B), par P. Vidal de la 
Blache et P. Camena d'ALMeiDA. in-18, 
98 cartes et gravures, rel. toile. 3 fr. 

L'Europe {Quatrième A, B), par 
P. Camena d'Almeida. In-18, 81 cartes 
et gravures, relié toile ... 3 fr. 25 

La France {Troisième A, B), par 
P. Camena d'Almeida. In-18, 95 cartes 
et gravures, relié toile ... 3 fr. » 

< Sous des apparences modestes, ces précis apparaîtront des chefs-d'œuvre 
de science, d'observation et d'exposition. Ils sont remplis d idées fécondes; 
ils apprennent à réfléchir, à penser. » {L'Enseignement secondaire.) 

« \l faut tirer hors de pair et saluer comme des modèles et comme des 
nouveautés fécondes, les manuels (}ue M. Vidal de la Blache a écrits on colla- 
boralion avec M. Camena d'Almeida. » {lîecve critique.) 

Atlas classique Vidal-Lablache historique et géographique, 
par p. Tidal de la uiaehe : 342 caries et cartons en couleur; index 
alphabétique de 30000 noms. Un vol. in-folio, cart. . . . 15 fr. 
Avec reliure toile souple 16 fr. 

Atlas de Géographie physique, politique, économique, géolo- 
gique et ethnographique, par w. Tldal de la Blaelie : i97 car (es et 
cartons. Un volume in-folio, cartonné 10 fr. 59 



GëOgraphleS-AtlaSi par p. ronem, inspecteur général (avec 



nombreuses cartes en couleur), 

Géographie : Année préparatoire. 
Un volume oblong, cart. ... » 75 

Géographie : Cours élémentaire. 
Un volume in-4, cart 1 « 

Géographie : !'• Année = Cours 
moyen. In-4, cart llr.BO 

Géographie : Cours supérieur et com- 
plémentaire. In-4, cart. . . 2 fr. 25 



gravures en noir et en couleur 

Géographie : Deuxième année. Écoles 
primaires supérieures et Ecoles nor- 
males (La France). Un volume in-4, 
cartonné 4 fr. 25 

Géographie : Troisième année. Écoles 

fjrimaires supérieures, Ecoles norma- 
es, etc. (Los cinq Parties du niondo.) 
Un vol. in-1, -cart 6 fr. 50 



PtJBLiCAtlONS GEOGRAPHIQUE^ 



ii 



CARTES MURALES VI DAL-LABLACH E 

39 cartes double face, sur carton (l",20xl"')i tirage en couleur 

1'* siniK : FRANCE ET ClflQ PARTIES DU MONDE. 
Les Cartes marquées d'un astérUque sont parlantes au recto, muettes au verso. 



i Termes de géographie. 
S' France. Cours d^au. 



Relief du sol. 

— Départements. 

— Villes. 

— Canaux. 

— Chemins de fer. 

— AcricuUure, et 8 bis 

Industrie. 

— Provinces. 



10 France. Front, du N.-B., et 
4 Obi» France militaire. 

il Algérie et Tunisie phy- 
sique et politique. 

li* Europe physique. 

13* — politique. 

14* Asie physique. 

IB* — politique. 

16* Afrique physique. 

17* — politique. 

>«M 89 France. Géologie. 



18* Continent américain 

physique. 
19' Amérique du Nord 

politique. 
SO* Amérique da Sud polit, 
il* Océanie. 
ti* Planisphère. 
13 Palestine et pays 

d'Orient. 
M Paris et enTirons. 



3« SliRIK : CONTRÉES D*EUROPC. 
Ces Cartes sont physiques au recto, politiques au verso. 



t Belgique. 

K Suisse. 

ti Allemagne. 

a Iles Britanniques. 



i9 Pays-Bas. 

30 Italie. 

31 Espagne. 

St Autriche-Hongrie. 



33 Péninsule des Balkans. 

84 Russie. 

3S Grèce et Archipel. 



3* SÉRIE : COLONIES ET PROTECTORATS FRANÇAIS. 



16 Madagascar et 

36 bis Indo-Chine fran- 



37 Afrique occidentale rt 138 Tunisie physique et 
87 bis Guyane, Antilles, 38 bis Tunisie 

Nil» Calédonie. 



politl- 



çaise. I Nil* Caiedonie. t que. 

Chaque carte ( *), double face, sur carton (l'"20 X 1"). 6 fr. 50 

40 
afr. 



Notice pour chaque carte, ln-12, cart 

Meuble pour renfermer ^ou^e« les cartes. 12 fr. | Appareil de suspension. 



TABLEAUX MURAUX DE GÉOGRAPHIE 
EN COULEUR 

Fac-similés d ^Aquarelles originales exécutées d'après nature. 

fiiaque tableau murale sur carton bordé et œilleté, une seule face (l"><Oxli>), présente 
8 Aquarelles et est accompagné d'une notice explicative pour les leçons de géographie. 



Prix de chaque tableau (*) avec sa Notice explicative» 



10 fr. 



!«' Tableau : Relief du sol : Le Puy de 
Dôme. — La chaîne des puys. — Les 
Alpes : Le Hont blanc. — Les Vosges (lac 
(le Longemcr). — Les Pvrénées : Gavar- 
nic. — Les Causses. — l^e Jura : région 
du Cerdon. — Une plaine au nord de 
Paris. 



2« Tableau : Vallées et Cours d'eau 
Un torrent des Alpes. — Confluent du 
Rh6ne et de la Saône. — Le saut du 
Doubs. — Vallée de montagne : le gave 
de Pau. — La Seine aux Andelys. — Une 
rivière souterraine. — L'estuaire do la 
Gironde. — Un étang des Dombes. 



En préparation: 3« Tahleau, La Mer; — 4« Tableau, Les Côtes. 



(1) 



CONDITIONS D ENVOI DES CARTES MURALES ET TABLEAUX MURAUX 



i Cartes murales ou Tableaux muraux peuvent être expédiés, en France, en nu coli» 
postal de 5 kil. et 6 Cartes ou Tableaux en un colis de 10 kil. — (Pour un colis de S liii., 
tjoutcr 1 fr. 90 ; pour un colis de 10 kil., ajouter 2 fr. 35, Trais d'emballage et de port 
ï la gara la plus rapprochée.) 



r- 22 - 

LIBRAIRIE ARMAND COLTN, rue de Mézières, $, Paris 
ÉTUDES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES 

PSYCHOLOGIE DBS PEUPLES 
Demander le Giulogue complet : scixncbs socxalss. = 



lies Grands Ports de France : 

leur râle économique, pzt P. de Rou- 
siERS.Unvol.in-i8,br. 3fr.50 

Fleaves, Cananx et Chemins 
de 1er, par Paul Léon. Intro- 
duction de Pierre Baudin. 
In-i8, 4 pi, hors texte, br. 4 fr. 

L'Or dans le monde {Géologie^ 
Extraction, Economie politique), 
par L. DE Launay. Un vol. 
in-i8, broché. ... 3 fr. 50 

L'Émigration européenne au 
XIX" siècle : Angleterre, Alle- 
magne, Italie, Autriche-Hongrie, 
Rmsie, par R. GoNNARD. Un vol. 
in- 18, broché. ... 3 fr. 50 

Essai d'une Psychologie poli- 
tique du Peuple anglais au 
XIX* siècle, par Emile Boutmy. 
In-i8(3«édit.), br. ... 4fr. 

L'Angleterre et l'Impérialisme, 

par Victor Bérard. Un vol. 
in-i8, une carte en couleur hors 
texte (4° éd.), broché . . 4 fr. 

{Ouvragé couronné par FAcadémU françaiu.) 

Hambourg et l'Allemagne con- 
temporaine, par Paul de Rou- 
siers. In-i8, broché. 3 fr. 50 

L'Impérialisme allemand, par 
M.LAiR.In-i8(2"éd.),br. 3fr.50 

[Oinriige couronné par l'Acadimie française.) 

L'Expansion allemande hors 
d'Europe, par E. Tonnelat. 
In-i8, br 3 fr. 50 

La Belgique morale et politi- 
que (1830- 1900), par Maur[Ce 
WiLMOTTE.In-i8, br . 3 fr. 50 



La Suisse au XX* siècle, par 
P. Clerget. In- 18, br. 3 fr. 50 

La Hongrie au XX* siècle, par 

René Gonn ard . In- i 8 , br. 4 f r. 

Le Développement économique 
de la Roasie, par }. Machat. 
In-i8, 4 cartes , br. . . . 4 fr. 

L'Empire Russe et le Tsarisme, 

par Victor Bérard. In-r8, 
400 pages, I carte en couleur 
hors texte (2* édit.) br. . 4 fr. 

La Question Polonaise, par 

R. Dmowski. Traduction par 
V. Gasztowtt. In-i8, br. 4 fr. 

La Question de Finlande au 

point de vue juridique, par René 
Henry. Une broch.in-i8. 1 fr. 

Le Sultan, l'Islam et les Puis- 
sances, par Victor Bérard. 
In-i8, broché 4 fr. 

La Révolution Turque, par Vic- 
tor Bérard. In-i 8. br. . 4fr. 

La France en Afrique, par le 
O Ed. Ferry. Broché. 3 fr. 50 

(Ouvrage couronné par 1^ Académie française.) 

Les Musulmans français du 
nord de l'Afrique, par I;sma> l 
Hamet. Un vol. in-i8, 2 carfr^. 
broché 3 fr. 5a 

Les Civilisations de l'Afrique du 
Nord : Berbères, Arabes, Turcs ^ par 
V. Piquet. In-i8, ^iMr/«. 4 fr. 

Le Peuplement italien en Tu- 
nisie et en Algérie, par Gaston 
LoTH. In-8, 500 p., ^6 gravures 
et cartes dont 10 planches hors 
texte, broché 10 fr, 



- 23 -- 



LIBRAIRIE ARMAND COLIN, rue de Mézières, 5, Paris 

ÉTUDES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES 

(suite) 



La Rivalité Anglo-Russe, au 
XX« siècle, en Asie {Golfe Per- 
sique — Frontières de l'Inde), par 
le D' RouiRB. In- 18, carte hors 
texte, broché 3 fr. 60 

L'Inde Britannique : Société 
indigène. — Politique indigène : 
les idées directrices, par Joseph 
Chaillet. In-8* raisin, 530 p., 
2 cartes en couleur hors texte, 
broché 10 fr. 

L'Inde d'aujourd'liui. Étude 
sociale, par Albert Métin. 
In-i8, broché .... 3fr.60 

Les Anglais aux Indes et en 
"Egypte, par Eugène Aubin. 
In-i8(4«édit.), br. . 3 fr. 50 

{Ouvragf couronné par VAcadimU française.) 

Chine ancienne et nouvelle. 
Impressions et réfleicions, par 
G, Weulersse. In- 1 8, br. 4 fr. 

La Chine novatrice et guer- 
rière, parle Commandant d'ÛL- 
LONE. In- 18, br. . . 3 fr. 50 

(Ouvrage couronné par r^eatUmie française.) 

Le Japon d'aujourd'hui. Étu- 
des sociales, par G. Weulersse. 
In-i8(5«édit.),br 4fr. 

[Ouvrage couronné par F^cadémi* française.) 

Le Japon politique, économique 
et social, par H. Dumolard. 
In- 18 (4'édit.), br. . . 4 fr. 

[Ouvrage couronné par V^tadémit française. I 

Les États-Unis au XX* siècle, 
par Pierre Lbroy-Beaulieu. 
In-i8, 480 pages (4* édition), 
broché 4 fr. 

Ouvrage couronné par V^cadémi* des Sciences 
morales et politiques.) 

Aux États-Unis {Les Champs. 
— Les Affaires. — Les Idées), par 
le Vicomte G. d'AvBNEL. Un vo- 
lume in- 18, broché . 3 fr. 50 



Les États-Unis, puissance mon- 
diale, par Archibald Cary Coo- 
lidge (Traduction de Robert 
L. Cru). In-i8,br. ... 4fr. 

Éléments d'une Psychologie 
politique du Peuple améri- 
cain, par Emile Boutmy. In-i8, 
(2«édit.), broché. ... 4 fr. 

L'Idéal américain, par Th. Roo- 
SEVELT, traduit par A. et E. de 
RousiERs. Un volume in- 18 
(4' édition), broché . 3 fr. 50 

La Colombie Britannique : 

Étude sur la colonisation au 
Canada, par Albert Métin. 
In-S" raisin, 20 cartes et cartons, 
^^ pbototypies b. texte, hi. 12 fr. 

Le Canada, les deux races, par 
André Siegfried. In- 18 de 420 
pages (2* édit.), broché. 4 fr. 

Le Brésil au XX* siècle, par 

P. Denis. In-18 (3« édition), 
broché 3 fr. 50 

L'Argentine au XX* siècle, par 
A.-B. Martinez et M. Lewan- 
DOwsKi.Introduct.par Ch. Pelle- 
GRiNi. In- 18, 470 pages (3* édi- 
tion, entièrement refondue et 
mise à jour), 2 cartes, br. 5 fr. 

La Démocratie en Nouvelle- 
Zélande, par André Siegfried. 
In- 18, I carte en couleur hors 
texte, broché 4 fr. 

[Ouvrage couronné par f .Académie française.) . 

Les nouvelles Sociétés anglo - 
saxonnes {Australie et Nouvelle- 
Zélande, Afrique du Sud), par 
Pierre Leroy-Beaulieu.Uu vol. 
in-18, broché 4 fr. 

[Ouvrage couronné par l'.Aeaditiùe fronçait 
et par fJicad. des Sciences morales et polit.). 



u 



tlhRJLÏKtk ARHÀNb éoLîït 



=TABLE DES PUBLICATIONS GÉOGRAPHIQUES = 



France. — Comm* O. Barré. 
L' Arehiitcture du soi de la 

France '• H 

Albert Demaroeon. La Picardie. 15 

P. Fovcin.LeêJUauresetCEaterel. 3 
L. Gallois. Régiont naturelles et 

nomt de payé 17 

Lbvairvillb. Le Morvan .... 16 
W. MoRTON FuLLERTON. ^ Terre$ 

françaises .' . . . 3 

SiON. Les Paysans de la Norman- 
die orientale 15 

— Le Var supérieur 16 

Vacher. Le Berry 16 

J. Vidal de la Blache. La vallée 

lorraine de la Meuse 16 

Europe* — Victor BéRARD.Z«« 

Phéniciens et VOdyssée .... 5 

Gaston Deschamps. La Grèce d'au- 
jourd'hui 5 

Cbarles Dichl. En Méditerranée. A 

— Excursions archéologiques en 
Grèce 4 

Jules Legras. Au Pays ruMe.. . 5 
Emm. de Martonne. La Valachie. 17 
Louis Olivier. La Bosnie et V Her- 
zégovine 17 

M. Quillardet. Espagnols et Por- 
tugais chez eux 4 

— Suédois et Norvégiens chez eux. 4 

Asie. — Eugène Aubin. — La 

Perse d'aujourd'hui 6 

E. Bard. Les Chinois chez eux. . 6 
Bianconi. Carte de Chine. ... 9 
J. Chailley. L'Inde Britannique. 18 
Félicien Ghallaye. Au Japon et.en 

Extrême-Orient 7 

G. Deschamps. 5ur les routes d'Asie 5 

F. Grenard. Le Tibet 6 

Jules Legras. En Sibérie. ... 6 

Comm* LUNET de LAJONQUlàRE. 

Le Siam et les Siamois 7 

Afrique. — Eugène Aubin. Le 

Maroc d'aujourd'hui 8 

R. Ghuiwau. Sahara soudanais. 8 



Puges 

H. LoRiM. L'Afrique du Nord. 18 

lj.liA.i.oBSE. Impressions d'Egypte. 8 

De Seoonzac. Voyages au Maroc. 8 

Général Toutes. Dahomey Niger, 

Touareg 9 

— />u Dahomé au Sahara 9 

Syltain Vionéras. Une Mission 

française en Abyssinie 7 

Insulinde. — J. Chailley- 

Bert. Java et ses habitants . . 7 

Amérique. — Eugène Aubin. 

En Haïti 7 

Le CoiNTE. Carte de l'Amazone. 9 

Divers. — Annales de Géo- 
graphie 18 

A. Demangeon. Dictionnaire- 
manuel-illustré de Géographie. 19 

Marcel Dubois et Camille Guy. 

Album géographique{b volâmes) : 19 

P. FoKCiN. Géographies-Atlas . . 30 

E. Hauo. Traité de Géologie . . 12 
L. de Launay. Géologie pratiqua. 12 

— La Science géologique. ... 13 

Emm. de Martonne. Traité de 

Géographie physique 11 

F. DE Montessus de Ballore. 
I^s Tremblements de Terre. . . 14 

— La Science Séismologique , . . 14 
Paul Pelet. Atlas des Colonies 

françaises 10 

B]d. Suess. La Face de la Terre. 13 

Tableaux muraux de Géogra- 
phie 21 

Vidal de la Blache. Atlas 

général 10 

— Atlas classique. 20 

— Atlas de Géographie physique, 
politique^ économiquey etc. ... 20 

— Cartes murales 21 

Vidal de la Blache et Camena 

d'Almeida. Cours de Géographie. 20 










Librairie Armand Colins 5, rue de Mézières, Paris. 

La Rivalité anglo-russe au xix- siècle er 

Asie {Golfe Persique. Frontièresde Vlndé)^ parle D'' Rouik m 
Un volume in-18 jésus, une carte hors texte, broché. 3 5 ' 

Les Anglais aux Indes et en Egypte, pa^ 

Eugène Aubin. Un vol. in-18 jésus (3* édition) broché. 3 5C 
{Ouvrage couronné par r Académie française.) 1 



L'Inde d'aujourd'hui. Étude sociale^ par Albeb^ 
Métin. Un volume in-18 jésus, broché. .'..... 3 5 



.Xà La Révolte de l'Asie, par Victor Bérard. u 
/ï volume in-i8 Jésus (2* édition), broché 4 



L'lslani| par le Comte Henry de Castries. U 
volume in-18 jésus (4* édition), broché, r. .... 4 . 



" Au Pays russe, par Jules Leqras. Un volume in-i 

• (3" édition), broché ....31 

{Ouvrage couronné par l'Académie française. ) 

Sur les routes d'Asiei par Gaston Deschamf 
Un volume in-18 jésus (S*" édition), broché. .... 3 i 

Le IVIaPOC d'aujourd'hui, par Eug^e Aubin, ij 
volume in-18 de 500 pages, avec 3 cartes eh couleur ho 
texte (5^ édition), broché 5' 

{Couronné par la Société de Géographie commerpiale de Paris.) i 



5818. — Paris. — Imp. Hemmerlé et O'». — 11-08. 



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General Libfwy . 
UiÛTenicy of Califomi 
Berkeler 



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u.c. BERKELEY LIBRARIES 





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